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1792, 02, n. 5-8 (4, 11, 18, 25 février)
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Texte
( No. 5. ) O
SAMEDI 4 Février 1792.
MERCURE
FRANÇAIS ,
• quant
a
COMPOSÉ par M. DE LA HARPE
la partie littéraire ; par M. MARMONTEL
pour les Contes ; & par M. FRAMERY
pour les Spectacles.
M. MALLET DU PAN eft feul chargé de
la partie politique .
Tous les Livros , Cartes , Eftampes , Mufique
& A is divers , doivent être adreffés à M. de
la Harpe , rue du Hafard , nº . 2 .
Le prix de l'abonnement eft de 6 liv.
franc de port par tout le Royaume.
431e
CALENDRIER
POUR L'ANNÉE 1792.
FÉVRIER a 29 jours & la Lune 29. Du 1 au 29 , les
jours croiffent , matin & fɔir , de 46 '.
JOURS
du
Mois.
NOMS DES SAINTS. de de la
LUNE.
PHASES Temps moyen
cu Midi vrai,
H. M.
12
27 landi . Porphyre.
merc. Ignace , Evêque & Matt. 9
a jeudi. PURIFICATION,
vend . Blaife , Martyr.
fam. Philéas.
D. Septuagefime.
6 lundi, Vaft , Evêque.
7 mardi Romuald .
8 merc. Jean de Matha.
9 jeudi. Ste Appolline , Vierge .
10 vend. Scholaltique.
fam. Séverin , Abbé,
D. Sexagefime.
13 lundi. Lezin , Evêque .
14 mardi Valentin.
15 merc. Fauftin , &c.
16 jeudi. Ste Julienne , Vierge.
17 vend. Silvain .
18 fam. Siméon , Evêque.
19 D. Quinquagefime .
20 lundi Eucher , Evêque.
21 mardi Flavien.
22 merc. Les Cendres.
13 jeudi Damien .
24 vend. Les cinq Plaies de N. S.
25 fam. Mathias , Apôtre,
261 D. Quadragefime.
28 mardi Ste Honorine.
19 metc. Quatre- Temps .
16 le 8 , à 3
17 h. m.
18 du mat.
191
20
14
10 14 ΤΟ
14 16
σ 34 22
3
14
14 27
14 31
P. L.
14 34
14 37
O 14 38
39
O 14 39
14 : 8
27 Ox 14 37
22
CD . Q: 14 35
23 le 1 32
24 midi. 14 28
251
16
14 24
14 19
27
O 14 13
28 N. L.
14 7
29 10 22, à
O 14 O
1 h. i m.
O 13 “
2 dimat. 13 44
O
3
13 3
14 13 26
o 13 16.
le29 . à 7 O 13 S
h. 33 m. O 12 54
8 du foir, 12 42
EPACTE V 1,
MERCURE
FRANÇAIS,
POLITIQUE , HISTORIQUE
ET
LITTÉRAIRE ;
COMPOSÉ par M. DE LA HARPE ,
quant à la partie Littéraire ; par M.
MARMONTEL , pour les Contes ; & par.
M. FRAMERY pour les Spectacles.
M. MALLET DU PAN , Citoyen
de Genève , eft feul chargé du Mercure
Politique & Hiftorique.
SAMEDI 4
FÉVRIER 1792 .
A
PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins , No. 18.
TABLE GÉNÉRALE
Du mois de Janvier 1792.
TLRS.
Le Trépied d'Hélene.
Chardde , En. Log.
3 Gonzalve de Cordoue.
4 Notices.
17
LE Déclin , &c .
Charade , Enig. Log . '
De la Liberté.
19
35
37 Spectacles.
39 Avis.
16
19
61 Spectacles.
65 Notices.
JEPITRE.
Charade, Enig . Logoz.
Dominique Jofeph Garat. 66
FRAGMENT.
79
$2
323
85 Epitre au Pape . 9.9
Charade, Enig . Logog. 89 Spectacles .
105
Simple Hiflo:re. 91 Notices. 107
A Paris , de l'Imprimerie de Moutard, rue
des Mathurins , Hôtel de Cluni.
BIBLIOTHEDA.
REGLA
MERCURE
FRANÇAIS.
SAMEDI 4 FÉVRIER 1792 .
PIECES FUGITIVES.
VERS
SUR LA MORT DE M. BERQUIN.
BERQUIN n'eft plus ! le Deftin trop févere ,
Malgré nos voeux , aux Beaux-Arts l'a ravi.
Infortunés ! pleurez tous votre ami ;
Enfans pleurez tous votre pere.
( Par un Abonné. )
A 2
MERCURE
LE TRÉPIED D'HÉLENE,
CONTE MORA L.
IIme. Partie.
PHIZO HIZON était une efpece d'ours folitaire ,
& fi fauvage que fes concitoyens euxmêmes
ofaient à peine l'aborder. Les Députés
, en le faluant , lui préfenterent le
Trépied d'or qu'Apollon deftinait au plus
fage des Sages. Paffez votre chemin , leur
dit- il d'un air brufque : Apollon fe connaît
en hommes ; je ne fuis point le Sage
auquel il vous envoie , & ce n'eſt point
fur un Trépied d'or que je fais bouillig
mon brouet .
On fait , lui dirent- ils , que vous mépriſez
les richeffes , la molleffe , la volupté ;
que vous donnez aux Spartiates mêmes
l'exemple d'une vie auftere ; & que dans
votre folitude , foulant aux pieds les vices,
les plaifirs & les vanités de ce monde ,
vous exercez fur tous vos fens l'empire
d'une raifon libre & le pouvoir d'une ame
forte ; c'eft pour cela que nous croyons
obéir à l'Oracle en vous préſentant ce
Trépied , comme un don réfervé au plus
fage des hommes.
FRANÇAI S.
-
Je l'accepterais , leur dit- il , fi je croyais
de moi le quart de ce que vous en dites ; mais
ce n'eft pas avec un Dieu qui voit aufli
clair dans les ames , que l'on peut fe donner
pour meilleur que l'on n'eft. On me
dit milanthrope , & je le fuis ; mais fi je
hais les hommes , je ne m'excepte pas de
cette haine univerfelle ; & il n'en eft aucun
dont je fois plus mécontent que de
moi. Vous êtes trop modefte , lui direntils.
Non , je fuis vrai . D'abord je mé
fuis perfuadé que l'homme focial était un
être dénaturé ; & croyant me rendre meillear
& plus heureux , je me fuis fait Sauvage.
L'ennui , l'inquiétude , la triftefle
m'ont détrompé . Il n'était plus temps :
mon caractere était annoncé , & pour le
foutenir , je l'ai forcé encore. J'ai renchéri
fur l'austérité de nos Spartiates ; & je paffe
pour méprifer plus fiérement qu'euxmêmes
les biens que je n'ai pas.
Mais pourquoi donc fuis- je chagrin de
favoir qu'ailleurs on jouit de ces faux
biens dont je me prive ? Quel mal me font
les arts de Corinthe & d'Athenes , le luxe
de l'Afie , les voluptés de Sybaris ? J'ai
trop d'humeur pour un vrai Sage. Si j'étais
bien heureux moi-même dans ma frugalité
, pourquoi m'indignerais - je qu'on
fût heureux dans l'opulence , & d'une au
tre façon que moi ? Je me fuis dit fouvent
que li toute la Grece avait les moeurs de
A 3
6 MERCURE
Sparte , Sparte ferait affervie. Heureuſement
pour elle , fes voifins font efféminés .
Il aurait donc fallu me réjouir qu'ailleurs
ont eût des moeurs voluptueufes ; & point
du tout , jamais je ne penſe à ces fêtes ,
à ces fpectacles , à ces feftins que des gens
amollis fe donnent, fans en avoir quelque
dépit ; & pour m'en confoler , il faut que
j'en médife ! Eft- ce donc là de la fageffe ?
Oh ! non . C'eft de l'orgueil qui fouffre ,
& qui fe venge des privations qu'il s'impofe.
Un vrai Sage ferait celui qui , content
du fort que les Dieux , la Fortune, ou
le choix de fa propre raiſon lui auraient
affigné en partage , laifferait , fans s'en
émouvoir , tout le monde vivre à fon gré.
Pour moi qui me tâte le coeur , je fens ce
qui le bleffe , & je trouve en effet qu'au
fond de ma mifanthropie l'envie a caché
fon levain. Difpenfez-moi donc d'accepter
un prix qui ne m'appartient pas ; & voyez
dans l'Ile de Rhodes , fi Cléobule de
Lindos ne ferait pas l'homme que vous
cherchez. Il goûte les biens de la vie fobrement
& paifiblement , poffédant des
richeffes dont il fait bon ufage , & dont
il n'eft point poffédé ; il eſt heureux &
libre , & il trouve bon que par - tout on
feit heureux & libre comme lui.
Il a raifon, dirent les Députés : l'homme
qui fait le mieux jouir , fans abufer , doit
être en effet le plus fage ; & ils fe rendiFRANCAIS.
7
rent à Lindos , où Cléobule venait tout
récemment d'être mis à la tête des affaires
publiques.
>
En arrivant fur le vestibule du palais
ils virent s'avancer vers eux , d'un pas
délibéré , une jeune & belle perfonne
modeftement vêtue d'une robe de lin plus
blanche que la neige , & ceinte d'un ruban
bleu célefte au deffous du fein . Ses cheveux
noirs flottaient en onde autour de
fon cou d'ivoire , & fur fon front brillait
dans toute fa candeur le caractere de la
bonté. C'était la charmante Eumétis , l'une
de ces femmes célebres dont le temps femble
avoir pris foin de conferver le fouvenir.
Fille de Cléobule , le Peuple fe plaifait
à l'appeler Cléobuline . Fidele confeil
de fon pere , elle en faifait la gloire , elle
en était l'amour.
Lorfque les Députés fe furent fait connaître
Etrangers , leur dit- elle en les introduifant
dans le palais , ne vous offenfez
pas fi mon pere fe fait attendre. Dans ce
moment il donne audience à fon Peuple ;
vous ne voudriez pas qu'il abrégeât pour
vous la plus fainte de fes fonctions : mais
dès qu'il fera libre , je vous annoncerai.
Alors , en caufant avec eux fur les
moeurs , les loix , les ufages , le commerce ,
les Arts , les alliances & les rivalités des
divers Peuples de la Grece , elle montra
tant de lumieres & un caractere d'efpuit fi
A 4
8 MERCURE
fort au deffus de fon âge , qu'ils étaient
tentés de lui offrir le Trépied , qu'ils venaient
préfenter à fon pere . Ah ! vous
méritez bien , leur dirent - ils , étonnante
Eumétis , le témoignage que Thalès vous
rendit à Corinthe , dans le palais de Périandre
, en difant que vous étiez digne
de gouverner un grand Erat ! Heureux
fans doute , heureux le Peuple qui obéit
à un pere dont vous êtes la fille ! Ce Hoi
doit être le vrai Sage à qui l'Oracle d'Apollon
nous fait apporter ce préfent ; &
alors ils lui raconterent l'aventure du Trépied
d'or.
Ah ! leur dit elle , je crains bien que
mon pere ne le refufe. Il s'eft fait à luimême
une fi haute idée de la véritable
fagelfe , qu'il eft loin de prétendre y pouvoir
atteindre jamais.
En difant ces mots , elle vit le Peuple
s'écouler par les portiques du palais ; &
après avoir obfervé curieufement tous les
vilages Que le Ciel foit loué , dit -elle ,
tout le monde s'en va content ! Alors d'un
pas léger elle retourna vers fon pere."
Ah ! lui dit Clécbule , excédé de fatigue
, je n'en puis plus. Non , tu as beau ,
dire, il n'y a pas moyen d'y tenir. Ces genslà
voudraient tous régner. Il n'y en a pas
un qui ne penfe qu'en me donnant fa voix,
il m'a cédé fa place , & qui ne croie au
moins devoir fiéger dans mes confeils . Ils
FRANÇAIS.
font tous Politiques , Militaires , Jurifconfultes
, Négocians , que fais - je & c'eſt
toujours le plus inepte qui abonde le plus
dans fon fens.
Cléobuline , en l'embraffant avec une
douce gaîté , allons , lui dit - elle , mon
pere , encore un peu de patience. Le fens
commun eft rare , & l'amour - propre eft
fot , on le fait bien ; mais fi tout le monde
était fage , on n'aurait pas befoin de Roi.
Les avez - vous tous écoutés - Oui , je
n'ai rebuté perfonne. Eh bien , courage,
avec le temps , ils deviendront plus raifonnables
, & le laifferont rendre heureux. A
préfent venez recevoir des étrangers qui
vous attendent , & qui , envoyés par Apollon
Delphique , vienient , difent - ils , en
fon nom vous offrir un don précieux.
>
Lorfque les Députés de Cos & de Milet
eurent prononcé leur harangue ; Cléobule
étonné , confus de l'honneur qu'on lui dé
férait Quoi leur dit-il , n'avez-vous pas
un Thalès à Milet , à Priene un Bias , un
Solon dans Athenes , à Lacédémone un
Chilon , un Phizon plus fages que moi ?
Que voulez-vous , lui répondit l'un des
Miléfiens ? Nous les avons tous vus . Ils
fe renvoient la gloire , comme un ballon ,
de l'un à l'autre. Il n'y en a pas un qui
veuille convenir qu'il eft fage ; & chacun
d'eux prétend avoir fon faible & fon coin
de folie.
A s
10 MERCURE
-
-
ر
Et moi , dit Cléobule , eft ce que je
n'ai pas le mien Ma fageffe dont vous
parlez , la voilà , reprit - il en leur montrant
fa fille . C'eſt elle dont l'humeur douce
& conciliante tempere l'âpreté de mon
efprit & de mes moeurs. Voyez cet air
ouvert , accueillant . & fenfible ; cette fimplicité
, cette grace dans fon maintien ;
cette jeuneffe de vingt ans fi fraîche & fi
naïve encore ; c'est là que loge un coeur
plein de nobleffe & de courage ; c'eſt - là
qu'habite une ame pleine de force & de
bonté , & fi moi - même on me croit bon
c'eft à ma fille que je le dois . Sans elle
je ferais un homme infociable. Ah !
mon pere , que dites - vous ? La vérité,
ma fille , comme on la doit aux Envoyés
d'un Dieu pour qui rien n'eft caché . Oui ,
Meffieurs , je fuis affligé d'une maladie
incurable , d'une antipathie invincible pour
la moitié du genre humain . Je ne puis
endurer les fots. J'ai voyagé dans l'efpérance
de leur échapper , mais en vain :
par-tout je les retrouve , par- tout ils me
défolent. Je crois les laiffer au Midi , ils
m'attendent au Nord. Comme un effaim
de mouches , ils femblent voler après mor.
Las de les fuir , je fuis venu m'y abandonner
dans ma Patrie ; mais je ne puis m'y
accoutumer.
-
Il eft vrai que les fots , dirent les Députés
, font une espece bien importune ;
FRANÇAIS.
II
-
mais que ferait ce donc fi vous trouviez
par-tout des foux & des méchans ? Bon ,
reprit Cléobule , les foux , on les enferme ,
ils font en petit nombre ; & lorfqu'ils ne
font pas nuifibles , on les plaint . Les méchans
font notés , ils font ratement impunis
; & en attendant que la Loi nous
en délivre , on peut s'en garantir. Mais
les fots ah ! les fots ! c'eft - là l'efpece
indeftructible , & qui fourmille impunément.
Pas une Loi contre eux ; ils vont
tête levée ; & par-tout ils ont l'avantage
du nombre , de l'audace , de l'intrépidité.
Mais enfin quel mal vous font - ils ?
-
-
C'eft-là ce que je me demande , fans
pouvoir m'en rendre raifon . Mais du plus
loin que je les vois , mes nerfs frémiffent ,
mon fang s'allume ; & avant même de les
entendre , je les devine , je les fens . Cet
air épanoui , content de leur mérite, affuré
de leurs avantages ; cette complaifance en
eux-mêmes & cette négligence de l'eftime
d'autrui ; cet empreffement à couper la
parole au plus inftruit , pour lui apprendre
ce qu'ils favent le moins , & ce qu'il fair
le mieux ; ce ton de fuffifance & de préfemption
; cette perfuafion du fuccès que
vient d'avoir ce qu'ils ont dit , & qu'aura
ce qu'ils ont à dire ; cette raifon fauffe &
hardie qui va de bévue en bévue , heurtant
de tous côtés le bon fens & les convenances
, & donnant pour des nouveau-
A 6
12 MERCURE
:
tés , pour des vérités inouies , les plus triviales
erreurs : tout cela me met aux abois.
Vous avez bien raifon , dit l'un des
Députés , ces gens-là font infoutenables .
Non , je n'ai pas raifon , dit Cléobule , &
je le fens mon impatience eft d'un fou ;
car enfin ces efprits tortus font une espece
comme une autre. Eft- ce que tous les arbres
d'une forêt font droits , comme le
cedre ? Les fots font la brouffaille du genre
humain ; & par- tout la brouffaille abonde.
Plaignez donc l'homme faible qui ne peut
vivre avec les fots ; mais allez , croyezmoi
, chercher votre Sage à Lesbos , où
Pittacus , avec une bonté , une conftance.
infatigable, accueille , écoute tout le monde,
& ne revient pas de fon Audience avec la
fievre dans le fang. S'il y a dans toute la
Grece un vrai Sage , c'eft Pittacus .
Déjà bien fatigués de tant de courfes
inutiles , les Députés pafferent à Lesbos ;
mais avant de voir Pittacus , ils voulurent
jeter un coup d'oeil fur fon Ifle ; & après
l'avoir parcourue , ils fe rendirent à Mythilene
où le Roi faifait fon féjour. Ils
furent introduits auffi tot qu'annoncés ;
& l'un d'eux lui tint ce langage : Souverain
de cette Ifle heureufe , dans vos villes.
que nous venons de parcourir, à Méthymne,
Antiffe , fur-tout à Mythilene , & dans
les campagnes voifines , nous n'avons va
que l'amour du travail & l'image de l'aFRANCAI
S. 13
bondance ; l'agriculture , l'induftrie & le
commerce floriffans ; par- tout l'ordre & la
paix par-tout une fecurité parfaite , une
heureufe tranquillité. Ce fpectacle fait
votre éloge ; & le Trépied d'or qu'Apollon
deftine au plus fage des Sages , appartient
de plein droit au Légiflateur de Lesbos. "
Oui , fi l'Oracle ne demandait qu'un
Roi jufte & bon , je crois l'être , répondit
Pittacus ; mais un Sage , c'eft autre chofe.
Commençons par dîner , & au fortir de
table , je me ferai connaître à vous tel que
je fuis .
Le dîner fut fimple & frugal ; mais l'air
de bienveillance & d'affabilité qui était
naturel à ce Prince , l'aimable gaîté de fes
enfans , les graces nobles & touchantes de
leur mere Amafille , la plus belle des
femmes , valaient mieux que dur luxe ; &
Pittacus , environné de fa famille , aurait
paru le plus heureux des hommes , fans
une reinte de mélancolie , qui , dans fes
yeux & fur fon vifage , femblait attrifter
le bonheur.
Il fe fit expliquer , d'où leur venait le
Trépied d'or , & les fingularités du refus
qu'en avaient fair les autres Sages. Ainfi,
dit-il , aucun n'eft content de lui -même ;
& chacun d'eux a dans fon ame un Juge
plus févere que ne ferait l'envie , toure
inexorable qu'elle eft . Ah ! croyez qu'ils
ont tous bien mérité leur renommée : auff
14
MERCURE
font-ils bien révérés. Ils n'ont pas comme
moi dans leur pays un détracteur qui s'obl
tine à les outrager. Ce malheur m'était
réfervé. A ces mots , un profond foupir
s'échappa de fon fein ; & après un affez
long filence , il demanda aux Députés fi
dans la Grece on chantait les vers qu'Alcée
avait faits contre lui , & qui le dénonçaient
comme le corrupteur & l'oppreffeur
de fa Patrie.
´´Ils l'affurerent tous que ces vers impudens
& reconnus pour tels , ne flétriſſaient
que le Poëte. Vous l'entendez , lui dit la
Reine ? ce mauvais génie eft connu ; & le
/fiel dont il eft rempli n'eft un poiſon que
pour lui- même. Oubliez-le donc pour jamais
, après lui avoir pardonné . Oui , ditil
, on détefte la fatire , je veux le croire ;
mais en la déteftant , chacun la fait par
coeur.
:
Au fortir de table , la Reine fe retira
avec les enfans ; & Pittacus fe promenant
avec les Députés dans les jardins de fon
palais Le Ciel m'eſt témoin , leur dit- il ,
qu'en acceptant la royauté que les Lefbiens
m'ont offerte , je n'ai fait que céder
aux inftances du plus grand nombre & au
voeu des plus gens de bien. Depuis , j'ai
fait pour eux tout ce qu'un pere tendre
eût fait pour fes enfans chéris ; & cependant
ce malheureux Alcée ne ceffe de
noircir mon regne & d'empoifonner mes
FRANÇA I S. IS
bienfaits. Dans fes vers , mes Loix font
des chaînes , mon autorité n'eft qu'un joug ,
ma bonté même eft une amorce ; & jufqu'à
la clémence dont j'ai ulé pour lui
lorfqu'il était en mon pouvoir , eft , ditil
, un effet ou de la peur du blâme , ou
de l'efpoir dont je me fuis flatté de m'en
faire un adulateur. Ah ! j'attefte les Dieux
que je n'aurais voulu de lui que fon
filence. Que lui ai- je fait l'ai -je ufurpé ,
ce Trône , où il me voit d'un oeil flamboyant
de colere ? Par quelle violence , par
quelle iniquité me fuis - je rendu odieux ?
Et quel autre que lui dans Lesbos , dans
la Grece , peut m'accufer d'être un
Tyran ? Ils iront cependant à la Poftérité ,
ces vers où il me peint des couleurs les
plus noires . Les Dieux , pour mon fupplice
, ont accordé le don du génie à un
impofteur. Ah ! combien il dément cette
fable vulgaire , que lorfque les ferpens fe
font nourris des herbes que produit l'Hélicon
, ils perdent leur verin ! Son coeur
en eft gonflé plus que le coeur de la vipere ;
il le répand fur mon regne à grands flots.
1
Les Députés voulurent lui répondre que
l'équitable Renommée confondrait fon accufateur.
Et qui jamais , lui dirent- ils , a
déclaré plus hautement que vous fon hor¬
reur pour la tyrannie ? N'eft- ce pas vous
à qui l'on demandait quelle était la pire
des bêtes , & qui fîtes cette réponſe mé16
MERCURE
morable : Parmi les animaux fauvages,
c'eft le Tyran ; parmi les animaux domeftiques
, c'eft le Flatteur ? Eft-ce donc vous
qu'on accufera d'avoir été un Tyran vousmême
?
-
Non , je ne le fuis point , dit- il , non ,
je ne veux point l'être ; & en dépofant ma
puiffance , je rendrai compte au Ciel &
à la Terre de l'ufage que j'en ai fait . Vous,
Pittacus s'écrierent les Députés , vous !
pour complaire à un infame détracteur ,
dépofer le pouvoir de rendre un Peuple
heureux ! Oui , je l'abdiquerai pour
confondre la calomnie. Ce Peuple aurait
encore befoin de moi , je le fens bien ni
fes Loix , ni fes meeurs , ni fa félicité ne
font affez bien affermies ; la paix & l'abon
dance que je lui ai procurées , ont des vices
auxquels je fais qu'il eft enclin : s'il rerombe
dans la molleffe & dans l'oifiveté ,
il ne tardera pas à fe corrompre de nouveau
, & peut - être à s'abandonner à la
plus funefte licence : c'eft ce que les plus
fages des Lesbiens me difent tous les jours .
Mais telle eft ma faibleffe , qu'en vain dix
mille voix s'élevent pour bénir la douceur,
Ia bonté de mon regne ; un feul homme
corrompt , dans le fond de mon coeur , ma
joie & mes profpérités. Je le vois comme
une Furie me pourfuivre dans l'avenir. Ce
Peuple qui m'aura béni fera muet dans
Ia pouffiere ; & Alcée vivra , me déshoFRANÇA
I Š.
17
norant d'âge en âge ; & il fera feul entendu
! Dans le filence de la nuit , fes vers
infames , mais brûlans , ces vers étincelans
de rage & de génie , pleins de fiel & de
charme , infolens & harmonieux , retentiffent
à mon oreille . Ils pafferont de bouche
en bouche , & je crois lui - même
l'entendre les chanter au milieu des Peuples
alfemblés. Les accords de fa lyre tourmentent
mon fommeil , & parmi ces accords
, j'entends ces mots terribles , qui me
réveillent en furfaut : Ceffe , lâche Lesbos
ceffe de fervir un Tyran. Oh, non-! je ne l'ai
point cette force de la fageffe , cette force
qui foule aux pieds les ferpens de l'envie
& de la calomnie , & marche d'un pas
libre & ferme dans le droit fentier du
devoir. Si j'étais un vrai Sage , Alcée aurait
beau m'infulter ; je lui abandonnerais
l'opinion commune ; je laiferais fes vers
tromper la Renommée ; & je ferais heureux
avec moi-même du bien que j'aurais fait ,
du bien que je ferais encore à mon pays.
Mais non , je fuis inquiet , agité , troublé ,
comme un enfant , de ce qu'on penſera de
moi ; femblable au daim timide qui court
dans les forêts , le bruit des vents , le bruit
des feuilles m'épouvante. Remportez votre
Trépied d'or , le faible , le pufillanime Pittacus
ne l'a point mérité.
Mais à qui donc enfin nous adreffer ,
lui demanderent les Envoyés de la Pythie à
MERCURE
A Périandre de Corinthe , répondit le Roi
de Lesbos. Périandre ne prétend pas être
au nombre des Sages ; mais il aime à les
raffembler , & il fe plaît à les entendre.
Souvent dans un banquet il les a réunis ;
il les connaît bien tous ; & lui - même il
faurait les apprécier mieux qu'un autre.
Mais pour plus d'affurance , allez lui demander
, au nom du Dieu qui vous envoie,
de les inviter à fouper. Là , le verre à la
main , & le Trépied d'or fur la table , ils
jugeront eux- mêmes auquel ce Prix de la
Sagelle fera préfenté par vos mains .
Ce confeil fut fuivi. Les Sages , conviés
par Périandre , à jour nommé , ſe rendirent
tous à Corinthe ; & je n'ai pas befoin
de dire que les Députés de Milet & de Cos
furent du feſtin .
Cà , dit Périandre aux Convives , vers
la fin du repas , après avoir fait apporter
fur la table le Trépied couronné de fleurs,
que chacun de vous , à la ronde , nous définiffe
la Sageffe , & que le Prix en foit
donné à celui qui vous femblera réunir au
plus haut degré les caracteres du vrai Sage.
Vous ferez jugés par vos Pairs.
ر
Alors , felon l'ufage qui s'obfervait dans
ces feftins , chacun ne parlant qu'à fon
tour les uns définirent la Sageffe une
égalité d'ame inaltérable dans l'une & dans
l'autre fortune ; les autres , une connaiſſance
profonde de foi-même , appliquée à fe rendre
FRANÇAIS. 19
meilleur & plus heureux ; d'autres , une
modération dans les défirs qui n'excede jamais
les vrais befoins de la Nature ; d'au
tres , le don de régler le préfent & de difpofer
l'avenir, d'après les confeils du paffé;
celui - là , une force d'ame à l'épreuve des
paffions ; celui - ci , l'empire abfolu de la
raifon fur la volonté. Bias fermait le cercle ;
& quand vint fon tour de parler, la Sageffe ,
dit-il , eft tout cela enfemble : d'où je conclus
que le vrai Sage n'eft pas un mortel ,
mais un Dieu , & un Dieu comme il n'y en
a gueres. J'opine à ce que l'on renvoye le
Trépied d'or au Dieu qui nous le fait
offrir ; car c'eft à lui qu'il appartient. Cet
avis les mit tous d'accord , & le Trépied
d'Hélene fut confacré dans le Temple de
Delphes, pour y fervir de fiége à la Prêtreffe.
d'Apollon .
Quand cette grande affaire fut ainfi
terminée , les Députés voulurent féliciter
Bias du fuccès de fon opinion . Félicitezmoi
, leur dit- il , d'une bien meilleure fortune
je fuis le plus heureux des hommes ;
j'ai retrouvé mɔn chien ; je n'ai plus rien à
défirer.
( Par M. Marmontel )″
FIN.
20 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du dernier MERCURE.
Le mot de la Charade eft Chardon , celui
de l'Enigme eft Plume , & celui du Logogriphe
eft Ange , dans lequel fe trouvent
An , Age, Nage, Agen , En , Ane , Ange
( poiffon ) .
SERS
CHARADE.
ERS TOI de mon premier , fi tu veux voyager ;
Si tu veux être aimé , fois fur-tout mon dernier ;
Mais autant que la pefte évité mon entier .
Par une Abonnie. )
ÉNIGME EN CHARADE.
ONN n'a jamais affez de mon premier ,
Et fouvent trop de mon dernier :
Tout s'ufe avec le temps , & même mon premier ;
Mais il augmente mon dernier.
Le bon emploi de mon premier
Doit s'apprendre avec mon dernier.
Le fot étale mon premier ;
La fille cache mor dernier.
FRANÇAIS.
21
On cherche beaucoup mon premier ;
Mais en dormant vient mon dernier.
Je te fouhaite mon premier ,
Et garde -toi de mon entier .
( Par une Abonnée. )
LOGO GRIP HE.
JE fuis pour les humains d'un fecours bien utile ,
Et leur donne fouvent d'excellentes leçons ;
Mais je renferme auffi de très -fubtils poiſons ,
Le tout dépend du choix ; il devient difficile
Dans ce fieclè fur-tout , qu'à la ville , à la Cour ,
Chacun veut le mêler de me donner le jour.
J'offre , en m'ôtant le coeur , la chofe indiſpenſable
Pour que mon tout puifle être à l'homme profitable.
Il n'eſt pas néceſſaire , en me décompofant,
De montrer mes cinq pieds défignés fous tes yeux ,
Puifque tu tiens mon tout indubitablement :
Je te quitte , Lecteur , & te fais mes adieux .
( Par la même. )
222 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ESSAI fur la Vie de THOMAS , de
-l'Académie Françaife ; par M. Deleyre.
A Paris , de l'Imprimerie de Moutard ,
rue des Mathurins, Hôtel de Cluni . In -8°.
de près de 300 pages. Prix , liv. ou
in-12 , 1. liv. 16 f.
N. B. On trouve chez le même Libraire les
Euvres de M. Thomas , 4 Vol. in- 8 ° .
Fig. avec l'Eloge de Marc- Aurele , 20 liv.
POUR réduire à l'effentiel ce qu'il y
ávait à dire fur un Homme de Lettres
apprécié dès long - temps , & dont l'exiftence
était toute entiere dans fes Ecrits ,
une vingtaine de pages devait fuffire à un
homme qui aurait fu d'autant mieux traiter
fon fujet qu'il aurait fu le circonfcrire
; car la premiere condition pour bien
remplir une matiere quelconque eft d'en
connaître les bornes naturelles & les juftes
proportions ; mais ce n'eft pas ainfi que
l'on a coutume de compofer aujourd'hui.
On veut faire un Ouvrage , ou du moins
un Livre , n'importe comment ni pourFRANÇAI
S.
23
quoi , & pour cela il ne faut qu'un texte,
quel qu'il foit de la maniere dont on s'y
prend , je n'en connais point qui ne puiffe
fournir une Encyclopédie. Ainfi M. Deleyre
, en nous racontant le peu de détails
que lui fourniffait la Vie de Thomas , &
en refaifant l'extrait de fes Ouvrages ,
déjà fait cent fois , n'a guere fongé qu'à
Lépandre fur le papier toutes les idées , ou
ce qu'il croit des idées fur toutes fortes
d'objets . Ceux qui lifent tout , c'eſt-à-dire
les Gens de Lettres , connaiffaient déjà la
maniere du Panégyrifte de Thomas , fa
métaphysique ténébreuſe , ſa philoſophie
chagrine , fa rhétorique diffufe & ampoulée
, fa diction hériffée de figures , &c.
mais tous ces défauts font ici portés à un
excès qui paffe tout ce qu'on en peut
imaginer.
Je n'entrerai dans aucune difcuffion fur
le talent de Thomas. J'ai eu occafion de
dire ailleurs ce que j'en penfais , &
il ne faut point le répéter fans néceffité .
J'eftimais affez l'Auteur de l'Eloge de Marc-
Aurele pour lui dire la vérité , du moins
avec les ménagemens que l'on doit toujours
au mérite fupérieur. Il avait de grands
défauts je les ai tous indiqués , même de
fon vivant , en tempérant la critique par
le témoignage que je rendais aux beautés ,
& il ne m'a pas paru qu'on me trouvât
injufte à fon égard. Il y a plus : le juge24
MERCURE
ment public s'eft trouvé de bonne heure
conforme à celui de tous les connaiſſeurs ,
qui était auffi le mien. Les Ouvrages de
Thomas étaient , long- temps avant fa
mort , plus eftimés que lus , parce qu'en
effet ils font très - pénibles à lire , ce qui
n'eſt pas un petit défaut , & ce qui n'empêche
pas qu'il n'ait des beautés du premier
ordre. Il a beaucoup de rapports avec
Séneque comme lui , il éblouit & il fatigue
; comme lui , il eft plus facile de
l'admirer par momens que de le lire avec
plaifir. Je fais même , à n'en pouvoir douter
, que Thomas_n'ignorait pas cet effet
que produifaient fes Ecrits , & qu'il fouffrait
que cette difpofition du Public l'eût
mis au deffous de ce qu'il pouvait le croire,
d'après les premiers fuccès , & que fes
Ouvrages n'euffent pas , à beaucoup près ,
une vogue proportionnée à l'éclat qu'ils
avaient jeté dans les Séances académiques.
M. Deleyre le met , fans balancer , au
deffus de tous les Panegyriftes anciens &
modernes ce n'eft pas là - deffus que je
l'attaquerai ; chacun eft maître d'énoncer
fon opinion ; ce n'eft pas , ce me femble ,
celle du Public ; mais ce peut être celle
d'un ami de Thomas , fans qu'on puiffe
lui en faire un reproche. Ce qui n'eft pas
tout-à fait auffi excufable , c'est d'injurier
par avance ceux qui ne feront pas de fon
avis , de les taxer d'infenfibilité , de malignité,
FRANCAIS. 25
gnité , d'envie , &c. Il faut entendre làdeffus
M. Deleyre .
""
Thomas écrivait au nom de la Patrie ,
& cependant la Nation l'accufait de déclamer
; car ce qui eft éloquence pour les
ames brûlantes , n'eft que déclamation pour
les efprits froids. Ils m'accuferont auffi de
déclamer l'éloge & la vie de celui où ils
ne voient peut - être qu'un Rhéteur ; car
pourquoi craindrais - je de déshonorer par
leurs outrages un homme qui les humilie
bien plus de leur infenfibilité « ?
Ce peu de lignes prouve que les efprits
faux s'accufent eux-mêmes en voulant repouffer
d'avance la vérité. Quoi ! de l'aveu
de M. Deleyre , c'était la Nation qui accufait
Thomas de déclamer ! Mais la Nation
entiere n'était donc compofée que
d'efprits froids ? c'eft beaucoup dire. Et
où étaient donc toutes ces ames brûlantes
dont le nombre eft fi grand , fi l'on en
juge par ceux qui écrivent comme M. Deleyre
, & parmi lesquels il n'en est pas
un qui ne fe donne pour brûlant , & qui
ne taxe de froideur quiconque a le malheur
d'être glacé par leurs brûlans Ecrits ?
Ne pourrait on pas retourner auffi la
phrafe fuivante de M. Deleyre , & dire :
Ce qui eft éloquence pour les têtes chaudes
& les efprits faux , eft déclamation pour
les ames fenfibles & les efprits juftes ? Au
refre , M. Deleyre a tort de fe mettre en
No. 5. 4 Février 1792 .
B

1
1
1
1
1
26 MERCURE
".
avant fi gratuitement , & de croire faire
caufe commune avec Thomas . Tout le
monde eft convenu , & la Nation a penfé
que cet Orateur avait un véritable talent,
avait un caractere décidé d'élévation & de
force ; ce qui n'a pas empêché qu'on n'ait
reconnu dans fa maniere beaucoup de défauts
, top avoués aujourd'hui pour qu'il
foit néceffaire de revenir à la preuve ; mais
s'il avait écrit comme l'Hiftorien de fa
Vie, jamais fon mérite ni fon rang n'aurait
été l'objet d'une difcuffion.
Affurément M. Deleyre peut me ranger,
tant qu'il lui plaira , parmi les efprits
froids qui ne goûtent pas la chaleur du
fien ; mais du moins il ne faurait m'imputer
, à l'égard de Thomas , ni infenfibilité,
ni malignité, ni envie. Je pourrais renvoyer
à ce que j'en ai dit dans mes deux
Volumes de Littérature & de Critique , imprimés
en 177 8. Mais quoiqu'il y ait
toujours de l'inconvénient à fe citer foimême
, il doit être permis de repouffer
même le foupçon d'injuftice , & l'on ne
peut reprocher à une ame honnête de goûter
le plaifir d'avoir été jufte.
"
Voici donc comme je m'exprimais en
rendant compte de fon Effaifur les Eloges:
» L'Auteur fait varier fon ton fuivant les
objets ; & quand il parle de Cicéron , fon
ftyle n'eft pas le même que lorfqu'il peint
Tacite ; plein d'élévation & de grandeur ,
FRANÇAI S. 27
quand il nous entretient de Platon & de
Socrate ; plein de fineffe & d'efprit , quand
il nous rend compte de celui de Fontenelle.
On peut quelquefois n'être pas abfolument
de fon avis ; mais on voit qu'aucun
de fes jugemens n'a été dicté par la
paffion , & qu'aucune partie de fon Ouvrage
n'a été négligée . Il nous eft impoffible
de fuivre ici la multitude des objets
que l'Auteur fait paffer rapidement fous
nos yeux : il n'en eft aucun qu'il n'ait
marqué d'un trait de génie.. Il n'y a point
de Chapitre qui ne mérite des éloges .
Lifez le morceau fur la Louange , qui commence
l'Ouvrage : ce début eft d'une nobleffe
frappante. Voyez un peu plus bas
le tableau des Monumens que la Grece
élevait à fes Héros , & vous admirerez la
force dramatique que l'Auteur a fu donner
à ce qui n'offrait qu'une fimple defcription.
Voyez plus loin le portrait de
Xénophon , celui de Julien , & tant d'autres
; vous trouverez par - tour une érudition
éclairée par le goût , appliquée à la
morale & à la philofophie ; par- tout la
grandeur des objets vous attache , & le
ftyle de l'Ecrivain vous éleve ....... Le
plaifir que cet Ouvrage procure tient non
feulement au grand talent de l'Ecrivain &
à l'énergie de fon ftyle , mais au fentiment
de la vertu , à l'enthoufiafme de la gloire ,
à l'amour des Lettres & de l'humanité
B 2
28 MERCURE
qui refpirent dans tout ce qu'il écrit . Enfin
il nous paraît difficile de nier que cet Ouvrage
, qui honore la Littérature , ne foit
plein de connaiffances en plus d'un genre,
plein d'une éloquence toujours noble &
fouvent fublime «.
Et en parlant de l'Eloge de Marc- Aurele :
Si ce n'eft pas là de l'éloquence , de
la grandeur & du génie , il n'y en eut jamais
...... Jamais la vérité n'eut un ton
plus mâle & plus fublime ...... J'avoue
que la beauté de ce morceau m'a profondément
frappé. Ne nous laiffons point intimider
jufque dans le fentiment de nos
plaifirs , & n'ayons point cette faibleffe fi
commune de nous refufer à l'admiration
de peur d'être démentis par l'envie. Ofons
parler comme on parlerait , fi l'Auteur de
cet Ouvrage était depuis cent ans fous la
tombe , & c. "
,
Il fe peut que cette maniere de louer
paraiffe froide à M. Deleyre ; mais enfin
chacun a la fienne , & du moins l'intention
& l'effet de celle-là ne peuvent pas
être équivoques. Je fuis fort loin d'y attacher
aucun mérite ; mais j'oferai dire
que celui qui écrivait la Vie de Thomas ,
ne devait pas omettre les témoignages honorifiques
qu'il a reçus de la plupart de fes
confreres , & plus particuliérement encore
de ceux qui s'étaient exercés comme lui dans
l'éloquence du Panégyrique . Il est toujours
FRANÇAIS.
29
doux & glorieux d'être loué par fes rivaux.
Le Biographe , s'il eût été plus inftruit &
plus équitable , aurait dû remarquer que
peu d'Auteurs ont eu à fe louer des Gens
de Lettres autant que Thomas ; que c'eft
fur-tout par eux qu'il a été apprécié , &
beaucoup plus que par les gens du monde,
qui fentaient moins fes beautés féveres ,
& qui auraient voulu trouver dans fes
Ouvrages plus de grace , de flexibilité &
de goût. Mais le Panégyrifte au contraire,
toujours chagrin pour le compte d'autrui
comme pour le fien , femble vouloir être
tout feul à fentir ce que valait Thomas.
Il ne le montre qu'entouré de détracteurs ,
quoique dans le fait il n'en ait jamais eu
d'autres que ceux dont le talent s'eft toujours
honoré , un Fréron , un Clément
un Gilbert , &c.
A préfent que je me fuis mis hors
d'inculpation , je puis avouer fans inconvénient
que l'Ouvrage de M. eleyre eft
en effet une véritable déclamation , &
même qu'il y en a peu d'auffi mauvais
goût. Tout fon Livre , à très -peu de chofe
près , n'eft qu'un tiffu d'idées fauffes ,
alambiquées , obfcures , fouvent même
inintelligibles ; & comme il y a prefque
toujours un rapport marqué ( quoi qu'on
en ait dit ) entre la façon e penfer &
celle d'écrire , fa diction ne vaut pas mieux
que les idées. La plupart de fes conftrue-
B
h
20
MERCURE
tions ne font pas françaiſes ; fes expreffions
font prefque toutes impropres , bizarres
, contournées ; en un mot , c'eft
un langage fi baroque , fi étrangement néologique
, qu'on peut affurer qu'un Etranger
qui faurait parfaitement notre Langue,
& qui lirait couramment nos Claffiques ,
ne pourrait pas lire une page de M.
Deleyre , fans être arrêté à tout moment
& fans demander fi l'Auteur a parlé français
, & ce qu'il a voulu dire. Comme ce
Livre eft écrit avec une grande prétention ,
& que l'Auteur a écrit toute fa vie , il
n'eft pas inutile de relever cet oubli total
ou cette ignorance abfolue de toutes les
regles du langage , forte d'épidémie qui
devient tous les jours plus générale & plus
contagienfe , & dont la faine critique peut
feule arrêter les progrès.
Commençons par les fautes de fens , de
raifon, de convenance. Je les prendrai dans
un très - petit nombre de pages. » l'éjà le
goût d'imiter jufqu'au langage des Anciens
dégénérait avec la culture ou l'étude exclufive
de leurs Ouvrages . Depuis le rand
Corneille , qui avait traduit en vers français
deux Poëmes latins du Pere La Rue ,
Orateur & Poëte dans les deux Langues ,
la fille n'a travaillé qu'à faire oubler fa
mere ; & Rome a préfque tout perdu de
fen antiquité ; la gloire de fa Langue avec
l'élévation de fes penfées ".
FRANÇAI S. 31
Obfervez d'abord que tout ce que l'Auteur
veut dire , c'eft qu'au moment où
Thomas eft entré dans l'Univerfité , on
faifait moins de vers latins , & c'est pour
dire une chofe fi fimple qu'il fe jette dans
un phoebus où le bon fens eft bleffé à chaque
ligne. L'Auteur femble regretter l'étude
exclufive du latin. Et qu'eft- ce donc que
cette exclufion avait de bon ? & fans parler
du grec , qu'il femble oublier complétement
, pourquoi donc n'aurait- on pas joint
à l'étude du latin celle du français , quand
nous avions tous les Claffiques du dernier
fiecle ? La fille n'a travaillé qu'à faire oublier
fa mere. Ou ces figures triviales ne
veulent rien dire , ou elles fignifient que
la Littérature françaiſe eft devenue affez
riche pour lutter contre celle des Anciens
& où eft le mal ? Il faut avoir tout le fond
d'humeur que l'Auteur a juré d'avoir fur
tout , pour trouver ici un fujet de plainte-
& de reproche. Si nous prenons fes expreffions
à la lettre, elles n'ont aucun fens ;
car certainement La Fontaine , ni Boileau,
ni Voltaire , ni Rouffeau le Lyrique n'ont
cherché à faire oublier la Langue de Phédre
, d'Horace & de Virgile. Rome a prefque
tout perdu de fon antiquité , la gloire de
fa Langue & l'élévation de fespenfes. Quoi !
Rome a perdu de la gloire de fa Langue ,
parce que moins de Latiniftes modernes
l'ont balbutiée , & que plus de grands
32 MERCURE
Ecrivains Français fe font immortalifés
dans la leur ! Peut-on comprendre de pareilles
idées ? Quant à l'élévation des penfées
, il ne peur plus être ici queftion d'Ouvrages.
Rome n'a sûrement rien perdu de
l'élévation de fes penfees dans les Ouvrages
latins que les Modernes ne faifaient pas.
Ainfi paffons vire à Rome pour entendre
l'Auteur, qui , à propos de latin moderne ,
nous rappelle que les Récollers du Capitole
n'ont pas la même élévation de penfées
que les Caton & les Scipion . Voilà
pourrant tout le chemin que l'Auteur nous
fait faire à propos du latin de l'Univerfité !
On appelle cela aujourd'hui des rapproehemens
; c'eft un des fecrets du ftyle de
Voltaire , il eft vrai ; mais les fiens ne font
pas de cette nature .
» Jean Thomas ( frere de l'Orateur )
mourut en 1755 , la même année que Montefquieu
; il enfeignait les élémens de la
Grammaire , &c. Eh bien ! quel rapport
entre la mort d'un Maître d'Ecole & celle
de Montefquieu ? Qu'est- ce que Montefquieu
fait là tant d'autres font morts la
même année que lui l'a - t- on mis fur leur
extrait mortuaire ? E ce encore là un
ra prochement ? Eft ce pour agrandir Jean ·
Thomas ? Et faut-il abfolument que Jean
Themas feit cité à côté de Montefquieu,
parce que l'éonard Thomas a été un Orateur
que de folies !
-
FRANÇAI S. 33
» Ces deux victimes de l'érude ( les deux
freres de Thomas ) fe furvécurent dans
Antoine Léonard ; il refta feul des trois
Horaces ". Bon ! voici maintenant les Horaces.
Je rêverais tout un fiecle avant de
deviner pourquoi je les trouve là , ni ce
que les Floraces, qui ont tué les Curiaces ,
ont de commun avec les Thomas, qui n'ont
jamais tué perfonne. Sa jeunelle fut fignalée
par des Prix de toute espece remportés
à l'Univerfité. Je m'y arrête, comme
Plutarque eût fait pour Epaminondas « .
י נ
Encore Epaminondas ! oh ! pour le
coup , c'eft une gageure . S'il eût dit , pour
Ciceron ou pour Platon , paffe ; mais Epaminondas
& tout cela en deux pages !
Honnêtes Lecteurs , gens de bon ſens , je
m'en rapporte à vous. Que faut- il penfer
de cette maniere d'écrire ? Qui peut l'avoir
rendue fi commune Eh ! il ne s'agit pas
d'écrire bien l'on fait que cela eft rare &
difficile ; mais eft- il donc fi rare & fi d
ficile de ne pas extravaguer ? Faut- il croi
qu'aujourd'hui , dès qu'on met la main
la plume , on rifque d'avoir le transpor
au cerveau ? Ce qu'il y a de certain , c'eft
qu'à mon avis , pour écrire de ce ftyle
& réunir ainfi en deux pages , & fi à
propos , Montefquieu , les Horaces & Epaminondas
, il faut être enforcelé .
Reftons en là : laiffons le détail des
-
fautes de langage & de cent autres efpeces.
34 MERCURE
de fautes ; en voilà bien affez pour qui
fait juger , & l'on me difpenfera de ce
que j'avais d'abord annoncé. Il ne faut rien
épuifer , pas même le ridicule du mauvais
goûr , qui ne peut amufer qu'un moment ;
& craignons d'ennuyer en voulant inftruire .
SPECTACLE S.
LE Théâtre du Vaudeville vient de s'ouvrir ,
dans une Salle fort jolie , bâtie au Panthéon ,
par le célebre rchitecte M. Lenoir. Tout le
monde contient des agrémens que cette Salle
offre aux Spectateurs. Elégante & fimple , elle
a plus de grace que de magnificence , & elle
eft en cela plus analogue au genre de Spectacle
que l'on doit repréfenter. On convient encore
que le Théâtre eft trop petit ; mais le local
ul s'eft oppofé à ce qu'il fût plus vaſte.
>
M. de Piis s'eft chargé de la Piece qui a
ji à l'inauguration ; il s'eft fans doute laiffé
p aller à la prodigieufe abondance de fes
es , à la facilité extraordinaire avec laquelle
produit des Couplets charmans. Cette Piece
ui tenait à elle feule toute la durée d'un long
Spectacle , a paru beaucoup trop étendue. Ce
n'eft pas qu'elle ne foit femée d'une grande
quantité de traits fins & pleins d'efprit ; mais
tette continuité même d'efprit eft fatigante : qui
pourrait lire de fuite un Recueil de Madrigaux ou
d'Epigrammes ? Le Vaudeville eft fait pour plaire
toujours à la Nation Françaife; mais cette pro-.
FRANÇAIS. 35
duction joycufe doit être auffi rapide qu'elle eft
légere. Une Piece fur - tout , definée feulement
à célébrer l'inauguration de ce Théâtre , ne pouvant
comporter aucune espece d'intérêt dramatique
, ne devait qu'effleurer la matiere . On ne
pouvait rien approfondir fans tout gâter.
Le but de l'Auteur était de faire connaître tous
les nouveaux Sujets dans l'emploi auquel chacun
d'eux eft deftiné. Cette idée était bonne ; elle eft
remplie dans le feul premier Acte , auquel il fallait
s'en tenir en le raccourciffant. Le fecond eft
rempli par des allégories perpétuelles , fur le
réveil des Dieux & des Déefles opéré par les
perfonnages du Vaudeville. Cet Acte , qui n'a
aucun but , a fait peu de plaifir , malgré le fel
qui en affaifonne prefque tous les Couplets .
Le troifieme Acte eft plus déplacé encore. Le
Drame , l'Ariette de Bravoure , & un Mufico à ·
voix flûtée qui l'accompagne , veulent empêcher
le petit Vaudeville & fa Troupe d'entrer dans
Jeur nouveau domaine . Le Drame peut être en
effet l'ennemi du Vaudeville , comme il l'eft de
beaucoup d'autres chofes ; mais pour la Mufique ,
l'allégorie n'eft pas jufte. La Mufique eft la mere
du Vaudeville , il n'exifte que par elle , ils ne
fauraient être ennemis. Qu'est - ce en effet que
des Vaudevilles , fur- tout ceux qu'on emploie
aujourd'hui , fi ce n'eft un choix des plus jolis
Airs qui foient reftés dans la mémoire ? Ilyy a
un peu d'ingratitude à M. de Piis ( Auteur de
cette Piece quand il fe fert avec fuccès de
morceaux de Chant de tout genre & de tous
pays , de Trios , de Chocurs en parties , de Symphonies
, de Marches , &c. de fe déclarer l'ennemi
de la Mufique , & de chercher à la tourner
en ridicule.
36 MERCURE FRANÇAIS.
,
Au furplus , le premier Acte de cette inaugu
ration , celui qui avait le mieux réuffi a plu
encore davantage quand il a paru feul les jours
fuivans . Il a été fuivi de plufieurs jolis Ouvrages
qui avaient déjà obtenu , fur le Théâtre
Italien , des fuccès mérités , & qui ont réuni
les mêmes fuffrages fur le nouveau Théâtre qui
leur eft confacré.
Il nous eft impoffible de faire connaître les
Sujets dont le nombre eft immenfe ; la timidité
inféparable des débuts étouffait les moyens de
la plupart on en a néanmoins diftingué plufieurs
qui ont des voix juftes & une maniere de
chanter des Couplets fort agréable . On peut
dire en général que ces Acteurs , prefque tous
très-jeunes , promettent les talens néceffaires au
genre qu'ils ont choifi : y voit plufieurs
jeunes filles d'une fort jolie figure , & cette qualité
n'eft pas indifférente pour un Spectacle confacré
à la gaîté.
on
Monfieur de Piis , qui a cru devoir à Monfieur
Barré le tribut de fes talens comme Auteur
, n'est pour rien dans l'Admin ſtration de
ce Théâtre , ainfi qu'on s'eft plu à le répandre.
Voici ce qu'il a fait imprimer à la fin de fon
Epître dédicatoire , & ce qu'il défire de voir
publier , » que toute efpece d'entrepriſe , d'adminiftration
, de direction & de régie de Spectacle
, m'eft & me fera toujours abfolument étiangere
, & que je n'ai jamais dû ni prétendre
coopérer à l'établiffement du Théâtre du Vaudeville
, autrement que par mes Ouvrages
ER 8.
TABL E.
Le Trépied , ze . Part.
Charade , En. Log.
31Efai.
4 Spectacles .
201
22
34
MERCURE
FRANÇAIS。
SAMEDI II FÉVRIER 1792.
PIECES FUGITIVES.

PIGMALION ,
AMOUREUX DE SA STATUE ;
FABLE tirée du dixieme Livre des
Métamorphofes d'Ovide.
Quas ubi Pigmalion avum per erimen
agentes viderat , &c.
PIGMALION , long - tems témoin de leur luxure( 1 ) ,
Rougit d'un fexe , au mal enclin par fa nature,
Il le prend en dégoût : il vit libre , fansfurd ,
Sans lien, fans épouſe , & n'aime que fon art.
& 1
( 1 ) Il s'agit ici des Propetides , filles de Chypre , I
qui firent un commerce imput de leurs charmes ,
que Vénus irritée transforma en rochers. C'eſt le fujer
de la Fable précédente.
Nº. 6. 11 Février 1792. C
38
MERCURE
Son cifau , des Vénus enfanta la merveille .
Le monde n'offre point une beauté parcille :
L'ouvrier , de l'ouvrage eft lui -même amoureux.
Vierge , elle en a la grace & les contours moelleux.
Elle femble vivante , & timide , ingénue ,
N'ofe encor fe mouvoir , honteufe d'être nue .
L'art même a caché l'art . Trompé par fes fecrets ,
1.'Artifte cft enivré des charmes qu'il a faits.
Il approche fa main du marbre qu'il adore :
Il croit fentir la vie ; il touche , & doute encore.
Il donne à la Statue un baifer plein d'amour ,
Et croit que la Statue y répond à fon tour.
Il lui parle , il l'embraffe , & dans fa folle ivreffe ,
Se figure amolli le marbre qu'il careffe.
Il a peur que les doigts , fur fa gorge imprimés ,
Ne bleffent les contours que fes doigts ont formés,
Il lui rend tous les foins qu'on rend aux jeunes filles,
Lui donne des oiſeaux , des bouquets, des coquilles ,
Des perles , des grains d'ambre , & de riches habits.
Il fe plaît à l'orner : fes doigts ont des rubis.
Rubaus , noeuds , diamans, précieufes merveilles ,
S'enlacent fur fon ſein , pendent à fes oreilles .
Belle des ornemens arrangés par les foins ,'
Elle plaît.... fans parure , elle ne plaît pas inoins.
Il la nomme fa femine , ' il l'étendfar la plume.
La dans la folle ardeur du feu qui le confume
Il craint le duvet des couffins amollis
que
Noffenfe fes appas , effieurée par des plis .
HELIOTHECA
BOOLA
>
FRANÇAIS. 39
;
Cependant , de Vénus on célebre la fête.
La victime , de fleurs a vu parer la tête
Elle tombe à l'Autel , où fume un pur encens.
L'Artiſte à la Déeffe apporte fes préfens.
Par elle , il voudrait voir fa Statue animée .
Dieux , dit -il d'une voix timide & mal formée
Souffrez que mon époufe , Idole des humains ,
Reſſemble à la Statue , ouvrage de mes mains.
Vénus fur un nuage à la fête préfide .
La Déeffe a compris,fon hommage timide.
Trois fois , préfage heureux de fes voeux les plus
chers ,
Une flamme légere a volé dans les airs.
Pigmalion retourne auprès de fa Statue ,
Se penche fur fon lit , où plus belle à ſa vue ;
Il la preffe , il l'embraffe , & croit quefa froideur.
De fes baifers de flamme a fenti la chaleur :
Sur fa bouche encortiede il preffe encorfa bouche.
Le marbre s'affouplit fous la main qui le touche,
Telle une cire en bloc , amollie une fois ,
Se pétrit , le façonne , & fléchit fous les doigts.
Il hélite , il s'étonne , il frémit , il admire.
Sa main la touche encor ; elle vit & refpires
Tous les voeux font remplis : il rend grace à Vénus
Il embraffe uue Amante , & ne ſe trompe plus.
Ses baifers font fentis : la Statue animée
Connaît le plaifir d'être , & rougit d'être aimée.
C 2
40 MERCURE --
Ses yeux s'ouvrent au jour ; fon ame au fentiment ,
Elle voit à la fois le Ciel & fon Amant.
Vénus par qui fa flamme eſt enfin couronnée ,
Témoin de leurs fermens , bénit leur hyménée.
Le beau Paphus eft né de leurs amours nouveaux ;
Et c'eft de lui que Chypre a le nom de Paphos.
( Par M. Saint- Ange. )
!
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eft Charbon , celui
de l'Enigme eft Orage, & celui duLogogri- -
phe eſt Livre, ôté ( v ) refte Lire.
CHAR A D E.
Sous le mouchoir d'Alexandrine ,
Lecteur , va lorgner mon premier ;
Comme fous celui d'Honorine ,
Il a l'éclat de mon dernier :
Puis fais un tour à la cuifine ,
Là tu trouveras mon entier.
( Par M. G... Doft, M, à Richelieu . >
FRANÇAIS.
É NN I G M E. E
JE fuis petit , léger , & de peu de valeur ;
De vos plus grands fecrets fouvent dépofitaire ;
Je ne fers qu'une fois , toujours avec myſtere ;
J'ai des frères ſans nombre , & n'ai pas une foeur.
( Par M. Houffaye , d'Evreux. )
LOGO GRIPHE.
VOYEZ combien le fort a de bizarrerie ,
Et les variétés qu'éprouve notre vie ! ....
Un jour , fongeant à mon malheur ,
Je me difais , dans la douleur ,
Hélas ! notre mere commune
Peut- elle voir d'un oeil ferein
Ma mifere , mon info tune
Me livrer au plus noir chagrin ?
Tout nu , je prends ma nourriture
Ou dans la fange , ou dans l'ordure !
Je la cherche au fond des tonbeaux ,
Ou je la difpute aux corbeaux ! ....
Pleurant ainfi ma deftinée ,
J'allais terminer la journée ,
Lorfque je me vis acofté
Par deux filles dont la gaîté
Me ravit je vis dans leurs charmes
Le moyen de fécher mes larmes.
Facilement on le croira ,
C'étaient deux filles d'Opéra ,
C 3
MERCURE
"
{
Deux filles d'un talent fublime
Des Amateurs ayant l'eftime ....
Pour mettre leur Hiftoire au net
Chour , Récitatif , Ariette ,
Et Vaudeville & Chanfonnette
Régler le pas dans un Ballet
N'eft rien par - tout leur harmonic
Ajoute aux charmes de la vie .?
Rabaiffant un peu de leur ton )
On les voit même au . Grand Salon ,
Au Porcheron , à la Courtille
Mettre en train & garçon & fille ...
Dans notre premier entretien ,
Où chacun mit un peu du fien ,
Nous fîmes ample connaiſſance ,
Mais avec beaucoup de prudence.
Dès-lors je me fentis heureux !
L'une à ma gauche , & l'autre à droite ,
Me jurent de ferrer les noeuds
De l'amitié la plus étroite .
Chez nous depuis tout eft commun ;
Aujourd'hui nous ne faifons qu'un ;
C'est l'intérêt qui nous raffemble..
( On me l'a dit & je le crois )
Félicité , Claire , Honorine ,
Et leur amie Alexandrine ,
Ont pris plaifir plus d'une fois-
Au jeu que nous faifons enfemble.
Par M. Gaillard, Dr. M. à Richelieu.)
མ་༦༧༩
FRANÇAIS. 43
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
HISTOIRE abrégée de la Mer du Sud ;
ornée de plufieurs Cartes , dédiée au Roi,
& compofée pour l'éducation de Mgr. le
Dauphin ; par M. DE LA BORDE ,
ancien premier Valet de Chambre du Roi,
& Gouverneur du Louvre , l'un des Fermiers
- Généraux de Sa Majesté. A Paris ,
chez P., Didor l'aîné , Impr- Libr. , rue
Pavée-St- André-des-Arts. 3 Vol. in - 8° .
SI
I quelque chofe prouve combien le goût
des Lettres & de l'inftruction a été général
dans ce fiecle , c'et de voir un homme
occupé des devoirs d'une charge de Finance
& d'une place à la Cour , mêler aux travaux
de fon état & aux diftractions de la
Société de longues & laborieufes recherches
, qui fembleraient n'appartenir qu'aux
gens d'étude & de cabinet , & produire
des Ouvrages qui prouvent beaucoup de
connaiffances hiftoriques , géographiques ,
aftronomiques , &c. Ce mérite eft d'autant
plus remarquable dans M. de la Borde ,
qu'il y joignait la culture des Arts agréa
C 4
44 MERCURE
с
bles , & l'on fait que fes Productions en
Mufique font d'un Amateur très- diftingué ,
& ont mérité des fuccès .
·
Il nous rend compte des motifs qui
T'ont guidé dans l'entrepriſe de cet Ouvrage.
51 ° . Pour raffembler en peu de Volumes
in- 8 ° . les chofes nécellaires à favoir , qui
fe trouvent éparfes en plus de cinquante
Volumes in-4 . , & qui font de difficile &
couteufe acquifition , fur tout pour de
jeunes Marins qui veulent s'inftruire : 2 ° .
pour fervir d'explication à la Carte de la
Mer du Sud , à laquelle l'Auteur travaille
depuis dix ans , & qu'il ne devait publier
qu'après le retour de M. de la Peyrcufe ,
fon intention ayant été d'y ajouter les découvertes
& les obfervations de cet habile
& infortuné Navigateur. L'efpoir de le
revoir jamais paraiffant ne devoir plus être
permis , quoique l'Auteur foit convaincu
qu'il exifte encore dans quelque contrée de
la Mer du Sud , il s'eft déterminé à publier
cette Carte qu'il croit la plus complette
& la plus exacte , ou plutôt la moins
fautive qui ait encore paru. Le nombre
des Navigateurs eft fi confidérable , leurs
cbfervations font quelquefois fi inexactes ,
fi mal faites , fi différentes entre elles , qu'il
eft impoffible de réuffir à les accorder. Il
fallait donc choisir ce qui paraiffait le plus
vraisemblable , & ce qui avait l'air d'être
prouvé par le rapport du plus grand nomFRANÇAIS.
4$
bre. Il fallait auffi , en prenant pour baſe
tous les points donnés par l'Académie des
Sciences dans la connaillance des temps ,
faire en forte que tout le refte pût s'accorder
avec ces points , & ce n'était pas chofe
aifée ".
On voit que l'Ouvrage de M. de la
Borde peut être confidéré fous un double
rapport : comme réuniffant en un feul Recueil
tous les Voyages dans l'Océan , depuis
Colomb & Gama , juſqu'à M. de Bougainville
& jufqu'au Capitaine Kook , il
offre l'Hiftoire abrégée de toutes ces grandes
courſes maritimes , qu'à la vérité on
retrouve par- tout , mais qu'il a refferrées
de maniere à en rendre la connaiffance plus
facile & moins difpendieuſe ; c'eft- là fans
doute fon moindre mérite : c'en eft un
plus grand d'avoir répandu les lumieres de
la critique fur les variations & les incertitudes
qui réfultent de la diverfité des récits
& des opinions , & ce mérite - là ne
peut avoir pour Juges que les Savans &
les Gens de l'Art. Ils paraiffent accorder
leur eſtime au travail de M. de la Borde .
Ce Livre eft enrichi de vingt- deux Cartes ,
qui en font partie : on vend enfemble , ou
féparément , onze autres Cartes trop grandes
pour être inférées dans le corps de
l'Ouvrage. On peut en faire un Atlas à part.
Ces onze Cartes fe vendent 9 liv. & les
trois Volumes 27 liv.; le tour 36 livres ,
Ci
46
MERCURE
chez Didot , fils aîné , rue Pavée-St- André
des-Arts ; & chez Perrier , Graveur , rue
des Foffés- Saint-Germain-l'Auxerrois , au
coin du cul-de-fac de Sourdis..
MÉMOIRE fur différentes Questions de
la Science des Conftructions publiques &
économiques , qui ont fucceffivement remz
porté les Prix des Academies de Toulouse
& de Bourg; par M. AUBRY , Inspecteur
général des Turcies & Levées du Royaume,.
Membre de plufieurs Académies .
Vis non pondere fed vecte.
A Paris , chez Didot , Lib. rue Dauphine..
Prix , 10 liv. 1 Volume in - 4°. de 192
pages , avec plufieurs Planches.
UN Ingénieur habile , qui a une longue
expérience & qui connaît très bien la
theorie , n'avait befcin que d'une occafion
pour diriger fes recherches vers les objets.
traités dans le Livre que nous annonçons ;
elles contribueront aux progrès de l'Art de
la Charpente & du nettoyage des rivieres ..
M. Aubry avait éprouvé l'infuffifance de
la théorie , & il s'eft appliqué à faire des
expériences importantes , mais toujours.
FRANÇAIS. 47
appliquées directement aux befoins de la
pratique.
La conftruction d'un pont de charpente
de 450 pieds d'un feul jet , demandée par
l'Académie de Toulouſe , lui a donné lieu
d'examiner la force des bois droits , com- .
parée avec leur réfiftance tranfverfale ; &
une démonftration analytique de la poufféet
des travées bombées , contre les culées
qui leur fervent d'appui . On y trouve une
théorie neuve de la force des bois courbés :
par contraction ; enfin une analyfe de la
force des charpentes en fer comparées à
celle des charpentes en bois , avec les détails
des avantages de la premiere conf--
truction fur la feconde. La charpente en
fer pele moitié moins qu'en bois , à force
égale , ce qui procure de l'économie pour
les culées & les cintres.-
Cet article eft d'autant plus intérelfant ,
que depuis quelques années il y a eu dif
férens projets pour des Ponts en fer ; il y
en a eu même d'exécutés , & cela peut.
devenir très-utile dans certains pays.
On y trouvera auffi avec plaifir la comparaifon
de la force que la maçonnerie
acquiert en fe féchant avec le peu de te
nacité qui exifte quand elle eft nouvelle .
Le fecond Mémoire renferme une Quef
tion d'Hydraulique , qui a remporté , em
1787 , le Prix que la Société d'Emulations
de Bourg en-Breffe avair inis au Concours
@ 6
48
MERCURE
.
L'objet de cette question eft de remédier
, par des moyens économiques , aux
inondations d'une riviere bordee de prairies
marécageufes , fans déranger fon cours,
qui fe trouve néanmoins obftrué par des
moulins qu'on veut conferver. Les maladies
qu'on éprouve dans la Breffe pendant
l'automne , rendaient la queftion très - importante
; mais les circonftances locales la
rendaient difficile. Elle eft traitée par une
nouvelle théorie , à l'appui de l'expérience
fur les vitelles de l'eau pour les différentes
pentes , & des recherches analytiques fur
l'impulfion des courans d'eau , & fur l'obftacle
qu'y apporte le frottement . M. Aubry
trouve , par exemple , que la Reiffouze qui
a 3 pieds 5 pouces de profondeur & 20
pieds de large , avec une viteffe moyenne
de 25 pouces par feconde , & une ligne de
pente par toife , doit avoir 18 pouces de
plus qu'on ne lui a laiffé jufqu'à préfent.
Le produit de ce curage , jeté fur les bords
de la riviere , formera des banquettes d'un
pied de hauteur & de 9 à 10 pieds de largeur.
L'encaiffement de ce canal aura alors
5 pieds 5 pouces , & par conféquent
pouces lignes au deffus de la furface des
eaux qu'il renfermera, lors même que ce'lesci
feront groffes. Tel eft le projet pour lequel
tous les Habitans de la ville de Bourg
devraient voter des remercîmens à l'Ingénieur
habile qui s'eft occupé de leur fanté
avec autant d'intelligence que de foin.
FRANÇAIS.
49
VARIÉTÉ.
FRAGMENT SUR FEU M. TURGOT.
la
ON a fu depuis fa mort qu'il était
l'Auteur de plufieurs morceaux fatiriques ,
en vers & en profe , qui avaient fait du
bruit , & dont perfonne ne l'avait jamais
foupçonné , tant il y avait de réferve dans
fon caractere & de difcrétion dans fes amis.
Lorfque la Sorbonne publia fa ridicule &
abfurde cenfure contre trente -fept Propofirions
du Bélifaire de M. Marmontel , il
parut une Brochure qui avait pour titre :
Les trente-fept Vérités oppofées aux trentefept
Impiétés de Bélifaire , cenfurées par
Sorbonne. Par un Bachelier Ubiquifte. Or ,
ces vérités , qui étaient le contraire des
principes de Bélifaire , étaient un catéchifme
d'intolérance , de fanatifme , de
, perfécution & d'iniquité qui faisaient fréinir.
L'idée de cette plaifanterie était trèsheureufe
, très- jufte , & bien adaptée au
fujet & aux perfonnes ; car il eft reçu en
Philofophie que la contradictoire d'une
propofition démontrée fauffe eft néceffairement
vraie : il fe trouvait au réfultat .
que la doctrine approuvée par la Sorbonne
La
MERCURE
était celle de l'inhumanité , & la doctrine
de Bélifaire , réprouvée par les Docteurs ,.
celle de la juftice , du moins fuivant les
lumieres du bon fens commun à tous les
hommes. L'Auteur avait fini par cette efpece
d'offrande , en formule latine : Quod
felix, fauftum fortunatumque fit facra Facultati
, alma matri mea ; c'eft-à- dire , qu'il
offrait cet Ouvrage à la facrée Faculté ,
comme un tribut filial qu'il préfentait à fa
mere. Ce fut une raifen de plus pour l'attribuer
à quelque ancien Eleve des Ecoles
de Théologie , devenu faux frere , comme
il y en avait plus d'un. Les foupçons tom--
berent fur l'Abbé M..... Perfonne ne
penfait à M. Turgot , qui avait été autrefois
Abbé & Etudiant en Théologie ; & la
facrée Faculté ne devina pas quel était
l'enfant dénaturé qui fe moquait d'une .
mere fi refpectable..
En 1769 , fous le Miniftere de M.,
d'Invau , il y eut au Parlement une Affemblée
de grande Police , à l'occafion de
la cherté des grains. Meffieurs , qui étaient
fort peu inftruits fur cette matiere comme
fur beaucoup d'autres , dirent gravement
beaucoup de fottifes. M. Turgot , qui la
poffédait très- bien , & qui était alors Maître
des Requêtes après avoir été Confeiller au.
Parlement , ne fe faifait pas , comme on
voit , beaucoup de fcrupule de s'égayer
aux dépens des Corps dont il avait été
FRANÇAIS. S
J.
Membre, l'efprit de Corps étant à fes yeux,.
comme à ceux de tout honnête homme
beaucoup moins que la vérité. Il ne pouvait
d'ailleurs pardonner au Parlement de
Paris fon Arrêt atroce & fanguinaire con--
tre l'infortuné La Barre ; Arrêt qui auraitfuffi
pour déshonorer la France fi , la
France , par un cri général , n'eut pas flétri
de fon horreur & de fon mépris les affaffins
barbares qui avaient figné cet Arrêt.
On va voir que perfonne n'avait fenti plusvivement
que M. Turgot cette jufte inlignation
, & ne l'exprima plus énergique--
ment. I fit alors un petit Poëme dans le
goût du Pauvre Diable , intitulé Michel &
Michau ( c'étaient Michel de St - F ***, &
Michau de M *** deux arcs - boutans de
la Grand'Chambre ) . En voici quelques .
Fragmens qui pafferent alors entre les
mains des curieux ,, & que les Gens de
Lettres eux - mêmes crurent de Voltaire ,
tant on avait réuffi à faifir fa maniere &
fa tournure..
On diftinguait dans la cohorte noire
Un homme au teint de couleur d'écritoire
Qui pérorait , annonant , annonant ,
Gefticulait , dandinant , dandinant ,
Et raifonnait , toujours déraiſonnant ;
C'était Om . , de pédante mémoire ,
Des mauvais lieux autrefois lê Hiros ,,
Et devenu fouteneur des dévots ;
Om... fameux par maint requifitoire ,
Qui, depuis peu, vient d'enterre fa gioite...
1
32 MERCURE
f
Sous un Mortier , pour jouir en repos
De fon mérite & du refpect des fots .
Un peu plus loin fortait d'une fimarre
Un front blafard , furmonté d'un poil blond ,
Un plat vifage , emmanché d'un cou long ,
Le St- F *** , qui faintement barbare ,
Offrait à Dieu les tourmens de La Barre .
Très - digne fils de fon très- digne pere ,
Déjà Michau , pour être Commiflaire ,
Se préfentait , quand l'Avocat Séguier
Dit qu'on devait cet honneur à Þ *** .
Grand Magiftrat , févere Jufticier ,
Porteur d'esprit du Préfident d'Ai **.
Deux gros yeux bleus où la férocité
Prête de l'ame à la ftupidité ,
L'ont depuis peu fait nommer le bouf- tigre;
Et jamais nom ne fut mieux mérité .
Dans fa jeuneffe un certain cailletage ,
Fade & diffus , mais facile & fleuri ,
L'infinua dans le monde poli.
Voulant depuis jouer un perfonnage ,
De nos Prélats il fe fit l'ennemi.
Son coup d'effai ne fut pas accueilli ;
Mais il a bien repris fon avantage ,
Et s'eft acquis un honneur iofini
En inventant le baillon de Lalli.
Si ces vers n'étaient pas de Voltaire , ils
en étaient dignes. On voit dans fes Lettres
combien il fut affligé & alarmé qu'on les
lui imputât. Il craignait la vengeance du
Parlement , qui était certainement un ennemi
formidable , ayant pour armes des
Arrêts , & pour vengeurs des Bourreaux.
FRANCAI S. $3
Voltaire même fe plaint amérement que
l'Auteur de ces vers le laiffe expofé aux
foupçons & aux bruits publics , comme fi
M. Turgot avait pu empêcher une pareille
méprife , ou qu'il eût dû , pour la prévenir
, fe mettre lui-même dans la gueule du
tigre . Il garda le filence , & fit bien. Il
favait d'ailleurs que Voltaire , qui avait
toujours un pied hors de France , & que
le Miniftere protégeait , était à l'abri de
tour danger.
Les Curieux d'Anecdotes politiques favent
que le Traité d'alliance conclu & figné
par l'Abbé de Bernis , depuis Cardinal ,
entre l'Autriche & la France , & la funefte
guerre d'Allemagne qui en fut la fuite ,
ont eu pour premiere caufe les mépris déclarés
du Roi de Pruffe pour Madame de
Pompadour , & que M. de Staremberg
fut profiter habilement des difpofitions de
la Favorite. Elle venait de porter au Miniftere
l'Abbé de Bernis , fa créature , qui
lui-même ne devait pas aimer beaucoup le
Roi de Pruffe , & fe fouvenait de ce vers :
Evitez de Bernis la ftérile abondance .
Duclos , dans fes Mémoires , prétend que
l'Abbé de Bernis , en fignant ce Traité :
n'avait pas cru lui donner l'étendue & les
conféquences qu'il ne tarda pas d'avoir ,
& que fe voyant emporté au delà de fes
$4
MERCURE
mefures , il voulut négocier pour la paix.
Il est sûr que ce changement lui fit perdre
fa faveur & fa place ; mais M. Turgot ,
qui ne voyait en lui que l'auteur d'un
Traité défaftreux & anti - politique , fit
contre lui les vers fuivans , qui coururent
anonymes.
Des noeuds par la prudence & l'intérêt tiffus ,
Un fyflême garant du repos de la Terre ,
Vingt Traités achetés par deux fiecles de guerre ,
Sans pudeur , fans motif en un inftant rompus ;
Aux injuftes complots d'une race ennemie ,
Nos plus ches intérêts , nos Alliés vendus ;
Pour cimenter la tyrannie ,
Nos tréfors , notre fang vainement répandus ;
Les droits des Nations incertains , confondus ;
L'Empire déplorant fa Liberté trahie ;
Sans but , fans fuccès , fans honneur ,
Contre le Brandebourg l'Europe réunie ;
De l'Elbe jufqu'au Rhin les Français en horreur ;
Nos rivaux triomphans , notre gloire flétrie ,
Notre Marine anéantie ;
Nos Ifles fans défenſe , & nos Ports faccages :
Voilà les dignes fruits de vos confeils fublimes !
Trois cent mille hommes égorgés ,
Bernis , eft- ce allez de victimes ?
Et les mépris d'un Roi pour vos petites rimes ,
Yous femblent-ils affez vengés ?
FRANÇAIS .
Son goût pour la Satire s'était manifefté
de bonne heure ; car un des effais de fa
premiere jeuneffe fut une Piece de vers
contre la Cour & le Gouvernement , en
1748 , lorfque l'on eut la lâcheté d'arrêter,
au fortir de l'Opéra , le Prince Edouard
contre la foi des fermens & les droits de
l'hofpitalité. Les Anglais , qui fentaient la
faibleffe de notre Miniftere , eurent l'infolence
d'en exiger cette baffeffe ; mais ils ne
l'auraient pas commife . Le jeune Turgot
fit fur ce fujet une Piece qui fe fentait de
fon âge ; elle eft inégale & faible ; il y a
pourtant des vers remarquables , tels que
ceux- ci :
J'ai vu tomber le Sceptre aux pieds de Pompadour
;
Mais fat-il relevé par la main de l'Amour ?
Belle Agnès , tu n'es plus ! le fier Anglais nous
dompte ,
Et Louis dort en paix dans le fein de la honte, &c .
36
MERGURE
NOTICES .
ON mettra en vente , Lundi prochain 13 Février
, Hôtel de Thou , rue des Poitevins, la 48 .
Livraifon de l'ENCYCLOPÉDIE.
Elle eft compofée de la neuvieme Livraiſon
des Planches d'Hiftoire Naturelle , par M. de la
Marck , de l'Académie Royale des Sciences ; du
Tome III , Ire . Partie , de la Géographie & Hif--
toire ancienne , par M. Mentelle ; du Tome I,
2e. Partic , de l'Hiftoire Naturelle des Vers &
Coquilles, par M. Brugnieres , Docteur en Médecine
; du Tome I , 1re . Partie , du Dictionnaire
des Forêts & Bois , Arbres & Arbuites , & de la
Phyfiologie végétale , par MM. Blanquart de Sept-
Fontaines , & Senebier , Bibliothécaire de la République
de Genêve .
f
Le prix de cette Livraiſon eft de 41 liv. en
feuilles , & de 43 liv . brochée.
La Promenade utile & récréative de deux Parifiens
, en 165 jours ; nouvelle édition , corrigée.
( Illis robur & as triplex circa pectus
erat qui , &c. )
2 Vol. in-12 . Prix , 4 liv. 10 f. A Paris , chez
Lavillette , Libr. rue du Battoir , No. 8.
Ce petit Voyage , écrit avec gaîté & femé
de citations en vers , eft fait pour être lu avec
plaifir. L'Auteur a eu en vue d'inftruire en
amufant , & a rempli ce double objet.
FRANÇAI S.
ཀྑ॰ཨབྷི ཡ
57
Extrait de la Flore Française , de M. le Chev.
de la Mark . Premiere Partie , contenant l'analyſe
des Végétaux pour arriver à la connaiſance des
genres ; in - 8 °. Prix , 5 liv. broché . A Paris, chez
Vifle , Libr. rue de la Harpe , près la rue Serpente.
Cet Extrait , où l'on a réduit trois Volumes en
un feul , a pour objet de mettre les Eleves en
Botanique & en Pharmacie , & les Amateurs de
l'Hiftoire Naturelle , à portée de s'inftruire à
moins de frais , moyennant un Livre portatif
avec lequel ils reconnaîtront fur le champ le
genre & l'efpece de toutes les Plantes qu'ils prendront
la peine d'obſerver attentivement.
Almanach historique de la Révolution , pour
l'Année 1792 ; rédigé par M. G... P... Rabaut.
On y a joint l'Acte Conftitutionnel des Français ,
avec le Difcours d'acceptation du Roi . Ouvrage
orné de Gravures , d'après les Deffins de Moreau .
A Paris , chez Onfroi , Libr . rue Saint- Victor
No. 11. De l'Imprimerie de Didot l'aîné .
:
Nous rendrons compte de cet Ouvrage intéreſfant
le nom de l'Auteur , connu par les talens
Littéraires & par fon Patriotifme , eft un préjugé
favorable qui ne trompera point ceux qui liront
ce Livre dans le même efprit qu'il a été composé.
Tarif des Changes entre la France & l'Angleterre
, depuis 22 jufques & compris 3 deniers ,
pour l'écu de France ; Ouvrage utile & néceffaire
à toute perfonne faifant commerce en Angleterre.
Prix , 7 liv . 4 f. relié. Par Nicolas Rollat , Négociant
, rue Coquilliere , No. 57 , à Paris .
L'Auteur a pris foin lui-même d'indiquer dans
MERCURE
fon titre l'ufage , l'utilité , la néceffité de fon
Livre ; cela nous difpenfe d'y rien ajouter ,
Code de Police , contenant , d'une part , le
texte pur & correct des nouvelles Loix fur la
Police ; & de l'autre , une Inftruction - pratique
fur l'exécution de ces Loix , avec des modeles de
tous les Actes y relatifs : par l'Auteur du Code
de la Juftice de Paix . Un fort Volume in-iz . A
Paris , chez l'Auteur , Place Daupline , No. 11;
chez Petit , Libr. au Palais - Royal ; veuve Lachapelle
, au Palais- Marchand . Tous les Exemplaires
font fignés de l'Auteur . Prix , 3 liv . 4 f. franc
de port.
Chez un Peuple libre qui commence à fe gouverner
par fes Loix , tout Citoyen qui a reçu
quelque éducation doit fe mettre à portée de les
connaître, & par conféquent fe procurer les Livres
qui en contiennent un expofé fidele , & celui- ci
eft du nombre.
Almanach des 83 Départemens , ou Almanack
National Géographique , pour l'Année 179 2.
Prix , 1 liv. 16 . bioché ; relié & avec Cartes
lavécs , 2 liv . 8 f. A Paris , chez le même Lib.
Le meilleur Livre , ou les meilleures Etrennes
que l'on puiffe donner ou recevoir. A Paris , chez
Froullé , Libr. quai des Auguftins , près la rue
Pavée.
Le Libraire aurait dû ajouter à fon titre , pour
le Chrétien , ce qui aurait indiqué que c'eft un
Liyre d'Heures.
FRANÇA I S. 59
MUSIQUE.
4e. Sonate de Forté - Piano , accompagnée
d'un Violon ; compofée par L. & M. Thubé .
Euvre 2e. Prix , 3 liv . A Paris , chez l'Auteur ,
rue de la Lune , N ° . 32 ; Leduc , rue du Roule ,
Nº. 6 ; Imbault , rue St - Honoré , près l'Hôtel
d'Aligre , N ° . 627 ; de Roulede , rue St - Honoré ,
près l'Oratoire , No. 614 ; Boyer , rue de RicheÎicu
, pallage de l'ancien Café de Foy, Nº. 6 .
Le Rondeau de cette Sonate ne pouvant fe
jouer fur la partie de Violon , attendu qu'elle y
eft prefque toujours obligée , on l'a gravé à la
fuite , arrargé pour étre exécuté feul . Les trois
premieres Sonates de l'Auteur ne forment qu'un
feul OEuvre , dont le prix n'eft que de 6 liv.
Journal d'Ariettes Italiennes , dédié à la Reine.
No. 312. del Signor Gazzaniga. Prix , 2 liv . 8 f.
A Paris , chez Bailleux , Marchand de Mique
ordinaire du Roi & de la Famille Royale , à la
Regie d'or , rue Saint -Honoré , près celle de la
Lingerie.
Ce Numéro eft le dernier de l'Année précédente.
On continuera de faire paraître avec la
plus grande exactitude deux Ariettes par mois ,
avec toutes les Parties . Le prix de l'Abonnement
eft de 36 liv . pour Paris , & de 42 liv. pour les
Départemens , franc de port . Ceux qui n'auront
pas fouferit , payeront chaque Ariette 2 liv . 8 f.
& les Scènes en Duo , 3 liv . 12 f. On ne peut
s'abonner qu'à Paris , chez le Sicur Bailleux , à
l'adreffe ci-deflus.
ist

60 MERCURE FRANÇAIS.
La Famille réunie , Comédie en un Acte & en
profe , mêlée d'Ariett's , repréfentée pour la premiere
fois par les Comédiens Italiens ordinaires
du Roi , le 6 Novembre 1790 ; parcles de M.
Favart fils , mufique de M. Chapelle . Prix , 18 l.
A Paris , chez M. Durieu , Profeffeur , Editeur &
Marchand de Mufique , rue Dauphine , à côté
de la rue Chriftine , au Goût du jour , No. 40.
Collection de Duo pour deux Cors de chaffe ,
par M. Ignace Pleyel . 1er. Livre. Prix , S liv .
A Paris , chez M. Porro , Editeur de Mufique , rue
Tiquetonne , No. 1o. A Lyon , chez M. Garnier ,
place de la Comédie.
GRAVURES.
Le Contrat , gravé d'après le Tableau d'H...
Fragonard , Peintre du Roi ; par M. Blot. Prix ,
9 liv. A Paris , chez l'Auteur , Hôtel de Château-
Vieux , rue Saint - André- des -Arts , près la rue de
l'Eperon.
Cette Eftampe eft le pendant du Verrou , &
l'Ouvrage du même Auteur. Il grave actuellement
le Jugement de Paris , d'après le Tableau connu
du Ch . Wanderwerf, qui fait partie des Tableaux
de M. d'Orléans . Cette Eftampe paraîtra dans le
courant de l'année .
TABLE.
PIGMALION.
Charade, Enig. Logog.
Hiftoire.
37 Mémoire.
49 Karités.
4; Vouces.
46
49
56
MERCURE
FRANÇAIS.
SAMEDI 18
FÉVRIER 1792 .
PIECES
FUGITIVES.
LES SUJETS A LEUR REINE ,
CHANSON fur une Royauté de Bal.
EN dépit du nouveau Systême ,
Ennemi de la Royauté ,
Nous lui vouons fidélité ;
Mais nous plaçons le Diadême
Deffus le front de la Beauté. ( bis )
ON regne ailleurs par la naiffance
La grandeur & la majeſté ,
Et l'on étale avec fierté
Les attributs de la puiſſance :
On regne ici par la Beauté . ( bis )
Nº. 7. 18 Février 1792 . D
62
MERCURE
En vain , dans ce nouvel Empire ,
Défendrait-on fa . Liberté ,
Tout fubit un joug enchanté :
Chaque regard , chaque fourire´
Donne un Eſclave à la Beauté. ( bis )
MAIS de cet aimable eſclavage
Nos coeurs font leur félicité ;
Quelle heureufe captivité !
Eft-il de plus doux apanage
Que d'obéir à la Beauté ? ( bis )
UNE Reine , ailleurs fur fes traces ,
De Courtifans refpectueux ,
Traîne un cortège faftueux :
La nôtre , à fa fuite , a les Graces ,
Les Amours , les Ris & les Jeux . ( bis )
TELLE on vit jadis à Cythere
Réguer la Mere de l'Amour :
Telle était de Vénus la Cour ;
Et fi Vénus d'Amour fut Mere ,
Málon le fait naître à fon tour. (bis ).
O toi qui , fans Sceptre & fans Trône ,
Aurais tous les coeurs pour Sujets ,
Malon , accueille ces Couplets ;
C'est un tribut qu'a ta Couronne
Nous payons moins qu'à tes attraits. (bis )
BIBLIOTHECA
REGIA
MONACENSIS.
FRANÇAIS.
63
Nouveau Serment Civique..
Nous jurons tous à notre Reine
Amour tendre & fidélité :
Nous jurons , à la Liberté ,
De préférer la douce chaîne
Des Loix qu'impoſe la Beauté. ( bis )
( Par un Citoyen de l'Ardeche. )
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogriphe du dernier MERCure .
LE mot de la Charade eft Coulis , celui
de l'Enigme eft Pain à cacheter, & celui du
Logogriphe eft Réverfi , où l'on trouve
Ver , Ré & Si , deux notes de mufique.
CHARA DE.
QUAUANNDD un Amant eft auprès de la Belle ,
Mon ſecond , à fes yeux , fait vîte mon premier ;
Mais fe voit-il forcé de vivre éloigné d'elle ,
Heureux s'il peut alors fe créer mon entier !
( Par M. G**, de V*** . )
D 2
64
MERCURE
É N I G ME.
JE fuis bon & je fuis mauvais ;
Je fuis inconftant & fidele .
Le plaifir féduifant & la douleur cruelle ,
Et l'effort des vertus & l'excès des forfaits
Sont également mes effets .
Au fein des voluptés je fais verfer des larmes ;
Tout ce que l'Univers produit
Ne peut réfifter à mes armes ;
Je fais charmer le temps , & le temps me détruit.
( Par une Demo felle . )
LOGO GRIPHE.
FILS ILS de l'imagination ,
Parfois du malheureux j'adoucis la mifere ;
Ma tête à bas , je fus , dit -on ,
Caufe des maux du Monde , & n'eus jamais de
merc .
( Par une Abonnée. )
FRANÇAIS. 65
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TRAITÉ Philofophique , Théologique &
Politique de la Loi du Divorce , &c. où
l'on traite la Queftion du Célibat des
deux fexes , & des Caufes morales de
l'Adultere. A Paris, chez les Marchands
de Nouveautés .
CEUX
eux qui s'oppofent au Divorce par
principe de Religion , n'accuferont pas
l'Auteur de ce Livre de n'en avoir point ;
ils ne pourront pas l'appeler Philofophe ,
Libertin , Athée , &c. toutes dénominations
fynonymes dans la bouche de certains
Croyans . Ce nouveau Prédicateur de la
doctrine du Divorce eft non feulement un
Chrétien très-convaincu , mais même une
efpece d'Illuminé , un Spiritualiſte trèsexalté.
Son imagination , en l'élevant fans
ceffe au deffus des fens , l'emporte quelquefois
au delà de la raifon. Il parle de
l'amour comme les Quiétiftes du dernier
fiecle.
» Le véritable amour tranfporte les efprits
& les coeurs où il entre , & leur caufe
une effufion d'eux - mêmes ..... Les pre-
D ;
66 MERCURE
miers Poëtes ont donné des ailes à l'Antour,
non pour le charger d'un fyuibole ignominieux
, comme le penfe le vulgaire ignorant
; mais par ces ailes , ils ont voulu
exprimer ce qu'un Philofophe de l'Eglife.
a tracé d'un feul trait , quand il a dir que
l'Amour était extatique ".
Je ne fais fi cette nouvelle explication de
la Mythologie paraîtra fort probable ; &
fi tel était le fens des fymboles allégoriques
de l'Amour, inventés par les anciens
Grecs , je ne crois pas qu'on les eût trouvés
généralement auffi ingénieux qu'ils
paffent pour l'être . Je comprends encore
moins comment les ailes de l'Amour offrent
précisément la même idée que celle
qu'exprimait ce Philofophe de l'Eglife
( que je ne connais pas ) , quand il a dit
que l'Amour était extatique. Il eft difficile
de rien voir de commun entre l'extafe &
les ailes ; mais il ne faut pas y regarder
de fi près avec les Infpirés : ils jurerent
toujours qu'ils s'entendent , & nous jureront
toujours que nous ne les entendons
pas ; c'est là que doit fe terminer avec eux
toute difcuffion.
L'Auteur , très -attaché à l'Evangile &
à l'infaillibilité de l'Eglife , fait des efforts
incroyables pour concilier avec le refpect
qu'il veut conferver à l'un & à l'autre la
légitimité religieufe duivorce , formellement
condamné , quoi qu'il en dife , par
FRANÇAI S.
67
Jésus-Chrift dans l'Evangile , & par l'Eglife
au Concile de Trente. Il explique cette
double profcription comme il expliq aut
tout à l'heure l'allégorie des ailes de l'Amour.
Il a beau faire , il n'empêchera pas
que Jefus- Chrift , confulté fur le Divorce
par les Pharitiens , & dans un cas d'adultere
, n'ait répon lu en propres termes :
L'homme ne féparera pas ce que Dieu a
joint. L'Auteur prérend que Jefus Chrift
entend ici par l'homme & la femme les
deux fexes pris génériquement. Cette glofe
eft extrêmement fubtile ; elle eft digne de
l'efprit des Commentateurs ; & nous avons
des milliers de glofes de cette force dans
la Scholaftique. Il n'en eft pas moins vrai
que, dans cette interprétation , la réponſe
de Jéfus - Chrift ferait totalement dénuéé .
de fens , & ne répondrait nullement à la
question des Pharifiens ; car ils ne lui demandaient
pas fi l'on pouvait féparer un
fexe de l'autre , ce qui eût été une demande
ridicule , puifque la Nature y a
pourvu de refte dans tout le genre ânimal,
& que là-deffus tout précepte ferait bien
inutile. Dans quels embarras l'on fe jette ,
lorfqu'on veut chercher dans la Religion
ce qu'il ne faut chercher que dans la Nature
! Le premier pas à faire pour établir
le Divorce , c'eft de ftatuer que le mariage
n'eft & ne peut être , aux yeux de la Loi,
qu'un acte civil : permis aux Prêtres & à
D
4
68 MERCURE
ceux qui croient en eux , d'en faire un
Sacrement ; mais dans les Tribunaux , le
mariage ne doit être confidéré que comme
un engagement légal , fufceptible , comme
tous les autres , de toutes les claufes que
le Législateur juge à propos d'y ajouter.
C'était l'opinion de Montefquieu ; c'eft
celle de tous les vrais Philofophes ,
à- dire des gens raisonnables .
c'eft-
L'Auteur eft beaucoup plus à fon aiſe
fur le célibat des Prêtres , & s'en tire bien
plus heureuſement , parce qu'ici du moins
l'Evangile n'eft pas contre lui , ni même
les maximes des Apôtres , ni même la
pratique de l'Eglife pendant bien des fiecles.
La feule pierre d'achoppement eft encore
ce Concile de Trente ; l'Auteur s'efforce
de l'efquiver , & foutient que le célibat
des Prêtres n'eft que de confeil , & non pas
de précepte. Je voudrais , pour l'honneur
du Concile , qu'il eût raifon ; mais les faits
font contre lui , & les décifions du Concile
font formelles.
Tous les honnêtes gens lui fauront gré
de l'horreur qu'il montre pour le célibat ,
foit des Eccléfiaftiques , feit des Laïcs ; il
en détaille , & même affez naïvement , les
inconvéniens phyfiques , moraux & politiques
, & s'appuie d'une foule d'autorités
de tout genre qui l'ont condamné ; érudition
affez fuperflue en elle-même , quand
la premiere de toutes les autorités , la NaFRANÇAI
S.
6.9
ture , fe fait entendre d'une maniere fi
impofante & fi décifive , mais il y a tant
de gens qui font plus de cas de l'autorité
que de la raifon , parce qu'ils font plus à
portée de comprendre l'une que l'autre, que
Tur ce point l'Auteur eft juſtifié dans fes
moyens , autant qu'il eft louable dans fes
intentions. Cependant il ne faut pas croire
que la crainte de fe contredire l'emporte
chez lui fur la vénération qu'il a vouée à
l'Eglife Romaine. Tout prêt à tracer du
célibat un portrait épouvantable , il commence
par ces mots : "> Le véritable célibat,
fondé fur la perfection des vertus chrétiennes
ou des vertus civiles , doit être honoré
& protégé ; mais le célibat de combinaifon
, fruit des calculs de l'avarice & de
la volupté , eft un ennemi focial digue de
toute la févérité des Loix «. En vérité ,
l'on eft bien à plaindre , quand on veut
( pour me fervir des termes de l'Evangile ,
que j'aime toujours à citer ) fervir Dica &
Bélial ! Au nom du bon fens , qu'est- ce
que le véritable célibat ? Eft ce qu'il y en
a deux ? Qu'il foit la perfection des vertus
chrétiennes , j'y confens ; ces vertus- là font
d'un ordre furnaturel , & appartiennent à
un autre monde ; mais dans celui-ci , comment
un homme qui a fi bien fenti tous
les vices du célibat , ofe-t-il nous dire qu'il
eft la perfection des vertus civiles ? Il en eft
la deftruction ; & n'en déplaiſe à l'Auteur,
DI
70 MERCURE
j'aime mieux entendre Montefquieu que
lui fur cet article . Voici comment il s'exprime
dans les Lettres Perfanes : » Les
Prêtres & les Dervis de l'un & de l'autre
fexe fe vouent ici à une continence éternelle
; c'eft chez les Chrétiens la vertu par
excell nce , en quoi je ne les comprends
pas , ne fachant ce que c'eft qu'une vertu
dont il ne réfulte rien. Je trouve que leurs
Docteurs fe contredifent manifeftement ,
en difant que le mariage eft faint , & que
le célibat , qui lui eft oppofé , l'eft encore
davantage ; fans compter , qu'en fait de
préceptes & de dogmes fondamentaux , le
bien est toujours le mieux "..
La contradiction que Montefquieu releve
ici dans la doctrine de l'Eglife Romaine ,
eft un argument fans réplique. Entre deux
chofes abfolument contraires l'une à l'autre
, admettre une relation comparative de
plus & de , moins eft impoffible , il n'y a
d'autre relation que celle de la difparité
complette. Après avoir pofé qu'une chofe
eft bonne , dire que celle qui en eft l'oppofé
eft meilleure , c'eft le dernier terme où
puiffe arriver la déraifon ; c'eſt heurter de
front l'intelligence humaine.
On ne peut pas citer dix lignes d'un
Ecrivain tel que Montefquieu , fans trouver
à côté de la vérité qu'en cherche , d'autres
vérités qu'il jette en paffant. Celle- ci
eft bien remarquable : » En fait de préFRANÇAI
S. 71
i
ceptes fondamentaux , le bien eſt toujours
le mieux «. Voilà un de ces principes féconds
dont la raifon des Légiflateurs doit
s'enrichir en les méditant. On en pourrait
faire un beau Commentaire ; mais ce n'eſt
pas ici la place , & je m'en rapporte à ceux
qui favent réfléchir .
:
C'eft aux Papes que l'Auteur impute
cette animadverfion tyrannique contre le
mariage des Prêtres. Il a raiſon ; mais il
ajoute » Ce n'eft point l'Eglife qui fur
coupable de cette tyrannie ; l'Eglife eft
infaillible , & ne peut jamais établir de
mauvaiſes Loix “. Que l'Eglife foit infaillible
, foit ; je ne m'en mêle pas ; je ne
difpute jamais contre qui fe dit infaillible,
ni contre ceux qui croient à l'infaillibilité ;
mais je concluerais de cette prétention
même , qu'on fera très bien de ne jamais
fouffrir dans un Etat ce qu'on appelle une
Eglife ; car puifqu'elle eft infaillible , &
que rien ne l'eft dans l'humanité , il eft
clair qu'elle eft hors des chofes humaines.
Il faut donc la renvoyer au Ciel avec fon
infaillibilité ; elle fera là fans inconvénient.
Ici- bas elle en aurait un très -grand , celui
de repréfenter Dieu , le feul Etre que nous
concevions infaillible ; & comme il lui à
·
plu
d'abandonner les chofes humaines à
leur imperfection naturelle , ceux qui prétendent
faire exception , & partager avec
Dieu l'infaillibilité , ne doivent communi-
D 6
72 MERCURE
quer qu'avec lui , & laiffer les pauvres
humains pour ce qu'ils font.
ور
Je ne voudrais pas non plus qu'on remontât
jufqu'au péché originel pour prouver
la néceffité du Divorce. » C'eft ( dit
l'Auteur ) une fuite néceffaire de la défobéillance
du premier homme «. Heureuſement
une bonne caufe n'en devient pas
plus mauvaiſe pour être défendue par de
mauvaiſes raifons ! Que fait - là , je vous
prie, la chute d'Adam ? mais c'eſt ainſi qu'écrivent
les Fiétiftes. Il ne paraît pas que
l'Efprit-Saint ait exaucé la priere de celuici
elle eft pourtant fort édifiante. » O
divine lumiere ! Efprit éternel ! Créateur
incréé ! defcends fur mes levres , purifie
mon coeur ... Fais que j'interprete ta
divine Loi en efprit & en vérité. Daigne
infpirer un faible mortel , &c. «.
Cette pieufe invocation , qui reffemble
à une forte d'oraifon jaculatoire , n'eft pas
au commencement de l'Ouvrage , comme
on pourrait fe le figurer ; elle fe trouve au
milieu, & l'Ouvrage n'en vaut pas mieux .
Montefquieu n'a point fait d'invocation ;
mais il a dit ce qu'il eft poffible de dire
de meilleur fur le Divorce ; & après lui ,
l'on ne peut que balbutier fur cet article.
Toute la fubftance de cette queftion eſt
contenue dans deux petites pages . Je vais
les tranfcrire ; les Légiflateurs doivent les
favoir par coeur , quand ils prononceront
fur le Divorce .
FRANÇAI S. 77
>
" Le Divorce était permis dans la Religion
Païenne , & il fut défendu aux
Chrétiens ; ce changement qui parut d'abord
de fi petite conféquence , eut infenfiblement
des fuites terribles , & telles qu'on
peur à peine les croire. On ôta non feulement
toute la douceur du mariage , mais
auffi l'on donna atteinte à fa fin. En voulant
refferrer fes nauds , on les relâcha
& au lieu d'unir les coeurs , comme on le
prétendait , on les fépara pour jamais.
Dans une action fi libre , & où le coeur
doit avoir tant de part , on mit la gêne,
la néceffité , & la fatalité du deſtin même.
On compta pour rien les dégoûts , les caprices
& l'infociabilité des humeurs . On
voulut fixer le coeur , c'est-à- dire , ce qu'il
y a de plus variable & de plus inconſtant
dans la Nature. On attacha fans retour
& fans efpérance des gens accablés l'un
de l'autre , & prefque toujours mal affortis ;
l'on fit comme ces Tyrans qui faisaient
lier des hommes vivans à des corps morts.
Rien ne contribuait plus à l'attachement
mutuel que la facilité du Divorce . Un
mari & une femme étaient portés à foutenir
patiemment les peines domeftiques, fachant
qu'ils étaient les maîtres de les faire
finir , & ils gardaient fouvent ce pouvoir
en main toute leur vie fans en ufer , par
cette feule confidération qu'ils étaient libres
de le faire . Il n'en eft pas de même des
74
MERCURE
Chrétiens que leurs peines préfentes défefperent
pour l'avenir ; ils ne voient dans
les défagrémens du mariage que leur durée
, & , pour ainfi dire , leur éternité. De là
viennent les dégoûts , les difcordes , les
mépris ; & c'eft autant de perdu pour la
Poftérité. A peine a-t-on trois ans de mariage
qu'on en néglige l'effentiel ; on paffe
enfemble trente ans de froideur ; il fe forme
des féparations inteftines auffi fortes , &
peut - être plus pernicieufes que fi elles
étaient publiques ; chacun vit de fon côté,
& tout cela au préjudice des races futures.
Si de deux perfonnes liées par le mariage ,
il y en a une qui n'eft pas propre au
deffein de la Nature & à la propagation
de l'efpece , foit par fon tempérament ,
foit par fon âge , elle enfevelit l'autre avec
elle , & la rend auffi inutile qu'elle l'eft
elle-même. Il ne faut donc point s'étonner
fi l'on voit tant de mariages fournir un fi
petit nombre de Citoyens. Il eft aſſez difficile
de bien comprendre la raifon qui a
porté les Chrétiens à abolir le Divorce.
Le mariage , chez toutes les Nations du
Monde, eft un contrat fufceptible de toutes
les conventions , & on n'a dû en bannir
que celles qui auraient pu en affaiblir
Fobjet ".
Ainfi tous les plus grands intérêts , celui
de la juftice naturelle , celui du bonheur
que le Corps politique doit affurer à fes
FRANÇAIS. 75

Membres , celui de la population , celui
des moeurs publiques , le réuniffent pour
l'établiffement du Divorce . De tous les
Peuples policés , les feuls qui fe foient
privés de cette inftitution fi falutaire , font
ceux qui demeurent foumis à l'Eglife Romaine
, & cela feul explique ce qui paraît
avec raiſon incompréhentible à Montefquieu
, qui ne voulait pas tout dire ; c'eft
qu'il entrait dans la politique de l'Eglife
Romaine qu'il n'y eût aucun genre de tyrannie
qu'elle ne fîr pefer fur les Peuples.
C'était bien connaître l'homme, qui , tant
qu'il n'eft pas éclairé , femble naturellement
difpofé à s'attacher d'autant plus à une
Religion qu'il en fent davantage le joug.
L'homme qui a foumis fa raifon à la fuperftition
est perfectionné pour l'esclavage :
il n'en eft aucun qu'il refufe.
-Si quelque chofe peut furpaffer l'abſurdiré
du mariage indiffoluble , c'eſt ce que
notre Jurifprudence avait imaginé , la féparation
de corps & de bien, avec la défenſe
de fe remarier. Comme il ne peut y avoir
de Loi contre la Nature qui a établi l'union
des fexes & le befoin réciproque qu'ils ont
l'un de l'autre , c'était commander évidemment
la débauche & l'adultere : c'eft le
feul exemple dans le Monde d'une Légiflation
qui ordonne les mauvaifes moeurs,
& cela érait digne de la nôtre.
Le feul travail qu'il y ait à faire, con76
MERCURE
-
fifte à bien régler le fort des enfans ; & fans
doute , avec les lumieres que nous avons,
nous ne trouverons pas très difficile ce
qu'ont fu faire depuis long - temps des
Peuples moins avancés que nous. Tout le
refte va de foi- même , du moins felon ma
maniere de penſer. Je ne refuſerais le Divorce
à perfonne ; la demande fuffirait
fans examiner les motifs. Cette opinion ,
au premier coup d'oeil , peut paraître un
excès ; mais je prie qu'on faffe attention à
mes raifons : j'en vois deux , dont la premiere
eſt importante , & dont la feconde
me paraît décifive. D'abord on éviterait
dans les Tribunaux le fcandale toujours
très-grand des accufations domeftiques , qui
bleffe fi violemment les moeurs publiques ;
enfuite je demande s'il eft poffible de
penfer que du moment où l'un des deux
conjoints s'eft porté à cet éclat d'une demande
en féparation , la concorde & le
bonheur puiffent régner dans leur ménage
Je me garderais bien fur- tout de fixer
un terme au delà duquel le Divorce ne
pourrait être accordé , comme quelques
perfonnes l'ont prétendu . Quand on a pu ,
difent-ils, fe fupporter vingt ou trente ans,
on peut bien fe fupporter encore . Plai
fante raifon ! Sans parler des motifs de
toute efpece qui , dans l'ancien ordre de
chofes , ont pu déterminer à fouffrir plutôt
qu'à éclater , eft- ce au moment où l'on
FRANÇA 1.5. 77
a plus befoin de dédommagemens & de
confolations , eft - ce à cette époque où nos
dernieres années follicitent une fociété douce
& fecourable , que la Loi doit s'y refuſer ,
& nous condamner à être malheureux pour
le reste de la vie ? Tant que le Divorce ne
fera pas établi , oferons - nous nous dire
libres , en portant la plus accablante de toutes
les chaînes , celle qui fe fait fentir à
tous les momens ?
SPECTACLE S.
CETTE faifon eft celle des Pieces nouvelles ;
elles fe font fort multipliées fur nos Théâtres
multipliés ; & quoique nous ne nous foyons engagés
qu'à rendre compte de celles qui réuffif
fent , le nombre en eft affez grand pour nous
forcer à ne dire qu'un mot de chacune d'elles.
Le peu d'efpace que nous laiffe l'abondance des
matieres , & dont nous ne jouiffons même pas
Loujours , nous oblige encore à nous refferrer.
Minuit ou l'Heure propice , petite Piece donnée
au Théâtre de la Nation , eft une de celles
que nous pouvons le moins paffer fous filence .
Son Auteur eft M. Defaudras. Voici le fujet. Un
jeune homme de feize ans eft amoureux de fa
belle coufine , une veuve d'environ vingt - deux .
Il lui demande la grace de fe trouver dans fon
appartement à minuit précis , pour être le premier
à l'embraffer & à lui fouhaiter la bonne
78 MERCURE
année . On le refufe rigoureufement ; mais par
une fuite d'incidens , de fituations très - comiques
& très -agréables , il fe trouve enfermé par fon
pere lui-même dans la chambre à coucher de la
veuve , fans autre compagnie que la femme de
chambre , qui eft dans les intérêts du jeune
Amant. Qu'y faire ? On fe donne des étrennes ,
on chante des Romances qui fe trouvent accompagnées
par une férénade , donnée fans deflein
dans la rue , & interrompues par l'heure de
minuit & par un baifer . Le pere & la mere , qui
étaient entrés doucement pour mieux entendre la
férénade , font fpectateurs de ce petit tableau ,
& fentent qu'il convient de preffer le mariage.
Il y a dans ce petit Ouvrage des détails charmans
, pleins d'efprit , de grace & du meilleur
ton . Cette courte analyfe ne permet pas d'en
donner l'idée ; il faut d'ailleurs les voir exécuter
par les excellens Acteurs qui les font valoir.
On a donné auffi à ce Théâtre Paulin & Clairette
, paroles & mufique de M. Dezede. C'eſt
un véritable Opéra-comique ; car la muſique n'eft
pas la mplement comme du chant , mais comme
du dialogue , & faifant partie de la Scène . Cette
bagatelle offre des tableaux agréables . Il ne faut
pas juger févérement un pareil Ouvrage , exécuté
par des Acteurs peu exer és au Chant , & où le
Compofiteur n'a pas pu employer tous les moyens.
SUR le Théâtre Italien , on a vu avec plaifir
une petite Comédie intitulée la Fille naturelle.
C'est le même fujet que Pouline , donnée il y a
quelques mois au Théâtre de la Nation . Elle eft
de M. Dejaure , connu par des fuccès dans plufieurs
genres. On y retrouve les détails agréables
qu'il fait répandre dans tout ce qu'il fait .
FRANÇAIS. 79
Le même Auteur y a donné depuis , Charlotte
& Werther , en mufique. Tout le monde connaît
le Roman des Paffions du jeune Werther , & fent
la difficulté qu'il y avait mettre un pareil fujer
fur la Scène , d'une maniere fatisfaifante. L'Auteur
a vaincu , autant qu'il était poffible , cette difficulté
. Les détails fur - tout ont foutenu cette
Piece. La mufique a auffi beaucoup de mérite ;
elle eft de M. Kreützer.
Nous avons parlé de l'ouverture du Théâtre
du Vaudeville & de la Piece faite pour l'Inauguration.
Cette Piece , aujourd'hui extrêmement
raccourcie , fait beaucoup plus de plaifir , & les
charmans Couplets dont elle eft femée , plus rapprochés
, n'en font que plus d'effet. On y a donné
depuis le Nicaije de Vadé , rajufté par M. i eger,
l'un des Acteurs de ce Théâtre , & qui remplit
le principal rôle. Ce raccommodage confifte à
avoir mis les anciens ouplets fur des Airs nouveaux
, a avoir parodié des Duos , des Quatuors ,
divers morceaux d'enfemble , &c. Je veux bien
qu'on appelle cela des Vaudevilles ; mais alors
il faut dire quelle différence on trouve entre des
Picces en Vaudevilles & des Pieces en Musique ,
fi ce n'et que dans ces dernieres , la Mufique eft
faite pour les paroles ; & que dans les autres , la
Mufique , qui a déjà fervi , exprime les paroles
comme elle peut. Les Auteurs de Pieces a Vaudevilles
peuvent être ennemis de la Mufique dont
ils fe fervent ; mais à coup sûr la Mufique n'eft
pas l'ennemie du Vaudeville , fur - tout comme
on les fait aujourd'hui. Au furplus , le nouveau
Nicaite offre plufieurs Couplers neufs , affez plaifans
mais cette Piece n'a pas paru en général
auf bien exécutée que les autres .
"
MERCURE
NOTICE S.
LA Goutte radicalement guérie , par des moyens
doux , falutaires & fortifians , qu'on peut employer
avec fuccès dans tous les climats de la
Terre. Méthode également favorable à la guérifon
des Rhumatifmes , affections nerveuses , &
à la plupart des Maladies chroniques ; par J...
Marfillac , de la Faculté de Montpellier , & c.
Je fuis porté à croire qu'on découvrira un
» jour le fpécifique de la Goutte «.
SYDENHAM . Eprouve & juge.
A Paris , de l'Imprimerie du Cercle Social , rue
du Théâtre Français.
Un fpécifique contre une Maladie auffi cruelle
& auffi commune que la Goutre , demandé &
cherché depuis fi long-temps , eft , ans doute , un
des plus grands bienfaits dont manité puiffe
être redevable à la Médecine . Celui- ci , fuivant
ce que nous apprend l'Auteur , eft une découverte
due au hafard , & l'on fait que c'eft ainfi
que fe font faites les plus grandes découvertes
dans les Arts c'eft une preuve de la faibleſſe
de l'homme , & des forces de la Nature . Le fpécifique
de l'Auteur eft ce qu'il appelle le Savon
adical , employé à la fois en pillules & en
pique. C'est un fondant très -actif, & fa propre
périence & une pratique de huit ans lui en ons
firmé l'efficacité curative .
FRANÇA I S.~
Compte rendu par M. de Choifeul - d'Aillecourt ,
Député de la Nobleffe du Bailliage de Chaumont
en Baffigny , à fes Commettans.
( Tant l'impatience Françaife eft facile à
entreprendre ce qu'elle néglige enfuite d'
chever , & qui leur eft même impoffible de
bien finir, parce qu'elle a mil commencé « ) .
Vie du Chancelier d'Agueffeau, page 40
du XIII Vol. de fes Euvres.
Prix , 2 liv. 10 f. broc. A Paris , chez Defenne ,
Libr. Num. 1 & 2 ; Gattey , Num. 13 & 14 ; &
Petit , No. 250 , au Palais - Royal.
C'eſt un Membre de la ci - devant Nobleffe ,
qui voudrait juftifier fon opinion aux yeux même
de ceux qui n'étaient pas fes Commettans , & qui
paraît plus attaché à cet Ordre qu'à celui de la
Philofophie & de la Raifon.
De quelques changemens politiques opérés on
projetés en France , pendant les années 1789 ,
·1790 & 1791 : ou Difcours fur divers points im
portans de la Conftitution & la nouvelle Légif
lation du Royaume ; par M. de Landine , Deputé
à l'Affemblée Nationale de 1789. Prix , 3 1.
br. & 3 liv. 2 f. port franc. Se trouve à Paris ,
chez Laurent , Libr. rue de la Harpe ; & chez
Denné , Libraire , paffage de la rue Vivienne au
Palais- Royal.
Cet Ouvrage eft un examen affez approfondi ;
quoique rapide , des premieres caufes de la divifion
inſtantanée des trois Ordres & des travaux
de l'Affemblée conftituante ; il eft divifé en Chapitres
, & chacun traite d'un feul objet , ce qui
fait autant de Difcours , écrits avec intérêt. Cet
Ouvrage fera recherché autant par le nom de fon
Auteur , que par les matieres dont il traite. ,
82 MERCURE
Voyage Minéralogique , Philofophique & Hiftorique
en Tofcane ; par le Doct. J. Torgioni-
Tozetti . 2 Vol . in 8 ° . par une Société de Gens
de Lettres Prix , 6 liv. Se trouve à Paris , chez
Lavil ette , Lib. rue du Battoir , Nº. 8.
Ce Voyage, fait avec une grande exactitude &
fur un fol très - riche , fera recherché des Naturaliftes
fur - tout ; il peur leur fournir des fujets
de comparafon , & donner de l'extenfion à
'utiles recherches.
Notions générales ou encyclopédiques , par M.
Lebrigant. A Avranches , de l'Imp . de Lecourt.
Cerre nouvelle Production de M. Lebrigant eft
une fuite de fon fyftême , & attefte comme les
premieres fes profondes connaitiances & fa vafte
érudition .
Les Spectacles de Paris & de toute la France
ou Calendrier hiftorique & chronologique des
Théâtres , &c . 41me . Partie pour l'Année 1792.
A Paris , chez la veuve Duchefne & fils , Libt.
ue St-Jacques , No. 47. Prix , 2 liv . 8 f. relié ,
I liv. 16 f. broché.
Cet Almanach , qui fe continue , comme on
le voit par le titre , depuis plus de quarante
ans , eft encore le meilleur comme le plus ancien
de tous les Al anachs de Spectacles. La
multiplicité des Théâtres doit le rendre à la fois
plus étendu & plus intéreffant Il offre de la
méthode & de l'exactitude , il ne contient guere
que des faits , des noms , des dates , ce qui eft
le mérite propre à ces fortes de Recueils , & l'on
n'y remarque pas la partialité , qui eft aujourd'hui
le vice dominant de la plupart des compilations
de ce genre.
FRANÇAIS.
83
Tableau général , raisonné & méthodique des
Ouvrages contenus dans le Recueil des Mémoires
de l'Académie Royale des Infcriptions & Belles-
Lettres , depuis fa naiffance jufques & compris
l'ann'e 1788 , frvant de Supplément aux Tables
de ce Recueil. Ouvrage néceffaire pour compléter
la Collection des Mémoires de l'Académie ; par
M. D .... in-4° . A Paris , de l'Imprimerie de
Didot l'aîné , rue Pavée St- André-des- Arts .
La méthode que l'Auteur a fuivie , en claffant
par genres les d fférentes matieres traitées dans
les Mémoires de l'Académie , nous paraît la
mieux entendue, & la plus commode pour trouver
promptement dans cette iminenfe Collection les
morceaux dont on peut avoir befoin.
" Leçons de Navigation par M. Dulaguer ,
Profeffeur d'Hydrographie au Collège Royal de
Rouen , &c. 4e, édit on , revue & augmentée par
l'Auteur. Se trouve à Paris , chez Barrois l'aîné ,
Libr. quai des Auguftins .
Cet Ouvra e fait par un homme qui poffede
à fond toutes les co naiffances relatives à la
Navigation maritime , doit être de la plus grande
uilité à tous Capitaines & Chefs de la conduite
des vaiffeaux . Il renferme auffi un Recueil de
Tables aftronomiques fort exactes , & une antre
Table de la différence des Mér diens , entre
l'Obfervatoire Royal de Paris & les principaux
lieux de la Terre , avec leur latitude & hauteur
du Pôle.
On trouve chez le même Libraire les Principes
de Navigation , du même Auteur.
MERCURE FRANÇAIS .
MUSIQU E.
Concerto à Violon principal , deux Violons
obligés , deux Ripienni , deux Hautbois & Violoncelle
, les Cors ad libitum ; dédié à M. Davaux ,
par M. de Valernes fils , Opéra 3e . Prix , 4 liv .
4 f. port franc. A Paris , chez M. Porro , Editeur
de Mufique , rue Tiquetonne , N° . 10.
Ouverture de la Cofa rara , arrangée pour une
Guitare & un Violon ; par M. Porro. Prix , 36 f.
pour Paris & les Départemens . A Paris , chez M.
Porro , Profeffeur & Editeur de Mufique , rue
Tiquetonne , Nº . 10 .
N. B. On s'abonne chez lui en tout temps
pour les Journaux de Guitare & Violon , & les
Délaffemens de Polymnie. Prix , 18 liv . par année
, chacun port franc. I envoie dans les Départemens
toute efpece de Mufique par la Pofte ,
en payant exactement le prix marqué fur l'Exemplaire.
Ouverture du Démophon , de Vogel , arrangée
pour une Guitare & un Violon ; par M. Porro.
Prix , 2 liv. 10 f. pcur Paris & les Départemens ,
franc de port. A Paris , chez M. Porro , Profufleur
& Editeur de Mufique , rue Tiquetonne , No. 10.
CHANSON.
TABLE.
Charade, Enig. & Log.
Traité Philofophique.
61 Spectacles.
63 Notices.
651
82
1
MERCURE
FRANÇAIS.
SAMEDI 25 FÉVRIER 1792 .
PIECES FUGITIVES.
COUPLET
A une jeune Demoiselle , à qui l'émulation
fait répandre des larmes ,
AIR : On compterait les diamens , &c.
Vous vous plaignez de vos talens ;
Nous en admirons la meſure .
Nous favons bien qu'avec le temps ,
L'étude embellit la Nature .
La fleur , dès le premier rayon ,
Ne peut pas briller toute éclofe .
Vous n'ètes encor qu'un bouton ,
Mais qui plaît autant que la Roſe ,
( Par un Abonné. )
Nota. Le prix de ce Journal eft actuellement
de 36 liv. pour les Départemens , l'Affemblée
Nationale , par fon Décret du 17 Août 1791 ,
en ayant doublé les frais de port.
No. 8. 25 Février 1792,
E
86 MERCURE
***
A MADAME
D
Es antres du Nord ,
Le fougueux Borée ,
Dans cette contrée ,
Nous fouffle la mort.
>
Sa bruyante haleine
Seche nos côteaux
Glace les ruiffeaux ,
Ravage la plaine.
Par les noirs frimats ,
Pomone exilée ,
En d'autres climats ,
S'enfuit défolée .
Sur nos humbles toits ,
La neige entaffée ,
Depuis plus d'un mois
Par le froid glacée ,
De l'Aftre du jour
Brave le retour .
La terre eft cachée ,
Les bois défeuillés
Les canaux gelés ,
L'herbe defféchée.
Hommes , animaux ,
Tout ici murmure
De l'excès des maux
Que le corps endure .
L'Amour , par ma voix ,
A déjà lui -même
Rappelé cent fois
Le Printemps qu'il aime.
Quand Flere viendra
Derer nos campagees ;
SIBLIONS
RELA
FRANÇAI S.
Quand , fur nos montagnes ,
Silvain bondira ;
Quand la tourterelle
Au bois chantera
Ton Amant fidele
Chez toi volera.
La gaîté dans l'ame ,
Plein de mes défirs
J'irai de ma flamme
Chanter les plaifirs ;
J'irai te décrire
Mes ennuis préfens ,
Et faire fourire
Tes défirs naiffans .
Suivi du myftere ,
Sans bruit , fans fracas ,
Le Dieu de Cythere
Conduira nos pas
Dans un bolquer fombre ,
Où du haut des Cieux ,
Loin des curieux ,
La nuit de fon ombre
Couvrira nos jeux .
Pour nous , dans ces lieux ,
L'onde fugitive
Son cours fufpendra ;
La Nymphe attentive
Précipitera
Sa marche craintive ;
Progné ceffera
Sa chanfon plaintive ;
Echo fe taira ;
Le jour finira
ذ
Amour chantera
Tout ce qu'il verra.
( Par un Abonné, 】
E 2
8 MERC.U. RE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphę du Mercure précédent.
La mot de la Charade eft Paſſe - temps , celui
de l'Enigme eft l'Amour , & celui du Logogriphe
eft Rêve , ôté (r) refte Eve.
CHARADE.
LECTEUR , ne fais pas mon premier ,
Si tu veux être mon dernier ,
Sans quoi tu feras mon entier.
( Par un Abonné. )
ÉNIGM E.
On trouve perte & gain , vice & vertu chez moi .
Bien loin de fes couleurs j'écarte la peinture ;
Je fépare un palais de fon architecture ,
Et place l'Athéifme au deffus de la Foi.
Je fais avant la mort avancer le convoi ;
Mais j'étale en leur ordre & l'Art & la Nature ;
Et fans confufion , fous même couverture
Je loge également le Berger & le Roi.
Bien des gens , dont pourtant on chante les louanges,
Se trouveraient fouvent dans des peines étranges ,
FRANÇAI S. 3 .
Si je ne leur prêtais un utile fecours .
Mais n'appuyez pas tant fur ces difcours frivoles ;
A moi dans le befoin fi vous aviez recours ,
Vous n'en pourriez jamais tirer que des paroles.
LOGOGRIPHE A TÊTES.
SOUVENT on me reproche, & non fans fondement ,
D'avoir , pour me vanter , recours à l'impoftare :
Hé bien ! pour cette fois, mon cher Lecteur, je jure
De me montrer fans fard & fans ménagement.
Sur un corps machuré , léger & circulant ,
J'ai fix têtes qui font de ma faible ſtructure
Une hydre dont ta bourfe eft l'unique pâture ,
Qui butine par- tout avec avidité ,
En leurrant l'avarice & la cupidité.
2
De mes têtes , Lecteur , crains la métamorphofe ;
Un poifon végétal de leur tout fe compoſe ;
Mets deux têtes à bas , & de mortel venin ,
Je deviens à l'inftant un fameux affaffia ;
Si deux têtes de plus roulent dans la pouffiere
Malgré ces deux échecs , la race meurtriere
Dans mes débris fait naître un parafite ailé ,
Par qui l'humble bétail eſt ſouvent harcelé ;
Si des deux derniers chefs ta main tranche la vie ,
De mon cadavre enfin fort une maladie :
Mais auffi je crois faire une bonne action
En difant que je fuis fans feinte & fans façon .
༡༠ MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ACCORD de la Religion & des Cultes
chez une Nation libre , par CHARLESALEXANDRE
DE MoY , Député-
Suppléant à l'Affemblée Nationale. A
Paris au Presbytere de St - Laurent
chez Garnery , Libr. rue Serpente ;
shez tous les Libraires qui vendent les
Nouveautés. Brochure in- 8 ° . de 141 pag.
Prix , liv. § f
LE titre de Prêtre & celui de Philofophe he
s'excluent pas néceffairement. Fénélon dans tous
fes Ouvrages , & l'Abbé Fleury dans fes Dif
cours , l'ont affez prouvé . On en pourrait citer
des exemples moins éclatans ; & même on faid
dans la Société que bien des Prêtres n'ont pas
dans la tête les préjugés de leur robe . Ce qui
eft rare & méritoire , c'eft de ne pas les pro
feffer , quand on n'y croit pas ; car il eft trop
sûr qu'il y a beaucoup plus d'hypocrites que de
dupes & de fanatiques , parce que nos lumieres
en général font plus avancées que nos mours.
Je ne ferais donc pas étonné que plus d'un
Confrere du digne Curé de St - Laurent au fond
pensât come lui ; mais il ofe publier fa penfée ,
& c'eft fur-tout ce dont il faut lui favoir gré.
Il commence par relever cette faute capitale
où eft tombée l'Affemblée conftituante , faute
trop tard fentie , mais excufable par les motifs
FRANÇAI S.
OF
& les circonftances ; d'avoir reconnu en France
un Clergé conftitutionnel , lorfqu'on refufait d'y
reconnaître une Religion dominante ; contradiction
évidente que tous les bons cfprits ont d'abord
apperçue . Mais nos Légiflateurs craignirent
, non fans fondement , d'aliéner même cette
partie du Clergé qui s'était déclarée pour la
bonne caufe , & qui , fi l'on n'eût pas affuré
fon état , pouvait fe réunir à nos ennemis . Sans
cette politique néceffaire , on n'eût sûrement pas mis
au nombre des Fonctionnaires publics les Prétres
Catholiques , qui ne font pas plus Fonctionnaires.
que tous les autres , dans un pays qui admet
également tous les Cultes ; on nc leur aurait
décerné un traitement qu'à titre d'indemnité , ce
qui était jufte & raifonnable , parce que celui
qui a pris un état fur la foi publique , doit être
dédommagé , fi la puiffance publique détruit cet
état .
C'eft de ce principe , qu'il n'y a point en
France de Religion doininante , que part notre
bon Curé , pour tirer toutes les conféquences qui
font la matiere de fon Ouvrage , & fur lefquelles
il fonde l'accord des divers Cultes avec
La Liberté , & l'accord de la Religion Catholique
avec tous les Cultes chez un Peuple libre ..
I penfe que la Nation a le droit de les furveiller
tous , parce qu'elle a le droit de profcrire
tout ce qui pourrait être contraire aux
Loix & aux bonnes moeurs ; par exemple ( ditil
) le célibat , qui eft contraire la Nature &
par conféquent aux moeurs. Il ne veut point que
les Magiftrats afliftent en Corps aux cérémonies
religieufes , parce que ce ferait fanctionner en
quelque forte par leur préfence un Culte plutôt
qu'un autre , & que tous font égaux aux yeux
de la Loi. Il ne veut point ( & il y a long
E
4
92 MERCURE
temps que fon vau là-deffus eft celui de tous les
hommes éclairés ) que l'état civil de chaque
individu foit cerftaté par les Miniftres du Culte ,
ni par conféquent qu'ils tiernent le Regifire des
Daiflances , des morts , ri des mariages : tout cela
doit appartenir aux Magirats.
ל כ
» Il ett temps , dit -il très -judicieufement , il
eft temps de féparer les rapports trop multipli's
» des Peuples avec les Pretres , & d'ôter à ceuxci
les moyens de féduction , trop faciles &
fans ceffe reraillans , dont ils favent fi habilement
profiter. L'efprit du Sacerdoce cft un
cfprit de domination . En général , tout Frêtre
eft intolérant & ne voit que fon Culte ;'
jamais il ne reconnaîtra d'autre Autel que ce-
» lui qu'il encenfe , d'autre Divinité que celle
qu'il adore. Qui n'a point fa Religion n'en
» peut avoir aucune quiconque ne facrifie pas
avec lui , eft un impie quiconque ne croit
point avec lui , à fes yeux ne peut être qu'Athée
. C'est parce que ces deux chofes , le civil
» & le religieux , ont été trop long - temps &
» trop fortement liées enſemble' ; c'cft parce que
ל כ
כ כ
notre fort politique , notre exiſtence civile , a
» été trop long-temps entre les mains & dans
la dépendance du Sacerdoce , que les Prêtres
font devenus fi puiffans , & qu'aujourd'hui ,
fans richeffes , abandonnés du Peuple qui rougit
maintenant de fes fuperftitions , ils nous

» effraient encore «<,
Il n'a que trop raiſon , & c'eſt pour remédier
à ce mal qu'il propofe tous les moyens d'oter
aux Prêtres toute efpece de caractere public ,
de les réduire abfolument au niveau de tous les
Citoyens qui n'ont point de fonctions légales ,.
de les regarder comme les deffervans particuliers
de tel Culte particulier , payables & payés
FRANCAIS. 93
par ceux qui ont adopté ce Culte. Ce n'eft
pas tout pour que ce Culte , quel qu'il foit ,
n'ait rien de cette folennité qui donne au Sacerdoce
une influence autre que celle qu'il doit
avoir , & qui doit fe borner à l'intérieur des
confciences , il demande que l'on renferme dans
l'intérieur des Temples tous les Rites de chaque
Religion ; qu'on n'aille point dans les rues
dans les places , dans les carrefours accoutumer
les Citoyens à cette vénération publique qui
n'eft due qu'au pouvoir de la Loi : la Loi cft
pour tous , & la croyance eft à chacun. Le
Citoyen , de quelque Religion qu'il foit , Catholique
, Proteftant ou Juif , doit refpect à
récharpe municipale ; mais le Catholique feel
en doit au Saint Sacrement. Si la Secte Catholique
porte fon Ciboire dans les rues , la Secte
Juive a droit d'y porter fon Arche d'alliance
& les uns fe moqueront du fymbole que vé
réreront les autres, Notre Curé ne veut donc
pas que les Prêtres de l'Eglife Romaine colportent
par la ville leur Saint Sacrement avec
l'appareil d'un dais & d'une clochette qui ordonne
la génuflexion . Il ne veut point que , hors
des Temples , ils aient un coftume réputé vénérable.
Il dérerait que lorfqu'ils vont vifiter un
malade pour l'adminifurer , ils portaffent , à
l'exemple des premiers Fideles , le pain myftique
fur leur poitrine fans doute il n'en aurait pas
moins d'efficacité ; car ce n'eft pas le dais &
le Porte - Dieu qui la lui donnent. Il s'éleve
contre les Proceflions , & j'avoue que c'eſt un
facrifice qu'on aura peut - être quelque peine à
obtenir du Peuple. Ces Proceflions ne déplaifaient
pas même à ceux qui ne font pas fuperftitieux
. J'ai toujours aimé ( & je ne fuis
pas le feul ) la Proceffion de Saint - Sulpice . La
ES
,
94 MERCURE
Fompe m'en a toujours paru impofante & faite
peur parler à l'imagination . La richeffe des or-
Remers facerdotaux , ces jeunes gens en longues
tuniques blanches , avec leurs ceintures bleu
célette ou couleur de rofe , & des corbeilles de
fleurs dans leurs mains , le jeu régulier des
encenfoirs s'élevant tous enfemble dans l'air à
un fignal donné , les parfums répandus dans les
rues 5 l'harmonie des chants religieux , & ce
dais magnifique. fous lequel le Célébrant porteverticalement
ce cercle à rayons d'or, qui repréfente
fi bien le foleil , qu'il n'y a point d'A
Latique , qui , voyant ce ffppeeccttaaccllee , fans être
d'ailleurs inftruit de rien , ne s'imaginât que
rcus adoron's le Soleil , & que c'eft l'éclatante
image de cette Divinité , qui , dans les mains
du frêtre , fait tomber tout le Peuple à genoux ;
tout cet, enfemble , il faut l'avouer , a quelque
chofe de majefluerx & de touchant qui m'a
toujours frapie . Je me fouviens que le Philofophe
Diderot était auffi un grand admirateur de
res Proceffions : Elles font fort belles , difait- il ,
elics ont même quelque chofe d'antique ; il n'y
manque que le Jupiter de Phidias ; mais ils ne
lent pas.
M. de Moy , qui apparemment a l'imagina
tien moins tendre que Diderot & moi , profcrit
abfolument les Proceffions ; & je fuis de fi
bonne compofition , quand on raifonne , que je
cfins à les lui abandonner . Sa grande raiſon ,
cft que les autres Religions ont auffi le droit
de proceffionner ; & que fi elles fe mettaient à
Fexcrcer , comme cela pourrait arriver tout naturellement
, on verrait dans les rues un étrange
gerfit. Il est sûr qu'il pourrait y avoir combata
curance entre l'ancien & le nouveau Teftament
, comme on l'a vu plus d'une fois pour la
FRANÇAIS. 25
prééminence des bannieres , avant que la Police
eût pris toutes les précautions imaginables pour
que les Proceflions ne fe rencontraffent pas. C'eftfa
qu'il s'eft fait autrefois tant d'exploits mémo→
rables , fameux dans le bon temps , mais un peu
oubliés dans le nôtre ; c'eft - là que les Sacriftains
& les Porte - Croix ont acquis dans leur
quartier & dans leur famille une réputation qui
s'y conferve même encore J pour avoir fait
triompher , à grands coups de poings , la banniere
de leur Paroiffe ; c'eft ce qui a immorta-
Life Boifrude , dont l'Auteur du Lutrin a dit en
beaux vers :
Illuftre Porte-Croix , par qui notre banniere
N'a jamais , en marchant , fait un pas en arriere
C'était-là en effet le point d'honneur du Corps ,
& il fallait mourir fous les coups plutôt que de
céder le pas :
Abîme tout plutôt ; c'eft l'efprit de l'Eglife ,
nées
dit encore ce même Boileau , qui favait ce qu'il
difait , & qui connaiſfait bien fes Héros . Si ce vers
( pour le dire en paffant ) , fi ce vers qui , en fi
peu de mots , contient ce qu'on a peut-être jamais
dit de plus fort de l'efprit dominateur du
Sacerdoce , avait été fait , il y a quelques anpar
un Philofophe , quel vacarine il aurit
excité ! c'eût éré un attentat , un facrilege qui
aurait foulevé toutes les Puiffances. Mais c'étain
le dévot Janfénifte Boileau, & perfonne n'a rien
dit. On ne remarque pas affez ces contraftes &
ces contradictions qui font l'hiftoire de Pefpric
des Gouvernemens dans différentes époques..
L'Auteur fait une remarque très - Gentle für kes
£ 6
J
96 MERCURE
coftumes monafliques. » L'efprit de St. François
eft dans fa robe ; l'efprit de St. Dominique
eft dans fon habit ; l'efprit de St. Bernard eft
» dans fon froc : ainfi des autres « . Rien n'eft
plus vrai , & c'eft bien connaître les hommes. Il
y a pourtant ici une petite difficulté , Le Moine
qui eft refté dans fon couvent , avec fon froc
& fa penfion , dira qu'il n'a pas le moyen de
fe faire tailler un habit féculier. Je ne connais
point de réponſe à cette objection que M. de
Moy n'a pas prévue . Je l'invite à y réfléchir ,
lui & tous les honnêtes gens qui font las de
voir vaguer dans les rues tous ces coftumes bizarres
, qui reflemblent , pour la plupart , à des
grotefques & à des fantaifies de Peintres.
,
M. de Moy, s'appuyant toujours fur les mêmes
argumens , foutient que la Nation ne doit
prendre aucune part , en tant que Nation , aux
Rites des différens Cultes admis dans fon fein ,
ni par conféquent permettre qu'on affiche des
Mandemens, des Inftructions paftorales , & c . toutes
chofes qui devant par leur nature être reftreintes
dans le cercle des individus attachés à telle cu
telle croyance , ne doivent jamais avoir aucun
caractere d'autorité publique , comme l'avaient ,
dans l'ancien régime ces Mandemens d'Evêques
, qui finiffaient fi ridiculement par ces formules
de fouveraineté : A ces caufes , nous voulons
, ordonnons & enjoignons , &c . ». Comment
» ( s'écrie notre Curé ) , comment des gens qui
» fe difent fucceffeurs des Apôtres ; c'elt-à-dire ,
» de gens fimples , qui n'ont jamais cfé commander
à perfonne , ofent-ils ordonner? Les
Apôtres n'ont jamais écrit de Mandemens : il
ne nous refte d'eux que des Epîtres ; c'efi -àdire
,, des Lettres ; & dans ces Lettres , ils
priaient , ils exhortaient , ils conjuraient ; &
כ כ
כ כ
ל כ
FRANÇAI S. 57
50
puis c'est tout «. Il faut efpérer que d'après
ces réflexions de M. de Moy , qui font celles
du bon fens , on ne fouffrira plus ces arrogantes
ufurpations de la Puiffance fouveraine , & que
les inftructions que les Evêques & les Curés jugeront
à propos d'adreffer à leurs ouailles ,
feront publiées que dans l'enceinte des Eglifes
de leur District , comme le défire le fage Curé
de St-Laurent.
ne
On ne faurait lui contefter non plus une
autre de fes conclufions , c'eft qu'aucune des
Fêtes d'aucune Religion ne doit être Nationale ;
c'eft-à -dire , obligatoire & univerfelle , ni entraîner
la ceffation de travail , ni prefcrire aueune
obfervance publique . Comme le Juif peut
ouvrir fa boutique le jour de Pâques , & le Proteftant
le jour de la Fête-Dieu , le Catholique
peut ouvrir la fienne le jour du Sabbat ; il s'enfuit
que la Nation ne fe mêle point de tout
cela ; & que chacun , fuivant fa confcience , fait
comme il l'entend. On fait bien qu'en Angleterre
& dans les pays Protefians , l'obfervation
du Dimanche & des Fêtes eft de Police ;
mais il faut toujours en revenir au principe de
l'Auteur . En Angleterre , il y a une Religion
Anglicane dominante , un Clergé Anglican : dans
d'autres pays , telle Secte Proteftante , foit Calvinifte
, foit Luthérienne , eft reconnue dominante
, & tout le refte en eft la conféquence .
En France , cela n'a point lieu ; & quand on
n'admet point le principe , la conféquence doit
étre rejette .
On objecte qu'il faut à ceux qui travaillent
des jours de repos : foit ; mais c'eft à chacun
de les choifir fuivant la croyance . Le Dimanche
doit fuffire de refte à toutes les Sectes Chrétiennes
; car c'eſt donner à l'oifiveté la feptieme
9
MERCURE
partie de l'année . J'en concluerais ce que l'Aurteur
a oublié ; c'eft que dans le Rit Catholi
que , il faut abfolument placer au Dimanche
routes les Fêtes que l'on voudra conferver. Le
temps & le travail font bien précieux , & c'eſt
Teur ôter affez que d'accorder au loifir cinquantedeux
jours de l'année .
Le courageux réformateur , ardent à brifer
toutes les entraves prétendues religieufes & réellement
facerdotales , ne voit aucune raifon pour
que les Prêtres s'emparent de nos corps quand
nous re fommes plus , & difpofent de notre fépulture.
Ils ont ufurpé ( dit - il ) le droit de
nous inhumer , & après nous avoir tour-
» mentés pendant la vic , ils ont encore exigé
» que nos reftes fuffent tranfportés dans une enceinte
de leur domaine , dont ils nous fai-
» faient chérement payer la prife de poflef-
» fion ; en forte que vifs ou morts , nous ne
pouvions nous fouftraire à leur empire , ni
repofer en paix qu'à l'ombre finiftre de leur
jurifdiction. C'eft ainfi qu'après nous avoir
» attachés à leur glebe pendant toute la vie
ils avaient trouvé le moyen de nous y fixer
» pour toujours , après notre mort «<.
ככ
ל כ
"
Vraiment c'était-là un des beaux fleurons de
leur couronne ; il faut en convenir à leur
gloire ils ont circonvenu la pauvre humanité
de tous les côtés par où l'on peut s'en rendre
maître , & l'on ne peut pas dire que les enfins
de lumière n'aient fupérieurement entendu leurs
intérêts . La terreur de l'avenir nous fuit jufqu'au
dernier moment , graces à notre éducation , &
notre vanité nous intéreffe à nos cendres , graces
à notre fottife. Hélas ! faut- il tout dire Oui ,
l'on peut , pour donner une grande leçon , révéler
une petite faiblefle d'un grand homme. l'ai

FRANÇA I S. 9.9
ود
entendu Voltaire , attaqué d'un crachement de
fang , trois mois avant fa mort , crier de toute
fa force , un Confeffeur , un Confeffeur. Aflurément
ce n'était pas la peur qui le tourmentait F
on l'a bien vu depuis mais pourquoi voulaitil
un Confeffeur ? Ils me jetteront à la voirie
difait- il , & cet homme qui était sûr que partout
où feraient fes reftes , la Poférité équitable
Les vifiterait avec refpect , voulait être enterré
dans une Eglife , & , pour obtenir ce frivole honneur
, confentait à une momerie , indigne d'un
honnête homme , qui ne doit en aucun cas profeffer
ce qu'il ne croit point . Il fe confeffa en
effet , comine chacun fait ; & ce fur inutilement..
H figna une belle profeffion de foi , & ce fut:
encore inutilement. Mais pour cette fois , ce furent:
les Prêtres qui le conduifirent comme des fots , &
la haine l'emporta fur la politique. Les Jéfuites ,
plus fins , ne manquerent jamais de publier
que tous ceux qui étaient morts entre leurs
mains avaient fini comme des Saints. Ils firena
imprimer une Relation de la mort & de la converfion
du célebre Montefquieu , quoiqu'il fe
für moqué du P. Routh , & qu'on cût pouffé
par les épaules hors de l'appartement du Philofophe
ce Capelan qui fe donnait des airs de
Miffionnaire & de convertiffeur. Qu'importe 2
tous les affiftans au prône de la Paroiffe n'en
crurent pas moins que Montefquieu s'était converti
à la mort , comme font toujours ces grands
Fibertins. L'Archevêque de Paris , Beaumont , &
le Curé de St- Sulpice , avaient bien plus beau
jeu. Ah ! fi j'avais eu l'honneur d'être alors Curé
de St- Sulpice , quel beau jour ! quel triomphe !
j'aurais monté en chaire , tenant à la main cer
écrit de Voltaire , où il protel e » qu'il veut vivre
>> & mourir dans le fein de la Religion Catho100
MERCURE
"
lique où il eft né , & que s'il a eu le malheur
de l'offenfer par fes Ecrits , il en demande
pardon à Dieu « J'aurais pris pour texte de
mon Sermon » Il y aura plus de joie dans le
» Ciel pour un Pécheur qui fe convertit , que
Four quatre- vingt-dix-neuf Jues qui n'ont pas
befoin de converfion «. J'aurais lu l'écrit à
haute voix ; & quel fujet pour un Sermonaire !
quel exorde ! quelle péroraifen ! c'était vraiment
une bonne fortune d'Eglife , c'était le tour le
plus cruel à jouer à la Philofophie , & jamais
rien n'aurait été d'un plus grand effet & n'aurait
fait plus de bruit. On aurait crié dans les rues
la converfion du grand impie ; on aurait mis en
Cantique la converfion du fameux Voltaire , qui
aurait fait pleurer toutes les bonnes femmes ; je
l'aurais fait chanter à fa porte.... Les pauvres
gens n'eurent pas tant d'efprit. La manie de fignaler
leur pouvoir , & de difputer à leur ennemi
quelques pelletées de terre bénie , leur fit manquer
une occafion unique tant d'aveuglement
était l'avant-coureur de leur chûte ..
:
Jamais le Clergé n'eut un plus terrible ennemi
que M. de Moy : peut-être les Prêtres fe
rendraient- ils fur les Proceflions ; mais les enter
remens ! les leur ôter , c'eft tarir une des fources
de leur Pactole . L'inexorable Curé prétend que
chacun peut choifir à fon gré le lieu de fa fépulture
, pourvu toutefois que , par des difpofitions
bizarres , il ne choque pas la décence &
l'ordre public hors de ce cas , il doit être
enterré où & comme il lui plaira . M. de Moy
ne veut point que fon corps foit reçu ni tranfporté
par des Marguilliers , des Bedeaux , des
Prêtres. » Ce n'eft point , dit-il , comme Chré-
לכ
tiens que nous nailons ; ce n'eft point non
plus comme Chrétiens que nous mourons. Nous
FRANÇAIS.
ΙΟΥ
» naiſſons hommes , & nous mourons parce que
» nous fommes nés «. C'eſt raiſonner pertinemment,
& il n'y a rien à dire à cette logique ;
mais fi le bon Curé fe fùt avifé de prêcher cette
doctrine il y a quelques années , je crois qu'on
aurait bien pu l'enterrer tout vif. , pour lui apprendre
à parler.
C'eft la Société , felon lui , c'eſt le Magiftrat
qui doit préfider aux convois , aux funérailles ,
& faire exécuter à cet égard les dernieres volontés
du mort. Quant au lieu commun des fépultures
, qu'on appelle cimetiere , il fe range à
l'ancien avis de ceux qui ont propofé de le
tranfporter hors de l'enceinte des villes . Il donne
quatre cimetieres à Paris , à caufe de fon étendue
, & les place aux quatre principales portes
de la ville . Ils feraient entourés d'un mur à hau
teur d'appui , & plantés de cette efpece d'arbres
dont la verdure ne meurt point , & les tombeaux
feraicnt couverts de fleurs. Ses idées là - deffus
font toutes dans le genre antique qui émeut l'imagination
& l'attrifle doucement , au lieu que
la barbarie greffiere des Modernes la révolte &
la fiétrit . Il repcuffe bien loin ces têtes de morts ,
ces offemens en fautoir , ces .fquelettes armés de
faux ; hideux ornemens de nos hideux cimetieres.
» C'eſt ſur nos berceaux , dit - il , qu'il faudrait
» en jeter, des têtes de morts, pour nous appren
» dre alors qu'il faut mourir un jour « . Eh !
non , bon Curé ; pour cette fois , je ne fuis pas
de votre avis. A quei bon ces têtes de morts ?
je n'en veux ni fur nos tombeaux ni fur nos
berceaux. Par-tout cela eft dégoûtant , & nous
n'avons nul befein de têtes de morts pour favoir
qu'il faut mourir,
L'Auteur charge entiérement toute la difpofition
de nos convois . Il propofe de tranſporter
102 MERCURE
les corps à vifage découvert ( & cette circonf
tance eft fort fagement preferite ) fur une el-.
pece
de lit élevé fur un char deſtiné uniquement
a cet ufage . Au lieu des tentures noires , il veut
des voiles blancs , & cela parce que la mort
eft un fommeil , & que pendant l'hiver , qui eft
le fommeil de la Nature , la terre eft couverte
de neige. Cette raifon eft un peu tirée de loin ;
mais d'ailleurs je fuis volontiers pour le blanc
contre le noir , même dans les enterremens .
Foint de torches ; elles ont une odeur infcc2 ;,
les Anciens s'en fervaient ; mais elles étaient
parfumées. Point de chants criards & lugubres ,.
ni de fonneries monotones & affourdiffantes : un
profond filence ou des chants doux & plaintifs.
En un mot , il arrange tout cela fi bien , qu'il
pourrait dire comme Boniface Chrétien :
On aura du plaisir à fe faire enterrer,
Plaifanterie à part , tout fon fyftème d'enterrement
, à la neige près , qui ne fait rien à la
chofe , me parait fort bien ordonné . Ceci n'eft
pas tout-à-fait dans le genre du Sacriftain , qui
terait le grand Livre mortuaire , & qui difait
gravement à un honnête homme de mes amis :
Tenez , Monficur , ne marchandez pas davan-
» tage ; cent écus , & vous aurez un joli petit
» enterrement «. Celui qu'imagine notre Auteur
ne coûtera pas tant , j'en fuis sur , & fera beaucoup
plus joi . Je veux être enteiré de fa façon.
La derniere réf.rme qu'il confeille , & ce
n'eft pas la moins importante , c'eft celle de
rapparcil & de la célébration de nos Fêtes nationales.
Il faut l'entendre fur cet article . » Il
n'y a point de milieu : ou la Nation et toute.
» Catholique Romaine , & alors il eſt tout fim-
ככ
FRANÇAIS 103
ג כ
ple que fes Prêtres foient des Prêtres Romains ,
que fa liturgie foit Romaine , que fon idiome
religieux foit Romain ; en un mot , que tour
fon Culte foit Romain : ou bien la Nation
» n'admet pas plus pour fien le Culte Romain
» que tout autre , & alors je vois une inconféquence
inconcevable même politiquement
parlant de la part de la Nation , à introduire
» & adopter dans fes pompes religieufes , dans
» la célébration de fes folennités , le Culte le
plus intolérant , le plus dominant , le plus préfomptueux
qui ait peut - être jamais exifté , &
» d'en emprunter les Rites , les cérémonies
ג כ
"
לכ
33

jufqu'à fon idiome , jufqu'à fes Prêtres , comme
» fi fans eux ces Fêtes ne pouvaient préfenter
» au Peuple ce caractere impofant de grandeur
» & de majefté qui éleve fon ame jufqu'à l'en-
» thoufiafine , qui difpofe fon l'efprit à l'ado
» ration , & fon coeur à l'amour «
Je ne trouve à redire dans ce morceau que
le mot peut - être : ce n'était pas-là le cas du
doute ; c'eft celui de l'affirmation , s'il en für
jamais. L'Auteur fubftitue à l'Autel , à la Meffe ,
au Te Deum , &c. un mode de célébration abfolument
civique & fraternel : il faut le voir
dans fon Ouvrage ; car cet article eft déjà trap
long, & les idées du bon Curé m'ont entraîné
par leurs rapports avec les miennes. It peut bien
s'attendre à des réfutations , ou plutôt à des
invectives. Quant à moi , je lui ferai quelques
petits reproches d'un autre genre . Comme le
fond de fon Ouvrage eft d'un très -bon efprit ,
qu'en général le caractere de fon ftyle eft d'être ,
clair & naturel , qu'il y a même des morceaux
d'une dialectique preffante , & d'une heureufe
éloquence , je voudrais qu'en nous donnant la
feconde Partie qu'il nous promet , il corrigeât
104 MERCURE
dans la premiere quelques morceaux qui ne font
pas exempts de déclamation , particuliérement
dans la feconde moitié de fa Brochure , où il
s'étend un peu longuement fur les ufurpations
du Sacerdoce dans tout ce qui a rapport à la
mort & à la fépulture. Je voudrais auffi qu'il
effaçât quelques incorrections , quelques termes
néologiques ; par exemple , hommager , qui n'eſt
pas français , & qui ne doit pas l'etre ; fur-tout
qu'il n'affectât pas des inverfions contraires au
génie de notre Langue , qui en admet très -peu
dans la profe. Pourquoi dire , qui des cachots
font le fymbole ? Cela vaut - il mieux que le fymbole
des cachots ? On trouve vingt conf.ructions
de cette efpece. L'Auteur peut être sûr qu'elles
font vicieules , & que de pareilles inverfions
font des fautes , & non pas des beautés . Il ca
a vu , fans doute , dans quelques Novateurs fubalternes
; mais non pas dans les bons modeles.
Il doit prendre garde auffi aux fautes de
langage. Une confiance qui lui eft bien méritée .
Cette phrafe n'eft pas françaife. Mériter demande
le régime direct : il faut abfolument , qu'il a
ou qu'elle a bien méritée .
:
Les fautes de goût font peut-être encore pires ,
heureufement il y en a peu ; mais elles font
choquantes. Les fleuves font figés dans leur lit.
Double faute fizé ne fe dit que des fluides
chauds qui fe fent refroidis , comme le fang
figé , du bouillon figé. De plus , la convenance
eft bleffée . Figer ne s'applique point à un fluide
auffi vafte qu'un fleuve.
Ailleurs l'Auteur prend la peine de nous avertir
que fi un homme demandait à être enterré dans
la Lune , il y aurait nullité dans le teftament.
On pourrait , ce me femble , nous faire graco
de l'exemple.
FRANÇAIS. IOS
9
::
Quand il confeille de tranfporter les morts à
vifage découvert , il en donne d'abord une trèsbonne
raifon c'eſt un moyen de prévenir les
trompeufes apparences d'une fauffe mort , &
l'impreffion de l'air peut diffiper une léthargie.
Mais il fait parler le mort , qui , en regardant
Le Ciel , dit : » Voilà ma demeure ..... Semblable
à tous ces mondes qui roulent dans l'ef-
» pace , déformais j'habiterai les Cieux ce. Voilà
ce que j'appelle une déclamation . L'homme ne
peut jamais être femblable à un monde ; & cela
eft fi vrai , que ce modefte Capucin qui venait
de faire l'étalage pompeux de toutes les perfections
d'un Enfant de St. François , finit dire
par
en s'humiliant : Et pourtant , qu'est-ce qu'un Capucin
devant une Planete ?
SPECTACLE S.
LE Théâtre de la Nation paraît préférer aujourd'hui
aux grands Ouvrages les petites Pieces ,
dont la mife eft plus prompte & le fuccès plus
certain , qui exigent moins de dépenfes & coutent
moins de peines. Prefque tout cet hiver ,
ils n'en ont donné genre . On n'en a
le Retour du Mari ,
pas vu de plus jolies que
par M. de Ségur.
que
de ce
› Un mari , très - eftimable & très - confiant
bligé de faire un voyage d'affez longue durée ,
laiffe avec fa femme aimable & jeune , un jeune
homme dont il a formé l'éducation . Une paffion
violente eft entrée dans le coeur du jeune homme ,
& la femme elle-même n'y a pas été tout-à-fait
106 MERCURE
le
infenfible ; elle a eu au moins la faibleffe d'en
fouffrir l'aveu qui lui eft répété chaque jour .
C'eft dans cette difpofition des cours que
mari revient. L'embarras que caufe fa vue lui
fait affez deviner ce qui fe paffe. Une étourderie
de Soubrette confirme ce foupçon. Il croit
cependant que fa femme n'eft pas coupable , &
il en a bientôt la certitude . Refte le jeune homme
, qu'il aime toujours , qu'il veut ramener &
non punir, Il y parvient dans une Scène charmante
, filée avec un art infini. Sous prétexte
de connaître & de diffiper le chagrin qu'il a remarqué
dans le coeur de fon Eleve , il lui fair
une auffe confidence , & s'accufe d'avoir eu luimême
dans fa jeuneffe le tort d'une ingratitude
affreufe , celui d'avoir voulu féduire la femme
de fon bienfaiteur . Il feint que celui- ci lui en
fit les reproches les plus tendres ; & cette leçon
indirecte produit tout fon effet .
>
Cette Piece , écrite avec toute l'élégance &
la délicateffe poffibles , eft jouée comme la
Comédie eft jouée fur ce Théâtre , par Mlles .
Contat & Joli , par MM , Molé & Dupont.
Dans le N°. prochain , nous donnerons
l'Article du Théâtre de la rue de Richelieu,
1
FRANÇAIS. 107
VARIÉTÉ
.
Au RÉDACTEUR DU MERCURE.
S'IL eft intéreffant , MONSIEUR , de connaître
tout ce qui eft forti de la plume d'un grand
Homme , il importe auffi de ne lui attribuer
que ce qui eft véritablement fon ouvrage ; c'elt
ce qui m'engage à vous dire que les Vers fur
le Prince Edouard , imprimés dans votre N °. 6 ,
fous le nom de M. Turgot , ne font point de
lui ; leur Auteur était un homme de beaucoup
d'efprit , mort depuis long -temps , & qui a toujours
gardé fanonyme.
Ces Vers , dans lefquels Louis XV , & furtout
fa Maîtreffe Mad. de Pompadour , étaient
fort maltraités , exciterent la vigilance , trèsactive
alors , de la Police inquifitive. Une copie
en fut trouvée chez l'Abbé Sigorgne , Profeffeur
de Philofophie dans l'Univerfité , & déjà célebre
par l'excellent Ouvrage des Inftitutions Newtoniennes
le Profeffeur , mandé par le Lieutenant
de Police , reçut l'ordre de déclarer le nom de
l'Auteur , & iur fa dénégation , fut privé de fa
Chaire , & enfermé à la Baftille , d'où il ne
fortit qu'au bout de plufieurs mois , pour être
exilé dans un petit village . Ce ne fut qu'après
un long temps qu'il obtint la permiffion de fe
retirer Mâcon , où il était devenu Grand-
Vicaire & Chanoine , & où il vit encore en
Philofophe , avec une fortune redevenue trèsmédiocre
par la fuppreffion de fon Canonicat &
d'un Bénéfice , faible dédominagement d'une auffi
injufte perfécution , que M. Turgot , qui avait
2
708 MERCURE FRANÇAIS.
été fon Difciple , & qui était toujours resté fon
ami , avait obtenu pour lui.
NOTE DU RÉDACTEUR .
CETTE Lettre eft d'une perfonne refpectable
à tous égards , amie intime de feu M. Turgot ,
& très - digne de l'être. Je favais tous les faits
que contient la Lettre , & j'ai connu l'homme
qui eft ici défigné comme Auteur des Vers en
queftion ; je le voyais fouvent chez Mile. de
L***. J'ai cru alors , comme bien d'autres , qu'il
avait fait ces Vers , jufqu'à ce que des perfonnes
liées auffi avec M. Turgot , m'ont afiuré , depuis
fa mort , que les Vers dont il s'agit étaient en
effet de lui . Ce qui pouvait fonder cette opinion
, c'est qu'il étudiait alors en Philofophie
fous ce même Abbé Sigorgne , qui ne voulur
jamais nommer l'Auteur des Vers , & que M.
Turgot parut dans la fuite fe croire obligé de
le dédommager , autant qu'il était en lui , de
l'injuftice qu'il avait foufferte . Je pourrais ajouter
d'autres particularités & même allez curieufes
mais il me fuffit de faire voir du moins que
j'étais inftruit des faits , quand j'ai attribué ces
Vers à M. Turgot , avec d'autant moins de fcrupule
qu'ils ne pouvaient faire aucun tort à fa
mémoire , puifqu'ils ne montraient en lui que
l'horreur qu'il avait eue de bonne heure pour
l'oppreffion & la tyrannie. Aujourd'hui un plus
grand éclairciffem . et ferait à peu près inutile fur
une chofe d'affez peu d'importance , & qui ne
peut guere être réduite en démor ftration . J'aime
bien mieux m'en rapporter à l'autorité qu'on
m'oppofe , que de défendre celle que j'ai fuivie,
CHANSON HANSON.
A Madame ..
TABLE
Charade , Enig, Log.
8 Accord de la Religion.
85.Spectacles.
881Variétés,
So
105
107
MERCURE.
HISTORIQUE
Ꭼ Ꭲ .
POLITIQUE
SUITE DU RÉSUMÉ de l'Hiftoire.
Politique de l'année 1791 .
QUOIQU'UNE armistice entre les armées
Autrichiennes & Ottomanes eût fuivi l'accord
de Reichenbach , les Généraux Turcs
n'en marchèrent pas moins de défaftres en
défaftres. Le Prince Potemkin prenoit leurs
provinces en les traverfant. Toutes les
contrées fituées entre le Niefter & le Danube
furent envahies ; la priſe d'Akerman
& de Kilia rendit les Ruffes maîtres de
l'embouchure de ces deux fleuves ; Ifmaïl
fut emporté , après un carnage qui attefta
la bravoure défelpérée des affiégés & la
ferocité des vainqueurs. Varna , dernier
port de communication maritime entre
'armée du Grand Vifir & Conftantinople
Nº. 5. 4 Février 1792 .
A
alloit être menacé , & la Bulgarie entamée :
ainfi , les Ottomans fe retrouvoient dans
la fituation critique où le Maréchal de Romanzof
les réduifit il y a 15 ans.
Heureufement , la faifon , & le faccagement
d'Hmail fufpendirent les progrès des
Ruffes . Ce dernier fiége avoit moiffonné
la fleur de leur armée nul triomphe ne
fut plus affreux , plus cher , & par le fait
plus inutile . Tandis que cette efpèce particulière
à l'Europe , de Badauts importans
qui , une gazette à la main , diftribuent
des . victoires , des provinces , des empires
ouvroient le Bofphore à l'Impératrice de
Ruffic , & hui portoient les clefs de Conftantinople
, fes armées haraffées prirent
leurs cantonnemens d'hiver ; la néceffité
prévint toute expédition ultérieure.
L'avenir offroit alors deux problêmes ;
Jun , dé favoir comment les Puiffances
Belligérantes foutiendroient une nouvelle
campagne , en fe combattant avec leur'
épuiferent réciproque ; l'autre , comment
la Porte Ottomane recouvreroit , fans nouvelles
hoftilités , les provinces qu'elle venoit
de perdre ,
2
Son dernier Traité avec la Pruffe , &
les difpofitions de l'Angleterre , lui reffoient
pour dernier appui.
* On ne doit pas perdre de vue le prinipe
qui , dès l'origine , intéreffa ces deux
Puiffances au fort d'une guerre ' qu'on les
( 3.)
foupçonnoit d'avoir encouragée. Elles
avoient formé le plan d'oppofer une bat
lance à la prédomination conquérante de la
Ruffie dans le Nord & au Levant ; elles
avoient brifé les chaînes de la Pologne ,
échauffé l'ardeur du Roi de Suède , menacé
le Danemarck . Mais cette entrepriſe
née de l'ambitieufe turbulence de quelques
Favoris de la Czarine , provoquée par l'a
bus de fa puiffance dans lequel on avoit
entraîné quelquefois cette Princeffe magna❤
nime , nécellitée par l'intimité toujours
plus alarmante des Cours de Vienne & de
Pétersbourg, cette entrepriſe conçue avec
génie , commencée avec fuccès , péricli
toit de plus en plus , & alloit s'évanouir
entièrement..Ov
4
Le Roi de Suède venoit de changer de
maximes le Danemarck ne comptoit
plus ; la Pologne émancipée fe tourment
toit à chercher une pofition , & à fixer
l'ancre de fon Gouvernement ; la mort de
Jofeph II préfageoit un relâchement pro
chain dans les liens des deux Cours Impét
riales ; celle de Berlin chanceloit fur les .
anciens principes de fa politique. De ce
grand projet d'une ligue du Nord , il né
reftoit plus qu'un débris dans les mains
vacillantes de la Porte Ottomane . Ne pou
vant plus lui affurer un rempart durable
pour l'avenir , la Pruffe & l'Angleterre ;
embarraffées de leurs engagement , ne
A 2
4 )
travaillèrent plus qu'à lui acquérir la paix
la moins défavantageufe.
Mais l'Impératrice de Ruffie vouloit la
faire & non la recevoir. Elle s'offenfoit
d'une intervention qu'elle n'avoit point
demandée , dont elle ne connoiffoit pas le
befoin , & dont l'influence lui ſembloit un
au
mémo
milieu
de fes victoires
. Des
mémoires contentieux fe fuccèdoient ; ils
aigrirent le différend. La roideur impé--
rieufe du Miniftère Ruffe , provoqua celle
du Cabinet de St. James . Celui de Berlin
n'hésita plus à fauver les Ottomans par la
force , fi les négociations reftoient infructueufes
fes armées fe raffemblèrent en
Pruffe & en Poméranie : une Efcadre Angloife
fe prépara à faire voile vers la Baltique.
Pendant plufieurs mois cette agitation
, ces mouvemens militaires qui prenoient
un caractère décifif , fixèrent la
follicitude de l'Europe on fe crut à la
veille d'une nouvelle guerre , dont la combinaiſon
embraferoit peut - être le Nord ,
le Levant , & l'Allemagne entière.
Quoique la Ruffie eût tout à craindre
des efforts redoutables qui la menaçoient ,
les Alliés n'étoient pas fans inquiétude. La
Pruffe ne pouvoit compter , que trèsprécairement
fur la neutralité de l'Autriche.
Couronné Empereur , reconnu
fans trouble Roi de Hongrie , redevenu
Maître des Pays-Bas , ce Monarque tem(
s)
porifeur laiffoit le temps fe confumer , fans
preffer la paix définitive avec les Ottomans.
Le Congrès de Siftowe n'exiftoit encore
que dans les Gazettes : tardivement ouvert ,
il ne fervit long- temps qu'à des difputes
préalables : les Plénipotentiaires n'étoient
occupés qu'à demander des explications
fur des difficultés qu'on entretenoit à deffein :
les chemins fe couvroient de Couriers , &
de folutions qui ne réfolvoient rien. Facilement
on pouvoit induire de ces lenteurs
affectées , que le premier coup de canon
tiré entre les Ruffes & les Pruffiens déchireruit
les Actes de Siftowe & ceux de Reichenbach.
i
A cette crainte des projets futurs de
l'Empereur , fe joignoit pour la Pruffe
celle de voir l'Angleterre échapper peutêtre
à fes engagemens. L'oppofition travailloit
à créer des embarras à M. Pitt ;
elle déclamoit contre une rupture avec la
Ruffie , parce que ce Miniftre la préparoit.
Le commerce maritime , celui de Londres
en particulier , pour qui les plus grands
intérêts politiques ne font jamais qu'un
calcul de boutiquiers , alléguoient le ral
lentiffement qu'une guerre fur la Baltique
allcit opérer dans leur navigation. Ces
clabauderies de la cupidité affectoient de
proche en proche , les exportateurs & les
Fabricans. M. Fox Chef du fyftême qui
depuis long -temps , tendoit à raffermir les
A 3.
( 6 )

noeuds de l'Angleterre & de la Ruffie , profita
habilement des inquiétudes du commerce!
une partie refpectable du Parlement partagea
bientôt la répugnance pour la guerre ,
& l'opinion publique annonça que la Nation
n'en appercevoit pas l'utilité.
De tous les Etats de l'Europe , l'Angleterre
eft celui qui a le mieux connu l'art
de contracter des Alliances , pour en éluder
le fardeau , & pour en retirer les bénéfices.
Sa pofition infulaire ne lui permet de
fecourir une Puiffance méditerranée que
par des fubfides. Donne- t- elle des fecours
de diverfion ? c'eft ordinairement pour s'en
approprier les avantages. Dans la guerre
de 1756 , elle aida le Roi de Pruffe d'un
million fterling par an , & de quelques
Régimens envoyés en Allemagne ; mais ,
pendant que les Alliés occupoient fur les
bords du Mein & du Vefer , la plus grande
partie des forces de la France , l'Angleterre
n'ayant à compter qu'avec la Marine affoiblie
de fon Ennemie , lui enlevoit fes Ifles ,
Les Comptoirs , & fon Commerce. Elle
faifoit prefque fans rifques une guerre offenfive
très utile , tandis que fes Alliés
plioient fous le poids même de leurs victoires.
Enfin , lorfque le Ministère Anglois
n'eut plus rien à prendre fur la France &
fur l'Espagne , il figna une paix féparée ,
& abandonna le Roi de Pruffe à fon
génie.
2 -
(62 )
.
Au moment où ces deux Puiffances arrachèrent
la Hollande à la guerre civile, & firent
triompher la Maifon d'Orange par la feule
préſence de vingt mille hommes , la Pruffe
eut la gloire de cet évènement fi honteux
dans les Annales de la fauffe liberté , l'Ahgleterre
en recueillit tout le fruit : elle fe
rattacha les Provinces Unies ; elle rendit
vains dix ans d'intrigues , de corruption ,
& de dépenfes de la part du Cabinet de
Verfailles ; elle fe fubftitua à tous les avantages
que la France avoit fi chèrement
payés. J
Sa politique invariable repofera étetnellement
fur l'intérêt . de fon commerce ,
& fur celui de fa fupériorité maritime.
Nulle Puiffance n'a porté à un fi haut
degré l'égoïfme dans les alliances ; elle
n'en remplira jamais les engagemens , qu'autant
qu'elle pourra le faire avec une utilité
certaine.

D'après ces maximes auxquelles la nature
des chofes ramenera toujours , forcément
, tout Miniftère Anglois qui confulteroit
d'autres mobiles , la Pruffe , à la
veille de rompre avec la Ruffie , comprit
bientôt qu'elle ne devoit attendre de fon Allié
que de fimples démonftrations. A peine
libéré des dépenfes qu'entraîna l'armement
contre l'Espagne , M. Pitt s'effrayoit d'avoir
un nouveau compte d'extraordinaires
à foumettre aux Communes , fans préfen
A 4
( 8 )
ter à la Nation d'autre équivalent , que le
maintien d'une balance politique à laquelle
l'Angleterre n'étoit qu'indirectement intéreffée.
L'Impératrice , bien inftruite de ces obftacles
, les laiffa fe développer. Bientôt les
féances du Parlement & enfuite les incertitudes
du Miniſtère Britannique , app irent
à celui de Berlin qu'il valoit mieux éviter
la guerre , que de la rifquer avec le fecours
d'un Allié flottant . Le Danemarck
fe chargea du rôle honorable de Conciliateur
; car l'aigreur mutuelle ne permettoit
plus de communications directes . Par
cette intervention , les bafes d'un accord
fe rapprochèrent. Oczakof, ce boulevard
de la mer Noire , fur lequel les Ottomans
plaçoient l'efpoir de rentrer tôt ou tard
dans la Crimée , fut facrifié à la Ruffie. On
fauva les formes ; l'Angleterre & la Pruffe
furent admifes en qualité de Parties pacificatrices.
Elles difposèrent la Porte , fous
peine de tout perdre , à accepter les conditions
définitives , & prefqu'au même inftant
, ces préliminaires furent fignés en Valachie
entre les Plénipotentiaires Ruffes &
Ottomans , & à Pétersbourg par les Miniftres
des Puiffances médiatrices.
La moitié de l'année 1791 s'étoit écoulée
dans les négociations contentieufes ,
que termina cette pacification. Des difw.
cuffions moins vives , mais auli difficul
( 9 )
tueufes , firent également languir le Congrès
de Sziftowe . Nul raifonnement plaufible
n'autorifoit à croire à une conciliation
fi prochaine , après des diffentimens
fi opiniâtres ; lorfque tout-à- coup , & par
une espèce d'infpiration fimultanée , les
volontés fe réunirent. Ce fut au mois
d'Août que la paix s'opéra de toutes parts.
Il eft permis de préfumer que l'horible
fituation où le Roi de France fe trouvoit
plongé , pour avoir tenté de partager
à
Ton tour la liberté , dont le defpotifme
populaire embelliffoit la France , accéléra
le rapprochement des Puiffances étrangères.
Pendant que Louis XVI & la Fille des
Céfars étoient pour leur feconde fois ramenés
captifs dans la capitale , avec la
pompe des Sauvages qui viennent d'en- .
chaîner leur Ennemi ; pendant qu'on plaçoit
les limites de trois Empires ; pendant
qu'on pofoit les fondemens d'une
paix générale , l'Empereur , occupé d'autres
feins , alloit revoir les délicieufes contrées
de l'Italie . L'inſtallation du fecond des
Archiducs dans la Régence fuprême de la
Tofcane , fut le notif apparent de ce
voyage. Il est incertain files affreules
infortunes de fon augufte Soeur & de fon
Beau Frère , ramenèrent Léopold II en
Allemagne ; mais il ne l'eft pas qu'aucune
démarche oftenfible , qu'aucune déclara-
-
A S
( 40 )
a
tion de fa part n'annorça qu'il veilloit
fur les prifonniers du château des Tuilefies.
Plus profondément affecté , le Roi
d'Efpagne manifefta fes fentimens ; Cours
& Républiques ne cachoient ni leurs
craintes , ni leur horreur l'Empereur
diffimula les fienres , au point de faire
croire qu'il ne les partageoit pas au même
degré . De retour à Vienne , il fe livia
aux préparatifs préparatifs de fon 'couronnement
à Prague ce fut au milieu des
Fêtes de cette Cérémonie , qu'il apprit que
Louis XVI venoit d'échapper à un jugement
, & qu'on lui permettoit de garder le
titre de Roi , pourvu que fa volonté reftat
captive lorfqu'on élargiroit fa perfonne , &
qu'il fignât , en tenant encore le bout de
fes fers , les Loix de l'Empire fans y concourir.
Les obfcurités de l'Hiftoire contemporaine
ne permettent pas de démêler encore ,
file filencé de l'Empereur fut la combinaifon
d'une prudente follicitude , où le
réfultat de Pindifférence. Peut- être le Cabinet
de Vienne fe repofa t-il fur les pratiques
ménagées à Paris , pour raffaffier
les tigres avec de l'or , & pour fauver au
Roi de France fes jours & fa Couronne .
Peut - être fon intervention lui parut - elle
dangereufe , dans une crife que le délire
d'un infant pouvoit rendre défeſpérée.
Si sulle manifeftation publique de l'Em(
11) )
pereur ne pourvut à tempérer les criminelles
réfolutions dont le Roi de France
étoit menacé , S. M. I. néanmoins , hi
tendit , de Padoue , un fecours , dont les
effets tardifs n'euffent empêché ni le détrônement
de Louis XVI, ni les fuites de
cet attentat. Il s'agit de cette circulaire ,
par laquelle l'Empereur invitoit toutes les
Puiffances , à interpofer leur coalitionentre
S. M. T. C. & les nouveaux Arbitres de la
deſtinée des Rois.
On fent à combien de lenteurs , à combien
d'incidens , à quel ternie reculé aboutiffoit
l'exécution de cette idée. On travailloit
ainfi pour l'avenie , & le préfent
reftoit affreux. Si l'on confidéroit ces pròjet
comme un expedient comminatoire ,
on méconnoiffoit le caractère d'une Démocratie
tumultueufe , où la prévoyance
fuit toujours l'action qu'elle auroite dû
conduire , & pour qui un danger lointain
eft conftamment un danger chime-
Tique.
- Heureufement , la Majorité de l'Affenblée
nationale de France l'emporta fur les
trames des Confpirateurs Républicains , &
l'on n'eut pas befoin de l'Europe , pour
'épargner au vertueux defcendant de
Henri IV , le fcandale & l'atrocité d'un
procès criminel .
Mais cet abîme fermé , une autre
T'ouvroit à côté . Le refus d'accepter la
A 6
( 12 )
the
<
Conftitution replongeoit Louis XVI dans
les mêmes périls . N'anticipons point fur
ce que nous aurons à dire à ce fujet. Rappellons
feulement que l'Empereur , & les
autres Puiffances, ( l'Efpagne exceptée) averties
par fa lettre de Padoue, mais fermant les
yeux fur la fituation critique de la France ,
laifsèrent fon Roi dans l'alternative de figner
les conditions qu'on lui impofoit , ou de
braver les conféquences de fon oppofition.
Dans cet abandon , il figna tout ce qu'on
lui préfentoit, & lorfque cet engagement eut
étérevêtu de la folennité d'une fête publique,
on fe reffouvint à Pi'n'tz des angoiffes de ce
Monarque infortuné. Déférant , pour la
forme , à la fenfibilité , aux inftances im
portunes des Frères de Louis XVI , l'Empereur
& le Roi de Pruffe fignèrent cette
Convention infignifiante & fuperflue , dont
les dernières démarches du Roi de France.
faifoient tomber l'objet. Contens de cette
démonſtration d'intérêt , que les Refugiés
fe hâtèrent de répandre comme un mani
fefte décifif , les deux Souverains fe replièrent
incontinent fur leur précédente neutralité
: pas un de leurs Soldats ne s'ébranla ;
la Conftitution reçue par le Roi de France,
au fortir de fa prifon & fous peine du
détrônement , paralyfa cet accord de Pilnitz
, que les Politiques ont rangé dans
la claffe des Comédies auguftes .
Le véritable but , le but effentiel de cette
( 13 )
conférer ce mystéricute , après avoir pendant
quelques femaines , latigué la pénétration
des Gazettes , ne tarda pas à devenir
manifefte. Là fut pofée la clef d'une Alliance
, méditée entre la Maifon d'Autriche
& celle de Brandebourg. Certes , lorfque
Frédéric II envahiffoit la Saxe , il fe doutoit
peu qu'elle ferviroit un jour de théâtre à
une femblable Révolution : il fe doutoit
peu que far fa tombe fraîchement couverte,
on inferiroit un Traité d'amitié inaltérable
entre fon fucceffeur & le fecond Fils de
Marie Thérèfe. Un grand changement de
circonftances explique ce changement de
politique. Tandis que la médiocrité ignorante
nomme cette Alliance un inceste ,
l'Obfervateur découvre que d'autres temps
aniènent d'autres intérêts ; que les motifs
d'inimitié perfonnelle & de défiance , dans
lefquels vécut Frédéric II contre la Maifon
d'Autriche , ne peuvent avoir été légués
qu'imparfaitement à fon fucceffeur ; que la
conquête de la Siléfie , objet des regrets
du Cabinet de Vienne , & des follicitudes
de celui de Potzdam , eft maintenant affurée
des conà
la Pruffe par des Traités , && par
venances auffi impérieufes que les Traités ;
qu'enfin , à la place de l'ancienne rivalité
des deux Puiffances , les viciffitudes , les
conjonctures , l'aggrandiffement de la Ruffie
, l'anéantiffement de la France , l'ineffisacité
des Alliances avec l'Angleterre ,
( 14
atent un fyftême de paix & de défenfe
mutuelle aux deux Etats prépondérans de
T'Empire. Leur union fera le ciment de celle
de l'Empire Germanique : tant qu'elle fubfiftera
, il eft impoffible qu'il foit divifé ;
il eft impoffible que la Ruffie abuſe de ſa
puiffance ; il eft impoffible que la tranquilfité
de l'Allemagne foit ébranlée de longtemps..
( Le morceau qui doit terminer ce
Réfumé embraffe , ainfi que nous l'avons
dit , les effets de la Révolution de France
fur l'Europe , et les principaux traits de
cette Révolution en 1791. Comme c'est un
ouvrage en quelque forte diftinct du Réfumé,
et qu'il abforberoit plus de la moitié de ce
No. , nous fommes encore obligés de le renvoyer
d'une femaine. )
N. B. Il s'eft gliffé une faute grave dans
la partie du Réfumé qui précède celle- ci . , Faute
d'avoir relu les détails que nous donnâmes dans le
temps , nous avons fait expirer Haffan- Pacha
par le cordon . Cet intrépide Officier eft mort
Grand - Vifir , & d'une fluxion de poitrine dans
fon camp de Beffarabie. C'eft fon Prédécesseur ,
qui avoit fuccédé à Juffuf, que la Porte: fit
étrangler.
( 15 )
FRANCE.
De Paris , le 1 Février.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE .
1
Du lundi 23 janvier.
,
Le procès - verbal de la veille qualifioit bonnement
de prêtre M. Burnet , aumônier de la
garde nationale , qui étoit venu le préfenter
avec fa femme & les enfans , à la barre. M. le
Cointre a demandé qu'on fubftituât au mot prêtre ,
ceuxde père defamille , ce qui réduit abfolument à
rien l'édifiante moralité de la préſentation d'un
homme qui le voua au célibat au pied des autels
, & que la philofophie a porté à fe faire
honneur d'être époux & père : « je ne vois pas ,
a dit M. Lacroix , pourquoi l'Allemblée héſiteroit
à faire mention d'un prêtre, de fa femme
& de fes enfans ; puifqu'elle les a bien admis
Tous cette qualité . Je m'oppofe à la propofition
de M. Lacroix , a répondu M. Claye de
Buc ; des légiflateurs ne peuvent pas marquer
un fi grand mépris pour la religion catholique. »
Auffi la motion de M. Lecointre a- t -elle été décrétée.
Une lettre des amis de la conftitution , de
Nimes , a civiquement dénoncé l'aristocratie , le
Fanatifine & la perfidie de la ville d'Arles « fi
long- temps célèbre par fon amour pour la révo
lution fous l'heureux afcendant de fon refpectable
premier maire conftitutionnel ( M. Antonnelle ) . »
Ces amis implorent une loi qui ne permette
( 16 )
qu'aux armateurs de vaiffeaux de pofféder des
canons en propriété. Le miniftre de l'intérieur
rendra compte , dans huit jours , de l'état d'Arles ,
Le miniftre de la guerre a prononcé un difcours
, où il a infifté fur l'urgence d'un mode
quelconque de recrutement.
Comment faire ceffer l'incomplet de l'armée,
a - t- il dit ? D'après les déerets rendus avanthier
, il ne refteroit plus qu'un ſeul moyen ; un
facrifice d'argent de près de dix millions , pour
tripler le prix des engagemens dont on pourroit
diminuer la durée , & le retard de la levée de
nouveaux bataillons de volontaires nationaux
jufques au moment cu le recrutement de l'armée
fera parfaitement affuré. Ce moyen de recrutement
, ou tel autre également efficace , les
propofitions contenues dans la le tre du Roi ,
la demande que j'ai faite , d'un changement dans
le mode de commar den eut des officiers des vclontaires
nationaux & des troupes de ligne , font
des objets tellement indifpenfables que dans mon
opinion il eft impoffible , fans eux , de fe charger
du département de la guerre. »
« Si l'Affemblée ne remplaçoit pas dans l'armée
les fi mille hommes qui manquent , ma
confcience m'ordonnercit de déclarer à l'Aſſemblée
que je dépofe la refponfabilité d'une guerre dont
les fuccès ne me fembleroient plus poffibles . Je
conjure cependant l'Affembiée de fe demander
encore , quel inexplicable fentiment pourroit entraîner
à vouloir la guerre & à rejetter tous les
moyens d'avoir une armée. Si je pouvois concevoir
la poffibilité de fervir la chofe publique
fans le concours de l'Affemblée , je refterois
malgré fes décifions ; mais ne connoiffant aucun
moyen d'agir que de concert avec elle , n'ayant
»
( 17 )
de talent que four l'exécution des mesures fimples
& ouvertes , je dois me retirer , fi l'Affemblée ne
m'accorde pas ce que j'ai jugé indifpenfable . Me
refufant alors à attendre la honte comme miniftre
, j'irai chercher la mort comme foldat de
la conftitution ; & c'eft dans ce dernier pofte qu'il
me fera permis de ne plus calculer le nombre , ni
la force de nos ennemis . »
On avoit fouvent murmuré ; la de: nière phraſe
a été chaudement applaudie.
Ces preffantes iftances & l'ordre du jour ont
reproduir la queftion encore vierge d'un recrutement
effectif; car , jufqu'alors , l'Affemblée avoit
décrété , non comment elle recruteroit , mais comment
elle ne recruteroit pas.
M. Crablier d'Obeterre a conclu pour des engagemens
de 4 ans , payés 80 & 100 liv .; des
rengagemens de deux ans , payés 60 & 8a liv. ,
& par fubftituer quelqu'autre récompenfe cis
vique au droit d'emporter les armes , qui dégatnirit
impolitiquement les arfenaux de 200,000
fufils.
« L'armée de Céfar , a dit M. d'Averhøult ;
renverfa la république , parce que Rome étoit au
comble de la corruption... Il s'en faut beaucoup
que nous foyons dans cet état d'aviliffement
Ainfi nous pouvons , fans craindre pour notre
liberté, porter au complet l'armée de ligues élec
srifée de patriotifme ». Ici des raifonnemens à
perte de vue ont démontré ce que perfonne n'ignore
, que le civiſme ne fuffit pas pour former de
bonne infanterie & de bɔnne cavalerie . Arrivé
aux moyens à fuppléer à ceux dont l'Affemblée
s'eft fciemment privée , M. d'Averhoult n'a fait
que répéter M. Crublier.
M. Rouillier a vu dans le rappel de tous. es
( 18 )
foldats renvoyés de leur corps , par l'aristocratie
des offi.iers , un complément de 28,000 hommes.
pour l'armée de ligne . ce Ce font , a - t- il dit ,
des foldats patriotes qui ne demandent pas mieux
que d'employer leurs armes contre les officiers
qui les ont chaffés . Leurs adverfaires font à
Coblentz. Ils fauront les connoître , & foyez bien
perfuadés qu'ils ne les rencontreront pas impunément.
De pareilles vues , auffi odieufes en
morale qu'abfurdes dans l'ordre militaire cù l'animofité
radividuelle ne fur jamais le mobile d'un
corps difc pliné , ces vertueux & nobles élémens
de la liberté philofophique étoient bien dignes
des applaudiffemens que leur ont prodigués les
galeries. Mais M. Rouillier oublioit que de fes
28,000 hommes , plus de 25,000 peut - être font
dans les mêmes bataillons de volontaires où le
décret de famedi défend à l'armée de fe recruter.
MM. Lacroix & Carnot ont été d'avis d'abroger
la loi qui autorife les confeils de difcipline
à renvoyer les foldats ; mais tout cela
n'eft pas recruter . On a dit que le comité s'occupoit
d'un mode de formation de dix légions .
Les diverfes propofitions ont été renvoyées à ce
comité toujours militaire .
Une députation de citoyens & de citoyennes
du fauxbourg St. Marceau , de Paris , eft venue
demander que la municipalité furveille les magafins
& empêche que les marchandiſes coloniales
& autres de première néceffité ne foient employées
au détriment du peuple « qui souffre affez
depuis très- long-temps de l'horrible cheité de tous
les comeftibles. » Le préfident , M. Guadet leur
a parlé de refpect pour la loi & de confiance ;
& l'Affemblée a décrété que le comité de com(
19 )
merce feroit entendu demain à neuf heures ,
& que la municipalité de Paris rendroit compte
avant le rapport , des mefures qu'elle aura prifes
contre les accaparemens & contre les att . i tes qu'on
pourroit porter aux propriétés .
La difcuffion continuée fur le recrutement , n'a
produit que 6 articles , dont aucun n'offre un
moyen vraiment efficace.
Du mardi , 24 janvier.
M. Amelor a annoncé que le relevé appro
ximatif des domaines nationaux vendus & à
vendre, au 1. novembre derti r, d'après les états
de 472 diſtricts , monte à 2,038,450,000 liv .
Le procureur général - fyndic du département
du Morbihan , mande que les routes font infestées
de brigands , que la défertion a lieu dans
les troupes de ligne de la manière la plus
alarmante ; que beaucoup de foldats & de jeunes
gens de Vannes paffent à Jerſey & delà en Alle
magne ; qu'un embaucheur , furnommé Mirabeau,
a été arrêté à Saint -Serván , avec 4 foldats du
régiment de Walh qu'il faifoit émigrer : « des
pale -ports ! des paffe - parts ! voilà ce que je
crierai par-deffus les toits. »
Quelques membres ont rapporté les mêmes
plaintes de divers départemens. M. Lecoz a dit
qu'on avoit imprimé en langue Bretonne , une
brochure incendiaire ou l'Affemblée conftituante
eft infidieufement inculpée d'avoir dilapidé les
fonds de l'état . MM. Merlet & Lacroix ont
demandé qu'on décrétât le principe , que les
paffe-ports feront rétablis . L'Affemblée a fermé
la difcuffion , comme fi c'eût été difcuter qu'ériger
un ordre arbitraire en principe , comme fi
déroger à la déclaration des droits c'étoit établir
( 20 )
un principe ; & l'on a décrété que la loi fur les
paffe- ports fera remiſe en vigueur , & que le
comité de légiflation préfentera inceflamment un
mode d'exécution.
M. Pétion , mire de Paris , s'eft montré à
la barre accompagné d'officiers municipaux . Il à
narré tous les faits arrivés depuis jeudi dans la
capitale , ou plutôt il les a gazés de fon mieux.
Groupes dans les places , explofion prochaine ,
murmures fur la cherté du fucre & des denrées ,
force publique réclamée , incendio de l'hôtel de
la Force , fans qu'on fache fi cet accident eft dû
au hafard ou a un deffein prémédité ; activité
des fecours ; le feu éteint ; bruits mal fondés
d'autres incendies , raffemblement du peuple
autour d'un magafin de fucre .... M. Pétion y
accourt , tout le borne au droit facré de pétis
tion . Nouveaux attroupemens , nouvelle harangue,
& les citoyens s'écoulent en paix . Cependant
le corps municipal & le directoire font convo
qués , les avis deviennent alarmans , les muni
cipaux vont par- tout : quelques vîtres caffées
un petit nombre de curieux , tout étoit fini.
Encore des frayeurs ; pas le moindre défordre.
On voit à quel fouverain M. Pétion fait une
humble cour. « Dans cette circonftance difficile
a-t-il dit enfuite fans le douter de la contradiction
, le corps municipal n'a négligé , comme
vous le voyez , aucun des moyens qui étoient
en fon pouvoir pour le maintien de la tranquillité
. Il a arrêté que fes féances tiendroient
fans défemparer , jufqu'à ce que le calme foit
parfaitement rétabli . Puis il a parlé du danger
d'exagérer ces mouvemens, & s'en eft remis , pour
y remédier , à la fagefle légiflative.
Le préfident , M, Guudes , lui a répondu
( 11 )
«Magiftrats du peuple , votre zèle eft inf tigable...
Aufi quelle récompenfe ! combien il eft doux
pour des hommes de bien ' , comme vous , de
pouvoir le dire : un million d'habitans font
heureux par nos foins & nos veilles ! Difcours ,
réponfe & mention Honorable , tout fera envoyé
aux 83 départemens.
*
On a lu une lettre , dont il circuloit plufieurs .
copies , de peur qu'elle ne fe perdît fur le bureau ,
fignée : Jean - François d'Elbec , Américain
citoyen actif, grenadier volontaire , &c. à Paris ,
rue de Charonne , nº. 158 bis . Ce citoyen domicilié
, père de famille, mande que fes habitations
font brûlées , que fes dernières récoltes lui étant
parvenues , il a chez lui 2 millions de fucre ,
un million de café , cent milliers d'indigo , 250.
milliers de coton. Il plaint ceux qui eftiment
affez peu les législateurs pour leur propofer de
rendre des décrets attentatoires à la propriété .
Ses marchandiſes valent aujourd'hui 8 millions ,
elles en vaudront bientôt 15. Il déclare à l'Aſfemblée
& à l'Europe que fa volonté trèsexpreffe
eft de ne vendre à préfent à aucun prix.
« Je le répète bien haut , pour que qui que ce
foit n'en doute. Mais après avoir été incendié
en Amérique , il ne me convient pas d'être pillé
en France . » Pour faire un effai de la conſtitution
, il abjure la force publique de lui conferver
la propriété , la dot de les enfans . De
fréquens murmures avoient interrompu la lecture
de cette lettre que M. Darify a témoigné , fans
réclamations , tenir pour être d'un perfonnage
imaginaire.
Au nom du comité de commerce , M. Monmeron
a fait un rapport fur les moyens de diminuer
le prix du ſucre & du café . La libre im⋅
( 22 )
portation n'auroit point cet effet , preſque tonfe
Europe ne recevant ces marchandifes que de
nous . La défenſe d'exporter nous forceroit à
payer en numéraire 80 millions qu'acquitteront !
nos fucres livrés à l'étranger . Une loi contre
les accaparemens , blefferoit la liberté commerciale
. L'avis du comité eft qu'il n'y a pas lieu à
délibérer.
M. Maffey a propofé d'obliger les caiffes pa
triotiques à dépofer des fonds équivalens à leurs:
émiffions , pour qu'elles n'accaparaffent point
avec ces fonds oififs .
6
Une lettre de M. Bofcary , député de Paris ,
a informé les légiflateurs , fes collègues , qu'on
a caffé toutes les vîtres de fon premier étage ,
fous le prétexte qu'il accapare du fucre ; qu'il eft
affailli de pierres , malgré la garde ; & d'autant
plus furpris de ces avanies qu'il étoit zélé révos
lutionnaire , il invoque la force de la loi . On
a demandé le renvoi de fa complainte au pouvoir
exécutif. M. Thuriot la renvoyoit à la municipalité.
La falle a retenti des huées des galeries .
M. Ducaftel a rappellé le décret des conftituans ,
qui défend aux fpectateurs tout figne d'approbation ,
ou d'improbation ; les huées ont redoublé. Une partie
de l'Affembléc s'eft foulevée ,mais l'autre a préféré
de fe popularifer , à fa manière , en criant a
L'ordre du
jour; & les galeries ont redit , en
chorus : oui , oui ; à l'ordre du jour,
Co Lorfque l'Affemblée conftituante a cédé fa
place à la légiflature , s'eft écrié M. Pigeon ,
elle n'a pas penfé , fans doute , que celle - ci
feroit entourée des huées d'une troupe de vam,
Fires. C'eft la honte de la nation , a dit M.
Lacretelle. Ce font des inftrumens des facticux ,
ajoutoit M. Genty. Je réclame le filence, difoit
--
( 23)
M. Ducaftel , au nom de la loi. L'ordre du jour ,
crioient MM. Lacroix , Vergniaud & plufieuts
autres . « Je demande , a repris M. Ducaftel , fi
ma qualité de repréfentant de 25 millions d'hommes
doit m'obtenir du filence ? » Les galeries
l'ont couvert de huées. « En ce cas , a-t- il dit ,
l'Affemblée n'eft pas libre ; elle ne l'eft que
pour ceux qui aiment cette liberté - là ; elle ne
l'eft pas pour moi . -- L'Aſſemblée conftituante
favoit le faire reſpecter , & vous ne le favez
pas , a obfervé un membre . En ce cas , il
faut fortir & retourner dans nos départemens
a répondu M. Ducaftel.
4-8
On a lu le décret de police ; mais M. Lacroix
a motivé l'ordre du jour , en objectant que c'eft
au préfident à faire refpecterles loix , que la
légiflarure a toléré toutes les fortes de rumeurs .
M. de Vaublanc apropofé d'imprimer le décret
de police en placard & de l'afficher . Les placards
ont été décrétés au bruit des applaudiffemens ,
& le calme s'étant rétabli , on a difcuté le rapporr
du comité de commerce . M. Ducos a dit
que le fucre coûtoit à Bordeaux 290 liv. le quintal
( 58 fous la livre ) ; & fur fa motion , le comité
de légiflation a été adjoint au comité de commerce
, pour s'occuper enſemble d'une loi contre
les accaparéurs .
Cédant le fauteuil à M. Lemontey, M. Guadet
a repris for infidèle rapport contre les 84 prifonniers
de Caen . Il s'eft vu forcé de convenir
qu'aucune preuve n'étoit à leur charge ; &
d'après fes conclufions , l'Affemhlée a décrété :
сс
1º . Qu'il y a lieu à accufation contre
François- Emery Gouet de la Bigne , auellement
détenu au château de Caen , comme pré
( 24 }
venu d'avoir pris part à une conjuration formée
dans la vile de Caen contre la sûreté générale
de l'état. L'Affemblée nationale ordonne , en
conféquence , que le pouvoir exécutif fera traduire
ledit la Bigne , fous bonne & sûre garde
dans les prifons de la haute cour nationale à
Orléans. »
« 2°. Que le fieur Manneville , habitant de
fa maifon de Manneville , près la ville de Caen ,
fera amené à la barre , pour y être interrogé
fur les faits réfultans contre lui de diverſes pièces
faifies à Caen . »
« 3°. Qu'il n'y a lieu à accufation contre les
autres » ( détenus depuis près de trois mois . )
Il a été fait lecture d'une lettre du Roi conçue
en ces termes :
cc
Occupé , M. le préfident , des moyens de
concilier avec l'intérêt du trésor public l'intérêt
des troupes que le paiement d'une partie de
leur folde en affignats jette dans un véritable
embarras , j'ai chargé le miniftre de la guerre
de mettre fous les yeux de l'Affemblée nationale ,
un moyen qui pourroit , en attendant l'émiffion
des petits affignats au deffous de 5 livres , parer
aux befoins du moment. »
.
« Je dois auffi , M. le préfident , appeller
l'attention de l'Affemblée fu: deux objets jugés
par tous les généraux , également importans au
fuccès de nos armes . Ces deux objets font :
1º. La création de huit légions , compofées d'infanterie
& de cavalerie , pour former une avantgarde
, & aflurer les flancs de nos armées dans
les marches fur le terrein de l'ennemi. 2 ° . L'établiffement
d'un corps d'artillerie à cheval , ſuſcoptible
de fournir à notre cavalerie la force qu'a
déjà
( 25 )
déjà acquife celle des puiffances qui ont adopté ·
ce nouveau moyen d'attaque & de défenſe. »
ce Je vous prie , M. le préfident , de com- ›
muniquer , & c.
Signé , LOUIS .
Et plus bas , DE NARBONNE .
. Le miniftre de la guerre a donné quelques
développemens à cette lettre , & a dit que les
généraux croyoient qu'il fe formoit une coalition
entre les bouchers & les boulangers des frontières
, pour refufer aux foldats la viande & le
pain de foupe tant qu'on les payeroit en affigoats
. Tout a été renvoyé au comité militaire.
Du mardi , féance du foir.
сс
Une foi-difant députation de la ville d'Arles ,
eft venue me tre fous les yeux des légiflateurs la
fituation de cette ville , qu'ils ne peuvent voir , a
dit l'orateur , qu'à travers le voile infidèle du
pouvoir exécutif. » M. Antonnelle écrivoit à ces
patriotes : cc Venez vîte m'aider à faire entendre
à l'Affemblée nationale ce qui fe paffe dans la colonie
lointaine des bouches du Rhône . » Perfuadés
qu'il feroit « le plus bel ornement de la tribune
» , ils accourent , M. Antonnelle les fuit.
>
Au lieu de trois difcours qu'il nous promettoit
nous n'avons pu en tirer trois paroles ... Arles &
Avignon font les Worms & fes Coblentz du
midi. » Les patriotes y ont dépofé leurs armes .
les aristocrates s'en font emparés . «<
Le corps
électoral avoit proclamé une croiſade pour nétoyer
les murs d'Arles... Le décret da 13 feptem-.
bre a improuvé le corps électoral , & n'a fuppléé
cette mefura vigoureufe que par l'envoi de trois
commiſſaires qui n'ont fait que fe montrer publiquement
avec les chefs des contre -révolution
No. 5. 4 Février 1792.
B
t
( 26 )
naires , dîner chez l'ariftocratie & fouper chez le
fanatisme, » Demande- t-on des pièces juftificatives
L'orateur répond d'avance qu'il n'y a rien
de plus dérifoire que de renvoyer l'accufateur
devant ceux qu'il accufe. Ses conclufions ont été
la retraite des dragons de Penthièvre inculpés d'incivifme
, & leur remplacement par des gardes
nationales ; le rappel des commillaires ; que la
nouvelle adminiftration foit caffée ; qu'on en
élife une au gré des patriotes ; & que les comités
de furveillance & des pétitions examinent
ces dénonciations & en faffent leur rapport inceffamment.
La députation a reçu les honneurs de la
féance.
M. Delpierre a dit que , chargé de ce rapport ,
il n'avoit vu dans les pièces que les injures des
deux partis , & il a conclu pour la prorogation de
fon filence ; M. Mulot , qu'Arles & Carpentras
lui ont paru de vrais foyeis d'ariftocratie . On a
lié cette affaire à celle d'Avignon , des brigands
peut- être ; & ces débats préparatoires dont le
but visible eft de défarmer les catholiques d'Arles
comme ceux de Nifmes , & c. ont fini par la propofition
adoptée d'entendre vendredi foir un rapport
de. M. Bréard.
Le curé de Maurepas a rétracté fon ferment
& y vit eftimé de fes paroiffiens paisibles ; ce qui
n'eft pas fait pour plaire à tout le monde. Les patriotes
craignant que les parens & les amis du
curé ne fuffent élus municipaux , invitèrent un détachement
des volontaires du département de
Seine & Oife , à verir protéger la liberté des élections
de manière qu'on n'élût que des patriotes ; cette
mefure réuffit. On inftalla les municipaux , & pendant
la meffe , les volontaires apperçurent « un
drapeau empreint d'un écuffon féodal , » lis en
( 27 )
གཡསྔོན་པ་སྟག་ བྱུ་བ་ གལ་
requirent la fuppreffion , quoiqu'ils ne fuffent pas
du lieu même . Le drapeau difparut . Ils partent ,
le drapeau eft appendu de nouveau . Les patriotes
cu avertiffent, bravement les volontaires . Ceux- ci
arrivent , arrachent le drapeau , on le bûle &
l'on danſe autour des cendres , en chantant l'air :
fa ira. Quelque temps après , dix volontaires
réfolurent d'aller inviter le curé de Maurepas à
changer de conduité. Il ne devoit rentrer chez lui
que le foir , en l'attendant ils fe raffraichirent
dans une auberge dite : du tiers- état. Etant presque
fans armes & dix feulement , ils revinrent frapper à
la porte du curé, on leur répondit par des injures . Ces
malheureufes victimes, ces aggrefleus frappent encore,
la porte s'ouvre & comme ils enfranchiffoient
le feuil une fufillade en tua un & en bleſſa trois ou
quatre. On les chaſſe à coups de bâton , lesfemmes
dévotes leur lancent des pierres , on fonne le tocfin,
ils s'enfuyent en emportant le mort & foutenant
les bellés. Revenus en force , ils inveftiffent les
lieux fufpects , arrêtent deux préſumés coupables ,
que le juge de paix fait mettre en liberté ; tant les
preuves étoient claires ! ... L'orateur du bataillon
à raconté tous ces détails au corps législatif & á
dit : Nous fautons mourir pour la patrie ; mais
fachez veiller fur nous. » Avant de rien appro
fondir , on a fait mention honorable de la fageffe
des volontaires . Le miniftre de la juftice rendra
compte de l'exécution des loix fur les coupables.
Quinze nouveaux articles ont completté le décret
relatif au recrutement.
L'engagement fera de 80 liv . pour l'infanterie , de
120 liv. pour la cavalerie & l'artillerie . Le terme
des engagemens fera de trois ans pour l'infanterie,
& de quatre ans pour les autres armes .
Un décret d'urgence a ordonné le paiement des
B2
( 28 )·
appointemens dûs aux officiers & élèves des mines,
& leur continuation proviſoire juſqu'à l'organiſa
tion définitive.
Du mercredi , 25 janvier.

M. Caumont a demandé que le procès - verbal
fit mention honorable de la conduite des municipaux
& de la garde nationale de Caen , à
l'égard des 82 citoyens calomniés , outragés
bleffés , incarcérés , interrogés , détenus contre
toute juftice pendant près de trois mois . M.
Lacroix a appuyé cette motion rémunérative de
l'anarchie , & on l'a décrétée .
Après la lecture d'adreffes d'admiration au
fujet du ferment du 14 de ce mois , auffi fublime
, auffi majestueux que celui du jeu de
paume , M. Dorify , voyant que toute la France
S'extafie de tant de merveilles , a propofé aux
législateurs d'imiter l'Affemblée conftituante qui
s'immortalifa modeftement clle- même , par une
médaille qu'elle fit frapper à fes frais....... Les
derniers mots ont excité des murmures . En vain
l'opinant a-t-il affuré qu'une médaille imprimeroit
un grand caractère à l'action , au ferment ,
&c . les murmures ont continué , & l'on eſt paſſé
à l'ordre du jour.
M. Dumolard a dit que la ville de Grenoble
eſt à la veille de manquer de provifions. Effrayés
du difcrédit des affignats , les payſans aiment
mieux garder leurs denrées que de les apporter
au marché. Le blé fe vendant en Savoie pour
de l'argent , on y porte le blé , on y échange
le numéraire , & il ne rentre que des affignats .
Le miniftre a defiré qu'on paie les troupes
en argent , ou que leur perte foit compenſée ;
M. Granet forme aujourd'hui le même vou en
( 29 )
faveur des ouvriers des ports & des arfenaux de
marine. Les comités pourvoiront à tout.
Rentré dans la difcuffion fur l'office de l'Empereur
, M. d'Averhoult a long-temps divagué ,
en fe livrant au plaifir de braver les émigrans
difperfés , le prince tonfuréjadis évêque de Strasbourg;
d'élever la hauteur des devoirs au niveau
des deftinées . « La philofophie , a- t-il dit , cette
arme fi redoutable parce qu'elle tire fa force de
la raifon éternelle , exifta avant les trônes , &
règnera fur leurs débris ...... » Voilà pourquoi ,
felon M. d'Averhoult , Léopold n'en veut ni à
la France ni à la conftitution , mais à la philofophie.
De ce tas d'abfurdités , il a tiré des argumens
qui ont prouvé que M. Briffot étoit
encore plus abfurde. Il a donc invoqué la préalable
fur le projet de M. Briffot , comme confondant
Léopold & l'Empereur ; & fur l'amendement
de M. Ifnard. Enfin , il a adopté le
projet du comité réduit à trois articles : 1º . demander
à Léopold des explications claires fur les
bafes de fes alliances pour le maintien de la
sûreté & de l'honneur des couronnes ; 2 ° . le
requérir de reconnoître la conftitution comme
le ful titre qui puiffe valider le traité de 1756 ;
& 3 °. lui donner jufqu'au premier mars , parce
qu'un accident peut retarder un courier . On a
décrété l'impreffion de ce difcours .
M. de Condorcet , que 175 voix venoient d'élire´
vice-préfident , a démontré l'unanime adhéſion
de tous les François à la conftitution , ( même des
d x-neuf vingtièmes qui ne fe font pas rendus
aux affemblées , ) par les adreffes , les complimens,
les clubs , les élections ; & il a affuré que jamais
une conftitution ne fut plus clairement le réful-
B 3
( 30 )
tat de la volonté du peuple. << Comment done,
s'eft- il demandé , les Rois de l'Europe ne voientils
en France qu'un Roi & point de nation ? »
L'académicien avoit dit le moment d'auparavant :
se il femble qu'un prince ait perdu l'amitié de
tous les autres , depuis qu'il eſt devenu l'ami
du peuple qui l'a reconnu pour fon Roi . » Et
fe plaindre enfuite que les Rois ne refpectent ,
ne chériffent , ne voient que Louis XVI ! Jamais
on ne s'eft contredit foi- même avec plus
d'affurance . A l'en croire , toutes les nations qui
ont des conftitutions repréfentatives s'empreffe-
Iont de s'allier à la France.
On nous difpenfeia de rapporter le galimathias
métaphyfique , par lequel il a prétendu
prouver que les deux mots liberté , égalité, donnent
tout , fuppléent tout , font la fource des
profpérités nationales. Nos lecteurs penferont
bien qu'ici la logique de l'opinant ne le nouri
fait pas d'exemples ; tous ces génies travaill.nt
en hypothèſe & pour un monde qui eft encore
bin d'être le nôtre. Enfin , pour dernier paradoxe
, qui peut fervir à mesurer les autres , il
a démontré que l'état de foibleſſe & l'anarchie
de la France , font des calomnies de journalistes ;
que la paix nuit au bonheur public en effaçant
l'impreffion de l'intérêt général par l'intérêt
perfonnel ; & que la guerre , qui fufpend les
Travaux particuliers , renforce l'intérêt commun
& procure ainfi au peuple toute la félicité que
fon excellent coeur lui fouhaite . Il nous a promis
pour alliés les Américains , les Polonois ,
les Anglois..... C'étoient les extravagances de
M. Faucher miles à la glace . Pour conclufion ,
il a expédié par-tout des patriotes chargés de
( 1 )
recueillir les difpofitions des nations ( à la ma→
jorité fans doute ) envers la France , & de
préparer une paix univerſelle digne de l'empire
de la raifon. On a bravement applaudi , &
l'impreffion a été décrétée .
Alors M. Hérault de Séchelles a déployé fa
rhétorique , affuré que le monde , la postérité,
& l'hiftoire vengeront le peuple François de fes
ennemis vaincus & même de fes vainqueurs
s'il pouvoit y en avoir » ; il a repouffé l'avis d'exiger
que Léopold reconnoiffe la fouveraineté de
la nation , parce que ce feroit lui demander une
abdication formelle . Il a trouvé que des explications
claires & précifes , n'étoient ni précifes
ni claires ; qu'exiger les fecours ftipulés ( de
Léopold contre l'Empereur ) ce feroit s'étayer
d'un traité mis en doute par nous - mêmes.
« Comme l'Empereur fait bien, a-t-il dit , que
s'il nous attaque fous le manteau de chef Germanique
, nous ferons une guerre férieufe au
chef de la maifon d'Autriche ; j'en ai concia ,
après bien des réflexions , qu'il falloit éviter de
traiter aujourd'hui cette branche de la queſtion ,
que nous nous réferverons pour le terme trèsprochain
où nous aurons reçu la réponse que
nous demandons à l'Empereur. »
Dans la difcuffion des articles , M. Barenne a
cité Gelon , qui , après avoir défait 300,000
Carthaginois , ne mit à la paix d'autre condition
que l'abolition des facrifices de victimes
humaines. La fienne est la Iberté du monde .
M. de Rochambeau introduit à la barre , a
Fondu enfemble l'expreffion de fa reconnoiffance ,
Les fermens , & le defir de l'armée d'être payée
en monnoie & commandée par des officiers de
ligne. Le préfident lui a répondu : « M. le Ma
"
B 4
132 )
.
réchal , ... vous êtes accoutumé à combattre &
à vaincre pour la liberté . Un père combattant
au milieu de fes enfans ( l'armée ) pour leur
patrimoine , ne peut ni ne doit avoir rien à
craindre. L'Affemblée nationale vous ménagera
toujours les moyens de vaincre. » On a beaucoup
applaudi ces heureufes habitudes , & à ces
refources , Le tout fera imprimé. Voici le projet
de M. Hérault tel qu'il a été décrété & porté
au Roi :
« L'Aſſemblée nationale confidérant que l'Empereur
, par fa circulaire du 25 novembre 1791 ;
par la conclufion d'un nouveau traité entre Ini
& le Roi de Pruffe , le 25 juillet 1791 , & notifié
à la diète de Ratisbonne le 6 décembre ' ;
par fa réponse au Roi des François fur la norification
à lui faite de l'acceptation de l'acte
conſtitutionnel , & par l'office de fon chancelier
de cour & d'état , en date du 21 décembre 1791 ,
freint le traité du premier mai 1756 , a
de thé à exciter , entre diverfes puiffances , un
concert attentatoire à la fouveraineté de la na-
..tion Françoife : confidérant que la nation Frangoife
, après avoir manifefté fa réfolution de ne
s'immifcer dans le gouvernement d'aucune puiffance
étrangère , a le droit d'attendre pour
elle - même une jufte réciprocité à laquelle elle
me fouffrira jamais qu'il foit porté aucune atteinte
; applaudiffant à la fermeté avec laquelle
Le Roi des François a répondu à l'office de l'Empereur
; après avoir entendu le rapport de fon
comité diplomatique , décrète ce qui fuit : »
cc Art. I. Le Roi fera invité , par un meſfage
, à déclarer à l'Empereur qu'il ne peut dêformais
traiter avec aucune puiffance qu'au nom
( 3 ; )
de la nation Françoife , & en vertu des pouvoirs
qui lui font délégués par la conſtitution.
ככ
es II. Le Roi fera invité à demander à l'Empereur
, fi , comme chef de la maifon d'Autriche
, il entend vivre en paix & bonne intelligence
avec la Nation Françoife , & s'il renonce
à tout traité & convention dirigés contre la fouveraineté
, l'indépendance & la sûreté de la
nation. "
« III . Le Roi feqa invité à déclarer à l'Empereur
, qu'à défaut par lui de donner à la nation
, avant le premier mars prochain , pleine
& entière fatisfaction fur les points ci- deſſus rapportés
, fon filence , ainfi que toute réponſe évafive
& dilatoire , feront regardés comme une
déclaration de
guerre.
ןכ
« IV. Le Roi fera invité à continuer de
prendre les mesures les plus promptes pour que
les troupes Françoifes foient en état d'entrer en
campagne au premier ordre qui leur en fera
donné . »
cc
1
« L'Affemblée nationale charge fon comité
diplomatique de lui faire inceffamment fon rapport
fur le traité du 17 mai 1756. ›
:
Dujeudi , 26 janvier.
ככ
La commune de Navarreins écrit à l'Affemblée
nationale , que les officiers du 38º . régiment
, ci- devant Champagne , ont tous , excepté
deux , difparu du 30 décembre au 2 janvier ,
après avoir fouvent gémi de ne plus jouir de
la confiance des foldats , dont la commune fait
l'éloge . Un journaliſte dit , à ce fujet : nos régimens
s'épurent. La mente lettre annonce que
le département des Balles-Pyrénées eft expofé ,
prefque fans défenfe , aux horreurs d'une inva-
BS
( 34 )
fon; que tous les parlementaires , les nobles , les
prêtres non-affermentés paflent , en foule , en
Elpagne ; qu'on dit que M. Duchilleau a franchi
les frontières , & que ce chef a perdu l'eftime
du département . M. Goupilleau a demandé le
renvoi du dernier article au comité de furveil-
Tance. Quelqu'un a eu le bon efprit d'observer
que ce feroit une défaveur répandue fur M. Duchilleau
avant les preuves ; que le comité pourroit
furveiller , & l'Affemblée ne point inculper
l'innocent par un décret de renvoi . M. Dumo-
Lard n'a rien épargné , que les faits , pour dénigrer
M. Duchilleau. Soupçons , opinions populaires
, il a tout mis en oeuvre , & le renvoi a été
décrété .
Une lettre de M. Cahier de Gerville a informé
l'Affemblée que le Roi n'avoit pas at.
tendu les décrets pour s'occuper de rétablir le
calme dans Paris. Ce miniftre patriote a cru
devoir énoncer que le Roi avoit donné des ordres
au département & à la municipalité , « comme
chef fuprême de l'adminiſtration du royaume ,
comme chargé de veiller au maintien de la loi . »
Quelle pauvreté ! un miniftre en eſt donc encore
à définir la royauté , à chaque démarche du mo
parque conftitutionnel ! cette affectation feroitelle
del'eflence du civifme ?
M. Thuriot a dit une fauffeté ; favoir , qu'il
étoit inftruit qu'un grand nombre de ci - devant
nobles fe raflembloient à Paris , y amenoient
avec eux des gens affidés . Il paroit , a - t - il ajouté ,
que ce font ces gens qui s'occupent d'y exciter
des mouvemens . Ses conclufions ont été de demander
qu'on fit le recenfement de toutes les
xiles de la France , opération très - longue , très(
༢s )
difpendieufe , & quine feroitévidemment d'aucune
utilité .
CC Un fait convenu de tout le monde ,
poursuivi M. Lamarque , c'eft qu'il y a , dans
ce moment , à Paris , un raffemblement trèsconfidérable
de mal- intentionnés & de chevaliers du
poignard... Le recensement du mois de décembre
ne peut rien apprendre fur les raffemblemens du
mois de janvier. Je demande que le comité de
législation propofe demain un mode de recenfement
provifoire. L'Affemblée a décrété le renvoi de
ces mots en l'air au comité de légiſlation .
»
A la fuite d'une note de fanction , un ſecrétaire
a lu que le Roi examinera ( formule du veto ) le
décret portant que les huifliers des tribunaux criminels
feront nommés par les préfidens de ccs tribunaux.
M. Bigot a eu la bonne foi de convenir
que le comité de légiflation n'avoit pas confidéré
qu'il exiftoit fur cet objet un décret de l'Affemblée:
conftituante , loi dout l'exécution étoit même co.nmencée.
Mais toute la légiflature n'a point de reproche
d'ignorance ou de précipitation à faire à fon
comité législatif. Il feroit- difficile de travailler plus
leftement au code d'un grand peuple ; & l'on a
bonne grace après cela de déclamer contre le veto ..
Pour diftraire l'attention , MM. Debry & Quinet
ont révélé que le Roi avoit bien répondu à la dé
putation, qu'il prendroit en grande confidération le
décret de la veille ; mais que les deux battans n'étant
pas ouverts , plufieurs des 24 députés étoient reftésdehors
( murmures), «Si la députation n'eft pas entrée
, s'elt écrié M. Lacroix , c'eft fa faute ; elle ne
devoit pas entrer que les deux battans ne Euffent:
- A préfent , a repris M. Debry , je:
demande qu'on paffe à l'ordre du jour . » Et Lon
confeil a été fuivi..
Ouverts . ---
B &
( 36 )
Le refte de la féance n'a offert qu'un rapport
fur les fous de métal de cloche , terminé par un
décret d'urgence qui a ordonné que l'empreinte
monétaire en feroit faite fans déplacement dans
quelques villes défignées où les flions font fabriqués
un rapport fur les faux affignats , où le
comité a lumineufement penfé que fi le fecret
des points cachés étoit communiqué à tous les
receveurs du royaume , ce ne feroit bientôt plus
un fecret ; fujet , & difcuffion ajournés ; & un
rapport de M. Hérault de Séchelles , au nom du
comité de légiflation , « für l'ordre du travail de
l'Affemblée nationale , pour régler avec intelligence
fes opérations. » Ce projet tardif fera imprimé
, & s'il eft adopté , nous prédifons avec
affurance qu'il ne fera pas plus obſervé que tous
ceux qu'on a difcutés depuis 1789 jufqu'à cé
jour .
Du jeudi , féance du foir.
Après la quotidienne lecture de ces adreffes.
laudatives dont on fait toujours mention trèshonorable
, & de pétitions ou motions renvoyées
aux comités , une députation de citoyens de Paris
& de ci-devant gardes-françoiles a été introduite -
à la barre. L'orateur a réclamé juftice pour les frères
d'armes perfécutés . « Il eft , a - t - il dit , de votre devoir
de protéger ceux fans lefquels vous n'auriez
ni conftitution , ni liberté . Si vous êtes ici , fi la
capitale n'est pas un amas de ruines , fouvenezvous
que c'est aux gardes- françoifes que la nation
en eft redevable. Ceux qui ont fauvé toutes
les propriétés & la vie des citoyens font maintenant
dénués de tout . Jufqu'à ce que vous les ayez rétablis
d'une manière éclatante , nous vous prions de
leur conferver leur paye. »
( 37 )
Ici un des foldats de la députation a pris la
parole & a dit : « Qu'espèrent nos enxemis en nous
renvoyant au milieu de l'hiver ? que leur injuftice
atroce nous fera commettre une infurrection , pour
avoir lieu de dire que nous fommes des factieux ,
des brigands ? Que nous ôtant le pain , nous irons
à Worms ou à Coblentz fervir Isariftocrates pour
en avoir ? plutôt mourir... Rien n'arrêtera les repréfentans
du premier peuple du monde . Vous
mettrez le comble à notre bonheur & nous ferez
justice. »
Le préfident leur a répondu comme l'eût fait leur
orateur même , & les a invités à la féance . M. Fauchet
a repréfenté qu'on a donné aux gardes-françoiles
des cartouches , fignées Bailly, maire, &
datées du 12 janvier 1792 ; & il vouloit que M.
Bailly fût mandé à la barre.
«Les aristocrates , s'eft écrié M. Rouillier , s'empareront
toujours des premières places . Cela eft fi
vrai qu'un certain Briffac , qu'on dit être lieutenantgénéral
, a refufé beaucoup de gardes - françoiles
pour être gardes du Roi , & a répondu a leurs repréfentations
, que l'obéiffance étoit le premier
devoir des foldats , fans favoir lui-même que la
justice eft le premier devoir des généraux . On aura
beau me dire , a pourſuivi M. Rouillier , que nos
généraux font patriotes ; je ne croirai jamais à leur
patriotifme ( but horrible ) ...... Qui a chaffé les
gardes -françoites de leur pofte ? d'indignes chefs
qui les auroient fait pendre , fi ces braves foldats de
la révolution n'étoient pas venus à bout de renverser
jufqu'à la dernière pierre de la Baftille . »
Après beaucoup de vacarme & de confafion , la
préalable a écarté les fulminantes motions de
mander , & l'on a renvoyé les pétitions des gardesfrançoifes
au comité militaire .
( 38 )
сс
Desdéputés du fauxbourg St. Antoine , de Paris ,
ont dit , à la barre , à propos du fucre , que les
hommes du 14 juillet ne fe battoient pas pour des
bonbons... « Au récit dela mifère publique, a continué
l'orateur , le tocfin de l'indignation contre ces
mangeurs d'hommes ( les accapareurs ) ne fonnet
- il pas dans vos ames ? .... Moit aux confpirateurs
qui provoquent à l'incendie, au pillage, au meurtre!
Au moindre complot contre l'Affemblée nationale ,
contre les droits du peuple , feul fouverain , la nuit
du tombeau anéantira ces cadavres impurs , ou la
poftérité dira . Là étoit le fauxbourg St. Antoine..
Veillez , légiflateurs ; veillez , fonctionnaires publics.
Roi , miniftres , généraux , répétons- nous..
avec un de vos eftimables collègues, tenez-vouspour
avertis ; vous êtes placés entre l'autel & l'échaffaud
choififfez... Nous n'abuferons pas de vos momens ';
veillez encore une fois ; & empêchez que les pétitions
ne fervent à allumer les bougies de vos
commis. >>
Le préfident a loué les élans de leur fublime patriotifme
, les a exhortés à perſévérer dans ces fentimens
(qui fuppofent un monarque inviolabie entre
I autel & l'échafaud ) . Ils ont reçu les honneurs de:
la falle & du procès- verbal .
Quelques tériles débats fur les caiffes patrio
tiques , & la fuite des articles de M. Auguftin Monneron
, relatifs fubfiftances , n'ont été fuivis que
du renvoi du premier objet au comité, & de l'àr
journement du fecond a domain ..
aux
Du vendredi , 27 janvier.
On a férieufement renvoyé au comité militaire,
Fouvrage d'un particulier qui promet de rendre
a cavalerie invincible ou invifible ;, nous pou
( 39 )
vons avoir mal entendu ; mais c'eft l'un ou l'au
tre , & l'un vaut bien l'autre.
Des François ont été arrêtés à Tournay &
reconduits aux frontières de France , quoique
munis de paffcports & bons patriotes . M. Duhem
a imputé ces vexations au crédit des émigrés.
Le miniſtre des affaires étrangères rendra compte
du fait de Tournay , dont le procès- verbal arrive
de Lille.
Après un rapport où M. Codet a enveloppé
tous les fophifmes de la tyrannie , de l'axiome
vague & fpécieux : « il eft au pouvoir de la loi.
de reftreindre les droits naturels de chaque individu
, lorfque l'exercice de ces droits dans leur
plénitude eft nuifible au corps politique . " Ce
membre , organe du comité de légiflation , a
propofé fur les paffeports 18 articles , qui vont:
fort au- delà de ce que jamais , en aucun pays ,
les defpotes n'imaginèrent pour river & raccourcir
le plus poffible la chaîne de leurs efclaves . Voici
la fubftance de ce projet qu'on ne peut , fans.
honte , écouter de fang- froid.
3
Tout voyageur devra fe munir d'un paffeport.
Les paffe - ports contiendront les noms
l'âge , la profeffion , le fignalement , le domicile
des perfonnes , leur qualité de François ou
d'étrangers ; un extrait de la déclaration faite
aux municipalités par chaque habitant ( de fes.
moyens de fubfiftance , &c . ) en exécution de
la loi municipale du 19 juillet 1791 ; les notes.
de gens fans aveu , fufpects ou mal - intentionnés
, fi ces notes font fur les regiftres municipaux
, ( ce qui dépend des faifeurs de regifties ;
les fignatures du maire , du fecrétaire - greffier
& du voyageur ; le lieu où l'on aura deffein
d'allen Les paffeports , timbrés & payés en
( 40 )
conféquence , feront bons pour toute l'étendue
du diftrict , & devront , fi l'on en fort ,
être vifés par le diftrict où le département
où l'on ira , de manière qu'il faudra ſouvent
faire 30 lieues & le retour pour une courſe
de demi - heure fur la frontière d'un district.
Les gendarines & gardes nationaux de fervice
pourront exiger des voyageurs l'exhibition de leur
paffe - port , ou les conduire au juge de paix , qui
aura le droit de décerner un mandat d'arrêt pour
un mois. La gendarmerie fera courir leur figna.
lement de brigade en brigade ; & fi les voyageurs
relâ hés s'écartent de leur route on les conduira
au juge de pa'x qui pourra les condamner à être
détenus , au plus 3 mois , dans une maison de
correction . Le préfent décret , y difoit
fera porté dans le jour à la fanction du Roi .....
Telle eft l'incroyable charte de la liberté locomotive
d'un peuple régénéré , à qui fes légiflateurs
bienfaifans ont rendu toute la dignité de
l'homme.
כ כ
- on ›
M. Lemontey en a demandé l'impreffion ; M.
Thuriot qu'on décrétât l'urgence . M. de Girardin
qu'on fe donnât le temps de réfléchir « à cette
loi inquifitoriale . » M. de Vaublanc trouvoit
ces mefures compliquées propres à faire de la
France un couvent où la liberté ne feroit connue
que de nom . De longs débats ont abouti à l'ajournement
à lundi de la difcuffion de ce projet ,
fuivant equel , il faudroit , dans certains jours ,
délivrer 30,000 paffe- ports à l'hôtel - de - ville de
Paris , & qu'ils fuffent tous visés aux diftricts
circonvoifins , pour de fimples parties de plaifir
ou de campagne .
Au nom du comité militaire , M. Lacroix a
lu , pour la feconde fois . fon projet relatif à
( 41 )
l'augmentation du nombre des officiers - généraux ,
demandée par le Roi . L'on a débité à ce fujet
des torrens de phraſes , & peu d'idées juftes &
utiles.
כ כ
M. Saladin s'eft effrayé des rufes & de la corruption
du pouvoir exécutif , & a verbeufement invoqué
la préalable . Plus expéditif , M. Dubayet a
organifé dans la tribune une armée de 60,000
hommes , au milieu des éclats de rire de l'auditoire
qui faifoit femblant d'y entendre fineffe.
« Je l'embrigade par 3000 hommes , & le plus
ancien colonel des brigades s'appellera chef de
brigades . Enfin , 13 officiers - généraux lui
fuffifent. Doublez - vous fon armée ? cela fera
26 ; la triplez - vous ? 120,000 hommes n'exigeront
que 39 officiers - généraux , & 10 pour
les places fortes , total 49. Avec un tel fyftême ,
on n'eft embarraffé de rien . Ce que l'opinant
a dit de plus remarquable , c'eft qu'il connoît
80 des officiers -généraux employés , qui n'ont
pas vu brûler une amorce. On a beaucoup ri
& beaucoup applaudi.
Pour obvier aux empiétemens du pouvoir exécutif
& du defpotifme , M. Carnot l'aîné vouloit
qu'on donnât des fuppléans provifoires & amovibles
aux officiers - généraux qui fe trouveroient mo
mentanément fans activité réelle ; places de fuppléans
données moitié à l'ancienneté , moitié au
choix du Roi ; & il ne fe doutoit pas qu'afin que
les officiers -généraux euffent des fuppléans tour- àtour
pris & rémis dans un grade inférieur , il
faudroit donner auffi des fuppléans aux officiers
de tout grade.
MM . Lacuée , Carnot le jeune , Crublier
d'Obeterre & Britche ont foutenu le projet du
+1

742 )
comité. On a décrété l'urgence & les s articles
fuivans :
« Art. I. Le nombre des cfficiers - généraux
actuellement employés fera augmenté de huit
lieutenans -généraux & de douze maréchaux-decamp.
>>
« II. De ces vingt officièrs - généraux , la moitié
fera nommée par le Roi , aux termes de la loi
du 23 septembre 1790 , & l'autre moitié à l'ancienneté.
»
III. Jufqu'a ce que les officiers - généraux
fo ent réduits au nombre fixé par le décret du
18 août 1790 , il ne fera nommé aux places de
lieutenans -généraux & maréchaux-de- camp qui
viendront à vaquer , qu'en veitu d'un nouveau
décret fan&tionné par le Roi . »
« IV. S , à l'époque où la sûreté de l'empire
permettra de remettre l'armée fur le pied de paix ,
le nombre des officiers - généraux excède celui fixé
par le décret du 18 août 1790 , il y sera réduit :
& les officiers- généraux qui feront réformés conferveront
leur activité de fervice , & jouiront de
la moitié du traitement jufqu'à leur remplacement.
»
« V. Tout officier- général qui aura émigré ,
quand même il feroit rentré dans le royaume
qui aura protefté contre les décrets de l'affemblée
nationale , refufé les fermens preferits par elle ,
ou donné la démiffion , ne poura être remis en
activité de service. »
La féance a fini par le renvoi aux comités militaire
, diplomatique & de l'extraordinaire des
finances , de la dénonciation qu'a faite M. Ducos
d'une pièce qu'il a vue fur le bureau du premier
commis de la tréforerie nationale , portant :
43
"
«Paye d'honneur du colonel- général des Suiffes &
Grifons , Quartier d'octobre 1791. » Et terminée
ainfi : « Fait à Paris le 1er . janvier 1792. Comme
faifant les fonctions de la charge de colonelgénéral
des Suiffes & Grifons par ordre du Roi ,
en l'abfence de Monfeigneur , d'Affry ; & plus
bas par Monfigneur , Efmangard de Bournonville
, en l'abfence du fecrétaire- général.
Du famedi , 14 janvier.
2

Des grenadiers du 20° . régiment , écrivent d'Efpagne
à leurs camarades reftés en France : «Nous
fommes t.ès-fatisfaits d'être parmi de braves gens .
Nos officiers nous ont fauté au cou. Quel plaifir
n'y a- t- il pas , pour des gens de coeur , de fe voir
chéris par ce qu'il y a de mieux en France ....
Vous voyez qu'il n'y a plus de gloire à fervir
fous les drape.ux du 10. régiment. Venez . Nous
vivons comme des Rois . Un des grenadiers
qui ont reçu de pareilles lettres a déposé l'original
& la réponſe : ce Vous avez rejoint tous
les traîtres..... Un feul fouffle de la patrie vaur
mieux qu'une bande de brigands comme vous...
Au moment que je vous écris , on amêne vos
complices enchaînés , ainfi que le général & les
chaffeurs. Ces traîtres feront tous punis de leur
infâ ne trahifon ... Nous avons gravé dans le
coeur & la mémoire qu'il faut vivre libre ou
mourir. La conftitution françoife nous écrafera
plutôt fous fes ruines , que de l'abandonner....
Si par hafard nous en périffons tous , & qu'il
en réchappe quelques - uns , ils diront aux paffans :
Ici repofe le 20. régiment , qui combattit pour la
liberté.
M. Goupilleau a lu d'un bout à l'autre cette
correfpondance vraie ou fuppofée que nous avons
44 }
tru devoir abréger . On a ri de la phrafe nous
vivons comme des Rois ; & applaudi à chaque
mot de traître , brigand , infâme , & au préjugement
: ils feront punis , quoiqu'une affemblée
légiflative ne doive jamais influer fur l'opinion
des juges ni la prévenir , & que les 39 victimes
de l'intrigue civique de Perpignan , bien qu'on
les traîne chargées de fers à Orléans , ne foient
pas encore au pied de tribunal qui feul a le droit
de les déclarer coupables . On a décrété mention
honorale de la réponſe , & fon envoi à tous les
régimens.
Un décret a ordonné que l'archiviste remettra
au comité des décrets toutes les pièces relatives
aux accufations déjà portées , & que le comité
fera parvenir le tout aux grands procurateurs de
la nation , par la voie de la correfpondance de
la gendarmerie nationale » ( agent exécutif avec
lequel l'Affemblée législative ne peut conftitution-,
nellement , & d'après fes fermens , avoir de
relation directe qu'en ce qui fe borne au lieu
de fes féances , & ne doit communiquer que par
l'action du pouvoir exécutif fuprême ) .
M. Amelot a écrit que quelques receveurs de
diftricts vu l'infuffifance de leur rétribution ,
& effrayés de devoir répondre des faux affignats ,
ont donné leur démiffion ; que plufieurs attendent
ce que le corps légiflatif prononcera fur leurs réclamations
, pour le déterminer à continuer ou à
abandonner leurs fonctions . Cette nouvelle difficulté
a été renvoyée au comité de l'extraordinaire
.
Une dénonciation d'enrôlemens faits à Arles ,
eft remife au comité de furveillance . Des
nouvelles d'une fédition populaire élevée dans la
ville d'Amiens, à l'occaſion du prix des deniées
( 45 ).
& du fuere ,font renvoyées au comité de commerces
M. Lagrevol annon e qu'on en craint autant
à Dunkerque , & impute ces mouvemens à l'agiotage
, vu que , felon lui , le calme eft rétabli dans
les colonies.
Les miniftres font entrés , & le garde- du-fceau a
remis au préfident une lettre du Roi , que par dignité
fans doute , le préfident a donnée à lire à
un fecrétaire. Cette lettre où la fageffe & l'amour
vrai du peuple indiquent modérément & préfèrent
de ne point difcuter une violation manifefte de
l'acte conftitutionnel que nous avons fouvent
obfervée , eft conçue en ces termes :
Paris , ce 28 Janvier 1792 .
« J'ai examiné , meffieurs , l'invitation en forme
de décret que vous m'avez fait préfenter le 25.
de ce mois. Vous favez que , par la conftitution
, c'eft à moi feul qu'il appartient d'entretenir
les relations politiques au- dehors , de conduire
les négociations , & que le corps légiflatif
ne peut délibérer fur da guerre que
fur ma
propofition formelle & néceffaire . Sans doute
vous pouvez me demander de prendre en confidération
tout ce qui intéreffe la sûreté & la dignité
nationale : mais la forme que vous avez
adoptée eft fufceptible d'obfervations importantes :,
je ne les développerai point aujourd'hui. La gravité
des circonstances exige queje m'occupe encore
plus de maintenir l'accord de nos fentimens
, que de difcuter conftitutionnellement mes
droits. »
« Je dois donc vous faire connoître que j'ai
demandé à l'Empereur , depuis plus de quinze
jours , une explication pofitive fur les principaux
articles qui font l'objet de votre invitation ; j'ai
confervé avec lui les égards que fe doivent ref
a
( 46 )
pectivement les puiffances. Si nous avons la
guerre , n'ayons à nous reprocher aucun tort qui
T'eûr provoquée : cette certitude peut feule aider
à foutenir les maux inévitables qu'elle entraîne. »
« Je fens qu'il eft glorieux pour moi de parler
au nom d'une nation qui montre un fi grand
courage , & je fais faire valoir cet incalculable
moyen de force ; mais quelle preuve plus fincère
puis-je donner de mon attachement à la
conftitution , que de mettre autant de mesure
dans les négociations qui tendent à la paix , que
de célérité dans les préparatifs qui permettront ,
s'il le faut , d'entrer en campagne avant fix femaines
? La plus inquiète défiance ne peut trouver
dans cette conduite que la conciliation de tous
mes devoirs. Je le rapelle à l'Aſſemblée , l'humanité
défend de mêler aucun mouvement d'enthouſiaſme
à la décifion de la guerre ; une telle
détermination doit être l'acte le plus mûrement
réfléchi : car c'eſt prononcer au nom de la patrie,
que fon intérêt exige d'elle le facrifice d'un grand
nombre de les enfans. Je veille cependant à l'honneur
& à la sûreté de la nation , & je hâterai de
tout mon pouvoir le moment de faire connoître à
l'Affemblée nationale fi elle peut compter fur la
paix , ou fi je dois lui propofer la guerre. »
Signé , LOUIS .
Et plus bas : M. L. F. Duport .
L'Affemblée eft paffée à l'ordre du jour.
M. de Narbonne lui a préſenté , de la part du
Roi , les officiers des corps de troupe de ligne ,
de gendarmerie & de garde nationale nouvellement
organifés pour être attachés au fervice de
la capitale. Le préfident les ayant harangués
ces officiers ont prêté le ferment civique , & par
( 47 )
acclamation ils ont juré de vivre libres ou
mourir , au bruit des applaudiffemens de l'Affemblée
& des galeries.
}
Alors M. Paftoret a pensé que , pour répondre
aux témoignages de patriotisme de ces officiers
au nom de la garde de Paris , il feroit à propos
de lire le rapport ajourné a la féance du foir de
la veille , fur les récompenfes militaires.
·
Rapporteur des comités de légiflation & militaire
, M. de Vaublanc s'eſt donc mis à lire un
ouvrage oratoire où , parlant à un peuple qui
auroit , avec une rapidité prodigieufe , refondutoutes
les loix fans avoir aucun égard à fes
moeurs , il a voulu l'aider à fe créer des moeurs
qui puffent devenir les étaies de ces loix . Ce
font des mots fonores , des phraſes épiques
des chars de triomphe , des robes triomphales ,
des manteaux tricolors , des fêtes nationales
, des couronnes de laurier & de chêne,
qu'on ne porte que les jours de cérémonies , d'un
mariage , &c... la Grèce & Rome heureuſes reproduites
au fein d'un vieux royaume dévoré de tous
les vices du luxe & de la mifère , frappé de toutes
les calamités de l'anarchie . Mais point de noms de
villes ou de provinces conquifes ajoutés au nom
du, vainqueur ; rien ne feroit plus contraire auprincipe
facré de la fainte égalité ; point de Rois , de
Reines , de généraux, de foldats vaincus , enchaînés
& traînés à la fuite du vainqueur ; la philofophie
& la fraternité répugnent à ces atroces plaifirs de
l'orgueil. Nos héros ne recevront des mains de la
patrie que des honneurs innocens ... Nous ferons
des Romains philanthropes. Le fourire involontaire
qui pourra naître fur les lèvres des lecteurs , ne fera
nullement étranger à la profonde pitié qu'inſpire
une grande nation , qui le meurt en délirant fous
( 48 )
la main de l'empyrifine. Je reviens à M. de Vanblanc
, dont le férieux eft admirable .
Qu'on ne craigne pas le danger de tant de
diftinctions déférées aux militaires . Avec le temps
la France fe paffera d'armée foldée . Un bataillons
de citoyens par chaque diftrict , exercés un
mois de l'année , des courſes de chars , de chevaux
, des jeux , & c. Voilà une excellente aimée
de 200,000 hommes. D'ailleurs , les philofophes ,
les légiflateurs , les cultivateurs , les magiftrats ,
les artiftes , & probablement les médecins , les
apothicaires &c . tous les états auront leurs triomphes
, leurs couronnes , leurs bagues ; mais aucune
de ces décorations ariftocratiques qu'on porte fans
ceffe... Tout cela diminuera beaucoup le danger
de trop exalter la vanité du militaire enclin au
defpotifme . Dix -neuf articles ont été les conclufions
de ce chant d'épopée , & les applaudiffemens
redoublés ont prouvé qu'il étoit incomparablement
plus agréable de s'occuper du prix
des victoires , que des moyens de fe les affuier ;
des pompes à venir , que des finances actuelles
& du déficit octuplé . On a décrété l'impreflion
du rapport & l'ajournement des XIX articles.
Du famedi , féance du foir.
M. Antonnelle a lu une lettre de Nîmes , de
l'accufateur public du département du Gard
qui ne produitpas , mais qui annonce les preuves
d'une confpiration contre l'état tramée dans la
ville d'Arles , d'enrôlemens faits pour la contrerévolution
; il a ajouté que , les patriotes font
infultés ; qu'on a lieu de craindre la prochaine
réfurrection du camp de Jalès . Toutes ces correfpondances
n'ont d'autre but que d'obtenir le
défarmement
[
( (-491)
r
défarmement général de ceux qu'on feint de re
douter. « Une conſpiration aristocratique , a dit
M. Rouillier, s'étend depuis Perpignan jufqu'à
Avignon. Des recrues paffent en Espagne . On
veut divifer nos forces . Tout le pays du midi
eft entouré d'ariftocrates calotins & d'aristocrates
parcheminés honorables éclats de tire & ap
plaudiffemens des puriftes des galeries . ) » Il a
fait la motion de décréter que toutes les municipalités
du royaume feront le récenfement des
habitans , & un relevé des familles qui ont des
fils ou des neveux à Coblentz ou en Eſpagne
afin que les magiftrats du peuple connoiflent
parfaitement ces familles & prennent des melures
fermes & folides pour le prémunir contre leur
perfidie. On ne fauroit propofer plus civiquement
des tables de profcriptions . L'Aſſemblée a
décrété le renvoi des pièces au comité de légiflation
, & a ordonné que le miniftre de l'ins
térieur rendra compte de l'état des départemens
méridionaux.
23
Ce matin , M. Fauchet racontoit que 12 François
avoient été pendus à Madrid , à cauſe de
leur patriotisme . Il avoit auffi dénoncé qu'un
fieur Lemoine ayant porté deux lettres à traduire,
en espagnol , aux traducteurs des féances & des
décrets de l'Affemblée nationale en langues étran
gères ( car on a pourvu à tout ) ; les deux
lettres & l'homme venoient d'être arrêtés ; que
le fieur Lemoine écrivoit à la Reine d'Espagne
& au miniftre Florida Blanca , pour leur défi
gner des François domiciliés en Efpagne comme
des colporteurs de papiers révolutionnaires , des
traîtres &c.; ce qui les auroit conduits à la po
tence. Le comité de furveil´ance n'a vu là qu'un
projet d'affaffinat non-prévu par le code pénal
No. 5. 4 Février 1792.
C
4
150 )
1
1
Affemblée étoit paffée à l'ordre du jour , attendu
qu'il ne s'agiffoit pas de crime de lèze- nation ,
M. Fauchet a lu , ce foir , un fecond article.
Qa lui a objecté que des lettres ' initiales ne
prouvoient pas que ce fuffent des François qu'on
voulût perdre ; que le fieur Lemoine difoit que
c'étoient des italiens dont vouloit le venger fon
débiteur Bartel en Espagne . M. Fauchet a répondu
que tous les hommes font François dès
qu'on les perfécute en haine de la révolution. »
M. Briffot a foutenu que le pacte de famille
a été fcandaleufement violé par la cédule du
Rei d'Elpagne ( qui a le tort d'exiger qu'on lui
foit fidèle tant que l'on eft dans les états ) ; &
il a menacé l'auditoire , le public , l'Espagne ,
l'Europe & la poftérité , d'un rapport fur fes
griefs contre le gouvernement Espagnol à propos
de l'emprisonnement de l'équipage d'un vaiffeau
François échoué à Tortofe . On a décrété l'ajournement
à huitaine.
Quel trifte fpectacle que celui des délibérations
de la Légiflature , depuis
qu'une frénélie , prefque générale dans
fon fein , l'a précipitée vers la guerre ! Les
inconvéniens reprochés aux Aflemblées
populaires par les Philofophes , elle les a
tous développés en fix femaines. Punitions
rétroactives , entraves à la propriété ,
offenfes à la liberté perfonnelle , accufations
fans preuves , actes juridiques
qui effacent la limite des pouvoirs , emprifonnemens
ordonnés fans examen & fur

W
des délations calomnieuſes ; Citoyens in
nocens enfermés , pourfuivis pour des délits
indéfinis , & devant un Tribunal non
organifé ; Décrets rendus contre des hommes
qui , tels que M. de Calonne , ne font plus
fufticiables de la France ; fequeftre effectif
des rentes dues par l'Etat à fes créanciers
in globo , abfens du royaume , n'importe
par quel motif; diatribes fcandaleufes
contre les Souverains étrangers , qu'on
place entre le mépris de leurs propres
Sujets , ou la néceffité d'une vengeance ;
provocations à toutes les Puiffances prépondérantes
; les plus honteux moyens
d'attaque propofés comme les expédiens
de la philofophie , & dont la feule annonce
deviendroit un motif de guerre, quand mille
autres caufes ne l'appelleroient pas ; outrages
à fes Alliés ; combinaifons les plus ab-:
furdes fur des alliances impoffibles ; informations
de Gazettes de cabaret fur les
forces de fes ennemis ; mépris de toute
obfervation fur la foibleffe de fes forces
propres ; déclamations fcéniques au lieu
d'appréciations juftes de nos reffources ず
tous les moyens d'armer contre la France
une Ligue , irrésistible dans notre décadence
actuelle , faifis avec fanatifme , hâtés avec
fureur ; tous les moyens de reculer cette
cataftrophe, rejettés comnie le produit de
la trahiſon , & d'intelligences perfides avec
C &
( sz )
*
le dehors , des difcours enthouſiaſtes au
lieu de difcuffions ; des bravades , au lieu
de dignité , voeu de transporter la liberté
dans l'Europe entière, à l'inſtant où la Liberté,
Loix , Conftitution , Peuple , Droits de
'Homme , Justice naturelle , périffent fous
ún amas de Décrets circonftanciels , & ne
préfentent d'un bout de la France à l'autre
que les playes de la misère , la confufion
des autorités , le Gouvernement dans
les Clubs , toutes les forces du côté
de l'anarchie , & l'impuiffance du côté de
la Loi. Pas un apperçu fur notre fituation
extérieure ; pas un retour fur l'épuifement ,
fur le défordre de l'intérieur ; nulle prévoyance
de l'avenir ; l'horreur des tempéramens
; une impétuofité ardente dictant
des réfolutions qui exigeoient toute la
mâturité des têtes fortes & froides ; fermens
répétés de mourir pour la Conftitution
, magnifiés dans des Procès-verbaux
qui , à chaque Séance , deviennent la table
des infractions faites à la lettre & à l'efprit
de cette même Conſtitution ; l'initia
tive du Roi en matière de guerre & de paix ,
ufurpée pour accélérer un mouvement que
le patriotifme devoit retarder de tous fes
efforts ; enfin , l'univerfalité des leviers de
la guerre foulevés à la fois , & nulle.connoiffance
, nul examen des mefures , fans
lefquelles ce fardeau fufpendu retombera
fur nos têtes, & nous écrafera.
6539
&
Les Miniftres qui , dans l'origine , ont
fortifié les illufions de l'Affemblée , en par
ticipant à fes erreurs politiques ; les Minif
tres ficonfians fur les chances d'une guerre,
dont ils appuyoient la néceflité ,
qui concoururent par leur affentiment,
à enflammer l'ardeur du Corps légif
latif; les Miniftres qui le berçoient de
fi belles notes & de fi beaux rapports ,
ont tout-à- coup repris un langage pacifi
que. L'un a invoqué la prudence , lorfque
les imprudences étoient commiſes ; l'autre ,
après avoir fait fortir des armées comme
des champignons , & étalé les plus sûrs.
moyens de triomphes , n'a plus occupé
Affemblée que de fes embarras & de fes
inquiétudes. Enfin , nos Guerriers de Tribune
ont été fi loin , & de fr bonne- foi ,
dans la carrière des provocations , que he
Gouvernement a différé de les fuivre : il a
rallenti fa courfe , à l'inftant où les Alexan
dre du Comité diplomatique doubloient
le pas on s'eft trouvé für deux lignes
différentes ; l'ajournement impofé à l'Eme
pereur a paru trop fort aux Agens de la
Couronne ; ils ont demandé la grace de
pouvoir compofer avec les hardieffes..du
refcrit , dicté à la Cour de Vienne.
Sans doute les Miniftres ont calculé lés
fuites de cette oppofition mitigées; fans
doute , ils ont prévu combien une varia
tion ſi fubite offenferoit des hommes in
C 3
( 140)
traitables qui ne fouffrent ni réfiftance , ni
contradictions ; fans doute , ils fe feront
ménagés les moyens de défendre les droits
de l'initiative , & leurs propres opinions ,
& leurs démarches auprès du Cabinet de
Vienne , dans le cas où l'Affemblée voudroit
de nouveau adopter une autre marche.
Jamais conjoncture ne fut plus délicate
plus périlleufe : elle le feroit même pour
des Miniftres forts. Quelques faits prouweront
cette vérité.
Toutes les caufes qui ont pouffé l'Affemblée
vers la guerre , fubfiftent & fubfifteront.
L'affaire fecondaire des Emigrés à laquelle
la Légiflature a donné une impor
tance fi fâcheufe , & le Gouvernement un
éclat fi imprudent pour lui- même comme
pour l'Etat , cette tracafferie que des étourdis
ont peut- être prife pour un coup
a été très - évidemment la montagne en enfantement.
d'Etat ,
Qu'on ergote mille ans fur le fens des
mots de raffemblement , d'incorporation
militaire , de préparatifs ; que M. de Sainte-
Croix s'amufe à écrire qu'il a tout diffous ,
tout difperfé, & faifi les canons des Princes,
quoique les Princes n'euffent pas un canon
dans l'Electorat de Trèves ; que M. Deleffart
félicite l'Affemblée de ce triomphe de fa
dignité , & que les Jacobins répliquent
qu'on ne leur donne pas fi facilement le
rss
change; il eft avéré, 1°. que les cantonnemens
de François à Ath , Tournay , & en
vingt autres lieux des Provinces Belgiques
n'ont éprouvé aucun échec.
2°. Qu'une grande partie des Emigrés eft ,
reftée à Coblentz , que plufieurs des Corps .
militaires font encore dans l'Electorat ;
que d'autres n'ont fait que changer de
place , fans changer beaucoup de diſtance ,
en paffant de l'autre côté du Rhin.
3°. Que M. le Prince de Condé & 1200
Militaires avec lui n'ont quitté Worms
que pour venir fe mettre dans l'Ortenau ,
fous le canon de M. Dietrich , Maire de
Strasbourg. Ce Prince eft encore à Oberkirch
; trente villages circonvoifins_font
remplis de Rebelles comme lui ; le Corps
de Mirabeau & celui de Berwick tiennent
la même ſtation .
4°. Qu'en effet , on a interdit les évolutions
militaires , & les armes aux Emi- '
grés , dans l'Electorat de Trèves, comme
en Brabant ; mais qu'ils n'en ont pas moins
leurs armes , leurs magafins , leurs munitions
, leur artillerie ; en quelque lieu que
ces dépôts foient fitués .
D'où il réfulte que , fi les Emigrés ont
jamais été à craindre , ils le font aujourd'hui
comme ils l'étoient , il y a deux mois ;
qu'ils n'ont jamais été redoutables , ou
qu'ils le font toujours ; que, fans protéger
en aucune manière leurs projets de con-

569
tre révolutions , dans le cas où ils auroient
formé de femblables projets , l'Empire &
l'Empereur protègent Thofpitalité à la faveur
de laquelle ils fe tiennent réunis ; que
ce foyer de Mécontens continue à attirer
une foule de François de toutes les claffes ,
dont un grand nombre eft chaffé du royanme
par l'infolent defpotifme des Clubs ,
des Corps adminiftratifs , des Perturbateurs
brevetés, & des lettres-de-cachet fignées
Bafire & Fauchet ; que le difcrédit , la
défiance , la terreur d'une nouvelle Révolution
n'ont rien perdu de leur force;
qu'ainfi , l'éloquence volcanique des Braves
de l'Affemblée , & fes Décrets , & fes menaces
, & les propos de M. Deleffart , &
ceux de M. de Ste. Croix , n'ont amélioré
en rien abfolument notre fituation , dans.
fon rapport avec les entreprifes des Emigrés,
de
Le feul fruit de cette effervefcence belliqueufe
& oratoire a été , bien évidemment,
de nous compromettre avec l'Empereur
& les Cours d'Allemagne
changer la querelle de quelques Tribuns
qui n'ont rien à perdre , avec le Comité de
Coblentz , en un différend très-férieux avec
la Cour de Vienne & toutes les Cours ,
& de provoquer des hoftilités par des
annonces d'aggreffion , mêlées à des me-.
naces de tyrannicide , contre les Souverains,
réfractaires à la Conftitution..
I eft encore incertain à quoi aboutira
-
tant d'inconfidérations. L'Empereur qui
n'eut jamais pris , qui ne prendra jamais.
les armes ni pour , ni contre la Conftitu
tion , librement ou forcément acceptée par
le Roi , l'Empereur a fa dignité à mainte
nir , auffi bien que M. Deleffart & M.
Briffot. H n'attaquera point ; mais il de
vient douteux qu'il s'humilie ; il devient
douteux qu'il ne confidère pas les dernières
démarches hafardées envers lui , comme
des outrages ; & il ne l'eft pas que ibne le prer
mier de nos bataillons qui paffera la fron
tière , ouvrira le royaume à quatre cerit
mille Ennemis avant le mois de Juin..
Le Peuple doit être éclairé fur la vanité:
de cette guerre deJournaliſtes & d'Avocats ,
par leur condefcendance à en reculer le
terme. Ils devoient paffer le Rhin & la.
Mofelle le 15. Janvier: or, au 15 Janvier,
M. de Narbonne qui avoit promis Isomille.
hommes , étoit hors d'état d'en faire mar
cher 20 mille. On a remis l'engagement au
10 Février , puis au premier Mars : ce ne
fera pas le dernier renvoi , on peut en être
fûr..
Ou l'Empereur, ou l'Aflemblée , recule.
ront. Si chacuntiert ferme , on pourra febat
t ; mais aucunhomme expérimenté n'acor
pris encore , comment , ni avec quoi nous
combattrons. Pas un régiment de ligne fut
lequel on puiffe compter ; des Volontaires.
C.
53
( 58 )
tout neufs que la tactique allemande étonnera
plus que des Prêtres à gourmander , ou
des Ariftocrates défarmés à maltraiter ; pas un
Officier général de quelque réputation ; des
Maréchaux -généraux - de- Logis dont la plus
part n'ont jamais vu une carte de géographie ,
une moiffon d'Adjudans - généraux dont aucun
n'a porté des ordres de l'aîle droite à
l'aile gauche d'une Compagnie; des Chefs ,
tels que MM. Victor Broglie , & de Valince
à Strasbourg, ¿ qui n'ont jamais vu tirer
un coup de fufil , des Corps entiers fans
Officiers ; d'autres Corps qui commandent
des Officiers de remplacement, dont l'inexpérience
& le rang précédent décréditent
l'influence , déjà énervée par l'indifcipline ;
des régimens fans ceffe travaillés par des
factions oppofées ; autant de volontés que
d'individus ; nul Général à la hauteur , je ne
dis pas de femblables difficultés , mais des
difficultés , les plus vulgaires ; des finances
abîmées , & ne végétant plus que par un
papier décrié, dont les Soldats commencent
a ne plus vouloir , & que le Gouvernement
lui- même vend fur la place à 45 pour 100
de perte. C'eft une femblable.capilotade de
moyens difloqués & d'agens incapables ,
que l'on entend oppofer aux meilleures
troupes , aux meilleurs Généraux de l'univers
! & l'on fe flatte que des cocardes à
trois couleurs & le bonnet de la liberté métaphyfique
, traveftie en anarchie ruineufe
( 59 )
pour le Peuple , furmonteront tous les obftacles
, & couvriront l'Europe de miracles !
En vérité, cet effai paffe à la raillerie. Tout
au plus le pardonneroit-on à un Defpote
Afiatique , qui auroit la fantaifie de facrifier
une Nation entière à une expérience .
militaire. Lorsqu'on voit la majorité de
l'Affemblée fe couvrir à l'avance de guirlandes
& de trophées , célébrer la folemnité
des délibérations guerrières par lefquelles
elle procède à confommer la ruine
nationale , & enchaîner dans le royaume
par des paffeports timbrés vifés
" &
revifés , tous les Citoyens qu'épouvante fa
légèreté , on fe rappelle qu'après avoir
embrâfé Rome , Néron en fit fermer les
portes , & chanta fur le théâtre un dithyrambe
à l'honneur de l'incendie.
7
Ce fera , au refte , une obfervation digne
de remarque , que celle du parallèle des
fentimens de l'Affemblée , & de ceux manifeftés
par le Roi dans fa lettre de famedi
dernier ; c'eft un contrafte digne,
d'attention , que celui d'un Monarque
preffé par les Repréfentans de fon Peuple
de faire la guerre , & qui , à des motifs
vagues de sûreté , de puiffance , de majefte
nationale, oppofe ceux de l'humanité
, & des égards que fe doivent mutuellement
les Puiffances. Affurément
Louis .XVI en s'expr mant ainfi , s'eft montré
un meilleur ami de la Nation ; que
C6
( 60% )))
les inventeurs de la cérémonie du grand
et du petit Triomphe , & des récompenfes :
civiques à donner aux vainqueurs. Dans
dix ans , de pareilles facéties fembleront
fabuleufes. On doit regretter qu'un Orateur
, renchériffant fur les triomphes à venirde
MM. Paftoret & Vaublanc , ne foit
pas monté à la Tribune pour donner , à
l'exemple de Philippe II, le titre d'Invincible
à notre armée..
On ne peut contefter que la France ne
foit de tous les pays de l'Europe , celui
qui renferme le plus de ce qu'on appelle
Gens d'efprit. Quant à l'efprit de conduite ,
la Révolution a prouvé , dans chaque
´parti , combien cette faculté , fans laquelle
les plus beaux dons de la nature devien-.
nent des inftrumens de dommage , aft
étrangère parmi nous. Eft- ce l'esprit de
conduite qui a fait partir M. de Ségur
pour Berlin ? Comment cet Envoyé a-t-il
été le feul à fe douter des défagrémens qui
Tattendoient , & j'ajoute , du ridicule même
de cette ambaffade ? Les Feuilles Patriotes-
& Miniftérielles, ont diffimulé autant
qu'elles l'ont pu , la réception faite à ce
Plénipotentiaire :
En cachans fa difgrace , on croit la répareṛ..
Voici des détails, certains Après avoir
ca fa première audience de forme , M. de
Ségur le préſente enfuite le Dimanche 15.
( or )
*
Janvier , à l'audience publique de S. M.P.
Le Roi ayant traverfé la falle d'ordre où fe
tiennent les Généraux , paſſa dans le fallon
voifin qui renfermoit le Corps Diplomatique
, & un grand nombre de perfonnes..
On lui préfenta divers Etrangers auxquels
il adreffa quelques paroles ; s'appro-
Cant enfuite du Corps . Diplomatique , il
entretint un inftant le Prince de Reuf ,
Miniftre Impérial ; falua quelques autres
Envoyés , paffa devant M. de Ségur en le
regardant d'un air férieux & impofant , &
fans lui adreffer la parole. L'Envoyé de
Mayence fe trouvoit au deffous de celui
de France ; le Roi lui demanda fi le Prince
de Condé étoit à Mayence. « Non , Sire ,
répondit le Miniftre , il eft à Ettenheim ,
chez le Cardinal de Rohan . Ah ! ahli
reprit le Roi; le voilà encore plus près
des frontières. » Ayant ainfi entretenu plus
fieurs des Membres du Corps diplomatique ,
M. de Segur reftant conftamment inapperçu
& oublié , le Roi entrevit M. Heyman, qui
depuis la retraite avec M. , de Bouillé, après
le départ de Louis XVI , a fixé fa demeure
à Berlin , où le Roi de Pruffe l'a comblé
de bontés , & lui a affuré une penfion de
2000 rixdalers. Ce Prince affecta de cor
verfer affez long- temps , & fur un ton de
gaîté avec M. Heyman.Tous les Spectateurs,
remarquèrent cette diftinction , rapprochée
de laprofonde obfcurité oùS, M, P. laiſſpis
( 62 )
M. de Ségur. Cette fcène mortifiante fe.
répéta le foir au Cercle , chez la Reine
qui laiffa le Ministre de notre Comité :
Diplomatique , dans un imperturbable incognito..
M. de Ségur a mandé ici que la place
n'étoit pas tenable , que la Cour de Vienne
dccupoit toutes les avenues , & qu'il pren->
droit fon rappel , fi on ne le lui envoyoit
très -promptement. Il a pu rendre compte
également des fentimens d'indignation
qu'ont excité les déclamations de nos :
Tribuns , leurs menaces incendiaires &
régicides , & le ton abfolu de leurs déclarations.
En quinze jours , ils ont fait péricliter
la Conftitution & la Révolution ,
plus que les Mécontens n'ont pu le faire
pendant trois ans : ils ont mis la Cour de
Vienne dans les mêmes difpofitions que
celle de Berlin.
L'Evêque d'Autun arrivé à Londres avec
M. de Biron , fera probablement auffi ma-i
Jencontreux que M. de Ségur. On affure
qu'un des Miniftres a promis au Comité
Diplomatique , qu'on parviendra à corrompre
M. Pitt : attendons ce Miniftre fé-.
ducteur au premier effai de fes talens : il ne
tardera pas à retracter fa téméraire promeffe,
qui prouve une bien grande ignorance du
caractère de M. Pitt, de les habitudes , &
des circonftances. Ce projet d'alliance eft
déjà fignalé à Londres dans les Cercles ,
( 63 )
dans les Clubs , dans les Tavernes , dans les
papiers publics , comme une acte de délire .
Propofer à l'Angleterre une alliance , dans
l'infant où la France eft menacée de toutes'
parts , où fon fort entraîneroit les Anglais,
dans une guerre fubite & ruineufe , pour
les intérêts chancelans d'une Nation régie
par des Clubs , & qui n'a plus d'autre avantage
à offrir à fes alliés , que les honneurs
de la Séance ! Une femblable idée accufe
des reffources défefpérées . Le choix du
Plénipotentiaire a comblé la meſure de l'irréflexion
qui a dirigé cette équipée. On
ne favoit donc pas qu'un Eccléfiafti que immoral
, qu'un Evêque étranger aux vertus
de fon état , & ayant trahi la caufe de fes
Confrères malheureux , eft un objet d'horreur
pour tout Anglois , à commencer par
George III , & à finir par le Coal- Heaver.
Une perfonne diftinguée , auffi refpectable
par fes vertus privées , que par la juf
teffe de fon efprit & par l'étendue de fes
lumières , nous a communiqué fur ces
projets d'alliance , quelques réflexions,
qu'on lira avec intérêt.
« Il est une vérité que les Députés à l'Affenblée
nationale ne doivent point fe diffimuler ;
c'est que la France n'a point & ne peut plus
avoir d'Alliés . Toutes les régociations doivent,
être regardées déformais comme des tentatives
infructueufes & par conféquent inutiles. Les
764 )
Taifons politiques comme les liaifons particulières
font en général fondées fur des calculs d'intérêt.
Les Puillances étrangères font trop exercées dans
ces fortes de calculs , pour ne pas nous abandonner
dans l'état de foibleffe & d'anéantiffement ou
nous nous trouvons . >
« Nous avons vu déjà trois Puiffances s'accorder
pour le partage d'un territoire , livré à une
anarchie pareille à celle qui nous menace. On
peut donc , fans porter trop loin la prévoyance ,
penfer que la France pourroit éprouver le mêine
fort que la Pologne. Eft- ce une alliance , avec
un Etat , dont l'existence eft auffi précaire que
celui de la Pologne , qui peut en impoſer aux
Puiflances que nous avons provoquées ? .. Cet
Etat eft à préfent menacé d'une révolution ſemblable
à la nôtre. La Conftitution nouvelle
paroifoit s'y être établie fans beaucoup d'efforts ,
mais la vente indifcrette des ftarofties va mul
tiplier les Détracteurs de cette Conftitution .
Cette première atteinte portée aux propriétés
annonce que l'efprit novateur , s'il n'eft pas
arrêté dans fes téméraires entrepriſes , va y établir
La prépondérance & le livrer au defpotifme de
la multitude .”
CC« L'Election d'un Roi héréditaire , fi ſa Conf
titution avoit été affermic , pouvoit Lans doute
prélerver la Pologne des malheurs d'une nouvelle
anarchie ; mais quel est le Prince qui acceprera.
un trône auffi chancelant
ee Si le Monarque actuel que fon efprit, fes
connoiffances , fon affab.lité , fon patriotisme ,
fes talens & les vertus ne mettent pas à l'abri
des plus fenfibles contradictions arrivoit à la fin
de fa carrière , avant que ces nouvelles idées
fiffent proferites , avant d'avoir aſſuré l'hérédité
( 65 )
• de la Couronne avant d'avoir déterminé le
choix de fon fucccffeur , alors l'intervention des
Puiflances étrangères que réclameroient les ambitieux
de tous les partis opéreroit peut- être un
nouveau partage qui feroit du moins entrevoir
la fin prochaine d'une guerre civile , & le terme
de toutes les horreurs qui en font inféparables.
Nous ne pouvons donc pas férieufement penfer
à nous allier avec la Pologne.
« Eft- il plus raisonnable de tenter à - la- fois
l'exécution d'un projet d'alliance avecla Hollande
& l'Angleterre ? »
·
" Mais ces deux Puiffances commerçantes font
rivales . Elles ont un égal intérêt à l'anéantiffement
de notre Commerce. L'influence de la..
Pruffe ne fuffit - elle pas pour contrarier tous les
projets de traité avec la Hollande ? & comment
ferions nous un nouveau traité avec l'Angleterre
, fi celui qui fubfifte entre elle & nous eft:
déjà contraire à nos intérêts pouvons - nous
d'ailleurs être alliés de l'Angleterre & des Etats-
Unis de l'Amérique ? depuis que notre alliance
exifte avec les Etats-Unis , quels avantages en
avons nous retirés ? ceux que l'on peut nous
promettre font très- incertains ou du moins fort
éloignés.
·
ל כ
Mais en fuppofant toutes les alliances indiquées
poffibles , elles ne nous promettent aucun
défenfeur , contre la coalition de l'Empire , de
la Pruffe , de l'Espagne & des autres Puiffances
que nous regardons déjà comme ennemies, Aucun
de nos nouveaux Alliés ne peut nous donner
Fefpérance d'une diverfion heureuſe. Au cas que
nous foyons attaqués , nous fommes donc ifolés,
& il faut nous fuffire à nous-mêmes . Auffi , pour
3
( 66 )`
nous raffurer fur la pofition la plus critique ou
nous nous foyons trouvés depuis plufieurs fiècles ,
nos Orateurs ont- ils eu foin de nous rappeller
que la France fous Louis XIV a réfifté à toutes
les Puiffances de l'Europe . »
сс
Mais fi les trente premières années du règne
de ce Monarque juftement célèbre ont été glorieufes
pour la France , c'est parce qu'il avoit
une marine formidable , des armées bien difciplinées
, bien aguerries , commandées par de
grands généraux ; parce qu'il avoit de bons Miniftres
; parce qu'il employoit d'habiles Négo--
ciateurs ; parce que le fecret de fes délibérations ,
l'enfemble de fes combinaiſons , la promptitudede
l'exécution de fes plans , le fecret de toutes
fés meſures & l'unité du reffort qui faifoit tout
mouvoir concouroient à - la - fois à affurer fes
fuccès . Les victoires , les conquêtes ne lui faifoient
négliger ni les manufactures ni le commerce.
Tous les talens étoient encouragés , protégés
, favorifés , récompenfés. Le génie des arts
multiplioit en même temps les chefs - d'oeuvres
dans tous les genres , & les offroit aux ennemis
vaincus qui venoient après leurs défaites parti
ciper aux fêtes d'une nation aimable , généreuſe
& fpirituelle . »>
сс Aujourd'hui le caractère national eft obfcurci
; le défaftre de la plus belle de nos colonies
paralyfe notre commerce ; nos manufactures
ont une activité apparente mais forcée qui les
menace d'une prochaine oifiveté . Trente années
de paix nous ont diftraits des connoiſſances &
des talens qui promettent des fuccès à la guerre .
L'efprit d'infubordination , de défiance peut déjouer
les mefures les plus fages & les projets les
( 67 )
mienx combinés, Il ne faut donc pas nous fatter
fur les dangers qui nous environnent ; notre
pofition eft également alarmante , fi nous confidérons
ce qui fe paffe foit dans l'intérieur du
Toyaume , foit à l'extérieur. Tout nous préfage
des défaftres . Les pilotes chargés de diriger le
vaiffeau de l'Etat , font obligés de le conduire
au milieu des écueils . Ils ne peuvent prendre
aucun parti qui foit fans inconvéniens . L'obſcu
rité , les orages ne leur laiffent que le choix des
fautes. Préparons - nous donc à fupporter avec
courage nos infortunes ; qu'elles nous rendent
du moins plus fages , plus raifonnables , plus!
juftes . En perdant nos richeffes , en multipliant!
nos facrifices , en confentant peut - être à renoncer
à quelques portions de notre territoire , nous
ferons encore heureux nous acquerrons des
vertus dont l'abſence eſt la vraie caufe de tous
nos malheurs , » .-
M. Bertrand Miniftre de la Marine n'eft
pas encore définitivement forti des mains
de fes Dénonciateurs . Son dernier difcours
quoique très péremptoire fur le fond des
accufations , fe reffent un peur des ciiconftances
accablantes où se trouve tout Miniftre
, qui veut conferver la contenance de
Phonneur & de la fermeté. Placé entré le
Confeil qui ne partagera point ces fentimens
, & une Faction prépondérante dans
le Corps légiflatif , qui lui en feroit un
crime , il eft réduit à une réſerve qui atté
⚫nue néceffairement fes moyens de défenfe.
( 68 )
Cette obfervation paroîtra jufte à la lecture
de la lettre fuivante , accompagnée de
fes pièces juftificatives.
De Paris , 25 Janvier 1792 .
Vous rendrez compte fûrement , Monfieur
de l'odieufe attaque dont le Miniftre actuel de la
Marine eft l'objet . Ses difcours à l'Aſſemblée ,
Févidence de fes moyens juftificatifs , déconcertent
un inftant fes ennemis , & ne les laffent pas. Je
Vous déclare que s'eft fa faute ; & que fi l'on
pouvoit s'indigner de la patience & de la modé
ration d'un homme honnête & loyal , tel que M.
Bertrand , je l'appellerois un homme foible. Je
Jui seprocherois amèrement fes ménagemens pour
des hommes auffi méchans qu'audacieux , & qu'il
ne tenoit qu'à lui de démafquer aux yeux de l'Af
femblée. M. Bertrand a reçu , j'en fuis certam
, les pièces que je vous envoie. Il eft notoire
à Breft , que M. de Marigny , commandant de la
Marine , en a obtenu la communication de la
Municipalité , & j'ai confronté moi- même les
copies qui m'ont été adreffées , avec celles qui
font au Bureau de la Marine. Ainfi je vous
en garantis l'authenticité. Quelle est donc la
raifon qui peut juftifier le filence de M. Bertrand
fur cette atrocité des fieurs Cavalier & Malaffis ?
-
Un Miniftre qui a la preuve des intrigues de
Club , des innovations incendiaires de deux
Députés , n'ofe pas publier de tels faits ! Et il
efpère échapper amfi échapper ai fi à de nouvelles
perfidies . Non , il n'y a jamais de compoition
à faire avec les méchans ; ce n'eſt pas gené
zofité , c'elt foiblefle que de leur pardonner ; &
1691)

tout estimable qu'eft M. Bertrand , je `fuis fa→
ché , pour lui , qu'on ait à oppoſer à la répu÷
tation de fermeté , de tels-ménagemens pour MM.
Cavelier & Malaffis , &c.
Extrait de la Lettre écrite au Club de Breft par
les Sieurs Cavelier & Malaffis , Députés à
L'Affemblée Nationale , & arrivée à Breft le
Vendredi 11 Décembre.
CG
Quant à l'événement du Sieur Lajaille ;
malgré que nous prenions intérêt à lui , l'infignè
Aristocrate ne l'a que trop mérité ; ne foyez
point inquiet fur fon arreſtation , il eft en fûreté
en prifon , il en fortira quand il pourra. Nous
ignorons fous quelle couleur le rufe Marigny
aura pint cette correction au Sieur Bertrand ;
nous iommes etonné que ce dernier n'en ait pas
encore rendu compte à l'Affemblée ; mais nous
avons remis les pièces au Préfident , & nous
attendons l'impofteur de pied firme. Vous avez
raifon de l'accufer , de le dénoncer , nous verrons
comment il fe lavera d'avoir dit qu'il ne
manquoit aucun Officier de la marine dans les
ports . Quant au commandement qu'il donne au
Sieur Lajaille K, lerce & autres contre- Révolutionnaires
, nous ne pouvons malheureuſement
aller contre ; mais dans peu vous verrez comment
nous les traiterons , & comment nous déjouerons
leurs infâmes complots. Nous déteftons - les Ber
trand, les Marigny ; l'un quitte fa place , parce
qu'il voit que vous découvrez toutes les menées
; s'il eut été à la dernière féance , il eût
entendu bien faire fes éloges : l'autre veut la
garder pour mieux fervir les projets de fes com
plices. Veillez , veillez , il eſt un coup funefte
( 70 )
}
combiné , qui , du fein de la Capitale , s'étend
fur les frontières , même au - delà du Rhin . Tenez
bon plutôt que de céder ; nous périrons avant
yous. >>
Extrait d'une autre Lettre des mêmes Députés ,
en date dus Novembre 1791 .
C
« Les Emigrés redoublent d'efforts ; les Piêtres
non-affermentés les fecondent de leur mieux ;
Fous les ennemis de la Patrie fe réuniffent pour
confpirer fa perte. Nous verrons dans quatre
mõis fi les François font dignes de la liberté.
On ne peut plus fe le diffimuler , il y aura une
crife , elle eft néceffaire , elle eft même defirable.
Nous ne ferons tranquilles ', que lorfque nous
aurons exterminés les parjures , les traîtres que
nous avons épagnés trop long - temps. Paffe un
certain temps la prudence eft une foibleffe , la
patience n'est plus de faifon , & la générosité eft
une extravagance, »
Le caractère d'atrocité qu'a pris cette attaque
dirigée contre M. Bertrand , ne s'eft pas moins
manifefté par une anecdote , déjà connue . Il a
paru dans plufieurs Papiers publics , & nous
avons nous- mêmes reçu une dettte certifiée de M.
d'Eftimonville , Officier de Marine , ayant des
réclamations à faire contre le Miniftre. Cet
Officier étant malade & alité , a vu arriver dans
fa chambre un perfonnage qu'il ne nomme pas ,
mais qu'on devine , & qui lui a annoncé qu'il
venoit au nom d'un Comité , recueillir fes
plaintes & fes dépofitions contre M. Bertrand. --
Il lui a offert une bourfe d'or. M. d'Eftimonville
indigné a repousé l'anonyme , & rendu
17
( ( 71 )
compte de cette exécrable féduction au Préfident
de l'Affemblée Nationale . Perfonne n'a ofé démentir
ce fait.
Voilà donc les nouveaux moyens de la
liberté régénératrice ! voilà comment de prétendus
Amis de la Conflitution projettent de
l'établir & de la faire aimer. C'est avec le
menfonge & la calomnie , avec le fer & le
feu qu'ils veulent fonder la liberté & l'égalité.
Jufqu'à préfent , ils n'ont travaillé & réuffi
qu'à un feul genre de Révolution , à celui
qui met le crime à la place de la vertu , &
la vertu à la place du crime . Publiquement,
ils prêchent l'affaffinat , ils plaifantent fur
les forfaits ; le bon Patriote à leurs yeux
eft celui qu'une juftice clémente enverroit
au dernier fupplice. Un Membre de la Minorité
de l'Affemblée , dont je regrette
d'avoir oublié le nom, obferva très-juftement
il y a 15 jours , que nul Officier de
Marine n'étoit tenu de revenir à fon pofte ,
tant qu'à l'exemple de M. de la Jaille , il
auroit à craindre d'être maslacré par la multitude.
Briffot , dans fa Feuille périodique ,
releva le lendemain avec fureur cette remarque
judicieufe , & il ajouta : « Ces Officiers
ne feroient ils pas mieux de NE PAS
MERITER d'être facrifiés aux fureurs du
Peuple , et de fe montrer Patriotes ? ( Patr
Franç. n°. 887. ) Cette patente d'affaffinat
cette morale de la liberté Françoife , qui
confie au Peuple le foin d'égorger qui
772 )
conque ne fe montre pas Patriote, c'eſt-d.
die , quiconque n'imite pas Briffot qui
parle de fes moeurs , on la retrouvera dans
la lettre fuivante d'un autre de nos Légiflateurs
; elle eſt confignée dans toutes les
Feuilles Patriotes , entr'autres dans ce Jour
nal de Briffot n°. 897 , comme un chefd'oeuvre
de civisme.
MM. Hentz , Maire , & Dinot , Comman
dant en chef de la Garde Nationale de Thionville
, me chargent de démentir , en leur nom,
les Publiciftes qui leur ont fait l'honneur de les
compter au nombre des Scevola François ; comme
votre Journal eft beaucoup lu , que la Vedette ,
Gautier , &c. peuvent le rencontrer , je vous
prie d'y inférer que c'eft à tort que l'on attribue
à ces Meffieurs le projet d'avoir voulu envoyer
Condé & fa Royale famille d'outre- Rhin
adpatres attonitos ; qu'ils n'affiſtèrent pas même
au confeil de ceux qui penfent que dans une
guerre de Citoyens contre des defpotes , c'eft le
chef qu'il faut frapper , en tendant une main
protectrice aux Peuples , nos frères.
Signé , MERLIN.
Les Numéros fortis au tirage de la Lotesie
Royale de France , du premier Février ,
font : 37 , 27 , 40 , 84 , 69.
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE.
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 22 Janvier 1792.
O
ne s'étoit pas trompé fur la probabilité
de la fignature très- prochaine de la paix ,
entre la Rullie & la Porte Ottomane. Le
16 de ce mois , le Baron de Buhler , Offi
cier au fervice de Ruffie , arrivé d'Jaffy,
a apporté à l'Ambafladeur de fa Souveraine
le Traité de paix définitive figné
le 9 ,
d'une part , par le Prince Repnin
& les Généraux Zamoilof & Ribas ; de
l'autre , par le Grand Vilir Juffuf- Pacha ,
par le Reis Effendi Ismaïl Bey , & par Dury
Effendi. Le Prince Gallitzin a communiqué
fur- le- champ une copie de cet Acte
au Prince de Kaunitz. Quoique la publication
des articles foit renvoyée après leur
N°. 6. 11 Février 1792 . D
( 74 )
ratification , on prétend favoir ( ce qui ne
choque pas la vraisemblance ) qu'il renferme
la ceflioh à la Ruffie d'Oczak of &
de fon Diftrict , jufqu'au Niefter qui fervira
de limite la liberté pour la même
Puiffance de raviger de la mer Noire à
l'Archipel , & de la Méditerranée à la mer
Noire , par le canal de Conftantinople ;
( fans doute il n'eft ici question que de la
(
lande
) la
confirmation
des droits & priviléges des Confuls Ruffes
dans la domination Ottomane , tels qu'ils
furent établis par le Traité de Kainardgi ;
enfin , l'obligation pour le Grand Seigneur
de contenir les Tartares du Cuban .
Ainfi , en dernière analyfe , cette guerre
longue , ruineufe & dévaftatrice , aboutit ,
pour les Ottomans , à la perte d'Oczakof ;
perte importante , & dont ils fentiront
vivement un jour les conféquences , furtout
s'ils ne travaillent pas à fe fortifier
férieufement dans la Beffarabie. Quant au
paffage par le canal de Conftantinople ,
& aux droits des Confuls Ruffes , ils feront
à l'avenir , comme au paffé , le fujet ou
le prétexte de retour de mille difficultés qui
contribuèrent en grande partie à la dernière
rupture. Quelques jours avant la fignature
du Traite , le Grand Vifir , pour divifer
fes troupes , & les congédier plus facilement
, a fait entrer dans la Valachie un
Corps de 24,000 hommes .
( 75-)
Quoique le Public s'entretienne ici d'une
guerre prochaine avec la France , & que
les Romanciers politiques fe hâtent de la
proclamer , on n'apperçoit encore aucunes
difpofitions qui décèlent une détermination
tranchante. Le rappel des Sémeftriers ,
l'ordre de rejoindre pour les Officiers
quelques arrangemens relatifs à l'Artille
rie & aux convois ; voilà à quoi ſe rédui
fent encore les indices. Quelques régi
mens de la Bohême ont reçu l'avis de fe
tenir prêts cet avis , dit- on , a été étendu
à 20 bataillons d'Infanterie , & 14 divifions
de Cavalerie , formant un total d'environ
28 mille hommes ; mais , en fuppofant
avérés ces ordres , dont l'extenfion
eft encore problématique , il eft certain
qu'à ce jour aucun Corps n'a marché ,
ni ne marche , & il faut reléguer au rang
des anticipations fabuleufes , les affirmations
contraires des Gazettes étrangères .
Aux approches d'une guerre bien déci
dée , il eft des fymptômes auxquels on ne.
peut fe méprendre : or , nous n'appercevons
encore que la probabilité de leur développement
éventuel. Le Cabinet s'occupe
fortement des circonftances : on découvre
des fignes manifeftes de grands
projets : ceux des Miniftres qui opinent à
agir ont gagné de l'afcendant. Le 17 , il
fe tint en préfence de l'Empereur un Cor
feil extraordinaire , auquel allifèrent les
D 2
( 76 )
Princes de Colloredo , de Stahrenberg , de
Rofenberg , le Maréchal de Lafcy, le Comte
de Hasfeld & le Baron de Reifchach , ainfi
que MM. de Spielmam & de Kollenbach.
Différens Couriers furent expédiés à l'iffue
du Confeil qui dura quatre heures . Quoiqu'on
n'en pénètre pas le réfultat , on fait
qu'il avoit pour objet l'alternative d'un plan
de vigueur très - fubit , ou de nouvelles
temporifations. Le Confeil ne penſe point
uniformément à cet égard ; mais il paroît
indubitable que ce diffentiment a du moins
cédé , à la néceffité de concerter promptement
avec les Puiffances de l'Europe , les
mefures néceffaires au repos de l'Europe ,
& à la tranquillité de l'Empire en particulier
. Une intelligence parfaite fe foutient
entre notre Cour & celle de Berlin ; les
réfolutions de l'une feront inévitablement
adoptées par l'autre.
le 12 ,
Le Prince de Naſſau arriva , ici ,
de Coblentz. Il eut le lendemain , une audience
particulière de l'Empereur , & parut
le foir au Cercle chez le Prince de Kaumitz.
Le but de fon voyage eft de redou
bler d'efforts pour intéreffer S. M. I. au
fort des Princes & des Emigrés François.
Des mobiles plus puiffans , fortis de deffous
le voile que les Démagogues François
ont enfin officiellement foulevé aux
yeux de toute l'Europe , feront peut -être ,
& dans un autre but ce que tant de
( 77 )
courfes , de follicitations , de mémoires
n'ont pu , ni ne pouvoient opérer. M. le
Prince de Naffau partira dans quelques
jours pour Berlin , d'où cet infatigable &
ardent Etranger fe rendra à Pétersbourg ,
pour venir enfuite rejoindre les Princes
François.
S. M. I. a établi une nouvelle Commiffion
militaire , préfidée par le Maréchal
de Colloredo , & à laquelle allifte
l'Archiduc François. Elle eft compofée
des Généraux de Vins , Kinsky, Wonkheim ,
Spleny , Mikowini & Moczorooz. Elle a
déjà commencé fes travaux , d'après les
inftructions qui les fixent fur les points
fuivans .
+
ce La Commiffion s'occupera , 1 ° . de la fotce
de l'armée , & de fa compofition , relativement
à la poſition , aux forces intérieures & aux circonf.
tances de la Monarchie , tant en paix qu'en
guerre ; 2 °. de la force & des rapports des diverfes
parties de l'armée ; c'eft- à- dire , de l'Infanterie
à la Cavalerie , & à d'autres Corps ; 3 ° . de
la répartition de l'armée & de la diflocation ;
4. des changemens à faire dans la compofition
actuelle des troupes , dans la force des régimens ,
dans les armes , l'habillement & le ſervice ;
5°. s'il feroit utile de créer des régimens de garnifon
, de les compofer de vieux Militaires , &
de les mettre en garnifon dans les Pays- Bas , la
Hongrie ou la Bohême ; 6° . de la répartition des
Généraux , du fyftême actuel , adopté dans l'Artilllerie
& le Génie ; 7º. du fyftême de recrutes
D
3
( 78 )
ment ; s . s'il eft convenable de conferver ou
de changer le fyftême actuel de cantonnement ,
de confcription militaire , & des congés ; 9º . des
capitulations ; s'il convient ou non d'en accorder
ax Soldats Nationaux , & quel pourra être le
terme de ces capitulations ; 10. de la remonte .
de la Cavalerie , & du perfectionnement des
haras ; 11º . de l'habillement des troupes ; s'il
eft utile de conferver ou non la Commiffion
actuelle d'économie chargée de cet objet ; 12º . du
charroi militaire ; s'il convient de fuivre ou de
réformer le fyftemne actuel ; 13 ° . des ſubſiſtances
des troupes ; s'il eft à propos de continuer ou
de changer le fyftême actuel , tant en paix qu'en
guerre , & c. »
De Francfort-fur-le - Mein , le 30 Janvier.
Les affertions de différentes Feuilles
étrangères fur des marches de troupes
Pruffiennes , Autrichiennes , &c. &c. , font
d'infipides répétitions des hiftoires de.
même nature , dont l'année dernière clles
occupèrent la crédulité publique. Aucun
Corps militaire n'étoit encore en mouve
ment le 20 de ce mois , & rien n'indiquoit
alors le prochain départ de troupes
quelconques. I eft feulement queftion de
garnir , au befoin , les frontières de l'Em-.
piré : 20,000 Autrichiens fous les ordres
du Maréchal de Bender protégeront l'Electorat
de Trèves ; 6,000 Heffois & un
Corps.de troupes, du Cercle du Haut Rhin
( 79 )
couvriront le territoire de Mayence ; on
poftera 4,000 Palatins entre Germersheim
& Neustadt , & un Corps d'Autrichiens
occupera l'Ortenau . Ces mefures défenfives
ne reffemblent point encore , comme
on le voit , à celles qui précèdent des
projets d'aggreffion.
Dans l'une des dernières Séances de la
Diète , le Miniftre Comitial de l'Electeur
de Trèves a publiquement remercié l'Empereur
de l'affiftance que S. M. I. a bien
voulu promettre à l'Electorat. Le même
jour, le Miniftre de Brandebourg déclara
que , le Décret de ratification Impériale
fur le Conclufum , ainsi que les démarches
de l'Empereur , relatives à cette affaire ,
font entièrement conformes au vou du
Roi fon Maître. Les écrits fe multiplient
au fujet de ce différend , fi férieux
par fes conféquences , de l'Empire avec la
France. Il vient de paroître à Ratisbonne
un nouveau mémoire , écrit avec folidité ,
fous ce titre :
La Suprématie et la Suzeraineté de l'Em
pereur et de l'Empire fur les pays , territoires
immédiats et villes impériales dans
PAlface et la Lorraine , prouvées par des
Alles publics et des traités de paix . L'ouvrage
eft terminé par des obfervations fur
le Conclufum de l'Empire du 6 Août 1791 .
M. de Berenger , ancien Miniftre de
D. 4.
( 80 )
France à la Diète , rappellé par une lettre
qu'il reçut le 21 Décembre , après 48 années
de fervices dans la carrière politique ,
où il fe diftingua par fa prudence , pár
fa modération , par fon talent dans plufieurs
négociations délicates , a fixé fon féjour
à Ratisbonne ; l'eftime univerfelle le
dédommage d'une difgrace honorable ,
dont les maximes qui prévalent aujourd'hui
en France , a récompenfé fes longs
travaux .
Un Libraire a imaginé de faire traduire
en Allemand , le dégoûtant Libelle de
Thomas Payne fur la Révolution Fran- .
çoife. Cette traduction n'a pas fait fortune
; elle eft auffi méprifée que l'original.
Voici de quelle manière il eft apprécié
dans la Gazette Littéraire de Gottingue
qui donne le ton à un très-grand nombre
de nos Ecrivains.
« Ce fameux écrit de Payne , qu'on méprife
en Angleterre , dit le Rédacteur , ne méritoit pas
d'être traduit en Allemand ; c'eſt un tiſſu d'erreurs
, d'ignorances & de groffieretés , Comme cet
Auteur choque à la fois la taifon , l'expérience
& la bienséance , une réfutation férieufe de fon
ouvage feroit une véritable perte de temps . Nous
ne citerons qu'un paffage de cet ouvrage , pour
en apprécier la manière ; on y lit : « Plus on
apprenoit à connoître les Ariftocrates , plus
ils devenoient méprifables au Peuple ; la plupart
сс
( 81 )
« étoient fi bêtes , & le bon fens & la réflexion
» leur manquoient au point , qu'à peine on pouvoit
les confidérer comme des hommes ; le
33
méprisplutôt que la haine leur a ôté tout crédit ;
» ils reffembloient moins à des lions que l'on
» craint , qu'à des ânes dont on fe moqué. Voilà
» le caractère général des Ariftocrates , ou comme
» on les appelle , de la Nobleffe & des Gentils-
» hommes , & par- tout ils fe reffemblent. »
« Il eft difficile , ajoutent les Rédacteurs de
la Gazette Littéraire , d'écrire quelque chofe de
plus plat , de plus groffier & de moins vrai .
Le Traducteur a corrigé dans des notes les principales
balourdifes de ion Auteur ; dans une de
fes notes , il dit , à l'occafion du retour du Roi
de France à Paris après l'arreftation de Varennes :
» Les Parifiens fi polis , fi civilifés autrefois
» n'ont pas même ôté leurs chapeaux au paffage
de leur Monarque. Certes , Louis XVI &
» fon Epoufe cuflent été mieux reçus à Londres,
où cependant on fait auffi ce que c'eft que la
dignité de l'homme. »
גכ
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 1er . Février.
Hier , S. M. s'eft rendue en Cérémonie
dans la Chambre des Pairs , où elle a fait
l'ouverture de la feffion par un Difcours ,
qui forme le tableau le plus éclatant de la
puiffance , & de la profpérité actuelle de
D. S.
2
la Grande Bretagne. L'Adreffe de remerciemens
a été votée dans les deux
Chambres , avec les témoignages de fatisfaction
les plus expreflifs. Nous donnerons
la femaine prochaine une idée détaillée
de cette féance intéreffante.
Le Parlement d'Irlande s'eft auffi raffemblé
le 19 Janvier . Le Viceroi -Lord Westmorland
prononça un difcours de forme
à l'ouverture : Adreffe de remerciement
au Roi fut enfuite difcutée & délibérée .
Dans la Chambre des Pairs , le Duc de
Leinster demanda qu'on retranchât de
Adreffe, la phrafe par laquelle on remercie
S. M. d'avoir continué le Comte de Weftmorland
dans le Gouvernement de l'Irlande.
Mais cette oppofition n'eut en fa
faveur qu'une foible minorité. Elle obtint
encore moins de fuccès dans la Chambre
des Communes. M. Grattan ayant propofé
cette exception , même avec des
menagemens , il fut abandonné de la
plus grande partie de l'oppofition . L'un
des principaux Chefs de celle- ci , le refpectable
Chevalier Edouard Newenham ,.
ami de Francklin , demanda & obtint
Funanimité de la Chambre, en faveur de
L'Adreffe entière , afin , dit-il , « de montrer
» à tous dans les conjonctures actuelles ,
» que le Parlement et décidé à foutenir
de toute fa fermeté , le pouvoir du
( 8313 )

Gouvernement & les principes facrés de
-» notre Conſtitution.»
{
M. Knox ajouta , « qu'il exiftoit en-
» Irlandes quelques difciples de ces hom-
» mes ignorans & défefpérés qui avoient
» plonge la France dans la confufion , la
» misère , & l'anarchie ; pour qui les bé-
» nédictions de la paix étoient un fléau ,
» & l'ordre public une difformité fociale .
» Leurs admirateurs parmi nous font trop
» méprifables pour attirer notre attention ;
>> mais il eft bon de les avertir que , fi leurs
>> revêries dégénèrent en fédition , ils
» feront écrasés de la force toute puiffante
» de la Loi. »
Les mêmes fentimens feront la profeſfion
générale du Parlem ent Britannique ;
on peut en être certain.
1..1
Le paquebot le Swalow , parti de Madras
le 21 Septembre , & entré à Briſtol Mercredi
dernier , a apporté des dépêches
officielles aux Directeurs de la Compagnie
des Indes .
Immédiatement après la faifon des
pluies , Milord Cornwallis a recommencé
les opérations offenfives . Ses troupes dans
le meilleur état , font
abondamment pourvues
de vivres & de munitions. Les Ma
rattes & le Nizam fe conduifent avec
autant de zèle que de fidélité. Tippoo
Da
( 84 )
& fon armée font dans la détreffe à Seringapatam
, & effuient une déſertion journalière
très confidérable . Lord Cornwallis
va reprendre inceffamment le Siége de
cette Capitale. Le fort de Ryacottah , &
Ouffore , place importante , font entre nos
mains ; l'ennemi a affiégé Coimbatour & a
été repouffé. Le Général Abercrombie 'eſt
campé près de Tellichery ; enfin le Raya
de Travancor s'eft engagé à fournir au
Général Anglois un fubfide annuel de dix
lacks de roupies . Tel eft le précis des
dépêches apportées par le Swallow. Les
fonds de la Compagnie des Indes ' ont
hauffé de 4 pour 100 , & les autres fonds
publics à proportion . Les 3 pour 100 conflidés
font à 92 & demi ; c'eft- à- dire plus
Maut qu'ils ne l'étoient en 1763.
FRANCE.
De Paris , le 8 Février.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE.
Du Dimanche , 29 Janvier.
M. Rouillier a débuté par un commentaire
fur le dernier meflage du Roi . Sa Majefté y fait
entendre que la forme adoptée par le corps léginatif
pour la porter à déclarer la guerre ou à
traiter de manière à la provoquer , eft inconsti
( 85 )
tc
tutionnelle. D'abord , a dit M. Rouillier avec
fon urbanité connue , c'eſt un fait que je ne crois
pas.Mais le fut- elle ? C'eſt une eſpèce de communication
fraternelle que les deux pouvoirs fe
doivent mutuellement , dans ce moment - ci ,
pour faire aller la machine qui n'eft que trop
dérangée... Dernièrement , le Roi fit bien plufieurs
obfervations , j'oferai même dire qu'il
vous donna des leçons dans fon difcours . L'Alfemblée
reçut ces invitations avec l'amitié cordiale
nécefiaire entre les deux pouvoirs . Cependant
vous voyez aujourd'hui que vous voulez
ufer de cette communication , les miniftres fe
coalifent pour vous faire voir que vous avez
tort . Je demande que le préfident foit chargé
d'écrire au Roi des François , que l'Affemblée
a bien reçu des invitations de fa part , & qu'elle
voit avec peine que le Roi des François ne reçoive
pas avec le même plaifir les communications
fraternelles du corps légiſlatif ( applaudiſfemens
. ) »
Prenant le ton de M. Rouillier , M. Mouyffet
a dit :« Le Roi a cru que notre démarche n'étoit
pas conftitutionrelle : à lui permis de croire ce
qu'il jugera à propos . Que nous importe à nous
qu'il croye ou qu'il ne croye pas ? Si jamais la
quefiion s'engage , nous l'examinerons ; mais
nous n'avons point à examiner , en ce moment
fi l'opinion du Roi eft bien ou mal fondée.
Ainfi , je demande qu'on paffe à l'ordre du
jour, L'Affemblée y eft paffée.
»
Le refte du temps a été donné à des moulins
à vent propofés par ur Bénédictin ; à la réfolution
qu'ont prife les habitués de l'une des
48 fections de Paris , de ne plus confommer ni
Lucre pi café ; acte de civilme dont il fera fait
186 )
mention honorable & notification aux 83 dépar
temens ; à une pétition contre la vente du numéraire
aux plaintes d'un foi - difant propriétaire
d'habitation , chaffé, de St. Domingue pour
avoir tâché d'accorder les blancs & les mulâtres ,
& qui , protégé de M. Briffot , a demandé vengeance
, juftice & des dédommagemens ; à des
projets d'un retranchement portatif , & de calottes
contre les coups de fabre ; à des piqués
à feu continuel ; à un nouveau premier inventeur
de la logographie , quoiqu'il y ait des logographies
, des Shord- Hand à Londres , depuis
grand nombre d'années ; & enfin à une feconde
requête de M. de Créquy- Montmorency- Beftuchet ,
né , comme on fait , en 1737 , d'une princeffe
allemande & de Louis XV , avant le mariage
public de ce Roi âgé de 15 ans , en 1725.
i âgé de 1
Du lundi , 30 janvier.
1
A la fuite d'explications deftinées à raflurer
ceux des membres de l'Affemblée qu'alarmoient
3,000 chevaux , 800, charretiers & 100 conducteurs
réunis à Fontainebleau , pour fervir au
tranfport des vivres , de l'artillerie & du train
de l'armée ; de la lecture d'une lettre de citoyens
de Breft qui , dirigeant leur apologie
contre le miniftre de la marine , proteftent que
ce n'eft pas le glaive des factieux , mais le glaive
de la loi qui fe promène fur toutes les têtes de
cette ville ; d'un décret d'urgence portant que les
coupons des affignats de la première émiffion ,
Coupons
de 3 liv. , 4 liv. 10 fous , & 15 liv .
cefferont d'avoir cours dans le commerce , à
compter du premier avril prochain , & ne feront
plus admis dans le caiflespubliques & particulières ,
paflé le premier mal ; le rapporteur a telu , &
787 )
l'Affemblée a difcuté le projet de décret fur
les paffe- ports , que nous avons analyfé en rendantcompte
des féances de la femaine dernière .
M. Lemontey a développé plufieurs objection's
judicieufes , mais gâtées par une affectation des
tournures , & par un néologifme qui difcréditent
la raiſon même . Il a parlé du fédiment d'hommes
pervers qui ronge le corps politique , fédiment
qui fe groffit dans un déménagement général ; for ..
midable génération , cafte dangereufe quand elle
eſt miſe en mouvement «par une horde d'aventuriers
fans nom , fans bien , fans famille , arti
fans de défordre , habiles féducteurs des peuples ,
que je ne fais quel croaffement , que l'instinct
rallie par-tout cu naît l'occafion de faire du mal;
qui étoient en Hollande , en Brabant , à Nîmes ,
à Avignon... Qui plus d'une fois ont violé l'in
nocence du peuple , & transformé en orgies les
fobres banquets de la liberté... flibuftiers de terre
qui , dès qu'une révolution eft faite , ne voient :
rien de mieux à entreprendre qu'une contre-ré
volution. Malgré cet entortillage , ceux qui ne
Je concevoient que trop bien l'ont affailli de murmures
d'improbation .
ל כ
L'opinant a foutenu que la propriété eft la baſe
de toutbon gouvernement , & a propofé de ce rendre
tous les habitans d'un canton , folidairement & hypothécairement
refponfables de toutes les propriétés
dévastées. On lui a crié : cela ne vaut rien:
« Je fuis convaincu , a- t -il pourſuivi , qu'il n'y
a de dégât commis en aucun lieu , que quand les
habitans le veulent bien . » De violentes rumeurs
fui ayant coupé la parole : « M. le préfident ,
a- t- il repris , pour l'honneur de l'Affemblée , je
vous prie de m'obtenir du filence ; je ne voudrois
pas que les journaux fiffent mention que j'ai été
( 88 )
interrompu far cette phrafe. » Il a continué , le
tapage a recommencé : « M. le préſident , s'eſt- il
écrié , délivrez- moi des oppreffeurs matériels de l'Alfemblée.
» Nouveau vacarme.
Au travers des huées , des contradictions , des
clameurs : Ce n'eft pas la queftion ... Lespaffe -ports ;
M. Lemontey eſt enfin arrivé à ſes conclufions ,
qui ont été de demander que chacun porte & préfente
par-tout en voyage , une expédition de fa
déclaration faite à fa municipalité , en vertu d'une
loi non- exécutée ; qu'on occupe les perturbateurs
à défiicher des Landes , fauf une redevance envers
l'Etat ( origine de droits féodaux ) ; que le corps
légiflatif défigne un lieu , & faffe des loix pour la
déportation.
M. Rouillieratrouvé ce difcours matériel. Quelques
amateurs de fine plaifanterie ont beaucoup ri.
On arenvoyé au comité la motion qu'a faite M.
Brouffonnet , de préférer , pour la deportation
l'Inde, Madagaſcar, &c. , à l'Amérique; M. Lecoz ,
évêque conftitutionnel de Rennes , a célébré l'elprit
de liberté qui dica le décret propofé fur les
pafle- ports. Graces à cette loi , auffi fage que
jufte , toutes les municipalités fauront fi un voyageur
eft ami on ennemi de la révolution , patriote
qu ariftocrate ; fi l'on doit le fier à lui
ou s'en défier. Selon M. Brouffonnet , les fignalemens
pourroient fe borner à des formules à
remplir à la main ; les cheveux... les yeux....
de telle couleur... M. Fauchet infiftoit fur les
notes de fufpicion ou même d'inf mie , à mettre
dans les paffe - port , au gré des municipaux. Enfin
trois premiers articles ont été décrétés. Nous les
tranfcrirons avec les fuivans, ⚫
( 89 )
Du mardi , 31 Janvier.
Quelques citoyennes du département de lá
Dordogne ont envoyé à l'Affemblée leur ferment
de prendre les arines avec leurs époux , leurs
frères , leurs fils , & de ne pas furvivre à la
conftitution. Ces niaiferies de commande abforbent
un temps dont la perte eft horrible , & on
en fait mention honorable . L'on eft revenu aux
paffeports .
MM. d'Averhoult & de Girardin fc font élevés
contre les entraves données à tout étranger dès
la frontière & dans l'intérieur du pays de la
liberté ; contre ces défiances du defpot:fine , nuifibles
au commerce , à l'induftrie , & honteufes
pour la nation. M. Lacroix a prétendu qu'un
paffeport est une lettre de recommandation , &
que cet avantage attirera les étrangers jaloux de
voyager en fûreté. M. Dumas a objecté que
des militaires ne pourroient pas toujours s'arrêter
à demander des paffeports aux municipaux de
tous les villages , ni communiquer à tout venant
leur deſtination . M. Rouillier a combattu ces
raifons par ce dilemme « ou le militaire eft à
fon pofte , & il n'a que faire de paffeport ; on
il voyage , & alors il redevient citoyen , & doit
être foumis à prendre un pafleport de fa municipalité.
» Afin de rendre les opérations encore
plus sûres & plus fimples , on a demandé que
les paffeports fuffent individuels .
Sur une obfervation de M. Ducaftel , la rédaction
a fait un fingulier pas vers la juſtice ,
en fubftituant aux mots : donner un mandat
d'arrêt , ceux- ci mettre en état d'arrestation...
Enfin , des débats , dont ces apperçus indiqueront
affez le genre , où tout ce qui ſembloit ſe
:
( 90 )
rapprocher des vrais droits humains & civils
étoit hué ; où tout ce qui promettoit des vexations
étoit applaudi ; où les habitués des galeries
opinoient du gefte , des pieds , des mains & de
la parole ; où l'on a fouffé l'ignorance & la
mauvaiſe- foi jufqu'à faifir une grande analogie
entre certaines difpofitions adoptées , & l'habeas
corpus d'Angleterre , on a décrété un bon nombre
d'articles que nous donnerons avec ceux qui ort
été ajournés , pour offrir cette loi dans fa totalité,
& ne point en évaporer le génie bienfaifant
en la morcelant.
Le miniftre de la guerre a dépofé fur le bureau
la lifte des officiers déchus de leur emploi
par abſence cu refus de fermens , & a prié de
ne point donner de publicité à cette lifte ; ménagement
qui a excité des murmures : mais chaque
membre peut aller la voir aux archives ; le fecret
fera bien gardé.
M. de Narbonne a annoncé que cinq maréchaux
de France venoient de donner leur démi
fion , & a follicité pour eux une retraite qui fûtprouver
aux jeunes gens que de longs fervices
font récompenfés . Il a renouvellé toutes celles
de fes demandes qu'on n'a pas encore difcutées ;
adjudans- généraux , commiffaires des guerres ,.
aides - de - camp attachés au miniſtère , avances
aux officiers , aux foldats , paiement de la vian .
de , ordres relatifs aux fourrages , aux pailles ,
aux voitures , commandement réfervé aux cfficiers
de ligne ( ce qui eft un décret à rétracter).
Rien n'eft moins embarraffant que cette
encyclopédie législative . M. Dumas a fait décréter
que les huit féances prochaines & confé--
cutives feront youées aux rapports des comités.
militaire , diplomatique & des finances ,
-
( 91 )
Du mardi , féance du foir.
Le décret qui confacroit huit féances confécutives
aux comités militaire , diplomatique &
des finances , n'a guère produit , dans celle - ci ,
que des paroles : 10. une décifion qu'il n'y avoit
pas lieu à délibérer fur la demande qu'a faite , par
écrit , M. de Rochambeau à l'Affemblée de permettre
à MM. Dumas , Crublier d'Obeterre &
d'Averhoult de le joindre à l'armée ; 2 °. une difcuffion
fort aigre , cù les galeries font intervenues
par des : oui , oui , non , non , des clameurs
, des applaudiffemens , des huées , enfin
leur juftice diftributive ordinaire , au fujet des
comptes de M. Duportail ; 3 ° . le renvoi au
bureau de confultation d'une manipulation de
poudre & de falfètre .
A moins d'avoir les loifirs de l'Affembléc ,
qui pourroit donner fon temps . aux faillies de
M. Rouillier contre un ex- miniftre & fur un malde
goige , ou aux differtations de M. Françoisde
Neufchâteau , poëte , & de M. Lacroix , avocat ,
fur le falpètre & la poudre à canon ?
Du mercredi , premier février.
Cette feconde des huit féances fi décifives pourle
falut de l'Etat , a offert encore bien du rempliffage.
Rapport & décret négatif fur les marguilliers
de la cathédrale de Beauvais ; projets
ajournés ; nouvelles de la forêt d'Orléans où l'on
commet d'affreux dégâts , fi à propos qu'ils hâtent .
le travail fur la queftion de favoir fi la nation
vendra les forêts pour n'avoir bientôt plus à
brûler que des affignats ; & nouvelles d'Espagne :
débitées & garanties par M. Leremboure.
Ce font des fagots copiés de quelques feuilles.
du coins tous les noms propres font eftropiés. ?
( 92 )
Cet intéreffant bulletin a produit un affaut de
bel efprit conftitutionnel. Au mot vicomte , le
préfident a demandé à M. Leremboure : parlez-
Vous Efpagnol ? M. Brouffonnet a penfé que
les émigrés n'étoient plus François . M. Chéron
a demandé qu'on n'eût l'honneur d'être citoyen
François , que lorsqu'on feroit rentré en France ,
& que , jufqu'à ce moment , on fût condamné
à porter les titres de duc , de comte , de baron ,
de marquis.
M. Leremboure a defiré que le miniftre des
affaires étrangères rendît compte de ce qu'il fauroit
de « certe conduite amicale du Roi d'Eſpagne
notre allié , notre bon voifin » ; & le miniftre
de la guerre , de l'état de ces frontières. On crioit :
féance tenante. M. Goupilleau exigeoit que les mi
niftres fuffent obligés de lire toute leur correfpondance,&
non des extraits de lettres ; M.Lacroix , que
le comité diplomatique correfpondit par - tout directement
( ce qui eft contre la conftitution jurée ) ,
ou que du moins un comité vérifiât les faits
énoncés par les miniftres . Il a été décrété que
le miniftre rendroit compte aujourd'hui , & perfonne
n'y a plus fongé.
La fuite de la difcuffion fur les paffe- ports , a
produit quelques nouveaux articles , décrétés au
milieu d'un vacarme horrible : « Tirez-nous de
là en mettant quelque chofe aux voix , crioit
M. Duhem au préfident. -- Comment veut- on ,
a répondu celui- ci , que je tire l'Aſſemblée du
trouble où elle eft , lorfque ma voix fe perd dans
le tumulte ? » La loi n'eft pas encore complette ,
nous la donnerons dans fon enſemble. Enfin
l'ordre du jour a ramené M. Koch à la tribune .
S'élevant au niveau des gazettes civiques , ce
Publiciſte a prolixement déduit tous les faits ,
( 93 )

divagué à fon aife , & pofé trois queſtions pour
les réfoudre à fa manière .
« 1°. La fouveraineté abfolue . de la France
fur l'Alface & fur la Lorraine , fondée fur les
traités , a- t-elle été reconnue par le corps germanique
? » A en croire M. Kach , un oui répond
ici à toutes les difficultés. Sans convenir que fon
autorité ait autant de poids que le fuppofe fa
difette de preuves , nous obferverons que le
texte des traités lui fut-il auffi favorable qu'1
lui eft contraire , il auroit encore tort par une
de ces raifons que le comité diplomatique étoit
difpenfé de trouver ; c'eft que la fouveraineté
tranfmife par tout Prince demeuré fouverain chez
lui , & devenu fimple propriétaire chez vous ,
n'emporta jamais le droit abufif de la dénaturer
au détriment de cette propriété des parties , qui
font toujours cenfées ne contra&ter que fauf leurs
droits confervés dans l'état où le traité les met
ou les confirme.

cc 2°. Les droits réservés aux princes de l'Empire
dans quelques ci- devant provinces , pouvoient
- ils limiter la fouveraineté Françoife ? »
Ici M. Koch a oublié que tout droit réſervé
limite néceffairement l'action de quiconquea juré
le traité que modifie cette réferve , tant que la
fouveraineté n'eft pas le droit de tout violer .
Mais la folution de M. Koch eft dans la toutepuiffance
de l'Affemblée conftituante & dans le
principe de l'uniformité nationale : pro ratione
voluntas.
38. La garantie ftipulée par le traité de
Weftphalie autorife- t-elle le corps Germanique
à intervenir dans les différends qui s'élèvent en
France ? » A cela M, Koch a répondu que les
traités ne regardent que l'intérieur de l'Emp iro,
( 94 )
Selon M. Kock , le fouverain légitime des princes
poffeflionnés en Alface , pour leurs poffeffions ,
c'est la France , c'eft conféquemment l'Affemblée ,
c'eft , pour fa part , M. Kock qui les repréfente .
en dépit d'eux , & qui prononce dans fa caufe.
Quant à Léopold , la conduite , à l'égard du
conclufum , eft forcée , & les menaces font vaines .
Relativement aux réclamations , malgré la généralité
de fon principe de fouveraineté , les contradictions
ne lui coûtant rien , M. Koch a
diftingué les étrangers des François , a promis
des indemnités aux premiers , & a déclaré n'en
devoir point aux feconds , vu qu'ils ont confenti
à tout par leurs repré fentans à l'Aſſemblée , ſans
doute auffi par leurs proteftations . Conclufions ,
le Roi fera prié de pourfuivre les négociations
• avec les princes Allemands , & les décrets feront
provifoirement exécutés , quoique la conſtitution
folemnellement jurée ftatue pour tout dommage
particulier opéré par la loi , des indemnités préa-
Lables.
Extafié du génie de M. Kock , M.. Dumis a
demandé que ce difcours fût imprimé dans toutes
les langues , & envoyé à toutes les cours . On n'a
décrété d'abord que l'édition françoiſe & l'ajournement.
Alors s'eft ouvert une de ces fcènes que la
légiflature femble vouloir donner périodiquement
, & diverfifier. Dans la féance même où
l'on venoit de décréter que perfonne ne prendroit
un nom fuppofé , M. Guadet , préfident , a dit
que M. Bourbon-Montmorency- Créquy , lui avoit
écrit , & s'étoit préſenté aux portes de la falle avec
une fuite de 60 hommes , qu'il s'impatientoit de
në pas recevoir de reponſe , & lui écrivoit encore .
On a lu , pendant un temps à fuer de honte , let(
95 )
tres fur lettres de ce M. Bourbon . Sa mère , Prin
ceffe Allemande , fille de Louis XIV , épouſa , en
1722 , Louis XV , âgé de 12 ans , & qui probablement
l'avoit féduite ou peut- être violée ; car-née
d'an Roi plus que feptuagénaire, mort alors depuis
7 ans , elle étoit pour le moins majeure . Le mariage
fut raffraîchi en 1737 , ce qui donna naiſſance au
héros du roman . Charles - Bourbon- Beftuchet cut à
la cour de France un- rang (incognito ) ; mais des
malheurs inouis le conduifirent dans un cachot de
Stettin d'où le fît fortir l'intervention de l'Afſemblée
nationale conftituante .
C'eft le foin de la vie qui l'a déterminé à s'en
tourer de l'escorte refpectable d'hommes réfolus
vivre & à mourir avec lui. Il demande juftice
fe plaint que des miniftériels lui ont efcamoté fon
mémoire à la barre ou fur le bureau , dimanche
dernier dit qu'on ne l'a pas délivré des priſons
de Stettin , pour le laiffer mourir de faim à Páris 3
que les ministériels l'y épient , l'y confeillent
l'y ruinent ; promet de révéler des myſtères de la
plus haute importance ; "annonce que fi mercredi ,
premier février , il ne reçoit pas une réponſe
fatisfaifante de l'Affemblée légiflative , qu'il
Domme l'augufte cohorte , il fera pendre en effigie
dans des imprimés & dans des eflampes qui font
prêtes , tous les députés qui lui auront été contraires
, en attendant , ajoute - t -il , qu'on les pende
réellement ; & menace d'envoyer leur fignalement
& leur nom dans tout le Royaume fi le peuple n'en
fait juftice & ne les pend au fortir de la féance.
Il en appelle aux galeries , & finit par dire que
le public & lui exigent une réponſe cathégorique...
Tout a été lu.
Après des cris confus : à l'ordre dujour…. A la
police correctionnelle.,. Cet infot mérite d'être
( 96 )
puni... Si l'on ne le punit pas , il en viendra tous .
les jours... C'eft un fou... &c . ; il a fallu une
harangue de M. Grangeneuve & fur l'opinion
publique qu'on doit à l'Affemblée , & qui chaque
jour a des témoins ( quoique publique ! ) » fur la
facilité d'égarer les bonnes intentions du peuple ;
fur « le refpe&t dû à la première Affemblée du
monde » ; pour décider la longanimité des légiflateurs
à paffer à l'ordre du jour par où l'on a fini la
féances
Du mercredi , féance dufoir.
Autre des huit féances où l'on ne s'eft nullement
occupé de leur objet. M. Hérault de Séchelles
a relu fes XI articles , deſtinés à régler
l'ordre des délibérations de l'Affemblée , & tout
le refte du temps a été employé à difcuter ces
propofitions : M. de Bertrand a- t- il ou n'a-t- il
plus la confiance de la nation ? Doit- on l'accufer &
le traduire à Orléans ?
un
Quant à l'ordre invariable des travaux ,
comité central de 12 membres formera des tableaux
trimestres , des tableaux hebdomadaires
& des tableaux journaliers , des récapitulations
au bout de 3 mois ; les affaires d'expédition
iront jufqu'à midi , enfuite les travaux fixes ,
trois jours par ſemaine feront confactés aux
finances & aux contributions ; toute difcuffion
commencée fera continuée le lendemain ; la lifte
des paroles obfervée , & il n'y aura déformais que
deux féances du foir par femaine , le mardi & le
famedi. On a décrété ces XI articles.
M. Cavelier a repris fous oeuvre , la dénonciation
du miniftre de la marine , & fans aucum ·
égard aux réfutations , n'a reffaffé que les mêmes
allégations , n'a relevé que deux ou trois motifs
de
( 97 )
de congés , & a répété la première conclufion du
comité
Pour aujourd'hui , les grandes batteries étoient
préparées. M. Grangeneuve a débité un difcours
de plus d'une heure contre le miniſtre ; & tout
l'art de fon attaque a confifté en rapprochemens
captieux , où en donnant une extenfion indéfinie
à telle idée , en refferrant le fens de tel
mor , & en prenant telle affertion à la lettre ,
on produit de ces contradictions apparentes qui ,
pour les efprits inattentifs ou prévenus , paffent
facilement des expreffions aux penfées .
Au mois d'octobre , le Roi écrivit une lettre
contre-fignée Bertrand , où Sa Majefté difoit
aux officiers de marine émigrés : « Quel' eft
donc votre devoir à tous ? c'eft de réfter fidèles
à votre pofte. Sur cela , M. Grangeneuve a
prétendu que leur pofte à tous étoit « le royaume,
comme tout le monde l'entend . »
»
Il a fait un crime au miniftre d'avoir écrit
dans le Moniteur , que beaucoup d'officiers émigrés
avoient été forcés de quitter le lieu de leur
réfidence par les attentats dommis fur leur perfoane
& fur leurs propriétés , & qu'ils revien
droient , fans doute , aufi - tôt que la tranquillité
, l'ordre & la fubordination feroient rétablis
en France. ご
o Quoi , s'eft écrié l'artificieux rhéteur , la
fubordination , l'ordre , la tranquillité , la fûreté
des perfonnes & des propriétés ne règnent pas
dans le royaume ? c'eft blafphêmer , c'eft calomnier
le peuple. La lettre miniftérielle eft du 14
novembre , & , le 12 , le Roi , dans une proclamation
, garantiffoit , au nom de la loi”, la
tranquillité & la fûreté , »
Ainfi on s'arme de ce qu'on fait écrire de plus .
No. 6. 11 Février 1792. E
<
( 98 )
invraisemblable au plus malheureux des Rois
pour prouver que la vérité manifeſte n'eft pas
vraie,
.
M. Grangeneuve a enfin déclaré que, « fi l'on
pardonnoit au miniftre , la nation perdroit tout
efpoir ; que fi les puiffances étrangères peuvent
fe fervir des affertions du ministre pour dire
qu'il n'y a pas d'ordre en France, pour prêter
l'oreille aux propofitions de ces monftres de Condé
& d'Artois , la chofe publique eft perdue... Le
peuple , a-t-il dit , n'a pour tout bonheur que la
confiance que vous lui infpirerez ... Il renoncera
à cette confiance , tombera dans l'abattement , ou
fe livrera peut-être à l'infurrection , »
Au mot infurrection il s'est élevé , dans l'AG
femblée , un de ces vacarmes qu'il feroit impoffible
de décrire . On crioit : A l'ordre l'opinant...
A l'abbaye.... Il infulte le peuple.... Qu'il foit
inferit au procès - verbal , pour l'honneur de la
nation... Non , non , qui , oui... L'appel nominal.
Divers membres ont pouffé les droits de
l'homme , de l'égalité , de la liberté , jufqu'à
menacer le préfident , jufqu'à lui mettre le poing
fous le nez à l'abbaye ceux qui menacent le préfident...
Au bout d'une mortelle heure du plus
fcandaleux tumulte , le préfident , M. Guadet , a
rappellé M. Grangeneuve à l'ordre .
Enfio , celui-ci a repris fon énorme fatras de
fophifmes , & a recueilli les bruyans honneurs
d'une popularité fi chère , en propofant de lancer
un décret d'acculation contre M. de Bertrand, de
peu: que l'indulgence ne compromette les droits &
la dignité de l'Affemblée.
M. Ducos a délayé la même logique dans une
éloquence à prétention , & a conclu par déclarer
૧૫Ç
que le miniftre a perdu la confiance nationale
S
( 99 )
Nous regrettons de ne pouvoir tranferire tout le
difcours ferme , jufte , éloquent de M. Quatremère
, qui a fuccédé à ces jeunes déclamateurs ; en
voici quelques fragmens :
Le droit d'accufer , la faculté de déclarer au
Roi que fes miniftres n'ont plus la confiance de
la nation , font une arme dont la force eft dans
l'art de la manier : « De grands efforts pour n'obtenir
que de petits effets , forment un des caractères
du ridicule ... Les jugemens de la haute-
Cournous apprendront jufqu'à quelpoint , en matière
d'accufation , nous pourrons nous appliquer ces
réflexions . Mais le tribunal de l'humanité & celui
de la morale ont déjà prononcé ſur les formes &
les circonftances qui ont accompagné ces décrets
d'accufation .. ”
« La postérité croira-t-elle , Meffieurs , que
des actes qui compromettent l'honneur , la liberté,
la vie même des citoyens ; que des actes qui
exigent le filence impartial d'une confcience recueillie
, aient pu être foumis , comme les jeux du
théâtre , aux applaudiffemens & aux fifflets des
fpectateurs , & qu'ils aient été rendus avec la précipitation
de la forme délibérative la plus légère
qu'aucun peuple ait jamais connue ? »
сс
Quand nous portons un décret d'accuſation ,
nous rempliffons les fonctions dejury d'accufation..
Nous exerçons donc des fonctions judiciares. Eh
bien! Meffieurs , j'attefte ici les annales connues de
tous les peuples de l'univers , & je défie qu'on en
montre une feule ou des actes judicia res alent
pu
être livrés à cette fcandaleufe proftitution d'applau
diffemens facrilèges . »
« Je crains que tout ceci ne procède d'abord
de cette habitude d'imitation fuperficielle , qui a
fonvent tranſporté chez nous les inftitutions d'un
L
1
E 2
( 100 )
peuple voifin , fans y tranfporter l'efprit qui
peut feul les mettre en action... Que penferoit
de nous ce peuple que nous pouvons furpafler'
dans la théorie de la liberté , autant qu'il nous
furpaffe en efprit public ? Que diroit il , s'il appre
noit que nous avons emprunté de lui ce grand reffort
politique , pour en faire la férule de nos querelles
miniftérielles , ou l'inftrument des intrigues
d'un parti inquiet & ambitieux ?...> ל כ<
« Je ne connois point affez le vocabulaire de
la marine pour décider entre le comité & le
miniftre fur la reſtriction ou l'étendue de fens
qu'on doit donner aux mots employés dins cerre
lettre,
Mais ce que je connois auffi bien que le
comité , c'eſt toute l'étendue des manoeuvres dont
quelques perfonnes voudroient que le corps légiflatif
le prêtât à devenir l'inftrument : c'eſt
contre de pareilles intrigues qu'il doit fe tenir ca
garde. »
« Il ne doit pas ignorer qu'il eft certains intrigans
pour qui une révolution n'eft qu'un changement
de marche & de tactique , qui fe retrouvent
toujours au même point fur le théâtre de l'ambition
, quelques changemens que la scène ait
éprouvés ,
לכ
Il faut que l'Affemblée Nationale fache que
les comités pourroient , fans s'en appercevoir ,
devenir des bureaux d'intrigue . Il faut qu'elle fache
qu'un fimple refus de la part d'un miniftre , peut
1 aire d'un follicitateur indifcret , un dénonciateur
harné. Souvent interrompu par d'honorables
murmures , l'orateur a invoqué la préalable.
a
M. Lagrevol a pareillement battu en ruine les
dén onciations. « Malheur à nous , a- t- il dit , mal-
Incur à la chofe publique , fi le peuple ne pour
сс
Tối )
voit avoir de confiance qu'aux forfaits , fi nous
n'obtenions fa confiance qu'en condamnant des
innocens ! fi vous mettez le miniftre en état
d'accufation , n'étant pas coupable , il fera blanchi
& la honte fera pour vous. Cette phraſe a été
couverte des applaudiffemens de l'Affemblée &
des huées des galeries.
La difcuffion étant fermée , le tapage a recommencé.
Plufieurs épreuves ont para douteufes.
Toute la tactique des déplacemens n'a pu donner
une fauffe majorité inconteftable. Après des clameurs
, une confufion horrible , & l'appel nominal
, 208 voix , contre 196 , ont décidé qu'il
n'y avoit à délibérer ni fur le projet du comité ,
ti fur la demande d'un décret d'accufation ,
Dujeudi , 2 février.
Envain l'Affemblée avoit - elle décrété , la veille
qu'il n'y avoit pas lieu à délibérer fur la pro-
Pofition de déclarer au Roi que M. Bertrand a
perdu la confiance de la nation . L'implacable
haine fait fe replier . Dévorés du defit de per-'
fécuter un homme d'honneur , les ennemis du
miniftre ont confumé aujourd'hui un temps précieux
à donner une autre forme à leur caufe perdue
, & le moment étant mieux choifi , les mefures
mieux prifes , ils ont fait décréter que ,
les comités de légiflation & de marine rédigeront
des obfervations fur la conduite de M. Bertrand
qui ferent miles fous les yeux du Roi.
Le miniftre des affaires étrangères eft venu
donner à l'Affemblée les éclairciffemens defirés
fur l'Espagne . Sa Majesté n'a aucune connoif
fance des 2 millions de réaux qu'on dit que
commandant de Barcelone doit tenir à la difpofition
d'un général François. Il eft poflible

E 3
7 7021
que quelques François foient favorisés à Madrid
; mais cela n'empêche pas « que le charge
des affaires de France n'y foit perfonnellement
traité d'une manière convenable , & qu'il n'ait
à fe louer des rapports qu'il eft dans le cas d'entretenir
avec le ministère Efpagro' . Il en a reçu ,
dans plufieurs occafions , des affurances pacifiques
. » Le Roi s'occupe de la sûreté des frontières
du midi . Pour ce qui eft des déclarations
faites à Lille d'événemens arrivés à Tournay
Fordre eft donné , dans les Pays- Bas autrichiens ,
de furveiller exactement les citoyens qui viennent
de France , de ne les laiffer s'établir nulle part
s'ils ne fourniffent caution de leur bonne conduite
, ou ne confignent une fomme qui puiffe
tenir lieu de caution . Toutes ces confidences ont
été renvoyées au comité diplomatique avec injonction
d'en compofer un rapport inftructif.
Du vendredi , 3 février.

Cinquante & quelques grenadiers du régiment
d'infanterie , ci- devant Aunis , ont écrit à l'AL-'
femblée une lettre commençant par ces mots :
La juftice ou la mort, Ils follicitoient une
prompte audience , & ils l'ont obtenue. Leur
orateur a lu un long récit de tous les crimes
de leurs chefs , & fur- tout de M. de Béhague
qui les a renvoyés en Europe fans cartouches ,
a caufe de leur zèle civique . Ce diſcours , vifiblement
dicté par les auteurs de tant de pétitions ,
avoit auffi pour but de détourner l'opinion des
véritables artifans des défaftres des colonies ;
mais on a eu la mal - adreffe d'y annoncer que ,
ces foldats étoient fubftantés , depuis leur arrivée ,
par les fecours des amis de la conftitution . Les
conclufions ont été de reconnoître l'impoffibilité
7 : 103 )
de rentrer dans le régiment , & la demande d'être
admis dans un autre , d'après le dernier décret
fur le recrutement .
&
Le préfident , M. Guadet , leur a répondu
« C'eft fervir la patrie que de fouffrir pour elle ;
car le moment de la vengeance arrive enfin ,
l'amour de la liberté s'accroît encore par la févérité
des peines déployées contre ceux qui en ont
arbitrairement perfécuté les héros . L'Affemblée
examinera votre pétition , &fi vos plaintes font
fondées , croyez ,. Mefkeurs , que la puiffance de
yos ennemis ne fouftraira pas leur tête au glaive
de la loi . On a applaudi ce petit chef- d'oeuvre
de logique , de juftice , de morale & de génie
militaire ; & avant d'examiner fi la dénonciation
eft vraie ou calomnieuſe , pour ne pas perdre
une occafion de ramener l'efprit de difcipline
dans Karmée , après avoir traité les dénonciateurs
, de héros (ur leur parole leurs chefs ;
d'ennemis & qualifié de vengeance un jugement
qu'il n'appartient pas aux légiflateurs de potter ,
& moins encore de prévenir , on a décerné à ces
foldats expulfés de leur corps les honneurs de la
féance .
Sur la propofition additionnelle de M. Boistard
, l'Affemblée a chargé les comités militaire,
& de furveillance réunis , de fcruter la conduite .
de M. de Béhague , « qui , difoit M. Boiftard ,
ne ceffe de troubler , en Amérique , l'ordre &
la marche de la révolution . Ainfi voilà un
général traduit au tribunal de MM . Fauchet
Bazire , Grangeneuve &c.
Das députés du département de l'Eure & Loire ,,
du district & de la municipalité de Chartres ac-,
courent expofer leurs vives alarmes . Ils craignent
que demain , famedi , jour de marché , il n'éclate
E 4
( 104 )
une révolte à Chartres & aux environs , tant le
peuple eft mécontent de n'avoir que des billets
patriotiques de Paris , fignés Vitalis billers que
les caiffes publiques & les marchands reffent,
Ils demandent que les fabricateurs de cette mòn
noie aillent à Chartres la retirer pour des affi→
gnats. Le préfident leur a parlé de zèle & de fers
meté , leur a dit : « les compatriotes de Pétion
doivent être dignes d'entendre ce langage , & la
patrie de ce citoyen recommandable ne peut pas
être fouillée par des défordrek.propon
Séance tenante , les comités d'agriculture &
de commerce ont pris avec les banquiers patrio
tiques , & les adminiftrateurs effrayés , des me
fures dont on n'a pas jugé à propos de rendre
compte au public.
Alors il a été queftion de décider où l'on pla
eeroit les bureaux de la comptabilité L'Affem
blée nationale , fes comités fes imprimeurs ;
fes bureaux , occupent un efpate & des bâtimens
qui dans beaucoup d'endroits de l'Europe fuffi
roient à former un bourg ou même une ville.
Quelqu'un enca porté l'évaluation à plus de 22
millions de livres.
Les débats ont été interrompus par la lecture
d'une lettre qui informoit le corps légiflatif que
Jofeph -Antoine Joachim Cerutti , député de Paris ,'
venoit de ce terminer philofophiquement for utile
carrière. » On a décrété que 24 membres afiteroient
aux funérailles de ce rhéteur? M. de Condorcet
a lu enfuite , un mémoire fur la corrup
tion politique & fur le pouvoir exécutif , effertiellement
corrupteur ; differtation dont les conclufions
ont été , de dépouiller le Roi du droit
que lui donne un décret de l'Allemblée confti
tuante , de nommer les commiſſaires de la tré
( 105 )
forerie & de la comptabilité , fous le prétexte
qu'on ne les a pas qualifiés de commiflaires du
Roi , de les faire élire par 83 électeurs ad hoc
tirés un de chaque département ; & de déclarers
lefdits commiffaires révocables au gré des législatures
« indépendamment de toute propofition
antérieure ou de tout confentement ultérieur du
Roi. »
сс
>
M. de Condorcet a dit du Monarque : « Il
y trouvera ( dans ce décret ) une occafion de
mériter la confiance du peuple , en prouvant ,
par l'approbation qu'il y donnera , que fon intention
eft de préferver la France des malheurs
de la corruption . Mais , s'il fe laifloit égarer
par des confeils perfides nous ne devons pas
lui laiffer ignorer qu'elle fera fur l'opinion publique
l'influence de la volonté uniforme de trois
légiflatures... Il faut féparer foigneufement la loi
de principe de la loi d'application ; car vous
favez que la fanction du Roi eft indivifible . Il
fuffiroit qu'un article de détail préfentat des inconvéniens
, pour que le refus du Roi eût une
apparence de raifon & de juftice. » La difcuffion
de ce projet , couvert d'applaudiffemens , eft ajour - 3
née à huitaine .
Un décret d'urgence , en XXXI articles
organifé le bureau de comptabilité , l'a placé
provifoirement dans le local de la ci - devant
chambre des comptes de Paris ( où un membre
a , mais en vain pour l'inftant , propofé d'anéantir
les titres de la nobleffe ) ; a fizé les traitemens
, ordonné la correfpondance , en excluant
toute néceffité de rapport avec le pouvoir exécutif,
& ftatué que le délai d'un mois accordé
aux comptables , par l'art. I du tit. HII de la loi du
ES
( 106 )
29 ſeptembre, ne commencera à courir que du 1er.
mars 1792.
Voici le décret fur les paffe - ports que nous
avions laiffé en arrière .
L'Affemblée nationale , confidérant que dans
les circonstances actuelles le falut de l'empire
exige la furveillance la plus active , & qu'il eft
néceffaire de prendre toutes les mesures qui
peuvent concourir à la sûreté de l'Etat , après
avoir décrété l'urgence , décrète ce qui fuit : »
« Art. I. Toute perfonne qui voudra voyager
dans le royaume fera tenue , jufqu'à ce qu'il
en ait été autrement ordonné , de ſe munir d'un
paffe- port. »
« II. Les paffe- ports contiendront le nom des
perfonnes à qui ils feront donnés , leur âge ,
leur profeffion , leur fignalement , le lieu de leur
domicile , & 1 ur qualité de François ou d'étranger
. Chaque paffe- port fera individuel.
III . Les paffe - ports feront fignés par le
maire ou autre officier municipal , par le fecrétaire-
greffier , & par celui qui les aura obtenus ;
& en cas qu'il déclare ne favoir figner , il en fera
Liit mention & fur le paffe port , & fur le regiftre
de la municipalité .
сс
לכ
IV. Les paffe- ports feront expédiés fur papier
timbré , conformément à la loi du 18 février
1791 ; les voyageurs qui les obtiendront
feront feulement affujettis aux frais du timbre. »
ce V. Les François ou étrangers qui voudront
fortir du royaume , le déclareront à la munici
palité du lieu de leur réfidence , & il ſera fait
mention de leur déclaration dans le paffe-port. »
« VI. Les perfonnes qui entreront dans le
( 107 )
royaume , prendront , à la première municipalité
de la frontière , un paffe- port ,
« VII. L'ordre figné par un commandant militaire
tiendra lieu de paffe - port entre les mains
de tout agent militaire actuellement employé
dans l'étendue du commandement d'un officier qui
aura figné ledit ordre . »
« VIII. Les gendarmes nationaux , les gardes
nationales & les troupes de ligne de fervice exigefont
des voyageurs la repréfentation de leurs
paffe- ports. 3
сс
« IX. Le voyageur qui n'en préfentera pas fera.
conduit devant les officiers municipaux , pour y
être interrogé & mis en état d'arreſtation , à moins
qu'il n'ait pour répondant un citoyen domicilié. »
« X. Les officiers municipaux , fuivant les réportes
du voyageur arrêté, ou les renfeignemens
qu'ils en recevront , feront autorifés à le retenir
en, état d'arrestation , ou à lui laiffer continuer fa
route dans ce dernier cas ils lui livreront un
paffe- port. »
« XI. Le temps de l'arreftation ne pourra excéder
un mois , à moins qu'il ne furvienne quelque
charge contre le voyageur arrêté . »
cc XII, S'il n'y a point de maifon d'arrêt dans
l'endroit où le voyageur aura été arrêté , il fera
conduit dans la maifon d'arrêt la plus voifine du '
lieu de l'arrestation . »
XIII. II fera néanmoins accordé au voyageur
, pour maifon d'arrêt , l'étendue de la municipalité
dans laquelle il aura été arrêté ou transféré
, au moyen d'une caution pécuniaire qu'il
fournira lui-même ou qui fera donnée pour lui , à
la charge de fe reprefenter pendant le temps .
déterminé,
« XIV. Si , après le temps de l'arrestation
56
( 108 )
expiré , il n'eft venu aucun renfeignement fatisfailant
fur le compte du voyageur arrêté , les
officiers municipaux l'interpelleront de leur décla
rer le lieu où il voudra fe rendre ; & d'après fa
déclaration , il lui fera délivré un paffe - port conrenant
les motifs de fon arreftation , & l'indication'
de la route qu'il voudra fuivre , dont il ne pourra
s'écarter .
« XV. Si le voyageur s'écarte de la roure qui
lui aura été tracée , il fera arrêté & conduït devant
les officiers municipaux du lieu de for arreftation
. »
XVI. Les officiers municipaux , après l'avoir
interrogé , pourront , fuivant les circonftances
, ou le renvoyer avec une nouvelle indication
de route , ou le faire mettre de nouveau dans une
maifon d'arrêt pour le temps & fuivant les formes
exprimées dans les articles précédens. »
« XVII. Tout François qui prendra un nom
fuppofé dans un paffe port , fera renvoyé à la
police correctionnelle , qui le condamnera à un !
emprifonnement qui ne pourra être moindre de
trois mois , ni excéder une année. »
XVIII . Il fera dreflé pour tout le royaume
une formule de paffe- port qui fera annexée au préfent
décret . »לכ
« XIX. L'Affémblée nationale , obligée de
multiplier temporairement les mesures de sûreté
publique , déclare qu'elle s'emprefiera d'abroger le
préfent décret auffi - tôt que les circonftances qui
Pont provoqué , auront ceffé, & que la sûreté publique
fera fuffifamment affurée . »
« XX. Le préfent décret fera porté dans le
jour à la fanction . »
( 169 )
Formule de paffe-port.
LA NATION , LA LOI ET LE Roi.
Ma
François ou étranger ( Eſpagnol , Suiffe , Anglois
, &c. ) domicilié
Département de Diftrict de
nicipalité de laiffez paffer NN .
Municipalité
de District de Département de
fa profeffion âgé de taille de
cheveux & fourcils
yeux!
nez
bouche menton front vifage ,
& prêtez lui aide & affiftance en cas de befoin.
Délivré à la maiſon commune de le NN. offi
eier municipal.
NN... Secrétaire.
NN... ( nom de celui à qui le paffe-port eft accordé
qui a figné avec nous le préſent ou a dé
claré ne favoir figner.r
Du famedi , 4 février.
7
Les municipaux de Breft dénoncent que , pref
que tous les officiers de la marine font partis avec
leurs femmes & leurs enfans , & qu'il ne reste que
huit chefs & quelques fubalternes. Un membre
en affirme autant de Rochefort. A en croire M.
Goujon , cette déſertion des meilleurs & des plus
braves marins dont s'honoroit la France eut été
peu affligeante , fi l'on avoit déjà fait un rapport
furleur remplacement ; comme s'il étoit auffi aifé de
créer des officiers de marine , que des législateurs ,
des maires ou des juges ; comme s'il fuffifoit d'un
difcours , d'un projet d'avocat , d'un décret par
aflis & levé , pour remonter une marine , telle que
fat dans les jours de gloire de la monarchie ce
qu'on nommoit alors , de même qu'en Angle
( 110 )
terre , la marine royale . L'Affemblée a renvoyé
ces nouvelles aux comités chargés d'en tirer le
plus heureux parti , felon quelques hommes à
grandes & nobles vues ,
c'eft- à- dire , des notes ,
des injures contre le miniftre , & a fixé une
féance extraordinaire à lundi foir pour s'occuper
du mode de remplacement.
On a plus entendu qu'écouté une lettre du
garde-du -fceau , portant que le Roi , profondément
affligé de l'affaffinat commis en la perfonne .
d'un curé dans le diſtrict d'Aurillac , avoit adreffé
une circulaire à tous les tribunaux , où Sa Majeſté
les invite à la furveillance la plus active . Les cris :
à l'ordre dujour , ont morcelé cette lecture .
M. Rühl a rendu compte à l'Affemblée des
mémorables aventures des quatre commiffaires
qui allèrent , la veille , préfenter des décrets à la
fanction. Un jeune homme à la livrée du Roi ,
leur demanda s'ils vouloient paffer au fallon des
ambaffadeurs , ou attendre dans la falle des gardes
que le Roi fortît du confeil . Conduits dans ce fallon
, ils furent très -fcandalifés d'y trouver un buffet
, ce qui ne prouve qu'une chofe digne de
remarque , c'eft que l'héritier de foixante Rois
dont la famille apporta de fi beaux domaines à
la nation , eft foit mal- logé par elle & prend
patience. Mais M. Rühl & fes trois collègues
y virent un deffein formé d'infulter à leur dignité
, à la majefté nationale . Cependant on
leur affura que c'étoit réellement le fallon des
ambaffadeurs. Sur l'annonce que le Roi les attendoit
, ils fe rendirent à l'appartement , & ordonnèrent
d'en ouvrir les deux battans . Le pre- ,
mier huiffier de la chambre du Roi d'abord
& le garde- du-fceau enfuite , leur obfervèrert
que jamais on n'ouvroit les deux battans que,
( 111 )
pour des députations de 60 membres , qu'ils
n'étoient pas ouverts pour des commiffaires à
la fanction , pas même pour les ambaffadeurs ;
que ce n'étoit point le moment d'élever de ces difficultés
qui donneroient matière à difcuter . Ces
mots ont excité des éclats de rire & des murmures.
Le narrateur a fouvent exprimé fa répugnance
naturelle à fe voir confondu , compromis « avec
les gens qui végétent dans les anti- chambres. »
Il a dit qu'il avoit énergiquement infifté , au
nom du peuple , feul fouverain , que les commiffaires
repréfentoient . Néanmoins il voulut
bien céder pour l'inftant , & il s'en eft référé
aujourd'hui à la décifion de l'Affemblée fur un
cas auffi grave. « Je crois , a- t- il dit en finiffant
, avoir fauvé l'honneur de la nation , & fait
mon devoir. »
On a longuement péroré fur cette queftion
avec tout le férieux de grands philofophes qui
ont confacté la liberté , l'égalité , qui foudroient
tout préjugé des carreaux de leur génie , qui
font profeffion de croire ou d'enfeigner que la
fouveraineté nationale eft indivifible & qui penfent
que quatre d'entr'eux peuvent la repréfenter
d'un côté , tandis que le furplus de leur nombre.
la repréfente d'un autre . MM. Labergerie , Merlet ,
Lacroix , &c. , ont jugé que c'eft une affaire de la
plus haute importance . Il a été décrété que le
comité de légiflation fera demain un rapport fur
ce fujet.
Organe du comité militaire , M. Coustard a
perfuadé à l'Affemblée de décréter qu'il n'y avoit
pas lieu à délibérer fur la demande du Roi en
création de deux aides - de- camp- généraux . Quant
aux adjudans généraux , que le projet du comité"
)
(_111 )
portoit à 39 , MM . Bazire , Dubayet , Dumas ,
Carnot & Albitte en ont raifonné pour & contre ,
& la difcuffion n'a produit qu'un ajournement
indéfini . Rien n'a paru moins preffant que de
donner aux généraux l'unique moyen de faire
manoeuvrer l'armée au moment de la guerre.
L'effentiel , pour le falut du royaume , pour le
bonheur de la nation , feroit - il de favoir , fi
tout citoyen étant maître chez foi , MM. Rühl ,
Goujon Chabot &c. , feront ouvrir deux battans
chez Louis XVI ?
3.
Un décret d'urgence a ftatué que les payeurs
délivreront aux rentiers qui ont plufieurs parties
de rente à toucher , une atteftation non - timbrée
de la remiſe des certificats de réfidence , & des
contributions , & que ces certificats feront vaables
pour deux mois , à compter de la date
du vifa du directoire du diftrict ; dérogations au
décret du 13 décembre , qui prouvent qu'il n'y
dans la confection des loix aucun efprit d'en
femble .
M. Derify a lu un rapport fur les expédiens
adoptés , pour rendre les nouveaux affignats inimitables
; ce font dés découvertes fans nombre ,
des fecrets , des prodiges à perte de vue , & des
dépenfes dont on le félicite . Tout à été approuvé.
On exporte des louis - d'or en les cachant dans
des doubles -fous nommés médailles de confiance
que MM. Monneron mettent journellement en
circulation. M. Baziré a montié à l'Aſſemblée
un de ces double - fous creufé & fe fermant en
manière de petite boîte. Le corps législatif a
terminé cette ftérile féance en décrétant la rédaction
définitive d'articles , concernant le délai
comminatoire preferit aux créanciers de la dette
?
exigible , pour la remife de leurs titres articles
qui ne changent rien au délai décrété.
XI
2
Dufamedi , féance dufoir.agrob
Nous n'avons pas encore vu de féance , ou
les partis qui diviſent d'Aſſemblée aient mieux
furpaffé leurs prédéceffeurs , qué dans les 4 à 5
heures du tumulte fcandaleux qui a formé prefque
toute cette féance-cip
9713 13
Après la lecture & l'ajournement à mardi d'un
projet de décret concernant les fous- bfficiers &
Joldats de la garde nationale Parifienne congé
diés , M. Gorguereau a lu un tapport , au nom
de l'une des deux fections du comité de légifla
tion , fur la pétition que les membres du département
de Paris préfentèrent au Roi pour lui
demander de refufer fa fanction au décret somre
les prêtres.
cr
Il a débuté par l'hiftorique des mille & une
dénonciations qui commandoient , de par le
peuple , de punir les adminiftrateurs petitionnaires.
Paffant à l'effence du droit de pétition ,
il a établi qu'on le fuppofoit à tort une portion
de la fouveraineté nationale ; que la déclaration
des droits eft le code du monde entier , mais que
la conftitution Françoife étant repréſentative
To fections , 20 communes , so départemens ne
peuvent fe prévaloir du titre de membres du fouverain
, parce que la fouveraineté eft indivisible.
Le droit depétition repofe, fefon lui , für fes bafes du
droit naturel , eft indépendant comme la raison
libre comme la penfée ( aucun des droits civils ne
conferve cette latitude ) . Mais c'eft en fe nommant
adminiftrateurs , que les membres du dé-’
partement fignèrent leur pétition , & en y témo
( 114 )
gnant de la répugnance à exécuter le décret fur
lequel ils appelloient le veto . fub qua
Avant de rien conclure de ces deux prémiffès
développées , M. Gorguereau eft entré dans l'analyfe
des pétitions débitées , applaudies & honorablement
mentionnées , qui ont dénoncé celle
du département.
CC Ces pétitions , a poursuivi M. Gorguereau ,
doivent être un objet de fcandale dans le temple
de la patrie Quel eft donc l'ordre de choſes
qu'on prétend introduire 3. Depuis quand les
pétitionnaires ofent- ils donner leurs fanction ? ...
Que fignifient ces adhésions qui dénaturent &
aviliffent les pouvoirs conftitués ? ... C'eft entre
les organes & les fujets de la loi qu'existe cette
Jutte fcandaleufe ! Ces fatyres amères , ces déclamations
violentes ne paroiffent que l'effet de
vengeances individuelles. »
asc
Quelques phrafes du rapporteur avoient excité
des murmures : ici a commencé l'explofion d'un
vacarme , qui n'a plus fait que croître jufqu'aux
derniers excès. M. Thuriot vouloit que M. Gor
guereau fût rappellé à l'ordre. « Qu'est - ce , a
repris celui-ci , à qui un décret a rendu la parole;
qu'est-ce que cette espèce de corfaires qui
fe fert du nom du peuple pour faire quelques
prifes fur le vaiffeau de l'état , comme autrefois
on fe fervoit du nom du Roi fouler aux pour
pieds les loix & la juftice ? Le peuple François
cft-il dans quelques départemens , dans quelques
fections , dans quelques clubs ? Le peuple
eft foumis aux autorités conftituées , il eft l'efclave
de la loi. Infulter à ceux qu'il a revêtus
de fa puiffance , c'eft infulter à la majeſté nationale.
Difons plus : ces mots de majefté , de
( 115 )
fouveraineté du peuple , ont été compromis
tel point qu'on ofe à peine les prononcer aujour
d'hui , dans la crainte de fe rendre complice de
cette profanation . Le nombre total des fignatures
qui fe trouvent à la fin des pétitions ne monte,
pas à plus de 1,500….. "
:
On a crié c'est un menfonge. M. Gorguereau.
a confirmé fon affertion , les preuves en main ,
en obfervant encore que la plupart de ces pétitionnaires
n'avoient à offrir au peuple que des
motions , & que leur patriotifme pourroit bien;
s'évanouir devant certaines recherches . Auffi- tôt
M. Goffuin a foutenu que les fignatures alloient
à plus de 60 mille , ou de 300 mille , & que
le rapporteur n'avançoit que des calomnies. M.
Jagot a ajouté que c'étoit une diatribe contre le
peuple.
Rentré dans la jufte cenfure de ces extravagantes
productions , dont tant de foi difant péri-,
tionnaires ont accompagné leurs fermens de
maintenir la conftitution qu'ils outrageoient , M.
Gorguereau a cité ce trait d'un orateur de la
fection des invalides : lafanction du peuple vaut
bien celle d'un Roi . « Ce font toujours , a-t-il
dit , les mêmes individus, qui vous trompent ,
quand ils vous apportent leurs propres parjures
pour ceux de la capitale. » M. Mailhe a defiré
qu'on laiffât M. Gorguereau diftiller fon poifon
M. le Cointre a prétendu que fi tout le poifon
du rapporteur étoit verfé , le mal feroit incu
rable. M. Ifnard crioit que le rapport faifoit
perdre trop de temps . M. Gorguereau a vigou-,
reufement infifté fur l'inconvenance & le danger,
pour des légiflateurs , de voter dans des clubs
d'y gâter leur opinion. Le préfident l'a rappellé
à la question. MM. Saladin , Merlin , Ver
7116 )
nlaud , Reboul , Charlier , Albitte , Bazire ,
Lacroix, Pozzo di Borgo , Corfe , lui ont cheréhé
de véritables querelles fur ce qu'une des
deux fections du comité n'avoit pris aucune part
à fon rapport ; & fur fes conclufions , qui ont
été de déclarer la pétition des adminiftrateurs
de Paris illégale & non- avenue ; de n'admettre
des pétitions qu'après les avoir livrées à l'examen
d'un comité ; d'interdire à tout pétitionnaire
de s'annoncer comme l'organe de fa commune
, de fa fection , & toute adhéſion à des
décrets non fanctionnés....
Les galeries avoient crié tour- tour : à l'abbaye...
à bas le rapporteur ; elles ont fait retentir
la falle de coups de fifflets ; leurs étranges
clameurs dominant fur PAffemblée fortifioient
celles de la majorité . Le préfident les a rappellées
au respect , elles ont répondu par des
éclats de rire. Plufieurs membres ont demandé
que le rapport fût improuvé. ce Cecte improbation
, a dit M. Pozzo di Borgo , eft d'autant
plus néceffaire , que les papiers publics rendront
compte de certe fcène fcandaleufe . Il faut que
le peuple Frarçois , que les étrangers fachent
que les repréfentans de la nation ne font pas
livrés à des factions , que l'anarchie ne règne
pas ici.... Quoi ! c'eft après le ferment du 14
janvier que cette fection du comité s'eft pluc à
dire que les membres de l'Affemblée oublioient
leurs devoirs ! ...... Cet écrit infidieux eft une
invitation faite à Condé & à d'Artois pour nous
attaquer applaudiffemens redoublés ) .... »
C
On a de nouveau demandé que le rapport
le rapporteur & la fection du comité fuffent improuvés
, & le renvoi à l'autre fection . La minorité
a invoqué la queftion préalable , L'appel
( 117 )
nominal a été réclamé. Le préfident foutenoit que
la queſtion préalable étoit rejettée. On l'accufoit
de partialité. Un bruit affreux , des cris , des
apostrophes ont tenu lieu de délibération , les
galeries y intervenant toujours. A l'abbaye M.
Dumas... A l'abbaye M. Boulanger , crioient ,
avec les tribunes , plufieurs membres & fur-tout
MM. Merlin & Taillefer. Le préfident eft menacé.
M. Boulanger fera-t-il cenfuré ? Oui ,
oui ; non , non. « De toute part , a dit M. Vergniaud,
la patrie eft menacée. On croiroit que
Je Rhin coule au milieu de cette falle , & je ne'
dirai pas de quel côté iont les confpirateurs. »
M. Dumas prétendoit bien innocemment que la
minorité fauveroit la conftitution... Quel genre
de confeil législatif ! ... Nous nous hâtons de
terminer ce récit en difant qu'on a cenfuré M. Boulanger
au bruit des battemens de mains repouffé
l'improbation du rapport par la préalable ,
& renvoyé l'affaire , à recommencer , à l'autre
fection du comité de légiflation . La féance s'eft
levée à une heure & demie.
M. Koch, Profeffeur & Député Strasbou
geois, eft à peu près le feul Membre de l'Af
femblée Légiflative , dans lequel on découvre
quelque connoiffance de l'Hiftoire
& du Droit public. Il les a enfeignés dans
fa patrie avec quelque diftinction : il n'apporte
point à la Tribune cette érudition
de pamphlets, oude difcours préliminaires ,
qui , dans les deux Sénats auxquels la France
( 118 )
a l'obligation de fa fplendeur & de fa
liberté préfentes , ont fait la fortune de
tant de Phrafiers , de tant de Docteurs
fortans du collége où ils avoient encore
mal étudié.
Eh bien ! telle eft l'influence du fanatifme
politique, & l'aberration de jugement où
la violence des nouveautés précipi te toutes
les têtes , que dans fes divers rapports , M.
Koch a facrifié la vérité hiftorique à des
paradoxes de révolution , la juftice évidente
à des glofes contournées fur les textes
les plus clairs , & l'application manifefte
des Traités , à un nouveau Code de fpoliation
arbitraire.
9
Son dernier Rapport touchant le
Conclufum de la Diète ,
ratifié par
l'Empereur , eft , par exemple le
plaidoyer d'un Avocat , plutôt que l'ouvrage
d'un Publicifte impartial . Il y
foutenoit plufieurs propofitions nonfeulement
inconciliables entre elles ; mais ,
de plus , formellement contradictoires avec
les principes que profeffoit publiquement
l'Auteur en 1789. Čes variations dénoncent
un fophifte qui travaille pour les circonftances
, ou un Ecrivain emporté par un
excès d'enthouſiaſme pour la caufe qu'il
défend.
En 1789 , M. Koch fut nommé Député
extraordinaire de la Communauté proteftante
de Strasbourg . Il compofa , ˆ& ré(
119 )
pandit deux Ecrits ; l'un , fous le titre d'A◄
dreffe à l' Affemblée Nationale par les Habitans
de la Confeffion d' Augsbourg , & c.;
l'autre , Eclairciffemens fur la Collégiale de
St. Thomas affectée à l'Univerfité Protef
tante de Strasbourg.
;
f
Dans ces deux Imprimés , l'Auteur réclamoit
le maintien des droits , immunités
, biens afflurés par le Traité de Weftphalie
aux Proteftans d'Alface. I
Veut-on favoir comment M. Koch envifageoit
alors ce Traité , dans fon rapport
avec les priviléges de l'Alface ? « L'E-
» tat de la Religion en Alface , écrivoit- il
» repofe fur la paix de Weftphalie , qui
» a réglé le fort de toute l'Europe , &
» < qui a donné l'Alface à la France. Ce
» Traité a reçu fa fanction de loi dans
» cette province , ainfi que dans tout l'Em
» pire. Ses difpofitions furent arrêtées con-
» jointement avec les Etats d'Alface
» comme parties contraclantes du Traité, ».
« Quelque facrés , cependant , et quel-
» qu'inconteftables que Joient ces titres ,
» dont la validité N'A JAMAIS ÉTÉ MÉ→→
» CONNUE PAR LE GOUVERNEMENT , ils
» n'ont pu garantir les Proteftans d'Alface
» des atteintes , qu'un zèle mal éclairé ef-
>> faya de leur porter
» tion manifeſte aux Traités qui avoient
» foumis cette province à la France. »>
A la fin de fon Adreffe , M. Koch con-
, ... en contraven((
120 )
clut au redreffement de toutes les Loix ,
Réglemens , ou Arrêts rendus encontravention
manifefte au Traité de Weftphalie.
Il fonda les droits de l'Univerfité de
Strasbourg à la Collégiale de St. Thomas ,
fur les mêmes argumens .
Mais , s'agit- il des propriétés des Princes
'Allemands en Alface & Lorraine , de celles->
de la Nobleffe immédiate de la Baffe+ Alface
, du Chapitre & de l'Evêque de Strafbourg?
Oh ! plus de Traité de Weftphalie
, plus de réferves , plus de titres les 7
Luthériens fe trouvent alors feuls en
poffeffion de les invoquer.
Ayant donc foutenu en 1789 , que la
Souveraineté de la France fur l'Alface étoit
limitée par des réferves , M. Koch dans
fon dernier Rapport , entreprend de prou- ..
ver que cette, même Souveraineté eſt abſolue.
Il a par conféquent eu tort en 1789 ,
& les réclamations qu'il défendoit , &
qu'il fit réaffir , étoient illégales : ou il a
tort en 1792 ; car , du moment où il a
établi une feule claufe réfervée dans la
ceffion de l'Aiface, il a renversé le fystême
de la Souveraineté abfolue. Dans cette
dernière hypothèſe , les Proteftans ne pou
voient difputer au Souverain le droit de
changer l'état de la Religion , & de prefcrire
aux Luthériens telles conditions qu'il
jugeroit convenables .
"
Voici d'autres contradictions : du Rapporteur.
( 121 )
porteur. Les ci - devant Provinces d'Alface
& Lorraine , dit-il aujourd'hui
» démembrées
de l'Empire d'Allemagne
, >> renfermoient
une Nobleffe immédiate
» de l'Empire,qui jouiffoit de grands droits
w regaliens et feigneuriaux
, maintenus par » les Traités. Enfuite , il s'écrié ; La Sou-
» veraineté eft une , inalienable , impref
» criptible. Si tel eft le caractère de la
Souveraineté
, les Princes Allemands doivent
favoir bon gré à M. Koch de l'avoin
mis en évidence : ils l'enfermeront
dans le
dilemme fuivant!. Min
+
>
5.
Il eft conftant que l'Alface & la Lorraine
font des parties démembrées de la
Souveraineté de l'Empire Germanique. Or,
ft , d'après les principes du Rapporteur
cette Souveraineté eft inaliénable? & int
prefcriptible , la ceffion de l'Alface & de
la Lorraine perd toute validité. En con
féquence , l'Empereur , l'Empire , les
Princes poffeffionnés , font en droit d'exi
ger , ou l'obfervation rigoureufe du Traité
qui tranfmit à la France , moyennant des
referves, la Souveraineté de l'Alface ; puifqu'à
l'époque de la paix de Weftphalie ,
on admettoit encore le principe de la
Souveraineté tranfmiflible & aliénable ;
principe fans lequel l'Alface ne: fut
jamais devenue Province: Françoife ;
ou d'exiger que cette Tranfaction foit
regardée comme nulle & non-avenue ,
N°. 6 21 Février 179 23
J
( г22 )
conformément à la doctrine de Binaliéna
bilité & de limprefcription , adoptée par
Le Comité Diplomatique , comme attribut
effentiel & conftitutif du droit de Sou
veraineté.vnomat"Tajirp,sriem !! ab «
Cette alternative eft de rigueur , fi l'on
ne veut pas bleffer , fuivant la remarque de
M. Koch , les principes immuables de la
justice et de la raison .
" 2 .
Le Rapporteure convient ingenuement que
FAlface renfermoit des Seigneurs , jouiflant
de grands droits régaliens & feigneuriaux ,
maintenus par les Traités. Des actes de cette
nature étant toujours & néceſſairement fynalagmatiques
, on ne peut attenteraux droits
qu'ils ont confacrés , que fans le confentement
des Poffeffeurs . En violant arbitrairement
lossTraités , on provoque l'appel aux
Garans qui trouve alors & naturellement fa
place. or sojot ng sulite,
M. Koch fe demande , les droits réservés
font-ils immuables ? Il décide négativement.
Ens 1789 , il défendit publiquement l'affirmative.
-Ika sauffi touché la question de favoir
fi , l'Empereur pouvoit refufer fa ratifica
tion au Conclufum. Suivant lui , les Publiciftes
Allemands différent d'opinion fur ce
fujet ; & nonobftant ce partage des avis
qui laifferoient le cas indécis , il affure
qu'il étoit impoffible à l'Empereur de ne pas
drdonnerl'armebent. Quoi qu'il en foit du
11 12
( 123 ) )})
fentiment de quelques Publicites , il eft
certain que ceux qui forment en Allemagne
l'autorité la plus puiffante , s'accordent
à reconnoître à l'Empereur le vero
abfolu. Ce droit , il eft vrai , n'eft établi
par aucune Loi fondamentale ; mais l'ufage ,
Tobfervance de l'Empire , le rapport politique
, Conftitutionnel , entre l'Empereur
& les Colléges de l'Empire , l'ont confacré.
Un Conclufum fe forme par les Colléges
des Electeurs , des Princes , & des villes ':
'les deux premiers ont chacun leur négative
; nul délibéré ne peut être qualifié de
conclufion , tant qu'il régne entr'eux oppofition
d'avis. De même , l'Empereur a lon
veto pour la ratification . S'il n'existe aucun
exemple de fon exercice , on en découvrira
la raifon dans la grande influence
qu'a le Chef de l'Empire dans ces deux
Colléges.
"
A la fin de fon Rapport , M. Koch
déboute de toute indemnité , la Nobleffe
d'Alface non étrangère , & l'Evêque de
Strasbourg , qui , par eux ou par leurs
Repréfentans , ont voté dans l'Aſſemblée
Conftituante. L'événement attefte en
effet , l'imprudence que la Nobleffe Alfacienne
partagea avec les Colonies , d'envoyer
des Députés aux Etats -Généraux ;
ce fait eft un exemple de plus de l'inconcevable
imprévoyance , qui de toutes parts ,
préfida aux avant- coureurs de la Révolu-
F 2
( 124 }
tion. Cependant , M. Koch ne devoit pas
omettre les proteftations que drefsèrent les
Nobles d'Alface , le jour même de leur
entrée dans l'Affemblée Nationale , & qu'ils
répétèrent invariablement dans toutes les
occafions fubféquentes ; fi je ne metrompe,
elles furent même envoyées à la Diète Germanique
, pour fervir de mémorial.
Et d'ailleurs , M. Koch oublie - t- il que
la Déclaration des Droits de l'homme
défend au Législateur , d'attenter aux propriétés
, fi la néceffité publique , légalement
conftatée , ne l'exige évidemment , etfous la
condition d'unejufte et préalable indemnité ?
Conteftera t-il la légitimité de ces propriétés
, garanties par des Traités que luimême
a folemnellement invoqués ? A qual
titre les exclut il donc des compenſations ?
Je n'en vois pas d'autre que le droit de
la force , & le mépris odieux des premières
Loix de la Conftitution Françoife , & du
Droit Naturel.
Nous ne ferons pas à M. Koch l'injure
de lui fuppofer le raifonnement , tant de
fois répété par nos Moraliftes fpoliateurs ;
favoir que , toutes les confifcations décrétées
avant la fanction définitive des Droits
de l'homme , font de bonne & légitime
prife. D'où il réfulteroit que l'Affemblée
Conftituante ne s'eft fouvenue de la juftice
qu'après avoir confominé des injuftices , &
( 125 )
n'a rappellé les droits de la liberté qu'après
les avoir anéantis.
« On trouve dans Appien , dit Montef
» quieu , la formule des profcriptions . On
» eft défolé de voir les fophifmes qu'em
» ploya la cruauté. Vous diriez qu'on n'y
» a d'autre objet que le bien de la République
, tant on y montre d'avantages ,
» tant les riches feront en sûreté , fant le
» bas peuple fera tranquille , tant on craint
» de mettre en danger les intérêts des Ci-
» toyens , tant enfin on fera heureux . >>
La foirée de Samedi dernier offrit la plus
défefpérante agitation , & la fcène la plus
horrible qui ait encore déshonoré les
Séances d'aucun Corps Légiflatif. De jour
en jour plus audacieufe , l'influence punif
fable des Galeries dans les délibérations
ne connoit plus de bornes. Elles infultèrent
le Préfident ; elles ordonnèrent au Rapporteur
, à plufieurs repriſes , de quitter
la Tribune ; elles outragèrent d'épithètes
atroces plufieurs des Membres de la Minorité.
Les apotrophes , les cris , les fifflets ,
les éclats de rire , tous les genres d'infulte
furent prodigués. Ces fcandaleufes hoftilités
dénoncent une perverfité & une ſubverfion
complettes. Quelques jours aupa
ravant , dans la difcuffion fur les Palle .
ports , ces mêmes Galeries avoient crié aux
1
F 3.
( 1·26 )
Opinans contraires à cette épouvantable
Loi , à bas les Ministériels , à bas les Mâtins !.
à bas la Lifte Civile & cent horreurs
analogues.
Cette calamité , car j'appelle de ce nom
un pareil bouleversement , cette calamité
gagne un tel point de gravité , que l'impuif-.
fince d'en arrêter le cours devient manifefte.
Ceft après des exemples répétés & impunis
de ces criminelles ufurpations fur la
prérogative des Repréfentans du Peuple
c'eft à la fuite de plaintes méprifées , d'ap
pels à l'ordre reçus par des huées , de réglemens
faits , refaits , rappellés , affichés
pour mieux attefter le fcandale de l'anarchie
, du mépris le plus infolent de la Loi
& de l'autorité de l'Affemblée, que ce def
potifme fcandaleux fe renouvelle , & tou-,
jours impunément. Quelle licence ! &
quelle Nation que celle qui n'a pas la
force de s'en indigner ! Si quelque Specta-i
teur s'avifoit de laiffer échapper le moindre
figne d'improbation , ou d'approbation
dans le Parlement Britannique , il feroit
ignomini eufement chaffé. J'ai vu faire vider
fur -le - champ la Galerie , à la fuite d'un
éclat de rire involontairement échappé à la
Ducheffe de Gordon..
Ainfi , trois à quatre cent individus fans.
titre , fans proprieté , fans exiftence , & que
la voix publique accufe depuis deux ans
'être aux gages d'une faction , en de-
4
( 127 ))
.
viennent les auxiliaires , les fuppléans ,
les arbitres de la Légiflation . Cette cohue
refufe au Roible Veroy & seller Bexerce.
Ses fantaiſies & fes fureurs décident du fort
de 25 millions d'hommes , endormis fous
les chaînes de cette honteufe tyrannie.
Les calomnies de ces Galeries contre la
Minorité font un cri de guerre & de
profcription. Après les exemples de vér
nalité qui ont fouillé le Corps Conftituant
-nul ne répondroit de la pureté abfolue de
tous ceux qui défendent encore , & affez
mollement , les débris du Trône , & de la
Conftitutionen lambeaux ; mais il eft
odieux de les caractérifer en général fous
le nom de Ministériels . Le plus grand
nombre de ces Oppofans font au contraire
des Zélateurs de la Conftitution ; il en eft
plufieurs qui joignent la probité à l'inf
truction. Tousfont réunis par l'approche
menaçante d'une dernière invafion de
l'Autorité Royale. Ah ! qu'ils fo fou
viennent des avertiffemens prophétiques
que je leur donnai cent fois ; fous le
regne de l'Affemblée Conftituante
Plufieurs de ces Révolutionnaires alors
fi impétueux , & aujourd'hui fi effrayés ,
gouvernoient ces téméraires Spectateurs
ils les lâchoient à volonté contre leurs ad
verfaires , ils riolent de l'oppreffion où ils
tenoient la Minorité , des injures que lut
adreforent les Galefies , des catracités qué
17

E
4
( 128 )
des Pétitionnaires , tels que M. de Vaublanc
, vomiffolent contr'elle à la barre';
ils invoquoient le refpec du Peuple lorfque
des hommies fans état & des femmes fans
pudeur , infultant les plus eftimables Députés
, excitoient les réclamations du côté
droit ; les plus modérés de la majorité
toléroient ce fcandale avec manfuétude ;
is approuvoient que ces indignes Coadjuteurs
, fecondant la tactique de leurs Démagogues
maintenant détrônés , intimidaffent
les opinions , joigniflent les voies
de fait aux menaces , & formaflent ainfi
avec eux le fiége des confciences , de la
juftice , de la liberté , pour emporter les
Décrets de vive force.
Eh bien tout ce qui fe paffe en ce
moment eft une répétition de cet abomihable
jeu. Ce font les phalanges de ce
vertueux Mirabeau , fi adroit à en étayer
fa tyrannie , qui oppriment aujourd'hui
fes anciens Affociés , & les mêmes hommes
qui l'ont divinifė . Difcite juftitiam moniti.
Les moyens dont on s'eftfervi pour écrafer
' opinion des Défenfeurs du Gouvernement
Monarchique , on les reproduit pour
effacer les dernières traces de ce Gouvernement.
Nous touchons à cette catastrophe.
Que ceux dont l'imprudence l'a provoquée
, & qui ne font plus maîtres d'arrêter
le torrent dont ils ont rompu la première
digue , ne s'en tiennent done pas
7x29 )
dun ftérile repentir. Qu'ils réfléchi Tent
à leur fituation & à celle de l'Empire : ils
feront les premières victimes de la République
; ils périront avec le Trône qu'ils
ont avili , & privé de toute défenſe .
Les plaintes légitimes de la Minorité
actuelle , elle les trouvera toutes confignées
dans ce Journal des trois dernières
années . Je lui paroiffois alors un Ariftocrate
forcené . Son oppreffion m'a vengé
de fon injuftice. Je l'invite à ne plus s'aveugler
fur les véritables caufes des avanies
dont elle eft l'objet , à fonder fa pofition
, à reconnoître , enfin , les écueils fur
lefquels elle fe brife , ainfi que la Cou
ronne , le Peuple & le Royaume.
1
La déforganiſation générale s'aggrave
chaque jour. Par-tout des autorités fans.
force , & des pouvoirs illégitimes maîtres
de la Loi & de la liberté des Citoyens.
Voilà des Officiers Municipaux inſultés &
frappés Caen ; le Directoire du Départément
du Gers échappé aux fureurs d'une
multitude féditieufe ; les Corps Adminiſtratifs
en conflict mutuel ; ici , des convois
⚫ de grains ; là , ceux de numéraire arrêtés
avec violence ; des Départemens fermant
arbitrairement les Eglifes , & exécutant le
Décret contre les Prêtres , nonobftant la
négative Royale qui fui a ôté le caractère
d'une Loi ; d'autres Départemens , avec
des intentions droites , ne fachant comment
14
F S
( (1304)**
maintenir la Police religieufe , & la tolérance
des opinions ; les impofitions repouf
fées en une infinité de lieux , par ceux des
Contribuables qui font en mesure de ré
fiftance ; les Peuples appauvris , pouflés au
défefpoir par le fléau du papier monnoie ,
1
& le renchériffement exceffif des confom-;
mations ; les Proprietaires, de tout rang
épouvantés , fuyans , implorant en vain .
le retour de la paix & de la sûreté ; une
marine qui ne compte plus, un feul ; Officier
; car tous , fans.exception , ont refufé
le fervice ; une armée où tout- à - l'heure il
ne reftera pas deux cent Officiers ; les nouveaux
Généraux déjà calomniés, comme
les anciens les Miniftres livrés à une diffamation
de chaque jour , malgré leurs
efforts pour y échapper ; quiconque profeffe
de la modération , dénoncé comme
traître , enfin , le Roi , la Reine , outragés ,
de nouveau avec une impudence foutenue
, objets des plus infâmes impoftures ;
& ne fervant plus qu'à exercer , fans la;
fatiguer , la fcelerateife d'une bande d'affafins
périodiques , fur lefquels Accuf-,
teurs publis , Police , Tribunaux , jettent,
le voile de l'indulgence,
Le projet d'acheve: l'avi iffement de l'autorité
Royale , & de l'annibiler , fe développe
fans nuages. La Minorité de l'Affemblée
combat ce travail de chaque jour avec ,
timidité ,, ou inattention. Lundi dernier
il fut décrété itérativement que les Com
tés étoient autorisés à correfpondre avec
les Départemens , pour furveiller dit M.
Bafire , auteur de la motion , la conduite
des Miniftres. Ainfi , voilà deux centres de
rapports journaliers , de confultations , d'influence
, que reconnoîtront les Corps Ad
miniftratils , le Gouvernement du Roi & le
Gouvernement des Comités Des Agens
fubordonnés d'exécution , rendront compté
à l'Affemblée des ordres qu'ils auront reçu
da Pouvoir exécutif de leur déférence our
de leur défobéiffance : on les traveftit en
elpion des Comités contre les Miniftres ,
& les Comités en Contrôleurs habituels de
l'Adminiſtration. Il ne faut pas être clairvoyant
pour découvrir dans cette mesure ,
la pierre angulaire d'une ufurpation journalière
du pouvoir exécutif. Obfervez que ca
Décret a été confirmé , en même temps que
Garra dans fa Feuille périodique , annonçoit
un moyen de paralyfer le Veto , en
invitant les Corps adn iniftratifs à exécutertoujours
les Décrets non fanctionnés , fauf
à être abfous par la Législature , file Gouvernement
fe hafardoit à les accufer de ré--
bellion, 210 .
Par le fecond Décret rendu dans la même
féance , il a été décidé qu'en écrivant aut
Roty le Préfident fuvroit le protocole
qu'avoit obfervé le Roi , en écrivant à?
Aflemblée. En conféquence , le foiré
1
F 6
( 132 )
même, M. de Condorcet envoya´à·· Sa
Majefté , par un Huifier , le billet fuivant :
« L'Affemblée Nationale , Sire , m'a
» chargé de faire part à Votre Majefté ,
» qu'elle fe bornoit à demander l'exécution
» entière de la Loi du 17 Juin , & qu'elle
» ne mettoit point de différence dans fes
» Députations , quel que fût le nombre des
» Membres qui les compofoient. Elie fent)
» que rien ne doit interrompre fes com-t
» munications entre elle et vous , & elle .
veut faire ceffer tout différend à cet
» égard. Signé, le Préfident de l'Aff. Nat. »
Telles font les nouvelles formes refpectueufes
& Monarchiques , par lefquelles
PAffemblée correfpondra dorénavant avec
ce Repréſentant héréditaire du Peuple
avec ce Monarque , defcendant de 60 Rois
légitimes par le confentement unanime de
la Nation , par la Loi fondamentale de
l'Etat , & qui fe trouve maintenant l'égal
de M. de Condorcet.
Nous ne parlerons pas de la difcuffion
fur les deux battans , à l'inftant où les
Affignats perdent 60 pour 100 , ou un
louis d'or fe vend 40 liv., où le change
fur Londres eft au - deffous de 17 , celui
d'Amfterdam au- deffous de 32 ; où les
Finances oubliées menacent ruine inftante ,
alors même qu'on ne les oublieroit pas ;
où nos Colonies périffent , où toutes les
fources de richeffe publique & particulière
C
4
( 133 )
fe ferment fous des amas de décombres
ftériles ; où les regards ne tombent plus
que fur un Empire dépeuplé , agonifant ,
& que la plus rare habileté jointe à la
puiffance la plus active , auroient peine à
Toutenir. Ces traits caractérisent les Factions
; le fuccès de leurs manoeuvres en
rehauffe à leurs yeux l'indignité , & l'intérêt
public eft toujours néant à côté du leur.
Plufieurs parties du Rapport de M.
Gorgutreau renferment des vérités évidentes
: M. Malouet & plufieurs autres
également vilipendés par les Galeries &
les Journaliſtes , développèrent dans le
temps celles qui touchent aux Pétitions &
à la fouveraineté publique. Il y a du courage
à M. Gorguereau de les avoir rappellées.
On a vu que , peu de jours auparavant,
M. Quatremère de Quincy , efprit
droit , Citoyen rempli de probité , montra
la même fermeté & encore plus de talent ,
dans l'eftimable Difcours qu'il prononga
fur le droit d'accufer les Agens de la Cou-
1onne.
On préfume que le Ror refufera fa Sanction
au Décret des Paffe- ports ; Décret
d'une exécution impoffible , dont l'exiſtence
à côté des Droits de l'Homme feroit le
fcandale de la Conftitution , & dont l'in-
Tention avoit échappé aux Inquifiteurs
politiques les plus rafinés. Quelquefois ,
t
( 134 )
éertains Etats dans des jours de crife ont
refferré la police des paffe- ports ; ainfi l'on
décernoit des Lettres -de - Cachet. Ces exceptions
à la règle , ces dérogations à la
liberté , réfultoient d'une mefure particulière
d'adminiſtration , & ne s'appliquoient
qu'à un nombre borné d'individus ; mais
qui , jamais , s'avifa d'en faire une loi
générale ?
2
Il fe répand que M. le Prince de Conde
& tous les Militaires qui l'accompagnent ,
ont été invités par l'Empereur à transférer
leur réfidence à Fribourg en Brifgaw , où
ils feroient plus commodément qu'à Oberkirch.
Quoique cette nouvelle ne foit pas.
hors du raifemblable , nous n'en avons
aucune information authentique. Nous
avouons la même incertitude fur le
bruit circulant d'une réunion de M.
de Breteuil & de M. de Calonne , par.
l'entremife de l'efprit conciliant , jufte
& modéré de M. le Maréchal de Caftries.
Aucun avis certain ne nous attefte ce rapprochement.
Les intrigues de Coblentz
femblent agiter ce féjour , & il s'en faut
que le malheur ait amené la concorde. M..
Chriftin , Secrétaire du Confeil des Princes ,
a été facrifié à ces mouvemens " inteftins ,
dont la caufe.nous eft inconnue. Dans le
3. Numéro d'un Jourral que M. Suleau
fait imprimer à Nieuwied , ontrouve , dit
( 135 )
on , la clef de cet incident. Ce Numéro
n'eft pas parvenu à Paris ; mais il a fait
une fâcheufe fenfation fur les lieux même..
On s'en formera une idée par la lettre fuivante
qui nous a été adreffée de Nieuwied .
De Neuwied fur le Rhin , près Coblentz, le 213
Janvier 1792.
« Permettez- moi , Monfieur , de vous adreffer
quelques obfervations fur le n°. 5. du Journal
de la Contre-Révolution rédigé par M. Suleau ,
en vous priant de les rendre publiques . Ce Journal :
simprime au milieu de nous , & il eft daté de
Neuwied fur le Rhin . Ces circonstances four- ..
niront infailliblement aux factieux qui égarent
le Peuple , un nouveau prétexte pour nous rendre
odieux . On ne manquera pas de dire à ce Peuple
toujours facile à féduire , que nous avons con- l
juré la perte , & que nous partageons toutes les
fureurs de l'Auteur , qui lui-même pourroit s'au - i
torifer de notre Glence. »
сс Prévenez , Monfieur , la claffe nombreuſe.
des honnêtes gens qui s'inftruifent en vous lifant ;
affurez les bien que nous fommes tous fort éloignés
de defier la guerre civile , & que nous la régardons
comme le plus grand fleau qui puiffe affliger,
la France. »

«L'attitude que nous fommes forcés de prendre ,
n'a d'autre but que d'étouffer les germes de cette
guerre civile & inteftine , en effrayant les coupables
, en réduifant leurs chefs à l'heureuſe impuiflance
de nuire . Nous voulons ramener le
règne de la Loi , & l'Europe indignée des atten-,
de la faction Républicaine , s'apprête à re-.
mettre le glaive de la juítice dans les mains de
( 136 )
fotre Monarque. Que les criminels tremblent ;
mais que le peuple égaré fe raffure en refufant
de fe facrifier pour des intérêts fi oppofés aux
fiens . Les coupables eux -mêmes peuvent fe confier
en la clémence fi éprouvée de notre bon
Roi jaloux de réguer pour l'amour de fon Peuple.
Louis XVI met fa gloire la plus chère à par
donner , auffi - tôt qu'il a le pouvoir de punir.
Les factieux ont ofé propofer cette devife : Guerre
aux châteaux. La nôtre cft celle de notre Roi,
Amnistie générale : Sûreté pour tous.
« En désavouant hautement au nom de tous
mes Cainarades les opinions particulières à un
Journaliste qui nous eft étranger , j'ajouterai
que nous avons vu avec la même peine les foupçons
que M. Suleau paroît vouloir répandre fur
la conduite de l'un de nos auguftes Princes . Nous
fommes tous indignés de cette calomnic ; mais
fon invraiſemblance , ou plutôt ſon abfurdité la
rend fi eu dangereufe que la feule punition de
l'Auteur a été le mépris . »
« Recevez , je vous prie , &c.
TEXIER , Brigadier des Compagnies
Rouges , cantonnées à Neuwied.
Les derniers avis de St. Domingue font
'déplorables. L'anarchie , la difcorde, comblent
la melure des calamités de cette Colónie
. Les équipages des vaiffeaux font en
infubordination ; les Nègres joints aux
Gens de couleur ont rétabli leur Camp à la
grande Rivière . Ils ont envoyé à l'Aifem-
Blée Coloniale une Députation pour demander
la confervation de tout le butin
qu'ils ont enlevé , & l'affranchiffement de
( 137 )
so de leurs Chefs . Les Commiffaires Civils
arrivés au Cap y font des phrafes révolu
tionnaires fur les beautés de la régénération .
Enfin , l'on annonce que les petits Blancs
du Port- au - Prince ont chaffé les Mulâtres
de leur Camp ; que ceux- ci fe font retirés
au Lamentin , où ils ont brûlé plufieurs
Habitations. La frégate la Fine eft heureufenient
arrivée au Cap avec les Troupes
qu'elle avcit à bord ."
Il s'en faut de beaucoup que tous les
Proteftans du Royaume, partagent les fentimens
, les projets criminels & le blame
des horribles violences dont on accufe cette
Secte dans le Midi Nombre d'entr'eu
craignent de fe montrer , & ne feroient
pas mieux traités que les Catholiques; mais
ils font affez fages pour imiter les Proteftans
de l'Etranger , qui , fidèles aux prins
cipes de leur Religion , voyent avec horreur
la conduite d'une partie des Calviniftes
de France, & ont même , en plufieurs
lieux , donné des fecours de tout genre aux
Eccléfiaftiques non-conformistes , chaffés
de France par les perfécutions . On verra la
preuve de cette diffidence parmi les Proteftans
du Midi , dans la lettre fuivante :)
A Caftres , Haut-Languedoc , ce 19 Janvier 1792 .
Affiigé , Monfieur , de voir les Proteftans
des provinces méridionales généralement accu
fés d'avoir une conduite très répréhenſible , je
vous prie de vouloir bien inférer dans votre
сс
·
( 138 )
Journal , l'affurance que je vous donne par ma
préfente lettre , que j'ai des fentimens très -oppofés
à ceux qu'on reproche à ma Secte , que je blâme
hautement la conduite de la majorité des Proteftans
, & que je fais profeffion d'attachement au
Roi & à la Monarchie , que je fuis toujours difpofé
à donner au Roi des preuves de ma fidé
lité & de mon dévouement pour ſa Perſonne . »
« J'ofe vous affurer qu'il y a un très -grand
nombre de Proteftans de ma province qui ont
& profeffent les mêmes fentimens que moi ; que
plufieurs ont donné des marques d'intérêt aux
Prêtres non jureurs , & que d'autres ont été dér
noncés & notés aux Clubs . Ma lettre feroit fignée
de beaucoup de perfonnes , fi les Proteftans , ac
cufés d'a iftocratie , n'avoient pas encore plus de
ménagemens à garder que les Catholiques dont
on excufe l'ariftocratie , à cauſe des coups portés
felon eux à leur religion , par la Conftitution cir
vile du Clergé. »
L'eftimable Auteur du morceau fur l'état
des Finances , qu'on a lu dans l'un de nos
Journaux du mois paffé , nous a fourni un
fupplément , non moins inftructit , & non
moins inconteftable , à fon premier expofé.
Celui-ci offre le réfumé comparatif de la
dette exigible , conjointement avec le défié
cit reconnu auquel il faut pourvoir , &
de l'eflimation avouée des Don aies Na
tionaux , les forêts compriſes.
De la Dette exigible & des Domaines nationaux.
« Les Finances de la France doivent être con
fidérées fous no double rapport : celui des dél
( 139 ))
ན་
penfes & des recettes ordinaires , & celui des
dépenses & recettes extraordinaires . »
Le premier comprend toutes les dépenfest
habituelles du Gouvernement , & même celles
que des circonftances plus ou moins durables
peuvent y faire entrer. Les recettes ordinaires
fe forment des impôts ou des revenus annuels
Lous quelque forme ou dénomination qu'on les.
comprenne. Il est déjà prouvé que la différence
entre les recettes & les dépenfes annuelles eft au
moins de quatre cent millions . »
« Les dépenses extraordinaires dont nous entendons
parler , font plus particulièrement con-
Dues fous le nom de dette exigible . C'eſt eile
qui eft l'objet de la liquidation , & qui doit être
couverte par les recettes extraordinaires prove-r
nant de la vente des Domaines nationaux . Il eft
intéreffant de connoîtte le montant de cette
dette , & la valeur des biens deſtinés à y faire
face » pour prévenir le moment où ces biens fe
trouvant épuifés , la partie de la dette exigible
qui ne fera pas liquidée , manquant d'une valeur
correfpondante , retomberoit dans les dépenfes
ordinaires , & forceroit à chercher de nouvelles
reffources & de nouvelles combinaiſons. 5
1
Ceft des Rapports & des aveux de l'Af→
femblée que nous avons extrait la preuve du
deficit annuel de quatre cent millions. Ce feront
encore les pièces avouées & adoptées par elle
qui nous ferviront de guide dans ce nouvel era→
men. Cette marière de proceder a l'avantage
de bannir toute conteftation , toute récrimina
tion , & comme en matière de calcul toute autorité
vient des chiffres , lorsqu'on eft d'accord!
fur la quantité , on l'eft bientôt fur les confé
quences, Chacun fait que la France a le bonheur
( 140 )
d'être partagée en 546 Diſtricts , y compris ceux
de Carpentras & d'Avignon , depuis la conquête
fi loyale & fi paifible de ce pays . La valeur des
biens du Clergé & du Domaine répandus fur
toute l'étendue de ces Diftricts eft invariablement
fixée par le prix connu des ventes faites ,
& par les évaluations fournies juſqu'à ce jour.
A la fin de Janvier , 500 Diſtricts ont vendu ou
évalué tout ce qu'ils poffèdent de ces biens. >>
« L'Affemblée en a reçu l'état de M. Amelot,
Adminiſtrateur de la caifle de l'extraordinaire . Il
s'élève à la fomme de 2,138,450,000 liv.
« Partons de là pour évaluer les 46 Diſtricts
arriérés . Ils font environ le douzième de la totalité
des Diftricts du Royaume. I's doivent
préfenter les mêmes différences de richelles ; &
fi quelqu'un , comme en Flandres & en Lorraine
, renferment beaucoup de biens du Clergé;
d'autres auffi , comme tous ceux d'outre-Loire,
n'en poffèdent fûrement qu'une très-petite quantité.
On ne peut donc raiſonnablement contefter
unc évaluation moyenne , & fi soo Districts
d'une valeur totale de 2,138,450000 . I. donnent
par chaque centaine de Districts 428,000,000 liv.;
ce qui fe trouve confirmé par le dernier rapport
de M. Amelot , où 25 Diſtricts out fourni un
pen au- delà de 100,000,000 liv . , il fera très-
Luffifant d'eftimer les biens fitués dans les 46
derniers Districts à la fomme de 200,000,000 liv.
qui , joints à celle provenant des 500 Districts
déjà évalués ou vendus au prix de 2,138,450,000l.
font un total de 2,338,450,000 liv. »
« Il faut y joindre les forêts & parties de
bois au-deffus de 300 arpens , meiure à laquelle
a du s'arrêter juſqu'à ce jour la faculté de vendre,
mais que l'embarras & le torrent des affaires
( 141 ).
menacent de franchir dans peu . M. de Montef
quiou , dans fon panégyrique de nos finances ;
du 9 Septembre 1791 , avertit que cette nature
de biens évalués feulement dans les Diftricts
même à 300,000,000 liv . en vaut au moins
600,000,000 liv. Adoptons cette eſtimation pour
ne pas ajouter aux contradictions qu'éprouvent
trop fouvent les calculs de M. de Montefquiou.
Nous aurons donc une fomme de 600,000,000
liv. à ajouter à celle de 2,338,450,000 liv. ;
total 2,938,450,000 liv. »
1
« L'attribution accordée aux Municipalités
eft d'un feizième , ce qui fait la fomme de
191,000 , pco liv . , par conféquent une réduction
fur la fomme totale à 2,727,450,000 liv . Quoi
que cette fomme foit bien au- deffous des efpérances
& de la convoitife qui ont mefuré &
adjugé les biens du Clergé , elle eût fuffi fans
doute , avec un emploi fage & modéré , à détruire
tous les embarras des finances. Exami
nons fi on y a réufti. » -
1
« L'Affemblée Conftituante après avoir groffi
de toutes fes deftructions la maffe de la dette
exigible , affecta par fes Décrets l'enſemble des
propriétés du Clergé & du Roi à l'acquittement
de cette dette , & au retrait des affignats . Ici le
droit & le fait furent fans ceffe en oppofition :
car on a fait habituellement fervir ces mêmes
biens au paiement des dépenfes journalières
laiffées fans reflource par le dépériffement des
Impôts , par l'anarchie du Gouvernement , &
par les refus armés des contribuables . »
сс« Le liquidateur général a fait connoître par
fon Mémoire , remis à l'Affemblée dans le
courant de Décembre dernier , que la liquidation
à confommer étoit encore un objet de
1,490,000,000 liv. , en quoi il s'eft d'autant
( 142 )
moins compromis que quelques uns des objets
les plus effentiels de fon adminiftration ont furpaffé
de moitié fon évaluation , tel par exem
ple que les offices qui , évalués d'abord par lui
450,000,000 liv . , ont été reconnus par luimême
monter à la fomme de 800,000,000 liv.
C'est dans de pareils aveux feulement qu'il faut
placer la vérité. Aujourd'hui on ne la trouve
plus que là. »
M. Amelot a , de fon côté , prévenu l'AFfemblée
qu'a l'époque du 31 décembre 1791 ;
1,764,000,000 liv. d'affignats étoient confommés.
Le décret qui accorde 38,000,000 liv ..
pour folder le deficit du même mois de décem
bre , a donc abforbé le refte de 1,800,000,000 l.
réfultant des trois premières créations . Il ne
refte donc de toutes les propriétés mifes à la
difpofition de la nation qu'une fomme difponible
de 967,450,000 liv. pour faire face à
deux objets également impérieux , la dette exigible
de 1,400,000,000 liv. , & le deficit ordinaire
de 400,000,000 liv . Ce dernier s'accroît
chaque jour par une fucceffion de Décrets bur
faux, dont l'enſemble eft véritablement effrayant.»
« On compteroit en vain fur les repriſes envers
les comptables & les compagnies de finance ,
:ainfi que fur les objets mentionnés dans l'inventaire
du 30 juin 1791. Car fans faire valoir
pour le moment les droits de ces mêmes comptables
& compagnies à des répétitions très - légitimes
, il eft certain que les rentrées de cette
nature forment une partie de la recette de
chaque mois , & que ce fereit un double emploi
de s'en fervir à payer les dépenfes du préfent ,
& à nourrir les efpérances de l'avenir . »
« Pour le dire en paffant , ces états de recette
de chaque mois excitent le fourire de la pitié ,
( 143 )
Torfqulen examinant les parties dont elles font
formées , on croit parcourir l'inventaire honteux
d'une maiſon abandonnée , plutôt que le tableau
des richeffes & des forces d'un grand Empire. »
La créance fur M. le Duc des Deux- Ponts
& fur les Américains a le même fort. Ce font
des capitaux qui paffent chaque jour au paiement
de la dépense courante & qui laiffent
d'autant à découvert la caiffe de liquidation .

5
Il ne faut pas compter davantage fur la plus
value tant célébrée des ventes fur les évaluations
des domaines nationaux. Elles ont pu , il eft vr. i,
avoir lieu pendant quelque temps . Mais comme
les évaluations actuelles n'ont été demandées aux
districts que pour ranimer la confiance qui commençoit
à s'éloigner des Affignats , on peut s'en
rapporter à l'intelligence , & au patriotifme des
Adminiftrateurs bien avertis , du foin d'avoir
donné à ces biens toute la valeur dont-ils font fufceptibles,
»
Il refte donc démontré que toutes nos ref-
Lources pour faire face à un déficit de 400,000,000 ,
liv. , & à une dette exigible de 1,400,000,000
liv. , fe réduisent à une fomme de 967,000,000
liv. , payable dans 12 ans . »
« Tel eft l'abyme au bord duquel le Public
&, l'Affemblée font également endormis . Nous
aimons à le répéter : Un tel ordre de chofe
e peut être durable ; & l'Affemblée fe charge
avec une imprévoyance vraiment coupable d'un
compte effrayant , fi elle ne renonce à toutes
fes diftractions , pour s'occuper fans relâche de
cet important objet . Qu'elle fonge que la banl'Etat
que route qui , fous Laff , n'ébranla pas
parce que le refpect du Prince , & l'obéiffar c
de l'Armée étoient entiers briferoit aujourd'hui
la Monarchie , & réduiroit la France à

( 144 )
FEtat de St. Domingue & d'Avignon.' Tel eft
cependant le terme & le fruit de trois ans d'illu
fions.
N. B. M. de Sainte Croix , Envoyé à
Coblentz , a fait publier dans le Journal
de Paris , une lettre où me comparant équitablement
à M. Carra , il fe plaint amerement
du reproche que je lui ai fait , d'avoir
eu des obligations à feu M. le Comte de
Vergennes. Il ajoute que je ne connois
pas fa miffion , apparemment différente
de celle que fes lettres officielles hui
ont fait fuppofer. La délicateffe de fa
pofition pénible m'ordonne le filence fur
les reproches je confens à les mériter.
Je remarquerai feulement que , de tous
les Journalistes Royaliftes , je fuis le feul
qui me fois élevé contre les injures adreffées
à M. de Sainte Croix , & qui ait blâmé
fe traitement qu'il a reçu . Sa récrimination
ne prouve ni l'efprit de jufteffe , ni
celui de justice.
Les mêmes motifs m'interdifent de parler
aujourd'hui des bruits qui ont couru la
femaine dernière touchant M. de Ségur
MERCURE
HISTORIQUE
ILI
E T
POLITIQUE.
POLOGNE.
De Varfovie , le 26 Janvier 1792..
la
L refte encore indécis fi l'Electeur de Saxe
acceptera la Couronne héréditaire . Sa détermination
tient évidemment à celle de la
Ruffie , qui , ayant envahi , en 1775 ,
garantie de notre ancienne Conftitution ,
ne s'eft pas encore expliquée fur la nouvelle
; elle tient encore au fort même de
ces Loix dans l'intérieur , où les mécontens
grofliffent en nombre & en force. Plufeurs
provinces , la Lithuanie en particu-
* Des raifons importantes ne nous permettent
de donner la fin du Réfumé que la femaine
prochaine .
N°. 7. 18 Février 1792. G
( 146 )
lier , parlent de demander très-inceffamment
que la Diète ceffe d'être confédérée ,
& qu'elle reprenne enfin le caractère d'une
Diète ordinaire. Le Comte Potocki , Grand
Maître d'Artillerie de la Couronne & le
Petit Général Rzewuski perfiftent dans leur
oppofition. Ce dernier a envoyé au Roi
lui-même fa proteftation : quant au Comte
Potocki , fommé par la Commiffión de
guerre de venir prêter ferment à la Conftitution
le 3 Mai prochain , il a répondu
par une lettre fière & énergique , où l'on
reconnoît le caractère de ce Général qui
a donné tant de preuves d'efprit public ,
& dont voici la traduction littérale.
TRÈS -ILLUSTRE COMMISSION DE GUERRE DES
DEUX NATIONS .
MESSIEURS ,
« Je n'ai reçu aucune lettre de l'illuftre Commiffion
de guerre antérieure à celle du décembre
, à laquelle j'ai l'honneur de répondre
au moment de la réception. Si la première me
fût parvenue , j'y aurois mis le même empreffement
, inftruit de mes devoirs envers cette refpectable
Magiftrature , & envers les Membres qui
la compofent. D'ailleurs , n'ayant jamais déguiſé
ma façon de penfer au Roi , aux Etats & au Public ,
je ne cherche point à en faire myſtère ; & je ne la
cacherai jamais . »
« L'Etre-Suprême m'ayant fait naitre Gentilhomme
dans une République , il n'y a ni
force , ni puiffance , ni aucun fentiment de
( 147 )
crainte , qui puiffe me faire renoncer à ce bienfait
de la Providence . Décidé à mourir libre .
je m'exprimerai avec cette même liberté , que
je chéris , réunie à la déférence que je dois à
l'illuftre Commiffion de guerre . Je fuis Militaire
; mais mon fervice , en cette qualité , fe
trouve fufpendu par celle de Fonctionnaire public.
Malgré mon grade dans l'armée , je n'ai
point redemandé le Commandement , & ne puis
y prétendre , parce que je ne pourrois l'obtenir
fans violer mes premiers devoirs de Gentilhomme
Libre & de Répréfentant de la République. Si
j'avois été à Varfovie le 3 mai , & que j'y
fuffe demeuré vivant , j'aurois , comme tous ceux
qui aiment la liberté , proteſté contre ce jour ,
dans lequel on a violé , au milieu du bruit
du défordre & du tumulte , dans neuf articles
les points prefcrits aux Nonces dans leurs inftructions
, en impofant une Conſtitution nouvelle
, & en l'appuyant de déclarations menaçantes.
Puifque je n'ai jamais été affez heureux
pour répandre mon fang fur le tombeau .
de la liberté , & puifque j'ai été également privé
de l'honneur de placer mon nom avec ceux des
perfonnes , qui ont porté & figné leurs proteftations
; enfin , puifqu'il ne m'a plus été permis
d'inférer la mienne dans nos Greffes & dans
nos Chancelleries , tout diſcours & tout écrit ,
fait contre le jour du 3 mai , ayant été juridiquement
défendu , & leur enregistrement prohibé
, parce que la Puiffance ordonnatrice &
exécutrice , fondée fur l'ouvrage d'un feul jour , a
été remife dans les mêmes mains , je me fuis borné
à expliquer brièvement mes fentimens & ma façon
de penfer dans mes réponses aux lettres du Roi
G 2
( 148 )
& du Maréchal de la Diète . Comment pourrois-je
donc aujourd'hui , après ce que j'y ai avancé
fur cette Conftitution , braver en que'que forte
1 Etre- Suprême , en prononçant un Serment contraire
à mon coeur , à mon jugement , à ma raiſon ,
& à ma conviction ? »
ce Comment pourrois - je en quelque forte partager
mon être , en proteftant , à titre de Repréfentant
de la République & de Citoyen libre ,
contre la Conſtitution , & accéder en même temps
à la violencé en prêtant le Serment comme Militaire?
Et Militaire , dont les obligations de fubordination
fe trouvent actuellement fufpendues par
mafonction de Nonce ? »
cc
Oui , Meffieurs , dans mon état actuel je
fuis Nonce ; & mes obligations de Général fe
trouvent fufpendues . Conféquemment , d'après
la profeffion de foi que je viens de faire ici ,
je ne puis point , comme Nonce , prêter le Serment
exigé ; je demande donc à l'illuftre Commillion
de guerre d'être regardé comme un Nonce ,
qui protefte , & qui par conféquent , comme
Militaire , eft difpenfé pendant la durée de fa
fonction publique du fervice & des devoirs qu'il
impofe.»
ce Dieu voir mon coeur & ma conſcience . Le
temps découvre la vérité : ainfi , ceux qui cherchent
à me noiseir , verront un jour , que , loin de
trahir la fidélité que je dois à la République ,
je fuis prêt à facrifier tout ce que je poffède ,
tout ce qui m'eft de plus cher , ma vie même
pour ma Patrie & la liberté . Mais il n'eſt point
de Puiffance fur la terre , qui puiffe me forcer
à accepter , par un Serment , un Gouvernement
149 )
quelconque en Pologne , qui ne foit pas Répu
blicain. Né Républicain & libre , au milieu de
l'abondance , j'en ai joui jufqu'à préfent ; je puis
cependant mourir dans l'indigence , fi la violence
m'enlève mes biens , mais il n'en eft pas , qui ‹
puiffe jamais m'enlever le tréfor le plus cher à
mon coeur , la liberté . Non je ne cefferai jamais
d'être un Polonois libre , & les anciennes vertus
Républicaines , quand même l'on m'ôteroit tout
ce que je possède , feront un exemple & un heritage
, que je laifferai à mes enfans . »
CC Mais je ne puis croire qu'une nation illufte ,
qui a toujours préféré la liberté à la vic , voulûr
juger , punir & opprimer un citoyen , un conci-,
toyen , un frère , parce qu'il ne veut point agir
contre fa conviction , parce qu'il fuit à la lettre
les inftructions données par la nation , avant que
le jour du 3 mai , appuyé par des défenfes & des
meņaces , n'eût défendu d'obéir à fon coeur , à
fon devoir ,& à la conviction. Non ! je le repères
je ne faurois croire , que cette Nation , dont ja
connois les vertus , voulût condamner & perféeuter
celui qui a toujours tenu le langage de la
vérité au Roi & à fès concitoyens ; celui , qui ne
met aucun prix aux ricbeffes , qui n'a jamais brigue
des titres & des dignités , qui n'a jamais prétendu
à une grande influence , & dont tous les voeux
enfin le bornoient à defiɛer de jouir d'une liberté
égale à celle , à laquelle tout Gentilhomme a droit
de prétendre. Ces fentimens ne peuvent que cons
vaincre, que l'homme, qut les profelle , ne fauroit
trahir la République , ni agir différemment de fes
principes. Ceux mêmes dont l'exaltation a faf
ciné les yeux , & qui ont cherché à me noircig
à ceux du Public , reconnoîtront un jour, j'ofe
G 3
( 150 )
L'affirmer , qu'on ne fauroit être plus fidèle à la
République & plus attaché à la Liberté. »
J'ai l'honneur d'être , avec le refpe&t dû à la
Commiffion de Guerre , &c . ~
Signé, STANISLAS SZCZESNY- POTOCKI ,
Nonce , qui protefte , du Palatinat de
Braclau , Grand-Maître de l'Artillerie
de Pologne.
Le Lieutenant-Colonel de Borosdin, au
fervice de Ruffie, eft arrivé ici le 15 de
Jaffy , & a apporté au Miniftre de Ruffie
la nouvelle de la conclufion définitive de
la paix entre la Ruffie & la Porte Ottomane.
L'échange de la Ratification fe fera à
Jaffy dans l'efpace de cinq femaines. Le
fond des conditions eft tel que nous l'a
vons indiqué antérieurement. Après la
fignature , le Comte de Besborodko déclara,
de la part de l'Impératrice , aux Plénipotentiaires
Turcs , que S. M. I. renonçoit
aux 12 millions de piaftres , qu'en vertu
des ftipulations du Traité la Porte Ottomane
devoit lui payer pour l'indemnifer
des frais de la guerre . Cette générofité fit
le plus grand effet fur les Commiffaires
Turcs , qui ne favolent de quelle manière
exprimer leur admiration & leur reconnoiffance.
A régard de la Moldavie & de
Ja Valachie , il a été arrêté que les Habifans
de ces provinces feront exemptés pen
+
1
( 151 ).
dant deux ans de tout tribut , & qu'on
leur fera la remife des arrérages d'impôt
qu'ils devoient avant la guerre. On eft
convenu , de plus , que les Hofpodars ou
Princes gouvernans ces provinces ne pourront
être dépoffédés que pour caufe de
crimes contre l'Etat , & que ces crimes
feront examinés & jugés à Conftantinople
en préſence du Miniftre de Ruffie .
ALLEMAGNE.
De Vienne, le 29 Janvier 1792.
Depuis huit jours , les probabilités d'une
décifion arrêtée dans le Cabinet , & les
apparences de mouvemens prochains font
plus fortement développées. Le fentiment
prefqu'univerfel annonce la guerre les
derniers actes du Corps Légiflatif de France,
les conditions dictées à l'Empereur , l'impétuofité
perfide ou fanatique qui entraîne
les François à la conſommation de leur
ruine , ont achevé de fixer les incertitudes ,
& la bafe des réfolutions qui paroiffent
indifpenfables. Le Prince de Kaunitz a écrit
lui -même au Roi de Pruffe , qu'il étoit
temps de prendre des mefures efficaces pour
affurer la tranquillité des Peuples & la
dignité des Puiffances , contre les excès
d'un fanatifme qui menace ouvertement
l'Europe de la replonger dans la Barbarie ,
G4
( 152 )
par
la diffolution de tous les Gouverne
mens. Tous les Commandans des provinces
ont reçu ordre de tenir les troupes en état
de marcher au premier fignal. Les principaux
Officiers généraux font mandés à la
Cour. Douze régimens des cantonnemens
de Hongrie & du Cercle d'Autriche font
prévenus de fe préparer à paffer en Bohême,
pour y remplacer les divers Corps qui fileront
vers le Rhin & les Pays - Bas.
Ceux -ci formeront un total d'environ
30 mille hommes. Cependant, aucun d'eux
n'eft encore en marche : à moins de néceffité
urgente , la faifon défend de mettre
ainfi en mouvement au milieu de l'hiver ,
& une armée & des convois & des trains"
d'Artillerie. Ceux qui font cheminer ces
Corps incognito , & par détachemens traveftis
, efpèrent auff , apparemment, que la
France fera conquife en une nuit par des
nuées de fauterelles . Suivant toute vraifemblance
, rien ne fera définitivement décidé
fur le départ des troupes quelconques
avant la mi- Février . M. de Noailles a fait
partir le 27 un Courier pour Paris , fûrement
afin de prévenir fes Commettans que
l'heure du tocfin n'eſt pas éloignée .
Par un Décret du 14 de ce mois , l'Empereur
a rétabli l'ancien mode de la cenfure
des livres. S. M. a ordonné que les
feuilles volantes , brochures & autres petits:
( 153 )
t
*
crits théologiques , politiques , moraux,
philofophiques & littéraires , dont les
Auteurs refteroient anonymes , ou qui,
quoique nommés , n'ont pas une réputation
bien établie , feront préfentés , doubles à
la cenfure ; un exemplaire y reftera dépofé ,
& l'antre fera rendu parafé à l'Auteur ou
à l'Imprimeur.
C De Francfort -fur-le-Mein , le 6 Février.
Les difpofitions militaires que nous annoncions
la femaine dernière s'exécutent
fucceffivement. Cinq régimens Heffois
fe rendent en ce moment vers les bords
du Rhin , pour occuper la fortereffe dé
de
St. Goar fur la rive droite de ce fleuve ,
& Rhinfeld vis- à- vis de Saint -Goar. Le
Landgrave les commande en perfonne
Quelques détachemens feront cantonnés à
Schwalbac , & le cordon total de Rhinfeldà
Caffelrenfermera 9 à 10000 hommes . Huit
cents hommes d'Infanterie & autant de Ca
valerie Palatine , ont également bordé les
frontières du Bas- Palatinat : 4000 font
commandés pour le même fervice de précaution.
Le Cercle du Haut- Rhin eft
affemblé depuis le 30 : il va répartir le
contingent , & en régler la levée immédiate
. On s'attend à voir 30 mille Autrichiens
marcher inceffamment dans le
Brifgaw & les Pays - Bas ;, mais l'inftant de
G &
-
-
( 134 )
leur départ eft encore Incertain. D'un
autre côté , l'on écrit de plufieurs lieux de
la domination Pruffienne , que les Huf
fards d'Eben , tous les bataillons d'Infan
terie légère , & plufieurs Corps des can
tonnemens de la Siféfie & du Duché de
Magdebourg , ont été prévenus qu'on ne
tarderoit
pas à les rendre mobiles , & à fe
tenir prêts. Voilà , pour le moment , à quoi
fe réduit la marche , fauffement annoncée ,
d'une armée Prumfienne.
A
A la vue de ces préparatifs , à l'ouie
de ces avis , l'opinion fe reporte de nouveau
, avec plus de force , vers l'hypothefe
d'une coalition des principales Cours
de l'Europe ; coalition dont il faut exclure
P'Angleterre , dont le Roi & le Gouvernement
ont répété dernièrement l'affurance
de leur neutralité. Les termes de coalition ,
de révolution , de contre - révolution , mettent
à leur aife les Nouvelliftés , les Prophêtes ,
les Politiques de taverne , tous gens à qui
il faut ainfi l'étendart d'un mot à l'aide duquel
chacun peut battre la campagne , &
divaguer mille ans avant de rencontrer un
fait, ou une idée jufte. Les coalitions générales
& la paix perpétuelle font à- peuprès
fur la même ligne; mais ce qui
rentre fous celle du bon fens & de l'expérience
, c'eft qu'une ou deux Puiffances
s'ébranlant pour un objet qui femble d'intérêt
général , les autres font bientôt en(
rss )
trainées dans leurs mouvemens , comme
les Planettes autour du Soleil . Si l'Autriche
& la Pruffe attaquent la France , on peut
croire , en effet , que cette Monarchie f
bien traitée par les favans , & où l'on ne
compte prefque plus que des Solons & des
Epaminondas , fera inveftie de toutes parts.
Il eft cependant néceffaire de dire , & de
redire , que cet ébranlement ne correfpondra
qu'indirectement à celui des Emigrés ,
qu'il aura des motifs circonvoifins , & non
femblables à ceux des Emigrés , & qu'il
tend probablement à un but dont celui des
Emigrés ne feroit qu'une très -imparfaite
conféquence.
¿
Depuis que l'approche de la guerre fe
manifeſte , mais encore plus d'après tout
ce que l'on apprend en Allemagne de la
fituation de la France , le nombre des Partifans
de la Révolution diminue à vue d'oeil.
En regardant la cote du Change & celle
des Affignats , en voyant le dernier écu
prêt à fortir du royaume , & les Empiriques
qui lui adminiftrent les derniers
poifons , certifier que la fuprême opulence ,
comme la fuprême fageffe confifte à bannir
toute autre monnoie que celle de papier
perfonne, hors les fous des Petites- Maifons ,
n'eft plus tenté , parmi nous , d'imiter ces
prodiges de bonheur. Le bandeau eft abfo-
Tument tombé , la ruine totale de la France
a diffipé le preftige du galimathias fur
G
6
( 156 )
l'égalité ; & l'on ne croit pas plus en Al
lemagne aux phrafes des boute feux étrangers
, qu'à la folidité de leurs engagemens.
Divers Papiers publics , copiant les menfonges
imprimés à Strasbourg, avoient affuré
que la ville libre & Impériale de Spire
s'étoit adreſſée au Roi de France & à l'Affemblée
Nationale , pour les affurer qu'on
me donnoit point retraite aux Emigrés François
, & pour les prier de la ménager au
moment d'une invafion en Allemagne. On
eft informé authentiquement que jamais.
Spire n'a fait une pareille demande.
Le Baron de Weftphal de Furstenberg,
Miniftre de l'Empereur près l'Electeur de
·Trèves & du Cercle du Haut- Rhin , eft
arrivé à Coblentz .
Le Miniftre d'Etat , Baron de Hardenberg, eft
⚫ revenu de Berlin à Bareith le 23 Janvier. Ha apporté
l'acte par lequel le Margrave ſe démet du
Gouvernement de les Etats , qui paffe entre les
mains du Roi de Pruffe comme héritier préfomptif.
Le 25 , ce Miniftre a pris poffeffion des deux
Principautés au nom de S. M. Pruffienne. Tous
les Officiers Civils & Militaires prêtèrent un
nouveau ferment de fidélité . On a publié deux
Patentes relatives à cette ceffion . Le Baron de
Hardenberg refte Miniftre dirigeant ; le Roi l'a.
nommé en même temps Miniftre du Cabinet,
La cataſtrophe de St. Domingue , & le
enchéri ffement: des denrées que produit
( 157 )
cette Colonie , feront lire avec intérêt ,
l'obfervation & les tables fuivantes , recueil→
lies dans un Journal de Commerce très
eftimé..
il
7 Perfonne n'ignore.que , depuis plufieurs an
nées , les prix du fucre & du café ont augmenté
par la raifon que la.culture de ces denrées ne s'efb
point accrue , tandis que les demandes fe font pro
digieufement multipliées , fur-tout dans les marchés
des Etats du Nord de l'Europe, & particulièrement.
en Ruffie. I réfulte naturellement de cet état de
chofes, qu'il eft impoflible , même l'abſtraction faite
des défaltres des Colonies Françoifes ,que les prix de
ces denrées puiffent tomber au point où ils étoient
y-a dix ans : au contraire. ,. ils haufferont dans
la proportion toujours croiffante des demandes di
Nord. Si l'on admet que la population de l'Europe
s'élève à 130 millions d'ames , & que le quaft
feulement faffle ufage du café , il en faudroit , par
an , 185 millions de livres pefant , en ne don
nant que deux gros de café à chaque individu :
or , l'importation générale de cette denrée en Europe
ne s'élève qu'à 1.5.3,827,675 livres pefant.
"Mais cette importation diminuera néceffairement
par le laccagement des plantations dans les Colonies-
Françoifes. On compte environ 200 plantations
de fucre & 1200 plantations de café détruites à
Saint-Domingue , ce qui produit une perte de
plus de 600 millions de livres . Perte que la deftruction
des atteliers , & fur- tout des moulins aggrave
prodigieufement.. ». . . .
Pour faire juger avec connoiffance de caufe
du commerce de ces denrées , voici l'état des im
portations du café & du fucre.en Europe ; ce relevé
( 158 )
eft authentique, & préfente les réfultats d'une année
commune : »
Importation de café des Colonies des Indes Occidentales
& Orientales.
St-Domingue , Colonie Francoife
... 70,003,161 liv. p.
Martinique ; idem....
Guadeloupe , idem !
Cayenne , idem...
9,688,968
6,302,932
*
65,888
Inle de Bourbon , idem. ! ..
Surinam , Colonie Hollandoife
St - Euftache , idem .
20,144,244
20,144,244
7,283,009
Curaçao , idem .... 2,455,960
Démérarie , idem . 1,776,736
Berbrie , idem ... ☺ 1,219,805
Java , idem ... 4,736,428 .
Colonies Angloifes des Indes
• Occidentales ……….. 7,300,000
Brefil , Col. Portug. 1,500,000
Porto - Rico , Col. Efpag.... 1,116,300
Colonies Danoifes dans les :
Indes Occidentales .
Café du Levant ou Moka
importation générale ..... 1,500,000
Total général .... 153,827,676
Importation de Sucre en Europe.
St- Domingue , Colonie Françoiſe
. 131,081,079 liv. p.
Martinique , idem .. .... 24,443,858
Guadeloupe , idem.. 18,838,606
Cayenne , idem. 4,000
Surinam , Colonie Hollandoife 19,236,000 30 mik
St.-Euftache , idem……………….. 71,961,000
Curaçao , idem ... 1,194,000
( '159- ))
Démérarie , idem..
Berbrie , idem .
Colonies des Indes Orientales .
Barbade, Colonie Angloife..
Grenade , idem ....
St.-Vincent , idem ..

1,357,000
407,000
498,289
6,390,000 }
15,706,500
6,841,500
2,958,000 Dominique , idem .
Antigues . idem ..
Montferrat , idem .
Nevis , idem ...
St.-Chriftophe , idem .
'Tortola , idem..
Jamaïque , idem.
Bréfil , Col. Portug..
11,922,000
2, $41,000 !
·1,933,500
7,998,000
2,184,000
87,547,500
44,300,000
Importation du Sucre.
1.
St.-Domingue , Col. Efpag.. 30,000,000 Flus
Porto- Ricco , idem... " 3
Cuba , idem....
St.-Thomas
10 20
273,700
42,653,700 trop
St. Jean ... Col. Danoifes . 24,000,000
Ste.-Croix .
St. Barthélemi , Col. Suéd.. inconnu.
fort?
bu 4
J
I
Total général ..... 471,992 , 523 liv . p.
Quelques articles de ce Tableau font
trop foris , & d'autres trop foibles. L'Ife
de Bourbon ne donne que io à 12 millions
pefant de Café ; Surinam en donne 30 mily
lions , & au moins autant de Sucre . Saint-
Euftache eft très - loin de produire 71 mil
lions de cette dernière denrée ; la partie
Efpagnole de Saint Domingue n'en rend
pas plus de 10 millions ; le produit de
Cuba & celui des ifles Angloifes font auſſi
un peu exagérés tout le refte eft exact..
175 10 25 .
GRANDE-BRETAGNE
1
De Londres , le 8 Février
>
Ainfr que nous le difions la femaine
dernière , ce fut le 31 Janvier que S. M.
fit l'ouverture du Parlement , par le Dif
cours fuivant
MILORDS ET MESSIEURS ,
I
cc. Les preuves multipliées que vous avez
données de votre attachement affectionné à ma
Perfonne & à ina Famille , ne me faiffent aucun
doute que vous ne preniez part à la fatisfaction
que je fens de l'heureux évènement du Mariage ,
célébré entre mon Fils , le Duc d'Yorck , & la
Fille aînée de mon bon Frèrè & Allié , le Roi
de Pruffe ; & fuis perfuadé , que je puis m'atrendre
à ce que vous concourrez de bonne vo
Tome à me mettre en état , de pourvoir convenablement
à leur établiffenient . »>
« Depuis que je vous ai vu , la dernière fois ,
en Parlement , il a été conclu , fous ma Médiation
& celle de mes Alliés , le Roi de Pruffe & les
Etats- Généraux des Provinces Unies , un Traité
définitif entre l'Empereur & la Porte- Ottomane ,
fur des principes qui paroiffent les plus propres
à prévenir des différends entre ces Puiffances à
l'avenir . Notre intervention a auffi été employée ,
dans la vue ď'avancer une Pacification entre l'Impératrice
de Ruffie & la Porte; & nous fommes
( 161 ) :
convenus avec la première de ces Puiflances de
conditions que nous avons pris fur nous de recommander
à la Porte , attendu que le rétablif- ,
fement de la paix à ces conditions nous fembloit,
être , eu égard à toutes les circonstances actuellement
cxiftantes , un événement defirable pour
les intérêts généraux de l'Europe . Je fuis dans
l'attente de recevoir au plutôt l'avis de la conclufion
du Traité de paix définitif , les Prélimi-,
naires en ayant été convenus , il y a quelque
temps entre ces Puiffances. J'ai donné ordre de
remettre devant vous des copies du Traité défi-,
nitif entre l'Empereur & la Porte , ainfi que cels,
autres Papiers , qui font néceffaires pour mon
trer les conditions de paix , qui ont été en difcuffion
durant la Négociation avec la Cour de Pé-,
tersbourg.
ככ
« Je regrette que je ne fois pas encore à
même de vous informer de la conclufion de la
paix dans l'Inde. Mais le fuccès , qui a déjà accompagné
la bravoure diftinguée & les efforts,
courageux des Officiers & des troupes fons l'habile
conduite de Milord Cornwallis , donne lieu
defpérer avec raifon , que la guerre pourra être,
promptement amenée à une conclufion honorable
.. »
Les affurances amicales , que je reçois des
Puiffances Etrangères , & l'état général des afe
faires en Europe , paroiflent promettre à mes
Sujets la continuation de leur tranquillité préfente.
Dans ces circonftances , je fuis porté à croire
qu'on pourroit faire avec fûreté quelque réduction
dans nos établiffemens Naval & Militaire ; 82
mon attention pour les intérêts de mes Sujets
fait que je defire en tout temps de profiter de
toute occafion favorable de diminuer les dépenses
publiques, »
( 162 )
MESSIEURS de la Chambre des Communes.
ec« Vous trouverez , j'en fuis perfuadé , une
grande fatisfaction à apprendre que les dépenfes
extraordinaires , faites pendant le cours de l'année
dernière , ont déjà été couvertes en grande partie
par les fubfides accordés dans la dernière Seffion .
L'état de nos reffources ſe trouvera , je m'en '
affure , plus que fuffifant pour pourvoir à ce qui
refte à acquitter de ces dépenfes , ainfi qu'au fervice
de l'année courante , dont j'ai ordonné de remettre
les eſtimations devant vous. »
Je nourris l'agréable efpoir que les réductions
qu'on pourra trouver praticables dans les
établiſſemens , & l'augmentation continuelle du
revenu public , vous mettront en état , après
avoir pourvu aux différentes branches du fervice
public , d'entrer dans un fyftême propre à
foulager graduellement mes Sujets de quelque
partie des taxes exiftantes , en donnant en même
temps une nouvelle efficacité au plan pour la diminution
de la dette nationale , du fuccès duquel
dépendent effentiellement notre aifance & notre
fûreté future. >>>
ce Fixant nos vues fur cet objet important
qu'il me foir permis de vous recommander auffi
de tourner votre attention vers la confidération
de telles mesures , que l'état des fonds & du
crédit public peuvent rendre praticables & utiles
pour diminuer le taux de l'intérêt d'aucune des
annuités , qui font actuellement rembourfables. »
MILORDS ET MESSIEURS
ec L'amélioration continue & progreffive , dans
la fituation intérieure du pays , vous encoura❤
gera , j'en fuis fûr , à la pourfuite de toute mefure
qui pourra être avantageufe aux intérêts
du Public. Cet accroiffement doit avoir en
163 )
même temps l'effet d'encourager , de la manière
la plus forte , à un efprit d'induſtrie utile parmi
toutes les claffes de mes Sujets ; & fur tout il
doit confirmer & augmenter leur attachement
conſtant & zélé à cette Conſtitution , que nous
avons trouvée par une longue expérience réunir
les bénédictions ineſtimables de la liberté & :
du bon ordre : Conſtitution à laquelle , moyennant
la faveur de la Providence , tous nos autres
avantages doivent principalement être attribués . ස
Sur la motion de Milord Chesterfield ,
l'Adreffe de remerciment à S. M. fut unanimement
adoptée dans la Chambre Haute,
ainfi qu'une Adreffe de félicitation à la
Reine , au Duc & à la Ducheffe d' Yorck,
au fujet du mariage de LL . AA. RR .
Dans la Chambre des Communes , M.
Yorke propofa l'adreffe de remercimens
le Chevalier James Murray appuya la mo
tion , qui immédiatement fut combattue
par M. Grey.
Ce jeune homme , l'un des plus ardens
Parleurs de l'Oppofition , & dont l'efprits
le talent & l'inexpérience feront mûris dans
dix ou vingt ans , attaqua le Ministère fur
la guerre de l'Inde , fur les négociations
avec la Ruffie , &c. & propofa un amendement
tendant à exprimer les regrets de
la Chambre touchant le retardement de la
paix dans l'Inde.
M. Fox feconda l'amendement , déve
loppa les griefs énoncés par M. Grey , &
( 164 )
en indiqua de nouveaux. Il foutint que
l'Oppofition avoit garanti l'Angleterre d'une
guerre ruineufe avec la Ruffie . Il fit contrafter
avec le bon ordre célébré dans le difcours
du Roi , la dernière émeute de Bixningham
; il accufa les Miniftres d'envahir :
l'iniative des Communes , en faifant parler
S. M. de la réduction de quelques taxes .
Toutes ces chicanes miférables que l'éloquence
, le mérite , & la réputation de
M. Fox peuvent feuls rendre fupportables ,
furent fuivies d'une proteftation de zèle &
d'attachement à la Conftitution . Après s'être
impopularife comme le fit l'année dernière ,
je diois même , décrié aux yeux de la
Nation , par ces bizarres forties contre M.
Burke , & par fon enthoufiafme fimulé pour
l'anarchie Françoife , M. Fox a fenti qu'il
avoit befoin de répéter fouvent des décla
rations contraires , pour effacer l'impref
fion .fâcheufe des précédentes.
M. Pitt n'eut pas de peine à répondre à
M. Fox d'une manière victorieufe fur tous
les points. L'année dernière , les Communes
avoient hautement approuvé la guerre de
PInde aucun évènement défavorable n'en
fignaloit l'exécution , déjà accompagnée;
au contraire , d'avantages inconteftables.
Ainfi , nulle raifon de blamer Milord Corn
wallis , ni de tirer des préjugés finiftres fur
fa conduite à venir.
Quant aux négociations avec la Ruffie
† 165 )
ajouta M. Pitt , leur fuccès auroit été
>> complet & Oczakof fauvé , fans la vio-
» lence des intrigues & la politique in-
» fenfée de quelques Membres de l'Op-
» pofition , au- dedans & au dehors de cette
» Chambre. Je fuis prêt à fournir les preu-
> ves matérielles de cette aflertion. Les
» papiers relatifs à la négociation feront
» produits & difcutés ; on y verra que les
>> manoeuvres de quelques hommes de
» l'Oppofition l'ont feules faite échouer. »
Le Miniftre fit aifément fentir combien
il étoit abfurde de difputer à la Couronne
qui demande les fubfides , le droit & la
fatisfaction d'annoncer la réduction des
taxes. Il annonça enfuite , qu'indépendantment
des taxes temporaires , le revenu public
, l'année dernière , s'étoit élevé à 16
millions , 690 mille livres fterlings ; ce qui
formoit une augmentation de plus de 300
mille livres fterlings fur le produit des
années antérieures . Les dépenfes ne paſſeroient
pas cette année 15,800,000 livres
fterlings ; ainfi , il refteroit un excédent de
900,000 livres fterlings , dont 200 mille
feroient appropriés à la réduction de la
dette Nationale , outre le million annuel
déjà confacré à cet objet , on fupprimeroit
pour 200,000l. de taxes fur la drêche , fur
les fervantes , les chandelles , les charettes
les maiſons ayant moins de fept fenêtres ;
& les 500,000 liv. ft . reftantes ferviroient
aux befoins imprévus.
2
( 166 )
Les voix prifes, l'Adreffe de remercîment
toute entière eut en fa faveur 209 fuffrages
contre 85.
M. de Cazalès & l'Evêque d'Autun fe
trouvèrent à la féance , & tous deux dans la
Tribune des Etrangers . M. de Cazalès trèsvifible
, & M. d'Autun tapi dans un coin.
Le dernier affecta de faluer fon ancien Collègue
, qui eut la décence de ne pas fe
compromettre en préfence de toute l'Angleterre,
en donnant un regard aux humilités
de M. de Talleyrand. Ce Plénipotentiaire
a été préfenté au lever du Roi ,
& quoique S. M. ait l'habitude conftante
de parler à tout le monde , elle a gardé
le filence avec l'Emiffaire du Comité diplomatique
de France. La Reine , chez laquelle
il a été admis une fois pour toutes ,
a gardé la même difcrétion . M. d'Autun
a yu M. Pitt & Lord Grenville depuis
Cette entrevue , on dit qu'il recherche l'Oppofition
qui ne le cherche pas. Au furplus
, s'il a en poche quelque moyen de
faire du mal à fa Patrie , on peut être
certain que nos Miniftres profiteront de
fes avances.

:
Le compagnon de gloire diplomatique
& de voyage , de l'Evêque d'Autun , M. de
Biron a été arrêté hier d'après un writ ,
obtenu par un Maquignon auquel il doit
400 liv. fterl . Conduit à la maiſon de dé(
167 )
tention , il a faitfolliciter fon élargiffement ,
en prétendent que le billet du Marchand étoit
faux. Le célèbre Avocat Erskine, Défenfeur
du Prifonnier, a argumenté en fa faveur du
caractère public qu'il avoit reçu du Miniftère
de France , & en vertu duquel il devoit
participer aux privilèges des Envoyés
étrangers. Lord Kenyon , Chef Juge du
Banc du Roi , s'eft refufé à faire remettre
M. de Biron en liberté , & il a requis la
vérification du faux , ainfi que l'exhibition
des lettres de créance qui chargent M. de
Biron d'une miffion en Angleterre au nom
du Roi de France.
*
Quelques avis peu authentiques, & qu'on
attribue à des fpéculateurs , ont annoncé
un mouvement parmi les Nègres de la
Jamaïque. On n'ajoute pas foi à ce rapport.
Jufqu'à préfent , le Gouvernement
n'a fait paffer aux Antilles que des dépêches
, pas une chaloupe , pas un foldat. On
ne fait à quoi attribuer cette politique ou
cette indifférence de M. Pitt. Dans peu ,
´cependant , on va embarquer pour la Jàmaïque
, un régiment de 300 Dragons
légers qu'on montera dans l'ifle même. Le
Gouvernement de cette Colonie étant vacant
par la mort du Comte d'Effingham ,
Milord Cathcart eft défigné pour fon fucceffeur,
( 168 )
FRANCE.
De Paris , le is Février 1792.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE.
Du dimanche, s février.
Un membre a informé l'Affemblée qué les
troubles , les attroupemens , les infurrections ,
les incendies fe multiplioient dans le département
du Lot ; & n'a vu d'autres caufes de ces
défordres , que les prêtres réfractaires , & le pattage
des biens communaux. Les comités y pourvoiront
, & le miniftre de l'intérieur rendra
compte fur- le- champ.
Il eft peu de points du royaume d'où il n'arrive
des nouvelles défolantes . Quelques membres
s'en font pris aux communautés féculières échappées
à la deftraction générale ; & des curés &
des évêques conſtitutionnels écrivent & votent
charitablement pour qu'on fupprime ces inftitutions
ariftocratiques ; d'autres s'en font pris au
miniftre de l'intérieur . M. Thurios a dit que fi
le royaume eft en combuſtion , c'eſt la faute du
Roi & du veto ; & il a demandé que le Roi éloignât
tout ce qui l'entoure. M. Cambon a déclaré
les miniftres refponfables , fur leur tête , des fuites
du veto. Il a été décrété que le rapport fur le
mode d'exercice de la refponfabilité fe fera vendredi
.
Le miniftre de l'intérieur eſt venu dire ce qu'on
auroit bien dû preffentir , que les miniftres ne
pouvoient guère être fommés de rendre compte de
tous
( 169 )
tous les détails d'un royaume , féance tenante ;
il s'eft loué des adminiſtrations ; il expoſera inceffamment
les mesures qu'il aura prifes au fujet
des affaires religieufes ; quant aux troubles rélatifs
aux grains les 12 millions qu'il a reçus ne
fuffiront pas ; fi nous avions la guerre , l'approvifionnement
de la France éprouveroit de grandes
difficultés . Il préfentera bientôt un mémoire fur
Arles . De nombreuſes émigrations dans la claſſe :
da ci-devant tiers-état l'effraient , & lui paroiffent
avoir pour motifs des inquiétudes religieufes.
Une forme en argent deſtinée aux tréforiers
de la guerre, à été arrêtée à Chagny . L'Affemblées
a rendu. un décret tendant à ce que force
refte à la loi.
Du lundi 6 février.
Les voilà donc écoulées , ces huit féances
confécutives qu'un décret de mardi avoit ſpécialement
vouées aux objets les plus importans pout
le falut de l'Etat, Qu'ont elles produit ?
Aujourd'hui , après la mention honorable
chaudement applaudie , d'un don de 6 louis , par
un citoyen fous- officier de cavalerie ; une lettre a
notifié que les volontaires de la Haute-Vienne ,
rendus aux frontières , manquent de fouliers
de bas , que les hommes en font prefque nuds
& la plupart obligés d'aller fans chemife , tandis
qu'on lave la feule qu'ils aient » ; que le projet,
de retenir trois nouveaux fous pour leur équipement
a excité des troubles parmi eux. D'autres
volontaires auroient manqué de folde , fi les
administrateurs ne les cuffent payées des fommes
deſtinées aux frais du culte , qui devoient être
Lacrées .
MM. Bagire & Thurigt en ont pris occafion
No. 7. 18 Février 1791. H
( 170 )
de propofer d'autorifer les comités à corespondres
directement avec les directoires , & tous les âgens
quelconquest, tant civils que militaires. Quoique
M. de Girardin n'ait pas combattu ces propofitions
inconstitutionnelles par les bonnes raifons
qui les condamne nt, & qu'il fe foir borné à fou.
tenir que ce droit donné aux comités en feroit
une puiffance monftrueule , qui fir iroit par dominer
l'Affemblée , fans penfer au coup mortel
que porteroit à la conftitution l'anéantiſſement
total du pouvoir exécutif, les galeries n'en ont
pas moins hué l'opinant , qui ne s'eft plus défendu
qu'en alléguant la trempe de caractère , que
loiavoient procurée les principes de J. J. Rouſſeau,
mort chez fon père .
La motion de M. Bazire a été appuyée de
tous les moyens que MM. Lecointre & Duhem
ont gu tirer du befoin de furveillance . M. Lamarque
a trouvé que « c'eft en mettant fans
ceffe en oppofition les principes de la conftitution ,
& ceux de la véritable liberté , avec la furveil
lancé attribuée à l'Affemblée nationale , qu'on
porte atteinte à la liberté. » Tout cela a été
applaudi , & l'on eft paffé à l'ordre du jour en
le motivant d'un décret furpris à l'Aſſemblée
conftituante , qui permet aux comités de correlpondre
avec les corps adminiftratifs & les municipalités
, à la charge de ne rendre aucune décifion
; clauſe dérifoire , vu que toute corref
pondance comporte auffi des réponſes , qui , négatives
, affirmatives , approbatives , improbatives
ou fufpenfives , feront toujours autant de
décifions . Cependant la conftitution jurée ſtatue
expreffément Le Roi eft le cheffuprême de l'adminiſtration
générale du royaume ; le foin de
veiller au maintien de l'ordre & de la tranquil7-
171 )
--
Lité publique lui eft confié ; tit. III , chap . IV ,
art. I. Les adminiftrateurs font des agens élus
à temps par le peuple , pour exercer , SOUS LA
SURVEILLANCE ET L'AUTORITÉ DU ROI , les
fonctions adminiftratives . Tit . III , chap . IV ,
fect . II , art . II . ⠀
M. Thuriot a raconté comment , faute de la
formalité d'ouvrir les deux battans , lui & trois
de fes collègues , commiffaires à la fanction ,
étoient revenus , la veille , du château des Tuileries
, fans avoir vu le Roi , qui les attendoit,
On les avoit bien priés d'attendre , un inſtant ,
dans la falle des ambaffadeurs , que S. M. fortft
du confeil ; mais il ne convenoit pas à leur dr
gnité de s'arrêter dans un lieu qui ne contient
qu'un buffet & quelques meubles propres tout
au plus à décorer un galetas . Suiffes , huiffiers ,
miniftres , tous ont été refutés par la loi qui ne dit
mot ni des battans , ni des commiffaires , & par la
majefté nationale . Il a pourtant bien voulu en,
conférer , fous le titre d'amitié , avec M. le gardedes-
fceaux... Ici une voix lui a crié Qu'est- ce
que le garde- des-fceaux ? docile à cet avis important
, M. Thuriot n'a plus dit que le miniftre
de la justice.
Diftinction entre les députations nombreuſes ,
folemnelles , & quatre commiffaires ; objection
que s'il intervenoit un décret , le Roi auroit deux
mois pour en délibérer , & le veto à y appofer...
« Je penfois , répondit M. Thuriot , que , dans
la circonftance , il étoit de la fagefle des miniftres
de lui remontrer ( au Roi ) , de lui faire
fentir que l'intérêt du moment exigeoit qu'il fit
le facrifice d'une étiquette , & que l'on rendît aue
repréfentans de la nation les honneurs qui leur
font dûs, M. Thuriot oublioit qu'avant lui .
H 2
(·172')

·
qu'après lui , Louis XVI fut & fera le repréfentant
de la nation. M. Thuriot avoit fon projet
de loi tout prêt pour faire ceffer ce fcandale ,
& il vouloit qu'elle fût portée à la ſanction par
24 membres .
ce Il existe une loi du mois de juin , j'en réclame
l'exécution ; il existe un déit , un coupable
, il faut une punition , a dit l'élève de
» J. J. Rouffeau , M. de Girardin... Le décret
» d'accufation , crioit M. Cambon... Que les miniftres
foient mandés fur - le-champ , & leur
conduite improuvée , ajoutoit M. Coutton ....
Qu'on furfeoie à toute délibération juſqu'à ce
qu'on les ait interrogés , difoit M. Genfonné...
Le d'amitié devoit ton ceffer au moment où
les commiffaires ont infifté fur l'ouverture
des deux battans ; il y a un acte formel de
part des miniftres , obfervoit M. Grange-
» neuve , avec la profondeur ordinaire...... »
Nous abrégeons des débats d'une heure. Enfin ,
arrive une lettre du Roi , conçue en ces termes :
33

la
) :
·Paris , le 6 février 1792 .
« Il s'eft élevé , Meffieurs , une difficulté fur
la manière dont les commiffaires que l'Aſſemblée
nationale charge de m'apporter les décrets ,
doivent être reçus chez moi , »
ce_J'ai fait oblerver jufqu'à préfent l'ufage qui
avoit été conftamment fuivi dans mes rapports
avec l'Affeniblée conftituante ; & j'ai pensé qu'il
'étoit convenable de marquer par une diftinction
les occafions où le corps légiflatif juge lui -même
devoir mettre plus de folemnité par le nombre
des députés qu'il m'envoie. En conféquence , j'ai
fait ouvrir les deux battans aux députations de
foixante , & j'ai ordonné qu'on les ouvrit éga-
.1
( 173 )
lement aux députations de vingt- quatre , lorfque
l'Affemblée nationale jugeroit à propos de m'en
envoyer. Les commiffaires qui font venus vendredi
pour me préfenter les décrets , ont demandé
que les deux battans leur fuffent ouverts ; mais
ces commiffaires n'ayant point infifté ſur cette
prétention , d'après les obfervations qui leur ont
été faites , je n'y avois donné aucune attention .
J'ai fu qu'ils en avoient rendu compte à l'Affemblée
nationale , & qu'elle avoit renvoyé cet objet
à l'examen d'un de ſes comités . N'attachant aucune
importance à une choſe de cette nature
j'étois réfolu d'attendre que l'Aflemblée me préfentât
fon vou , fi elle croyoit devoir s'en occu-
Fer. Mais j'ai été furpris qu'avant qu'elle l'eût
manifefté , les commiffaires qui font venus hier
pour préfenter les décrets à ma fanction , aient
renouvellé cette prétention , & fe foient retirés ,
parce que , jufqu'à ce que l'Affemblée fe fût expliquée
, j'ai cru devoir maintenir l'ufage invaiablement
oblervé. L'Aflemblée jugera fans
doute qu'il eft important que les rapports néceffaires
qui exiftent entre elle & moi ne foient ja-"
mais interrompus , & elle fe preffera sûrement
de fe concerter avec moi à cet égard . »و د
Signé , LOUIS.
Et plus bas , M. L. F. DUPORT.
F: Aux mois j'ai ordonné qu'on les ouvrit également
aux députations de vingt- quatre , plufieurs
membres ont crié : cela n'eft pas vrai . M. Lacroix
a prétendu que cette forme de correfpondance
étoit inconftitutionnelle , parce qu'il n'y
a point d'intermédiaire entre le Roi & l'Affemblée,
& que cependant le miniftre ( M. Duport
du Tertre ) étoit le commiffionnaire . On ne fait
s'il auroit fallu conclure de l'obſervation de M.
H 3
( 174 )
Lacroix , que le Roi devoit apportér lui - même
fa lettre.
se
Quelqu'un s'eft cru obligé , en confcience ,
de révéler que les députations , même de 24 ,
étoient perfifflées par les fouris les plus moqueurs
, dans une anti - chambre où fe trouvoient
des hommes à épaulettes & à broderies . >> Quelques
Audireurs s'attendoient à la demande d'un nouveau
décret de liberté , qui eût défendu de
fourire.
Perfuadé que augufte aflemblée « donneroit
peu d'importance à cette affaire , & réferveroit
la chaleur de la difcuffion pour les dangers de
la patrie , M. Virgniaud a péroré d'étiquette
plus long temps que perfonne ; mais c'était pour
faire itablement la paix du Roi , l'excufer
en relevant les intentions conciliatrices de la lettre ;
& il n'a demandé que deux rapports du comité
de légiflation , l'un fur le cérémonial , & l'autre
fur les deux bartans. Quant à préfent , a -t-il ajouté ,
Kordie du jour.
Le rapport fur les battans a été commandé
féance tenante , après des phrafes de M. Ifnard
a ronflit la majefté du peuple , & après des brouhaha
peu majestueux où fe perdoient & la voix
grèle de M. de Condorcet & le bruit de fa fou
nette .
On a renvoyé au comité colonial , de
triftes dépêches de M. de Blanchelande ; dépêches
qui , dès le début , n'ont pas paru bonnes
à lire en public . Les commiffaites du département
de Saône & Loire , chargés d'aller faile
partir les 800 & quelques milic livres arrêtées
par le peuple de Chagny , mandent qu'on ne
peut exécuter la loi fans une grande effufion de
fang & doutent même du fuccès . Un tendre ami
(175 )
de l'ordre a dit que le délit de ce peuple n'étoit
que l'erreur du patriotisme. Il a été décrété que
le président écritoit à la commune de Chagny
& qu'on feroit mention honorable du zèle des
municipaux & des adminiftrateurs .
La municipalité d'Auch a fermé les églifes des
couvens , le directoire du département a voulu
foutenir la tolérance décrétée , jurée & violée
les municipes ont dépofé l'écharpe. Les perturba
teurs impunis ont infulté , traîné par les cheveux ,
bleffé les membres du directoire décidé à transférer
les féances à Mirande. Tous ont fini par
fe réconcilier au milieu des acclamations publis
ques. On a renvoyé ces nouvelles au comité de
furveillance , & rendu le décret fuivant fur le
rapport de M. Bigot relativement à l'étiquette
que le Roi fera obferver pour les commillaires
à la fanction :
« L'Affemblée nationale , confidérant que le
Roi , par fa lettre de ce jour , exprime le defir
de connoître le vou du corps législatif fur la
manière dont feront reçus les commiffaires char
gés de lui préfenter les décrets ; 32
« Confidérant que toutes les députations du
corps législatif au Roi font revêtues du même
caractère , de quelque nombre qu'elles foient
compofées , charge fon préfident d'é.rire au Roi
que le voeur du corps légiflatif eft que la loi du
17 juin 1791 foit exécutée , & qu'en toute occafion
les membres de l'Affemblée qui fe pré,
fenteront en fon nom , feront reçus fans aucune
différence. »
| M. Rouillier a fait auffi décider qu'en écrit
vant au Roi , le préfident de l'Affemblée fuivra
le protocole que le Roi a fuivi en écrivant a
l'Aflemblée.
H 4
( 176 )
Du lundi , féance du foir.
Dimanche , l'Affemblée décréta que la caiffe
de l'extraordinaire payeroit , à bureau ouvert , les
lots fortis dans les tirages de divers emprunts de
l'Etat, & de celui de 30 millions de la ville de Paris ;
payemens dont le total excèdera 11,698,000 liv.
Aujourd'hui , la même caiffe , devenue trèsordinaire
, a été chargée de payer , également
fans l'intervention du tréfor national , que julqu'à
préfent elle alimente pour le courant , la
fomme de 901,811 liv. , montant du premier
cinquième échu de l'emprant fait à Gènes en
vertu d'un arrêt du confeil de 1784 ; & ainfi fucceffivement
d'année en année , jufqu'à ce que les
capitaux de cet emprunt foient éteints , & de payer
Ja différence dir change , ce qui fera plus que dous
bler , pour la nation , le capital à rembourfer. »
M. de Condorcet a interrompu un rapport de
M. Michel , fur l'organiſation des hôpitaux à la
fuite des armées navales ; pour lire la lettre que
l'ex-marquis , préfident , écrivoit au Roi conftitutionnel
, en conféquence du décret du matin
La voici : "
cc
2.1
L'Affemblée nationale , Sire , m'a chargé de
vous faire connoître la décifion qu'elle a prife dans
la féance d'aujourd'hui . Elle veut l'exécution de la
loi du 17 juin 1791 ; & penfe qu'il n'y a point de
diftinction à faire entre les députations , qui font
toutes revêtues du même caractère , de quelque
nombre qu'elles foient compofées . L'Afemblée
nationale eft perfuadée qu'il eft dans vos intentions
de maintenir l'union qui doit régner entr'elle
& vous. Le président de l'Affemblée nationale ,
de Condorcet. »
La rédaction a été adoptée avec de bruyans
((177 )
applaudiffemens. On a d'abord voulu nommer
des commiffaires pour porter à Louis XVI ce
chef- d'oeuvre d'urbanité civique , & l'Affemblée
l'a réellement décrété ; mais M. Merlin a paru
trembler de l'idée « qu'ils s'expoferoient à être
mal reçus ; & la vérité eft que perfonne ne pouvoit
le réfoudre à faire un fi étrange meffage .
Au mépris du décret rendu , quelqu'un a propoſe
d'envoyer la miffive par un huiffier ; un autre a
dit : par la petite pofte ; cette honnête & ingénieufe
plaifanterie a provoqué de gros rires .
M. Merlin tenoit pour l'huiffier ; M. Privat a
ouvert l'avis d'ufer de la même voie que lorf
que le président de l'Affemblée écrit au Roi ,
pour favoir l'heure de la fanction . M. Lecointre a
trouvé « la réflexion de M. Privat capable de jetter
le plus grand jour fur la queftion . » L'Affemblée
a décrété que les commiffaires à la fanction
( dont il ne s'agiffoit pas ) ne partiroient que lorfque
la lettre de M. de Condorcet auroit été remiſe
au Roi , & a paffé à l'ordre du jour en le mo
tivant de l'expédient de M. Privat.
Avant la fin de la féance le préfident a annoncé
que le Roi avoit fait dire que , n'ayant
pas été prévenu que des commifaires devoient
aller ce foir à la fanétion, il les recevra demain &
donnera fon heure.
Du mardi , 7 Février.
Sur la motion de M. Rouiller , qui mandoit
d'abord le feur Briffac , & celles de M. Genfonné
qui obfervoit que la garde du Roi n'eftpas un corps
militaire; & de M. Bazire qui la qualifioit de
maifon domestique du Roi ; on a décrété que le
pouvoir exécutif rendra compte de cette garde à
l'Affemblée,
HS
( 1781)
Une lettre de M. Amelot a porté le relevé approximatif
des domaines nationaux vendus &´à
vendre ( le 7 du courant ) , à 2 miliards , 22f
millions 774,944 liv. -
Le peuple de Mortagne a fait arrêter , par la
garde nationale , M. de Mortagute , gentilhomme
domicilié à Alençon , qui paffoit , en pofte , à
cheval , avec fon domestique. Ce même peuple
a forcé les municipaux à faire ouvrir, devant eux,
des lettres trouvées dans les poches du voyageur.
Quelques expreffions l'entachent bien d'ariftocratie
; & pour cela on l'a mis en état d'arreſtation
au nom des droits de l'homme ; mais le comité
de furveillance ne le jugeant pas aflez coupable
pour être traîné à Orléans , M. Fauchet a obtenu
un décret qui approuve la conduite des municipaux,
& déclare qu'il n'y a pas lieu à accufation.
Quelles fonctions législatives !
D'un projet difcuté & ajourné , fur les inté
rêts dus à raifon des emprunts des pays d'états ,
intérêts que M. Cambon maintenont payables ,
comme ci-devant , fans retenue ; on eft paflé au
projet de loi , « für la nommination fupplémentaire
de vifiteurs des rôles ; » projet dont l'efprit
étoit de faire nommer ces vifiteurs additionnels par
les directoires de département , quoiqu'un décret
antérieur ait accordé au Roi la faculté de nommer
kes vifiteurs , fixés , par cette loi , du mois d'oc
tobre 1791 , à 450. Les débats fe font prolongés
fans rien éclab cir.
Enfin , l'Aſſemblée a décrété qu'il n'y avoie
pas lieu à délibérer fur l'augmentation des vifi-
Icurs , & a ajourné le refte .
Le miniftre de la guerre eft venu dire qu'il
a dépensé 2,267,500 liv . des 20´millions décrétés,
en équipages d'artillerie & dépentes extraordi.
( 179 )
naires . Il s'occupe de produire dans les fron
ières d'Espagne « le double effet d'ajouter des
forces réelles & de fatisfaire l'opinion . » Il a follicité
une prompte connoiffance des fonds qui pourront
être votés , pour répondre à l'avance des mar.
chés indifpenfables à conclure . Revenant à les propofitions
négligées , ajournées ou écartées , il a dit ,
au fujet des aides-de- camp miniftériels, que fil'Alfemblée
comptoit fur la paix , on pouvoit vifer à
l'économie ; mais que s'il falloit faire la guerre
il ne s'agiroit plus de difputer avecquelques agens
du pouvoir exécutif , mais de triompher, .. On ne
fauroit douter , a-t-il pourfuivi , que les con
Boiffances militaires ne pouvant appartenir à la
majorité des députés qui compofent l'Affemblée ,
elle ne peut fe charger de la , refponfabilité des
événemens de la guerre. Mais il eft dangereus
peut- être , de renvoyer jufqu'à la yeille d'un
manifefte ce qui importe au fervice de l'armée.
Le temps peut réparer les fautes ea législation , en
adminiftration . Mais on peut enlever , par la fe
duction de quelques maximes générales , des dé
crets deftructeurs de tous nos moyens militaires .
Puis répétant toutes les demandes , il a protefté
que les engagemens dépendoient des délibérations .
de l'Affemblée , & qu'il faudra au moins un
mois à dater du jour où elle rendra Les décrets
militaires conformément aux propofitions du Roi
pour que l'armée foit prête pour la guerre. Le
comité fera fon rapport fous trois jours ; nous
fommes au 7 février , on n'a donné à l'Emper
reur que jufqu'au premier mars , & il faudra au
moins un mois !....
Quelqu'un a dit qu'un déferteur avoit annoncé
Parrivée de 12,000 fuiffes en Savole ; le miniftae:
a répondu qu'il n'avoit pas allez d'argent pour
H 6
( 180 )
mettre fur un pied de défenſe reſpectable toutes
les places qui entourent la France ; mais que cette
frontière eft en bon état & quelle feroit défendue
par les troupes de l'Alface , des Pyrénées , & que
la loyauté des Suiffes nos alliés étoit un plus sûr
garant que la parole d'un déferreur.
Du mardi , féance du foir.
-
Un député extraordinaire du département des
Hautes - Alpes eft venu implorer la providence
légiflative contre la famine. Le prix du pain eft
monté de z fous à fous la livre dans ces montagnes..
On a d'abord craint que l'admiffion &
le rapport d'une pareil e doléance n'attiraſſent
tous les départemens à la barre . Enfin la complainte
a été recommandée au comité des fecours!
Deux gardes magafin de Trinquemale , les
feurs Galet & Labadie , accufés d'infidélité où
de vol , chaffés , jugés , condamnés , emprifonnés
, délivrés par la révolution , arrivent
en France , s'y font juger de nouveau , font
renvoyés devant le tribunal de l'Inde , reçoivent
du miniftre de la marine l'ordre de s'y rendre ,
portent leurs plaintes & font perdre une heure
à Aflemblée nationale ,, y reviennent encore
ayant M. Linguet pour défenfeur , comme fi la
légiflature n'étoit qu'un tribunal d'appel . Ce foir,
M. Linguet a plaidé pour eux ; on l'a trouvé
long , il s'eft impatienté. On lui a crié à la
porte ,
il s'eft fâché. Un décret lui a rendu la
parole , le vacarme la lui a ravie . On lui a
demandé fes conclufions , il les a déchirées & ek
forti en gefticulant avec fureur. Ses cliens ons
reçu les honneurs de la féance , & le comité de
la marine en occupera bientôt , pour la troiſième
fois , les loisirs de l'Affemblée nationale,
( 181 )
Le nommé Caffe , Savoyard , a été condamné ,
par un arrêt du fénat de Chambéry , a être pendu
pour avoir voulu propager le plusfaint des devoirs
dans fa patrie , & lui faire partager le bonheur
de la France , au moyen d'intrigues & d'un ouvrage
intitulé : le premier cri de la Savoie vers la
liberté. Il a prié les légiflateurs d'opérer la reftitution
de fes biens confifqués , & de lire fa
fentence . M. Lacroix mettoit « de la délicateſſe »
à renvoyer cette lecture au lendemain ; mais M.
Ifnard a trouvé qu'il feroit « très - utile de révéler
la turpitude des tyrans , afin d'exciter dans les
peuples la haine des defpotes. » On a donc rendu
à la France , à l'Europe , à l'univers , à la poftérité
l'important fervice de lire dans l'Affemblée ,
l'arrêt de mort infâme de M. Caffe. Aux mots :
potence dreffée... la hart au cou ... plufieurs voix
ont crié en voilà affez. «Ce font des titres
de glaire , difoit M. Bazire... C'eft une couronne
civique que l'arrêt d'un defpote contre un
citoyen ami de la liberté , ajoutoit un autre . »
A la fin de la lecture , M. Bazire a dit : « cela
fait l'apologie de la révolution Françoife .
сс
ל כ
M. de Condorcet , préfident , a répondu à M.
Caffe. « L'Affemblée examinera les faits étranges
que vous venez de lui révéler . Les représentans
du peuple François n'oublieront jamais ce qu'ils
doivent à la juftice & à la dignité nationale .
Martyr de la liberté & de la conftitution , prenez
place dans fon fanctuaire . » Et l'honorable pendu
en effigie , couvert des applaudiffemens fraternels.
des habitués des galeries & d'une partie de l'Alfemblée
, est allé s'affeoir à côté des légiflateurs
de la France régénérée . Sa pétition a été renvoyée
aux comités diplomatique & militaire.
Après quelques ajournemens , M. Bazire à
( 182 )
égayé l'auditoire de plaifanteries indéfiniffables
fur la guerre offenfive & défenfive , fur 1 : fom→
meil du pouvoir exécutif qu'il faudra forcer,
toujours librement , à la déclarer ; fur M. de
Narbonne dont il a nommé la fémillante activité :
les mouvemens infignifians d'un fomnambule ; ce
qui a beaucoup fait rire & lui a attiré une pro→
fonde révérence du miniftre. De ces gaietés į
qu'autrefois on cut traitées de pafquinades , on.
eft paffé à un projet de décret fur la ratification
des traités pour les convois militaires , difcuffion
qui , par fon indécifion , fa lenteur & fa publi
cité , ne laiffera pas d'augmenter les difficultés
& les dépenfes. L'ajournement ayant été décrété ,
le miniftre de la guerre a dit : « je crois de mon
devoir , pour éclairer la difcuffion de l'Affemblée...
Un de ces hommes qui favent tout ,
M. Lecointre , lui a crié : « l'Aſſemblée n'a pas
befoin d'être éclairée . » Et l'on a applaudi avec
tranfport , quoique l'acte conftitutionnel ait autorifé
les min ftres à « donner des éclairciffemens . »
Tit. III , chap. III , fect. IV , art . X.
ce
« Je n'ai pas prétendu l'éclairer , a repris le
miniftre ; mais jai cru pouvoir éclairer la difcuffion
en énonçant un fait ... » La falle a retenti
de nouveaux applaudiffemens . M. de Narbonne a
représenté que 30 millions pefant de fournitures
de guerre traver foient la France dans toutes les
directions , que des baux réfiliés coûteroient de
l'argent , & empêcheroient ces objets d'arriver à
temps ; & il eft forti de l'Affemblée .
En vertu d'un décret d'urgence , les 57 foldats
congédiés par M. de Béhague , recevront 3 fous
par lieue pour te rendre où il leur plaira , &
pourront rentrer dans l'armée à leur choix. Pas
un autre décret d'urgence , les rentes dues gar
7183 )
le ci-devant clergé , les pays d'Etats ou le Roi
continueront d'être payées , pour l'année 1721 ,
& arrérages antérieurs feulement , aux hôpitaux ,
fabriques , écoles , colléges , pauvres de paroiffes
& autres établiſſemens non fitués dans le département
de Paris , quoiqu'ils n'aient pas fatisfait
aux formalités prefcrites par le décret du 15
août 1790.
Les commiffaires à la fanction font rentrés
rayonnans , & l'un deux a dit qu'ils venoient de
chez le Roi , que les deux battans leur avoient
été ouverts , & que le Roi leur avoit répondu :
« Veuillez bien ( ) dire , Meffieurs , à l'Affemblée
nationale , que des intérêts trop majeurs.
m'ont empêché de m'occuper du cérémonial , &
que je renvoie à un autre temps à me concerter
avec elle fur les cas qui n'ont pas été prévus
par la conftitution . »
Du mercredi , & février.
Un décret d'urgence a accordé amniftie , fans.
condition de nouveau fervice , à tout déferteur
qui ayant abandonné fes drapeaux avant l'époque.
du premier juin 1789 , rentrera en France dans
le cours de cette année 1792. M. Lacuée , le
rapporteur a vu dans cette mefure , qui promet
à beaucoup de foi - difant déferteurs l'agrément
de traverser le royaume avec 3 fous par heue ,
un moyen de faire rentrer le numéraire & de
recruter l'armée ; il a d'ailleurs calculé que
chaque homme rentré´en vaudra 3 , un de moins
( 1 ) S. M. ne s'eft point fervie d'un terme
auffi impropre que celui de veuillez nous en
fommes certains .
( 184 )

chez l'ennemi , un de plus pour l'armée Françoife
, & un de plus dans les champs ou dans
Les atteliers ; il faut entendre faire férieufement
de pareils calculs pour fe former une idée des
hommes d'état & des généraux de la tribune.
Le refte de la féance a été confacré à la fuite
des articles relatifs aux réglemens & traitemens
des commiffaires & commis des bureaux de la
comptabilité. Un faftidieux débat en a fait décréter
une vingtaine.
Du jeudi , & février.
Un membre du comité de l'extraordinaire des
finances a propofé de fixer le maximum de la
contribution foncière , pour 1792 , au 6 ° . du
revenu. Son projet a été ajourné à huitaine .
Au nom du comité de légiflation , M. Sedillez
a fait un rapport fur les mesures à prendre
l'égard des biens des émigrés. On n'y a pas retrouvé
le genre d'efprit qu'il montra , il y a quel
ques femaines , dans l'une de fes opinions . Ha
d'abord établi que , l'émigration eft une maladie
politique qu'il faut s'occuper de guérir. ( C'eft
prendre l'effet pour la caufe , & méconnoître
que la vraie maladie n'eft pas dans l'émigration ) .
Réduifant enfuite le droit de l'homme libre , de
fe choisir une patrie , à un droit honorifique , il
a fuppofé que , par le contrat focial , chacun
des membres s'oblige , envers la patrie , à préférer
l'utilité générale à fon intérêt particulier ,
& à lui confacrer tous les moyens & fes talens . »
Mais il a oublié que par ce même contrat , Ta
patrie s'oblige auffi à garantir la sûreté des perfonnes
& des propriétés , & l'inviolable maintien
des loix confenties ; que cette clauſe annullée
rompt tout engagement , & que beaucoup d'é
( 185 )
aux outrages ,
сс
migrés ne fe font éloignés , que pour le fouftraire
au meurtre , à l'incendie .
C'eft avec cette bonne- foi digne de Tibères
que M. Sedillez a dit de fang- froid : ce le comité
ne s'eft point attaché à examiner à tous les émigrés
étoient également coupables ; il a vu dans
la feule abfence un délit général d'une gravité
fufflante pour prononcer une peine... Tous ceux
qui ont quitté leur patrie font des lâches ou des
traîtres . D'auffi monftrueufes affertions l'ayant
conduit , malgré lui-même , à des conféquences
dont la probité la moins délicate devoit s'indigner
votre comité , a- t- il pourſuivi , vous
auroit propofé le féqueftre de leurs biens , avec
d'autant plus de confiance que l'Affemblée fembloit
pencher vers cette mefure , fi , en y réfléchiffant
, il n'avoit apperçu une foule d'inconvéniens
& des embarras fans nombre , . . deo
procès avec les fermiers , avec les créanciers
avec les familles des féqueftrés . » Et il a propofé
à la nation de s'indemnifer elle- même , en
fou mettant ces biens à une triple impofition qui ,
Ja feule contribution foncière allant au 6. fans
les fous pour livre , iroit néceſſairement à plus
de la moitié ; & de foumettre les rentes dues aux
émigrés par des particuliers à une triple retenue ,
en enjoignant aux municipalités de dreffer des
tables des noms , des biens , des rentes , des
débiteurs & des retenues . Il n'exemptoit de ces
difpofitions que les François émigrés avant le
1er juillet 1789 , ou avec des palle - ports pour
caufe de maladie , & les négocians ; & à ce
prix , il mettoit les biens des abfens fous la fauvegarde
d'une loi , qui donneroit l'odieux exemple.
de la fpoliation la plus tyrannique .
Nous commencerons l'analyfe rapide de la
( 186 )
difcuffion , en obſervant qu'aucun orateur n'a die
un mot de l'atroce immoralité de ſemblables
difpofitions ; que tous au contraire, fe font évertués
, fous l'afcendant viſiblement impérieux des
galeries , a renchérir à l'envi fur ce plébifcite da
pillage.
> M. Bazire , qu'il fuffiroit de nommer a
fupputé 180 millions de dépense pour la guerre
qu'auront caufée la violation des traités , celle
des propriétés de princes étrangers , les infultes
prodiguées à toutes les puiffances ; & rejettant
tout ces frais fur les émigrés , il en a tiré la
juftice du féqueftre , la mesure de ce qu'il faut
leur arracher; & a demandé qu'on décrétât furle-
champ le principe , en renvoyant au comité
le mode d'exécution..
сс
Selon M. Goujon , le féquestre feroit ruineur,
& la triple impoſition eſt l'indemnité la plus lé❤
gitime. L'une & l'autre mefure doivent être
adoptécs , a dit M. Quinette. Les fermiers failferont
la totalité des revenus dans la caifle de
leur district , & les receveurs enverront les z
cinquièmes de ces revenus au tréfor public ( grands
applaudiffemens ) .... Je crois , a dit un autre
membre , je crois qu'à l'époque où nous fommes
parvenus , les confciences même les plus timorées
voteront pour un décret qui ôte aux émigrés
, pendant tout le temps de la guerre , la
jouiffance de leurs propriétés ; car ils pourroient
les aliéner , & par ce moyen éluder les difpofitions
de la loi . » On est tombé d'accord que le
principe étoit déjà décrété pour les créanciers de
'Etat , & qu'il ne s'agiffoit plus que d'en généralifer
l'application.
Les laiffera - t -on encore jouir du revenu de
ees biens que notre générosité a mis fous la Lauve(
187 )
garde des loix protectrices des propriétés , s'eft
écrié M. Goupilleau ? Devons- nous fubvenir aux
frais d'une procédure immente ?... Ce n'eft point,
une confifcation que je vous propoſe , c'eſt une
indemnité qui doit s'effectuer par une faifie générale
qui fera mife fur tous leurs biens &
revenus. 3.
M. Boifrot a paru s'apitoyer fur le fort des
femmes & des enfans ruinés , & quoiqu'il convânt
de la juſtice du féquestre dans le fens adopté,
les galeries l'ont honni ; leurs cris : à bas , à
bas , à bas , lui ont coupé la parole .
Convenant auffi que rien n'étoit fi jufte que
d'empêcher les émigrés de jouir de leurs pro- ,
priétés , M. de Vaublanc a craint que le féquestre
ne fût inexécutable . Les galeries ont baffoué.
M. de Vaublanc. Cependant il préféroit généreufement
au féqueftre difpendieux & peu pro-,
duct f , une impofition triple , quadruple ou
quintuple, Le quintuple du cinquième auroit dit ,
paroître fuffifant ; mais l'orateur a propofé de,
charger la comité de voir s'il y avoit poffibilité ,
& les huées des galeries ont redoublé de force..
Je ne croyois pas , a- t- il dit , que les repréfentans
de la nation , qui parlent à la tribune
fullert fujets , comme des hiftrions , aux huées
des fpectateurs . » La naïveté de fon étonnement
a excité de nouvelles rumeurs , peut être de ,
furpriſe. Le préfident a rappellé les galeries au
refpect, M. de Vaublanc a voulu parler des
femmes , des enfans .... Les huées ont recommencé,
M. Dubayet a dit aux citoyens des ga- ,
leries que , comme ils étoient indubitablement
de bons patriotes , il étoit sûr que d'après l'improbation
de Affemblée & l'ordre du préſident,
ils garderoient déformais un filence refpectueux
-
( 188 )
Enfin M. de Vaublanc a foulagé fon coeur en
mêlant le mot humanité à la demande réitérée
de décréter le principe de l'indemnité due à la
nation par les émigrés ( dont elle n'a pu ni ne
pourroit encore protéger ni les biens ni la vie ) .
Ce n'eft pas une contribution patriotique qu'il·
faut exiger d'eux , obfervoit M. Goyer ; mais -
une peine infamante qu'il faut leur infliger ;
gardons- nous de nous fervir de la contribution
comme d'une peine infamante , de donner à
l'impôt un caractère flétriflan . » Pour rendre
les émigrés infames , & de peur de flétrir l'impôt
nême quintuple , il étoit d'avis qu'on s'emparât
de tout ; & M. Blanchon y ajoutoit la fufpenfion
du rembourfement des créances des émigrés
.... La motion de M. Bazire , rédigée par
M. Cambon , & revêtue de l'urgence par M.
Guadet , a été décrétée en ces termes :
« L'Affemblée nationale décrète que les biens
des émigrés font mis fous la main de la nation,
& fous la furveillance des corps adminiſtratifs ;
renvoie au comité de légiflation pour lui préfenter
un mode d'exécution du préfent décret . »
Le miniftre de l'intérieur avoit . interrompu cer
étrange débat de fimple émulation , en remettant
fur le bureau le rapport qu'ont préfenté au Roi
les commiffaires civils envoyés à Arles , & pour
dire que tout ce qui eft relatif à la garde du Roi,
avoit été concerté entre le Roi , M. de la Porte
& M. de Briffac qui en feroient paffer inceflamment
l'état à l'Aſſemblée ; que , pour lui , furchargé
de travaux , il ne pourroit faire fon rapport
fur la fituation de l'intérieur du soyaume ,
avant lundi ou mardi prochain.
M. Deleffart a terminé la féance en commupiquant
de nouvelles notes de M. le baron de
( 1895)
$
Duminique & de M. de Ste. Croix , portant que
l'électeur de Trèves perfifle dans fa réfolution de
demeurer neutre à l'égard de la France , en diffipant
les raffemblemens armés , & n'accordant aux
émigrés fans deffeins hoftiles que cette hofpitalité
qui eft l'un des devoirs & l'un des droits de
toute puiffance jufte , humaine & indépendante.
Da jeudi , féance du foir.
Piefque toute la féance a été abforbée par un
rapport de M. Bréard , fur Avignon & le
Comtat.
A la fuite d'un long récit dans le ftyle & le
fens révolutionnaires , de tout ce qu'on fait des
forfaits & des malheurs qui défolèrent ce beau
pays , récit d'une partialité dégoûtante , où la
fidélité au fouverain légitime a été traitée de
fanatifme , d'ariftocratic , d'ignorance & de crédulité
ftupide ; où l'amour de la conftitution
Françoife , avant qu'elle exiftât , a été du patriotifme
, de la lumière & toutes les vertus ; M.
Bréard a promis de difcuter les plaintes portées
contre les médiateurs & les commiffaires civils..
Il a bonnement difculpé M. Mulot de tout projet
de contre-révolution , mais il a témoigné
que la conduite de ce médiateur ne paroiffoit
pas entièrement irréprochable quant au refte.
Ni M. Mulot , ni les commiffaires qui lui ont
fuccédé ne font affez intéreſſans , pour que nous
perdions quatre lignes à analyfer le verbiage du
rapporteur , touchant les fautes de ces Meffieurs.
Voici les moyens propofés par M. Bréard ,
pour porter le remède à la racine du mal » :
réunit le diftrict d'Avignon au département des
Bouches-du -Rhône , & la diftrict de Carpentras
au département de la Drôme ; déclarer les élections
( 190 )
nulles & en faire de définitives ; rendre au peupleles
biens nationaux, « ce qui l'attachera à la révolution
par fon intérêt ( comme fi le peuple gagnoit à
ces ventes ) ; » lui donner des fecours pécuniaires
; transférer ailleurs le tribunal d'Avignon
( & conféquemment les Jourdan , les Tournal ,
&c. qui pourront être délivrés en chemin ) ; ne
faire le procès qu'aux affaffins de Lécuyer, d'Anfelme
, de Lavillaffe & de Pochi , en obfervant
que l'amnistie n'abolit pas les crimes étrangers
à la révolution ; exiger que les commiffaires civils
rendent compte ; & terminer au plutôt avec
He Pape pour les indemnités....... L'arrivée de
nouvelles pièces a fait ajourner la fin de ce rap
port à famedi. 1
Du vendredi , 10 février.
De ce que Montesquieu mourut le 10 février ,
M. Paftoret en a philofophiquement conclu que
1'Aflemblée devoit acquitter aujourd'hui la dette
de la nation envers l'auteur de l'efprit des loix
en décrétant que les reftes de ce grand- homme
foient déposés à côté du grand Mirabeau. Des
applaudiffemens ont porté cette motion au comité
d'inftruction publique.
Un décret d'urgence a ftatué qu'aucun volontaire
ne fera exclu des bataillons pour raiſon
de la petiteffe de fa taille.
On a renvoyé au comité de commerce les détails
d'une infurrection qui a eu lieu fur les bords
de l'Oife à cauſe ou fous le prétexte des ſubfiftances.
Au nom du département de Paris , M. de la
Rochefoucault a mandé à l'Affemblée que le confeil
général s'eft occupé de l'heureuſe idée d'un
palais national pour les féances des légiflatures.
?
191 )
Cette grande vue de bien public eft foumise à
l'examen du comité d'inftructior .
Organe du comité de l'ordinaire des finances ,
M. Lafond- Ladebat a lu un rapport , où il a
que co fi l'Affemblée conftituante n'eût établi
pas fini par détruire
elle-même
toutes
les baſes
qu'elle
avoit
pofées
, elle n'auroit
jamais
confié
la nomination
des commiffaires
de la tréforerie
au pouvoir
exécutif
. » On paroît
vouloir
tra
vailler
à créer
de nouveau
ces bafes
détruites
,
Le rapporteur
a traité
différentes
queftions
relatives
aux 87 payeurs
- généraux
, à la nomination
defdits
commiffaires
, & à la caffation
d'une
proclamation
du Roi , du 8 décembre
, & il a
propofé
trois
projets
de loix , dont l'Affemblée
a décrété
l'impreffion
& l'ajournement
.
f
Portant la parole pour le comité colonial ,
M. Journu- Aubert s'eft enfin occupé des fecours
implorés depuis fi long- temps par les colons de
St. Domingue. Il a propofé un ſecours provi
foire de 3 millions prêtés , & un crédit de s
millions fur les Etats - Unis de l'Amérique.
Quoique M. Journu- Aubert cût dit : « il feroit
barbare de refufer toute eſpèce d'affiſtance à des
hommes qui font nos frères , & qui peut - être
maudiffent , en périffant , notre criminelle lenteur...
Vous ne laifferez pas impunis les monftres
qui , comme de concert , fe font fait un
jeu d'arrofer de fang humain toutes nos colonies
; mais vous ne fermerez pas vos coeurs à
des maux que vous devez foulager...... Tout
Brufquer , c'eft rout compromettre ; on ne réforme
point , en un jour , le coeur humain par
un décret. L'empire des befoins ne nous permar
point d'afpirer à une perfection idéale ....... Au
( 192 )
défaut de la réalisation d'un rêve philofophique ,
la perte de nos colonies feroit fûrement celle de
notre commerce , de notre marine …………………. Nous
maudirions un ftoicimé infoutenable.... Trois
cents fucreries, brûlées 1800 cafeteries dévaltées
; les ouvriers qui les fertilifoient , fugitifs ,
maffacrés ou devenus bourreaux ; les magafins
d'une grande ville d'entrepôt incendiés , toutes
les refources confumées , les racines indigènes
épuifées , les armemens , rares ou nuls par la
défiance ou la ruine des armateurs , n'apportant
aucune fubfiftance ; la famine , la contagion ,
tous les maux menaçant ceux que le fer & le
feu n'ont pas frappés ; , tel eft l'état actuel de
cette île malheureufe. Pefez & jugeż.........
M. Briffot a trouvé dans fon humanité , dans.
fa morale bien connue , des raifons de retarder
encore un décret dejà fi cruellement retardé.. It
a demandé qu'on s'occupât d'abord de faire ceffer
la caufe des troubles , caufe qu'il a mife dans
l'infernale vanité drs Blancs , & l'ajournement
pour difcuter la ratification du concordat , afin
de niveler les Blancs & les Mulâtres » avant
de parler de fecours ; ce qui ne l'a pas empêché
de dire en perdant du temps , nous faifons
couler du fang . Quelle hypocrite philantropie
!
ככ
ןכ
M. Emmery vouloit qu'on attendit les grandes
vérités que vont écrire les commiffaires civils.
Une lettre de M. de Puymonbrun , colon , eft
venue à point nommé , de Paris , accufer l'orgueil
des Blancs des crimes des Mulâtres & des
Nègres enivrés de fophifmes , & annoncer que
les Efpagnols vont s'emparer de la partie Françoife.
Ces nouvelles ont été renvoyées au comité
( 193 )
mi é colonial , & les débats ajournés à mer
credi.
M. Gaudin a lu un rapport philofophico- politique
fur l'utilité de la deftruction des congré
gations féculières attachées à l'enſeignement
public. Ses motifs font de fupprimer des repaires
d'ariftocratie , & de vendre plus de biens nationaux.
Ses moyens de remplacement font des
infcriptios , des choix municipaux , des perfonnes
de l'un ou de l'autre fexe qui fe voueront
beaucoup mieux au foin d'inftruire l'en
fance indigente , & de foigner les malades fans
fe lier par des noeuds religieux fort inutiles à
un peuple éclairé , & fans habits de moines ou
de foeurs- grifes , &c. Ces idées régénératrices ont
excité les plus vifs applaudiflemens toutes les
fois qu'il s'agit de prendre , de détruire & de
ruiner quelques claffes de citoyens , les galeries
& une partie de l'Affemblée font en jubilation.
Le projet ainfi que tout le refte , a été ajou ‡ né.
Du famedi , 11 février.
Des lettres annoncent que les officiers du fégiment
de Soiffon ois , en garnifon au Fort-Barreau ,
font paffés en Savoies que les foldats patriotes
& dans le fens de la révolution , a dit M. Dumolard,
commandés par des fergens feulement,
ont obfervé la plus exacte difcipline ; que requis ,
par le directoire , d'envoyer au Fort- Barreau un
bataillon de gardes nationales , M. de Choify a
répondu que les décrets le lui défendoient ; & que
M. de Narbonne inftruit de cès déſertions depuis
trois femaines , n'a donné aucun ordre de remplacement.
L'Affemblée a décrété que le miniftre
rendroit compte , dans le jour , & par écrit , fur
> Tobfervation de M. Bazire : «les écrits seltent ,
No. 7. 18 Février 1792.
I
( 194 )
+
tandis que les mots le perdent » ; que le préfident
écriroit aux fous-officiers & foldats une lettre de
fatisfaction ; le reste a été renvoyé au comité de
furveillance .
M. Thuriot a combattu le droit accordé au
Roi de rommer les capitaines & les lieutenans
des troupes de ligne , & a propofé d'en remettre
la nomination aux foldats. M. Lacaée vouloit
qu'on le bornât à décider s'il y avoit lieu à révoquer
la loi provifoire qui fufpendoit les examens
pour les officiers , loi d'autant plus facile à révoquer
que le terme préfixe en eft expiré le premier
février. De longs débats n'ont abouti qu'à renvoyer
le tout au comité militaire .
M. Cahierde Gerville a fait parvenir à l'Affemblée
les états de formation de la garde du Roi ; &
une lettre de M. de Briffac , commandant de
cette garde , en certifiant qu'il n'y a point de
furnuméraires . M. Bazire a craint qu'il ne s'y
trouvât quelques émigrés de Coblentz , & fes clabauderies
n'ont cédé qu'à l'ordre du jour.
Sa Majesté avoit bien voulu faire écrire à
M. Péthion , pour favoir quand il lui plairóit
d'admettre la garde du Roi à prêter le ferment à
la municipalité. Cette queftion auffi fimple que
conftitutionnelle a beaucoup embaraffé le maire
jacobite ; il a penfé qu'un raffemblement d'hommes
armés feroit dangereux , fi l'on en exigeoit
un ferment ; car ceux qui jurent ne font plus
dangereux : il a également penfé que , les individus
qui compofent la garde du Roi doivent avoir
prêté leur ferment civique ; mais que l'enſemble
n'étant pas un corps militaire , dans la politique
métaphyfique actuelle , & ne fervant pas pour la
nation , on ne pouvoit pas en exiger le ferment
preferit pour les troupes, Dans fa perplexité sit a
9 )
L
t
prié , par écrit , les repréfentans de la France de
décider cette grave queftion , de compter ou pefer
les fyllabes du ferment , fans l'exacte précifion
duquel 1800 gardes du Roi non militaires ,
pourroient compromettre la liberté de tant de
millions d'hommes armés de fufils & de piques. Se
mettant à penfer , à fon tour & à fa manière
M. Bazire a trouvé le ferment inutile , parce
que se le Roi eft refponfable fur fa perfonne ce
de la conduite de fes gardes. Le renvoi au co
mité de légiflation pourra du moins donner lieu
à d'autres réflexions , plus dignes des défenfeurs
affermentés d'une conftitution , bù le Monarque
eft nul mais inviolable.
On a décrété divers articles de liquidation ,
dont un de 1,162,740 liv . de charges de perru
quiers , & renvoyé au comité celle des notaires
de Paris.
La ville de Noyon , a dit M. l'Objoy , eft
inveftie de 6,000 payſans qui arrêtent les grains
deftinés à l'approvifionnement de la capitale…………….
Au comité d'agriculture.
---Une lettre de M. de Bertrand a annoncé
que
plufieurs des vaiffeaux qui portoient des fecours à
Saint- Domingue , ont été forcés de relâcher dans
des ports où l'on travaille à réparer les ravages
de la tempête. Ces nouvelles vont tout naturellement
au comité colonial.
Le Roi a écrit à l'Affemblée pour lui faire
obferver 1°. que la conftitution porte que fa
garde ne peut excéder 1,200 hommes à pied &
600 à cheval ; 2°. que depuis le premier de janvier
, la lifte civile a payé la folde du régiment
des ci-devant gardes Suiffes dont un decret
maintenu le fervice provifoire. Sa Majefté invite
le corps législatif à prononcer que ledit régiment
I 2
( 196 )


V
fera payé par le département de la guerre , fur
Tancien pied , jufqu'au renouvellement des capitulations
, pour ne pas violer la conftitution en
laiffant le Roi payer plus de 1,800 hommes , &
pour être fidèle au traité qui affure aux Suiffes le
droit d'avoit un régiment employé à la garde du
Roi , fidélité qui peut contribuer au renouvellement
d'une alliance très- utile à la veille de la
guerre. L'objet de cette lettre eft ajourné.
M. de Narbonne a développé la propofition
du Roi , il a dit qu'on s'occupoit du remplacement
des officiers ( quoique le mode de remplacement
foit fur le point d'être difcuté , vu l'expiration
de la loi provifoite ) ; & il a confirmé les
bruits de défertions fréquentes , d'émigrations en
Savoie , & en Efpagne. Après le miniftre de la
guerre , M, Tardivaux ayant fait un rapport au
fujet du ferment de la garde du Roi , & propofé
une formule , de nouveaux débats ont fini par le
`e renvoi du tout à la commiſſion centrale de l'ordre
.du jour,
1
La Législature confidérée dans fes fonctions
judiciaires.
Machiavel, Montefquieu & tous les Publiciftes
libres doués de quelque fens , fe
font accordés à placer le tombeau d'une
République dans la fréquence des jugemens
illégaux , des punitions , des confifcations ,
décernées par un pouvoir extraordinaire,
« Sous prétexte de la vengeance de la République
, ont- ils dit , on établit ainfi la
tyrannie des vengeurs. ».
( 197 )
Par-tout où vous voyez des exemples
répétés de ce défordre , dites que le Peuple
qui le tolère eft né pour la fervitude, & s'en
approchie ; dites que ce Peuple eft fans
Conftitution , eût- il autant de Codes qu'il
exiftoit de volumes dans la Bibliothèque
d'Alexandrie ; dites enfin que là règne la
force & non la Loi , une Faction defpotique
& non la Liberté.
}
La Majorité de l'Aſſemblée Conftituante
nous jetta dans les fers , & prévînt toute
contradiction à ſes volontés abfolues & inviolables
, par l'ufurpation des deux pou
Virs. Elle s'arma , d'une part , de la puif
fance judiciaire ; elle fe conftitua Accufateur
public , Juge d'information , Juge d'attribution
, Tribunal de caffation , elle fe
donna Pautorité de recevoir les plaintes
& d'en décider , de decréter de prife- decorps
& d'emprifonner ; enfin , elle créa
une Commiffion fuprême , revocable à fa
fantaifie , & fonctionnant fous l'empire de
fa toute-puiffance ; Commiffion extrajudiciaire
, aux foins de laquelle la Faction
Conftituante renvoya , chargés de chaînes ,
tous ceux qu'elle opprimoit de fes foupçons.
Manquoit- elle de preuves pour les condamner
on éternifoit leur captivité , ou
bien on ſe ſervoit d'un autre moyen plus
expéditif. Au défaut de fa puiflance juridique
, la Faction dominante empruntoit.
alors le bras de l'autorité populaire. Par ,
13
( (1981)
une infurrection facile à combiner , on
faifoit juger un prévenu à la clameur pu
blique. Ainfi furent égorgés MM. Pafcalis,
d'Efcayrac , de Voifins , & cent autres .
profcrits qu'aucun indice affez marquant
ne pouvoit faire traîner dans les cachots
de la liberté.
Avec ces deux Autorités , l'une légale
l'autre régénératrice & populaire , la Majorité
du Corps Conftituant gouverna la
Révolution : elle fit périr dans une fédition
apprêtée, ceux qu'elle n'auroit pu convaincre
dans les prifons ; elle plaça fes Adverfaires
& fes Détracteurs entre le fer des bourreaux,
& la lanterne des Affaffins .
La preuve matérielle de cette double
politique eft de notoriété publique ; nom
bre de crimes conftatés en font les témoi
gnages ineffaçables.
Pour qu'il ne manquât rien à ce fyftême
de vertus publiques , par lequel on conduifoit
les François à l'Evangile de l'Abbé
Sieyes & des Coupe - têtes à chaque plainte
des honnêtes gens contre ces exécutions
civiques la Tribune & les Journaux ré
pondoient que les Droits de l'homme dor- ↓
moient jufqu'a l'achevement de la Conftitution
; enforte que pour mieux apprendre
au Peuple à les refpecter , on commençoit
par lui permettre de les enfreindre. C'étoit
encore dans le même efprit de dérifion
barbare , que, les Démagogues du temps ,
·( 199 )
& les plumes qu'ils chargeoient de perver
tir la morale publique , excufoient les injuftices
& les forfaits en faveur des circonftances.
Nous fommes , difoient- ils , dans le
paffage d'une Révolution , la Conftitution
n'eft pas terminée ; lorfque nous y aurons
appliqué le feptième fceau , on ne fouffrira
ni'le vol d'un épingle , ni l'égratignure
d'une pique,
Cela étant , l'hiftoire & la raifon demanderont
un jour , en vertu de quel droit la
Majorité perfécutoit , dénonçoit , enfermoit
, puniffoit les Citoyens qui lui étoient
fufpects ? Quelles Joix l'autorifoient à ces
violences, puifque, de fon aveu , les violences
réfultoient de l'abfence même des Loix ?
Si les crimes des uns étoient excufables &
excufés par le paffage d'une Révolution
pourquoi les actions ou les projets des
autres devenoient - ils puniffables ? Le
Tribunal de l'Affemblée ne fe déployoit
donc que par la puiffance du piftolet; il
infultoit celle de la Loi , en en revêtiffant
les formes ; il exerçoit le droit de la
guerre dans le fens le plus odieux , car il
l'exerçoit fous le mafque de la liberté
blique & de la volonté nationale.
4.
pu
Le modèle tracé par l'Affemblée Conftituante
, la Légiflature actuelle l'a fidèlement
fuivi ; il étoit impoffible qu'elle ne
efuivît pas ; il étoit impoffible qu'avec une
utorité fans limites , elle n'annullât gra
14
( 200 )
duellement la diftinction des pouvoirs ,
& il étoit impoffible eennccoorree ,, qu'agillant
dans des circonftances difficiles , elle ne
les confondît point avec les tenips de révolution
, qu'elle ne fubftituât le fabre de la
force à l'empire de la Loi , & qu'elle ne
mit en pièces les premiers principes de la
Conftitution , fous prétexte de la mieux
défendre.
De cette conduite de la Légiflature aetuelle,
il faut s'en prendre effentiellement
à celle du Corps Conftituant qui l'a faite
ce qu'elle eft , & qui corrompit fes fucceffeurs
par fes exemples , autant que par
le mode fur lequel ils furent inftitués.
Ceft principalement dans l'exercice du
Pouvoir judiciaire , que la Légiflature a
démontré la jufteffe de ces obfervations.
On feroit épouvanté fous un Gouvernement
abfolu des excès auxquels elle s'eft
laiffée entraîner ; mais fous la liberté Fran-
Coife , ces excès ne rencontrent que des
admirateurs..
Quel fourire d'amère dérifion n'échap
peroit pas au Prolétaire le plus borné
d'une République , fi on lui difoit qu'il
exifte un pays libre , & démocratiquement
conftitué , où le Corps des Délégués du
Peuple peut en moins d'une demi-journée
dénoncer , accufer , décréter & faire emprifonner
un Citoyen ; qu'il a le choix de
qualifier les accufations comme bon lui
( 201 ').
femble ; qu'arbitrairement il eft maître de
commuer un délit ordinaire en crime d'Etat
, au premier chef; que par une Jurifprudence
expéditive , il rend des arrêts collectifs
, où les prévenus , les innocens , & les .
coupables font promifcuement enveloppés ;
qu'au milieu des applaudiffemens , des excitations
des Spectateurs , deux ou trois
Parleurs font ravir des pères à leurs familles ,
des Officiers recommandables à leurs fonctions
, des Citoyens à leur état ; qu'on dépouille
ces infortunés de leur fortune ou
de leur liberté , fans information légale
fans les avoir ouïs , fans interrogatoire ,
fans aucune des formes prefcrites par les
Loix de tous les pays ; que plus l'accufation
eft grave & le danger cruel , moins on laiffe
de reffources au prévenu pour le défendre
contre les premières furprifes faites à l'Inquifition
publique ; qu'en un mot , le pouvoir
que le Tiran le plus ennemi de fes
fujets n'ofe pas confier aux Tribunaux Suprêmes
, le Corps des Députés Nationaux
l'exerce à difcrétion , fous le manteau de
l'inviolabilité individuelle de chacun d'eux ; "
enforte que l'accufé refte fans garantie contre
le Calomniateur , & écrafé fous le poids
terrible de la puiffance légiflative ?
La Loi fondamentable a borné le pouvoir
judiciaire des Légiflatures , au Droit d'accufer
& de pourfuivre devant la Haute-
Cour Nationale , les Agens du pouvoir'
$
( 202)
exécutif , et ceux qui font prevenus d'attentat
et de complot contre la sûreté générale
de l'Etat , ou contre la Confitution . Je
n'examinerai pas ici , fi un droit auffi terrible
, auffi vaguement déterminé , pouvoit
dans une Conftitution femblable à celle
d'aujourd'hui , être attribué au Corps Légiflatif
, le plus abfolu , fans que la tyrannie
ne s'enfuivit. Je ne ferai pas obferver que
les formes d'accufation & de pourfuite font
reftées tellement arbitraires , que PAffemblée
eft encore libre de préférer le mode
qui lui plaît dans l'exercice de fes fonctions
judiciaires.
Il fuffit de rappeller l'ufage qu'en a fait
la Légiflature actuelle , pour fe convaincre
de l'anéantiffement de toute liberté individuelle
que nous préfente le réfumé de ſes
jugemens ?
Un matin , M. Bazire dénonçe MM.
Varnier , Noirot & Tardy , comme embaucheurs
pour Coblentz, des Employés des
Douanes. Il fonde fon accufation , il s'en
rend le garant fur une lettre qu'il prétend
avoir été écrite par M. Varnier , & expédiée
à lui dénonciateur par un ferrurier d'Auxonne.
Auffi-tôt , on traîne M. Varnier àla
barre il dément fon Accufateur , il nie la
lettre fuppofée qu'on lui prête. Sans vérification
d'écritures , fans avoir authentiqué
l'envoi de la lettre , l'origine de fa connoiffance
, ni l'existence du délit qu'elle
1 203 )).
fuppofe , l'Affemblée jette les trois Accufés :
dans les cachots , & les décrète pour crime
de Confpiration publique , par - devant
fa Haute Cour non encore formée. Tout
cela s'opère en quelques heures , à peu près
comme un Juge de police met à l'amende
le Cocher de fiacre qui a refufé fa courſe.
Très peu de jours enfuite, le ferrurier d'Auxonne
, fon garçon , une fervante , cités par
M. Bazire , défavouent par-devant le Greffier
de la juftice de paix , le rôle que leur ,
prête le dénonciateur. Cinq déclarations
légales & fucceffives du ferrurier Vollon ,
conftatent le faux , & que jamais de fa vie
il n'a écrit à M. Bazire. L'impofture de la .
lettre devient encore plus manifefte , par les
témoignages , non conteftés , qu'aucun M.
Tardy n'eft placé aux frontières , & que les
.63 Employés de la Direction de Dijon
envoyés en Allemagne par l'Auteur de la
lettre pfeudonyme , font encore à leur pofte
eu Bourgogne , ainfi que la totalité de
leurs Camarades , dont l'état nominatif certifié
eft envoyé à l'Affemblée. On avoit
donc la certitude matérielle que le délit
n'exiftoit pas ; toutes les preuves poffibles
conftatoient le faux de la'l ttre . Le Décret .
n'eſt cependant pas revoqué ; au contraire ,
on le confirme , M. Varnier eft traité dans
fa prifon comme un malfaiteur ; on le met
u fecret ; on le transfère à Orléans pour y
tre jugé fur un crime, dont la fiction eft
3
!
I6
( 204 )
juridiquement avérée. Depuis le milieu de
Novembre , cet infortuné Citoyen , & les
deux Innocens opprimés avec lui , gémiffent
dans les fers , & dans les liens d'une
Procédure criminelle extraordinaire.
M. Delâtre eſt livré au même ſort. Ici ,
l'Affemblée transformé une lettre de recommandation
d'un père à fon fils ; lettre
où il exprime le veu de voir enfin le Roi
rendu à fa liberté , lettre fecrette , confidentielle
, en trahifon contre l'Etat. La Loi défend
de rechercher aucun Ecrit , aucune
opinion , qui ne troublent point l'ordre
public : la Légiflature décide le contraire ,
& applique fur-le- champ fa déciſion , en
faifant emprifonner M. Delâtre mis au fecret.
Son fils fe préfente , fon fils feul coupable
fi l'on eft coupable de voyager en Allemagne
; il accufe d'impofture le dénonciateur
de fon père. « Cette lettre , dit-il , que
» M. Merlin dit avoir été trouvée dans un
» bateau fur le Rhin , m'a été volée dans
» 'ma malle fermée : c'eft un crime de l'avoir
» décachetée , c'en eſt un autre de s'en être
≫ emparé ; c'en eft un troifième d'en faire
» un titre de dénonciation ; c'en eft un ,
» horrible , de décréter d'une main l'in-
» violabilité & le fecret des lettres , & de
» l'autre d'ouvrir ces lettres pour fonder
*
enfuite fur leur contenu , le fujet d'une accufation
formidable d'un décret de
» prife-de- Corps , d'un procès criminel à
» Orléans. »
( 206 )
Cette exécrable perfidie ne touche perfonne
le Poëte François de Neufchâteau
fait des phrafes fur la piété publique com
parée à la piété filiale. Le fils accufé d'avoir
voulu émigrer , refte libre ; le père qui , à
fa demande , l'a recommandé à M. de Calonne
, eft précipité dans le gouffre , & traduit
à Orléans .
M. de Malvoifin , Officier auffi eftimable
qu'eftimé , fervant avec diftinction depuis
trente ans , eft dénoncé, fans la moindre
preuve : le rapport pur & fimple d'une Mu
nicipalité fuffit à faire décréter , arrêter
& pourfuivre cet Officier , fans que l'Af
femblée ait daigné le faire comparoître .
pour l'interroger , fans qu'aucune de fes
défenſes péremptoires ait été entendue ,fans
qu'un feul des Légiflateurs ait daigné rappeller
qu'on ne difpofoit pas avec cette violente
précipitation , de la liberté d'un Citoyen
même coupable.
Un Club & une Municipalité demandent
la retraite de deux régimens qui leur faifoient
ombrage , parce qu'ils obéiffoient.
fcrupuleufement à la Loi , au Roi & à leurs
Officiers . Le Miniftre de la Guerre fe
refufe à cette follicitation : bientôt l'orage
fe forme. On projette , on combine une infurrection
pour corrompre ou chaffer ces
deux Régimes. Le Commandant de la
place , Lieutenant Général , eft traîné au
Département , menacé , ainfi que les Offi(
206 )
ers & les Régimens fages : il fe retire .
la Citadelle : auffi tôt la fédition fe dé-..
veloppe , l'un des régimens eft gagné , il
refufe d'obéir à fes Chefs ; l'autre régiment
fort le lendemain de la Citadelle , y laiffant
2 2 Officiers de Cambrefis échappés ala fureur
des Infurgens & de leurs foldats ; ils y laiffent
des Bourgeois paifibles que l'horreur du tumulte
y avoient conduits, comme en un lieu
de sûreté. Les uns & les autres font immédiatement
dépouillés , frappés , traînés
meurtris & en chemifes dans les prifons.
Un Courier porte à l'Affemblée. les plus
ftupides accufations contre ces victimes :
fans examen , fans vérification , fans avoir
oui les prévenus , & fur la dépofition
d'un Garde Magafin qui affure que les
Accufés ont voulu bombarder Perpignan
avec cinq livres de poudre ; le Tribunal
de la Légiflature accufe ces Officiers , ces
Citoyens , & M. de Chollet. Elle les fait
transférer des cachots de Perpignan dans
ceux d'Orléans : ils traverfent la France enchaînés
deux à deux par le cou , comme les
plus vils malfaiteurs. Graces à la mort de fa
ferrine , M. de Chollet , feptuagénaire , eft
délivré de fes fers à moitié chemin ; mais
il fubit , ainfi que les autres prifonnier
, le fupplice d'être efcorté au travers
du Royaunie entier , par une armée de
Gardes nationaux fans pitié , fans humaé,
qui ont aggravé Phorreur de ce trai(
~207.-)
tement , & plus d'une fois , menacé le
Peuple compatiffant dont les larmes cou- ,
loient par-tout fur les chaînes de ce convoi.
Eh voilà les jours de la liberté. ! Voilà les
hommes qui ofent s'en dire les Miniftres ,
& qui ont le courage de menacer de leurs
bourreaux , ceux qui voyent avec horreur
ces fcandales de la tyrannie (1)!
Je paffe fous filence bien d'autres faits
moins éclatans. De ces jugemens indivi- ,
duels , paffons à la justice collective de
la Légiflature.
Un jour , elle décrète. que tous les Emigrés
qui ne feront pas rentrés à jour fixe ,
deviennent ipfo fadlo , puniffables de mort
en gros & en détail .
Un autre jour, elle fpolie tous les Eccléfiaftiques
non affermentés , & donne fur
eux aux Corps Adminiftratifs , le pouvoir
qu'un Pacha exerce fur les Etrangers de
fon Département .
Par un troifième acte de fa volonté , elle
arrête toutes les rentes des Abfens ."
Créanciers de l'Etat , & commence fa procédure
à ce fujet , par où les Tribunaux
la fuiffent , c'est à dire , par le prononcé
du féquestre.
(1) Cette affaire de Perpignan eft un tiffu ,
de menfonges , de bêtifes , de turpitudes , d'ini- ,
quités. Je le prouverai inceffamment ,
( 268 )
Enfin , pour en finir , elle ordonne
dans le cours d'une demi -féance , que toutes
les propriétés & revenus quelconques des
Abfens , fans diftinction quelconque , font
fous la main de la Nation , & , au travers
des élans de joie de tous les indigens dont
l'imagination dévoré ce butin , elle prononce
le féquestre effectif.
Nous ne méprifons pas affez nos Lecteurs
pour differter fur ce nouveau coup
de main . Une feule remarque fe préfente
a tout le monde , & nous l'énoncerons .
En tout pays policé , fauf dans la France
d'aujourd'hui , le féqueftre réfuite d'un jugement
contre un Accufé contumax . Eh
bien la Légiflature qui , fous peine de
crime de lèze- nation , ne peut ufurper la
puiffance judiciaire , prononce la faifie des
biens de cent mille Citoyens , contre lef
quels nulle procédure , nulle information
légale , nul décret , nulle fentence préalable
n'ont émané d'aucun Tribunal .
Le féquestre eft la peine d'une contumiace
, fur un délit prouvé dont l'Auteur eft
déjà condamné. Eh bien la Légiflature
décide que , généralement , l'abfence du
royaum , confacrée par les Droits de
PHomme & par la Conftitution , eft un
crime d'Etat , elle fait la Loi prohibitive
en même temps qu'elle inflige la peine ,
& elle punit ceux qui ont ufé de la liberté
antérieure & légitime. Ou il y a délit .
'
( 209 )
dans l'émigration' , & un jugement régulier
pouvoit feul en décerner le châtiment; ou
l'émigration eft innocente, & l'Affemblée
prévarique : elle fe place donc entre deux
efpèces de tyrannie manifefte.
Par conféquent , ce n'eft pas une Loi
qu'elle a rendue : elle décharge fimplement
une batterie de canons fur fes Ennemis ;
elle fait une opération de guerre & non de
Légiſlation .
1
Mais ce droit de violence , peut elle fans
mépris de toute équité , de toutes Loix ,
l'étendre fur ceux de fes Concitoyens qui
ne déploient pas contre elle une contenance
hoftile ? Quoi ! vingt mille familles abfolument
étrangères aux projets de Coblentz
& à fes raffemblemens , vingt mille familles
difperfées fur la face de l'Europe par les
fureurs des Clubs , par les crimes des brigands
, par le défaut conftant de fûreté , la
tupide & lâche inertie des autorités pétrifiées
, le pillage des propriétés , l'infolence
d'une cohorte de tyrans fans pain & fans
habits , par les affaffinats , les incendies ,
les délations , les emprifonnemens , les
Comités des Recherches , la baſſe ſervilité
des Miniftres filentieux , & tout le cortège
des fléaux de la Révolution . - Quoi ! ces
vingt mille familles défolées , des femmes ,
des vieillards , verront leurs héritages devenir
l'objet des gafpillages nationaux !
Quoi ! Madame Guillin qui a dû fuir avec :
( 210 )
horreur la terre où des monftres ont brûlé :
fa demeure , égorgé , mangé fon époux ,.
& vivent libres impunément à côté de fon
domicile ; Madame Guillin verra fa fortune
confifquée au profit des Communautés
auxquelles elle doit fes épouvantables infortunes
! M. de Clarac ira , fous peine du ,
même châtiment , relever les ruines de fon
château , où une armée de fcélérats n'ont
pu parvenir à l'étouffer !
Ah ! que l'Affemblée
ne fe flatte pas de
confommer
un pareil attentat contre la juftice
naturelle , ni d'en impoſer à l'Europe ,
avec des phrafes de collége , fur des difpofitions
de cette nature , ni que le plus fimple
des enfans croye une minute encore à ſun
zèle pour la liberté.
La généralité de ce Décret en démaſque
le but , & en manifefte l'iniquité. Pour que
le droit de la guerre le légitimât , il falloit
le limiter aux Emigrés notoirement armés
contre la Conftitution ; mais l'étendre à
tous ceux qui , loin de nos torches , de
nos lances , de nos lanternes , de nos ty-
Jannicides , tout puiflans dans un Gouvernement
diffous , ont cherché la paix & la ,
sûreté dans l'Etranger ! c'eft menacer la
fociété entière , c'eft avertir qu'une prof
cription univerfelle peut envelopper tous
es Propriétaires .Un Corps ouelconque qui
afarde de femblables actes d'autorité, pourit
tout lepermettre , tout tenter , & fucceffi- .
( 211 )
vement difpofer de la fortune de chaque
claffe de Citoyens ( 1 ) ..
Il feroit fans doute trop burlefque d'objecter
à ces confidérations , que le féqueftre
tombe au moment où l'Emigré qui en eft
frappé, rentre dans le Royaume. Il n'y a pas
d'alternative entre la sûreté des perfonnes &
celle des propriétés . Si la moitié des Fugitifs
n'avoient craintpour leurs jours , ils feroient
au milieu de nous,; fi les 84 prifonniers de
Caen euffent émigré , ils n'auroient pas.
traîné leur vie trois mois durant dans les
horreurs d'une prifon fecrette , & livrés
à tous les rafinemens de la barbarie. Plai-
(1) Il eft certainement des cas de danger public,
où l'on peut violer la liberté d'un Citoyen
lorfque cette violation fert à conferver la liberté
de tous ; mais ces exceptions à la Loi dans
auçun Etat libre , ne s'exercent jamais qu'individuellement.
De ce genre. font les Bills
d'Attainder en Angleterre. On les rend contre
telle ou telle Perfonne , jamais collectivement .
Il faut qu'ils paffent dans les deux Chambres par
trois difcuffions confécutives , & que le Roi y
donne fon confentement . L'Acculé peut faire
Entendre fes défenfes & fes défenfeurs contre le
Bill, avant qu'il foit décrété. La Légiflature
de France n'entend perfonne , & en deux heures
elle expédie la ruine de cent mille Citoyens..
Cela fe nomme Décret d'urgence. Il n'eft pas
étonnant qu'on foit preflé dans l'exécution de
blables mefuges .
( 212 ) )
fante invitation de venir reconnoître fes ,
foyers , que la menace journellement répétée
d'exterminer tous les Diffidens politiques
, & de purger la terre des Amis du
Roi , fuivant les paroles des gens à piques ,
remerciés Dimanche dernier par l'Allemblée.
Un François mécontent du nouveau régime
, & qui , dans la rupture du Contrat
focial , ne veut pas de celui qu'on lui a
fubftitué , en eft certainement le maître : le
plus infâme des tyrans oferoit à peine lui
difputer le droit d'opter pour une autre
domination. Que ce François expatrié , ait
adopté l'Angleterre ou la Pruffe ; fes biens
feront confiiqués en France , à moins qu'il
n'y rentre pour les vendre mais s'il ne
trouve pas d'acheteurs , le voilà forcé ou :
de vivre dans l'Etat qu'il abjure , ou de
perdre fes propriétés ; il devient déformais ›
ferf de la glèbe. L'Affeniblée a intité la Loi -
de Ruffie , où nul ne peut quitter l'Empire
fans encourir une confifcation , Ainfi les
extrêmes fe touchent , ainfi co - incident le
defpotifme de la fauffe liberté & celui d'un
Monarque abfolu.
Ces expédiens de force ,ces profcriptions
générales , en caractérifant les Factions dominantes
, nie rappellent l'obfervation par
laquelle conclut Thucydide , après avoir
énergiquement décrit les fureurs légales de
même genre qui fignaloient le pouvoir alter
( ( 2139 )
natif des différensPartis ,dans chaque Répu
blique de la Grèce. « Dans ces contentions ,
» dit ce pénétrant Hiftorien , les efprits les
» plus groffiers , les plus dépourvus de
>> prévoyance ávoient communément
l'avantage. Convaincus de leur impéri-
» tie , & craignant d'être renversés par
>> des hommes doués de quelque habileté ,
» ils précipitolent les dénouemens , fans
» préméditation , en fe fervant de l'épée
» & dupoignard , & prévenoient ainfi leurs
» Antagonistes , occupés, de plans plus ra-
» finés ou d'une plus lente exécution.
Ce féqueftre univerfel , décrété jeudi
dernier , a été fanctionné Dimanche foir par
le Confeil du Roi , ainfi que celui qui
7 rend la liberté aux 40 foldats de Château-
* vieux , détenus à Breft. Les Miniftres officiellement
avertis des réfolutions auxquelles
l'exécution de ce dernier décret forceroit le
Corps Helvétique , avoient eu la prudence
de fufpendre l'approbation Royale ; mais
la fermentation de Paris , les piques , les
menaces , l'afcendant toujours croiffant des
Agitateurs , intimident le Gouvernement.
On fabrique foixante mille de ces piques
, foit à Paris foit dans les environs.
La femaine dernière , on en promena dans
la Capitale , fous les fenêtres du Rot &
dans le Jardin des Thuileries . Plufieurs
Fauxbourgs s'en armoient journellement ,
fans que la Municipalité fit aucune atter.g
=

·
( 214 )
tion à ces préparatifs . Chaque pique eft ornée
de crochets ; afin , difent les Amateurs ,
de pouvoir plus efficacement , arracher
les entrailles. Le Département inquiet
ayant fecoué la léthargie de la Muni-
-¡cipalité , celle - ci rendit Samedi , 11 , un
de ces Arrêtés mitoyens qui laiffent
mille iffures à la défobéiffance . Il aſlujetiit
les poffefleurs de piques ou d'autres armes ,
pour défendre la Patrie dans des jours de
dangers , à fe faire enregistrer dans leur
Section , à ne pas fe promener avec leurs
uftenfiles de meurtre & à n'obéir
qu'aux Officiers de la Garde Nationale .
# Le même jour , M. Cahier , Miniftre
de l'Intérieur , écrivit au Département
fur le même fujet , & lui apprit , que les
ENNEMIS DE LA CONSTITUCION agitoient
le Peuple , et conſpiroient dans tous lesfens
contre la liberté publique.
Comme ce furnom d'Ennemis de la Conf
titution eft exclufivement affecté par l'autorité
de la Révolution , de la Tribune , de
l'opinion populaire , aux Royalistes & aux
Ariftocrates , il s'enfuit que M. Cahier ,
Miniftre du Roi , dénonce à la rage de la
multitude & à la police publique , ces
deux claffes de Citoyens , comme Inftigateurs
de la fabrication des piques , & comme
arbitres de leur emploi. C'eſt ainfi que
M. Bailly, l'année dernière , fit afficher dans
Paris , que les Ariftocrates fomentoient
( 215 )
·

f
la fédition du Champ- de Mars. Sous la
plume d'un Officier public , fous celle d'un
Miniftre , une calomnie auffi perfide réunit
toutes les baffeffes , elle eft un crime plus
affreux que le meurtre même. Et le même
honime qui s'envelope ainfi dans cette réticence
artificieuſe , bien certain qu'on l'interprêtera
comme il le defire, eft leMiniftrede
l'intérieur qui tient dans la main le fil, l'origi
ne, les auteurs,le but de cet armenient extraordinaire.
Heureufement , les piquiers euxmêmes
font venus le lendemain à l'Affemblée
, démentir M. Cahier , en déclarant
qu'ils s'armoient pour purger la terre des
Amis du Roi, & pour furveiller le pouvoir
exécutif. L'Affemblée faifant le Commentaire
inverfe de l'arrêté Municipal , accepta
l'offrede ces piques , & en décréta la mention
honorable. Si M. Cahier a cru faire fa
cour aux Jacobins , on rejettant leurs projets
fur leurs Adverfaires , cette politeffe eft inutile
, car çes Meffieurs ne fe cachent pas.
Depuis trois mois , Carra , Gorfas , &-autres
Ecrivains patriotes avoient imprimé le
modèle de ces piques , & recommandé
leur fabrication ; ils en arment leurs Coadjuteurs
éternels, Enfin , M. Briffot, dans fa
Feuille de Lundi 13 , a fait un Chapitre
des Piques , où il dit : « Où ſe porteront ces
» piques , difent- ils ? Par tout où vous
» Terez , ennemis du Peuple ! Oferoientellés
fe porter au Château des Tuileries ?
1
7
( 216 )
Oui , fans doute , fi vous êtes 1 }.
Qui commandera ces piques - La
» néceffité. Qui les diftribuera ? - Le
» patriotifme. Les piques ont commencé
» la Révolution , les piques l'acheveront. »
En effet , voilà le mot ; c'eft une feconde
Révolution qu'on prépare ; & je n'ai pas
befoin d'en indiquer la nature.
Pendant cette crife intérieure , celle de l'ex.
térieur s'approche à grands pas. Il ne refte
prefque plus d'incertitudes fur l'approche de
la guerre. M. de Noailles en a prévenu le Gouvernement
par une lettre du27Janvier , lue au
Confeil Samedi matin. Les ordres , les préaratifs
des armées Autrichiennes & Prufhennes
ne font plus équivoques. M. de
Narbonne préfentera inceffamment au Corps
Légiflatif, la demande formelle & preffante
des nefures nombreufes qu'exigent les circonftances.
S'il eft refufé , la prudence lui
dictera fa démiſſion. On a vu que fon zèle
• étoit récompenfé par des dénonciations , par
des calomnies , par des injures. Son plan
général des reffources & des opérations
néceffaires , a été brifé , déchiquetté , & dans
le fait anéanti par l'Affemblée. Il faut
plaindre ce Miniftre , trop févèrement jugé,
& fans approuver les expreffions exagérées,
à l'aide defquelles il a efpéré de dompter
la défiancé , on doit rendre juftice à fon
activité , à fes intentions , à fes efforts pour
remettre l'armée dans l'ordre , & fous
l'influence de fes Chefs légitimes.
MERCURE
HISTORIQUE
E T
POLITIQUE
POLOGNE.
De Parfovie , les Février 1792.
A LA fuite de la lettre du Général Comté
Potocki, que nous avons rapportée la ſemaine
dernière , on doit connoître celle du même
genre écrite au Roi par le Comte Rzewusky,
Hettman, foit Petit-général de la Couronne,
réfugié en Moldavie avec le Comte Potocki
, & fommé comme lui de venir
prêter ferment à la Conſtitution.
SIRE ,
« La lettre par laquelle V. M. m'enjoignoit
de me rendre à Varfovie , dans l'efpace de trois
mois , m'a fingulièrement frappé. Je - fupplie Votre
Majefté de me permettre de lui demander , avec
le plus profond reſpect , ce qu'on exige de moi
à Varlovie , ou je dois paroître fous trois mois ,.
& quels font les devoirs dont on defire l'exécu
No. 8. 25 Février 1792.
K
( 218 )
tion par ma préfence , après l'échéance du terme
de ces trois mois ? Y fuis - je néceffaire en ma
qualité de Hettman ? Mais le temps de ma
préfidence eft paffé , & comme Hettman , je ne
fuis point obligé à préfider la Commiffion de
guerre. Y fuis-je néceflaire comme Ministre de
guerre pendant la tenue de la Diète ? Mais il
n'exifte point de loi qui rende la préſence d'un
Miniftre de guerre , fi néceffaire à la D.ète ,
qu'elle ne puille être continuée fans lui . J'ajoute
encore que la Révolution du 3 Mai nous a
appris , à moi & à tout l'Univers , qu'un Miniftre
eft devenu un Etre infignifiant , là où
par un pouvoir qui conduit le Sénat , & par
un Peuple armé , on impofe des loix à toute
une Nation ; loix dont l'adoption a fait précifément
qu'il n'exifte plus de Nation, »
« Voudroit- on m'avoir à Varfovie pour me
confier le commandement des armées ? Mais le
Pouvoir d'un Hettman eft détruit , & il n'y a
qu'un Hettman qui puiffe commander l'armée ;
favoir , celui à qui le Straz en a accordé le
commandement. Donneroit- on ce commandement
à un Hettman contraire à la Conſtitution du
Mai ? Enfin , voudroit - on me demander confeil
à Varsovie ? Mais on ne peut pas demander l'avis
d'un homme dont le pofte eftfupprimé . D'ailleurs ,
je ne vois pas la néceffité de donner aucun avis ,
puifque la Diète ne le fuivroit certainement pas ,
attendu qu'il eft & qu'il fera toujours le même;
favoir , qu'il faut ramener la République fur
l'ancien pied , & fe reffouvenir que des chaînes
font toujours des chaînes , & qu'elles pèleront
également , foit qu'elles foient impofées par des
mains étrangères , foit qu'elles le foient par des
mains nationales . Et quels font donc les devoirs
( 219 )
;
qui rendent ma préfence néceffaire , après l'échéance
des trois mois ? Je n'en connois aucuns ; fi on demande
ma préfence fans qu'il y ait néceffité , alors
il eft injufte de demander une choſe non néceſfaire.
»
сс
« Il a plu à V. M. de parler encore
d'un
autre objet dans fa lettre ; favoir , que je dois
me rendre à Varfovie pour jurer de maintenir la
Conftitution du.3 Mai . Comment peut- on exiger
de moi ce ferment ? Il arrive en effet quelquefois
qu'on exige obéiffance à une loi injufte ;
mais on fait aufli généralement , qu'il eft impoffible
d'aflujettir un Citoyen à l'aveu que telle
loi eft bonne , tandis qu'il eft convaincu qu'elle
eft mauvaife. On ne peut forcer un Citoyen
de penfer fur cette loi , de la même manière
que ceux qui l'ont faite ; ce feroit le dernier
terme de la tyrannie , que d'opprimer l'opinion
par un ferment. Perfonne n'a donc le droit de
me contraindre à changer de fentimens , & de m'y
obliger par un parjure , &c. &c. »
Le terme fatal donné aux deux Emigrés ,
expirant au 27 de Janvier , ce jour-là , après
une féance orageufe de douze heures , la
Majorité de la Diète prononça que les
Charges de M. Potocki , Grand Général de
l'Artillerie , & Rzewusky , Général de la
Couronne , étoient vacantes. Le Roi , fon
frère le Prince Primat , & beaucoup d'autres
s'efforcèrent vainement de retarder
cette décifion , & de faire prolonger encore
de quelques femaines , le terme expiré
le 27.
Il eft queftion en ce moment du meil-
K 2
( 220 )
leur moyen de preffurer les Juifs , dont le
nombre s'élève à 800,000 , & auxquels
on demande deux millions & demi de
florins par an , moyennant les priviléges
qu'on leur concédera ; mais cet objet vient
d'être différé par la prorogation de la Diète
au 15 Mars.
is
ce Le Traité de paix figné à Jaffy , le , de
ce mois , entre la Ruffie & la Porte Ottomane ,
eft compofé de 13 articles , dont voici les principales
difpofitions : Les Traités & Conventions
faits avant la dernière : upture , font renouvellés
. Le Niefter fervira de limite entre les
deux Empires ; tout ce qui fe trouvera fur la
rive droite de ce fleuve fera reftitué à la Porte.
--Les anciens droits & prérogatives de la Moldavie
& de la Valachie font renouvellés ; les .
Habitans de ces Provinces ne paieront point de .
tribut pendant deux ans ; ceux qui voudront s'ex- .
patrier pourront le faire , & vendre leurs biens
comme bon leur femblera. -- La Porte garantit
l'ordre, & la tranquillité du côté du Caucale ,
& promet de contenir les Tartares de la grande
Terrarie.--Elle s'engage de mettre en liberté tous
les Prifonniers qu'elle a fait fur la Ruffie. On
s'enverra des Envoyés refpectifs. - Les forces
Ruffes, tant fur terre que fur mer évacueront les
Etats Ottomans , au plus tard le 15 Mai. — L'échange
des ratifications fe fera cinq femaines
après la fignature du Traité. »
-1
On travaille toujours en Ruffie à augmenter
les forces navales. Il fe trouve actuellement
à Archangel II vaiffeaux deligne
, 9 frégates & beaucoup de bâtimens
(( 221 )
légers ; 6 vaiffeaux de ligne & 4 frégates
de ce port ont ordre de fe rendre à Cronf
tadt , auffi -tôt que la faifon le permettra.
ALLEMAGNE.
De Hambourg, le 13 Février 1792 .
Après les évènemens qui fgnalèrent la
dernière Diète de Suède , on pouvoit croire
que ces Etats ne feroient pas fi - tôt raffemblés
; mais les fuites de la guerre , mais
l'épuiſement des finances , mais la néceffité
de reffufciter un peu le crédit public ,
ont obligé le Roi de recourir à la Nation.
Par une compenfation dont elle doit fe
féliciter , fon Monarque , fi entreprenant
fi heureux dans la conquête des plus
grandes prérogatives d'autorité, s'eft trouvé
non moins actif à étendre fon influence
au dehors : fon caractère l'a porté à la
guerre , comme il le porta à deux révolutions
; les fubfides extraordinaires & des
emprunts n'ont pas fuffi à payer les frais
de la gloire extérieure ; il a fallu raflembler
ces Etats qu'on croyoit congédiés pour
quelques années.
Du moment où leur convocation fut
annoncée , il fe forma des projets pour les
agiter. Les reffentimens de la Nobleffe , la
haine profonde de plufieurs des chefs de
cet Ordre , & des griefs de plus d'un genre,
ont préparé une Oppofition. Le Roi a mis
K 3
222 )
toute fon adreffe à la déconcerter , & fon
activité à lui couper chemin par anticipation.
Stockholm eût été un féjour trop
dangereux pour la Diète ; il importoit que
cette capitale ne participât point à la turbulence
des débats , s'il devoit s'en éleyer,
& qu'on éloignât les délibérations nationales
du centre des intrigues , des moyens
d'effervefcence & des caufes diverfes de
féduction.
Le Roi a donc tranfporté le fiége des
Etats dans la petite ville de Gefle , port de
la Province de Geftricie , vers l'extrémité
méridionale du Golfe de Bothnie. La
Geftricie confine à la Dalécarlie , dont les
intrépides habitans font entièrement dévoués
au Roi. Par le choix de ce féjour ,
on voit que tout a été prévu. Quelques
trounes de la Garde du Roi ont été ajoutées
á la garnifon de Gefle , où il a fallu conftruire
& les falles des divers Ordres & le
logement des Bureaux : le Commandeinent
de la Ville a été conféré au Baron d'Armfeld
, favori du Roi , & neveu du Général
de même nom , condamné après le complot
de Finlande à être enfermé à Malmoë ,
& qui vient de mourir dernièrement.
Les Elections faites , & en grande partie
au gré de la Cour , le Roi , le Prince Royal,
les Députés , les Miniftres fe font rendus
à Gefle. Les Héraults d'Armes ont proclamé
le 23 Janvier , l'ouverture de la
( 223. )
Diète ; les Etats fe font réunis dans la
Chambre Commune. Le Baron Eric Ruuth,
Gouverneur de Drotringholm & Président
de la Chambre de la Nobleffe , a été nommé
par le Roi Maréchal des Etats . L'archevêque
d'Upfal , Uno de Troïl , eft Orateur
de l'Ordre du Clergé. Le 25 les deux autres
Ordres ont nommé leurs Orateurs ; les
Bourgeois , M. Wattin , Bourguemeftre de
Stockholm ; les Payfans , Olof Thorsfon ,
Agriculteur de la Smolandie . Ces quatre
Orateurs ont la confiance générale ; on fait
combien cette place donne d'influence dans
les délibérations.
* Le 27 , l'ouverture folemnelle de la
Diète s'eft faite dans la forme accoutumée.
Après le fervice divin , où ils s'étofent rendus
proceffionnellement , les Etats ayant paſſé
dans leur falle commune , le Roi a prononcé
de fon trône , un Difcours dont
l'état des finances & des monnoies formoit
le principal objet . ( On donnera ce Difcours
au Journal fuivant. ) Le Prince Royal étoit
placé à la droite du Roi.
Le lendemain 28 , les Etats ont choifi
les Electeurs du comité fecret qui travaillera
avec S. M. , & le Comité lui-même
a été nommé le 29. Il eft compofé de
18 Membres de l'Ordre de la Nobleffe ,
& de 9 de chacun des trois autres Ordres :
fon travail a commencé le 30.
Il fe trouve 415 Membres de la No
KA
( 224 )
bleffe à la Diète ; lavoir 118 de la première
claffe , 110 de la fecunde , & 187
de la troisième.
De Vienne , le 8 Février 1792 .
Les deux principales Puiffances de l'Empire
avoient manifefté , à plufieurs -repriſes ,
& malgré toutes les inftigations contraires ,
la réfolution de ne point intervenir dans.
les affaires intérieures de la France . Leur
modération à cet égard les faifoit même
accufer d'une condefcendance exagérée . Ji
l'on eût imité en France, cette prudente
réſerve , fi l'on fe fût renfermé dans le
fyftême des ménagemens que commandoient
la politique , la raifon , la néceffité ,
l'intérêt même de la Révolution Françoiſe ,
probablement rien n'auroit fait fortir de leur
neutralité , les Cours de Vienne & de Berlin.
Nous avons rapporté, antérieurement , l'impreffion
qu'avoit produite les difcours & les
menaces de l'Affemblée Nationale. On ne
fe fût pas expliqué différemment , fi l'Empereur
eût déjà commis des hoftilités .
L'étonnement a été au comble , lorfque
S. M. I. a été inftruite des conditions qu'on
lui impofoit , & des Décrets peu mesurés ,
rendus le 14 de Janvier à Paris , par lef
quels on prefcrit à l'Empereur un terme
fixe de trois ſemaines. Ces demandes , accompagnées
de menaces , ont fubitement
( 225 )
[
changé les difpofitions du Gouvernement .
Les démarches de l'Affemblée Nationale
de France , lui ont paru de nature , à ne
permettre aucune temporifation ultérieure.
L'Empereur & le Chancelier Prince de
Kaunitz ont exprimé leurs fentimens à M.
de Noailles , avec l'énergie de l'indignation
: vraisemblablement , cet Ambaffadeur
ne tardera pas à nous quitter. De nouveaux
Couriers ont été expédiés à Berlin , à la
fuite d'une longue conférence entre le Prince
de Kaunitz & l'Envoyé de Pruffe . Enfin ,
le 28 Janvier , le Confeil Aulique de
guerre expédia l'ordre formel à 21 batail-
Tons d'Infanterie , & à 16 divifions de Cavalerie
, de fe préparer à marcher fans délai .
Ce'nombre de troupes n'eft que provifoire ;
il fera fuivi d'autres Corps : ceux qui vont
partir font tirés de la Haute-Autriche , du
Tyrol , de la Bohême , des frontières de Ba
vière & de la Principauté de Bareith. Ils
marcheront fur trois colonnes ; l'une de
12,000 hommes , fous les ordres du Général
Comte de Wallis , traverfera la Franconie
; la feconde , de même force , fuivra
peu après par la même route ; la troifième
de 8,000 hommes fe rendra fur les bords
du Rhin par la Souabe. Auffi -tôt que la
Cour aura reçu les réponses aux lettres
réquifitoriales , par lesquelles on a demandé
le paffage , cette armée fe mettra en mouvenient.
K's
( 226 )
Voici la liste des bataillons d'Infanterie
dont elle fera compofée : Un bataillon
d'Alton , deux de Bréchainville , deux de
Brentano , deux de Stuart , un de Jofeph
Colloredo , un de Hohenlohe , deux de Jordis,
deux de Klebeh , un d'Ulrie- Kinski , un de
Mathefen , un de Guillaume Schrader , deux
de Stein , & trois bataillons de Grenadiers ;
en tout 21 bataillons compofés de
23,220 hommes. Du nombre des Corps
de Cavalerie font huit efcadrons des Huffards
de Wurmfer , autant d'Efterhazy, fix
efcadrons de Chevaux- légers d'Empereur:
& autant de Kinsky.

Jufqu'ici , ces grandes mefures , combinées
avec celles que prennent en ce moment
les autres Etats de l'Empire , font
purement défenfives ; l'on fe propofe feulement
de mettre à l'abri de toute infulte
les frontières d'Allemagne , & les poffeffions
Autrichiennes dans la Suabe & les
Pays-Bas.
Une partie de la garniſon de cette capitale
attend journellement l'ordre de marcher
; les fonds néceffaires font allignés.
On compte que depuis le dernier armiftice
arrêté entre les Ruffes & les Turcs
jufqu'à la conclufion de la paix , les maladies
ont enlevé environ 110,000 hommes
des armées refpectives. Les Ruffes en ont
perdu plus de 40,000 .
( 227 )
L'Empereur Jofeph II, dans la vue d'améliorer
l'état des manufactures de foie ,
prohiba , en 1782 , l'introduction des foieries
étrangères. Aujourd'hui , on a changé
de fyftême , & peut - être les Manufacturiers
n'y ont pas peu contribué. Quoi qu'il en
foit, ces manufactures tombent de jour en
jour , & la femaine dernière elles ont congédié
environ soo ouvriers qui , avec leurs
familles , fe trouvent fur le pavé , & fans
pain. On ne peut fe perfuader que le Gouvernement
perfifte à facrifier environ
12,000 métiers , un capital de 20 millions
de florins , environ fix millions de bénéfice .
pour la Nation , & des travaux qui faifoient
vivre 20,000 individus , valant à
l'Etat au moins deux millions en impôts
indirects .
De Francfort-fur-le-Mein , le 14 Février.
Nous annonçâmes , la femaine dernière ,
que le Cercle du Haut - Rhin avoit ouvert
fes Séances. On vient de publier l'extrait de
fes regiftres , qui conftate le véritable objet
de fes délibérations : en voici la traduction .
« Les Etats du Cercle du Haut-Rhin ont eu
connoiffance , le 24 Décembre dernier , d'un
refcrit de l'Empereur , adreflé fuivant l'uſage
aux Princes -Directeurs de leur Aſſemblée ,
lecteur de Mayence & l'Electeur Palatin , Sa
Majefté Impériale , en qualité de Chef du Corps
K 6
( 228 ) 1
Germanique, y charge ces Princes de réveiller
l'attention des Etats fur deux points principaux ;
elle defire qu'ils empêchent qu'il ne foit difféminé
des écrits tendant à encourager l'efprit de
révolte , & qu'ils veillent à la confervation du
repos dans les pays de leur domination . Pour
répondre à tout ce que mérite cette follicitude
paternelle de Sa Majefté , les deux Electeurs
ont propofé aux Etats les queftions fuivantes :
1º. S'it ne conviendroit point de comprendre ,
au nombre des Ouvrages défendus ou à dé-.
fendre , certains tableaux , eftampes & pièces
» de Théâtre ? 2º . Si , à l'effet de couper cours
» à tous excès de ce genre , il ne conviendroit
د و
point de défendre toutes Imprimeries quel-
>> conques , qui ne font pas établies dans la réfidence
d'un Prince , dans une ville Impériale ,
» ou près d'une Univerfité ? 3 °. S'il ne feroit
pas à propos , pour le maintien du repos public
, de porter au triple les Contingens du
2 Cercle 4°. Quelles mefures il faudroit
prendre pour introduire plus d'uniformité parmi
30 ces troupes , particul èrement près des régi-
» mens compofés de plufieurs petits Contingens ?
Et s'il ne vaudroit pas mieux que les Etats ,
qui doivent les fournir , convinflent avec un
de leurs Co- Etats , dont le Militaire eft nombreux
, pour qu'à leur place il fourniffe des
troupes d'une tenue plus uniforme , * moyen-
» ` nant un fubfide , fur lequel ils s'accorderoient ?
S'il faut tirer un Cordon , ou fi l'on
fe contentera d'un raffemblement des troupes
du Cercle , & qui en aura le Commandement
? »
Suivant toutes les probabilités , ces pro(
229 )
pofitions pafferont à l'affirmative , & le projet
d'un cordon fera préféré . Déjà les principaux
Souverains du Cercle font leurs difpofitions.
Le cordon que le Landgrave de
Heffe Caffel forme dans le Comté de Hanau
& le Bas-Comté de Cazenelbogen , eft
compofé d'environ huit mille hommes ;
favoir , du régiment le Prince-Frédéric ,
Dragons , & de celui des Huffards du
même nom ; des bataillons de Grenadiers
de Stein , & du Prince Charles , des régimens
de Kofpoth & de Hanflein complets ,
du bataillon d'Infanterie légère de Lentz ,
du régiment des Grenadiers des Gardes , &
de l'Artillerie néceffaire. Deux de ces
Corps tiennent garnifon à Hanau , d'autres
à Rhinfels , & aux environs. On preffe
également les préparatifs dans l'Electorat
de Mayence , dont le contingent eft porté
au complet. L'on répare les fortifications
de toutes les places en état de défenfe ,
& l'on a rappellé les troupes électorales
encore employées à l'exécution de Liége.
-
Quant aux Emigrés François , le rôle
qui leur eft réfervé en cas de guerre , refte
toujours fort incertain . L'Empereur , le
Roi de Pruffe , l'Empire , ne fe départiront
pas du principe de ne point le déclarer
d'abord pour tel ou tel parti , ni
d'éviter de paroître s'armer pour opérer
en France une contre.révolution . En attendant
l'avenir , la pofition des Emigrés a
( 230 )
peu changé de place . 4,000 d'entr'eux réunis
avec M. le Prince de Condé font toujours
à Oberkich & aux environs ; les
autres François expatriés occupent encore
l'Electorat de Trèves , le Rhingau , les
Etats de la Maifon de Naffau - Orange. On
jugera de la manière dont nos contrées ont
envifagé ce qui s'eft fait & dit fur la difperfion
de ces Emigrés , par la lettre fuivante
, imprimée d'abord en françois dans
une Feuille de l'Empire , & traduite dans
la plupart des Gazettes Allemandes .
« Tous les Souverains d'Allemagne doivent
être bien flattés des difpofitions pacifiques de
l'Affemblée des Tuileries , depuis ce qu'elle a appellé
dans fes Journaux la foumiffion de l'Electer
de Trèves. La voilà bien perfuadée qu'elle a
foumis l'Empeteur & l'Empire , leur montrant
la verge de fa toute- puiffance ; il ne lui
manque plus que de faire publier , lorfque fes
Membres fortiront du Cabinet , cette Proclamation
de l'Empereur du Thibet loifqu'il fort de
table : il eft permis à tous les Rois de la terre
de diner. Déjà elle l'a permis tacitement à trois
Electeurs , en rejett. nt la motion du célèbre Fauchet.
Vous favez que ce grand politique , plus
profond encore que l'Abbé Syeyes , qui croit
qu'on prend un Electorat comme un Evêché
Conftitutionnel , vouloit leur couper les vivres
en propofant de féqueftrer leurs Etats . Mais fes
Collègues fe fout fiqués de générosité , après
la défaite des Prirces & des Emigrés fi pompeufement
décrite par M. de Ste. Croix . On n'a
pas été peu furpris à Coblentz d'apprendre que
( 231 )
s'éles
Princes qui n'en font pas fortis étoient fugitifs
que les François qui y font encore ,
toient difperfés , à la hâte , à travers les reiges
& les glaces , dans un pays où il n'y a eu cette
année , ni glaces , ni neiges ; qu'on avoit vendu
des magafias , rompu des marchés , qui n'exiftoient
pas , & qu'on avoit remporté , fans coup
férir , une grande victoire . L'Affemblée étoit bien
fûre de l'effet de fes menaces & de fes ordres
fuprêmes ; car en déclarant la guerre , elle avoit
dédaigné de favoir fi elle pouvoit la faire . Le
Miniltre vient de l'avertir qu'il ne lui manquoit
pour cela que des troupes , de la difcipline &
de l'argent qu'il ne falloit plus que so mille
hommes pour en avoir cent mille ; qu'on ne
pouvoit compter fur les Soldats Nationaux , parce
que l'emportement de leur courage les feroit tous
tuer ; mais que la folde feroit affurée , fi l'on pouvoit
trouver du numéraire ; que pour lui il ne calaulera
pas le nombre , & qu'il ſe battra contre toute
l'Europe. »
La Patente par laquelle le Margrave
d'Anfpach vient de notifier fa réfignation
au Gouvernement des deux Principautés
de Bareith & d'Anfpach , en faveur
du Roi de Pruffe , comme le plus proche
agnat & fucceffeur légitime & éventuel ,
eft datée de Bordeaux le 2 Décembre 1791 .
S. A. S. y déclare qu'elle fait cette dé
marche de fon propre mouvement , après
y avoir réfléchi mürement , & par des
confidérations importantes. La Patente du
Roi de Pruffe publiée en même temps ,
aft datée de Berlin les de ce mois. S. M. ,
( 232 )
après avoir déclaré qu'elle prenoit pof
feffion de ces Principautés , qui lui font
échues par la réfignation qu'en a faite en
fa faveur.comme au plus proche agnat ,
le Margrave règnant , confirme & affure
aux Habitans tous leurs droits & priviléges
légitimement acquis . S.M.remet à une autre
époque la preftation folemnelle & géné
rale des foi & hommage , & n'entend
prendre en ce moment que le ferment des
Employés civils & militaires . Le mode
actuel d'adminiftration fera continué préalablement
, & les affaires feront dirigées
en chef , par le Baron de Hardenberg
Miniftre privé d'Etat .
Deux circonftances rendent cette tranfmillion
très - remarquable. D'abord , les
longues & opiniâtres difficultés que lui oppofa
la Maifon d'Autriche , jufqu'à la paix
de Tefchen , où le droit de la Maifon de
Brandebourg fur la prise de poffeffion
d'Anfpach & Bareith dans tous les temps ,
fut folemnellement reconnu . Enfuite
l'échange qui fut projetté en 1777 &
1778 de ces deux Principautés contre la
Luface. Evidemment , la Cour de Berlin
Leroit très - embarraffée de cette poffeffion
ifolée , fi elle entroit en guerre avec la
Maifon d'Autriche. Quoique cet événe
ment foit aujourd'hui très-éloigné , & que
par conféquent , Anfpach & Bareith ne
puiffent être fitôt menacés , on ne peut
( 233 )
guères douter que cette ceffion inopinée
ne couvre un projet d'échange , plus ou
moins prochain , & qui vraisemblablement
dépendra des conjonctures qu'aménera
l'année courante. Ces deux Principautés
fertiles , & peuplées de 3 50 à 400,000
habitans , rendent environ fept à huit millions
de livres tournois , fur lefquels le
Margrave s'eft réfervé une penfion annuelle.
& viagère de 18 cent mille livres .
3
Nos lettres deBerlin das Février, confirment
Fexiſtence de divers préparatifs militaires.
On a paffé des contrats avec des Marchands
de chevaux , & l'opinion prefque générale
eft qu'on fe difpofe à faire marcher 50,000
hommes tirés principalement de la Weftphalie
, & du Duché de Magdebourg. Le
Département des Affaires étrangères n'a jamais
été plus occupé ; il arrive ou il part
chaque jour des Couriers. Un Négociant
François s'étant hazardé non feulement à
préconifer en public le nouveau fyftême de
fon pays , mais encore à déchirer celui de
la Pruffe , la Police de Berlin l'a mandé, &
fait fortir de la ville fur- le- champ. En rentrant
à fon auberge , il y trouva des chevaux
de pofte qui l'attendoient.
ce L'Académie des Sciences a tenu , le 26 de
ce mois , une Séance publique. M. le Comte
de Hertzberg , Miniftre d'Etat , a proclamé les
nouveaux Membres de l'Académie ; ce font le
Baron de Heiniz , Miniftre d Etat , ayant le
( 234 )
Département des mines & forges ; le Baron de .
Chambrier , Miniftre du Roi à la Cour de
Turin ; le Sicur Cuhn , Confeiller & Hiftoriographe
au Département des Affaires Etrangères ;
& le Sieur Spies , Confeiller de Régence , &
Archivifte à Baireath ; M. de Hertzberg a fait
part enfuite à l'Académie qu'il s'eft formé fous
la conduite de l'Académie plufieurs Sociétés particulières
, qui ont toutes obtenu l'approbation
du Roi ; favoir ; à Neufchâtel , une Société d'émulation
; à Morungen en Pruffe , une Société
économique patriotique ; une pareille Société à
Potfdam , & une autre du même genre à Hamm ,
dans le Comté de la Mark ; enfin , une Société Militaire
à Wefel , fous la direction du Général de
Schliefen.
« L'Académie a nommé un Comité chargé
de perfectionner la langue Allemande d'après
le plan qu'a donné , à ce fujet , le célèbre,
Leibnitz.
FRANCE.
De Paris , le 22 Février.
SECONDE ASSEMBLÉE NATIONALE .
Du famedi , féance dufoir.
Avant l'ouverture de, la féance , la garde de
la falle avoit été forcée , & non content des
tribunes qui lui font abandonnées , le public
s'étoit violemment emparé de la galerie qui cft .
en face du préfident , & pour laquelle les membres
diftribuent des billets aux amateurs.
( 235 )
« Je prie M. le préfident , a dit M. Calon ;
d'engager MM. les Parifiens de ne plus enfreindre
à l'avenir le droit de police réſervé à
l'Affemblée nationale . MM . les Parifiens ne
s'étoient pas encore permis un pareil défordre . »
« Tous ceux qui ont forcé la gaide , a ajouté
M. Rouiller , ont donné un très - mauvais exem
ple. Je fais la motion , afin que telle chofe
n'arrive plus , que la garde foit doublée , &
qu'on préfente des mefures...... » Les galeries
faifant un vacarme horrible de huées où l'on
diftinguoit ces mots plus de billets ... plus de
priviléges , & d'autres mots qu'il feroit indécent
de rapporter ; & l'Affembléc criant , au milieu
du bruit : un comité général.... l'ordre dujour....
non... oui... non... M. Dubayet invoquoit l'ordre
du jour.
Le préfident a dit qu'il avoit dans les mains ,
par les réglemens , des moyens de faire respecter
l'Affemblée , & a recommandé aux membres de
fe tenir dans leur dignité , & de compter fur les
patriotes. Alors la féance a repris fon coas ordinaire
, grace à l'impunité des violences & des
buées.
Une députation. Avignon eft venue juſtifier
la municipalité du crime ariftocratie , dementir
« les calomnies que des impofteurs coupables
& complices de tous les maux que les citoyens
ont foufferts , ont ofé articuler dans la tribune
de l'Affemblée nationale . » M. Bréard à achevé
de lire fon rapport. La difcuffion en a été
ajournée à une féance du matin.
Du dimanche , 12 février,
Douze citoyens , armés de piques , font venus
les vouer au fervice de l'Aſſemblés. Leur ora123611
teur a dit : Le tocfin miniftériel fonnera bientêt
le carnage ..... Nous vous offrons nos armes ,
nous voulons vous garder ..... Faites fortir le
glaive de la refponfabilité fur le premier fonctionnaire
public...... Surveillez les Tuilerie
Déjà pour elles , le 4 août eft difparu , &
le 17 juillet eft prêt à reparoître . Nous fommes
prêts à purger la terre des amis du Roi . »
Le préfident a répondu à ces patriotes , que
l'Affemblée agréoit leurs armes , perfuadée qu'ils
me s'en ferviroient que conformément à la loi ;
qu'ils prouvoient bien qu'on ne réuffiroit ni à
les égarer , ni à les furprendre ; qu'eux & l'Affemblée
ont les mêmes ennemis , & périront
enfemble.
Effrayé de piques confiées aveuglément aux
premiers venus , M. d'Averhoult a demandé que
l'offre en fût renvoyée aux comités de légiſlation
& militaire , qui fe concerteroient avec le
département & la municipalité pour régler l'emploi
de ces armes . M. Bazire a repouffé tout
réglement injurieux au civifme , a exigé la mention
honorable , & l'a obtenue, Les piquiers ont
reçu les honneurs de la féance , & l'on eft paſſé
à l'ordre du jour.
M. de Prez de Craffier , ex - conftituant du côté
gauche , eft venu fe plaindre du Roi qui le prive
de fervir en lui donnant une retraite & le grade
de maréchal-de-camp.
Un fufil à fept canons , des dénonciations de
liquidations faites fur de prétendus faux expofés ,
& des pétitions à la douzaine , bien déclamatoires ,
bien adulatrices , ont rempli le refte du temps ,
puifque c'eft le remplir .
Du lanai , 13 fevrier. ".
Non content d'avoir repréſenté , comme on
( 237 )
1.
fait , 25 millions de François , qui ne le connoiffoient
pas , M. Dupont de Bigorre , ex- conftituant
, s'eft mis à repréſenter , fans élection
les Efpagnols , qu'il ne connoît guère. Le voilà
qui , dictant fes loix à l'opinion publique des
galeries , écrit à l'Affemblée qu'on fe plaît à
répandre d'injuftes foupçons fur la nation Efpagnole
, que les Navarrois & les Arragonnois
font loin d'époufer la malveillance de leur fou
verain ; que plufieurs ont promis ( au fieur Dupont
) e de n'en partager ni les intrigues , ni
les haines ... Nous leur avons donné , pour réponſe
, les droits de l'homme & notre conftitution
. Ils fe font retirés en en béniſſant les
auteurs. Les prêtres emploient leurs foibles talens
à exciter la commifération fur l'état de la
religion en France ; mais ils n'abuſent plus que
les bonnes femmes & les ignorans qui , nulle
part , pas même en Espagne , ne forment plus
la majorité de la nation , » Il prie le préfident
de communiquer d'auffi raflurantes vérités à
l'Aſſemblée nationale , « trop fouvent détournée
de fes travaux par des terreurs paniques . » Sans
doute , la mention qu'on a décrétée ne fera pas
moins honorable à l'Eſpagne , qu'à M. Dupont
de Bigorre , aujourd'hui juge de paix à la
frontière .
Des citoyennes follicitent des loix qui ref-'
treignent le defpotifme des maris & des pères ;
cette pétition morale eft renvoyée au comité de
légiflation.
M. la Bergerie a raconté l'infurrection de cinq
à fix mille payfans , arinés de fufils & de piques ,
qui , accourus au bruit du tocfin , s'oppofent au
départ des grains à Ourcan & à Choily - au-
Bac , dans le district de Noyon. Ils fe bornent
( 238 )
à exiger le débarquement & des procès- verbaux ,
& les adminiftrateurs attendent les ordres de
l'Affemblée. Le comité d'agriculture & de commerce
demande l'expédition d'un exemplaire de
la loi du 27 janvier 1791 ; une inftruction fur
la libre circulation des grains ; une lettre du
préfident pour inviter les citoyens à refpecter les
loix , &c. Une difcuffion fuperficielle , qui n'a effleuré
ni le mal , ni fes cauſes , a fini par la
préalable fur l'inſtruction , & l'abandon du tout
au pouvoir exécutif, qu'efface entièrement l'inconftitutionnelle
& quotidienne admiſſion de pareilles
affaires dans l'Affemblée , qui devroit bien
ne s'occuper que de loix. Mais pour furcroît
de moyens , on a déciété que le miniftre de l'intérieur
rendroit compte , de huitaine en huitaine ,
de l'état des fubfiftances dans le royaume ; mefure
de parlage , contraire à l'axiôme de l'expérience
, que plus on differte de bleds , plus il
naît de troubles.
Parmi des notes de fanctions ou de décrets .
dont le Roi a ordonné l'exécution , on`a diftingué
celui qui délivre des galères les foldats de
Châteauvieux ; celui qui met les biens des émigrés
fous la main de la nation , & l'acte d'accufation
des princes François & confo : ts . Le
morne filence des honnêtes gens 'a fingulièrement
tranché avec les applaudiffemens des autres.
Un municipe de Lyon eft venu le plaindre ,:
à la barre , des obftacles que le directoire du
département de Rhône & Loire oppofe , fars
ceffe , au civilme de la municipalité , qui cite ,
épie , perfécute , dénonce , calomnie , enlève ,
incarcère dévotes , prêtres , nobles , ariftocrates ,
qui ferme des églifes , brife des armoiries , &c. ,
asfli bien que pourroient le faire MM. Fauchet,
( 239 )
1
Barire , Grangeneuve , Chabot , &c. , expéditions
patriotiques pour lefquelles le directoire traite
ces braves municipaux de Goths & de Vandales
, d'intolérans , de tyrans . L'orateur a reçu
les complimens du préfident , & les honneurs
de la féance , & l'on a renvoyé la pétition an
comité . On vouloit que le miniftre rendît compte.
L'ennui & le défaut d'idées ont mis un terme à ce
verbiage.
M. Tardiveau a repris fon projet de décret
relatif au ferment de la nouvelle garde du Roi.
Etre fidèles à la nation , à la loi & au Roi ,
ne fuffifoit pas à l'intariffable M. Vergniaud,
qui a verbeulement foutenu qu'il falloit que cette
garde jurât de ne porter aucune atteinte aux
Toix exiftantes & à la fûreté individuelle des citoyens
, pléonafines , batologies diavocat à tant
la page de groffe . Il ne fera pas indifférent
d'obferver que tandis qu'on s'obſtinoit à faire
de ce ferment d'une garde royale , prêté enge
les mains de municipaux , une vraie table des
matières de l'acte conftitutionnel , quelqu'un demandoit
que l'on en fupprimât l'effentiel , les
mots : Je jure de veiller avec fidélité à la fûreté
de la perfonne du Roi . M. Romme repousoit
tout autre fermert que le ferment civique , prêté
par chaque individu , parce que « l'on ne peut
pas donner une existence collective à ceux qui
ne doivent pas en avoir » ; comme fi toutes ces
diftinctions fophiftiques empêchoient que la garde.
conftitutionnelle du Roi n'ait une exiftence collective.
M. Lagrevol a défendu à la garde du
Roi de fuivre le Monarque au - dela des 20
lieues , qui forment l'enceinte des arrêts de Sa
Majefté autour du corps législatif... Enfin , des
Laifognemens vides , des faillies déplacées , & des
(240 )
amendemens de MM. Bazire , &c. , il eft réfukté
les VII articles fuivans :
« L'Affemblée nationale , après avoir décrété
l'urgence , décrète :
Art. I. Lorfque le corps législatif fera affemblé
, la garde foldée du Roi ne pourra le ſuivre,
s'il établit fa réfidence à plus de 20 lieues de
diſtance de la ville où l'Affemblée nationale tiendra
Les féances ; dans aucun cas , elle ne pourra lefuivre
hors du royaume.
و
ל כ
*
II. Tous ceux qui compoferont la garde
foldée du Roi , prêteront ferment d'être fidèles à
la nation à la loi & au Roi ; de maintenir
de tout leur pouvoir la conftitution du royaume ,
décrétée par l'Affemblée nationale conftituante aux
années 1789 1790 & 1791 ; de veiller avec
fidélité à la sûreté de la perfonne du Roi , & de
n'obéir à aucunes réquifitions ni ordres étrangers
au fervice de fa garde. »
III. Ce ferment fera public , & prêté en
préfence des officiers municipaux de la ville où
réfide le Roi. :30
« IV. La formule du ferment fera lue à haute
voix , par l'officier commandant , qui jurera le
• premier ,
& recevra le ferment individuel de
chaque officier enfuite chacun des gardes le
prêtera en levant la main , & en prononçant :
Je le jure. "
сс V.Ce ferment fera renouvellé chaque année ,
le même jour que celui où il aura été prêté pour
la première fois. Cette année feulement , les
d'vifions pourront prêter féparément forment ,
à mefure de leur formation . »
« VI. La garde foldée du Roi ne pourra être
admife à prêter le ferment,relatif à fes fonctions ,
• que
( 241 )

que lorfque les membres qui la composent auront
juftifié à la municipalité du lieu où réfide le Roi ,
de la preftation antérieure de leur ferment civique
, aux termes de l'art . XII du tit. IV de
l'acte conftitutionnel . »
CC
VII. Le préfent décret fera porté dans le
jour à la fanction . "
Une lettre de M. Amelot a porté la fabrication
de petite monnoie , de fous de cloche , de
cuivre , argent , &c . à 10,814,000 liv . M. Cambon
a dit que le fervice de la tréſorerie nationale
avoit exigé l'achat de 20 millions de numéraire ,
du premier de novembre au premier février
( ce qui aura coûté plus de 20 millions ) , pour les
troupes , la marine & d'autres objets . Le refte
fe reproduira dans les féances ſubféquentes.
?
Du mardi , 14 Février.
Deux citoyens repréfentent que leurs affignats
ont été dévorés par des cochons ; ces cochons
font beaucoup rire les légiflateurs philofophes , &
après des débats de purs lofis , le cas eft renvoyé
au pouvoir exécutif.
L'attroupement du diftrict de Noyon eft
monté à 30,000 hommes ; M. Coupé , en louant
leur patriotifme ; a obfervé qu'il fe faifoit de
fortes exportations de bled ; que les patriotes
craignoient le retour de la famine de 1789.
« Autrefois , a- t-il dit moins heureufement ,
» autrefois un règlement aſſujettiſfoit les maiſons
religieufes à conferver , en réferve , une année de
» leur récolte . C'étoientdes magasins de fubfiftance
» que le gouvernement ménageoit au peuple pour
les temps de difette . Ces moyens n'exiſtent
plus ... Ce n'eft pas que je les regrette . Les
" riches propriétaires font ou ruinés ou émigrés ,
No. 8. 25 Février 1792 . L
: 33
2
( 242 )
les cultivateurs effrayés s'empreffent de ven-
» dre... » Il a protcité que les bon es gens
attroupées étoient bien éloignées de vouloir le defordres
qu'il ne s'agilloit que de les perfuader,
de les tranquillifer , de les renvoyer contens ch z
eux. On a vivement applaudi des moyens autli
efficaces , & fur la motion laudative de M. Bréard ,
les voies de conciliation & les lumières de M.
Coupé feront renvoyées au comité de furveillance ,
quoiqu'il ne foit pas queftion de crime , & au
comité d'agriculture a caufe des mots : grains &
bleds .
On a follicité une nouvelle audience pour les
ci-devant gardes- françoiles . M. Delmas la vouloit
à l'inftant , d'autres la différoient à dimanche .
M. Chabot a pris la parole , des murmures la lui
ont coupée . Il a été décrété que les pétitionnaires
feroient entendus dans la féance du foir.
M. Guyton de Morveau a réfuté la motion
d'une loi contre la vente des cfpèces , dont lejournement
feul les auroit renchéries ; & le même
membre a fait un rapport fur le bureau de liquidation
& de confervation des impofitions à la
trésorerie nationale . L'Affemblée a décrété VI
articles , dont voici la fubftance : les oppofitions
fur les fommes dues aux abfens & far les parties
faififfables des penfions fe feront entre les
mains des commiffaires de la trésorerie nationale ,
qui en tiendront regiftre . Ils liquideront , fur le
vu des pièces , les offices fupprimés avant le
premier mai 1789. Si l'office eft rembourfable
een quittances de finance , elles feront expédiées &
le payeur des rentes acquittera l'intérêt. La caille
y de l'extraordinaire rembourfera les offices payables
comptant. Les créanciers autorisés à pourfuivre
leur paiement fur les fommes dues par
1 243
l'Etat aux abfers , po mont fair entre les mains
des commiffaires de la tifoserie nationale , ce que
eft à payer à leurs debiteurs par le tréfor public
en fe coi formant au décret du 29 juillet dernier .
O pourra faifir de même toutes fommes payables
au trélor public , à l'exception de celles dues pour
fournitures ou travaux de charité .
Du mardi , féance du foir.
L'Aſſemblée est l'unique centre d'action , dans
l'indéfiniflable administration qui fe mêle au cahos
de l'anarchie fyft matique .. Arrive de Stenay un
courrier qui traverte la falle , & qui remet au préfident
des paquets dont un fecrétaire fait lecture.
C'eft M. deBelport qui , chargé de commiffion
preflantes de M. Deleffart pour l'Allemagne , à
été arrêté & incarcéré par ordre de la municipa
lité de Stenay , quoiqu'il eut un paffe - port , &
malgré les réclamations . Une lettre inclufe eft
adreflée & envoyée , non fans débats , au miniftre
des affaires étrangères.
L'Affemblée a décrété fucceffivement les neuf
derniers articles du projet de M. Guyton de Morfur
les oppofitions & faifies au tréfor
vedu ,
public.
Du mercredi , 15 février.
U e lettre , & des procès-verbaux du direc
toire du diftri de Compiègne , ont exposé les
troubles de Noyon & des environs . Plufieurs
bateaux de grains font retenus à Authicy , à
Choify. Les têtes paroiffent être exceflivement
exaltées . M. Gouy d'Arcy allait vers Noyon ,
des voituriers lui ont dit qu'il n'iroit pas plus
loin , que toutes les routes étoient gardées , qu'on
arrêtoit tous ceux qui fe rendoient à Noyon
L 2
( 244 )

ville aristocrate. Hommes , femmes , enfans ,
armés de fufils , de hallebardes , de fourches ,
de croiffans fe portoient , en foule , de ces
côtés ; plus de 150 paroiffes fonnoient le to.fin .
Le théâtre de l'infurrection a déjà douze lieues
d'étendue en tout fens . A peine les troupes ftationnées
dans les villes peuvent- elles fuffire à la
sûreté locale , & la jonction des divers corps eft
impoffible... On a renvoyé ces pièces aux comités
de furveillance , d'agriculture & de commerce.
M. Gaudin a lu le procès- verbal de l'arreftation
de M. de Belport , habitant de Servify
Fauxbourg de Scenay , & de M. Lamblay , qui
devenus , on ne dit pas pourquoi , fufpects aux
volontaires faifant la garde au village de Neuville ,
y furent arrêtés le 6 février , à dix heures du
foir , conduits à Stenay à 2 heures du lendemain
matia , & interrogés par les municipaux à qui
ils montrèrent des pafle- ports fignés LOUIS , &
Flus bas , DELESSART . Ils fe font dits chargés
d'ordres très - preffés du miniftre des affaires
étrangères pour l'Allemagne. Leur tort évident
étoit d'avoir dans leurs poches un mémoire de
dépenfes qui attefte diverfes courfes , à Orval
& ailleurs , toujours pour le miniftre , & des
lettres adreffées à M. le marquis de Belport , à
* Neuwied , &c.
L'impitoyable lecteur & l'auditoire n'ont pas
fait grace à ces voyageurs , fi légalement arrêtés
& emprisonnés , d'un feul des articles de dîners
& de couchées qu'indiquoit ce long mémoire de
dépenses . On ne fauroit trop s'inftruire lorsqu'il
s'agit d'intercepter & de divulguer les négocia
tions de fes propres miniftres . Enfin les couriers
de M. Deleffart , au lieu de remplir fes com(
245 )
miffions , fe repofent dans les cachots de la liberté,
graces à la profonde politique des municipaux de
Neuville & de Stenay, heureufement réunis . Cette
nouvelle façon de traiter les affaires étrangères
a ouvert un champ vaſte aux raisonnemens les
plus finguliers .
cc
600 Le
Pourquoi le miniftre a-t-il une correfpondance
fecrette , pendant 2 ou 3 mois , fans en
rendre compte , demande M. Gaudin ?
comité diplomatique , dit un autre membre , doit
interroger le miniftre en fecret , & en rendre
compte à l'Affemblée ( & aux galeries , en confidence
) . -- Déformais , la conduite de la France
doit être franche , loyale , découverte , s'écrie
M. Boiftard. Le miniftre ne fût-il coupable que
de ce mystère , le crime feroit fuffifant . Avonsnous
le plus petit fecret à garder vis- à-vis de
nos ennemis ? Notre volonté n'eft - elle pas de
vaincre ou de périr ? Que le miniftre foit mandé...
-- A la barre , ajoute M. Merlin , & que les
particuliers arrêtés à Stenay foient auffi conduits
à la barre , & interrogés au nom du peuple
François. H n'y a point de fecret dont l'Affemblée
ne doive être informée . Il n'y a pas un
François qui ne paye le droit de favoir s'il doit
dormir en paix ( comme fi perfonne ne dormoit
dans le royaume avant que M. Merlin &_ (es
amis ne fuffent initiés à cette diplomatie ) ! ...
Ол a décrété que le miniftre feroit mandé à
l'inftant .
,
En attendant fon arrivée , M. Cambon a pro-,
pofé & fait adopter l'article périodique dont
Tobjet eft de combler , tous les mois le déficit
avoué entre la recette & la dépenfe . Il a prétendu
que les impôts avoient produit , dans le
mois de janvier , 4 millions de plus qu'en dé-
1L 3
( 246 )
eembre. La caiffe de l'extraordinaire verfera à
la méforerie nationale , 22 millions 152,968 1. ,
pour la différence entre la recette de janvier &
Ja dépenfe ordinaire fixée par le décret du 17 fetrier
1791 ; elle y verfera de plus 5,570,932 l. ,
& 14.481,711 liv. montaut des dépenfes particulières
de décembre & de janvier ; total du
déficit réel 42 millions 205,611 liv . , quelques
feas que l'on donne aux mois recettes & depenfes
particulières ou ordinaires.
Alors M. Maraire a débité tous les alages &
les lieux communs du philofophifme, pour établir
que les prêtres ne doivent plus être chargés de
Conftater les naiffances , les mariages réduits au
contrat civil , & les dècès ; & pour prouver qu'il
fera plus fage d'en cha ger des municipalités
déjà fi déméturément puiflantes dans ' e ſyſtème
d'anarchie . Le projet de loi fera lu vendredi .
M. Muraire a été couronné des applaud femens
des galeries & de l'Affemblée .
Le miniftre de l'intérieur a répondu au décret
qui le fomme de rendre compte des ord es donnés
à M. Gouy d'Arcy , que cela regarde exclufivement
le miniftre de la guerre. M. de Narbonne a
communiqué les ordres du Roir mis à M. Gony
d'Arcy; ils exigent douceur & fermeté , tout
devant fléchir devant la loi . M. Bagire a foulé
Fes hauts cris ; des murmures l'ayant interrompu ,
a dit que le fang n'avoit coulé à Nancy que
parce qu'on avoit refulé d'écouter M. Barnave ;
qe les raffemt emens ne datoient que de l'époque
cu M. Gouy d'Arcy étoit arrivé dans le diftrict de
Noyon : « Ce font des frères & des amis qu'il
fut envoyer à ces citoyens , & non pas un
homme décrié dans l'opinion publique . Au rom
de M. Gouy , j'ai frémi moi - mème 21 cu voir
( 247 )
3

couler le fang... Je ne fais pourquoi encore il
empioic des troupes de ligne , au lieu de volonta
: es nationaux ..
כ כ
On a propofé des commiffaires . MM . de Girardin
& Ramond ont combattu ce moyen par le
danger d'abforber tous les pouvoirs , de decrier
les adininiftrateurs , d'anéantir le pouvoir exécatif...
Les galeries ont couvert ces derniers mots
de hates. MM, Lafource , Creftin & Guadet s'armoient
de la conftitution pour la violer , tant le
texte en eft précis & commode . Après un long
tuniulte , on a rendu le décret fuivant :
сс
« L'Af : mblée nationale , pour appaifer les
troubles qui le font manifeftés dans le département
de l'Oife , diftrist de Neyon , envcie dans
ce département des commiffaites pris dans fon
fein , chargés de porter aux citoyens des paroles
de paix , & de les ramener à l'ordre par la perfuation
, en les inftruifant fur leur devoir & leur
véritable intérêt ; l'Affemb'ée nomme MM. Vienot
(de Vaublanc) , Gilbert - Romme , Labergerie &
Dupont. » La féance a été levée .
Le miniftre des affaires étrangères arrivé , a été
interrogé au brut des applaudiffemens des galeries ,
elt défolé d'un éclat & d'une violation de la
bté qui empêchent ou retardent une négociato
importarte , concertée avec le comité diplo
mat.que.
M. Koc l'attefte , M. Briffot la nie ou la
bâme ; l'un eft ainfi que l'autre membre du conité.
Le prefident va toujours queftionnant , les
galeries applaudiffent , le miniftre s'étonne , adme
, balbutie ; les cris : au comité , étorffent
le teret fur fes lèvres , & le renvoi cft décrété
fuf a rendre compte , fi l'on en croit M. Briffor.
Ce genre de politique eft abfolument neuf.
L
4
( 248 )
Du mercredi , féance dufoir
Quelques députés effrayés d'entendie battre
la générale , à l'occafion d'attroupemens & de
voies de fait qui avoient lieu au faubourg St.
Marceau , s'étoient réznis aux membres des comités
; & , vers les 8 heures , fe trouvant dans
la falle en nombre compétent pour régner , environ
200 , ont ouvert une féance extraordinaire,
préfidés par M. de Condorcet. L'Aſſemblée a
décrété que le miniftre de l'intérieur , le déparrement
& la municipalité lui rendroient compte
des caufes du trouble & des mesures qu'on auroit
prifcs pour le diffiper .
M. Cahier de Gerville s'eft empreffé de venir
dire qu'il n'avoit encore rien appris ; & M. Lecointre
a commencé un rapport que l'arrivée du
directoire a intercompu.
Piéfident de direoire , M. de la Rochefoucault
a raconté les faits du jour & de la vente .
Un particulier avoit beaucoup de fucre d:ftiné
a l'approvifionnement de Lyon & de Dijon .
Mais fous l'heureux empire de la liberté , on
n'approvifionne pas qui l'on veut . De peur d'être
ruiné en chemin , il a vendu à divers marchands
de Paris , & la protection municipale avoit favoilé
le tranfport de huit charretées ; la neuvième
s'étant arrêtée , la foule s'eft accrue , a
brifé la voiture , & a vendu quatre tonnes de
fucre à 20 fous la livre. Le maire arrive , l'attroupement
fatisfait fe diffipe , & la nuit eft
tranquille. Aujourd'hui , le peuple s'eft porté au
magafin , a barricadé les rues ; deux municipaux
& le commiffaire de la fection des Gobelins s'y
font rendus . Des citoyennes fonnoient le tocfin ,
des citoy cus jettoient des pierres fur les magif(
249 )
erats & fur la garde. Ce commiffaire , M. Jusier,
& deux cavaliers ont été bleffés , M. Junier s'eft
fait panfer fans quitter fon pofte. Le maire eft
venu efcorté de 1200 hommes & de deux canons
, tout eft rentré dans l'ordre . Il y avoit
une légion dans la place Vendôme pour la sûreté
de l'Allemblée nationale .
Admis à la barre , les officiers municipaux
ont répété le même récit ; & l'action vraiment
noble & civique de M. Junier , a été fort applaudie
, & iera configuée honorablement au
procès -verbal .
ret ,
Dujeudi , 16 février.
Digne organe du comité de furveillance , M.
Lecointre , de Verfailles , a fait un rapport
contre les régimens de cavalerie ci - devant Navarre
& Dauphin , dont une quarantaine de pa
triotes de Gray , dans le département de la
Haute-Saône , accufent plufieurs officiers , fousofficiers
, foldats & cadets , d'avoir tenu des
propos inciviques . Echo des témoins de caba-
M. Lecointre a rapporté les injures grena
dières que ces militaires ont , a- t- il dit , prodi
guées à la nation , à la loi , à l'Aflemblée nationale
, en y joignant les cris de vive d'Artois !
vive Condé ! vive Bouillé. Il s'eft perfuadé qu'on
croiroit que ces guerriers ont publiquement
annoncé qu'ils voudroient que leurs chevaux
fuffent dans le fang des patriotes jufqu'au verure,
& qu'à la frontière ils mettront les gardes
nationaux entre deux feux . Doué d'autant de
logique que de délicateffe , M. Lecointre a
nommé ces excès , affirmés fans jugement contradictoire
, de l'ariftocratie . Mais il eft convenus
politiquement du civifme « de la prefque uni-
La
Si
( 250 )
verfalité des troupes de hgne » qui lui autont
beaucoup d'obligation de les éloges. D'ailleurs ,
a-t- il pourfuivi , quand nous ferions forcés
dadopter la motion de Mirabeau pour le licenciement
de toute l'armée de ligne ( à la verite
de la guerre ! ) , les feuls volontaires fortifies de
l'incorporation de tous les patriotes de cette
armée , fuffiroient pour faire trembler tous les
defpotes fur leurs trônes au milieu de leurs
efclaves. 30
·Cependant fa clémence a cru ne point infi
ger de peine aux deux régimers condamnés ter
parole , en propofant fimplement de décréer .
que le Roi , comme ch f fuprême de l'armée ,
fera chargé de les rapper au centre du ryume
, de les placer au moins à so henes lua de
l'autre , de ne les employer à la défenfe dis
frontières que d'après un nouveau décret , &
d'approuver les délateurs , dénonciateurs , accafatcurs
, &c. On a ordonné l'impreffio. &
Fjournement de ce projet de loi.
Excepté le temps abforbé par un rapport &
des débats , dont nous plerons ailleurs far les
faux affignats ; rapport où M. Pro..veur a jiftifié
les vifites domiciliaires en difant : « toutes
les maifons du 10/aume ne fort aujourd'hui
que l'habitation de la même famille » ; M. de
Condorcet & M. de Narbonne fe fout partagés
le refte de la féance.
Le premier a quitté la plus augufte place de
l'univers , pour aller à la tribune lire une admife
de la façon , très- intéreffante , a t - it dit , « ag
moment où de grands évènemens peuvent changer
l'ordre des travaux que l'organisation du Gouver
nement preferit à l'Aſſemblée » ; adreffe aux Frane
çois où il prouve , avec fon éloquence algebrie
( 251 )
que ,à la philofophie populaire, que la légiflature a
merveilleufement bien employé les quatre mois &
demi de féances , & qu'icceffammeit elle opérera
de plus grands prodiges encore , toujours pour
affurer le même degie de bonheur à la nation ..
L'Affemblée « n'a pas befoin d'apologie & ne doit
rien à fes calomniateurs ; mais elle doit tout aux
citoyens égarés & timides . » On a beaucoup appiaudi
, fuivant Pufage , mais on a fuggéré à
Pauteur de nouvelles idées contre les prêtres , &c.
L'adrifle retouchée fera envoyée aux 83 départemens
avec ordre de l'imprimer pour toutes leurs
municipalités , quoique M. Calvet ait obfervé que
fon département tès -furchargé préféreron des
foulagemens à des ph.afes , & qu'avant de l'aflujt
aux frais de l'impreffion , il feroit bon de lui
donner les moyen d'y pourvoir. E fin la fublime
adreffe doit être lue par les municipaux dans les
places publiques , traduite en Allemand , en langue
Bafque , & c.
1médiatement après la preuve indubitable que
la légiature a tout fait povi le mieux , le miniftre
de la guerre a reproduit une longue ét umération
des objets urgens fur lefquels l'Allembléc cft ea
vain follicitée depuis le 30 cetobe jufqu'au 10
ou 12 février , date par date , de déhbérer , de'
prononcer , fi elle veut la guerre ou même quel
que moyen de défendre le peuple qu'clic y expofe
en la provoquant. Le niftre a répété qu'il y
alloit de tout & de fa vie. On l'a recommandé à la
commiffion centrale arbitre de l'ordie du jour .'
M. Bagire s'eft Alatté de confondre le miniftre
fi empreflé , en lui reprochant que le décret fur
le recrutement de l'armée n'étoit pas encore fanc
donné. M. de Narbonne lui a répondu que ce dé-
L 6
( 252 )
cret avoit été fanctionné le 3 ; mais rien ne confond
M. Bazire..
Du vendredi , 17 février.
M. Koch a expofé que le comité diplomatique
, & plufieurs membres du comité de furveillance
, avoient interrogé le miniftre des affaires
étrangères , fur la miffion des deux frères MM. de
Belport & de M. Lamblay arrêtés à Stenay & à
Neuville ; que , pour procéder en connoiffance de
caufe , on avoit invité le miniftre à communiquer
les dépêches des détenus ; que M. Deleffart
ayant fatisfait à cette demande , le comité convaincy
que ces voyageurs étoient réellement chargés
d'une miffion pour l'Etat , que les foupçons
de leurs détenteurs manquoient d'autant plus de
fondement que les paffe - ports fignés du Roi ,
contre fignés du miniftre des affaires étrangères ,
auroient dû empêcher toute arreftation arbitraire ,
légale , propofoit de décréter , d'urgence , que
les fieurs de Belport & Lamblay feroient élargis
fur-le-champ & qu'on lèveroit les fcellés appoles
fur leurs effets ( fans improuver l'exécution municipale
) .
Comme nous imaginons que peu de nos lecteurs
ont la patience & le loifir de l'Affemblée nationale ,
nous nous garderons bien de retracer ici le faftidieux
détail des oppofitions qui ont culbuté ce
projet de décret. I fuffira des principaux traits ,
pour ne laiffer aucun regret même aux plus.
Curieux amateurs .
M. Rouillier a rappellé que M. Briffot avoi
objecté au miniftre que M. de Belport étoit unfrane.
ariftocrate ; que M. Deleffart avoit répondu : « Si
cavoyois un patriote aux émigrans , il feroit
( 257 )
mal reçu . Au milieu de cris tumultueux : Le
miniftre a-t-il effectivement communiqué les dépêches
? -- Il l'a fait? L'a-t- il fait ? Oui.
. Non . Bah ! - Fermez la difcuffion . -- La --
--
--
Nous ne
queftion préalable. On nous trompe.
favons rien. -- Aux voix... Aux voix...M. Saladin
a foutenu qu'une nation libre , éclairée , & qui a
renoncé aux conquêtes , ne devoit plus avoir de
fecrets . On eût dit que MM. de Belport & Lamblay
pouvoient avoir été chargés , frauduleufement
, par le miniftre d'aller à franc étrier
conquérir l'Allemagne , fans l'aveu , fans l'ordre,
& contre le ferment de l'Affemblée . Le comité
doit rendre compte de tout , répétoit M. Sala
din ; & des ah ! ah ! des oh ! oh ! .... Taifezvous
, cela n'a le fens commun......
pas
Rien
n'arrêtoit le vol civique d'un fi beau génie......
« C'eſt déshonorer le fénat de la France , a - t- il
repris , que de fe permettre de pareils tumultes....
La nation toute entière doit favoir quelle eft la.
miffion de MM . de Belport, Sera- ce quand nous
aurons été tous égorgés par les agens des fleurs
de Belport ( les agens de couriers ! ) ; que la tête,
du fieur Deleffart nous répondra de fa trahiſon ?:
Que les détenus fe pourvoient devant les tribunaux
. »
·
1
Ici à recommencé le charivari . « Pour l'honneur
de l'Affemblée , parlons librement contre,
les miniftres , diloit . M. Bagire , qui , après
avoir fait rendre des décrets d'urgence & des,
décrets d'accufation à la minute , fe plaignoit
aujourd'hui de la légereté , avec laquelle on pro
poloit un décret d'urgence pour réparer un acte,
jufte , fans ordonner l'impreffion du projet..
M. Mouyffet a combattu la rufe du renvoi aux
254 )

tribunaux contre MM. Saladin , Thuriot ,
croix , Lagrevol , &c.

La-
Mercredi , M. Delcher avoit dénoncé le Roi
comme premier agioteur ; jeudi , M. Bazire
avoit accufé le pouvoir exécutif de concourir
aux fabrications de faux affignats ; aujourd'hui
M. Bazire établir que le Roi n'a pas le droit de
delivrer des paffe - ports , quoique la conftitution
porte Le Roi ful peut entretenir des relations
politiques au-dehors , conduire les négociations .
Tit . III , ch . IV , fect . III , art . I. Aucune de
ces allégations n'eft défapprouvée , & l'on redir
toujours la conftitution ou la mort:
L'Aflemblée a fermé la difcuffion qui s'eft
r'ouverte à l'inftant , & on a décrété l'urgence
avant de favoir ce que l'on décréteroit . M.
Delmas a réclamé l'ordre du jour.
M.Quatremère a repréfenté que ce feroit une déci
fon indigne de la loyauté lég flative ; qu'en affaires
où peut & doit agir librement le pouvoir exécutif,
décréter ou des lettres du président , comme pour
Fargent retenu à Chagny , ou des commiffaires ,
comine pour Noyon , on patter à l'ordre du jour
fur des violations de la liberté & du droit royal de
négocier pour l'Etat , c'eft ne rien décider , c'eft
paralyfer ou confondre tous les pouvoirs , confacrer
le mal , fe mettre dans une pofition inconftitutionnelle
. Mais M. Grangeneuve a prétendu que
Aflemblée devoit patter à l'ordre du jour fans le
motiver précisément , parce qu'elle ignoroit tout
à l'égard de MM. de Belport & Lamblay ; d'ailleurs
, a -t- il ajouté , « M. Deleffart a dit au comité
diplomatique , en ma préfence , qui ne faifoit
aucun fonds fur la probité du fieur de Belport. »
Feiguant en conféquence d'ignorer tout , & j'ar
( 255 )
1
1
reftation illégale , & l'existence des paffe - ports
conftatée par les procès- verbaux , & la réalité de
Ja miflion , & les droits du Roi & l'artile cité
de late conftitutionnel , & fes propres fermens
de le maintenir , l'Affemblée eft pace à l'ordre
du jour & a déciété le rapport de fon décret d'urs
gence ; aécifion allurément auffi extraordinaire
que tous ces débats .
Des lettres de bons amis , de bons patriotes ont
annoncé qu'il le prépare , en S.voie , des canons
des faux à deux tranchans , des tentes ,
des ma
gafins de bleds ; qu'on y recrute, pour l'armée
noire , &c. M, Dumolard a lu des lettres du Dau
phiné , qui révèlent qu'il y a 8,914 hommes de
tracp s en Savoie , que des muiets y tranfportent
des farines , qu'on y fait des cartouches , qu : les
politiques de Turin attendent 16,000 Autrichiens .
Alers , fuppofant le Roi de Sardaigne dans la fal'e
du masége , fans doute à la barre , M. Dumelard
a pris de fon mieux le ten de la majefté d'un avocat
qui apoftrophe un fimple monarque , & lui
a dit : « Il fereit plus facile aux tyrans d'arracher
kes A'pes de leur bafe éternelle , que de détruire
dans le coeur des François le faint amour de la
liberté. »
En vain l'ordre du jour étoit-il réclamé par
le comité militaire , par les malheurs des colonies
, &c. uprès de véritables querelles pour
décider à qui refteroit la parole , deux ou trois
décrets ont fucceffivement autorisé M. Fauchet à
déclamer pendant plus d'une heure contre M.Dele
fart , à répéter toutes les dénonciations , à l'acculer
de mentonge , de la cherté des bleds , de protéger
les réfractaires , des troubles du Calvados ,
des mailaeres d'Avig on , de la famine de
1789.... M. Faucket continuant , on lui a crié !
( 256 ) des preuves , des preuves . Il a fecoué des vo lumes de lettres des amis de Caen , & a pour- fuivi. L'impatience
a fait crier : à bas. Au mi- heu d'un vacarme épouvantable
, M. Bazire a demandé l'impreffion
du difcours de M. Fauchet & l'ordre du jour. Enfin , un décret & des à bas, à bas, à fendre la tête , ont réduit l'évêque
dénonciateur
à quitter la tribune . La féance s'eft terminée par un décret de renvoi à qui il appartiendra
, des plairtes de 26 gentilshommes
, chevaliers de Saint- Louis , de Malthe , & c. , arrêtés à Senlis comme fufpects
d'émigration
, fans improuver , ainfi que tou- jours , les civiques coopérateurs
de ces arrefta- tions faites au nom des droits facrés de l'homme
& de la fainte liberté jurée ..
Du vendredi , féance du foir.
Le directoire du Pas -de- Calais mande à l'AC
femblée
« Le peuple eft furieux de la fortie des grains , & le jette en forcené fur ceux qu'on
veut faire paffer... Les commandans
des troupes de ligne craignent de voir les foldats fe refufer
dorénavant
à fervir une pareille, cauſe ; alors nous ferions expofés à toute la fureur populaire.» M. Voifard a cru que la lecture de femblables
lettres étoit propre à arrêter la circulation
des bleds dans tout le royaume. On a renvoyé ces
nouvelles
au comité de commerce. Dans la matinée , M. Blanchard , au nom du
comité militaire , avoit lu un rapport. & un prc-* jet de décret , fur l'augmentation
de traitement
à accorder aux officiers & foldats qui doivent
entrer en campagne ; & malgré les objections
de M. Lecointre , qui repouffoit l'urgence en foutenant que rien ne preffoit , que le miniftre
( 257 )
2
de la guerre n'effroit que des néceffités factices
pour entraîner l'Affemb'ée à dévier des bons principes
; que tout ce qu'il faut à l'armée eft en France
, & fe trouvera fans peine au moment du
befoin ; l'Affemblée avoit déciété l'urgence & les
premiers articles.
Ce foir , il s'eft engagé une difcuffion fur ce
même objet . M. Rouillier y a dit « les officiers
fupérieurs ont toujours cu un trop grand
étalage d'équipage , à la place de courage ; »
M. Hebert : сс j'ai fait la guerre contre le Danemarck
, & jamais je ne manquai de viande ;
fi vous la fourniffez aux . officiers , les foldats
n'auront que les mauvais morceaux ; » M. Lecointree
quand l'armée fera réduite à 150,000
hommes , on comptera des rations comme fi elle
étoit au complet de 180 , coo hommes ; & qu'eftce
qui en profitera ? le miniftre ; M. Chon- •
dieux : ee on vous volera l'impoffible .. » Pour
let vues des autres interlocuteurs , le décret les
expliquera de refte. Mais , dans fon zèle économique
, M. Rouillier s'étant fâché de ce que
des officiers - généraux avoient jufqu'à 8 ou 10
chevaux , une voix a crié des galeries : il ne leur
en faut que deux. « Je prie M. le préfident de
rappeller l'opinant à l'ordre , a dit un plaifant . »'
Des murmures d'indignation , les demandes :
qu'est - ce que cela d'où cela vient-il ? ont interrompu
le débat. « En pareil cas , a dit M.
Rouillier , l'Affemblée conftituante fut affez
majestueufe pour pafler à l'ordre du jour. » Le
trait d'histoire a été accueilli par des : bak ! bah !
M. Merlin a pofitivement affuré que « l'impertinence
d'un homme placé dans les tribunes , ne
pouvoit troubler les délibérations du corps légiflatif
( qui étoit au plus fort du trouble ) . »
-( 258 )
O a enfia appris que l'opinant intrus venoit
d'ère ar êté , & la diſcuſſion a recommencé fur
les chevaux , le pain , la viande & les fourrages.
On a' décrété 7´articles qui fixent les gratifications
aux officiers pour les mettre en état d'encampagne
, & les retions de pain ,
trar en
via de , fourrages.
Il eft arrivé de Carcaffonne une lettre fignée
Fabiani , timbrée principauté de Catalogne ,
adreffée à un caporal-fourrier du 12. régiment
de chifleurs . I attefte que c'eít fon ci- devant
capitaine qui lui écrit d'Espagne de venir l'y
joindre , qu'il aura 20 fous par jour de paye ,
& que leur destinée commune fera d'aider à
punirir des factieux dont le plan monftrueux tend
à diffoudre le plus beau des royaumes ; d'embraffer
la caufe du meilleur & du plus malheureux
des Rois , des princes de fon farg petcutés
, de la religion détruite..... Ces derniers
mots ont excité de grands éclats de rire. Le
caporal a répondu négativement. M. Roux voulot
que les deux lettres faflent envoyées à tous
les régimens ; mais M. Rouillier a répondu que
ce feroit faire u e injure à l'armée que de lui
donner un exemple inutile ; politique affez g.-
che , puifqu'un décret antéri.ur avoit déja a reflé
ue pareille lettre à tous les régime is . On n'enverra
point celle - ci , le caporal recevra copie
de la mention honorable , & , fans autres fruyes
, fans vérifier l'authenticité de la lettre , M.
Fabiani a été décrété d'accufation ( 1 ) .
( 1 ) Le 12. régiment , ci- devant chaleurs de
Rouffitton , eft eu pleine infarre&tion . La lette
( 259 )
Le procès - verbal d'un affaffinat commis à
Monthéty par 3,000, citoyens atticupés pour
aneler du bled , & des menaces exprelles d'une
infurrection pour lundi prochain , font renvoyées
au pouvoir exécutif , qui aura d'autant plus de
facilité à detourner de nouveaux malheuis , que
M. Lecointre a déclaré civiquement à la tribune
qu'il y a un projet formé d'affimer le royaume.'
!
Du famedi , 18 février..
Les administrateurs du Gard adreffent leursì
doléances à l'Affemblée fur la fituation de ce dé-
Partement & des départemens voifins , où ils fe
pl. ignent que les forces ne font pas diftribuées ,
a l'avantage des patriotes . » M. Jeannot Pieyre &
M. d'Averholt , tous deux proteftans , ont fait
fu céder , entr'eux , ces nouvelles préparées dans
l'ordre convenu pour produire l'effet defité . La
ville d'Arles que certain parti n'a pu réuftir à dé--
faimer , comme il a défariné les catholiques de
Lunel , Uzès , Sommières , Montpellier , Saint-
Gilles , Nimes , &c . eft traitée de foyer d'ariftocratic
& de fanatifme . On ne cache plus que le
premier coup de canon tiré au nord de 1 : Fiance
fera le fignal du carnage dans le midi pour les parties
que les factieux n'auront pas jointes à leur
vafte combinailon fédérative . A les en croire
une Saint - Barthélemy va bientôt enfanglanter
Fès & les Cévennes ; & fuppofant , mostrant
alléguant , fans preuves , des complots où ils font
de M. Fabiani vient après coup , pour couviit
les défordres des foidats. Nous en parlerons
Plus bus.
1260 )
défolés de ne trouver qu'une réfiftance d'inertis à
leurs propres complots , ils fe flattent que les mefures
de précaution indiquées par les comités de
furveillance & militaire réduiront les prétendus
ennemis à fubir le joug des vrais fanatiques , des
vrais féditieux dont l'hyprocrifie gémit , au nom
de la paix & de la liberté , en accufant de leursdeffeins
ceux qu'ils ont marqués pour leurs victimes
, en les calomniant pour qu'on les leur livre
défarmés .
Nous verrons dans quel cfprit fera fait , ce
foir , le rapport fi long- temps travaillé fur la
ville d'Arles . Le miniftre de la guerre rendra
compte des forces qu'il peut vouer au maintien
a- t -on dit , de la tranquillité de ces contrées.
On a lu la lettre fuivante :
A Beauvais ce vendredi 17 Février 17926 –
MONSIEUR LE PRÉSIDENT ,
-
-
---
-
-
ee J'étois fonctionnaire public. - J'avois une
miffion du Roi. J'ai été dénoncé au corps légiflatif.
Cette dénonciation a été entièrement
applaudie. On l'a renvoyée au comité de furveillance
. Elle y restera comme tant d'autres ,
faute de preuves.-
Ma réputation n'en fera pas
feulement effleurée , & j'aurois tort de me plaindre.»
Au contraire , je redoublerai de modération
& de zèle , & je continuerai paisiblement d'exécuter
avec humanité , douceur & fermeté , fous
une refponfabilité qui ne m'effraye pas du tout ,
les ordres très- conftitutionnels , que j'ai reçus du
pouvoir exécutif. »
Auffi -tôt ma miffion remplie , je m'emprefferai
de préfenter mes refpects à l'Affemblée nationate
i mes hommages au Roi ;
-
-
mes ac
( 261 )
tions à la juftice ;
teurs ;
1186
mon mépris aux calomnia◄
& ma tête à mes ennemis.
Le Général DE Gowy , ex -député de l'Affemblée
nationale conftituante..
L'un des quatre commiffaires de retour de
Noyon , M. de Vaublanc eft monté à la tribune
& a raconté qu'ils s'étoient ce trouvés trèsheureux
de trouver en chemin M. d'Auchi »
ex- conftituant , préfident du département de
rOife , qui eft allé prévenir le peuple de leur
arrivée . Les gardes nationaux les ont reçus entre
deux haies , les municipaux en écharpes ; mais
le peuple , tout en admirant les fublimes théories
de la libre circulation de grains , avoit perfifté ,
à vouloir escorter les cinq bateaux arrêtés , & demandé
une indemnité en bled pour ceux qui
les avoient déchargés & gardés , en déclarant
qu'il attendroit la décifion de l'Affemblée nationale
« fans répondre des attaques d'autres ci
toyens . » Enfin , perfuadés que leur puiffance
oratoire & morale ne produiroit aucun effet
les commiffaires font revenus affez tôt pour ne
pas ceffer d'être inviolables . Un jeune homme de
Noyon a. bleffé , fous leurs yeux , d'un coup de
fabre , le commandant de la garile nationale . Ce
jeune homme a été mis en prifon . La bleffure n'eft
pas mortelle.
Après avoir écouté , en filence , la pétition
paffablement inconftitutionnelle de 40,000 citoyens
armés , l'Aſſemblée nationale a ordonné
au comité d'agriculture de lui préfenter un projet
de décret féance tenante.
M. Cahier de Gerville a confumé près de deux
heures à lire un mémoire , qui n'améliorera certainement
pas la fituation intérieure du Royaume,
( 262 )
Selon lui , les caufes des troubles font la rareté
du numéraire née des nombreux paiemens fai´s à
l'étranger , du change & de la poffibilité d'un
évènement que la loyauté Françoiſe repoutle
avec horreur , la rareté des fubfiitances , & la
différence des opinions politiques & religieuses . Il
a dit que le remède eft dans l'opinion & dans les
mains de l'Aſſemblée ; ce qui eit vouloir guérir
un moribond , par la magie de que'ques paroles .
Au rete , jamais les manufactures n'eurent
plus d'activité ; mais dès que les matières p emières
feront épuisées , la misère n'en fera que
plus affreufe . Les directoi es n'entendent rien aux
plans effayés pour les fubfiftances & les ont tous
rendus impraticables . De 12 millions , il n'a plus
que 5,560,000 liv. à leur diftribuer . Veut-on obtenir
une circulation libre des ſubſiſtances ? Voici
les grandes vérités que M. Cahier de Gerville
recommande férieufement d'inculquer au peuple :
1º. le bled eft une propriété nationale qui n'appar
tient pas à telle municipalité ; mais à la nation
entière ; 2°. les adminiftrateurs doivent du pain ,
mais jamais à tel ou tel prix ; 3 °. le gain eft
comme un fluide qui cherche toujours le niveau ;
4°.fi la rareté produit la cherté , la cherté ramèst
l'abondance ; s . infifter fur la régénération ces
meurs , & prouver que l'ifolement & legifre
font des crimes de lèfe-nation . En attendant le
fuccès de ces belles phrafes , il confeille de faire
venir des bleds de Pologne & de Rome fur- tout
où nos diatribes & nos conquêtes ont procuré des
amis à la nation .
Venant aux troubles religieux , l'orthodoxie de
M. Cahier ne voit pas la moindre différence entre
la religion des affermer tés & des non - afermentés ;
ils lui femblent tous fanatiques , tous perfecuteurs
( 263 )
12
&il afpire à l'heureufe époque , où la tolérance indéfi
nie aura conduit le peuple & les lo x à ne s'occuper , ni
des prêtres , ni de religion . -- Les clubs , excellens ,
lorfqu'il fallcie détruire , lui paroiffert darg reux ,
dès qu'il n'eft plus queftion que de confervation
& de paix. Il leur a reproché des déclamations
lues dins l'Affemblée ( ce qui n'étoit pas les reprocher
à eux feuls ) , cù des Amis de la conftitu
tion en parloicnt « comme d'un ouvrage infâme ,
pro fuit par la corruption du corps conftituant » .
S'appercevant , s'effrayant , un peu tard , du relâchement
des liens de l'obéiffance , il a exhorté
PAffemb'ée à « laiffer à la circonférence du cercle
des pouvoirs , ceux dont la marche n'eſt pas arrêtée
, en comprimant vers le centre ceux qui tendroient
à s'en écarter » .
{
Ce mémoire , cù les faits font défclans , les inductions
mitigées , les intentions eftimables , les
principes du hilofophifme ou du galimathias à
la mode , & les reffources abfolument nuiles , a
été fouvent applaudi , & n'a prouvé qu'une vérité
ter bie , c'est que les fymptômes de diffolution fe
manfultent à-la - fois dans tous les départemens ,
& que tout hâte la cataſtrophe . On en a décrété
l'impreffion ; quatre membres s'y font feuls oppolés
.
M. de Narbonne a dit qu'il y a , far les frontiéres
qui avoifinent la Savoye , 16,894 hommes de
lige , 11,880 volontaires nationaux , & 840
hommes à cheval . Il a conjuré l'aſſemblée de s'occuper
des objets déja fi fréquemment rappellés à
fon attention , & de s'en rapporter à des militaires
expérimentés . Il a établi , on ne fait fur quoi ,
qu'il eft réservé à la France a'abolir l'art de la
guerre; mais en ajoutant qu'en ce moment il n'ap(
264 )
partient pas même à des hommes libres de le négliger.
Le décret rendu au fujet de l'infurrection du
diftrict de Noyon , porte en fubftance , que le
pouvoir exécutif employera tous les moyens qui
font à fa difpofition » pour faire ceffer les raffemblemens
, pourvoir à la sûreté des grains , opérer
leur arrivée à leur deftination , & que les frais de
déchargement , tranfport & garde , feront payés
par le tréfor public , fauf le recours contre qui de
droit.
Du famedi , féance du foir.
M. Delpierre a fait , au nom du comité des
pétitions , fon rapport fur la ville d'Arles . Deux
partis , l'un des patriotes , nommés Monnaidiers ,
& l'autre de leurs adverfaires , nommés Chiffoniftes
, du nom des lieux où le tinrent leurs premières
féances , ont divifé cette ville long- temps
heureufe & paifible . Dans le premier parti étoient
beaucoup d'ouvriers ; dans le fecond des ci - devant
nobles , des prêtres , des bourgeois . Oa
voit que c'est encore la guerre de ceux qui n'ont
rien contre ceux qui ont quelque chofe. L'aménité
de moeurs de M. Antonelle lui donna un
afcendant prodigieux fur les patriotes , & chaque
jour il l'employoit à conquérir des frères à l'humanité
& des enfans à la patrie . Il fut député
par les fiens pour aller contracter le pacte fédéral
de l'égalité avec les amis de la conftitution ,
honnêtes inftigateurs des braves brigands d'Avignon
. Pendant l'abfence du vertueux maire
des manoeuvres fanatiques féduifirent quelques
patriotes . Néanmoins les Monnaidiers chantèrent
, en couplets hardis , la gloire des hommes
libres
( 265 )
bres & la honte des efclaves , verferent fa
cenfure & le ridicule fur les partifans des anciens
abus & des prêtres. Quant aux abus , « on
ne connoiffoit à Arles ni dîmes ni preftations
féodales . Arles & fa banlieue s'abonnoient avec
l'Etat pour une modique fomme acquittée pär
de légers octrois . Voilà le principe de la haine
vouée au parti révolutionnaire ; ajoutez la perte
d'un archevêché , d'un chapitre , d'un tribunal
* confidérable , &c . » qui avoient le tort de nourrir
un grand nombre de familles . "
·
Le 9 juin , 1791 , les chefs de la Chiffone alfemblés,
curent l'incivifme de reprocher , dans un
procès- verbal , aux Monnaidiens , que ceux- ci
avoient menacé de battre de nerfs de boeuf , les
femmes qui ne reconnoîtroient pas l'évêque conftitutionnel
, chaffé d'Arles cinq prêtres non - affermentés
échappés aux Amis de Nîmes , & dit que
les clubs étoient faits pour prévenir les loix . Devenus
les plus forts , les Chiffonistes obtinrent la
démiffion des deux municipaux brouillons qui
avoient chaffé les cinq prêtres , firent rentrer
avec honneur, ces cinq victimes de la perfécution ,
- & obligèrent le vertueux maire , de retour , en la
qualité de préſident du club , à figner l'expulfion
d'un oratorien boute- feu ; ce qui eft vifiblement
donner des leçons d'anarchie , & détruire les baſes
de la morale publique » . A tant d'horreurs , les
mêmes Chiffoniftes ajoutèrent une pétition fcandaleufe
, où ils eurent l'audace de jurer de verfer
jufqu'à la dernière goutte de leur fang , pour main-
: tenir la liberté conftitutionnelle des opinions & des
cultes , & de rendre les municipaux refponfables
de la violationde l'afyle d'un prêcrè in -affermenté.
I
Tout-à-coup on ne fait quelle terrénr 'panique
fe répand dans la ville ; le bruit court que l'ar
No. 8. 25 Février 1798. M
( ( 266 )
*
mée de Monteux s'avance. Le digne frère de ces
Patriotes , M. Antonelle eft gardé à vue , les
Chiffonistes s'afurent de fes papiers , & fe font
délivrers , coo cartouches. Déconcertés , les Monnaidiens
reftèrent tranquilles jufqu'au 14 juiller ;
mais l'anniverfaire de la révolution leur fit recommencer
leurs édifiantes faturnales ; des farandoles
dans toutes les rues , des banquets civiques . Ils bat-
'tent & font battus dans le café des Suiffes ; 30
-d'entr'eux furent décrétés pour cette affaire traitée
d'affaffinat . Ils émigrèrent , excepté un feul qu'on
retint en priſon pendant trois mois . L'amniſtie
anéantit le procès. Nouvelles infultes , nouveaux
combats ; les Chiffonistes ont l'atiftocratie de ne
apas aimer ces manières fraternelles , & l'impudence
-de faire des patrouilles pour leur sûreté. Le département
ordonne le dépôt des armes ; certains
de les reprendre quand ils voudront , les Mon-
-naidiens les dépolent avec toute l'oftentation du
civiſme ; certains d'être lâchement attaqués , ks
Chiffoniftes déclarent qu'ils ne les dépoferont que
lorfque l'Affemblée nationale & le Roi auront
prononcé . Une lettre des électeurs les menace de
Tinvafion de tous les gardes nationaux du voifinage
, la plupart proteftans. Alors les Arléfiens
ont fait muter les principales portes de leur ville ,
2 arrêté des canons qu'on envoyoit à Marſeille , &
afe font diftribués des fufils.
M. Delpierre , le rapporteur , a prétendu que
leur peur date d'avant la lettre & précéda même
'offre des volontaires d'Avignon. Mais il s'eft diſpenfé
de le prouver , & d'ailleurs une jußte crainte
adu malimminent ne date jamais d'avant la volonté
• '& ta poffibilité qu'en ont ceux qui s'en vantent dass
le itylende cette lettre qui fit horreur à toute
Europe Au furplus , le rapporteur reconnoît
* 7 *
( 267 )
tui- même que les Chiffonistes, avoient préfens les
troubles entanglantes de Nîmes, & craignoient d'être
a la merci de toutes les phalanges méidionales.
. Les arrêtés du département turent caffés , le
18 feptembre ; l'Allemblée lég flative improuva
la conduite des électeurs , & le Roi envova des
commiffaires . Ici le comité , pour juger s
Chiffoniftes , a recours à l'analyſe morali. Si ks
commiflaires voient autrement qu'il ne raifonne ,
s'ils atteftent que tout eft paisible à Arles , que
les nouveaux adminiftrateurs y font bénis de la
majorité du peuple , des honnêtes gens ; accablé
du poids des incertitudes , le rapporteur ne laiffera
pas de conjecturerque l'incivifme & le fanatifme coLvent
fourdement , à Arles , que des corrupteurs y
jouent leur rôle fous le manteau des loix , que les
contre-révolutionnaires y confervent des intelligences
dangereufes , & mille autres conjectures
auxquelles on ne peut ajouter for , fans en avoir
vu les preuves. Le rapporteur qui n'en a fourni
aucune , a conclu qu'il fal oit réduire les Arléfiens
cc à un état honnête de défenſe ; »-leur interdire
les dénominations de Monnaidiens & de Chiffonistes
; leur ordonner de emetrre & canons &
fufils , de démolir leurs ouvrages extérieurs , &
reftituer les armes aux citoyens qu'ils ont défarmés....
exactement tout ce que nous avions
preffenti . On a décrété l'impreffion du rapport.
$
M. Lafont - Ladebat a fait décerner , d'urgence ,
un million 469,478 livies , payables en 30 mois
à rafon de 50,000 liv . dans chacun des 29 premiers,
& 19,478 iv. au trentième , pour l'achèvemeut
du Panthéon François , voué aux grands
hommes .
Un autre membre a propofé d'accorder 400,000l.
- au département du Nord , qui , depuis fi long-
M 2.
( 268 )
1
tems , implore deux millions de fecours pour les
-bôpitaux , réduits à manquer de tout. On a froidement
ajourné le projet de lui donner à ce département
le cinquième de ce qu'il demande.
Du Dimanche , 19 Février.
Des torrens d'hommages, d'éloges d'adreſſes , qui
mettent en oppofition le volo de quelques pétitionnaires
, & le veto du Roi , & des offres de piques,
ont rempli un tems précieux ; les applauditlemens
& les mentions honorables , prodigués à tout ce
fatras , ont été fagement fufpendus à l'égard du
dernier objet , renvoyé au ſecrétariat du comité
des pétitions.
M. Charron , jeune officier municipal de Paris ,
infatigable explorateur des maux publics , que recèlent
& fomentent les lieux de corruption particulière
, a écrit à l'Aſſemblée , qu'un domeſtique ,
ayant perdu , au jeu , des fommes volées à fon
maître , l'a égorgé & coupé par morceaux pour
le renfermer dans un coffre , & il a eu le noble
courage d'ajouter : «Faut- il vous dire une terrible
vérité ?.... Si la loi , que la Capitale vous a tant
de fois demandée ( fur les maifons de jeu ) , &
dont vous avez décrété deux fois le renvoi à un
comité , cût été rendue , fans doute ce crime
atroce , qui fait frémir la nature , n'eût pas été
commis. Le comité de légiſlation en fera le rapport
mardi prochain...
Le miniftre de la guerre a demandé à tirer des
troupes de Paris , pour que force rette à la loi
dans le diftrict de Noyon. Après des oui , &
des non , des fi , des mais , à l'infini , fur le fond ,
fur la forme , le danger , les qualités , les quantités
; un décret a autorifé le chef fuprême &
conftitutionnel de l'armée , à tirer de Paris deux
( 269 ) \
bataillons , pour être employés au rétabliſſement
de l'ordre , dans le département de l'Oife.
T
L'improbation des Jacobins a rehauffé
le dernier Rapport du Miniftre de l'intérieur
il a offenfé cette fociété par des
révélations tardives fur la profondeur de ,
l'anarchie , & par fes remarques critiques
contre les Clubs. Lorfqu'on rencontre dans
un Mémoire de ce genre des vérités utiles
& des intentions louables , il ne faut pas
l'examiner trop à la rigueur , ni oppofer
nos propres principes à ceux d'un Miniftre
qui doit parler fuivant fa confcience , éclairee
ou non.
M. Cahier a confirmé de fon aveu , ce
que nous prouvons par les faits depuis
long- temps, qu'on voit fe développer des
Symptômes de diffolution . Sans doute , le
Miniftre auroit dû devancer la demande ,
qui lui a été faite de ce tableau de fituation
, & avoir le courage , au péril de
perdre fa place , de montrer , d'époque en
époque , le dépériffement du royaume , la
fréquence des défordres , & l'impuiffance
de la Loi . Il faut laiffer la crainte de divulguer
le mal , à ceux qui le cauſent &
qui en profitent.
Dans ces notes hiftoriques lues à l'Affemblée
, M. Cahier a réfumé une grande

M
3
( 270 )
maffe de faits , tas y ajouter aucure
grande vue générale. Son travail porte
l'enipreinte d'un Commis de Bureau , plutôt
que celle d'un Homme d'Etas. Son efprit
y paroît peu étendu , & retreci par des préjugés
qu'if croit fans doute être de la philofophie.
If indique quatre caufes effentielles
des troubles du royaume , & ces
caufes ne font que des effets ; M. Cahier
n'a pas vu qu'elles réfultent toutes de
l'anarchie , bien loin d'en être l'origine.
C'eft à l'anarchie, c'eft à l'inefficacité des
Loix , ce font aux pas progreffifs que nous
avons faits dans le chemin de la ruine
publique & particulière , ce font aux convulfions
perpétuelles qu'on effuie ou qu'on
redoute , c'eft au défaut de force publique ,"
c'eft à la difcorde , à l'incohérer ce des pouvoirs
, c'eft à l'impoffibilité de foutenir une
Conftitution quelconque fans Gouvernement
, c'eftà la violence des mefures prifes
contre les Mécontens , au lieu de tendre à
les ramener ; c'eft enfin , au délâbrement abfolu
des finances & à l'impéritie de ceux
qui les gouvernent , qu'il faut attribuer
rotre difcrédit dans l'étranger , la baiffe
effrayante des changes , l'exportation du numéraire
, la théfaurifation univerfelie , &
la chûte du papier-monnoie. L'anarchie a
anéanti les impofitions ; pour y fuppléer ,
il a fallu recourir aux affignats ; les affignats
ont été dévorés auffi -tôt qu'émis , &
( 271 ),
la dette exigible eft reftée. On eft effrayé
des dépenfes qu'entraîne le nouveau
régime. Aucun Etat n'offrit l'exemple
d'une femblable prodigalité. L'entretien
de la Monarchie Pruffienne & de :
fes 200,000 hommes , ne coûte guère
plus que celui de la Municipalité de Paris.
Voilà les véritables racines du mal ; celles
qu'indique M. Cahier en font de fimples
rejettons. Le Miniftre place le remède dans
les mains de l'Affemblée : les Logiciens ,
& très-certainement l'Etranger tout entier ,
le placeront dans l'obfervation de l'axiome,
fublata caufâ tollitur effectus.
Evidemment , les inquiétudes pour les
fubfiftances & les embarras dans leur
circulation , dérivent de la même fource.
Ce malheur eft même aggravé par l'indifcrette
publicité des craintes de chacun ,
& des oppofitions au libre cours de ces
denrées de première néceffité : l'effroi fe
répand ainſi de proche en proche. Survient-
il un pillage ou un embargo ? on
difpute en public fur les moyens de le
faire cefler ; la déraifon l'emporte fouvent
fat la fageffe , & le refpect de la Loi perd
toute la force , precifément parce qu'on a
fin d'annoncer aux violateurs qu'on ne
s'armera_contr'eux que du refpect de la
Loi. Dans un Empire comme la France,
l'adminiftration des fubfiftances exige nécellairement
une Police générale & cen-
M 4
( 272 )
trale , qui , en réuniffant toutes les informations
, pofsède l'autorité capable de
prévenir à temps , ou de réprimer les défobéiffances.
Cette police , perdue dans des
milliers de canaux qui contrarient leur
cours mutuel , exercée en détail par des
milliers d'autorités foumifes à une multitude
armée , n'exifte plus ; auffi , fans difette
, dès la feconde année de ce régime , t
on voit afficher une détreffe alarmante.
M. Cahier ne dit rien de tout cela , &
je préfume bien qu'il ne foupçonne pas
un meilleur ordre que celui du moment ,
pour mettre le Gouvernement public en
état de remplir le premier de fes devoirs,
en affurant par- tout au Peuple le premier
de fes befoins .
*
Les diffentions politiques & religieufes ,
dont le Miniftre fait une des caufes de l'agitation
publique , en font un mobile fécondaire
; car , à quoi tiennent ces diffentions ?
à la perpétuité de la Révolution , & à
la nature de notre organifation politique . Il
n'y a qu'un fot ou un fou , qui puifle imaginer
de mettre un royaume comme la
France fens-deffus - deffous , & de tout
détruire pour avoir le plaifir de tout
récréer , & compter en même-temps fur
l'harmonie univerfelle des volontés. Lorfqu'on
fait des révolutions , & des loix par
des révolutions , on doit , au contraire ,
s'attendre à de grandes & durables réfiltan(
273 )
ces , & ne jamais les alléguer comme des
caufes du trouble qu'on a produit. Sans
doute , elles fervent à le perpétuer , & voilà
pourquoi les gens de bien , les vrais amis
du peuple & de la fociété ont horreur de
ces tempêtes de l'ordre moral , que les méchans
nomment révolutions.
"
La doctrine de M. Cahier fur la Religion
en général , eft affurément la plus commode
de toutes. Il ne veut plus qu'on prononce le
mot de Prêtre ni celui de Religion , « peu
>> importe à l'Etat , dit-il , qu'un homme
» aille à la Meffe ou n'y aille pas . Il n'y
>> ' a point en France de Religion natio
» hale. » C'eft la première fois , je penſe ,
qu'un Miniftre d'Etat a officiellement exprimé
ces maximes , réminiſcences de
quelques brochures modernes. M. Cahier
ne les a probablement pas énoncées au nom
du Roi. Lorfqu'il aura un peu plus d'expérience
des hommes & de la fociété ; lorfque
le temps formant fon efprit , l'aura défabufé
de l'illufion qu'on eft en état de gouverner
les hommes , parce qu'on a végété
quelques années dans la poudre d'une étude
praticienne , il apprendra ce que gagne
le genre humain à perdre tout principe
religieux , ce que gagne la morale à
être dégagée du feul frein qui retient le
vulgaire , ce que gagne la raifon à fupprimer
une Religion fenfée pour laiffer
un libre cours à toutes les fuperftitions hu-
M S
( 274 )
maines ce que gagne la liberté à être fervie
par des Athées. Dieu le préſerve d'avoir à
ies gages des laquais qui penfent comme
lut, M. Pia aufli éclairé , je crois , que M.
Cahier , pourroit lui enfeigner que la politique
ne le paffera jamais de religion , &
que par tout la religion du plus grand
nombre fera éternellement religion nationale
,
en dépit des révolutions , & des
Miniftres légers qui écrivent comnie M.
Cahier.
-
C'est une faute commune à beaucoup
de gens , & pernicieule dans les Adminitrateurs
, de penfer que , parce qu'ils
n'ont pas de religion , perfonne n'en a plus
qu'eux. Si M. Cahier entend refpecter la
volonté générale de la Nation , croit - il
qu'elle l'autorife dans fon indifferentiſme ,
qui n'eft pas la tolérance ? eft trèsremarquable
qu'en accufant vaguement le
fanatifme des Piêtres non - affermentés , le
Miniftre n'a pu citer un feul fait , une feule
information juridique, une feule procédure
qui confirme cette imputation. Au contraire
, c'est par des preuves de fait qu'il
a accufé le fanatifme perfécuteur des Conformiftes.
Vers la fin de fon rapport , il s'eft plant
amèrement, & avec juſtice , de la défiance ,
des accufations , des calomnies dont les
Agens exécutifs font les objets . Peut-être
n'eût- il pas été au - deffous de la dignité
( 275 )
d'un Miniftie du Roi , de réclamer pour
le Chef de la Nation , ces égards fi infolemment
violés chaque jour , & dont
M. Cahier ne fe fouvient que pour lui &
pour les Collègues . Ici , il retomber encore
dans une pétition de principe. Les Min ftres
font vilipendés , parce qu'il n'y a point de
Ministère , parce qu'il ne peut y en avoir ,
& qu'il n'y en aura jamais fous une Conftitution
femblable à celle qui nous gou
verne. Les Miniftres ne font autre chofe
que des Commis du Corps légiflatif, parés
de l'attache du Roi . Ce Monarque étant
confidéré & qua'ifié par la Loi , comme
Fonctionnaire public , quel caractère réfté-t- il
aux Agens de ce Fontionnaire ? quel refpect
peuvent obtenir des Miniftres , dont
chaque action eft forcément fubordonnée.
à la volonté immédiate & fouveraine d'un
Corps abfolu , fur lequel l'Autorité Royale
n'a d'autre prife que celui d'une vile & imparfaite
corruption , & d'autre défenfe que.
la Loi , dont ce mênie Corps eft le difpenfateur
, l'interprête , & l'a bitre tout-puif
fant ? Il y a une telle incompatibilité entre
le Gouvernement & la Légiflature , tant de
force d'un côté & tant de nullité de l'autre ,
qu'il faut renoncer à jamais les voir en
harmonie. Dans cette lutte qui ne fera pas
de durée , tout le poids des défiances &
des outrages doit tomber fur les Miniftres ; r
ils font renfermés dans un cercle tellement
M 6
( 276 )
étroit , qu'il leur eft impoffible d'atteindre
l'exécution des Loix , fans paroître fortir
de leur petite circonférence.
Ce défordre régnera tant que le Roi aura
un Confeil & des Agens nommés par lui.
Auffi , faut-il s'attendre qu'avant peu on le
délivrera de cette prérogative , que l'état
des chofés rend véritablement nuifible ; &
qu'on inveftira le Peuple ou fes Repréfentans
du choix des Miniftres , afin de cimenter
l'union des différens pouvoirs . Ce projet
eft très avancé : les circonftances prochaines
le feront éclorre. :
On a fauffement répandu le bruit du
retour de l'Evêque d'Autun , M. de Talleyrand.
Ce Prélat eſt toujours à Londres ,
apparemment pour fatisfaire fa curiofité.
Nous fommes inftruits par des voies sûres
qu'il n'a pas eu plus de fuccès auprès de
l'Oppofition qu'auprès du Ministère , &
auffi peu réuifi avec le Ministère qu'à la
Cour. M.Pitt ne lui a point tenu les ridicules
propos , imaginés par quelques- unes
de nos Feuilles publiques , mais il a affecté
de demander à M. d'Autun des nouvelles de
fon oncle , M. l'Archevêque de Reims.
N'ayant apporté d'autres lettres de créance ,
qu'une lettre de civilité , foufcrite par M.
Deleffart , M. de Talleyrand a été conſidéré
plutôt comme un Emiffaire que comme un
Négociateur. SaMiffion confiftoit à folliciter
( 277 )
1
la garantie de la Grande- Bretagne en faveur
de la Conftitution Françoife , au prix d'une
prolongation du Traité de Commerce ,
& d'avantages additionnels pour les Anglois .
Cette propofition a fait rire les Miniftres à
qui l'on fuppofoit la bonhommie de fa
brouiller & de fe battre peut- être avec
l'Europe entière, pour l'affermiffement d'un
Code fur l'intelligence duquel fes propres
Auteurs fe difputent chaque jour. Il étoit
auffi queftion d'engager l'Angleterre à attaquer
le Brabant de concert avec la France
ou du moins à le laiffer envahir ; tandis
qu'une convention très- récente , celle de
la Haye , a mis la Souveraineté de l'Em-,
pereur fous la garantie de la Grande-
Bretagne , de la Pruffe , & des Provinces-
Unies.
M. de Biron eft toujours enfermé au
Kings-Bench , & écroué pour des fommes
confidérables : fes Créanciers ont fondu fur
lui de toutes parts . Cet affront eft d'autant
plus cruel , que le cas d'un Général en
fecond qui , à la veille d'une guerre , quitte
fon armée pour venir fe faire enfermer
dans une prifon pour dettes , prête à la
maligne plaifanterie des Anglois.
n'a pas voulu croire que M. de Biron fûr.
chargé d'une miffion du Roi , d'abord,
parce qu'il n'avoit aucunes lettres de
créance , enfuite , parce que les Décrets de
On
( 278 )
la première Affemblée dont il étoit Mem
bre , lui interdifent d'accepter aucun office
à la nomination du Pouvoir exécutif. -
Toutes les lettres d'Allemagne , qu'il ne
faut pas confondre avec les avis exagérés
& les efpérances anticipées qu'ont fi longtemps
tranfmis les Emigrés , s'accordent à
annoncer une rupture prochaine entre l'Empire
& la France , ainſi que les difpofitions
militaires les moins équivoques. Le paffage
a été demandé pour 30 mille Autrichiens ,
dont une grande partie eft probablement en
marche actuellement.Il paroît qu'une armée
Pruffienne ne tardera pas à s'approcher de
nos frontières . Nous aurons fur les bras
toutes les forces de l'Empire , fans compter
celles qu'armeront vraisemblablement d'autres
Puillances . La Légiflature peut encore
conjurer cet orage : qu'elle pèfe avec effroi
fa réfolution définitive ; qu'elle confulte
l'intérêt de la Nation , & non la pétulance
de fes déclamateurs ; qu'elle contemple fa
fituation , & qu'elle ferme le livre des romans.
Si la guerre eft malheureuſe , jamais
la philofophie & l'humanité ne pardonneront
aux opinions infenfées & aux excès ,
d'avoir ainfi calomnié la liberté, la réforme
des abus , & creufé le tombeau de l'une
& de l'autre.
L'effervefcence partielle de la capitale
( 279 )

s'eft momentanément rallentie , depuis l'ex-
Fédition que fit , il y a huit jours , lạ
Garde Nationale dans le fauxbourg Saint-
Marceau , où un tranfport de fucres avoit
été attaqué , pris en partie , & vendu à
20 fols la livre. La Gendarmerie Nationale
rendit dans cette occafion les fervices
qu'elle rend dans toutes , & parvint , à
l'aide de la Garde à pied , à rétablir la
tranquillité. Combien de temps durera -t - elle?
à quelle claffe d'agitateurs doit- on ces mouvemens
? Confultez les Journaux & Popinion
des Sociétés . Tous les partis s'accufent
réciproquement ; pour cette fois , les feuls
Prêtres , dits réfractaires , n'ont cependant
pas été mis en caufe . La conjecture la plus
raifonnable eft, qu'on a profité du mécontentement
d'une clafle de la multitude ,
pour faire un effai de fes forces , & tâter
es difpofitions de la Garde Nationale .
Aurefte , les piques font rentrées ; mais leur
fabrication continue à Paris & dans plufieurs
villes. Les Journalistes Jacobins ont
attribué à cette première démonftration ,
la fanction précipitée du féqueftre des biens
des abfens , & celle du Décret en faveur
des quarante Soldats de Châteauvieux , qui,
très- probablement , fera ceffer de la part
du Corps Helvétique , toute négociation
pour le renouvellement des capitulations :
ces Jacobins là ont rencontré jufte . L'indéfini
Table fituation de Paris fe com(
280 )
pofe d'une ligue de Perturbateurs actifs ,
foutenus de tous ceux pour qui la mifère ,
la dépravation ou le fanatifme politique
rendent le défordre néceffaire , & qui afpirent
fous leurs Chefs , Nationaux &
Etrangers , à une nouvelle Révolution ;
enfuite , d'une maffe inerte de propriétaires,
dont l'égoïfme a déforganifé la force , ne
s'occupant que de leurs jouiffances ; fans
prévoyance aucune, ainfi que le furent de
tout temps les Habitans de cette capitale ;
timides par inftinct & par habitude ; pour
lefquels il n'y a jamais que le danger d'un
jour ; continuellement diftraits , défunis
d'opinion , mutuellement rivaux & jaloux,
& fe confolant du mal d'autrui par la
douce perfuafion que fi leur voifin eft attaqué
, ils refteront invulnérables ; enfin ,
elle fe compofe encore , d'un Gouvernement
partagé entre une Affemblée divifée
; une Municipalité Jacobite , un Département
dont la majorité fuit une autre
ligne qué les Municipaux , un Club fouverain
qui ne permet aux Citoyens de s'affocier
à fon exemple , qu'en s'affociant à fes
maximes & à fes deffeins ; puis d'un Minif
tère à peu près auffi nul dans l'adminiftration
intérieure de Paris , que l'Empereur
de la Chine.
Nous devons rapporter ici la lettre qu'écrivit
le Roi à la Municipalité , la femaine
( 281 )
dernière , parce qu'elle a le caractère de
dignité & de juffeffe qui doivent y faire :
reconnoître la main de S. M. elle- même.
7
« J'ai déjà parlé , Meffieurs , à plufieurs
d'entre vous , des bruits qu'on cherche à répandre
fur mon prétendu départ de Paris . Je
croyois que ce que j'avois dit fuffiroit pour les
faire tomber ; mais comme les gens mal - intentionnés
continuent de les propager , pour alar- ›
mer les habitans de Paris , & calomnier mes in- ›
tentions , je veux m'expliquer clairement ſur
ma façon de penfer. »
« Je connois les devoirs que m'impoſe la conftitution
, je les remplirai toujours : mais je connois
auffi les droits qu'elle me donne , & je re
m'interdirai jamais le pouvoir d'en ufer . Rien ne
me retient donc à Paris , que ma volonté d'y
être ; mais j'y crois ma préfence néceffaire , &
je déclare que je veux y refter , que j'y refterai ,,
& que quand j'aurai des raifons pour en fortir
je ne m'en cacherai pas . »
сс J'ajoute , qu'à moins d'être totalement dépourvu
de fens , ou profondément fevers , on ne
peut élever des doutes fur mon inviolable dévouement
au bonheur de la nation , & fur mon :
attachement pour les habitans de Paris . »
( Paris , 13 Février 1792. )
Signé , LOUIS .
Les Commiffaires légiflatifs envoyés à
Noyon n'ont pas tout dit à leur retour. Une
lettre de M. de Gouy employé fur les lieux
le Roi , nous fournit des détails inftructifs
dont il garantit la certitude. M. d'Auchy,
par
i
}
3
)
( 282 )
ex Conftituant & Préfident du Département
de l'Oife , étant allé le 16 à Ou camp ,
préparer les voies aux Commi Taires , il fut .
d'abord accueilli des Infu gens ; il eſpéroit
déja les avoir perfuadés , lorfqu'une voix
s'élevant , s'écria : C'eft ainfi qu'une langue
dorée trompe toujours le peuple . Cette grande
vérité générale , mais fans doute mal appliquée
, occafiona un mouvement général ;
de tous côtés on entendit les mots de pendre
& de couper la tête. M. d'Auchy ayant
épuifé fa fermeté , finit par prier les Infurgens
de recevoir au moins avec décence,
les Députés de l'Affemblée. Les avis fur
ce point furent partagés ; cependant , on
décida de recevoir ces Commiffaires . Le
lendemain 17 , ils fe rendirent tous les
quatre à Ourcamp , accompagnés de M.
Auchy ; après avoir paffé par la filière
affez défagréable des poftes avancés. La
Garde du camp n'étoit alors que de 900
hommes ; mais tous les clochers des Paroiffes
environnantes étoient garnis de
Veilleurs , pour raffembler en un clin d'oeil
plus de 25 mille hommes .
Les Commiffaires , admis avec honneur,
par'èrent près de trois heures ; mais
lorfqu'ils touchèrent au départ des grains
arrêtés , le tumulte commença. Un des
Chefs propofa une tranfaction , pourvu
qu'on leur accordât une portion du blé ,
un dédommagement de leurs peines à les
( 283 )
garder , & la vente du refte fur les lieux.
Cette propofition inadmiffible fut combattute
par les Députés , dont l'éloquence
ne perfuada pas la multitude : plus de refpect
; des menaces violentes éclatèrent. Les
Commillaires entendirent délibérer à côté
d'eux s'ils feroient pendus , ou coupés par
morceaux , ou noyés , ou fi leurs têtes feroient
placées fur les cinq piques du milien
de la grille de l'Abbaye. Ces difpofitions
rendant leurs efforts infructueux
ils fauvèrent leur inviolabilité en fe retirant
, & revinrent à Noyon , fans ofer
faire le lendemain une nouvelle tentative
que confeilloit M. d'Auchy.
Le Département de l'Oiſe a envoyé M.
de Gouy à Paris , pour requérir 2 bataillons
de Gardes Suiffes , deux autres bataillons
de troupes de ligne , 4000 hommes
de la Garde Nationale , huit pièces de
canon , 400 chevaux. Il n'a obtenu que
1200 hommes , partis Lundi . M. de Narbonne
a déclaré hier à l'Affemblée que le
Roi maintiendroit à tout prix la Loi & la
propriété. Il paroît que ces grains arrêtés
étoient chargés pour la Capitale. De toutes
les infu rections , celles qui repofent fur la
crainte de mourir de faim , eft la moins
criminelle fans doute ; mais il s'en élevera
trente pareilles , fi celle - ci triomphe.
Déja le magafin des vivres de la marine
( 284 )
& neuf maifons de commerce ont été .
pillées à Dunkerque , en préfence des
Troupes de ligne & Nationales. Le feul
détachement de Royal - Cravattes , cavalerie
s'eft oppofé efficacement à d'autres
brigandages. On a mis en pièces un
Marchand de blé dans la dernière émeute
de Montlheri. D'après les calomnies débitées
à l'Affemblée Nationale , contre M.
de Gouy , fes propriétés en Picardie font
menacées de la torche.
Lettre au Rédacteur.
A Marmande , Département du Lot & Garenne ,:
le 27 janvier : 792.
MONSIEUR ,
« Les faits qui fe font paffés depuis quelques
jours dans la ville de Marmande méritent d'oc- .
cuper une place dans l'hiſtoire de l'anarchie
univerfelle qui femble précipiter la France vers
fa diffolution. »
« Ces faits ont été précédés par l'arrivée d'en
Sieur D..... , qui a paru autrefois au Théâtre
François , & qui maintenant s'eft chargé d'un
beau rôle fur une fcène plus éclatante . Cet
honnête Citoyen a fuivi un grand nombre de
Sociétés des amis de la Conftitution , & y a
exhorté tout fimplement fes frères & amis à
s'emparer du bien des Emigrés , ce qui a été extiêmement
applaudi par ces Affociations : aufii ,
a-t-il obtenu des lettres de recommandation ,
out il eft appellé en ftyle du jour , Apôtre brûlant
da patriotijme , Orateur fublime , profond &
( 28 )
C

3
véhément , qui confume les ames des ardeurs facrées
de la liberté , plus fublime que les Démofthene
& les Cicéron , &c . &c. Cet homme
fupérieur aux Démosthène & aux Cicéron , a été
détourné par quelques perfonnes fages de propofer
à Marmande fa Loi agraire. Il s'eft contenté
de déclamer des facéties fur les Prêtres
& les Capucins , & enfuite il a préfenté à MM.
du Club , à 12 fous la pièce , des exemplaires
de fon Difcours , dédié à Carra. Il a ramaffé
quelque argent , & eft parti pour " rechauffer le
patriotifme de quelque autre Club. Il ne faut
pas connoître à fond la tactique Jacobite , pour
prévoir que ce brûlot circulaire nous frépare l'explofion
d'un Décret terrible contre les Emigrans,:
"
« Le Difcours de ce grand- homme co- incidant
avec l'arrivée du Curé conftitutionnel , à
peu de jours près , a fans doute contribué à
ranimer le feu des divifions religieufes . La Municipalité
a montré fur cet objet une foibleffe
déplorable , qui a indigné jufqu'à des Patriotes.
Elle eft préfidée par M. Colombet , Confeiller
à la Cour des Aides de Bordeaux dans l'ancien
régime , & qui , dans le nouveau , en eſt déjà
à fa quatrième dignité , ayant fucceffivement
rempli les fauteuils de Préfident de Comité , de
Préfident de Club , les hauts fiéges de Juge de
Diſtrict , & qui enfin occupe la place de Maire. »
>
Le Sieur D..... avoit à peine quitté la
ville , qu'un Prêtre non- conformilte s'étant préfenté
à une Eglife , ci - devant des Cordeliers
pour y dire la Meffe fuivant fon uſage , fut
fommé de prendre les ordres du Curé conftitutionnel
. Il refufa de le reconnoître , & lut an
article d'un Arrêté du Département , qui autorifoit
tout Prêtre à dire la Meffe , dans toute
( 286 )
efpèce d'Eglifes. Mandé fur-le- champ par les
Tribuns Municipaux , un verbal en forme l'accufa
d'avoir amené des paylans , & cherché à
les ameuter , en lilant un chiffon. Empiilonnement
de 24 heures . «
« Le lendemain ou deux jours après , d'excellens
Patiotes , dont quelques- uns out occupé
des places Municipales , allèrent, pendant la nuit,
frapper à grand bruit chez des Prêtres non- conformistes,
& armés de gros bâtons , leur fignifièrent
de fortir de la Ville au plutôt , s'is ne
vouloient être livrés a la justice du peuple . La
nê.. e nuit , des potences furent peintes fur les
maitons eu'on foupçonnoit quelque émigration.
Ces faits font & leront toujours pleinement
impunis.
Се
Encouragés probablement par le fuccès de
cette entreprife , quelques Citoyens en cxécutèrent
une autre d'un civilme plus élevé. Il
exiftoit dans l'Eglife Paroiliale de Marmande
une quarantaine de bancs , acquis par divers
particuliers , à prix d'argent , & dont la propriété
a été reconnue & confirmée par un Ariêté
du Département du Lot & Garonne . Cette diftinétion
de places choquoit depuis long - temps
les partisans délicats de l'égalité . Une expédition
hardie les amis à leur aile . On s'eft porté en
plein jour dans l'Eglife . Les bancs ont été mis
en pièces , enlevés fans aucun obſtacle , & le
lendemain la Municipalité fe plaignit mollement
dans un verbal que des enfans avoient commis
ce dégât. En joiguant la valeur des bancs au
pix du droit qui avoit été payé pour en jouis
on peut eftuner à huit à dix milie liv . la perte
occafionnée par ces enfans , qui ont eu la force
de rompre des bancs à coups de marceau ou de
( 287 )
hache , par forme de paffe- temps. Ce dernier
fait qui a fuivi de près les autres , a eu lieu le
23 de ce mois . Il n'eft pas befoin de dire que
cette affaire eft déjà tombée dans l'oubli . »
cé A l'inftart même où le commettoient ces
dé ordres , on lifoit aux coins des rues une Ofdonnance
municipale , rendue fur la requifition
du Maire qui accufoit le Curé non- conformiſte
d'une hypocrifie qui cachoit les plus mauvais
deffeins , fur ce que ce Prêtre , univerſellement
refpecté pour les hautes vertus & fon grand
courage , avoit refufé de reconnoître celui qui
venoit occuper la place , refus qualifié par le
Maite d'infraction aux Loix. Dans cette même
Ordonnance , le Prêtre qui avoit été incarcéré ,
é oit taxé d'étourderie & de témérité , & tous les
Prêtres non - conformistes en général traités de
réfractaires & de malveillans . Voilà le langage
de ces Magiftrats du Peuple. Leur Chef, qui a
été Membre d'une Cour fouveraine , ignoroit- il
qu'un Citoyen ne peut être noté que par un
jugement légal , & qu'une Municipalité qui infulte
par une affiche un homme non condamné ,
enfreint indignement le premier de fes devoirs
. »
P. S. Dans la féance de Lundi dernier
un nommé Rouyer, Languedocien , dont
le malheur des temps a fait un Député à la
Légiflature actuelle , s'eft avifé dans une de
fes divagations , de me dénoncer ainfi que
plufieurs autres Ecrivains , comme un infame
Libellifte qui prêche l'anarchie & le
defpotifme. Il n'y a d'infâmes que ceux qui
s'expriment comme le Sr. Rouyer : lui & fes
( 288 )
#
+
:
pareils ont prodigué cette épithète à tout
ce que la France compte d'hommes refpectables.
Si la France n'en étoit pas à ce degré
d'abaiffement , que la perfonne du Sr.
Rouyer fut inviolable , je l'amènerois devant
les Tribunaux , en demandant juſtice
de fes calomnies. Je prêche l'anarchie !
apparemment parce que depuis trois ans
j'en raconte les excès , avec une fidélité
défefpérante pour les fcélérats ; parce
que j'en invoque le terme , & j'en indique
les remèdes ? Je prêche le defpotifme !
Oui ; car je pourfuis le defpotifnie de
l'ufurpation , de la déraifon , du crime
& de la force. Si je n'écrivois pas pour
une Nation qui veut être libre , & qui le
fera , nonobftant les conjurations de fes
hypocrites amis , pour la ramener à la Monarchie
abfolue par le défordre , je garderois
le filence ; mais je rends hommage à fes
fentimens , en lui dénonçant fans relâche ,
les erreurs , les abfurdités , les injuftices qui
la précipitent vers fa ruine. Il n'y a au
refte qu'un Imbécille qui puiffe mettre fur
la même ligne de fentimens , de principes
& de ton , l'Ami du Roi , la Gazetie de
Paris , & le Mercure Politique , dont la rédaction
m'eft confiée .
COURS DES EFFETS PUBLICS. Janvier 1792.
EFMLJVMNFauSeeErnAu2222a2nrTd2dd64537TmdSci8ii.......
CHANGES duzs.
Amft. 341.
Lond. 18.
Ham. 302.
Mad. 24.
1400 ....
Emprunt Oct. 452.49.. 445 ..... 445.46 ... 446.
Actions ....
Do.1,
Id. Décembre82
Lot. d'Avril..
12.
Lot. d'Octobre
Empru1mn2³t5
SS 56. 54. $76.
Id. 80 millions..

210202292.1.2108.29909802..02225.1. 2.1.8.5. Cad. 24
1397.. 1397195 Liv. 161.
450.
2.2
Gên. 150.
2.1 Lyon. ip.
CHANGES du28.
lamit. 33.
Lond. 17
BullSeatnisn.
Bulletin
Empru1nm2t³0
' Ham. 308.
Mad.. 24.8.
Cadix. 24.8.
Borde. Ch .....
...
Liv ... 165.
385329.2605..8d13'9338E888f6.67Cc5305aGo.i8..1em.f8846n5p.l..4900.6te......
D. demi- act.
EauxdeP.
1955.42. 193533 193022.. 1915. 19. 1920.28.. 1935.
2.2 ..... 2.3..
NatiEomnpa.rl.1.
Lyon. 4p.
année Payeurs
17ct. 1.ettre A.
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AVIST IMPORTANT,
LE F
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Feuilles n
& qui rende
qu'on ne recevra
Jenne réclamation , auc
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te de fais bien conflam .
a obferve enente que les Rédacteurs köz
rien de tommun avec l'Ahorne wont , le défin
bution , &c. CM GUTH , feal Director
du Journal , kôtz! de Thou, rue des Poitevint
& non à aucun d'eux , y faut adrefer tout
qui concerne ces objets trement des lett
Jouvent importantes pourraient refter au rekl
Les perfonnes qui enverront à M. Guth
effets fur Paris , pour acquit de leur Abonus
ment , voudront bien les faire timbrer ; faute
quoi ils ne feraient pas acquittés. Les lett .
contenant des Affignats , doivent être charges
à la Pofte , pour ne pas courir le rifque a
s'égarer.
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Le prix de l'abonnement eft de trente fix is
fran de per pour la Province , l'Affemblee Ne
tionale , par fon Décret du 17 Août , avant del
le port de ce Journa! L'abonnement pour Par
eft de trente-ros liv: Il faut affranchir is p
de l'argent & de a lettre & por dre à
dernière le reçu da Dirceur das Pftes. Ca
crit adtel de Tho rue des Patavins. Da's
dreffera au fieur Gan , Dire & eur.de Bergog
Mercurs L'abonnement ne peut avoir f
pour l'année entiere.
COURS DES EFFETS PUBLICS. Février 1792. CHANGES durs.
Aseft. 30
Lond. 16
Erjuge Nat.į Lundi 13. Murdi14 Merc. 15. Jeudi 1. Vend 17. Sam. 18.5.
Actions.
Does
Emprunt Oct.
Id. l'écembre8:
Lot. Avril.
Lot.d Octobre.
40213 0.37 2125.30. $0.
1365
45532
32
Emprunt12 4:42.
Id. 80
Sans
SM
Buliccin.
Bulletin.
Emprunt 120
Borde Ch.
Caifle d'Efcompt. 3850 61.13870.50.
Do. demi- 2ct.19.25. 1920 ...
EauxdeP..
Expr. National. 12 ...
305
3.2
85
1172
2017
.
2130.35. Cali7.
Liv. 480.
GA 179.
Lyon. 14
CHANGES du18.
Lond16%
1127.
Lic.. 180.
Von.. 170.
( 8103$ 810 ... 18303*
1910.15, 11. 1910. tis Lyon, 11,
1791, DeitreD.
191
12. Pavents année
AVIS TRES IMPORTANT.
LE Public eft prévenu qu'on ne recevra
mais dans ce Journal aucune réclamation , aucun
détail d'intérêt particulier employe dans d'ana
Feuilles . On ne fait face que des lettres ſignées
& qui rendent coniste de faits bien contes
On obferve encore que les Rédacteurs on
rien de commun avec l'Abonnement , la diflic
bution , &c. C'est à M GUTH , feat Directeur
du Journal , hotel de Thou , rue des Poitevins
& non à aucun d'eux , qu'ilfaut adreſſer tous ce
qui concerne ces objets autrement des lettres
Jouvent i
Les per
tantes pourraient refter au rebut,
nes qui enverront à M. Guth des
effers fu ris , pour acquit de leur Abornement,
vous ont bien les ment, faire timbrer fante de
quoi ils ne feraient pas acquittés. Les lettres
contenant des Affignats , doivent être charges
à la Pofte , pour ne pas courir le rifque de
s'égarer.
Le prix de l'abonnement eft de trente fs liv,
franc de port pour la Province , Affemblée Ne
tionale , parfon Décret du 17 Août , avant double
le port de ce Journal. L'abonnement pour Paris
eft de trente-cross liv. Il faut affranchir le pon
de l'argent & de a lettre , & joindre à cett
dernière le reçu da Directeur des Peftes. On fouf
crit Hôtel de Thou , rue des Poitevins. On
dreffera au fexr GUTH , Diredeur du Bureau
Mercure L'abonnement ne peut avoir lieu que
pour l'année entière.
COURS DES EFFETS PUBLICS Février 1792.
ELMENMuaTenArdrd6ST78ic.i... VJeenn1d9d0i...
2160.55.21471.40.2 10.
Actio.n.s.
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1392 1139
Erprunt Oct..
450...410.48 ...
2.
13.2
Sam. II.
CHANGESCUS
Amft. 31.
Lond
. 17.
Ham. 340.
Mad. 26.S.
2010.40.2540.55•• Cad. 26.5.
1365-70. Liv. 176.
2060.5.
1370.. 1370.
448 4.8.50. 452.,
3444
Gen. 66.
Id.
Décembre82, 321
Lot. d'Avril.
Lot. d'Octobre..
Emprunt 12.6-5½.
Id. So millions..
Sans Bulletin.
Bulletin..
Emprunt 120m
Borde. Ch
Caille
d'Efcompt
3899.75.386
d.Dea.mc..it-.
1938.32. 1930.12
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Empr. National. 2.2 .....
23
Lyon. P.
CHANGES duII.
Amfi30.
Lend. r6g.
Ham 50.
Mad27.
Cad. 27.
Liv. 185.
3855-33790 85. 3820.600 3850.60. Gên. 175.
1500,92.. 1865.70.. 1900.15. 1910.18. Lyon.1.
Paysurs année
171. Let rieC.
AVIS TRES - IMPORTANT
LE Public eft prévenu qu'on ne recevra ja
mais dans ce Journal aucune réclamation , aucun
détail d'intérêt particulier employé dans d'autres
Feuilles. On ne fait ufage que des lettres fignées,
& qui rendent compte de faits bien conflares .
On obferve encore que les Rédacteurs n'en
rien de commun avec l'Abonnement , la diftri
bution , &c. C'est à M. GUTH , ful Dindeur
du Journal , hotel de Thou , rue des Poitevins ,
& non à aucun d'eux , qu'il faut adrefter tout ce
qui concern ces objets ; autrement des lettres
fouvent importantes pourraient refter au rebuts
Les perfonnes qui enverront à M. Guth des
effets fur Paris , pour acquir de leur donne
ment , voudront bien les faire timbrer ; fime de
quoi ils ne feraient pas acquities. Les lettres
contenant des Affignats , doivent dire charpes
à la Pofte , pour ne pas courir le rifque de
s'égarer.
Le prix de l'abonnement eft de trerte fix liv.
fane de port pour la Province , Affemblée Na
tionale , parfon Décret du 17 Août , ayant doublée
le port de ce Journal. L'abonnement pour Paris
eft de trente-tois liv. Il faut affranchir le pon
de l'argent & de la lettre , & joindre à ceus
dernière le reçu du Directeur des Poftes. On fouf
erit Hôtel de Thon , rue des Poitevins. On
dreffera au fieur Gorи , Diredeur du Bureau
Mercure L'abonnement ne peut avoir lieu
pour l'année entiere.
COURS DES EFFETS PUBLICS. Février 1792.
EFITS NAT.1 Lundi 30. Mardi
Actions
Do15 ....
23
Emozuar Oct
31 Merc. 1.F. Jeudi2. Vend.3.
1397,95
410..
2187180.2182180 2177 178
13920
50. 22 2417
d. Décembre 82311
Lot. d'Avril
Lot. d'octobre
Emprunt12ms6.
120so millions.
BullSeatnisn.
CHANGssdu1.
Amft
. 322
Lond. 17.
Sam. 4.
Ham. 318.
Mad. 25.
217565.. 2165.65 Cad. 25.
1395••••* Liv. 175.
450 .. 450.
2.2
6.
Gen. 165.
Lyon.1p.
CHANGESdu4.
Am. 32.
Lond. 17:
Tam. 325.
Mad.. se5.
Bullerm
Emprunt 120ms
BoCdeh..
Caille d'Efcompt. 3891.96.. 3895.95. 3890.900.
EauxdeP.
1945.43.194019 193542..
NatEiomnp1at:7l..
Cadix. 25.5.
Liv. 176.
3900.Fo.. 3900.95, Gên 166.
1950.45. 1942.40%. Lyon.1.1.
2.2. Payura, année
1781 LettreC.
AVIS TRES IMPORTANT.
LE Public eft prévenu qu'on ne recevra jais
dans ce Journal aucune réclamation , aucun
tail d'intérêt particulier employé dans d'autres
uilles . On ne fait ufage que des lettresfignées ,
qui rendent compte de faits bien conftares.
On obferve encore que les Rédacteurs n'ont
n de commun avec l'Abonnement , la diftrition
, &c. C'eft à M. GUTH , Jeul Direâeur
Journal , hotel de Thou , rue des Poitevins ,
non à aucun d'eux , qu'il faut adreffer tour ce
Ai concerne des objets autrement des lettres
uvent importantes pourraient reffer au rebut.
Les personnes qui enverront à M. Guth des
fets fur Paris , pour acquit de leur Abonneent
, voudront bien les faire timbrer ; faute de
uoi ils ne feraient pas acquittés . Les lettres
ontenant des Affignats , doivent être chargées
la Pofte , pour ne pas courir le rifque de
égarer.
Le prix de l'abonnement eft de trente- fix liv..
anc de port pour la Province , l'Affemblée Naionale
, par fon Décret du 17 Août , ayant doublé
e port de ce Journal. L'abonnement pour Paris
ft de trente-trois liv. Il faut affranchir le port
le l'argent & de la lettre , & joindre à cette
lernière le reçu da Directeur des Poftes. On fouf
rit Hôtel de Thou , rue des Poitevins . On s'aireffera
au feur GUTH , Diredéur du Bureau dis
Mercure L'abonnement ne peut avoir lieu que
pour l'année entiere .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le