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1802, 03-06, t. 8, n. 43-51 (26 mars, 5, 15, 25 avril, 5, 15, 25 mai, 4, 14 juin)
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Texte
MERCURE
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE
TOME HUITIÈME.
COMME
SOCIETE
E
DE
1
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
RCE
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE DIDOT JEUNE.
ANX.
BIBL. UNIV,
GENT

KEP.FR
(N.° XLIII ) 5 Germinal. An 10.
MERCURE
1 "CP JNCLI
DE FRANCE.
LITTERATURE.
LE PRINTEMPS.
IMITATION er
:
D'HORACE , Liv. L , Ode 4.
0:10 1900011, 99
ENFIN le, doux printemps a , loin de nos climats ,
5
ce
Banni la piquante froidure ;
L'oeil , que fatiguaient les frimats , 2007 .
Aime à se reposer au sein de la verdurel bel
Déja le laboureur fuit son obscur foyer 2 !
Le troupeau bondit dans les plaines ;
Et l'impatient nautonnieremia
S'est élancé du port vers des plages lointaines.
A
Vénus aux Dieux des champs a réuni sa cour, E THOT
Phébé vient éclairer leur danse ,
Et Pan , sur le luth de l'Amour ,
Anime les plaisirs en marquant la cadence.
Au même instant , Vulcain embrase ses fourneaux ,
De toutes parts l'Etna s'allume ;
Sous les coups de leurs lourds marteaux ,
Ses compagnons ardents font retentir l'enclume.
8. I
4 MERCURE DE FRANCE ,
Amis , couronnez-vous de ces nouvelles fleurs ,
Premiers dons qu'épanche la terre ,
Et venez au Dieu des pasteurs
Immoler un chevreau dans ce bois solitaire.
Sur nos têtes , la mort , la pâle mort , sans choix ,
Agitant sa faux meurtrière ,
Aux fastueux palais des Rois ,
Heurte du même pied qu'à l'obscure chaumière.
Le terme de nos jours marqué par les Destins
Si près , hélas ! de la naissance ,
Interdit aux frêles humains ,
D'un bonheur éloigné la frivole espérance.
Bientôt enveloppé dans l'éternelle nuit ,
Vous verrez les rivages sombres ,
Et ce nocher qui nous conduit
Au lugubre manoir du vain peuple des ombres.
Là , vous n'attendrez plus , au milieu d'un festin ,
Que le dé pour vous se déclares147
Et vous proclame roi du vin ;
Le vin , les jeux , les rois sont bannis du Ténare.
Adieu l'aimable Atys et ces traits si vantés ,
Que même ses rivaux admirent ;
Quand de vingt timides beautés ,
Pour sescharmes naissants les jeunes coeurs soupirent.
DE WAILLY .
GERMINAL ANX . 5
А М.Не ТнOMAS ,
Pour la Sainte-Anne , jour de sa fête , en 1785.
DANS ANS votre fête acceptez cette rose.
Tout est charmant dans cette aimable fleur ;
Tout , son parfum , sa forme , sa couleur ,
Même son nom. Modeste et demi -close ,
1
C'est dans vos champs , pour vous qu'elle est éclosed
Simple en vos goûts , comme elle loin du bruit ,
Vous vous plairiez à l'ombre d'un bocage.
Le moindre vent comme elle vous outrage ;
Le moindre choc comme elle vous détruit ;
Et cependant , presque toujours errante ,
D'un frère illustre accompagnant les pas ,
Fatigues , soins , rien ne vous épouvante.
La peine même a pour vous des appas .
Faible roseau , vous résistez sans cesse.
Comme pour lui votre active tendresse
Prévient ses voeux , devine ses desirs !
Depuis trente ans ce sont là vos plaisirs .
Ce plaisir pur , vous n'en avez point d'autre ,
Soutient lui seul votre corps délicat.
C'est son bonheur qui fait partout le vôtre ;
C'est sa santé qui fait votre climat .
Le ciel est juste ; une amitié si chère ,
Tant de vertus méritaient sa faveur ;
Et ce ciel juste attache an nom du frère
Le souvenir et le nom de la soeur.
Par DUCIS.
1
/
6 MERCURE DE FRANCE ;
ENIGME.
Ala candeur qui brille en moi
Se joint le plus noir caractère ;
Il n'est rien que je ne tolère ,
Mais je suis méchant quand je boi.
JE
1
LOGOGRIPHE.
E vis et meurs avec mon coeur ,
Je donne la mort sans mon coeur .
11 CHARADE.
e
A M.lle PH. D.. ..........
:
"
JADIS dans les combats , de célèbres guerriers ,
Portés sur mon premier, volaient à la victoire ;
Sur mon dernier encor , avides de lauriers ,
Ils allaient acquérir une nouvelle gloire.
D'un seul de vos regards mon entier est l'effet ,
Aimable Ph .... on ne peut s'en défendre
Et dès qu'on vous a vu , l'on sent avec regret
Le besoin de vous fuir , si l'on porte un coeur tendre .
2
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
"dans le dernier Numéro .
1
Le mot de l'Enigme est espérance .
Celui du Logogriphe est aristocrate , où l'on trouve
Socrate , Aristote , rat , roi , air , aérostat , triste , estoc
troc , arc.
GERMINAL AN X.. 7
LETTRE aux Rédacteurs du MERCURE .
CELUI de vos coopérateurs , qui , dans le
dernier N.º du Mercure , a parlé des OEuvres.
posthumes de Thomas , se distingua souvent
à côté de lui dans la même carrière *.
«
,
*Quand cet article étaità l'impression , l'homme de lettres
donton parle ici est mort presque subitement. C'était l'abbé
de Vauxelles , l'un des esprits les plus aimables de ces derniers
temps. Sa conversation , comme sou style , était semée
de traits ingénieux et d'anecdotes piquantes. Il avait vu
dans sa jeunesse les écrivains les plus illustres du dernier
siécle. Il aurait pu dire comme Nestor , à la génération
nouvelle : J'ai vécu avec des hommes qui valaient
mieux que vous. » Mais il était trop poli pour tenir ce langage.
Il avait obtenu des succès dans l'éloquence , à côté de
Thomas , de l'abbé Maury , et de l'abbé de Beauvais , depuis
évêque de Sénez . Mais les longs travaux , et les genres
sévères n'étaient pas ceux qui convenaient le plus à la nature
de son talent. Ungrand nombre de morceaux épars dans
des ouvrages périodiques , attestent les agréments de son
esprit et la finesse de son goût . Il avait donné récemment
une édition des Lettres de Madame de Sévigné, et du livre
sur l'Education des filles , par Fénélon . Les deux discours
préliminaires qu'il avait ajoutés au texte ont mérité les
plus grands éloges. Il préparait un commentaire sur les
oraisons funèbres de Bossuet , il était digne de l'entreprendre.
Tous les gens de goût doivent le regretter , comme
ses amis. Le plus grand de nos critiques appelait l'abbé de
Vauxelles le Chaulieu de la prose. Il avait quelque chose
de sa grace , de sa facilité et même de sa négligence. Ou.
peut aussi lui appliquer ce que disait Voltaire de ce même
abbé de Chaulieu :
Presque seul il était resté
D'un siéclę plein de politesse.
8 MERCURE DE FRANCE,
Il fut le compagnon de sa jeunesse et son ami.
Nul ne pouvait mieux le peindre et le juger.
On regrette seulement qu'il se soit horné à
l'examen de quelques fragments de la Pétréide.
On eût desire qu'un homme qui sait louer et
censurer avec tant de discernement jetât un
coup-d'oeil plus étendu sur la masse entière des
écrits de Thomas , et en particulier sur ses
éloges , qui lui assurent , entre les orateurs
un rang que ses vers ne lui donneront pas , je
crois , entre les poètes. J'ai relu tous ces discours
dans la nouvelle édition qui vient d'être publiée.
Ils m'ont fait naître quelques réflexions que je
yous soumets. Le panégyriste de Descartes et de
Marc -Aurèle est trop connu pour que vous
n'accordiez pas encore quelque place à son souvenir
; et d'ailleurs la critique trouvera bien rarement
un texte plus instructif et plus fécond.
Thomas eut des détracteurs et des partisans
ontrés. Ses premiers succès furent brillants,
Mais , comme vous l'avez fort bien observé , sa
réputation ne s'est pas soutenue avec le même
éclat jusqu'à la fin de sa vie. Cependant son éloquences'étaitbienagrandie
etbien épurée dans ses
derniers ouvrages. Des éloges du comte de Saxe
et du chancelier d'Aguesseau à celui de Marc-
Aurèle , le progrès est frappant. Pourquoi done
sa gloire parut- elle décroître au moment où il
la méritait davantage ? Une telle contradiction
s'explique facilement. Les circonstances où parut
cet écrivain contribuèrent à sa renommée. Il
la dut autant à ses défauts qu'à ses beautés.
C'était alors la mode de prodiguer le faste des
sentences et d'affecter un ton superbe et chagria
contre tout ce qui était puissant. Quelques
1
GERMINAL AN X. 9
maximes d'indépendance etdes invectives contre
l'autorité donnaient un débit prodigieux à des
livres maintenant inconnus. A ce genre d'effet ,
qui n'était pas encore épuisé , Thomas joignait
un mérite moins facile et plus durable. Il avait
reçu de la nature'un talent qui n'était pas vulgaire
, et ce talent se fortifia trente ans par des
études sans nombre et des méditations continuelles.
Ses écrits portent à la fois l'empreinte
d'une ame fière et d'une imagination élevée. Il
est vrai qu'en général cette imagination a plus
de force que de souplesse , et plus de grandeur
que de grace. On sait que cet auteur est noble ,
grave ,imposant ; mais qu'à l'exception de quelques
morceaux , il est trop rarement simple ,
facile et naturel. Son vice principal est de grossir
les traits et de charger les couleurs en voulant
agrandir tout ce qu'il peint. Cette disposition à
tout exagérer put s'accroître encore par le
genre qu'il avait choisi ; car il n'a guère fait que
des panégyriques .
Il parcourut le premier , avee gloire , la nouvelle
carrière que l'Académie française ouvrit
aux orateurs , lorsque , pour donner plus d'intérêt
à ses concours , elle proposa l'éloge des
grands hommes. Il se montradigne de les louer,
par ses vertus comme par ses talents. Le bruit
de ses nombreuxtriomphesse répandit dans toute
la France . Il eut une foule d'imitateurs . Les
défauts du modèle devinrent plus remarquables
dans ses copistes , et sa réputation s'en affaiblit.
C'est précisément ce qui était arrivé au plus fameux
des rhéteurs latins. « Sénèque , dit Quintilien
, plaisait à ses admirateurs par les vices
de son style. Chacun s'efforçait de les imiter
10 MERCURE DE FRANCE ,
et déshonorait son maître , en se vantant de
parler comme lui * .
Thomas eut plus d'un rapport avec Sénèque ;
il vit aussi s'élever peu de temps après lui un
homme dont le goût fut bien meilleur que le
sien . Le Cours de littérature , comme on l'a
dit, ailleurs , parut chez les Français à la même
époque , que le Livre des institutions chez les
Romains. L'auteur de ce cours fut , comme Quintilien
, orateur avant d'être critique: ses discours ,
si on les compare à ceux de Thomas , n'ont pas
le même appareil ; on y trouve moins de cette
dignité qui cherche l'admiration ; ils supposent
des études moins vastes et des veilles moins laborieuses.
L'esprit n'y a pas combiné tant d'effets
, et multiplié tant de pensées ; mais le ton
en est plus vrai , la marche plus heureuse , et la
variété du style y répond mieux à celle des
sujets.
Ce dernier orateur n'a point peint la simpli
cité guerrière de Catinat , comme les graces
de ce Fenélon qui réunissait dans sa conduite
et dans ses écrits ce que le goût a de plus pur ,
et ce que la vertu a de plus aimable. Au contraire
, les physionomies de Daguesseau , de
Duguay-Trouin , de Descartes et de Sully ont
trop souvent le même dessin et la même cou
leur. Quoi qu'il en soit , ces deux écrivains , avec
des qualités différentes , ont honoré l'éloquence
française , vers la fin du dix-huitième siècle ; j'ai
entendu comparer quelquefois le genre cultivé
* Sedplacebatpropter sola vitia , et ad ea se quisque dirigebat
effingenda quæ poterat. Deinde cum se jactaret
eodem modo dicere , Senecam infamabat. (QUINTILIEN ,
liv. X, chap. Ι. )
GERMINAL AN X. Ir
1
par eux, à celui de l'oraison funèbre que porta
si haut le génie de Bossuet , et qu'orna si
bien l'art de Fléchier. Mais il me semble que
ces discours académiques , dont je reconnais
d'ailleurs tout le mérite , ne pouvaient jamais
fournir les mêmes ressources à l'orateur et produire
d'aussi fortes impressions .
Rapprochez un moment les lieux , les siècles ,
les circonstances. Revoyez autour de la tribune
sacrée cette foule auguste , ces nombreux
auditoires composés de ce que la nation avait
de plus grand et de plus éclairé sous lerègne de
Louis XIV , et jugez où sont les plus sûrs moyens
d'émouvoir le coeur , et de frapper vivement
l'imagination.
Quand Fléchier , quand Bossuet montaient
dans la chaire pour louer Turenne ou Condé ,
la patrie en deuil déplorait la perte récente de
ces deux héros . Les éloges de tout un peuple
répondaient à ceux de l'orateur , et par combien
de spectacles l'orateur lui-même était enflammé
! Ses premiers regards tombaient sur les
restes du grand homme dont la mémoire lui était
confiée par la reconnaissance publique. Les
parents , les amis de l'illustre mort , ses plus
fidelles serviteurs , tous ceux qui avaientrecueilli
ses dernières paroles , étaient présents à ses funérailles
. Non loin , de vieux soldats , compagnons
deses victoires , pleuraient, appuyés sur ces mêmes
armes qui triomphèrent de l'Europe. Au bruit
de la cérémonie funèbre , le monde avait
suspendu ses spectacles et ses jeux. Les hommes
du siécle étaient accourus sous ces voûtes religieuses.
Le riche et le pauvre , le sujet et le
prince, instruits ensemble à cette école de la
12 MERCURE DE FRANCE ,
1
mort qui égale toutes les conditions , offraient
les mêmes voeux , s'humiliaient dans la même
poussière , et , partageant les mêmes craintes et
les mêmes espérances , pressaient de leurs genoux
les pavés de ce temple couverts d'antiques
épitaphes et des promesses d'une vie nouvelle.
Les femmes les plus aimables de ces
temps fameux , les Thiange , les Montespan , les
évigné , les La Fayette , et les touchantes Nemours
et les belles Montbazon , qui devenaient
plus belles et plus touchantes encore , écoutaient
avec un pieux recueillement * , près du
sévère Montausier et du vénérable Bourdaloue .
Les arts avaient orné de toutes leurs pompes le
mausolée qui renfermait les augustes dépouilles .
Au dessus , on croyait voir planer encore l'ame
du héros , attentive aux hommages de la France .
Du milieu de cette scène imposante , Bossuet ,
chargé de gloire et d'années , élevait ses accents
pathétiques , et tous les coeurs étaient ébranlés.
A peine avait-il fait entendre sa voix , que ce
temple , environné de crêpes , semblait devenir
plus sombre. Cette voix sublime redoublait la
majesté du sanctuaire et les terreurs du tombeau
. Tantôt , l'homme inspiré contemplait ,
avec un sombre abattement , le cercueil où tant
degloire était renfermée ; tantôt , il se tournait
avec confiance vers l'autel de celui qui promet
limmortalité. Toutes les tristesses de la terre
et toutes les joies du ciel se peignaient tourà-
tour sur son front , dans ses regards , dans
* L'étranger admirait dans cette auguste cour
Cent filles de Héros conduites par l'Amour ,
Ces belles Montbazon , ces Nemours si touchantes.
VOLTAIRE.
GERMINAL ANX. 13
sa voix , dans ses gestes , dans tous ses mouvements
. En arrachant des larmes aux spectateurs
, il pleurait lui-même , et , sans cesse ému
de sentiments contraires , s'enfoncant dans les
profondeurs de la mort et dans celles de l'éternité
, mêlant les consolations à l'épouvante , il
proclamait à la fois le néant et la grandeur de
P'homme entre le tombeau prêt à l'engloutir ,
et le sein d'un Dieu prêt à le recevoir.
Au sortir d'une de ces solennités douloureuses
qui réunissent toutes les espèces d'intérêt
, transportez - vous dans la salle d'une Académie
on y lit , sans pompe , l'éloge d'un
ministre , d'un philosophe , d'un magistrat celèbres
, longtemps après leur mort , et devant
des spectateurs indifférents.-Il n'y a point là
de mausolées , d'autel et de tribune ; des amis
éperdus , une famille gémissante , n'accompagnent
point le fatal cortége. Ce n'est point la
patrie et la religion éplorées qui ont rassemblé
dans cette enceinte un peuple encore ému de
sa douleur. Une curiosité purement littéraire
a réuni quelques gens de goût. Ils viennent
juger avec quel art on a traité un sujet proposé
, depuis un an , à l'émulation , pour une
médaille et quelques applaudissements . C'est un
jeu d'esprit , un effort de talent qu'ils applaudissent,
et non un spectacle dramatique auquel ils
viennent assister.
Ces oraisons funèbres du dernier siècle , me
paraissent avoir encore un autre avantage. On
sait bien que le ton des panégyriques exagère
toujours un peu celui de la vérité ; mais on y
pardonne aisément quelque excès , quand les
larmes , dues à la mémoire de celui qu'on cé
14 MERCURE DE FRANCE ;
lèbre , ne sont point encore essuyées. Au contraire
, tous les inconvénients du genre se font
sentir quand les années ont affaibli l'enthou
siasme et les regrets. Le temps découvre les
imperfections des plus grands béros , et rien ne
se dissimule à son tribunal. Ainsi , quand les
siécles ont passé sur la tombe d'un homme illustre
, il doit être plus jugé que loué. Son véritable
éloge est dans son histoire. Plutarque , éloigné
par plusieurs générations des grands hommes
Grecs et Romains , se contenta d'écrire leurs
vies , et ne fit point leurs panégyriques.........
Mais , en reconnaissant les désavantages de
ces éloges académiques , on n'en doit, que plus
d'estime à ceux qui ont su répandre des beautés
réelles dans un genre équivoque , qui ne
peut avoir , ce me semble , au même degré,ni
les grands mouvements de l'éloquence funèbre ,
ni les développements instructifs de l'histoire.
Cependant , plusieurs sujets traités par Thomas
étaient susceptibles du ton le plus oratoire.
On pouvait y produire quelques-uns des effets
retracés plus haut. L'Eloge du maréchal de
Saxe , par exemple , fut proposé peu d'années
après sa mort, et presque sous les yeux des témoins
de ses exploits . Le monarque avait , le
premier, honoré la cendre de son défenseur. Il
avait donné l'ordre à Pigal de représenter sur
le marbre , et les triomphes du héros , et la douleur
de la France. Les humiliations éprouvées
à Rosbach , donnaient un nouveau lustre à la
journée de Fontenoy. Cette dernière victoire
qui avait inspiré les chants de toutes les
Muses françaises , occupait encore la renommée.
C'était la plus belle époque militaire du
:
GERMINAL AN X. 15
18.me siècle , avant que la valeur française , surpassant
tous les prodiges du temps passé , reculât
les limites de notre patrie jusqu'à celles
des anciennes Gaules. L'éloquence pouvait aisément
se déployer dans la description de la bataille
de Fontenoy. Il me semble que l'imagination
de l'orateur est bien moins riche que le
sujet. chovou 1
« Champs de Fontenoy ! s'écrie- t-il , vous allez dé-
" cider cette grande querelle ! C'est dans cet espace
« qu'est renfermée la destinée de quatre empires ! ...
*******... Tout s'ébranle : ces grands corps se
« heurtent. Maurice , tranquille au milieu de l'agita-
« tion , observe tous les mouvements , distribue des
secours , donne des ordres , répare les malheurs ;sa
■ tête est aussi libre que dans le calme de la santé.
« Il brave doublement la mort : il fait porter dans tous
* les lieux où l'on combat , će corps faible qui semble
* renaître... مهدراه C'est de
« ce corps mourant que partent ces regards perçants
• et rapides , qui règlent , changent ou suspendent
** les événements , et font les destins de cent mille
* hommes. Iva fortune combat pour nos ennemis . Un
hasard utile a formé cette colonne dont les effets
* ont été regardés comme le chef - d'oeuvre d'un art
▸ terrible et profond. Toujours ferme , toujours iné-
< branlable , elle s'avance à pas lents , elle vomit des
• feux continuels ; elle porte partout la destruction .
• Trois fois nos guerriers attaquent ce rempart d'ai-
• rain , trois fois ils sont forcés de reculer. L'ennemi
* pousse des cris de victoire , le destin de l'armée chancelle
, la nation tremble pour son roi. Maurice voit
" des ressources où l'armée entière n'en voit plus. Il
< recueille toutes les forces de son ame. Une triple
16 MERCURE DE FRANCE ,
(
⚫ attaque est formée sur un nouveau plan, la colonne
< rompue , la France se rassure , et Louis est vain-
K queur. O Maurice ! puisque tu n'es plus , perinets
* qu'un citoyen obscur , mais sensible , s'adresse à ta
- cendre': reçois pour ce bienfait les hommages de
mes concitoyens et les miens , la postérité te doit
<< son admiration ; mais nous , nous te devons un sen-
« timent plus tendre , nous devons chérir et adorer
ta mémoire. »
Ce morceau manque d'effet et de force ;
toutes les phrases en sont coupées de la même
manière. Il commence par une apostrophe aux
champs de Fontenoy , et finit par une apostrophe
au comte de Saxe. Rien n'est plus froid
et plus monotone.
Ah ! ce n'est pas ainsi que Bossuet décrit
la bataille de Rocroi. Il vous transporte au milieu
du combat. Il fait passer dans ses expressions
tout le feu de la guerre , et toute l'ame
de Condé.
:
1
:
رد
Les deux généraux et les deux armées semblent
« avoir vouluose renfermer dans des bois et des marais,
pour décider leur querelle , comme deux braves
en champ clós. Alors que ne viton pas ? Le jeune
prince parut un autre homme. Touché d'un si digre
" objet , sa grande ame se déclara toute entière , son
courage croissait avec les périls , et ses lumières avec
a son ardeur. Ala nuit qu'il fallut passer en préi
sence des ennemis , comme un vigilant capitaine , il
« reposa le dernier ; mais jamais il ne reposa plus paisiblement.
A la veille d'un si grand jour , et , dès la
première bataille, il est tranquille , tant il se trouve
dans son naturels et on sait que le lendemain , à
GERMINAL ANX. 17
1
l'heure marquée , il fallut réveiller ce nouvel Alexan-
« dre. Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire
* ou à la mort ? Aussitôt qu'il eut porté de rang en
« rang l'ardeur dont il était animé , on le vit presque
«en même temps pousser l'aile droite des ennemis ,
« soutenir la nôtre ébranlée , rallier les Français à
« demi - vaincus , mettre en fuite l'espagnol victorieux ,
■ et étonner de ses regards étincelants ceux qui échap-
« paient à ses coups. Restait cette redoutable infan-
« terie de l'armée d'Espagne , dont les gros bataillons
« serrés , semblables à autant de tours , mais à des
tours qui sauraient réparer leurs brèches , demeuraient
inébranlables au milieu de tout le reste en
« déroute , et lançaient des feux de toutes parts . Trois
fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces in-
« trépides combattants : trois fois il fut repoussé par
• le valeureux comte de Fontaines , qu'on voyait porté
« dans sa chaise , et , malgré ses infirmités , montrer
« qu'une ame guerrière est maîtresse du corps qu'elle
« anime. Mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à
« travers des bois , avec sa cavalerie toute fraîche ,
« Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats
■ épuisés . Le prince l'a prévenu. Les bataillons enfon-
« cés demandent quartier. Mais la victoire va devenir
" plus terrible pour le duc d'Anguien que le combat.
« Pendant qu'avec un air assuré , il s'avance pour re-
* cevoir la parole de ces braves gens , ceux-ci , toujours
" en garde', craignent la surprise de quelque nouvelle
attaque : leur effroyable décharge met les nôtres
" furie : on ne voit plus que carnage ; le sang enivre
▪ le soldat , jusqu'à ce que le vainqueur , qui ne put voir
• égorger ces lions comme de timides brebis , calma les
"
" courages émus , et joignit au plaisir de vaincre celui
• de pardonner .... Le prince fléchit le genou , et , dans
8. 2
18 MER CURE DE FRANCE,
« le champ de bataille , il rend au Dieu des armées la
<<gloire qu'il lui envoyait. »
Je sais que ce morceau était autrefois cité
dans toutes les rhétoriques à l'usage des jeunes
gens. Mais, les beautés n'en peuvent être senties
que par des lecteurs d'un âge plus avancé.
Comme ce style est vif et rapide ! Il s'élance
avec Condé ; il s'échauffe avec la mêlée ; il en
reproduit tout le désordre. On croit entendre
le bruit des armes , les cris des soldats et la voix
du chefqui s'élève au dessus de toutes les autres .
Tantôt des périodes nombreuses et soutenues
semblent se développer avec la masse de l'armée
entière. Tantôt les membres de la phrase se
brisent , et , par leurs irrégularités , imitent la
marche interrompue , les brusques évolutions ,
et le choc tumultueux des divers corps. Laphrase,
en un mot, est toujours d'accord avec ce qu'elle
doit exprimer. Elle s'arrête ou se prolonge
comme l'action , se varie avec toutes les incertitudes
de la fortune , et se précipite avec les
derniers mouvements qui la décident.
Bossuet représente aussi un capitaine expirant
qui enflamme de ses derniers regards la valeur
de ses troupes. Mais combien est simple et
martial à la fois le tableau du vieux comte de
Fontaines , porté dans sa chaise , à la tête des
bandes espagnoles. Thomas ne peintqu'un corps
mourant qui semble renaître. Bossuet qui connaît
mieux la grandeur de l'homme , peint
une ame guerrière maîtresse du corps qu'elle
anime. C'est aussi , comme à Fontenoy , dans
un étroit espace , qu'il faut combattre , entre des
marais et des bois, Mais sous quelle image
WAP.FR
GERMINAL AN Χ.
Bossuet nous montre les deux armées prêtes
vider leur querelle comme deux braves en
champ clos ! Voulez-vous mieux juger combien
l'orateur moderne est faible ? Opposez à la
la marche de la colonne anglaise , dont la des
cription aurait pu être si neuve et si brillante ,
la peinture de ces gros bataillons serrés qui
ressemblent à autant de tours , mais à des tours
qui sauraient réparer leurs brèches . Quelle
énergie et quelle originalité ! que toute éloquence
est médiocre auprès de celle-là ! Les
qualités qui dominent dans Bossuet sont celles
qui manquent le plus à Thomas , je veux dire ,
la verve et le mouvement.
On est étonné de lire dans l'Essai sur les
éloges que Bossuet manque d'idées toutes les
fois qu'il n'est pas soutenu par son sujet. Cette
érreur est facile à réfuter. L'oraison funèbre
du chancelier Letellier est sans doute bien inférieure
à celle de la reine d'Angleterre , de M.me
d'Orléans et du grand Condé. Un tel personnage
et les événements de son ministère , ne
pouvaient élever le génie comme les infortunes
de la veuve de Charles I.er et l'héroïsme du
vainqueur de Rocroy. Comparez cependant à
l'éloge du chancelier d'Aguesseau par Thomas ,
l'oraison funèbre de Letellier. Les deux sujets
ont plus d'un rapport. Eh bien ! n'est-ce pas
Bossuet qui répand le plus d'idées de tout genre
sur les études , les moeurs et les devoirs d'un
magistrat !
magi
Le panégyriste du comte de Saxe et de d'Aguesseau
surpassa ces deux premiers essais dans
l'éloge de Duguay-Trouin. Ce discours est terminé
par une prosopopée très-oratoire. L'om-
5
CC
20 MERCURE DE FRANCE ,
bre de cet illustre marin , évoquée par l'orateur
, se promène tristement au milieu de nos
ports déserts , et rappelle aux Français la gloire
de ces flottes victorieuses sous qui se courbait
autrefois l'océan , et qui faisaient trembler le
pavillon britannique. Cette apostrophe était plus
frappante à la suite d'une guerre malheureuse
sur terre et sur mer , au moment d'une paix
si déshonorante et si indispensable , dit Voltaire
dans son siècle de Louis XV. Je l'ai déja
remarqué plus haut. La satire indirecte du gouvernement
donnait plus de prix à cette espèce
d'éloquence.
Le caractère de Sully était plus beau que les
trois premiers . Mais si vous exceptez quelques
traits des dernières pages , Thomas , dans ce
discours , est resté fort au dessous de lui-même,
et surtout de son héros . C'est alors qu'il com.
mence à faire un grand abus des termes abstraits
et des comparaisons tirées de la mécanique.
Tout est poidset contre-poids , forceet levier,
action et reaction. Les critiques remarquerent
justement l'emphase et l'obscurité de quelques
phrases de cet éloge. On n'a jamais prodigué
l'orgueil des grands mots et le vague des idées
avec plus d'excès que dans le portrait de ce
ministre qui doit veiller sans cesse à retrancher
de la somme des maux qu'entraîne l'embarras
de chaque jour, le choc et le contrasie
éternel de ce qui serait possible dans la na-
Imre et de ce qui cesse de l'être par les passions
* , etc.
On retrouve plusieurs de ces défauts dans
l'éloge de Descartes. L'orateur étale les con-
*Voyez l'Eloge de Sully , page 178. Nouvelle édition.
1
GERMINAL ANX. 21
naissances qu'il vient d'acquérir avec trop de
luxe et d'ambition. Il fait agir trop longtemps
les siècles passés sur l'ame de Descartes , et
réagir l'ame deDescartes sur les siècles futurs.
Mais plus d'une beauté couvre ces taches et doit
les faire pardonner.
L'abbé d'Olivet et l'abbé Le Batteux ne voulaient
pas , dit- on , qu'on couronnât cet ouvrage ; ils en
trouvaient le style plein d'enflure , et les détails
plus propres à l'Académie des sciences qu'à
l'Académie française . Thomas n'avait point oublié
cette critique , et même il en parlait de
temps en temps avec quelque humeur. Mais
quand , à la séance publique , on entendit ce
passage de son exorde : c'est aux pieds de la
statue de Newton qu'il faudrait prononcer
Péloge de Descartes , la salle retentit d'acclamations
, et le public cassa le jugement de
d'Olivet et de Le Batteux. Le public eut raison ,
car cet éloge respire l'enthousiasme de la gloire.
Le tableau des persécutions éprouvées par Descartes
offre , ce me semble , des traits admirables.
Tels sont ceux-ci par exemple :
:
u Avec ses sentiments , son génie et sa gloire , il
• dut trouver l'envie à Stockholm comme il l'avait
* trouvée à Utrecht , à la Haye et dans Amsterdam.
" L'envie le suivait de ville en ville , et de climat en
climat . Elle avait franchi les mers avec lui ; elle ne
• cessa de le poursuivre que lorsqu'elle vit entre elle
• et lui un tombeau. Alors elle sourit un moment
" sur sa tombe , et courut dans Paris où la Renommée
⚫ lui dénonçait Corneille et Turenne.
" Hommes de génie , de quelque pays que vous soyez ,
* voilà votre sort . Les malheurs , les persécutions , les
22 MERCURE DE FRANCE ,
{
"
९८
« injustices , le mépris des cours , l'indifférence du
peuple , les calomnies de vos rivaux ou de ceux qui
"*croiront l'être , l'indigence , l'exil , et peut être une
mort obscure , à cinq cents lieues de votre patrie ;
voilà ce que je vous annonce. Faut- il pour cela que
vous renonciez à éclairer les hommes ? Non , sans
doute , et quand yous le voudriez , en êtes - vous les
maîtres ? etc. , etc. "
Ce ton est très-noble et très-élevé ; mais quand
il est toujours le même , il fatigue bientôt ceux
qui l'admirent le plus. L'ouvrage où le style
de Thomas eut le moins de cet apprêt et de
cette gravite trop soutenue qu'on lui repro-
'che , est peut-être l'éloge du dauphin. C'est que
précisément il trouva dans ce sujet plusieurs
des ressources de l'oraison funèbre , et qu'il y
a même imité , plus d'une fois , les formes de
'Bossuet et de Fléchier , comme dans le mor-
'ceau suivant :
«Les vastes palais de Fontainebleau ont été bai-
- gnés de larmes ; on arrache la famille royale à un
« séjour désolé. On fuit ! ces palais immenses deviennent
11 déserts , et la mort seule y habite ; mais tous les
coeurs restent attachés à cet appartement funèbre ;
ils errent autour de ce lit de mort ; et , fixés près
d'une vaine cendre , redemandent au ciel ce qui
« n'est plus. Quel retour ! Presque jusqu'au dernier
moment on avait espéré. On revoit ces che-
« mins par où il avait passé , où la douce espérance
le soutenait encore. La nouvelle arrive à Paris . En
«un instant elle est répandue dans les maisons , dans
« les places publiques ; il est mort; à ce mot qui de
nous n'a été attendri ? etc,
(
GERMINAL AN Χ. 23
A
Il est malheureux que ce passage rappelle un
peu trop ce fameux mouvement. O nuit désastreuse
! O nuit effrayante où relentit tout-àcoup
, comme un éclat de tonnerre , cette effrayantenouvelle
! Madame se meurt , Madame
est morte! Qui de nous ne se sentit frappé , à
ce coup , comme si quelque tragique accident
avait désolé safamille ? On voit du moins qu'en
se rapprochant des orateurs d'un autre siècle ,
l'ame de Thomas était plus doucement émue ,
et que son style acquérait plus de souplesse , plus
d'onction et de facilité..
Sa réputation s'établit très-vîte , mais elle
ne fut pas épargnée par la critique. Il sentit
que , par de nouveaux efforts , il devait enfin
la confondre , et justifier ses admirateurs . C'est
alors qu'il fit l'éloge de Marc -Aurèle , où toutes
ses beautés se fortifièrent , et où disparurent
presque tous ses défauts . L'homme le plus digne
d'apprécier ce chef-d'oeuvre de Thomas , a dit
que c'était un drame moral plein de majesté
et d'intérêt , digne d'être représenté devant des
sages et des rois ...
Mais d'où naît çet intérêt et cette majesté
douloureuse qui remplit l'éloge de Marc- Aurèle
, et qu'on loue si justement ? C'est que cet
éloge a tous les caractères que j'ai indiqués dans
l'oraison funèbre . L'orateur a saisi le moment
où le corps de Marc-Aurèle est transporté à
Rome, au milieu des larmes et de la désolation
publique. Et c'est Apollonius qui , penché
sur les restes de ce grand homme , déplore
sa perte , et raconte ses vertus devant le peuple
romain.
Le grand talent qu'on admire dans ce bel
6
..
24 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrage se soutient souvent à la même hauteur
dans quelques chapitres de l'Essai sur les
Eloges. Cet essai n'est au fond que la poétique
du genre dont s'était occupé Thomas pendant
toute sa vie , et il vouluty renfermerune..
grande partie de l'histoire universelle ! Le sujet
principal est en disproportion avec l'immensité
du cadre et la multitude des accessoires
. Thomas , en s'efforçant d'enrichir cha-
⚫que partie de sa composition , manquait souvent
l'effet général . Son Essai sur les éloges a des parties
brillantes , mais l'ensemble est défectueux .
L'ancienne police retrancha , dit --oon, quelques
passages de cet Essai. Du moins on publie
dans cette dernière édition un Fragment sur'
Richelieu , qu'on n'avait point vu dans la première.
Je ne sais si Thomas n'aurait pas dû
des remercîments au censeur qui lui conseilla
cette supression.
Que voit on en effet dans ce fragment? Tout ,
excepté le génie de Richelieu . On le condamne
sans restriction , sur des faits isolés dont la cause
n'est point encore bien éclaircie , et on sépare
sa conduite , des grandes circonstances qui la
déterminèrent . Il fallait montrer ce grand ministre
entre le siècle de la ligue , dont il ré
primait les dernières fureurs , et le siècle de
Louis XIV , dont il préparait la gloire.
Mais Thomas , quoiqu'il eût beaucoup d'apereus
divers dans l'esprit , savait rarement saisir
dans un sujet, les points de vue les plus simples
et les plus féconds. Il pensait en détail, si
on peut parler ainsi , et ne s'élevait point assez
haut pour trouver ces idées premières qui font
penser tous les autres. On voit dans ses ouvrages
:
GERMINAL ANX. 25
le fruit de la plus vaste lecture , des conversations
les plus choisies , et d'un grand nombre
de réflexions acquises par des études très - variées.
Mais on y cherchevait en vain quelque
chose de cet esprit original qui, loin des hommes
et des livres , peut s'élever seul jusqu'à des conceptions
pouvelles.
Si Thomas n'eut point cette espèce de force
créatrice , il ne manqua pas moins de cette sensibilité,
vive ou douce qui se communique de
l'ame de l'écrivain à celle du lecteur. Il voulut
pourtant écrire sur les femmes !
Avant de composer sur elles un traité fort graveen
prose oratoire , il nous avait dit en vers
qu'il aimerait fort une beauté ,
Qui sût tout voir , tout juger , tout connaître ,
Sût avec Locke analyser son étre , :
Avec Montagne épurer sa raison ,
Et , se trouvant toujours ce qu'on doit être ,
Sût au besoin goûter une chanson.
J'avoue que ce goût n'est pas le mien. J'aimerois
mieux une beauté qui chantât plus
souvent , et qui n'analysât qu'au besoin son
être avec Locke. Je souhaiterais même que ce
besoin vînt rarement . Les chansons bercent l'enfance
, inspirent l'amour et consolent la douleur.
Elles sont , je crois , plus convenables aux
mères , aux nourrices et aux amantes , que tous
les systèmes sur l'entendement humain.
Quoi qu'il en soit , Thomas analyse ,dans son
Essai sur les femmes , toutes les vertus dont'
elles sont susceptibles ; il compte de siècle en
siécle toutes leurs grandes actions , tous leurs
travaux , et jusqu'aux ouvrages publiés à leur
26 MERCURE DEFRANCE ,
:
gloire. Assurément leur apologiste n'oublie
rien de ce qui peut accroître leur triomphe. On
ne peut les honorer davantage , et leur rendre
un culte plus solennel. Mais les femmes ne sont
bien louées que par les passions qu'elles inspirent.
L'auteur s'épuise à leur prodiguer la louange;
il multiplie les observations fines , les pensées
ingénieuses , et même les sentiments délicats.
Mais ce n'est point assez. Les femmes
veulent avant tout de l'amour , et jamais elles
ne se sont méprises sur les torts secrets de Thomas
, en dépit de toutes ses flatteries .
Et cependant , quelle reconnaissance ne lui
doivent- elles pas ! Il soutient contre Montagne ,
un peu trop naïf à la vérité , que deux femmes
peuvent s'aimer fort sincèrement. Le docte et
vertueux orateur avait oublié ces jolis vers de
Voltaire :
Plus loin venaient , d'un air de complaisance ,
Lise et Chloé qui , dès leur tendre enfance ,
Se confiaient leurs plaisirs , leurs humeurs ,
Et tous ces riens qui remplissent leurs coeurs ;
Se caressant , se parlant sans rien dire ,
Et sans sujet toujours prêtes à rire.
Mais toutes deux avaient le même amant :
A son nom seul , ô merveille soudaine !
Lise et Chloé prirent tout doucement
Le grand chemin du temple de la Haine.
Cet amant- là, s'il avait su écrire , eût pu faire
un livre moins profond , mais plus agréable que
l'Essai sur lesfemmes. Elles se sont contentées
d'estimer Thomas ; et l'on sait bien que leur
eştime fait peu de bruit.
Il cultiva la poésie comme l'éloquence , mais
GERMINAL AN X. 27
non pas avec le même éclat. Ce n'est pas que ,
dans ce genre , il n'ait aussi du talent etde l'art .
Il fait souvent de très-beaux vers ; mais , comme
tout lecteur peut le sentir , leur marche est lourde
, et leur harmonie monotone. On permet à
l'éloquence un peu de travail , de lenteur et
d'austérité ; mais tous les mouvements de la poésie
doivent être vifs , naturels et gracieux. On
se rappelle dans l'Enéïde le moment où Vénus
se montre , dans les détours d'une forêt , à son
fils étonné . La grace de sa robe flottante , l'éclat
de son front , et sa chevelure parfumée ne suffisent
pas pour la reconnaître . C'est par sa démarche
seule que la divinité se manifeste toute
entière , Et vera incessu patuitdea. Cette image
charmante de Virgile est celle de la poésie , et
surtout de la poésie épique. Au contraire , le
style de Thomas se traîne quand il faut s'élancer.
Au lieu de parcourir tout son sujet d'un
vol sûr et facile , il pèse longuement sur chaque
détail ; il s'épuise à tout décrire. On trouve dans
ses vers des combinaisons habiles , et jamais une
heureuse inspiration , ce qui élève l'esprit , et
rarement ce qui plaît à l'ame ; de la surprise ,
et non du charme ; de la pensée , et non de la
rêverie.
Ce n'est pas qu'il ne connût très-bien la langue
poétique. Il en parle en homme éclairé ,
dans une dissertation qui fait partie de ses oeuvres
posthumes . Il y vante trop seulement les poètes
anglais . Mais , c'était à cette époque la manie
universelle. En revanche , il apprécie avec justesse
les poètes français. Il n'aimait pas Voltaire ,
mais l'équité l'emporte sur ses ressentiments
particuliers . Tous les gens de lettres instruits
28 MERCURE DE FRANCE ,
et de bonne- foi , aimeront le parallèle qu'il établit
entre le style de Racine et de Voltaire.
ef Les tragédies de Voltaire , unedes parties les plus
* brillantes de notre littérature , après ou avec celles
de Racine et de Corneille , ont dû aussi influer sur
* notre langue poétique , mais d'une autre manière.
« L'impétuosité naturelle au génie de cet homme cé-
" lèbre , en donnant plus de chaleur aux passions ,
plus de mouvement au style , a , pour ainsi dire ,
accéléré la marche de cette langue jusqu'alors plus
lente et plus calme. Chez lui , elle a un peu perdu
« de ces périodes harmonieuses de Racine qui formaient
un enchantement presque continu pour
". l'oreille. Elle roule plus interrompue , plus brisée
dans son cours ; mais aussi elle entraîne plus l'ame
■ et l'esprit , et leur permet moins de s'arrêter sur son
plaisir même. La langue poétique de Racine est plus
• correcte et plus pure : eelle de Voltaire est plus
• vive et plus passionnée. L'une a plus de ces effets
« qui tiennent à la perfection des détails ; l'autre , de
« ceux qui tiennent à la rapidité de l'ensemble. L'une
" ne choque jamais le goût , l'autre ne laisse jamais
"
et
reposer l'imagination. Enfin , l'une , même en pei-
« gnant les passions les plus tumultueuses de l'ame
semble toujours conserver une portion de sang-froid
pour observer et mesurer sa marche ; l'autre semble
avoir l'ivresse même des passions qu'elle peint. Elle
"'est forcée de leur obéir , et se précipite comme elles
avec leur négligence et leur abandon. Voltaire a de
" plus communiqué à cette langue une partie du tuxe
de son esprit , peut-être un peu conforme à celui
« de son siécle : il détache plus ses idées du fond général
, et les met plus en relief : souvent ses vérs
" sortent de la ligne pour s'attirer une attention parce
"
GERMINAL ΑΝ Χ. 29
"
■ ticulière , au lieu que, dans Racine, les vers marchent
" tous ensemble , sous une discipline égale qui ne
" permet à aucun de se faire remarquer aux dépens
⚫ de la troupe entière. Enfin , il a beaucoup plus mul-
« tiplié que ses prédécesseurs l'usage des figures et
« des images dans la tragédie , sorte de beauté qui
• appartient plus à l'épopée et à l'ode qu'au genre
". dramatique. Mais , par ce défaut même , il a étendu
• notre langue poétique , appauvrie et resserrée dans
« son commerce habituel avec le théâtre. C'est ainsi
« qu'en politique quelquefois de grands hommes se .
permettent de violer des lois particulières , dont
« l'infraction même , sous d'autres points de vue ,
« tourne au bien général de l'état . Une circonstance
« qui , dans Voltaire , a favorisé cette richesse de cou-
« leurs et souvent la rend nécessaire , c'est la multi-
* tude de nations et d'époques différentes qu'il a peintes
* dans son théâtre : Grecs , Romains , Arabes , Otto-
« mans , Chinois , Tartares , Espagnols , sauvages, du
"Nouveau - Monde , moeurs de la chevalerie , gran-
" deur asiatique des anciens empires de l'Orient ; mer-
« veilleux de la fatalité dans Edipe , dans Oreste ;
" merveilleux sombre et terrible,des tombeaux et de
■ la religion dans Sémiramis ; dans Mahomet , établis-
" sement d'un culte nouveau sous un climat brúlant
* où les têtes sont créées pour l'enthousiasme , et où
• le langage même fait déja la moitié du fanatisme ;
" dans Brutus , époque de Baustérité républicaine ;
• dans la Mort de César , epoque de la lutte du des-
• potisme et de la liberté ; dans Rome sauvée ou Ca
tilina , génie du crime dans la conjuration , opposé
* au génie de la vertu ; dans Zaire enfin , époque des
• croisades , Jutte de deux religions et de l'Europe
• contre l'Asie . Le génie de Voltaire le portait natu-
• rellement aux contrastes ; il cherchait toujours les
30 MERCURE DE FRANCE ,

« contrastes d'expressions , les contrastes d'idées , les
« contrastes de sentiments , et dans plusieurs de ses
«
Ce
εε
"
belles tragédies , il a fait contraster les moeurs de
deux peuples opposés l'un à l'autre. L'effet naturel
des contrastes est de faire sortir les idées , les couleurs
, et de leur donner plus de jeu : mais quand
« les contrastes s'appliquent à de grands objets , ils
« acquièrent une sorte de dignité imposante qu'ils
n'ont point par eux - mêmes. Il ne faut done point
■ s'étonner si la langue poétique de Voltaire , quoique
« moins parfaite que celle de Racine , a une sorte
« d'éclat éblouissant qui subjugue les esprits et attache
« l'imagination , surtout dans la jeunesse , âge où le
premier besoin est d'être vivement frappé , et où l'on
demande plutôt des effets qu'on ne les juge. »
Comment , après avoir si bien senti les effets
de cette imagination impétueuse et mobile , qui
entraîne Voltaire et le lecteur après lui , Thomas
a- t-il mis si peu de mouvement et de rapidité
dans son style ? Nous ne connaissons pas
tout le plan de la Pétréide ; mais les six chants
finis par l'auteur , suffisent pour démontrer qu'il
avait méconnu son génie en commençant une
épopée. On y trouve de riches détails , mais
tout est dessiné dans les mêmes proportions ,
et ces proportions sont toujours gigantesques .
Nulle variété dans la manière de concevoir ni
dans celle d'écrire. On distingue , par intervalle ,
des morceaux plus heureusement conçus. Le lecteur
, rebuté par la monotonie de l'ensemble ,
pourrait ne pas les y chercher. Il est juste de
les offrir à son attention. Tel est ce tableau
des Invalides que visite le czar.
......... Tous étaient dans le temple.
GERMINAL AN Χ. 31
C'était l'heure où l'autel fumait d'un pur encens ;
Il entre , et de respect tout a frappé ses sens .
Ces murs religieux , leur vénérable enceinte ,
Ces vieux soldats épars sous cette voûte sainte ,
Les uns levant au ciel leurs fronts cicatrisés ,
D'autres flétris par l'âge et de sang épuisés ,
Sur leurs genoux tremblants pliant un corps débile ;
Ceux- ci courbant un front saintement immobile ,
Tandis qu'avec respect , sur le marbre inclinés ,
Et plus près de l'autel quelques- uns prosternés ,
Touchaient l'humble pavé de leur tête guerrière ,
Et leurs cheveux blanchis roulaient sur la poussière .
Le czar avec respect les contemple longtemps.
i
Que j'aime à voir , dit-il , ces braves combattants !
• Ces bras victorieux glacés par les années ,
"Quarante ans de l'Europe ont fait les destinées.
•Restes encor fameux de tant de bataillons ,
• De la foudre sur vous j'aperçois les sillons .
" Que vous me semblez grands ! Le sceau de la victoire
« Sur vos ruines même imprime encor la gloire.
"Je lis tous vos exploits sur vos frants révérés :
"Temples de la valeur vos débris sont sacrés . »
Le prêtre , cependant aux pieds du sanctuaire ,.
A des pieux soldats consacré la prière :
Ces illustres blessés , ces vieillards chancelants , :
Hors des sacrés parvis s'avancent à pas lents .
Bientôt ils vont s'asseoir dans une enceinte immense ,
Où d'un repas guerrier la frugale abondance ,
Aux dépens de l'état , satisfait leur besoin.
Pierre de leur repas veut être le témoin .
Avec eux dans la foule il aime à se confondre ,
Les suit , les interroge , et fiers de lui répondre ,
De conter leurs exploits , ces antiques soldats
Semblent se rajeunir au récit des combats.
Son belliqueux accent émeut leur fier courage.
32 MERCURE DE FRANCE ,
«Compagnons, leurdit-il, je viens vous rendre hommage.
• Ah ! parlez : qui de vous au milieu des hasards ,
« A de ce grand Condé suivi les étendards ?
« Je brûle de vous voir. » Cent guerriers se levèrent :
D'une commune voix cent guerriers s'écrièrent :
« Nous voici..>> Distingué par des accents plus fiers ,
L'un d'eux portait le poids de quatre- vingts hivers ,
Et relevait encor sa tête avec noblesse .
« De ce héros , dit -il , moi , j'ai vu la jeunesse :
« Je combattais sous lui dans les champs de Rocroi ;
« Son regard dans la foule est descendu sur moi.
« J'ai compté soixante ans depuis cette victoire :
« J'ai vu Norlingue et Lens , théâtre de sa gloire.
" A Fribourg , je l'ai vu qui , le fer à la main ,
« Chez nos vieux ennemis se frayait un chemin .
« Son front dans le carnage était calme et terrible.
«Ah ! sous son ombre encor je serais invincible. "
« Oui , j'en crois ton courage et ta noble vigueur.
« Vous avez donc servi sous ce noble vainqueur ,
« Mes amis ; de ce nom souffrez que je vous nomme.
« Vous avez vu de près , entendu ce grand homme.
Ah ! je connais des rois qui , fiers d'un tel honneur ,
« Paíraient de tout leur sang ce suprême bonheur.
«Et vous , à mes regards daignez aussi paraître ,
"
« Pour vous mieux honorer je voudrais vous connaître ;
<<Soldats du grand Turenne êtes-vous dans ces lieux ? »
Trois cents guerriers debout parurent à ses yeux ,
Tels que ces trones vieillis , ces vénérables chênes ,
Que consacraient à Mars les légions romaines ,
Dont les rameaux chargés des dépouilles des rois ,
Redisaient aux guerriers les antiques exploits .
Cettedernière comparaison me paraît sublime .
Lucain n'a rien de plus beau dans les endroits où
GERMINAL AN Χ. 33
les gens de goût peuvent l'admirer. Ces vers
de Thomas , qui est mort en 1785 , ont précédé
le livre sur l'importance des opinions religieuses ,
qui a paru en 1788. M. Necker peint aussi les
Invalides prosternés sur les marbres du temple ,
et sa description mérite d'être citée.
« Qui de nous , dit - il , n'a pas vu quelquefois ces
« vieux soldats qui , à toutes les heures du jour , sont
* prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé
■ au milieu de leur auguste retraite ? Leurs cheveux
« que le temps a blanchis , leur front que la guerre
« a cicatrisé , ce tremblement que l'âge seul a pu leur
« imprimer , tout en eux inspire d'abord le respect :
« mais de quel sentiment n'est- on pas ému , lorsqu'on
"
CC
ε
2
les voit soulever et joindre , avec effort , leurs mains
« défaillantes pour invoquer le Dieu de l'univers , et
celui de leur coeur et de leur pensée ; lorsqu'on les
« voit oublier dans cette touchante dévotion , et leurs
douleurs présentes et leurs peines passées ; lorsqu'on
« les voit se lever avec un visage plus serein , et em-
« porter dans leur ame un sentiment de tranquillité
« et d'espérance ! Ah ! ne les plaignez point dans cet
« instant , vous qui ne jugez du bonheur que par les
« joies du monde : leurs traits sont abattus , leur corps
• chancelle , et la mort observe leurs pas. Mais cette
• fin inévitable , dont la seule image vous effraye , ils
* la voient venir sans alarme : ils se sont approchés ,
« par le sentiment , de celui qui est bon , de celui qui
" peut tout , de celui qu'on n'a jamais aimé sans con-
« solation . »
Il me semble que la peinture de M. Necker ,
quoiqu'elle soit en prose , a des traits plus
profonds et plus touchants que celle de Thomas.
8. 3
34 MERCURE DE FRANCE ,
1
C'est que le sentiment religieux y domine da
vantage.
On aimera sans doute encore ces vers où le
czarinconnu , au milieu d'une fête de Versailles ,
demande à son ami Lefort de lui faire connaître
les grands personnages qui brillèrent à la cour
de Louis XIV.

« Mais montre- moi , parmi cette foule innombrable ,
Le vainqueur de Nassau , ce guerrier redoutable ,
« Dont le nom a souvent retenti dans le nord ,
« Ce fameux Luxembourg.-Il n'est plus , dit Lefort.
« Et Louvois , l'instrument de trente ans de victoire ?
«-Il n'est plus .-Et Colbert , plus heureux dans sa
gloire ,
« Par qui ce grand Louis fut si bien secondé ?
<<-Il n'est plus.-O ! dit Pierre , ô Turenne , ô Condé !
« Louis dans le cercueil vous vit aussi descendre.
• De combien de héros Louis foule la cendre !
• Oh! comme le génie est rapide en son cours ,
• Et combien peu le ciel lui réserva de jours !
« Il naît , brille un moment , se précipite et tombe ;
"
« La moitié d'un grand siécle est déja sous la tombe ;
L'autre y penche déja. Seul , toujours adoré ,
« Sur ce trône éclatant , de débris entouré ,
« Louis reste debout.- Les héros disparaissent .
« Sur leurs tombeaux ouverts , d'autres héros renaissent ,
« Dit Lefort ; viens , approche et tourne tes regards . »
Dans la foule aussitôt il lui montre Villars ,
Qui déja de la France a mérité l'estime ,
Qui , braveet confiant , superbe et magnanime ,
Inspirait à la fois , sous ses hardis drapeaux ,
L'audace à ses soldats , l'envie à ses rivaux ;
Haï des courtisans , chéri dans une armée ,
Comme ses ennemis forçant la Renommée
GERMİNAL AN X. 35
Créqui , dont une faute a mûri la valeur ,
Qui pour être un grand homme eut besoin du malheur ;
Vauban craint de l'Europe , et que Louis révère
Boufflers , dans une cour , Spartiate sévère ;
.........
* Il en est un encor que je ne connais pas ,
* Dit Lefort. Ce héros échappé des combats ,
« Solitaire habitant d'un asile champêtre ,
Rarement dans les cours vient adorer un maître :
« Il sait , sans les flatter , combattre pour ses rois ,
• Et semble importuné du bruit de ses exploits .
« Peut- être de ce jour la pompe solennelle
« L'attire aux pieds du trône où son devoir l'appelle.
« Je puis en être instruit. » Lefort voit un Français
De qui l'âge commence à sillonner les traits ,
Simple et peu distingué dans une foule obscure ,
L'ornement des guerriers est sa seule parure.
«Permettez que ma voix vous daigne interroger ,
- Dit- il ; daignez montrer aux yeux d'un étranger
« Le vainqueur du Piémont , le héros de Marsaille.
« Vos yeux sans doute ont vu sur les champs de bataille
• Ce guerrier philosophe à la cour , dans les camps ,
« Dont la vertu modeste orne encor les talents :
• Simple dans la grandeur , humain dans la victoire ,
« Qui sait et mériter et dédaigner la gloire ,
« Catinat : je le cherche entre tant de héros. »
Il dit, et le français lui répond en ces mots :
Étranger , Catinat , s'il pouvait vous entendre ,
" Sans doute aurait ici des graces à vous rendre.
• Louez moins cependant un guerrier dont le bras
" N'a dû quelque succès qu'à ses braves , soldats .
* Des vainqueurs de l'Europe il commandait l'élite :
" Il aima sa patrie et voilà son mérite.
" Son devoir fut de vaincre ; il a vaincu. Louis
36 MERCURE DE FRANCE ,
« L'a trop récompensé de servir son pays ,
« Et d'un si grand honneur son ame est satisfaite.
N'appelez point vertu l'amour de la retraite.
" Il se cache aux humains , il en est plus heureux. »
Il dit , et dans la foule il s'égara loin d'eux.
Quel soupçon , dit Lefort , dans mon coeur vient de
naître ?
Ace noble discours puis-je le méconnaître ?
Non , je n'en doute pas. C'est lui . Seul dans l'état ,
Catinat peut ainsi parler de Catinat.
Il s'informe. On lui dit : c'est Catinat lui -même.
Cette manière de peindre Catinat est sure .
ment très-ingénieuse et très-dramatique , et quel
intérêt n'éprouve-t-on pas au nom de tous ces
grands hommes qui ne sont plus !
La moitié d'un grand siécle est déja sous la tombe !
On sent que l'auteur , déja prêt à perdre la vie ,
s'attendrissait en faisant ces vers , et son attendrissement
est partagé par le lecteur.

N
Observez que Thomas doit les meilleurs passages
de son poème au souvenir du grand siécle
de Louis XIV. Il semble qu'en remontant vers
ces jours de notre gloire , l'esprit s'élève et le
goût s'épure . Les plus riches imaginations s'enrichissent
encore àl'aspect de cet illustre théâtre
où brillent tour- à-tour les images de Turenne
et de Condé , de Pascal et de Bossuet , de Louvois
et de Colbert , de Racine et de Corneille ,
tandis que la figure majestueuse du monarque
domine toutes les autres pendant trois générations.
Un tel spectacle échauffe même les talents
les moins heureux. C'est ainsi que la fable a
prétendu que la voix des rossignols avait plus
A
GERMINAL ΑΝ Χ. 37
de mélodie aux lieux où reposaient les cendres
de Linus et d'Orphée , et que , dans cette
région poétique , les oiseaux même , dépourvus
de toute espèce de chant , trouvaient quelques
doux accords.
Plusieurs morceaux de la Pétréide fourniraient
encore plus d'une observation curieuse ,
si on les comparait à cette Henriade , dont il
est si commun d'abaisser le mérite , et si difficile
d'égaler les beautés. Mais il est temps de finir.
Malgré ces remarques , Thomas est peut-être
l'écrivain de ce siécle qui a le plus constamment
honoré le titre d'homme de lettres. Sa mémoire
obtiendra toujours des hommages . Ce n'est pas
le talent qu'on chérit le plus , mais il en est peu
qu'on respecte davantage. Il avait dit dans un
des ouvrages de sa jeunesse :
O vous gloire , vertu , déesses immortelles ,
Que vos brillantes ailes
Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.
Son voeu s'est accompli : La gloire et la vertu
défendent aujourd'hui son tonibeau contre la
satire qui le persécuta pendant sa vie : elles
offrent , à l'admiration de tous les écrivains , et
la plupart de ses écrits , et sa conduite toute
entière.
FONTANES. :
38 MERCURE DE FRANCE ,
1
Le premier. Navigateur de GESNER , en deux
Chants , traduit en Français et en Italien,
A Genève , chez J. J. PACHOUD , libraire ,
An X ( 1802 ) .
GESNER jouiten France d'une réputation qu'il n'a
pas conservée toute entière dans sa patrie. Aujourd'hui
ce poète aimable est presque oublié dans les campagnes
qu'il a célébrées ; ou , si l'on s'en souvient encore ,
c'est pour le reléguer parmi ces auteurs déja vieillis ,
qui firent un heureux essai de la langue. Une telle opinion
( etl'on assure qu'elle est assez répandue en Allemagne
) prouverait seule que ses progrès littéraires ne
seront jamais dignes de ses commencements.
Mais les ouvrages de Gesner doivent-ils être comptés
parmi les essais de la littérature allemande ? Sans prononcer
sur cette question , nous observerons que chez
aucun peuple la poésie pastorale n'a été cultivée
dans l'enfance des lettres. Du moins , si la tradition
des premiers âges de la société conserva quelques
chants simples et naïfs , la poésie ne les embellit et ne
les fit aimer que dans un âge où la langue parvenue
à sa perfection , pouvait suffire à des productions plus
difficiles et plus relevées . D'ailleurs , ce n'est point lorsque
l'on partage les travaux de la campagne que l'on
pense à les décrire et à les chanter. Le poète qui se
nourrit de souvenirs et de contrastes est ramené par les
agitations du monde , dans la solitude des forêts ; et le
bonheur de la vie champêtre et le règne d'Astrée sont
des imaginations de la ville.
Et ceci est d'accord avec les faits . Les auteurs bucaliques
ont tous paru dans les siècles de goût et de pa
-
GERMINALAN Χ. 39
litesse , c'est - à -dire , aux époques les plus florissantes
de la littérature. Quelquefois même ceux qui préludèrent
sur le chalumeau des bergers , s'élevèrent aux
eréations les plus hautes de l'esprit humain .
L'auteur de l'Enéïde apeint les moeurs et les paysages
des bergers de Mantoue. Milton , dans son Lycidas ,
dans quelques autres pièces fugitives , mais surtout
dans le Pensero , sema des beautés pastorales qui n'ont
été surpassées par aucun de ses compatriotes. Enfin ,
en le plaçant à la distance qui lui convient , le chantre
de la vallée d'Appenzel conçut le caractère de Caïn ,
et sut exciter cette douce terreur et cette pitié charmante
dont parle Despréaux , en faveur du meurtrier
de son frère. Je ne crois pas que, depuis Gesner ,
on puisse citer un de ses compatriotes qui lui soit supérieur
pour le choix des idées et le goût de la composition;
car ce sont les seules choses dont un étranger
puisse juger avec impartialité : à moins que l'on ne
veuille opposer aux cabanes et aux repas de ses bergers
, la description d'une auberge , ou du déjeûner
de ce vicaire , qui rappelle assez le festin d'une noce
de village *.
Nous ne dirons rien en particulier du premier Navigateur
qui est entre les mains de tout le monde , comme
les autres ouvrages de Gesner. Ils ont tous quelque
chose d'antique et de romanesque qui leur donne
un caractère particulier. C'était une heureuse idée
d'attribuer à l'Amour , qui a tant fait de choses en
ce monde , l'invention d'un art qui probablement n'eut
pas une origine aussi aimable. L'isolement de la jeune
Mélide , son innocence et ses vagues desirs donnent lieu
à des détails naïfs et pleins de charmes . La partie descriptive
est toujours neuve et choisie. Si la perfection
* Voyez la Louise de Woss,
1
40 MERCURE DEFRANCE ,
de la poésie en ce genre consiste à présenter des tableaux
tels que la peinture puisse les imiter , Gesner , l'a sans
doute connue , lui qui réunissait ces deux talents amis ;
et , dans ses descriptions comme dans ses paysages , on
y reconnaît également le poète et le peintre.
Cependant l'intérêt ne se soutient pas dans le second
chant. L'auteur y fait un abus de mythologie , qui
dépare un grand nombre de ses Idylles . L'Amour va
trouver Eole , assis à la porte de la caverne où il tient
les vents enchaînés ; il lui demande mille Zéphirs pour
escorter le canot de Daphnis ; il lui promet en échange
de blesser le coeur d'une nymphe dont le Dieu des Vents
n'avait pu fléchir la rigueur , etc. etc. Jamais imitation
de Virgile ne fut plus malheureuse. Cette machine
épique écrase un petit poème dont les héros sont des
bergers . Sans doute ce furent les Dieux qui dirigèrent la
course du vaisseau d'Argos. Mais lorsqu'un chasseur ou
un berger creusa le tronc d'un arbre en canot , il n'y
avait point alors de Nymphes , de Driades , ni de Tritons
pour le voir passer. Daphnis avait bâti sa cabane sur les
bords de la mer , bien longtemps avant que la Muse
eût élevé le palais d'Amphitrite.
La langue Italienne semblait très -propre à rendre les
beautés et même les défauts du premier Navigateur. Le
Tasse , dans l'Aminte a montré parmi plusieurs traits
de faux goût , que l'Italien était capable de cette naïveté
qui fait le caractère du poème allemand, Il est
inutile de prouver qu'il pouvait encore mieux en rendre
les ornements mythologiques , et la parure souvent affectée
. Mais il nous semble que cette traduction nouvelle
en exagère les défauts et en affaiblit les beautés . Des
coupes de phrases malheureuses , des tournures languissantes
, des synonymes inconvenants , laissent une
supériorité marquée à la traduction française ,toujours
simple et élégante. Cependant il est plusieurs endroits
GERMINAL ANX. 41
que l'Italien a rendus avec succès , et qu'il a même em
bellis. Nous terminerons par un de ces derniers , afin
que nos lecteurs puissent en juger par eux-mêmes .
La jeune Mélide , tourmentée par le besoin d'aimer ,
cherche à expliquer ce qu'elle éprouve par ce qu'elle
voit. Elle décrit ainsi à sa mère les amours de deux
petits oiseaux .
" Assise là- bas , sous le plus épais feuillage , j'ai
<<tout remarqué plusieurs fois. Deux oiseaux s'étant
* construit un nid commode , se caressaient sur les
ce branches voisines. Comme ils avaient l'air de s'ai-
" mer ! Bientôt après , je vis , dans le nid , de petits
« oeufs que l'un couvrait de son plumage avec le plus
tr tendre soin , pendant que l'autre , perché sur les ra-
« meaux d'alentour , chantait pour divertir son amie.
« Tous les jours , je les observais de dessous le feuil-
■ lage. Peu de temps après , à la place des oeufs , je
* vis des oiseaux sans plumes . Je vis les grands , plus
* animés , plus empressés que jamais , voltiger autour
" du nid , et apporter dans leur bec à manger aux pe-
• tits qui recevaient leur pâture avec des cris de joie .
« Peu à peu ceux-ci se couvrirent de plumes. Ils com-
" mencèrent à déployer leurs ailes encore faibles , puis
* ils sortirent de learnid pour se percher sur les bran-
" ches voisines ; les grands volaient devant eux comme
" s'ils eussent voulu leur inspirer le courage de les imi-
* ter. O ma mère ! que ce spectacle était charmant !
" Souvent ces petits étendaient leurs ailes , sans doute
"
pour prendre l'essor , et toujours la crainte les rete-
" nait. Le plus hardi d'entre eux ayant enfin pris son
" vol , chanta d'un air joyeux le succès de son audace .
* Il semblait inviter ses compagnons timides à imiter
« la même entreprise . »
Agiato nido due leggiadri augelli
Avean tessuto coll' industre becco ;
42 MERCURE DE FRANCE ,
E svolazzando su i vicini rami
Scherzavan lieti : no so dirti , omadre
La gioja lor ; nè guari andò che il nido
D'ova picciole e calde era fornito
E colle piume, e col morbido petto
Un di quegli angelleti recopriva ,
Mentre che l'altro in le vicine fronde
Traea d'al cor dolcissimi concenti,
Per rallegrar la fide sua compagna.
Non nacque sol , ch'io non tornassi attenta
Ad osservar , sotto alle frondi ascosa ,
Un oggetto si caro , in brievi giorni
Vidi nuovi angellin' nudi di penne ,
E i grandi più vivaci e più festosi
Girare intorno al nido, il picol cibo
Seco recando , ed apprestarlo ai figli
Che gridar lieti all' apparir dell' esce .
Questi ogni giorno di novelle piume
Vestiansi , e l'ali ancor deboli e incerte
Dispiegavan festosi ; eccoli usciti
Con tremolante volo, e in le vicine
Fronde si posan , d'all volar già stanchi.
Girano i grandicelli ai figli intorno ,
Per accendere in essi ardire e lena.
O madre mia ! qual vista mai fu quella
Soavissima a mi ! Stendean len pene
Sovente i figli per lanciarsi all aere ,
Ma il timor li tenea : uno fra quelli
Più ardito et franco alfin l'ali dispiega ,
E con giulivo canto applaude e grida
Pel buon successo dell' ardita impressa
Invita , accende i timidi compagni
A tentar di seguirlo : eccoli alfine ,
Spiccano il volo , e in breve agili e destri
Volteggiando sen van per l'aere inmenso,
Spandendo al ciel lietissimi concenti. :
G
GERMINAL AN X. 43
SPECTACLES.
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE.
SUR EDOUARD .
On demande quelquefois dans la société ce qui a pu
déterminer la suppression de ce drame.
Cette mesure paraît cependant bien facile à expliquer
Les aventures d'un prince que les historiens anglais
appellent romanesque , romantic prince , sont trèspropres
sans doute au jeu de la scène. Mais les allusions
et les maximes qu'entraîne le développement
d'une telle action', sont contraires aux principes conser
vateurs d'un gouvernement établi. L'intérêt qu'attire
le personnage principal fait trop oublier la leçon qu'il
laisse après lui.
Qu'est-ce en effet qu'Édouard ? un aventurier coupable
, qui , profitant de son influence sur quelques
provinces isolées , s'unit avec les ennemis de la patrie
pour la replonger dans toutes les horreurs d'une guerre
civile et étrangère.
Voilà ce prince tel qu'il est dans l'histoire , et tel
que la scène ne pouvait le représenter.
Un prince qui aurait mis à supporter sa destinée le
même courage qu'il mit à déchirer sa patrie , n'aurait
produit aucun effet au théâtre .
L'art du poète dramatique consiste surtout à émouvoir.
Il doit souvent justifier les héros , lorsqu'ils sont
criminels , et les relever lorsqu'ils s'avilissent .
L'histoire ne connaît point ces ménagements , et sa
justice est inexorable .
Edouard , ligué avec la France contre l'Angleterre ,
44 MERCURE DE FRANCE ,
:
mérita le sort qui l'attendait dans les champs de Culloden.
La vengeance nationale dut frapper ses partisans
. Les lords Balmerino Devenwater et Lovat
montèrent sur l'échafaud avec une fermeté héroïque ;
mais en illustrant leur mort , ils ne justifièrent pas leur
cause qui n'en fut pas moins criminelle .
Les annales du monde offrent plusieurs tentatives
semblables à celle d'Edouard. Elles furent toujours
suivies de la même catastrophe .
Vainement Tarquin souleva contre Rome toutes les
nations italiques . Rome accomplit ses destinées. Tarquin
perdit pour toujours le droit de la gouverner en
Ja combattant , et malgré ses grandes qualités qu'avouent
même les historiens ennemis , il mourut à Cumes ,
privé d'honneurs et consumé d'ennui chez le tyran
Aristodème * .
A peu près vers la même époque , les enfants de
Pisystrates soulevèrent contre Athènes toutes les forces
de l'Asie . Darius et Xerxès firent marcher tour- à-tour
deux millions de soldats contre la Grèce. La Grèce
jura devant les statues d'Harmodius et d'Aristogiton ,
de ne plus recevoir les pisistratides. Marathon , Salamine
et Platée acquittèrent ses serments .
Je ne connais point de prince qui , chassé de son
trône , l'ait recouvré par la force des armes étrangères.
L'autorité du trône est une autorité paternelle et toute
fondée sur la confiance. Celui qui se rend odieux en
combattant ses enfants , se couvre à leurs yeux d'un
crime ineffaçable.
bong
D'ailleurs', les changements des empires , la chute
ou l'élévation de leurs premiers magistrats , ressortent
à un tribunal supérieur qui décide par les événements.
* Cumas se contulisse dicitur, eaque urbe senio et ægri.
* tudine esse confectum ( C1C. Tuscul. ).
GERMINAL AN Χ. 45
De- là vient que la fuite d'un souverain dans une
terre étrangère , et que sa seule absence , s'il la, prolonge
contre le voeu de ses concitoyens , est une abdication
de sa part.
« Lorsque Hugues Capet monta sur le trône , Charles
<<de Lorraine subsistait encore ; mais , continue Mé-
« zeray , on pouvait dire que ce pauvre prince s'était
« destitué lui - même en se rendant étranger , et que
« cet état ne pouvait souffrir un chef qui fût vassal
« d'un autre roi . Hugues put bien aussi se servir du tes-
« tament du roi Louis ; mais son meilleur droit fut le
• consentement général du peuple français . »
Mais si un prince , indépendamment de l'asile qu'il
va demander chez une nation'ennemie , la soulève contre
son pays , il attire une malédiction éternelle sur lui et
ses descendants. D'ailleurs il a remis aux décisions de
la victoire ce qui était encore laissé au libre arbitre de
son peuple , et les décisions de la victoire sont sans
appel.
Peut- être Tarquin , ou du moins l'un de ses neveux ,
sans cette alliance impie avec les ennemis de sa nation,
fût rentré dans la ville éternelle , dont il avait lui - même
bâti le capitole. Peut- être les Stuarts seraient-ils remontés
sur le trône de Charles II , s'ils n'eussent marché
à la tête des troupes françaises ; et , c'est par la suite
du même crime politique , que les princes français de
la maison de Bourbon sont à jamais expulsés du territoire
français . En fomentant la Vendée , en excitant
cette révolte de Toulon , qui livra aux Anglais une partie
de la marine française , en attisant cette affreuse
guerre qui nous a coûté le sang de deux millions d'hommes
, ils se sont rendus les plus grands ennemis de la
patrie. Le mépris égale l'indignation quand on songe
que ceux qui ont constamment payé les crimes de la
guerre civile , n'en ont jamais partagé les périls .
46 MERCURE DE FRANCE ,
Si quelques-uns de leurs adhérents sont rentrés en
France , ils n'y sont que par forme d'armistice et par
l'indulgence de la nation qui , parvenue au point d'influer
sur le sort des rois étrangers , n'a pas voulu être
inflexible pour ses enfants égarés.
Mais la tranquillité est la borne de l'indulgence ; et si
les partisans d'une cause déshonorée par tant de crimes
oubliaient la reconnaissance qu'ils doivent à la patrie
réconciliée, le devoir du gouvernement serait alors d'être
inflexible . On pourrait les plaindre de leur nouveau
délire , mais il faudrait les frapper , et rejeter loin de
nous des ingrats couverts aux yeux de toutes les nations
, d'un second opprobre , et devenus parjures une
seconde fois.
ΑΝΝΟNCES.
INSTRUCTION pour les bergers , et pour les propriétaires
des troupeaux , avec d'autres ouvrages sur les
moutons et sur les laines , par Daubanton , troisième
édition , publiée par ordre du Gouvernement , avec
des notes , par J. B. Huzart , de l'Institut national ,
1 vol . in -8.º de 600 pages et 22 planches. De l'imprimerie
de la République ; et se trouve chez Madame
Huzart , rue de l'Eperon , n.º 11 , et chez Lenormant ,
impr. - libraire , rue des Prêtres St. -Germain , n.º 42 .
Prix , 6 fr. pour Paris , et 8 fr. , franc de port .
ESSAI sur les tumeurs formées par le sang artériel ; par
le C. Briot , chirurgien des armées . Chez Croullebois ,
libraire , rue des Mathurins , et chez Lenormant , imp.
libraire , rue des Prêtres St.-Germain , n.º 42 .
ANNUAIRE météorologique pour l'an X de la République
; par J.-B. Lamark ; deuxième édition. Chez
l'auteur , au Muséum d'Histoire naturelle , et chez
GERMINAL AN Χ. 47
Lenormant , impr.-lib. , rue des Prêtres St. -Germain ,
n.º 42. Prix , 1 fr. 80 cent. pour Paris , et 2 fr. 30 cen.
franc de port.
PLAN d'Education publique , ou Essai sur la nécessité
et les moyens de réunir l'éducation à l'instruction.
publique , présenté au Gouvernement , par le C. Toussaint
, ei - devant licencié en théologie de la Faculté
de Paris , agrégé à l'Université pour les chaires de
de philosophie , etc. Chez Fuchs , libraire , rue des
Mathurins ,et chez Lenormant , lib.-imp . , rue des
Prêtres St.-Germain , n.º 42. Un vol. in - 8.º Prix , 75 c .
pour Paris , et 90 cent. , franc de port.
TABLEAUX de famille , ou Journal de Ch . Engelman ,
traduitde l'allemand , d'Aug. La Fontaine , par madame
la baronne de M..... , auteur de Caroline de
Lichtfield , deuxième édition , 2 vol. in-12. Chez
Debray , libraire , place du Muséum , n.º 9 , et chez
Lenormant , imp.-lib. , rue des Prêtres St. -Germain-
'Auxerrois , n.º 42. Prix , 3 fr . pour Paris , et 4 fr. ,
franc de port .
LISISTRATA , ou les Athéniennes , comédie en un acte
et en prose , mêlée de vaudevilles , imitée d'Aristophane.
Chez Huet , libraire , rue Vivienne , n.º 8 ; et
chez Lenormant , imp.-libraire , rue des Prêtres St.-
Germain - l'Auxerrois , n.º 42. Prix , 1 fr . 20 cent.
LES Provinciaux à Paris , comédie en 4 actes et en prose,
par L. B. Picard. Chez Huet , libraire ; et chez Lenormant
, imp. - libraire , rue des Prêtres St. Germainl'Auxerrois
, n.º 42. Prix , 1 fr. 20 cent.
RÉPONSE à M. Geoffroy , relative à ses articles sur l'opéra
d'Adrien . Chez Huet , libraire ; et chez Lenormant
, imp. - libraire , rue des Prêtres St.-Germainl'Auxerrois
, n.º 42. Prix , 75 cent.
48 MERCURE DE FRANCE,
1
L'AUBERGE de Calais , comédie en un acte. Chez Huet ,
libraire ; et chez Lenormant , imp . -libraire , rue des
Prêtres St. - Germain-l'Auxerrois , n.° 42. Prix , I fr .
20 cent.
LE Terme du Voyage , opéra comique en un acte et en
prose ; par Philipon-la- Madelaine et Petit aîné , musique
de Piccini . Chez Huet , libraire , rue Vivienne,
n.º 8 ; et chez Lenormant , imp . -libraire , rue des
Prêtres St. -Germain-l'Auxerrois , n.º 42. Prix , 1 fr .
20 cent.
APOLINEI operis carmina difficillima , redditi quibus
priores numeri ; par le C. Boinvilliers . Chez Hocquart,
rue St. - André- des -Arcs , n.º 121' ; et chez Lenormant ,
imp. - libraire , rue des Prêtres St. -Germain-l'Auxerrois ,
n.º 42. Prix , 90 cent. pour Paris , et 1 fr. franc de
port.
VUES et Projets d'économie politique ; par le C.
Brillat-Savarin , ex- constituant , membre du tribunal
de cassation , etc. Prix , 1 fr. 25 cent. pour Paris , et
1 fr. 50 cent . , fr. de port.
Du Retour à la Religion ; par Paul Didier ; deuxième
édition. Chez Giguet et Michaud , imp. - libraires , rue
des Bons -Enfants , n.º 6 ; et chez Lenormant , imp.-
libraire , rue des Prêtres St. -Germain - l'Auxerrois .
Prix , 1 fr. 25 cent. pour Paris , et 1 fr. 50 cent. , franc
de port .
CAMPAGNE des Austro -Russes en Italie , sous les or-
*** dres du maréchal de Suwarow , prince Italiski , général-
feld - maréchal au service de Russie. I vol. in-
8. ° orné de deux portraits . Chez Giguet et Michaud ,
imp. - libraires , rue des Bons-Enfants , n.º 6 , et Lenormant
, imp. libraire , rue des Prêtres -Saint-Germain
, n.º 42. Prix , 4 fr. pour Paris , et 5 fr. franc
de port.
GERMINAL AN Χ. 49
POLITIQUE .
Sur quelques ennemis de la paix et de la
France.
TANDISque
:
ANDIS que toute l'Europe veut la paix et que tous
les gouvernements y travaillent , on rencontre quelquefois
des hommes qui s'en plaignent , qui regrettent la
guerre , et qui voient ou qui affectent de voir dans les
conditions de cette paix si desirée , les plus grands désastres
pour toutes les nations autres que la France , et
l'origine des guerres les plus terribles pour la France
elle-même.
Il fut un temps où l'on trouvait beaucoup d'incrédules
sur la sincérité des voeux que la France , ou plutôt
son gouvernement manifestait pour la paix. Aujourd'hui
que le desir est prouvé par les faits , c'est à la
paix méme que s'en prennent les hommes , qu'offusquent
la puissance et l'éclat de la France .
Ils montrent sans cesse les nations humiliées et affaiblies
; les gouvernements dépouillés et abaissés , en
opposition avec la France , qui , enrichie de leurs pertes ,
mesure ses prétentions sur leurs revers , et les menace
de la nullité par son despotisme .
Ils voudraient nous faire voir partout la faiblesse qui
plie ou la force qui abuse , partout tendance à oppression
ou desir de vengeance ; et si ce desir est muet ou
inactif , ils l'attribuent à la prudence , vertu nécessaire
de la faiblesse . ; ::07
Ils rappellent tout ce qu'a fait la France en partant
d'une position où elle avait pour barrières les Pyrénées ,
4
50 MERCURE DE FRANCE ,
4
les Alpes , les montagnes de la Suisse , le Rhin , la
Meuse , les marais de la Hollande : ils demandent ce
qu'on doit attendre de cette nation ,lorsqu'il n'y a plus
pour elle ou plutôt contre elle , ni montagnes , ni fleuves ,
ni marais ; lorsque l'Espagne et l'Ita'ie , la Suisse et la
Hollande sont sous son joug ; lorsqu'enfin , après avoir
démantelé la rive droite du Rhin , elle place: quatrevingt
mille hommes sur la rive gauche , en face d'états
faibles , désunis , ouverts à une conquête facile et prêts
à subir la loi des réquisitions.
Ils ne se bornent pas au continent , ils voient aussi la
ruine de l'Angleterre ; ils cherchent à lui faire honte
de sa paix , ils regrettent l'énergie des anciens ministres,
ou déplorent leur entêtement ; ils se lamentent sur la faiblesse de leurs successeurs : ils n'aperçoivent plus de
garantie pour l'Europe , ni pour la Grande-Bretagne
elle-même , et ils lui prédisent le sort de Carthage. Si Bonaparte se rend aux voeux d'une république qu'il
a fondée et consent à la diriger , ils n'y voient qu'une
entreprise alarmante et intolérable ; ils s'effrayent même du nom donné à cette république ; ils annoncent qu'elle
engloutira tôt ou tard l'Italie entière. Si le premier consul répond au premier magistrat de la Suisse , comme eût pu le faire le chef des Gaules dans
le temps où la Suisse en faisait partie , ils disent qu'elle est comme incorporée à la France , que Bonaparte la considère et la traite comme une partie de l'empire
soumis à son gouvernement. S'il évite d'influer sur la constitution que se donne la
Hollande ; ce n'est , à les entendre , que pour laisser fatiguer
et user les partis auxquels il donnera ensuite plus
facilement un gouvernement selon son coeur. Si le prince héréditaire d'Orange va recommander les intérêts de sa maison au gouvernement français , ils
GERMINAL AN Χ. 51
attribuent au consul la prétention de déterminer par sa
faveur les lots des princes qui réclament des indemnités
, et de disposer ainsi d'un pays qu'il devrait se cons
tenter d'avoir démembré.
En même temps qu'ils cherchent à inquiéter l'Europe
sur l'agrandissement et les prétentions de la France ,
ils prétendent que ce système ambitieux sera funeste à la
nation et au gouvernement ; qu'il aliene, aigrit , irrite
les autres Etats ; qu'après les avoir traités comme elle
l'a fait , la France n'aura plus d'alliés ; que pour avoir
accru outre-mesure sa puissance territoriale , elle se
trouvera sans puissance fédérative , etc.
D'ailleurs , ils se flattent que le gouvernement français
les vengera lui-même de son oppression : ils comptent
pour cela sur ses fautes et ses échecs dans l'intérieur.
Prétant aux Français leurs passions , ils l'accusent
de détruire toute liberté ; ils lui reprochent ses mesures
pour écarter du tribunat une opposition , sans laquelle
il n'ya , disent-ils , que servitude ; et comme ils daignent
quelquefois s'intéresser à la gloire et aux succès
du consul , ils soutiennent qu'il devait chevir une op
position odieuse à la nation, parce qu'elle devait lui
donner force et faveur. Ils recueillent d'ailleurs toutes
lesdénonciations des agitateurs et des mécontents contre
les hommes qui participent à l'autorité ; ils critiquent
avec empressement le choix des agens qu'elle emploie,
ils les présentent comme des sujets de haine , ou des
motifs de mécontentement , ou des preuves d'insouciance
; et ils prophétisent la dissolution d'un corps
composé d'éléments betérogènes et discordants . Surtout
ils se réjouissent des difficultés qui retardent le rétablissement
du culte catholique; ils opposent encore la
philosophie au voeu de la nation , et ils prennent en
pitié les partisans de la religion dont ils craignent le
triomphe.
)
-
52 MERCURE DE FRANCE ,
Ce n'est pas , sans doute , dans la bouche d'un seul
homme , que se trouvent réunis de tels discours .
Je choisis les traits les plus frappants du langage fa,
vori de quelques étrangers qui affectent de craindre la
paix et qui haïssent sincèrement la France. C'est ainsi
que se montrent disposés aujourd'hui quelques-uns,des
écrivains qui parurent le plus favorables aux premiers
principes de la révolution , tandis que d'autres qui l'ont
ardemment combattue , se sont résignés et se taisent.
Un de ses plus éloquents ennemis , par exemple , Gentz ,
semble avoir consenti , sinon à une paix définitive avec,
Ja France , au moins à des préliminaires : il a posé la
plume en même temps que l'Angleterre a posé les
armes .
Parmi les écrivains qui cherchent à décrier la France
et la paix , il en est qui se laissent égarer par leur patriotisme
, et dans ce nombre il faut compter l'auteur.
distingué de la Minerva , auquel on pourrait reprocher
cependant ses chicanes sur la dignité royale déférée au
souverain de la Toscane , ses plaisanteries sur le dénuement
du palais Pitti * , etc. Il est d'autres observateurs
dont le télescope rembrunit tous les objets , et
qui , comme M. Windham , se plaisent aux prédictions
sinistres . Elles prêtent à l'éloquence , surtout à la poésie,
qui se nourrit plus de fictions que de vérité. Aussi ne
sont-ce pas des sentences politiques qu'il faut chercher,
dans la boutade poétique , adressée dernièrement par
Gleim au peuple anglais **. On est d'abord étonné d'en-
* Voyez la Minerva , cahier de décembre 1801 , pag. 547
et 548.
** Voici ce morceau , rendu littéralement par strophe et
par vers . Ainsi traduit , il sera mieux apprécié pour le mérite
poétique. Gleim a été souvent appelé l'Anacreon de
l'Allemagne ; il semble que ce poète aurait eu plus de droit
4
GERMINAL AN Χ. 53
tendre un vieillard inviter une grande nation à craindre
la paix; mais que peut- on attendre d'un poète dont les
àun autrenomde l'antiquité. On fait grand cas de ses chants
de guerre pour l'armée autrichienne.
Peuple ! tu as tressé à ton ennemi
Des roses parmi ses lauriers ;
Tu lui as dansé, comme à un ami ,
Ta plus belle danse de joie .
Peuple ! dans son chant de guerre ,
Il chantait ta mort prochaine .
Peuple ! tu ne vois pas que la paix
Te menace de loin .
Peuple ! tu dépends de ses ruses ;
✓ Peuple généreux ! prends garde à toi ,
: Pense à Carthage ,
A Carthage jour et nuit.
Si nous cherchons le lieu où elle exista ,
Nous trouvons un peu de poussière ,
Nous marchons sur des crânes , et nous maudissons
Les vols de pays faits par de grands brigands ;
Et les hommes qui , par serment ,
S'engagent à être maîtres ,
Ane pas souffrir la prospérité des autres ,
Et à ne se réjouir que de la leur.
1
Peuple ! tu dépends des ruses de ton ennemi ;
Peuple généreux ! prends garde à toi ,
Pense à Carthage ,
A Carthage jour et nuit .
Dis à tes Pitt :
Le Tibre est la Seine .
Demande au parlement :
Ne voyez-vous pas la nouvelle Rome ?>
2 Sur les cartes de notre Homann * ,
Vois ce qui est déja détruit ,
Songes -y , et n'attends pas
De n'être plus un peuple.
*Fameux géographe allemand.
i
54 MERCURE DE FRANCE ,
chants animèrent si souvent les armées dans les ba- -
tailles ? La muse de Thyrthée ne saurait inspirer des
pensées pacifiques .
Il est tel écrivain , ennemi de la France et de la paix ,
auquel on pourrait dire : Vous chéririez la France ,
vous vous réjouiriez de sa puissance et de sa gloire ,
vous lui seriez dévoué , si elle était gouvernée par les
hommes de la révolution que vous avez vantés , si elle
était soumise au parti que vous avez caressé et qui
n'est plus pour vous qu'un objet de regrets. »
Il est aussi des détracteurs auxquels on répondrait avec
justesse : « Le tort du gouvernement français à vos
yeux est d'avoir renoncé à vos théories politiques comme
à de vaines abstractions ; d'avoir proclamé qu'il considère
également toutes les espèces de gouvernement ; d'avoir
signalé les funestes effets des révolutions , et de
rétablir les autels que vous avez cru renversés pour toujours
. » Inde irae ; mais ce sont des motifs qu'on ne
peut guère avouer ; et l'on exhale son humeur en plaintes
sur l'agrandissement de la France , en reproches sur le
système politique de son gouvernement , sur ses prétentions
, et même sur sa conduite administrative.
Vous qui vous plaignez de l'agrandissement de la
France , avez -vous déja oublié la longue et cruelle
guerre qu'elle a soutenue ? Cette guerre qui , dans le
délire de quelques hommes d'Etat , ses ennemis , devait
être une guerre d'extermination , et qui , dans le rêve
ambitieux de plusieurs autres , devait être une guerre
de démembrement et de partage ? Vous le savez , et
personne n'aurait la mauvaise foi de soutenir qu'elle
fut dirigée contre la révolution .- Vous êtes-vous élevés
contre les ennemis de la France , aux époques où ils
ont repoussé la paix , surtout , pour ne parler que des
plus récentes , après le 18 brumaire , après la journée
de Marengo , après celle de Hohenlinden ? .... Quelle
GERMINAL ANΧ. 55
que soit votre réponse , reprocher aujourd'hui
France son agrandissement , c'est lui reprocher d'avo
été combattue avec acharnement et d'avoir vainene
ne fait qu'exercer le droit le plus légitime du vainqueur.
Ne dites pas que c'est un abus de la victoire. La France,✓
malgré sa position , malgré ces barrières qui étaient autant
pour elle que contre elle , a été attaquée par une coalition
, aux efforts de laquelle on a plus d'une fois espéré
de la voir céder : elle a eu à se défendre depuis dix ans
contre toutes les puissances de l'Europe ; et son salut
est un prodige. Il est sage de craindre le retour d'une
pareille lutte ; il ne le serait pas de compter sur le
même miracle . La France doit désormais être en sureté
contre toute coalition : elle n'en redoutera plus dans la
position où elle se place , et elle pourra avec sécurité
travailler à cicatriser les plaies profondes que la révo
lution lui a laissées , comme à réparer les malheurs de
la guerre. La victoire a ses calamités , ainsi que ses défaites
; la France a besoin d'un repos ; et ce calme lui
est assuré , si ses ennemis désespèrent de l'attaquer avec
succès : cette perspective doit vous affliger puisqu'elle
nous console.
-
En parlant de la faiblesse qui plie sous l'abus de la
force , est-ce des petits Etats que vous l'entendez ? C'est
l'histoire nécessaire de tous les temps. Est-ce des grands
Etats ? ..... Mais fut-ce par faiblesse que la Prusse fit
sa paix à Bâle , il y asept ans ? Fut-ce par faiblesse que
Paul abandonna la coalition ? Est- ce par défaut de forces
que l'Angleterre négocie à Amiens ? Parlez-vous de
faiblesse morale ? Mais si la Prusse était restée unie à
l'Autriche contre les Français , n'auriez- vous pas vul'une
des deux dupe de l'autre ? Si Paul eût laissé ses troupes
jointes aux Autrichiens après les désastres de la Suisse ,
ne l'auriez -vous pas accusé de démence ? Lorsque le
cabinet de Vienne a poursuivi la guerre , malgré ses
56. MERCURE DE FRANCE ,
F
constants revers , n'avez -vous pas été frappés de son
étonnante persévérance ? Enfin , lorsque l'Angleterre
isolée fait sa paix , en retenant ses plus précieuses conquêtes
, est-ce timidité ou sagesse ?
Quand vous dites les puissances humiliées , je sens la
nécessité de glisser surce mot, dont le sens est trop dé-
Jicat à approfondir. D'ailleurs ne serait-ce pas dans les
champs de bataille , plutôt que dans les traités , qu'il
faudrait chercher leur abaissement ou leur inferiorité ?
Mais quoi ! vous vous lamentez sur la supériorité de la
France , vous ne savez où trouver des moyens pour limiter
son ascendant , et vous commencez par affaiblir
les puissances , en leur enlevant , en sapant du moins
cette force d'opinion qui leur est si nécessaire.
:
Vous regrettez que l'Angleterre n'ait pas profité de
ses avantages pour restreindre l'ascendant de la France
sur le continent : celle-ci , après toutes ses victoires ,
pouvait- elle rester très-faible sur mer , sans rester trèsforte
sur terre ?
Vous regardez comme monstrueuse l'union du gouvernement
cisalpin et du gouvernement français dans
la même volonté. Vous savez cependant que la domination
d'une puissance éloignée n'est pas nouvelle pour
Milan , si longtemps gouverné de Madrid ou de Vienne.
Mais vous auriez voulu que Bonaparte laissât aux Cisalpins
le soin de se gouverner , dussent les mains qui
tiendraient les rênes , être inexpérimentées , inhabiles
et faibles . C'eût été sans doute mieux entendu pour les
cabinets qui peuvent mettre quelque espoir dans les
troubles et les divisions de l'Italie ; mais était-ce plus
salutaire pour l'Italie , pour la France , pour le repos
*de l'Europe ?
Je vous ferai la même question sur la Suisse et la
Hollande. Leur situation toutefois est différente de celle
de la Cisalpine ; aussi sont-elles traitées différemment :
:
GERMINAL AN X. 57
il y a dans ces deux pays des hommes en état de gouverner.
Déja le choix de la Suisse pour sa première magistrature
donne les plus belles espérances . En Hollande ,
la constitution actuelle s'améliorera , et les anciens pilotes
seront appelés à partager la direction du gouvernail,
pour que le vaisseau de l'Etat ne soit pas jeté d'écueils
en écueils ; mais la France ne saurait encore perdre
de vue la manoeuvre . Elle doit aux Bataves , comme
aux Suisses , conseil , secours , assistance de tout genre
et tout ce qui peut resserrer les liens qui les unissent
à elle. De quoi lui servirait la chaîne du Rhin , si elle
laissait échapper les anneaux auxquels cette chaíne s'attache?
P
Elle conservera aussi cette influence que vous lui
reprochez sur les affaires germaniques . Des princes
allemands qui recourent à sa bienveillance et à sa protection
, offrent- ils donc un spectacle nouveau ? Relisez
l'histoire , et vous verrez combien de générations
ont ratifié le pouvoir protecteur qu'exerce la France.
Je conçois que vous soyez importuné de l'éclat et
affligé de la force que lui ont acquis ses armes ; je
conviendrai , si vous voulez , qu'il est impossible de
trouver une puissance capable de la balancer. Peutêtre
faut-il ajouter que dans l'état actuel une coalition
continentale ne pourrait s'opposer avec succès à ses
entreprises : je dirai plus encore , je crois une telle
coalition impossible ; je crois , contre votre opinion ,
que la France trouverait encore des alliés parmi les
grands états. Je crois sa puissance fédérative établie
sur des bases éternelles , sur les passions de ses ennemis .
Mais la garantie que vous desirez contre elle , est dans
sa grandeur même , dans sa position, dans l'impossibilité
qu'elle veuille encore un agrandissement territorial
: elle est dans la nature des choses . Si cette
garantie ne vous suffit pas , si vous cherchez un contre-
poids , vous le trouvez dans le besoin incontestable
que la terre a de la mer , dans l'énorme puissance de
cette nation , qui est maitresse de l'Inde , qui règne
aux Antilles , qui domine dans tous les Océans . Le
contre-poids est dans ce calcul que je vous rappelle encore
: l'Angleterre à plus de deux cents vaisseaux de
ligne; la France n'en a pas quarante.
58 MERCURE DE FRANCE ,
La proportion ne sera pas toujours la même ; mais
elle sera constamment avantageuse à l'Angleterre. Ainsi
balancée , la France ne sera pas une puissance dominante
, mais une puissance modératrice ; et il en faut
une à l'Europe. La France fut longtemps en possession
de ce beau role . Si elle eût su le retenir , la Pologne
existerait encore , et le territoire germanique n'eût
pas servi de compensation aux Français pour l'agrandissement
de l'Autriche , de la Russie et de la Prusse.
Deux années et plus de calme intérieur ne vous ont
pas ôté l'espoir de voir la France livrée à de nouveaux
troubles. Le gouvernement trouve- t- il quelque obstacle
, vous le croyez arrêttéé dans sa marche; et il est
tout au plus retardé. Ainsi la religion sera rétablie ,
malgré les voeux des philosophes et les délais dont ils
se réjouissent. Il n'en faut d'autre garant que la sagesse
avec laquelle le consul travaille à dénouer les difficultés
, au lieu de prétendre les trancher.
Vous critiquez ses choix ; vous trouvez dissonance
et contradiction entre les dispositions des agents qu'il
emploie ; vous vous étonnez de voir appeler au partage
de l'autorité des hommes d'une malheureuse célébrité...
Mais qui peut le mieux apprécier les instruments ou
l'ouvrier qui les emploie , ou le spectateur qui en ignore
l'usage ? Qui peut le mieux voir , le mieux juger , qu
celui qui , placé au haut de l'édifice social , en surveille
toutes les parties , l'ensemble et les soutiens , ou
celui qui est placé au bas de l'édifice ? La Providence
aussi emploie des éléments opposés par leur nature ;
mais elle maintient entre eux l'harmonie. Elle a créé
et elle nourrit des êtres dont nous ne saurions justifier
l'existence : est - ce une raison pour calomnier sa sagesse
? Le gouvernement d'une nation est sa seconde
providence.
Vous êtes choqués de voir le consul repousser l'opposition
qui s'étaient formée dans le Tribunat ; vous
la jugiez nécessaire pour le maintien de la liberté ; vous
trouvez despotime dans l'expulsion des opposants ,
surtout dans sa forme.-Si une opposition est nécessaire
, il la faut telle que la nation en soit honorée.
Celle qui vient d'être repoussée était-elle de ce genre ?
Elle représentait les débris des factions ; elle entra
GERMINAL ANX. 59
vait sans éclairer ; elle était odieuse et inutile. Les
formes par lesquelles ont été éloignés des hommes
dont plusieurs étaient flétris par l'opinion , sont les
conséquences et le développement de la constitution.
C'est par de semblables développements qu'elle s'adaptera
aux besoins de la France. Ce ne sera plus par des
secousses , mais par des moyens déduits de la constitution
même , que seront opérés les changements desirables
. Le meilleur garant de l'ordre , du repos , de
la durée , est dans ce principe d'améliorations progressives
.
La France a été assez longtemps un spectacle pour
les étrangers . Quelques- uns d'entre eux ont vu ce
théâtre de sanglantes dissentions du même coeil qu'une
arêne où s'agitent des gladiateurs qui n'intéressent que
par leur adresse et leur courage. Ils peuvent regretter
cette jouissance ; mais ils espèrent en vain de la retrouver
: la France du moins n'en fera plus les frais .
Ceux qui décrient la paix , se plaisaient sans doute
à la vue de grandes tempêtes ; mais ils les ont contemplées
du port. Ne pourraient - ils quelquefois songer à
lamultitude de malheureux qu'ils ont vus se debattre
dans les horreurs du naufrage ?! GALLUS.
(Extrait d'un journal allemand.)
INTÉRIEUR.
L
E Sénat Conservateur a élu , le 18 ventose , les vingt
tribuns qui doivent remplacer le cinquième sortant.
On remarque , dans la liste des nouveaux membres , les
noms de Lucien Bonaparte , frère du premier consul ,
etde Carnot , ex- directeur.
D'après une nouvelle organisation du département
de la guerre , et en vertu d'un arrêté du 17 ventose ,
le citoyen Dejean , conseiller d'état , a été nommé
directeur de l'administration de la guerre , ayant rang
et fonction de ministre. Les citoyens Bérenger et Dessolles
, conseillers d'état , sont nommés membres du
conseild'administration de la guerre , et le citoyen Sartelon,
commissaire-ordonnateur , est nommé secrétaire-.
général dudit conseil.
Les citoyens Français de Nantes et Ræderer , conseil60
MERCURE DE FRANCE ,
lers d'état , sont attachés au ministère de l'intérieur ,
le premier ayant le département des dépenses communes
; le second , celui de l'instruction publique.
Le citoyen Gau , chef de division , au ministère de
la guerre , est nommé conseiller d'état.
Une proclamation du premier consul , en date du 26
ventose , porte convocation du Corps législatif , depuis
le 15 germinal jusqu'au premier prairial.
:
A compter du premier germinal , le taux de l'intérêt
des prêts faits par l'administration du Mont-de-
Piété sera baissé d'un demi pour cent.
Le 26 de ce mois le premier consul s'est rendu à la
maison nationale des Invalides . Il a visité cet établissement
dans le plus grand détail , s'est rendu à l'infirmerie
, dans les cuisines , et s'est fait rendre compte des
améliorations dont le régime actuel des Invalides est
susceptible. Il a accueilli ces militaires avec beaucoup
d'intérêt et de bonté , et a reçu de leur part les témoignages
les plus vifs de reconnaissance et d'admiration.
En général il a paru très -content des différentes parties
du service. La tranquillité , le bon ordre et la discipline
qui regnent dans la maison , ainsi que la bonne tenue
de l'infirmerie , ont particulièrement fixé son attention.
Il a témoigné la satisfaction qu'il en éprouvait au
général commandant en chef , aux administrateurs et
aux officiers de santé ; il a ordonné une distribution
extraordinaire de vivres aux militaires invalides , et
Jeur a accordé , à titre de gratification , un mois de
pension des menus besoins.
Un vieillard de cent quatre ans lui ayant demandé
à être traitécomme capitaine , vu son grand âge , il le
Jui a accordé.
Il a ordonné qu'un jeune tambour de quatorze ans ,
qui a eu la cuisse emportée en faisant une action d'éclat ,
fût mis dans un prytanée.
Ayant demandé à un invalide qui avait une jambe de
bois , où il avait perdu sa jambe ; ce brave homme répondit
: " A Fontenoy. J'étais grenadier : un boulet
emporta ma jambe lorsque nous marchions en avant. »
Londres , 16 mars .
Le Times dit aujourd'hui : Une copie du traité de
paix a été envoyée , à Amiens , hier à 2 heures du matin ,
après avoir été revue par sa majesté , dimanche au soir.
GERMINAL ANX. 61
Lord Hawkesbury et plusieurs autres ministres ont attendu
au bureau des affaires étrangères le retour du
courrier qui n'est arrivé de Windsor qu'à minuit. On a
sur le champ envoyé des instructions à lord Cornwallis
pour signer la paix. C'est jeudi que l'on s'attend à
recevoir la nouvelle certaine de ce grand événement. Un
courrier est parti en même temps pour Paris , avec des
dépêches pour M. Jackson . »
L'attente où l'on est de recevoir sous peu de jours
la signature du traité définitif , a fait hausser hier le
cours des effets publics de pour cent. Les 3 pour 100
consolidés ont été fermés à 69 .
:
Colonies françaises .- Saint- Domingue.
Une dépêche télégraphique , datée de Brest , le 21
ventose au soir , annonce que l'armée navale est entrée
dans la rade du Cap , le 16 pluviose. Au départ du
bâtiment , toute l'armée était débarquée. La ville et
toute la plaine du nord étaient occupées par nos troupes.
Il résulte des dépêches du général en chef Leclerc , et
de l'amiral Villaret-Joyeuse , que les noirs sont en
pleine révolte et ont incendié , avant leur retraite , une
partie du Cap. On est parvenu à sauver les habitations ,
et les succès déja obtenus , ainsi que la défection d'un
assez grand nombre de nègres qui abandonnent le parti
de Toussaint - Louverture , donnent tout lieu d'espérer
qu'on apprendra incessamment la réduction entière de
l'Ile . :
Paris , 2 Germinal. - On vient de recevoir de nouvelles
dépêches de Saint-Domingue. Elles portent en
substance que l'armée française occupe le Cap , le fort
Liberté , le port de Paix , la Tortue , le port Républicain
et les points les plus importants de la partie
ci-devant espagnole. Toussaint et Christophe sont mis
hors la loi; une partie des noirs les abandonné . Ceux
qui leur restent fidelles se livrent aux plus grands excès.
Un courrier anglais , venant d'Amiens , s'est embarqué
le 28 ventose , à Calais , pour Douvres . Il a dit
qu'il portait à Londres le traité définitif , et qu'il comptait
en rapporter incessamment l'approbation de sa cour.
Lettres , Sciences et Arts .
Un arrêté des consuls , du 15 ventose , porte que
l'Institut national de France formera un tableau géné
4
62 MERCURE DE FRANCE ,
ral de l'état et des progrès des sciences , des lettres
et des arts , depuis 1789 jusqu'au premier vendémiaire
an 10. Ce tableau divisé en trois parties , correspondantes
à chacune des classes de l'Institut , sera présenté dans
le mois de fructidor an II , aux consuls et au conseil
d'état , par une députation des trois classes de l'Institut.
Il sera présenté un semblable tableau tous les
cinq ans. A la même époque ( de fructidor an II ) , l'Institut
national proposera au gouvernement ses vues
concernant les découvertes dont il croira l'application,
utile aux services publics ; les secours et encouragements
dont les sciences , les arts et les lettres auront
besoin , et le perfectionnement des méthodes employées
dans les diverses branches de l'enseignement
public.
La statue colossale de Cérès , ouvrage de Phidias ,
et dont Périclès avait orné le temple d'Eleusis , en a
été retirée par deux voyageurs anglais qui l'ont envoyée
à l'Université de Cambridge. Elle avait été découverte
dans le dix-septième siècle , par sir Georges Wheeler .
Les arts ont perdu le célèbre Lepaute , horloger.
Madame de Genlis vient d'obtenir du ministre de
l'intérieur un logement dans une maison nationale. C'est
celui qu'occupait , avant d'être sénateur , le C. Grégoire.
Le premier consul a dernièrement visité la bibliothéque
nationale ; le C. Malingre , employé , lui a
adressé les vers suivants :
:
4
Ad primum Galliæ consulem.
Dum pius invisis patrone Palladis ædes ,
Audivaticinans quæ tibi diva canit :
Illesuumquondam Æacides invenit Homerum ;
Euge! modd invenies , miBonaparte , tuum.....
"
« Vous qui , plein d'un respect religieux , visitez le
« temple de Minerve , notre protectrice , écoutez la
• promesse prophétique de la déesse : Cet Achille si
« vanté trouva autrefois son Homère ; Bientôt aussi ,
« ó Bonaparte , vous trouverez le votre ! »
On se rappelle , sans doute , que le C. Esménart ,
auteur du poéme de la Navigation , dont plusieurs fragments
ont été insérés dans nos précédents Numéros ,
était parti avec l'armée française pour Saint-DominGERMINAL
AN Χ. ! 63
gue. Pendant la traversée , il s'est senti inspiré à la vue
de l'élément qu'il avait déja chanté ; et il a adressé
les vers suivants à l'amiral Villaret-Joyeuse , le jour de
Saint-Thomas .
Chacun sait que votre patron ,
Grand philosophe , quoiqu'apôtre ,
N'humilia point sa raison
Devant ce qui confond la nôtre ;
Quand on lui dit que du tombeau
L'Homme-Dieu rappelant sa vie ,
Avait, par un art tout nouveau ,
Vaincu le trépas et l'envie ;
Le saint , très-subtil raisonneur ,
Doutant des succès de son maître ,
Se montra froid comme un docteur,
Et têtu comme un géomètre.
Mais enfin , quand le roi des cieux ,
Pour dompter sa foi mutinée ,
Noncontent d'éclairer ses yeux ,
S'offrit à sa main étonnée ;
Il crut. Ses sens furent frappés ,
Et c'est assez , quoiqu'on en glose :
Combien de gens se sont ttrroommppééss ,
Enmettant le doigt sur la chose.
Or , d'après nos moeurs et nos goûts ,
Ce grand exemple est fort commode;
EtSaint- Thomas devient chez nous
Le patron le plus à la mode.
Paris est plein de ces savants
Qui doutent de tout par prudence ,
De tout , hormis de leurs talents ,
Dont ils ont seuls la connaissance ;
Dites-leur qu'un mortel fameux
Rassemble sur l'onde perfide ,
Etconfie aux vents orageux ,
La gloire et la beauté timide ;
Que par ses ordres souverains ,
Un vaisseau , l'orgueil de Neptune ,
Va, sur les bords américains ,
Porter la France et sa fortune ,
Que dans ses flancs tumultueux ,
Sont réunis par le génie ,
Un marin sage et vertueux ,
Qui de la liberté bannie
Partagea l'exil glorieux ,
Ami des beaux- arts et des grâces ,
D'esprit , de coeur , vraiment Français ,
Toujours égaldans ses disgrâces ,
Toujours plus grand que ses succès :
Un chef qui , né pour la Victoire,
e
64 MERCURE DE FRANCE ,
En reçut le nom au berceau * ,
Et qui n'a point borné sa gloire ,
A mériter un nom si béau :
En qui le Héros de la France ,
Trouvant on frère pour l'honneur
Pour les talents et la, vaillance ,
Choisit un frère pour son coeur.
Enfin une femme charmante ,
< Plus douce encor que ses attraits ,
Dont la beauté noble et touchante
Réfléchit l'ame dans ses traits ,
Etqui , d'une main empressée ,
Caressant le front d'un guerrier ,
Semble une rose balancée
Sur le feuillage d'un laurier.
Témoins d'un si rare assemblage ,
Allez Pannoncer à Paris;
Je suis bien sûr qu'un froid souris
Etquelques grains de persiflage ,
De vos discours seront le prix.
Enflés de leur morgue sceptique ,
J'entends d'ici nos esprits forts ,
Assurer d'un ton dogmatique ,
Que la Seine , loin de ses bords
N'a point vu ce prodige unique.
Que serait-ce, si persistant
A braver leurs doutes rebelles ,
Vous disiez qu'un château flottant
Renferme des amis fidelles .
Que lorsque ces mâts voyageurs
Semblent défier les tempêtes ,
N'ayant pas même quelques fleurs ,
On ose y célébrer des fêtes ;
Et qu'enfiu malgré ce tableau
Quidoit élever la pensée ,
On fait , sur ce même vaisseau,
Des vers plus mauvais qu'au Lycée ;
Paris entier , n'en doutez pas ,
Vous répondrait : c'est incroyable ;
Les disciple-de Saint- Thomas
Traiteraient nos récits de fable :
Mais il vous reste des moyens
De confondre leur vaine audace :
Nommez à ces fiers citoyens
Les chefs dont vous suivez la trace ;
Ces noms que l'Europe connaît ,
De vos récits feront le gage ,
Et pour prouver le dernier fait ,
Il ne faudra que mon ouvrage.
* Victoire-Emmanuel Leclerc
79
:
7
ه ب
(N.° XLIV. ) 15 Germinal. An 10.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
1
LA TARENTULE.
FRAGMENT du 4. chant d'un poème sur les Insectes.
Aux champs de Tarento , qu'Horace a célébrés ,
De leur antique éclat , lieux si dégénérés ,
L'Arachné doit , aux feux de la température ,
Le funeste venin que verse sa morsure.
De sa bouche sortis , douze aiguillons serrés
Exhalent les poisons dont ils sont pénétrés ;
Fuyez : fuyez surtout , quand de la canicule ,
Dans les airs embrasés , le feu brant circule ;
Par ses naseaux , l'insecte aspirant la chaleur ,
Sent de ses dards aigus redoubler la fureur.
La peau qu'ensanglanta sa piqûre homicide ,
Se couronne d'abord d'une tumeur livide ;
Dans un mélancolique et morne accablement ,
Le malade engourdi tombe insensiblement ;
De son pouls , par degrés , la force diminue ;
Il pâlit , perd la voix , le mouvement , la vue ;
Sa respiration s'arrête .... , il va périr ;
Il périt . Quel secours lui pourrons -nous offrir ?
Des Sylva , des Vonchin la science inutile
>
1
8. 5
66 MERCURE DE FRANCE ,
Déja n'a déployé qu'un appareil stérile :
Art heureux , qui forças , par ton divin pouvoir ,
Les forêts à marcher , la pierre à se mouvoir ,
Paraís, et la santé , grace aux dons du génie ,
Va descendre du ciel sous le nom d'harmonie .
O Della Maria , toi qu'un souffle brûlant
Dessécha dans la fleur de l'âge et du talent ,
Toi de qui je crois voir l'ombre errante et plaintive ,
Des Thermes à Passy * voltiger fugitive
( Car celui qui charmait et l'oreille et les coeurs ,
N'a pas même un tombeau pour recueillir nos pleurs ),
Si tes doigts éloquents sur le clavier sonore ,
Par ta verve agités , pouvaient errer encore ,
S'ils pouvaient moduler ces airs doux et chéris ,
Qui ravissent et Vienne et Florence et Paris ,
A l'ame te frayant la route la plus sûre ,
C'est toi qui d'Arachné guérirais la morsure ;
Mais , hélas ! je me perds en regrets impuissants ,
L'Acheron te retient; ta lyre et tes accents
Ne ranimeront pas ta cendre réchauffée ;
Pluton n'est pas deux fois attendri par Orphée .
Après de vains essais , dis qu'un accord vainqueur
A frappé le malade et pénétré son coeur ;
Ses membres détendus se meuvent en cadence ;
Il se lève , et soudain la fureur de la danse
Lui fait , sans s'arrêter , précipiter ses pas :
Cet accès prolongé causerait son trépas ,
Si le bras qui l'étreint avec force et vitesse ,
Au repos qu'il fuyait ne livrait sa faiblesse ;
D'un sommeil salutaire il goûte les douceurs ;
* Les Thermes , maison de campagne du C. Duval , auteur
du Prisonnier.
Passy qu'habitait le C. d'Epinay , ami de Della Maria ,
qui a composé chez lui son dernier ouvrage en 3 actes , attendu
si impatiemment par les amis des arts,
GERMINALAN X. 67
Du poison , par degrés , s'éteignent les ardeurs ;
Il n'en garde pas même un souvenir pénible ,
Et la santé sourit à son réveil paisible .
E. AIGNAN.
A Madame ***.
Tu disais qu'Adonis même
Ne pourrait m'ôter ton coeur.
Tu trouvais ton bien suprême
Dans l'excès de mon ardeur.
Tu me peignais la tendressë ;
Hélas ! C'est moi qui la sens.
Tu jurais d'aimer sans cesse ;
C'est moi qui tiens tes serments.
Par le C. BOUFFLERS.
ENIGME.
Je préfère le chaume aux demeures des rois ,
Et bien qu'en un palais je me glisse par fois ,
Chez l'humble paysan plus volontiers j'habite ,
Ayant moins de sa part à craindre pour mon gîte.
Tour-à- tour tisserand , chasseur et puis boucher ,
J'égorge sans couteau , je tisse sans navette ;
Et jamais pour chasser je n'ai pris d'arbalète ;
Mes coups sont moins bruyants ; j'ai dit,tu peux chercher.
LOGOGRIPΗ Ε .
DES Romains mon entier fut jadis le partage ;
Ma tête chez les rois est assez en usage ;
Bienheureux qui parvient à ma queue en santé ;
Tel succombe en chemin quis'en était flatté .
(
68 MERCURE DE FRANCE ,
Partage-moi lecteur , je fais de toi partie ,
Et mes fougueux transports sont une frénésie ;
Si tu m'otes le coeur , je crois dans ton jardin ,
Encor deux pieds de moins et je deviens un grain ;
Enfin dans mes sept pieds l'on trouve avec aisance ,
Un supplice proscrit en ce moment en France ,
Une des sept couleurs , une étroite prison ,
Un métal à certains pire que le poison ,
Un être imaginaire , une note en musique ,
Plus clairement encor faut-il que je m'indique ?
Mon nom avec cinq pieds inspirant la terreur ,
Emporte avec fracas l'espoir du laboureur.
CHARADE.
LES princes et les grands fréquentent mon premier ,
Et ne fait pas qui veut preuve de mon entier ;
Rarement mon second est dit avec franchise ,
Tromper en pareil cas semble chose permise.
Et mon tout autrefois à de simples mortels ,
Fit dans Rome payenne élever des autels .
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Papier.
Celui du Logogriphe est poisson , où l'on trouve
poison.
Celui de la Charade est charmer.
GERMINAL ANX. 69
Aux Rédacteurs du MERCURE .
CITOYENS ,
Vous m'avez demandé quelques observations sur
la littérature anglaise. Je commencerai par les Naits
d'Young , dont on vient de donner une nouvelle édition ,
Je pourrai continuer ce travail dans la suite , si vous
jugez qu'il en vaille la peine. ,
J'ai l'honneur d'être , etc.
CHATEAUBRIAND.
EsSAI sur la littérature anglaise *.
I. EXTRAIT.
YOUNG .
Lorsqu'un écrivain a formé une école nouvelle
, et qu'après un demi-siécle de critique
on le trouve encore en possession d'une grande
renommée , il importe aux lettres de rechercher
la cause de ce succès , surtout quand il n'est dû
ni à la grandeur du génie , ni à la perfection
du goût et de l'art.
Quelques situations tragiques , quelques mots
sortis des entrailles de l'homme , je ne sais quoi
de vague et de fantastique dans les scènes , des
bois , des bruyères , des vents , des spectres , des
* Les Nuits d'Young , traduites de l'anglais ; par Letourneur
, se trouvent chez Calixte Volland , libraire ,
quai des Augustins , n.º 25 , et chez Lenormant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois ,
n.º 42. Nouvelle édition. 2 vol . in- 8.º avec fig. Prix , 8 fr.
broché , et 1 fr. franc de port par la poste.
2
70 MERCURE DE FRANCE ,
tempêtes , expliquent la célébrité de Shakespeare.
Young , qui n'a rien de tout cela , doit peutêtre
une grande partie de sa réputation au beau
tableau que présente l'ouverture de ses nuits ou
de ses complaintes . Un ministre du Tout- Puissant
, un vieux père , qui a perdu sa fille unique ,
"s'éveille au milieu des nuits pour gémir sur des
tombeaux ; il associe à la Mort , au Temps et à
l'Eternité , la seule chose que l'homme ait de
grand en soi - même , je veux dire , la douleur .
Ce tableau frappe d'abord , et l'impression en
est durable.
14
Mais avancez un peu dans ces nuits , quand
l'imagination éveillée par le début du poète ,
a déja créé tout un monde de pleurs et de rêveries
; vous ne trouvez plus rien de ce que l'on
vous a promis. Vous voyez un homme qui tourmente
son esprit dans tous les sens , pour enfanter
des idées tendres et tristes , et qui n'arrive
qu'à une philosophie morose. Young , que le
fantôme du monde poursuivait jusqu'au milieu
des tombeaux , ne décèle dans toutes ses déclamations
sur la mort , qu'une ambition trompée :
il a pris son humeur pour de la mélancolie .
Point de naturel dans sa sensibilité ; point d'idéal
dans sa douleur. C'est toujours une main pesante
qui se traîne sur la lyre.
Young a surtout cherché à donner à ses méditations
le caractère de la tristesse . Or ce caractère
se tire de trois sources : les scènes de la
nature , le vague des souvenirs , et les pensées de
la religion,
•Quant aux scènes de la nature , Young a voulu
les faire servir à ses plaintes ; mais je ne sais s'il
GERMINAL ΑΝ Χ.
REF
a réussi . Il apostrophe la lune , il parle à la muit
et aux étoiles, et l'on ne se sent point ému.Je
ne pourrais dire où gît cette tristesse , qu'e
poète fait sortir des tableaux de la nature ; mais
il est certain qu'il la retrouve à chaque pas. Il
unit son ame au bruit des vents , qui lui rappelle
des idées de solitude : une onde qui fuit ,
c'est la vie ; une feuille qui tombe , c'est
P'homme. Cette tristesse est cachée pour le poète ,
dans tous les déserts ; c'est l'Echo de la Fable
desséchée par la douleur , et habitante invisible
de lamontagne.
La réflexion dans le chagrin doit toujours
prendre la forme du sentiment et de l'image ;
et dans Young , au contraire , le sentiment se
change en réflexion et en raisonnement. Si
j'ouvre la première complainte , je lis :
From short ( as usual ) and disturb'd repose
J wake : how happy they who wake no more !
Yet that were vain , if dream infest the grave.
J wake , emerging from a sea of dreams
Tumultuons ; where my wreck desponding thought
From wave to wave of fancy'd misery
At random drove , her helm of reason lost.
The day too short for my distress ; and night
Ev'n in the Zenith of her dark domain
Is sunshine to the colour of my fate.
« D'un repos court et troublé je m'éveille. O ! heu-
« reux ceux qui ne se reveillent plus ! encore cela même
se est- il vain , si les rêves habitent au tombeau ! Je
" sors d'une mer troublée de songes , où ma pensée
" triste et submergée , privée du gouvernail de sa raison,
72 MERCURE DE FRANCE ,
ε
dt
flotte au gré des vagues d'une misère imaginaire ....
La nuit est trop courte pour ma tristesse ; et la nuit,
même au zénith de son noir domaine , est un soleil ,
. auprès de la couleur de mon sort. »
Est-ce là le langage de la douleur ? Je sais que
Ja traduction mot à mot , nerend ni la nuance de
l'expression , ni l'harmonie du style ; mais une traduction
littérale n'est jamais ridicule quand le
texte ne l'est pas. Qu'est-ce que c'est qu'unepensée
sans gouvernail , flottant de vague en vague
sur une mer de malheur imaginaire ? Qu'estce
qu'une nuit qui est un soleil auprès de la
couleur d'un sort ? Le seul trait remarquable
de ce morceau , c'est le sommeil du tombeau ,
peut- être aussi troublépar des songes. Mais cela
rappelle trop le mot d'Hamlet : To sleep !- to
dream ! Dormir ! - rêver !
Ossian se lève aussi au milieu de la nuit pour
pleurer ; mais Ossian pleure .
Lead , son of Alpin , lead the aged to his woods.
The winds begin to rise. The dark wave of the lake
resounds . Bends there not a tree from Mora , with its
branches bare ? It bents son of Alpin , in the rustling
blast. My harp hangs on a blasted branch . The sound
of its strings is mournful. Does the wind touch thec
o harp , or is it some passing ghost ! It is the hand
of Malvina ! But bring me the harp son of Alpin ; another
song shall arise. My soull shal depart in the
sound ; my fathers shall hear it in their airy hall. Their
dim faces shall hang , with joy , from their cloud ;
and their hands receive their son .
• Conduis-moi , fils d'Alpin , conduis le vieillard à
ses bois. Les vents se lèvent , les flots noircis du lac
GERMINAL ΑΝ Χ. 73
* murmurent. Ne vois-tu pas sur le sommet de Mora
« un arbre qui s'incline avec toutes ses branches dé-
« pouillées ? Il s'incline , ô fils d'Alpin , sous le bruyant
" tourbillon. Ma harpe est suspendue à l'une de ses
« branches desséchées . Le son de ses cordes est triste .
"
O harpe , le vent t'a t - il touchée , ou bien est - ce
un léger fantôme ? C'est la main de Malvina ! don-
* ne-moi la harpe , fils d'Alpin. Il faut qu'un autre
" chant s'élève ! Mon ame s'envolera au milieu des
• sons. Mes pères entendront ces soupirs dans leur salle
• aérienne. Du fond de leurs nuages ils pencheront avec
« joie leurs visages obscurs , et leurs bras recevront leur
« fils. »
Voilà des images tristes , voilà de la réverie.
Les Anglais conviennent que la prose d'Ossian
est aussi poétique que les vers , et qu'elle en
a toutes les inversions. Or on voit que la traduction
littérale est ici très- supportable. Ce qui est
beau , simple et naturel , l'est dans toutes les
langues.
On croit généralement que ces images mélancoliques
, empruntées des vents , de la lune ,
des nuages , ont été inconnues des anciens ; il
y en a pourtant quelques exemples dans Homère
, et surtout un charmant dans Virgile.
Enée aperçoit l'ombre de Didon dans l'épaisseur
d'une forêt , comme on voit , ou comme on
croit voir, la lune nouvelle se lever au milieu
des nuages .
: Qualem primoque surgere mense
Aut videt , aut vidisse putat per nubila lunam.
Remarquez toutes les circonstances. C'est la
lune qu'on voit ou qu'on croit voir se lever à
41
1
74 MERCURE DE FRANCE ,
:
travers les nuages : l'ombre de Didon est déja
réduite à bien peu de chose . Mais cette lune
est dans sa première phase. Qu'est - ce donc
que cet astre lui - même. L'ombre de Didon
ne semble-t-elle pas s'évanouir ? On retrouve ici
Ossian dans Virgile ; mais c'est Ossian sous le
ciel de Naples , sous un ciel , où la lumière est
plus pure et les vapeurs plus transparentes .
Young a donc premièrement ignoré , ou
plutôt mal exprimé , cette tristesse , qui se
nourrit du spectacle de la nature , et qui , douce
ou majestueuse , suit le cours naturel des sentiments.
Combien Milton est supérieur au chantre
des Nuits , dans la noblesse de la douleur !
Rien n'est beau comme ces quatre vers qui terminent
le Paradis -Perdu :
The world was all before them , where to choose
Their place of rest , and Providence their guide :
They , hand in hand , with wandring steps and slow ,
Through Eden took their solitairy way.
" Lemonde entier s'ouvrait devant eux. Ils pouvaient
-« y choisir un lieu de repos ; la Providence était leur
seul guide : Eve et Adam , se tenant par la main ,
« et marchant à pas lents et indécis , prirent à travers
Eden leur chemin solitaire . »
On voit toutes les solitudes du monde ouvertes
devant notre premier père ; toutes ces
mers qui baignent des côtes inconnues ; toutes
ces forêts qui se balancent sur un globe inhabité
, et l'homme laissé seul avec son péché au
milieu des déserts de la création ,
GERMINAL ΑΝ Χ. 75
:
Hervey, dans ses Méditations (quoique d'un
génie moins élevé que l'auteur des Nuits ) ,
a quelquefois montré une sensibilité plus douce
et plus vraie. On connaît ces vers sur l'enfant
qui goûte à la coupe de la vie :
Mais sentant sa liqueur d'amertume suivie ,
Il détourna la tête , et regardant les cieux ,
Pour jamais au soleil il referma les yeux .
Le docteur Beattee , poète écossais , qui vit
encore , a répandu dans son Minstrel la rêverie
la plus aimable. C'est la peinture des premiers
effets de la muse sur un jeune barde de la montagne
, qui ignore encore le génie dont il est
tourmenté. Tantôt le poète futur va s'asseoir au
bord des mers pendant une tempête ; tantôt il
quitte les jeux du village , pour aller entendre
à l'écart et dans le lointain le son des musettes .
Young était peut- être appelé par la nature à
traiter de plus hauts sujets ; mais alors ce n'était
pas le poète complet. Milton , qui a chanté
les douleurs du premier homme , a aussi soupiré
le Penseroso .
Ceux de nos bons écrivains qui ont connu le
charme de la rêverie , ont prodigieusement surpassé
le docteur anglais. Chaulieu a mêlé , comme
Horace , les pensées de la mort aux illusions
de la vie. Ces vers si connus , valent , pour
la mélancolie , toutes les exagérations du poète
• d'Albion :
Grotte , d'où sort ce clair ruisseau ,
De mousse et de fleurs tapissée ,
N'entretiens jamais ma pensée
Que du murmure de ton eau,
76 MERCURE DE FRANCE ,
:
......
Fontenay , lieu délicieux ,
Où je vis d'abord la lumière ,
Bientôt au bout de ma carrière ,
Chez toi je joindrai mes aïeux.
Muses , qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fîtes nourrir ;
Beaux arbres , qui m'avez vû naître ,
Bientôt vous me verrez mourir .
Et l'inimitable La Fontaine , comme il sait
rêver aussi!!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie ;
Je ne dormirai point sous de riches lambris ;
Mais voit- on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond , et moins plein de délices ?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices !
C'est un grand poète que celui-là qui a fait
de pareils vers .
La page la plus rêveuse d'Young ne peutêtre
comparée à ce passage de J. J. Rousseau :
« Quand le soir approchait , je descendais des cimes
« de l'île , et j'allais volontiers m'asseoir au bord du
" lac , sur la grève , dans quelqu'asile caché ; là le bruit
« des vagues et l'agitation de l'eau fixant mes sens ,
« et chassant de mon ame toute autre agitation , la
- plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit
me surprenait souvent , sans que je m'en fusse
aperçu . Le flux et le reflux de cette eau , son bruit
« continu , mais renflé par intervallés , frappant sans
«
"
« relâche mon oreille et mes yeux , suppléaient aux
* mouvements internes que la rêverie éteignait en moi ;
• et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon
GERMINAL AN Χ.
77
"
- existence , sans prendre la peine de penser. De temps
à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur
« l'instabilité des choses de ce monde , dont la surface
des eaux m'offrait l'image : mais bientôt ces im
« pressions légères s'effaçaient dans l'uniformité du
" mouvement continu qui me berçait , et qui , sans
« aucun concours actif de mon ame , ne laissait pas
de m'attacher au point , qu'appelé par l'heure et le
« signal convenu , je ne pouvais m'arracher de là sans
« efforts . >>
Ce passage de Rousseau me rappelle qu'uné
nuit , étant couché dans une cabane , en Amérique
, j'entendis un murmure extraordinaire
qui venait d'un lac voisin. Prenant ce
murmure pour l'avant - coureur d'un orage ,
je sortis de la hutte pour regarder le ciel .
Jamais je n'ai vu de nuit plus belle et plus
pure. Le lac s'étendait tranquille , et répétait
la lumière de la lune , qui brillait sur les pointes
des montagnes et sur les forêts du désert. Un
canot indien traversait les flots en silence. Le
bruit que j'avais entendu provenaitdu flux du lac,
qui commençait à s'élever , et qui imitait une
sorte de gémissement sous les rochers du rivage.
J'étais sorti de la hutte avec l'idée d'une
tempête , qu'on juge de l'impression que fit sur
moi le calme et la sérénité de ce tableau ; ce
fut comme un enchantement.
Young a mal profité , ce me semble , des réveries
qu'inspirent de pareilles scènes , parce
que son génie manquait éminemment de tendresse
. Par la même raison , il a échoué dans
cette seconde sorte de tristesse , que j'ai appelée
tristesse des souvenirs.
78 MERCURE DE FRANCE ,
\
Jamais le chantre des tombeaux n'a de ces
retours attendrissants vers le premier âge de la
vie , alors que tout est innocence et bonheur.
Il ignore les souvenirs de la famille et du toit
paternel ; il ne connaît point les regrets pour
les plaisirs et les jeux de l'enfance ; il ne s'écrie
point , comme le chantre des Saisons :
Welcome , kindred glooms !
Congenial Horrors , hail ! with frequent foot ,
Pleas'd havej , in my chear ful morn of life 2
When nurs'd by careless solitude j liv'd ,
And sung of Nature with unceasing joy ,
Pleas'd have j wander'd thro' your rough domain ;
Trod le pure virgin-snows , myself pure ; etc.
« Ombres propices des hivers , agréables horreurs , २८
« je vous salue ! Combien de fois au matin de
- ma vie , lorsque rempli d'insouciance et nourri par
la solitude , je chantais la nature dans une extase
« sans fin , combien de fois n'ai-je point erré avec ravissement
dans les régions des tempêtes , foulant les
« neiges virginales ; moi-même aussi pur qu'elles !
"
Gray, dans son ode sur une vue lointaine du
collége d'Eton , a répandu cette même douceur
des souvenirs :
Ah ! happy hills , ah pleasing shade ,
Ah ! fields belov'd in vain ,
Where once my carelefs childhood stray'd
A stranger yet to pain !
I feel the gales that from you blow
..
My weary soul they seem to soothe ,
And redolent of joy and youth
To breath a second spring.
GERMINAL AN XΧ . 79
O heureuse colline ! O doux ombrage ! O champs
« aimés en vain ! Champs où se joua ma tranquille
" enfance , encore étrangère aux douleurs. Je sens les
• vents qui soufflent de vos bocages ..... Ils semblent
« ranimer mon ame fatiguée , et parfumés de joie et
■ de jeunesse , m'apporter un second printemps ! »
Quant aux souvenirs du malheur , ils sont
nombreux dans le poète anglais. Mais pourquoi
semblent-ils encore manquer de vérité comme
tout le reste ? Pourquoi le lecteur ne peut- il
s'intéresser aux larmes du chantre des Nuits ?
Gilbert expirant à la fleur de son âge , dans un
hôpital , et se rappelant l'abandon où ses amis
l'ont laissé , attendrit tout les coeurs .
Au banquet de la vie , infortuné convive ,
J'apparus un jour , et je meurs ;
Je meurs , et sur ma tombe où lentement j'arrive ,
Nul ne viendra verser des pleurs .
Adieu champs fortunés , adieu douce verdure ,
Adieu riant exil des bois ,
Ciel , pavillon de l'homme , admirable nature ,
Adieu pour la dernière fois !
Ah puisse voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux ,
Qu'ils meurent pleins de jours , queleur mort soit pleurée,
Qu'un ami leur ferme les yeux !
Voyez dans Virgile les femmes troyennes ,
assises au bord de la mer , et qui regardent en
pleurant l'immensité desflots.
Cunctæque profondum
Pontum aspectabant flentes .
Quelle beauté d'harmonie ; comme elle peint

80 MERCURE DE FRANCE ,
les vastes solitudes de l'océan ! Quel souvenir
de la patrie perdue! Que de douleurs dans ce
seul regard jeté sur la face des mers , et que
le lentes , qui en est l'effet , est triste !
Le C. Parny a su faire entrer dans une autre
espèce de sentiment le charme attendrissant
des souvenirs. Sa complainte sur le tombeau
d'Emma , est pleine de cette douce mélancolie
qui caractérise les écrits du seul poète élégiaque
de la France.
L'Amitié même , oui , l'amitié volage ,
A rappelé le folâtre enjouement ,
D'Emma mourante elle a chassé l'image,
Son deuil trompeur n'a duré qu'un moment .
Charmante Emma , jeune et constante amie !
Ton souvenir ne vit plus dans ces lieux ,
De ce tombeau l'on détourne les yeux,
Ton nom s'efface, et le monde t'oublie !
La muse du chantre d'Eléonore nourrissait ses
rêveries sur les mêmes rochers où Paul , la
tête appuyée sur sa main , regardait fuir le
vaisseau qui emportait Virginie. Héloïse , dans
les cloîtres du Paraclet , ranimait toutes ses douleurs
et tout son amour à la seule pensée d'Abeilard.
Les souvenirs sont comme les échos des
passions ; et les sons qu'ils répètent prennent par
I'éloignement quelque chose de vague et de mélancolique
, qui les rend plus séduisants que l'accent
des passions mêmes.
Il me reste à parler de la tristesse religieuse .
En exceptant Gray et Hervey , je ne connais ,
parmi les écrivains protestants , que M. Necker
qui ait répandu quelque tendresse sur les sentiments
tirés de la religion. On sait que Pope était
GERMINAL AN X, 8L
catholique , que Dryden le fut par intervallos, et
l'on croit que Shakespeare appartenait aussi
l'église romaine. Un père enterrant furtivement
sa fille dans une terre étrangère , quel beau
texte pour un ministre chrétien ! Et cependant
si vous êtez la comparaison touchante durossignol
( comparaison prodigieusement embellic
par le traducteur , comme on va le voir à l'instant)
, il reste à peine quelques traits touchants
dans la nuit intitulée Narcisse. Young verse
moins de larmes sur la tombe de sa fille unique ,
que Bossuet sur le cercueil de M.the Henriette.
Sweet Harmonist ! and beautiful as sweet !
And Young as beautiful ! and soft as Young !
And gay as soft ! and innocent as gay !
And happy ( if augt happy here ) as good.
For fortune fond had built her nest on high .
Like birds quite exquisite of note and plume
Transfix'd by fate ( who loves a lofty mark )
How from the summit of the grove she fell ,
And left it unharmonious ! All its charm
Extinguish'd in the wonders of her song !
Her song still vibrates in my ravish'd ear
Still melting there , and with voluptuous pain
(O to forget her! ) thrilling thro' my heart.
• Fille de l'harmonie ! Tu étois belle autant qu'ai-
• mable , jeune autant que belle , douce autant que
« jeune. Ta gaieté égalait ta douceur , et ton innocence
ta gaieté. Pour ton bonheur ( s'il est quelque bonheur
ici-bas ) , il était égal à ta bonté , car la fortune avait
bâti ton nid sur des lieux élevés. Comme des oiseaux
éclatants par le chant et le plumage , sont frappés
- par le sort ( qui aime un but élevé ) , tu es tombée
5
8. 6
82 MERCURE DE FRANCE ,
du haut du bocage , et tu l'as laissé sans harmonie!
Tous ses charmes ont disparu avec la merveille de
tes concerts! Ta voix résonne encore à mon oreille
" ravie , ( O ! comment pourrais-je l'oublier ! ) elle
" attendrit encore mon ame , elle fait encore frémir
mon coeur d'une douleur voluptueuse. »
Ce morceau , sauf erreur , me semble toutà-
fait intolérable ; et c'est cependant un des plus
beaux dans la traduction de M. Le Tourneur.
Si j'avais suivi un rigoureux mot à mot , ce ser
rait bien pis encore. Est-ce là le langage d'un
père ? Unefille de l'harmonie(sweet harmonist ,
douce musicienne ) , qui est belle autant qu'aimable,
jeune autant que belle , douce autant
que jeune , gaie autant que douce , innocente
autant que gaie. Est- ce ainsi que la mère d'Eu
ryale déplore la perte de son fils , ou que Priam
gémit sür les restes d'Hector ?
11
M. Le Tourneur à montré beaucoup de goût
en transformant en un rossignol atteint par le
plomb du chasseur, ces oiseaux frappés par
le sort , qui aime un but élevé. Il faut toujours
proportionner le moyen à la chose , et ne pas
prendre tin lévier pour soulever une paille. Le
sort peut disposer d'un empire , changer un
monde , élever ou précipiter un grand homme ,
mais il ne doit point frapper un oiseau. C'est le
Durus Arator; c'est la flèche empennée , qui
doivent faire gémir les rossignols et les colombes
.
Ce n'est pas de ce ton que Bossuet parle de
M.me Henriette.
« Madame cependant a passédu matin au soir , ainsi
■ que Kherbe des champs. Le matin elle fleurissait ;
1
GERMINAL ΑΝ Χ. 83
■ avec quelles graces , vous le savez : le soir nous
* la vîmes séchée , et ces fortes expressions , par les-
« quelles l'écriture sainte exagère l'inconstance des
choses humaines , devaient être pour cette princesse ,
" si précises et si littérales. Hélas , nous composions
« son histoire de tout ce qu'on peut imaginer de plus
<< glorieux. Le passé et le présent nous garantissaient
« l'avenir ...... Telle étoit l'agréable histoire que nous
faisions ; et , pour achever ces nobles projets , il n'y
avait que la durée de sa vie , dont nous ne croyions
pas devoir être en peine. Car qui eût pu seulement
penser que les années eussent dû manquer à une
« jeunesse qui semblait si vive ? Toutefois c'est par
• cet endroit que tout se dissipe en un moment .....
....... La voilà , malgré ce grand coeur , cette prin-
« cesse si admirée et si chérie ; la voilà telle que la
« mort nous l'a faite ; encore ce reste , tel quel , va-
σε
* t-il disparaître, etc. »
Je desirerais pouvoir citer de l'auteur des
Nuits , quelques pages d'une beauté soutenue.
On les trouve ces pages dans le traducteur ,
mais non dans l'original . Les Nuits de M. Le
Tourneur , et l'Imitation de M. Colardeau ,
sont des ouvrages tout- à - fait différents de
l'ouvrage anglais. Ce dernier n'offre que des
traits épars ; il fournit rarement de suite dix
vers irréprochables. On retrouve quelquefois
dans Young , Senèque et Lucain , mais jamais
Job ni Pascal . Il n'est point l'homme de la douleur
; il ne plaît point aux coeurs véritablement
malheureux.
Dans plusieurs endroits , Young déclame contre
la solitude : l'habitude de son coeur n'était
donc pas la rêverie. Les saints nourrissent leurs
84 MERCURE DE FRANCE ,
méditations au désert , et le Parnasse des poètes
est aussi une montagne solitaire. Bourdaloue
suppliait le chef de son ordre de lui permettre
de se retirer du monde. « Je sens que mon corps
<<< s'affaiblit et tend vers sa fin , écrivait - il. J'ai
<< achevé ma course : et plût à Dieu que je pusse
<< ajouter , j'ai été fidelle ! ...... Qu'il me soit
<< permis d'employer uniquement pour Dieu et
<<pour moi-même ce qui me reste de vie....
<< Là, oubliant les choses du monde , je passerai
<< devant Dieu toutes les années de ma vie , dans
<<<l'amertume de mon ame. » Si Bossuet , vivant
au milieu des pompes de Versailles , a su pourtant
répandre dans ses écrits une sainte et majestueuse
tristesse , c'est qu'il avait trouvé dans la religion
toute une solitude ; c'est que son corps était dans
le monde , et son esprit au désert ; c'est qu'il
avait mis son coeur à l'abri , sous les voiles secrets
du tabernacle ; c'est , comme il l'a dit luimême
, de Marie - Thérèse d'Autriche , « qu'on
<< le voyait courir aux autels , pour y goûter
<< avec David un humble repos , et s'enfoncer
« dans son oratoire , où , malgré le tumulte de
<< la cour , il trouvait le carmel d'Elie , le désert
<< de Jean , et la montagne si souvent témoin
<< des gémissements de Jésus . »
Le docteur Johnson , après avoir sévèrement
critiqué les Nuits d'Young , finit par les comparer
à un jardin chinois. Pour moi , tout ce
que j'ai voulu dire , c'est que , si nous jugeons
avec impartialité les ouvrages étrangers et les
nôtres , nous trouverons toujours une immense
supériorité du côté de la littérature française ; au
moins égaux par la force de la pensée , nous l'emportons
toujours parle goût. Or, onne doit jamais
GERMINAL ΑΝ Χ. 85
perdre de vue , que si le génie enfante , c'est le
goût qui conserve. Le goût est le bon sens du
génie ; sans le goût , le génie n'est qu'une sublime
folie. Mais c'est une chose étrange que ce toucher
sûr , par qui une chose ne rend jamais que le
son qu'elle doit rendre , soit encore plus rare que
la faculté qui crée. L'esprit et le génie sont répandus
en portions assez égales dans les siécles ;
mais il n'y a dans ces siécles que de certaines
nations , et chez ces nations qu'un certain moment
où le goût se montre dans toute sa pureté
: avant ce moment , après ce moment , tout
pêche par défaut ou par excès . Voilà pourquoi
les ouvrages parfaits sont si rares ; car il faut
qu'ils soient produits dans ces heureux jours de
l'union du goût et du génie. Or cette grande
rencontre , comme celle de certains astres , semble
n'arriver qu'après la révolution de plusieurs
siécles , et ne durer qu'un moment.
CHATEAUBRIAND.
HISTOIRE de l'assassinat de GUSTAVE III ,
roi de Suède , parunofficierpolonais , témoin
oculaire. Paris , 1797 , in-8.° de 104 pages.
Nouvelle édition publiée récemment en Allemagne.
Avec cette éprigraphe , prise de la
Mort de César :
Comblés de ses bienfaits , ils sont teints de son sang.
LES
Es ouvrages de cette nature valent surtout par les
détails , et ce n'est point en les analysant qu'on peut
en faire connaître le prix. Ainsi nous nous bornerons à
relever quelques omissions ou quelques erreurs que nous
86 MERCURE DE FRANCE ,
y avons aperçu en le parcourant. L'importance, historique
de l'événement , le mérite et la réputation de
l'ouvrage donneront peut - être quelque intérêt à cette
critique minutieuse. Nous dirons seulement , pour faire
connaître le plan de l'auteur , qu'après une courte introduction
, il jette un coup-d'oeil sur la situation politique
de la Suède , depuis la mort de Charles II jusqu'à l'assassinat
de Gustave III , arrrivé dans la nuit du 16 au
17 mars 1792 ; ce morceau présente des vues trèsjustes
et très -impartiales sur la révolution de 1772 ;
il est suivi da récit des circonstances de l'assassinat de
Gustave III , par Anckarstrom ; ensuite l'auteur offre
ses conjectures , non-seulement sur les causes de cet assassinat
, mais encore sur celles d'autres événements qui
occupent l'Europe depuis quelques années ; il en accuse
hautement les illuminés , sur lesquels il donne des renseignements
très - précieux ; enfin il termine son ouvrage
par des particularités intéressantes sur les moeurs privées
et les qualités politiques de Gustave III .
Les sources où l'auteur a puisé ses connaissances sur
l'état de la Suède , depuis la mort de Charles XII jusqu'à
l'assassinat de Gustave III , doivent inspirer de la
confiance . On peut même regarder ce morceau comme
un précis très - succinct de ce qu'ont dit de cette période ,
M. Sheridan , dans son histoire de la dernière révolution
de Suède , l'auteur des caractères et anecdotes de la
cour de Suède qui ont paru en 1790 ; M. Cateau , dans
son Tableau général de la Suède , et M. René- Louis Posselt
dans l'Histoire de Gustave III, qu'il a publiée en
allemand , il y a environ quatre ans. Quant aux circonstances
et aux suites de l'assassinat du feu roi , l'auteur
en parle comme témoin oculaire , et nous pouvons
attester qu'en général il règne dans son récit
beaucoup d'exactitude. Nous lui rendons cette justice
sur l'autorité d'un autre témoin oculaire qui a vyuul'é-
1
GERMINAL ANX. 87
vénement d'aussi près que lui ; et c'est au même titre
que nous allons nous permettre quelques remarques sur
des faits ou des personnages dont il est question dans
cette brochure. Commençons par les personnages.
En parlant ( page 18 ) des mesures prises pas Gustave
III pour amener la révolution qu'il méditait , et
de l'opposition que préparaient quelques seigneurs ,
l'auteur dit que plusieurs d'entre eux prirent le parti
de se retirer à la campagne , entre autres le comte de
Fersen feld maréchal , et colonel des gardes , qui , bien
attaché à la France et à la personne de Gustave , n'en
desirait pas moins la conservation des lois constitutionnelles
de son pays . Les personnes qui ont connu le
comte de Fersen , savent qu'il était trop éclairé pour
ne pas sentir combien étaient funestes à la Suède les
Jois constitutionnelles alors existantes , mais qu'il avait
assez d'ambition pour redouter un changement quidevait
lui faire perdre une partie de son influence .
Parmi les moyens employés par les états pour contrarier
à cette époque les projets de Gustave , l'auteur
rappelle ( page 19 ) que le comité secret donna au général
Perhlin , l'un des principaux Bonnets , la surveillance
de la capitale. Le général Perhlin était un
scélérat habile qui ne fut pas étranger à l'assassinat de
Gustave. Les conjurés avaient dîné chez lui , la veille du
jour où le crime fut commis. Il est mort en prison.
Page 22 , l'auteur , en parlant de l'argent distribué aux
soldats après la révolution de 1772 , observe que le roi
cependant n'en avait pas ; tous les banquiers en avaient
refusé : un seul , M. Peil , offrit ce qu'il avait. Gustave
conserva toute sa vie la reconnaissance la plus vive de
ce grand service. M. Peil en a été aussi récompensé
par l'estime publique , ainsi que son associé M. Grill ,
directeur de la Compagnie des Indes .
Page 32 , l'auteur raconte que le 22 janvier 1792
88 MERCURE DE FRANCE ,
۱
( la veille du jour où le roi devait partir pour Gerle on
il allait tenir la diète ) , un capitaine d'artillerie vint
le prendre à l'hôtel de l'ambassadeur de Pologne où il
avait passé la soirée ; qu'il s'entretint en termes clairs
et positifs des dispositions où étaient les conjurés
de la noblesse ; qu'il s'exprimait comme un homme
qui partageait ce desir , annonçait que le coup n'était
pas éloigné , etc. Le capitaine d'artillerie , dont l'au-
'teur parle sans le nommer , ne peut être autre qu'Ehrensward
, qui porte aujourd'hui le nom de Gyllenborg ,
l'un des quatre complices de l'assassinat , à qui le duc
régent fit ouvrir les prisons à la fin de 1792. Il est assez
remarquable que l'auteur qui taît ici le nom d'Ehrensward
, soit également discret , lorsque ( page 95 ) il
parle des retraites qu'ont trouvées ses complices Horn
et Ribbing , et encore lorsque ( page 56 ) il rappelle le
bannissement de ces deux personnes et de Lilienhorn .
Ce dernier avait été tuteur d'Ehresward qui lui avait
été fortement recommandé par sa mère. Aussi ce jeune
homme , trompé par le choix maternel , séduit par les
conseils de son tuteur , et conduit ainsi à des trames
criminelles dans l'âge des passions , doit-il être regardé
comme le moins coupable des conjurés ; mais il est évident
que l'auteur a eu quelque raison , ou a cru en
avoir pour le ménager. Il n'indique pas les retraites
qu'habitent les quatre complices de l'assassinat de Gustave.
On sait cependant qu'Ehrensward fait sa résidence
habituelle dans la Basse- Saxe , Ribbing à Paris ,
et Horn dans une terre qu'il possède en Danemarck.
Onignore ce qu'est devenu Lilienhorn. Ribbing que l'auteur
appelle ( page 71 ) un jeune et férocé fanatique ,
n'avait tout au plus que 25 ans , lorsqu'il a trempé dans
l'assassinat de Gustave. Sa mère ( femme également aimable
et respectable , mariée depuis deux ans en secondes
noces à un homme de grand mérite, le baron
GERMINAL AN Χ. 89
de Macklean ) avait pressenti de bonne heure les tourments
qu'il lui donnerait un jour. Des personnes qui vivaient
dans sa société se souviennent des alarmes que
lui inspirait le caractère de son fils , lorsqu'il n'avait
encore que 8 ou 9 ans.
Ce Ribbing , qui est évidemment le même que le personnage
dont l'auteur nous apprend les succès dans
quelques sociétés de Paris , où on l'appelait le beau
Régicide ; ce Ribbing, que quelques femmes très -connues
ont mis fort à la mode , et qui heureusement n'est plus
qu'un conspirateur de boudoir, est généralement regardé
comme celui des complices qui a dirigé le coup porté
par Anckarstrom. Ce fut même sur lui que tombèrent
d'abord tous les soupçons du roi . On sait que ce fut au
milieu d'un hal masqué que Gustave fut assassiné , et
qu'en tombant frappé du coup de pistolet , il s'écria :
Je viens d'être blessé par un grand masque noir. L'auteur
, en rapportant ce mot , ajoute en note : L'assassin
n'était pas de haute taille ; mais il parut tel en ce moment
aux yeux du roi. Le mot de Gustave doit être expliqué
autrement. Le roi , au milien d'un groupe de
masques qui l'avaient entouré et serré , ne put pas discerner
avec précision l'homme qui avait porté le coup ,
et fut moins frappé du petit masque noir ( Anckarstrom )
que du grand masque noir ( Ribbing ) , qui peut-être
l'avait approché encore de plus près , s'étant chargé d'indiquer
à l'assassin le point où il devait viser. D'ailleurs
si le roi avait reconnu ou même seulement soupçonné
Ribbing sous son déguisement , il dut le suspecter plus
que tout autre ; ear il est très -probable que , dans ce
moment , il eut le souvenir frappé d'une prédiction qui
lui avait été faite trois ou quatre ans auparavant , et
dont son esprit pouvait avoir été quelquefois occupé ,
sans qu'il eut la faiblesse d'y croire. Cette anecdote peu
connue mérite d'être rapportée.
MERCURE DE FRANCE ,
:
1
Il existait à Stockholm , il y a quelques années , et
peut- être il y existe encore une demoiselle Arvidson ,
fameuse par ses connaissances sur l'avenir , ou , pour
parler plus simplement , comme diseuse de bonne - aventure.
Le hasard avait si bien servi sa réputation , ou du
moins était - elle si bien établie , qu'on allait de toutes.
parts la consulter. Les provinces , la ville , la cour ,
tout avait l'air de croire à son art. Gustave voulut aller
interroger cette Sibylle. Ce ne fut ni sur la main du roi,
ni dans les astres qu'elle chercha son sort ; c'était dans
du marc de café qu'elle lisait l'avenir , et le Destin
lui parlait du fond de sa tasse. A peine l'eut-elle interpellé
sur le sort de Gustave , que , pleine de trouble et
tout effrayée : ah ! sire , s'écria-t- elle , quelle fin cruelle !
Quoi done , lui dit le roi avec un sourire un peu forcé ?
-Non , sire , je ne puis me résoudre... Mais , vous me
connaissez ; je ne suis pas craintif. Parlez , je vous écouterai
sans effroi ; et quel que soit votre oracle , je suis
capable de le retenir sans inquiétude.-Eh bien , sire
dit- elle après s'être fait longtemps prier , vous devez
être unjour assassiné par la première personne que vous
allez trouver sur le pont du Nord, en sortant de chez moi.
Gustave montre beaucoup de calme , de la gaieté même ;
il cause un moment sur ce ton- là avec mademoiselle
Arvidson ; il sort impatient de signaler l'assassin qu'elle
avait indiqué ; il arrive au pont du Nord , et la première
personne qu'il aperçoit est le jeune comte Ribbing ,
connu dès -lors pour une assez mauvaise tête , mais non
certainement pour un apprenti assassin. Le roi courant
àlui : Mon cher comte , lui dit-il , « si je ne connaissais
« votre coeur et vos principes , je devrais vous redouter, "
et il lui raconte la prédiction qu'il venait d'entendre :
il met le jeune homme à son aise en plaisantant sur
ce sinistre horoscope , et ils se séparent après s'être un
peu égayés ou du moins s'être efforcés de s'égayer aux
2
GERMINAL ANX. 91
dépens de la pytonisse . Lorsque dans la suite les liai
sons de Ribbing le rendirent suspect à Gustave , ce
prince dut sûrement se rappeler l'oracle , et il est assez
simplequ'il en ait eu l'esprit frappé au moment de l'assassinat
, mais surtout lorsqu'avant sa mort on découvrit
, par les premières informations , que Ribbing , plus
que tout autre conjuré , avait partagé le crime avec
Anckarstrom .
Page 34 , l'auteur se contente d'indiquer , par la lettre
M ... , le personnage vertueux et généralement estimé ,
que Gustave III nomma grand maréchal de la diète de
Gerle en 1792. Ce personnage doit être le comte Munck ,
qui , suivant ce qui est dit ( page 95 ) fut arrêté après
la mort de son maître , par ordre du régent , et conduit
par des soldats hors de Stockholm avec tout l'appareil
de la captivité. Ceci n'est pas exact ; cet appareil ne
frappa personne. L'auteur ajoute que depuis on n'a reçu
aucune nouvelle , ni entendu parler du comte de Munck ,
et qu'on a dit très-longtemps tout haut dans Stockholm ,
qu'il avait été assassiné par ordres supérieurs à deux ou
trois lieues de la ville. On sait que le comte Munck
était l'été dernier en Toscane .
(La suite au numéro prochain .)
SPECTACLE S.
Dans la dernière quinzaine du mois dernier , nos
nombreux spectacles n'ont rien offert qui mérite d'être
consigné dans un journal consacré à la littérature. Au
Théâtre des Arts , un ballet fait exprès , pour la rentrée
d'un danseur , a pu intéresser le public , sans qu'un
écrivain eût rien à en dire ; on n'écrit ni des entrechats
, ni des pirouettes. Le Retour de Zéphire signifiait
le retour de Deshayes ; Esculape à l'Opéra vou'ait
92 MERCURE DE FRANCE ,
dire que ce danseur avait été malade : tout cela est
charmant quand on le voit.
A l'Opéra- Buffa , la Signora Bolla est venue seconder
la Signora Strinasacchi , seule cantatrice , qui , jusqu'alors
fût à ce théâtre. La manière de chanter de
ces deux dames ne permet entre elles ni comparaison ,
ni rivalité ; et c'est un grand bonheur pour un opéra
italien. La première cherche constamment la grace et
la vivacité ; la seconde tend aux grands effets , d'où il
résulte que les partisans de l'une sont aussi les admirateurs
de l'autre, Comme on n'écrit pas plus des sons
que des pas , nous nous contenterons de consigner
que la Signora Bolla est une agréable cantatrice .
Son début à Paris nous a fait faire une singulière
réflexion . On félicita beaucoup cette actrice d'avoir les
manières et la tournure française. Il serait curieux de
chercher pourquoi , possédés de la manie d'imiter les
modes étrangères , nous aimons tant que les étrangers
prennent nos modes et notre ton . On fait un grand
éloge d'un anglais à Paris , quand on dit : Il a vraiment
l'air d'un Français ; et à Paris encore on croit
faire l'éloge d'un Français , quand on dit de lui : Il a
vraiment la tournure anglaise. Ne saurait- on réellement
gré à un homme et à une femme de leurs manières ,
qu'autant qu'on suppose que , pour les acquérir , il
leur a fallu cesser d'être eux- mêmes ?
Jusqu'à présent , le mois n'a été ni abondant , ni
heureux en nouveautés .
Le Théâtre du Vaudeville a donné , le 5 , la première
représentation de Réné-Lesage , recommandé à la postérité
par Gil- Blas , dont les portraits ressemblent toujours
; par Turcaret , moins ressemblant depuis que le
siécle dernier nous a offert des fermiers - généraux
hommes-de-lettres , et , qui plus est , grands philosophes
, témoin Helvétius. Maintenant, les moeurs des
GERMINAL ANXΧ.... 9
financiers se fondent dans les moeurs générales , tant
il est vrai que les ridicules ne sont saillants qu'autant
que l'intérêt de certaines classes est toujours là pour
signaler les ridicules . Nous avons des hommes que leur
réputation élève au dessus des autres ; mais nous n'avons
plus de classes désignées , distinguées , séparées ;
et conséquemment chaque homme n'a que ses ridicules
; autrefois il avait les siens , puis encore ceux de
son état , ce qui fournissait de nombreuses observations
aux moralistes sérieux et comiques.
Voici comment les auteurs du Vaudeville ont présente
Lesage.
Cet auteur a lu Turcaret chez le maréchal de
Villars ; parmi les auditeurs il a remarqué un homme
épais , tout doré sur tranches , qui , en s'efforçant de
rire comme les autres , ne parvenait qu'à faire la grimace.
C'était un sous- fermier nommé d'Armainville.
Comme on doit représenter la pièce le lendemain
, Lesage envoie de suite à Poisson , acteur chargé
du rôle de Turcaret , une note sur le sous - fermier ,
afin qu'il en prenne l'habit et les manières .
,
Lesage est le bienfaicteur d'une soeur de ce d'Armainville
, qui , au sein de l'opulence , refuse de la voir et
de lui rendre une légère somme de dix mille francs
qu'il lui doit de la succession de leur père. Quand le
sous -fermier , au nom de sa compagnie , vient proposer
à l'auteur de Turcaret de lui compter deux
mille louis pour qu'il retire sa pièce. Lesage refuse ;
mais quand d'Armainville ajoute qu'il donnera , de
plus , douze mille francs de sa poche , Lesage ac
cepte . D'Armainville sort pour aller chercher la double
somme. Pendant son absence arrive l'acteur Poisson
, dans le costume qui lui a été indiqué , costume
qui ressemble en tout à celui de d'Armainville. Celuici
revient , et se trouve tête-à- tête avec Poisson ; le
94 MERCURE DE FRANCE ,
financier prend l'acteur pour un confrère ; l'acteur
prend le financier pour un modèle , situation trèscomique.
Lesage rentre , reçoit les sommes convenues
, rompt aussitôt le marché , et rend tout , sauf
les douze mille francs de la poche de d'Armainville ,
que celui-ci consent enfin à abandonner à sa soeur.
Cette soeur , qui est jeune , a un amant , et cet amant
l'épouse pour terminer la pièce.
Aquelques calembourgs près , que tout le monde
applaudit , parce que tout le monde aujourd'hui sent
la finesse d'un calembourg , ce Vaudeville est écrit
avec esprit ; et , ce qui est beaucoup plus rare , avec
grace. Le dialogue est bien coupé , les couplets sont
jolis , et cependant la représentation amuse peu . En
voici la raison. Quatre auteurs comme Barré , Radet ,
Després et Deschamps , lorsqu'ils sont réunis , ne peuvent
manquer de produire beaucoup de couplets charmants
; mais un plan de comédie , et même d'Opéra-
Vaudeville , se fait rarement bien à quatre. On peut
avoir de l'esprit d'une façon qui s'accorde avec l'esprit
d'un autre ; ce n'est qu'à sa propre manière qu'on a
de l'imagination ; et , s'il fallait tout dire, j'assurerais
qu'on en a trop peu quand on consent à s'unir beaucoup
ensemble pour en montrer.
Le Théâtre de l'Opéra - Comique a donné , le 8 , la
première et dernière représentation d'une petite pièce
ayant pour titre : Le Retour inattendu ; il y avait làdessous
l'intention de célébrer la paix , dont le retour
était très-attendu depuis que les victoires de nos armées
ont eu pour but unique de ladonner au monde.
Il est inutile d'essayer une analyse de cet ouvrage ,
dont la plupart des scènes ressemblaient à tout , quoique
le fond ne ressemblât à rien , résultat plus communque
ne l'imaginent ceux qui font des pièces parce
qu'ils en ont vues.
:
?
GERMINAL ANX. 95
On a distingué l'auteur de la musique de l'auteur des
paroles , consolation qu'on accorde volontiers aux
musiciens. Ils ne sont jamais moins critiqués que quand
on ne les entend qu'une fois.
Les auteurs dramatiques qui veulent célébrer la paix
se trompent presque toujours en cela , qu'ils croient
pouvoir renferner dans un petit cadre , ou présenter
sous une froide allégorie les grands intérêts du monde.
Pour chanter la paix au théâtre , il faut montrer de
la gaieté , de la grosse joie même ; le couplet un peu
libre n'est jamais mieux placé qu'en pareille circonstance
; on le retient , on le répète sans scrupule , parce
qu'il est dans la nature humaine de forcer l'expression
⚫ de la gaieté toutes les fois qu'elle peut se communiquer.
Et dans quelle occasion serait-elle plus communicative
qu'au moment de la paix générale !
Nous écrivions ces réflexions le 12 matin ; et le soir
on donnait au Théâtre du Vaudeville , sous le titre
du Congé , une pièce pour la paix , qui a tous les défauts
que nous voudrions qu'on évitât. Le débat entre un
anglais , trop bonhomme ( Monsieur Goodman ) et
un français , roule sur une somme de mille écus. Il
ya loin de-là aux grands intérêts qui ont suspendu
l'Europe entre la France et l'Angleterre. La pièce que
nous n'analyserons pas , malgré quelques jolis couplets ,
n'a eu qu'un succès nuance de murmures.
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sont à plus grandes marges.
GERMINAL AN X.
97
POLITIQUE.
1
Traité définitif de paix entre la République française , sa
majesté le roi d'Espagne et des Indes , et la République
batave , d'une part ; et sa majesté le roi du Royaume-
Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande , d'autre part.
Le premier consul de la République française, au nom du
peuple français , et sa majesté le roi du Royaume - Uni
de laGrande-Bretagne et d'Irlande , également animés du
desir de faire cesser les calamités de la guerre , ont posé
les fondements de la paix , par les articles préliminaires signés
à Londres le 9 vendémiaire an 10 ( 1.er octobre 1801.)
Et comme par l'article XV desdits préliminaires , il a été
convenu : « Qu'il serait nommé de part et d'autre des plé
<<nipotentiaires qui se rendraient à Amiens pour y procé-
* der à la rédaction du traité définitif , de concert avec les
<< alliés des puissances contractantes. >>>
Lepremier consul de la République française , au nom du
peuple français , a nominé le C. Joseph Bonaparte conseiller
d'état.
Et sa majesté , le roi du Royaume -Uni de la Grande-Bretagne
et d'Irlande , le marquis de Cornwallis , chevalier de
l'ordre très- illustre de la Jarretière , conseiller-privé de sa
majesté , général de ses armées , etc.
Sa majesté le roi d'Espagne et des Indes , et le gouvernement
de la République batave , ont nommé pour leurs plénipotentiaires
, savoir ; sa majesté catholique , don Joseph-
Nicolas d'Azara , son conseiller d'éttaatt ,, chevaliergrand-croix
de l'ordre de Charles II , ambassadeur extraordinaire de sa
majesté près la République française , etc.
Et le gouvernement de la République batave , Roger-
Jean-Schimmelpenninck , son ambassadeur extraordinaire
près la République française.
Lesquels , après s'être dúment communiqué leurs pleins
pouvoirs , qui sont transcrits à la suite du présent traité ,
sont convenus des articles suivants :
Art. I.cr Il y aura paix , amitié et boune intelligence entre
la République française , sa majesté le roi d'Espague , ses
héritiers et successeurs , et la République batave , d'une
part , et sa inajesté le roi du Royaume-Uni de la Grande-
Bretagne et d'Irlande , ses héritiers et successeurs , d'autre
part.
Y
8. 5
98 MERCURE DE FRANCE ,
Les parties contractantes apporteront la plus grande attention
à maintenir une parfaite harmonie entre elles ,et
leurs Etats , saus permettre que , de part ni d'autré , ou commette
aucune sorte d'hostilité par terre , ou par mer , pour
quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être.
Elles éviteront soigneusement tout ce qui pourrait altérer
à l'avenir l'union heureusement rétablie et ne donueront
aucun secoursni protection , soit directement , soit indirectement
, à ceux qui voudraient porter préjudice à
aucunes d'elles .
II. Tous les prisonniers faits de part et d'autre , tant par
terre que par iner , et les ôtages enlevés on donnés pendant
laguerre et jusqu'à ce jour , seront restitués sans rancon
dans six semaines au plus tard , à compter du jour de l'échange
des ratifications du présent traité , et en payant les'
dettes qu'ils auraient contractées pendant leur captivité.
Chaque partie contractante soldera respectivement les
avances qui auraient été faites par aucunes des parties coutractantes
pour la subsistance et l'entretien des prisonniers
dans le pays où ils ont été détenus. Il sera nominé de concert
, pour cet effet , une commission spécialement chargée
de constater. et de régler la compensation qui pourra'
être due à l'une ou à l'autre des puissances contractantes.
On fixera également de concert l'époque et le lieu où se rassembleront
les commissaires qui seront chargés de l'exécution
de cet article , et qui porteront en compte non-seulement
les dépenses faites par les prisonniers des nations respectives
, mais aussi pour les troupes étrangères qui , avant
d'être prises , étaient à la solde et à la disposition de l'une
des parties contractantes .
III. S. M. britannique restitue à la République française
età ses alliés , savoir : sa imajesté catholique et la République
batave , toutes les possessions et colonies qui leur appar-¹
tenaient respectivement , et qui ont été occupées ou conquises
par les forces britanniques dans le cours de la guerre '
actuelle , à l'exception de l'île de la Trinité et des possessions
hollandaises dans l'île de Ceylan.
IV. S. M. catholique cède et garantit en toute propriété
et souveraineté, à S. M. britannique , l'île de la Trinité.
V. La République batave cède et garantit en toute propriété
et souveraineté , à S. M. britannique , toutes les possessions
et établissements dans l'île de Ceylan qui appartenaient
avant la guerreà laRépublique des Provinces-Unies,
ou à sa Compagnie des Indes orientales .
VI. Le port du Cap -de- Bonne-Espérance reste à la République
batave en toute souverainété , comme cela avait
lieu avant la guerre.
Les bâtiments de toute espèce appartenants aux autres
parties contractantes , auront la faculté d'y relâcher et d'y
1.
GERMINAL ΑΝ Χ. 99
.
acheter les approvisionnements nécessaires comme auparavant
, saus payer d'autres droits que ceux auxquels la République
batave assujettit les bâtiments de sa nation.
VII. Les territoires et possessions de S. M. très- fidelle sont
maintenus dans leur intégrité , tels qu'ils étaient avant la
guerre : cependant les limites des Guianes française et portugaise
sont fixées à la rivière d'Arawari qui se jette dans
l'océan au dessus du Cap-Nord , près de l'île Neuve et de l'île
de la Pénitence , environ à un degré un tiers de latitude septentrionale
. Ces limites suivront la rivière d'Arawari , depuis
son embouchure la plus éloignée du Cap-Nord jusqu'à
sasource , ot ensuite une ligne droite , tirée de cette source,
jusqu'au Rio-Bianco , vers l'ouest.
En conséquence , la rive septentrionale de la rivière d'Arawari
, depuis sa dernière embouchure jusqu'à sa source ,
et les terres qui se trouvent au nord de la ligne des limites
fixées ci-dessus , appartiendrout en toute souveraineté à la
République française.
La rive méridionale de ladite rivière , à partirde la même
embouchure , et toutes les terres au sud de ladite ligne des
limites , appartiendront à S. M. très-fidelle .
La navigation de la rivière d'Arawari , dans tout son
cours , sera commune aux deux nations.
Les arrangements qui ont eu lieu entre les cours de Madrid
et de Lisbonne , pour la rectification de leurs frontières
en Europe , seront toutefois exécutés suivant les stipulations
du traité de Badajoz .
VIII . Les territoires , possessions et droits de la Sublime
Porte , sont maintenus dans leur intégrité , tels qu'ils étaient
avant la guerre.
IX. La République des Sept- Iles est reconnue.
X. Les îles de Malte , de Gozo et Comino seront renduesà
l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem , pour être par lui
tenues aux mêmes conditions auxquelles it les possédait avant
la guerre , et sous les stipulations suivantes .
1.º Les chevaliers de l'Ordre , dont les langues continueront
à subsister, après l'échange des ratifications du présent
traité , sont invités à retourner à Malte aussitôt que l'é
change aura eu lieu : ils y formeront un chapitre général ,
et procéderout à l'élection d'un grand-maître choisi parmi
les natifs des nations qui conservent des langues , à moins
qu'elle n'ait été déja faite depuis l'échange des ratifications
des préliminaires .
sera
11 est entendu qu'une élection faite depuis cette époque ,
seule considere comme valable , à l'exclusion de toute
autre qui aurait eu lieu dans aucun temps antérieure à
ladite époque.
2.º Les gouvernements de la République française et de
la Grande-Bretagne , desirant mettre l'Ordre et l'île de Malto
dans un état d'indépendance entière à leur égard , con100
MERCURE DE FRANCE ,
viennent qu'il n'y aura désormais ni langue française , ni
anglaise , et que nul individu appartenant à l'une ou à l'autre
de ces puissances , ne pourra être admis dans l'Ordre.
3.º Il sera établi une langue maltaise qui sera entretenue
par les revenus territoriaux et les droits commerciaux de
l'île. Cette langue aura des dignités qui lui seront propres,
des traitements et une auberge. Les preuves de noblesse
ne seront pas nécessaires pour l'admission des chevaliers
de ladite langue ; ils seront d'ailleurs admissibles à toutes
les charges , et jouiront de tous les priviléges , comme les
chevaliers des autres langues. Les emplois municipaux , administratifs
, civils , judiciaires et autres , dépendants du
gouvernement de l'île , seront occupés au moins pour moitié,
par des habitants des îles de Malte , Gozo et Comino.
4.º Les forces de S. M. britannique évacueront l'île et ses
dépendances dans les trois mois qui suivront l'échange des
ratifications , ou plus tôt si faire se peut. A cette époque , elle
sera remise à l'Ordre dans l'état où elle se trouve , pourvu
que le grand-maître , ou des commissaires pleinement autorisés
, suivant les statuts de l'Ordre , soient dans ladite île
pour en prendre possession , et que la force qui doit être
fournie par S. M. sicilienne , comme il est ci-après stipulé ,
y soit arrivée.
5.º La moitié de la gaarrnniissoonn ,, pour le moins, sera toujours
composée de Maltais natifs : pour le restant , l'Ordre
aura la faculté de recruter parmi les natifs des pays seuls
qui continuent de posséder les langues. Les troupes maltaises
auront des officiers maltais. Le commandeinent en
chef de la garnison , ainsi que la nomination des officiers ,
appartiendront au grand- maître , et il ne pourra s'en démettre
, même temporairement , qu'en faveur d'un chevalier
, d'après l'avis du conseil de l'Ordre.
6.º L'indépendance des îles de Malte , de Gozo et Comino ,
ainsi que le présent arrangement , sont mis sous la protection
e garantie de la France , de la Grande Bretagne , de
l'Autriche , de l'espagne , de la Russie et de la Prusse.
7.º La neutralité de l'Ordre et de l'île de Malte , avec ses
dependances , est proclamee.
8.º Les ports de Malte seront ouverts au commerce et à
la navigation de toutes les nations qui y payeront des droits
égaux et modérés ; ces droits seront appliqués à l'entreticu
de la langue maltaise , comme il est spécidé dans le paragraphe
III , à celui des établissements civils et anilitaires
de l'île , ainsi qu'à celui d'un lazaret général, ouvert à tous
les pavillons.
9.º Les états barbaresques sont exceptés des dispositions
des deux paragraphes précédents , jusqu'à ce que , par le
moyen d'un arrangement que procureront les parties contractantes
, le système d'hostilités qui subsiste entre lesdits
états barbaresques , l'ordre de Saint-Jean , et les puissances
GERMINALAN X. JOI
possédant des langues ou concourant à leur composition ,
ait cessé.
10.º L'ordre sera régi , quant au spirituel et au temporel ,
par les mêmes statuts qui étaient en vigueur lorsque les
chevaliers sont sortis de l'île , autant qu'il n'y est pas dérogé
par le présent traité.
11.º Les dispositions contenues dans les paragraphes III ,
V , VII , VIII et X , seront converties en lois et statuts
perpétuels de l'Ordre , dans la forme usitée ; et le grandmaître
, ou , s'il n'était pas dans l'île au moment où elle
sera remise à l'Ordre , son représentant , ainsi que ses successeurs
, seront tenus de faire serment de les observer
ponctuellement.
12.º S. M. sicilienne sera invitée à fournir 2000 hommes
natifs de ses états , pour servir de garnison dans les différentes
forteresses desdites îles. Cette force y restera un an ,
à dater de leur restitution aux chevaliers ; et si , à l'expiration
de ce terme , l'ordre n'avait pas encore levé la force
suffisante , au jugement des puissances garantes , pour servir
de garnison dans l'île et ses dépendances , telle qu'elle est
spécifiée dans le paragraphe V, les troupes napolitaines y
resteront jusqu'à ce qu'elles soient remplacées par une autre
force jugée suffisante par lesdites puissances.
13.º Les différentes puissances désignées dans le paragraphe
VI , savoir : la France , la Grande-Bretagne , l'Autriche
, l'Espagne , la Russie et la Prusse , seront invitées à
accéder aux présentes stipulations.
XI. Les troupes françaises évacueront le royaume de Naples
et l'éttaatt romain; les forces anglaises évacueront pareillement
Porto-Ferrajo , et généralement tous les ports et îles
qu'elles occuperaient dans la Méditerranée ou dans l'Adriatique.
XII. Les évacuations , cessions et restitutions stipulées
par le présent traité , seront exécutées pour l'Europe , dans
le mois ; pour le continent et les mers d'Amérique et
\d'Afrique , dans les trois mois ; pour le continent et les
mers d'Asie , dans les six mois qui suivront la ratification
du présent traité définitif , excepté dans le cas où il y est
spécialement dérogé.
XIII. Dans tous les cas de restitution convenus par le présent
traité , les fortifications seront rendues dans l'état où
elles se trouvaient au moment de la signature des préliminaires
, et tous les ouvrages qui auront été construits depuis
l'occupation , resteront intacts.
Il est convenu en outre que , dans tous les cas de cession
stipulés , il sera alloué aux habitants , de quelque condition
ou nation qu'ils soient , un terme de trois ans , à
compter de la notification du présent traité , pour disposer
de leurs propriétés acquises et possédées , soit avant , soit
pendant la guerre actuelle , dans lequel terme de trois ans,
102 MERCURE DE FRANCE ,
1
ils pourront exercer librement leur religion et jouir de leurs
propriétés. La même faculté est accordée dans les pays restitués
à tous ceux , soit habitants ou autres , qui y auront
fait des établissciments quelconques , pendant le temps où
ces pays étaient possédés par la Grande-Bretagne .
Quant aux habitants des pays restitués ou cédés , il est
convenu qu'aucun d'eux ne pourra être poursuivi , in
'quiété ou troublé dans sa personne ou dans sa propriété ,
sous aucun prétexte , à cause de sa conduite ou opinion
politique , ou de son attachement à aucune des parties contractantes
, ou pour toute autre raison , si ce n'est pour
des dettes contractées envers des individus , ou pour des
actes postérieurs au présent traite.
XIV. Tous les sequestres mis de part et d'autres sur les
fonds , revenus et créances , de quelque espèce qu'ils soient ,
appartenants à une des puissances contractantes ou à ses.
citoyens ou sujets , seront levés immédiatement après la
signature de ce traité définitif.
La décision de toutes réclamations entre les individus
des nations respectives , pour dettes , propriétés , effets ou
droits quelconques , qui , conformément aux usages reçus
et au droit des gens , doivent être reproduites à l'époque
de la paix , sera renvoyée devant les tribunaux compétents ,
ét , dans ces cas , il sera rendu me prompte et entière
justice dans les pays où les réclamations seront faites res
pectivement.
XV. Les pêcheries sur les côtes de Terre-Neuve et des
îles adjacentes , et dans le golfe de Saint-Laurent , sont re-
⚫mises sur le même pied où elles étaient avant la guerre .
Les pécheurs français de Terre - Neuve , et les habitants
des îles Saint-Pierre et Mequilon , pourront couper les bois
qui leur seront nécessaires dans les baies de Fortune et du
Désespoir pendant la première année , à compter de la
notification du présent traité .
XVI. Pour prévenir tous les sujets de plaintes et de contestations
qui pourraient naître à l'occasion des prises qui
auraient été faites en mer , après la signature des articles
préliminaires , il est réciproquement convenu que les vaisseaux
qui pourraient été pris dans Manche
et dans les mers du nord après l'espace de douze jours , à
compter de l'échange des ratifications des articles prélimi
naires , seront de part et d'autres restitués ; que le terme
sera d'un mois , depuis la Manche et les mers du nord jusqu'aux
îles Canaries inclusivement , soit dans l'océan , soit
dans la Méditerranée ; de deux mois depuis les îles Canaries
jusqu'à l'équateur , et enfin de cinq mois dans toutes les
autres parties du monde , sans aucune exception ni autre
distinction plus particulière de temps et de lieu.
XVII . Les ambassadeurs , ministreset autres agents des
puissances contractantes , jouiront respectivement , dans
GERMINAL AN X. 103
les états desdites puissances , des mêmes rangs , priviléges ,
prérogatives et iminunités dont jouissaient , avant la guerre,
les agents de la même classe .
XVIII. La branche de la maison de Nassau , qui était établie
dans la ci - devant république des Provinces - Unies
actuellement la république batave, y ayant fait des pertes ,
tant en propriétés particulières que par le changement de
constitution adoptée dans ce pays , il lui seta procuré une
compensation équivalente pour lesdites pertes.
XIX. Le présent traité définitif de paix est déclaré commau
à la sublime Porte-Ottomane , alliée de S. M. britannique
, et la sublime Porte sera invitée à transmettre son
acte d'accession , dans le plus court délai possible.
,
XX. Il est convenu que les parties contractantes , sur les
réquisitions faites par elles respectivement , on par leurs
ministres et officiers dûment autorisés à cet effet , seront
tenus de livrer en justice les personnes accusées des crimes
de meurtre , de falsification ou banqueroute frauduleuse ,
commis dans la juridiction de la partie requérante , pourvu
que cela ne soit fait que lorsque l'évidence du crime sera
-si bien constatée que les lois du lieu où l'on découvrira
la personne ainsi accusée , auraient autorisé sa détention
et sa traduction devant la justice , an cas que le crine y
eût été commis. Les frais de la prise de corps et de la traduction
en justice , seront à la charge de ceux qui feront
la réquisition : bien entendu que cet article ne regarde en
aucune manière les crimes de meurtre , de falsification ou
de banqueroute frauduleuse , commis antérieurement à la
conclusion de ce traité définitif.
XXI: Les parties contractantes promettent d'observer
sincèrement et de bonne-foi tous les articles contenus au
présent traité , et elles ne souffriront pas qu'il y soit fait
de contravention directe ou indirecte , par leurs citoyens
ou sujets respectifs , et les susdites parties contractantes se
garantissent généralement et réciproquement toutes les stipulations
du présent traité.
XXII. Le présent traité sera ratifié par les parties contractantes
dans l'espace de trente jours , ou plus tôt si faire
se peut , et les ratifications en due forme seront échangées
à Paris.
En foi de quoi , nous soussignés plénipotentiaires , avons
sigué de notre main , et en vertu de nos pleins - pouvoirs
respectifs , le présent traité définitif , et y avons fait apposer
nos cachets respectifs .
Fait à Amiens , le 4 germinal an 10 (25 mars 18021 .
Signé , BONAPARTE , CORNWALLIS , AZARA et SCHIMMELPENNINCK
.
Pour copie , J. BONAPARTE .
104 MERCURE DE FRANCE ,
Paris , 6 germinal.
Le traité définitif de paix conclu avec l'Angleterre ,
•a été apporté , le 5 germinal à deux heures après midi ,
par le C. Dupuis , secrétaire de la légation au congrès
d'Amiens . A trois heures et à six heures de nombreuses
décharges d'artillerie ont annoncé cette nouvelle , qui
le soir aété proclamée dans les places et carrefours ,avec
les formes accoutumées. Il y a eu illumination au palais
des Tuileries ; les citoyens s'y sont portés en foule , et les
cris deVive le premier Consul, se sontpartout fait entendre.
Le même soir l'Institut national en corps a été complimenter
le premier Consul ; le lendemain , le Sénat ,
le Tribunat , le Corps législatif , le Préfet et les Maires
de Paris ont été lui rendre le même hommage. A trois
heures , il a reçu la visite des Ambassadeurs ét Ministres
étrangers.
Il étoit revêtu de l'uniforme de conseiller d'état ,
peut-être , dit le Journal de Paris , pour marquer que
ce jour le rendait tout entier aux travaux du Gouvernement
, qu'on ne lui reprochera pourtant pas d'avoir
négligés ; sans doute aussi pour ajouter à la considération
de cet habit , qui est celui du négociateur habile
et modeste à qui la France doit le Traité d'Amiens
, le Concordat , les Traités de Lunéville et de
Morſontaine ; et le présenter à la reconnaissance publique
de la manière qui accorde mieux la justice du
premier magistrat avec la délicatesse d'un frère .
Le C. Dupuis , ancien intendant de l'Ile de France
et secrétaire au congrès d'Amiens , a été nommé conseiller
d'état.
La paix qui a excité l'alégresse et la reconnaissance
de la capitale , produira encore une sensation plus vive
dans les villes maritimes et manufacturières et dans les
campagnes . Si le cours des effets publics ne s'est pas
amélioré depuis sa publication , c'est que les capitaux
qui , durant la guerre , se resserroient dans Paris , refluent
en ce moment vers les ports.
Déja des vaisseaux sont partis pour les Antilles; d'autres
sont en armement pour l'Inde ; St. Malo , Grandville
expédient pour Terre-Neuve , tout ce qu'ils avaient
de bâtiments pécheurs ; Dunkerque en a 40 en armement
, dont plus de 30 ont été construits cette année.
GERMINAL AN X. 105.
Telle était la confiance dans le Gouvernement français,
ainsi que dans les intentions manifestées du ministère
anglais , que la longueur des négociations , les bruits
alarmants que l'on s'est plu à répandre , n'ont interrompu
ni lleess préparatifs qui se faisaient sur tous les
chantiers et dans les ports , ni les achats de marchandises
qui se faisaient dans les manufactures pour diverses
destinations . C'est à ces causes qu'on doit le changement
de direction de numéraire disponible , et ce qui
justifie cette observation , c'est que les obligations des
receveurs - généraux des départements maritimes , ou
des départements qui fournissent des denrées et marchandises
propres aux exportations pour les colonies ,
ont été extrêmement recherchées ; que même à long
terme , elles ont été prises à un taux fort au dessus du
cours ordinaire , et pareil à celui du papier de banque
le plus accrédité.
-Le premier consul travaille, depuis la signature de
la paix , avec une ardeur toujours infatigable. Plus de
vingt rapports ont été demandés par lui sur des objets
de navigation , de commerce , d'agriculture : mais celui
auquel il paraît attacher le plus d'intérêt , est la réforme
du mode vicieux de répartition des contributions,
qui a déja été discutée dans plusieurs autres séances
consécutives du conseil d'état. Le premier consul s'est
fait rendre un compte plus détaillé qu'il n'avait encore
pu l'entendre , des bases d'où l'on était parti en 1791
pour la répartition de département à département ;
il en a reconnu l'imperfection. Il a examiné tous les
moyens proposés et employés depuis dix années pour
rectifier les erreurs inséparables de la première répartition
; et a vu avec douleur les difficultés qui s'opposaient
à la refonte des matrices de rôle pour l'an II .
Mais il a chargé une section du conseil de présenter
des vues pour l'opérer avec succès l'année suivante.
L'impôt une fois bien réparti , on ne pourra rien faire
de plus utile à la nation , que de le fixer pour einquante
années au moins.
AMIENS , 7germinal. Hier , notre ville fut le théâtre
du grand événement que l'Europe attendait avec impatience.
La signature de la paix eut lieu en présence
106 MERCURE DE FRANCE ,
d'un grand nombre de citoyens et aux acclamations de
tous . La cérémonie qui accompagna ce grand acte fut
simple et noble A onze heures du matin , des détachements
de cavalerie et d'infanterie se rendirent devant
les maisons qu'habitaient les ministres plénipotentiaires .
Les troupes étaient sous les armes sur la place de la
maison commune. Une foule nombreuse en remplissait
les avenues . A une heure , les plénipotentiaires s'y rendirent,
un piquet de cavalerie escortait leurs voitures. La
musique militaire annonçait leur arrivée , et les applaudissements
de la multitude se mêlaient à ses accords .
Les plénipotentiaires furent reçus par le maire et ses
adjoints. Le préfet du département , le conseil de préfecture
, l'état-major et les principaux citoyens de la
ville vinrent les feliciter. Ils étaient réunis dans une
salle que décoraient de beaux tableaux de l'école française
, tirés du Muséum de Versailles et destinés par
le ministre de l'intérieur à l'embellissement de la salle
du congrès. Les plénipotentiaires s'étant rassemblés ,
leur conférence , à laquelle assistèrent toutes les personnes
attachées aux diverseslégations , dura deux heures
Let demie. On en attendait l'issue avec une impatience
sans égale , et le nombre des citoyens qui remplissait
la maison commune et les alentours , croissait de minute
en minute. Enfin , le ministre de France fit avertir
lemaire que la paix allait être signée . Aussitôt les portes
s'ouvrirent , et la foule inonda la salle avec empressement,
mais avec le plus grand ordre et dans le plus
grand silence. Ce fut dans ce moment solennel que les
plénipotentiaires , après avoir signé le traité , s'embrassèrent
et se donnèrent les signes les plus touchants de
la satisfaction la mieux sentie. La plupart des spectateurs
étaient émus jusqu'aux larmes , ils étaient trop heureux
pour que leur joie pût éclater d'une manière bruyante ;
ils se serraient les mains , se regardaient , se félicitaient
sans se rien dire; tous étaient heureuxdu bonheur de tous.
On est ressorti dans le même ordre. Aux témoignages
de joie qui ont accueilli tous les plénipotentiaires à
leur sortie , se sont joints , à l'aspect du ministre français
, des cris de Vive Bonaparte ! Ainsi l'on exprimait
par un seul cri , une double reconnaissance. Il serait
difficile d'exprimer la joie sincère et profonde que l'on
GERMINAL Α.Ν.Χ. 107
voyait de toutes parts. J'ai entendu , dans la campagne
, deux bons vieillards qui , en s'embrassant , se
félicitaient de voir la paix sourire enfinàleurs cheveux
blancs : nous voyons donc encore la paix avant que
de mourir , se disaient - ils l'un à l'autre. Le soir , la
ville fut illuminée et le spectacle au profit des pauvres.
Cette journée a laissé une profonde impression dans
tous ceux qui en ont été les témoins ; elle met le sceau
aux destinées de l'Europe et au bonheur de la France.
BORDEAUX , 30 ventose. Le commissaire principal
de la marine en cette ville , a reçu du ministre de la
marine une lettre datée de Paris , 24 ventose , qui
porte en substance ce qui suit : Il est inutile , citoyen
d'expédier de l'artillerie pour Saint-Domingue :
150 bouches à feu que les nègres avaient déposées sur
un seul point , et qui sont au pouvoir du général Leclére
, rendent tout envoi de cette nature superflu....
Annoncez au commerce de Bordeaux , que le général
en chef de l'armée de Saint- Domingue accordera protection
et faveur aux maisons de commerce puissantes
qui voudront s'établir au Cap. Annoncez-lui qu'il peut ,
en toute sureté , diriger ses opérations sur cette colovie
, que toute réquisition y est interdite , que -tous
les marchés du gouvernement y seront traités de gré
à gré , et que le premier consul m'a ordonné d'acquitter
avec la plus sévère exactitude , toutes les lettres- dechange
, tirées par qui de droit , pour le service de
P'armée. Signé , DECRES .
3.
»
Lettres, Sciences et Arts
:
L'astronome Lalande a offert , àl'Institut, une somme
de 10,000 francs , pour fonder un prix abnuel qui sera
décerné à l'auteur de la découverte, del'observation ,
ou de l'ouvrage le plus remarquable oude plus utile
qui auront été faits en astronomie pendant le cours de
l'année . L'Institut a vivement applaudi à cet acte de
générosité d'un de ses membres,
On vient de déterrer , dans les environs d'Ostie , une
superbe statue d'Achille , de neuf palmes et demie
romaines d'élévation , et parfaitement bien conservée.
108 MERCURE DE FRANCE ,
1
Le héros tient une lance de métal dans la main droite,
le parazonium ( épée ) à la gauche , le casque qui couvre
sa tête a un grand panache semblable à celui de
la célèbre statue de la Villa Borghese , qui n'est pas d'un
travail si exquis. Cet ouvrage , d'un des meilleurs ciseaux
que laGrèce ait produits , ne porte pas le nom
de son auteur ; l'inscription Votiva Marti , qui a été
gravée sur une de ses jambes , prouve qu'elle avait été
consacrée au Dieu de la guerre.
Nos théâtres ne sont pas les seuls endroits qui aient
retenti des chants inspirés par la paix. On la célèbre
dans tous les lieux , dans toutes les langues. Parmi la
foule de vers qu'elle a déja fait paraître , nous avons
distingué les suivants :
Quatrain , par le C. Malingre , de la bibliothéque
nationale .
PRIMO CONSULI .
In pacem universalem ab illo coagmentatam.
Surgat Virgilius ! nascatur Horatius alter !
En novus Augustus pacifer orbis adest.
Gallia te mundusque patrem , Bonaparte , salutant.
Dî tot dent annos quot facis incolumes.
AU PREMIER CONSUL.
Sur la conclusion de la paix générale.
Qu'il s'élève un Virgile ! qu'il naisse un autre
Horace ! Voici un nouvelle Auguste qui donne la paix
à l'univers. O Bonaparte ! la France et l'univers entier
te saluent comme leur père ! Que les Dieux mesurent
le nombre de tes années sur celui des hommes que tu
conserves au monde!
e CHANT DE PAIX, dans le genre gallique.
La tempête s'éloigne ..... un astre radieux
Se lève environné de force et de lumière :
Il affranchit , de nos monts nébuleux ,
La cime longtemps prisonnière .
Salut , astre de paix , flambeau des nations
Poursuis ta carriere éclatante ,
Et sur la Gaule triomphante ,
Verse l'or pur de tes rayons.
GERMINAL AN Χ .
109
LES
VIEILLARDS .
Plus de maux , de sang , ni de larmes ;
La paix brise les boucliers ;
Nos fils , objets de tant d'alarmes ,
Vont enfin revoir leurs foyers .
De leurs mains qu'arma la victoire ,
Ils vont presser nos cheveux blancs ;
Et de leurs compagnons de gloire ,
Nous redire les faits brillants .
LES
GUERRIERS .
Oui , la paix vers vous nous ramène ,
Heureux vieillards , consolez- vous .
Entre la Tamise et la Seine
Il n'est plus d'obstacle jaloux .
Leurs flots alliés , d'âge en âge ,
Se mêleront aux flots amers :
L'océan , superbe héritage ,
N'appartient plus qu'à l'Univers .
LES
JEUNES
FILLES .
Entrez dans la salle des fêtes ,
Hétos , loin de nous exilés.
Déja , pour chanter vos conquêtes
Les Bardes se sont rassembles.
Videz la coupe hospitalière
Autour de cent chênes brûlants ,
Et qu'à cette voûte guerrière
Dorment vos traits étincelants.
LES
BARDES .
Le voici ce jour favorable ,
Ce jour qu'appelaient tous nos voeux ;
Ce jour dont l'éclat mémorable
Luira sur nos derniers neveux .
A l'hymne sanglant de la guerre
Va succéder l'hymne de paix .....
L'orage a passé sur la terre ;
Le ciel sera pur désormais .
CHEUR ÉNÉRAL.
Noble enfant de la Renommée ,
Chef des braves victorieux ,
Par toi la harpe ranimée ,
Retentit en accords joyeux.
Rien ne manque plus à ta gloire ;
Remplis le cours de tes destins.
110 MERCURE DE FRANCE ,
Nos chants porteront ta mémoire
Par-delà les siécles lointains.
(
1
P. M. L. BAHOUR-LORMIAN .
CANZONETTA sopra la Pace conquistata da
NAPOLEONE.
Air : La biondina in Gondoletta.
Della Senna in sulla riva ,
Clori bella si fermò ,
L'onda lieve e fuggitiva
Quasi Dea la saluto.
Un guerriero amante à Clori ,
Presentava i fuoi drappelli bis.
E scoglieva i bei capelli ,
Dall' elmetto che il copri.
1
Tirsi vago à Clori bella ,
Chiedèa l' prezzo del suo amor ;
Arrossendo a tal favella
Rispondea la ninfa oguor.
Cessa , ohimè , ch' io ti prometto ,
Elo giuroai Numi stessi.
Forse forse tanti amplessi ,
Quante paline EGLT mietè .
Egli ? ... chi ? rispose irato
Tirsi a lei che lo feri ;
Chi m' inyola il bene amato ?
Il tuo cuor chi mi rapi ?
-A te solo amor diè Clori ;
Ma dal ciel discese in terra ,
Grande in pace e forte in guerra ,
Un eroe consolator .)
Bonaparte all' alte imprese
Fè gli alunni dell' opor ;
Novo ardire all' arti ei rese ,
Alla scienza il suo splendor.
Conservate ,joh Numi eterni ,
L'uom di cui non v' hà secondo ;
Quel che die la pace al mondo ,
Piu mortale esser non puo.
TRADUCTION.
bis.
bis.
bis .
J. G.
La belle Cloris s'arrêta sur la rive de la Seine. L'onde
rapide et légère la salua comme une déesse . Un amant
guerrier presentait à Cloris les drapeaux qu'il avait
conquis. Il dégageait ses beaux cheveux du casque qui
le couvrait.
Le charmant Tircis demandait à la belle Cloris le
GERMINAL ΑΝ Χ . 111
prix de son amour. En rougissant à cediscours, la nymphe
répondait : Ah ! cesse de me presser; je te promets ,
et j'en jure par les dieux mêmes , peut- être autant de
caresses qu'on lui a vu moissonner de lauriers .
Lui ? .... qui ? répondit à celle qui le blessa , Tircis
courroucé. Qui peut me ravir celleque j'adore ? qui peut
me dérober ton coeur ?- L'amour donna Cloris à toi
seul ; mais du haut des cieux est descendu parmi nous
un héros consolateur , grand dans la paix et terrible
dans la guerre.
Bonaparte forma , pour les entreprises audacieuses' ,
les elèves de la gloire. Il rendit aux arts leur courage ,
et sa splendeur ala science . Conservez , dieux éternels ,
l'homme qui n'a pas son égal ; celui qui donna la paix
au monde ne peut plus être mortel.
Tandis que des Français accusent la langue de Racine
et de Rousseau d'être peu propre à la poésie , un
allemand la venge de cette assertion hasardée , en la
choisissant pour reproduite les beautés d'un des plus
grands poètes de l'antiquité. M. Lombard , conseiller
intime duroi de Prusse , animé sans doute par l'exemple
et par les succès du Grand Frédéric , nous offre une
traduction en vers français du quatrième livre de
l'Eneide * . C'est un essai , dit- il , qu'il veut soumettre
au jugement du public , avant de donner le poeme
entier. Voici son début.
Didon combat encore , et , dévorant ses peines ,
Nourrit le feu sacré qui brúle dans ses veines .
Le récit du Héros , l'éclat de ce grand nom ,
Ses vertus , ses malheurs ont séduit sa raison.
Sombre , l'oeil immobile , aucun soin ne la touche.
Brulant , elle s'agite et fatigue sa couche.
Ma soeur , dit-elle , où suis-je , et quel Dieu me poursuit? ete.
Citons aussi quelques vers de la réponse de Didon à
Enée , quand ce prince lui avoue qu'il se prépare à la
quitter:
Didon garde longtemps un farouche silence ,
Borne encor sa fureur aux regards qu'elle lanсе ,
Et la bouche entr'ouverte et le front interdit ,
* Chez Pougens, quai Voltaire,n.º 10;eett chezLenormand,
imp.-lib. rue des Prêtres St. -Germain . Prix , 1 fr . acc. et 1 fr.
50 cent,, franc de port.
112 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
Semble douter toujours que l'ingrat ait tout dit ,
Enfin , n'espérant plus: Barbare , lui dit-elle ,
Non , tu n'es pas issu d'une race immortelle ;
Non , tu n'es pas ce fils que Vénus a chéri :
Un rocher t'engendra , des tigres t'ont nourri....
Car enin , ai - je assez épargné la pertide ?
Son front a-t-il rougi? Son oeil est-il humide ?.
Semble- t- il , à le voir , sans trouble et sans remord ,
Qu'au sein de son amante il ait porté la mort ? etc.
Nous exhortons M. Lombard à continuer cette
grande entreprise , et on peut d'avance lui promettre une
place distinguée parmi ceux qui se sont essayés dans
le même genre. Son vers est harmonieux , son style a
de la chaleur et de la noblesse ; enfin on s'aperçoit
rarement qu'il a écrit dans une langue étrangère .
Extrait des papiers anglais de Londres , le 29 mars.
(8 germinal) .
Nous avons le bonheur d'annoncer l'arrivée ici du
traité définitif de paix , remis ce matin à 9 heures ,
par M. Moore , l'un des secrétaires du marquis de
Cornwallis .
Le traité a été aussitôt envoyé à S. M. , à Windsor ,
et à 1 heure une gazette extraordinaire de la cour a paru
avec l'annonce suivante :
"
Downing Street , 29 mars 1802 .
M. Moore , secrétaire adjoint du marquis de
Cornwallis , est arrivé ce matin , à 9 heures , avec le
traité définitif de paix , qui a été signé , le 27 de ce
mois , à 4 heures du soir , par les plénipotentiaires de
S. M. et par les plénipotentiaires de France , d'Espagne
et de la République batave. »
Aussitôt que le traité sera rapporté de Windsor , les
canons du parc et de la tour signaleront l'heureux événement
de la conclusion de la paix ; déja les cloches se
font entendre de toutes parts , et les pavillons flottent
au haut des tours .
Il est impossible de décrire le sentiment universel de
joie qui a éclaté dans toutes les classes de la société.
Lorsque le lord - maire eut reçu communication de
l'événement par une lettre du ministre des affaires
étrangères , il se transporta à la Bourse pour en donner
lecture. Jamais la salle n'avait été aussi pleine de monde ,
et nouvelle aussi cordialement etgénéralement applaudie.
Il est probable qu'une autre gazette de la cour publiera
ce soir les termes dutraité. Rien n'a encore transpiré.
(N. ° XLV. ) 25 Germinal. An 10.
MERCURE
1
DE FRANCE.
-1
LITTÉRATURE.

POESIE
FIN du Fragment d'un Poème sur l'Etude .
F
REGARDEZ cet amant trahi dans sa tendresse :
Il voudrait oublier sa parjure maîtresse.
Il ne voit que ses yeux , il n'entend que sa voix .
Il s'enfonce agité dans l'épaisseur d'un bois';
Dans ce bois qu'il parcourt d'une marche incertaine ,
Jadis tout orgueilleux d'une premiere chaîne
Aux échos attentifs il racontait ses voeux.
Là , d'Ismène il reçut les timides aveux ,
Là , son oeil dévorait cette lettre touchante
Où l'amour se voila d'une pudeur mourantegroein
Qui promit le bonheur qu'elle crut refuser.in
Les pleurs ont effacé les marques du baiser...
Là , rêvant le plaisir sous un myrte complice ,

1
Il savourait l'amour ... sans prévoir son supplice.
1
A
Il n'est donc plus d'oubli quand on est malheureux !
Plus loin , souvenir ! plus loin s'offre a ses yeux
Ce bosquet enchanté , religieuse enceinte
Qui de sa jeúne amante encourage la crainte.
8. 8
114 MERCURE DE FRANCE ,
1
Ce bosquet autrefois tout paré de bonheur
N'est plus qu'un noir repaire où rugit le malheur .
Pourlui plus de beaux jours , plus de champs , de verdure,
Plus de soirs , de matins , plus rien dans la nature !
Un livre s'offre-t- il ? son oeil voilé de pleurs
Ne lit plus . Le sommeil suspend- il ses douleurs ?
Dans les rêves brûlants il revoit son amante,
Tendre comme autrefois ... Comme autrefois constante .
Malheureux ! le bonheur est né de ton sommeil ,
Mais le malheur encor surprendra ton réveil .
Quel réveil ! son amante a fui comme le songe ,
Des biens qu'il embrassait il pleure le mensonge ;
La lampe , sa pâleur , sa mourante clarté
N'éclaire qu'un veuvage et son éternité.
e
Par le C. CORIOLIS..
J
:
ENIGME.
E suis un petit meuble et porte un petit nom ;
Deux pieds composent ma structure :

Dans un café , dans un salon ,
Chacun me jette à l'aventure.
Fille qui veut me mettre en jeu
S'épargne à chaque instant mainte et mainte piqûre :
Mais pour les jeunes gensje suis très-dangereux ;
J'enfante en tous pays les maux les plus affreux ,
Les pleurs , le désespoir, la mort et le parjure.
Tantôt je suis de forme ovale ,
Tantôt je me trouve carré.
:
:
Carré , je fais du bruit , je cause du scandale ;
Ovale , on me chérit pour mon utilité.
D'une jeune beauté je fais briller l'adresse ;
19
D'un joueur malheureux j'excite le courroux.
:
GERMINAL AN Χ. 115
Ici , je prouve la sagesse ;
Là , je suis l'idole des fous .
Par un citoyen de Mende ( Lozère ) .
LOGOGRIPHE.
La nuit j'habite sur la terre ,
Et le jour je remonte aux cieux ;
J'éblouis les regards d'un éclat radieux ,
>
Mais je n'ai qu'un matin pour plaire
Cinq lettres font mon nom , supprimez la première ,
Je suis un prophète fameux ;
Je deviendrai la fleur que l'on aime le mieux ,
En me retranchant la dernière ;
Otez-les toutes deux , j'offre un mot précieux
Dont l'amour même fait mystère ,
Et qu'à l'amant qui lui sait plaire ,
L'amante ne dit que des yeux .
CHARADE.
MON premier dans les bois souvent se fait entendre ;
Près de vous , mon second perd bientôt la raison ;
Et mon tout , qu'en ses bras chacun brûle de prendre ,
Recèle les trésors dontl'amour vous fit don.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est araignée.
Celui du Logogriphe est courage , où l'on trouve
cour , age , cou , rage , courge , orge , roue , rouge ,
cage , or , ogre , re , orage.
Celui de la Charade est cour- age.
A
:
:
116 MERCURE DE FRANCE ,
GÉNIE du Christianisme ou Beautés de la
Religion chrétienne , par François-Auguste-
CHATEAUBRIAND. A Paris , chez Migneret ,
imprimeur , rue du Sépulcre , faubourg Saint-
Germain , n.º 28 .
Chose admirable ! la religion chrétienne qui ne semble
avoir d'objet que lafélicité de l'autre vie,fait encore
notre bonheur dans celle- ci .
A
Esprit des Loix. Liv. 2244.cchh.33.
CET ET ouvrage longtemps attendu , et com
mencé dans des jours d'oppression et de douleur
, paraît quand tous les maux se réparent
et quand toutes les persécutions finissent. Il ne
pouvait être publié dans des circonstances plus
favorables . C'était à l'époque où la tyrannie renversait
tous les monuments religieux , c'était
au bruit de tous les blasphèmes , et pour ainsi
dire en présence de l'athéisme triomphant , quel'auteur
se plaisait à retracer les augustes souvenirs
de la religion. Celui qui , dans ce tempslà
, sur les ruines des temples du christianisme ,
en rappelait l'ancienne gloire , eût-il pu deviner
qu'à peine arrivé au terme de son travail ,
il verrait se rouvrir ces mêmes temples sous les
auspices d'un grand - homme ? La prédiction
d'un tel événement eût excité la rage ou le
mépris de ceux qui gouvernaient alors la France ,
et qui se vantaient d'anéantir par leurs lois les
croyances religieuses que la nature et l'habitude
ont si profondément gravées dans les coeurs .
Mais , en dépit de toutes les menaces et de'
toutes les injures , l'opinion préparait ce retour
GERMINAL AN Χ. 117
salutaire , et secondait les pensées du génie qui
veut reconstruire l'édifice social. Quand la morale
effrayée déplorait la perte du culte et des dogmes
antiques , déja leur rétablissement était médité
par la plus haute sagesse. Le nouvel orateur
du christianisme va retrouver tout ce qu'il
regrettait. Du fond de la solitude où son
imagination s'était réfugiée , il entendait naguères
la chute de nos autels. Il peut assister
maintenant à leurs solennités renouvelées . La
religion , dont la majesté s'est accrue par ses
souffrances , revient d'un long exil dans ses
sanctuaires déserts , au milieu de la victoire et
de la paix dont elle affermit l'ouvrage. Toutes
les consolations l'accompagnent , les haines et
les douleurs s'apaisent à sa présence. Les voeux
qu'elle formait depuis douze cents ans pour la
prospérité de cet empire ,seront encore entendus
, et son autorité confirmera les nouvelles
grandeurs de la France , au nom du Dieu qui ,
chez toutes les nations , est le premier auteur
de tout pouvoir , le plus sûr appui de la morale
, et par conséquent le seul gage de la félicité
publique.
Parmi tant de spectacles extraordinaires qui
ont , depuis quelques années , épuisé la surprise
et l'admiration, il n'en est point d'aussi grand que
ce dernier. La tâche du vainqueur était achevée
; on attendait encore l'oeuvre du législateur.
Tous les yeux étaient éblouis , tous les
coeurs n'étaient pas rassurés ; mais , grâce à la
pacification des troubles religieux qui va ramener
la confiance universelle , le législateur
et le vainqueur brillent aujourd'hui du même
éclat,
1
1
118 MERCURE DE FRANCE ,
" Ainsi donc l'historien Raynal avait grand tort
de s'écrier , il y a moins de trente ans , d'un ton
si prophétique : « Il est passé le temps de la
fondation , de la destruction et du renouvellement
des empires ! Il ne se trouvera plus l'homme
devant qui la terre, se taisait ! On combat
aujourd'hui avec la foudre pour la prise de
quelques villes , on combattait autrefois avec
l'épée pour détruire et fonder des royaumes .
L'histoire des peuples modernes est sèche et
petite, sans que les peuples soient plus heureux. »
Avant la fin du siécle , il a pourtant paru cet
homme dont la force sait détruire , et dont la
sagesse sait fonder ! Les grands événements
dont il est le moteur , le centre et l'objet , semblent
si peu conformes aux combinaisons vulgairęs
, qu'on ne devrait point s'étonner que des
imaginations fortement religieuses crussent de
semblables desseins dirigés par des conseils supérieurs
à ceux des hommes .
Plutarque , dans un de ses traités philosophiques
, examine si la fortune ou la vertu firent
Pélévation d'Alexandre ; et voici , à peu près ,
comme il raisonne et décide la question *.
<<< J'aperçois , dit-il , un jeune homme quiexé-
<<cute les plus grandes choses par un instinct
<<< irrésistible , et toutefois avec une raison suivie .
≪ Il a soumis , à l'âge de trente ans , les peu-
<<ples les plus belliqueux de l'Europe et de
l'Asie. Ses lois le font aimer de ceux qu'ont
<< subjugués ses armes. Je conclus qu'un bon-'
Heur aussi constant n'est point l'effet de cette
«
«
<< puissance aveugle et capricieuse qu'on appelle
* Plutarque. OEuvres morales .
GERMINAL ANX. 119
<«<la Fortune. Alexandre dut ses succèsà son
<< génie et à la faveur signalée des Dieux. Ou
<< si vous voulez , ajoute encore Plutarque , que
« la Fortune ait seule accumulé tant de gloire
<<sur la tête d'un homme , alors je dirai , comme
<< le poète Alcman , que la Fortune est fillede
<<<la Providence . »
»
:
On voit par ces paroles , combien étaient religieux
tous ces graves esprits de l'antiquité.
L'action de la providence feur paraissait marquée
dans tous les mouvements des empires ,
et surtout dans l'ame des héros . « Tout ce
<< qui domine et excelle en quelque chose ,
<<disait un autre de leurs sages , est d'origine
<<céleste *. Le rétablissement du culte, national
leur eût paru l'affaire la plus importante
de l'état . Ce même Plutarque déja cité nous
apprend , dans la vie de Solon , que ce grand
législateur appela près de lui le célèbre Epiménide,
qui avait la réputation d'entretenir commerce
avec les Dieux. Les discordes civiles et
la peste avaient ravagé la ville d'Athènes . Epiménide
la purifia par des sacrifices expiatoires ,
et ce ne fut qu'après la célébration des fêtes ordonnées
que le peuple respecta les lois de Solon.
Cette sagesse religieuse qui fut celle des plus
beaux siècles dont s'honore l'esprit humain , n'a
paru de nos jours qu'une méprisable superstition
à des esprits inattentifs ou médiocres. Ils
ne savent pas , sous les formes duculte extérieur ,
pénétrer le fonds des vérités éternelles qui maintiennent
l'ordre de la société. Mais leur politique
étroite et fausse n'est déja plus , et les
* Vie d'Alexandre , par Plutarque.
)
1
120 MERCURE DE FRANCE ,
maximes des temps héroïques renaissent sous
l'influence d'un guerrier et d'un législateur digne
d'eux.
,
On accueillera donc avec un intérêt universel
le jeune écrivain qui ose rétablir l'autorité des
ancêtres et les traditions des âges. Son entreprise
doit plaire à tous , et n'alarmer personne ,
-car il s'occupe encore plus d'attacher l'ame
que de forcer la conviction. Il cherche les tableaux
sublimes plus que les raisonnements victorieux
; il sent et ne dispute pas ; il veut unir
tous les coeurs par le charme des mêmes émotions
, et non séparer les esprits par des controverses
interminables ; en un mot, on dirait que
le premier livre offert en hommage à la religion
renaissante , fut inspiré par cet esprit de
paix qui vient de rapprocher toutes les consciences.
On sent trop que le plan d'un pareil ouvrage
doit différer suivant l'esprit des siècles , le genre
des lecteurs et les facultés de l'écrivain . Le zèle
et le talent peuvent prendre des routes opposées
pour arriver au même but.
Le génie audacieux de Pascal voulait abattre
l'incrédule sous les luttes du raisonnement. Sûr
de lui-même , il osaitse mesurer avec l'orgueil
de la raison humaine; et , quoiqu'il sût bien que
cet orgueil est infini , l'athlète chrétien se sentait
assez fort pour le terrasser. Mais le seul Pascal
pouvait exécuter le plan qu'il avait conçu , et la
mort l'a frappé malheureusement au pied de
l'édifice qu'il commençait avec tant de grandeur.
Racine le fils s'est traîné faiblement sur le des
sin tracé par un si grand maître. Il a mêlé
dans son poème les méditations de Pascal et de
GERMINAL AN Χ. 121
Bossuet. Mais sa muse , si je l'osé dire , a été
comme abattue , en présence de ces deux grandshommes
, et n'a pu porter tout le poids de leurs
pensées . Il ébauche ce qu'ils ont peint ; il n'est
qu'élégant lorsqu'ils sont sublimes ; mais il n'en
est pas moins un versificateur très- habile ; et ,
plus d'une fois on croit entendre dans les
vers du Poème de la Religion , les sons affaiblis
de cette lyre qui nous charme dans Esther et
dans Athalie.
و
1 L'auteur du Génie du Christianisme n'a
point suivi la même route que ses prédécesseurs .
Il n'a point voulu rassembler les preuves théologiques
de la religion , mais le tableau de ses
bienfaits ; il appelle à son secours le sentiment ,
et non l'argumentation. Il veut faire aimer tout
се qui est utile. Tel est son plan , comme nous
avons pu le saisir dans une première lecture faite
à la hate . C'est ainsi qu'il s'explique lui-même.
<< Nous osons croire que cette manière d'en-
<< visager le christianisme , présente des rap-
<< ports peu connus. Sublime par l'antiquité de
<< ses souvenirs , qui remontent au berceau du
<<monde , ineffable dans ses mystères , adorable
<< dans ses sacrements , intéressant dans son
<<< histoire , céleste dans sa morale , riche et
<< charmant dans ses pompes , il réclame toutes
<< les sortes de tableaux. - Voulez- vous le sui-
<< vre dans la poésie ? Le Tasse , Milton , Cor-
<< neille , Racine , Voltaire , vous retracent ses
<< miracles . Dans les belles- lettres , l'éloquence ,
<< l'histoire , la philosophie ? Il vous donne ,
Bossuet , Fénélon , Massillon , Pascal , Malle-
<< branche , Newton , Leibnitz . Dans les arts ?
« que de chef- d'oeuvres ! Si vous l'examinez dans
3
1
۱
1
122 MERCURE DE FRANCE ,
,
<< son culte , que de choses ne vous disent pas
<< ses vieilles églises gothiques , et ses prières
<< admirables, et ses superbes cérémonies ! Parmi
<< son clergé , voyez tous les hommes qui vous
<< ont transmis la langue et les ouvrages de
<<< Rome et de la Grèce tous les solitaires
<< de la Thébaïde , tous les lieux de refuge
<<pour les infortunés , tous les missionnaires
<< à la Chine , au Canada , au Paraguay , sans
<<<oublier les ordres militaires d'où va naître
« la chevalerie. Moeurs de nos aïeux , pein-
<< ture des anciensjours , poésie , romans même ,
<<<< nous avons tout intéressé à notre cause .
<<Nous avons demandé des sourires au ber-
<< ceau , et des pleurs à la tombe ; tantôt avec
<< le moine maronite , nous avons habité les
<<< sommets du Carmel et du Liban ; tantôt
<< avec la fille de la Charité , nous avons veillé
<< au lit du malade ; ici deux époux américains
* nous ont appelés au fond de leurs déserts ;
<< là , nous avons entendu gémir la Vierge ,
<< dans les solitudes du cloître ; Homère s'est
<< venu placer auprès de Milton , et Virgile à
<< côté du Tasse . Les ruines de Memphis et d'A-
<<thènes ont contrasté avec les ruines des mo-
<< numents chrétiens , les tombeaux d'Ossian
<< avec nos cimetières de campagne." A S. De-
<<nis , nous avons visité la cendre des rois ; et
<<quand notre sujet nous a forcé de parler
<< du dogme de l'existence de Dieu , nous
<< avons seulement cherché nos preuves dans
<< les merveilles de la nature . »
..
Les espérances que donne ce début ne sont
point trompeuses. A quelque page qu'on s'arrête
, on est touché par d'aimables rêveries , ou
GERMINAL AN. X. 123
:
frappépar de grandes images. Ilne fautjamaisoublier
que cet ouvrage est moins fait pour les docteurs
que pour les poétes. Ceux qu'avaient prévenus
les plaisanteries de l'incrédulité moderne
s'étonneront de leur erreur , en découvrant les
beautés du système religieux. Elles sont toutes
développées par l'auteur.
Il considère dans son premier volume les mystères
du christianisme. Plus une religion est mys .
térieuse , et plus elle est conforme à la nature
humaine. Notre imagination aime surtout ce
qu'elle devine , et croit découvrir davantage
quand elle ne voit rien qu'à demi. Il montre ensuite
les sacrements institués pour les divers
besoins de l'homme , depuis la naissance jusqu'à
la mort. C'est par eux que le chrétien communique
sans cesse avec le ciel , et qu'il voit tous
les préceptes de la morale sous des images sensibles
. Bravons de froids sarcasmes , et ne craignons
point de citer , en présence d'une philo.
sophie dédaigneuse , ces descriptions si nouvelles
et sitouchantes. Voici , par exemple , comme
l'auteur peint le sacrement de l'extrême-onction.
<< C'est à la vue de ce tombeau , portique si-
<< lencieux d'un autre monde ,que le christianis-
<< me déploye toute sa sublimité. Si la plupart
<< des cultes antiques ont consacré la cendre
<< des morts , ils n'ont point songé à préparer
« l'ame pour ces rivages inconnus dont on ne
< revient jamais. Venez voir le plus beau
<< spectacle que puisse présenter la terre ; ve-
<< nez voir mourir le chrétien. Get homme
<< n'est plus l'homme du monde , il n'appar-
<< tient plus à son pays ; toutes ses relations
« avec la société cessent. Pour lui , le calcul
124 MERCURE DE FRANCE ,
<< par le temps finit , et il ne date plus que de
<<<la grande ère de l'éternité. Un prêtre , assis
* près du lit funèbre , console l'agonisant et
<< lui parle de l'immortalité de l'ame. La scène
<< sublime que l'antiquité entière n'a présen-
<<tée qu'une seule fois , dans le premier de ses
<< philosophes mourant , se renouvelle chaque
<<jour sur l'humble grabat du dernier des chré-
<< tiens qui expire. Enfin le moment suprême
<<< est arrivé , un sacrement ouvrit à ce juste les
« portes du monde , un sacrement va les fermer.
« La religion le reçut en naissant , et veillait sur
<< lui dans le berceau de la vie ; ses beaux chants
<<< et sa main maternelle l'endormiront encore
<< dans le berceau de la mort. Elle prépare le
<<baptême de cette seconde naissance ; mais
<< ce n'est plus l'eau qu'elle choisit, c'est l'huile,
<< embléme de l'incorruptibilité céleste . Le sa-
<< crement libérateur rompt peu-à-peu les atta-
<< ches du fidelle. Son ame , à moitié échappée
<< de son corps, devient presque visible sur son
<< visage. Déjà il entend les concerts des séra-
<< phins ; déjà il est prêt à s'envoler loin du
<< monde vers les régions où l'invite cette es-
« pérance , à la voix immortelle , fille de la
<< vertu et de la mort. Cependant l'ange de
<< la paix descendant vers le juste , touche de
<< son sceptre d'or ses yeux fatigués , et les fer-
<< me délicieusement à la lumière. Il meurt ,
< et l'on n'a point entendu son dernier sou-
<<< pir ; il meurt , et longtemps après qu'il est
« expiré , ses amis font silence autour de sa
<< couche , car ils croyent qu'il sommeille en-
<< core, tant ce chrétien a passé avec douceur ! »
Les peintres avaient souvent représenté ces
GERMINAL AN X. 125
scènes religieuses ; et même les sacrements du
Poussin sont au nombre de ses chef-d'oeuvres .
Les hommes les moins crédules aiment ces
images dans la peinture , elles doivent donc
leur plaire aussi dans une description éloquente.
Continuons le développement de cet ouvrage
, et que les lecteurs songent qu'un tel sujet
a son langage propre et ses expressions consacrées
.
Les mystères sont les spectacles de la foi.
Les sacrements, expliquent par des bienfaits visibles
les propriétés cachées des mystères . En
dernière analyse , tous les dogmes révélés ne
servent qu'à confirmer ceux de l'immortalité de
l'ame et de l'existence de Dieu qui ne seraient
point suffisamment attestés par les merveilles de
la nature. Cependant l'auteur est loin de négliger
les preuves qui se tirent des harmonies
du ciel et de la terre ; on croit même que cette
partie de son ouvrage , est une de celles qui
aura le succès le plus universel. Il a du moins
un avantage réel sur ceux qui décrivent ordinairement
la nature . Au lieu des livres et des
cabinets , il a eu pour école et pour spectacles,
les mers , les montagnes et les forêts du
Nouveau -Monde. De-là vient peut-être la richesse
et la naïveté de quelques-uns de ses
tableaux dessinés devant le modèle.
Mais si le christianisme , à travers la sainte
obscurité de ses mystères, frappe si puissamment
l'imagination , quels effets ne doit-il pas encore
aux pompes de son culte extérieur ! Ici les tableaux
se succèdent en foule , et le choix serait
difficile.
Tantôt l'auteur remonte à l'antiquité des fêtes
126 MERCURE DE FRANCE ,
chrétiennes. Tantôt il peint leur caractère sublime
ou tendre , joyeux ou funèbre , consolant
ou terrible , qui se varie avec toutes les scènes
de l'année et de la vie humaine auxquelles il est
approprié. Il suit les solennités religieuses dans
la ville et dans les champs , dans les cathédrales
fameuses , et dans l'église rustique sur les
tombes de marbre qui remplissent Westminster
ou Saint - Denis et sur le gazon qui couvre
les sépultures du hameau.
,
:
2
+
Les rits du christianisme sont souvent tour .
nés en ridicule , et ceux du paganisme au
contraire inspirent le plus vif enthousiasme.
Cependant les plus belles cérémonies de l'antiquité
se conservent encore dans notre religion
qui les a seulement dirigées vers une fin plus
digne de l'homme. Tel est par exemple le jour
des rogations.
Ce jour rappelle absolument la fête de l'antique
Cérès , qui rassembla , dit-on , les premiers
hommes en société, autour de la première
moisson. Tibulle a décrit en vers charmants,
cette pompe champêtre , comme elle
existait chez les Romains. On trouve aussi la
même description dans le Génie du Christianisme.
Les gens de goût ne seront peut- être
pas fachés de comparer quelques traits des
deux tableaux , et de juger ainsi l'esprit de
deux cultes séparés par dix- huit siécles .
Tibulle invite d'abord Cérès et Bacchus à
ceindre leurs fronts d'épis dorés et de grappes
rougies . Il veut que les champs reposent avec
le laboureur.
Bacche veni , dulcisque tuis e cornibus uva
GERMINAL AN Χ. 127
Pendeat ; et spicis tempora cinge , Ceres .
Luce sacra requiescat humus, requiescatarator , etc.
Et pourquoi commande-t-il ce repos sacré ?
parce que tel est l'usage antique.
;
Ritus ut à Prisco traditus exstat avo .
Remarquez bien que les chantres aimables
de l'amour , comme les plus sages législateurs ,
attestent aussi les pratiques du vieux temps.
:
Au reste , Tibulle est un casuiste très- sévère .
Il veut qu'on vienne avec un coeur chaste
aux fêtes publiques. Il repousse d'un ton indigné
tous ceux qui la veille n'ont pas oublié
Vénus .
Vos quoque abesse procul jubeo , discedite ab aris ,
Queis tulit hesterna gaudia nocte Venus .
Il nous apprend ailleurs que dans ces grandes
solennités , Délie se condamnait à la retraite.
Il la peint consultant tous les jours
les prêtres d'Isis , les devins juifs , les augures
latins ; il parle autant de la piété crédule
que de l'amour de sa maîtresse ; et c'est
pour cela qu'il la chérissait peut-être. Dans tous
les temps et dans tous les pays , le culte de l'amour
est un peu superstitieux ; quand il cesse
de l'être , tous ses enchantements sont finis,
<< Dieu de nos pères , s'écrie le poète , nous
<<purifions nos champs et nos pasteurs . Ecartez
<< tous les maux de nos foyers ! >>>
Dii patrii ! purgamus agros , purgamus agrestes :
Vos mala de nostris pellite limitibus.
Mais , pour mériter la faveur du Dieu des
128 MERCURE DE FRANCE ,
champs, il a soin de reconnaître et de chanter les
bienfaits dont ils ont déja comblé les hommes.
<<<Ces Dieux instruisirent nos ancêtres à cal-
<< mer leur faim par des aliments plus doux
<< que le gland des forêts , à couvrir une cabane
<< de chaume et de feuillage , à soumettre au
<< joug les taureaux , et à suspendre le chariot
<< sur la roue. Alors les fruits sauvages furent
<< dédaignés . On greffa le pommier , et les jardins
s'abreuvèrent d'une eau « fertile , etc. , etc. »
1
His vita magistris
Desuevit querna pellere glande famem.
Illi etiam tauros primi docuisse feruntur
Servitium , et plaustro supposuisse rotam.
Tunc victus abiere feri , tunc insita pomus ,
Tune bibit irriguas fertilis hortus aquas .
J
Cette harmonie est pleine de grace. Les vers
de Tibulle retentissent doucement à l'oreille ,
comme les vents frais et les douces pluies de,
Ja saison qu'il décrit . Mais tant de gravité religieuse
ne dure pas longtemps . Le poète élégiaque
reprend bientôt son caractère . Il place,
le berceau de l'amour dans les champs au mi--
lieu des troupeaux et des cavales indomptées.
De-là , il lui fait blesser l'adolescent et le vieillard
; et , cédant de plus en plus au délire qui,
l'emporte , il peint la jeune fille qui trompe
ses surveillants , et qui , d'une main incertaine
et d'un pied suspendupar la crainte, cherche la
route qui doit la conduire au lit de son amant.
د
Hoc duce custodes furtim transgressa jacentes
Ad juvenem tenebris sola puella venit
: !
GERMINAL AN X. 129
A
Et pedibus prætentat iter suspensa timore
Explorat cæcas cui manus ante vias .
Ce petit tableau est achevé , mais le culte
de la chaste Cérès est déja bien loin. Quand
Tibulle écrivait ces vers , Délie sortait vraisemblablement
de sa retraite pieuse et revenait
auprès de lui . Le poète au moins se hâte de
faire descendre la troupe des songes , et le sommeil
avec ses ailes rembrunies .
Post-que venit tacitus fuscis circumdatus alis
Somnus ei incerto somnia nigra pede.
Nous avons vu les jeux de l'imagination de
Tibulle ; voyons maintenant les graves tableaux
du christianisme et jugeons s'ils n'ont pas
aussi leur charme particulier.
La cloche du hameau s'étant fait entendre , les villageois
quittent à l'instant leurs travaux. Le vigneron
descendde la colline , le laboureur accourt de la plaine ,
le bucheron sort de la forêt. Les mères , fermant leurs cabanes
, arrivent avec leurs enfants , et les jeunes filles
laissent leurs fuseaux , leurs brebis , et les fontaines pour
se rendre à la pompe rustique . On s'assemble dans le
cimetière de la paroisse sur les tombes verdoyantes
des aïeux. Bientôt s'avance du lieu voisin tout le clergé
destiné à la cérémonie ; c'est quelque vieux pasteur
qui n'est connu que par le nom de curé , et ce nom
vénérable dans lequel est venu se perdre le sien , indique
moins le ministre du temple que le père laborieux
du troupeau . Il sort de son presbytère bâti tout
auprès de la demeure des morts , dont il surveille la
cendre. Il est établi dans sa demeure , comme une
garde avancée aux frontières de la vie , pour recevoir
8.
9
130 MERCURE DE FRANCE ,
/
ceux qui entrent , et ceux qui sortent de ce royaume
des douleurs . Un puits , des peupliers , une vigne autour
de sa fenêtre , quelques colombes , composent tout
l'héritage de ce roi des sacrifices .
Cependant l'apôtre de l'évangile , couvert d'un simple
surplis , assemble ses ouailles devant la grande porte
de l'église. .....
...
Après l'exhortation l'assemblée commence à défiler
en chantant : « Vous sortirez avec plaisir , et vous
serez reçu avec joie ; les collines bondiront et vous entendront
avecjoie. ”
L'étendard des saints , l'antique bannière des temps
chevaleresques ouvre la carrière au troupeau qui suit
pêle-mêle avec son pasteur. On entre dans des chemins
ombragés et coupés profondément . par la roue
des chars rustiques ; on franchit de hautes barrières
formées d'un seul tronc d'arbre ; on voyage le long
d'une haie d'aubépine , où bourdonne l'abeille. Tous
les arbres étalent l'espérance de leurs fruits ; la nature
entière est un bouquet de fleurs .....
,
Dans cette fête on invoque les saints et surtout les
anges , parce que ces bienfaisants génies sont apparemment
chargés de présider aux moissons , aux fontaines ,
aux rosées , aux fleurs et aux fruits de la terre. La procession
rentre enfin au hameau , chacun retourne à son
ouvrage. La religion n'a pas voulu que le jour où l'on
demande à Dieu les biens de la terre fût un jour d'oisiveté
. Avec quelle espérance on enfonce le soc dans
le sillon , après avoir imploré celui qui dirige les so-
Jeils , et qui garde dans ses trésors les vents du midi
et les tiédes ondées ! Pour bien achever un jour si saintement
commencé , les vieillards de la paroisse viennent
à l'entrée de la nuit , converser avec le curé , qui prend
son repas du soir sous les peupliers de sa cour. La lune
1
GERMINAL AN X. 131
répand alors les dernières harmonies sur cette fête que
l'église a calculée avec le retour du mois le plus doux ,
et le cours de l'astre le plus mystérieux. On croit entendre
de toutes parts le travail sourd des germes et
des plantes qui se développent dans le sein de la terre.
Des voix inconnues s'élèvent dans le silence des bois
comme le choeur de ces anges champêtres dont on a
imploré les secours ; et les soupirs du rossignol parviennent
jusqu'à l'oreille des vieillards , assis non loin
des tombeaux .
,
L'esprit du christianisme n'a- t- il pas mis dans
cette dernière peinture , outre l'avantage moral
, quelque chose de plus tendre , et de plus
attachant ? Quelle institution dans les villages
romains pouvait ressembler à celle de cé
bon curé , qui veille entre le temple du dieu
vivant et la demeure des morts ? La marche
religieuse dans ces chemins ombragés , et coupés
profondément par la roue des chars rustiques
, n'est- elle pas d'une grande vérité ? n'aime-
t-on pas ces voix inconnues qui s'élèvent
dans le silence des bois , et qui semblent être
celles des génies ministres de la fécondité ? ne
rêve- t-on pas délicieusement à la voix de ce
rossignol qui chante les beaux jours , non loin
des vieillards qui regardent un tombeau ? Je
ne crois pas que ces jugements soient ceux de
l'amitié. J'en appelle à tous ceux , qui ayant
rèçu plus de lumière que moi , voudront ju- .
ger sans aucun esprit de secte et de prévention.
Nous avons abandonné la marche de l'auteur,
pour admirer ses beautés. Il faut la reprendre
et la suivre jusqu'au bout.
132 MERCURE DE FRANCE ,
Si la religion est auguste et touchante dans
ses mystères et dans ses cérémonies , elle l'est
bien plus encore dans les dévouements magnanimes
et dans les vertus extraordinaires
qu'elle inspire. C'est là que le sujet donne de
nouvelles forces à la voix de l'auteur ; il peint
la religion occupée à placer en quelque sorte
sur toutes les routes du malheur, des sentimelles
vigilantes , pour l'épier et le secourir.
Ici la soeur hospitalière , veille aux besoins du
soldat mourant . Ici la soeur grise cherche l'infortune
dans les réduits les plus secrets. Non
loin les soeurs de la miséricorde , reçoivent
dans leurs bras , la fille prostituée , avec des
paroles qui lui laissent le repentir , et lui permettent
l'espérance. La piété fonde les hospices
, dote les colléges , dirige avec gloire tous
les travaux de l'éducation ; protège dans les
monastères , les arts qui fuyent devant les barbares
; conserve et explique les vieux manuscrits
dépositaires de tout le génie des anciens ,
sans lesquels nous serions si peu de chose ;
parcourt l'Europe en versant les bienfaits ; défriche
partout les terres arides ; et , en multipliant
les moissons , multiplie enfin le peuple
des campagnes . Mais voici un plus grand spectacle.
Du fond de leurs cellules , des hommes
intrépides volent à de saintes conquêtes. Ils
courent à travers tous les dangers , jusqu'aux
extrémités de la terre , et se la partagent pour
gagner des ames , c'est-à- dire pour civiliser
des hommes. Les uns s'exposent aux feux des
buchers , parmi les hordes errantes du Canada ;
leurs vertus subjuguent les barbares , et maintiennent
après un siècle , dans ces contrées qui
GERMINAL ΑΝ Χ. 133
ont passé sous le joug de l'Angleterre , le respect
et l'amour du nom français. Ceux-ci
descendent sur les sables où fut Carthage , pour
redemander à un peuple féroce , des captifs
qu'ils n'ont jamais vus , mais qu'ils regardent
comme leurs frères ; ils ont même quelquefois
poussé l'héroïsme , jusqu'à prendre la place
du prisonnier , que leurs dons ne suffisaient
pas à racheter. Ces héros d'une espèce toute
nouvelle , poussent encore plus loin , s'il est possible
, l'enthousiasme de l'humanité . Ils s'enferment
dans des bagnes infects. Ils veillent près
du lit des pestiférés , et s'exposent mille fois
i à mourir pour consoler des mourants. Enfin
les miracles des anciennes législations se
renouvellent , et le génie de Lycurgue et de
Numa , semble être redescendu après trois
mille ans dans les bois du Paraguay.
Je ne puis me refuser encore au plaisir de
citer quelques fragments , sur les missions des
jésuites , dans ce pays qu'ils gouvernèrent avec
tant de gloire.
.....
Arrivés a Buenos-Ayrès , les missionnaires remontèrent
Rio de la Plata , et entrant dans les eaux du
Paraguay , se dispersèrent dans ses bois sauvages. Les
anciennes relations les représentent un breviaire sous
le bras gauche , une grande croix à la main droite , et
sans autre provision que leur confiance en Dieu. Elles
nous les peignent , se faisant jour à travers les forêts ,
marchant dans les terres marécageuses où ils avaient
de l'eau jusqu'à la ceinture , gravissant des roches escarpées
, et furetant dans les antres et dans les précipices
, au risque d'y trouver des serpents et des bêtes
féroces , au lieu des hommes qu'ils y cherchaient.
134 MERCURE DE FRANCE ,
1
Plusieurs d'entre eux y moururent de faim et de
fatigues ; d'autres furent massacrés et dévorés par les
sauvages. Le père Lizardé fut trouvé percé de fleches
sur un rocher ; son corps était à demi- déchiré par les
oiseaux de proie , et son breviaire était ouvert auprès
de lui à l'office des morts. Quand un missionnaire rencontrait
ainsi les restes d'un de ses compagnons , il
s'empressait de leur rendre les honneurs funèbres ; et
plein d'une grande joie , il chantait un Te Deum solitaire
, sur le tombeau du martyr.
De pareilles scènes renouvelées à chaque instant ,
étonnaient les hordes barbares. Quelquefois , elles
s'arrêtaient auprès du prêtre inconnu qui leur parlait
de Dieu , et elles regardaient le ciel que l'apôtre leur
montrait ; quelquefois , elles le fuyaient comme un enchanteur
, et se sentaient saisies d'une frayeur étrange :
le religieux les suivait en leur tendant les mains au
nom de Jésus - Christ. S'il ne pouvait les arrêter , if
plantait sa grande croix dans un lieu découvert , et
s'allait cacher dans les bois . Les sauvages s'approchaient
peu à peu pour examiner l'étendard de la paix , élevé
dans la solitude ; un charme secret semblait les attirer
à ce signe de leur salut. Alors le missionnaire sortant
tout-a-coup de son embuscade , et profitant de la surprise
des barbares , les invitait à quitter une vie misérable
, pour jouir des douceurs de la société.
Quand les jésuites se furent attachés quelques Indiens
, ils eurent recours à un autre moyen pour gaguer
des ames.
" Ils avaient remarqué que les sauvages de ces bords ,
« étaient fort sensibles à la musique. On dit même
« que les eaux du Paraguay rendent la voix plus belle.
ee
«
Les missionnaires s'embarquèrent donc sur des pirogues
avec les nouveaux catéchumènes ; ils remontè-
" rent les fleuves , en chantant de saints cantiques . Les
1
GERMINAL ΑΝ Χ. 135
KEP.FRA
5.
cen
M
« néophytes répétaient les airs , comme des oiseaux
« privés chantent pour attirer dans les rets de l'oiseleur
« les oiseaux sauvages. Les Indiens ne manquèrent pas
de se venir prendre au doux piége. Ils descendaient
de leurs montagnes , et accouraient au bord des
« fleuves pour écouter les accents ; plusieurs mene
« jetaient dans les ondes , et suivaient à la nage la
nacelle enchantée.
20
• La lune , en répandant salumière mystérieuse sur
« ces scènes extraordinaires , achevait d'attendrir les
« coeurs. L'arc et la flèche échappaient à la main du
• sauvage ; l'avant-goût des vertus sociales et des pre-
• mières douceurs de l'humanité entrait dans son ame
« confuse. Il voyait la femme et les enfants pleurer
• d'une joie inconnue ; bientôt subjugué par un attrait
irrésistible , il tombait au pied de la croix , et
* mêlait des torrents de larmes aux eaux régénéra-
« trices , qui coulaient sur sa tête.
« Ainsi la religion chrétienne réalisait dans les
• forêts de l'Amérique , ce que la fable racontait des
" Amphion et des Orphée ; reflexion si naturelle , qu'elle
« s'est présentée même aux missionnaires ; tant il est
certain qu'on ne dit ici que la vérité , en ayant l'air
de raconter une fiction. »
"
Il n'est pas besoin de faire sentir le charme
et la nouveauté de ces peintures ; mais il est
bon d'observer qu'à l'égard du gouvernement
paternel des jésuites , le défenseur du christianisme
ne dit rien que Montesquieu ne confirme ,
et que Raynal , dans ces derniers temps , n'ait
été contraint d'avouer. Je rapporterai les propres
mots de ce dernier.
<<< Lorsqu'en 1768 , les Missions du Para-
< guay sortirent des mains des jésuites . elles
136 MERCURE DE FRANCE,
<< étaient arrivées à un point de civilisation le
<< plus grand peut-être où on puisse conduire
<<les nations nouvelles. On y observait les
« lois. Il y régnait une police exacte . Les
<< moeurs y étaient pures. Une heureuse fra-
<< ternitéy unissait tous les coeurs . Tous les arts
<< de nécessité y étaient perfectionnés : on en
<<<connaissaitplusieurs d'agréables. L'abondance
<<y était universelle , etc. etc. * »
Endéveloppant l'influence des vertus du christianisme
, sur les sociétés qu'il a renouvelées ,
l'auteur s'est aperçu que cette religion a plus
ou moins imprimé son génie dans toutes les
littératures modernes , et qu'elle y a porté de
nouvelles richesses , dont on peut faire encore
un heureux emploi. Cette observation a fait
naître une espèce de poétique chrétienne , qui
peut être considérée comme la seconde partie de
cet ouvrage ; mais il y a tant de points de vue à
saisir et tant de questions délicates à traiter dans
un pareil sujet , qu'on en rendra compte une
autre fois. !
Les nouveaux aiguillons et les nouveaux freins
que le christianisme a donnés au coeur humain ,
en rendent aujourd'hui les combats plus terribles
, et les contrastes plus dramatiques. C'est sous
ce rapport que l'auteur envisage dans les arts ,
et surtout dant la poésie , les effets de toutes
les passions . Lui-même a voulu peindre leur
vague et leur inconstance dans le coeur d'un
jeune homme qu'il appelle René , et qui ne
sait où fixer ses inquiétudes. Ce roman est compris
dans les études poétiques de la dernière
* Histoire philosophique dans les deux Indes . T. IV ,
p. 323. Edition de 1780.
GERMINAL AN Χ. 137
partie. On y retrouve tout le talent qu'on
aime dans Atala. On parlera des études poétiques
et du roman dans un second extrait de
cet ouvrage , qui ouvre avec tant d'éclat et de
si heureux auspices la littérature du 19. siècle.
FONTANES .
SPECTACLES.
1
LE goût ne se forme pas à Paris ; il1 se déplace. Le
public exige maintenant que les Opera-Buffa signifient
quelque chose; aussi a- t- il sifflé la première représentation
de E perche no ? En récompense , il a beaucoup
applaudi , à l'Opéra-comique , la première représentation
d'une Folie , titre parfait , si le mot folie indique
ce qui n'a ni but , ni ensemble , ni esprit , ni raison .
Je ne dirai pas pourquoi cet ouvrage a réussi , il
faut respecter le public pour lui rendre le desir de se
respecter lui-même. Je craindrais de blesser les femmes
en observant combien il est indécent que les loges applaudissent
tout un premier acte qui ne laisse voir que
des hommes , tandis que le parterre se décide à applaudir
le second acte , parce qu'il y voit enfin une
femme. Je n'observerai pas non plus combien il est
désagréable que les acteurs vivent trop dans la société ,
puisqu'il en résulte que les femmes rient du déguisement
et de la niaiserie d'un joli comédien , aussi haut
et d'aussi bonne-foi qu'elles riraient à la campagne du
déguisement et de la niaiserie du joli homme auquel
elles s'intéressent le plus , et qui descendrait jusqu'à la
farce , pour leur procurer un moment de gaieté folle et
charmante , tant qu'elle n'a que des amis pour acteurs
et pour témoins. J'ai promis de ne point blesser ; mais
je veuxqu'on m'en sache gré , car je pourrois aller loin ,
138 MERCURE DEFRANCE ,
sans qu'on eût droit de me reprocher d'être trop sévère.
Le vrai spectacle de cette représentation était dans
les loges , et le moraliste en était plus affligé que l'homme
de goût ne pouvait l'être de toutes les inconséquences
qu'on lui montrait sur la scène. Une femme jeune et
jolie ( et toutes les femmes qui se drapent élégamment
sur le devant d'une loge, se croient de cette classe ) se doit
à elle-même de mettre beaucoup de réserve dans les
signes d'approbation qu'elle donne à un acteur qui ,
par son amabilité ou sa fortune , a la prétention d'être
reçu dans les salons comme un homme du monde.
Observons-nous au moment où les étrangers viennent
examiner le changement que les événements ont produit
dans nos moeurs , et ne leur laissons pas croire
que les Françaises ont perdu cette délicatesse qui fit
leur réputation , lorsqu'elles réunissaient le goût des
plaisirs au respect des convenances. Si un homme savait
combien il a l'air bête quand la femme qu'il accompagne
paraît , par tous ses mouvements , d'acord avec
l'acteur qui en est scène , les hommes aussi sentiraient
combien la décence la plus scrupuleuse est de rigueur
en public. Mais quittons les loges , et passons au
théâtre.
Dans la rue du Doyenné , près le Louvre , c'est-à
dire dans le centre de Paris , qui croirait qu'au XIX.
siécle , il y a un tuteur dont la maison est grillée jusqu'au
dernier étage ! Qui croirait qu'au dessous des
mansardes est renfermée une pupille dont on parle longtemps
avant de la montrer , et qu'on ne voit pas plutôt
qu'on se demande si les femmes qui sont grillées dans
d'autres maisons que celles de leur tuteur , ont plus
mauvais ton que M.lle Armantine ; c'est le nom de cette
fille. Qu'on me passe l'expression ; elle seule peut donner
une idée de ce rôle d'amoureuse.
Qui croirait qu'un jeune militaire français ( toujours
GERMINAL.AN Χ. 139
au XIX. siécle et à Paris ) devient amoureux fou d'une
femme qu'il n'a jamais vue , et qu'il forme , avant de
la connaître , la résolution de l'enlever , et même de
l'épouser , ce qui est bien pis ?Qui croirait que la jeune
personne y consent du haut de son grenier , sans savoir
à qui elle s'adresse ? Telle est l'exposition de cette
pièce , dont les principaux personnages sont si étrangers
les uns pour les autres , que le dénouement arrive sans
qu'on puisse deviner le motif qui a engagé l'auteur à
les rapprocher. Le tuteur , dont le nom est Cerberti
(on met aujourd'hui beaucoup d'esprit dans les noms ) ,
est lourd comme un Cassandre ; mais il répète souvent
qu'il est bien fin , et le public le croit d'autant plus
aisément qu'il déconcerte une fois les projets du jeune
officier . Voyez les conséquences .
Un jeune officier est nécessairement un homme aimable
; un jeune officier amoureux est certainement un
homme entreprenant ; il parle avec assurance d'attaques
, de places fortes , de ruses de guerre , de capitulations
; tout cela fait peur. Donc , si un homme aimable
, entreprenant , qui se vante et qui fait peur ,
est dupe une fois d'un vieux tuteur ,combien ce vieux
tuteur ne doit- il pas avoir d'esprit ! Voilà de ces arguments
qui confondent le public , et qui déterminent
les applaudissements. L'amoureux Florival a un valet
tout au moins égal à son maître par le ton , le génie ,
et même les roulades ; mais nous ne sommes pas encore
à la musique.
Dans la rue du Doyenné , M.lle Armantine , du haut
de son grenier , laisse couler une lettre attachée à un
ruban ; son tuteur , qui est dans la rue , s'empare du
billet, et le lit tout haut .... dans la rue du Doyenné.
L'amoureux , qui est aussi dans la rue , écoute sans
se montrer , et écrit de suite , sa réponse , sans sortir
pour cela de la rue du Doyenné. M.lle Armantine qui
140 MERCURE DE FRANCE ,
suppose qu'excepté son amant , personne à Paris ne
passe rue du Doyenné , lui recommande , par sa lettre ,
d'attacher une réponse au même ruban , et de frapper
dans les mains pour qu'elle soit avertie de le retirer.
L'amant attache donc sa réponse , sans être vu du tuteur
qui tourne le dos à sa maison , en causant avec
son vieux domestique , toujours dans la rue du Doyenné.
Si l'amant frappait alors dans ses mains , le ruban remonterait
aussitôt , et il aurait la certitude que sa maîtresse
recevrait la réponse demandée. Pas du tout ; cette
réponse reste suspendue jusqu'à ce que le domestique
du tuteur , dans un moment de joie , donne le signal
sans s'en douter ; alors le papier vole jusqu'au grenier
de M.lle Armantine , et le public trouve cela aussi gai
que spirituel.
Cerberti , qui est peintre , attend un Flamand , marchand
de tableaux ; et comme cet imbécille tuteur vient
toujours parler de ses affaires dans la rue du Doyenné ,
l'amoureux , qui l'entend , se présente bientôt sous le
nom et le costume du Flamand . Cerberti , à la première
question , s'aperçoit de la supercherie; il plaisante l'amoureux
avec une grace dont il rit tout seul et bien
longtemps. Le vieux domestique attend de Picardie
Jaquinet , son neveu ; ce niais arrive , tombe dans les
mains de l'officier et de son valet , et alors ce valet
devient partie active de la pièce. Il prend les habits , le
nom de Jaquinet , et s'introduit chez le tuteur, en dépit
du véritable Picard , qui est renvoyé comme un imposteur.
La situation n'est pas neuve , et c'est pour
cela même qu'elle est bonne et gaie. Ainsi se termine le
premier acte. :
Le second acte montre enfin l'amoureuse qui se dispute
avec son tuteur , tantôt parce qu'elle ne veut plus
servir de modèle pour achever le tableau de M.me de
Randau , présentant l'écharpe au chevalier Bayard ;
i
GERMINAL AN Χ.
141
tantôt parce qu'elle veut aller voir le salon de peinture ,
ce que le tuteur accorde , ce qu'il n'accorde plus ; elle
se fâche , elle se raccommode ; elle a toujours mauvais
ton , et la pièce n'avance pas . Enfin , Cerberti
charge son vieux domestique de lui amener un soldat
pour l'habiller en Bayard ; il se présente en effet un
jeune militaire ; mais , en une minute , le valet de l'amoureux
fait monter son maître par une fenêtre , fait
sortir le soldat par le même chemin , et voilà Florival
si bien déguisé en preux chevalier , que si sa maîtresse
le connaissait , elle ne pourrait le reconnaître . Il est
laid à faire peur ; ce qui n'empêche pas Armantine de
s'attendrir avec lui pendant que son tuteur , quiles a
posés comme des mannequins , achève son tableau.
Quand , à force d'art , l'auteur est arrivé à cette conception
étonnante , la pièce finit ; c'est-à-dire que l'amoureux
se trouve avoir des droits incontestables pour
épouser Armantine ; et ce qui est vraiment comique ,
Florival n'éprouve pas plus d'émotion en voyant pour
la première fois celle qu'il adore , qu'elle n'en montre
elle-même en le contemplant aussi pour la première
fois. De toute éternité , ces deux êtres étaient destinés
à s'idolâtrer sans se voir , à se voir sans trouble , età
s'épouser sans se connaître. A l'Opéra- comique , on appelle
Florival un amant ,et Armantine une amoureuse ;
certainement si cette pièce est peu morale , ce n'est
pas par l'exagération des passions .
On connaissait d'avance le C. Bouilly pour auteur
des paroles , et Méhul pour auteur de la musique ; leurs
succès passés avaient attiré la foule. On assurait que
la musique était un chef- d'oeuvre ; Méhul est fait pour
entendre la vérité : cet ouvrage est au dessous de sa
réputation , et le premier reproche qu'un bon compositeur
mérite est d'avoir choisi un tel sujet pour exercer
son talent.
42 MERCURE DE FRANCE ,
La musique est- elle donc une chose si vague , qu'on
puisse en faire sans motif déterminé ? Je sais bien que
les paroles ne sont rien; mais c'est positivement pour
cela qu'il faut une situation pour chaque morceau ,
Quand une jeune personne chantera qu'elle veut aller
au salon , et que son tuteur chantera qu'il ne veut pas
qu'elle aille au salon ; si la jeune personne n'a qu'une
fantaisie ; si le tuteur n'a point d'humeur , je défie le
plus habile musicien du monde de faire un duo passable
de cette insipide conversation. Il en est de même des
airs . Autrefois , une ariette avait toujours un motif
décidé ; et , par une conséquence nécessaire, le musicien
donnait à ses airs un motif et un mouvement déterminés
. Aujourd'hui , on assemble quelques vers , et
on dit au compositeur : Ceci est une ariette. Qu'en
résulte-t-il? que le musicien , qui n'a rien à peindre
, confond tous les genres , le grave , le gai , le récitatif,
la chanson , la bravoure , et répond : Voilà un
air pour les paroles . Ensuite arrive le chanteur qui
vomit des roulades sur tout cela ; et de trente ariettes
qu'on entend à l'Opéra - comique , on ne retient plus
que les agréments que le chanteur fait entrer dans
toutes ; agréments toujours les mêmes , souvent ridicules
, quelquefois de mauvais goût , et qui doivent
dégoûter le compositeur de musique asservi au gosier
capricieux du chanteur. Lorsque Méhul a fait sa réputation
aux Italiens par Euphrosine et Coradin , par
•Stratonice , on chantait peut - être moins bien qu'aujourd'hui
; mais on chantait du moins les notes du musicien
, et il osait se livrer à son génie. Après avoir fait
les pièces pour les acteurs , on fait maintenant la
musique pour les chanteurs ; si cela continue , les acteurs
finiront par composer eux- mêmes leurs roles , et
les chanteurs leurs airs ; chacun tirera de son côté
pour produire des effets indépendants de l'ensemble ;
1
GERMINAL AN X. 143
l'art arrivera ainsi à son dernier terme de perfectibilité
, et nous n'aurons plus véritablement , pour nous
distraire , que de l'ennui et des artistes .
Toutes les fois que la situation s'y est prêtêe , Méhul
a fait de bonne musique ; quand la situation lui
a manqué , sa musique est restée vague. Cela prouve
en faveur de son bon sens ; et , s'il reconnaît lui-même
la vérité de cette observation , il choisira mieux ses
poèmes à l'avenir. Le public applaudit toujours le galimatias
musical pour faire croire qu'il y entend quelque
chose ; c'est une tromperie. Il faut , pour le juger ,
l'observer quand il entend l'air picard qui est dans cette
piece. Cet air est franc , d'un mouvement déterminé ,
d'un chant facile ; et , tout simple qu'il paraît , il vaut
mieux , et plaît davantage que le grand air de l'amoureuse
qui , malgré sa voix flexible et fraîche , ferait
soupçonner , à la manière dont elle le chante , qu'elle
en aurait autant aimé un autre.
THÉATRE.DE LOUVOIS.
Le 19 , on a donné à ce théâtre la première représentation
d'un petit mensonge. Un casuiste pourrait
discuter ce titre , tandis qu'un moraliste prouverait que
le mensonge le plus léger entraîne de terribles conséquences
, puisque , dans cette pièce , uue fois qu'on
se met à mentir , on ne s'arrête plus qu'au dénouement.
Derval demeure dans la même maison que M.me Dalville
qui a pour fille Hortense. Un amoureux , une
amoureuse et une mère , voilà déjà un bon commencement
de comédie. Hortense est innocente , Derval
trop passionné pour être adroit , et la mère trop riche
et trop intéressée pour vouloir d'un gendre qui n'a que
deux mille écus de revenu. Ainsi il y a amour et obs-
1
144 MERCURE DE FRANCE ,
tacle. Dans tous les théâtres , on aurait donné un valet
intrigant à l'amoureux au désespoir ; au théâtre de
Louvois , les intrigants ne sont pas des valets , mais
des amis. En conséquence , Derval rencontre son ami
Saint-Firmin , personnage très -gai , qui se charge de
connaître les projets de M.me Dalville et de les faire
échouer. A peine est-il instruit qu'elle destine sa fille
à un usurier nommé Couprin , qu'il présente à celui - ci
le jeune Derval comme un millionnaire pressé de faire
bien valoir ses fonds , et très - disposé à mettre de moitié
dans les bénéfices l'heureux mortel auquel il accordera
sa confiance. Couprin obtient la préférence , et court
apprendre cette grande nouvelle à sa future bellemère
qui refuse longtemps de croire à la richesse du
gendre qu'elle a dédaigné ; mais on lui persuade que
Derval est une espèce de philosophe qui a la prétention
d'être aimé pour lui-même , et qui cache sa fortune
par égard pour son amour-propre. Dupe à son
tour , M.me Dalville fait des avances au jeune homme ;
en voyant passer sous ses yeux l'apparence de gros sacs
d'argent , elle devient plus pressante , dicte elle -même
les conditions d'un dédit et le signe. Alors le voile
tombe ; la colère la transporte ; mais l'amoureux , trop
loyal pour s'autoriser d'un engagement un peu escroqué
, le rend à la mère ; ce trait la touche jusqu'au
fond de l'ame ; elle accorde sa fille , et le parterre
murmure pour prouver qu'il est trop habile pour croire
à de pareilles conversions dans les comédies : passe
encore si c'était dans un drame.
Du reste , la pièce est gentille , et a obtenu le succès
qu'on ne peut refuser à un acte écrit avec esprit ,
rempli de traits heureux , et dans lequel on fait
servir , sans qu'il le soupçonne , un vieillard amoureux
au bonheur de son rival ; situation toujours amusante.
GERMINAL AN Χ. 145
L'auteur a gardé l'anonyme. Puisqu'il est modeste ,
on peut lui prédire qu'il acquerra du goût , qualité
rare , et dont il a besoin pour distinguer ce qui est
naturel et gai , de ce qui est naturel et bas .
ΑΝΝΟNCES.
OEUVRES DIVERSES de P. L. Lacretelle , ainé , première
collection, mélanges de philosophie et de littérature.
3 vol. de plus de 500 pages . Paris , chez
Treuttel et Würts , libraires , quai Voltaire , n.º 2 ;
et à Strasbourg , grand' rue , n.º 15 ; et chez Lenormant
, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain- l'Auxerrois , n.º 42 .
Ces mélanges sont composés , 1. vol : (littérature)
d'un éloge de Montausier , couronné à l'Académie française
, en 1781 ;; de fragmens d'un discours sur les
vertus politiques et les grands caractères ; d'un morceau
sur M.me Elie de Baumont , auteur du Marquis
de Roselles ; d'un autre , sur les ouvrages et le caractère
de Thomas de l'académie française ; d'un essai
de morale élémentaire ; de 25 grands articles
de littérature autrefois insérés dans le Mercure de
France , à la tête desquels se trouve un petit ouvrage
sur les Orateurs de la chaire ; d'un roman dramatique
, en deux parties , cinq drames et dix actes :
(philosophie) d'un ouvrage sur le préjugé des peines
infamantes , couronné en 85 , comme l'ouvrage le
plus utile , par l'académie française ; d'un discours sur
les détentions arbitraires ; d'un autre , sur la réparation
des accusés reccinus' innocents ; et d'un autre , sur la
réforme de la justice criminelle .
OEuvres dramatiques du Comte Alfieri , traduites de
l'Italien , par C. B. Petitot ; 4 vol. in - 8. ° ; chez Giguet
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146 MERCURE DE FRANCE ,
et Michaud , imprimeurs - libraires , rue des Bons-
Enfants , n.º 6 , et chez Lenormant , imprim. - lib . ,
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de l'anglais . 4 vol. in - 12 , fig. Chez Lenormant ,
imprimeur-libraire , rue des Prêtres- Saint-Germainl'Auxerrois
, n.º 42. Prix , 7 fr. 50 cent. , et 10 fr .
50 cent. , francs de port.
TRAITÉ pratique des Maladies des yeux , ou Expériences
et Observations sur les maladies qui affectent
ces organes ; par A. SCARPA , professeur d'anatomie
et de chirurgie- pratique à l'université de
Pavie , premier chirurgien de la Lombardie autrichienne
, des académies de Vienne , de Berlin , de
la ci-devant société royale de médecine de Paris , de
celle de Londres , etc. etc .; traduit de l'italien sur
le manuscrit , sous les yeux de l'auteur , et augmenté
de notes ; par J. B. F. LÉVEILLÉ , médecinchirurgien
de l'école de Paris , membre des sociétés
de médecine , médicale d'émulation , d'histoire naturelle
, philomatique de la même ville , chirurgien
de première classe de l'armée française en Italie ,
correspondant de la société de médecine , de chirurgie
et pharmacie de Bruxelles , etc. etc. 2 vol.
GERMINAL AN X. 147
in-8.º de 740 pages , imprimés sur carré fin et caractères
neufs de cicéro ; avec trois planches en
taille- douce , supérieurement gravées à Pavie, sous
les yeux de l'auteur. Prix , 8 fr. , broc. , et 10 fr . ,
par la poste , francs de port. A Paris , chez F. Buisson
, imprimeur- libraire , rue Hautefeuille , n.º 20 ;
et chez Lenormant , imprimeur - libraire , rue dés
Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º42 .
TRAITÉ des Constructions rurales , dans lequel on
apprend la manière de construire , d'ordonner et de
distribuer les habitations des champs , les chaumières
, les logements pour les bestiaux , les granges
, étables , écuries , laiteries , et autres bâtiments
nécessaires à l'exploitation des terres et à une bassecour
; ouvrage publié par le bureau d'agriculture de
Londres ; et traduit de l'anglais avec des notes et
des additions ; par C. P. LASTEYRIE , membre des
sociétés philomatique , d'encouragement pour l'industrie
nationale , d'agriculture du département de
la Seine ; de la société royale patriotique de Stockholm
, etc. I vol . in - 8.° , imprimé sur carré fin et
caractères de cicéro neuf; avec un vol. grand in-4. ° ,
renfermant 33 planches gravées en taille-douce par
Sellier , et imprimées sur beau jésus superfin d'Auvergne.
Prix , 12 fr. , broché , et 14 fr. par la poste ,
port franc . A Paris , chez F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Hautefeuille , n.º 20 ; et chez Lenor.
mant , imprimeur - libraire , rue des Prêtres-Saint-
Germain-l'Auxerrois , n.º 42 .
On peut regarder cet ouvrage comme une suite indispensable
du Cours complet d'Agriculture de l'abbé
Rozier , qui n'a point parlé des constructions rurales ,
totalement négligées en France , et abandonnées à une
routine nuisible à la santé des hommes et des animaux
, ainsi qu'à la conservation des productions de
la terre , et à la facilité d'exploitation des biens de
campagne .
148 MERCURE DE FRANCE ,
7
POLITIQUE.
Convention entre le Gouvernement français , et Sa Sainteté
Pie VI , échangée le 25 fructidor an IX ( 10 sep- .
tembre 1801 .
Le Gouvernement de la République française reconnaît
que la religion catholique , apostolique et romaine , est la
religion de la grande majorité des citoyens français. Sa saintetéreconnaît
également que cette même religion a retiré et
attend encore en ce moment le plus graud bien et le plus
grand éclat de l'établissement du culte catholique en France ,
et de la profession particulière qu'en font les consuls de la
République.
En conséquence , d'après cette reconnaissance mutuelle ,
taut pour le bien de la religion , que pour le maintien de
la tranquillité intérieure , ils sont convenus de ce qui suit :
Art. 1.er La religion catholique , apostolique et romaine
sera librement exercée en France : son culte sera public ,
en se conformant aux règleinents de police , que le Gouvernement
jugera nécessaires pour la tranquillité publique.
II. Il sera fait par le S. Siege , de concertavec le Gouvernement
, une nouvelle circonscription des diocèses francais.
III . Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évéchés francais,
qu'elle attend d'eux , avec une ferme coufiance , pour
Te bieu de la paix et de l'unité , toute espèce de sacrifices ,
anême celui de leurs siéges ; d'après cette exhortation , s'ils
se refusaient à ce sacrifice , commandé par le bien de l'église
(refus néanmoins auquel Sa Sainteté ne s'attend pas ) ,
il sera pourvu par de nouveaux titulaires , au Gouverneanent
des évéchés de la circonspcrition nouvelle de la manière
suivante :
IV. Le premier consul de la République nommera dans
Jes trois mois qui suivront la publication de la bulle de Sa
Sainteté , aux archevéohés et évéchés de la circonscription
nouvelle. Sa Sainteté conférera l'institution canonique , suivant
les formes établies par rapport à la France , avant le
changement du Gouvernement.
V. Les nominations aux évéchés qui vaqueront dans la
suite , seront également faites par le premier consul , et
l'institution canonique séra donnée par le S. Siége , en conformité
de l'art. précédent.
VI. Les évêques , avant d'entrer en fonctions., prêteront
directement entre , les mains du premier consul , le serment
de fidélité qui était en usage avant le changement du Gouvernement,
exprimé dans les termes suivants :
GERMINAL AN X. 140
RFP.FR.
<<J<ejure etpromets àDieu , sur les saints évangile de
garder obéissance eett fidélitéau Gouvernement étabapar la
<<constitution de la République française. Je promets aussi
<<<de n'avoir aucune intelligence , de n'assister aucuns
« conseils , de n'entretenir aucune ligue , soit au dedans ,
<<<soit au-dehors , qui soit contraire à la tranquillité pu-
<<blique ; et si , dans mon diocèse ou ailleurs , j'apprends
« qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'Etat ,jo
<<<le ferai savoir au Gouvernement. >>>
VII. Les ecclésiastiques du second ordre préteront e
même serment , entre les mains des autorités civiles désignées
par le Gouvernement .
VIII. La formule de prière suivante sera récitée à la fin
de l'office divin , dans toutes les églises catholiques de
France :
Domine , salvam fac rempublicam.
Domine , salvos fac consules .
IX. Les évêques feront une nouvelle circonscription des
paroisses de leurs diocèses , qui n'ont d'effet que d'après le
consentement du Gouvernement. 1
X. Les évêques nommeront aux cures ; leur choix ne
pourra tomber que sur des personnes agréées par le Gouvernement.
XI. Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur
cathédrale , et un séminaire pour leur diocèse , sans que le
Gouvernement s'oblige à les doter .
XII. Toutes les églises métropolitaines , cathédrales , paroissiales
et autres non-aliénées , nécessaires au culte , seront
mises à la disposition des évêques.
XIII . Sa Sainteté , pour le bien de la paix , et l'heureux
rétablissement de la religion catholique , déclare que ni
elle , mi ses successeurs ne troubleront en aucune manière
les acquéreurs de biens ecclésiastiques aliénés et qu'en
conséquence la propriété de ces mêmes les droits ét
revenus y attachés ,demeureront incommutables entre leurs
mains ou celle de leurs ayant- cause.
,
XIV. Le Gouvernement assurera un traitement convenable
aux évêques et aux curés dont les diocèses et les cures
seront compris dans la circonscription nouvelle .
XV. Le Gouvernement prendra également des mesures
pour que les catholiques français puissent , s'ils le veulent ,
faire en faveur des églises des fondations.
XVI . Sa Sainteté reconnaît dans le premier consul de la
République française les mêmes droits et prérogatives dont
jouissait près d'elle l'ancien Gouvernement.
XVII. Il est convenu entre les parties contractantes ,
que dans le cas où quelqu'un des successeurs du premier
consul actuel ne serait pas catholique , les droits et prérogatives
mentionnés dans l'article ci-dessus , et la nomainas
4
150 MERCURE DE FRANCE ,

4
:
1
tion aux évéchés , seront réglés par rapport à lui , par une
nouvelle convention.
Les ratifications seront échangées à Paris dans l'espace
de40jours.
Faità Paris , le 29 messidor an IX.
(Suivent les signatures).
Parmi les articles organiques du Concordat , on remarque
les suivants :
Aucune bulle , bref , etc. de la cour de Rome n'aura
d'effet en France sans l'attache du Gouvernement. :
Aucun individu , nonce , légat , etc. apostolique ne
pourra exercer de fonctions en France sans l'autorisation
duGouvernement , et d'une manière conforme aux
libertés de l'église gallicane.
Aucun canon de conciles ne sera reçu en France
sans l'exequatur du Gouvernement.
Aucun concile national , aucun synode diocésain
n'aura lieu sans la permission du Gouvernement.
Les fonctions ecclésiastiques sont gratuites, sauf les
obligations volontaires .
Il y aura recours au Conseil d'état pour les troubles
causés par les ministres dans l'exercice de leur fonetion
, ou par les citoyens contre les ministres .
Le culte catholique sera exercé sous la direction des
évêques dans leurs évéchés , et des curés dans leurs
paroisses.
Les priviléges portant exemption de la juridiction
épiscopale sont abolis.
Il y aura des séminaires et des chapitres de cathédrale.
Il sera permis aux évêques d'ajouter à leurs titres la
qualification de citoyen ou de monsieur.
ne
Les évêques auront deux vicaires généraux .
Un individu ne pourra être nommé évêque qu'il
soit français , âgé de 30 ans , et muni d'une attestation
de vie et de moeurs , délivrée par un évêque , et sans
avoir été examiné sur sa doctrine par un évêque et deux
prêtres .
Un évêque nommé ne pourra exercer ses fonctions ,
Y
GERMINAL AN Χ. 151
qu'au préalable il n'ait reçu la bulle de son institution
canonique , et que cette bulle n'ait reçu l'attache
du Gouvernement.
Les évêques ne pourront sortir de leurs diocèses sans
Ja permission du premier consul. Ils visiteront toutes
les paroisses de leur diocèse dans l'espace de 5 années .
Les professeurs chargés de l'enseignement dans les
séminaires seront tenus d'enseigner les quatre articles
des libertés de l'église gallicane , contenus dans la déclaration
du clergé de 1682. :
Nul ecclésiastique ne sera ordonné prêtre qu'il ne
soit âgé de 25 ans , et possesseur d'une propriété de
300 fr . de revenu. 9
Les curés n'entreront en fonctions qu'après avoir:
prêté le serment de fidélité entre les mains des préfets .
Les curés résideront dans leurs paroisses ; ils seront
soumis à l'évêque dans l'exercice de leurs fonctions.
Les vicaires seront approuvés et révocables par l'évêque.
Toutes fonctions sont interdites à tous prêtres qui
ne sont d'aucun diocèse.
Aucun prêtre ne pourra passer dans un diocèse étranger
, et y exercer des fonctions , sans la permission de
l'évêque. ;
Il y aura une liturgie , un catéchisme pour toufe
l'église de France.
Aucun curé ne fera de prières nouvelles dans sa
roisse , sans l'attache de l'évêque .
pa-
Aucunes autres fêtes , excepté celle du dimanche ,
ne seront célébrées sans la permission du Gouvernement.
Les ecclésiastiques porteront l'habit, français noir :
les évêques des bas violets..
5
:
Il y aura dans les églises une place distinguée pour..
les membres des autorités constituées .
Les cloches ne pourront être sonnées que pour le
service divin , dont les heures seront réglées de concert
avec les préfets.
Les prêtres feront des prières pour la république et
pour les consuls ..
: Il ne sera fait au prône d'autres publications que
celles relatives au culte.
Les ministres ne confèreront la bénédiction nup-
1
152 MERCURE DEFRANCE ,
tiale qu'à ceux qui se seront présentés à l'officier civil
pour être unis en mariage...
Les registres des actes civils ne pourront être entre
les mains des ministres . 1
Le nouveau calendrier qui commence à l'équinoxe
d'automne est conservé. Les noms des jours consacrés
dans l'ancien calendrier seront mis en usage. Le dimanche
sera le jour de repos des fonctionnaires publics.
Ily aura dix archevêchés métropolitains , et cinquante
évéchés .
Il y aura une paroisse au moins dans chaquejustice
de paix. Il sera établi des succursales partout où besoin
sera.
Le traitement des archevêques sera de 15,000 fr . ;
celui des évêques de 10,000 fr.
Les curés sont partagés en deux classes. Ceux de la
première recevront 1,500 francs ; ceux de la seconde ,
1,000 fr. La pension dont ils jouissent sera précomptée
sur le traitement. 1
Les conseils généraux des communes pourront , sur
le produit de leurs biens ruraux , ou de leurs octrois ,
accorder aux curés une augmentation de traitement ,
s'ils le jugent nécessaire . SLO
Les règlements des évêques pour l'administration
des sacrements , et pour l'exercice du culte , exigent
l'approbation du Gouvernement.
de
Tout ecclésiastique pensionné de l'Etat sera privé
pension , s'il refuse san motifs convenables , les
fonctions spirituelles auxquelles il sera appelé.
sa
Les préfets veilleront à ce que les évêques soient
logés convenablement. Les conseils généraux des communes
fourniront aux curés le logement et un jardin.
Les donations pour le culte seront constituées en
rente sur l'Etat.
Il y aura dans chaque paroisse des établissements de
fabrique pour l'entretien du temple , et l'administration
des aumônes .
Dans les communes où il n'existe aucun édifice pour
le culte , les évêques sé concerteront avec les préfets
pour en trouver un qui soit convenable
GERMINAL AN X. 153
<
Les articles organiques du culte protestant sont au
nombre de trente. L'un d'eux porte qu'il sera pourvu
au traitement des ministres de ce culte ; et qu'il sera
imputé pour cela les biens appartenants aux églises
consistoriales et les oblations .
. 1
Le C. Portalis , orateur du Gouvernement , a prononcé
, dans la séance du Corps législatif , le 15 germinal
, un discours sur l'organisation des cultes. Il ya
démontré la nécessité d'une religion en général , et a
établi , d'après l'analyse des procès -verbaux des assemblées
départementales , que toute la France appelait
la religion au secours de la société et des moeurs. Il a
prouvé que la religion chrétienne étaitla plus favorable
aux lettres et aux arts ; que la poésie , l'éloquence ,
la peinture , la sculpture , l'architecture lui devaient la
plupart de leurs chef- d'oeuvres. Il a fait voir que le
Gouvernement devait protéger spécialement la religion
, et ne pas se borner à une tolérance qui annonçait
toujours l'indifférence et souvent le mépris ; enfin ,
il s'est étendu sur la nécessité d'éteindre , par l'intervention
du pape , le schisme qui existait entre les ministres
catholiques.
La séance du Tribunat , du 17 germinal , a été
remplie par le rapport fait sur le Concordat , par le
C. Siméon , au nom de la commission spéciale chargée
de l'examen de cette convention , et composée , outre
le rapporteur , des citoyens Lucien Bonaparte , Savoye-
Rollin , Roujoux , Jaucourt et Jard -Panvilliers. Aussi
tôt après son discours , remplide traits éloquents , et où
l'on a surtout remarqué un rapprochement du présent
Concordat avec celui conclu entre Francois I.or , et
Léon X , on a demandé de toutes parts à aller aux voix ;
et sur 78 votants , 71 ont été pour l'adoption et 7 contre.
Les Citoyens Lucien Bonaparte , Siméon et Jaucourt ,
ont été chargés de porter le voeu du Tribunat au Corps
législatif.
Le 18 germinal , le Corps législatif , présidé par le
C. Marcorelle , s'est assemblé pour entendre la discussion
du projet de loi concernant le Concordat. Une
154 MERCURE DE FRANCE ,
foule immense remplissait les tribunes et les places qui
n'étaient pas occupées par les législateurs. On remar
quait , parmi ceux qu'avait attirés la solennité decette
discussion , le prince d'Orange et les ambassadeurs
d'Angleterre et de Russie: Lucien Bonaparte , orateur
du Tribunat , monte à la tribune. Les révolutions , a-til
dit , ressemblent à ces ébranlements qui déchirent les
flancs de la terre et qui en mettent les fondements à
nu ; elles renversent les empires , en laissent voir la
structure , en dispersent les débris . L'observateur placé
au milieu de ces ruines , les mesure de l'oeil , il voit ce
qu'on devoit abattre , mais aussi ce qu'on pouvait conserver
et cequ'il faut relever ; telle est la position du législateur
à l'égard de laFrance. Après 10 ans de révolution,
pendant lesquels on a renversé tous les établissements
, il est temps de revenir aux principes religieux ,
sans lesquels point de tranquillité dans la société , point
de stabilité dans les états. Dans le délire de la guerre
et de la victoire , on a pu s'étourdir sur ces vérités ;
mais dans la paix , le législateur rendu au calme de la
réflexion , est obligé de relever les bases éternelles
de la religion , de consolider par elle le grand ouvrage
de la pacification générale , en renouant ces liens sacrés
qui unissent le ciel à la terre , les hommes entre
eux , qui sont le fondement des sociétés , qui fortifient
les puissances , maintiennent le bon ordre dans les
familles , mettent un frein aux passions de la jeunesse ,
et gardent la vieillesse contre les outrages du temps.
Opposera-t-on à ces vérités , les abus que l'on a
faits de la religion ? Mais de quoi l'homme n'abuse - til
pas ? L'honneur a enfanté les duels , comme le bien
de l'humanité aproduit les guerres. Que l'homme attentifjette
ses regards septiques sur les déserts les plus
lointains , les tribus les plus sauvages ont des Dieux qui
marchent devant elles. L'observation des rites religieux
est le plus saint de leurs devoirs , et Dieu leur premier
bien. Nécessaire au lien social , la religion ne l'est pas
moins au bonheur des individus ; il est des crimes qui
échappent au glaive des lois , la religion seule peut
les atteindre. Elle console le malheureux , elle met
l'opprimé au dessus de l'opprésseur ; elle donne à celuici
le tourment des remords ; et le sage , les yeux fixés
1
GERMINAL ΑΝ Χ. 155
sur le breuvage., s'écrie : Il existe là-haut un Dieu vengeur.
Malheur à ces doctrines désolantes , à cette métaphysique
meurtrière qui flétrit tout ce qu'elle touche .
En vain, sophistes , vous accumulez les objections , la
religion lève toujours une tête triomphante , son in
fluence bénigne est toujours à l'abri de vos attaques.
Si la religion est nécessaire , le culte ne l'est pas moins .
Il est à la religion ce que les signes sont aux pensées .
Existe-t- il un peupleà qui une religion abstraite suffise ;
il lui faut un culte , des rites , des cérémonies , du
merveilleux même , ses opinions fussent- elles des
reurs , ces erreurs deviennent sacrées , puisqu'elles sont
nécessaires au bonheur des hommes.
er-
La nécessité d'un culte étant établie , le Gouvernement
doit l'organiser. Ici les politiques révolution-.
naires se font entendre . Le Gouvernement , disent-ils ,
doit tolérer tous les cultes , il ne doit être d'aucun , il
doit être indifférent à tous. Doctrine fausse , dangereuse
, qui n'a engendré que des maux , et dont l'application
est impossible. Une triste expérience nous l'a
appris. L'indifférence a produit les inquiétudes ; pour
calmer celle- ci , il a fallu recourir à des voies répressives
, à la persécution. Si le christianisme existe dans
un état , comme il existe de fait en France , il lui faut
un contre-poids , sans quoi il deviendrait dangereux ; le
Gouvernement doit lui en servir. Quarante mille réunions
ne pourraient se former sans surveillance. Car là
où il existe une puissance morale , indépendante du
Gouvernement , là , le pouvoir du Gouvernement n'est
point affermi. Ce n'est point la minorité que le gouvernement
a dû consulter , il en est d'elle comme de
celui dont l'écriture dit : Je n'ai fait que passer ,
n'était déja plus. C'est la grande majorité que vous
devez consulter ; elle existe dans les campagnes , c'est
là que la religion et le culte sont observés dans toute
leur étendue , c'est à leur voeu que le Gouvernement
a dû se rendre .
:
il
Rome donnait le droit de cité dans le Capitole à
tous les Dieux des peuples vaincus. Jean-Jacques Rousseau
, Montesquieu ont regardé la religion et le culte
comme la base des empires ; et Mirabeau lui - même
disait à la tribune de l'assemblée constituante ces pa156
MERCURE DE FRANCE ,
roles mémorables « Avouons à la face de la nation ;
« que la religion et le culte sont aussi nécessaires
au peuple français que la liberté ; plantons la croix
« sur la cime de tous les départements , et qu'on
« ne nous reproche pas d'avoir voulu tarir dans les
" coeurs le dernier espoir de la vertu malheureuse. "
L'Angleterre , jalouse de sa liberté , n'en est pas moins
religieuse. Le Gouvernement soutient le clergé anglican
sans en être dépendant , et celui-ci soutient le
Gouvernement à son tour. La liberté et la propriété
sont sacrées , mais l'inviolabilité des consiences ne l'est
pas moins. Laisser la patrie sans culte , sans autels ,
ce serait donner au monde un spectacle inoui dans
les annales des siècles .
Ici l'orateur répond à ceux qui disent qu'il aurait
fallu établir une religion nouvelle , moins sujette aux
abus que la religion catholique ; il fait sentir les grandes
difficultés qu'ont éprouvées toutes les religions
dans leur établissement, les déchirements qui en ont
été la suite , les persécutions dont elles ont été le prétexte
; ainsi , dit-il, le Gouvernement devait renoncer
à toute idée d'une religion nouvelle. Il devait rétablir
le christianisme , dont les antiques fondements
ne pouvaient être ébranlés encore sans compromettre
la tranquillité publique ; il devait rétablir un culte
dont une longue accoutumance a fait un besoin au
peuple; il devait le lui rendre dépouillé de tous les
abus qui avaient altéré sa pureté. L'orateur examine
les articles du projet de loi , et il les compare aux
lois précédemment rendues par les assemblées constituante
, législative et conventionnelle. Il trace un tableau
énergique et rapide de tous les actes oppressifs
et persécuteurs exercés contre le culte et les ministres
, depuis l'assemblée constituante jusqu'au directoire;
le rapprochement de ces faits l'amène à conclure
que le Concordat était la mesure la plus sage
que le Gouvernement pouvait prendre pour ramener
la tranquillité dans l'état , et la paix dans les consciences
; puis il termine en ces termes :
Citoyens législateurs , c'est sur la fin de nos trou-
`bles religieux que vous allez prononcer. La religion
etle culte sont utiles aux individus , nécessaires à la
GERMINAL ΑΝ Χ. 157
société ; le Gouvernement devait donc les organiser.
Le projet de loi les organise de la manière la plus
convenable. Empressez-vous , législateurs , de raffermir
l'édifice de l'état sur la base de la religion , de
cimenter la paix générale , en signant la paix avec
les citoyens et avec les consciences. Votre devoir est
de céder à l'opinion nationale ; et l'opinion nationale
demande le rétablissement des institutions religieuses .
Le C. Jaucourt , second orateur du tribunat a émis
le même voeu ; et le projet de loi a été adopté à une
majorité de 228 voix contre 21 .
Le dimanche des Rameaux , 21 germinal , M. le
cardinal-légat s'est rendu à la cathédrale , et y a fait
la cérémonie de l'installation du nouvel archevêque de
Paris , M. de Belloy , et celle de la consécration épiscopale
de MM. Cambacérès , Pancemont et Bernier ;
ses assistants ont été les anciens évêques d'Angers et
de Saint-Papoul . Le ministre de l'intérieur a assisté à
ces cérémonies . Le concours du public était immense
.
Paris , 21 germinal.- Te Deum à l'occasion de l'heureux
événement de la paix d'Amiens , et de la publication
de la loi sur les cultes .
Ce Te Deum sera chanté à la Métropole de Paris
en présence du Gouvernement, le 28 germinal. A 6
heures du matin , on tirera trente coups de canon , et
dix coups d'heure en heure jusqu'à midi. A 8 heures ,
le premier consul promulguera la loi du 18 germinal .
A 9 heures , les autorités locales la publieront en la
forme et avec les cérémonies d'usage pour les traités
de paix. A 11 heures , le Gouvernement partira du
palais des Tuileries , et se rendra à la Métropole. Le
départ du Gouvernement sera annoncé par trente coups
de canon , et son retour par un égal nombre.
Il y aura illumination générale le soir.
M. Boisgelin , ancien archevêque d'Aix , aujourd'hui
archevêque de Tours , prêchera à Notre-Dame le jour
de Pâques.
1
158 MERCURE DE FRANCE ,
Lettres , Sciences et Arts.
Nous touchons au moment où les nouvelles politiques
vont cesser d'exciter et de nourrir la curiosité.
Cette révolution , à laquelle personne n'avait pu rester
étranger, qui était la matière de toutes les conversations
et le sujet de tous les écrits , ne sera bientôt plus
que du domaine de l'histoire. L'activité qu'elle a donnée
aux esprits , en changeant de direction , rendra
chacun à ses occupations naturelles. Les fonds et les
calculs du négociant n'auront plus d'autre emploi ,
d'autre but que les spéculations commerciales ; les
travaux du savant tourneront au profit de la science ,
et l'homme de lettres , affranchi des entraves des circonstances
, verra s'ouvrir devant lui une carrière plus
vaste , et consacrera ses talents aux divers genres de
littérature. En attendant , la fin des troubles politiques
, la paix et le Concordat occupent tous les esprits ,
et il est difficile de songer à autre chose qu'à ces deux
nouveaux bienfaits du Gouvernement. Aussi sont - ils
célébrés à l'envi par nos poètes ; et quoique leurs hommages
à la paix se ressentent un peu de l'empressement
qu'ils ont mis à le lui offrir , le public les accueille
favorablement et leur tient compte de l'intention. La
paix a pour nous le charme d'une nouvelle maîtresse ,
nous écoutons avidement tous ceux qui nous en entretiennent
, nous voulons en entendre parler de quelque
manière que ce soit. Nous citerons les strophes suivantes
extraites d'une ode sur la paix * , par le citoyen
Dusaulchoy.
Vous qui fîtes à tant de gloire .
Le sacrifice de vos jours ,
Ainsi qu'au Temple de mémoire
Dans nos coeurs vous vivrez toujours !
Vos impérissables trophées ,
De nos discordes étouffées
Attesteront le souvenir ;
Nos fils y viendront ,d'âge en âge ,
* Se trouve rue de Vantadour , n.º 474.
:
GERMINAL AN Χ. 159
Puiser des leçons de courage ,
Comme vous apprendre à mourir.
Et vous que respecta la foudre
Quand vous affrontiez les hasards ,
L'humanité va vous absoudre
1 Des succès de vos étendards :
Que l'on voye au guerrier terrible
Succéder le mortel sensible ,
De la paix fidelle soutien.
Vous fûtes grand par la vaillance ,
Méritez la reconnaissance
Par les vertus du citoyen.
TEL, s'élançant de son rivage ,
Le Nil inonde les guérets ;
Avec lui marchent le ravage ,
Et l'épouvante et les regrets .
Mais bientôt son onde est calmée ,
Dans sa demeure accoutumée,
Il la ramène sans efforts ;
Son excursion salutaire
A disséminé sur la terre
Les germes de nouveaux trésors.
Cette dernière strophe rappelle celle de Fréron dans
son ode sur la bataille de Fontenoy.
C'est ainsi que le Nil , franchissant son rivage ,
Dans les champs qu'il ravage
Porte'le germe heureux de la fécondité.
Cette ode de Fréron , qui s'est à peine occupé de
poésie , renferme plusieurs strophes de la plus grande
beauté.
On doit distinguer , parmi ces nombreux essais , des
vers latins du C. Luce de Lancival , professeur d'éloquence
au Prytanée , qui a voulu joindre l'exemple au
précepte , et prouver qu'on pouvait s'exercer avec suc160
MERCURE DE FRANCE ,
cès dans les deux langues ; témoins ces vers , où il
engage les braves Espagnols , nos fidelles alliés , à dérider
leurs fronts sévères , et à partager notre joie et
nos triomphes , comme ils ont partagé nos travaux :
« Hispani , bello gens inclyta , pace fidelis ,
<<< Triste supercilium et contractæ nubila frontis
<< Solvite , et in teneros ora aspera solvite risus .
<<Sudorum pars vestra fuit , sit vestra triumphi.
Plus bas , il exhorte les Bataves à laisser les combats
pour déployer de nouveau les ressources de leur esprit
industrieux . Que l'univers , dit - il , contemple et admire
encore vos travaux ; que l'art victorieux enchaîne ,
par de vastes digues , les fureurs de l'océan , qui soulève
contre vous ses flots irrités , et les roule en grondant
autour de vos villes !
<< Audaces Batavi , neglecto Marte , sagacis
<<< Ingenii vires etiam num promite : vestros
<<Spectet adhuc orbis , demireturque labores.
<<<Aggeribus vastis , victricique arte , furentem
« Frænate oceanum , iratis qui fructibus horrens
<<Assurgit , vestrasque minax circumtonat urbes.
Nous engageons les amateurs de la latinité et des
beaux vers à lire en entier ce petit poème *.
Nous invitons ceux de nos abonnés qui voudraient
faire insérer des charades , énigmes et logogryphes ,
dans le Mercure , à les adresser , francs de port , au
bureau du Mercure , rue de la Place-Vendôme , n . ° 7 .
* Il contient environ 120 vers , et se trouve chez Laoureins
, rue du Four Saint- Honoré , n.º 8.
:
.
(N.XLVI ) 5 Floréal. An 10.3 .
MERCURE د
DE FRANCE.
1
LITTÉRATURE.
LES OISEAUX.
FABLE .
A MADAME CHAPTAL ,
Marraine, d'Anna CROUZET , le 10 germinal
( UN
an 10.
NE fauvette aau doux ramage ,
A l'air vif, au joli corsage ,
1
1
Dans un bois de Paphos venait de mettre au jour
Un tendre fruit de son amour.
Joyeux événement pour la gent emplumée !
Car fauvette en était aimée.
L'aigle , roi des oiseaux , d'un regard doux et fier ,
Sourit , du haut des cieux , à l'embryon d'hier ;
Et , si l'on croit maint auteur sage ,
Sans les soins de l'état , le monarque des airs
Eút un instant laissé le séjour des éclairs ,
Pour être parrain af bocage."
3
- Parrain ! le trait est fort. Pourquoi ? Les animaux
Sont à peu pres ce que nous sommes ;
8. 11
162 MERCURE DE FRANCE ,۱
Et les oiseaux singent par fois les hommes ,
Si ce n'est nous qui singeons les oiseaux.
Mais revenons à la nichée.
Non loin de la jeune accouchée ,
Une aimable colombe , au plumage éclatant ,
Au bec de rose , au cou d'argent ,
Vivait solitaire et cachée .
Du bosquet toutefois elle était l'ornement.
Tendre mère , épouse fidelle ,
Elle avait tout ; bon coeur , esprit , grâces , vertus :
Et Minerve la prude , en la voyant si belle ,
Eût troqué son oiseau pour l'oiseau de Vénus .
Je le crois bien. Chouette est peu mignonne ;
Son air est triste , et son chant monotone.
Nocturne amant de l'ombre , à l'éclat des beaux jours
Son oeil louche et jaloux préfère les ténèbres ;
Prophète de malheur , ses cris lents et funèbres
Semblent prêcher la mort , et font peur aux amours.
Bel emblême de la sagesse ,
Qu'un oiseau qui vit dans un trou !
N'importe : allons au fait ; ce bavardage est fou ;
La colombe m'appelle : adieu vous dis , déesse ,
Dont le symbole est un hibou.
Or maintenant l'époux de Belle et Bonne
Etait un beau ramier , sage et galant mari ;
Pour l'aigle altier , dans ce bosquet fleuri ,
Gouvernant en docte personne ,
Et son ministre favori.
Qui dit ministre , dit affaires :
Notre ramier ne pouvait guères
Quitter , fût-ce un moment , pour l'enfant nouveau né ,
L'oiseau qui porte le tonnerre :
Mais sa douce moitié , sa colombe si chère ,
Cet autre lui , modèle fortuné
De l'art d'aimer , de l'art de plaire ,
FLORÉAL AN X. 163
Voulut le remplacer près du nid maternel ,
A Fauvette au berceau promit une autre mère ,
Et , si jamais l'auteur cruel
Osait ... Colombe , au nom de l'aigle tutelaire ,
Prédit la foudre au téméraire.
Je le laisse à penser ; sous cet auspice heureux ,
Le baptême alla pour le mieux.
La marraine , en robe d'albâtre ,
1
Faisait , d'un air décent , les honneurs du banquet ;
Banquet joyeux pourtant , car le compère était
Un pinson à l'humeur folâtre ,
Quoique savant sur plus d'un fait.
Il ne manquait rien à la fête ;
Quand un merle fut introduit :
Merle avisé , mais jeune tête ,
Où , disait- il , nature avait mis trop d'esprit.
Orateur en habit d'ébène ,
Député du peuple oisillon ,
En cortége , il venait haranger la marraine ,
Et puis la mère et le poupon :
Immense carrière , où l'haleine
Eût mạnqué même à Cicéron !
Le merle .... resta court à la péroraison.
Qu'arriva-t- il ? fureurs subites.
Vous eussiez vu soudain ses légers acolytes ,
Et linots et bouvreuils , fondre à la fois sur lui ;
Eil en feu , bec ouvert., vengeant l'affront d'autrui.
Le soleil crut revoir le festin des Lapythes.
Mais il n'en eut que la peur.
La colombe complaisante ,
D'une aile compatissante
Sur l'infortuné rhéteur
Etend l'ombre caressante :
Au doux signal de la paix ,
Fuit la guerre menaçante ;
;
164 MERCURE DE FRANCE ,
..
Un seul jour vit deux bienfaits :
De la fauvette gentille
Qui la presse sur son coeur
Colombe adopta la fille .2
Et rendit un sot parleur
Al'amour de sa famille .
Ainsi fait , l'assemblée en chantant se leva ;
Sur l'aile du plaisir , chacun prit la volée ;
Et , dit- on , sur la gent ailée ,
Comme jours de fête on chôma
Tout le reste de la journée ,
Et le lendemain par-delà.
DE GUERLE.
(
:
COUPLETS sur la paix générale , signée à Amiens
le 4 germinal an 10.
AIR : Femmes , voulez-vous éprouver , etc.
Le héros pacificateur
Est né pour le bonheur du monde.
De la guerre il suspend l'horreur ;
Par lui , la terre se féconde ;
Il fait renaître les beaux- arts
Au commerce il donne la vie ,
Et sait vaincre tous les hasards
Qui s'opposent à son génie.
De Marengo brillant vainqueur
20
Tellc ici s'offre ton image !
Ates talents , à ta valeur ,
L'univers entier rend hommage :
D'un pôle à l'autre tes succès
Sont marqués au coin de la gloire' ;
Et pour désigner les Français ,
On n'a qu'à nommer la victoire..
A
?
FLORÉAL ANX. 165
Du Tage aux bords de la Néva ,
De Boston aux murs de Bysance ,
L'aimable paix vient , vole , et va
Combler notre unique espérance ; ...
Superbe Ibère , et vous Germains ,
Voguez librement sur les ondes ;
La paix l'ouvre tous les chemins
Qui réunissaient les deux Mondes.
9001
1
Etvous , fier peuple d'Albion ,
Qui souvent nous fîtes la guerre ,
Puisse à jamais notre union
Faire le bonheur de la terre !
Trop longtemps nous fûmes rivaux ,
Que toute haine sõit bannie ;
Quand pour chefs on a des héros *
Ona tous la même patrie.
Par A. D. FORGET .
ENIGME.
Je suis droite et ronde en affaire ,
J'ai les dehors polis ; j'allie à la douceur
Une fermeté nécessaire.
Mais chaque pas qu'on me voit faire
Est marqué par une noirceur.
LOGOGRIPHE.
Je fais trêve à l'ennui , je suspends la douleur ,
Pour un temps ma présence exile le malheur ;
Mais je dois m'absenter , si je veux qu'on m'implore ,
Et l'on ne pense à moi que quand je n'y suis pas.
* Lord Cornwallis est le vainqueur de Tippoo-Saïb ,
166 MERCURE DE FRANCE ,
1
Si l'on jette ma tête à bas
Mon pouvoir est plus grand encore.
Je commande aux rochers , aux animaux , aux bois ,
Les vents pour m'écouter retiennent leur haleine ,
Et la nature entière obéit à ma voix ,
En fouillant dans mon sein tu trouveras sans peine
Une source féconde et de biens et de maux ,
L'objet de maints larcins , le but de maints travaux ;
Une ville célèbre , un fleuve d'Italie ,
Où fut précipité , dit-on ,
Le téméraire Phaeton ;
Une province de Turquie ;
Un des noirs habitants du rivage Africain ,
Et la femme du Dieu que détrôna Jupin.
2
CHARADE.
TOUJOURS on compte et l'on calcule
En jouant avec mon premier.
A son ennemi , sans scrupule ,
On cherche à jouer mon dernier ;
Et de l'homme honnête et crédule
On se joue avec mon entier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est dé.
Celui du Logogriphe est rosée , où l'on trouve Osée
rose et ose.
Celui de la Charade est cor-sage.
2
FLORÉAL AN Χ. 167
١٠
L Es journaux , en annonçant la mort de
RIVAROL , ont porté les uns la logange jus
qu'à la flatterie , les autres la critime jusqua
la satyre : j'éviterai, ces deux, excès. Rivarol est un des premiers hommes de les vie
tres que j'aie connus'; je l'avais rencontré cllez
Dorat , il resta ma connaissance , mais il ne fut
jamais mon ami ; je puis en parler avec impartialité
, sans affection et sans humeur .
Il avait reçu de la nature une figure agréable',
des manières distinguées , une élocution
pleine de facilité et de grâce ; il dut à ces dons
extérieurs les premiers succès dans quelques
cafés littéraires et principalement à celui du
Caveau. Collé , Favart et Piron n'étaient plus ,
ou du moins ils vivaient retirés du monde ;
avec eux le caveau avait perdu cette gaieté
franche et ces saillies brillantes , qui sont comme
les éclairs de l'esprit ; mais Champfort, Duruflé ,
et quelques autres gens aimables lui conservaient
encore quelque renommée.
Rivarol s'y fit bientôt remarquer. Son talent
pour la raillerie lui attira quelques ennemis et
beaucoup de partisans ; car nous naissons presque
tous avec un penchant secret à la méchanceté.
Il ne manque à la plupart des hommes
que de l'esprit pour être malins ; et , lorsqu'il
paraît un homme doué de ce talent malheureux
, les gens médiocres et jaloux le flattent
et l'excitent comme un champion propre à
servir leur impuissante malignité , mais ils le
caressent sans l'aimer. Ils se réjouissent également
des coups qu'il porte et de ceux qu'il
168 MERCURE DE FRANCE ,
recoit. Eprouve-t- il quelques revers , ses plus
zélés partisans sourient à son humiliation. C'est
toujours cer public inconstant, dont parlenVoltairesden
od bange tra
Qui flatte et mord , qui dresse par sottise
Une statue , et par dégout Ma brisen i
Rivarol fut en butte aux plus sottes calomnies .
On fit sur sa naissance des volumes de plaisanteries
, tantôt niaises , tantôt assez gaies .
Mais qu'importe à son mérite littéraire qu'un
auteur ait été ce qu'on appelait autrefois un
homme de qualité ? Néanmoins il y avait peu
d'adresse à annoncer à la fois deux espèces de
prétentions différentes , le monde a tant de
peine à pardonner un seul genre de supério
rité !
໑໐ ເມຣອ/ L
Au reste , il aimait Ja guerre , et la faisait
volontiers sur le plus léger prétexte. J'ignore
en quoi l'avait offensé M.me de Genlis mais
rien de plus insignifiant que son sujetde plainte
sur l'abbé Delille , et sur Garat , contre qui
furent dirigés ses premiers pamflets .
Enfin , je ne dirai pas fatigué du grand
nombre , mais ennuyé du petit nombre de ses
ennemis , il attaqua tout le peuple littéraire à
la fois; on voit que je veux parler du Petit
Almanach des Grands Hommes. L'idée en
était ingénieuse , et offrait à la plupart des lecteurs
le mérite d'un seeret dévoilé . N'était- il
pas piquant, en effet , de révéler an public , en
un seul jour et dans quelques pages , les noms
de tant d'hommes qui , depuis tant d'années
malgré leurs nombreux ouvrages , échappaient
à la renommée ! :
FLORÉALAN X. 169
La première partie de la préface offrait le
meilleur ton de plaisanterie ; mais l'auteur emploie
toujours la même ironie , et n'en rachette
point assez l'uniformité par la variété des formes
et des tournures ..
Deux autres ouvrages avaient commencé la
réputation de Rivarol. Le premier est une traduction
du Dante. C'est sans doute la meilleure
qui ait paru ; et quoiqu'elle n'ait pas eu dans le
monde un grand succès de vogué et de débit ,
les gens de lettres y remarquèrent une lutte
courageuse contre l'originalité bizarre du poète
italien et des efforts souvent heureux dans les
combinaisons du style.
Le discours sur Buniversalité de la langue
française eut un succès plus populaire. Le sujet
était patriotique dans ce sens , qui n'appartient
ni à la révolution , ni aux circonstances ; je veux
dire qu'il honorait la patrie d'autant plus que
cet hommage était rendu à la langue française
par une nation étrangère. Le sujet et le prix
avaient été proposés par l'Académie de Berlin.
Les développements de cette question étaient
faciles à trouver dans l'Histoire , qui nous apprend
chez combien de nations différentes la
langue française a souvent dicté les lois qu'avaient
imposées nos armes , dans nos moeurs et
dans notre esprit social , qui , pendant la paix ,
peuplent nos villes d'étrangers , et qui , sans
leur ôter les préventions nationales , leur ren
dent du moins familiers notre langage et nos
manières ; enfin , dans l'aisance et la clarté de
notre langue , et dans la foule de nos bons
écrivains.
L'ouvrage de Rivarol présente peu d'aperçus
1
>
170 MERCURE DE FRANCE ,
nouveaux; mais la marche en est rapide , et le
style a souvent de l'éclat. Cependant , en voulant
toujours être piquant et pittoresque , il
devient quelquefois étrange et bizarre . J'en offrirai
quelques exemples :
<< La langue italienne a des formes cérémo-
<< nieuses, ennemies de la conversation , et qui
<< ne donnent pas assez bonne idée de l'espèce
« humaine.
<<<En considérant la langue latine comme la
<< grosse planète , et les langues d'Europe
<<<comme ses satellites , la nôtre paraît à une
<< distance plus heureuse , et sa température
<< tient au rang qu'elle occupe .
<< Les Etats se renverseront , et la langue
<<< française sera toujours retenue dans la tem-
<< pête par deux ancres , sa littérature et sa
<<clarté.
En voici de plus curieuses encore :
<<Mais , direz-vous , où donc trouver cette
<< amitié ? Où la trouver ? je répondrai qu'elle
<<< existe comme l'équilibre dans un point
« unique ; en-deçà et en-delà , c'est autre chose ;
<< et si vous trouvez que je l'aie trop compli-
<< quée , et qu'elle soit d'une combinaison trop
<<difficile , je vous dirai que l'homme social est
<< lui-même un être fort composé ; que pour
<< former deux amis, il faut des relations pres-
<< qu'idéales , des ingrédients dont l'amalgame
<<<est en effet très-difficile.
On pourrait dire d'abord : Malheureux l'homme
dont le coeur n'a trouvé que ces mots arides
en parlant de l'amitié ! Rivarol avait quelques
connaissances en géométrie , et il ne voulait
perdre aucun de ses avantages ; mais on doit
FLORÉAL AN Χ. 171
bien rarement employer les termes scientifiques
dans un sujet étranger aux sciences. On a su
gré , au contraire , à plusieurs savants célèbres ,
d'être en même temps des esprits aimables ,
d'avoir su dépouiller la science elle-même de
tout l'appareil des mots scientifiques , et de
l'avoir mise à la portée de tous les lecteurs , en
confiant ses secrets au langage populaire.
Je connaissais , depuis longtemps , un morceau
de Rivarol que l'on vient d'imprimer dans
plusieurs journaux. Ce sont des réflexions sur
M. de Florian. Le talent de Florian y est assez
bien apprécié. La critique a des formes piquantes
à la fois et polies ; il y a de la vérité dans les
idées générales sur l'engouement des gens du
monde , sur les réputations et les consciences
littéraires. Cependant , on y trouve encore tantôt
des métaphores incohérentes , tantôt ces
expressions trop familières qui peuvent être
admises dans les épanchements de la conversation
ou du style épistolaire , mais qui ne doivent
pas être introduites dans le style noble et soutenu.
Je n'aime point à voir devenirfumée la
gloire qui , dans la phrase antécédente , était
une maîtresse dont les charmes s'augmentent
par le nombre des amants qui l'entourent ;
d'autant plus que l'auteur se sert avec bonneur
d'une expression à peu près semblable , lorsqu'il
•dit plus loin: Toute cette poussière des Latins
disparaît devant la cendre poëtique d'Ilion.
En voulant rappeler les fictions aimables de
la Grèce : « L'Amour , dit Rivarol, sera tou-
<<jours le fils de Vénus , Cérès toujours le pain ,
<< Bacchus toujours le vin. » Ce style est secet
commun ; c'est avec des images plus brillantes
-
172 MERCURE DE FRANCE ,
que Voltaire faire revivre ces immortels souvenirs
:
:
Savante antiquité , beauté toujours nouvelle ,
Monuments de génie , heureuses fictions ,
Environnez -moi des rayons
De votre lumière immortelle.
1 :
Vous savez animer l'air , la terre et les mers ,
Vous embellisez l'univers .
9.
Flore avec le Zéphir a peint ces jeunes roses
De l'éclat de leur vermillon .
Des baisers de Pomone on voit dans ce vallon
Les fleurs de mes péchers nouvellement écloses.
Ces montagnes , ces bois qui bordent l'horizon
Sont couverts de métamorphoses .
1
:
:
;
1 1
Si le soleil se couche , il dort avec Thetis ;
Si je vois de Vénus la planète brillante ,
C'est Vénus que je vois dans les bras d'Adonis .
Ce pôle me présente Andromède et Persée , "
Leurs amours immortels réchauffant de leurs feux
Les éternels frimas de la zône glacée .
Tout l'Olympe est peuplé de héros amoureux.
Admirables tableaux ! Séduisante magie !
Qu'Hésiode me plaît dans sa théologie ,
Quand il me peint l'Amour débrouillant le chaos ,
"
S'élançant dans les airs et planant sur les flots !
Mettez la fleur des Saints à côté d'un Homère :
Il ment , mais en grand homme ; il ment , mais il
saitplaire.
FLORÉAL AN X. 173
Je sais qu'il serait difficile à la prose d'égaler la
richesse de ces couleurs et la vivacité de ces
mouvements poétiques ; mais alors le prosateur
doit citer les vers du poète , au lieu d'affaiblir
les idées qu'il emprunte.
La négligence , qui se fait trop souvent remarquer
dans le style de Rivarol , avait sans
doute son origine dans les succès même qu'il
obtint dans le monde. Sa conversation était
pleine de charmes. On lui avait dit qu'il parlait
comme il faudrait écrire , et il se contentait
souvent d'écrire comme il parlait.
Cette réflexion peut s'étendre à des idées plus
générales . Le talent de la parole qui suppose
toujours une imagination mobile , un esprit facile
et prompt , servis par un organe docile et
agréable , n'exige ni la profondeur des méditations
, ni la hauteur des idées , nila richesse
d'expressions qui caractérisentun grand écrivain;
et pour ne présenter qué des exemples récents ,
la révolution française a produit plusieurs orateurs
qui ont donné quelqu'éclat à la tribune.
Cependant de tant de discours applaudis , il
serait moins aisé qu'on ne croit de citer cent
pages véritablement éloquentes.
un
Ainsi Rivarol , sans avoir laissé ce qu'on appelle
un monument littéraire , a montré dans
plusieurs morceaux épars , un esprit très-distingué.
On ne peut lui refuser , ce qu'on appelle ,
cachet , une physionomie. Il avait peu
d'idées ; mais il avait l'art de rajeûnir les idées,
connues par des formes piquantes et nouvelles .
Cela suffisait sans doute pour lui valoir auprès
des hommes superficiels et peu instruits , la réputation
d'unpenseur et d'un talent original.
174 MERCURE DE FRANCE ,
Je dirai plus , si dans la conversation , vous
laissiez échapper devant lui quelqu'idée ingénieuse
ou profonde (telle était l'adresse de
Rivarol ) , qu'en s'en emparant il la reproduisait
tout-à-coup , revêtue de couleurs plus brillantes ,
et sa grace magique vous éblouissait au point ,
qu'en retrouvant vos propres pensées , dans les
paroles de l'enchanteur , vous lui saviez gré
du larein qui vous embellissait vous -même à
vos yeux.
,
Dans les discussions littéraires , il a eu quelquefois
des aperçus assez fins ; mais il était
par rapport au goût , ce que beaucoup de gens
sont par rapport à la religion et à la vertu. Il lui
était plus aisé d'en bien parler que d'en suivre
exactement les préceptes.
Les jeunes gens ne peuvent le lire sans danger
; car il a je ne sais quoi de séduisant dans
ses défauts mêmes. Les esprits sages ne peuvent
approuver aucun de ses ouvrages sans
beaucoup de restriction ; car je ne sais quel
faux brillant blesse toujours l'oeil exercé dans
ses pages les mieux pensées et les mieux
écrites .
D'ailleurs , son amour-propre n'est jamais entouré
d'assez de voiles. Soit qu'il parlat , soit
qu'il écrivît , il laissait voir trop à découvert
cette jactance méridionale , dont il n'a pu se
guérir en habitant le nord de l'Europe,
On dit qu'il lisait beaucoup les lettres de
M.me de Sévigné , et qu'il croyait avoir saisi
sa manière . Rivarol n'avait riende commun avec
la mère de M.me de Grignan. S'il ressemblait
à quelqu'un de la famille, c'était plutôt à
' FLORÉAL AN X. 175
Bussi Rabutin , de qui Voltaire a dit dans le
temple du goût :
" Bussi qui s'estime et qui s'aime , etc. "
Je n'ai parlé jusqu'ici que des écrits littéraires
de Rivarol ; quoique les mêmes défauts se fassent
sentir dans la plupart de ses dissertations
politiques . Cette dernière partie de ses ouvrages
est cependant fort supérieure à la première
; comme s'il eût été réservé à la révolution
française d'élever ou d'abaisser les carac .
tères et les talents , ainsi que les trônes et les
fortunes .
Je me réserve de jeter dans une autre lettre
quelques aperçus sur la conduite et les ouvrages
de Rivarol.
FIN des Observations sur l'Histoire de l'Assassinat
de GUSTAVE III .
( Voyez le n.º du 15 germinal).
1
Page 38. L'auteur rend justice au zèle et à l'activité
du jeune de Pellett , officier à qui l'on doit la prompte
arrivée des troupes après l'assassinat de Gustave ; et tout
est exact dans cet article , sauf la manière dont est écrit
le nom de ce jeune officier qui est non Pellett , mais
Pollet.
Page 40. En parlant de l'assassin du roi, Anckarstrom,
P'auteur lui donne le titre de Porte-enseigne des Gardes-
Bleues . Anckarstrom n'occupait plus ce poste ; il en
avait été privé pour une conduite repréhensible , et il
s'était même rendu coupable d'un délit qui l'eût conduità
l'échafaud , si la clémence du roi ne lui eût sauvé la vie .
Page 41. Aux ministres d'Espagne , d'Autriche , de
Russie et de Pologne qui se rendirent chez le roi tout
176 MERCURE DE FRANCE,
T.
de suite après l'assassinat , l'auteur a oublié de joindre
M. Liston , ministre d'Angleterre , qui était fort attaché
à Gustave , et dont ce prince faisait un cas particulier.
Le premier soin du roi , après ceux qu'exigeait
sa blessure , avait été de faire appeler chez lui les mi -
nistres étrangers qui se trouvaient réunis chez celui de
Danemarck où ils avaient soupé.
Page 44. Parmi les personnes arrêtées immédiatement
après l'assassinat, l'auteur cite un jeune Marseillais ,
nommé Decroy , lieutenant au régiment de la Reine ,
d'un extérieur très-agréable , aimé à la cour de Suède ,
etdontla conduite et le langage annonçaient un homme
beaucoup plus attaché au toi qu'à la faction des rebelles.
Il a négligé de dire que ce jeune officier avait
tenu , peu de temps avant l'assassinat , des propos bien
propres à le faire soupçonner d'avoir eu connaissance
du complot ; il avaitd'ailleurs une mauvaise réputation ;
et il n'est pas exact de dire , comme le fait l'auteur,
( page 56 ) que ce Decroy n'eut d'autre tort que celui
d'être Français , ni d'ajouter qu'on lui ôta sa place de
lieutenant par une suite de la politique qui voulait que
P'opinion populaire dirigeât ses soupçons sur les Français.
Decroy s'óta sa place lui-même , ayant quitté la
Suède pour dettes.
Après l'assassinat , beaucoup de conjurés se sauvèrent.
Le baron de Bielke s'empoisonna; son corps fut traîné
sur la claie ( page 45. ) Le baronde Bielke était membre
dubureau des Etats,et le besoin que les conjurés avaient
de ce bureau pour l'exécution de leur plan , les avait
décidés à l'associer à leur complot .
Dans la dernière partie de l'ouvrage , qui contient des
particularités sur les moeurs privées et les qualitésdeGustave
III , l'auteur dit que ce prince, dans son dernier
séjour à Paris en 1784 , était presque toujours accompagnédu
comte de Fersen , son ambassadeur , et puis, il
FLORÉAL AN X. 177
rappelle la fin malheureuse de M. Dupeyron , gentilhomme
français , attaché à son service , tué en duel par
le comte de la Marck , ainsi que l'attachement du prince
pour cet officier qu'il avait mené à sa suite. Mais le
comte de Fersen n'a jamais été ambassadeur de S. M.
Suédoise à la cour de France ; il était seulement colonel
, propriétaire du régiment Royal-Suédois . - Le
gentilhomme , dont la perte affecta si douloureusement
Gustave III , était M. de Peyron , né en Suède d'une
famille originairement française.
Il y a aussi de l'inexactitude dans ce que dit l'auteur
( page 93 ) du baron de Reuterholm , selon lui chassé de
la Suède par Gustave III , pour cause d'illumination, etc.
Eloigné eut été une expression plus juste.
Il y a plus que de l'inexactitude dans ce qui est dit
( page 94 ) de la fameuse affaire du baron Maurice
d'Armfeldt. Après la mort de Gustave , la disgrace de
ce seigneur fut bientôt décidée.
Ses amis l'avertirent de quitter Stockholm et la Suède
avec la plus grande célérité. Il y allait de sa liberté et
peut- être de ses jours. Ce fut à Naples qu'il fixa son
asile. Lorsque le régent eut découvert le lieu de sa retraite
, il est certain qu'il envoya le colonel Palmquist
(et nonPalinquist ) illuminé et connu comme tel , pour
l'arrêter dans Naples même. Il suffit d'avoir lu les gazettes
du temps pour savoir que le baron d'Armfeldt
était parti de Suède avec une mission du régent , et
qu'il résidait à Naples , en qualité de ministre de Suède
près les cours d'Italie , lorsque le régent envoya le colonel
Palmquist pour le faire arrêter.
L'ouvrage est terminé par une anecdote , sur laquelle
l'auteur a négligé des détails qui y eussent ajouté de
l'intérêt. Le vieux comte de Fersen fut du nombre des
nobles qui , le lendemain du coup frappé par Anckarstrom
, vinrent protester à Gustave combien ils avaient
४.
A
12
178 MERCURE DE FRANCE , 1
ce meurtre en horretur , et de quels regrets leurs coeurs
étaient pénétrés . Cette démarche fut extrêmement
agréable au roi ; il. en fut touché jusqu'aux larmes . Vous
répandez un baume consolateur sur ma blessure , leur
répondit -il , en se saisissant de la main du vieux Fersen !
Mes amis, vous meferiez chérir mon accident , puisqu'il ramène
auprès de moide braves serviteurs et defidelles amis.
Une circonstance qui n'eût pas dû être omise , c'est
que le vieux Fersen , forcé , par son âge , de s'appuyer
sur une canne , saisi de douleur en entrant dans la
chambre du roi , à la vue de ce prince étendu sur son
lit , jette sa canne et se précipite à genoux , en prenant
et baisant avec transport la main que lui tendait
son maître. Quel mouvement que celui de ce vieillard
qui dédaigne , qui repousse le frele appui de son existence
, lorsque celle de Gustave est menacée , comme
s'il ne devait plus songer à vivre , lorsque son roi va
mourir ! Cependant , parmi les seigneurs qui allèrent porter
au roi Phommage de leurs regrets , aucun ne put être
plus remarqué que le comte de Brahé , qui , depuis plusieurs
années , n'avait pas paru à la cour, et qui avait quelques
raisons de se plaindre de Gustave. C'est même à lui
qu'il dit avec cette grace qui le caractérisait : Oh ! je
chéris ma blessure , puisqu'elle me ramène mes anciens
amis.
1
Le duc de Sudermanie n'est pas bien traité dans cet
ouvrage , et l'auteur , comme on peut le voir ( p. 69 ,
70, etc. ) se montre trop disposé à adopter les soupçons
jetés sur ce prince , relativement à l'assassinat de son
frère. Ce que nous avons écrit à différentes époques
sur le système suivi par le duc , pendant sa régence ,
doit éloigner de nous tout reproche de prévention.
Comme nous nous sommes quelquefois permis d'accuser
au moins indirectement sa politique , nous le défendrions
avec la même franchise contre une accusation
FLORÉAL AN Χ. 179
également injurieuse à son coeur et à ses principes' , si
nous pensions qu'elle pût être accueillie par quelqu'un
qui réunît bon sens et bonne-foi. L'insouciance du
régent à poursuivre les complices de l'assassinat est le
plus grand tort et la plus grande preuve qu'on lui
oppose . Mais réfléchit-on bien à sa situation , au besoin
qu'il avait de se faire des partisans , à la quantité de coupables
qu'on eût pu découvrir en poussant un peu loin les
recherches et les poursuites , aux conséquences et aux
dangers qui en eussent été la suite , etc.
L'auteur adopte l'opinion queGustave tenait beaucoup
au projet d'aller faire la guerre contre la France. Avant
que cette opinion fût fortifiée parles lettres de ceprince
au marquis de Bouillé , qui viennent d'être publiées , on
eût été plus disposé à croire qu'il savait se défier de la
Russie , et qu'il sentait que cette croisade , qui l'eût
éloigné pour longtemps de ses états , n'eût pas été sans
danger pour lui . S'il fût resté simple spectateurdans la
lutte mémorable qui allait s'ouvrir , ce n'est certainement
pas qu'il n'eût trouvé ce rôle pénible , et jugé la révolution
française dangereuse pour tous les pays. L'auteur
rappelle avec vérité ( p.91 ) , ce que Gustave a dit
plusieurs fois , que ce mal ferait le tour de l'Europe.
Il avait senti non seulement combien ce mai était
épidémique ; mais encore combien il était destructeur.
Il disait en 1790 , à quelqu'un de qui nous le
tenons : Ce n'est pas seulement les rois et la noblesse
qu'attaque la révolution française mais tous les
propriétaires.
,
L'auteur s'est trompé en disant ( page 32 ) que les
dépenses de la dernière guerre contre la Russie avait
forcé Gustave de multiplier les Billets de Banque . Ce
n'eût pas été au pouvoir du roi ; mais il est vrai qu'il
augmenta la masse du papier-monnaie , puisqu'il en
créa un nouveau , les Billets des Etats.
:
180 MERCURE DE FRANCE ,
C'est encore par erreur , qu'à propos d'une conférence
que Gustave eut avec Catherine , peu de temps
après s'être cassé le bras gauche dans une manoeuvre
militaire , aux environs d'Albo , il est dit ( page 89 )
que ce prince n'était pas encore guéri , et portait le
bras en écharpe lorsqu'il se rendit à Saint- Pétersbourg ,
auprès de l'Impératrice , etc. Gustave à cette époque
ne se rendit pas à Pétersbourg ; mais seulement à
Fredericshamm , où l'Impératrice alla le recevoir.
Parmi les remarques que nous venons de faire , nous
sommes sûrs que quelques- unes au moins seront intéressantes
pour nos lecteurs. Si d'autres leur paraissaient
minutieuses , nous les prierions d'observer que nous avons
eu à coeur de corriger toute erreur , toute négligence ,
dans un ouvrage d'ailleurs aussi estimable que l'histoire
de l'assassinat de Gustave III. Nous osons croire que
les personnes qui le possèdent mettront quelque prix
à ce léger supplément.
Nous avons annoncé que l'auteur attribue , non-seulement
l'assassinat de Gustave , mais tous les événements
qui depuis 8 ans ont bouleversé la France et une partie
de l'Europe , aux principes et aux manoeuvres des Maçons-
Illuminés . Il paraît , dit-il , que les plus fameux
personnages de la revolution française , tels que
Mirabeau , Robespierre , Clootz , Thomas- Payne ,
Marat , Danton , Priestley , Dumourier , et Saint-
Fargeau étaient tous principaux initiés de cette secte
abominable. Il dit , sur le plan qu'elle suit , sur la
marche qu'elle tient , des choses curieuses que nous
regretterions de ne pouvoir faire connaître , si nous n'avions
le projet de parler incessamment de deux ouvrages
qui ont paru depuis peu , et qui donnent àce sujet de
bien plus grands détails , le Tombeau de Jacques- Molay,
et les Mémoires sur le Jacobinisme. Il est impossible de
ne pas croire que les auteurs de ces trois écrits ont
FLORÉAL AN X. 181
donné souvent pour réalité , ce qui n'était que le fruit
de leur imagination ; mais ils ont recueilli un trèsgrand
nombre de faits ,dont beaucoup , il faut l'avouer ,
viennent à l'appui de leur système * .
:.
SPECTACLE S.
THEATRE DE LOUVOIS.
LES Deux Mères , comédie en un acte et enprose ,
par les CC. Etienne et Nanteuil.
Lorsque Molière , dans son Bourgeois Gentilhomme ,
fit paraître sur la scène un maître à danser qui , pénétré
de l'importance de sa profession , la mettait sans façon
au dessus de tous les autres arts , il ne songeait qu'à
peindre un ridicule commun à tous les états ; il ne
se doutait pas certainement que les bonnes raisons qu'on
donne à M. Jourdain finiraient par convaincre une nation
entière , et qu'il viendrait une époque où la danse
tiendrait en effet le premier rang dans l'éducation.
Celui qui ne eraignit pas de s'exposer au ressentiment des
précieuses de l'hôtel de Rambouillet , aurait sans doute
eu la hardiesse d'aller attaquer les walses et les gavottes
jusque dans nos salons modernes ; et , comme il guérit
le siècle de Louis XIV de la ridicule affectation du
bel esprit , il aurait épargné au nôtre la honte d'avoir
porté , ailleurs que sur les théâtres , la danse à un si
haut degré de perfection. Il ne se serait pas contenté
d'une scène , il aurait consacré une comédie entière à
* Cet ouvrage , seule édition avouée de l'auteur , se trouve
à Paris chez Desenne libraire , Palais Egalité , galerie de
pierre , et chez Lenormant , imprimeur- libraire , rue des
Prêtres -Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42. Prix , 2 fr.et 2 fr.
50 c. franc de port.
182 MERCURE DE FRANCE ,
nous amuser aux dépens de nous - mêmes , et à nous
faire rire de notre propre frivolité ; et peut-être quelques-
uns de nos danseurs les plus à la mode auraientils
fini par rougir de l'espèce d'admiration et d'applaudissements
qu'on leur accordait , et se seraient écriés ,
comme fit autrefois Ménage en sortant de voir les Précieuses
; il nous faudra désormais brûler ce que nous
avons adoré , et adorer ce que nous avons brûlé. Au
défaut du tableau du maître , il faut nous contenter
d'une esquisse des élèves , et savoir gré aux CC. Etienne
et Nanteuil d'avoir choisi un pareil cadre. Voyons
comme ils l'ont rempli.
M.me Gérard , quoique jeune et riche , préfère aux
plaisirs bruyants du monde les paisibles jouissances de
l'amour maternel. Les assemblées , les bals , la parure
même ont peu d'attraits pour elle . Les soins de sa
toilette ne sauraient la distraire de ceux qu'elle doit à
son fils , et elle aime mieux s'entendre dire qu'elle est
mise en bourgeoise du Marais, que de mériter le reproche
d'être mauvaise mère. Les sacrifices qu'elle fait sont
d'autant plus méritoires , que les exemples qu'elle a sous
les yeux auraient dû lui inspirer des goûts tout différents
. Son mari , malgré ses cinquante-deux ans , fait
d'une partie de bal sa plus importante affaire , et d'un
pas de danse son unique étude. Très - flatté de ce qu'on
lui trouve le pied libertin et la jambe agaçante , il travaille
sans cesse à se rendre digne de semblables éloges ,
et ne voit dans ses enfants que des marmots fort ennuyeux
qui viennent le distraire de ses graves occupations.
M.me Gérard résiste aussi aux séductions
journalières d'une jeune dame d'un caractère trèsopposé
au sien , et dont , on ne devine pas trop pourquoi
, elle a fait son amie intime , au point de fournir.
à ses folles dépenses . M.me de. Frémonville (c'est le nom
de cette dame ) a son mari absent depuis plusieurs
FLORÉAL AN X. 183
années. Lasse de l'attendre à Bordeaux , elle est venue
se consoler à Paris de son veuvage ; et , pour se livrer
plus librement aux moyens de distraction que lui offre
la capitale , elle s'est empressée , sur la recommandation
de M. Duliége , jeune danseur du premier mérite
, de placer son fils chez M. Frivolet , dont le
pensionnat est fort à la mode. Depuis longtemps elle
ne s'en occupe plus , et elle néglige même de payer sa
pension. Au moment où elle médite un projet de bal ,
elle apprend tout-à-coup que son fils a disparu de
chez M. Frivolet , et elle reçoit une lettre de son mari
qui lui annonce son retour très - prochain. Bientôt M. de
Frémonville arrive ; il dit à safemme que son voyage
n'a pas été heureux , mais qu'il espère se consoler
de la perte de sa fortune en embrassant son fils . Rien
n'égale l'embarras et la confusion de M.me de Frémonville
qui finit par tout avouer. Le père sort désespéré
, et elle le suit.
Cependant , M.me Gérard , dont le fils est, non dans
un pensionnat , mais dans une pension où l'on montre
autre chose qu'à danser , a profité d'un jour de congé
pour le faire venir chez elle. Avec lui , elle amène un
enfant que le hasard lui a offert il y a quelques jours ,
et qu'elle a résolu d'élever comme le sien propre. C'est
ici que la vraisemblance est choquée au point de détruire
toute illusion. Quel conte a pu faire ce jeune
aventurier , qui est déja grand , à une femme aussi
prudente que M.me Gérard , pour se dispenser de lui
dire le nom de ses parents et de la pension dont il
sortait ? Par quels motifs a-t-il pu l'engager à ne faire
ancune information , avant de l'adopter et de le placer
auprès de son fils ? Au reste , on sent bien que le petit
fugitif ne peut être que le fils de M. de Frémonville.
Le père , qui arrive , trouve M.me Gérard au milieu de
ces deux enfants ; comme il n'a pas vu son fils depuis
184 MERCURE DE FRANCE ,
plusieurs années , il ne doute pas , aux soins qu'elle
leur prodigue , qu'elle ne soit la mère de tous les
deux; et cependant , entraîné par l'instinct de la nature
, il s'occupe exclusivement de l'aîné. Cette préférence
est fort sensible à M.me Gérard, qui , pour dé
dommager son 'enfant , lui prodigue les plus tendres
caresses . Ce mouvement de dépit si naturel a été fort
bien rendu par M.lle Sara - Lescot , et très-applaudi
du public . Enfin , une explication fait reconnaître å
M. de Frémonville son fils Amédée. M.me de Frémonville
arrive ; mais Amédée , à qui on dit d'embrasser
sa mère ,se jette dans les bras de M.me Gérard. Ce
dernier trait met le comble à sa confusion et à son
repentir ; elle se promet de prendre désormais son
amie pour modèle , et obtient son pardon.
La pièce est terminée par des couplets assez insignifiants.
C'est une redevance à laquelle l'usage a soumis
les auteurs de vaudeville , mais dont on peut fort bien
s'exempter à la fin d'une comédie. On serait tenté de
dire à ceux qui s'imposent une pareille tâche , au
risque de la mal remplir : Quoi ! messieurs , sans y
être obligés?
Nous nous sommes étendus sur cette petite pièce ,
parce que le but moral en est excellent , que plusieurs
caractères en sont très-bien tracés , et qu'elle annonce
beaucoup d'esprit et même du talent comique. On est
à la fois surpris et fâché que les auteurs ne se soient
pas donné la peine de mieux fondre leur sujet. Il suffit
d'examiner la plupart des invraisemblances , pour se
convaincre qu'il était aisé de les faire disparaître Un
peu de soin et de travail auraient fait de cette ébauche
un très-joli tableau . Est-ce précipitation ? ou les auteurs
se seroient- ils persuadés , comme on paraît le
croire chez nos voisins , que les invraisemblances ne
font que rendre une pièce plus piquante , et que les
FLORÉAL AN X. 185
règles du bon sens et de l'art sont des entraves dont le
talent doit chercher à s'affranchir ?
THEATRE DU VAUDEVILLE.
Le Peintre Français à Londres , comédie anecdotique
en un acte ; par les CC. Barré , Radet , Desfontaineset
Julien .
Lorsque Louis XIII prit Nancy , il proposa à Calot ,
célèbre graveur de cette ville , de représenter sa nouvelle
conquête ; Calot , qui était né sujet du duc de
Lorraine , s'en excusa , et dit à quelques courtisans ,
qui voulaient l'y obliger , qu'il se couperait plutôt le
poing que de rien faire contre l'honneur de son prince
et de sa patrie. Cette anecdote rajeunie paraît avoir
fourni le sujet de la petite pièce que nous annonçons.
:
Maurice , jeune peintre français , réfugié à Londres ,
s'est laissé entraîner dans une maison de jeu , où il a
perdu tout son argent. Un brocanteur de tableaux qui
lui avait prêté une assez forte somme , vient la réclamer
, et se dispose , faute de payement , à le faire
conduire en prison. Le désespoir de Maurice est encore
augmenté par la douleur d'une jolie veuve , sa cousine ,
qu'il était sur la point d'épouser. Dans cemoment critique
, lord Solnen (anagramme de Nelson ) , vient lui
offrir 500 guinées , s'il veut peindre le combat navali
d'Aboukir. Maurice refuse généreusement de retracer...
une bataille où les Français ont eu le dessous , et l'amiral
le quitte en applaudissant à son patriotisme.
Cependant les huissiers arrivent et vont le conduire
en prison. Heureusement lord Solnen revient à temps
pour se rendre caution du débiteur ; il lui propose
de faire son portrait en pied. Cette manière délicate
de rendre service est appréciée par le jeune peintre; il
186 MERCURE DE FRANCE ,
accepte avec reconnaissance ; et l'usurier ,qui espérait
l'obliger à travailler pour lui à vil prix , et qui ne le
faisait mettre en prison que pour l'empêcher d'avoir des
distractions , sort très-mécontent d'être remboursé.
Les premières scènes de cette petite pièce avaient été
accueillies avec un peu de froideur. Il est vrai qu'elles
n'offraient aucun trait bien saillant. Le public , accoutumé
à voir prodiguer sur ce théâtre les jeux d'esprit
et les calembourgs , était surpris de n'entendre
qu'un dialogue naturel et des couplets assez simples.
Tout- à-coup quelques mots heureux et vivement sentis
ont décidé de la fortune de la pièce , et lui ont
assuré un succès complet. On a surtout applaudi ce
que dit Maurice contre les maisons de jeu ,
Où l'on court le danger certain
D'être ruiné par la perte ,
Ou déshonoré par le gain.
1
ΑΝΝΟNCES.
1
de
)
MON Voyage au Mont-d'Or , par l'auteur du voyage
àConstantinople par l'Allemagne et laHongrie. I vol.)
in-8.° ; prix 3 fr. et 4 fr. franc de port par la poste.
ETATS- UNIS de l'Amérique à la fin du 18. siécle ; par
J. E. Bonnet auteur de l'essai sur l'art de rendre les
révolutions utiles. 2 vol. in-8.°; prix 7. fr. 50 centimes
et 9 fr. 50 centimes , francs de port par la poste.
BELINDE , conte moral de Maria Edgevorth traduit
de l'anglais par le traducteur d'Ethelwina ; par L.S.
et par F. S. 4 vol. in-12 prix 6 fr. et 8 fr. franc
de port par la poste.
LA PHILOSOPHIE chrétienne , par M.me de Genlis.
つCo
10
if
d
FLORÉAL AN X. 187
1 vol. in- 12.; prix 2 fr. et 2 fr. 50 centimes , par la
poste.
Ces quatre ouvrages se trouvent chez Maradan , imprimeur-
libraire rue Pavée Saint-André , n.º 16 , et
chez Lenormant, imprimeur-libraire rue des Prêtres-
Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42 .
BIBLIOTHEQUE COMMERCIALE , ouvrage destiné à
répandre les connaissances relatives au commerce , à
la navigation , et aux divers établissements qui ont
l'un et l'autre pour objet ; par J. Peuchet , membre
du conseil de commerce au ministère de l'intérieur ,
et de celui du département de la Seine .
1
Ce premier cahier de 100 pages in-8.° contient une
Introduction : vues sur le commerce en général. Commerce
extérieur : Du commerce de la Baltique et de
l'entrepót de Gothembourg. Marchandises de France
portées dans les ports de la Baltique ; marchandises et
productions de la Baltique qui entrent dans le commerce
de France ; comment les Français peuvent - ils faire
aujourd'hui le commerce de la Baltique ? Commerce
de l'Inde : Compagnie de l'Ile- de- France ; Mémoire
sur le commerce de l'Ile- de-France et de la Réunion .
Commerce intérieur : Mémoire sur l'état actuel des fabriques
de Lyon ; Culture et commerce de la Garance
dans le département du Bas -Rhin ; Commerce du département
de Sambre -et-Meuse ; de la Diplomatie commerciale
.
Plusieurs souscripteurs ayant témoigné le desir de
jouir de cet ouvrage à des époques plus rapprochées , le
public est prévenu que dorénavant chaque cahier de
100 pages in- 8.º sera divisé en deux livraisons , qui
seront publiées dans le courant de chaque mois , à des
distances à peu près égales.
Le prix de la souscription pour Paris ,les départe
188 MERCURE DE FRANCE ,
ments et l'étranger, est de 21 fr.; et l'on recevra, francs
de port par la poste , 12 cahiers divisés en 24 livraisons ,
dont 2 chaque mois. On souscrit aussi pour 6 cahiers.
ou 12 livraisons , que l'on recevra , franches de port ,
à raison de 2 livraisons chaque mois , pour le prix de
12 fr. La lettre et l'argent doivent être affranchis . On
peut aussi , pour éviter les frais , envoyer le prix de la
souscription en un mandat sur Paris .
On souscrit à Paris , chez F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Hautefeuille , n.º 20 ; chez Lenormant ,.
imprimeur- libraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, n.º 42 ; et chez tous les libraires et directeurs
des postes de France et de l'étranger.
La liste des souscripteurs va être imprimée et publiée.
EPITRE A CLARISSE , sur les dangers de la coquetterie ,
suivie de l'Epître à l'ombre de Caroline ; par le C.
Luce de Lancival. A Paris , chez Moussard , libraire ,
rue Helvétius , n.° 560 ; et chez Lenormant , rue
des Prêtres -Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42 .
On trouve aux mêmes adresses le poème latin sur la
paix , du même auteur.
1
TABLEAUX de l'Univers et des connaissanceshumaines,
représentés par des gravures en couleur , avec une
explication en cinq langues , latine , allemande ,
italienne , anglaise et française. Prix , 4 fr. A Paris ,
chezM.me Marceau-Sergent , rue du Sentier , n.º 29 ;
et chez Lenormant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres - Saint-Germain- l'Auxerrois , n.º 42 .
De l'Egypte après la bataille d'Héliopolis , et Considérations
générales sur l'organisation physique et politique
de ce pays ; par le général de division Reynier .
Un vol. in-8.º de 300 pages , avec tableaux et la carte
de la Basse-Egypte. Prix , 5 fr. , et 6 fr. franc de
port. A Paris , chez Charles Pougens , imprimeurlibraire
, quai Voltaire , n.º 10 ; et chez Lenormant ,
FLORÉAL AN X. 189
imp. -libr. , rue des Prêtres-St.-Germain-l'Auxerrois ,
n.° 42.
DISCOURS sur l'Histoire universelle , pour expliquer la
suite de la religion et le changement des empires ,
adressé au dauphin , fils de Louis XIV ; par M. Bossuet
, évêque de Meaux. I vol. in-8.º Prix , 5 fr. Chez
M.me Lamy , rue des Canettes , n.º 527 ; et chez Lenormant
, impr.-libr. , rue des Prêtres St.-Germainl'Auxerrois
, n.º 42 .
MÉDECINE légale et Police médicale , de P. A. O.
Mahon , professeur de médecine légale et de l'histoire
de la médecine à l'Ecole de Médecine de Paris ; médecin
en chef de l'Hospice des vénériens de Paris ;
membre de la Société de l'Ecole de Médecine , de
la Société médicale d'Emulation ; et auparavant ,
docteur de la Faculté de Paris , membre de la Société
royale de Médecine , etc. etc. Avec quelques notes
du C. Fautrel , ancien officier de santé des armées .
3 vol. in-8.º de 1350 pages. Prix , 12 fr. brochés , at
16 fr. francs de port. A Paris , chez F. Buisson ,
imprimeur-libraire , rue Hautefeuille , n.º 20 ; et chez
Lenormant , impr.-lib., rue des Prêtres -St.-Germainl'Auxerrois
, n.º 42.
LETTRES de Cicéron , traduites par l'abbé Prévost ,
contenant les Lettres à Brutus , la Vie de Brutus,
et tout ce qui y a rapport ; nouvelle édition , revue ,
corrigée et augmentée de remarques , de notes courantes
, et de plusieurs tables , par Goujon ( de la
Somme ) , ancien jurisconsulte.
Ce sixième volume , suite des Lettres vulgairement
dites familières , outre qu'il est le dernier de la traduction
de l'abbé Prévost , complète en effet l'édition
des Epîtres de Cicéron ad diversos ( à divers ) , suivant
la dénomination que d'Olivet jugeait la plus conye.
190 MERCURE DE FRANCE ,
nable , quoiqu'il eût , par une sorte de respect pour
l'habitude , conservé à la tête de son édition le titre Ad
familiares.
Prix , les 6 vol . in-8.º , de 5 à 600 pages chacun ,
30 fr. , papier fin ; pap. ordin . , 25 fr . Le sixième
volume détaché , 5 fr. pap. fin ; pap. ord. , 4 fr .
La même édition , en français seul , sans le latin ,
quatre volumes , pareil format , tout en papier fin ,
20 francs .
Il faut ajouter , pour le port franc à tous les départements
, 1 fr. 75 c. par volume.
N. B. On joindra , pour ceux qui le desireront , au
sixième volume en vente , deux portraits , J'un de
Brutus , l'autre de Cicéron , tous deux dessinés d'après
l'antique , et gravés par l'Epine. Le portrait de Cicéron
est diposé pour se rattacher au frontispice du premier
volume des Lettres familières , comme celui de Brutus
au dernier volume de l'édition .
Prix des deux portraits : ensemble, 60 cent. ( 12 sous) ;
de chacun séparément , 40 cent. ( 8 sous ).
A Paris , chez Goujon ( fils ) , imprimeur- libraire , rue
Taranne , n. ° 737 ; et chez Lenormant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres- Saint-Germain- l'Auxerrois
n.º 42.
LETTRES de Cicéron à Atticus , avec des remarques
et le texte latin de l'édition de Grævius , par l'abbé
Mongault ; nouvelle édition , revue et corrigée sur
l'édition de l'abbé d'Olivet , augmentée de remarques
historiques , de notes courantes , et de plusieurs.
tables ; par Goujon ( de la Somme ) , éditeur des
Lettres familières .
Les Lettres à Atticus , dont les notes du traducteur
(l'abbé Mongault ) ont fait un livre vraiment classique ,
sot dans le commerce depuis longtemps. La meilleure
édition , à défaut de la première qui manque , est de
FLORÉAL AN X. 191
1
1738. Elle devient de plus en plus rare. C'est une considération
qui doit faire desirer qu'elle se renouvelle .
Les Lettres à Atticus seront du format des Epîtres
familières ou à divers , de manière à faire suite à cette
première partie .
L'édition latin -français , aura six volumes au plus ,
de 5 à 600 pages chacun ; celle du français seul en
aura au moins trois .
Prix de chaque volume livré à Paris , 5 fr. , papier
fin ; 4 fr . , papier ordinaire. Port à ajouter pour les
départements , 1 fr. 75 cent. L'édition française , toute
en papier fin , est en beaucoup plus petit nombre
d'exemplaires que la première.
L'une et l'autre édition seront achevées au 1. nivose
de l'an II ( au plus tard au 1er janvier 1803 ) .
On pourra , toutefois , se procurer partiellement les
volumes à mesure qu'ils paraîtront .
Souscription.
L'ouvrage est offert par souscription jusqu'au r.er
germinal prochain ( terme de rigueur 1. avril 1802 ) .
Les personnes qui auront souscrit à cette époque ,
jouiront , sur le prix de 15 pour cent de remise , en
prenant successivement chaque volume , et de 10 pour
cent si elles ne font que prendre l'édition toute entière
, après l'émission du dernier.
Pour profiter de la remise , dans l'un comme dans
l'autre cas , l'exemplaire , soit de chaque volume séparément
, soit de l'édition entière , devra être levé et
le prix acquitté dans le mois de la mise en vente ,
laquelle sera annoncée au public par la voie du Journal
Bibliographique.
La souscription doit être ainsi conçue :
"
?
Je m'engage à prendre l'édition entière ( ou les
* volumes à mesure qu'ils paraîtront ) des Lettres de
۱
192 MERCURE DE FRANCE ,


Cicéron à Atticus , revue et corrigée par Goujon
« ( de la Somme ) , aux prix et aux conditions établis
" par le prospectus de Goujonfils , imprimeur- libraire. »
Goujon fils , en recevant , soit directement , soit par
voie de libraires , la souscription , en expédiera le reçu ,
portant soumission de livrer , dans les mêmes termes ,
signé de lui et de l'éditeur.
VOYAGE en Italie de M. l'abbé Barthélemy , de l'Académie
française , de celle des Inscriptions et Belles-
Lettres , et auteur du Voyage d'Anacharsis ;
imprimé sur ses Lettres originales écrites au comte
de Caylus : avec une Appendice , où se trouvent des
morceaux inédits de Winckelmann , du P. Jacquier ,
de l'abbé Zarillo , etc. publié par A. Sérieys , bibliothécaire
du Prytanée , et communiqué pendant
l'impression au Sénateur , neveu de cet académicien ,
et au directeur de la monnoie des médailles , son
compagnon de voyage en Italie. Seconde édition ,
augmentée d'une Notice sur M.me de Choiseul. Un
volume in-8.º de 450 pages , imprimé sur carré fin
et caractères neufs , avec une planche : 5 fr. broché ,
et 6 fr. 50cent. franc de port par laposte. En papier
vélin , 10 fr. A Paris , chez F. Buisson , imprimeur-
libraire , rue Hautefeuille , n.º 20 ; et chez
Lenormant , imprimeur - libraire , rue des Prêtres-
Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42 .
Nous avons rendu compte de cet ouvrage dans un
de nos précédents numéros.Le débit rapide de la première
édition prouve assez le succès qu'il a obtenu.
L'éditeur promet incessamment la correspondance de
Pacciendi, bibliothécaire et antiquaire du duc de
Parme , avec MM. de Gaylus et Barthélemy. « Elle
« est d'autant plus intéressante , dit-il , qu'elle joint à
des observations profondes sur les anciens monu-
*« ments , cet épanchement de coeur , ces détails anec -
<<dotiques et confidentiels , ce je ne sais quoi de franc ,
de gai , de spirituel , qui fait le charme des lettres
del'auteurd'Anacharsis. "
"
"
L'éditeur du Voyage en Italie a des droits à la confiance
, et nous ne doutons pas qu'il ne justifie les espérances
du public.
FOLORÉAL ANX193
mot to
POLITIQU
SUR Le traité d'Amiens

*
cen
ob alsqidorA !
L
A France , réconciliée avec tous les gouvernements ,
ne le sera jamais avec les hommes qu'importune l'aspect
de sa grandeur et qu'offusque l'éclat de sa gloire.
Lorsqu'ils la virent , 1 asix mois conclure en
quinze jours quatre traités de paix achever ainsi de
rétablir ses anciennes relations avec toutes les puissances
, et rendre le calme à la terre et aux mers ;
atterrés de tant dee ssuucccceess, ils s'efforcerent de contester
les belles conditions de sa paix avec
2016
l'Angleterre . Ils
ID 901 по 1 19
auraient voulu pouvoir se dissimuler à eux - mêmes
zout ce
1080 124086 91100
qu'elle avait d'avantageux et de glorieux pour
la France ; ils auraient voulu , surtout , pouvoir le
déguiser à l'Europe e sibarge so को
د 0
se-
Ils ouvrirent le cclhamp le plus vaste aux amateurs de
conjectures ; ils prétendirent que des conditions
crètes balançaient les avantages des articles patents..
Le temps a prouvé qquu''iill n'existaittpas de conditions
secrètesitab hot nu
د

S'appuyant sur je ne sais quelles phrases des ministres
anglais au parlement , ils soutinrent que la paix ne
pouvait être jugée sur lles préliminaires qu'il fallait
attendre le traité définitif , eett qu'alors on verrait la
supériorité de la Grande-Bretagne . Le ttrraité
, et
ancb
delus
finitif a été signé , a été publié il s'est trouvé plu
avantageux , plus glorieux pour la France que les préliminaires
lepel ob 10.109
Avec la Russie , l'Angleterre , le Grand - Seigneur ,
ל נ י א
I
le Portugal.
8.
ןיינ ירמ
. 13
et
3
194 MERCURE DE FRANCE ,
A l'époque où parut cette première convention , elle
fut appréciée sous ses divers rapports . On estima de
quel prix seraient pour l'Angleterre les forêts de cannelliers
qu'elle acquérait à Ceylan , et surtout le superbe
port de Tringuemale , véritable boulevart de
l'Inde, dominant le Malabar , le Coromandel , et tous
les Archipels de cet océan.
On calcula , non ce que vaut la Trinité , mais ce que
la fera valoir l'habile industrie des Anglais , moins
avides peut-être des productions de son sol , qu'empressés
d'attirer à eux tout le commerce de l'Orénoque
et des contrées qui l'avoisinent.
Aces calculs si brillants pour l'Angleterre , on joignit
celui des richesses qu'elle doit trouver dans le
Mysore , conquis pendant la guerre de la révolution ;
et l'on fut disposé à croire que les Anglais avaient
porté aussi haut qu'ils pouvaient le desirer leur puissance
maritime et commerciale.
On opposa à cette situation de l'Angleterre , celle
de la France agrandie de la Belgique , de la Savoie ,
du Piemont , et d'une partie de l'Allemagne ; disposant
de la Hollande , de la Suisse et de l'Italie ; se
fortifiant dans la Méditerranée , par l'acquisition de
Porto- Ferraio ; ouvrant au nord un fleuve fameux par
son ancien commerce , un port destiné par sa position
&redevenir le marché de l'Europe ; reprenant laMartinique,
enrichie des capitaux versés par les Anglais ;
acquérant lapartie Espagnole de Saint-Domingue ; s'établissant
dans la Louisiane , et recouvrant ses comptoirs
dans l'Inde.
Entre ces tableaux de deux états qui peuvent cesser.
d'être ennemis , mais non d'être rivaux , il n'était pas
embarrassant de dire lequel des deux avait le plus
gagné à la guerre : il était démontré que la France
avait acquis une prépondérance irrésistible sur le conFLORÉAL
AN X. 195
tinent , et qu'en laissant déchoir sa puissance maritime
, elle n'en avait pas perdu les éléments , qui sont
tous dans sa population et son territoire.
Tel était le premier , le plus grand résultat qu'offraient
les préliminaires ; et , comme ils ont fait le
fonds du traité d'Amiens , on peut dire qu'il était jugé
d'avance. Voyons cependant s'il n'assure pas quelques.
avantages nouveaux à la France et à ses alliés , s'il ne
s'y trouve pas quelques grands traits propres à le caractériser
dans l'histoire .
Les Français étaient justement effrayés de tout ce,
qui était dû à l'Angleterre pour les avances faites
àplus de vingt mille prisonniers. L'article II du
traité d'Amiens diminue la dette de la Frauce. Il est
convenu que dans le compte des avances respectives
on portera , non-seulement les dépenses de tous les
prisonniers des deux nations , mais aussi celles des
troupes étrangères qui , avant d'être prises étaient à la
solde et à la disposition de l'une des parties contractantes.
Ainsi les dépenses faites par les sept mille prisonniers
, rendus à la Russie , seront portées en dé-,
duction de ce que la France doit à l'Angleterre.
L'Article VII assure à la France , dans la Guiane ,
un agrandissement que l'article VI , des préliminatres
, rendait au moins douteux , puisqu'il garantissait
au Portugal l'intégrité de ses possessions.
eDans les conditions relatives à Malte , à cette im- i
portante forteresse que les amis de l'Angleterre lui
avaient si souvent adjugée, tout est favorable à la France,
et les mesures provisoires , et les dispositions definitives.
Tant que l'Ile sera napolitaine , elle sera française
; et , pour qu'elle cesse d'être telle , il faut un
accord de toutes les grandes puissances. Si elle est un jour
dominée par la langue maltaise , la position , les be196
MERCURE DE FRANCE ,
soins , l'esprit , la nature de cette langue la soumettront
à l'influence du gouvernement français .
Voilà donc quelques conventions positives qui ren -
dent le traité préférable pour la France aux prélimi
naires. Mais ce n'est pas ce que le traité exprime qui
lui est le plus avantageux , c'est surtout de ce qu'il
ne dit pas que doivent se réjouir les Français et leurs
alliés .
:
Dans toutes les négociations antérieures , l'Angleterre
avait exigé le renouvellement des anciens traités
, en reinontant jusqu'à celui de Westphalie. C'était
avec un soin scrupuleux qu'elle les rappelait tous ,
date par date , et qu'elle leur donnait ainsi une nouvelle
vigueur. Personne n'ignore que ces traités étaient
presque tous onéreux pour les puissances maritimes
du continent , et qu'il s'y trouvait même des conditions
humiliantes pour les alliés de la France. Il y avait
desparages dans lesquels les Hollandais devaient , en
signe de soumission , abaisser leur pavillon devant celui
de l'Angleterre. Ce honteux hommage n'avait jamais
été contesté , sans que la guerre s'en suivît. Les règnes
de Cromwel et de Charles II en avaient offert l'exemple.
Cette espèce de vasselage est détruit ; et , ce qui
importe davantage au commerce , l'anéantissement des
anciens traités a fait disparaître les fatigants embarras
qui en résultaient pour la France et sesalliés , dans
leur navigation , dans le régime de leurs colonies ,
dans tout leur système commercial...
Si l'on voulait donner une idée de la gêne imposée
par ces traités aux états qui recevaient alors la loi de
*Depuis le Cap - Finistère jusqu'aux côtes de la Norwége
, les Hollandais devaient saluer en abaissant leur
pavillon et la voile de leur grand mât ( Traité de Londres
, art. 4. ).
FLORÉALAN X. 197
l'Angleterre , il suffirait de faire connaître ceux de
1667 et 1670 , entre cette puissance et l'Espagne *. On
y verrait à quel point était favorisée la navigation
desAnglais ; àquel point était limitée pour ses douanes ,
pour ses péages , l'autorité de la puissance qui les
recevait chez elle : et si l'on comparait ensuite les
avantages des Anglais chez les puissances continentales
, avec les difficultés qu'opposait à celles-ci le fameux
acte de navigation , on ne s'étonnerait plus de
la dégradation où leur marine était tombée , même
avant la guerre ; on s'étonnerait bien plutôt que la
marine anglaise n'eût pas tout accaparé , tout envahi.
Dans un autre traité ** , l'Espagne était soumise à
J'obligation de n'aliéner aucune partie de ses domaines
en Amérique ; engagement toujours pénible quand it
est commandé. L'expérience a prouvé que l'Espagne
n'eût pu le remplir qu'au risque de sa sûreté ; elle fut
forcée de le rompre , il y a sept ans , pour mettre fin
àune guerre malheureuse : elle ne sera plus embarrassée
dans de semblables liens ...
La faculté de couper du bois de campêche,dans la
province de Honduras , était encore un droit accordé
aux Anglais , et souvent renouvelé depuis ,plus de
deux siècles. Les Anglais y tenaient moins peut - être
pour les bois même dont ils se réservaient l'exploitation
, que pour le commerce de contre-bande qu'elle
favorisait. La baie de Honduras est affranchie de ce
double tribut.
Toutes les faveurs que les Anglais avaient ravies à
l'Espagne , annullaient dans plusieurs points le pacte
de famille, dont quelques dispositions eussent été diffi -
ciles à concilier avec les traités antérieurs entre les
*
Voyez surtout les articles 5,6,7 , 8 , 9 et 10 du premier
de ces traités.
*** Utrecht , 1713.
198 MERCURE DE FRANCE ,
Cours de Londres et de Madrid. Celui d'Amiens fait
évanouir toute irrégularité , toute oppression , toute
entrave. L'ancienne loi est détruite ; un nouveau droit
public commence : les Français et leurs alliés ont
acquis leur indépendance maritime ; ils sauront en
faire usage. Ils ne tomberont pas dans le piége d'un
nouveau traité de commerce ** ,, et ils pourront avoir
un jour leur acte de navigation.
C'est-là ce qui distingue le traité d'Amiens de toutes
Jes anciennes transactions du même genre ; c'est-là ce
qui le rendrait si avantageux pour la France , quand
même il ne mettrait pas le dernier sceau à cet accroissement
de puissance continentale , qui la rend si formidable
, et qui déja oblige l'Angleterre à grossir ses
dépenses, en augmentant ses milices **.
Il est encore d'autres traits qui distinguent le traité
d'Amiens , et qui serviront à signaler l'époque actuelle.
La nouvelle constitution de Malte , heureuse pour la
France , comme je l'ai déja observé , est par ellemême
un phénomène politique , qui étonnerait beaucoup
sans doute , si , dans ce temps de prodiges , la
faculté de l'étonnement ne se trouvait en quelque sorte
épuisée. C'est une alliance de l'aristocratie et de la
démocratie, des anciennes opinions et des idées nouvelles
, de la chevalerie et de la philosophie ; c'est une
conciliation entre deux systèmes politiques , qui ont
allumé la guerre la plus cruelle , comme dans le traité
de Wetsphalie nous voyons un accommodement entre
deux religions qui avaient été l'aliment ou le prétexte
* Il paraît bien que l'Angleterre désespère de les y attirer .
Rien ne le prouve mieux que le discours de lord Hawkesburi
aux communes , dans la séance du 14 avril ( 24
germinal ).
** Le ministre de la guerre a annoncé cette nécessité
aux communes , dans leur séance du 13 avril ( 23 germinal ).
FLOREAL ANX. 199
de divisions longues et désastreuses. S'il existait un
état dont ont eût pu croire , il y a quelques années ,
que l'esprit chevaleresque défendrait l'accès à l'esprit
de la révolution , c'était Malte sans doute ; et c'est à
Malte que l'esprit de la révolution s'établit , lorsqu'il
s'affaiblit partout ailleurs ! .... Pour ajouter à la bizarrerie
de ces combinaisons , l'Angleterre a contribué ,
comme la France , à l'y maintenir. Il paraît certain
au moins qu'ayant reçu des habitants de Malte plusieurs
plans de république , les Anglais ont fait valoir
au traité d'Amiens les demandes de ces insulaires :
ainsi les principes démocratiques se sont trouvés protégés
par la puissance qui s'était armée pour les combattre.
t
Mais l'organisation de cette nouvelle république et
son rôle futur ne peuvent avoir un grand intérêt que
pour la France et l'Angleterre. Il est dans le traité une
ligne sur les Barbaresques , qui présente un intérêt plus
vaste , un intérêt général pour l'Europe. Elle annonce
le projet de faire cesser le système d'hostilités qui
subsiste entre les gouvernements éclairés et ces gouvernements
d'Afrique , que l'incurie des premiers a pu
seule élever au rang des puissances . Ils furent plus
d'une fois humiliés et punis par des rois d'Europe ;
mais chacun de ceux-ci ne parut occupé que de ses
propres griefs ; ils ne purent ou ne voulurent jamais
s'entendre pour se délivrer de l'impôt honteux que la
civilisation est forcée de payer à la barbarie. Nous
nous agitions , nous nous déchirions pour un peu plus
ou un peu moins de liberté politique ; nous déchaînions
aux Antilles des Africains nés esclaves,, et prêts à
massacrer leurs libérateurs ; et nous ne faisions rien
pour nous garantir de l'affreux esclavage dont les
Africains nous menaçaient , dès que nos devoirs , ou
nos intérêts , ou le desir de l'instruction nous appe
200 MERCURE DEFRANCE ,
2
laient sur la Méditerranée. La religion s'efforçait
autrefois de réparer , à cet égard , l'insouciance)de
la politique ; enfin , la politique,elle-même devient
protectrice, Ses heureuses intentions ne sont peutêtre
pas faciles à réaliser ; mais elles ne peuvent
tomber dans l'oubli ; le bienfait est annoncé , le signal
est donné ; il ajoute à l'importance du traité
d'Amiens ; ilghonore les négociateurs dont ce traité
est d'ouvrage, et les gouvernements dont ils ont justifié
la confiance. astoupildi 1
Ce n'est pas seulement sous ce rapport , que le traité
d'Amiens intéresse l'Europe entière. Tout le
continent doit se réjouir des avantages de laFrance
et de ses alliés . Qui pourrait avoir oublié la situation
où nous étions , il y a un an ? Le Sundivenait
d'être le théâtre d'une bataille funeste , où
l'héroïque bravoure des Danois , n'avait pu ravir la
victoire au pavillon britannique, Placés à l'avant-garde
de la ligue maritime , en succombant , ils lui avaient
montré ses dangers ; et la catastrophe qui venait d'enlever
le souverain, chef de cette coalition , avait entièrement
détruit son espoir. Les ennemis de la
France, se flattaient déja de se rattacher la Russie ,
et de rallumer la guerre continentale : on ne voyait
que symptômes de trouble et de discorde .... Par
quelle magie , la France , que l'on croyait alors si éloir
gnée d'une heureuse harmonie avec la plupart des
puissances , est-elle parvenue en si peu de temps à
l'établir ? Par quel enchantement l'Europe,est-elle
passée de ces agitations , à un repos universel ?.
Ici les faits parlent et nomment le grand-homme
qui , tenant dans sa main les destinées de la France ,
exerce one influence si puissante sur celles de PEurope.
Lui seul pouvait s'élever au dessus de la gloire attachée
à une telle paix. Il sbytest montré supérieur , en
FLORÉAL AN X. 201
s'honorant davantage de la paix des consciences et
des familles . Lorsqu'il a annoncé cette préférence ,
ilha confirmé le jugement de la nation , il a parlé
le dangage de la postérité ; mais cette préférence
même est une gloire nouvelle , une gloire qui lui est
propre, et qui n'appartint à aucun des conquérants ,
à aucun des législateurs dont le monde garde la mémoire.
1
:
SUR le Rétablissement du Culte et la solennité
du 28 germinal. :
Ce fut jadis sans doute une cérémonie bien majestueuse
, une journée bien imposante pour les Romains ,
que celle où , respirant enfin des horreurs de la guerre
civile et des calamités de la guerre étrangère , ils virent
Auguste , après avoir donné la paix à l'univers , fermer
le temple de Janus , ouvert depuis plus de deux cents .
ans. Les historiens contemporains parlent de cet événement
comme d'une faveur signalée des Dieux pour
leur siécle **. - Quel n'eût pas été l'enthousiasme
de Rome , quelles bénédictions Virgile et Horace n'eussent
- ils pas jointes à leurs louanges, si Rome n'avait pas
Lorsqu'une députation du Corps législatifest allé féliciter
le premier consul sur la paix , il ne leur a parle ,
dans sa réponse que du rétablissement du culte; etil l'a terminée
en disant : « Le peuple français apprendra avec
<< une vive satisfaction qu'il n'y ait pas eu un seul de ses
<< législateurs qui n'aiť voté la paix des consciences et la
paix des familles, plus importante , pour le bonheur du
peuple, que celle sur laquelle vous venez de féliciter le
gouvernement , & doque 20
* Herum quod nostræ ætati Dii dederuntut videremis
postbellum actiacum, ab Imperatore Augusto pace
terra marique partdeside
(Tite-Live. )
202 MERCURE DEFRANCE,
eu à oublier les atroces forfaits d'Octave , si les victoires
dont la paix était le fruit eussent été remportées
sur une ligue de rois coalisés contre elle; et si des
mains sacrileges ayant , pendant le triumvirat , profané
les temples et renversé les statues des Dieux ,
elle eût vu Auguste rétablir le culte de Jupiter , banni
depuis dix ans du Capitole !
L'histoire d'aucun peuple n'offre rien de semblable :
c'est sous nos yeux , c'est pour nous , qu'après des
maux inouis , se réalisent des bienfaits sans exemple.
Le temple de Janus fermé , pour le bonheur de Rome
et le repos du monde , n'est qu'une froide cérémonie
auprès des temples du vrai Dieu , r'ouverts au même
instant pour trente millions d'hommes , par le même
héros auquel ils durent leurs victoires les plus éclatantes
, et la paix la plus glorieuse.
Il faudrait remonter bien haut dans nos annales
pour trouver un événement aussi desiré et aussi. important
pour la société. Tout ce qu'on avait fait et dit
jusqu'ici de rassurant contre ces doctrines désolantes ,
qui ne produisent que corruption et anarchie , ne saurait
être comparé au seul acte du gouvernement , qui ,
'en rétablissant un culte public , rend à l'ordre social
sa base la plus solide , la plus forte protection de ses
principes , la véritable garantie de sa durée.
La multitude elle-même a vu beaucoup plus qu'un
beau spectacle dans la pompe militaire et religieuse
avec laquelle a été célébrée la solennité du 28 germinal
. Quelqu'attachtante qu'elle fût pour les regards ,
elle l'était encore plus pour la pensée, et surtout pour
le sentiment. Ces troupes superbes , si justement fières
du souvenir de leurs exploits , reconnaissant dans le Dieu
des chrétiens le Dieu des armées ; ces drapeaux , qui les
conduisirent si souvent à la victoire , baissés devant
FLORÉAL AN X. 1 203
l'étendard de la religion ;cette musique guerrière, qui
les anima tant de fois dans les batailles , se mêlant
maintenant aux cantiques de l'église ; les premières autoritésde
l'état rendant hommage à l'Etre de qui vient
toute sagesse; des pontifes vénérables par leurs an
nées et leurs vertus , renouvelant leurs engagements.
envers la patrie , et priant pour sa prospérité ; cette
idée de la religion renaissante , le jour même destiné à
célébrer la résurrection de son fondateur ; un peuple
immense se pressant pour voir , pour contempler , pour
bénir l'homme à qui est due cette grande restauration;
enfin , l'auteur de ce bienfait courbant sa tête
chargée de palmes devant l'auteur de tous les biens ; et
tantde partis rapprochés , réunis, confondus , pour remercier
le père des hommes de la paix dont jouissent
l'église et l'état ; tous les touchants détails de ce mag
nifique spectacle parlaient moins aux yeux qu'à l'esprit
et au coeur. 9
Ensongeant qu'à lamême heure toute laFrance était
occupée du même hommage à la Divinité , qui n'eût cru
voir le peuple Français , lui offrant , avec ses actions de
graces , un sacrifice expiatoire pour les excès dont il
laissa déshonorer son nom? Les étrangers qui l'ont observédans
cettejournée mémorable , n'ont-ils pas trouvé
les passions refroidies , les haines éteintes , ladiscorde
étouffée ? Ah ! que n'avons-nous pu montrer ce jour-là ,
àtoute l'Europe, ce peuple dont les orageux rassemblements
furent si souvent pour elle un objet de scandale
et d'effroi ! Elle l'eût vu accourant en foule aux
temples qui venaient de lui être ouverts , et rassemblé
enfin pour un objet digne de son antique renommée.
On a peine à se persuader que la restauration du
culte , puisse faire quelques mécontents ; et cependant
il est constant qu'à l'extrémité de deux partis
204 MERCURE DE FRANCE ,
(
extrêmes , il se trouve une extrêmement petite opposition.
Les opinions politiques ne sont pour rien dans
l'un de ces deux partis,qui, respectant l'autorité civile,
ne sait concilier, avec quelques articles du concordat ,
des opinions scrupuleuses sur l'autorité spirituelle.-
Le concordat de François I. éprouva de plus fortes
crítiques; il fut combattu par le clergé , l'université
et les parlements , qui défendaient la pragmatique
avec l'ardeur du zèle , ou la chaleur de l'intérêt , ou
l'obstination des préjugés . On disait en France que le
roi et le pape , s'étaient donné ce qui ne leur appartenait
pas. Malgré ces clameurs , le concordat fut
exécuté , et il a duré près de trois siécles.
Quant au parti qui ne voudrait d'aucune religion ,
et où peuvent se trouver quelques hommes amis des
loiss,, son premier malheur est d'avoir pour auxiliaires
, les débris du parti jacobin : le second est
d'afficher une intolérance qui suffirait pour le décrier.
Les éloquents orateurs du gouvernement et du tribunat
en ont dit assez aux hommes qui ne sont
qu'incrédules , et àceux qui sont à la fois impies et
remuants . Ces derniers doivent être confondus , et si
leur doctrine n'était si odieuse , on les croirait assez
punis par le triomphe de la religion. Egalement offensés
de son éclat et de celui du gouvernement ,
ils sont réduits à d'impuissants murmures. Si leurs
regards ne s'accoutument au jour doux et brillant
dont jouit la France , ils seront bientôt forcés d'imiter
en tout, ces oiseaux de ténèbres à qui la nature
né permet pas d'insulter par leurs cris lugubres l'astre
qui nous dispense la lumière et la chaleur.
: 1
)
FLORÉALAN X. 205
11
!
PARIS , 4 floréal.
Les diverses cérémonies , civiles et religieuses , qui
ont rempli la journée de dimanche dernier , 28 germinal
, ont été accompagnées d'une grande pompe , et
ont attiré un concours immense de peuple , moins oc
cupé de jouir du spectacle qu'elles offraient , que du
desir de voir le premier Consul , et de lui faire en
tendre le cri de la reconnaissance 。

1
Voici la proclamation des Consuls sur le rétablissement
du Culte:
FRANÇAIS ,
かっ
t
:
1
➤ Du sein d'une révolution inspirée par l'amour de la
patrie , éclatèrent tout- à-coup au milieu de vous des
dissentions religieuses , qui devinrent le fléau de vos
familles , l'aliment des factions , et l'espoir demvass
ennemis.
•Une politique insensée tenta de les étouffer sous les
débris des autels , sous les ruines de la religion meme.
Asa voix cessèrent les pieuses solennités où les citoyens
s'appelaient du doux nom de frères , et se reconnaissaient
tous égaux sous la main du Dieu qui les avait créés des
mourant , seul avec la douleur , n'entendit plus gette,
voix consolante qui appelle les chrétiens à une meilleure
vie; et Dieu même sembla exilé de la nature .
Mais la conscience publique , mais le sentiment de
l'indépendance des opinions se soulevèrent , etbientôt ,
égarés par les ennemis du dehors , leur explosion porta
le ravage dans nos départements ; des Français ou
206. MERCURE DEFRANCE ,
blièrent qu'ils étaient Français , et devinrent les instruments
d'une haine étrangère.
D'un autre côté , les passions déchaînées , la morale
sans appui , le malheur sans espérance dans l'avenir
, tout se réunissait pour porter le désordre dans la
société.
Pour arrêter ce désordre , il fallait rasseoir la religion
sur sabase , et on ne pouvait le faire que par des mesures
avouées par la religion même.
C'était au souverain pontife que l'exemple des siécles
et la raison commandaient de recourir , pour rapprocher
les opinions et réconcilier les coeurs.
Le chef de l'Eglise a pesé , dans sa sagesse et dans
l'intérêt de l'Eglise , les propositions que l'intérêt de
l'Etat avait dictées ; sa voix s'est fait entendre aux
pasteurs : ce qu'il approuve , le gouvernement l'a consenti
, et les législateurs en ont fait une loi de la république.
remal vεα ελαφρα :
Ainsi disparaissent tous les éléments de discorde ;
ainsi s'évanouissent tous les scrupules qui pouvaient
alarmer les consciences , et tous les obstacles que la
malveillance pouvait opposer au retour de la paix intérieures
.
Ministres d'une religion de paix , que l'oubli le plus
profond couvre vos dissentions , vos malheurs et vos
fautes; que cette religion qui vous unit , vous attache
tous par les mêmes noeuds , par des noeuds indissolubles ,
aux intérêts de la patrie.
18
;
Déployez pour elle tout ce que votre ministère vous
donne de force et d'ascendant sur les esprits ; que vos
leçons et vos exemples forment les jeunes citoyens à
l'amour de nos institutions , au respect et à l'attachement
pour les autorités tutélaires qui ont été créées pour
1
1
FLORÉAL AN X.
207
les protéger ; qu'ils apprennent de vous que le Dieu de
la paix est aussi le Dieu des armées , et qu'il combat
avec ceux qui défendent l'indépendance et la liberté de
la France .
Citoyens qui professez les religions protestantes , la
loi a également étendu sur vous sa sollicitude. Que cette
morale commune à tous les chrétiens , cette morale si
sainte , si pure , si fraternelle , les unisse tous dans le
îmême amourpour la patrie , dans le même respect pour
ses lois , dans la même affection pour tous les membres
de la grande famille.
Que jamais des combats de doctrine n'altèrent ces
sentiments que la religion inspire et commande.
Français ! soyons tous unis pour le bonheur de la
patrie et pour le bonheur de l'humanité ! Que cette
religion qui a civilisé l'Europe soit encore le lien qui
en rapproche des habitants , et que les vertus qu'elle
exige soient toujours associées aux lumières qui nous
éclairent.
Le premier consul ,
sion Signé BONAPARTE.
aas S :
1
1
тер во гов
Les nominations aux Evêchés ou Archevêchés , officiellement
annoncées , se bornent aux suivantes :
Archevêché de Paris , M. Jean-Baptiste du Belloy.
Archevêché de Rouen, M. Etienne-Hubert Cambacérès .
Archevéché de Tours M. Jean-de-Dieu Raymond
deBoisgelin.
2
Archevêché de Toulouse , M. Primat.
Archevêché d'Aix , M. Jérôme-Marie Champion de
Cicé.
208 MERCURE DEFRANCE ,
Archevéché de Bordeaux , M. Charles - François
Daviau-Dubois-Sanzay.
Archevêché de Malines , M. Jean - Armand de Roquelaure.
१७
Archevêché de Besançon , M. Claude Lecoz angya
Le 30 germinal , le conseillerd'état Fourcroy , a présenté,
de la part du gouvernement , au Corps législatif,
un projet de loi relatif à l'instruction publique.Le
projetorest dans ce moment soumis à l'examen dụ
tribunat.
ε 100
Nous donnerons les autres nominations aux évéchés
à mésure qu'elles seront officiellement annoncées, On
ne peut douter de celles de M. Bernier ,gà l'évêché
d'Orléans , et de M. Pancemont , ancien curé de Saint-
Sulpice , à l'évêché des Vannesid est adott
ERRAT A essentiel du N.º XLV.
Page 127 , ligne 26 : Dieu de nos pères , lisez : Dieux
de nos pères.
Idem , lig. 31 : lafaveur du Dieu, lisez : des Dieux.
P. 129 , lig. 11 : Somnus ei incerto , lisez : Somnus
etincertoso.9 хв по traicon 29
P. 131, dig, 26 : soient ceux lisez soient inspirés
par la seule.
de
P. 135 , lig. 31 de ce dernier lisez de Phistoire
philosophique... مو
P 4: aavveecc ttaanntt d'éclat et
10.11 lig
tant d'éclat et sous de. C
t de , lisez avec
tom.M
t
19
३..
:
(N. XLVII. ) 15 Floréal. An 10.
MERCURE
DE FRANCE..
LITTÉRATURE.
L'ARBRE RENVERSÉ ,
Pièce imitée de l'Espagnol, de MELENDEZ
Ror du vallon , antique peuplier ,
Qu'est devenu l'honneur de ton feuillage ?
Où sont tes verts rameaux jadis chargés d'ombrage ?
Pourquoi n'entends-je plus frémir ton front altier
Sous l'aile du zéphyr volage ?
D. Juan Melendez-Valdes a été d'abord professeur de
belles - lettres à l'université de Salamanque : c'est là que s'est
développé son talent pour la poésie. Il a commencé par
chanter Bacchus et l'Amour , par soupirer de tendres élégies
, au milieu des cris de l'école. Les sons de sa lyre pénétrèrent
jnsqu'au cabinet du ministre de la justice , qui le
tira de la poussière classique , et le fit oidor du tribunal de
Valladolid . M. de Jove Uanos , son protecteuret son maître
en poésie , eut beaucoup de part à cette nomination. Elle
lui coûta son enjouement et une partie de ses graces. Le
costume de Thémis effaroucha les jeux et les amours. Un
ministre fit Melendez juge ; mais un Dieu l'avait créé poète .
Son esprit pénétra dans le chaos de la législation'; mais son
imagination conservait encore des aite . Il se dérobait souvent
à la foule importune , et , s'enfermant avec sa imuse
8.
14
210 MERCURE DE FRANCE ,
Tu naquis sur ces bords : ce paisible ruisseau
Qui baigne la rive voisine
Du libre tribut de son eau
Nourrissait ta verdure , abreuvoit ta racine ;
Et bientôt dans les airs , où ton ombre domine ,
Ta tête enorgueillie avait fui son berceau .
Prêt à bâtir son nid , l'industrieux oiseau
A ton branchage aimait à se suspendre ;
Et quand l'Aurore , au visage riant ,
De ses premiers rayons colorait l'Orient ,
A la voix de l'Amour fidelles à se rendre
Les filles du hameau , par mille chants légers ,
Sous ton feuillage appelant leurs bergers ,
De peur de les manquer , aimaient mieux les attendre.
Sous ton ombre discrète , et loin des yeux jaloux ,
Les amants du canton se donnaient rendez -vous.
Si souvent tu les vis et gémir et se plaindre ,
Quelquefois espérer , quelquefois aussi craindre ,
Muet témoin de leurs brûlants soupirs ,
là où ne pouvaient le distraire ni le plaideur obstiné, ni
l'avocat loquace , ni la femme intrigante , il s'abandonnait
à son goût favori , il retrouvait son génie poétique. Mais ,
plus grave , plus élevé , il chanta la vertu , la renommée ,
l'immortalité. Ses amis regrettèrent le disciple d'Anacréon .
Son second livre ne pouvait faire oublier le premier , et la
double élévation de Melendez sembla faire tort à la gloire
du poète. En effet , il se livra un peu trop à l'ambition , et
parut négliger la postérité . M. de Jove Uanos , devenu ministre
de la justice , l'éleva à la dignité de fiscal de los
Alcades de casa et de corte , un des premiers tribunaux
de Madrid. C'est de ce poste éminent que la fortune l'a
précipité dans les prisons de Cindad- Rodrigo , forteresse
du royaume de Léon , où sans doute les Muses recommaissantes
le consolent de sa disgrace.
On dit que le gouvernement français a demandé au roi
d'Espagne la liberté du poète. :
FLORÉAL AN X. 211
De tes voiles obscurs tu couvrais leurs plaisirs.
Le moissonneur brûlé , que le hâle importune ,
Implorant à midi la fraîcheur du sommeil ,
Sous tes rameaux touffus , à l'abri du soleil ,
Oubliait quelque temps sa pénible-infortune ,
Et retournait joyeux , courbé sur ses moissons ,
Lier les gerbes d'or au milieu des chansons.
Le feu du ciel , hélas ! a frappé ta verdure :
Bientôt le bucheron , la cognée à la main ,
Du tonnerre ennemi consommera l'injure.
Adieu ton diadême et ton front si hautain ;
Adieu de tes rameaux l'agréable murmure :
Adieu , sur tout , adieu ces chiffres enlacés ,
Sur ton écorce , en vain , par les amours tracés.
Encor quelques instants , et tu vas disparaître :
Tu meurs , et pour ne plus renaître ! ...
Déja gissent épars tes membres dispersés ;
Hélas ! et de ta tête altière
L'orgueil humilié roule dans la poussière !
L'oiseau , sur tes débris , vole sans s'arrêter.
Les bergers , en passant , soigneux de t'éviter ,
Ne viennent plus chanter sous ton ombrage.
La seule tourterelle , au funèbre ramage ,
Veuve de sa compagne , aime , dans sa douleur ,
A s'unir à ton deuil , en pleurant son veuvage.
De ses accents plaintifs la pieuse lenteur
Est prolongée au loin par l'écho du rivage.
Moi-même , en rappelant ton antique splendeur ,
Un deuil silencieux vient attrister mon coeur ,
Et j'entends , de ton tronc , une voix qui me crie :
* Tout périt , tout s'éteint : qu'est- ce donc que la vie ?
J. B. LALANNE.
4
212 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPH.Ε.
On peut me posséder , rarement on m'acquiert ;
Rarement aussi l'on me perd ,
Lorsque je fus un don de la nature :
La vie est avec moi plus heureuse et plus pure ;
Je rends l'esprit plus sage , et le coeur plus content ;
L'homme , sans mon secours , s'égare bien souvent :
Aux erreurs , par mes soins , il est moins accessible .
De mes dix éléments , combinant les rapports ,
On voit quatre animaux : l'un est imperceptible ,
L'autre importun ; de ses tristes dehors ,
L'utilité , du moins , excuse le troisième :
Plus stapide est le quatrième.
Je puis aussi t'offrir ce qui mène au cercueil ;
Deux notes de musique , et ce qui les sépare ;
D'un empire idéal cette reine bizarre
Qu'on suit par vanité , et qu'on fuit par orgueil ;
Celui qui , malgré vous , vous observe peut-être ;
L'autre à qui volontiers vous vous faites connaître ;
Et ce monument grec à Paris regretté.
Si , me laissant aller à trop de vanité ,
De mes nombreux produits je faisais étalage ,
Votre ennui , cher lecteur , ne finirait jamais ;
Et si j'en disais davantage ,
Vous trouveriez mon nom, et moi je le perdrais.
Par une Abonnée.
FLORÉAL AN X. 213
AUTRE.
JE soutiens , sans ma tête ,
Les pauvres malheureux ,
Qui sont avec ma tête
Pour quelque temps boîteux.
Par un Abonné.
25
REP.FRA.
CHARADE.
Dans le sein de la terre , et quelquefois de l'onde ,
Tu rencontreras mon premier ;
Mon second est très- familier ,
Et l'on ne voit rien dans le monde
D'aussi rare que mon entier.
Par un Abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Plume.
Celui du Logogriphe est Morphée , où l'on trouve
Orphée , or , Rome , Pô , Morée , mort , Rhée.
Celui de la Charade est Détour.
214 MERCURE DE FRANCE ,
1
LETTRES de Cicéron à M. Brutus , et de
M. Brutus à Cicéron , pour faire suite aux
Lettres Familières , traduites enfrançais par
l'abbé Prévost ; avec la préface critique
traduite de Middleton , sur l'authenticité des
lettres et la vie de M. Brutus ; nouvelle
édition , revue et augmentée de remarques
historiques , de notes courantes et de plusieurs
tables . Par GOUJON ( de la Somme ) ,
ancien jurisconsulte . A Paris , chez -
Goujon fils , imprimeur- libraire , rue Taranne
, n.° 737. AN X.
1
Nous n'estimons point assez en France le
mérite des hommes qui se dévouent à l'étude
de l'antiquité pour nous en épargner les dégoûts
; et c'est encore une de nos injustices
d'opinion. Il me semble , cependant , qu'on ne
peut se défendre d'une certaine reconnaissance
, en considérant les travaux qui nous
ont préparé quelques heures d'instruction et
de plaisir. Que de textes à rectifier , de
dates à rapprocher , d'écrits durs et secs
à dévorer ! Quelquefois il faut relever une
ville ensevelie sous l'herbe , retrouver une
grande route dont les vestiges sont effacés depuis
des siècles , ranger une armée en bataille
suivant la disposition d'un Annibal et d'un
Scipion; il faut se transporter chez des peuples
qui ne sont plus, au milieu de leurs monuments,
FLORÉALAN X. 215
de leurs personnages , de leurs agitations politiques
, pénétrer même dans l'intérieur des familles
, et tout cela pour déterminer le sens
d'un mot ! C'est à ce prix que l'on est parvenu
à mettre dans le commerce de la société les
richesses littéraires . La beauté de nos ou
vrages classiques , le vide et la frivolité
de nos brochures , témoignent assez , par
leur contraste , l'utilité des commentaires , et
l'impuissance des talents qui n'ont pas su en
profiter.
Mais les travaux utiles sont d'autant plus
estimés , qu'ils sont plus connus. Le succès en
devient donc plus assuré au moment où l'on
peut concevoir de nouvelles espérances pour
le retour des bonnes études. L'éditeur des let.
tres de Cicéron y aura sans doute contribué.
Nous avons parcouru ce sixième volume avec
soin; il offre à chaque page de nouvelles preuves
du bon esprit et du bon goût qui ont présidé à
toute cette édition.
Le volume des lettres de Cicéron à Brutus
ne contient que vingt - trois lettres , seul reste
des huit livres connus des anciens. Mais le
caractère des Romains se retrouve dans les
fragments de leur littérature comme dans les
débris de leurs temples , et leurs ruines sont
immortelles .
1
Ces vingt-trois lettres remplissent à peu près
l'intervalle de quatre mois , à une époque cé
lèbre et décisive pour Rome. Brutus était en
Afrique , où il rassemblait l'armée qui devait
être vaincue dans les champs de Philippe .
Cicéron , dans les murs de Rome , soutenait ,
par son éloquence , la guerre contre Au
216 MERCURE DE FRANCE ,
toine *. On venait d'annoncer au Sénat la bataille
de Modène , où la république avait perdu
glorieusement ses deux consuls ; le jeune Oс-
tave s'élevait au milieu des secousses et des
déchirements de la patrie : tels sont à peu pres
les sujets de la correspondance de Cicéron et de
Brutus. On aime à suivre ces grands-hommes
dans leurs derniers travaux , et à observer si
cette constance romaine ne se démentira pas
à la vue des malheurs publics et des présages
qui les menaçaient eux-mêmes .
Il faut convenir que nous sommes mal
placés aujourd'hui pour admirer le meurtrier
de César. Jadis , cette action était un des
lieux communs sur lesquels s'exerçaient et
s'échauffaient à l'envi les jeunes gens des
colléges ; et l'on ne voyait pas d'inconvénient
à exciter leur enthousiasme pour ces vertus
atroces , également réprouvées par la religion
et par les lois. Nos sophistes , qui reproduisirent
beaucoup de lieux communs de collége
, s'emparèrent de celui-ci , et le firent valoir
dans le monde. Mais les conséquences funestes
ont démenti les principes , et les imitations
ridicules ont déshonoré le modèle. Il n'y
a plus d'enthousiasme et d'admiration pour
celui qui répandrait le sang de son père au nom
de la liberté , depuis cette époque où tous les
carrefours de nos villes se glorifiaient de leurs
Brutus armés de piques. Il n'y a plus d'honneur
à se détruire soi-même d'une manière stoïque ,
depuis que nous voyons tous les jours nos artisans
se précipiter dans la Seine pour le moindre
*
Sustinuisse mihi gloriatur Bellum Antonii togatus
Cicero hoster. ( Lettr. de Brutus àAtticus.)
FLORÉALAN X. 217
dégoût. C'est surtoutparmi les classes inférieures
de la société , où la loi des bienséances et les
souvenirs de l'éducation n'exercent aucun empire
, que l'on peut apprécier , à leur valeur ,
ces paradoxes qui ont fait tant de réputations et
tant de livres : c'est là où il faut les juger.
Mais la philosophie ancienne jugeait ellemême
l'attentat de Brutus avec plus de sévérité
que nous ne le supposons. Plutarque , qui
transmet avec fidélité les opinions de Rome ,
et qui pèse toutes ses vertus avec justice ,
se sent prévenu par une objection naturelle , en
commençant l'éloge de Brutus , et il se hâte
de dire : qu'on lui attribuait tout ce qu'il pouvait
y avoir de grand et de généreux dans le
meurtre de César , et qu'on rejetait sur Cassius
tout ce qu'une telle action a d'odieux et de
blamable.
Virgile est encore plus sévère que Plutarque.
Il ne donne point de place à Brutus , dans les
Champs-Elysées , parmi les grands-hommes de
la république. Je sais bien que l'on peut m'opposer
ses ménagements pour Auguste , et renouveler
beaucoup de déclamations sur le caractère
flatteur du poète de Mantoue. Mais faisait-il sa
cour au maître du monde , en louant Caton
d'Utique ? Et Auguste gênait-il les opinions
** Quelques commentateurs , qui ont cru décider
d'après des raisons de convenance , ont prétendu que
dans ce vers du sixième livre :
Quis te , magne Cato , tacitum aut Cosse relinquat ,
il n'est question que de Caton le Censeur ; mais l'on ne
peut se méprendre , lorsque , dans le huitième livre , on
voit ce même Caton assis parmi les juges de l'enfer
présidant au supplice de Catilina :
Secretosque pios, his dantemjura Catonem.
218 MERCURE DE FRANCE ,
des écrivains de son siècle , lorsqu'il encourageait
Horace , qui montrait l'univers soumis au
pouvoir de César, excepté l'ame inflexible de
Caton , et lorsqu'il admettait à sa table et à son
intime familiarité Tite-Live le Pompeien ?
Virgile ne pouvait se dispenser de placer dans
Jes Champs- Elysées l'ancien Brutus , dont l'action
était devenue héroïque par une longue tradition
delouanges . Il le fait donc paraître malheureux
, infelix , afin d'exciter l'intérêt ; et ensuite ,
comme s'il avait besoin de se justifier aux yeux
des hommes et des justices de l'enfer , il ajoute :
....... Ut cumqueferent eafacta minores ,
Vincet amor patriæ , laudumque immensa cupido.
et encore , voilà pour le poète qui célèbre le
berceau de Rome, et qui a besoin d'un héros.
Mais l'historien moraliste qui cherche l'homme ,
passe devant le tribunal de Junius Brutus , en
détournant la tête , attendu qu'il ignore si son
action procède de bestialité ou d'un héroïsme
sur-humain et incompréhensible *.
Nous admirons tropchezles Romains, ouplutôt
nous choisissons mal. Ce ne sont pointquelques actions
atroces qui ont fait le peuple- roi . On pourrait
même prouver qu'elles ont été inutiles à
sa puissance comme à sa gloire. C'était-là les
fruits de cette énergie grossière et de ces instincts
monstrueux que ces pâtres illustres apportèrent
des montagnes , où ils pillaient les voyageurs.
Mais ce qui est vraiment admirable , c'est cet
enthousiasme et cette discipline militaire ; ces
dévouements , qui n'étaient que de simples devoirs
; ce nom tout- puissantde la loi quicalmait
* Vie de. Publicola....
FLORÉALANX.219
tout-à-coup une multitude en fureur ; et surtout
ce génie qu'on ne sait comment appeler ,
qui , durant sept siécles , résida sans interruption
au milieu dusénat, et fit les destinées du monde .
Aureste, les fanatiques quijuraient parBrutus,
n'ont jamais vu que son poignard, et n'ont point
connu son caractère. L'antiquité n'en offre pas
de semblables. Les stoïques défenseurs de la
liberté romaine , avaient pu s'élever à de grandes
actions ; mais aucun ne s'était fait aimer. On
les voit toujours tristes , austères et inimitables
pour tout autre que pour les hommes de leur
humeur. L'orgueil les dédommageait de tout ce
qu'ils retranchaient aux passions humaines , et
P'orgueil encore faisait la plus grande partie de
leurs vertus . Caton d'Utique , dont Brutus professait
la doctrine , n'intéresse le coeur qu'une
seule fois ; c'est lorsqu'étendu sur son lit de
mort , il s'informe , en demandant son épée , si
ses amis ont pu s'embarquer , et se dérober au
* ressentiment du vainqueur.
८ Brutus futpeut-être le seul philosophe stoïque
aimable. Plutarque a pour lui une sorte de prédilection
, et l'histoire qu'il en donne , nous
attache par mille particularités , qui sont autant
de traits de caractère .
3 Nous le voyons , la tête nue au soleil , faisant
un extrait de Polybe , à la veille de la bataille
de Pharsale. Sur les bords de la mer , où
il va s'embarquer pour soutenir la dernière
guerre de la république , il reçoit les adieux
de Porcie , à la vue d'un tableau qui représentait
les adieux d'Hector et d'Andromaque ; et il
raffermit cette femme étonnante , en citant
agréablement les vers du poète grec. Ailleurs ,
220 MERCURE DE FRANCE ,
il traite avec bonté Caïus , frère d'Antoine ,
qui était son prisonnier ; il verse des larmes sur
le sort de la ville de Xanthe , et se multiplie
autour des maisons embrasées où venaient se
précipiter ces malheureux habitants . Durant une
de ces nuits , où les soins du général et l'amour de
l'étude prolongeaient ses veilles , lorsque tout
reposait autour de lui , un fantôme apparait
à son imagination échauffée , et il répond ,
avec intrépidité , au rendez - vous désastreux
qu'il lui assigne dans les plaines de Philippe ;
dans la nuitplus funeste qui suivit cette journée,
on le voit assis sur une roche , parmi les arbres qui
bordent une petite rivière, lever les yeux vers un
ciel étoilé , et sourire aux officiers et aux amis
fidelles qui l'entouraient enfin , dans ces diverses
rencontres , où il est aux prises avec
tous les malheurs à la fois , et pour ainsi dire
avec la fatalité , il conserve toujours ce calme
et ce courage , cette force et cette douceur ,
cette élévation et cette tendresse , qui semblent
les vertus de plusieurs hommes , mais
dont la réunion fait le héros. Il est impossible
de le méconnaître dans les deux fameuses
lettres que renferme sa correspondance avec
Cicéron.
De ces deux lettres , l'une est à Atticus et
l'autre à Cicéron lui-même. Elles roulent à
peu près sur le même sujet. On lui avait an
noncé en Afrique , les honneurs et les commandements
que Cicéron avait fait décerner au jeune
Octave. Brutus , prévenu par les exagérations
de la renommée, ou bien jugeant avec cette
rigueur stoïque , qui ne tient aucun compte des
temps et des circonstances , s'indigne contre la
FLORÉAL AN X. 221
faiblesse de l'orateur. Mais déja en comparant
ces deux lettres , on peut se convaincre de la
franchise de son caractère et de la sincérité de
ses dispositions . Soit qu'il s'adresse à Atticus ou
àCicéron , il témoigne toujours la même tendresse
pour celui-ci , le même amour de la liberté , et
la même horreur pour un maître .
<< Enfin , je permets à Cicéron , s'écrie-t-il
<< dans sa lettre à Atticus , de vivre , s'il le peut ,
<< dans la soumission et la dépendance. Qu'il y
« vive , s'il ne considère ni son âge , ni les
<<<honneurs dont il est revêtu , ni les actions
<<<par lesquelles il s'est distingué. Pour moi ,
<< je déclare une guerre immortelle au fond
<<mêmede la querelle ; c'est-à-dire , àla royauté ,
<< aux ordres arbitraires , à toute autorité et
<< à tout pouvoir qui voudra s'élever au des-
<< sus des lois, Quelque bien personnel qu'on
<< suppose que pourrait me procurer l'escla-
<< vage , même sous votre Antoine , dut - il
<< être aussi accommodant que vous le dites ,
<< et plus que je ne l'ai jamais cru ; rien ne
<< peut ébranler ma résolution . Nos ancêtres
<< n'ont pas voulu souffrir un père même , pour
<<leur maître .
>
<< Je pense , avec douleur, que ce détail vous
<<<chagrine , vous qui êtes si tendrement atta-
<< ché à tous vos amis , et particulièrement à
<<* Cicéron . Mais soyez persuadé que je n'ai rien
<< perdu de mon affection pour lui , quoique
<< mon opinion differe beaucoup de la sienne ;
<< car on ne peut juger des choses que suivant
<< les apparences qu'elles présentent.
Vivat Hercule , Cicero , qui potest supplex et obnoaius
, etc.
222 MERCURE DE FRANCE ,
Et dans sa lettre à Cicéron :
<< Non , non , dit-il , je ne puis croire les Dieux
<< si ennemis du salut de Rome , qu'Octave
« doive être prié pour le salut d'un citoyen ,
« et bien moins pour celui des libérateurs du
<< monde. J'employe volontiers ces magnifiques
<< expressions ; elles me conviennent , à l'égard
<< de ceux qui paraissent ignorer quel est le
<< péril qui nous menace , ou à qui l'on doit
<<< adresser des prières.
<< Quoi ! Cicéron , vous reconnaissez ce pou-
<< voir dans Octave , et vous êtes son ami ! Si
<< vous êtes le mien , pouvez-vous me souhaiter
« à Rome , où je ne pourrais être sans la
<< permission de cet enfant ? De quoi le remer.
<< ciez-vous done , si vous vous croyez forcé de
<< lui demander qu'il nous permette de vivre.
<< Demeure qui voudra dans l'indifférence ;
<<pour moi , je prie les Dieux et les Déesses
<< de m'ôter plutôt tout autre bien , que la
<<résolution où je suis de ne point accorder à
<<l'héritier de l'homme que j'ai tué , ce que je
<< n'ai point accordé à cet homme ; et de ne pas
<< souffrir que mon père même , s'il revenait au
<<monde , eût plus d'autorité que le sénat et les
<< lois , etc. » ( Traduction de Prévost , revue
par l'Editeur. )
Egomedius fidius non existimo tam omnes deos aversos
esse a salute populi Romani , etc.
En lisant ces lettres , on croit entendre les
Romains de Corneille. C'est Sertorius qui s'écrie:
>
Rome n'est plus dans Rome , elle est toute où je suis .
Mihique essejudicabo Romam, ubicumque liberum esse
licebit ( Lettres à Brutus. ).
FLORÉALAN Χ. 223
C'est encore ce Romain qui , se mettant au
dessus de toutes les affections de l'homme
répond :
Ainsi vous vous pourriez épargner quelque peine ,
Si vous vouliez avoir l'ame toute romaine.
7
Quod si Romanos nos esse meminissemus , non audaces
dominari cuperent postremi homines , etc.
Mais la ressemblance frappe bien davantage ,
si l'on s'arrête à l'impression générale plutôt
qu'à des traits isolés de ces lettres. Les
poètes , lorsqu'ils choisissent leurs héros
parmi les personnages historiques , sont toujours
obligés de leur donner ou de leur ôter quelque
chose. Lorsqu'ils font parler Brutus , la poésie
est exacte comme l'histoire :
,
Plutarque et Cicéron nous ont prévenu contre
sa manière d'écrire. Ils nous disent qu'il avait
contracté , dans l'étude des philosophes grecs ,
un tour laconique et sentencieux. A l'exemple
de Lysias , il condamnait les grands mouvements
et la magnificence de l'élocution, faisant
consister toute l'éloquence dans la justesse des
pensées , la précision et la politesse du style.
Aussin'approuva-t- il pas la définitionde l'homme
éloquent, que donne Cicéron dans son Orateur,
ouvrage qu'il lui avait dédié , et qu'il avait entrepris
à son invitation. Ce fut avec ce faux goût
d'atticisme qu'il composa sa harangue , sur
le meurtre de César. « On ne peut rien voir de
<< plus poli et de plus élégant que cette pièce ,
<<dit Cicéron , à qui il l'avait communiquće
<< en lui demandant son avis. » Mais si j'avais
<< eu un pareil sujet àtraiter , j'y aurais mis plus
« de feu et de véhémence; si illam causam
224 MERCURE DE FRANCE ,
,
<<< habuissem , dixissem ardentius , vides quæ
<<<sit persona dicentis etc. Et lorsque vous
<<vous souviendrez , ajoute-t- il , des foudres de
<< Démosthènes , vous concevrez aisément que
l'atticisme est très- susceptible de force et de
<< véhémence (Lettres àAlticus. ) . »
«
Les deux lettres de Brutus , dont nous avons
cité quelques fragments , démentent à un certain
point l'idée que l'on nous donne ici , de
son style. Toutes les vertus et toutes les passions
romaines ne peuvent s'exprimer avec plus
de force et de chaleur. Il nous semble surtout
que les premières pages de la lettre à Cicéron
peuvent être comparées aux plus belles du prince
des Orateurs . Peut-être que Brutus devant prononcer
les mêmes choses en public , eût sacrifié
au système qu'on lui reproche ; mais dans
la liberté d'une correspondance familière , où
il cède à sa propre inspiration , il a laissé quelques-
uns des plus beaux traits de l'éloquence
ancienne .
Jusqu'ici , nous n'avons considéré que le beau
côté du caractère de Brutus ; une simple réflexion
suffit pour détruire toute cette impression
de grandeur et d'héroïsme. Comment le
meurtrier de César lui avait-il fait des avances
après la bataille de Pharsale ? Comment s'était- il
insinué dans l'amour et dans la confiance de son
vainqueur par des moyens qui démentaient sa
fierté ? Comment encore avait-il sollicité et obtenu
la préture au mépris de la justice qui la
donnait à Cassius ? Plutarque ne s'est point fait
cette objection , et je ne crois pas qu'elle embarrassât
beaucoup nos admirateurs de Brutus.
Si , pendant l'intervalle que remplit cette
FLORÉAL AN X. 225
correspondance , on le compare à Cicéron , il
paraît supérieur. Dans la vingt-unième lettre ,
le consulaire essaye de se justifier de sa faiblesse
pour le jeune Octave, et l'on n'est point satisfait.
Il se plaint , à la vérité , que Brutus lui laisse
supporter seul tout le poids des malheurs publics.
« Vous vous retiriez , Brutus , vous vous
< retiriez , vous dis-je , puisque les Stoiciens ne
« veulent pas que leur sage puisse fuir. » Cedebas
enim, Brute, cedebas , quoniam Stoïci nostri negant
fugere sapientis . Manière ingénieuse et
piquante de dire à un philosophe stoïque qu'il
fuit en effet ! Mais lorsqu'il vient au point de la
question , il glisse par une transition oratoire .
En général , on peut remarquer dans la conduite
de ces deux hommes célèbres , la même
différence qu'entre leurs principes . Cicéron , de
la secte des Académiciens , renonçait à trouver
ici bas la vérité absolue , et se contentait des
probabilités . Brutus voulait la vérité absolue .
Cicéron aspirait au mieux possible , Brutus à une
perfection rigoureuse . Les principes de Brutus ,
faux à force d'être inflexibles , ne pouvaient
trouver d'application dans aucun ordre de choses
humaines. Cicéron , qui pouvait céder quelquefois
avec dignité (il le fit pour César ) , continua
de servir sa patrie , et mourut auprès de Rome .
L'autre , à l'exemple de Caton d'Utique , s'affranchit
brusquement de la vie dans une terre étrangère
, et demeura coupable envers la république
qu'il abandonnait à ses destinées .
Il est vrai qu'une fatalité invincible semblait
alors entraîner les homines et les choses . Cette
correspondance n'est , en quelque sorte , que le
tableau des derniers soupirs de Rome. Brutus et
1
8. 15
226 MERCURE DE FRANCE ,
Cicéron résistent en vain. Les remèdes n'étaient .
plus proportionnés aux maux. Leurs vertus antiques
étaient trop fortes pour des ames affaiblies .
L'édifice était déja renversé,et ils restaientdebout
comme des colonnes qui ne supportent plus rien ;
enfin , à travers leurs plaintes , leurs prévoyances
sinistres et leurs confidences douloureuses , on
voit venir ces temps , dont leur douleur n'aurait
pu égaler la honte ; où Rome , après avoir reçu
toutes les richesses et tous les vices du monde ,
devait l'étonner par l'excès de sa corruption ,
comme autrefois par l'excès de ses vertus. G.
DISCOURS sur le rétablissement de la
Religion , prononcé à Notre-Dame le jour
de Pâque 1802 , par M. l'archevêque de
Tours ,
Le seul titre de ce Discours fait naître , au
commencement du dix - neuvième siècle , les
plus graves méditations. Le double spectacle.
de l'ancien culte aboli par la démence anarchique
et rétabli par l'esprit de sagesse qui
gouverne aujourd'hui la France, doit frapper
à la fois d'étonnement , mais d'une manière
différente , l'homme picux et l'incrédule, le peuple
et le philosophe. Aucun sujet ne semble
plus digne que celui- ci d'inspirer les orateurs
chrétiens. Il leur serait , je crois , difficile d'en
trouver un plus heureux depuis cette grande
époque ou le christianisme changea la face du
monde , en consacrant l'étendard de Constan-
1
FLORÉAL AN X.
227
tin ; et passa tout-à-coup de l'abaissement à
la gloire , des prisons dans les palais , et des
échafauds sur le trône . Je ne sais même si la
religion se relevant victorieuse au bout de
dix-huit siècles sur les débris de ses temples
que l'athéisme voulait naguères anéantir ,
n'a pas quelque chose de plus vénérable et
de plus touchant , que lorsque dans l'ardeur
d'un premier enthousiasme , elle renversait les
Dieux du capitole. On ne dira plus au moins
que sa doctrine a pour appui l'ignorance et
la crédulité des peuples. C'est au milieu de
toutes les lumières qu'on la voit relever ses
autels. Ce n'est plus maintenant une foi aveugle
qui embrasse sans exapien les croyances
religieuses , c'est une raison supérieure qui
les rappelle pour le bonheur des familles et
le maintien de la société , que des systèmes
destructeurs avaient ébranlée de toutes parts .
En un mot le christianisme renaît sur les
tombeaux de ses plus terribles adversaires , et
les derniers disciples du baron d'Olbak , de
Diderot , d'Helvétius et de Boulanger , qui
s'étaient vantés de le détruire , le reverront
occuper avec une nouvelle gloire , les places
illustrées par Bossuet et par Fénélon.
Certes , un tel spectacle est bien fait pour
élever l'éloquence chrétienne. Que de grandes
pensées et de nouveaux effets peuvent lui
fournir les événements mémorables dont nous
sommes témoins ! Oui , le génie de Bourdaloue
et de Massillon eux - mêmes , aurait pu s'agrandir
au milieu de tant de tableaux attendrissants
ou terribles. Croit-on que la vue de
ces autels appauvris ne les eût pas aussi bien
228 MERCURE DE FRANCE ,
inspirés que la chapelle de Versailles , ornée
de toutes les pompes du grand siécle ? Avec
quelle force leur voix aurait retenti dans ces
chaires longtemps muettes et qui sont encore
à demi-brisées par des mains sacriléges ! que
de leçons effrayantes et de mouvements pathétiques
, ils auraient fait sortir de ces tombes
profanées et des ruines du sanctuaire !
D'ailleurs , ces hommes éloquents et vertueux
, qui n'étaient pas moins fidelles à leur
patrie qu'à leur religion , auraient pu se consoler
de la peinture de nos excès par celle de
notre gloire. En déplorant la fureur des
partis , ils n'auraient pas manqué de rendre
hommage à l'héroïsme de ces armées qui
ont couvert nos maux de tant de rayons de
gloire . S'ils avaient montré toutes les blessures
de la patrie , ils auraient en même temps désigné
la main qui les ferme , à la reconnaissance
publique, Ainsi, plaçant toujours la grandeur
à côté du crime , et la sagesse qui répare
auprès du génie de la destruction , rappelant
au peuple français les vertus qu'il a perdues ,
et le félicitant de celles qu'il a conservées ,
ils auraient donné tous les genres de leçons
et d'exemples à la fois. Ils auraient alors censuré
tous les vices avec fruit en désarmant
toutes les passions.
Et sans avoir le talent de Massillon et de
Bourdaloue , le plus faible des orateurs ne serait-
il pas ému de quelque enthousiasme à la
suite de tant de calamités , et au milieu de
tant de bienfaits ? La paix avec l'Europe , la
paix avec l'église , l'amnistie en faveur des bannis
ont été l'ouvrage de quelques semaines !
FLORÉAL AN X.
229
Ces nouvelles consolantes ont été publiées au
milieu des acclamations d'une foule immense.
Le peuple s'est précipité vers le temple de ses
ancêtres pour remercier Dieu et le héros dont
* il a reçu tant de faveurs. Cette cathédrale antique
semblait redoubler par tous les souvenirs
dont elle est dépositaire , l'éclat et les
solennités d'un si grand jour. Elle a vu en
quelque sorte la première fortune de la France.
Elle fut , dit- on , fondée par un roi de la première
race * , sur l'emplacement d'un temple
payen , où sacrifièrent quelques-uns des Césars
. Elle fut ensuite rebâtie par Louis VII , au
temps des croisades , et successivement enrichie
par la munificence de tous ses successeurs.
Ce lieu vit Julien , Charlemagne , Philippe
- Auguste , Louis IX , le prince Noir ** ,
Henri IV et Louis XIV. Le vainqueur de Marengo
, et ceux qui partagèrent ses triomphes ,
avaient droit aussi de se montrer sous ces voûtes
augustes , où depuis mille ans nos plus grands
capitaines étaient accoutumés à suspendre leurs
trophées.
Au reste , l'orateur qui a parlé dans cette
imposante cérémonie, the pouvait être mieux
choisi. C'est le meilleur apôtre que la religion
pût envoyer à la philosophie. Il était sagement
philosophe , quand la religion était toute-puissante.
Il est resté constamment religieux au milieu
des triomphes de l'incrédulité. Son caractère
est formé de ce qu'il y a de plus aimable
* Childebert I.er
** Un service a été célébré à Notre-Dame pour le
prince Noir. 1
230 MERCURE DE FRANCE ,
dans nos moeurs anciennes , et son esprit s'est
enrichi de ce qu'il y a de plus sûr dans les
connaissances modernes . Son coeur est toujours
resté français dans une terre étrangère , et Turgot
autrefois s'honora d'être son ami.
Le début de son discours , est digne des circonstances
, et le texte ne pouvait être plus heureux
. C'est ainsi qu'il commence :
« Béni soit le Seigneur qui donne la paix à son
peuple ; que le Seigneur notre Dieu soit avec nous
comme il était avec nos pères , sans jamais nous rejeter ,
ni nous abandonner .... Benedictus Dominus qui dedit
requiem populo suo , sit Dominus deus noster sicut fuit
cum patribus nostris , non derelinquens NOS neque
projiciens. »
Tous les efforts de l'éloquence ne pourraient
égaler l'effet de ces simples paroles. L'ame en
est profondément attendrie , et ce qui suit redouble
encore d'intérêt :
९८ Je regarde , j'observe ( ajoute l'orateur ) ; je vois
cette chaire , cet autel , ce temple .... O ciel ! quels
souvenirs , et dans ce jour , quels merveilleux changements
! Loin de nous les sombres tableaux d'un temps
qui n'est plus , et que nos coeurs se reposent , comme
nos yeux , sur le spectacle consolant de ces saintes
solennités ! ....
" Nous rentrons dans le sanctuaire , et c'est encore
cette même chaire , ce même autel , ce même temple
élevé par la piété de nos pères. Nous redirons les paroles
des enfants de Ruben ; Voilà l'autel qui fut posé
par nos pères , non - seulement pour offrir l'holocauste
et pourfaire le sacrifice , mais pour être un monument
durable , un témoignage toujours subsistant du pacte
solennel qu'ils ont juré pour vous et pour nous , "
FLORÉAL AN X 231
Le goût , l'imagination et la sensibilité ne
peuvent faire un usage plus heureux de l'Ecriture
.
Les pensées qui suivent sont toutes àl'orateur
, et n'en ont pas moins d'élévation :
te Ah ! c'est qu'il y a , dit-il , dans les plus étranges
révolutions , quelque chose qui ne change pas . Quels
que soient les efforts des hommes , ils ne peuvent détruire
, enfants de la terre et du temps , que ce qui
appartient au temps et à la terre. »
Voilà bien le vrai langage et la dignité de la
chaire ; car le ministre sacré n'y doit parler qu'au
nom d'un Dieu dont les promesses sont immortelles
, et qui dirige tout par ses conseils .
On sait que le lendemain de la journée de
Marengo , le vainqueur conçut l'idée de rendre
aux Français la religion de leurs pères. Cette
circonstance ne devait point échapper à l'orateur
chrétien. Il peint dignement le général victorieux
rempli de cette haute pensée sur le champ
même de bataille , et poursuivant son exécution
à travers tous les obstacles .
" Quand le Seigneur envoie , dit- il , dans l'esprit
de l'homme , une de ces grandes idées , convenables
instruments de ses volontés , et germes féconds de
l'avenir , ne pensez pas que la politique , resserrée
dans les faibles intérêts d'un moment , puisse arrêter
ou suspendre le grand dessein déposé par la Providence
dans l'esprit de l'homme ; il faut qu'il obéisse à l'invisible
main ; il ne peut plus se rallentir dans sa course
nouvelle. Il y a dans lui quelque chose de plus fort que
lui -même. La profonde réflexion s'empare de tous ses
sens. Il ne lui est plus possible de perdre de vue un
232 MERCURE DE FRANCE ,
1
moment l'oeuvre qu'il a conçue. Il médite , il persuade ,
il décide : au - dedans , il aplanit ou détruit les
obstacles , et seul il résiste aux oppositions ; au- dehors ,
il ne se sert de ses victoires que pour offrir la paix ,
et de son dernier triomphe que pour la commander ;
et pesant dans une juste balance les avantages d'une
puissance noble et digne rivale de la France par le
courage , les forces et les succès , il rétablit l'heureux
équilibre qui peut seul maintenir l'Europe dans son
repos , Rien ne peut plus réveiller les desirs de la
guerre dans une ame que la main même du Dieu des
armées enchaîne à la paix , et l'éclat de cette paix
universelle n'aura point pour lui des illusions plus
dangereuses et plus puissantes. Il faut qu'il aille plus
loin. C'est la même voix qui désigne Alexandre à la
victoire , et qui suscite l'esprit de Cyrus pour rebâtir
le temple ; et celui qui veille au rétablissement de sa
religion , prépare dans le silence des partis le paisible
concours des circonstances et des hommes . »
Après avoir peint la religion miraculeusement
rétablie , il fallait montrer tous ses bienfaits . Ici ,
l'auteur réfute le fanatisme anti - religieux avec
cette sagesse et cette douceur qui sied à la vérité:
" Oh ! combien la sagesse , une fois introduite et
dominante dans cette nation , doit exercer une utile et
puissante influence sur la destinée de toutes les nations !
C'est la France qu'il fallait pacifier pour assurer le repos
de l'Europe. Il faut le dire : La véritable paix , la paix
universelle , est celle de la France avec elle - même , et
ce premier et fondamental traité de l'univers tranquille ,
ce gage du bonheur de tous les peuples, cette sagesse
de la France , quelle peut en être la source ? Il n'en est
qu'une , ô vous tous qui m'écoutez. Vous vous perdrez
FLORÉAL AN X. 233
en vain dans ces songes qu'on a si faussement appelés
du nom de la philosophie , qui ne doit être que l'amour
de la sagesse . Vous avez entendu naguères vos plus éloquents
orateurs * : ils ont élevé la voix pour en faire
sentir les dangers et pour en réfuter les erreurs. Quand
viendra le temps où l'esprit humain ne sera plus en
contradiction avec lui-même ? Lorsque toutes les vérités
sans mélange sembleront l'hommage unanime de
tous les esprits à la première des vérités . C'est cette
vérité sainte qui peut seule devenir la source des vertus
de toutes les conditions . Ce qui n'est pas , ce qui
ne peut pas être un objet de connoissance pour chaque
homme , ne peut point former la sagesse de tous les
hommes , et nulle autre science , que celle de la religion,
ne peut éclairer , échauffer et réunir tous les
esprits et tous les coeurs .
Que pouvoit - on craindre , qu'avoit - on à redouter
d'une religion qui ne domine que par la libre persuasion
, et qui n'a de tribunal que dans le fond des consciences
. Elle donne la paix à l'innocence ; elle présente
le repentir à la faute ; et quand le repentir est sincère ,
ses jugements sont des graces et des bienfaits. Loin d'elle
les haines et les animosités. Le premier précepte de
son divin auteur est l'oubli des injures dans tous les
états , dans toutes les places , et partout où résident
la puissance et la force , comme dans le sein des familles
et des sociétés . Elle oppose à l'ambition l'amour
de la chose utile , le désintéressement à l'avarice , au
mensonge la vérité. Sa bienfaisante charité nous apprend
à partager les maux des autres , et à partager
encore avec eux nos propres biens . Sa douce morale
* Les CC. Portalis , Lucien Bonaparte et Siméon. Un
autre membre du Tribunat ,le C. Carion de Nisas , a énoncé
sur le même sujet des opinions courageuses , qui font autant
d'honneur à son caractère qu'à son talent.
1
234 MERCURE DE FRANCE ,
4
est le centre et le lien de l'union fraternelle entre tous
les hommes. Son langage , source de paix , est le même
dans tous les gouvernements sur les obligations des
peuples , des ministres des autels , des administrateurs
de tous les ordres , des chefs des nations ; et sa doctrine
saine et pure , sans fanatisme et sans superstition ,
- ne subit point les vicissitudes des affaires humaines.
On ne peut la regarder comme un germe de discorde
qu'en dénaturant ses principes . On l'altère quand on
l'accuse ; et s'élevant d'elle - même et sans effort au
dessus des intérêts et des passions , elle consacre par
des motifs surnaturels l'accomplissement des devoirs
et l'encouragement des vertus .
Combien de douces consolations elle a versées , dans
tous les temps , au sein des calamités publiques et
privées ! et par quelles tendres affections elle semble
dissiper jusqu'à l'impression même du malheur ! Les
ames les plus sensibles , au milieu de leurs regrets les
plus douloureux , se sont nourries et fortifiées de cette
piété chaque jour plus épurée , qui se perfectionne
dans les épreuves de la contrainte ; et cette religion ,
qu'on accusoit d'être une source de trouble , est devenue
dans toutes les classes de citoyens la source la plus
assurée de la tranquillité publique........ Aussi ces
témoignages , les témoignages les plus sensibles de ce
contentement général que la paix donne à la nation ,
' n'ont point égalé ces mouvements et ces transports ,
que répand dans toutes les conditions le rétablissement
de la religion. C'est au sein de toutes les familles vertueuses
qu'il faudrait pouvoir en contempler les effets.
Ce dernier trait , qu'un autre journal a déja
remarqué * , est aussi vrai que touchant.
On voit , par les divers passages extraits de ce
* Le Journal de Paris , article du C. Ræderer.
FLORÉAL AN X. 235
.
,
discours , que l'auteur a senti la grandeur de son
sujet et la dignité de son ministère. Le pontife
qui l'a prononcé devant les nouveaux magistrats
de la France , eut jadis le courage , dans une
cérémonie non moins solennelle * de parler
au dernier monarque des bornes de l'autorité
-royale. Celui qui faisait entendre une voix libre
aux rois sous le gouvernement monarchique ,
est digne aujourd'hui d'apprendre au peuple ses
devoirs sous le gouvernement républicain. L.
:
VARIÉTÉS .
DANS l'extrait que nous avons donné du
Génie du Christianisme , nous avons annoncé
un second extrait de la partie littéraire et critique
de cet ouvrage. En attendant que l'auteur du
premier remplisse sa promesse , on nous saura
gré de faire connaître l'épisode de René. Cet
épisode qui rappelle tout le talent d'Atala , et qui
même lui est préféré par plusieurs gens de goût ,
est compris dans cette partie littéraire. On
peut aussi le considérer comme un petit ouvrage
à part. L'auteur de René a youlu peindre cet
orage intérieur et cette espèce de fermentation
sourde qui travaille le jeune homme avant que
ses passions se soient fixées sur un objet. Dans
unetelle disposition , la solitude devient funeste,
surtout lorsqu'elle n'est pas habitée avec la re
M. l'archevêque d'Aix , aujourd'hui archevêque de
Tours , prêcha , au sacre de Louis XVI , un sermon sur les
bornes de l'autorité royale.
** Voyez notre avant-dernier numéro,
236 MERCURE DE FRANCE ,
ligion . Alors la paix et le silence ne servent
qu'à redoubler l'énergie malheureuse du coeur
humain. C'est ce que l'auteur s'attache principalement
à développer. Il prouve encore contre
les sophistes , qu'il y a telle circonstances de la
vie où le coeur trompé dans ses affections , et
› la vertu fatiguée de ses combats ne peuvent
trouver de repos que dans les abris du cloître.
Le personnage que l'on met en scène est le
même René auquel Chactas raconte ses aventures
dans Atalā.
Ce jeune homme qui s'était marié pour se
conformer aux moeurs des Sauvages , paraît con
sumé d'une grande tristesse , et mène une vie
errante dans lesbois. Chactas , son père adoptif,
et le père Souël , missionnaire à la nouvelle
France , voudraient connaître le secret de son
coeur ; mais il résiste à toutes leurs prières ;
enfin il cède ; ils vont un jour ensemble sur
les bords de Meschacebé , et le jeune homme
commence ainsi :
ee Je ne puis , en commençant mon récit, me défendre
d'un mouvement de honte. La paix de vos coeurs , respectables
vieillards , et le calme de la nature autour de
moi , me font rougir du trouble et de l'agitation de mon
ame.
Il décrit ensuite les premières sensations de
son enfance.
« Chaque automne , je revenais au château paternel,
situé au milieu des forêts , près d'un lac , dans une province
reculée.
"« Timide et contraint devantmon père , je ne trouvais
l'aise et le contentement qu'auprès de ma soeur
Amélie. Une douce conformité d'humeur et de goûts
FLORÉAL AN X. 237
m'unissait étroitement à cette soeur ; elle était un peu
plus âgée que moi. Nous aimions à gravir les coteaux
ensemble , à voguer sur le lac , à parcourir les bois à la
chute des feuilles ; promenades dont le souvenir remplit
encore mon ame de délices : ô illusions de l'enfance et
de la patrie , ne perdez-vous jamais vos douceurs !
1
Les dimanches et les jours de fête , j'ai souvent entendu
dans le grand bois , à travers les arbres , lès sons
de la cloche lointaine , qui appelait au temple l'homme
des champs . Appuyé contre le tronc d'un ormeau ,
j'écoutais en silence le pieux murmure. Chaque frémissement
de l'airain portait à mon ame naïve l'innocence .
des moeurs champêtres , le calme de la solitude , le
charme de la religion , et la délectable mélancolie des
souvenirs de ma première enfance. Oh ! quel coeur si
mal fait n'a tressailli au bruit des cloches de son lieu
natal , de ces cloches qui chantèrent de joie sur son
berceau , qui annoncerent son avénement à la vie , qui
marquèrent le premier battement de son coeur , qui
publièrent , dans tous les lieux d'alentour , la sainte
alégresse de son père , les douleurs , et les joies encore
plus ineffables de sa mère ! Tout se trouve dans les
réminiscences enchantées que donne le bruit de la
cloche natale , philosophie , piété , tendresse , et le
berceau et la tombe , et le passé et l'avenir .
Le père de René meurt ; celui-ci abandonné
à lui -même et poussé par un vague instinct ,
se met à voyager .
Plein d'ardeur , je m'élançai seul sur cet orageux
océan du monde, dont je ne connaissais ni les ports ,
ni les écueils . Je visitai d'abord les peuples qui ne sont
plus ; je m'en allai , m'asseyant sur les débris de Rome
et de la Grèce ; pays de forte et d'ingénieuse mémoire ,
où les palais des rois sont ensevelis dans la poudre , et
238 MERCURE DE FRANCE ,
leurs mausolées cachés sous des ronces . O force de la :
nature et faiblesse de l'homme ! un brin d'herbe perce
souvent le marbre le plus dur de ces tombeaux , que
tous ces morts , si puissants , ne soulèveront jamais !
Quelquefois une haute colonne se montrait seule debout
dans un désert , comme une grande pensée s'élève , par
intervalles , dans une ame que le temps et le malheur
ont dévastée.
sans Après avoir visité plusieurs peuples ,
rien trouver qui remplisse le vide de son coeur ,
il revient dans sa patrie . Pendant quelque temps
il essaye des distractions d'une grande ville ;
mais ses dégoûts , qui s'en augmentent , le pous- .
sent dans la solitude.
C'est alors que l'auteur , entrant plus avant
dans son sujet , montre le jeune homme aux
prises avec toutes les puissances de son imagination.
" La solitude absolue , le spectacle inspirant de la
nature , me plongèrent bientôt dans un état presqu'impossible
à décrire. Sans parents , sans amis , pour ainsi
dire seul sur la terre , n'ayant point encore aimé , mais
cherchant à aimer , j'étais accablé d'une surabondance .
de vie. Quelquefois je rougissais subitement , et je
sentais couler dans mon coeur comme des ruisseaux
d'une lave ardente ; quelquefois je poussais des cris
involontaires , et la nuit, était également troublée de
mes songes et de mes veilles . Il me manquait quelquechose
pour remplir l'abyme de mon existence : je des
cendais dans la vallée , je m'élevais sur la montagne ,
appelant de toute la force de mes desirs cet idéal objet
d'une flamme future ; je l'embrassais dans les vents , je
le saisissais dans les gémissements du fleuve ; tout était
FLOREAL ANX. 239
ce fantôme imaginaire , et les astres dans les cieux , et
le principe même de vie dans l'univers .
L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes :
j'entrai avec ravissement dans les sombres mois des
tempêtes. Tantót j'aurais voulu être un de ces anciens
guerriers errant au milieu des vents , des nuages et des
fantômes ; tantôt j'enviais jusqu'au sort du pâtre que
je voyais réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles
qu'il avait allumé au coin d'un bois. J'écoutais
ses chants mélancoliques , qui me rappelaient que dans
tout pays , le chant naturel de l'homme est triste , lors ,
même qu'il exprime le bonheur. Notre coeur est un
instrument incomplet , une lyre où il manque des cordes ,
et où nous sommes forcés de rendre les accents de la
joie sur le ton consacré aux soupirs .
ε Le jour , je m'égarais sur de grandes bruyères , qui
se terminaient à des forêts. Qu'il fallait peu de choses,
à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait
devant moi , une cabane dont la fumée s'élevait dans la
cime dépouillée des arbres , la mousse qui tremblait au
souffle du nord sur le tronc d'un vieux chêne , une roche
écartée , un étang désert où le jone flétri murmurait !
Le clocher champêtre s'élevant au loin dans une vallée
solitaire , a souvent attiré mes regards ; souvent j'ai
suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au
dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés , les
climats lointains où ils se rendent ; j'aurais voulu être
sur leurs ailes : un secret instinct me tourmentait ; je
sentais que je n'étais moi-même qu'un voyageur ; mais
une voix du ciel semblait me dire : " Homme , la saison
* de ta migration n'est pas encore venue ; attends que..
« le vent de la mort se lève , alors tu déployeras
« ton vol vers ces régions inconnues que ton coeur de- >>
64 mande.>>>
Levez-vous vite , orages desirés , qui devez em240
MERCURE DEFRANCE,
porter René dans les espaces d'une autre vie ! Ainsi
disant , je marchrais à grands pas , le visage enflammé ,
le vent sifflant dans ma chevelure , ne sentant ni pluie
ni frimas , enchanté , tourmenté , et comme possédé par
le démon de mon coeur.
" La nuit , quand l'aquilon venait à ébranler ma
chaumière , que les pluies tombaient en torrent sur mon
toit , qu'à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner
les nuages amoncelés comme un pâle vaisseau qui laboure
les vagues , il me semblait que la vie redoublait au fond
de mon coeur , que j'aurais eu la puissance de créer des
mondes . Ah ! si j'avais pu faire partager à un autre les
transports que j'éprouvais ! O Dieu ! si tu m'avais donné
une femme selon mes desirs ; si , comme à notre premier
père , tu m'eusses amené par la main une Eve tirée de
moi-même .... Beauté céleste , je me serais prosterné
devant toi , puis te prenant dans mes bras , j'aurais prié
l'Eternel de te donner les restes de ma vie !
On n'avait pas encore , je crois , trouvé des
couleurs aussi vraies , pour un état de l'ame ,
tellement orageux et indéfini , qu'il se dérobe à
la pensée , même de celui qui l'éprouve.
Enfin , René après avoir consumé inutilement
tous les desirs de son coeur , arrive au dernier :
dégoût de la vie. Il songeait à s'en délivrer ,
lorsque sa soeur , qui a deviné ce projet funeste ,
vient le surprendre dans sa retraite.
« Amélie avait reçu de la nature quelque
<<< chose de tout divin ; son ame avait les mêmes
<<*<graces innocentes que son corps ; la douceur
« de ses sentiments était infinie ; il n'y avait
<<< rien que de suave et d'un peu rêveur dans
<< son esprit. On eût dit que son coeur , sa pen- "
<<<-sée et sa yoix soupiraient comme de coin-
১৯
FLORÉAL AN X.
241
« cert. Elle tenait de la femme la modestie et
<< l'amour , et de l'Ange , la pureté et la mé-
<<<lodie. >>>
Pendant quelques mois qu'Amélie passaver
son frère , elle parvint
dans ce coeur troublé ; mais un jour elle s'échappe
tout-à-coup , laissant une lettre où elle ex
plique sa résolution . On remarquera sans doute
cette lettre à la fois si chaste et si passionnée ,
où l'amour semble avoir concentré ses accents ,
et se laisse deviner sous le voile de la religion
. Amélie apprend à son frère qu'elle va se
consacrer à Dieu dans un cloître. René surpris
d'une telle résolution , part pour l'en
détourner .
à mettre un peu de paix
FPERA
« Après avoir hésité un moment sur le parti que
j'avais à prendre , je me résolus d'aller à B .... dans le
dessein de retarder au moins le sacrifice , si je ne pouvais
l'empêcher de s'accomplir.
« La terre où j'avais été élevé se trouvait sur maroute.
Quand j'aperçus du grand chemin ces bois où j'avais
passé les seuls moments heureux de ma vie , je ne pus
retenir mes larmes , et il me fut impossible de résister
à la tentation de leur dire un dernier adieu . Je me
détournai donc un moment pour accomplir ce sacré pélerinage.
« Mon frère aîné avait vendu l'héritage paternel , et
le nouveau propriétaire ne l'habitait pas . J'arrivai au
château par la longue avenue de sapins : je traversai à
pied les cours désertes ; je m'arrêtai en silence à regarder
les fenêtres fermées ou demi-brisées , le chardon
qui croissait au pied des murs , les feuilles quijonchaient
le seuil des portes , et ce perron solitaire où j'avais vu
si souventmon père et ses fidelles serviteurs . Les marches
étaient déja couvertes de mousse ; le violier jaune croissait
entre leurs pierres déjointes et tremblantes. Un gardien
inconnu m'ouvrit brusquement les portes . Comme
j'hésitais à franchir le seuil , cethomme me dit : « Eh
bien ! allez-vous faire comme cette étrangère , qui
2.
8. 16
242 MERCURE DEFRANCE ,
vint ici il y a quelques jours ? Quand ce fut pour
a entrer , elle devint pâle et tremblante , et l'on fut
obligé de la reporter à sa voiture. » Il me fut aisé de
reconnaître l'étrangère qui , ainsi que moi , était venue
chercher dans ces lieux des pleurs et des souvenirs .
Couvrant mes yeux de mon mouchoir , j'entrai sous le
toit de mes ancêtres . Je parcourus les appartements
sonores où l'on n'entendait que le bruit de mes pas , et
qui n'étaient éclairés que par la faible lumière qui pénétrait
entre les volets fermés . Je visitai la chambre où
ma mère avait perdu la vie en me mettant au monde ,
celle où se retirait mon père , celle où j'avais dormi
dans mon berceau , celle où l'amitié avait reçu mes
premiers voeux dans le sein d'une soeur .... Partout
les salles étaient détendues , et l'araignée filait sa toile
dans les couches abandonnées . Je sortis précipitamment
de ces lieux ; je m'en éloignai à grands pas , sans oser
détourner la tête. Qu'ils sont doux , mais qu'ils sont
rapides , les moments que les frères et les soeurs passent
dans leurs jeunes années , réunis sous l'aile de leurs
vieux parents ! La famille de l'homme n'est que d'un
jour , le souffle de Dieu la disperse comme une fumée ;
a peine le fils connait-il le père , le père le fils , le frère
la soeur , la soeur le frère : le chêne voit germer ses
glands autour de lui ; il n'en est pas ainsi des enfants
des hommes !
".En arrivant à B .... je me fis conduire au couvent ;
je demandai à parler à ma soeur. On me dit qu'elle ne
recevait personne. Je lui écrivis ; elle me répondit , que
sur le point de se consacrer à Dieu, il ne lui était pas
permis de donner une seule pensée au monde ; que si je
J'aimais , j'éviterais de l'accabler de ma douleur. Elle
ajoutait : « Cependant , si votre projet est de paraître
à l'autel le jour de ma profession , daignez m'y senvir
de père ; ce role est le seul digne de votre cou-
« rage , le seul qui convienne à notre amitié et à ma
€1
«
te paix.
K Cette froide fermeté qu'on opposait à toute l'ardeur
de mon amitié , me jeta dans de violents transports .
Tantôt j'étais prêt à retourner sur mes pas , tantot je
voulais rester , uniquement pour troubler la pompe.
L'enfer me suscitait jusqu'à la pensée de me poignarder
FLOREAL AN Χ. 243
1
dans l'église , et de mêler mes derniers soupirs aux
voeux qui m'arracheraient ma soeur. La supérieure du
couvent me fit prévenir qu'on avait préparé un bane
dans le sanctuaire , et elle m'invitait à me rendre à la
cérémonie , qui devait avoir lieu dès le lendemain .
« Au lever de l'aube , j'entendis le premier son des
cloches qui annonçait le sacrifice . Vers dix heures , dans
une sorte d'agonie , je me traîne au monastere .....
Rien ne peut plus être tragique quand on a assisté à de
pareils spectacles , ni rien douloureux quand on y a
survécu.
" Un peuple immense remplissait l'église : on me
conduit au banc du sanctuaire ; je m'y précipite sans
presque savoir où j'étais , ni à quoi j'étais résolu . Déja
le prêtre attendait à l'autel : tout-à-coup la grille mystérieuse
s'ouvre , et Amélie s'avance , parée de toutes
les pompes du monde. Ele était si belle , il y avait
sur son visage quelque chose de si divin , qu'elle excita
un mouvement d'admiration et de surprise. Foudroyé
par la glorieuse douleur de la sainte , abattu par les
grandeurs de la religion , tous mes projets de violence
s'évanouirent ; ma force n'abandonna ; je me sentis
lié par une main toute-puissante , et au lieu de blasphêmes
et de menaces , je ne trouvai dans mon coeur
que de profondes adorations et les gémissements de
P'humilité.
« Amélie se plaça sous un dais qu'on avait préparé
pour elle. Le sacrifice commence à la lueur de cent
flambeaux , au milieu des fleurs et des parfums qui
devaient rendre l'holocauste agréable. A l'offertoire , le
prêtre se dépouille de ses ornements , ne conservequ'une
tunique de lin , monte en chaire , et dans un discours
simple et pathétique , peint le bonheur de la vie religieuse
, les tribulations du monde , et la paix de la
vierge qui se consacre au seigneur. Quand il prononça
ces mots : Elle a paru comme l'encens qui se consume
dans le feu , un grand calme et des odeurs célestes
semblèrent se répandre dans l'auditoire ; on se sentit
comme à l'abri sous les ailes de la colombe mystique ,et
l'on eût cru voir des anges descendre sur l'autel , et
remonter vers les cieux avec des parfums et des couronnes.
244 MERCURE DE FRANCE ,
(
1
Le prêtre achève son discours , reprend ses vêtements
et continue le sacrifice. Amélie , soutenue de deux
jeunes religieuses , se met à genoux sur la dernière
marche de l'autel. On vient alors me chercher pour
remplir les fonctions paternelles. Au bruit de mes pas
chancelants dans le sanctuaire , Amélie fut prête à défaillir.
On me place à côté du prêtre pour lui présenter
Jes ciseaux. En ce moment , je sentis renaître mes
transports ; ma fureur allait éclater , quand Amélie ,
rappelant son courage , me lança un regard, où il y
avait tant de reproche et de douleur , que j'en fus
atterré. La religion triomphe ! ma soeur profite de mon
trouble ; elle avance hardiment la tête : sa superbe
chevelure tombe de toutes parts sous le fer sacré ; une
longue robe d'étamine remplace pour elle les ornements
du siécle , sans la rendre moins touchante ; les ennuis
de son front se cachent sous un bandeau de lin ; et le
voile mystérieux , double symbole de la virginité et
de la religion , accompagne sa tête dépouillée. Jamais
elle n'avait paru si belle : l'oeil de la pénitente était
attaché sur la poussière du monde , et son ame était
dans le ciel .
« Cependant , Amélie n'avait point encore prononcé
ses voeux ; et, pour mourir au monde , il fallait qu'elle
passât comme à travers le tombeau. Ma soeur se couche
sur le marbre ; on étend sur elle un drap mortuaire ;
quatre flambeaux funèbres en marquent les quatre coins .
Le prêtre , l'étole au cou et le livre à la main , commence
l'office des morts , que de jeunes vierges continuent.
O joies de la religion , que vous êtes grandes ,
mais que vous êtes terribles ! On m'avait contraint de
me placer à genoux près de ce funeste appareil : toutà-
coup un murmure confus sort de dessous le voile
sépuleral ; je m'incline , et ces paroles épouvantables
( que je fus le seul à entendre ) viennent frapper mon
oreille : « Dieu de miséricorde , fais que je ne me releve
« jamais de cette couche funebre , et comble de tes
biens un frère qui n'a point partagé ma criminelle
" passion ! "
A ces mots , échappés du creux du cercueil , l'affreuse
vérité m'éclaire ; ma raison s'égare ; je me laisse
tomber sur le linceul de la mort , je presse ma soeur
FLOREAL AN XΧ. 245
dans mes bras , je m'écrie : « Chaste épouse de Jésus-
" Christ , reçois mes derniers embrassements à travers
■ les glaces du trépas et les profondeurs de l'éternité ,
|
« qui te séparent déja de ton frère ! »
" Ce mouvement , ce cri , ces larmes , troublent
toute la cérémonie : le prêtre s'interrompt ; les religieuses
effrayées ferment la grille ; la foule s'agite et
se presse vers l'autel : on m'emporte sans connaissance.
Ah ! que je sus peu de gré à ceux qui me rappelèrent à
la lumière ! J'apris , en rouvrant les yeux au jour , que
le sacrifice était consommé , et que ma soeur avait été
saisie d'une fièvre ardente. Elle me faisait prier de ne
plus chercher à la voir .... O misère de ma vie ! une
soeur craignait de parler à un frère , et un frère aurait
craint de faire entendre sa voix à une soeur ! Je sortis
de ce monastère comme du lieu d'expiation , ou des
flammes nous préparent pour la vie céleste , et où
l'on a tout perdu , comme aux enfers , hors l'espérance
.
" J'avais voulu quitter la terre avant l'ordre du
Tout-Puissant ; c'était un grand crime. Dieu m'avait
envoyé Amélie à la fois pour me sauver et pour me
punir. Ainsi , toute pensée coupable, toute action criminelle
entraîne après soi les désordres et les malheurs .
Amélie me prioit de vivre , et je lui devais bien de ne
pas aggraver ses maux; d'ailleurs ( chose étrange ! ) ,
je n'avais plus envie de mourir depuis que j'étais réellement
malheureux. Mon chagrin était devenu
occupation qui remplissait tous mes moments ; tant
mon coeur est naturellement pétri d'ennui et de misere
!
"
une
Je pris donc subitement une autre résolution ; je
me déterminai à quitter l'Europe , à passer en Amérique.
"
09
On équipait , dans ce moment même , au port de
B..... une flotte pour la Louisiane ; je m'arrangeai
avec un des capitaines des vaisseaux ; je fis savoir
mon projet à Amélie et je m'occupai de
départ.
2
mon
" Ma soeur avait touché aux portes de la mort ; mais
Dieu, qui lui destinait la première palme des vierges ,
ne voulut pas la rappeler si vite à lui ; son épreuve
1
246 MERCURE DE FRANCE ,
ici bas fut prolongée : descendue une seconde fois dans
la pénible carrière de la vie , l'héroïne , courbée sous
sa croix , s'avança courageusement au-devant des douleurs
, ne voyant plus que le triomphe dans le combat
, et dans l'excès des souffrances l'excès de la
gloire.
"
La vente du peu de bien qui me restait , et que je
cédai à mon frère , les longs préparatifs d'un convoi ,
les vents contraires , me retiorent longtemps dans le
port. J'allais chaque matin m'informer des nouvelles
d'Amélie , et je revenais toujours avec de nouveaux
motifs d'admiration et de larmes .
" J'errais sans cesse autour du monastère , bâti au
bord de la mer. J'apercevais souvent , à une petite
fenêtre grillée qui donnait sur une plage déserte , une
religieuse assise dans une attitude pensive ; elle rêvait
à l'aspect de l'océan , où apparaissait quelque vaisseau
cinglant aux extrémités de la terre. Plusieurs fois , à la
clarté de la lune , j'ai revu la même vestale aux barreaux
de la même fenêtre ; elle contemplait la mer ,
éclairée par l'astre de la nuit , et semblait prêter l'oreille
au bruit des vagues qui se brisaient tristement
sur des grèves solitaires .
Je crois encore l'entendre , pendant la nuit , la
cloche qui appelait les religieuses aux veilles et aux
prières . Tandis qu'elle tintait avec lenteur , et que
Jes vierges s'avançaient en silence à l'autel du Tout-
Puissant , je courais au monastère : là , seul au pied
des murs , dans les ténèbres , j'écoutais dans une sainte
extase les derniers sons des cantiques qui se mêlaient
sous les voûtes du temple aux faibles bruissements des
flots lointains .
" Je ne sais comment toutes ces choses , qui auraient
dû nourrir mes peines , en émoussaient au contraire
l'aiguillon . Mes larmes avaient moins d'amertume ,
lorsque je les répandais sur les rochers et parmi les
vents. Mon chagrin même, par sa nature extraordinaire ,
portait avec lui quelque remède : on jouit de ce qui n'est
pas commun , même quand cette chose est un malheur.
J'en conçus presque l'espérance que ma soeur deviendrait
à son tour moins misérable .
« Une lettre que je reçus d'elle vers ce temps- là ,
FLOREAL ANX. 247
sembla me confirmer dans ces idées . Amélie se plaignait
tendrement de ma douleur , et m'assurait que le temps
diminuait la sienne. Je ne désespère pas de mon
« bonbear , me disait-elle : l'excès même du sacrifice ,
■ à présent que le sacrifice est fait , sert à me rendre'
« quelque paix. La simplicité de mes compagnes , la
• pureté de leurs voeux , la régularité de notre vie ,
- tout répand du baume sur mes jours, Quand j'entends
« gronder les orages , et que l'oiseau de mer vient
battre des ailes à ma fenêtre ; moi , pauvre colombe
« du ciel , je songe au bonheur que j'ai eu de trouver
«
"
"
a
un abri contre la tempête. On respire ici quelque
« chose de divin , un air tranquille que ne trouble
point le souffle des passions ; c'est ici la sainte montagne
, le sommet élevé d'où l'on entend les derniers
<<bruits de la terre , et les premiers concerts du ciel ;
«c'est ici que la religion trompe doucement une ame
" sensible ; aux plus violentes amours , elle substitue
•une sorte de chasteté brûlante , où l'amante et la
" vierge se trouvent unies . Elle épure les soupirs ;
• elle allume une flamme incorruptible où brûlait une
• flamme mortelle ; elle mêle divinement son calme et
⚫ son innocence à ce reste de confusion et de volupté ,
• d'un coeur qui cherche à se reposer , et d'une vie qui
« se retire . »
« Je ne sais ce que le ciel me réserve , et s'il a voula
me faire entendre que les orages accompagneraient
partout mes pas . L'ordre était donné pour le départ
dela flotte ; déja plusieurs vaisseaux avaient appareillé
au baisser du soleil : je m'étais arrangé pour passer la
dernière nuit à terre , afin d'écrire ma lettre d'adieux
à Amélie. Vers minuit , tandis que je m'occupais de ce
triste soin , et que je mouillais mon papier de mes
larmes , tout- à-coup le bruit des vents vient frapper
mon oreille. J'écoute , et au milieu de la tempête , je
distingue les coups de canon d'alarme , mêlés au glas
de la cloche monastique. Je vole sur le rivage où tout
était désert , et où l'on n'entendait que le rugissement
des flots . Jem'assieds sur un rocher. D'un côté s'étendent
les vagues étincelantes , de l'autre les mars sombres du
monastère montent en masse dans les cieux : une petite
lumière apparaissait à la fenêtre grillée. Etait-ce toi ,
248 MERCURE DE FRANCE ;
ô mon Amélie , qui , prosternée au pied du crucifix ,
priais le dieu des orages d'épargner ton malheureux
frère ! ..... La tempête sur les flots , la paix dans sa
retraite ; des hommes brisés sur des écueils , au pied de
J'asyle que rien ne peut troubler ; l'infini de l'autre
côté du mur d'une cellule , de même qu'il n'y a que la
pierre du tombeau entre l'éternité et la vie ; les fanaux
agités des vaisseaux , le phare immobile du couvent ,
humble , mais certain , et dirigeant sans périls la religieuse
à une terre céleste ; l'incertitude des destinées
du navigateur , la vestale ayant sous le même toit et
son lit et son tombeau , et connaissant dans un seul
jour tous les jours futurs de sa vie : d'une autre part ,
une ame telle que la tienne , ô Amélie ! vaste , orageuse
comme l'océan ; un naufrage plus affreux que
çelui du marinier ..... Tout ce tableau est profondément
gravé dans ma mémoire .... Soleil de ce ciel
nouveau , maintenant témoin de mes larmes ! échos
du rivage américain , qui répétez les accents de René !
ce fut le lendemain de cette nuit terrible , qu'appuyé
sur le gaillard de mon vaisseau , je vis s'éloigner pour
jamais ma terre natale : je contemplai longtemps sur
la côte les derniers balancements des arbres de la
patrie , et les faîtes du monastère , qui s'abaissaient à
T'horizon . »
Comme René achevait de raconter son histoire , il
tiraun papier de son sein , et le donna au père Souel;
puis , se jetant dans les bras de Chactas , et étouffant
ses sanglots , il laissa le temps au missionnaire de lire
la lettre qu'il lui avait remise .
Elle était de la Supérieure de ....... Elle contenaitde
récit des derniers moments de la soeur Amélie
de la Miséricorde , morte victime de son zèle et de sa
charité , en soignant ses compagnes attaquées d'une
maladie, contagieuse. Toute la communauté était inconsolable
, et l'on y regardait Amélie comme une
sainte : la Supérieure ajoutait que depuis trente ans
qu'elle était à la tête de la maison, elle n'avait jamais
vu de religieuse d'une humeur aussi douce et
aussi égale , ni qui fût plus contente d'avoir quitté
les tribulations du monde.
Chactas pressait René dans ses bras ; le vieillard

FLOREAL ANX.
249
pleurait. « Mon enfant , dit-il à son fils , je voudrais
" que le père Aubry fût ici ; il tirait du fond de son
coeur je ne sais quelle paix , qui , en les calmant ,
« ne semblait point étrangère aux tempêtes : c'était la
ct lune dans une nuit orageuse ; les nuages errants ne
« peuvent l'emporter dans leur course ; pure et inal-
<<térable , elle s'avance tranquille au dessus d'eux.
« Hélas ! pour moi , tout me trouble et m'entraîne ! »
Jusqu'alors le père Souel , sans proférer une parole,
avait écouté d'un air austère l'histoire de René. Il
portait en secret un coeur compatissant , mais il mon.
trait au -dehors, un caractère inflexible ; la sensibilité
du Sachem le fit sortir enfin de son silence :
Rien, dit- il au frère d'Amélie , rien ne mérite dans
« cette histoire la pitié qu'on vous montre ici . Je vois
« un jeune homme entêté de chimères , à qui tout dé-
« plaît , et qui s'est soustrait aux charges de la société
<< pour se livrer à d'inutiles rêveries . On n'est point ,
« Monsieur , un homme supérieur , parce qu'on aperçoit
le monde sous un jour odieux ; on ne hait les
hommes et la vie , que faute de voir assez loin.
Etendez un peu plus votre regard , et vous serez
bientôt convaincu que tous ces maux dont vous vous
plaignez , sont de purs néants. Mais quelle honte
« de ne pouvoir songer au seul malheur réel de votre
« vie , sans être forcé de rougir ! Toute la pureté ,
toute la vertu , toute la religion , toutes les cou
ronnes d'une sainte , rendent à peine tolérable la
seule idée de vos chagrins. Votre soeur a expié sa
faute; mais , s'il faut dire ici ma pensée , je crains
" que , par une épouvantable justice , un aveu , sorti
« du sein de la tombe , n'ait à son tour troublé votre
"ame. Que faites vous seul au fond des forêts ,jou
vous consumez vos jours , négligeant tous vos devoirs
? Des saints , me direz-vous , se sont ensevelis
dans les déserts. Ils y étaient , Monsieur , avec
leurs larmes , et employaient à éteindre leurs pasisions
le temps que vous perdiez à allumer les vô-
") tres . Jeune présomptueux , qui avez cru que l'homme
se peut suffire à lui - même ! La solitude est mauvaise
à celui qui n'y vit pas avec Dieu ; elle redouble
les puissances de l'ame en même temps qu'elle leur
250 MERCURE DE FRANCE , )
• ôte tout sujet pour s'exercer. Quiconque a reçu des
" forces , doit les consacrer au service de ses sembla-
" bles : s'il les laisse inutiles , il en est d'abord puni
par une secrète misère , et tôt ou tard le ciel lui
« envoie un châtiment effroyable. »
Tout troublé par ces paroles , René releva du sein
de Chactas sa tête humiliée : le Sachem aveugle se
prit à sourire ; et ce sourire de la bouche , qui ne se
mariait plus à celui des yeux , avait quelque chose de
mystérieux et de céleste. « Mon fils, dit l'antique amant
« d'Atala , il nous parle sévèrement , il corrige et le
• vieillard et le jeune homme , et il a raison. Oui , il
« faut que tu renonces à cette vie extraordinaire , qui
" n'est pleine que de soucis; il n'y a de bonheur que
dans les voies communes .
"
er
Un jour le Meschacebé , encore assez près de sa
• source, se lassa de n'être qu'un limpide ruisseau. Il
« demanda des neiges aux montagnes , des eaux aux
" torrents , des pluies aux tempêtes , et parvint à ra-
" masser une onde immense. Bientôt il franchit ses
« rives , et ravage ses bords charmants . L'orgueilleux
" ruisseau s'applaudit d'abord de sa puissance ; mais
voyant que tout devenait désert sur son passage ;
qu'il coulait , abandonné dans une grande solitude ,
que ses eaux étaient toujours troublées ; il regretta
" l'humble lit que lui avait creusé la nature , la pureté
de son premier cours , et les oiseaux , ét les fleurs ,
⚫ et les arbres , et les petits ruisseaux , jadis aimables
" compagnons de son onde, aux sources de sa vie. »
Chactas cessa de parler , et l'on entendit la voix da
flammant , qui , retiré dans les roseaux du Meschacebe
, annonçait un orage pour le milieu du jour. Les
trois amis se levèrent pour retourner à leurs cabanes :
René marchait en silence entre le missionnaire , qui
priait Dieu , et le Sachem aveugle , qui cherchait sa
route. On dit que , pressé par les deux vieillards, il
retourna chez son épouse , mais sans y trouver le bonheur.
Il périt peu de temps après avec Chactas et le
père Souel , dans le massacre des Français et des
Natchez à la Louisiane : on montre encore un rocher
où il alloit s'asseoir au soleil couchant .
Nous n'avons pas voulu interrompre l'auteur

FLOREAL AN Χ. 251
pour faire remarquer ses beautés. Il n'est
personne qui n'ait senti le charme douloureux
de cette dernière visite au château paternel, de
cette lettre où Amélie décrit la paix et les consolations
qu'elle a trouvées aux pieds des autels
, etc. Mais ce roman doit surtout plaire aux
lecteurs , qui conservent quelques souvenirs de
l'âge d'inquiétude et des passions naissantes
qu'on a voulu peindre. Ils y verront leur propre
coeur , deviné pour ainsi dire , et jusqu'aux
nuances de leur existence confuse , fixées dans
ces tableaux éloquents. Peut-être même que
jugeant ce petit ouvrage , d'après le mérite de
;
la composition et des difficultés vaincues , ils
préféreront aux amours de Chactas , les rêveries
du jeune René. D'ailleurs , la moralité est toutà-
fait neuve , et malheureusement d'une application
très -étendue. Elle s'adresse à ces nombreuses
victimes de l'exemple dujeune Werther ,
de Rousseau , qui ont cherché le bonheur loin
des affections naturelles du coeur , et des voies
communes de la société. La brusque réprimande
du missionnaire donne un grand effet à
cette moralité , et fait mieux ressortir la triste
vanité de ces jeunes gens qui se sont imaginé
que la bizarrerie était inséparable du génie , et
qui ont commencé par la bizarrerie , en attendant
le génie.
Aureste , le sujet de René n'est qu'un des
points de vue de cette partie littéraire dontnous
devons rendre compte. Elle en offre plusieurs
autres qui paraîtront aussi neufs que féconds ;
mais leur examen se rattache aux questions les
plus intéressantes de la littérature , et il ne faut
pas trop se hâter de juger le résultat de plusieurs
années de travail et de méditation .
252 MERCURE DE FRANCE ,
Ce serait peut- être le lieu de répondre à quelques
personnes qui affectent de regarder le Génie
du Christianisme , comme un ouvrage de circonstances.
Assurément on n'avait pas encore
vu d'ouvrages de circonstances en cinq volumes ;
et une semblable nouveauté devrait exciter
au moins quelques doutes , si l'on ne savait que
ce livre , dont l'auteur a eu le courage de
brûler successivement deux éditions , fut publié
pour la première fois à Londres , en 1798.
On conviendra cependant qu'il est heureux pour
l'auteur que les opinions de son livre paraissent
conformes à l'esprit du gouvernement , et
que ses espérances , à l'instant même où il les
exprimait , ayent été réalisées par la main du
héros qui vient de relever les ruines de la France ,
et qui , en affermissant son ouvrage par la religion
, répare les erreurs de ceux qui pardonnent
encore moins au Génie du Christianisme ,
le sujet que le succès . P. M.
SPECTACLE S.
HEATRE DE LOUVOIS.
UN Tour de Jeune Homme , par les CC. Chazet et
Léger,
Une historiette rapportée dans le Journalde Paris , à
l'occasion des promenades de Lonchamp , et qui avait
du moins le mérite de l'à-propos , a paru aux CC, Chazet
et Léger , digne d'être reproduite sur le théâtre. Ils
s'en sont bien vîte emparés , de peur d'être gagnés de
vîtesse ;ils l'ont habillée à leur manière , et à un fond
très-mince , ils ont ajouté une broderie encore plus
mesquine. On ne sait pas trop pourquoi ces deux
illustres favoris du petit Dieu du Vaudeville , qui leur
a toujours fait un accueil gracieux , ont tout- à-coup
déserté sa cour , et ont été offrir leur hommage à Thalie ,
qui, sans cesse excédée d'une foule de nouveaux amants,
ne leur a pas même jusqu'ici accordé un sourire. CepenFLOREAL
AN X. 253
4
dant la Déesse compte peu d'adorateurs aussi empressés
; cette derniere offrande est l'ouvrage d'une
semaine. Des amants qui vont si vîte en besogne, seraient
du goût de bien des belles , et elles ne regarderaient
pas tant à la nature de leurs présents , pourvu qu'ils
fussent souvent répétés . Mais la dédaigneuse Thalie
examine jusqu'à la moindre fleur des guirlandes qu'on
vient suspendre à son temple. Voyons pourquoi elle a
reçu avec indifférence le bouquet des CC. Chazet etLéger.
Hippolyte , le héros de la pièce , est le premier garçon
de boutique de son oncle , marchand de drap , et tout
aussi bête qu'on peut le desirer. Le neveu néglige furieusement
le comptoir , depuis qu'il a un mois de
manege , et n'a en tête qu'un projet de promenade à
Lonchamp. Lorsque le bonhomme vient lui reprocher
son peu d'exactitude , il saisit avec empressement une
occasion aussi favorable de lui demander cinq louis , dont
il a besoin pour louer un cheval. Mais l'oncle , qui aime
son argent et son neveu , et qui craint également de
vider sa bourse et d'exposer son cher Hippolyte à un
exercice dangereux , refuse tout net , malgré les bonnes
raisons de ce dernier , qui lui observer qu'il s'est fait assurer,
moyennant douze francs , et qu'il peut impunément
se casser bras et jambes , puisqu'un chirurgien a pris.
l'obligation de les lui remettre gratis . Le neveu ne se
tient pas pour battu , et gage dix louis que son oncle
paiera le cheval. Le pari est accepté ; Hippolyte est
bientôt sur la route de Lonchamp , et le bon marchand
va se promener aux Champs - Elysées , pour admirer les
graces que va déployer son cher neveu. Afin cependant
que la scène ne reste pas vide , arrive la fille du marchand
de drap , qui, comme on sent bien , n'a rien de
mieux à faire qu'à aimer son petit cousin. Mais comme
ces pauvres enfants ont été élevés ensemble , et qu'ils
se voient du matin au soir , ils n'ont pu encore trouver
le moment de se déclarer leur amour. Voilà donc deux
grandes affaires , un pari à gagner et un mariage à
conclure. Le discret Hippolyte ne pouvant s'occuper
de tout à la fois , a chargé une fille de boutique du
soin de sonder le coeur de sa cousine . Tandis que sa noble
passion pour les chevaux l'entraîne avec rapidité sur
le chemin de Lonchamp , les affaires de son amour ,
graces aux soins d'une habile confidente , vont tout
254 MERCURE DE FRANCE ,
)
aussi bon train ; et l'on ne saurait trop louer l'adresse
des auteurs qui ont fait marcher de front , et sans se
nuire l'un à l'autre , ces deux grands intérêts . La
jeune personne d'abord s'obstine à cacher son secret ,
et paraît ne pas se soucier de faire l'amour par ambassadeur.
Mais bientôt , se croyant seule , elle chante à
pleine voix une romance bien tendre et bien langoureuse
, où son petit coeur se montre à nu ; et la fille
de boutique , qui écoutait aux portes , n'en perd pas
un mot. L'impertinente curiosité de cette fille , et son
insipide bavardage , ont mis plusieurs fois le public
d'aussi mauvaise humeur que sa jeune maîtresse ; et il
commençait à se fâcher tout de bon , quand l'oncle
a paru. Il revenait bien content de sa promenade , qui
ne lui avait rien coûté , et tout glorieux d'avoir un
neveu si bon écuyer , quand un ami de ce cher neveu
vient lui annoncer qu'il est tombé de cheval et qu'il
s'est blessé grièvement. Un moment après , Hippolyteluimême
arrive , le bras en écharpe. Son maudit cheval
, dit il , qu'il a pourtant payé vingt- cing louis , l'a
mis dans ce piteux état. L'oncle au désespoir veut qu'il
s'en défasse sur le chanıp. L'ami d'Hippolyte en offre
15 louis ; le bonhomme n'hésite pas à donner les dix
autres , et se trouve ainsi avoir payé la gageure. Aussitôt
le bras d'Hippolyte se raccommode , et l'oncle enchanté
de son neveu , qui lui a joué un si bon tour , l'en récompense
en lui donnant sa fille en mariage.
Comment cette pièce , malgré ses plaisanteries aussi
insipides que triviales , malgré l'affectation de son dialogue
, ses méchants couplets et ses absurdités de toute
espèce , a- t- elle pu se préserver d'une chute complète ?
C'est que les auteurs se sont fait assurer. Chaque fois
que leur chère progéniture a paru trébucher , des mains
officieuses se sont empressées de la soutenir ; et de
faux pas en faux pas , elle est ainsi parvenue , sans accident
trop fâcheux ,jusqu'à la fin de sa carrière , au grand
étonnement de ceux qui n'étaient pas dans le secret.
THEATRE DE L'OPÉRA- COMIQUE .
La Statue ou la Femme Avare , opéra-féerie en un
acte , paroles du C. Hoffmann , musique du C. Nicolo-
Isoard.
Est- ce un acte de naissance ou un extrait- mortuaire
que nous avons à délivrer ? Nous étions présents à la
1
FLOREAL ANΧ. 255
première apparition dans le monde de ce malheureux
avorton , et les signes de vie qu'il a donnés étaient si
équivoques , que nous avons cru , jusqu'au dernier moment
, assister à sa pompe funèbre. Plusieurs fois il
nous a paru environné de tous les symptômes de la mort ;
maisquelques bons amis , qui paraissaient y prendre un
intérêt assez vif, et qui voulaient sans doute ménager
la douleur des parents, ont soutenuqu'il respirait encore ,
et ont fini par le persuader aux spectateurs. Sans pro-
• noncer précisément sur le fait , nous allons mettre nos
lecteurs à même de juger de cette prétendue existence ,
en lui offrant cet embryon dépouillé de tout ce qui
pouvait lui donner une apparence de vie .
Le jeune Alassan a reçu du génie Mamouth une
bague enchantée , qui doit lui faire découvrir les
immenses richesses dont son père était possesseur. Une
disgrace imprévue avait réduit ce dernier à les enfouir ,
et il est mort sans avoir indiqué sa cachette , au grand
regret de sa femme , qui le maudit nuit et jour d'un
oubli si coupable. Elle n'est pas plutôt instruite de la
vertu du talisman , qu'elle oblige son fils à en faire
l'essai , et aussitót on voit paraitre des statues d'or et
d'argent massif. Mais le matin génie , qui veut la punir
de son avarice , s'amuse à lui faire éprouver le supplice
de Tantale. Dévorée de la soif de l'or , elle se voit en
vain entourée de ce qui pourrait la satisfaire ; toutes
ces richesses s'évanouissent , dès qu'elle y porte la
main. Enfin Mamouth vient lui offtir un moyen d'en
obtenir la jouissance. « Je veux me marier , dit- il ,
« trouvez-moi une jeune beauté dont la vertu soit irré-
* prochable. Voici un miroir qui vous facilitera cette
« pénible recherche . Sa glace reste pure , lorsqu'elle
refléchit les traits de l'innocence ; mais elle se ternit
devant celle qui a oublié un seul instant les lois de
la pudeur. » Alassan essaye inutilement de faire de
représentations au seigneur Mamouth ; la veuve surtout
est persuadée que sa condition est impossible à
' remplir. Le génie n'en veut pas démordre , et à tout
hasard on tente l'épreuve sur les filles d'un marchand
d'esclaves , qui d'abord répondait de leur honneur ;
mais qui , dès qu'il apprend la vertu du miroir , ne
veut plus étre leur caution. Effectivement un nuage
plus ou moins épais indique jusqu'à quel point on
«
«
256 MERCURE DE FRANCE ,
peut compter sur chacune d'elles . Cette scène , dont
l'auteur attendait peut- être un grand effet , n'en a
produit aucun. Le résultat en était d'avance trop connu ;
elle a paru plus indécente que comique , et le public ,
s'est assez respecté pour ne pas l'applaudir. Enfin , la
jeuneAmine, dontAlassan est éperduement amoureux , se
présente par hasard devant le miroir qui conserve toute
sa pureté. La veuve , au comble de la joie , veut la
livrer sur le champ au génie ; mais le tendre Alassan
s'y oppose. Bientôt Mamouth lui-même vient la réclamer
; et, pour détourner l'attention de l'amant , il
feint de menacer les jours de sa mère. Alassan vole à
son secours , et la piété filiale lui fait oublier un
instant Amine , qui aussitôt lui est enlevée . Tandis
qu'il se livre au désespoir , le génie qui n'avait voulu
que lui faire une niche , lui rend sa maîtresse et tous
les trésors de son père. C'est là qu'une décoration magnifique
est venue bien à propos demander grace pour
la pièce qui jusqu'alors avait été très - froidement accueillie,
et souvent même interrompue par des murmures . La
musique n'a guère été plus goûtée que les paroles ; mais
les yeux ont été beaucoup mieux traités que les oreilles ,
et le machiniste a enlevé tous les suffrages. Ne pourrait-
on pas offrir séparément au public , la décoration
de la Femme Avare , comme on lui donne l'ouverture
du Jeune Henri ?
Ce conte a paru plus digne des boulevarts que de
l'Opéra Comique , et l'on a généralement blâme l'indécence
de l'épreuve du miroir. Mais le défaut essentiel
de la pièce est d'être souverainement ennuyeuse , et de
racheter à peine , par un ou deux traits piquants , les
trivialités dont elle est remplie. Quelques voix ont
demandé l'auteur , et l'on a entendu , avec surprise ,
nommer le C. Hoffmann , connu par de nombreux succès
dans le même genre .
-Le public s'est montré beaucoup plus sévère envers
une petite pièce donnée il y a quelques jours au Vaudeville
, sous le nom de Panard. La Femme Avare et
Un Tour dejeune Homme avaient épuisé son indulgence ,
et Panard n'en a pas été quittepour trébucher, il esttombé
tout- à- fait. On l'annonce avec des changements : nous
en rendrons compte, s'il parvient à se relever et à éviter
une seconde chute.
FLORÉAL AN X X. 257
POLITIQUE.
HAMBOURG , 1. floréal.
LES commotions politiques se sont succédées , depuis
quelques années , avec tant de rapidité , que telle
question , naguères assez importante pour brouiller les
gouvernements , diviser les nations , et les armer les
unes contre les autres , est aujourd'hui sans intérêt ,
ou même dans l'oubli . Rappeler en ce moment la
question de la neutralité maritime , c'est offrir , pour
ainsi dire , un morceau d'histoire ancienne . Heureusement
, les cabinets ne partagent pas l'insouciante
légèreté des individus : celui de Pétersbourg , qu'on
accusa , aussitôt après la mort de Paul , d'abandonner
totalement la cause de la neutralité maritime, a prouvé
qu'en y mettant un zèle moins impétueux , il savait ne
pas la perdre de vue.
Dans la convention du 17 juin dernier , entre la
Russie et l'Angleterre , on vit l'intention qu'avait la
première de protéger les droits des neutres. Mais on
sentit que les articles qui y étaient relatifs seraient
insuffisants , s'ils n'étaient suivis de quelques développements
, de quelques dispositions protectrices pour
en assurer l'exécution , et pour prévenir , ou du moins
abréger les chicanes auxquelles donne lieu le droit de
visite. Tel paraît être le but des articles additionnels à
la convention du 17 juin , qui viennent d'être publiés ;
les voici tels qu'ils ont été signés à Moscow , le 20 octobre
dernier , entre les plénipotentiaires de la Russie
et de la Grande- Bretagne :
1
« ART. I. En cas de détention mal fondée ou autre
8.
17
258 MERCURE DE FRANCE ,
contravention aux règles convenues , il sera accordé aux
propriétaires du navire ainsi détenu et de sa cargaison ,
pour chaque jour de retard , des dédommagements
proportionnés à la perte qu'ils auraient soufferte , en
raison du frêt dudit navire et de la nature de sa cargaison.
" II . Si les ministres des hautes parties contractantes ,
ou autres personnes accréditées de sa part , portaient des
plaintes contre les jugements qui auraient été rendus
sur lesdites prises par les cours des amirautés respectives
, l'affaire sera évoquée , en Russie , au sénat dirigeant
, et , dans la Grande-Bretagne , au conseil du
roi.
« III . Des deux côtés , on examinera soigneusement
si les règles et précautions stipulées dans la présente
convention , ont été observées ; ce qui devra être fait
avec toute la célérité possible , les deux hautes parties
contractantes s'engageant , de plus , à adopter les
moyens les plus efficaces pour que les jugements de
leurs différents tribunaux , sur les prises faites en mer ,
ne soient sujets à aucun délai inutile.
IV. Les effets en litige ne pourront être vendus ni
déchargés avant le jugement définitif , sans une nécessité
réelle et pressante , qui aura été constatée devant
Ja cour de l'amirauté , et moyennant une commission
autorisée à cet effet , et il ne sera point permis aux
capteurs de rien retirer ni enlever , de leur propre
autorité , d'un vaisseau ainsi détenu .
Les articles additionnels faisant partie de la convention
signée le 17 juin 1801 , aux noms de leurs
majestés impériales de toutes les Russies et Britannique
, auront la même force et valeur que s'ils étaient
insérés mot à mot dans ladite convention. »
Les défenseurs les plus zélés des principes de la
neutralité maritime ne s'étaient sans doute jamais
FLORÉAL AN X. 259
flattés de les faire prévaloir dans toute leur étendue
11 est glorieux pour le gouvernement actuel dela
Russie d'avoir obtenu seul de l'Angleterre , par les
négociations , plus que Paul n'eût pu lui arracher par
la force des armes. C'est surtout en politique qu'il
faut s'arrêter ou revenir aux idées moyennes. On trouve
ce mérite dans un écrit publié , il y a deux mois , en
allemand , sous ce titre : Considérations sur les droits
respectifs des puissances belligérantes et des neutres sur
mer. L'auteur réduit la question à ses véritables termes ,
et adopte un avis modéré. Ses considérations , destinées
à paraître au fort de la querelle entre l'Angleterre et
les puissances du Nord , semblent avoir perdu de leur
intérêt ; mais elles en ont , et en conserveront un réel
pour quiconque est persuadé qu'à la première guerre
maritime , les droits des neutres seront remis en discussion.
Cet ouvrage , qui est d'un publiciste danois ,
mérite d'être joint à celui d'un de ses compatriotes ,
M. Schlegel , qui a pour titre : Sur la visite des vaisseaux
neutres sous convoi , etc. etc. Ces deux écrits
seront peut- être négligés dans ce moment par le commun
des lecteurs ; mais ils seront sûrement recherchés
un jour ; et les hommes même , dont le présent absorbe
l'attention , doivent en tenir note pour l'avenir. La
querelle de la neutralité maritime a été un épisode
trop remarquable de la dernière guerre , et la cause
des neutres est trop importante , pour qu'on ne doive pas
recueillir tout ce qui peut éclaircir la question , et
contribuer ainsi à décider l'un des deux partis à la
modération , comme l'autre à la justice .
I
Hambourg , 4 floréal ( 24 avril) .
On espère voir ici , dans peu , la princesse royale de
Danemarck. Elle partira bientôt pour se rendre aux
SP.E
A
5.
cen
260 MERCURE DE FRANCE ,
eaux de Pyrmont , dont elle a éprouvé , il y a six ans ,
un effet salutaire. Le prince son époux , après l'avoir
accompagnée à Sleswig , fera un voyage en Norwège.
Onignoreencore si les princesses de Bade passeront par
ici , à leur retour de Stockholm .-Elles seront accompagnées
par la reine de Suède jusqu'à la frontière de
ses états : leurs majestés suédoises iront ensuite voyager
dans l'intérieur.
On parle , depuis quelque temps , d'un camp de
plaisance qui doit être , l'été prochain , formé près de
Dresde , et où l'on prétend que sera rassemblée toute
l'armée de l'électeur .- On suppose que ce camp pourrait
devenir le rendez-vous de plusieurs grands personnages
, tels que l'archiduc Charles , le duc de Brunswick
, le grand - duc Constantin , le landgrave de
Hesse , etc. Il n'y a pas d'époque plus favorable pour
ces sortes de réunions , que celle où l'Europe jouit
d'une paix universelle.
Stockholm , 23 germinal .
:
Notre cour a enfin accédé à la convention du 17 juin
dernier , entre la Russie et l'Angleterre. On se flatte
que le retard qu'elle y a mis aura été utile à nos intérêts
, autant que convenable à sa dignité , et que
nous aurons satisfaction sur le convoi qui nous fut
enlevé , il y a trois ans , par les Anglais .
Le gouvernement vient de lever une prohibition qui
existait depuis plusieurs années : l'usage du café sera
désormais permis , mais sera soumis à une taxe considérable.
Ce nouveau règlement sera plus utile à l'Etat que
ne l'était la défense absolue qui vient de cesser.
:
FLORÉALAN X 261
Londres , 4 floréal ( 24 avrik) .
On s'aperçoit déja , dans différents comtés , des
mouvements qui précèdent ordinairement les élections
pour un nouveau parlement ; on croit qu'elles auront
lieu dans le mois de juin , et plusieurs aspirants s'occupent
des moyens connus qui aident au succès du
mérite. Quelques personnes assurent que M. Windham
aura de la peine à se replacer sur les bancs des Communes
.
Suivant les états remis au parlement , le montant
des taxes permanentes , établies avant 1793 , était , au
5 janvier 1802 , de 13,221,682 ; celles qui ont été
imposées depuis 1793 s'élèvent à près de 10,00০,০০০ :
en y ajoutant les 4,000,000 proposés par M. Addington
pour le service de l'année courante , on aura un total
de 27,000,000 st. Ainsi , le montant des taxes permanentes
, occasionnées par la dernière guerre , égalera à
peu près la totalité des taxes occasionnées par toutes
les guerres que l'Angleterre eut à soutenir depuis sa
révolution de 1688 jusqu'à la révolution française. -
Notre dette nationale se portait , le 1. février dernier ,
à 538,000,000 st.
Les dernières lettres de Constantinople nous apprennent
que les différends qui s'étaient élevés en
Egypte , au sujet des beys , entre nos généraux et ceux
de la Porte , ont été conciliés à l'amiable.
On avait annoncé , comme assez sérieuse , une querelle
entre notre ministre à Lisbonne et le gouvernement
portugais , au sujet de l'emprisonnement des
officiers de notre frégate l'Active. Il passe pour sûr
que cette mesure de rigueur avait été provoquée par
le refus des officiers d'observer la quarantaine que
prescrivent les lois du pays. Cette affaire n'aura point
de suite.
262 MERCURE DE FRANCE ,
Le roi a reçu du gouvernement français un exemplaire
du Voyage autour du Monde , par Marchand , dont
M. de Fleurieu a été le rédacteur. Il paraît que
cet ouvrage a été envoyé à tous les souverains de
l'Europe. On n'a pas oublié que le premier Consul
l'adressa , il y a deux ans , à la Société Royale de
Londres , avec une lettre de sa main .
L'Université de Cambridge a proposé pour cette
année , à ses élèves , de développer , dans des mémoires
particuliers , les raisons pour lesquelles les esprits supérieurs
paraissent presque toujours dans un pays à la
même époque ; et de prouver , par l'expérience , qu'avec
la meilleure législation possible , un Etat ne peut pas
subsister sans religion . Si cette question était offerte
aux étrangers , nous pourrions aujourd'hui nous attendre
à recevoir de beaux ouvrages de nos voisins .
Vienne , 4 floréal (24 avril.)
L'ouverture de la diète de Hongrie est annoncée pour
le 21 mai . La cour partira le 15 pour se rendre à Presbourg.
On ne croit pas que M. de Thugut y reste pendant
la tenue de la diète.
On ne peut plus reprocher à notre gouvernement de
négliger les institutions ou les découvertes utiles à
l'humanité : on vient d'établir à Waitzen , en Hongrie ,
une école de sourds- muets , où il doit être reçu trente
élèves. C'est à M. de Chazar qu'on en doit la première
idée et les premiers fonds : c'est ensuite le gouvernement
qui a assuré le succès de ses vues philanthropiques .
Il vient aussi de favoriser l'introduction et l'usage de la
Vaccine dans plusieurs provinces : des mesures ont été
* On sait qu'à Vienne même il y a , depuis longtemps
une école de sourds -muets , sous la direction de M. Storck.
FLORÉAL AN X. 263
prises pour que les familles pauvres profitent gratuitement
du bienfait de cette découverte .
On assure que la Porte a nommé un ministre plénipotentiaire
qui doit se rendre près du gouvernement
français : c'est , dit- on , Galib -Effendi , secrétaire du
Reis-Effendi.
Des lettres de Belgrade disent que l'aga des janissaires
a reçu un firman de la Porte , accordantle pardon
aux meurtriers du pacha , à condition que sa veuve et
ses enfants seront remis en liberté , et emporteront tous
leurs biens.
3
1
Berne , 1. floréal (21 avril) .
La France , jouissant d'un calme heureux sous un
gouvernement fort et protecteur , doit s'intéresser à ce
que les Etats entraînés par elle dans le tourbillon révolutionnaire
, recouvrent un repos garanti par de bonnes
lois . Sans doute la Suisse ne pouvait l'espérer de la
nouvelle constitution qui lui avait été donnée , il y a
quelque temps , par des hommes qui , suivant l'usage ,
se disaient ses mandataires. L'opinion générale s'était
déclarée contre elle , et depuis quatre jours elle paraît
décidément condamnée. On a profité de l'absence momentanée
de M. de Reding pour détruire tout son ou
vrage. Pendant l'ajournement du sénat , occasionné par
les fêtes de Pâques , la minorité de ce corps , qui forme
la majorité du petit conseil , a fait une petite et trèspaisible
révolution.
Le 27 du mois dernier ( 17 avril ) , M. Renger ,
second landamann , qui , en l'absence de M. Reding ,
avait la présidence et les sceaux , assembla le petit
conseil , qui déclara que la patrie était en danger , et
que le gouvernement actuel ne jouissant pas de la
confiance publique , il devait être changé . M. Kuhn ,
fut chargé de présenter un projet : il ne le fit pas
264 MERCURE DE FRANCE,
attendre longtemps , et le petit conseil rendit le décret
suivant :
"
11
Toutes les mesures qui ont été ordonnées , tant
pour introduire une nouvelle constitution générale
helvétique , que pour projeter les organisations cantonales
particulières , sont suspendues. Il sera con-
- voqué une assemblée de citoyens de tous les cantons
, dignes de la considération et de la confiance
de la nation , pour délibérer sur le projet de consti-
« tution , du 29 mai 1801 , et sur les changements
« qui pourraient y être apportés , ainsi que pour don-
« ner au petit conseil, dans le plus court délai pos-
« sible , son préavis sur ce projet. A cet effet , les
« citoyens suivants sont invités à se rendre à Berne ,
« pour le 28 avril ( suit la liste de 47 citoyens ,
pris dans les différents cantons. « Le sénat restera
ajourné jusqu'à ce qu'il soit convoqué de nouveau
par le petit conseil. » σε
"
Le petit conseil ayant donne communication officielle
de ce décret au ministre de France , celui-ci
a répondu par la lettre suivante : Citoyens , j'ai reçu
la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser
sous la date du 17 avril , par laquelle en me
donnant communication de votre arrêté du même
८१
"
"
" jour , vous voulez bien me faire part des motifs
« qui vous ont déterminés à convoquer une assem-
"
N
blée consultative de citoyens notables , et à provo
ger l'ajournement du Sénat. Agréez , je vous prie ,
• citoyens , mes remercîments de cette marque de
« confiance.
« Vous avez pensé qu'une constitution qui a été
« formellement repoussée par les diètes de six can-
* tons , que plusieurs n'ont consentie qu'avec des reticences
alarmantes , ou même en annonçant dans
des termes positifs , le desir et l'espérance de son
९८
1
،
OFLORÉAL AN΄ Χ. 265
changement ; que d'autres ont acceptée avec l'expres-
« sion de la douleur , et qui n'a été accueillie par
« aucune avec le témoignage de la satisfaction , ne
pouvait être considérée comme réunissant les suf-
« frages du peuple helvétique , et ne devait pas lui
« étre imposée. Ce résultat équivoque des délibérations
- d'assemblées , chargées par la loi de prononcer sur
« la constitution projetée , vous a frappés d'autant
plus , que les membres de ces assemblées avaient
été élus sous l'influence réelle du Sénat , auteur
du projet ; circonstance remarquable qui fait res-
• sortir plus fortement le refus des unes , et qui af
" faiblit encore d'avantage l'adhésion conditionnelle
-ou suspecte des autres.
D'après ces conditions , et pénétrés de l'obligation
• d'avoir égard aux nombreuses réclamations libres et
« spontanées , qui ont été adressées au Sénat , soit
- contre le décret du 26 février , soit contre le pro-
« jet même , vous avez résolu d'en appeler aux lu
mières et aux vertus d'une assemblée consultative
<< de citoyens notables. Le peuple helyétique rendra
• sûrement justice à la sagesse de vos intentions , aussi
• recommandables dans leur objet que dans le choix
" des moyens. Il vous saura gré d'avoir mis l'arbi
trage à la place de la force , et le Sénat lui-même
« dont les sentiments ne sont pas équivoques , vous
• remercîra d'avoir usé avee autant de discernement ,
« de la plénitude des pouvoirs que son ajournement
" avait concentrés dans vos mains .
"
"
{
Vous connaissez , citoyens , l'intérêt que le gouvernement
français ne cesse de prendre à l'Helvétie.
Il verra sans doute avec satisfaction , une mesure
qui tend à consommer la réconciliation des
« partis et la pacification des théories contraires .
«
Dans les circonstances où se trouve l'Helvétie , il
V
266 MERCURE DE FRANCE ,
(
* s'agit bien moins en effet de discuter que de conférer
, de concilier que de faire des loix , et de per-
« suader que de commander. C'est-là sûrement ce qui
" est dans les voeux du peuple helvétique , et dont il
« ne se départira point malgré les suggestions de
« ces hommes , qui , unis par leurs passions et leurs
intérêts personnels , fomentent les dissentions ci- et
" viles . "
Un caractère particulier de la révolution qui vient
de s'opérer , est que la force militaire n'y a joué
qu'un rôle passif. Les troupes avaient reçu l'ordre de
rester dans leurs cazernes , et les officiers celui de s'y
rendre. M. Schmidt , a été chargé du département
de la guerre , et le commandement en chef des troupes
, a été donné au général Andermatt.- Le petit
conseil lui a ordonné de renforcer les troupes qui sont
ici , et il nous en est déja arrivé de nouvelles.
Le sort du Valais est , dit- on , irrevocablement fixé ;
il sera séparé de notre territoire , et formera une république
indépendante , sous la garantie de la France.
Le peuple nommera une commission législative , et
celle-ci une commission exécutive , qui sera chargée
du gouvernement. La France se réserve pour ses troupes
, le droit de passage par le Valais. C'est à travers
ce pays que sera ouverte une grande route qui
rejoindra celle de l'Italie par le Simplon. On a aussi
le projet de creuser un canal , de Genève à Seyssel ,
ce qui assurera la navigation depuis le lac jusqu'à
Lyon.
PARISS , 13 floréal (3 mai ) .
Après la pacification générale et le rétablissement
du culte , la sollicitude du gouvernement ne pouvait
1
FLORÉAL AN Χ. 267
s'occuper d'un objet plus important que celui de mettre
fin aux incertitudes d'une multitude de familles ,
en réglant définitivement le sort des émigrés. Voici
la loi qui vient d'être rendue à ce sujet :
SÉNATUS - CONSULTE ,
: 1
Relatifà l'amnistie accordée pourfait d'émigration .
Du 6 floréal an 10.
Bonaparte , premier consul , au nom du peuple français
, proclame loi de la république , le sénatus - consulte
, dont la teneur suit :
Extrait des registres du sénat conservateur.
)
Le sénat conservateur , réuni au nombre de membres
prescrit par l'article go de la constitution ;
Vu l'extrait du registre des délibérations du conseil
d'état , du 26 germinal dernier , contenant un projet
d'acte d'amnistie concernant les émigrés , renvoyé au
conseil d'état par les consuls de la république , l'avis
du conseil d'état sur ce projet , ledit avis approuvé par
le premier consul, et tendant à ce que le projet d'acte
d'amnistie soit présenté au sénat pour devenir la matière
d'un sénatus-consulte ;
۲۳
Vu pareillement l'arrêté du premier consul du 4 da
ce mois , par lequel trois conseillers d'état sont nommés
pour porter au sénat le projet d'acte d'amnistie , et en
exposer les motifs :
Après avoir entendu les orateurs du gouvernement ,
sur les motifs qui ont déterminé les dispositions dudit
projet ;
1
''?
Délibérant sur le rapport qui lui a été fait , à cet
268 MERCURE DE FRANCE ,
1
égard , par sa commission spéciale , nommée dans la
séance du 4 de ce mois ;
Considérant que la mesure proposée est commandée
par l'état actuel des choses , par la justice , par l'intérêt
national , et qu'elle est conforme à l'esprit de la constitution
;
Considérant qu'aux diverses époques où les lois sur
l'émigration ont été portées , la France , déchirée par
des divisions intestines , soutenait contre presque toute
l'Europe une guerre dont l'histoire n'offre pas d'exemple
, et qui nécessitait de dispositions rigoureuses et
extraordinaires ;
Qu'aujourd'hui la paix étant faite au-dehors , il importe
de la cimenter dans l'intérieur ; par tout ce qui
peut rallier les Français , tranquilliser les familles , et
faire oublier les maux inséparables d'une longue révolution
;
de- Que rien ne peut mieux consolider la paix au -
dans qu'une mesure qui tempère la sévérité des lois et
fait cesser les incertitudes et les lenteurs résultantes
des formes établies par les radiations ;
Considérant que cette mesure n'a pu être qu'une
amnistie qui fît grace au plus grand nombre , toujours
plus égaré que criminel , et qui fit tomber la punition
sur les grands coupables , par leur maintenue définitive
sur la liste des émigrés ;
Que cette amnistie , inspirée par la clémence , n'est
cependant accordée qu'à des conditions justes en ellesmêmes
, tranquillisantes pour la sureté publique , et
sagement combinées avec l'intérêt national ;
Que des dispositions particulières de l'amnistie , en
défendant de toute atteinte les actes faits avec la république
, consacrent de nouveau la garantie des ventes
des biens nationaux dont le maintien sera toujours un
FLORÉAL AN X.
269
objet particulier de la sollicitude du sénat conservateur ,
comme il l'est de celle des consuls .
Le sénat conservateur décrète ce qui suit :
TITRE I . " - Dispositions relatives aux personnes des
émigrés.
Art. I. Amnistie est accordée pour fait d'émigration
à tout individu qui en est prévenu , et n'est pas
rayé définitivement.
II. Ceux desdits individus qui ne sontpoint en France ,
seront tenus d'y rentrer avant le 1. vendémiaire an XI.
III . Au moment de leur rentrée , ils déclareront devant
les commissaires qui seront délégués à cet effet ,
dans les villes de Calais , Bruxelles , Mayence , Strasbourg
, Genève , Nice , Bayonne , Perpignan et Bordeaux
, qu'ils rentrent sur le territoire de la république
, en vertu de l'amnistie.
IV. Cette déclaration sera suivie du serment d'être
fidelle au gouvernement établi par la constitution , et
de n'entretenir , ni directement ni indirectement , aucune
liaison ni correspondance avec les ennemis de
l'état.
V. Ceux qui ont obtenu des puissances étrangères ,
des places , titres , décorations , traitements ou pensions
, seront tenus de le déclarer devant les mêmes commissaires
, et d'y renoncer formellement.
,
VI . A défaut par eux d'être rentrés en France avant
le 1. vendémiaire an I et d'avoir rempli lés
conditions portées par les articles précédents , ils demeureront
déchus de la présente amnistie , et définitivement
maintenus sur la liste des émigrés , s'ils ne
rapportent la preuve en bonne forme , de l'impossibi
270 MERCURE DE FRANCE ,
lité où ils se sont trouvés de rentrer dans le délai fixé ,
et s'ils ne justifient en outre qu'ils ont rempli , avant
l'expiration du même délai , devant les agents de la
république envoyés dans les pays où ils se trouvent ,
les autres conditions ci -dessus exprimées.
VII. Ceux qui sont actuellement sur le territoire
français , seront tenus sous la même peine de déchéance
et de maintenue définitive sur la liste des émigrés
, de faire dans le mois , à dater de la publication
du présent acte , devant le préfet du département où
ils se trouveront , séant en conseil de préfecture , les
mêmes déclarations , sermentet renonciation .
VIII . Les commissaires et préfets chargés de les recevoir
, enverront sans délai , au ministre de la police ,
expédition en forme du procès-verbal qu'ils en auront
dressé. Sur le vu de cette expédition , le ministre fera
rédiger , s'il y a lieu , un certificat d'amnistie , qu'il
enverra au ministre de la justice , par lequel il sera
signé et délivré à l'individu qu'il concerne.
IX. Sera tenu ledit individu , jusqu'à la délivrance
du certificat d'amnistie , d'habiter la commune où il
aura fait la déclaration de sa rentrée sur le territoire
de la république.
X. Sont exceptés de la présente amnistie , 1.º les
individus qui ont été chefs de rassemblements armés
contre la république ; 2.º ceux qui ont eu des grades
dans les armées ennemies ; 3.º ceux qui , depuis la
fondation de la république , ont conservé des places
dans les maisons des ci-devant princes français ; 4. °
ceux qui sont connus pour avoir été ou pour être actuellement
moteurs ou agents deguerre civile ou étrangère
; 5.º les commandants de terre ou de mer , ainsi
que les représentants du peuple qui se sont rendus coupables
de trahison envers la république ; 6.°, les archeFLORÉAL
AN X. 271
vêques et évêques qui , méconnaissant l'autorité légitime
, ont refusé de donner leur démission .
XI . Les individus dénommés en l'article précédent ,
sont définitivement maintenus sur la liste des émigrés ;
néanmoins le nombre n'en pourra excéder mille , dont
cinq cents seront nécessairement désignés dans le cours
de l'an 10.
XII . Les émigrés amnistiés , ainsi que ceux qui ont
été éliminés ou rayés définitivement depuis l'arrêté
des consuls , du 28 vendémiaire an 9 , seront pendant
dix années , sous la surveillance spéciale du gouvernement
, à dater du jour de la radiation , élimination ,
ou délivrance du certificat d'amnistie ..
XIII. Le gouvernement pourra , s'il le juge nécessaire
, imposer aux individus soumis à cette surveillance
spéciale , l'obligation de s'éloigner de leur résidence
ordinaire jusqu'à la distance de vingt lieues ;
ils pourront même être éloignés à une plus grande
distance , si les circonstances le requierent ; mais dans
ce dernier cas , l'éloignement ne sera prononcé qu'après
avoir entendu le conseil d'état .
XIV. Après l'expiration des dix années de surveillance
, tous les individus contre lesquels le gouvernement
n'aura point été obligé de recourir aux mesures
mentionnées en l'article précédent , cesseront d'être
soumis à ladite surveillance : elle pourra s'étendre à la
durée de la vie de ceux contre lesquels ces mesures
auront été jugées nécessaires .
XV. Les individus soumis à la surveillance spéciale
du gouvernement, jouiront au surplus de tous leurs droits
de citoyens.
TITRE II . - Dispositions relatives aux biens.
XVI. Les individus amnistiés ne pourront , en aucun
cas et sous aucun prétexte , attaquer les partages de
:
1
272 MERCURE DE FRANCE ,
présuccession , succession , ou autres acteset arrange
ments faits entre la république et les particuliers , avant
la présente amnistie... :
XVII . Ceux de leurs biens qui sont encore dans les
mains de la nation ( autres que les bois et forêts déclarés
inaliénables par la loi du 2 nivose an IV , les
immeubles affectés à un service public , les droits de
propriété ou prétendus tels sur les grands canaux de
navigation , les créances qui pouvaient leur appartenir
sur le trésor public , et dont l'extinction s'est opérée
par confusion , au moment où la république a été saisie
de leurs biens , droits et dettes actives ) leur seront
rendus sans restitution de fruits , qui , en conformité
de l'arrêté des consuls du 29 messidor an 8 , doivent
appartenir à la république , jusqu'au jour de la
délivrance qui leur sera faite de leur certificat d'amnistie.
Le présent senatus-consulte sera transmis par un message
aux consuls de la république.
TRONCHET , président ; CHASSET et SERURIER , secrétaires.
Soit le présent senatus-consulte , revêtu du sceau de
l'état , inséré au Bulletin des Lois , inscrit dans les
registres des autorités judiciaires et administratives ,
et le ministre de lajustice chargé d'en surveiller la publication.
Le premier consul ,
Signé BONAPARTE.
Nous manquons d'espace pour donner les autres
nouvelles de Paris , et faire connaître plusieurs projets
de loi proposés au corps législatif : ils trouveront place
dans leprochain numéro.
:
(N. XLVIII. ) 25 Floréal. An 10.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
1
POÉSIE. ,
ODE SACRÉE
a
}
SUR LE RÉTABLISSEMENT DU CULTE ,
Lue à l'Athénée des Etrangers , le 16 floréal.
LOIN de moi muse mercenaire ,
Esclave du crime puissant ,
Des tyrans lâche tributaire ,
Fléau du malheur innocent.
Descend de la voûte éternelle
Ovérité ! vierge immortelle
Dont j'ai toujours chéri la loi ;
Descends , et prête moi la lyre
Que d'un religieux délire
Animait le prophète-roi .
١٠ LO
Tu m'exauces ; mon coeur s'embrase
D'un feu qu'il avait ignoré ;
12
"
324
8. 18
274 MERCURE DE FRANCE ,
Je le sens , ta divine extase
Dans mes veines a pénétré.
Ce n'est point cette feinte ivresse
Qu'affectait l'antique prêtresse ,
Organe de son Dieu menteur ,
De qui la faveur usurpée
Pesa sur la Grèce trompée
Et trafiqua de son erreur.
Veillé-je ! quel nouveau spectacle
A frappé mes yeux étonnés !
Partout , devant le tabernacle ,
Je vois les Français prosternés .
Un Dieu bienfaisant nous renvoie
Ces jours d'espérance et de joie ,
Ces jours vainement souhaités
Lorsque la discorde fatale
Secouait sa torche infernale
Sur nos champs et sur nos cités.
Je l'ai vu le superbe athée ,
Ivre d'un coupable bonheur ,
Dans ma patrie ensanglantée
Semer le deuil et la terreur.
L'impie , exhalant le blaspheme ,
S'attaquait à l'Etre suprême :
68
« Peuples ! s'il est un Dieu , sur moi
N'ose -t- il done lancer la foudre,
• Lorsque je vais réduire en poudre
L'arche et les tables'de la loi !.
Ace cri , l'ange de ténèbre ,
Applaudit du fond des Eufers .
Il en sort; son aile funebre
Obscurcit la terre et les mers.
01 .১
T
FLORÉAL AN X. 275
Il croit ressaisir sa vengeance ,
Il croit renverser la puissance
Du Dien qu'il voulut défier ;
Et sur des chrétiens infidelles ,
Plus que sur les anges rebelles ,
Son espoir ose s'appuyer.
A sa voix , les Amalécites
Courent aux marches de l'autel
Egorger les pieux Lévites
Priant en paix pour Israel.
Leur sang rougit le sanctuaire
Où , pour le bonheur de la terre ,
Au ciel ils élevaient leurs mains .
Ils tombent ; leur charité sainte
Implore d'une voix éteinte
Le pardon de leurs assassins.
Soudain , sur un nouveau théâtre
Elevé par des factieux ,
On prêche à la France idolâtre
Un nouveau culte et d'autres Dieux.
La raison et la tolérance
S'indignent de voir la licence
Profaner leur nom respecté ,
Et de ses innombrables chaînes
Lier des victimes humaines
A l'autel de la liberté..
Apôtre de la loi nouvelle ,
Quels biens m'oses-tu présenter ?
De mon existence immortelle
Tu prétends me déshériter ;
Le présent est sans récompense ,.
L'avenir est sans espérance ,
276 MERCURE DE FRANCE ,
a
Dans le néant tout se confond.
Le néant ! .... L'athée infidelle
A son dernier soupir l'appelle ;
Mais l'Eternité lui répond.
Et tu veux qu'au Dieu de mes pères
Je cesse de sacrifier ,
Qu'à tes désolantes chimères
Mon coeur ose se confier ! ....
Non , non ; d'une céleste flamme
Dieu mit le foyer dans mon ame ;
Des jours de mon adversité
Lui seul écarta le nuage ,
Et fit briller , pendant l'orage ,
Un rayon d'immortalité.
Enfin , les pleurs de l'innocence
Ont désarmé le Dieu jaloux ,
Et les trésors de sa clémence
Vont encor se rouvrir pour nous.
Des méchants le sceptre fragile
Se brisera comme l'argile
Entre les mains du roi des rois .
Sur l'aile des vents il s'avance ;
Il parle , et la terre en silence
Frémit aux accents de sa voix.
"
ει
Mortel ! de ton erreur grossière
Enfin il est temps de sortir ;
Mon souffle anima ta poussière ;
Mon souffle peut l'anéantir.
Eh ! que m'importent tes outrages , «
" Et ta fureur et tes hommages ,
A moi , dont le doigt tout-puissant
Conduit la marche de l'année
:
FLORÉAL AN X. 277
:
Et contient la mer mutinée
« Qui m'obéit en mugissant.
«
Faible roseau , dans la tempête
En vain tu cherchais un appui
« Lorsqu'elle grondait sur ta tête ,
"
"
L'ami de ton coeur t'a trahi.
Ton épouse , ton fils lui - même
« Contre toi lançaient l'anatheme
Et te dévouaient au trépas.
« Tu disais : L'amitié mondaine
« Est mouvante comme l'arène
« Qui glisse et s'enfuit sous mes pas .
ε Ta douleur était sans refuge ;
«
"
"
Ta vins te jeter dans mon sein ;
Ton repentir fléchit ton juge ,
Il saura changer ton destin.
Je vais prodiguer les miracles ;
Et Cyrus , ma'gré les obstacles
« Qui s'opposent à ses desseins ,
Dans Jérusalem consolée,
" Bientôt sur sa base ébranlée
Relèvera le Saint des Saints .
« Envoyé par ma providence
Pour dompter la rebellion ,
Du serpent il a la prudence
" Avec la force du lion .
• Il sera terrible à la guerre ;
Il rendra la paix à la terre ;
Il doit enfin , avec le ciel
Renouvelant son alliance ,
Contraindre ma famille immense
« A s'embrasser sur mon autel. »
A
cen
5.
Hyacinte GASTON.
1
278 MERCURE DE FRANGE ,
LOGOGRIPΗ Ε .
En gardant mon milieu , je suis dans les combats
Ce qui fait la valeur des chefs et des soldats ;
En ôtant mon milieu , près d'un objet aimable ..
J'offre pour parvenir un moyen favorable ;
En gardant mon milieu , je suis pour des époux
La source dubonheur , des plaisirs les plus doux ;
En otant mon milieu , maison grande ou petite .
Dans moi trouve un local que jamais on n'habite ;
En gardant mon milieu , préférable à l'esprit
Jejuge d'un objet par l'effet qu'il produit';
En otantmon milieu ,c'est-là que la justice
Condamne le coupable à subir son supplice ;
En gardant mon milieu , l'on chérit ma bonté ,
On vante ma noblesse , on haitma dureté;
En ótant mon milieu , jadis j'étais brillante :
Je ne mène à présent qu'une vie ambulante.
Par un Abonné.
/
CHARADE.
:
MON premier doit t'être connu ;
Des pieds de bouc , un front cornu ,
Le distinguent assez de ses nombreux confrères ;
Tu pourras dans les champs rencontrer mon dernier ;
Sur le front de maints militaires
Tu verras Rotter mon entier.
FLORÉAL AN X. 279
ENIGME.
LECTEUR , j'invite à me chercher ,
Mais avec soin je me déguise :
Juge si je dois me cacher ,
Moi qui n'existe plus dès que l'on m'a surprise .
)
Mots des deux Logogriphes et de la Charade
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot du premier Logogriphe est Modération , dans
lequel on trouve mite , rat , ane, oie , mort , ré , mi,
ton , mode , témoin , notaire , Odéon .
Celui du second Logogriphe est Crampe , où l'on
trouve rampe.
Celui de la Charade est Vertu.
De la Législation sur le Mariage et sur le
Divorce ; par A. NOUGARÈDE. - A Paris ,
chez Lenormant , rue des Prêtres- St. - Germ.-
l'Auxerrois , n.º 42 ; et chez Rondonneau ,
place du Carrousel. 1802. -
La répudiation fut permise aux Juifs , le
divorce autorisé par les lois des Grecs et des
Romains ; et chez tous ces peuples , le mépris
280 MERCURE DE FRANCE ,
pour la sainteté du mariage , et même pour la
dignité de la femme , fut porté si loin , que les
rabbins les plus accrédités enseignèrent qu'un
mari pouvait renvoyer sa femme sans autre motif
que le desir du changement ; qu'Auguste fut
obligé d'ordonner , par une loi , le mariage à la
classe opulente ; et que chez les Grecs enfin ,
la nature même en fut outragée , et ses lois
dans les relations des sexes , ouvertement méconnues
.
Les philosophes du paganisme les plus éclairés
s'élevèrent contre les abus du divorce ; mais
nous ne voyons nulle part qu'ils se soient élevés
contre le divorce lui-même , comme contre un
abus , et le plus intolérable de tous les abus.
Cependant , vers l'époque d'Auguste , et au
temps de la plus grande corruption des Juifs,
des Romains et des Grecs , l'indissolubilité du
lien conjugal fut proclamée comme un principe ,
et la pratique s'en introduisit peu à peu , malgré
la dépravation des peuples anciens et la barbarie
des peuples nouveaux. Bientôt il ne resta plus
de répudiation et de divorce que dans les coutumes
de quelques peuples barbares ou à demipolicés
, où , sous le nom de polygamie , le despotisme
d'un sexe exerça sur l'autre la plus
terrible oppression .
L'Europe portait , depuis quinze siécles , le
frein du mariage indissoluble , lorsque quelques
hommes , vains de leur science pointilleuse , et
judaïsant sur une lettre dont ils ne saisissaient
pas l'esprit , révélèrent au monde chrétien que
la loi religieuse à laquelle il était soumis , lui
permettait la dissolution du lien conjugal; et ,
prenant pour une liberté ce qui n'était qu'une
1
FLORÉAL AN X. 281
honteuse servitude , ils imposèrent à quelques
peuples faibles le joug du divorce.
Le divorce , établi alors comme une tolérance
religieuse , ne fut combattu que par des théologiens
, et sur des preuves et des motifs tirés des
doctrines religieuses . Mais à la philosoplfie théologique
du quinzième siècle succéda la philosophie
politique du nôtre ; les publicistes de nos
jours voulurent , comme les réformateurs des
derniers temps , justifier le divorce ; et M. de
Montesquieu , entr'autres , osa dire que le di
vorce a ordinairement une très-grande utilité
politique. Les bons esprits ne firent pas assez
d'attention à ce changement dans le système de
leurs adversaires , et persistèrent à défendre
théologiquement l'indissolubilité du lien conjugal
, même après qu'elle avait été politiquement
attaquée. Ainsi , lorsque les législateurs
français arrêtèrent le divorce comme une loi
purement politique , l'abbé de Rastignac se contenta
d'y opposer les lois de l'église et des passages
de l'écriture et des pères , et il se servit ,
contre les partisans de Montesquieu, des mêmes
armes qu'il aurait employées contre les disciples
de Luther.
1
Au fond , à l'époque où le divorce fut décrété
parmi nous , il ne fallait le combattre par aucun
moyen , parce que l'on ne devaitpas raisonner
contre des insensés qui ne voulaient que détruire.
Mais aujourd'hui qu'on a le noble dessein de
réédifier la société politique , il a dû se trouver ,
etil s'est trouvé en effet des écrivains politiques
qui ont considéré le divorce , au dix-neuvième
siècle , sous ses rapports politiques , et relative282
MERCURE DE FRANGE ,
ment à l'état domestique et à l'état public de
société *.
Un nouvel athlète se présente. Déja connu
avantageusement par un essai sur la puissance
paternelle , il vient rétablir la puissance maritale
, et défendre la société domestique contre
la dissolution dont elle est menacée. Honneur
aux coeurs droits et aux talents utiles qui , dans
ce grand combat contre la vertu , se rejoignent
au petit nombre de défenseurs qu'elle a ralliés
sous ses drapeaux !
Pour mettre quelqu'ordre dans l'extrait que
nous allons donner de l'ouvrage du C. Nougarède
, nous en exposerons le plan , nous en
ferons connaître le style ; et , après quelques remarques
critiques sur l'un et sur l'autre , nous
terminerons par des considérations générales ,
c'est-à- dire , qu'après avoir parlé des auteurs ,
nous parlerons au public.
•L'ouvrage est divisé en six livres. Le premier
traite de la loi naturelle ; le second , de l'amour
conjugal ; le troisième , du divorce volontaire
; le quatrième , du divorce légal ; le cinquième
, des veritables lois du mariage ; le
sixième, des avantages du mariage indissoluble .
Cette division embrasse, comme l'on voit, tous
les rapports sous lesquels on peut traiter la
question. Le mariage y est considéré comme
liendomestique et comme contrat public , com.
* Le Divorce considéré au XIX. siécle relativement
àl'état domestique et à l'état public de société. A Paris ,
chez Lenormant , rue des Prêtres-Saint-Germainl'Auxerrois
, n.º 42 ; et Leclere, quai des Augustins.
FLOREAL AN T
Χ. 283
me société de personnes , et comme association
d'intérêts ; et le divorce y est considéré comme
volontaire ou comme légal , consenti par les
parties ou autorisé par la loi. L'auteur termine
son ouvrage par le tableau des avantages de
Yunion indissoluble , en sortequ'en réunissant cet
ouvrage à tous ceux qui l'ont précédé sur cette
matière , on doit dire que si la question peut
être désormais traitée par de plus grands talents
, elle ne saurait être envisagée sous d'autres
rapports .
Ainsi , il sera prouvé que la dissolution du
lienconjugal est contraire à la loi domestique et
politique des sociétés ; donc elle est contraire à la
loi religieuse , car , quelle religion que celle
qui serait en contradiction avec la loi domestique,
ou politique ? Donc , le divorce est contraire
à la loi naturelle ; car la loi naturelle
est nécessairement comprise dans les lois domestiques
, politiques et religieuses , puisque
hors de ces trois états , il n'y a ni société , ni
loi , ni nature , ni homme même .
On a trop souvent entendu par toi naturelle ,
la loi purement physique , et cette erreur est
venue du droit romain, en cela infecté de paganisme.
La loi naturelle de l'homme en société
est une loi morale , parce que l'homme en société
est un être moral , et ce n'est que d'être moral
qui reçoit des loixmêmes physiques dès qu'elles
sont relatives à la société , et qu'il a la liberté de
les suivre ou de les enfreindre. Les lois de la
digestion et du sommeil sont des loix purement
physiques , et auxquelles l'homme est nécessité ;
mais l'union des sexes est pour l'homme seul
une loi sociale , une loi morale par conséquent ,
284 MERCURE DE FRANCE ,
puisqu'il dépend de sa volonté d'y obéir ou de
s'y soustraire .
Un plan aussi sage que celui de l'auteur , une
division aussi méthodique , suppose un style
clair , facile , gracieux , abondant ; et ce sont ,
en effet , les qualités de son genre d'écrire ,
plutôt que la force et la véhémence. L'auteur
lui-même a craint un peu trop de se laisser
entraîner à son sujet , le plus fécond de tous en
mouvements et en images ; et l'on ne voit pas
sans peine qu'il se restreint à dessein là où il
faudrait lâcher les rênes et s'abandonner à son
sujet. Nous pourrions en citer de nombreux
'exemples ; nous nous bornons à un seul :
«Quel moyend'oppression n'aurait pas fourni, contre
Jes épouses , ce droit légal attribué au pouvoir civil de
dissoudre le mariage pour délit public de l'un des époux !
Mais je n'insisterai pas sur ces probabilités trop affligeantes
, et j'en épargnerai l'application à la sensibilité
de mes concitoyens , etc. »
L'auteur va trop loin : la sensibilité de ses
concitoyens , dont les uns proposent le divorce
et les autres le pratiquent , est à l'épreuve ; cette
sensibilité est dans les nerfs beaucoup plus que
dans les ames ; et telle femme qui suit avec fureur
l'amant qui la sépare de ses enfants par le
divorce où il l'entraîne , lui pardonnerait à
peine de marcher sur les pattes de son chien. Il
faut prendre garde d'opposer de froides vertus
à d'énergiques erreurs .
Citons , au hasard , quelques traits de l'ouvrage
; ils justifieront ce que nous avons dit de
la manière élégante et facile de l'auteur. II
FLOREAL AN X. 285
parle des temps affreux qui suivirent le décret
sur le divorce :
La foi conjugale sembla même devoir une force
nouvelle à l'abandon de la loi civile , et l'on vit les
époux se rapprocher l'un de l'autre dans le pressentiment
que les nuages , dont se couvrait la législation ,
annonçaient un nouvel orage politique. Cet orage
éclata bientôt , et il fut terrible. On reconnut alors
quel salutaire asile la foi conjugale pouvait offrir
contre l'infortune. Alors le courage des épouses parut
au niveau de celui même qu'inspiraient les feux de
l'amour ou la tendresse maternelle . On les voyait
braver tous les dangers pour faire parvenir au fond de
ces Bastilles impénétrables un faible soulagement , et
ce qui semblait bien autrement impossible , pour faire
parvenir la pitié au fond de ces coeurs féroces , qui
jouissaient des souffrances de leurs victimes. Ah ! quel
Français , après avoir admiré dans ces moments d'horreur
le noble dévouement des épouses , ne se croira
pour jamais obligé de soustraire à l'oppression des lois
ce sexe généreux qui fut notre recours au milieu de
l'oppression commune ! »
Voici un autre exemple où la vérité de la
pensée se joint à la finesse des aperçus , et la
clarté à la précision du style :
« Quand un mari exerce la répudiation envers sa
femme , il a joui de tous les droits que lui assurait la
foi promise ; mais tous les devoirs de protection qu'elle
impose lui restent encore à remplir. Ce sont pourtant
ces seuls devoirs qui l'attachent encore à la mère de
ses enfants ; quand toutes les séductions du plaisir
l'attirent vers une nouvelle épouse , il conserve encore
tous les avantages de son sexe qui peuvent favoriser se
286 MERCURE DE FRANCE ,
nouvelles prétentions. L'épouse , au contraire , a déja
rempli tous ses devoirs ; elle leur a sacrifié sa virginité
et toutes les graces de sa jeunesse ; elle n'a plus que des
droits à exercer , et ces droits seraient illusoires , s'ils
pouvaient être légitimement méconnus par l'époux
qui en a reçu le prix. Ce prix doit suffire à l'épouse
pour lui assurer la protection de toute sa vie , puisque
par la loi même de la nature elle ne peut le pajer
qu'une fois . "
C'est avec regret que nous omettons un grand
nombre de passages , aussi bien pensés qu'élégamment
écrits. Peut être aussi pourrions-nous
en trouver quelques-uns , où la facilité devient
faiblesse et défaut de détermination dans le
style et dans les idées ; il y a alors du vague et
quelquefois de l'obscur ; l'élégance aussi dégénère
, mais rarement, en afféterie , et alors le
style et quelquefois la pensée , ont quelque chose
de pastoral qui contraste avec la gravité et
l'austérité du sujet...
«
Passons à des considérations plus importantes :
L'action de la police publique , sur la conduite
privée des citoyens , est désormais invisiblement repoussée
par le sentiment de la liberté civile. »
Cette maxime est fausse dans sa généralité ;
la police publique n'est faite que pour veiller
sur nos conduites privées, et ce sont nos passions
et notre sentiment aveugle de la liberté , qui en
repoussent le légitime et raisonnable exercice;
car la surveillance de la police ne doit pas dégénérer
en inquisition, ni son intervention en
tracasserie ; mais assurément la police a le
droit d'empêcher un homme de commettre des
désordres , même dans l'intérieur de sa maison ;
FLOREAL AN Χ. 287
C
et , dans ce genre , son devoir ne cesse que là
où s'arrête son pouvoir. Là, commence le pou
voir sur les consciences ; et c'est ainsi que les
deux autorités religieuses et politiques, concou
rent à retenir l'homme ; l'une corrige ses
actions en redressant ses volontés , l'autre
redresse ses volontés, en réprimant ses actions.
L'auteur se refuse à reconnaître la similitude
des deux sociétés domestique et publique,
et il appelle exclusivement naturel le pouvoir
domestique , tandis qu'il regarde les pouvoirs
publics comme les résultats des conventions
humaines. Cette erreur est de la plus dangereuse
conséquence. Il est au reste remarquable
que ce pouvoir naturel de l'homme en famille ,
soit le seul qui soit établi par une convention ,
'et précédé d'un contrat de mariage , et que
T'histoire ne fournisse pas d'exemple d'un pouvoir
public , établi par de pures conventions ,
et seulement en vertu d'un contrat social ;
je dís plus : le pouvoir public est plus naturel
que le pouvoir domestique , parce qu'il est
plus nécessaire. Ainsi , plusieurs personnes, même
de différent sexe , peuvent habiter la même
maison, sans former jamais des familles ; mais
il est impossible que plusieurs familles habitent
et cultivent le même territoire , sans une
autorité publique ou générale , au moins momentanée
, qui règle les différends , réprime les
passions , et dirige les efforts de chacun vers
le bien de tous ; car il y aurait nécessairement
des besoins communs , et par conséquent il faut
un moyen commun de les satisfaire ; d'ailleurs ,
là où le pouvoir domestique est insuffisant mê
288 MERCURE DEFRANCE ,
me dans la famille , il est naturel que le pouvoir
public intervienne pour le maintenir ou
l'appuyer , et c'est ce que l'auteur reconnaît luimême.
Chez les anciens , le pouvoir publicet le pouvoir
domestique étaient confondus ; le père avait le
pouvoir du glaive , même dans sa famille. Les
modernes , élevés à une autre école , ont reformé
les limites que la nature elle - même a
posées à la compétence des deux pouvoirs humains
; au pouvoir domestique , appartient la
puissance qui donne la vie; au pouvoir public ,
appartient la puissance qui donne la mort.
Jamais vérité fondamentale n'a été mise
dans un jour plus évident que le principe de
l'indissolubilité naturelle du lien conjugal .
La séparation remédiait aux malheurs des
unions mal assorties , et l'opinion publique ,
d'accord avec la raison , en faisait un châtiment
pour la faiblesse des époux. Les passions
n'en demeurent pas là ; elles veulent en
faire une jouissance , et trouver , dans les désordres
qui ont troublé une première union ,
des motifs pour en former de nouvelles. Elles
se récrient sur lemauvais exemple que donnent
trop souvent des époux séparés , forcés de vivre
dans le célibat; et elles se taisent , sur le scandale
de ces unions , formées à force de haines,
sur ces mariages produits de deux divorces; contrat
malheureux , sacrement funeste , qui a la
volupté pour prêtre , des adultères pour parties ,
le mépri public pour témoin. Elles craignent
le scandale des procédures dans la question en
séparation ; et comme s'il y avait un scandale
FLOREAL AN Χ. 289
,
plus public que le scandale de la loi , ou que la
pudeur fût quelque chose là où le mariage n'est
rien , car le jour où le divorce sera décrété
ily auraen France des hommes et des femmes ,
des pères , des mères et des enfants ; mais iln'y
aura plus de mariages ni de familles .
:
Cependant on ferme les yeux sur le divorce
le plus public , le plus scandaleux , le plus dangereux
de tous , sur le divorce des lois politiques
d'avec les lois religieuses , unies en France
depuis quatorze siécles par un lien indissoluble
, et dont le saint et solennel mariage
faisait toute la force de la France et toute la
perfection du caractère français. Des hommes
qui contesteraient volontiers au gouvernement
l'exercice le plus naturel du pouvoir, sur les personnes
et sur les choses , le poussent de toute
leurs forces à usurper ce pouvoir inoui sur
les esprits et sur la morale ; et , pour la première
fois , dans l'histoires de tous les peuples ,
on verra peut-être des législateurs moins sages
que le vulgaire , imposer des lois faibles à une
nation qui connaît , qui suit des, lois plus fortes ,
les réclame comme sa propriété , et qui demande
à ses chefs des freins à ses passions , et
non des complaisances pour ses désordres . Et
qu'on ne dise pas que le divorce n'est que toléré ;
car c'est précisément contre cette tolérance que
le père de famille a droit et devoir de protester.
Présenter le divorce comme une tolérance
à une nation avancée , c'est offrir un breuvage
empoisonné à un enfant qui a soif. Il n'est aucun
homme qui puisse réclamer une tolérance
contre la loi naturelle , aucune doctrine.qui
8. 19
290 MERCURE DEFRANCE ,
puisse en autoriser l'infraction , aucun gouvernement
qui puisse le permettre. Osons le dire
à la veille de ce jugement mémorable , entre
les passions et la raison , entre l'homme et la
société. Un gouvernement a tout pouvoir légitime
sur l'homme ; il n'aque des devoirs envers
la famille , que la nature a fait souveraine dans
les limites de sa juridiction , comme le pou
voir public dans les limites de la sienne. Le gouvernement
a le devoir de maintenir le lien do
mestique,et n'a donc pas le pouvoir de le dissoudre
, il a le devoir de maintenir l'autorité
de l'époux , même sur l'épouse , il n'a donc
pas de pouvoir d'accorder à la femme autorité
sur ou contre le mari ; il a le devoir de ramener
les enfants sous la dépendance du père ,
il n'a donc pas le pouvoir de les soustraire à
son obéissance ; en un mot , le gouvernement
a le devoir de défendre la famille , il n'a donc
pas le pouvoir de la corrompre , par la même
raison qu'il doit employer les hommes au service
de l'état , et qu'il ne peut jamais , sous
aucun prétexte , arracher une fille à son père
ou une femme à son sépoux. Ce qu'un gouvernement
sage doit éviter avec le plus de soin ,
est dense mettre dans la malheureuse nécessité
de ne pouvoir donner d'autre naison de sa
conduite que la force dont il dispose ; car laforce
n'est la dernière raison des gouvernements, que
parce que la raison est leur première force..
FLORÉAL AN X.
291
VARIETÉS.
Des Qualifications.
,
IL y a quelques temps qu'un homme qui se
proposait d'écrire à l'un des premiers magistrats
de notre république , se trouva embarrassé
sur le titre. Il vint me consulter pour
savoir si l'on devait dire citoyen tribun , ou
tribun simplement. C'est une grande question ,
lui dis-je , et je me mis à rêver sur l'art des
qualifications. Je vis qu'il n'y avait rien de plus
important dans ce monde , et que c'est ce qui
décide du bon ou du mauvais succès de bien
des affaires. Cela est sensible . Une qualification
agréable et bien choisie flatte l'amour-propre ,
et gagne d'abord le coeur de la personne à qui
vous parlez . Or , qui ne sait les effets merveil.
Jeux de la prévention ? Je me souvenais qu'il y
a une scène dans le Bourgeois-Gentilhomme ,
où de certaines qualifications trouvent si bien
la route du coeur de M. Jourdain , qu'elles parviennent
à épuiser sa bourse. Mais croyez-vous
que si quelqu'un avait eu un placet à présenter à
César , le jour qu'il allait au sénat , pour se
faire couronner , il eût bien fait de le qualifier
de citoyen César ? L'histoire nous apprend que
lorsque Gitblas eut fait sa fortune , il ne voulut
plus s'appeler Gilblas. C'était le seigneur de
Santillanne. Il y a des circonstances où c'est
une politesse d'appeler quelqu'un par son
292 MERCURE DE FRANCE ,
nom , d'autres fois c'est une cruelle injure. Par
exemple , lorsqu'Octave eut pris le nom d'Auguste
, si quelqu'un eut continué de l'appeler
Octave, je crois qu'il lui aurait fait un fâcheux
compliment. Je remarque que dans nos cercles
cette espèce de gens qu'on trouve plaisants et
délicieux , excelle dans l'art de vous réveiller
par de petits noms flatteurs ou piquants qui sont
comme les nuances de leur politesse et de leur
esprit. Mais il ne faut pas croire que cela soit
aisé ; au contraire , quelle profonde mesure de
discernement ne faut-il pas pour trouver une
qualification qui soit , à la fois, juste , décente ,
spirituelle et flatteuse sans bassesse. Il ne faut
pas moins que consulter les temps , les lieux ,
les personnes , et approfondir les convenances
qui se rapportent à chacune de ces choses . C'est
ce que les Romains appelaient : rationes temporum
et locorum
5
Je ne vois personne , qui ait connu aussi bien
qu'Homère , l'importance des qualifications et
l'art de les employer. Remarquez qu'il ne parle
jamais de ses dieux , de ses déesses , de ses héros
, sans joindre à leur nom quelqu'épithète
obligeante , comme Achille aux pieds légers ,
Briséis aux belles joues , Hélène aux épaulés
blanches , Junon aux grands yeux , et cent autres
expressions de cette nature , qui donnent
de la couleur à ses personnages. Mais il faut
observer que , dans la langue d'Homère , ces
sortes d'épithètes sont de vrais titres qui font
comme partie du nom et qui reviennent san's
cesse avec lui ; voilà ce que les Perrault , les
Lamothe , et tant d'autres critiques de cette
espèce n'ont pas compris , quoiqu'il n'y ait rien
FLOREAL AN X.
de si commun dans nos annales modernes , où
l'ontrouve partout les noms deCharles- le-Chauve ,
de Louis-le-Gros , d'Henry l'Oiseleur
Hugues - Capet , c'est- à-dire , Hugues à la grosse cen
tête.
,
etude
A la vérité , il y a des noms d'un sin
poids qu'ils vont mieux seuls , sans l'accompagnement
d'aucun titre. Ainsi l'on ne dit pas
Porateur Cicéron le poète Horace , comme on
ne dit plus monsieur Pascal , monseigneur Bossuet
: on dit simplement Horace , Cicéron , Pascal
, Bossuet : au lieu qu'on dit fort bien le
général un tel , l'administrateur un tel , parce
qu'au moins la dignité soutient le nom , si le
nom ne soutient pas la dignité.
Il y a, dans les choses de sentiment , une certaine
délicatesse de goût qui fait juger s'il faut
être avare ou prodigue de qualifications.Virgile
nous fait sentir cela d'une manière admirable
dans ces beaux vers de l'Episode d'Orphée :
.... Eurydicen vox ipsa et frigida lingua
Ah ! miseram Eurydicen animâfugiente vocabat ;
Eurydicen toto referebant littore ripa.
Et comme dit M. l'abbé Delille :
Là , sa langue glacée et sa voix expirante ,
Jusqu'au dernier soupir formant un faible son ,
D'Eurydice en flottant murmurait le doux nom...
Eurydice ! douleur ! touchés de son supplice ,
Les échos répétaient : Eurydice ! Eurydice !
Un poète ordinaire n'aurait pas manqué de
dire sa tendre Eurydice , sa chère amante .
Virgile , ce parfait modèle , dit simplement :
5.
:
1
294 MERCURE DE FRANCE ,
Eurydicen. Voici un trait du même esprit ; un
académicien de mauvais goût s'avisa un jour ,
pour faire sa cour à Louis XIV , de mettre au
bas d'un tableau qui représentait le passage du
Rhin : l'incroyable passage du Rhin. Le roi
raya l'épithète d'incroyable. De tous les mêts ,
le plus difficile à apprêter , c'est la flatterie. Un
amour-propre délicat la veut délicate.
Quant à ce qui a été dit de l'influence des
qualifications dans les affaires , je ne vois rien
de mieux prouvé dans toute l'histoire. Voyez
comme Sylla sut attacher pour toujours à son
parti, Pompée jeune et vain , en lui donnant le
titre de grand qu'il n'avait pas encore mérité.
César haranguait un jour ses troupes révoltées:
il remarqua que les expressions ordinaires manquaient
de force. Il s'avisa de leur dire tout-àcoup
: citoyens ! ce seul mot , dont l'emploi
était absolument nouveau dans la bouche d'un
général parlant à ses soldats , étonna les esprits
au point de dissiper toute idée de révolte ; et
trois siécles après , cette même expression employée
par l'empereur Alexandre Sévère , dans
une circonstance toute semblable , eut le même
pouvoir sur les coeurs , et l'empire lui dut son
salut , pour la seconde fois. Quand l'esclave envoyé
pour tuer Marius entra dans sa prison :
Barbare , lui crie le vainqueur des Cimbres ,
oseras -tu bien assassiner Caius Marius ? Le
Cimbre jeta son épée et s'enfuit. De la manière
que Plutarque le raconte , il n'y a pas de doute
que la voix formidable de Marius produisit cette
épouvante. De cela même je conclus que ce
*fut cette qualification de barbare qui le sauva ,
parceque c'est unterme que la voix peut rendre
FLORÉAL ANX. 295

facilement sonore , et j'affirme qu'il n'y en avait
pas un seul qui convint mieux à la situation.
Voilà pourtant ce que fait le choix d'un mot !
Mais pour revenir à la question de notre homme ,
ce qu'on peut dire là - dessus de plus judicieux
et de plus concluant , c'est qu'en général plus
un titre est long , et plus il y a de dignité .
C'est une chose qui n'était point connue dans
les anciennes républiques . Il me paraît infiniment
probable , qu'on ne disait point : citoyen
Ephore, citoyen Archonte , citoyen Triumvir :
on disait simplement : Périclès , Lycurgue , Antoine.
Ce ton libre et familier ne nous semble
pas messéant dans l'histoire. Mais les philosophes
ont pu remarquer qu'à mesure que le
gouvernement des Romains se rapproche de la
monocratie , les formes du langage prennent
plus de pompe et de noblesse . Je suis toujours
frappé de rencontrer dans Cicéron ces expressions
pleines de magnificence : Vir ornalissicopiosissimus
, amplissimus . Qualifications
admirables ! qui désarmaient Pompée
en faveur de Milon , qui faisaient tomber des
mains de César l'arrêt de mort de Ligarius.
Mus
,
و
Et ceux- là connaissaient bien le coeur humain
, qui ont inventé parmi nous ces termes
d'éminentissime de sérénissime ces dignes
auxiliaires de notre politesse. Toute idée superlative
se marque par une augmentation de
syllabes . Seroit-ce done là le caractère distinctif
de notre dignité ? La qualification de monsieur
dont on sert à tout le monde est la même
que celle de monseigneur , à cela près qu'elle
est contractée , c'est - à - dire , que les deux dernières
syllabes sont réduites en une seule. Mais
296 MERCURE DE FRANCE ,
cette perte d'une syllabe a suffi pour dégrader
ce mot. Celui de madame , au contraire , qui n'a
jamais souffert de contraction semblable , est
demeuré noble. Voilà pourquoi on l'emploie
dans la tragédie où le mot monsieur n'est point
admis , quoique l'un ne soit pas plus ridicule
que l'autre , et qu'il y ait au fonds tout autant
de convenance à dire mansieur Mithridate , que
madame Agrippine..
.......... Sic jubet usus
"
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.
Cela doit nous apprendre qu'il y a quelquefois
une profonde sagesse à faire ce que faisaient
autrefois quantité d'honnêtes gens qui
alongaient leurs noms et leurs titres , les uns
d'une lettre , les autres d'une syllabe , chacun
selon la mesure de son ambition : car enfin tous
les moyens sont bons pour hausser des nains
tels que nous sommes.
CROLOGIE.
D.
M. Emmanuel-François de Bausset-Roquefort, ancien
évêque de Fréjus , est mort à Fiume , près de Trieste ,
le 10 février 1802 , dans sa soixante-onzième année. Ce
prélat n'avait pas attendu la demande du Pape pour lui
remettre la démission de son siége ; il s'était empresse
de la lui envoyer directement , aussitôt qu'il avait été
instruitque le souverain pontife s'occupait d'un arrangement
prochain pour les affaires de l'église de France.
Il a rendu les derniers soupirs entre les bras de quelques
prêtres de son diocèse qui l'avaient constamment suivi
dans sa retraite. La lettre par laquelle ils ont annoncé à
Ja famille du prélat et aux fidelles du diocèse de Fréjus
FLORÉAL AN X.
297
1
cette affligeante nouvelle , honore également la religieuse
sensibilité de ces vertueux ecclésiastiques et la
mémoire de M. l'évêque de Fréjus. Il a joui de l'estime ,
du respect et de la considération publique partout où
les événements l'ont conduit. Ses funérailles ont été
célébrées avec la pompe et l'appareil convenables au
rang qu'il occupait dans l'église. Tous les corps ecclésiastiques
et civils , ainsi que le gouverneur de la ville ,
se sont fait un devoir d'y assister ; et , ce qui est encore
plus honorable pour sa mémoire , les larmes , les voeux
et les prières du peuple , témoin depuis plusieurs années
de sa piété, de sa résignation et de son inaltérable douceur
, ont accompagné son cercueil jusqu'au lieu où il a
été déposé. La nouvelle de sa mort a accablé de douleur
sa famille , dont il était tendrement chéri , et tous ceux
qui ont été à portée de connaître et d'apprécier la bonté
de son coeur , l'aménité de son caractère et la simplicité
de ses moeurs .
Aux Rédacteurs du MERCURE.
Vous avez rendu * un juste hommage aux talents de
l'orateur chrétien qui , dans ce jour consacré aux
actions de graces pour la paix de l'Europe et celle de
l'église , a célébré devant BONAPARTE le rétablissement
de la religion . Au Tribunat et dans le sein du Corps
législatif , des orateurs politiques ont aussi plaidé
avec énergie cette grande cause , qui désormais ne
peut plus se perdre. La croyance des Charlemagne ,
des Bossuet , des Racine et des Turenne est appuyée
sur deux titres inébranlables , le bien qu'elle a fait
aux hommes , et les maux qu'ils ont soufferts dans son
absence .
* Voyez le dernier Numérodu 15 Floréal.
298 MERCURE DEFRANCE ,
Ainsi , la piété et la politique ont célébré à la fois
ce dernier bienfait du gouvernement. Des voix généreuses
l'avaient sollicité dans un temps où il n'y avait
encore que du courage à se déclarer pour les principes
religieux.
Vous auriez pu rappeler particulièrement ces paroles
si touchantes et si vraies * , où le législateur Lobjoy
avait comme renfermé tous les motifs qui ont été développés
depuis à la tribune , et même dans la chaire
évangélique :
« Vous à qui nous devons déja tant de gloire, voulez-
« vous aussi nous rendre nos anciennes vertus , la maa
gnanimité de nos aïeux , la sérénité d'ame , l'en-
• jouement , toutes les qualités aimables qui adoucissent
les hommes , et les rendent plus attachés aux
" devoirs d'époux , de père , de citoyen ? Hâtez-vous
✔ de fomenter le feu qui couve encore au fond de nos
coeurs ; rappelez les Français aux institutions que les
* ames sensibles et bonnes , que les mères de famille
" surtout redemandent de toutes parts. »
Fénélon semble respirer dans ces derniers mots. Il
n'appartient , en effet , qu'à la religion chrétienne d'être
la religion des mères de famille , et à une belle ame de
se rendre ainsi l'interprète de leurs sentiments .
GLI
SPECTACLES.
OPÉRA - BUFFA.
LI Zingari in Fiera ( les Bohémiens à la Foire ) ,
opéra en trois actes , musique de Puësiello .
La preuve la plus complète des progrès de la musique
* Voyez le Journal des Débats du 17 floréal an io.
FLOREAL ANX. 299
en France , est l'établissement d'un théâtre qui lui est
entièrement consacré , où les paroles sont comptées
pour rien , et où notre ame , abandonnée au pouvoir
de l'harmonie , s'y livre sans réserve , et sans avoir à
redouter la moindre distraction . On s'étonne qu'en
Italie les compositeurs les plus distingués associent
leurs talents à des productions d'une absurdité révoltante
, et qui ne seraient pas admises sur les derniers
théâtres de nos boulevarts. Mais peuvent- ils choisir un
moyen plus sûr de prouver tout ce dont leur art est
capable , quand il est réduit à ses propres forces , et
privé de tout secours étranger ? On a dit souvent que la
poésie et la musique étaient soeurs , et il existe en effet
une sorte d'analogie dans les effets qu'elles cherchent
à produire. Toutes deux veulent charmer l'oreille pour
émouvoir l'ame , et c'est parce que leurs prétentions
sont à peu près les mêmes , qu'il est si difficile de les
accorder et de les faire concourir au même but , sans
qu'elles se nuisent l'une à l'autre. La passion qu'inspire
la poésie n'est pas entièrement dégagée du commerce
des sens ; mais c'est surtout à l'esprit qu'elle cherche
à plaire. Elle est loin de négliger l'harmonie ; mais ,
quelquefois privée de son secours , elle a conservé
encore assez de charmes pour captiver ses adorateurs ,
qui , réduits alors à un amour purement platonique ,
ne lui en restent pas moins fidelles , et s'aperçoivent à
peine qu'ils goûtent un plaisir de moins. La musique ,
au contraire , accorde aux sens tout ce qu'elle peut
leur accorder . Ce n'est que par leur entremise qu'elle
peut pénétrer jusqu'a l'ame ; l'oreille est pour elle un
agent indispensable , dont elle multiplie les jouissances
pour assurer son propre empire , et cette facilité avec
laquelle elle distribue ses faveurs , lui attire sans cesse
de nouveaux amants. Si quelquefois elle paraît s'unir à
sa rivale , si elle,daigne l'employer à rehausser ses :
1
300 MERCURE DE FRANCE ,
charmes , c'est toujours de manière à laisser voir qu'elle
pourrait aisément se passer de cette parure étrangère.
Elle la traite comme une esclave qui doit se plier à ses
moindres caprices , et se trouver trop heureuse de servir
à faire briller sa maîtresse. En Italie surtout , c'est une
reine impérieuse qui domine exclusivement sur le
théâtre , et qui ne permet à sa soeur de s'y montrer
que sous l'aspect le plus humiliant , et dans un état de
dégradation et de dépendance qui la réduit à une
parfaite nullité. : : :
Pourquoi done nous occuperions - nous d'une pièce
qu'heureusement la plupart des spectateurs n'entendent
pas , et qu'à coup sûr personne n'écoute ? Il suffit de
savoir qu'il s'agit de duper un docteur Pandolphe ,
aussi riche que crédule , et très-entêté d'astrologie.
Lucrèce , jeune bohémienne , lui promet un trésor ,
s'il consent à déposer cent pistoles , et s'il trouve une
femme sans intrigues. Tout avare qu'est Pandolphe ,
il se soumet à la première condition ; mais il ne sait
comment remplir la seconde. La Bohémienne , à la
faveur d'un déguisement , lui persuade qu'elle est cette
femme si difficile à rencontrer , et il l'épouse sans hé
siter . Alors il va réclamer le trésor , et s'aperçoit
qu'il a été pris pour dupe . Mais ce qui est fait , est
fait.
Chacun peut à son gré remplir ce cadre ; mais je
défie qui que ce soit de s'en acquitter aussi mal que
l'auteur du poème. Qu'importe , après tout , que les
paroles soient plus ou moins détestables , si la musique
tient lieu de tout au spectateur ? Celle de Paesiello a
été applaudie avec enthousiasme . Une expression toujours
pure , une harmonie parfaite , un récitatif animé,
des airs charmantset pleins de graces , ont enlevé tous
les suffrages. Un quinque du premier acte a produit le
plus grand effet ; on l'a fait répéter , ainsi que le dua
FLORÉAL AN X. 301
qui commence par ces paroles : Pandolfetto graziozetto
, etc. On a aussi redemandé l'air du troisième
acte , Sei morelli et quatro bai.
M.me Bolla , chargée du rôle de Lucrèce , réunit à la
finesse du jeu les charmes d'une voix pure et flexible :
elle a été couverte d'applaudissements. Martinelli , qui
remplissait celui de Pandolphe , chante avec goût , et
son jeu a paru comique, même après celui de Rafanelli ,
de l'absence duquel il promet de nous dédommager.
: THEATRE DU VAUDEVILLE.
;
>
Panard, clerc de Procureur , par les CC. Boutard,
Fontenilleet Desfougerest. ;
Lasthénie , ou Une Journée d'Alcibiade , comédie
en un acte , par les CC Lachabaussière et Raboteau ..
11,76 , 88 , anecdote , par les CC. Dieu-Lafoy',
Chazet et Dubδίου
169
En huit jours , sur le même théâtre , trois nouvelles
pièces , produit des veilles de huit auteurs ! Quelle
effrayante fécondité ! Pour peu que cela continue ,Je
Vaudeville sera en état , chaque année , de fournir à
lui seul un almanach des grands hommes., Or aurait
bien mauvaise grace de se plaindre de la décadence des
lettres. Les prosateurs , les poètes nous pleuvent de
toutes parts ; nous sommes inondés de brochures de
toute espèceset Je torrent , loin de tarir à l'approche
de l'été ,grossit encore de jour en jour. Autrefois , du
moins, on ne commençait guères à craindre ce débordement
que vers l'arrière saison ; aujourd'hui , c'est
pendant l'année entiere qu'il faut lutter contre les
flots, et opposer une digue au mauvais goût, at me
302 MERCURE DE FRANCE ,
Nous avons dit , dans notre dernier Numéro , que le
public avait fait une justice un peu sévère de Panard.
Cette pièce , reproduite quelques jours après avec de
très- légers changements , a été fort applaudie. On a
fait répéter des couplets , les auteurs ont été demandés
et nommés : c'est ce qui s'appelle un succès dans toutes
les règles. En voici l'analyse en deux mots. Panard ,
quoique son goût l'entraîne vers les Muses , hésite à
renoncer à Thémis. Il est clerc chez M. Durey , procureur
, qu'il croit un parfait honnête homme ; il s'agit
de le détromper , et de l'engager à travailler pour le
théâtre. C'est de quoi se charge une jeune et jolie
actrice , qui commence la séduction en chantant une
de ses romances. Un déjeûner , qu'animent la gaieté et
le Bourgogne , tournent de plusen plus latête à notre
poète ; et , enfin , on trouve moyen de démasquer à ses
yeux le vieux procureur , qui , pour faire sa cour à
l'actrice , vient lui offrir , comme étant de lui , une
comédie qu'il a soustraite à son clerc .
-Le sujet de Lasthénie,ou Une Journée d'Alcibiade,
est , dit - on , puisé dans les Voyages d'Anténor , qui ,
par le nombre des éditions seulement , rivalisent avec
ceux d'Anacharsis. La belle Lasthénie reçoit à la fois
les hommages de trois rivaux. Clénmède est l'amant
favorisé. On n'écoute Timon que parce que ses brusqueries
divertissent , ou plutôt parce que les auteurs
ont voulu en amuser le public. Pour Alcibiade , on se
propose de le ramener aux pieds de la jeune Hipparère,
qu'il néglige entièrement au bout de quelques mois de
mariage. Cléomède , qui est de moitié dans ce généreux
projet , feint , au retour d'un long voyage , d'être laimême
marié et dégoûté de sa femme. Lasthénie exige
d'Alcibiade qu'il réconcilie les deux époux ; et le plus
volage des Athéniens fait à son ami un beau sermon
sur la fidélité conjugale. Cléomède , après quelque réFLOREAL
ANX. 303
1
sistance , consent à renouveler ses serments dans le
temple de l'Hymen. Une femme voilée vient les rece.
voir, et Alcibiade les dicte lui-même, Le voile tombe ,
et ili reconnaît Hipparète. Il prend alors son parti en
galant homme , lui demande son pardon , et lui jure
une fidélité à toute épreuve... e
Ladignitédu costume grec contrastait d'une manière
risible avec la figure et le maintien des joyeux enfants
du Vaudeville ; l'action d'ailleurs se traînait languissamment
au milieu d'une foule de couplets insignifiants
et parasites; et déja des murmurs se faisaient
entendre , lorsqu'une cabale , dirigée contre la pièce,
avec un acharnement poussé jusqu'à l'indécence , est
venu relever les actions des auteurs. Ce nouveau moyen
d'esquiver une chûte , mis adroitement en oeuvre ,
serait par fois plus efficace que des applaudissements
indiscrets. Quoi qu'il en soit ,llee parterre et les loges ont
imposé silence aux membres de l'opposition , et se sont
fortement prononcés pour la paix . Le calme a été rétabli
, et la pièce écoutée jusqu'au bout. Nous croyons
qu'elle pouvait , à plusieurs titres , réclamer contre une
rigueur à laquelle on n'est pas accoutumé sur ce théâtre ,
et que plus d'une comparaison ferait presque regarder
comme une injustice.
sa
On se rappelle avoir luz il y a quelques temps ,
dans les journaux , le trait de probite d'un receveur
de loterie de Gonesse. Il avançait , depuis plusieurs
tirages, a'un de ses actionnaires le montant de
mise. Enfin , îl lui déclaré qu'il ne veut plus mettre
pour lui à crédityet le malheureux se retire fort chagrin.
De buraliste se détermine , sans de lui dire , à
faire encore une mise à son nom. Le lendemain leterne
sort , et il lui en remet le montant. Telest le sujet
de 11 , 76 , et 88. L'actionnaire est M. Belle - Fleur ,
jardinier; sa fille Rose a pour amant Auguste , fils du
304 MERCURE DE FRANCE ,
buraliste , et pour prétendu le boulanger Farinet. 11
est aisé de deviner le reste de la pièce. Cette fois-ci la
morale a triomphé aux dépens du goût. On n'a pas pu
se résoudre à siffler un trait de vertu dont le héros
était , dit-on , présent. Quoique cette bluette offre de
la gaieté , et jusqu'à de l'esprit dans quelques couplets ,
elle nous a paru avoir plus de droits aux sifflets que
les deux pièces précédentes , qui au moins avaient évité
le grand écueil des calembourgs
:
- Nous sommes forcés , par le défaut d'espace , de
remettre au prochain numéro à rendre compte de la
reprise de Encore des Ménechmes , comédie en trois
actes , du C. Picard , et de Sémiramis , opéra en trois
actes , représenté avec succès au théâtre de la République
et des Arts . Les paroles en sont arrangées d'après la
tragédie de Voltaire , par le C. Delriaux. La musique
est du C. Catel , professeur du Conservatoire et les
ballets du C. Gardel.
' ),
2
i
711
د
ANNONCES.
i
)
LES Abdérites , suivis de la Salamandre et la statue ,
par Wieland; traduit par Labaume , avec cette épis
graphe la première vertu est d'avoir du bon sens,
3 vol. in -8.° ; prix 9 fr. et 13 fr. francs de port. Le
même ouvrage papier vélin 18 fr . et 22 fra francs
- de port. Chez, Dentu , libraire , palais du Tribunat ,
galeries de bois , n.º 240 ; et chez Lenormant , imprimeur
libraire , rue des Prêtres - Saint - Germainl'Auxerrois
, .42
0
A
:
FLORÉAL AN X. 305
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
T
PETERSBOURG , 13 avril ( 26 germinal ).:
NOTRE gouvernement continue de se montrer bienfaisant
et éclairé. L'empereur qui a déja rendu la liberté
à un si grand nombre de ses sujets relégués
Join de leurs foyers , vient encore d'en rappeler quatorze
de leur exil, et de les rendre à leurs familles .
D'après un ordre de l'empereur , nos gazettes ont et
auront désormais un supplément consacré aux découvertes
et inventions , qui peuvent être utiles aux-arts ,
au commerce et à l'agriculture .
Les expériences aérostatiques qui avaient été défendues
ici par Catherine, comme par Paul , sont permises
par Alexandre. Le professeur Ezervi a obtenu d'en
faire une qui est annoncée pour les premiers jours du
mois prochain. Il a annoncé qu'il s'élèverait lui-même
dans un ballon .
و
Le général Hédouville , ministre de France, près de
notre cour , est arrivé ici le 8 de ce mois et a été
présenté avant-hier à l'empereur. Sa suite est composée
de dix-huit personnes .
Rome , 14 avril ( 27 germinal ) .
1
Les philosophes qui ont tant déclamé contre le gouvernement
pontifical , sont confondus par la sagesse
que notre souverain fait éclater dans toutes les branches
de l'administration . Une des causes de l'état lan
8. 20
306 MERCURE DE FRANCE ,
guissant où se trouvait l'agriculture dans la campagne
de Rome , était l'usage qu'avait le fisc d'affermer le
droit de pâturage , des que la moisson était achevée.
Le Saint Père va l'abolir , et la campagne qui , jusqu'à
ce moment , a eu l'air d'un vaste désert sans
arbres , va commencer à offrir le spectacle de la plus
riche végétation, ce qui contribuera éminemment à en
rendre l'air plus salubre.
La célèbre mine d'alun de la Solfa , était devenue
sous les prédécesseurs de Pie VII , un objet de spéculation
pour leurs neveux , et de frais incalculables pour
lefisc ,que les fermiers mettaient à contribution d'aecord
avec les neveux : elle vient d'être concédée pour
trente-six ans , à deux riches négociants génois , qui
y établiront des méthodes d'exploitation et des procédés
chimiques mieux entendus , dont l'utilité se fera
également sentir aux entrepreneurs et à l'état.
Le port de Sinigaglia , sur l'Adriatique , a été déclaré
port franc .
Le gouvernement recueille déja les fruits des principes
qu'il a adoptés et qu'il met en pratique. Le commerce
devenu libre a fait entrer une grande quantité
de grains à Civita - Vecchia : l'abondance a fait
baisser le prix du bled et cesser les murmures du peuple.
12.
Nous ne somme plus au temps où le Pape évitait
tous rapports , avec les princes qui n'étaient pas de sa
communion. Pie VII envoie le prélat d'Arezzo , comme
nonce , à Petersbourg.
Vienne, 24 avril ( 7 germinal ) .
La cour se dispose à partir pour Presbourg. On s'at
tend à voir la diète occupée d'objets très-importants ;
mais non , comme on l'avait dit , de délibérer sur des
changements dans sa constitution. Le seul auquel on
FLORÉAL AN X. 307
pense qu'elte, pourra être invitée sera' de rédimer la
Hongrie de l'insurrection à laquelle elle est obligée
dans les cas de danger pour la monarchie , en consentant
à entretenir habituellement un plus grand nombre
de troupes de ligne.si
On ne croit pas que l'archiduc Charles , accompagne
son frère à Presbourg ; on assure même qu'en son
absence , il sera ici à la tête du gouvernement, Il a eu
récemment une nouvelle attaque de son mal , qui l'a
éloigné des affaires pendant quelques jours. La première
fois qu'il est sorti , après nous avoir donné ces
inquiétudes , il a été accompagné par les acclamations
du peuple,
Il paraît que l'état de la reine de Naples , devient
plus facheux de jour en jour ; et , s'il continue d'empirer
, il pourrait bien retarder le départ pour Pres
bourg....
On a célébré avant-hier , l'anniversaire du jour mémorable
où les volontaires de cette capitale , levés en
masse , se mirent en mouvement pour marcher à la
défense de l'état. L'empereur et toute la famille im
périale , ont assisté à cette solennité , avec des dépu
tés de tous les corps. Les volontaires étaient décorés
de leurs médailles : ils ont renouvelé le serment de
fidélité à la religion, au prince et à la patrie. 1.
On vient de publier la liste des généraux qui reçoi
vent des traitements. Leur nombre est de 447 ,savoir :
12 feld maréchaux , 23 généraux d'artillerie , 13 généraux
de cavalerie , 140 feld-maréchaux- lieutenants , et
259 majors- généraux...
"
Les nouvelles que l'on reçoit de diverses parties de
l'empire Ottoman , favorisent les idées de ceux qui re
gardent cette puissance comme chancelante.On saitque
les beys qui ont quitté le camp anglais , se sont joints
dans laHaute-Egypte , à plusieurs autres beys mecon
308 MERCURE DE FRANCE ,
tents , et qu'ils menacent le grand-visir. Dans les provinces
du Danube; le mal est beaucoup plus sérieux.
L'hospodar de la Valachie , a été battu par Paswan-
Oglu , et il paraît que ce rebelle se fait beaucoup de
partisans. Du moins l'esprit de révolte a-t-il déja gagné
plusieurs districts , où l'autorité du grand-seigneur
, est entièrement méconnue.

Hambourg , 30 avril ( 10 floréal ) .
>
Apeine avions-nous appris l'accession de la Suède
à la transaction du 17 juin , sur la neutralité maritime
, que nous avons vu publier dans nos feuilles , l'article
suivant : sous la date de Stockholm , 16 avril :
« Depuis que la convention maritime , renouvelée
en 1800 , entre les quatre puissances du nord , s'était
trouvée , anéantie il y a un an , par la mort de l'empereur
Paul I. " , sa majesté s'était , en quelque sorte ,
opposée seule aux prétentions que l'Angleterre élevait
au préjudice du commerce neutre. Persuadée de
l'équité de ses demandes , tant à l'égard des pertes
faites dans la dernière guerre , que relativement aux
droits du pavillon suédois, sa majesté, malgré les invitations
réitérées des autres puissances et l'autorisation
de leur exemples , a différé son accession à la convention
de Pétersbourg , du 17 juin 1801 , dans l'espérance
d'obtenir du changement des circonstances , des
conditions plus avantageuses pour le commerce de
ses états , en temps de guerre.
« Son espoir , pour y parvenir , se fondait sur les
négociations de la paix générale ; et sa majesté ne
manqua pas de proposer à temps , que les droits de
la neutralité y fussent rappelés et reconnus. Mais déja
un assez grand nombre de points litigieux occupaient
les parties contractantes , et l'on craignit d'ajouter
FLORÉALAN X. 309
aux difficultés et aux longueurs , en y introduisant
encore , ceux qui naîtraient de ce sujet épineux et de
licat. Ainsi , sa majesté put juger qu'il étant infructueux
pour elle , et sans aucune utilité , de demeurer
plus longtemps dans une position que l'Angleterre régardait
comme une simple armistice , tandis qu'elle so
montrait toujours disposée , en cas d'accession, à remédier
autant qu'il pourrait se faire , aux maux passés ,
et à rétablir la bonne intelligence entre les deux
course .
Dans cet état, de choses , sa majesté envoya au
commencement du mois de février dernier , ses pleins
pouvoirs à son ambassadeur à Pétersbourg , pour signer
un acte d'accession , tant avec le ministre impérial
russe , qu'avec l'ambassadeur anglais , lord Saint-
Helens , ce qui a eu lieu le 30 mars. Il a plu au roi
de signer aujourd'hui la ratification avec l'Angleterre ,
qui sera envoyée à Londres , avec la frégate Jarramas
, pour être échangée , après quoi la ratification
avec la Russie ne sera plus différée , et sera envoyée
à Pétersbourg.
-Aussitôt que les ratifications seront échangées à
Londres , la frégate se rendra à Saint-Barthélemy ,
avec les ordres du gouvernement anglais au commandant
actuel de l'ile , de la remettre au commandant
de sa majesté suédoise.." , "
Cet article, qui est donné comme une lettre particulière
, est officiel pour quiconque sait lire. On y voit
combien il en a coûté au roi de Suède , de renoncer à !
l'espoir de faire assurer les droits des neutres ; il est
évident que ce prince s'est fait honneur d'abandonner
cette cause le dernier. Le silence gardé dans cet article
, sur le convoi réclamé depuis si longtemps , fait
croire que la Suède a été obligée d'en faire le sacrifice
T
310 MERCURE DE FRANCE ,
On écrit de Stockholm', qu'un cutteerr portugais a
pris le corsaire barbaresque qui s'était empare, le
27 février , d'un vaisseau stredols , charge de présents
pour l'empereur de Maroc , et qui l'avait pillé après
avoir maltraité l'équipage! gold
Parmi les changements qui viennent d'avoir lieu
dans les postes diplomatiques du Danemarck , un d'es
plus remarqués estele rappeli di comte deLowen
dahl , ministre en Russie Hy fut envoye a l'epoque
orageuse où Paul devenait tous les jours plus difficile ,
etrous la cour de Copenhague, était encore abasourdie
des formes brusques avec lesquelles M. de Rasencronz,
avait été renvoyé sans motif connu. C'est ce ministre
qui retourne à Pétersbourg , où il jouissait d'une grande
considérations
for na niq e li of of road se s op so
bustige Francfort , 5 mai ( 15 floral) 120g b
Les réformes religieuses , et la suppression de quel
ques couvents en Bavière , sont devenues une affaire
de. parti . C'est le texte de l'opposition qui , là comme
ailleurs , a ses orateurs et ses pamflets. ConimeAailleurs
aussi , elleinvoque les formes constitutionelles ,
et elle a de plus qu'ailleurs la faculté de plaider contres
le souverain devant un autre tribunal que celui de l'o
pinion publique. On parle d'un procès intenté àd'élec
teur par le comité provincial devant le conseil aulique.
Jusqu'ici le gouvernementobavarrois n'est pas arrêté
par ces obstacles i les réformessordonnées s'exéontent.
La Bavière n'est pas le seul pays très-catholiqire ou
il s'en fasse despareilles . Il paraît qu'en Sicile le roi
va supprimer un grand nombre de couvents . )
Le 24 du mois dernier , ona célébré solennellement ,
à la cour de Cassel , le mariage de la princesse Caroline
, fille du Landgrave , avec le prince héréditaire
FLOREAL ANX 311
de Saxe Gotha. Il avoit perdu depuis quinze mois sa
première femme , la princesse Louise Charlotte de
Mecklenbourg Schwerin . Il a 30 ans , et la princesse
qu'il épouse 31.
9
Nous voyons depuis quelque temps passer ici un
grand nombre de recrues levées par l'empereur dans
les provinces allemandes du Bas-Rhin.
1
Berne , amai ( 12 floreal ) .
121
La révolution du 17 avril soutient parfaitement le
caractère pacifique avec lequel elle s'est annoncée , et
les oppositions de ses ennemis ne sont pas de nature
à l'en faire changer : ils font des protestations .
1
Les notables convoqués par le petit conseil se sont
trouvés réunis ici avant- hier au nombre de 31. Le C.
Ruttiman, dans un diseburs analogue à la circonstance ,
leur a dit qu'ils avoient à délibérer sur les amandements
à apporter au projet de constitution du 29 mai 1801.
L'assemblée a formé une commission de sept membres
pour s'occuper des travaux préparatoires , et cette commission
acommencé hier ses conferences .
1
Londres , 5 mai ( 15 floréal ).
911 2100
i
د
7:
A
13
Nos gazettes vous ont donne tous les détails desira
blés sur les cérémonies dont a été accompagnée la
publication de la paix , sur nos illuminations , sur la
joie du peuple , etc. Elles vous ont dit les milliers de
lampions qui ornaient quelques édifices , les transparents
, les allégories , les chiffres , les inscriptions , et
tout l'esprit qui brillait au milieu de tous ces feux.
Vous avez appris aussi les fâcheux accidents qui ont eu
lieu dans unejournée consacrée au plaisir ; vous savez
enfin que , comme il n'y a pas pour nous debonnes
"
د
"
1
312 MERCURE DE FRANCE ,
7
fêtes sans vitres cassées , le peuple s'est amusé à briser
les fenêtres de quelques citoyens dont les maisons offraient
des lacunes ridicules dans l'illumination générale.
Cen'est pas sur quelques lampions de plus ou de
moins qu'on peut juger de la satisfaction publique. Pour
apprécier le traité , c'est dans les débats du parlement
qu'on peut chercher de l'instruction. M. Windham l'a
attaqué dans la séance d'avant-hier , aussi fortement
qu'on pouvait l'attendre de son talent , surtout de son
caractère. Je ne vous rendrai pas compte de son discours
, qui mérite d'être lu en entier ; mais si je dois
vous dire quels sont les passages qui m'ont le plus
frappé , j'avouerai que ce ne sont pas ceux où il a
discuté diplomatiquement les inconvénients de telle
clause ou de telle omission ; je l'ai trouvé plus fort
dans ce qu'il a dit sur l'abandon , où , selon lui, l'Angleterre
a laissé ses alliés . On nous parle , disait il ,
τι
"
te
de nos immenses richesses , de l'étendue de notre
« commerce , de nos inépuisables ressources ; mais ilest
«un autre capital dont nous devons être également
« ambitieux , c'est l'honneur , la générosité , la fierté.
Et combienà cet égard sommes -nous loin de nos an-
« cêtres , qui voulaient la gloire aussi bien que les richesses
! Pour nous , nous ne voulons que de l'or.
« Certes , les Français traitent bien différemment leurs
« alliés . Souvent , selon leurs desseins , ils les traitent
" avec rigueur ; mais ils ne permettent pas qu'un au
• tre touche à un cheveu de leur tête. Ce n'est pas
seulement le prince d'Orange que nous avons aban-
« donné ; dans quel état avons- nous laissé le roi de
* Sardaigne ? Son pouvoir est mort et enseveli , et nous
n'avons plus à redouter que son ombre. "
Dans la chambre haute , lord Grenville n'a pas
négligé ces moyens , qui , bien employés , ont toujours ,
FLORÉAL AN X 313
tant de prise sur l'orgueil national . Pour faire valoir son
opinion sur les avantages que la France trouve dans le
traité , il vous a cité plus d'une fois , eta rapporté plusieurs
passages de votre article sur le traité d'Amiens * .
Le Morning Chronicle en a aussi donné la traduction.
Il était difficile que vous fissiez connaître toute la valeur
du traité pour la France et ses alliés , sans fournir
des armes à l'opposition. Au reste , nous n'avons vu


(
encore quele prélude des combats qu'elle compte livrer;
car les discours de lord Grenville , deM. Windham , etc.
ne sont pas encore ce qu'on appelle l'examen du traité.
* Il est tout simple que lord Grenville ait cité un article
qui favorisait son attaque ; mais on peut être étonné qu'il
ait voulu le faire envisager comme officiel. Voici comment
il s'exprime à ce sujet . 5.3
<<<L'article , j'en couviens , n'est pas absolument officiel ;
*mais , dans le fait , il doit être considéré comme tel. Il a
<<certainement été soumis à l'inspection et à la sanction
* du gouvernement ; car je suis persuadé que personne en
France n'oserait user de sa nnoouuvelle liberté pour écrire
* des réflexions politiques qui n'eussent pas l'assentiment
<<formel du gouvernement. are ta
t
S'il était vrai que l'article dût être considéré comme
officiel , il serait le langage du gouvernement français ;
langage que les ministres attaqués par lord Greuville pourraient
dire intéressé , et qui par conséquent , ne formerait ,
pas pour lui un témoignage irrécusable. Comment no
l'a-t-il pas senti ? ... A qui , d'ailleurs , compte-t-il persnader
que personne en France n'oserait publier des réflexions
politiques sans les soumettre au gouvernement ;"
surtout lorsque ces réflexionsbtendent à développer les
avantages de la France Au reste , l'article cité par
lord Grenville , loin d'être officiel , est l'ouvrage d'un .
homme qui est , depuis plusieurs années étranger à
la France; et il a été composé pour un journal étranger
(de Spectateur du Nord ), auquel le Mercure l'a em
prunté.
314 MERCURE DE FRANCE,
1.

INTÉRIEUR.
PARIS , 23 floreal.
1
:
1
Il n'est pas de nouvelles dont l'intérêt ne soit effacé
par celui des diverses résolutions , prises ces jours
derniers , par les pprremieres autorités de l'état , pour
assurer à la France,, autant qu'il est au pouvoir des
hommes , la perpétuité des services qu'elle a droit d'attendre
du génie à qui elle a dû successivement la victoire
, l'ordre , la religion et la paix. Dans sa seance
du 16 floréal , le tribunat émit te von qu'il fût donné
au général Bonaparte , premier consul delarépublique ,
un gage éclatant de la reconnaissance nationale. I
Une députation du tribunat ayant porte le lendemain
,aauu premier consul ses félicitations sur le dernier
traité, il termina ssaa reponse par ces,phrases remar
quables :
"
deme
Je ne desire d'autre gloire que celle d'avoir rempli
" toute entière la tâchenquism'est imposée . Je n'am-
" bitionne d'autre réconfpense que Paffection
concitoyens , heureux s'ils sont bien convaincus que
maux qu'ils pourraienteeprouver ,
pour moi les maux leess plluuss sensibles ; que laviene
"
"
les
m'est chère que
e
b
par Jes,
mp
services
se
seront toujours
qucoje pujs rendre
" à la patrie, que la mort,même n'aurapoint d'amer
" tume pour moi , si mes derniers regards peuvent voir
" le bonheurs de la république aussi assuré que sa
gloire hol
Le ১ Isroillo 911sb niof .I
عق
voeu
du tribunat ayant été porté au sénat, ce
corps rendit , le 18 de ce mois, un sénatus consulte , )
dont voici la teneur :
FLORÉALAN . 315
stanb
CD Du 18 floréal an 10.
is 3 ::
« Le sénat conservateur , réuni au nombre des membres
prescrit par l'article go de la constitution , vu le
message des consuls de la république , transmis par
trois orateurs du gouvernement et relatif à la paix de
la France avec l'Angleterre ; : (
Après avoir entendu sa commission spéciale , chargée
par son arrêté du 16 de ce mois , de lui présenter ses
vues sur le témoignage de reconnaissance nationale que
le sénat est d'avis de donner au premier consul de la
république ;
Considérant que dans les circonstances où se trouve
la république , il est du devoir du sénat conservateur
d'employer tous les moyens que la constitution a mis en
son pouvoir pour donner au gouvernement la stabilité
qui , seule , multiplie les ressources , inspire la con
fiance au- dehors , établit le crédit au-dedans , rassure
les alliés , décourage les ennemis secrets , écarte les
fléaux de la guerre , permet de jouir du fruit de la paix,
et laisse à la sagesse le temps d'exécuter tout ce qu'elle
peut concevoir pour le bonheur d'un peuple libre ;
Considérant de plus , que le magistrat suprême qui,
après avoir conduit tant de fois les légions républicaines
à la victoire , délivré l'Italie , triomphéen Europe , en
Afrique , en Asie , et rempli le monde de sa renommée ,
a préservé la France des horreurs de l'anarchie qui la
menaçaient , brisé la faux révolutionnaire , dissipé les
factions , éteint les discordes civiles et les troubles religieux
, ajouté aux bienfaits de la liberté ceux de l'ordre
et de la sécurité , hâté le progrès des lumières , consolé
l'humanité et pacifié le continent et les mers , a les
plus grands droits à la reconnaissance de ses concitoyens
, ainsi qu'à l'admiration de la postérité;
I
L
316 MERCURE DE FRANCE ,
:
1
* « Que le voeu du tribunat , parvenu au sénat dans la
séance de ce jour , peut dans cette circonstance , être
considéré comme celui de la nation française;
Que le sénat ne peut pas exprimer plus solennellement
au premier consul la reconnaissance de la nation
, qu'en lui donnant une preuve plus éclatante de
la confiance qu'il a inspirée au peuple français ;
« Considérant enfin que le second et le troisième
consuls ont dignement secondé les glorieux travaux du
premier consul de la république ; :
580
<< D'après tous ces motifs , et les suffrages ayant été
recueillis au scrutin secret ,
« Le sénat décrète ce qui suit :
1
Art . I.er. Le sénat conservateur , au nom du peuple
français , témoigne sa reconnaissance aux consuls dela
république.
II. Le sénat conservateur réélit le C. NapoleonBonaparte
, premier consul de la république française , pour
les dix années qui suivront immédiatement les dix ans
pour lesquels il a été nommé par l'article 39 de la
constitution.
9 7
:
:
1
III. Le présent sénatus-consulte sera transmis par un
message au corps législatif , au tribunat , et aux consuls
de la république.
Signé , TRONCHET , président ; CHASSETet
19
11 1
e
SERRURIER , secrétaires ».
DLV
Le sénat ayant fait part au gouvernement de ce
sénatus - consulte , le premier consul a fait la réponse
suivante :
;
9 !
Bonaparte , premier consul de la républiquefrançaise ,
0. au sénat conservateur.
Paris , le 19 floréal an 10.
1
Sénateurs , la preuve honorable d'estime consignée
FLOREAL ANX. 317
dans votre délibération du 18 , sera toujours gravée
dans mon coeur.
Le suffrage du peuple m'a investi de la suprême magistrature.
Je ne me croirois pas assuré de sa confiance ,
si l'acte qui m'y retiendroit n'étoit encore sanctionné
par son suffrage.
Dans les trois années qui viennent de s'écouler , la
fortune a souri à la république ; mais la fortune est inconstante
, et combien d'hommes qu'elle avoit comblés
de ses faveurs ont vécu trop de quelques années.
L'intérêt de ma gloire et celui de mon bonheur sembleroient
avoir marqué le terme de ma vie publique ,
au moment où la paix du monde est proclamée.
Mais la gloire et le bonheur du citoyen doivent
se taire , quand l'intérêt de l'état et la bienveillance
publique l'appellent.
Vous jugez que je dois au peuple un nouveau sacrifice
; je le ferai , si le voeu du peuple me commande
ce que votre suffrage autorise. Signé , BONAPARTE .
Sur le sénatus - consulte et la réponse du premier
consul , le conseil d'état a pris l'arrêté suivant :
Arrêté du 20 floréal an 10 .
1
Les consuls de la république , sur les rapports des
ministres , le conseil d'état entendu ;
Vu l'acte du sénat conservateur du 18 de ce mois ;
Le message du premier consul au sénat conservateur
, en date du lendemain 19 ;
Considérant que la résolution du premier consul est
un hommage éclatant rendu à la souveraineté du peuple
; que le peuple , consulté sur ses plus chers intérêts ,
ne doit connaître d'autres limites que ses intérêts mêmes,
arrêtent ce qui suit : -
Art. I.cr. Le peuple français sera consulté sur cette
38 MERCURE DE FRANCE ,
i
question : " Napoléon Bonaparte sera -t- il consul à
60 vie?
"
II. Il sera ouvert dans chaque commune des registres ,
où les citoyens seront invités à consigner leur voeu sur
cette question .
III. Ces registres seront ouverts au secrétariat de
toutes les administrations , aux greffes de tous les tribunaux
, chez tous les maires et tous les notaites.
IV. Le délai pour voter dans chaque département
sera de trois semaines , à compter du jour où cet ar
rêté sera parvenu à la préfecture , et de sept jours , à
compter de celui où l'expédition sera parvenue à chaque
commune.
Le second consul. Signé , CAMBACÉRÈS.
Cet arrêté ayant été envoyé au corps législatif par
un message du second consul , a donné lieu à des discours
et à un arrêté , dont voici le compte rendu par
le journal officiel.
}
Rabaut , président , cède le fauteuil , descend à la
tribune , et dit :
Citoyens législateurs , vous méditez en ce moment
sur l'arrêté que le Gouvernement vient de vous
communiquer par un message. Vous vous demandez
sans doute si la mesure qu'il ordonne tournera au profit
de la République. Vous réfléchissez comme moi sur
les conséquences qui pourraient en être le résultat. En
effet , c'est vers l'intérêt public que doivent se reporter
toutes les pensées du législateur; c'est aussi sous ce
rapport que je veux le considérer.
Deux ans et demi de gloire et de bonheur se sont
écoulés depuis le 18 brumaire ; et dans ce court intervalle
de temps , la constante sollicitude du Gouverne
ment s'est portée sur tout ce qui pouvait fermer les
plaies du corps social , rétablir l'ordre , maintenir la
FLOREAL ANX. 319
tranquillité publique , et faire rendre à la grande-
-nation le rang qu'elle doit occuper dans le monde politique.
Ses efforts ont été couronnés par les plus glorieux
succès. Vous avez entendu hier le sénat conservateur
vous en faire le récit , et présenter au premier
consul, comme un gage de la reconnaissance publique ,
une prolongation de ses fonctions que déja le peuple
avait devancée par ses voeux , mais dont il n'appartient
qu'à lui seul de mesurer la durée sur l'étendue de sa
reconnaissance et de ses besoins .
Le premier consul desire que le peuple soit consulté.
Vous voyez comme moi , dans cette honorable conduite
du premier consul , un hommage rendu à la
souveraineté du peuple français , à ce grand principe
que notre révolution a si solennellement consacré , et
qui a survécu à tous les orages politiques. Le corps
législatif lui-même soumis à cette volonté supreme , par
qui et pour qui il existe , ne saurait exprimer trop
solennellement sa reconnaissance pour cette grande
marque de respect pour la volonté nationale. En conséquence
, je propose qu'une députation composée d'un
membre de chacun des départements de la République ,
soit chargé de porter au Gouvernement l'expression
de ces sentiments . :
1
La proposition de Rabaut est adoptée. - Il reprend
le fauteuil.
Le président. Il reste à décider comment on choisira
lemembre de chaque département qui devra faire partie
de la députation .
Plusieurs voix. Il faut prendre le plus âgé.
Le président. Ainsi je vais faire l'appel des départements
, et je prierai les députés de chacun d'eux de
vouloir bien indiquer , à mesure qu'ils seront appelés ,
le, plus âgé des membres de leur députation.
Cette proposition- s'exécute.n
320 MERCURE DE FRANCE
:
Avant que l'appel soit terminé , Viennot-Vaublanc
prie le corps législatif de vouloir bien ne pas sé sé
parer avant de l'avoir entendu .
A la fin de l'appel , Vaublanc prend la parole...
Viennot- Vaublanc. Je viens vous proposer de régulariser
la mesure que vous avez prise , de la rendre
digne du corps législatif eett du Gouvernement. Dans
toutes les grandes démarches qui ont eu lieu depuis
quelques jours , le tribunat n'a agi qu'après avoir entendu
des commissions et avoir mûrement délibéré.
Le sénat en a fait de même , et je retrouve cette
marche jusque dans les préliminaires des actes du
Gouvernement qu'on vient de nous lire . En général ,
la précipitation exclud la dignité , et le corps législatif
doit mettre dans toutes les démarches qui lui sont
personnelles une méditation et une lenteur qui teor
donnent de l'aplomb et leur concilie les suffragés publics.
Je propose que le président: nomme une commission
de six membres qui se joindront au bureau ,
examineront avec lui la proposition que vous avez
adoptée tout- à-l'heure , et vous en feront leur rapport
après demain , en comité général. Je demande de
plus qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêté que vous
venez de prendre , jusqu'après le rapport de cette com
mission... לייח
J'ai demandé que le rapport fût fait en comité général
, parce que la constitution , interdisant au corps
législatif de délibérer sur les lois , j'ai pensé que pour
se conformer à son esprit , cette autorité ne devait délibérer
sur les démarches qui lui sont personnelles , que
dans des séances non publiques.
Les propositions de Vaublanc son adoptées .
Le président nomme les membres de la commission ,
qui sera composée des CC. Vaublanc , Lagrange , Marcorelle
, Fulchiron , Pictet-Deodati et Lobjoy.
( N.° XLIX. ) 5 Prairial. An 10.
MERCURE
DE FRANCE.:
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
IMITATION D'HORACE.
Liv. II . Ode VIII. Ulla si juris unquam pejerati , etc.
Si les Dieux à chaque parjure
Te ravissaient un agrément ,
Je me fierais à toi ; ta charmante figure
Me répondrait de ton serment......
Mais une trahison nouvelle ,
Loin de flétrir ces traits vainqueurs ,
Anos regards surpris te montre encore plus belle ,
Et double tes adorateurs.
Atteste l'ombre de ta mère ,
La nuit du Styx , l'éclat des Cieux ;
Le parjure embellit ta bouche mensongère ,
Il te sied d'outrager les Dieux .
Cythérée absout l'inconstante ,
La Nymphe indulgente sourit ;
8. 21
322 MERCURE DE FRANCE ,
En aiguisant ses traits sur la pierre sanglante ,
Le cruel Amour applaudit .
Pour toi la jeunesse romaine
Atteint la saison du plaisir ,
Et tes premiers amants vieillissent dans ta chaîne
En jurant de s'en affranchir.
La tendre mère craint tes charmes ,
Le père avare les maudit ,
La jeune épouse en vain rappelle par ses larmes
L'époux qu'un regard lui ravit.
DE WAILLY.
LOGOGRIPH Ε .
EST - IL besoin , lecteur , que tu me décomposes ?
Et n'est-ce pas assez de m'offrir à tes yeux
Une lyre à la main , le front paré de roses ,
De l'Amour suivie en tous lieux ?
Cependant , si tu veux au gré de ton caprice
Me faire de Procuste éprouver le supplice ,
J'y consens , coupe- moi les deux extrémités ,
Tu vois un des héros par Homère chantés.
CHARADE.
QUE d'or est à jamais perdu dans mon premier !
Que d'encre chaque nuit voit perdre mon dernier !
Qu'il est rare en tout temps de trouver mon entier !
PRAIRIAL AN Χ. 323
ENIGME.
U
N chef m'est nécessaire , il faut en convenir ,
Et je serais sans lui d'un usage assez rare.
Cependant , par un sort bizarre ,
Sous lui je ne saurais servir.
C'est surtout quand je le domine
Qu'il montre le plus de fierté :
Le quitté-je un instant ? aussitôt il s'incline
Et fait la révérence en toute humilité.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot du Logogriphe est Coeur ; ôtez l'e , reste
cour.
Le mot de la Charade est Panache.
Le mot de l'Enigme est Enigme.
ESSAI sur la Littérature Anglaise.
SECOND EXTRAIT.
SHAKSPERE , OU SHAKSPEAR , OU
SHAKESPEAR,
1
APRÈS avoir parlé d'Young dans un premier
extrait , je viens à un homme qui a fait schisme
en littérature , à un homme divinisé par le pays
)
324 MERCURE DE FRANCE ,
qui l'a vu naître , admiré dans tout le nord de
l'Europe , et mis par quelques Français au
dessus de Corneille et de Racine .
C'est M. de Voltaire qui a fait connaître
Shakspere à la France. Le jugement qu'il porta
d'abord du tragique anglais fut , comme la plupart
de ses premiers jugements , plein de mesure
, de goût et d'impartialité. Il écrivait à
milord Bolinbrocke vers 1730 :
Avec quel plaisir n'ai-je pas vu à Londres votre
• tragédie de Jules - César , qui , depuis cent cinquante
« années , fait les délices de votre nation ! »
σε
Il dit ailleurs :
« Shakspere créa le théâtre ang'ais. Il avait un génie
• plein de force et de fécondité , de naturel et de sublime
, sans la moindre étincelle de bon goût , et
« sans la moindre connaissance des règles. Je vais vous
dire une chose hasardée , mais vraie : c'est que le
mérite de cet auteur a perdu le théâtre anglais. Il y
a de si belles scènes , des morceaux si grands et si
terribles répandus dans ses farces monstrueuses qu'on
« appelle tragédies , que ses pièces ont toujours été
« jouées avec un grand succès. »

Telles furent des premières opinions de
M. de Voltaire sur Shakspere. Mais lorsqu'on
eut voulu faire passer ce grand génie pour
un modèle de perfection , lorsqu'on ne rougit
point d'abaisser devant lui les chef- d'oeuvres
de la scène grecque et française , alors
l'auteur de Mérope sentit le danger. Il vit qu'en
relevant les beautés d'un barbare , il avait séduit
des hommes , qui , comme lui , ne sau
PRAIRIAL AN Χ.
KPP.FRA
1
raient pas séparer l'alliage de l'or. Il voulut re
venir sur ses pas ; il attaqua l'idole qu'il avait
encensée ; mais il était déja trop tard , et en vain
il se repentit d'avoir ouvert la porte à la médiocrité
, d'avoir aidé , comme il le disait luimême
, à placer le monstre sur l'autel. M. de
Voltaire avait fait de l'Angleterre , alors assez
peu connue , une espèce de pays merveilleux ,
où il plaçait les héros , les opinions et les idées
dont il pouvait avoir besoin. Sur la fin de sa vie
il se reprochait ces fausses admirations dont il
ne s'était servi que pour appuyer ses systèmes.
Il commençait à en découvrir les funestes
conséquences ; malheureusement il pouvait
se dire : et quorum pars magna fui.
Un excellent critique , M. de la Harpe , en
analysant la tempête, dans la traduction de M.
Letourneur , présenta dans tout leur jour , les
grossières irrégularités de Shakspere , et vengea
la scène française. Deux auteurs modernes ,
M.me de Staël et M. de Rivarol , ont aussi jugé
le tragique anglais. Mais il me semble que
malgré tout ce qu'on a écrit sur ce sujet , on
peut encore faire plusieurs remarques intéressantes
.
Quant aux critiques anglais , ils ont rarement
dit la vérité sur leur poète favori. Benjonson,
qui fut le disciple et ensuite le rival de
Shakspere , partagea d'abord les suffrages. On
vantait le savoir du premier pour ravaler le
génie du second ; et l'on élevait au ciel le génie
du second pour déprécier le savoir du premier.
Benjonson n'est plus connu aujourd'hui'que
par sa comédie du Fox , et par celle de
'Alchimiste.
326 MERCURE DE FRANCE ,
Pope montra plus d'impartialité dans sa critique.
1
" Of all english poets , dit- il , Shakspere must be
confessed to be the fairest and fullest subject for criticism
, and to afford the most numerous instances , both
ofbeauties , and faults of all sorts.
" Il faut avouer que de tous les poètes anglais ,
« Shakspere présente à la critique le sujet le plus
■ agréable et le plus dégoûtant , et qu'il fournit d'in-
« nombrables exemples de beautés et de défauts de
■ toute espèce . »
Si Pope s'en était tenu à ce jugement , il
faudrait louer sa modération. Mais bientôt , emporté
par les préjugés de son pays , il place
Shakspere au dessous de tous les génies antiques
et modernes. Il va jusqu'à excuser la bassesse de
quelques-uns des caractères du tragique anglais
, par cette ingénieuse comparaison :
३८
Dans ces cas-là , dit- il , son génie est comme un
héros de roman déguisé sous l'habit d'un berger : une
« certaine grandeur perce de temps en temps , et révèle
une plus haute extraction et de plus puissantes
« destinées . »
MM. Theobald et Hanmer viennent ensuite
. Leur admiration est sans bornes . Ils
attaquent M. Pope , qui s'était permis de
corriger quelque trivialité du grand homme.
Le célèbre docteur Warburton prenant la défense
de son ami , nous apprend que M. Theobald
était un pauvre homme , et M. Hanmer ,
un pauvre critique ; qu'au premier il donna de
l'argent , et au second des notes...
PRAIRIAL AN X. 327
1
: Le bon sens et l'esprit du docteur Johnson ,
semblent l'abandonner à son tour, quand il parle
de Shakspere . Il reproche à Rymer et à M. de
Voltaire , d'avoir dit que le tragique anglais
ne conserve pas assez la vraisemblance des
moeurs
44
" Ce sont là , dit-il , les petites chicanes de petits
« esprits : un poète néglige la distinction accidentelle
du pays et de la condition , comme un peintre ,
satisfait de la figure , s'occupe peu de draperie. »
,
Il est inutile de relever le mauvais ton et la
fausseté de cette critique . La vraisemblance des
moeurs, loin d'être la draperie , est lefondmême
du tableau. Tous ces critiques qui s'appuyent
sans cesse sur la nature et qui regardent
comme des préjugés de l'art la distinction
accidentelle du pays et de la condition
comme ces politiques qui replongent les états
dans la barbarie , en voulant anéantir les distinctions
sociales .
,
sont
91
Je ne citerai point les opinions de MM.
Rowe , Steevens , Gildon , Dennis , Peck
Garrick , etc. Madame de Montaigu les a tous
surpassés en enthousiasme. M. Hume et le docteur
Blair ont seuls gardé quelque mesure.
Sherklock a osé dire ( et c'est avoir du courage
pour un anglais ) , il a osé dire : Qu'il n'y
a rien de médiocre dans Shakspere , que tout
ce qu'il a écrit est excellent ou détestable ; que
jamais il ne suivit ni même ne conçut un plan ,
excepté peut- être celui des MERRYWIVES OF
WINDSOR ; mais qu'il fait souvent fort bien
une scène. Cela approche beaucoup de la vérité
. M. Mason , dans son Elfrida et dans son
328 MERCURE DE FRANCE,
Carractacus , a essayé , mais sans succès , de
donner la tragédie grecque à l'Angleterre . On ne
joue presque plus le Caton d'Addison. On ne se
délasse au théâtre anglais des monstruosités de
Shakspere , que par les horreurs d'Ottway.
Si l'on se contente de parler vaguement de
Shakspere , sans poser les bases de la question ,
et sans réduire toute la critique à quelques points
principaux , on ne parviendra jamais à s'entendre
; parce que , confondant le siècle , le génie
et l'art , chacun peut louer et blâmer à volonté
le père du théâtre anglais. Il nous semble
donc que Shakspere doit être considéré sous
trois rapports :
1.º Par rapport à son siècle ,
2.° Par rapport à ses talents naturels ou à son
génie ,
3.º Par rapport à l'art dramatique.
Sous le premier point de vue , on ne peut jamais
trop admirer Shakspere.Peut- être supérieur
à Lopez de Vega, son contemporain , on ne le
peutcomparer d'aucune manière aux Garnier, et
aux Hardy , qui balbutiaient alors parmi nous
Jes premiers accents de la Melpomène française.
Il est vrai que le prélat Trissino , dans sa
Sophonisbe , avait déja fait renaître , en Italie ,
la tragédie régulière. On a recherché curieusement
les traductions des auteurs anciens , qui
pouvaient exister du temps de Shakspere. Je ne
remarque comme pièces dramatiques , dans
le catalogue , qu'une Jocaste , tirée des
Phæniciennes d'Euripide , l'Andria et l'Elnuque
de Térence , les Ménechmes de Plaute
et les tragédies de Sénèque. Il est douteux que
Shakspere ait eu connaissance de ces traducPRAIRIAL
AN Χ. 329
tions ; car il n'a pas emprunté le fonds de ces
pièces d'invention des originaux mêmes traduits
en anglais , mais de quelques imitations
anglaises de ces originaux. C'est ce qu'on voit
par Roméo et Juliette , dont il n'a pris l'histoire ,
ni dans Girolamo de la Corte , ni dans la nouvelle
de Bandello ; mais dans un petit poème
anglais intitulé : La tragique histoire de Roméo
et Juliette. Il en est ainsi du sujet d'Hamlet ,
qu'il n'a pu tirer immédiatement de Saxo
Grammaticus , puisqu'il ne savait pas le latin
* . En général , on sait que Shakspere
fut un homme sans éducation et sans lettres .
Obligé de fuir de sa province , pour avoir chassé
sur les terres d'un seigneur , avant d'être acteur
à Londres , il gardait pour quelqu'argent
les chevaux des Gentlemen à la porte du spectacle.
C'est une chose mémorable que Shakspere
et Molière aient été comédiens. Ces
rares génies, se sont vus forcés de monter
sur des tréteaux pour gagner leur vie. L'un'a
retrouvé l'art dramatique , l'autre l'a porté à sa
perfection ; semblables à deux philosophes anciens
, ils s'étaient partagé l'empire des ris et des
larmes , et tous les deux se consolaient peutêtre
des injustices de la fortune , l'un en peignant
les travers , et l'autre les douleurs des
hommes .
Sous le second rapport , c'est-à-dire , sous le
* Voyez Saxo Grammaticus , depuis la page 48 jusqu'à
la page 59. Amlethus , ne prudentius agendo patruo
suspectus redderetur , stoliditatis simulationem amplexus
, extremum mentis, vitium finxit. SAX. GRAM.
Hist. Dan. fol. Edit. Steph. 1544..
330 MERCURE DE FRANCE ,
rapport des talents naturels ou dugrand écrivain,
Shakspere n'est pas moins prodigieux. Je ne
sais si jamais homme a jet é des regards plus
profonds sur la nature hu maine. Soit qu'il
traite des passions , soit qu'il parle de morale
ou de politique , soit qu'il déplore ou qu'il prévoye
les malheurs des états, ila mille sentiments
à citer, mille pensées à recueillir, mille sentences
à appliquer dans toutes les circonstances de la
vie. C'est sous le rapport du génie qu'il faut considérer
les belles scènes isolées dans Shaskpere ,
etnonsous le rapport dramatique. Et c'est ici que
se trouve la principale erreur des admirateursdu
poète anglais ; car si l'on considère ces scènes
relativement à l'art , il faudra savoir si elles sont
nécessaires , si elles sont bien liées au sujet , bien
motivées ; si elles forment partie du tout , et
conservent les unités . Or le non erat his locus ,
se présente à toutes les pages de Shakspere.
Mais à neparler que du grand écrivain , combien
elle est belle cette troisième scène du quatrième
acte de Macbeth !
MACDUFF .
Qui s'avance ici ?
MALCOLM.
C'est un Ecossais , et cependant je ne le connais pas.
MACDUFF.
Cousin , soyez le bien venu !
MALCOLM.
Je le reconnais à présent. Grand Dieu ! renverse
les obstacles qui nous rendent étrangers les uns aux
autres.
ROS6E.
Puisse votre souhait s'accomplir !
PRAIRIAL AN X. 33
1
MACDUFF.
L'Écosse est-elle toujours aussi malheureuse ?
ROSSE.
Hélas ! déplorable patrie ! elle est presqu'effrayée
de connaître ses propres maux. Ne l'appelons plus
notre mère , mais notre tombe. On n'y voit plus sourire
personne , hors l'enfant qui ignore ses malheurs . Les
soupirs , les gémissements , les cris , frappent les airs ,
et ne sont point remarqués. Le plus violent chagrin
semble un mal ordinaire ; quand la cloche de la mort
sonne , on demande à peine , pour qui ?
MACDUFF.
MALCOLM.
O récit trop véritable !
Quel est le dernier malheur ?
........
Rosse , à Macduff.
Votre château est surpris , votre femme et
vos enfants sont inhumainement massacrés .........
MACDUFF.
Mes enfants aussi ?
ROSSE.
Femmes , enfants , serviteurs , tout ce qu'on a trouvé !
MACDUFF.
Et ma femme aussi ?
ROSSE.
Je vous l'ai dit.
MALCOLM.
Prenez courage ; la vengeance offre un remède à vos
maux. Courons , punissons le tyran !
MACDUFF.
Il n'a point d'enfants !
:
Quelle vérité et quelle énergie dans la description
des malheurs de l'Ecosse ! Ce sourire
qui n'est plus que sur la bouche des enfants , ces
332 MERCURE DE FRANCE ,
cris qu'on n'ose pas remarquer , ces trépas si
fréquents , qu'on ne daigne plus demander pour
qui sonne la cloche funèbré , ne croit-on pas
voir le tableau de la France sous Robespierre ?
Xénophon a fait à peu près la même peinture
d'Athènes , sous le règne des trente tyrans :
Athènes , dit - il , n'était qu'un vaste tombeau ,
• habité par la terreur et le silence ; le geste , le coup-
• d'oeil , la pensée même , devenaient funestes aux
malheureux citoyens. On étudiait le front de la
« victime , et les scélérats y cherchaient la candeur
« et la vertu , comme un juge tâche d'y découvrir le
crime caché du coupable *. »
Le dialogue de Rosse et Macduff rappelle
celui de Flavian et de Curiace dans Corneille ,
Jorsque Flavian vient annoncer à l'amant de
Camille qu'il a été choisi pour combattre les
Horaces :
CURIACE.
Albe de trois guerriers a- t-elle fait le choix ?
FLAVIAN.
Je viens pour vous l'apprendre .
CURIACE.
Eh bien ! qui sont les trois ?
FLAVIAN .
Vos deux frères et vous .
CURIACE.
Qui?
FLAVIAN .
Vous et vos deux frères .
Les interrogations de Macduff et de Curiace
sont des beautés du même ordre .
* ΧΕΝΟΡΗ . Hist. Græc . lib. 2 .
PRAIRIAL ANX. 333
Mes enfants aussi ?
-
dit. -
- Femmes , enfants.
-
Et ma femme aussi ? - Je vous l'ai
EH BIEN ! QUI SONT LES TROIS ? Vos
DEUX FRÈRES ET VOUS . - QUI ? -VOUS ET Vos
DEUX FRÈRES . Mais le mot de Shakspere , il n'a
point d'enfants ! reste sans parallèle .
Le même homme qui a tracé ce tableau , a
écrit la scène charmante des adieux de Roméo
et de Juliette. Roméo , condamné à l'exil , est
surpris par le matin chez Juliette , à laquelle il
est marié secrètement :
Wilt thou be gone ? It is not yet near day :
It was the nightingale , and not the lark
That pierced the fearful hollow of thine ear , etc.
JULIETTE.
:
Veux- tu déja partir ? Le jour ne paraît point encore.
C'était le rossignol , et non l'alouette , dont la voix a
frappé ton oreille alarmée : il chante toute la nuit sur
cet oranger lointain. Crois-moi , mon jeune époux ,
c'était le rossignol.
ROMÉO .
C'était l'alouette , qui annonce l'aurore , ce n'était
pas le rossignol . Regarde , ô mon amour ! regarde les
traits de lumière qui pénètrent les nuages dans l'Orient.
Les flambeaux de la nuit s'éteignent , et le jour se lève
sur le sommet vaporeux des montagnes. Il faut ou partir
et vivre , ou rester et mourir.
JULIETTE.
La lumière que tu vois là-bas n'est pas celle du jour.
C'est quelque météore qui te servira de flambeau , et
t'éclairera sur la route de Mantoue. Reste encore ; il
n'est pas encore nécessaire que tu me quittes.
ROMÉO.
Eh bien ! que je sois arrêté ! que je sois conduit à
334 MERCURE DE FRANCE ;
la mort ! Si tu le desires , je suis satisfait . Je dirai :
Cette blancheur lointaine n'est pas celle du matin ;
« ce n'est que le pâle reflet de la lune ; ce n'est pas
■ l'alouette , dont les chants retentissent si haut au
ee dessus de nos têtes , dans la voûte du ciel. » Ah !
je crains moins de rester que de partir. Viens , ô mort !
viens , je te reçois avec joie ! J'obéis à Juliette ......
Mais que regardes - tu , ma bien - aimée ? Parlons ,
parlons encore ensemble , il n'est pas encore jour !
JULIETTE.
Il est jour ! il est jour ! Fuis , pars , éloigne - toi !
C'est l'alouette qui chante ; je reconnais sa voix aiguë.
Ah ! dérobe- toi à la mort : la lumière croît de plus en
plus .
Qu'il est touchant ce contraste des charmes
du matin et des derniers plaisirs des deux jeunes
époux , avec la catastrophe horrible qui va
suivre ! C'est encore plus naïf que les Grecs ,
et moins pastoral que l'Aminte et le Pastor
fido. Je ne connais qu'une scène d'un drame
indien, en langue sanscrite, qui aitquelque rapport
avec les adieux de Roméo et de Juliette ;
encore n'est-ce que par la fraîcheur des images ,
et point du tout par l'intérêt de la situation .
Sancontala , prête à quitter le séjour paternel ,
se sent arrêtée par son voile :
SANCONTALA.
Qui saisit ainsi les plis de mon voile ?
UN VIEILLARD.
C'est le chevreau que tu as tant de fois nourri des
graines du Synmaka. Il ne veut pas quitter les pas de
sa bienfaitrice.
SANCONTALA.
Pourquoi pleures-tu , tendre chevreau ? Je suis forcée
PRAIRIAL ANX. 335
d'abandonner notre commune demeure. Lorsque tu
perdis ta mère , peu de temps après ta naissance , je
te pris sous ma garde. Retourne à ta crêche , pauvre
jeune chevreau ; il faut à présent nous séparer !
La scène des adieux de Roméo et de Juliette
n'est point indiquée dans Bandello , et elle
appartient toute entière à Shakspere. Les cinquante-
deux commentateurs de Shakspere , au
lieu de nous apprendre beaucoup de choses
inutiles , auraient dû s'attacher à découvrir les
beautés qui appartiennent à cet homme extraordinaire
, et celles qu'il n'a fait qu'emprunter.
Bandello raconte en peu de mots la séparation
des deux amants :
A la fine , cominciando l'aurora a voler uscire , st
basciarono , estrettamente abbraciarono gli amanti , e
pieni di lagrime e sospiri si dissero adio * .
Enfin , l'aurore commençant à paraître , les deux
« amants se baisèrent , s'embrassèrent étroitement , et
« pleins de larmes et de soupirs , ils se dirent adieu.
On peut remarquer , en général , que
Shakspere fait un grand usage des contrastes.
Il aime à placer la gaieté auprès de la tristesse ,
à mêler les divertissements et les cris de joie à
des pompes funèbres et à des cris de douleur.
Que des musiciens , appelés aux noces de
Juliette , arrivent précisément pour accompagner
son cercueil ; qu'indifférents au deuil de
la maison , ils se livrent à d'indécentes plaisanteries
, et s'entretiennent des choses les plus
* Novelle del Bandello. Seconda parte p. 52. Luc. Edit,
in -4. ° MDLIV.
1
336 MERCURE DE FRANCE ,
étrangères à la catastrophe ; qui ne reconnaît
là toute la vie ? qui ne sent toute l'amertume
de ce tableau ? qui n'a pas été témoin de
pareilles scènes ? Ces effets ne furent point
inconnus des Grecs , et l'on retrouve dans
Euripide plusieurs traces de ces naïvetés que
Shakspere mêle au plus haut ton tragique .
Phèdre vient d'expirer ; le choeur ne sait s'il
doit entrer dans l'appartement de la princesse :
PREMIER DEMI - CHEUR.
Φίλαι , τί δρῶμθμ ; ἢ δοκεῖ περᾶν δομοις ,
Αυσαί τ᾽ ἄνας αν' δε (πιπο ασῶν βρόχων ;
SECOND DEMI - CHEUR .
Τίδι᾽ ἐ παρεισι προπο όλοι νεανιαι ;
Τὸ πολλὰ πράζειν ἐκ ἐνἀσφαλεῖ βίο.
PREMIER DEMI - CHEUR.
Compagnes , que ferons-nous ? Devons-nous entrer
dans le palais, pour aider à dégager la reine de ses liens
étroits ?
SECOND DEMI - CHEUR.
Ce soin appartient à ses esclaves. Pourquoi ne sont-ils
pas présents ? Quand on se mêle de beaucoup d'affaires ,
il n'y a plus de sûreté dans la vie *.•
* Brumoy traduit ainsi , en tronquant un couplet et
paraphrasant l'autre :
6

UNE FEMME DU CHOEUR.
Qu'en pensez-vous , mes compagnes , est-il à propos que
nous entrions ?
UNE AUTRE FEMME..
Où sont donc ses officiers ? C'est à eux de lui prêter du
secours. On est souvent dupe de son trop d'empressement
dans les affaires d'autrui.
1
PRAIRIAL AN Χ. 337
Dans Alceste , la Mort et Apollon se font des
plaisanteries. La Mort veut saisir Alceste tandis
qu'elle est jeune , parce qu'elle ne se soucie pas
d'une vieille proie , et comme traduit le père
Brumoy, d'une proieridée. Il ne faut pas rejeter
entièrement ces contrastes , qui touchent de près
au terrible , mais qu'une seule nuance ou trop
forte ou trop faible dans l'expression rend à
l'instant ou bas , ou ridicules .
Shakspere , comme tous les poètes tragiques ,
a trouvé quelquefois le véritable comique ,
tandis que les poètes comiques n'ont jamais pu
s'élever à la bonne tragédie ; ce qui prouve qu'il
y a peut être quelque chose de plus vaste dans
le génie de Melpomène que dans celui de Thalie .
Quiconque peint savamment le côté douloureux
de l'homme , peut aussi représenter le côté
ridicule , parce que celui qui saisit le plus , peut
à la rigueur saisir le moins . Mais l'esprit , qui
s'attache particulièrement aux détails plaisants ,
laisse échapper les rapports sévères , parce que
la faculté de distinguer les objets infiniment
petits, suppose presque toujours l'impossibilité
d'embrasser les objets infiniment grands : d'où
il faudrait conclure que le sérieux est le véritable
génie de l'homme. Homo natus de muliere,
brevi vivens tempore , repletur multis,
miseriis ! Un seul poète comique marche
l'égal des Sophocle et des Corneille : c'est
Molière. Mais il est remarquable que le comique
du Tartuffe et du Misanthrope , par
son extrême profondeur , et , si j'osais le dire ,
par sa tristesse, se rapproche beaucoup de la
gravité tragique.
Les Anglais ont en grande estime le caractère
8. 22
338 MERCURE DE FRANCE ,
comique de Falstaff, dans les Merry Wiver
of Windsor. En effet , ce caractère est bien
dessiné , quoiqu'il soit souvent d'un comique peu
naturel , bas et outré. Il y a deux manières de
faire rive des défauts des hommes . L'une est de
présenter d'abord les ridicules , et d'offrir ensuite
les qualités ; c'est la manière de l'anglais ;
c'est le comique de Sterne et de Fielding , qui
finit quelquefois par faire verser des larmes.
L'autre consiste à donner d'abord quelques
louanges , et à ajouter successivement tant de
ridicules , qu'on oublie les meilleures qualités
, et qu'on perd enfin toute estime pour
les plus nobles talents et les plus hautes vertus.
C'est la manière du Français , c'est le comique
-de Voltaire , c'est le Nihil mirari qui flétrit tout
parmi nous. Mais les partisans du génie tragique
et comique du poète anglais me semblent beaucoup
se tromper , lorsqu'ils vantent le naturel
de son style. Shakspere est naturel dans les
sentiments et dans la pensée , jamais dans l'expression
, excepté dans les belles scènes , où son
génie s'élève à sa plus grande hauteur; encore ,
dans ces scènes mêmes , son langage est- il souvent
affecté ; il a tous les défauts des écrivains
italiens de son siécle; il manque éminemment
de simplicité. Ses descriptions sont enflées , contournées
; on y sent souvent l'homme de mauvajse
éducation , qui , ne connaissant ni les genres
, ni les tons , ni les sujets , ni la valeur exacte
des mots , va plaçant au hasard des expressions
poétiques au milieu des choses les plus triviales.
Comment , par exemple , ne pas gémir de voir.
une nation éclairée , et qui compte parmi ses
critiques les Pope et les Addison , de la voir
PRAIRIAL ANX. 339
s'extasier sur le portrait de l'apothicaire dans
Roméo et Juliette. C'est le burlesque le plus
hideux et le plus dégoûtant. Il est vrai qu'un
éclair y brille , comme dans toutes les ombres
de Shakspere . Roméo fait une réflexion sur
ce malheureux qui tient si fortement à la
vie , bien qu'il soit accablé de toutes les misères
. C'est le sentiment qu'Homère met avec
tant de naïveté dans la bouche d'Achille aux
Enfers :
*
"
J'aimerais mieux être sur la terre l'esclave d'un
laboureur indigent , où la vie serait peu abondante ,
que de régner en souverain dans l'empire des Mânes . "
Il reste à considérer Shakspere sous le rapport
dramatique. Après avoir fait la part de
J'éloge ,on me permettra de faire la part de la critique.
Mais cette dernière vue me mènerait trop
Join à présent , et je la réserve pour un second
3.
extrait. Y
:
CHATEAUBRIAND.
VARIÉTÉS .
-Londres , 1. mai 1802.
٢٠
JE suis pour ainsi dire tombé , de la fête qui a eu
lieu à Paris le jour de Pâques , dans la fête donnée à
Londres pour la ratification de la paix. Peut-être vous
paraîtra-t- il curieux de savoir ce qu'un Français a pu
remarquer dans cette derniere cérémonie.
Notre fête de Pâques était toute nationale: on célé-
A
340 MERCURE DE FRANCE ,
"
brait à la fois et la fin de la guerre , et la fin de la
révolution si bien marquée par le rétablissement de la
religion ; aussi notre gouvernement , les ministres , les
corps délibérants , les ambassadeurs , ont- ils paru dans
la cérémonie faite à Paris ; tout y fut grand , majestueux
, parce qu'il s'agissait de fixer une époque qui
marquera longtemps dans l'avenir.
A Londres , la publication de la paix n'était que
pour la ville, je dirais même n'était que pour la cité ,
dont les priviléges sont autres que ceux de la ville.
Le lord-maire y figurait en chef, et le gouvernement
n'y était représenté que par une compagnie des gardes
du roi. Le reste de la troupe , assez nombreuse , et
d'une tenue fort décente , se composait de la milice
bourgeoise.
Le lord-maire , n'exerçant son autorité que dans la
cité, toute la cérémonie s'est passée dans la cité.
Malheureusement pour moi , j'avais affaire dans ce
quartier ,et , malgré mille détours que je fis pour
arriver à la Bourse , je fus , pendant deux heures ,
enfermé dans la proclamation de la paix. Je fuyais
d'un côté , je la retrouvais de l'autre ; je me jetais
dans un passage , la cérémonie m'attendait au bout :
on pouvait bien la voir toute entière en huit minutes ,
et il me fallot , malgré moi , la voir et la revoir pendant
deux heures entières .
On dit que les Parisiens sont badauds , ce qui signifie
, je crois , sottement curieux : je vous réponds
quesles Anglais de Londres ne le sont pas moins , et
au'ils le sont plus brusquement pour des objets bien
moins attachants que ceux qui attirent ordinairement
la foule à Paris. Les fenêtres et les toits des maisons ,
Je devant , le derrière et Pimpériale des voitures étaient
chargés des spectateurs , et souvent un cheval de main
ےک
PRAIRIAL AN. Χ. 341
recevait plus d'un cavalier : nonobstant , il n'y avait :
pas place pour tous les curieux. On courait dans les
rues de traverse , on se heurtait pour aller regarder
encore ce qu'on venait déja de voir; tout était peuple
pour la curiosité , quoique tout ne le fût pas pour le
costume. Nul égard pour les femmes , qui , à la manière
dont elles recevaient les bourrades , paraissaient y être
très-accoutumées ; elles bravent la presse avec un courage
qui ne peut tenir qu'à l'habitude , ou à la certitude
d'être étouffées si elles n'ont pas la résolution
et la force de rendre les coups de coude qu'elles reçoivent.
Dès la veille , il y avait foule pour voir les préparatifs
de l'illumination de l'hôtel de M. Otto ; les équipages
tournaient devant sa porte. Le soir de la fête ,'c'était
bien pis ; il y avait impossibilité d'aborder. Il est vrai
que sa maison était illuminée avec beaucoup de goût ,
et les mots paix et amitié ressortaient de la décoration
pour annoncer les sentiments du gouvernement
français.
L'idée d'une fête à Londres s'unit fortbien à la présence
de la misère. Des matelots blessés traînaient un
petit vaisseau sur un petit chariot , et imploraient la
piété publique : leur quête a dû être très-abondante .
D'un autre côté , des bouchers , frappant sur de longs
couperets , étourdissaient ceux qu'ils voulaient attendrir
, et obtenaient de l'argent de quiconque sentait le
besoin de fuir leur musique. Le soir , on les rencontrait
encore, demandant autour des voitures , comme ils
demandaient le soir devant les fenêtres .
On ne peut faire aucune comparaison entre les villes
de Paris et de Londres illuminées . L'architecture uni .
forme de Londres , les fenêtres sans balcons , la pri
vation presque totale de grands bâtiments , ne permettent
pas cette profusion de lampions qu'on voit à
342 MERCURE DE FRANCE ,
Paris , et qui dessinent si majestueusement nos beaux
monuments. A Londres , on décore en petits verres de
couleur plutôt qu'on illumine ; et dix-neuf maisons ,
sur vingt, n'ont d'autres illuminations que des chandelles
mises en dedans des chambres , tout près des
vitres ; de sorte qu'il faut , par chaque étage , tant que
l'illumination dure , une personne occupée à moucher
les chandelles : ces figures qu'on voit à travers les
vitres forment un spectacle assez gai pour un étranger.
Comme le gouvernement n'est pour rien dans la
proclamation de la paix pour la ville de Londres , le
palais du roi n'était pas illuminé : c'est l'usage. La
Bourse , la compagnie des Indes , Phôtel du lord-maire ,
les théâtres , les maisons de jeux et les nombreux traiteurs
français , se distinguaient par leurs décorations .
En général , beaucoup de transparents dont le peuple
applique les figures à sa fantaisie ; sur la plupart , on
lisait , avec le chiffre du roi , les mots paix et commerce
; les hommes du peuple portaient cette devise
sur leurs chapeaux. Des marchands l'avaient fait imprimer
sur de fort beaux rubans ; j'ignore s'ils les ont
vendus : mais les mots paix et commerce sont en
Angleterre ce que paix et gloire sont pour la
France.
Des vitres ont été brisées , parce que le peuple ,
auquel il est ici permis de faire la police , trouvait , ou
que telle maison n'était pas illuminée , ou qu'elle l'était
mal . J'en ai vu une , le lendemain matin , dans
laquelle les pierres avaient fait de grands dégâts ; c'était
une maison à louer , dont le propriétaire demeure à la
campagne. Les maisons les plus apparentes n'étaient pas
toujours les mieux éclairées : plus ou moins de lumières
peut , dit-on , donner ici une idée de l'opinion politique
de quelques grands seigneurs . Ne prenez pas cela pour
un calembourg: sans la crainte des vitres brisées , tel
PRAIRIAL AN Χ. 343
qui fit la dépense d'un paquet de chandelles
aurait pas brûlé un bout.
Des amateurs d'un certain genre de liberté
qu'il est beau de témoigner ainsi son opinion
et sur la guerre : pour moi , je vous avoue franchement
qu'il me paraît extraordinaire de voir annonc
fenêtre , qu'on n'aime pas la paix , quand on sont bien
embarrassé de savoir comment et pourquoi fa
guerre si l'on était maître du gouvernement. J'ai toujours
cru que la politique était au dessus de ces petits
détails , qui ne sont tolérables que dans les femmes ou
dans les enfants ; et je n'aime pas plus quelques chandelles
de moins que quelques pierres de trop.
En arrivant à Londres , mon premier soin a été de
demander s'il était toujours dangereux d'aborder les
environs de cette ville pendant la nuit , et chacun s'est
accordé, pour m'assurer que les voleurs y rodent toujours
; mais qu'ils ne tuent point , parce qu'il n'est
point d'usage de leur faire résistance. Je crois que s'il
se trouve jamais à Londres une centaine de nos jeunes
officiers , ils s'amuseront à courir la nuit les campagnes
des environs de cette ville , pour apprendre aux Anglais
que si les voleurs ne tuent pas , parce qu'on ne leur
oppose point de résistance , il est aussi probable qu'ils
ne volent que parce qu'on ne leur résiste pas .
REP.FRA
On annonce des bals masqués , des fêtes en l'honneur
de la paix ; mais ces bals , ces fêtes sont à tant le billet.
Le principal objet de ces rassemblements est le plaisir ,
qu'on aime ici pour le moins autant qu'à Paris. J'ai
entendu parler de la frivolité des Français et de la
gravité des Anglais ; il ne faut pas prononcer légerement;
mais je suis disposé à croire que nous sommes
devenus plus graves , ou que les Anglais sont devenus
plus frivoles . Ce dont je suis bien certain , c'est que
tous les Français qui viennent à Londres depuis la paix , 1,
1
344 MERCURE DE FRANCE ,
y sont attirés par des spéculations ou par l'espoir d'en
faire ; tandis que le plaisir est l'unique objet de la
plupart des Anglais qui vont maintenant en France :
la route en est couverte.
On s'occupe beaucoup ici de la situation de la France ,
sur laquelle je n'ai encore entendu personne raisonner
en toute connoissance de cause. Ce n'est pas cependant
faute de savoir ce qui s'y passe ; car tous les arrêtés ,
tous les discours importants de notre gouvernement
sont réimprimés à Londres en français et en anglais ;
mais on discute toujours fort isolément. Cette manière ,
qui convient si bien à la paresse , à la sottise ou à la
légèreté , est la cause de tous les faux jugements qu'on
prononce sur notre passé et sur notre avenir. Ce que
je puis affirmer , c'est qu'on parle bien plus de notre
révolution à Londres qu'à Paris ; aussi ai-je peine à
obtenir quelque croyance , quand j'assure que de tous
nos partis il ne reste pas même d'opinions assez prononcées
pour empêcher ceux qui les ont professées de
vivre ensemble de la meilleure grace du monde. On
prétend que je ne parviendrai jamais à voir des Anglais
de tous les partis. J'en doute cependant ; il me paraît
trop bizarre d'exiger qu'un étranger soit d'un parti
dans un pays qui n'est pas le sien , tandis que dans sa
patrie il n'est jamais mieux accueilli que quand il n'est
d'aucun. Par***.
SPECTACLES.
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.
SEMIRAMIS , tragédie lyrique en trois actes ,
arrangée d'après la tragédie de Voltaire par le C. Desriaux
, musique du C. Catel. "
PRAIRIAL ANX. 345
Le sujet de Sémiramis est , sous des noms différents ,
et avec moins de vraisemblance , le même que celui
d'Electre , traité , d'après Sophocle , par Crébillon ,
et par Voltaire lui-même , dans sa tragédie d'Oreste.
Sophocle a réuni tout l'intérêt sur le personnage
d'Electre ; il s'est bien gardé de chercher à diminuer
l'horreur qu'inspirent les crimes de Clitemnestre. Quand
Oreste l'immole aux mânes de son père , on ne voit en
lui que l'instrument de la vengeance des Dieux ; les
coupables sont punis , la vertu malheureuse triomphe ,
l'auteur a rempli son but. Cette conception éminemment
tragique , ce meurtre légitime d'une mère par son
fils , a effrayé les modernes. Ils n'ont pu se résoudre
à offrir aux spectateurs cet horrible dénouement ; et ,
dans toutes leurs pièces , par une supposition heureuse
et naturelle , Oreste frappe involontairement sa
mère , qui se jette au-devant des coups qu'il porte à
l'assassin d'Agamemnon .
La Sémiramis de Voltaire est une des pièces où il a
le plus cherché l'effet theatral , et où il a porté le plus
loin la pompe du style. Séduit par l'exemple de Shakespear
, et par l'impression profonde que produisait
sur les théâtres de Londres l'apparition de l'ombre da
père d'Hamlet , il a voulu essayer ce moyen extraordinaire
sur la scène française. Mais tout ce qu'il dit en
sa faveur , montre assez qu'il ne l'a employé qu'avec
défiance , et malgré tout l'art qu'il a mis à préparer
et à faire en quelque sorte attendre cet événement , en
accumulant les oracles et en répandant sur toute sa
pièce , une teinte de superstition religieuse , l'ombre
de Ninus n'a jamais produit l'effet qu'il semblait s'en
promettre. La première raison en est contre l'opinion
de Voltaire lui-même , que cette apparition est à peu
près inutile. Le crime est connu , et Ninias n'a pas
besoin d'être excité à venger son père. La seconde ,
346 MERCURE DE FRANCE ;
1
et peut-être la principale , c'est qu'elle a lieu en
plein jour et au milieu d'une foule nombreuse. Nous
ne sommes pas , méme au dix- neuvième siècle , aussi
éloignés qu'on pourrait le croire de la peur des revenants.
J'en appelle à l'avidité avec laquelle nous
avons accueilli les derniers romans anglais , et surtout
le Moine , qui n'a jamais manqué de faire impression
sur tous ceux qui l'ont lu dans une disposition d'esprit
convenable à l'effet que voulait produire l'auteur.
L'ombre de Ninias ferait illusion , si elle paraissait
dans l'obscurité , et aux yeux du plus petit nombre
de témoins possible. Les idées de nuit , de silence , de
solitude , se marient et se confondent dans la plupart
des esprits avec celles de terreur et d'apparitions. Comment
se persuader qu'un peuple immense , réuni pour
une pompe solennelle , ait peur d'une ombre ?
Cette invraisemblance a paru encore plus sensible
dans l'opéra que dans la tragédie. D'un côté , le spectacle
y est encore plus pompeux et plus brillant ; de
l'autre , le citoyen Desriaux a été obligé de retrancher
la plupart des moyens préparatoires qu'avait employés
Voltaire pour disposer les esprits à l'illusion .
Malgré la flamme et surtout la fumée qui environnait
Ninus , le rire s'est élevé quand il a paru .
Nous n'entrerons pas dans de grands détails sur les
paroles de cet opéra. Il est aisé de voir que le poète
a toujours été , comme c'est assez l'usage , dans la dépendance
du musicien. Il s'est de plus imposé la tâche
de suivre , autant qu'il pourrait , le plan de Voltaire ,
et même d'en conserver les vers. Cependant il a été
obligé de réduire cinq actes à trois , et de supprimer
une grande partie des développements. Exiger de la
vraisemblance dans une pièce ainsi tronquée , ce serait
étre bien sévère et on doit remercier l'auteur de
n'être pas tout-à- fait inintelligible. Ily aurait aussi de
,
PRAIRIAL ANX. 347
la malignité , et même de l'injustice , sans grand intérêt
pour le lecteur , à rapprocher les vers du C.
Desriaux , de ceux de son modèle , lorsqu'il avoue
lui-même que cette tâche était au dessus de ses
moyens , et qu'il ne l'a remplie que comme forcé et
contraint. On sait bien que la soudure est toujours moins
précieuse que le métal dont elle rejoint les parties .
Le premier acte offre seul des changements remarquables.
Le retour d'Arsace a fourni au C. Desriaux
l'idée d'une marche triomphale , qui le termine
d'une manière très - brillante. C'est Azéma elle-même ,
qui , à la tête d'un choeur de jeunes filles , fait les
premiers préparatifs de la fête destinée à son amant
Pour une princesse du sang de Bélus , c'est peut- être
pousser un peu loin la reconnaissance , et Voltaire au
moins ne lui fait déclarer son amour que dans le
tête-à-tête. Elle n'oublie pas surtout que son propre
intérêt , que celui d'Arsace lui-même l'engage à ménager
Assur , l'héritier et déja presque le maître de
l'empire. Quand ce dernier lui propose de s'unir à
elle pour confondre leurs droits au trône , elle n'ose
pas le refuser ouvertement ; elle se contente de dire
qu'elle prendra un époux des mains de la reine. Le
C. Desriaux a cru devoir passer par-dessus tous ces
ménagements , qui auraient retardé la marche rapide
de son opéra. Il va directement au but ; Azéma et
Assur n'ont rien de caché l'un pour l'autre . La première
avoue franchement que son coeur a choisi Arsace
pour époux ; et le second , avec la même sincérité
annonce qu'il a un moyen sûr de prévenir cet hymen ,
en immolant son rival et sa maîtresse . On remarquera
que ces confidences se font sur une place publique
de Babylone. C'est aussi là que Sémiramis vient
dévoiler son ame et se livrer aux remords qui la déchirent.
C'est encore là que le grand prêtre Oroès vient
348 MERCURE DE FRANCE ,
annoncer , en présence de tout le peuple, la volonté
des Dieux. A l'oracle obscur et ambigu que lui offrait
la tragédie de Voltaire , le C. Desriaux , toujours
grand , ami de la franchise et de la clarté , a substitué
ces quatre vers , qui ne sauraient être équivoques pour
Sémiramis surtout :
<<Vous fatiguez les Dieux par des voeux indiscrets ;
<<Mais songez à punir le crime .
<<C'est dans les murs de ce palais
<<Que vous trouverez la victime. »
Cependant Oroès craint encore de ne pas s'être
expliqué assez clairement , il ajoute :
:
J'entends gronder la tempête ....
Dieux vengeurs , qu'attendez-vous ?
(En désignant Sémiramis.)
Frappez , frappez , c'est sur sa tête
Que doit tomber votre courroux.
Voltaire , par le sens ambigu que présente son oracle ,
par les remords et la crédulité superstitieuse de
Sémiramis , avait motivé la résolution qu'elle prend ,
quinze ans après la mort de Ninus , de former de
nouveaux nouds :
Babylone doit prendre une face nouvelle ,
Quand d'un second hymen allumant le flambeau ,
Mère trop malheureuse , épouse trop cruelle ,
Tu calmeras Ninus au fond de son tombeau .
.
:
.:
Ces quatre vers ont encore l'avantage de préparer
et de rendre plus vraisemblable la descente de Sémiramis
dans la tombe de Ninus. Elle y est entraînée par la vo-.
Jonté des Dieux , plus encore que par le desir de sauver
les jours de son fils. Comment en effet s'en seraitelle
rapportée à sa faible main , si elle ne s'était cru.
PRAIRIAL AN Χ. 349
destinée par le ciel à punir Assur son complice ? Nous
insistons sur ce changement fait par le C. Desriaux ,
parce qu'il n'était pas nécessaire , et qu'il détruit
tout l'artifice et toute la vraisemblance du poème. Le
reste de l'opéra est , aux développements près , qu'il
a toujours fallu sacrifier , assez semblable dans sa
marche à la tragédie .
Il est temps de nous occuper de ce qui fait véri
tablement le succès de ces sortes d'ouvrages ; de la
musique , des ballets , des décorations. Le C. Catel ,
professeur au Conservatoire a déployé un vrai
talent dans cette composition , qui est son début: Il a
saisi , en général , la couleur du sujet , et il paraît
avoir fait une étude approfondie de son art.
,
L'ouverture a réuni tous les suffrages. Eile est pleine
d'harmonie et d'effet ; et on y a surtout applaudi un
Crescendo de basses . La fierté et l'amour sont trèsbien
exprimés dans l'air d'Azéma : Que l'éclat de votre
naissance ; la terreur et les remords dans celui de
Sémiramis : Sous l'effort d'un bras invisible. On a aussi
distingué la marche triomphale d'Arsace ; le choeur des
conspirateurs et celui des mages . Ces deux choeurs sont
presque tout ce qu'ily a de remarquable dans le second et
dans le troisième acte , fort inférieurs au premier. On
pourrait reprocher au C. Catel d'être un peu monotone
, de manquer d'originalité , et de se traîner peut
être trop servilement sur les traces des grands maitres.
Mais une partie de ses défauts est due sans doute
à latimidité du premier essai ; et les applaudissements
mérités qu'a reçus le C. Catel , toutes les fois qu'il
s'est abandonné à sa verve , doivent l'engager à prendre
unoval moins timide, et à compter davantage sur bes
forces 1
Les ballets , dans le premiet acte , ont eu le plus
grand succès . Un pas de guerriers , exécuté avec autant
(
350 MERCURE DE FRANCE ;
1
de vigueur que de précision , par les CC. Millon',
Branchu , Aumer , et Beaulieu , a rappelé le fameux
pas des Sythes , d'Iphigénie en Tauride. La musique
partage avec la danse l'honneur de cette comparaison.
Si le ballet du troisième acte n'a pas été
aussi goûté , c'est moins la faute du C. Gardel que
celle du poète , qui aurait dû profiter de la liberté
qu'ont les faiseurs d'opéras , de changer à volonté de
décorations , et ne pas offrir des danses à côté d'un
tombeau. Il devrait être d'autant moins scrupuleux ,
que la scène change jusqu'à quatre fois , dans la tragédie
de Voltaire.
Par un hasard assez singulier , le premier acte , qui ,
sans contredit , est le plus défectueux , sous le rapport
du poème , se trouve être celui où l'auteur de
lamusique , le maître des ballets , le décorateur.ont
le plus complètement réussi . On dirait qu'ils ont
réuni leurs efforts pour venir au secours du C. Desriaux
, et qu'ils se sont un peu reposés sur lui , ou
plutôt sur Voltaire , dans les deux actes suivants . Rien
de plus magnifique que la première décoration , quoiqu'on
l'accuse d'être copiée d'après celle de Zoraïme
et Zulnare. Celle du troisième , qui représente les jardins
de Sémiramis , offre plus de brillant que de véritable
grandeur. Les costumes sont très -riches et ont
été dessinés avec un soin qui ne laisse rien à desirer.
La curiosité qu'inspiraient une pièce et une musique
nouvelles , était encore excitée par le début du C. Roland ,
dans le róle d'Arsace. Ce jeune acteur est élève du
Conservatoire ; et a eu pour maître le C. Garat. Som
organe , sans être très -étendu , est pur et flexible. Iljoint
asdu goût , à de la méthode , une très belle prononciation
, et avec un peu de complaisance de l'orchestre
, il se fera toujours parfaitement entendre. Son jeu
est naturelet annonce de l'intelligence. Il a été redePRAIRIAL
AN Χ. 351
mandé ainsi que les auteurs de la musique et des
ballets , et tous trois ont été accueillis avec les plus
vifs applaudissements. :
HEATRE DE LOUVOIS.
LaMatinée du Jour , comédie en deux actes... r
Un habitant de la Charité-sur-Loire, vient à Paris
marier sa fille au fils aîné de son frère. Ce dernier ,
chez lequel il loge , est remarié à une jeune femme
qui ne songe qu'à sa toilette et à ses plaisirs. Notre
provincial , peu fait aux usages du beau monde , trouve
fort étrange qu'on se couche à trois heures du matin ,
qu'on se lève à midi , et qu'on ait interverti les heures:
de tous les repas. Il est bientôt dégoûté de son gendre
futur , jeune homme à la mode , qui enchérit encore
sur les ridicules de sa belle -mère. Les manières et les
goûts de Valville , son frère cadet , sont bien plus au
gré de l'honnête campagnard. Il se propose de le sub--
stituer à son aîné , dans l'alliance projetée. Sa fille
Henriette ne demande pas mieux , et on obtient bientôt
l'aveu de M. d'Héricour ( C'est le nom du père ). La
pièce est donc finie presque en même temps que com
mencée ; mais , pour la prolonger , l'auteur suppose
l'arrivée subite d'un créancier qui réclame le payement
d'un billet de six mille francs , souscrit par le sage
Valville. Un moment après , on apprend que ce jeune
Caton est allé se battre en duel. Ces deux incidents
refroidissent bien l'ardeur empressée du beau- père , et
consternent surtout la pauvre Henriette , qui , après
avoir eu deux prétendus en un jour , se voit en danger
de rester fille . Heureusement on découvre que Valville
352. MERCURE DE FRANCE ,
)
A
ne s'est endetté , que pour acquitter une forte somme
que son frère avait perdue au jeu , et qu'il s'est battu
pour venger l'honneur de sa belle - mère , outragée dans
une satyre.
M.me d'Héricour se promet bien de donner désormais
moins de prise à la médisance ; le jeune d'Héricour
prend l'engagement de s'amender ; et son père , qui est
un excellent homme , consent à payer ses dettes . Valville
, qui a terminé son affaire d'honneur sans effusion
de sang , obtient la main de sa cousine ; le beau père ,
hien joyeux , va les emmener à la Charité- sur- Loire ;
enfin , tout le monde est content , à l'exception du public
, quia baillé pendant la piece , et sifflé au dénouement.
Quelques mots heureux et une scène assez
bien dialoguée , n'ont pu la préserver de sa chute , qui
s'est opérée paisiblement sans cabale ni résistance: On
a cependant applaudi Closel dans le rôle du fat , et
Picard dans celui d'un bavard , dont toute l'occupation
consiste à se mettre bien au courant des nouvelles du
jour.
:
9
S
1cf
d
ANNONCES.
DICTIONNAIRE de l'Académie Française , nouvelle
édition, augmentée de plus de vingt mille articles,
où l'on trouve les mots et les locutions adoptés,
depuis la derniere édition de 1762 , l'explication des
termes et des expressions synonymes , les termes des )
sciences , des artset des métiers ,et particulierement
ceux de la nouvelle nomenclature chimique. Deux,
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VOYAGES de Découvertes à l'Océan pacifique du Nord
et autour du monde , entrepris par ordre de sa majesté
britannique , exécuté pendant les années 1790
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de l'anglais par P. F. Henry , et imprimé par
Didot jeune. 6 vol . in-8.° , compris un atlas , composé
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Le même , papier vélin satiné , atlas avant la
lettre , dont il n'a été tiré que dix-huit exemplaires ,
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galerie de bois , rangée du milieu , n.º 223 , et rue
Pavée-Saint -André- des -Arcs , n.º 28 ; et chez Lenormant
, impr. libr. , rue des Prêtres -Saint-Germainl'Auxerrois
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MÉTROLOGIES constitutionnelle et primitive comparées
entre elles , et avec la métrologie d'ordonnan-
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On trouve dans la première partie de cet ouvrage
la description et les différents usages du Compas
graphique , formant échelle graphique universelle ,
soumis à l'examen de la première classe de l'Institut
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sur la religion et la morale , considérées dans leurs
principes et dans leurs rapports. In-12 de 340 pa .
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354 MERCURE DE FRANCE ,
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chez Lenormant , imprimeur- libraire , rue des Prétres-
Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42 .
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double rapport des principes qu'il renferme , et de
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LETTRES à Madame de C.*** sur la botanique , et
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L'HOMME aux six femmes , ou les Effets du divorce.-
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Germain- l'Auxerrois , n.º 42. An 10.4180216
II . CAHIER de la Bibliothéque Commerciale , Ovrage
destiné à répandre les connaissances relatives au
Commerce , à la Navigation , et aux divers Etablis-
,
356 MERCURE DE FRANCE ,
-
-
sements qui ont l'un et l'autre pour objet ; par J.
PEUCHET , Membre du Conseil de Commerce
au Ministère de l'Intérieur , et de celui du Département
de la Seine. Ce deuxième Cahier de 64 pages
in-8.° , avec un Tableau , contient : Du Change et
de la manière de l'indiquer. - Du Commerce des
Soies . Tableau comparatif des Soies à Lyon , en
1789 et l'an IX. Sur la Compagnie de l'Ile-de-
France. Règlements de l'Association de l'Ile-de- France
Mémoire Historique et Politique sur la Compagnie
des Indes . - Des Importations à Saint-Domingue
pendant l'an VIII. Comparaison des exportations
faites de Saint-Domingue , en 1789 , avec celles qui
ont eu lieu en l'an VIII. - Encouragement pour
la Pêche de la Morue. Arrêté du 17 ventose an X
(8mars 1802 ) sur la Pêche de la Morue. - Extrait
de l'Acte de Navigation française , du 21 Septembre
1793. - Rapport fait au Conseil de Commerce du
Département de la Seine , par le C. Peuchet , dans
la séance du 3. Germinal an X, sur la nécessité d'établir
des Tribunaux particuliers pour le Commerce
maritime. Notices des livres nouveaux sur le Commerce
.
-
Le prix de la Souscription pour Paris , les Départements
et l'Etranger , est de 21 francs ; pour recevoir ,
franches de port, 24 Livraisons , dont 2 chaque mois .
On souscrit aussi pour 12 Livraisons que l'on recevra
franches , à raison de 2 Livraisons chaque mois , pour
12francs . La lettre et l'argent doivent être affranchis.
On peut aussi envoyer le prix de la Souscription
en un mandat sur Paris .
On souscrit à Paris , chez F. BUISSON , Imprimeur-
libraire rue Hautefeuille , n.º 20 , et chez
tous les Libraires et Directeurs des Postes de France
et de l'Etranger,
PRAIRIAL AN X. 357
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUR les derniers Débats du Parlement
d'Angleterre.
L'HISTOIRE des dernières années est pleine de problêmes
dont le temps seul donnera la solution , et de
grandes leçons qu'il aidera à développer; mais pour
ne perdre ni ces solutions , nices développements , nous
devons être attentifs aux traces souvent lumineuses qu'il
laisse après lui. Il éclaire peu à peu , ce qu'il y a
eu de secret dans les ressorts de la politique , d'obscur
dans la liaison des événements , de mystérieux
dans leurs causes , d'équivoque dans la moralité des
› personnages . En recueillant tous les rayons qu'il répand
dans sa marche , on peut découvrir la part qu'a eu la
sagesse et celle qu'ont usurpée les passions , dans la
conduite des empires .
L'instruction qu'offrent sous ce rapport , les derniers
débats du parlement britannique , n'a pu échapper à..
quiconque y a porté quelqu'attention. Il est démontré
aujourd'hui que ce furent lord Grenville et M. Windham
, qui , dans le conseil du roi, s'opposèrent en l'an
8 , à ce que l'Angleterre traitât de la paix , lorsque
le premier consul le proposa. On pouvait croire qu'ils
auraient de la peine à se justifier des dangers dans les
quels ils avaient entraîné leur patrie ; mais, au lieu de
358 MERCURE DE FRANCE ,
songer à leur justification , ils se sont rendus accusateurs
;et , en lisant leurs discours , l'on a peine encore
à se persuader l'inconcevable assurance avec laquelle
ils en jouent le rôle.
Si le traité d'Amiens n'était pas aussi avantageux
à l'Angleterre , qu'elle eût pu le desirer , à qui en serait
le tort , si ce n'est aux ministres , dont l'entêtement
et le caprice out prolongé la guerre , lorsqu'il dépendait
d'eux d'y mettre un terme honorable ?
Et qui osent- ils accuser aujourd'hui ? Le ministère
qui réparant leurs fautes , a su par sa prudence , sa
fermeté et son habileté , rendre la paix au nord comme
au midi , reconquérir et restituer l'Egypte au grandseigneur
, reconstituer l'ordre de Malte , maintenir l'intégrité,
des états du roi de Naples et sauver ainsi la
Méditerranée de l'influence française ; faire restituer
auroid'Angleterre , ses états d'Allemagne déja séquestrés
par la Prusse , et au moment d'être occupés par la
France ; préserver l'allié des Anglais , le roi de Portugal,
d'une ruine presque totale , et enfin asseoir la
puissance anglaise dans les deux Indes , sur ses véritables
bases , en cédant ce qu'il lui était inutile de
garder, en conservant pour son commerce ses véritables
ressources , en assurant à ses positions , l'avantage
en cas de guerre .
Si l'on considère l'imprudence avec laquelle les anciens
ministres avaient laissé échapper les plus belles
occasions de faire la paix , et la situation dans laquelle
ils avaient placé l'Angleterre , on se convainera que
cette puissance n'a jamais signé un traité plus avantageux
, puisqu'aucun n'a prévenu pour elle de plus
grands maux .
:
On admire la retenue et la modération des réponses
de M. Adington et de lord Hawkesburi , qui honorent
ainsi le caractère ministériel ; mais il n'est pas
PRAIRIAL AN X 359
en Europe d'homme un peu clairvoyant , qui ne sente
qu'il dépendrait d'eux de faire retomber sur lord Grenville
, tout le poids des incroyables reproches qu'il leur
adresse . 1 L
Il veut les rendre responsables des avantages que
donne à la France le traité de Lunéville ; mais estce
par la faute du nouveau ministère que la Russie
abandonna la coalition ? Est-ce par sa faute que l'Autriche
fut obligée de s'isoler et d'établir des négociations
séparées ? ...... Est-ce par la faute du nouveau
ministère , que l'Angleterre manqua l'occasion de
négocier de concert avec l'Autriche et la Russie ?
Est- ce la faute du nouveau ministère , si les états du
nord réveillèrent la question de la neutralité , et engagèrent
avec enthousiasme une querelle , qui , oute
dégitime qu'elle était pour eux , pouvait être si facilement
évitée par l'Angleterre .
ه ر ا د ن د ش
L'Angleterre a en, depuis l'an 7, trois époques pour
négocier.
:
!
1.º L'époque du 18 brumaire. La France régénérée ,
la Vendée pacifiée , l'esprit national revivifié , devaient
faire pressentir aux Anglais l'ascendant qu'allaient reprendre
nos armes. Le ministère qui les gouvernait
alors , dédaigna cette belle occasion où il eût pu'négocier
de concert avec l'Autriche , la Russie , la Bavière,
le roi de Naples , le grand-seigneur et le Portugal.
Il'eût porté dans la négociation , tous les avantages
d'une coalition très -forte et naguère victorieuse,
avec celui que lui donnait la possibilité de rallumer
au milieu de nous la guerre civile encore fumante.
Non- seulement il méconnut ou négligea ces avantages
sentis par tout homme doué d'un peu de sagacité
; mais il répondit à des ouvertures franches et amicales
, par des refus grossiers : ils produisirent l'inévitable
effet de donner un nouvel élan à une nation ,
360 MERCURE DE FRANCE ,
de laquelle on est toujours sûr d'obtenir des prodiges
au nom de l'honneur et de la patrie. 2
2.º La seconde époque fut celle où l'armée de Souwaroff
étant rentrée en Pologne , la Russie se trouva
décidément séparée de la coalition , cette époque n'offrait
, pas il est vrai , tous les avantages de la première
; mais l'occasion était encore belle , l'Angleterre
pouvait espérer de faire cause commune , dans
un congrés avec l'Autriche , le Portugal , le grandseigneur
et la Bavière ; et ses alliés s'y présentaient
sous l'auspice d'armées encore victorieuses. Au lien
de faire la paix avec la France ,le ministère britannique
, se fit de nouveaux et grands ennemis. Il insulta
à Paul 1.er , en refusant l'échange des sept mille russes
faits prisonniers dans la ridicule expédition où il s'avait
engagé ; il insulta à la même puissance , en la
-contrariant sur des projets insignifiants pour l'ordre ,
et l'île de Malte. Il insulta à tous les états du nord ,
en aggravant par une absurde avidité des différends
qu'il fallait terminer; il aigrissait , il irritait , la cù
les plus simples idées de politique prescrivoient d'adoucir
et de concilier. : V
3.º Il fut encore une troisième époque , où le ministère
anglais aurait pu et dû faire la paix ; je veux dire
celle des préliminaires signés par M. de Saint-Julien.
L'Italie venait d'être reconquise à Maringo ; l'Autriche
s'était empressée de traiter avec la France , et elle
avait obtenu la paix à des conditions plus honorables ,
que les circonstances ne devaient le lui laisser espérer.
Ces conditions comparées à celles de Campo-Formio ,
amélioraient sa situation , que ses revers auraient dû
empirer. C'était sans doute le moment où le ministère
anglais devait entamer des négociations particulières.
Il parut en effet sortir de son assoupissement;mais, tou.
jours en arrière de six mois , il vouloit négocier en
PRAIRIAL ANX. 361
commun avec l'Autriche. Pour penser que le gouvernement
français pût y consentir , il fallait le croire
-bien inepte , ou supposer qu'il ignorait tout-à-fait la
-situation de l'Europe. Ne pouvant amalgamer sa paix
avec celle de l'Autriche , le ministère anglais voulut
qu'elle fit la guerre avec lui ; et lord Minto qui a bien
ses raisons pour se montrer maintenant le soutien de
lord Grenville , lord Minto , si ministériel jusqu'ici ,
et aujourd'hui si prononcé dans l'opposition , parvint
alors à aveugler la cour de Vienne sur ses plus précieux
intérêts . Elle se livra encore une fois aux funestes
conseils dont il était l'organe ; et encore une fois
le sort de la monarchie autrichienne se trouva compromis.
i
Ce ne fut enfin qu'après le traité de Luneville , et
lorsque les nouveaux ministres eurent pris le timon
de l'état , que l'Angleterre entama des négociations
sérieuses . Il n'était plus question pour elle de se mêler
des affaires du continent ; il avait fait sa paix sans
qu'elle y concourút ; la roideur et la malveillance de
lord Grenville avaient repoussé toutes les occasions d'y
contribuer , et fait évanouir toute possibilité d'une
nouvelle coalition contre laFrance. Alors que pouvait
attendre la nation anglaise de son nouveau ministre ?
Qu'il lui conservât dans l'Inde une possession inappréciable
, Ceylan , qui ne peut être évalué ; aux Antilles ,
la plus belle et la mieux placée des îles qu'elle avait
conquises ..
Nous ne comptons pas réfuter phrase par phrase
tout le discours de lord Grenville : ce n'est pas néces .
saire pour montrer qu'il est seul responsable de tout
ce qu'il reproche aux anciens ministres. Si l'Italie est
sous l'influence francaise , il en est seul la cause ; si
Naples a recon indépendance politique , c'est
dù à t'habileté de son successeur. Si le Hanovre fut

362 MERCURE DE FRANCE ,
séquestré par le roi de Prusse et sur le point d'être occupé
par la France , ce fut la faute de l'ancien
ministère. Si le roi d'Angleterre a recouvré son éléctorat
, c'est par la prudence et la sagesse de ses nouveaux
ministres. Si le Portugal vit ses frontieres entamées
, et put craindre d'être effacé du tableau des
puissances européennes , ce fut la faute de l'ancien
ministre ; s'il a été sauvé et n'a rien perdu en Europe ,
c'est à la prudence des nouveaux ministres qu'il en a
l'obligation.
Que l'Angleterre ait des marins braves comme tous
ceux qu'on lui connaît , des amiraux dignes de les
commander comme lord Saint - Vincent , des officiers
intelligens et actifs , comme Sydney - Smith , des négociateurs
loyaux , fermes , conciliants , comme lord
Cornwallis et lord Saint- Helens , des financiers habiles
comme M. Pitt....... tous ces hommes distingués
ne la maintiendraient pas au rang qu'elle est destinée
à occuper , si , à la tête de son cabinet , elle avait
des hommes passionnés comme lord Grenville , ou des
ministres dont la violence eut les mémes résultats que
l'ineptie , comme M. Windham.
!
INTÉRIEUR.
PARIS , 3 prairial (23 mai ). 1
1101
Dans notre dernier numéro , nous avons laissé le
corps législatif délibérant , en séance secrète , sur la
proposition d'envoyer une députation solennelle au
premier consul , pour le remercier de l'hommage qu'il
rendait à la souveraineté nationale , en se soumettant
PRAIRIAL AN X. 363
à la décision du peuple pour la durée de sa magistrature.
- Cette proposition ayant été adoptée , une députation
de cent deux membres du corps législatif se
rendit , le 24 floréal , à l'audience des consuls. Le
C. Vaublanc , orateur de la députation , leur parla en
ces termes :
CITOYENS CONSULS ,
Le corps législatif, après avoir félicité le gouvernement
sur la paix générale , devait , d'après la nature
de ses fonctions , attendre que le sénat conservateur
et le tribunat prissent l'initiative de la reconnaissance
nationale.
En récevant le voeu prononcé par le tribunat , nous
avons regretté que les bornes constitutionnelles de nos
fonctions ne nous permissent pas de nous unir à une
démarche qui n'était que l'expression du voeu de tous
les Français.
L'arrêté que le gouvernement nous a transmis , consacre
l'hommage que le premier consul a rendu à la
souveraineté nationale. Le corps législatif a vu , dans
cet appel fait à une nation libre , le seul moyen digne
d'elle , de proclamer une noble récompense des plus
nobles travaux. Hacru qu'il devait annoncer son opinion
par une démarche solennelle. Il partage'la reconnaissance
exprimée par les actes du sépat et du tribunat ,
et rend hommage , comme le gouvernement , au principe
de la souveraineté nationale.
Il reconnaît que c'est à elle à prononcer ; c'est à elle
qu'il appartient de marquer les premières années d'une
magistrature si glorieuse , par une résolution utile aux
intérêts de la république , rassurante pour le repos de,
l'Europe, autant qu'honorable pour le magistrat illustre
qui en est l'objet.
364 MERCURE DE FRANCE,
CITOYEN PREMIER CONSUL ,
Lorsque le génie de la France vous confia ses destinées
, vous nous promites la paix. Cette promesse
solennelle retentit dans tous les coeurs ; et aux difficultés
de ce grand ouvrage , une confiance inébranlable
opposait la promesse du premier magistrat : elle est
accomplie aujourd'hui ; la France n'a plus d'ennemis.
Nous attendons de vous maintenant le plus haut
degré de gloire et de prospérité auquel un peuple puisse
parvenir par la liberté politique , civile et religieuse ,
par l'agriculture , le commerce , les arts de l'industrie
et du génie ; vos principes et vos talents en sont le gage
assuré; et aux obstacles que présentera la nature des
choses ,la confiance nationale opposera la magnanimité
de vos desseins et la constance de vos travaux.
Ainsi , toujours entre le peuple et vous subsistera le
lien inaltérable d'une auguste et mutuelle confiance qui
lui garantit vos efforts pour son bonheur , et vous assure
des siens pour vos succès.
Bientôt , par unerésolution nationale , sera satisfaite
Ja reconnaissance publique , et le gouvernement affermi.
Bientôt seront récompensés les travaux d'une magistrature
couverte par vous d'un éclat digne de la grandeur
du peuple qui la instituée.
<
"
Le premier consul répondit :
Les sentiments que vous venez d'exprimer, et cette
députation solennelle , sont pour le gouvernement un
gage précieux de l'estime du corps législatif.
> J'ai été appelé à la magistrature suprême dans des
circonstances telles , que le peuple n'a pu peser dans
le calme de la réflexion le mérite de son choix ........
« Alors , la république était déchirée par la guerre
PRAIRIAL AN Χ. 365
civile ; l'ennemi menaçait les frontières; il n'y avait
plus ni sécurité , ni gouvernement. Dans une telle crise ,
ce choix a pu ne paraître que le produit indélibéré de
sès alarmes .
Aujourd'hui , la paix est rétablie avec toutes les
puissances de l'Europe ; les citoyens n'offrent plus que
l'image d'une famille réunie , et l'expérience qu'ils ont
faite de leur gouvernement les a éclairés sur la valeur
de leur premier choix. Qu'ils manifestent leur volonté
dans toute sa franchise et dans toute son indépendance ,
elle sera obéie : quelle que soit ma destinée , consul ou
citoyen , je n'existerai que pour la grandeur et la félicité
de la France.
-Parmi les lois présentées au corps législatif , et
adoptées par lui dans les derniers jours de sa session ,
les plus remarquables sont celle qui établit une légion
d'honneur , et celle qui maintient l'esclavage des noirs
dans les colonies rendues par l'Angleterre , ainsi que
dans nos établissements situés au-delà du cap de
Bonne Espérance. Nous regrettons de ne pouvoir faire
connaître les discours et les débats dont ces deux lois
ont été l'objet ; mais nous devons d'abord donner ces
lois mêmes . Les voici :
Légion d'honneur.
TITRE PREMIER.
ART. L. En exécution de l'art. 87de laconstitution ,
concernant les récompenses militaires , et pour récompenser
aussi les services et les vertus civiles , il sera
formé une légion d'honneur.
II . Cette légion sera composée d'un grand conseil
d'administration et de 15 cohortes , dont chacune aura
son chef-lieu particulier.
366 MERCURE DE FRANCE ,
III. Il sera affecté à chaque cohorte des bons nationaux
portant 200,ddo fr. de rente.i
IV. Le grand-conseil d'administration sera composé
de sept grands officiers ; savoir , des trois consuls et de
quatre autres membres , dont un sera nommé entrees
sénateurs par le sénat ; un autre entre les membres du
corps législatif , par le corps législatif; un autre entre
les mmeembres du tribunat , par le tribunat;et un enfin
entre les conseillers d'état , par le conseil d'état. Les
membres du grand conseil d'administration conserveront
, pendant leur vie , le titre de grands-officiers , lors
même qu'ils seraient remplacés ppaarr l'effet de nouvelles
élections .
V. Le premier consul est de droit chef de la légion
et président du grand- conseil d'administration.
VI. Chaque cohorte sera composée de sept grands
officiers , de vingt commandants , de trente officiers , et
de trois cent cinquante légionnaires .
VII. Il sera affecté à chaque grand officier 5000 fr.;
à chaque commandant , 2000 fr.; à chaque officier ,
1000 fr.; et à chaque légionnaire , 250 fr. Ces traitements
seront pris sur les biens affectés à chaque cohorte.
VIII. Chaque individu admis dans la légion jurera ,
sur son honneur , de se dévouer au service de la répu
blique , à la conservation de son territoire dans son
intégrité , à la défense de son gouvernement , de
ses lois et des propriétés qu'elles ont consacrées ; de
combattre , par tous les moyens que la justice , la
raison et les lois autorisent , toute entreprise tendant
à établir le régime féodal , et reproduire les titres et
qualités qui en retracent l'attribut; enfin , de concourir
de tout son pouvoir au maintien, de la liberté et
de l'égalitéru , "
IX. Il sera établi , dans chaque chef- lieu de cohorte
, un hospice ou des logements pour recueillir ,
soit les membres de la legion que leur vieillesse , leurs
infirmités ou leurs blessures auront mis dans l'impossibilité
de servir l'Etat , soit les militaires qui , après
avoir été blessés dans la guerre de la liberté , se trouveront
dans le besoin.
,
PRIRIAL AN Χ. 367
1
14.
TITRE II.
ART. I.er Sont membres de la légion tous les militaires
qui ont reçu des armes d'honneur. ,
Pourront y être nommés les militaires qui ont rendu
des services majeurs à l'Etat dans la guerre de la liberté;
les citoyens qui , par leur savoir , leurs talents ,
leurs vertus , ont contribué à établir ou à défendre les
principes de la république , ou à faire aimer et respecter
la justice ou l'administration publique...
II. Le grand conseil d'administration nommera les
membres de la légion .
III . Dans les dix années de paix qui pourront suivre
la première formation , les places qui viendront à vaquer
demeureront vacantes , jusqu'à concurrence du
dixième de la légion , et par la suite , jusqu'à concurrence
du cinquième. Ces places ne seront remplies qu'à
la fin de la première campagne.
IV. En temps de guerre , il ne sera nommé aux
places vacantes qu'à la fin de chaque campagne.
V. En temps de guerre , les actious d'éclat feront titre
pour tous les grades .
31
VI. En temps de paix , il faudra avoir vingt-cinq
années de service militaire pour pouvoir être nommé
membre de la légion; les années de service en temps
de guerre compteront double , et chaque campagne de
la guerre dernière comptera pour quatre annees:
VII. Les grands services rendus à l'Etat dans les
fonctions législatives , la diplomatie ,l'administration ,
la justice ou les sciences, seront aussi des titres d'admission
, pourvu que la personne qui les aura rendus
ait fait partie de la garde nationale du lieu de son
domicile.
VIII. La première organisation faite , nul ne sera
admis dans la legion , qu'il n'ait exercé pendant vingtcinq
ans des fonctions avec la distinction requise.
IX. La premiere organisation faite , nul ne pourra
parvenir à un grade supérieur qu'après avoir passé par
le plus simple grade.
i
4
:
X. Les détails de l'organisation seront déterminés
par des règlements d'administration publique ; elle.
368 MERCURE DE FRANCE ,
1
devra être faite au 1. vendémiaire an 12 ; et, passé ce
temps , il ne pourra y être rien changé que par des lois.
Esclavage des Noirs.
« Dans les colonies restituées à la France , en ex
cution du traité d'Amiens , du germinal an 18 ,
l'esclavage sera maintenu , conformément aux lois de
règlements antérieurs à 1789.
९८
1
Il en sera de même dans les autres colonies françaises
, au-delà du Cap-de-Bonne-Espérance .
" La traite des noirs et leur importation dans lesdites
colonies auront lieu conformément aux lois et
règlements existant avant ladite époque de 1789 .
"Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des
colonies est soumis , pendant dix ans , aux règlements
qui seront faits par le gouvernement. »
Le gouvernement a reçu des nouvelles de Saint-
Domingue , qui vont jusqu'au 18 germinal. Elles annoncent
que l'armée est entrée au Port-Républicain , qui
est entièrement sauvé , et à Léogane , qui a été brûlé
par les noirs ; qu'à partir de cette ville , toute la partie
du sud a été entièrement conservée , et que l'armée a,
outre ces avantages , emporté sur les rebelles plusieurs
postes , entr'autres , celui de la Crète- à-Pierrot , où ils
avaient leur plus grand magasin à poudre , leur principal
magasin de cartouches , et où ils avaient paru
vouloir se défendre jusqu'a la dernière extrémité. Leur
perte , dans les dernières affaires , est estimée à trois
mille hommes; celle de l'armée , à cinq cents : plusieurs
de nos généraux ont été blessés. L'armée était approvisionnée
de manière à n'avoir plus aucune inquiétude.
venait de lui arriver trois mille hommes de renfort , et
elle en attendait d'autres à tout moment. La partie
espagnole était entièrement soumise. Toussaint était
vivement poursuivi.
L'amiral Villaret est arrivé à Brest le 1er de ce mois. '
Il avait annoncé, par sa lettre du 18 germinal , que la
colonie n'avait plus besoin de toutes les forces maritimes
qu'ily avait conduites. On sait qu'il a été nommé capitaine-
général de la Martinique , et probablement il ne
fera qu'un très court séjour en France.
(N.° L. ) 15 Prairial. An 10,
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
• TH01 73
POESI E.
DESCRIPTION D'UN TRIOMPHE ,
IMITATION DE PROPERCE.
Le grand César s'apprête à conduire Bellone
if
Sur les bords , où Thétis de perles se couronne ;
L'Inde doit éprouver la valeur de son bras . "
Aux confins de la terre veut ,dans les combats ,
Obtenir des lauriers et les regards de Rome.
C'est le plus digne prix dont s'honore un grand- homme ,
Et le Tigre et le Nil couleront sous ses lois ;
Nous le verrons dompter les Séres , les Gaulois ;
Les Parthes , dont l'audace outrage son idole ,
Apprendront à céder au dieu du Capitole .
Romains , volez sur l'onde , affrontez les autans ,
Hâtez - vous de guider ces colosses flottants ,
Qui , des peuples lointains ennemis redoutables ,
(
6
Vomiront , de leurs flanes , des troupes indomptables.
Tel le monstre fatal par Minerve conduit
2
:
8. 24
370 MERCURE DE FRANCE ,
Dans les sombres horreurs d'une profonde nuit ,
Exhalant les transports de sa fureur sauvage ,
Vomit , dans Ilion , la flamme et le carnage.
Je consacre mes chants à vos exploits divers ;
Réparez des Crassus , les trop fameux revers :
Rome vous a donné des armes glorieuses .
,
Père du Tibre , et vous flammes mystérieuses
Que nuit et jour Vesta nourrit sur ses autels ,
Répondez à mes voeux ; faites , Dieux paternels ,
Qu'avant de terminer ici bas ma carrière ,
Je puisse voir le jour où l'Italie entière ,
Volant pleine d'ivresse au- devant de César
Pour le féliciter entourera son char .
Son char , tout ombragé de palmes triomphales ,
Traîne encor le butin des nations rivales ;
Voyez ces boucliers , ces glaives , ces drapeaux ,
Ces casques dont l'éclat réfléchit le héros .
Aux applaudissements dont nos murs retentissent
Entendez ses coursiers qui de plaisirs hennissent.
Pour moi , si le destin m'accorde un si beau jour ,
On me verra penché sur le sein de l'amour,
Instruisant ma Cinthie , et lui faisant connaître
Les villes dont César se sera rendu maître ,
Les noms des rois vaincus , et leurs sceptres brisés ,
Leur famille arrachée à leurs toits embrasés ,
Et l'arc qu'un fier Gaulois d'un bras nerveux prépare ,
Et les traits qu'en fuyant lance un peuple barbare.
Protège tes enfants , ô Vénus ! que nos murs
Toujours plus révérés dans les siècles futurs
Brillent enorgueillis de leur constante gloire !
Partagez entre vous les fruits de la victoire ,
Soldats dont la valeur a su les conquérir ;
Je ne demande rien, je ne veux qu'applaudir.
La paix , l'heureuse paix que les mortels implorent
PRAIRIAL AΝ . Χ. 371
Pour Dieu connaît l'Amour , et les amants l'adorent.
L'amour offre , il est vrai , de terribles combats ;
Cinthie , oh ! tu le sais , je ne m'y livre pas
Pour imprimer la honte au front,sacré des princes ,
Ni pour boire , dans l'or ,les pleurs de cent provinces ;
Je préfère Cinthie , et ses doux entretiens ,
Au prix de mille arpents aux bords Campaniens.
Dans tes vases , Corinthe , offre moi l'ambroisie ,
Et je préférerai les baisers de Cinthie.
1
..
1
9
Des mains de Promethée ouvrage infortuné ,
L'homme est , par son destin , à souffrir condamné.
Comme notre existence est pénible et fragile ! .
Lorsqu'un pouvoir divin façonna notre argile ,
Il devait , à notre amet aveugle en sa prison ,
Comme le plus sûr guide , assigner la raison.
Hélas ! nous repoussons sa clarté bienfaisante ;
A peine dégagés d'une guerre sanglante
Nos drapeaux vont chercher de nouveaux ennemis,
Insensés conquérants , vous seriez- vous promis
D'emporter vos trésors dans les royaumes sombres ,
Il faut's'en séparer quand on va chez les ombres .
C'est-là que les vainqueurs sont mêlés aux vaincus :
"
1
Jugurtha , je t'y vois auprès de Marius ;
L'infortune y jouit du sort de l'opulence;
Entre Irus et Crésus , il n'est plus de distance.
Omort ! que de leçons naissent de' tes rigueurs !
Tu fais mettre à profit la vie et ses douceurs .
Pour moi , je me souviens encore avec ivresse...
D'avoir sur l'Hélicon promené ma jeunesse ;
Les muses m'enflammaient par leurs divins accords.
Maintenant , ô Bacchus ! tu doubles mestransports !
J'aime que ton nectar pèse sur ma paupière,
Tu fixes sur mon front la rose printanière.
Mais , lorsque la vieillesse aura glacé mes feux ,
2 ..
372) MERCURE DE FRANCE ,
Eveillé ma raison et blanchi mes cheveux ,
C'est alors que , sondant les lois de la nature ,
On me verra chercher dans cette route obscure
L'invisible moteurs qui regit l'univers ,
,
1.
2
Le lever de Phébus , sa fuite au sein des mers ,
Le mobile croissant dont Phébés ceint sa tête
La maini quinsur les flots déchaîne la tempête ;
Si monde ébranlé doit un jour s'engloutir ,
Pourquoi la terre tremble , et qui peut obscurcir
Sur son char eclatant le dieu de la lumière.
Iris , toi d'un ciel pur charmante avant courière ,
Tu me diras comment l'orage,ténébreux
Peint de mille couleurs ton écharpe anos yeux.
Vous , troupeaux , qu'au matin je vois fuis dans la plainė,
Quel penchant au bercail sur le soir vous ramène ?
Je voudrais deviner,pourquoi mon faible corps
Se ranime au printemps, par quels secrets ressorts
L'onde qui dans les airs voyage suspendue
En fertiles torrents s'échappe,de la nue .
Je chercherai quel être a pu dire aux saisons
De nous donner des fleurs , des fruits et des moissons ,
Qui retient l'océan dans ses grottes profondes ,
Si dans les vastes cieux roulent de nouveaux mondes ,
Si les géants , pruis par les dieux, immortels ,
Subissent aux enfers des tourments éternels.

Sanglante, Tisiphone , horribles Egmenides ,
Dont le front est armé de serpents homicides ,
Phinée,sen quiola, faim, remplacerles shourreaux ,
Tantale, que la soif brûle au milieu des eaux ,
Vous , Théséel, Ixion , Cerbère impitoyable ,
Lapithes , Salmonéd , o Titie effroyable ,
Qui,dans ton corps nourris un vautour dévorant ,
Vous n'échapperez point à mon oeil pénétrant ;
Oui , je dévoilerai vos terribles chimères ,
49
:
T
T
!
PRAIRIAL ANX. 373
1
Aux coupables humains hélas ! si nécessaires ;
Je saurai , quand la mort nous range sous sa loi ,
Si l'avenir douteux nous cause un juste effroi :
Voilà tous les pensers du reste de ma vie.

O vous ! dont les lauriers font la plus chère envie ,
Volez , enfants de Mars , sur les bords de l'Indus ;
Mais surtout rapportez les drapeaux de Crassus .
V. DARUTY .
LOGOGRIPHE.
:
QUOIQU'ON me foule aux pieds , je suis pourtant utile ;
On me trouve au village , on me trouve àla ville :
J'ai même emploi partout ; tantôt aux pieds des rois ,
On sous le lourd sabot du simple villageois.
4
J'ai bon nombre de soeurs qui partagent ma tâche :
La plus jeune domine ; aucune ne s'en fâche :
Ses anciennes , toujours gardant un rang plus bas ,
S'empressent tour-à-tour de lui cédér le pas.
Veux-tu , de mes six pieds , déranger'la structure ?
Dans eux , mon cher lecteur , tu trouveras d'abord
Le plus beau des présents faits à la créature ; ...
Un terme de triçtrac , un arbre , un château fort ,
L'arme du dieu malin qui rit de sa blessure ,
L'air que bat un tambour , une espèce d'étang ,
Et ce qui du guerrier fait répandre le sang.
( Par E. D. М.
CHARADE
TuU verras mon premier au doigt de ma Themire ;
Fais mon second avant de parler et d'écrire :
De mon entier , peu de gens , cher lecteur ,
Savent se faire honneur.
&
374 MERCURE DE FRANCE ,
ÉNIGME.
Au village , à la ville ,
Partout je suis utile,
:
Je procure souvent la santé , le repos :
Avec moi pourquoi donc est-on si malhonnête ?
Dira-t-on que des gens je me jette à la tête ?
Aussitôt que j'arrive , on me tourne le dos ,
On ne veux pas me voir , on est mal à son aise
Et , par un procédé nouveau ,
to
,
C'est , quand je veux sortir , que l'on m'offre une chaise ,
A moi qui , pour entrer , m'étois mis tout en eau.
Pár un Abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot du Logogriphe est Erato , où l'on trouve
Rat , en retranchant la première et la dernière lettre .
Le mot de la Charade est Merveille.
Le mot de l'Enigme est Chapeau .
Essai sur l'émulation dans l'ordre social , et
sur son application à l'éducation ; par le
citoyen Raymond , professeur d'histoire à
l'école centrale du Montblanc . vol. 8.º Prix ,
3fr. , et 4 fr. franc de port. A Paris , chez
Fuchs , libraire , rue des Mathurins , et
chez Lenormant , rue des Prêtres- Saint-Germain-
l'Auxerrois , n.º 42.
:
DESCARTES , le premier , nous avait révelé
l'importance et enseigné l'usage du doute , dans
PRAIRIAL AN Χ. 375
REEFA
l'étude de la philosophie. A l'aide de ce fil d
licat , il avait parcouru le vaste labyrinthe fes
opinions humaines. Ce génie entreprenant, qui
ne connaissait pas de bornes pour lui -même ,
nous avait marqué le point où il fallait s'arte
ter dans nos recherches : et , comme l'espit
humain est plus naturellement porté à décider
avec présomption qu'à juger avec lenteur ,
la méthode circonspecte de ce grand homme
fut regardée justement comme le premier pas
vers la véritable philosophie , à cette époque
où le monde , infatué de cette science de mots
qu'il avait puisée dans Aristote , s'imaginait pouvoir
trancher sur tout sans rien connaître à
fond. On a beaucoup parlé de la hardiesse et
de l'indépendance de Descartes, la philosophie du
siécle l'a vantée , pour s'en faire un appui ; mais
qu'elle apprenne à admirer plutôt le sage tempérament
qu'il sut garder. C'est un grand exemple
dont nous avons besoin. Il ne secoua pas
les préjugés , comme on se l'imagine ; il osa seulement
en recommander l'examen. Il nous a
ouvert son ame dans ses livres , et nous y pou
vons suivre le progrès de ses idées. Nous n'y verrons
pas sans étonnement que la première démarche
de cet esprit si perçant et si libre fut
de distinguer les objets que la raison humaine
a le droit d'approfondir de ceux qu'elle ne
peut que révérer , employant à la découverte
des uns tout ce que la nature lui avait donné
de pénétration et de sagacité , et portant dans
la méditation des autres , tout ce que la religion
inspire de docilité et de respect. Aussi ,
tandis qu'une imagination envahissante emportait
cet aigle dans les hauteurs du monde phy-
س
376 MERCURE DE FRANCE ,
sique , la foi retenait sa raison dans la profondeur
de ses mystères. Et dans les choses même
qui sont du ressort de l'esprit humain , comment
se figure-t-on qu'il procéda ? Il ne faut
pas croire que ce doute qu'il nous prescrit et
dont il nous a exposé les principés dans son
admirable méthode , fut autre chose qu'une
voie sûre pour parvenir à la connaissance du
vrai. Il ne le regardait pas comme un état
fixe où l'on dût s'établir , il n'entendait pas qu'on
s'y reposât , parce qu'il n'y a de repos , que dans
la vérité : et certes ni lui ni son sublime disciple
, Mallebranche , n'ont jamais compris
qu'on dût perpétuellement remettre en question
les premiers principes de la société.
Il étaient donc bien éloignés de l'esprit philosophique
ceux qui sont venus depuis nous
dire qu'il fallait remuer tous les principes pour
les mieux connaître , et qui osant élever les
nuages du doute jusqu'aux vérités inaccesibles
à notre courte intelligence , ont enfin conduit
la foule des esprits légers à cette déplorable conelusion
qu'il n'y a donc rien de certain , rien
de vrai sur la terre , malgré cette ferme assurance
donnée au juste de ne pas l'abandonner
éternellement aux vagues de l'erreur. Non dabit
in eternumfluctuationem justo. Quel autre
effet devait-on attendre de ce débordement de
questions académiques qui , agitant imprudemmént
les points les mieux éclaircis et les plus
respectables , encourageaient de présomptueux
écrivains à tout attaquer , par des paradoxes
aussi dangereux pour l'ordre qu'humiliants pour
la raison ? Et pouvait-il arriver autrement qu'une
nation éclairée en vînt à ce point de démence
PRAIRIAL ANX. 377
de ne plus rien croire de ce qu'elle avait cru
pendant vingt siéeles , de fouler aux pieds tout
ce qu'elle avait honoré , et de tout réduire en
problême , jusqu'au principe de son existence ?
Soyons de bonne-foi , quand nous sortirions tout
à l'heure des forêts , quand nous n'attrions jamais
ouï parler d'universités ni d'académies ,
quand nous n'aurions aucunes idées d'ordre social
, pourrions -nous professer une ignorance des
* choses morales plus profonde que celle qui paraît
dans plusieurs de nos disputes philosophiques
?
On nous demande si l'émulation est de quelqu'utilité
dans l'éducation ?
Mais conçoit-on bien que chez un peuple qui
a vu fleurir tant d'écoles célèbres , qui a produit
tant de génies excellents , qui possède encore
des livres où l'honneur est si bien approfondi
, un corps savant s'abaisse à faire de pareilles
questions ? Quoi ? des gens de lettres
parvenus dans leur carrière à un rang d'honneur
, et qui par l'esprit même de leur état , ont
dû mille fois ressentir les généreuses flammes
de l'émulation', en sont encore à douter si l'é- ⚫
mulation est bonne à quelque chose ! et il faut
que les amis de la vérité prennent la peine
de faire de gros livres pour leur éclaircir ces
éléments de l'éducation qu'assurément ils ne
sauront jamais , si leurs propres réflexions et
leur expérience n'ont pas suffi pour les en instruire
.
<<<Je dis de gros livres , reprend. ingénument
<<< l'auteur de l'essai , car , en fait de morale ,
« si le mien l'est trop sans doute par la far-
<<<blesse de son exécution , il le serait trop en378
MERCURE DE FRANCE ,
<< core , fût-il un chef-d'oeuvre , par la nature
<< de son objet , l'un des plus inutiles dans la
<< société. » Et il ajoute :
<< Bien des lecteurs s'étonneront peut - être
<< qu'on ait pu mettre en question le sujet de
<< ce livre , et ne sauront comprendre comment
<< on a pu demander s'il était bon qu'il y eût
<< de l'émulation parmi les hommes ; mais ces
lecteurs- là ne savent pas que , dans ce siécle
<< des lumières , ce sont précisément les choses
«
« les plus évidentes , qui ont le plus besoin d'ê-
<< tre prouvées , que les paradoxes les plus
<<<extraordinaires ont seul , comme de raison ,
<< des titres incontestables à opérer sur le
<< champ une pleine et entière conviction. »
Nous savions cela trop bien malheureusement.
Mais il est temps de faire cesser ce scandale
dans l'instruction publique ; quand cette
fluctuation de principes n'aurait d'autre danger
que d'entretenir les esprits dans les agitations du
doute , il serait de notre devoir de nous élever
contre elle. Regardons à la source du mal , nous
la trouverons toute entière dans ce culte insensé ,
dans cette admiration d'idolâtres , que nous professons
pour de malheureux esprits qui ont su
nous éblouir par quelques éclairs d'imagination.
L'auteur d'Emile s'est avisé de déclamer contre
l'émulation, il lui a plu de la considérer comme
un des fléaux de la société . C'en est assez pour
qu'on n'ose plus louer l'émulation qu'en tremblant.
Dites-moi, Philosophes , qu'a doncde plus la
superstition ? Voici un homme que sa conscience
détermine à écrire contre le sentiment de Rousseau
. Sa raison le force invinciblement à reconnaître
la folie et l'inconséquence de cet écriPRAIRIAL
AN Χ. 379
1
vain. Mais attendez , il faut auparavant qu'il se '
prosterne , qu'il confesse aux pieds du maître
sa témérité , qu'il lui demande pardon d'oser
avoir raison contre lui. « C'est dans des lieux
<< habités par Jean-Jacques , nous dit ce-profes-
<< seur , que j'ai osé tracer quelques-unes de ces
< lignes sur l'éducation. Les pages immortelles
« de l'Emile sous les yeux , et invoquant le gé-
<< nie de son auteur, je le priais de pardonner
« à ma témérité . »
On pourrait concevoir cette étrange soumission
, s'il s'agissait de quelque point problématique
sur lequel on dût craindre d'entrer en
contestation avec un homme de génie. Mais
ici de quoi s'agit-il ? de la question du monde
la plus oiseuse , la plus inutile à traiter , comme
la plus facile à résoudre ; et ce défenseur
de l'émulation convient lui-même que son
maître n'offre sur ce point que des méprises
et des contradictions évidentes. Est-ce donc le
cas de l'adorer et de se prosterner? Si je le conçois
bien , c'est une vive et courte apologie de
l'émulation qu'il s'agissait de faire, plutôt qu'un
traité en forme. Il fallait la défendre contre les
sophismes de Rousseau, plutôt qu'en établir di
rectement l'utilité ; car quel intérêt , quel nouveau
trait de lumière tirez-vous des preuves
positives ? Vous nous dites que l'émulation est
un sentiment naturel à l'homme. On le savait ,
et cela ne prouve rien. Vous ajoutez avec Rousseau
et contre lui que tout ce qui est dans
la nature de l'homme est droit. Rousseau vous
eût accordé cela ; mais, en même temps, il vous
aurait nié que l'émulation fût un sentiment na,
turel ; il n'aurait pas manqué de vous répon380
MÉRCURE DE FRANCE ,
dre que c'était encore une invention de la société
qui , comme vous savez , n'est pas un état
naturel selon lui ; et ainsi vous n'en seriez
pas plus avancé avec votre faux principe . Si
vous disputez avec des hommes de bonne-for ,
vous leur ferez sans doute très-bien comprendre
que l'émulation n'est pas l'envie ; qu'elle
n'a rien de commun avec l'ambition ; que c'est
une passion généreuse qui nous fait courir avec
ardeur dans la carrière du bien ; vous en appel-
Jerez à ces trophées de Miltiade qui ne laissaient
pas dormir Thémistocle : vous montrerez
aussi que l'homme ne peut juger qu'en comparant
; que pour se rendre compte de ses
progrès et se connaître , il n'a point d'autre
mesure que la comparaison qu'il fait de luimême
avec les autres ; que lorsque les objets
de cette comparaison sont bien choisis , et qu'il
en résulte un sentiment d'honneur et de vertu
qui le porte à égaler ou à surpasser même ceux
qui se distinguent par des qualités estimables ,
on appelle ce sentiment Emulation ; et qu'ainsi
c'est tordre et corrompre à plaisir le sens des
mots que de confondre , comme le fait Rousseau
, ce ressort de la vertu avec l'envie qui
agit manifestement dans un sens tout opposé ,
puisqu'au lieu de s'efforcer d'atteindre le mérite
, elle voudrait au contraire le retarder dans
sa course .
Et sur ses pieds en vain tâchant de se hausser ,
Pour s'égaler à lui cherche à le rabaisser.
Tout cela ne peut pas faire la matière d'une
question ; et je n'envie pas le don de composer
un gros livre là-dessus . J'aimerais mieux écrire un
PRAIRIAL AN Χ. 381
volume , comme cet allemand , sur un zest de
citron . Au moins le sujet serait nouveau ; mais
je ne vois rien de plus insipide que de faire
le fin et le profond , pour vous apprendre ce
que tout le monde sait. N'allons pas nous imaginer
que l'Institut national eût besoin de lecons
sur le sujet qu'il a proposé. Ce ne peutêtre
qu'un respect singulier pour le grand nom
de Jean-Jacques , qui l'ait porté à révoquer en
doute l'utilité de l'émulation , dont personne
n'a jamais douté ; il suffirait donc de lui faire
voir que l'opinion du grand-homme ne pouvait
avoir ici aucune autorité , et c'est ce qui est
très-facile, en opposant Rousseau à Rousseau ,
comme on le peut faire presque toujours , et ce
qui est en même temps très-concluant : car en
fin , on n'est pas tenu de croire et de respectér
un homme , plus qu'il ne veut se croire et se
respecter Jui-même. Ecoutons done un moment
le précepteur d'Emile.
Il est bien étrange , nous dit- il , que depuis
<< qu'on se mêle d'élever des enfants, on n'ait
<<pas imaginé d'autre instrument pour les con
<< duire que l'émulation , la jalousie , l'envie ,
<«<la vanité , l'avidité , la vile crainte , toutes
<< les passions les plus dangereuses , les plus
<< promptes à fermenter , et les plus propres
<< àcorrompre l'ame ..........
Passons , si vous voulez , sur la sottise qu'il
y a de s'imaginer que depuis que l'émulation
est,mise en oeuvre dans l'éducation , c'est-àdire
depuis que la société existe , on ne soit
parvenu encore à former que des hommes
dépravés . Voyons quel moyen nous fournit
ce philosophe pour redresser le genre humain.
382 MERCURE DE FRANCE ,
« Jamais , nous dit-il , de comparaison de votre
« élève , avec d'autres enfants. Point de con-
<<< currents même à la course . J'aime cent
<< fois mieux qu'il n'apprenne point ce qu'il
<<n'apprendrait que par jalousieou par vanité. »
,
Voilà qui est à merveille. Mais veut-on savoir
le grand profit qu'il y a à tirer de cette méthode
? Suivons-en l'application.
Emile va à la foire St. Germain avec son précepteur.
Il y voit un joueur de gobelets qui , au
grand étonnementde tout le monde , fait mouvoir
un canardde cire avec un morceau de pain qu'il
lui présente. En voilà assez pour tourner la
tête de ce merveilleux élève si bien mis en
garde contre l'opinion et contre toute rivalité.
L'histoire de ce canard devient pour lui le trophée
de Marathon. Il n'en dort plus. Il faut
absolument qu'il en trouve le secret. Il ne sera
pas content s'il n'éclipse le bateleur. Son judicieux
précepteur ne manque pas de l'aider dans
ce beau projet. Ils viennent à bout de conce.
voir la mécanique , et mon jeune sot retourne
à la foire , brûlant d'impatience de se signaler.
Mais ici il faut entendre le maître lui - même.
<< Sitôt que le joueur de gobelets a fait son tour ,
<< mon petit docteur qui se contenait à peine , lui
<< dit que ce tour n'est pas difficile , et qu'il
« en fera bien autant . A l'instant , il tire de se
poche le pain où est caché le morceau da
fer. En approchant de la table , le coeur lui
bat . Il présente le pain presque en tremblant.
<<<Le canard vient et le suit. Aux battements de
mains , aux acclamations de l'assemblée , la
<< tête lui tourne. Il est hors de lui............
<< Il veut babiller, mais je lui ferme la bouche ,
....
1
PRAIRIAL ANX. 383
« et l'emmène combléd'éloges . » Laissons la fin
de l'histoire et les grandes vues du précepteur
pour ce qu'elles valent. Convenons que voilà un
maître bien justement satisfait de son système ,
et surtout un élève qui en a bien profité . Cet
enfant de la nature qu'on a garanti de l'émulation
, comme d'un vice , finit par être le rival
d'un joueur de gobelets. Cela n'est-il pas
admirable ? Mais veut-on voir une contradiction
plus forte et plus risible encore , s'il est
possible ? Nous ne sortirons pour cela , ni du
sujet ni du livre ,
Le même Jean -Jacques nous apprend , qu'il
fut chargé d'exercer à la course un jeune gentilhomme
des plus indolents. Cela n'était pas
aisé pour lui , qui , dans ses préceptes , avait
proscrit formellement toute émulation et toute
concurrence , même à la course. Mais ce grand
homme n'est pas embarrassé pour secouer un
précepte . Que fait ce génie inventif? Il imagine
de rassembler des polissons , et de leur proposer
de gagner des gâteaux à la course. Voilà
d'abord l'attrait de la gourmandise bien savamment
employé , et pour y joindre un stimulant
plus capable encore de remuer le coeur dugentilhomme
, il s'avise de mettre de la solennité
dans ces jeux , et d'en faire un spectacle pour
tout le monde. N'est-il pas bien clair que tout
cela n'a rien de commun avec l'émulation? Qu'on
admire , si l'on veut , ou si l'on peut , l'ingé
nuité de ce récit ...
<< Celui , dit-il , qui remportait le prix était
<< fêté , loué , tout se faisait avec appareil. Pour
<<augmenter l'intérêt , je marquais la carrière
<<plus longue, j'y souffraisplusieurs concurrents.
:
i
384 MERCURE DE FRANCE ,
<< Tous les passants s'arrêtaient pour les voir.
<< Les acclamations , les cris , les battements de
<< mains les animaient. Je voyais mon petitbon-
<<< homme tressaillir , se lever , s'écrier , quand
<< l'un était prêt d'atteindre ou de passer l'autre.
<<<C'étaient pour lui les jeux olympiques. >> Enfin
, qu'arrive- t- il ? C'est que M. le chevalier ,
jaloux d'avoir part aux applaudissements et aux
gâteaux , devient un excellent coureur ; et ce
qui est encore plus beau , c'est que s'accoutumaut
à la victoire , elle le rendit généreux , au
point de lui faire partager le prix avec les vaincus.
Et voilà comme Jean-Jacques , toujours
conséquent , nous démontre les dangers de l'émulation
et des concurrents. Pour le coup , l'enthousiasme
du professeur Raymond a peine à se
soutenir.
Ilfautconvenir , dit-il , que ce n'est qu'avec
« l'éloquence de Rousseau que l'on peut s'ou-
<< blier à ce point , et que toute autre plume
que la sienne réussirait mal à faire supposer
de pareilles choses .»
-Mais je vous demande , habiles gens , quelle
est donc cette éloquence qui n'a pas pour
fondement la vérité ? Quel est ce génie qui n'enfante
que l'erreur ? Osons une bonne fois nous
rendre compte de notre admiration . Laissons
des femmes faibles se pamer súr les phrases brû
lantes de l'Héloïse . Laissons des hommes sans
jugement s'user les genoux sur le piedestal de
ces philosophes ; mais nous , formés à l'école
de Descartes , nous qui estimons la vérité pardessus
tout , songeons que ce n'est , dans aucun
siécle , ni Aristote ni Rousseau qu'il faut révérer
, c'est la raison.C. D
"
PRAIRIAEAN 386
S.D
VARIÉTÉS.
Secorde Lettre sur l'Angleterre.
11
Londres , 17 Mai 1802,
2
JEE vous ai promis des détails sur ce qu'on appelle ici
des fetes pour la paix , et j'ai pris soin de vous
avertir que ces prétendues fêtes n'ont rien de com
mun avec la paix. On les a mises sous son nom , parce
qu'elle était alors l'objet de l'attention publique , comme
onannonce déja des fêtes pour la naissance du roi ,
c'est-à-dire , des reunions ou chacun ira pour son
est supad t
argent.
108 4
1
)
Avant d'avoir vu Londres , j'avais entendu dire que
les bals masqués y étaient plus spirituels qu'a Paris ,
et l'on en donnait pour preuve les diverses déguise
ments qui , presque toujours , annoncent un caractère ,
tandis que nos dominos sont fort insignifiants. C'est
ainsi qu'on juge de tout sur l'apparence. Je suis maintenant
très -persuadé que tout l'esprit d'un bal masque
à Londres est dans les déguisements , tandis qu'a
Paris l'uniformité des dominos n'a été adoptée que
parce que cet habit aide bien à cacher le personnage
qui se trahirait si facilement par l'adresse de ses atta
ques , la finesse de ses réparties , si d'avance il n'avait
employé tous ses soins pour bien déguiser sa personne.
Ici la vanité perce jusque sous le masque , et l'univers
apprend , dès le lendemain , par les journaux , que les
lords et lady tels et tels étaient déguisés au bal de la
veille , de telle et telle manière. Preuve certaine que ,
sous le masque , ils n'ont compromis ni leur dignité ,
ni leur esprit ; tandis qu'en France nos femmes , en
gardant un rriiggoureux anonyme , jouissent souvent
1
8. 25
386 MERCURE DE FRANCE ,
1
i
quinzejours encore après le dernier bal , des petites inquiétudes
qu'elles ont jetées dans leur sociétés .
Lagrande fête pour la paix était annoncée à Ranelagh ;
le billet d'entrée était d'une demi-guinée , ce qui donnait
l'assurance qu'il y aurait beaucoup de monde . La
salle est superbe, par sa grandeur plus que par sa
décoration ; et sa forme parfaitement ronde permet
qu'on s'y promène assez longtemps sans trop s'apercevoir
qu'on tourne surplace ; c'est absolument comme
au manége. L'illumination est avantageuse aux femmes ,
parce qu'elle fait venir la lumière d'en haut ; mais on
sent un peu trop l'odeur de l'huile , odeur inévitable
de toute illumination dans un endroit renfermé.
Il y avait aumilieu de la salle un monument carré,
dont chaque face offiait un transparent ; sur l'un était
Bonaparte,et le roi George debout devant un autel ;
le roi tenant l'olivier de la paix ; le consul le laurier
de la victoire. Je ne sais si le peintre y avait entendu
finesse: mais enfin , puisqu'il fallait que le roi tînt quelque
chose , il était assez simple de lui laisser l'olivier.
Les autres transparents représentaient des attributs et
des succès de commerce ; car ici l'esprit de commerce
vous poursuit jusque dans les fêtes .
" L'assemblée était nombreuse. Les modes étant un
objet de curiosité pour les Français , j'observerai qu'il
n'y a pas la moindre difference entre le costume des
hommes des deux nations ; il n'en est pas de même pour
les femmes , les Anglaises sont restées à peu près où les
Françaises étaient il y a dix ans . Cependant depuis que les
communications sont rétablies , il se fait un changeiment
de jour en jour plus sensible , et je vous assure
que les Françaises ne perdront pas ici le privilégequ'elles
ont de servir de modèles aux femmes de l'Europe policée.
د
1
:
Rien n'est plus remarquable pour un étranger que
PRAIRIAL AN) X31 387
le silence qui règne à Londres dans une promenade
consacrée au beau monde , et dans une fête payée.
On marche , on tourne , sans que la gaieté vienne troubler
le calme ; un aveugle pourrait se croire dans the
solitude. En général toutes les figures sont sérieuses ;
même celles qui sont ridicules , et l'on voit surtout des
hommes se promener seuls trois heures de suite , avec
un visage si profondément mélancolique , que dans
tout autre endroit qu'un lieu consacré au plaisir , on
ne résisterait pas au besoin de les aborder pour leur
offrir quelque consolation. On croit les Allemands
profonds , parce qu'ils réunissent à la fois l'imagination
et la pesanteur. On a peint les Anglais graves ,
parce qu'ils sont tristes ; on nous a cru légers , parce
que la nature nous a donné des conceptions vives ;
c'est encore ainsi qu'on juge sur l'apparence. Le Français
qui ne se compose jamais , par la raison sans doute
qu'il a assez de qualités pour ne pas craindre d'avouer
ses défauts , est gai à jeûn , gai lorsqu'il a dîné. Cherchez
la gravité d'un Anglais lorsqu'il a bu , et vous verrez
que , sans la moindre gaieté , ses propos sont d'une
licence qui révolte notre délicatesse. Un père dit ,
vant son fils , de ces gros mots qu'on ne saurait plus
en France , si le plaisir et le mystère n'avaient pris
soin de les conserver quand la décence les raya de notre
langue. Je ne crois pas à la gravité d'un peuple qui
boit ; et , parla même raison ,je crois à sa tristesse.
२.
:
92 93
10
de
Il y a ici beaucoup de belles femmes ; mais le premier
qui a dit que les Anglaises avaient deux bras
gauches , a bien examiné ce qui leur manque . Une
chose qui aide beaucoup à faire ressortir les jeunes
femmes , c'est que les vieilles n'ont pas d'âge , du moins
dans leur toilette. La grande maman se met comme
sa petite- fille , sauf que la vieillesse qui se pare ajoute
toujours enridicule ce que lajeunesse gagne en agrément ;
P
)
"
"
1
3883
MERCURE DE FRANCE ,
2
etpour peu qu'on soit tenté de danser à Londres avec un
demi -siécle,,on ne manque pas d'occasion. Autrefois ,
en France , les femmes de bon ton se faisaient vieilles
avant le temps ; il y a à cela une coquetterie qui ne
pouvait se rencontrer que chez un peuple très -spirituel
; du moins nous est- il resté un goût de convenance
qui reprendra tout son empire à mesure que la tranquillité
nous permettra de porter notre esprit d'observation
sur les ridicules saillants . Il y a aussi à Londres
des vieilllleess ffeenmmes qui ont le bon esprit de prendre
leur parti ; leur toilette est de très -bon genre , et leur
donne un air d'amabilité qui frappe agréablement.
"
La promenade dans un immense salon n'est pas
le seul plaisir qu'on goûte à Ranelagh ; il y a un orchestre
qui exécute des symphonies ; de temps en temps
une cantatrice déploie son talent , et par fois on
fait entendre un morceau d'ensemble ; alors la plus
grande partie des promeneurs s'arrête devant l'orchestre
; on écoute , et quand la musique cesse , on
recommence à se promener , tout cela dans le plus
grand silence. La musique anglaise est imitée de la
musique italienne , et c'est pour cela sans doute qu'elle
ne produit aucun effet sur les auditeurs. Il en est de même
dans les spectacles où l'on chante en anglais ; mais
aussi quand , par hasard , on exécute un morceaudont
le mouvement a le caractère de la musique nationale
il fait grande sensation , et cela se conçoit. Il y a des
peuples organisés pour jouir de tous les arts , et d'autres
qui ne penseraient pas à en jouir , s'ils ne savaient pas
le prix qu'on peut y mettre.
9:2
Il faisait froid , et l'on ne se hasardait un moment
dans le jardin , que pour voir la même illumination
qui avait attiré tant de curieux devant la maison de
M. Otto , le soir de la proclamation de la paix.
abien fallu cependant, braver la saison au moment
PRAIRIALANX.
REPFRA
f
:
nom du
et on devait
du feu d'artifice , annoncé avec éclat , sous
célèbre artiste français , M. Rugiery ,et
montrer de ces choses curieuses qu'on n'avait encore vu
qu'à Paris . Vous savez , pour un habitue de Paris
combien un feu d'artifice a peu d'intérêt ; aussi m'oc
eupai-je à examiner toutes les figures qu'il éclairait.
C'est- là que , pour la première fois ,j'ai deviné qu'un
feu d'artifice pouvait produire des sensations très-vives .
Les Anglais étaient vraiment enchantés ; le sourire
était sur les lèvres . Un murmure d'approbation , et le
very well se faisaient entendre distinctement. Enfin
on alla jusqu'aux applaudissements. Vous voyez bien
que le plaisir est de tous les pays , et que la gravité peut
être déconcertée par une, fusée.200 st basep
Ilya , en ce moment , exposition de tableaux ; on
paye un schelling pour entrer , ce qui n'empêche pas la
foule de s'y porter , surtout les femmes qui , malgré
tout ce qu'on a dit, savent moins vivre chez elles à
Londres qu'à Paris. Un Français ne peut s'empêcher
de trouver extraordinaire qu'un gouvernement reçoive
24 sols au profit d'un établissement destiné à répandre
ale goût des arts. Eh ! mon dieu ,s'ils avaient à Londres
notre Museum , combien done feraient-ils payer la
permission de le voir ? L'intérêt n'est pas ici un sentiment
vil , puisqu'il est le mobile des spéculations , et
que spéculer c'est étre Anglais. La manie d'imiternous
avalu depuis peu , en France , la honte de voir quelques-
uns de nos peintres vendre la vue de leurs
tableaux. Si les arts sont tout divins , doivent-ils annoncer
leurmisère àà llaa ppoorrttee du sanctuaire. Cet usage
aurait bien dû rester ici. Iln'est pasdans nos moeurs ,
mais il est dans les moeurs de cette nation qui a trouvé
le vrai secret d'assujettir les productions du génie aux
droits de douane. Les tableaux n'entrent pas en Angle1.5terre
sans payer, et le tarif est ccaallccuulléé à tant le pied,
390 MERCURE DE FRANCE,
D
A
les bordures comprises ; ainsi Raphaël et le Poussin
payent comme ces peintres d'enseignes à bière ; certainement
voilà de l'égalité.
L'exposition de cette année est toute en portraits ;
c'est ppoour examiner des portraits qu'on payeàlaporte ;
ce qui est mauvais l'est si complètement qu'il devient
impossible de ne
100
bebpaass s'étonner , en remarquant qu'on
s'y arrete. Je crois que cela vientddeedceeque personne
n'oublie qu'il a payé pour tout voir. Je ne peux juger
paarr mmes comparaisons; mais l'exposition de cette an-
"née est d'une grande faiblesse , quatre ou cinq morceaux
excéptés , dont deux sont de mains françaises.
Le fond des tableaux est toujours manqué , surtout
quand le peintre s'est avisé d'y placer un paysage.
Cela détruirait cette maxime que l'art rend bien ce
5. qui frappe sans cesse les yeux de l'artiste ; car la campagne
offre en Angleterre des aspects séducteurs , quoiqu'on
ait exagére ceci comme tout ce qu'on a dit de
19 ce pays. 1090 zin Cup aband
970 L'exposition offre aussi quelques morceaux de sculp-
91ture , c'est-à-dire des bustes. L'un qui représente
29 Adam est de M. Siddons , si connue comme actrice
of tragique. Il y ade la grandeur dausl'ensemble des traits ;
-mais, en le considérant , onpense surtout à cette femme
3 quigi au milieu de la séduction des applaudissements ,
fua conservé des moeurs pures , et ce goût des arts qui
-Jofait aimerbla vie sédentaired us quoqйву в
anal ob. 907 of 28 9 8o5 2050 25

91921 19. 1980
NEECCRROLOGI E.
siup noitea91192Mercedi ag floreal
,
;
an to.
0813175.
L'E'titoyen Jean-Joseph Jerphanion , syndic du cidevant
Velai , province de Languedoc , est décédé au
PRAIRIALANX
391
Puy ( Haute- Loire ) , le 28 floréal dernier , âgé de 78
ans. Au moment de son inhumation, le citoyen Barrès ,'
secrétaire-général de la préfecture de la Haute-Loire ,
interprète des regrets , et de l'estime du préfet , et de
tous les citoyens de la ville du Puy ; sur le devant du
cercueil, et au milieu de toutes les autorités civiles
et militaires , de lagarde nationale et d'un peuple immense
, a dit > ??????????????????? = ? તે 3575388 3h to
Citoyens , si les regrets et l'estime publique doivent
survivre àla vertu ; si la reconnoissance doit jeter quelques
fleurs sur la tombe de l'homme qui a bien mérité
de son pays ; si dans un gouvernement qui a retall
bli lamorale et toutes les institutions généreuses , l'ad
ministrateur éclairé , le éinoyen vertueux, le père de
famille estimable , l'homme juste par excellence,doiť
attendre , de ses concitoyens, un dernier hommage solennel
et public; en est-il un plus légitime, plusjus
tement acquis , plus honorablement mérité que celui
que nous rendons , en ce moment , à la mémoire et aux
dépouilles mortelles de Jean-Joseph Jerphanion , ancien
syndic de la province da Velatoribenda
Vous l'avez presque tous connu , o vous qui reu
nis autour de ce cercueil , êtes venus rendre à ses
tristes restes le dernier devoir que l'amitié peut offrir ,
que la religion a consacré , que la société voit toujours
ayec reconnaissance .
Pendant 45 ans qu'il a administré cette ancienne
province , quel est le lieu le plus reculé qui ne se rappelle
, avec attendrissement , sa douce et bienfaisante
magistrature , son impartiale équité , son dévouement
généreux , son intégrité incorruptible , son désintéressement
sévère ! Combien de services rendus à son pays
par la sagesse de son administration ! quel ordre dans
les détails ! quelle économie dans les dépenses ! quelle
exactitude dans la comptabilite! quelle constance dans
392 MERCURE DE FRANCE ,
le travail, et surtout quels soins prévoyants et affectueux
à faire connaitre les besoins de la province , soins
qui lui ont obtenu si souvent des améliorations ou des
secours ! Aussi , le Vélai se rappellera toujours , avec
reconnaissance , que c'est à l'époque de sa gestion administrative
que remontent l'ouverture de ses plus belles
routes , la construction des superbes ports de St. - Jean
et de Brives , les premiers embellissements de cette
ville.
La voix publique a proclamé depuis longtemps avec
éclat ses vertus domestiques et privées , ses belles qualités
sociales , tous les services rendus qui lui avoient
mérité le respect et la vénération de ses contemporains.
Il a fourni une longue et honorable carrière ; il a
vu, avant de mourir , un fils qu'il chérissait héritier
de ses vertus , et promu aux premières places de l'Etat ;
un proche parent assis à côté du premier consul , et
partageant,avec lui les soins des glorieuses destinées
de la France. 33 303GR858 92 1.3
Il a recueilli les regrets des siens , l'estime de tous ,
les bénédictions de la reconnaissance ; sa mémoire sera
toujours honorée, comme celle de l'homme juste et du
citoyen Mertueux 2018rian) Shara
memoria ulo æterna eritjustus of t
amoj 2107 soos si supe
جراو
BARRE S.
SPECTACLES
37881880804b 8-38છછછ
THEATRE FAVART (OPÉRA BUFFA)
It Barbiere di Sevigliga Opéra -comique eenn quatre
antes,musique de Pansiella lleup ! listop
Semblable à nos beautés à la mode, la musique
PRAIRIAL AN X. 393
11
traîne après elle une foule d'adorateurs qui ne lacourtisent
que par ton et par vanité , ne lui adressent leurs
hommages que parce qu'elle est la divinité du jour ,
et dédaigneroient ses faveurs , si elle les leur offroit
dans le tête- à-tête. Elle réunit , il est vrai , à l'Opéra-
Buffa , quelques amants véritables qui l'aiment pour
elle-même , qui s'occupent d'elle seule , et qui négligent
tout ce qui lui est étranger. Il est aisé de les
reconnoître , toutes leurs sensations sont concentrées
dans une seule ; ils ne voient rien , ne regardent rien ;
ils n'ont que des oreilles . Que la scène soit à Londres ,
à Madrid , à Naples , peu leur importe : que les actrices
soient jolies , que les acteurs jouent bien , que
la pièce ait le sens commun , cela leur est indifférent .
Ils verroient presque de mauvais oeil un auteur qui viendroit
réclamer sa part dans l'attention qu'ils donnent
exclusivement à la musique , et qui auroit la prétention
folle de les détourner quelques instants de l'objet de
leur culte. Ils n'admettent la voix que comme un instrument
de plus , et ils rejeteroient entièrement les
paroles , s'ils pouvoient s'en passer. Mais , par malheur,
leur nombre est encore trop borné en France
pour qu'ils puissent remplir le temple de la déesse , et
suffire à l'entretien, de son culte , Il faut se résoudre à
recevoir les offrandes d'adorateurs bien moins zélés ,
et même àlui prêter une parure étrangère pour éblouir
les regards de ceux qui ne sont pas assez sensibles à
ses charmes naturels . C'est pour attirer ces derniers
qu'elle a bien voulu quelquefois, surmonter son antipathie
pour tout ce qui a l'apparence de raison, et
dans le répertoire, de l'ancienne troupe des Bouffons ,
onpouvoit compter jusqu'à trois ou quatre pièces d'où
Je seus communin'étoit, ppaass totalement explus.b tash
ouUne des plus heureuses tentatives qu'on ait faites
dans ce genre est la traduction en italien du Barbier
13
$2
394 MERCURE DE FRANCE ,
de Séville. Cette pièce revêtue de la musique de Paё-
siello , et jouée par une excellente troupe , ent en 1789
le plus grand succès. Mais sa reprise par les nouveaux
bouffons n'a pas à beaucoup près été aussi bien reçue ;
leurs moyens ont assez mal secondé leur zèle , et ont
fait faire des comparaisons qui n'étoient pas à leur avantage.
Martinelli surtout se trouvoit dans une position
défavorable ; il succédoit au brillant Mandini , dans le
rôle du comte Almaviva , qui ne convenoit ni à sa
voix ni à son jeu. Accoutumé à rendre les grimaces
des vieillards amoureux , il a senti lui-même qu'il n'étoit
pas à sa place ; il a joué froidement , et n'a mis
aucune expression dans son chant; en un mot , tout
ce qu'il a pu faire a été d'éviter le ridicule. Rafanelli
a peut- être trop chargé le rôle de Bartolo ; Parlamagni
étoit loin d'avoir la vivacité et la finesse qu'exige celui
du Barbier. M.me Rolandeau étoit presque la seule qui
ne fût pas déplacée. Quoique sa voix parut un peu
fatiguée , on l'a beaucoup applaudie , surtout quand
elle a chanté l'air : Già riede primavera. On a aussi en-
متس
tendu avec plaisir le charmant trio :
90
190
Ah ! chi sa questo suo faglio
Quando legere potrò
1
: wed
Mais la musique , en général , a été faiblement goû
tée dans d'autres bouches que dans celle de Rosine ,
et àpeine a-t-on fait quelque attention à l'air si connu
et si délicieux de Saper bramate ( vous l'ordonnez , je
me ferai connoître ). La pièce de Gli Zingari infiera ,
dont nous avons rendu compte dans un de nos numé
cros précédents , et qui est un chef- d'oeuvre de déraison,
a été bien mieux accueillie. Il faut en conclure qu'une
bonne musique produit un effet à peu près indépen
dant de celui des paroles ; que ces dernières ne font
souvent que lui nuire en détournantl'attention ; et que
si la pièce del Barbiere di Seviglia a si bien réussi en

PRAIRIAL ANX. 395
I
17892
elle en étoit bien plus redevable au jeu des
acteurs qu'à la musique de Paësiello.
:
1

11
THEATRE DE LOUVOIES.
11:3
Le Pacha de Surène , ou l'Amitié des Femmes ; par
Jes CC. Etienne et Nanteuil.
Les auteurs de cette pièce ont cru devoir nous traiter
comme des enfants ; et il assez difficile de décider si
leur sujet est pris dans Berquin ou dans Madame Bonne.
La première scène , qui offre une maîtresse de pension
aumilieu de ses écolières , nous faisoit d'abord pencher
pour leMagasin des Enfants , et nous prêtions attentivement
l'oreille pour ne rien perdre des leçons de
lady Sensée et de lady Spirituelle ; mais l'apparition
subite d'un homme nous a fait changer d'avis , et nous
avons pensé que le seul Berquin pouvoit se permettre
cette confusion des sexes. Nos lecteurs vont en juger.,
La maîtresse d'un pensionnat de Surène reproche
à ses élèves de ne pas profiter des excellents principes
qu'elles reçoivent dans sa maison. Comment , leur ditelle
, espérez -vous jamais devenir de bonnes mères de
famille , si vous ne savez pas chanter , danser jouer
la comédie ? Elle fait lire une de ses plus grandes pensionnaires
qui ouvre le Traité de l'éducation des filles
de Fénelon et rencontre précisément le passage où le
sage prélat affirme que les filles doivent être élevées
par leurs mères et que los maisons d'éducation ne sont
900
,
,
16
2316870761
61
1
2
pour elles que des écoles de frivolité. La maîtresse
interrompt bien vite cette impertinente lecture , et
fait
r
210
venir son jardinier , qui est chargé de la censure
des livres , pour lui reprocher d'avoir laissé entrer chez
elle uunn aauusssi dangereux ouvrage. Ce jardinier , qui est
un homme si essentiel pour le pensionnat , n'a dans
396 MERCURE DE FRANCE ,
1
la pièce d'autre emploi que celui de bouffon , et il
s'en acquitte assez mal pour le faire regarder au moins
comme un personnage inutile. Enfin la cloche sonne ,
et la classe finit fort à propos , car la séance sembloit
encore plus longue aux spectateurs qu'aux écolières .
Cependant M. Perceval , propriétaire du Clos- Vougeot
, artive exprès de ses vignes , non pas pour visiter
celles de Surène , mais pour épouser M.Me Laure , une
des élèves du pensionnat. Il a l'aveu de la famille ;
mais celui de la jeune personne n'est pas aussi aisé à
obtenir. Laure et deux autres jeunes pensionnaires se
sont réciproquement promis de ne jamais se quitter.De
peur d'être obligée de violer son serment elle refuse
même de voir son prétendu , qui est enfin obligé
d'abandonner la place , et de se retirer dans l'appartement
de la maîtresse pour aviser aux moyens d'apprivoiser
cette petite sauvage.
90 100
2
Cependant les trois inséparables songent à parer le malheur
dont on les menace , et elles tiennent conseil de
leur côté. Elles ne trouvent d'autre expédient que de
chercher un homme qui les épouse toutes trois . Elles
ont lu , dans leur géographie , qu'il est permis à un
Ture d'avoir plusieurs femmes et il ne s'agit que d'écrire
au grand- seigneur pour le prier de les admettre
dans son séráil. Au moment d'exécuter ce beau projet,
elles font réflexion que Constantinople est à quelque
distance de leur pensionnat , eett eelles trouvent bien
plus expéditif de s'adresser à un pacha , qui heureusement
, vient de s'établir à Suréne , de peur d'être tenté
de boire du vin contre la défense du prophète. Un
concours de circonstances favorables fait que M. Flicflac
leur maître à danser donne , quoique bégue , des
leçons de langue française à son excellence turque.
C'est lui que nos trois jeunes amies chargent de leur
missive ; mais le perfide messager au lieu de remplir
1
3
19 SD
25.7
го вп
emmod

2
PRAIRIAL AN X. 397.
(
of
2
sa mission , remet la lettre à la maîtresse. Celle- ci a
le bon esprit de ne faire que rire de ce petit complot ,
et même de s'en servir pour amener Laure à se rendre
aux voeux de ses parents. Elle imagine de faire passer
M. Perceval pour l'heureux pacha auquel on était près
de le sacrifier. Le Bourguignon n'hésite pas à se déguiser
en turc, et à renouveler , en petit , le dénouement
du bourgeois gentilhomme. Il veut , dit- il , visiter les
plus beaux monuments de la France , et il ne peut mieux
commencer que par le pensionnat de Surêne. Les deux
amies de Laure , d'après l'invitation de la maîtresse ,
déploient devant lui leurs talents . Aglaé danse , et le
pacha lui envoie un diamant ; Natalie chante , et elle
reçoit un flacon d'essence de roses ; Laure , qui est
la plus grande , est très-piquée de ce qu'on ne parait
songer à elle ; elle réclame contre cet oubli,,et on lui
fait déclamer des vers de l'abbé Delille. Le pacha ,
en se retirant , se contente de lui jeter le mouchoir. La
géographie de Laure ne l'a pas sans doute mise au
fait de cette galanterie orientale , et elle ne sait que
penser d'un si singulier présent. Ses amies , qui ne sont
déja plus pour elle que des rivales , augmentent encore
son dépit , d'abord par une comparaison dédaigneuse
, et ensuite par des railleries piquantes. Bientôt
elles l'abandonnent seule à ses réflexions. Le faux pacha
saisit ce moment , et il l'amène bientôt à lui avouer
qu'elle le suivra volontiers à Constantinople , pourvu
que ses bonnes amies ne soient pas du voyage. Alors
il n'hésite pas à se découvrir , et Laure est de l'avis
du jardinier , qui prétend que le propriétaire du Clos
Vougeot vaut bien le pacha de Surêne.
Cette petite pièce a complètement réussi en dépit de
ses invraisemblances ( sorte de défaut auquel on est
convenu de ne plus faire attention ) ; et malgré quelques
plaisanteries assez libres , ou peut- être en partie
398 MERCURE DE FRANCE ,
à cause d'elles. On ne peut refuser aux CC. Nanteuil
et Etienne d'avoir traité avec beaucoup d'esprit et
d'équité un sujet dont le fond d'ailleurs est piquant.
Comment n'auraient-ils pas gain de cause ? Ils ont
fait rire. Nous croyons cependant que les acteurs des
Deux Mères avaient eux -mêmes donné au public le
droit d'être un peu plus sévère sur leur nouvelle production
, et d'exiger davantage de leur talent.
مث
ANNONCES....
1
ر
Discours sur l'Histoire universelle , depuis Charlemagne
jusqu'à nos jours , faisant suite à celui de Bossuet ;
par P. L. C. Gin , ancien jurisconsulte. 2 vol. in- 12.
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n.º 35 ; et chez Lenormant , imprimeur - libraire
, rue des Prêtres - Saint -Germain- l'Auxerrois ,
n.º42.
Code diplomatique , contenant les traités conclus avec
la république française , depuis l'époque de la fondation
(septembre 1792 ) , jusqu'à la pacification générale
terminée par le traité d'Amiens ( mars 1802 ) ;
i
..
- les causes des différends qui avoient désuni ,d'avec
elle, les puissances contractantes ;- l'aperçu des événements
militaires ;-les motifs des conditions de paix
qui les ont suivis ;- la notice statistique de chacun
des états pacifiés , précédée d'un discours préliminaire
; par Portiez de Bise , tribun , avec cette épigraphe:
Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.
Première partie. 1 vol. in 8 de 458 pages . Prix , 5 fr. ,
et 6 fr. 60 cent. par la poste. A Paris , chez Goujon
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: 1
PRAIRIAL AN Χ. 399
1
f
als , imprimeur-libraire , rue Taranne ; et chez Lenormand,
imprimeur-libraire , rue des Prêtres-Saint-Germain-
l'Auxerrois , n.º 42 .
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, et qui voudront prendre des livraisons à mesure
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Nous prévenons nos lecteurs que , pour remplir leur
voeu , le Mercure de France , à dater du 1. messidor
prochain , paraîtra le samedi de chaque semaine par
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de la main - d'oeuvre , les frais, de timbre et d'expédition
, nous obligent à porter le prix de l'abonnement
à 48 fr. pour l'année , 24 fr. pour six mois , et 12 fr.
pour trois mois.
PRAIRIAL AN Χ. 401
POLITIQUE.
Coup-d'oeil sur la situation de l'Europe.
Paris , 15 germinal .
IL fut un temps où la rapidité et le fracas des
mouvements politiques réveillaient les hommes
les plus indifférents et appelaient leurs regards
sur le spectacle des agitations de l'Europe. Des
gouvernements bouleversés , des trônes abattus ,
des républiques fondées ; des oppresseurs combattant
des oppresseurs , des tyrans terrassés par
des tyrans ; l'extravagance des nouveautés triomphant
de la sagesse des siècles , d'antiques institutions
cédant à des lois éphémères ; les autels
renversés , la religion nationale abolie , de nouvelles
religions essayées ; les constitutions s'engendrant
et se détruisant comme les saisons ;
Ies batailles se succédant plus rapidement encore
; des nations conquises , des peuples asservis
; en un mot des combats , des victoires , des
envahissements , de fréquentes et inutiles négociations
; la guerre des systèmes, laguerre desfactions
, la guerre des puissances ; la lutte des armées
, la lutte des corruptions , la lutte des perfidies
; voilà de quoi s'est composée notre histoire
pendant dix ans. Chaque mois avait sa révolution,
chaque semaine ses secousses , chaque
jour ses événements et ses calamités ; prodigieuse
-
8. 26
402 MERCURE DE FRANCE ,.
et déplorable succession de scènes toujours nouvelles
, qui sans cesse aggravaient la crainte ou
exaltaient l'espérance , et dont nos présomptueuses
passions se hâtaient d'annoncer les effets ,
lorsque la raison confondue n'osait ni en conjecturer
le dénouement ni même en prédire le
terme !
On s'étonna longtemps que la révolution ne
produisît pas un seul homme capable de la maîtriser.....
Tout-à-coupcet homme a paru ,
et la face de l'Europe a changé. Devant lui ont
cessé toutes les guerres. Les systèmes , les factions
, les puissances , tout est en paix
Les temps de trouble , d'agitations , de bouleversement
, ces temps si mémorables sont presque
oubliés ; tant ils sont déja loin de nous ! lis
restent à peine dans la mémoire de quelques victimes
, dont les souvenirs sont étouffés ou absorbés
par l'insouciance générale . L'indifférence a
repris son empire. Il semble qu'on ne soupçonne
pas même que les événements dont nous avons
été les témoins , laissent après eux des traces
dignes d'être observées ; ou bien on dirait que
les intérêts des individus ne sont plus liés à
l'intérêt général .
Lapaix fut vivement souhaitée , elle fut l'objet
de tous les voeux ; mais , plus ardents à desirer
que savants à jouir , nous avons déja oublié tout
le prix que nous y mettions. La paix est faite
depuis deux mois ; et deux mois sont longs pour
lalégèretéqui possède , comme pour l'impatience
qui attend.
Parce que la tempête a cessé de gronder ,
nous ne songeons plus à ses dévastations ; aussi
PRAIRIAL ANX. 49
5.
cen
inattentifs aux débris qu'elle a jetés sur le rivage,
qu'indifférents aux nuages qui ça et là altetene
encore la sérénité de l'horizon .
La vue de ces nuages et l'aspect de ces debes
nuiraient ils done à nos jouissances ? Non , le so
venirdu mal rendle bien plus doux ; laprévoyance
aide à le rendre durable , et le passé , rempli de
leçons pour le présent , jette quelquefois des
lueurs salutaires sur les ténèbres de l'avenir.
Nous y chercherons donc quelque instructión,
lorsque les événements n'offriront aucun
intérêt ; mais le tableau actuel de l'Europe en
est-il dépourvu ? Devons- nous le négliger , parce
qu'il paraît insipide aux esprits blasés par l'habitude
des violentes émotions ? ..... Deux jeunes
et grands monarques , qui partent de leurs capitales
pour aller se connaître , s'entretenir de
leurs intérêts , et resserrer leur amitié ; le plus
puissant de leurs voisins convoquant un de ses
royaumes , et interrogeant le dévouement de la
nation la plus renommée par sa fidélité ; une
foule de princes occupés de défendre ou d'agrandir
leur existence ; des républiques encore
agitées dans leur intérieur , cherchant des formes
de gouvernement qui leur rendent le repos ;
de nouveaux liens se formant entre les branches
encore florissantes d'une tige superbe ,
qu'a frappé la foudre ; plusieurs états travaillant
à des réformes importantes ; les souverains
s'occupant presque tous de la religion , les uns
pour étendre , les autres pour modifier son
influence ; la France visant enfin à la fixité de
gouvernement , revenant aux leçons de l'expérience
, et cherchant à rétablir son commerce
404 MERCURE DE FRANCE ,
)
par la paix , tandis que l'Angleterre cherche
à conserver tout celui que lui valut la guerre ;-
tels sont les principaux traits du tableau qu'offre
aujourd'hui l'Europe . L'observateur ne peut les
dédaigner ; et , malgré les tristes pronostics que
des esprits ombrageux ont tirés de certains discours
prononcés au parlement britannique ,
nous ne voyons dans ce tableau rien qui ne soit
de bon augure pour la durée de la paix.
On revient comme involontairement à cette
paix , trop importante pour ne pas occuper longtemps
les esprits capables d'être occupés , et
sur laquelle cependant on croirait qu'il ne reste
Arien à dire , après ces débats solennels , où des
étrangers semblaient s'être chargés de relever ,
d'exalter les avantages qu'elle nous assure.
On s'est trop étonné du mécontentement et
de l'humeur des anciens ministres anglais , de
ceux-là au moins qui furent les plus ardents promoteurs
de la guerre. Ils s'étaient tant de fois
promis d'humilier la France ! Pour les familiariser
avec l'idée d'une paix qui l'honore , il leur
eût fallu , pendant quelques mois , une bataille
de Marengo chaque semaine , ou une longue
suite d'échecs , comme ceux de Nelson devant
Boulogne.
Il en est au reste de leurs discours comme
du traité qu'ils examinoient ; c'est ce qui ne
s'y trouve pas , qui est le plus remarquable *.
Qu'on se rappelle les réponses que M. Windham
et lord Grenville firent pendant sept ans
à l'opposition , chaque fois que déplorant les
* Cette idée , quant au traité , a été développée dans
le n.° 46.
PRAIRIAL AΝ Χ. 405
maux de la guerre elle les pressa; de négocier
la paix. On n'a pas oublié leur zèle pour la défense
de la civilisation , pour le maintien de l'ordre
social. Ce n'était pas pour l'Angleterre
précisément qu'ils faisaient la guerre ; c'était
pour l'Europe , c'était contre la barbarie dont
les Français menaçaient le monde civilisé. Aujourd'hui
dans les nombreux reproches qu'ils
font à leurs successeurs , dans leurs arguments
contre la paix , ils ne parlent plus de ces grands
intérêts , ils ne se lamentent plus sur les dangers
de l'ordre social , et leur silence dit assez
que leurs vues à cet égard , si elles furent sincères
, ont été remplies. Ils n'ont pas contredit
leurs successeurs , lorsque ceux- ci ont expressément
articulé que la France abandonnant les
principes révolutionnaires revenait aux saines
maximes de la religion et de l'ordre social ,
qu'elle était sortie de l'abyme qui avait menacé
d'engloutir le reste du monde *. Ainsi les anciens
ministres reconnaissent que leur premier
but , celui dont ils ont fait tant de bruit , a été
atteint : comment osent- ils dès-lors se plaindre
de la paix ? comment , lorsque l'Angleterre a
acquis par la guerre le Mysore , Ceylan et la.
Trinité , osent-ils dire que c'est trop peu ? eux
qui autrefois voyaient dans la guerre , moins
les intérêts particuliers de leur pays , que la
civilisation , le repos et P'indépendance de l'Europe
!
Les anciens ministres disent aujourd'hui que
* Voyez les discours de lord Hawkesbury , dans les
dernières séances du parlement .
406 MERCURE I FRANCE ,
jamais l'objet de la guerre n'a été bien com
pris * ; et certes c'est une terrible vérité à
prononcer , lorsque pendant dix ans on a couvert
l'Europe de sang et de ruines , lorsque de
tant de lieux auxquels on a donné une déplorable
célébrité , de Toulon et de Quiberon , par
exemple, s'élèvent les cris accusateurs de tant de
milliers de victimes sacrifiées à un but ignoré ,
c'est- à- dire à des chimères. Mais si l'Angleterre
a fait ou souffert la guerre pendant dix
ans sans savoir pourquoi , c'est pour elle
une grande raison d'applaudir à une paix qui lui
assure tout ce qu'elle eût pu desirer en le sachant.
C'est aussi un grand motif d'espérer que
Ja paix sera durable ; car les anciens alliés de
l'Angleterre , que la guerre n'a pas favorisés
comme elle , et qui ont tant à se repentir d'avon
été ses auxiliaires dans une lutte dont l'objet
était inconnu , délibéreront sans doute longtemps
avant de se laisser attirer dans de semblables
querelles .
و
Jamais les puissances du continent ne parurent
animées de dispositions plus pacifiques .
Tous les rois cherchent le repos par besoin , et
presque tous y sont portés par inclination : cette
heureuse tendance est surtout frappante dans
les cours du nord , sans le concours desquelles il
est impossible aujourd'hui que le continent soit
Jongtemps troublé.
Plus d'un historien a fait remarquer les suites
funestes qu'eurent souvent les entrevues de
*
Voyez le discours de M. Windham dans la séance
du 13 mai.
PRAIRIAL AN Χ. 407
rois; et les mémoires de nos jours semblent
confirmer à cet égard , l'expérience de nos pères
; mais ces observations fussent- elles appuyées
sur des faits plus éclatants et sur de plus imposants
souvenirs, pourrait -on de bonne-foi trouver
quelque sujet d'alarme dans l'entrevue à
laquelle se disposent les souverains de la Russie
et de la Prusse ? Attirés par une sympathie bien
connue de caractère , de goûts, de situation , ils
vont l'un vers l'autre , pour jouir de Pharmonie
morale et politique qui en résulte , et
non pour s'observer ou se liguer. S'il se formait
une ligne entre eux , ce serait , non pour
faire la guerre , mais pour la prévenir ; ce serait
pour assurer le repos de leurs sujets , le
bien auquel l'un et l'autre ont mis jusqu'ici
le plus de prix. Aucun ministre ne les suit ,
mais ils sont accompagnés d'une partie de leurs
familles , et l'on peut croire que leurs entretiens
seront analogues à la nature de ce cortége.
Accoutumés à gouverner en pères , s'ils
s'occupent de leurs états , ils en parleront comme
deux voisins parlent des intérêts et de l'alliance
de leurs enfants. De tels voyages ne se
font qu'au milieu du calme , de la sécurité ,
des loisirs ; ils sont le fruit de la paix , et non
l'avant- coureur de la guerre .
On en dirait autant des voyages que vont
faire le roi de Suède et le prince royal de Danemarck,
si les mouvements de ces princes et
les vues de leurs cabinets étaient de la même
importance que les dispositions de la Prusse et
de la Russie . Moins puissants , ils ne sont ni
moins éclairés sur les intérêts de leurs sujets , ni
:
408 MERCURE DE FRANCE ,
moins zélés pour leur bonheur. Ils savent que
Ja paix , toujours desirable pour leurs états ,
l'est plus que jamais , lorsqu'il s'agit de réparer
les funestes effets d'une participation onéreuse
à une coalition qui fut honorable , mais
inutile.
Le nord n'offre plus aujourd'hui les mêmes
ressources qu'il offrit si longtemps dans le dernier
siècle , à ces politiques qui , par goût ou
par intérêt , se plaisent aux agitations des états .
Pour le désespoir de ceux qui desirent , qui se
flattent peut-être de voir bientôt recommencer
ce spectacle , jamais le nord , qui a acquis tant
d'influence sur la tranquillité de l'Europe , ne se
trouva gouverné par des souverains qui réunissent
simultanément autant de dispositions à la
maintenir que ceux d'aujourd'hui , c'est-à-dire
qui fussent aussi portés à veiller par eux-mêmes
aux intérêts de leurs peuples , aussi ennemis
du turbulent esprit d'agrandissement , aussi pénétrés
de l'esprit de conservation .
On ne nous croirait pas , si nous osions attribuer
la même modération à l'Autriche . L'ancienne
et juste réputation de sa politique , repousse
et repoussera longtemps encore une
telle opinion . Mais au moins voit- on toujours
éloigné de ses conseils , et ce qui est plus sûr ,
éloigné de la résidence du souverain , le ministre
qui servit si longtemps les vues hostiles
de l'Angleterre contre la France ; cet homme
qu'il serait si curieux d'entendre dans un parlement
, pérorer sur la guerre et la paix , comme
M. Windham et lord Grenville , avec lesquels
il partagera éternellement l'honneur d'aPRAIRIAL
AN X.
409
voir , pendant huit ans , entretenu et souvent
rallumé le feu de la guerre .
son
L'Autriche est gouvernée par le prince qu'indiquèrent
si souvent à sa confiance l'estime et
les conseils généreux de ses ennemis *. On
-reconnaît sa sagesse , son patriotisme
activité , dans toutes les mesures prises depuis un
anpour recréer l'armée , rétablir les finances et
revivifier toutes K's branches de l'administration .
C'est aussi letriple but qui va occuper ou plutôt
qui occupe déja la Diète de Presbourg . On peut
prévoir que le gouvernementautrichien obtiendra
ce qu'il desire de ces braves hongrois , si fidelles ,
si dévoués dans les dangers , et dont l'attachement
est sans doute le même dans la sécurité ,
qu'au milieu des alarmes. On peut croire aussi
que toutes les provinces de la monarchie ressentiront
peu à peu les salutaires effets d'une ad-
?
* C'est une chose bien remarquable , que les Français
, si intéressés à voir l'Autriche mal gouvernée et
mal administrée , aient mis une sorte d'obstination à
vanter l'archiduc Charles comme il devait l'être , et
à le désigner comme l'homme qui serait le mieux placé
à la tête de ses conseils . C'est peut- être peu étonnant de
la part de la nation : il y a, dans ses jugements comme
dans ceux de tous les peuples , un fond de justice qui
l'emporte sur l'intérêt particulier ; mais il est rare de
voir les gouvernements se dépouiller de cet intérêt ; et
l'on sait combien d'hommages le nôtre , s on chefsurtout,
out rendu pendant laguerre au mérite d'un prince qui ,
dans les vues de la politique ordinaire , ne peut faire
du bien à son pays sans que ses ennemis ayent tôt ou
tard à en souffrir .
410 MERCURE DE FRANCE ,
ministration paternelle , et que l'Autriche ne sera
pas de sitôt lasse de marcher dans les voies de
restauration où la dirige un prince justement
chéri . Mais , pour y persévérer avec succès , il
lui faut du calme. Les plaies étaient profondes ;
et quelqu'habile que soit la main qui les soigne ,
le baume qu'elle y applique ne peut opérer
qu'avec, lenteur. L'Autriche a donc besoin d'une
Jongue paix. D'ailleurs , pour elle comme pour
la Russie , on chercherait en vain des motifs et
même des moyens de guerre , à moins qu'on
ne supposât leurs yues tournées vers l'Orient ,
vers cet empire dont tant de symptômes semblent
annoncer la décadence , et sur lequel on
dirait que les autres empires n'ont qu'à souffler
pour le faire tomber en dissolution ; mais
dont on ne saurait désespérer lorsqu'on le voit
renouer ses liens avec son ancien allié , avec la
puissance qui sait protéger et conserver , comme
elle sait détruire ;
Qui frappe , qui guérit , qui perd , qui ressuscite.
La providence n'est pas plus secrète dans ses
desseins que ne le sont quelquefois les grandes
puissances dans les motifs de leurs choix pour
conserver ou détruire , ou ressusciter les états .
Ainsi , que Malte reçoive une existence nouvelle
de deux puissances qui en même temps
renoncent à ses institutions ; que pour se reconstruire
un gouvernement , elle se trouve
placée entre des débris nobiliaires et des matériaux
démocratiques , et que sa destinée future
se trouve en quelque sorte enveloppée d'un voile
mystérieux ; que la république de Corfou soit
PRAIRIAL AN X. 411.
4
pacifiée et organisée par la même puissance qui
a effacé du tableau politique de l'Europe , jusqu'au
nom de la Pologne , et que Lucques soit
respectée par la puissance qui a détruit des
républiques et renversé des trônes ; il y a là de
quoi fournir matière aux diserts raisonnements
de quelques spéculateurs : l'observateur un peu
sage y trouve moins de sujets d'étonnement que
de leçons de silence..
Pourrait- il , après les avoir recueillies , se permettre
des conjectures sur l'avenir ? Voudraitil
annoncer , par exemple , comment seront
déterminées ces indemnités sur lesquelles l'Allemague
est encore livrée à de pénibles incertitudes
? Les différends dont elles sont l'objet
font suite au terrible drame qu'a fini la paix
maritime ; mais elles sont loin d'en avoir l'inté
rêt. Depuis longtemps les princes lésés font
voyager et négocier leurs agents , ou bien
voyagent et négocient eux-mêmes ; mais telle
est la complication des intérêts à concilier , telle.
est aussi peut- être l'indifférence des grands états ,
que si les négociations avancent , leurs progrès
ressemblent à une entière stagnation.
Cependant chacune des grandes puissances a
parmi les princes réclamants ses clients et ses
protégés ; mais très pressantes sur ce qui leur est
personnel , elles laissent languir tout le reste :
lorsqu'il s'agit d'intérêts éloignés , leur action
se refroidit . Fatigués d'ailleurs d'une guerre où
ils eurent à combattre pour leur propre existence
, les souverains ne reprendront pas les
armes pour tel ou tel lambeau du territoire ger
manique : en traitant cette affaire des indem412
MERCURE DE FRANCE ,
nités , ils doivent desirer avant tout que leur repos
n'en soit pas troublé.
Pour douter de ce besoin général de repos ,
sur lequel nous insistons , il faudrait perdre entièrement
de vue la nature de la dernière guerre ,
la part que la révolution y a eue , les anciennes
menaces de nos révolutionnaires contre les souverains
, et le succès avec lequel ils firent pénétrer
leurs principes dans certaines classes des
nations étrangères. Si nous l'oublions , les souverains
doivent en conserver la mémoire ; et
c'est à de tels souvenirs qu'on peut attribuer les
soins qu'on leur voit prendre depuis quelque
temps pour raffermir les bases de leur pouvoir ,
en rendant à la morale publique son autorité et
son véritable appui , celui de la religion .- Elle
a été récemment , dans plusieurs monarchies * ,
l'objet de règlements très-différents et presque
opposés dans leur esprit , mais dont le but est
toujours de lui assurer l'influence qu'elle doit
avoir , suivant la pensée de leurs auteurs . Presque
tous ces règlements ont été censurés ; it
n'en était aucun qui ne choquât certaines opinions.
L'apologie et la censure nous seraient
également difficiles : il ne nous appartient pas
de juger les gouvernements , surtout en des
matières sur lesquelles la législation doit être
modifiée par la diversité du caractère , des habitudes
et des besoins. Il serait plus aisé de
prononcer sur les censures mêmes , dont la plu-
* En Prusse même , le roi a ordonné , il yatrois mois ,
à ses sujets , de ne pas différer au - delà d'un terme
fixé , le baptême de leurs enfants , comme plusieurs se
le permettaient.
PRAIRIAL ANX.
413
part sont décriées par l'esprit et le ton des censeurs
, tandis qu'il en est d'autres , dont la
facilité n'ayant pu dégoûter l'amour-propre de
l'écrivain , parvient à rebuter le lecteur le moins
difficile.
Si l'observateur le plus impartial risque de
s'égarer , en se rendant le juge des gouvernements
étrangers , que doit- ce être de l'écrivain
qui se laisse entraîner par la haine ou la prévention
? Ses erreurs prennent alors le caractère
de l'injustice , et souvent la couleur du ridicule.
Nos voisins en donnent depuis quelque
temps de fréquents exemples. Tant que nous
fûmes en guerre avec l'Angleterre , les journalistes
de l'opposition furent en paix avec notre
gouvernement. Depuis que les deux pays se sont
réconciliés , ils nous ont déclaré la guerre. C'est
là sans doute ce qu'ils appellent être conséquents ;
* Rien de plus ridicule , par exemple , que la manière
dont on a défiguré ce qui s'est passé à Straubing ,
en Bavière. Dans le temps où les gazettes en ont
parlé , j'ai entendu dire dans la société , que l'électeur
de Bavière faisait mettre ses sujets au pilori parce qu'ils
allaient à la messe. Il y aurait autant d'extravagance
à défendre un trait pareil de despotisme , qu'à s'en
rendre coupable ; mais quel homme de bonne-foi a pu
y croire ? Le fait est qu'en Bavière , il n'y a pas un
jour dans l'année où l'autorité empêche qui que ce soit
d'entendre la messe ; mais on y punit les hommes qui
méprisent la loi , et qui se révoltent contre le magistrat ;
dans le moment où il veut la faire respecter. Lorsque
ces hommes se portent à des excès punissables du pilori
, on leur inflige cette peine.
44 MERCURE DE FRANCE ,
mais s'ils ne pouvaient se donner ce mérite que
par une marche si étrange , au moins devaientils
mieux choisir leurs moyens d'attaque . Si ,
accusant le système politique du consul, ils lui
eussent attribué des vues ambitieuses , des plans
d'agrandissement , ils auraient trouvé quelques
partisans plus disposés à jalouser vaguement sa
puissance qu'à raisonner avec justesse sur sa
position . S'ils lui eussent reproché d'être indifférent
au repos de ses alliés , de n'avoir encore
donné une constitution stable ni à Gênes , ni à
la Suisse , ni même à la Hollande , surtout de
n'avoir pas mis fin, par une volonté bien prononcée
, aux longues divisions de la république
helvétique , peut-être auraient- ils réussi à rendre
leurs reproches spécieux ; et des hommes , plus
prompts à blâmer que capables de réfléchir ,
n'eussent pas su ou voulu voir dans la conduite
réservée du gouvernement français à l'égard de
ses allies , ses égards persévérants pour leur indépendance.
Les journalistes anglais eussent pu encore
attaquer notre gouvernement sur ces détails
d'administration qui parmi nous aussi trouvent
quelques critiques ; ils auraient pu répéter , contre
certaines loix récentes , les arguments de
notre opposition , et ils auraient obtenu , en
France même , quelques suffrages .
Ils ont peut être essayé de ces moyens ; mais
'ils n'ont pas eu la prudence de s'y borner , et
ils ont attaqué ce que le gouvernement a fait
de plus populaire. La loi sur la condition des
noirs non affranchis , est , selon eux , non-seu--
lement anti - philosophique , mais encore anti
PRAIRIAL AN Χ. 415
chrétienne. Au moment où la religion vient
d'être rétablie , cette loi leur paraît une inconséquence
. Ainsi , pour honorer une religion qui
respire la paix et l'humanité , il eût fallu déchaîner
à la Martinique , à Sainte-Lucie , à l'Ilede-
France , une race , dont les moeurs n'ont été
que trop éprouvées ; dévouer à une ruine certaine
et à un massacre inévitable les blancs de
ces colonies , et faire succéder à la prospérité
dont elles jouissent les dévastations , les atrocités
, les barbaries dont Saint-Domingue a l'obligation
aux amis des noirs ! Ah ! ceux-ci même ,
honteux sans doute des effets déplorables de
leur doctrine , démentiraient une telle démence.
Les écrivains qui poussent jusque-là le desir ,
le besoin de décrier tout ce que fait et propose
notre gouvernement, pouvaient- ils approuver
la question soumise à la nation par le conseil
d'état ? Non , sans doute ; et peu s'en faut que
nous ne soyons traités d'esclaves par ces hommes
qui , chaque jour , se lamentent sur leur
constitution violée , sur la corruption de leurs
représentants , sur les abus du pouvoir ministériel.
Mais qu'importe l'opinion des étrangers
sur une si grande question? Ceux qui n'y aperçoivent
qu'une récompense , qu'un gage de reconnaissance
offert au consul , ne la saisissent
pas dans son vrai jour. Ceux qui n'y voient que
Je moyen d'assurer à la France la vie entière de
l'homme à qui elle doit l'ordre , la victoire , la
paix et la religion , ne saisissent pas encore la
question toute entière. Il faut y voir surtout la
stabilité du gouvernement , la fixité de ses principes
, l'efficacité de ses efforts . Si les oeuvres
416 MERCURE DE FRANCE ,
de la providence sont belles et bienfaisantes ,
c'est qu'il y a toujours en elle , même pensée ,
même volonté , et que le temps entier lui appartient.
Plus le gouvernement est sujet à changer
de pensée , variable dans sa volonté , et borné
dans sa durée , plus il s'éloigne du type sur lequel
il faudrait le former , s'il étoit possible , du
gouvernement de la providence .
N'attendons pas que les étrangers soientjamais
d'accord avec nous sur nos véritables intérêts .
Ceux qui applaudissaient autrefois aux victoires
de nos armées s'en réjouissaient , ou dans l'espoir
qu'elles étendraient jusque dans leurs
pays l'influence révolutionnairee,, ou dans la
pensée que les triomphes. d'une nation soumise
à un gouvernement sans sagesse , devaient
tôt ou tard retomber sur elle. Depuis que le
gouvernement leur paraît sage , habile et stable,
ils s'affligent de nos succès , et pleurent leurs
anciennes joies. La France est trop puissante ,
trop redoutée , pour ne pas exciter la haine et
l'envie . Elle pourrait dire de ceux qui déguisent
si mal ces sentiments : oderint dum
metuant ; mais elle est assez grande pour vaincre
l'envie elle-même. En vain on affecte de craindre
qu'elle n'abuse de sa force ; il est plus beau
pour elle d'être l'arbitre de l'Europe que de
L'opprimer ; au lieu de dominer le monde, elle
le protégera : Illud patrocinium orbis terræ
serius quam imperium poterit nominari *.
Cicer. Off. 1.2 , с. 8.
:
( N.° LI. ) 25 Prairial. An 10.
MERCURE
DE FRANCE...
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
1
ÉPISODE DE CACUS ,
Traduit de Virgile , du huitième livre de l'Énéide.
VOYEZ de ces vieux monts les débris dispersés ,
Sur d'énormes rochers ces rochers entassés ,
Cet amas de ruines et d'immenses décombies.
Là , parmi les détours de ces cavernes sombres ,
Cacus avait fixé son horrible séjour ;
A ce monstre Vulcain avait donné le jour :
Sa bouche de carnage et de sang affamée
Vomissait des torrents de flamme et de fumée ;
Son souterrain jonché de cadavres sanglants
Offrait des malheureux les membres palpitants ;
Son bras toujours fumait du sang de ses victimes ,
Et sur les murs du roc , seul témoin de ses crimes ,
Demeuraient suspendus des squelettes hideux.
1 .
10
Enfin , les immortels exaucèrent nos voeux .
Le Dieu , dont en ce jour nous célébrons la fête ,
8. 27
418 MERCURE DE FRANCE ,
Vainqueur de Gerion, et fier de sa défaite ,
Alcide , le fléau de tous les scélérats ,
Alcide triomphant visita ces climats .
Il traînait après lui , pour prix de son courage ,
Des troupeanx qui couvraient la plaine et le rivage.
. A ce superbe aspect , transporté de fureur ,
Cacus sent bouillonner sa criminelle ardeur ;
Il choisit six taureaux , quatre belles genisses ,
Et ce monstre , enfantant les plus noirs artifices ,
Les détourne avec soin , et vers ses souterrains
Les traine à reculons par différents chemins ,
De peur que de leurs pas l'empreinte dangereuse
Ne traçât le sentier de sa caverne affreuse.
Alcide cependant rassemblant ses troupeaux ,
Se préparait enfin à quitter ces coteaux ;
Mais , avant de sortir de leurs gras pâturages ,"
Les taureaux de leurs voix font retentir nos plages :
Soudain une genisse à leurs mugissements
Répond du fond du roc par ses gémissements ,
Et trompe de Cacus l'espoir trop téméraire.
Le héros de Thyrinte enflammé de colère
Prend ses armes ; d'un pas guidé par la valeur ,
Il s'élance . Cacus est saisi de terreur ;
Il se trouble , il pâlit , il prévoit sa défaite ,
Et , plus prompt que l'éclair , il fuit vers sa retraite.
Un rocher soutenu par des chaînes de fer
Aux bords du souterrain se balançait dans l'air :
Cacus veut de son antre obstruer le passage ,
Et d'un bras que poussaient la frayeur et la rage
Il brise tous ces fers fabriqués par Vulcain ,
Et le roc abattu ferme le souterrain .
Le valeureux Alcide , armé de sa massue ,
De l'antre de Cacus en vain cherche une issue.
1
PRAIRIAL ANX. 419 119
1
Trois fois , en frémissant de rage et de fureur ,
Il parcourt l'Aventin ; trois fois avec douleur
Il ébranle le roc , et trois fois hors d'haleine
Le héros fatigué redescend dans la plaine.
Sur la croupe du mont , un rocher sourcilleux ,
De, sinistres oiseaux asile ténébreux ,
Couvrait du vil Cacus les demeures profondes.
Incliné vers le Tibre , il menaçait ses ondes ;
Alcide avec vigueur le pousse vers ses bords ;
Il l'agite , il le rompt. Cédant à ses efforts ,
Le roc déraciné roule vers le rivage ;
Sous son énorme poids il fait trembler la plage ;
De l'horrible fracas l'Olimpe au loin mugit ;
Le Tibre épouvanté s'élance de son lit.
Pour la première fois dans sa sombre tanière
Le monstrueux Cacus voit entrer la lumière.
De même si la foudre ou de longs tremblements ,
Ebranlant l'univers jusqu'en ses fondements ,
Découvraient à nos yeux les plus profonds abîmes ,
On verrait de la mort les tremblantes victimes ,
Cet empire odieux , cet infernal séjour ,
Et les mânes troublés par la clarté du jour ;
On entendrait du Styx le lugubre murmure ,
L'horreur des immortels , l'effroi de la nature.
:
Interdit , s'agitant au fond du souterrain ,
Et faisant de ses cris retentir l'Aventin ,
Cacus ne peut cacher ses mortelles alarmes ;
Mais Alcide a recours à toutes sortes d'armes :
Bientôt du haut du mont sur lui de toutes parts.
Ce héros fait pleuvoir des rochers et des dards .
Cacus ne pouvant fuir , de sa bouche enflammée ,
O prodige ! vomit une épaisse fumée ,
Et de ses tourbillons enveloppant ces lieux
Dans le fond de son fort se dérobe à nos yeux.
420 MERCURE DEFRANCE ,
Mais Hercule , malgré les vains feux qu'il lui lance ,
Furieux sur le monstre au même instant s'élance ,
Et bravant sa fureur parmi les flots de feux ,
Il le saisit , le presse , et dans ses bras nerveux
Il l'étouffe . Soudain jaillissant de sa tête ,
Le sang à gros bouillons inonde sa retraite.
La porte est renversée , et le repaire ouvert
Dans ses vastes contours paraît à découvert.
Alcide voit alors les taureaux , les genisses ,
Les rapines , les vols , que par ses artifices
Le monstre dérobait à la clarté du jour :
On le traîne hors du roc. Les peuples d'alentour
Regardent fixement son terrible visage ,
Tous ses membres hideux couverts d'un poil sauvage ,
Ses yeux ensanglantés , ses monstrueuses mains ,
Et son horrible bouche où les feux sont éteints.
N
Par le citoyen A. GIMEL.
FRAGMENT d'un poème sur la Basse-cour.
11
E m'abandonne pas ; muse , sois-moi fidelle ;
Que mon vers ait l'éclat dont le paon étincelle :
Que je sois peintre aussi ! puissent sous mes pinceaux
Des pompes du sujet s'embellir mes tableaux !
L'astre du jour se lève , et sa clarté naissante.
Colore tout-à-coup cette scène vivante ;
De tes hôtes aisés peint les riches habits ;
Ici , prodigue l'or; là, jette le rubis ;
Revêt d'un doux éclat la pintade azurée ;
Emaille du faisan la parure dorée .
Qui n'admire surtout , malgré ses cris aigus ,
L'oiseau sur qui Junon sema les yeux d'Argus ,
Alors que de sa queue au soleil étalée
Il déploie ,sen tournant , la splendeur étoilée ?
PRAIRTALIA
Regarde le dindon , d'amour-propre gonf
Montrer, avec orgueil , sur son plumage fle
(Portrait trop ressemblant du fat qui s'idaluc
Et son fanon de pourpre , et sa tête bleuatr
Ici l'épais canard , traînant sa pesanteur ,
Sur ses pieds raccourcis se mmeeuutt avec lenteur ;
Là s'agite à grand bruit , et lourdement s'envole
L'aquatique animal , sauveur du Capitole ;
Ailleurs la poule , aimable en sa légének ,
Belle de modestie et de simplicité, 199
Répand son charme heureux et sa grace animée ;
Le coq se dresse , fier de sa crête enflammée;
Et , regrettant en vain ses honneurs éclipsés ,
Le chapon tout honteux passé les yeux baissés .
"
5.
cen
J. B. LALANNE.
mon goid .
1.6
LOGOGRIPHE
T
Je suis dans mon entier pour le coeur d'un Français ,
Ce qu'il a de plus cher , ce qu'à tout il préfère .
En me coupant le chef je donne à certains mets
Un goût désagréable et que l'on n'aime guère .
En retranchant ma queue , on ne me voit jamais
Approuver le mensonge , ou même le mystère.
sish to find a Parun Abonné.
έν , οίεο ) CHARADE nh
NE montez
4
:
pas sur mon dernier ;
Gardez-vous- en , jeune fillette
Car on risque souvent d'y faire mon entier ,
(
422 MERCURE DE FRANCE ,
Et vous pourriez alors ( ce qui n'est pas honnête) ,
Aux spectateurs du tout faire voir mon premier.
Par le citoyen A. C. de Toulouse.
ÉNIGME.
Je ne proviens point de semence ,
Et c'est dans les bois cependant
Qu'on me voit ordinairement ,
Ami lecteur , prendre naissance .
Ce qui me forme me détruit ;
Car je suis fait pour son usage.
Je suis utile à ton ménage ,
Et'sers le jour plus que la nuit.
Je trouve de l'emploi , bien moins
Ala campagne qu'à la ville ,
Et je serais fort inutile
Si , quand je sers à tes besoins
Je n'y mettais de la chaleur.
Je suis tout noir hors de service ,
Et quand je suis en exercice ,
Alors je change de couleur.
1
Par le citoyen A. C. de Toulouse.
Mois de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot du Logogriphe est marche d'escalier , où
l'on trouve ame , carme , charme , ham , arc , marche ,
mare , arme.
1
Le mot de la Charade est dépense.
Le mot de l'Enigme est clystère.
PRAIRIAL ANX. 423
ESSAI DE LITTÉRATURE ANGLAISE.
III. Extrait .
Suite de Shakspere.
Tout ce qu'on a dit à la louange de Shakspere ,
comme auteur dramatique , se trouve dans ce
passage du docteur Johnson :
Shakspere had no heroes , etc. « Shakspere
<< n'a point de héros . Sa scène est seulement
<< occupée par des hommes qui agissent et par-
<<lent , comme le spectateur eût agi et parlé
« lui-même , dans la même occasion. Les dra-
<< mes de Shakspere ne sont point (dans le sens
<<d'une critique rigoureuse ) des comédies ou
<< des tragédies , mais des compositions particu-
<< lières , qui peignent l'état réel de ce monde
<<sublunaire. Elles offrent , sous des formes
« innombrables , le bien et le mal , la joie et la
<< douleur , combinés dans une variété sans fin ;
< elles représentent le train du monde , où la
<< perte de l'un est le gain de l'autre ; où le
<< voluptueux s'abandonne à la débauche , au
« moment même où l'affligé ensevelit son ami ;
« où la méchanceté de celui-ci est quelquefois
« déjouée par la légèreté de celui- là , et où
« mille biens et mille maux arrivent ou sont
<< prévenus sans dessein .>>>
Voilà le grand paradoxe littéraire des partisans
de Shakspere. Tout ce raisonnement tend
1
424 MERCURE DE FRANCE ,
1
à prouver qu'il n'y a point de règles dramatiques
, ou que l'art n'est pas un art.
Lorsque M.de Voltaire s'est reproché d'avoir
ouvert la porte à la mediocrité , en louant trop
Shakspere , il a voulu dire sans doute qu'en bannissant
toute règle , et retournant à la pure nature
, rien n'était plus aisé que d'égaler les chefd'oeuvres
du théâtre anglais. Si , pour atteindre
à la hauteur de l'art tragique , il suffit d'entasser
des scènes disparates , sans suite et sans liaison ,
de mêler le bas et le noble , le burlesque et le
pathétique , de placer le porteur d'eau auprès
du monarque , et la marchande d'herbes auprès
de la reine ; qui ne peut raisonnablement se flatter
d'être le rival de Sophocle et de Racine ?.
Quiconque se trouve placé dans la société , de
manière à voir beaucoup d'hommes et beaucoup
de choses ; s'il veut seulement se donner
la peine de retracer tous les accidents d'une de
ses journées , ses conversations avec l'artisan on
-le ministre , avec le soldat ou le prince; s'il
veut rappeler les objets qui ont passé sous ses
yeux , le bal ou le convoi funèbre , le festin du
riche et la misère du pauvre ; celui - là , dis-je ,
aura fait un drame à la manière du poète anglais
. Les scènes de génie pourront y manquer ;
mais si l'on n'y trouve pas Shakspere écrivain ,
on y trouvera Shakspere dramatiste.
Il faut donc se persuader d'abord qu'écrire
est un art; que cet art a nécessairement des
genres , et que chaque genre à des règles . Et
qu'on ne dise pas que les genres et les règles
sont arbitraires ; ils sont nés de la nature même :
l'art a seulement séparé ce que la nature a confondu
; il a choisi les plus beaux traits , sans
PRAIRIAL ANX. 425
s'écarter de la ressemblance du grand modèle .
La perfection ne détruit point la vérité ; et l'on
peut dire que Racine , dans toute l'excellence
de son art , est plus naturel que Shakspere ;
comme l'Apollon , dans toute sa divinité , a plus
les formes humaines qu'une statue grossière de
l'Egypte.
Mais si Shakspere , dit - on , a péché contre
toutes les règles , mêlé tous les genres , blessé
toutes les vraisemblances , il a du moins mis plus
de mouvement sur la scène , et porté plus loin
la terreur que les tragiques français.
Je n'examinerai point jusqu'à quel degré cette
assertion est véritable ; si la liberté que l'on se
donne , de tout dire et de tout représenter , ne
mène pas naturellement à ce fracas de scène ,
à cette multitude de personnages qui en imposent
; je n'examinerai pas si , dans les pièces
de Shakspere , tout marche rapidement à la catastrophe
; si l'intrigue se noue et se dénoue avec
art , en prolongeant et précipitant sans cesse
l'intérêt pour le spectateur : je dirai seulement
que , s'il est vrai que nos tragiques manquent
de mouvement (ce que je suis fort loin d'accorder
) , il est bon qu'ils en mettent davantage
dans leurs sujets . Mais cela ne prouve pas qu'on
doive introduire sur notre theatre les monstruositésde
cet homme, queM. deVoltaire appeloit un
sauvage ivre. Une beauté dans Shakspere n'excuse
pas ses innombrables défauts : un monument
gothique peut plaire par son obscurité et par la
difformité même de ses proportions ; mais personne
ne songe à bâtir un palais sur son modèle.
4
426 MERCURE DE FRANCE ,
1
و
On prétend surtout que Shakspere est un
grand maître dans l'art de faire verser des larmes.
Je ne sais s'il est vrai que le premier des
arts soit celui defaire pleurer, dans le sens où
l'on entend ce mot aujourd'hui . Les vraies larmes
sont celles que fait couler une belle poésie
; il faut qu'il s'y mêle autant d'admiration que
de douleur. Si Sophocle me présente Edipe
tout sanglant , mon coeur est prêt à se briser
mais mon oreille est frappée d'une douce mélodie
; mes yeux sont enchantés par un spectacle
souverainementbeau ; j'éprouve ààla fois duplaisir
et de la peine ; j'ai devant moi uneaffreuse vérité ,
et cependant je sens que ce n'est qu'une ingénieuse
imitation d'une action qui n'est plus , qui
peut-être n'a jamais été : alors mes larmes coulent
avec délices; je pleure , mais c'est au son
de la lyre d'Orphée ; je pleure , mais c'est aux
accents des muses ; ces filles célestes pleurent
aussi , mais elles ne défigurent point leurs traits
divins par des grimaces. Les anciens donnoient
aux furies même un beau visage , apparemment
parce qu'il y a une beauté morale dans les remords.
Et puisque nous sommes sur ce sujet important,
on me permettra de dire un mot de la querelle
qui divise aujourd'hui le monde littéraire.
Une partie de nos gens de lettres , n'admire
plus que les ouvrages étrangers , tandis
que l'autre tient fortement à notre ancienne
école. Selon les premiers , les écrivains du siécle
de Louis- le-Grand n'ont eu , ni assez de mouvement
dans le style , ni surtout assez de pensées
; selon les seconds , tout ce prétendu
PRAIRIAL ANX.. 427
mouvement , tous les efforts du jour vers des
pensées nouvelles , ne sont que décadence et
corruption : ceux-là rejettent toutes règles ;
ceux- ci les rappellent toutes.
On pourrait dire aux premiers , qu'on se
perd sans retour aussitôt que l'on abandonne
les grands modèles qui peuvent seuls nous
retenir dans les bornes délicates du goût ; qu'on
se trompe lorsqu'on prend pour de véritables
mouvements , une manière qui procède sans
fin par exclamations et par interrogations. Le
second siécle de la littérature latine eut les
mêmes prétentions que notre siècle. Il est certain
que Tacite , Sénèque et Lucain ont plus
d'agitation dans le style , et plus de variété dans
les couleurs que Tite - Live , Cicéron et Virgile.
Ils affectent cette concision d'idées , et
ces effets brillants d'expression , que nous recherchons
à présent; ils chargent leurs descriptions
, se plaisent à faire des tableaux , à prononcer
des sentences : car c'est toujours dans
les temps de corruptions qu'on parle le plus
de morale. Cependant les siècles sont venus ;
et , sans s'embarrasser des penseurs de l'âge de
Trajan, ils ont donné la palme à l'âge de l'imagination
et des arts , à l'âge d'Auguste .
Si les exemples instruisaient , je pourrais
ajouter , qu'une autre cause de la chute des
lettres latines , fut la confusion des dialectes
dans l'empire Romain. Lorsqu'on vit des Gaulois
dans le sénat ; lorsque Rome devenue la
capitale du monde , entendit ses murs retentir
de tous les jargons , depuis le Goth jusqu'au
Parthe ; on put juger que c'en était fait du
goût d'Horace et de la langue de Cicéron . La
428 MERCURE DE FRANCE ,
T TA
ressemblance est frappante: pour peu que l'on
continue en France à étudier les idiomes étrangers
, et à nous inonder de traductions , notre
langue perdrą bientôt cette fleur native et ces
gallicismes , qui fesaient son génie et sa grâce .
Une des sources de l'erreur où sont tombés
les gens de lettres qui cherchent des routes
inconnues , vient de l'incertitude qu'ils ont cru
remarquer dans les principes du goût. On est
un grand homme dans un journal et un misérable
écrivain dans un autre : ici un génie
brillant , la un pur déclamateur. Les nations
entières varient : tous les étrangers refusent
du génieàRacine , et de l'harmonie à nos vers ;
nous , nous jugeons des auteurs anglais tout
différemment que les Anglais eux - mêmes ; on
serait étonné de savoir quels sont les grands
hommes de France , en Allemagne , et quels
sont les auteurs français qu'on méprise dans
ce pays .
Mais tout cela ne saurait jeter l'esprit dans
l'incertitude , et faire abandonner les principes ,
sous prétexte qu'on ne sait pas ce que c'est que
le goût. Il y a une base sûre où l'on peut se
reposer : c'est la littérature ancienne ; elle est
là pour modèle invariable.
C'est donc autour de ceux qui nous rappellent
à ces grands exemples , qu'il faut nous
hater de nous rallier , si nous voulons échapper
à la barbarie. Quand les partisans de l'ancienne
école iraient un peu trop loin dans
leur haine des littératures étrangères , on devrait
encore leur en savoir gré : c'est ainsi que
Boileau s'éleva contre le Tasse , par la raison ,
comme il le dit lui-même, que son siècle avait
PRAIRIAL AN, X.:.429.
trop de penchant à tomber dans les défauts de
cet auteur .
4
* Cependant , en accordant quelque chose à
un adversaire , ne le ramenerait - on pas plus
aisément aux bons modèles ? Est- ce qu'on ne
pourrait pas convenir que les arts d'imagination
ont peut-être un peu trop dominé dans le siècle
de Louis XIV ? que ce qu'on appelle aujourd'hui
peindre la nature , était alors une
chose presque inconnue ? Pourquoi n'admettrait-
on pas que le style du jour connaît
réellement plus de formes ; que la liberté que
l'on a de traiter tous les sujets , a mis en circulation
un plus grand nombre de vérités ; que
les sciences ont donné plus de fermeté aux esprits
, et de précision aux idées ? Je sais qu'il y
a des dangers à convenir de tout cela , et que
si l'on cède sur un point , on ne saura bientôt
plus où s'arrêter : mais enfin ne serait-il pas
possible qu'un homme , marchant avec précaution
entre les deux lignes , et se tenant toutefois
beaucoupplus près de l'antique que du moderne,
parvînt à marier les deux écoles , et à en faire
sortir le génie d'un nouveau siécle ? Quoi qu'il
en soit, tout effort pour opérer cette grande
révolution sera inutile , si nous demeurons irre->
ligieux. L'imagination et le sentiment tiennent
essentiellement à la religion, or, une littérature
d'où les enchantements et la tendresse
sont bannis , ne peut jamais être que sèche
froide et médiocre .
La suite à un autre numéro
CHATEAUBRIAND .
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de Suze etc. A Paris , chez Desessarts ,
libraire et éditeur , place de l'Odéon. Prix,
15fr. papier ordinaire , et 30fr. papier vélin.
و
و
On s'aperçoit de plus en plus que dans l'art
d'écrire , comme dans celui de gouverner , les
meilleurs principes ne sont pas toujours les
plus nouveaux. On revient tous les jours aux
bons livres de l'ancienne littérature , comme aux
vieilles maximes de l'administration des états .
Nous avons vu reparaître successivement des
éditions soignées des lettres de madame de Sevigné
, du livre sur l'éducation des filles de Fénélon
*, du petit Carême de Massillon **, et du
Discours sur l'Histoire universelle de Bossuet *** ;
plusieurs entreprises semblables sont encore annoncées.
On prépare une nouvelle édition des
oeuvres de Rollin : deux écrivains connus se
- chargent de la diriger. De bons esprits s'occupent
aussi de joindre , en un seul corps , les
meilleurs livres élémentaires , composés par les
auteurs de Port-Royal. Il n'est pas inutile sans
doute de remettre sous les yeux de la généra-
* On a déjà parlé , dans le Mercure , des lettres de
madame de Sevigné , et du livre sur l'éducation des
filles , dont feu M. l'abbé de Vauxelles a été l'éditeur.
** Chez Renouard .
*** Chez l'Amy , rue des Canettes. On rendra compte
de ces divers ouvrages.
PRAIRIAL AN Χ. 431
tion nouvelle ces ouvrages qui depuis un siécle
ont instruit l'enfance de tous les hommes bien
nés , et formé le goût des bons écrivains. Quand
après tant d'efforts malheureux on veut établir
enfin unmeilleursystème d'instruction publique ,
il faut relire ceux qui en ont donné les plus
sages leçons et les plus beaux exemples.
Duclos , qu'on réimprime aujourd'hui , est
bien loin de mériter cet honneur comme les
grands modèles du siècle de notre gloire.
Il appartient entièrement à l'école de la Mothe
et de Fontenelle. C'est assez dire qu'il fut
étranger à toutes les beautés de sentiment et
d'imagination. La nature lui avait refusé l'organe
nécessaire pour les sentir ; et , par une
faiblesse trop commune à plusieurs hommes célèbres
, il affectait de mépriser les arts dont
il ne pouvait connaître le principe et la puissance
.
Son livre sur les moeurs est sans contredit
son premier titre dans la postérité. Mais
voulez-vous sentir tout ce que ce livre a d'estimable
? Gardez-vous bien de le lire après la
Bruyère , et surtout après ce Pascal auquel nul
autre écrivain ne peut être comparé.
Duclos n'a jamais ces expressions pittoresques
, ces tours originaux , ces formes dramatiques
, ces mouvements variés qui animent
les tableaux de la Bruyère. Mais il faut convenir
que son jugement est solide , que son
style est pur , et que le tour de sa phrase est
d'une piquante précision. Si d'autres moralistes
l'ont surpassé par l'énergie des peintures et l'importance
des résultats , nul ne jeta sur les
travers de la société qui l'environnait un coup432
MERCURE DE FRANCE ,
ر پ
d'oeil plus sûr et plus perçant , et jamais la
raison d'un sage ne se montra plus ingénieuse .
On trouve presque toujours dans ses pensées de
la justesse et de la lumière au défaut de l'étendue
et de laprofondeur .
Cet auteur n'a peint malheureusement que
l'homme du siècle et non l'homme de tous les
temps. Il s'attache aux nuances de la mode ,
qui change sans cesse , bien plus qu'à la nature
universelle , qui ne change point. Cette raison
seule , indépendamment des richesses du style ,
donne un prodigieux avantage à Pascal , et
même à la Bruyère. Aussi je préfère quelques
pages de ces grands écrivains , où ils ont éclairé
le fond du coeur de l'homme , et l'ont fait voir
tout entier , à cette suite d'observations pleines
de finesse et de vérité que leur imitateur s'attache
à recueillir dans les cercles dé Paris , et
qui ne sont faits que pour eux.
Déja même ces observations sont devenues
moins intéressantes . Les moeurs , les hommes
et les choses ont pris une face toute nouvelle ,
et l'on sent plus d'une fois que le pinceau de
l'auteur n'a point jeté des traits assez profonds
pour les rendre ineffaçables . On croit voir entre
le style de la Bruyère et de Dúclos , le même
contraste qu'entre les personnages des deux
époques où ils vécurent tous deux . Les passions',
etmêmelesphysionomies du siécle de Louis XIV,
ont quelque chose de vif, de mâle , de grand ét
d'original. Aucontraire , dans l'âge suivant , tout
s'efface et s'éteint , les esprits , les caractères et
jusqu'aux visages ,
Le seul chapitre de Duclos , qui convienne
PRAIRIAL ANX. 433
aux circonstances actuelles , est peut-être celui
qu'il intitule les gens de fortune. Nous reconnaîtrons
comme au temps où il écrivait , les
originaux qu'il a peints dans le passage suivant :
«
« L'ostentation de l'opulence est plus communé-
• ment la manie de ces hommes nouveaux qu'un coup
du sort a subitement enrichis , que de ceux qui
sont parvenus par degrés. Il est assez singulier que
les hommes tirent plus de vanité de leur bonheur
que de leurs travaux . Ceux qui doivent tout à leur
« industrie , savent combien ils ont évité , fait et ré-
« paré de faute ; ils jouissent avec précaution , parce
« qu'ils ne peuvent pas s'exagérer les principes de leur
« fortune ; au lieu que ceux qui se trouvent tout-à- fait
"
des êtres si différents d'eux - mêmes , se regardent com-
<<me des objets dignes de l'attention particulière du
sort . Ils ne savent à quoi l'attribuer , et cette obscurité
de causes , on l'interprête toujours à son avantage.
Telles sont les fortunes qu'on peut appeler
« ridicules , et qui le deviennent de plus en plus ,
<<par le contraste de la personne et du faste déplacé. »
"
Si de tous les ouvrages de Duclos , le plus
recommandable est celui sur les moeurs , le
plus médiocre est l'histoire de Louis XI . Rien
dans l'esprit de cet auteur n'était propre au
génie de l'histoire qui demande de l'élévation ,
de l'abondance et de la gravité .
Ses mémoires historiques et son voyage en
Italie sont fort supérieurs . C'est qu'il n'est point
sorti de son genre dans l'une et l'autre de ces com
positions. Il n'écrit que des anecdotes , esquisse
les moeurs , indique les ridicules , et trace rapidement
les portraits de tous ceux qu'il a connus .
On est étonné , non sans quelque raison , que
Duclos , dans un voyage d'Italie , n'ait rien dit
8 28
434 MERCURE DE FRANCE ,
des chef-d'oeuvres des arts qui couvrent cette
belle contrée . Mais comment les eût- il décrits ?
On sent que son imagination reste froide , et
que son ame n'est jamais émue au milieu des
plus beaux monuments de l'antiquité. Il est sur
les bords du Tibre , ce qu'il était sur les bords
de la Seine , un observateur de la société . Il
met bien plus d'importance aux intrigues secrètes
qui , dans le conclave , précèdent l'élection
des papes , qu'à toutes les richesses du Vatican.
Il quitte les statues et les tableaux , pour
s'occuper de l'insolence d'un ministre ou de
l'ambition d'un jésuite. Si par hasard Duclos et
Winkelman s'étaient rencontrés à Rome , ils
n'auraientpu concevoir mutuellement leur genre
de vie. L'ami des arts , Winkelman , se fût à
coup sûr indigné contre l'indifférence du bel
esprit français ; Duclos à son tour eût ri d'un
enthousiasme qu'il ne pouvait partager , et
peut-être eût - il fait un joli chapitre sur la
manie des admirateurs exclusifs de l'antiquité.
Cependant il paraît que Duclos était fort
tolérant pour les opinions qui n'étaient pas les
siennes . Il ne pouvait souffrir , dit-on , le despotisme
et les projets ambitieux d'une secte
trop connue , avec laquelle il avait eu plus
d'un rapport , mais dont il s'éloignait dans ses
dernières années. Il n'était pas religieux ; mais
il mettait de la décence et de la modération
dans sa conduite . Ils en feront tant , disait- il ,
en parlant des hommes de ce parti , qu'ils me
feront aller à la messe. Ce mot , souvent répété
, peint à la fois le caractère de Duclos ,
et celui des gens qu'il avait abandonnés .
Sa probité d'ailleurs était reconnue , et sa
franchise partout citée.
PRAIRIAL AN Χ. 435
Après avoir parlé de ses plus graves écrits ,
je ne dirai qu'un mot de ceux qui sont plus
frivoles .
,
Les Confessions du comte de *** passent
avec raison pour le meilleur de ses romans.
Elles ne renferment pourtant qu'une longue
galerie de portraits plus ou moins heureux. Un
tel ouvrage , absolument dénué de plan , d'intrigue
et d'invention , doit tenir , ce me semble ,
une place médiocre , même parmi les romans.
Il sert pourtant à marquer une époque de notre
corruption. Cette multitude de femmes faciles
aussitôt séduites qu'attaquées , rappelle les temps
de la régence et ceux qui suivirent. La postérité
observera , sans doute , que les mêmes vices
et le même bouleversement dans les finances
ont marqué le commencement et la fin de ce
siécle ; elle n'oubliera jamais qu'un prince de la
maison d'Orléans a commencé la ruine de nos
moeurs , qui fut achevée par un de ses descendants
,
Au reste , si Duclos ne pouvait s'élever à la
majesté de l'histoire ou pénétrer dans les profondeurs
du coeur humain avec Pascal et la
Bruyère , la finesse de son esprit observateur
le rendaient propre à tous les genres qui
pouvaient se passer d'imagination et de sensibilité.
L'art du langage lui a de véritables
obligations . Les aperçus piquants de Duclos
firent valoir singulièrement la raison supérieure
de Port-Royal , dont il a commenté la
grammaire. Il est vrai que son orthographe
bizarre et son amour pour les nouveautés , contrastent
avec les principes de ces maîtres cé
lèbres , auxquels il rend d'ailleurs un hommage
436 MERCURE DE FRANCE ,
si mérité. Mais il n'en a pas moins semé, dans ses
notes , des principes féconds , et fixé des règles
fondamentales qu'on reproduit dans toutes les
grammaires nouvelles , sans indiquer leur premier
auteur. En un mot , si Duclos est bien au
dessous de la Bruyère, il est dans un autre genre
à côté de Lancelot et de Dumarsais . L.
MON Voyage au Mont-d'Or ; par l'auteur du
Voyage à Constantinople , par l'Allemagne
et la Hongrie. A Paris , chez Maradan ,
libraire , rue Saint- André-des-Arcs , n.º 16.
An 10.- 1800 .
AVEC de la gaieté , une raison piquante et un
esprit observateur , on est bien près de réunir
toutes les qualités requises pour un voyageur ;
mais , à coup sûr , on a toutes celles qui font
lire le voyage avec intérêt ; l'auteur l'a prouvé
dernièrement dans son excursion rapide à Constantinople
. Sa relation s'est bientôt trouvée entre
les mains de tout le monde , et le succès a
été aussi prompt que le voyage : aujourd'hui ,
il va nous conduire dans le Berry , dans le Bourbonnois
, dans l'Auvergne , dans la Limagne , et
enfin au Mont-d'Or. A la vérité , tous ces pays
n'excitent pas autant la curiosité française que
Constantinople avec ses sérails et ses mosquées ;
mais cela tient à un préjugé qu'il essaie luimême
de combattre.
Le monde , dit- il , est moins grand qu'on le pense ,
" et la France l'est beaucoup plus qu'on le croit. J'abandonne
à mes successeurs le soin d'établir cette
PRAIRIAL ANX. 437
"
vérité par des observations multipliées dans le même
genre. Ce n'est pas moins une découverte, qui m'ap-
- partient , qu'on aurait pu m'enlever ; mais je prends
64 date.
"
«
" Au reste , c'est ma profession de foi de voyageur
seulement que je vous dois. Je vous dirai donc que
« je pense , avec le philosophe gascon , que le voyage
• est un exercice profitable , l'ame y acquérant une continuelle
exercitation à remarquer des choses nouvelles
. J'ai d'ailleurs un avantage qui m'est commun
avec Montagne ; c'est toujours quelque chose.
J'aime les pluies et les crottes comme les canes ; la
mutation d'air et de climat ne me touche pas : tout ciel
« m'est un.
"
"
Après une telle profession de foi , il s'agissait
de choisir une manière de voyager : on va
-voir que l'auteur ne s'est pas décidé à la légère.
« Ilya , continue-t-il , mille manières de se transporter
• plus commodes et plus sûres les unes que les autres.
• Les Ostiaks vont en traîneaux , attelés d'une demidouzaine
de chiens. L'abbé Prévost connaissait beaucoup
un roi d'Afrique qui allait sur une vache ; et
tout le monde sait que le voyageur Moore rencon-
"
ce
- tra , dans le mêine pays , un homme qui voyageait
• sur une autruche. Riesbeck s'est mis en route avec
« un fusil sous son bras ; Goldsmith s'en allait avec
« son violon et son chien. Je connais un Lyonnais qui
• s'est fort bien trouvé de voyager en aveugle ; sa
« jeune femme le conduisait : ils arrivèrent de corps-
* de-garde en corps-de-garde jusqu'en Suisse . Quand
on lui demandait son passe-port , elle demandait la
charité.
A
" Entre ces diverses manières , nous avions pris un
*** terme moyen ; nous avions un cheval pour deux :
438 MERCURE DE FRANCE ,
- car , avec la meilleure volonté d'éviter la magnifi-
« cence , il faut changer de chemise pour soi , et d'ha-
« bit pour les autres. Il est désagréable de ne s'en-
» tendre dire mon ami , que parce qu'on est en veste.
Et d'abord on ne se repent pas d'avoir suivi
un compagnon de voyage aussi engageant ; il
amuse souvent , et il instruit quelquefois. Le
pays qu'il parcourt est plein de nos antiquités
françaises . A Blois , vous voyez ce vieux palais
embelli par tant de rois , et témoins de tant de
catastrophes. On y montré plusieurs maisons de
particuliers qui sont autant de monuments historiques
: celle de la belle M.me de Sauve , où elle
fit tant de faux pas ; celle de ce fameux Guise ,
-un de ses mille et un amants à qui l'on s'intéresse
, tout factieux qu'il étoit.
et
" A l'approche du crépuscule , dit notre voyageur ,
vers cette heure où les objets vont se confondre ,
on croit voir passer, sous ces voûtes obscures , cette
ombre audacieuse , disant encore : Ils n'oseraient !
C'est parmi les décorations et les sculptures
de tant de maisons , jadis habitées par les ministres
et les seigneurs qui accompagnaient les
rois , lorsqu'ils venaient tenir leur cour à Blois ,
que l'on peut étudier les goûts , les vanités et
Pélégance un peu gothiques de ce siècle.
"
« La ville de Blois leur doit la réputation d'être la ville
de France où l'on parle le plus purement ; celle enfin
Qui teinte encor des façons de la cour ,
Du beau langage a conservé le tour
م
dit le poète Robé. Cependant , quoique Louis XII
y soit né , que le duc de Guise y ait été assassine ,
" et que Catherine de Médicis y soit morte de sa belle
PRAIRIAL AN X. ८
439.
« mort , une femme est à Blois toute foupie , toute
• enfondue , et vous en demandera un petit ; il y en
" même qui ne s'en soucissent pas du tout. »
En passant à Culant , notre voyageur vous
rappelle qu'il y eut un amiral de Culant , un
maréchal de Culant , un grand- maître de Culant
, un grand -bailli de Culant , une belle de
Culant , plus célèbre encore : et que de l'ami
ral , du maréchal , du grand- maître , du grandbailli
et de la jolie femme , tout ce qui reste ,
c'est la chanson.
A Montluçon , il reçoit l'hospitalité dans la
maison qu'habite le célèbre Fouquet , au sortir
de Pignerol, etc.; mais, en approchant de l'Auvergne
, le paysage devient plus agreste , et les
souvenirs qu'il rappelle , plus antiques. Le silence
et la fécondité de ces montagnes , jadis
bouleversées par des feux souterrains , les moeurs
simples et un peu sauvages de ses habitants , les
noms et les usages romains qui se mêlentàplu-"
sieurs de leurs appellations et de leurs coutumes
, donnent , au récit de notre voyageur ,
un nouveau genre d'intérêt : le lecteur en jugera
par le passage suivant :
"
" On croit descendre des nues , quand , du haut de
cette chaîne de montagne , on s'approche de Cler-
« mont. A une si grande hauteur , la végétation est
trop comprimée pour que le sol soit couvert d'arbres
. Cependant , sur le Puy-de-Dôme , d'où s'esť
• écoulée une des laves qui enveloppent P ... , un bois
" qu'on dessouche encore , monte presqu'au sommet.
"
"
et
A mesure que vous descendez , comme de terrasse 4
en terrasse sur ces larges chemins qui ont l'air d'être
* suspendus , vous passez par degrés de l'hiver au prin-
- temps : les fleurs paraissent à travers les haies ; par-
5
440 MERCURE DE FRANCE ,
« tout les arbres sont sains et vigoureux. Clermont
« est au bas de ce grand verger , qui commence la Li-
« magne d'Auvergne. Il faut se souvenir qu'il fait froid
« sur ces hauteurs , pour ne pas trouver grotesques les
• capuchons et les béguins dont sont enveloppés les
« hommes et les femmes qui , avec leurs chariots et
« leurs boeufs , remontent de Clermont dans la mon-
■ tagne.
C'est une belle race d'hommes que celle de ces
■ paysans : il y a une grande différence d'énergie entre
« eux et les laboureurs de Beauce ou du Berry ; il y
« a celle d'un samnite à un campanien : aussi est-il
<< difficile de ne pas sourire en entendant à chaque ins-
- tant le nom de César dans toutes ces bouches-là ; le
« chemin de César , le camp de César , les bains de
« César. Je crois bien que tous les Auvergnats n'ont
« pas lu ses commentaires ; mais la plupart savent que
« leur ancêtres lui ont résisté, glorieusement Les noms
« de plusieurs de leurs villes sont des monuments de
« leur courage malheureux ; Aubiére , Périer , Roma-
* gnac , sont des noms imposés , par les vainqueurs , aux
« théâtres de leurs succès , et viennent de obiere pe-
• riere. Périgère est ainsi nommé de sa situation sur
l'Allier , que César passa à cet endroit-là même . On
« y montre les restes du pont qu'il jeta en poursuivant
« Vercingetorix. J'ajouterais bien , qu'on fait venir Cle-
« menssat de Clementia Cesaris , et Gondolle de cum
u dolo ; mais ces étymologies ressemblent trop à al
" fana , qui vient d'equus .
« Il y a un peu plus de ressemblance entre les chars
" Romains et les petits chars aratoires , qui vont sur
« deux roues , sans fers , fermés par-devant , et ouverts
« par-derrière , où le paysan auvergnat se tient debout
« comme un triomphateur ; au lieu d'une longue bran-
- che de laurier, il tient un grand aiguillon : les chars
PRAIRIAL AN Χ. 441
de triomphe à Rome , avaient cette forme-là , et dans
« le temps où ils n'étaient pas plus beaux , on voyait
- déja des rois marcher derrière . 20
C'est assez citer ; nous nous engagerions trop
avant , et nous n'avons point promis de suivre
l'auteur dans les petites villes , les bourgs et les sociétés
de l'Auvergne et de la Limagne. Avec une
heureuse tournure de caractère , il sait se plaire
dans des pays où les autres voyageurs n'ont vu que
des lieues de poste , et les faiseurs de statistique
que des grands chemins à réparer. Il faut convenir
cependant que tous les jours du voyage
ne sont pas également heureux ; il cherche à
les égayer par des rapprochements et des citations
d'auteurs grecs et latins , mais son érudition
n'y réussit pas toujours , et l'on est persuadé
qu'elle serait beaucoup mieux employée dans
un ouvrage plus digne du talent qu'il annonce .
En général , le grand défaut de ces sortes de
voyages , c'est qu'ils ne sont ni tout-à-fait amusants
, ni tout-à-fait instructifs .
Assurément nous croyons , avec l'auteur , qu'un
voyage en France serait susceptible d'un grand
intérêt. Il nous manque , et probablement nous
manquera longtemps , si c'est un Français qui
doit l'exécuter ; mais alors l'utilité en serait
l'objet principal , et il ferait connaître , avec exactitude
, les moeurs et les ressources de ce pays ,
qui , suivant le mot de nos voisins , n'a besoin que
d'un gouvernement supportable , pour être admirable
. Leur Arthur-Young nous offre un modèle
que l'on pourrait imiter , du moins en partie.
Remarquons cependant qu'outre son défaut
absolu de méthode , Arthur - Young s'adresse
trop exclusivement aux agronomes et aux
442 MERCURÉ DE FRANCE ,
ou
hommes d'états. Il est vrai qu'il interrompt
quelquefois les calculs pour décrire une abbaye
gothique , un site bien mélancolique ,
même la vie littéraire et patriachale de ce
noble lord qui , après la session du parlement ,
revient habiter au milieu de ses vastes domaines
, et fait des collections de médailles et
de gravures dans son cabinet , et des expériences
sur les carottes et la luzerne dans
son parc ; mais les expériences absorbent presque
tout entier le voyageur , et il ne s'occupe
pas assez du propriétaire et du fermier.
,
Si l'objet de ce voyage en France était de
pur agrément alors il faudrait y éviter les
discussions politiques , les dissertations sur la
peine de mort; il faudrait nous laisser ignorer
comment l'on a soupé , et comment l'on a dormi ,
à moins que l'on ne racontất tout cela comme
Chapelle et Bachaumont. C'est trop compter
sur notre oisiveté que de vouloir nous occuper
de pareilles choses. J'admire la vanité et l'indiscrétion
de ces auteurs qui s'imaginent ne
pouvoir changer de place, sans que l'univers
ne les suive des yeux. Ils nous donnent des nouvelles
de leur santé , et on ne leur en demandait
pas; ils nous rendent compte de leurs réflexions
et de leurs remarques particulières , et depuis
mille ans elles sont le texte de tous les entretiens.
De pareils détails , sans doute , doivent
faire grand plaisir aux parents et aux amis .
Mais pourquoi traiter le public en famille ?-Au
reste , cette manie de lui faire part de ses sensations
, a été mise à la mode par de gros
livres , et ce n'est pas ici le lieu d'en parler.
٢٠
P. M.
PRAIRIAL AN X. 443
:
:
PRINCIPES organiques de la marine militaire ,
et causes de sa décadence dans la dernière
guerre , c'est - à - dire , depuis huit ans ;
parC. A. B. Pinière. A Paris (floréal an 10),
chez Desenne , libraire , palais du Tribunat ,
galerie de pierre , n.º 1 et 2 ; chez Vente ,
libraire , sur le boulevart de la Comédie Italienne;
et chez Lenormant, imprimeur-libraire
rue des Prêtres - Saint - Germain + l'Auxerrois
, n.º 42 .
LES ouvrages sur la marine furent jusqu'à ce jour
assez rarement lus . Tantôt ils étaient les fruits du
loisir de quelques marins illétrés , tantôt les essais de
certains hommes de lettres , sans connaissance de nos
vrais intérêts maritimes et des principes de l'art nautique.
Le C. Pinière , officier de la marine militaire ,
a fait preuve de talent dans des ouvrages d'imagination ;
et , en nous offrant le résultat de son expérience , il
a su revêtir les matières les plus abstraites de tous les
charmes d'un style toujours pur , et souvent même
brillant.
Son discours préliminaire traite des élements de la
puissance navale. On y voit le tableau de l'Europe
maritime. L'auteur met dans un jour vrai les principes
de la force respective des nations qui nous avoisinent ,
et les moyens d'agrandir , par le commerce , notre
existence politique si bien défendue par le courage.
Dans le corps de l'ouvrage , il décrit la lutte des
bureaux ministériels de la marine pendant la révolution
, leur inévitable empire sur les ministres , et le
défaut de procédés soutenus dans cette administration
444 MERCURE DE FRANCE ;
1
centrale. Il passe en revue cette foule de ministres qui
se sont rapidement succédés depuis huit ans , avee des
plans toujours nouveaux et des systèmes très- variés .
Et comme les grandes difficultés administratives se
trouvent dans l'exécution qui , pour le gouvernement
comme pour les arts , est la pierre de touche des
théories et modifie toujours la première pensée , l'auteur
démontre qu'en toute occasion les ministres peuvent
atténuer , annuller les arrêtés d'une autorité supérieure
, sans être convaincus de malveillance ; qu'il
leur est libre de poursuivre une gloire personnelle dans
des entreprises hasardées , au lieu de préparer des succès
éloignés dont leurs successeurs recueilleraient les
avantages . Il propose l'établissement d'une AMIKAUTÉ
semblable à celle instituée en Angleterre . « Cette partie
du service , dit - il , se trouvera bientôt et immuable-
* ment régularisée ; lamarine s'applaudira d'avoir pour
« administrateurs , non une succession d'individus
toujours prêts à adopter les idées du moment ,
σε sans les lier à aucune idée générale , sans aucun
* principe ; mais une réunion d'hommes connaissant
« également et les éléments d'une marine puissante et
« sa destination ; mettant leur ambition , non à changer ,
e
ee
"
mais à conserver. Cette innovation préserve ultérieu-
« rement de toute variation dans le service . Sous une
autorité toujours animée du même esprit , les marins ,
mal gouvernés jusqu'à ce jour par des lois dont rien
ne garantissait la durée , le seront bientôt par des
habitudes fixes ; et lorsqu'enfin nous aurons contracté
« celle de la victoire sur mer , notre commerce mari-
* time , plus hardí dans ses entreprises , multipliera nos
« matelots , et nous donnera par ses richesses la faculté
« de construire un plus grand nombre de vaisseaux ,
" tandis que notre puissance navale lui assurera les
ee
:
moyens de multiplier ses richesses . »
PRAIRIAL AN X. 445
i
Le C. Pinière parle avec détail, de l'emploi des fimances
de la marine , de l'administration des colonies ,
de celle des ports de France. Ces matières dépendent
tellement les unes des autres que nous ne pouvons ici
les considérer par extrait et isolément. Les lois maritimes
n'ont pu rester étrangères à cet intéressant travail
; et nous remarquerons que l'auteur émet une
opinion entièrement opposée à celle des écrivains qui ,
dans ces derniers temps , ont écrit sur la course et sur
les droits du pavillon neutre. Il n'y a guère selon lui ,
d'autre droit sur mer , que la raison du plus fort. Ce
droit des neutres , dit- il , les Français anciennement le
foulaient aux pieds , et l'Angleterre le dédaigne. L'indépendance
où elle se trouve de toutes les nations européennes
, relativement à la prospérité de son commerce
, éloigne la reconnaissance d'un droit qui supposerait
des lois communes à plusieurs peuples , et rendrait
moins absurde le chimérique espoir d'une monarchie
universelle.- -L'auteur prouve d'ailleurs que la course
est pernicieuse à la nation qui la met en usage contre
une marine supérieure en forces. Il ajoute que dans
l'imposibilité d'établir une règle invariable qui détermine
les droits de l'armateur , l'intérêt des capitalistes
est rarement , quelqu'espoir qu'on fasse luire à leurs
yeux , d'employer des fonds à ces entreprises hasardenses
, qu'un traité vient suspendre après beaucoup de
frais , et dont la modération quelquefois intéressée du
gouvernement rend les profits très-incertains. Si ce droit
des neutres dont le plus fort se joue , et que le faible
invoque vainement , était sincèrement reconnu , les belligérants
, selon l'auteur , conserveraient leur marine ,
en se procurant des connaissements étrangers, « Or ,
« en supposant que les Anglais soyent un jour obligés
« à plus de circonspection , dit- il , les blocus devien-
* dront très-difficiles; les seuls vaisseaux désignés gé
446 MERCURE DE FRANCE ,
" nériquement par le nom de vaisseaux de l'état , et
« non ceux des particuliers , poursuivront les hostilités
« qui même se réduiront aux actions de vive force ,
« aux coups de main. Alors seulement , les voeux de
« l'Europe pour la reconnaissance des droits de la neu-
« tralité , seront exaucés ; et si , à la même époque ,
" le monopole du commerce des colonies , qui fournit
« tant de prétextes aux ruptures , prenait fin par une
" suite d'événements inattendus , le but des guerres sur
« mer étant moins fixe et plus difficile à atteindre ,
« elles se trouveraient à la fois moins terribles et plus
" rares , et les projets du bon abbé de SAINT - PIERRE ,
<< pour une pacification durable , entre toutes les puis-
« sances européennes , deviendraient peut-être un peu
moins chimériques. »
Nous bornons ici notre notice d'un ouvrage qui mériţe
d'être médité dans toutes ses parties. Il est suivi
de notes : dans l'une , au sujet du langage maritime
qui ne se forme guères que par l'usage et par un
usage peu réfléchi , l'auteur prétend que les progrès de
l'art rendent plus rares les riches expressions , et
plus difficile le tableau de nos succès dans la guerre
maritime et la navigation. Nous l'opposerons à luimême
, en citant ici des vers peu connus de l'un de
ses poèmes . Après avoir décrit la navigation d'un vaisseau
anglais , il le représente apercevant un vaisseau
français prêt à combattre.
Une voile blanchit sur l'horizon lointain ,
D'un combat redoutable augure trop certain ,
C'est un vaisseau français qui menace et qui vole ;
Il arrive aussi prompt que les enfants d'Eole :
Ses foudres ont suivi le feu de mille éclairs .
Et de débris humains couvrent le sein des mers.
L'Anglais a la fureur , et le Français l'audace :
Leur valeur est égale ; Albion se surpasse.
Ces ennemis altiers ont lancé le trépas :
PRAIRIAL AN Χ. 447
Il fond sur les vaisseaux ; l'abyme est sous leur pas .
On combat , on se presse , on avance , on s'évite ;
Le carnage s'échauffe , et la victoire hésite :
Leur effort tour- à- tour double ou se ralentit ;
L'air tremble , l'onde écume , et l'enfer retentit.
Des ressources de l'art on a banni l'usage :
Leur arbitre est la force , ou plutôt le courage.
Le courtoux de la France est trop bien secondé!
De blessures couvert et de sang inondé ,
O vaisseau d'Albion , tes flanes armés frémissent !
Des clameurs des mourants les vents , les flots gémissent.
Les mats tombent ; les ponts , de leur cliute écrasés ,
D'un rapide incendie à l'instant embrasés ,
Le bruit sourd , les assauts d'une onde menaçante ,
Et des cieux effrayés la clarté pâlissante ,
La nuit même qu'offense un trop funeste éclat ,
Rien entre ces rivaux ne suspend le combat.
L'Aquilon , à son gré , l'un sur l'autre les jette ;
Mais leur sanglante haine est trop peu satisfaite ;
Ils s'abordent enfin : les ponts des deux vaisseaux
Forment un noir théâtre élevé sur les eaux ,
Où l'implacable mort , frappant dans la mêlée ,
Offre de toutes parts Albion immolée.
Nos braves ennemis presque tous ont vécu ;
C'en est fait , et le reste , en s'avouant vaincu ,
Au fer qui l'environne a dérobé sa tête.
Et bientôt le Français , conduisant sa conquête ,
Entouré de captifs , à son heureux retour ,
Joint l'orgueil de la gloire aux transports de l'amour,
SPECTACLES.
7
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
Le Roi et le Laboureur , tragédie en cinq actes.
La singularité du titre de la nouvelle pièce avait
attiré la foule ; les musiciens ont été obligés de céder
leur place à l'empressement des curieux , et l'assemblée
448 MERCURE DE FRANCE ,
)
était aussi nombreuse que brillante. La voix du parterre
n'était point étouffée par le bruit des instruments ;
il semblait pressé de jouir , et demandait qu'on levât
la toile , avec une impatience flatteuse pour l'auteur
qui , comptant sur les droits qu'il avait à la bienveillance
du public , avait négligé de couvrir son nom des
voiles du mystère , et de s'envelopper dans cette obscurité
dont s'entourent avec tant de scin les jeunes
débutants, incertains du succès , et qu'ont recherchée
quelquefois les grands maitres , jaloux de faire juger
leurs ouvrages plutôt que leurs noms. Tout le monde
devait être favorablement disposé pour un écrivain dont
les premiers pas dans la carrière dramatique avaient
été si heureux ; on se promettait de nouveaux plaisirs ;
et ses amis , comme les vrais amis des lettres , pouvaient
espérer qu'il allait enfin se replacer au rang
que lui avaient assigné ses premiers essais. Nous partagions
nous-mêmes cette espérance ; longtemps nous
nous sommes joints à ceux qui demandaient qu'on
écoutât jusqu'au bout une pièce de l'auteur de Marius, et
ce n'est qu'après de longs et inutiles efforts que nous avons
cédé au torrent . Il ne nous appartient pas de blâmer la
sévérité du public , juge suprême en ces sortes de matières
; mais nous ne saurions approuver l'irrévérence
avec laquelle on a traité Melpomène qui , quoiqu'un
peu travestie , n'étoit sûrement pas méconnaissable au
point de se voir accueillie comme les muses du boulevart.
Nous croyons qu'un jugement rendu avec plus
de calme et de décence , n'aurait rien perdu de son
poids ; et que l'assemblée , tout en faisant justice d'une
pièce qui n'avait pas le bonheur de lui plaire , aurait
pu ne pas oublier les égards qu'elle devait à un écrivain
distingué , et le respect qu'elle se doit toujours à ellemême.
Les acteurs plus reconnaissants ont cherché ,
par un zèle et par une patience à toute épreuve , à
)
PRAIRIAL ANX. 449
rappeler le parterre à des sentiments de modération ;
ils ont longtemps bravé l'orage , et ne se sont retirés
que lorsqu'il leur a été impossible de faire entendre
leur voix au milieu du tumulte général. On sent qu'il
est assez difficile d'analyser une pièce souvent interrompue
, et dont on ne connaît pas le dénouement .
Voici ce que nous avons pu en recueillir.
4
Don Pèdre , roi de Castille , séparé de sa suite dans
'une chasse , est tombé de cheval , et il allait périr ,
sans le secours d'un vieux laboureur et de sa fille , qui
le dégagent et arrêtent le sang qui coulait deses blessures.
Il ne s'est pas fait connaître , quoique les soins
touchants et la beauté de Félicie ( c'est le nom de la
jeune villageoise ) aient fait une impression profonde
sur son coeur. Bientôt il est ramené par l'amour aux
lieux qu'habite sa maîtresse , où incognito il arrive ,
accompagné du seul Alphonse , son confident ; et le
récit qu'il lui fait de son aventure sert d'exposition
à la pièce.
Pendant l'entretien du prince , Félicie sort de sa
chaumière , à la tête d'une troupe de moissonneurs
dont elle va préparer le repas . Son père lui-même se
dispose à se rendre au travail , lorsqu'il est arrêté pars
don Pèdre , qui lui rappelle l'important service qu'il
lui a rendu , et qui , jaloux de lui en témoigner toute
sa reconnoissance , veut l'engager à quitter son humble
toit pour Séville. Mais le laboureur n'est nullement
ébloui par la perspective brillante qu'on lui offre ; il
préfère sa retraite obscure à l'éclat des palais. Cependant
il fait une longue peinture de l'état d'oppression
dans lequel lauguissent les campagnes ; il fronde le
ministère ; il censure amèrement le roi lui-même qui
tolère ces désordres : I impunité du crime , dit- il , est
le crime du roi. Don Pedre , quoique très - violent ,
8.
29
450 MERCURE DE FRANCE ,
écoute patiemment ces observations , et lui promet d'en
faire part au roi .
Le public n'était pas très- disposé à s'apitoyer sur la
misère des campagnes , dans un moment où leurs produits
sont portés à un prix excessif; les maximes du
paysan réformateur ont paru inconvenantes dans sa
bouche ; et les traits de vérité qu'offrait son tableau
ont manqué leur effet , par l'application qu'on en faisait
à la France , au lieu de se reporter aux lieux et
aux temps que l'auteur avait en vue.
Le second acte se passe dans Séville , à la cour de
don Pedre. Cette opposition de la chaumière d'un laboureur
au palais d'un souverain , est une idée plus
poétique que dramatique ; et nous ne croyons pas
qu'elle puisse faire excuser la violation d'une loi aussi
importante que celle de l'unité de lieu. Nous savons
que la faiblesse et l'impuissance ont plusieurs fois
cherché à s'affranchir de cette loi , et que nos voisins
la rejettent comme une entrave qu'on met au génie ;
mais nos plus grands écrivains lui sont toujours restés
fidelles , et le C. Arnaud a prouvé qu'il était digne
de marcher sur leurs traces .
Le laboureur , d'après un ordre du roi , arrive avec
sa fille dans une salle du palais . Juan ( c'est le
nom du père ) ne doute pas qu'il n'ait été dénoncé par
Je lâche courtisan auquel il a osé dire la vérité ; et Félicie
surtout , à qui son coeur parle en faveur de don
Pedre , ne peut concevoir cet excès d'ingratitude. Cependant
, un jeune soldat nommé Léon vient à la cour
solliciter la récompense de ses services. Ce Léon est le
fils d'un ancien ami de Juan ; Félicie lui est promise
en mariage ; et il n'a couru la carrière des armes que
pour se rendre plus digne de sa main. Le père écoute
avec plaisir le récit de ses exploits , et lui renouvelle
sa promesse. Bientôt on vient annoncer le roi , et
PRAIRIAL AN Χ. 45t
on fait sortir assez durement le pauvre Léon ; mais le
public a pris fait et cause pour ce brave soldat , et a
impitoyablement sifflé le C. Florence , qui venait lui
( signifier l'ordre de se retirer: Le tumulte a commencé
à cette époque , depuis il a été toujours en croissant ,
et la pièce a beaucoup souffert de cette saillie de mauvaise
humeur.
Juan est très-surpris de reconnaître son roi dans celui
qu'il avait secouru , et qu'il accusait d'être son délateur.
Sa surprise augmente encore quand don Pèdre ,
au lieu de lui reprocher sa hardiesse , le remercie de
ses conseils , et le nomme grand juge. Il ne peut se
défendre d'accepter la place , et se retire pour aller
en remplir les fonctions. Le prince , resté seul avec son
confident , s'occupe des soins de son amour , et le charge
de sonder le coeur de sa maîtresse. Alphonse s'acquitte
de cette commission en courtisan qui craint de voir
partager son crédit. Il fait des propositions offensantes
pour la vertu de Félicie , et il est rejeté. Don Pèdre ,
hors de lui , s'adresse au père lui - même , et lui fait
pressentir l'époux qu'il veut donner à sa fille. Mais le
sévère Juan feint de ne pas l'entendre ; et il saisit ce
moment pour présenter Léon au roi qui , bien éloigné
de le croire son rival, l'accueille avec bienveillance ,
et le nomme capitaine. Alors le vieillard promet au
nouvel officier de lui faire épouser dès le lendemain
Felicie , et laisse don Pedre dans un étonnement qui
fait bientôt place à la fureur.
La scène est de nouveau à la campagne. Juan ramène
à sa chaumière sa fille et son gendre futur ; c'est
là qu'il veut faire célébrer leur hymen. Mais les devoirs
de sa charge l'oblige de retourner à Séville , et Léon va
de son côté presser les préparatifs. Don Pedre survient ;
il arrache à Félicie l'aveu de son amour; mais la volonté
de son père , et surtout la promesse qu'elle a faite
452 MERCURE DE FRANCE ,
à Léon , sont un obstacle insurmontable à leurs voeux.
Le roi s'adresse à son rival ; il n'épargne ni prières ,
ni menaces , ni promesses , le tout inutilement : enfin ,
emporté par la fureur , il le poignarde. Diego , frère
de Félicie , arrive dans ce moment critique ; il entraîne
le roi , déja dévoré de remords , loin de cette scène
d'horreur ; et , tandis qu'il s'occupe des moyens de le
soustraire à tous les yeux , il est lui-même saisi comme
assassin . Au cinquième acte , on retourne à Séville ;
mais le tumulte est devenu trop grand pour qu'on pût
distinguer la voix des acteurs , et ils semblaient jouer
une pantomime plutôt que réciter une tragédie. Nous
avons vu successivement paraître Juan , Diego , don
Pèdre , Félicie , le corps sanglant de Léon, et rien n'a
pu fléchir le parterre obstiné à ne pas voir le dénouement.
Tout ce que nous avons pu recueillir , c'est que
le grand juge , nouveau Brutus , croit d'abord son fils
coupable ; que bientôt il découvre le véritable criminel ,
et qu'il a le courage de présenter au roi son propre
arrêt à signer.
L'invraisemblance d'une fable plutôt romanesque que
tragique ; l'exagération des caractères ; la faiblesse du
rôle de Félicie ; l'inutilité de celui de don Diegue ; et ,
par- dessus tout , l'horreur qu'a inspiré l'assassinat de
Léon , d'autant plus révoltant qu'il ne semblait pas
nécessaire , telles sont les principales raisons qui peuvent
motiver l'arrêt du public . D'un autre côté , n'aurait
- on pas dû tenir compte de plusieurs situations
intéressantes , d'une foule de beaux vers qu'on a retenus
, de l'élégance du style , quelquefois , il est vrai ,
un peu maniéré ? Cet ouvrage est sans doute au dessous
de la réputation de son auteur , mais il aurait peutêtre
fait celle d'un autre. Si on n'avait pas su d'avance
qu'il était d'une main exercée von aurait été tenté de
le prendre pour le coup d'essai d'un jeune hommeplein
PRAIRIAL AN x. 453
d'imagination et de talents , mais qui , connaissantpeu
les lois de l'art theatral , n'aurait pas toujours respecte
celles du bon sens qui en sont la base.
Juliette et Belcourt , comédie en trois
en vers libres .
actes
Le public est un convive plus ou moins difficile ,
suivant les tables auxquelles il se trouve . S'il rencontre
une mauvaise auberge , et cela lui arrive assez fréquemment
, il a le bon esprit de se contenter de ce
qu'on lui présente ; il fait honneur à tout ; il a l'air
de savourer les mets les plus insipides . Est- il prié dans
une maison qui a la réputation d'être bien servie ? il
fait le gourmet et le connaisseur , touche à peine à ce
qu'on lui offre , se dégoûte tout - à- coup d'un mets ,
après avoir paru d'abord lui faire fête , cherche à en
dégoûter ses voisins qui , sans lui , l'auraient trouvé
bon de la meilleure foi du monde , et les force souvent
, à leur grand regret , à se lever de table avant
la fin du repas. Après avoir dédaigné le banquet de
Melpomene , on ne pouvait pas , sans une espèce d'injustice
, rester à un petit souper de Thalie ; et les
deux soeurs en ont été également pour leurs frais. Nous
croyons que ceux de la dernière n'étaient pas trèsconsidérables
et qu'elle a bien moins sujet que
son aînée de regretter sa dépense .
,
M. Blum , riche banquier , se plaint de ce que sa
facilité en affaires l'expose continuellement à être dupé.
Il se reproche d'être trop humain , et est très courrouce
de ce qu'on ne l'appelle plus que le bon M. Blum. Pour
détruire une si mauvaise réputation , il débute par faire
emprisonner Belcourt , un de ses débiteurs. Son vieux
REP.FRA
5.
وت
GENT
454 MERCURE DE FRANCE ,
caissier , Firmin , qui est aussi un bon homme , lui représente
inutilement que Belcourt est un père de famille
honnête , victime d'une spéculation malheureuse.
En vain le fils de son débiteur vient implorer sa piété.
Blum a pris son parti ; il est inexorable. Ce jeune
Belcourt , qu'il éconduit avec tant de dureté , se trouve
lui avoir rendu , sans qu'il le sache , un important service.
Il a sauvé la vie à sa fille , que des voleurs avaient
attaquée dans le bois de Saint-Maur.
La jeune personne est pleine de reconnaissance envers
son libérateur ; elle éprouve même pour lui un
sentiment plus tendre ; mais elle ne l'a pas rencontré
depuis son aventure , et elle ignore jusqu'à son nom .
Heureusement elle l'entrevoit , au moment où il se retire
désespéré . Firmin l'instruit du motif de sa visite ,
et elle lui donne son écrin pour tirer de prison le père
de son amant. Mais M. Belcourt refuse d'en sortir à
ce prix , et son fils rapporte les dix mille écus produit
de la vente de l'écrin . Alors M. Blum , également
charmé et de la délicatesse du père et du courage du
fils , remet au premier sa dette , et fait son gendre du
second . Nous n'avons pas parlé d'un vieillard amoureux
qui croit plaire à Juliette , et qui veut à toute force
l'épouser. L'insipidité de ce rôle , qui n'a pu être racheté
par quelques traits plaisants et par le jeu de
Grandmesnil , a en grande partie causé la chute de la
pièce. Son grand défaut est d'être sans intérêt ; l'action
en est languissante, le style négligé et souvent même
trivial ; et les acteurs , quoiqu'ils aient fait à la fois
preuve de talent et de bonne volonté , n'ont pu la préserver
de sa disgrace.
PRAIRIAL AN Χ. 455
POLITIQUE.
Milan , 13 prairial ( 2 juin ).
Nos colléges électoraux se sont réunis pour la
première fois ces jours derniers ; le meilleur esprit s'est
développé dans leur assemblée , et l'expérience consacre
déja ce système de représentation fondé sur l'ordre des
choses existant dans les états européens . Lorsque au
lieu de consulter l'état de la société qu'on doit régir ,
on ne voit que des chimères ; lorsqu'on ferme les yeux
sur ce qui existe pour les porter dans les nuages ; enfin ,
lorsqu'on veut instituer des nations en prenant pour
guide une vaine métaphysique , dont les aperçus ,
quelquefois séduisants , sont presque toujours faux ,
parce qu'ils ne sont que le fruit de l'imagination ; alors
il arrive qu'après beaucoup de peines et d'analyses , on
est surpris de n'avoir fait aucun progrès . On a parcouru
un cercle vicieux , et l'on a fait beaucoup de
chemin pour revenir au point d'où l'on était parti.
Tous ces systèmes chers aux sophistes et funestes aux
peuples , sont de grands obstacles à l'organisation
sociale. Lorsque les bases sont de sable , il est inutile
d'édifier...... Heureusement pour l'Italie , nous n'avons
eu qu'un législateur , et celui-là sait tout réduire à sa
véritable valeur. Lorsqu'il a dû former notre représentation
, il l'a composée des éléments solides qui se
trouvaient sous sa main , de la propriété , du commerce
et des lumières. Par cette division déja existante ,
dont son génie s'est emparé , il est parvenu à nous
instituer vraiment en corps de nation , et nous en for
456 MERCURE DE FRANCE ,
mons un plus solide aujourd'hui que sous le régime
passé. Aussi la joie et la confiance habitent- elles avec
nous . La censure s'est empressée de témoigner au
premier consul , président de notre république , la
reconnaissance nationale .
Voici les détails de ce qui est indiqué dans cette
lettre , avec celle de la censure au premier consul , la
réponse de celui- ci , etc. etc.
Le collége des possidenti s'est réuni à Milan ; celui des
commercianti à Brescia ; celui des datti à Bologne. Après
s'être organisés , après avoir fait lecture du message du viceprésident
qui leur fait connaître les places vacantes auxquelles
ils ont à nommer pour le corps législatif , ils ont été au
scrutin , ont nommé les membres qui doivent composer
la censure , savoir : les possidenti 9 membres , et chacun
des autres colléges 6 membres .
La censure s'est réunie à Cremone , a nommé pour président
le citoyen Bassi , et pour secrétaires les citoyens
Lamberti et Bovara ; elle a procédé aux nominations
d'après les listes présentées par les trois colléges . Le 30 mai ,
elle a nommé Guicciardi Diégo secrétaire d'état , à la place
de consultore- d'état , vacante par la mort du citoyen Serbelloni
, et pour le corps législatif , les citoyens Giaccomo-
Angelo Borsa , du département du Haut-Pô ; Nobili-
Pelligrino , du département du Crostolo ; Marogna , du
Mincio ; Giovanni Vicini , du département du Reno ; Felice
Rovida , et Francesco Galvagny , du département de l'Agogua;
Ferdinando Gruppi , du département du Crostolo ;
Giacomo Piudemonti , du Mincio , et Poggioni , du Reno.
47
Au citoyen premier Consul de la République française ,
fondateur et président de la république italienne , Napoléon
Bonaparte.
1
1.
LA CENSURE .
Cremone , 51 mai 1802 ( an I. )
Les colléges électoraux de la république italienne , dans
lesquels vous avez distribué les trois classes de citoyens, ont
PRAIRIAL AN Χ. 457
terminé les fonctions qui les constituent les organes primitifs
de la souveraineté nationale .
La censure tirée de leur sein , et animée comme eux des
sentiments de la plus vive reconnaissance pour votre
personne , a terminé également les siennes . Daignez donc ,
citoyen président , agréer nos voeux. Puissiez-vous goûter
toujours la satisfaction pure , céleste , d'avoir fait le bienêtre
de plusieurs millions d'homines , en leur donnant une
existence politique aussi assurée au-dedans qu'elle est respectée
au-dehors ! Il ne restait plus rien à desirer à notre
république que de voir se perpétuer le nombre des citoyens
sages et éclairés , dignes de coopérer avec votre puissant
génie et votre grande ame à consolider de plus en plus notre
félicité. C'est à quoi ont travaillé , avec tout le zèle dont ils
sont capables , les colléges électoraux et la censure. Vous
avez donné la paix au monde ; vous avez établi sur une
hase inébranlable la liberté civile ; vous avez porté au plus
haut degré de perfection la civilisation , l'agriculture et le
commerce. Il viendra un temps , citoyen président , où
la reconnaissance de la postérité , répondant à la nôtre ,
attachera à notre siècle votre nom immortel.
( Suivent les signatures. )
Bonaparte , premier consul de la république française ,
et président de la république italienne , à la censure de
la république italienne .
Paris , 7 juin 1802 ( an I. )
L'époque de la réunion des colléges , premiers organes
de la souveraineté du peuple italien sera célèbre un jour
dans l'histoire de l'Italie .
,
Les choix que vous avez faits me paraissent remplir l'espérance
qu'on avait conçue de vous .
J'ai été très -sensible à tout ce que votre lettre contient
d'aimable pour moi ..... La république italienne jouit de la
liberté , du bonheur , et retrouve toute la dignité d'une
nation indépendante dans ses institutions actuelles ! .....
Un de mes voeux les plus chers se trouve rempli .
Votre situation s'est considérablement améliorée depuis
1
458 MERCURE DE FRANCE ,
six mois ; elle sera encore améliorée davantage d'ici à la
réunion des colléges.
Je pourrai alors , je l'espère , passer un mois au milieu
de vous .
Je saisis cette circonstance pour témoigner au viceprésident
Melzi , et aux grands fonctionnaires de la république
, ma satisfaction de leur conduite.
Signé BONAPARTE .
A Bonaparte , premier consul de la républiquefrancaise ,
et président de la république italienne.
Le citoyen GUICCIARDI , Secrétaire d'état.
Citoyen président , la censure , en me nommantconsultore
d'état , a sûrement eu égard à l'emploi élevé dont il vous
a plu , premier consul et président , de m'honorer dans les
comices à jamais mémorables de Lyon , plutôt qu'à mes
faibles talents , et aux légers services que j'ai pu rendre à
la patrie. C'est pour cela que j'ose vous prier de protéger
votre ouvrage , en conformant par votre approbation suprême
, et me rendant ainsi plus agréable et plus sensible
la preuve d'estime que m'ont donné mes concitoyens.
Permettez- moi cependant de vous offrir le tribut entier
d'un coeur reconnaissant et pénétré des sentiments les plus
vifsd'un inviolable respectetadmiration.SignéGUICCIARDI.
Paris , 10 prairial an to .
Citoyen Guicciardi , consultore d'état de la république
italienne , je vois avec plaisir que les trois colléges et la
censure vous ont choisi pour remplacer un homme que je
regrette pour ses bonnes qualités et le bon usage quejelui
ai toujours vu faire de sa fortune et de son influence . Vous
êtes nommé consultore d'état ; soyez , dans ces fonctions
importantes , uniquement attaché à la patrie. Vous n'appartenez
plus à aucun département , n'ayez jamais en vue
que l'intérêt et la politique de la république entière.
Signé BONAPARTE .
Le premier,consul de la république française , président
de la république italienne , arrête :
Il sera frappé une médaille pour transmettre à la postérité
PRAIRIAL AN Χ. 459
1
l'époque de la première réunion des colléges de la république
italienne et du premier acte de souveraineté exercé par
le peuple italien depuis la destruction des républiques du
moyen âge.
Il sera ouvert un concours pour l'embléme , l'inscription
, la forme , et tout ce qui est relatifà cette médaille.
L'institut de Bologne décernera le prix qui sera de deux
ents sequins.
Sur la position respective de la France et de
l'Angleterre.
Lorsque deux grandes nations ont pendant
dix ans rempli l'univers du bruit de leurs que
relles , et tenu le nord et le midi de l'Europe
armés l'un contre l'autre , le traité par lequel
elles terminent une guerre , qu'on regarda longtemps
comme une guerre à mort , paraît assoupir
, mais non éteindre leur inimitié. Longtemps
après cette paix , leur attitude respective , la
marche et les succès de leurs gouvernements
seront non -seulement importants pour ellesmêmes
, mais pour le repos général de l'Europe,
et occuperont l'attention des observateurs . Nous
y porterons donc souvent nos regards , et nous
recueillerons avec soin tout ce qui pourra , sous
ce rapport , intéresser nos lecteurs. Lorsque les
lettres de nos correspondants seront de nature
à jeter du jour sur la situation respective des
deux pays , nous les donnerons telles qu'elles
nous parviendront , et nous les livrerons aux
réflexions de nos lecteurs , en nous permettant
de leur offrir quelquefois les nôtres. Voici ce
qu'on nous écrivait de Londres le 28 mai ( 8
prairial . )
*
460 MERCURE DE FRANCE ,
Londres , 28 mai 1802 .
La crise des finances devient de jour en jour plus
difficile , et il me paraît impossible que M. Adington
ni aucun autre ministre en sorte honorablement . -
La banque fait d'énormes sacrifices pour tirer de l'argent
de Cadix ; mais ces soulagements sont de vrais
remèdes d'empyriques , ils précipitent la ruine des
finances . L'on ne peut faire payer les termes du dernier
emprunt. Les prêteurs s'adressent à la banque . La
banque refuse parce qu'elle sait qu'ils ne sont pas en
état de répondre des prêts. Ils n'ont derrière eux que
le gouvernement. Le gouvernement a derrière lui la
banque , et les prêteurs voudraient se mettre derrière
elle. Vous voyez combien ce cercle est vicieux, Aussi
l'emprunt ne s'accomplit pas , et il y a une gêne
extrême dans les payements publics. Les particuliers
se soutiennent encore , et en général cette partie du
crédit est saine. L'industrie est au plus haut degré.
Les émigrés qui retournent en France y portent de
l'argent , et c'est ainsi que la balance est rendue de
plus en plus contraire avec Paris .
Les regards et l'affection se dirigent vers la France.
Je ne parle ni des propriétaires ni des gens en place.
Mais les capitalistes , les hommes ayant des richesses
transportables , sont tout prêts à passer la mer aux
premiers signes d'un retour permanent et inébranlable
à l'ordre et au respect des propriétés. Vous devez
savoir que déja plusieurs personnages inquiets de
l'état de ce pays-ci ont envoyé à Paris sonder le
terrein.
Il y a dans la conduite de ceux qui gouvernent ici
des symptômes visibles de faiblesse . On essaye une
mesure ; on en adopte une autre . La paix ne produit
pas tout ce qu'on s'en était promis. La nouvelle loi
PRAIRIAL ANX. 461
française sur la conscription , coûtera peut- être un
demi-million sterling à l'Angleterre en fausses dispositions
de défense . Je vous assure qu'avec un grain de
sagesse , on fera beaucoup chez vous ; ici au contraire ,
toute l'habileté consiste à reculer ou modérer les effets
de la crise.
La science des finances , appliquée à deux
grands Etats , est très - vaste , très-compliquée ,
très-difficile , et nous sommes loin d'en posséder
ce qui serait nécessaire pour apprécier les embarras
du gouvernement anglais , et la marche
qu'il tient pour en sortir ; mais cette crise dont
on ne cherche qu'à reculer ou adoucir les
effets , cette incertitude , cette hésitation , des
capitalistes entre les deux pays , cette guerre
financière et commerciale qu'on veut faire succéder
à l'ancienne guerre , les bruits même de
communications peu amicales entre les deux
gouvernements ; tout cela mérite attention , et
il n'est pas inutile d'examiner un peu quelques
idées qui circulent en ce moment sur ce qu'on
appelle la crise de l'Angleterre , et en général
sur la position respective des deux nations.
On se trompe beaucoup si , lorsqu'il est question
de crise actuelle pour l'Angleterre , on
entend par-là le danger d'une révolution , surtout
d'une révolution précipitée . L'Angleterre
en est à l'abri . L'exemple de nos malheurs y a
vivement frappé les esprits , et le même sentiment
qui nous fait appeler aujourd'hui le gouvernement
d'un seul, en a rendu le besoin plus
généralement senti en Angleterre. Des divers
éléments de sa constitution , c'est à la partie
monarchique que maintenant l'opinion met le
plus de prix..
462 MERCURE DE FRANCE,
:
On doit attribuer à cette cause le peu de
considération auquel le parti de l'opposition est
réduit depuis plusieurs années. Dans son ensemble
et dans chacun de ses membres , ce parti
a ou paraît avoir les idées les plus fausses de
notre révolution. Il parle encore avec une sorte
d'estime , et presque avec regret , de quelques
hommes populaires et criminels , entièrement
oubliés parmi nous : il croit à la vérité abstraite
des principes , indépendamment des circonstances.
Cette confusion de pensées libérales
et d'espoir de perfectibilité , a éloigné le parti
de l'opposition de la route où il pouvait conserver
de l'influence. La nation anglaise , qui
voit en lui l'allie éventuel des Français révolutionnaires
, s'est attachée de préférence au parti
ministériel , quoique les hommes de mérite , indépendants
, s'accordent presque tous à reconnaître
que le plus fort de ce parti ( M. Pitt ) est
bien plus orateur qu'homme d'Etat.
Un seul trait peut faire juger de l'opposition
anglaise. Les hommes de ce parti nous blâment
hautement de revenir à l'unité , tandis que les
ministériels , tout en se permettant quelques
plaisanteries à ce sujet , louent la sagesse de ce
retour vers la meilleure base de l'ordre et de la
tranquillité. Ils ne peuvent se déguiser l'action
de la France sur l'Europe. Nos agitations fai
saient trembler l'univers ; notre tendance actuelle
rassure tous les gouvernements. Ainsi , en
supposant une alliance conseillée aujourd'hui par
la politique , on doit voir qu'elle serait plus facile
à opérer entre le premier consul et le parti
ministériel , qu'entre le premier consul et l'opposition.
Celle - ci n'a pour elle que les démoPRAIRIAL
AN Χ. 463
crates , ainsi que s'appellent eux-mêmes , en Angleterre
, les partisans d'une liberté indéfinie .
Or les démocrates sont les mêmes partout. Le
pouvoir , dès qu'il est fixe , leur paraît despotique.
Les craintes que l'on montre à Londres sur
la durée de la paix tiennent au parti formé de
reporter M. Pitt au ministère . On cherche à établir
l'opinion que les dix années qui suivront la
paix exigeront plus de prévoyance que n'en demandait
la guerre : on en conclura naturellement
que celui qui a gouverné pendant la guerre
peut seul gouverner après la paix . M. Pitt n'a
pas chez tous les Anglais la réputation d'un trèsgrand
politique , mais il jouit généralement de
celle d'un très-bon financier ; et cette qualité ,
peu appréciée par un peuple chez qui domine
l'amour de la gloire , est la première de toutes
chez celui qui n'a de passion que pour le commerce
, et d'existence que par lui. Tout concourt
aujourd'hui à faire croire que M. Pitt ne brusqua
, il y a quinze mois , le roi sur un point de
conscience , que pour avoir un prétexte de se
retirer , de laisser faire la paix , et de rentrer
ensuite au ministère , débarrassé de ceux de ses
collégues qui , pendant toute notre révolution ,
ont voulu influer sur nos destinées . M. Pitt a
grand soin de se présenter comme ennemi de
la France ; c'est nécessaire à sa popularité : mais
avec une grande ambition , il a le caractère
assez modéré pour ne point haïr, et même pour
ne point aimer.
M. Pitt n'a peut-être pas d'opinion bien formée
sur la sincérité de notre gouvernement
dans le desir qu'il annonce de maintenir la paix ;
464 MERCURE DE FRANCE ,
mais il doit voir au moins que si , par une catuse
quelconque , la paix venait à se rompre , cette
nouvelle guerre serait entièrement étrangère à
la révolution . Si la France lui donnait un caractère
qui eût avec la révolution la moindre
affinité , elle ramenerait Bonaparte au même
point où il était avant le 18 brumaire , en ne le
présentant à la France et à l'Europe que comme
l'exécuteur de projets révolutionnaires ; au lieu
qu'une guerre de gouvernement à gouvernement
, serait en quelque sorte une nouvelle sanction
de son pouvoir. Il n'y aura donc plus de
guerre révolutionnaire .
Il ne serait pas difficile d'indiquer d'autres
motifs pour faire juger l'Angletterre , encore
éloignée d'une révolution. Il suffirait d'examiner
comment s'est fait la nôtre .
Elle ne fut pas le produit d'un malaise général
; elle fut l'effet de la fausse direction que les
esprits avaient prise depuis longtemps. Cette
direction était en sens inverse des principes de
la monarchie. La France est faite pour la
gloire ; c'est à sa gloire qu'elle avait dû la
grande prépondérance dont elle avait joui en
Europe. Lorsque l'esprit de commerce et les
calculs parcimonieux des économistes se répandirent
parmi nous , la nation dégradée , tomba
politiquement dans un désordre d'où elle ne
pouvait être tirée que par la gloire militaire.
La France est revenue aux vrais principes de
sa grandeur , elle a acquis beaucoup de gloire ,
aussi n'a t-elle jamais eu autant d'influence en
Europe.
Grace à toutes les fautes qui depuis cent ans
avaient opéré la dégradation de la France , la
PRAIRIAL ANX... 465
) nation anglaise a su allier deux choses , que
tout tend à séparer , commerce et gloire . Pour
faire descendre ce peuple du rang auquel nous
l'avions fait monter , il suffit d'effacer sa gloire
et de le réduire à ce qu'il doit être par sa
nature , un peuple de marchands.
L'esprit de commerce erce que l'on dit si favorable
à la liberté , est incompatible avec tout
esprit de grandeur. Comment les hommes qui
se nourrissent de profits , pourraient - ils consentir
à des sacrifices ? Carthage est tombée
devant Rome ; les villes libres et commerçan
tes de l'Allemagne , n'ont montré aucune resolution
pour défendre leurs priviléges ; la Hollande
s'est laissée conquérir pour être dispen,
sée de combattre ; c'est dans ses villes commercantes
, que la Suisse a perdu ses moeurs et
l'esprit qui la conservait : autant en arrivera
à tous les peuples commerçants , lorsqu'il paraîtra
sur la terre une nation dont le premier
mobile soit la gloire .
1.3
Montesquieu et les autres écrivains qui ont
cru avec lui le commerce favorable à la liber é ,
ne l'ont envisagé que sous une de ses faces : ils
l'ont vu combattant la féodalité , et il est vrai
qu'à l'époque de cette lutte , il donnait aux hommes
le desir et les moyens de sortir d'esclavage.
Mais dans les siècles de lumière , depuis que la
politique est devenue une science vaste , et l'art
de gouverner le premier des arts , le commerce
a affaibli dans les nations le sentiment de la
gloire , et souvent il a donné aux gouvernements
des entraves qui les mettaient dans l'impossibilité
de rien oser pour le salut du peuple.
Sans la mer qui forme un rempart à l'Angle-
4
8. 30
466 MERCURE DE FRANCE ,
:
terre , cette nation eût- elle pu échapper au joug
des armes françaises ? Combien de fois n'a-t-on
pas dit que sans cette défense elle eût été envahie
? Personne en Europe n'en a douté , et l'on
n'a pas oublié l'effet que produisirent quelques
centaines de galériens jetés sur ses côtes par le
directoire. On tremblait déja ......pour la patrie
? Non ; pour la banque. - Comparez à ces
terreurs les efforts d'une nation agricole et guerrière
, dont le territoire a été couvert d'armées
françaises . Qui n'a admiré l'ardeur des Allemands
pour la défense de leur pays ?
La grande politique de la France est de replacer
chaque nation à son véritable rang ; elle
est faite pour le premier. Les rangs sont fixés
par la nature des choses. Pour y établir l'ordre ,
le gouvernement français ne doit plus souffrir
que les intérêts du commerce viennent se jeter
à travers ceux de sa gloire. 1
Entre ces deux genres d'intérêts , la nation
anglaise ne balancera pas ; elle tient plus à son
commerce qu'à sa gloire. Le commerce est son
existence ; la gloire n'est pour elle qu'un accident
dont on chercherait vainement la cause
ailleurs que dans la faiblesse des derniers temps
de lamonarchie. Par quel aveuglement encourageait-
on alors des philosophes , occupés sans
cesse de vanter une nation , dont il eût suffi de
ne pas parler pour l'empêcher de sortir des limites
que lui avait assignées la nature ?
C'est en France que la nation anglaise à
fait sa réputation ; c'est en France qu'elle
doit la perdre. La langue anglaise n'a été apprise
sur le continent , que depuis les éloges
prodigués parmi nous aux auteurs anglais. La
REP.C
PRAIRIAL ANX.
nation anglaise n'a tant estimé son gouverne
inent qu'en voyant le meilleur de nos publis
cistes le présenter à l'admiration de Europe.
Elle a entendu nos historiens , nos politiques ,
nos poètes , nos dramaturges surtout , vanter
ses lois , ses moeurs , sa liberté , sa littérature ;
elle a vu nos économistes , plusieurs de nos
ministres , et depuis la révolution la plupart de
nos législateurs puiser chez- elle leurs exemples ;
elle est devenue fière enfin , de voir la nation
qui donnait le ton à l'Europe , s'humilier devant
la rivale qu'elle s'était créée.
On ne peut expliquer que par cette cause ,
l'alliance si extraordinaire qu'offre l'Angleterre,
entre le commerce et la gloire. Mais nous le
répétons , cette gloire n'est qu'un accident , et
elle a déja été obscurcie par celle de la France.
La gloire de l'Angleterre fut l'ouvrage de l'inconsidération
française ; tout en France doit
s'accorder pour abaisser l'orgueil anglais. Les
Français doivent sentir la différence qui existe
entre eux et un peuple commerçant. Ils doivent
intéresser la fierté des grandes nations
agricoles et guerrières , à se croire fort audes
sus de la banque de Londres .
La gloire , que nous regardons comme un
accident pour l'Angleterre , est peut-être devenue
par notre faute , principe de son gouvernement
; mais aussi lorsque nous l'atteindrons
dans ce principe , elle commencera à
courir de véritables risques. Tant qu'elle se
croira l'égale de la première nation du monde,
elle sera à l'abri des événements révolutionnaires
. La raison en est sensible ; car le fanatisme
excepté des causes de révolution , aucune
468 MERGURE DE FRANCE ,
nation n'agit contre elle - même que lorsqu'elle
est déchue à ses propres yeux . C'était la posttion
des Français depuis la fin du règne de
Louis XV, et surtout depuis le partage de la
Pologne. La gloire contre laquelle crient sans
cesse les philosophes , les économistes et tous
ces malheureux écrivains , qui perdent les peuples
en prétendant les éclairer; la gloire est
un tel besoin pour les nations longtemps illustrées
par son éclat , qu'elles ne peuvent la perdre
sans compromettre leur tranquillitéet même
leur existence.
1
1
On pourrait dire que depuis un siècle , toutes
les nations sont tombées dans l'esclavage commercial
; et il serait facile de prouver que si
le commerce a détruit la féodalité , il a aussi
détruit toutes les institutions grandes et généreuses
, si favorables à la gloire , si utiles à la
liberté. Qu'un peuple de marchands courre
à la bourse , chercher sur la hausse et la baisse
des fonds publics , ce qu'il doit penser de la
conduite de son gouvernement , cela se conçoit
; mais qu'on voie la même chose en France
, qu'on ait entendu les révolutionnaires , devenus
avares et politiques , dire qu'ils devaient
se jeter dans les affaires , afin d'être maîtres
de la république par les finances ; que ce qu'ils
ont dit , ils l'aient fait , voilà ce qu'on ne concevrait
pas si l'on ne pensait qu'il est impossible
de tout examiner à la fois .
1
Les idées qui ont dégradé la France monarchique
, sont encore beaucoup trop accréditées
; nous lleess avons sucées avec le lait de nos
nourrices , et.qu'il d'hommes qui saaura
peu
chent se débarrasser de ce vieux levain, expur.
G
PRAIRIAL ANX 469
4
2
gare vetus fermentum ! Faibles imitateurs d'un
peuple de marchands , nous avons oublié qu'il
était commerçant par nécessité , et qu'heureusement
nous ne pourrions jamais l'être au même
titre. Le désavantage de la position du peuple
anglais , est devenu sa gloire , du moment que
nous avons voulu être ses rivaux, car , nous
devrons nécessairement rester au dessous
lui ; et le besoin du commerce , et les livres ,
et les lois , et la philosophie , et la prétendue
perfection de l'agriculture des Anglais , nous
avons tout reçu comme des esclaves , tout imité
comme des sots.
1
7
entierement
au pre-
La' providence'n'a rien refusé
aux nations ; mais elle a plus particulièrement
donné à chacune d'elles tel ou tel avantage , à
l'Angleterre le commerce , à la France tous les
moyens de grandeur. La France s'est perdue
pour avoir mis l'esprit de commerce au
mier rang ; l'Angleterre se perdra pour avoir
desiré plus de gloire qu'à elle n'appartenait.
Mais quelle suite de volonté , de prévoyance ,
de travail il faudrait pour assurer en France
l'impulsion que la gloire militaire peut donner
aux esprits ! .... plus d'imitation surtout. C'est
constamment dans nos idées nationales , dans le
veritable principe de notre gouvernement ( la
gloire ) , qu'il faut chercher ce qui peut nous
être avantageux. Notre élévation et l'abaissement
de l'Angleterre sont liés dans l'avenir ,
comme étaient liées avant la révolution notre
dégradation et sa gloire.
On admire ses lois ; et la bizarrerie de leur
ensemble , si elle était connue , étonnerait ceux
qui ne savent pas que ce que la législation assem
470 MERCURE DEFRANCE ,
1
ble par les mains des générations , en manquant
d'ordre , se soutient par l'appui de ce qu'il y a
de plus puissant parmi les hommes , de l'habitude.
Nous pouvons faire envier aux Anglais la
perfection de notre code religieux , et l'ensemble
de notre code civil. Qu'ils cessent de croire
leurs lois meilleures que nos lois ; cessons de
vanter leurs richesses , moins stables que les notres
, et bientôt cette nation marchera vers sa
révolution par la perte de sa propre estime , et
l'espoir si dangereux d'une amélioration constitutionnelle.
En parlant du commerce comme nous le faisons,
nous sommes loin de prétendre qu'il soit
inutile à la prospérité des Etats. Nous voulons
dire seulement qu'on ne doit pas y attacher trop
d'importance , et surtout qu'on ne doit jamais
souffrir que le gouvernement tombe dans la
dépendance de l'esprit mercantile. Il y est en
Angleterre ; la paix et la guerre s'y font selon
les voeux du lu commerce .
C'était dans l'espoir d'un traité de commerce
que la cité de Londres s'agitait pour la paix .
Aujourd'hui , toute son inquiétude est de savoir
pourquoi il n'y a pas eu un traité de commerce ,
si et quand il y en aura un. Demain tous les
cris seraient pour la guerre , si les victoires de
la France n'avaient ôté au peuple. anglais l'espoir
de la forcer à un traité de commerce , les
armes à la main.
La doctrine que nous professons relativement
au commerce , n'est pas une doctrine de circonstance.
Il y a deux ans que nous disions dans
ce journal ( N.º II , pag. 130 ) : « Quoique l'or
* dans nos guerres modernes soit aussi nécesPRAIRIAL
AN X. 47.1
<< saire que le fer , il ne suffit pas pour assurer
<< leur succès. Les puissances maritimes qui ont
<< l'habitude d'acheter des troupes étrangères ,
<< croient trop facilement qu'elles ont tout fait
<< lorsqu'elles ont donné leur argent et leur cré-
<< dit. Elles prennent rarement la peine de com
<<< biner d'autres plans que ceux de leur com-
<< merce ; et les plus grands mouvements po-
<<litiques ne sont jamais pour elle que des
<<spéculations de la bourse. Voyez quelles mi-
<< sérables expéditions méditait l'Angleterre ,
<< tandis que le premier consul franchissait les
<< Alpes , et préparait une seconde fois la con-
<<quête de l'Italie , etc. etc.>>>Lorsque nous éerivions
ainsi , nous savions , comme aujourd'hui ,
mettre à leur place , parmi les grands mobiles
des gouvernements , le desir de la gloire et les
spéculations mercantiles .
k
vidor oНЬ MOITATA
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1
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Du quatrième trimestre de la deuxième année
-21ODMOR CURE DEFRANCE.
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HUTTIEME 1
[ 8855? 1955m 5s 3
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:
ayompuPERATURE.
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1
SI
IMITATION d'Horace , liv. 1. ode 4.
4
1
page 3
A mademoiselle Thomas , pour sa fête.
Vers du citoyen Esmenart , à l'amiral Villaret.
5
62
La Tarentule , fragment d'un poème sur les Insectes.
65
A madame *** , par le citoyen Boufflers . 67
Quatrain au premier consul.
Chant de paix.
108
Idem .
110 Canzonetta soprà la pace.
Traduction en vers français , par un Allemand , du
quatrième livre de l'Enéïde.
Fin du fragment d'un poème sur l'étude.
Ode sur la paix.
Carmen de pace.
A madame Chaptal.
Couplets sur la paix .
L'arbre renversé.
111
113
158
159
161
164
209
DES MATIERES. 473
Ode sur le rétablissement du Culte.
Imitation d'Horace , liv. 2 , ode 8.
Imitation de Properce .
953
Episode de Cacus , traduite du 8. livre de
l'Enéïde.
A - 3588ની 320
Fragment d'un poème sur la Basse-cour
273
321
369
42
Enigmes , charades et logogryphes. 6 , 67 , 115 , 165 ,
L
212 , 278 , 322 , 373 , 421
SPECTACLES.
Théâtre français.- Sur Edouard.
Le Roi et le Laboureur, tragédie? 3.31 0
Julietteet Belcourt , comédie .
39 Théâtre de la République et des Arts
Le Retour de Zéphir,BBallet.
Sémiramis , opéra .
:
43
447
453
297
91
344
Théâtre Feydeau ( Opéra-Comique).
Le Retour inattendu
cust goitriou 112
94
Une folie.
254
CAA
Début de la Signora Bolla.
Il Barbiere di Sevigliajandol
La Statue , ou la Femme avare .
هد
Théâtre Favart ( Opéra-Buffalo &
92
Gli Zingari in Fiera: 200 nay anh 911298
392
Théâtre de la rue de Louvois.9 19 :1
L
α
Un petit Mensonge. 443
Les deux Mères.obs 181
Jonsvill
Un Tour du jeune Homme . 252
La Matinée du Jour. говер 35
474 TABLE
Le Pacha de Surène . 395
Théâtre du Vaudeville.
:
René le sage, 92
Le Congé. 95
Le peintre français à Londres.
Panard , clerc de Procureur.
Lasthénie , ou une Journée d'Alcibiade.
11,76 , 88 , Anecdote.
EXTRAITS.
Le premier navigateur de Gesner , traduit en français
et en italien .
185 .
301
302
303
38
Histoire de l'assassinat de Gustave III , roi de
Suède. 85 et 173
Le génie du Christianisme , par le citoyen Chateaubriand.
116 et 235
Discours sur le rétablissement de la Religion. 226 et 297
e
Lettres de Cicéron à Brutus. 214
De la législation sur le Mariage et le Divorce ,
par A. Nougared. 279
Essai sur l'Emulation dans l'ordre social , par
Raymond. 374
OEuvres de Duclos . 430
Voyage au Mont-d'Or. 436
Principes organiques de la marine militaire. 443
VARIÉTÉS
Lettre du citoyen Fontanes sur Thomas.
Essai sur la Littérature anglaise , par le citoyen
Châteaubriand.
Premier extrait. Youngο επώ κά
Deuxième extrait.- Shakespear.
2
69
323
1 1
423
167
291
Troisième extrait.-Suite de Shakespear.
Sur Rivarol .
Des qualifications.
1
-
DES MATIÈRES. 4-5
4
1
Première lettre sur l'Angleterre.
Deuxieme lettre sur l'Angleterre.
NÉCROLOGIE.
Mort de M. Bausset - Roquefort .
SCIENCES
339
385
296
1
Mort du citoyen Jerphanion. 390
ET ARTS .
61
107
Arrêté des consuls relatif à l'Institut.
Prix fondé par le citoyen Lalande.
POLITIQUE.
Observations et aperçus .
Sur quelques ennemis de la paix et de la France. 49
Sur le traité d'Amiens. 193
Sur le rétablissement du Culte et la solennité du
28 germinal . 201
Surles derniers débats du parlement d'Angleterre. 357
Coup - d'oeil sur la situation de l'Europe. 401
Sur la position respective de la France et de l'Angleterre.
459
Traités , lois et arrétés.
יו
Traité de paix d'Amiens. 97
Concordat.
Articles organiques du concordat 150
Renouvellement du tribunat. 2
Convocation du corps législatif. 60 R
Amnistie pour fait d'émigration " : 267
Réélection du premier consul.is
1 315
Etablissement d'une légion d'honneur. 365
Esclavage des noirs . 368
25(122
NOUVELLES EXTÉRIEURES.
Londres.
Hambourg.
61 , 112 , 261 , 311 , 460
Milan..
257 , 308
455 :
476 TABLE DES MATIÈRES.
Francfort
Vienne.
Berne .
Stockholm .
Pétersbourg.
Saint-Domingue. 1
2602
Зго
262, 306
263 , 311
260
305
1 ;
61 , 368
G
Paris .
Amiens .
INTÉRIEUR.
11
59 , 104 , 157 , 205 , 266 , 314 , 362
105
1
ΑΝΝΟNCES.
6 11
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Fotolo
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"
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31
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détails, curieux sur l'Empire ottoman. On y a joint
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adressée à M. de Vergennes ; un mémoire du savant
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le tout imprimé sur les originaux inedits , et revu
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Prix , 6 fr . 40 cent.
1
Idem , 2 vol. in-12 , pap. vélin. Prix , 9 fr. 40 cent.
A Paris , chez Ant. Aug. Renouard , libraire , rue
Saint-André-des -Arcs , n.º 42 ; et chez Lenormant ,
imprimeur- libraire , rue des Prêtres -Saint-Germainl'Auxerrois
, n.º 42.
Nouveau Dictionnaire universel français - anglais , et
anglais français , extrait des écrits des meilleurs
auteurs , ainsi que des dictionnaires les plus esti
480 MERCURE DE FRANCE ,
més des deux langues , et particulièrement de celui,
de Boyer; par John Garner: 2 vol . in-4.º de 800
pages chacun , imprimés avec le plus grand soin ,
en caractères petit-texte à trois colonnes , sur beau
papier grand raisin. Prix , 39 fr. cartonnés , et 42 fr.
reliés . De l'imprimerie de la veuve P. Dumesnil et fils
de Rouen , et se trouve à Paris , chez Belin , libraite ,
rue Saint-Jacques , n.º 22 ; et chez Lenormant , rue
des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois , n.º 42.
!
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prochain , paraîtra le samedi de chaque semaine par
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-pour trois mois..
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