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1789, 08, n. 31-35 (1, 8, 15, 22, 29 août)
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MERCURE
DE FRA NCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONT ENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l' Annonce & l'Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectables
; les Caufes célibres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits
Arrêts; les Avis particuliers , &c. &c .
SAMEDI I. AOUT 1789.
3
A PARIS ,
Aa Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18 .
Avec Approbation, & Privilege du Roit
THE NEW
*!
PUBLIC LIBRARY
335843
ASTOR , LEMOX AND
TILDEN' FOUNDATION
1003
PINCES
Quatrain.
L Myrte.
Vers.
TABLE
de Juillet mois de Juillet 1789.
J
FUGITIVES. Des Etats - Généraux.
Le Réveil des Oiseaux.
Quatrain .
Sonnet
3
Eloge philofophique.
Formation .
4 Ditionnaire.
97 le Fils naturel
78
8
8
86
49 Traduct.on.
ICA
51De la Rédaction ,
Hijoire. I 14
327
Traduction.
93 Remarques. 13 =
L'Enfant-Trouvé. 145 De l'influence despaffions . 156
160
Vers.
-Education.
164
166
169
6 ,, 52 , 101 , 154
Variétés. 31 , 89,9, 176 .
48 La Maruife de Ben...
149 La vie de l'Homme.
Inftrutiones.
Charades, Enigmes & Logoz. victorɛne.
NOUVELLES LITTER.
Des Loteries .
Clovis e Grand.
Nouveau Voyage.
Le Come de Si - Miran.
Mémoires
OEuvres.
SPECTACLES.
8
17
Comédie Françoife. 136
138
23 Comédie Italienne.
271
55 Annonces & Notices,
661
43 .
92 , 140 , 1892
A Paris de l'imprimerie de MoUTARD
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni .
"
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 1. AOUT 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION
De l'Ode d'Horace , Eheu fugaces .
HELAS ! le temps, le temps précipite ſon cours ,
Et roule à flors preflés le torrent de nos jours ,
Sans que la piété puiffe effacer nos rides ,
Ni fléchir le cifeau des Parques homicides.
Ami , jamais Pluton , de fon droit trop jaloux ,
Ne diffère un inftant de l'exercer fur nõus ;
Rien ne fléchit le Dieu dont l'auftère puiflance
Du triple Géryon domptą la réfiftance.
A 2
MERCURE
A ce Dicu fans pitié n'offre point de rançon
On ne rachète point les droits de l'Achéren .
Vainement un mortel , prodigue d'hécatombe ,
Croiroit , à prix d'encens, s'exempter de la tombe g
Il n'en fera pas moins le célèbre trajer
Qui place le Monarque à côté du Sujet.
Je veux que Mars fanglant daigne épargner nos têtes
Que Neptune indulgent nous dérobe aux tempêtes,
Que le vent du Midi , funefte après l'été ,
Ne nous moiſſonne point par fon fouffle empeſté :
Enfin , aux bords fangeux du Cocyte livide ,
Il faut de Danaiis voir la race perfide ,
Voir Sifyphe accablé de maux & de remords ,
Et qui repouffe un bloc rebelle à fes efforts.
Ami , tu quitteras , poffcffeur peu durable ,
Ton palais , ton domaine , & ton époufe aimable :
Des arbres dont tes mains ont peuplé ton verger ,
Le cyprès fuivra feul un maître paffager :
1
Ton nectar, préférable au vin des facrifices ,
Doit couler à grands flots fous de meilleurs aufpices ,
Et bientôt les cent clés qui gardoient ton cellier ,
Obéiront aux mains d'un heureux héritier.
( Par M. Baudin , Commis de la
Marine à Cherbourg. )
DE FRANCE.
ON
IMPROMPTU ,
N dit que chez Zelmis , avec un ſoin extrême ,
Tu te cachas , ami , quand Fierenfat furvint....
J'ai regret. —Juge mieux de mon bonheur extrême.
On cache celui que l'on aime ;
On trompe celui que l'on craint.
( Par un Abonné. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Anon ; celui
de l'Enigme eft l'Eſprit ; celui du Logogriphe
eſt Mari , où l'on trouve Mai , Mi ,
Ma , Ami.
CHARADE.
Mon premier plaît au Chaffeur ;
Mon dernier bleffe un grand coeur .
Mon entier plaît au Seigneur.
Par M. L... de Moncy. )
A 3
MERCUREI
JE
É NIG MEY
E plais , déplais ; mais où... ? devine.
Vois tel jardin , & telle échine.
''''(Par un - Abonne. )
LOGOGRIPHE
UTILEMENT guidé par une adroite main ,
Je fuis , fi l'on m'en croit , le maître du terrain ;
Ferme fur mes cinq pieds , j'exerce mon office ,
Toujours fuivi d'un bon où d'un mauvais ſervice
Sans être fanfaron ( mais foit dit entre nous ) ,
De me voir débufqué je ne fuis point jaloux.
En m'examinant bien', s'il vous ' prend cette envie,,
Vous verrez que je puis vous garantir la vict
J'offre enfuite un métal , d'ornement du gouflet , i
Et dont , moi qui vous parle, ai fouvent le mien net ;
Une conjonction dans le vers qui précède ;
Un Tribunal fecret où foi-mênie on procède;
Du loyer d'un va ffeau le terme pofitif ;
Enfin de l'eftomac un maudit fugitif.
}
Ajoutez cependant que mon humeur bachique
Se manifelte auffi- dans l'Art de la Mufique
Qu'un de mes attributs eft furtout d'étre fost ,
Et que , quant à l'Auteur , il fe nomme Le Pord,
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ESSAI fur l'Hiftoire des Comices de Rome,
des Etats- Généraux de la France , du
Parlement d'Angleterre. 3 Vol. in - 8 °.
Prix , 10 liv . 10 f. br. , & 12 liv . francs
de port par la Pofte. A Paris , chez
Maradan , Lib. Hôtel de Château-Vieux,
rue S. André des-Arts.
CET
""
ET Ouvrage eft , fans contredit , un de
ceux qui , dans la crife préſente des affaires,
ait fu dire avec le plus de modération les
plus importantes vérités ; qui ait le mieux
fu toucher aux bafes de trois puiflans Empires
fans les fouiller , & les comparer fans
en humilier aucun . Son début eft en même
temps une vérité & l'expreffion d'un fentiment
profond. Eh ! oui , nul homme
" ne peut gouverner feul. Il y a des
temps
» où les Confeils dont les Rois s'entourent,
" ne fuffifent plus ; il faut alors confulter
la volonté générale de tous les Membres
qui compofent l'Etat. Ainfi tous les peu-
» ples ont eu des Affemblées Nationales .
» Dans les Sociétés naillantes & qui font
» peu nombreuſes , on convoque tous les
"
A 4
MERCURE
"
individus , on connoît la volonté générale
; on agit d'après ce qu'elle ordonne.
" Dès que la Société augmente , les difficultés
fe multiplient , les intérêts fe croi-
» fent , les factions fe forment , on compte
» les voix, le grand nombre n'indique plus
» que la volonté d'une partie , & nulle-
» ment la volonté de tous . Dans chaque
"
Etat , les Législateurs ont inventé des
» formes différentes pour parer à ce grand ,
» à ce terrible inconvénient qui déchirel'Affemblée
, qui foumet la volonté gé-
» nérale à la volonté du parti le plus nom-
>> breux ou le plus puiffant.
ور
و ر
" Les petits Etats ont eu les plus grands
Légiflateurs, les feuls du moins qui foient
» célèbres . Ce n'eft guère , en effet , que
» dans les petites Républiques qu'on peut
eflayer de mettre en pratique les règles
» d'une théorie purement morale.... Les
grands Etats font des machines trop compliquées
, où les frottemens ont trop de
puiffance , pour qu'elles s'accordent avec
» la précifion du calcul mathématique . Cependant
, fi elles étoient contraires à tout
principe, elles ne marcheroient point, ou
» le mouvement qu'on leur imprimeroit
par force, ne ferviroit qu'à brifer leurs
refforts & à les détruire abfolument «.
"
"
ور
Il n'eft aucun de nos Lecteurs qui ne fente
la jufteffe de ces réflexions , & qui ne fi
tenté d'accorder fa confiance à l'Auteur qui
DE FRANCE.
9
་
débute ainfi. Nous voudrions bien pouvoir
le fuivre de parallèle en parallèle , ra procher
trois Nasions célèbres , & conclure
avec lui , que les hommes en général ne
font rien que ce que leur fituation leur
» permet ou les oblige d'être «. Le tableau
des Républiques de la Grèce , comparées à
Rome dans les différens âges , eft rempli
de vûes profondes fur la meilleure organifation
des Etats ; on aime à lire ce e l'Aureur
dit , p. 3 , Tome I , fur le Tribunat :
» La puiffance législative , apanage du Peu-
» ple , eft prefque toujours ufurpée par la
» puillance exécutive , apanage du Prince
» ou du Gouvernement. Toute puiffance
» s'affoiblit en s'étendant , máme la légiflative.
Quand le Corps politique eft com-
" pofé d'un petit nombre d'hommes , cha-
» cun met une grande importance à fa
❤ voix , qui en eft la centième ou la mil-
» lième partie ; mais quand elle n'eſt plus
» qu'un cent millième , ou une cinq cent
» millième partie de ce Corps , elle devient
» fi foible , fi minime , qu'elle eft prefque
» nulle. Chaque individu , annih , pur
» ainfi dire, comme partie du Législateur,
refte pourtant tout entier expofé, comme
Sujer , au pouvoir exécutif. A Rome , ce
» pouvoir étendu dans le Sénat , & partagé
entre les deux Confuls, pouvoir être
refferré tout à coup par l'élection d'un
33
"
» Dictateur. Le Sénat auroit bientôt en-
» vahi la fouveraineté , fi le Peuple n'avoit
A S
10
MER CUIR E
»
ور
pas fu la défendre , en la mettant fous la
garde de deux. Magiflrats. Les Tribuns
n'eurent d'abord d'autre autorité que celle
d'arrêter le mouvement trop rapide du
pouvoir exécutif. Leur oppofition fut
plus rapide encore : ils n'avoient qu'à
dire veto , & le mouvement s'arrêtoit.
Par cette inftiturion , les Sujets , Mem
» bres devenus trop foibles d'un Légifla
teur op nombreux , furent défendus
» contre les entreprifes du Gouvernement ...
» Le Tribunat établi , la Conftitution de
» la République eut toutes les parties ; elle
» fut entière , & auffi parfaite que le peat
» être une inftitution humaine . Les feuls
Plébé ens parvenoient au Tribunat . C'eft
» en effet au Peuple qu'il importe de
» conferver la Conftitution : intérêt des
»
"
"
Co
t
Grands eft de l'envahir. Le refte de l'Hif-
» toire Romaine n'offre plus . que le jeu
» des différentes parties de cette Conftitu
» tion : machine étonnante , qui réfifta tous
jours à toutes les attaques extérieures
» qu'elle éprouva , & qui ne fe détruist
» que par le frottement de fes propres roua-
" ges. L'Empire Romain fubfifteroit peut-
» être encore, fi la puiffance Tribunitienne
» eût modéré la marche trop rapide de la
33
puiffance impériale : elle eût empêché
» que l'Empire ne tombâr dans les mains
» de la foldatefque « .
Le paffage de l'Empire Romain à la MoDE
FRANCE.. 11
narchie Françoiſe fe trouvoit amené naturellement
, & l'Auteur fuit fidèlement le fil
de la Conftitution dès la première origine ;
il ne nous confole point , & nous fommes
forcés de foufcrire à cet anathême effrayant.
33
»
-
Qu'ont produit les Affemblées de Mars ,
» dit -il ? des crimes , uniquement des cri-
» mes. Les Caligula , les Néron , les Domi-
» tiens , dont l'efprit étoit aliéné , n'ont
» pas commis plus de crimes que les fils ,
» les petits fils , les arrière - petits- fils de
Clovis . Les Comices , dit l'Auteur ,
établirent à Rome un Gouvernement mu-
» nicipal , & ne confièrent les grands emplois
, le commandement même des Ar-
» mées , qu'à des Magiftrats. Les Affemblées
» des Francs n'élurent que des Chefs mi
liraires , & laiffèrent ces Chefs s'empa
rer des fonctions de la Magiftrature «.
33
33
"
و ر
L'Auteur , après avoir peint les moeurs
& l'état des anciens Francs , faifit habile
ment l'époque de la grande révolution qui
fe fit en France fous Clotaire II. A certe
époque , avoit dit Montefquieu , les Maires
du Roi devinrent ceux de la Nation . - Les
Evêques , dit l'Auteur , étoient inamovibles
: les Maires voulurent l'êrre ; les Ducs,
les Comres , les Marquis prétendirent auffi
à le devenir. Mais les Francs étoient en
core bien éloignés d'être une Nation , car
on ne voit pas que ces Placites ou Conciles
euffent quelque influence légale fur les Roi
--
A 6
12 MERCURE
Le précis des Affemblées tenues fur la fin
de la première Race , ne femble que trop
confirmer cette affertion . Mais le Lecteur
eft bien.ôr confolé par les Réflexions de
l'Auteur : p . 160 , Tome 1 , il y verra ce
que les Rois ont pu & dû avoir , & ce qu'ils
n'ont pu ni dû ufurper, La Conftitution
politique n'étoit pas mieux établie fous
Charles Martel ; & quand Pepin aſſembla le
Concile de Leptines , il s'étoit écoulé plus
de cinquante ans depuis la dernière Affembl
´e. L'Auteur relève affez bien l'Abbé de
Mably , qui fe phin de la légèreté des François
qui refuloient de venir aux Affemblées
. S'ils en euffent retiré de grands
avantages , ils n'euffent pas eu cette indifférence.
Plus une Affenablée le rapproche
par le nombre de fes Membres , du
» nombre des Habitans da territoire , plus
» elle eft confidérée ; plus elle s'en éloigne ,
» moins elle eft attachante . S le nombre
» en diffè e excellivement , ce n'est plus
fous un grand non qu'un fimple Confeil
, & ce Confeil n'est plus la chofe publique
".
و د
»>
Charlemagne trouve fous la plume de
l'Auteur des traits facteurs & qui le font dmirer.
Ce Roifit tour e qu ' ! pur pour échirer
la Nation . Mais le People ne fot point ,
comme on l' avancé dans ces derniers
temps , affez confidéré , si appelé aux Affemblées
Nationales. Ce n'eft pas que le
DE FRANCE. 13
» Peaple , dit l'Auteur , n'eût fes droits ;
" mais il n'en jouiffoit pas : ils font im- *
» prefcriptibles ; & quand on l'en-dépouilloit,
on employoit des formules qui prou
voient fa poffeffion ".
Les Affemblées de la feconde Race ne
procuroient pas plus que celles de la première
une unité , une Conftitution ; elles
furent célèbres par les attentats qu'elles fe
permirent contre les Rois. Il faut lire attentivement
depuis l'époque où Suger s'occupa
du bonheur du Peuple , l'état de la France.
fous la troisième Race , jufqu'à Philippe le
Bel , époque où les trois Ordres furent diftinctement
appelés aux Etats Généraux , &
où le Peuple , en fe foumettant à payer
les impôts , défira des Loix , & demanda
d'être garanti de l'oppreflion des Nobles .
Les Etats de 1355 en offrirent bientôt la
preuve. Le Dauphin fit crier, dit l'Auteur ,
dans Paris , la défenfe aux Etats de fe raf-
» mbler à Pâques. Le Peuple fe ſouleva ;
» le Dauphin leva fa défenſe , & convoqua
» les Etats ".
Les Etats Généraux , qui fe fuceédèrent,
ne fervirent qu'à divifer les Ordres , & à
conteſter à la Nation les droits qu'elle réclamoit.
Ceux de 1483 furent les feuls
qu'on puiffe cirer avec quelque fatisfaction :
» mais à force de faire valoir des droits
particuliers , il n'y fut point queftion de
» droits nationaux. Cette grande Affemblée
"
14 MERCURE
» ne fut d'aucune utilité par elle-même , &
» ne produifit aucun effet fur le Gouver
" nement. En vain les Etats avoient mani-
» fefté le voeu de fe raffembler dans deux
ans , & n'avoient établi les impôts que
» pour un feul : on ne les convoqua point ;
on leva des impôts contre leur gré «. "3
>
Les Erats qui fuivirent n'eurent pas des
fuites plus heureufes ; l'Auteur les analyſet
avec exactitude & fageffe , & le réfumé des
Etats de 188 & de 1615 , eft fait avec
difcernement. La récapitulation , p . 158
Tome II , mérite d'être méditée attentivement
, & nous penfons comme l'Auteur
qu'il s'en faut bien que les Etats Généraux
de la France puiffent être affimilés pour les
heureux réfutas aux Comices de Rome.
Qu'on life fur-tout , à l'occafion du Tiers-
Erat , page 154 & fuivantes , Tome II , on
en conclura facilement que la Nation n'a
jamais été complètement affemblée ; les Députés
des campagnes admis depuis Charles
VIII aux Etats , n'ont point augmenté le
nombre des Repréfentans du Peuple.
Le tableau de la Conftitution d'Angleterre
fuit celui de la France ; & il eft magqué
au même coin que tout ce qui a précédé.
On fent à merveille quelles ont éré,
en Angleterre , les caufes qui ont affaibli
l'autorité royale , pendant que les meines
motifs l'augmentoient en France ; & comment
ces deux Royaumes , partis du même
DE FRANCE. as
point , fi femblables dans leurs Loix , font
fi différens l'un de l'autre , & ont fini par
n'avoir aucune reffemblance. On voit tous
les efforts que les Rois d'Angleterre ont faits
pour révoquer la grande . Charte , ce bouclier
des Communes, défendu même pár
les Barons ; & rien n'eft plus vrai que la
réflexion fuivante. -Dans l'ancienne Rome,
le Peuple forma la Conftitution malgré le
Sénat & les Patriciens en France , les
Rois la formèrent malgré les Grands ; en
Angleterre , les Grands l'établirent malgré
les Rois --. Nous invitons nos Lecteurs à
lire les pag. 3 & fuiv. du Tome III , dans
lefquelles l'Auteur développe les motifs qui
ont affranchi les Anglois du préjugé qui
nate d'infamie les familles des criminels ;
& qui ont adouci les fupplices , aboli les
tortures ; l'Hiftoire du Parlement d Angle
terre , fes , variations dans les principes , les
iniufiices , fes complaifances pour les Tytans
& pour le parti dominant , depuis fes
troubles de la Maifon de Lancaftre jufqu'à
l'expulfion de Jacques II , font trèscurieux
, & nous ferions prefque tentés
d'être entièrement de l'avis de l'Auteur. Le
defpotifme que Cromwel exerça fur ce
Corps , n'eft pas la partie la plus honorable
de fon Hiftoire ; & ce n'est qu'en 1707
qu'il prend un efprit patriotique , & qu'il
n'eft plus que le Parlement de la Grande-
Bretagne,Le réfumé de la Conflitution d'Angleterre
, & de la compolition du Corps po16
MERCURE
C
litique , pag. 252 & fuiv. du Tome III , ne
nous paroît pas prouver une meilleure Lé
gflation poffible ; un pays où la fortune
exclut du droit de repréfenter la Nation
eft un pays où il reste encore à faire à fa
Conftitution ; nous n'approuvons point que
les Députés n'aient en Angleterre que leur
confcience pour guide , & qu'ils votent
d'après cette balance trop verfatile. Le Par
lement d'Angleterre fait des Loix , il eft
vrai ; mais il eft faux que les Etats -Généraux
en Fance ne puiffent que préfenter
leurs doléances. Nous penfons que l'Auteur
devient trop le Panégyrifte du pouvoir exécurif
en Angleterre , & que le droit réfervé
au Roi de diffoudre le Parlement , a
plus d'inconvéniens qu'il ne veut en convenir
; & la vénalité de ce même Parlement
n'eft que trop bien reconnue : mais
une obfervari n à laquelle il eft impoffible
de répond e ; c'eſt , comme dir l'Auteur
que la Monarchie nglife eft la feule qui
fe foutienne fa s tropes. Il eft inutile de
rien dire de plus en faveur de fa Conftitution.
Dans toutes les Monar. hies , l'autorité
du Gouvernement eft fuppofée illimitée.
En Angleter e , c'eft tout l'oppofé ; c'est
la liberté du fujet qu'on fuppofe illimitée .
» Voilà pourquoi , dit l'Auteur , tout ce
qui n'eft pas d fendu à la lettre , fe
» trouve rernis en Angleterre ; & c'est
anti pourquoi les Loix y font établies
felon leur ordre naturel .
30
22
DE FRANCE
17
Nous le répétons encore une fois , l'Ouvrage
que nous venons d'analyfer eft un
de ceux qu'il eft effentiel d'avoir médité ,
afin de pouvoir comparer enfemble trois
Nations puiffantes , & établir des bafes
fûres pour pouvoir les atteindre & les furpaffer.
Tout n'eft pas dans cet Ouvrage
de la même force , & on diftingue les
parties que l'Auteur a écrites avec précipitation
, & l'époque où les circonftances
l'ont déterminé à réduire fon plan. Il
a fans doute fes raifons ; il n'auroit peutêtre
pas trouvé une occafion auffi favorable
pour rendre fructueuſes tant d'importantes
leçons.
Les Amours d'Anas- Eloujoud & de Ouardi ,
Conte traduit de l'Arabe par M. SAVARY.
Ouvrage pofthume. A Paris, chez Oufroi,
Lib. rue St-Victor...
LE fuccès des Mille & une Nuits & de
quelques autres Contes Arabes avoit répandu
le goût de cette forte d'Ouvrages ;
& l'on vit bien tôt paroître en foule des
Contes foi-difant Arabes , où l'on s'efforçoit
d'imiter le ftyle & les tours de l'original :
mais la partie la plus intéreffante , celle des
moeurs , y manquoit toujours ; on voyoit
ailément que l'Europe avoit produit ces
MERCURE
fruits prétendus Orientaux ; & que les
Auteurs n'avoient appris à connoître Bagdad
que dans les boudoirs de Paris .
On ne peut pas faire le même reproche
aux Amours d'Anas -E( oujoud , & de la belle
Ouardi. Les évènemens , les caractères ,
les defcriptions , le ftyle , tout y refpire les
moeurs orientales ; & quand on ne fauroit
pas que M. Savary avoir apporté de fes
voyages le Manufcrit Arabe de ce Conte
intéreffant , on ne pourroit fe méprendre
à la teinte originale , & au goût de terroir
qu'on y découvre à chaque page.
Voici quelle eft en abrégé l'intrigue dé
ce petit Roman.
Anas -Eloujoud ( 1 ) eft un jeune Cachemirien
, enlevé dans fon enfance par des
brigands , vendu au Roi de Perfe Chamer
& mis par ce Prince au nombre de fes
Mamlouks. Il fe diftingue bientôt de tous
fes camarades ; il devient leur Chef , &
ayant fauvé la vie au Sultan dans une
bataille , il gagne entièrement la faveur
eft nommé fon Grand- Echanfon & le Gé
néral de fes Armées .
Il paroît dans des jeux publics , célébrés
à Ifpahan. It remporte tous les prix , & il
efface tous fes rivaux autant par fa beauté
& fa magnificence , que par fa valeur &
fon adreffe.
(1 )Ce nom fignific en Arabe, l'homme accompli
DE FRANCE. 19
Quardi , fille du Vifir , le voit revenir en
triomphe , elle en devient éperdument
amoureufe . Elle fe confie à fa Gouvernante ,
& l'envoie porter un billet à celui qu'elle
aime. Anas- Eloujoud lui répond . Secondc
miflive plus preflante que la première . Une
noifième alloit partir. Le Vifir rencontre
la Meffagère, Son afpect imprévu la glace
d'effroi . Elle laiffe échapper la lettre. Le
Vilir y apprend la pathon de fa fille pour
un Etranger. Il veur d'abord laver cet .
affront dans fon fang ; fa femme parvient
à l'appaifer : il ſe borne à conduire la malheureufe
Quardi dans un château qui lui
appartient au milieu de l'ffle Solitaire,
fituée vers l'extrémité du golfe Perfique."
Il fait équiper un vaiffeau , le charge de
richeffes , d'Efcláves & de meubles pré
cieux, & commande à Ouardi de le fuivre,,
Elle attendoit fon) Amant vers la fin de
cette même nuit. Elle n'a même pas le
temps de le faire avertir. En quittant la
maifon paternelle , elle s'arrête au bas de
Tefcalier par où Anas - Eloujoud devoit s'introduire
, & elle écrit ces mots fur la muraille
O palais que j'habitai depuis mon
» enfance fi mon Amant fe rend ici
" au nom de Dieu , apprends lui ma deftinée
! dis-lui : L'infortunée Quardi a été
enlevée avant l'aurore. Pour la payer des
pleurs qu'elle a verfés, pleure à ton tour,
» & lis fur cette pierre les fignes de fa dif-
"
מ
"}
20 MERCURE
こ
"
و ر
grace. Mes voeux ont été trompés : mon
père a furpris la lettre que je t'écrivois . Si
après mon infortune tu ne quittes ton
palais pour me fuivre , je me leverai
» contre toi au jour du Jugement , & je
t'accuferai à la face de l'Univers "
2
Elle part enfin baignée des larmes de
fa mère , & même de celles de fon père ,
qui l'aime , qui la plaint , mais qui demeure
inflexible. Elle arrive dans l'Ile Solitaire.
Son père l'y laiffe avec un nombreux
cortège de femmes , & revient à
Ipahan.
1:
Cependant Anas - Eloujoud fe rend au
palais de Ouardi ; il monte fur un mur ?
ne voit perfonne dans toute cette enceinte ,
defcend dans une cour , & découvre au
bas de l'efcalier qui lui avoit été indiqué,
les mots tracés de la main de fa Maîtreffe :
il s'en retourne défefpéré , fe déguile en
& part pour chercher Ouardi . pauvre ,
Après avoir inutilement couru de ville
en ville , il rencontre un vieux Derviche;
qui lui indique le lieu où la fille du Vifir
eft détenue. Il fe rend fur les bords de
'Euphrate , loue une barque , & engage
le Patron à le conduire à l'Ifle Solitaire. Ils
avoient defcendu le fleuve , & commençoient
à s'approcher de l'ifle une tempête
furvient ; la barque fe brife , le Pilote
eft fubmergé Anas Eloujoud fe fauve
en nageant : il refte évanoui fur le rivage :
-
DE FRANCE. 21
le foleil le ranime , il gagne le penchant
d'une colline , où il s'endort.
Ouardi renfermée depuis trois ans dans
cette Ifle , ne s'y éccupoit que de fon Amant.
Elle avoit toujours efpéré qu'il découvriroit
fa retraite , & qu'il viendroit la délivrer
; laffe enfin d'une fi longue attente ,
elle forme le projet de s'échapper. Elle
trompe fes Gardes , defcend par une fe
nêtre du côté de la mer , apperçoit un
Pêcheur dans fa barque , lui fait figne avec
fon mouchoir , fe confie à lui , & le prie
de la conduire à la première ville . Après
trois jours de navigation , ils arrivent à
Bagdad.
Le brave & généreux Diouan y régnoit.
Des fenêtres de fon palais , il voit Ouardi
entrer dans le port. Frappé de fa beauté
& de la richeffe de fa parure , il lui en--
voie deux Efclaves pour l'inviter à venir
fe mettre fous fa protection . Elle fe rend
en tremblant auprès de lui , & les yeux
baignés de larmes , lui raconte fes malheurs.
Diouan députe vers le Sultan Chamer ,
fon Vilir , avec quatre - vingts chameaux
chargé de préſens , pour le prier de lui cn
voyer Anas- Eloujoud.
Ce fidèle Amant s'étant réveillé fur les
bords de l'ifle Solitaire , marche vers le château.
Il fe donne pour un malheureux
Marchand ruiné par la tempête , & à peine
échappé ſeul au naufrage. On le laiſſe en
MERCURE
trer. Il pénètre dans les jardins intérieurs.
Il voit fur l'écorce des orangers le chiffre
de fon Amante & le fien . Il cherche , il
épie , il écoute. Il rencontre les femmes
de Ouardi qui s'étoient apperçues de la fuite
de leur Maitreffe , & la cherchoient avec
inquiétude. Anas - Eloujoud plus inquier encore
, fe met avec elles à fa pourfuite ,
fans fe faire connoître.
L'Ambaffadeur de Diouan ayant adreffé
au Roi de Perfe la demande de fon Maître
, Chamer répond que le Héros qu'on
lui demande a difparu depuis trois ans.
L'Ambaffadeur lui avoue que c'eſt Ouardi ,
arrivée depuis peu à la Cour de Bagdad ,
qui pleure Anas- Eloujoud & défire de le
revoir. Chamer en conclut qu'elle a caufé
la fuire de fen Favori ; il fait appeler fon
Vifir , père de Ouardi , & le menace de
le faire périr lui & toute fa race , s'il ne
lui ramène Anas - Eloujoud. Le Vifir part
pour l'ifle Solitaire. Il y trouve fes Efclaves
en larmes , qui lui prennent l'évafion de
fa fille , & lui préfentent ce jeune Mar- 1
chand qui l'a fi long-temps & fi inutilement
cherchée avec elles . Le père & l'Amant
fe reconnoillent. La fcène commence
par des reproches , & finit par un attendri
Tement mutuel. Anas - Elonioud revêtu d'h..
bis fomptueux , part avec Ibrahim pour la
Cour de Perfe.
-
Leurs ennemis y avoient tram leur ruine.
DE FRANCE. 23
Craignant de voir le Favori du Prince ren
trer en grace , ils l'avoient noirci par les
plus affreufes calomnies ; ils obtiennent enfin
l'ordre de le faire arrèter avec le Vitir à
fon entrée dans Ipahan . Cet ordre eft exécuré.
Ils font tous les deux renfermés dans
un château.
Le retour de l'Ambaffadeur avoir fort
inquiété Ouardi , qui avoit appris de lui
que fon Amaut étoit difparu depuis trois
ans. Mais elle reçoit une lettre qu'il lui
écrit , avant que d'arriver à Ipahan , ayant
été inftruit en route qu'elle s'étoit refugiée à
la Cour de Bagdad . Elle eft toute confolée ,
toute ravie du retour d'Anas- Eloujoud &
de fa lettre. Elle ne doute pas que récon
cilié avec fon père , il ne vienne bientôt
la chercher . Mas après un mois d'attente ,
elle apprend la difgrace & la détention de
fon Amant & de fon père . Le généreux
Diouan , touché de fa douleur , envoie
fon Grand Vifir demander au Sultan Chamer
la liberté des deux prifonniers , Leurs cnnemis
dominent dans le Confeil ; la demande
eft refufée ; & les illuftres captifs
font refferrés dans leurs chaînes.
Diouan lève une armée , marche contre
la Perfe , & pénètre jufqu'à la Capitale .
Chamer ayant railmblé toutes fes forces ,
lui préfente la bataille ; elle et des plus
ſanglantes ; Dicuan alloi : être vaincu , forfqu'Anas-
Eloujoud paroit dans la mêlée à
la tête des Mamleuks fes frères d'armes :
24 MERCURE
ils avoient toujours vu avec douleur l'hor
rible injuftice qu'on lui avoit faite , & dès
le commencement du combat ils s'étoient
détachés de l'Armée de Perfe , pour le dé
livrer de ia prifon. Cette troupe invincible
fait changer la fortune ; Chamer eft mis en
fuite , & ne rentre qu'avec peine à Ifpahan
, avec les débris de fon armée.
Diouan d'pêche un Courrier à Ouardi.
Il revient lui - même à Bagdad , accom
pagné d'Anas- Eloujoud , & du vieil Ibrahum
, qui avoit été ainfi que lui délivré
par les Mamlouks. La mère de Ouardi y
arrive peu de temps après. Cuardi voit réu
ni autour d'elle tous les objets qu'elle aime.
Diouan , généreux juſqu'à la fin , la dote
richement , nomme Anas- Eloujoud Commandant
général de les Armées ; & les
deux Amans , comblés de fes bienfaits , deviennent
enfin d'heureux époux.
On voit que pour peu que l'Auteur & le
Traducteur aient mis de formes agréables
à ce fonds intéreffant , ce Conte ne peut
manquer de plaire . Nous nous en rappor
tons au goût de M. Savary pour le mérite
de l'original , & à la connoillance de la
Langue Arabe , pour la fidélité de la traduction
. Quant au mérite du ftyle dont nous
fommes plus à portée de juger , nous dirons
qu'il y a peu d'Ouvrages de cette
efpèce aufli agréablement écrits , & qu'on
y_retrouve par - tout la clarté , l'élégance
&
DE FRANCE
25
& la grace qui caractérisent les productions
de cet Autour , trop tôt enlevé aux
Letires. Quelques exemples fuffiront pour
prouver , & pour donner en même temps
une idée de la manière dont les moeurs &
les caractères font peints dans ce petit Ouvrage.
"}
33
92
"
» Anas-Eloujoud , entouré d'un magnifiqué
sertége , traverfa la ville au milieu
" des foldats rangés fur fon palinge , &
fe rendit dans la campagne. Il combattit
» avec la lance & le javelor. Son adreffe
" & fa force brilièrent dans ces divers
exercices. Il défarmi les plus braves guerriers
. A ces luttes faccéda la courfe. Cent
Ecayers Perfans s'élancent de la barrière.
La terre retentit Tous les pieds de leurs
chevaux ; ils vont avec la rapidité de
» l'éclair ; an nuage de pouffière les enveloppe
on les diroit portés fur les ailes
» de la tempête. Anas Eloujoud , penché
* fur les crins flettans de fon courlier , le
Hatte de la main , l'excite de la voix :
trois fois il devança fes illuftres rivaux :
" trois fois il parcourut le premier la carrière.
Ayant remporté toutes les palmes
» le foir il rentra dans les murs de la capitale
, précédé de Muficiens , & annoncé
par les fanfares des trompettes ; il
s'avançoit fuivi des acclamations du
peuple & du défefpoir de fes envieux
» La Lune jalouſe cacha fon globe argenté.
Nº. 31. 1 Août 1789.
H
"3
33
و ر
"
3
26. MERCUREA
1
ود
ود
ود »LafilleduVific,labelleOuardi,va
paroitre dans mes chants. Elle avoit vu
paffer ce jeune Seigneur avec une ſecrète
» émotion ; déjà la prompte renommée lui
» avoit redit fes fuccès ... & c . « . L'éclat
de cette marche triomphale , éclairée par
des lumières innombrables , & tour fur - cour´
la beauté du Vainqueur , laiffent une inpreffion
profonde dans le coeur de Ouardi
la nuit , elle ne peut trouver le repos ni
le fommeil. Une flamme intérieure pénétroit
tous fes fens. Cette vierge égarée
perdit l'ufage de la raifon. Elle ne put
» réfifter à la violence de fon mal elle
appela fa Gouvernante ; elle pleuroit ,
» & effuyoit fes larmes avec un tiffu de
» foie orientale & c. , « .
"
"
>>
On ne lit point fans attendriffement le
départ de cette jeune infortunée pour l'exil
où fon père fe croit obligé de la conduire.
Lorfqu'elle alloit partir , fa mère accourut,
l'embraffa tendrement , & après avoir
mouillé fon vifage de fes larmes
23
"3
› lui
dit : O ma fille ! qui peut lire dans l'a-
» venir ? peut-être un jour reviendras- tu
» rendre la joie à nos coeurs . O faute malheureuſe
qui nous force à ton exil ! fautil
que par ta perte nous achetions l'honneur
de notre famille tu pars ; & le
lieu où j'ai élevé ton enfance va devenir
une folitude. Tu faifois ma gloire &
ma confolation. Hélas ! mon bonheur
s'enfuit avec toi. La douleur feule ma
33
DE FRANCE. 27
93
ވ
-
refte. Ton abfence va couvrir mes jours
» de ténèbres . Ton appartement défert fervira
de retraite aux oifeaux nocturnes.
Je n'y entrerai plus. Hélas ! la force m'abandonne
. Mes habits font devenus un
» poids infupportable . Ton départ me fait
» mourir. La tendre Ouardi , fuffoquée
» par les larmes & les fanglots , ne put répondre
une parole : elle baifoit en gé-
» miffant les mains de fa mère ; elle la pref-
" foit contre fon fein. Il fallut l'arracher
de fes bras , pour la faire monter dans
la litière qu'on lui avoit préparée . Alors
elle fentit toute l'horreur de fa deftinée .
» & parut comme abîmée dans la dou-
» lear. Le Vifir la voyant dans cet état ,
» oublia fon courroux pour ne fe fouve-
" nir que de fa tendreffe . Ma fille , lui
و ر
-
dit -il , n'ajoutez pas aux maux que fouf-
" frent vos parens. Je fuis femblable à
» l'oeil qui a perdu ce qu'il aime. Son mal
s'aigrit , & le Médecin lui manque. Mes
jours vont fe changer en nuits fombres.
» Je ferai étranger dans mon propre pa-
» lais . Mais ne renonçons pas à l'efpérance.
Eh qui peut pénétrer les décrets du
" Très-Haut « ?
">
"
Voilà de ces peintures vraies & naturelles
qu'on ne trouve que dans les Anciens &
dans les Auteurs Orientaux, qui font, comme
les Anciens l'étoient , plus près que nous
de la Nature . Il nous feroit aifé de mul
tiplier ces citations ; mais elles perdent à
B 2
23
MERCURE
,
être détachées du fil de la narration. Nous
invitons nos Lecteurs à les lire dans le
Conte même , il en eft peu de ce genre
dont la lecture intéreffe davantage.
On doit regretter avec l'Editeur , que la
mort prématurée de M. Savary l'ait empêché
de publier en notre Langue un Recueil
complet de tous les Romans Arabes
dont il s'étoit procuré les originaux pendant
les voyages. Mais il eft encore plus
à regretter qu'il n'ait pu terminer les Letrres
fur la Grèce. Il n'en a paru qu'un
Volume , qui juftifie & augmente ce regret.
Diverfes circonftances nous ont empêchés
jufqu'ici d'en rendre compte. Mais l'extrait
en paroîtra inceffamment. La mé
moire & les Ouvrages d'un jeune Littérateur
, aufli diftingué par fes talens , qu'étranger
à tout ce qui rend quelquefois les
talens méprifables ou dangereux , doivent
être chers à tous les véritables Amateurs
des Lettres,
Cas Article eft de M. G....
DE FRANCE. 19
LETTRES de Sterne, nouvellement publiées
à Londres , & traduites de l'Anglois
pour fervir de Supplément au Voyage
Sentimental & aux autres Ouvrages du
même Auteur. Prix , 1 liv. 16 fous broc.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Defray , Libraire , Quai des Auguftins ,
No. 37.
ON a élevé en Angleterre quelques
doutes fur l'authenticité de cet Ouvrage ,
mais non fur fon mérite ; à cet égard ,
il a réuni le fuffrage de tous les Journa
liftes voici ce qu'en dit l'Auteur dr
Monthly review , connu par fon impar
tialité & fa judicieufs critique ..
:
" On donne ces Lettres au Public , fans
» qu'une feule ligne indiquc à qui il doit
" un préfent fi agréable ; point de Dédi
cace qui trahiffe le nom de l'Editeur
ووب
15
point de Préface qui donne l'idée d'une
» découverte faite dans le porte - feuille de
quelques amis de Sterne peut-être ce
joli Ouvrage eft- il jeté à l'abandon , pour
» exercer la fagacité de MM . les Critiquès .
» Qu'il en foit ce qu'il voudra , ces Let
» tres font en elles - mêmes excellentes & :
» dans le vrai ftyle Shandeen ; elles font
telles que Sterne auroit pu les écrire
B 3
30 MERCURE
"3
ور
22
ود
, כ
و
telles qu'il ne les auroit certainement pas
» défavouées . Pour le Lecteur familier avec
» les bons Ouvrages de cet Auteur , nulle
" raifon de douter qu'elles foient originales
; cependant elles paroiffent fi fupé-
» rieures à celles que Madame Medaille a
publiées , qu'en les attribuant à Sterne
> nous fommes forcés de dire qu'il les a
foignées d'une manière particulière &
écrites con amore. On obfervera qu'il
règne le même goût de ftyle dans toutes
ces Lettres , quoiqu'adreffées à différentes
perfonnes. En un mot , fi c'est une
fraude littéraire , nous y gagnons un Ecri-
» vain de plus , car la paftiche fervit au,
» deffus du tableau original . Nous avons
» lu ces Lettres avec le plus grand plaifir ,
≫ & nous ofons les recommander comme
également propres à inftruire & à amufer ;
» elles font pleines de cet efprit de philan-,
thropie & de bienfaifance qui caracté-
» rife les Ouvrages de Sterne , fans être gâtées
par aucuns des défauts que quel-
" ques Lecteurs leur reprochent
و ر
و د
D'accord avec le Journaliſte Anglois fur
le fond de l'Ouvrage , il ne nous refte qu'à
rendre compte de la Traduction ; elle eft.
d'un homme qui traduit très-bien , parce
qu'il ne traduit pas toujours. Le ftyle en
eft vif & faillant , quoique pur en un
mot , on voit que c'eft l'Ouvrage d'un Lite
térateur qui lui même eft en état d'écrire .
Nos Lecteurs pourront en juger par quel¬‹
DE FRANCE.
31
ques paffages pris au hafard dans ces Lettres
vraiment fentimentales.
Nous citerons une de ces peintures d'un
bonheur idéal , qui toujours répétée a toujours
le droit d'intéreffer.
""
" Avec une compagne chérie , la chau-
» mière que l'humble vertu conftruir à
» côté d'un bofquet de chevre - feuille ,
l'emporte infiniment fur toure la magni-
» ficence des palais des Monarques. Dans
» cette heureufe pofition, la bruyère odd-
» rante a pour nous le parfum de l'Arabie
; & Philonièle dûr elle refufer de
» venir s'établir fur les branches de l'ar-
» bre folitaire qui nous ombrage , pourvu
" que j'entende la voix de ma bien -aimée ,
elle fuffit à mon extafe ; le fon harmo-
» nicux des fphères céleftes n'y pourroit
» rien ajouter ".
»
"
. و و
·
Mais ne pouvant goûter le bonheur dans
la réalité , Sterne a recours au preftige de
l'imagination , pour tâcher du moins de s'en
procurer le fimulacre . » Je m'allieds , ditil
, fur le gazon ; je m'y place à côté
» d'une femme charmante , auffi aimable ,
» s'il eft poffible , que Madame V *** . Je
" cueille des fleurs , & j'en forme un bou-
» quet que j'arrange fur fon fein ; je lui
» raconte enfuite quelque hiftoire tendre
& intéreffante. Si fes yeux fe mouillent
» à mon récit , je prends le. mouchoir
blanc qu'elle tient dans fa main , j'en
»
">
B 4
32 MERCURE
" effuie les larmes qui coulent fur fes belles
» joues , je n'en fers également pour effuyer
les miennes ; c'eft ainfi que la douce
» rêverie donne des ailes à l'heure pare
" feufe ".
79
On rencontre de temps en temps des
portraits peints avec originalité , tels que
celui - ci. » B **** eft exactement une de
"
و د
:
ces innocentes & inoffenfives créatn-
» res qui ne peftent ni ne fe fâchent jamais
les différens tours qu'on lui joue ,
il les fupporte avec la patience la plus
évangelique , & il s'eft arrangé de ma-
" nière à perdre tout plutôt que crite
difpofition bienveillante qui fait le bon-
» heur de fa vie : mais comment fe le propofer
entièrement pour modèle ? car vous
farez , comme moi , que lorfqu'on a
» une fois gagné fa confiance , en peut le
tromper dix fois le jour , fi ce n'eft pas
» affez de necf " .
20
93
ر د
ود
Ces Lettres font encore femées d'amesdotes
& de rilexions ingénieufes , celleci
par exemple. » La rufe n'eft point une
qualité honorable , c'eft une efpèce de
An fagelle bâtarde que les foux même peuvent
quelquefois mettre en pratique , &
» qui fert de bafe aux projets des fii-
» pons ; mais ! hélas combien de fois ne
trahit- elle pas fes Sectateurs à leur pro-
" pre honte , fi ce n'eft à leur ruime «
Nous finirons par un trait fentimental
و ر
DE FRANCE
33
qui termine ces Lettres , & qui , s'il n'eft
pas de Sterne , eft bien du moins dans la
manière de cet Aureur.
33
» Cependant le monde me tue abfolu
» ment ; fi vous en étiez inftruit , vous en
feriez affligé. Je le fais , & je défire ne
* pas vous occafionner une larme inutils
Il fuffit à votre pauvre Yorick de favoir
que vous en verferez plus d'une
quand il ne fera plus «.
25
Nous regrettons que les bornes de ce
Journal & Ia multitude des articles ne nous
permettent pas de nous étendre davan
tage fur ces Lettres . Quoi qu'il en foit , nous
crayons pouvoir faire compliment à l'Autear
de cette charmante Traduction , à quis
nous devons en outre une excellente Brochute
politique fur les affaires préfentes ( 1 ).
(1) Ila paru depuis, une autre Traduction dess
mêmes Lettres , chez Lagrange , Libr. au Palais-
Royal
B
34 MERCURE
VARIÉTÉ S.
FIN de la Lettre écrite à l'occafion de
l'Ouvrage intitulé Examen du Gouvernement
d'Angleterre.
L'AUTEUR des Notes continuant de décrier la
Conftitution Angloife , dit que le Gouvernement
du Parlement de la Grande-Bretagne eft arbitraire,
& en donne pour preuve l'imperfection de la repréfentation
, & la liberté que fe donnent fes Repréfentans
prétendus , de ne pas fe conformer aux
inftructions que la Nation leur donne.
L'examen de ces deux articles des Notes me
meneroit à faire un Livre , fi je voulois le fuivre
jufqu'au bout. Je ne puis qu'énoncer ici quelques
idées , que je développerai en quelques autre occafion.
Quoique les Membres de la Chambre ne foient
élus que par une partie de la Nation , tous ceux
qui font élus font bien les Repréfentans de cette
partie , & fi cette partie repréſentée a bien véritablement
& conftamment le même intérêt que
toute celle qui ne l'eft pas , fi cette repréfentation
, toute incomplette qu'elle eft, peut défendre
& défend les intérêts de tous les Citoyens , ne
peut-on pas dire que les Anglois ont une bonne
repréſentation ?
Je fais bien tout ce qu'on peut oppoſer à cette
DE FRANCE. },
repréſentation virtuelle ; mais je fais an que ces
objections , qui prouvent parfaitement que les chofes
ne font pas auffi bien qu'elles pourroient & de
vroient être , ne prouvent pas qu'elles foient auffi
mal que le difent des Auteurs que je combats.
L'Auteur de l'extrait de l'Examen mis dans fe
Journal de Paris , fait un bien faux calcul en
nous préfentant la partie de la Nation qui élit
les Députés , comme un millième de la Nation .
On va voir combien cette affertion eft loin de la
vérité.
Selon les eftimations données par les Ecrivains
Anglois qui fe font plaint le plus fortement de
l'infuffifance de la repréfentation , il n'y a qu'un
dixième des Habitans mâles , chefs de famille ,
qui votent aux élections , de forte que 9 dixièmes
font privés du droit de fuffrage . C'eft le
calcul de Cartwright dans le Pamphlet intitulé ,
Give us our right , Ouvrage d'un partifan des
principes les plus démocratiques.
Mais ce calcul , tout inférieur qu'il eft à celui
que je réfute , eft encore exagéré .
Il y a en effet 214,000 Electeurs , concourant
en totalité à l'élection des Membres du Parlement
, fur 1500 mille , auxquels on pourroit vouloir
attribuer le droit de voter , en fuppofaut fix
millions d'habitans en Angleterre & en Ecoffe
feulement , puifqu'on ne peut donner le droit de
voter ni aux femmes ni aux enfans qui font lés
trois quarts d'une Nation.
•
Mais de ces 500 mille il faut retrancher ,
non feulement felon la Lei Angloife , mais felon
les principes d'une faine raifon , les Mendians ,
les Journaliers , les Matelots , les Soldats , tous
les hommes trop dépendans par leur état & leurs
profeffions , comme les Domeftiques , tous ceux
B 6
36 MERCURE
qui n'ont pas une propriété de 40 fchellings de
revenu , tous les ferviteurs & gagiftes & employés
de la Couronne , &c. Ces exclutions ne laifferont
aflurément pas plus de 7 à 800 mile invidus à qui
on puiffe raisonnablement donner le droit de veter
aux élections. Les 214,000 Electeurs actuels feront
donc à ceux qui peuvent prétendre au droit
délire , caviron comme I cft à 4 , & non pas
comme eft à 10 , & encore moins comme
eft à 1000.
I.
A la vérité , ce droit d'élire fe trouve inégalement
diftribué entre ces 114,000 Electeurs ;
de forte qu'on voit un plus grand nombre de
Membres nommés par un moindre nombre d'Electeurs
, & réciproquement.
130 mille Francs tenanciers choififfent 92
Membres pour 52 cemtés .
43 mille Habitans des villes choififfent 52
Membres pour 23 villes & Univerfités.
41 mille Electeurs choififfent 369 Membres
pour 192 corporations ..
Total. Electeurs 214 mille. 513 Membres.
On obferve encore que des 214 mille Elecil
y en a 340 qui choififfeut so Membres
-à cux feuls , & 6000 qui en choiíiſſent 257 .
teurs ,
Ces deux derniers réſultats s'obtiennent en confidérant
& prenant un certain nombre de Bourgs
où le droit de nommer un ou plufieurs Membres
fubfifte , quoique le nombre des votans à l'élection
y foit devenu, par laps de temps, extrêmement petit.
Mais il eft toujours vrai qu'un quart des habitans
choifit pour les 3 autres quarts de ceux
qui peuvent réclamer le droit d'élire , & qu'il
n'y a par conféquent que ces 3 quarts de privés
du droit d'élection , & non , comme le dit l'Auseur
de l'extrait de l'Examen envoyé au Journal
DE FRANCE. 37
de Paris , 099 , millièmes, ce qui eft vraiment dépourvu
d raiſon.
Je fais bien qu'on me dira. encore qu'une pareille
représentation eft incompiette , & j'en conviendrai
; mais je dirai toujours qu'il ne faut pas
faire le mal plus grand qu'il n'eft ; & voici quri
ques obfervations qui peuvent conduire à appré
cier avec plus de juiteffe certe imperfection de la
Conftitution Anglaife , & pour éloigner même
l'efprit de patriotifme & de liberté de juger le
Gouvernement Anglois d'après des principes exagérés
, qui ne font jamais bons à rien .
1. Dans tous les pays où l'on a établi une
repréſentation , on a cru pouvoir réfufer le droit
de concourir aux élections à un nombre plus on
moins grand de Citoyens.
Dans aucune Conftitution les femmes qui font
la moitié de l'espèce humaine , les Mendians , les
homeftiques , les fimples Journalers , & en Angleterre
comme dans la plupart des anciennes
Républiques , les Citoyens dent la fortune ou la
propriété font au deffous d'un certain cens , ne
concourent point au choix des Repréfentans.
On a jugé que la claffe de Citoyens non appelée
à concourir au choix des Représentans
a raifon de leur érat , de leur ignorance , de
leur défaut d'éducation , &c. , ne pouvant faire
une élecion en véritable connoiffance de caufe ,
il étoit au moins inutile ou même dangereux de
les faire concourir.
On a cru que celui qui n'eft pas
Electeur par
quelqu'une des railons qu'en vient d'indiquer , étoit
fuffisamment
repréfenté par ceux-là même qu'il
n'avoit pas cheifis , parce que ceux - ci auroient
à défendre pour eux les mêmes droits que lui .
On a penſé enfin que les Loix à maintenir ,
MERCURE
à faire , à réformer par les Repréfentans de la
Nation , devant être générales , & foumettre &
gouverner ceux-là mêmes qui les font en les faifant
bonnes pour eux d'après leurs lumières &
leur confcience , ils les fercient bonnes pour ceux
mêmes par lefquels ils n'auroient pas été choiſis.
Si ces motifs font de quelque poids , ils peuvent ,
ce femble, juftifier la Conftitution Angloife fur ce
qu'on y voit le droit d'élection confié à un quart
fculement des Citoyens qui pourroient y prétendre.
Si ceux qui n'y concourent pas peuvent penter
que leur exclufion eft une violation de leurs droits
perfonnels , ils ne peuvent pas raisonnablement
s'en plaindre comme d'une caufe d'oppreffion &
de mauvaifes Loix , puifque ceux qui exercent
le droits d'élation ont le mê ne intérêt à faire
de bons choix, & qu'enfin on ne peut pas dire
férieufement que les choix feroient meilleurs
s'ils étoient faits par 800,000 citoyens, qu'ils ne le
font, faits par 214,000.
2º. Au travers de l'imperfection des moyens de
choifir la repréfentation Angloife , fi le réfultat
du choix eft cependant toujours que la plus grande
partie des Repréfentans a le plus grand intését poffible
à défendre & à conferver les droits & la liberté
de la Nation, ces droits & cette liberté feront
à couvert. Or je dis que cette condition eft remplie
en Angleterre .
Il eft bien évident que l'intérêt à une bonne
adminiſtration , au maiaten . de la liberté , au
refpect pour la propriété , cft néceflairement trèsgrand
dans les Propriétaires , nom fous lequel je
comprends principalement les Propriétaires de tere
res , fans exclure les autres claffes de citoyens
poffédant d'autres genres de propriétés.
Il eft encore évident que les Propriétaires font
par là même des hommes indépendans , ou du
DE FRANCE. 39
moins les plus indépendans que la Société puifle
fournir à une Affemblée nationale.
3
Il fuit de là , que la repréſentation aura une
tendance néceſſaire & forte vers le bien public , fi
la propriété le trouve réunie à la qualité de Repréfentant.
Or c'est ce qui arrive en effet en Angleterre.
Je me rappelle d'avoir ouï faire *par des per
fonnes inftruites , en 1773 , le Court Calendar à
la main , une énumération des Membres du Par
lement , d'après laquelle on trouvoit le plus
grand nombre des Membres de la Chambre
des Communes ayant au delà de 2000 gui
nées de revenu , plus de 250 dans l'une & dans
l'autre Chambre ayant plus de foco guinées ,
plus de 30 jouiffant de io , plus de 20 qui en
ent 20,000.
J'ai entendu compter auffi le nombre des
Pairs qui ont quelques penfions de la Cour ,
& n'en trouver alors que cinq ou fix. On en
parloit comme de gens que le défordre de leurs
affaires obligeoit d'avoir recours à cette espèce
d'aumône. Un feul qui avoit une fortune raifonnable
, étoit taxé de baffeffe pour en avoir
accepté une. On voit par-là que les Repréfentans
de la Nation dans les Communes , & les Lords
dans la Chambre - Haute , font en général indépendans
de la Cour par leur aifance & par
leurs grands biens.
4
Je fais qu'on pourra citer quelques exemples
contraires , mais ces exemples feront des exceptions
, & mon affertion fera toujours généralement
vraie , de la vérité qui fuffit au foutien
de l'opinion que je défends.
Or je prie maintenant qu'on me dife fi un
Corps , chargé par quelque forte d'élection qu'on
43
MERCURE
voudra, des intérêts d'une Nation , mais compofe,
dans la plus grande partie de fes Membres , de
Bropriétaires ayant une richeffe qui les rend indépendans
, n'eft pas un bon gardien des libertés
& de la propriété de la Nation ; je demande fi ,
dans un pareil pays , le ciroyen qui n'aura pas
donné fa million expreffe à ces Membres de l'ÂLfemblée
nationale , ne peut pas raisonnablement
s'en repofer für eux de la défenfe de fes droits &
de fa propriété , que ces hommes se peuvent trahir
fans trahir en même temps leur propre caufe
& celle de leurs enfans. Je demande fi une élection
à laquelle il auroit concouru ,. lui donneroit
une plus grande. fécurité.
Je fais bien que dans cette même Aflemblée
nationale il fe trouve un certain nombre d'hommes
fans propriété , ou n'ayant qu'une propriété
fictive , ou n'ayant que celle qui eft preferite par
la Loi , & qui eft peut - être trop modique pour
attacher le Repréfentant par elle - même & par
elle feule aux vrais intérêts de la Nation.
Mais le nombre de ces hommes eft . petit. Il
y en a d'ailleurs conftamment dans le parti de
Oppofition comme dans le parti de la Cour , &
Laction des uns & des autres s'amortit néceffairtment
par leur combat , tandis que l'intérêt
conftant des Propriétaires fe confondant avec celui
de la liberté & de la propriété nationale , ils
font , généralement parlant , un rempart fuffifant
contre les progrès de l'autorité qui tendroit à
l'oppreflion de la Nation.
Je fais que cette importance & ces droits que
j'attache à la propriété , lui font conteftes par
quelques perfonnes inftruites d'ailleurs , qui fe
croient en cela les Apôtres de la liberré mais.
je crois leurs idées fur ce point entiérement oppofées
aux notions juftes qu'on doit fe faire de
DE FRANCE. 41
la Société politique , dont la propriété & fur-tour
la propriété territoriale eft la véritable bafe ; je
ne crois point qu'ii fuffife de compter les hommes,
pour connoize & fixer le nombre des Repréfen
tans ou des Electeurs des Repréfentans d'une Næ
tion compofée de 14 millions d'individus . Je pen
ferai toujours qu'il faut , pour jouir de ce droit à
l'avantage de la Société , des conditions & des
qualifications plus ou moins communes : que dans
un grand pays ces conditions ne doivent pas être
trop faciles à remplir, fi l'on veut avoir des choix
raifonnables , motivés , & faits en connonlance de
caufe , les feuls qui puiflent véritablement exercer
les droits de ceux qui les font & de tous
ceux pour lefquels i font faits .
Je conclus de tous ces détails , que le Parle
ment d'Angleterre , tel qu'il eft , eft encore une
fort bonne fauve-garde pour la liberté de la Nation
, ce qui eft bien contraire aux affertions du
Cultivateur Américain & de fon Commentateur.
Et j'ajoute que cette apologie du Gouvernement
Anglais je pourrois la juftifier par des
faits connus par exemple , en faisant voir que
depuis le règne de George III feulement , la lbeité
Angloife a gagné du terrein , loin d'ea
perdre ; témoin l'affaire du General Warrants ,
perdue par la Couronne contre M. Wilkes , &
l'établiffement des Milices nationales , regardé par
tous les hommes éclairés comme un nouveau
Boulevart de la liberté , & la forme établie vers
1772 , pour juger de la validité des élections
par un Jure the au fort ; & pour citer le fait
le plus vo fin de nous , témoin tout ce qui s'eft
dit & fur-tout tour ce qui s'eft fait relativement à
la Régence donnée par le Parlement au Prince
de Galks , & où le montre un fi grand pouvoir
de la Nation.
42 MERCURE
Enfin je répète que fi la liberté n'a pas encore
recouvré tous fes droits , c'eft à l'état des connoiffances
dans la Nation , aux erreurs dans lef
quelles s'égare encore l'efprit public , & furtout
à Fefprit mercantille , qu'il faut s'en prendre
, & non à la Conftitution qui peut opérer ce
bien telle qu'elle eft , & qui l'opérera avec le
temps.
J'ai peu de chofes à dire contre la feconde
preuve du pouvoir arbitraire du Parlement , apportée
par l'Auteur des Notes . Il prétend établir
cette imputation fur ce que les Repréfentans ne
fuivent que lorsqu'ils le veulent bien les inftructions
de leurs Commettans , & qu'ils tiennent ainfi
de la Nation un pouvoir arbitraire qu'ils n'exercent
que conformément à la volonté du Miniftre.
On voit que cette preuve eft toute entière fondée
fur la doctrine de la limitation des pouvoirs ,
doctrine que je crois funefte au repos des Nations
, & contraire à toute bonne Adminiſtration
dans un grand pays qui ne fera pas partagé en
autant de Républiques confédérées qu'il y aura
de Provinces.
On me dira peut être qu'en faifant l'apologie
de la Conftitution Angloife , je conviens moimême
qu'elle a de véritables défauts ; què la liberté
n'y eft pas entière , que la repréfentarion
Y eft incomplette , &c . , que dès - lors les opinions
des Auteurs des notes ne différent pas affez
des miennes, pour que ce foit la peine de les combattre
, puifqu'en convenant des deux parts que
la Conftitution Angloife eft vicieufe , il n'eft pas
bien important de déterminer fi elle l'eft un peu
plus ou moins .
Je réponds, M. le M. , que dans les queftions les
plus intéreffantes il ne s'agit non plus très - fouvent
que du plus & du moins , & que d'après la règle
"t
DE FRANCE. 43
1
qu'on m'oppofe, il fandroit éloigner les plus utiles
& les plus néceflaires difcuffions.
J'ai pour mon ufage une maxime que je vou
drois bien voir plus généralement reconnue : le
faux ne differe fouvent du vrai que par l'exagération
qui l'accompagne. De forte qu'une afertion
la plus faufle en elle- même & la plus funcfte dans
les conféquences qu'on en tire , n'eft fouvent
qu'une affertion parfaitement vraie , exagérée , dont
l'efprit fage qui la contefte ne combat que ce'
qu'elle a d'outré .
Dans la queftion préfente , la vérité est à dire ,
que la liberté Angloife n'eft pas entière , ni la repréfentation
auffi parfaite qu'elle pourroit l'étre.
la fautleté eft à dire qu'il n'y a en Angleterre
ni liberté perfonnelle , ni liberté de commerce , ni
liberté de la preffe , & que la liberté Angloife confifte
à être gouverné par des réfolutions arbitraires
d'un Parlement qui n'est libre qu'en apparence , &
qui ne peut ni n'ofe faire que ce qui plait au Roi
& aux Miniftres, p . 75. Aflertions des Auteurs
des notes , qui ne font que les exagérations de celles
que je regarde comme vraies , & qui font fauffes
par cette même exagération.
Il n'eft donc pas inutile de difputer fur le plus
ou le moins de défauts qui fe trouvent dans la
Conftitution Angloife , puifqu'il n'eft pas inutile
de chercher & de conneître la vérité.
Enfin , M. le M. , s'il faut que je vous le dife ,
je n'approuve point qu'on nous dégoûte d'un pain
bis nourriffant & fain , lorfque nous ne femmes
pas bien affurés de pouvoir nous donner du pain
blanc.
Mais je m'apperçois , M. le M ***** , que je
viens d'écrire un Volume pour répondre à votre
billet , qui ne me demandoit que mon avis fur
24
MERCURE
an Livre , & je n'en fuis encore qu'à la moitié
d'un des articles de cet Ouvrage , la note 11 .
Je me vois forcé par Fobligation même de vous
répondre , à terminer ici ma réponſe.
Je fuis avec le plus profond refpect , &c.
Samedi, 14 Février 1789.
L. M.
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
L'Orina del Barbiere di Siviglia , donné pour
la première fois à ce Théatre le Mercredi 22 du
mois dernier , n'a pas moins réuffi que les précédens
, & l'on devoir s'y attendre . Cetre mufi-'
que , extrêmement piquante , faire fir un Poëme
beaucoup plus raiformable que ne le font ordi-
Raiement les Poêmes Italiens, avoit déjà produit le
plus grand effet fur tous les Théatres de l'Europe.
Elle avoit même réaffi parmi nous , parodiée en
François pouvoitelle moins plaire lorfqu'elle
feroit exécutée dans la Langue originale & par
la fleur des Virtuofes de l'Italie ?
Nous n'avons donc rien à dire de la Pièce ;
neus ne parlerons que des Acteurs. M. Mandini
s'eft chargé du Comite Almaviva , qu'il rend avec
infiniment de noblete , même dans les fcènes en
le traveftiffement lui permet davantage de fa
livrer à la gaité. 11 eft imposible de mettre plus
de grace & d'efprit dans la fcène du Cavalier
DE FRANCE
43
& le grand art de M. Mandini eft d'avoir évité
la caricature , & d'avoir toujours laiffé deviner le
grand Seigneur fous fes divers déguifemens. M.
Viganoni eft un véritable Figaro. Il en a toute
la gaîté, la vivacité , la grace ; il fembleroit qu'il
a fait toute fa vie ces fortes de rôles , & l'on ne
croiroit guère , en lui voyant jouer cette Pièce ,
que fon emploi ordinaire eft plutôt noble & férieux
. Il faut voir foi- même M. Raflanelli dans
le rôle de Bartholo , pour le faire une idée de
l'extrême vérité qu'il fait mettre , non feulement
dans le caractère général de fon rôle , mais
même jufque dans les moindres détails . La defcription
en paroîtroit puérile , le spectacle en eft
enchanteur. M. Rovedino , qui a bien voulu ſe
charger du rôle de Bafile , quoique ce ne foit
qu'un fecond rôle , en a fu tirer le plus grand
parti. C'eft pour la première fois qu'on a pu bien
entendre à Paris l'air fuperbe de la Calomnie , qui
gagne prodigieufement à être exécuté par une
aufli belle & une auth forte voix. Mile . Baletti
a répandu le plus grand intérêt dans le rôle de
Rofine ; on ne peut y mettre plus de nobleffe ,
de décence & de naïveté.
Nous n'avons prefque parlé que du jeu des
Acteurs , parce que nous croyons inutile de parler
de leur chant. A cet égard , leurs talens font
trop connus, pour avoir befoin de nouveaux éloge
Depuis que nous avons parlé de ce Theatre ,
on y a repréfenté deux Ouvrages qui ont fait
plailir. Le premier efl un Mélodrame intitulé Pan
dore , écrit fort agréablement , & accompagné
d'une fymphonic de M. Beck , d'un très -bon effet.
Cette Pièce eft jouée par M. Chevalier avec beaucoup
de feu & d'énergie. Mlle. Joffey met dans
le rôle de Pandore infiniment d'intelligence & de
46 MERCURE
fentiment. Le fecond Ouvrage eft une Comédie
intitulée le Procès . Cette Pièce eft écrite avec
beaucoup d'efprit , & remplie de fituations extrê
mement gaies. Il y a fur tout deux rôles trèsplailans
; celui d'un jeune homme niais , très -bien
joué par M. Mongautier ; & celui d'un Gafcon ,
préfenté d'une maniere très - neuve au Théatre ,
& que M. Paillardelle a rendu avec fa fupériorité
ordinaire .
On a effayé auffi de mettre à ce Théatre un
Opéra très -connu en Province & dans les Concerts
de Paris , intitulé l'Infante de Zamora ; l'exécution
de la part de quelques Accurs n'ayant pas plu
au Public , on a fufpendu les repréfentations de
cet Ouvrage , pour le faire reparoître avec d'autres
Sujets. On a cependant rendu juftice à ceux
qui ont montré un talent fupérieur , notamment
à Madame Ponteuil , qui a été fort applaudie.
Si on remet cette Pièce , nous en parlerons avec
plus de détail .
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MEMOIRE pour l'établissement d'une Caiffe publique
Nationale on Françoife. Brochure in- 8 ° . de
28 pages. Prix , 18 f. A Paris , chez Lefclapart
Lib , rue du Roule , près le Pont-Neuf, N ° . Î1.
Collection des Mémoires de l'Hiftoire de France ,
ome L. A Paris , ruc & hôtel Serpente.
Ce Volume contient les Mémoires de Philippe
Hurault de Cheverny.
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47
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Deux fujets en demi - figures , deflinés &
gravés par Auguftin de Saint-Aubin , Graveur
du Roi & de fa Bibliotheque ; 13 pouces de large ,
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de leur Auteur.
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gravée à la manière noire ; par M. de Bret ,
daprès
le Tableau peint à la Gouache par Lavrince ,
Peintre du Roi de Suède . Prix , 12 liv. A Paris ,
chez l'Auteur , rue du Croiffant , au coin de celle
Montmartre ; & Jauffret , Marchand d'Eftampes ,
Galerie du Palais-Royal , N ° . 146 .
Ouverture des Etats- Généraux à Versailles , le
5 Mai 1789. Frix , 4 liv . à Paris , chez Patas ,
Graveur , porte Saint -Jacques , maiſon de l'Apothicaire
, Nº. 166.
Trait d'humanité ; Eftampe gravée par le même.
Prix , 2 liv . chez les mêmes.
Cette Ellampe repréfente un Trait d'humanité
de Monfeigneur le Duc d'Orléans , qui ſe jeta à
l'eau peur fauver fon Jockay . On trouve au bas
ces quatre vers devenus prophétiques.
Le Spectateur frémit en voyant fon danger ,
Qui menace une tête aufì chère qu'auguſte .
Peuple , raffure- toi ; le Ciel eft toujones juke ;
Il te rendra celui qui doit te protéger.
Nos, 8& 9. Sonates chantantes pour deux Flûtes
ou deux Violons , pour Flûtes & Violons ad libitum,
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& en Province , chez les Directeurs de Poſte &
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& Forté- Piano . Prix , 2 liv . § (. A Paris
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MITATION. IMIZATIO
Im -promptu.
TABLE.
Lettres.
Variétés.
29
34
Charade , Enig, Logog. ibid .. Théatre de MONSIEUR. 44
7 Annonces & Notices. 46
Efai.
Les Amours.
Hurá
17)
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES
.
POLOGNE.
De Varsovie , le 8 juillet 1789.
DANS la nuit de jeudi à vendredi dernier
, le Prince Poninski arrêté , ainsi
que nous le rapportâmes , comme pri--
sonnier d'Etat , et remis au jugement
d'une Commission de la Diète, s'est échappé
de son hôtel où il étoit gardé . Ses fils
ayant pratiqué , dans la maison contigue
, une ouverture correspondante à la
chambre à coucher du Prince , ' et cachée
par la tapisserie , le Prisonnier a passé
au travers , laissant dans son lit un mannequin
de paille , affublé d'un bonnet de
nuit et d'une robe-de-chambre , qui , pendant
quelques heures , a trompé l'Officier
de garde. Du moment où cette évasion
a été connue , l'on a publié , à son
de trompe, une promesse de 1000 ducats
à qui rameneroit le Prince dans les
Nº. 31. 1ºr . Août 1789.
er
a
( 2 )
mains de la Justice . Ces mesures n'ont
pas été infructueuses , et aujourd'hui le
Prisonnier , saisi sur les frontières de la
Prusse , a été reconduit dans cette capitale
.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 15 Juillet.
Jusqu'ici les succès avoient été balancés
, en Finlande , entre quelques détachemens
Russes et Suédois : les premiers
avoient remporté un avantage assez marqué
dans le district de Savolax , en s'emparant
du poste de Saint-Michel , d'où
le Colonel Suédois de Steding s'étoit replié
vers Fokas , pour conserver ses communications.
On s'attendoit cependant à
une action prochaine plus décisive ; elle
a eu lieu le 28 juin , et la victoire des
Suédois , conduits par leur Roi en personne
, a été complète. La relation officielle
de cet évènement a dû paroître
le 5 , à Stockolm , d'où les lettres authentiques
, du 3 , mandent ce qui suit :
2
« Nous avons reçu hier l'agréable nouvelle
de la défaite d'un Corps Russe de 3600 hom.
à Uddemalm , à 2 lieues de Davidstadt. L'aile
gauche de notre armée ayant passé la frontière
à Varela , l'avant-garde , sous les ordres
du Lieutenant- général de Platen , a attaqué les
Russes qui avoient leur camp à Uddemalm .
On s'est très-bien battu de part et d'autre ;
( 3 )
mais enfin ( quoique nous n'eussions que 2100
hommes ) nous avons eu l'avantage de repousser
l'ennemi , et nos troupes ont établi leur
camp sur le champ de bataille. Le régiment de
Westmanie a le plus souffert ; il a eu un Officier
de tué et deux de blessés . An reste ,
notre perte n'est que de 120 hommes , y compris
les blessés ; mais les ennemis ont perdu
au moins le double . Le Roi s'est trouvé comme
volontaire à l'action , animant ses troupes
par son exemple : aussi l'on assure qu'il n'est
pas possible de s'imaginer la bravoure et la
hardiesse avec laquelle les ennemis ont été attaqués
. La bayonnette a , cette fois - ci , comme
à toutes les affaires précédentes , mis l'ennemi
en déroute . On reconnoît par là l'ancienne
méthode de combattre. Le Major Paulman ,
qui a tourné l'ennemi très-habilement avec un
bataillon du régiment de Stromfeldt , a beaucoup
contribué à la victoire . Aussi le Roi lui
a donné sur- le- champ le brevet de Lieutenant.
Colonel. Au départ du courrier , les ordres
étoient donnés pour marcher encore à l'ennemi
, après 8 heures de repos. On écrit que le
Roi se rendra droit à Wilmanstrand. Le Corps
de l'armée devoit camper , le même soir du 28
juin , à Uddemalm . L'on ajoute que le Général
Comte de Meyerfeldt devoit attaquer
le lendemain , avec l'aile droite de l'armée ,
le Corps des Russes à Pyttis , et que le Comte
Ehrensward devoit débarquer de la flotille
qu'il commarde , un Corps d'armée de cinq
mille hommes entre Hogforp et Frédéricsham ,
pour attaquer le même jour un Corps Russe
près de cette dernière ville . Enfin , les arrangemens
sont pris de manière à faire espérer
que nous recevrons souvent des nouvelles
agréables , vu les différentes attaques.
a ij
( 4 )
que l'on se propose de faire vers le même
temps . Tout annonce que cette campagne
sera meurtrière , autant que la précédente a
été paisible . Dieu veuille conserver les jours
de notre grand Roi qui s'expose chaque
moment , autant qu'il conviendroit de faire
au moindre de ses Officiers ! Aussitôt après
l'affaire du 28 juin , le Ro. écrivit à son Fils ,
en ces termes :
71
--
« J'ai eu deux de vos lettres , mon cherfils,
dontje vous remercie ; et je n'ai pas voulu
vous répondre , avant que de pouvoir vous
dire que nous avions vu l'ennemi. Je vous embrasse
, mon cher fils , bien tendrement, pour.
vous féliciter de ce que vos Compatriotes ont
soutenu leur ancienne réputation de valeur.
Les troupes de l'ennemi se sont bien battues
mais les nôtres encore mieux. Cela doit vous
encourager à travailler , pour vous rendre digne
d'éire le Chef d'un Peuple aussi généreux que
brave. Je me porte fort bien , et je suis toujours
voire tendre père. Signé , GUSTAVE.
Sur le champ d'Uddemalm, ce 28juin 1789.
Un autre lettre du 4 dit :
"
« Un Exprès , arrivé hier de la part du Roi ,
nous a apporté l'agréable nouvelle que l'armée
, s'étant mise en mouvement , le 20 juin ,
et ayant passé la rivière de Kymène , s'étoit
partagée en trois Corps qui sont entrés dans
la Finlande Russe : le Corps principal , où le
Roi se trouve accompagné des Généraux
Comte de Meyerfeldt et Comte de Platen, s'est
porté en avant vers Wilmanstrand , et a livré ,
pres de Martila , endroit à peu de distance
d'une petite ville nommée Davidstadt , une
action à l'ennemi , dont le succès a été si heu(
5 )
reux, que les Russes ont abandonné le champ
de bataille avec la victoire ; deux fois ils
ont repris poste , et deux fois ils ont été
enfoncés . Sa Majesté se voit ainsi la route.
ouverte jusqu'à Wilmanstrand , place où les
Russes ont leurs principaux magasins , et
qui commande l'entrée de lear pays . En
même temps , le Général Baron de Siegroht
s'est avancé avec un autre Corps vers Fré-
'dérichsham , pour renfermer cette place forte
du côté de terre , tandis que le Général
Baron de Kaulbars a remonté , avec un troisieme
Corps , la rivière de Kymène sur la
rive Russe . Nous attendons avec impatience
le résultat des opérations combinées de ces
trois Corps , qui agiront de concert avec la
Flotille , aux ordres du Comte d'Ehrenschwardt
, où il y a quelques milliers de troupes
de débarquement . »
La flotte Suédoise , forte de 23 vaisseaux
de ligne et de 10 frégates , a mis
à la voile de Carlscrona , et se trouve
dans la Baltique . Plus de doute sur la
neutralité absolue du Danemarck , par
mer et par terre ; elle vient d'être solennellement
proclamée à Copenhague.
De Vienne , le 15 juillet.
Les Bulletins de Laxembourg , concernant
l'état de l'Empereur , sont plus
satisfaisans depuis quelques jours . La
fièvre diminúe , les accès s'éloignent, l'appétit
se ranime , le sommeil est plus
a iij
( 6 )
-
tranquille , et le Monarque a pu faire
d'assez fréquentes promenades.
Nous ignorons encore les suites du
siége de Berbir ou Gradiska , formé par
M. de Laudhon. Quoique les foibles
ouvrages de cette place aient été foudroyés
, la garnison de 700 hommes nous
attend sur la brèche , et n'étoit pas rendue
le 4 ( 1 ) . On a fait jouer sur la place
90 pièces de canons : l'impatience d'apprendre
sa reddition a augmenté , depuis
que l'on a été instruit que 40,000
Turcs étoient rassemblés près de Bihacz ,
et menaçoient de pénétrer dans le Lika.
Un autre Corps Ottoman de 30,000 hommes
est à Banialucca , et se prépare à
marcher à la défense de Berbir.
Les avis du Bannat , du 26 au 29 juin ,
portent que les Turcs ont occupé le district
sur le Danube , depuis Schupanek
jusqu'à Swiniza . Nos postes avancés se
sont repliés sur Méhadie. L'ennemi a
aussi pris possession de la Vétéranhole' ;
on fait monter son avant-garde à 8,000
hommes le Corps principal , composé
d'environ 20,000 hommes , est au-dessus
d'Orsowa , près de Gernez.- Les Turcs
ont occupé aussi la montagne de Rama ,
vis-à-vis de Vipalanka , et y ont établi
une batterie .
( 1 ) Elle a évacué la place le 9 , pendant la nuit.
( 7 )
Le Baron de Tugutt, Ministre Plénipotentiaire
de l'Empereur à la Cour de Naples ,
ayant demandé et obtenu sa démission , Sa
Majesté Impériale nomme , au poste vacant ,
le Comte de Rewisky , Ministre Plénipotentiaire
à la Cour de Londres , qui sera remplacé
par le Comte de Stadion , Ministre
Plénipotentiaire à la Cour de Stockholm .
1
J. FRANCE.
De Versailles , le 27 juillet.
Le jeudi , 16 de ce mois , le Duc du
Châtelet a remis au Roi sa démission de
la charge de Colonel du régiment des
Gardes- Françoises.
M. de Barentin , Garde-des- Sceaux de
France , a remis au Roi sa démission de
cette place.
Le Roi a pourvu de la charge de Secrétaire
d'Etat de sa Maison , vacante par
la démission de M. de Villedeuil , le
Comte de Saint-Priest , Ministre d'Etat.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Supplément à la onzième Semaine.
Il nous reste à donner , de la semaine
précédente , les Séances du jeudi , vendredi
et samedi . Voici le résumé des opérations
et des débats de ces trois jours.
Du 16 Juillet , au matin. M. Grégoire ,
aliy
( 8 )
Curé de Lorraine , a lu une Déclaration de
la Noblesse du Bailliage de Chartres , qui
permet à ses Députés d'opiner par tête.
M. le Président a observé qu'il recevoit tous
les jours , et de divers Bailliages , des actes
d'adhésion aux Arrêtés de l'Assemblée ; que
bientôt il n'y en auroit aucun qui ne donnất
cette marque d'approbation aux Représentans
Nationaux , et qu'on devoit en faire lecture .
Cette demande a été généralement approuvée.
MM. Grégoire et le Chapelier ont lu celles
de Versailles , d'Orléans , de Troyes et de
Beaune . MM. le Chapelier et de Lally ont lu
le Procès-verbal des 14 et 15 de ce mois .
M. l'Archevêque de Paris a fait le rapport
de la manière dont la Députation de l'Assem
blée a été reçue à Paris . Ce récit , attendu
avec impatience depuis la veille , avoit attiré
P'affluence dans la Salle.
M. Bailly a fait part à l'Assemblée qu'il
avoit été élu , pár acclamation , Maire ou
Prévôt des - Marchands de la ville de Paris ;
mais qu'il ne regarderoit son élection comme
valable , que lorsqu'il auroit l'agrément de
l'Assemblée nationale , à laquelle il vouloit
toujours tenir par ses travaux et par son at-
Tachement respectueux.
M. Mounier a observé que la qualité de
Député n'étoit point incompatible avec celle
dont M. Bailly étoit revêtu. Il a ensuite fait
le rapport de la réception faite à MM. les Députés
par la ville de Paris , ajoutant que cette
Capitale se proposoit d'ériger la statue du
Roi sur les ruines de la Bastille .
M. le Président a demandé s'il falloit insérer
le récit de M. Mounier dans le Procèsverbal.
On lui a répondu affirmativement et
d'un consentement unanime.
( 9 )
*
Un Membre de la Noblesse a annoncé que
grande partie de ce Corps rédigeoit une Déclaration
qui seroit agréable à l'Assemblée ,
et qu'il la supplioit de ne prendre aucune
délibération intéressante , avant la rentrée de
la Noblesse.
M. de Mirabeau a renouvelé sa motion au
sujet du renvoi des nouveaux Ministres , ce
renvoi devant être le sceau des promesses du
Roi. Après avoir développé son avis , il a présenté
un projet d'Adresse au Roi , que nous
rapportons en substance.
Sire , nous venons déposer aux pieds
du Trône notre reconnoissance et l'hommage
que nous rendons à vos intentions. Le renvoi
des troupes est un bienfait inestimable.
Vous n'avez pas abandonné les rênes du Gouvernement
dans le moment le plus difficiles
vous avez été obligé de lutter contre les préférences
et les habitudes , et il faut une grande
et rare vertu. Pourquoi les Ministres nous ontils
fait acheter le bien que nous aurions tenu
de votre bonté? Ils ont trompé Votre Majesté ;
-ils se sont flattés de vous compromettre avec
vos fideles sujets : Sire , où prétendoient - ils
vous conduire en portant des mains impies
et sacrileges sur les Représentans de la Nation
? Ils auroient violé la foi publique , et
déshonoré votre règne. Ils nous ont calomniés
; ils ont supposé que les Représentans
de la Nation ne s'occupoient pas des travaux
dont ils étoient chargés ; ils ont veulu nous
dissoudre. — Auroient-ils ignoré que la force
n'est qu'un brigandage , lorsqu'on l'emploie
pour lever les impôts ? S'ils avoient pensé à
la banqueroute , quel en eût été le résultat ?
La haine de l'autorité , le désespoir des Cia
v
( 10 )
1
toyens , les désastres les plus affreux ; jugez ,
Sire , de l'avenir par le passé : ils ont cherché
à détruire le conseil de sagesse qui doit toujours
subsister entre vous et le Peuple ; mais
il suit qu'ils aient mêlé votre nom aux calamités
publiques , pour qu'il soit impossible
d'accorder aucune confiance à un chef de justice
, qui s'est montré l'ardent ennemi d'une
Constitution , à des Ministres qui , contre l'intention
connue de Votre Majesté , ont prodigué
l'espionage contre les François . Un
Prince , ami de ses Peuples , ne doit pas être
environné de leurs ennemis ; quand vous songerez
au siége de la Capitale qu'ils ont voulu
affanier.
M. le Président a annoncé les démissions
de M. le Garde- des - Sceaux et de M. le Maréchal
de Broglie.
M. de Clermont - Tonnerre a proposé une
Députation au Roi , pour lui rendre compte
de ce qui s'étoit passé à Paris , lui annoncer
que le Peuple demandoit le renvoi de ses
Ministres , le remercier au nom de la Nation
, et lui apprendre que M. le Marquis de
la Fayette avoit été nommé Commandantgénéral
de la Garde Bourgeoise de Paris , et
M. Bailly, Maire ; enfin , supplier Sa Majesté
de vouloir bien sanctionner la nomination de
ces deux places.
M. de LallyoTolendal a vivement appuyé
cette opinion , ajoutant que les voeux du
Peuple ne seroient remplis que lorsque MM.
de Breteuil et de Villedeuil seroient renvoyés ,
et M. Necker rentré en place.
M. de Mirabeau a observé que toutes les
personnes qui avoient mérité ,l'improbation
publique , n'étoient pas comprises dans cette
( 11 )
Motion , et qu'il falloit revenir à celle de
M. Barnave , discutée précédemment .
M. de Clermont - Tonnerre a pensé qu'il
falloit suspendre toute délibération sur le
renvoi des Ministres , jusqu'à ce que l'on sût
s'ils avoient donné leur démission . Il a lu
ensuite la délibération que la Noblesse venoit
de remettre sur le Bureau. Elle porte que
tous les Membres s'unissent à l'Assemblée ,
et y voteront , en attendant de nouveaux
mandats.
Cette Déclaration a été vivement applaudie
, ainsi que celle de la Minorité du Clergé ,
remise par M. le Cardinal de la Rochefou
cauld , qui s'est réuni également .
A ce sujet , M. l'Abbé de Montesquiou a
prononcé un Discours applaudi .
M. le Président a demandé que , sous le
bon plaisir du Roi , l'Assemblée ordonne à
tous ses Membres de porter une marque distinctitive.
Cette Motion , approuvée par une
partie de l'Assemblée , ne l'a pas été de la
pluralité .
Un Préopinant a prié l'Assemblée de déclarer
que tous les députés de 1789 porteroient
cette marque , toute leur vie .
Un Membre des Communes s'y est opposé.
Le Bureau de Règlement , a- t-il dif ,
avoit examiné cette proposition , et l'avoit
rejetée .
M. Barnave a dit : « Les Représentans ont
assez prouvé qu'ils étoient des François fermes
et courageux : il ne convient donc pas , dans
un siècle de lumières , de proposer des décorations
qui ne seroient que des sources de
division . Il a ajouté que le Peuple s'étoit
réuni à l'Assemblée pour demander le renvoi
des Ministres ; que pour les dénoncer , il
a 'vi
( 12 )
falloit avoir des preuves authentiques de leurs
délits , et qu'on ne pouvoit le faire sur de
simples bruits. La Nation pouvoit influer sur
le choix des Ministres ; ceux du moment étoient
dans le cas de n'être pas agréés par PAssemblée
, puisque leur avènement datoit du renvoi
de Ministres vertueux et de troubles alarmans
. L'Assemblée ne peut se dispenser d'acquiescer
aux désirs de la Nation , en demandant
leur renvoi ; cette démarche d'ailleurs
est forcée , puisque le respect et la reconnois
sance du Peuple pour l'Assemblée en dépendent.
Elle ne peut cependant pas demander
au Roi le rappel des Ministres , car ce seroit
attenter au pouvoir exécutif ; mais elle doit
mettre sous les yeux du Monarque la demande
de la ville de Paris . L'Assemblée doit lui déclarer
que les Ministres actuels n'obtiendront
jamais la confiance de son Peuple , et que
la
fidélité de l'Assemblée ne lui permet pas de
dissimuler que leur retraite est le plus sûr
garant de la tranquillité de l'Etat. Envoyons
en conséquence au Roi une Députation de
douze Membres. L'Or ur a remis ensuite
sa Motion sur le Bureau. "
M. de Clermont - Tonnerre a annoncé la
démission de M. de Villedeuil , et que par
conséquent la Motion de M. Barnave ne
souffriroit pas une longue discussion .
Un Député d'Amiens a déclaré que le choix
des Ministres appartenoit au Roi seul ; mais
şi le rappel de M. Necker devoit amener la
paix publique , il falloit le demander au Roi .
( Nous supprimons plusieurs Avis et Discours
plus ou moins conformes à ceux qui
précédent , pour arriver à l'opinion de M.
Mounier).
Ce Député du Dauphiné a discuté la Mó(
13 )
'tion de M. Barnave. Il est des circonstances ,
a-t-il dit, où il faut s'éloigner de la rigueur
´des principes , et l'Assemblée est dans ce cas :
le meilleur moyen , sans doute , pour ramener
le calme , est le renvoi des Ministres ;
mais il faut faire connoître au Roi qu'on ne
demande ce renvoi que dans cet objet . L'Assemblée
n'a pas le droit d'exiger le renvoi
des Ministres , puisqu'elle attenteroit au pouvoir
exécutif. Ce n'est pas au moment où l'on
va fixer des bases inébranlables aux deux
pouvoirs , qu'on doit les enfreindre . N'appuyons
nos démarches que sur les conseils
demandés par le Roi à l'Assemblée nationale.
Elle ne peut ni ne doit se mêler du choix des
Ministres , puisqu'il en résulteroit les plus
grands malheurs . La France seroit perdue , si
l'Assemblée s'emparoit du pouvoir exécutif.
Le droit de la nomination des Ministres ne
doit jamais être attaqué ; leur responsabilité
remédiera aux malversations , ou lés
préviendra . Un des vices du Parlement d'Angleterre
est l'influence qu'il exerce sur la
nomination des Ministres , et ce vice devient
une des grandes causes de la corruption
(1).
( 1 ) Aucune loi n'attribue au Parlement
d'Angleterre le droit dont parle ici M. Mounier.
Lorsque l'opposition , dans l'une ou l'autre
des deux Chambres , a ouvert la demande
du renvoi de quelques Ministres , cette Mo
tion a toujours été rejetée , ou , comme en
1784 , a entraîné la dissolution du Parlement .
En 1778 , à l'instant de la Déclaration remise
au Ministère Anglois par M. le Marquis de
Noailles , au sujet du Traité de la France avec
·les Insurgens , il se fit une Motion dans les
( 14 )
M. Barnave a déclaré qu'il ne s'étoit pas
deux Chambres contre les Ministres ; mais
quoiqu'elle fût fondée sur la circonstance , et
qu'à l'instant d'accorder des subsides pour la
guerre , il parût convenable de solliciter le
renvoi des Ministres qui l'avoient si malheureusement
conduite jusqu'alors , la question
fut perdue à la très-grande pluralité. Tous les
Représentans des Comtés , phalange incorruptible
et impartiale , votèrent contre l'opposition
, sur le principe fondamental et inviolable
qu'au Roi seul appartient le choix ou
le renvoi de ses Ministres , et au Parlement
le droit de les poursuivre. Cette dernière prérogative
balance l'autre . Aussi Milord North
repoussa- t-il constamment toutes ces attaques
illégales , en offrant de se mettre en jugement.
Une seconde voie constitutionnelle dont le Parlement
se sert pour faire renvoyer des Ministres
, est de leur ôter la majorité des voix ;
ainsi Walpole , ainsi Lord North , en 1782 ;
ainsi Lord Shelburne, l'année suivante , furent
obligés de résigner leurs places. Le Ministère ,
en Angleterre , n'est qu'une manivelle dont le
Parlement est le Moteur : s'il refuse le concours
de son action aux Agens de l'autorité .
la machine s'arrête , et le Roi ne peut lui
rendre son mouvement qu'en changeant de
Ministres. Il n'en est pas moins vrai , comme
l'observe judicieusement M. Mounier , que
l'intervention du Parlement , dans le choix des
Ministres , entretient l'esprit de cabale
et nécessite ce qu'on appelle la corruption ;
mais cette intervention est contraire à l'esprit
et à la lettre de la Constitution , qui a donné
au Parlement la voie d'impéachment pour réprimer
, ou pour punir les Ministres coupables .
( 15 )
servi de l'expression exiger le renvoi des Ministres,
mais qu'il falloit le demander. L'Assemblée
nationale devoit avoir la plus grande
influence dans le choix des Ministres , et le
droit de s'opposer à ce choix.
M. de Mirabeau a réfuté M. Mounier ;
il a déclaré que c'étoit une maxime impie et
détestable de dire à l'Assemblée qu'elle ne
devoit pas avoir d'influence sur le choix des
Ministres. En Angleterre , c'est l'opinion du
- Peuple qui les élève et les renverse. Si le voeu
général , si l'assentiment général ne peuvent
rien sur leur choix , la Nation ne seroit pas
digne d'être libre. L'autorité du Parlement
d'Angleterre sur l'élection des Ministres , loin
d'être un vice , étoit un avantage précieux.
M. Mounier a repris la parole et dit : Qu'agiter
la question des différens pouvoirs étoit
une chose prématurée ; qu'il falloit entrer
dans des discussions plus profondes , avant
de rien statuer ; que si cette question avoit
été cause de la longue querelle du Roi avec
les Parlemens , il ne falloit pas calculer l'avenir
par le passé. Il faut empêcher la réunion
des pouvoirs , il faut que l'Assemblée nationale
ne confonde pas la puissance exécutive
et la puissance législative ; on posera des limites
sacrées , quand on fera la Constitution.
Jusques-là , la Nation compromettroit sa
dignité , si elle influoit sur le choix des Ministres
. Il a relevé les faits opposés par M. de
Mirabeau , et a rappelé la nécessité où avoit
été Sa Majesté Britannique , d'appeler au
Peuple de la décision portée par le Parlement
sur le premier Ministre , M. Pitt , qu'on vouloit
écarter. La confusion des pouvoirs mène
au despotisme ou à l'anarchie Je ne parle
pas du moment , mais de l'avenir ; et il faut
( 16 )
craindre que lès Représentans de la Nation
- ne soient pas toujours animés de l'esprit qui
dirige ceux qu'elle a choisis aujourd'hui .
M. Glézen a observé que tous les Préopinans
étoient d'accord , mais que des ménagemens
les empêchoient de s'entendre , qu'il
-falloit demander le renvoi des Ministres ,
mais ne pas aller plus loin. De tout temps ,
la Nation avoit eu ce droit , quoique leur
responsabilité n'ait jamais eu lieu . L'Opinant
a lu de l'ouvrage de M. Mounier sur les Etats-
Généraux , les passages concernant le renvoi
des Ministres et leur punition. La dénonciation
des Ministres coupables , a -t - il ajouté ,
' est donc une loi constitutionnelle . Il faut
donc les dénoncer au Roi et à la Nation...
M. Duquesnoi a dit que l'Assemblée devoit
seulement exprimer au Roi le voeu public
, et demander le renvoi des Ministres .
M. le Comte de Lally a demandé , au nom
de la Capitale , le rappel de M. Necker , de ce
glorieux exilé . On nous a recommandé de le
solliciter , on nous en a priés , et la prière de
tout un Peuple est un ordre . Ce n'est pas que je
trouve que M. Necker languisse dans la disgra-
"ce; illanguissoit , quand on détruisoit les fon-
-demens du bien public , objet de ses travaux.
Cette sainte langueur étoit sur son visage ;
elle honoroit son ame ; elle étoit aussi la
suite de ses travaux . Mais on ne languit pas
dans la disgrace , quand on emporte avec soi
le témoignage de sa conscience , les voeux et
les regrets de la France entière.
M. le Comte de Custines a observé que
ceux qui se croyoient en droit de demander
le rappel d'un Ministre , s'arrogeroient dans
tous les temps le pouvoir de participer au
choix des Ministres ; que l'Assemblée des
( 17 )
C
Etats - Généraux devoit énoncer au Roi le von
général , mais ne devoit pas toujours avoir
égard au mouvement et aux désirs du Peuple .
M. de Custines ayant été interrompu , par
un cri général , sur l'expression d'Etats - Genéraux
, il a repris la parole et dit : Que
l'usage ancien l'avoit habitué à cette dénomination.
L'Assemblée nationale , a - t- il ajou
té , n'a pas le droit de demander le renvoi
d'un Ministre , lorsqu'on ne lui fait pas son
procès. Il falloit attendre le retour de M.
Necker , de la bonté du Roi.
*
M. de Mirabeau a fait l'apologie de ses
principes , en rejetant le projet d'une dénonciation
qu'on ne pouvoit étayer par des
preuves , tandis que mille indices devoient
ôter toute confiance aux agens de l'autorité .
M.le Comte de Clermont-Tannerre a observé
que l'Assemblée nationale ne.peut faire .
que ce qu'elle doit . Nous ne parlons pas dans
le désert , a- t-il ajouté : le Roi sait tout ; laissons
au Roi le droit de renvoyer ses Ministres
, et de rappeler les autres , le regret
de l'Assemblée doit suffire . Il a déclaré qu'une
Nation législative , exécutrice , dénonciatrice
et juge , s'exposeroit à tous les dangers . 11
a fini par dire qu'il n'y avoit liều, à délibérer.
M. Grégoire a dit que ceux qui voudroient
le rappel de M. Necker , diroient rappel ; ceux
qui désireroient le renvoi des Ministres , diroient
renvoi; et ceux qui seroient des deux
avis , rappel et renvoi. ...
M. Fréteau a observé qu'on ne pouvoit
demander le renvoi des Ministres ; mais qu'en
exposant au Roj le voeu de la ville de Paris ,
c'étoit indiquer le rappel de M. Necker.
Grands debats sur la manière de poser la
( 18 )
question , pendant plus d'une heure et demie.
Enfin , il a été décidé que l'éloignement des
Ministres et le rappel de M. Necker ne seroient
point séparés , et que ces deux demandes
seroient insérées dans l'Adresse au Roi . On a
rédigé en conséquence une Adresse qui porte
que d'après les conseils demandés par le Roi ,
l'Assemblée prioit Sa Majesté de renvoyer
tous les Ministres en place , et demandoit le
retour de M. Necker et des anciens .
Cette Adresse a passé presque unanimement.
M. le Président a lu ensuite une Lettre de
M. le Maréchal de Broglie , qui lui annonçoit
que les troupes partiroient aujourd'hui
des environs de Paris pour se rendre à leurs
garnisons respectives ; et que celles qui al-
Joient arriver , reprendroient la route de leurs
quartiers.
La Séance levée à quatre heures et demie ,
a été prorogée à huit heures du soir .
Du 16 Juillet , au soir. L'Assemblée s'est
formée à huit heures du soir , pour lire le
jet d'Adresse au Roi .
pro-
On a lu une Lettre de M. Bochard de
Saron , Premier Président du Parlement de
Paris , à M. le Président , à laquelle étoit
joint un Arrêté de la Cour , rendu le même
jour , dont on a également fait la lecture.
Voici l'Arrêté du Parlement.
« La Cour , instruite par la réponse du
jour d'hier à l'Assemblée nationale , de l'ordre
donné aux troupes de s'éloigner de Paris et
de Versailles , a arrêté que M. le Prémier
Président se retirera à l'instant par - devant
( 19 )
ledit Seigneur Roi , à l'effet de le remercier
des preuves qu'il vient de donner de son .
amour pour ses Peuples et de sa confiance
dans les Représentans , dont le zèle et le patriotisme
ont contribué à ramener la tranquillité
publique.
»
A arrêté , que M. le Premier Président
fera part de l'Arrêté de ce jour à l'Assemblée
nationale . "
La Lettre de M. de Saron au Président de
l'Assemblée , pour lui communiquer l'Arrêté
de sa Compagnie , a donné lieu à quelques
débats.
9
M. le Comte de Clermont - Tonnerre a observé
que le Parlement de Paris paroissoit ,
par cette lettre traiter avec l'Assemblée
nationale , de corps à corps , et que le Premier
Président , se retirant de vers le Roi ,
auroit pu se retirer de même devers l'Assemblée
nationale .
M. le Duc d'Aiguillon a dit : « MM. ,
<< comme Membre du Parlement , je m'empresse
de vous exprimer combien je désaprouve
la manière dont il se conduit en-
« vers l'Assemblée nationale. »
MM. les Ducs de Luynes , de la Rochefoucauld
et de Choiseuil - Praslin ont adké
ré à cette Déclaration .
MM. Duval d'Esprémesnil , Fréteau et de
Saint-Fargeau ont aussi témoigné leurs regrets
à l'Assemblée . Les deux derniers ont
tâché de justifier l'Arrêté du Parlement , en
disant que dans un ordre de choses aussi
nouveau , on étoit exposé à ne pas connoître
toutes les convenances .
M. le Comte de la Chatre est entré , et a
dit qu'il annonçoit à l'Assemblée , de la part
du Roi , que Sa Majesté ayant appris qu'une
( 20 )
nombreuse Députation de Paris venoit le
prier d'honorer cette ville de sa présence ,
Elle engageoit l'Assemblée nationale à envoyer
une Députation au - devant de celle de
Paris , pour l'engager à retourner sur ses pas ,
et l'assurer que Sa Majesté , sensible aux
voeux de leurs Concitoyens , se rendroit demain
à Paris .
On a annoncé que M. le Baron de Breteuil
avoit donné sa démission .
On a fait part à l'Assemblée qu'on venoit
d'expédier des courriers pour le rappel des
anciens Ministres.
L'Assemblée a nommé une Députation pour
aller à Paris ; et une seconde , pour se rendre
chez le Roi , remercier Sa Majesté , et lui
témoigner l'amour et la reconnoissance dont
sa justice et sa bonté pénètrent tous les coeurs.
On a prié la Députation qui alloit à Paris ,
de défendre à M. le Marquis de la Fayette
de se rendre à Versailles , à la tête d'un détachement
de la Milice Bourgeoise , pour
accompagner le Roi.
M. le Comte de la Chatre qui , dans l'intervalle
, étoit retourné au Château , est rentré
; il a annoncé , de la part du Roi , que
Sa Majesté venoit d'écrire à M. Necker
pour l'engager à venir reprendre ses fonctions
près de lui.
La salle a retenti aussitôt des transports
de joie et d'ivresse ; et on n'a plus entendu
que le cri universel de Five le Roi.
Il a été arrêté que la Députation qui alloit
se rendre chez le Roi , lui demanderoit
la permission d'envoyer à Paris une nombreuse
Députation pour l'y recevoir. Les
Députés de cette ville ont demandé la per(
21 )
mission de s'y rendre , et elle leur a été accordée.
M. le Président a dit : Messieurs , votre Président
a été chargé jusqu'à présent de porter
au Roi des paroles de douleur , trouvez bon
qu'il aille lui en porter de reconnoissance et
de joie. Cette demande a été approuvée par
acclamation . M. le Président s'est mis aussitôt
à la tête de la Députation.
Elle a été reçue sur-le- champ . M. l'Arche
vêque de Vienne a témoigné au Roi la joie
de l'Assemblée , sa sensibilité , sa fidélité et
son amour. Le Roi lui a répondu qu'il voyoit
avec plaisir le contentement de son Peuple ,
et a permis à l'Assemblée d'envoyer une Députation
pour lui servir de cortège.
M. le Président se retiroit , lorsque le
Roi l'a rappelé , et lui a dit : « Je veux don-
- ner à l'Assemblé Nationale une preuve de
« ma confiance ; je vous remets la Lettre
que j'écris à M. Necker pour le rappeler ,
« et je vous charge de la faire partir.
«
»>
M. le Président a rendu compte de ces
détails à l'Assemblée , qui a arrêté que son
Président et ses Secrétaires joindroient surle-
champ une Lettre à celle du Roi pour
M. Necker. Elle a chargé M. Dufrêne de Saint-
Léon d'être le porteur de ces deux Lettres ,
et de se rendre aussitôt à Bruxelles . M. Dufréne
est parti au moment même.
Voici la lettre écrite , le 16 , par l'Assemblée
, à M. Necker.
« L'Assemblée nationale , Monsieur , avoit
déja consigné , dans un acte solennel , que
vous emportiez son estime et ses regrets ; cet
honorable témoignage vous a été adressé de
sa part , et vous devez l'avoir reçu . »
( 22 )
« Ce matin , elle avoit arrêté que le Roi
seroii supplie de vous rappeler au Ministère .
C'étoit tout à la fois son voeu qu'elle exprimoit
, et celui de la capitale qui vous réclame
à grands cris . »
« Le Roi a daigné prévenir notre demande.
Votre rappel nous a été annoncé de sa part .
La reconnoissance nous a aussitôt conduits
ve.s Sa Majefté , et Elle nous a donné une
nouvelle marque de confiance , en nous remettant
la lettre qu'elle vous avoit écrite ,
et en nous chargeant de vous l'adresser. »
« L'Assemblée nationale , Monsieur , vous
presse de vous rendre au désir de Sa Majesté.
Vos talens et vos vertus ne pouvoient recevoir
, ni une récompense plus glorieuse , ni
un plus puissant encouragement . Vous justifierez
notre confiance ; vous ne préférerez
pas votre propre tranquillité à la tranquillité
publique . Vous ne vous refuserez pas aux
intentions bienfaisantes de Sa Majesté pour
ses peuples. Tous les momens sont précieux .
La Nation , son Roi , et ses Représentans vous
attendent. »
Nous avons l'honneur d'être , etc. Signés
J. G. Archevêque de Vienne , Président ; le
Comte de Lally-Tolendal, Secrétaire ; Mounier
, Secrétaire.
Du 17 Juillet. L'Assemblée s'est formée à
dix heures , pour attendre le passage du Roi , et
border la haie devant l'hôtel des Menus. Le Roi
est parti à onze heurs , ayant avec lui MM . le
Duc de Villeroi , Prince de Beauvau , Comte
d'Estaing , et les Ducs de Brissac et de Villequier.
Sa Majesté étoit accompagnée d'une
seule voiture , et de 12 Gardes - du - Corps . Un
grand nombre d'Habitans de Versailles , tous
( 23 )
armés , l'ont accompagne jusqu'au Point du
Jour , hameau au delà de Sèvre.
Après le passage du Roi , l'Assemblée a
ouvert la Séance par la lecture de plusieurs
lettres , adresses et délibérations des Communes
de Nancy , des Officiers municipaux
de Châtelleraut , de l'Assemblée des Electeurs
de la même ville , des Habitans de Saint-
Remy en Provence , et de la ville de Lauderne
en Bretagne .
M. L'Archevêque de Vienne a communiqué
à l'Assemblée la réponse qu'il avoit faite à
M. de Saron , Premier Président du Parlement
de Paris .
M. Rabaud de Saint- Etienne a lu un projet
de Règlement , fait par le Comité chargé
de ce travail . M. le Président a proposé d'en
faire remettre des copies dans les Bureaux ,
pour y être examiné et discuté . Cette demande
a été adoptée par l'Assemblée .
La Séance a été aussitôt prorogée à huit
heures du soir.
Séance du soir. On a lu les délibérations
prises par les villes de Besançon et de Romans ;
elles sont relatives à la réunion des trois
Ordres.
Un Membre a prié l'Assemblée d'autoriser
les Sieurs Henri de la Blanchetat ,
père et fils , Négocians à l'Orient , de don
ner à un vaisseau qu'ils doivent armer
le nom de l'Assemblée nationale . L'Assem
blée y a consenti , et s'est rendue ensuite dans
l'avenue de Paris , pour attendre le Roi. Sa
Majesté a passé à dix heures moins un quart.
Elle est revenue de Paris , escortée par la
Milice à laquelle tous les Habitans et ses
( 24 )
Gardes s'étoient réunis pour l'accompagner
au château .
Le Maire de la ville de Poissy a rendu
compte de plusieurs crimes commis , à main
armée , par une troupe de vagabonds, à Poissy
et à Saint-Germain .
Un des Membres de l'Assemblée a observé
que le soin de maintenir le repos public
regardoit le pouvoir exécutif et les Tribu-.
naux .
S
La Séance s'est ajournée au lendemain .
Du 18 Juillet. La Séance a commencé par
la lecture de plusieurs lettres de M. le Maréchal
de Noailles , qui annonçoient les désordres
affreux de Saint- Germain et de Pois--
sy, et le meurtre prochain d'un fermier des
environs .
Un Curé a proposé de nommer des Députés
pour aller calmer l'émeute de Saint-
Germain .
On a nommé aussitôt une Députation de
12 Membres , dont M. l'Evêque de Chartres
étoit le chef. Elle est partie aussitôt pour Saint-
Germain .
M. Martineau a proposé d'établir , dans
toutes les villes , des Milices Bourgeoises , pour
arrêter les émeutes et les séditions .
Plusieurs Préopinans ont pensé que les
Maréchaussées devoient suffire au maintien
de la paix dans les campagnes ; d'autres ont
pensé qu'il falloit y employer des troupes..
Un autre Préopinant a déclaré que la force
militaire étant devenue odieuse dans les circonstances
actuelles , on ne pouvoit l'employer.
Rappeler les troupes dans ce moment , a
dit M. de Volney , c'est rappeler les alarmes ;
il
( 25 )
il faut employer ses propres forces , et inte
resser les Peuples à leur propre conservation :
chaque Paroisse doit avoir une Milice Bourgeoise.
L'Assemblée s'est formée en Bureaux pour
procéder à l'Election d'un Président . Le scrutin
fini dans les Bureaux , l'Assemblée a repris
sa Séance.
M. Le Marquis de Gouy d'Arsy a observé
que
l'Assemblée devoit s'occuper sans relâche
de la Constitution , qui seule pouvoit rétablir
le calme dans le Royaume. Si vous perdiez
de vue , a - t- il dit , ce travail essentiel ,
si vous ne faites violence à vos coeurs , vous
n'aurez employé que des palliatifs : le mal
est dans l'anarchie.... M. de Gouy a voté
pour la formation d'un Comité de pacification
, qui s'occuperoit de calmer les troubles
et les agitations du Royaume .
Un Membre a ajouté que le seul moyen
de calmer les peuples , étoit de se livrer au
travail de la Constitution .
Un Député des Communes a dit que les
désordres provenoient de l'anarchie où la
France étoit plongée ; que le vrai et
unique moyen d'y remédier , étoit de s'oc
cuper de la Constitution ; qu'en attendant
il falloit créer , dans toutes les villes , une
Milice bourgeoise , et qu'alors l'Assemblée
n'auroit plus aucune réclamation à écouter.
M. le Chapelier a soutenu cette motion
avec vigueur , et a demandé que l'Assemblée
rendit un décret en conséquence. Il a dit qu'il
falloit envoyer des troupes dans les campagnes
pour garder les paysans pendant les moissons
et les mettre à l'abri des brigands .
Il a lu une motion à ce sujet.
"
M. Grégoire , Curé d'imbermesnil , a ob-
N°. 31. 1º Août 1789 . b
( 26 )
servé que les villes de province suivroient
probablement l'exemple de la Capitale. Il a
prétendu qu'on devoit établir , des Milices
dans tous les villages et hameaux ,
Un Membre des Communes a observé que
cinq des Membres du Comité de la Constitution,
étant Secrétaires de l'Assemblée, ne pouvoient
s'occuper du travail dont ils étoient
chargés ; il a proposé de les remplacer par
des suppléans.
Un autre Membre a voté pour que l'on
priât le Roi de doubler la Maréchaussée , et
d'envoyer des soldats dans les campagnes .
M. le Prince de Poix a prié l'Assemblée
de prendre une décision , relativement à la
lovée des Milices bourgeoises , ou du moins
de consentir à l'envoi des troupes dans les
villes qui en feroient la demande .
M. Buzot a soutenu la motion de M le
Chapelier. Il a observé que le travail de la
Constitution ne pouvoit se faire avant la
vérification entière des pouvoirs et la fin du
Réglement de police . Il a prétendu qu'on ne
pouvoit calmer le peuple que par lui- même.
Un autre Membre a opiné pour que les
cinq Secrétaires se retirassent au Comité , afin
de s'occuper de la Constitution . Il s'est opposé
à l'établissement des Milices bourgeoises .
M. le Chapelier a relu sa motion.
M. le Comte de Custines a observé' que
l'Assemblée devoit prendre en considération
le grand nombre de brigands que l'on venoit
de chasser de Paris. Il s'est opposé à la formation
des Milices dans les campagnes . Il a
prouvé que les Milices bourgeoises ne pouvoient
être créées sans la sanction du Roi ,
et qu'elles devoient être aux ordres des Magistrats
. Il a observé que ces mêmes Milices
( 27 )
pourroient aider la Marechaussée à calmer
le peuple. Il a ajouté qu'on devoit permettre
aux Troupes de marcher avec la Maréchaussee,
sur la réquisition des Magistrats.
M. Renaud a dit qu'il falloit organiser les
Milices bourgeoises , et leur donner un chef
dans chaque ville. Il a soutenu l'opinion de
M. de Custines.
Un Membre des Communes a soutenu qu'il
seroit fort dangereux d'avoir une Milice armée
dans tout le Royaume. Il a prié les huit Membres
du Comité de la Constitution , de ne
point assister aux Séances de l'Assemblée ,
afin de ne pas être détournés de leur travail .
Il faut , a dit M. Duquesnoi , que vous
appreniez aux pouvoirs exécutifs , judiciaires
et militaires , leurs fonctions et leurs bornes ;
cette fixation dépend de la Constitution ; les
fonctions des Magistrats de paix ne sont que
partielles et locales ; vos Commettans vous
demandent un plus grand bienfait , celui de
la Constitution .
Un Préopinant a demandé qu'on s'en rapportât
à la prudence des villes , pour la formation
des Milices, bourgeoises.
Un autre Membre a observé qu'on devoit
commencer à rédiger le travail de la Constitution
par l'article des Milices bourgeoises .
On alu le résultat du premier scrutin pour
l'élection d'un Président . M. le Duc de la
Rochefoucauld a eu 164 voix , M. de Clermont-
Tonnerre 163 , et M. le Duc de Liancourt
108. Comme personne n'avoit réuni la moitié
des voix , M. le Président a annoncé qu'on
alloit rentrer dans les Bureaux , pour procéder
au second scrutin.
M. Fréteau a remarqué que les Secrétaires
bij
( 28 )
suppléans ne pouvoient se mettre au Bureau ,
sans le consentement de l'Assemblée.
L'Assemblée l'a ordonné.
On est rentré dans les Bureaux , et M. le Duc
de Liancourt a été élu Président à la pluralité
de 600 voix sur 800.
Douzième semaine de la Session .
Du 20 Juillet . MM. Fréteau et Grégoire
ont lu les adresses des villes de Valence ,
Mayenne , Paroisse Saint-Enaud près Saint-
Brieux , Pontarlier , Accret , Crémieux , Langres
, Laon , d'une ville de la Sénéchaussée -
de Nimes , Villers - Coterets , Grenoble , et le
Thimerais .
Les pouvoirs impératifs de M. le Comte de
Castellane et du Député du Clergé de Villers-
Coterets ont été révoqués.
>>
M. l'Archevêque de Vienne a présenté M. le
Duc de Liancourt à l'Assemblée , en disant ;
Messieurs , vos suffrages ont élevé M. le
« Duc de Liancourt à la dignité de votre Pré-
« sident ; je lui remets la place que vous
m'aviez donnée ; c'est ma dernière fonction ;
<< elle est bien propre à faire oublier ou à
« réparer toutes celles que j'avois exercées
« jusqu'à présent . »
"
M. le Duc de Liancourt a remercié l'Assemblée
par une harangue très - applaudie .
( Nous avons déja annoncé que , dans ce Journal
, exclusivement consacré à recueillir des
matériaux pour l'Histoire , nous ne pouvions
rapporter que les discussions , et non les discours
particuliers de cérémonial . )
Un Membre de la Noblesse a prié l'Assemblée
de voter des remercîmens M. l'Ar(
29 )
chevêque de Vienne ; demande agréée par
acclamation .
M. le Président annonçant que M. Dufrêne
de Saint -Léon , premier Commis des
finances , et chargé par l'Assemblée de suivre
M. Necker, ne l'avoit point trouvé à Bruxelles
samedi dernier , a lu la Lettre par laquelle
M. Dufrêne lui apprenoit le départ de ce Ministre
pour Francfort.
Ensuite M. le Président a averti que des
Députés de Pontoise s'étoient rendus à Versailles
, samedi , pour prier l'Assemblée de faire
séjourner dans leur ville le régiment de Salis ,
afin de mettre la ville à l'abri des incursions
de sept à huit cents brigands ; qu'il en avoit
rendu compte au Roi , et que Sa Majesté avoit
ordonné au régiment de Salis de séjourner à
Pontoise 48 heures.
Il a dit avoir chargé M. le Marquis de la
Fayette d'instruire l'Assemblée nationale de
ce qui se passeroit toutes les nuits à Paris ,
et que M. de Nicolay , premier Président de
la Chambre des Comptes , lui ayant demandé
son agrément , pour présenter à l'Assemblée
nationale un Arrêté de sa Compagnie , il lui
avoit indiqué le jour de jeudi .
Enfin , M. le Président a annoncé que les
travaux , nécessaires pour le nouvel arrangement
de la Salle, obligeoient de tenir la Séance
du lendemain à l'Eglise Saint- Louis : « Nous
»
avons , a -t-il dit , des travaux qui doivent
« aller ensemble et avec promptitude , la
« Constitution et les Finances ; et nous ne
« devons perdre d'autre temps que celui qui
seroit nécessaire pour le sommeil et la
«< subsistance. Il a prié le Comité de la
Constitution de s'assembler à l'instant même ,
et celui des finances à cing heures.
"
b iii
( 30 )
M. Camus', l'un des Députés envoyés à
Saint - Germain et a Poissy pour calmer l'émeute,
a fait le rapport de ce voyage , il a vivement
attendri l'Assemblée et les spectateurs .
M Goupil de Préfeln a prié l'Assemblée de
voter des remercîmmens à M. l'Evêque de Chatres
et à ses Collégues. Cette demande a été
applaudie et agréée .
On a repris l'examen des pouvoirs de MM.
les Evêques d'Ypres et de Tournai , sur le
rapport fait , dans les dernières Séances , par
M. Merlin. Il s'agisoit de savoir si ces deux
Prélats , qui ont leurs siéges dans la Flandre
Autrichienne , mais qui possèdent en France
des fiefs attachés à leurs Eglises , ont été va-
Tablement élus Députés aux Etats - Généraux ,
et si , en conséquence , ils peuvent prendre
place dans l'Assemblée nationale . Ce point de
Droit públic a été décidé contre eux , à la pluralité
de 408 voix contre 288 .
M. le Président du Grand- Conseil ayant fait
demander la permission d'être admis , M.
Bouche a exposé que ce Magistrat ne pouvoit
paroître que comme le Député de sa
Compagnie , et qu'il devoit parler debout et
découvert. M. de Mirabeau a soutenu cette
opinion. M. Fréteau a observé que quand
un individu se présentoit à l'Assemblée nationale
, il paroissoit devant le Législateur ,
et que son attitude ne pouvoit être assez respectueuse
; mais que les Compagnies ayant
P'honneur de représenter le Roi , méritoient
des égards.
M. le premier Président du Grand- Conseil
est entré , et a prononcé debont le discours
suivant :
MESSIEURS ,
Le Grand - Conseil m'ayant chargé de
( 31 )
porter au Roi les témoignages de sa reconnoissance
, pour les preuves que Sa Majesté
vient de donner à son Peuple , de sa sensibilité
, de sa confiance et de son amour , on
m'a imposé aussi l'honorable devoir de remettre
aux Représentans de la Nation l'Arrêté
que la Compagnie a pris à ce sujet, »
" Quel nouvel ordre de choses , de prospérités
, Messieurs , ne nous annonce pas la
Déclaration vraiment paternelle que le Roi
a faite au milieu de vous , qu'il ne peut faire
qu'un avec la Nation ! Cette prospérité nous
, est donc assurée , puisque nous l'attendons du
concours de cette auguste Assemblée , du zele
patriotique qui l'anime ; zèle dont l'heureux
effet a été de faire succéder , presqu'en un
instant , et comme par une espèce de prodige
, la confiance et le calme au plus effrayant
orage. »
1
Après ce Discours , M. de Vaucresson a déposé
sur le Bureau l'Arrêté de sa Compagnie ,
et M. le Président lui a répondu entre autres :
Que l'Assemblée nationale recevoit avec
plaisir les témoignages de respect du Grand-
« Conseil. »
K
65
Des Députés des Actionnaires de la Caisse
d'Escompte ont présenté à l'Assemblée un
hommage de reconnoissance , en offrant des
renseignemens sur la caisse et le crédit public.
Après la réponse succincte du Président
, M. de Mirabeau a déclaré que le lendemain
il soumettroit à l'Assemblée un travail
pressant , sur la situation actuelle de la Caisse
d'Escompte cette lecture a été renvoyée au
Comité des Finances .
M. le Comte de Lally,Tolendal a fixé ensuite
l'attention de l'Assemblée sur un projet
biv
32 )
de Proclamation , dont il a motivé la nécessité.
La tranquillité , a - t-il dit , paroissoit
rétablie , mais la commotion étoit générale
dans le royaume ; et il ne seroit peut-être
pas si facile de l'appaiser : les scènes sanglantes
de Saint Germain justifioient ces craintes ;
les Députés de l'Assemblée nationale avoient
pensé être la victime de leur patriotisme ;
leurs noms, ne devoient plus être prononcés
qu'avec respect. En Normandie , à Pontoise
les désastres se multiplioient ; et il n'étoit
pas possible de les regarder comme étrangers
à l'Assem lee nationale : loin d'elle le stoï--
cisme qui la porteroit à dicter tranquillement
des lois , quand l'effervescence commande des
meurtres , et à s'occuper de la liberté de
ceux dont on ne priseroit pas la vie . Seroitil
juste , quand le Roi , éloignant son Ministère,
est venu déclarer qu'il se fioit à Assemblée
, de l'abandonner sur l'objet de ses
soins les plus chers , et de ne pas lui suggérer
des moyens à la place de ceux qu'il a rejetés ?
C'étoit de l'Etat en général qu'il s'agissoit;
et il falloit rassembler les parties éparses du
Gouvernement ; on n'empiétoit point sur le
pouvoir exécutif en s'occupant de cet objet ,
parce que , de quelque manière que les pouvoirs
se partagent , ils doivent être divisés
entre le Roi et l'Assemblée. »
Après ces réflexions , l'Orateur a fait lecture
de la Proclamation suivante qu'il soumettoit å
l'Assemblée .
L'Assemblée nationale considérant que
depuis le premier instant où elle s'est formée,
elle a fait tout ce qu'elle a pu et tout ce
qu'elle a dû pour mériter lá confiance des
Peuples'; »
( 33 )
« Qu'elle a déja etabli les premiers fondemens
sur lesquels doivent reposer la félicité
publique et la régénération de l'Etat ; »
" Que le Roi a dû pareillement obtenir la
confiance de ses fidèles Sujets ; "
« Que non- seulement il les a invités luimême
à réclamer leur liberté et leurs droits ,
en promettant de les reconnoître ; »
il a
« Mais que , sur le voeu de l'Assemblée ,
encore écarté tous les sujets de méfiance qui
pouvoient porter ombrage ; »
Qu'il a éloigné de sa capitale les troupes
dont l'aspect ou l'approche y avoient répandu
l'effroi ; ">
« Qu'il a éloigné de sa personne les Conseillers
qui étoient un objet d'inquiétude pour la
Nation ; ">
« Qu'il a rappelé ceux dont elle sollicitoit
le retour ; "
« Qu'il est venu au milieu de l'Assemblée
nationale , avec l'abandon d'un père au milieu
de ses enfans , lui demander de l'aider à sauver
l'Etat ; "
«
J Qu'il a été de même dans sa capitale se
confondre avec son Peuple , et dissiper par
sa présence toutes les alarmes qu'on a pu concevoir
; »
Que dans ce concert parfait entre le Chef
et les Représentans de la Nation , après la réunion
consommée de tous les ordres , l'Assemblée
va s'occuper sans relâche du grand objet
de la Constitution ; »
«
Que les troubles qui surviendroient actuellement
, ne pourroient plus être justifies
ni excusés par aucune crainte raisonnable ; »
« Qu'ils ralentiroient les travaux de l'As--
semblée , qu'ils deviendroient un obstacle aux
by
( 34 )
intentions du Roi , et qu'ils seroient une of
fense pour l'une et pour l'autre ;
"(
Qu'il n'est pas de ons Citoyens qui ne
doivent frémir à la seule idée de troubles, qui ,
en se prolongeant , pourroient entrainer des
proscriptions arbitraires , des émigrations
nombreuses , la désertion des villes , la dispersion
des familles ; pour les riches , la ruine
de leur fortune ; pour les pauvres , la cessation
des secours ; pour les ouvriers ,
la cessation
du travail ; pour tous , le renversement
de l'ordre social ; »
« A invité et invite tous les François à la
paix , au maintien de l'ordre , à la confiance
qu'ils doivent à leur Roi et à leurs Représentans
, à la fidélité qu'ils doivent au Souverain
, et à ce respect des lois dont il est plus
important que jamais de se pénétrer , quand
toutes celles qui vont être établies , doivent
être si dignes de l'hommage d'hommes litres et
vertueux . "
* Déclare que quiconque se refuseroit à
cette invitation , ne pourroit le faire sans enfreindre
les devoirs les plus sacrés de Sujet
et de Citoyen. "
«
Déclare que la peine la plus juste, prononcée
contre le délit le plus avéré , deviendroit
elle- même une injustice et un délit , si
' elle n'étoit pas ordonnée par la loi et par le
juge qui en est l'organe. »
16
Déclare enfin , qu'en attendant l'organisation
générale qui sera donnée à toutes les
municipalités , elle s'en remet aux Commu-
-nes de chaque ville et bourg du soin de se
créer une Milice Bourgeoise , si elle leur est
nécessaire ; leur recommandant seulement de
-suivre , pour la formation de cette honorable
Milice , l'exemple que dorme actuellement la
( 35 )
Capitale , et de ne confier la sûreté publique
qu'à ceux qui sont incapables de la troubigr
et dignes de la défendre ; et sera la presente
invitation remise au Roi , qui sera supplié de
la faire proclamer dans toutes les villes ,
bourgs , villages , et lire au prone dans toutes
les Paroisses du royaume ( 1 ) . »
M. Dupont , et quelques autres Députés
ont défendu ce projet , en le modifiant ; i
a été fortement attaqué par MM. Roberspierre,
Buzot et Gleizen. Celui - ci a objecté que
cette Motion déja rejetée ne devoit plus
être remise en délibération , et que les
troubles n'avoient pas encore passé dans les
provinces. M. de Lally a justifié sa proposition
, en observant qu'elle avoit pour objet
de rétablir l'autorité de la Loi qui sembloit
évanouic , et que la liberté publique ne pouvoit
exister sans la liberté individuelle .
( Nous abrégeons ces débats que nons
verrons renaître , et que nous développerons
dans la Séance du jeudi suivant ).
Les opinions prises , il a été arrêté que
question seroit discutée définitivement , et le
· soir même , dans les bureaux .
Du 21 Juillet. Les changemens à faire dans
Ja distribution de la Salle ordinaire , ont
obligé l'Assemblée à siéger dans Eglise
S. Louis. M. le Président a ouvert la Séance
en notifiant que , pour être suffisamment
discutée , la proposition de M. de Lally seroit
au premier jour remise en délibération .
La Cour des Monnoies , suivant l'exemple
du Grand-Conseil , à député son Premier Pre-
(1) Cette Proclamation a été modifiée , telle
que nous la rapporterons dans huit jours, a
bvi
( 36 )
sident vers l'Assemblée à laquelle il a parlé en
ces termes :
MESSEIGNEURS ,
« La France n'oubliera jamais ce que votre
vigilance et votreszele ont fait pour la tranquillité
de la capitale; la Cour des Monnoies
m'a chargé de vous offrir l'expression de sa
respectueuse reconnoissance : que ne devonsnous
pas attendre , Messseigneurs , de la réu--
nion de tant de lumières et de vertus ! »
M. le premier Président a déposé sur le Bureau
l'Arrêté suivant.
Extrait des registres de la Cour des Monnoies
du 20 Juillet 1789.
« Ce jour , la Cour assemblée en la manière
accoutumée , un de vous , Messieurs , a
dit que l'Assemblée nationale ayant obtenu
de la bonté et de la justice du Roi l'éloignement
des troupes et le rétablissement de la
tranquillité publique , il croit qu'il est du devoir
de la Cour d'offrir audit Seigneur Roi et
à l'Assemblée , l'expression respectueuse de sa
reconnoissance particulière ; il prie la Cour .
d'en délibérer. »
" La matière mise en délibération , la Cour
a arrêté que M. le premier Président se retirera
incessaniment par-devers ledit Seigneur
Roi , pour le remercier d'avoir accordé toute
sa confiance aux Représentans de la Nation' ,
et d'avoir dissipé les alarmes de la capitale ,
en y ramenant par sa présence le calme et la
sécurité. >>
" A pareillement arrêté que le premier
Président se retirera par-devers l'Assemblée
nationale , à l'effet de lui faire ses remerciemens
d'avoir interposé ses bons offices auprès
(( 37 )
du Seigneur Roi , pour le rétablissement de la
paix dans la capitale. »
"
M. le Président a répondu : « L'Assemblée
nationale reçoit avec d'autant plus de plaisir
les hommages des Cours supérieures , qu'ils
Tui sont une assurance nouvelle de leur entier
dévouement à la chose publique : elle me
charge , de témoigner à la Cour des Monnoies
sa satisfaction particulière . »
Lecture faite de différentes adresses des
Provinces , on a distingué et reçu avec applaudissement
, celle , aussi courageuse que
patriotique , des trois Ordres réunis de la
ville de Lyon.
M de Castellas , Comte de Lyon , et Député
du Clergé , a lu ensuite à l'Assemblée une
déclaration , par laquelle le Clergé , la Noblesse
et les Bourgeois de cette ville , qui
jouissent de certaines immunités féodales ,
réitèrent leur renonciation à toute exemption
pécuniaire , et demandent qu'elle soit énoncée
dans le Procès -verbal .
сс
«
Une Députation de S. Germain est venue
offrir à l'Assemblée le tribut du respect et de
la reconnoissance de ses Commettans : Nous
« vous portons , ont dit ces Députés , les pièces
justificatives de l'innocence du malheureux
Sauvaige , victime de la dernière emeute :
« une foule d'étrangers attroupés avoient
" médité la mort de cet infortuné ; au mo-
« ment où son innocence alloit être recon-
« nue , la populace lui a arraché la vie .
Ils ont fini par demander des secours en bled ,
et des armes pour se défendre. M. le Président
les a renvoyés au Ministre de la Province .
»
Divers Bureaux ont examiné , de nouveau ,
dans la soirée , le règlement de police intérieure
à donner à l'Assemblée .
( 38 )
Du 22 Juillet. Point de Séance d'Assemblée
générale , à cause des travaux continués
dans la Salle ordinaire. Les Bureaux seuls
se sont formés , ainsi que les Comités.
9
Du 23 Juillet. La Séance a commencé par
Ja lecture d'une adresse des Communes de
Bordeaux revêtue de 4 mille signatures ,
de celles de Riom , du Havre de Grâce , de
Sancoreing , et des Négocians assemblés à
la foire de Beaucaire .
Il a été communiqué que la Noblesse du
Maine et celle de la Principauté de Dombes ,
avoient autorisé leurs Représentans à la
votation par tête:
M. le Premier Président au Parlement de
Paris s'est présenté , et à la suite d'un discours
, il a déposé l'arrêté suivant de sa
Compagnie , en date du 20.
"
La Cour , toutes les Chambres assemblées
, vivement touchée des nouveaux těmoignages
d'amour et de bonté que le Roi est venu
donner à sa bonne ville de Paris et à tous ses
fidèles Sujets , considérant combien les derniers
actes de zèle et de patriotisme de l'Assemblée
nationale ont concouru au succès de
détermination paternelle du Monarque pour
le rétablissement du calme de la capitale ;
A arrêté , que M. le premier Président se
retirera à l'instant par devers ledit Seigneur
Roi , à l'effet de lui exposer la viye reconnoissance
de la Cour ; et qu'il se retirera
par deyers l'Assemblée Nationale , et lui
exprimera le respect dont la Cour est pénétrée
pour les Représentans de la Nation , dont
les travaux éclairés vont assurer à jamais le
bonheur de la France . »
1
Ad . le Président a répondu : Monsieur ,
( 39 )
' Assemblée Nationale voit avec plaisir la
justice et le respect que le Parlement de
Paris rend à ses décrets. Le chef de l'illustre
Compagnie , qui , la première , a eule bonheur
et le courage de prononcer hautement le voeu
de la convocation des Etats - Généraux , doit
jouir d'une douce satisfaction , en étant introduit
dans cette auguste Assemblée. Une des
plus essentielles occupations des Représentans
de la Nation , sera de faire rendre aux lois
le respect , auquel est intéressé le bonheur
général et particulier ; et ils acquerront par
ses succès un titre de plus à la reconnoissance
de tous les Citoyens honnêtes et vertueux
, et particulièrement à celle des Tribunaux.
La réunion sincère de tous les Ordres',
l'hommage fait à la chose publique par chacun
de nous , des usages jusqu'ici respectés ,
des opinions anciennes , des prétentions privées
, des démarches utiles qui en ont été le
résultat , ne doivent laisser aux bons Citoyens
aucun doute du zèle pur et infatigable , avec
lequel l'Assemblée Nationale s'est dévouée
sans réserve au grand oeuvre de la régénération
de l'Empire , et avec lequel elle s'occupe
du bonheur de la Nation la plus généreuse ,
et du Roi le plus digne de son amour. »
«
L'Assemblée Nationale y voit encore
T'heureux présage que dans ces circonstances
aucune classe de Citoyens ne laissera , par
des considérations particulières , étouffer en
-elle le sentiment pur et généreux du patriotisme.
»
Deux scènes sanglantes arrivées la veille
à Paris , donnoient une nouvelle importance
à la question déja agitée , et reprise , sur
les moyens de rendre la paix à la capitale
et au royaume. M.de Minabedu a demandé ,
( 40 )
en son nom et en celui d'un très- grand nombre
de Citoyens éclairés , que l'on portât ses
efforts vers la constitution de la Municipalité
de Paris , que 60 Députés se rendissent
dans les Districts de la capitale , afin d'établir
entr'eux une Correspondance parfaite , et
leur présenter , en forme de conseil , un
plan de Municipalité . On devoit soigneusement
chercher un moyen doux de procurer au
Corps Municipal une autorité légale sur la
Commune , consentie par la Commune , moins
irrégulière que celle des Electeurs , et qui ,
établie par la confiance , pût se faire respecter
par la confiance .
M. Demeunier , ayant rendu compte de
l'état de la capitale , a voté pour que la proclamation
de M. de Lally- Tolendal , rédigée
de nouveau , fût envoyée à Paris et à 20 lieues
à la ronde . Il a demandé à l'Assemblée et à
M de Lally la permission de lire cette même
proclamation , avec les changemens jugés nécessaires
. Cette lecture faite , M. Demeunier a
supplié l'Assemblée de vouloir bien délibérer
à l'instant sur cet objet.
M de Lally- Tolendal a rendu compte à
Passemblée que M. Berthier , fils , s'étoit rendu
hier chez lui , et jeté à ses genoux , en le conjurant
de vouloir bien sauver la vie de son
père. Les événemens arrivés hier à Paris
étoient malheureusement , une preuve de la
nécessité et de la sagesse de sa proclamation .
La France , l'Europe et la postérité s'éleveroient
contre l'Assemblée , si elle ne remédioit
aux calamités auxquelles la capitale étoit
livrée . M. de Lally ayant ensuite fait lecture
de sa Motion , changée et corrigée , a ajouté
: « Je laisse à la sagesse de l'Assemblée de
« décider si l'on doit y insérer les peines que
( 41 )
a mériteront à l'avenir les séditieux et les
<< meurtriers. >>
M. de Mirabeau a réfuté M. de Lally . Il a
prétendu que l'Assemblée compromettroit son
autorité , en admettant la proclamation. Le
meilleur moyen de contenir et de calmer le
Peuple , et d'organiser la Bourgeoisie ; la seule
manière d'amener la paix etoit renfermée
dans la proposition qu'il venoit de faire . Le
bruit d'une proclamation avoit souleve les esprits
, et occasionneroit les plus grands dangers.
Un Membre de la Noblesse a dit qu'on devoit
s'occuper de la paix du royaume , aussi
bien que de la tranquillité de Paris . Il a fait
part des dangers auxquels étaient exposés les
villages voisins de Pontoise , qui demandoient
des troupes , afin d'être à l'abri de plus de
huit cents brigands Il a fait de grands éloges
de la proclamation de M. de Lally , à l'ex
ception de l'article des Miliçes Bourgeoises,
institution dangereuse dans les petites villes .
Il a proposé une Motion presque semblable
à celle de M. de Lally - Tolendal ; la fin
senle , qui est relative aux troupes , ' en différe
.
M. de Sillery a opiné pour que l'Assemblée
s'occupât de rétablir le calme à Paris ; et il a
Ouvert un avis en conséquence.
M. Malouet a défendu la proclamation de
M. de Lally. Les notifs de cet acte et ses modications
levoient toutes les difficultés ; mais il
étoit nécessaire d'y ajouter , que le Roi seroit
prié de donner aux Municipalités main-forte
contre les attroupement sur la demande des
Officiers Municipaux . En s'opposant aux Mifices
Bourgeoises , on a craint , a-t -il ajouté ,
un Armement général , et cette crainte est
( 42 )
juste. La résistance à l'oppression est légitime ,
et honore une Nation ; la licence Pavilit.
Une insurrection nationale contre le despotisme
a un caractère supérieur à la puissance
des lois , sans en profaner la dignité :
mais lorsqu'un grand intérêt a fait un grand
soulèvement , alors le plus léger prétexte
suffit pour réveiller les inquiétudes du peuple ,
et le porter à des excès . C'est de tels malheurs
qu'il est instant de prévenir , et tel
seroit l'objet de la proclamation , avec l'addition
que j'ai proposée . Notre silence multiplieroit
les abus . Attendre que la constitu
tution les arrête ' est annoncer que la
puissance publique a disparu , jusqu'à ce que
la Constitution soit promulguée ..
?
....
Quant aux griefs dont le peuple se plaint ,
et aux coupables qu'il désighe , ils ne doivent
point échapper à la sévérité des lois , mais
c'est devant les Tribunaux qu'ils doivent être
poursuivis ; c'est au Procureur- Général du
Parlement que les plaintes et dénonciations
doivent être adressées .
། ་
Un Membre des Conimunes a observé que
la proclamation de M. de Lally - Tolendal
étoit le voeu unanime des Citoyens de Paris ,
Sinivant le rapport qui lui en avoit été fait
hier par un des Membres du Comité . Il a
voté pour son admission. Il a demandé à l'Assemblée
d'envoyer à l'Hôtel - de- Ville des Députés
, pour travailler avec les Comités à rétablir
le calme. Il a fait un tableau horrible
des désastres de Paris. Il a ajoute qu'on bla
moit , dans la Capitale , le silence de l'Assemblée.
Un Membre du Clergé a proposé une
Adresse à tous les Curés et Vicaires , qu'on
( 43 )
chargeroit de tranquilliser le Peuple par la
Religion.
M. de Nicolay , premier Président de la
Chambre des Comples , est entré , et a dit :
MESSEIGNEURS ,
Admis à l'honneur de paroître devant les
augustes Représentans de la Nation , je me
trouve heureux d'avoir à vous offrir l'hommage
des sentimens qui animent la Chambre
des Comptes , et dont elle m'avoit chargé d'être
l'interprete auprès du trône . »
« Rendez le calme à nos tristes foyers ;
vous êtes notre espoir ; la Patrie gémissante
vous implore comme des divinités tutélaires ,
nos coeurs , notre reconnoissance décernent
déja la palme du patriotisme à vos vertus , à
Votre courage . Couronnez vos travaux , et
puisse le bonheur public être bientôt votre
ouvrage et votre récompense. »
"
La Chambre des Comptes , Messeigneurs ,
a l'honneur de vous proposer , par ma voix ,
tous les renseignemens qu'elle pourra vous
donner , lorsque vous vous occuperez des finances
Voici la réponse qui lui a été faite par
M. le Duc de Liancourt :
"
Monsieur , l'Assemblée Nationale reçoit
avec satisfaction Phommage de la Chambre
des Comptes : le bonheur de la Nation est
le seul veu de ses Représentans ; c'est le
seul but de leurs travaux. Elle voit, dans l'offre
des renseignemens sur les Finances que lui fait
la Compagnie que vous présidez , une nouvelle
preuve de son désir de se rendre utile à l'Etat ;
l'Assemblée Nationale y aura recours avec
confiance , et ne doute pas d'y trouver les
moyens de servir le désir impatient , dont
( 44 )
elle est animée , de terminer l'ouvrage important
du rétablissement des Finances . »
M. le Chapelier a lu l'Arrêté de la Chambre
des Comptes , conçu en ces termes :
Arrêté de la Chambre des Comptes , du 78
Juillet 1789.
« La Chambre , d'après le récit de ce qui
s'est passé hier , a arrêté que M. le premier
Président ira , dans le jour , porter au pied
du Trône ses respectueuses félicitations sur
le rétablissement du calme dans la Capitale ,
que l'on doit à la loyauté et à la présence
du Roi. »
La Compagnie se repose sur M. le premier
Président , pour exprimer dignement les
sentimens qui l'animent . Elle le charge de
faire part de son Arrêté à l'Assemblee Nationale
, et de lui offrir l'hommage de tous les ·
renseignemens qu'elle peut lui donner , lorsqu'elle
s'occupera des finances . »
« Arrêté en outre que deux de Messeigneurs
les Conseillers Maîtres se transporteront incessamment
à l'Hôtel - de - Ville , pour remettre
à MM. de la Commune une copie de la présente
Délibération.
"
Et ensuite le Discours de M. de Nicolay
au Roi , que nous croyons devoir rapporter.
遵
" SIRE ,
La Chambre des Comptes s'empresse de
vous . offrir ses respectueuses félicitations .
Depuis quinze ans , Sire , vous êtes sur le
trône , et vous n'êtes heureux que depuis un
jour. Votre loyauté , votre présence viennent
de rendre le calme à la capitale , et pré(
45 )
-
sagent la fin de nos malheurs . Votre Majesté
s'unit entièrement à ses Sujets ; la vérité ,
désormais , pourra se faire entendre sans altération
et sans effort . Votre coeur ne veut
plus d'intermédiaire entre le père et ses enfans
; vertueux comme Louis XII , adorable
comme Henri IV , il vous étoit réservé , Sire ,
et aux dignes Représentans de la Nation
de créer le bonheur public ; c'est sous votre
règne que les François devront proférer le
serment de ne servir et de n'aimer que la Parie
et leur Roi.
M. le Président a annoncé qu'on venoit de '
lui remettre le Procès- verbal des Electeurs
de Paris , dont M. de Tolendal a fait la lecture.
Un Membre des Communes a dit qu'il
adoptoit une partie de la Motion de M. de
Lally - Tolendal , la partie récitative . I a
proposé l'établissement d'un Tribunal pour
juger les personnes qui avoient été arrêtées ,
et celles que le Peuple jugeroit coupables.
Un autre Député a pensé que l'Assemblée
ne devoit s'occuper que de la Constitution ,
non des dissentions de Paris , ni d'autres événemens
de cette espèce. Il a soutenu que les
désordres et emportemens du Peuple étoient
des orages ordinaires pendant les révolutions :
la multitude pouvoit avoir eu raison de se
faire justice ; peut-être le sang versé n'étoit
pas pur……….. '
Ces sentimens ayant excité un mouvement
dans la Salle et dans les travées , l'Opinant
a voté ensuite le Réglement des Municipalités,
et l'établissement des Milices Bourgeoises ,
seul remede praticable. Les Tribunaux actuels
étoient incompetens pour juger les personnes
proscrites par le Peuple. L'avis de M.
de Mirabeau étoit le seul à adopter. Les Dé(
46 )
•
putés de Paris devoient étre autorisés à travailler
au Réglement d'eng bone Municipa
lité. L'Opinant a fiel pac tire un projet d'Arrêté
pour lever des Milices Bourgeoises , le
jugement des personnes arrêtées et de celles
qui le seroient , et l'autorisation des Députés
de Paris pour le Réglement de la Municipalité.
Un Député de la Noblesse s'est élevé contre
l'érection d'un Tribunal extraordinaire ; ces
Commissions étant aussi odieuses que dignes
⚫ de l'être.
M. de Mirabeau a exposé des observations
sur l'Arrêté de MM. les Electeurs ; Arrêté
auquel on ne pouvoit déférer , puisque l'autorité
de ses Auteurs étoit disputée. La ville
de Paris avoit besoin de beaucoup de lumières
pour rédiger les lois de sa Municipalité , les
secours de l'Assemblée lui étoient nécessaires,
et dans la Séance du lendemain , il liroit un
projet de Règlement à cet égard.
Un Membre des Communes a fortement
repoussé toutes Commissions , juges des personnes
déclarées coupables par le Peuple ; on
devoit se borner à promettre de nommer un
Tribunal ad hoc , qui seroit chargé de la responsabilité
des Ministres , à l'époque où l'Assemblée
établiroit la Constitution ; suivant
lui , il n'y avoit lieu à délibérer dans ce moment.
M. Antoine est revenu à l'idée d'une Commission
judiciaire ; il a prié l'Assemblée de
la créer.
Un Noble a objecté qu'on s'éloignoit de
la question présentée. Elle consistoit à admettre
ou à rejeter la proclamation , à opter
entre l'avis de M. de Lally , et celui de M. de
Mirabeau en faveur duquel il se déclaroit.
( 47 )
M. le Comte Mathieu de Montmorenci a
adopté la Motion de M. de Lally- Tolendal.
Les autres objets proposés ne pouvoient pas
être discutés et arrêtés sur- le- champ ; il étoit
du devoir de l'Assemblée de rendre à un Tribunal
quelconque son pouvoir exécutif; mais
on devoit commencer par une proclamation.
M. Camus a proposé de faire assembler dans
un Bureau les Députés de Paris , conjointement
avec M. de Mirabeau , afin de travailler
au Règlement de la Municipalité , et rapporter
ensuite leur plan .
M. le Marquis de Gouy d'Arcy a rendu
compte des scènes affreuses qu'il avoit vues la
veille à Paris , il a réfuté le Discours de M.
Barnave , et annoncé qu'il avoit lu les noms
de plusieurs Députés dans la liste des proscriptions
faites par le Peuple. Il a opiné à
réunir tous les moyens proposés , à rédiger
un Arrêté ou une proclamation ; envoyer aux
Electeurs de Paris les Députés de cette ville ,
et former la Municipalité. Dans le cas où le
Peuple ne se calmeroit pas , il falloit envoyer
à Paris une nouvelle Députation .
M. Mounier a soutenu avec une force lumineuse
la proclamation rédigée de nouveau
par M. de Lally. Il a fait sentir le danger
qui résulteroit du plus long silence de l'Assemblée
; silence qui paroîtroit approuver la
violence du Peuple.
M. l'Evêque de Laon a applaudi á fa praclamation
de M de Tolendal , en déclarant
qu'elle contribueroit beaucoup à la réussite
du plan proposé par M. de Mirabeau.
M. de Lally - Tolendal a soutenu de nouveau
sa Motion avec une rare Energie.
Un Député des Electeurs de Paris a paru
( 48 )
à la Barre pour demander la création d'un
Tribunal. Il a lu ensuite l'Arrêté que les Electeurs
ont rendu à ce sujet.
M. de Volney a dit : Qu'il existoit à Paris
trois pouvoirs , les Electeurs , le Comité - Permanent
, et les soixante personnes nommées
dans les quartiers pour former le Corps Municipal.
Le Comité et les Electeurs ne formoient
pas des Corps légaux . La proposition
de M. de Mirabeau devoit être un dés premiers
objets de délibération ; l'avis ouvert
par un des Préopinans , de promettre au
Peuple le jugement des coupables , étoit trèssage
, et la ville de Paris ne désiroit pas autre
chose ; ce moyen étoit le seul efficace . Il s'est
récrié sur ce qu'il avoit vu la veille au Palais-
Royal , au moment où l'on y traînoit les restes
des victimes. On devoit prendre les moyens
les plus prompts , faire connoître au Peuple
l'improbation de l'Assemblée , et réunir tous
les moyens proposés ..
M. Demeunier a rejeté l'établissement d'une
Commission ; les personnes présumées coupables
devoient être laissées en prison , jusqu'à
ce que l'Assemblée eut creé un Tribunal compétent
à l'époque de la Constitution .
Les avis se multiplioient et se croisoient
sans fin , lorsque M. le Président a résumé
toutes les propositions faites.
On a relu la proclamation , et le débat a
recommencé .
Un Député a demandé la création d'un
Comité pour la recherche des coupables , et
recevoir les dénonciations du Peuple . Cet avis
a été combattu . Enfin , M. le Président a
renvoyé la proclamation avec les amendemens
( 49 )
mens et autres Motions , à l'examen des Bureaux
, en annonçant qu'ils se formeroient à
cinq heures et demie , et l'Assemblée à huit.
M. le Président de la Cour des Aides est
entré dans l'enceinte et a prononcé un Discours
applaudi universelleinent . M. l'Abbé
Syeyes a lu l'Arrêté de cette Compagnie.
M. Hocquard s'est retiré après avoir reçu
de nouveaux applaudissemens.
La Séance s'est levée à trois heures passées .
Du 23 au soir. Après le compte rendu
de l'opinion des Bureaux , divers Membres
ont renouvelé les Motions déja traitées : L'un
renvayoit les oppresseurs du Peuple anx
Tribunaux ordinaires ; l'autre proposoit un
Corps judiciaire composé de Magistrats et
de Jurés ; un troisième renvoyoit le jugement
aux Jurés seuls ; un quatrième proscrivoit
tout Tribunal provisoire , extraordinaire , ou
définitif La Motion, relative à l'établissement
de la Municipalité de Paris , a aussi reparu ,
et de nouveau a été repoussée ; enfin , l'on a
opiné sur celle de M. de Lally-Tolendal , à
Jaquelle ce Député avoit joint un amendement
, ou plutôt une addition , par laquelle
il sera déclaré au Peuple , qu'on ne peut
punir aucuns coupables sans le Ministère des
Lo's et de la Justice et que , dans le Code
politique dont on s'occupe , il sera institué un
Tribunal chargé de punir les oppresseurs.
La Motion et l'amendement ayant été
admis , on les a renvoyés an Comité de
rédaction , qui en a apporté la minute
vers une heure du matin : il a été arrêté
que cette proclamation seroit publiée et
affichée.
Supplément au No. 31 .
!
•
(
50ill
Du 24 juillet. M. de Villes , Député de la
Ncb effe de Gien , a remis fur le Bureau de noti❤
veaux pouvoirs , qui lui permettent de voter par
têre , & lui donnent toute liberté.
M. le Comte de Montrevel , Député de Mâcon ,
en a reçu de pareils .
On a fait la lecture d'ure ad: effe de la ville
d'A as , & enfuite mention de celles de Saint-
Sauveur , Mea x , Lure , Rheims , &c. On a lu
auffi l'extrait de différentes lettres & demandes ,
reçues depuis plufieurs jours.
M. Grégoire a fait lecture des Procès-verbaux
de la veille .
Ona préfenté le rapport de la conteftation furvenue
au sujet de la feconde élection de M. le Cardial
de Rohan , Evêque de Strasbourg. C: Frélat érant
malate , avoit refufé de se rendre à Versailles ,
& demandé que M. l'Abbé Bou , fon Suppléant ,
s'y rer dit , en fe réfe vant le droit de fiéger aux
Etats- Généraux auffitôt que fa fanté le lui permetroit.
Il a protefté par- devant Notaire , contre
la lettre de M. le Garde des Sceaux , qui déclare
qu'au refus de M. le Cardinal , M. l'Abbé Bou
eft le vrai Député du Clergé d'Haguenau . Ce
Clergé , par l'organe de fon Comité permanent ,
n'a autorifé M. At bé Bou à prendre Séance que
jufqu'à l'époque où M. le Cardinal voudroit s'y
rendre. La mejorité du Comité de vérification a
été d'avis d'écrire à M. le Cardinal , pour favoir
s'il vouloit fe rendre à l'Affemblée.
M. l'Abbé d'Aymar a dit qu'on ne pouvoit
affoiblir le témoignage flatteur & honorabe que
le Clergé d'Haguenau avoit rendu deux fois à fon
Prince Evêque. Il a expofé l'injuftice de la lettre
de M. le Garde des Sceaux , & fait lecture d'une
lettre de M. le Cardinal , par laquelle ce Prélat
hi mande qu'il accepte la députation. Il a fait
part de la procuration qu'il en avoit reçu .
5( 1
M. "Abbé Bou a plaidé a caufe.
M. Hébrard a obfervé que M. le Cardinal
avoit été malade du très-exprès commandement
des Miniftres.
M. de Saint-Fargeau a foutenu qu'on devoit admettre
M. le Cardinal , puifqu'il n'avoit pas refufé
; & qu'eût-il refufé , fon refus n'avoit pas
été accepté. D'ailleurs , le Suppléant n'auroit pas
dû fe préfenter. L'Opinant s'eft eftimé heureux
d'avoir pu deux fois donner fa voix , pour ſouftraire
M. le Ca - dinal au pouvoir arbitraire.
M. le Comte de Montmorency a lu l'article de
fes Cahiers , qui le charge de demander la révcation
de la Lettre d'exil de M. le Cardinal , &
a parlé enfuite en fa faveur.
Un Membre de la Nob'effe a obſervé que la
Lettre du Garde des Sceaux étoit formellement
' contraire au Règ'ement.
Lá queftion mife aux voix en CCs termes ,
M. le Cardinal de Rohan doit - il être admis cu
ron ? S. E. a été admiſe par 655 voix contre
37.
M. Hébrard a rapporté que les Députations du
Clergé & des Coinmunes de Bretagne avoient été
attaqués par le Haut- Clergé & la Nobleffe. Il a
fait le rapport des Proteftations , après avoir rendu
compte de la formation vicieufe des Etats de cette
Province.
L'avis du Comité de vérification a été que les
Dépurations du Clergé & des Communes font
valables & régulières ; que le Clergé de l'Evêché
de Léon éo le M.ire de s'affembler pour nommer
fes deux Députés , & qu'on devoit la fer à
la Neb effe le droit d'envoyer les fie..s quand elle
le jugeroit à propos.
M. de Baumer s'eft élevé contre les Proteftations
de la Nobleffe de Bretagne
c ij
( 52 )
Un Membre des Communes a foutenu la validité
des Elections.
M. le Préfident a demandé de prononcer par
affis ou debout.
Les Députés Bretons font fortis.
M. le Préfident a poſé la Délibération de cette
manière :
L'Oppofition du Haut-Clergé & de la Nob'effe
de Bretagne , fera- t- elle admife ou non ?
Elle a été rejetée à une très- grande majorité.
Les Députés de Bretagne font rentrés au bruit
des applaudiffemens.
Sur l'avis de M. Coroller , appuyé par M. Chapelier,
que l'Affemb'ée invitât le Clergé de Bretagne
à compléter fa Députation , & la Nobleffe
de la même Province , à nommer fes Députés , il
a été arrê é que les Députés nommés du Clergé
& des Communes de Bretagne étoient admis
fauf au C'egé à complé er fa Députation , & à
la Nobleffe a former la fienne.
Une Députation de la ville de Rouen a paru
à la Barre; l'un des Députés a prononcé un Difcours
fort applaudi.
M. le Préfident lui a répondu .
M. Dubois de Crancé a lu ure Motion tendante
à ne permettre l'exercice de la votation qu'aux
Députés dont les Pouvoirs auroie t été vérifiés
& à arrêter l'Aſſemblée n'admettroit aucun
Député, dont les Pouvoirs n'auroient pas été vériiés
en commun.
que
M. le Préfident a demandé le voeu de l'Affemblée
fur la queflion .
Sur quoi M. le Prince de Poix a prié l'Af
femblée de rendre un Arrêté pour ordonner à la
Nobleffe de Bretagne de fe réunir à l'Affemblée
Nationale.
Un Membe de la Nobleffe a dit qu'il étoit
( 53 )
expreffément chargé de défendre la Caufe des
Provinces abfentes.
M. le Comte de Crillon a lu le projet d'Arrêté ,
rédigé d'après la Motion de M. Dubois de Crancé,
& il a été pris à l'unanimité.
M. le Comte de Mirabeau ayant demandé que
fa Motion du Jeudi fût difcutée , M. le Préfident
a répondu qu'e'le feroit examinée le foir dans les
Bureaux , & décidée enfuite par l'Afemblée.
La Séance levée à trois heures , a été ajournée
à huit heures du foir.
Séance du foir , même jour. Un Député de Paris
a dit , qu'il régnoit une grande union entre les
Districts de la capitale & le Comité permanent , &
que les Diftricts s'occupoient de la Rédaction d'un
Règlement de Municipalité.
M. le Préfident a prié l'Aſſemblée de déclarer
s'il y avoit lieu à délibérer fur la Motion de M.
de Mirab:au.
L'Affemblée a prononcé unanimement qu'il n'y
avoit lieu à délibérer.
Un Membre du 29º. Bureau a prié MM. du
Comité de la Conftitution , de communiquer inceffamment
à l'Affemblée le commencement de
leurs travaux , feul moyen de ramener le calme.
M. Fréteau a fait la même demande au nom
de fon Bureau .
M. le. Comte de Montmorency a prié M. le Préfident
de preffer MM. du Comité.
Inutilement un Membre a voulu propoſer un
Arrêté , M. le Préfident a prié le Comité de la
Conftitution , de faire fon rapport Lundi prochain.
A fuivi un long rapport d'une Proteſtation du
Confeil de Perpignan , contre l'E'ection des Dépatés
des Communes . L'avis unanime du Bureau
c iij
54-)
de verification avoit été contre cet A&te , & l'AR
femblée en a confirmé la rejection .
Ja Stance a été terminée par une Motion de
M. Huart, pour la Création d'un Comité de Commerce
, compofé de 60 perfonnes .
Du 25 juillet. Lectu e des Adreffes de plufieurs
Villes.
Une Députation de la ville de Dieppe eft en-.
trée ; l'un des Députés a prononcé un long D.-
cours .
On a fait part de la réception de plufieurs
Adreffes,
M. le Préfident a annoncé qu'un Courrier envoyé
par la ville de Vefoul en Franche- Comté
venoit de lui remettre une Lettre , dont il a fais
lecture .
Vefoul , ce 22 juillet 1789,
NOSSEIGNEURS ,
La ville de Vefoul ne veut point affliger
l'Affemblée nationale le récit de tous les défo
dres portés à l'excès dans fon Bailliage : les châ
teaux brûlés , démolis , pillés au moins ; toutes
les Archives enfoncées , les Regifres & Terriers.
enlevés , les dépôts violés , les plus horrib'es menaces
& des violences extrêmes.
» La ville de Vefoul ſe borne à conjurer l'Afémblée
nationale de rendre un décret qui puiffe
ramener la tranquil ité publique parmi les gens
de la campagne , qui femblent douter de la vérité
des derniers imprimés qui ont été envoyés aux
Coinmandans des Provinces.
>> Un arrêté de l'Affemblée nationale calm a
la partie faine du Peuple des campagnes ; ma's
comme il s'eft formé , en même- timps , des
bandes de grens fans aveu , l feroit effentiel en(
55 )
core que l'Affemblée ramonale , par le même arrê
é , autorifât d'employe: la force pour les contenir.
Telle eft la demande refpe& ueufe & preffante
de la ville de Vefoul , repréſentée par les
membres du Comité fouthgnés , qu'elle a nommés
pour pourvoir à la tûreté pub ique .
Signés , e Came de Schomberg, de Saladin ,
Jacquet de Fleury, Maire ; le Vicomte de Monts ,
Duval , Confeiler au Préfi tia' ; Saint- Fergeux ,
Bailly , Avocat ; le Vert , Officier Municipal ;
Noirot , Avocat ; Vigueron , Avocat ; Garnier,
Confe ker au Préf.dial , & autres.
*
M. de Raze , Lieutenant-Géné a ! du Bailliage
de Vefoul , & premier Député des Commur es
d'Amont , afait le récit du ffair qui avoit donné
lieu à ces violences , & lu le Procès -verbal dreflé
par la Maréchauffée .
Il en résulte qu'un Magiftrat , Seigneur de
Quincey , avoit invité à une tête , dans fon Châ ,
reau , p'ufieurs perfonnes qui fe difpofoient à célébrer
à Vefou ' la réunion des trois Ordres . On
danfoit dans fon parc , lorsque l'explosion d'une
mine fit fauter les conviés. Trois Militaires &
deux Bourgeois ont pé i par cette horribletrahifun;
plufieurs autres ont été bleffés.
ce ,
M. le Préfident a rapporté qu'un Electeur de
Paris lui avoitrem's la veille , à l'iffue de la Séanun
paquet contenant plufie rs lettres , tant
ouvertes que cachetées , trouvées dans les mains
de , le Baron d Caftelnau , Pretident de France
à Genève , & envoyées au Comité-Rrmanent
par le Difirici des Petits-Auguſtins. M. le Préfident
a remis le paquet Elteur pour le rendre à
M. Bailly!
Il a enfuite in formé l'Affemblée que M. le
Comte de Crillon lui voit annoncé , que fa fa té
le forçoit de fe reuer pour fe rendre aux eaux,
c iy 2
( 56 )
La Motion faite la veille par M. Huart , pour
La formation d'un Bureau de Commerce , a été
prope fée à l'Affemb.ée , qui l'a rejettée fans dé-
Libération .
M. Barrère de Vieufac a fait le rapport de la
véification de p'ufieurs pouvoirs.
Ila palé enfuite au rapport des Députés du
Clergé de Béarn , qui ont été admisunanimement.
M. Salomon a fait le rapport de fa double Députation
des Communes d'Aunis. Cette Province
s'eft fondée fur ce qu'en 1614 , elle avoit fourni
trois Députés des Communes , & quatre dans la
Convocation de 1649 , ainfi que fur l'augmentation
de la Population , de l'Agriculture , des Ri
cheffes , & l'avantage du Port de Rochefort. Le
Comité de Vérification l'a rejetée , par la raifon
que , fi elle étoit admife , toutes les Provinces Leroient
en droit de réclamer. l'Affeniblée a confirmé
cette réfolution .,
M,le Comte de Châtenay- Lanti a demandé qu
toutes les lettres & paquets arrêtés à Paris &
dans les Provinces , fuffent remis à un Bureau
nommé par l'Affemblée , pour lui être communiqués.
9
M. Salomon a fait le rapport de la double Députation
des Communes de Montpellier. Elle a
été rejetée unanimement. Geite ville s'étoit fo ..-
die fur les mêmes raifons que la Rochelle.
M. le Préfi lent, d'après la demande d'un Député,
a propofé d'admettre les Membres qui comp fent
les doubles repréfentations com ne Suppléans ; &
cet avis a paffé unan mément,
M. le Comte de Sérent a propofé une Motion
relative à l'atten at du Château de Quincey : elle
porte que M. le Préfident fe retirera devers le
Roi , pour fupplier Sa Majefté , d'ordonner au
Tribunal le plus prochain de poursuivre
& pu nir les au: curs & complices de
& 5735 forfait , & d'enjoindre à fes Miniftres dans les
Cours étrangères , de les réclamer pour les faire
conduire en France.
On a fait le rapport de la réclamation des
Communes du Quefnoi , qui ont nommé une
doub e Députation , & chargé les Députés de la
première de faire admettre ceux de la feconde ,
ou du moins comme Suppléans .
Cette double Députation a été rejetée unanime
ect. On a fait la lecture du Procès -verbal
de la veille.
M. le Comte de Sérent a obſervé , touchant certe
leâue , que les trois O dres étant réunis , on ne
d.voit plus mettre dans les Procès- verbaux , un
Membre du Clergé , de la Nobleffe ou des Communes
, mais un membre de l'Affemblée.
Il a lu enfuire un projet d'Arrêté conforme à
fa Motion fur l'attentat de Quincey.
Un membre de la Nobleffe réclamé contre
l'article qui exprime que le Roi fera fupplié de
faire punir les coupables,
Un Membre des Communes a dit, qu'on devo't
charger les Juges Royaux de Vefoul, d'inftruire la
Procédure , & de décreter.
Ua Préopinant du même Ordre a obfervé que
l'Affemblée ne pouvoit autorifer unJuge i : férieur
à décretar un Juge fupé ieur ; & qu'on ne devoit
pas do ter de l'empreff ment du Parlement de
Befarçon à inftruire ce Procès.
M. le Duc de Villequier a dit que M. de Grosbois
, premier Préfident du Parlement de Befangen
, l'avoit affuré que fa Cour avoit nommé
des Commiffaires pour inftruire cette Procédure
, conjointement avec les Juges de Vefoul &
les Officiers de la Maréchauffée.
Un Député des Communes de Franche-Comté
a déclaré que la haine contre le Parlement
occafion : oit la fermentation du Peuple , qui fe
C V
( 58 )
fouleveroit fi les Commiffaires & cette Cour fe
chargeoient du jugement d'un pareil crime.
Un autre membre des Communes a rappelé que
le droit d'être jugé par fes Pairs , devoit ê: re
commun à tous les états.
Un membre de la Nob'effe a foutenu que tous
les Juges du Royaume avoient le droit de décreter
toutes perfonnes que conques.
S
Un Député des Commures d'Amont a dit ,
qu'il falloit promettre au Peuple la punition des
coupables , & de les livrer au Tribueal créé par
l'Affemblée , & dans la Conftituria n.
M. Barnave a opiné à ce que l'Affemblée fuppliât
le Roi d'ordonser l'exécution rigoureufs de
toutes les Lois du Royaume. La punitio ne fauroit
être p prompte. Tous les Juges avoie t
le droit de décre : er , & le cours ordinaire des
Procédures ne fauroit être fuivi trop exactement .
Ce crime , au refte , n'étoit pas un crime de Lèze-
Nation , comme l'avoir affuré un Préopinant.
M. le Vicomte de Toulongeon a excofé que
tous les Députés de Franche- Comté venoient de
fe réunir dans un Bureau ; qu'ils avoient penfé
qu'on ne devoit pas fuiv e les moyens ordinaires
pour calmer le Peuple ; que le Parlement de Befançon
s'étant rouvellement récufé dans le jugement
de prifonniers , arrêtés pour caufe d'émeuse
relative à la dife te , fe récu´eroit auffi dans
une affai e qui intéreffe un de fes membres . 11
a demande que les Juges de Vefoul fuftent autorifés
à inftruire & à fin'r cette Procédure . I a
prié l'Affemblée de rendre un décret qui déclare
qlle s'occupera de ce jugement , & d'autori'er
les 26 Députés de Franche - Comté à écrire une
lettre aux Juges de Vefoul.
M. Tronchet a demandé qu'on suppliât le
Roi d'envoyer des Lettres- Patentes au Prési
( 59 )
dial de Vesoul , afin de juger ce crime ; sauf
l'appel à un Parlement.
Un Membre vouloit que les Lettres - Patentes
ordonnassent au Bailliage de Vesoul de juger
en dernier ressort.
M. le Duc du Châtenay a adopté l'avis de
M. de Sérent , et déclaré qu'il regardoit cet
altentat comme un crime de leze- nation.
Suivant M. le Comte de Virieu , l'Assemblée
ne pouvoit détruire les lois , tout Juge
avoit le droit d'informer et de décréter ; il
opinoit pour l'obtention de Lettres - Patentes
qui ordonnent aux Jugés de Vesoul d'instruire,
la procédure et de decréter.
M. Tronchet a repris la parole et soutenu
de nouveau są motion.
M. l'Evêque de Langres a demandé que les
coupables fussent jugés par des Juges aimes
de la Province ; il a opiné pour demander au
Roi justice du crime , et sûreté de la Province
. Il a approuvé la motion de M. de Sérent.
Un Membre des Communes a observé qu'il
falloit rendre aux Jeges des lieux le droit
d'informer , de décréter et de juger , sauf
l'appel ; et que , quant aux Lettres- Patentes ,
le Parlement de Besançon ne les enregistre
roit pas . L'Assemblée nationale avoit le droit
de concourir avec le Roi à la rédaction des
Lettres-Patentes.
·M. Muguet a approuvé la motion de M. de
Sérent. Ia fait part à l'Assemblée de la haine
de la Province contre le Parlement de Bes ancon
; il a ajouté que tous les Députés des
-Communes de cette Province étoient chargés
expressément d'en demander la suppression.
Un Prélat a dit qu'on ne pouvoit demander
des Lettres - Pate es pour déroger aux
( 60 )
Arrêts de Règlement des Parlemens , et que
le Roi ne pouvoit les accorder.
M. l'Abbé de Montesquiou a remarqué que
les Parlemens n'avoient le droit de faire des
Arrêts de Réglement que pour la police. Il a
opiné au renvoi de la procédure au Bailliage
de Vesoul.
M. Regnauld d'Epercy a dit que le coupable
n'étant point arrêté , le Parlement n'étoit pas
en droit de revendiqner le jugement? Suivant
Jui,les Letttes- Patentes étoient nécessaires pour
permettre au Présidial de Vesoul de juger les
coupables , attendu l'Arrêté du Parlement. Il
a demandé que les Députés de la Province
fussent autorisés à solliciter les Lettres- Patentes
. Enfin il a admiš Pavis de M. de
Sérent.
›
M. le Président a proposé d'aller aux voix
sur l'avis proposé par M. de Raze , sur la
motion de M. de Sérent , réunie aux observations
de MM. de Toulongeon et d'Epercy.
La motion de M. de Sérent a été adnise
unanimement. L'Assemblée a déclaré
qu'il n'y avoit lieu à délibérer sur la demande
de l'obtention des Lettres - Patentes. M. de
Raze a retiré son amendement. L'Assemblée
n'a point voulu autoriser les Députés de
Franche-Comté à solliciter les Lettres- Patenies.
Un Membre des Communes a rouvert l'opinion
de M. du Châtenay-Lanti, relative aux
lettres et paquets interceptés.
M. le Comte du Châtenay a fait une seconde
lecture de sa motion. Il a demandé ensuitè
que la Municipalité de Paris fût autorisée à
rassembler les papiers trouvés à la Bastille ,
et à les faire imprimer.
( 61 )
Un Membre des Communes a présenté quelques
observations sur le renvoi des papiers
fait par M. le Président . A son avis , personne
autre que l'Assemblée ne pouvoit connoître de
ce qui intéresse la Nation. Il a voté pour la
remise de ces papiers.
M. le Président a demandé s'il y avoit lien
à délibérer. L'Assemblée a déclaré qu'il y
avoit lieu.
Il a proposé de renvoyer l'examen dans les
Bureaux , ou de délibérer sur-le-champ. Il y
a eu partage dans les opinions par assis on leve;
on a demandé alors d'aller aux voix.
M. Camus a exposé qu'on ne pouvoit violer
la foi publique des lettres , que d'après un
décret rendu par l'Assemblée , et qu'on ne
pouvoit pas plus violer les lettres envoyées
par des courriers ou autres personnes , que
celles de la poste. Il a observé que la plupart
des papiers saisis sont écrits par des personnés
détenues , ou adressés à des personnes arrêiées
, et que par conséquent on avoit eu l'e
droit de s'en nantir ; mais , qu'arrêter des lettres
adressées à des personnes libres , ce seroit
violer le droit naturel . Il a ajouté qu'on ne
pouvoit admettre la motion dans les termes
vagues dont elle étoit conçue.
Un Noble a réclamé le voeu de son cahier ,
qui le charge de requérir un décret national ,
par lequel aucune lettre ne soit remise à un
Tribunal quelconque , que par la personne
qui l'a écrite , ou par celle qui l'a reque
M. de Gouy d'Arcy a observé que , dans les
circonstances présentes , on ne pouvoit inter
septer les lettres et courriers avec trop de
rigneur. Il a voté pour la remise des paquets
suspects à l'Assemblée. Une partie de ce
( 62 )
discours a été improuvée de plusieurs Membres
.
Un Député des Communes a représenté
que , dans toute Sociéte politique , personne
n'est censé suspect ni en fuite , lorsqu'il n'a
point été dénoncé.
Un Noble a fit qu'on ne pouvoit ni ne
devoit violer la foi de la poste , ' ni arrêter
les lettres dont un particulier étoit porteur ,
puisque c'étoit violer la liberté même .
M. Fréteau a soutenu qu'on ne pouvoit
supprimer les papiers arrêtes . Il a réfuté une
partie du discours de M de Gouy d'Arcy , et
déclaré que l'Assemblée ne devoit point demander
l'apport des papiers . Il a fini par proposer
l'ajournement de la motion à huitaine.
Un Noble a demandé le renvoi de cette
motion aux Bureaux . M. Dupont s'est récrié
contre la violation des lettres . Il a fait un
discours très-sage à ce sujet , et rendu compte
à l'Assemblée , des manoeuvres qui avoient
perdu M Turgot , par le moyen de quelques
correspondances simulées et interceptées.
M. le Président a proposé de renvoyer
l'examen de la question aux Bureaux ; ce quia
été résolu . La Séance a été levée à trois
heures passées
De Paris , le 30 juillet.
Ordonnance du Roi , du 14 juillet 1789 ,
portant suppression de la punition des
coups deplat de sabre dans ses troupes.
Sa Majesté , depuis son Ordonnance du
25 mars 1776 , portant Règlement sur l'administration
de tous les Corps , la discipline ,
la subordination , la police intérieure , les
( 63 )
punitions , etc. etc. , ayant été à portée de
juger de l'effet qu'a produit , dans ses
troupes , la punition des coups de plat de
sabre , établie par sadite Ordonnance , et
par son Règlement du premier juillet 1788 ,
Elle a supprimé et supprime , par la présente
Ordonnance , ladite punition des coups de
plat de sabre ; voulant Sa Majesté que la
peine des coups de plat de sabre soit ,
l'avenir , remplacée par celle de la prison ,
on autres punitions réglées pour la disci
pline militaire , suivant l'exigeance des cas.
Mande et ordonne Sa Majefté aux Officiersgénéraux
ayant commandement sur
troupes , aux Gouverneurs et aux Lientenansgénéraux
dans ses provinces , aux Colonels ,
er à tous autres ses Officiers qu'il appartiendra
, de tenir la main à l'exécution dé
la présente Ordonnance.
ses
Idem , concernant le Conseil de la
Guerre.
Sa Majesté ayant , par son Règlement du
9 octobre 1787 , établi un Conseil d'Admi-
Astration du Département de la Guerres,
sous le titre de Conseil de la Guerre , ei
fixé tout ce qui devoit avoir rapport audit
Conseil , par un Reglement particulier du 23
du même mois , Elle ne peut q . e témoigner
sa satisfaction du zele et de l'application
des Officiers-généraux , dont ledit Conseil a
été composé. Les opérations dont ces Of
ficers ont en à s'occuper étant terminées» ,
et Sa Majesté sé réservant particulièrement
de donner son attention à toutes les parties
de ladite Administration , Elle a supprimé
et supprime , par la présente Ordonnance ,
ledit Conseil d'Administration du Département
de la Guerre , sous le titre de Conseil
( 64 )
".
de la Guerre , ainsi que les Directoires qui
ont été formés relativement à ladite . Administration
; et Sa Majesté fait cesser en conséquence
, à compter de ce jour , tous les
traitemens et dépenses concernant lesdits
Conseil et Directoires. Mande et ordonne
Sa Majellé , à tous qu'il appartiendra , de
se conformer à la présente Ordonnance .
"
Nous nous sommes renfermés , la semaine
dernière , dans le récit très- sommaire
des principaux , et à jamais mémorables
événemens , dont cette Capitale
fut le théâtre il y a quinze jours.
Nous en donnerons une relation plus
circonstanciée ; mais ce seroit se rendre
coupable de légèreté , que d'entreprendre
, en ce moment , le détail des
particularités. Rarement voit-on juste
les objets pendant l'orage ; le temps seul ,
et des informations exactes , font succéder
la connoissance des faits à celle des
rumeurs. Mille rapports contradictoires,
ou dénués d'authenticité , ne sont pas des
matériaux d'histoire. Le respect de la
vérité et celui de l'intérêt public , doivent
précéder toute autre considération ;
l'un et l'autre nous imposent le devoir
de ne rapporter que des évènemens certains.
L'entrée du Roi dans la Capitale , au
milieu d'un Peuple immense , rassemblé
, sans tumulte , sur tous les lieux de
son passage , sa présence à l'Hôtel- de-
Ville , la nomination d'un Chefdistingué
( 65
au Commandement de la Milice Pari
sienne , le zèle sage , et l'activité non
interrompue des Assemblées de District,
la conduite vigilante de l'Hôtel-de-Ville
et la certitude du rappel de M. Necker,
ainsi que des autres Ministres éloignés ,
ramenèrent la sécurité.
Le dimanche suivant , S. M. rendit
le portefeuille des Affaires Etrangères
à M. le Comte de Montmorin , et nomma
M. le Comte de Saint-Priest , au
Ministère de sa Maison. Le Départer
ment de la Guerre et les Sceaux restèrent
vacans • et le sont encore,
Le Comité- Permanent de l'Hôtel-de-
Ville établit une Correspondance in,
time avec les 60 Assemblées de District ;
M. le Marquis de la Fayette confirmé ,
par élection , dans son emploi de Général
de la Milice Parisienne , lui donna une
forme provisoire qui maintenoit la tranquillité.
Des désordres déplorables affli ·
geoient quelques cantons voisins de nous ,
sans qu'on eût à se plaindre d'excès pareils
dans la Capitale. Toutes les précautions
furent prises et exécutées pour en assurer
les subsistances . Jusqu'aux Spectacles
publics avoient été rouverts , quoiqu'apeu-
près désertés ; la Bourse et les payemens
publics reprirent leur activité.
Mais il eût été surnaturel qu'une fermentation
, causée par des alarmes sirécentes
et par des mécontentemens si
longs , s'assoupît entièrement dans une
( 60 )
ville immense , sans ramener des incidens
fâcheux . Elle étoit entretenue par
une foule d'imprimés volans et calomnieux
, publiés sans noms d'Imprimeur ,
sagement proscrits , le 24 , par le Comité-
Provisoire de l'Hôtel - de-Ville ; et
où les bruits courans étoient transfor
més en vérités positives, ou en décotivertes.
De ce nombre fut celui que des
travaux exécutés & Montmartre , pour
occuper de pauvres ouvriers , avoient
été consacrés à la construction d'un che
min, destiné à faire monter du canon sur
cette butte , pour y placer des batteries ,
et foudroyer la ville . MM. les Officiers
Municipaux eurent l'attention de détruire
cette runieur , en publiant que la
route entreprise , étoit destinée à fa-"
ciliter le transport des farines , depuis
les moulins jusqu'au village de Montmartre
.
Au moment de la révolution du Ministère
, le 13 , on parla de M. Foulon ,
Conseiller d'Etat , comme étant désigné à
prendre place . On assure que ce vieillard
, âgé de 74 ans , avoit refusé ce dangereux
honneur. Quoi qu'il en soit , retiré
dans sa terre de Morangier , à quel-´
ques lieues de Paris , il crut nécessaire
à sa sûreté de se rendre , le 21 , au village
de Viry peu éloigné de Morangier.
Il y fut arrêté dans la nuit du 22 , par
un grand nombre d'Ha itans , et conduit
à l'Hôtel de-Ville , où il arriva vers les
( 67 )
trois heures du matin . A cette nouvelle ,
le Peuple se porta à la place de Grève ,
et d'heure en heure cette foule grosis-*
soit . Vainement , M. le Maire , beaucoup
d'Electeurs , et des Députations successives
, s'efforcèrent de calmer la multitude
; ellé demandoit avec fureur le prisonnier,
et força les barrières de l'Hôtelde-
Ville. Dans cette extrémité , et pour
gagner du temps , un des Electeurs proposa
de former sur-le-champ un Tribunal
, et de juger la victime . M. de la
Fayette , survenant , épuisa , durant une
heure et demie, toutes les ressources de la
persuasion pour désarmer la vengeance
populaire , en sollicitant que , conformé
ment à l'Arrêté des Electe rs, M. Foulon
fût conduit à la prison de l'Abbaye Saint-
Germain , qu'un Député de chaque District
y entendit ses dispositions , et que
des Juges nommés par l'Assemblée nationale
prononcassent le jugement. Toutes
ces démarches furent inutiles. On
arracha le prisonnier de l'Hôtel - de-Ville ,
on le traîna sur la place , il y fat pendu
à deux reprises ; sa tête et son corps ,
promenés dans les principales rues , firent
toute la soirée l'effroj des Citoyens,
compâtissans.
Pendant cette tragédie , on avoit le
jour même, arrêté à Compiègne, M. Berthier
de Sauvigny , Intendant de Paris,
M. Bailly et M. le Marquis dela Fayette
avoient chargé M. de la Rivière, un des
( 68 )
Electeurs , et 250 hommes , de conduire
içi en sûreté , ce prisonnier dont la multitude
exigeoit la détention . Afin de
prévenir qu'il n'arrivât de nuit , on expédia
l'ordre de le faire coucher au
Bourget ; mais la foule qui couvroit.
les rues et le chemin , ne permit pas au
Courrier de pénétrer jusqu'à l'escorte
de M. Berthier. A l'entrée de la ville
on brisa les côtés et l'impériale de sa
voiture ; il traversa toute la rue Saint-
Martin , à découvert , sans chapeau , ni
perruque. A l'Hôtel-de-Ville , il subit un
interrogatoire , et M. le Maire lui annonça
qu'il alloit être conduit aux prisons
de l'Abbaye. Sorti , avec sécurité ,
de l'Hôtel-de Ville , et sous une escorte , il
fut arraché des mains des Soldats , traîné
sur la place encore teinte du sang de
son beau-père , périt comme lui , et après
sa mort essuya un traitement , dont l'histoire
ne conservera que trop le souyenir..
Ces affreux évènemens , et l'annonce
de plusieurs listes de proscriptions , semèrent
une profonde alarme , et dictèrent
aux Assemblées de District une
Publication , par laquelle on invita
les Citoyens de tout état , à veiller sur
la sûreté et l'ordre public , à calmer les
esprits , et à se conformer à l'Arrêté de
l'Hôtel-de- Ville , qui enjoignoit la translation
des Accusés à la prison de l'Abbaye
Saint-Germain.
( 69 )
Depuis ces démarches , auxquelles on
ne sauroit donner trop d'éloges , le calme
a régné dans la Capitale .
Les 120 Députés nommés par les Communes
des 60 Districts de la Ville de Paris ,
se sont assemblés , le 25 , à l'Hôtel- de- ville.
Ils ont proclamé de nouveau , et d'après le
voeu manifesté par les délibérations de tous
les Districts , M. Bailly , Maire de la Ville , et
M. le Marquis de la Fayette , Général de la
Milice Nationale de Paris . Ces deux Chefs
civil et militaire , ont prêté le serment , et
MM. les Députés de la Commune leur ont
juré , au nom des Districts , de leur obéir dans
tout ce qu'ils leur commanderoient pour le
service public.
Cette Assemblée a arrêté ensuite que le Comité
provisoire , celui des subsistances , celui
des rapports , seroient composés des Députés
des Districts et des Electeurs qui avoient géré
jusques là les affaires de la Municipalité ; que
ces Electeurs , au patriotisme desquels la
Commune a de si grandes obligations , seroient
priés de donner leurs soins dans ces différens
Comités , jusqu'à ce que la Constitution
municipale ait été établie.
Seize Députés ont été adjoints à ces Comi
tés , et seize Commissaires chargés de s'occuper
d'un plan de Municipalité
M. Berthier de Sauvigny , veuf depuis
quelque temps , laisse 9 enfans. Dans
le nombre des personnes qui furent arrêtées
au milieu de ces jours effrayans ,
se trouvèrent M. le Marquis de Lambert
, ci-devant Membre du Conseil de la
Guerre reconnu sous un déguise(
70 )
ment , on le conduisit à l'Hôtel-de - Ville
où après une journée de détention ,
dut sa délivrance aux efforts de M. de
la Fayette . M. le Baron de Castelnau ,
Ministre de France auprès de la République
de Genève , et ayant une charge
chez M. le Comte d'Artois , fut aussi
arrêté dans une voiture de place, au bas
du Pont-Royal , et conduit , heureusement
pour lui , à l'Assemblée du District
des Petits-Augustins , qui le fit relâcher
pendant la nuit , après un interrogatoire.
Les papiers trouvés sur lui furent envoyés
à l'Hôtel-de- Ville , comme on l'a
vu à l'article de l'Assemblée nationale.
-Les scènes du mercredi inspirerent
un nouvel effroi , lorsqu'on apprit le
lendemain que M. Bailly et M. de la
Fayette insistoient sur leurs démissions.
Les instances des bons Citoyens et le
voeu de la Commune , prévinrent l'effet
de cette résolution , et l'on fut tranquillisé
le vendredi , en apprenant que la
retraite de ces deux Chefs n'auroit pas
、lieu .
1
On travaille sans relâche à la démolition
de la Bastille . Les registres , livres ,
papiers qui y étoient renfermés , ayant
été pris et dispersés à l'instant de la conquête
de ce lieu d'horreur, le Comité- Provisoire
a exhorté les possesseurs de ces
dépouilles curieuses , à les rapporter au
dépôt qui en a été fait à l'Hôtel-de - Ville.
Nous en avons vu quelques fragmens.
( 71 )
On connoissoit déja le seul document
'qui existât à la Bastille , touchant le fameux
Masque de fer , ainsi il n'apprend
absolument que ce qu'avoient
publié le P. Griffet , Voltaire etc. On
ne tirera à cet égard aucune lumière
du dépôt de la Bastille ; ce secret est ,
depuis quelques années , entre les mains
d'une personne , qui le publiera avec les
reuves justificatives.
De Bruxelles , M. Necker étoit passé
à Francfort- sur- le- Mein , d'où il avoit
pris la route des bords du Rhin , pour se
rendre à Basle , et de là à sa terre de
Copet , à deux lieues de Genève. C'est
a Basle où il apprit l'évènement de son
rappel ; une indisposition et le besoin
de repos l'ont obligé de suspendre son
retour , qu'on attend dans le courant de
la semaine ( 1 ).
LETTRE AU REDACTEUr.
" MONSIEUR ,
" On lit, dans un Ouvrage qui fe diftribue par
feuilles , fous le titre d'Affemblée Nationale , que
lorfque les Députés de la Nobleffe de Bordeaux
ont demandé une exter fion de pouvoirs , une
partie de certe Nobleffe a faifi cette occafion pour
nommer de nouveaux députés. Rien n'est moins
exacte, Voici les faits : La Nob'effe de Bordeaux
ayant arrêté de donner des pouvoirs Impératifs ,
plufieurs Gentilshommes proteftèrent contre un
pareil mandat , & s'affemb'èrent fous la Préfidence
du Sénéchal . Chaque Parti nomma des Députés.
Cat entre ces deux Députations que l'Affèmblé :
(1 ) Il est arrivé le 28 à Versailles.
( 72 )
Nationale a prononcé en faveur de la première ;
mais la feconde réclame encore. Elle foutient que
le droit de repréfentation ne peut pas être ôté à
des Citoyens qui ont défendu les principes conf
titutifs de l'Affemb'ée Nationale , & qui ne pouvoient
pas concourir à la première Election , fans
trahir ces principes & leur ferment , & elle oppofe
aux nouveaux pouvoirs , que l'Affemblée qui
les a donnés , a été cor.voquée d'une manière irrégulière,
partielle &contraire au Règlement de S. M.
» Je vous prie , Monfieur , de vouloir bien
inférer ma Lettre dans votre Journal. Il eſt effentiel
, dans un moment auffi intéreſſant pour la
Nation , que les faits foient exactement confignés
dans les dépôts que l'Hiftoire confultera un jour. »
J'ai l'honneur d'être , &c.
DE LADEBAT ,
Commiffaire de la Nobleffe de Guienne , qui
proteſté contre les Pouvoirs Impératifs .
Pars , 23 Juillet 1789.
Autre Lettre au Rédacteur.
Versailles le 22 Juillet 1789.
» Vous avez , Meffieurs , par erreur , annoncé
dans le N°. 30 du Mercure qui a paru ' e ri Juillet
dernier , à la page 63 , que « le Baron de Cernon ,
» Député de la Nobleffe de Châlons - fur- Marne ,
" a proteſté contre les Délibérations qui fero ent
» prifes par l'Affemblée Nationale , jufqu'à ce
» qu'il ait reçu de nouveaux Pouvoirs » le fait
eft que je n'ai jamais proteſté , ni eu intention de
le faire ; & que re croyant pas avoir befoin de
nouveaux Fouvoirs , j'ai , dès le jour de la réunion ,
pris voix délibérative à l'Aflemblée Nationale. »
« J'ai l'honneur d'être , & c.
le Baron DE CERNON ,
Député de la Nobleffe du Bailliage de
Chaalons-fur-Marne,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 AOUT 1789.
UN
AVERTISSEMENT.
-
N nouvel ordre de chofes nécefite pour nous
une innovation dont nous devons prévenir le Public.
Dorénavant les Morceaux inférés dans ce
Journal ne feront plas cenfurés , & par - là nous
efpérons qu'il acquerra un nouveau degré d'intérêt
& d'utilité ; mais chacun dès lors étant devenu
fon propre Cenfeur , ou les noms fignés au bas
feront connoître les Auteurs de chique Morceau ,
cu M. IMBERT , en qualité de Rédacieur , répondra
des Articles anonymes , étant cenfé l'Auteur
de ces Articles , ou pouvant en déclarer les
Auteurs (1 ).
Les circonfiances actuelles nous prefcrivent encore
un autre changement. La partie Politique
ayant pris aujourd'hui un intérêt prédominant
nous avons cru devoir l'augmenter, au befoin, d'une
feuille, quelquefois d'une feuille & demie, & même
deux feuilles. La première feuille fera prife fur la
partie Littéraire.
Cette augmentation de la partie Politique n'aura
lieu que pendant la tenue de l'Affemblée Natio-
(1 ) Les Articles , quand les Auteurs le délireront , feront
imprimés anonymes ; mais on n'en inféreta aucun
que l'Auteur L'ait figné fon Manufcrit.
Nº . 32. 8 Août 1789.
C
So MERCURE
nale , & cominence avec cet Ordinaire du Mercure
Cet arrangement devenoit néceffaire pour ne pas
augmenter le prix de ce Journal ; il nous étoit
aufi preferit par l'étendue que nous donnons aul
Journal de l'emblée Nationale , dont nous embraffons,
à la fois , les débats & les réfolutions ,
les difcours & les documens fondamentaux. Tous
les autres Articles du Journal Politie participeront
aux avantages de la liberté qui nous eft
rendue. L'Article de France en particulier prendra
un tout autre caractère , & nous ne ferons plus
obligés d'en puifer les nouvelles dans les Gazettes
Etrangères pour les imprimer féparément : il fera
ncurri de tous les faits qui pourront intereffer les
Soufcripteurs.
M. Mallet du Pan , Citoyen de Genève , eft
feul Auteur de toute la partie Politique ; M. Framery,
des Articles du Concert Spirituel, de l'Opéra,
du Spectacle de MONSIEUR , Frère du RO1 ;
M. de Charnois, de la partie des Comédies Françoife
& Italienne.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
LE LAURIER REMPLACÉ PAR LE LIS.
Parodie du Myrte remplacé par la Rofe ,
Pièce de Vers qui a paru cette année dans
le N° . 27.
3 PLEUREZ , Héros ; pleurez , Phébusg
Hélas ! votre Arbrifleau n'eft plus!
DE FRANCE.
Les bofquets de Délos ont perdu leur parure.
L'Hiver nous a ravi le Laurier d'Apollon ( 1) ;
Dans les champs des Fra . çois il reſte fans verdure.
Quand du fage Necker il couronnoit le front ,
On crat que des frimas il braveroit l'injure ;
Vain efpoir ! il flétrit à côté des Vertus ! ...
Quelprix, quelle couronne au Guerrier magnanime
Offrira déformais la Gloire qui l'anime ! ..,
Pleurez , Héros ; pleurez, Phébus ;
Hélas ! votre Arbrifleau n'eft plus !
DANS la lice éclatante où le jeune Poëte ,
D'un Luth harmonieux fait retentir les fons ,
Vainement il attend le prix de fes chanfons ;
Il n'eft plus de Laurier pour couronner la têţe...
Pleurez , Héros ; pleurez , Phébus ;
Hélas ! votre Arbriffeau n'eft plus !
Les palmes de l'honneur , fymboles de la gloire ,
D'un louable déûir n'enfilament plus nos coeurs ;
Apallen a briſé les pipeaux enchanteurs ,
Et Mars même aux combats dédaigne une victoire
Théatre des Vertus , école des Beaux- Arts ,
O France , quelle nuit aujourd'hui t'environne !
Ton Idole n'eft plus ; & fous les étandards
J'entends rugir en vain la fanglante Bellone....
Pleurez , Héros ; pleurez , Phébus ;
Hélas ! votre Arbriffeau n'eft plus !
(1 ) Tres- peu de Lauriers ont réûîfté à la rigueur des froids
qu'il a fait cette année.
Cz
MERCURE
MAIS quel beau jour renaît ! ... Quelle Déité fage
Frappe de fes rayons nos regar.is éblouis ! ..,
Le règne de Bourbon eft la gloire du Lis :
Sur la tête chérie il étend fon feuillage ....
Chantez , Héros ; chantez , Phébus ;
Le Lis a remplacé le Laurier qui n'eft plus ,
( Par un Abonné. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Cordon ; celui
de l'Enigme eft Fleur de Lis ; celui du Logogriphe
eft Forêt , où l'on trouve Fer
Or, Et , For, Fret , Rot , Ré, Fort,
Louis,pour
CHARADE,
fes Sujets , veut toujours mon premier,
Qui n'eft cher à fon coeur que joint à mon dernier ,
Pour répandre fur cux fans ceffe mon entier,
(Par M. le Mqs. de la Parterie, )
ÉNIGM E.
JEE ne fuis pas un être d'importance
Chacun auffi fe fert de moi ;
DE FRANCE. 53
De très-près j'approche le Roi ,
Ainfi que gens de grande conféquence ;
L'homme de robe , l'Avocat ,
Le Financier , le Magiftrat ,
La Prude , ainfi que la Coquette ,
Le Valet , comme la Soubrette ,
Me mettent tous au même emploi 3
Et tel qui me mépriſe
Et fait très-peu de cas de moi ,
Ne me quitte pourtant pas plus que fa chemife ,
Et s'il ne m'avoit pas , feroit très malheureux ,
Seroit même , en ce cas, regardé coinme un gueux,
Je repofe la nuit fur le fein d'Ifabelle ,
Par-tout j'accompagne les pas.
Tu vas, pour me trouver , démonter ta cervelle
Ne cherche pas fi loin , je fuis entre tes bras.
( Par M. l'Ab. Duboy, Etudiant . )
LOGOGRIPHE.
QUOIQU'A UOIQU'AYANT quatre pieds , Lecteur , je fuis
bipède ,
Et de tout temps je fus du genre féminin ;
Retranches-tu mon chef, je fuis un quadrupède ,
Et je me trouve alors du sèxe mafculin.
(Par M. J. S. C. H. R. )
C 3
$4
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SERMONS de feu M. DE GERY , Chanoine
regdier , ancien Abbé de Sainte Génevieve
, & Supérieur Généra de fon Ordre
en France. 6 Vol. in 12. A Paris , chez
Méquignon l'aîné , Libraire , rue des Cof
deliera
Les Hommes de génie éprouvent louvent
dans leur jeuneffe une impulfion qui
détermine la carrière où ils doivent entrer,
& qu'ils font deftinés à parcourir avec
gloire. M. de Géry , né avec les vrais ta
Jens qui conftituent l'Orateur , ne put réfifter
au pench et qui le portoir à annoncer
la parole de Dieu. Avant d'être élevé au
Sacerdoce , il monta plufieurs fois en chaire,
& les fruits qu'il obtint de fes premiers
travaux préfageoient la moiffon abondante
qu'il devoit recueillir. Bien différent de ces
hommes qui , éblouis de kurs premiers fuc
cès , s'enivrent des applaudiffemens du
Public fans faire de nouveaux efforts pour
s'en rendre dignes , & en qui la confiance
prévient le merite au lieu d'en être l'effet ,
M. de Géry fe déroba pendant quelque
temps aux louanges & aux acclamations ,
pour apprendre à les mieux mériter .
DE FRANCE.
Voyant que la Providence l'appeloit au
Ministère Evangélique , il ſe livra à l'étude
la plus féricufe & la plus approfondie de
P'Ecriture Sainte , de l'Histoire Eccléfiaftique
, & des Pères. C'étoit dans ces fources
pures & fécondes, peut - être trop négli
gées de nos jours , qu'il puifoit les fubli
mes vérités dont fes Difcours étinc . ilent.
L'Ecriture Sainte lui étoit fi familière , que
les penſées qu'elle renferme ſe préfentoient
en foule à fon efprit dans la compoſition ;
aufli peut-on regarder les Sermons comme
une expofition. de la Doctrine Chrétienne
revêtue des preuves les plus folites & les
plus convaincantes.
Avant de compoſer un Sermon , M. de
Géry méditoit long temps la mière qu'il
devoit traiter. Intrépide Défenfeur de la
téité , il préféra toujours la force du rajfoanement,
la folidité des preuves , aux dehors
brillans & affect is de l'éloquence , qui,
flon lui , n'étoient propres qu'à dégrader
la majeft & affaiblir la force de la parole
divine . Le plan de fes Difcours eft admirable
par l'ordre , la clarté & la ne te é qui
y règnent ; fes divifions découlent naturelfement
de fon textc ; une diction pure &
une noble fimplicité tonjours foutenue , ca-
Factérifent fon ftyle. Les fajets que traitoit
Orateur exigeoient - ils plus d'élévation
alors les mouvemens d'une éloquence vive
& animée fembloient fe préfenter d'euxmêmes
fous fa plume.
C 4
56
MERCURE
Les bornes que nous nous fommes prefcrites
, ne nous permettant pas un grand nombre
de citations , nous nous bornens au morceau
fuivant. Dans le Panégyrique de Saint-
Louis , voyez avec quelle rapidité le pinceau
de l'Orateur trace les troubles qui agiterent
la minorité de ce Prince.
ود
ور
.... >
» Louis étoit à peine monté fur le trône
» de fes pères , lorfqu'un orage furieux
» vint fondre fur lui . Les grands vaffaux de la
» Couronne .. A ces mots Vous vous
rappelez , Meffieurs , l'état où la France
» étoit alors ; vous vous fouvenez que ce
Royaume dont toutes les parties font aujourd'hui
fi unies fous l'autorité d'un
feul Monarque , & qui trouve dans cette
» Conftitution le principe de fa tranquillité
au dedans , & de fa puiffance au
dehors , étoit alors divifé en autant d'Etats
différens , qu'il avoit de Provinces ; que
» les Comtes & les Ducs , autrefois Mi-
» niftres du Souverain , en étoient devenus
» les dangereux rivaux ; qu'ils ne recon-
19
"
noiffoient plus fon autorité fuprême que
» par la vaine cérémonie de l'hommage
» & par des fermens autant de fois viclés
" que l'intérêt ceffoit de les déterminer
à les obferver , ou la force de les y contraindre.
Ces vaffaux donc , trop puiffans
pour être long - temps fidèles , portoient
impatiemment ce qui leur reftoit
» de joug & de dépendance . Quelle oc-
» cafion de le fecouer entièrement , que
י נ כ
DE FRANCE. 57
» le règne d'un Prince de douze ans , &
» la régence d'une femme étrangère ! C'en
» eft fait , le feu de la difcorde & de la ré-
» volte s'allume dans tout le Royaume ;
" une ligue formidable fe forme en ap-
"
23
parence contre Blanche de Caftille , &
." en effet contre Louis lui - même. Fac-
» tieux par inclination , plus encore que
» par intérêt , aufli redoutable par fa valeur
& fes artifices , que par fes richelles
» & fa puiffance , le Comte de Bretagne
fe déclare le Chef de ce parti : le fier
Lufignan , l'ambitieux Couci , y joignent
» toutes les forces de leurs vaftes demaines.
Profane adorateur des charmes de
la Reine , le Comte de Champagne tourne
en haine & en fureur l'amour infenfé
» qu'il a eu la hardieffe de déclarer , &
» le chagrin de fe voir méprifer. Tout eft
» dans le trouble , tout eft en armes ; la
» Régente eft prête de fe voir arracher
les rênes du Gouvernement ; la couronne
» même femble chanceler fur la tête de
" fon fils. Mais c'eft en vain , Meffieurs ,
» que les Princes & les Peuples confpirent
» contre le Seigneur & contre le Chrift :
» celui qui habite au plus haut des Cieux ,
» fe rit de leur fureur impuiflante ; il diffipe
leurs complots , il fait évanouir leurs
» projets. Et de quel moyen fe fert- il pour
» ce grand ouvrage ? Il donne au jeune
» Louis & à fa pieufe mère , l'efprit de
» confeil & de force. A peine les factieux
»
"
"
CS
18 MERCURE
"
"
"
» ont ils formé les noeuds criminels qui
» les uniffent , & déjà.Louis eft à la rête
» d'une puillante armée dans le coeur de
❞ la Champagne : ni la foibleffe de fon
âge , ni les rigueurs de l'hiver ne font
capables de l'arrêter ; fe montrer &
" vaincre c'est pour lui la même chofe.
Déjà il muche à de nouvelles conquê-
" tes , & le Comte de Bretagne le voit
" voler avec la rapidité, d'un éclair aux
" portes de fes fortereffes , dans le centre
و ر
و ر
de fes Etats. Tout plie , tout cède à ce
" jeune Héros , que le Ciel protège d'une
» manière fi fenfible , & fes ennemus épou-
» vantés fe croient trop beureux de rece-
» voir le pardon qu'il leur accorde. Tels
» furent les premiers triomphes de Louis ,
tels furent , pour ainfi dire , les jeux de
fon enfance ".
M. de Géry nommé à la Priorature &
à la Cure de Saint- Léger de Soiffons , feconda
le zèle & s'acquit l'eftime de M. de
Fitz-James , qui favoit apprécier le mérite ;
fut aimé & refpecté de fes Paroifliens , à
qui il diftribuoit avec foin le pain de la
parole. Après la mort de get luftre Prélat
, M. de Géry quitta Soiffons pour aller
prendre poffeffion de la Cure de Saint-
Irénée de Lyon. M. de Montazer lui donna
plufieurs fois des marques de la plus grande
Corfiance. vouloit l'attacher pour toujours
à fon Diocèfe par des liens honorables
; mais M. de Géry , fidèle à la ConDE
FRANCE. 59
grégation , refufa des dignités qui auroient
pa l'en détacher , & fut obligé de fe rendre
aux voeux de fes Confrères, qui le défignoient
déjà pour remplir les premières places de
fn
n Corps. Nommé à l'Abbaye de Sainteineviève
, fon zèle pour la gloire de Dieu ,
efon amour pour les pauvres , qu'il a fait
é later fouvent en prêchant dans des
allemblées de charité , lui faifoient trouver
malgré les foins qu'exigeoit la place qu'il
occupoir , le temps néceffaire pour vaquer
à la prédication . Il a paru avec le plus
grand éclat dans les chaires de la Capitale ,
qu'il avoit fait rérentir autrefois des faintes
vérités qu'il ne ceffa d'annoncer. L'auditoire
nombreux & éclairé qui accouroit à fes
Sermons , ne ceffoit de bénir M. de Beau
mont & fon digne Succeffeur , qui avoient
follicité ce: Orateur vraiment apoftolique
de rentrer dans une carrière dont les affaires
& fes occupations fembleient l'éloigner.
Un extérieur noble & impofant , tempéré
par un air de douceur, méritoir à M.
de Géry , dès le premier abord , l'efine &
la confiance de ceux qui l'ap rochoient.
Il a fait pendant fa vie , la gloire , l'ornement
& le bonheur de fa Cong : égation,
Sa mort y a exciré les regrets les plus vifs ;
rien n'étoit au deffus de la bonte de fon
efprit , que celle de fon coeur.
съ C 6
60 MERCURE
PLAN d'une Reftauration générale dans
les Finances ; de l'Impôt Territorial combiné
avec les principes de l'Adminiftration
de Sully & de Colbert , adaptés à
la fituation actuelle de la France ; 1
M. le Comte DE LAMERVILLE. I Vol.
in-4°. A Strasbourg , de l'Imprimerie de
Volland & Jacob ; & fe trouve à Paris ,
chez les Marchands de Nouveautés.
"2
QUELS font les motifs de l'Auteur ? Il
fuffit de lire fon Etre dédicatoire au Roi.
» Il s'agit , Sire , de la plus grande profpérité
de votre Royaume : il s'agit d'im-
» mortalifer votre règne en rendant vos
peuples heureux «. C'est donc le bonheur
du peuple qui infpire M. de Lamerville
! Ce motif mérite toute la bienveillance
poffible , & l'eftime des François..
Comment veut- il procurer ce bonheur ?
Ecoutous le lui - même .
و د
כ כ
ور
-
-
ود
L'adminiſtration
des Financés , dit - il , abandonnée
» depuis un fiècle aux variations de fes
" différens fyftêmes , n'a éprouvé que des
changemens continuels qui ont porté le
plus grand préjudice aux affaires publiques
. On n'a embraffé aucun plan fixe .
" On a négligé les vraies refiources qui ap-
» partiennent à tous les peuples agricoles
, & qui font de tous les temps ,
و ر
و د
30 territoire «.
le
M. de Lamerville a été déterminé à entreprendre
fon travail , par feu le Maréchal
և
DE FRANCE.
61
du Muy , qui lui avoit remis les Mémoires
fecrets de Mgr. le Dauphin ; on fait que
ce Prince s'étoit occupé de l'adminiftration
des Finances. Ces Mémoires , fortis d'une
main auffi refpectable , ont dirigé M. le
Comte de Lamerville. Quand on faura
qu'un Autographe auffi digne de croyance
a attiré des délagrémens à l'Auteur , on en
fera un peu étonné : Sous l'Adminif-
" tration qui a fuivi , dit l'Auteur ,. on a
déployé un fyftême fi oppofé à l'ordre
" & à l'économie , qu'on a cru devoir at-
» jendre l'épuifement des moyens qu'on
employoit , & la néceffité qui commande
» à tout , pour pouvoir mettre au jour ce
plan d'adminiſtration.
و د
"
"
"
ور
- })
" Dans l'état actuel des chofes , c'eſt à
» un Ministère éclairé & pénétré du bien
public , à difcerner les bonnes opérations,
» pour les adopter & les appliquer au rétabliffement
des Finances. Mais c'eft à
» ceux qui les ont méditées pendant vingt
» ans , qu'il appartient de s'en conferver
» l'honneur , en les préfentant aux diffé-
» rens Ordres de l'Etat , pour prononcer
» fur leurs principes & fur leurs effers ".
و د
Après avoir expofé les motifs de l'Auteur
, il fetoit néceffaire de développer fes
projets de réforme avec une forte d'étendue
; mais les bornes de ce Journal nous
forcent de renvoyer à l'Ouvrage méme.
M. de Lamerville s'exprime avec précifion
, clarté , & avec une certaine franchife
qui fait honneur à fon coeur. Ses
62 MERCURE
expreffions font généralement modérées
& les vûss fages & douces .
MÉMOIRES du Comte de Hordt , Gentil
homme Suédois , Lieutenant- Général des
Armees de Sa Majeflé Pruffienne , écrits
par lui-même. 2 Pol. in- 12 . Frix , 3 l.
"br. Le même in-8 “. papierfin , 6 liv. A
Faris , che Briand , Lib. Hôtel de Vil
liers , rue Pavée -St-André des Arts.
* こ
Le Public , trop fouvent trompé fur ces
fortes d'Ouvrages , mettroit fans doute , s'il
n'étoit prévenu , au nombre des Memoires
romanefques , ceux da Comte de Hordt :
cette mihance paroît d'autant plus légitime ,
que fous le nom de témoires , on lui a
plus d'une fois préfenté des fables , que
felprit de 1 Auteur avoit cru , pour ain
dire , réalifer par l'orgueilleufe confiance
où il étoit de tromper les Lecteurs. Mais
la vérité perce toujours pour le faire place
à travers le menfonge , de fre que les
prétendus Mémoirs qu'on offre d'abord
avec tant d'emphale & d'oftentation , font
claffes au nomore des Romans , & perdent
ainfi tour lear innrê & leur plus grand
mérite : ceux du Cmte de Hordr portent
avec eux l'empreinte de la vérité ; il y ra
conte avec toute la fimplicité & la naïveté
qui caractérifoit fon ame les divers évè
nemens de fa vie .
Le Comte de Hordt rapporte des AnecDE
FRANCE.
dores piquantes & inconnues fur les guerres
de 1744 & 1757 , fur la révolution de
Rufe en 176: ; & ces traits font d'autant
plus intéretfans , qu'ils jettent le plus grand
jout fur une partie de l'Hiftoire de France ,
de Prule , de Ruilie , & de Suède. ·
Les ami de Thumanité verront avec
platir ce Guerrier philanthrope réparer ,
autant qu'il étoit en lui , les défaftres de
la guerre , elfuyer les pleurs du malheureux
Cultivateur , confoler les familles ruinées
par le ravage des troupes , les protéger
, les foulager , & éviter les horreurs de
la dévaftation ; ils le verront entrer jevne
& prefque enfant dans le fervice , pour s'accoutumer
de bonne heure à la fubordination ,
& fentir plus vivement cette importante
vérité , que la naiffance n'eft jamais un
titrè fuffifant pour fuppléer le mérite . Enfin
on le verra parvenir à un grade militaire
des plus diftingués , & par conféquent
en butte à la jaloufie & à la haine.
Hs verront enfin un grand homme & un
grand homme vertueux dans une horrible
prifon , plongé dans la plus grande misère ,
privé de toute confolation a rès avoir luimême
nourri les malheureux , confolé les
affis , & après avoir rendu les plus grands
fervices à l'Etat & à fes tyrans. Un pareil
fpectacle laifferoir le Lecteur dans des fentinens
d'indignation , s'il ne voyoit le Comte
rentrer dans le fein de fa famille & de fes
amis.
.
64
MERCURE
VARIÉTÉ
S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
MONSIEUR ,
J'AI lu dans le Journal de Paris , du Bé
cembre 1788 , des Obervations fur l'ancien Paris
, extraites de la vie de Clovis le Grand , par
M. Viallon , Chanoine Régulier , & Bibliothé
caire de Sainte- Geneviève ; je ne puis qu'applau
dir aux éloges mérités qu'on y donne à cet Ouvrage
, dont j'ai l'honneur de connoître l'Auteur ;
mais les fentimens d'efime que m'infpire fon
mérite littéraire , ne m'ôtent pas le droit de relever
quelques légères erreurs qui lui font échappées.
1º. Il affure pofitivement que l'Empereur Julien
II a fait bâtir le Palais des Thermes ; cette
affertion n'eft appuyée que par la tradition populaire
, & on peut lui oppofer l'autorité d'un Savant
Antiquaire , M. le Comte de Caylus , qui
penfe que cet édifice eft antérieur à l'arrivée de
Julien à Paris , quoiqu'il ait pu être occupé par
cet Empereur , pendant fon féjour dans cette
ville (1).
J'ai cru y remarquer le goût d'Architecture
du fiècle de Gallien , & beaucoup de
rapport avec la conftruction de l'Amphitheatre de
Bordeaux , ce qui pourroit faire foupçonner qu'il
a été bâti du temps de Poftume, Tyran qui régna
fept ans dans les Gaules , & qui choifit Paris
pour le lieu de fa réfidence . 2 ° . Il penfe , avec
-
(1) Antiquités Gauloiſes. Toin . 2 , planche 9.-
DE FRANCE
૬
plufieurs autres Etymologiftes , que les Parifiens
& la ville de Paris ont pris le nom de Parifii ,
parce qu'ils avoient été long-temps fous la domination
des F'rêtres du Temple d'Ifis , fitué , à
ce que l'on croit communément , à Ify près Vaugirard.
Ce n'eft point par la feule inſpection
du nom de Paris , ou par la décompofition arbitraire
, qu'on peut parvenir à découvrir la vraie
origine ; il faut y joindre fes rapports avec la
fituation de cette ville , avec les armoiries , avec
la Divinité Païenne qui en étoit regardée comme,
la Patronne ; tous ces objets étant ordinairement
réunis chez les Anciens. Comme elle étoit fituée
dans une ifle ( 1 ) , lieu favorable à la ravigation ,
elle prit pour fymbole un vaiffeau , & pour Déeffe
tutélaire , If , Déefle de la navigation , & ce
vaiffeau , fut le vaiffeau même d'lfis , fymbole de
cette Divinité ( 2 ) le nom de ce vaiffeau devint
également le nom de la ville ; il s'appeloit
BARIS , & avec la prononciation forte du nord
des Gaules , PARIS , tout comme TOURS ,
vient de DOUR , tout comme on a dit indifféremment
Parifate & Barifate : on pourroit citer inille
exemples de changemens pareils d'intonations for
tes & foibles , mifes fans ceffe les unes pour les
autres. C'eft en faveur de cette même Ifis
:
que les
(1 ) Appelée encore aujourd'hui l'ifle du Palais , ou la Cité.
( 2 ) Les Germains adoroient fis fous la forme d'un
vaiffeau : Sigrum ipfum Ifid's in modum liburnæ figuratum
(Tact. de "Morib. Germanor. ) Les Egyptiens célébroient
au mois de Mars , une fête annuelle en l'honneur du vaiífeau
d'Ifis ; cette fête paffa chez les Grecs ; les Corinthiens lui
confacrèrent un temple fous le nom d'ifi Pélagienne ;
le vaiffeau facré de Minerve qu'on faifoit paroître aux
grandes Panathénées , n'étoit qu'une repréſentation de celui
d'fis Les Romains célébrèrent audi cette fête . Peregrinaque
facra , natalem Herculeum v . raris tficca ( Aufonius ) .
Les Anciens faifoient voyager le Soleil dans un vaiſſeau ,
& cet emblême convenoit très - bien à Ifis , four & femme
d'Ofiris qui étoit le Soleil.
66 MERCURE
Druïdes s'étoient placés dans ce lieu. Les iffes
furent toujours choifics dans l'Antiquité , pour être
le fanctuaire des grandes Divinités Nationales.
Dans celle-ci étoit peut - être le Temple d'Ifis , fur
les ruines dequel fut élevée l'églife de Notre-
Dam ( la Cathédrale ) , quoique Dom Martin ( 1 )
& plufieurs autres Hiftoriens aient perfé que co
Temple avoit été fitué à Iffy Là , fe célébroit ,
dans le mois de Janvier , fa fête appelée , chez
les anciens Peuples , l'arrivée d'Ifis ( 2 ). 3 ° . Il
penfe que le nom de Lutetia , ou , par corrup
Luckoretia , vient du grec Lukos , bois
facré , mot adopté par les Poëtes Gres & Latins
, Le nom Gaulois de Lutèce , Lutetia , ville
fituée dans un ifle , ne doit pas le tirer du grec ,
Langue bien moins ancienne ceffe des Čeltes
qui ont été les premiers habitans de l'Europe
tion >
que
n'a point de rapport avec le mot Lukos , bois ;
il faut en chercher l'étymologie dans la Langue
Celtique , qui a été le berceau du grec & du la-
En. Lo & lu , dans cette Langue , out figaifié
les caux & les rivières ; de là , le nom de la lumière
, matière fuide , & les mots latias Luftrare
& Luere. Le mot tec a fignifié dans le même
idiome comme en grec , Abri , couvert , d'où le
tectum des Latins . Lutetia fiznifie donc mot a
mot un lien défendu par les eaux ; pouvoiton
mieux défigner une ville bâtie dans une ifle
qu'on avoit choifie pour le fan&tuaire d'Ifis , &
qui ne refifta aux efforts de Labienus , Lieute
nant de Célar , que par l'avantage de fa fitua-
,
Religion des Gaulois.
(1 ) M. Viallon n'a point parlé d'une ftatue d'ifis qui
étoit placée autrefois dans l'égfe Saint Germain- des Prés ,
à Paris , que M. Bricoanet , Evêque de Meaux , fit ôter en
1514. I ne dit point auf que la ville de Meluns'étant cone
facrée au culte de cette Dieffe , changsa fon nom Me
lodunum en celui d'¡fie.
DE FRANCE. 67
སྙགས
-
tion ? Le nom de Lachoretia ne doit point étre
regardé comme corrompu , puifqu'i ! fe trouve
non eu ement dans Strabon Aszorozía , ( Geogr.
Lib. 4 & dans Pelémé λouxorexia , ( Geograph,
Lib. 2 ) , mais même fur des médailles gauloifes
autonomes , publiées par B- uterone , far lefque les
on lit LEVCOT , & fu; d'autres LucOT. Le Locus
Locoticius où , felon un ancien titre Childebert
fina l'églife de Saint - Vincent , & le
Collis Leucutitius , fur laquelle fut lâtie l'ancienne
Bafilique de Saint- Pierre & de Saint- Pani ( aujour
d'hui Sainte- Geneviève ) , ont un rapport de dénomination
avec le nom de Leucothetia , & il eft
étonnant que M. Vialion n'en ait pas parié,
4. Il dir que le Gaulois alloient facrifier dans
ce bois facré à Efus ou Ifis. - C'est une erreur
bien grande. Efus & lfs font deur Divinités abfolument
différentes . Efus étoit le Dieu qui préfidot
dans la Théogonie des Gaulois , à la conpe
du gui de chêne ; il eft repréfenté avec une ferpette
à la main devant un marbre , fur un las- rehief
trouvé dans les fondemens de la Cathédrale
de Paris en 1711 ; on y lit le nom d'Ef . M.
Eccard penfe que c'eft un Prêtre d'Efus ou Drde
qui coure le gui , auquel il donne le non même
d'Efus. Quelques Auteurs ont penfé que ce Dieu
étoit le Mars Gaulois ; ma's l'Abbé Banics & Dom
Martin croient avec plus de fondement , qu'Efus
fignifie le Dieu par excellence , le Dieu inconnu.
1. Tout ce que dit M. Viallon des embelliffemens
ajoutés à Paris & de fa réélification par
Céfar , qui , felon lui , y fit bâtir un Palais pour
le Proconful , ne fe trouve point dans les Commentaires
de cet Empereur ni dans aucun Auteur
ancien. 6º . On peut ajouter à ce qu'il dit
armes de cetre ville, qu'elle avoit , du temps de
Tibère , une Magiftrature de Navigateurs de la
des
"
68 MERCURE
Seine ( 1 ) , certainement bien plus ancienne que
cet Empereur , & d'ou dérivèrent les beaux droits
du premier des Echevins , & fon titre d'Amiral- :
car M. le Roi & Dom Felibien penfent qu'on
doit entendre par le Naute Parifiaci de l'inf
cription antique trouvée en 1711 , le Corps des
Négocians , & non la Communauté des Matelots
de Paris ( comme l'a dit M. Viallon ) . J'ai dans
ma Collection une petite pièce de métal circulaire
, qui porte l'empreinte d'un navire , emblême
de la ville de Paris ; cette pièce intéreffante a
été trouvée , en ma préfence , fous le pavé d'un
baffin antique en mortier des Romains , déterré
dans le jardin du Palais Royal en 1781 .
J'ai l'honneur , & c .
BOURIGNON , Membre de pluf. Acad.
Nationales & Etrangères , & Rédac.
du Journal de Saintonge.
Le prix de l'abonnement pour ce Journal , qui
paroît toutes les femaines , eft de 8 liv . par an ;
le Bureau eft rue de la Souche , à Saintes. Il faut
affranchir le port des Lettres & de l'argent .
ANNONCES ET NOTICES .
ABRÉGÉ de l'Histoire Sainte & Ecclefiaftique , à
l'ufage des Elèves de l'Ecole Royale Militaire
faifant partie du Cours d'Etude , rédigé & imprimé
par ordre du Roi ; 2c. Partie . Abrégé de l'Hif-
( 1 ) La Seine dont les eaux coulent avec tant de lenteur
& font tant de détours , qu'on diroit qu'elles ont
peine à quitter l'ifle de France , fut bien nommée par les છે
Gaulois , Sehen & Sehan , prononcés par les Latirs Sequan ,
mot qui fignifioit lent , pareffeux ; les Latins en ont fait
fegnis , pareffeux ; & les Gaulois , fen , lent.
DE FRANCE. 64
toire Eccléfiaftique , in- 12 . Prix , liv. 15 f. rel.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Lib . rue du Jardiner
St-André-des -Arts .
Sainte Bible , traduite en françois , Tome se.
& dernier du Nouveau - Teftament. A Nifies ,
de l'imprimerie de Pierre Beaume .
Cette entreprife cft enfin terminée ; & elle attefte
autant le courage que le défintéreflement de
[ Editeur. M. Beaume, connu par d'autres Editions
juftement accueillies du Public , annonce qu'il
vendra féparément le Nouveau - Teftament aux
perfonnes qui ont les anciennes Editions , où il
ne fe trouve point,
Caufes célèbres & intereffantes , avec les Juges
mens qui les ont décidées , rédigées de nouveau
par M. Richer , ancien Avocat au Parlement,
Tomes XXI & XXII . Prix rel . 6 livres. A Paris
chez Leclerc, Libraire, quai des Auguftins ; veuve
Defaint , rue du Foin ; Durand fils , rue Galande ;
Moutard , rue des Mathurins ; Bailly , rue Saint-
Honoré; & Belin , rue St-Jacques .
Confidérations fur la Procédure Criminelle , par
M. Pagano , Profeffeur Royal de Droit Criminel
en l'Univerfiré de Naples ; Ouvrage traduit de
I'Italien , & dédié à MONSIEUR , Frère du ROI ,
par M. de Hillerin , Ecuyer, Avocat en Parlement .
Commis du Département de la Guerre , Affocié-
Correfpondant da Mulée de Paris. A Strasbourg ,
de l'Imprimerie ordinaire du Roi ; & le trouve à
Verfailles , rue St. Honoré , N ° . 14 ; & à Paris ,
chez Th, Brunet , Libr . place de la Comédie Italienne..
Nous reviendrons fur cet Ouvrage , `qui nous a
paru , comme à ſon élégant & juficienx Traducteur
, propre à être accueilli dans les circonftances
actuelles , de tous ceux qui ont quelque influence
fur le fort de la choſe publique.
40
MERCURE
Manuel du Chretien , contenant les Pleaumes
le Nouveau - Teftament , & limitation de Jéfus-
Chrift : nouvelle édition , augmentée de l'ordinaire
de la Meffe , des Prières du matin & du foir,
des Litanies du Saint- Nom de Jéfus , de la Sainte
Vierge , des Saints , & autres Prières , de Cantiques
tirés de l'Ecriture Sainte , & de la diftribu-'
tion du Pleautier pour la femaine , felon le Bréviaire
Romain & le nouveau Bréviaire de Paris.
1 Vel . in- 12 . Prix relié , 3 liv. A Paris , chez la
veuve Defaint, Lib. rue du Foin ; & Nyon l'aîné
& fils , rue du Jardinet.
Recherches & Confiderations nouvelles fur les
Finances , ou Mémoire fur leur fituation actuelle ,
caufes du déficit ; moyens de l'anéantir en pourvoyant
aux dépenfes de l'Etat , fans accro ffement
d'impôts ; en délivrant la Nation de ceux qui font
les plus onéreux , tel que les Gabelles , les Traites
& Douanes intérieures , Droits de Péage , Minage ,
Marque des Cuirs , Papiers , Cartons , Poudres &
Amidons , & autres par M. de Corméré. 2 Vol.
in-8 °. Prix br. 12 liv. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
Cet Ouvrage , fondé fur des élémens pofitifs.
eft le fruit de vingt années de travail . Il a été
rédigé pour fervir de documens & pour être préfenté
aux Etats- Généraux , afin de leur fervir de
bafe , tant pour les améliorations à faire dans les
Finances , que pour la fuppreffion des impôts les
plus défaftreux , & l'abolition de toutes les Barrières
intérieures , vivement follicitée par les Etats-
Généraux de 1614. L'on trouve en tête du 1er.
Volume la copie d'une Lettre de l'Auteur à M.
Necker. Cet Ouvrage eft diviſé en deux Volumes
in-8 ° .; le rer. de 666 pages & 2 Tableaux . Le
fecond , contenant les Pièces juftificatives , eft de
320 pages , & 24 Tableaux , tant in primés que
gravés ; plus, une Carte enluminée, indicative des
Barrières locales , des Traites , Gabelles & Taban
DE FRANCE. 71
L'Esprit des Impôts & de leur Régime , par F. J.
Chaubray de la Roche ; in- 8 ° . A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Pichard , Libr . quai des Théa
tias ; Defenne , au Palais - Royal ; & Méquignen ,
au Palais.
Cer Ouvrage eft divifé en trois Livres ; le premier
traite de la néceflité des Impôts , des Contribuables
, & de l'emploi des Impôts : dans le fecond
, l'Anteur donne fes idées fur la nature des
Impôts ; 1 prétend que la Juftice diftributive ,
l'humanité , la politique & l'ordre dans les Finan
ces improuvent le projet d'un feul Impôt fur les
terres ; il parle de l'origine des Impofitions & des
Perceptions actuelles , fait connoître le vice de cha
cun d'enx , & prononce fur le fort qu'ils doivent
avoir : dans le je . , il prouve qu'il eft de la plus
grande importance d'avoir un régime bien ordonné,
qu'il n'appartient qu'aux Etats Provinciaux de
faire la répartition & la levée des Ipofitions ;
mais il foutient que les perceptions doivent être régies
par le Gouvernement : enfin l'Auteur termine
par un Chapitre fur l'Or , comme ayant un rapport
politique & direct avec fon fujet. On voit que M..
Chaubry de la Roche regarde l'opération du Ca,
daftre comme indifpenfable ; qu'en fuivant fes
principes & fes vûes , les Impôts porteroient particulièrement
fur les gens riches , & qu'ils ne
pourroient s'en plaindre ; que les recouvremens fe
feroient avec beaucoup d'exactitude , fans difcuffions
& fans frais ; que la Régie feroit peu difpendieufe
, & qu'elle n'occuperoit qu'un petit nombre
d'Employés.
Quelfut l'état des perfonnes en France fous la
première&la feconde Races de nos Rois ? Ouvrage
couronné par l'Académie Royale des Infcriptions.
& Belles- Lettres , en 1768. 1 Vol . in-8 ° . par M.
l'Abbé de Gou' cy , de la Société Royale des Infcriptions
& Belles- Lettres de Nanci , Vicaire- Gén
272 MERCURE DE FRANCE .
de Bordeaux . Nouvelle édition , revue & corrigée.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Lib. rue du Jardinet.
Recueil des Romances d'Eftelle , par M. Vidal .
Prix , 6 liv .
Huit petits Airs mis en variation pour le Ga
loubet , par M. Châtauminois. Euvre se . Prix , 3
Tiv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Mail , hôtel
des Indes.
M. Six Duos concertans pour deux Violons , par
Viotti, Prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez Boyer , rue
de Richelieu , à la Clef d'or , paffage du Café de
Foi, & chez Madame le Menu , rue du Roule , à
la Clef d'or.
Trois Quatuors concertans pour Flûte , Vielon ,
Alto & Violoncelle , par Ignace Pleyel . Prix , 6 liv.
mées adrefles .
conte-
Nouvelle fuite de Pièces d'Harmonie ,
"nant des Ouvertures avec Ariettes d'Opéras férieux
& comiques , pour deux Clarinettes , deux Cors
& deux Ballons , par M. Ozi . Prix , 6 liv . mêmes
adreffes .
Faute à corriger dans le N°. précédent.
Page 33 , à la Note . Il a paru depuis ; lifez , Il
avoit paru avant une autre Traduction du même
Ouvrage , qui fe vend chez Lagrange,, & c .
TABLE.
AVERTISSEMENT.
Le Laurier.
49 Plan.
so Mimoires.
60
62
64
14 danonces & Notices. 68
Charade, Enig & Logog . 52 Variétés..
Sermons.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 12 juillet 1789.
C'EST le Lieutenant d'Artillerie Rubnicki
qui a arrêté le Prince Poninski
sur les frontières de la Prusse . Ce prisonnier
, ramené dans la capitale , est
maintenant logé aux casernes de l'Artillerie
, où il sera désormais détenu .
Le nouveau Ministre de la République ,
auprès de la Porte Ottomane , a reçu
ses instructions , dont on cite les principaux
articles suivans :
1º. Demander l'exécution des anciens traités
, et nommément de celui de Carlowitz
2º. déterminer la Porte à faire cause commune
avec les Cours de Londres et de Berlin , dans
leurs vues concernant la République ; 3º . Renouveler
les propositions faites en 1786 , au
sujet du commerce Polonois sur le Niester et
la mer Noire ; 4° . déterminer la Porte à ad-
N°. 32. 8 Août 1789. с
( 50 )
mettre un Ministre de la République, qui résidera
toujours auprès d'elle ; 5°. assurer la
Porte qu'à sa considération la République fait
évacuer son territoire par les troupes Russes ,
et l'engager à agir de concert avec les Puissances
alliées 2 pour que ces troupes ne
puissent entrer en Pologne , sous aucun prétexte
quelconque ; 6° . demander l'accession
de la Porte à la garantie qui sera faite à la République
par les Cours de Londres et de Berlin.
T ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 25 juillet.
Le Danemarck , revenant sur sa conduite
politique de l'année dernière , s'est , à
la fin , invariablement fixé au rôle qu'on
lui proposoit au commencement de la
guerre du Nord. Il s'est soumis à une neu--
tralité parfaite . Captivé par les démarches
infiniment pressantes de plusieurs Puissances
, il a rendu publiques. pour
la sécurité du Nord , les deux lettres
Ministérielles que voici.
Lettre écrite de la part des trois Ambassadeurs
Plénipotentiaires d'Angleterre , de Prusse
et des Etats-Généraux des Provinces-Unies,
à Son Excellence M. le Comte de Bernstorff,
an date du 6 juillet 1789.
» Par la lettre , qu'au nom de nos Souverains
respectifs nous avons eu l'honneur de
( 51 )
remettre à Voire Excellence , dans le mois
d'avril dernier , nous l'avons priée de vouloir
bien , par des voix amicales , engager S. M. le
Roi de Danemarck à observer une neutralité
parfaite et illimitée pendant les troubles actuels
du Nord , afin de prévenir l'extension
des hostilités , qui ne pourroient que retarder
et rendre plus difficile le rétablissement
d'une paix durable. La réponse que Votre
Excellence nous fit alors au nom du Roi ,
portoit , que S. M. ne pouvant rien décider
à cet égard , avant de s'être assurée des intentions
de S. M. l'Impératrice de Russie ,
son alliée , Elle avoit fait expédier aussitôt
un-Courrier à Pétersbourg. Comme ce Courrier
est aujourd'hui de retour , nous prenons
la liberté de nous adresser de nouveau
Votre Excellence , pour la prier de vouloir
bien nous communiquer la résolution de sa
Cour : nous nous flattons d'avance de l'espér
rance que cette résolution remplira pleinement
les voeux de nos Souverains respectifs .
en leur annonçant , de la part de S. M. le Roi
de Danemarck , cette neutralité désirée. »
Nous avons l'honneur d'être , etc.
Signés , ELLIOT , ARNIM , VANDER GOES.
Réponse du Comte DE BERNStorer.
ོ་
« Le Roi , mon maître , aussi fidèle aux
engagemens qu'il a contractés qu'à son
amour pour la paix , ainsi qu'au bien être
général pour lequel il s'intéresse cons
ment , n'a pu se permettre de contre nir
aux stipulations sacrées d'un traité défen
sans le cousentement exprès de la Puissance
même qui avoit le droit incontestable de
C
( 52 )
les réclamer. Le Roi a donc dû prévenir
la Russie , et se concerter avec elle sur le
désir que les Ministres Plénipotentiaires de
la Grande- Bretagne , de Prusse et des Etats-
Généraux des Provinces Unies lui ont fait
connoître au nom de leurs Souverains , concernant
une neutralité parfaite et illimitée
qu'ils exigeoient de sa part , tant par terre
que par mer , durant la présente guerre qui
trouble malheureusement le repos du Nord.
Quoique cette neutralité ne soit pas , dans le
fond , incompatible avec la concession des
secours stipulés dans un traité qui n'a pour
objet qu'une défense commune , le Roi qui
a trouvé , dans l'amitié et la modération de
S. M. l'impératrice de toutes les Russies , un
parfait rapport avec les mêmes sentimers
dont il se sent animé , convaincu d'ailleurs
avec cette auguste Princesse , que les trois
Cours unies ne sont guidées , dans leurs démarches
, que par l'amour pour la paix générale
, consent d'observer , durant les présens
troubles du Nord , une neutralité telle que
les trois susdites Cours l'ont proposée. En
revanche , S. M. espère et exige de son côté ,
que , par un heureux retour des mêmes principes
et sentimens de leur part , les trois
hautes Cours conserveront et maintiendront
également , pendant toute cette époque , la
même neutralité , relativement aux affaires
du Nord , afin d'accélérer , par leurs soins et
Tests efforts réunis , le rétablissement de la
générale qui seule forme l'objet des
e voeux de S. M. »
« Le soussigné a l'honneur de communiquer
cette résolution du Roi , son maître
aux trois Ministres des Cours unies , en réponse
( 53 )
de leur note commune qu'ils lui ont remise le 6
de ce mois , afin de faire parvenir ladite
déclaration à leurs Souverains respectifs. » .
Copenhague , le 9 juillet 1789.
Signé , BERNSTORFF.
On attend d'un jour à l'autre la relation
détaillée de la victoire du Roi de
Suède à Davistadt , le 28 juin , et on
l'attend avec d'autant plus de curiosité ,
que ce Monarque ayant pénétré dans
la Finlande Russe , a de nouveau battu
ses ennemis , le 3 juillet , et emporté
d'assaut le défilé de Likala, sur la route
de Frédéricsham. Au départ des courriers
, le Vainqueur se trouvoit à un
mille et demi de cette place , l'un des
boulevards de la province . De son côté ,
l'escadre de galères , sortie de Sweaborg ,
a fait une descente à peu de distance
de Frédéricsham , et enlevé aux Russes
vingt barques de transport , chargées de
provisions , et évaluées à 25 mille thalers .
:
L'escadre Russe de Cronstadt et Revel
est à la hauteur de Galland celle de
Suede forme une ligne depuis Falsterba
jusqu'à Rugen. Cette dernière est forte
de 40 voiles , dont 23 vaisseaux de ligne,
Le Lc de Sudermanie qui la commande
, monte le Gustave III , et a
sous lui le Contre-Amiral Nordenstiold.
De Vienne , le 24 juillet.
Laconvalescencede l'Empereur prend ,
c iij
( 54 )
depuis quinze jours , les apparences du
rétablissement . La fièvre opiniâtre, dont
le Prince étoit attaqué depuis son funeste
séjour dans le Bannat , paroît avoir
cédé à la nature , aux remèdes et à la
saison les douleurs de reins et la foiblesse
ont cessé ; on découvre un symptôme
encore plus favorable dans l'amélioration
du teint , dans le calme d'esprit
et lá gaieté , qui sont revenus. Chaque
jour , S. M. se promène dans les jardins ;
Elle augmente cet exercice graduellement
La lecture des dépêches et un travail
modéré occupent une partie de ses
journées. La semaine dernière , on introduisit
auprès d'Elle un Courrier des Etats
de Brabant , porteur de dépêches qu'il
devoit remettre à la personne même de
l'Empereur. Ce Prince , en prenant le
paquet , dit au messager : Le Comte de
Trautmansdorffera réponse ; en attendant
, dites à vos Etats que je ne suis
ni mort , ni mourant.
Nos troupes sont entrées , le 9 , dans
le Vieux- Gradisca , soit Berbir , évacué
par les Ottomans. Le Gouvernement a
rendu compte des opérations de ce siége ,
dans la Gazette du 15 , dont le rapport
finit en ces mots.
« Depuis le 3 de ce mois jusqu'au 5 , les
Ouvrages furent avancés , avec la plus grande
vigueur , devant la forteresse ; et le 5 , au soir ,
on entendit trois coups de canon dans le
camp ennemi ; les espions firent rapport qu'un
( 55 )
Pacha à trois queues y étoit arrivé avec un
Corps d'Arnautes .
Depuis le 5 jusqu'au 7 , on continua les
ouvrages , et l'on érigea plusieurs batteries et
redoutes ; la ligne , commencée sur l'aile
droite de la Verbasca jusqu'au chemin de
Banjaluka , fit achevée , et forüfiée par des
redoutes .
Le 9 au soir , le Feld- Maréchal - Baron de
Laudhon , s'étant rendu dans la tranchée pour
régier les ouvrages à faire pendant la nuit
il s'aperçut que non-seulement les ennemis
campés dans la forêt , avoient levé leur camp ,
mais que la garnison de Berbir commençoit
à se retirer avec ses bagages , par le chemin
qui lui restoit encore ouvert ; qu'ayant aussitôt
dirigé nos canons sur l'ennemi , il se jeta
si précipitamment dans la forêt , et continua
sa marche avec tant de précipitation , accompagné
du corps de troupes arrivé à son
secours , que nos patrouilles , envo, es tant
vers la forteresse que dans la foret , trouvèrent
la forteresse évacuée entièrement , et
n'aperçurent aucun Turc dans la forêt. On
ignoroit encore le chemin que ces fugitifs
avoient pris .
On a trouvé dans Berbir 35 canons
de fonte , 4 de fer et 4 mortiers. Ce
siége , suivant le rapport du Feld-Maréchal
Eaudhon , nous a coûté 38 Soldats
et 3 Ouvriers , outre 118 Soldats et 15
Ouvriers tués.
Le Prince Poniatowski, Lieutenant.
Colonel au service de l'Empereur , dans
le Régiment des Chevaux - Légers de Sa
c iy
( 56 )
Maj . , est parti pour Varsovie . Il a demandé
la permission de quitter sa place ,
pour aller servir sa Patrie . En lui accordant
son congé , l'Empereur lui a marqué
, par un billet de sa main , qu'il se
souviendroit toujours avec plaisir du
zèle et du courage avec lesquels il avoit
servi dans ses armées. L'exemple du
Prince Poniatowsky a été suivi par
quelques gentilshommes Polonois qui
étoient également au service de la maison
d'Autriche.
PAY S - B A S.
De Bruxelles , le 6 août 1789 .
Le Gouvernement a publié , ces jours
derniers , une Déclaration qui décerne
dix mille florins de récompense aux
Dénonciateurs des Auteurs ou Imprimeurs
des Ecrits séditieux , en fournissant
les preuves nécessaires de culpabilité.
Les transgresseurs seront poursuivis
comme pertubateurs du repos public ,
et coupables de haute trahison , sans es
poir de pardon .
Un Brasseur , accusé d'avoir participé
aux derniers troubles du pays , ayant été
emprissonné à Tirlemont , 400 Paysans ,
conduits par un homme masqué , et dé-(
57 )
guisé en Arlequin , brisa , le 22 , les portes
de la prison . De-là , les Insurgens se
portèrent à l'Hôtel du Mayeur de la Ville,
qui fut saccagé , et dont on arracha les
portes , les croissés et le toit . Vingtsix
maisons de Négocians ou autres ont
été également pillées , avant que le Magistrat
et la Bourgeoisie aient rétabli
l'ordre. Le 27 , le Gouvernement a rendu
une Ordonnance , qui porte peine
de mort contre tout pillard , et contre
les auteurs et fauteurs du brigandage .
Nous avons vu , depuis 15 jours , arriver
, ou passer dans cette Capitale , un
très-grand nombre d'émigrans François .
Au même temps , on a vu réunis ´ici,
sept Princes de la maison de Bourbon ,
M. Comted'Artois et ses deux Fils, MM.
les Princes de Condé, de Bourbon , d'Enghien
et de Conti. Madame la Princesse
Louise de Condé, Abbesse de Remiremont
, a aussi séjourné dans cette ville.
On assure que la plupart de ces Priaces
se sont rendus à Bonn , chez l'Electeur
de Cologne , auprès duquel se trou
vent , en ce moment , Madame l'Archiduchesse
Marie- Christine et le Duc de
Saxe Teschen son époux .
CY
( 58 )
FRANCE.
De Versailles , le 4 août.
Le 21 , en présence de Leurs Majestés
le Cardinal de Montmorency recut la
barrette des mains de l'Abbé de Montmorency
, son neveu , Ab Lègat de Sa
Sainteté . Cette cérémonie eut lieu avec
toutes les formalités d'usage .
Le 25 , M. le Comte de St.Priest prêta
serment entre les mains du Roi , pour
la charge de Secrétaire d'Etat de la
Maison de S. M.
La charge de Gouvernante des Enfans
de France , vacante par la retraite de
Madame la Duchesse de Polignac , le
16 de juillet , a été donnée par le Roi
à Madame la Marquise de Tourzel ,
veuve du Seigneur de ce nom , qui fut
si malheureusement tué à la chasse , il
y a deux ans , dans la forêt de Fontainebleau.
Ce choix qui récompense la
vertu , en l'approchant du trône , a été
universellement applaudi.
ASSEMBLÉE NATLON A LE.
Avant de passer au rapport des opé(
59 )
rations et des débats de l'Assemblée ,
pendant la semaine dernière , nous devons
à nos Lecteurs la Proclamation ,
originairement demandée par M. de
Lally-Tolendal, et modifiée d'après l'avis
de divers Députés.
«
«
L'Assemblée nationale considérant :
Que depuis le premier instant où elle s'est
formée , elle n'a pris aucune résolution qui
n'ait dû lui obtenir la confiance des Peuples ; »
«
Qu'elle a déja établi les premières bases
sur lesquelles doivent se reposer la félicité publique
;
16
«
Que le Roi vient d'acquérir plus de droit
que jamais à la confiance de ses fidèles Sujets
;
K
»
Que non- seulement il les a invités luimême
à réclamer leur liberté et leurs droits ;
« Mais qué , sur le voeu de l'Assemblée , il a
encore écarté tous les sujets de méfiance qui
pouvoient porter l'alarme dans les esprits ;
»
Qu'il a éloigné de sa capitale les troupes
dont l'aspect ou l'approche y avoient répandu
l'effroi ; "
"
Qu'il a éloigné de sa personne les conseillers
qui étoient un objet d'inquiétude pour la
Nation ; »
Qu'il a rappelé ceux dont elle désiroi
le retour ; "
*
Qu'il est venu dans l'Assemblée nationale
, avec l'abandon d'un père au milieu
de ses enfans , lui demander de l'aider à sauver
l'Etat ; »
u
Que , conduit par les mêmes sentimens ,
il a été dans sa capitale se confo.dre avec son
c vi
( 60 )
Peuple , et dissiper , par sa présence, toutes les
craintes qu'on avoit pu concevoir ; »
८८
Que , dans ce concert parfait entre le Chef
et les Représentans de la Nation , après la réunion
consommée de tous les Ordres , l'Assemblée
s'occupe , et ne cessera de s'occuper
du grand objet de la Constitution ; »
«
Que toute méfiance qui viendroit actuellement
altérer une si précieuse harmonie , ralentiroit
les travaux de l'Assemblée , seroit un
obstacle aux intentions du Roi , et porteroit
en même temps une funeste atteinte à l'intérêt
général de la Nation , et aux intérêts particuliers
de tous ceux qui la composent ; »
« Qu'enfin , il n'est pas de Citoyen qui ne
doive frémir à la seule idée de troubles , dont
les suites déplorables seroient la dispersion des
familles , l'interruption du commerce ; pour les
pauvres , la privation des secours ; pour les
ouvriers la cessation du travail ; pour tous ,
le renversement de l'ordre social ; »
«
9
Invite tous les François à la paix , au
maintien de l'ordre et de la tranquillité publique
, à la confiance qu'ils doivent à leur Roi
et à leurs Représentans , et au respect pour
les lois , sans lequel il n'est pas de véritable
libérté. »
44
Déclare , quant aux dépositaires du pouvoir
qui auroient causé ou causeroient , par
leurs crimes , les malheurs du Peuple , qu'ils
doivent être accusés , convaincus et punis, mais
qu'ils ne doivent l'être que parla loi , et qu'elle
doit les tenir sous sa sauve--garde jusqu'à ce
qu'elle ait prononcé sur leur sort ; que la
poursuite des crimes de Lèse- Nation appartient
aux Représentans de la Nation ; que l'As(
61.)
semblée , dans la Constitution dont elle s'occupe
sans relâche , indiquera le Tribunal devant
lequel sera traduite toute personne accusée
de ces sortes de crimes , pour être jugée
suivant la loi , et après une instruction publique.
»
" Et sera la présente déclaration imprimée.
et envoyée par tous les Députés à leurs Commettans
respectifs . »
" Fait dans l'Assemblée nationale , ce 23
juillet 1789. "
Treizième Semaine de la Session ( 1 ) .
Du Lundi 27 JUILLET 1789. Après la
lecture d'un grand nombre de lettres et d'adresses
, on a ouvert la dépêche d'un Directeur
des Aides de Rheims , qui informe l'Assemblée
de l'impuissance où sont les Employés
des Fermes de faire leur service , et qui
demande s'il doit continuer la perception des
droits.
Sur quoi , un Député des Communes a
observé que la dignité de l'Assemblée ne
lui permettoit pas de correspondre avec
subalterne.
un
Un Député Alençon a communiqué une
lettre , par laquelle on lui annonce , que dans
(1) Pour éviter des répétitions fastidieuses
dans l'énoncé des différens avis de chaque
débat , nous nous bornerons quelquefois à
nommer Popinant , sans employer la formule ,
un tel a dit , un tel a pensé, un tel a observé
, etc.
( 62 )
cette ville , et celles voisines , le Peuple avoit
brûlé les registres des Aides , et prenoit le
sel dans les magasins à moitié prix. Il a
prié l'Assemblée de rendre un décret , qui
ordonne au Peuple de payer tous les impôts
établis .
Un Député de Mortagne , province du Perche
, a annoncé le même événement dans
son Bailliage , et a fait la même demande au
nom de ses Commettans.
Un Député de Valenciennes a rendu compte
des émeutes affligeantes qui venoient de troubler
cette ville , et il a lu le Procès- verbal
que les Officiers municipaux lui ont adressé
.
M. le Président a communiqué une lettre
de M. le Comte de Montmorin relative
à l'affaire de Vesoul , et par laquelle ce Ministre
l'informe qu'il sera écrit aux Ministres
du Roi , de réclamer le coupable dans
les Cours étrangères .
Cette lecture a été suivie de celle de la
lettre de remercîment , écrite en ces termes par
M. Necker à l'Assemblée .
14
MESSIEURS ,
Sensiblement ému par de longues agifations
, et considérant déja de près le moment
où il est temps de songer à la retraite
du monde et des affaires , je me préparois à
ne suivre plus que de mes voeux ardens le destin
de la France et le bonheur d'une Nation à
laquelle je suis attaché par tant de liens ,
lorsque j'ai reçu la lettre dont vous m'avez
honoré . Il est trop hors de mon pouvoir , il
est au-dessus de mes foibles moyens de ré-
•
( 63 )
pondre dignement à cette marque si précieuse
de votre estime et de votre bienveillance ;
mais je dois au moins , Messieurs , vous aller
porter l'hommage de ma respectueuse reconnoissance.
Mon dévouement ne vous est pas
"nécessaire , mais il importe à mon bonheur
de prouver au Roi et à la Nation Françoise
que rien ne peut rallentir un zėle qui fait
depuis si long- temps l'intérêt de ma vie. »
Bále , le 23 Juillet 1789.
Revenant à l'épineuse question de la saisie
et de l'ouverture des lettres , M. le Président
a déclaré que l'avis général des Bureaux
avoit été de faire revenir les lettres
renvoyées à l'Hôtel - de - Ville Après avoir donné
lecture de celle qu'il avoit écrite au Comité-
Permanent de Paris , il a proposé de
délibérer sur l'envoi d'un Courrier qui rapporteroit
ces Missives sur- le- champ , Séance
tenante jusqu'au retour du messager.
M. Guillotin a déclaré avoir remis ce paquet
de lettres au Comité - Permanent , qui le
gardoit à la disposition de l'Assemblée .
Suivant le rapport d'un autre Député , M.
Bailly lei avoit appris hier , que la seule lettre
de ce paquet qui pût intéresser l'Assemblée ,
étoit celle déchirée par M. de Castelnau, et
dont on avoit rapproché les fragmens.
M. le Président a prié l'Assemblée de décider
s'il redemanderoit les papiers au Comité-
Permanent.
Il seroit peut-être imprudent de faire voyager
ces paquets , a dit un Député ; on devoit
ordonner au Comité- Permanent d'en
envoyer des copies .
M. Reubell, Député de Colmar , a renou(
64 )
velé la Motion qu'il avoit présentée la veille ,
et motivee , en disant :
Le Maire de Paris étant Membre de l'Assemblée
nationale , n'auroit pas envoyé des
papiers à son Président , s'il ne les avoit cru
tres-intéressans pour l'honneur de la Nation :
ces papiers ont été renvoyés , mais l'Assemblée
nationale est la maitresse de les réclamer ;
elle ne doit pas demeurer indécise sur la teneur
de ces lettres . Je n'ai pas besoin de vous
dire que cette auguste Assemblée , compo
sée de Clergé , de Nobles et d'hommes libres ,
est l'image de celle des Francs qui s'occupoient
des crimes d'Etat . Ces principes sont exprimés
dans l'arrêté du 23 juillet : personne ne doit
connoître des crimes qui intéressent la Nation ,
si ce n'est l'Assemblée nationale. L'univers a
les yeux ouverts sur nous ; mais la calomnie
veille pour tâcher de nous accabler. Je demande.
que l'Assemblée ordonne que tous les papiers
relatifs aux circonstances actuelles , concernant
la sureté de la Nation , seront remis et
déposés à l'Hôtel - de -Ville de Paris ; qu'il sera
dressé Procès- verbal détaillé de leurs dépôts ;
que ces papiers seront communiqués aux Commissaires
qui seront par vous choisis , pour en
être fait par eux le rapport et l'examen quand
il appartiendra. »
Un Noble a supplié l'Assemblée de ne pas
violer d'avance la loi qu'elle alloit faire incessamment
, sur le respect des lettres. Toutes
celles , a t- il déclaré , adressées aux personnes
en place , avoient été décachetées .
M. de Lally a lu une lettre de M. le Baron
de Castelnau , à M. le Président , au sujet du
paquet qu'on lui avoit pris ; lettre où il mande
qu'en prenant les ordres du Ministre des affaires
étrangères , pour se rendre à Genève,
( 65 )
il avoit demandé quinze jours de délai , afin
de porter son hommage à M. Comte d'Artois
, auquel il étoit attaché , en passant par
le Hainaut . Dans cette lettre de M. de Castelnau
étoit incluse une copie de celle dont
M. le Duc de Dorset l'avoit chargé pour M.
Comte d'Artois , et de laquelle M. le Président
a donné lecture .
Un Député des Communes a observé que
M. le Baron de Castelnau étoit suspect , puisqu'il
avoit lacéré une lettre . L'Liat est en
péril , a - t il ajouté ; car les Anglois , de concert
avec les ennemis du bien public , ont formé
le projet d'incendier le port de Brest.
Les complots sont portés au plus grand degré
de violence ; nous avons besoin de toutes les
lumières .
M. de Roberspierre a dit : On ne peut délibérer
, puisque le fond de la question n'est
pas jugé elle se réduit à ceci : l'Assemblée
peut-elle , doit - elle rejeter ou admettre les
papiers arrêtés , et qui peuvent être relatifs
à la conspiration ?
M. le Comte de Lally ayant lu la lettre
adressée par le Comité à M. le Duc de Liancourt
, le dernier Opinant , M. de Roberspierre ,
a repris la parole , malgré la rumeur de l'Assemblée
, pour répéter que la question n'étoit
pas difficile à résoudre. La premiere de
toutes les lois est le salut du Peuple . Obligé
par le plus impérieux des devoirs , der venger
l'attentat projeté contre les Représentans de
la Nation , on doit se servir de tous les moyens
possibles. Le secret des lettres est inviolable,
mais il est des circonstances où l'on doit le
violer. Qu'on ne cite pas l'exemple de Pompée
qui brûla les lettres adressées à Sertorius.
Pompée étoit un tyran , un oppresseur de lø
( 66 )
liberté publique , et nous en sommes les restaurateurs.
L'Assemblée et le Peuple seroient
exposés aux plus grands pértls , si l'on rejetoit
ou si l'on brûloit ces papiers .
Un autre Membre des Communes, a observé
que
l'Assemblée avoit décidé de ne recevoir
aucune Motion étrangère avant la Constitution.
Enfin , M. le Comte de Clermont - Tonnerre
résumant les questions proposées , a instruit
l'Assemblée qu'il avoit assisté , samedi , à l'od - s
verture des lettres surprises à M. de Castelnau,
et lues par le Comité- Permanent. Ces
lettres ne contenoient que des complimens
a lettre déchirée ne renfermant que des affaires
particulières , il n'y avoit lieu à délibérer
, etchacun devoit souhaiter de voir finir
le silence des lois .
M. le Président ayant demandé s'il y avoit
lieu à délibérer , la très-grande pluralité de
l'Assemblée a répondu négativement.
M. le Président a rapporté qu'il avoit é
réveillé hier par un Courrier de Nogent- sur-
Seine , porteur d'une lettre de M. l'Abbé de
Calonne , et du Procès- verbal de l'Hôtel - de-
Ville. M. l'Abbé voyageant avoit été arrêté
par la Milice bourgeoise , et la Municipalité
de Nogent attendoit les ordres de l'Assemblée
pour le relâcher .
M. l'Abbé Maury se plaignant également
d'avoir été arrêté à Péronne , où il se rendoit
pour faire révoquer ses pouvoirs impératifs ,
les Officiers municipaux de Péronne ont envoyé
le Procès- verbal de cette détention , et
demandé les ordres de l'Assemblée .
Suivant le Procès- verbal de Nogent - sur-
Seine , M. l'Abbé de Calonne , Député Suppléant
du Clergé de Melun , s'étoit travesti
( 67 )
en habit séculier , et sous le nom de M. d'He
raut , pour rejoindre , à Spa , Madame la Duchesse
de Devonshire . Le soin de sa sureté
lui avoit inspiré ce oéguisement. On s'étoit
saisi de son porte- feuille contenant des lettres
en Anglois , d'autres en François , et des
chansons.
D'après l'avis de M. de Clermont- Tonnerre ,
M. l'Abbé de Calonne avoit été arrêté de la
manière la plus légale ; l'Assemblée ne devoit
pas délibérer à ce sujet , et M. le Président
répondroit aux Gfficiers municipaux ,
qu'ils étoient les maîtres du sort de M. l'Abbé
de Calonne.
M. deVolney : L'Assemblée venoit de perdre
quinze jours à s'occuper des détails du
royaume,dont elle ne devoit pas être le Lieutenant
de Police. Il falloit créer un Comité de rapport
, chargé de l'examen de ces particularités ,
à l'imitation de celui qui existe au Parlement
d'Angleterre. L'opinant a lu ensuite une Motion
à ce sujet , qu'il a remise sur le Bureau ,
et a fini par attester qu'on n'avoit à craindre
aucune hostilité de la part des Anglois , un
voyageur arrivé de Londres , la veille , l'ayant
rassuré à cet égard.
M. Garat l'aîné a approuvé la Motion de
M. de Volney. Je désirerois , a-t- il ajouté ,
que le sentiment qui me porte à réclamer M.
L'Abbé de Calonne et M. l'Abbé Maury , fût
un sentiment d'affection . M. l'Abbé de Calonne
est un Suppléant , qui peut devenir Député ;
M. l'Abbé Maury est un Député ; il auroit
dû rester ici . L'Assemblée doit les mander
l'un et l'autre , pour leur faire rendre compte
des motifs de leur éloignement .
Un Préopinant a prié l'Assemblée de rendre
un décret qui interdise aux Municipalités ,
( 68 )
de recourir à elle pour des objets qui regardent
le pouvoir exécutif , ou qui sont
indignes de son attention.
M. de Lally a relu la Motion de M. de
Volney. Elle a été approuvée par M. Pison
du Galand , et combattue par un autre Membre
, qui a soutenu que le Comité de rapport
ne pourroit prendre aucun parti sans le consentement
de l'Assemblée , ce qui feroit perdre
beaucoup de temps.
M. Fréteau a prié l'Assemblée de prendre
un parti, relativement à M. l'Abbé Maury.
Un Membre des Communes a observé que
l'Assemblée ne pouvoit réclamer trop tôt la
liberté de M. l'Abbé Maury , puisque par un
décret olennel elle avoit déclaré ses Membres
inviolables .
M. l'Archevêque de Vienne a soutenu cet
avis , en priant l'Assemblée d'ordonner à M.
l'Abbé Maury de se rendre à Versailles .
Un autre Membre des Communes vouloit
au contraire qu'on fit exception au décret
d'inviolabilité , et que les deux Abbés , sujets
aux lois de police , fussent livrés aux Tribunaux
des lieux , pour être interrogés.
Un Membre de la Noblesse a prouvé contre
le Préopinant , que les pouvoirs d'un Député
devoient lui servir de passe - port et de
sureté dans l'intérieur du royaume.
M. Duport a proposé un projet de réponse
aux Municipaux de Péronne , et qu'on laissât
à M. l'Abbé Maury toute liberté de se rendre
à l'Assemblée.
M. Mounier , en adoptant l'avis de M. de
Volney , a proposé d'autoriser M. le Président
à écrire aux Officiers municipaux des
deux villes , que l'Assemblée ne peut nine
( 69 )
doit s'occuper des objets de Police , et à leur
ordonner de relâcher les deux Abbés .
Cette discussion fort simple ne finissant point,
M. le Président a prié l'Assemblée de l'autoriser
à faire remetrre M. l'Abbé de Calonne
en liberté. Sur cette demande , le débat s'est
renouvelé avec encore plus d'acrimonie.
Suivant M. de Clermont -Lodève , la détention
des deux Abbés étoit injuste , et leurs
personnes inviolables , d'après l'arrêté du 23
juin.
Un Préopinant votoit pour renvoyer M.
l'Abbé de Calonne aux Juges du lieu.
Un Membre des Communes s'est récrié , avec
raison , sur la perte de temps qu'occasionnoit
cette discussion
De nouveau , M. le Président a prié l'Assemblée
de l'autoriser à écrire aux Magistrats
des deux villes , pour faire relâcher MM.
les Abbés de Calonne et Maury.
Nouveau tumulte.
Un certain nombre de Membres ont crié
qu'il n'y avoit lieu à délibérer.
M. Fréteau a fait sentir les dangers auxquels
pourroient être exposés les deux Abbés,
si on les laissoit au pouvoir du Peuple. Cette
observation n'a point rallenti l'animosité de
quelques personnes.
Un Membre de la Noblesse a déclaré que
l'Assemblée se déshonoreroit , si elle ne faisoit
pas relâcher les Prisonniers .
M. le Marquis de Montesquiou : « L'Assema
blée ne peut s'écarter des principes qu'elle
« a adoptés . Elle doit réclamer M. l'Abbé
"
Maury, dont la personne est inviolable . Elle
« doit ordonner à la Municipalité de Nogent
« de rendre la liberté à M. l'Abbé de Ca-
" lonne. "
( 70 )
M.de Lally a réclanié avec fermeté les deux
Prisonniers , et il a lu um projet de réponse
de M. le Président aux deux Municipalités.
Enfin , M. le Président a prié ceux qui approuvoient
le projet de lettre pour M. l'Abbé
de Calonne , de se lever.
Ce projet a été admis presque universellement.
Il a dit ensuite: Les personnes qui seront d'avis
que j'écrive la même lettre à Péronne pour
M. l'Abbé Maury , sont priées de se lever.
M de Volney a parlé assez long-temps ,
pour finir par proposer de délibérer sur la liberté
des Citoyens.
Ce discours a été suivi d'une grande rumeur.
M. de Clermont- Tonnerre a lu deux fois un
projet de lettre pour M. l'Abbé Maury.
Le tumulte a recommencé .
M. le Président a prié ceux qui opinoient
pour cette lettre , de se lever.
Nouveau bruit ..
M. le Président s'est écrié : « Messieurs ,
il est contraire à la liberté de l'Assemblée de
« ne pas vouloir délibérer .
«
"
Enfin , ce projet de lettre a été reçu .
Une Députation du Châtelet a paru à la
Barre . On a fait entrer dans l'enceinte M. le
Prévôt de Paris et M. le Lieutenant Civil ,
qui ont prononcé chacun un Discours.
Un des Secrétaires a lu l'Arrêté du Châtelet :
M. le Président a répondu à la Députation .
Elle a été suivie d'une Députation de Pontoise
, qui , à son tour , a harangué l'Assemblée
.
M. le Duc d'Aumont , Grand Bailli d'Epée
du Bailliage de Chauni , a présenté une récla(
71 )
mation de ce ressort , qui demande une représentation
directe à l'Assemblée nationale .
Toutes ces délibérations épisodiques terminées
, M. l'Archevêque de Bordeaux a lu le
préambule de la Constitution.
M. le Comte de Clermont-Tonnerre , un
projet de Constitution extrait des cahiers des
Bailliages.
M. Mounier , le plan du premier chapitre de
la Constitution.
M. l'Abbé Sieyes a fait imprimer , de son
côté , des Préliminaires de Constitution , ouvrage
métaphysique , dont nous présenterons
un jour les résultats , en les confrontant avec
/ ceux de M. Mounier.
Sur un bruit , propagé et commenté avec
une rapidité conforme aux circonstances , on
parloit , en tous lieux , d'un complot concerté
entre des traîtres et les Anglois , pour livrer
à ces derniers le port de Brest. A ce sujet ,
M. le Président a lu la lettre suivante de M.
le Comte de Montmorin , ainsi que celle
adressée à ce Ministre par son Excellence M. le
Duc de Dorset , Ambassadeur d'Angleterre.
Lettre de M. le Comte DE MONTMORIN À
M. le Président de l'Asssemblée Nationale.
Versailles , le 27 juillet 1789.
M. LE PRÉSIDENT ,
« M. l'Ambassadeur d'Angleterre m'a prié
instamment d'avoir l'honneur de vous communiquer
la lettre ci-jointe ; j'ai cru d'autant
moins pouvoir me refuser à ses instances
qu'il me prévint , en effet verbalement , dans
les premiers jours du mois de juin , d'un complot
contre le port de Brest. Ceux qui le méditoient
, demandoient quelques secours pour
( 72 )
cette expédition , et un asyle en Angleterre,
M. l'Ambassadeur ne me donna aucune indica-
-tion relative aux auteurs de ce projet , et m'assura
qu'ils lui étoient absolument inconnus. Les
recherches que j'ai pu faire , d'après des données
aussi incertaines , ont été infructueuses ,
comme elles devoient l'être ; et j'ai été , dans
le temps , obligé de me borner à engager M.
le Comte de la Luzerne a prescrire au Commandant
de Brest les précautions les plus multipliées
et la vigilance la plus exacte.
" J'ai l'honneur d'être , etc. »
»
Lettre de M. le Duc DE DORSET , Ambassadeur
d'Angleterre en France , à M. le Comte
DE MONTMORIN.
Paris , ce 26 juillet 1789.
MONSIEUR ,
« Il m'est revenu , de plusieurs côtés , qu'on
cherchoit à insinuer que ma Cour avoit fomenté
, en partie , les troubles qui ont affligé
la capitale depuis quelque temps ; qu'elle
profitoit de ce moment pour armer contre la
France , et que même une flotte étoit sur les
côtes , pour coopérer hostilement avec un
parti de mécontens tout dénués de fondement
que soient ces bruits , ils me paroissent
avoir gagné l'Assemblée nationale ; ete Cour
rier national , qui rend compte des Séances
des 23 et 24 de ce mois , laisse des soupçons
qui me peinent d'autant plus , que vous savez
Monsieur , combien ma Cour est éloignée de
les mériter. »
« Votre Excellence se rappellera plusieurs
conversations que j'eus avec vous au commencement
de juin dernier , le complot affreux qui
avoit été proposé relativement au port de
Brest ,
( 73 )
Brest , l'empressement que j'ai eu à mettre le
Roi et ses Ministres sur leurs gardes , la réponse
de ma Cour , qui correspondoit si fort
à mes sentimens , et qui repoussoit avec hor
reur la proposition qu'on lui faisoit ; enfin ,
les assurances d'attachement qu'elle répétoit
au Roi et à la Nation : vous me fites pari alors
dé la sensibilité de Sa Majeste à cette occa
sion . »
« Comme ma Cour a infiniment à coeur de
conserver la bonne harmonie qui subsiste entre
les deux Nations , et d'éloigner tout soupçon
contraire , je vous prie , Monsieur , de donner
connoissance de cette lettre , sans aucun délai ,
à M. le Président de l'Assemblée nationale ;
vous sentez combien il est essentiel pour moi
qu'on rende justice à ma conduite et à celle de
ma Cour , et de chercher à détruire l'effet des
insinuations insidieuses qu'on a cherché à répandre.
»
Ilimporte infiniment que l'Assemblée nationale
connoisse mes sentimens ; qu'elle rende
justice à ceux de ma Nation et à la conduite
franche qu'elle a toujours eue envers la France
depuis que j'ai eu l'honneur d'en être l'organe.
»
« J'ai d'autant plus à coeur que vous ne perdiez
pas un instant à faire ces démarches , que
je les dois à mon caractère personnel , à ma
Patrie , et aux Anglois qui sont ici , afin d'e
leur éviter toutes reflexions ultérieures à cet
égard . "
« J'ai l'honneur d'être , etc. »
Du mardi 28 JUILLET M. le Président
a annoncé que M. le Baron d'Andlau , l'un
des Députés de la Noblesse d'Alsace , étoit
obligé de partir pour se rendre aux eaux , à
No. 32. 8 Août 1789.
( 74 )
cause de sa mauvaise santé , mais qu'il re
viendroit après son retablissement.
Il a lu ensuite une lettre de la Municipalite
de Soissons , qui annonce des ravages
commis dans les campagnes par une troupe
de près de quatre mille brigands ; ils ont
moissonne les bles à Cr . pi , à Villers- Coterets ,
et elle supplie l'Assemblée de vouloir bien lui
enveyer des troupes ( 1 ).
1
M. de Clermont-Tonnerre a lu les nouveaux
pouvoirs de la Noblesse des Bailliages de
Châlons- sur- Saone et de Cottentin , qui donnent
toute liberté à leurs Députés : lecture
suivie de la communication , par extrait d'un
grand nombre d'adresses et lettres congratu
latoires.
Un Député de la Noblesse du pays de
Caux a lu une déclaration de ses Commettans
, qui adhèrent aux décrets de l'Assemblée
, et renouvellent la renonciation à tous
les privileges pécuniaires .
M. le Président a prié l'Assemblée de déliberer
de nouveau sur l'offre faite par M.
Prince de Poix , d'une garde d'honneur de
la Milice de Versailles,
་
L'Assemblée a agréé cette garde d'honneur
, à condition qu'elle feroit le service
concurremment avec les gardes de la Prévôté.
M. de Volney a repris sa motion de la
veille , sur la formation d'un Comité de Rapport
, composé de 30 personnes.
2
(1 ) Ce rapport , comme tant d'autres , est
grossi d'exagerations. Il a été démenti comme
tant d'autres , et l'on sent que 4000 brigands
réunis pour faucher les blés verts , sont plus
dignes d'un conte Mogol , que d'une relation
réfléchie.
54
( 75 )
M. Duport a observé que ce Comité étoit
proposé dans le Réglement , et qu'il nuiroit
aux discussions ordinaires , si l'on ne fixoit
un jour dans la semaine pour entendre ces
rapports.
Un Membre des Communes s'est opposé
à la formation du Comité , et a proposé à
l'Assemblée de s'occuper de ces objets d'administration
, de surveillance , ou de police ,
une demi- heure avant la Séance .
Un Membre de la Noblesse a appuyé le
fond de la motion de M. de Volney , en la
déclarant mal rédigée , puisqu'elle attentoit
au pouvoir exécutif. Il a demandé la suppression
des mots administration et police.
Un Membre des Communes a proposé un
amendement , pour renvoyer aux Ministres
les objets qui les regardent.
Un autre a soutenu l'avis de l'avant dernier
préopinant , mais en disant que c'étoit
à l'Assemblée à faire le renvoi aux Ministres.
M. le Comte de Custines a été de ce sentiment.
Il a prié l'Assemblée de tenir une
Séance après midi , chaque semaine , pour
entendre ce rapport.
D'autres Membres ont parlé , mais sans
être entendus .
Un Député des Communes a proposé de
décréter une proclamation aux Provinces pour
feur défendre d'envoyer des adresses , lettres ,
etc. à l'Assemblée. C'est le seul moyen , at
-il dit , de ne plus perdre de temps , et l'Assemblée
en perdra beaucoup à entendre ces
rapports successifs .
Diverses opinions ont succédé aux précé
dentes ; après quoi M. de Volney ayant
corrigé sa motion , en a fait la lecture suivante
:
di
( 76 )
1
« Attendu les distractions et les retards
qu'apportent les travaux de l'Assemblée , et
à l'ouvrage important de la Constitution ,
les affaires de l'Etat , qui se multiplient chaque
jour , il sera établi un Comité de rapport ,
composé de 30 Membres , auquel seront renvoyés
tous les mémoires , plaintes et adresses,
pour y être examinés ; et s'il y a lieu , le
rapport en être fait à l'Assemblee générale ".
Un Membre de la Noblesse vouloit les
choisir par Généralités .
La discussion a recommencé sur la manière
d'élire les Commissaires de ce Bureau de
rapport. M. Bouche a demandé que le Comité de
vérification fût changé en Comité de rapport.
M. le Président a proposé à l'Assemblée
d'admettre la motion de M. de Volney , avec
la formation par Bureaux , ou de la rejeter.
Elle a été admise.
Il a dit ensuite : Le Comité rendra - t- il
compte , tous les jours , après la lecture des
adresses.
Un Député noble a observé qu'il falloit
s'en rapporter à la sagesse du Comité. Il a
prié l'Assemblée d'antoriser le Comité à faire
part sur- le-champ aux Ministres de tous les
objets qui pourroient regarder le pouvoir
exécutif.
M. le Président a prié l'Assemblée de dé
clarer si le Comité feroit son rapport , le soir ,
dans des Assemblées extraordinaires , à la
sortie des Bureaux. Unanimement agréé.
Il a demandé si les Membres de ce Comité
seroient changés tous les mois ? Même opinion
.
M. le Président ayant ensuite remis en
délibération les motions de MM. de Châtenay.
( 77 )
Lanti et Reubell , relatives à l'ouverture des
lettres.
M. Duport a lu un avis , tendant à s'occuper
d'une surveillance générale et active ;
à former une commission de quatre personnes
, pour prendre connoissance du complot
de Brest , des desastres du Soissonnois , et de
tous les crimes de lèse -Nation , et à en rendre
compte à l'Assemblée . Cette motion a été
vivement soutenue par M. Vicomte de
Noailles.
Selon un Député des Communes , le nombre
de quatre Commissaires étoit insuffisant ; il
en falloit douze. M. Pison du Galand a voté
pour prendre l'agrément du Roi.
M. Reubell a défendu sa motion de samedi
dernier , touchant les papiers gardés à l'Hôtelde-
Ville , papiers qui devoient être remis à
des Commissaires pouren faire le rapport à qui
de droit. Il étoit pressant de dénoncer les
auteurs du complot de Brest , des ravages
des brigands , et les Ministres qui avoient
été renvoyés d'après la demande de l'Assemblée
. 8
M. le Duc de la Rochefoucault a pressé
l'acceptation du plan de M. Duport , la formation
d'un Comité de recherches , composé
de quatre Membres choisis avec soin et surle-
champ.
M. Dandré a demandé douze Membres
mais sans nommer de Tribunal judiciaire.
M. le Grand, Député de Berry , a dit :
« On ne peut , ni on ne doit nommer de
Tribunal dans l'Assemblée. La motion de M.
Duportprésente de grands inconvéniens . Cete
commission pourra - t -elle recevoir toutes les
dépositions, et informations ? » Elle ne peut indiij
( 78 )
former , elle ne doit prendre que des renseigne
mens. Quatre personnes n'obtiendroient pas
assez de confiance . Malgré les nombreux inconvéniens
de ce Comité , on pouvoit en former
un d'instruction , et de 12 personnes.
M le Marquis de Gouy d'Arcy s'est fort récrié
contre le complor de Brest, et les brigandsqui,
à l'entendre , ont détruit les récoltes. Il a
votépour quatre Inquisiteurs , qui doivent rester
inconnus. Il falloit ce soir assembler les Bureaux
, pour nommer un Membre par Bureau.
Ces trente personnes se réduiroient entre elles à
quinze; ces quinze nommeroient six personnes,
dans l'Assemblée, pour faire toutes les perquisitions
possibles . Les quinze Membres donneroient
leur parole d'honneur de garder le secret
le plus inviolable sur leur nomination,
Cette commission ne doit être connue que
de MM. de la Fayette et Bailly , qui lui remettront
tous les paquets et lettres déposés à
l'hôtel-de-ville , ou interceptés à la poste. Deux
des six se transporteront par-tout où ils le jus
geront nécessaire .
M. le Chevalier de Bouflers a témoigné sa
défiance des alarmes dont on menaçoit l'Assemblée
; il adoptoit la Motion de M. Duport,
mais en réclamant le respect dû aux lettres.
Le procédé commis envers M. de Castelnau
l'un des Ministres du Roi dans l'Etranger , don
noit une nouvelle force à ce principe . Rien an
monde ne pouvoit justifier une surprise à la
foi publique. Le seul danger de l'Etat est la
violation des droits des Citoyens. 7
Ce discours , quoiqu'improuvé de quelques
Membres , a été applaudi d'un grand nombre
d'autres.
Suivant un Préopinant , l'Arrêté du 13, et la
ار
( 79 )
Proclamation, forçoient l'Assemblée de se procurer
tous les moyens de conviction des crimes
actuels : on ne connoît pas les coupables du
complot de Brest , et des brigandages commis
dans les provinces ; mais on a soupçonné un
grand nombre de personnes à qui il importe
que les vrais criminels soient connus .
M. le Comte de Viries : Le despotisme d'une
société étoit plus dangereux que le despotisme
d'un seul . La République de Venise
s'est deshonorée par la création du Tribunal
des ¡ Inquisiteurs d'Etat ; on n'auroit pas dû
proposer cette Motion dans un Royaume
appelé le pays des Francs , et qui étoit la
sauve-garde ou l'asyle de tous les Peuples
de l'Europe. Cette proposition est inadmissible.
La Commission doit être publique , si
elle est créée. L'Assemblée n'a pas le pouvoir
d'ériger une Commission secrète. On ne peut
nommer un Tribunal que lorsque la Constitu
tion sera faite. Dans le cas où l'on adopteroit
ce Comité , il demandoit qu'il consistât
en une simple Commission d'informations secrètes
, qui ne pût rien instruire .
Un Membre des Communes s'est indigné
de ce qu'on osoit proposer à cette auguste Assemblée
, composée d'hommes d'honneur ,
de manquer au secret des lettres. Pour découvrir
les criminels et les connoître , il faut
un Comité de 12 personnes . Quant à l'interception
des lettres , déclarons qu'il n'y a
lieu à délibérer ; car il seroit indigne de
l'Assemblée nationale , de prévariquer aux
mandats de ses Commeltans . On ne peut
intercepter que les lettres des personnes jugées
coupales On ne doit nommer un Tribunal
que lorsque la Constitution sera faite . La
div
( 80 )
1
nomination des 12 personnes du Comité
d'information doit être publique.
M. Chapelier a remarqué qu'on s'éloignoit
de la Motion . Il a résumé le projet de M.
Duport , en l'approuvant , et s'est opposé à
Pouvertare des lettres : l'Assemblée nationale
ne devant, violer , ni la morale , ni les
droits de la nature et ceux des gens , ne peut
attenter d'avance à le Constitution qu'elle doit
établir.
Délibération prise sur la Motion de M.
Duport , elle a eu la presque universalité des
suffrages , et le nombre del 12 Commissaires
a passé à une grande majorité. Ils seront
nommés par Listes , dans les Bureaux , sans
proportion d'ordre .
M. le Président a demandé ensuite à l'Assemblée
si elle adimettoit la Motion de M.
Reubell sur l'interception des Lettres à remettre
à l'Hôtel-de-ville , et ensuite au Comité
instruction . Nombre de voix se sont élevées.
avec murmure , et ont demandé s'il y avoit
même lieu à délibérer.
M. Reubell a retiré sa Motion aux applaudissemens
de la grande pluralité.
M. le Président du Bureau des Finances de
Paris est entré dans l'enceinte , et a prononcé
un Discours , en laissant sur le Bureau l'Ar
rêté de sa Compagnie.
M. le Président a demandé si le Comité
d'instruction devoit être Permianent , ou établi
pour un mois , sauf a être continué ,
M. Grégoire, Curé d'Imbermesnil a voté
pour qu'il soit renouvelé tous les mois : opinion
admise presqu'universellement .
M. Dupont a fait lecture d'une lettre écrite
à M. le Duc de Lioncourt par le Capitaine
de la Milice Bourgeoise d'Houdan , qui an(
81 )
nonce que le blé manque dans son marché
et qui supplie l'Assemblée de l'autoriser à
faire délivrer le sel au Peuple , à moitié du
prix courant.
M. le Comte de Clermont- Tonnerre a lu
une Motion de M. le Comte de Puissaye ,
Député du Perche , relative aux impôts , dont
le Peuple refuse de payer une grande partie .
Un Député de Langres a annoncé que le
Peuple de cette ville avoit refusé de payer les
impôts , et brûlé toutes les maisons des Collecteurs
. Des brigands s'étoient répandus dans
les campagnes voisines , et il prioit l'Assem-
Elée de rendre un décret , pour ordonner la
perception de tous les impôts . M. l'Evêque
de Langres a soutenu cette Motion , et l'Arrêté
correlatif proposé par le Préopinant .
Surquoi un Noble a observé qu'on ne
devoit pas insérer dans l'Arrêté ces mots - ci ,
le soulagement du Peuple , attendir que le déficit
et l'énorme dette de l'Etat ne permettoient
pas de prévoir quel seroit ce soulagement.
Un Député des Communes a ajouté que
le Peuple de sa province refusoit de payer
les droits de champart , etc. etc.
M. Duport : L'Arrêté du 15 devoit être envoyé
dans tous les villages. L'intempérie , et
les ravages commis par les brigands , ne permettoient
pas d'ordonner au Peuple de payer
tous les impôts établis , puisque ce seroit
exposer l'Assemblée a perdre le respect et la
confiance du Peuple ; évènement qui entraîneroit
les plus grands ma'heurs.
t
M. Fréteau a appuyé cet avis avec force.
La crainte de la disette étoit encore une raison
d'empêchement. L'Assemblée agiroit sagement
de remettre cette délibération ap
dv
( 82 )
autre jour. Il est indispensable a - t -il ajouté ,
que le pouvoir exécutif prenne des précautions
contre la dévastation des campagnes . Peut- être
les Communes seront obligées de marcher contre
les brigands ; on ne peut donc leur envoyer
un Arrêté pour les astreindre à payer
des impôts.
M. Duport a demandé et obtenu le renvoi
de sa Motion à un autre jour.
Du mercredi 29 JUILLET. Rapport de
P'extrait des Adresses et Lettres de différentes
villes. Parmi les Lettres lues , il s'en trouve
une du Chef des incendiaires de Londres en
1780 , de Lord George Gordon , écrivant de
Londres ( 1 )àl'Assemblée nationale de France,
et en anglois .
M. le Président a communiqué un paquet
de la Commission intermédiaire de Soissons ,
qui dément les crimes prétendus commis auprès
de Crépy , la fable des quatre mille brigands,
celle des blés fauchés en vert , et autres
sur lesquelles plusieurs Opinans avoient formé
la veille les plus sinistres conjectures .
M. de Grosbois , Député de la Noblesse de'
Besançon, et premier Président du Parlement
de Franche - Comté , a rendu compte de la
conduite de sa Compagnie , relativement à
la malheureuse affaite du château de Quincey ,
et a remis sur le Bureau l'Arrêté du Parlement
du 23 Juillet . Un de MM . Pes Secrétaires
en a fait lecture.
Ou plutôt de la prison de Newgate .
où ce Maniaque est renfermé depuis l'année
dernière.
( 839)
Extrait du registre des Délibérations du Par
lement, à la Séance du 23 Juillet 1789.
Ce jour , la Cour , les Chambres assemblées ,
après lecture faite de l'Arrêté de la précédente
Séance , qui a été approuvé , M. le
Président de Camus a fait lecture du Procèsverbal
dressé par MM. les Commissaires , à
l'exécution de l'Arrêt rendu à la précédente
Séance , contenant les raisons qui les ont
empêchés de donner suite à l'exécution dudit
Arrêt , et a proposé à Messieurs de délibérer .
La matière mise en délibération , il a été
arrêté que copies en forme dudit Procèsverbal
seront envoyées à M. le premier Pré- '
sident , en le priant et le chargeant de les
faire parvenir au Roi et à l'Assemblée nationale.
Arrêté en outre que M. le premier Président
demeureroit chargé expressément de supplier
le Roi et l'Assemblée nationale , de pourvoir
le plus promptement possible aux moyens
de faire cesser les désordres qui affligent la
Province , tels que des démolitions de cháteaux
, incendies de dépôts publics et d'archives
particulières ; attroupemens et excès
commis contre différentes personnes , soit
dans leurs domiciles , soit sur les chemins
publics , malgré tous les soins que l'autorité
civile et militaire et les communes des villes
y ont apporté jusqu'à présent.
La Cour a arrêté de plus que mondit sieur
le premier Président demeure chargé d'assurer
le Roi et l'Assemblée nationale , de sa confiance
la plus entière dans les mesures et les
moyens qu'ils croiront devoir employer pour
le bonheur de la Nation , et pour assurer à
tous les Citoyens la liberté et la sureté de
d vi
( 84 )
leurs personnes , ainsi que la propriété de
leurs biens , déclarant qu'elle attend et qu'elle
désire l'établissement de toutes lois et décrets
que leur sagesse leur dictera , auxquels
la Cour déclare qu'elle sera aussi inviolablement
attachée qu'elle l'a été jusqu'à présent
à celles dont l'exécution lui a été confiée .
Signé SEGUIN. En marge est écrit , Collationne
, signé CUPILLARD , avec paraphe.
M. de Puzi , l'un des Députés de la Noblesse
d'Amont , a représenté que , sans avoir
l'intention de porter atteinte à la confiance
que le Parlement témoignoit à l'Assemblée
il ne voyoit d'autre moyen à cette Cour de
calmer la fermentation de la Province . que
celui de Pabandon des principes d'un de ses
Arrêtés , où elle a soutenu 1º . que les Députés
doivent être choisis dans les Etats de la Province
; -2°. l'observation de la forme de 1614 ;
3. la convocation par Ordre ; 4°. la délibération
en Chambre séparée , et jamais en
commun ; 5°. que les Députés ne peuvent
innover dans la forme des Etats , si ce n'est
en vertu d'un mandat exprés de la Nation
entière , donné individuellement ; 6 °. que les
Etats- Généraux ne peuvent déroger aux immunités
de la Province , ni atténuer ses capitulations
; 7. que les impôts doivent être
consentis par les Etats de la Province , et enregistrés
au Parlement.
M. le Marquis de Toulongeon a ajouté que
les troubles augmentoient journellement dans
ta Franche-Comté : Vesoul étoit forcé , trois
abbayes détruites , onze châteaux renversés. i
Le Parlement avoit envoyé une Commission
qui n'a pas été reçue , parce qu'il ne jouit pas
de ce grand caractère nécessaire à toute Justice
, la confiance,
1
( 85 )
Un Arrêt a évoqué l'affaire de Quincey.
cet Arrêt est illégal : le coupable n'étant pas
connu , on ne pouvoit informer que du fait ,
dont la connoissance appartenoit aux Juges
naturels ; il est vrai qu'un nouvel Arrêt a rétracté
le premier , et leur a laissé l'instruction
de l'affaire. J'invoque sur ce point le
témoignage de M. le premier Président .
Ce Magistrat a déclaré n'avoir connoissance
que de l'Arrêté dont il vient d'être fait lecture.
Les détails de ce mystère et des désastres
survenus depuis à Luxeuil ont été renvoyés
au Comité de rapport.
Un Menibre ayant proposé que les pouvoirs
de tous les Députés fussent remis aux Archives
, cette Motion a passé après une légère
discussion.
On attendoit depuis plusieurs jours le Re-
Fiment de police intérieure , sans lequel les ?
defibérations de l'Assemblée resteroient privées
de cet ordre si nécessaire à l'économie
du temps , à celle des paroles , et à la dignité
d'un Corps législatif.
M. Rabaud de Saint- Etienne a fait la lecture
de ce Reglement , avec une partie des
changemens demandés par les Bureaux.
M. le Président a proposé de lire séparé
ment chaque chapitre , et d'approuver article
par article.
M. Bouche renvoyoit cette discussion aux
Bureaux , en les priant de nommer chacun
un Membre, qui se rendroit au Comité de rédaction
pour rédiger définitivement ce Reglement.
Un Curé a combattu l'article XX du ckapitre
IV, qui fixe la Majorité des suffrages
à la moitié plus un. Il a ensuite exposé des
r
( 86 )
réflexions sur l'article de la discussion et sur
la réduction des avis .
.
M. Bouche a prié l'Assemblée d'admettre
provisoirement le Réglement , opinion à laquelle
a accédé M. Fréteau.
M. le Marquis d'Avaray ayant voulu prendre
la parole , un Membre des Communes a observé
qu'il falloit auparavant délibérer sur la
Motion de M. Bouche.
M. le Président a prié l'Assemblée d'admettre
la Motion de M. Bouche , cu de discuter
le fond du Règlement.
M. de Mirabeau à entamé une argumentation
en faveur de la Majorité simple , mais
il a été interrompu , sans pouvoir reprendre
la parole , quoiqu'il ait insisté à différentes
reprises.
M. le Marquis d'Avaray a observé que ,
suivant le Réglement , les paquets et lettres
devoient être ouverts à l'Assemblée , tandis
qu'on avoit décidé de les renvoyer au Comité
de rapport.
Un Curé a proposé d'admettre provisoirement
le Réglement , à l'exception de l'article
de la Majorité des suffrages , et de celui de
la durée des Bureaux Il a lu quelques observations
relatives à la discussion , et au nombre
des voix nécessaires pour obtenir la Majorité.
M. Renaud a observé qu'il voyoit avec douleur
l'Assemblée perdre beaucoup de temps ,
et il a demandé que M. le Président fût prie
d'imposer silence à ceux qui s'éloigneroient
de la question.
le '
M. le Maire de Grasse a observé que
Règlement ayant déja été examiné dans les
Bureaux , il étoit inutile de l'y renvoyer de
nouveau ; que former un Comité pour en faire
la critique , ce travail éprouveroit des contra(
87 )
dictions et des longueurs ; que si on discu
toit dans l'Assemblée les articles , ce seroit
fairenaitre des débats qui emporteroient l'usage
d'un temps précieux , qui ne devoit être consacré
qu'au travail de la Constitution ; qu'il
paroîtroit plus sage d'adopter le Réglement ,
tel qu'il étoit proposé, provisoirement ou définitivement,
sauf d'y faire les changemens que
les circonstances et le temps feroient juger nécessaires.
Par ce moyen , on paroit aux vices
que le délai et les longueurs entraîneroient ,
et l'on se réservoit le droit de restreindre }
ou de supprimer certains articles ; car la meilleure
critique , la plus sage , est celle de l'expérience
.
M. de Mirabeau a manifesté le même sentiment
, et a réité , avec véhémence , le
Préopinant du Clergé , qui désiroit qu'on fixât
la Majorité des suffrages à 700 voix sur l'Assemblée
complète .
M Demeunier a opiné pour l'admission
du Règlement , à l'exception de l'article relatif
à l'impression des Motions. Il a rejeté
la Majorité graduée : à son avis , on devoie
imprimer seulement les Motions intéressantes
, supprimer l'article du recensement
des voix par sections , et délibérer dans la
forme adoptée jusqu'à présent.
M. Target a demand la Majorité à 601
voix , l'Assemblée étant entièrement complète
.
Suivant M. l'Evêque de Chartres , on ne
pourroit prendre aucune délibération , sile Règlement
n'étoit admis que provisoirement
parce que les résolutions paroîtroient aussi
précaires que les formes d'après lesquelles
on les auroit prises.
M. Target a relevé cet avis en soutenant
#
( 88 )
que l'expérience seule instruiroit l'Assemblée
des changemens à faire au Règlement .
M. le Chapelier a présenté des observations
sur l'article d'un Comité de quatre personnes
pour la révision du Procès -verbal , ce
qui retarderoit sa rédaction définitive de 24
heures. I désapprouvoit l'impression des Motions
et le recensement des voix , et concluoit
à l'admission provisoire du Règlement , à l'exception
de ces trois articles.
M. Lanjuinais a demandé l'admission du
Réglement , sauf à changer dans la suite les
articles que l'expérience indiqueroit , à l'exception
de celui de la Majorité des suffrages ,
qui doit être discuté et délibéré séparément
et des articles contestés par M. le Chapelier.
D'après ces débats , M. le Président a pro--
posé les quatre questions suivantes :
"
1. L'Assemblée désire-1 -elle prendre les
voix par assis et levé , et , en cas de doute ,
par l'appel , ou bien par la voix des recenseurs
?
La voie des recenseurs a été rejetée unanimement.
2º. L'Assemblée veut - elle créer un Comité
de quatre personnes pour la révision du Procès-
verbal ?
Ce Comité a été rejeté unanimement.
3. L'Assemblée est- elle d'avis de faire imprimer
les Motions qui traiteront de la Constitution
, de la Législation et des finances ?
Adopté unanimement
4. L'Assemblée vent-elle adopter la Majorité
établie par le Réglement , c'est - à-dire ,
la moitié , plus un , du nombre des votans ?
Sur cette question , souverainement importante
, les débats ont recommencé , et
d'abord par M. le Comte de Custines , qui
4
J
1
h
( 89 )
a demandé que tous les articles de la Constitution
n'eussent force de foi , que par la
votation générale des Députés .
M. de Bousmard : « Je ne prétends point
réveiller les idées d'Ordres ; il n'en existe plus
qu'on dans cette Assemblée , celui du bien
public. Pour décider la volonté générale , les
articles de la Constitution ne doivent passer
en loi , que lorsque la Majorité des Membres
auront donné leurs voix . »
M. le Chevalier de Bouflers : « Pour pré-
`venir l'inconvénient d'une Assemblée peu nom
breuse , il falloit déclarer qu'on ne pourroit
délibérer , que lorsque la Majorité de l'Assemblée
seroit présente ; de sorte que la Majorité
de la Majorité rendroit le décret. »
M. L'Evêque de Chartres a pressé la convenance
d'une plus nombreuse pluralité , pour
détruire les lois anciennes , que pour en creer
de nouvelles . Par conséquent , il falloit les
deux tiers des voix pour révoquer une loi
ancienne , et trois , en sus de la moitié , pour
en établir une nouvelle .
M. Péthion de Villeneuve , adoptant l'avis
de M. de Boufflers , en fixant à 500 le nombre
de Membres suffisant à une délibération ་
a combattu toute Majorité graduée , qui por
teroit obstacle à la réforme des abus , et frap
peroit de nullité une foule de délibérations
utiles.
M.Farget a discouru également en faveur
de la Majorité simple : telle étoit , suivant
cet Orateur , la règle de toute Assemblée délibérative
, Sans cela , on ne se détermineroit
jamais , et la prépondérance d'une seule voix
accélère les décisions .
Un Membre des Communes a exposé que ,
l'Assemblée étant essentiellement active , rien
( 90 )
ne pouvoit suspendre ses délibérations : à quoi
bon fixer le nombre des Membres , puisque
l'Assemblée pouvoit être regardée comme
complète , lorsque M. le President ouvroit
la Seance ? L'article du Règlement qui porte
à 200 ce nombre compétent , doit être - effacé
du Règlement.
M. de Mirabeau a repris contradictoirement
quelques - unes des opinions discutées , et d'abord
celle de M. l'Evêque de Chartres , dont
les doutes méritoient un examen .
Le principe de la Majorité graduée ' , a dit
l'Opinant, donneroit à la Minorite la puissance
de la Majorité ; la Minorité seule auroit de
la force et de l'action ; elle paralyseroit le plus
grand nombre , dont l'activité deviendroit inu .
tile ; effet contraire aux lois de toute Assem❤
blée délibérante. On a voulu placer la
Majorité dans la totalité des Représentans de
la Nation ; mais ce seroit nous jeter dans tous
les inconvéniens du reso de l'absence. Un petit
nombre peut s'entendre , et l'on n'auroit pas
même l'espoir de les convertir.
Il est de principe que toute l'Assemblée doit
au moins , pour agir , être composée d'un certain
nombre . Toutes les Assemblées politiques
de l'Europe ont consacré cet usage , et le reglement
l'a conservé , en fixant ce nombre à
deux cents personnes .
Les Anglois , dont nous sommes les imitateurs
, ont composé leur Parlement de cinq
cents personnes ( 1 ) , et il ne peut être pris
aucuné délibération , que le nombre des votans
ne soit de cinquante. Si cinquante suffisent sur
(1 ) 545.
( 91 )
einq cents , à plus forte raison deux cents
suffisent pour douze cents .
M. le Président a invité ceux qui adoptoient
l'Amendement de M. de Bouflers , à se lever.
L'Amendement a été rejeté , et l'article du
Réglement confirmé.
Ensuite , M. le Président a prié l'Assemblée
de déclarer si la Majorité , pour la Constitu
tion et la Législation générale , seroit la
même que pour les autres objets de délibération.
Un Membre de la Noblesse a observé qu'on
ne présenteroit jamais à l'Assemblée une délibération
aussi intéressante , et que par con.
séquent elle méritoit la plus grande attention .
La Majorité pure et simple seroit fort dangéreuse
pour les impôts et les intérêts des
provinces. Il a supplié l'Assemblée de réser- ·
ver exclusivement ce mode pour la Constitution
et la législation.
«
"
M. L'Archevêque d'Aix a terminé les débats,
en disant : « Mes observations sont un
hommage que je rends à la sagesse du Règlement
; dans toute Assemblée nationale ,
la volonte générale est connue par la ple-
« ralité . Nous ne sommes pas de simples Dé-
« libérans ; nous cherchons , nous portons le
« voeu général ; Citoyens de toute la France ,
« réunis de toutes les provinces , nous venons
« dire, dans cette Assemblée, que telle est l'o
K
pinion de la province ou de la Nation . Il
« est dans la nature d'une Assemblée de Re-
" présentans , d'opiner à la pluralité simple ;
« une autre loi auroit une foule d'inconvé-
" niens , dont l'arbitraire seroit le moindre. »
M. le Président a demandé : L'article du
Règlement qui fixe la majorité à une voix
( 92 )
1
au-dessus de la moitié , sera-t-il adopté dans
tous les cas?
Cet avis a été adopté généralement , puisqu'on
n'a remarqué que quatre à cinq opposans.
M. le Président a dit ensuite : Le Reglement
sera-t-il adopté des- à- present, sauf les changemens
que l'expérience fera trouver nécessaires
?
Admis unanimement,
Une députation de l'Université de Paris est
entrée ; M. Dumouchet , Recteur , a prononcé
un discours , et remis l'extrait des Registres de
P'Université , dont M. Grégoire a fait lecture .
M. le Président a répondu au Recteur.
La députation des Commissaires- Généraux
des Députés des bureaux des Finances du
Royaume est entrée , a harangué l'Assemblee
, et a reçu une réponse de la bouche,
de M. le Président.
La députation de l'Election de Paris a
paru ensuite , a parlé , et a reçu une réponse.
La Séance a pris un degré d'intérêt bien
supérieur à celui de ces protocoles d'étiquette ,
lorsque M. le Président a annoncé que
M. Necker lui faisoit demander l'agrément
de venir porter à l'Assemblée l'hommage
de son respect et de sa reconnoissance.
Un instant après , M. Necker est entré , con
duit par M. l'Archevêque de Bordeaux ; .et passé
dans l'enceinte , l'Aassemblée et les spectateurs
lui ont à peine donné temps de prononcer
la phrase suivante , au milieu des
plus vifs applaudissemens :
MESSIEURS ,
Je m'empresse de témoigner à cette au(
93 )
• guste Assemblée mes sentimens de recon-
» noissance pour les marques d'intérêt et de
» bonté dont elle m'a honoré. Elle m'a im-
» posé de grands devoirs ; mais c'est en me
" pénétrant de ses sentimens et de ses lumières,
» que je puis conserver un peu de courage.
14
M. le Duc de Liancourt a répondu
par un discours , aux sentimens duquel
l'Assemblée a applaudi avec éclat , et
dans lequel on distingue cette phrase ingénieuse.
« Quelle époque plus heureuse pour établir
la responsabilité des Ministres , cette précieuse
sauve-garde de la liberté , ce rempart certain
contre le despotisme , que celle où le premier
qui s'y soumettra , p'aura de compte à rendre
à la Nation que celui de ses talens et de
ses vertus ! »
L'arrivée d'une Députation de la ville
de la Flèche , sa harangue , et la réponse
de M. le Président ont terminé la Séance
à trois heures.
Du jeudi 30 JUILLET. Les Bureaux seuls
ont siégé dans la matinée. Le soir , Assem→
blée générale où l'on a reçu quelques infor
mations du Comité de Rapport. La plus importante
rouloit sur le Placet et le Procèsverbal
des Officiers Municipaux de Dun en
Clermontois : la Police de cette ville a fait
arrêter un équipage de voitures , de chevaux
et de domestiques , suspects d'appartenir à M.
le Prince de Lambesc. Leur restitution ayant
été réclame par M. le Barond Hauteville, Colonel-
Commandant du Régiment de Royal- Al(
94 )
lemand, le sort de ces etlets restoit suspendu ,
jusqu'à la décision de l'Assemblée. Elle a renvoyé
cette affaire au Ministre de la Guerre .
Le Réglement de Police , adopté hier , avoit
limité les Assemblées générales à deux par
semaines , les autres jours devant être laissés
aux discussions plus froides par Bureaux , Cependant
, M. Bouche s'est élevé contre cet
article de Police , contre les inconvéniens des
Bureaux , où les opinions s'atténuent et se
subordonnent davantage à la déférence des
noms ou des qualités. Cette Motion a été
renvoyée au lendemain , conformément au
Statut du Réglement qui exige deux jours
pour l'exposé d'une Motion et pour sa déci
sion .
pour
On a lu le résultat du recensement des
voix la formation du Comité de Rapport
et de celui d'Information. Le premi'r
est composé des Députés suivans : chaque
Bureau a fourni un de ses Membres.
MM. le Comte de Tessé, Grangier , Salomon,
Secrétaire ; Alquier , le Baron de Marguerite,
le Marquis de Fumel, le Comte de
Crillon, l'Evêque de Saint -Flour , Vice Président
; le Chevalier de Bouflers , Regnier ,
Prugnon , l'Abbé d'Eymar , le Comte d'Entraigues
, le Duc de Villequier , Laire , Gros ,
Beaume , le Duc de Praslin , Président ; le
Prince de Broglie , Camus , remplacé par
Ivernault, Bévière, Chaillon , Babey, Regnaud
de Saintonge , Secrétaire ; du Cellier, Dinochau
, le Noir de la Roche , de Tracy , Arnoult
, l'Abbé de Montesquiou.
COMITÉ D'INFORMATION
.
Due MM. Luport , l'Evêque de Chartres ,
de la Rochefoucault , du Glezen , Fréteau ,
95 )
Tronchet , Reubell , Dandré , Comte de
Virieu , Camus , Bouche , Péthion de Ville
neuve.
Lecture faite des Frocès- verbaux des Séaances
des 29 & 30 juillet. Les Députés du Périgord ont
remis fur le bureau la Renonciation de la ville de
Sarlat , à l'abonnement de la taille , qui leur avoit
été accordé par Charles VII.
M. le Préfident a fait lire des lettres qu'il
avoit reçues , dans la nuit , de l'Hôtel - de- Ville de
Faris, & différens arrêtés de ce Corps , à l'oc
cafion de M. de Befenval, appréhendé à Villenaux ,
& détenu .
M. le Comte de Lally a lu le discours de M.
Necker , à l'Hôtel-de-Ville ; & M. Target a pro
polé un Arrêté , par lequel l'Affemblée déclare
qu'elle perſiſte dans fes Arrêtés , relatifs au procès
des criminels de Lèfe-Nation,
Une députation du district des Plancs- Manteaux
a paru à la barre. M. Godard , portant la parole ,
a prononcé un discours sage & nerveux qu'il
a terminé par la lecture des Arrêtés de l'ôtelde
Ville & du dit ict des Blancs - Manteaux .
M. Camus : Pour calmer Paris , il falloit
donner une communicain officielle de l'Arrêté
a prendre , à l'Hôtel- de - Ville , & au peuple. La
conduite de l'Harel- de- Ville étant blâmée , ce
Corps n'excédera plus fes pouvoirs , & le penple
fera content. Envoyer une dépuration à Paris
pour notifier l'Arrêté , & s'affurer de la perfonne
comme des papiers de M. de Béfenval.
Je ne m'oppofe pas , a dit M. Mounier , à се
qu'on'envole aux diftri&ts l'arrêté du 28 , par lequel
on a établi le Comité des recherches , au fujet
des délits qui intéreffent la fur té de l'état ;
mais vous ne devez pas , pour rétablir le calme
dans Paris , abandonner les principes facrés qui
( 96 )
protegent la liberté perfoanelle. La pourſuite
des crimes contre la Nation ne concerne aucune
ville , aucune province particulière du
Royaume ; elle appartient à ceux qui la repréfentent
aucun emprifonnement ne peut ê re fait
que fur votre réquilition ; & quand cette pourfuite
re vous appartiendroit pas , je demande
s'il peut être permis d'emprifonner un citoyen ,
à moins qu'il ne foit pris en flagrant délit , cu
qu'étant accufé légalement , il n'y ait contre lui
des preuves fuffifantes pour le faire préfumer
coupable. Vairement parle a-t-on de clameur pu
blique ; ces mots font mal entendus : la c'ameur
publique qui peut autor:fer un emprionnym nt ,
eft celle qui pourſuit un criminel , pour l'arrê
ter lorfqu'on vient de le voir commettre le crime.
Si l'on appeellllee clameur publique un buit populaire
, un foupçon , quel citoyen comptera fur la
liberté que nous fommes chargés de défendre ?
L
M. de Mirabeau a per fe qu'on ne pouvoit
amener un calme parfait dans Paris , avant que
les Comités des Districts , & celui des Electeurs
ne fuffent d'accord ; encore moins prononcer
le mot d'amniftie , & donner la liberté à aucun
prifonnier avant leur agement. La c'émence aprtient
au Roi feul ; ffemblée ni perfenne
P
n'a le droit d'innocenter. Pour rendre le calme
à la capitale , il faut fconder ceux qui propofent
des plans de Municipali é . A la Morion de M.
Target , on devoit jindre une Déclaration pour
fixer les droits du Comité des 120 Repréfentars
de la Commune , & ceux des Electeurs..
M. de Volney: L'Affemblée doit blâmer le pardon
accordé par les Electeurs ; i'Hôtel - de - Ville ,
qui représente légalement la Commune de Paris ,
n'avoit le droit d'envoyer un courrier faire
pas pour
relâcher M. de Béfenval. L'Affemblée Nationa'e
eft
( 97 )
I
ent liée depuis l'Arrête qui a créé le Comité d'Ins
truction. La démarche de la Mucipalité mérite
une cenfure , pour calmer le peuple. On ne peut
fuivre les formes ordinaires de dénonciation. La
clameur publique eft donc une dénonciation fuffiante.
L'Affemblée doit déclarer que la Muricipalité
de Paris n'avoit pas eu le droit d'enfreinun
Arrêté de l'Affemble Nationale , & lui enjoindre
ainfi qu'aux Electeurs , d'a-nuller leurs Arrêtés.
Il faut établir dans la Capitale une unité
de pouvoirs.
M. le Comte de Lally- Tokndal a parlé éoquemment
en faveur de la c'émence . Son projet
avoit été de propofer us Arrêté pour confi mer
celui des Ele&teurs ; mais comme cet Arrêté eſt
révoqué , l'Affemblée doit déc arer qu'elle regrette
beaucoup qu'il n'ait pu être mis à exécu
tion. L'Orateur s'eft fort récrié contre les opinions
de M. deMirabeau , & de quelques autres , en priant
l'Affemblée d'approuver l'Arrêté de l'Hôtel-de-
Ville. Il a voté pour la Motion de M. Target ,
& l'amendement de M. Mounier.
M. de Clermont- Tonnerre a manifefté les mêmes
fentimens.
Une députation des Communes de Paris at
paru à la barre. On a voulà faire ettrer M.
Baily dans l'intérieur , mais un grand nombre
de Membres de l'ATemblée s'y font opposés.
M. Bailly; a dit « C'est vous , Meffieurs , qui
» m'avez défigné à mes concitoyens ; ce font
» mes concitoyens qui me ramènent aujou d'nui
dans votre fein : heure 1x > d'être dépofitaire de
» vos fentimens réciproques , & de me voir au
» milieu de vous . »
M. Joly a rendu compte de tous les fits qui
s'étaient pas à Paris , dans la journée du jeudi ,
& dans la nui : fuivante.
Supplément au Nº. 32.
e
( 98 )
On a fait l'appel des voix pour la Motion
propofée la veille par M. Bouche , tendante à
fixer une Affemblée générale tous les jours :
elle a eu 588 voix , contre 296.
On a repris la difcuffion de l'Arrêté de M.
Target au fujet de la détention de M. de Béfenval.
Cet Arrêté , corrigé par fon Auteur , & modifié
par M. le Chapelier, est devenu celui de l'Affemblée
. En voici la teneur :
« Après avoir entendu le rapport des Députés
des Repréfentans de la Commune , & des Députés
du Diftrict de Blancs - Manteaux , l'Affemblée
nationale déclare qu'elle approuve l'explication
donnée par les Electeurs de Paris à leur Arrêté
pris le matin du 30 Juillet ; que fi un Peuple.
généreux & humain doit s'interdire pour toujours
les profcriptions , les Repréfentans de la Nation
font ftrictement obligés de faire juger & punir
ceux qui feroient accufés , & convaincus d'avoir
attenté au falut de l'Etat , à la liberté & au repos
public : en conféquence , l'Affemblée nationale perfifte
dans fes précédens Arrêtés relatifs à la refponfabilité
des Miniftres & Agens du pouvoir
exécutif, à l'établiffement d'un Tribunal qui prononcera
, & d'un Comité deftiné à recueillir les
indications , les inftructions & renfeignemens qui
pourroient lui être envoyés. »
« L'Affemblée nationale déclare en outre , que
la perfonne du Baron de Béfenval , fi elle eft encore
détenue , doit être remiſe en lieu sûr & fous
une garde fuffifante , dans la ville la plus prochaine
du lieu où il aura été arrêté , & que qui
que ce foit ne peut attenter à la perfonne dudit
Baron de Béfenval , qui eft fous la garde de la
Loi. "
Du famedipremier AOUT. Cette Séance a principalement
été remplie par l'examen de la ques
( 99 )
tion : Si Pon mettreit , ou non , une Déclaration des
droits de l'homme & du Citoyen en tête de la Cons
tut on. Un affez g and nombre de Membres ont
agte la queftion en diérens sens : plus de 40
Députés avoient demandé la parole fur le même
fujet , dont l'ultérieure difcuffion a été renvoyée
à lundi prochain.
S
( Nous reviendrons fur les détails de cette
Seance ) .
Au fortir de l'Affemblée , on a procédé , dans
les Bureaux , à la nomination d'un Préſident , M.
le Duc de Liancourt , étant au terme de cs fonctions.
Par le recenfement des voix l'après - dinée ,
la Majorité des fuffrages paroi /oit fixée en faveur
de M. Thouret , Député de Rouen.
Supplément au Rapport des Séances
de l'ASSEMBLÉE NATIONALE.
Pour ne pas interrompre le Journal
des délibérations , nous avons préféré de
donner , séparément , quelques morceaux
trop longs pour y être incorporés. De
ce nombre , sont les premiers Rapports
relatifs à la Constitution projetée . M.
Mounier , dont le travail est empreint
du caractère de sagesse qui accompagne
les véritables connoissances , et de cette
pénétration qui sait discerner les limites .
où les vérités ne sont plus que des paradoxes
philosophiques et des jeux d'esprit ;
M. Mounier, disons-nous , donna , il
y a trois semaines , une esquisse générale
des lois à faire. Cette préface intéressante
devant se retrouver , probae
ij
336645
( ) 100
blement , dans le travail subséquent de
l'Auteur , nous l'omettrons aujourd'hui ,
pour éviter de doubles emplois.
M. l'Abbé Sieyes , aussi Membre du
Comité dé Rédaction , a publié , depuis ,
des Préliminaires de Constitution ;
c'est un Traité abstrait des principes
primitifs de la Société civile , exposés
par plusieurs philosophes du premier
mérite.
Nous redescendrons de ces hauteurs
pour exposer les vérités plus positives ,
plus voisines de nous , plus applicables.
à nos temps , qu'ont développé M. l'Ar
chevêque de Bordeaux , et M. de Cler
mont-Tonnerre et M. Mounier , dans
les rapports lus aux Séances d'Assemblée
générale , les 27 et 28 juillet.
A la suite d'un préambule oratoire
qu'on pourroit aussi considérer comme
une introduction , M. l'Archevêque de
Bordeaux présente à l'attention de l'Assemblée
et du Public , les deux grandes
questions suivantes :
On demande d'abord si le corps législatif
sera périodique ou permanent.
Le grand nombre des caliers , il faut l'avouer
, ne parle que de la priodicité , et
nous ne vous dissimulerons cependant pas, que
Popinion unanime du Comité est pour la permanence.
Nous avons pensé que le pouvoir législatif
ne pouvoit être , sans danger , condamné au
2
TET
"
13
E
!
( roi )
silence et à l'inaction pendant aucun intervalle
de temps ; que lui seul a le droit d'interpréter
ou de suppléer les lois qu'il a por
tées ; que se reposer sur le pouvoir exécutif
de cette double fonction , ce seroit compli
quer ensemble deux forces que l'intérêt publie
exige que l'on sépare ; que commietire
cette autorité à des Corps , ce seroit , par un
plus grand malheur encore , exposer , tout àla-
fois , et le pouvoir exécutif, et le pouvoir
législatif à une invasion redoutable de leur
part ; qu'enfin , ce pouvoir ne pouvant s'exercer
par délégation d'aucun genre , et devant
néanmoins être actif, il restoit uniquement
à rendre permanente l'Assembée à laquelle il
appartient de le faire agir.
Ce n'est pas qu'aucun de nous ait pensé
que cette Assemblée dût être perpétuelle ,
mais seulement toujours en mesure de se former,
toujours continuant ses lances , et ne
se renouvelant que dans ses membres , que
dans une proportion de nombre et de temps
qu'il paroîtra convenable de fixer .
Notre opinion n'est pas également arrêtée
sur la composition même du Corps legislatif:
sera-t - il constitué en une seule Chambre , ou
en plusieurs ?
Les personnes qui sont attachées au sys
tême d'une Chambre unique , peuvent s'appuyer,
avec une juste confiance , sur l'exemple
de celle dans laquelle nous sommes réunis ,
et dont les heureux effets sont déja si sensibles
. Elles alléguent encore que c'est la volonté
commune qui doit faire la loi , et qu'elle
ne se montre jamais mieux que dans une
seule Chambre ; que tout partage du Corps
législatif , en rompant son unité , rendroit
souvent impossibles les meilleures institutions,
e iij ·
( 102 )
les réformes les plus salutaires ; qu'il introduiroit
, dans le sein de la Nation , un état de
lutte et de combat , dont l'inertie politique ,
ou de funestes divisions pourroient résulter;
qu'il exposeroit aux dangers d'une nouvelle
aristocratie que le voeu , comme l'intérêt national
, est d'écarter.
D'autres , au contraire , soutiennent que le
partage du Corps législatif en deux Chambres
est nécessaire. Qu'à la vérité , dans le moment
d'une régénération , on a dû préférer
l'existence d'une seule Chambre ; qu'il falloit
se prémunir contre les obstacles de tout genre
dont nous étions environnés ; mais que deux
Chambres seront indispensables pour la conservation
et la stabilité de la Constitution
que vous aurez déterminée ; qu'il faut deux
Chambres pour prévenir toute surprise et
toute précipitation , pour assurer la maturité
des Délibérans ; que l'intervention du Roi ,
dans la législation , seroit vaine , illusoire et
sans force contre la masse irrésistible des volontés
nationales portées par une seule Chambre
; que devant tendre sur- tout à fonder
une Constitution solide et durable , nous devons
nous garder de tout systême qui , en
réservant toute la réalité de l'influence au
Corps législatif , intéresseroit le Monarque à
saisir les occasions de la modifier , et exposeroit
l'Empire à de nouvelles convulsions.
Que l'activité du Corps législatif, en accélérant
sa marche sans utilité , l'expose à des
résolutions trop subites , inspirées par une
éloquence entraînante , ou par la chaleur des
opinions , ou enfin par des intrigues étrangères
, excitées par les Ministres , ou dirigées
contre eux; que ces résolutions précipitées
conduiroient bientôt au despotisme ou à l'a(
103 )
narchie ; que l'exemple de l'Angleterre , et
même celui de l'Amérique , démontrent l'utilité
de deux Chambres , et répondent suffisamment
aux objections fondées sur la crainte
de leurs inconvéniens . Ils ajoutent néanmoins
qu'en partageant le Corps législatif en deux
Chambres , ce doit être sans egards aux distinctions
d'Ordre ,. qui pourroient ramener les
dangers d'autant plus redoutables de l'aristocratie
, qu'ils auroient le sceau de la légafité
, mais faisant ressortir leur différence de
l'influence que l'on attribueroit à chacune
d'elle , et de la nature même de leur Constitution
.
Le rapport de M. de Clermont-Tonnere
contient , en ces termes , le résumé
des cahiers relatifs à la Constitution.
Nos Commettans , Messieurs , sont tous
d'accord sur un point : ils veulent la régénération
de l'Etat ; mais les uns l'ont attendue
de la simple réforme des abus et du rétablissement
d'une Constitution existant depuis
quatorze siècles , et qui leur a paru pouvoir
revivre encore , si l'on réparoit les outrages
que lui ont fait le temps et les nombreuses
insurrections de l'intérêt personnel contre
l'intérêt public .
D'autres ont regardé le régime social existant
comme tellement vicié , qu'ils ont demandé
une Constitution nouvelle , et qu'à
Pexception du Gouvernement et des formes
monarchiques , qu'il est dans le coeur de tout
François de chérir et de respecter , et qu'ils
Vous ont ordonné de maintenir , ils vous ont
donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer
une Constitution , et asseoir sur des principes
e iv
( 104 )
certas, et sur la distinction et constitution
régulière de tous les pouvoirs , la prospérité
de l'Empire François . Ceux - là , Messieurs
ont cru que le premier chapitre de la Consti
tution devoit contenir la Déclaration des droits
de l'homme ; de ces droits imprescriptibles ,
pour le maintien desquels la Société fut
établie.
La demande de cette Déclaration des droits
de l'homme , si constamment méconnus , est ,
pour ainsi dire , la seule différence qui existe
entre les cahiers qui désirent une Constitution
nouvelle , et ceux qui ne demandent que
le rétablissement de ce qu'ils regardent comme
la Constitution existante.
Les uns et les autres ont également fixé
leurs idées sur les principes du Gouvernement
Monarchique , sur l'existence du pouvoir et
sur l'organisation du Corps législatif, sur la
nécessité du consentement national à l'impôt ,
sur l'organisation des Corps administratifs , et
sur les droits des Citoyens.
Nous allons , Messieurs , parcourir ces divers
objets , et vous offrir sur chacun d'eux , comme
décisions , les résultats uniformes ; et comme
questions à examiner , les résultats différens
ou contradictoires , que nous ont présenté
ceux de vos cahiers dont il nous a été possible
de faire ou de nous procurer le dépouillement.
1 ° . Le Gouvernement Monarchique , l'inviolabilité
de la personne sacrée du Roi , et
l'hérédité de la Couronne de mâle en mâle ,
sont également reconnus et consacrés par le
plus grand nombre des caliers , et ne sont
mis en question dans aucun.
2º. Le Roi est également reconnu comme
( 105 )
dépositaire de toute la plénitude du pouvoir
exécutif.
3º. La responsabilité de tous les Agens de
l'autorité est demandée généralement.
4°. Quelques cahiers reconnoissent au Roi
le pouvoir législatif, limité par les Lois constitutionnelles
et fondamentales du Royaume ;
d'autres reconnoissent que le Roi , dans l'intervalle
d'une l'Assemblée Etats - Généraux
à l'autre , peut faire seul les Lois de police
et d'administration , qui ne seront que provisoires
, et pour lesquelles ils exigent l'enre
gistrement libre dans les Cours Souveraines .
Un Bailliage a même exigé que l'enregistrement
ne pût avoir lieu qu'avec le consentement
des deux tiers des Commissions intermédiaires
des Assemblées de District.
Le plus grand nombre des cahiers reconnoît
-la nécessité de la sanction Royale pour la promulgation
des Lois.
Quant au pouvoir législatif, la pluralité des
cahiers le reconnoît comme résident dans la
la Représentation nationale , sous la clause de
sanction Royale ; et il paroît que cette maxime
ancienne des Capitulaires , lex fit consensu
Populi et constitutione Regis , est presque
généralement consacrée par vos Commettans .
Quant à l'organisation de la Représentation
nationale , les questions sur lesquelles
vous avez à prononcer , se rapportent à la
convocation , ou à la durée , où à la composition
de la Représentation nationale , ou au
mode de délibération que lui proposoient vos
Commettans.
Quant à la convocation , les uns ont déclaré
que les Etats - Généraux ne pouvoient être
dissous que par eux-mêmes ; les autres , que
e v
( 106 )
le droit de convoquer , proroger et dissoudre ,
appartenoit au Roi , sous la seule condition ,
en cas de dissolution , de faire sur- le- champ
une nouvelle convocation .
Quant à la durée , les uns ont demandé la
périodicité des Etats - Généraux , et ils ont
voulu que le retour périodique ne dépendît
ni des volontés ni de l'intérêt des dépositaires
de l'autorité ; d'autres , mais en plus
petit nombre , ont demandé la permanence
des Etats- Généraux , de manière que la séparation
des Membres n'entraînât pas la dissolution
des Etats.
Le systême de la périodicité a fait naître
une seconde question : y aura-t- il , ou n'y aurat-
il pas de Commission
intermédiaire
pendant
l'intervalle des Séances ? La Majorité de vos Commettans
a regardé l'établissement
d'une
Commission
intermédiaire
comme un établissement
dangereux .
Quant à la composition , les uns ont tenu
à la séparation des trois Ordres ; mais , à cet
égard , l'extension des pouvoirs qu'ont déja
obienne plusieurs Représentans , laisse sans
doute une plus grande latitude pour la solu- .
tion de cette question
Quelques Bailliages ont demandé la réunion
des deux premiers Ordres dans une même
Chambre ; d'autres , la suppression du Clergé
et la division de ses Membres dans les deux
antres Ordres ; d'autres , que la Représentation
de la Noblesse fût double de celle du
Clergé , et que toutes deux réunies fussent
égales à celle des Communes .
Un Bailliage , en demandant la réunion des
deux premiers Ordres , a demandé Pétablissement
d'un troisième , sous le titre d'Ordre
de Campagnes : il a été également demandé
( 107 )
que toute personne exerçant charge , emploi
ou place à la Cour , ne pût pas éire députée
aux Etats- Généraux ; enfin , l'inviolabilité de
la personne des Députés est reconnue par le
plus grand nombre des Bailliages , et n'est
contestée par aucun. Quant an mode de délibération
, la question de l'opinion par tête
et de l'opinion par Ordre est résolue ; quelques
Bailliages demandent les deux tiers des
opinions pour former une résolution .
La nécessité du consentement national à
l'Impôt est généralement reconnue par vos
Commettans , établie par tous vos cahiers :
tous bornent la durée de l'impôt au terme
que vous lui aurez fixé , terme qui ne pourra
jamais s'étendre au-delà d'une tenue à l'autre
; et cette clause impérative a paru à
tous vos Commettans le garant le plus sûr
de la perpétuité de vos Assemblées Nationales.
L'Emprunt n'étant qu'un impôt indirect ,
leur a paru devoir être assujetti aux mêmes
principes.
Quelques Bailliages ont excepté des impôts
à terme , ceux qui auroient pour objet la
liquidation de la dette Nationale , et ont cru
qu'ils devoient être perçus jusqu'à son entière .
extinction.
Quant aux Corps administratifs , ou Etats
Provinciaux , to s les Cahiers vous demandent
leur établissement , et la plupart s'en
rapportent à votre sagesse sur leur organisation.
Enfin , les droits des Citoyens , la liberté.
la propriété sont réclamées avec force par
toute la Nation Françoise. Elle réclame , pour
chacun de ses Membres , l'inviolabilité des
propriétés particulières , comme elle réclam
pour elle-même l'inviolabilité de la propriété
e vi
( 108 )
•
publique ; elle réclame , dans toute son étens
due , la liberté individuelle , comme elle vient
d'établir à jamais la liberté Nationale ; elle
réclame la liberté de la Presse , ou la libre
communication des pensées ; elle s'élève avec
indignation contre les lettres -de-cachet qui
disposoient arbitrairement des personnes , et
contre la violation du secret de la Poste , l'une
des plus absurdes et des plus infâmes inventions
du despotisme.
Au milieu de ce concours de réclamations ,
nous avons remarqué , Messieurs , quelques
modifications particulières , relatives et aux
Lettres-de-cachet et à la liberté de la Presse.
Vous les peserez dans votre sagesse , vous
rassurerez sans doute ce sentiment de l'honneur
François , qui , par son horreur pour
la honte , à quelquefois méconnu la justice ,
et qui mettra sans donte autant d'empressement
à se soumettre à la Loi , lorsqu'elle commandera
aux forts , qu'il en mettoit à s'y
soustraire , lorsqu'elle ne pesoit que sur le
foible . Vous calmerez les inquiétudes de la
religion , si souvent outragée par des libelles
dans le temps du régime prohibitif; et le
Clergé se rappelant que la licence fut longtemps
la compagne de l'esclavage , reconnoîtra
lui-même que le premier et le naturel
effet de la liberté , est le retour de l'ordre ,
de la décence et du respect pour les objets
de la vénération publique.
Tel est , Messieurs , le compte que votre
Comité a cru devoir vous rendre de la partie
de vos cahiers qui traite de la Constitution ;
yous y trouverez sans doute toutes les pierres
fondamentales de l'édifice que vous êtes chargés
d'élever à toute sa hauteur , mais vous
y désir orez peut - être cet ordre , cet ensem
( 109 )
ble de combinaisons politiques , sans lesquelles
le régime social présentera toujours
de nombreuses défectuosités. Les pouvoirs y
sont indiqués , mais ne sont pas encore distingués
avec la précision nécessaire . L'organisation
de la Représentation Nationale
n'y est pas suffisamment établie ; les principes
de l'eligibilité n'y sont point posés : c'est
de votre travail que naîtront ces résultats.
La Nation a voulu être libre , et c'est vous
qu'elle a chargés de son affranchissement :
le Génie de la France a précipité , pour ainsi
dire , la marche de l'esprit public ; il a accumulé
pour vous , en peu d'heures , Texpérience
que l'on pouvoit à peine attendre de
plusieurs siècles . Vous pouvez , Messieurs ,
donner une Conftitution à la France ; le Roi
et le Peuple la demandent : l'am et l'autre
l'ont méritée.
Résultat du dépouillement des Cahiers.
PRINCIPES A VOUÉ S.
ART . I. Le Gouvernement François est un
Gouvernement vlonarchique.
II. La personne du Roi est inviolable et
sacrée .
III. Sa Couronne est héréditaire de mâle
en måle.
IV . Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
V. Les Agens de l'autorité sont responsables.
( 110 )
VI. La sanction Royale est nécessaire pour
la promulgation des Lois.
VII. La Nation fait la Loi avec la sanction
Royale.
VIII. Le consentement national est nécessaire
à l'emprunt et à l'impôt.
IX . L'impôt ne peut être accordé que d'une
tenue d'Etats- Généraux à l'autre .
X. La propriété sera sacrée .
XI. La liberté individuelle sera sacrée .
Questions sur lesquelles l'universalité
des Cahiers ne s'est point expliquée
d'une manière uniforme.
ART. I. Le Roi a -t-il le pouvoir législatif,
limité par les Lois constitutionnelles du
Royaume ?
II. Le Roi peut-il faire seul des Lois proyisoires
de Police et d'Administration , dars
Kintervalle des tenues des Etats - Généraux ?
III. Ces Lois seront - elles soumises à l'enregistrement
libre des Cours Souveraines ?
IV. Les Etats - Généraux ne peuvent- ils être
dissous que par eux- mêmes ?
V. Le Roi peut-il seul convoquer , proroger
et dissoudre les Etats -Généraux ?
VI . En cas de dissolution , le Roi est - il
obligé de faire sur-le- champ une nouvelle
convocation ?
VII . Les Etats- Généraux seront - ils permanens
ou périodiques ?
VIII. S'ils sont périodiques , y aura-t- il ,
( 111 )
ou n'y aura- t- il pas une Commission intermédiaire
?
IX. Les deux premiers Ordres seront - ils
réunis daus une même Chambre ?
X. Les deux Chambres seront- elles formées
sans distinction d'Ordre ?
XI. Les Membres de l'Ordre du Clergé
ils répartis dans les deux autres
- seront
Ordres ?
XII. La Représentation du Clergé , de la
Noblesse et des Communes sera - t - elle dans la
proportion d'une , deux et trois ?
XIII. Sera-t-il établi un troisième Ordre ,
sous le titre d'Ordre des Campagnes ?
XIV. Les personnes possédant charges
emplois ou places à la Cour , peuvent - elles
être députées aux Etats- Généraux ?
XV. Les deux tiers des voix seront- ils nécessaires
pour former une résolution ?
XVI. Les impôts ayant pour objet la liquidation
de la dette nationale , seront- ils perçus
jusqu'à son entière extinction ?
XVII. Les Lettres d -cachet seront- elles
abolies on modifiées ?
XVIII. La liberté de la Presse sera-t- elle
indéfinie ou modifiée ?
Suite du Supplément aux Etats-
Généraux.
Le projet des premiers articles de la
Constitution , lu dans la Séance du 28
juillet , par M. Mounier , a des rapports
frappans , quoiqu'incomplets , avec la
Constitution Britannique. Voici ce
( 112 )
morceau , rédigé avec autant de préci
sion que de clarté :
Nous , les Représentans de la Nation Françoise
, convoqués par le Roi , réunis en Assemblée
Nationale , en vertu des pouvoirs qui
nous ont été confiés par les Citoyens de toutes
les Classes , chargés par eux spécialement de
fixer la Constitution de la France , et d'assurer
la prospérité publique ; déclarons et établissons
par l'autorité de nos Commettans
comme Constitution de l'Empire François
les maximes et règles fondamentales et la
forme du Gouvernement , telles qu'elles seront
ci-après exprimées et lorsqu'elles auront
été reconnues et ratifiées par le Roi, on
ne pourra changer ancun des articles qu'elles
renferment , si ce n'est par les moyens qu'elles
auront déterminés .
CHAPITRE PREMIER .
Déclaration des droits de l'Homme et du
Citoyen.
ART. I. Tous les hommes oat un penchant invincible
vers la recherche du bonheur ; c'eſt , por
y parvenir par la réunion de leurs efforts ' , qu'ils
ont formé des fociétés et établi des gouvernemens.
Tout Gouvernement doit donc avoir pour
but la félicité générale .
II. Las confiquences qui réfaltent de cette vérité
incontable fort , que le gouvernement
exifte pour l'intérêt de ceux qui fout gouvernés ,
& non de ceux qui gouvernent ; qu'aucune fonction
publique re- peut êre confidézés comme la
proprié de ceux qui l'exercent ; que le prixcipe
de toute fouveraineté réfide dans la Nation , et
( 113 )
que nul corps , nul individu ne peut avoir une
autorité qui n'en émane expreffément.
III. La nature a fait les hommes libres et
égaux en droits ; les diftinctions sociales doivent
donc être fondées fur l'utilité commune.
IV. Les hommes , pour être heureux , doivent
avoir le libre et entier exercice de toutes leurs
facu'tés phyfiques et morales.
V. Pour s'affuer le libre et entier exercice de
fes facultés , chaque homme doit reconnoître ,
et faciliter , dans fes femblables , le libre exercice
des leurs
VI. De cet accord exprès ou tacite réſults entre
les hommes la double relation des droits &
des devoirs.
VIJ. Le droit de chacun confifte dans l'exercice
de fes facultés , limité uniquement par le
droit femblable dont jouiffent les autres individus.
VIII. Le devoir de chacun confifte à respecter
le droit d'autrui .
IX. Le Gouvernement , pour procurer la félicité
générale , doit donc protéger les droits &
prefcrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre
exercice des facultés humaines , d'autres limites
que celles qui font évidemment néceffaires pour
en affurer la jouiffance à tous les Citoyens , &
empêcher les actions nuifibles à la Société. Il
dcit fur-tout garantir les droits impreſcriptibles
qui appartiennent à tous les hommes , tels que
la liberté perfonnelle , la propriété , la fûreté
le foin de fon honneur & de fa vie , la libre
communication de fes perfées , & la réſiſtance
à l'oppreffior.
X. C'est par des Lois claires , précifes & uniformes
pour tous les Citoyens , que les droits
doivent être protégés , les devoirs tracés , &
les actions nuifibles punies.
>
( 114 )
XI. Les citoyens ne peuvent être foumis à
d'autres Lois qu'à celles qu'ils ont librement
confenties par eux ou par ieurs Repréfentans ;
& c'eft dans ce fens que la Loi eft l'expreffion
de la volonté générale.
XII. Tout ce qui n'eft pas défendu par la Loi
eft permis , & nul ne peut être contraint à faire
ce qu'elle n'ordonne pas.
XIII. Jamais la Loi ne peut être invoquée
pour des faits antérieurs à fa publication ; & fi
elle étoit rendue pour déterminer le jugement
de ces faits antérieurs , elle feroit oppreilive &
tyrannique.
XIV. Pour prévenir le defpotifme & affurer
l'empire de la Loi , les pouvoirs légiflatif , exécutif
& judiciaire , doivent être diftincts . Leur
réunion dans les mêmes mains mettroit ceux qui
en feroient les dépositaires au-deffus de toutes
les Lois , & leur permettroit d'y fubftituer leurs
volontés.
XV. Tous les individus doivent pouvoir recomir
aux Lois , & y trouver de prompts fe-
' cours pour tous les torts ou injures qu'ils auroient
foufferts dans leurs biens ou dans leurs
perfonnes , ou pour les obftacles, qu'ils éprouveroient
dans l'exercice de leur liberté .
XVI. Il eft permis à tout homine de repouf
fer la fice par la force , à moins qu'elle ne
foit employée en vertu de la Loi .
XVII. Nul ne peut être arrêté ou emprifonné
qu'en vertu de la Loi , avec les formes qu'elle
a prefcrites , & dans les cas qu'elle a prévus .
XVIII. Aucun homme ne peut êre jagé
que dans le reffort qui lui a été affigné par la
Loi.
XIX. Les peines ne doivent point être arbitraires
, mais déterminées par les Lois , & eles
doivent être abfolument femblables pour tous
( 115 )
les Citoyens , quels que foient leur sang & leur
fortune.
XX. Chaque Membre de la Société ayant
droit à la protection de l'Etat , doit concourir
à fa profpérité , & contribuer aux frais néceffaires
, dans la proportion de fes biens , fans que
nul puifle prétendre aucune faveur ou exemption
, quel que foit fon rang ou fon emploi.
XXI . Aucun homme ne peut être inquiété
pour fes opinions religieufes , pourvu qu'l fe
conforme aux Lois , & ne trouble pas le culte
public .
XXII. Tous les hommes ont le droit de q inter
l'État dans lequel ils font nés , & de fe choifir
une autre patrie , en renonçant aux droits attachés
dans la première à leur qualité de citoyen .
XXIII. La liberté de la Preffe eft le plus ferme
appui de la liberté publique. Les Lois doivent la
maintenir , en la conciliant avec les m yen: propres
à affurer la punition de ceux qui pourroient
en abufer pour répandre des difcours fid-tieux ,
ou des caloninies contre des particuliers .
CHAPITRE IL
Principes du Gouvernement François.
AP , Ier. Le Gouvernement François eft Monarchique
; il eft effentiellement dirigé par la Loi ;
il n'y a point d'autorité fupèteure à la Loi . Le
Roi ne règne que par elle , & quand il ne commande
pas au nom de la Loi , il ne peut exiger
l'obéiffance.
II. Le pouvoir législatif doit être exercé par
l'Affemblée des Repréfentans de la Nation , conjointement
avec le Monarque dont la fanétion eft
néceffaire pour l'établiffement de Lois ..
Ill. Le pouvoir exécutif fup ême réfide exclufivement
dans les mains du Roi.
( 116 )
IV. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être
exercé par le Roi , & les juges auxquels il eft
confié ne peuvent être dépoffédés de leur Office ,
pendant le temps fixé par la Loi , autrement que
par les voies légales .
V. Aucune taxe , impôt , charge , droit ou
fubfide , ne peuvent être établis fans le confentement
libre & volontaire des Repréfentans de la
Nation.
VI. Les Repréſentans de la Nation doivent
furveiller l'emploi des fubfides , & en conféquence
les Adminiftrateurs des deniers publics doivent
leur en rendre un compte exact.
VII. Les Minſtres , les autres Agens de l'Autorité
Royale font refponfables de toutes les infractions
qu'ils commettent envers les Lois , quels
que foient les ordres qu'ils aient reçus ; & ils
doivent en être punis fur les pourfuites des Repréfentans
de la Nation.
VIII. La France étant une terre libre , l'efclavage
ne peut y être toléré , & tout esclave eft
affranchi de plein droit dès le moment où il eſt
entré ea France. Les formalités introduites pour
éluder cette règle feront isutiles à l'avenir , &
aucun prétexte ne pourra déformais f'oppoſer à
la liberté de l'efclave.
IX . Les Citoyens de toutes les claffes peuvent
être admis à toutes les charges & emplois
& ils auront la faculté d'acquérir toute eſpèce
de propriétés territoriales , fans être tenus de
payer à l'avenir aucun doit d'incapacité ou de
frar - fief.
X. Aucune profeffion ne fera confidérée comine
emportant déregeance.
Xi. Les emprisonnemens , exils , contraintes ,
enlèvemens , actes de violence en vertu de letres-
de-cachet , cu ordres arbitraires , feront à
jamais profcrits ; tous ceux qui auront confeillé ,
( 117 )
follicité , exécuté de pareis ordres , feront pourfuivis
comme crimine's , & punis par une déte
tion qui durera trois fois autant que celle
qu'ils auront occafionnée , & de plus par des
dommages-intérêts.
XII. Le Roi pourra réanmoins , quand il le
jugera convenable , donner l'ordie d'empriſonner
, en faisant remettre les perfonnes arrêtées ,
dans les prifons ordinaires , & au pouvoir des
Tribunaux compétens , avant l'expiration du délai
de vingt quatre heures , fauf au détenu , fi
f'emprisonnement eft reconnu injufte , à pourfuivre
les Miniftres , ou autres Agens qui auroient
confeillé l'emprisonnement , ou qui au
roient pu y contribuer par les ordres qu'ils au
roient tranfmis.
XII. Pour affurer dans les mains du Roi la
confervation & l'indépendance du pouvoir exé
cutif , il doit jouir de diverfes prérogatives qui
feront ci-après détaillées.
XIV. Le Roi et le Chef de la Nation ; il
eft une portion intégrante du Corps légiflatif.
Il a le pouvoir exécutif fouverain ; il eft chargé
de maintenir la fûreté du Royaume au dehors
& dans l'intérieur ; de veiller à fa défenſe ; de
faire rendre la justice , en fon nom , dans les
Tribunaux ; de faire punir les délits ; de procurer
le fecours des Lois à tous ceux qui le réclament
; de protéger les droits de tous les Citoyens
, & les prérogatives de la Couronne , fuivant
les Lis & la préfente Conſtitution."
XV. La perfonne du Roi eft invio “ blé &
facrée. Elle ne peut être actionnée directement
devant aucun Tribunal.
XVI . Les offenfes commifes envers le Roi ,
la Reine & l'héritier préfomptif de 'a Couronne ,
doivent être plus févèrement pusies par les Lois ,
que celles qui concernent fes Sujets .
( 118 )
XVII. Le Roi eit le dépofitaire de la force
publique ; il eft le Chef fuprême de toutes les
forces de terre & de mer. Il a le droit exclufif
de lever des Troupes , de régler leur marche
& leur difcipline , d'ordonner les fortifications
néceffaires pour la fûreté des Frontières , de fire
conftruire des a fenaux , des ports havres ,
de recevoir & d'envoyer des ambaffadeurs , de
contracter des alliances , de faire la paix & la
guerre.
XVIII. Le Roi peut paffer , pour l'avantage
de fes Sujets , des Traités de Commerce ; mais
ils doivent être ratifiés par le Corps Législatif ,
toutes les fois que fon exécution néceffite de
nouveaux droits , de nouveaux règlemens , ou
de nouvelles obligations pour les Sujets François.
XIX. Le Roi a le droit exclufif de battre
monnoie ; mais il ne peut faire aucun changement
à fa valeur fans le confentement du Corps
légiflatif.
XX. A lui feul appartient le droit de donner
des lettres de grace dans les cas où les Lois permettent
d'en accorder .
XXI . Il a l'adminiſtration de tous les biens de
la couronne ; mais il ne peut aliéner aucune partie
de fes Domaines , ni céder à une Puiffance
étrangère aucune portion du territoire foumis à
fon autorité , ni acquérir une domination nouvelle
, fans le confentement du Corps législatif.
XXII. Le Roi peut arrêter , quand il le juge
néceflaire , l'exportation des armes & des munitions
de guerre.
My
XXIII . Le Roi peut ordonner des proclamations
pourvu qu'elles foient conformes aux Lois ,
qu'elles en ordonnent l'exécution , & qu'elles ne
renferment aucune difpofition nouvelle ; mais il
me peut , fans le confentement du Corps légif
"
( 119 )
latif , prononcer la furféance d'aucune difpofition
des Lois.
XXIV. Le Roi eft le maître abfo'u du choix de
fes Miniftres & des Membres de fon Confeil.
XXV. Le Roi eft le dépofitaire du tréfor pablic;
il ordonne & règle les dépenfes conformément
aux conditions preferite, par les Lois qui
établiffent les fubfides.
XXVI. Le Roi a le droit de convoquer le
Corps lég flatif dans l'intervalle des Seffions ou
des termes fixés par les ajournemens .
XXVII. Il a droit de régler das fon Confeil
, avec le concours des affemblées Provincia.
les , ce qui concerne l'Administration du Royaume ,
en fe conformant aux Lois générales qui feront
rendues fur cette matière.
XXVIII . Le Roi eft la fource des honneurs :
il a la diftribution des graces , des récompen
fes , la nomination des Dignités & emplois Eccléfiaftiques
, Civils & Militaires .
XXIX. L'indiviſibilité & l'hérédité du Trône
font les plus fûrs app is de la paix & de la félicité
publique , & font inhé entes à la véritable
Monarchie. La Couronne eft héréditaire de branche
en branche , par ordre & primogéniture , &
dans la ligne mafculine feulement. Les femmes
& leurs defcendans en font exclus .
XXX . Suivant la Loi , le Roi ne meurt jamais ,
c'eft-à-dire que par la feule force de la Loi , toute
l'autorité royale eft tranfmife , incontinent après
la mort du Monarque , à celui qui a le droit de
lui fuccéder.
XXXI . A l'avenir les Rois de France ne
pourront être confidérés comme majeurs qu'à
l'âge de vingt-un ans accomplis.
XXXII. Pendant la minorité des Rois , on en
cas de démence conftatée , l'autorité royale fera
exercée par un Régent.
( 120 )
XXXIII. La Régence fera déférée d'après les
mêmes règles qui fixent la fucceffion à là Couronne
, c'est-à- dire qu'elle appartiendra de plein
droit à l'héritier préfomptif du Trône , pourvu
qu'il foit majeur ; & dans le cas où il feroit
mineur , elle paffera à celui qui , immédiatement
après , auroit le plus de droit à la fucceffion.
Il exercera la Régence jufqu'au terme où
elle devra expirer , quand même le plus proche hé
ritier feroit devenu majeur dans l'intervalle.
XXXIV . Le Régent ne pourra jamais avoir
la garde du Roi ; elle fera donnée à ceux qui
auront été indiqués par le teftament de fon prédéceffeur.
A défaut de cette indication , la garde
d'un Roi mineur appartiendra à la Reine- Mère ;
celle d'un Roi en démence appartiendroit à fon
époufe ; & à leur défaut , les Repréfentans de
la Nation chofiroient la perfonne à qui cette
garde feroit confiée. Le Régent feroit choisi de
la même manière , dans le cas où il n'exiſteroit
aucun proche parent du Roi ayant droit de
lui fuccéder.
XXXV. Les Régens qui feront nommés dans
les cas de démence , ne pourront faire aucune
nomination ou conceffion , ri donner aucun confentement
qui ne puiffent être révoqués par le
Roi revenu en état de fanté , ou par fon fucceffeur.
De Paris , le 6 août.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
2 juillet 1789 , qui casse et annulle une
Ordonnance du Gouverneur-général de
Saint - Domingue , du 9 mai dernier ,
laquelle accordoit aux Étrangers la li
berté du Commerce pour la partie du
Sud de Saint-Domingue.
De
1
( 121 )
C'est à Basie où M. Necker reçut la
lettre suivante de S. M.
J'ai été trompé fur votre compte. On a fait
violence à mon caractère . Me voilà enfin éclairé.
Venez , venez , Monfieur , faris délai , reprendre
vos droits à ma confiance , qui vous eft acquife
à jamais. Mon coeur vous eft connu . Je
Vous attends avec toute ma nation , & je partage
bien fincèrement fon is patience. Sur ce , je
prie Dieu , Monfieur , jufqu'à votre retour , qu'il
Vous ait en fa fainte et digne garde. » .
Signé LOUIS .
La réponse de M. Necker , datée du
23 , parvint le 26 au Roi ; elle portʊit :
SIRE ,
» Je reçois à l'inftant la lettre dont il a plu
à VOTRE MAJESTÉ de m'honorer ; les
expreffions me manquent , pour lui tém iger
tout ce que me fait éprouver d'attendriffit le
retour de fes bontés ; il me pénètre de ples ca
plus de l'obligation que je me fuis imposée depuis
long - temps de distinguer toujours dans
votre Majefté le Prince jufte , honnête homme ,
qui ne peut que faire le bien de la Nation , lorfqu'il
agit par lui - même , du Mo , arque puiffant
qui la gouverne , & qui eft exposé à fair
fouvent ce qui répugne à fon coeur. » e
» Je ne prends , Sie , que le temps d'effuyer
les larmes que votre lettre me fait répandre , &
je vole à vos ordres . Je ne vous porterai point
mon coeur , c'eft une propriété qui vous eft - acquife
à mille titres , & à laquel e je n'ai plus de
droit. »
Je compte avec impatience , & , je cherche
Supplément au Nº. 32 . f
( 122 )
à accélérer les moniens qui me font néceſſaires
pour aller vous offrir la dernière goutte de mon
fang , mes foibles lumières , mon devouement entier
à votre Personne facrée , & le profond respect
avec lequel je suis , »
SIRE , & c .
NECKER .
M. le Baron de Staël , Ambassadeur
de Suède , et gendre de M. Necker , fut
le porteur de cette lettre , et son arrivée
ici précéda de trois jours celle de son
Beau-Père . M. Necker se rendit directement
à Versailles , où il fut reçu , le
28 , comme l'Ange tutélaire de la France.
Presque au terme de sa route , sa sensibilité
avoit été douloureusement frappée
du récit de quelques-uns des incidens
qui , les jours précédens , s'étoient mêlés
aux traits d'énergie qui caractérisèrent
la révolution .
Après avoir rendu ses hommages à
Leurs Majestés , et témoigné personnellement
à l'Assemblée nationale , sa
reconnoissance , son dévouement et son
respect , ils rendit , le 30 , à l'Hôtel-de-
Ville de Paris , accompagné de M. le
Comte de St. Priest. Une Garde Bourgeoise
très-nombreuse le reçut aux barrières
; il entra en Ville ' aux acclamations
d'une multitude innombrable :
ces transports se renouvelèrent lorsqu'il
parut à la place de l'Hôtel-de - Ville.
L'Assemblée qui y siégeoit , étoit alors
( 123 )
divisée en deux Corps ; l'un des 120 Représentans
élus réceinment par les Communes
de Paris , et ayant à leur tête
M. le Maire et M. de la Fayette , Commandant-
Général de la Milice nationale
de la capitale l'autre composé des
Electeurs , provisoirement constitués
pendant les premiers jours de trouble ,
et remplacés dans leurs fonctions par
les Députés , régulièrement élus , des
Assemblées de Districts. M. Necker ,
adressa à l'un et à l'autre de ces Corps ,
le même Discours que voici :
" Je manque d'expreffions , Meffieurs , pour
vous témoigner , & ea votre perfonne , à tous
les citoyens de Paris , la reconnoiffance dont je
fuis pénétré. Les marques d'intérêt & de bonté
que j'ai reçues de leur part , fost un bienfait hers
de toute proportion avec mes foibles fervices ,
& je ne puis m'acquitter que par un fentiment
ineffaçable. Je vous promets , Meffieurs , d'être
fidèle à cette dernière obligation , & jamais de
voir ne fera plus doux ni plus facile à remplir.»
» Le Roi , Meffieurs , a daigné me recevoir
avec la plus grande bon: é , & a daigné m'affurer
du retour de sa confiance la phys entière . Mais
aujourd'hui , Meffieurs , c'eft entre les mains de
l'Affemblée nationale , c'eft dans les vôtres que
repofe le falut de l'État , car en ce moment il ne
refte prefque plus aucune action au gouvernement.
Vous donc , Meffieurs , qui pouvez tant , & par
la grandeur & l'importance de la ville dont vous
êtes les notables citoyens , & par l'influence de
votre exemple dans tout le royaume , je viens vous
conjurer de donner tous vas foins à l'établiffement
de l'ordre le plus parfait & le plus durable.
fij
( 124 )
Rien ne peut fleurir , rien ne peut profpérer fans
cet ordre ; & ce que vous avez d.ja fait , Meffieurs
, en fi peu de temps , annonce & devient
un garant de ce que vous faurez achever; mais
jufqu'à ce dernier terme la confiance fera incertaine,
& une inquiétude générale troublera le bonheur
public , éloignera de Paris un grand nombre de
riches confommateurs , & détournera les étrangers
de venir y verfer leurs richeffes . Enfin , Paris ,
cette célèbre cité , Paris , cette première ville de
l'Europe , ne reprendra fon luftre & fa profpérité
qu'à l'époque où l'on y vera régner cette
paix & cette fubordination qui calment les efprits ,
& qui donnent à tous les hommes l'affurance de
vivre tranquilles , & fans défiarce fous l'empire
des lois & de leur fcience. Vous jugerez ,
Meffieurs , dans votre fageffe , sal n'eft pas temps
bientôt de faire ceffer ces perquifitions multipliées
auxelles on eft foumis avant d'arriver à Paris ,
& que l'on commence à éprouver à une trèsgrande
diftance de la Capitale ; il eft juſte de s'en
rapporter à cet égard à votre prudence & à vos
lumières ; mais les amis de la profpérité publique
doivent défirer que les abords de Paris rappellent
bientôt au commerce & à tous les voyageurs ,
que cette ville eft comme autrefois le féjour de
la paix , & qu'on peut de tous les bouts du monde
y venir jouir , avec confiance & liberté , du génie
induftriel de fes habitans , & du fpectacle de tous
les monumens que cette fuperbe ville renferme
dans fon fein , & que de nouveaux talens augmeatent
chaque jour, »
Mais , Meffieurs , c'eſt au nom d'un plus
grand intérêt que je dois vous entretenir , un mɔment
, d'un intérêt qui remplir mon coeur & qui
l'oppreile. Au nom de Dieu , Meffieurs , plus
de jugemens de profcription plus de fcènes fangantes.
Généreux Français , qui êtes fur le point
( 521 )
>
de réunir à tous les avantages dont vous jouiffez
depuis long - temps , le bien inestimable d'une liberté
fage , ne permettez pas que de fi gands
bienfaits puflen é re sélés à la poflibilité d'aucun
rep oche. Ah ! que voire bonheur , pour
devenir encore plus grand , foir pur & fans tache
; fur- out confervez , refpelez mime , dans
vos momens de crife & de calamité , ce cractère
de bonté , di jaftice & de douceur , qui diftingue
la nation Françoife , & faites arriver le plutôt
poffible le jour de l'indulgence & de l'oubli :
coyez , Meffieurs , en ne confultant que votre
coeur que la bonté eft la prem ère de toures
les vertus . Hulas ! nous ne connoiffons qu'imparfaitement
cette action , cette force invitible qui
dirigent & déterminent les actions des hommes ;
Diea feu ! peut lire au fond des coeurs & juger
avec furets , juger en un moment de ce qu'ils
méitent de peine ou de récompenfe ; mais les
hommes ne peuvent re dre un jugement ,
les
hommes fur-tout ne peuvent cleaner la mort
de celui à qui le Ciel donné la vie , fans
l'examen le plus attentif & le plus régulier. Je
vous préfente cette obfervation , cette demande ,
cette requê e au nom de tous les motifs capables
d'agir fur les efprits & fur les ames ; & j'eſpè e
de votre bonté que vous me permettrez d'appliquer
ces réflexions générales , ou plutôt l'expreffion
de ces fentimens fi vifs & fi profonds , à une
circonftance particulière & du moment . Je dois
le faire d'autant plus que fi vous aviez une autre
opinion que la mienne , j'aurois à m'excufer d'un
tort auprès de vous , dont je dois vous rendre
compte. Mardi , jour de mon arrivée à Paris ,
j'appris à Nogent que M. le Baron de Befenval
avoit été arrêté à Villenaux , & cette nouvelle me
fat confirmée par un gentilhomme , Seigneur dy
lieu , qui , fans connoître particulièrement M, de
f iij
( 126 )
Befenval , mais animé par un fentiment de bonté ,
fit arrêter ma voiture pour m'entretenir de fon
inquiétude , & me deinander fi je ne pouvois pas
être en fecours à M. de Befenval , qui étoit parti
pour la Suiffe avec la permiffion di Roi . J'avois
appris la veille , les malheureux évènemens de
Paris , & le fort infortuné de deux magiftrats accufés
& exécutés rapidement ; mon ame s'émut ,
& je n'hésitai point à écrire de mon caroffe ces
mots- ci à MM. les Officiers municipaux de Villenaux.
>>
•
Je fais pofitivement , Meffieurs , que M. le
» Baron de Befenval , arrêté par la milice de
» Villenaux , a eu la permiffion du Roi de fe
" rendre en Suiffe, dans fa patrie ; je vous demande
» inftamment , Meffieurs , de refpecter cette per-
» miflion dont je vous fuis garant , & je vous en
aurai une particulière obligation : tous les motifs
qui affectent une are fenfible , m'intéreffent
» à cette demande. M. de ...... veut bien fe
charger de ce billet que je vous écris dans ma
» voit re , fur le grand chemin de Nogent à
" Verſailles. J'ai l'honneur d'être , &c. »
Ce mardi 28 juillet 1789.
« J'ai appris , Meffieurs , que ma demande n'a
point été accueillie par MM. les Officiers municipaux
de Villenaux , parce qu'ils vous avoient
écrit pour recevoir vos ordres. E oigné de Paris ,
pendant les malheureux évènemens qui ont excité
vos plaintes , je n'ai aucune connoiffance particu
lière des torts qui peuvent être reprochés à M. de
Befenval , je n'ai jamais eu de relation de fociété
avec lui ; mais la juftice m'ordonne de lui rendre
dans une affaire importante , un témoignage favorable.
Il étoit Commandant pour le Roi dans
Généralité de Faris , où , depuis deux à trois
mois il a fallu continuellement affurer la tranquillité
( 127 )
des marchés , & protéger des convois de grains ;
il étoit donc néceffaire d'avoir continuellement .
recours au Commandant détenu maintenant à
Villenaux ; & quoique das lordre ministériel
j'aurois dû m'adreffer au Secrétaire d'Etat de la
guerre , qui auroit tranfmis les demandes du
Miniftre des Finances au Commandant des
Troupes , M. de Befenval m'écrivit fort honnêtement
que cette ma che indirecte pouvant occafionner
de la lenteur dans le fervice public , il
m'invitoit à lui donner des inftructions directes
& qu'il les exécuteroit ponctuellement. J'adoptai
cette difpofition , & je ne puis rendre trop de
juftice au zèle & à l'activité avec lesquels M. de
Befenval a répondu à mes défirs , & j'ai remarqué
conftamment qu'il réuniffoit de la modération &
de la prudence à l'activité militaire , en forte que
j'ai eu fouvent occafion de le remercier de fes
foins & de fon attention foutenue . Voilà , Meffieurs
, ce qui m'eft connu de ce genéral , en ma
qualité d'homme public. Je dois vous dire enfuite
de la part du Roi , que Sa Majesté honore depuis
long-temps cet Officier de les bontés. Je ne
fais de quoi il peut être accufé auprès de vous ;
mais foumis aux lois de la difcipline militaire ,
il faudroit peut-être des titres d'accufation bien
formels pour l'empêcher de retourner dans fa
patrie ; & comme étranger , comme membre
diftingué d'un pays avec lequel la France a depuis
fi long- temps des relations d'alliance & d'amitié
, vous aurez furement pour M. de Befen al
tous les égards qu'on peut efpérer d'une nation
hofpitalière & généreufe ; & puifque ce feroit
déja une grande punition que d'amener à Paris ,
comme criminel ou fufpect , un Officier - général
étranger qui retourne dans fon pays avec la permiffion
du Roi , j'ofe vous prier de confidérer
fi vous ne pourriez pas vous borner à lui de- 1..
fiv
( 128 )
9
mander à Villenaux les éclairciffemens dont vous
croiriez avoir befoin , & la communication de
fes papiers s'il en avoit. C'est à vous , Meffieurs
à confidérer fi vous devez expofer ce Général
étranger aux effes d'ancun mouvement dont vous
ne pourriez pas répondre ; car , diflingués comme
vous êtes , Meffieurs , par le choix de vos concitoyens
, vous voulez furement être , avant tout,.
les défenfeurs des lois & de la juftice ; vous ne
voulez pas qu'aucun citoyen foit condamné , foit
puni fans avoir eu le temps de fe faire entendre ,
fans avoir eu le temps d'être examiné par des
Juges intègres & imp riaux : c'eft le premier
dreit de l'homm ; c'est le plus faint devoir des
Puiffans : c'eft l'obligation la plus conftamment
repitée par toutes les Nations . Ah ! Meffieurs ,
non pas devant vous qui , dutingués par une
éducation généreufe , n'aver befoin que de fuivre
les lumières de votre efprit & de votre coeur ,
mais devant le plus inconnu , le plus obfcur des
citoyens de Paris , je me profterne , je me jette
à genoux pour demander que l'on n'exerce ni
envers M. de Befenval , ni envers perfonne , aucune
rigueur femblable en aucune manière à celles
qu'on ma récitées . La juftice doit être éclairée ,
& un fentiment de bonté doit encore être fans
ceffe autour d'elle ; ces principes , ces mouvemens
dominent tellement mon ame , que fi j'étois
témoin d'aucun acte contraire , dans un moment
où je ferois rapproché par ma place des chofes
publiques , j'en mourrois de douleur , & toutes
mes forces au moins feroient épuifées. J'ofe donc
m'appuyer auprès de vous , Meffieurs , de la bienveillance
dont vous m'honorez ; vous avez daigné
mettre quelque intérêt à mes fervices , & dans
un moment où je vais vous en demander un
haut prix , je me permettrai , pour la première ,
pour la feule fois , de dire qu'en effet mon zèle
( 129 )
n'a pas été inutile à la France. Ce haut prix
que je vous demande , ce font des égaids pour
u Général étranger , s'il ne lui faut que cela ;
c'eft de l'indulgence & de la bonté , s'il a befoin
de plus ; je ferai heureux par cette infigne faveur ,
en ne fixant mon attentio que sur M. de Beferval,
fur un fimple particulier ; je le ferois bien cavantage,
fi cet exemple de venoit le fignal d'une amit e
qui rendroit le calme à la France , & qui per
mettroit à tous les citoyens , à tous les habitans
de ce royaume , de fixe uniquement leur attention
fur l'avenir , afin de jouir de tous les bie.s
que peuvent nous promettre l'union du Peuple
& du Souverain , & l'accord de toutes les force's
propres à fonder le bonh ut für da liberté , & la
durée de cette liberté fur le bonheur général .
Ah , Meffieurs ! que tous les citoyens , que tous es
habitans de la Francerent ent pour touj was fous la
garde des lois . Cédez , je vous en fupp'ie , à mes
vives inftances ; & que par votre bienfak , ce jour
devienne le plus heureux de ma vie , & l'un des
plus g'orieux qui puiffe vous être rélervé , »
Madame Necker, Madame la Baronne
de Staël , sa fille , et Madame la Marquise
de la Fayette assistoient , dans la
Chambre des Electeurs , à cette Séance
attendrissante , durant laquelle M. de
Moreau de St. Mery présenta une Cocarde
à M. le Directeur - général des
Finances , qui l'attacha à son chapeau.
Le Discours qu'il venoit de prononcer
, avoit profondément činu les Auditeurs
, et le crí &Amnistie générale
sortoit de toutes les bouches. Pendant
que M. Necker se présentoit à
Pempressement du peuple , à la fenéine
fv
( 130 )
d'une chambre voisine , M. le Comte de
Clermont-Tonnerre , qui montre en
toute occasion le talent de la parole ,
la précision qui résulte de la justesse des
idées , et le rare alliage de la force et de
da sagesse , se livra aux mouvemens de
son coeur , et proposa à l'Assemblée de
consacrer , par un arrêté , l'oubli général
qu'avoit prononcé l'enthousiasme de l'audience.
Les Electeurs , entraînés par
cette première impulsion , applaudirent
à l'avis de M. de Clermont- Tonnerre
et rédigèrent sur-le-champ l'arrêté suiyant
:
» Sur le difcours ſi vrai , fi fublime , ſi intéreffant
de M. Necker , l'affemblée , pénétrée des
fentimens de juftice & d'humanité que ce difcours
refpire , a arrêté que le jour où ce Miniftre
fi cher , fi néceffaire , a été rendu à la
France , deviendroit un jour de fête ; en conféquence
, elle déclare au nom de tous les citoyens
de cette Capitale , bien certaine de n'être
point défavouée , qu'elle pardonne à tous
fes ennemis qu'elle profcrit tout acte de violence
contraire au préfent arrêté ; qu'elle regarde
déformais comme les feuls ennemis de la Nation
ceux qui troubleroient par aucun excès la
tranquillité publique ; & en outre que le préfent
arrêté fera, lu au Prône dans toutes les Paroiffes
, publié à fon de trompe dans toutes les rues ,
envoyé à toutes les municipalités , & les applauciffemens
qu'il obtiendra diftingueront les
bons François. »
Lorsque M. Necker entendit la lecture
de cet arrêté , la parole lui man(
131 )
qua , pour témoigner son emotion , et
sa reconnoissance : il fut reconduit hors
de Paris , avec les mêmes honneurs , et
aux mêmes acclamations qui avoient
accompagné son arrivée .
Quelque honorable que fût à la Nation
, le sentiment qui avoit dicté l'arrêté
des Electeurs , cet acte étoit par essence
absolument irrégulier. L'Assemblée d'où
il émanoit , n'ayant légalement ni le
pouvoir exécutif, ni le pouvoir judiciaire
, et n'étant point représentative
de la Commune , il est évident qu'elle
ne pouvoit ni rendre des sentences , ni
proclamer un pardon . Quelques Districts
s'élevèrent formellement contre cette
incompétence ; elle fut même universellement
reconnue. D'après l'arrêté ,
on avoit expédié un courrier , avec
ordre de relâcher M. de Besenval, et de
le conduire sur la frontière de la Suisse :
l'opposition des Districts , et la fermentation
qui renaissoit parmi le Peuple ,
obligèrent les Electeurs à déclarer la
même nuit ;
» Qu'en exprimant un fentiment de pardon
» & d'indulgence envers fes ennemis , elle n'a
» point entendu prononcer la grace de ceux
qui feroient prévenus , accufés ou convaincus
» de crimes de lèfe - Nation ; mais annoncer feu-
» lement que les Citoyens ne vouloient défor-
» mais agir & punir que par les Lois , & qu'elle
» profcrivoit en conféquence , comme le porte
» l'Arrêté , tout afle de violence & d'excès qui
f vj
( 132 )
1
» troubleroit la tranquilité publique : & cet Ar-´
» rêté peut d'autant moins recevoir une autre
» interp ération , que l'Affemblée dont il et émané
» n'a jamais cru ni pu croire avoir le droit de
» Rémiffion . «
Les Représentans de la Commune ,
de leur côté , arrêtèrent ce qui suit :
du 30 Juillet 1789.
Sur la réclamation de pluseurs dftricts , les,
Repréfentans de la Commune ont révoqué les
Ordres donnés pour laiffer aller en Suiffe le
feur de befenval qui avoit une permifion de'
s'y rendre , & elle a cru devoir prendre fur-lechamp
les précautions néceffaires & les mesures.
les plus promptes pour s'affurer de cet Offcier
, jufqu'à ce que l'Affemblée Nationale ait
ftaté fur fa détention & fur les motifs qui l'ont
déterminée .
Signé de la Vigne , Moreau de. St- Mery , &c.
Sur-le-champ , il fut envoyé un contreordre
pour retenir M. de Besençal, prisonnier
. sur le lieu de sa détention .
Cet Officier général , né d'une Famille
Fatricienne du Canton de Soleure ;
étoit Commandant en Chef de la Prévôté
et Vicomté de Paris , et Lieutenant-
Colonel des Gardes - Suisses.
On a vu, à l'article de l'Assemblée na
tionale, la dernière résolution touchant
e sort de M. de Besençal.
Cet évènement , et la venue de M. Neeer'ont
à- peu-près seuls occupé . l'attenon
publique , durant la semaine der(
133 )
nière . Le conflit entre les Electeurs
et les Représentans des Districts , conflit
dont on attendoit la fin avec impatience
, s'est terminé par la retraite
des Electeurs ; un nombre d'entre eux se
trouvent , en vertu d'une Election légale ,
parmi les Députés de la Con mune siégeant
à l'Hôtel - de - Ville . Rien n'a changé
encore dans l'organisation de la Milice
Bourgeoise. Divers plans ont été formés
à ce sujet ; on paroît s'être arrêté à l'un
d'entre eux , qu'on dit dressé par M. de
la Fayette. Plusieurs détachemens considérables
ont été employés , la semaine
précédente , soit à assurer la conduite
des convois de subsistance , soit à poursuivre
des vagabonds , dont l'alarme pu- .
blique grossissoit le nombre , et amplifioit
les entreprises on en a saisi et
enfermés des pelotons assez considérables.
Samedi , un détachement de Milice
conduisit ici l'Arsenal de Chantilly , où
se trouvent , éntr'autres , 27 pièces de canon.
Quelques- unes , on le sait , furent
données au Grand Condé après la vietoire
de Rocroy , et il en est deux que le
Prince de Conde actuel remporta de
Ja bataille de Johannesberg , livrée au
Duc régnant de Brunswick, alors Prince
Héréditaire .
Paris à été inondé , et l'est encore ,
de relations multiplices par une foule
d'imprimés journaliers, touchant les prin(
134 )
cipaux fugitifs , devenus l'objet du ressentiment
public. Plusieurs fois on a
annoncé la détention de M. le Prince
de Lambesc ; on confondoit sa personne
avec des équipages qu'on croit lui ap-.
partenir , et l'on dit aujourd'hui que ce
Grand-Ecuyer est arrivé à Turin .
Quant M. le Maréchal de Broglio
, retiré d'abord à Verdun , menacé
à Metz , chef-lieu de son commandement ,
d'où il a cru prudent de s'éloigner ,
a gagné l'Abbaye d'Orval dans les Ardennes
, et de-là Luxembourg et Francfort.
Lorsque ce Général gagna la célèbre
bataille de Bergen , à quelques lieues de
cette Ville Impériale , il ne soupçonnoit
guère que ce théâtre de sa gloire deviendroit
un jour pour lui un lieu de refuge .
Un des incidens les plus singuliers de
cette scène de déplacemens et d'exils forcés
, est sans doute l'entrevue de Madame
la Duchesse de Polignac avec M. Necker.
Voici ce qu'on rapporte de cet aventure
romanesque , dont nous ne pouvons garantir
les détails.
M. Necker arrivé à Bâle, le 20 , s'étoit logé à l'auberge
des Tro -Rois. Le lendemain parut un Abbé
qui vouloit retenir tout l'hôtel. On lui dit que
le principal appartement étoit occupé ; il chercha
fi les autres pourroient lui convenir , défigna
quelques Chambres , et au momeut qu'il alloit
reconnoire les autres , il aperçut un cortége ,
en demanda l'objet , et apprit que c'étoit une députation
de la ville à M. Necker. Confondu de
( 135 )
cette rencontre , il court , il fe transporte à l'hôtel
du Sauvage , où il trouve le logement qu'il défiroit.
Sa compagnie arrive ; elle étoit compofée
de Madame la ducheffe de Polignac , de la ducheffe
de Guiche fa fille , de la comtefle Diane fa bellefoeur
, de. Madame de Polafron , & de M. le duc de
Polignac. Qu'on juge de leur fuprife , en apprenant
que M. Necker étoit dans le même lieu . Un François
de qualité , qui fe trouvoit à Bâle , vifite Madame
de Polignac , parle de M. Necker; & le réſultat de
cet entretien , amena ce Miniftre à l'hôtel du Sauvage.
Il igno-oit encore ce qui s'étoit paffé à Paris
depuis fon départ , & apprit des voyageurs le fonlevement
de la Capitale , la prife de la Baftille , le
renvoi de l'armée & des nouveaux Miniftres, la fuite
de tous les gens accufés , & fon rappel.
L'état de la plupart des provinces a
correspondu à celui de la Capitale , et
même a été beaucoup fàcheux en quelques
endroits. L'évènement affreux de
Quincey a amené de grands malheurs
dans le Bailliage de Vesoul : nous sommes
à même de fixer l'opinion à cet égard,
en publiant la lettre suivante :
Verfailles , ce 31 juillet 1789.
MONSIEUR ,
M. Bureau de Puzy , l'un des Députés de la Nobleffe
du Bailliage d'Amont, m'a autorifé à vous en
voyer les détails fuivans , relatifs à l'évènement du
château de Quincey, afin de fufpendre le jugement
quele public a pu porter d'après la lecture du procès.
verbal de la maréchauffée de Vefoul , qui a été
imprimé dans plufieurs papiers publics. Je vous
prie en conféquence de vouloir bien inférer la
elation fuivante.
( 136 )
La nuit du 19 au 20 juillet , plufieurs perfonnes
du peuple de la ville de Vefoul en Franche - Comté,
& des foldats du régiment des Chaffeurs de Franche-
Comté , en quartier dans cette ville , se rendirent
au château de Quincey , fitué à une petite demilieue
de Vefoul , fur les invitations qu'ils en reçurent
des domeftiques de ce château , qui avoient été
autorifés par M. de Mefmai , cosfejler au parlement
de Befançon , & parti deux jours aupara
vant. «
» Entre onze heures & minuit , une explosion fe
fit dans un bofquet des ja dins , où fe t.ouvoient
réunis plufieurs des conviés qui se divertissoient ;
les domestiques de la maison venoicnt de les quitter
, en difant qu'ils alloient leur faire apporter du
vin . Une autre explofion , prefque fimultanée , fe
fit dans un petit bâtiment peu éloigné du bofquet
où la première explofion avoit eu lieu. La première
fit fauter les malheureux acteurs de cette trifte ſcène ,
& la feconde les couvrit des débris du bâtiment , au
centre duquel elle s'étoit fat . Le réſultat de cet
évènement a été la mort de fept ou neufpersonnes
( car on n'eft pas d'accord sur ce point ) , & la mu
tilation d'un grand nombre d'individus , dont plufieurs
font dangerenfemnt bleeffés . La maréchauf
fée de Vefou , accourue au bruit du toca , a verbalité
fur le lieu même du défaftre , au milieu des
morts , des mourans , des débis . Son procès-verbal
attefte les faits ci - d us ; il eft revêtu de l'hiftorique
vrai ou suppofé par les témoins . Ceux- ci ont
prétendu qu'ils avoient été attirés dans un piége
me les victimes ; qu'il y avoit deux mines correspondage
, préparées à deílein d'amerer cette catastrophe
, & que les dom . ftiques , en quinant le
befquet , fous prétexte d'aller chercher du vin , ne
s'étoient éloignés que pour mettre le feu à la fuſée
qui devoit fa re jouer ces deux mines.
» Oa fent conbien cette fuppofition eft vague
( 137 )
& combien les renfeig emens ; pris dans le pra
mici moment de trouble et de dé'o'ation , peavent
être faurifs ; il eft done prude t de fi fp.ndre fon
jugement dans cette affaire . Le fait pri cipal eft
certain : mais les informations du procès commencé
, informatio, s qui ne nous font point encore
parvenues , pourront feules fixer l'opinion publique
fur les caufes véritables de cet accident ,
et faire connoître s'il n'eſt que l'aff t d'un hafard
malheureux , ou le réfultat d'une atrocité méditée;
fup osition qui répugne d'autant plus qu'on
n'en fauroit deviser l'objet.
» Ce premier malheur a été l'origine d'une infnité
d'autres qui , depuis ce moment , ont affligé
le baillage de Vefoul . Les payfans furieux , ont
commencé par mettre le feu au château de
Quincey , d'aprés la perfuafion où il épient ,
que cet accident réfultoit d'une trame odienfe
du Maître du château . Cette opinion s'eft répandue ,
les têtes fe font électrifées , les habitans des
campagnes fe fent vengés fur les caifons des nobles
& des parlementaires. Au moment où je rédige
cette relation , il y a plus de vingt -cinq châteaux &
abbayes détruits ou pillés ; l'on ignore encore quel
fera le terme de ces ravages.
Les milices bourgeoifes et les troupes réglées
ont marché conjointement ; elles ont empêché
quelques défordres , elles en ont puni quelques
autres : mais ces moyens correctifs font bien peu
nombreux , et infuffiisans pour agir efficacement
par- tout.
J'aurai soin , Monsieur , de vous inftruire des
renfeignemens ultérieurs , et de vous envoyer
l'extrait des procédures.
J'ai l'honneur d'être , LE CLERC , Capi
taiaine au bataillon de Touraine .
( 138 )
Dans un grand nombre de Villes de
différentes provinces , les greniers à sel
ont été ouverts , le sel vendu à moitié
prix , les bureaux des fermes incendiés
ou fermés. Par tout , la Milice Bourgeoise
s'est formée , et en plusieurs lieux les
troupes réglées s'y sont réunies pour le
maintien de la sureté publique . Cette
mesure a sauvé le Maine et sa capitale ,
des désordres dont ils étoient menacés ;
mais elle n'a pu prévenir plusieurs excès ,
résultant , soit de la fermentation générale
, soit du mêlange des vagabonds
avec la saine partie du peuple. M. de
Montesson et son beau-père , saisis par
la multitude , ont été décollés , après
avoir essuyé un traitement cruel . M. de
Montesson , frère de celui dont nous
venons de rapporter le triste sort , et
Député de la Noblesse du Mans à l'Assemblée
nationale , a couru les plus :
grands dangers , ainsi que M. le Vidame.
de Vassé , aussi Député de la même
Noblesse.
On rapporte qu'à Chartres , le 23 ,
le peuple a fait baisser le prix du pain
de vingt-quatre sols les neuf livres , à
vingt sols les huit livres . Les registres
des Commis des recettes ont été brûlés.
On a dévasté de fond én comble la
maison d'un particulier , et quelques personnes
de la multitude ont péri dans
cette émeute . Le Perche a été livré à
des troubles semblables .
( 139 )
Une multitude de relations funestes arrivent
de divers endroits , mais tellement
invraisemblables , tellement chargées d'évidentes
faussetés , que nous devons nous
abstenir de les répéter . C'est bien assez de
la publicité qu'elles acquièrent par mille
imprimés inflammatoires qui mêlent
le faux et le vrai , dénaturent les effets ,
inventent les causes , et affligent chaque
jour les habitans de la capitale , malgré
les précautions du Comité provisoire ,
pour arrêter ces écrits.
M. le Duc de la Vauguyon passant
en Angleterre, sous le nom de Chevalier,
avec son fils , M. le Prince de Carency,
a été reconnu au Havre , dont la Municipalité
a instruit l'Assemblée nationale
de cet évènement. M. le Duc de la
Vauguyon , sortant du Royaume avec
la permission du Roi et un passe-port ,
avoit cru prudent , dans les conjonctures
actuelles , de changer de nom . L'Assemblée
nationale a renvoyé cet incident
à M. le Comte de Montmorin.
Les Provinces Méridionales n'ont pas
encore éprouvé les effets de la fermentation
générale , du moins nous n'en
n'avons aucune connoissance .
P. S. Pour prévenir les faux rapports
qui pourroient nous induire en erreur ,
nous prions ceux de nos Abonnés dans
les Provinces, qui nous ont honorés , plus
d'une fois , de leurs informations , de
( 140 )
nous les continuér en ce moment .:
jamais elles n'ont été plus nécessaires ,
en particulier à ce Recueil ; il ne sera jamais
, malgré la liberté qui lui est rendue
, que le dépôt des faits constatés , appartenant
à l'histoire , et propres à lui .
servir un jour.
P. S. M. Thouret , élu Président de
l'ASSEMBLÉE NATIONALE , a refusé cet
honneur , lundi , par une lettre que
nous rapporterons la semaine prochaine.
M. le Duc de Liancourt a présidé jusqu'à
la nomination de M. le Chapelier
qui a réuni la pluralité des suffrages.
Mardi , il a été décidé qu'on feroit
précéder la Constitution d'une Déclaration
des droits de l'homme et du Citoyen.
Nous présenterons l'histoire des
débats sur cette question ; ils ont occupé
trois Séances : apparemment l'Assemblée
va délibérer sur la nature de
cette Déclaration , M. Target et
M. Demeunier ont présenté chacun un
projet à ce sujet : nous avons annoncé
ceux de MM. l'Abbé Sieyes et Mou
nier.
MM. L'Evêque de Noyon , et de Clermont-
Tonnerre , Abbé de Luxeuil , ont
été arrêtés en Franche - Comté. Cette
province , dans la plupart de ses Districts
, est livrée aux insurrections les
plus violentes. La Municipalité de Saint-
Claude s'est vue obligée d'envoyer de(
141)
mander au Gouvernement de la République
de Genève , un prêt de 600 fusils
, qui lui a été refusé , un Etat étran
ger ne pouvant se prêter à une demande
de cette nature. Dans le pays de Gex ,
on a pillé et brûlé les papiers et titres
de plusieurs châteaux ou maisons de Propriétaires
-fonciers , ainsi que ceux qui
étoient en dépôt chez les Châtelains et Procureurs.
Le Peuple a fait signer à divers
Seigneurs des renonciations à leurs titres
de propriétés seigneuriales. Le Subdélégué
de la Province est gardé à vue.
Les avis du Mâconnois , de la Bresse ,
etc. sont aussi affligeans .
Du 6 Aoust. Le Ministère est rempli.
S. M. a nommé M. l'Archevêque de
Bordeaux , Garde- des- Sceaux ; et M. le
Comte de la Tour-du-Pin , Ministre de
la Guerre . M. l'Archevêque de Vienne
á la Feuille des Bénéfices , et M. le Maréchal
Prince de Beauveau , entre au
Conseil.
Lettre au Réducteur
Alençon , ce 19 Juillet 1789.
» Chacun a arboré ici la Cocarde de la Nation :
une foule de Citoyens de tous les rangs s'eft rendue
aujourd'hui chez M. l'Intendant pour lui en
offrire une ; ce Magiftrat a été harangué par un
Avocat , des mains duquel il a reçu la Cocarde
qu'il a fur- le-champ mife à fou chapeau . Plus
de 4000 Perſonnes étoient entrées dans les cours
( 142 )
& le jardin de l'Intendance : on a dit à M. Jullien
mille chofe flatteufes & méritées fur fon Patriotifme
& fur fon zèle pour la cauſe quia fi heu
reuſement triomphé ; il a répondu avec l'affabilité
qui le caractérife , & a invité à fouper 24 des
Citoyens préfens , au choix de leur Orateur . On
lui a offert d'établir , dès le jour même , une
Garde- Bourgeoife , pour prevenir les défordres
que pourroit occafionner la joie vive & tumultuenfe
du Public , & pour affurer à chaque porte
de la ville la perception des droits du Roi. M.
l'Intendant a accueilli cet offre avec éloge & fatisfaction
, & elle a été réalisée .
Les bonnes Nouvelles reçues ce matin de Paris
ont rempi la ville d'alégreffe . La foule s'eft
rendue à l'Eglife principale pour faire chanter le
Te Deum ; mais le Curé s'y cft refufé , en difant
qu'il ne pouvoit le faire fans une autoriſation de
fon Evêque. Les rues ont retenti , le jour & la
nuit , des cris de Vive la Nation , Vive le Roi. Ily
a eu enfin illumination générale & volontaire.
S. D. L'un de vos Abonnés.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er août
1789 , sont : 90 , 33 , 38 , 55 , 15 .
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 15 Aour 1789
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE PÈRE D'UN SUPPLICIÉ ,
A SON A M I.
L'OPPROBRE et à mes jours attaché pour jamais ;
Il ne m'a rien fervi d'abhorrer les forfairs ,
D'atteindre , vertueux , le terme de ma vie
Dans un emploi pénible , utile à la Patrie.
Mon fils meurt criminel..... Je vis déshonore
Le préjugé fiétrit un vieillard vénéié.
Chaque regard m'infulte ; on craint de me cons
noître .....
Où le crime n'eft pas , la honte peut- elle être ?..
Mon fils a mérité fon déplorable fort ;
Mais n'a -t- il pas aux Loix fatisfait par fa mort
Dans ce qui lui furvit , faut-il qu'on le punide
le fuis fon père, hélas ! mais non pas fon complice
Ah ! s'il n'eût pas rendu mes foins infructueur ,
Mon fils vivroit encore.... il vivroit vertueux..
Nº. 33. 15 Août 178
D
74 MERCURE
Mais l'éducation n'a pu changer fon ame!
Et fon fupplice , ô C el ! rend fa famille infame !
De cet infortuné le ſpectre qui nous fuit ,
Ses longs gémiflemens entendus dans la nuit ,
Son morne défefpoir , les chaînes qu'il agite ....
Et ce peuple inhumain qui fe preffe à ſa ſuite....
N'eft-ce pas trop déjà de ces affreux tableaux ,,
Sans ajouter encor l'i: finie à nos maux ?
Nen , les Loix cor tre nous ne l'ont point décernée ;
A me priver d'un fils , leur rigueur s'eft bornée ,
Je ne fais pas déchu du rang de Citoyen .....
Mais quel père ofera mêler fon fang au mien ?
Le préjugé ravit un époux à ma fille ,
Nous ferme tous les coeurs , ifole ma famille ,
Repouffe des Autels , des Camps , & du Barreau ,
Mes fils & leurs enfans , profcrits dès le berceau,
A peine ils connoîtront qu'il eft des Lox , des
crimes .....
Déjà l'ignominie en fera fes victimes.....
Puiffe jamais pour eux ne luire la raiſon !
Qu'ils foient tous moiffonnés dans leur jeune faifon!
Le défefpair bientôt en leurs cours pourroit naître
Punis en criminels , ils apprendroient à l'être .
L'eftime qu'on obtient répond de nos vertus :
C'eft le frein d'un cour fier...... Tremblez , s'il ne
l'a plus.
Oui , barbares humains , l'opprobre héréditaire
Qui defcend fur mes fils de l'échafaud d'un frère ,
Cet aviliffement qu'ils ne méritent pas ,
Peut les conduire un jour au fort des fcélérats ,
1
DE FRANCE. 71
A la Société que doivent-ils ? ..... la haine .
Ils ont tout à venger , & rien qui les retienne .
Craindront-ils le trépas que d'un bras forcené ,
Sans les pleurs d'une mère , ils fe feroient donné ?...
Loin de les arrêter , moi qui , miné par l'âge ,
N'ai plus qu'un jour peut-être à dévorer l'outrage ,
( De la Religion la voix parloit en vain )
De ce funefte jour j'allois hâter la fin.
Que n'avez- vous , cruels , confommé l'injuftice !
Quand l'honneur eft perdu , qu'importe le fupplice
Sur le même échafaud que n'avez- vous traîné
Ses frères las du jour , fon père confterné ,
Sa mère gémiſſant d'avoir été féconde ,
Sa foeur que le chagrin va retrancher du monde ?: ..
Sans doute on nous eût plaints de périr innocens...
De l'indignation les cris retentiffans ,
Rendant à l'infortune une juftice prompte ,
Nous euffent, en mourant, affranchis de la honte.
Dans l'intérêt commun peut-être enveloppé ,
A l'opprobre avec nous mon fils eût échappé.....
On eût frémi de voir une famille entière
Payant de fon fupplice une faute étrangère .
Mais ôtez l'appareil , les bourreaux , les témoins ,
Nousfouffrons davantage, & ne mourrons pas moins.
Et c'eſt dans le mépris que notre mort s'achève !...
Onion Ami ! quel fort ! tout mon fang fe foulève...
Pardonne -moi ce nom qui ne m'eft plus permis ....
Je le fais; mon malheur ne laifle point d'Amis .
( Far M. Le Gay , Avocat , de la Société
Anacreontique des Rofatti d'Arras. )
MERCURE
1
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade elt Bienfait ; celui
de l'Enigme eft Chemife ; celui du Logogriphe
eft Cane , où l'on trouve Ane.
CHARADE
PRINDS garde , ami Lecteur , de choir en mon
premier ;
Tout animal quelconque a fur lui mon dernier :
Un bon Berger toujours prend foin de mon entier,
JE
( Par M. J. S. C. H. R. )
ENIGM E.
Si le tendre Amour me chérit ,
Au Dieu du Vin fi je fais plaire ,
C'eft qu'à l'un je préfente un lit ,
Et qu'à l'autre je donne au verre.
( Far M. Demont , Chefd'Escadron ati
Rég, de Normandie- Chaffeurs. )
LOGO GRIPHE.
E fuis, fur quatre pieds , du genre mafculin ;
Rien alors de plus doux que le mot & la chofe ,
Rien aufli de plus dur alors qu'on me tranſpoſe ;
Avec les mêmes pieds, je fuis au féminin .
( Par M. Domont de St-Brice. )
DE FRANCE. 77
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TABLEAU des progrès de la Société en
Europe , traduit de l'Anglois de Gilbert
Stuart. Ouvrage contenant des Recherches
fur l'origine des Gouvernemens , les
variations des Maurs & du Systême Féodal.
A Paris , chez Maradan , Libr. Hôtel de
Château-Vieux , rue St- André- des Arts.
In - 89.
IL faut connoître les raonumens des an
tiquités de nos Nations Européennes , ne
fût-ce que pour réduire à leur jufte valeur
les divers fyftêmes qu'ils ont fait naître , &
ceux auxquels ils pourront encore donner
naiffance dans la fuite ; car comme il ne
s'agit guère que de conjectures , le champ
eſt vaſte & la matière inépuifable . Les fources
antiques de nos Hiftoires modernes font
un peu comme les nuages , cù l'imagination
voit tout ce qu'elle eft difpofée à voir.
Malgré les travaux de tant de Savans qui
auroient mieux fait peut-être de fixer une
bonne fois les bornes du connu & de l'inconnu
, & de tracer entre ces deux objets
la ligne de démarcation , que de s'épuifer
en tant de vains fyftêmes , l'Auteur croit
que les titres primordiaux de nos Hiftoires
D 3.
MERCURE
modernes n'ont pas encore été enviſages
"fous toutes leurs diverfes faces , ni même
faifis dans leur véritable point de vue. C'eft
donc un nouveau fyftême que nous donne.
aujourd'hui M. Stuart , & nous lui devons
le témoignage qu'il fait l'art de fyſtématiſer
fes idées , de les faire naître les unes des
autres , de leur donner de la force par cette
liaifon :
·Tantùmferies juncturaque pollet !
de les préfenter avec l'air du naturel &
l'éclat de la vrai femblance
Tantum de medio fumptis accedit honoris !
L'Ouvrage que nous annonçons eft don
un très bon Livre dans un genre qui n'a d'ailleurs
ni l'agrément de certains Livres réputés
frivoles , ni la folidité des Livres véritablement
utiles , mais qui a le mérite d'offrir
des vûes , de faire penfer , & de montrer
l'emploi que l'efprit fait faire de l'érudition .
Cet Ouvrage nous paroît pouvoir être
comparé avec cette favante Préface que M.
Robertfon a placée à la tête de fon Hiftoire
de Charles- Quint , & où quelques erreurs
& beaucoup d'incertitudes que fes
recherches laiffent fubfifter , n'ont pas empêché
d'admirer qu'un Etranger für auffi
inftruit de nos ufages , & du peu qu'on fait
de notre Droit public.
Pour M. Stuart , il remonte à des temps
où les titres de l'Hiftoire font communs à
DE FRANCE. 79
prefque toutes les Nations qui figurent aujourd'hui
dans l'Europe ; & quant aux révolutions
poftérieures , c'eft dans l'Histoire
d'Angleterre qu'il puife fes exemples.
93
Tacite eft fon premier guide . Le Traité
de cet Auteur fur les moeurs des Germains
eft , dit - il , le plus beau préfent que l'Antiquité
ait fait aux Royaumes de l'Europe.
On voit par l'énumération que l'Hiftorien
Romain fait des divers peuples de la Germanie
, qu'il y avoit parmi eux divers degrés
de civilifation : » Les Chauques , par exem、
» ple , formoient une Nation célèbre &
perfectionnée , & ils foutenoient leur
" grandeur par leur probité ; ils aimoient
la paix ainfi que le repos , & ils méprifoient
l'a arice & l'ambition ; ils ne provoquoient
pas de guerres , ils ne com-
» mettoient ni pillage ni incurfion ; &
» ce qu'on doit regarder comme une marque
certaine de leur puiffance & de
leur valeur , ils favoient conferver leur
fupériorité , fans avoir recours à l'injuf-
» tice & à l'oppreffion . Cependant , quand
» leur fituation exigeoit qu'ils fiffent la
guerre , il n'héfitoient pas de prendre les
93
"3
"
33
"
» armes & de lever des troupes .......
» Les Fennes étoient au contraire le peuple
le plus groffier ; ils n'avoient ni armes ,
» ni chevaux , ni religion «……… ..
""
Les autres Tribus des Germains tenoient
le milieu entre la civilifation des Chauques ,
& l'état fauvage des Fennes .
DA
MERCURE
Il n'y avoit chez les Germains qu'une
propriété générale, & point de propriété particulière
ou perfonnelle ; le territoire appartenoit
à la Tribu , & nulle portion de
terrein n'appartenoit en propre à aucun individu,
L'Etat ou la Tribu faifoit la part à
chaque citoyen , & changeoit cette part
tous les ans. Les textes de Tacite & de Cé
far font formels fur ce point.
Agri , pro numero cultorum , ab univerfis
per vices occupantur , quos modò inter fa
fecundum dignationem partiuntur .... Arva
per annos mutant. Tacit. de morib. German.
Cap. 26.
Privati acfeparati agri apud eos nihil
aft..... Neque longiùs anno remanere uno
in loco incolendi caufâ licet . Cafar, de bello
Gallico. Lib. 4. Cap. 1.
Cet ufage enchérifoit beaucoup fur ce
qu'Horace obferve à la louange des anciens
Romains :
Privatus illis cenfus erat brevis ,
Commune
magnum.
Et il eft conforme à ce que le même Horace
dit des Scythes qui avoient à peu près
lesmêmes moeurs , & dont les Romains pouvoient
confondre certaines peupladesavec des
peuplades ou Tribus Germaines du voisinage.
Campefires meliùs Scythæ
Quorum plauftra vagas ritè trahunt domos ,
Vivunt & rigidi Geta ,
Immetata quibus jugera liberas
"
DE FRANCE
Fruges & Cererem ferunt ,
Nec cultura placet longior annuâ.
M. Stuart , felon fa méthode fyftémat
que , déduit de ce défaut de propriété per
fonnelle , les principaux traits du caractère
des Germains , leur indépendance , leur
amour pour la liberté , leur kerté fau
vage , & c . comme de leur tendreffe mêlée
d'eftime pour les femmes , & de leur refpect
pour la Religion , il déduit tout le fyftême
de la Chevalerie ; & de la protection
généreufe que les puiffans accordoient aux
foibles , & de la reconnoiffance libre de
ceux-ci , il déduit tour le fyfteme féodal.
Il diftingue un temps , qu'il appelle l'âge
d'er de la féodalité , où cette protection d'un
côté , cette reconnoiffance de l'autre , formoient
librement cette chaîne qui depuis
a lié forcément le Vaffal au Seigneur . C'eft
par - là qu'il explique ce qu'il appelle les
incidens féodaux & leur origine. » La bonté
» & la puiffance du Chef ou du Seigneur ,
dit-il , étoient le foutien & l'appui de
» ceux qui étoient à fon fervice ; un échange
ور
ود
&
23
continuel de bons offices entretenoit un
mutuel attachement ". Je deviens votre
homine à compter de ce jour , difoit le protégé
avec tranſport. Le Seigneur le recevant
dans fes bras , lui donnoit un baifer, pour
montrer qu'il lui accordoit fon appui & fa
faveur. De là la cérémonie de la foi & hommage.
DS
82
MERCURE
Dans le château du Seigneur , les Vaffaux
augmentoient fon cortège , & contribuoient
à fa magnificence. Dans fon Tribunal , ils
l'aidoient à rendre la juftice. Dans le champ
de bataille , ils combattoient à fes côtés , &
le couvroient de leurs boucliers.
A la mort du Vaffal , le Seigneur prenoit
foin de fon fils ; il veilloit aux intérêts de
cet enfant mineur , le protégeoit lui & fes
biens , & lui remettoit à la majorité ces
biens améliorés. De là l'incident de la garde.
Le Vallal , en entrant en poffeffion de fon
fief , faifoit volontairement un préfent à
fon Seigneur , en reconnoiffance de fes
bienfaits. Delà l'incident du relief.
Le Vaffal , dans les alliances qu'il contractoit
, & nommément dans fes mariages ,
obfervoit tous les égards que la reconnoiffance
& l'attachement lui prefcrivoient pour
fon Seigneur , il évitoit fur tout de s'allier
à une famille ennemie de fon protecteur :
Delà , dit l'Auteur , l'incident du mariage
c'eft- à- dire , le droit un peu tyrannique qu'a
dans quelques provinces le Seigneur d'accorder
, & par conféquent de refufer fon
confentement au mariage du Vaffal dans
de certains cas.
>
Lorfque le Seigneur étoit fait prifonnier
à la guerre , ou qu'il fe trouvoit de quelque
aurre manière , & par quelque autre caufe ,
dans l'embarras ou dans le befoin , le Vaffal
s'empreffoit de partager avec lui fes richeffes
; contribution volontaire alors ; d'où naquit
dans la fuite le droit d'aide.
DE FRANCE. 81
Enfin , lorfque le Vaffal fe rendoit coupable
de lâcheté , de trahifon , ou de quelque
autre délit grave , qui rompoit tous les liens
entre fon Seigneur & lui , il devenoit quelquefois
indifpenfable de lui ôter fon ficf.
De là ce qu'on appelle ici l'incident de l'échoite
, plus connu fous le nom de la commife
ou confifcation & réunion du fief.
Ces exemples fuftifent pour faire voir
comment l'Auteur fait lier & enchaîner fes
idées .
Quant à fes fentimens , ils nous paroiffent
en quelques endroits excéder la mefure
de ceux que l'amour de la liberté eft
en poffeffion d'infpirer aux Anglois les plus
Républicains. La liberté , dit il , devoit un
jour être fcellée du fang d'un Tyran , que
» la Nation infultée fit couler fur un échafaud
, pour expier fon injufte ambition
» & la violation des Loix ".
33
"
13
Cette déclamation , que Milton lui même
ne fe fût permife qu'avec peine , nous paroit
bien violente , & le nom de Tyran ,
appliqué au doux & fage & infortuné Charles
I , eft bien dur & bien injufte . Les vrais
Tyrans furent fes oppreffeurs ; & les Anglois
, comme l'obferve avec raifon le Traducteur
, défapprouvent eux -mêmes la fcène
fanglante que M. Stuart paroît approuver ,
puifqu'ils font tous les ans une cominémoration
folennelle du martyre de Charles I.
Le Traducteur eft le même auquel nous
devons auffi la Traduction de la nouvelle
D6
MERCURE
>
& favante Hiftoire d'Angleterre , du Doce
teur Henri , & celle d'une multitude de
bons Livres Anglois , relatifs foit à la Politique
, foit à la Littérature & à la Philofophie.
Son travail , dans cette nouvelle Traduction
, mérite notre attention particulière,
par le rapport qu'il a prefque partout avec
le feul objet qui foit en poffeffion de nous
intéreffer dans ce moment , avec les Etats-
Généraux.
Dès la Préface il propofe vingt queftions
, qui , comme il le dit lui - même , font
moins des queftions que des fouhaits. Les
voici :
Il demande : 1 °. S'il ne feroit pas avantageux
qu'on délibérât dans les Affemblées
Nationales à voix haute & publiquement ,
& qu'on y opinât à deux différens jours fur
le même objet , afin qu'on pût profiter de
la difcuffion publique.
2°. Si le miniftère de la feuille des bénéfices
ne devroit pas être confié à un Confeil
, dont la moitié des Membres feroit
prife dans le Tiers-Etat.
3. Si les perfonnes nommées à un bénéfice
, même par des Laïcs , ne devroient
pas avoir l'agrément des Etats de la Province
où le bénéfice eft fitué , pourvu que
ces Etats fulfent conftitués comme ceux du
Dauphiné ; & quels feroient les moyens de
faire cette réforme en refpectant les propriétés.
. Si l'on ne devroit pas faire une loi pour
DE FRANCE. 84
qu'un homme ne pût avoir plus de deux
mille écus de revenu en bénéfice ( à l'exception
des Evêques qui n'auroient cepcndant
que leur Evêché ) , & pour que le furplus
fût verfé dans la caiffe de charité de
chaque Province , afin qu'elle vînt , fous
l'infpection des Etats , au fecours des pauvres
, des grêlés , des incendiés , & des autres
infortunés .
5. Si les Canonicats , dans chaque Diocèſe
, ne devroient pas être donnés aux anciens
Curés , Vicaires , Profeffeurs , & autres
Eccléfiaftiques ayant vingt ans de fervice
dans des fonctions utiles du Minifère ;
& s'il ne faudroit pas augmenter le fort
des Curés , & fur-tout des Vicaires de cam--
pagne & de ville , ainfi que des Prêtres de
paroiffe qui ont à peine de quoi vivre.
6. S'il ne faudroit pas réduire chaque
Canonicat à trois ou quatre mille livres de
revenu .
7. Si l'argent des Bulles & l'année de
déport ne devroient pas étre verfés dans la
caiffe de charité de chaque Province , de
laquelle caiffe les Etats fe feroient rendre
compre.
8°. S'il ne faudroit pas diminuer l'étendue
de quelques Diocèfes & Paroifles trop confidérables
.
°. S'il n'y auroit pas quelques précautions
à prendre par rapport à la nomination
des Juges , foit Royaux , foit Seigneuriaux .
10. S'il ne feroit pas utile à l'Agriculture
86 MERCURE.
que les baux fairs par les Bénéficiers , fans
anticipation , faflent entretenus par leurs
fucceffeurs .
11. S'il eft jufte de faire payer un droit
aux gens de main-morte , lorfqu'ils bâtiffent
fur leur terrein .
12 ° . Si les gens de main-morte , & même
les Evêques , ne devroient pas rendre des
comptes de l'emploi de leurs revenus aux
Etats Provinciaux.
13 ° . S'il ne conviendroit pas de faire une
Loi qui permit de partager les terres , nonobftant
les difpofitions des Coutumes , également
entre fes enfans , ou , à défaut d'enfans
, entre fes héritiers collatéraux .
14° . S'il ne conviendroit pas de faire une
Loi qui réfervât aux héritiers préfomptifs
le droit de prélever , ou la moitié de tous
les biens du décédé indiftinctement , ou les
quatre quints des propres , quand il inftitue
les pauvres fes Légataires univerfels , ou
même quand il a fait un teftament.
15 ° . Si les projets préfentés aux Etats
d'une Province & à fes Adminiftrateurs ,
ne devroient pas être dépofés dans fa bibliothèque
publique , pour que chaque citoyen
pût les y confulter tous les jours.
16°. Si dans les Cours Souveraines,, il
ne devroit pas y avoir huit ou dis charges
données gratuitement & à vie à des Avocats
qui auroient exercé leur profeffion pendant
vingt années , qui feroient choifis par leur
Ordre , & à qui il feroit accordé un traitement
fixe.
DE FRANCE. 87
17. Si dans les Commiffions relatives à
la réforme de la Juftice & des Loix , il ne
feroit pas important qu'il y eût un certain
nombre d'Avocats & de Procureurs choisis
par leurs Corps .
18. Si le travail de ces Commiffions ne
devroit pas être imprimé & rendu public ,
avant que le Roi & les Etats - Généraux ftatuaffent
à cet égard ; s'il ne feroit pas
utile
qu'on fit chaque année , dans les Tribunaux ,
des Arrêts de Réglement fur les queftions
nouvelles qui s'y feroient préfentées.
19. Si le Réglement qui exclut le Tiers-
Etat du grade d'Officier , ne doit pas être
promptement révoqué.
20° . Enfin , s'il feroit utile que la lifte
des penfions & graces accordées chaque
année , fût imprimée & rendue publique
l'année fuivante avec les noms des Penfionnaires
, & une notice de la caufe de ces récompenfes
.
De ces vingt propofitions ou queftions ,
quelques- unes ont été faites dans les cahiers
des divers Ordres ou Diftricts , foir avant ,
foit depuis la publication de cet Ouvrage ;
quelques-unes paroîtront peut-être un peu
févères , toutes ont un caractère fenfible
d'utilité ; elles n'ont pu fe préfenter qu'à
un homme de bien , qu'à un ami de l'ordre
, qu'à un zélateur des moeurs.
Le Traducteur , dans une note où il fair
quelques obfervations fur le plan de formation
des Etats du Dauphiné , arrêté le
MERCURE
14 Septembre 1788 , remarque que par l'av
ticle 13 , pour être éligible dans l'Ordre de
la Nobleffe , il faut avoir cent ans de nobleffe.
» N'eft- ce pas , dit-il , vse injuftice à
l'égard des Anoblis , que fouvent on a
» voulu récompenfer en les anobliffant
& qui fe trouvent , par cet article , privés
d'un des plus beaux droirs du citoyen ,
en ne pouvant être élus ni par la No-
» bleffe ni par le Tiers-Etat « ?
En adoptant cette réflexion du Traducteur
, nous ferons une autre obſervation ;
c'eft que l'anobliffement n'auroit jamais
dû être autre chofe qu'une récompenfe , &
que c'étoit dénaturer les objets , & aller directement
contre l'idée de la Nobleffe , que
de la conférer à prix d'argent, ou, ce qui eft
la même chofe , de l'attacher à l'acquifition
d'une charge vénale. Il réfulte de cet abus ,
que des familles qui , depuis trois cents ans
& plus , vivent noblement , qui n'exercent
que des emplois honorables , & qu'on peut
regarder en quelque forte comme des familles
Patriciennes du Tiers - Etat , dont
elles n'ont pas pu ou n'ont pas voulu fortir
par l'acquifition d'un office conférant la
nobieffe , voient en ce moment fiéger parmi
la Nobleffe des gens dont elles ont vu les
pères dans l'abjection , & dont les familles
ne peuvent en aucune manière entrer en
comparaifon avec elles , au moins pour
l'ancienneté & pour la fucceffion des fonctions
nobles & des emplois honorables.
DE FRANCE. 89༡
Telle eft la confufion qui naît de la nobleffe
vénale. Ces mots de Nobleffe & de
Vénalité , mis à côté l'un de l'autre , impliquent
contradiction . Aufli cet abus fera- t-il
vraisemblablement un des premiers réformés.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE ( I ),
L'AMBITIEUX & L'INDISCRÈTE , Tragi - Comédie
de Néricault Deftouches , a été jouée pour la
première fois en 1737 , après avoir été longtemps
arrêtée par l'ordre du Garde des Sceaux :
enfin on la repréfenta fans l'avoir affichée ; mais
on avoit eu la précaution d'en inftruire le Public
par des avis particuliers. L'Ouvrage n'eut pas un
grand fuccès.
On obferva alors que l'ambition eft une de
ces paffions qui demandent les couleurs de Melpomène
que le perfonnage de l'Indiſcrète étoit
déplacé à côté de celui de l'Ambitieux ; Deftouches
eft convenu lui-même qu'il avoit une diſſonance
marquée à côté des autres. On trouva le rôle
de Don Philippe , premier Miniftre du Roi de
Caftille , affectueux & touchant : on convint qu'il
contraftoit très bien avec celui de l'Ambitieux
Don Fernand ; qu'il y avoit de l'intérêt dans les
combats de ce dernier entre l'amour & l'ambition ;
mais on remarqua que ces combats auroient pu être
plus animés , plus étendus , mieux placés dans une
Tragédie . Une fcène du 4me. Acte , entre le Roi
(1) Cet article & celui de la Comédie Italienne fort de
M. de Charnois.
MERCURE
& fon premier Miniftre , où l'on voit le tableau
rare d'un honnête homme qui n'abule point de
fa place , qui facrifie fes intérêts & fa vanité à
fon devoir & à fon Maître , enleva tous les fffrages
. On loua beaucoup le dénouement ; on
regretta pourtant que Don Philippe ne follicitâ
point auprès du Roi la grace de fon frère.
Ce qu'on obferva en 1737 , on l'a encore obfervé
en 178 : mais cette fois- ci le ſuccès a été
complet , parce que le Public , ayant trouvé dans
le cours de l'Ouvrage un grand nombre d'heureufes
applications a faire aux circonftances préfentes
, a moins été juge que patriote . Nous penfons
come Voltaire , fur le mérite de cette
Tragi Comédie. Elle eft remplie de beaux traits ,
de vers qui méritent d'ê re retenus ; mais cela
n'empêche point que ce ne foit une Production
affez médiocre .
COMÉDIE ITALIENNE,
EN 1736 , Parard a fait jouer à la Foire Saint-
Germain , un Opéra Comique intitulé les Epoux
réunis.
Julie , épaule déla fée par Damon fon mari ,
le rencontre dans un château où il fait fa cour
Hortenfe , Dame du lieu . Elle fe déguife en Cava
lier, feint d'être l'Amant d'Hor enfe , excite la jaloufe
de Damon , qui la provoque , la reconnoît ,
& tombe à fes pieds .
En 1738 , Guyot de Merville a donné au
Théatre François une Pièce en trois Actes & en
vers, qui porte le même titre
сы
Dorimor a époufé Lucile à feize ans , il l'a
quittée pour être libre. Il arrive à Bordeaux ,
fon ami Lifimon , amant de Floriſe , ne peut
déDE
FRANCE.
terminer fa Maîtreffe à lui donner la main. Il y
trouve une jeune veuve , nommée Lucrèce , dent
il devient amoureux. Florife promet à L'fimon
de l'époufer , fi Dorimon , qui a pris le nom de
Damis, fait la conquête de Lucrèce. Cette Lucrèce
eft Lucile elle-même : les époux fe reconnoiflent ,
le réuniffent , & Lifimon eft heureux.
Ces deux Pièces n'ont rien de commun que le
titre avec celle qu'on a jouée au Théatre Italien
le 31 Juillet dernier.
Deux époux , échauffés par les mauvais confeils
d'une tante , fe décident à fe féparer mais
il exifte un enfant de leur mariage ; à qui reftera-
t-il ? On confulte cet enfant. Il dit oui à fon
père, oui à fa mère ; & au réfultat , qu'il veut refter
avec tous les deux. Cette fcène éclaire les époux
qui s'attendriffent , fe jettent dans les bras l'un
de l'autre , & fe réuniffent avec transport.
>
L'idée de cette Comédie eft prife d'un Drame
Allemand , qui a pour titre le Père de famille ,
& dont M. le Baron de Gemmingen eft l'Auteur.
On auroit pa tirer un plus grand parti de 1Ouvrage
original . L'imitateur, en n'y prenant qu'une
fituation , s'eft privé de beaucoup d'avantages ,
& il a été obligé d'étendre la durée de fa Pièce
des développemens un peu froids . La Motte
difoit à Alain , Auteur de l'Epreuve réciproque
qu'il n'avoit pas affez alongé la courroie «. On
peut reprocher à celui des Epoux réunis , de l'avoir
trop afongée.
par
Au refte , il y a de l'efprit , des moeurs , de la
délicateffe , de l'honnêteté , & même du talent
dans cette petite Pièce , dont le but moral eſt
très-eftimable.
Le 1er. Aoûr , on a joué pour la première fois
la Vieille d'Annette & Lubin , Comédie en un
Acte & en profe , mêlée d'Ariettes.
92 MERCURE
Le malheur & les perfécutions ont fait connot
tre au Public les perfonnages intérefans dont
M. Marmontel a fait les Héros de fon Conte
d'Annette & Lubin , fi heureufement arrangé pour
le Théatre par M. Favart. Il étoit tout fimple
qu'on faisît cette circonftance , & qu'on la portât
auffi fur la Sène.
Après trente ans , le Bailli , qui s'eft vu préférer
Lubin , hait encore fon rival , & il cherche
à le perdre. Son filleul Anaclet aine Roſette ,
fille de Lubin , & Rofette , qui aine Julien , ne
veut point d'Anaclet. Comme celui - ci a prêté
1500 liv. à Lubin , le Bailli lui confeille de faire
arrêter Lubin , & de faire vendre fa chaumière.
Plus bête que méchant , plus foible que vindicatif
, Anaclet envoie des Sergens chez le mari
d'Annette . A l'inftant où on le faifit , un Courrier
arrive de Paris , & apporte aux époux 300 louis
que leur envoient quelques perfonnes générenfes
qu'on a inftruites de leur malheur. Anaclet déchire
fes titres de créance , & le Bailli eft encor
une fois confondu.
L'Auteur de ce très - petit Ouvrage y a jeté de
l'intérêt en rappelant avec adreffe quelques fituations
de la Pièce de M. Favart. Tout le refte
eft peu piquant , peu théatral. On y remarque
de la facilité , de l'efprit , peut-être même , trop
de ce dernier par rapport à l'état des perfonnages.
Au furplus , c'eft une Production de circonf
tance qu'il feroit mal - honnête de juger trop fés
vèrement. Le Public a penfé comme nous , & il
a applaudi la Pièce.
M. Chapelle , Muficien de l'Orchestre du Théatre
Italien , a fort bien arrangé , pour cet Ouvrage
, des morceaux de muñque déjà connus ;
ceux de fa compofition , qu'il y a femés , ont
été entendus avec plaifir , & font honneur à fest
Balens.
DE FRANCE.
THEATRE DE MONSIEUR.
LE Lundi 3 de ce mois , on a donné à ce Théatre
la première reptéfentation de l'Ifle enchantée ,
Opéra en trois Actes , de M. Sedaine de Sarcey ,
parodié fur la Mufique de M. Bruni , 1er. Violon
de ce Théatre.
Une Fée , qui jufqu'à ce moment a été infenfible
à l'amour , reçoit des Dieux l'ordre de faire
un choix ; mais fi l'Amant qu'elle aura choifi
n'eft pas conftant , elle doit perdre fon bonheur
& fa puiflance. Quatre Etrangers font jetés dans
fon Ifle par la tempête ; un François fort leger ,
un Baron Allemand , un jeune Comte Italien , &
le Valet de ce dernier. C'eft à l'un d'eux qu'elle
doit donner fa main . Pour les éprouver, elle donne
à fa Suivante fa baguette & fa puiflance , & paffe
à fon tour pour la Suivante fous le nom d'Églé .
Le François & l'Allemand lui font la cour , mais
en cachette , & la facrifient à celle qu'ils prennent
pour la Fée : le Valet même du Comte , qui
a plu à la Féc , étourdi de fa bonne fortune , fe
permet une incartade pour la prétendue Eglé. Le
Vénitien et le feul qui lui montre un attachement
véritable ; & comme c'eft auffi le feul qui ait
touché le coeur de la Fée , après quelques épreuves
, les deux Amans font heureux.
Cette Pièce a paru agréablement écrite , quoique
dialoguée un peu longuement. La mufique a
été fort applaudie ; on y a trouvé beauc d'effet ,
de chants heureux. Tous les rôles ont été fort
bien joués. Nous nous fommes engagés à ne jamais
donner d'éloges particuliers aux Acteurs , à
moins qu'ils n'aient eu l'occafion de développer
des talens extraordinaires . Faire mention des bons
94 MERCURE
> feroit humilier inutilement les médiocres , & les
louer tous indiftin &tement, feroit manquer au Public
, & rer à la louange elle - même tout fon
prix . Nous ne parlerons donc que de Madame
Ponteu , qu'on n'avoit fat qu'entrevoir dans
un autre Ouvrage , & qui débute véritablement
dans celui- ci . Ala plus be le figure , elle joint une
voix fuperbe , une très- bonne maniere de chanter
, & une extrême facilité d'exécution . Elle
paroît deftinée à faciliter fur ce Théatre le fuccès
de l'Opéra Italien parodié ; fes moyens s'y
prêtent parfaitem nt , & le Théatre de Monfieur
ne pouvoit faire une acquifition plus précieuſe.
ANNONCES ET NOTICES.
LES
ES Dangers de l'abfence , ou le Souper de
famille , Comédie en deux Actes & en profe , repréfentée
pour la première fois à Paris par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi , le 11 Novembre
1788 ; & devant Leurs Majeftés , à Verfailles
, le 2 Janvier 1789 ; par M. Pujoulx , de
plufieurs Sociétés Littéraires. Prix , I liv. 10 f. A
Paris , chez Cailleau & fils , Libraires Impr. ruc
Ga ande .
Cette jolie Pièce fera jugée digne, à la lecture ,
du fuccé qu'elle a obtenu fur la Scène .
Confiderations fur les richeffes & le luxe , nou
velle Edition , corrigée & augmentée . In-8 ° . Prix,
4 liv . broché . A Amfterdam ; & fe trouve à Paris,
chez la veuve Valade , rue des Noyers
DE FRANCE. 95
Confiderations politiques fur le commerce du
Royaume , avec des obfervations fur les impôts
qui nuifent à fon activité , & dont on propofe la
fuppreffion , ainfi que le remplacement , d'une
manière plus avantageufe pour les Finances &
pour les Peuples précédées de quelques Réflexions
particulières fur tout ce qui peut intérefler le
cominerce de Picardie . Ouvrage deftiné pour l'ALfemblée
des Etats Généraux. Par un Citoyen. In-
8. avec des Planches ; 84 pages . A Paris, chez
Godefroy , Libraire , quai des Auguftins.
:
Difcours hiftoriques fur la Féodalité& l'Allodialité
, fuivis de Difertations fur le Franc-aleu des
Coutumes d'Auvergne , de Bourbonnois , du Berri ,
de Champagne , & principalement pour la partie
de cette Province , régie par la Coutume de Vitry ;
par M. Chapfal , Avocat au Parlement , exerçant
au Piéfidial de Riom ; in- 8 ° . A Paris , chez Guef,
fier jeune , Lib. rue du Hurepo , Nº . 17 .
Précis des fuccès de l'Etabliſſement que la Ville
de Paris a fait en faveur des perfonnes noyées.
Prix , 1 liv. 4 f. 8e . Partie , pour fervir de Supplément
aux fept Brochures in- 12 , publiées fucceffivement
chaque année , fous le titre de Detail
des fuccès obtenus fur les noyés , &c. par M. Pia ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , & ancien Echevin
de la Ville de Paris ; in-12 . A Paris , chez Nyon
l'aîné & fils , Lib. rue du Jardinet.
On trouve chez le mêmes Libraires les fept
premières Parties .
Effai fur la Théorie des Volcans d'Auvergne ,
par M. le Chevalier de Reynaud de Montlofier ;
in- 8 ° . de 134 pages . A Paris , chez Delalain le
jeune , Lib. rue St-Jacques , Nt . 13. Prix , I live
16 fous.
5
MERCURE DE FRANCE .
L'Art de peindre , Traduction libre en vess
françois du Poëme latin de Charles - Alphonse Dufrefnoy
, avec des Remarques ; par M. Renou ,
Peintre du Roi , Secrétaire-Adjoint de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture , &c. ; in- 8 ° . A
Paris , de l'Imprimerie de Monfieur ; fe trouve
chez Didot le jeune , quai des Auguftins ; & Firmin
Didot , rue Dauphine ; & à l'Académie de
Peinture.
Nouvelle fuite d'Harmonie à 8 & 9 Parties ,
pour 2 Clarinettes , 2 Haut bois , 2 Baffons , 2 Cors
& Serpent ou Contre-baffe , contenant des Ouvertu
res , Airs & Ariettes d'Opéras férieux ou comiques ,
arrangés par M. Gébeauer. Prix , 7 liv. 4 fous. A
Paris , chez Boyer , Md. de Mufique , rue de Ri-
Richelieu , à la Clef d'or ; & chez Mine. Lemenu,
rue du Roule , à la Clef d'or.
Trois Quatuors de G. Haydn , arrangés pour le
Clavecin , ou Piano- Forté avec accompagnement
de Violon & Baffe , par M. Lachnitt. Première
fuite. Prix , 9 liv . pour Paris & la Province , port
franc par la Pofte. A Paris , chez Leduc , Md. de
Mufque , rue du Roule , Nº. 6, 1
Numéros 15
24 , ou se. Année des Feuilles
de Terpfychore , pour la Harpe & le Clavecin.
Prix, chaque N. , 1 liv. 4 f. Abernement
pour
chaque Journal , 30 liv. franc de port. A Paris ,
shez Coufineau père & fils , Luthiers de la Reine ,
Die des Poulics.
TABLE .
LE Père d'un fupplicié, 731 Comédie Italienne,
Charade, Enig. & Log. 76 Theatre de Monfieur.
Tableau.
Gomédie Françoise.
93
77 Annonces & Notices. 94
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 21 juillet 1789.
APRES un ajournement de trois semaines
, les Etats s'étant rassemblés , le
Prince Sapieha , Maréchal de la Confédération
de Lithuanie , leur a notifié , le
13 , la fuite du Prince Poninski , et en,
même temps qu'il avoit été repris sur la
frontière . il.
M. Suchodolski , Nonce de Chelm , a
jugé convenable de faire donner à M.
Deboli , Ministre de la République à Péri
tersbourg, l'ordre de demander , de la
part de sa Cour , la réponse à la dernière :
note remise par lur au Ministère de
Russie . Cette lenteur de la part de la b
Cour de Russie ne doit pas surprendre ,
si l'on considère la quantité de demandes
épineuses auxquelles elle se voit obligée
N° . 33. 15 Août 1789 . g
( 146 )
de répondre dans les circonstances présentes.
On a proposé ensuite d'augmenter l'approvisionnement
, en tout genre , de la
forteresse de Kaminieck , afin qu'elle
puisse balancer celle de Choczim , rétablie
par l'Empereur.
M. Morski , Nonce de Podolie , ' a
confirmé cette proposition , en ajoutant
qu'il lui paroissoit de la plus grande nécessité
de prendre toutes les précautions
possibles contre la peste , sur les frontières
de ce Palatinat.
La Députation des Affaires Etrangères
a communiqué à la Diète une Note
de la Cour de Suède qui , rapprochant
de plus en plus ses intérêts de ceux de
la République , la remercie du choix
qu'elle afait en la personne du Comte Po
tocki, pour la représenter à Stockholm.
L'Évêché de Cracovie , du revenu dé
700 mille florins , étant vacant , il
voit
été mis en question de consacrer une
partie de cet immense bénéfice à l'entretien
d'un régiment. Après un débat
de sept heures , il fut décidé , vendredi
17, à la pluralité de 57 voix contre 23,
de réduire le futur Evêque à un revenu
de 100 mille florins ..
On
建
OD 20
remarque avec plaisir les progrès
frappans de l'esprit public : nous en avons
ob. G.
( 147 )
cité plusieurs traits ; en voici de nouveaux.
Le District de Lukow , qui fait partie du
Palatinat de Lublin , abonde en Noblesse
pauvre , qui cultive elle-même ses terres , et
n'a point de paysans par là elle se trouvoit
exempte de l'impôt des deux vingtièmes ; mais
blessée de cette exemption , elle a demandé
tumultueusement à contribuer à proportion
de ses moyens.
Les trois Palatinats de grande Pologne
voulant augmenter la masse des contributions,
et en même temps le commerce des laines
ont taxé tous les terrains où l'on peut nourrir
des troupeaux de moutons ; cette taxe cessera
du moment où ces terrains recevront des
troupeaux.
M. Rudnicki , Lieutenant d'artillerie , qui
a pris et ramené le Prince Poninski , a refusé
toute gratification ; il a demandé seulement ,
et a obtenu que l'on adoucît les arrêts des
Officiers qui avoient laissé échapper le Prisonnier.
SUÈDE.
De Stockholm , le 17 juillet.
Les derniers combats en Finlande , du
28 juin et du 3 de ce mois , n'ont pas
encore été publiés officiellement , le
Roi poursuivant son invasion dans la
Finlande Russe . Ce Prince s'est porté
vers Fridéricsham , dont la garnison , suivant
le bruit courant , a fait une sortie
le 6, et a été repoussée après sept heures
gij
( 148 )
d'engagement . D'un autre côté , le Major
Général de Steding a repris sur les Russes
le poste de Saint-Michel , dont il a dispersé
les défenseurs.
Les dernières lettres de Finlande ont
confirmé la fin du Général de Sprengporten
, mort , le 5 , de ses blessures . Cet
Officier , égaré toute sa vie par cette ambition
inquiète et hardie qui forme les
hommes dangereux , contribua d'abord
à la révolution de 1772. Comblé de récompenses
, il désira de lever un régiment
au service de Leurs Hautes Puissances
, obtint l'agrément et les plus
vives recommandations de son Souverain.
Mécontent ensuite , et oubliant la
reconnoissance et le devoir , il offrit ses
services à la Russie , en seconda tous les
projets , lui en suggéra même , remua la
Finlande et l'armée , l'année dernière ;
enfin , vient de périr en combattant
contre sa patrie.
Suivant quelques avis de la Baltique ,
notre flotte étoit en présence de celle
des Russes , et d'un instant à l'autre l'on
s'attendoit à une bataille navale . Voici la
composition de notre escadre, telle qu'elle
est sortie de Carlscrona.
Gustave III de 70 can., vaisseau Amiral.
Sophie Magdeleine, 70 can. , Contre - Amiral ,
Hedwige Charlotte, 60 can. ,
Liljehorn.
Lieutenant-Colonel
, Modée.
Wladislas , .70
( 149 )
Adolphe Frédéric..70 canons.
Louise Ulrique , .. 70
Gotha Leyon, ... 70
Enighet , · 1 °
Fædernesland , ...60
Emhet , .60
Rettwsaw ..60 2
Dygden ,
Forsigtighet ,
..60
... 60
Æran , ..60 .
Drisstighet ,
..60
Manlighet, ... 60
Taperhet ,
60
Prince Frédéric Adolphe , 60
Prince Charles , ..60
Riksens Stænder , .60
Wasa ,
Uplande ,
Gripon
Minerve ,
Froya ,
"
Thétis ,
Camille ,
.60
Frégates .
.40 canons.
40
40
.40
· 2 .. •
• 40
40
Galathée , • 40
Euridice ,
Zémire
Illerim ,
Jaramas
.40
• · .40
Jarislawiz ,
Hector ,
Disa et Froya.
•
32
28
.32
.26
Shooners:
Ern ,
Cutters .
12 canons .
g iij
( 150 )
Falk , ..
Swala
.
Barthélemi
,
Esplendian ,...
12 canons.
8
8
En tout 41 voiles. Depuis sa première sor
tie , deux vaisseaux de ligne de plus ont
joint l'escadre.
ESPAGNE.
De Madrid , le 6 Août.
9
Le Ministère Espagnol avoit donné ordre
au Lieutenant-général Don Théodore de la
Croix , ci - devant Vice - Roi du Pérou et
aujourd'hui Colonel du régiment des Gardes-
Wallones , d'envoyer un habile Officier reconnoître
, au nord de l'Amérique occidentale ,
les établissemens des Russes et autres Européens.
Ce Vice-Roi choisit , pour cette expé
dition , Don Stefano - Joseph Martinet , qui
l'exécuta , en huit mois , avec autant de
zèle que d'intelligence . Il partit , vers la fin
de mars 1788 , du port S. Blaise. En 68 jours
de navigation , il s'éleva par les 60 degrés de
latitude , en suivant exactement les traces du
Capitaine Cook , à partir du 40 ° . degré. M.
Martinet toucha à la baie du Prince Guillaume,
qui git par les 60 ° . 11 ' . Les courans qu'il
rencontra dans ce parage , l'obligerent de
revenir sur ses pas , après avoir longé l'isle
de Montagu. Le 28 mai , temps auquel la
saison avoit couvert le sol de sa plus riche
parure , il entre dans la baie de cette isle
déja connue , et à laquelle il donna le nom
( 151 )
nouveau de Baie des fleurs . Il n'y trouva
aucun établissement , mais les Naturels lui
donnèrent beaucoup de détails relatifs aux
navigations antérieures , dans ces mers , par
les Anglois et par les Russes . La colonie
Russe la plus remarquable est établie à 10
lieues au nord de l'isle de la Trinité. Elle
est peuplée d'un grand nombre de Russes ,
défendue par un fort et par quelques galères.
Son Commandant étend sa jurisdiction sur
le vaste territoire d'Alaska , et sur les nombreuses
isles de cet Archipel . Au sortir de
ce port , M. Martinet reconnut les isles Schaumagin
et plusieurs autres inconnues au Capitaine
Cook : s'étant ensuite arrêté à Ouna-
Laschka , il y fut reçu très - cordialement par
le Commissaire Russe , M. Saicost Potap Cusmich
, qui commande la colonie , où se trouvoient
70 Russes et une galiotte. Le Navigateur
Espagnol , après avoir séjourné un
mois à Ounalaschka , remit en mer , et revint
au port Saint-Blaise , par Montérei et le
canal Sainte-Barbe , sans avoir touché à la
côte de Nootka où les Russes n'ont aucun
établissement.
Le fruit de cette expédition a été de
dissiper les inquiétudes qu'on avoit au sujet
des prétendues hostilités des Russes , dont
nous avons éprouvé , au contraire , la plus
généreuse hospitalité. Les côtes et les colonies
de ce vaste Océan sont mieux connues ;
on a pris possession de six parages importans
, au nom du Roi d'Espagne ; on a acquis
une juste idée du caractère des Nations Américaines
dépendantes des Russes ; et enfin ,
l'on a eu les relations les plus intéressantes
pour notre tranquillité. Le Commandant Espagnol
a rapporté une quantité de fourrures ,
giv
( 152 )
de productions naturelles , terrestres et marines
, de monnoies Russes d'or et d'argent ,
ainsi que des papiers -monnoies que les Russes
distribuent aux Nations tributaires.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 4 août.
Forcés depuis un mois , de sacrifier
cet article d'Angleterre , nous le sommes
aujourd'hui de ne présenter que sommairement
les principales délibérations du
Parlement , durant cet intervalle .
Les deux Chambres ont passé les Bills
d'une taxe additionnelle sur les testamens
, et d'une autre sur les Papiers-
Nouvelles , toutes deux devant remplacer
la taxe sur les boutiques , révo
quée.
Le Ministre a soumis à la délibération
de la Chambre- Basse , un Bill qui
assujettit les Marchands de Tabac à la
régie de l'Accise : l'énorme contrebande
exeréée sur cet article a motivé cette
opération . Le Comité en ayant présenté
le rapport dans la Séance du 15 juillet ,
on en discuta les principales clauses ,
et l'ensemble.
M. Fox entra dans un examen général
de l'extension inconstitutionnelle des lois de
l'Accise . Il renouvela les argumens vigoureux ,
mais un peu surannés , dont on s'est servi constamment
dans ce pays , toutes les fois qu'on
( 153 )
*
a traité de cette forme d'administration fiscale.
Quant au principe qui sert de base à
cette perception , la visite dans les maisons ,
« dit M. Fox, j'en suis tellement ennemi , je
« le regarde comme si répugnant aux maximes
de notre Constitution , qu'aucun homme
« libre , à mon sens , ne devroit se résoudre à
« vivre sous son empire . » Si aujourd'hui il
étoit question , pour la première fois , de l'introduire
, on le rejeteroit , quelque impérieux
que fût le besoin des finances . Ce qui marque
les lois de l'Accise du sceau de la réprobation ,
c'est qu'on ne les a proposées qu'à des époques
malheureuses. Le courage du Parlement , l'esprit
du Peuple se réunirent autrefois pour rejeter
une Accise sur le tabac , et le grand nom
de Sir Robert Walpole ne put surmonter cette
résistance. Néanmoins , je pense favorablement
de l'administration de cet Homme d'Etat ;
mais , comme il est plus aisé de calomnier et
de flétrir la mémoire d'un Ministre qui n'existe
plus , que d'apprécier celle d'un Ministre vivant
, Sir Robert Walpole étoit généralement
condamné de ceux qui ne jugeoient que superficiellement
de sa conduite ministérielle .
Onpouvoit lui reprocher ce projet d'une Accise
sur le tabac. Lorsqu'on essaya de soumettre
les cidres aux Commis de l'Accise , les Propriétaires
des terres ( Country Gentlemen's )
s'y opposèrent sur- le-champ , comme à l'introduction
d'une nouveauté dangereuse et alar
mante . Ils déclarérent que la maison de chacun
d'entre eux étoit son château , et que s'ils
y souffroient une invasion , elle seroit bientôt
suivie de la perte de leur liberté . Cette maxime
étoit bonne ; mais ils auroient dû en étendre
l'application aux Marchands et aux Manufac
turiers , et affranchir de l'Accise les vendeurs
g V
( 154 )
2
comme les consommateurs. Ces oppositions à
l'Accise avoient eu lieu dans un temps où les
finances nationales n'étoient pas si florissantes
qu'on nous les représente maintenant. Se flattoit-
on qu'à l'époque actuelle , dans un moment
où l'influence de la philosophie et de
l'expérience étoit plus répandue que jamais ,
l'odieuse et inconstitutionnelle proposition
qu'on soumettoit à la Chambre , pût jamais
recevoir l'approbation d'un Parlement Anglois
? Non , sans doute ; et ce fol espoir étoit
victorieusement combattu par l'exemple du
passé. Si , cependant , l'intérêt des finances du
Royaume exigeoit une augmentation de revenu
, personne n'ignore qu'il existe encore
dés taxes en réserve , que l'on pouvoit imposer
de préférence à des règlemens si destructifs.
L'Accise , établie comme elle l'est
maintenant , étoit certainement une chose fâcheuse
, et qui exigeoit la surveillance de tout
Anglois. Si la liberté dont nous jouissons a
été défendue par notre sang , et acquise au
prix de celui de nos ancêtres ; si nous sommes
encore prêts à la défendre , il devient de plus
en plus indispensable d'apporter la plus grande
circonspection à l'extension d'un règlement ,
qui ne manqueroit pas de détruire notre commerce
; extension qui ne répond point au but
qu'on se propose , et qui , même en le remplissant
, devroit être réprouvé par tous ceux
qui ne sont pas disposés à sacrifier leur liberté
aux intérêts du fisc .
M. Grenville admit , avec M. Fox , que nous
étions à un période où la philosophie marchoit
surement à l'appui de l'expérience . Les
vrais et heureux principes de la Constitution
se trouvoient plus exactement définis et connus
que par le passé. De jour en jour cette Cons(
155 )
titution alloit en s'améliorant. Mais , dans la
proportion de ces heureux progrès , devoient
aussi tomber ces raisonnemens qui présentoient
l'esprit des temps ; cette terreur chimérique
d'un Peuple ou d'un Gouvernement ,
disposés à empiéter sur la liberté. L'attachement
du Parlement à la Constitution avoit
été démontré de la manière la plus glorieuse
dans la délicate affaire de la Régence.
Quant à l'Accise , elle fut d'abord établie sous.
le règne de Charles II,Néanmoins , ce fut aussi
sous ce même règne , pour la première fois, que
le Peuple commença à peser , à sentir , et à comprendre
les principes de la liberté . Je défie de
trouver, dans l'Histoire , aucun période où l'on
voie se répandre avec plus d'abondance toutes
lesbénédictions , qui sont le fruit de ce domaine
inaliénable de l'homme .
Généralement , les mesures du Chevalier
Robert Walpole furent sagement adaptées
aux intérêts de l'Etat . On n'a reproché à ce
Ministre , avec justice , que les moyens de
corruption dont il se servit pour fortifier son
administration , et qui tendoient à accroître
les dépenses publiques. Peut- être encore n'étoit-
il pas assez prévoyant à trouver des res
sources et des subsides qui pussent faire face
aux demandes du trésor , ainsi qu'à la diminution
de ses dettes . Cette dernière accusation
n'est pas sans fondement ; mais , ce que
l'on peut compter au nombre des malheurs
de cet Homme d'Etat , c'est qu'au moment
qu'il proposa l'Accise sur le tabac , la meilleure
et la plus fructueuse des ressources auxquelles
il put avoir recours , il existoit ,
Angleterre , un parti acharné dont les clameurs
anéantirent ce projet : les penseurs jusen
g vi
( 156 )
tifioient aujourd'hui Sir Robert Walpole des
injustes inculpations de ses contemporains .
Au reste , l'état actuel des choses étoit tout
différent. M. Pitt , indépendamment de tous
les droits possibles à la reconnoissance et à
l'approbation de la postérité , s'étoit acquitté
des devoirs difficiles de son poste éminent
d'une manière si prudente , qu'aucun effort de
parti , aucune calomnie , aucune interprétation
défavorable , ne pouvoient ébranler la
juste confiance que sa patrie accordoit à sa
sagesse et à ses talens . 1
Il étoit étonnant que M. Fox , si habile à
saisir les différences , en laissât échapper une
bien importante . Si , contradictoirement à la
sagesse de nos ancêtres , et à la longue expérience
qui nous a appris comment la liberté
pouvoit fleurir et fructifier durant l'existence
de l'Accise , on pouvoit accorder quelque crédit
aux reproches déclamatoires faits si géné
ralement à l'ensemble de ce systême , il fau
droit aussi considérer qu'on levoit actuellement
, à la faveur de cette même Accise , SIX
MILLIONS STERLINGS de revenu , sans encourir
aucun de ces dangers si gratuitement prédits.
Certainement , ces dangers ne résulteroient
´pas du nouveau règlement , qui soumettroit
environ trois cents personnes de plus aux
Jois déja établies , et augmenteroit le revenu
de trois ou quatre cents mille liv. sterl .
M. Sheridan avoit prétendu que la recette
étoit à présent de deux millions au - dessous
de la dépense : si cette assertion , très - éloignée
de la vérité , avoit quelque fondement ,
il devenoit d'autant plus nécessaire d'adopter
les mesures sages qui pourroient ramener la
recette au niveau de la dépense , ou du moins
les rapprocher.
( 157 )
La grande objection de M. Fox portant
moins sur l'extension des règlemens actuels ,
que sur le principe général de l'Accise ,
quels inconvéniens ne résulteroient pas de son
opposition admise dans son universalité ?
L'Accise fournissoit annuellement six millions.
Supposez donc qu'en cédant aux vues
de M. Fox , on l'abolit entièrement , quels
seroient les suites de cette marche insensée ?
La banqueroute nationale , la dissolution du
Gouvernement , l'anéantissement absolu de
tous les avantages commerciaux et constitutionnels
, qui font aujourd'hui la gloire de la
Nation Britannique. Aucun plan de finance ,
aucun systême de réglement , ne seroient plus
nécessaires après la consécration d'un tel principe.
En effet , M Fox , en se proposant de
renverser la base de l'Accise , se propose aussi ,
sans le savoir , de renverser la Constitution .
S'il n'a d'autres projets que d'empêcher l'addition
du règlement actuel aux précédens ,
son but est extrêmement frivole ; car le tabac
est un article aussi propre que tout autre à
supporter les droits de l'Accise : quel petit
nombre de personnes se trouveroit soumis au
nouveau règlement , en comparaison de celles
sur lesquelles il portoit déjà ? Une autre
considération de quelque poids , est le grand
accroissement qui en résultera pour le revenu ,
ainsi que l'encouragement du Commerçant
honnête . Dans l'état où est actuellement cette
branche de négoce , aucuns bons Citoyens ne
-vouloient l'embrasser : car , un homme scrupuleux
, engagé dans cette profession parce
qu'elle étoit celle de ses pères , devoit nécessairement
se faire violence à lui-même , et
étouffer le cri du remords pour exercer les manoeuvres
clandestines et illégales actuellement
( 158 )
en pratique , ou renoncer à toute concurrence
avec ses voisins moins consciencieux
Plusieurs autres Membres parlèrent
pour ou contre le Bill qui fut admis à la
pluralité de 70 voix contre 20 .
Porté à la Chambre-Haute , ce Règlement
y a été moins favorablement reçu :
on l'a considéré sous d'autres faces , en
faisant apercevoir le vice de sa composition
, échappé à la pénétration des
Communes . Sans ce contrôle de l'une des
deux branches de la Législature sur
l'autre , l'Angleterre auroit vu sanctionner
un acte , dont l'intérêt public exigeoit
la réformation . C'est le Lord
Chancelier qui lui a porté un coup décisif,
le 29 , à l'instant où il fut présenté
à la Chambre- Haute.
Ce Ministre prenant la parole , fixa toute
l'attention de la Chambre ; il exposa son
opinion en peu de mots , mais avec une
fermeté , une persuasion intime de la justesse
de ses principes . « Le Bill , dit - il , renferme
des vices essentiels , et tels , qu'il seroit le
premier à lui retirer son approbation , s'il
restoit dans sa forme actuelle il ne pensoit
pas que la Chambre fût le lieu où l'on devoit
décider du sort de ce Bill ; il falloit le
renvoyer à un Comité , dans lequel on verroit
probablement s'évanouir une partie des
difficultés qui s'opposent à son admission.
Il offroit un cahos sans issues un embarras
inextricable on l'avoit assis sur des considérations
qui , d'après des témoignages ir(
159 )
récusables , paroissoient directement contraires
aux intérêts du commerce. Il se réunissoit
de tout son coeur à ceux qui condamnoient
les atteintes dont ce Règlement menaçoit
les propriétés particulières .
Cependant, les Manufacturiers reconoissoient
eux- mêmes qu'il existoit des abus crians dans
la perception du revenu ; abus qui , en mêmetemps
qu'ils fraudoient le Gouvernement d'une
partie des secours qu'exigeoient ses besoins ,
tendoient à ruiner les honnêtes Commerçans .
Il n'étoit pas moins de son intérêt , que conforme
aux vues d'un Gouvernement sage , de
corriger ces abus .
En avouant les défauts et les inexactitudes
du Bill , le Chancelier justifia très - habilement
M. Pitt , et montra qu'on ne devoit rien lui
imputer à cet égard . Dans le fait , il n'étoit
point l'auteur du Bill . S'il étoit capable de
dresser un Bill de revenu , il ne seroit pas propre
à remplir le poste de premier Lord de la Tréso-
Terie. Dans la réalité , le Ministre étoit obligé
de requérir le secours des Employés aux
divers départemens ; ils l'avoient bien mal
servi . Il s'étoit adressé aux Solliciteurs des
différens Bureaux , qui pouvoient écrire , quoique
peut-être ils ne pussent pus lire . Ces
Messieurs s'étoient permis de rédiger les
clauses du Bill , sans s'inquiéter d'établir de
l'accord et de l'harmonie entre leurs différens
plans. Il espéroit néanmoins qu'ils se résoudroient
à corriger cette bigarrure , et qu'ils
refondroient leurs différentes clauses en un
systême uniforme. En conséquence il a conclu
à ce que le Bill fût renvoyé à l'examen d'un
Comité.
Cet avis du Chancelier devint celui
( 160 )
de la Chambre : le Bill a été réexaminé
, vendredi dernier. L'une de ses
principales clauses a été corrigée par
un amendement qu'a proposé le Duc
de Leeds , et la discussion ultérieure
doit s'achever demain .
LL. MM. sont toujours à Weymouth ,
et profitent de tous les beaux jours pour
se promener en mer. Elles ont monté , à
trois reprises , la frégate le Southampton
, qui a fait , en leur présence , plusieurs
évolutions navales. Une escadreentière
, sous les ordres du Contre-Amiral
Bickerton , donnera en grand ce spectacle
à Leurs Majestés qui doivent se rendre
à Plymouth au premier jour. Outre le
Magnificent de 74 can . , et la frégate le
Southampton de 32 , cette escadre sera
composée des vaisseaux suivans qui ,
le 28 , ont appareillé de Spithéad , sous
les ordres du Commodore Goodall.
Le Carnatic , le Cumberland , l'Orion , le
Bedfort , le Goliath , la Bellona , tous de 74
canons ; le Director de 64 , l'Hébé de 36 , le
Termagant de 18 , le Speedwell de 16 , et le
Brazen de 14.
( 161 )
Nous devons placer ici un document
essentiel , arriéré depuis six semaines .
C'est la récapitulation sommaire de l'état
des Finances Britanniques pour 1789 :
SUBSIDES OU DÉPENSES pour l'année 1789.
Marine.
20,000 Matelots ... 1,040,000 l. st.
Dépenses ordinaires
.
713,000
Dépenses extraordinaires
...... 575,000
Armée.
Service ordinaire .. 1,517,879
-extraordinaire .. 398,000
Mais cet extraordinaire étant
acquitté d'avance , comme
on l'a vu dans l'état du
Budget , rapporté précédemment,
reste pour les dépenses
de la Guerre en
1789 ..
Artillerie
Etablissement Civil de la
Nouvelle Ecosse , Saint-
Jean , etc......
Remboursement à faire à la
Liste Civile , conformé-
2,328,000.
• 1,517,879
459,444
24,937
( 162 )
ment à différentes avances
demandées par la Chambre
des Communes
Pour les Loyalistes d'Amé-
34,000
rique .. 355,218
Transport des Malfaiteurs et
leur entretien ....
56,598
Remboursemens aux Secrétaires
et Commissaires de
différes Bureaux ....
Musée Britannique , Forts
d'Afrique , routes d'Ecosse ..
A livrer au Prince de Galles
pour achever le Palais
Carleton
15,000
20,000
35,000
Frais du procès de M. Hastings,
durant la présente
Session ( 1 ) ... 12,000
Déficit sur le produit de la
taxe des terres et de la
Drèche .... 350,000
Déficit sur d'autres branches
de subsides ..... 331,000
5,539,076
Prêt à la Hollande , rembour
sable avec intérêt à échéances
annuelles , mais qui
(1 ) Cet article monte à 20,000 liv . st . pour
cette année.
( 163 )
forme une dépense momentanée
de ...... ... 191,000
Subsides énoncés ci-dessus .... 5,539,076
Total des Subsides nécessaires.5,730,076
VOIES ET MOYENS .
Taxe des Terres et
de la Drèche .... 2,760,000
Loterie.....
Surplus du Fonds
271,000
consolidé ...... 1,530,000
Emprunt par Tontines
..1,002,500
Courtes annuités ,
remboursables
annuellement par
équivalent du
Prêt à la Hol-
Jande, aussi remboursable
..... 187,000
Total des Voies et Moyens .... 5,740,000
Totaldes Subsides ..
Excédent des Voies et Moyens
sur les Subsides ..
.5,730,076
9,924 I. st.
Mais il restera à bonifier le déficit du Fonds
consolidé , qui , au mois d'avril dernier , se
trouvoit de 520, coo 1. st .; déficit qui sera
rempli par les arrérages dus sur différentes
( 164 )
taxes , par la balance non rentrée de divers
comptes publics , par le payement que fera
cette année la Compagnie des Indes au Gouvernement
, et par l'accroissement présumé
du produit des droits sur le tabac.
Si l'on veut connoître la Dépense et le
Revenu complets de la Grande Bretagne en
1789 , il faut ajouter aux totaux de Subsides
et de Moyens énoncés ci-dessus , les Dépenses
et Revenus hypothèqués , qui n'entrent jamais
dans le compte du Budget , savoir :
Pour l'intérêt de la
Dette publique ,
environ ...
Liste Civile.....
Amortissement annuel
de la Dette
Dépenses.
.9,100,000 1. st.
900,000
publique ....... 1,000,0000
11,000 000
Revenus.
Les branches réunies du revenu
public ont produit du
premier avril 1788 , au premier
avril 1789 ....
Emprunt par Tontines
..... 15,578,000
1,000,000
---
par
tés ..
courtes Annui-
187,000
Total du Revenu public en
1789 ... ..16,765,000
( 165 )
M. Sheridan attaqua , le 10 , l'exposé
des Finances présenté par le Chancelier
de l'Echiquier , et s'efforça de
démontrer , par le calcul et par lẻ raisonnement
que , depuis trois ans , la
dépense annuelle avoit surpassé la recette
de 2,003,960 1. sterl . Il proposa
de nommer un Comité pour examiner
de nouveau les comptes publics , fut
réfuté , et perdit sa Motion , sans qu'elle
fût mise aux voix .
La dette de la Compagnie des Indes
dans ses possessions Asiatiques , ayant
été transportée en Angleterre , il a fallu
pourvoir à cette charge par une addition
au capital. En conséquence , la Cour
des Directeurs a demandé à la Chambre
des Communes , et a obtenu d'être autorisée
à un emprunt d'un million sterl. , ce
qui porte le fonds capital de la Compagnie
à cinq millions.
FRANCE.
De Versailles , le 14 août.
C'est le 4 , que le Roi remplit les
places vacantes dans le Ministère , en
y appelant les Personnes que nous avons
nommées dans le Journal précédent :
S. M. informa de ce choix l'ASSEMBLÉE
NATIONALE , par une lettre qu'on trouvera
plus bas et qui forme un des
( 166 )
précieux monumens des annales de la
Monarchie .
Pour mettre encore plus d'accord dans toutes
les parties de l'Administration , et prévenir
l'influence de la faveur ou des prédilections ,
le Roi a ordonné que dorénavant toutes les
nominations de charges , d'emplois ou de bénéfices
dans l'Eglise , la Magistrature , les Affaires
Etrangères , la Guerre , la Marine , la
Finance et la Maison du Roi seront présen
tées à la décision dans le Conseil.
Le Roi avoit le dessein de nommer M.
Necker Ministre principal ; mais M. Necker,
en recevant avec une respectueuse reconnoissance
ce témoignage de la confiance de Sa
Majesté , l'a priée de permettre qu'il ne fût
accompagné d'aucun rang , ni d'aucun titre.
Ce Ministre ayant demandé au Roi d'être
soulagé d'une grande partie du Département
des Finances , Sa Majesté a rétabli la place
de Contrôleur-général , et la confiée à M.
Lambert, dont l'application et l'intégrité ont
été déja éprouvées.
Il travaillera avec le Roi en présence de
M. Necker , premier Ministre des Finances ,
lequel , avee la permission du Roi , s'est réservé
le Trésor royal et les ordres à prendre
de Sa Majesté pour la nomination aux places
et aux emplois.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
L'étendue des matières nous obligea ,
la semaine dernière , à restreindre le
sommaire de la Séance du samedi pre
mier Août en voici une analyse moins
( 167 )
succinte , mais rapide , le principal objet
de délibération reparoissant dans les
Séances suivantes.
Les contemporains et la postérité doivent
sans doute juger une Assemblée
législative sur ses actes , et non sur ses
discours ; ils imitent en cela l'histoire et la
loi, qui se bornent à prononcer sur les actions
des hommes. Cependant , il entre
dans les annales du temps de conserver ,
avec les résolutions , les motifs qui les
ont déterminées , et le combat d'opinions
au milieu duquel elles ont flotté. Le
caractère d'une Assemblée ne résulte
pas de trois ou quatre discours seule-.
ment , quoique ces discours principaux
entraînent un grand nombre d'avis : c'est
par le frottement général de beaucoup
d'opinions différemment débattues , que
l'Observateur saisit les mouvements de
la délibération . Pour en connoître l'esprit
, il faut donc en présenter toutes les
faces , et un argument vicieux tient sa
place dans ce tableau , comme une vérité
lumineuse .
Les faits seuls , racontés exactement ,
placés avec ordre , dégagés des longueurs
inséparables de l'éloquence parlée , voilà
ce que l'histoire consultera un jour , ce
qu'attend le Public , et ce que nous lui
devons. Nous n'avons pas la présomption
de vouloir éclairer ou égarer son jugement
, par des réflexions que leur promptitude
fait nécessairement rentrer dans
( 168 )
le cercle des lieux communs. Chaque
Citoyen doit consulter sa raison propre
, et non celle d'un Journaliste. Ce
verbiage , d'ailleurs , qu'on honore du
nom de réflexions , interrompt le récit ,
et substitueroit indiscrètement l'avis de
L'Auteur à celui des Membres de l'Assemblée
. Lorsqu'il se présentera quelques
sujets de discussion , sur lesquels il
importeroit de ramener l'attention du Public,
nous rejeterons ces remarques dans
un Supplément , après avoir laissé mûrir
nos idées par le doute et par le temps.
Fidèles en outre au plan ' d'impar
tialité que nous nous sommes imposés
dès l'origine , nous ne perdrons jamais
de vue le précepte de Tacite : Præci
puum munus Annalium reor, ne vir
tutes sileantur , utque pravis dictis ,
factisque exposteritate et infamia metus
sit.
Du Samedi premier Aour 1789. Lecture
faite des Adresses de différentes villes expri
mant à l'Assemblée leur reconnoissance , leurs
félicitations etleur adhésion , on a pris connois
sance de la lettre des Officiers Municipaux du
Havre , au sujet de la détention de M. le Duc
de la Vauguyou et de M. son fils ( Nous
avons rendu compte, il y a huit fours , de cet
évènement ).
Sur l'annonce de plusieurs Députations de
Paris , d'Orléans , de Sens et de Dieppe , M.
Arnaudat a exposé les distractions qu'occasionnoient
ces Députations aux travaux prés .
sans
3
( 169 )
sans de l'Assemblée , et la nécessité de ne les
tecevoir que dans les Séances de relevée.
M. Pison du Galland , modifiant cette opinion
, a proposé an arrêté , en vertu duquel
les Députations ne seroient admises que jusqu'au
8 de ce mois ; les Villes , Corps et Districts
pouvant s'adresser à l'Assemblée , par
Mémoires qui seroient discutés au Comité
de rapport.
M. Fréteau , appuyant cette Motion , a demandé
qu'on fit imprimer cet arrêté dans
tous les papiers publics , et qu'on donnât dix
jours pour recevoir les Députations qui pourroient
être en route.
Un Préopinant a distingué les Députations.
des villes , d'avec celles de Paris , et a voté
pour renvoyer ces dernières au Comité de
rapport.
M. de Mirabeau a prétendu qu'autant valoit
déclarer aux Commettans qu'on n'avoit
pas le temps de les entendre.
On a fait la lecture de la Motion qui a
été interrompue plusieurs fois par la rumeur
de l'Assemblée , et qui a passé malgré l'opposition
. On a objecté ensuite que le Règlement
ne permettoit pas de proposer et de
résoudre une Motion dans le même jour.
M. le Comte de Clermont -Tonnerre a lu
l'article du Règlement qui porte qu'une Motion
pourra passer le même jour qu'elle aura été
élevée , losrque l'Assemblée le jugera à propos .
M. Le Président a proposé une seconde fois la
Motion , approuvée de nouveau . L'opposition
de la Minorité subsistant toujours , M. Buzota
demandé par amendement, qu'on distinguât les
Députations d'honneur de celles d'affaires ; que
deux jours par semaine fussent consacrés aux
premières , & que le Comité de rapport reçût
No. 33. 15 Août 1789. h
.
( 170 ))
les secondes. Cet amendement a été rejeté ,
& la Motion originelle admise en entier .
Cette résolution prise , eft entrée une Députation
des Représentans de la Commune de
Paris. M. Huguet de Semonville , Conseiller
au Parlement , portant la parole , a présenté
l'Arrêté suivant de ses Commettans.
» L'Assemblée des Représentans de la Commune
persistant dans son Arrêté d'hier au
soir , pour s'assurer de la personne du sieur
Besenval, en conséquence duquel Arrêté un
Courier cft allé aussitôt porter l'ordre de le
tenir sous bonne et sûre garde , a cru de sa
sagesse de députer sur-le-champ à l'Assemblée
nationale , pour la conjurer d'ajouter au
choix de plusieurs de ses hiembres qu'elle a
chargés d'informer sur le crime de lèze-nation,
l'établissement d'un Tribunal , revêtu de sa
sanction et de celle du Roi , qui prononcera
sans délai sur ces crimes , afin que le châtiment
des coupables donnant un exemple né
cessaire , la tranquillité publique se rétablisse ,
& que les Citoyens assurés que la justice nationale
agit , ne se permettent aucun acte capable
de détruire des preuves importantes ,
on troublant l'ordre indispensable pour les
obtenir. L'Assemblée ordonne en outre , que
le présent Arrêté sera imprimé et affiché. »
M. le Préfident a répondu que l'Assemblée
prendroit en considération la question que les
Représentans de la Commune de Paris venoient
de lui soumettre.
Un systême de Gouvernement doitil
être précédé d'une Déclaration des
droits génériques ? Faut - il dans cetic Déclaration
, considérer l'homme sous le
double rapport d'Etre animé , agissanė
( 171 )
par les lois de la nature , et d'Etre existant
en société , ou de Citoyen ? Telles
sont les questions sur lesquelles l'Assemblée
a porté ses regards ; jusqu'ici , elles
n'avoient occupé que les philosophes.
Les droits de l'homme naturel lui as '
surent le libre exercice de ses facultés physiques
et morales ; d'où résulte , dans le fait,
une inégalité de droits proportionnelle à
celle de ces facultés. La supériorité de
force , d'intelligence , d'agilité , créent
l'empire d'un homme sur un autre ; ettant
que le genre humain reste dans cet état
primitif,il reste soumis aux différences que
la nature même a mises entre les individus
: ainsi les buissons se courbent sous
les chênes , et les harengs sont dévorés par
les baleines. Voilà le droit de nature.
La société y substitue un droit de
convention ; elle nivelle les inégalités ,
par l'établissement de l'égalité politique :
celle-ci ne seroit jamais que rationnelle
, sans les lois qui en déterminent
la sanction et en assurent le maintien .
Ces lois seules font les droits de l'homme
social et celui de la Communauté dont
il est Membre. S'il s'en attribuoit d'autres,
cette prétention deviendroit générale , la
société seroit dissoute .
Les droits de l'homme sont donc inséparables
de ceux du Citoyen , puisque ce
n'est qu'à ce dernier titre , qu'il est soustrait
à la supériorité naturelle des forces
physiques el morales. Les lois positives.
hij
( 172 )
déterminent sa condition , ses prérogatives
et leurs limites : il ne peut lui rester ,
sous peine d'entrer en guerre avec ses
semblables , d'autres droits que ceux
qu'a sanctionné la société générale.
Par conséquent , déclarer des droits ,
c'est déclarer des lois , ou faire une chose
inutile ; car la vérité même n'oblige le
Citoyen , qu'autant qu'elle se lie à une
institution positive les plus beaux
axiomes n'auront jamais dans le systême
social , la vertu d'une ordonnance de
police.
Ce n'est point retenir le peuple dans
l'ignorance de ses droits, comme l'ont
craint divers Opinans , que de promulguer
ses véritables droits , dérivant de
la loi conventionnelle , et ne pouvant
dériver d'une autre source. La connoissance
des statuts dont se compose sa
liberté , est la seule dont il puisse faire
usage , sans danger pour lui-même et
pour l'Etat. Toute vérité abstraite , tout
principe non obligatoire , manque le but
d'assurer aux Nations un rempart de
leurs prérogatives : ce rempart est dans
la loi positive , car le peuple saura défendre
des droits dont l'application est
journalière , et dont il sait que l'infraction
est aussi criminelle que celle d'un
yol de grand chemin .
Lorsqu'en 1688 les Anglois dressèrent
leur fameux Bill des droits , ils
connoissoient parfaitement les droits "
( 173 )
de l'homme en général ; dix ans de
suite on les avoit développés sous le
règne de Charles I ; cent discours Parlementaires
, cent écrits citèrent ces
principes métaphysiques : ils se trouvent
tous , et illimités, dans le fameux ouvrage
de Marchmont-Needham , en 1656 ( 1 ) .
Cependant , le Parlement se contenta
de déclarer les lois dont il réparoit la
violation , et les lois nouvelles qu'il
instituoit .
Les Américains Unis ont suivi une
autre marche , mais c'est dans leurs
Chartes , et non dans leurs déclarations
préliminaires , que la génération actuelle
ou les suivantes trouveront les
principes de leur liberté , et les moyens
de la défendre .
Ces foibles observations , peut -être mal
fondées , nous ont été suggérées par le
débat dont nous allons rendre compte ,
au sujet de la question préliminaire d'une
Déclaration de droits quelconque .
M. Durand de Maillane , Député d'Arles ,
s'est d'abord autorisé de son cahier , pour
réclamer la Déclaration des droits de l'homme
et ducitoyen . Elle devoit être affichée par- tout,
( 1 ) Ce livre singulier a pour titre , The
Excellence of Free state , or the Right Cons
tilution of a Commonwealth. Le contrat so_
cial de Rousseau semble n'être qu'un extrait
timide de cet ouvrage , dont mon célèbre
Concitoyen n'avoit cependant aucune con
noissance.
hiij
( 174 )
même dans les Eglises . Il falloit distingue
le principe , de la loi même ; celle-ci étoit
subordonnée à des vérités premières et nécessaires
, sans la connoissance desquelles
le peuple n'obéiroit qu'imparfaitement. L'Opinant
s'est étendu en longues réflexions , et
a exposé des plans divers , auxquels l'Assemblée
a prêté moins d'attention , qu'au discours
suivant de M. Crenière , dont elle a même demandé
l'impression.
M. Crenière , Député du Vendômois .
« Les François demandent , les Françoisyeulent
une Constitution libre ; mais avant
de faire une Constitution , il est nécessaire
de déterminer le sens qu'il faut donner à
ce mot , qui , comme tant d'autres , est devenu
presqu'insignifiant , à force d'acceptions
dont la plupart sont absolument différentes ,
et quelques- unes même contradictoires. »
"
Il me semble que la Constitution d'un
peuple, n'est pas une Loi , ni un code de
Lois , dites improprement constitutionnelles ;
car l'établissement d'une Loi , ou d'un code
de Lois , suppose nécessairement quelque
chose d'antérieur : il faut qu'un peuple existe
avant d'agir , qu'il soit constitué avant de
s'organiser, que des hommes soient devenus
Citoyens par un pacte , avant de devenir
Sujets par l'établissement de la Loi ; il faut
enfin qu'une convention permanente ,
immuable
, éternelle , assure à tous les Membres
du Corps politique l'exercice de leurs droits
essentiels , avant qu'ils puissent , en les exerçant
, déterminer , par des institutions , leurs
rapports consentis . »
16
Il me semble encore que la Constitution
d'un peuple ne peut pas avoir pour objet
de fixer la manière de faire les Lois , et de les
( 175 )
faire exécuter , parce qu'un Peuple peut et
doit changer tel ou tel mode de législation ,
tel ou tel mode d'exécution , quand il le veut ,
parce que , d'après ce principe du premier, ec
peut- être du sen publiciste qui nous ait
éclairés sur nos droits , que la Constitution
donne l'existence au corps politique , et que
la législation lui donne le mouvement et la
vie , on ne peut changer la Constitution
sans dissoudre la Société , tandis que l'un
doit toujours choisir, entre les moyens d'agir ,
ceux qui paroissent les plus propres à atteindre
le but de toute Société bien ordonnée
, c'est-à- dire , le bonheur de tous et
chacun des Membres qui la composent ; parce
qu'enlin l'objet de la Constitution doit être
d'assurer les droits individuels dont la réunion
seule forme les droits de tous , tandis que
les institutions ne doivent tendre qu'à subordonner
les intérêts particuliers à l'intérêt
général. »
L'homme , dans l'état de nature , n'est ni
libre , ni esclave ; il est indépendant , il exerce
ses facultés comme il lui plaît , sans autre
règle que sa volonté , sans autre Loi que
la mesure de ses forces ; en un mot , il n'a
ni droits à exercer , ni devoirs à remplir.
La nature ne donne rien d'inutile ; et si
l'homme isolé avoit des droits , contre qui
et comment les exerceroit- il ? Hors de l'éiat
de société , il n'y a ni personnes obligées
ni force publique , ni Gouvernement ni
Tribunaux ; mais il faut conclure de ce que ,
je viens d'établir , que l'homme dans l'état
de société n'a pu s'imposer des devoirs sans
acquérir des droits équivalens ; qu'il n'a pu
faire le sacrifice de son indépendance naturelle
, sans obtenir en échange la liberté
h iv
( 176 )
politique ; et qu'en consentant à ne plus
faire tout ce qu'il veut , il doit pouvoir ce
que tous ses associés veulent. Il faut en
conclure encore , que les droits qu'il acquiert
par le simple acte de son association , sont
naturels , parce que son premier soin étant
celui de sa conservation ; son premier désir ,
celui du bien -être ; sa première faculté , celle
de vouloir , il est contre la nature , et par conséquent
impossible , qu'il ait abandonné ce
soin , renoncé à ce désir , et qu'il ait voulu.
n'avoir plus de volontés. Il faut en conclure
enfin que ces droits sont imprescriptibles ; car
on ne peut y renoncer volontairement sans
dissoudre la société et rentrer dans l'état de
nature , et l'on ne peut en être dépouillé ,
parce que si l'exercice en est interrompu par
la force , jamais la force n'a fait acquérir des
droits contraires à ceux qu'elle voudroit
anéantir.
Ainsi l'homme isolé n'a point de droits ;
telle est la loi de la nature .
:
L'homme en société a des droits naturels
et imprescriptibles ; tel est l'axiome de la
raison des Citoyens qui les exercent forment
un Peuple libre ; des Sujets qui ne les exercent
pas , ne sont qu'une troupe d'hommes enchaìnés
ou trompés .
C'est l'établissement de ces droits naturels
et imprescriptibles , antérieur aux lois qui
n'établissent que des droits positifs ou relatifs
, que j'appelle la Constitution d'un Peuple
; et je ne crois pas que l'acte de cette
Constitution doive en énoncer d'autres .
Il me reste maintenant à chercher quels
sont les droits naturels et imprescriptibles
dont l'énonciation doit seule , à ce qu'il me
semble , faire l'acte de la Constitution d'un
( 177 )
Peuple je n'aurai pas besoin d'employer de
grands efforts ; ils sont si connus , si évidens ,
que leur extrême simplicité est sans doute la
seule raison qui ait pu décider à en imaginer
d'autres.
Tels sont les principes qui m'ont dicté le
projet suivant :
Les François considérant qu'il leur étoit
impossible de s'assembler tous dans un même
lieu , et de se communiquer leurs intentions ,
- s'ils s'assembloient dans des lieux différens , ont
librement choisi dans chaque Province , oupartie
de Province , des Mandataires qu'ils ont
envoyés à Versailles pour les constituer en
Peuple libre .
Fidèles aux ordres de leurs Commettans ,
dont ils exercent les droits et expriment les
volontés , ces Mandataires constitués en Assemblée
Nationale , ont déclaré et déclarent
à jamais ,
1° . Que la volonté du plus grand nombre
étant la loi de tous , chaque Citoyen a le
droit de concourir à la formation des lois , en
exprimant son vou , particulier.
2º. Que chaque Citoyen doit être soumis
aux lois , et qu'il ne doit dans aucun cas être
contraint d'obéir à des volontés privées..
3°. Que chaque Citoyen a le droit de concourir
à l'institution du pouvoir chargé de
faire exécuter les lois .
4°. Que chaque Citoyen a le droit de demander
la conservation ou l'abrogation des
lois et des institutions existantes , et la création
de lois et d'institutions nouvelles .
5°. Que le pouvoir législatif et institutif
appartenant essentiellement au Peuple , chaque
Citoyen a le droit de concourir à l'organisation
de tous les pouvoirs.
hy
178 )
6°. Que l'exercice de ce pouvoir peut être
confié à des Mandataires nommés par les
habitans de chaque Province , dans un nombre
proportionné à celui des Commettans .
7°. Que l'époque de la tenue des Assemblées
Nationales , leur durée ou la permanence
même de l'une de ces Assemblées , ne
peuvent être déterminées que par la volonté
des Citoyens , exprimées par eux ou par leurs
Mandataires.
8°. Qu'aucuns impôts , sacrifices ni emprunts
ne peuvent être faits , exigés , ni perçus sans le
consentement du Peuple.
9°. Qu'enfin ces droits étant naturels , imprescriptibles
, ils doivent être inviolables et
sacrés ; qu'on ne peut y porter atteinte sans
se rendre coupable du crime irrémissible de
lese- Nation ; qu'appartenans indistinctement
à tous les Citoyens , ils sont tous libres , tous
égaux aux yeux de la loi , et qu'ayant tous
les mêmes droits , ils ont aussi les mêmes
devoirs et les mêmes obligations.
M. le Comte Mathieu de Montmorency a
défendu la Déclaration , comme indispensable
à la Constitution : celle - ci est l'édifice , la
première dolui servir de fondement. Les
droits étant éternels et imprescriptibles , leur
déclaration ne sauroit être provisoire. La
vérité fera le bonheur du Peuple ; il seroit
dangereux de ne pas Péclairer. C'est à la
France à présenter à l'Univers un code de
sagesse qui devienne celui de toutes les Nations.
M. de Castellane a réfuté les objections
levees dans les Bureaux contre une Décla
ration des droits. Depuis Charlemagne , l'idée
de ces droits avoit disparu ; il importoit de
les rappeler . Nul n'avoit pu dire à son Souve
( 179 )
"
rain : « Je te livre un pouvoir arbitraire sur
« mapersonne ; à ton gré , tu nous plongeras
« dans les prisons , et nous y périrons , si c'est
l'intérêt de ta Maîtresse ou de ton Favo-
« ri . » Les Parlemens , exposés eux - mêmes aux
Lettres-de -cachet , avoient- ils pu y soustraire
les Citoyens ? Le Peuple seul peut faire respecter
les Lois. Une si longue oblitération des
principes en exigeoit la reconnoissance formelle
. D'ailleurs , l'expérience prouvoit la
nécessité de cette Déclaration . En Angleterre,
leshommes étoient encore sous le joug des
abus ,,
parce que leurs droits y étoient encore
ignorés.
M. Target , après une peinture énergique
de l'esclavage , a fait un plaidoyer sur les
droits de l'homme. Pour former un Peuple
libre , il faut lui apprendre quels sont les
droits de la liberté aucune vérité ne peut
lui nuire ; il faut le conduire au bonheur par
les lumières , et nous ne le pouvons qu'en
gravant sur l'airain les bois naturelles.
M. l'Evêque de Langres. n La Conftitution eft
un code & Corps de Lois ; tout ce qui n'eft
pas loi, ne doit pas faire corps avec la Conftitution ."
Les principes parlent à la raison pour ' a convaincre
, & les Lois à la volonté pour la foumettre :
beaucoup de perfonnes ne feroient pas en état
d'entendre les maximes que vous leur préfenterez
; non que je veuille qu'on tienne le peuple
dans l'ignorance, mais je voudrois qu'on l'éclai--
rât par des livres , & non par des déclarations
abftraites. Celle qu'on propofe doit le réduire à un
préambule fimple & clair , qui ne renferme que des
maximes incontestables .
48 Membres devant encore parler sur la même
queſtion , on en a remis l'ultérieure discuffion au
lundi fuivant.
h vi
( 180 )
Quatorzième semaine de la Session .
Du lundi 3 Aour 1789. M. le Président a
annoncé que le scrutin de samedi dernier lui
avoit donné pour successeur M. Thouret , élu
à la pluralité de 406 voix contre 402. Le jour
même de sa nomination , ce Député de Rouen ,
qui, à plusieurs reprises , a manifesté le talent
assez rare de la discussion , preuve de l'ordre
des idées et de la sureté du jugement , s'étoit
excusé d'accepter la place qu'on lui déféroit.
Son refus , exprimé samedi dans une lettre
qu'il avoit écrite à M. le Duc de Liancourt ,
a été confirmé par lui - même dans le discours
suivant qu'il a adressé à l'Assemblée.
MESSIEURS ,
» Lorsque vous avez daigné m'élever à l'honneur
de vous préfider , cet e ,faveur inestimab e
étoit au -' effus de toutes mes efpérances : je ne me
ferois pas cru permis de porter fi haut des voeux
dont rien n'auoit pu juftifier à mes yeux la préfemption
; mon premier , mon plus vif fentiment
fut , et eft encore , celui de la prof nde et refpectueufe
reconnoiffance dont j'ofe vous supplier
d'agréer l'hommage , «<
» Preffé par ce même sentiment , par l'obligation
de vous en donner le plus utile et le plus
digne témoignage , je cédai avec empreſſement au
devoir que j'ai rempli par la lettre que j'eus
l'honneur d'écrire , dès le foir même , à M.le Duc de
Liarcourt.<< 5
» C'eſt en fentant tout le prix de l'honneur
que vous m'avez déféré , et qui ne pourroit pas
m'être ravi , que j'ai le courage de me refufer à
fa jouiffance , quand fous d'autres rapports il eût été
peut-être excufable de penfer que le courage étoit de
l'accepter. «
( 181 )
J'aurai encore aftez de force en cet inftant , je
prendrai affez fur moi- même pour sacrifier au majestueux
intérêt de votre Séance , des détails dont
l'objet me feroit perfonnel : je fens bien que
J'Individu doit difparoître où les foins de la caufe
publique ont feuls le droit de fe montrer et de
dominer. Qu'il me foit feulement permis de
dire que je fuis capab e et digne de faire à cette
grande caufe tous les facrifices à-la -fois ; & que
c'eft à ce double tit e que je viens vous demander
de recevoir mes remercîmens et ma dểmiffio
. "
Sous la préfilence de M. le duc de Liancourt ,
continuée cejour , on a lu par extrait , des adresses ,
lettres à l'Affemblée , révocations de pouvoirs
impératifs.
Enfuite , M. Bouche obfervant que la longueur
immoderée des Difecurs emportoit un temps
précieux , a propofé de placer une horloge de fable
fur le bureau de M. le préfident ; que chaque orateur
ne pût garder la parole au- delà de cinq minutes
, & qu'à leur expiration , il lui fût impofé
filence. Cette motion a été fort applaude , comme
favorable également à ceux qui fe taifent , et à
ceux qui aiment à parler. On l'a prife en délibération
. M. Mounier a que penfé que fi elle étoit
adoptée , l'Aflemblée devoit en même temps déclarer
qu'elle del bé eroit fans difcuter ; mieux
vaudroit , a- t- il ajouté , laiffer à M. le préfident ,
la liberté de pie l'Orateur de s'affeoir. M. Target
a demandé , pa fo. me d'amendement , dix minutes
au lieu de cinq , et qu'ap ès avoir oui dix membres
fur use question , l'Affemblée pût prononcer que
le fujet étoit épuifé.
Un Membre de la Nobleffe reftrignoit la loi
des cinq minutes à la lecture , ' a parole reftant
libre in léfiniment . MM. de la Rochefoucault et de
Clermont-Tonnerre ont combattu toutes ces reftric182
)
tions ; M. Rabaut de Saint-Etienne en a preffè l'in
compatibilité avec l'énoncé clair et précis d'un
argument quelconque.
Enfa , la motion de M. Bouche & l'amende
ment de M. Target ayant été écartés , on a admis
l'avis de M. Péthion de Villeneuve , conſiſtant à former
deux liftes concurrentes de tous les opinans qui
demanderoient la parole fur une queftion quelcoaque
, & qui seroient entendus alternativement.
Cette difcuffion terminée , M. de Clermont-
Tonnerre a follicité un passe-port pour M. ſon oncle
, abbé de Luxeuil , profcrit en Franche- Comté ,
réfugié à Porentrui dans l'évêché de Dâle , & demandant
de fe rendre à Versailles , même comme
prifonnnier.
M. le Vicomte de Noailles a obje&té qu'accorder
cette demande , c'était déférer d'avance à toutes
celles du même genre ; ce qui méritoit un examen
sérieux,
M. de Lally-Tolendal a préfenté un tableau effrayant
& top réel de la trifte fituation du royaume,
dont les routes même; ceffoient d'être libres ,
tandis que tour citoyen avoit le droit ded'être , tant
qu'il n'étoit pas frappé du glaive de l'accusation
juridique. M. de Mirabeau , repréfentant que les
fonctions de l'affemblée n'étoient pas de délivrer
des paffe- ports , a rappelé la détention de M. le duc
de la Vauguyon , fur laquelle on s'étoit abftenu de
prononcer.
L'affaire a été renvoyée au Comité de Rapporr.
La déclaration des droits remife en délibéra
tion , M. Demeunier en a dévelopé l'importance :
elle rendra plus populaire & plus exacte la connoiffance
des prérogatives du citoyen ; elle rappellera
les François aux principes de leur ancienne liberté.
L'opinant a lu enfuite un projet de déclaration
des droits de l'homme en fociété .
M. de Biauzat a combattu les formules impri
( 183 )
mées de déclaration des droits , buivant lui , la liberté
du citoyen doit émaner de la conftitution & des
decrets de l'affemblée. On ne peut confidérer
l'homme que dans l'état civil ; le prendre dans
l'état de nature , c'eft pofer des bafes chimériques
d'inftitution politique.
M. le comte d'Entraigues a foutenu une déclara.
tion des droits de l'homme et du citoyen , & a expofé
fes propres vues fur la manière dont elle devoit
être compofée. Il a célébré J. J. Rouffeau,
dont les idées fur les effets de la propriété font
néanmoins diamétralement oppofées à celles de
l'Orateur.
M. Malouet n'a point envifagé la déclaration etc.
comme uninftrumeut néceffaire à la deftruction de la
tyrannie ; la Conſtitution y fuffira : toutes maximes
métaphyfiquesfont peu intelligibles pour le commun
des hommes , & il eft dangereux de leur préfenter
un fyftême de droits dont leur raifon ne pourroit
faifir , ni le vrai caractère , ni les limites . L'Amérique
étoit dans une toute autre pofition que la nôtre,
lorfqu'elle proclama fa déclaration . Celles qu'on
propofe doivent être fimplifiées , & liées à la conf
titution même."
. de Landine ( 1 ) , Député du Forez , a pris la
parole , & a dit :
Le plus beau moment pour la Nation Françoife
& pour vous , eft fans doute celui-ci . Elle
réclame une Conftitution ; vous allez l'établir : ce
bonheur , qui manqua à nos pères , vous en ferez
jouir aos defcendans , & la France peut reprendre
les fentimens de fa gloire & de fon ancienne
fplendeur. »
(1 ) M. de Landine eft l'Homme de Lettres de
ce nom , auquel on doit plufieurs ouvrages eſtimables
d'érudition , & l'un des meilleurs de ceux
qui ont paru fur les États-Généraux,
184 )
» Mais en parlant de Conftitution , de droits naturels
, de principes imprefcriptibles , ne nous laiſſons
point aller à des idées trop abftraites : gardonsnous
du développement même de principes , vrais
au fond , ingénieux dans la forme , mais inutiles
au moment ; & ayons le bon esprit de favoir
borner notre carrière , fi nous voulons arriver au
but. "
" La déclaration des droits naturels de l'homme
offre fans doute l'objet d'un travail très -philofophique
, mais très -peu à la portée du plus grand
nombre des hommes qui doivent être foumis à la
loi . Elle renferme des principes qui font dans tous
les efprits , ou doivent y être. Sans doute toute
bonne Conftitution eft fondée fur le droit naturel
, & la nôtre repofera auffi fur ces vérités immuables
qui le conſtituent ; mais ces verités font de
tous les âges , de tous les lieux , & on ne peut les
méconnoître. »
» Ce n'eft pas des droits naturels fixés au berceau
des peuplades naiflantes dont il faut s'occuper
; c'eft des droits civils , du d oit positif
propre à un grand peuple réuni depuis quinze
fiècles , vieilli au milieu de lois discordantes , mais
éclairé en ce moment par l'hiftoire , qui n'eſt que
l'expérience des faits , par la philofophie , & furfon
intérêt , loi fuprême des Etats , comme
elle eft celle des individus qui les compofent.
Loin de remonter donc à l'origine de l'ordre fosial ,
améliorons celui où nous fommes placés ; abandonnons
l'homme naturel , pour nous occuper du fort de
l'homme civilife ; & fans chercher ce que nous avons
été , nt même ce que nous fommes , fixons ce que
nous devons être.
tout par
» Les auteurs des Déclarations des droits naturels
ont très-bien établi que l'homme eft né libre
; qu'il doit l'être encore dans l'exercice de
fes facultés , dans la difpofition de fa propriété ,
( 185 )
dans l'emploi de fon industrie. Je me plais à
adopter , à profeffer les mêmes principes ; mais
confervons les principes pour nous qui fa fons
les lois , & hâtons- nous de donner aux autres les
conféquences , qui font les lois elles - mêmes. Locke,
Cumberland , Smith , Hume , Rouffeau & plufieurs
autres , ont développé les mêmes principes ;
leurs ouvrages les ont fait germer parmi nous.
Si nous devions créer une théorie politique , fans
doute nous devrions travailler à l'imitation de ces
écrivains fameux ; mais il ne s'agit pas de la
théorie , c'eft de la pratique ; il ne s'agit pas de
l'univerfalité des gouvernemens , mais du nôtre.
La plupart de vous , Meffieurs , n'ignorent pas
les idées vaſtes que ces philofophes ont répandues
fur la légiflation des Empires , & nous ne
les perdrons pas de vue dans la feule application
que nous devons en faire. Oui , je le répète ,
c'eft cette application feule qui doit à l'inftant
même nous occuper.
<< Sans doute l'homme doit favoir qu'il eft
libre ; mais il faut faire plus que de le lui déclarer
, il faut ordonner qu'il le foit. La loi qui empêchera
qu'on n'attente à fa liberté , fans corps
de délit conftant , prouvera mieux que tous les
raifonnemens , que la liberté de l'homme eſt naturelle
& facrée. La Loi qui profcrira ces lettresde-
cachet , monument de la tyrannie , qui font
pour nous ce qu'eft pour l'Afie le cordon fatal ;
cette loi fera plus pour le bonheur public & notre
fureté individuelle , que tous les préambules &
les préliminaires . Inutilement a-t-on dit , quoiqu'avec
beaucoup d'éloquence , que fi , d'ans l'avenir
, un Tyran venoit à déroger à la loi , du
moins déclaration des droits naturels fubfiftant
toujours , pourroit l'arrêter , & ferviroit à nos
neveux de témoignage de notre fageffe . Le tyran ,
qui mettroit fous fes pieds la loi , fouleroit de
( 186 )
du tems
2
même une vaine déclaration ; & quant ǎ la race
future , la loi prouvera bien plus en notre faveur
que fa préface. En effet , c'eft être fage que de gagner
dans un moment où nous en avons affez
perdu , & où nous ne devons plus en avoir à perdre
; c'eft être fage que de ne pas ouvrir aux efprits
François une vafte carrière de conteftations ,
de commentaires & d'opinions : car fi les articles
offrent même parmi nous une longue difcuffion ,
penfe- t-on que l'imagination des autres refte tranquille
, & ne fe divife pas fur les mêmes objets ?
De là les écrits contraires ; & ces débats affcibliront
toujours un peu le refpcct profond qu'on
doit avoir pour tout ce qui émane de l'Affemblée
éclaiée des Repréfentans de la Nation .
» Dans le grand nombre d'excellens articles
produits dans les projets de déclarations , il en
eft plufieurs qui appartiennent directement , &
doivent fervir de bafes aux droits des peuples &
da fouverain ; ce font ces articles dont il faut tout
de fuite faire des lois , puifque ce foat ces droits
qu'il faut fixer. Une divifion plus fimple que
toutes celles qui nous ont été offertes , une divifion
adoptée par le plus grand nombre des pu
bliciftes , & dont on n'auroit peut- être pas dû
s'écarter , faciliteroit le travail , & présenteroit
un rapprochement plus aifé dans la difcuffion &
-les opinions.
Certe divifion feroit 1 ° . l'examen des droits de
Nation antérieurs à tout autre , & dont tout
autre émace ; des droits de la nation , c'est - àdire
, des citoyens qui la compofent , & qui marchent
égaux devant la loi qu'ils ont volontairement
& librement confentie. 2°. L'examen des
droits du Monarque qui fait exécuter cette loi.
3 ° . L'examen des droits de ceux qui l'exécute ,
& qui tirent leur pouvoir & de la Nation & du
Souverain. Tels font les trois branches de l'arbre
187
focial , & tels font les trois & uniques points
de notre travail , & le plan dans lequel il fandroit
peut-être nous circonfcrire. Dans le peuple
aflemblé , la puffance légiflatrice ; dans le roi ,
Je pouvoir exécutif ; dans ceux qu'il emploie , la
force militaire & judiciaire , l'une & l'autre déterminées
d'après le confentament général . Voilà
notre tâche : elle eft affez grande , affez importante
, pour nous occuper fans diſtraction à la
bica remplir.»
"
» En me réfumant , je répète que nous ne
fommes pas venus établir des principes que nous
devons connoître , mais en promulguer les refultats
; travailler non à des préliminaires de lois
mais à la formation même des lois. Le dix- huitième
fiècle a éclairé les fciences & les arts ; il
n'a rien fait pour la légiflation. Le moment eft
arrivé de la créer. Que la loi foit concife , pour
qu'elle puiffe fe fixer dans le fouvenir de tous
même de nos enfans ; qu'elle fcit simple , pour
qu'elle fait entendue de tous. Gardons pour nous
l'étude des principes , les bafes du travail , &
faifons-en cueillir aux peuples les fruits. Ainfi
fe cachent au fein de la terre les vaftes fondemens
d'un palais ; & l'oeil du citoyen jouit feulement
de l'enfemble & de la majefté de l'édifice .
Hâtons-rous de l'élever cet édifice , & puiffe- t- il
mériter la contemplation des Sages , & les regards
de la postérité .
MM. de Virieu & Cufline ont récapitulé avec
précifion les motifs qui néceffitoient la Dicaration.
Enfin , M. Mounier , en la défirant fimple &
non raifonnée , applicable à l'homme en fociété
& non à l'homme ifolé qui, pour la première
fois , s'unir en communauté politique , a obfervé
que la différence des avis portoit peut- être fur les
mots . Chacun admettoit une Déclaration de droits
( 188 )
quelconque ; mais les uns la demandoient comme
une Conftitution , les autres comme un préalable.
Séance du foir , 3 AOUT. Au fortir de la
Séance du matin , on s'étoit retiré dans les Bureaux
pour y nommer un Préſident. L'Élection a été
déclarée dans la Séance du foir : M. le Chapelier,
qui a montré tant de courage , de lumières &
d'application dès l'origine , avoit réusi la grande
majorité de 945 fuffrages. Il a prononcé un Dif
cours à l'Affemblée , à la fuite de celui de M. le
Duc de Liancourt , ancien Préfident, & en faveur
duquel on a voté des remercimens.
M. Salomon , Secrétaire du Comité de Rapport,
a fait celui des malheurs qui défolent les provinces
; les chartriers pillés , les châteaux brûlés ,
des ligues de payfans pour refufer la dixme & le
terrage , des gentilshommes égorgés , des Abbayes
pillées & renverfées : telle eft l'affligeante image
que le Comité de Rapport a chaque jour fous les
yeux.
M. Salomon a propofé un plan de Déclaration
pour tâcher de ramener à l'ordre un peuple égaré,
qui a paffé de la liberté à la licence , & qui penfe
le recouvrement de fes droits ne peut s'établir
que par le renversement de tous les droits .
que
Ce projet de Déclara ion ayant été lu , plúfieurs
Membres l'ont critiqué ; les uns en élevant
des doutes fur les faits , les autres en confidé.
rant le danger de compromettre l'Aſſemblée par
des ordres ou par des confeils .
M. Mougin de Roquefort a foutenu que l'Affemblée
nationale étoit la fauve-garde de la fociété
; que la notoriété de fait , conftatée par les
lettres de Perſonnes publiques , fervoit de preuves
inconteſtables des troubles qui agitoient ces pro
vinces , & que ces preuves fuffifoient pour exig er
de l'Affemblée un acte d'invitation & de prévoyance
, tel que l'Arrêté du Comité .
( 189 )
M. Madier a appuyé avec force cette opinion
fage , & que les circonftances fembloient rendre
néceffaire .
M. Grégoire a annoncé qu'en Alface on venoit
d'exercer envers les Juifs des perfécutions inouies ;
& que comme miniftre d'une religion qui regarde
tous les hommes comme frères , il devoit
réclamer , dans cette circonftance , l'intervention
de l'Affemblée en faveur de ce peuple profcrit
& malheureux .
M. de Raze a obfervé que la féodalité eft de
toutes les qutions la plus importante pour les
habitans des campagnes , & qu'il ne falloit rien
promulguer fur ce point jufqu'à la Conftitution.
M. Regnaud de Saintonge a fait fentir que ces
malheurs , ces dévaſtations portoient fur une
claffe utile & refpectable qu'il étoit particulièrement
venu défendre , fur les cultivateurs. Les terres
feigneuriales font affermées , a-t-il dit ; les fermiers
n'ont que le produit de leur induftrie pour fubfifter.
Les ravages , les incendies , le pillage leur enlève
le fruit de leurs travaux. Quand leur Seigneur
feroit la remiſe du prix de fa ferme , ce qui eft
douteux , ils auront à payer les impôts dont l'Affemblée
a décrété la perception ; ils feront privés
du bénéfice qui doit faire fubfifter leur nombreufe
& laborieufe famille ; & des enfans qui
faifoient leur richeffe , éprouvant bientôt les horreurs
du befoin & de la mifère , augmenteront ,
leur défefpoir.
Le projet d'ure Déclara on ayant réuni une
grande pluralité , on en a renvoyé la rédaction
au Comité , pour en rendre compte le lendemain.
MM. l'Abbé Grégoire , de Clermont -Tonnerre , &
Mounier , Co-Secrétaires de l'Affemblée , étant
renvoyés par le fort , & la nomination de M. le
Chapelier à la Préfidence , laiffant une quatrième
( 190 )
1
place vacante , les quatre nouveaux Secrétaires
lus au ferutin , ont été MM. Fréteau , l'Abbé
de Montefquiou , Pethion de Villeneuve & Emery.
Un Membre du Comité de Rapport a rendu
compte de l'enlèvement d'un dépôt d'armes à
Toul & dans les environs de Thionville , par
ordre de M. le Maréchal de Broglie , l'un du
16 , l'autre du 23 juillet , Les habitans réclament
ces armes , & l'avis du Comité a été de déférer
à cette demande.
Item , de la détention de M. l'Evêque de Noyon
à Dole , dont les Officiers Municipaux demandoient
les ordres de l'Affemblée. Le Comité a
été d'avis de renvoyer cette affaire au Miniftre ,
& de rappeler aux Municipaux de Dole l'illégalité
de leur conduite. Ces deux rapports ont eu
l'approbation de l'Affemblée.
Dans le cours de la Séance , il a été fait lecture de
la lettre fuivante , communiquée par M. le Comte
de Montmorin, à M. le Préfident.
Lettre de M. le Duc DE DORSET , Ambaſſadeur
d'Angleterre , à M. le Comte DE MONTMORIN ,
Minire et Secrétaire d'Etat au Département des
Affaires Etrangères.
MONSIEUR
Paris 3 Août 1786 .
« Ma Cour , à qui j'ai rendu compte de la Lettre
que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. E. le 27
dejuillet , & qu'elle a eu la bonté de communiquer
à l'Affemblée Nationale , vient , par sa Dépêche
du 1 , que je reçois à l'inftant , non-feulement
d'approuver ma démarche, mais m'a autorifé
fpécialement de vous renouveler , dans les termes
les plus pofitifs , le defir ardent de Sa Majefté
Britannique & des Miniftres , de cultiver & d'encourager
l'amitié & l'harmonie qui fubfiftent fi heureufement
entre les deux Nations, »
И
Il m'eft d'autant plus flatteur de vous annoncer
( 191 )
ces nouvelles affurances d'harmonie & de bonne intelligence
, qu'il ne peut que réfulter le plus grand
bien d'une amitié permanente entre les deux Nation
, & qui eſt d'autant plus à defiɣer , que rien ne
peut contribuer davantage à la tranquilité de l'Europe
, que le rapprochement des deux bouts. "
Je vous ferai obligé de communiquer à M. e
Préndent de l'Affemblée Nationale , confirmation
des fentimens du Roi et de fes Miniftres. »
Du Mardi 4 AOUT , Séance du matin. Lecture
faite de plufieurs Adreffes & Actes d'adhéſion
aux Arrêtés de l'Affemblée , elle a délibéré une
troifième fois fur la Déclaration des droits.
L'impatience de finir cette difcuffion l'a rendue
tumultueufe , & ce n'eft qu'au travers d'interruptions
continuelles que les nouveaux Opinans ont
pu fe faire écouter.
M. Dupont , Député de Bigorre , a conſidéré .
la queſtion comme plutôt faite pour exercer les
talens des métaphyficiens , que la fageffe d'une
Affemblée légiflative. A qui , a-t- il dit , donneronsnons
des lois , quand l'ep it d'indépendance aura
exalté tous les efprits , & rompu les liens du
pacte focial ? Fréférens de faire le bien à la vanité
de nous faire admirer ; que , parmi tous les titres
dont les Repréfentans de la Nation auoient pu
shoncrer , ils n'ambitionnent ou ne méritent que
celui de Sages.
M. le Marquis de Sillery. La Conſtitution d'un
pays eft le mode des lois générales qui gouvernent
les hommes. Pour établir ces lois , il faut développer
les principes, avec lefquels elles ont des rapports intimes.
Il est donc néceffaire de les rappeler.
Dans l'ordre moral , toutes les lois devroient
s'appliquer à tous les pays & à toutes les nations ;
mais une longue expérience nous a démontré que
les lois d'un pays ne font pas applicables à tel
( 192 )
autre. Les Légiflateurs d'un Peuple immenfe doivent
prendre en confidération la différence des
moeurs & des ufages , qui varient comme les climats
& les productions .
Ne perdons pas de vue l'intérêt des nombreux
& utiles habitans de la campagne. Il ne nous
demandent pas des lois inintelligibles ; il ne faut
pas leur préfenter des difcuffions philofophiques,
qui les mécontenteroient ou qu'ils interpréteroient
mal .
Cependant je regarde la Déclaration de Droits
comme très - néceffaire ; mais je la défire plus
fimple , moins didactique , moins compliquée.
De toutes parts on crioit aux voix , lorfque
M. Camus a infifté fur une Déclaration des droits
& des Devoirs du Citoyen. Il a propofé cette
forme comme un amendement à la queſtion principale.
Alors , on a analyfé , diftingué , rapproché les
Droits & les Devoirs . M. l'Evêque de Chartres
voyoit , dans cette double déclaration , un frein à
l'égoïfme & à l'orgueil . L'une ferviroit de correctif
à l'autre , & il ne feroit pas inutile de les lier à quelques
idées religieufes, noblement exprimées . M. Gré
goire , & la plupart des Membres du Clergé , adhéroient
à cette opinion . D'autres ont combattu l'amendement
:: on est allé aux voix par affis & levé , fans
pouvoir obtenir un réfultat clair ; enfin , les fuffrages
pris par appel , 570 contre 430 , ont rejeté l'amendement
de M. Camus : la queftion principa'e
, fila Conftitution feroit accompagnée d'une
Déclaration des Droits , a paffé à l'affirmative ,
une grande majorité .
à
Pendant la délibération , l'Affemblée a reçu la
lettre fuivante du Roi.
Du 4 Aout 1789.
» Je crois , Meffieurs , répondre aux fentimens
de
( 193 )
» de confiance qui divent regner entre nous , en
>> vous faifant ратт directement de la manière dont
» je viens de remplir les places ventes dans mon,
» miniſtère. Je dorne les fceaux à M. l'Archevêque
» de Bordeaux , la feuille des bénéfices à M. l'’Ár-
» chevêque de Vienne , le département de la
» guerre à M. de la Tour- du-Pin- Paulin , & j'appelle
dans mon Confeil M. le Maréchal de Beau-
» vau. Les choix que je fais dans votre Affemblée
» même , vous annoncent le défir que j'ai d'entre-
» tenir avec el'e la plus conftante & la plus ami-
» cale harmonie . »
Signé Louis.
L'Affemblée a voté une députation & une
adreffe de remercimens à Sa Majesté.
Deux députations , l'une des fix Corps Marchands
de laville de Paris , l'autre des Office:s
de la Table de Marbre , ont été admifes .
M. le Baron de Marguerites a fait part à l'Affemblée
d'une requête envoyée par le Con'eil permanent
de la ville de Breft , au fujet d'un conflit
entre l'autorité de Terre , celle de la Marine , &
du Confeil permanent nouvellement étabi . Le
voeu des habitans de cette ville eft d'obtenir un
ommandant général des forces de terre & ' de '
mer quait la confiance des troupes , & Tambur
du Peuple , & ce voeu nomme M. le comte
deftaing.
L'Ademblée Nationale a délibéré que M. le Préfident
fe rendroit auprès du Roi , pour mettre fous
les yeux de Sa Majefté la demande des habitans
de la ville de Breft.
Du Mardi 4 AOUT. Séance du for. Cette féance ,
qui fera époque dans l'hiftoire de l'Europe & dans
celle du coeur numain , a duré depuis huit heu ès
jufqu'à deux après minuit. L'Affemblée avoit fous
les yeux le tableau des horreurs dont le Royaume
eft la proie , prefque d'un bout à l'autre ; elle
Nº. 33. 15 Août 1789.
( 194 )
avoit réfo'u de tenter une déclaration propre à
fufpendre le cours de ces dévaftations , encouragées
par le file.ce des lois & par la nullité du pouvoir
réprimant. A l'ouverture de la féance , M.
Target ut un projet de Déclaration , arrê é par
le Comité de rédaction , où l'on rappeloit les Peuples
au respect des propriétés , des redevances Seigneuriales
& des impofitions , jufqu'à ce que
I Affen blée eût ftatué fur ces différens objets.
M. le Vicomte de Noailles , s'élevant contre
l'infuffifance de ce projet , a perfuadé l'Affemb ée
que le calme ne renaîtroit parmi le Peuple , qu'au
moment cù il recevroit des foulagemens , où il
apprendroit des facrifices faits à fon infortune.
Je propofe donc , a-t-il ajouté , 1 ° . qu'il foit
dit , avant la déclaration projetée par le Comté ,
que les repréfentans de la nation on: décidé que
l'impôt feroit payé par tous les individus du
Royaume , dans la proportion de leurs revenus. »
2°. Que toutes les charges publiques feront
à l'avenir fupportées également par tous. «
» 3°. Que tous les droits féodaux feront rem-
Lourfés par les communautés , cu échangés far le
pied d'une jufte eftimation , c'eft- à- ire , d'après
le revenu d'une année commune , pife fur. dix
années de revenu. »
4°. Que les rentes Seigneuriales tant en volailles
, comeftibles , grains , argent , feront rembourfables
par les propriésaires , ou f lidaires des
terrains y fujets , fuivant l'évaluation des mêmes
dix années. «
» 5°. Que les corvées Seigneuriales , les mainmortes
& autres fervitudes perfonneiles feront
détruites fans rachat. «
Ce Difcours , ces propofitions ont été un coup
électrique , reffenti par toute l'Afſemblée . Une
impulfion d'enthouſiaſme généreux a élevé les
mes au-deffus de tout calcul , & même de la
( 195 )
réflexion. Dans la Nobletie , dans le Clergé ,
s'ett difputé à l'envi le mérite du dévouement :
les facritices fe fuccédoient , fe preffoient avec
l'impétuoûté de la parole , & de cet élan général
eft réfulté l'anéantiffement des droits comme
celui des ufurpations , des prérogatives tyranniques
, comme de celles d'honneur . Cinq heures ont
fuffi pour renverfer l'ouvrage de dix fiècles.
A la motion de M. de Noailles , M. d'Aiguillon
à ajouté celle- ci .
« L'Affemblée Nationale , confidérant que le
premier & le plus facré de fes devoirs eft de
faire céder des intérê: s particuliers & perfonnels
à l'intérêt généra! ; «
19
Que les impôts feroient beaucoup moins
cnéreux pour les Peuples , s'ils étoient répartis
également fur tous les citoyens , en raifon de
Lurs facultés ; »
19
s ;
Que la juftice exige que cette exacte proportion
font obſervée : «
» Arrê.e que les Corps , Villes , communautés
& individus qui o t joui jufqu'à préfent des
priviléges particuliers , d'exemptions perfonnelles
, fupporteront à l'avenir tous les fubfides
toutes les charges publiques , fans aucune diftinction
, foit pour la quotité des impôts , foit
pour la forme de leur per eption . «
» L'Afemblée Nationale , conſidérant en outre
que les droits féodaux & Seigneuriaux font cenfés
une eſpèce de tribut onéreux , qui nait à l'agriculture
& défole les campagnes , ne pouvant
fe diffimuler néanmoins que ces droits font
une véritable propriété , & que toute propriété
eft inviolable ; «
» Arrête que tous les droits , féodaux
Seigneuriaux feront à l'avenir rembourfables
à la volonsé des redevables , au denier trente
ou à tel autre qui , dans chaque Province , fem
( 196 )
jugé plus équitable par l'Aifemblée Nationale
d'après les tarifs qui lui feront préfentés . «
» Ordonne enfin l'Affemblée Nationale
, que
tous ces droits feront exactement perçus & maintenus
comme par le paflé , jufqu'à leur parfait
remboursement.
Ces Motions adoptées par acclamation auffi
tôt que préfentées , ont été fuivies d'un torrent de
renonciations pareilles ; elles n'ont pas été interrompues
par une réflexion de M. Dupont , Député
de Nemours , qui jugeant difficile d'établir
un ordre politique fans lois ni tribunaux protecteurs
de la fureté des performes & des propriétés,
a propofé d'ajouter à la Déclaration , que la
Force de la Nation , foit employée au maintien des
lois.
季
M. le Duc du Châtelet a regretté d'avoir été
prévenu par M. le Vicome de Noailles , & a
demandé que les dixmes de tout genre fuffent
converties en redevances pécuniaires , & rachetables
dans une proportion à régler.
M. le Comte de Foucault- Lardimalie a porté
la hache fur les penfions envahies par des Courtifans
, par des Familles en faveur , accumulées
fans titres dans les mêmes mains : il a énergiquement
requis la réduction de ces tributs ufuraires
payés par l'Etat à l'inutilité , !!
M. Cotin a demandé l'abolition des Juftiers
Seigneuriales ; M. l'Evêque de Chartres , celle du
droit exclufif de la chaffe ; M. l'Abbé Grégoire , la
suppreffion des Annates.
» Accoutumés , a dit M. l'Evêque de Nanty,
à voir de près la mifère & la douleur des peuples
, les membres du Clergé ne forment pas
des voeux plus ardens que ceux de les voir ceffer .
Les honorables Mimbres qui ont déja parlé
n'ont demande le rachat que pour les propriétaires
. Je viens exprimer, au nom des Membres
du Clergé , un voeu qui honore à-la-fois la juf,
( 197 )
tice , la religion & humanité. Je demande que
fi le rachat eft accordé , il ne tourne pas au profit
du Seigneur eccléfiaftique , mais qu'il foit fait
des placemens utiles pour les bénéfices mêmes ,
afin que leurs Adminiſtrateurs puiffent répandre
des Aumônes abondantes fur l'indigenice.
7
M. de Digoine a fait le facrisce de plufieurs
droits qu'il poffède en divers lieux de la Bourgogne.
M. de Saint - Fargeau a demandé que l'égalité
d'impofitions eû: lieu pour les 6 mois courans
, & que la répartition en fût confiée aux Adminiftrations
provinciales .
"
Comme Catulle , a dit M. le Comte de Virieu,
je demande à offrir mon moineau : les colom
» biers nuifent aux campagnes ; je fais le facrifice
>> des miens . »
L'abnégation des Provinces privilégiées a
fuivi celle des Particuliers : liés ou non par
des mandats impératifs , leurs Dépurésy en kuř
nom , ont renoncé à ces droits , 2 femen Pas
dus garanside la ratification de leurs Commettans.
La Bourgogne , le Mâconndis , le Languedoc , la
Bretagne , la Provence , l'Alace , Normandie,
la Lorraine , l'Agencis , la Franche- Comté , le
Cambrefis ; les villes de Paris , Lyon , Marſeille ,
Clermont-Ferrand , ont dépofé leurs Chartes ,
& fe font claffées au niveau des autres Villes &
Provinces. A
Un Député d'Amont a requis la suppreffion
de la vénalité des Charges de Magiftrature & de
l'hérédité des Offices . Un Député du Beaujolois
celle des Corporations d'Arts & Alétiers , Jurandes
& Maîtrifes. Un troiftème Membre accordoit
la plénitude de la liberté religieufe aux
non-Catholiques . M. l'Archevêque d'Aix a profcrit
à jamais le rétablißement des droits féodaux .
M. Goulard, Curé de Rouane , & M. Def
vernay, Cur de Villefranche en Beaujolois , ont
1 11]
( 198 )
1
demandé l'exéction des lois canoniques contre
la pluralité des bénéfices. Ils ont réligné deox
bénéfices fimples qu'ils pffédo ent , ne ſe réfervant
que les fonctions pénibles de leur Cure. Un
troiſième Curé a fait annoncer par un des Seeréraires
une pareille démiffion . I. a voulu cacher
fon nom , & l'Affemblée , en applaudiſlant à ce
Lacrifice , a refpecté fon fecret.
M. l'Evêque de Courances a défiré la fuppre
fion d'un Droit perçu an profit des Evêques , &
connu en Normandie fous le nom de déport.
Plufieurs Barons , tels que MM . d'Aoft , de
Lameth , &'Egmont , Duc d'Orléans , de Villequier,
& c. , ont renoncé à leurs Baronnies en Artois ,
Picardie , Flandre , Languedoc &c. Chaque détail
de cette Séance étonnante , offriroit un trait
d'enthouſiafine ou de grandeur d'ame : une efpèce
d'infpiration furnaturelle fembloit commander
aux préjugés ; & fur les débris de tant d'intérêts
immanias , o ne diitinguoit que la paffion
d'offrir des holocauftes. Une révolution fi inatsendue
exigeoit un Te Deum ; M. l'Archevêque
de Paris la propofé aux acclamations de l'Af◄
femblée. Cette journée fera confacrée par une
médaille dont M. le Duc de Liancourt a indiqué
le projet ; elle fut dignement terminée par le voeu
de M. de Lally- Tolendal , de décernerà Louis XVI
le titre de Reftaurateur de la Liberté de la France.
On fuppofe , & on ne peut rendre l'ivreffe
générale , & les acclamations au bruit defquelles
tant de Motions extraordinaires & patriotiques
ont été converties en Réfolutions. L'Ar êré qui
doit les contenir a été envoyé au Comité de
Rédaction .
Du Mercredi 5 AOUT 1789. M le Comte d'Antraigus
, au nom du Comité de R. pport , a rendu
compte de l'attaque d'un bateau de grains def
199 )
tinés pour Paris , & efcorté par la Milice Bourgeoife
d'Elbeuf. Le Peuple de Louviers , a arrêté
ce transport.
Cette violence & tant d'autres dont le récit dépicrable
frappe les oreilles de l'Affemblée depuis
quinze jours , one fait naître un projet d'Arrêté futlequel
les opinions fe font partagées . Les uns demandolent
que la Milice Bourgeoife feule , & les Tribu;
naux s'oppofafient aux excès & voies de fait ,
d'autres , qu'en outre , on autorifât les Juges s
Baillis , Sénéchaux , &c. à requérir le fecours de
Troupes réglées. Ce dernier avis à prévalu .
M. Fréteau a fait la lecture du Procès - Verbal
de la Mémorable Séance de la nuit précédente
; elle a donné lieu à quelques obfervations
, d'après lefquelles ce Procè -Verbal a été.
rectifié. M. le Préfident a enfuite communiqué
la lettre ſuivante des trois nouveaux Miniftres
à l'Affemblée Nationale.
" MONSIEUR LE PRÉSIDENT
» Appelés par le Roi dans fes Conſeils , nous
nous empreffons de dépofer nos fentimens dans
le fein de l'ASSEMBLÉE NATIONALE. «
» Les marques de bienveillance dont nous
avons été comblés depuis l'inftant heureux de
notre réunion , & fur-tout notre fidélité aux
principes de l'ASSEMBLÉE NATIONALE , & notre
refpectueufe confiance en Elle , font les motifs
les plus capables de foutenir notre cou
rage. «
» Nous ne perdrons jamais de vue que , pour
bien répondre aux intentions du Roi , nous devons
toujours avoir préfente à la penſée cetté
grande vérité , que l'ASSEMBLÉE NATIONALE a
ramenée , & qui ne retentira plus en vain , que
la puiffance & la félicité des Rois ne peuvent
dignement s'affeoir & durablement s'affermir que
i iv
( 200 )
fur les fondemens du bonheur & de la liberté
des Peuples. «
Daignez , Monfieur le Préfident , être notre
interprète auprès de l'Affemblée , & lui offrir ,
en notre nom , la proteftation fincère de ne
vouloir excer aucune fonction publique , qu'autant
que nous pourrons nous honorer de fon
fufrage , & conferver notre dévouement à fes
maximes.
† J. G. Arch . de Vienne ,
† J. M. Arch. de Bordeaux ,
LA TOUR DU PIN.
Du Jeudi 6 AOUT. Lecture faite de nouvelles
Adrefles à l'Aflemblée , M. le Préfident a propofé,
de lire l'Arrêté du 4 , tel qu'il venoit d'être
rédigé par le Comité. En voici le difpofitif, dont
la frine a fubi & fubira quelques modifications.
L'Afemblée nationale confidérant , 1 ° . que. dans
un état libre , les propriétés doivent être auffi
libres que les perfonnes ; 2 °. que la force dé l'empire
ne peut réfulter que de la réunion parfaite
de toutes les parties & de l'égalité des
droits & des charges ; 3 °. que tous les Membres
privilégiés & les Repréfentans des provinces &
des villes fe font empreffés , comme à l'envi ,
de faire , au nom de leurs commettans , entre
les mains de la Nation , la renonciation folennelle
à leurs droits particuliers & à tous leurs
privilèges.
Arrêté & décrété ce qui fuit :
-
ART. I. Les main mortes , morte - tailles ;
corvées , droits de feu , guet & garde , & toutes
autres fervitudes féodales , fous quelque dénomination
que ce foit , même les redevances ,
les preftations pécuniaires établies en remplacement
de même droits , font abolies à jamais , fans
aucune indemnité .
( 201 )
frates ,
" II. Les droits de banalité , quels qu'ils foient
& de tous les droits feigneuriaux , tels que cens ,
'redevances , droits de mutation , champarts
, terrages , droits de minage , mefurage &
autres , fous quelque dénomination que ce foit ,
feront rachetables à la volonté des redevables
au prix qui fera fixé , foit de gré à gré , "foit
felon les proportions qui feront réglées par l'Aflemblée
Nationale ..
III. Les fuies & colombiers font fupprimés.
IV. Le droit exclufif de la chafle & de la
pêche et pareillement aboli , & tout propriétaire
eft autorifé à pêcher & faire pêcher dans les rivières
& ruiffeaux qui coulent le long de fa terre , à
détruire & faire détruire , feulemex fur fon héri
tage , toute eſpèce de gibier.
V. Le droit de garenne eft également aboli .
VI. Les Jaftices feigneuriales font fupprimées
fans indemnité ; & néanmoins les officiers de ces
Juſtices continueront leurs fon&tions jufqu'à ce qu'il
ait été pourvu par l'Affemblée au moyen de rap.
procher la Juftice royale des jufticiables .
VII. Les dimes en nature eccléfiaftiques , laïques
& inféodées , pourront être converties en redevances
pécuniaires , & rachetables à la volonté
des redevables , felon la proportion qui fera réglée,
foit de gré à gré , foit par la loi, fauf le remploi à
faire par les décimateuss , s'il y a lieu.
"
: VIII. Toutes les reates foncières fot en nature ,
foit en argent, de quelque effèce qu'elles foient , feront
rachetab'es.
*
IX.Ilfera pourvu inceffamment à l'établiffement
de la Juftice gratuite , & à a fupp effion de la vénas
lité des offices de judicature, 1
X. Les droit cafuels des Cusés de campagne
font fupprimés . Il fera purvu à augmenta in des
portions congrues , à la doration des vicaires , &
i v
( 202 )
il fera fait un règlement pour fixer le fort des turés
des villes.
XI. Tous privilèges pécuniaires , perfonnels
ou réels , en ma ière de fubfides , font abolis à
jamais ; la perception fe fera fur tous les citoyens
& fur tous les biens , de la même manière & dans
la même forme. Il va être avisé au moyen d'effectuer
le payement proportionnel de toutes les
contributions , même pour les fix derniers mois de
l'année de l'impofition courante.
XII. Une conftitution nationale & la liberté
publique , étant plus avantageufes aux provinces
que les privilèges dont quelques- unes jouiffent , &
dont le facrifice eft néceffaire à l'union intime
de toutes les parties de l'empire , il eſt déclaré
que tous les privilèges particuliers des provinces ,
des principautés , des villes , corps & cominu au
tés , foit pécuniaires , foir de toute autre nature
, font abolis fans retour , & demeurerom
confondus dans les droits communs de tous les
François.
XIII. Tous les citoyens , fans diſtinction de
naiffance , pourront être admis à tous les emplois
& dignités eccléfiaftiques , civiles & militaires.
XIV. Les annates & déports feront fuppri
més.
XV. La pluralité des bénéfices n'aura plus lieu
pour l'avenir.
XVI. Sur le compte qui fera rendu à l'Affer
blée Nationale de l'état des perfions , & des
graces , elle s'occupera avec le Roi de la fupprefhon
de celles qui n'auroient pas éré néceffaires , &
de la réduction de celles qui feroient exceffives ,
fauf à déterminer pour l'avenir une fomme ou
emploi , dont le Roi pourra difpofer à te fujet.
XVII. L'Affemblée Nationale décrète qu'en
mémoire des grandes délibérations qui viennent
203 )
d'être prifes pour le bonheur de la France , une
médaille fera frappée , & qu'il fera chanté un Te
Deum dans toutes les églifes & paroiffes du
royaume.
XVIII. L'Affemblée Nationale proclame folennellement
le Roi Louis XVI , Reftaurateur de la
Liberté publique.
XIX. L'Aſſemblée Nationale fe rendra en corps
auprès du Roi , pour préſenter à Sa Majesté l'Arrêté
qu'elle vient de prendre , pour lui porter l'hommage
de fa refpectueufe reconnoiffance , & la féliciter
du bonheur qu'elle a de commander à une
Nation généreufe.
Sa Majefté fera fuppliée de permettre que le
Te Deum foit chanté dans fa Chapelle , & d'y affifter
Elle-même.
>
Plufieurs Députés ont débattu contradictoirement
les deux premiers articles de l'Arrêté
concernant les droits féodaux réels & perfonhe's
. E fin , fur l'avis de M. Duport , la pref
que unanimité des fuffrages a adopté l'article
Lu.vant.
« L'Affemblé : Nationale détruit entièrement
le Régime Féodal , & déclare que dans les
Dois & Devoirs , tant féodeaux que Cenfuels ,
ceux qui tiennent à la main-morte réelle ou
perfonnelle , & à la fervitude perfonnelle , &
ceux qui les repréfentent , font abolis fans indemnité
& tous les autres déclarés rache:ables ;
etle prix& le mode du rachat ſeront fixés par l'Af
femblée Nationale ; ordonne que ceux defdits droits
qui ne font pas fupprimés par le décret ci-deffus
, continueront néanmoins à être perçus jufqu'au
rembourfement. »
Séance du foir , Jeudi 6 Aour. M. le Préfident
a inftit l'Afemblée que fon Chef avoit
1
i vj
( 204 )
obtenu de Sa Majeité les entrées de la Chambre..
M. le premier Préfident du Parlement de l'ordeaux
, & M. le Comte de Neubourg , ont renoncé
à un péage cor fidérable fur une rivière .
Rapport fait de la détention de M. le Duc
de la Vuguyon , & de l'avis du Comité de renvoyer
cette affaire au pouvoir exécutif, fauf les
raitons qu'auroit le Comité d'informations de s'y
opp fer ;
M. de Mirabeau a prétendu que fi l'Affemblée
regardoit ce fait comme affaire de Police ,
la déc fion devoir être renvoyée au Rei ; mais
que fi la chofe intéreffoit le droit Public ,
devoit faire garder au Havre M. de la Vauguyon
, commé préfumé d'être entré dans une
confpiration .
оп
M. l'Abbé Sieves avoit opiré à renvoyer au
- pouvoir exécutif. Suivant un autre Député , on
devoit ne pas ' re âcher M. de la Vauguyon , mais
s'en fervir à découvrir fés complices.
a
Cet avis ayant caufé affez de rumeur
été combattu & rejeté , & celui du Comité , de
Rapport a prévalu. On a également renvoyé au
pouvoir exécutif l'affaire d'un Magiftrat d'Haguenau
, arrêté près d'Huningue , par des vagabonds
, & mis au cachot.
1 re
Difcuffion de l'Art. III , de l'Arrêté du´ 4 ‚ '
latif aux Colombiers : il a été rédigé comme il
fuit , fur l'avis de M. Rabaud de Saint- Etienne. *
» Le droit exclufif des fuies & colombiers eft
» aboli . Les pigeons feront renfermés aux épo-
" ques fixées par les Communautés , & durant
» ce temps ils feront regardés comme gibier , &
» chacun pourra les tuer fur fon héritage ,
«
Du vendredi 7 Aour. On a repris la déli
bération sur les articles 4 et 5 de l'Arrêté
( 205 )
du 4 , abolissant les droits de chasse , pêche
et garenne.
Plusieurs Membres ont disserté sur le premier
de ces priviléges , et sur la forme dans
laquelle on devoit l'aneantir . M. Buzot accordoit
les armes de tout genre aux habitans de
la campagne , se fondant sur l'expérience innocente
de plusieurs pays . M. de Custines ,
au contraire , ne voyoit pas qu'un Etat grevė
de quatre ou cinq milliards de dettes , dût
être peuplé de chasseurs , et prohiboit les
armes à feu. M. le Comte de Dorétans a représenté
que la chasse une fois ouverte , en
ce moment , les ouvriers , les artisans , les
vagabonds , fondroient sur les campagnes ,
fouleroient les récoltes , et fourniroient de
nouveaux sujets de trouble et de querelle.
( Cette prévoyance vient d'être justili e par
ce qui se passe en plusieurs lieux , notamment
aux environs de Paris , dont les Cultivateurs
ont rendu plainte ) .
M. Malouet vouloit un Règlement sur la
destruction du gibier , et M. d'Ambly a cité
l'exemple de l'Angleterre , où nul ne peut
porter un fusil de chasse sans un revenu de
cent guinées. De ces debats , suivis de beaucoup
d'autres , tant sur le droit de chasse'
même , que sur les Capitaineries Royales et
autres , est résulté l'article suivant :
« Le droit exclusif de la chasse et celui des
garennes ouvertes sont pareillement abolis 2
et tout propriétaire a le droit de détruire et
faire détruire , seulement sur ses héritages
toute espece de' gibier , sauf à se conformer
aux lois de police qui seront faites , relative
ment à la sureté publique , par l'Assemblée'
Nationale .
Toutes Capitaineries , même Royales , et
( 206 )
Boutes réserves des plaisirs , sous quelques dénominations
que ce soit , sont dès ce moment,
abolies ; il sera pourvu , par des moyens compatibles
avec le respect dû aux propriétés et
à la liberté , à la conservation des plaisirs personnels
du Roi. »
M. le Président est chargé de demander
au Roi la grace des galériens , et le retour des
bannis , pour simple fait de chasse , l'élargis
sement des prisonniers actuellement détenus
et l'abolition des procédures à cet égard. »
On alloit délibérer sur les Justices Seigneuriales
, lorsque tous les Ministres de S. M.
sont entrés ; M. l'Archevêque de Bordeaux a
pris la parole , et dit : ·
Discours de M. le Garde-des-Sceaux.
à l'Assemblée Nationale , le 7 Août
1789.
MESSIEURS ,
Nous sommes envoyés vers vous par le Roi , ·
pour déposer dans votre sein les inquiétudes
dont le coeur paternel de Sa Majesté est agité.
Les circonstances sont tellement impérieuses
et pressantes , qu'elles ne nous ont pas permis
de concerter avec vous les formes avec lesquelles
doivent bure reçus les Envoyés du Roi ,
formes auxquelles nous n'attachons personnellement
aucune importance , mais que vous
jugerez sans doute nécessaire de régler pour,
l'avenir , par un juste égard pour la dignité.
et la majesté du Trône.
Pendant que les Représentans de la Nation ,
heureux de leur confiance dans le Monarque.
et de son abandon paternel à leur amour , préparent
le bonheur de la Patrie et en posent
les inébranlables fondemens , une seerète et
"
( 207 )
douloureuse inquietude l'agite , la soulève et
répand par-tout la consternation .
Soit que le ressentiment des abùs divers
dont le Roi veut la réforme , et que vous
désirez de proscrire pour toujours , ait égaré
les Peuple ; soit que l'annonce d'une régé
neration universelle ait fait chanceler les pouvoirs
divers sur lesquels repose l'ordre social ;
soit que des passions ennemies de notre bonheur
aient répandu leur maligne influence
sur et Empire quelle qu'en soit la cause ,
Messieurs , la vérité est que l'ordre et la tranquillité
publics sont troublés dans presque
toutes les parties du Royaume.
Vous ne l'ignorez pas , Messieurs , les propriétés
sont violées dans les Provinces ; des
mains incendiaires ont ravagé les habitations
des Citoyens ; les formes de la Justice sont
méecnnues , et remplacées par des voies de
fait et par des proscriptions. On a vu
quelques lieux menacer les moissons et poursuvre
les Peuples jusque dans leurs espérances.
en
On envoie la terreur et les alarmes partout
où l'on ne peut envoyer des dépsédateurs ;
la licence est sans frein , les Lois sans force ,
les Tribunaux sans activité , la désolation
couvre une partie de la France , et l'effroi l'a
saisie toute entière ; le commerce et l'industrie
sont suspendus , et les asyles de la piété
même , ne sont plus à l'abri de ces emportemens
meurtriers.
Et cependant , Messieurs , ce n'est pas l'in
digence seule qui a produit tous ces troubles .
On sait que la saison ménage des travaux à
tous , que la bienfaisance du Roi s'est exercée
de toutes les manières , que les riches ont
plus que jamais partagé leur fortune avec les
( 208 )
malheureux. Se pourroit - il donc qu'à cette
époque , où la Représentation nationale est
plos nombreuse , plus éclairée , plus imposante
qu'elle n'a jamais été ; où la reunion
de tous les Membres de l'Assemblée dans un
seul et même Corps , et son'union intime de
principes et de confiance avec le Roi , ne
laissent aucune ressource aux ennemis de la
prosperité publique ; se pourroit - il que tant
et de si grands moyens fussent impuissans
pour remedier aux maux qui nous pressent
de toutes parts ?
Vous l'avez justement pensé , Messieurs ;
une belle et sage Constitution est et doit être
le principe le plus sûr et le plus fécond du
bonheur de cet Empire. Sa Majesté attend ,
avec la plus vive impatience , le résultat de
vos travaux , et Elle nous a expressément
chargés de vous presser de les accélérer; mais
les circonstances exigent des précautions et des
soins , dont l'effet soit plus instant et plus acuf.
Elles exigent que vous preniez les plus promptes
mesures pour réprimer l'amour effrené du
pillage et la confiance dans l'impunité ; que
vous rendiez à la force publique l'influence
qu'elle a perdue. Ce n'est point celle que vous
autoriserez, qui sera jamais dangereuse ; c'est
le desordre armé quide deviendra chaque jour
davantage. Considérez , Messieurs , que ile
mépris des Lois exi tantes inenaceroit bientôt
celles qui vont leur succéder ; c'est aux
Lois que la licence aime à se soustraire , non
point parce qu'elles sont mauvaises , mais
parce qu'elles sont des Lois. Vous réformerez
les abus qu'elles présentent ; vous perfections
nerez l'ordre judiciaire dans toutes ses parties!
Le pouvoir militaire deviendra , comme il
doit être , de plus en plus redoutable à l'en(
209 )
nemi , utile au maintien de l'ordre , sans qu'il
puisse être jamais dangereux pour le Citoyen.
Mais jusqu'à ce que votre sagesse ait pro
duit ces grands hiens , la nécessité réclame
le concours de vos efforts et de ceux de Sa
Majesté pour le rétablissement
de l'ordre et
l'exécution des Lois .
la des
sagesse Sa Majesté compte assez sur
résolutions que vous prendrez à ce sujet , pour
vous annoncer d'avance qu'Elle s'empressera
de les sanctionner et de les faire exécuter
aens tout son Royaume.
Il étoit juste , Messieus , de vous entretenir
' abord de la subversion générale de la
police publique. Il étoit juste de vous deman
der'emploi de tous vos moyens pour son rétablissement. Le Ministre vertueux que le
Roi vous a rendu , qu'il a rendu à vos regretset
à votre estime , va vous montrer , sous
une nouvelle face , les funestes effets de ces
mémes désordres ; il va mettre sous vos yeux
P'état actuel des finances .
Vous reconnoître, ce que les lenteurs , et
en beaucoup d'endroits la nullité des perceptions
, forment de vide dans le Trésor
Royal , ou plutôt dans celui de l'Etat ; car
le Roi ne distingue pas son trésor de celui
de la Nation , et quand ses besoins vous sont
connus , vous ne pouvez vous dispenser d'y
subvenir , sans ébranler , dans une proportion
quelconque , toutes les fortunes et l'organisation
même du Corps politique . Vos Commettans
, il est vrai , se sont flattés
que la Constitution
pourroit avoir reçu sa sanction , avant qu'il fût nécessaire de vous
occuper d'aucun impôt , ni même d'aucun
emprunt ; mais ils ont également
voulu que
vous consolidiez
la dette publique , et que
( 210 )
vous rejetiez , avec une juste indignation ,
toute mesure qui seroit capable d'alterer ia
confiance.
Le temps est venu , Messieurs , où une impérieuse
nécessité semble vous commander ,
et vous avez déja fait connoitre l'esprit qui
vons anime , en prorogeant les impôts établis ,
et en plaçant les créanciers de l'Etat sous la
sauve - garde de l'honneur et de la loyauté
Françoise.
Le Roi, Messieurs , vous demande de prendre
en considération cet important objet , dans
lequel il ne veut jamais avoir d'intérêt séparé
des vôtres . Il a voulu que sa franchise
égalant le sentiment de sa confiance , on ne
vous dissimulât rien . Il désire enfin que vous
associant à ses sollicitudes , vous réunissiez
vos efforts aux siens , pour rendre à la force
publique , son énergie ; au pouvoir judiciaire ,
son activité ; aux deniers publics , leur cours
nécessaire et légitime. ,
« Et nous , Messieurs , que vous avez si sensiblement
honorés de votre bienveillance ,
nous Ministres d'un Roi qui ne veut faire
qu'un avec sa Nation , et qui sommes respon
sables envers elle , comme envers lui , de nos
conseils et de notre administration , nous qui
sommes intimement unis par notre amour
pour le meilleur des Rois , par notre confiance
réciproque et mutuelle , par notre zèle pour
le bonheur de la France , et par notre fidèle
attachement à vos maximes , nous venons
réclamer vos lumières et votre appui , pour
préserver la Nation des maux qui l'affligent
ou qui la menacent. »
M. Necker a présenté ensuite , et en ces
termes , le tableau du Royaume, et la nés
"
( 211 )
cessité ďun secours immediat pour les Fi-
Nances.
* Je viens , Messieurs , vous instruire de l'état
présent des Finances , et de la nécessité
devenue indispensable de trouver sur-le- champ
des ressources. »
Á mon retour dans le Ministère , au mois
d'août dernier , il n'y avoit que quatre cents
mille francs en, écus ou billets de la Caisse
d'Escompte au Trésor royal ; le déficit entre
les revenus et les dépenses ordinaires étoit
énorme , et les opérations antérieures à cette
époque avoient détruit le crédit entièrement.
Il a fallu , avec ces difficultés , conduire les
affaires sans trouble et sans convulsion , et
arriver à l'époque où l'Assemblée nationale ,
après avoir pris connoissance des affaires ,
pourroit remettre le calme et fonder un ordre
durable.
Cette époque s'est éloignée au -delà du
terme qu'il étoit naturel de supposer ; et en
même temps des dépenses extraordinaires et
des diminutions inattendues dans le produit
des revenus , ont augmenté l'embarras des
finances .
Les secours immenses en blés que le Roi
a été obligé de procurer à son royaume , ont donné lieu non-seulement à des avances
considérables , mais ont encore occasionné
une perte d'une grande importance , parce
que le Roi n'auroit pu revendre ces blés au
prix coûtant , sans exceder les facultés du
Peuple , et sans occasionner le plus grand
trouble dans son royaume. Il y a eu de plus ,
et il y a journellement des pillages que la
force publique ne peut arrêter . Enfin , la
nisere generale et le défaut de travail ont
( 212 )
obligé Sa Majesté à repandre des secours con
sidérables.
On a établi des travaux extraordinaires autour
de Paris , uniquement dans la vue de
donner une occupation à beaucoup de gens
qui ne trouvoient point d'ouvrage , et le nom
bre s'en est tellement augmenté , qu'il se monte
maintenant à plus de douze mille hommes.
Le Roi leur paie vingt sous par jour , dépense
indépendante de l'achat des outils et
des salaires des surveillans.vez
Je ne ferai pas le recensement de plusieurs
autres dépenses extraordinaires amenées par
la nécessité ; mais je n'omettra point de vous
rendre compte d'une circonstance de la plus
grande gravité : c'est de la diminution sensible
des revenus , et du progrès journalier
de ce malheur..
Le prix du sel a été réduit à moitiés par
contrainte dans les généralités de Cach, et
d'Alençon , et ce désordreecommutețice › à · d'introduire
dans le Maine. La vente du faux sel
et du tabac se fait par convois et à force ou•
verte dans une partie de la Lorraine , des
Trois-Evêchés et de la Picardie ; le Soisson.
nois et la généralité de Paris commencent à
s'en ressentir.
Toutes les barrières de la Capitale ne sent
pas encore rétablies , et il suffit d'une seule
qui soit ouverte , pour occasionner une grande
perte dans les revenus du Roi . Le recouvre
ment des droits d'Aides est soumis aux mêmes
contrariétés. Les bureaux ont été pillés , les
registres dispersés , les perceptions arrêtées
ou suspendues dans une infinité de lieux dont
Pénumération prendroit trop de place , et
chaque jour on apprend quelque autre nouvelle
aflligeante .
है
( 213 )
L'onéprouve aussi des retards dans le payement
de la taille , des vingtièmes et de la
capitation ; en sorte que les Receveurs généraux
et les Receveurs des tailles sont aux abois ,
et plusieurs d'entre eux ne peuvent tenir leurs
traités.
La force de l'exemple doit empirer journellement
ce malheureux état des affaires ;
et les conséquences peuvent en être telles ,
qu'il devienne au- dessus de votre zèle et de
vos moyens de prévenir le plus grand désordre
et dans les finances et dans toutes les
fortunes , et d'empêcher , au moins pendant
long- temps , la degradation des forces de ce
beau Royaume.
Je crois donc , Messieurs , que vous sentirez
la nécessité d'examiner , sans un seul moment
de retard , l'état que je vous présente des
secours indispensables pour empêcher une
suspension de payemens ; et le Roi ne doute
point que vous ne sanctionniez ensuite l'émprunt
qu'exigent la sureté des engagemens ,
et des dépenses inévitables pendant deux
mois ; terme qui vous suffira sans doute pour
achever ou pour avancer les grands travaux
dont vous êtes occupés , et pour établir un
ordre permanent , et tel que la France a droit
de l'attendre de votre zèle éclairé , et des dispositions
justes et bienfaisantes de Sa Majesté.
Il est vraisemblable qu'avec trente millions .
il sera possible de pourvoir aux besoins indispensables
pendant l'intervalle que je viensd'indi
quer ; mais il n'y a pas un instant à perdre pour
rassembler cette somme . Je crois qu'il ne fait
point chercher àdécider la confiance par dehaults
intérêts ; ce n'est point de la spéculation qu'il
faut attendre des secours dans les circonstances
présentes , mais d'an sentiment généreux et
( 214 )
patriotique , et ce sentiment répugneroit à
accepter, aucun intérêt au dessus de l'usage.
Je proposerois donc , Messieurs , que l'einprunt
fût simplement à cinq pour cent par
an , remboursable à telle époque qui seroit
demandée par chaque prêteur à la suivante
tenue des Etats- Généraux.
Que ce remboursement fût placé en première
ligne dans les arrangemens que vous
prendrez pour l'établissement d'une Caisse
d'amortissement.
Mais comme il est très- possible que , pat
le résultat de vos soins et de vos travaux ,
les affaires générales du royaume et de la
finance acquièrent un grand degré de prospérité
, et qu'un intérêt de cinq pour cent
devienne en peu de temps un intérêt précieux ,
je voudrois que le remboursement de l'Emprunt
proposé , n'eût lieu qu'avec le consentement
des prêteurs .
Je proposerois que cet Emprunt fût en bil.
lets au porteur ou en contrats , au choix des
prêteurs ; et qu'il fût stipulé que dans le cas
où le Roi , de concert avec l'Assemblée nationale
, ordonneroit la conversion en contrats
des effets au porteur actuellement existans
, ceux de l'Emprunt proposé ne pourroient
jamais être soumis à cette conversion
sans le consentement des prêteurs .
Je proposerois encore que l'on dressât uné
liste de tous les prêteurs et de tous les souscripteurs
qui , par eux - mêmes ou par la confance
de leurs Correspondans et de leurs
Clien , auroient rempli cet Emprunt patriotique
, et que cette liste fût communiquée à
votre Assemblée , et conservée , si vous le jugiez
à propos , dans vos registres .
Vous ne vous refuserez pas , Messieurs ,
( 213 )
la sanction de ce ! Emprunt . Plusieurs cahiers ,
sans doute , ont exigé que la Constitution fût
réglée avant le consentement à aucun impôt
, à aucun emprunt ; mais pouvoit- on prévoir
les difficultés qui ont retardé vos travaux ?
pouvoit-on prévoir la révolution inouie arrivée
depuis trois semaines ? Vos Commettans
vous crieroient , s'ils pouvoient se faire entendre
: Sauvez l'Etat , sauvez la Patrie ; c'est
de notre repos , c'est de notre bonheur dont
Vous êtes comptables. Et combien ne l'êtesvous
pas aujourd'hui , Messieurs , que le Gouvernement
ne peut plus rien , et que vous
seuls avez encore quelque moyen pour résister
à l'orage ! Pour moi , j'ai rempli ma tâche ;
je dépose entre vos mains la connoissance des
affaires ; et de quelque moyen dont vous fassiez
le choix , mon devoir se borne à respecter
vos opinions , et à donner , jusqu'au dernier
moment , des témoignages de zèle et de dévouement.
On ne doit pas se dissimuler qu'au milieu
des troubles dont nous sommes environnés
le succès de cet Emprunt n'est pas démontré.
Cependant , un premier Emprunt , garanti par
les Représentans de la Nation la plus amachée
aux lois de l'honneur , et la plus riche
de l'Europe , présente un emploi à l'abri de
toute inquiétude réelle. On appercevra , sans
doute aussi , qu'indépendamment des sentimens
généreux et patriotiques qui doivent
favoriser le succès de cet Emprunt , il y a bien
des motifs de politique propres à déterminer
les Capitalistes. Il est manifeste que chacua
a un intérêt majeur à prévenir une confusion
générale , et à vous laisser le temps d'arriver
à votre terme. Ah ! Messieurs , que ce terme
est nécessaire ! qu'il est pressant ! vous voyez
( 216 )
si
les désordres qui régnent de toutes parts dans
le royaume ; ces désordres s'accroîtront ,
vous n'y portez pas , sans délai , une main
salutaire et conservatrice : il ne faut pas que
Jes matériaux du bâtiment soient dispersés ou
anéantis , pendant que les plus habiles Architectes
en composent le dessin .
Vous considérerez , Messieurs , s'il n'est pas
devenu indispensable d'inviter ceux qui disposent
aujourd'hui de quelque manière d'une
puissance exécutrice , à maintenir le recouvrement
des droits et des impôts établis tant
qu'ils font partie des revenus de l'Etat . On
ne peut payer sans recevoir , on ne peut recevoir
sans l'action des lois ; et cette action
s'affoiblit , lorsqu'aucun pouvoir ne la rassure
et ne la soutient . L'habitude de se soustraire
aux charges publiques , déja si attrayante par
elle-même , acquiert de nouvelles forces par
F'exemple ; et lorsqu'elle n'est pas combattue
de bonne heure , il n'est souvent plus possible
de la dominer sans les moyens les plus violens.
Vous ne pouvez donc , Messieurs , vous dispenser
de jeter un regard d'inquiétude sur
l'état de la France , afin de prévenir que des
précautions trop tardives n'empêchent ce beau
royaume de profiter des bienfaits que vous
lui préparez . Le Roi , Messieurs , est disposé
à concourir à vos vues , et les Ministres auxquels
il a donné sa confiance , s'en serviront
selon ses intentions , pour contribuer avec
vous au bonheur de la Nation . Réunissons-'
nous donc pour sauver l'Etat , et que tous les
gens de bien entrent dans cette coalition : il
ne faut pas moins que l'efficacité d'une pa
reille alliance , pour surmonter les difficultés
dont nous sommes entourés. Le mal est si
grand que chacun est malheureusement à
portée
( 217 )
portée de l'apprécier; mais au centre où les
Ministres du Roi sont placés , il présente un
tableau véritablement effrayant . Tout est relâché
, tout est en proie aux passions individuelles
, et d'un bout du royaume à l'autre
on soupire ardemment après un plan raisonnable
de Constitution et d'ordre public , qui
rétablisse le calme et présente l'espoir du bonheur
et de la paix.
Malgré nos maux , le royaume est entier ,
et la réunion de vos lumières peut féconder
tous les germes de prospérité. Que personne
donc , ni dans cette Assemblée , ni dans la
Nation ne perde courage : le Roi voit la vé
rité ; le Roi veut le bien ; ses Sujets ont con
servé pour sa personne un penchant que le
retour de la tranquillité de son royaume for
tifiera et augmentera. Livrons - nous donc ,
Messieurs , à l'heureuse perspective que nous
pouvons découvrir ; un jour , peut-être au
milieu des douceurs d'une sage liberté et
d'une confiance sans nuages , la Nation Françoise
effacera de son souvenir ces temps de
calamité , et en jouissant des biens dont elle
sera redevable à vos généreux efforts , elle ne
séparera jamais de sa reconnoissance , le nom
du Monarque à qui dans votre amour vous
venez d'accorder un si beau titre.
Les Miniftres retirés , M. de Clermont-Lodève
s'eft écrié qu'à l'inftant , & par acc'amation ,
on devoit confentir l'Emprunt demandé ; mais
ce mouvement d'enthouſiaſme n'a pas éte conta
gieux .
Un Député des Communes a commercé par
réclamer fes cahiers , qui lui interdifent l'octroi
de tout Emprunt ou Impôt , avant la confection
des Lois politiques ; mais s'il étoit nécef-
N°. 33. 15 Août 1789 . k
( 218 )
faire , il engageroit fa fortune de fix cents mille
livres au nom de fa Province .
obéir M. Camus. Une Nation aſſemblée ne peut
à un premier élan de générofité. Que le Comité
des Finances conftate notre fituation , & qu'en.
fuite , fi befoin eft , on délibère fur l'Emprunt
avec maturité. Plufieurs Articles du projet des .
Miniftres demandent un examen plus réfléchi ; il
faut le renvoyer au Comité des Finances , & fur.
fon rapport , en délibérer le lendemain.
M. de Lally-Tolendal. Par l'un de fes Arrêtés ,
l'Affemblée a pris fous fa fauve-garde les Créanciers
de l'Etat . Par un fecond Arrêté , elle a
porté l'anaêthme contre le mot de banqueroute.
Comment donc , fans manquer à fes propres
décrets , fe refufera-t-elle à un Emprunt néceffaire
à la chofe publique ? Le vertueux Etranger
qui a repris le Ministère des Finances ,
n'avoit-il pas droit de compter fur des fecours
auxquels nos propres Délibérations nous ont engagés
? Nuls Cahiers n'ont pu prévoir la criſe
où nous fommes parvenus. Le mien même s'oppofe
à tout octroi de subfides avant la Conftitution
; mais il s'oppofe également à la violation
des propriétés. Concilions le falut public avec la
prudence ; que la néceffité de l'Emprunt foit reconnue
, par le Comité des Finances , & qu'il
nous foumette demain à ſon examen.
M. de la Cote a propofé le renvoi au Comité ,
& d'hypothéquer l'Emprunt fur les biens Eccléfiaftiques
, comme appartenans à la Nation.
M. de Mirabeau. Si vos Commettans ne partageoient
pas votre voeu fur l'Emprunt , il feroit
inutile; la confiance manqueroit , & l'Emprunt ne
fe rempliroit pas . Des lieux communs ne vous
éblouironr pas plus qu'ils ne fauveront l'Etat.
Trente millions ne fuffiront pas à tous les befoins
qu'on expofe emphatiquement. Toutes les an(
219 )
tiennes baſes du credit font vermoulues , & fes
formes ufées. Le refpect des Mandats eft inviolable.
Pour obtenir des Contributions patriotiques ,
ceux qui les demandent doivent en donner l'exemple
, à commencer par le Chef de la Nation , qui
doit vivre de peu. Il feroit bon de ne pourvoir
qu'aux befoins du moment , d'accorder des fecours
pour un mois feulement , de nommer des
Commillaires chargés de figner des Reconnoiffances
rembourfables dans un an. Que le Peuple
ou les Adminiftrations provinciales nous
autorifent à un Emprrunt , & le refpect de nos
mandats ne fera pas violé .
Les voix prifes fur la queſtion de délibérer à
l'inftant , ou de renvoyer l'objet au Comité des
Finances , ce dernier avis a été adopté.
Du Samedi 8 Août. Le Rapport du Comité
des Finances fur l'Emprunt , n'étant pas encore
arrivé , on a délibéré ſur l'Article VI de l'Arrêté
du 4 , Article qui concerne les Juftices Seigneuriales
. Quelques Députés y ont oppoſé des reftrictions
, ont demandé des changemens ; enfin ,
l'Article a été arrêté & dreffé en ces termes :
" Toutes les Juftices Seigneuriales font fupprimées
fans indemnité ; & cependant les Officiers
continueront leurs fonctions , jufqu'à ce que l'AC
femblée Nationale ait pourvu à un nouvel ordre
judiciaire. »
C'eft M. le Duc d'Aiguillon qui a fait le Rapport
du Comité de Finances , fur le projet d'Emprunt.
L'état du Tréfor- Royal a été conftaté :
Recette du mois d'Août 1789 ... 27,960,000 1
Du mois de Septembre ....
DÉPENSES .
9,269,000
37,226,000
..68,000,000
ainfi que
La diminution du revenu eft averée ,
kij
( 220 )
la néceffité d'y fuppléer ; mais le Comité propofe
des corrections dans le préambule & le projet
d'emprunt .
M. le Préfident a pofé trois queſtions.
Votera-t-on un Emprunt ?
De quelles fomme fera l'Emprunt?
Quel fera le mode de l'Emprunt ?
Sur la première , d'abord traitée , M. le Duc
de Lévis a rappelé l'obligation des mandats &
le ferment des mandataires. Ainfi fiés , ceux- ci
ne pouvoient que propofer en garantie leurs fortunes
particulières .
M. Buzot. Point d'emprunt avant la Conftitu
tion. Mes mandats font impératifs à cet égard :
la demande des Miniftres doit être renvoyée à
nos Conftituans . Avant tout , il faut vérifier la
dette. Quels reproches ne nous feroient pas nos
Commettars , en apprenant que depuis feptembre
1788 , les Emprunts, Anticipations , payemens
arriérés , montent à 365 millions .
M. d'Antraigues a vu dans l'économie , des
moyens qui devoient précéder tout emprunt.
M. de Lally. Le rapport du Comité est décifif.
De grands dangers , de grands devoirs , l'honneur
François en dictent l'adoption . L'Aſſemblée
eft refponfable des fuites pernicieuſes d'un refus.
On ne pouvoit objecter des Mandats impératifs ,
puifqu'ils étoient révoqués , & que les feuls mandataires
libres conftituoient l'Affemblée , avec fa-"
culté de concourir à fes décrets. M. Barnave s'eft
récrié contre l'enthouſiafme. De tous les devoirs ,
les plus facrés étoient ceux des Repréfentans envers
les Repréſentés : déjà le Peuple repouffoit les in =
pôts onéreux dont il eft chargé. L'emprunt engendre
l'impôt , & la chofe publique doit être
fecourue par tous autres moyens. Votez l'Emprunt
, s'il le faut , mais fans accroître , pour en
acquitter l'intêret , les charges du Peuple.
( 221 )
M. de Mirabeau. Nu! travail approfondi fur les
finances ne peut avoir lieu en ce moment. Il est
un moyen d'accorder les befoins du Gouvernement
avec la confiance de nos Commettans ; c'eſt
de former l'Emprunt , fous l'engagement des
Membres de l'Affemblée , chacun à proportion
de fa fortune. Une auffi noble foufcription , ouverte
chez le Préfident , concilie nos devoirs envers
nos conſtituans & envers l'Etat ; elle ani
mera l'efprit public , & deviendra un glorieux
exemple de facrifices.
M. de la Cote , Député Noble du Charollois , a
renouvelé fa propofition d'affurer la créance des
Prêteurs fur les biens Eccléfiaftiques. A la fuite
d'un préambule raiſonné , il a préſenté la Motion
fuivants.
L'Affemblée Nationale déclare :
1°. Que tous les biens dits Eccléfiaftiques , de
quelque nature qu'ils foient , appartiennent à la
Nation.
2º. Qu'à dater de l'année 1790 , toutes dixmes
Eccléfiaftiques feront & demeureront fupprimées
.
3 °. Tous les Titulaires quelconques garderort
pendant leur vie un revenu égal au produit actuel de
leur bénéfice; & cette fomme leur fera payée par les
Affemblées Provinciales , en obfervant de plus que
la dotation des Curés doit être ſenſiblement augmentée.
4°. Les Affemblées Provinciales régleront pour
l'avenir le taux des honoraires des évêques , qui
font , avec les Curés , les feuls Miniftres effentie's
du culte divin. Elles fixeront également les fonds
deftinés au fervice des Cathédrales & aux retraites
des anciens Paſteurs.
5. Elles pourvoiront auffà penfionner d'une
manière équitable les perfonnes de l'un & l'autre
k iij
222
fexe engagées dans les Ordres Monaftiques , lef
ques Ordres feront fupprimés. »
M. Alexandre de Lameth , a parlé dans le même
efprit , fans convaincre une partie de l'Affemblée ,
d'où il est échappé de grands murmures.
M.le Vicomte de Mirabeau , Député de la Nobleffe
du Haut-Limoufin , a fait la Motion fuivente
, aux applaudiffemens univerfels.
Je n'ai pu refufer un tribut légitime d'adm²-
´ration à la force d'ame de l'hono.able Membre qui
le premier a donné l'idée & l'exemple du facifice
des intérêts de fes Commettans & des fiens ,
à l'apperçu du bien général dont il a cru voir
le germe dans la diſpoſition de l'arrêté qu'il a propofé
le 4.
Je fais fi profondémant pénétré de ce même
festiment d'admiration , que je ne doute point
que l'auteur de la motion , & ceux qui l'ont appayé
, n'attendent une occafion favorable , pour
fare l'abnégation glorieufe de quelques jouiffances
plus perfonnelles & plus directement utiles aux
befoins urgens de l'État : je crois devoir leur rappeler
que la voici , cette occafion ; & je mets
autant d'empreffement à la leur off ir , que je fuis
convaincu qu'ils en mettront à la faifir.
Je crois qu'il est néceffaire d'établir d'abord
qu'il eft de devoir pour moi d'infifter fur cet
objet important , & que j'ai un titre pour faire accueillir
ma propofition.
>
Je me contenterai , pour le premier objet , de
lire un article du cahier qui ref rme les voeux
de mes Commettans , & par conféquent l'énoncé
de mes devoirs. L'article 12 du chapi-
» tre 6 dit que parmi les moyens d'économie ,
u néceffaires à placer à côté des projets de dé-
» penfe ou d'augmentation , les États - Généraux
» prendront en confidération l'abus de l'énorme
quantité de graces & de charges accumulées
"
( 223 )
fur un même tête , qui ne pourroient être bien
» remplies , fi elles étoient actives , & qui ne
» font qu'augmenter la dépenfe , fi elles ne le font
» pas.
Quant à mon titre , le voici : je fais fur le bureau
la remife d'une penfion de deux mille livres
feul bienfait que je tienne des bontés du Roi. Je
l'ai obtenu après la guerre d'Amérique. Perfonne
ne prife plus que moi les graces de fon
Souverain mon amour pour fa perfonne facrée
en eſt un fûr garant ; mais fi j'ai été affez heureux
pour les mériter par mes fervices , j'en fuis
affez récompenfé par l'honneur de les avoir rendus
, & par la pofition où ce Monarque bienfaifant
m'a mis , en me confiant le commandement
d'un de fes Corps , de le fervir plus
efficacement. Je remets donc fur le bureau la
renonciation à la feule penfion que ma famille
poffède ; je voudrois avoir un facrifice plus important
à faire ; mais , toute proportion gardée , cela
pourroit en être un pour moi.
Je crois avoir fuffifamment établi que j'ai
droit & devoir de parler , en cette occafion importante.
Je propofe donc à l'Affemblée d'énoncer
qu'elle va nommer un Comité chargé de
recevoir avec reconnoiffance l'abandon volontaire
que les Membres de cette refpectable Affembée
pourront faire des graces exagérées dont eux
& leur famille font comblés & d'examiner
toutes celles dont la poportion n'eft point équivalente
aux fervices qui les ont mérités .
Si l'Affemblée fe détermine à mettre à profit
cet élan ce patriotifme , qui fans doute ne s'affoiblira
jamais , mais dont il eft quelquefois effent
el de faifir le mouvement inftantané , je fuis
perfuadé qu'on verra ceffer les abus multipliés
qui on : néceffité les plaintes de mes Commettans.
k iv
( 224 )
Que telle perfonne qui a obtenu des fecours
énormes & perpétuels pour foutenir un grand
nom , croira que fa façon de penfer & fon énergie
doivent feules en maintenir la gloire , & fera
facrifice de ce qu'elle tient du Souverain .
Que ceux qui , après avoir réuni ſur leur tête
toutes les graces réfervées aux courtifans , ont
encore obtenu celles dues aux guerriers actifs &
utiles , feront à l'État & à eux-mêmes la juftice
de fe dépouiller librement des unes ou des
autres.
Que celui qui , chargé d'un gouvernement aux
portes de Paris , en poffède un autre aux frontières
les plus éloignées du Royaume , s'empre
fera de ne garder que celui des deux auquel il peut
donner une surveillance active .
Que fi quelqu'nn a trouvé le moyen de faire
payer à la Nation fes dettes perfonnelles , il lui
offirira le remboursement des avances qu'elle lui
a faites , dans un moment où elle à befoin de toutes
fes reffources.
Que d'autres demanderont qu'on annulle les
échanges onéreux au Roi & à l'État , qu'ils ont
follicités.
Que les perfonnes qui ont bâti , prefque fous
nos yeux , un palais fur un terrain domanial , fe
trouveront , par la prompre reftitution d'un dépôt
amélioré être les bienfaiteurs de la Patrie.
Que ceux qui réuniffent fur leur tête des places
municipales , domeftiques & militaires à la
Cour , & tiennent encore le premier rang dars
nos armées , s'emprefferont , par un ch¸ix éclairé ,
de prouver que loin de vouloir tout envahir ,
ils ont la générofité de facrifier leur intérêt perfonnel
à lintérêt public.
Qu'une feule famille enfin , qui eft dénoncée par
la clameur publique , pour poffèder deux millions
de revenus en graces & en bienfaits , fe fera un devoir
( 225 )
de renoncer aux uns , & de juftifier au public les
fervices qui ont mérité les autres.
Je conviendrai facilement à cet égard de la vérité
de l'axiome qui établit qu'il ne faut croire que la moitié
des oui - dires ; mais cette moitié eft encore beaucoup;
car je crois que nous en fommes au point où
l'on peut calculer la valeur d'un million de revenu.
J'imagine qu'on ne s'arrêtera point au facrifice
des penfions & des graces connues , & qu'on renoncera
généreusement auffi à ces traitemens obfcurs
fur les Régies , les Fermes , les poftes , les Provinces
d'Etats , &c. à ces conceffions de domaine
fans nombre ; car l'infatiabilité eft un prothée qui
s'enveloppe fous toutes les formes ; & il paroîtra
bien doux à la Nation de la voir entièrement démaíquée
, en ce jour , par un dévouement généreux
& patriotique.
Toutes ces confidérations me font infifter fur
demande que je viens de faire à l'Aſſemblée ,
fur laquelle je la fupplie de délibérer ; & je vais
relire la rédaction d'arrêté que je propofe.
» Il feranommé fur-le-champ un Comité, chargé
de recevoir avec reconnoiffauce l'abandon volontaire
qu'on lui fera des graces qui font accumulées
fur les mêmes têtes , ou dans les mêmes familles ,
& de faire un examen fcrupuleux de toutes les
penfrons , & traitemens fur les différentes Régies
& branches d'adminiftration quelconque , qui
ne feront pas proportionnés aux fervices qui les ont
mérités. "
» L'Affemblée Nationale efpère de l'efprit de
patrio:ifme qui femble animer tous fes membres ,
qu'elle trouvera dans cette reffource une hypothèque
cerraine pour l'emprunt propofé , & qu'elle
recueillera dans fon propre fein les moyens d'en
payer les intérêts. «
Cette motion , a excité une réclamation de
k v
( 226 )
M. le vicomte de Noailles . 11 a regretté de n'avoit
arcune penfion à facrifier ; mais il avoit fait l'abandon
de la furvivance d'une charge de bailli d'épée .
M. de Clermont-Tonnerre ayant réfumé les opinions
, & expofé des réflexions judicieufes , en faveur
de l'emprunt de 30 millions , cette reffource a
été admife prefque univerfellement . La dernière
queſtion fur la forme de l'emprunt a été renvoyée
àla Séance extraordiuaire du lendemain. Celle d'aujourd'hui
a été ferminée par la réception des dépu
tations de Nemours & de la Guadeloupe , qui , au
nom de feize mille habitans , demande une repréfentation
provifoire.
Da famedi 8 Août. Séance du foir. On s'y est occupé
exclufivement du rapport douloureux des
défaftres de plufieurs provinces . M. l'abbé d'Eymar
a annoncé qne M. le cardinal de Rohan , arrêté dans
fa route , & mis en danger , n'avoit pu fe rendre à
l'Affemblée. Toute la haute & baffe-Alface font en
armes : le peuple pille les châteaux , & en enlève
les chartres . Une abbeffe , plus que fexagénaire , a
été affaffinée. Les infurgens portent un faux édit du
Roi , qui accorde au peuple tous les droits des feigneurs
, & lui attribue des pouvoirs de tout genre.
Suivant le rapport du Comité , toutes les lettres
annoncent des ravages commis par des brigands ,
porteurs de lettres , qui indiquent que ces horreurs
dureront trois mois. M. le marquis de Falconet
mande à M. le préfident , dans une lettre datée.
d'auprès Argentan , qu'on a brûlé tous fes contrats,
fes titres , fes quittances ; lui- même a été condamné
au feu , ainfi que Madame la marquife de Saint-
Aubin . Il n'a dû la vie qu'à une difpute furvenue
entre fes bourreaux. On l'a retiré du bûcher , après
avoir eu un pied & les deux mains brûlées , Le iendemain
on l'a forcé , dans cet état, de fe rendre chez
un notaire , pour renoncer à tous fes droits , à fes
( 227 )
let res de marquifat , &c. en lui difant qu'il n'étoit
pas plus grand feigneur que le Roi qui s'étoit déclaré
du Tiers-Etat.
M. le baron de Wimpfen a demandé avec chaleur
qu'on s'occupât féieufement, & fans délai , de rétablir
le calme , l'ord.e , la juftice , le refpect des
propriétés & des perfonnes . Si l'on tarde , a-t-il dit ,
l'empire françois va fe diffoudre Au nom de la patrie,
il a conjuré l'affemblée de remettre en vigueur le
pouvoir exécutif & judiciaire, de prier le Roi d'ordonner
aux débris de nos régimens de prêter mainforte
aux municipalités & aux affemblées provinciales
, de faire prêter aux troupes ferment à la Nation
& au Roi , & de renvoyer aux Tribunaux le
procès des coupables .
M. Target a rapporté que dans la France mérdionale
, un courier avoit femé l'alarme , en annonçant
que des brigands & des Anglois venoient faccager
les campagnes . Arrêté & conduit aux prifons
de Bordeaux , cet impofteur devoit être conduit ici ,
& interrogé par le Comité d'information ,
M. Milouet a fupplié qu'on ne laffât pas plus
long-temps attenter fur les vies , fur les propriétés ,
fur la liberté des citoyens ; il a propofé une forme
d'arrêté, & une prière au Roi , d'exercer fon pouvoir
dans une circonftance aufli déplorable.
Trois particuliers , chefs de brigands , a dit un
autre membre , arrêtés à Rouen , ont été relâchés
& repris ; l'un eft le nommé Bordier , acteur des Va
riétés amufantes ; l'autre , un chirurgien de Rouen ; le
troifième , un officier volontaire il feroit utile de
les farre foigneufement interroger.
M. de Virieu a infifté fur la motion de M. de
Wimpfen.
Un autre Député du Dauphiné a fait un récit lamentable
des excès commis dans cette province.
Les châteaux d'Anton , de Puligneu , de Mérieu
de Janeyria , du Ja :c, appartenant à M. le Comte de
Kvj
( 228 )
Saint-Prieft , & vingt-deux autres ont été incendiés.
Plufieurs gentilshommes ont été tués. On eft venu
arracher les laboureurs de leurs travaux , pour les
forcer , le piftolet à la main , à ces dévaſtations. A
Vienne , on avoit mis en prifon 37 brigands ; cette
ville , quoique confidérable , menacée d'être incendiée
& pillée , a été obligée , pour fa fureté , de les
relâcher.
La commiffion des Eta's du Dauphiné confirme
ces malheurs , & implore du fecours.
Le Mâconnois offe de pires horreurs encore.
Plufieurs des incendiaires ont été trouvés chargés
de pancartes , qui portoient : » Le Roi ordonne
de brûler tous les châteaux ; il ne veut que le fien . «
M. de Cuftines a opiné à terminer fans délai le
bel arrêté du 4 , à le joindre à celui de la veille , &
à l'envoyer dans les provinces .
M. de Clermont Tonnerre : Au même inftant on a
armé le peuple dans tout le royaume. Ce concert
indique un complot. Le remède eft fimple : fanctionner
d'abord les facrifices , afin que la Francé
fache qu'il n'existe plus qu'un intérêt , l'intérêt national
. Il a enfuite propofé un arrêté , relatif aux
brigands détenus ; mais un autre membre a obfervé
qu'il ne falloit pas multiplier les décrets.
M. le Duc de Liancourt a appuyé l'avis de ne pas
défemparer jusqu'à la rédaction parachevée de l'arrêté
du 4.
M. le Duc du Châtelet a vu , comme M. de
Clermont-Tonnerre , un concert dans les attentats
commis par-tout , au même inftant. Il a propofé
de faire démentir le prétendu Arrêt du Roi , &
de prier Sa Majesté de promettre une récompenſe
aux Révélateurs des Inftigateurs ou Complices de
cet incendie .
Les cinq principaux projets d'Arrêté ont été
renvoyés an Comité de Rédaction , auquel fe
réuniront les Auteurs de ces projets.
( 229 )
La Ville de Saint- Denis a envoyé une Déprtation
, chargée de témoigner à l'Affèmblée fa
douleur de l'affaffinat du Lieutenant de Maire
de cette Municipalité.
Des Cultivateurs des environs de Paris ont
porté des plaintes amères , des dégats qu'occafionnoient
dans les campagnes des bandes de gene
armés qui , fous prétexe de faire des patrouilles ,
font des battues de gibier & foulent aux pieds les
récoltes . Le défordre fera profcrit dans l'Arrêté à
prendre.
M. l'Evêque de Chartres a obfervé que plufieurs
Membres de l'Aſſemblée , peu favorisés de
la fortune , & ne recevant pas les honoraires
promis par leurs Commettans , ne pouvoient demeurer
ici plus long tems. Il a propofé en confé
quence de faire une extenfion à l'Emprunt , pour
fubvenir aux befoins des Députés.
Un autre Membre a cbfervé qu'on ne devoit
point interrompre les Difcuffions des Affaires de
l'Etat , pour s'occuper de l'intérêt perfonnel.
Un Membre des Communes a ajouté qu'il
étoit indigne de l'Affemblée de faire un Emprunt
pour elle.
Un Préopinant a propofé de former un Emprunt
particulier , pour les Députés. Cette propofition
a été fort mal reçue.
Un grand nombre de Membres vouloient attendre
la rédaction de l'Arrêté ; d'autres ont
voulu partir. M. le Préfident a propofé , pár affis
ou levé , de lever la Séance .
Cet avis a paffé à une grande majorité.
Du Dimanche 9 AQUT, Séance extraordinaire.
Elle a été tout entière confacrée à la Difcuffion
de la forme & des conditions de l'Emprunt. Le
Préambule du Décret a été dreffé en ces termes :
» L'Affemblée Nationale , informée des be(
230 )
» fins urgens de l'État , decrète uu Emprunt de
» trente millions »
Sur 'avis de M. le Vicomte de Noailles l'intérêt
de cet emprunt a été fixé à quatre & demi
fans retenue.
pourcent ,
Nous développerons
cette Difcuffien dans le Journal fuivant.
P. S. C'eſt par méprife que , dans le No. 31
nous avons annoncé le départ de M. le Comte
de Crillon pour les eaux. Ce Député n'a jamais
eu l'idée de s'éloigner un moment de l'Affemblée
Nationale , & n'a pas été abfent une feule
Séance . On la confondu avec M. le Comte
d'Andlau qui a demandé à fe retirer pour raifon
de fanté .
De Paris , le 12 août.
L'importance et la variété des détails
qu'on vient de lire dans le Journal de
l'Assemblée nationale , restreint à peu
de lignes , pour aujourd'hui , le précis
des faits que nous aurions à rapporter,
soit de la Capitale , soit des Provinces.
Des bords du Rhône à ceux du Rhin ,
et de la Moselle à la Loire , elles ont
offert , presque au même instant , un
tableau digne de réflexion et de pitié.
Le Dauphiné , le Mâconnois , le Beau
jolois , le Bugey , le Pays de Gex , la
Franche-Comté , le Sundgaw , l'Alsace ,
une partie de la Lorraine , de la Normandie
, du Perche , du Maine , du Nivernois
, de la Tourraine , de l'Anjou , etc.
ont offert , en 15 jours , le pillage des
( 231 )
titres seigneuriaux , l'incendie des Châ
teaux , celle de plusieurs Abbayes ; des
meurtres et des dévastations qui accableront
pour plusieurs années les Fermiers
et les Seigneurs , le revenu public
et celui des particuliers . Nous croyons
prudent , même nécessaire , de garder le
silence sur cette pluralité funeste de
désastres de toutes parts , nous sommes
accablés de leurs récits ; il nous
faut le temps de la réflexion avant de
les mettre au jour .
Une Abbave célèbre dans le Mâconnois
(Cluny) , attaquée par une foule
de brigands , leur a opposé , dit - on ,
une résistance efficace , et en a tué
cent. En Franche - Comté un nom
bre de personnes se sont également réunies
pour la défense de leurs foyers , et
l'on cite une Dame d'un nom très- connu ,
qui , habillée en homme , et armée , a
étendu de sa main trois incendiaires
morts à ses pieds. Les Milices Bourgeoises
et les Maréchaussées ont sauvé
plusieurs héritages , et quoiqu'un grand
nombre d'ouvriers ait par-tout déserté
les moissons , pour suivre un torrent
dont l'Assemblée nationale cherchera
la source , on espère que ce fléau , aussi
rapide que la peste , sera arrêté dans ses
progrès
La pluralité des Districts de Paris a
adopté , à ce que nous croyons , au moins
la première partie du plan de M. de la
Fayette , pour la formation de la Milice
( 232 )
Parisienne : un grand nombre de Gardes-
Françoises s'y sont incorporés , et l'on
a proposé dans quelques Districts , de
reconnoître leurs services , enir'autres ,
par le don d'une Médaille d'or , qu'ils
porteront à leurs boutonnières. Depuis
15 jours , les Compagnies qui étoient
restées à Versailles , ont abandonné cette
ville , pour se réunir à leurs camarades .
«
Quant aux évènemens de détail , ils se
réduisent à quelques particularités . Les
canons de M. le Prince de Conti à 17sle-
Adam , ont été conduits ici , au nombre
de dix-sept , le 4 de ce mois. » Il est assez
plaisant , dit une feuille de la Capitale ,
« qui rend compte de cette capture ,
d'avoir vu des Grenadiers couchés sur
<«< des lits superbes , et des étoffes magnifiques
souillées par tous les genres de
malpropretés. » La moralité de cette
expédition , dit l'Auteur que nous citons ,
est que la force fait tout.
Le sieur Duchartel , Lieutenant de
Maire de Saint - Denis , accusé par le
cri populaire , d'accaparemens , et d'avoir
fait vendre du pain mêlé de blé et
de seigle , a proscrit , et massacré
dans la nuit du dimanche au lundi 10 ;
sa tête a été promenée dans la ville par
ses meurtriers , dont quelques- uns , diton
, sont arrêtés.
Un autre incident a alarmé la Capitale,
la semaine dernière . Voici ce qu'on
en raconte . Les Régisseurs des poudres
( 233 )
envoyoient à Essonne un bâteaude poudre
de traite pour y être rafinée ; le bâteau
étoit muni d'un passe-port , signé le
Marquis de la Salle , en l'absence de M.
de la Fayette. Le bâteau saisi et fouillé ,
jette l'alarme parmi le Peuple ; il_de--
mande la tête de M. de la Salle. On a
soustrait cet Officier , Commandant en
second de la Milice Parisienne , aux soupçons
et au ressentiment publics , par des
mesures vigoureuses prises à l'Hôtelde-
Ville. Deux des Régisseurs des poudres
MM . Lavoisier et le Faucheux
ont failli être enveloppés dans cette anathème
, et se sont retirés hors de Paris .
Nous ne pourrions mieux faire con
noître la situation actuelle de cette Ca
pitale , qu'en rapportant la Délibéra
tion suivante du District de Sainte- Opportune
, le 5 Aoust.
L'Affemblée confidérant que les Arrêtés de
divers Diſtricts peuvent préfenter l'idée d'une autorité
locale , & quelquefois même celle d'un
pouvoir ifolé & indépendant de leurs co-Diftricts
, a envifagé avec effroi les funeftes conféquences
qui pourroient réfulter de femblables
idées , qui , fi elles n'étoient détruites , diviferoient
la Capita'e en foixante Républiques ; &
pourroient , dans un moment où tous les pouvoirs
font brifés & la force publique abfente , produire
des maux innombrables .
Elle penfe donc :
1°. Que les Diftricts n'étant qu'une foixantème
partie de la Capitale , leurs voeux ne peu(
234 )
vent acquérir force de loi , qu'autant qu'ils font
adoptés par la pluralité des autres Districts .
2 °. Que ce principe une fois pofé , les Diſtricts
doivent s'abstenir de porter leur voeu particulier
à l'Affemblée Nationale , parce que cette Auguſte
Affemblée ne peut s'occuper que des voeux de la
ville de Paris , & non de ceux de chacune de fes
divifions.
3 °. Que du même principe il réfulte que les
Difticts doivent également s'abſtenir de faire publier
& afficher leurs Arrêtés ; & que s'ils le font,
ils doivent au moins fe circonfcrire dans leurs
limites refpectives , parce que ces Affiches multipliées
mettent de la conf. fion dans les idées du
Peuple , & que l'impoffibilité de les lire toutes ,
le conduit à n'en lire aucune , même celles les
plus néceffaires ,
4°. Que dans ce moment où le châtiment des
ennemis publics , & la conquête de la Liberté
ont porté les efprits à la plus grande exaltation ,
i eft bien important de conferver les vrais principes
de la Liberté , de crainte que la licence
n'arrive à fa fuite , & n'enfante des maux pires
que ceux que nous avons détruirs .
5°. Que tous les bons Citoyens , que tous
les Citoyens éclairés doivent concevoir que la fureté
commune repofe fur leur feule vigilance ,
& le falut de la Patrie fur leur union ; & que
fi la difcorde pouvoit les égarer un jour , il en
réfulteroit une Anarchie , cent fois plus à redouter
que tous les forfaits du Defpo me.
6°. Que tous les efforts des amis de la Liberté
fe ont fans effet , s'is n'annoncent autant
d'union pour la conferver , que nos ennem's ea
ont déployé & peuvent en déployer encore ,
pour nous en priver à jamais.
77°. Qu'en attendant l'organifatjon des Lois
municipales , & de la force Militaire qui doit en
( 235 )
être l'appui , le feul moyen d'affurer la tranquillité
publique , de rendre à leurs travaux des
hommes utiles , de voir revenir parmi nous ceux
qui nous enrichiffent , de ranimer le commerce
& l'industrie , d'arrêter pour toujours les profcriptions
arbitraires , de fonder enfin la liberté
publique fur des bates inébranlables , eft de réunir
en un même centre nos forces & nos volontés ,
afin d'en former une maffe active & impofante ,
capable de réprimer la licence par tout où elle
voudroit paroître,
8°. Que l'Aflemblée générale des Repréfentans
de la Commune , préfentement chargée de
cette organiſation & de l'Adminiftration provifoire
de la Cité , doit être ce centre de pouvoir &
d'activité , fans lequel rien de grand , rien d'unanime
ne peut s'opérer.
9. Que cette Affemblée refteroit fans fonctions
& fans utilité , fi chacun des Diſtricts rerenoit
l'exercice du pouvoir qu'ils lui ont confié.
10°.Que cette Affemblée , compofée de Membres
choifis par toute la Commune , doit réunir
la confiance de tous les Citoyens , & la réunir
d'autant plus parfaitement , qu'ils fe font réſervé
la faculté de les remplacer toutes les fois qu'ils
le jugeront convenable .
11°. Que les Diftricts ne doivent point craindre
de voir meconnoître par cette Affemblée le pouvoir
qui réfide inconteftablement en eux , parce
que c'eft le conflater que de le confier à des Repréfentans
, chargés privativement de le faire frictifier
,
12 °. Que d'ailleurs les Membres actuels de cette
Affemblée viennent de donner une preuve certaine
de leur patriotifme , en demandant une augmentation
de 60 nouveaux Re réfentans .
Certe demande , qui place la confiance publique
fur une bafe plus étendue , prouve qu'ils font ca(
236 )
pables de facrifier à l'intérêt pub'ic les confells fecrets
de l'amour-p op e , & qu'ils méritent la confiance
de leurs Concitoyens .
L'Affemblée du District a arrêté que tette Déclara
ion de fes fentimens feroit portée par fon Préfident
& fon Secrétaire à celle géré ale des Repréfentans
de la Commune , & communiquée à tous
les Districts , avec prière d'y adhérer.
J. J. ROUSSEAU , Préfident.
DESMOUSSEAUX , Vice - Préſident & Secrét .
Nota. Plufieurs Diſtricts ont déja manifefté les
mêmes principes.
Avertiffement demandé.
» Huit cents Citoyens , réunis fous le Comman
» dement de M. le Comte d'Aubigny , veillent
" au maintien du bon ordre , dans la Ville de
» Falaife. Depuis cette heureufe affociation , la
» tranquillité publique , troublée un inftant , eft
» parfaitement rétablie. «<
" Le Comité National de cette Ville invita
toutes les perfonnes qui ont le défir de venir à
» la Foire de Guibray , à être fans inquiétude &
» à s'y rendre avec fécurité . «
( Au Journal suivant la lettre de MM.
les Volontaires d'Elbeuf, et d'autres dont
on a requis la publicité).
( 237 )
AVERTISSEMENT.
Un nouvel ordre de chofes néceffite pour nous
une innovation dont nous devons prévenir le Public.
Dorénavant les Morceaux inférés dans ce
Journal ne feront plus cenfurés , & par-là nous
eférons qu'il acquerra un nouveau degré d'intérêt
& d'utilité ; mais chacun dès-lors étant devenu
fon propre Cenfeur , ou les noms fignés
au bas feront connoître les Auteurs de chaque
Morceau , ou M. IMBERT , en qualité de Rédateur
, répondra des Articles anonymes , étant
cenfé l'Auteur de ces Articles , ou pouvant en
déclarer les Auteurs (1) .
Les circonstances actuelles nous preſcrivent
encore un autre chargement. La partie Politique
ayant pris aujourd'hui un intérêt prédominant ,
nous avons cru devoir l'augmenter , au befoin
d'une feuille, que quefois d'une feuille & demie,
& même deux feuilles . La première feuille fera
priſe fur la partie Littéraire.
Cette augmentation de la partie Politique n'aura
lieu que pendant la tenue de l'Affemblée Nationale
, & commence avec cet Ordinaire du Mer
cu:e.
pour ne
Cet arrangement devenoit néceſſaire
pas augmenter le prix de ce Journal ; il nous
étoit auffi preſcrit par l'étendue que nous donnons
au Journal de l'Affemblée Nationale " ;
dont nous embraſſons , à la fois , les débats &
( 1 ) Les Articles , quand les Auteurs le défireront
, feront imprimés anonymes ; mais on
n'en inférera aucun , que l'Auteur n'ait ſigné fon
Manufcrit
.
( 238 )
les réfolutions , les difcours & les documens fon
damentaux . Tous les autres Articles du Journal
Politique participeront aux avantages de la liberté
qui nous eft rendue. L'Article de France
en particulier prendra un tout autre caractère ,
& nous ne ferons plus obligés d'en puifer les
nouvelles dans les Gazettes Etrangères , pour les
imprimer féparément : il fera nourri de tous les
faits qui pourront intéreffer les Soufcripteurs.
M. MALLET DU PAN , Citoyen de Genève , eft
feul Auteur de toute la partie Politique ; M.
FRAMERY , des Articles du Concert Spirituel , de
l'Opéra , & du Spectacle de MONSIEUR Frère
du ROI ; M. DE CHARNOIS , de la partie des
Comédies Françoife & Italienne .
P. S. Dans la Séance de lundi soir ,
L'Assemblée nationale a aboli toutes les
Dimes Ecclésiastiques , lesquelles no
nobstant seront perçues jusqu'à leur rem
placement.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 AO U T 1789.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION
Pour le Portrait de ROUSSEAU le Lyrique.
EXEMPLE douloureux de gloire & de difgrace ,
Combien il dut jouir , & combien il fouffrit !
Il régnoit fur notre Parnaſſe ,
Et loin de nou mourut profcrit.
( Par M. D*** T*****. ).
Nº.34. 22 Août 1789.
E
98
MERCURE
COUPLET S
A Mile. VARESCOT , fur l'Air : Philis
demande fon Portrait.
Į RRIS , l'Amour fe plaint de vous ,
Je dois vous en inftruire :
Lorfqu'il rendit vos yeux fi doux ,
C'étoit pour tout féduire ;
Mais vous aimez fidèlement ,
Malgré ce Dieu volage ,
Vous donnez tout au fentiment ,
Sans confulter l'uſage.
Nos Belles favent mieux jouir
D'une heureuſe jeuneſſe :
Leur idole , c'eft le plaifir ;
La vôtre eft la tendreffe.
Vous ne voulez qu'un coeur conftant ,
Quel ennuyeux partage !
C'eft le charme du fentiment ,
Mais il n'eft plus d'uſage.
Nos Belles trouvent le bonheur
Au Temple de la Mode :
Un ton fimple , un air de candeur ,
Vous paroît plus commode ;
DE FRANCE. 99
Changer de parure & d'Amant ,
N'a point votre fuffrage :
C'eft trop donner au fentiment ,
Il faut fuivre l'ufage .
Nos Belles parlent joliment
De la Philofophie :
Un Profeffeur d'appartement
L'a bientôt définie .
Près de vous un jeune Savant
N'obtient nul avantage ;
Votre esprit a du jugement ,
C'eft trop bleffer l'ufage.
IRIS , enfin corrigez- vous
De tout ce que je blâme :
Dans vos traits comme dans vos goûts ,
Laiffez moins voir votre ame ;
C'eft nous critiquer fortement ,
Tâchez d'être moins fage ;
Voulez-vous voir le fentiment
Triompher de l'ufage .
( Par Mme. de Montenclos . )
E &
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent .
LEmot
E mot de la Charade eft Troupeau ; celui
de l'Enigme eft Fougère ; celui du Logogriphe
eft Miel , où l'on trouve Lime.
CHARADE.
CHACUN reçoit fa nourriture
De mon premier ;
L'imitateur de la Nature
Eft mon dernier ;
O Laboureurs , plus vos champs font fuperbes ,
Plus vous devez facrifier de gerbes
Qu'on exige pour mon entier.
( Par M. N. D. de Neuville aux
Loges , près Orléans. )
ÉNIGM E.
LECTEUR , je m'annonce avec bruit ,
Et fans jamais caufer d'alarmes ;
Pourtant l'effet qui me produit
Fait bien fouvent verfer des larmes.
I
DE FRANCE
.
Je me répète quelquefois ,
Mais toujours dé.ourvu de grazes L
Et le plus fédu fant minois
Fait par moi d'horribles grimaces.
Je fais goûter qu Ique plaifir ;'
Un rien comine tui me fait naître
Et l'inftant qui me donne l'être ,
Tout auffi -tôt me voit mourir .
Mais il eft temps que je finiffe ;;
Mon récit t'a rendu rêveur .
Courage , allons , mon cher Lecteur !!
Bon... t'y voilà ... Dieu te béniffe.
( Par M. de Beauchefpe , Off. de M. )}
JE t
LOGOGRIPHE
..
E t'offre , ami Ledeur , un léger vête:nentr
Que l'ufage rend néceffaire ::
Mon nom n'a que trois pieds ; mais le plus étonnant,
Lecteur , c'est qu'en les retournant,,
De Plante que j'étois , je devienne Rivière..
( Par M. Pillet, Lyonnois… )
E
102 MERCURE
14
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LA Jurifprudence du Parlement de Bordeaux
, avec un Recueil de Queftions
agitées en cette Cour , & les Arrêts qui
les ont décidées par M. SALVIAT, Confeiller
au Prefidial de Brive , Secrétaire
perpétuel de la Société d'Agriculture de
la même Ville , & Membre honoraire de
l'Académie d'Arras. Vol. in 4° . A
Paris, chez Buiffon , Libraire , Hôtel de
Coëtlofquet , rue Haute-feuille , N. 20,
Prix , 10 liv. br. , 12 liv, rel. , & 11 liv,
franc de portpar la Pofié.
C
·
HAQUE Parlement a une Jurifprudence
qui lui eft propre fur plufieurs objets. C'eft
l'effet de la diverfité d'opinions naturelle &
chaque individu , à chaque famille , à chaque
Compagnie qui ne fait plus alors qu'un
feul individu , quant à la façon de penfer.
On aura beau multiplier les Loix & les Ordonnances
, il eft impoffible qu'elles prévoient
tout , & même les cas prévus feront
toujours interprétés d'une manière différente
par les Tribunaux . Il feroit donc à fouhaiter
DE FRANCE. 1031
qu'il fe trouvât dans le reffort de tous les
Parlemens quelque Jurifconfulte auti zélé
& auffi éclairé que M. Salviat , pour publier,
leur Jurifprudence particulière. Ce recueil
formeroit un code précieux de Légiſlation
Nationale . M. Salviat a imaginé le premier
d'ouvrir une carriè e que perfonne avant
lui n'avoit découverte , ou au moins n'avoit
parcourue . Il fournir un exemple bon
à imiter. On a affez de Collections d'Arrêts
; mais des Arrêts prefque toujours
ifolés n'établiffent pas une Jurifprudence
fixe.
Si M. Salviat a le mérite de l'invention ,
il a auffi celui de l'exécurion. Son Ouvrage
eft écrit avec méthode & clarté . Il évitera s
beaucoup de peine & de travail aux jeunes
gens qui fe deftinent au Barrean ; il fera
d'un grand fecours aux Juges &: Avocats
les plus inftruits & les plus confonimés &
doit occuper un des premiers rays dans
leur bibliothèque. Il et d'ailleurs is à la
portée de tout le monde , même des purfonnes
qui ne s'attachent pas à l'étude des
Loix.
Son utilité n'eft pas refferrée dans les limites
du Parlement de Bordeaux. Elle eft
univerfeile pour tout le royaume , en ce
que l'Auteur commence par expofer les
principes généraux fur chaque matière
avant de rapporter les ufages de cette Cour ,
ce qui facilite par-tout l'inftruction : mais
fur tout par le recueil d'Arrêts qui termine
E 4
104 MERCURE
le volume , où on trouve des questions intéreffantes
, difcutées avec beaucoup de lagacité
& de jugement.
L'Auteur ne fe montre pas feulement
Magiftrat favant , mais encore Citoyen
vertueux. Il fe récrie contre la multiplicité
des vices dont notre Légiarion criminelle
eft infectée ; contre la permiflion accordée
à un Juge de prononcer feul des décrets de
prile de corps , & de difpofer feul de la
libe té d'un accufé ; contre la confifcation,
do il rapporte en abrégé l'origine . Il fé
licite les habitans du reffort du Parlement
de Bordeaux , de n'être pas affujettis à cette
barbarie qui punir l'innocent & non le
coupable. » Ce n'eft pas le malheureux
qu'on a mis àmort, qui fouffre de la perte
de fes biens ce font les enfans inno-
» cens ". Ses réclamations paroiffent dans
un temps favorable , cù le Gouvernement
eft difpofé à les écouter.
ود
"3
Il fe récrie auffi contre plufieurs , défauts
de nos Loix Civiles ; contre l'abus d'autorité
que font fouvent les Officiers de Pos
lice , en emprifonnant des gens domiciliés ,
fous le frivole prétexte qu'ils leur ont man.
qué de refpect ; " contre cette Loi ridicule
13
qu'on appelle ban de vendanges , " &
fur-tout contre les Juftices Seigneuriales . Il
défire qu'elles foient fupprimées , & qu'on
prohibe les revendications. Il doit être flatté
de voir ces voeux là cxaucés.
DE FRANCE.. 105
Parmi les queftions , nous allons en extraire
une qui pourra paroître curieufe à
nos Lecteurs. Les Juifs mineurs peuvent- ils
fe marier en France fans le confentement de
leurs parens?
Abraham Robbes , mineur de 16 ou 18
ans , fur fiancé avec Sara Rodrigues Janic..
La cérémonie fe fit dans la maifon de ladive
Sara , en préfence de fa mère , de fes:
frères & foeurs , & de trois témoins étrangers
.Mole Rodrigues , fère de la fiancée , fit:
la fonction de Rabbin , & donna les béné--
dictions d'ufage parmi les Juifs . Le mariagefut
enfuite célébré . Sur la plaine portée:
à la Nation Hébraïque par Molle Robbes
père d'Abraham , toutes les Parties , mêmes:
le Rabbin & les témoins , furent cités à la
Synagogue , & excommuniés ; mais l'excommunication
ft bientôt levée , & Sara
Rodrigues fut adin fa aux bains réfervés
aux femmes 1'gi imes.
Moile , mécontent d jugement de fa
Nation , fe pourvur en Joftice. Abraham
Robbes , la veu e Rodrigues & fa file fou--
tenoient que les Ordonnances de nos Rois ,
gai prohibent les mariages des enfans fans
le confentement de leur père , ne regardient
pas les Juifs . La Loi de Moïle &
lears ufages font la fe le règle qu'on puiffe
confulter für la validité de leurs mariages.
Les Juifs , par un ordre particulier de la
Providence , difperfés dins tous les endroits
de l'Univers , ont confervé au milicu des
106 MERCURE
Nations la Religion & les Coutumes , de
leus pères . Par tout où la main de Dieu
les a conduits , on voit un peuple qui ne
s'alfocie avec aucun autre , qui n'adopte
aucunes moeurs , qui vit dans les maximes
& dans les pratiques propres . Chez les anciens
Romains .... dans la Rome moderne
au centre de la Catholicité , dans la France,
dans tous les lieux & tous les temps , on
trouve les Juifs régis par la Loi de Molle ,
& féparés de moeurs & de police comme
de créance , d'avec le refte du genre humain.
Il faut donc examiner cette Loi, Con
tient- elle quelque difpofition qui faffe du
concours des pères une condition néceffaire
du mariage des enfans : Non ; au contraire ,
on trouve des exemples d'enfans mariés
fans le confentement des parens . Tel eft
celui de Tobie marié par- l'Ange fon con
ducteur , & fait à l'infçu de fon père : tel
eft celui de Samfon , qui , fans égard pour
les remontrances de fes parens , fur le ma
ringe qu'il vouloir contracter avec une Philiftine
, leur répondit qu'il la vouloit , parce
qu'elle lui avoit plu , & l'époufa. Les ufages
ne font pas plus févères que la Loi . Tout
Juif et majeur à quatorze ans , & peut fi bien
fe marier , qu'il eft fans exemple qu'aucun
père air figné l'a Kerouba , qui eft parmi eux
face irrévocable qui les lie l'un à l'autre.
Moite Robbes répondoit que les Ordonnances
de nos Rois fur les mariages lioicnt
DE FRANCE. 107
tous leurs fujets , de quelque Religion qu'ils
fuffent ; le confentement des parens au mariage
de leurs enfans , eft une Loi de Police,
générale pour tous les habitans de Royaume,
fans diftinction de cule. Les Loix des Juifs
& leurs ufages ne font pas moins précis.
Dieu dit dans l'Ancien Teftament : Tu he
donneras pas ta fille aux Gentils , & ne.
prendras pas leur fille pour ton fils . Abraham.
choifit Rebecca pour fon fils , & les parens.
de celle - ci répondirent : Recevez- la de nos
mains. Ifaac défendit à fon fils Jacob de
prendre une fille de la terre de Canaan..
Hémor , père de Sichem , demanda Dina à
Jacob pour fon fils. Efaii ayant époufé une
Cananéenne fans confulter fon père , Dieu
prononça lui-même fa condamnation .
Arrêt du 16 Mars 1744 , qui confirma
le mariage.
NOUVELLE Correfpondance , ou Choix de
Lettres intéreflantes fur divers fujets ,
recueillies en 1789. A Spa ; & fe trouve
à Paris , ch z Buiffon そ , Libr. que Hautefeuille
, N°. Lo.
ON lit avec intérêt les Obfervations qui
peignent les moeurs d'une Nation , lors
même que les formes qu'elles nous retracent
font pailees de mode , où qu'elles
nous font étrangères. Nous en avons unepreuve
incontestable dans le Spectateur
E 6
MERCURE
Anglois , Ouvrage devenu claffique , même
pour la France ; & le tableau des ridicules
qui régnoient à Londres du temps de Steele
& d'Aditfon , nous intérefle encore aujourd'hui.
Ce principe une fois pofé , quel
fuccès ne doit point avoir un Kecueil de
Lettres intéretf.ntes , qui eft le filele miroir
de nos moeurs ? " Celui des travers , com.ne
» l'obferve très judicieu euent l'Aurer
eſt , à la vérité , fi mobile , qu'il change
» à Paris plus d'une fois chique année ;
» mais le ridicule ne s'en fait que mieux
» appercevoir , quand on commence à n'y
» être plus fi accoutumé. Du refle, ce genre
» a la même utilité que la Comédie ".
La plupart des morceaux qui compoſent
ce Recueil , & qui ont été puifés dins
différens Journaux , font d'un ftyle ingé
nieux & léger. Dans d'autres morceaux ,
traités plus férieufement , on trouve des
objets d'utilité , ce qui jerte une agréable
variété dans ces Ecrits. Pour en donner
une idée , nous allons rapporter ici en fon
entier une Lettre d'une jolie Ferme fur
fon vieux Mari. » Monfieur , je n'y tiens
plus , il faut que j'éclate à mon tour.
J'ai beaucoup à me plaindre du fort. -
Pourquoi cela ? Le voici en trois
» mots : Je fuis mariée , je fuis jeune ; on
» me trouve jolie ; mon Mari eft riche ;
» & fr cela continue , il faut n'enterrer
» dans fix mois. Cela vous étonne ? Je vais
m'expliquer mieux ; vous faire l'hiftoire
ور
ور
و د
"
DE FRANCE. 109
" de mon Mari , c'eft vous offrir le tableau
" de mes douleurs .
» Mon Mari eft riche , mais il eft vieux ;
» ce n'eft pas la fon plus grand torr. Etant.
" jeune , il avoit pris une vieille femme ;
& etant vieux , il m'a époulée , moi qui
» n'ai pas enco.e dix fept ans . Voila qui
" peut paroitie plai.ant , & j'en rirois peut-
" ete la première , fi je n'y étois pour
rien ; mais par malheur , je fais les frais
» du dénouemen , & cela gâte l'aventure."
" Sa première femme , dont il avoit épousé
" la fortune , & qui croyoit que fon or
devoit lui tenir lieu de jeunelle & de
99.
beauté, étoit pour lui une compagne auffi
" exigeante qu'importune. Sa jaloufie en fai-
" foit un argus auili ennuyeux qu'incorrup-
" tible. Enfin le bonheur du jeune époux.
" ne commença que le premier jour de
fon veuvage. Il trouvoit les procédés de 30-
la Dame très - ridicules ; il les iegarde
» comme tels encore aujourd'hui . Eh bien !
" Monfieur , la conduite dont il fut la
» victime comme jeure époux , il la tient
» envers moi comme vicux mari . Mon air,
» mes manières , mes habits , mon ftyle
» même tout excite fon huineur , &
» même la jaloufie. I fe plaint tous les
" jours à mes parens de mon indifcrétion
» & de ma légèreté , & mes parens pré-
» tendent qu'il a raifon . Quand je me
" plains de fon humeur , on me di que
je favois bien qu'il étoit vieux en l'é-
و د
[ IQ MERCURE
..
ور
•
ود
ינ
poufant ; & je réponds qu'il favoit fort
bien aufli que j'étois jeune quand il me
prit.
""
Lorfque je confentis à le prendre pour
» époux , malgré fon âge avancé , je favois
hiftoite de fon premier mariage ; lui-
" même me l'avoit racontée plus d'une
fois. Je crus au moins qu'en l'époufant ,
je le trouverois tout corrigé par fa pro-
" pre expérience . Je me figurai qu'il n'a
dopteroit pas des ridicules dont il s'étoit
moqué tant de fois & dont il avoit
» été le martyr. Point du tout ; on diroit
que c'eft une revanche qu'il veut pren-
" dre. Il voudroit toujours me voir louer
le temps paflé , que je n'ai pas connu ,
ور
»
و ر
4
& blâmer le préfent qui me plaît beau-
" coup. I trouve tous nos Acteurs dételtables
, toutes nos Pièces mauvaifes , tous.
99
ود
ور
ود
nos Livres bêtes , nos modes extrava-
" gantes , & fur tout nos jeunes gens ri-.
dicules ; c'eft à -dire qu'il faudroit , felon
lui , n'aller jamais aux Spectacles , ne
plus lire aucuns Romans , renoncer anx
modes , & ne fréquenter que des vicillards.
Vous conviendrez , tout riche qu'il
eft , que c'eft exiger un peu trop ; que
fes procédés font, ufura res , & que c'elt
» vendre trop cher fon argent. Il me dit
à tout moment de prendre un air plus
raffis ; mais que me répondroit-il , M. ,
fi je le priois de devenir, plus jeu.e ?
» Je voudrois qu'on fit quelque bonne.
"
و د
و د
"
DE FRANCE. ΠΙΣ
"
>>
Differtation fur les difproportions d'âge
» entre deux époux , & qu'on prît la peine
de tracer une elpèce de code marital qui
marquât les facrifices que, doit faire le
plus jeune , & l'indulgence qui convient .
» au plus âgé . Vous voyez , Monfieur , que
" malgré la légèreté dint on m'accule , je
" viens d'indiquer une nouvelle branche
» de Légiflation ; j'attends de votre amour
" pour le bien public, tous les efforts nécellaires
pour la réaufer «.
"J
Il parcitra chaque année un Resucil à
peu près tel que celui- ci , on n'y fera jamais
entrer que des Pièces irréprochables ,
pour qu'on puille les mettre dans les mains
des jeunes gens des deux sèxes , ce qui aura
l'avantage de contribuer à les former au
genre épiftolaire , dont l'habitude et le
plus nécellaire dans le cours de la vie .
IK
On prévient dans un Avertiffement mist
en tête de l'Ouvrage , que l´s perfonnes
qui défireront inférer des, Pièces dans les
Recueils fuivans , auront droit à la peconneillance
de l'Auteur , & pourront les
adreffer , francs de port , au Sieur Buiffen ,
Libraire , rue Haute-feuille.
i
2
ΙΟ
TABLEAU du Palais - Royal. 2 Volumes
in- 12. , Prix , 3 liv . br. , & 3 lið .
francs de port par la Pofe , avec deux
Gravures reprefentant l'ancien & le nou112
MERCURE
veau Palais -Royal. A Paris , chez Ma
radan , Libr, rue Saint - Andri- des- Arts.
L'EXACTITUDE de cet Ouvrage n'échap
pera point à ceux qui l'auront lu : le Palais
- Royal y et figuré , tant par les
Planches que par les Difcours , dans une
parfaite reffemblance. Si ce Livre parvient
en province , à des perfonnes qui n'aient
point vu le Palais Royal , elles feront tentées
de croire que cet efpace eft une ville ,
dans laquelle on trouve l'agréable , l'utile ,
le luxe , & le mouvement d'une popula
tion active , induſtrieuſe , galante , & riche.
L'Auteur n'a rien omis , il a tout dit , &
tout repréſenté fous la couleur propre; fans
prétention , fans morgue , il eft tours en
mefure. On trouvera plaifante la compa
raifon des Evènemens d'une jeune Fille entrerenue
, avec les Evènemens d'un jeune
& joli Cheval. Nous allons tranfcrire le
Chapitre XXIX , qui a pour titre les Libraires
ce Chapitre eft de la plus grande
vérité. Les Brochures de ci conftance ;
» dit - il , les Romins nouveaux , les Pamphlets
venimeux de quelques Auteurs
affamés , font les principaux objērs qui
» font le véritable bénéfice des Libraires
da Palais - Royal . Le grand art du Libraire,
» dont la bou i que est fournie d'Ouvrages
»
"
20
fcandaleux & profcrits , eft de lire dans
» les yeux du Libertin , le défir qu'il a
» d'acheter une de ces Brochures. L'homme
DE FRANCE. 113
*
ל כ
fi
s'approche de la boutique avec timidité ,
» n'ofant clairement expliquer ce qu'il dé-
» fire ; il parcourt des yeux toutes les Brochures
qui fe trouvent en éralage , ren-
» contre ceux du Libraire ; ils fe fixent , &
» bientôt ils s'en endent ..... Les plus
plates méchancetés , les diarribes les plus
fanglantes , les Ecrits les plus fcandaleux
circulent par tour , &c. &c. &c. Tous les
Chapitres nous ont paru écris avec la même
vérité , & plufieurs font alfez piquans.
VARIÉTÉS.
FIN DES PENSÉES DIVERSES.
POUR L'ordinaire nous appelons fou celui qui
n'a pas nos opinions , & fauvage celui qui n'a
pas nos meurs.
LES hommes s'occupent plus à foutenir ce
qu'ils croient , qu'à examiner pourquoi ils le
croient.
La vérité n'a qu'un moment brillant en France ,
celui où elle eft devenue mode,
QUAND une erreur & une mode nous quittent,
prefque toujours on peut leur dire , au revoir.
L'HOMME de génie ne fçauroit réfider avec
tous les autres , il les paffe ; l'homme à paradoxe n'y
veut point réfider , il fe jette à l'écart
114 MERCURE
L'ESPRIT de paradoxe eft à l'efprit originat
ce que l'affectation eft à la grace .
LES mêmes effets viennent fouvent de caufes
oppof es ; un homine de beaucoup d'efprit peut
mépfer les conno flances humaines , parce qu'il
voit trop où elles finiflent ; un fot peut les
m prifer aufli , mais parce qu'il ne voit pas feulenient
où elles commencent.
UN homme d'efprit paffe fa vie entre des fots
qui ne peuvent l'entendre , & des´ gens d'efprit
qui ne veulent pas l'écouter .
L'HOMME qui a le plus de force & d'activité
dans l'efprit , cft celui-là même qui fent le mieux
fa fo bielle cette force le poule fans cetle contre
des barrières cu al fe froffe, fi je puis ait fi dire ;
une expérience continuelle & pénible l'avertir de
ce qu'il ne peut pas l'homme ordinaire ne
foupçonne pas même des barrières ; & il·les are ,
parce qu'il n'a jamais cu la force d'aller jufqu'cu
elles font.
,
C'est ains que de plufieurs offeaux renfermés
dans une grande volière l'aigle gémiroit
modeftement de fa prifon , & le ferin pourroit
fe croire libre dans un cfpace immenfe : a
la modcftic prouve le talent ; en même temps
qu'elle le fait pardonner.
DE toutes les économies , la plus rare eft celle
des paroles ; & par une fatalité commune , les
pauvres font prodigues & les riches avares ; plus
d'idées , moins de paroles , & réciproquement.
UN homme qui fe tait peut fe comparer àun
cabinet fermé; perfonne n'oferoit gager qu'il n'y
a pas là une bibliothèque .
QUE d'idées douces & confolantes éveille une
DE FRANCE 115
-
fore ! Voulez- vous méditer ; voilà le recueille- . '
ment & le filence : étes vous perfécuté une
forêt femble un afile : voulez -vousé virer la chaleur
? vous trouverez la fraîcheur & l'embre :
avez-vous befoin de repos ? que de gazons ombragés
par des ferillages ! avez vous fof ? une
foret donne la fraîcheur & promet de l'eau :
avez-vous faim ? parmi tant d'arbres , n'y auroitil
point quelque fruit nourriflant ? Enfin voulezvous
de la fociété ? ne faites point de bruit ; ta fez- .
vous , & dans un moment mille oifeaux vont voltiger
& gazouiller autour de vous.
Un champ couvert de la plus riche moiſſon ,
que vous dit il au contraire ? ure vérité bien dure :
c'eft que tout cela fora le prix de l'argent , parce
qu'il en eft le prodait : & duffiez - vous mourir ›
de fainr, pas un de ces grains- la ne vous concerne;
& puis , que faire des grains de blés ? ilvous
faudroit plus de vingt hommes avec leurs
machines pour faire avec ce grain un aliment
agréable & nourrifiant.
LA fenfibilité & imagination font deux qua-
It's de l'ame qui s'entr'aident merveilleufement
& fe fortifient Tune par Tautre .
La fenfibilité confidérée dans fa canfe n'eft , à
mon avis , que l'habitude de ler toutes ou pref
que toutes les idées à quelque idée de peine ou
de plaifir , ma's Timagination confifte à lier à
chaque de limage complete d'un cu plufieurs
objets.
Analifez attentivement les morceaux de Racine'
cu règne la fenfibilité la plus touchante , & vous
trouverez , li je ne me trompe que chaque idée
entraîne doucement avec elle l'idée de peine ou
de plaifir ; vous fentirez que l'émotion aimable,
caulée par un écrit touchant , confifte dans cette
eſpèce d'ondulation de l'ame , qui , pour ainfi dire ,
116. MERCURE
:
fe balance mollement entre les diverfes craintes
& les diverfes fpérances , entre les idées de peine
& de plaifir efpèse de fituation douce & partant
mobile & qui par là réunit deux chofes
néceffaires à l'ho me , le bien-être , & le changement
ou la variété .
La fenfibilité confidérée dans le moral de
l'homme , dérive très - vra-femblablement de cette
fenfibilité qu'on appelle phyfique , & j'entends parlà
, une difpofition dans les organes qui rend ca
pable de fentir diftinct ment , de la part des objets
extérieurs , des impretions infentibles pour
les autres .
Cette propriété pourroit être regardée comme
une efpèce de mala ke , ou du moins comme un
excès oppofé à celui de la fupité.
Quoi qu'il en foit , ceux que la Nature, a doués
de cette faculté heureuſe ou malheureuſe , ont
un autre univers , une autre mémoire , un autre
tour de penfer , un autre génie que les hommes
indiffrent..
Les perfonnes fenfibles ont un autre univers ,
car notre univers n'eft , après tout , que fam
blage des chofes dont nous prenons poff thon
pour nos lens , & quiconque ades fens nouveaut ,
ou ce qui revient au même , des fens plus éteodus,
parce qu'ils font plus mobils , plus irritables ,
&tend fon univers , comme l'aveugle de Cherelden
étendit le fien en dépouillant fa cataracte .
Les perfonnes fenfibles ont auffi une mémoire
différente ; le phénomène de la mémoire n'eft que
celui de la liaifon des idées , & les homines indifférens
ne lient leurs idées que par des circonftances
de temps , de licu , de figure , de couleur
, & autres idées abftra tes qui ne les affectent
point ou ne les affectent que peu : au lieu que
les perfonnes fenfibles enchainent étroitement leurs
idées par celles de plaifir ou de peine ; & cos
DE FRANCE. 117
idées ne font point , dans leurs têtes , des idées .
abitraites , clles rappellent toujours avec elles l'idée
totale & réelle de Tobjet qui les a caulées.
J'ai dit que les perfonnes fenfibles avoient un
tour particulier de penfer & de parler en effet ,
elles ne jugent guère les objets que dans les
rapports qui font entre eux & elles , tandis que
les hommes indifférens s'appliquent à confidérer
les rapports que ces objets ont fimplement entre
eux; & ces hommes fent précisément ceux qui
deviennent ou qu'on appelle Savans.
Aufli les perfonnes fenfibles ne parlent - elles
d'ordinaire qu'avec l'émotion du plaifir ou de la
peine ; c'eft ce qui rend la fenfibilité fi perfuafive
& fi éloquente pour tous ceux qui font lenfibles
eux-mêmes un Ecrivain tel que Racine , Fénélon
, Rouffeau , doués d'une exquife fenfibilité ,
peuvent fe comparer à des cordes dont les on-
-dulations très- vives fent réfcnner & onduler vi
vement auteur d'eux toutes les cordes qui leur
fort harmoniques.
Mais fi les perfonnes fenfibles font éloquentes
pour ceux qui leur reffemblent à quelque degré
elles paroiflent ben himériques à tous les autres
qui- ne leur reflemblent point . Ceux-ci s'étonnent
& fe moquent de tous ces mouvemens dont il
ne peuvent faifir la caufe , puifqu'elle est vraiſemblablement
dans la différence de leurs plus intimes
organes.
Enfin , pour exprimer le caractère de la fenfbilité,
de l'imagination & de la raifen, ne pourroiton
pas dire que l'objet de la fenubilité s'étend
depuis l'agréable jufqu'au délicieux , que celui de
l'imagination embraffe le nouveau & le merveilleux
& que l'objet de la raifen commence au
wraisemblable & fe termine à l'évidence ?
Je fuppofe qu'en mentre une belle main , dont
le corps et voilé , à trois Peintres , dont le
pre718
MERCURE
:
mier a l'ame fentible le fecond cft doué d'une
imagination vive , & le troisième n'a qu'une raifon
froide , je préfume que le Peintie aifonnable
deffinera très - exactement la main , & la
mettia dans fon porte - feuille pour l'employer au
befoin l'homme d'imagination ajoutera a cette
belle main le plus beau corps qu'il pourra fe figurer
, & le Peintre fenfible , deflinant la femme
qu'il a le plus aimée , l'unira à cette main que
fa fenfibilité y attache par un invincible lien .
Dans les Ouvrages d'un homme fenfible ,
trouve fouvent plus d'intérêt de nouveauté ;
que
mais dans ceux d'un homme doué d'une belle
imagination , on peut trouver plus de nouveauté
que d'intérêt ; car une nouvelle combinaifon d'ob
jets qu'on appele image , vous amufc fouvent !
comme nouvelle , fáns vous intéreffer comme utile
à votre bonheur.
оп
Ceci me ramène à ce que j'ai dit , que l'imagination
& la fenfibilité s'entr'aident merveilleufement
& fe fortifient l'une par l'autre ; il eft
aifé de concevoir cemment cette fenfibil té , fen
nous attachant plus vivement à nos idées , nous,
donne par- là plus de temps & de force pour les
combiner en images : d'un autre côté, l'imagination
qui raffemble ces objets & les réduit en' tableaux ,
excite fouvent , par cet aflemblage , des émotions
que chaque objet féparé n'eût point caufées ; ainfi
il est très-vrai de dire que la fenfibilité s'accroît
par l'imagination , comme l'imagination par la
fenfibilité ; plus on fent , plus on imagine , & ré
ciproquement, plus on imagine , & plus on fent :
mais ou conduifent enfin ces deux facultés enivrantes
? quelquefois à la gloire, & plus fouvent
au malheur.
( Par M. le Marg , de C*** , d'Avignon .)
DE FRANCE
ANNONCES ET NOTICES.
MÉTHODE pour traiter toutes les Maladies ,
très-utile aux jeunes Médecins , aux Chirurgiens ,
& aux gens charitables qui exercent la Médecine
dans les campagnes ; dédiée au ROI , par M. Vachier
, Ecuyer , Docteur-Régent de la Faculté de
Médecine , &c . Tomes VIIIe , IXe , Xe . & XIe.
In- 12 . A Paris , chez Méquignon l'aîné , Libr.
rue des Cordeliers ; & Croullebois , rue des Mathurins.
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Mémoires d'Agriculture , d'Economie rurale &
domeftique , publiés par la Société Royale d'Agriculture
de Paris . Année 1788. 2 Vol. in- 8 ° . ;
Trimestre d'Hiver & Trimeftre de Printemps. A
Paris , chez Cuchet , Libr. rue & hôtel Serpente .
La Guirlande de Julie , offerte à Mademoiſelle
de Rambouillet , Julie-Lucine ' d'Angènes ; par M.
le Marquis de Montaufier ; in- 8 . de 82 pages.
Prix , 6 liv. De l'Imprimerie de MONSIEUR . A.
Paris , chez Didot le jeune , Libr. quai des Auguftins,
Cette Guirlande eft un Ouvrage très - célèbre ;
& l'Edition que nous annonçons mérite beaucoup
d'éloges ; elle n'a été tirée qu'à 150 Exemplaires .
Hiftoire critique & apologétique de l'Ordre des
Chevaliers du Temple de Jérufalem, dits Templiers; ·
120 MERCURE DE FRANCE.
par feu le R. P. M. J... , Chanoine Régulier de
l'Ordre de Prémontré , Docteur en 1héo ogie ,
Prieur de l'Abb ye d'Etival. 2 Volum. ir-4º. A
Paris , chez Guillot , Lib. rue des Bernardins , la
première porte cochère en face de St - Nicolas da
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L'Efprit des Impôts & de leur Régime , par F. L.
Chaubray de la Roche ; in- 8 ° . A Londres : & fe
trouve à Paris , chez Pichard , Libr . quai des Théz
tins ; Defenue , au Palais-Royal ; & Méquignon ,
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Nos. 3 à 7 du Journal de Clavecin , par les meil
leurs Maîtres. Séparément , 3 liv. Abonnement,
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Numéres 17 à du Journal de Harpe , p
les meilleurs Maitres.
Nos. 27 à 40 du Journal Hebdomadaire , com
polés de différens Airs, avec accompagnement de
Clavecin , par les me lleurs Maîtres . Il paroît un
Numéro de chacun de ces deux Journaux tous les
Dimanches . Prix féparément , 12 f. Aboan. 154.
A Paris , chez Le Duc au Magafin de Mulique &
d'Inftrumens , rue du Roule , Ѱ. 6.
TABLE
INSCRIPTI NSCRIPTION.
Compress
27 Nouvelle. 107
98 Tableau. 111
Cavalet ig.& Lozog
La Jurisprudence
100 Mariétés.
13
192 Annonces & Notices. 119
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
Be Stockholm , le 1er . août 1789. I
DE jour en jour , les évènemens de la
campagne augmentent d'intérêt , et répondent
à nos espérances. La semaine
dernière , un courrier de Finlande a apporté
à la Reine et au Prince Royal ,
des nouvelles importantes. La supério
rité de nos armes s'affermit par de nouveaux
avantages. Après une longue et
vive canonnade , le Lieutenant - général
de Meyerfeld s'est rendu maître du poste
important de Hogfors dans la Finlande
Russe , et au bout de douze heures , a
forcé les défilés de Pyttis , Kuppis , Broby
et Sartola . Le Roi s'est trouvé à l'attaque
de Hogfors , et a lui-même poursuivi l'ennèmi
, qui a brûlé ses ponts de retraite ,
après nous avoir laissé un Officier et dix
N°. 34. 22 Août 1789.
1
( 242 )
Soldats prisonniers. La flottille de Swea
-borg couvre le flanc droit de notre armée
, et l'avant - garde a investi Fridéricsham
lagarnison de cette place manque
de vivres , et n'a pas fait de sortie ,
comme on l'avoit débité .
A l'aide du renfort qu'il a reçu , le
Colonel Steding a chassé devant lui le
Général Russe Michelson , et pénétré
de nouveau dans le Savolax : les trois
premières actions qu'il a soutenues , lui
ont coûté cinq cents hommes , morts ou
blessés.
On savoit que notre grande flotte étoit
en présence de celle des Russes , à la
hauteur de Bornholm : l'attente d'une
bataille s'est réalisée , et hier on a appris
, par divers bâtimens , qu'elle avoit
eu lieu dimanche 26 , entre les isles de
Bornholm et de Gothland . L'engagement,
aussi long que sanglant , a duré depuis 2
heures jusqu'à 9 de l'après- midi . La flotte
Russe , au rapport unanime des Patrons ,
faisoit voile à l'Est , et la nôtre étoit à
sa poursuite . D'un instant à l'autre , on
attend les détails de cette action .
POLOGNE.
De Varsovie , le 27 juillet.
Quoique l'Archevêque de Carthage ,
Nonce du Pape , ait adressé aux Etats
une Représentation sur la réduction des
( 243 )
revenus de l'Evêché de Cracovie , cette
mesure a été consommée dans la Séance
du 24 ; et , conformément au premier
projet , l'excédent de cent mille florins
dans ce revenu épiscopal , qui étoit de
700,000 , est consacré à l'entretien de
l'armée . Par un Décret subséquent du
24 , la Diète a fixé à cent mille florins
les revenus de chaque Evêché , ce qui ,
à l'avenir , améliorera le sort de la pluralité
des Evêques ; mais les Etats , sachant
allier la justice avec l'utilité publique
, ont fixé l'exécution de cette Loi,
seulement après le décès des Possesseurs
actuels . *
Une autre résolution encore plus importante
a distingué la Séance de vendredi
dernier. Sur la proposition faite
antérieurement par M. Matuszewicz ,
Nonce de Brzesc , la Diète a été rendue
permanente , et le Roi ne pourra la proroger
qu'avec le consentement unanime
des Etats , demandé par leur Maréchal.
Les Lettres d'Ukraine , du 15 de ce
mois ont confirmé l'apparition d'une
flotte Turque de seize vaisseaux de ligne
et de quinze frégates dans les eaux d'Õczakof.
Derrière la ligne de ces vaisseaux ,
Occupant une étendue de trois quarts
de lieue , se trouvent d'autres bâtimens
de moindre grandeur. Le Vice- Amiral
Russe , qui commande dans ces parages
sept vaisseaux de ligne et quelques
petits bâtimens , avoit fait ses disposi-
1 ij
( 244 )
tions pour recevoir l'ennemi , qui ,
sans doute , va tenter le siége d'Oczakor.
Une bataille navale décisive peut ac
juger à l'un ou à l'autre des combattans
la souveraineté de la mer Noire
pour cette année.
Nous avons été inondés ici , comme
le reste de l'Europe , de relations fictives
sur des victoires Russes à Galacz , à
Bender , etc. etc. Ces rapports méritent
peu de créance ; nous opposerons à toutes
ces victoires de Gazettes , la lettre suivante
, très-authentique , écrite de Podolie
, le 13 de ce mois , par une personne
éminente.
K
44
« Vous avez lu sans doute la relation que
la Cour de Pétersbourg a donnée de l'af-
« faire de Galacz , relation dans laquelle
<«< les Russes disent avoir tué 6co Turcs ;
« mais vous ignorez peut-être ce qui s'est
passé à cette occasion , et que l'on a eu
soin de tenir secret jusqu'à ce moment :
« voici le fait. Les Russes proposèrent une
<< armistice ; on avoit déja arrêté de part
« et d'autre la cessation des hostilités , lorsque
« le Commandant Russe fit inviter le Séras-
» , kier qui commandoit à Galacz , à venir au
« camp Russe pour conclure plus promptement
« les articles . Le Séraskier ne balança pas , A
4 peine fut- il entré avec sa suite , qu'on le retint
prisonnier ; ses gens eurent le même sort ,
« et ceux qui osèrent se défendre furent
«c massacrés. Un Corps Turc qui étoit dans
« le voisinage , ayant été informé de cetic
trahison , fondit sur les Russes , en tua
a plus de 2500 , au nombre desquels se trouve
" .
( 245 )
a le Général Wozmitelow , et fit prisonniers
« 3 bataillons de Chasseurs , 4 Compagnies de
« Grenadiers du régiment Duschkon , et 3
« Compagnies du régiment Mila zowicz . Vous
“ pouvez compter sur la vérité de ces détails.
Le Séraskier , prisonnier , a été envoyé
« à la grande armée ; il reçoit deux roubles par
jour. J'apprends dans ce moment que les
a Russes qui s'approchoient de Bender, ont été
« repoussés , et leur armée est en assez mauvais
« état. On parle d'une révolte des Paysans
Russes dans le Gouvernement de Kiovie; mais
je n'ose rien avancer de positif là-dessus . »
"(
"
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 3 Août .
La santé de l'Empereur se fortifie de
jur en jour. Un léger accès de fièvre ,
le 22 juillet , àla suite d'une promenade
par un temps humide , est le seul que
Sa Majesté ait ressenti depuis un mois :
quoique nous avons eu des jours froids
la semaine dernière , S. M. I. les a supportés
sans le moindre retour de fièvre ,
de toux , ou de douleurs. Les Médecins
ont été renvoyés , et l'un deux , le célèbre
Baron de Storck a reçu un présent de
600 souverains d'or. 'Comme l'on prépare
ici les appartemens du Château
Impérial et de l'Augarten , il est apparent
que l'Empereur reviendra ici incessamment
.
Depuis la prise de Berbir , nous n'avons
reçu aucun avis important de nos
Tiij
( 246 )
différens Corps d'armées : celui de Transylvanie
reste sur la défensive ; M. le Maréchal
de Haddick , toujours convales
cent , n'a pas encore fait de mouvement,
et ceux du Maréchal de Laudhon présagent
un changement d'opérations. Le
bruit général , il y a quelques jours , annonçoit
le projet du siége de Belgrade ;
des transports d'Artillerie de différentes
places de Hongrie à Semlin , et quelques
dispositions du Corps d'Esclavonie accréditoient
cette supposition . Cependant ,
celle du départ de M. de Laudhon pour
Semin ne s'est pas encore réalisée , et
notre paix particulière pourra être faite
avant qu'on ait acquis la certitude du
projet de Belgrade . Il est sûr que les
négociations ont repris leur activité , et
que les termes de rapprochement sont
moins éloignés qu'ils ne l'étoient il y
a deux mois.
Ce changement n'est pas l'effet, comme
on pourroit le présumer , de celui survenu
dans le Ministère de Constantinople.
C'est le premier de Juin que Sa
Hautesse expédia au Grand- Visir Jous- 2
suf-Pacha , le Hatti-Chérif de sa révocation
. Il a remis le Commandément de
la grande Armée au Pacha de Widdin
qui le remplace dans le Visirat. Ce Pacha
est un Officier intelligent et brave ; il
se distingua dans la guerre dernière , et
on lui doit le projet de l'invasion du Ban
nat , pendant la campagne précédente .
( 247 )
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 11 août,
Le Parlement s'est borné , la semaine
dernière , à ratifier le Bill pour la nouvelle
Régie du Tabac , et celui de l'Emprunt
demandé par la Compagnie des
Indes. Malgré les observations du Lord
Chancelier , admises d'abord dans la
Chambre Haute , le premier de ces deux
Actesa passé sans amendement. Le même
Ministre a fait retrancher du second , la
clause qui permettoit de placer les fonds
des mineurs dans l'Emprunt de la Com
pagnie des Indes.
En général , peu de Sessions ont été
moins intéressantes par le genre des objets
qu'on y a traités. Les efforts de l'opposition
et de l'éloquence s'étoient épuisés
sur l'affaire de la Régence : les deux
partis se sont donnés , depuis , quelque
repos , et l'on ne s'est attaché à aucune
grande discussion . Celle qu'annonçoit
le projet d'abolir la Traite des Nègres ,
a été amortie , peut- être à jamais , par
l'instruction testimoniale dont nous avons
rendu compte plus de 20 Séances ont
été consacrées à recevoir ces dépositions ,
et une fois reçues , ceux qui avoient désiré
le plus vivement une prompte décision
, ont été les premiers à désirer qu'on
Tiv
( 248 )
la différât. L'enthousiasme s'est éteint ;
mais il peut se ranimer , quoique la grande
information ait donné de puissantes ames
aux intérêts privés. Comme l'intérêt
public n'est , en dernière analyse , que le
résumé de ces intérêts privés , les Représentans
de la Nation ne se croirontpas
en pouvoir de disposer des fortunes
, et des établissemens de leurs
Commettans.
Quelques personnes attribuent le refroidissement
des Communes , sur cette
question si digne de l'éloquence , aux dispositions
manifestées par quelques Colonies
Etrangères , menacées encore plus
que les nôtres , non-seulement de l'abolition
de la Traite , mais encore de l'affranchissement
des Nègres . Cette révolution
, disent les mêmes Politiques , en
amèneroit bientôt une seconde , sur laquelle
il nous importe d'avoir les yeux
ouverts.
La Famille Royale séjourne encore à
Weymouth , ou plutôt sur la Manche :
le 6 , pendant qu'Elle observoit les évo◄
Tutions du Magnificent de 74 can . et
du Southampton de 32 , à bord de cette
frégate , un bâtiment Américain s'approcha
, sans baisser les voiles supérieures
devant le Pavillon Royal. Le Magnificent
le ramena à l'étiquette par un boulet
de 18 l. b. Jeudi , LL. MM . se rendent
à Exeter , où Elles passeront huit
jours au milieu des fêtes : d'Exeter on ira
( 249 )
à Plymouth , puis dans le Comté de Cornouailles
, d'où les Augustes Voyageurs
reviendront à Windsor à la fin de septembre.
Le Roi n'a pas le moindre reste
de foiblesse , et jouit d'une santé parfaite.
Samedi dernier , la plupart des Minis
tres s'étant rendus à Weymouth , on tint
Conseil en présence du Roi . Quant à
l'Escadre sortie de Portsmouth sous les
ordres du Commodore Goodall , elle a
fait voile à l'ouest , et a dépassé Torbay .
L'on ne pénètre pas encore sa destination .
Les Commissaires pour la réduction de
la dette nationale , ont terminé , le 31 du
mois dernier , le rachat de la troisième
année d'amortissement . Le rachat total ,
à ce jour , est de quatre millions et
demi sterling , principalement dans les
trois pour cent consolidés. Pendant l'année
qui s'ouvre , ils comptent racheter
près de deux millions sterling de plus ;
accroissement qui résulte de l'accumulation
des intérêts des fonds déja rachetés ,
et de l'extinction des annuités qu'on réunit
au million annuel d'amortissement.
Parmi les risibles amphigouris , et les
commentaires de nos Papiers publics
sur la situation actuelle de la France
il se trouve des paragraphes judicieux ,
et qui caractérisent un peuple exercé
à la liberté. Nous rapporterons quelquefois
certains de ces articles ; quelquesuns
ne sont pas sans utilité . Il n'y a
qu'une voix sur celle de la révolution
I v
( 250 )
politique de la France , qui peut rapprocher
les deux Peuples par une plus
grande conformité de Gouvernement.
On a ri de lire dans quelques imprimésou
Papiers publics du Continent , que nous
- avions arboré la Cocarde , démolila Tour
de Londres , cassé notre Chambre Haute ,
et livré M. de Calonne à ses compatriotes
. Ce n'est pas là le caractère national
, trop égoïste et trop réfléchi ,
pour se livrer à un pareil enthousiasme.
Quant aux Anglois qui enleveroient un
Etranger de cette terre hospitalière , ils
s'en banniroient eux-mêmes pour jamais ,
car personne ici n'a le droit d'exercer
la justice pour autrui ; et l'autorité publique
ne laisseroit pas impunie une
pareille atteinte à la liberté et aux
lois nationales.
Le numéraire n'a jamais été aussi
abondant qu'il l'est aujourd'hui : on peut
emprunter telle somme que ce soit à
quatre pour cent , et il a été prêté de
l'argent à trois et trois et demi pour cent.
On compte que la Banque se déterminera
dans peu à escompter les Billets à quatre
pour cent. Ce sera le préliminaire de
la réduction de l'intérêt légal au même
taux. Les Fonds ont haussé progressivement
depuis un mois. Les actions
de la Banque sont à 186 , et les trois
pour cent consolidés à 79 et demi.
Ces derniers étoient à 56 , lorsque M.
Pitt rentra dans le Ministère. La nouvelle
Tontine gagne trois pour cent.
-
( 251 )
Mathieu Tait , âgé de 120 ans , existe actuellement
dans le village d'Aughton- hake dans
Ayrshire en Ecosse. Il est enrôlé dans l'armée
depuis 104 ans , et il jouit d'une bonne santé .
Il a loué depuis peu une pièce de terre sur laquelle
il se propose de construire une maison ,
pour fixer sa résidence pendant le reste de sa
vie.
P. S. Le Duc de Dorset est arrivé ici hier , et
a été en conférence avec le Duc de Leeds ,
Ministre des Affaires Etrangères.
PAYS- BA S.
De Bruxelles , le 18 août 1789.
Les émeutes de Tirlemont et Louvain
n'ont pas eu de suites : des détachemens
de troupes ont mis fin au pillage , et
jusqu'ici la sévère Ordonnance du Gouvernement
n'a pas éprouvé de contradiction
active .
Il n'est pas certain que M. le Maréchal
de Broglie ait quitté Luxembourg pour
passer à Francfort ; ce qui l'est , c'est
que de Verdun il a été constamment sous
l'escorte du Régiment Suisse de Castella ,
et d'un détachement des Hussards de Lausun
après s'être reposé à Etain , M.
de Broglie se rendit à Arlon , où il trouva
le Gouverneur de Luxembourg qui l'attendoit
à la tête d'un Régiment Impérial ,
et qui le conduisit à Luxembourg avec
tous les honneurs militaires.
Nos avis de Vienne , en date du 3 ,
annoncent la prolongation d'armistice ,
1 vj
( 252 )
entre le Maréchal de Haddick et le Pa-.
cha de Belgrade . Cette trève locale , pa
roit même sur le point de devenir générale.
Le Maréchal de Laudhon ne
quittera point la Bosnie ; les Régimens
qui s'étoient mis en marehe , de Hermanstadt
, ont repris leur première station ;
toutes les dispositions paroissent contremandées
, même du côté des Ottomans
, qui portent leurs principales forces
contre les Russes.
FRANCE.
De Versailles , le 21 août.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
La forme de l'Emprunt de 30 millions
fut réglée , ainsi que nous l'annonçames
la semaine dernière , le Dimanche 9. de
ce mois. On a cru devoir modifier le .
projet de M. Necker , en particulier , sur
l'intérêt nous devons un sommaire de
cette Séance , susceptible d'être extraite
en fort peu d'espace.
M. le Duc de Liancourt adhéra le premier
au - projet du Gouvernement , en rejetant l'idée
d'hypothéquer les Biens Ecclésiastiques ,
et celle d'une retenue quelconque sur l'intérêt
de l'Emprunt , intérêt dont il valoit
mieux fixer le taux plus has.
Après lui , M. Péthion de Villeneuve remarqua
que c'étoit à l'Assemblée , et non
au Roi , à décréter l'Emprunt. Son emploi
( 253 )
devoit être surveillé par une Commission de
dix Députés , dont deux au moins signeroient
les Dépenses . Quant à l'intérêt , on ne pou
voit le fixer à cinq pour cent , sans retenue.
Fait sous la solidarité des Membres de l'Assemblée
, cet Emprunt eût pris un grand et
noble caractère.
M. d'André s'opposa également à l'intérêt
de cinq pour cent sans retenue , ainsi qu'à
la conversion des quittances en contrats , qui
favoriseroit l'agioiage. Quant à l'emploi ,
ajouta-t il , pourquoi sommes nous chargés
d'une dépense de cent mille livres de rente viagère
par mois , payables à un Prince du
Sang ? Pourquoi deux cent mille livres par
mois à la Ville de Paris , pour la clôture
odieuse de Paris ; et cent mille livres pour
le nouveau Pont de Louis XVI ? Il étoit donc
nécessaire de joindre au Décret une clause
qui réduise les dépenses à celles qui concernent
la dette de l'Etat , les Départemens , et
la Maison du Roi , sous l'inspection du Comité
, proposé par le Préopinant.
M. de Landine est revenu à l'idée d'hypothéquer
l'Emprunt sur les biens du Clergé.
Trente millions portent 15 cent mille livres
d'intérêt; ajoutez cinq cent mille livres pour
un amortissement graduel ; puis , versez le
produit des Annates , des grands bénéfices ,
des pensions inutiles , dans le Trésor public,
vous aurez bientôt payé votre Emprunt ,
surcharger la Nation.
sans
A ces mots , M. l'Archevêque d'Aix applaudissant
à cette idée , a proposé que le Clergé
se retirât pour en délibérer. Un Curé s'est opposé
à toute retraite ; les opinions se choquoient
sans s'éclairer ( ce qui arrive presque
toujours ) , lorsque M. Mounier a pris la pa(
254 )
3 role. « On ne doit , a - t- il dit , promettre
qu'un intérêt légal , mais il importe d'achever la
Constitution , avant de s'occuper des moyens
d'améliorer les Finances . Un Comité de surveillance
sur l'Emprunt seroit dangereux , superflu
même , car les Ministres sont comptables
de l'emploi des deniers . Il ne faut point
parler , dans un Décret d'Emprunt , de l'établissement
d'une Caisse Nationale ; cet article
mérite une longue et postérieure réflexion
. »
M. d'Antraigues s'est récrié contre l'agiotage.
Il a pensé que les spéculations des prêteurs
ne devoient pas suivre un Emprunt national
; qu'il étoit aisé d'en écarter les agioteurs
, en imprimant les noms des prêteurs , etc.
M. de Mirabeau a fait sentir qu'un moment
de détresse n'étoit pas celui qu'il falloit choisir
pour inspirer des soupçons contre les prêteurs.
M. de Clermont- Tonnerre a rejeté Caisse
Nationale , Hypothèque des biens du Clergé ,
et Comité d'inspection , en votant pour le
plan de M. Necker.
On demandoit d'aller aux voix , lorsque M.
Guinebaud de Nantes , et M. Begouin de
Caux , ont offert chacun trente mille livres
sans intérêt .
Lecture faite du projet , le préambule a
excité des réclamations ; on l'a recorrigé , relu
et adopté dans cette nouvelle rédaction .
:
Le taux de l'intérêt a excité de nouveaux
débats les uns le vouloient à cinq pour cent
sans retenue ; d'autres ont proscrit les retenues
, et fixé l'intérêt à quatre et demi pour
cent, en affirmant que l'Emprunt seroit aussitôt
rempli que décrété. Nouvelle , longue
et bruyante discussion , au travers de laquelle
M. Guillotin a interjété que c'étoit décider
( 255 )
d'avance la grande question de l'intérêt de
l'argent ; il a tenté d'appuyer ses remarques ,
mais inutilement l'impatience d'aller aux
voix l'a emporté , et de leur pluralité est émané
le Décret suivant ( Voyez l'art. Faris. J.
:
QUINZIÈME SEMAINE DE LA
SESSION.
Les premières Séances de cette semaine
ont été consacrées à achever la
ratification du fameux Arrêté du 4 .
Quelques articles ont passé sans débat ;
d'autres , sans débats proportionnels avec
leur nature : un seul enfin , celui de l'abolition
des Dimes Ecclésiastiques , a
produit cette vivacité d'opinions contraires
, d'où il résulte encore plus d'intérêt
que d'instruction . L'analyse de ces
discussions ne peut correspondre à la
longueur des Séances qu'elles ont animées
; nous y donnerions la plus grande
étendue , que l'exainen des questions resteroit
insuffisant aux yeux d'une infinité
de Lecteurs : nous nous renfermerons
dans l'essentiel .
Du Lundi ro Aour , Séance du matin.
Les Motions da Samedi précédent , relatives
à la tranquillité publique , ont produit un
Arrêté du Comité de rédaction , doni M. Target
a fait lecture. Ses dispositions emportoient
l'emploi des Maréchaus ées et Troupes réglées
à se joindre aux Milices bourgeoises ;
le jugement des perturbateurs par les Tribu(
256 )
naux du lieu ; l'envoi des Procès -verbaux à
l'Assemblée Nationale ; le désarmement des
personnes sans état et sans aveu , et un serment
des Troupes à la Nation et au Roi.
M. Dupont a demandé l'adoption de l'acte
de Mutinerie , en vertu duquel le Magistrat
civil en Angleterre , proclame la loi contre
les émeutes , en cas d'offense à la paix publique
, et est autorisé à se faire donner mainforte
(1 ).
Un Membre de la Noblesse a objecté qu'en
Angleterre , souvent le Juge qui lisoit la Loi
étoit assommé avant la fin de la lecture , et
que , pour prévenir cet inconvénient , la lecture
de la Proclamation devoit être censée
faite , du moment où elle étoit commencée .
Une question aussi capitale , par ses rapports
avec l'ordre public et la liberté particulière
, présentoit une foule de considérations.
M. Mounier contredit la partie de l'Arrêté
de M. Target , qui enjoint aux Troupes de
ne prendre les armes qu'à la requisition de
( 1 ) On confond ici le Bill dé Mutinerie ,
qui assujettit les Troupes de terre et de mer
à la discipline , et à l'obéissance à leurs Officiers
, avec l'Act of riots , on routs ; Acte des
tumultes et des séditions , par lequel les
Schérifs , les Municipaux , les Juges de paix ,
sont autorisés à proclamer la Loi martiale ,
avant de faire agir la force. Ces deux Actes
sont absolument distincts . La Loi Angloise
ne permet pas que des Officiers de Justice se
mêlent de cette fonction car , dit Blackstone ,
le Juge du délit , ne doit pas être l'exécuteur
du jugement.
( 257 )
l'Assemblée Nationale. Celle- ci doit faire des
lois , et non commander des Troupes. Ce seroit
réunir deux pouvoirs dont l'union deviendroit
dangereuse ; ce seroit usurper une prérogative
qui n'appartient qu'à la puissance exécutive.
Le serment des Troupes proposé entraînòit
des inconvéniens , et devoit être conçu en
d'autres termes.
M. Fréteau voulut lire les formules de serment
pour les Troupes , et pour les Chefs des
Corps ; mais les réclamations des Membres
qui proposoient des amendemens , des modifications
, l'interrompirent plusieurs fois.
M. de Castellane ne voyoit que la Constitution
propre à ramener le calme .
M. de Mirabeau faisoit également marcher
la Constitution avant le serment militaire ,
et craignoit le danger d'étendre en ce moment
le pouvoir des Municipalités , la plupart organisées
encore sur de mauvais principes.
Au travers de ce débat , M. d'Espémesnil ,
absent depuis quelque temps , et que la voix
publique avoit fait faussement voyager à
Londres , a déclaré qu'il venoit vivre et mourir
pour la patrie ; que les papiers publics en
avoient imposé à son sujet ; que la Constitu
tion militaire devoit être liée aux Lois politiques
, etc. etc.
Déja l'on demandoit les voix , lorsque M.
Barnave perça la rumeur , pour répéter que
les Municipalités n'étoient point encore partout
établies , qu'il falloit attendre leur ins
titution ; laisser ensuite aux Officiers municipaux
le soin de ramener la paix , de rétablir
la discipline militaire ; confier enfin l'au
torité aux Tribunaux et aux Officiers qui ont
le plus de confiance .
M. le Président proposa d'aller aux voix ,
( 258 )
mais il fut interrompu par des réclamations
et des débats très - tumultueux ... Enfin il
fut décidé à la majorité , que l'Arrêté qu'on
venoit de discuter , seroit mis en délibération
. MM. Péthion de Villeneuve et Fréteau
en firent différentes lectures , interrompues
par des projets de correction .
Ces conteftations tumultueufes ont enfin cédé
à l'adoption unanime du Décret & de la formule
de ferment , que nous rapporterons plus bas . Il
a de même été décidé de joindre à l'envoi de
Fun & de l'autre , l'Arrêté du 4 , dont on a repris
fur-le-champ la difcuffion , à commencer par
Particle VII, qui ftipule le rachat des Dîmes Eccléfiaftiques
, Laïques & inféodées .
Peu de Délibérations ont été plus orageufes
& plus défordonnées. La queftion pure & fimple
offroit déja la matière d'une épineufe di
cuffion : celle-ci a acquis une nouvelle gravité ,
lorfqu'elle a embraffé le caractère même de la
propriété des biens du Clergé , en les confidé
rant comme des Fidei- Con.mis de la Nation à l'un
des Ordres de l'État
M. Merlin , examirant d'abord la queftion du
rachat , a recommandé ' a diſtinction des dîmes appartenantes
à la Nobleffe , des dimes des Frélats ,
& de celles des Curés de campagne. Il pourroit
être dangereux , a -t-il dit , de remettre aux ufufruitiers
actuels le capital des rachat , les Curés
feroient peut -ête trop , ou trop peu payés ;
mais les Administrations Provinciales devroient
être chargées du Règlement de rachat , comme
parfaitement propres à juger des proportions.
:
M. Arnoux a trouvé l'article infuffifant . La
dime eft la plus onéreufe des charges publiques.
Convertiffez- la en redevances pécuniaires ,
vous la confervez en réalité , & le bienfait du
rachat devient illufoire. Ce tribut n'eſt point un
( 259 )
droit foncier; jamais les terres qui le fupportent ,
n'apparti rent au Clergé ; il fut plutôt un den
gratuit , une Contribution permife par la Nation
pour la fubfiftence du le gé paftoral . La Nation
cit donc maîtreffe de pourvir de toute autre
marière à l'entretien des Eccléfiaftiques.
Un Curé a réclamé les termes de l' - rrêté du
4, qui porte a converfion , & non l'anéantiffement
des danes Eccléfiaftiques . A quel titre
les diftinguer des dîmes inté dées ? Toutes font
des propriétés également faciées. Un autre Curé ,
M. François , a objecté le tort que feroient aux
pauvres la fuppreffion des dimes en nature , le
découragement de ceux qui fe deftinent au Minif
tère facré , &c.
M. l'Evêque de Dijon a préfenté de nouvelles
confidérations , ainfi que M. l'Evêque de Largres.
Malgré les clameurs d'une partie de l'affemblée ,
ce dernier Prélat a gardé la Tribune jufqu'au
développement complet de fen avis. Il a traité
de l'origine , des titres primitifs , des proprietés
Eccléfiaftiques , de leur parfaite conformité avec
toutes autres poffeffions légitimes ; mais c'eft fars
fuccès qu'il a allié l'érudition au raifonnement.
Les opinions contraires étoient trop affermies ,
& M. Chaffet , Député du Beaujolois , leur a
prêté, une nouvelle force . Ce Membre pre - oit
la parole pour la première fois , & a fait regretter
qu'on ne l'eût pas entendu plutôt . Il a réfuté
M. l'Evêque de Langres ; & fans difcuter l'origine
des propriétés Eccléfiaftiques , il les a définies.
Les dimes laïques , a t- il dit , ſont diſtin.
guées des dimes du Clergé , par un caractère
fpécifique les premières font tranfmiffibles , aliénables
, commutables , & tels font les droits de
popriété ; mais aucune de ces prérogatives n'appartient
à des ufufruitiers , n'appartient au Clergé,
dont les dimes ne peuvent changer de poffeffeurs
( 260 )
.ès
ni de nature. Je propofe donc , a- t - il ajouté ,
que la dime Eccléfiaftique foit perçue comme cidevant
, jufqu'à une époque déterminée , ap.
laquelle l'Affemblée Nationale décrétera fa fuppreffion
& fen remplacement.
M. de Mirabeau a ajouté à l'avis du Préopinant
, que les fonctions des Curés comme ce les
des autres perfonnes publiques , devroient être
falariées par l'Etat . Cette expreffion de falariés
ayant révoré les Intéreffé , l'Opinant les a confolé
, en apprenant à l'Affemb'és qu'il n'exiftoit
que trois manières d'exifter dans le monde , mendians,
voleur oufalarié Quelques - uns ont trouvé ce trajt
lancé d'une voix forte , vraiment éne gique , &
fur-tout précife ; d'autres l'ont jugé un mod le
d'excel ente p'aifanterie ; de troisièmes , apparem.
ment propiétaires , réclamoient une pace dans
ce dénombrement : c'eſt au Pub ic à concilier
toutes ces opinions.
M. l'Evêque de Perpignan propofoit de fufpendre
la fuppreffion , jufqu'à ce que les Provinces
euffent fixé les fecours à donner au Clergé , dont
l'extrême pauvreté, dans plufieurs Diocèfes, & dans
lefien en particulier, alloit devenit l'indigence même.
D'autres Députés fe difputoient enfuite la parole,
lorsque la difcuffion a été remiſe à l'après-dînée.
Du Lundi 10 AoUST , Séance du foir.
A l'ouverture , M. le Préfident a fair part à
l'Affemblée d'une obferva ion qui lui avoit été
faite au fujet de ces mots : Les quittances feront
délivrées au Prêteur.
J
Les Prêteurs pouvant fe trouver dans les Proviaces
& dans l'Etranger , il eft indifefable
de livrer les quittances au Porteur.
Ce changement a été auffitôt admis..
vif Le débat fur le rachat des dîmes , déja
dans la matinée , a recommencé avec plus de cha(
261 )
leur & d'opiniâtreté. Comme il n'étoit queſtion ici
que de l'intérêt d'ure Claffe particulière de l'Etat ,
fette Caffe devoit fe défendre & ê re attaquée
avec un égal échauffement.
Un Membre de la Nobleffe a effayé d'abord
de procurer du calme , en condamnant les applau
diffemers quelconques , & plus encore les huées ,
outrageantes à ceux qui en font l'objet , & indignes
du caractère de l'Aflemblée. L'approbation qu'en
a donnée à coet avis , n'a pas empêché que cette
Séance ne fût plus tumultueufe , peut-être , qu'on
ne pourroit le concevoir d'un Congrès auffi augufte.
M. Duport a commencé par réfuter la maxime ,
que les biens du Clergé appartiennent à la Ntion
, & par s'opposer au rachat des dimes , dont
le mode entraînercit une infinité de procès &
d'injuftices. Les dîmes , a - t - il dit , tirent leur
origine des volontés de la Nation ; il me paroît
impoffible de les racheter . On ne rachette point
un impôt. D'ailleurs les difficultés locales & de
détail s'y oppofent. Il faut donc abolir la dîme ,
& a remplacer par des fonds confacrés à l'entretien
du Clergé
M. l'Evêque de Rhodes . » Je demande , comme
in difpenfable , la confervation des biens Eccléfialtiques
, & la converfion des dîmes en preſtations
p'cuniaires....... Votre Arrêté attaque , & tendroit
à détruire la Religion même . La dime eft
deftinée à la fabfiftance du Prêtre. Elle exift :
depuis les premiers temps du Chriftianiſme ; elle
a é é confirmée par Pepin & Charlemagne. Il faut
un culte divin ; il faut des Prêtres ; il faut auffi
des fonds ou des rentes néceffaires à leur fubfltance
, à leurs retraites , à leur foulagement.
Sans cela , les Paroilles fe trouveront bien ôt fans
Pafteurs , les confeffionaux fans Confeffeurs , les
( 262 )
malades fans fecours , les pauvres fans foulage-"
ment , les affligés fans confolations , &c.
« L'énumération des dépenfes du Clergé prouve- .
roit l'é endue de la charge dont on grèverait l'Etat,
en fupprimant les propriétés Eccléfiaftiques. Le
rachat des dimes entraîneroit des inconvégiens fans
nombre , & fi l'on perfiftoit à le vouloir , il falloit ,
du moins , en remettre les fonds aux Communautés.
"
M. l'Evêque de Rhodes ne put conferver la
parole jufqu'à la fin , qu'au travers d'une oppontion
tumultueufe , qui le privoit de la liberté de
fe faire ente dre. Le même ſort , les ntêmes clameurs
, le même t page , interrompirent , à p'ufieurs
reprifes , M. l'Abbé Sieyes , qui prit enfuite
la parole , & qui , fans s'effrayer de cette violente
manière de fe donner raifon , demanda plufieurs
fois aux Oppofans s'il n'étoit permis de leur dire
que des vérités agréables. Voici le précis des argumens
dont il fit ufage , avec le fang froid de la
fermeté.
« Si la dîme eft abolie fans indemnités , elle
refte à ceux qui la doivent , elle eſt enlevée à
» ceux à qui e le eft due. Une pareille fpoliation
» détruira-t- elle le droit de ces de miers ? Eft- ce
» au bien de l'Etat, au fervice public qu'on fait
» ce facrifice ? Non , c'eft au Propriétaire , au
» Débiteur qui refufe de payer fa dette. Ce refus
» eft un véritable vol , & le préte du patriotisme
» qui le confacre , eft l'avarice de guifée . Dire que
» la dime n'eſt pas une propriété . , c'eſt une plai-
» fanterie LÉONINE. D'ailleurs , Meffieurs , dans
la foirée du 4 , vous avez déclaré la dime rachetable
: vous l'avez donc reconnue propriété
» du Clergé ; fi aujourd'hui vous en prononcez
l'abolition , vous faites un acte contradictoire ,
» vous commettez un faux . Obfervez , de plus ,
» que les Propriétaires actuels , payant la dime ,
29
e
t
C
C
C
( 263 )
" cnt ache é leurs biens fonds au taux d'un re-
» venu , dont la dime eft néceffairement déduite ,
» & qu'ainfi vous leur faites un facrifice injufte
aurant que gratuit , puifqu'ils n'en ont jamais
» payé le prix . De pareils debats , & le tu-
» multe qui trouble les Séances depuis quelques
» jours , font un fcanda'e prémédité. »
"
M. l'Abbé de Montefquiou défendít de même
les intérêts du Clergé. Les dîmes lui appartiennent
, & la Nation ne peut les lui ravir ; ce n'eft pas
d'elle qu'il les'tient . Quand elle les auroit données ,
elle ne pourroit les reprendre , & ne le devroit
pas . L'Orateur remonta à l'origine des dîmes , à
leur confecration depuis Charlemagne , à leur
emploi jufqu'à nos temps ; & de leur ancienneté
comme de leurs confirmations par les Rois de
France , il en induifit leur légitimité.
Un Député de la Nobleffe ramera les idées
contraires. Le payement des Eccléfiaftiques eſt
levé , dit-il , fur le quart du rapport des terres ,
diminution faite des dépenfes de culture. Cette
coutume eft barbare ; elle doit fon origine aux
temps barbares ; elle fait partie des vexations de
la féodalité . C'eft une fource de haines , de divifions
, d'injuftices . Elle fe lève également fur
l'abondance & fur la ftérilité . Son abolition eft
donc une loi des plus fages que vous puiffiez
décréter.
M. Garat cadet réfuta enfuite les Avocats du
Cle gé , par une longue differtation , qu'on ne
voulut pas entendre , qui fut repouffée comme
difcuffion philofophique , & qui n'étoit pas achevée
, lorfque ce Député quitta la tribune. Il paroît
qu'il s'étudia à prouver que la Société avoit
préexifté au Clergé & à tous les Corps ; que ceuxci
étoient, dans l'Etat , maîtres de les détruire comme
il lès avoit créés : il répéta les argumens de M.
( 264 )
Chaffet fur la différence des propriétés Laïques &
des propriétés Eccléfaftiques , &c.
La tribune n'éto.t plus abordable , fans encourir
l'affaut des clameu: s redoublées. On a paſſé aux
voix par affis &levé fur l'Ar : êté du Comité. La ma
jorité reftant douteuse , on a voulu recourir à l'appel
, lire les divers Arrêtés propofés par divers
pinans: mais le défordre , les interruptions , le
tumulte croiffoient de minute en minute ; on quit
toit fes places pour ſe confondre au milieu de la
fale , & l'Affemblée s'eft difperfée fans prendre
de réfolution .
Du Mardi 11 AOUT. Un des Secrétaires s'eft
plaint de la Scène tumultueufe de la veille ; après
quoi , un Membre des Communes a fait une forrie
furieuſe contre le Clergé, à l'occafion des dimes ;
&´a traité toute réc amation à ce sujet , comme
un attentat fur les droits de la Nation . M. Ricard
de Seault, Député de Toulon , a défendu les
mêmes principes avec moins de colère , en difant :
...
" On nous offre la liberté de racheter des
dîmes , & on nous l'offre comme un facrifice !
Mais réfléchit-on fur le fiècle dans lequel nous
vivons ? Comment erterd - on que nous rachetions
les dimes en entier ? nous groffiilons
les revenus du Clergé , & nous les mettons à
l'abri des hafards des faifons... En détail nous .
mettons le Clergé dans la néceffité de tenir des
regiftres , qui , dans les fiècles à venir , lui fer
viront , d'armes contre nos defcendans ... Et que
fera devenue cette liberté après laquelle vous
foupirez depuis tant de fècles ? Mais les droits
de l'Eglife font-ils plus facrés , doivent - ils être
plus respectés que ceux de la Nobleffe ? Et lorf
que les repréfentars de cet Ordre fe levoient la
nuit du 4 avec tant d'enthouſiaſme , pour vous
donner l'exemple d'une générofité patriotique ,
lorfqu'il
( 265 )
orfqu'il concouroit avec vous à détruire l'aydre
de la Féodalité , penfiez - vous qu'au lien de facrifier
à fon tour , il cherchoit à augmenter la
richeffe & fa puiffance fur les débris de votre
Patrimoine ?
" Vous ne tomberez pas dans ce piége. La fuppreffion
de la dime eft le feul moyen qui puiffe
remplir vos vues ; & cette fuppreffion , vous
vous hâterez de la prononcer ; oui , vous abolirez
cet impôt défaftreux ; vous délivrerez l'agriculture
de ce fleau deftructeur ; & en le remplaçant
par un équivalent équitable & juftement
réparti , vous ferez celler cette énorme difproportion
qui exifte entre les revenus des Miniftres
des Autels...
1
» La Nobleffe & les Communes ont fait des
facrifices... Quel est donc celui du Clergé ?
Compteroit -il l'abolition des Annates ? compte.
roi - il la défenfe de cumuler à l'avenir plufieurs
bénéfices fur une même tête ? compteroit- il la
renonciation que ces généreux Curés Congruiftes
de campagne , ont fait de leur cafuel ? ...
» C'est trop hésiter : enpreffez -vous à profcrire
les dîmes , conformément au projet de M.
Chasset ; finon , déclarez qu'il n'y a pas lieu
de délibérer ; rejerez au loin cet article de l'Arrêté
qu'il vous eft fi preffan d'envoyer dans les
Provinces ; ne fouffrez pas qu'il fouille la nuit
du Patriotifme François : annoncez au peuple
ce que vous vouliez faire pour lui ; demandezlui
de nouveaux pouvoirs , fi vous n'avez pas
le courage de franchir les difficultés dort on
veut vous environner , & attendez le Haut
Cligé à la Conftitution ... Tout autre parti , je
ne crains pas de le due , eft indigne de vous ,
& vous déshonoreroi , je ne dis pas foulement
aux yeux de vos commettans , mais de toute
l'Europe qui vous con emple.
No. 34. 22 Août 1789.
m
( 266 )
Cependant , en prenant ce parti , n'oubliez
pas les hommages que vous devez à ces Eccléfiaft
ques généreux qui viennent , par un anê é
d gne d'eux , de remettre leurs dîmes entre les
mains de la Nation : permettez moi de vous en
faire lecture ; je m'applaudis trop d'être l'organe
de ces vertueux pafteurs , qui font MM. Brouſſe ,
de Thionvil e ; Maffieu , de Sergé ; £ effe , de Saint-
Aubin ; Dillon , Curé de Ponzanges ; David ,
Curé de Lormaiton ; Gaff ndi , Curé de Barras ,
& plufieurs autres.
Aces mos , on a vu le renouveler la fcène du
4 , les Curés co ! rant au Bureau figner leurs rer oncia
ions. M. l'Abbé du Plaquet , Député des Communes
de Saint-Quenan , sft démis d'un Prieuré,
en difant que , malgré l'éloquence énumérative
dr M. de Mirabeau , il étoit trop âgé pour g gaer
fon falaire , trop honnête homme pour voler , &
fes fervices paffés devoient le me re à l'abri
de la mendicé .
que
Ls applaud ffemens fendoient les voûtes de la
falle , & privoient de la pa ole M. l'Archevêque
de Paris , qui attendoir dans la tribune l'inftant
de pouvo'r fe faire entendre.
Nos Collègues , s'eſt - il écrié , n'ont fait que
devancer le fcrifice que nous off ons tous à la
patrie : nous remetton: dans les mains de la Nation
toutes les dime: Eccléfiaftiques , & nous n. us
confions entièrement en fa fage . Que Evangile
foit annoncé , que le cult . d vin ne perde rien de
fa décence , que les pauvres foient foulagés. Voilà
l'obje de nos voeux , le bar & la fin de notre
miniflère ; & nous cfpérons trouver dans vos lumières
des fecours néceffaires pour de. objets auffi
importans.
A peine les battemens de mains ont-ils permis
à M le Cardinal de la Rechefoucault de dire que
la déclaration unanime du Clergé effaçoit toutes
( 267 )
1
les fignatures , & en tenoit lieu. M. l'Evêque de
Perpignan a exprimé les mêmes fentimens , en
écartant les fignatures particulières : le Clergé
en Corps s'offroit en facrifice ; facrifice dont l'abfence
, la maladie , cu des mandats impératifs
pouvoient priver quelques-uns des Eccléfiaftiques
Députés.
is
Un des Opinars vouloit déchirer les fignatures ;
M. le Préfident fe rendoit également à une déclaration
commune , tandis que M. Barnave péroroit
pour une Délibération , pour un Arrêté.
M. Camus infiftoit fur le même avis : dix voix
s'élevoient & étoient étouffées par le bruit général
; enfin M. l'Evêque d'Autun a demandé l'Arrêté
de M. Chaffet , avec adoption unanime. Chacun
propofoit une claufe additionnelle ou explicative ;
M. Lanjuinais rappeloit toutes les dimes quelconques
appartenantes aux Gens de main - morte ;
M. Camus , celles abandonnées aux Décimateurs
inféodés , dans le cas d'option de la portion congue
; M. l'Evêque de Clermont fupplicit qu'on
fe fouvint de laiffer fubfifter les dies jufqu'au
nouveau régime qui en tiendroit ieu. M. de Grosbois
, qu'on fit attention aux Hôpitaux , poffetfeurs
de dimes Eccléfiaftiques : celles de l'Ordre de
Malte ont eu leur tour , ont participé à la fuppreffion
commune , après des débats irréguliers &
peu écoutés .
M. Fréteau a commencé la lecture d'une nouvelle
rédaction de l'Article ; le&ture interrompue
par de nouvelles obfervations . Un Prélat a averti
l'Affemblée que plufieurs maifons Religieufes ne
fubfiftoient que dès îmes , & que leur fort méritoit
une confidération . Un autre Evêque a prévu
qu'à la première connoiffance de l'Arrêté , les
Payfans refuferoient de payer les dîmes cette année.
Ce n'est qu'à la fuite de nombre d'objections
pareilles , que le Secrétaire - Lecteur a obtenu fimij
( 268 )
lence , qu'on a été aux voix , & que l'article a
paffé à leur unanimité , fauf celle de M. ' bbé
Sieyes qu a eu le courage de perfifter , & d'un Député
de la Nub'effe . ( On le trouvera plus bas . )
L'Article VII de l'Arrêté du 4 , concernant
le rachat des rentes foncières , &c. a été remis
en Délibération . Un Membre des Communes
vouloit une exception en faveur des rentes Covenancières
, d'ufage en Bretagne & dans quelques
autres Coutumes : MM . Lanjuinais , Coroller &
Bouche , ont rejeté ces égards aux us barbares
de différentes Provinces , & réc'amé une redemp
tion générale. Plufieurs avis découfus ou épifodiques
ont retardé la réfolution prefque unanime ,
qu'on a enfin arrêtée te le qu'on la lira plus bas.
Dans le cours de la difcuffion , M. le Prince
de Broglie a informé l'Aflemblée , qu'en Alface
les Bas- Officiers & Soldats avoient refufé d'obéir
à leurs Supérieurs , infulté leurs Commandans
, enfoncé les prifons . Il importe , a-t- il ajouté ,
d'envoyer fans délai dans les Provinces l'Arrêté
de hier , & de fupplier le Roi d'accorder une
Amnistie aux Soldats qui , dans un délai fixé ,
rejoindroient leurs drapeaux.
On a enfuite difcuté la rédaction de l'Article
qui porte fuppreffion de la vénalité des Charges ,
& la juftice gratuitement rendue. Quelques Magiftrats
ou Officiers de Juftices , entr'autres M.
Boeri & Salé de Choux , ont renoncé aux droits
de leurs Charges , & invité leurs Confrères à les
imiter.
M. le Vicomte de Mirabeau , Député Noble
du Limousin , a étendu le but de l'Ariêté , en
difant :
» Depuis long-temps nous fommes perfuadés
» que la juftice eft impayable. Mais ce n'eft pas
» le tout de la rendre gratuite ; il faut envelop-
» per encore les frais ruineux , les vexations de
( 269 )
"
» tout genre qu'entraîne la chicane . Vous man-
» queriez ce but , fi vous ne vous òccupiez de répri-
» primer ou d'anéantir tous ces Agens fubalternes
» de la Juſt ce , ces Vampires des Villes & des
" Campagnes , ce cortège dévo ant d'Avocats ,
» de Procureurs , d'Huiffiers , de Sergens , de Gref-
» fiers , dont les manoeuvres ont fait imaginer le
» tableau d'un homme nu parce qu'il a perdu
» fon procès , & d'un homme en chemiſe parce
» qu'il a gagné le fien, »
» Permettez à tout homme de plaider fa cauſe ,
» fans être obligé de recourir à ces intermédiaires
» dévorans. Défendez à ces brigands de s'établir
» dans Is campagnes ; i's en font l'impôt le plus
» deftructeur. »
M. Target a adouci l'âpre vérité de cette peinture
, fans difconvenir de fa jufteffe : Mais les réformes
demandées , a-t-il dit , doivent être remiſes
à un autre temps . Aujourd'hui , il faut rendre
aux Tribunaux leurs pouvoirs , & ne pas
s'occuper d'en changer la nature ; le zèle a fes
bornes.
M. le Duc de la Rochefoucault a expofé qu'on
ne pouvoit en ce moment s'occuper du rembourfement
des Charges , ni d'un nouveau Code. On
fe borneroit à déclarer la fuppreffion de la vénalité
, l'appointement des Juges payés comme les
Officiers Militaires , & leur élection par les Justiciab'es.
M. d'André, perfuadé d'ailleurs que fon Parlement
, celui d'Aix , rendroit gratuitement la.
jaftice , a objecté que les Juftices inférieures pour-
1oient difficilement faire le facrifice de leurs
Charges. Il eft fait , a crié un Député. Ce cri n'a
pas prévenu de nouvelles objections de l'Opinant
Provençal , qui a cité le Lieutenant de l'Amirau
é de Marfeille , dont la Charge coûtoit cent
mille écus , & n'en rappottoit pas mille. Il a fini
m iij
270 )
par folliciter le remboursement , avant la fuppreffion
des épices .
Après nombre de fluctuations fur la forme dans
Jaquelle feroit rédigé l'Arrêté , il a paffé , comme
on le verra dans l'inftant .
La fuppreffion du cafuel des Curés de campa
gne à paffé enfuite en revue. Occafionnellement ,
M. l'Evêque d'Agen a propofé de porter à 1,500l .
le revenu des Curés de campagne , à 2,400 l . celui
des Curés des Vilies , & à 800 liv. les honoraires
des Vicaires . On n'a point délibéré fur cet avis ;
mais l'article du Règlement fur le cafuel n'a pas
fouffert d'oppofitions .
Du Mardi 13 Août. Séance du foir. Elle a terminé
la rédaction de l'Arrêté du 4 , & la confommation
des facrifices. Lorfqu'il a été question des
Annates , M. Camus a prononcé un favant difcours
fur cette matière , épuifée depuis long- temps. Un
Député a objecté , cependant, les confidé ations
commerciales , les priviléges , dont le trafic national
jouiffoit dans les Etats du Pape ; l'importance
de ce commerce pour le Languedoc , Marfeille
& Lyon; la rivalité des Anglois qui nous
fupplanteront. « Ce font-là des vues mercantiles
& fauffes , » a prétendu M. Camus ; & l'avis de
ce Jurifconfulte a paffé en loi .
Le chapitre des penfions , graces , appointe
mens , étoit d'une toute autre importance que les
Annates ; on s'eft contenté de l'affleurer , en propofant
quelques additions , fur lefquell´s il n'a rien
été ftatué , l'article du Règlement ayant été admis
dans la forme primitive.
Voici maintenant cet Arê é qui décide du fort
de tant de familles , & qu'en d'autres temps , dix
ans de délibérations euffent à peine effectué, même
avec l'intention fincère d'epérer de fi grandes réformes.
( 271 )
Articles arrêtés , rédigés et décrétes dans les
Séances des 4 , 6 , 7 , 8 et 11 Août 1789.
ART . I. L'Assemblée Nationale détruit entièrement
le régime féodal. Elle décrète que ,
dans les droits et devoirs tant féodaux que
censuels , ceux qui tiennent à la main- morte
réelle ou personnelle , et à la servitude personnelle
, et ceux qui les représentent , sont
abolis sans indemnité ; tous les autres sont
déclarés rachetables ; et le prix et le mode du
rachat seront fixés par l'Assemblée Nationale.
Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés
par ce Décret , continueront néanmoins
à être perçus jusqu'au remboursement.
II . Le droit exclusif des fuies et colombiers
est aboli .
Les pigeons seront enfermés aux époques
fixées par les Communautés ; durant ce tenips ,
ils seront regardés comme gibier , et chacun
aura le droit de les tuer sur son terrain .
III. Le droit exclusif de la chasse et des
garennes onyertes est pareillement aboli , et
tout Propriétaire a le droit de détruire et faire
détruire , seulement sur ses possessions , toute)
espèce de gibier , sauf à se conformer aux
Lois de Police qui pourront être faites relativement
à la sûreté publique.
Toute Capitainerie , même royale , et toute
réserve de chasse , sous quelque dénomination
que ce soit , sont pareillement abolies ; et il
sera pourvu , par des moyens compatibles avec
le respect du aux propriétés et à la liberté ,
à la conservation des plaisirs personnels du
Roi.
M. le Président sera chargé de deinander
m iv
( 272 )
au Roi le rappel des
eriens et des Bannis
pour simple fait de chasse , l'élargissement
des Prisonniers actuellement détenus , et l'abolition
des procédures existantes à cet égard.
IV. Toutes les Justices Seigneuriales sont
supprimées sans aucune indemnité , et néanmoins
les Officiers de ces Justices continueront
leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été
pourvu par l'Assemblée Nationale à l'établissement
d'un nouvel ordre judiciaire.
V. Les Dimes de toute nature , et les redevances
qui en tiennent lieu , sous quelque
dénomination qu'elles soient connues et perçues
, même par abonnement , possédées par
les Corps séculiers et réguliers , par les Bénéficiers
, les Fabriques , et tous gens de mainmorte
, même par l'Ordre de Malthe , et autres
Ordres Religieux et Militaires , même celles
qui auroient été abandonnées à des laïques ,
en remplacement et pour option de portions
congrues , sont abolies , sauf à aviser aux
moyens de subvenir d'une autre manière , à
la dépense du Culte Divin , à l'entretien des
Ministres des Autels , au soulagement des
Pauvres , aux réparations et reconstructions
des Eglises et Presbytères , et à tous les Etablissemens
, Séminaires , Ecoles , Colléges ,
Hopitaux , Communautés , et autres , à l'entretien
desquels elles sont actuellement affectées.
Et cependant , jusqu'à ce qu'il y ait été
pourvu , et que les anciens Possesseurs soient
entrés en jouissance de leur remplacement ,
l'Assemblée Nationale ordonne que lesdites
Dimes continueront d'être perçues suivant les
Lois et en la manière accoutumée .
Quant aux autres Dîmes , de quelque nature
qu'elles soient , elles seront rachetables
( 273 )
de la manière qui sera réglée par l'Assemblée;
et jusqu'au Réglement à faire à ce sujet
, l'Assemblée Nationale ordonne que la
perception en sera aussi continuée .
VI . Toutes les rentes foncières perpétuelles
, soit en nature , soit en argent , de quelque
espèce qu'elles soient , quelle que soit
leur origine , à quelques personnes qu'elles
soient dues , Gens de main- morte , Domaines ,
Apanagistes , Ordre de Malthe , seront rachetables
; les champarts de toute espèce , et
sous toutes dénominations , le seront pareillement
, au taux qui sera fixé par l'Assemblée .
Defenses seront faites de plus à l'avenir
créer aucune redevance non - remboursable.
VII. La vénalité des Offices de Judicature
et de Municipalité est supprimée dès cet
instant. La justice sera rendue gratuitement ;
et néanmoins les Officiers pourvus de ces
Offices , continueront d'exercer leurs fonctions
, et d'en percevoir les émolumens ; jusqu'à
ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée ,
aux moyens de leur procurer leur rembour-
Sement.
VIII. Les droits casuels des Curés de campagnes
sont supprimés , et cesseront d'être
payés aussitôt qu'il aura été pourvu à l'augmentation
des portions congrues , et à la pension
des Vicaires ; et il sera fait un Règlement
pour fixer le sort des Curés des villes.
IX . Les Privileges pécuniaires , personnels.
ou réels , en matière de subsides , sont abolis
à jamais. La perception se fera sur tous les
Citoyens et sur tous les biens , de la même
maniere et dans la même forme ; et il va être
avisé aux moyens d'effectuer le paiement proportionnel
de toutes les contributions , même
m v
( 274 )
pour les six derniers mois de l'année d'imposition
courante.
X. Une Constitution Nationale et la liberté
publique étant plus avantageuses aux
provinces que les priviléges dont quelquesunes
jouissoient , et dont le sacrifice est nécessaire
à l'union intime de toutes les parties
de l'Empire , il est déclaré que tous les priviléges
particuliers des Provinces , Principautés
, Pays , Cantons , Villes et Communautés
d'Habitans , soit pécuniaires , soit de
toute autre nature , sont abolis sans retour ,
et demeureront confondus dans le droit commun
de tous les François .
XI . Tous les Citoyens , sans distinction de
naissance , pourront être admis à tous les emplois
et dignités Ecclésiastiques , Civils et Militaires
, et nulle profession utile n'emportera
dérogeance.
Xi A l'avenir il ne sera envoyé en Cour
de Rome , en la Vice- Légation d'Avignon ,
en la Nonciature de Lucerne , aucuns deniers
pour Annates , ou pour quelque autre cause
que ce soit ; mais les Diocésains s'adresseront
à leurs Evêques pour toutes les provisions de
bénéfices et dispenses , lesquelles seront accordées
gratuitement , nonobstant toutes réserves
, expectatives et partages de mois , toutes
les Eglises de France devant jouir de la même
liberté .
XIII. Les déports , droits de cote - morte ,
dépouilles , vacat , droits censaux , deniers de
S. Pierre , et autres de même genre , établis
en faveur des Evêques , Archidiacres ,
Archiprêtres
, Chapitres , Curés primitifs , et tous
autres , sous quelque nom que ce soit , sont
abolis ; sauf à pourvoir , ainsi qu'il appartiendra
, à la dotation des Archidiaconés et des
( 275 )
Archiprêtrés qui ne seroient pas suffisamment
dotés
XIV. La pluralité des bénéfices n'aura plus
lieu à l'avenir , lorsque les revenus du bénéfice
ou des bénéfices dont on sera titulaire ,
excéderont la somme de trois mille liv. Il ne
sera pas permis non plus de posséder plusieurs
pensions sur bénéfices , ou une pension et un
bénéfice , si le produit des objets de ce genre
que l'on possède déja , excède la même somme
de trois mille liv.
XV. Sur le compte qui sera rendu à l'Assemblée
Nationale de l'état des pensions ,
graces et traitemens , elle s'occupera , de concert
avec le Roi , de la suppression de celles
qui n'auroient pas été méritées , et de la réduction
de celles qui seroient excessives ; sauf
à déterminer pour l'avenir une somme dont
le Roi pourra disposer pour cet objet.
XVI . L'Assemblée Nationale décrète qu'en
mémoire des grandes et importantes Délibé
rations qui viennent d'être prises pour le bonheur
de la France , une médaille sera frap-
'pée , et qu'il sera chanté en actión de graces
un Te Deum dans toutes les Paroisses et
Eglises du Royaume.
XVII. L'Assemblée Nationale proclame solennellement
le Roi Louis XVI Restaurateur
de la Liberté Françoise.
XVIII. L'Assemblée Nationale se rendra
en corps auprès du Roi , pour présenter à Sa
Majesté l'Arrêté qu'elle vient de prendre , lui
porter l'hommage de sa plus respectueuse
reconnoissance , et la supplier de permettre
que le Te Deum soit charté dans sa Chapelle
, et d'y assister elle-même. "
XIX. L'Assemblée Nationale s'occupera ,
immédiatement après la Constitution , de la
m vj
( 276 )
rédaction des Lois necessaires pour le développement
des principes qu'elle a fixes par le
présent Arrêté , qui sera incessamment envoye
par MM . les Deputés dans toutes les
Provinces , avec le Décret du 10 de ce mois ,
pour y être imprimé , publié , même au Prône
des Paroisses , et affiché par-tout où besoin
sera.
Signé LE CHAPELIER , Président ; l'Abbé
SYEYES , le Comte DE LALLY - TOLENDAL ,
FRETEAU , PETHION DE VILLENEUVE , l'Abbé
DE MONTESQUIOU , EMMERY , Secrétaires.
Le même jour , l'Aſſemblée a finalement rendu
la proclamation fuivante , fauvegarde dernière
des propriétés & des perfonnes.
Extrait du Procès-verbal de l'Assemblée Nationale
, du 10 août 1789.
L'Assemblée Nationale , considérant que
les ennemis de la Nation ayant perdu l'espoir
d'empêcher , par la violence du Despotisme ,
Ja régénération publique et l'établissement
de la liberté , paroissent avoir conçu le projet
criminel de ramener au même but par la
voie du désordre et de l'anarchie ; qu'entre
autres moyens , ils ont , à la même époque ,
et presque le même jour , fait semer de fausses
alarmes dans les différentes Provinces du
Royaume , et qu'en annonçant des incursions
et des brigandages qui n'existoient pas , ils
ont donné lieu à des excès et des crimes
qui attaquent également les biens , et les
personnes , et qui ; troublant lordre universel
de la Société , méritent les peines les plus
sévères ; que ces hommes ont porté l'audace
jusqu'à répandre de faux ordres , et même
( 277 )
de faux Edits du Roi , qui ont armé une
portion de la Nation contre Fautre , dans le
moment même où l'Assemblée Nationale
portoit les Décrets les plus favorables à
l'intérêt du Peuple ; »
«
Considérant que , dans l'effervescence
générale , les propriétés les plus sacrées , et
les moissons mêmes , seul espoir du Peuple
dans ces temps de disette , n'ont pas été
respectees ; »
Considérant enfin que l'union de toutes
les forces , l'influence de tous les pouvoirs ,
l'action de tous les moyens , et le zèle de
tous bons Citoyens , doivent concourir à
réprimer de pareils désordres : »
« Arrête et décrète , »
a Que toutes les Municipalités du royaume ,
tant dans les villes que dans les campagnes , veilleront
au maintien de la tranquillite publique ;
et que sur leur simple requisition , les Milices
Nationales , ainsi que les Marechaussees, seront
assistées des troupes , à l'effet de poursuivre
et d'arrêter les perturbateurs du repos public ,
de quelqu'état qu'ils puissent être ; »
¿C Que les personnes arrêtées seront remises
aux Tribunaux de justice , et interrogées incontinent
; et que le procès leur sera fait ,
mais qu'il sera sursis au jugement et à l'exécution
à l'égard de ceux qui seront prévenus
d'être les auteurs de fausses alarmes
et les instigateurs des pillages et violences ,
soit sur les biens , soit sur les personnes ;
et que cependant copies des informations ,
des interrogatoires et autres procédures , seront
successivement adressées à l'Assemblée
Nationale , afin que , sur l'examen et la comparaison
des preuves rassemblées des différens
lieux du Royaume , elle puisse remonter à
( 278 )
la source des désordres , et pourvoir à ce
que les chefs de ces complots soient soumis
à des peines exemplaires qui répriment efficacement
de pareils attentats ; »
" Que tous attroupemens séditieux , soit
dans les villes , soit dans les campagnes
même sous prétexte de chasse , seront incontinent
dissipés par les Milices Nationales ,
les Maréchaussées et les Troupes , sur la simple
requisition des Municipalites : »
"L
Que dans les villes , et Municipalités
des campagnes , ainsi que dans chaque District
des grandes villes il sera dressé un role
des hommes sans aveu , sans métier ni profession
, et sans domicile constant , lesquels
seront désarmés , et que les Milices Nationales ,
les Maréchaussées et les Troupes veilleront
particulièrement sur leur conduite ; »
«
Que toutes ces Milices Nationales prêteront
serment entre les mains de leur Commandant
, de bien et fidèlement servir pour
le maintien de la paix , pour la défense des
Citoyens , et contre les perturbateurs du repos
public ; et que toutes les Troupes , savoir , les
Officiers de tout grade , et Soldats , prêteront
serment à la Nation , et au Roi , chef de la
Nation , avec la solennité la plus auguste ; »
9
« Que les Soldats jureront , en présence
du Régiment entier sous les armes ,
de ne
jamais abandonner Jeurs Drapeaux d'être
fidèles à la Nation , au Roi et à la Loi ,
et de se conformer aux règles de la discipline
militaire ; »
" Que les Officiers jureront , és mains des
Officiers Municipaux , en présence de leurs
Troupes , de rester fidèles à la Nation , au
Roi et à la Loi , et de ne jamais employer
ceux qui seront sous leurs ordres , contre
( 279 )
les Citoyens , si ce n'est sur la requisition
des Olliciers Civils et Municipaux , laquelle
requisition sera toujours lue aux Troupes
assemblées ; »
" Que les Curés des villes et des campagnes
feront lecture du présent Arrêté à
leurs Paroissiens réunis dans l'Eglise , et qu'ils
emploieront , avec tout le zèle dont ils ont
constamment donné des preuves , l'influence
de leur Ministère , pour rétablir la paix et
la tranquillité publiques , et pour ramener
tous les Citoyens à l'ordre et à l'obéissance
qu'ils doivent aux autorités légitimes. >>
« SA MAJESTÉ sera suppliée de donner
les ordres nécessaires pour la pleine et entière
exécution de ce Décret , lequel sera adressé
à toutes les Villes , Municipalités et Paroisses
du royaume , ainsi qu'à tous les Tribunaux ,
pour y être lu , publié , affiché , et inscrit dans
les registres. "
Du Mercredi 12 Aour. M. le Préfident avertit
l'Aflemblée qu'il seroit admis vers les deux heures
et demie , à l'audience de Sa Majeſté , & convoqua
le Comité de rédaction , pour s'occuper d'une
adreffe au Roi , qui seroit remife à l'Affemblée
avant qu'elle fe féparât.
On décida à la pluralité , que la Députation
prendroit legrand coftume. Lecture & correction du
Procès- verbal du 4.
M. de Cuftine , Député de Metz , dit , que
lié par des Mandats impératifs , il ne pouvoit acquiefcer
à une renonciation totale des droits de fa
Province fur le reculement des barrières ; mais qu'il
demanderoit l'autorisation de fes Commettans.
M. de Gaillon , Député de Mantes , propofa la
fuppreffion du droit d'aineffe , fource continuelle
de divifions & de jaloufies dans les familles ....Les
•
( 280 )
applaudiffemens n'empêchèrent pas qu'on ne regardar
la queftin comme trop prématurée ; auſſi
fut- elte renvoyée à un autre temps.
» Meffieurs , s'écria alors M. de Mirabeau
-nous devons regarder comme un retard à la Conftitution
, toute excurfion étrangère à ce grand objet.
Je demande que toute épiſode foit interdite , & que
nous nous occupions inceffamment de ce travail ,
dont l'exécution devient de jour en jour plus inftante.
M. le Duc de Liancourt demanda la permiffion
de repréfenter un avis effentiel , que le Comité des
finances le chargeoit de communiquer à l'Affemblée.
Un grand nombre de Députés demandoient
qu'il fût pourvu à leur traitement pécuniaire.
Les Commettans devoient le fournir , & l'Affem.
blée en déterminer la valeur . Mais comme ces
payemens néceffitoient des avances ou des emprunts
, il propofoit un Comité pour y parvenir.
M. Chaffet revint à l'exécution de l'arrêté du 4 ,
qui , fans des lois de détail , devier droit inutile.
Il propofa premièrement , un Comité pour préparer
le travail des affaires concernant le Clergé,
lequel Comité donneroit à l'Afemblée tous les
éclairciflemens néceffaires , & l'inftruiroit du rap
port exact des Dimes , du nombre des Paſteurs ,
Communautés , & c.
Deux èmement , un Com'té qui s'afſureroit du
nombre des Charges de jud cature , de leurs valeurs
anciennes & actuelles , pour effectuer leur rachat
& rembourfement , qui prépareroit auffi les
Règlemens fur les Cens , les rentes foncières &
la liquidation de Droits féodaux.
Un troisième Comité , pour les Règ'emens des
Chailes & des Co ombiers ; & un quatrième détaché
du Comté des finances pour la vérification des
penfions graces & traitemens.
Enfin un Comité des finances , qui s'occupât
( 281 )
des moyens généraux d'une répartition égale des
Impôts pour les fix derniers mois de l'Année.
M. Dupleffis , Député de Nantes , a ajouté à
cette Motion , un article fur la néceffité de répondre
aux engagemens de la Nation , fynallagmatiques
envers le Clergé. En pienant les biens du
Clergé , dit-il , on doit auflife charger de fes dettes.
Il feroit donc convenable de former un Comité
pour les vérifier , & prendre un état act des
revenus des Bénéfices , des biens des Communautés ,
fur-tout de celles dont la fuppreffion pouvoit être
utile à l'Etat.
Un Député de la Nobleffe ramena l'Affemblée
à l'objet de la Conftitution .
M. Demeunier propofa de ne point difcuter
féparément chaque article , mais de nommer un
Comité de fix perfonnes pour rédiger une Décla
ration des Droits de l'homme , d'après les diffé
rens projets qui avoient été propofes , & de foumettre
ce te Rédaction , lundi prochain , à la dif
cuffion de l'Aflemblée Nationale... Les Membres
qui compoferciens ce Comité , ne pourroient
être choifis parmi ceux qui ont été chargés du
travail de la Conftitution , non plus que parmi
ceux qui ont préfenté des projets .
Un Député de la Nobleffe propofa , au contraire
de raffember tous ceux qui avoient donné des
projets. Leurs propofitions , dit - il , étant profque
toutes conformes , elles feroient rédigées fans difficultés
; s'ils différoient entre eux , l'Affemb.ée jugeroit.
Cet avis fut rejeté , & la motion précédente
admife à l'unanimité .
On affure qu'à ces mors , porter aux pieds de S. M.
il s'éleva un ci de point de pies , point de pieds ;
& que l'expreffion , l'Assemblée enivrée de joie ,
arracha à un Député de Provence l'obfervation que,
l'Assemblée n'é.oit ni ivre ni enivrée. Le Rédacteur
( 282 )
n'étoit pas témoin de ces corrections , & n'en ga
rantit pas la certitude.
M. Target fit enfuite la lecture de l'Adreffe au
Roi ; après quoi un Membre des Communes propofa
de mettre fous les yeux de l'Affemblée la
lifte des pouvoirs vérifiés .
A cette occafion , M. Lawye , Député de Belfort
, repréfenta les troubles qui agiolent la Province
d'Alface ; fit fentir combien il étoit dangereux
que M. l'Evêque de I.yda y retournât , au
cas que fon élection fût déclarée illégale , & pría
l'Affemblée de différer ce jugement.
M. de Lyda lui en témoigna fa reconnoiſſance ,
& après avoir fait quelques réflexions fur la validité
de fon élection , témoigna à l'Affemblée la
droiture de fes intentions , jufqu'ici contrariées par
des mandats impératifs.
M. le Préfident mit alors aux voix l'Arrêté propofé
par M. Chasset , portant l'établiſſement de
quatre Comités. Il fut admis unanimement ; ainſi
que l'élection d'un nouveau Comité de rédaction
.
Un Curé propofa de faire témoigner aux nouveaux
Miniftres , par l'organe du Préfident , la
fatisfaction de l'Affemblée fur le choix de Sa Majesté.
Cette démarche ne parut point convenir à la
dignité de l'Affemblée
Du Jeudi 13 AOUT , Séance du matin.
M. le Préſident a inftruit l'Affemblée qu'il avoit
eu l'honneur de préfenter hier au foir à Sa
Majefté , les deux Arrêtés , favoir , celui de l'Emprunt,
& celui portant fuppreffion des priviléges des
Corps & Provinces . Sa Majefté avoit fixé l'heure
de midi pour recevoir l'Affemblée Nationale ,
& enfuite affifter à la célébration d'un Te Deum.
Il a enfuite rapporté qu'une Compagnie de
( 283 )
•
Milice Bourgeoife de Sèvies avoit arrêté & eſcorté
jufqu'à Verfailles , deux voitures de foin , dans
une defquelles on avoit trouvé un paquet de
le tres couvertes de toile cirée ; & qu'il l'avoit
ouvert en préfence de M. de Villequier &
d'un autre Député. Ce paquet contenoit des
imprimés relatifs à une maiſon de Charité ,
inftituée par M. l'Evêque de Beauvais ; une lettre
à ce Prélat , & trois autres pour fon Grand-
Vicaire , fon Secrétaire & fon Valet- de - Chambre
; que ces lettres avoient été miſes à l'abri de
la pluie dans ce foin , envoyé aux écuries de-
M. de Beauvais ; qu'enfin ne pouvant paroître
fufpectes , il les lui avoit remifes .
Cette capture inquifitoriale de la Milice de
Sèves , ayant fur-le-champ donné lieu à cent rumeurs
extravagantes , M. l'Evêque de Saintes témoigna
les craintes que lui infpiroient les foupçons
qui s'étoient auffi répandus dans Verſailles
à cet égard. Il pria l'Affemblée d'autorifer le
Préfident à faire publier le Procès - verbal qu'il
avcit dreffé à l'ouverture du paquet. L'Aſſemblée
n'héfita pas à déférer à lajuftice de cette demande.
M. Fréteau indiqua les Membres dont les pouvoirs
avoient été jugés légitimes , & annonça de
nouvelles Villes & Communautés , qui avoient
adreffé à l'Affemblée leur tribut de reſpect &
de reconnoiffance , & leur athéfion à fes Ar-
"rêtés .
Un Membre du Comité de Rapport détailla
les, motifs de Réclamation d'un Procureur du
Roi du Bailliage de Falaife , contre le Parlement
de Rouen. Ce Citoyen , élu Commiffaire aux
Elections de fon Bailliage , inféra dans les cahiers ,
des principes contraires à ceux du Parlement de
fa Province . Cette Cour étendant fon autorité
jufque fur les opinions , dépofa le Procureur , le fit
décréier& poursuivre à rigueur.
( 284 )
Le Rapporteur, de cette plainte propofa que
les pourfuites du Parlement de Rouen fuffent
déclarées attentatoires à la Liberté nationale ; qu'on
lui fit fentir qu'il n'avoit point le droit de reftreindre
la liberté des opinions ; & qu'on le condamnât
à une indemnité envers le Procureur .
Divers avis furent préfentés à ce fujet . Un
Membre de la Nobleffe vouloit que l'Affemblée
fit rendre compte aux Tribunaux qui auroient
abusé de leur autorité , & qu'elle fe nast
du jugement de cette affaire .
M. le Duc de Mortemart s'y oppofa , par la
raifon que l'Aflemblée étoit un Corps législatif ,
& non judiciaire : elle ne pouvoit , fans le plus
grand danger , s'ingérer à rendre ou à réformer
des jugemens.
M. Target réclamoit un Mémoire expofitif des
motifs de la conduite de l'Accufé , avec toutes
les pièces de la Procédure..
M. Garat l'aîné foutint que , en cas de reproches
contre un Tribunal , c'étoit à la Nation à
en juger. J'ajouterai , dit- il , qu'il eft effentiel à
l'Aſſemblée d'ordonner que tous les Membres qui
auroient des plaintes contre les Tribunaux , expri
ment les délits qui les ont occafionnés. En cette
occafion , l'on doit nommer un Comité informa
teur , & créer au plus tôt le Tribunal qui juge les
crimes de cette nature.
L'avis du Comité de rapport , étoit de faire écrire
par le Préſident , à M. le Garde- des - Sceaux , pour
le prier de fournir à l'Aſſemblée toutes les pièces
de la procédure ; ce qui fut agréé unanimement.
M. Grellet de Beauregard lut à l'Affemblée les
réclamations du Bailliage de Chauni , qui demandoit
à députer immédiatement à l'Affemblée Natio
ale , comme formant ure population de
69,400 ames , de 140 Eccléfialliques , & 80 Gen(
285 )
tilshommes poffedan fiefs . On adopta l'avis du
Comité , de refufer cette demande.
M. le Comte de Virieux releva ure erreur dans
la formule du ferment pour les Chefs des Troupes ;
ferment qui ne devoit pas être fait ès mais des
Officiers municipaux , ce qui indiqueroit une
subordination . Il falloit fubftituer à ce mot , celui
en préfence des Officiers municipaux.
M. de Mirabeau foutint cette obſervation . Cette
formule , dit-il , n'eft pas plus pure en principes ,
qu'heureuſe en rédaction . Les rites de la conduite
militaire ne doivent jamais paffer à l'entière subordination
du Civil.... Les Municipalités font un
Corps monstrueux . Je connois 1 ariftocratie miniftérielle
, l'ariftocratie parlementaire , l'aristocratie
eccléfiaftique ; mais je n'en connois pas de plus
cruelle que l'aristocratie municipale . T'appartiens
à une province , dont le Chef de la Municipalité
a le premier fait verfer le fang des Citoyens , &
eft peut- être le feul auteur des troubles qui l'agitent.
La direction des forces militaires appartient né- .
ceffairement au pouvoir exécutif.... Mais il eſt
des rapports effentiels à fixer entre la Conftitution
militaire & la Conftitution nationale. Ils font
indifpenfablement de notre Jurifdiction . La queftion
feroit prématurée en ce moment - ci ; mais
j'adhère à la correction_propofée par le Préopinant.
Telle fut auffi l'opinion de l'Affemblée .
-M. le Préfident mit aux voix , fi l'on feroit une
nouvelle édition de l'Arrêté , ou fi l'on y joindroit
feulement une feuille corrective. Après quelques
débats , ce dernier avis fut adopté.
Il étoit midi. On leva la Séance pour aller
préfenter au Roi les Arrêtés de l'Affemblée , &
affifter à un Te Deum dans la Chapelle de Sa Majefté
,
( 286 )
DISCOURS de M. le Président au Roi.
" SIRE , "
» L'Aſſemblée Nationale apporte à Votre Majefté
une offrande vraiment digne de votre coeur :
c'eft un Monument élevé par le patriotisme &
la générosité de tous les Citoyens. Les priviléges
, les droits particuliers , les diftinctions nuifibles
au bien public ont difparu . Provinces ,
Villes , Eccléfiaftiques , Nobles , Citoyens des
Communes , tous ont fait éclater , comme à l'envi ,
le dévouement le plus mémorable ; tous ont
abandonné leurs antiques ufages avec plus de
joie que la vanité n'avoit jamais mis d'ardeur à
Sire ,
les réclamer. Vous ne voyez devant vous ,
que des François foumis aux mêmes Lois , gouvernés
par les mêmes principes , pénétrés des
mêmes fentimens , & prêts à donner leur vie
pour les intérêts de la Nation & de fon Roi, Compur
n'auroit-il pas ment cet efprit fi noble & fi
été ranimé encore par l'expreffion de votre confiance
, par la touchante promeffe de cette conftante
& amicale harmonie , dont jufqu à préſent
peu de Rois avoient affuré leurs Sujets , & dont
Votre Majefté a fenti que les François étoient
dignes . » » Votre choix , Sire , offre à la Nation des
Miniftres qu'elle vous eût préfentés elle- même,
C'est parmi les Dépofitaires
des intérêts publics ,
que vous choififfez les Dépofitaires de votre autorité.
Vous voulez que l'Affemb'ée
Nationale
fe réunie à Votre Majefté pour le rétabliffement
de l'ordre public & de la tranquilité générale.
Vous facrifiez au bonheur du Peuple vos plaifirs
perfonnels. »
Agréez donc , Sire , notre refpectueuse reconnoiffance
& hommage de notre amour ; &
portez , dans tous les âges , le feul titre qui puiſſe
( 287 )
ajouter de l'éclat à la Majesté Royale , le titre
que nos acclamations unanimes vous ont déféré ,
le titre de Reftaurateur de la Liberté Françoiſe. »
RÉPONSE du Roi.
» J'accepte avec reconnoiffance le titre que
vous me donnez ; il répond aux motifs qui m'ont
guidé , lo ſque j'ai raflemblé autour de moi les
Repréfentans de ma Nation . Mon voeu maintenant
eft d'affurer avec vous la liberté publique
par le retour fi néceſſaire de l'ordre & de la tranquillité.
Vos lumières & vos intentions m'infpirent
une grande confiance dans le réſultat de vos
Délibérations. "
» Allons prier le Cel de nous accorder fon
affiftance , & rendons lui des actions de graces
des fentimens généreux qui règneat dans votre
Affemblée.
Du Jeudi 13 AOUT , Séance du foir. Une difcuffion
fur la formation des Comités décretés
hier , d'après l'avis de M. Chasset , a été terminée
par le choix de trois Perfonaes de chaque
Bureau , dans le nombre defquelles l'Affemblée
retiendra les Membres néceffaires aux Comités .
La définition d'un mot effentiel a abſorbé le
refte de la Séance . M. de Clermont -Tonnerre éleva
quelques doutes fur l'exact tude du mot remplacement
, imprimé dans l'article de l'Arrêté relatif
aux imes Eccléfiaftiques . Vérification faite ,
on conftata la conform té de l'imprimé avec la
rédaction , & la difficul.é ne roula p'us que fur
le fens du mot remplacement.
MM. Target & Camus établirent qu'on ne pou
voit entendre par-là qu'un revenu quelconque
accordé aux Pafteurs , en remplacemen: de 1.
dîme , & ils oppofèrent à toute autre interpré
tation , l'abandon illimité que le Clergé venoit
faire de fes biens.
( 288 )
Cet avis entraîna que ques débats , qui rendirent
la difcuffion pus tumultueue qu'inſtructive.
M. P'Archevêque de Paris & plufieurs Curés y
mirent fin , par leur acceffion à la Motion de
M. Camus , & l'on admit le mot remplacement ,
dans la fignification donnée par ce Député.
Du Vendredi 14 Aour. Lecture du Procèsverbal
, & mention des Adreffes de plufieurs
Villes , ainfi qu de l'envoi d'ouvrages , dont leurs
Aut u's font hommage à l'Affemblée .
M. Duquesnoy , Deputé de Bar - le - Duc ,
prenat la parole , a dit en ſubſtance :
» V. us avez arrêté , Meffieurs , que vous
éloigneriez en ce moment toute Motion étrangère
à la Conftitution . Occupons - nous donc fans
délai de ce important ouvrage. Vous avez formé
un Comité pour le préparer . Il n'étoit point alors.
dans vos vues de recevoir un projet particu ier de
chaque Commiffaire ; vous demandiez un feul
plan formé de la réunion de leurs avis ....
Vous avez perdu le fruit de ce Comité , puiſque
vous avez été obligés d'en créer un nouveau.
Que feroit-ce fi vous éprouviez encore les mêmes
inconvéniens de celui- ci?
Qu'il ne foit donc ples permis aux Membres
du Comité de préfenter leurs idées individuelles , "
& qu'ils ne forment de leurs différe s avis qu'un
réſultat urique , capable d'être foumis à la difcuffion
de l'Affemblée . »
" Les principa es queftions me femblent fe divifer
en deux Claffes ; favoir , ce les qu'il fera
néceffaire d'établir les premières , & celles dont
la difcuffion doit être fubféquente. "
La première de toutes , offre affez d'accord
dans les opinions : L'Affemblée fera- t-elle perma
nente ou périodique ?
2°. Quelles qualités font néceffaires pour être
E. &eur
( 289 )
Electeur ou Eligible aux Afemblées , tant Nationales
que fecondaires? 39
» Vous déciderez fi l'Affemblée Nationa'e fera
compofée des Repréſentans de la Nation , ou des
Corporations ; fi elle doit n'avoir qu'un intérêr ,
ou plufieurs intérêts croifés & combinés , &c. En
décidant le mode des Elections , vous hâterez
l'établiffement des Affemblées Provinciales , »
» Une autre Queftion importante fe préfente. «
" Quelle fera l'influence de l'autorité Royale
fur la Législation ?
» Le Roi aura-t-il le Veto ? Son pouvoir pourrat-
il être fufpendu , & c . ?
3°. Y aura- t-il deux Chambres ? quels feront
leurs rapports , leur influence refpective ?
Il me femble que fi les deux Queſtions préliminaires
étoient décidées , le Comité chargé de
ce travail auroit deux bafes folides , fur lefquelles
il éleveroit les autres , & yous éviteriez
de grandes difcufli : ns.
par
là
M. de Volney.» Avant de délibérer , il feroit
à propos de favoir fi le travail du Comité eft
achevé , & où il en eft . M. Bergasse a un travail
complet fur la Conftitution ; il faut connoître ,
quelle en eft la forme , quels en font les déve
loppemers , les détails , «
" Quant à la Motion actuelle , j'obſerverai
que l'opinion commence à fe former fur la néceffité
de créer un pouvoir exécutif. Nous réuniffons
prefque toute la puiffance ; mais ce n'eſt
qu'uce puiffarce mora'e . Vous ne pouvez faire
effectuer vos lois fans le pouvoir exécutif : il faut
donc le déterminer, »
» 2. Tous les autres pouvoirs fubalternes fontdiffous
dans le Royaume. Occupons - nous donc
inceffamment de la forma ion des Affemblées
provinciales , & de toutes les Affemblées fecondaires.
Profitons du temps où les Peuples font oc-
N°. 34. 22 Août 1789.
( 290 ) cupés aux travaux de l'Agriculture
, & n'aften- dors point l'époque où , délivrés de leurs occupations
, ils fe livreroient plus amplement
aux
affaires d'Etat , & refuferoient
peut -être les pou- voirs auxquels nous voudrions les foumettre . » Occupons-nous encore de déterminer la L berté
individuelle
& politique , le droit des propriétés , la perception
des impôts , & autres queftions. de cette nature , de la decifion defquelles dépendent
le fort & le falut de l'Etat."
M. de Montmorenci
remarqua que la Motion de M. Duquenoy étoit contraire aux vues dans lef
quel es l'Affemblée avoit créé le Comité de Conf
titution , pour faire précéder d'une Déclaration
de droit toutes les autres queſtions.
M. Regnault foutint la Motion de M. Duquesnoy. " Il eft certain , dit- il , que tous les jours l'A
femblée Nationale fe trouve obligée de confier fes décrets aux Municipalités
, & fe voit fouvent
; elle ne
embarraffée
d'effectuer leur exécution
peut non plus parvenir à ce but par l'intermé
diaire des Affemblées provinciales
actuelles , puifque
ce ne font point des Affemblées
provinciales
& nationales. Il eft donc de néceffité indifpenfable
de les créer le plus tôt poffible , & de charger
à cet effet le Comité de Conſtitution
de prépa
rer le travail de leur organiſation. » " Il n'eft pas moins effentiel de pourvoir à la réforme du pouvoir judiciaire. D'après votre Ar- rêté , portant fuppreffion
de la vénalité des Charges
, tous Officiers civils ne fe regardant plus que comme Membres
momentanés
des Tribunaux
abolis , ne peuvent être fufceptibles
de l'énergie
néceffaire à leurs fonctions. » M. de Clermont- Tonnerre
rappela la décifion de l'Affemblée
, au fujet de la Déclaration
des Droits qui devoit précéder
la Conſtitution
. Les queftions
qu'on avoit propofées
étoient fubfidiai(
291 )
"
res d'autres articles fondamentaux ; les agiter mainterant
, ce fe oit établir les conféquences avant le
principe. L'Opinant promit pour lundi le rapport
du travail du Comité de Conſtitution , & pria
l'Affemblée de ne point délibérer , avant ce tems ,
la Motion propolće.
Cet avis fut app audi & admis unanimement .
On fe retiran Bureaux pour procéder à l'é ection
des Men bres de plufieurs Comités , de deux
Secrétaires , & d'un nouveau Préſident.
Du Samedi 15 AOUT. La veil'e , l'Affemblée
s'étant ajournée à lundi , il n'y a point eu de Séance .
De Paris , le 20 août.
Déclaration du Roi , concernant un
Emprunt de trente millions ; donnée
à Versailles , le 12 Août 1789.
"
Le Roi ayant fait connoître à l'Assemblée
Nationale le besoin pressant d'un
« emprunt de trente millions , l'Assemblée
Nationale a délibéré cet emprunt par le
« Décret suivant :
44
L'Assemblée Nationale , informée des besoins
urgens de l'Etat , décrète un Emprunt
de 30 millions , aux conditions suivantes :
ART. I. L'intérêt sera à quatre et demi pour
cent , sans aucune retenue .
ART. II . La jouissance de l'intérêt appartiendra
aux Prêteurs , à commencer du jour
auquel ils auront porté leurs deniers .
ART. III. Le premier payement des intérêts
se fera le premier janvier 1790 , et les autres
payemens se feront ensuite , tous les six mois ,
l'Administrateur du Trésor-Public.
ART. IV. Il sera délivré à chaque Prêteur ,
des quittances de Finances , sous son nom ,
par
nij
( 292 )
avec promesse de passer contrat , conformé
ment au modèle ci - après .
ART. V. Aucune quittance ne pourra être
passée au-dessous de mille livres ."
En conséquence , Sa Majesté autorisé
le sieur Duruey , Administrateur du Trẻ-
sor Royal , chargé de la recette et des
caisses , à recevoir les fonds des per
sonnes de tout pays et de tout état qui
voudront s'intéresser dans cet emprunt,
aux clauses et conditions énoncées dans
le Décret ci - dessus transcrit ; et seront ,
sur la présente Déclaration , toutes Lettres-
Patentes nécessaires expédiées . FAIT
à Versailles, le douze Août mil sept cent
quatre - vingt - neuf. Signé LOUIS. Et
plus bas, par le Roi , Signé LE COMTE
DE SAINT-PRIEST .
Ordonnance du Roi , du 10 août 1789 ,
concernant la Chasse..
DE PAR LE ROI.
Sa Majesté , toujours disposée à tous les
sacrifices personnels que l'intérêt de ses Sujetspeut
demander , vent et entend que toutes
les Capitaineries soient supprimées. Mais ent
même temps Sa Majesté doit , pour le maintien
de l'ordre et la conservation des propriétés
, prendre des mesures eficaces , afin
que , sous prétexte de chasse , personne ne
puisse porter atteinte au droit d'autrui A ces
causes , le Roi fait inhibitions et défenses à
tous et chacun de s'introduire dans les plaines
non moissonnées , et autres territoires dont
les récoltes ne seroient pas enlevées , sous
( 293 )
prétexte de chasser , et d'y commettre aucun
dégât , sous peine d'être punis suivant la rigueur
des Ordonnances. Mande et ordonne
Sa Majesté à tous les Officiers et Gardes de
ses Capitaineries de continuer leurs fonctions
pour le fait seulement de la conservation
des moissons et récoltes. Enjoint aux
Maréchaussées de s'y réunir , aux Milices
bourgeoises d'y veiller , et aux Troupes
réglées de prêter main-forte , sur la requisition
des Officiers de Police : Et sera la
présente Ordonnance imprimée et affichée
par - tout où besoin sera , à ce qu'aucune
personne n'en ignore . Fait à Versailles , le dix
août mil sept cent quatre-vingt- neuf.
1.
Signé LOUIS , et plus bas , le Comte DE
SAINT -PRIEST.
DE PAR LERO I.
Sa Majesté est informée que des troupes
de brigands , répandues dans le Royaume ,
s'attachent à tromper les habitans de plu
sieurs Communautés , en leur persuadant
qu'ils peuvent , sans s'écarter des intentions
de Sa Majesté , attaquer les châteaux , en
enlever les archives , et commettre d'autres
excès envers les habitations et les propriétés
des Seigneurs . Sa Majesté se trouve donc dans
la nécessité de faire connoître que de semblables
violences excitent toute son indignation
Elle enjoint expressément à tous ceux
qui sont chargés de l'exécution de ses ordres ,
de prévenir ces délits par tous les moyens
qui sont en leur pouvoir , et d'en poursuivre
sévèrement la punition . Sa Majesté ne peut
voir, sans la plus grande affliction , le trouble
qui régne dans son Royaume ; trouble excité
depuis quelque temps par des gens mal intentionnés
, et qui commencent par semer
n iij
( 294 )
de faux bruits dans les campagnes , afin d'y
répandre l'alarme , et d'engager les habitans
des villages à prendre les armes . Sa Majesté
ordonne aux Commandans de ses provinces ,
de veiller de près sur des manoeuvres si condamnables
. Elle avertit ses fidèles Sujets de
se tenir en garde contre ces mauvais desseins
et ces suggestions artificieuses ; et Elle invite
tous les bons Citoyens à s'opposer de tout
leur pouvoir à la continuation d'un désordre'
qui fait le scandale et la honte de la France ,
et qui contrarie essentiellement les vues bienlaisantes
dont le Roi et les Représentans de
la Nation sont animés pour l'avancement
du bonheur et de la prospérité du Royaume.
Vent Sa Majesté que laprésente Ordonnance
soit imprimée et affichée par-tout où besoin
sera , et même publiée aux prônes des. Messes
paroissiales . Fait à Versailles le neuf août
mil sept cent quatre- vingt- neuf.
Signé LOUIS ; et plus bas , le Comte DE
SAINT-PRIEST .
Règlementfait par le Roi , du 9 Août
1789 , pour la réunion de ses Conseils
; extrait des Registres du Conseil
d'Etat.
Le Roi ayant reconnu la nécessité de faire
régner entre toutes les parties de l'Adminis
tration , cet accord et cette unité si désirables
dans tous les temps , et plus nécessaires
encore dans les temps difficiles , Sa Majesté
a jugé à propos de réunir au Conseild'Etat ,
Je Conseil des Dépêches et le Conseil Royal
des Finances et du Commerce ; et pour que
les affaires contentieuses , qui étoient portées
les Secrétaires d'Etat au Conseil des Dé
par
( 295 )
pêches , soient à l'avenir vues et discutées
dans une forme capable de préserver des variations
et des surprises , Sa Majesté a en
même temps jugé convenable de former ,
pour ces sortes d'affaires , un Comité semblable
à celui qui existe pour les affaires contentieuses
du Département des Finances : Elle
espère trouver , dans cet établissement , les
mêmes avantages et la même utilité que le
Comité contentieux des Finances a constamment
procurés depuis son institution .
ART. I. Le Conseil des Dépêches et le
Conseil Royal des Finances et du Commerce ,
seront et demeureront réunis au Conseil d'Etat,
pour ne former à l'avenir qu'un seul et mêine
Conseil , lequel sera composé des personnes
que le Roi jugera à propos d'y appeler.
II. Pour mettre d'autant plus d'accord dans
toutes les parties d'Administration , et prévenir
l'influence de la faveur ou des prédilections
, le Roi a ordonné que toutes les
nominations aux charges , emplois ou bénéfices
dans l'Eglise , la Magistrature , les Affaires
étrangères , la Guerre , la Marine , la
Finance et la Maison du Roi , seront présentées
dorénavant à la décision de Sa Majesté ,
dans son Conseil .
III. Toutes les demandes et affaires contentieuses
qui étoient rapportées au Conseil
des Dépêches par les Secrétaires d'Etat , seront
renvoyées de chaque Département , à
un Comité que Sa Majesté établit sous le
titre de Comité contentieux des Départemens.
IV. Le Comité sera composé de quatre
Conseillers d'Etat , et il y sera attaché quatre
Maîtres des Requêtes , en qualité de Rapporteurs.
V. Les avis du Comité seront remis au
n iy
( 296 )
1
Secrétaire d'Etat du Département ; et dans
le cas où une affaire aura paru d'une nature
et d'une importance telle qu'il doive en être
rendu un compte particulier au Roi , Sa Majesté
appelera à son Conseil , les Conseillers
d'Etat composant ledit Comité , et le Maitre
des Requêtes Rapporteur , pour , sur son rapport
, être statué par Sa Majesté .
VI. Il en sera usé de même à l'égarð da
Comité contentieux des Finances ; et Sa Majesté
se réserve en outre d'appeler paruculièrement
à sondit Conseil , le Controleurgénéral
de ses finances , toutes les fois que
les circonstances pourront l'exiger.
Fait au Conseil d'Etat du Roi , Sa Majesté
y étant , tenu à Versailles , le neuf Août mil
sept cent quatre-vingt-neuf. Signé , le Comte
DE SAINT-PRIEST.
Le plan de la Municipalité à former ,
fut remis le 12 , par ses Rédacteurs, à l'Assemblée
générale des Représentans de
la Commune : il seroit superflu de le
rapporter avant son adoption , car il est
possible qu'il subisse beaucoup de changement.
La base de ce Projet consiste
à créer des Assemblées et des Comités
des soixante Districts existans , une Assemblée
générale de 300 Représentans ,
soit de ces Districts , soit de la Commune;
un Corps d'exécution , sous le nom de
Conseil de Ville , et composé de 60
Membres de l'Assemblée des Représen
tans ; enfin , un Bureau de Ville , consistant
en 21 Officiers du Conseil de
Ville : c'est le dernier terme de l'échelle
municipale. Le Conseil de Ville en pa
( 297 )
roît le point central : ce Corps éliroit ses
propres Membres au scrutin , parmi les
Représentans de la Commune , amovibles
eux-mêmes par rotation ; en sorte
qu'en cinq ans , leur Assemblée générale
soit entièrement renouvelée .
Ce Projet, à ce que nous croyons ,
n'est pas encore sorti de l'Hôtel - de- Ville ,
pour être soumis aux délibérations des
Districts , toujours assemblés depuis le
milieu du mois dernier , soit en Comités
, soit en Assemblées générales. Il seroit
contre nature que ces soixante divisions
Citadines fussent en harmonie :
un accord aussi parfait seroit incompa
tible avec une liberté récente , et en in
diqueroit le sommeil. Quelques- uns de
ces Districts ont éprouvé assez de fermentation
, sur-tout à l'instant de la nomination
des Officiers de la Milice . Plusieurs
de ces Officiers ont été cassés après
leur Election , et le conflit des prétentions
à ces nouveaux Grades militaires
n'a pas encore permis , si le bruit
public ne nous trompe pas , de consommer
en entier cette promotion . Quantau
plan général de la Milice Nationale Parisienne
, il semble adopté en très-grande
partie . Les Gardes- Françoises , au nombre
de 2000 , se sont , dit- on , incorporés
dans la division de cette Milice , qui
sera soldée , et qui fera un service permanent.
Toute la semaine dernière à
été employée à des bénédictions de dran
v
( 298 )
peaux dans les divers Districts . M. le Marquis
de la Fayette a nommé au grade
de son Major-Général , M. de Gouvion,
qui s'est distingué dans la guerre d'Amérique
, et dont le choix a été approuvé
par l'Hôtel - de- Ville et par les Districts .
Nous élaguons l'histoire de tous les
petits dissentimens , contrariétés , incidens
minutieux , qui alimentent les Feuilles
journalières , et qu'on oublie le lendemain
de leur récit. Il est d'ailleurs
fort difficile d'en constater la certitude :
témoin les 17 Canons pris à l'Isle-Adam , -
chez M. le Prince de Conti , et qui se
réduisent à six , suivant l'attestation
signée de M. le Chevalier de Saint-Léger,
Commandant de cette expédition . Il
n'est pas moins faux qu'on eût trouvé
un magasin de bleds et de farines dans
le Château . L'Histoire du moment est
presque toujours négative , et condamnée
à détruire des rapports , encore plus
qu'à en faire.
Un très- grand nombre de Gardes -Suisses
ont suivi l'exemple des Gardes- Françoises ,
quoique liés par des devoirs différens : ils
ont abandonné leurs Casernes , et beaucoup
d'entr'eux_montent journellement la garde
dans les différens Districts . Dans l'origine ,
Ja plupart l'avoient fait avec la permission
de leurs Chefs ; délivrés de la discipline de
leur Corps , qui , comme on le sait , est une
discipline Nationale , ils se sont présentés à
P'Hôtel-de-Ville, pour y être incorporés dans
la Milice soldée. M. de la Fayette n'a voulu
( 299 )
recevoir que ceux qui s'étoient rendus à là
Ville , avant la Lettre du Roi à re Général :
les autres ont reçu leurs congés , & des passeports
pour sortir du royaume. Le soir s'éleva
une querelle entre la Caserne des Suisses
de Chaillot ; et quelques- uns de leurs Camades
, attachés au District du Roule , au sujet
d'un esponton pris par ces derniers , sur la
Caserne de Chaillot . M. du Rocher , Commandant
la Maréchaussée de Passy , et qui
jouissoit de l'estime publique , engagea le
District du Roule à restituer l'esponton , et
il en porta la promesse
à la Caserne
de
Chaillot
, accompagné
de M. Deschamps
,
Commandant
du Roule. Les Habitans
de ce
District
s'imaginant
que M. du Rocher
alloit
livrer leur Chef aux Suisses
de Chaillot
, le
suivirent
, blessèrent
M. du Rocher
; l'instant
d'après , cet Officier
reçut un coup de feu qui
le tua.
Versailles , comme Paris , est gardé
par la Milice Bourgeoise ; on y visite
ceux qui entrent et ceux qui sortent .
Des Députés à l'Assemblée Nationale, et
l'une des Princesses, n'ont pas été exempts
de cette formalité , poussée quelquefois
un peu trop loin . Cette même ville de
Versailles, dont l'aspect étonneroit étrangement
Louis XIV , s'il revenoit au
monde , a vu la semaine dernière un
spectacle digne de quelque réflexion .
Un garçon serrurier avoit tué son père
d'un coup de couteau , qu'il assura être
destiné à une servante , concubine de
l'auteur de ses jours . Condamné aux
termes de la loi , à être rompu , puis
n vj
( 300 )
jeté dans les flammes , on le conduit
au lieu du supplice. Cette roue , ce bu
cher , cet appareil effrayant enflamment .
la multitude; elle proclame la grace du
patient, et l'exécute . L'officier de justice ,
et son cortège se retirent ; on conduit
le parricide en lieu de sureté , et par
une espèce de compensation , digne des
Acteurs , on accroche à un reverbère
une femme du peuple , à laquelle on
attribue des propos de circonstance. La
corde casse , et la malheureuse renaît
pour deux jours , au bout desquels elle est
expirée.
Deux procès-verbaux du io , publiés
par l'Hôtel- de - Ville , nous ont appris
que , de l'Hôtel -de-Ville de Brie - Comte-
Robert , M. le Baron de Besenval avoit
été transféré au Château de la même
ville . Un , deux , et même trois Officiers
de l'Etat- Major , ne quittent point sa
chambre pendant le jour . A sa porte ,
sont en sentinelle , un Garde- Francoise
et un Volontaire de la Basoche. Le
château , très-gardé , est entouré d'un
fossé plein d'eau , et large de 20 pieds.
On assure que ce Général Suisse a conservé
la plus grande sérénité , et qu'ilsera
jugé par un Grand- Juré , Tribunal
encore inconnu dans le royaume.
Cette détention occupe le Corps Helvétique.
L'état des provinces semble moins agité
, graces à la récolte qui occupe les
( 301 )
Journaliers , et à l'activité des détachemeus
de troupes , ainsi que des Milices'
Bourgeoises . Mais toutes nos lettres attestent
une fermentation alarmante , et
l'effroi des Habitans paisibles. L'Alsace
et la Franche- Comté ont le plus souffert
de ces dévastations , combinées et exécutées
par la même classe d'hommes sur
les Châteaux , les Abayes , les Monastères
, et même sur diverses Manufactu
res. Voici ce qu'on nous mande de Colmar
, le 9 de ce mois.
» Nous avons eu une insurrection de la
part de notre Bourgeoisie ; mais le Magistrat
a préven les accidens , en déférant aux
vaux du Peuple. On a armé les Citoyens ,
et le calme règne dans cette Ville . Il n'en est
pas de même aux environs . Les Paysans des
Vallées ont commis les excès les plus affreux .
On a brûlé , dans la Haute-Alsace , nombre
de Châteaux ; l'Abbaye de Cuevilers est dévastée
; plusieurs Baillis ont été attaqués ét
chasses de leurs demeures ; on a expulsé les
Juifs du Sundgau , et brûlé leurs Maisons .
La plus grande fermentation régnoit aussi à
Ribeauviller , Chef-lieu des terres que possède
, dans la Haute - Alsace , le Prince Maximilien
de Deux-Ponts. On assure que ce Prince
a été obligé de quitter Srasbourg : on a calmé
ses vassaux par des sacrifices . C'est le Bureau
de la Commission intermédiaire de Colmar
qui a appaisé ces troubles . «
» Notre Bourgeoisie vient de changer son
ancienne Constitution ; elle s'est réduite à
quatre Tribus , au lieu de dix ; l'Administra
tion sera entre les mains de quarante huit
( 302 )
Echevins , dont huit formeront un Bureau d'administration.
« Vous savez ce qui s'est passé à Strasbourg :
on a pillé Hotel -de - Ville , et les Maisons de
deux Principaux Magistrats . Des Bourgeois ,
secondés des Troupes , avoient ramené le
calme ; mais il n'a pas été de durée. Le six
de ce mois , il y a eu de nouvelles Scènes .
La Bourgeoisie avoit accordé une gratification
aux Militaires ; on se livra d'abord à
la gaieté ; mais à la fin , le vin ayant échauffé
les têtes , les Soldats mêlés de Bourgeois , se
débandèrent dans les rues , et firent boire tous
les passans , sans distinction d'âge , de rang ?
et de sexe on força les prisons , on délivra
les prisonniers faits le jour de la première
insurrection. On se rendit ensuite à la Maison-
de-Force , d'où l'on fit sortir les person.
nes des deux Sexes , qui y étoient renfermées .
Les prostituées mises en liberté , se livrèrent
à toutes sortes d'excès. Le désordre étoit
à son comble , et les efforts des Officiers Supérieurs
, et autres , furent inutiles pour ramener
les Soldats à la subordination.
Du 12 , même lieu . La tranquillité est rétablie
à Strasbourg,
Plus de 1200 Juifs pillés , et expulsés
du Sundgau , de l'Alsace et de la Lorraine ,
se sont réfugiés à Basle , dont le Gouvernement
leur a fait délivrer des logemens
et des subsistances . On a débité qué
les Suisses avoient fermé leurs frontières
à tous les fugitifs ; une défense générale
de cette nature , deshonoreroit une Nation
, et les Suisses ne peuvent avoir
encouru un pareil reproche , quoique
( 303 )
la prudence leur eût dicté des précau
tions. L'incendie des Châteaux et le pillage
des Archives avoient gagné la Principauté
de Montbelliard et celle de Porentrui;
mais ces ravages ont été arrêtés
à temps. On assure que le Roi de Sardaigne
a fait marcher des troupes en
Savoie pour garder ses frontières.
Une lettre authentique de Vesoul , et
très-récente , puisqu'elle date du 13 , nous
instruit des détails suivans , sur la fidélité
desquels on peut compter.
» Je ne tenterai pas de vous rendre la fituation
de c Bailliage. Vous voulez des faits ; je
ne vous parlerai que de ceux de notoriété publique .
Les Abbayes de Clairfon aine , de Lure , de
Bithaine , & plufieurs autres de différens Ord´es ,
ont été investies par des bandes de payfans , auxquels
elles ont été forcées de remettre tous leurs
tres , leurs provifions de vins & de farines , &
pis que cela en divers lieux. Les Châteaux ont été
encore plus maltraités . Ce n'est point l'affaire de
Quincey qui a occafionné les premiers défaftres ,
puifqu'elle a eu lieu le dimanche 19 , à onze
heures du foir ; & le 16 , le Château de Saucy ,
apparterant à Madame la Princefle de Beaufremont
, avoit été attaqué , dévasté , & la Princeſſe
obligée de monter à cheval , déguifée , & de paffer
la rivière à gué . Le 18 , dévalations de Lure ,
Bithaine , & du Château de Molans ; le 3 au matin ,
celle du Château de Châtenoy.
Je fuis à même de fatisfaire votre curiofité
fur l'affaire de Quincey. Il eft aujourd'hui
conftaté , 1 °. Qu'il n'y a point eu d'invitation faite
par M. de Mefmay , ni aux Chaffeurs de notre
Garnifon , ni aux Bourgeois , ni à perfonne ;
( 304 )
2. que depuis le mercredi 15 , ce Seigneur étoit
abfent de fon Château : l'accident eft arrivé le
19 au foir. 3 °. On a reconnu qu'il n'y avoit ,
& qu'il n'y a jamais eu aucune trace de mine
dans l'endroit où étoit la poudre , & où l'explo
fio s'eft faite . 4 ° . Qu'il n'y a point eu de table
dreffée pour les convives dans et endroit , éloigné
du château de 50 pas. 5° . Que trois Dragors
& un adolefcent de 16 ans ont péri feuls. Deux
des Dragons étoient occupés d'un befoin ; e troifième
caufoit avec le jeune homme. 6°. Six habitans
feuls de Vef ul étoient réunis au Château
avec 50 Dragons ou Chaffeurs ; ceux- ci n'étoient
arrivés qu'à 9 heures du foir , & plufieurs fe'
trouvoient déja ivres . Quant à M. de Mefmay
il n'y a , jufqu'ici , aucune dépofition contre lui. »
1
» Nous favons tous , il eft connu de chacun
dans le Bailliage , que ce Gentilhomme fort riche
& agromare , forçoit les pierres à produire , &
que toute l'année il faifoir jouer la poudre dans
les rochers de Quincey. Avoit- il obtenu une pe
tite furface plane ? il y faifoit porter de la terre ;
au moyen de deux grues , & recueilloit da vin
excellent. Au moment de fon départ , il s'en
trouvoit 700 muids dans fa cave. Je ne fuis ri
fon apologifle ni fon accufateur ; je vous rends
des faits avérés : je me demande de p us , ce que
fignifie un complot contre quatre Dragons & un
enfant ? je me demande , pourquoi le confpirateur
n'a pas empoifoncé les mets & les vins fervis
à 56 convives réunis au Château , plurôt que
de faire périr ces quatre Dragons & ce ; enfat ?
Je me demande qu'elle efpèce de vengeance M,
de Mefmay avoit à exercer fur ces Dagons ?
Quoi qu'il en fait , cet évènement a été suivi
de défaftres bien plus déplo ables. Le château de
Vauxvilers eft abymné de la cave juſqu'au trît.
Madame la Duche de Clermont- Tonnerre a été
( 305 )
enlevée par fes domestiques , qui ont abattu un
pan de mur de fon parc , pour la faire fauver.
Réfugiée dans le faux grenier d'une maifon particulière
, elle y eft reftée cachée tous des fagots ,
jufqu'à l'inftant où Madame la Princeffe de Broglie
lui a envoyé , de Saint- Remi , un détachement de
Chaffeurs pour la conduire en lien de fureté. Ces
Chaffeurs ont infpiré du cou age à la Milice , qui
a pris les armes avec eux : douze des pillards ont
été tués, & 27 fai's prisonniers . ».
Le Comité de Vefoul a envoyé , dans toutes
les paroifles , le fignalement d'un homme qui a
emis dans plufieurs Communautés des ordres
faux , fignés Louis , par lefque's ils étoient autorifés
à faccager les Châteaux & les Monaftères
"
» Cetre fréréfie a paffé en Alface & en Lorraine.
Plufieurs gentilshommes s'étoient rafiemblés
à Chauvirey contre les brigands ; quelquesuns
ont été bleffés ; 24 des fcélérats agreffears
font reftés fur le carreau . Mademoiſelle d'A*** ,
en habit d'homme , paſſe pour en avoir tué trois
de fa main.
» La moiſſon ouverte nous a procuré une trève :
jefouhaite qu'elle amène une tranquillité conftante.
»
Le 12 Juillet , il y avoit eu un pillage de
grains à Rouen : la maison du Procureur
Général fut enfoncée et dévastée ; les
séditieux commirent ensuite cent dé-.
sordres dans la ville , forcèrent des magasins
de commerce , des moulins , etc.
Quelques-uns de ces malheureux furent
saisis ; il y en eut même d'exécutés. La
Milice Bourgeoise et les troupes ramenèrent
la tranquillité , et assurèrent la
libre circulation des bleds : le prix du
( 306 )
pain baissa à un taux fort- modéré , et
cet état de calme se prolongea jusqu'aux
premiers jours de ce mois.
- Un fieur J*** , venu de Paris , s'i: troduifit , à
cette époque , parmi la jeuneffe de Rouen , qui
formoit une troupe de Volontaires ; il parvint à
fe faire nommer Capitaine d'une Compagnie : dèslors
une fermentation fourde fe fit fentir ; la défunion
éclata biénôt entre les Volontaires & la
Milice Bourgeoife.
La fermentation augmentoit au point que le
Corps municipal & électoral ſe vit dans l'impo
fibilité de donner des Ordies , fans rifquer de compromettre
fon autorité , & de mettre aux prifes
les Citoyens contre les Citoyens .
Plufieurs mauvais fujets d'une des Compagnies
du Régiment de Navarre furent gagnés , & fe
mèrent parmi quelques-uns de leurs camarades ,
des idées d'infubordination qui gagnèrent de proche
en proche , & inquiétèrent vivement le Corps
des Officiers .
Dans ces conjonctures , le fieur B*** , Acteur
des Variétés de Paris , arrive le Lundi 3 du cou
rant , avec quelques- uns de fes agens , qui répan
dirent parmi le peuple qu'il étoit Deputé de Pa-
1is. Vers minuit une troupe de bandits , ayant à .
leur tête le fieur B*** qu'ils appeloient leur
Général, fe porte chez M. l'Intendant ( Magiftrat
qui jouit de la plus jufte confidération ) , brife les
portes de fon Hôtel , fait la recherche de fa perfonne
, avec les plus horribles imprécations , &
dem ndé fa tête. M. de Mauffion s'étant fouftrait
à leur fureur , i's commirent toutes fortes d'excès
dans fes appartemens , fe répandirent dans
fes caves , & s'y enivrerent.
Le lendemain matin , dès que ces miférables ,
dontle mot de ralliement étoit Caraba , euient cuvé
( 307 )
leur vin , ils fe réunirent fous les ordres de leur
Général , & fe portèrent à incendier tous les Bureaux
des Fermes.
Cependant les Chefs & Officiers du Régiment
de Navarre , qui avoient détruit la veille le complot
formé dans fon fein , furent prévenus que.
plufieurs de leurs Soldats , mêlés parmi la populace
, fe répandoient dans les rues de Rouen ,
en criant qu'ils alloient délivrer les prifonniers ,
s'emparer de l'intendant , & lui couper la tête .
Auflitôt on battit la générale , & les Officiers
coururent à leurs compagnies. Le Régimeut fit
bientôt entendre un murmure d'indignation , & demanda
la punition des coupables.
Pendant cet intervalle , le fieur B *** avoit
éé arrêté par une patroui le bourgoife , & mis
dans les prifons du Palais. Le fieur J *** , à la
tête d'une partie de fa Compagnie , vient le réclamer
au nom du Corps des Volontaires -Patriotes
, auxquels on le remit , pour ne point donner
*** fe lieu à une fciffion dangereufe. Le fieur B
mit dans la diligence pour retourner à Paris . Mais
le Corps des Volontaires ayant acquis de, lumières
fur le compre du fieur J *** & du ſieur
B*** , s'empatèrent du premier , & firent courir
après le fecond. Un détachement le rattrapa à
Magny, & le ramena à Rouen le lendemain matin.
L'un & l'autre ont été conftitués prifonniers ;
& , d'après les informations & dépofitions faites
contre eux tous deux ont été décrétés , & on
inftruit leur procès.
"
Le lendemain , deux des ircendiaires ont été
pendus. Les malfaiteurs , arrêtés par la pife de
leurs Chefs & de quanti é d'entre eux , plus encore
par l'harmonie rétablie entre tous les Corps
Militaires , les Citoyens & la Municipalité , fe
font diffipés , & ont rendu le calme à la Ville .
( 308 )
On a vu la semaine dernière , à l'art.
de l'Assemblée Nationale , l'attaque
d'un bateau de grains , faite par le Peuple
de Louviers , et sauvé par les Volontaires
d'Elbeuf. Deux de ceux- ci , MM.
Waast-Robert Dupont , et Quesné Dumoulins
, Députés à Versailles , nous
ont remis la relation suivante de cette
affaire , en en requérant la publication.
« Le 27 juillet passé , les Volontaires- patriotes
d'Elbeuf ont délivré du pillage un
bateau chargé de blé destiné pour Paris ,
attaqué par trois à quatre mille personnes ,
pres du village de Poser ; ils ont dû leur succes
à la nuit qui cachoit leur petit nombre , et
à l'heureux stratagême qu'ils ont employé
à leur arrivée sur les piilards , en appelant
à grands cris autour d'eux divers Régimens
qui n'existoient pas , et dont les noms seuls
les défendoient. Deux jours après , ils ont eu
le même bonheur , et au même endroit. "
«
Le 30 du même mois , un des leurs , le
sieur Guilbert , étant allé à Louviers , il fut
insulté par le peuple , qui , le reconnoissant
à son uniforme , pour un des Volontaires qui
deux fois avoient écarté les pillards , se prépara
à s'en venger ; on ne put le dérober à
cette fureur , qu'en l'enfermant dans un cachot
de la prison. La ville d'Elbeuf instruite de sa
cruelle détention , et invitée par un Député
de la Municipalité de Louviers , à se joindre
à sa Milice pour la délivrance de l'innocent ,
inforina du fait M. le Marquis d'Harcourt ,
Commandant de la province , qui sensiblement
touché du sort du malheureux Volontaire
d'Elbeuf , joignit aux Concitoyens du sieur
Guilbert , deux détachemens de Cavelerie et
( 309 )
Dragons , fortifiés encore de quelques braves
Volontaires de Rouen. Cette petite troupe
d'environ soixante hommes , s'étant présentée
à Louviers , où elle espéroit trouver la Garde
bourgeoise dans son parti , en fut reçue à
coups de fusils et de bayonnettes. Forcée par
sor Commandant de se retirer dans un faubourg
, pour y attendre les Officiers municipaux
de Louviers , elle en reçut la douloureuse
réponse , que la fureur du peuple étant
à son comble , on ne pouvoit rendre le prisonnier.
»
« Frémissant sur son sort , elle invite l'Hôtel-
de-Ville de Rouen à députer vers Louvier
, pour réclamer le sieur Guilbert. La députation
de Rouen , loin d'y réussir , fut à
son retour visitée par le peuple , qui vouloit
s'assurer si elle ne lui enlevoit pas sa victime.
Aussitôt PAssemblée manicipale et électorale
d'Elbeuf a envoyé à l'Hôtel- de - Ville de Paris
et à M. le Marquis de la Fayette deux
Députés , pour implorer leur médiation auprèsde
la ville de Louviers. »
« Deux Membres du Conseil des 120 les
ont accompagnés et présentés à l'Assemblée
Nationale , qui a arrêté d'écrire aux habitans
de Louviers , qu'elle avoit appris avec peine
la détention du sieur Guilbert , et qu'elle espéroit
qu'elle ne seroit pas prolongée. »
"
Déja l'Hôtel -de - Ville de Rouen avoit
envoyé à Louviers une seconde députation
plus nombreuse , laquelle ayant communiqué
aux habitans le danger auquel les exposoit
l'indignation des Troupes et des Citoyens
de Rouen, eut le bonheur de tirer l'innocent de
son cachot : il a été reçu avec affection par
( 310 )
M. le Marquis d'Harcourt , et par tous les
habitans de Rouen . Ses compatriotes d'Elbeuf
ont été au-devant de lui , et l'ont rendu à
son père , à sa mère , à sa ' amille éperdue. »
« Les éloges flatteurs que l'Assemblée Nationale
, l'Hotel- de - Ville de Paris et de Rouen,
et M. le Marquis de la Fayette ont donné
aux Volontaires d'Elbeuf , dans les lettres
de félicitation qu'ils leur ont adressées , et
l'accueil honorable qu'ils ont fait à leurs Députés
, sont pour eux la plus douce récom
pense de leur service , et l'aiguillon le plus
pressant pour les engager à continuer leurs
travaux au péril de leur vie .
>>
Suivant le rapport fait lundi à l'Assemblée
Nationale , et confirmé les
par
lettres particulières , la nouvelle du complot
contre le port de Brest , et revélé
par l'Ambassadeur d'Angleterre a
ranimé le ressentiment public contre
la Noblesse de cette province. Plusieurs
Gentilshommes , entr'autres M. de Botherel
, Procureur - Syndic des Etats , M.
de Tremergat , etc. ont été arrêtés et
enfermés aux Châteaux de Nantes et de
Saint- Malo , par les Milices Bourgeoises. !
Ils ont fait parvenir leurs plaintes à
l'ASSEMBLÉE NATIONALE , qui a renvoyé
l'affaire au Ministre , et arrêté d'écrire
aux Bretons de libérer les Gentilshommes
détenus.
« On a vu ſe renouveler à Caen , la femaine dernière,
une deces fcènes d'exécution fans forme de Pro
cès , fansjugement, & dont l'effet eft d'entretenir l'ef
fervefcence & d'empêcher le retour ſi néceffaire
du bon ordre & de la tranquillité, M. de Belzunce ,
( 311 )
Major du Régiment de Bourbon , accufé de s'être
permis des propos contre la Ville , avoit , à
la requifition du Comité , reçu de fes Supérieurs
l'ordre de s'éloigner. On fut qu'il n'avoit pas obé ,
& qu'il s'é oit retiré , le 11 , aux cafernes ; des
fentinelles Bourgeoifes furent pofté de tous côtés.
A onze heures du foir , un de fes amis s'approcha
du Bourgeois en faction , à la defcente du
Vaucelles ; celui -ci lui cria trois fois , qui vive ,
fans recevoir d'autres réponfe qu'un coup de piftolet
à bout portant , qui pourtant le manqua .
Le factionnaire lui caffa la tête d'un coup de ru
fil , & refta ferme à fon pofte ; on lui tira cinq
coups des cafernes fans le toucher. Le bruit attira
du monde ; en un quart- d'heure il fe trouva
un nombre confidérable d'hommes armés fur la
place des cafernes , où l'on braqui trois canons.
A deux heures du matin , 3 ou 400 Bourgeois y
pénétrèrent , s'emparèrent de M. de Belzunce , le
conduifirent au Comité , & de-là au château ; dans
la matinée ils retournèrent le chercher pour le
conduire , difoient- ils , au Comité. Arrivé fur la
place de Saint-Pierre , on lui déchargea fur la tête
un coup de croffe de fufil , qui ne l'abattit point ;
on voulut le dépouiller de fon uniforme , il réfifta
, & fut maffacré ; fa tête coupée fut portée dans
les rues. Peut-être auroit-on épargné la vie , fans
quelques femmes qui fuivo:ent & qui animoient
les hommes par leurs cris. »
C'est le 5 de ce mois que M: le
Comte D'ARTOIS arriva à Bonn , avec
le Prince d'Henin , son Capitaine des
Gardes , le Marquis de Polignac , le
Comte de Vaudreuil , le Vicomte de
Fleury , etc. etc. S. A. R. fut reçue au
Château par l'Electeur , et y est logée ,
ainsi qu'une partie des Seigneurs de sa
( 312 )
suite. On présumoit qu'après, quelque
séjour à Ban , ce Prince se rendroit
å Turin.
L‹ 8 , MM. le Prince de Condé , Duc
de bourbon , Duc d'Enghien , et Madame
la Princesse Louise de Condé ont
passé également à Bomm , sans s'arrêter ,
et ont pris la route de Coblentz , avec
une suite nombreuse , dans laquelle se
trouvoient , entr'autres , Madamela Princesse
de Monaco , le Marquis et la Marquise
d'Autichamp, le Comte d'Espinchal
, etc.
P.S. « Nous avons été priés d'annoncer
que MM. d'Alibert et Lucot , tous deux
Officiers des troupes du Roi , et se trouvant
à Paris à la suite d'un Procès , se
sont distingués en militaires patriotes ,
à la prise de la Bastille. »
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 17 août
1789 , sont : 26 , 7 , 62 , 82 , 33.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 AOUT 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. D*** de St - M *** , qui , à l'oc- :
cafion de mon Epitre à un Philanthrope ,
me difoit Filleul de l'Abbé de Chaulieu .
Dʊ
Non noftrum eft . VIRG.'
U charmant Prieur d'Oléron
Si je n'ai pas le bénéfice ,
Tu me décores de fon nom !
C'eft me faire un plus riche don
Pourvu que l'humaine malice
Ne me prête point l'artifice
Du Geai , qui voulut ( nous dit- on)
Paffer pour l'oifeau de Junon.
N. 35. 29 Août 1789.
122 MERCURE
Si doucement l'orgueil fe gliffe ,
Qu'à peine eft-il un coeur qui puiſſe
Se garantir de ce poiſon ;
Mais je fais me rendre juftice .....
Loin de prétendre entrer en lice
Avec ce Prêtre d'Apollon ,
(Quoique l'amitié m'applaudiffe )
Dans l'art des Vers encor novice ,
Tu me verras en cette efquiffe
Devant lui baiffer pavillon .
Oui , long-temps je fis mes délices
De ce Chaulieu , qui , Nourriffon
Des Mufes fes inftitutrices ,
Pour célébrer fes Bienfaitrices
Bégaya plus d'une chanfon :
Lui qui , né ſous l'Aftre propice
De Tibulle & d'Anacréon ,
Fut choifi par la Pythoniffe
Pour remplacer fur l'Hélicon
La Nymphe qui chanta Phaon ,
Et le Peintre heureux de Narciffe,
Epris de fes Vers enchanteurs ,
Dès les beaux jours de mon jeune âge.
A ce faveri des neuf Soeurs
Je m'empreffai de rendre hommage.
Tantot a l'ombre d'un bocage ,
Tantôt dans le calme des nuits ,
J'étois heureux avec ce Sage
Qui fe peignoit dans fes Ecrits ;
Et quand , pour de nouveaux pays,
2
DE FRANCE. 723
J'aimois à changer de rivage ,
Il étoit toujours du voyage
Dont il me fauvoit les ennuis ..
Vois , d'après ce tableau fidèle ,
Digne d'un plus brillant pinceau ,
Si je fuis loin de mon modèle !
Je le compare à Philomèle ;
Je m'affimile au Tourtereau.
Combien donc je ferois crédule
De m'en tenir à tes accens !
Quelle vanité ridicule ,
Si je jugeois mon Opufcule
Digne d'un fi flatteur encens
>
L'Aigle altier , en fon vol rapide ,
S'élance jufque dans les cieux ;
Tandis que , modefle & timide
Au fond des bois filencieux ,
La douse Colombe réfide .
Dans fon effor audacieux ,
Icare , à fon guide rebelle ,
Veut de l'Olympe radieux
Atteindre la cime immortelle s
Mais de ce jeune ambitieux ,
La chute ( leçon bien cruelle )
Fut toujours préſente à mes yeux.
Le Paon qui demandoit aux Dieux
Du Roffignol le doux ramage ,
A mon avis fut trop heureux
De ne pas perdre fon plumage.
(Par M. l'Abbé Dourneau. )
124
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
E mot de la Charade eft Champart; celui
de l'Enigme e Eternuement ; celui du Logogriphe
eft Lin , où l'on trouve Nil.
CHARADE.
Mox cher Lecteur , de mon dernier
Le Soleil eft le père ;.
On voit toujours dans mon premier
Du méchant le contraire :
Mci j'ofe te remercier
De lire cet ouvrage ;
Que le fouhait de mon entier
T'en foit le témoignage.
(Par M. Demont , Chefd'Efcadron au
Rég. de Normandie- Chaffeurs. )
ÉNIGM E.
JE fuis certain défaut que l'on reproche aux Bellesz
Les Amans fe plaignent de moi ,
DE FRANCE. 825
Je ne fais pourtant pas pourquoi.
Els difent , ces Meffieurs , que je fais des cruelles ;
Il eft vrai que fouvent je fais enrager l'un ,
Mais c'eft pour fervir l'autre avec un foin extrême;
Et tel en foupirant feroit fort importun ,
Qui me doit le bonheur fuprême.
( Par M. Lefevre. )
LOGO GRIPHE.
LE gros animal que je fuis !
Je veux offrir un doute à la raiſon humaine
Et je dis bêtement qu'un de mes pieds démis ,
Chacun peut m'avaler fans peine.
( Par un Abonne.
F 5
126 MERCURE
NOUVELLES LÍTTÉRAIRES .
›
SUR quelques Contrées de l'Europe , ou
Lettres du Ch. de *** , à Madame la
Comteffe de *** . 2 Vol. in - 8°.. avec
cette Epigraphe :
.
Quiconque ne voit guère ,
N'a guère à dire auffi ,
La Font. Fabl. des deux Pigeons.
Se trouve à Paris , chez Lejay , Libr. ,
rue de l'Echelie.
PREMIER EXTRAIT.
Les François ont mérité long - temps
le reproche de ne pas aimer les Voyages.
Ils ont enfin fenti qu'on a beau
être aimable , l'ignorance eft fouvent à
charge & toujours honteufe ; que tout ce
qu'on peut apprendre n'eft pas dans les
Livres que le grand Livre de la Société
humaine , qui pourroit feul tenir lieu de
tous les autres, & dont les autres ne peuvent
tenir lieu , eft compofé d'une infinité
de parties éparfes dans tout le monde ; &
que celui - là peut le plus intéreffer fes
femblables & fe plaire avec lui - même ,
qui a le plus confulté dans leurs formes
DE FRANCE. 127
originales , & comparé les unes avec les
autres les diverfes parties de ce grand Livre.
Tout homme inftruit , qui voyage pour
s'inftruire encore fe fent porté à fixer
fur le papier les connoiffances qu'il acquiert
, les obfervations qu'il fait , les réflexions
& les fentimens que lui infpire
le ſpectacle des Nations étrangères. A ſon
retour , il foumet à fes amis ce recueil
qu'il n'a cru d'abord former que pour fon
ufage fes amis l'engagent à les communiquer
au Public , & le voilà devenu Auteur
fans en avoir eu le projet.
De là cette multitude de Voyages , qui,
depuis quelques années , ont paru fucceffivement
en France , & qui nous ont fait
connoître les régions Orientales , l'Egypte ,
la Grèce , & les nouveaux Etats Améri
eins , & les anciennes Conftitutions Européennes
; les parties de l'Europe encore
infectées des restes de la barbarie , celles où
la Politique domine & celles où règnent
les Art:.
,
Parmi ces Voyageurs , les uns difent feulement
ce qu'ils ont vu , ce qu'ils ont entendu
ce que tout autre à leur place
pourroit voir & entendre : les autres, exercés
à penfer , on doués d'une imagination
active , réfléchiffent fur tous les objets qui
les frappent , jugent , comparent , laiffent
aller leur efprit & leur ame , & parlent
en même temps à l'ame & à l'efprit de
leurs Lecteurs.
F
22S MERCURE
C'eft dans cette dernière claffe qu'il faut
ranger l'Auteur de ce nouveau Voyage ,
qui paroît fous un titre modefte , mais où
l'on trouve des obfervations fines , des fentimens
nobles , des idées juftes , un ftyle
pur , une profe vraiment françoile , ce qui
n'eft pas aujourd'hui très - commun , & qui
plus elt , de fort jolis vers , quelquefois
même de très beaux vers.
Chapelle & Bachaumacar nous ont donné
le premier Elai de cette manière d'écrire,
un Voyage , moitié vers & moitié profs.
Leur badinage cft plein de graces & de
ceue aimable facilité qui vaut mieux que
le bel- efprit ; mais ce n'eft qu'un badinage.
Ils ont eu quelques imitateurs plus ou
moins heureux ; perfonne n'avoit encore
employé cette méthode dans un Ouvrage
de quelque éren.lue , & fur des matières
fouvent graves & élevées. Nous verrons
bientôt avec quel fuccès M. le Chevalier
de *** en a fait ufage.
Il part de France pour l'Italie , & revient
par la Suiffe. De là quelques obfervations
fur la France d'abord , enfuite des réflexions
fur la Patrie des Arts , & enfin fur
celle de la Liberté & des Maurs . Tout fenbloit
dit fur l'Italie : en lifant ces Lettres ,
on voit que tout ne l'étoit pas . Ce qui regarde
la Suiffe paroiffoit épuifé : fous la
plume du nouveau Voyageur , c'ekt une
matière toute nouvelle .
J'ai dit le nouveau Voyageur , & cepenDE
FRANCE. 129
dant ce Voyage n'eft pas nouveau. Il exif-`
toit depuis plus de vingt ans dans le portefeuille
de l'Auteur. En le publiant, il paroît
l'avoir retravaillé d'un bout à l'autre ,
& y avoir inféré des chofes relatives aux
évènemens actuels , quand la matière l'y
invitoit . En écrivant fon Ouvrage , comme
en le retouchant , on voit qu'il s'eft livré
avec un abandon également heureux à la
facilité de fon talent & à la franchife des
fon ame..
Le commencement de la Lertre VIIF
nous apprend ce qu'eft M. le Ch . de ***..
" Des efclaves Chrétiens s'étoient emparés ,
» d'une caravelle du Grand Seigneur , l'a-
» voient conduite à Malte , & vendue à
l'Ordre ; le Roi de France ne l'avoit pas
» encore rachetée pour la renvoyer à
Conftantinople . On armoit dans tous les
» ports de l'Empire Othoman ; l'Ifle étoit
menacée , & le Grand Maître nous avoit
appelés à fa défenfe. Le devoir & l'hon-
» neur m'ordonnoient de partir pour Mal
& c. "
"
n
»
» te ,
On voit que l'Auteur aime fón Ordre ;;
il combat quelques préjugés qui lui font
contraires : il loue l'Adminiſtration de
Malte , & donne fans emphafe des preuves:
inconteftables de fa fageffe . " Quand l'Or-
» dre prit poffeffion de cette Ifle , que la
politique & la fierté de Charles -Quint:
» lui firent tant acheter , il n'y trouva que
quelques hameaux , difperfés çà & là…
* E
S
130 MERCURE
23
fur des rochers ftériles. Aujourd'hui deix
» grandes Cités lɩ décorent : elle eft cou-
» verte de jolis villages , de belles maiſons
» de campagne , & d'une population étonnante
, figne le moins équivoque , fur
un rocher tel que Make , du bonheur
• des hommes & de la douceur du Gouvernement.
Vingt-cinq mille habitans y
» font toujours prêts à prendre les armes
» au premier fignal. Cette petite Iſle eft
"
23
3
une preuve frappante de ce que peuvent
» l'induftrie & l'activité , quand elles ne
» font ni gênées par des Loix prohibitives,
» ni tourmentées par d'abfurdes Adminif
» trateurs. Ces deux agens des Peuples heu
reux font parvenus à féconder le rocher
de Malte broyé à deux & trois pieds de
profondeur , il produit des légumes excellens
, des arbres fruitiers de toute efpèce
, des orangers , dont on fait un
commerce confidérable ; du raiſin , de
l'orge , & le coton le plus eftimé de la
Terre. N'oublions pas d'obferver que &
la Nature , forcée à Malte par d'infati
gables Cultivateurs , les dédommage de
» leurs travaux le Gouvernement n'en
» partage point le fruit avec eux ; l'exemption
de toute eſpèce d'impôts achève
d'embellir ces rochers aux yeux de leurs
poffeffeurs. Ce que le Maltois cueille eft
» à lui , à fa femme , à fes enfans , &
n'eft point dévoré d'avance par l'impitoyable
Publicain : enfin eette colonie
"2
»
*
DE FRANCE.
130
"3
» d'Arabes forme peut-être un des tableaux
politiques les plus curieux de la Terre ;
" tableau que Lycurgue eût admiré ,
qui n'eft pas affez connu «<.
&
Après cette énumération rapide des avantages
de ce petit Gouvernement , le coeur
de M. le Ch. de *** s'échauffe , & il exprime
fes fentimens dans un langage plus
favorable que la profe aux élans de l'imagination
& de la fenfibilité .
O mes Confrères généreux !
Nobles Membres d'un Corps illuftre ,
Vous rendez les Maltois heureux ;
Et c'eft-là votre plus beau lufire.
Oui , je veux offrir quelque jour ,
Aux yeux de l'Europe étonnée ,
Cette Peuplade fortunée
Que la bienfaifance & l'amour
A vos Loix avoient deſtinée.
Je veux qu'au bout de l'Univers
On refpecte ce coin de terre
Où le Sujet marche fans fers ,
Et le Souverain fans tonnerre .
On verra la fimplicité
De ce Chef- d'oeuvre politique ,
Dont la bafe eft l'égalité
Dont la juftice & la bonté
Font mouvoir le reffort unique.
Dans fon ftyle un peu trop diffus
Vertot , fur nos remparts en cendre ,
F 6
132 MERCURE
A célébré les Alexandre ;
Et moi je peindrai les Titus.
Ceci conduit l'Auteur à une difcuffion
eritique au fujet d'une certaine Lettre
écrite de Malte il y a quelques années par
un de nos meilleurs Poëtes à une jolie
femme de Paris : cette jolie femme eut ,
comme on fait , l'imprudence de la faire
circuler dans le monde , elle fut même im
primée ; & M. le Ch . de *** a cru qu'il
étoit de fon devoir d'y répondre . Il le fait
fur tous les points d'une manière auffi décente
que victorieufe . On peut juger par
ce qu'il dit en finiflant cette réponſe , des.
juftes égards qu'il y a mis. » M. l'Abbé
» il ne peut m'être agréable de me mefu-
" rer avec vous. Vos vertus me font con-
" nues , & je fais vos vers par coeur ; mais
plus j'attache de prix à votre eftime
» moins j'ai dû vous paffer des farcafmes
» que trop d'efprits fuperficiels pourroient
prendre pour règles de leurs jugemens ..
» L'erreur des hommes tels que vous , eft
toujours plus ou moins contagieufe ; c'eft ,,
entre mille autres , un des inconvéniens
attachés à la célébrité «.
33
""
1 .
Il feroit à défirer que la critique parlât
toujours ainfi on n'en auroit pas moins
raifon ; & l'on rendroit la raifon aimable
, même à ceux à qui elle fereit con-
Taire..
y a peu d'Ouvrages où la philofophic
DE FRANCE. 733
& les connoiffances hiftoriques foient aufli
néceffaires & puiffent être auffi heureuſement
employées, que les Voyages . Un efprit
cultivé , une mémoire fidelle , éclairent ,
pour ainfi dire , l'oeil de l'Obfervateur . Pag
des rapprochemens ingénieux , il enrichit
les fcènes préfentes du fouvenir des feènes.
paffécs. Un monument lui rappelle des
Peuples entiers ; une pierre lui retrace tout
un Empire. C'eft une vérité dont on trouve
de fréquens exemples dans ces deux Volumes
; en voici un pris au hafard.
" On demandoit à un Philofophe ce qu'il
» avoit vu en Grèce : Le Temps , répondit-il,
" qui démolifoit en filence. Ce mot n'a pas
" befoin de commentaire : toutes les idées
39
qu'il fait naître vous affaillent dans les
» environs de Naples. La terre y eft jonchée
de monumens antiques . On y mar
che fur des ruines . De la colonne bri
fée , fur laquelle on fe repofe on s'enfonce
dans le paílé , on s'élance dans
l'avenir. Le voile du Temps fe déroule..
Je voyois paffer devant moi & ces Empires
détruits les uns par les autres , &
ces grands perfonnages devant lefquels fe
taifoit la Terre étonnée ; & cette fuite de
Céfars , qui ont tous fini par une mort
violente ; cat on fait que le premier fut
affaffiné par Brutus , & que Livie fut
fortement foupçonnée d'avoir avancé les
jours d'Augufte . Tibère mourut étouffé par
l'ordre de Caligula , lequel , à fon tour
ر و
242 22
134 MERCURE
fut poignardé par Chéréas. Le poifon
» termina la vie de Claude ; & Néron fut
» contraint de fe tuer lui-même, &c. “..
L'Hiftoire & la Philofophie Orientale
viennent alors joindre dans l'imagination
du Voyageur , un de fes tableaux à celui
de l'Hiftoire Romaine. " A cette étrange
» deftinée de tous les Céfars , dit - il dans
une Note , on pourroit joindre certe
» réflexion d'un Vieillard Arabe . On apportoit
à un Calife de Syrie la tête de
» fon concurrent au Califat. Tous les
" Courtifans , fuivant l'ufage , le félici-
وو
"
"
toient fur fon bonheur. Le Vieillard
» feul gardoit un profond filence . A quoi
penfes-tu done , bon homme , lui dit le
Calife ? Je penfois , répondit le Vieillard
, que dans cette même place où je
» fuis , j'ai vu préfenter la tête de Hofein
à Obeid, celle d'Obéid, à Moktar ; celle
» de Moktar , à Mufab ; & que voilà celle
» de Mufab qu'on te préfente. Je penſois
encore que mon père avoit cent ans
lorfque fa vie s'éteignit tout doucement
dans mes bras ; que j'en ai quatre-vingts,
» & que je vis dans l'efpérance , quand je
» rendrai mon corps aux élémens , de ren-
" dre auffi mon dernier foupir dans le fein
» de mon fils «.
"
"
De Naples , notre Voyageur fe rend à
Rome. Il ne décrit point ce que tant d'autres
ont décrit avant lui ; il ne s'égare point,
par exemple, dans les détails de l'églife de
DE FRANCE. 135
S. Pierre ; mais il raffemble en peu de mots
tout ce qui en peut donner une idée immenfe
; & il termine ce tableau par une
comparaifon d'un genre nouveau entre ce
Temple & celui des Dieux du Paganiſme .
و د
Quand il n'y auroit que Rome dans
» toute l'Italie , il faudroit fe rendre à
» Rome de toutes les parties du Monde ;
& quand il n'y auroit à Rome que le
feul Temple de S. Pierre , il faudroit y
» venir encore ; il faudroit voir ce monu-
" ment que Montefquieu compare aux
Pyrénées , où l'oeil , qui d'abord croyoit
les mefurer , découvre des montagnes
fe perd toujours davantage .....
93
»
"
Deux Etrangers étoient à Rome du
» temps de Léon X ; ils viatoient le Pan-
» théon , & ne fe laffoient point d'admirer
» ce chef- d'oeuvre de l'architecture antique.
Le Bramante aura beau faire , difoit
» l'un d'eux ; il n'imaginera rien au delà
» de cette coupole. Il fera mieux , répli-
» qua le Bramante qui étoit là , & que les
» deux Etrangers ne connoifloient pas ; il
» faura fe donner un point d'appui dans
» les airs , & y porter cette coupole
» énorme. Ne croit-on pas entendre , ne
» croit-on pas voir un de ces fiers Titans
qui entaffoient Offa fur Pélion ?
ל כ
"
33
و د
Epuifons cet article gigantefque. Il
fallur plus d'un fiècle , le règne de qua-
" torze Papes , & 250 millions de noure
monnoie , pour achever cette Bafilique . Le
ม
13
MERCURE 1;5
23
»
23
"
22
20
و د
39
baldaquin du grand autel n'a pas moins
de 121 pieds de hauteur , & furpaffe de
plus de 20 pieds le fronton du Louvre ;
il est formé de 200 mille liv . de bronze
qu'on a arraché du périftile & de la voûte
du Panthéon : les quatre colonnes torfes
qui foutiennent le grand autel , ont été
faites des feuls clots qui attachoient
dans le Panthéon , la couverture du portique.
Genferić , Roi des Vandales , l'a-
» voit dépouillé d'une porte de même mé
tal , & les Vandales qui régnèrent depuis
» à Rome , n'ont pas rougi d'imiter ce Barbare.
Au refte , ils l'ont dégradé , fans
" pouvoir le détruire , ce monument fi
noble du bean génie des Anciens' ; & ils
» ont décoré l'églife de S. Pierre, fans pou
voir lui rendre la folidité qui lui manque.
Léfardé même avant que d'être
» fini , & fortifié tous les ans par des mil
liers de livres de fer , dont on le lie dans
» tous les fens , on tremble à Rome qu'il
ne foit menacé d'une ruine prochaine.
» L'ancien Temple des Dieux eft là pour
» braver fon faftacax vainqueur , auquel il
femble dire dans fa beauté mâle & r0-
bulle " :
ود
"
و د
Quoi ! deux fiècles , à peine écoulés fur ta tête,
Ont ébranlé déjà tes foibles fondemens !
Les miens font affermis du poids de deux mille anst
Sur ces bords défolés ton Dien fit ma conquête.
DE FRANCE. £37
·
Je devins le tombeau de fes Martyrs fanglans :
Je reçus dans mon fein leurs triftes offemens :
J'envis pâlir mes Dieux. Bientôt mon front fuperbe
Fut dépouillé pour toi de tous fes ornemens .
Le Temps amènera de nouveaux changemens
Mais tu feras alors enfeveli fous l'herbe ;
Etj'aurai fatigué les Deflins & le Temps.
Je ne fais fi je me trompe ; mais cette
profopopée du Panthéon me proft auft
fublime qu'elle eft neuve , elle fail : l'imagination
; elle y imprime une grande image,
cile invite à des réflexions profondes . On
a beaucoup parté du Panthéon ; il étoit réfervé
à M. le Ch . de *** de le faire parler,
& de lui donner un langage qu'on eût appelé
celui des Dieux dans les temps où ce
monument leur étoit confacré.
Oppofons à ces grands coups de pinceau
le joli portrait des Payfannes de l'Etat de
Florence rien ne peut mieux prouver la
foupletfe du talent de l'Auteur.
"
""
On admire la plupart des villes d'Italie
, & l'on feroit tenté de s'établir å
» Florence . Cette ville , furnommée la
Belle , eft traverfée par l'Arno , & dans
" une fituation charmante . L'Ariofte en
" trouvoit le féjour préférable à celui de
Rome , & l'Ariofte étoit connoiffeur.
J'aime à penfer qu'Ifabelle , Ang lique ,
» & quelques autres Héroïnes du Roland
furieux , font les portraits des Maîtreffes
,,
"
138 MERCURE
» que le galant Ariofte eut à Florence , &
» dont les fatires & les éloges reviennent
" tour à tour & fi fouvent dans fon Poëme
» immortel . Ce que les femmes de Flo-
" rence étoient au fiècle de l'Ariofte .......
و د
"3
. و ر
»
elles le font encore aujourd'hui . Si Fontenele
avoit voyagé en Tofcane , je di-
» rois que c'eft- là qu'il écrivit fes Eglogues.
" Je dirois qu'il a modelé fes Bergères fur
les Payfannes des environs de Florence.
Le fang y eft d'une beauté , d'une pu-
» rezé dont je n'ai vu d'exemple que dans
quelques cantons de la Suiffe . L'ajuſte-
" ment de ces Payfannes eft plein de grace
& de coquetterie. C'est un jufte fans
" manches ; ce font des rubans de diverfes
» couleurs , qui , de l'épaulette à laquelle
ils font attachés , pendent & volrigent
» au gré du vent : c'eſt un jupon court ,
» ordinairement de couleur écarlate : c
» un chapeau de paille, mis fur l'oreille,
" & garni de fleurs commie les cheveux.
" Encore une fois , ceux qui reprochent à
» Fontenelle la gentilleffe de fes Bergères ,
» n'ont pas vu celles des environs de Flo
"
33
≫rence ".
Le Poëte , le Peintre , & l'amant , & l'époux ·
Trouvent dans ces belles campagnes
Des fites raviffans , un air pur , un ciel doux ,
Tous les biens en un mor ; & ce quiles vaut tous
L'Amour & fes Seurs pour compagues.
DE FRANCE. 159
PENSEES fur différens fujets de Morale &
de Piété, choifies dans les Sermons de
M. Boffuet , Evêque de Meaux ; précédées
de quelques Réflexions fur le caractère
de cet Orateur & des autres grands
Prédicateurs de fon fiècle. In- 12. A
Paris, chez le Clerc, Lib. rue S. Martin,
N. 254 ; Baillard , rue Neuve St. Roch.
M. l'Abbé Barret , Editeur de ce Recueil
, a fait preuve en même temps de
bon goût & de fes bons principes. Son
efprit & fon coeur fe montrent également
d'une manière recommandable.Son Difcours
préliminaire eft eftimable par le fond des
chofes , & par la manière avec laquelle elles
font préfentées. On a beaucoup parlé du
genre des Sermons de Bofluer , & on n'a
pas mieux dit que M. l'Abbé Barret , qui
ne copie perfonne. Dien , dit - il , eft dans
les Sermons de Boffuet , comme dans le
Difcours fur l'Hiftoire univerfelle , le feul
principe, le feul agent, l'ame qui vivifie tout ;
tout y émane de lui , tout y ramène à lui ,
tout y dévoile une Providence vigilante ,
à qui rien n'échappe , qui difpofe , qui crée
les évènemens pour fa gloire , & les dirige
avec une fageffe auffi douce que majeftueufe
. Mais pour les bien apprécier , il
faut les lire plufieurs fois. Nous n'adopterons
cependant point fon opinion , quand
il met pour le fublime des idécs ces Ser€
40 MERCURE
mons au deffus de ceux de Maffillon & de
Bourdaloue ; nous n'en trouverons pas moins
bon pour cela le rette du parallèle entre
Maffilon , Boffüct & Bourdaloue . Ce paparallèle
, à la conclufion près , donne la
mefure des connoiffances de M. l'Abbé
Barret , qui parle trop bien de l'éloquence ,
pour n'etre pas Orateur à fen tour. " J'ai cru
faire pla , dirail , en sappi dit-il ' en approchin quel
ques-unes beary morceans qui m'ent
le plus fappé dans la lectie des Sermens
de Boffhet , & en les préfentant au
Public dans une espèce de Manuel «. Tel
eft en peu de mots le plan de M. l'Abbé
Barret. Le choix bon ou mauvais pouvoit
feal faire le mérite de fon Recueil ; mais
a-t-on à craindre un mauvais choix , quand
il s'agit de réduire Boffuet Nous raffurons
far ce point volontiers nos Lecteurs , &
M. l'Abbé Barret eft très propre à inſpirer
la plus grande confiance .
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
DEPUIS le dernier compte que nous avons rendu
de ce Spectacle , on y a repréſenté trois nouveautés
; un Opéra Italien , une Comédie , & un Drame
héroïque. Ce Drame eft intitulé : Camille , Dietateur
pour la troifieme fois . Elle eft de M. le Chevalier
Aude. Elle a paru écrite avee élégance &
DE FRANCE. 140
nobleffe. Des allufions délicates & bien appliquées
aux circonftances préfentes , en ont augmenté le
fuccès. L'autre cft une Comédie intitulée : la Confiance
trahie. Elle eft d'un homme de beaucoup de
mérite , & remplie de détails ir finiment agréables,
Mais quelques longueurs dans les développemens .
le caractere principal qui a para exagéré , & un
autre peut -être un peu odieux , ont excité des murmures.
Il eft à préfumer qu'avec quelques changemens
cet Ouvrage réuliroit plus complettement.
La troifiere nouveauté eft l'Ifola "a fabitata ,
Drame Italien de Métaftafio , mis en mufique par
M. Mengezzi . Cet Ouvrage eft une fone de
tentative d'Opéra férieux. Le Compofiteur , qui
a defiré у donner une certaine étendue , a prolongé
en deux Actes une action qui ne comportoit
peut- être pas cette durée . La fituation des
perfonnages ne pouvant changer qu'au dénotement
, il n'a pu y introduire affez de variété. 11
gagneroit peut-être à faire le facrifice de quelques
beautés , car chacun des morceaux a paru
réunir tous les fuffrages. On a fur- tout diftingué
Touverture , le trio qui termine le premier Acte
& les deux morceaux de femme du fecond. L'Ouvrage
néanmoins a fait beaucoup de plaifir , &
doit faire le plus grand honneur aux talens de
M. Mengozzi .
Il a été en général parfaitement exécuté. Mais
nous ne ferons de mention particuliere que de
Mlle. Simonet , jeune Françoife , qui débute fur
la fcène Italienne de la maniere la plus brillante.
Dans un âge où l'on donne à peine des efpérances,
elle montre déjà un talent très - perfectionné. Sa
voix , qui doit prendre de la force avec les années
, eft très -fonore , très - jufte , extrêmement
Aexible, & d'un timbre très -flareur . Elle joue avec
beaucoup de grace & d'intelligence , & annonce
infiniment d'efprit. Mlle. Simonet eft éleve de
M. Mengozzi.
142
MERCURE
ANNONCES
ET NOTICES.
ON
N mettra en vente , Lundi prochain , 31 da
courant , Hôtel de Thou , rue des Poitevins ,
33e. Livraiſon de l'ENCYCLOPÉDIE.
la
Cette Livraiſon eft compofée du Tome III ,
rre. Partie de la Logique & Morale ; du Tome
III , 2me. Partie de l'Hiftoire , & de la 2me , Livraiſon
des Planches de l'Hiftoire Naturelle , par
M. l'Abbé Bonnaterre , dédiée & préfentée à M.
Necker , Miniftre d'Etat , & Directeur Général des
Finances .
Le prix de ces deux demi -Volumes de Dif- cours cft de 6 liv. en feuilles , ou de 3 liv. chacun
6 liv.
pour les Soufcripteurs
, ci ...
La Livraiſon de l'Histoire Naturelle , compofce
de 80 Planches , à 4 f. , ci ..
Brochure & Difcours ,
Brochure des deux demi -Volumes ,
Total ,
16 liv.
1 liv.
I liv.
24
liv.
Le port de chaque Livraiſon of au compte des
Soufcripteurs.
Hiftoire Naturelle des Serpens , par Mr. le
Comte de la Cépède , Garde du Cabinet du Roi ;
in-4° . Prix, 15 liv. en blanc ; 15 liv . 10 f. broché,
& 17 liv. relié.
Le choix que M. de Buffon a fait de M. de la
Cépède pour exécuter les parties de l'Histoire Na- turelle , eſt une des meilleures preuves de la bonté
de l'Ouvrage que nous annonçons . L'Auteur a fait
connoître depuis long-temps , par des Productions confidérables
, l'étendue de fes connoiffances
.
DE FRANCE. 143
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Verdun ; -de Bouillon ; -de Genève ; →Eccléfiaſ-
Chrétien ; -de Monfieur, par M. l'Abbé
d'Education ; Littéraire ; de Littérature
; Général de France ; - de Paris ;
de Nancy ; de Librairie ; Britannique ; →
Anglois , &c. Le Mercure François ; -le Mercure
Galant , depuis fon origine en 1672, continué fous
le titre de Mercure de France. L'Année Littéraire
, Fréron . Les Caufes célèbres . — L'Ef
prit des Journaux , Gazettes des Tribunaux ;
tique ;
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- des Mufes ; des Etrennes du Parnafſe ;
de l'Etat Militaire, &c. Le Confervateur, ou Choix
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fur quelques Ecrits de ce temps . Obfervations
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République des Lettres de Bayle , &c.
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in-folio. Académie des Sciences & des Infcrip
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& in-4° . Hiftoire Univerfelle , in -4 °. & in-8 ° .
Le Plutarque François , par Turpin , in-4°.-
Diabonnaire de Morery ; Trévouxde
la
Martinière ; de Bayle ;
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---
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Bibliode
Médecine , le tout
in -folio & de la dernière édition , &c. &c.
VERS .
TABLE.
Charade , Enig. & Log .
Sur quelques Contrées.
121 Penfées.
124 Théorre de Monfieur.
126 Annonces & Notices.
19
.140
142
'
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 4 Août 1789.
LES opérations de l'armée en Finlande ,
deviennent de jour en jour si importantes
, elles nous préparent à des évènemens
si décisifs , qu'il devient nécessaire
d'en recueillir le Journal exact , depuis
l'instant où Sa Majesté a passé le fleuve
Kymène , et pénétré sur le territoire de
l'Ennemi.
Dès qu'une partie de l'armée sous les ordres
du Lieutenant- Général de Platen fut rassemblée
à Elimæ , et le reste sous les ordres
du Lieutenant- Général Baron de Siegroth ,
parvenu à Kasala , l'armée entière se mit en
marche , le 23 Juin , vers les frontieres , par
les villages Wilikala , Anjala et Verche , où
l'on jeta un pont pour passer le fleuve de
Kymene. Plusieurs batteries sur les hauteurs
assuroient notre passage. L'ennemi , posté de
l'autre côté de la rivière , tira sur nos batte
No. 35. 29 Août 1789.
14
( 314 )
3
ries ; mais leur feu ayani bientôt démonté
ses canons , il fut contraint à se retirer. Le
25 , quelques uns de nos Chasseurs passerent
le fleuve , et se rendirent maîtres du village de
Makikovala ; et le 26 , toute l'armée passa
le pont , et campa de l'autre côté de la rivière.
Les Russes se retirèrent jusqu'à Uttismalny ,
pour se joindre aux troupes postées à Kaipias
près de Davidsstad là , ils furent renforcés
par 2 bataillons du régiment .Welika-
Julski , 2 Escadrons des Cuirassiers du Grand-
Duc , et par plusieurs Corps de Cosaques et
de Tartares . Instruit que les Russes étoient
dans l'intention de nous attaquer pendant la
nuit du 22 au 29 , et qu'ils devoient être
soutenus par plusieurs Corps , du côté de
Wiala , le Roi marcha , le 28 , à trois heures
du matin , avec trois bataillons des régimens
de Westmannie et de Weskerbottaie , 100
Chasseurs , un escadron des Dragons des Gar
des , et 50 Dragons de Carelier. Pour sontenir
ce Corps , le Lieutenant - Général de
Platen fut commandé , avec 2 bataillons des
régimens de Kronoberg et d'Ostrogothie ,
un escadron de Dragons et 2 canons , pour
rester à la distance d'une werste . L'avantgarde,
composée de Chasseurs et de Cavalerie
légère , fut commandée par le Colonel de
Pauli. Le Lieutenant - Général de Siegroth
resta au camp , avec les autres troupes pour
défendre le pont et pour observer les nouvemens
des Ennemis , rassemblés près de
Friderischam . Les Russes se mirent en ordre
de bataille , à 3 werstes de leur camp. Leurs
forces consistoient en 2 bataillons de Chasseurs
tout le régiment de Welikaluski , un
bataillon des Grenadiers des Gardes , quelques
escadrons de Cuirassiers et plusieurs
( 315 )
compagnies de Cosaques , de Tartares et de
Baschires ; 5 à 6 canons étoient rangés sur
le grand chemin , qui , dans cet endroit , traverse
une forêt. Le premier bataillon du régiment
de Westmannie se unit à l'instant en
mouvement pour seconder l'avant - garde .
L'attaque de l'Ennemi fut très - opiniâtre ,
et repoussée avec la même vigueur par le
régiment de Westmannie. Pour secourir d'autant
plus efficacement l'aile droite , Sa Maj.
envoya sa propre Garde- du- Corps , qui consistoit
en 24 Dragons. Le Général de Platen
étant arrivé , il fit placer quelques canons
de 6 livres en avant , marcha lui- même avec
le régiment de Kroneberg pour tourner l'aile
gauche des Russes , pendant qu'un bataillon
d'Ostrogothie alloit rejoindre le régiment de
Westerbottnie, qui devoit tourner l'aile droite.
Cette manoeuvre contraignit l'ennemi à la
retraite , jusqu'à son camp de Uttismalni , où
il se forma de nouveau en ordre de bataille.
Les nôtres le poursuivirent avec célérité , et
le régiment de Kroneberg , ayant passé un
marais , le prit en flanc , en même temps
que le reste des troupes l'attaquoit de l'autre
côté : l'Ennemi perdant son ordre de bataille ,
prit la fuite , laissant nombre de morts et de
blessés , plusieurs drapeaux , chariots de munitions
, et approvisionnemens qu'il n'eut pas
temps d'emmener. Une marche forcée pendant
une pluie continuelle, un combat sanglant
de 5 heures , avoient trop alloibli les forces de
nos troupes , pour qu'il fût possible de poursuivre
l'ennemi , qui se retira jusqu'à Kaipias.
Le Roi retourna au camp , laissant un
bataillon à Korsmalmon. Notre perte fut d'un
Officier , le Lieutenant de Rosen , tué , et deux
blessés. Quatorze Soldats tués et 85 blessés ;
le
o ij
( 316 )
on a trouvé 40 Russes morts sur le champ de
bataille ; plusieurs ont été tués dans les bois.
Les déserteurs ont assuré que presque tous
les Canonniers de l'ennemi ont péri .
Le 30 juin , les Russes furent entièrement`chassés
du village de Wiala, où le Général Siégroth
rejoignit le reste de l'armée , commandée
par le Roi, et sous lui , par le Général de Platen,
Le 2 juillet, à 4 heures du matin , l'armée
se mit en marche sur trois colonnes : l'une
conduite par le Roi , la seconde par le Baron
de Siégroth, et la troisième , avec le bagage ,
par le Lieutenant- Colonel Baron de Frisendorff.
Ces trois colonnes suivirent le grand
chemin vers Fridericsham , à 3 verstes de distance
l'une de l'autre, jusqu'à ce que la colonne
sous les ordres du Roi prit le chemin de
Memela par un pays très - montagneux , et que
l'ennemi croyoit impénétrable aux bagages.
Le Baron de Siégroth fit halte , pour donner au
Roi le temps de gagner la hauteur ; après quoi,
il marcha vers Likala. La troisième colonne
suivit cette même route , et toutes furent
continuellement inquiétées par les Chasseurs
de l'ennemi. Le Roi prit lui-même soin de
tenir la colonne en ordre , et marcha à la
tête du premier bataillon des Gardes - Infanterie.
On envoya des Chasseurs au village de
Memela , qu'on trouva entièrement évacué
par l'ennemi , et le pont sur le fleuve presque
achevé par le régiment de Sudermannie. Le
3 Juillet , à 6 heures du matin , les deux colonnes
se mirent en marche vers Likala ; å
deux verstes delà , on rencontra des piquets
de l'ennemi , qui furent repoussés jusqu'à un
pont qu'on avoit rasé, près de Likala. L'attaque
commença alors à 8 heures , et dura
jusqu'à dix La position avantageuse de l'en(
317 )
remi et la dificulté qu'avoient nos troupes à
manoeuvrer , à cause du terrain , nous présageoit
un combat sanglant ; mais notre bonne
artillerie et le courage de nos troupes nous
donnerent bientôt l'avantage. Aussitôt que
notre feu eu fait taire celui de l'ennemi , les
deux bataillons des Gardes , sous les ordres
du Baron Cedorstrom et de Nummers , attaquèrent
les hauteurs et s'en rendirent maîtres ,
après avoir chassé les Russes jusqu'à un pont
qu'ils rasérent après l'avoir passé ; ce qui les
déroba à notre poursuite . Notre armée campa
à Likala , à 18 verstes de Fredricsham .
Nous avons et en cette occasion 3 hommes
de tués et 18 blessés , dont le Major des Gardes
de Nummers , le Baron de Rappe , et un Officier
de l'Artillerie.
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre
de l'Epée , le Colonel de Pauli; plusieurs
autres Officiers ont été créés Chevaliers du
même Ordre. Le Roi a aussi témoigné à toute
l'armée son contentement de la bravoure
qu'elle a montrée dans ces deux affaires .
On a vu , la semaine dernière , que ces
premiers progrès en ont amené de nouveaux
, et que les postes Kusses de Hogfors
, jusqu'à Suttala , avoient été emportés
, en présence du Roi , par le Général
de Meyerfeld. Depuis , l'on a appris que
le Corps resté à Likala , ayant été menacé
par l'ennemi en force supérieure ,
s'étoit replié, à peu de distance , sur War
cela , en attendant du renfort. Les dispositions
de notre armée sont dirigées
contre Fridericsham , d'où elle se trouve
peu éloignée , et les premiers rapports
f
o iij
( 318 )
nous informeront des suites de cette
entreprise.
Celledu Colonel de Steding, curle canton
Russe de Savolax , a complétement
réussi , et il vient d'être publié officiellement
que , le 21 de ce mois , M. de
Steding a attaqué , près de Parkumaki , à
peu de distance de Nyslot , le Corps du
Lieutenant - Général Russe de Schiltz ,
et l'a entièrement défait. Le Major de
Toll, Commandant de Nyslot , 24 autres
Officiers , 5 canons , 10 obusiers , 2 drapeaux
, 650 Soldats , 15 chariots de munitions
; le camp et les bagages sont tombés
entre nos mains. Cette victoire nous
a coûté 4 Officiers , 6 Bas - Officiers et
173 Soldats , dont 131 blessés . Le Roi ,
sur-le-champ , a élevé le Colonel de Steding
au grade de Général -Major.
Notre armée recevra dans peu de
jours les renforts qui sont partis de cette
capitale 21 galères , portant 6,000 hommes
, dont entre autres le beau régiment
Allemand de Philanderhielm , venu de
Stralsund, et plus de 100 transports chargés
de munitions et d'approvisionnemens
de tout genre , ont mis àla voile , il y a
quelques jours , de notre port ; se sont
rendus et réunis à Furusand , vis-à-vis
Pentrée du golfe de Finlande , et doivent
avoir gagné Sweaborg.
Aujourd'hui est arrivé un courrier du
Duc de Sudermanie , avec la nouvelle
que , le 26 , la flotte de ce Prince avoit
( 319 )
engagé une action avec celle de Cronstadt
, forte de 36 voiles , et s'étoit retirée
la dernière du combat. Le vaisseau de
Son Altesse Royale , appuyée de trois
autres , a soutenu le feu de 7 vaisseaux
Russes , dont deux à trois ponts. Cette
affaire , qui paroît n'avoir pas été meurtrière
, nous a enlevé seulement 50
hommes.
Nous devons une place à la Déclara
tion suivante du Roi , en date du 2 juin
1789 , et qu'il nous a été impossible de
placer plus tôt .
« Au commencement de la guerre injuste
que la Russie suscita au Roi de Suède , S. M.
eur soin de faire déclarer par ses Ministres ,
dans les Cours Etrangères , qu'Elle ne s'écarteroit
jamais des principes établis par la convention
maritime de 1780 , en faveur du
Commerce et de la Navigation des neutres ,
et Sa Majesté ayant eu la satisfaction de
voir que dans un temps où leur concours
dans la Baltique lui étoit d'une grande utilité ,
leur confiance n'a point diminuée . Elle pour-
Foit regarder toute assurance ultérieure à cot
égard , comme proprement superficielle ; mais
le Roi n'a pas moins voulu la réitérer par la
présente Déclaration , d'une manière encore
plus formelle , pour prévenir à temps l'effet .
de toutes les interprétations contraires qui
pourroient être données sur les principes de
'S. M. A ce sujet , et afin que les Nations ,
neutres dans le cours de cette guerre , dont
la Russie se plait à prolonger la durée ,
continuent à se livrer sans inquiétude à toutes
leurs entreprises de commerce dans les parages
O IV
( 320 )
*
de la Suède. Pour cet effet , Sa Majesté le
Roi de Suède fait savoir à tous cenx à qui
il appartiendra , que par une suite des ordres ,
qui dès le commencement des hostilités ont
été donnés aux Commandans de ses forces
navales , la protection la plus entière sera
accordée à tous les vaisseaux marchands
neutres que les intérêts de Commerce conduiront
pendant la guerre dans la Baltique ,
et les mers qui en sont le théâtre , leur navigation
restant parfaitement libre et sûre,
de la part de la Suède , pour quelque port de
ces mers qu'elle puisse être dirigee . Ils recevront
aussi des Commandans du Roi toute
l'assistance et toute la protection qui dépen
dront d'eux , et auxquelles tout Sujet d'une
Puissance neutre a droit de s'attendre . Mais
ces avantages , réservés aux vaisseaux marchands
neutres , ne sauroient s'étendre à ceux
qui viendroient porter aux Ennemis de la
Suède des munitions de guerre , universellement
rangées dans la classe des marchandises
de contrebande , et conime telles , sujettes
à confiscation. »
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 14 août.
Le combat naval du 26 juillet , entre
les flottes Russes et Suédoises , à la hau
teur de Bornholm , ne leur a coûté que
de la poudre et des boulets. L'action a
été partielle et indécise . On en con
noît aujourd'hui les véritables circonstances
, par la lettre suivante , datée de
( 321 )
Carlscrona , le 30 juillet ; elle est de l'Amiral
Wrangel , et adressée au Baron
de Sprengporten , Ambassadeur de Suède
à Copenhague.
« Les relations des navires Anglois viennent
d'être entièrement constatées par les rapports
qu'un Officier , arrivé de la flotte , et chargé
de dépêches pour Sa Majesté , en Finlande ,
vient de me remettre ; en voici la substance :
>
" A juger de la position des flottes , lors
du départ de l'Officier , tout l'avantage étoit
du côté du Duc de Sudermanie qui continua
pour lors à poursuivre l'Ennemi , et
auroit encore rengagé le combat de nouveau ,
après avoir , par l'action continuelle de la
bataille de la veille , qui avoit duré depuis
une heure trois quarts jusqu'à huit heures
trois quarts du soir , force Ennemi d'abandonner
le champ de bataille , quoique notre
avant -garde , qui étoit engagée avec l'arrière
de l'Ennemi , n'eût pas láché un seul coup ;
cette négligence attira au Contre - Amiral
Lillehorn la perte du commandement , et une
des moindres frégates , à ce que dit l'Officier ,
doit être en route pour le conduire prisonnier
ici. Notre arrière - garde , engagee avec l'avantgarde
ennemie , faisoit un feu continuel ; deux
des grandes fregates qui la composoient , la
Zémire et la Thétis , poursuivirent chacune un
vaisseau de 70 canons. Notre vaisseau
la Hardiesse , de 60 , fit un feu si formidable ,
qu'une pièce, du calibre de 18 creva par la
chaleur, et fit perir trois hommes . - Le Prince
in'informe ensuite , de sa propre main , qu'il
est absolument satisfait de son entreprise , et
qu'il espère de me donner dans peu des nouvelles
en notre faveur touchant l'ennemi. Il
O V
( 322 )
-
donne des éloges au Cl el de l'arrière-garde ,
le Colonel Modée , qui s'est distingné par la
plus grande valeur. La ligne de bataille des
Suédois étoit de 21 vaisseaux , et celle de
l'ennemi de 22 , parmi lesquels il y avoit 3
vaisseaux à trois ponts et 2 de 80; toute la
force Russe étoit de 33 voiles. »
Cette relation paroît confirmée par
tous les avis particuliers , dignes de quelque
confiance. Les Russes mêmes y donnent
un nouveau poids par le récit qu'ils
ont fait insérer dans les Gazettes , entre
autres dans celles de Leyde et d'Amsterdam
, où ils assurent qu'étant sous le
yent , ils n'ont pu approcher l'Ennemi,
et que , vu l'éloignement , les BOULETS
N'ATTEIGNOIENT POINT ; mais que
cependant ces mêmes boulets , restés en
chemin , ont démâté deux vaisseaux
Suédois.
L'escadre Russe , forte de 9 vaisseaux
de ligne , qui mouilloit dans la baie de
Kioge , sous les ordres du Vice- Amiral
Koslainoff, ayant mis à la voilele 30 juillet
, se réunit le surlendemain à la grande
flotte , aujourd'hui de 31 vaisseaux de
ligne . Cette supériorité de nombre et de
la force des bâtimens ennemis , a obligé
le Duc de Sudermanie de rentrer à
Carlscrona , pour y prendre les trois
vaisseaux de ligne dont on pressoit l'armement.
Ces vaisseaux, qui sont le Prince
Charles Frédéric de 70 canons , le Prince
Ferdinand de 60 , et la Finlande, aussi
( 323 )
de 60 , se joindront à la grande escadre
avec 4 brûlots . C'est l'Amiral Tschitschagoff
qui commande en Chef la flotte
Russc.
Il continue de nous arriver des relations
de la Gazette de Pétersbourg , copiées
ensuite par d'autres Gazettes . C'est
aujourd'hui une victoire près de Bender ,
sur quelques milliers de Tures qui ont
perdu des centaines d'hommes , tandis
que les Russes n'ont laissé que DEUX
COSAQUES sur le champ de bataille . Dans
le récit Russe de l'affaire de Galacz , que
nous avons rectifié la semaine dernière ,
c'étoit TROIS COSAQUES qui , seuls , de
toute l'armée , n'avoient pas été invulnérables
. Ces rapports , vraiment dérisoires
, paroissent l'ouvrage de Secré
taires bien mal-habiles .
De Francfort surle Mein, le 17 août,
Tous les avis de Vienne constatent les
progrès journaliers de la convalescence
de l'Empereur : il soutient aujourd'hui
de longues promenades , et se trouve sans
fièvre. Tant que durera la belle saison
il est apparent qu'il ne quittera pas
"Laxembourg , et quoiqu'il soit attendu
à Vienne , ce séjour , nécessité par des
affaires de la plus haute importance , ne
sera , dit-on , que passager.
Le Maréchal de Haddick , entièreo
vj
( 324 )
ment rétabli , a reparu , le 19 juillet ,
au quartier général . Son armée , répartie
en six divisions , et composée de 66
bataillons , n'a fait encore aucun moùvement
. Le Prince de Cobourg reste éga
lement sur la défensive en Buchowine.
Le Maréchal de Laudhon n'a fait aucune
entreprise ultérieure , depuis l'occupation
de Gradiska qu'il fait réparer.
Cette inaction , au milieu de la campagne
, fait présumer , ou des projets
nouveaux dont les dispositions ne sont
pas encore arrêtées , ou l'approche d'une
pacification séparée . L'opinion flotte
entre ces deux idées ; et quoiqu'on parle
de nouveau , dans les Cercles de Vienne,
du siége prochain de Belgrade , ce projet
- s'accrédite peu. Les mouvemens des Ottomans
fortifient les apparences de la
paix , car le nouveau Grand- Visir a
changé son plan , et s'approche des
Russes . Différens Corps marchent en
Bessarabie ; il ne reste à- peu- près que
30,000 hommes dans la Valachie , pour
inquiéter les défilés de la Transylvanie ;
un autre Corps rassemblé à Nissa , doit
observer les mouvemens des Autrichiens.
Ceux-ci paroissent fort peu disposés à
se sacrifier pour leurs Alliés , comme ils
l'ont fait la campagne précédente . L'ar
mée Russe est en mauvais état , mal pourvue
, chargée de nouvelles recrues ,
et
( 325 )
ne seconderoit jamais que foiblement les
mouvemens des Autrichiens .
D'ailleurs , ces mêmes Russes vont de-.
venir le principal objet de la guerre qu'ils
ont occasionnée . Le nouveau Grand-
Seigneur , d'un caractère violent , veut ,
à tout prix , se venger des affronts , et
réparer les pertes qu'essuya son Prédé
cesseur. Il est certain , quoi qu'en disent
des Papiers publics mal informés , que
ces dispositions de Selim 111 ont amené
la disgrace du Grand- Visir. Soit foiblesse ,
soit politique , soit corruption , cè Ministre
s'étoit hasardé à proposer et à
conseiller la paix avec les Ennemis de
l'Empire. Ces remontrances ont été, regardées
comme un indice de lâcheté ou
de trahison , et le Ministre a été sacrifié .
La Porte , d'ailleurs , attend l'effet d'une
diversion qu'elle a tentée dans le Couban
, où 40,000 hommes devoient débarquer
au mois dejuillet . Il est si vrai qu'elle
ne pense en aucune manière à accorder
la paix aux Russes , que , malgré les ef
forts employés pour empêcher le Grand-
Seigneur de renouveler le traité de l'Einpire
avec la Suède , M. de Heidenstam ,
Ministre de cette Puissance à Constanti-
¡nople , a obtenu , à la fin de juin , la promesse
positive d'une conclusion ins-
´tante.
où il
Le Roi de Prusse partira , le 16
de ce mois , pour la Silésie
fera la revue de ses troupes. La Prin
( 326 )
cesse d'Orange doit retourner en Hol
lande le 10. - Il circule à Berlin , et dans
quelques Cours d'Allemagne , un - plan
très-intéressant de Capitulation provisoire
, pour l'Election du Roi des . Romains
ce projet est attribué à un Ministre
célèbre dans la carrière politique
et littéraire.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 17 août.
Le 11 de ce mois , la Chambre- Haute
étant assemblée , le Lord Chancelier ,
le Duc de Leeds et Lord Sydney , autorisés
par une Commission du Roi ,
consentirent et sanctionnèrent , au nom
de S. M. , les Bills suivans :
Acte pour abolir les droits sur le tabac à
fumer et en poudre , et pour les remplacer pår
d'autres.
Acte qui continue pour un temps limité , et
modifie un acte fait dans la dernière Session
du Parlement , intitulé : Acte qui règle pour un
temps limité , l'embarquement et le transport
des Nègres chargés à la côte d'Afrique sur des
vaisseaux Anglois.
Acte pour faire exécuter plus exactement
les lois concernant les prisons. ¡
Arte pour autoriser la Compagnie des Indes
orientales à augmenter son capital destiné au
commerce , et plusieurs autres Biils publics qu
particuliers.
( 327 )
-
Après cela , le Chancelier prononça
le Discours suivant :
Milords et Messieurs ,
• Il nous est ordonné , par Sa Majesté , de
vous témoigner avec quelle satisfaction Elle a
vu les preuves continuelles que vous avez données
, durant la présente Session , de votre application
soutenue aux affaires publiques ,
ainsi que de votre zèle pour l'honneur , les
intérêts de sa Couronne le bien-être et la
prospérité de son Peuple. »
?
Messieurs de la Chambre des Communes ,
Sa Majesté nous a particulièrement chargés
de vous remercier de l'empressement avec
lequel vous avez accordé les subsides nécessaires
pour les différentes branches du service
public. »
Milords et Messieurs ,
a Quoique les bons oflices de Sa Majesté
et de ses Alliés , n'aient pas été jusqu'ici assez
efficaces pour rétablir la tranquillité générale
de l'Europe , le Roi a la satisfaction de vor
qu'on a prévenu du moins toute extension
ultérieure des hostilités , et que la situation
'des affaires continue de promettre à ce pays ,
Ja jouissance non interrompue des bénédic
tions de la paix . "
Le Lord Chancelier dit ensuite , par
Commandement de Sa Majesté :
Milords et Messieurs ,
C'est lavolonté royale de Sa Majesté, et son
plaisir , que ce Parlement soit proroge jusqu'au
jeudi 29 du mois d'octobre prochain, pour être
après tenu ici ; et , en conséquence , ce parlement
est prorogé jusqu'au jeudi 29 d'octobre
prochain. »
( 328 )
FRANCE.
De Versailles , le 25 août.
S. M. voulant témoigner à M. Du
fresne , la satisfaction qu'Elle ressent des
services que lui a rendus cet Intendant
du Trésor Royal , dans les différentes
places auxquelles il a été appelé , l'anommé
Directeur-Général du Trésor Royal.
Le Marquis de Rossel , ancien Capitaine
de vaisseau , a eu l'honneur de présenter au
Roi , le 12 du mois dernier , le tableau qu'il
a peint , par ordre de Sa Majesté , représen
tant le combat rendu à la hauteur de la Doninique
, le 17 Avril 1780 , par l'armée navale
du Roi , composée de vingt -deux vaisseaux ,
quatre frégates et trois corvettes , sous e commandement
du Compte de Guichen , Lieutenant
-général , contre l'armée Angloise , de
vingt-un vaisseaux , dont deux à trois ponts ,
trois frégates et un bricq , aux ordres de l'A
miral Rodney. Ce tableau fait partie de la Collection
qui se grave , et que le Roi et la Famille
Royale ont lionoré de leur souscription.
ASSEMBLÉE NATIONALle.
SEIZIEME SEMAINE DE LA
SESSION.
L'Evangile a donné la plus simple , la
plus courte , et la plus complète Décla
ration des droits de l'homme, lorsqu'il
a dit : Ne fais pas à autrui ce que tu
ne voudrois pas qui te fût fait. Toute
la politique naturelle porte sur ce point
( 329 )
•
d'appui , et rien de plus fécond que
cette maxime , d'où dérivent le terme des
droits de l'homme et celui de ses devoirs.
Elle frappe tous les âges et tous les
esprits : un Porte - faix en pénètre le sens
et l'application aussi bien qu'un Métaphy
sicien toute loi de libertés'y rapporte ;
elle est imparfaite , si elle s'en écarte.
Sans doute , les droits sont fondés
sur des principes ; mais tous les jours ,
et par-tout , on confond les principes
avec les opinions : les avis d'un siècle ,
d'un pays , d'une classe d'individuş , ne
sont pas des vérités , et toute idée sur
laquelle les hommes ne s'accordent point ,
ne peutservir de fondement à la Politique
naturelle . Un Député de la Noblesse ,
qui montre autant d'élévation dans
ses discours que dans ses sentimens , a
observé, quesi, au milieu d'une Assemblée
de mille personnes , il se trouvoit cent
opinions différentes sur une Déclaration
des droits , il y en auroit cent mille
dans une Nation de vingt-quatre millions
d'ames ce dissentiment seroit progressif
et incalculable , si l'on soumettoit
ce problême aux autres Peuples. Est- ce
à ce caractère qu'on reconnoît des principes
fondamentaux ?
Quel est , par exemple , l'homme du
Peuple ou de Cabinet qui sera jamais intérieurement
convaincu que les hommes
naissent libres et égaux ? Le premier
ne voit dans la société , même au sein
( 330 )
des Démocraties Helvétiques , seules
Démocraties de l'Univers , que des iné
galités physiques et morales. Le second
ne découvre également qu'inégalités dans
l'état de nature. Chez les Insulaires de
la mer du Sud , chez les Tribus des
Sauvages occidentaux , chez les hordes
d'Arabes et de Tartares , seuls Peuples
encore voisins du berceau de la création ,
il retrouve une échelle de subordination ,
et nulle part une égalité absolue .
La loi seule corrige la nature , et la
supplée , en abaissant devant elle toute
les
Aristocraties de naissance , de force ,
de richesse , d'autorité , et en rendant
parfaitement égale la distribution du
bien et du mal politique. La Constitution
est la clef de cet édifice d'égalité
et de liberté factices : elle doit lui servir
de garantie ; mais ce grand ouvrage de
l'esprit humain, perfectionné , n'a pas un
élément dans l'état primitif de l'espèce
humaine .
On cite la conservation et la défense
de soi- même , comme des droits innés
et indépendans de tout pacte social;
mais on ne considère pas que ces droits
étant réciproques , ils emportent celui
de se nuire mutuellement , toutes les
fois que le salut ou l'intérêt de l'un est
attaché aux privations ou à la mort de
l'autre . Telle est l'origine des guerres
fréquentes des Sauvages .
La consécration de la propriété est
( 331 )
le renversement du droit de nature.
Rousseau l'a démontré Du moment
où l'homme a usurpé le droit d'enclore
un champ , il a autorisé ses pareils à
usurper la terre entière . Les Nations à
demi - civilisées , vivent sous ce régime ;
les conventions sociales peuvent seules
l'en tirer.
Tout se réduit donc à ces conventions ,
et non à des principes , encore moins
à un usage illimité de nos facultés. Une
doctrine n'est pas une loi , à moins que
la loi ne consacre la doctrine , qui devient
alors un statut positif.
Ces idées , qui ne sont autre chose
que des opinions , et que nous nous
permettons de répandre , parce qu'elles
n'ont rien de dangereux , peuvent servir
d'introduction aux débats importans
qui , la semaine dernière , ont occupé
de nouveau L'ASSEMBLÉE NATIONALE.
La Déclaration des droits a absorbé
encore plusieurs Séances , remarquables
par la variété des sentimens , et par l'appli
cation que plusieurs Députés ont portée
à l'examen de cet Acte préliminaire.
Sur la demande réitérée de plusieurs
de nos Abonnés des provinces , qui
ont parti ne pas goûter des détails ultérieurs
trop étendus , sur les divers
plans de Déclaration des droits , nous
nous renfermerons dans l'abrégé concis
des nouvelles discussions qui ont eu
ces plans pour objet..
( 332 )
pro- Du Lundi 17 Adur. M. de Clermont-Tonnerre
ayant réuni 473 voix sur 812 ,
clamé Président à l'ouverture de la Séance.
M. le Chapelier , son prédécesseur , lit ses
remercimens´ a l'Assemblée par un Discours
appiauai, ainsi que celui du nouveau/President.
MM. Fréteau et Emmeri , Secrétaires , firentla
lecture des Procès - verbaux du 4 au matin ,
du 10 et du 11.
M. de Clermont - Tonnerre communiqua à
l'Assemblee lee une lettre de M. le Garde - des-
Sceaux , par laquelle ce Ministre envoie à l'Âssemblee
, 1 ° . une Déclaration du Roi pour le
rétablissement de la paix .
2º. Une Ordonnance qui enjoint aux troupes
de prêter main- forte aux Milices Bourgeoises ,
à la requisition des Municipalités , ét de prêter
serment , d'après la formule arrêtée par PASsemblée
; avec une Lettre aux Soldats de
l'armée .
•
3º. Une Ordonnance de Sa Majesté , qui
accorde une amnistie générale aux Soldats
qui ont quitté leurs Corps depuis le 1 Juin ,
et qui auront rejoint leurs drapeaux au i
Octobre ( 1).
4°. La liste de treize galériens pour bracon
nage , auxquels le Roi a rendu la liberté.
5°. La procédure du Parlement de Rouen
contre le Procureur du Roi de Falaise . Cette
lecture excita de vifs applaudissemens et des
cris de vue le Roi.
Plusieurs des galériens indiqués étant coupables
de délits capitaux , divers Membres observèrent
que l'intention de l'Assemblée ne pou
voit être de leur donner la liberté ; et qu'Elle
( 1 )Voyez l'article Paris.
333 )
n'avoit demandé au Roi , que l'élargissement
des galériens condamnés pour braconnage
Cette réflexion fut renvoyée au Comité de
rapports.
M. le Chapelier sortant de charge , reçut
les reinercimens de l'Assemblée.
M. de Mirabeau rendit compte à l'Assemblée
du travail du Comité des Cinq , chargé
de l'examen des Déclarations de droits ; travail
dont il avoit été le Rédacteur.
a
La Déclaration des droits de l'homme ,
dit - il , est un développement de principes
applicables à toutes les formes de Gouvernement.
Le Comité que l'Assemblée
honoré de sa confiance , a bien aperçu les
difficultés du travail , et reconnu qu'il n'étoit
susceptible que d'une perfection relative. Il
est en effet peu aisé de présenter un plan
perfectionné , lorsqu'il faut le faire pour un
Gouvernement déja vieux , lorsqu'il faut le
faire en trois jours , et au milieu de vingt
projets différens ; cependant il a fallu obéir.
Heureusement nous étions éclairés par l'esprit
de l'Assemblée ; nous avons adopté une
forme simple et populaire , afin qu'elle fût
à la portée de tout le monde : cette forme est
précieuse pour un ouvrage de ce genre ,
dans
lequel il ne faut pas s'occuper de déductions
philosophiques. S'il a fallu quelquefois employer
des mots abstraits , nous les avons
joints à des idées précises. C'est ainsi qu'ont
fait les Américains : nous avons tâché de suivre
leur méthode , én écartant les défauts
qu'elle offroit. La difficulté a été de distinguer:
ce qui appartient à l'homme naturel , de ce
qui est de l'apanage de l'homine en société.
Peut-être les hommes ne sont - ils pas assez.
1
( 334 )
-múrs pour la liberte , et nous n'offrons ici
qu un foible essai.
Une lecture rapide ne permettant pas de
saisir l'ensemble , les idées et les rapports
des diverses parties de ce projet , on en or
donna l'impression , et l'examen dans les
Bureaux . Le voici dans sa forme originelle.
» Les Représentans du Peuple François cons
considérant titués en Assemblée Nationale ,
que l'ignorance , l'oubli ou le mépris des droits
de l'homme , sont l'unique cause des malheurs
publics et de la corruption du Gouvernement ,
ont résolu de rétablir , dans une Déclaration
solemnelle , les droits naturels , inaliénables
et sacrés de l'homme , afin que ceite décla
ration , constamment présente à tous les
Membres du Corps social , leur rappelle sans
cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que
les actes du pouvoir législatif et exécutif,
pouvant être à chaque instant comparés avec
le but de toute institution politique , en soient
plus respectés ; afin que les réclamations des.
Citoyens , fondées désormais sur des principes
simples et incontestables , tournent toujours
au maintien de la Constitution et au bonheur
de tous . »
« En conséquence , l'Assemblée Nationale
reconnoît et déclare les articles suivans : »
1º . Tous les hommes naissent égaux et
libres ; aucun d'eux n'a plus de droit que les
autres de faire usage de ses facultés naturelles
on acquises ; ce droit , commun à tous , n'a
d'autre limite que la conscience même de
celui qui l'exerce , laquelle lui interdit d'en
faire usage au détriment de ses semblables.
2º. Tout Corps politique reçoit l'existence
d'un contrat social , exprès ou tacite , par
( 335 )
lequel chaque individu met en commun sa
personne et ses facultés , sous la suprême direction
de la volonté générale , et en nêure,
temps le Corps reçoit chaque individu comme
portion.
3°. Tous les pouvoirs auxquels une Nation
se soumet , éinanant d'elle - même , nul Corps ,
nul individu ne peut avoir d'autorité qui n'en
dérive expressément. Toute association politique
a le droit inalienable d'établir , de modifier
ou de changer la Constitution , c'està-
dire , la forme de son Gouvernement , la
distribution et les bornes des différens pouvoirs
qui le composent.
4° . Le bien commun de tous , et non l'intérêt
particulier d'un homme ou d'une classe
d'hommes quelconque , est le principe et le
but de toutes les associations politiques. Une
Nation ne doit donc reconnoître d'autres Lois
que celles qui ont été expressément approu
vées et consenties par elle-même ou par ses
Représentans souvent renouvelés , légalement
elus , toujours existans , fréquemment assemblés
, agissant librement selon les formes prescrites
par la Constitution.
5°. La Loi , étant l'expression de la vo-
Jonté générale , doit être générale dans son
objet , et tendre toujours à assurer à tous
les Citoyens la liberté , la propriété et l'égalité
civile .
6°. La liberté du Citoyen consiste à n'être
soumis qu'à la Loi , à n'être tenu d'obéir
qu'à l'autorité établie par la Loi , à pouvoir
faire , sans crainte de punition , ' tout usage
de ses facultés qui n'est pas défendu par la
Loi , et par conséquent à résister à l'oppression.
7°. Ainsi , libre dans sa personne , le˚ Ci(
336 )
toyen ne peut être accusé que devant les Tribunaux
établis par la Loi ; il ne peut être
arrêté , détenu , emprissonné que dans les
cas où ces précautions sont nécessaires pour
assurer la réparation ou la punition , d'un délit
, et selon les formes prescrites par la Loi :
il doit être publiquement poursuivi , publiquement
confronté , publiquement jugé . On
ne peut lui infliger que des peines déterminées
parla Loi avant l'accusation : ces peines
doivent toujours être graduées suivant la nature
des délits , et enfin ég les pour tous les
Citoyens .
8. Ainsi , libre dans ses pensées , et même
dans leur manifestation , le Citoyen a le
droit de les répandre par la parole , par l'és
criture , par l'impression , sous la réserve ex
presse de ne pas donner atteinte aux droits
d'autrui ; les lettres en particulier doivent être
sacrées.
9. Ainsi , libre dans ses actions , le Citoyen
peut voyager , transporter son domicile
où il lui plait , sortir même de l'enceinte
de l'Etat , à la réserve des cas désignés par
la Loi.
10º. On ne sauroit , sans attenter aux droits
des Citoyens , les priver de la faculté de s'as
sembler dans la forme légale , pour consulter
sur la chose publiqué , pour donner des instructions
à leurs mandataires , ou pour de
mander le redressement de leurs griefs .
14. Tout Citoyen a le droit d'acquérir ,
de posséder, de fabriquer , de faire le commerce
, d'employer ses facultés et son industrie
, et de disposer à son gré de ses propriétés.
La Loi seule peut apporter des modi-
Eestions à cette liberté pour l'intérêt général .
propriété
12. Nul ne peut être forcé de céder sa
( 337 )
propriété à quelque personne que ce soit :
le sacrifice n'en est dû qu'à la société entière,
mais seulement dans le cas d'une nécessité
publique ; et alors la société doit au propriétaire
une indemnité équivalente .
13°. Tout Citoyen sans distinction doit
contribuer aux dépenses publiques , dans la
proportion de ses biens.
14. Toute contribution blesse les droits
des hommes , si elle décourage le travail et
F'industrie , si elle tend à exciter la cupidité ,
à corrompre les moeurs , et à ravir au Peuple
ses moyens de subsistance .
15°. La perception des revenus publics doit
être assujettie à une comptabilité rigoureuse ,
à des règles fixes , faciles à connoître ; en
sorte que les contribuables obtiennent prompte
justice , et que les salaires des Collecteurs
des revenus soient strictement déterminés .
16° . L'économie dans l'administration des
dépenses publiques est d'un devoir rigoureux ;
le salaire des Officiers de l'Etat doit être modéré
, et il ne faut accorder de récompense
que pour de véritables services .
17° . L'égalité civile n'est pas l'égalité des
propriétés ou des distinctions ; elle consiste
en ce que tous les Citoyens sont également
obligés de se soumettre à la Loi , et ont un
droit égal à la protection de la Loi.
18. Ainsi tous les Citoyens sont également
admissibles à tous les Emplois Civils ,
Ecclésiastiques , Militaires , selon la mesure
de leurs talens et de leur capacité .
19°. L'établissement de l'Armée n'appartient
qu'à la Législature ; le nombre des troupes
doit être fixé par elle; leur destination est la
défense de l'Etat ; elles doivent toujours être
subordonnées à l'autorité civile ; elles ne peu-
N°. 35, 29 Août 1789..
( 333 )
vent faire aucun mouvement relatif à la franquillité
intérieure , que sous l'inspection des
Magistrats désignes per la Loi , connus du
Peuple , et responsables des ordres qu'ils leur
donneront.
Depuis long- temps M. Bergasse “avoit promis
le travail du Comité de Constitution , sur
celle du Pouvoir judiciaire : le plan qu'il remit
à l'Assemblée ne fit pas regretter le temps
consacré à cette Rédaction . L'Auteur commença
par exposer les principes , dans un Discours
clair et concis , qu'il fit suivre de l'exposé
des résultats , c'est- à- dire , d'un Code
d'Ordre judiciaire , divisé en cinq Titres , sub
divisés eux- mêmes par articles. On s'est réuni
à louer la clarté , l'ordre d'idées , l'enchaînement
de rapports , et le caractère sain et vigoureux
de ce travail . Nous n'en hasarderons
l'analyse qu'après son impression , ordonnée par
l'Assemblée pour être soumise aux Bureaux.
Le Comité de Rapport rendit cómpte á
l'Assemblée de la détention d'un Gentilhomme
Éreton , arrêté à S. Malo , pour soupçon d'émigration
; de celle d'un voyageur arrêté par
la Milice de Nantes ; de celle de M. de Tremergat
, de Botherel , et de plusieurs autres ,
appréhendés au bord de la mer. L'avis du
Comité étoit de renvoyer l'affaire au Ministre
, et d'écrire aux détempteurs de Nantes
et S. Malo , qu'on devoit relâcher des Gentilshommes
contre lesquels il n'y avoit ni
accusation , ni motif de suspicion .
Un Membre des Communes demanda qu'ils
fussent jugés par l'Assemblée , et craignoit
que leur elargissement ne les rejetât dans
de nouveaux dangers .
Deux autres Membres représentèrent qu'une
339 )
"
Assemblée aussi auguste devoit être toujours
conforme à ses principes . Lorsqu'on vous
rapporta la détention de M. le Duc de la
Vauguyon , dit l'en, d'eux , vous avez jugé
qu'il devoit être remis en liberté . Puisque ,
donc , vous n'avez de même aucune preuve
d'accusation contre les Citoyens dont il s'agit ,
ils doivent être rendus à la Société .
: M. le Président mit la question aux voix ,
en ces termes : Adoptera- t- on l'avis du Comité,
ou suspendra-t -on le jugement ? La décision
du Comité fut adoptée unanimement.
On fit ensuite la lecture d'une plainte des
Officiers , et des Gentilshommes de Bretagne ,
rassemblés à Brest , qui réclament contrel'injustice
des soupçons calomnieux dont ils sont
l'objet , relativement au complot vaguement
dénoncé par M. le Duc de Dorset , et qui
prient l'Assemblée d'en rechercher les Auteurs,
et d'en presser la révélation auprès de M. l'Anibassadeur
d'Angleterre. Une lettre de la Commission
des Etats de Bretagne exprime les
mêmes sentimens .
L'avis du Comité étoit de faire demander
à l'Ambassadeur d'Angleterre , par M. le
Comte de Montmorin , toutes les instructions
nécessaires , et d'ordonner en même temps ,
dans la Province , des perquisitions pour remonter
à la source de cette trahison.
Un Membre des Communes s'y opposa ,
en disant que M le Duc de Doreet ne pouvoit
déclarer les personnes ; qu'il devoit ce secret
à lui et à sa Cour ; que d'ailleurs il avoit
déja donné à M. le Comte de Montmorin
toutes les communications qu'il étoit en pouvoir
de faire. Cette question , ajouta - t-il , est
trop difficultueuse , et même insoluble ; il
ny a donc point lien à délibérer.
р .
( 340 )
Un Gentilhomme ajouta qu'ane pareille
déclaration pourroit troublerla France entière.
Un second rappela que M. le Comte de
Montmorin avoit déja fait les informations
et les recherches les plus exactes , sans avoir
rien pu découvrir. Les renseignemens de M. le
Duc de Dorset , avoient été aussi infructueux.
Il est donc démontré que la Noblesse de Bretagne
ne peut être soupçonnée , et qu'il n'y à
lieu à délibérer .
M. de Montmorency prétendit que , par son
caractère même , un Ambassadeur ne sauroit
toujours être véridique . Ses déclarations ne
sont pas des témoignages authentiques . L'Anglois
, jaloux de la France , ne pourroit- il
pas être soupçonné plutôt que la Noblesse de
Bretagne ?
D'autres Membres insistoient sur une information.
M. le Duc du Châtelet releva les soupçons
qu'on essayoit de jeter sur les Anglois , que
la conduite de leur Ambassadenr avoit pleinement
disculpés a Nous devons , ajouta-t-il,
nous en tenir à l'assurance authentique que
nous avons reçue de la Cour de Londres .
Gardons-nous d'une délibération qui pourroit
nous faire accuser d'injustice envers cette
Cour , dont nous devons ménager les sentimens
et estimer la modération . Les complots
pareils à celui de Brest , sont presque toujours
formés par des fous ou des scélérats
obscurs , incapables même de les exécuter :
mettre une importance publique à ces projets
, c'est courir le risque de commettre entre
elles des Nations qui vivent en harmonie.
Lorsque j'étois Ambassadeur en Angleterre ,
on me proposa plusieurs plans pour incendier
Portsmouth, Chatham , Plymouth , et en les
( 341 )
repoussant , je montrai l'horreur que ces
attentats inspirent aux Nations qui repectent
la justice. »
La sagesse de cet avis détermina l'Assemblée
à prononcer unanimement qu'il n'y avoit
pas lieu à délibérer ( 1) .
Du Mardi 18 Aour. Trois des Secrétaires
sortant de charge , M. le Président a déclaré
leurs successeurs : ce sont , MM . l'Abbé de
Barmont , par 186 voix ; M. l'Evêque d'Autun,
par 122 ; et M. de Montmorency , par 116.
On présenta ensuite les Adresses et Délibérations
de différentes Villes et Communautés ,
ainsi que le don de la finance de son Office
fait à l'Etat par M. Chalan , Procureur du Roi
de Meulan.
Le projet de Déclaration des Droits , présenté
la veille par M. de Mirabeau , étant
remis en délibération , M. Crenière a soutenu
le premier , qu'une véritable Déclaration de
droits n'étoit pas une suite de principes , et
(1 ) Les réflexions judicieuses de M. le Duc du
Châtelet, ont été faites par plusieurs personnes ,
à l'instant où il a été question du complot
sur le port de Brest ; mais on eût été mal
venu de rappeler des vérités si simples. I
est de fait , qu'il ne s'est peut- être pás écoulé
d'année , ou du moins qu'il n'est pas d'Ambassadeur
de France à Londres , et d'Ambassadeur
d'Angleterre à Paris , qui n'ait reçu
dé pareilles propositions . Presque toutes sont
l'ouvrage de gens perdus de jugement ou
d'affaires , qui , pour escroquer 50 louis
s'offrent ainsi à brûler des Ports , ou à livrer
des Citadelles .
p iij
( 342 )
·
qu'il y avoit une difference essentielle entre,
les simples facultés de l'Homme et les droits
du Citoyen ( 1).
M. le Vicomte de Mirabeau releva , comme
impropre, l'épithete imprescriptibles , employée
dans le Projet. Un honorable Membre , continua
-t- il , en parlant de son frere , dont vous
êtes accoutumés à admirer l'éloquencé , vous
a dit que l'antorite la plus dangereuse est celle,
des Municipalités. Il doit être surprenant de,
le voir pos r ma'ntenant un principe contraire ,
et su ordonner le Mil taire au Civil.... Il est
vrai que le nombre des troupes doit être fixé
par le pouvoir legislatif ; mais ce n'est qu'au
pouvoir exécutif qu'il appartient de les gouverner.
M. le Comte de Mirabeau voulut répondre
à cette interprétation de ses idées; mais l'ordre
des Membres qui avoient demandé la parole ,
l'emporta pour le moment.
M. de Gessé proposa à l'Assemblée de corriger
l'article 6 , qui comptoit parmi les droits ,
du Citoyen , celui de résister à l'oppression.
Ce n'est pas , dit - il , dans des temps de fermentation
, lorsque tout le royaume est en
feu , qu'il faut publier de pareilles vérités . Le
peuple n'abse déja que trop de ses droits..
Pourquoi lui en rappeler un dont il lui - est
(1) Le Discours de ce Député mériteroit
une mention étendue ; mais nous ne nous hasarderons
à en rendre compte que sur un im
primé authentique . Faute d'espace , nous n'avons
présenté , dans le No. 33 , qu'une partie
des observations de M. Crenière sur la Constitution
d'un Peuple , dans la Séance du premier ·
août.
( 343 )
si facile de faire une dangereuse application ?
M. le Marquis de Bonnay représenta que ,
de tous les projets proposés , ancun n'avoit
parfaitement rempli l'attente de l'Assemblée;
que cependant il étoit urgent d'adopter une
Déclaration de droits ; que le plus court moyen
étoit de se séparer en Bureaux pour choisir
au scrutin , celle qui paroitroit la plus convenable.
Le plan ainsi tracé , il ne s'agiroit plus
que de la discuter article par article , pour y
faire les changemens qu'on jugeroit nécessaires
.
Cette Motion fut bientôt écartée par d'autres
opinions.
M. Vernier regarda une mention de l'Etre
Suprême , comme inséparable de la Déclaration
agitée. C'est au principe qu'il faut remonter;
c'est à l'auteur de nos facultés et de
nos droits , qu'il faut les rapporter. Les Lois
civiles et politiques sont souvent impuissantes
sans la Religion ; l'idée d'un Dieu leur sert
de lien . Enfin , nous devons prévoir qu'il sera
parlé dans la Constitution d'un culte public.
Il faut donc commencer par rappeler ici le
souvenir de la Divinitė . M. P'Abbé Grégoire
soutint le même sentiment , et avec lui tout
le Clergé .
M. Rabaud de Saint-Etienne : L'état actuel
de la France pouvoit être comparé à celuide
l'Amérique - Unie , au moment de sa révolution.
La Déclaration des droits de cette République
étoit insuffisante , ainsi que toutes
celles proposées par l'Assemblée. Si les idées
qu'elles présentent sont vraies , leur ensemble
est impossible à saisir.... De plus , je souhaiterois
de l'ordre , de l'enchaînement , plus
de netteté dans les principes et les conséquences.
Une Déclaration de droits doit poser
piv
( 344 )
sur un plan raisonné , simple , court , afin que
dans le moment même de la promulgation ,
dle devienne la leçon des pères , l'alphabet
des enfans , l'instruction de la jeunesse , etc.
C'est avec une belle éducation que se formeroit
une race d'hommes vraiment libres , qui ,
armés de la raison et de la connoissance de
leurs droits , sauroient toujours les maintenir
contre les efforts du despotisme.
« Une Déclaration pure et simple est encore
insuffisante ; elle ne renferme pas tous les préliminaires
de la Constitution. La Déclaration
des droits ne doit que faire partie de ce préliminaire.
Il faut y joindre encore des principes
qui veillent à la conservation de ces
droits. Aussi j'adopte , de préférence , la Déclaration
de M. l'Abbé Syeyes. Elle seule contient
ces sentimens , ces maximes préservatrices
qui peuvent maintenir l'observance des
droits. Je demande que ces principes soient
insérés dans la Déclaration rédigée par le
Comité des Cinq , et que l'on suive les observations
que j'ai indiquées . »
M. de Biauzat dit qu'une Déclaration de
droits devoit être une chaîne non interrompue
de points fondamentaux . Un droit doit être
constant , et si naturel , que tout le monde
puisse le concevoir. Jamais il ne doit s'éloigner
des vues générales .
Il développa ensuite l'origine du contrat
social , qu'il dit être de droit naturel , comme
étant une suite nécessaire de la nature et des
besoins de l'homme.
Il distingua la liberté en naturelle , civile
et politique , et finit par quelques réflexions
sur le pouvoir paternel , qui parurent sages ,
mais peu relatives au sujet.
( 345 )
M. de Mirabeau prit ensuite la parole :
« Je crois pouvoir déclarer , dit- il en substance
, au nom du Comité des Cinq , que nous
avons rempli l'objet de notre commission . Les
débats antérieurs et actuels sur cette matière
semblent tous inculper notre conduite. Nous
avons agi de trop bonne foi , pour entreprendre
la défense de notre projet . Nous avons
été chargés d'extraire des plans , et non d'en
faire. Ce n'est point un parallèle que vous
demandiez de nous ... Aussi n'est - il , dans le
précis que nous avons eu l'honneur de vous
proposer , aucun principe que nous n'ayons
puisé dans d'autres Projets . Nous avons donc
été fidèles à vos Lois , et nous n'avons pas cru
devoir sacrifier l'amour- propre de rédacteur
au zèle de novateur...
Cependant , s'il m'est permis de présenter
mon avis personnel , je dirai que nous ne devons
pas introduire ici un travail philosophique
et abstrait . Le grand principe est que
nous sommes en société , non - seulement pour
maintenir , mais pour acquérir des droits . C'est
celui que mon père professoit il y a vingt ans ;
c'est celui que je professerai avec le même
courage ; c'est ce principe qu'a si fortement
démontré M. l'Abbé Syeyes , et qui me fait
préférer son Projet à tous ceux qui vous ont
été proposés. Vous n'avez qu'un moyen de
sortir du cercle inextricable où vous êtes renfermés
; choisissez une Déclaration que vous
discuterez ensuite article par article. »
«
Quant à l'observation personnelle que j'ai
à faire , elle porte sur l'erreur d'un des Préopinans
, qui , sans douté n'a pas entendu les
termes du Projet. Nous n'avons pas dit que
l'armée étoit au pouvoir législatif ; mais que
l'établissement , le traitement de l'armée ap-
P V
( 346 )
partenoit à la législation : nous démontrons
qu'il n'y aura jamais de liberté pour une
Nation, chez laquelle l'établissement des forces
militaires échapperoit au ressort législatif.
« A l'égard du Projet même, j'avoue qu'il est
imparfait, et que son plus grand vice dépend
de la rédaction : celle de cinq personnes différentes
offre souvent un concours d'idées liées
par des mots , qui hurlent de se voir ainsi
accouplés; et s'il devoit exister un despotisme
tolérable , ce seroit celui d'un rédacteur
unique.
M. Demeunier prétendit au contraire qu'une
Déclaration de droits n'étoit qu'un expose des
principes généraux et du but du gouvernement
; il falloit , non des vérités métaphysiques
, mais pratiques ; et la liaison des idées
n'étoit qu'un mérite subalterne , etc. La Déclaration
des Américains étoit , à divers titres ,
l'acte le plus inepte , l'attentat le plus médité
contre la liberté .... Au surplus , ne confondons
pas l'homme civil avec Phomme religieux;
et , si l'on doit s'arrêter à quelque avis , c'est
à celui d'adopter un canevas de Projet quel
conque , sauf à le corriger , àમૈં l'augmenter, à
le réformer , à le supprimer tout entier , s'il le
fa ut.
M. de Lévis proposa un nouvel avis ; MM .
Duquesnoy et de Custines , se rangeant à celui
de M. de Mirabeau , M. le Président interrogea
alors le voeu de l'Assemblée sur le parti àprendre....
On fit la lecture de la Motion
suivante de M. de Bonnay :
L'Assemblée Nationale , séparée en Breaux
, procédera par la voie du scrutin ; au
choix d'un projet de Dédaration. Chácăn
écrira sur un billet le nom de l'anteur ou le
titre de la Déclaration ; tes billets seront veri(
347 )
fiés selon la forme ordinaire , et le Projet qui
aura réuni le plus de suffrages , sera soumis
à la discussion de l'Assemblée , article par
article . »
Un Membre des Communes objecta que
cette -Motion étoit contraire au Réglement ,
qui ne permet pas de déterminer de résultat
dans les Bureaux.
Un seul plan , reprit un autre Membre ,
n'est pas assez sensible. Il ne faut pas se
livrer au despotisme d'un seul rédacteur. Un
Comité même de rédaction sera toujours
hué.
Un Député de la Noblesse revendiquoit le
projet de Déclaration dressé par M. de la
Fayette.
On crioit aux voix de toutes parts , lorsque
M. de Mirabeau proposa de remettre la
Déclaration apres la Constitution faite , vù la
nécessité de connoître préalablement tous les
plans de celles- ci .
Cette Motion excita une grande rumeur
le désordre s'empara quelque temps de l'Assemble
, par les différens cris d'applaudissemens
et d'improbation qui la partagérent.
M. Péthion de Villeneuve s'éleva le premier
contre ce avis , contraire au Décret de l'Assemblée,
qui , après trois jours de discussions ,
avoit arrêté que la Déclaration des Droits précéderoit
la Constitution . En cas de besoin ,
on pouvoit modifier les conséquences , selon
les principes ; d'ailleurs , ces principes étant
uniformes , invariables , ils devoient être nécessairement
les mêmes , avant ou après la
Constitution.
Plusieurs autres Membres pensoient de
même.
M. Redon : Les droits dérivent de la conp
vì
( 348 )
vention ; la société est un droit ; point d'homme
qui n'existe nécessairement en société. Une
Déclaration de droits doit être l'exposition
des vérités éternelles , qui servent à tout ordre
social légitime. C'est un préambule préparatoire
; c'est la lumière qui marche avant la
loi. Un discours simple , clair , intelligible à
tout le monde. Ce préambule n'est que le
vestibule de l'édifice , qu'on décorera après
que l'édifice sera terminé ; ce n'est qu'un frontispice
qu'il n'est pas nécessaire d'achever avant
le bâtiment , etc.
"
M. Reubell, ainsi que M. Gleizen , combattirent
fortement l'avis de M. de Mirabeau.
« J'ai souvent applaudi aux talens de l'auteur ,
dit le second de ces Députés ; mais j'ai
regret de le voir souvent nous entraîner
contre nos opinions . Il a toujours le talent
suprême de nous jeter dans des partis op-
❝ posés. »
« Je méprise , répliqua M. de Mirabeau ,
ces traits artificieusement décochés ; mais je
respecte trop l'Assemblée , pour croire qu'elle
veuille établir parmi les hommes le dogme de
l'infaillibilité. On a cru , avec erreur , que je
voulois contrevenir à ses Décrets , en rejetant
la Déclaration des droits après la Constitution.
Le seul Membre qui m'ait rendu justice ,
c'est celui qui a combattu mon opinion avec
fidélité , en disant qu'elle ne porte que sur la
rédaction. J'ai dit que cette rédaction pouvoit
être remise après la Constitution ; et j'ai pu
me tromper. »
Je répète cependant , que si vous rédigez
Ja Déclaration dans ce moment d'anarchie ;
si vous y apportez ces principes éphémères
et circonstanciés , qui paroissent maintenant
vous agiter ; si vous n'attendez jusqu'à ce que
( 349 )
vous ayez déterminé les principes de la Constitution
, vous ne ferez qu'une Déclaration
tronquée , ambigüe , incomplète.
»
" Vous êtes d'accord sur les principes ; vous
ne craignez que de fatales conséquences . Attendez
donc , avant que d'arrêter votre rédaction
irrévocablement ; attendez à quelques
semaines , jusqu'à ce que le temps ait donné
plus de maturité à vos réflexions . »
M. le Chapelier , rapelant combien cette
Motion étoit contraire aux Décrets de l'Assemblée
, ajouta que renvoyer la rédaction à'
un autre temps , c'étoit remettre la Déclaration
même. Lorsque le principe est fixé , n'eston
pas maître des conséquences ? A la fin ,
notre embarras ne seroit - il pas le même ?...
Je propose de lire , et de mettre aux voix successivement
les différens Projets .
Aprés ce choc d'opinions , M. le Président
proposa la question suivante : Adoptera- t- on
le Projet du Comité , ou le renverra - t-on à
l'examen des Bureaux ? Ce second avis fut
adopté unanimement.
M. Regnaut , du Comité des Rapports , rapporta
une lettre de M. de Cazalès , Député
Noble de Rivière -Verdun , et arrêté par la Milice
Bourgeoise de Caussade, M. de Cazalès .
n'étant parti que pour obtenir la révocation
de ses pouvoirs impératifs , et n'étant point
accusé , on ne pouvoit prolonger sa détention ,
sans violer la liberté et la justice ; aussi l'Assemblée
autorisa-t -elle M. le Président à réclamer
l'élargissement du Prisonnier.
Du Mercredi 19 Aour. Lecture d'Adresses ,
Mémoires , Félicitations , et spécialement d'un
Arrêté des Juges du Bailliage de Troyes , qui
désormais rendront la Justice gratuitement ,
( 350 )
et qui invite les Jurisdictions inférieures du
ressort au même dévouement .
de
On a ensuite communiqué à l'Assemblée
la résignation qu'a fait , de son Evêché de
Beauvais , M. le Cardinal de la Rochefaucault,
entre les mains de M. l'Archevêque
Vienne , chargé de la Feuille des Bénéfices.
M. PEvêque de St. Dié a pareillement renoncé
à son Evêché , ne conservant qu'un Bénéfice:
dont il est pourvu
.
nous L'ordre du jour , a dit M. le Président ,
ramène à discuter la Déclaration des droits .
Et d'abord , M. l'Abbé de Bonnefoi a donné
la préférence à celle de M. de la Fayette , en
y ajoutant que l'Etre Suprême a fait les hom
mes égaux et libres en droits.
M. Pellerin éloignoit les expressions abstraites
et vagues , comme susceptibles d'interprétations
dangereuses : les devoirs , suivant
lúi , étoient corrélatifs des droits ; il proposoit
la lecture en deux colonnes d'on projet
conforme à cette idée , par M. de Sinetri. Sut
quoi M. de Volney a observé qu'il ne s'agissoit
plus de projets à faire , mais de prononcer la
Sanction d'un projet rédigé.
M. le Vicomte de Mirabeau , simplifiant
toutes les Dissertations , réduisoit tout préambule
de la Constitution à ces mots : Pour le
bien de chacun et de tous , nous avons arrétéce
qui suit , etc.
Les préjuges et les obscurités métaphysiques
, a dit M. Guiot de St. Florent , sont les
deux écueils à éviter. Le principe générateur
de nos droits et de nos devoirs , est celui
qui attache l'homme à sa propre conservation .
A ce degré de discussion , M. le Président
ayant rappelé la question du jour , savoir si
Pon admettroit ou si l'on rejetteroit le projet
( 351 )
du Comité des Cinq , article par article ,
toutes les voix , à l'exception de sept , ont
décidé la négative , et demandé une autre
rédaction .
Alors , M. le Marquis de Bonnay revenant
à sa Motion de la veille , a de nouveaú
opine à faire par Bureaux le choix d'un projet,
non au scrutin , mais à voix haute , en indiquant
le titre da projet et le nom de son
Auteur. La Déclaration qui réuniroit le plus
de suffrages seroit alors deliberée et discutée
dans l'Assemblée .
M. Pérès de Lagesse a observé que dans
l'embarras du choix où se trouvoit l'Assem-
`blée , elle devoit repre ndre les Déclarations
présentées par le Comité Constitutif; retour
d'autant plus juste , qu'elles avoient servi
de modèle aux projets postérieurs , et qu'on
leur devoit la même déference qu'à celle du
Comité des Cinq , c'est-à -dire , de delibérer
si elles seroient discutees , ` qu non , avant
de passer à aucune autre,
MM. Demeunier , de Castellane , Péthion ,
opposoient le Règlement à l'opinion de M.
de Bonnay , lorsque M. de Lally a pris la
parole :
« L'Assemblée Nationale a décrété qu'une
Déclaration des droits de l'homme précéderoit
la Constitution : les difficultes que nous éprouyons
sont véritablement inquiétantes ; car si
l'accord sur un objet de cetté nature ne peut
se trouver entre douze cents hommes qui.¸
composent cette Assemblée ; comment espérer
que vingt-quatre millions d'hommes pourront
s'entendre ? Ecartez toutes ces questions métaphysiques
, substituez - leur des verités de
fait il faut sur la déclaration que vous aurez
adoptée , ne pouvoir ni raisonner , ni discu-.
( 352 )
ter ; il faut juger et saisir dès le premier aperçu.
Choisissez -donc la Déclaration la plus simple ,
la plus claire , et la plus courte . Si vous considérez
l'homme dans les forêts , hâtez-vous
de l'en arracher , et de le placer au milieu
de la France. Les Anglois , à qui la politique
doit de si grandes lumières , et la société un
Gouvernement si sage , ont toujours banni
de leurs lois la métaphysique. La Déclaration
des droits de l'homme, présentée par M. le
Marquis de la Fayette , et perfectionnée par
M. Mounier , m'a paru la plus digne d'être
promptement discutée ; et cette célérité est
importante. Votre choix une fois fait , ne
craignez point de peser les rapports entre Dieu
et l'homme: l'idée de la religion a toujours une
influence très -salutaire ; et qu'on ne croie pas
cet article de la Déclaration indifférent à son
objet . J'insiste donc sur ce que ce choix soit
fait le plus tôt possible , non dans les Bureaux ,
comme on l'a proposé , mais dans l'Assemblée
générale . »
Dix autres Membres ont présenté des observations
qui , plus ou moins , rentroient dans
les précédentes , et après lesquelles on a passé
aux voix par appel , sur le choix d'une Déclaration
: celle proposée par le sixième Bureau ,
et dont on attribuoit la rédaction à M. l'Evêque
de Nancy , a obtenu 620 suffrages ;
celle de M. l'Abbé Syeyes , 240 ; et celle de
M. dela Fayette , 419.
Nous ne transcrirons pas ce projet du
sixième Bureau , parce que , ainsi qu'on le verra
dans les Séances suivantes , la discussion ne
lui a pas été plus favorable qu'aux premières.
Séance du Soir , Mercredi 19 Aour. Presqu'entiérement
occupée par divers rapports ,
( 353 )
entre autres par celui d'un différend entre la
Députation du Couserans et celle des Quatre-
Vallées. Le Suppléant de la première prétendant
représenter la seconde , cette demande a
été combattue , et l'Assemblée a décidé qu'il
n'y avoit lieu à délibérer.
Autre rapport d'un démêlé entre les Communes
de Givet et Charlemont , et les Officiers
Municipaux de ces deux villes , desquels on
exige une reddition de compte. Cette contestation
a été renvoyée au Gouvernement.
Troisième rapport d'une plainte de la Commission
intermédiaire d'Alsace contre la
publication d'une lettre d'un Député de Belfort,
au sujet de l'Arrêté du 4, auquel , selon les
Réclamans , l'Ecrivain avoit donné , d'enthousiasme
, une extension contre laquelle il
s'élevoit. Plusieurs Membres pressoient la lecture
de la plainte et de la lettre , lorsque M.
Lawy a justifié ses intentions , et déterminé
l'Assemblée à un non délibéré.
A la fin de ces détails , M. de Mirabeau a
représenté un objet d'attention plus général ;
savoir , l'état de l'emprunt de 30 millions , qui
ne se remplit pas , et eelui du crédit national
qui paroît en souffrance. L'Orateur a répété
ce qu'avoit observé M. Necker , que le royaume
encore entier , non dévasté par l'ennemi ,
riche , plein de ressources , offroit mille motifs
de confiance . La liberté et l'harmonie ferient
reparoître le numéraire enseveli . Il ne s'agissoit
pas de déclamer contre les Capitalistes
et les Agioteurs ; mais on s'étoit trompé en
réformant le taux de l'emprunt ; on s'étoit
trompé en comptant sur le crédit public et sur
le zele patriotique. Il falloit sauver la foi publique
, et pour cela autoriser le Roi à prendre
les mesures qu'il jugeroit nécessaires à la destinée
de l'emprunt.
1
( 354 )
Sur cette proposition inattendue , M. Laville-
le-Roux a opiné à attendre les nouvelles
des provinces , à designer les époques de remboursement
, et à créer dans chaque province
une Caisse d'Escompte,
Les deux Motions ont été renvoyées à la
' discussion des Bureaux .
Du Jeudi 20 AOUT. M. de Montesson ,
Député de la Noblesse du Maine , et dont
le frère a été victime des fureurs populaires
de cette province , ayant résigné sa Commission
, M. le Comte de Praslin , son Suppléant ,
a été agréé par l'Assemblée .
Ici commence l'examen du Projet de Déclaration
des droits , rédigé par le sixième Bureau
, et d'abord, ce ui du préamhule.
M. Anson , Député de Paris , et Receveur-
Général des Finances a , le premier , attaqué
ce Projet , comme un canevas sans énergie
et sans dignité. Cet Opinant- a terminé ses.
remarques par l'aven que , a quoique en-
» rôle dans la Malice Financière , Milice qui
n'est point Nationale , il en attendoit la
« réforme avec impatience . »
M. Target a également relevé, dans ce Projet
, un manque d'énergie , de fermeté et
d'expression . C'est une table des matières qui
a besoin de changemens , d'additions et de développemens
essentiels au maintien de la
liberté.
M. Demeunier retranchoit les dix premiers
articles du Projet , sauf à y ajouter ensuite
les détails nécessaires .
M. de la Borde établissant que le principe
fondamental de tout ordre politique rési--
doit dans l'emploi de la force et des pouvoirs
de tous , au maintien et à l'extension
K
( 355 )
des droits de chacun , a offert un Projet de
préambule conforme à ces maximes .
M. Duquesnoy , à l'exemple du Preopinant ,
a considére The mme en société comme fait
pour acquerir , et non pour perdre des droits ,
dont la Déclaration etoit independante des
circonstances et des temps .
M. de Virieux a j gé le Projet incomplet
, et a fait lecture d'un preambule qu'il
avoit rédigé conjointement avec M. de Marguerittes.
M. le Vicomte de Mirabeau regrettant le:
temps perdu par l'Asssemblee , au choix d'une
Déclaration , a proposé d'adopter le décalo-.
gue. To s les droits de l'homine , à son avis ,
sont renfermés dans ces trois mots : Propriété,
sûreté , liberté. Les subtilités méthaphysiques
seront admirées de tous ceux qui ne les entendront
pas , et comprises par fort peu de
personnes .
M. de Volney plaçoit au préambule la
date , l'époque du présent régne , un exposé
succinct des faits qui nécessitent une Déclaration
, et les causes du désordre , suite de
l'oubli des devoirs dans le Gouvernement , et
de l'oubli des droits dans le Peuple.
M. Mounier a réclamé le préambule du Comité
des Cinq , ainsi qu'une invocation à l'Etre
Suprême . Plusieurs Membres ont adhéré à
cette addition . M l'Evêque de Nimes l'a ap- :
puyée avec onction .
M. Mongins de Roquefort a cité l'exemple
des Romains , qui invoquoient leurs Dieux à la
tête de toutes leurs Lois.
M. Pellerin , passant du Paganisme à la Loi
de Jésus Christ , a rappelé que les Empereurs
Romains ayant adopté le vrai Dieu , mirent
leurs Codes sous sa protection. La Suède , la
( 356 )
Russie , l'Amérique , etc. ont imité cette sagesse.
Serions -nous les seuls à nous en écar
ter ?
" Que pensera- t-on , s'est écrié M. l'Abbé-
Grégoire , quand on saura que nous avons
discuté long-temps pour , savoir si nous invoquerions
à la tête de nos lois , cet Etre -Suprême
, de qui seul elles émanent , et qui
seul peut nous donner les lumières nécessaires
pour les bien déterminer ?
Un Membre des Communes rejetoit ces
termes : En présence de Dieu , parce qu'ils
pourroient faire croire qu'il y a quelque chose
hors de sa présence.
Un Curé dit qu'on ne pouvoit juger les
projets d'articles par une lecture rapide ; qu'il
falloit , suivant les termes du Règlement ,
en différer de trois jours la discussion.
M. le Président lui fit observer que, ni ces
articles , ni les amendemens n'étoient des motions
, et que 24 articles exigeroient 72 jours
de discussion.
L'appel des voix , l'impatience et le bruit,
ont amené la délibération à son issue . Une
grande majorité a rejeté le préambule du
sixième Bureau , et a fini par reprendre celui
du Comité des Cinq , tel qu'on va le lire dans
l'instant.
´L'Assemblée passant à la discussion des
articles mêmes de la Déclaration , M. d'André
a proposé de réduire les cinq premiers en un
seul , dont il a donné le modèle : M. Target
a aussi présenté le sien . Plusieurs Membres
demandoient des limitations , d'autres
plus d'étendue à la rédaction . Enfin , l'on
a consenti à trois articles proposés par M.
Mounier , à la place des six premiers du projet.
( 357 )
En voici la teneur , ainsi que celle du préambule
:
Les Représentans du Peuple François ,
constitués en Assemblée Nationale , considérant
que l'ignorance , l'oubli , ou le mépris
des droits de l'homme , sont les seules causes
des malheurs publics , et de la corruption
des Gouvernemens , ont résolu d'exposer dans
une Déclaration solennelle les droits naturels ,
inalienables et sacrés de l'homme , afin que
cette Déclaration constamment présente à
tous les Membres du Corps social , leur rappelle
sans cesse leurs droits et leurs devoirs ,
afin que les actes du pouvoir législatif et
ceux du pouvoir exécutif , pouvant être à
chaque instant comparés avec le but de toute
institution politique , en soient plus respectés ;
afin que les réclamations des Citoyens
fondées désormais sur des principes simples
et incontestables , tournent toujours au
maintien de la Constitution et au bonheur
de tous. »
« En conséquence , l'Assemblée Nationale
reconnoît et déclare , en présence et sous
les auspices de l'Etre- Suprême , les droits suivans
de l'Homme et du Citoyen . »
ART. I. Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur
P'utilité commune.
H. Le but de toute association politique
est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l'homme . Ces droits sont la liberté
, la propriété , la sûreté et la résistance à
l'oppression.
III. Le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la Nation . Nul
( 358 )
corps , nul individu ne peut exercer d'autorité
qui n'en entane expressément.
Du Vendredi 21 AOUT. On nous pardonnera
d'élaguer le rapport des Difcuffions de cette
Séance. Nous n'avons pas la tête affez forte pour
en faifir les détai's ; ils accableroient le Lecteur
le plus avide de ces contentions philofophiques
& grammaticales.
La Séance a commencé par la lecture de l'Adreffe
d'un grand nombre de Gentilshommes de
Quimper , qui adhèrent à tous les Arrêtés paffés,
préfens & tuturs de l'Affemblée .
Difcuffion r'ouverte fur les articles de la Déclaration
de droits projetés par le fixième Bureau
, M. le Chevalier Alexandre de Lameth a propoté
deux Articles fur la Definition de la Liberté,
à fubftituer aux articles 7 , 8 , 9 & 10 du projet.
M. d'André a auffi préfenté fon offrande , &
Pa retirée. Cinq Députés ont parlé pour ou contre
le mot évidemment ; fix autres fur la préférance
du met peut fur le mot veut : Un Membre
du Clergé rejetoit le terme de Liberté , comme
trop général , & demandoit celui de Liberté civile :
la Liberté fans adjectif a prévalu , & les deux
Articiés de M. Lameth ont été décretés en ces
termés :
» ART. IV. La liberté confifte à pouvoir faire
tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainfi l'exer-
» cice des droits naturels de chaque homme n'a
» de bornes que celles qui affurent aux autres
Membres de la Société la jou ffance des mêmes
» droits : ces bornes ne peuvent être déterminées
» que par la Loi . »
» V. La Loi ne doit défendre que les actions
» nuifibles à la Société. Tout ce qui n'eſt pas
» défendu par la Loi ne peut être empêché .
( 359 )
» Nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle
n'ordonne pas. »
Paifant à Particle XI du Projet , concernant le
droit de tout Citoyen à tous emplois publics , PALfemb
ée, d'accord fur le principe , s'eft divifée fur
les expreffions du Décret à prendre. M. Barrère
de Vieuzac ne trouvoit point l'Artic'e d'un ton
affez élevé, & a propofé d'en rehauffer l'énergie.
M. de Beauharnais un ffoit l'Article XII à celui
en diſcuſſion ; MM. de Volney & Pifon du Galand
demandoient la priorité de cet Ar icle XII fur
le onzième. Chaque mot amenoit une foule d'opinions
diverfes , & de débats métaphyfiques.
M. le Marquis de Gouy- d'Arcy a dit : J'ai
toujours penfé , Meffieurs , que dans une Déclaration
de droits , le premier mérite étoit la c'arté ,
& le fecond la préciſion . C'eft dans certe opirien
que je foumets aux vores the rédaction
des cinq Articles XI , XII , XIII , XIV & XV,
que j'ai réduits en un feul. »
» La Loi érant l'expreffion de la volonté gé
» nérale , fera le réſultat du vou médiat ou immédiat
de tous , égale pour tous ; dans les
» mêmes délits , elle prononcera toujours les
» mêmes peines , & elle n'écartera jamais des
Emplois pubics aucun fujer capable. » "
&
MM. Camus , le Chapelier , Target , & prefque
tous les Opinans , ont offert des Rédactions différentes.
Celle de M. l'Evêque d'Autun ayant pris
faveur , elle a été arrê é fur le mot SUSCEPTIBLES
d'admiffion aux places , felon les vertus & les talens.
Le terme d'admiſſibles a paru plus exact ,
a prévalu. Celui de vertus & talens a entraîné une
autre controverse ; M. Mounier trouvoit le mot
capacité moins vague ; enfin , pour tout concilier ,
on a déclaré admiffibles la capacité , les vertus
& les talens. La teneur de l'article déc été , eft :
" La Loi eft l'expreffion de la volonté géné360
)
» rale. Tous les Citoyens ont le droit de re-
" courir perfonnellement ou par leurs Repréfen-
« tans à fa formation . Elle doit être la même
» pour tous , foit qu'elle protège ou qu'elle pu-
» niffe. Tous les Citoyens étant égaux à fes yeux ,
» font également admiffibles à toutes Dignités ,
» Places & Emplois publics , felon leur capacité ,
» & fans autre diftinction que celle de leurs
» vertus & de leurs talens . «
?
>
Séance du foir. Vendredi 21 AOUT. En Hainaut
, à la Requête des Officiers municipaux
& de l'Intendant , M. le Comte d'Esterhazy
Commandant de la Province a fait arrêter
quatre habitans de Marienbourg , & les a fait
mettre en prifon le 13 de ce mois . Ces quatre
hommes ont porté plainte à l'Affemblée nationale
; & fur le rappo t de cette affaire , pluſieurs
membres fe font élevés avec rigueur contre M.
d'Efterhazy : l'un d'eux alloit même juſqu'à requérir
qu'on le blamât. M. le Marquis de Gouy
d'Arfy, député de Saint - Domingue , s'eft levé :
» Je penſe , a t - il dit , que l'Affemblée na-
» tionale ne peut agir , dans cette circonſtance ,
» que conformément aux décrets qu'elle a pro-
» noncés fur des détentions femblables. »
" Quant à M. d'Efterhazy , que je ne connois
» point , je n'entreprendrai point fa défenfe ;
» mais c'est avec douleur que j'ai entendu un
» membre de cette augufte Affemblée , conclure
" à ce que ce Commandant fût blâmé : le blâme
» de l'Affemblée nationale me paroît le plus
» grand , le plus févère de tous les châtimens
» qu'un François puiffe fubir , & je ne pourrois
» concevoir que des Juges intègres prononçaffent
» l'Arrêt le plus redoutable contre un citoyen qui
» n'a pas été entendu , qui n'a pas même été ap-
" pělé. Vous , Meffieurs , qui élevez le grand
édifice K
( 361 )
» édifice de la liberté ; vous qui venez d'abattre
" le coloffe monftrueux du defpotifme , vou-
» driez-vous exercer la plus cruelle des magiftra-
» tures ? Voudriez- vous être le Miniftre de la plus
» dangereufe des Ariftocraties , celle de difpofer
» fouverainement , fans appel , de l'honneur d'un
» citoyen qui eft peut-être innocent ?
» Si le Commandant du Hainaut étoit coupa-
" ble , d'avoir , contre le droit naturel , & contre
» les lois que nous allons faire , attenté à la liberté
» des Citoyens ; ferions- nous moins coupables que
» lui , de le condamner fans l'entendre ? D'ail-
» leurs , Meffieurs , fur quelles lois le jugerez
» vous ? les voeux que votre humanité a exprimés
» jufqu'ici , ne font point encore des lois promulguées.
Penferiez- vous que , dans ce cas même ,
» vos Décrets puffent avoir un effet rétroactif ?
» S'il en étoit ainfi , ils deviendroient la terreur
» de la France , au lieu d'en être les confola-
» teurs bienfaifans .
"
» Je concluds donc , 1 °. à ce que les quatre
» Citoyens arrêtés foient élargis , s'ils ont été dé-
» tenus fans décret préalable ; 2 ° . à ce que toute
» opinion foit fufpendus fur le compte de l'Agent
» du pouvoir exécutif , jufqu'à ce qu'il ait été
» prouvé qu'il eft prévenu d'un délit. »
Cet avis , développé enfuite par M. Emery,
a été adopté.
Du Samedi 22 AOUT. Après l'indication ordinaire
des adreЛles à l'Affemblée , M. Fréteau
lui a fait part d'une Requête de M. Meunier de
L'Erable , Auditeur des Comptes , qui fair homà
l'Affemblée d'un Tableau alphabétique ,
mage
qu'il a dreffé , de toutes les Penfions & des noms
des Penfionnaires , & qui demande que fon travail
foit joint à celui du Comité des Finances ,
auquel il offre les renfeignemens néceffaires . Cette
N°. 35. 29 Août 1789. ૬
( 362 )
propofition a été acceptée avec des remerciemens
à l'Auteur.
On a mis en difcuffion
l'Article
XIV du
Projet de Déclaration
du 6° . Bureau , relatif à
la liberté individuelle
.
M. Target a propofé une forme de Rédaction
moins générale , & l'addition d'une clauſe contre
tous Ordonnateurs , cu Exécuteurs d'Ordres arbitraires.
M. le Marquis de Bonnay réuniffoit
plufieurs autres Articles du projet dans la Rédaction
qu'il a préfentée à fon tour , en infif
tant fur ce qu'on ôtât formellement à la Loi
tout pouvoir rétroactif.
M. Duport : Rien n'honore plus un Peuple que
la douceur de fa légiflation . Celle des Anglois
eft le principe des Sentimens généreux de cette
Nation. L'exil étoit , chez les Romains , la plus
grande peine pour un Citoyen , & vous devez
créer des Lois qui conviennent à des hommes
libres. Dé ruifez donc c's Cachots de nos Prifons
criminelles , cent fois plus cruels que ceux
de la Baftille . On ne peut fans effroi penfer aux
horreurs de ces cavernes infernales ; la Déclaration
des Droits fera le remède à ces excès , &
fervira de frein au légiflat.ur.
» La Lɔi ne peut établir de pe'nes que celles
indifpenfablement réceffaires au bien commun
& proportionnées au délit . «
que
» Et nul homme ne peut être maltraité avant
d'avoir été condamné. «
Quelques Membres regardèrent ces Articles
comme prématurés , & comme faifant partie de
la légiflation.
M. de Lally-Tollendal exprima la néceffité de
faire entrer ces principes dars la Déclaration des
Droits. Ce ne font pas des Lois , dit- il , mais
des devoirs de la Loi.
» La fociété a befoin de fe faire pardonner
K
( 363 )
le droit terrible de donner la mort à un
être vivant. S'il étoit un Pays où le Defpctifme
judiciaire exerçât fes ravages ; s'il étoit un
Pays où de malheureufes rivalités d'Etat excitaffent
les Paffions , cù la mort d'un homme
pouvoit être la jouiffance de la vanité d'un au -`
tre ; s'il étoit un Pays , où l'on eût raffafié d'opprobre
un malheureux , accufé par le defpctifme
d'un feul homme , ne feroit - il pas néceffaire d'y
rappeler les Juges à l'humanité & à la juftice ? ....
Sachons fupporter la vérité : ce Pays eft celui
que nous habitons , ma's auffi celui que nous régénérons.
»
M. le Préfident , pour ramener la queftion ,
mit aux voix l'Article 14 du Projet. Il fut reje
é unanimement.
Alors , MM. Target , Duport & de Bonnay ,
adoptant mutuellement leurs Articles refpe&tifs
M. le Préfident les réunir en une feule rédaction
, & M. Fréteau en fit la lecture
qui donna naiffance à une infinité d'amendemens.
Le plus effentiel regardoit la reſponſabilité de tous
les Inftrumens quelconques de l'exécution des Lois.
Tous Ordres Arbritraires , dit M. Rabaud de Saint-
Etienne , font puniffables. Tous ceux qui les auront
follicités , expédiés , exécutés ou fait exécuter , font
refponfables envers l'Accufé & la Société. Les Subalternes
doivent être punis , s'ls exécutent des
Ordres contre les difpofitions de la Loi .
» Il n'eft pas de Peuple , ajouta M. de Mirabeau
, chez lequel on ait nié qu'un Cityen ne
doit être arrêté qu'en vertu des Leis . »
Ce principe exifta toujours dans notre légiflation.
Il n'a pas prévenu c pendant le monceau
de Lettres - de- Cachet dout on accabloitles Citoyens
fouvent les plus innocer s. La efpenfabilité
des Agens de l'autorité eft le feu moyen de réprimer
ce defpotifme. Déja plufieurs de vos déq
ij
( 364 )
aux
crets ont déclaré reputables tous les Exécuteurs
d'Ordres . N'ome : tez donc point , dans vo-
、re Déclaration , ce Droit effentiel de faire
endre compte de leur Adminiſtration ,
épofitaires de leur autorité ..... Souvenez -vous
u vous ne ferez jarnais que des efclaves , fi du
pre mier Miniftre jufqu'au de nier fbirre , tous ne
font refponfables de leur conduite.
M. Mallouet trouvoit les articles 19 , 20 &
21 de la Déclaration de M. l'Abbé Sieyes , plus
propres à exprimer la liberté civile & individuelle .
M. le Duc du Châtelet cita l'ufage de l'Angleterre
, cù l'on ne peut arrêter unparticulier , que par
un ordre figné Warrant. Si l'ordre eft injufte ,
celui qui l'a figé eft attaquable.
M. l'Archevêque d'Aix : Il faut déterminer la
perfonne qui doit donner l'ordre ; car il eſt abfurde
qu'un Agent fubalterne foit refponfable
de l'infraction de la Loi. Il ne peut connoître que
quelques formes , & les perfonnes autorifées à
commander. Tout ce qui regarde les ordres arbitraires
, doit être rejeté dans la Législation même.
:
Un autre membre propofa d'ajouter à ces
mots; arrêté , ni détenu , nipuni , ceux- ci : ni troublé
dans l'ufage de fa propriété. Cet amendement , ditil
, ne peut faire fort à perfonne , mais peut faire
du bien à beaucoup de monde.
M. le Préfident mit alors en délibération les divers
amendemens propofés ... Le premier confiftoit à
retrancher le mot accufé. Le mot fut confervé..
Le fecond , à renvoyer à la Légiflation qui regarde
les ordres arbitraires .
» Je vois un grand danger, dit enfuite M. de Gouy
d'Arcy , à laifler à tous les Subalternes le droit de
difcuter la loi ; & ce droit leur appartiendroit , fans
doute , s'ils devoient répondre de fon exécution . "
« Seroit- il jufte enfuite que , pour une feule
faute commife par un Miniftre , vous euffiez peutêtre
ceat coupables à punir ; & fi l'on admet
( 365 )
toit cette doctrine , quelle feroit la compofition
de tous les Agens du pouvoir exécutif ? »
» Toujours placés entre la peine due à l'infubordination
, lorfqu'ils fe refuſeroient à un Ordre
Légal , & le châtiment infligé par la refponfabilité
abfolue , lorfqu'ils auroient mal interpiêté
la Loi , la liberté n'auroit pour Miniftres
, d'autres individus que ceux qui n'au-,
roient rien à perdre ; & bientôt le défordre fuccéderoit
à cet Ordre admirable que la Conftitution
doit établir. »
» On confond , reprit M. de Mirabeau , le
Dogme de la refponfabilité avec le Mode . Le
Chef de la Société , feul excepté par l'inviolabilité
de fa perfonne , toute la hiérarchie fociale
doit être refponfable . Le Dogme de cette refponfabilité
eft un Droit de la Nation . C'eft un
principe dont les détails feront exprimés dans
la légiflation , mais qui doit faire partie de la
Déclaration des Droits . C'eft une de ces maximes
imprefcriptibles , auxquelles font fubordonnés
les Légiflateurs eux- mêmes.
Les Agens fubalternes ont des formes ftri&tement
prefcrites. C'eft de ces formes , de cette régularité
dans l'exécution de la Loi qu'ils doivent
être refponfables.
M. Demeunier fut du même fentiment , &
l'amendement fur la refponfabilité rejeté prefque à
l'unanimité.
On fit une troifième lecture des Articles corrigés
d'après les obfervations précédentes . Ils furent
adoptés dans la forme que voici .
ART. VII. « Nul homme ne peut être accufé ,
arrêté , ni détenu , que dans les cas déterminés
par la Loi , & felon les formes qu'elle a prefcrites.
Ceux qui follicitent , expédient , exécutent
ou font exécuter des ordres arbitraires , doivent
être punis. Tout Citoyen appelé ou faifi en
q nj
( 366 )
vertu de la Loi , doit obéir à l'inftant ; il fe rend
coupable par la réfiftance.
"
VIII. La Loi ne doit établir que des peines
ftrictement & évidemment néceffaires ; & nul
ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie ,
promulguée antérieurement au délit , & légalement
appliquée.
IX. Tout homme étant préſumé innocent
jufqu'à ce qu'il ait été condamné , s'il eſt jugé
indifpenfable de l'arrêter , toute rigueur , qui ne
fera pas néceffaire pour s'affarer de fa perfonne ,
doit être févèrement réprimée par la Loi , »-
Plufieurs Opinans entamèrent enfuite la difcuffion
des Art. XVI , XVII , XVIII du projet
fur la liberté des Opinions religieufes & le
refpect du Culte Public ; mais , d'après la Motion
de M. l'Abbé d'Aymar , on renvoya au lendemain
Dimanche l'examen ultérieur de ces Articles ,
dont il demanda la féparation. "
On termina la Séance par la lecture d'une
lettre de M. Necker , où ce Ministre annonce
qu'il viendra, mercredi prochain, rendre compte
de l'état de l'Emprunt , et prie qu'on suspende
jusqu'alors toute délibération sur cet objet.
M. de Mirabeau se leva pour déclarer qu'une
Lettre Alinistérielle ne devoit pas influer sur
les délibérations de l'Assemblée , et M. d'André
observoit que le Ministre auroit dû se
'rendre en personne à l'Assemblée , et ne point
attendre à mercredi . On renvoya cette discussion
à la Séance du soir , où il n'en a pas
été question.
le
Du Dimanche 23 AOUT. Cette Séance
caractérisée , comme plusieurs autres , par
tumulte des opinions et par un acharnement
à les défendre , peu compatible avec la régularité
d'une Assemblée législative , a eu
( 367 )
pour objet la question la plus sérieuse. Il
s'agissoit non-seulement du respect inviolable
dû aux opinions religieuses ; mais encore de
la liberté générale à accorder à chacun dans
l'exercice de sa Religion . D'un coup d'oeil
on embrasse les conséquences de ces deux
principes jusqu'ici séparés dans les Etats qui
se piquent de tolérance , et qui , en consacrant
une Religion dominante , lui ont plus
ou moins subordonné l'exercice des Cultes
dissidens. Les articles XVI et XVII du projet
de Déclaration ne contenant que des devoirs
, M. Péthion de Villeneuve fit observer
qu'ils appartenoient à la Constitution , et qu'l
n'y avoit pas lieu à délibérer . Cette opinion fut
plutôt discutée que contredite ; mais appuyée
par M. l'Evêque d'Autun , elle devint unanime .
L'article XVIII amena l'orage . M. de Mirabeau
présenta avec feu les maximes philosophiques
de quelques Ecrivains modernes ,
contre toute police religieuse , contre la prohibition
des Assemblées de Sectaires , contre
tout culte dominant qu'il appella une opinion .
Par une suite de ces principes , il adopta la Motion
faite la veille par M. de Castellane , et qui
portoit : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions religieuses , ni troublé dans l'exer
cice de sa Religion .
"C
<<
сс
"
La première partie de cette double proposition
n'excita pas de grands débats . La seconde
les absorba tous , et d'abord M. de
Castellane lui-même la défendit . Des signes.
d'improbation se manifestèrent M. le Président
réclama l'ordre et la tranquillité . Divers
Opinans , entre autres M. l'Archevêque de
Paris , jugèrent qu'il n'y avoit lieu à délibérer
; d'autres renvoyoient à la Constitution :
alors M. de Castellane retira la seconde partie
q iv
( 368 )
de sa Motion. On proposa aux voix l'article
18 de la Déclaration ; il fut rejeté , et le premier
point de l'avis de M. de Castellane resta
seul en discussion . Bientôt il fut atténué par
divers amendemens , dont le plus complet ,
soutenu avec sagesse et modération par M.
de Virieux , soumettoit la liberté des opinions
religieuses à la restriction suivante , pourvu
que leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public.
M Rabaud de Saint - Etienne parla trèslong-
temps; son discours éloquent et persuasif,
mais contraire aux idées du Préopinant , exigera
, ainsi que plusieurs autres , une mention
particulière . M. Rabaud demandoit pour chaque
homme la liberté de professer son propre culte.
MM . les Evêques de Clermont et de Lydda
développérent, en le justifiant, l'amendement de
M. de Virieux. Les modifications s'entassoient,
lorsque , sur la demande de M. le Président , i
il
fut décidé qu'il y avoit lieu à délibérer encore.
Un nouvel amendement , qui spécific
Tordre public , ÉTABLI PAR LA LOI , Suecéda
aux précédens . M. de Mirabeau_reprit
la parole pour le combattre , et eut à combattre
, avec l'amendement , l'Assemblée ellemême
, à laquelle il demanda acte de son
refus : il se rendit au Bureau revint à
sa place ; les clameurs redoubloient , elles augmentèrent
encore de la part de l'Opposition ,
Torsque les deux principaux amendemens furent
admis . Présentés aux suffrages , conjointeinent
avec la Motion originelle , ils furentrepoussés
par un nouveau tumulte . Vingt fois
M. de Clermont - Tonnerre voulut calmer la
tempête : les esprits ne reconnoissoient plus
de Pilote ; et ce Président , qui réunit tant de
noblesse à tant de prudence, modèle lui - même
( 369 )
de toutes les qualités d'un Opinant , se vit
forcé d'offrir deux fois sa démission . Le voeu
public a prévenu cette perte , et enfin , à quatre
heures et un quart , la Motion et les amendemens
ont été décrétés en ces termes :
« Nul homme ne doit être inquiété dans
ses opinions , même religieuses , pourvu que
« leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public , établi par la loi . » *
Nous compléterons par la suite le rapport
des détails de cette délibération .
Supplément à l'Assemblée Nationale
Nous avons été priés de revenir sur
une Motion faite en ces termes , le 23
juillet , par M. Brouillet , Curé d'Avize .
MESSIEURS ,
» Les mouvemens tumultueux d'un Peuple
égaré vous affligent ; votre coeur frillogne au triſte
récit des excès qu'il fe permet ; vous avez cherché
, de fang-froid , dans vos juftes & tendres
inquiétudes , le remède à tant de maux : parmi
ceux que votre éloquente fagefle a indiqués , l'établiffement
d'une Garde-Bourgeoife , confacré ,
fanctionné par le pouvoir exécutif , vous a pa u
efficace. J'oferois me permettre de vous obferver
que , dans les hameaux où l'impérieuſe réceffité
force au travail , où les individus n'ont du pa'n
que trempé dans la fueur , cù le jour fuffit à
peine à la journée pour l'ur en fournir pour alimenter
leurs familles , ce remède n'en peut être
un , à moins que les amas berfaifantes , les
citoyens ailés ne viennent à leur fecours. »
Mais un moyen qui produiroit par- tout des
effets falutaires , qui exifte dans tous les lieux ,
Q V
( 370 )
"
fi fouvent éprouvé avec avantage , qui tout mo
ral qu'il eft , influe fouverainement fur l'ordre
Civil & Politique , c'eft l'intervention , l'exercice
de la follicitude de ces zélés & verteux
Paſteurs dont mille circonftances périlleuſes juſ
tifient mon opinion ; ils peuvent tout fur l'efprit
fur les moeurs de leurs ouailles ; ils font plus
humains , plus citoyens , plus patriotes , plus
François que jamais : leur religion & leur piété
éu ent , perfectionnent ces nobles , ces glorieuſes
qualités , ils ne ceffent de les propofer aux Peuples
comine le précieux objet de leur admiration
& de leur convoitife ; ils n'attendent pas ,
fans doute , vos ordres pour déployer leur courage
, contenir & ramener au calme ceux que
l'effervefcence du moment féduit ou entraînę .
Mais , Meffieurs , un mot de votre bouche , une
Adrefle de votre part , dictés par cet amour de
la patrie qui vous enflamme; la plus foible marque
de confiance feur communiqueroit une impulfion
trop puiffante , pour ne pas amener les
fuccès qui fo. t dans vos coeurs. »
» Que mes Confières difent fi ma Motion eft
jufte , fi elle n'exprime pas leur fincère vou ,
s'ils ne voudroient pas fe trouver , dans ces momens
de crife , au milieu de leurs Peuples , pour
les défarmer au nom de la religion qui les confole
, de la patrie qui les plaint ? Qu'ils difent
s'ils n'ont pas déja recommandé à leurs fidèles
Suppléans le fort de tant d'infortunés , & fi à
cet égard ils n'ont pas épanché , dans leur ame ,
les juftes inquiétudes , le défefpoir paternel dont
la leur eft agitée? »
» Je vous prierois , Meffieurs , de vous rappeler
la fatale époque du brigandage des grains ;
de ne pas feparer de cette trifte idée la conduite
courageufe & confolante des Curés ; combien
leur utilité les combla de bénédictions ! com(
371 )
bien enfin ils fe firent gloire d'être victimes de
leur devoir , & de juftifier la haute confiance dont
le Gouvernement , dans fa fageffe , honora leur
zèle ! »
» Je foumets au refte , Meffieurs , avec autant
de déférence que de fécurité , mon avis fur
ce point , à votre amour ardent & éclairé pour
la patrie. »
M. l'Abbé Sieyes a publié , ces jours
derniers , des Observations sommaires
sur les Biens Ecclésiastiques , que
nous voudrions pouvoir transcrire en
entier. Chaque ligne est un argument , et
il est difficile de porter plus loin la force
de tête et celle de style . C'est un modèle
de véritable énergie , de celle qui résulte
de la précision d'idées frappantes , et
non de déclamations , où le ton furieux
couvre la nullité du raisonnement . Nous
placerons dans huit jours quelques fragmens
de cet Ecrit , à l'art. Paris.
Mais on nous saura gré de rapporter
aujourd'hui , sans l'abréger , un morceau
détaché de ces Observations , sous
le titre suivant ( 1 ) :
Opinion de M. l'Abbé Sieyes sur l'Arrêté
du 4 , relatif aux dimes , pro-
(1 ) Il comprend le Discours de M. l'Abbé
Sieyes , dans la Séance du 19 août , et dont
nous n'avions pu donner qu'un extrait imparfait.
q vi
( 372 )
noncée, le 10 août, à la Séance du
soir.
Du 12 Août 1789.
Mes principes fur la dime Eccléfiaftique n'ont
pas pu ê re expofés dans cette Séance , İl ne s'agiffoit
pas de juger l'affaire au fond , mais feulcment
de recevoir ou rejeter la rédaction de l'article
VII de l'Arrêté du 4 , que le Comité de
rédaction avoit préfenté à l'Affemblée dans les
termes fuivans.
» Les Dimes en nature , eccléfiaftiques , laïques
inféodées , pourront être converties en rede-
» vances pécuniaires , & rachetab es à la volonté
» des contribuables , felon la proportion qui
» fera réglée , foit de gré à gré , foit par la loi ,
» fauf le remploi à faire par les décimateurs ,
» s'il y a lieu. »
Je connois auffi bien qu'un autre tous les inconvéniens
de la dime , & j'aurois pu à cet
égard enchérir fur tout ce qui a été dit. Mais
parce que la dime eft un véritable fléau pour
l'agriculture , parce qu'il eft plus néceffaire d'affranchir
les terres de cette charge , que de toute
autre redevance , & parce qu'il eſt certain encore
que le rachat de la dime peut être employé
plus utilement & plus également que la dime
elle-même , je n'en concluds pas qu'il faille faire
préfent d'environ foixante- dix milions de rante
aux Propriétaires fonciers. Quand le législateur
exige ou reçoit des facrifices , dans une circonftance
comme celle-ci , ils ne doivent pas tourner
fo profit des riches , foixante- dix millions de
iente étoient une refforce immenfe ; elle eft
perdue aujourd'hui . Je dois croire que j'ai tort ,
puifque l'Aflemblée en a jugé autrement ; mais
peut- être ce tort ne paroîtra- t-il pas fi grave à
ceux qui voudront bien m'entendre.
( 373 )
On a comparé la dime à un impôt ; elle a trèscertainement
les inconvéniens du plus déteftable
de tous les impôts ; mais on fe trombe , finon
fur fes effets , au moins fur fon origine Lorfque la
Nation , ou plutôt la loi a parlé , pour la première
fois , de la dime , elle s'étoit déja établie depuis
plus de trois fiècles ; elle étoit différente , fuivant
les lieux, foit dans fa quotité , foit relativement
aux eſpèces de produit. Ces différences fubfiftent
encore aujourd'hui ; elles font la fuite naturelle
de la manière dont la dîme s'étoit établie. Elle a
été d'abord un don libre & volontaire de la part
de quelques Propriétaires. Peu - à -peu l'afcendant
des idées religieufes l'a étendue prefque par- tour;
elle a fini par être une véritable ceffion , fur-tout
par ceux qui tranfmettoient leurs biens : les héritiers
ou les donataires les acquéroient à cette
condition , & ils n'entroient dans le commerce ,
que chargés de cette redevance . Ainfi , il faut
regarder la dime comme une charge ou une redevance
impofée à la terre , non par la Nation ,
comme on le prétend fans aucune espèce de
preuve , mais par le Propriétaire lui -même , libre
affurément de donner fon bien à telles conditions
qu'il lui plaifoit. Il y a plus : c'eſt qu'il
eft impoflible d'imaginer comment , ni quand la
Nation auroit pu impofer cette prétendue taxe
publique. On voir feulement que beaucoup de
redevab es , tantôt dans un lieu , tantôt dans un
autre , refufoient quelquefois de l'acquitter : alors
ces conftations fe terminoient , comme tous les
procès , par les Jages. Les premières lois connues
à cet égard n'ont été que la rédaction d'fages
en vigneus. Toutes nos coutumes font dans ce
cas. Elles n'ont pas même dit : La dîme fera étable
; elles ont dit : C'est à tort que quelques- uns
refuferoient de payer a dime. La loi doit garaatir
toutes les propriétés ; elle garantifoit celle(
374 )
là comme toutes les autres ; & en vérité cellelà
ne valoit pas moins qu'une autre. Quand on
confidère , avec impartialité , à quelle origine
on peut faire remonter toutes les propriétés , on
a bien tort affurément de fe montrer difficile fur
l'origine des dime ....
Quoi qu'il en foit , il fuit , 1. que la dime
ne doit point, être comparée à un impôt , ou
une taxe mife fur les terres , tels que les vingtièmes
, par exemple , mais à une véritable redevance
, mife fur fes biens par le propriétaire
lui-même. L'impôt n'eft confenti que pour un
tems : il eft révocable à la volonté des Repréfentans
de la Nation ; au lieu que la dîme a été
cédée à perpétuité par ccux mêmes qui pou
voient s'en deffaifir. 2 °. Par cónféquent , elle ne
doit pas être fupprimée au profit des propriétaires
actuels , qui d'ailers favent très-bien qu'ils
n'ont jamais acheté la dîme , & qu'elle re fauroit
leur appartenir. 3 ° . Néanmoins la dîme ,
étant à jule raison placée dans la claffe des propriétés
, légitimes à la vérité , mais nuii b'es à la
chofe publique , il faut l'éteindre comme
éteint ces fortes de propriétés , c'est-à-dire , en
offrant une indemnité. 4 °. Le rachat doit être
convenu de gré à gré entre les communautés
& les décimateurs , ou réglé au taux le plus
modique par l'Affemblée Nationale . 5 ° . Enfin ,
les fommes proves antes de ce rachat peuvent
être placées de manière à ne pas manquer à
l'objet primitif des dimes , & cependant elles.
peuvent fournir à l'état des reffources infiniment
précieufes dans la circonftance .
оп
C'eft ainfi que j'avois conçu l'affaire des dîmes ,
& je conviens que je n'ai pu être de l'avis de
tout le monde . Mais , pour n'en être point
confus , j'ai confidéré que j'étois chargé de dire
( 375 )
mon avis , & non celui des amis ou des ennemis
du Clergé.
Au moment encore où j'écris , je fuis étonné ,
& affligé plus que je ne voudrois l'être , d'avoir
cn; endu décider : " Que les dîmes de toute nature ,
» les redevances qui en tiennent lieu , font abolies ,
» fauf à avifer aux moyens de fubvenir , &c. , "
J'aurois défiré qu'on eût avifé aux moyens de
fubvenir , &c. avant d'abolir : on ne dér,uit
pas une ville , fauf à avifer aux moyens de la
rebâtir.
J'aurois défiré qu'on n'eût pas fait un préfent
gratuit de plus de fuixante- dix millions de rente
aux propriétaires afuels , mais qu'on les eût
la ffés racheter cette redevance comme toutes les
autres , & avant les autres , s'ils la trouvent la plus
onéreufe.
J'aurois défiré que par un emploi bien adminiftré
de ces rachats , on cût fecouru la chofe
publique , en lui prêtant à trois & demi ou quatre
pour cent , & l'on eût fait un fonds fuffilant
pour nourrir les Curés , les Vicaires , & tant d'autres
Eccléfiaftiques qui vont mourir de faim , en
attendant qu'on ait avifé aux moyens , & c . parce
qu'il eft bien difficile de conjecturer que la dîme
fera payée de fait jufqu'au remplacement promis,
malgré les ordres de l'Affemblée .
J'aurois défiré qu'on eût ainfi évité le beſoin
du remplament annoncé . Car , fi le remplacement
eft payé par un nouvel impôt fur la généralité
des contribuables , ceux qui n'ont point
de terres , il faut en convenir , ne trouveront
pas très agréable d'être chargés de la dette de
meffieurs les propriétaires fonciers.
Si le remplacement ne porte que fur les fonds
de terre , comme tous les propriétaires ne payent
pas la dîme au même taux , & fur les mêmes
produits , les uns perdront , les autres gagneront
( 376 ) -
à cette converfion , & puis cette idée reſſemble un
peu au projet d'égaliter les dettes . Si le remplacement
n'eft répa ti fur les propriétaires qu'à raifen
de ce que chacun payoit déja , étoit- ce bien
la peine de rejeter le rachat que je demande ?
Efi , je cherche ce qu'on a fait pour le peuple
dan cette grande opération , & je ne le trouve
pas : mais jy vois parfaitement l'avantage des
riches. il eft calculé fur la proportion des for--
tunes ; de forte qu'on y gagne d'autant plus ,
qu'on eft plus riche. Aufli , j'ai entendu quelqu'un
remercier l'Afemblée de lui avoir donné
par fon feul Arrêté trente mille livres de rente
de p'us .
Beaucoup de perfonnes fe perfuadent que c'eſt
aux Fermiers qu'on a fait le facrifice de la dîme.
C'eft connoître bien peu les caufes qui réglent
par-tout les prix des baux : en général , toute diminution
d'impôt ou de charge foncière retourne
au profit du propriétaire. Les gros propriétaires
n'en deviendront pas plus utiles , ou n'en feront
pas mieux cultiver leurs terres , parce qu'au lieu
de dix , de vingt mille livres de rentes , ils en
auront à l'avenir onze ou vingt -deux . Quant aux
petits propriétaires qui cultivent eux- mêmes leurs.
champs , ils méritent certainement plus d'intérêt.
Eh bien , il étoit poffible de les favorifer dans
le plan du rachat que je propofe . Il n'y avoit
qu'à faire , dans chaque Paroiffe , une remife fur
le prix total du rachat , à l'avantage des petits
cultivateurs , & proportionnellement à leur peu
d'aifance. Cette opération eût été digne de la fageffe
du Légiflateur , & n'eût fair tort ni au
Clergé , ni à l'Etat , attendu la différence des placemens.
J'ai beaucoup entendu dire qu'il falloit bien
auffi que le Clergé fit fon offrande. J'avoue que
les plaifanteries qui portent fur le foible dépouillé ,
1
( 377 )
me paroiffent cruelles . Je répondrai férieufement
que tous les facrifices qui avoient été faits jufque-
là , ne frappoient pas moins fur le Clergé que
fur la Nobleffe , & fur cette partie des Communes
qui poffède des fiefs & des feigneuries.
Le Clergé perdoit même déja beaucoup plus que
les autres , puifque lui feul avoit des Affemblées
de corps , & une adminiftiation particulière à facrifier.
Je n'ajoute plus qu'un mot : y a- t-il beaucoup
de juftice à déclarer que les dimes inféodées , qui
font de même nature , & ont les mêmes orignes ,
foit qu'elles fe trouvent dans des mains laïques
ou dans des mains Eccléfiaftiques , font fupprimées
avec indemnité pour le Laïque , & fans indemnité
pour l'Ecclefiaftique ? .... Ils veulent être
libres , ils ne favent pas êtres juftes!
Voici mon opinion telle que je l'ai donnée
fur la rédaction de l'article qui concerne le rachat
des dimes , dans la Séance du foir , 10 Août.
Je n'ai parlé que cette fois fur cet article.
Ainfi tous les difcours qu'on fe plaît à m'attritribuer
dans un certain public , font deftitués de
fondement.
« Je ne fais , Meffici quelques perfonnes
trouveront que les
vous préfenter , feroient
autre bouche que dans
ervations que j'ai à
ex placées dans toute
miene ; une plus haute
confidération me frape c'eft que tout Membre
de l'Affemblée
elle eft jufte , & qu'à l'a
mon avis.
do to opinion quand
croit uri e . Je dirai donc
» L'Affemblée Nationale a arrêté , le 4 , que
la dime étoit racherable. Anjourd'hui , il s'agit
de la rédaction de cet article , & l'on vous pro.
pofe de prononcer que la dîme ne doit point
être rachetée. boniendra-t-on qu'il n'y a dans
ce changement qu'une diférence de rédaction ?
( 378 )
1
Certes , une telle plaifanterie eft trop léonine ;
elle montre bien d'où part le mouvement irrégulier
qui s'eft , depuis peu , emparé de l'affemblée
; ce mouvement que nos ennemis applaudiffent
en fouriant , & qui peut nous conduire
à notre perte . Puifqu'il faut remonter aux
tifs fecrets qui vous guident , & dont , fans doute,
vous ne vous êtes pas rendu compte , j'oferai
vous les révéler.
ง
mo-
» Si la dime eccléfiaftique eft fupprimée fans
indemnité , ainfi qu'on vous le propofe , que
s'enfuit-il ? que la dime reftera entre les mains
de celui qui la devoit , au lieu d'aller à celui à
qui elle eft due ? Prenez garde , Meffieurs , que
Pavarice ne fe mafque fous l'apparence du zèle.
Il n'eft pas une terre qui n'ait été vendue & revendue
depuis l'établiffement de la dîme. Or ,
je vous le demande , lorfque vous achetez une
terre , n'achetez - vous pas moins les redevances
dont elle eft chargée , moins la dime qu'on pais
de temps immémorial ? La dime n'appartient à
aucun des propriétaires qui la paient aujourd'hui
je le répète ; aucun n'a acheté , n'a acquis
en propriété cette partie du revenu de fon
bien. Donc , aucun propriétaire ne doit s'en emparer.
Je me fuis demandé pourquoi , au milieu
de tant d'opinions qui paroiffent n'annoncer que
le défir du bien public , aucun , cependant , n'a
été au- delà du bien particulier. On veut tirer la
dîme des mains eccléfiaftiques ; pourquoi ? ece
pour le ſervice public ? eft- ce pour quelqu'établiffement
utile ? Non c'eft que le propriétaire
voudroit bien ceffer de la payer ; elle ne lui
appartient pas ; n'importe : c'eſt un débiteur qui
fe plaint d'avoir à payer fon créancier ; & ce
débiteur croit avoir le droit de fe faire juge dans
fa propre caufe.
» S'il eft poffible encore de réveiller l'amour
( 379 )
་
de la juice , qui devroit n'avoir pas befoin d'être
réveillé , je vous demanderai , non pas s'il
vous eft commode , s'il vous eft utile de vous
emparer de la dime , mais fi c'est une injuftice.
Je le prouve avec évidence , en démontrant
comme je viens de le faire , que la dime , quel
que foit fon fort futur , ne vous appartient pas.
Si elle eft fupprimée dans la main du créancier
elle ne doit pas l'ê.re pour cela dans celle du
débiteur. Si ele eft fupprimée , ce n'eft pas à
vous à en profiter.
" Par le prompt effet d'un enthouſiaſme patritristique
, nous nous fommes tout -à- coup placés
dans une fituation que nous n'aurions pas ofé efpérer
de long-temps . On doit applaudir au réfultat
, mais la forme a été mauvaiſe ; ne faifons
pas dire à la France , à l'Europe , que le
bien même , nous le . faifons mal. Nous nous
trouvons étonnés de la rapidité de notre marche
, effrayés prefque de l'extrémité à laquelle
des fentimens irréfléchis auroient pu nous conduire
Eh bien ! dans cette nuit fi fouvent citée ,
où l'on ne peut pas vous reprocher le manque
de zèle , vous avez déclaré que les dimes étoient
rachetables ; vous n'avez pas cru pouvoir aller
plus loin , dans le mouvement où vous ayez cependant
montré le plus de force pour marcher
en avant. Aujourd'hui , vous ne favez plus vous
contenir ; la dime , fi l'on vous en croit , ne
mérite plus même d'être rachetée ; elle ne doit
pas même devenir une reffource pour l'Etat.
Vous projetez d'en augmenter votre fortune par
ticulière , dans un moment où tous les autres
contribuables font menacés de voir diminuer la
leur.
».Il eft temps de le dire , Meffieurs : fi vous
ne vous contentez pas de diger vos arrêtés du
4 ; fi vous les changez de tout en tout , comme
( 380 )
vous prétendez le fire à l'égard de la dîme , nul
autre décret n'aura le droit de fubfifter : il fuffira
à un petit nombre d'entre nous de demander
la révifion de tous les articles , d'én propofer
le cha gement. Rien n'aura été fait , & les
provinces apprend ont avec é:oentment que nous
remertons fans ceffe en queftion les objets de nos
Arrêtés.
» J'ofe défier que l'on réponde à ce raifonnement
; la dîme a été déclarée rachetable ; donc
elle a été reconnue par l'Ailemblée elle - même
pour ce qu'elle eft , pour une poffeilion légitime :
elle a été déclarée rachetable ; donc vous ne pouvez
pas la décla er non- rachetable.
» Ce n'eft pas ici le moment d'entrer dans
une autre difcuffien . Si vous jugez que la dime
do ve fubir un autre examen fur le fond , atten
das au moins , Meffieurs , que l'Affemblée s'occupe
des objets de légiflation ; alors vous conviendrez
peut-être que je fuis auffi févère en
cette matièe , que ceux qui ont la plus haute
opinion des fac nices que les Corps doivent s'empretter
de faire à l'intérêt général de la Nation .
Mais alors je foutiendrai encore , je foutiendrai
jufqu'à l'extrémité , que ces facrifices doivent être
faits à l'intérêt National , au foulagement du Peuple
, & non à l'intérêt particulier des propriétaire.
fonciers , c'est - à- dire , en général des claffes
les plus aifées de la fociété,
De Paris , le 26 Août.
DECLARATION DU ROI , donnée à
Versailles , le 14 Août 1789 , pour
le rétablisément de l'ordre et de la
tranquillité dans son Royaume.
» Les défordres occafionnés dans prefque tou
( 281 )
tes les provinces du Royaume par des perfonnes
mal-intentionnées , ont fenfiblement affligé le
coeur paternel du Roi . Pour en arrêter les funeftes
progrès , & par l'effet de fa confiance dans
les Repréfentans de la Nation , Sa Majetté a dé
pofé fes peines & fon inquiétude dans le fein de
l'Affemblée Nationale , qui , animée du même
efprit , a pris la Délibération fuivante , en fuppliant
Sa Majesté de donner les ordres néceffaires
pour la pleine & entière exécution de fon Décret.
»
( Suit l'extrait du Procès - verbal de
l'Assemblée Nationale , du 10 Août , que
nous avons rapporté. )
» Le Roi , perfuadé que l'exécution des mefures
délibérées par l'Aflemblée Nationale , &
le concours de tous les moyens , rendront enfin
la force aux lois , l'activité aux Tribunaux , la
fécurité aux Citoyens , le calme & la tranquillité
à tous fes Sujets : MANDE & ordonne à tous
les Gouverneurs & Commandans da s fes provinces
, à tous Officiers Civils & Municipaux ,
chacun en ce qui les concerne , d'exécuter &
faire exécuter les difpofitions ci - deflus prefcrites.
Et feront , fur la préfente Déclaration , toutes Lettres
néceffaires expédiées. »
ORDONNANCE DU ROI , du 11 Août
concernant la main - forte à donner
par les Troupes , et le serment à prés
par elles . ter
Cette Ordonnance offre d'abord l'Extrait du
Décret de l'Affemblée Nationale , du 10 août ,
pour le rétabiiffement de la tranquillité publique.
( 382 )
Décret en conféquence duquel le Roi a ordonne
& ordense ce qui fuit :
ART. I. Les Troupes donneront main forte
aux Milices Nationales & aux Maréchauffées ,
toutes les fos qu'elles en feront requifes par les
Officiers civils ou les Officiers municipaux.
II. 11 fera prêté par les Troupes , ainfi que
par les Officiers qui les commandent , de quelque
grade qu'ils foient , le ferment ci - après.
III. A cet effet , les Officiers prêteront leur
ferment à la tête de leurs Troupes , en préfence
des Officiers municipaux. A
IV. Chaque corps de Troupes fera affemblé ,
pour qu'avec la folennité la plus angufte , le ferment
foit prêté par les bas-Officers & Soldars
fous les armes.
V. Le ferment des Officiers fera : « Nous ju
n rons de refter fidèles à la Nation , au Roi & à
» Loi , & de ne jamais employer ceux qui eront
» à nos ordres , contre les Citoyens , fi nous n'en
» fommes requis par les Officiers civils ou les Offi
» ciers municipaux. »
VI. Le ferment des Soldats fera : » Nous ju
rons de ne jamais abandonner nos Drapeaux ,
» d'être fidèles à la Nation , au Roi & à la Loi ,
» & de nous conformer aux règles de la difcipline
» Militaire. »
Made & ordonne Sa Majesté aux Officiers
généraux & autres ayant autorité fur ces Troupes ,
ainfi qu'à tous ceux qu'il appartiendra , de tenir
la main à l'exécution de la préfente Ordonnance.
LETTRE DU ROI aux Officiers et aux
Soldats de son armée.
» Praves Guerriers , les nouvelles obligations
que je vous impofe , de concert avec l'Aſſemblée
Nationale , ne vous feront furement aucune peine ;
( 383 )
vos premiers devoirs font ceux de citoyens , &
ces devoirs feront toujours conformes à l'obéiffance
que vous me devez , puifque je ne veux
jamais employer ma puiffance qu'à la protection
des Lois & à la défenfe des intérêts de la Nation.
Les Officiers qui commandent mes Troupes , quoique
certains de toute ma confiance , verront avec
plaifir , ainfi que moi , qu'il n'y a aucune incer
titude fur le moment où le concours de la force
militaire eft néceffaire au maintien de l'ordre public.
"
" Le plus grand fervice que je puis attendre
en cet inftant de mon Armée , c'eft de fe réunir
avec zèle à tous les bons Citoyens , pour repouffer
les brigands qui , non -contens de jeter le défordre
dans mon royaume , effayent de pervertir
l'efprit de mes bons & fidèles Sujets , pour venir
à bout de les affocier à leurs violences ou à
leurs perfides effeins. »
» L'honneur doit faire fans doute une partie
effentielle de la récompenfe des Guerriers , &
tel eft le ſentiment que mes troupes ont toujours
montré ; mais je n'ai pas moins défiré d'améliorer
le fort des Soldats . J'ai commencé à le
faire dès l'année dernière , malgré la fituation de
mes finances, & j'espère que le rétablillement de
l'ordre me furnira dans peu de tems le moyen de
remplir entièrement mes voeux. Je vois avec une
véritable fatisfaction que tous les Députés à l'Aſfemblée
Nationale partagent ce fentiment . »
« J'ai donné ordre au Miniftre de la Guerre , '
de s'occuper de toutes les parties de la difcipline
militaire , qui peuvent exiger des changemens
raifonnables , & de concilier , autant qu'il eft
poffible , le voeu des Troupes avec le bien du
[ervice. »
» Je défire fincèrement de prouver aux Officiers
& aux Soldats de mon Armée , que j'attache
( 384 )
un grand prix à leur affection ; je ne crains point
de a leur demander au nom des fentimens que
j'ai toujours eus pour eux , & au nom , s'il le
faut , de mes Ancêtres , que les vôtres , depuis
tant de fiècles & au milieu de tous les dangers ,
n'ont jamais ceffé d'environner . Comptez donc
fur ma bienveillance , comme je compterai toujours
fur votre fidélité . » LOUIS .
L'original eft dépofé aux Archives de la Guerre.
LA TOUR-DU-PIN .
ORDONNANCE DU ROI , du 14 Août,
portant Amnistie en faveur des Sol
dats , Cavaliers , Hussards , Dragons
et Chasseurs qui ont quitté
leurs Corps sans permission , depuis
le premierJuin dernier.
Sa Majefté prenant en confidération les circonf
tances qui ont porté quelques Soldats , Cavaliers ,
Huffards , Dragons & Chaffeurs de fes Troupes,
à quitter leurs Corps fans permiffion , depuis le
premier juin dernier , Elle veut bien les autorifer
à les rejoindre , en deur affurant l'entier oubli
du paffé , & le rétabiiflement à leur rang dans
les Compagnies dont il faifoient partie , comme
s'ils ne s'en étoient pas abientés , à condition
toutefois que chacun d'eux y fera rentré le premier
octobre de cette année :
Sa Majesté confirmant d'ailleurs toute permiffion
qu'Elle auroit précédemment accordée , nommément
à M. le Marquis de la Fayette , par fa
Leure du 21 juillet dernier , & n'entendant par
la préfente O donnance , rien changer aux ar
rangemens qu'Elle auroit déja autorifés .
Mande & ordonne Sa Majefté , aux Officiers
généraux & autres , ayant autoriré fur fes Troupes,
ainsi
( 385 )
ainfi qu'à tous ceux qu'il appartiendra de tenir
la main à l'exécution de la préfente Ordonnance
.
L'Asssemblée des Représentans de la
Commune a arrêté, par deux résolutions
du 17 et du 19 , imprimées et affichées ,
qu'à dater du 17 , on ne recevroit plus
dans la Garde Nationale Parisienne aucans
Soldats d'Infanterie , Cavaliers
Hussards ou Dragons , à quelque Corps
qu'ils appartiennent . Item , que sur l'avis
de la prochaine arrivée de 250 Soldats
qui se rendoient à Paris pour s'y faire
incorporer dans la nouvelle Milice , on
iroit au devant d'eux , et on les renverroit
à leurs régimens , en payant les
frais de leur retour , à raison de 3 sous
par lieue. Cette disposition a été exécutée
.
A nombre d'égards , la situation de la
Capitale est encore stationnaire. Ni les
esprits , ni le mouvement général n'ont
pris leur assiette . Dans un ordre si
nouveau , on distingue un mélange d'attente
inquiète , d'espérance et de sentimens
confus qui se succèdent , s'effacent
et renaissent en raison des évènemens
journaliers. Les opinions sont innombrables
, ainsi que les petits dissentimens
de détail ; ce cahos d'idées qui se
heurtent , en se dégageant de la fermentation
, présentent au moral l'image de
l'irrégularité physique de cette Ville .
Le nouveau plan de Municipalité est
No. 35. 29 Août 1789.
r
( 386 )
toujours à l'examen de l'Hôtel- de - Ville ;
examen qu'interrompt chaque jour l'exercice
varié de tant de pouvoirs divers
réunis dans la main de cette Assemblée ,
à laquelle viennent aboutir les rapports
et les décisions d'une foule d'incidens,
Nous présenterons , dans huit jours , une
esquisse de ce plan , célèbré par les uns ,
critiqué par les autres , et digne au moins
d'une longue et froide méditation,
Quant à l'organisation militaire , elle
prend couleur. La troupe soldée présente
déja nombre d'uniformes ; sa formation
s'avance , et l'on s'occupe de la
caserner dans les divers Districts , aux
dépens de l'Hôtel- de- Ville .
L'hiver dernier , l'Administration avoit
rassemblé en ateliers, à Montmartre , ailleurs,
une foule d'ouvriers sans pain et sans ouvrage :
dans son dernier discours à l'Assemblée Nationale
, M. Necker en a porté le nombre
à 12000 chacun re evoit journellement
20 sous. L'effrayante misere du moment , le
défaut d'ouvrage qui s'accroît , le goût de
l'oisiveté , l'appât qu'offroit l'état de la Capitale
, il y a six semaines , aux gens sans aven ,
augmentérent prodigieusement les journaliers
du Faubourg Montmartre. Le Public en comp
toit 20 mille , suivant le style exagérateur du
jour ; mais nous pensons être coulans , en
portant cette population à la moitié du nombre
ci-dessus . L'inquiétude que donnoit cette
multitude , et l'énorme dépense qu'elle entramoit,
ont déterminé l'Assemblée des Représentans
de la Commune à la congédier.
Le 30 , l'Atelier de Montmartre doit être
( 387 )
fermé. Tous les ouvriers , non domiciliés
Paris , recevront des Passe- poris , pour retourner
dans leur Province , ou dans leur pays ,
s'ils sont Etrangers : il leur sera délivré 24
sols le jour de leur départ , trois sous par
lieue , jusqu'à leur destination ; et douze sous
par jour , pendant les sept jours qui suivront
leur arrivée. Quant aux Domiciliés , ils se feront
inscrire , et s'ils sont dans le besoin , on
les emploiera à d'autres ateliers. On dit
que M. de la Fayette est allé en personne
signifier aux ouvriers l'ordre de leur départ ,
et qu'environ 12 à 1500 , la plupart Etran
gers , ont déja obéi.
- Depuis quatre jours , le pain est devenu
très-rare , et avant dix heures du
matin , la plupart des boutiques de
Boulangers ont été vidées. Au milieu
des glaces de l'hiver , on n'avoit pas
ressenti une pareille pénurie . L'abon
dance des convois , pendant les 15 premiers
jours de la Révolution , et la
récolte à - peu - près achevée par-tout ,
promettoient plus de facilité dans les
subsistances . En effet , on a beaucoup
de grains , mais peu de farines , les eaux
étant basses , les moulins sans action ,
et les convois de l'Etranger retardés.
On a monté des moulins à bras dans
divers lieux.
La Comédie Françoise offrit , la semaine
dernière , un incident qui touche à une question
délicate , celte de la liberté illimitée à
accorder à toutes Pièces de Théâtres reçues
par les Comédiens . Dans ce nombre , se trouvoit
une Tragédie , apparemment interdite
rij
388 )
intitulée Charles IX, ou la Saint- Barthelemi ,
et attribuée à M. de Chenier. Quelques Feuilles
avoient déja réclamé le droit de circonstances
en faveur de la réprésentation de cette
Piece , lorsque le Public , il y a huit jours ,
intima aux Comédiens de donner Charles IX.
Le sieur Fleury ayant fait observer au parterre
que la Comédie Françoise s'étoit fait
une Loi d'attendre la permission , on s'écria:
Point de permission ; nous vous la donnons :
nous avons la liberté de faire jouer ce qu'il
nous plait , comme nous avons celle de
penser. A cet ordre , reçu , comme on le sup
pose de reste , aux applaudissemens univer
sels , M. Fleury opposa un mot sage : Mon
sieur , dit-il à l'Orateur principal , j'ose vous
demander , si vous nous donnez la permission
d'enfreindre des Lois que nous avons
respectées depuis cent ans. Cette réponse juste
et polie désarma l'Audience , qui se borna
à requérir d'abord l'abolition de la censure ,
ensuite l'appel de la question à la Municipa
lité. Celle-ci a demandé la Pièce , et après
l'examen , il est à présumer qu'elle prononcera.
Cette Police de l'Hôtel - de - Ville s'étend
également sur les Imprimés , jugés illégitiines.
Ces jours derniers , un Avocat au Parlement
, soupçonné , dit-on , d'être l'Auteur
d'une brochure, intitulée : Le Triomphe
de la Capitale , où l'on tourne en
dérision les évènemens dujour, et voyant
des gens armés investir sa maison , rue
du Battoir , s'est précipité de sa fenètre ,
et blessé peu dangereusement . On l'a
arrêté , et conduit à la prison de l'Abbaye
Saint-Germain ,
( 389 )
་་ ས་
Un Etranger fameux avance , dans un
Ecrit très-récent , que l'imposture acquiert
toujours à Paris une vogue redoutable
, parce que l'habitude générale
est de n'y douter de rien . Il faut
être , témoin de cette crédulité , pour
sentir la justesse de cette assertion .
Croiroit- on que sur la foi de dix Feuilles
volantes , des Ecrits périodiques qui
se multiplient par douzaine , et de ces
Bulletins manuscrits , qui , après avoir
faits les délices des Cercles , vont alimenter
les Gazettes de Hollande , les
trois quarts de Paris sont convaincus
que le Parlement d'Angleterre envoie
une Adresse congratulatoire à l'Assemblée
Nationale ? La dernière Gazette
d'Avignon n'a pas manqué d'informer le
Midi de la France de ce grand évènement.
- Croiroit- on encore , que , toujours sur
la foi des Imprimés à la feuille ou au
feuillet , criés en détail par les Colporteurs
, ou vendus en gros par souscrip
tion , une foule de Lecteurs ne dou
tent aucunement que 40,000 Flamands .
n'aient été prendre des armes en Hollande
incognito et qu'ils ne soient
revenus dans le Brabant pour y détrôner
l'Empereur ? que par - tout on voit des
Bastilles enlevées , des têtes coupées , des
Nobles détruits , des Peuples en armes ,
r iij
( 390 )
et des Souverains abandonnés par leurs
régimens ?
L'autre jour on m'assura , dans un
cercle de très- bonne compagnie , où ,
sur vingt - un assistans , il se trouvoit dixhuit
Législateurs , que la Prusse étoit révoltée
je demande quelle partie des
Etats du Roi de Prusse? Monsieur , me
répliqua-t- on d'un ton assuré , c'est la
Prusse de Brandebourg.
C'est avec la même fermeté de style ,
qu'on embrase la Suisse , qu'on chasse
les Nobles de Bâle , où il n'y a point de
Noblesse depuis plus de trois siècles ;
qu'on arme Cantons contre Cantons ,
Démocraties contre Aristocraties , Aris .
tocraties contre Municipalités , Paysans
contre Bourgeois ; et , par- dessus tout ,
qu'on expulse généralement les Etrangers
réfugiés entre lesAlpeset le Jura . Si quel
qu'un veut bien nous en croire , nous le
tranquilliserons sur ces grandes agitàtions
, qui se réduisent, en dernière analyse
, à l'embarras que cause , dans toute
la Suisse , le retard des payemens des
rentes de France , l'affluence des Voyageurs
auxquels il faut des logemens , et
le manque de numéraire . La conduite
des Soldats Suisses qui ont quitté leurs
drapeaux , occupe , il est vrai , les divers.
Cantons , qui vont prendre une résolution
à cet égard . On dit qu'un grand
Souverain d'Allemagne leur a fait offrir
( 391 )
une Capitulation militaire , au défaut de
celle qui les lie à la France , dans le cas
où le voeu de plusieurs Cahiers contre
les Troupes étrangères , deviendroit loi
de l'Etat.
Au reste , la Suisse est pleine d'Etrangers
, recus , quels qu'ils soient , avec
Phospitalité Helvétique. Le Gouvernement
de Berne vient de mettre , par simple
précaution, tout le Canton sur le pied
de guerre. Les 54 mille hommes de Milice
Nationale , enrégimentés et exercés , par
la Loi de l'Etat , sur lepied des meilleures
Troupes réglées, dont elles tiennent lieu,
ont recu les ordres de leurs Supérieurs :
l'Artillerie a été mise en bon état , etc.
Outre les Troupes cantonuées en Savoie,
on y a fait entrer le régiment de Piémont.
Nous avons lu avec surprise dans une
Feuille qui ne doit pas être confondue
avec celles dont nous venons de parler ,
que le pays de Gex fourmilloit de brigands;
que le Château de Ferney alloit
être saccagé par 2000 d'entre eux ; mais
qu'électrisés par le nom de Voltaire ,
- 800 Genevois avoient chassé les dévas
tateurs , et établi une garnison à Ferney
avec du canon . On a étrangement abusé
l'Editeur de cette relation . Le pays de
Gex n'a point vu de brigands ; les Paysans ,
comme ailleurs, se sont emparés des Titres
et Archives des Châteaux , sans en détruire
u seul . Pas un Genevois armé n'a passé
la frontière ; l'excursion qu'on leur supriv
( 392 )
posoit est une chimère , et il leur suffic
de garder leurs foyers, sans aller défendre
les Châteaux , comme Don- Quichotte.
Celui de Ferney appartient, il est vrai ,
à M. de Budé , Citoyen de Genève , et
de la Famille duquel Voltaire avoit
acquis cette terre. Le Possesseur actuel
a pu prendre quelques précautions , sans
avoir beso , pour cela , d'électriser, au
nom de Voltaire , 800 Volontaires Génevois.
Le pays de Gex est aujourd'hui
tranquille , ainsi que la partie voisine
de la Franche- Comté , comme on en
jugera par la lettre suivante :
LETTRE AU REDACTEur.
MONSIEUR ,
I eft ben vrai que nous avons demandé
des fufils au Gouvernement de la République de
Genève , D'après des bruits continuels de bandits
répandus dans toute la France , & une lettre dé
M. le Marquis de Langeron , notre Gouverneur,
qui nous avertiffoit de nous tenir far nos gardes ,
& qu'il &toit forti deux cents brigands des Voges
qui avoifinent la Comté , la municipalité de Saint-
Claude prit le parti de me députer à Genève.
MM, les Syndics & Confeil de la Républi
que ne nous accordèrent point d'armes , & ce ne
fut qu'à regret. Ils eurent la bonté de s'en réfé
rer là - deffus au confentement du Roi , de le demander
, de l'ob ezir , & de nous tranfme:tre enfuite
l'offre la plus gracieufe des armes que nous
avions follicitées . Not: e digne Gouverneur nous
l'ayant remis , nous avons remercié cette Républi
que , qui , dans tous les temps , nous a donné
1
( 393 )
les plus grands fecours. Avant que d'appartenir à
la France , nous fûmes b ûlés par les Suédois , &
Genève nous procura toutes les aides imaginables
pour nous rebâtir ; peu de Bailliages ont été plus
tranquilles que le nôtre ; toute propriété a été
refpectée comme ci - devant , & les lois bien obfervées
. Par le bon ordre que nous avons établi , la
tranquillité de chaque individu a été maintenue.
M. de Langeron nous en a témoigné fa fatisfaction .
Vous voudrez bien , Monfieur , donner une
place à ma lettre parce que votre nº. 32 du
Mercure pourroit laiffer une impreffion déſagréa
ble , & c. & c.
ROSSEL DE LECT.
Saint-Claude en Franche-Comté , le 18 août 1789.
De Bonn , M. le Comte d'Artois a suivi
le Rhin , traversé la Suisse , fait quelque
séjour à Evian , sur les bords du lac
de Genève , où se trouvent S. A. R. le
Duc de Chablais et nombre d'Etrangers
de distinction . D'Evian , il est passé à
Turin, par la route de Savoie.M . le Prince
de Condé , sa Famille , et 44 Personnes
de leur suite , étoient à Manheim , le 12
de ce mois. Cela n'empêche pas qu'on
n'ait imprimé ici , que ce Prince avoit
demandé à l'Etat - Major de Lille , de le
recevoir prisonnier dans la Citadelle
avec sa Famille .
On écrit de Sens qu'on y a appris , avec beau-
Соцр de joie , la nomina ion que le Roi ya faite ,
le 2 d. ce mois , da Marquis de Chambonas ,
Colonel , en qualité de Commandant particulier
pour cette ville . Ce tit e , a cordé par Sa Majeſté ,
far la demande de tous les Sénonois , eft la récompenfe
du zèle avec lequel le Marquis de Cham
ry
( 396 )
inférieur d'un tiers , au
traitement des Réguliers
supprimés dans les Etatsde
l'Empereur ; la dépense
viagère sera de .. 78,000,000
Nous laissons pro Me-. Mémoria
, la dépense de
l'entretien des Eglises ,
Presbytères , maisons
Religieuses jusqu'à leur
vente , des Aumônes
des rentes Ecclésiastiques
de nombre d'Hôpitaux ,
etc. etc.
Il résulte que l'Etat seroit
chargé à l'instant d'une
Dépense de .
.151,000,000
Sur un revenu de 130 millions , duquel
il faut soustraire
le produit des
dixmes abolies , produit qui forme près
d'un tiers de cette somme.
Resteroit donc quatre-ving-dix millions
pour balancer une dépense de
cent cinquante-un . Par conséquent , le
calculateur que nous relevons , a spéculé
pour l'avenir et non pour le présent.
Au surplus , nous n'attribuons pas
plus de valeur à nos raisonnemens par
chiffres , que n'en mérite cette espèce
de logique , qui porte sur des dénombremens
assez équivoques ( 1 ) .
( 1 ) M. l'Abbé Sieyes , dans l'Ecrit dont nous
avons parlé , compte 64000 Paroifles , & éva(
395 )
peut cependant leur faire observer
que Voltaire n'a jamais porté cet état
au- dessus de 80 millions , et on n'accusera
pas Voltaire d'une réticence partiale
. M. Necker , dans son Traité de
PAdministration des Finances, a élevé
ce produit à 130 millions ; mais avec sa
prudence ordinaire , il se défie de la
justesse de cette appréciation . Peu de
gens , je pense , ont été aussi voisins
que ce Ministre , des élémens sur lesquels
on doit asseoir son jugement.
Ör , sur 130 millions , il faut entretenir
200,000 Ecclésiastiques.
40,000 Curés , à 1500 l. l'un
dans l'autre , exigent une
dépense annuelle de . . 60,000,000 1 .
20,000 Vicaires à 500 1 .
(somme trop bornée )
,
10,000,000
Intérêt de la dette du Clergé. 11,000,000
Archevêques , Evêques ,
Chapitres , Collégiales ,
Prieurs , Chantres , Enfans
de Choeur , Prêtres
habitués , Chapelains ,
Clergé Régulier des deux
sexes , auxquels on doit
au moins la subsistance ,
en convertissant leurs revenus
, qui forment un
nombre de 140 mille
Sujets. A ne mettre leur
pension alimentaire qu'à
500 1. , ce qui est même
r vi
( 396 )
inférieur d'un tiers , au
traitement des Réguliers
supprimés dans les Etatsde
l'Empereur ; la dépense
viagère sera de .. 78,000,000
Nous laissons pro Mé- .
moria , la dépense de
l'entretien des Eglises ,
Presbytères maisons
Religieuses jusqu'à leur
vente , des Aumônes ,
des rentes Ecclésiastiques
de nombre d'Hôpitaux ,
etc. etc.
"
Il résulte que l'Etat seroit
chargé à l'instant d'une
Dépense de ..
.151,000,000
Sur un revenu de 130 millions , duquel
il faut soustraire
le produit
des
dixmes abolies , produit qui forme près
d'un tiers de cette somme.
Resteroit donc quatre-ving-dix millions
pour balancer une dépense de
cent cinquante-un. Par conséquent , le
calculateur que nous relevons , a spéculé
pour l'avenir et non pour le présent.
Au surplus , nous n'attribuons pas
plus de valeur à nos raisonnemens par
chiffres , que n'en mérite cette espèce
de logique , qui porte sur des dénombremens
assez équivoques ( 1 ) .
( 1 ) M. l'Abbé Sieyes , dans l'Ecrit dont nous
avons parlé , compte 64000 Paroises , & éva(
399 )
fortiteit aucune munition , fans ordres exprès de
M. Bailli & de M. de la Fayette . Le lendemain
7 , M. Benard , Préfident du bureau Militaire
du Diftri& de Saint Louis- de-la- Culture , al'a chercher
la bonne poudre à Effonne ; les 10 milliers
arrivèrent le 8 , à 10 heures du matin , au Port
Saint-Paul , comme les Régiffeurs l'avoient promis.
Voilà le récit exact de cette affaire qui a
penfé coûter la vie à M. de la Salle.
Dans le cercle des attentats commis
sur la liberté et la sûreté personnelles ,
il en est un , différent des brigandages
contre les Châteaux et les Abbayes , qui
doit acquérir la notoriété générale. La
relation que nous allons en donner , nous
a été adressée par un ami de M. Francois
de Neufchâteau , Littérateur dont
chacun estime les talens et la personne ,
et qui a failli être victime de la violence
que voici :
De Toul , le 9 Aout 1789.
» Il vient de fe paffer ici une fcène , incroyable
par fon objet par fes Acteurs ; fcène qui pouvoit
avoir des fuires affreufes , fans la modération
de la principale victime , & fans la fageffe da
Cominandant de la Province . »
» Le jeudi 6 Août , quarante- cinq Députés
des Communes du Bailliage de Toul s'étoient
réunis dans un petit village , à une lieue de cette
ville , où ils fe concertoient fur les fuites à don.
ner à l'exécution de certains articles de leur Cahier
, dont il a été parlé dans le tems avec éloge.
M. François de Neufchâteau , Député fuppléant
du Tiers-État de ce Bailliage , s'étoit rendů à l'Aſ.
femblée , avec les Pouvoirs exp ès de neuf Communautés.
»
( 400 )
Au milieu du diné frugal qui fuccédait à une
Délibération paifib'e , la Maréchauffée de Tou' ,
renforcée d'un détachement confidérable du Régiment
de Royal- Normandie , en garnifon à Toul,
eft veru s'emparer des perfonnes de quatre de
ces Députés , fous prétexte que leur Affemblée
étoit illicite , faute d'être tenue de l'ordre da
Lieutenant de Roi de Tou ' . On a eu beau leur
cbjeter que ce Lieutenant de Roi n avoit point
d'ordre de ce genre à donner de fon chef , hors
de la place où il commande , & que tout au plus
pouvoit-il fe faire informer des motifs de cette
Conférence des Communes. "
" On a offert de lui communiquer ces motifs ,
qui n'avoient rien que de conforme au ben ordre,
de refpectueux pour le Roi , & d'utile pur
-la Nation. "
" Sans égard pour ces raifons , & fans vouloir
montrer le Décret en vertu duquel on agiffoit ,
la Maréchauffée & la Cavalerie ont fait fortir de
table quatre Députés ( MM. François de Neuf
château , Suppléant ; Quinos , Electeur ; Bigot &
Chénin , Rédacteurs ) . On les a traînés ignominieufement
& à pied , pendant plus d'une heure ;
on les a promenés dans les rues de Toul avec
appareil , la Troupe ayant le moufqueton hant,
le fabre nu la trompette fonnante . On peut
imaginer la furprife & le concours , & les queftions
du peuple . Comme on n'avoit parlé depuis
quelque tems que de bandits , les enfans
crioient : Voilà les bandits . Et tout le monde a pu
le croire , quand on a vu que ces Députés , introduits
un moment dans la cour de M. le Lieutenant
de Roi de Toul , en font fortis au bout
d'une minute , avec le même appareil , pour être
transférés à la Conciergerie. »
"
"
Là , on les a féparés : on n'a
pasfouffert que
leurs amis puffent les voir , & on les a traités
( 401 )
du reste avec toute la rigueur dont on ufe envers
les fcélérats reconnus. Dans la nuit , à une
heure du matin , on a annoncé aux quatre Députés
prifonniers qu'on les envoyoit à Metz , pour
y être jugés prévôtalement , attendu qu'ils étoient
coupables d'un attroupement illicite . Ceux qui employcient
ces termes , n'en connoiffoient pas la valeur.
»
« Un Magiftrat du lieu eft venu vifiter ces
quatre Députés dans la prifon. M François de Neufchâteau
, l'un des quatre , a repréfenté à ce Magiftrat
l'inviolabilité de fa personne , en qualité de
Suppléant. Il a fait voir qu'un homme , tel que
lui , qui a été décoré des premières places de Magiftrature
, qui tient à une Cour Souveraine ,
comme Confeiller honoraire , &c. ne pouvoit
être foumis à la jurisdiction prévôtale , comme
les vagabonds & les gens fans aveu . Le Magiſtrat
auroit dû revendiquer cette affaire pour les Triburaux
ordinaires , vû fur-tout que la dernière
Déclaration du Roi , qui attribue à la Maréchauffée
la connoiffance des Affemblées illicites , ne fait
point Loi dans le reffort du Parlement de Metz ,
où elle n'a pas été enregistrée . ».
Le Magiftrata laiffe partir les prifonniers
pour Metz. Les quatre Députés , traités en cri
minels d'état ; gardés à vue , font arrivés , à fix
heures du matin , fur la place de Pont- à- Mouffon
, ville de Lorraine entre Toul & Metz :
c'étoit l'heure du marché. Il étoit trop aifé de
faire prendre le change au peuple , & d'infinuer
que ces prifonniers étoient des brigands , des coupeurs
de blé . Il n'en falloit pas davantage pour
exciter du trouble. Heureufement M. François
de Neufchâteau a fa répuration faite , depuis longtems
, en Lorraine & ailleurs. Sur fon nom feul ,
on n'a pas pu préfumer qu'il fût à la tête des
coupeurs de blé & des brigands . Il auroit dé(
400 )
Au milieu du dîné frugal qui fuccedit à une
Délibération paifib'e , la Maréchauffée de Tou' ,
renforcée d'un détachement confidérable du Régiment
de Royal- Normandie , en garnifon à Toul,
eft veru s'emparer des perfonnes de quatre de
ces Députés , fous prétexte que leur Affemblée
étoit illicite , faute d'être tenue de l'ordre da
Lieutenant de Roi de Tou' . On a eu beau lear
cbjecter que ce Lieutenant de Roi n avoit point
d'ordre de ce genre à donner de fon chef , hors
de la place où il commande , & que tout au plus
pouvoit- il fe faire informer des motifs de cette
Conférence des Communes. "
» On a offert de lui communiquer ces motifs.
qui n'avoient rien que de conforme au ben ordre,
de refpectueux jour le Roi , & d'utile p ur
-la Nation. "
» Sans égard pour ces raifons , & fans vouloir
montrer le Décret en vertu duquel on agiffoit ,
la Maréchauffée & la Cavalerie ont fait fortir de
table quatre Députés ( MM. François de Neufchâteau
, Suppléant ; Quinos , Electeur ; Bigot &
Chenin , Rédacteurs ) . On les a traînés ignomnieufement
& à pied , pendant plus d'une heure ;
on les a promenés dans les rues de Toul avec
appareil , la Troupe ayant le moufqueton hant
le fabre nu , la trompette fonnante. On peut
imaginer la furprife & le concours , & les queftions
du peuple . Comme on n'avoit parlé depuis
quelque tems que de bandits , les enfans
crioient : Voilà les bandits . Et tout le monde a pu
le croire , quand on a vu que ces Députés , introduits
yn moment dans la cour de M. le Lieutenant
de Roi de Toul , en font fortis au bout
d'une minute , avec le même appareil , pour être
transférés à la Conciergerie .
"
» Là , on les a féparés : on n'a pas fouffert que
leurs amis puffent les voir , & on les a traités
( 401 )
du reste avec toute la rigueur dont on ufe envers
les fcélérats reconnus. Dans la nuit , à une
heure du matin , on a annoncé aux quatre Députés
prifonniers qu'on les envoyoit à Metz , pour
y être jugés prévôtalement , attendu qu'ils étoient
coupables d'un attroupement illicite. Ceux qui employcient
ces termes , n'en connoiffoient pas la valeur.
»
« Un Magiftrat du lieu eft venu vifiter ces
quatre Députés dans la prifon. M François de Neufchâteau
, l'un des quatre , a repréfenté à ce Magiftrat
l'inviolabilité de fa personne , en qualité de
Suppléant. Il a fait voir qu'un homme , tel que
lui , qui a été décoré des premières places de Magiftrature
, qui tient à une Cour Souveraine ,
comme Confeiller honoraire , &c. ne pouvoit
être foumis à la jurisdiction prévôtale , comme
les vagabonds & les gens fans aveu. Le Magiftrat
auroit dû revendiquer cette affaire pour les Tribunaux
ordinaires , vû fur-tout que la dernière
Déclaration du Roi , qui attribue à la Maréchauffée
la connoiffance des Affemblées illicites , ne fait
point Loi dans le reffort du Parlement de Metz ,
où elle n'a pas été enregistrée. ».
Le Magiftrata laiffe partir les prisonniers
pour Metz. Les quatre Députés , traités en cri
minels d'état ; gardés à vue , font arrivés , à fix
heures du matin , fur la place de Pont- à- Mouffon
, ville de Lorraine , entre Toul & Metz :
c'étoit l'heure du marché. Il étoit trop aifé de
faire prendre le change au peuple , & d'infinuer
que ces prifonniers étoient des brigands , des coupeurs
de blé. Il n'en falloit pas davantage pour
exciter du trouble. Heureufement M. François
de Neufchâteau a fa réputation faite , depuis longtems
, en Lorraine & ailleurs. Sur fon nem feul ,
on n'a pas pu préfumer qu'il fût à la tête des
coupeurs de blé & des brigands . Il auroit dé(
404 )
Volontaires-Patriotes d'Elbeuf. Elle n'a
pu être placée l'Ordinaire dernier.
MESSIEURS ,
* Recevez le témoignage de reconnoissance
que la Ville de Paris doit au courage qui
vous a fait braver les plus grands dangers ,
pour assurer sa subsistance ; elle sent vivement
toutes les obligations qu'elle vous a ,
et son seul regret est de ne pas avoir d'ex
pressions assez énergiques pour rendre tous
les sentimens dont elle est pénétrée . Au récit
de vos braves Députés , les larmes ont coulé
de tous les yeux. L'Assemblée , frappée tourà-
tour d'admiration et de terreur , a partagé
tous vos dangers et toutes vos sollicitudes.
Elle s'est empressée de députer à l'Assemblée
Nationale pour s'assurer des moyens de procurer
à votre brave Compagnon, M. Guilbert ,
la liberté dont vous savez tous faire , Messieurs
, un si noble usage. Ses voeux sont
remplis , il est rendu à sa famille , á ses
amis et à sa Patrie. Daignez l'assurer , Messieurs
, que l'Assemblée des Représentans de
Ja Commune de Paris a frémi de ses dangers ,
et qu'elle n'auroit rien négligé pour vous prouver
qu'elle ne se borne pas à une admiration
stérile ? et qu'elle sait voler au secours
de ceux qui veulent bien s'exposer au dan
ger pour elle. Recevez , Messieurs , tous en
général , et chacun en particulier , l'assurance
d'une éternelle gratitude ; et soyez les interprètes
de ses sentimens auprès d'un Chef ,
M. Carbonnier, qui sait joindre la prudence
$
( 405 )
à la bravoure , et qui est si digne de vous
- Commander. »
n
Vos très-humbles et trèsobéissans
serviteurs ,
Signés , BAILLI , Maire ; MOREAU DE SAINTMÉRY,
DELAVIGNE , Présidens ; BROUSSE DES
FAUCHERETS , Secrétaire.
Paris , le 8 Août 1789.
L'anecdote consignée dans la lettre
que l'on va parcourir , offre une singu
larité physique , parfaitement certaine ,
dont le récit fera diversion un instant ,
à ceux , trop sérieux , dont nous entretenons
nos Lecteurs depuis un mois.
$
A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU MERCURE.
« Trouvez bon , Monfieur , que je vous demande
une petite place pour la lettre dont j'ai l'honneur
de vous envoyer copie , dans le propre
ftyle naif de l'honnête Régiffeur qui me l'écrit
» de lui- même , & de fa main , deux jours après
» l'accident qu'il rapporte. »
A Fougères , près Blois , ce vendredi 31 juillet 1789.
MONSIEUR ,
« Il eft arrivé un grand malheur au château ,
mardi dernier ( 28 ) , à une heure après midi , le
temps étant noir feulement par gros carreaux mêlés
de blanc ; il a fait un fi fameux coup de tonnerre ,
qu'il est tombé fur la g ande tour. Il a fait une
rote depuis le plomb d'en haut , du côté de
la faye , de la largeur de deux pieds & demi ,
( 404 )
Volontaires-Patriotes d'Elbeuf. Elle m'a
pu être placée l'Ordinaire dernier .
MESSIEURS ,
* Recevez le témoignage de reconnoissance
que la Ville de Paris doit au courage qui
vons a fait braver les plus grands dangers ,
pour assurer sa subsistance ; elle sent vivement
toutes les obligations qu'elle vous a ,
et son seul regret est de ne pas avoir d'expressions
assez énergiques pour rendre tous
les sentimens dont elle est pénétrée , Au récit
de vos braves Députés , les larmes ont coulé
de tous les yeux. L'Assemblée , frappée tourà-
tour d'admiration et de terreur , a partagé
tous vos dangers et toutes vos sollicitudes.
Elle s'est empressée de députer à l'Assemblée
Nationale pour s'assurer des moyens de procurer
à votre brave Compagnon, M. Guilbert ,
la liberté dont vous savez tous faire , Messieurs
, un si noble usage. Ses voeux sont
remplis ; il est rendu à sa famille , à ses
amis et à sa Patrie. Daignez l'assurer , Messieurs
, que l'Assemblée des Représentans do
Ja Commune de Paris a frémi de ses dangers ,
et qu'elle n'auroit rien négligé pour vous prouver
qu'elle ne se borne pas à une admiration
stérile , et qu'elle sait voler au secours
de ceux qui veulent bien s'exposer au danger
pour elle. Recevez , Messieurs , tous en
général , et chacun en particulier , l'assurance
d'une éternelle gratitude ; et soyez les interprètes
de ses sentimens auprès d'un Chef ,
M. Carbonnier, qui sait joindre la prudence
( 407 )
avant & après l'évènement ) . Je ne peux vous en
-écrire davantage , je fuis trop fatigué.
">
J'ai l'honneur d'être & c.
BERTIN.
Le Sieur Bordier , Acteur des Variétés
Amusantes , et arrêté à Rouen ,
comme l'un des Chefs de la dernière
émeute , a été jugé , après une procé
dure régulière , comdamné à mort , et
exécuté la semaine dernière.
M. Mounier vient de publier sous le
titre de Considérations sur les Gouvernemens
, et principalement sur celui
qui convient à la France , un Ecrit digne
d'être sérieusement médité , et dont
nous parlerons plus en détail la semaine
suivante.
P. S. Par une méprise typographique ,
on a annoncé , au dernier Nº , que M.
Duport avoit réfuté la maxime que les
biens du Clergé appartiennent à la Nation
. Il faut lire a DÉFENDO la maxime
, etc. Bendoo et
( 406 )
juſqu'en bas ; & encore une autre rote , depuis le
plomb , en tournant de la grande cour à la petive ,
& eft tombé fur les bâtimens , à la defcente de
la grande tour ; il a paflé dans le mur , & eft entré
dans ma chambre où étoit ma femme , bien malade
, a caffé un jambage de pierre en trois , percé
le rideau du lit où étoit ma femme , a repaflé
dans le mur de la fenêtre & caffé les vitres de
la cuifine au- dessous. J'y étois alors à dîner : il
cft tombé tout le long de mon côté gauche , entre
la peau & la camifolle de dessous ; m'a bûlé le
côté , depuis le bas de l'épaule juſqu'à la ceinture de
ma culotte , où il a entré , a percé ma chemiſeen
deux trous à paſſer un oeuf , & m'a emporté la
peau jufqu'à la chair , de trois doigts de large ,
de la longueur de la main ; a defcendu le long
de ma cuiffe & le long de la jambe. Le feu a
pris à ma grande culotte ( le pantalon ) , & m'a
brûle depuis le gras de la jambe jufqu'au bas ;
cependant mon bas n'a pas même été brûlé ni .
rôti je n'en ai point perdu la parole ; j'ai rec: mmandé
mon ame à Dieu , où je croyois paffer
dans le moment : mais for que j'ai eu reçu le
coup , j'ai perdu l'ufage des deux jambes & des
deux cuifles, reftées comme mortés : ( cet état n'a pas
duré. ) Peut-être un quart de minute avant le coup ,
je regardois à travers la vitrè s'il ne tombot point
de grêle: en me retournant , pour me raffeoir ,
tonnerre a paflé par l'endroit où je regardois ;
lorfqu'il m'a paffé le long du côté & dans ma
culotte , je n'en ai rien fenti . On est allé chercher
M. le Curé , le Médecin de Pontlevry , & le Chirurgien
de Coutru , qui m'ont faigné & fait vomir :
jugez , Monfieur , combien j'ai de graces à rendre
au Seigneur. De ce mauvais crage , il est tombé
bien de la grêle en plufieurs endroits ( uit un
détail très-calme des opérations ordinaires de fa régie
le
( 407 )
avant & après l'évènement ) . Je ne peux vous en
écrire davantage , je fuis trop fatigué. »
J'ai l'honneu d'être & c.
BERTIN.
Le Sieur Bordier , Acteur des Variétés
Amusantes , et arrêté à Rouen ,
comme l'un des Chefs de la dernière
émeute , a été jugé , après une procédure
régulière , comdamné à mort , et
exécuté la semaine dernière .
M. Mounier vient de publier sous le
titre de Considérations sur les Gouvernemens
, et principalement sur celui
qui convient à la France , un Ecrit digne
d'être sérieusement médité , et dont
nous parlerons plus en détail la semaine
suivante .
P. S. Par une méprise typographique ,
on a annoncé , au dernier Nº , que M.
Duport avoit réfuté la maxime que les
biens du Clergé appartiennent à la Nation
. Il faut
DE FRA NCE ,
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ;
CONT ENANT
Le Journal Politique des principaux évènemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers & en profe ; l' Annonce & l'Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectables
; les Caufes célibres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits
Arrêts; les Avis particuliers , &c. &c .
SAMEDI I. AOUT 1789.
3
A PARIS ,
Aa Bureau du Mercure , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins , No. 18 .
Avec Approbation, & Privilege du Roit
THE NEW
*!
PUBLIC LIBRARY
335843
ASTOR , LEMOX AND
TILDEN' FOUNDATION
1003
PINCES
Quatrain.
L Myrte.
Vers.
TABLE
de Juillet mois de Juillet 1789.
J
FUGITIVES. Des Etats - Généraux.
Le Réveil des Oiseaux.
Quatrain .
Sonnet
3
Eloge philofophique.
Formation .
4 Ditionnaire.
97 le Fils naturel
78
8
8
86
49 Traduct.on.
ICA
51De la Rédaction ,
Hijoire. I 14
327
Traduction.
93 Remarques. 13 =
L'Enfant-Trouvé. 145 De l'influence despaffions . 156
160
Vers.
-Education.
164
166
169
6 ,, 52 , 101 , 154
Variétés. 31 , 89,9, 176 .
48 La Maruife de Ben...
149 La vie de l'Homme.
Inftrutiones.
Charades, Enigmes & Logoz. victorɛne.
NOUVELLES LITTER.
Des Loteries .
Clovis e Grand.
Nouveau Voyage.
Le Come de Si - Miran.
Mémoires
OEuvres.
SPECTACLES.
8
17
Comédie Françoife. 136
138
23 Comédie Italienne.
271
55 Annonces & Notices,
661
43 .
92 , 140 , 1892
A Paris de l'imprimerie de MoUTARD
rue des Mathurins , Hôtel de Cluni .
"
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 1. AOUT 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
IMITATION
De l'Ode d'Horace , Eheu fugaces .
HELAS ! le temps, le temps précipite ſon cours ,
Et roule à flors preflés le torrent de nos jours ,
Sans que la piété puiffe effacer nos rides ,
Ni fléchir le cifeau des Parques homicides.
Ami , jamais Pluton , de fon droit trop jaloux ,
Ne diffère un inftant de l'exercer fur nõus ;
Rien ne fléchit le Dieu dont l'auftère puiflance
Du triple Géryon domptą la réfiftance.
A 2
MERCURE
A ce Dicu fans pitié n'offre point de rançon
On ne rachète point les droits de l'Achéren .
Vainement un mortel , prodigue d'hécatombe ,
Croiroit , à prix d'encens, s'exempter de la tombe g
Il n'en fera pas moins le célèbre trajer
Qui place le Monarque à côté du Sujet.
Je veux que Mars fanglant daigne épargner nos têtes
Que Neptune indulgent nous dérobe aux tempêtes,
Que le vent du Midi , funefte après l'été ,
Ne nous moiſſonne point par fon fouffle empeſté :
Enfin , aux bords fangeux du Cocyte livide ,
Il faut de Danaiis voir la race perfide ,
Voir Sifyphe accablé de maux & de remords ,
Et qui repouffe un bloc rebelle à fes efforts.
Ami , tu quitteras , poffcffeur peu durable ,
Ton palais , ton domaine , & ton époufe aimable :
Des arbres dont tes mains ont peuplé ton verger ,
Le cyprès fuivra feul un maître paffager :
1
Ton nectar, préférable au vin des facrifices ,
Doit couler à grands flots fous de meilleurs aufpices ,
Et bientôt les cent clés qui gardoient ton cellier ,
Obéiront aux mains d'un heureux héritier.
( Par M. Baudin , Commis de la
Marine à Cherbourg. )
DE FRANCE.
ON
IMPROMPTU ,
N dit que chez Zelmis , avec un ſoin extrême ,
Tu te cachas , ami , quand Fierenfat furvint....
J'ai regret. —Juge mieux de mon bonheur extrême.
On cache celui que l'on aime ;
On trompe celui que l'on craint.
( Par un Abonné. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Anon ; celui
de l'Enigme eft l'Eſprit ; celui du Logogriphe
eſt Mari , où l'on trouve Mai , Mi ,
Ma , Ami.
CHARADE.
Mon premier plaît au Chaffeur ;
Mon dernier bleffe un grand coeur .
Mon entier plaît au Seigneur.
Par M. L... de Moncy. )
A 3
MERCUREI
JE
É NIG MEY
E plais , déplais ; mais où... ? devine.
Vois tel jardin , & telle échine.
''''(Par un - Abonne. )
LOGOGRIPHE
UTILEMENT guidé par une adroite main ,
Je fuis , fi l'on m'en croit , le maître du terrain ;
Ferme fur mes cinq pieds , j'exerce mon office ,
Toujours fuivi d'un bon où d'un mauvais ſervice
Sans être fanfaron ( mais foit dit entre nous ) ,
De me voir débufqué je ne fuis point jaloux.
En m'examinant bien', s'il vous ' prend cette envie,,
Vous verrez que je puis vous garantir la vict
J'offre enfuite un métal , d'ornement du gouflet , i
Et dont , moi qui vous parle, ai fouvent le mien net ;
Une conjonction dans le vers qui précède ;
Un Tribunal fecret où foi-mênie on procède;
Du loyer d'un va ffeau le terme pofitif ;
Enfin de l'eftomac un maudit fugitif.
}
Ajoutez cependant que mon humeur bachique
Se manifelte auffi- dans l'Art de la Mufique
Qu'un de mes attributs eft furtout d'étre fost ,
Et que , quant à l'Auteur , il fe nomme Le Pord,
DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ESSAI fur l'Hiftoire des Comices de Rome,
des Etats- Généraux de la France , du
Parlement d'Angleterre. 3 Vol. in - 8 °.
Prix , 10 liv . 10 f. br. , & 12 liv . francs
de port par la Pofte. A Paris , chez
Maradan , Lib. Hôtel de Château-Vieux,
rue S. André des-Arts.
CET
""
ET Ouvrage eft , fans contredit , un de
ceux qui , dans la crife préſente des affaires,
ait fu dire avec le plus de modération les
plus importantes vérités ; qui ait le mieux
fu toucher aux bafes de trois puiflans Empires
fans les fouiller , & les comparer fans
en humilier aucun . Son début eft en même
temps une vérité & l'expreffion d'un fentiment
profond. Eh ! oui , nul homme
" ne peut gouverner feul. Il y a des
temps
» où les Confeils dont les Rois s'entourent,
" ne fuffifent plus ; il faut alors confulter
la volonté générale de tous les Membres
qui compofent l'Etat. Ainfi tous les peu-
» ples ont eu des Affemblées Nationales .
» Dans les Sociétés naillantes & qui font
» peu nombreuſes , on convoque tous les
"
A 4
MERCURE
"
individus , on connoît la volonté générale
; on agit d'après ce qu'elle ordonne.
" Dès que la Société augmente , les difficultés
fe multiplient , les intérêts fe croi-
» fent , les factions fe forment , on compte
» les voix, le grand nombre n'indique plus
» que la volonté d'une partie , & nulle-
» ment la volonté de tous . Dans chaque
"
Etat , les Législateurs ont inventé des
» formes différentes pour parer à ce grand ,
» à ce terrible inconvénient qui déchirel'Affemblée
, qui foumet la volonté gé-
» nérale à la volonté du parti le plus nom-
>> breux ou le plus puiffant.
ور
و ر
" Les petits Etats ont eu les plus grands
Légiflateurs, les feuls du moins qui foient
» célèbres . Ce n'eft guère , en effet , que
» dans les petites Républiques qu'on peut
eflayer de mettre en pratique les règles
» d'une théorie purement morale.... Les
grands Etats font des machines trop compliquées
, où les frottemens ont trop de
puiffance , pour qu'elles s'accordent avec
» la précifion du calcul mathématique . Cependant
, fi elles étoient contraires à tout
principe, elles ne marcheroient point, ou
» le mouvement qu'on leur imprimeroit
par force, ne ferviroit qu'à brifer leurs
refforts & à les détruire abfolument «.
"
"
ور
Il n'eft aucun de nos Lecteurs qui ne fente
la jufteffe de ces réflexions , & qui ne fi
tenté d'accorder fa confiance à l'Auteur qui
DE FRANCE.
9
་
débute ainfi. Nous voudrions bien pouvoir
le fuivre de parallèle en parallèle , ra procher
trois Nasions célèbres , & conclure
avec lui , que les hommes en général ne
font rien que ce que leur fituation leur
» permet ou les oblige d'être «. Le tableau
des Républiques de la Grèce , comparées à
Rome dans les différens âges , eft rempli
de vûes profondes fur la meilleure organifation
des Etats ; on aime à lire ce e l'Aureur
dit , p. 3 , Tome I , fur le Tribunat :
» La puiffance législative , apanage du Peu-
» ple , eft prefque toujours ufurpée par la
» puillance exécutive , apanage du Prince
» ou du Gouvernement. Toute puiffance
» s'affoiblit en s'étendant , máme la légiflative.
Quand le Corps politique eft com-
" pofé d'un petit nombre d'hommes , cha-
» cun met une grande importance à fa
❤ voix , qui en eft la centième ou la mil-
» lième partie ; mais quand elle n'eſt plus
» qu'un cent millième , ou une cinq cent
» millième partie de ce Corps , elle devient
» fi foible , fi minime , qu'elle eft prefque
» nulle. Chaque individu , annih , pur
» ainfi dire, comme partie du Législateur,
refte pourtant tout entier expofé, comme
Sujer , au pouvoir exécutif. A Rome , ce
» pouvoir étendu dans le Sénat , & partagé
entre les deux Confuls, pouvoir être
refferré tout à coup par l'élection d'un
33
"
» Dictateur. Le Sénat auroit bientôt en-
» vahi la fouveraineté , fi le Peuple n'avoit
A S
10
MER CUIR E
»
ور
pas fu la défendre , en la mettant fous la
garde de deux. Magiflrats. Les Tribuns
n'eurent d'abord d'autre autorité que celle
d'arrêter le mouvement trop rapide du
pouvoir exécutif. Leur oppofition fut
plus rapide encore : ils n'avoient qu'à
dire veto , & le mouvement s'arrêtoit.
Par cette inftiturion , les Sujets , Mem
» bres devenus trop foibles d'un Légifla
teur op nombreux , furent défendus
» contre les entreprifes du Gouvernement ...
» Le Tribunat établi , la Conftitution de
» la République eut toutes les parties ; elle
» fut entière , & auffi parfaite que le peat
» être une inftitution humaine . Les feuls
Plébé ens parvenoient au Tribunat . C'eft
» en effet au Peuple qu'il importe de
» conferver la Conftitution : intérêt des
»
"
"
Co
t
Grands eft de l'envahir. Le refte de l'Hif-
» toire Romaine n'offre plus . que le jeu
» des différentes parties de cette Conftitu
» tion : machine étonnante , qui réfifta tous
jours à toutes les attaques extérieures
» qu'elle éprouva , & qui ne fe détruist
» que par le frottement de fes propres roua-
" ges. L'Empire Romain fubfifteroit peut-
» être encore, fi la puiffance Tribunitienne
» eût modéré la marche trop rapide de la
33
puiffance impériale : elle eût empêché
» que l'Empire ne tombâr dans les mains
» de la foldatefque « .
Le paffage de l'Empire Romain à la MoDE
FRANCE.. 11
narchie Françoiſe fe trouvoit amené naturellement
, & l'Auteur fuit fidèlement le fil
de la Conftitution dès la première origine ;
il ne nous confole point , & nous fommes
forcés de foufcrire à cet anathême effrayant.
33
»
-
Qu'ont produit les Affemblées de Mars ,
» dit -il ? des crimes , uniquement des cri-
» mes. Les Caligula , les Néron , les Domi-
» tiens , dont l'efprit étoit aliéné , n'ont
» pas commis plus de crimes que les fils ,
» les petits fils , les arrière - petits- fils de
Clovis . Les Comices , dit l'Auteur ,
établirent à Rome un Gouvernement mu-
» nicipal , & ne confièrent les grands emplois
, le commandement même des Ar-
» mées , qu'à des Magiftrats. Les Affemblées
» des Francs n'élurent que des Chefs mi
liraires , & laiffèrent ces Chefs s'empa
rer des fonctions de la Magiftrature «.
33
33
"
و ر
L'Auteur , après avoir peint les moeurs
& l'état des anciens Francs , faifit habile
ment l'époque de la grande révolution qui
fe fit en France fous Clotaire II. A certe
époque , avoit dit Montefquieu , les Maires
du Roi devinrent ceux de la Nation . - Les
Evêques , dit l'Auteur , étoient inamovibles
: les Maires voulurent l'êrre ; les Ducs,
les Comres , les Marquis prétendirent auffi
à le devenir. Mais les Francs étoient en
core bien éloignés d'être une Nation , car
on ne voit pas que ces Placites ou Conciles
euffent quelque influence légale fur les Roi
--
A 6
12 MERCURE
Le précis des Affemblées tenues fur la fin
de la première Race , ne femble que trop
confirmer cette affertion . Mais le Lecteur
eft bien.ôr confolé par les Réflexions de
l'Auteur : p . 160 , Tome 1 , il y verra ce
que les Rois ont pu & dû avoir , & ce qu'ils
n'ont pu ni dû ufurper, La Conftitution
politique n'étoit pas mieux établie fous
Charles Martel ; & quand Pepin aſſembla le
Concile de Leptines , il s'étoit écoulé plus
de cinquante ans depuis la dernière Affembl
´e. L'Auteur relève affez bien l'Abbé de
Mably , qui fe phin de la légèreté des François
qui refuloient de venir aux Affemblées
. S'ils en euffent retiré de grands
avantages , ils n'euffent pas eu cette indifférence.
Plus une Affenablée le rapproche
par le nombre de fes Membres , du
» nombre des Habitans da territoire , plus
» elle eft confidérée ; plus elle s'en éloigne ,
» moins elle eft attachante . S le nombre
» en diffè e excellivement , ce n'est plus
fous un grand non qu'un fimple Confeil
, & ce Confeil n'est plus la chofe publique
".
و د
»>
Charlemagne trouve fous la plume de
l'Auteur des traits facteurs & qui le font dmirer.
Ce Roifit tour e qu ' ! pur pour échirer
la Nation . Mais le People ne fot point ,
comme on l' avancé dans ces derniers
temps , affez confidéré , si appelé aux Affemblées
Nationales. Ce n'eft pas que le
DE FRANCE. 13
» Peaple , dit l'Auteur , n'eût fes droits ;
" mais il n'en jouiffoit pas : ils font im- *
» prefcriptibles ; & quand on l'en-dépouilloit,
on employoit des formules qui prou
voient fa poffeffion ".
Les Affemblées de la feconde Race ne
procuroient pas plus que celles de la première
une unité , une Conftitution ; elles
furent célèbres par les attentats qu'elles fe
permirent contre les Rois. Il faut lire attentivement
depuis l'époque où Suger s'occupa
du bonheur du Peuple , l'état de la France.
fous la troisième Race , jufqu'à Philippe le
Bel , époque où les trois Ordres furent diftinctement
appelés aux Etats Généraux , &
où le Peuple , en fe foumettant à payer
les impôts , défira des Loix , & demanda
d'être garanti de l'oppreflion des Nobles .
Les Etats de 1355 en offrirent bientôt la
preuve. Le Dauphin fit crier, dit l'Auteur ,
dans Paris , la défenfe aux Etats de fe raf-
» mbler à Pâques. Le Peuple fe ſouleva ;
» le Dauphin leva fa défenſe , & convoqua
» les Etats ".
Les Etats Généraux , qui fe fuceédèrent,
ne fervirent qu'à divifer les Ordres , & à
conteſter à la Nation les droits qu'elle réclamoit.
Ceux de 1483 furent les feuls
qu'on puiffe cirer avec quelque fatisfaction :
» mais à force de faire valoir des droits
particuliers , il n'y fut point queftion de
» droits nationaux. Cette grande Affemblée
"
14 MERCURE
» ne fut d'aucune utilité par elle-même , &
» ne produifit aucun effet fur le Gouver
" nement. En vain les Etats avoient mani-
» fefté le voeu de fe raffembler dans deux
ans , & n'avoient établi les impôts que
» pour un feul : on ne les convoqua point ;
on leva des impôts contre leur gré «. "3
>
Les Erats qui fuivirent n'eurent pas des
fuites plus heureufes ; l'Auteur les analyſet
avec exactitude & fageffe , & le réfumé des
Etats de 188 & de 1615 , eft fait avec
difcernement. La récapitulation , p . 158
Tome II , mérite d'être méditée attentivement
, & nous penfons comme l'Auteur
qu'il s'en faut bien que les Etats Généraux
de la France puiffent être affimilés pour les
heureux réfutas aux Comices de Rome.
Qu'on life fur-tout , à l'occafion du Tiers-
Erat , page 154 & fuivantes , Tome II , on
en conclura facilement que la Nation n'a
jamais été complètement affemblée ; les Députés
des campagnes admis depuis Charles
VIII aux Etats , n'ont point augmenté le
nombre des Repréfentans du Peuple.
Le tableau de la Conftitution d'Angleterre
fuit celui de la France ; & il eft magqué
au même coin que tout ce qui a précédé.
On fent à merveille quelles ont éré,
en Angleterre , les caufes qui ont affaibli
l'autorité royale , pendant que les meines
motifs l'augmentoient en France ; & comment
ces deux Royaumes , partis du même
DE FRANCE. as
point , fi femblables dans leurs Loix , font
fi différens l'un de l'autre , & ont fini par
n'avoir aucune reffemblance. On voit tous
les efforts que les Rois d'Angleterre ont faits
pour révoquer la grande . Charte , ce bouclier
des Communes, défendu même pár
les Barons ; & rien n'eft plus vrai que la
réflexion fuivante. -Dans l'ancienne Rome,
le Peuple forma la Conftitution malgré le
Sénat & les Patriciens en France , les
Rois la formèrent malgré les Grands ; en
Angleterre , les Grands l'établirent malgré
les Rois --. Nous invitons nos Lecteurs à
lire les pag. 3 & fuiv. du Tome III , dans
lefquelles l'Auteur développe les motifs qui
ont affranchi les Anglois du préjugé qui
nate d'infamie les familles des criminels ;
& qui ont adouci les fupplices , aboli les
tortures ; l'Hiftoire du Parlement d Angle
terre , fes , variations dans les principes , les
iniufiices , fes complaifances pour les Tytans
& pour le parti dominant , depuis fes
troubles de la Maifon de Lancaftre jufqu'à
l'expulfion de Jacques II , font trèscurieux
, & nous ferions prefque tentés
d'être entièrement de l'avis de l'Auteur. Le
defpotifme que Cromwel exerça fur ce
Corps , n'eft pas la partie la plus honorable
de fon Hiftoire ; & ce n'est qu'en 1707
qu'il prend un efprit patriotique , & qu'il
n'eft plus que le Parlement de la Grande-
Bretagne,Le réfumé de la Conflitution d'Angleterre
, & de la compolition du Corps po16
MERCURE
C
litique , pag. 252 & fuiv. du Tome III , ne
nous paroît pas prouver une meilleure Lé
gflation poffible ; un pays où la fortune
exclut du droit de repréfenter la Nation
eft un pays où il reste encore à faire à fa
Conftitution ; nous n'approuvons point que
les Députés n'aient en Angleterre que leur
confcience pour guide , & qu'ils votent
d'après cette balance trop verfatile. Le Par
lement d'Angleterre fait des Loix , il eft
vrai ; mais il eft faux que les Etats -Généraux
en Fance ne puiffent que préfenter
leurs doléances. Nous penfons que l'Auteur
devient trop le Panégyrifte du pouvoir exécurif
en Angleterre , & que le droit réfervé
au Roi de diffoudre le Parlement , a
plus d'inconvéniens qu'il ne veut en convenir
; & la vénalité de ce même Parlement
n'eft que trop bien reconnue : mais
une obfervari n à laquelle il eft impoffible
de répond e ; c'eſt , comme dir l'Auteur
que la Monarchie nglife eft la feule qui
fe foutienne fa s tropes. Il eft inutile de
rien dire de plus en faveur de fa Conftitution.
Dans toutes les Monar. hies , l'autorité
du Gouvernement eft fuppofée illimitée.
En Angleter e , c'eft tout l'oppofé ; c'est
la liberté du fujet qu'on fuppofe illimitée .
» Voilà pourquoi , dit l'Auteur , tout ce
qui n'eft pas d fendu à la lettre , fe
» trouve rernis en Angleterre ; & c'est
anti pourquoi les Loix y font établies
felon leur ordre naturel .
30
22
DE FRANCE
17
Nous le répétons encore une fois , l'Ouvrage
que nous venons d'analyfer eft un
de ceux qu'il eft effentiel d'avoir médité ,
afin de pouvoir comparer enfemble trois
Nations puiffantes , & établir des bafes
fûres pour pouvoir les atteindre & les furpaffer.
Tout n'eft pas dans cet Ouvrage
de la même force , & on diftingue les
parties que l'Auteur a écrites avec précipitation
, & l'époque où les circonftances
l'ont déterminé à réduire fon plan. Il
a fans doute fes raifons ; il n'auroit peutêtre
pas trouvé une occafion auffi favorable
pour rendre fructueuſes tant d'importantes
leçons.
Les Amours d'Anas- Eloujoud & de Ouardi ,
Conte traduit de l'Arabe par M. SAVARY.
Ouvrage pofthume. A Paris, chez Oufroi,
Lib. rue St-Victor...
LE fuccès des Mille & une Nuits & de
quelques autres Contes Arabes avoit répandu
le goût de cette forte d'Ouvrages ;
& l'on vit bien tôt paroître en foule des
Contes foi-difant Arabes , où l'on s'efforçoit
d'imiter le ftyle & les tours de l'original :
mais la partie la plus intéreffante , celle des
moeurs , y manquoit toujours ; on voyoit
ailément que l'Europe avoit produit ces
MERCURE
fruits prétendus Orientaux ; & que les
Auteurs n'avoient appris à connoître Bagdad
que dans les boudoirs de Paris .
On ne peut pas faire le même reproche
aux Amours d'Anas -E( oujoud , & de la belle
Ouardi. Les évènemens , les caractères ,
les defcriptions , le ftyle , tout y refpire les
moeurs orientales ; & quand on ne fauroit
pas que M. Savary avoir apporté de fes
voyages le Manufcrit Arabe de ce Conte
intéreffant , on ne pourroit fe méprendre
à la teinte originale , & au goût de terroir
qu'on y découvre à chaque page.
Voici quelle eft en abrégé l'intrigue dé
ce petit Roman.
Anas -Eloujoud ( 1 ) eft un jeune Cachemirien
, enlevé dans fon enfance par des
brigands , vendu au Roi de Perfe Chamer
& mis par ce Prince au nombre de fes
Mamlouks. Il fe diftingue bientôt de tous
fes camarades ; il devient leur Chef , &
ayant fauvé la vie au Sultan dans une
bataille , il gagne entièrement la faveur
eft nommé fon Grand- Echanfon & le Gé
néral de fes Armées .
Il paroît dans des jeux publics , célébrés
à Ifpahan. It remporte tous les prix , & il
efface tous fes rivaux autant par fa beauté
& fa magnificence , que par fa valeur &
fon adreffe.
(1 )Ce nom fignific en Arabe, l'homme accompli
DE FRANCE. 19
Quardi , fille du Vifir , le voit revenir en
triomphe , elle en devient éperdument
amoureufe . Elle fe confie à fa Gouvernante ,
& l'envoie porter un billet à celui qu'elle
aime. Anas- Eloujoud lui répond . Secondc
miflive plus preflante que la première . Une
noifième alloit partir. Le Vifir rencontre
la Meffagère, Son afpect imprévu la glace
d'effroi . Elle laiffe échapper la lettre. Le
Vilir y apprend la pathon de fa fille pour
un Etranger. Il veur d'abord laver cet .
affront dans fon fang ; fa femme parvient
à l'appaifer : il ſe borne à conduire la malheureufe
Quardi dans un château qui lui
appartient au milieu de l'ffle Solitaire,
fituée vers l'extrémité du golfe Perfique."
Il fait équiper un vaiffeau , le charge de
richeffes , d'Efcláves & de meubles pré
cieux, & commande à Ouardi de le fuivre,,
Elle attendoit fon) Amant vers la fin de
cette même nuit. Elle n'a même pas le
temps de le faire avertir. En quittant la
maifon paternelle , elle s'arrête au bas de
Tefcalier par où Anas - Eloujoud devoit s'introduire
, & elle écrit ces mots fur la muraille
O palais que j'habitai depuis mon
» enfance fi mon Amant fe rend ici
" au nom de Dieu , apprends lui ma deftinée
! dis-lui : L'infortunée Quardi a été
enlevée avant l'aurore. Pour la payer des
pleurs qu'elle a verfés, pleure à ton tour,
» & lis fur cette pierre les fignes de fa dif-
"
מ
"}
20 MERCURE
こ
"
و ر
grace. Mes voeux ont été trompés : mon
père a furpris la lettre que je t'écrivois . Si
après mon infortune tu ne quittes ton
palais pour me fuivre , je me leverai
» contre toi au jour du Jugement , & je
t'accuferai à la face de l'Univers "
2
Elle part enfin baignée des larmes de
fa mère , & même de celles de fon père ,
qui l'aime , qui la plaint , mais qui demeure
inflexible. Elle arrive dans l'Ile Solitaire.
Son père l'y laiffe avec un nombreux
cortège de femmes , & revient à
Ipahan.
1:
Cependant Anas - Eloujoud fe rend au
palais de Ouardi ; il monte fur un mur ?
ne voit perfonne dans toute cette enceinte ,
defcend dans une cour , & découvre au
bas de l'efcalier qui lui avoit été indiqué,
les mots tracés de la main de fa Maîtreffe :
il s'en retourne défefpéré , fe déguile en
& part pour chercher Ouardi . pauvre ,
Après avoir inutilement couru de ville
en ville , il rencontre un vieux Derviche;
qui lui indique le lieu où la fille du Vifir
eft détenue. Il fe rend fur les bords de
'Euphrate , loue une barque , & engage
le Patron à le conduire à l'Ifle Solitaire. Ils
avoient defcendu le fleuve , & commençoient
à s'approcher de l'ifle une tempête
furvient ; la barque fe brife , le Pilote
eft fubmergé Anas Eloujoud fe fauve
en nageant : il refte évanoui fur le rivage :
-
DE FRANCE. 21
le foleil le ranime , il gagne le penchant
d'une colline , où il s'endort.
Ouardi renfermée depuis trois ans dans
cette Ifle , ne s'y éccupoit que de fon Amant.
Elle avoit toujours efpéré qu'il découvriroit
fa retraite , & qu'il viendroit la délivrer
; laffe enfin d'une fi longue attente ,
elle forme le projet de s'échapper. Elle
trompe fes Gardes , defcend par une fe
nêtre du côté de la mer , apperçoit un
Pêcheur dans fa barque , lui fait figne avec
fon mouchoir , fe confie à lui , & le prie
de la conduire à la première ville . Après
trois jours de navigation , ils arrivent à
Bagdad.
Le brave & généreux Diouan y régnoit.
Des fenêtres de fon palais , il voit Ouardi
entrer dans le port. Frappé de fa beauté
& de la richeffe de fa parure , il lui en--
voie deux Efclaves pour l'inviter à venir
fe mettre fous fa protection . Elle fe rend
en tremblant auprès de lui , & les yeux
baignés de larmes , lui raconte fes malheurs.
Diouan députe vers le Sultan Chamer ,
fon Vilir , avec quatre - vingts chameaux
chargé de préſens , pour le prier de lui cn
voyer Anas- Eloujoud.
Ce fidèle Amant s'étant réveillé fur les
bords de l'ifle Solitaire , marche vers le château.
Il fe donne pour un malheureux
Marchand ruiné par la tempête , & à peine
échappé ſeul au naufrage. On le laiſſe en
MERCURE
trer. Il pénètre dans les jardins intérieurs.
Il voit fur l'écorce des orangers le chiffre
de fon Amante & le fien . Il cherche , il
épie , il écoute. Il rencontre les femmes
de Ouardi qui s'étoient apperçues de la fuite
de leur Maitreffe , & la cherchoient avec
inquiétude. Anas - Eloujoud plus inquier encore
, fe met avec elles à fa pourfuite ,
fans fe faire connoître.
L'Ambaffadeur de Diouan ayant adreffé
au Roi de Perfe la demande de fon Maître
, Chamer répond que le Héros qu'on
lui demande a difparu depuis trois ans.
L'Ambaffadeur lui avoue que c'eſt Ouardi ,
arrivée depuis peu à la Cour de Bagdad ,
qui pleure Anas- Eloujoud & défire de le
revoir. Chamer en conclut qu'elle a caufé
la fuire de fen Favori ; il fait appeler fon
Vifir , père de Ouardi , & le menace de
le faire périr lui & toute fa race , s'il ne
lui ramène Anas - Eloujoud. Le Vifir part
pour l'ifle Solitaire. Il y trouve fes Efclaves
en larmes , qui lui prennent l'évafion de
fa fille , & lui préfentent ce jeune Mar- 1
chand qui l'a fi long-temps & fi inutilement
cherchée avec elles . Le père & l'Amant
fe reconnoillent. La fcène commence
par des reproches , & finit par un attendri
Tement mutuel. Anas - Elonioud revêtu d'h..
bis fomptueux , part avec Ibrahim pour la
Cour de Perfe.
-
Leurs ennemis y avoient tram leur ruine.
DE FRANCE. 23
Craignant de voir le Favori du Prince ren
trer en grace , ils l'avoient noirci par les
plus affreufes calomnies ; ils obtiennent enfin
l'ordre de le faire arrèter avec le Vitir à
fon entrée dans Ipahan . Cet ordre eft exécuré.
Ils font tous les deux renfermés dans
un château.
Le retour de l'Ambaffadeur avoir fort
inquiété Ouardi , qui avoit appris de lui
que fon Amaut étoit difparu depuis trois
ans. Mais elle reçoit une lettre qu'il lui
écrit , avant que d'arriver à Ipahan , ayant
été inftruit en route qu'elle s'étoit refugiée à
la Cour de Bagdad . Elle eft toute confolée ,
toute ravie du retour d'Anas- Eloujoud &
de fa lettre. Elle ne doute pas que récon
cilié avec fon père , il ne vienne bientôt
la chercher . Mas après un mois d'attente ,
elle apprend la difgrace & la détention de
fon Amant & de fon père . Le généreux
Diouan , touché de fa douleur , envoie
fon Grand Vifir demander au Sultan Chamer
la liberté des deux prifonniers , Leurs cnnemis
dominent dans le Confeil ; la demande
eft refufée ; & les illuftres captifs
font refferrés dans leurs chaînes.
Diouan lève une armée , marche contre
la Perfe , & pénètre jufqu'à la Capitale .
Chamer ayant railmblé toutes fes forces ,
lui préfente la bataille ; elle et des plus
ſanglantes ; Dicuan alloi : être vaincu , forfqu'Anas-
Eloujoud paroit dans la mêlée à
la tête des Mamleuks fes frères d'armes :
24 MERCURE
ils avoient toujours vu avec douleur l'hor
rible injuftice qu'on lui avoit faite , & dès
le commencement du combat ils s'étoient
détachés de l'Armée de Perfe , pour le dé
livrer de ia prifon. Cette troupe invincible
fait changer la fortune ; Chamer eft mis en
fuite , & ne rentre qu'avec peine à Ifpahan
, avec les débris de fon armée.
Diouan d'pêche un Courrier à Ouardi.
Il revient lui - même à Bagdad , accom
pagné d'Anas- Eloujoud , & du vieil Ibrahum
, qui avoit été ainfi que lui délivré
par les Mamlouks. La mère de Ouardi y
arrive peu de temps après. Cuardi voit réu
ni autour d'elle tous les objets qu'elle aime.
Diouan , généreux juſqu'à la fin , la dote
richement , nomme Anas- Eloujoud Commandant
général de les Armées ; & les
deux Amans , comblés de fes bienfaits , deviennent
enfin d'heureux époux.
On voit que pour peu que l'Auteur & le
Traducteur aient mis de formes agréables
à ce fonds intéreffant , ce Conte ne peut
manquer de plaire . Nous nous en rappor
tons au goût de M. Savary pour le mérite
de l'original , & à la connoillance de la
Langue Arabe , pour la fidélité de la traduction
. Quant au mérite du ftyle dont nous
fommes plus à portée de juger , nous dirons
qu'il y a peu d'Ouvrages de cette
efpèce aufli agréablement écrits , & qu'on
y_retrouve par - tout la clarté , l'élégance
&
DE FRANCE
25
& la grace qui caractérisent les productions
de cet Autour , trop tôt enlevé aux
Letires. Quelques exemples fuffiront pour
prouver , & pour donner en même temps
une idée de la manière dont les moeurs &
les caractères font peints dans ce petit Ouvrage.
"}
33
92
"
» Anas-Eloujoud , entouré d'un magnifiqué
sertége , traverfa la ville au milieu
" des foldats rangés fur fon palinge , &
fe rendit dans la campagne. Il combattit
» avec la lance & le javelor. Son adreffe
" & fa force brilièrent dans ces divers
exercices. Il défarmi les plus braves guerriers
. A ces luttes faccéda la courfe. Cent
Ecayers Perfans s'élancent de la barrière.
La terre retentit Tous les pieds de leurs
chevaux ; ils vont avec la rapidité de
» l'éclair ; an nuage de pouffière les enveloppe
on les diroit portés fur les ailes
» de la tempête. Anas Eloujoud , penché
* fur les crins flettans de fon courlier , le
Hatte de la main , l'excite de la voix :
trois fois il devança fes illuftres rivaux :
" trois fois il parcourut le premier la carrière.
Ayant remporté toutes les palmes
» le foir il rentra dans les murs de la capitale
, précédé de Muficiens , & annoncé
par les fanfares des trompettes ; il
s'avançoit fuivi des acclamations du
peuple & du défefpoir de fes envieux
» La Lune jalouſe cacha fon globe argenté.
Nº. 31. 1 Août 1789.
H
"3
33
و ر
"
3
26. MERCUREA
1
ود
ود
ود »LafilleduVific,labelleOuardi,va
paroitre dans mes chants. Elle avoit vu
paffer ce jeune Seigneur avec une ſecrète
» émotion ; déjà la prompte renommée lui
» avoit redit fes fuccès ... & c . « . L'éclat
de cette marche triomphale , éclairée par
des lumières innombrables , & tour fur - cour´
la beauté du Vainqueur , laiffent une inpreffion
profonde dans le coeur de Ouardi
la nuit , elle ne peut trouver le repos ni
le fommeil. Une flamme intérieure pénétroit
tous fes fens. Cette vierge égarée
perdit l'ufage de la raifon. Elle ne put
» réfifter à la violence de fon mal elle
appela fa Gouvernante ; elle pleuroit ,
» & effuyoit fes larmes avec un tiffu de
» foie orientale & c. , « .
"
"
>>
On ne lit point fans attendriffement le
départ de cette jeune infortunée pour l'exil
où fon père fe croit obligé de la conduire.
Lorfqu'elle alloit partir , fa mère accourut,
l'embraffa tendrement , & après avoir
mouillé fon vifage de fes larmes
23
"3
› lui
dit : O ma fille ! qui peut lire dans l'a-
» venir ? peut-être un jour reviendras- tu
» rendre la joie à nos coeurs . O faute malheureuſe
qui nous force à ton exil ! fautil
que par ta perte nous achetions l'honneur
de notre famille tu pars ; & le
lieu où j'ai élevé ton enfance va devenir
une folitude. Tu faifois ma gloire &
ma confolation. Hélas ! mon bonheur
s'enfuit avec toi. La douleur feule ma
33
DE FRANCE. 27
93
ވ
-
refte. Ton abfence va couvrir mes jours
» de ténèbres . Ton appartement défert fervira
de retraite aux oifeaux nocturnes.
Je n'y entrerai plus. Hélas ! la force m'abandonne
. Mes habits font devenus un
» poids infupportable . Ton départ me fait
» mourir. La tendre Ouardi , fuffoquée
» par les larmes & les fanglots , ne put répondre
une parole : elle baifoit en gé-
» miffant les mains de fa mère ; elle la pref-
" foit contre fon fein. Il fallut l'arracher
de fes bras , pour la faire monter dans
la litière qu'on lui avoit préparée . Alors
elle fentit toute l'horreur de fa deftinée .
» & parut comme abîmée dans la dou-
» lear. Le Vifir la voyant dans cet état ,
» oublia fon courroux pour ne fe fouve-
" nir que de fa tendreffe . Ma fille , lui
و ر
-
dit -il , n'ajoutez pas aux maux que fouf-
" frent vos parens. Je fuis femblable à
» l'oeil qui a perdu ce qu'il aime. Son mal
s'aigrit , & le Médecin lui manque. Mes
jours vont fe changer en nuits fombres.
» Je ferai étranger dans mon propre pa-
» lais . Mais ne renonçons pas à l'efpérance.
Eh qui peut pénétrer les décrets du
" Très-Haut « ?
">
"
Voilà de ces peintures vraies & naturelles
qu'on ne trouve que dans les Anciens &
dans les Auteurs Orientaux, qui font, comme
les Anciens l'étoient , plus près que nous
de la Nature . Il nous feroit aifé de mul
tiplier ces citations ; mais elles perdent à
B 2
23
MERCURE
,
être détachées du fil de la narration. Nous
invitons nos Lecteurs à les lire dans le
Conte même , il en eft peu de ce genre
dont la lecture intéreffe davantage.
On doit regretter avec l'Editeur , que la
mort prématurée de M. Savary l'ait empêché
de publier en notre Langue un Recueil
complet de tous les Romans Arabes
dont il s'étoit procuré les originaux pendant
les voyages. Mais il eft encore plus
à regretter qu'il n'ait pu terminer les Letrres
fur la Grèce. Il n'en a paru qu'un
Volume , qui juftifie & augmente ce regret.
Diverfes circonftances nous ont empêchés
jufqu'ici d'en rendre compte. Mais l'extrait
en paroîtra inceffamment. La mé
moire & les Ouvrages d'un jeune Littérateur
, aufli diftingué par fes talens , qu'étranger
à tout ce qui rend quelquefois les
talens méprifables ou dangereux , doivent
être chers à tous les véritables Amateurs
des Lettres,
Cas Article eft de M. G....
DE FRANCE. 19
LETTRES de Sterne, nouvellement publiées
à Londres , & traduites de l'Anglois
pour fervir de Supplément au Voyage
Sentimental & aux autres Ouvrages du
même Auteur. Prix , 1 liv. 16 fous broc.
A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
Defray , Libraire , Quai des Auguftins ,
No. 37.
ON a élevé en Angleterre quelques
doutes fur l'authenticité de cet Ouvrage ,
mais non fur fon mérite ; à cet égard ,
il a réuni le fuffrage de tous les Journa
liftes voici ce qu'en dit l'Auteur dr
Monthly review , connu par fon impar
tialité & fa judicieufs critique ..
:
" On donne ces Lettres au Public , fans
» qu'une feule ligne indiquc à qui il doit
" un préfent fi agréable ; point de Dédi
cace qui trahiffe le nom de l'Editeur
ووب
15
point de Préface qui donne l'idée d'une
» découverte faite dans le porte - feuille de
quelques amis de Sterne peut-être ce
joli Ouvrage eft- il jeté à l'abandon , pour
» exercer la fagacité de MM . les Critiquès .
» Qu'il en foit ce qu'il voudra , ces Let
» tres font en elles - mêmes excellentes & :
» dans le vrai ftyle Shandeen ; elles font
telles que Sterne auroit pu les écrire
B 3
30 MERCURE
"3
ور
22
ود
, כ
و
telles qu'il ne les auroit certainement pas
» défavouées . Pour le Lecteur familier avec
» les bons Ouvrages de cet Auteur , nulle
" raifon de douter qu'elles foient originales
; cependant elles paroiffent fi fupé-
» rieures à celles que Madame Medaille a
publiées , qu'en les attribuant à Sterne
> nous fommes forcés de dire qu'il les a
foignées d'une manière particulière &
écrites con amore. On obfervera qu'il
règne le même goût de ftyle dans toutes
ces Lettres , quoiqu'adreffées à différentes
perfonnes. En un mot , fi c'est une
fraude littéraire , nous y gagnons un Ecri-
» vain de plus , car la paftiche fervit au,
» deffus du tableau original . Nous avons
» lu ces Lettres avec le plus grand plaifir ,
≫ & nous ofons les recommander comme
également propres à inftruire & à amufer ;
» elles font pleines de cet efprit de philan-,
thropie & de bienfaifance qui caracté-
» rife les Ouvrages de Sterne , fans être gâtées
par aucuns des défauts que quel-
" ques Lecteurs leur reprochent
و ر
و د
D'accord avec le Journaliſte Anglois fur
le fond de l'Ouvrage , il ne nous refte qu'à
rendre compte de la Traduction ; elle eft.
d'un homme qui traduit très-bien , parce
qu'il ne traduit pas toujours. Le ftyle en
eft vif & faillant , quoique pur en un
mot , on voit que c'eft l'Ouvrage d'un Lite
térateur qui lui même eft en état d'écrire .
Nos Lecteurs pourront en juger par quel¬‹
DE FRANCE.
31
ques paffages pris au hafard dans ces Lettres
vraiment fentimentales.
Nous citerons une de ces peintures d'un
bonheur idéal , qui toujours répétée a toujours
le droit d'intéreffer.
""
" Avec une compagne chérie , la chau-
» mière que l'humble vertu conftruir à
» côté d'un bofquet de chevre - feuille ,
l'emporte infiniment fur toure la magni-
» ficence des palais des Monarques. Dans
» cette heureufe pofition, la bruyère odd-
» rante a pour nous le parfum de l'Arabie
; & Philonièle dûr elle refufer de
» venir s'établir fur les branches de l'ar-
» bre folitaire qui nous ombrage , pourvu
" que j'entende la voix de ma bien -aimée ,
elle fuffit à mon extafe ; le fon harmo-
» nicux des fphères céleftes n'y pourroit
» rien ajouter ".
»
"
. و و
·
Mais ne pouvant goûter le bonheur dans
la réalité , Sterne a recours au preftige de
l'imagination , pour tâcher du moins de s'en
procurer le fimulacre . » Je m'allieds , ditil
, fur le gazon ; je m'y place à côté
» d'une femme charmante , auffi aimable ,
» s'il eft poffible , que Madame V *** . Je
" cueille des fleurs , & j'en forme un bou-
» quet que j'arrange fur fon fein ; je lui
» raconte enfuite quelque hiftoire tendre
& intéreffante. Si fes yeux fe mouillent
» à mon récit , je prends le. mouchoir
blanc qu'elle tient dans fa main , j'en
»
">
B 4
32 MERCURE
" effuie les larmes qui coulent fur fes belles
» joues , je n'en fers également pour effuyer
les miennes ; c'eft ainfi que la douce
» rêverie donne des ailes à l'heure pare
" feufe ".
79
On rencontre de temps en temps des
portraits peints avec originalité , tels que
celui - ci. » B **** eft exactement une de
"
و د
:
ces innocentes & inoffenfives créatn-
» res qui ne peftent ni ne fe fâchent jamais
les différens tours qu'on lui joue ,
il les fupporte avec la patience la plus
évangelique , & il s'eft arrangé de ma-
" nière à perdre tout plutôt que crite
difpofition bienveillante qui fait le bon-
» heur de fa vie : mais comment fe le propofer
entièrement pour modèle ? car vous
farez , comme moi , que lorfqu'on a
» une fois gagné fa confiance , en peut le
tromper dix fois le jour , fi ce n'eft pas
» affez de necf " .
20
93
ر د
ود
Ces Lettres font encore femées d'amesdotes
& de rilexions ingénieufes , celleci
par exemple. » La rufe n'eft point une
qualité honorable , c'eft une efpèce de
An fagelle bâtarde que les foux même peuvent
quelquefois mettre en pratique , &
» qui fert de bafe aux projets des fii-
» pons ; mais ! hélas combien de fois ne
trahit- elle pas fes Sectateurs à leur pro-
" pre honte , fi ce n'eft à leur ruime «
Nous finirons par un trait fentimental
و ر
DE FRANCE
33
qui termine ces Lettres , & qui , s'il n'eft
pas de Sterne , eft bien du moins dans la
manière de cet Aureur.
33
» Cependant le monde me tue abfolu
» ment ; fi vous en étiez inftruit , vous en
feriez affligé. Je le fais , & je défire ne
* pas vous occafionner une larme inutils
Il fuffit à votre pauvre Yorick de favoir
que vous en verferez plus d'une
quand il ne fera plus «.
25
Nous regrettons que les bornes de ce
Journal & Ia multitude des articles ne nous
permettent pas de nous étendre davan
tage fur ces Lettres . Quoi qu'il en foit , nous
crayons pouvoir faire compliment à l'Autear
de cette charmante Traduction , à quis
nous devons en outre une excellente Brochute
politique fur les affaires préfentes ( 1 ).
(1) Ila paru depuis, une autre Traduction dess
mêmes Lettres , chez Lagrange , Libr. au Palais-
Royal
B
34 MERCURE
VARIÉTÉ S.
FIN de la Lettre écrite à l'occafion de
l'Ouvrage intitulé Examen du Gouvernement
d'Angleterre.
L'AUTEUR des Notes continuant de décrier la
Conftitution Angloife , dit que le Gouvernement
du Parlement de la Grande-Bretagne eft arbitraire,
& en donne pour preuve l'imperfection de la repréfentation
, & la liberté que fe donnent fes Repréfentans
prétendus , de ne pas fe conformer aux
inftructions que la Nation leur donne.
L'examen de ces deux articles des Notes me
meneroit à faire un Livre , fi je voulois le fuivre
jufqu'au bout. Je ne puis qu'énoncer ici quelques
idées , que je développerai en quelques autre occafion.
Quoique les Membres de la Chambre ne foient
élus que par une partie de la Nation , tous ceux
qui font élus font bien les Repréfentans de cette
partie , & fi cette partie repréſentée a bien véritablement
& conftamment le même intérêt que
toute celle qui ne l'eft pas , fi cette repréfentation
, toute incomplette qu'elle eft, peut défendre
& défend les intérêts de tous les Citoyens , ne
peut-on pas dire que les Anglois ont une bonne
repréſentation ?
Je fais bien tout ce qu'on peut oppoſer à cette
DE FRANCE. },
repréſentation virtuelle ; mais je fais an que ces
objections , qui prouvent parfaitement que les chofes
ne font pas auffi bien qu'elles pourroient & de
vroient être , ne prouvent pas qu'elles foient auffi
mal que le difent des Auteurs que je combats.
L'Auteur de l'extrait de l'Examen mis dans fe
Journal de Paris , fait un bien faux calcul en
nous préfentant la partie de la Nation qui élit
les Députés , comme un millième de la Nation .
On va voir combien cette affertion eft loin de la
vérité.
Selon les eftimations données par les Ecrivains
Anglois qui fe font plaint le plus fortement de
l'infuffifance de la repréfentation , il n'y a qu'un
dixième des Habitans mâles , chefs de famille ,
qui votent aux élections , de forte que 9 dixièmes
font privés du droit de fuffrage . C'eft le
calcul de Cartwright dans le Pamphlet intitulé ,
Give us our right , Ouvrage d'un partifan des
principes les plus démocratiques.
Mais ce calcul , tout inférieur qu'il eft à celui
que je réfute , eft encore exagéré .
Il y a en effet 214,000 Electeurs , concourant
en totalité à l'élection des Membres du Parlement
, fur 1500 mille , auxquels on pourroit vouloir
attribuer le droit de voter , en fuppofaut fix
millions d'habitans en Angleterre & en Ecoffe
feulement , puifqu'on ne peut donner le droit de
voter ni aux femmes ni aux enfans qui font lés
trois quarts d'une Nation.
•
Mais de ces 500 mille il faut retrancher ,
non feulement felon la Lei Angloife , mais felon
les principes d'une faine raifon , les Mendians ,
les Journaliers , les Matelots , les Soldats , tous
les hommes trop dépendans par leur état & leurs
profeffions , comme les Domeftiques , tous ceux
B 6
36 MERCURE
qui n'ont pas une propriété de 40 fchellings de
revenu , tous les ferviteurs & gagiftes & employés
de la Couronne , &c. Ces exclutions ne laifferont
aflurément pas plus de 7 à 800 mile invidus à qui
on puiffe raisonnablement donner le droit de veter
aux élections. Les 214,000 Electeurs actuels feront
donc à ceux qui peuvent prétendre au droit
délire , caviron comme I cft à 4 , & non pas
comme eft à 10 , & encore moins comme
eft à 1000.
I.
A la vérité , ce droit d'élire fe trouve inégalement
diftribué entre ces 114,000 Electeurs ;
de forte qu'on voit un plus grand nombre de
Membres nommés par un moindre nombre d'Electeurs
, & réciproquement.
130 mille Francs tenanciers choififfent 92
Membres pour 52 cemtés .
43 mille Habitans des villes choififfent 52
Membres pour 23 villes & Univerfités.
41 mille Electeurs choififfent 369 Membres
pour 192 corporations ..
Total. Electeurs 214 mille. 513 Membres.
On obferve encore que des 214 mille Elecil
y en a 340 qui choififfeut so Membres
-à cux feuls , & 6000 qui en choiíiſſent 257 .
teurs ,
Ces deux derniers réſultats s'obtiennent en confidérant
& prenant un certain nombre de Bourgs
où le droit de nommer un ou plufieurs Membres
fubfifte , quoique le nombre des votans à l'élection
y foit devenu, par laps de temps, extrêmement petit.
Mais il eft toujours vrai qu'un quart des habitans
choifit pour les 3 autres quarts de ceux
qui peuvent réclamer le droit d'élire , & qu'il
n'y a par conféquent que ces 3 quarts de privés
du droit d'élection , & non , comme le dit l'Auseur
de l'extrait de l'Examen envoyé au Journal
DE FRANCE. 37
de Paris , 099 , millièmes, ce qui eft vraiment dépourvu
d raiſon.
Je fais bien qu'on me dira. encore qu'une pareille
représentation eft incompiette , & j'en conviendrai
; mais je dirai toujours qu'il ne faut pas
faire le mal plus grand qu'il n'eft ; & voici quri
ques obfervations qui peuvent conduire à appré
cier avec plus de juiteffe certe imperfection de la
Conftitution Anglaife , & pour éloigner même
l'efprit de patriotifme & de liberté de juger le
Gouvernement Anglois d'après des principes exagérés
, qui ne font jamais bons à rien .
1. Dans tous les pays où l'on a établi une
repréſentation , on a cru pouvoir réfufer le droit
de concourir aux élections à un nombre plus on
moins grand de Citoyens.
Dans aucune Conftitution les femmes qui font
la moitié de l'espèce humaine , les Mendians , les
homeftiques , les fimples Journalers , & en Angleterre
comme dans la plupart des anciennes
Républiques , les Citoyens dent la fortune ou la
propriété font au deffous d'un certain cens , ne
concourent point au choix des Repréfentans.
On a jugé que la claffe de Citoyens non appelée
à concourir au choix des Représentans
a raifon de leur érat , de leur ignorance , de
leur défaut d'éducation , &c. , ne pouvant faire
une élecion en véritable connoiffance de caufe ,
il étoit au moins inutile ou même dangereux de
les faire concourir.
On a cru que celui qui n'eft pas
Electeur par
quelqu'une des railons qu'en vient d'indiquer , étoit
fuffisamment
repréfenté par ceux-là même qu'il
n'avoit pas cheifis , parce que ceux - ci auroient
à défendre pour eux les mêmes droits que lui .
On a penſé enfin que les Loix à maintenir ,
MERCURE
à faire , à réformer par les Repréfentans de la
Nation , devant être générales , & foumettre &
gouverner ceux-là mêmes qui les font en les faifant
bonnes pour eux d'après leurs lumières &
leur confcience , ils les fercient bonnes pour ceux
mêmes par lefquels ils n'auroient pas été choiſis.
Si ces motifs font de quelque poids , ils peuvent ,
ce femble, juftifier la Conftitution Angloife fur ce
qu'on y voit le droit d'élection confié à un quart
fculement des Citoyens qui pourroient y prétendre.
Si ceux qui n'y concourent pas peuvent penter
que leur exclufion eft une violation de leurs droits
perfonnels , ils ne peuvent pas raisonnablement
s'en plaindre comme d'une caufe d'oppreffion &
de mauvaifes Loix , puifque ceux qui exercent
le droits d'élation ont le mê ne intérêt à faire
de bons choix, & qu'enfin on ne peut pas dire
férieufement que les choix feroient meilleurs
s'ils étoient faits par 800,000 citoyens, qu'ils ne le
font, faits par 214,000.
2º. Au travers de l'imperfection des moyens de
choifir la repréfentation Angloife , fi le réfultat
du choix eft cependant toujours que la plus grande
partie des Repréfentans a le plus grand intését poffible
à défendre & à conferver les droits & la liberté
de la Nation, ces droits & cette liberté feront
à couvert. Or je dis que cette condition eft remplie
en Angleterre .
Il eft bien évident que l'intérêt à une bonne
adminiſtration , au maiaten . de la liberté , au
refpect pour la propriété , cft néceflairement trèsgrand
dans les Propriétaires , nom fous lequel je
comprends principalement les Propriétaires de tere
res , fans exclure les autres claffes de citoyens
poffédant d'autres genres de propriétés.
Il eft encore évident que les Propriétaires font
par là même des hommes indépendans , ou du
DE FRANCE. 39
moins les plus indépendans que la Société puifle
fournir à une Affemblée nationale.
3
Il fuit de là , que la repréſentation aura une
tendance néceſſaire & forte vers le bien public , fi
la propriété le trouve réunie à la qualité de Repréfentant.
Or c'est ce qui arrive en effet en Angleterre.
Je me rappelle d'avoir ouï faire *par des per
fonnes inftruites , en 1773 , le Court Calendar à
la main , une énumération des Membres du Par
lement , d'après laquelle on trouvoit le plus
grand nombre des Membres de la Chambre
des Communes ayant au delà de 2000 gui
nées de revenu , plus de 250 dans l'une & dans
l'autre Chambre ayant plus de foco guinées ,
plus de 30 jouiffant de io , plus de 20 qui en
ent 20,000.
J'ai entendu compter auffi le nombre des
Pairs qui ont quelques penfions de la Cour ,
& n'en trouver alors que cinq ou fix. On en
parloit comme de gens que le défordre de leurs
affaires obligeoit d'avoir recours à cette espèce
d'aumône. Un feul qui avoit une fortune raifonnable
, étoit taxé de baffeffe pour en avoir
accepté une. On voit par-là que les Repréfentans
de la Nation dans les Communes , & les Lords
dans la Chambre - Haute , font en général indépendans
de la Cour par leur aifance & par
leurs grands biens.
4
Je fais qu'on pourra citer quelques exemples
contraires , mais ces exemples feront des exceptions
, & mon affertion fera toujours généralement
vraie , de la vérité qui fuffit au foutien
de l'opinion que je défends.
Or je prie maintenant qu'on me dife fi un
Corps , chargé par quelque forte d'élection qu'on
43
MERCURE
voudra, des intérêts d'une Nation , mais compofe,
dans la plus grande partie de fes Membres , de
Bropriétaires ayant une richeffe qui les rend indépendans
, n'eft pas un bon gardien des libertés
& de la propriété de la Nation ; je demande fi ,
dans un pareil pays , le ciroyen qui n'aura pas
donné fa million expreffe à ces Membres de l'ÂLfemblée
nationale , ne peut pas raisonnablement
s'en repofer für eux de la défenfe de fes droits &
de fa propriété , que ces hommes se peuvent trahir
fans trahir en même temps leur propre caufe
& celle de leurs enfans. Je demande fi une élection
à laquelle il auroit concouru ,. lui donneroit
une plus grande. fécurité.
Je fais bien que dans cette même Aflemblée
nationale il fe trouve un certain nombre d'hommes
fans propriété , ou n'ayant qu'une propriété
fictive , ou n'ayant que celle qui eft preferite par
la Loi , & qui eft peut - être trop modique pour
attacher le Repréfentant par elle - même & par
elle feule aux vrais intérêts de la Nation.
Mais le nombre de ces hommes eft . petit. Il
y en a d'ailleurs conftamment dans le parti de
Oppofition comme dans le parti de la Cour , &
Laction des uns & des autres s'amortit néceffairtment
par leur combat , tandis que l'intérêt
conftant des Propriétaires fe confondant avec celui
de la liberté & de la propriété nationale , ils
font , généralement parlant , un rempart fuffifant
contre les progrès de l'autorité qui tendroit à
l'oppreflion de la Nation.
Je fais que cette importance & ces droits que
j'attache à la propriété , lui font conteftes par
quelques perfonnes inftruites d'ailleurs , qui fe
croient en cela les Apôtres de la liberré mais.
je crois leurs idées fur ce point entiérement oppofées
aux notions juftes qu'on doit fe faire de
DE FRANCE. 41
la Société politique , dont la propriété & fur-tour
la propriété territoriale eft la véritable bafe ; je
ne crois point qu'ii fuffife de compter les hommes,
pour connoize & fixer le nombre des Repréfen
tans ou des Electeurs des Repréfentans d'une Næ
tion compofée de 14 millions d'individus . Je pen
ferai toujours qu'il faut , pour jouir de ce droit à
l'avantage de la Société , des conditions & des
qualifications plus ou moins communes : que dans
un grand pays ces conditions ne doivent pas être
trop faciles à remplir, fi l'on veut avoir des choix
raifonnables , motivés , & faits en connonlance de
caufe , les feuls qui puiflent véritablement exercer
les droits de ceux qui les font & de tous
ceux pour lefquels i font faits .
Je conclus de tous ces détails , que le Parle
ment d'Angleterre , tel qu'il eft , eft encore une
fort bonne fauve-garde pour la liberté de la Nation
, ce qui eft bien contraire aux affertions du
Cultivateur Américain & de fon Commentateur.
Et j'ajoute que cette apologie du Gouvernement
Anglais je pourrois la juftifier par des
faits connus par exemple , en faisant voir que
depuis le règne de George III feulement , la lbeité
Angloife a gagné du terrein , loin d'ea
perdre ; témoin l'affaire du General Warrants ,
perdue par la Couronne contre M. Wilkes , &
l'établiffement des Milices nationales , regardé par
tous les hommes éclairés comme un nouveau
Boulevart de la liberté , & la forme établie vers
1772 , pour juger de la validité des élections
par un Jure the au fort ; & pour citer le fait
le plus vo fin de nous , témoin tout ce qui s'eft
dit & fur-tout tour ce qui s'eft fait relativement à
la Régence donnée par le Parlement au Prince
de Galks , & où le montre un fi grand pouvoir
de la Nation.
42 MERCURE
Enfin je répète que fi la liberté n'a pas encore
recouvré tous fes droits , c'eft à l'état des connoiffances
dans la Nation , aux erreurs dans lef
quelles s'égare encore l'efprit public , & furtout
à Fefprit mercantille , qu'il faut s'en prendre
, & non à la Conftitution qui peut opérer ce
bien telle qu'elle eft , & qui l'opérera avec le
temps.
J'ai peu de chofes à dire contre la feconde
preuve du pouvoir arbitraire du Parlement , apportée
par l'Auteur des Notes . Il prétend établir
cette imputation fur ce que les Repréfentans ne
fuivent que lorsqu'ils le veulent bien les inftructions
de leurs Commettans , & qu'ils tiennent ainfi
de la Nation un pouvoir arbitraire qu'ils n'exercent
que conformément à la volonté du Miniftre.
On voit que cette preuve eft toute entière fondée
fur la doctrine de la limitation des pouvoirs ,
doctrine que je crois funefte au repos des Nations
, & contraire à toute bonne Adminiſtration
dans un grand pays qui ne fera pas partagé en
autant de Républiques confédérées qu'il y aura
de Provinces.
On me dira peut être qu'en faifant l'apologie
de la Conftitution Angloife , je conviens moimême
qu'elle a de véritables défauts ; què la liberté
n'y eft pas entière , que la repréfentarion
Y eft incomplette , &c . , que dès - lors les opinions
des Auteurs des notes ne différent pas affez
des miennes, pour que ce foit la peine de les combattre
, puifqu'en convenant des deux parts que
la Conftitution Angloife eft vicieufe , il n'eft pas
bien important de déterminer fi elle l'eft un peu
plus ou moins .
Je réponds, M. le M. , que dans les queftions les
plus intéreffantes il ne s'agit non plus très - fouvent
que du plus & du moins , & que d'après la règle
"t
DE FRANCE. 43
1
qu'on m'oppofe, il fandroit éloigner les plus utiles
& les plus néceflaires difcuffions.
J'ai pour mon ufage une maxime que je vou
drois bien voir plus généralement reconnue : le
faux ne differe fouvent du vrai que par l'exagération
qui l'accompagne. De forte qu'une afertion
la plus faufle en elle- même & la plus funcfte dans
les conféquences qu'on en tire , n'eft fouvent
qu'une affertion parfaitement vraie , exagérée , dont
l'efprit fage qui la contefte ne combat que ce'
qu'elle a d'outré .
Dans la queftion préfente , la vérité est à dire ,
que la liberté Angloife n'eft pas entière , ni la repréfentation
auffi parfaite qu'elle pourroit l'étre.
la fautleté eft à dire qu'il n'y a en Angleterre
ni liberté perfonnelle , ni liberté de commerce , ni
liberté de la preffe , & que la liberté Angloife confifte
à être gouverné par des réfolutions arbitraires
d'un Parlement qui n'est libre qu'en apparence , &
qui ne peut ni n'ofe faire que ce qui plait au Roi
& aux Miniftres, p . 75. Aflertions des Auteurs
des notes , qui ne font que les exagérations de celles
que je regarde comme vraies , & qui font fauffes
par cette même exagération.
Il n'eft donc pas inutile de difputer fur le plus
ou le moins de défauts qui fe trouvent dans la
Conftitution Angloife , puifqu'il n'eft pas inutile
de chercher & de conneître la vérité.
Enfin , M. le M. , s'il faut que je vous le dife ,
je n'approuve point qu'on nous dégoûte d'un pain
bis nourriffant & fain , lorfque nous ne femmes
pas bien affurés de pouvoir nous donner du pain
blanc.
Mais je m'apperçois , M. le M ***** , que je
viens d'écrire un Volume pour répondre à votre
billet , qui ne me demandoit que mon avis fur
24
MERCURE
an Livre , & je n'en fuis encore qu'à la moitié
d'un des articles de cet Ouvrage , la note 11 .
Je me vois forcé par Fobligation même de vous
répondre , à terminer ici ma réponſe.
Je fuis avec le plus profond refpect , &c.
Samedi, 14 Février 1789.
L. M.
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
L'Orina del Barbiere di Siviglia , donné pour
la première fois à ce Théatre le Mercredi 22 du
mois dernier , n'a pas moins réuffi que les précédens
, & l'on devoir s'y attendre . Cetre mufi-'
que , extrêmement piquante , faire fir un Poëme
beaucoup plus raiformable que ne le font ordi-
Raiement les Poêmes Italiens, avoit déjà produit le
plus grand effet fur tous les Théatres de l'Europe.
Elle avoit même réaffi parmi nous , parodiée en
François pouvoitelle moins plaire lorfqu'elle
feroit exécutée dans la Langue originale & par
la fleur des Virtuofes de l'Italie ?
Nous n'avons donc rien à dire de la Pièce ;
neus ne parlerons que des Acteurs. M. Mandini
s'eft chargé du Comite Almaviva , qu'il rend avec
infiniment de noblete , même dans les fcènes en
le traveftiffement lui permet davantage de fa
livrer à la gaité. 11 eft imposible de mettre plus
de grace & d'efprit dans la fcène du Cavalier
DE FRANCE
43
& le grand art de M. Mandini eft d'avoir évité
la caricature , & d'avoir toujours laiffé deviner le
grand Seigneur fous fes divers déguifemens. M.
Viganoni eft un véritable Figaro. Il en a toute
la gaîté, la vivacité , la grace ; il fembleroit qu'il
a fait toute fa vie ces fortes de rôles , & l'on ne
croiroit guère , en lui voyant jouer cette Pièce ,
que fon emploi ordinaire eft plutôt noble & férieux
. Il faut voir foi- même M. Raflanelli dans
le rôle de Bartholo , pour le faire une idée de
l'extrême vérité qu'il fait mettre , non feulement
dans le caractère général de fon rôle , mais
même jufque dans les moindres détails . La defcription
en paroîtroit puérile , le spectacle en eft
enchanteur. M. Rovedino , qui a bien voulu ſe
charger du rôle de Bafile , quoique ce ne foit
qu'un fecond rôle , en a fu tirer le plus grand
parti. C'eft pour la première fois qu'on a pu bien
entendre à Paris l'air fuperbe de la Calomnie , qui
gagne prodigieufement à être exécuté par une
aufli belle & une auth forte voix. Mile . Baletti
a répandu le plus grand intérêt dans le rôle de
Rofine ; on ne peut y mettre plus de nobleffe ,
de décence & de naïveté.
Nous n'avons prefque parlé que du jeu des
Acteurs , parce que nous croyons inutile de parler
de leur chant. A cet égard , leurs talens font
trop connus, pour avoir befoin de nouveaux éloge
Depuis que nous avons parlé de ce Theatre ,
on y a repréfenté deux Ouvrages qui ont fait
plailir. Le premier efl un Mélodrame intitulé Pan
dore , écrit fort agréablement , & accompagné
d'une fymphonic de M. Beck , d'un très -bon effet.
Cette Pièce eft jouée par M. Chevalier avec beaucoup
de feu & d'énergie. Mlle. Joffey met dans
le rôle de Pandore infiniment d'intelligence & de
46 MERCURE
fentiment. Le fecond Ouvrage eft une Comédie
intitulée le Procès . Cette Pièce eft écrite avec
beaucoup d'efprit , & remplie de fituations extrê
mement gaies. Il y a fur tout deux rôles trèsplailans
; celui d'un jeune homme niais , très -bien
joué par M. Mongautier ; & celui d'un Gafcon ,
préfenté d'une maniere très - neuve au Théatre ,
& que M. Paillardelle a rendu avec fa fupériorité
ordinaire .
On a effayé auffi de mettre à ce Théatre un
Opéra très -connu en Province & dans les Concerts
de Paris , intitulé l'Infante de Zamora ; l'exécution
de la part de quelques Accurs n'ayant pas plu
au Public , on a fufpendu les repréfentations de
cet Ouvrage , pour le faire reparoître avec d'autres
Sujets. On a cependant rendu juftice à ceux
qui ont montré un talent fupérieur , notamment
à Madame Ponteuil , qui a été fort applaudie.
Si on remet cette Pièce , nous en parlerons avec
plus de détail .
ANNONCES ET NOTICES.
MEMOIRE pour l'établissement d'une Caiffe publique
Nationale on Françoife. Brochure in- 8 ° . de
28 pages. Prix , 18 f. A Paris , chez Lefclapart
Lib , rue du Roule , près le Pont-Neuf, N ° . Î1.
Collection des Mémoires de l'Hiftoire de France ,
ome L. A Paris , ruc & hôtel Serpente.
Ce Volume contient les Mémoires de Philippe
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gravés par Auguftin de Saint-Aubin , Graveur
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6 lv. A Paris , chez l'Auteur , rue des Prouvaires ,
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de leur Auteur.
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gravée à la manière noire ; par M. de Bret ,
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le Tableau peint à la Gouache par Lavrince ,
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chez l'Auteur , rue du Croiffant , au coin de celle
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Galerie du Palais-Royal , N ° . 146 .
Ouverture des Etats- Généraux à Versailles , le
5 Mai 1789. Frix , 4 liv . à Paris , chez Patas ,
Graveur , porte Saint -Jacques , maiſon de l'Apothicaire
, Nº. 166.
Trait d'humanité ; Eftampe gravée par le même.
Prix , 2 liv . chez les mêmes.
Cette Ellampe repréfente un Trait d'humanité
de Monfeigneur le Duc d'Orléans , qui ſe jeta à
l'eau peur fauver fon Jockay . On trouve au bas
ces quatre vers devenus prophétiques.
Le Spectateur frémit en voyant fon danger ,
Qui menace une tête aufì chère qu'auguſte .
Peuple , raffure- toi ; le Ciel eft toujones juke ;
Il te rendra celui qui doit te protéger.
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Im -promptu.
TABLE.
Lettres.
Variétés.
29
34
Charade , Enig, Logog. ibid .. Théatre de MONSIEUR. 44
7 Annonces & Notices. 46
Efai.
Les Amours.
Hurá
17)
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES
.
POLOGNE.
De Varsovie , le 8 juillet 1789.
DANS la nuit de jeudi à vendredi dernier
, le Prince Poninski arrêté , ainsi
que nous le rapportâmes , comme pri--
sonnier d'Etat , et remis au jugement
d'une Commission de la Diète, s'est échappé
de son hôtel où il étoit gardé . Ses fils
ayant pratiqué , dans la maison contigue
, une ouverture correspondante à la
chambre à coucher du Prince , ' et cachée
par la tapisserie , le Prisonnier a passé
au travers , laissant dans son lit un mannequin
de paille , affublé d'un bonnet de
nuit et d'une robe-de-chambre , qui , pendant
quelques heures , a trompé l'Officier
de garde. Du moment où cette évasion
a été connue , l'on a publié , à son
de trompe, une promesse de 1000 ducats
à qui rameneroit le Prince dans les
Nº. 31. 1ºr . Août 1789.
er
a
( 2 )
mains de la Justice . Ces mesures n'ont
pas été infructueuses , et aujourd'hui le
Prisonnier , saisi sur les frontières de la
Prusse , a été reconduit dans cette capitale
.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 15 Juillet.
Jusqu'ici les succès avoient été balancés
, en Finlande , entre quelques détachemens
Russes et Suédois : les premiers
avoient remporté un avantage assez marqué
dans le district de Savolax , en s'emparant
du poste de Saint-Michel , d'où
le Colonel Suédois de Steding s'étoit replié
vers Fokas , pour conserver ses communications.
On s'attendoit cependant à
une action prochaine plus décisive ; elle
a eu lieu le 28 juin , et la victoire des
Suédois , conduits par leur Roi en personne
, a été complète. La relation officielle
de cet évènement a dû paroître
le 5 , à Stockolm , d'où les lettres authentiques
, du 3 , mandent ce qui suit :
2
« Nous avons reçu hier l'agréable nouvelle
de la défaite d'un Corps Russe de 3600 hom.
à Uddemalm , à 2 lieues de Davidstadt. L'aile
gauche de notre armée ayant passé la frontière
à Varela , l'avant-garde , sous les ordres
du Lieutenant- général de Platen , a attaqué les
Russes qui avoient leur camp à Uddemalm .
On s'est très-bien battu de part et d'autre ;
( 3 )
mais enfin ( quoique nous n'eussions que 2100
hommes ) nous avons eu l'avantage de repousser
l'ennemi , et nos troupes ont établi leur
camp sur le champ de bataille. Le régiment de
Westmanie a le plus souffert ; il a eu un Officier
de tué et deux de blessés . An reste ,
notre perte n'est que de 120 hommes , y compris
les blessés ; mais les ennemis ont perdu
au moins le double . Le Roi s'est trouvé comme
volontaire à l'action , animant ses troupes
par son exemple : aussi l'on assure qu'il n'est
pas possible de s'imaginer la bravoure et la
hardiesse avec laquelle les ennemis ont été attaqués
. La bayonnette a , cette fois - ci , comme
à toutes les affaires précédentes , mis l'ennemi
en déroute . On reconnoît par là l'ancienne
méthode de combattre. Le Major Paulman ,
qui a tourné l'ennemi très-habilement avec un
bataillon du régiment de Stromfeldt , a beaucoup
contribué à la victoire . Aussi le Roi lui
a donné sur- le- champ le brevet de Lieutenant.
Colonel. Au départ du courrier , les ordres
étoient donnés pour marcher encore à l'ennemi
, après 8 heures de repos. On écrit que le
Roi se rendra droit à Wilmanstrand. Le Corps
de l'armée devoit camper , le même soir du 28
juin , à Uddemalm . L'on ajoute que le Général
Comte de Meyerfeldt devoit attaquer
le lendemain , avec l'aile droite de l'armée ,
le Corps des Russes à Pyttis , et que le Comte
Ehrensward devoit débarquer de la flotille
qu'il commarde , un Corps d'armée de cinq
mille hommes entre Hogforp et Frédéricsham ,
pour attaquer le même jour un Corps Russe
près de cette dernière ville . Enfin , les arrangemens
sont pris de manière à faire espérer
que nous recevrons souvent des nouvelles
agréables , vu les différentes attaques.
a ij
( 4 )
que l'on se propose de faire vers le même
temps . Tout annonce que cette campagne
sera meurtrière , autant que la précédente a
été paisible . Dieu veuille conserver les jours
de notre grand Roi qui s'expose chaque
moment , autant qu'il conviendroit de faire
au moindre de ses Officiers ! Aussitôt après
l'affaire du 28 juin , le Ro. écrivit à son Fils ,
en ces termes :
71
--
« J'ai eu deux de vos lettres , mon cherfils,
dontje vous remercie ; et je n'ai pas voulu
vous répondre , avant que de pouvoir vous
dire que nous avions vu l'ennemi. Je vous embrasse
, mon cher fils , bien tendrement, pour.
vous féliciter de ce que vos Compatriotes ont
soutenu leur ancienne réputation de valeur.
Les troupes de l'ennemi se sont bien battues
mais les nôtres encore mieux. Cela doit vous
encourager à travailler , pour vous rendre digne
d'éire le Chef d'un Peuple aussi généreux que
brave. Je me porte fort bien , et je suis toujours
voire tendre père. Signé , GUSTAVE.
Sur le champ d'Uddemalm, ce 28juin 1789.
Un autre lettre du 4 dit :
"
« Un Exprès , arrivé hier de la part du Roi ,
nous a apporté l'agréable nouvelle que l'armée
, s'étant mise en mouvement , le 20 juin ,
et ayant passé la rivière de Kymène , s'étoit
partagée en trois Corps qui sont entrés dans
la Finlande Russe : le Corps principal , où le
Roi se trouve accompagné des Généraux
Comte de Meyerfeldt et Comte de Platen, s'est
porté en avant vers Wilmanstrand , et a livré ,
pres de Martila , endroit à peu de distance
d'une petite ville nommée Davidstadt , une
action à l'ennemi , dont le succès a été si heu(
5 )
reux, que les Russes ont abandonné le champ
de bataille avec la victoire ; deux fois ils
ont repris poste , et deux fois ils ont été
enfoncés . Sa Majesté se voit ainsi la route.
ouverte jusqu'à Wilmanstrand , place où les
Russes ont leurs principaux magasins , et
qui commande l'entrée de lear pays . En
même temps , le Général Baron de Siegroht
s'est avancé avec un autre Corps vers Fré-
'dérichsham , pour renfermer cette place forte
du côté de terre , tandis que le Général
Baron de Kaulbars a remonté , avec un troisieme
Corps , la rivière de Kymène sur la
rive Russe . Nous attendons avec impatience
le résultat des opérations combinées de ces
trois Corps , qui agiront de concert avec la
Flotille , aux ordres du Comte d'Ehrenschwardt
, où il y a quelques milliers de troupes
de débarquement . »
La flotte Suédoise , forte de 23 vaisseaux
de ligne et de 10 frégates , a mis
à la voile de Carlscrona , et se trouve
dans la Baltique . Plus de doute sur la
neutralité absolue du Danemarck , par
mer et par terre ; elle vient d'être solennellement
proclamée à Copenhague.
De Vienne , le 15 juillet.
Les Bulletins de Laxembourg , concernant
l'état de l'Empereur , sont plus
satisfaisans depuis quelques jours . La
fièvre diminúe , les accès s'éloignent, l'appétit
se ranime , le sommeil est plus
a iij
( 6 )
-
tranquille , et le Monarque a pu faire
d'assez fréquentes promenades.
Nous ignorons encore les suites du
siége de Berbir ou Gradiska , formé par
M. de Laudhon. Quoique les foibles
ouvrages de cette place aient été foudroyés
, la garnison de 700 hommes nous
attend sur la brèche , et n'étoit pas rendue
le 4 ( 1 ) . On a fait jouer sur la place
90 pièces de canons : l'impatience d'apprendre
sa reddition a augmenté , depuis
que l'on a été instruit que 40,000
Turcs étoient rassemblés près de Bihacz ,
et menaçoient de pénétrer dans le Lika.
Un autre Corps Ottoman de 30,000 hommes
est à Banialucca , et se prépare à
marcher à la défense de Berbir.
Les avis du Bannat , du 26 au 29 juin ,
portent que les Turcs ont occupé le district
sur le Danube , depuis Schupanek
jusqu'à Swiniza . Nos postes avancés se
sont repliés sur Méhadie. L'ennemi a
aussi pris possession de la Vétéranhole' ;
on fait monter son avant-garde à 8,000
hommes le Corps principal , composé
d'environ 20,000 hommes , est au-dessus
d'Orsowa , près de Gernez.- Les Turcs
ont occupé aussi la montagne de Rama ,
vis-à-vis de Vipalanka , et y ont établi
une batterie .
( 1 ) Elle a évacué la place le 9 , pendant la nuit.
( 7 )
Le Baron de Tugutt, Ministre Plénipotentiaire
de l'Empereur à la Cour de Naples ,
ayant demandé et obtenu sa démission , Sa
Majesté Impériale nomme , au poste vacant ,
le Comte de Rewisky , Ministre Plénipotentiaire
à la Cour de Londres , qui sera remplacé
par le Comte de Stadion , Ministre
Plénipotentiaire à la Cour de Stockholm .
1
J. FRANCE.
De Versailles , le 27 juillet.
Le jeudi , 16 de ce mois , le Duc du
Châtelet a remis au Roi sa démission de
la charge de Colonel du régiment des
Gardes- Françoises.
M. de Barentin , Garde-des- Sceaux de
France , a remis au Roi sa démission de
cette place.
Le Roi a pourvu de la charge de Secrétaire
d'Etat de sa Maison , vacante par
la démission de M. de Villedeuil , le
Comte de Saint-Priest , Ministre d'Etat.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
Supplément à la onzième Semaine.
Il nous reste à donner , de la semaine
précédente , les Séances du jeudi , vendredi
et samedi . Voici le résumé des opérations
et des débats de ces trois jours.
Du 16 Juillet , au matin. M. Grégoire ,
aliy
( 8 )
Curé de Lorraine , a lu une Déclaration de
la Noblesse du Bailliage de Chartres , qui
permet à ses Députés d'opiner par tête.
M. le Président a observé qu'il recevoit tous
les jours , et de divers Bailliages , des actes
d'adhésion aux Arrêtés de l'Assemblée ; que
bientôt il n'y en auroit aucun qui ne donnất
cette marque d'approbation aux Représentans
Nationaux , et qu'on devoit en faire lecture .
Cette demande a été généralement approuvée.
MM. Grégoire et le Chapelier ont lu celles
de Versailles , d'Orléans , de Troyes et de
Beaune . MM. le Chapelier et de Lally ont lu
le Procès-verbal des 14 et 15 de ce mois .
M. l'Archevêque de Paris a fait le rapport
de la manière dont la Députation de l'Assem
blée a été reçue à Paris . Ce récit , attendu
avec impatience depuis la veille , avoit attiré
P'affluence dans la Salle.
M. Bailly a fait part à l'Assemblée qu'il
avoit été élu , pár acclamation , Maire ou
Prévôt des - Marchands de la ville de Paris ;
mais qu'il ne regarderoit son élection comme
valable , que lorsqu'il auroit l'agrément de
l'Assemblée nationale , à laquelle il vouloit
toujours tenir par ses travaux et par son at-
Tachement respectueux.
M. Mounier a observé que la qualité de
Député n'étoit point incompatible avec celle
dont M. Bailly étoit revêtu. Il a ensuite fait
le rapport de la réception faite à MM. les Députés
par la ville de Paris , ajoutant que cette
Capitale se proposoit d'ériger la statue du
Roi sur les ruines de la Bastille .
M. le Président a demandé s'il falloit insérer
le récit de M. Mounier dans le Procèsverbal.
On lui a répondu affirmativement et
d'un consentement unanime.
( 9 )
*
Un Membre de la Noblesse a annoncé que
grande partie de ce Corps rédigeoit une Déclaration
qui seroit agréable à l'Assemblée ,
et qu'il la supplioit de ne prendre aucune
délibération intéressante , avant la rentrée de
la Noblesse.
M. de Mirabeau a renouvelé sa motion au
sujet du renvoi des nouveaux Ministres , ce
renvoi devant être le sceau des promesses du
Roi. Après avoir développé son avis , il a présenté
un projet d'Adresse au Roi , que nous
rapportons en substance.
Sire , nous venons déposer aux pieds
du Trône notre reconnoissance et l'hommage
que nous rendons à vos intentions. Le renvoi
des troupes est un bienfait inestimable.
Vous n'avez pas abandonné les rênes du Gouvernement
dans le moment le plus difficiles
vous avez été obligé de lutter contre les préférences
et les habitudes , et il faut une grande
et rare vertu. Pourquoi les Ministres nous ontils
fait acheter le bien que nous aurions tenu
de votre bonté? Ils ont trompé Votre Majesté ;
-ils se sont flattés de vous compromettre avec
vos fideles sujets : Sire , où prétendoient - ils
vous conduire en portant des mains impies
et sacrileges sur les Représentans de la Nation
? Ils auroient violé la foi publique , et
déshonoré votre règne. Ils nous ont calomniés
; ils ont supposé que les Représentans
de la Nation ne s'occupoient pas des travaux
dont ils étoient chargés ; ils ont veulu nous
dissoudre. — Auroient-ils ignoré que la force
n'est qu'un brigandage , lorsqu'on l'emploie
pour lever les impôts ? S'ils avoient pensé à
la banqueroute , quel en eût été le résultat ?
La haine de l'autorité , le désespoir des Cia
v
( 10 )
1
toyens , les désastres les plus affreux ; jugez ,
Sire , de l'avenir par le passé : ils ont cherché
à détruire le conseil de sagesse qui doit toujours
subsister entre vous et le Peuple ; mais
il suit qu'ils aient mêlé votre nom aux calamités
publiques , pour qu'il soit impossible
d'accorder aucune confiance à un chef de justice
, qui s'est montré l'ardent ennemi d'une
Constitution , à des Ministres qui , contre l'intention
connue de Votre Majesté , ont prodigué
l'espionage contre les François . Un
Prince , ami de ses Peuples , ne doit pas être
environné de leurs ennemis ; quand vous songerez
au siége de la Capitale qu'ils ont voulu
affanier.
M. le Président a annoncé les démissions
de M. le Garde- des - Sceaux et de M. le Maréchal
de Broglie.
M. de Clermont - Tonnerre a proposé une
Députation au Roi , pour lui rendre compte
de ce qui s'étoit passé à Paris , lui annoncer
que le Peuple demandoit le renvoi de ses
Ministres , le remercier au nom de la Nation
, et lui apprendre que M. le Marquis de
la Fayette avoit été nommé Commandantgénéral
de la Garde Bourgeoise de Paris , et
M. Bailly, Maire ; enfin , supplier Sa Majesté
de vouloir bien sanctionner la nomination de
ces deux places.
M. de LallyoTolendal a vivement appuyé
cette opinion , ajoutant que les voeux du
Peuple ne seroient remplis que lorsque MM.
de Breteuil et de Villedeuil seroient renvoyés ,
et M. Necker rentré en place.
M. de Mirabeau a observé que toutes les
personnes qui avoient mérité ,l'improbation
publique , n'étoient pas comprises dans cette
( 11 )
Motion , et qu'il falloit revenir à celle de
M. Barnave , discutée précédemment .
M. de Clermont - Tonnerre a pensé qu'il
falloit suspendre toute délibération sur le
renvoi des Ministres , jusqu'à ce que l'on sût
s'ils avoient donné leur démission . Il a lu
ensuite la délibération que la Noblesse venoit
de remettre sur le Bureau. Elle porte que
tous les Membres s'unissent à l'Assemblée ,
et y voteront , en attendant de nouveaux
mandats.
Cette Déclaration a été vivement applaudie
, ainsi que celle de la Minorité du Clergé ,
remise par M. le Cardinal de la Rochefou
cauld , qui s'est réuni également .
A ce sujet , M. l'Abbé de Montesquiou a
prononcé un Discours applaudi .
M. le Président a demandé que , sous le
bon plaisir du Roi , l'Assemblée ordonne à
tous ses Membres de porter une marque distinctitive.
Cette Motion , approuvée par une
partie de l'Assemblée , ne l'a pas été de la
pluralité .
Un Préopinant a prié l'Assemblée de déclarer
que tous les députés de 1789 porteroient
cette marque , toute leur vie .
Un Membre des Communes s'y est opposé.
Le Bureau de Règlement , a- t-il dif ,
avoit examiné cette proposition , et l'avoit
rejetée .
M. Barnave a dit : « Les Représentans ont
assez prouvé qu'ils étoient des François fermes
et courageux : il ne convient donc pas , dans
un siècle de lumières , de proposer des décorations
qui ne seroient que des sources de
division . Il a ajouté que le Peuple s'étoit
réuni à l'Assemblée pour demander le renvoi
des Ministres ; que pour les dénoncer , il
a 'vi
( 12 )
falloit avoir des preuves authentiques de leurs
délits , et qu'on ne pouvoit le faire sur de
simples bruits. La Nation pouvoit influer sur
le choix des Ministres ; ceux du moment étoient
dans le cas de n'être pas agréés par PAssemblée
, puisque leur avènement datoit du renvoi
de Ministres vertueux et de troubles alarmans
. L'Assemblée ne peut se dispenser d'acquiescer
aux désirs de la Nation , en demandant
leur renvoi ; cette démarche d'ailleurs
est forcée , puisque le respect et la reconnois
sance du Peuple pour l'Assemblée en dépendent.
Elle ne peut cependant pas demander
au Roi le rappel des Ministres , car ce seroit
attenter au pouvoir exécutif ; mais elle doit
mettre sous les yeux du Monarque la demande
de la ville de Paris . L'Assemblée doit lui déclarer
que les Ministres actuels n'obtiendront
jamais la confiance de son Peuple , et que
la
fidélité de l'Assemblée ne lui permet pas de
dissimuler que leur retraite est le plus sûr
garant de la tranquillité de l'Etat. Envoyons
en conséquence au Roi une Députation de
douze Membres. L'Or ur a remis ensuite
sa Motion sur le Bureau. "
M. de Clermont - Tonnerre a annoncé la
démission de M. de Villedeuil , et que par
conséquent la Motion de M. Barnave ne
souffriroit pas une longue discussion .
Un Député d'Amiens a déclaré que le choix
des Ministres appartenoit au Roi seul ; mais
şi le rappel de M. Necker devoit amener la
paix publique , il falloit le demander au Roi .
( Nous supprimons plusieurs Avis et Discours
plus ou moins conformes à ceux qui
précédent , pour arriver à l'opinion de M.
Mounier).
Ce Député du Dauphiné a discuté la Mó(
13 )
'tion de M. Barnave. Il est des circonstances ,
a-t-il dit, où il faut s'éloigner de la rigueur
´des principes , et l'Assemblée est dans ce cas :
le meilleur moyen , sans doute , pour ramener
le calme , est le renvoi des Ministres ;
mais il faut faire connoître au Roi qu'on ne
demande ce renvoi que dans cet objet . L'Assemblée
n'a pas le droit d'exiger le renvoi
des Ministres , puisqu'elle attenteroit au pouvoir
exécutif. Ce n'est pas au moment où l'on
va fixer des bases inébranlables aux deux
pouvoirs , qu'on doit les enfreindre . N'appuyons
nos démarches que sur les conseils
demandés par le Roi à l'Assemblée nationale.
Elle ne peut ni ne doit se mêler du choix des
Ministres , puisqu'il en résulteroit les plus
grands malheurs . La France seroit perdue , si
l'Assemblée s'emparoit du pouvoir exécutif.
Le droit de la nomination des Ministres ne
doit jamais être attaqué ; leur responsabilité
remédiera aux malversations , ou lés
préviendra . Un des vices du Parlement d'Angleterre
est l'influence qu'il exerce sur la
nomination des Ministres , et ce vice devient
une des grandes causes de la corruption
(1).
( 1 ) Aucune loi n'attribue au Parlement
d'Angleterre le droit dont parle ici M. Mounier.
Lorsque l'opposition , dans l'une ou l'autre
des deux Chambres , a ouvert la demande
du renvoi de quelques Ministres , cette Mo
tion a toujours été rejetée , ou , comme en
1784 , a entraîné la dissolution du Parlement .
En 1778 , à l'instant de la Déclaration remise
au Ministère Anglois par M. le Marquis de
Noailles , au sujet du Traité de la France avec
·les Insurgens , il se fit une Motion dans les
( 14 )
M. Barnave a déclaré qu'il ne s'étoit pas
deux Chambres contre les Ministres ; mais
quoiqu'elle fût fondée sur la circonstance , et
qu'à l'instant d'accorder des subsides pour la
guerre , il parût convenable de solliciter le
renvoi des Ministres qui l'avoient si malheureusement
conduite jusqu'alors , la question
fut perdue à la très-grande pluralité. Tous les
Représentans des Comtés , phalange incorruptible
et impartiale , votèrent contre l'opposition
, sur le principe fondamental et inviolable
qu'au Roi seul appartient le choix ou
le renvoi de ses Ministres , et au Parlement
le droit de les poursuivre. Cette dernière prérogative
balance l'autre . Aussi Milord North
repoussa- t-il constamment toutes ces attaques
illégales , en offrant de se mettre en jugement.
Une seconde voie constitutionnelle dont le Parlement
se sert pour faire renvoyer des Ministres
, est de leur ôter la majorité des voix ;
ainsi Walpole , ainsi Lord North , en 1782 ;
ainsi Lord Shelburne, l'année suivante , furent
obligés de résigner leurs places. Le Ministère ,
en Angleterre , n'est qu'une manivelle dont le
Parlement est le Moteur : s'il refuse le concours
de son action aux Agens de l'autorité .
la machine s'arrête , et le Roi ne peut lui
rendre son mouvement qu'en changeant de
Ministres. Il n'en est pas moins vrai , comme
l'observe judicieusement M. Mounier , que
l'intervention du Parlement , dans le choix des
Ministres , entretient l'esprit de cabale
et nécessite ce qu'on appelle la corruption ;
mais cette intervention est contraire à l'esprit
et à la lettre de la Constitution , qui a donné
au Parlement la voie d'impéachment pour réprimer
, ou pour punir les Ministres coupables .
( 15 )
servi de l'expression exiger le renvoi des Ministres,
mais qu'il falloit le demander. L'Assemblée
nationale devoit avoir la plus grande
influence dans le choix des Ministres , et le
droit de s'opposer à ce choix.
M. de Mirabeau a réfuté M. Mounier ;
il a déclaré que c'étoit une maxime impie et
détestable de dire à l'Assemblée qu'elle ne
devoit pas avoir d'influence sur le choix des
Ministres. En Angleterre , c'est l'opinion du
- Peuple qui les élève et les renverse. Si le voeu
général , si l'assentiment général ne peuvent
rien sur leur choix , la Nation ne seroit pas
digne d'être libre. L'autorité du Parlement
d'Angleterre sur l'élection des Ministres , loin
d'être un vice , étoit un avantage précieux.
M. Mounier a repris la parole et dit : Qu'agiter
la question des différens pouvoirs étoit
une chose prématurée ; qu'il falloit entrer
dans des discussions plus profondes , avant
de rien statuer ; que si cette question avoit
été cause de la longue querelle du Roi avec
les Parlemens , il ne falloit pas calculer l'avenir
par le passé. Il faut empêcher la réunion
des pouvoirs , il faut que l'Assemblée nationale
ne confonde pas la puissance exécutive
et la puissance législative ; on posera des limites
sacrées , quand on fera la Constitution.
Jusques-là , la Nation compromettroit sa
dignité , si elle influoit sur le choix des Ministres
. Il a relevé les faits opposés par M. de
Mirabeau , et a rappelé la nécessité où avoit
été Sa Majesté Britannique , d'appeler au
Peuple de la décision portée par le Parlement
sur le premier Ministre , M. Pitt , qu'on vouloit
écarter. La confusion des pouvoirs mène
au despotisme ou à l'anarchie Je ne parle
pas du moment , mais de l'avenir ; et il faut
( 16 )
craindre que lès Représentans de la Nation
- ne soient pas toujours animés de l'esprit qui
dirige ceux qu'elle a choisis aujourd'hui .
M. Glézen a observé que tous les Préopinans
étoient d'accord , mais que des ménagemens
les empêchoient de s'entendre , qu'il
-falloit demander le renvoi des Ministres ,
mais ne pas aller plus loin. De tout temps ,
la Nation avoit eu ce droit , quoique leur
responsabilité n'ait jamais eu lieu . L'Opinant
a lu de l'ouvrage de M. Mounier sur les Etats-
Généraux , les passages concernant le renvoi
des Ministres et leur punition. La dénonciation
des Ministres coupables , a -t - il ajouté ,
' est donc une loi constitutionnelle . Il faut
donc les dénoncer au Roi et à la Nation...
M. Duquesnoi a dit que l'Assemblée devoit
seulement exprimer au Roi le voeu public
, et demander le renvoi des Ministres .
M. le Comte de Lally a demandé , au nom
de la Capitale , le rappel de M. Necker , de ce
glorieux exilé . On nous a recommandé de le
solliciter , on nous en a priés , et la prière de
tout un Peuple est un ordre . Ce n'est pas que je
trouve que M. Necker languisse dans la disgra-
"ce; illanguissoit , quand on détruisoit les fon-
-demens du bien public , objet de ses travaux.
Cette sainte langueur étoit sur son visage ;
elle honoroit son ame ; elle étoit aussi la
suite de ses travaux . Mais on ne languit pas
dans la disgrace , quand on emporte avec soi
le témoignage de sa conscience , les voeux et
les regrets de la France entière.
M. le Comte de Custines a observé que
ceux qui se croyoient en droit de demander
le rappel d'un Ministre , s'arrogeroient dans
tous les temps le pouvoir de participer au
choix des Ministres ; que l'Assemblée des
( 17 )
C
Etats - Généraux devoit énoncer au Roi le von
général , mais ne devoit pas toujours avoir
égard au mouvement et aux désirs du Peuple .
M. de Custines ayant été interrompu , par
un cri général , sur l'expression d'Etats - Genéraux
, il a repris la parole et dit : Que
l'usage ancien l'avoit habitué à cette dénomination.
L'Assemblée nationale , a - t- il ajou
té , n'a pas le droit de demander le renvoi
d'un Ministre , lorsqu'on ne lui fait pas son
procès. Il falloit attendre le retour de M.
Necker , de la bonté du Roi.
*
M. de Mirabeau a fait l'apologie de ses
principes , en rejetant le projet d'une dénonciation
qu'on ne pouvoit étayer par des
preuves , tandis que mille indices devoient
ôter toute confiance aux agens de l'autorité .
M.le Comte de Clermont-Tannerre a observé
que l'Assemblée nationale ne.peut faire .
que ce qu'elle doit . Nous ne parlons pas dans
le désert , a- t-il ajouté : le Roi sait tout ; laissons
au Roi le droit de renvoyer ses Ministres
, et de rappeler les autres , le regret
de l'Assemblée doit suffire . Il a déclaré qu'une
Nation législative , exécutrice , dénonciatrice
et juge , s'exposeroit à tous les dangers . 11
a fini par dire qu'il n'y avoit liều, à délibérer.
M. Grégoire a dit que ceux qui voudroient
le rappel de M. Necker , diroient rappel ; ceux
qui désireroient le renvoi des Ministres , diroient
renvoi; et ceux qui seroient des deux
avis , rappel et renvoi. ...
M. Fréteau a observé qu'on ne pouvoit
demander le renvoi des Ministres ; mais qu'en
exposant au Roj le voeu de la ville de Paris ,
c'étoit indiquer le rappel de M. Necker.
Grands debats sur la manière de poser la
( 18 )
question , pendant plus d'une heure et demie.
Enfin , il a été décidé que l'éloignement des
Ministres et le rappel de M. Necker ne seroient
point séparés , et que ces deux demandes
seroient insérées dans l'Adresse au Roi . On a
rédigé en conséquence une Adresse qui porte
que d'après les conseils demandés par le Roi ,
l'Assemblée prioit Sa Majesté de renvoyer
tous les Ministres en place , et demandoit le
retour de M. Necker et des anciens .
Cette Adresse a passé presque unanimement.
M. le Président a lu ensuite une Lettre de
M. le Maréchal de Broglie , qui lui annonçoit
que les troupes partiroient aujourd'hui
des environs de Paris pour se rendre à leurs
garnisons respectives ; et que celles qui al-
Joient arriver , reprendroient la route de leurs
quartiers.
La Séance levée à quatre heures et demie ,
a été prorogée à huit heures du soir .
Du 16 Juillet , au soir. L'Assemblée s'est
formée à huit heures du soir , pour lire le
jet d'Adresse au Roi .
pro-
On a lu une Lettre de M. Bochard de
Saron , Premier Président du Parlement de
Paris , à M. le Président , à laquelle étoit
joint un Arrêté de la Cour , rendu le même
jour , dont on a également fait la lecture.
Voici l'Arrêté du Parlement.
« La Cour , instruite par la réponse du
jour d'hier à l'Assemblée nationale , de l'ordre
donné aux troupes de s'éloigner de Paris et
de Versailles , a arrêté que M. le Prémier
Président se retirera à l'instant par - devant
( 19 )
ledit Seigneur Roi , à l'effet de le remercier
des preuves qu'il vient de donner de son .
amour pour ses Peuples et de sa confiance
dans les Représentans , dont le zèle et le patriotisme
ont contribué à ramener la tranquillité
publique.
»
A arrêté , que M. le Premier Président
fera part de l'Arrêté de ce jour à l'Assemblée
nationale . "
La Lettre de M. de Saron au Président de
l'Assemblée , pour lui communiquer l'Arrêté
de sa Compagnie , a donné lieu à quelques
débats.
9
M. le Comte de Clermont - Tonnerre a observé
que le Parlement de Paris paroissoit ,
par cette lettre traiter avec l'Assemblée
nationale , de corps à corps , et que le Premier
Président , se retirant de vers le Roi ,
auroit pu se retirer de même devers l'Assemblée
nationale .
M. le Duc d'Aiguillon a dit : « MM. ,
<< comme Membre du Parlement , je m'empresse
de vous exprimer combien je désaprouve
la manière dont il se conduit en-
« vers l'Assemblée nationale. »
MM. les Ducs de Luynes , de la Rochefoucauld
et de Choiseuil - Praslin ont adké
ré à cette Déclaration .
MM. Duval d'Esprémesnil , Fréteau et de
Saint-Fargeau ont aussi témoigné leurs regrets
à l'Assemblée . Les deux derniers ont
tâché de justifier l'Arrêté du Parlement , en
disant que dans un ordre de choses aussi
nouveau , on étoit exposé à ne pas connoître
toutes les convenances .
M. le Comte de la Chatre est entré , et a
dit qu'il annonçoit à l'Assemblée , de la part
du Roi , que Sa Majesté ayant appris qu'une
( 20 )
nombreuse Députation de Paris venoit le
prier d'honorer cette ville de sa présence ,
Elle engageoit l'Assemblée nationale à envoyer
une Députation au - devant de celle de
Paris , pour l'engager à retourner sur ses pas ,
et l'assurer que Sa Majesté , sensible aux
voeux de leurs Concitoyens , se rendroit demain
à Paris .
On a annoncé que M. le Baron de Breteuil
avoit donné sa démission .
On a fait part à l'Assemblée qu'on venoit
d'expédier des courriers pour le rappel des
anciens Ministres.
L'Assemblée a nommé une Députation pour
aller à Paris ; et une seconde , pour se rendre
chez le Roi , remercier Sa Majesté , et lui
témoigner l'amour et la reconnoissance dont
sa justice et sa bonté pénètrent tous les coeurs.
On a prié la Députation qui alloit à Paris ,
de défendre à M. le Marquis de la Fayette
de se rendre à Versailles , à la tête d'un détachement
de la Milice Bourgeoise , pour
accompagner le Roi.
M. le Comte de la Chatre qui , dans l'intervalle
, étoit retourné au Château , est rentré
; il a annoncé , de la part du Roi , que
Sa Majesté venoit d'écrire à M. Necker
pour l'engager à venir reprendre ses fonctions
près de lui.
La salle a retenti aussitôt des transports
de joie et d'ivresse ; et on n'a plus entendu
que le cri universel de Five le Roi.
Il a été arrêté que la Députation qui alloit
se rendre chez le Roi , lui demanderoit
la permission d'envoyer à Paris une nombreuse
Députation pour l'y recevoir. Les
Députés de cette ville ont demandé la per(
21 )
mission de s'y rendre , et elle leur a été accordée.
M. le Président a dit : Messieurs , votre Président
a été chargé jusqu'à présent de porter
au Roi des paroles de douleur , trouvez bon
qu'il aille lui en porter de reconnoissance et
de joie. Cette demande a été approuvée par
acclamation . M. le Président s'est mis aussitôt
à la tête de la Députation.
Elle a été reçue sur-le- champ . M. l'Arche
vêque de Vienne a témoigné au Roi la joie
de l'Assemblée , sa sensibilité , sa fidélité et
son amour. Le Roi lui a répondu qu'il voyoit
avec plaisir le contentement de son Peuple ,
et a permis à l'Assemblée d'envoyer une Députation
pour lui servir de cortège.
M. le Président se retiroit , lorsque le
Roi l'a rappelé , et lui a dit : « Je veux don-
- ner à l'Assemblé Nationale une preuve de
« ma confiance ; je vous remets la Lettre
que j'écris à M. Necker pour le rappeler ,
« et je vous charge de la faire partir.
«
»>
M. le Président a rendu compte de ces
détails à l'Assemblée , qui a arrêté que son
Président et ses Secrétaires joindroient surle-
champ une Lettre à celle du Roi pour
M. Necker. Elle a chargé M. Dufrêne de Saint-
Léon d'être le porteur de ces deux Lettres ,
et de se rendre aussitôt à Bruxelles . M. Dufréne
est parti au moment même.
Voici la lettre écrite , le 16 , par l'Assemblée
, à M. Necker.
« L'Assemblée nationale , Monsieur , avoit
déja consigné , dans un acte solennel , que
vous emportiez son estime et ses regrets ; cet
honorable témoignage vous a été adressé de
sa part , et vous devez l'avoir reçu . »
( 22 )
« Ce matin , elle avoit arrêté que le Roi
seroii supplie de vous rappeler au Ministère .
C'étoit tout à la fois son voeu qu'elle exprimoit
, et celui de la capitale qui vous réclame
à grands cris . »
« Le Roi a daigné prévenir notre demande.
Votre rappel nous a été annoncé de sa part .
La reconnoissance nous a aussitôt conduits
ve.s Sa Majefté , et Elle nous a donné une
nouvelle marque de confiance , en nous remettant
la lettre qu'elle vous avoit écrite ,
et en nous chargeant de vous l'adresser. »
« L'Assemblée nationale , Monsieur , vous
presse de vous rendre au désir de Sa Majesté.
Vos talens et vos vertus ne pouvoient recevoir
, ni une récompense plus glorieuse , ni
un plus puissant encouragement . Vous justifierez
notre confiance ; vous ne préférerez
pas votre propre tranquillité à la tranquillité
publique . Vous ne vous refuserez pas aux
intentions bienfaisantes de Sa Majesté pour
ses peuples. Tous les momens sont précieux .
La Nation , son Roi , et ses Représentans vous
attendent. »
Nous avons l'honneur d'être , etc. Signés
J. G. Archevêque de Vienne , Président ; le
Comte de Lally-Tolendal, Secrétaire ; Mounier
, Secrétaire.
Du 17 Juillet. L'Assemblée s'est formée à
dix heures , pour attendre le passage du Roi , et
border la haie devant l'hôtel des Menus. Le Roi
est parti à onze heurs , ayant avec lui MM . le
Duc de Villeroi , Prince de Beauvau , Comte
d'Estaing , et les Ducs de Brissac et de Villequier.
Sa Majesté étoit accompagnée d'une
seule voiture , et de 12 Gardes - du - Corps . Un
grand nombre d'Habitans de Versailles , tous
( 23 )
armés , l'ont accompagne jusqu'au Point du
Jour , hameau au delà de Sèvre.
Après le passage du Roi , l'Assemblée a
ouvert la Séance par la lecture de plusieurs
lettres , adresses et délibérations des Communes
de Nancy , des Officiers municipaux
de Châtelleraut , de l'Assemblée des Electeurs
de la même ville , des Habitans de Saint-
Remy en Provence , et de la ville de Lauderne
en Bretagne .
M. L'Archevêque de Vienne a communiqué
à l'Assemblée la réponse qu'il avoit faite à
M. de Saron , Premier Président du Parlement
de Paris .
M. Rabaud de Saint- Etienne a lu un projet
de Règlement , fait par le Comité chargé
de ce travail . M. le Président a proposé d'en
faire remettre des copies dans les Bureaux ,
pour y être examiné et discuté . Cette demande
a été adoptée par l'Assemblée .
La Séance a été aussitôt prorogée à huit
heures du soir.
Séance du soir. On a lu les délibérations
prises par les villes de Besançon et de Romans ;
elles sont relatives à la réunion des trois
Ordres.
Un Membre a prié l'Assemblée d'autoriser
les Sieurs Henri de la Blanchetat ,
père et fils , Négocians à l'Orient , de don
ner à un vaisseau qu'ils doivent armer
le nom de l'Assemblée nationale . L'Assem
blée y a consenti , et s'est rendue ensuite dans
l'avenue de Paris , pour attendre le Roi. Sa
Majesté a passé à dix heures moins un quart.
Elle est revenue de Paris , escortée par la
Milice à laquelle tous les Habitans et ses
( 24 )
Gardes s'étoient réunis pour l'accompagner
au château .
Le Maire de la ville de Poissy a rendu
compte de plusieurs crimes commis , à main
armée , par une troupe de vagabonds, à Poissy
et à Saint-Germain .
Un des Membres de l'Assemblée a observé
que le soin de maintenir le repos public
regardoit le pouvoir exécutif et les Tribu-.
naux .
S
La Séance s'est ajournée au lendemain .
Du 18 Juillet. La Séance a commencé par
la lecture de plusieurs lettres de M. le Maréchal
de Noailles , qui annonçoient les désordres
affreux de Saint- Germain et de Pois--
sy, et le meurtre prochain d'un fermier des
environs .
Un Curé a proposé de nommer des Députés
pour aller calmer l'émeute de Saint-
Germain .
On a nommé aussitôt une Députation de
12 Membres , dont M. l'Evêque de Chartres
étoit le chef. Elle est partie aussitôt pour Saint-
Germain .
M. Martineau a proposé d'établir , dans
toutes les villes , des Milices Bourgeoises , pour
arrêter les émeutes et les séditions .
Plusieurs Préopinans ont pensé que les
Maréchaussées devoient suffire au maintien
de la paix dans les campagnes ; d'autres ont
pensé qu'il falloit y employer des troupes..
Un autre Préopinant a déclaré que la force
militaire étant devenue odieuse dans les circonstances
actuelles , on ne pouvoit l'employer.
Rappeler les troupes dans ce moment , a
dit M. de Volney , c'est rappeler les alarmes ;
il
( 25 )
il faut employer ses propres forces , et inte
resser les Peuples à leur propre conservation :
chaque Paroisse doit avoir une Milice Bourgeoise.
L'Assemblée s'est formée en Bureaux pour
procéder à l'Election d'un Président . Le scrutin
fini dans les Bureaux , l'Assemblée a repris
sa Séance.
M. Le Marquis de Gouy d'Arsy a observé
que
l'Assemblée devoit s'occuper sans relâche
de la Constitution , qui seule pouvoit rétablir
le calme dans le Royaume. Si vous perdiez
de vue , a - t- il dit , ce travail essentiel ,
si vous ne faites violence à vos coeurs , vous
n'aurez employé que des palliatifs : le mal
est dans l'anarchie.... M. de Gouy a voté
pour la formation d'un Comité de pacification
, qui s'occuperoit de calmer les troubles
et les agitations du Royaume .
Un Membre a ajouté que le seul moyen
de calmer les peuples , étoit de se livrer au
travail de la Constitution .
Un Député des Communes a dit que les
désordres provenoient de l'anarchie où la
France étoit plongée ; que le vrai et
unique moyen d'y remédier , étoit de s'oc
cuper de la Constitution ; qu'en attendant
il falloit créer , dans toutes les villes , une
Milice bourgeoise , et qu'alors l'Assemblée
n'auroit plus aucune réclamation à écouter.
M. le Chapelier a soutenu cette motion
avec vigueur , et a demandé que l'Assemblée
rendit un décret en conséquence. Il a dit qu'il
falloit envoyer des troupes dans les campagnes
pour garder les paysans pendant les moissons
et les mettre à l'abri des brigands .
Il a lu une motion à ce sujet.
"
M. Grégoire , Curé d'imbermesnil , a ob-
N°. 31. 1º Août 1789 . b
( 26 )
servé que les villes de province suivroient
probablement l'exemple de la Capitale. Il a
prétendu qu'on devoit établir , des Milices
dans tous les villages et hameaux ,
Un Membre des Communes a observé que
cinq des Membres du Comité de la Constitution,
étant Secrétaires de l'Assemblée, ne pouvoient
s'occuper du travail dont ils étoient
chargés ; il a proposé de les remplacer par
des suppléans.
Un autre Membre a voté pour que l'on
priât le Roi de doubler la Maréchaussée , et
d'envoyer des soldats dans les campagnes .
M. le Prince de Poix a prié l'Assemblée
de prendre une décision , relativement à la
lovée des Milices bourgeoises , ou du moins
de consentir à l'envoi des troupes dans les
villes qui en feroient la demande .
M. Buzot a soutenu la motion de M le
Chapelier. Il a observé que le travail de la
Constitution ne pouvoit se faire avant la
vérification entière des pouvoirs et la fin du
Réglement de police . Il a prétendu qu'on ne
pouvoit calmer le peuple que par lui- même.
Un autre Membre a opiné pour que les
cinq Secrétaires se retirassent au Comité , afin
de s'occuper de la Constitution . Il s'est opposé
à l'établissement des Milices bourgeoises .
M. le Chapelier a relu sa motion.
M. le Comte de Custines a observé' que
l'Assemblée devoit prendre en considération
le grand nombre de brigands que l'on venoit
de chasser de Paris. Il s'est opposé à la formation
des Milices dans les campagnes . Il a
prouvé que les Milices bourgeoises ne pouvoient
être créées sans la sanction du Roi ,
et qu'elles devoient être aux ordres des Magistrats
. Il a observé que ces mêmes Milices
( 27 )
pourroient aider la Marechaussée à calmer
le peuple. Il a ajouté qu'on devoit permettre
aux Troupes de marcher avec la Maréchaussee,
sur la réquisition des Magistrats.
M. Renaud a dit qu'il falloit organiser les
Milices bourgeoises , et leur donner un chef
dans chaque ville. Il a soutenu l'opinion de
M. de Custines.
Un Membre des Communes a soutenu qu'il
seroit fort dangereux d'avoir une Milice armée
dans tout le Royaume. Il a prié les huit Membres
du Comité de la Constitution , de ne
point assister aux Séances de l'Assemblée ,
afin de ne pas être détournés de leur travail .
Il faut , a dit M. Duquesnoi , que vous
appreniez aux pouvoirs exécutifs , judiciaires
et militaires , leurs fonctions et leurs bornes ;
cette fixation dépend de la Constitution ; les
fonctions des Magistrats de paix ne sont que
partielles et locales ; vos Commettans vous
demandent un plus grand bienfait , celui de
la Constitution .
Un Préopinant a demandé qu'on s'en rapportât
à la prudence des villes , pour la formation
des Milices, bourgeoises.
Un autre Membre a observé qu'on devoit
commencer à rédiger le travail de la Constitution
par l'article des Milices bourgeoises .
On alu le résultat du premier scrutin pour
l'élection d'un Président . M. le Duc de la
Rochefoucauld a eu 164 voix , M. de Clermont-
Tonnerre 163 , et M. le Duc de Liancourt
108. Comme personne n'avoit réuni la moitié
des voix , M. le Président a annoncé qu'on
alloit rentrer dans les Bureaux , pour procéder
au second scrutin.
M. Fréteau a remarqué que les Secrétaires
bij
( 28 )
suppléans ne pouvoient se mettre au Bureau ,
sans le consentement de l'Assemblée.
L'Assemblée l'a ordonné.
On est rentré dans les Bureaux , et M. le Duc
de Liancourt a été élu Président à la pluralité
de 600 voix sur 800.
Douzième semaine de la Session .
Du 20 Juillet . MM. Fréteau et Grégoire
ont lu les adresses des villes de Valence ,
Mayenne , Paroisse Saint-Enaud près Saint-
Brieux , Pontarlier , Accret , Crémieux , Langres
, Laon , d'une ville de la Sénéchaussée -
de Nimes , Villers - Coterets , Grenoble , et le
Thimerais .
Les pouvoirs impératifs de M. le Comte de
Castellane et du Député du Clergé de Villers-
Coterets ont été révoqués.
>>
M. l'Archevêque de Vienne a présenté M. le
Duc de Liancourt à l'Assemblée , en disant ;
Messieurs , vos suffrages ont élevé M. le
« Duc de Liancourt à la dignité de votre Pré-
« sident ; je lui remets la place que vous
m'aviez donnée ; c'est ma dernière fonction ;
<< elle est bien propre à faire oublier ou à
« réparer toutes celles que j'avois exercées
« jusqu'à présent . »
"
M. le Duc de Liancourt a remercié l'Assemblée
par une harangue très - applaudie .
( Nous avons déja annoncé que , dans ce Journal
, exclusivement consacré à recueillir des
matériaux pour l'Histoire , nous ne pouvions
rapporter que les discussions , et non les discours
particuliers de cérémonial . )
Un Membre de la Noblesse a prié l'Assemblée
de voter des remercîmens M. l'Ar(
29 )
chevêque de Vienne ; demande agréée par
acclamation .
M. le Président annonçant que M. Dufrêne
de Saint -Léon , premier Commis des
finances , et chargé par l'Assemblée de suivre
M. Necker, ne l'avoit point trouvé à Bruxelles
samedi dernier , a lu la Lettre par laquelle
M. Dufrêne lui apprenoit le départ de ce Ministre
pour Francfort.
Ensuite M. le Président a averti que des
Députés de Pontoise s'étoient rendus à Versailles
, samedi , pour prier l'Assemblée de faire
séjourner dans leur ville le régiment de Salis ,
afin de mettre la ville à l'abri des incursions
de sept à huit cents brigands ; qu'il en avoit
rendu compte au Roi , et que Sa Majesté avoit
ordonné au régiment de Salis de séjourner à
Pontoise 48 heures.
Il a dit avoir chargé M. le Marquis de la
Fayette d'instruire l'Assemblée nationale de
ce qui se passeroit toutes les nuits à Paris ,
et que M. de Nicolay , premier Président de
la Chambre des Comptes , lui ayant demandé
son agrément , pour présenter à l'Assemblée
nationale un Arrêté de sa Compagnie , il lui
avoit indiqué le jour de jeudi .
Enfin , M. le Président a annoncé que les
travaux , nécessaires pour le nouvel arrangement
de la Salle, obligeoient de tenir la Séance
du lendemain à l'Eglise Saint- Louis : « Nous
»
avons , a -t-il dit , des travaux qui doivent
« aller ensemble et avec promptitude , la
« Constitution et les Finances ; et nous ne
« devons perdre d'autre temps que celui qui
seroit nécessaire pour le sommeil et la
«< subsistance. Il a prié le Comité de la
Constitution de s'assembler à l'instant même ,
et celui des finances à cing heures.
"
b iii
( 30 )
M. Camus', l'un des Députés envoyés à
Saint - Germain et a Poissy pour calmer l'émeute,
a fait le rapport de ce voyage , il a vivement
attendri l'Assemblée et les spectateurs .
M Goupil de Préfeln a prié l'Assemblée de
voter des remercîmmens à M. l'Evêque de Chatres
et à ses Collégues. Cette demande a été
applaudie et agréée .
On a repris l'examen des pouvoirs de MM.
les Evêques d'Ypres et de Tournai , sur le
rapport fait , dans les dernières Séances , par
M. Merlin. Il s'agisoit de savoir si ces deux
Prélats , qui ont leurs siéges dans la Flandre
Autrichienne , mais qui possèdent en France
des fiefs attachés à leurs Eglises , ont été va-
Tablement élus Députés aux Etats - Généraux ,
et si , en conséquence , ils peuvent prendre
place dans l'Assemblée nationale . Ce point de
Droit públic a été décidé contre eux , à la pluralité
de 408 voix contre 288 .
M. le Président du Grand- Conseil ayant fait
demander la permission d'être admis , M.
Bouche a exposé que ce Magistrat ne pouvoit
paroître que comme le Député de sa
Compagnie , et qu'il devoit parler debout et
découvert. M. de Mirabeau a soutenu cette
opinion. M. Fréteau a observé que quand
un individu se présentoit à l'Assemblée nationale
, il paroissoit devant le Législateur ,
et que son attitude ne pouvoit être assez respectueuse
; mais que les Compagnies ayant
P'honneur de représenter le Roi , méritoient
des égards.
M. le premier Président du Grand- Conseil
est entré , et a prononcé debont le discours
suivant :
MESSIEURS ,
Le Grand - Conseil m'ayant chargé de
( 31 )
porter au Roi les témoignages de sa reconnoissance
, pour les preuves que Sa Majesté
vient de donner à son Peuple , de sa sensibilité
, de sa confiance et de son amour , on
m'a imposé aussi l'honorable devoir de remettre
aux Représentans de la Nation l'Arrêté
que la Compagnie a pris à ce sujet, »
" Quel nouvel ordre de choses , de prospérités
, Messieurs , ne nous annonce pas la
Déclaration vraiment paternelle que le Roi
a faite au milieu de vous , qu'il ne peut faire
qu'un avec la Nation ! Cette prospérité nous
, est donc assurée , puisque nous l'attendons du
concours de cette auguste Assemblée , du zele
patriotique qui l'anime ; zèle dont l'heureux
effet a été de faire succéder , presqu'en un
instant , et comme par une espèce de prodige
, la confiance et le calme au plus effrayant
orage. »
1
Après ce Discours , M. de Vaucresson a déposé
sur le Bureau l'Arrêté de sa Compagnie ,
et M. le Président lui a répondu entre autres :
Que l'Assemblée nationale recevoit avec
plaisir les témoignages de respect du Grand-
« Conseil. »
K
65
Des Députés des Actionnaires de la Caisse
d'Escompte ont présenté à l'Assemblée un
hommage de reconnoissance , en offrant des
renseignemens sur la caisse et le crédit public.
Après la réponse succincte du Président
, M. de Mirabeau a déclaré que le lendemain
il soumettroit à l'Assemblée un travail
pressant , sur la situation actuelle de la Caisse
d'Escompte cette lecture a été renvoyée au
Comité des Finances .
M. le Comte de Lally,Tolendal a fixé ensuite
l'attention de l'Assemblée sur un projet
biv
32 )
de Proclamation , dont il a motivé la nécessité.
La tranquillité , a - t-il dit , paroissoit
rétablie , mais la commotion étoit générale
dans le royaume ; et il ne seroit peut-être
pas si facile de l'appaiser : les scènes sanglantes
de Saint Germain justifioient ces craintes ;
les Députés de l'Assemblée nationale avoient
pensé être la victime de leur patriotisme ;
leurs noms, ne devoient plus être prononcés
qu'avec respect. En Normandie , à Pontoise
les désastres se multiplioient ; et il n'étoit
pas possible de les regarder comme étrangers
à l'Assem lee nationale : loin d'elle le stoï--
cisme qui la porteroit à dicter tranquillement
des lois , quand l'effervescence commande des
meurtres , et à s'occuper de la liberté de
ceux dont on ne priseroit pas la vie . Seroitil
juste , quand le Roi , éloignant son Ministère,
est venu déclarer qu'il se fioit à Assemblée
, de l'abandonner sur l'objet de ses
soins les plus chers , et de ne pas lui suggérer
des moyens à la place de ceux qu'il a rejetés ?
C'étoit de l'Etat en général qu'il s'agissoit;
et il falloit rassembler les parties éparses du
Gouvernement ; on n'empiétoit point sur le
pouvoir exécutif en s'occupant de cet objet ,
parce que , de quelque manière que les pouvoirs
se partagent , ils doivent être divisés
entre le Roi et l'Assemblée. »
Après ces réflexions , l'Orateur a fait lecture
de la Proclamation suivante qu'il soumettoit å
l'Assemblée .
L'Assemblée nationale considérant que
depuis le premier instant où elle s'est formée,
elle a fait tout ce qu'elle a pu et tout ce
qu'elle a dû pour mériter lá confiance des
Peuples'; »
( 33 )
« Qu'elle a déja etabli les premiers fondemens
sur lesquels doivent reposer la félicité
publique et la régénération de l'Etat ; »
" Que le Roi a dû pareillement obtenir la
confiance de ses fidèles Sujets ; "
« Que non- seulement il les a invités luimême
à réclamer leur liberté et leurs droits ,
en promettant de les reconnoître ; »
il a
« Mais que , sur le voeu de l'Assemblée ,
encore écarté tous les sujets de méfiance qui
pouvoient porter ombrage ; »
Qu'il a éloigné de sa capitale les troupes
dont l'aspect ou l'approche y avoient répandu
l'effroi ; ">
« Qu'il a éloigné de sa personne les Conseillers
qui étoient un objet d'inquiétude pour la
Nation ; ">
« Qu'il a rappelé ceux dont elle sollicitoit
le retour ; "
« Qu'il est venu au milieu de l'Assemblée
nationale , avec l'abandon d'un père au milieu
de ses enfans , lui demander de l'aider à sauver
l'Etat ; "
«
J Qu'il a été de même dans sa capitale se
confondre avec son Peuple , et dissiper par
sa présence toutes les alarmes qu'on a pu concevoir
; »
Que dans ce concert parfait entre le Chef
et les Représentans de la Nation , après la réunion
consommée de tous les ordres , l'Assemblée
va s'occuper sans relâche du grand objet
de la Constitution ; »
«
Que les troubles qui surviendroient actuellement
, ne pourroient plus être justifies
ni excusés par aucune crainte raisonnable ; »
« Qu'ils ralentiroient les travaux de l'As--
semblée , qu'ils deviendroient un obstacle aux
by
( 34 )
intentions du Roi , et qu'ils seroient une of
fense pour l'une et pour l'autre ;
"(
Qu'il n'est pas de ons Citoyens qui ne
doivent frémir à la seule idée de troubles, qui ,
en se prolongeant , pourroient entrainer des
proscriptions arbitraires , des émigrations
nombreuses , la désertion des villes , la dispersion
des familles ; pour les riches , la ruine
de leur fortune ; pour les pauvres , la cessation
des secours ; pour les ouvriers ,
la cessation
du travail ; pour tous , le renversement
de l'ordre social ; »
« A invité et invite tous les François à la
paix , au maintien de l'ordre , à la confiance
qu'ils doivent à leur Roi et à leurs Représentans
, à la fidélité qu'ils doivent au Souverain
, et à ce respect des lois dont il est plus
important que jamais de se pénétrer , quand
toutes celles qui vont être établies , doivent
être si dignes de l'hommage d'hommes litres et
vertueux . "
* Déclare que quiconque se refuseroit à
cette invitation , ne pourroit le faire sans enfreindre
les devoirs les plus sacrés de Sujet
et de Citoyen. "
«
Déclare que la peine la plus juste, prononcée
contre le délit le plus avéré , deviendroit
elle- même une injustice et un délit , si
' elle n'étoit pas ordonnée par la loi et par le
juge qui en est l'organe. »
16
Déclare enfin , qu'en attendant l'organisation
générale qui sera donnée à toutes les
municipalités , elle s'en remet aux Commu-
-nes de chaque ville et bourg du soin de se
créer une Milice Bourgeoise , si elle leur est
nécessaire ; leur recommandant seulement de
-suivre , pour la formation de cette honorable
Milice , l'exemple que dorme actuellement la
( 35 )
Capitale , et de ne confier la sûreté publique
qu'à ceux qui sont incapables de la troubigr
et dignes de la défendre ; et sera la presente
invitation remise au Roi , qui sera supplié de
la faire proclamer dans toutes les villes ,
bourgs , villages , et lire au prone dans toutes
les Paroisses du royaume ( 1 ) . »
M. Dupont , et quelques autres Députés
ont défendu ce projet , en le modifiant ; i
a été fortement attaqué par MM. Roberspierre,
Buzot et Gleizen. Celui - ci a objecté que
cette Motion déja rejetée ne devoit plus
être remise en délibération , et que les
troubles n'avoient pas encore passé dans les
provinces. M. de Lally a justifié sa proposition
, en observant qu'elle avoit pour objet
de rétablir l'autorité de la Loi qui sembloit
évanouic , et que la liberté publique ne pouvoit
exister sans la liberté individuelle .
( Nous abrégeons ces débats que nons
verrons renaître , et que nous développerons
dans la Séance du jeudi suivant ).
Les opinions prises , il a été arrêté que
question seroit discutée définitivement , et le
· soir même , dans les bureaux .
Du 21 Juillet. Les changemens à faire dans
Ja distribution de la Salle ordinaire , ont
obligé l'Assemblée à siéger dans Eglise
S. Louis. M. le Président a ouvert la Séance
en notifiant que , pour être suffisamment
discutée , la proposition de M. de Lally seroit
au premier jour remise en délibération .
La Cour des Monnoies , suivant l'exemple
du Grand-Conseil , à député son Premier Pre-
(1) Cette Proclamation a été modifiée , telle
que nous la rapporterons dans huit jours, a
bvi
( 36 )
sident vers l'Assemblée à laquelle il a parlé en
ces termes :
MESSEIGNEURS ,
« La France n'oubliera jamais ce que votre
vigilance et votreszele ont fait pour la tranquillité
de la capitale; la Cour des Monnoies
m'a chargé de vous offrir l'expression de sa
respectueuse reconnoissance : que ne devonsnous
pas attendre , Messseigneurs , de la réu--
nion de tant de lumières et de vertus ! »
M. le premier Président a déposé sur le Bureau
l'Arrêté suivant.
Extrait des registres de la Cour des Monnoies
du 20 Juillet 1789.
« Ce jour , la Cour assemblée en la manière
accoutumée , un de vous , Messieurs , a
dit que l'Assemblée nationale ayant obtenu
de la bonté et de la justice du Roi l'éloignement
des troupes et le rétablissement de la
tranquillité publique , il croit qu'il est du devoir
de la Cour d'offrir audit Seigneur Roi et
à l'Assemblée , l'expression respectueuse de sa
reconnoissance particulière ; il prie la Cour .
d'en délibérer. »
" La matière mise en délibération , la Cour
a arrêté que M. le premier Président se retirera
incessaniment par-devers ledit Seigneur
Roi , pour le remercier d'avoir accordé toute
sa confiance aux Représentans de la Nation' ,
et d'avoir dissipé les alarmes de la capitale ,
en y ramenant par sa présence le calme et la
sécurité. >>
" A pareillement arrêté que le premier
Président se retirera par-devers l'Assemblée
nationale , à l'effet de lui faire ses remerciemens
d'avoir interposé ses bons offices auprès
(( 37 )
du Seigneur Roi , pour le rétablissement de la
paix dans la capitale. »
"
M. le Président a répondu : « L'Assemblée
nationale reçoit avec d'autant plus de plaisir
les hommages des Cours supérieures , qu'ils
Tui sont une assurance nouvelle de leur entier
dévouement à la chose publique : elle me
charge , de témoigner à la Cour des Monnoies
sa satisfaction particulière . »
Lecture faite de différentes adresses des
Provinces , on a distingué et reçu avec applaudissement
, celle , aussi courageuse que
patriotique , des trois Ordres réunis de la
ville de Lyon.
M de Castellas , Comte de Lyon , et Député
du Clergé , a lu ensuite à l'Assemblée une
déclaration , par laquelle le Clergé , la Noblesse
et les Bourgeois de cette ville , qui
jouissent de certaines immunités féodales ,
réitèrent leur renonciation à toute exemption
pécuniaire , et demandent qu'elle soit énoncée
dans le Procès -verbal .
сс
«
Une Députation de S. Germain est venue
offrir à l'Assemblée le tribut du respect et de
la reconnoissance de ses Commettans : Nous
« vous portons , ont dit ces Députés , les pièces
justificatives de l'innocence du malheureux
Sauvaige , victime de la dernière emeute :
« une foule d'étrangers attroupés avoient
" médité la mort de cet infortuné ; au mo-
« ment où son innocence alloit être recon-
« nue , la populace lui a arraché la vie .
Ils ont fini par demander des secours en bled ,
et des armes pour se défendre. M. le Président
les a renvoyés au Ministre de la Province .
»
Divers Bureaux ont examiné , de nouveau ,
dans la soirée , le règlement de police intérieure
à donner à l'Assemblée .
( 38 )
Du 22 Juillet. Point de Séance d'Assemblée
générale , à cause des travaux continués
dans la Salle ordinaire. Les Bureaux seuls
se sont formés , ainsi que les Comités.
9
Du 23 Juillet. La Séance a commencé par
Ja lecture d'une adresse des Communes de
Bordeaux revêtue de 4 mille signatures ,
de celles de Riom , du Havre de Grâce , de
Sancoreing , et des Négocians assemblés à
la foire de Beaucaire .
Il a été communiqué que la Noblesse du
Maine et celle de la Principauté de Dombes ,
avoient autorisé leurs Représentans à la
votation par tête:
M. le Premier Président au Parlement de
Paris s'est présenté , et à la suite d'un discours
, il a déposé l'arrêté suivant de sa
Compagnie , en date du 20.
"
La Cour , toutes les Chambres assemblées
, vivement touchée des nouveaux těmoignages
d'amour et de bonté que le Roi est venu
donner à sa bonne ville de Paris et à tous ses
fidèles Sujets , considérant combien les derniers
actes de zèle et de patriotisme de l'Assemblée
nationale ont concouru au succès de
détermination paternelle du Monarque pour
le rétablissement du calme de la capitale ;
A arrêté , que M. le premier Président se
retirera à l'instant par devers ledit Seigneur
Roi , à l'effet de lui exposer la viye reconnoissance
de la Cour ; et qu'il se retirera
par deyers l'Assemblée Nationale , et lui
exprimera le respect dont la Cour est pénétrée
pour les Représentans de la Nation , dont
les travaux éclairés vont assurer à jamais le
bonheur de la France . »
1
Ad . le Président a répondu : Monsieur ,
( 39 )
' Assemblée Nationale voit avec plaisir la
justice et le respect que le Parlement de
Paris rend à ses décrets. Le chef de l'illustre
Compagnie , qui , la première , a eule bonheur
et le courage de prononcer hautement le voeu
de la convocation des Etats - Généraux , doit
jouir d'une douce satisfaction , en étant introduit
dans cette auguste Assemblée. Une des
plus essentielles occupations des Représentans
de la Nation , sera de faire rendre aux lois
le respect , auquel est intéressé le bonheur
général et particulier ; et ils acquerront par
ses succès un titre de plus à la reconnoissance
de tous les Citoyens honnêtes et vertueux
, et particulièrement à celle des Tribunaux.
La réunion sincère de tous les Ordres',
l'hommage fait à la chose publique par chacun
de nous , des usages jusqu'ici respectés ,
des opinions anciennes , des prétentions privées
, des démarches utiles qui en ont été le
résultat , ne doivent laisser aux bons Citoyens
aucun doute du zèle pur et infatigable , avec
lequel l'Assemblée Nationale s'est dévouée
sans réserve au grand oeuvre de la régénération
de l'Empire , et avec lequel elle s'occupe
du bonheur de la Nation la plus généreuse ,
et du Roi le plus digne de son amour. »
«
L'Assemblée Nationale y voit encore
T'heureux présage que dans ces circonstances
aucune classe de Citoyens ne laissera , par
des considérations particulières , étouffer en
-elle le sentiment pur et généreux du patriotisme.
»
Deux scènes sanglantes arrivées la veille
à Paris , donnoient une nouvelle importance
à la question déja agitée , et reprise , sur
les moyens de rendre la paix à la capitale
et au royaume. M.de Minabedu a demandé ,
( 40 )
en son nom et en celui d'un très- grand nombre
de Citoyens éclairés , que l'on portât ses
efforts vers la constitution de la Municipalité
de Paris , que 60 Députés se rendissent
dans les Districts de la capitale , afin d'établir
entr'eux une Correspondance parfaite , et
leur présenter , en forme de conseil , un
plan de Municipalité . On devoit soigneusement
chercher un moyen doux de procurer au
Corps Municipal une autorité légale sur la
Commune , consentie par la Commune , moins
irrégulière que celle des Electeurs , et qui ,
établie par la confiance , pût se faire respecter
par la confiance .
M. Demeunier , ayant rendu compte de
l'état de la capitale , a voté pour que la proclamation
de M. de Lally- Tolendal , rédigée
de nouveau , fût envoyée à Paris et à 20 lieues
à la ronde . Il a demandé à l'Assemblée et à
M de Lally la permission de lire cette même
proclamation , avec les changemens jugés nécessaires
. Cette lecture faite , M. Demeunier a
supplié l'Assemblée de vouloir bien délibérer
à l'instant sur cet objet.
M de Lally- Tolendal a rendu compte à
Passemblée que M. Berthier , fils , s'étoit rendu
hier chez lui , et jeté à ses genoux , en le conjurant
de vouloir bien sauver la vie de son
père. Les événemens arrivés hier à Paris
étoient malheureusement , une preuve de la
nécessité et de la sagesse de sa proclamation .
La France , l'Europe et la postérité s'éleveroient
contre l'Assemblée , si elle ne remédioit
aux calamités auxquelles la capitale étoit
livrée . M. de Lally ayant ensuite fait lecture
de sa Motion , changée et corrigée , a ajouté
: « Je laisse à la sagesse de l'Assemblée de
« décider si l'on doit y insérer les peines que
( 41 )
a mériteront à l'avenir les séditieux et les
<< meurtriers. >>
M. de Mirabeau a réfuté M. de Lally . Il a
prétendu que l'Assemblée compromettroit son
autorité , en admettant la proclamation. Le
meilleur moyen de contenir et de calmer le
Peuple , et d'organiser la Bourgeoisie ; la seule
manière d'amener la paix etoit renfermée
dans la proposition qu'il venoit de faire . Le
bruit d'une proclamation avoit souleve les esprits
, et occasionneroit les plus grands dangers.
Un Membre de la Noblesse a dit qu'on devoit
s'occuper de la paix du royaume , aussi
bien que de la tranquillité de Paris . Il a fait
part des dangers auxquels étaient exposés les
villages voisins de Pontoise , qui demandoient
des troupes , afin d'être à l'abri de plus de
huit cents brigands Il a fait de grands éloges
de la proclamation de M. de Lally , à l'ex
ception de l'article des Miliçes Bourgeoises,
institution dangereuse dans les petites villes .
Il a proposé une Motion presque semblable
à celle de M. de Lally - Tolendal ; la fin
senle , qui est relative aux troupes , ' en différe
.
M. de Sillery a opiné pour que l'Assemblée
s'occupât de rétablir le calme à Paris ; et il a
Ouvert un avis en conséquence.
M. Malouet a défendu la proclamation de
M. de Lally. Les notifs de cet acte et ses modications
levoient toutes les difficultés ; mais il
étoit nécessaire d'y ajouter , que le Roi seroit
prié de donner aux Municipalités main-forte
contre les attroupement sur la demande des
Officiers Municipaux . En s'opposant aux Mifices
Bourgeoises , on a craint , a-t -il ajouté ,
un Armement général , et cette crainte est
( 42 )
juste. La résistance à l'oppression est légitime ,
et honore une Nation ; la licence Pavilit.
Une insurrection nationale contre le despotisme
a un caractère supérieur à la puissance
des lois , sans en profaner la dignité :
mais lorsqu'un grand intérêt a fait un grand
soulèvement , alors le plus léger prétexte
suffit pour réveiller les inquiétudes du peuple ,
et le porter à des excès . C'est de tels malheurs
qu'il est instant de prévenir , et tel
seroit l'objet de la proclamation , avec l'addition
que j'ai proposée . Notre silence multiplieroit
les abus . Attendre que la constitu
tution les arrête ' est annoncer que la
puissance publique a disparu , jusqu'à ce que
la Constitution soit promulguée ..
?
....
Quant aux griefs dont le peuple se plaint ,
et aux coupables qu'il désighe , ils ne doivent
point échapper à la sévérité des lois , mais
c'est devant les Tribunaux qu'ils doivent être
poursuivis ; c'est au Procureur- Général du
Parlement que les plaintes et dénonciations
doivent être adressées .
། ་
Un Membre des Conimunes a observé que
la proclamation de M. de Lally - Tolendal
étoit le voeu unanime des Citoyens de Paris ,
Sinivant le rapport qui lui en avoit été fait
hier par un des Membres du Comité . Il a
voté pour son admission. Il a demandé à l'Assemblée
d'envoyer à l'Hôtel - de- Ville des Députés
, pour travailler avec les Comités à rétablir
le calme. Il a fait un tableau horrible
des désastres de Paris. Il a ajoute qu'on bla
moit , dans la Capitale , le silence de l'Assemblée.
Un Membre du Clergé a proposé une
Adresse à tous les Curés et Vicaires , qu'on
( 43 )
chargeroit de tranquilliser le Peuple par la
Religion.
M. de Nicolay , premier Président de la
Chambre des Comples , est entré , et a dit :
MESSEIGNEURS ,
Admis à l'honneur de paroître devant les
augustes Représentans de la Nation , je me
trouve heureux d'avoir à vous offrir l'hommage
des sentimens qui animent la Chambre
des Comptes , et dont elle m'avoit chargé d'être
l'interprete auprès du trône . »
« Rendez le calme à nos tristes foyers ;
vous êtes notre espoir ; la Patrie gémissante
vous implore comme des divinités tutélaires ,
nos coeurs , notre reconnoissance décernent
déja la palme du patriotisme à vos vertus , à
Votre courage . Couronnez vos travaux , et
puisse le bonheur public être bientôt votre
ouvrage et votre récompense. »
"
La Chambre des Comptes , Messeigneurs ,
a l'honneur de vous proposer , par ma voix ,
tous les renseignemens qu'elle pourra vous
donner , lorsque vous vous occuperez des finances
Voici la réponse qui lui a été faite par
M. le Duc de Liancourt :
"
Monsieur , l'Assemblée Nationale reçoit
avec satisfaction Phommage de la Chambre
des Comptes : le bonheur de la Nation est
le seul veu de ses Représentans ; c'est le
seul but de leurs travaux. Elle voit, dans l'offre
des renseignemens sur les Finances que lui fait
la Compagnie que vous présidez , une nouvelle
preuve de son désir de se rendre utile à l'Etat ;
l'Assemblée Nationale y aura recours avec
confiance , et ne doute pas d'y trouver les
moyens de servir le désir impatient , dont
( 44 )
elle est animée , de terminer l'ouvrage important
du rétablissement des Finances . »
M. le Chapelier a lu l'Arrêté de la Chambre
des Comptes , conçu en ces termes :
Arrêté de la Chambre des Comptes , du 78
Juillet 1789.
« La Chambre , d'après le récit de ce qui
s'est passé hier , a arrêté que M. le premier
Président ira , dans le jour , porter au pied
du Trône ses respectueuses félicitations sur
le rétablissement du calme dans la Capitale ,
que l'on doit à la loyauté et à la présence
du Roi. »
La Compagnie se repose sur M. le premier
Président , pour exprimer dignement les
sentimens qui l'animent . Elle le charge de
faire part de son Arrêté à l'Assemblee Nationale
, et de lui offrir l'hommage de tous les ·
renseignemens qu'elle peut lui donner , lorsqu'elle
s'occupera des finances . »
« Arrêté en outre que deux de Messeigneurs
les Conseillers Maîtres se transporteront incessamment
à l'Hôtel - de - Ville , pour remettre
à MM. de la Commune une copie de la présente
Délibération.
"
Et ensuite le Discours de M. de Nicolay
au Roi , que nous croyons devoir rapporter.
遵
" SIRE ,
La Chambre des Comptes s'empresse de
vous . offrir ses respectueuses félicitations .
Depuis quinze ans , Sire , vous êtes sur le
trône , et vous n'êtes heureux que depuis un
jour. Votre loyauté , votre présence viennent
de rendre le calme à la capitale , et pré(
45 )
-
sagent la fin de nos malheurs . Votre Majesté
s'unit entièrement à ses Sujets ; la vérité ,
désormais , pourra se faire entendre sans altération
et sans effort . Votre coeur ne veut
plus d'intermédiaire entre le père et ses enfans
; vertueux comme Louis XII , adorable
comme Henri IV , il vous étoit réservé , Sire ,
et aux dignes Représentans de la Nation
de créer le bonheur public ; c'est sous votre
règne que les François devront proférer le
serment de ne servir et de n'aimer que la Parie
et leur Roi.
M. le Président a annoncé qu'on venoit de '
lui remettre le Procès- verbal des Electeurs
de Paris , dont M. de Tolendal a fait la lecture.
Un Membre des Communes a dit qu'il
adoptoit une partie de la Motion de M. de
Lally - Tolendal , la partie récitative . I a
proposé l'établissement d'un Tribunal pour
juger les personnes qui avoient été arrêtées ,
et celles que le Peuple jugeroit coupables.
Un autre Député a pensé que l'Assemblée
ne devoit s'occuper que de la Constitution ,
non des dissentions de Paris , ni d'autres événemens
de cette espèce. Il a soutenu que les
désordres et emportemens du Peuple étoient
des orages ordinaires pendant les révolutions :
la multitude pouvoit avoir eu raison de se
faire justice ; peut-être le sang versé n'étoit
pas pur……….. '
Ces sentimens ayant excité un mouvement
dans la Salle et dans les travées , l'Opinant
a voté ensuite le Réglement des Municipalités,
et l'établissement des Milices Bourgeoises ,
seul remede praticable. Les Tribunaux actuels
étoient incompetens pour juger les personnes
proscrites par le Peuple. L'avis de M.
de Mirabeau étoit le seul à adopter. Les Dé(
46 )
•
putés de Paris devoient étre autorisés à travailler
au Réglement d'eng bone Municipa
lité. L'Opinant a fiel pac tire un projet d'Arrêté
pour lever des Milices Bourgeoises , le
jugement des personnes arrêtées et de celles
qui le seroient , et l'autorisation des Députés
de Paris pour le Réglement de la Municipalité.
Un Député de la Noblesse s'est élevé contre
l'érection d'un Tribunal extraordinaire ; ces
Commissions étant aussi odieuses que dignes
⚫ de l'être.
M. de Mirabeau a exposé des observations
sur l'Arrêté de MM. les Electeurs ; Arrêté
auquel on ne pouvoit déférer , puisque l'autorité
de ses Auteurs étoit disputée. La ville
de Paris avoit besoin de beaucoup de lumières
pour rédiger les lois de sa Municipalité , les
secours de l'Assemblée lui étoient nécessaires,
et dans la Séance du lendemain , il liroit un
projet de Règlement à cet égard.
Un Membre des Communes a fortement
repoussé toutes Commissions , juges des personnes
déclarées coupables par le Peuple ; on
devoit se borner à promettre de nommer un
Tribunal ad hoc , qui seroit chargé de la responsabilité
des Ministres , à l'époque où l'Assemblée
établiroit la Constitution ; suivant
lui , il n'y avoit lieu à délibérer dans ce moment.
M. Antoine est revenu à l'idée d'une Commission
judiciaire ; il a prié l'Assemblée de
la créer.
Un Noble a objecté qu'on s'éloignoit de
la question présentée. Elle consistoit à admettre
ou à rejeter la proclamation , à opter
entre l'avis de M. de Lally , et celui de M. de
Mirabeau en faveur duquel il se déclaroit.
( 47 )
M. le Comte Mathieu de Montmorenci a
adopté la Motion de M. de Lally- Tolendal.
Les autres objets proposés ne pouvoient pas
être discutés et arrêtés sur- le- champ ; il étoit
du devoir de l'Assemblée de rendre à un Tribunal
quelconque son pouvoir exécutif; mais
on devoit commencer par une proclamation.
M. Camus a proposé de faire assembler dans
un Bureau les Députés de Paris , conjointement
avec M. de Mirabeau , afin de travailler
au Règlement de la Municipalité , et rapporter
ensuite leur plan .
M. le Marquis de Gouy d'Arcy a rendu
compte des scènes affreuses qu'il avoit vues la
veille à Paris , il a réfuté le Discours de M.
Barnave , et annoncé qu'il avoit lu les noms
de plusieurs Députés dans la liste des proscriptions
faites par le Peuple. Il a opiné à
réunir tous les moyens proposés , à rédiger
un Arrêté ou une proclamation ; envoyer aux
Electeurs de Paris les Députés de cette ville ,
et former la Municipalité. Dans le cas où le
Peuple ne se calmeroit pas , il falloit envoyer
à Paris une nouvelle Députation .
M. Mounier a soutenu avec une force lumineuse
la proclamation rédigée de nouveau
par M. de Lally. Il a fait sentir le danger
qui résulteroit du plus long silence de l'Assemblée
; silence qui paroîtroit approuver la
violence du Peuple.
M. l'Evêque de Laon a applaudi á fa praclamation
de M de Tolendal , en déclarant
qu'elle contribueroit beaucoup à la réussite
du plan proposé par M. de Mirabeau.
M. de Lally - Tolendal a soutenu de nouveau
sa Motion avec une rare Energie.
Un Député des Electeurs de Paris a paru
( 48 )
à la Barre pour demander la création d'un
Tribunal. Il a lu ensuite l'Arrêté que les Electeurs
ont rendu à ce sujet.
M. de Volney a dit : Qu'il existoit à Paris
trois pouvoirs , les Electeurs , le Comité - Permanent
, et les soixante personnes nommées
dans les quartiers pour former le Corps Municipal.
Le Comité et les Electeurs ne formoient
pas des Corps légaux . La proposition
de M. de Mirabeau devoit être un dés premiers
objets de délibération ; l'avis ouvert
par un des Préopinans , de promettre au
Peuple le jugement des coupables , étoit trèssage
, et la ville de Paris ne désiroit pas autre
chose ; ce moyen étoit le seul efficace . Il s'est
récrié sur ce qu'il avoit vu la veille au Palais-
Royal , au moment où l'on y traînoit les restes
des victimes. On devoit prendre les moyens
les plus prompts , faire connoître au Peuple
l'improbation de l'Assemblée , et réunir tous
les moyens proposés ..
M. Demeunier a rejeté l'établissement d'une
Commission ; les personnes présumées coupables
devoient être laissées en prison , jusqu'à
ce que l'Assemblée eut creé un Tribunal compétent
à l'époque de la Constitution .
Les avis se multiplioient et se croisoient
sans fin , lorsque M. le Président a résumé
toutes les propositions faites.
On a relu la proclamation , et le débat a
recommencé .
Un Député a demandé la création d'un
Comité pour la recherche des coupables , et
recevoir les dénonciations du Peuple . Cet avis
a été combattu . Enfin , M. le Président a
renvoyé la proclamation avec les amendemens
( 49 )
mens et autres Motions , à l'examen des Bureaux
, en annonçant qu'ils se formeroient à
cinq heures et demie , et l'Assemblée à huit.
M. le Président de la Cour des Aides est
entré dans l'enceinte et a prononcé un Discours
applaudi universelleinent . M. l'Abbé
Syeyes a lu l'Arrêté de cette Compagnie.
M. Hocquard s'est retiré après avoir reçu
de nouveaux applaudissemens.
La Séance s'est levée à trois heures passées .
Du 23 au soir. Après le compte rendu
de l'opinion des Bureaux , divers Membres
ont renouvelé les Motions déja traitées : L'un
renvayoit les oppresseurs du Peuple anx
Tribunaux ordinaires ; l'autre proposoit un
Corps judiciaire composé de Magistrats et
de Jurés ; un troisième renvoyoit le jugement
aux Jurés seuls ; un quatrième proscrivoit
tout Tribunal provisoire , extraordinaire , ou
définitif La Motion, relative à l'établissement
de la Municipalité de Paris , a aussi reparu ,
et de nouveau a été repoussée ; enfin , l'on a
opiné sur celle de M. de Lally-Tolendal , à
Jaquelle ce Député avoit joint un amendement
, ou plutôt une addition , par laquelle
il sera déclaré au Peuple , qu'on ne peut
punir aucuns coupables sans le Ministère des
Lo's et de la Justice et que , dans le Code
politique dont on s'occupe , il sera institué un
Tribunal chargé de punir les oppresseurs.
La Motion et l'amendement ayant été
admis , on les a renvoyés an Comité de
rédaction , qui en a apporté la minute
vers une heure du matin : il a été arrêté
que cette proclamation seroit publiée et
affichée.
Supplément au No. 31 .
!
•
(
50ill
Du 24 juillet. M. de Villes , Député de la
Ncb effe de Gien , a remis fur le Bureau de noti❤
veaux pouvoirs , qui lui permettent de voter par
têre , & lui donnent toute liberté.
M. le Comte de Montrevel , Député de Mâcon ,
en a reçu de pareils .
On a fait la lecture d'ure ad: effe de la ville
d'A as , & enfuite mention de celles de Saint-
Sauveur , Mea x , Lure , Rheims , &c. On a lu
auffi l'extrait de différentes lettres & demandes ,
reçues depuis plufieurs jours.
M. Grégoire a fait lecture des Procès-verbaux
de la veille .
Ona préfenté le rapport de la conteftation furvenue
au sujet de la feconde élection de M. le Cardial
de Rohan , Evêque de Strasbourg. C: Frélat érant
malate , avoit refufé de se rendre à Versailles ,
& demandé que M. l'Abbé Bou , fon Suppléant ,
s'y rer dit , en fe réfe vant le droit de fiéger aux
Etats- Généraux auffitôt que fa fanté le lui permetroit.
Il a protefté par- devant Notaire , contre
la lettre de M. le Garde des Sceaux , qui déclare
qu'au refus de M. le Cardinal , M. l'Abbé Bou
eft le vrai Député du Clergé d'Haguenau . Ce
Clergé , par l'organe de fon Comité permanent ,
n'a autorifé M. At bé Bou à prendre Séance que
jufqu'à l'époque où M. le Cardinal voudroit s'y
rendre. La mejorité du Comité de vérification a
été d'avis d'écrire à M. le Cardinal , pour favoir
s'il vouloit fe rendre à l'Affemblée.
M. l'Abbé d'Aymar a dit qu'on ne pouvoit
affoiblir le témoignage flatteur & honorabe que
le Clergé d'Haguenau avoit rendu deux fois à fon
Prince Evêque. Il a expofé l'injuftice de la lettre
de M. le Garde des Sceaux , & fait lecture d'une
lettre de M. le Cardinal , par laquelle ce Prélat
hi mande qu'il accepte la députation. Il a fait
part de la procuration qu'il en avoit reçu .
5( 1
M. "Abbé Bou a plaidé a caufe.
M. Hébrard a obfervé que M. le Cardinal
avoit été malade du très-exprès commandement
des Miniftres.
M. de Saint-Fargeau a foutenu qu'on devoit admettre
M. le Cardinal , puifqu'il n'avoit pas refufé
; & qu'eût-il refufé , fon refus n'avoit pas
été accepté. D'ailleurs , le Suppléant n'auroit pas
dû fe préfenter. L'Opinant s'eft eftimé heureux
d'avoir pu deux fois donner fa voix , pour ſouftraire
M. le Ca - dinal au pouvoir arbitraire.
M. le Comte de Montmorency a lu l'article de
fes Cahiers , qui le charge de demander la révcation
de la Lettre d'exil de M. le Cardinal , &
a parlé enfuite en fa faveur.
Un Membre de la Nob'effe a obſervé que la
Lettre du Garde des Sceaux étoit formellement
' contraire au Règ'ement.
Lá queftion mife aux voix en CCs termes ,
M. le Cardinal de Rohan doit - il être admis cu
ron ? S. E. a été admiſe par 655 voix contre
37.
M. Hébrard a rapporté que les Députations du
Clergé & des Coinmunes de Bretagne avoient été
attaqués par le Haut- Clergé & la Nobleffe. Il a
fait le rapport des Proteftations , après avoir rendu
compte de la formation vicieufe des Etats de cette
Province.
L'avis du Comité de vérification a été que les
Dépurations du Clergé & des Communes font
valables & régulières ; que le Clergé de l'Evêché
de Léon éo le M.ire de s'affembler pour nommer
fes deux Députés , & qu'on devoit la fer à
la Neb effe le droit d'envoyer les fie..s quand elle
le jugeroit à propos.
M. de Baumer s'eft élevé contre les Proteftations
de la Nobleffe de Bretagne
c ij
( 52 )
Un Membre des Communes a foutenu la validité
des Elections.
M. le Préfident a demandé de prononcer par
affis ou debout.
Les Députés Bretons font fortis.
M. le Préfident a poſé la Délibération de cette
manière :
L'Oppofition du Haut-Clergé & de la Nob'effe
de Bretagne , fera- t- elle admife ou non ?
Elle a été rejetée à une très- grande majorité.
Les Députés de Bretagne font rentrés au bruit
des applaudiffemens.
Sur l'avis de M. Coroller , appuyé par M. Chapelier,
que l'Affemb'ée invitât le Clergé de Bretagne
à compléter fa Députation , & la Nobleffe
de la même Province , à nommer fes Députés , il
a été arrê é que les Députés nommés du Clergé
& des Communes de Bretagne étoient admis
fauf au C'egé à complé er fa Députation , & à
la Nobleffe a former la fienne.
Une Députation de la ville de Rouen a paru
à la Barre; l'un des Députés a prononcé un Difcours
fort applaudi.
M. le Préfident lui a répondu .
M. Dubois de Crancé a lu ure Motion tendante
à ne permettre l'exercice de la votation qu'aux
Députés dont les Pouvoirs auroie t été vérifiés
& à arrêter l'Aſſemblée n'admettroit aucun
Député, dont les Pouvoirs n'auroient pas été vériiés
en commun.
que
M. le Préfident a demandé le voeu de l'Affemblée
fur la queflion .
Sur quoi M. le Prince de Poix a prié l'Af
femblée de rendre un Arrêté pour ordonner à la
Nobleffe de Bretagne de fe réunir à l'Affemblée
Nationale.
Un Membe de la Nobleffe a dit qu'il étoit
( 53 )
expreffément chargé de défendre la Caufe des
Provinces abfentes.
M. le Comte de Crillon a lu le projet d'Arrêté ,
rédigé d'après la Motion de M. Dubois de Crancé,
& il a été pris à l'unanimité.
M. le Comte de Mirabeau ayant demandé que
fa Motion du Jeudi fût difcutée , M. le Préfident
a répondu qu'e'le feroit examinée le foir dans les
Bureaux , & décidée enfuite par l'Afemblée.
La Séance levée à trois heures , a été ajournée
à huit heures du foir.
Séance du foir , même jour. Un Député de Paris
a dit , qu'il régnoit une grande union entre les
Districts de la capitale & le Comité permanent , &
que les Diftricts s'occupoient de la Rédaction d'un
Règlement de Municipalité.
M. le Préfident a prié l'Aſſemblée de déclarer
s'il y avoit lieu à délibérer fur la Motion de M.
de Mirab:au.
L'Affemblée a prononcé unanimement qu'il n'y
avoit lieu à délibérer.
Un Membre du 29º. Bureau a prié MM. du
Comité de la Conftitution , de communiquer inceffamment
à l'Affemblée le commencement de
leurs travaux , feul moyen de ramener le calme.
M. Fréteau a fait la même demande au nom
de fon Bureau .
M. le. Comte de Montmorency a prié M. le Préfident
de preffer MM. du Comité.
Inutilement un Membre a voulu propoſer un
Arrêté , M. le Préfident a prié le Comité de la
Conftitution , de faire fon rapport Lundi prochain.
A fuivi un long rapport d'une Proteſtation du
Confeil de Perpignan , contre l'E'ection des Dépatés
des Communes . L'avis unanime du Bureau
c iij
54-)
de verification avoit été contre cet A&te , & l'AR
femblée en a confirmé la rejection .
Ja Stance a été terminée par une Motion de
M. Huart, pour la Création d'un Comité de Commerce
, compofé de 60 perfonnes .
Du 25 juillet. Lectu e des Adreffes de plufieurs
Villes.
Une Députation de la ville de Dieppe eft en-.
trée ; l'un des Députés a prononcé un long D.-
cours .
On a fait part de la réception de plufieurs
Adreffes,
M. le Préfident a annoncé qu'un Courrier envoyé
par la ville de Vefoul en Franche- Comté
venoit de lui remettre une Lettre , dont il a fais
lecture .
Vefoul , ce 22 juillet 1789,
NOSSEIGNEURS ,
La ville de Vefoul ne veut point affliger
l'Affemblée nationale le récit de tous les défo
dres portés à l'excès dans fon Bailliage : les châ
teaux brûlés , démolis , pillés au moins ; toutes
les Archives enfoncées , les Regifres & Terriers.
enlevés , les dépôts violés , les plus horrib'es menaces
& des violences extrêmes.
» La ville de Vefoul ſe borne à conjurer l'Afémblée
nationale de rendre un décret qui puiffe
ramener la tranquil ité publique parmi les gens
de la campagne , qui femblent douter de la vérité
des derniers imprimés qui ont été envoyés aux
Coinmandans des Provinces.
>> Un arrêté de l'Affemblée nationale calm a
la partie faine du Peuple des campagnes ; ma's
comme il s'eft formé , en même- timps , des
bandes de grens fans aveu , l feroit effentiel en(
55 )
core que l'Affemblée ramonale , par le même arrê
é , autorifât d'employe: la force pour les contenir.
Telle eft la demande refpe& ueufe & preffante
de la ville de Vefoul , repréſentée par les
membres du Comité fouthgnés , qu'elle a nommés
pour pourvoir à la tûreté pub ique .
Signés , e Came de Schomberg, de Saladin ,
Jacquet de Fleury, Maire ; le Vicomte de Monts ,
Duval , Confeiler au Préfi tia' ; Saint- Fergeux ,
Bailly , Avocat ; le Vert , Officier Municipal ;
Noirot , Avocat ; Vigueron , Avocat ; Garnier,
Confe ker au Préf.dial , & autres.
*
M. de Raze , Lieutenant-Géné a ! du Bailliage
de Vefoul , & premier Député des Commur es
d'Amont , afait le récit du ffair qui avoit donné
lieu à ces violences , & lu le Procès -verbal dreflé
par la Maréchauffée .
Il en résulte qu'un Magiftrat , Seigneur de
Quincey , avoit invité à une tête , dans fon Châ ,
reau , p'ufieurs perfonnes qui fe difpofoient à célébrer
à Vefou ' la réunion des trois Ordres . On
danfoit dans fon parc , lorsque l'explosion d'une
mine fit fauter les conviés. Trois Militaires &
deux Bourgeois ont pé i par cette horribletrahifun;
plufieurs autres ont été bleffés.
ce ,
M. le Préfident a rapporté qu'un Electeur de
Paris lui avoitrem's la veille , à l'iffue de la Séanun
paquet contenant plufie rs lettres , tant
ouvertes que cachetées , trouvées dans les mains
de , le Baron d Caftelnau , Pretident de France
à Genève , & envoyées au Comité-Rrmanent
par le Difirici des Petits-Auguſtins. M. le Préfident
a remis le paquet Elteur pour le rendre à
M. Bailly!
Il a enfuite in formé l'Affemblée que M. le
Comte de Crillon lui voit annoncé , que fa fa té
le forçoit de fe reuer pour fe rendre aux eaux,
c iy 2
( 56 )
La Motion faite la veille par M. Huart , pour
La formation d'un Bureau de Commerce , a été
prope fée à l'Affemb.ée , qui l'a rejettée fans dé-
Libération .
M. Barrère de Vieufac a fait le rapport de la
véification de p'ufieurs pouvoirs.
Ila palé enfuite au rapport des Députés du
Clergé de Béarn , qui ont été admisunanimement.
M. Salomon a fait le rapport de fa double Députation
des Communes d'Aunis. Cette Province
s'eft fondée fur ce qu'en 1614 , elle avoit fourni
trois Députés des Communes , & quatre dans la
Convocation de 1649 , ainfi que fur l'augmentation
de la Population , de l'Agriculture , des Ri
cheffes , & l'avantage du Port de Rochefort. Le
Comité de Vérification l'a rejetée , par la raifon
que , fi elle étoit admife , toutes les Provinces Leroient
en droit de réclamer. l'Affeniblée a confirmé
cette réfolution .,
M,le Comte de Châtenay- Lanti a demandé qu
toutes les lettres & paquets arrêtés à Paris &
dans les Provinces , fuffent remis à un Bureau
nommé par l'Affemblée , pour lui être communiqués.
9
M. Salomon a fait le rapport de la double Députation
des Communes de Montpellier. Elle a
été rejetée unanimement. Geite ville s'étoit fo ..-
die fur les mêmes raifons que la Rochelle.
M. le Préfi lent, d'après la demande d'un Député,
a propofé d'admettre les Membres qui comp fent
les doubles repréfentations com ne Suppléans ; &
cet avis a paffé unan mément,
M. le Comte de Sérent a propofé une Motion
relative à l'atten at du Château de Quincey : elle
porte que M. le Préfident fe retirera devers le
Roi , pour fupplier Sa Majefté , d'ordonner au
Tribunal le plus prochain de poursuivre
& pu nir les au: curs & complices de
& 5735 forfait , & d'enjoindre à fes Miniftres dans les
Cours étrangères , de les réclamer pour les faire
conduire en France.
On a fait le rapport de la réclamation des
Communes du Quefnoi , qui ont nommé une
doub e Députation , & chargé les Députés de la
première de faire admettre ceux de la feconde ,
ou du moins comme Suppléans .
Cette double Députation a été rejetée unanime
ect. On a fait la lecture du Procès -verbal
de la veille.
M. le Comte de Sérent a obſervé , touchant certe
leâue , que les trois O dres étant réunis , on ne
d.voit plus mettre dans les Procès- verbaux , un
Membre du Clergé , de la Nobleffe ou des Communes
, mais un membre de l'Affemblée.
Il a lu enfuire un projet d'Arrêté conforme à
fa Motion fur l'attentat de Quincey.
Un membre de la Nobleffe réclamé contre
l'article qui exprime que le Roi fera fupplié de
faire punir les coupables,
Un Membre des Communes a dit, qu'on devo't
charger les Juges Royaux de Vefoul, d'inftruire la
Procédure , & de décreter.
Ua Préopinant du même Ordre a obfervé que
l'Affemblée ne pouvoit autorifer unJuge i : férieur
à décretar un Juge fupé ieur ; & qu'on ne devoit
pas do ter de l'empreff ment du Parlement de
Befarçon à inftruire ce Procès.
M. le Duc de Villequier a dit que M. de Grosbois
, premier Préfident du Parlement de Befangen
, l'avoit affuré que fa Cour avoit nommé
des Commiffaires pour inftruire cette Procédure
, conjointement avec les Juges de Vefoul &
les Officiers de la Maréchauffée.
Un Député des Communes de Franche-Comté
a déclaré que la haine contre le Parlement
occafion : oit la fermentation du Peuple , qui fe
C V
( 58 )
fouleveroit fi les Commiffaires & cette Cour fe
chargeoient du jugement d'un pareil crime.
Un autre membre des Communes a rappelé que
le droit d'être jugé par fes Pairs , devoit ê: re
commun à tous les états.
Un membre de la Nob'effe a foutenu que tous
les Juges du Royaume avoient le droit de décreter
toutes perfonnes que conques.
S
Un Député des Commures d'Amont a dit ,
qu'il falloit promettre au Peuple la punition des
coupables , & de les livrer au Tribueal créé par
l'Affemblée , & dans la Conftituria n.
M. Barnave a opiné à ce que l'Affemblée fuppliât
le Roi d'ordonser l'exécution rigoureufs de
toutes les Lois du Royaume. La punitio ne fauroit
être p prompte. Tous les Juges avoie t
le droit de décre : er , & le cours ordinaire des
Procédures ne fauroit être fuivi trop exactement .
Ce crime , au refte , n'étoit pas un crime de Lèze-
Nation , comme l'avoir affuré un Préopinant.
M. le Vicomte de Toulongeon a excofé que
tous les Députés de Franche- Comté venoient de
fe réunir dans un Bureau ; qu'ils avoient penfé
qu'on ne devoit pas fuiv e les moyens ordinaires
pour calmer le Peuple ; que le Parlement de Befançon
s'étant rouvellement récufé dans le jugement
de prifonniers , arrêtés pour caufe d'émeuse
relative à la dife te , fe récu´eroit auffi dans
une affai e qui intéreffe un de fes membres . 11
a demande que les Juges de Vefoul fuftent autorifés
à inftruire & à fin'r cette Procédure . I a
prié l'Affemblée de rendre un décret qui déclare
qlle s'occupera de ce jugement , & d'autori'er
les 26 Députés de Franche - Comté à écrire une
lettre aux Juges de Vefoul.
M. Tronchet a demandé qu'on suppliât le
Roi d'envoyer des Lettres- Patentes au Prési
( 59 )
dial de Vesoul , afin de juger ce crime ; sauf
l'appel à un Parlement.
Un Membre vouloit que les Lettres - Patentes
ordonnassent au Bailliage de Vesoul de juger
en dernier ressort.
M. le Duc du Châtenay a adopté l'avis de
M. de Sérent , et déclaré qu'il regardoit cet
altentat comme un crime de leze- nation.
Suivant M. le Comte de Virieu , l'Assemblée
ne pouvoit détruire les lois , tout Juge
avoit le droit d'informer et de décréter ; il
opinoit pour l'obtention de Lettres - Patentes
qui ordonnent aux Jugés de Vesoul d'instruire,
la procédure et de decréter.
M. Tronchet a repris la parole et soutenu
de nouveau są motion.
M. l'Evêque de Langres a demandé que les
coupables fussent jugés par des Juges aimes
de la Province ; il a opiné pour demander au
Roi justice du crime , et sûreté de la Province
. Il a approuvé la motion de M. de Sérent.
Un Membre des Communes a observé qu'il
falloit rendre aux Jeges des lieux le droit
d'informer , de décréter et de juger , sauf
l'appel ; et que , quant aux Lettres- Patentes ,
le Parlement de Besançon ne les enregistre
roit pas . L'Assemblée nationale avoit le droit
de concourir avec le Roi à la rédaction des
Lettres-Patentes.
·M. Muguet a approuvé la motion de M. de
Sérent. Ia fait part à l'Assemblée de la haine
de la Province contre le Parlement de Bes ancon
; il a ajouté que tous les Députés des
-Communes de cette Province étoient chargés
expressément d'en demander la suppression.
Un Prélat a dit qu'on ne pouvoit demander
des Lettres - Pate es pour déroger aux
( 60 )
Arrêts de Règlement des Parlemens , et que
le Roi ne pouvoit les accorder.
M. l'Abbé de Montesquiou a remarqué que
les Parlemens n'avoient le droit de faire des
Arrêts de Réglement que pour la police. Il a
opiné au renvoi de la procédure au Bailliage
de Vesoul.
M. Regnauld d'Epercy a dit que le coupable
n'étant point arrêté , le Parlement n'étoit pas
en droit de revendiqner le jugement? Suivant
Jui,les Letttes- Patentes étoient nécessaires pour
permettre au Présidial de Vesoul de juger les
coupables , attendu l'Arrêté du Parlement. Il
a demandé que les Députés de la Province
fussent autorisés à solliciter les Lettres- Patentes
. Enfin il a admiš Pavis de M. de
Sérent.
›
M. le Président a proposé d'aller aux voix
sur l'avis proposé par M. de Raze , sur la
motion de M. de Sérent , réunie aux observations
de MM. de Toulongeon et d'Epercy.
La motion de M. de Sérent a été adnise
unanimement. L'Assemblée a déclaré
qu'il n'y avoit lieu à délibérer sur la demande
de l'obtention des Lettres - Patentes. M. de
Raze a retiré son amendement. L'Assemblée
n'a point voulu autoriser les Députés de
Franche-Comté à solliciter les Lettres- Patenies.
Un Membre des Communes a rouvert l'opinion
de M. du Châtenay-Lanti, relative aux
lettres et paquets interceptés.
M. le Comte du Châtenay a fait une seconde
lecture de sa motion. Il a demandé ensuitè
que la Municipalité de Paris fût autorisée à
rassembler les papiers trouvés à la Bastille ,
et à les faire imprimer.
( 61 )
Un Membre des Communes a présenté quelques
observations sur le renvoi des papiers
fait par M. le Président . A son avis , personne
autre que l'Assemblée ne pouvoit connoître de
ce qui intéresse la Nation. Il a voté pour la
remise de ces papiers.
M. le Président a demandé s'il y avoit lien
à délibérer. L'Assemblée a déclaré qu'il y
avoit lieu.
Il a proposé de renvoyer l'examen dans les
Bureaux , ou de délibérer sur-le-champ. Il y
a eu partage dans les opinions par assis on leve;
on a demandé alors d'aller aux voix.
M. Camus a exposé qu'on ne pouvoit violer
la foi publique des lettres , que d'après un
décret rendu par l'Assemblée , et qu'on ne
pouvoit pas plus violer les lettres envoyées
par des courriers ou autres personnes , que
celles de la poste. Il a observé que la plupart
des papiers saisis sont écrits par des personnés
détenues , ou adressés à des personnes arrêiées
, et que par conséquent on avoit eu l'e
droit de s'en nantir ; mais , qu'arrêter des lettres
adressées à des personnes libres , ce seroit
violer le droit naturel . Il a ajouté qu'on ne
pouvoit admettre la motion dans les termes
vagues dont elle étoit conçue.
Un Noble a réclamé le voeu de son cahier ,
qui le charge de requérir un décret national ,
par lequel aucune lettre ne soit remise à un
Tribunal quelconque , que par la personne
qui l'a écrite , ou par celle qui l'a reque
M. de Gouy d'Arcy a observé que , dans les
circonstances présentes , on ne pouvoit inter
septer les lettres et courriers avec trop de
rigneur. Il a voté pour la remise des paquets
suspects à l'Assemblée. Une partie de ce
( 62 )
discours a été improuvée de plusieurs Membres
.
Un Député des Communes a représenté
que , dans toute Sociéte politique , personne
n'est censé suspect ni en fuite , lorsqu'il n'a
point été dénoncé.
Un Noble a fit qu'on ne pouvoit ni ne
devoit violer la foi de la poste , ' ni arrêter
les lettres dont un particulier étoit porteur ,
puisque c'étoit violer la liberté même .
M. Fréteau a soutenu qu'on ne pouvoit
supprimer les papiers arrêtes . Il a réfuté une
partie du discours de M de Gouy d'Arcy , et
déclaré que l'Assemblée ne devoit point demander
l'apport des papiers . Il a fini par proposer
l'ajournement de la motion à huitaine.
Un Noble a demandé le renvoi de cette
motion aux Bureaux . M. Dupont s'est récrié
contre la violation des lettres . Il a fait un
discours très-sage à ce sujet , et rendu compte
à l'Assemblée , des manoeuvres qui avoient
perdu M Turgot , par le moyen de quelques
correspondances simulées et interceptées.
M. le Président a proposé de renvoyer
l'examen de la question aux Bureaux ; ce quia
été résolu . La Séance a été levée à trois
heures passées
De Paris , le 30 juillet.
Ordonnance du Roi , du 14 juillet 1789 ,
portant suppression de la punition des
coups deplat de sabre dans ses troupes.
Sa Majesté , depuis son Ordonnance du
25 mars 1776 , portant Règlement sur l'administration
de tous les Corps , la discipline ,
la subordination , la police intérieure , les
( 63 )
punitions , etc. etc. , ayant été à portée de
juger de l'effet qu'a produit , dans ses
troupes , la punition des coups de plat de
sabre , établie par sadite Ordonnance , et
par son Règlement du premier juillet 1788 ,
Elle a supprimé et supprime , par la présente
Ordonnance , ladite punition des coups de
plat de sabre ; voulant Sa Majesté que la
peine des coups de plat de sabre soit ,
l'avenir , remplacée par celle de la prison ,
on autres punitions réglées pour la disci
pline militaire , suivant l'exigeance des cas.
Mande et ordonne Sa Majefté aux Officiersgénéraux
ayant commandement sur
troupes , aux Gouverneurs et aux Lientenansgénéraux
dans ses provinces , aux Colonels ,
er à tous autres ses Officiers qu'il appartiendra
, de tenir la main à l'exécution dé
la présente Ordonnance.
ses
Idem , concernant le Conseil de la
Guerre.
Sa Majesté ayant , par son Règlement du
9 octobre 1787 , établi un Conseil d'Admi-
Astration du Département de la Guerres,
sous le titre de Conseil de la Guerre , ei
fixé tout ce qui devoit avoir rapport audit
Conseil , par un Reglement particulier du 23
du même mois , Elle ne peut q . e témoigner
sa satisfaction du zele et de l'application
des Officiers-généraux , dont ledit Conseil a
été composé. Les opérations dont ces Of
ficers ont en à s'occuper étant terminées» ,
et Sa Majesté sé réservant particulièrement
de donner son attention à toutes les parties
de ladite Administration , Elle a supprimé
et supprime , par la présente Ordonnance ,
ledit Conseil d'Administration du Département
de la Guerre , sous le titre de Conseil
( 64 )
".
de la Guerre , ainsi que les Directoires qui
ont été formés relativement à ladite . Administration
; et Sa Majesté fait cesser en conséquence
, à compter de ce jour , tous les
traitemens et dépenses concernant lesdits
Conseil et Directoires. Mande et ordonne
Sa Majellé , à tous qu'il appartiendra , de
se conformer à la présente Ordonnance .
"
Nous nous sommes renfermés , la semaine
dernière , dans le récit très- sommaire
des principaux , et à jamais mémorables
événemens , dont cette Capitale
fut le théâtre il y a quinze jours.
Nous en donnerons une relation plus
circonstanciée ; mais ce seroit se rendre
coupable de légèreté , que d'entreprendre
, en ce moment , le détail des
particularités. Rarement voit-on juste
les objets pendant l'orage ; le temps seul ,
et des informations exactes , font succéder
la connoissance des faits à celle des
rumeurs. Mille rapports contradictoires,
ou dénués d'authenticité , ne sont pas des
matériaux d'histoire. Le respect de la
vérité et celui de l'intérêt public , doivent
précéder toute autre considération ;
l'un et l'autre nous imposent le devoir
de ne rapporter que des évènemens certains.
L'entrée du Roi dans la Capitale , au
milieu d'un Peuple immense , rassemblé
, sans tumulte , sur tous les lieux de
son passage , sa présence à l'Hôtel- de-
Ville , la nomination d'un Chefdistingué
( 65
au Commandement de la Milice Pari
sienne , le zèle sage , et l'activité non
interrompue des Assemblées de District,
la conduite vigilante de l'Hôtel-de-Ville
et la certitude du rappel de M. Necker,
ainsi que des autres Ministres éloignés ,
ramenèrent la sécurité.
Le dimanche suivant , S. M. rendit
le portefeuille des Affaires Etrangères
à M. le Comte de Montmorin , et nomma
M. le Comte de Saint-Priest , au
Ministère de sa Maison. Le Départer
ment de la Guerre et les Sceaux restèrent
vacans • et le sont encore,
Le Comité- Permanent de l'Hôtel-de-
Ville établit une Correspondance in,
time avec les 60 Assemblées de District ;
M. le Marquis de la Fayette confirmé ,
par élection , dans son emploi de Général
de la Milice Parisienne , lui donna une
forme provisoire qui maintenoit la tranquillité.
Des désordres déplorables affli ·
geoient quelques cantons voisins de nous ,
sans qu'on eût à se plaindre d'excès pareils
dans la Capitale. Toutes les précautions
furent prises et exécutées pour en assurer
les subsistances . Jusqu'aux Spectacles
publics avoient été rouverts , quoiqu'apeu-
près désertés ; la Bourse et les payemens
publics reprirent leur activité.
Mais il eût été surnaturel qu'une fermentation
, causée par des alarmes sirécentes
et par des mécontentemens si
longs , s'assoupît entièrement dans une
( 60 )
ville immense , sans ramener des incidens
fâcheux . Elle étoit entretenue par
une foule d'imprimés volans et calomnieux
, publiés sans noms d'Imprimeur ,
sagement proscrits , le 24 , par le Comité-
Provisoire de l'Hôtel - de-Ville ; et
où les bruits courans étoient transfor
més en vérités positives, ou en décotivertes.
De ce nombre fut celui que des
travaux exécutés & Montmartre , pour
occuper de pauvres ouvriers , avoient
été consacrés à la construction d'un che
min, destiné à faire monter du canon sur
cette butte , pour y placer des batteries ,
et foudroyer la ville . MM. les Officiers
Municipaux eurent l'attention de détruire
cette runieur , en publiant que la
route entreprise , étoit destinée à fa-"
ciliter le transport des farines , depuis
les moulins jusqu'au village de Montmartre
.
Au moment de la révolution du Ministère
, le 13 , on parla de M. Foulon ,
Conseiller d'Etat , comme étant désigné à
prendre place . On assure que ce vieillard
, âgé de 74 ans , avoit refusé ce dangereux
honneur. Quoi qu'il en soit , retiré
dans sa terre de Morangier , à quel-´
ques lieues de Paris , il crut nécessaire
à sa sûreté de se rendre , le 21 , au village
de Viry peu éloigné de Morangier.
Il y fut arrêté dans la nuit du 22 , par
un grand nombre d'Ha itans , et conduit
à l'Hôtel de-Ville , où il arriva vers les
( 67 )
trois heures du matin . A cette nouvelle ,
le Peuple se porta à la place de Grève ,
et d'heure en heure cette foule grosis-*
soit . Vainement , M. le Maire , beaucoup
d'Electeurs , et des Députations successives
, s'efforcèrent de calmer la multitude
; ellé demandoit avec fureur le prisonnier,
et força les barrières de l'Hôtelde-
Ville. Dans cette extrémité , et pour
gagner du temps , un des Electeurs proposa
de former sur-le-champ un Tribunal
, et de juger la victime . M. de la
Fayette , survenant , épuisa , durant une
heure et demie, toutes les ressources de la
persuasion pour désarmer la vengeance
populaire , en sollicitant que , conformé
ment à l'Arrêté des Electe rs, M. Foulon
fût conduit à la prison de l'Abbaye Saint-
Germain , qu'un Député de chaque District
y entendit ses dispositions , et que
des Juges nommés par l'Assemblée nationale
prononcassent le jugement. Toutes
ces démarches furent inutiles. On
arracha le prisonnier de l'Hôtel - de-Ville ,
on le traîna sur la place , il y fat pendu
à deux reprises ; sa tête et son corps ,
promenés dans les principales rues , firent
toute la soirée l'effroj des Citoyens,
compâtissans.
Pendant cette tragédie , on avoit le
jour même, arrêté à Compiègne, M. Berthier
de Sauvigny , Intendant de Paris,
M. Bailly et M. le Marquis dela Fayette
avoient chargé M. de la Rivière, un des
( 68 )
Electeurs , et 250 hommes , de conduire
içi en sûreté , ce prisonnier dont la multitude
exigeoit la détention . Afin de
prévenir qu'il n'arrivât de nuit , on expédia
l'ordre de le faire coucher au
Bourget ; mais la foule qui couvroit.
les rues et le chemin , ne permit pas au
Courrier de pénétrer jusqu'à l'escorte
de M. Berthier. A l'entrée de la ville
on brisa les côtés et l'impériale de sa
voiture ; il traversa toute la rue Saint-
Martin , à découvert , sans chapeau , ni
perruque. A l'Hôtel-de-Ville , il subit un
interrogatoire , et M. le Maire lui annonça
qu'il alloit être conduit aux prisons
de l'Abbaye. Sorti , avec sécurité ,
de l'Hôtel-de Ville , et sous une escorte , il
fut arraché des mains des Soldats , traîné
sur la place encore teinte du sang de
son beau-père , périt comme lui , et après
sa mort essuya un traitement , dont l'histoire
ne conservera que trop le souyenir..
Ces affreux évènemens , et l'annonce
de plusieurs listes de proscriptions , semèrent
une profonde alarme , et dictèrent
aux Assemblées de District une
Publication , par laquelle on invita
les Citoyens de tout état , à veiller sur
la sûreté et l'ordre public , à calmer les
esprits , et à se conformer à l'Arrêté de
l'Hôtel-de- Ville , qui enjoignoit la translation
des Accusés à la prison de l'Abbaye
Saint-Germain.
( 69 )
Depuis ces démarches , auxquelles on
ne sauroit donner trop d'éloges , le calme
a régné dans la Capitale .
Les 120 Députés nommés par les Communes
des 60 Districts de la Ville de Paris ,
se sont assemblés , le 25 , à l'Hôtel- de- ville.
Ils ont proclamé de nouveau , et d'après le
voeu manifesté par les délibérations de tous
les Districts , M. Bailly , Maire de la Ville , et
M. le Marquis de la Fayette , Général de la
Milice Nationale de Paris . Ces deux Chefs
civil et militaire , ont prêté le serment , et
MM. les Députés de la Commune leur ont
juré , au nom des Districts , de leur obéir dans
tout ce qu'ils leur commanderoient pour le
service public.
Cette Assemblée a arrêté ensuite que le Comité
provisoire , celui des subsistances , celui
des rapports , seroient composés des Députés
des Districts et des Electeurs qui avoient géré
jusques là les affaires de la Municipalité ; que
ces Electeurs , au patriotisme desquels la
Commune a de si grandes obligations , seroient
priés de donner leurs soins dans ces différens
Comités , jusqu'à ce que la Constitution
municipale ait été établie.
Seize Députés ont été adjoints à ces Comi
tés , et seize Commissaires chargés de s'occuper
d'un plan de Municipalité
M. Berthier de Sauvigny , veuf depuis
quelque temps , laisse 9 enfans. Dans
le nombre des personnes qui furent arrêtées
au milieu de ces jours effrayans ,
se trouvèrent M. le Marquis de Lambert
, ci-devant Membre du Conseil de la
Guerre reconnu sous un déguise(
70 )
ment , on le conduisit à l'Hôtel-de - Ville
où après une journée de détention ,
dut sa délivrance aux efforts de M. de
la Fayette . M. le Baron de Castelnau ,
Ministre de France auprès de la République
de Genève , et ayant une charge
chez M. le Comte d'Artois , fut aussi
arrêté dans une voiture de place, au bas
du Pont-Royal , et conduit , heureusement
pour lui , à l'Assemblée du District
des Petits-Augustins , qui le fit relâcher
pendant la nuit , après un interrogatoire.
Les papiers trouvés sur lui furent envoyés
à l'Hôtel-de- Ville , comme on l'a
vu à l'article de l'Assemblée nationale.
-Les scènes du mercredi inspirerent
un nouvel effroi , lorsqu'on apprit le
lendemain que M. Bailly et M. de la
Fayette insistoient sur leurs démissions.
Les instances des bons Citoyens et le
voeu de la Commune , prévinrent l'effet
de cette résolution , et l'on fut tranquillisé
le vendredi , en apprenant que la
retraite de ces deux Chefs n'auroit pas
、lieu .
1
On travaille sans relâche à la démolition
de la Bastille . Les registres , livres ,
papiers qui y étoient renfermés , ayant
été pris et dispersés à l'instant de la conquête
de ce lieu d'horreur, le Comité- Provisoire
a exhorté les possesseurs de ces
dépouilles curieuses , à les rapporter au
dépôt qui en a été fait à l'Hôtel-de - Ville.
Nous en avons vu quelques fragmens.
( 71 )
On connoissoit déja le seul document
'qui existât à la Bastille , touchant le fameux
Masque de fer , ainsi il n'apprend
absolument que ce qu'avoient
publié le P. Griffet , Voltaire etc. On
ne tirera à cet égard aucune lumière
du dépôt de la Bastille ; ce secret est ,
depuis quelques années , entre les mains
d'une personne , qui le publiera avec les
reuves justificatives.
De Bruxelles , M. Necker étoit passé
à Francfort- sur- le- Mein , d'où il avoit
pris la route des bords du Rhin , pour se
rendre à Basle , et de là à sa terre de
Copet , à deux lieues de Genève. C'est
a Basle où il apprit l'évènement de son
rappel ; une indisposition et le besoin
de repos l'ont obligé de suspendre son
retour , qu'on attend dans le courant de
la semaine ( 1 ).
LETTRE AU REDACTEUr.
" MONSIEUR ,
" On lit, dans un Ouvrage qui fe diftribue par
feuilles , fous le titre d'Affemblée Nationale , que
lorfque les Députés de la Nobleffe de Bordeaux
ont demandé une exter fion de pouvoirs , une
partie de certe Nobleffe a faifi cette occafion pour
nommer de nouveaux députés. Rien n'est moins
exacte, Voici les faits : La Nob'effe de Bordeaux
ayant arrêté de donner des pouvoirs Impératifs ,
plufieurs Gentilshommes proteftèrent contre un
pareil mandat , & s'affemb'èrent fous la Préfidence
du Sénéchal . Chaque Parti nomma des Députés.
Cat entre ces deux Députations que l'Affèmblé :
(1 ) Il est arrivé le 28 à Versailles.
( 72 )
Nationale a prononcé en faveur de la première ;
mais la feconde réclame encore. Elle foutient que
le droit de repréfentation ne peut pas être ôté à
des Citoyens qui ont défendu les principes conf
titutifs de l'Affemb'ée Nationale , & qui ne pouvoient
pas concourir à la première Election , fans
trahir ces principes & leur ferment , & elle oppofe
aux nouveaux pouvoirs , que l'Affemblée qui
les a donnés , a été cor.voquée d'une manière irrégulière,
partielle &contraire au Règlement de S. M.
» Je vous prie , Monfieur , de vouloir bien
inférer ma Lettre dans votre Journal. Il eſt effentiel
, dans un moment auffi intéreſſant pour la
Nation , que les faits foient exactement confignés
dans les dépôts que l'Hiftoire confultera un jour. »
J'ai l'honneur d'être , &c.
DE LADEBAT ,
Commiffaire de la Nobleffe de Guienne , qui
proteſté contre les Pouvoirs Impératifs .
Pars , 23 Juillet 1789.
Autre Lettre au Rédacteur.
Versailles le 22 Juillet 1789.
» Vous avez , Meffieurs , par erreur , annoncé
dans le N°. 30 du Mercure qui a paru ' e ri Juillet
dernier , à la page 63 , que « le Baron de Cernon ,
» Député de la Nobleffe de Châlons - fur- Marne ,
" a proteſté contre les Délibérations qui fero ent
» prifes par l'Affemblée Nationale , jufqu'à ce
» qu'il ait reçu de nouveaux Pouvoirs » le fait
eft que je n'ai jamais proteſté , ni eu intention de
le faire ; & que re croyant pas avoir befoin de
nouveaux Fouvoirs , j'ai , dès le jour de la réunion ,
pris voix délibérative à l'Aflemblée Nationale. »
« J'ai l'honneur d'être , & c.
le Baron DE CERNON ,
Député de la Nobleffe du Bailliage de
Chaalons-fur-Marne,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 AOUT 1789.
UN
AVERTISSEMENT.
-
N nouvel ordre de chofes nécefite pour nous
une innovation dont nous devons prévenir le Public.
Dorénavant les Morceaux inférés dans ce
Journal ne feront plas cenfurés , & par - là nous
efpérons qu'il acquerra un nouveau degré d'intérêt
& d'utilité ; mais chacun dès lors étant devenu
fon propre Cenfeur , ou les noms fignés au bas
feront connoître les Auteurs de chique Morceau ,
cu M. IMBERT , en qualité de Rédacieur , répondra
des Articles anonymes , étant cenfé l'Auteur
de ces Articles , ou pouvant en déclarer les
Auteurs (1 ).
Les circonfiances actuelles nous prefcrivent encore
un autre changement. La partie Politique
ayant pris aujourd'hui un intérêt prédominant
nous avons cru devoir l'augmenter, au befoin, d'une
feuille, quelquefois d'une feuille & demie, & même
deux feuilles. La première feuille fera prife fur la
partie Littéraire.
Cette augmentation de la partie Politique n'aura
lieu que pendant la tenue de l'Affemblée Natio-
(1 ) Les Articles , quand les Auteurs le délireront , feront
imprimés anonymes ; mais on n'en inféreta aucun
que l'Auteur L'ait figné fon Manufcrit.
Nº . 32. 8 Août 1789.
C
So MERCURE
nale , & cominence avec cet Ordinaire du Mercure
Cet arrangement devenoit néceffaire pour ne pas
augmenter le prix de ce Journal ; il nous étoit
aufi preferit par l'étendue que nous donnons aul
Journal de l'emblée Nationale , dont nous embraffons,
à la fois , les débats & les réfolutions ,
les difcours & les documens fondamentaux. Tous
les autres Articles du Journal Politie participeront
aux avantages de la liberté qui nous eft
rendue. L'Article de France en particulier prendra
un tout autre caractère , & nous ne ferons plus
obligés d'en puifer les nouvelles dans les Gazettes
Etrangères pour les imprimer féparément : il fera
ncurri de tous les faits qui pourront intereffer les
Soufcripteurs.
M. Mallet du Pan , Citoyen de Genève , eft
feul Auteur de toute la partie Politique ; M. Framery,
des Articles du Concert Spirituel, de l'Opéra,
du Spectacle de MONSIEUR , Frère du RO1 ;
M. de Charnois, de la partie des Comédies Françoife
& Italienne.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE .
LE LAURIER REMPLACÉ PAR LE LIS.
Parodie du Myrte remplacé par la Rofe ,
Pièce de Vers qui a paru cette année dans
le N° . 27.
3 PLEUREZ , Héros ; pleurez , Phébusg
Hélas ! votre Arbrifleau n'eft plus!
DE FRANCE.
Les bofquets de Délos ont perdu leur parure.
L'Hiver nous a ravi le Laurier d'Apollon ( 1) ;
Dans les champs des Fra . çois il reſte fans verdure.
Quand du fage Necker il couronnoit le front ,
On crat que des frimas il braveroit l'injure ;
Vain efpoir ! il flétrit à côté des Vertus ! ...
Quelprix, quelle couronne au Guerrier magnanime
Offrira déformais la Gloire qui l'anime ! ..,
Pleurez , Héros ; pleurez, Phébus ;
Hélas ! votre Arbrifleau n'eft plus !
DANS la lice éclatante où le jeune Poëte ,
D'un Luth harmonieux fait retentir les fons ,
Vainement il attend le prix de fes chanfons ;
Il n'eft plus de Laurier pour couronner la têţe...
Pleurez , Héros ; pleurez , Phébus ;
Hélas ! votre Arbriffeau n'eft plus !
Les palmes de l'honneur , fymboles de la gloire ,
D'un louable déûir n'enfilament plus nos coeurs ;
Apallen a briſé les pipeaux enchanteurs ,
Et Mars même aux combats dédaigne une victoire
Théatre des Vertus , école des Beaux- Arts ,
O France , quelle nuit aujourd'hui t'environne !
Ton Idole n'eft plus ; & fous les étandards
J'entends rugir en vain la fanglante Bellone....
Pleurez , Héros ; pleurez , Phébus ;
Hélas ! votre Arbriffeau n'eft plus !
(1 ) Tres- peu de Lauriers ont réûîfté à la rigueur des froids
qu'il a fait cette année.
Cz
MERCURE
MAIS quel beau jour renaît ! ... Quelle Déité fage
Frappe de fes rayons nos regar.is éblouis ! ..,
Le règne de Bourbon eft la gloire du Lis :
Sur la tête chérie il étend fon feuillage ....
Chantez , Héros ; chantez , Phébus ;
Le Lis a remplacé le Laurier qui n'eft plus ,
( Par un Abonné. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Cordon ; celui
de l'Enigme eft Fleur de Lis ; celui du Logogriphe
eft Forêt , où l'on trouve Fer
Or, Et , For, Fret , Rot , Ré, Fort,
Louis,pour
CHARADE,
fes Sujets , veut toujours mon premier,
Qui n'eft cher à fon coeur que joint à mon dernier ,
Pour répandre fur cux fans ceffe mon entier,
(Par M. le Mqs. de la Parterie, )
ÉNIGM E.
JEE ne fuis pas un être d'importance
Chacun auffi fe fert de moi ;
DE FRANCE. 53
De très-près j'approche le Roi ,
Ainfi que gens de grande conféquence ;
L'homme de robe , l'Avocat ,
Le Financier , le Magiftrat ,
La Prude , ainfi que la Coquette ,
Le Valet , comme la Soubrette ,
Me mettent tous au même emploi 3
Et tel qui me mépriſe
Et fait très-peu de cas de moi ,
Ne me quitte pourtant pas plus que fa chemife ,
Et s'il ne m'avoit pas , feroit très malheureux ,
Seroit même , en ce cas, regardé coinme un gueux,
Je repofe la nuit fur le fein d'Ifabelle ,
Par-tout j'accompagne les pas.
Tu vas, pour me trouver , démonter ta cervelle
Ne cherche pas fi loin , je fuis entre tes bras.
( Par M. l'Ab. Duboy, Etudiant . )
LOGOGRIPHE.
QUOIQU'A UOIQU'AYANT quatre pieds , Lecteur , je fuis
bipède ,
Et de tout temps je fus du genre féminin ;
Retranches-tu mon chef, je fuis un quadrupède ,
Et je me trouve alors du sèxe mafculin.
(Par M. J. S. C. H. R. )
C 3
$4
MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SERMONS de feu M. DE GERY , Chanoine
regdier , ancien Abbé de Sainte Génevieve
, & Supérieur Généra de fon Ordre
en France. 6 Vol. in 12. A Paris , chez
Méquignon l'aîné , Libraire , rue des Cof
deliera
Les Hommes de génie éprouvent louvent
dans leur jeuneffe une impulfion qui
détermine la carrière où ils doivent entrer,
& qu'ils font deftinés à parcourir avec
gloire. M. de Géry , né avec les vrais ta
Jens qui conftituent l'Orateur , ne put réfifter
au pench et qui le portoir à annoncer
la parole de Dieu. Avant d'être élevé au
Sacerdoce , il monta plufieurs fois en chaire,
& les fruits qu'il obtint de fes premiers
travaux préfageoient la moiffon abondante
qu'il devoit recueillir. Bien différent de ces
hommes qui , éblouis de kurs premiers fuc
cès , s'enivrent des applaudiffemens du
Public fans faire de nouveaux efforts pour
s'en rendre dignes , & en qui la confiance
prévient le merite au lieu d'en être l'effet ,
M. de Géry fe déroba pendant quelque
temps aux louanges & aux acclamations ,
pour apprendre à les mieux mériter .
DE FRANCE.
Voyant que la Providence l'appeloit au
Ministère Evangélique , il ſe livra à l'étude
la plus féricufe & la plus approfondie de
P'Ecriture Sainte , de l'Histoire Eccléfiaftique
, & des Pères. C'étoit dans ces fources
pures & fécondes, peut - être trop négli
gées de nos jours , qu'il puifoit les fubli
mes vérités dont fes Difcours étinc . ilent.
L'Ecriture Sainte lui étoit fi familière , que
les penſées qu'elle renferme ſe préfentoient
en foule à fon efprit dans la compoſition ;
aufli peut-on regarder les Sermons comme
une expofition. de la Doctrine Chrétienne
revêtue des preuves les plus folites & les
plus convaincantes.
Avant de compoſer un Sermon , M. de
Géry méditoit long temps la mière qu'il
devoit traiter. Intrépide Défenfeur de la
téité , il préféra toujours la force du rajfoanement,
la folidité des preuves , aux dehors
brillans & affect is de l'éloquence , qui,
flon lui , n'étoient propres qu'à dégrader
la majeft & affaiblir la force de la parole
divine . Le plan de fes Difcours eft admirable
par l'ordre , la clarté & la ne te é qui
y règnent ; fes divifions découlent naturelfement
de fon textc ; une diction pure &
une noble fimplicité tonjours foutenue , ca-
Factérifent fon ftyle. Les fajets que traitoit
Orateur exigeoient - ils plus d'élévation
alors les mouvemens d'une éloquence vive
& animée fembloient fe préfenter d'euxmêmes
fous fa plume.
C 4
56
MERCURE
Les bornes que nous nous fommes prefcrites
, ne nous permettant pas un grand nombre
de citations , nous nous bornens au morceau
fuivant. Dans le Panégyrique de Saint-
Louis , voyez avec quelle rapidité le pinceau
de l'Orateur trace les troubles qui agiterent
la minorité de ce Prince.
ود
ور
.... >
» Louis étoit à peine monté fur le trône
» de fes pères , lorfqu'un orage furieux
» vint fondre fur lui . Les grands vaffaux de la
» Couronne .. A ces mots Vous vous
rappelez , Meffieurs , l'état où la France
» étoit alors ; vous vous fouvenez que ce
Royaume dont toutes les parties font aujourd'hui
fi unies fous l'autorité d'un
feul Monarque , & qui trouve dans cette
» Conftitution le principe de fa tranquillité
au dedans , & de fa puiffance au
dehors , étoit alors divifé en autant d'Etats
différens , qu'il avoit de Provinces ; que
» les Comtes & les Ducs , autrefois Mi-
» niftres du Souverain , en étoient devenus
» les dangereux rivaux ; qu'ils ne recon-
19
"
noiffoient plus fon autorité fuprême que
» par la vaine cérémonie de l'hommage
» & par des fermens autant de fois viclés
" que l'intérêt ceffoit de les déterminer
à les obferver , ou la force de les y contraindre.
Ces vaffaux donc , trop puiffans
pour être long - temps fidèles , portoient
impatiemment ce qui leur reftoit
» de joug & de dépendance . Quelle oc-
» cafion de le fecouer entièrement , que
י נ כ
DE FRANCE. 57
» le règne d'un Prince de douze ans , &
» la régence d'une femme étrangère ! C'en
» eft fait , le feu de la difcorde & de la ré-
» volte s'allume dans tout le Royaume ;
" une ligue formidable fe forme en ap-
"
23
parence contre Blanche de Caftille , &
." en effet contre Louis lui - même. Fac-
» tieux par inclination , plus encore que
» par intérêt , aufli redoutable par fa valeur
& fes artifices , que par fes richelles
» & fa puiffance , le Comte de Bretagne
fe déclare le Chef de ce parti : le fier
Lufignan , l'ambitieux Couci , y joignent
» toutes les forces de leurs vaftes demaines.
Profane adorateur des charmes de
la Reine , le Comte de Champagne tourne
en haine & en fureur l'amour infenfé
» qu'il a eu la hardieffe de déclarer , &
» le chagrin de fe voir méprifer. Tout eft
» dans le trouble , tout eft en armes ; la
» Régente eft prête de fe voir arracher
les rênes du Gouvernement ; la couronne
» même femble chanceler fur la tête de
" fon fils. Mais c'eft en vain , Meffieurs ,
» que les Princes & les Peuples confpirent
» contre le Seigneur & contre le Chrift :
» celui qui habite au plus haut des Cieux ,
» fe rit de leur fureur impuiflante ; il diffipe
leurs complots , il fait évanouir leurs
» projets. Et de quel moyen fe fert- il pour
» ce grand ouvrage ? Il donne au jeune
» Louis & à fa pieufe mère , l'efprit de
» confeil & de force. A peine les factieux
»
"
"
CS
18 MERCURE
"
"
"
» ont ils formé les noeuds criminels qui
» les uniffent , & déjà.Louis eft à la rête
» d'une puillante armée dans le coeur de
❞ la Champagne : ni la foibleffe de fon
âge , ni les rigueurs de l'hiver ne font
capables de l'arrêter ; fe montrer &
" vaincre c'est pour lui la même chofe.
Déjà il muche à de nouvelles conquê-
" tes , & le Comte de Bretagne le voit
" voler avec la rapidité, d'un éclair aux
" portes de fes fortereffes , dans le centre
و ر
و ر
de fes Etats. Tout plie , tout cède à ce
" jeune Héros , que le Ciel protège d'une
» manière fi fenfible , & fes ennemus épou-
» vantés fe croient trop beureux de rece-
» voir le pardon qu'il leur accorde. Tels
» furent les premiers triomphes de Louis ,
tels furent , pour ainfi dire , les jeux de
fon enfance ".
M. de Géry nommé à la Priorature &
à la Cure de Saint- Léger de Soiffons , feconda
le zèle & s'acquit l'eftime de M. de
Fitz-James , qui favoit apprécier le mérite ;
fut aimé & refpecté de fes Paroifliens , à
qui il diftribuoit avec foin le pain de la
parole. Après la mort de get luftre Prélat
, M. de Géry quitta Soiffons pour aller
prendre poffeffion de la Cure de Saint-
Irénée de Lyon. M. de Montazer lui donna
plufieurs fois des marques de la plus grande
Corfiance. vouloit l'attacher pour toujours
à fon Diocèfe par des liens honorables
; mais M. de Géry , fidèle à la ConDE
FRANCE. 59
grégation , refufa des dignités qui auroient
pa l'en détacher , & fut obligé de fe rendre
aux voeux de fes Confrères, qui le défignoient
déjà pour remplir les premières places de
fn
n Corps. Nommé à l'Abbaye de Sainteineviève
, fon zèle pour la gloire de Dieu ,
efon amour pour les pauvres , qu'il a fait
é later fouvent en prêchant dans des
allemblées de charité , lui faifoient trouver
malgré les foins qu'exigeoit la place qu'il
occupoir , le temps néceffaire pour vaquer
à la prédication . Il a paru avec le plus
grand éclat dans les chaires de la Capitale ,
qu'il avoit fait rérentir autrefois des faintes
vérités qu'il ne ceffa d'annoncer. L'auditoire
nombreux & éclairé qui accouroit à fes
Sermons , ne ceffoit de bénir M. de Beau
mont & fon digne Succeffeur , qui avoient
follicité ce: Orateur vraiment apoftolique
de rentrer dans une carrière dont les affaires
& fes occupations fembleient l'éloigner.
Un extérieur noble & impofant , tempéré
par un air de douceur, méritoir à M.
de Géry , dès le premier abord , l'efine &
la confiance de ceux qui l'ap rochoient.
Il a fait pendant fa vie , la gloire , l'ornement
& le bonheur de fa Cong : égation,
Sa mort y a exciré les regrets les plus vifs ;
rien n'étoit au deffus de la bonte de fon
efprit , que celle de fon coeur.
съ C 6
60 MERCURE
PLAN d'une Reftauration générale dans
les Finances ; de l'Impôt Territorial combiné
avec les principes de l'Adminiftration
de Sully & de Colbert , adaptés à
la fituation actuelle de la France ; 1
M. le Comte DE LAMERVILLE. I Vol.
in-4°. A Strasbourg , de l'Imprimerie de
Volland & Jacob ; & fe trouve à Paris ,
chez les Marchands de Nouveautés.
"2
QUELS font les motifs de l'Auteur ? Il
fuffit de lire fon Etre dédicatoire au Roi.
» Il s'agit , Sire , de la plus grande profpérité
de votre Royaume : il s'agit d'im-
» mortalifer votre règne en rendant vos
peuples heureux «. C'est donc le bonheur
du peuple qui infpire M. de Lamerville
! Ce motif mérite toute la bienveillance
poffible , & l'eftime des François..
Comment veut- il procurer ce bonheur ?
Ecoutous le lui - même .
و د
כ כ
ور
-
-
ود
L'adminiſtration
des Financés , dit - il , abandonnée
» depuis un fiècle aux variations de fes
" différens fyftêmes , n'a éprouvé que des
changemens continuels qui ont porté le
plus grand préjudice aux affaires publiques
. On n'a embraffé aucun plan fixe .
" On a négligé les vraies refiources qui ap-
» partiennent à tous les peuples agricoles
, & qui font de tous les temps ,
و ر
و د
30 territoire «.
le
M. de Lamerville a été déterminé à entreprendre
fon travail , par feu le Maréchal
և
DE FRANCE.
61
du Muy , qui lui avoit remis les Mémoires
fecrets de Mgr. le Dauphin ; on fait que
ce Prince s'étoit occupé de l'adminiftration
des Finances. Ces Mémoires , fortis d'une
main auffi refpectable , ont dirigé M. le
Comte de Lamerville. Quand on faura
qu'un Autographe auffi digne de croyance
a attiré des délagrémens à l'Auteur , on en
fera un peu étonné : Sous l'Adminif-
" tration qui a fuivi , dit l'Auteur ,. on a
déployé un fyftême fi oppofé à l'ordre
" & à l'économie , qu'on a cru devoir at-
» jendre l'épuifement des moyens qu'on
employoit , & la néceffité qui commande
» à tout , pour pouvoir mettre au jour ce
plan d'adminiſtration.
و د
"
"
"
ور
- })
" Dans l'état actuel des chofes , c'eſt à
» un Ministère éclairé & pénétré du bien
public , à difcerner les bonnes opérations,
» pour les adopter & les appliquer au rétabliffement
des Finances. Mais c'eft à
» ceux qui les ont méditées pendant vingt
» ans , qu'il appartient de s'en conferver
» l'honneur , en les préfentant aux diffé-
» rens Ordres de l'Etat , pour prononcer
» fur leurs principes & fur leurs effers ".
و د
Après avoir expofé les motifs de l'Auteur
, il fetoit néceffaire de développer fes
projets de réforme avec une forte d'étendue
; mais les bornes de ce Journal nous
forcent de renvoyer à l'Ouvrage méme.
M. de Lamerville s'exprime avec précifion
, clarté , & avec une certaine franchife
qui fait honneur à fon coeur. Ses
62 MERCURE
expreffions font généralement modérées
& les vûss fages & douces .
MÉMOIRES du Comte de Hordt , Gentil
homme Suédois , Lieutenant- Général des
Armees de Sa Majeflé Pruffienne , écrits
par lui-même. 2 Pol. in- 12 . Frix , 3 l.
"br. Le même in-8 “. papierfin , 6 liv. A
Faris , che Briand , Lib. Hôtel de Vil
liers , rue Pavée -St-André des Arts.
* こ
Le Public , trop fouvent trompé fur ces
fortes d'Ouvrages , mettroit fans doute , s'il
n'étoit prévenu , au nombre des Memoires
romanefques , ceux da Comte de Hordt :
cette mihance paroît d'autant plus légitime ,
que fous le nom de témoires , on lui a
plus d'une fois préfenté des fables , que
felprit de 1 Auteur avoit cru , pour ain
dire , réalifer par l'orgueilleufe confiance
où il étoit de tromper les Lecteurs. Mais
la vérité perce toujours pour le faire place
à travers le menfonge , de fre que les
prétendus Mémoirs qu'on offre d'abord
avec tant d'emphale & d'oftentation , font
claffes au nomore des Romans , & perdent
ainfi tour lear innrê & leur plus grand
mérite : ceux du Cmte de Hordr portent
avec eux l'empreinte de la vérité ; il y ra
conte avec toute la fimplicité & la naïveté
qui caractérifoit fon ame les divers évè
nemens de fa vie .
Le Comte de Hordt rapporte des AnecDE
FRANCE.
dores piquantes & inconnues fur les guerres
de 1744 & 1757 , fur la révolution de
Rufe en 176: ; & ces traits font d'autant
plus intéretfans , qu'ils jettent le plus grand
jout fur une partie de l'Hiftoire de France ,
de Prule , de Ruilie , & de Suède. ·
Les ami de Thumanité verront avec
platir ce Guerrier philanthrope réparer ,
autant qu'il étoit en lui , les défaftres de
la guerre , elfuyer les pleurs du malheureux
Cultivateur , confoler les familles ruinées
par le ravage des troupes , les protéger
, les foulager , & éviter les horreurs de
la dévaftation ; ils le verront entrer jevne
& prefque enfant dans le fervice , pour s'accoutumer
de bonne heure à la fubordination ,
& fentir plus vivement cette importante
vérité , que la naiffance n'eft jamais un
titrè fuffifant pour fuppléer le mérite . Enfin
on le verra parvenir à un grade militaire
des plus diftingués , & par conféquent
en butte à la jaloufie & à la haine.
Hs verront enfin un grand homme & un
grand homme vertueux dans une horrible
prifon , plongé dans la plus grande misère ,
privé de toute confolation a rès avoir luimême
nourri les malheureux , confolé les
affis , & après avoir rendu les plus grands
fervices à l'Etat & à fes tyrans. Un pareil
fpectacle laifferoir le Lecteur dans des fentinens
d'indignation , s'il ne voyoit le Comte
rentrer dans le fein de fa famille & de fes
amis.
.
64
MERCURE
VARIÉTÉ
S.
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
MONSIEUR ,
J'AI lu dans le Journal de Paris , du Bé
cembre 1788 , des Obervations fur l'ancien Paris
, extraites de la vie de Clovis le Grand , par
M. Viallon , Chanoine Régulier , & Bibliothé
caire de Sainte- Geneviève ; je ne puis qu'applau
dir aux éloges mérités qu'on y donne à cet Ouvrage
, dont j'ai l'honneur de connoître l'Auteur ;
mais les fentimens d'efime que m'infpire fon
mérite littéraire , ne m'ôtent pas le droit de relever
quelques légères erreurs qui lui font échappées.
1º. Il affure pofitivement que l'Empereur Julien
II a fait bâtir le Palais des Thermes ; cette
affertion n'eft appuyée que par la tradition populaire
, & on peut lui oppofer l'autorité d'un Savant
Antiquaire , M. le Comte de Caylus , qui
penfe que cet édifice eft antérieur à l'arrivée de
Julien à Paris , quoiqu'il ait pu être occupé par
cet Empereur , pendant fon féjour dans cette
ville (1).
J'ai cru y remarquer le goût d'Architecture
du fiècle de Gallien , & beaucoup de
rapport avec la conftruction de l'Amphitheatre de
Bordeaux , ce qui pourroit faire foupçonner qu'il
a été bâti du temps de Poftume, Tyran qui régna
fept ans dans les Gaules , & qui choifit Paris
pour le lieu de fa réfidence . 2 ° . Il penfe , avec
-
(1) Antiquités Gauloiſes. Toin . 2 , planche 9.-
DE FRANCE
૬
plufieurs autres Etymologiftes , que les Parifiens
& la ville de Paris ont pris le nom de Parifii ,
parce qu'ils avoient été long-temps fous la domination
des F'rêtres du Temple d'Ifis , fitué , à
ce que l'on croit communément , à Ify près Vaugirard.
Ce n'eft point par la feule inſpection
du nom de Paris , ou par la décompofition arbitraire
, qu'on peut parvenir à découvrir la vraie
origine ; il faut y joindre fes rapports avec la
fituation de cette ville , avec les armoiries , avec
la Divinité Païenne qui en étoit regardée comme,
la Patronne ; tous ces objets étant ordinairement
réunis chez les Anciens. Comme elle étoit fituée
dans une ifle ( 1 ) , lieu favorable à la ravigation ,
elle prit pour fymbole un vaiffeau , & pour Déeffe
tutélaire , If , Déefle de la navigation , & ce
vaiffeau , fut le vaiffeau même d'lfis , fymbole de
cette Divinité ( 2 ) le nom de ce vaiffeau devint
également le nom de la ville ; il s'appeloit
BARIS , & avec la prononciation forte du nord
des Gaules , PARIS , tout comme TOURS ,
vient de DOUR , tout comme on a dit indifféremment
Parifate & Barifate : on pourroit citer inille
exemples de changemens pareils d'intonations for
tes & foibles , mifes fans ceffe les unes pour les
autres. C'eft en faveur de cette même Ifis
:
que les
(1 ) Appelée encore aujourd'hui l'ifle du Palais , ou la Cité.
( 2 ) Les Germains adoroient fis fous la forme d'un
vaiffeau : Sigrum ipfum Ifid's in modum liburnæ figuratum
(Tact. de "Morib. Germanor. ) Les Egyptiens célébroient
au mois de Mars , une fête annuelle en l'honneur du vaiífeau
d'Ifis ; cette fête paffa chez les Grecs ; les Corinthiens lui
confacrèrent un temple fous le nom d'ifi Pélagienne ;
le vaiffeau facré de Minerve qu'on faifoit paroître aux
grandes Panathénées , n'étoit qu'une repréſentation de celui
d'fis Les Romains célébrèrent audi cette fête . Peregrinaque
facra , natalem Herculeum v . raris tficca ( Aufonius ) .
Les Anciens faifoient voyager le Soleil dans un vaiſſeau ,
& cet emblême convenoit très - bien à Ifis , four & femme
d'Ofiris qui étoit le Soleil.
66 MERCURE
Druïdes s'étoient placés dans ce lieu. Les iffes
furent toujours choifics dans l'Antiquité , pour être
le fanctuaire des grandes Divinités Nationales.
Dans celle-ci étoit peut - être le Temple d'Ifis , fur
les ruines dequel fut élevée l'églife de Notre-
Dam ( la Cathédrale ) , quoique Dom Martin ( 1 )
& plufieurs autres Hiftoriens aient perfé que co
Temple avoit été fitué à Iffy Là , fe célébroit ,
dans le mois de Janvier , fa fête appelée , chez
les anciens Peuples , l'arrivée d'Ifis ( 2 ). 3 ° . Il
penfe que le nom de Lutetia , ou , par corrup
Luckoretia , vient du grec Lukos , bois
facré , mot adopté par les Poëtes Gres & Latins
, Le nom Gaulois de Lutèce , Lutetia , ville
fituée dans un ifle , ne doit pas le tirer du grec ,
Langue bien moins ancienne ceffe des Čeltes
qui ont été les premiers habitans de l'Europe
tion >
que
n'a point de rapport avec le mot Lukos , bois ;
il faut en chercher l'étymologie dans la Langue
Celtique , qui a été le berceau du grec & du la-
En. Lo & lu , dans cette Langue , out figaifié
les caux & les rivières ; de là , le nom de la lumière
, matière fuide , & les mots latias Luftrare
& Luere. Le mot tec a fignifié dans le même
idiome comme en grec , Abri , couvert , d'où le
tectum des Latins . Lutetia fiznifie donc mot a
mot un lien défendu par les eaux ; pouvoiton
mieux défigner une ville bâtie dans une ifle
qu'on avoit choifie pour le fan&tuaire d'Ifis , &
qui ne refifta aux efforts de Labienus , Lieute
nant de Célar , que par l'avantage de fa fitua-
,
Religion des Gaulois.
(1 ) M. Viallon n'a point parlé d'une ftatue d'ifis qui
étoit placée autrefois dans l'égfe Saint Germain- des Prés ,
à Paris , que M. Bricoanet , Evêque de Meaux , fit ôter en
1514. I ne dit point auf que la ville de Meluns'étant cone
facrée au culte de cette Dieffe , changsa fon nom Me
lodunum en celui d'¡fie.
DE FRANCE. 67
སྙགས
-
tion ? Le nom de Lachoretia ne doit point étre
regardé comme corrompu , puifqu'i ! fe trouve
non eu ement dans Strabon Aszorozía , ( Geogr.
Lib. 4 & dans Pelémé λouxorexia , ( Geograph,
Lib. 2 ) , mais même fur des médailles gauloifes
autonomes , publiées par B- uterone , far lefque les
on lit LEVCOT , & fu; d'autres LucOT. Le Locus
Locoticius où , felon un ancien titre Childebert
fina l'églife de Saint - Vincent , & le
Collis Leucutitius , fur laquelle fut lâtie l'ancienne
Bafilique de Saint- Pierre & de Saint- Pani ( aujour
d'hui Sainte- Geneviève ) , ont un rapport de dénomination
avec le nom de Leucothetia , & il eft
étonnant que M. Vialion n'en ait pas parié,
4. Il dir que le Gaulois alloient facrifier dans
ce bois facré à Efus ou Ifis. - C'est une erreur
bien grande. Efus & lfs font deur Divinités abfolument
différentes . Efus étoit le Dieu qui préfidot
dans la Théogonie des Gaulois , à la conpe
du gui de chêne ; il eft repréfenté avec une ferpette
à la main devant un marbre , fur un las- rehief
trouvé dans les fondemens de la Cathédrale
de Paris en 1711 ; on y lit le nom d'Ef . M.
Eccard penfe que c'eft un Prêtre d'Efus ou Drde
qui coure le gui , auquel il donne le non même
d'Efus. Quelques Auteurs ont penfé que ce Dieu
étoit le Mars Gaulois ; ma's l'Abbé Banics & Dom
Martin croient avec plus de fondement , qu'Efus
fignifie le Dieu par excellence , le Dieu inconnu.
1. Tout ce que dit M. Viallon des embelliffemens
ajoutés à Paris & de fa réélification par
Céfar , qui , felon lui , y fit bâtir un Palais pour
le Proconful , ne fe trouve point dans les Commentaires
de cet Empereur ni dans aucun Auteur
ancien. 6º . On peut ajouter à ce qu'il dit
armes de cetre ville, qu'elle avoit , du temps de
Tibère , une Magiftrature de Navigateurs de la
des
"
68 MERCURE
Seine ( 1 ) , certainement bien plus ancienne que
cet Empereur , & d'ou dérivèrent les beaux droits
du premier des Echevins , & fon titre d'Amiral- :
car M. le Roi & Dom Felibien penfent qu'on
doit entendre par le Naute Parifiaci de l'inf
cription antique trouvée en 1711 , le Corps des
Négocians , & non la Communauté des Matelots
de Paris ( comme l'a dit M. Viallon ) . J'ai dans
ma Collection une petite pièce de métal circulaire
, qui porte l'empreinte d'un navire , emblême
de la ville de Paris ; cette pièce intéreffante a
été trouvée , en ma préfence , fous le pavé d'un
baffin antique en mortier des Romains , déterré
dans le jardin du Palais Royal en 1781 .
J'ai l'honneur , & c .
BOURIGNON , Membre de pluf. Acad.
Nationales & Etrangères , & Rédac.
du Journal de Saintonge.
Le prix de l'abonnement pour ce Journal , qui
paroît toutes les femaines , eft de 8 liv . par an ;
le Bureau eft rue de la Souche , à Saintes. Il faut
affranchir le port des Lettres & de l'argent .
ANNONCES ET NOTICES .
ABRÉGÉ de l'Histoire Sainte & Ecclefiaftique , à
l'ufage des Elèves de l'Ecole Royale Militaire
faifant partie du Cours d'Etude , rédigé & imprimé
par ordre du Roi ; 2c. Partie . Abrégé de l'Hif-
( 1 ) La Seine dont les eaux coulent avec tant de lenteur
& font tant de détours , qu'on diroit qu'elles ont
peine à quitter l'ifle de France , fut bien nommée par les છે
Gaulois , Sehen & Sehan , prononcés par les Latirs Sequan ,
mot qui fignifioit lent , pareffeux ; les Latins en ont fait
fegnis , pareffeux ; & les Gaulois , fen , lent.
DE FRANCE. 64
toire Eccléfiaftique , in- 12 . Prix , liv. 15 f. rel.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Lib . rue du Jardiner
St-André-des -Arts .
Sainte Bible , traduite en françois , Tome se.
& dernier du Nouveau - Teftament. A Nifies ,
de l'imprimerie de Pierre Beaume .
Cette entreprife cft enfin terminée ; & elle attefte
autant le courage que le défintéreflement de
[ Editeur. M. Beaume, connu par d'autres Editions
juftement accueillies du Public , annonce qu'il
vendra féparément le Nouveau - Teftament aux
perfonnes qui ont les anciennes Editions , où il
ne fe trouve point,
Caufes célèbres & intereffantes , avec les Juges
mens qui les ont décidées , rédigées de nouveau
par M. Richer , ancien Avocat au Parlement,
Tomes XXI & XXII . Prix rel . 6 livres. A Paris
chez Leclerc, Libraire, quai des Auguftins ; veuve
Defaint , rue du Foin ; Durand fils , rue Galande ;
Moutard , rue des Mathurins ; Bailly , rue Saint-
Honoré; & Belin , rue St-Jacques .
Confidérations fur la Procédure Criminelle , par
M. Pagano , Profeffeur Royal de Droit Criminel
en l'Univerfiré de Naples ; Ouvrage traduit de
I'Italien , & dédié à MONSIEUR , Frère du ROI ,
par M. de Hillerin , Ecuyer, Avocat en Parlement .
Commis du Département de la Guerre , Affocié-
Correfpondant da Mulée de Paris. A Strasbourg ,
de l'Imprimerie ordinaire du Roi ; & le trouve à
Verfailles , rue St. Honoré , N ° . 14 ; & à Paris ,
chez Th, Brunet , Libr . place de la Comédie Italienne..
Nous reviendrons fur cet Ouvrage , `qui nous a
paru , comme à ſon élégant & juficienx Traducteur
, propre à être accueilli dans les circonftances
actuelles , de tous ceux qui ont quelque influence
fur le fort de la choſe publique.
40
MERCURE
Manuel du Chretien , contenant les Pleaumes
le Nouveau - Teftament , & limitation de Jéfus-
Chrift : nouvelle édition , augmentée de l'ordinaire
de la Meffe , des Prières du matin & du foir,
des Litanies du Saint- Nom de Jéfus , de la Sainte
Vierge , des Saints , & autres Prières , de Cantiques
tirés de l'Ecriture Sainte , & de la diftribu-'
tion du Pleautier pour la femaine , felon le Bréviaire
Romain & le nouveau Bréviaire de Paris.
1 Vel . in- 12 . Prix relié , 3 liv. A Paris , chez la
veuve Defaint, Lib. rue du Foin ; & Nyon l'aîné
& fils , rue du Jardinet.
Recherches & Confiderations nouvelles fur les
Finances , ou Mémoire fur leur fituation actuelle ,
caufes du déficit ; moyens de l'anéantir en pourvoyant
aux dépenfes de l'Etat , fans accro ffement
d'impôts ; en délivrant la Nation de ceux qui font
les plus onéreux , tel que les Gabelles , les Traites
& Douanes intérieures , Droits de Péage , Minage ,
Marque des Cuirs , Papiers , Cartons , Poudres &
Amidons , & autres par M. de Corméré. 2 Vol.
in-8 °. Prix br. 12 liv. A Paris , chez les Marchands
de Nouveautés .
Cet Ouvrage , fondé fur des élémens pofitifs.
eft le fruit de vingt années de travail . Il a été
rédigé pour fervir de documens & pour être préfenté
aux Etats- Généraux , afin de leur fervir de
bafe , tant pour les améliorations à faire dans les
Finances , que pour la fuppreffion des impôts les
plus défaftreux , & l'abolition de toutes les Barrières
intérieures , vivement follicitée par les Etats-
Généraux de 1614. L'on trouve en tête du 1er.
Volume la copie d'une Lettre de l'Auteur à M.
Necker. Cet Ouvrage eft diviſé en deux Volumes
in-8 ° .; le rer. de 666 pages & 2 Tableaux . Le
fecond , contenant les Pièces juftificatives , eft de
320 pages , & 24 Tableaux , tant in primés que
gravés ; plus, une Carte enluminée, indicative des
Barrières locales , des Traites , Gabelles & Taban
DE FRANCE. 71
L'Esprit des Impôts & de leur Régime , par F. J.
Chaubray de la Roche ; in- 8 ° . A Londres , & fe
trouve à Paris , chez Pichard , Libr . quai des Théa
tias ; Defenne , au Palais - Royal ; & Méquignen ,
au Palais.
Cer Ouvrage eft divifé en trois Livres ; le premier
traite de la néceflité des Impôts , des Contribuables
, & de l'emploi des Impôts : dans le fecond
, l'Anteur donne fes idées fur la nature des
Impôts ; 1 prétend que la Juftice diftributive ,
l'humanité , la politique & l'ordre dans les Finan
ces improuvent le projet d'un feul Impôt fur les
terres ; il parle de l'origine des Impofitions & des
Perceptions actuelles , fait connoître le vice de cha
cun d'enx , & prononce fur le fort qu'ils doivent
avoir : dans le je . , il prouve qu'il eft de la plus
grande importance d'avoir un régime bien ordonné,
qu'il n'appartient qu'aux Etats Provinciaux de
faire la répartition & la levée des Ipofitions ;
mais il foutient que les perceptions doivent être régies
par le Gouvernement : enfin l'Auteur termine
par un Chapitre fur l'Or , comme ayant un rapport
politique & direct avec fon fujet. On voit que M..
Chaubry de la Roche regarde l'opération du Ca,
daftre comme indifpenfable ; qu'en fuivant fes
principes & fes vûes , les Impôts porteroient particulièrement
fur les gens riches , & qu'ils ne
pourroient s'en plaindre ; que les recouvremens fe
feroient avec beaucoup d'exactitude , fans difcuffions
& fans frais ; que la Régie feroit peu difpendieufe
, & qu'elle n'occuperoit qu'un petit nombre
d'Employés.
Quelfut l'état des perfonnes en France fous la
première&la feconde Races de nos Rois ? Ouvrage
couronné par l'Académie Royale des Infcriptions.
& Belles- Lettres , en 1768. 1 Vol . in-8 ° . par M.
l'Abbé de Gou' cy , de la Société Royale des Infcriptions
& Belles- Lettres de Nanci , Vicaire- Gén
272 MERCURE DE FRANCE .
de Bordeaux . Nouvelle édition , revue & corrigée.
A Paris , chez Nyon l'aîné , Lib. rue du Jardinet.
Recueil des Romances d'Eftelle , par M. Vidal .
Prix , 6 liv .
Huit petits Airs mis en variation pour le Ga
loubet , par M. Châtauminois. Euvre se . Prix , 3
Tiv. A Paris , chez l'Auteur , rue du Mail , hôtel
des Indes.
M. Six Duos concertans pour deux Violons , par
Viotti, Prix 7 liv. 4 f. A Paris , chez Boyer , rue
de Richelieu , à la Clef d'or , paffage du Café de
Foi, & chez Madame le Menu , rue du Roule , à
la Clef d'or.
Trois Quatuors concertans pour Flûte , Vielon ,
Alto & Violoncelle , par Ignace Pleyel . Prix , 6 liv.
mées adrefles .
conte-
Nouvelle fuite de Pièces d'Harmonie ,
"nant des Ouvertures avec Ariettes d'Opéras férieux
& comiques , pour deux Clarinettes , deux Cors
& deux Ballons , par M. Ozi . Prix , 6 liv . mêmes
adreffes .
Faute à corriger dans le N°. précédent.
Page 33 , à la Note . Il a paru depuis ; lifez , Il
avoit paru avant une autre Traduction du même
Ouvrage , qui fe vend chez Lagrange,, & c .
TABLE.
AVERTISSEMENT.
Le Laurier.
49 Plan.
so Mimoires.
60
62
64
14 danonces & Notices. 68
Charade, Enig & Logog . 52 Variétés..
Sermons.
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 12 juillet 1789.
C'EST le Lieutenant d'Artillerie Rubnicki
qui a arrêté le Prince Poninski
sur les frontières de la Prusse . Ce prisonnier
, ramené dans la capitale , est
maintenant logé aux casernes de l'Artillerie
, où il sera désormais détenu .
Le nouveau Ministre de la République ,
auprès de la Porte Ottomane , a reçu
ses instructions , dont on cite les principaux
articles suivans :
1º. Demander l'exécution des anciens traités
, et nommément de celui de Carlowitz
2º. déterminer la Porte à faire cause commune
avec les Cours de Londres et de Berlin , dans
leurs vues concernant la République ; 3º . Renouveler
les propositions faites en 1786 , au
sujet du commerce Polonois sur le Niester et
la mer Noire ; 4° . déterminer la Porte à ad-
N°. 32. 8 Août 1789. с
( 50 )
mettre un Ministre de la République, qui résidera
toujours auprès d'elle ; 5°. assurer la
Porte qu'à sa considération la République fait
évacuer son territoire par les troupes Russes ,
et l'engager à agir de concert avec les Puissances
alliées 2 pour que ces troupes ne
puissent entrer en Pologne , sous aucun prétexte
quelconque ; 6° . demander l'accession
de la Porte à la garantie qui sera faite à la République
par les Cours de Londres et de Berlin.
T ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 25 juillet.
Le Danemarck , revenant sur sa conduite
politique de l'année dernière , s'est , à
la fin , invariablement fixé au rôle qu'on
lui proposoit au commencement de la
guerre du Nord. Il s'est soumis à une neu--
tralité parfaite . Captivé par les démarches
infiniment pressantes de plusieurs Puissances
, il a rendu publiques. pour
la sécurité du Nord , les deux lettres
Ministérielles que voici.
Lettre écrite de la part des trois Ambassadeurs
Plénipotentiaires d'Angleterre , de Prusse
et des Etats-Généraux des Provinces-Unies,
à Son Excellence M. le Comte de Bernstorff,
an date du 6 juillet 1789.
» Par la lettre , qu'au nom de nos Souverains
respectifs nous avons eu l'honneur de
( 51 )
remettre à Voire Excellence , dans le mois
d'avril dernier , nous l'avons priée de vouloir
bien , par des voix amicales , engager S. M. le
Roi de Danemarck à observer une neutralité
parfaite et illimitée pendant les troubles actuels
du Nord , afin de prévenir l'extension
des hostilités , qui ne pourroient que retarder
et rendre plus difficile le rétablissement
d'une paix durable. La réponse que Votre
Excellence nous fit alors au nom du Roi ,
portoit , que S. M. ne pouvant rien décider
à cet égard , avant de s'être assurée des intentions
de S. M. l'Impératrice de Russie ,
son alliée , Elle avoit fait expédier aussitôt
un-Courrier à Pétersbourg. Comme ce Courrier
est aujourd'hui de retour , nous prenons
la liberté de nous adresser de nouveau
Votre Excellence , pour la prier de vouloir
bien nous communiquer la résolution de sa
Cour : nous nous flattons d'avance de l'espér
rance que cette résolution remplira pleinement
les voeux de nos Souverains respectifs .
en leur annonçant , de la part de S. M. le Roi
de Danemarck , cette neutralité désirée. »
Nous avons l'honneur d'être , etc.
Signés , ELLIOT , ARNIM , VANDER GOES.
Réponse du Comte DE BERNStorer.
ོ་
« Le Roi , mon maître , aussi fidèle aux
engagemens qu'il a contractés qu'à son
amour pour la paix , ainsi qu'au bien être
général pour lequel il s'intéresse cons
ment , n'a pu se permettre de contre nir
aux stipulations sacrées d'un traité défen
sans le cousentement exprès de la Puissance
même qui avoit le droit incontestable de
C
( 52 )
les réclamer. Le Roi a donc dû prévenir
la Russie , et se concerter avec elle sur le
désir que les Ministres Plénipotentiaires de
la Grande- Bretagne , de Prusse et des Etats-
Généraux des Provinces Unies lui ont fait
connoître au nom de leurs Souverains , concernant
une neutralité parfaite et illimitée
qu'ils exigeoient de sa part , tant par terre
que par mer , durant la présente guerre qui
trouble malheureusement le repos du Nord.
Quoique cette neutralité ne soit pas , dans le
fond , incompatible avec la concession des
secours stipulés dans un traité qui n'a pour
objet qu'une défense commune , le Roi qui
a trouvé , dans l'amitié et la modération de
S. M. l'impératrice de toutes les Russies , un
parfait rapport avec les mêmes sentimers
dont il se sent animé , convaincu d'ailleurs
avec cette auguste Princesse , que les trois
Cours unies ne sont guidées , dans leurs démarches
, que par l'amour pour la paix générale
, consent d'observer , durant les présens
troubles du Nord , une neutralité telle que
les trois susdites Cours l'ont proposée. En
revanche , S. M. espère et exige de son côté ,
que , par un heureux retour des mêmes principes
et sentimens de leur part , les trois
hautes Cours conserveront et maintiendront
également , pendant toute cette époque , la
même neutralité , relativement aux affaires
du Nord , afin d'accélérer , par leurs soins et
Tests efforts réunis , le rétablissement de la
générale qui seule forme l'objet des
e voeux de S. M. »
« Le soussigné a l'honneur de communiquer
cette résolution du Roi , son maître
aux trois Ministres des Cours unies , en réponse
( 53 )
de leur note commune qu'ils lui ont remise le 6
de ce mois , afin de faire parvenir ladite
déclaration à leurs Souverains respectifs. » .
Copenhague , le 9 juillet 1789.
Signé , BERNSTORFF.
On attend d'un jour à l'autre la relation
détaillée de la victoire du Roi de
Suède à Davistadt , le 28 juin , et on
l'attend avec d'autant plus de curiosité ,
que ce Monarque ayant pénétré dans
la Finlande Russe , a de nouveau battu
ses ennemis , le 3 juillet , et emporté
d'assaut le défilé de Likala, sur la route
de Frédéricsham. Au départ des courriers
, le Vainqueur se trouvoit à un
mille et demi de cette place , l'un des
boulevards de la province . De son côté ,
l'escadre de galères , sortie de Sweaborg ,
a fait une descente à peu de distance
de Frédéricsham , et enlevé aux Russes
vingt barques de transport , chargées de
provisions , et évaluées à 25 mille thalers .
:
L'escadre Russe de Cronstadt et Revel
est à la hauteur de Galland celle de
Suede forme une ligne depuis Falsterba
jusqu'à Rugen. Cette dernière est forte
de 40 voiles , dont 23 vaisseaux de ligne,
Le Lc de Sudermanie qui la commande
, monte le Gustave III , et a
sous lui le Contre-Amiral Nordenstiold.
De Vienne , le 24 juillet.
Laconvalescencede l'Empereur prend ,
c iij
( 54 )
depuis quinze jours , les apparences du
rétablissement . La fièvre opiniâtre, dont
le Prince étoit attaqué depuis son funeste
séjour dans le Bannat , paroît avoir
cédé à la nature , aux remèdes et à la
saison les douleurs de reins et la foiblesse
ont cessé ; on découvre un symptôme
encore plus favorable dans l'amélioration
du teint , dans le calme d'esprit
et lá gaieté , qui sont revenus. Chaque
jour , S. M. se promène dans les jardins ;
Elle augmente cet exercice graduellement
La lecture des dépêches et un travail
modéré occupent une partie de ses
journées. La semaine dernière , on introduisit
auprès d'Elle un Courrier des Etats
de Brabant , porteur de dépêches qu'il
devoit remettre à la personne même de
l'Empereur. Ce Prince , en prenant le
paquet , dit au messager : Le Comte de
Trautmansdorffera réponse ; en attendant
, dites à vos Etats que je ne suis
ni mort , ni mourant.
Nos troupes sont entrées , le 9 , dans
le Vieux- Gradisca , soit Berbir , évacué
par les Ottomans. Le Gouvernement a
rendu compte des opérations de ce siége ,
dans la Gazette du 15 , dont le rapport
finit en ces mots.
« Depuis le 3 de ce mois jusqu'au 5 , les
Ouvrages furent avancés , avec la plus grande
vigueur , devant la forteresse ; et le 5 , au soir ,
on entendit trois coups de canon dans le
camp ennemi ; les espions firent rapport qu'un
( 55 )
Pacha à trois queues y étoit arrivé avec un
Corps d'Arnautes .
Depuis le 5 jusqu'au 7 , on continua les
ouvrages , et l'on érigea plusieurs batteries et
redoutes ; la ligne , commencée sur l'aile
droite de la Verbasca jusqu'au chemin de
Banjaluka , fit achevée , et forüfiée par des
redoutes .
Le 9 au soir , le Feld- Maréchal - Baron de
Laudhon , s'étant rendu dans la tranchée pour
régier les ouvrages à faire pendant la nuit
il s'aperçut que non-seulement les ennemis
campés dans la forêt , avoient levé leur camp ,
mais que la garnison de Berbir commençoit
à se retirer avec ses bagages , par le chemin
qui lui restoit encore ouvert ; qu'ayant aussitôt
dirigé nos canons sur l'ennemi , il se jeta
si précipitamment dans la forêt , et continua
sa marche avec tant de précipitation , accompagné
du corps de troupes arrivé à son
secours , que nos patrouilles , envo, es tant
vers la forteresse que dans la foret , trouvèrent
la forteresse évacuée entièrement , et
n'aperçurent aucun Turc dans la forêt. On
ignoroit encore le chemin que ces fugitifs
avoient pris .
On a trouvé dans Berbir 35 canons
de fonte , 4 de fer et 4 mortiers. Ce
siége , suivant le rapport du Feld-Maréchal
Eaudhon , nous a coûté 38 Soldats
et 3 Ouvriers , outre 118 Soldats et 15
Ouvriers tués.
Le Prince Poniatowski, Lieutenant.
Colonel au service de l'Empereur , dans
le Régiment des Chevaux - Légers de Sa
c iy
( 56 )
Maj . , est parti pour Varsovie . Il a demandé
la permission de quitter sa place ,
pour aller servir sa Patrie . En lui accordant
son congé , l'Empereur lui a marqué
, par un billet de sa main , qu'il se
souviendroit toujours avec plaisir du
zèle et du courage avec lesquels il avoit
servi dans ses armées. L'exemple du
Prince Poniatowsky a été suivi par
quelques gentilshommes Polonois qui
étoient également au service de la maison
d'Autriche.
PAY S - B A S.
De Bruxelles , le 6 août 1789 .
Le Gouvernement a publié , ces jours
derniers , une Déclaration qui décerne
dix mille florins de récompense aux
Dénonciateurs des Auteurs ou Imprimeurs
des Ecrits séditieux , en fournissant
les preuves nécessaires de culpabilité.
Les transgresseurs seront poursuivis
comme pertubateurs du repos public ,
et coupables de haute trahison , sans es
poir de pardon .
Un Brasseur , accusé d'avoir participé
aux derniers troubles du pays , ayant été
emprissonné à Tirlemont , 400 Paysans ,
conduits par un homme masqué , et dé-(
57 )
guisé en Arlequin , brisa , le 22 , les portes
de la prison . De-là , les Insurgens se
portèrent à l'Hôtel du Mayeur de la Ville,
qui fut saccagé , et dont on arracha les
portes , les croissés et le toit . Vingtsix
maisons de Négocians ou autres ont
été également pillées , avant que le Magistrat
et la Bourgeoisie aient rétabli
l'ordre. Le 27 , le Gouvernement a rendu
une Ordonnance , qui porte peine
de mort contre tout pillard , et contre
les auteurs et fauteurs du brigandage .
Nous avons vu , depuis 15 jours , arriver
, ou passer dans cette Capitale , un
très-grand nombre d'émigrans François .
Au même temps , on a vu réunis ´ici,
sept Princes de la maison de Bourbon ,
M. Comted'Artois et ses deux Fils, MM.
les Princes de Condé, de Bourbon , d'Enghien
et de Conti. Madame la Princesse
Louise de Condé, Abbesse de Remiremont
, a aussi séjourné dans cette ville.
On assure que la plupart de ces Priaces
se sont rendus à Bonn , chez l'Electeur
de Cologne , auprès duquel se trou
vent , en ce moment , Madame l'Archiduchesse
Marie- Christine et le Duc de
Saxe Teschen son époux .
CY
( 58 )
FRANCE.
De Versailles , le 4 août.
Le 21 , en présence de Leurs Majestés
le Cardinal de Montmorency recut la
barrette des mains de l'Abbé de Montmorency
, son neveu , Ab Lègat de Sa
Sainteté . Cette cérémonie eut lieu avec
toutes les formalités d'usage .
Le 25 , M. le Comte de St.Priest prêta
serment entre les mains du Roi , pour
la charge de Secrétaire d'Etat de la
Maison de S. M.
La charge de Gouvernante des Enfans
de France , vacante par la retraite de
Madame la Duchesse de Polignac , le
16 de juillet , a été donnée par le Roi
à Madame la Marquise de Tourzel ,
veuve du Seigneur de ce nom , qui fut
si malheureusement tué à la chasse , il
y a deux ans , dans la forêt de Fontainebleau.
Ce choix qui récompense la
vertu , en l'approchant du trône , a été
universellement applaudi.
ASSEMBLÉE NATLON A LE.
Avant de passer au rapport des opé(
59 )
rations et des débats de l'Assemblée ,
pendant la semaine dernière , nous devons
à nos Lecteurs la Proclamation ,
originairement demandée par M. de
Lally-Tolendal, et modifiée d'après l'avis
de divers Députés.
«
«
L'Assemblée nationale considérant :
Que depuis le premier instant où elle s'est
formée , elle n'a pris aucune résolution qui
n'ait dû lui obtenir la confiance des Peuples ; »
«
Qu'elle a déja établi les premières bases
sur lesquelles doivent se reposer la félicité publique
;
16
«
Que le Roi vient d'acquérir plus de droit
que jamais à la confiance de ses fidèles Sujets
;
K
»
Que non- seulement il les a invités luimême
à réclamer leur liberté et leurs droits ;
« Mais qué , sur le voeu de l'Assemblée , il a
encore écarté tous les sujets de méfiance qui
pouvoient porter l'alarme dans les esprits ;
»
Qu'il a éloigné de sa capitale les troupes
dont l'aspect ou l'approche y avoient répandu
l'effroi ; "
"
Qu'il a éloigné de sa personne les conseillers
qui étoient un objet d'inquiétude pour la
Nation ; »
Qu'il a rappelé ceux dont elle désiroi
le retour ; "
*
Qu'il est venu dans l'Assemblée nationale
, avec l'abandon d'un père au milieu
de ses enfans , lui demander de l'aider à sauver
l'Etat ; »
u
Que , conduit par les mêmes sentimens ,
il a été dans sa capitale se confo.dre avec son
c vi
( 60 )
Peuple , et dissiper , par sa présence, toutes les
craintes qu'on avoit pu concevoir ; »
८८
Que , dans ce concert parfait entre le Chef
et les Représentans de la Nation , après la réunion
consommée de tous les Ordres , l'Assemblée
s'occupe , et ne cessera de s'occuper
du grand objet de la Constitution ; »
«
Que toute méfiance qui viendroit actuellement
altérer une si précieuse harmonie , ralentiroit
les travaux de l'Assemblée , seroit un
obstacle aux intentions du Roi , et porteroit
en même temps une funeste atteinte à l'intérêt
général de la Nation , et aux intérêts particuliers
de tous ceux qui la composent ; »
« Qu'enfin , il n'est pas de Citoyen qui ne
doive frémir à la seule idée de troubles , dont
les suites déplorables seroient la dispersion des
familles , l'interruption du commerce ; pour les
pauvres , la privation des secours ; pour les
ouvriers la cessation du travail ; pour tous ,
le renversement de l'ordre social ; »
«
9
Invite tous les François à la paix , au
maintien de l'ordre et de la tranquillité publique
, à la confiance qu'ils doivent à leur Roi
et à leurs Représentans , et au respect pour
les lois , sans lequel il n'est pas de véritable
libérté. »
44
Déclare , quant aux dépositaires du pouvoir
qui auroient causé ou causeroient , par
leurs crimes , les malheurs du Peuple , qu'ils
doivent être accusés , convaincus et punis, mais
qu'ils ne doivent l'être que parla loi , et qu'elle
doit les tenir sous sa sauve--garde jusqu'à ce
qu'elle ait prononcé sur leur sort ; que la
poursuite des crimes de Lèse- Nation appartient
aux Représentans de la Nation ; que l'As(
61.)
semblée , dans la Constitution dont elle s'occupe
sans relâche , indiquera le Tribunal devant
lequel sera traduite toute personne accusée
de ces sortes de crimes , pour être jugée
suivant la loi , et après une instruction publique.
»
" Et sera la présente déclaration imprimée.
et envoyée par tous les Députés à leurs Commettans
respectifs . »
" Fait dans l'Assemblée nationale , ce 23
juillet 1789. "
Treizième Semaine de la Session ( 1 ) .
Du Lundi 27 JUILLET 1789. Après la
lecture d'un grand nombre de lettres et d'adresses
, on a ouvert la dépêche d'un Directeur
des Aides de Rheims , qui informe l'Assemblée
de l'impuissance où sont les Employés
des Fermes de faire leur service , et qui
demande s'il doit continuer la perception des
droits.
Sur quoi , un Député des Communes a
observé que la dignité de l'Assemblée ne
lui permettoit pas de correspondre avec
subalterne.
un
Un Député Alençon a communiqué une
lettre , par laquelle on lui annonce , que dans
(1) Pour éviter des répétitions fastidieuses
dans l'énoncé des différens avis de chaque
débat , nous nous bornerons quelquefois à
nommer Popinant , sans employer la formule ,
un tel a dit , un tel a pensé, un tel a observé
, etc.
( 62 )
cette ville , et celles voisines , le Peuple avoit
brûlé les registres des Aides , et prenoit le
sel dans les magasins à moitié prix. Il a
prié l'Assemblée de rendre un décret , qui
ordonne au Peuple de payer tous les impôts
établis .
Un Député de Mortagne , province du Perche
, a annoncé le même événement dans
son Bailliage , et a fait la même demande au
nom de ses Commettans.
Un Député de Valenciennes a rendu compte
des émeutes affligeantes qui venoient de troubler
cette ville , et il a lu le Procès- verbal
que les Officiers municipaux lui ont adressé
.
M. le Président a communiqué une lettre
de M. le Comte de Montmorin relative
à l'affaire de Vesoul , et par laquelle ce Ministre
l'informe qu'il sera écrit aux Ministres
du Roi , de réclamer le coupable dans
les Cours étrangères .
Cette lecture a été suivie de celle de la
lettre de remercîment , écrite en ces termes par
M. Necker à l'Assemblée .
14
MESSIEURS ,
Sensiblement ému par de longues agifations
, et considérant déja de près le moment
où il est temps de songer à la retraite
du monde et des affaires , je me préparois à
ne suivre plus que de mes voeux ardens le destin
de la France et le bonheur d'une Nation à
laquelle je suis attaché par tant de liens ,
lorsque j'ai reçu la lettre dont vous m'avez
honoré . Il est trop hors de mon pouvoir , il
est au-dessus de mes foibles moyens de ré-
•
( 63 )
pondre dignement à cette marque si précieuse
de votre estime et de votre bienveillance ;
mais je dois au moins , Messieurs , vous aller
porter l'hommage de ma respectueuse reconnoissance.
Mon dévouement ne vous est pas
"nécessaire , mais il importe à mon bonheur
de prouver au Roi et à la Nation Françoise
que rien ne peut rallentir un zėle qui fait
depuis si long- temps l'intérêt de ma vie. »
Bále , le 23 Juillet 1789.
Revenant à l'épineuse question de la saisie
et de l'ouverture des lettres , M. le Président
a déclaré que l'avis général des Bureaux
avoit été de faire revenir les lettres
renvoyées à l'Hôtel - de - Ville Après avoir donné
lecture de celle qu'il avoit écrite au Comité-
Permanent de Paris , il a proposé de
délibérer sur l'envoi d'un Courrier qui rapporteroit
ces Missives sur- le- champ , Séance
tenante jusqu'au retour du messager.
M. Guillotin a déclaré avoir remis ce paquet
de lettres au Comité - Permanent , qui le
gardoit à la disposition de l'Assemblée .
Suivant le rapport d'un autre Député , M.
Bailly lei avoit appris hier , que la seule lettre
de ce paquet qui pût intéresser l'Assemblée ,
étoit celle déchirée par M. de Castelnau, et
dont on avoit rapproché les fragmens.
M. le Président a prié l'Assemblée de décider
s'il redemanderoit les papiers au Comité-
Permanent.
Il seroit peut-être imprudent de faire voyager
ces paquets , a dit un Député ; on devoit
ordonner au Comité- Permanent d'en
envoyer des copies .
M. Reubell, Député de Colmar , a renou(
64 )
velé la Motion qu'il avoit présentée la veille ,
et motivee , en disant :
Le Maire de Paris étant Membre de l'Assemblée
nationale , n'auroit pas envoyé des
papiers à son Président , s'il ne les avoit cru
tres-intéressans pour l'honneur de la Nation :
ces papiers ont été renvoyés , mais l'Assemblée
nationale est la maitresse de les réclamer ;
elle ne doit pas demeurer indécise sur la teneur
de ces lettres . Je n'ai pas besoin de vous
dire que cette auguste Assemblée , compo
sée de Clergé , de Nobles et d'hommes libres ,
est l'image de celle des Francs qui s'occupoient
des crimes d'Etat . Ces principes sont exprimés
dans l'arrêté du 23 juillet : personne ne doit
connoître des crimes qui intéressent la Nation ,
si ce n'est l'Assemblée nationale. L'univers a
les yeux ouverts sur nous ; mais la calomnie
veille pour tâcher de nous accabler. Je demande.
que l'Assemblée ordonne que tous les papiers
relatifs aux circonstances actuelles , concernant
la sureté de la Nation , seront remis et
déposés à l'Hôtel - de -Ville de Paris ; qu'il sera
dressé Procès- verbal détaillé de leurs dépôts ;
que ces papiers seront communiqués aux Commissaires
qui seront par vous choisis , pour en
être fait par eux le rapport et l'examen quand
il appartiendra. »
Un Noble a supplié l'Assemblée de ne pas
violer d'avance la loi qu'elle alloit faire incessamment
, sur le respect des lettres. Toutes
celles , a t- il déclaré , adressées aux personnes
en place , avoient été décachetées .
M. de Lally a lu une lettre de M. le Baron
de Castelnau , à M. le Président , au sujet du
paquet qu'on lui avoit pris ; lettre où il mande
qu'en prenant les ordres du Ministre des affaires
étrangères , pour se rendre à Genève,
( 65 )
il avoit demandé quinze jours de délai , afin
de porter son hommage à M. Comte d'Artois
, auquel il étoit attaché , en passant par
le Hainaut . Dans cette lettre de M. de Castelnau
étoit incluse une copie de celle dont
M. le Duc de Dorset l'avoit chargé pour M.
Comte d'Artois , et de laquelle M. le Président
a donné lecture .
Un Député des Communes a observé que
M. le Baron de Castelnau étoit suspect , puisqu'il
avoit lacéré une lettre . L'Liat est en
péril , a - t il ajouté ; car les Anglois , de concert
avec les ennemis du bien public , ont formé
le projet d'incendier le port de Brest.
Les complots sont portés au plus grand degré
de violence ; nous avons besoin de toutes les
lumières .
M. de Roberspierre a dit : On ne peut délibérer
, puisque le fond de la question n'est
pas jugé elle se réduit à ceci : l'Assemblée
peut-elle , doit - elle rejeter ou admettre les
papiers arrêtés , et qui peuvent être relatifs
à la conspiration ?
M. le Comte de Lally ayant lu la lettre
adressée par le Comité à M. le Duc de Liancourt
, le dernier Opinant , M. de Roberspierre ,
a repris la parole , malgré la rumeur de l'Assemblée
, pour répéter que la question n'étoit
pas difficile à résoudre. La premiere de
toutes les lois est le salut du Peuple . Obligé
par le plus impérieux des devoirs , der venger
l'attentat projeté contre les Représentans de
la Nation , on doit se servir de tous les moyens
possibles. Le secret des lettres est inviolable,
mais il est des circonstances où l'on doit le
violer. Qu'on ne cite pas l'exemple de Pompée
qui brûla les lettres adressées à Sertorius.
Pompée étoit un tyran , un oppresseur de lø
( 66 )
liberté publique , et nous en sommes les restaurateurs.
L'Assemblée et le Peuple seroient
exposés aux plus grands pértls , si l'on rejetoit
ou si l'on brûloit ces papiers .
Un autre Membre des Communes, a observé
que
l'Assemblée avoit décidé de ne recevoir
aucune Motion étrangère avant la Constitution.
Enfin , M. le Comte de Clermont - Tonnerre
résumant les questions proposées , a instruit
l'Assemblée qu'il avoit assisté , samedi , à l'od - s
verture des lettres surprises à M. de Castelnau,
et lues par le Comité- Permanent. Ces
lettres ne contenoient que des complimens
a lettre déchirée ne renfermant que des affaires
particulières , il n'y avoit lieu à délibérer
, etchacun devoit souhaiter de voir finir
le silence des lois .
M. le Président ayant demandé s'il y avoit
lieu à délibérer , la très-grande pluralité de
l'Assemblée a répondu négativement.
M. le Président a rapporté qu'il avoit é
réveillé hier par un Courrier de Nogent- sur-
Seine , porteur d'une lettre de M. l'Abbé de
Calonne , et du Procès- verbal de l'Hôtel - de-
Ville. M. l'Abbé voyageant avoit été arrêté
par la Milice bourgeoise , et la Municipalité
de Nogent attendoit les ordres de l'Assemblée
pour le relâcher .
M. l'Abbé Maury se plaignant également
d'avoir été arrêté à Péronne , où il se rendoit
pour faire révoquer ses pouvoirs impératifs ,
les Officiers municipaux de Péronne ont envoyé
le Procès- verbal de cette détention , et
demandé les ordres de l'Assemblée .
Suivant le Procès- verbal de Nogent - sur-
Seine , M. l'Abbé de Calonne , Député Suppléant
du Clergé de Melun , s'étoit travesti
( 67 )
en habit séculier , et sous le nom de M. d'He
raut , pour rejoindre , à Spa , Madame la Duchesse
de Devonshire . Le soin de sa sureté
lui avoit inspiré ce oéguisement. On s'étoit
saisi de son porte- feuille contenant des lettres
en Anglois , d'autres en François , et des
chansons.
D'après l'avis de M. de Clermont- Tonnerre ,
M. l'Abbé de Calonne avoit été arrêté de la
manière la plus légale ; l'Assemblée ne devoit
pas délibérer à ce sujet , et M. le Président
répondroit aux Gfficiers municipaux ,
qu'ils étoient les maîtres du sort de M. l'Abbé
de Calonne.
M. deVolney : L'Assemblée venoit de perdre
quinze jours à s'occuper des détails du
royaume,dont elle ne devoit pas être le Lieutenant
de Police. Il falloit créer un Comité de rapport
, chargé de l'examen de ces particularités ,
à l'imitation de celui qui existe au Parlement
d'Angleterre. L'opinant a lu ensuite une Motion
à ce sujet , qu'il a remise sur le Bureau ,
et a fini par attester qu'on n'avoit à craindre
aucune hostilité de la part des Anglois , un
voyageur arrivé de Londres , la veille , l'ayant
rassuré à cet égard.
M. Garat l'aîné a approuvé la Motion de
M. de Volney. Je désirerois , a-t- il ajouté ,
que le sentiment qui me porte à réclamer M.
L'Abbé de Calonne et M. l'Abbé Maury , fût
un sentiment d'affection . M. l'Abbé de Calonne
est un Suppléant , qui peut devenir Député ;
M. l'Abbé Maury est un Député ; il auroit
dû rester ici . L'Assemblée doit les mander
l'un et l'autre , pour leur faire rendre compte
des motifs de leur éloignement .
Un Préopinant a prié l'Assemblée de rendre
un décret qui interdise aux Municipalités ,
( 68 )
de recourir à elle pour des objets qui regardent
le pouvoir exécutif , ou qui sont
indignes de son attention.
M. de Lally a relu la Motion de M. de
Volney. Elle a été approuvée par M. Pison
du Galand , et combattue par un autre Membre
, qui a soutenu que le Comité de rapport
ne pourroit prendre aucun parti sans le consentement
de l'Assemblée , ce qui feroit perdre
beaucoup de temps.
M. Fréteau a prié l'Assemblée de prendre
un parti, relativement à M. l'Abbé Maury.
Un Membre des Communes a observé que
l'Assemblée ne pouvoit réclamer trop tôt la
liberté de M. l'Abbé Maury , puisque par un
décret olennel elle avoit déclaré ses Membres
inviolables .
M. l'Archevêque de Vienne a soutenu cet
avis , en priant l'Assemblée d'ordonner à M.
l'Abbé Maury de se rendre à Versailles .
Un autre Membre des Communes vouloit
au contraire qu'on fit exception au décret
d'inviolabilité , et que les deux Abbés , sujets
aux lois de police , fussent livrés aux Tribunaux
des lieux , pour être interrogés.
Un Membre de la Noblesse a prouvé contre
le Préopinant , que les pouvoirs d'un Député
devoient lui servir de passe - port et de
sureté dans l'intérieur du royaume.
M. Duport a proposé un projet de réponse
aux Municipaux de Péronne , et qu'on laissât
à M. l'Abbé Maury toute liberté de se rendre
à l'Assemblée.
M. Mounier , en adoptant l'avis de M. de
Volney , a proposé d'autoriser M. le Président
à écrire aux Officiers municipaux des
deux villes , que l'Assemblée ne peut nine
( 69 )
doit s'occuper des objets de Police , et à leur
ordonner de relâcher les deux Abbés .
Cette discussion fort simple ne finissant point,
M. le Président a prié l'Assemblée de l'autoriser
à faire remetrre M. l'Abbé de Calonne
en liberté. Sur cette demande , le débat s'est
renouvelé avec encore plus d'acrimonie.
Suivant M. de Clermont -Lodève , la détention
des deux Abbés étoit injuste , et leurs
personnes inviolables , d'après l'arrêté du 23
juin.
Un Préopinant votoit pour renvoyer M.
l'Abbé de Calonne aux Juges du lieu.
Un Membre des Communes s'est récrié , avec
raison , sur la perte de temps qu'occasionnoit
cette discussion
De nouveau , M. le Président a prié l'Assemblée
de l'autoriser à écrire aux Magistrats
des deux villes , pour faire relâcher MM.
les Abbés de Calonne et Maury.
Nouveau tumulte.
Un certain nombre de Membres ont crié
qu'il n'y avoit lieu à délibérer.
M. Fréteau a fait sentir les dangers auxquels
pourroient être exposés les deux Abbés,
si on les laissoit au pouvoir du Peuple. Cette
observation n'a point rallenti l'animosité de
quelques personnes.
Un Membre de la Noblesse a déclaré que
l'Assemblée se déshonoreroit , si elle ne faisoit
pas relâcher les Prisonniers .
M. le Marquis de Montesquiou : « L'Assema
blée ne peut s'écarter des principes qu'elle
« a adoptés . Elle doit réclamer M. l'Abbé
"
Maury, dont la personne est inviolable . Elle
« doit ordonner à la Municipalité de Nogent
« de rendre la liberté à M. l'Abbé de Ca-
" lonne. "
( 70 )
M.de Lally a réclanié avec fermeté les deux
Prisonniers , et il a lu um projet de réponse
de M. le Président aux deux Municipalités.
Enfin , M. le Président a prié ceux qui approuvoient
le projet de lettre pour M. l'Abbé
de Calonne , de se lever.
Ce projet a été admis presque universellement.
Il a dit ensuite: Les personnes qui seront d'avis
que j'écrive la même lettre à Péronne pour
M. l'Abbé Maury , sont priées de se lever.
M de Volney a parlé assez long-temps ,
pour finir par proposer de délibérer sur la liberté
des Citoyens.
Ce discours a été suivi d'une grande rumeur.
M. de Clermont- Tonnerre a lu deux fois un
projet de lettre pour M. l'Abbé Maury.
Le tumulte a recommencé .
M. le Président a prié ceux qui opinoient
pour cette lettre , de se lever.
Nouveau bruit ..
M. le Président s'est écrié : « Messieurs ,
il est contraire à la liberté de l'Assemblée de
« ne pas vouloir délibérer .
«
"
Enfin , ce projet de lettre a été reçu .
Une Députation du Châtelet a paru à la
Barre . On a fait entrer dans l'enceinte M. le
Prévôt de Paris et M. le Lieutenant Civil ,
qui ont prononcé chacun un Discours.
Un des Secrétaires a lu l'Arrêté du Châtelet :
M. le Président a répondu à la Députation .
Elle a été suivie d'une Députation de Pontoise
, qui , à son tour , a harangué l'Assemblée
.
M. le Duc d'Aumont , Grand Bailli d'Epée
du Bailliage de Chauni , a présenté une récla(
71 )
mation de ce ressort , qui demande une représentation
directe à l'Assemblée nationale .
Toutes ces délibérations épisodiques terminées
, M. l'Archevêque de Bordeaux a lu le
préambule de la Constitution.
M. le Comte de Clermont-Tonnerre , un
projet de Constitution extrait des cahiers des
Bailliages.
M. Mounier , le plan du premier chapitre de
la Constitution.
M. l'Abbé Sieyes a fait imprimer , de son
côté , des Préliminaires de Constitution , ouvrage
métaphysique , dont nous présenterons
un jour les résultats , en les confrontant avec
/ ceux de M. Mounier.
Sur un bruit , propagé et commenté avec
une rapidité conforme aux circonstances , on
parloit , en tous lieux , d'un complot concerté
entre des traîtres et les Anglois , pour livrer
à ces derniers le port de Brest. A ce sujet ,
M. le Président a lu la lettre suivante de M.
le Comte de Montmorin , ainsi que celle
adressée à ce Ministre par son Excellence M. le
Duc de Dorset , Ambassadeur d'Angleterre.
Lettre de M. le Comte DE MONTMORIN À
M. le Président de l'Asssemblée Nationale.
Versailles , le 27 juillet 1789.
M. LE PRÉSIDENT ,
« M. l'Ambassadeur d'Angleterre m'a prié
instamment d'avoir l'honneur de vous communiquer
la lettre ci-jointe ; j'ai cru d'autant
moins pouvoir me refuser à ses instances
qu'il me prévint , en effet verbalement , dans
les premiers jours du mois de juin , d'un complot
contre le port de Brest. Ceux qui le méditoient
, demandoient quelques secours pour
( 72 )
cette expédition , et un asyle en Angleterre,
M. l'Ambassadeur ne me donna aucune indica-
-tion relative aux auteurs de ce projet , et m'assura
qu'ils lui étoient absolument inconnus. Les
recherches que j'ai pu faire , d'après des données
aussi incertaines , ont été infructueuses ,
comme elles devoient l'être ; et j'ai été , dans
le temps , obligé de me borner à engager M.
le Comte de la Luzerne a prescrire au Commandant
de Brest les précautions les plus multipliées
et la vigilance la plus exacte.
" J'ai l'honneur d'être , etc. »
»
Lettre de M. le Duc DE DORSET , Ambassadeur
d'Angleterre en France , à M. le Comte
DE MONTMORIN.
Paris , ce 26 juillet 1789.
MONSIEUR ,
« Il m'est revenu , de plusieurs côtés , qu'on
cherchoit à insinuer que ma Cour avoit fomenté
, en partie , les troubles qui ont affligé
la capitale depuis quelque temps ; qu'elle
profitoit de ce moment pour armer contre la
France , et que même une flotte étoit sur les
côtes , pour coopérer hostilement avec un
parti de mécontens tout dénués de fondement
que soient ces bruits , ils me paroissent
avoir gagné l'Assemblée nationale ; ete Cour
rier national , qui rend compte des Séances
des 23 et 24 de ce mois , laisse des soupçons
qui me peinent d'autant plus , que vous savez
Monsieur , combien ma Cour est éloignée de
les mériter. »
« Votre Excellence se rappellera plusieurs
conversations que j'eus avec vous au commencement
de juin dernier , le complot affreux qui
avoit été proposé relativement au port de
Brest ,
( 73 )
Brest , l'empressement que j'ai eu à mettre le
Roi et ses Ministres sur leurs gardes , la réponse
de ma Cour , qui correspondoit si fort
à mes sentimens , et qui repoussoit avec hor
reur la proposition qu'on lui faisoit ; enfin ,
les assurances d'attachement qu'elle répétoit
au Roi et à la Nation : vous me fites pari alors
dé la sensibilité de Sa Majeste à cette occa
sion . »
« Comme ma Cour a infiniment à coeur de
conserver la bonne harmonie qui subsiste entre
les deux Nations , et d'éloigner tout soupçon
contraire , je vous prie , Monsieur , de donner
connoissance de cette lettre , sans aucun délai ,
à M. le Président de l'Assemblée nationale ;
vous sentez combien il est essentiel pour moi
qu'on rende justice à ma conduite et à celle de
ma Cour , et de chercher à détruire l'effet des
insinuations insidieuses qu'on a cherché à répandre.
»
Ilimporte infiniment que l'Assemblée nationale
connoisse mes sentimens ; qu'elle rende
justice à ceux de ma Nation et à la conduite
franche qu'elle a toujours eue envers la France
depuis que j'ai eu l'honneur d'en être l'organe.
»
« J'ai d'autant plus à coeur que vous ne perdiez
pas un instant à faire ces démarches , que
je les dois à mon caractère personnel , à ma
Patrie , et aux Anglois qui sont ici , afin d'e
leur éviter toutes reflexions ultérieures à cet
égard . "
« J'ai l'honneur d'être , etc. »
Du mardi 28 JUILLET M. le Président
a annoncé que M. le Baron d'Andlau , l'un
des Députés de la Noblesse d'Alsace , étoit
obligé de partir pour se rendre aux eaux , à
No. 32. 8 Août 1789.
( 74 )
cause de sa mauvaise santé , mais qu'il re
viendroit après son retablissement.
Il a lu ensuite une lettre de la Municipalite
de Soissons , qui annonce des ravages
commis dans les campagnes par une troupe
de près de quatre mille brigands ; ils ont
moissonne les bles à Cr . pi , à Villers- Coterets ,
et elle supplie l'Assemblée de vouloir bien lui
enveyer des troupes ( 1 ).
1
M. de Clermont-Tonnerre a lu les nouveaux
pouvoirs de la Noblesse des Bailliages de
Châlons- sur- Saone et de Cottentin , qui donnent
toute liberté à leurs Députés : lecture
suivie de la communication , par extrait d'un
grand nombre d'adresses et lettres congratu
latoires.
Un Député de la Noblesse du pays de
Caux a lu une déclaration de ses Commettans
, qui adhèrent aux décrets de l'Assemblée
, et renouvellent la renonciation à tous
les privileges pécuniaires .
M. le Président a prié l'Assemblée de déliberer
de nouveau sur l'offre faite par M.
Prince de Poix , d'une garde d'honneur de
la Milice de Versailles,
་
L'Assemblée a agréé cette garde d'honneur
, à condition qu'elle feroit le service
concurremment avec les gardes de la Prévôté.
M. de Volney a repris sa motion de la
veille , sur la formation d'un Comité de Rapport
, composé de 30 personnes.
2
(1 ) Ce rapport , comme tant d'autres , est
grossi d'exagerations. Il a été démenti comme
tant d'autres , et l'on sent que 4000 brigands
réunis pour faucher les blés verts , sont plus
dignes d'un conte Mogol , que d'une relation
réfléchie.
54
( 75 )
M. Duport a observé que ce Comité étoit
proposé dans le Réglement , et qu'il nuiroit
aux discussions ordinaires , si l'on ne fixoit
un jour dans la semaine pour entendre ces
rapports.
Un Membre des Communes s'est opposé
à la formation du Comité , et a proposé à
l'Assemblée de s'occuper de ces objets d'administration
, de surveillance , ou de police ,
une demi- heure avant la Séance .
Un Membre de la Noblesse a appuyé le
fond de la motion de M. de Volney , en la
déclarant mal rédigée , puisqu'elle attentoit
au pouvoir exécutif. Il a demandé la suppression
des mots administration et police.
Un Membre des Communes a proposé un
amendement , pour renvoyer aux Ministres
les objets qui les regardent.
Un autre a soutenu l'avis de l'avant dernier
préopinant , mais en disant que c'étoit
à l'Assemblée à faire le renvoi aux Ministres.
M. le Comte de Custines a été de ce sentiment.
Il a prié l'Assemblée de tenir une
Séance après midi , chaque semaine , pour
entendre ce rapport.
D'autres Membres ont parlé , mais sans
être entendus .
Un Député des Communes a proposé de
décréter une proclamation aux Provinces pour
feur défendre d'envoyer des adresses , lettres ,
etc. à l'Assemblée. C'est le seul moyen , at
-il dit , de ne plus perdre de temps , et l'Assemblée
en perdra beaucoup à entendre ces
rapports successifs .
Diverses opinions ont succédé aux précé
dentes ; après quoi M. de Volney ayant
corrigé sa motion , en a fait la lecture suivante
:
di
( 76 )
1
« Attendu les distractions et les retards
qu'apportent les travaux de l'Assemblée , et
à l'ouvrage important de la Constitution ,
les affaires de l'Etat , qui se multiplient chaque
jour , il sera établi un Comité de rapport ,
composé de 30 Membres , auquel seront renvoyés
tous les mémoires , plaintes et adresses,
pour y être examinés ; et s'il y a lieu , le
rapport en être fait à l'Assemblee générale ".
Un Membre de la Noblesse vouloit les
choisir par Généralités .
La discussion a recommencé sur la manière
d'élire les Commissaires de ce Bureau de
rapport. M. Bouche a demandé que le Comité de
vérification fût changé en Comité de rapport.
M. le Président a proposé à l'Assemblée
d'admettre la motion de M. de Volney , avec
la formation par Bureaux , ou de la rejeter.
Elle a été admise.
Il a dit ensuite : Le Comité rendra - t- il
compte , tous les jours , après la lecture des
adresses.
Un Député noble a observé qu'il falloit
s'en rapporter à la sagesse du Comité. Il a
prié l'Assemblée d'antoriser le Comité à faire
part sur- le-champ aux Ministres de tous les
objets qui pourroient regarder le pouvoir
exécutif.
M. le Président a prié l'Assemblée de dé
clarer si le Comité feroit son rapport , le soir ,
dans des Assemblées extraordinaires , à la
sortie des Bureaux. Unanimement agréé.
Il a demandé si les Membres de ce Comité
seroient changés tous les mois ? Même opinion
.
M. le Président ayant ensuite remis en
délibération les motions de MM. de Châtenay.
( 77 )
Lanti et Reubell , relatives à l'ouverture des
lettres.
M. Duport a lu un avis , tendant à s'occuper
d'une surveillance générale et active ;
à former une commission de quatre personnes
, pour prendre connoissance du complot
de Brest , des desastres du Soissonnois , et de
tous les crimes de lèse -Nation , et à en rendre
compte à l'Assemblée . Cette motion a été
vivement soutenue par M. Vicomte de
Noailles.
Selon un Député des Communes , le nombre
de quatre Commissaires étoit insuffisant ; il
en falloit douze. M. Pison du Galand a voté
pour prendre l'agrément du Roi.
M. Reubell a défendu sa motion de samedi
dernier , touchant les papiers gardés à l'Hôtelde-
Ville , papiers qui devoient être remis à
des Commissaires pouren faire le rapport à qui
de droit. Il étoit pressant de dénoncer les
auteurs du complot de Brest , des ravages
des brigands , et les Ministres qui avoient
été renvoyés d'après la demande de l'Assemblée
. 8
M. le Duc de la Rochefoucault a pressé
l'acceptation du plan de M. Duport , la formation
d'un Comité de recherches , composé
de quatre Membres choisis avec soin et surle-
champ.
M. Dandré a demandé douze Membres
mais sans nommer de Tribunal judiciaire.
M. le Grand, Député de Berry , a dit :
« On ne peut , ni on ne doit nommer de
Tribunal dans l'Assemblée. La motion de M.
Duportprésente de grands inconvéniens . Cete
commission pourra - t -elle recevoir toutes les
dépositions, et informations ? » Elle ne peut indiij
( 78 )
former , elle ne doit prendre que des renseigne
mens. Quatre personnes n'obtiendroient pas
assez de confiance . Malgré les nombreux inconvéniens
de ce Comité , on pouvoit en former
un d'instruction , et de 12 personnes.
M le Marquis de Gouy d'Arcy s'est fort récrié
contre le complor de Brest, et les brigandsqui,
à l'entendre , ont détruit les récoltes. Il a
votépour quatre Inquisiteurs , qui doivent rester
inconnus. Il falloit ce soir assembler les Bureaux
, pour nommer un Membre par Bureau.
Ces trente personnes se réduiroient entre elles à
quinze; ces quinze nommeroient six personnes,
dans l'Assemblée, pour faire toutes les perquisitions
possibles . Les quinze Membres donneroient
leur parole d'honneur de garder le secret
le plus inviolable sur leur nomination,
Cette commission ne doit être connue que
de MM. de la Fayette et Bailly , qui lui remettront
tous les paquets et lettres déposés à
l'hôtel-de-ville , ou interceptés à la poste. Deux
des six se transporteront par-tout où ils le jus
geront nécessaire .
M. le Chevalier de Bouflers a témoigné sa
défiance des alarmes dont on menaçoit l'Assemblée
; il adoptoit la Motion de M. Duport,
mais en réclamant le respect dû aux lettres.
Le procédé commis envers M. de Castelnau
l'un des Ministres du Roi dans l'Etranger , don
noit une nouvelle force à ce principe . Rien an
monde ne pouvoit justifier une surprise à la
foi publique. Le seul danger de l'Etat est la
violation des droits des Citoyens. 7
Ce discours , quoiqu'improuvé de quelques
Membres , a été applaudi d'un grand nombre
d'autres.
Suivant un Préopinant , l'Arrêté du 13, et la
ار
( 79 )
Proclamation, forçoient l'Assemblée de se procurer
tous les moyens de conviction des crimes
actuels : on ne connoît pas les coupables du
complot de Brest , et des brigandages commis
dans les provinces ; mais on a soupçonné un
grand nombre de personnes à qui il importe
que les vrais criminels soient connus .
M. le Comte de Viries : Le despotisme d'une
société étoit plus dangereux que le despotisme
d'un seul . La République de Venise
s'est deshonorée par la création du Tribunal
des ¡ Inquisiteurs d'Etat ; on n'auroit pas dû
proposer cette Motion dans un Royaume
appelé le pays des Francs , et qui étoit la
sauve-garde ou l'asyle de tous les Peuples
de l'Europe. Cette proposition est inadmissible.
La Commission doit être publique , si
elle est créée. L'Assemblée n'a pas le pouvoir
d'ériger une Commission secrète. On ne peut
nommer un Tribunal que lorsque la Constitu
tion sera faite. Dans le cas où l'on adopteroit
ce Comité , il demandoit qu'il consistât
en une simple Commission d'informations secrètes
, qui ne pût rien instruire .
Un Membre des Communes s'est indigné
de ce qu'on osoit proposer à cette auguste Assemblée
, composée d'hommes d'honneur ,
de manquer au secret des lettres. Pour découvrir
les criminels et les connoître , il faut
un Comité de 12 personnes . Quant à l'interception
des lettres , déclarons qu'il n'y a
lieu à délibérer ; car il seroit indigne de
l'Assemblée nationale , de prévariquer aux
mandats de ses Commeltans . On ne peut
intercepter que les lettres des personnes jugées
coupales On ne doit nommer un Tribunal
que lorsque la Constitution sera faite . La
div
( 80 )
1
nomination des 12 personnes du Comité
d'information doit être publique.
M. Chapelier a remarqué qu'on s'éloignoit
de la Motion . Il a résumé le projet de M.
Duport , en l'approuvant , et s'est opposé à
Pouvertare des lettres : l'Assemblée nationale
ne devant, violer , ni la morale , ni les
droits de la nature et ceux des gens , ne peut
attenter d'avance à le Constitution qu'elle doit
établir.
Délibération prise sur la Motion de M.
Duport , elle a eu la presque universalité des
suffrages , et le nombre del 12 Commissaires
a passé à une grande majorité. Ils seront
nommés par Listes , dans les Bureaux , sans
proportion d'ordre .
M. le Président a demandé ensuite à l'Assemblée
si elle adimettoit la Motion de M.
Reubell sur l'interception des Lettres à remettre
à l'Hôtel-de-ville , et ensuite au Comité
instruction . Nombre de voix se sont élevées.
avec murmure , et ont demandé s'il y avoit
même lieu à délibérer.
M. Reubell a retiré sa Motion aux applaudissemens
de la grande pluralité.
M. le Président du Bureau des Finances de
Paris est entré dans l'enceinte , et a prononcé
un Discours , en laissant sur le Bureau l'Ar
rêté de sa Compagnie.
M. le Président a demandé si le Comité
d'instruction devoit être Permianent , ou établi
pour un mois , sauf a être continué ,
M. Grégoire, Curé d'Imbermesnil a voté
pour qu'il soit renouvelé tous les mois : opinion
admise presqu'universellement .
M. Dupont a fait lecture d'une lettre écrite
à M. le Duc de Lioncourt par le Capitaine
de la Milice Bourgeoise d'Houdan , qui an(
81 )
nonce que le blé manque dans son marché
et qui supplie l'Assemblée de l'autoriser à
faire délivrer le sel au Peuple , à moitié du
prix courant.
M. le Comte de Clermont- Tonnerre a lu
une Motion de M. le Comte de Puissaye ,
Député du Perche , relative aux impôts , dont
le Peuple refuse de payer une grande partie .
Un Député de Langres a annoncé que le
Peuple de cette ville avoit refusé de payer les
impôts , et brûlé toutes les maisons des Collecteurs
. Des brigands s'étoient répandus dans
les campagnes voisines , et il prioit l'Assem-
Elée de rendre un décret , pour ordonner la
perception de tous les impôts . M. l'Evêque
de Langres a soutenu cette Motion , et l'Arrêté
correlatif proposé par le Préopinant .
Surquoi un Noble a observé qu'on ne
devoit pas insérer dans l'Arrêté ces mots - ci ,
le soulagement du Peuple , attendir que le déficit
et l'énorme dette de l'Etat ne permettoient
pas de prévoir quel seroit ce soulagement.
Un Député des Communes a ajouté que
le Peuple de sa province refusoit de payer
les droits de champart , etc. etc.
M. Duport : L'Arrêté du 15 devoit être envoyé
dans tous les villages. L'intempérie , et
les ravages commis par les brigands , ne permettoient
pas d'ordonner au Peuple de payer
tous les impôts établis , puisque ce seroit
exposer l'Assemblée a perdre le respect et la
confiance du Peuple ; évènement qui entraîneroit
les plus grands ma'heurs.
t
M. Fréteau a appuyé cet avis avec force.
La crainte de la disette étoit encore une raison
d'empêchement. L'Assemblée agiroit sagement
de remettre cette délibération ap
dv
( 82 )
autre jour. Il est indispensable a - t -il ajouté ,
que le pouvoir exécutif prenne des précautions
contre la dévastation des campagnes . Peut- être
les Communes seront obligées de marcher contre
les brigands ; on ne peut donc leur envoyer
un Arrêté pour les astreindre à payer
des impôts.
M. Duport a demandé et obtenu le renvoi
de sa Motion à un autre jour.
Du mercredi 29 JUILLET. Rapport de
P'extrait des Adresses et Lettres de différentes
villes. Parmi les Lettres lues , il s'en trouve
une du Chef des incendiaires de Londres en
1780 , de Lord George Gordon , écrivant de
Londres ( 1 )àl'Assemblée nationale de France,
et en anglois .
M. le Président a communiqué un paquet
de la Commission intermédiaire de Soissons ,
qui dément les crimes prétendus commis auprès
de Crépy , la fable des quatre mille brigands,
celle des blés fauchés en vert , et autres
sur lesquelles plusieurs Opinans avoient formé
la veille les plus sinistres conjectures .
M. de Grosbois , Député de la Noblesse de'
Besançon, et premier Président du Parlement
de Franche - Comté , a rendu compte de la
conduite de sa Compagnie , relativement à
la malheureuse affaite du château de Quincey ,
et a remis sur le Bureau l'Arrêté du Parlement
du 23 Juillet . Un de MM . Pes Secrétaires
en a fait lecture.
Ou plutôt de la prison de Newgate .
où ce Maniaque est renfermé depuis l'année
dernière.
( 839)
Extrait du registre des Délibérations du Par
lement, à la Séance du 23 Juillet 1789.
Ce jour , la Cour , les Chambres assemblées ,
après lecture faite de l'Arrêté de la précédente
Séance , qui a été approuvé , M. le
Président de Camus a fait lecture du Procèsverbal
dressé par MM. les Commissaires , à
l'exécution de l'Arrêt rendu à la précédente
Séance , contenant les raisons qui les ont
empêchés de donner suite à l'exécution dudit
Arrêt , et a proposé à Messieurs de délibérer .
La matière mise en délibération , il a été
arrêté que copies en forme dudit Procèsverbal
seront envoyées à M. le premier Pré- '
sident , en le priant et le chargeant de les
faire parvenir au Roi et à l'Assemblée nationale.
Arrêté en outre que M. le premier Président
demeureroit chargé expressément de supplier
le Roi et l'Assemblée nationale , de pourvoir
le plus promptement possible aux moyens
de faire cesser les désordres qui affligent la
Province , tels que des démolitions de cháteaux
, incendies de dépôts publics et d'archives
particulières ; attroupemens et excès
commis contre différentes personnes , soit
dans leurs domiciles , soit sur les chemins
publics , malgré tous les soins que l'autorité
civile et militaire et les communes des villes
y ont apporté jusqu'à présent.
La Cour a arrêté de plus que mondit sieur
le premier Président demeure chargé d'assurer
le Roi et l'Assemblée nationale , de sa confiance
la plus entière dans les mesures et les
moyens qu'ils croiront devoir employer pour
le bonheur de la Nation , et pour assurer à
tous les Citoyens la liberté et la sureté de
d vi
( 84 )
leurs personnes , ainsi que la propriété de
leurs biens , déclarant qu'elle attend et qu'elle
désire l'établissement de toutes lois et décrets
que leur sagesse leur dictera , auxquels
la Cour déclare qu'elle sera aussi inviolablement
attachée qu'elle l'a été jusqu'à présent
à celles dont l'exécution lui a été confiée .
Signé SEGUIN. En marge est écrit , Collationne
, signé CUPILLARD , avec paraphe.
M. de Puzi , l'un des Députés de la Noblesse
d'Amont , a représenté que , sans avoir
l'intention de porter atteinte à la confiance
que le Parlement témoignoit à l'Assemblée
il ne voyoit d'autre moyen à cette Cour de
calmer la fermentation de la Province . que
celui de Pabandon des principes d'un de ses
Arrêtés , où elle a soutenu 1º . que les Députés
doivent être choisis dans les Etats de la Province
; -2°. l'observation de la forme de 1614 ;
3. la convocation par Ordre ; 4°. la délibération
en Chambre séparée , et jamais en
commun ; 5°. que les Députés ne peuvent
innover dans la forme des Etats , si ce n'est
en vertu d'un mandat exprés de la Nation
entière , donné individuellement ; 6 °. que les
Etats- Généraux ne peuvent déroger aux immunités
de la Province , ni atténuer ses capitulations
; 7. que les impôts doivent être
consentis par les Etats de la Province , et enregistrés
au Parlement.
M. le Marquis de Toulongeon a ajouté que
les troubles augmentoient journellement dans
ta Franche-Comté : Vesoul étoit forcé , trois
abbayes détruites , onze châteaux renversés. i
Le Parlement avoit envoyé une Commission
qui n'a pas été reçue , parce qu'il ne jouit pas
de ce grand caractère nécessaire à toute Justice
, la confiance,
1
( 85 )
Un Arrêt a évoqué l'affaire de Quincey.
cet Arrêt est illégal : le coupable n'étant pas
connu , on ne pouvoit informer que du fait ,
dont la connoissance appartenoit aux Juges
naturels ; il est vrai qu'un nouvel Arrêt a rétracté
le premier , et leur a laissé l'instruction
de l'affaire. J'invoque sur ce point le
témoignage de M. le premier Président .
Ce Magistrat a déclaré n'avoir connoissance
que de l'Arrêté dont il vient d'être fait lecture.
Les détails de ce mystère et des désastres
survenus depuis à Luxeuil ont été renvoyés
au Comité de rapport.
Un Menibre ayant proposé que les pouvoirs
de tous les Députés fussent remis aux Archives
, cette Motion a passé après une légère
discussion.
On attendoit depuis plusieurs jours le Re-
Fiment de police intérieure , sans lequel les ?
defibérations de l'Assemblée resteroient privées
de cet ordre si nécessaire à l'économie
du temps , à celle des paroles , et à la dignité
d'un Corps législatif.
M. Rabaud de Saint- Etienne a fait la lecture
de ce Reglement , avec une partie des
changemens demandés par les Bureaux.
M. le Président a proposé de lire séparé
ment chaque chapitre , et d'approuver article
par article.
M. Bouche renvoyoit cette discussion aux
Bureaux , en les priant de nommer chacun
un Membre, qui se rendroit au Comité de rédaction
pour rédiger définitivement ce Reglement.
Un Curé a combattu l'article XX du ckapitre
IV, qui fixe la Majorité des suffrages
à la moitié plus un. Il a ensuite exposé des
r
( 86 )
réflexions sur l'article de la discussion et sur
la réduction des avis .
.
M. Bouche a prié l'Assemblée d'admettre
provisoirement le Réglement , opinion à laquelle
a accédé M. Fréteau.
M. le Marquis d'Avaray ayant voulu prendre
la parole , un Membre des Communes a observé
qu'il falloit auparavant délibérer sur la
Motion de M. Bouche.
M. le Président a prié l'Assemblée d'admettre
la Motion de M. Bouche , cu de discuter
le fond du Règlement.
M. de Mirabeau à entamé une argumentation
en faveur de la Majorité simple , mais
il a été interrompu , sans pouvoir reprendre
la parole , quoiqu'il ait insisté à différentes
reprises.
M. le Marquis d'Avaray a observé que ,
suivant le Réglement , les paquets et lettres
devoient être ouverts à l'Assemblée , tandis
qu'on avoit décidé de les renvoyer au Comité
de rapport.
Un Curé a proposé d'admettre provisoirement
le Réglement , à l'exception de l'article
de la Majorité des suffrages , et de celui de
la durée des Bureaux Il a lu quelques observations
relatives à la discussion , et au nombre
des voix nécessaires pour obtenir la Majorité.
M. Renaud a observé qu'il voyoit avec douleur
l'Assemblée perdre beaucoup de temps ,
et il a demandé que M. le Président fût prie
d'imposer silence à ceux qui s'éloigneroient
de la question.
le '
M. le Maire de Grasse a observé que
Règlement ayant déja été examiné dans les
Bureaux , il étoit inutile de l'y renvoyer de
nouveau ; que former un Comité pour en faire
la critique , ce travail éprouveroit des contra(
87 )
dictions et des longueurs ; que si on discu
toit dans l'Assemblée les articles , ce seroit
fairenaitre des débats qui emporteroient l'usage
d'un temps précieux , qui ne devoit être consacré
qu'au travail de la Constitution ; qu'il
paroîtroit plus sage d'adopter le Réglement ,
tel qu'il étoit proposé, provisoirement ou définitivement,
sauf d'y faire les changemens que
les circonstances et le temps feroient juger nécessaires.
Par ce moyen , on paroit aux vices
que le délai et les longueurs entraîneroient ,
et l'on se réservoit le droit de restreindre }
ou de supprimer certains articles ; car la meilleure
critique , la plus sage , est celle de l'expérience
.
M. de Mirabeau a manifesté le même sentiment
, et a réité , avec véhémence , le
Préopinant du Clergé , qui désiroit qu'on fixât
la Majorité des suffrages à 700 voix sur l'Assemblée
complète .
M Demeunier a opiné pour l'admission
du Règlement , à l'exception de l'article relatif
à l'impression des Motions. Il a rejeté
la Majorité graduée : à son avis , on devoie
imprimer seulement les Motions intéressantes
, supprimer l'article du recensement
des voix par sections , et délibérer dans la
forme adoptée jusqu'à présent.
M. Target a demand la Majorité à 601
voix , l'Assemblée étant entièrement complète
.
Suivant M. l'Evêque de Chartres , on ne
pourroit prendre aucune délibération , sile Règlement
n'étoit admis que provisoirement
parce que les résolutions paroîtroient aussi
précaires que les formes d'après lesquelles
on les auroit prises.
M. Target a relevé cet avis en soutenant
#
( 88 )
que l'expérience seule instruiroit l'Assemblée
des changemens à faire au Règlement .
M. le Chapelier a présenté des observations
sur l'article d'un Comité de quatre personnes
pour la révision du Procès -verbal , ce
qui retarderoit sa rédaction définitive de 24
heures. I désapprouvoit l'impression des Motions
et le recensement des voix , et concluoit
à l'admission provisoire du Règlement , à l'exception
de ces trois articles.
M. Lanjuinais a demandé l'admission du
Réglement , sauf à changer dans la suite les
articles que l'expérience indiqueroit , à l'exception
de celui de la Majorité des suffrages ,
qui doit être discuté et délibéré séparément
et des articles contestés par M. le Chapelier.
D'après ces débats , M. le Président a pro--
posé les quatre questions suivantes :
"
1. L'Assemblée désire-1 -elle prendre les
voix par assis et levé , et , en cas de doute ,
par l'appel , ou bien par la voix des recenseurs
?
La voie des recenseurs a été rejetée unanimement.
2º. L'Assemblée veut - elle créer un Comité
de quatre personnes pour la révision du Procès-
verbal ?
Ce Comité a été rejeté unanimement.
3. L'Assemblée est- elle d'avis de faire imprimer
les Motions qui traiteront de la Constitution
, de la Législation et des finances ?
Adopté unanimement
4. L'Assemblée vent-elle adopter la Majorité
établie par le Réglement , c'est - à-dire ,
la moitié , plus un , du nombre des votans ?
Sur cette question , souverainement importante
, les débats ont recommencé , et
d'abord par M. le Comte de Custines , qui
4
J
1
h
( 89 )
a demandé que tous les articles de la Constitution
n'eussent force de foi , que par la
votation générale des Députés .
M. de Bousmard : « Je ne prétends point
réveiller les idées d'Ordres ; il n'en existe plus
qu'on dans cette Assemblée , celui du bien
public. Pour décider la volonté générale , les
articles de la Constitution ne doivent passer
en loi , que lorsque la Majorité des Membres
auront donné leurs voix . »
M. le Chevalier de Bouflers : « Pour pré-
`venir l'inconvénient d'une Assemblée peu nom
breuse , il falloit déclarer qu'on ne pourroit
délibérer , que lorsque la Majorité de l'Assemblée
seroit présente ; de sorte que la Majorité
de la Majorité rendroit le décret. »
M. L'Evêque de Chartres a pressé la convenance
d'une plus nombreuse pluralité , pour
détruire les lois anciennes , que pour en creer
de nouvelles . Par conséquent , il falloit les
deux tiers des voix pour révoquer une loi
ancienne , et trois , en sus de la moitié , pour
en établir une nouvelle .
M. Péthion de Villeneuve , adoptant l'avis
de M. de Boufflers , en fixant à 500 le nombre
de Membres suffisant à une délibération ་
a combattu toute Majorité graduée , qui por
teroit obstacle à la réforme des abus , et frap
peroit de nullité une foule de délibérations
utiles.
M.Farget a discouru également en faveur
de la Majorité simple : telle étoit , suivant
cet Orateur , la règle de toute Assemblée délibérative
, Sans cela , on ne se détermineroit
jamais , et la prépondérance d'une seule voix
accélère les décisions .
Un Membre des Communes a exposé que ,
l'Assemblée étant essentiellement active , rien
( 90 )
ne pouvoit suspendre ses délibérations : à quoi
bon fixer le nombre des Membres , puisque
l'Assemblée pouvoit être regardée comme
complète , lorsque M. le President ouvroit
la Seance ? L'article du Règlement qui porte
à 200 ce nombre compétent , doit être - effacé
du Règlement.
M. de Mirabeau a repris contradictoirement
quelques - unes des opinions discutées , et d'abord
celle de M. l'Evêque de Chartres , dont
les doutes méritoient un examen .
Le principe de la Majorité graduée ' , a dit
l'Opinant, donneroit à la Minorite la puissance
de la Majorité ; la Minorité seule auroit de
la force et de l'action ; elle paralyseroit le plus
grand nombre , dont l'activité deviendroit inu .
tile ; effet contraire aux lois de toute Assem❤
blée délibérante. On a voulu placer la
Majorité dans la totalité des Représentans de
la Nation ; mais ce seroit nous jeter dans tous
les inconvéniens du reso de l'absence. Un petit
nombre peut s'entendre , et l'on n'auroit pas
même l'espoir de les convertir.
Il est de principe que toute l'Assemblée doit
au moins , pour agir , être composée d'un certain
nombre . Toutes les Assemblées politiques
de l'Europe ont consacré cet usage , et le reglement
l'a conservé , en fixant ce nombre à
deux cents personnes .
Les Anglois , dont nous sommes les imitateurs
, ont composé leur Parlement de cinq
cents personnes ( 1 ) , et il ne peut être pris
aucuné délibération , que le nombre des votans
ne soit de cinquante. Si cinquante suffisent sur
(1 ) 545.
( 91 )
einq cents , à plus forte raison deux cents
suffisent pour douze cents .
M. le Président a invité ceux qui adoptoient
l'Amendement de M. de Bouflers , à se lever.
L'Amendement a été rejeté , et l'article du
Réglement confirmé.
Ensuite , M. le Président a prié l'Assemblée
de déclarer si la Majorité , pour la Constitu
tion et la Législation générale , seroit la
même que pour les autres objets de délibération.
Un Membre de la Noblesse a observé qu'on
ne présenteroit jamais à l'Assemblée une délibération
aussi intéressante , et que par con.
séquent elle méritoit la plus grande attention .
La Majorité pure et simple seroit fort dangéreuse
pour les impôts et les intérêts des
provinces. Il a supplié l'Assemblée de réser- ·
ver exclusivement ce mode pour la Constitution
et la législation.
«
"
M. L'Archevêque d'Aix a terminé les débats,
en disant : « Mes observations sont un
hommage que je rends à la sagesse du Règlement
; dans toute Assemblée nationale ,
la volonte générale est connue par la ple-
« ralité . Nous ne sommes pas de simples Dé-
« libérans ; nous cherchons , nous portons le
« voeu général ; Citoyens de toute la France ,
« réunis de toutes les provinces , nous venons
« dire, dans cette Assemblée, que telle est l'o
K
pinion de la province ou de la Nation . Il
« est dans la nature d'une Assemblée de Re-
" présentans , d'opiner à la pluralité simple ;
« une autre loi auroit une foule d'inconvé-
" niens , dont l'arbitraire seroit le moindre. »
M. le Président a demandé : L'article du
Règlement qui fixe la majorité à une voix
( 92 )
1
au-dessus de la moitié , sera-t-il adopté dans
tous les cas?
Cet avis a été adopté généralement , puisqu'on
n'a remarqué que quatre à cinq opposans.
M. le Président a dit ensuite : Le Reglement
sera-t-il adopté des- à- present, sauf les changemens
que l'expérience fera trouver nécessaires
?
Admis unanimement,
Une députation de l'Université de Paris est
entrée ; M. Dumouchet , Recteur , a prononcé
un discours , et remis l'extrait des Registres de
P'Université , dont M. Grégoire a fait lecture .
M. le Président a répondu au Recteur.
La députation des Commissaires- Généraux
des Députés des bureaux des Finances du
Royaume est entrée , a harangué l'Assemblee
, et a reçu une réponse de la bouche,
de M. le Président.
La députation de l'Election de Paris a
paru ensuite , a parlé , et a reçu une réponse.
La Séance a pris un degré d'intérêt bien
supérieur à celui de ces protocoles d'étiquette ,
lorsque M. le Président a annoncé que
M. Necker lui faisoit demander l'agrément
de venir porter à l'Assemblée l'hommage
de son respect et de sa reconnoissance.
Un instant après , M. Necker est entré , con
duit par M. l'Archevêque de Bordeaux ; .et passé
dans l'enceinte , l'Aassemblée et les spectateurs
lui ont à peine donné temps de prononcer
la phrase suivante , au milieu des
plus vifs applaudissemens :
MESSIEURS ,
Je m'empresse de témoigner à cette au(
93 )
• guste Assemblée mes sentimens de recon-
» noissance pour les marques d'intérêt et de
» bonté dont elle m'a honoré. Elle m'a im-
» posé de grands devoirs ; mais c'est en me
" pénétrant de ses sentimens et de ses lumières,
» que je puis conserver un peu de courage.
14
M. le Duc de Liancourt a répondu
par un discours , aux sentimens duquel
l'Assemblée a applaudi avec éclat , et
dans lequel on distingue cette phrase ingénieuse.
« Quelle époque plus heureuse pour établir
la responsabilité des Ministres , cette précieuse
sauve-garde de la liberté , ce rempart certain
contre le despotisme , que celle où le premier
qui s'y soumettra , p'aura de compte à rendre
à la Nation que celui de ses talens et de
ses vertus ! »
L'arrivée d'une Députation de la ville
de la Flèche , sa harangue , et la réponse
de M. le Président ont terminé la Séance
à trois heures.
Du jeudi 30 JUILLET. Les Bureaux seuls
ont siégé dans la matinée. Le soir , Assem→
blée générale où l'on a reçu quelques infor
mations du Comité de Rapport. La plus importante
rouloit sur le Placet et le Procèsverbal
des Officiers Municipaux de Dun en
Clermontois : la Police de cette ville a fait
arrêter un équipage de voitures , de chevaux
et de domestiques , suspects d'appartenir à M.
le Prince de Lambesc. Leur restitution ayant
été réclame par M. le Barond Hauteville, Colonel-
Commandant du Régiment de Royal- Al(
94 )
lemand, le sort de ces etlets restoit suspendu ,
jusqu'à la décision de l'Assemblée. Elle a renvoyé
cette affaire au Ministre de la Guerre .
Le Réglement de Police , adopté hier , avoit
limité les Assemblées générales à deux par
semaines , les autres jours devant être laissés
aux discussions plus froides par Bureaux , Cependant
, M. Bouche s'est élevé contre cet
article de Police , contre les inconvéniens des
Bureaux , où les opinions s'atténuent et se
subordonnent davantage à la déférence des
noms ou des qualités. Cette Motion a été
renvoyée au lendemain , conformément au
Statut du Réglement qui exige deux jours
pour l'exposé d'une Motion et pour sa déci
sion .
pour
On a lu le résultat du recensement des
voix la formation du Comité de Rapport
et de celui d'Information. Le premi'r
est composé des Députés suivans : chaque
Bureau a fourni un de ses Membres.
MM. le Comte de Tessé, Grangier , Salomon,
Secrétaire ; Alquier , le Baron de Marguerite,
le Marquis de Fumel, le Comte de
Crillon, l'Evêque de Saint -Flour , Vice Président
; le Chevalier de Bouflers , Regnier ,
Prugnon , l'Abbé d'Eymar , le Comte d'Entraigues
, le Duc de Villequier , Laire , Gros ,
Beaume , le Duc de Praslin , Président ; le
Prince de Broglie , Camus , remplacé par
Ivernault, Bévière, Chaillon , Babey, Regnaud
de Saintonge , Secrétaire ; du Cellier, Dinochau
, le Noir de la Roche , de Tracy , Arnoult
, l'Abbé de Montesquiou.
COMITÉ D'INFORMATION
.
Due MM. Luport , l'Evêque de Chartres ,
de la Rochefoucault , du Glezen , Fréteau ,
95 )
Tronchet , Reubell , Dandré , Comte de
Virieu , Camus , Bouche , Péthion de Ville
neuve.
Lecture faite des Frocès- verbaux des Séaances
des 29 & 30 juillet. Les Députés du Périgord ont
remis fur le bureau la Renonciation de la ville de
Sarlat , à l'abonnement de la taille , qui leur avoit
été accordé par Charles VII.
M. le Préfident a fait lire des lettres qu'il
avoit reçues , dans la nuit , de l'Hôtel - de- Ville de
Faris, & différens arrêtés de ce Corps , à l'oc
cafion de M. de Befenval, appréhendé à Villenaux ,
& détenu .
M. le Comte de Lally a lu le discours de M.
Necker , à l'Hôtel-de-Ville ; & M. Target a pro
polé un Arrêté , par lequel l'Affemblée déclare
qu'elle perſiſte dans fes Arrêtés , relatifs au procès
des criminels de Lèfe-Nation,
Une députation du district des Plancs- Manteaux
a paru à la barre. M. Godard , portant la parole ,
a prononcé un discours sage & nerveux qu'il
a terminé par la lecture des Arrêtés de l'ôtelde
Ville & du dit ict des Blancs - Manteaux .
M. Camus : Pour calmer Paris , il falloit
donner une communicain officielle de l'Arrêté
a prendre , à l'Hôtel- de - Ville , & au peuple. La
conduite de l'Harel- de- Ville étant blâmée , ce
Corps n'excédera plus fes pouvoirs , & le penple
fera content. Envoyer une dépuration à Paris
pour notifier l'Arrêté , & s'affurer de la perfonne
comme des papiers de M. de Béfenval.
Je ne m'oppofe pas , a dit M. Mounier , à се
qu'on'envole aux diftri&ts l'arrêté du 28 , par lequel
on a établi le Comité des recherches , au fujet
des délits qui intéreffent la fur té de l'état ;
mais vous ne devez pas , pour rétablir le calme
dans Paris , abandonner les principes facrés qui
( 96 )
protegent la liberté perfoanelle. La pourſuite
des crimes contre la Nation ne concerne aucune
ville , aucune province particulière du
Royaume ; elle appartient à ceux qui la repréfentent
aucun emprifonnement ne peut ê re fait
que fur votre réquilition ; & quand cette pourfuite
re vous appartiendroit pas , je demande
s'il peut être permis d'emprifonner un citoyen ,
à moins qu'il ne foit pris en flagrant délit , cu
qu'étant accufé légalement , il n'y ait contre lui
des preuves fuffifantes pour le faire préfumer
coupable. Vairement parle a-t-on de clameur pu
blique ; ces mots font mal entendus : la c'ameur
publique qui peut autor:fer un emprionnym nt ,
eft celle qui pourſuit un criminel , pour l'arrê
ter lorfqu'on vient de le voir commettre le crime.
Si l'on appeellllee clameur publique un buit populaire
, un foupçon , quel citoyen comptera fur la
liberté que nous fommes chargés de défendre ?
L
M. de Mirabeau a per fe qu'on ne pouvoit
amener un calme parfait dans Paris , avant que
les Comités des Districts , & celui des Electeurs
ne fuffent d'accord ; encore moins prononcer
le mot d'amniftie , & donner la liberté à aucun
prifonnier avant leur agement. La c'émence aprtient
au Roi feul ; ffemblée ni perfenne
P
n'a le droit d'innocenter. Pour rendre le calme
à la capitale , il faut fconder ceux qui propofent
des plans de Municipali é . A la Morion de M.
Target , on devoit jindre une Déclaration pour
fixer les droits du Comité des 120 Repréfentars
de la Commune , & ceux des Electeurs..
M. de Volney: L'Affemblée doit blâmer le pardon
accordé par les Electeurs ; i'Hôtel - de - Ville ,
qui représente légalement la Commune de Paris ,
n'avoit le droit d'envoyer un courrier faire
pas pour
relâcher M. de Béfenval. L'Affemblée Nationa'e
eft
( 97 )
I
ent liée depuis l'Arrête qui a créé le Comité d'Ins
truction. La démarche de la Mucipalité mérite
une cenfure , pour calmer le peuple. On ne peut
fuivre les formes ordinaires de dénonciation. La
clameur publique eft donc une dénonciation fuffiante.
L'Affemblée doit déclarer que la Muricipalité
de Paris n'avoit pas eu le droit d'enfreinun
Arrêté de l'Affemble Nationale , & lui enjoindre
ainfi qu'aux Electeurs , d'a-nuller leurs Arrêtés.
Il faut établir dans la Capitale une unité
de pouvoirs.
M. le Comte de Lally- Tokndal a parlé éoquemment
en faveur de la c'émence . Son projet
avoit été de propofer us Arrêté pour confi mer
celui des Ele&teurs ; mais comme cet Arrêté eſt
révoqué , l'Affemblée doit déc arer qu'elle regrette
beaucoup qu'il n'ait pu être mis à exécu
tion. L'Orateur s'eft fort récrié contre les opinions
de M. deMirabeau , & de quelques autres , en priant
l'Affemblée d'approuver l'Arrêté de l'Hôtel-de-
Ville. Il a voté pour la Motion de M. Target ,
& l'amendement de M. Mounier.
M. de Clermont- Tonnerre a manifefté les mêmes
fentimens.
Une députation des Communes de Paris at
paru à la barre. On a voulà faire ettrer M.
Baily dans l'intérieur , mais un grand nombre
de Membres de l'ATemblée s'y font opposés.
M. Bailly; a dit « C'est vous , Meffieurs , qui
» m'avez défigné à mes concitoyens ; ce font
» mes concitoyens qui me ramènent aujou d'nui
dans votre fein : heure 1x > d'être dépofitaire de
» vos fentimens réciproques , & de me voir au
» milieu de vous . »
M. Joly a rendu compte de tous les fits qui
s'étaient pas à Paris , dans la journée du jeudi ,
& dans la nui : fuivante.
Supplément au Nº. 32.
e
( 98 )
On a fait l'appel des voix pour la Motion
propofée la veille par M. Bouche , tendante à
fixer une Affemblée générale tous les jours :
elle a eu 588 voix , contre 296.
On a repris la difcuffion de l'Arrêté de M.
Target au fujet de la détention de M. de Béfenval.
Cet Arrêté , corrigé par fon Auteur , & modifié
par M. le Chapelier, est devenu celui de l'Affemblée
. En voici la teneur :
« Après avoir entendu le rapport des Députés
des Repréfentans de la Commune , & des Députés
du Diftrict de Blancs - Manteaux , l'Affemblée
nationale déclare qu'elle approuve l'explication
donnée par les Electeurs de Paris à leur Arrêté
pris le matin du 30 Juillet ; que fi un Peuple.
généreux & humain doit s'interdire pour toujours
les profcriptions , les Repréfentans de la Nation
font ftrictement obligés de faire juger & punir
ceux qui feroient accufés , & convaincus d'avoir
attenté au falut de l'Etat , à la liberté & au repos
public : en conféquence , l'Affemblée nationale perfifte
dans fes précédens Arrêtés relatifs à la refponfabilité
des Miniftres & Agens du pouvoir
exécutif, à l'établiffement d'un Tribunal qui prononcera
, & d'un Comité deftiné à recueillir les
indications , les inftructions & renfeignemens qui
pourroient lui être envoyés. »
« L'Affemblée nationale déclare en outre , que
la perfonne du Baron de Béfenval , fi elle eft encore
détenue , doit être remiſe en lieu sûr & fous
une garde fuffifante , dans la ville la plus prochaine
du lieu où il aura été arrêté , & que qui
que ce foit ne peut attenter à la perfonne dudit
Baron de Béfenval , qui eft fous la garde de la
Loi. "
Du famedipremier AOUT. Cette Séance a principalement
été remplie par l'examen de la ques
( 99 )
tion : Si Pon mettreit , ou non , une Déclaration des
droits de l'homme & du Citoyen en tête de la Cons
tut on. Un affez g and nombre de Membres ont
agte la queftion en diérens sens : plus de 40
Députés avoient demandé la parole fur le même
fujet , dont l'ultérieure difcuffion a été renvoyée
à lundi prochain.
S
( Nous reviendrons fur les détails de cette
Seance ) .
Au fortir de l'Affemblée , on a procédé , dans
les Bureaux , à la nomination d'un Préſident , M.
le Duc de Liancourt , étant au terme de cs fonctions.
Par le recenfement des voix l'après - dinée ,
la Majorité des fuffrages paroi /oit fixée en faveur
de M. Thouret , Député de Rouen.
Supplément au Rapport des Séances
de l'ASSEMBLÉE NATIONALE.
Pour ne pas interrompre le Journal
des délibérations , nous avons préféré de
donner , séparément , quelques morceaux
trop longs pour y être incorporés. De
ce nombre , sont les premiers Rapports
relatifs à la Constitution projetée . M.
Mounier , dont le travail est empreint
du caractère de sagesse qui accompagne
les véritables connoissances , et de cette
pénétration qui sait discerner les limites .
où les vérités ne sont plus que des paradoxes
philosophiques et des jeux d'esprit ;
M. Mounier, disons-nous , donna , il
y a trois semaines , une esquisse générale
des lois à faire. Cette préface intéressante
devant se retrouver , probae
ij
336645
( ) 100
blement , dans le travail subséquent de
l'Auteur , nous l'omettrons aujourd'hui ,
pour éviter de doubles emplois.
M. l'Abbé Sieyes , aussi Membre du
Comité dé Rédaction , a publié , depuis ,
des Préliminaires de Constitution ;
c'est un Traité abstrait des principes
primitifs de la Société civile , exposés
par plusieurs philosophes du premier
mérite.
Nous redescendrons de ces hauteurs
pour exposer les vérités plus positives ,
plus voisines de nous , plus applicables.
à nos temps , qu'ont développé M. l'Ar
chevêque de Bordeaux , et M. de Cler
mont-Tonnerre et M. Mounier , dans
les rapports lus aux Séances d'Assemblée
générale , les 27 et 28 juillet.
A la suite d'un préambule oratoire
qu'on pourroit aussi considérer comme
une introduction , M. l'Archevêque de
Bordeaux présente à l'attention de l'Assemblée
et du Public , les deux grandes
questions suivantes :
On demande d'abord si le corps législatif
sera périodique ou permanent.
Le grand nombre des caliers , il faut l'avouer
, ne parle que de la priodicité , et
nous ne vous dissimulerons cependant pas, que
Popinion unanime du Comité est pour la permanence.
Nous avons pensé que le pouvoir législatif
ne pouvoit être , sans danger , condamné au
2
TET
"
13
E
!
( roi )
silence et à l'inaction pendant aucun intervalle
de temps ; que lui seul a le droit d'interpréter
ou de suppléer les lois qu'il a por
tées ; que se reposer sur le pouvoir exécutif
de cette double fonction , ce seroit compli
quer ensemble deux forces que l'intérêt publie
exige que l'on sépare ; que commietire
cette autorité à des Corps , ce seroit , par un
plus grand malheur encore , exposer , tout àla-
fois , et le pouvoir exécutif, et le pouvoir
législatif à une invasion redoutable de leur
part ; qu'enfin , ce pouvoir ne pouvant s'exercer
par délégation d'aucun genre , et devant
néanmoins être actif, il restoit uniquement
à rendre permanente l'Assembée à laquelle il
appartient de le faire agir.
Ce n'est pas qu'aucun de nous ait pensé
que cette Assemblée dût être perpétuelle ,
mais seulement toujours en mesure de se former,
toujours continuant ses lances , et ne
se renouvelant que dans ses membres , que
dans une proportion de nombre et de temps
qu'il paroîtra convenable de fixer .
Notre opinion n'est pas également arrêtée
sur la composition même du Corps legislatif:
sera-t - il constitué en une seule Chambre , ou
en plusieurs ?
Les personnes qui sont attachées au sys
tême d'une Chambre unique , peuvent s'appuyer,
avec une juste confiance , sur l'exemple
de celle dans laquelle nous sommes réunis ,
et dont les heureux effets sont déja si sensibles
. Elles alléguent encore que c'est la volonté
commune qui doit faire la loi , et qu'elle
ne se montre jamais mieux que dans une
seule Chambre ; que tout partage du Corps
législatif , en rompant son unité , rendroit
souvent impossibles les meilleures institutions,
e iij ·
( 102 )
les réformes les plus salutaires ; qu'il introduiroit
, dans le sein de la Nation , un état de
lutte et de combat , dont l'inertie politique ,
ou de funestes divisions pourroient résulter;
qu'il exposeroit aux dangers d'une nouvelle
aristocratie que le voeu , comme l'intérêt national
, est d'écarter.
D'autres , au contraire , soutiennent que le
partage du Corps législatif en deux Chambres
est nécessaire. Qu'à la vérité , dans le moment
d'une régénération , on a dû préférer
l'existence d'une seule Chambre ; qu'il falloit
se prémunir contre les obstacles de tout genre
dont nous étions environnés ; mais que deux
Chambres seront indispensables pour la conservation
et la stabilité de la Constitution
que vous aurez déterminée ; qu'il faut deux
Chambres pour prévenir toute surprise et
toute précipitation , pour assurer la maturité
des Délibérans ; que l'intervention du Roi ,
dans la législation , seroit vaine , illusoire et
sans force contre la masse irrésistible des volontés
nationales portées par une seule Chambre
; que devant tendre sur- tout à fonder
une Constitution solide et durable , nous devons
nous garder de tout systême qui , en
réservant toute la réalité de l'influence au
Corps législatif , intéresseroit le Monarque à
saisir les occasions de la modifier , et exposeroit
l'Empire à de nouvelles convulsions.
Que l'activité du Corps législatif, en accélérant
sa marche sans utilité , l'expose à des
résolutions trop subites , inspirées par une
éloquence entraînante , ou par la chaleur des
opinions , ou enfin par des intrigues étrangères
, excitées par les Ministres , ou dirigées
contre eux; que ces résolutions précipitées
conduiroient bientôt au despotisme ou à l'a(
103 )
narchie ; que l'exemple de l'Angleterre , et
même celui de l'Amérique , démontrent l'utilité
de deux Chambres , et répondent suffisamment
aux objections fondées sur la crainte
de leurs inconvéniens . Ils ajoutent néanmoins
qu'en partageant le Corps législatif en deux
Chambres , ce doit être sans egards aux distinctions
d'Ordre ,. qui pourroient ramener les
dangers d'autant plus redoutables de l'aristocratie
, qu'ils auroient le sceau de la légafité
, mais faisant ressortir leur différence de
l'influence que l'on attribueroit à chacune
d'elle , et de la nature même de leur Constitution
.
Le rapport de M. de Clermont-Tonnere
contient , en ces termes , le résumé
des cahiers relatifs à la Constitution.
Nos Commettans , Messieurs , sont tous
d'accord sur un point : ils veulent la régénération
de l'Etat ; mais les uns l'ont attendue
de la simple réforme des abus et du rétablissement
d'une Constitution existant depuis
quatorze siècles , et qui leur a paru pouvoir
revivre encore , si l'on réparoit les outrages
que lui ont fait le temps et les nombreuses
insurrections de l'intérêt personnel contre
l'intérêt public .
D'autres ont regardé le régime social existant
comme tellement vicié , qu'ils ont demandé
une Constitution nouvelle , et qu'à
Pexception du Gouvernement et des formes
monarchiques , qu'il est dans le coeur de tout
François de chérir et de respecter , et qu'ils
Vous ont ordonné de maintenir , ils vous ont
donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer
une Constitution , et asseoir sur des principes
e iv
( 104 )
certas, et sur la distinction et constitution
régulière de tous les pouvoirs , la prospérité
de l'Empire François . Ceux - là , Messieurs
ont cru que le premier chapitre de la Consti
tution devoit contenir la Déclaration des droits
de l'homme ; de ces droits imprescriptibles ,
pour le maintien desquels la Société fut
établie.
La demande de cette Déclaration des droits
de l'homme , si constamment méconnus , est ,
pour ainsi dire , la seule différence qui existe
entre les cahiers qui désirent une Constitution
nouvelle , et ceux qui ne demandent que
le rétablissement de ce qu'ils regardent comme
la Constitution existante.
Les uns et les autres ont également fixé
leurs idées sur les principes du Gouvernement
Monarchique , sur l'existence du pouvoir et
sur l'organisation du Corps législatif, sur la
nécessité du consentement national à l'impôt ,
sur l'organisation des Corps administratifs , et
sur les droits des Citoyens.
Nous allons , Messieurs , parcourir ces divers
objets , et vous offrir sur chacun d'eux , comme
décisions , les résultats uniformes ; et comme
questions à examiner , les résultats différens
ou contradictoires , que nous ont présenté
ceux de vos cahiers dont il nous a été possible
de faire ou de nous procurer le dépouillement.
1 ° . Le Gouvernement Monarchique , l'inviolabilité
de la personne sacrée du Roi , et
l'hérédité de la Couronne de mâle en mâle ,
sont également reconnus et consacrés par le
plus grand nombre des caliers , et ne sont
mis en question dans aucun.
2º. Le Roi est également reconnu comme
( 105 )
dépositaire de toute la plénitude du pouvoir
exécutif.
3º. La responsabilité de tous les Agens de
l'autorité est demandée généralement.
4°. Quelques cahiers reconnoissent au Roi
le pouvoir législatif, limité par les Lois constitutionnelles
et fondamentales du Royaume ;
d'autres reconnoissent que le Roi , dans l'intervalle
d'une l'Assemblée Etats - Généraux
à l'autre , peut faire seul les Lois de police
et d'administration , qui ne seront que provisoires
, et pour lesquelles ils exigent l'enre
gistrement libre dans les Cours Souveraines .
Un Bailliage a même exigé que l'enregistrement
ne pût avoir lieu qu'avec le consentement
des deux tiers des Commissions intermédiaires
des Assemblées de District.
Le plus grand nombre des cahiers reconnoît
-la nécessité de la sanction Royale pour la promulgation
des Lois.
Quant au pouvoir législatif, la pluralité des
cahiers le reconnoît comme résident dans la
la Représentation nationale , sous la clause de
sanction Royale ; et il paroît que cette maxime
ancienne des Capitulaires , lex fit consensu
Populi et constitutione Regis , est presque
généralement consacrée par vos Commettans .
Quant à l'organisation de la Représentation
nationale , les questions sur lesquelles
vous avez à prononcer , se rapportent à la
convocation , ou à la durée , où à la composition
de la Représentation nationale , ou au
mode de délibération que lui proposoient vos
Commettans.
Quant à la convocation , les uns ont déclaré
que les Etats - Généraux ne pouvoient être
dissous que par eux-mêmes ; les autres , que
e v
( 106 )
le droit de convoquer , proroger et dissoudre ,
appartenoit au Roi , sous la seule condition ,
en cas de dissolution , de faire sur- le- champ
une nouvelle convocation .
Quant à la durée , les uns ont demandé la
périodicité des Etats - Généraux , et ils ont
voulu que le retour périodique ne dépendît
ni des volontés ni de l'intérêt des dépositaires
de l'autorité ; d'autres , mais en plus
petit nombre , ont demandé la permanence
des Etats- Généraux , de manière que la séparation
des Membres n'entraînât pas la dissolution
des Etats.
Le systême de la périodicité a fait naître
une seconde question : y aura-t- il , ou n'y aurat-
il pas de Commission
intermédiaire
pendant
l'intervalle des Séances ? La Majorité de vos Commettans
a regardé l'établissement
d'une
Commission
intermédiaire
comme un établissement
dangereux .
Quant à la composition , les uns ont tenu
à la séparation des trois Ordres ; mais , à cet
égard , l'extension des pouvoirs qu'ont déja
obienne plusieurs Représentans , laisse sans
doute une plus grande latitude pour la solu- .
tion de cette question
Quelques Bailliages ont demandé la réunion
des deux premiers Ordres dans une même
Chambre ; d'autres , la suppression du Clergé
et la division de ses Membres dans les deux
antres Ordres ; d'autres , que la Représentation
de la Noblesse fût double de celle du
Clergé , et que toutes deux réunies fussent
égales à celle des Communes .
Un Bailliage , en demandant la réunion des
deux premiers Ordres , a demandé Pétablissement
d'un troisième , sous le titre d'Ordre
de Campagnes : il a été également demandé
( 107 )
que toute personne exerçant charge , emploi
ou place à la Cour , ne pût pas éire députée
aux Etats- Généraux ; enfin , l'inviolabilité de
la personne des Députés est reconnue par le
plus grand nombre des Bailliages , et n'est
contestée par aucun. Quant an mode de délibération
, la question de l'opinion par tête
et de l'opinion par Ordre est résolue ; quelques
Bailliages demandent les deux tiers des
opinions pour former une résolution .
La nécessité du consentement national à
l'Impôt est généralement reconnue par vos
Commettans , établie par tous vos cahiers :
tous bornent la durée de l'impôt au terme
que vous lui aurez fixé , terme qui ne pourra
jamais s'étendre au-delà d'une tenue à l'autre
; et cette clause impérative a paru à
tous vos Commettans le garant le plus sûr
de la perpétuité de vos Assemblées Nationales.
L'Emprunt n'étant qu'un impôt indirect ,
leur a paru devoir être assujetti aux mêmes
principes.
Quelques Bailliages ont excepté des impôts
à terme , ceux qui auroient pour objet la
liquidation de la dette Nationale , et ont cru
qu'ils devoient être perçus jusqu'à son entière .
extinction.
Quant aux Corps administratifs , ou Etats
Provinciaux , to s les Cahiers vous demandent
leur établissement , et la plupart s'en
rapportent à votre sagesse sur leur organisation.
Enfin , les droits des Citoyens , la liberté.
la propriété sont réclamées avec force par
toute la Nation Françoise. Elle réclame , pour
chacun de ses Membres , l'inviolabilité des
propriétés particulières , comme elle réclam
pour elle-même l'inviolabilité de la propriété
e vi
( 108 )
•
publique ; elle réclame , dans toute son étens
due , la liberté individuelle , comme elle vient
d'établir à jamais la liberté Nationale ; elle
réclame la liberté de la Presse , ou la libre
communication des pensées ; elle s'élève avec
indignation contre les lettres -de-cachet qui
disposoient arbitrairement des personnes , et
contre la violation du secret de la Poste , l'une
des plus absurdes et des plus infâmes inventions
du despotisme.
Au milieu de ce concours de réclamations ,
nous avons remarqué , Messieurs , quelques
modifications particulières , relatives et aux
Lettres-de-cachet et à la liberté de la Presse.
Vous les peserez dans votre sagesse , vous
rassurerez sans doute ce sentiment de l'honneur
François , qui , par son horreur pour
la honte , à quelquefois méconnu la justice ,
et qui mettra sans donte autant d'empressement
à se soumettre à la Loi , lorsqu'elle commandera
aux forts , qu'il en mettoit à s'y
soustraire , lorsqu'elle ne pesoit que sur le
foible . Vous calmerez les inquiétudes de la
religion , si souvent outragée par des libelles
dans le temps du régime prohibitif; et le
Clergé se rappelant que la licence fut longtemps
la compagne de l'esclavage , reconnoîtra
lui-même que le premier et le naturel
effet de la liberté , est le retour de l'ordre ,
de la décence et du respect pour les objets
de la vénération publique.
Tel est , Messieurs , le compte que votre
Comité a cru devoir vous rendre de la partie
de vos cahiers qui traite de la Constitution ;
yous y trouverez sans doute toutes les pierres
fondamentales de l'édifice que vous êtes chargés
d'élever à toute sa hauteur , mais vous
y désir orez peut - être cet ordre , cet ensem
( 109 )
ble de combinaisons politiques , sans lesquelles
le régime social présentera toujours
de nombreuses défectuosités. Les pouvoirs y
sont indiqués , mais ne sont pas encore distingués
avec la précision nécessaire . L'organisation
de la Représentation Nationale
n'y est pas suffisamment établie ; les principes
de l'eligibilité n'y sont point posés : c'est
de votre travail que naîtront ces résultats.
La Nation a voulu être libre , et c'est vous
qu'elle a chargés de son affranchissement :
le Génie de la France a précipité , pour ainsi
dire , la marche de l'esprit public ; il a accumulé
pour vous , en peu d'heures , Texpérience
que l'on pouvoit à peine attendre de
plusieurs siècles . Vous pouvez , Messieurs ,
donner une Conftitution à la France ; le Roi
et le Peuple la demandent : l'am et l'autre
l'ont méritée.
Résultat du dépouillement des Cahiers.
PRINCIPES A VOUÉ S.
ART . I. Le Gouvernement François est un
Gouvernement vlonarchique.
II. La personne du Roi est inviolable et
sacrée .
III. Sa Couronne est héréditaire de mâle
en måle.
IV . Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
V. Les Agens de l'autorité sont responsables.
( 110 )
VI. La sanction Royale est nécessaire pour
la promulgation des Lois.
VII. La Nation fait la Loi avec la sanction
Royale.
VIII. Le consentement national est nécessaire
à l'emprunt et à l'impôt.
IX . L'impôt ne peut être accordé que d'une
tenue d'Etats- Généraux à l'autre .
X. La propriété sera sacrée .
XI. La liberté individuelle sera sacrée .
Questions sur lesquelles l'universalité
des Cahiers ne s'est point expliquée
d'une manière uniforme.
ART. I. Le Roi a -t-il le pouvoir législatif,
limité par les Lois constitutionnelles du
Royaume ?
II. Le Roi peut-il faire seul des Lois proyisoires
de Police et d'Administration , dars
Kintervalle des tenues des Etats - Généraux ?
III. Ces Lois seront - elles soumises à l'enregistrement
libre des Cours Souveraines ?
IV. Les Etats - Généraux ne peuvent- ils être
dissous que par eux- mêmes ?
V. Le Roi peut-il seul convoquer , proroger
et dissoudre les Etats -Généraux ?
VI . En cas de dissolution , le Roi est - il
obligé de faire sur-le- champ une nouvelle
convocation ?
VII . Les Etats- Généraux seront - ils permanens
ou périodiques ?
VIII. S'ils sont périodiques , y aura-t- il ,
( 111 )
ou n'y aura- t- il pas une Commission intermédiaire
?
IX. Les deux premiers Ordres seront - ils
réunis daus une même Chambre ?
X. Les deux Chambres seront- elles formées
sans distinction d'Ordre ?
XI. Les Membres de l'Ordre du Clergé
ils répartis dans les deux autres
- seront
Ordres ?
XII. La Représentation du Clergé , de la
Noblesse et des Communes sera - t - elle dans la
proportion d'une , deux et trois ?
XIII. Sera-t-il établi un troisième Ordre ,
sous le titre d'Ordre des Campagnes ?
XIV. Les personnes possédant charges
emplois ou places à la Cour , peuvent - elles
être députées aux Etats- Généraux ?
XV. Les deux tiers des voix seront- ils nécessaires
pour former une résolution ?
XVI. Les impôts ayant pour objet la liquidation
de la dette nationale , seront- ils perçus
jusqu'à son entière extinction ?
XVII. Les Lettres d -cachet seront- elles
abolies on modifiées ?
XVIII. La liberté de la Presse sera-t- elle
indéfinie ou modifiée ?
Suite du Supplément aux Etats-
Généraux.
Le projet des premiers articles de la
Constitution , lu dans la Séance du 28
juillet , par M. Mounier , a des rapports
frappans , quoiqu'incomplets , avec la
Constitution Britannique. Voici ce
( 112 )
morceau , rédigé avec autant de préci
sion que de clarté :
Nous , les Représentans de la Nation Françoise
, convoqués par le Roi , réunis en Assemblée
Nationale , en vertu des pouvoirs qui
nous ont été confiés par les Citoyens de toutes
les Classes , chargés par eux spécialement de
fixer la Constitution de la France , et d'assurer
la prospérité publique ; déclarons et établissons
par l'autorité de nos Commettans
comme Constitution de l'Empire François
les maximes et règles fondamentales et la
forme du Gouvernement , telles qu'elles seront
ci-après exprimées et lorsqu'elles auront
été reconnues et ratifiées par le Roi, on
ne pourra changer ancun des articles qu'elles
renferment , si ce n'est par les moyens qu'elles
auront déterminés .
CHAPITRE PREMIER .
Déclaration des droits de l'Homme et du
Citoyen.
ART. I. Tous les hommes oat un penchant invincible
vers la recherche du bonheur ; c'eſt , por
y parvenir par la réunion de leurs efforts ' , qu'ils
ont formé des fociétés et établi des gouvernemens.
Tout Gouvernement doit donc avoir pour
but la félicité générale .
II. Las confiquences qui réfaltent de cette vérité
incontable fort , que le gouvernement
exifte pour l'intérêt de ceux qui fout gouvernés ,
& non de ceux qui gouvernent ; qu'aucune fonction
publique re- peut êre confidézés comme la
proprié de ceux qui l'exercent ; que le prixcipe
de toute fouveraineté réfide dans la Nation , et
( 113 )
que nul corps , nul individu ne peut avoir une
autorité qui n'en émane expreffément.
III. La nature a fait les hommes libres et
égaux en droits ; les diftinctions sociales doivent
donc être fondées fur l'utilité commune.
IV. Les hommes , pour être heureux , doivent
avoir le libre et entier exercice de toutes leurs
facu'tés phyfiques et morales.
V. Pour s'affuer le libre et entier exercice de
fes facultés , chaque homme doit reconnoître ,
et faciliter , dans fes femblables , le libre exercice
des leurs
VI. De cet accord exprès ou tacite réſults entre
les hommes la double relation des droits &
des devoirs.
VIJ. Le droit de chacun confifte dans l'exercice
de fes facultés , limité uniquement par le
droit femblable dont jouiffent les autres individus.
VIII. Le devoir de chacun confifte à respecter
le droit d'autrui .
IX. Le Gouvernement , pour procurer la félicité
générale , doit donc protéger les droits &
prefcrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre
exercice des facultés humaines , d'autres limites
que celles qui font évidemment néceffaires pour
en affurer la jouiffance à tous les Citoyens , &
empêcher les actions nuifibles à la Société. Il
dcit fur-tout garantir les droits impreſcriptibles
qui appartiennent à tous les hommes , tels que
la liberté perfonnelle , la propriété , la fûreté
le foin de fon honneur & de fa vie , la libre
communication de fes perfées , & la réſiſtance
à l'oppreffior.
X. C'est par des Lois claires , précifes & uniformes
pour tous les Citoyens , que les droits
doivent être protégés , les devoirs tracés , &
les actions nuifibles punies.
>
( 114 )
XI. Les citoyens ne peuvent être foumis à
d'autres Lois qu'à celles qu'ils ont librement
confenties par eux ou par ieurs Repréfentans ;
& c'eft dans ce fens que la Loi eft l'expreffion
de la volonté générale.
XII. Tout ce qui n'eft pas défendu par la Loi
eft permis , & nul ne peut être contraint à faire
ce qu'elle n'ordonne pas.
XIII. Jamais la Loi ne peut être invoquée
pour des faits antérieurs à fa publication ; & fi
elle étoit rendue pour déterminer le jugement
de ces faits antérieurs , elle feroit oppreilive &
tyrannique.
XIV. Pour prévenir le defpotifme & affurer
l'empire de la Loi , les pouvoirs légiflatif , exécutif
& judiciaire , doivent être diftincts . Leur
réunion dans les mêmes mains mettroit ceux qui
en feroient les dépositaires au-deffus de toutes
les Lois , & leur permettroit d'y fubftituer leurs
volontés.
XV. Tous les individus doivent pouvoir recomir
aux Lois , & y trouver de prompts fe-
' cours pour tous les torts ou injures qu'ils auroient
foufferts dans leurs biens ou dans leurs
perfonnes , ou pour les obftacles, qu'ils éprouveroient
dans l'exercice de leur liberté .
XVI. Il eft permis à tout homine de repouf
fer la fice par la force , à moins qu'elle ne
foit employée en vertu de la Loi .
XVII. Nul ne peut être arrêté ou emprifonné
qu'en vertu de la Loi , avec les formes qu'elle
a prefcrites , & dans les cas qu'elle a prévus .
XVIII. Aucun homme ne peut êre jagé
que dans le reffort qui lui a été affigné par la
Loi.
XIX. Les peines ne doivent point être arbitraires
, mais déterminées par les Lois , & eles
doivent être abfolument femblables pour tous
( 115 )
les Citoyens , quels que foient leur sang & leur
fortune.
XX. Chaque Membre de la Société ayant
droit à la protection de l'Etat , doit concourir
à fa profpérité , & contribuer aux frais néceffaires
, dans la proportion de fes biens , fans que
nul puifle prétendre aucune faveur ou exemption
, quel que foit fon rang ou fon emploi.
XXI . Aucun homme ne peut être inquiété
pour fes opinions religieufes , pourvu qu'l fe
conforme aux Lois , & ne trouble pas le culte
public .
XXII. Tous les hommes ont le droit de q inter
l'État dans lequel ils font nés , & de fe choifir
une autre patrie , en renonçant aux droits attachés
dans la première à leur qualité de citoyen .
XXIII. La liberté de la Preffe eft le plus ferme
appui de la liberté publique. Les Lois doivent la
maintenir , en la conciliant avec les m yen: propres
à affurer la punition de ceux qui pourroient
en abufer pour répandre des difcours fid-tieux ,
ou des caloninies contre des particuliers .
CHAPITRE IL
Principes du Gouvernement François.
AP , Ier. Le Gouvernement François eft Monarchique
; il eft effentiellement dirigé par la Loi ;
il n'y a point d'autorité fupèteure à la Loi . Le
Roi ne règne que par elle , & quand il ne commande
pas au nom de la Loi , il ne peut exiger
l'obéiffance.
II. Le pouvoir législatif doit être exercé par
l'Affemblée des Repréfentans de la Nation , conjointement
avec le Monarque dont la fanétion eft
néceffaire pour l'établiffement de Lois ..
Ill. Le pouvoir exécutif fup ême réfide exclufivement
dans les mains du Roi.
( 116 )
IV. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être
exercé par le Roi , & les juges auxquels il eft
confié ne peuvent être dépoffédés de leur Office ,
pendant le temps fixé par la Loi , autrement que
par les voies légales .
V. Aucune taxe , impôt , charge , droit ou
fubfide , ne peuvent être établis fans le confentement
libre & volontaire des Repréfentans de la
Nation.
VI. Les Repréſentans de la Nation doivent
furveiller l'emploi des fubfides , & en conféquence
les Adminiftrateurs des deniers publics doivent
leur en rendre un compte exact.
VII. Les Minſtres , les autres Agens de l'Autorité
Royale font refponfables de toutes les infractions
qu'ils commettent envers les Lois , quels
que foient les ordres qu'ils aient reçus ; & ils
doivent en être punis fur les pourfuites des Repréfentans
de la Nation.
VIII. La France étant une terre libre , l'efclavage
ne peut y être toléré , & tout esclave eft
affranchi de plein droit dès le moment où il eſt
entré ea France. Les formalités introduites pour
éluder cette règle feront isutiles à l'avenir , &
aucun prétexte ne pourra déformais f'oppoſer à
la liberté de l'efclave.
IX . Les Citoyens de toutes les claffes peuvent
être admis à toutes les charges & emplois
& ils auront la faculté d'acquérir toute eſpèce
de propriétés territoriales , fans être tenus de
payer à l'avenir aucun doit d'incapacité ou de
frar - fief.
X. Aucune profeffion ne fera confidérée comine
emportant déregeance.
Xi. Les emprisonnemens , exils , contraintes ,
enlèvemens , actes de violence en vertu de letres-
de-cachet , cu ordres arbitraires , feront à
jamais profcrits ; tous ceux qui auront confeillé ,
( 117 )
follicité , exécuté de pareis ordres , feront pourfuivis
comme crimine's , & punis par une déte
tion qui durera trois fois autant que celle
qu'ils auront occafionnée , & de plus par des
dommages-intérêts.
XII. Le Roi pourra réanmoins , quand il le
jugera convenable , donner l'ordie d'empriſonner
, en faisant remettre les perfonnes arrêtées ,
dans les prifons ordinaires , & au pouvoir des
Tribunaux compétens , avant l'expiration du délai
de vingt quatre heures , fauf au détenu , fi
f'emprisonnement eft reconnu injufte , à pourfuivre
les Miniftres , ou autres Agens qui auroient
confeillé l'emprisonnement , ou qui au
roient pu y contribuer par les ordres qu'ils au
roient tranfmis.
XII. Pour affurer dans les mains du Roi la
confervation & l'indépendance du pouvoir exé
cutif , il doit jouir de diverfes prérogatives qui
feront ci-après détaillées.
XIV. Le Roi et le Chef de la Nation ; il
eft une portion intégrante du Corps légiflatif.
Il a le pouvoir exécutif fouverain ; il eft chargé
de maintenir la fûreté du Royaume au dehors
& dans l'intérieur ; de veiller à fa défenſe ; de
faire rendre la justice , en fon nom , dans les
Tribunaux ; de faire punir les délits ; de procurer
le fecours des Lois à tous ceux qui le réclament
; de protéger les droits de tous les Citoyens
, & les prérogatives de la Couronne , fuivant
les Lis & la préfente Conſtitution."
XV. La perfonne du Roi eft invio “ blé &
facrée. Elle ne peut être actionnée directement
devant aucun Tribunal.
XVI . Les offenfes commifes envers le Roi ,
la Reine & l'héritier préfomptif de 'a Couronne ,
doivent être plus févèrement pusies par les Lois ,
que celles qui concernent fes Sujets .
( 118 )
XVII. Le Roi eit le dépofitaire de la force
publique ; il eft le Chef fuprême de toutes les
forces de terre & de mer. Il a le droit exclufif
de lever des Troupes , de régler leur marche
& leur difcipline , d'ordonner les fortifications
néceffaires pour la fûreté des Frontières , de fire
conftruire des a fenaux , des ports havres ,
de recevoir & d'envoyer des ambaffadeurs , de
contracter des alliances , de faire la paix & la
guerre.
XVIII. Le Roi peut paffer , pour l'avantage
de fes Sujets , des Traités de Commerce ; mais
ils doivent être ratifiés par le Corps Législatif ,
toutes les fois que fon exécution néceffite de
nouveaux droits , de nouveaux règlemens , ou
de nouvelles obligations pour les Sujets François.
XIX. Le Roi a le droit exclufif de battre
monnoie ; mais il ne peut faire aucun changement
à fa valeur fans le confentement du Corps
légiflatif.
XX. A lui feul appartient le droit de donner
des lettres de grace dans les cas où les Lois permettent
d'en accorder .
XXI . Il a l'adminiſtration de tous les biens de
la couronne ; mais il ne peut aliéner aucune partie
de fes Domaines , ni céder à une Puiffance
étrangère aucune portion du territoire foumis à
fon autorité , ni acquérir une domination nouvelle
, fans le confentement du Corps législatif.
XXII. Le Roi peut arrêter , quand il le juge
néceflaire , l'exportation des armes & des munitions
de guerre.
My
XXIII . Le Roi peut ordonner des proclamations
pourvu qu'elles foient conformes aux Lois ,
qu'elles en ordonnent l'exécution , & qu'elles ne
renferment aucune difpofition nouvelle ; mais il
me peut , fans le confentement du Corps légif
"
( 119 )
latif , prononcer la furféance d'aucune difpofition
des Lois.
XXIV. Le Roi eft le maître abfo'u du choix de
fes Miniftres & des Membres de fon Confeil.
XXV. Le Roi eft le dépofitaire du tréfor pablic;
il ordonne & règle les dépenfes conformément
aux conditions preferite, par les Lois qui
établiffent les fubfides.
XXVI. Le Roi a le droit de convoquer le
Corps lég flatif dans l'intervalle des Seffions ou
des termes fixés par les ajournemens .
XXVII. Il a droit de régler das fon Confeil
, avec le concours des affemblées Provincia.
les , ce qui concerne l'Administration du Royaume ,
en fe conformant aux Lois générales qui feront
rendues fur cette matière.
XXVIII . Le Roi eft la fource des honneurs :
il a la diftribution des graces , des récompen
fes , la nomination des Dignités & emplois Eccléfiaftiques
, Civils & Militaires .
XXIX. L'indiviſibilité & l'hérédité du Trône
font les plus fûrs app is de la paix & de la félicité
publique , & font inhé entes à la véritable
Monarchie. La Couronne eft héréditaire de branche
en branche , par ordre & primogéniture , &
dans la ligne mafculine feulement. Les femmes
& leurs defcendans en font exclus .
XXX . Suivant la Loi , le Roi ne meurt jamais ,
c'eft-à-dire que par la feule force de la Loi , toute
l'autorité royale eft tranfmife , incontinent après
la mort du Monarque , à celui qui a le droit de
lui fuccéder.
XXXI . A l'avenir les Rois de France ne
pourront être confidérés comme majeurs qu'à
l'âge de vingt-un ans accomplis.
XXXII. Pendant la minorité des Rois , on en
cas de démence conftatée , l'autorité royale fera
exercée par un Régent.
( 120 )
XXXIII. La Régence fera déférée d'après les
mêmes règles qui fixent la fucceffion à là Couronne
, c'est-à- dire qu'elle appartiendra de plein
droit à l'héritier préfomptif du Trône , pourvu
qu'il foit majeur ; & dans le cas où il feroit
mineur , elle paffera à celui qui , immédiatement
après , auroit le plus de droit à la fucceffion.
Il exercera la Régence jufqu'au terme où
elle devra expirer , quand même le plus proche hé
ritier feroit devenu majeur dans l'intervalle.
XXXIV . Le Régent ne pourra jamais avoir
la garde du Roi ; elle fera donnée à ceux qui
auront été indiqués par le teftament de fon prédéceffeur.
A défaut de cette indication , la garde
d'un Roi mineur appartiendra à la Reine- Mère ;
celle d'un Roi en démence appartiendroit à fon
époufe ; & à leur défaut , les Repréfentans de
la Nation chofiroient la perfonne à qui cette
garde feroit confiée. Le Régent feroit choisi de
la même manière , dans le cas où il n'exiſteroit
aucun proche parent du Roi ayant droit de
lui fuccéder.
XXXV. Les Régens qui feront nommés dans
les cas de démence , ne pourront faire aucune
nomination ou conceffion , ri donner aucun confentement
qui ne puiffent être révoqués par le
Roi revenu en état de fanté , ou par fon fucceffeur.
De Paris , le 6 août.
Arrêt du Conseil d'Etat du Roi , du
2 juillet 1789 , qui casse et annulle une
Ordonnance du Gouverneur-général de
Saint - Domingue , du 9 mai dernier ,
laquelle accordoit aux Étrangers la li
berté du Commerce pour la partie du
Sud de Saint-Domingue.
De
1
( 121 )
C'est à Basie où M. Necker reçut la
lettre suivante de S. M.
J'ai été trompé fur votre compte. On a fait
violence à mon caractère . Me voilà enfin éclairé.
Venez , venez , Monfieur , faris délai , reprendre
vos droits à ma confiance , qui vous eft acquife
à jamais. Mon coeur vous eft connu . Je
Vous attends avec toute ma nation , & je partage
bien fincèrement fon is patience. Sur ce , je
prie Dieu , Monfieur , jufqu'à votre retour , qu'il
Vous ait en fa fainte et digne garde. » .
Signé LOUIS .
La réponse de M. Necker , datée du
23 , parvint le 26 au Roi ; elle portʊit :
SIRE ,
» Je reçois à l'inftant la lettre dont il a plu
à VOTRE MAJESTÉ de m'honorer ; les
expreffions me manquent , pour lui tém iger
tout ce que me fait éprouver d'attendriffit le
retour de fes bontés ; il me pénètre de ples ca
plus de l'obligation que je me fuis imposée depuis
long - temps de distinguer toujours dans
votre Majefté le Prince jufte , honnête homme ,
qui ne peut que faire le bien de la Nation , lorfqu'il
agit par lui - même , du Mo , arque puiffant
qui la gouverne , & qui eft exposé à fair
fouvent ce qui répugne à fon coeur. » e
» Je ne prends , Sie , que le temps d'effuyer
les larmes que votre lettre me fait répandre , &
je vole à vos ordres . Je ne vous porterai point
mon coeur , c'eft une propriété qui vous eft - acquife
à mille titres , & à laquel e je n'ai plus de
droit. »
Je compte avec impatience , & , je cherche
Supplément au Nº. 32 . f
( 122 )
à accélérer les moniens qui me font néceſſaires
pour aller vous offrir la dernière goutte de mon
fang , mes foibles lumières , mon devouement entier
à votre Personne facrée , & le profond respect
avec lequel je suis , »
SIRE , & c .
NECKER .
M. le Baron de Staël , Ambassadeur
de Suède , et gendre de M. Necker , fut
le porteur de cette lettre , et son arrivée
ici précéda de trois jours celle de son
Beau-Père . M. Necker se rendit directement
à Versailles , où il fut reçu , le
28 , comme l'Ange tutélaire de la France.
Presque au terme de sa route , sa sensibilité
avoit été douloureusement frappée
du récit de quelques-uns des incidens
qui , les jours précédens , s'étoient mêlés
aux traits d'énergie qui caractérisèrent
la révolution .
Après avoir rendu ses hommages à
Leurs Majestés , et témoigné personnellement
à l'Assemblée nationale , sa
reconnoissance , son dévouement et son
respect , ils rendit , le 30 , à l'Hôtel-de-
Ville de Paris , accompagné de M. le
Comte de St. Priest. Une Garde Bourgeoise
très-nombreuse le reçut aux barrières
; il entra en Ville ' aux acclamations
d'une multitude innombrable :
ces transports se renouvelèrent lorsqu'il
parut à la place de l'Hôtel-de - Ville.
L'Assemblée qui y siégeoit , étoit alors
( 123 )
divisée en deux Corps ; l'un des 120 Représentans
élus réceinment par les Communes
de Paris , et ayant à leur tête
M. le Maire et M. de la Fayette , Commandant-
Général de la Milice nationale
de la capitale l'autre composé des
Electeurs , provisoirement constitués
pendant les premiers jours de trouble ,
et remplacés dans leurs fonctions par
les Députés , régulièrement élus , des
Assemblées de Districts. M. Necker ,
adressa à l'un et à l'autre de ces Corps ,
le même Discours que voici :
" Je manque d'expreffions , Meffieurs , pour
vous témoigner , & ea votre perfonne , à tous
les citoyens de Paris , la reconnoiffance dont je
fuis pénétré. Les marques d'intérêt & de bonté
que j'ai reçues de leur part , fost un bienfait hers
de toute proportion avec mes foibles fervices ,
& je ne puis m'acquitter que par un fentiment
ineffaçable. Je vous promets , Meffieurs , d'être
fidèle à cette dernière obligation , & jamais de
voir ne fera plus doux ni plus facile à remplir.»
» Le Roi , Meffieurs , a daigné me recevoir
avec la plus grande bon: é , & a daigné m'affurer
du retour de sa confiance la phys entière . Mais
aujourd'hui , Meffieurs , c'eft entre les mains de
l'Affemblée nationale , c'eft dans les vôtres que
repofe le falut de l'État , car en ce moment il ne
refte prefque plus aucune action au gouvernement.
Vous donc , Meffieurs , qui pouvez tant , & par
la grandeur & l'importance de la ville dont vous
êtes les notables citoyens , & par l'influence de
votre exemple dans tout le royaume , je viens vous
conjurer de donner tous vas foins à l'établiffement
de l'ordre le plus parfait & le plus durable.
fij
( 124 )
Rien ne peut fleurir , rien ne peut profpérer fans
cet ordre ; & ce que vous avez d.ja fait , Meffieurs
, en fi peu de temps , annonce & devient
un garant de ce que vous faurez achever; mais
jufqu'à ce dernier terme la confiance fera incertaine,
& une inquiétude générale troublera le bonheur
public , éloignera de Paris un grand nombre de
riches confommateurs , & détournera les étrangers
de venir y verfer leurs richeffes . Enfin , Paris ,
cette célèbre cité , Paris , cette première ville de
l'Europe , ne reprendra fon luftre & fa profpérité
qu'à l'époque où l'on y vera régner cette
paix & cette fubordination qui calment les efprits ,
& qui donnent à tous les hommes l'affurance de
vivre tranquilles , & fans défiarce fous l'empire
des lois & de leur fcience. Vous jugerez ,
Meffieurs , dans votre fageffe , sal n'eft pas temps
bientôt de faire ceffer ces perquifitions multipliées
auxelles on eft foumis avant d'arriver à Paris ,
& que l'on commence à éprouver à une trèsgrande
diftance de la Capitale ; il eft juſte de s'en
rapporter à cet égard à votre prudence & à vos
lumières ; mais les amis de la profpérité publique
doivent défirer que les abords de Paris rappellent
bientôt au commerce & à tous les voyageurs ,
que cette ville eft comme autrefois le féjour de
la paix , & qu'on peut de tous les bouts du monde
y venir jouir , avec confiance & liberté , du génie
induftriel de fes habitans , & du fpectacle de tous
les monumens que cette fuperbe ville renferme
dans fon fein , & que de nouveaux talens augmeatent
chaque jour, »
Mais , Meffieurs , c'eſt au nom d'un plus
grand intérêt que je dois vous entretenir , un mɔment
, d'un intérêt qui remplir mon coeur & qui
l'oppreile. Au nom de Dieu , Meffieurs , plus
de jugemens de profcription plus de fcènes fangantes.
Généreux Français , qui êtes fur le point
( 521 )
>
de réunir à tous les avantages dont vous jouiffez
depuis long - temps , le bien inestimable d'une liberté
fage , ne permettez pas que de fi gands
bienfaits puflen é re sélés à la poflibilité d'aucun
rep oche. Ah ! que voire bonheur , pour
devenir encore plus grand , foir pur & fans tache
; fur- out confervez , refpelez mime , dans
vos momens de crife & de calamité , ce cractère
de bonté , di jaftice & de douceur , qui diftingue
la nation Françoife , & faites arriver le plutôt
poffible le jour de l'indulgence & de l'oubli :
coyez , Meffieurs , en ne confultant que votre
coeur que la bonté eft la prem ère de toures
les vertus . Hulas ! nous ne connoiffons qu'imparfaitement
cette action , cette force invitible qui
dirigent & déterminent les actions des hommes ;
Diea feu ! peut lire au fond des coeurs & juger
avec furets , juger en un moment de ce qu'ils
méitent de peine ou de récompenfe ; mais les
hommes ne peuvent re dre un jugement ,
les
hommes fur-tout ne peuvent cleaner la mort
de celui à qui le Ciel donné la vie , fans
l'examen le plus attentif & le plus régulier. Je
vous préfente cette obfervation , cette demande ,
cette requê e au nom de tous les motifs capables
d'agir fur les efprits & fur les ames ; & j'eſpè e
de votre bonté que vous me permettrez d'appliquer
ces réflexions générales , ou plutôt l'expreffion
de ces fentimens fi vifs & fi profonds , à une
circonftance particulière & du moment . Je dois
le faire d'autant plus que fi vous aviez une autre
opinion que la mienne , j'aurois à m'excufer d'un
tort auprès de vous , dont je dois vous rendre
compte. Mardi , jour de mon arrivée à Paris ,
j'appris à Nogent que M. le Baron de Befenval
avoit été arrêté à Villenaux , & cette nouvelle me
fat confirmée par un gentilhomme , Seigneur dy
lieu , qui , fans connoître particulièrement M, de
f iij
( 126 )
Befenval , mais animé par un fentiment de bonté ,
fit arrêter ma voiture pour m'entretenir de fon
inquiétude , & me deinander fi je ne pouvois pas
être en fecours à M. de Befenval , qui étoit parti
pour la Suiffe avec la permiffion di Roi . J'avois
appris la veille , les malheureux évènemens de
Paris , & le fort infortuné de deux magiftrats accufés
& exécutés rapidement ; mon ame s'émut ,
& je n'hésitai point à écrire de mon caroffe ces
mots- ci à MM. les Officiers municipaux de Villenaux.
>>
•
Je fais pofitivement , Meffieurs , que M. le
» Baron de Befenval , arrêté par la milice de
» Villenaux , a eu la permiffion du Roi de fe
" rendre en Suiffe, dans fa patrie ; je vous demande
» inftamment , Meffieurs , de refpecter cette per-
» miflion dont je vous fuis garant , & je vous en
aurai une particulière obligation : tous les motifs
qui affectent une are fenfible , m'intéreffent
» à cette demande. M. de ...... veut bien fe
charger de ce billet que je vous écris dans ma
» voit re , fur le grand chemin de Nogent à
" Verſailles. J'ai l'honneur d'être , &c. »
Ce mardi 28 juillet 1789.
« J'ai appris , Meffieurs , que ma demande n'a
point été accueillie par MM. les Officiers municipaux
de Villenaux , parce qu'ils vous avoient
écrit pour recevoir vos ordres. E oigné de Paris ,
pendant les malheureux évènemens qui ont excité
vos plaintes , je n'ai aucune connoiffance particu
lière des torts qui peuvent être reprochés à M. de
Befenval , je n'ai jamais eu de relation de fociété
avec lui ; mais la juftice m'ordonne de lui rendre
dans une affaire importante , un témoignage favorable.
Il étoit Commandant pour le Roi dans
Généralité de Faris , où , depuis deux à trois
mois il a fallu continuellement affurer la tranquillité
( 127 )
des marchés , & protéger des convois de grains ;
il étoit donc néceffaire d'avoir continuellement .
recours au Commandant détenu maintenant à
Villenaux ; & quoique das lordre ministériel
j'aurois dû m'adreffer au Secrétaire d'Etat de la
guerre , qui auroit tranfmis les demandes du
Miniftre des Finances au Commandant des
Troupes , M. de Befenval m'écrivit fort honnêtement
que cette ma che indirecte pouvant occafionner
de la lenteur dans le fervice public , il
m'invitoit à lui donner des inftructions directes
& qu'il les exécuteroit ponctuellement. J'adoptai
cette difpofition , & je ne puis rendre trop de
juftice au zèle & à l'activité avec lesquels M. de
Befenval a répondu à mes défirs , & j'ai remarqué
conftamment qu'il réuniffoit de la modération &
de la prudence à l'activité militaire , en forte que
j'ai eu fouvent occafion de le remercier de fes
foins & de fon attention foutenue . Voilà , Meffieurs
, ce qui m'eft connu de ce genéral , en ma
qualité d'homme public. Je dois vous dire enfuite
de la part du Roi , que Sa Majesté honore depuis
long-temps cet Officier de les bontés. Je ne
fais de quoi il peut être accufé auprès de vous ;
mais foumis aux lois de la difcipline militaire ,
il faudroit peut-être des titres d'accufation bien
formels pour l'empêcher de retourner dans fa
patrie ; & comme étranger , comme membre
diftingué d'un pays avec lequel la France a depuis
fi long- temps des relations d'alliance & d'amitié
, vous aurez furement pour M. de Befen al
tous les égards qu'on peut efpérer d'une nation
hofpitalière & généreufe ; & puifque ce feroit
déja une grande punition que d'amener à Paris ,
comme criminel ou fufpect , un Officier - général
étranger qui retourne dans fon pays avec la permiffion
du Roi , j'ofe vous prier de confidérer
fi vous ne pourriez pas vous borner à lui de- 1..
fiv
( 128 )
9
mander à Villenaux les éclairciffemens dont vous
croiriez avoir befoin , & la communication de
fes papiers s'il en avoit. C'est à vous , Meffieurs
à confidérer fi vous devez expofer ce Général
étranger aux effes d'ancun mouvement dont vous
ne pourriez pas répondre ; car , diflingués comme
vous êtes , Meffieurs , par le choix de vos concitoyens
, vous voulez furement être , avant tout,.
les défenfeurs des lois & de la juftice ; vous ne
voulez pas qu'aucun citoyen foit condamné , foit
puni fans avoir eu le temps de fe faire entendre ,
fans avoir eu le temps d'être examiné par des
Juges intègres & imp riaux : c'eft le premier
dreit de l'homm ; c'est le plus faint devoir des
Puiffans : c'eft l'obligation la plus conftamment
repitée par toutes les Nations . Ah ! Meffieurs ,
non pas devant vous qui , dutingués par une
éducation généreufe , n'aver befoin que de fuivre
les lumières de votre efprit & de votre coeur ,
mais devant le plus inconnu , le plus obfcur des
citoyens de Paris , je me profterne , je me jette
à genoux pour demander que l'on n'exerce ni
envers M. de Befenval , ni envers perfonne , aucune
rigueur femblable en aucune manière à celles
qu'on ma récitées . La juftice doit être éclairée ,
& un fentiment de bonté doit encore être fans
ceffe autour d'elle ; ces principes , ces mouvemens
dominent tellement mon ame , que fi j'étois
témoin d'aucun acte contraire , dans un moment
où je ferois rapproché par ma place des chofes
publiques , j'en mourrois de douleur , & toutes
mes forces au moins feroient épuifées. J'ofe donc
m'appuyer auprès de vous , Meffieurs , de la bienveillance
dont vous m'honorez ; vous avez daigné
mettre quelque intérêt à mes fervices , & dans
un moment où je vais vous en demander un
haut prix , je me permettrai , pour la première ,
pour la feule fois , de dire qu'en effet mon zèle
( 129 )
n'a pas été inutile à la France. Ce haut prix
que je vous demande , ce font des égaids pour
u Général étranger , s'il ne lui faut que cela ;
c'eft de l'indulgence & de la bonté , s'il a befoin
de plus ; je ferai heureux par cette infigne faveur ,
en ne fixant mon attentio que sur M. de Beferval,
fur un fimple particulier ; je le ferois bien cavantage,
fi cet exemple de venoit le fignal d'une amit e
qui rendroit le calme à la France , & qui per
mettroit à tous les citoyens , à tous les habitans
de ce royaume , de fixe uniquement leur attention
fur l'avenir , afin de jouir de tous les bie.s
que peuvent nous promettre l'union du Peuple
& du Souverain , & l'accord de toutes les force's
propres à fonder le bonh ut für da liberté , & la
durée de cette liberté fur le bonheur général .
Ah , Meffieurs ! que tous les citoyens , que tous es
habitans de la Francerent ent pour touj was fous la
garde des lois . Cédez , je vous en fupp'ie , à mes
vives inftances ; & que par votre bienfak , ce jour
devienne le plus heureux de ma vie , & l'un des
plus g'orieux qui puiffe vous être rélervé , »
Madame Necker, Madame la Baronne
de Staël , sa fille , et Madame la Marquise
de la Fayette assistoient , dans la
Chambre des Electeurs , à cette Séance
attendrissante , durant laquelle M. de
Moreau de St. Mery présenta une Cocarde
à M. le Directeur - général des
Finances , qui l'attacha à son chapeau.
Le Discours qu'il venoit de prononcer
, avoit profondément činu les Auditeurs
, et le crí &Amnistie générale
sortoit de toutes les bouches. Pendant
que M. Necker se présentoit à
Pempressement du peuple , à la fenéine
fv
( 130 )
d'une chambre voisine , M. le Comte de
Clermont-Tonnerre , qui montre en
toute occasion le talent de la parole ,
la précision qui résulte de la justesse des
idées , et le rare alliage de la force et de
da sagesse , se livra aux mouvemens de
son coeur , et proposa à l'Assemblée de
consacrer , par un arrêté , l'oubli général
qu'avoit prononcé l'enthousiasme de l'audience.
Les Electeurs , entraînés par
cette première impulsion , applaudirent
à l'avis de M. de Clermont- Tonnerre
et rédigèrent sur-le-champ l'arrêté suiyant
:
» Sur le difcours ſi vrai , fi fublime , ſi intéreffant
de M. Necker , l'affemblée , pénétrée des
fentimens de juftice & d'humanité que ce difcours
refpire , a arrêté que le jour où ce Miniftre
fi cher , fi néceffaire , a été rendu à la
France , deviendroit un jour de fête ; en conféquence
, elle déclare au nom de tous les citoyens
de cette Capitale , bien certaine de n'être
point défavouée , qu'elle pardonne à tous
fes ennemis qu'elle profcrit tout acte de violence
contraire au préfent arrêté ; qu'elle regarde
déformais comme les feuls ennemis de la Nation
ceux qui troubleroient par aucun excès la
tranquillité publique ; & en outre que le préfent
arrêté fera, lu au Prône dans toutes les Paroiffes
, publié à fon de trompe dans toutes les rues ,
envoyé à toutes les municipalités , & les applauciffemens
qu'il obtiendra diftingueront les
bons François. »
Lorsque M. Necker entendit la lecture
de cet arrêté , la parole lui man(
131 )
qua , pour témoigner son emotion , et
sa reconnoissance : il fut reconduit hors
de Paris , avec les mêmes honneurs , et
aux mêmes acclamations qui avoient
accompagné son arrivée .
Quelque honorable que fût à la Nation
, le sentiment qui avoit dicté l'arrêté
des Electeurs , cet acte étoit par essence
absolument irrégulier. L'Assemblée d'où
il émanoit , n'ayant légalement ni le
pouvoir exécutif, ni le pouvoir judiciaire
, et n'étant point représentative
de la Commune , il est évident qu'elle
ne pouvoit ni rendre des sentences , ni
proclamer un pardon . Quelques Districts
s'élevèrent formellement contre cette
incompétence ; elle fut même universellement
reconnue. D'après l'arrêté ,
on avoit expédié un courrier , avec
ordre de relâcher M. de Besenval, et de
le conduire sur la frontière de la Suisse :
l'opposition des Districts , et la fermentation
qui renaissoit parmi le Peuple ,
obligèrent les Electeurs à déclarer la
même nuit ;
» Qu'en exprimant un fentiment de pardon
» & d'indulgence envers fes ennemis , elle n'a
» point entendu prononcer la grace de ceux
qui feroient prévenus , accufés ou convaincus
» de crimes de lèfe - Nation ; mais annoncer feu-
» lement que les Citoyens ne vouloient défor-
» mais agir & punir que par les Lois , & qu'elle
» profcrivoit en conféquence , comme le porte
» l'Arrêté , tout afle de violence & d'excès qui
f vj
( 132 )
1
» troubleroit la tranquilité publique : & cet Ar-´
» rêté peut d'autant moins recevoir une autre
» interp ération , que l'Affemblée dont il et émané
» n'a jamais cru ni pu croire avoir le droit de
» Rémiffion . «
Les Représentans de la Commune ,
de leur côté , arrêtèrent ce qui suit :
du 30 Juillet 1789.
Sur la réclamation de pluseurs dftricts , les,
Repréfentans de la Commune ont révoqué les
Ordres donnés pour laiffer aller en Suiffe le
feur de befenval qui avoit une permifion de'
s'y rendre , & elle a cru devoir prendre fur-lechamp
les précautions néceffaires & les mesures.
les plus promptes pour s'affurer de cet Offcier
, jufqu'à ce que l'Affemblée Nationale ait
ftaté fur fa détention & fur les motifs qui l'ont
déterminée .
Signé de la Vigne , Moreau de. St- Mery , &c.
Sur-le-champ , il fut envoyé un contreordre
pour retenir M. de Besençal, prisonnier
. sur le lieu de sa détention .
Cet Officier général , né d'une Famille
Fatricienne du Canton de Soleure ;
étoit Commandant en Chef de la Prévôté
et Vicomté de Paris , et Lieutenant-
Colonel des Gardes - Suisses.
On a vu, à l'article de l'Assemblée na
tionale, la dernière résolution touchant
e sort de M. de Besençal.
Cet évènement , et la venue de M. Neeer'ont
à- peu-près seuls occupé . l'attenon
publique , durant la semaine der(
133 )
nière . Le conflit entre les Electeurs
et les Représentans des Districts , conflit
dont on attendoit la fin avec impatience
, s'est terminé par la retraite
des Electeurs ; un nombre d'entre eux se
trouvent , en vertu d'une Election légale ,
parmi les Députés de la Con mune siégeant
à l'Hôtel - de - Ville . Rien n'a changé
encore dans l'organisation de la Milice
Bourgeoise. Divers plans ont été formés
à ce sujet ; on paroît s'être arrêté à l'un
d'entre eux , qu'on dit dressé par M. de
la Fayette. Plusieurs détachemens considérables
ont été employés , la semaine
précédente , soit à assurer la conduite
des convois de subsistance , soit à poursuivre
des vagabonds , dont l'alarme pu- .
blique grossissoit le nombre , et amplifioit
les entreprises on en a saisi et
enfermés des pelotons assez considérables.
Samedi , un détachement de Milice
conduisit ici l'Arsenal de Chantilly , où
se trouvent , éntr'autres , 27 pièces de canon.
Quelques- unes , on le sait , furent
données au Grand Condé après la vietoire
de Rocroy , et il en est deux que le
Prince de Conde actuel remporta de
Ja bataille de Johannesberg , livrée au
Duc régnant de Brunswick, alors Prince
Héréditaire .
Paris à été inondé , et l'est encore ,
de relations multiplices par une foule
d'imprimés journaliers, touchant les prin(
134 )
cipaux fugitifs , devenus l'objet du ressentiment
public. Plusieurs fois on a
annoncé la détention de M. le Prince
de Lambesc ; on confondoit sa personne
avec des équipages qu'on croit lui ap-.
partenir , et l'on dit aujourd'hui que ce
Grand-Ecuyer est arrivé à Turin .
Quant M. le Maréchal de Broglio
, retiré d'abord à Verdun , menacé
à Metz , chef-lieu de son commandement ,
d'où il a cru prudent de s'éloigner ,
a gagné l'Abbaye d'Orval dans les Ardennes
, et de-là Luxembourg et Francfort.
Lorsque ce Général gagna la célèbre
bataille de Bergen , à quelques lieues de
cette Ville Impériale , il ne soupçonnoit
guère que ce théâtre de sa gloire deviendroit
un jour pour lui un lieu de refuge .
Un des incidens les plus singuliers de
cette scène de déplacemens et d'exils forcés
, est sans doute l'entrevue de Madame
la Duchesse de Polignac avec M. Necker.
Voici ce qu'on rapporte de cet aventure
romanesque , dont nous ne pouvons garantir
les détails.
M. Necker arrivé à Bâle, le 20 , s'étoit logé à l'auberge
des Tro -Rois. Le lendemain parut un Abbé
qui vouloit retenir tout l'hôtel. On lui dit que
le principal appartement étoit occupé ; il chercha
fi les autres pourroient lui convenir , défigna
quelques Chambres , et au momeut qu'il alloit
reconnoire les autres , il aperçut un cortége ,
en demanda l'objet , et apprit que c'étoit une députation
de la ville à M. Necker. Confondu de
( 135 )
cette rencontre , il court , il fe transporte à l'hôtel
du Sauvage , où il trouve le logement qu'il défiroit.
Sa compagnie arrive ; elle étoit compofée
de Madame la ducheffe de Polignac , de la ducheffe
de Guiche fa fille , de la comtefle Diane fa bellefoeur
, de. Madame de Polafron , & de M. le duc de
Polignac. Qu'on juge de leur fuprife , en apprenant
que M. Necker étoit dans le même lieu . Un François
de qualité , qui fe trouvoit à Bâle , vifite Madame
de Polignac , parle de M. Necker; & le réſultat de
cet entretien , amena ce Miniftre à l'hôtel du Sauvage.
Il igno-oit encore ce qui s'étoit paffé à Paris
depuis fon départ , & apprit des voyageurs le fonlevement
de la Capitale , la prife de la Baftille , le
renvoi de l'armée & des nouveaux Miniftres, la fuite
de tous les gens accufés , & fon rappel.
L'état de la plupart des provinces a
correspondu à celui de la Capitale , et
même a été beaucoup fàcheux en quelques
endroits. L'évènement affreux de
Quincey a amené de grands malheurs
dans le Bailliage de Vesoul : nous sommes
à même de fixer l'opinion à cet égard,
en publiant la lettre suivante :
Verfailles , ce 31 juillet 1789.
MONSIEUR ,
M. Bureau de Puzy , l'un des Députés de la Nobleffe
du Bailliage d'Amont, m'a autorifé à vous en
voyer les détails fuivans , relatifs à l'évènement du
château de Quincey, afin de fufpendre le jugement
quele public a pu porter d'après la lecture du procès.
verbal de la maréchauffée de Vefoul , qui a été
imprimé dans plufieurs papiers publics. Je vous
prie en conféquence de vouloir bien inférer la
elation fuivante.
( 136 )
La nuit du 19 au 20 juillet , plufieurs perfonnes
du peuple de la ville de Vefoul en Franche - Comté,
& des foldats du régiment des Chaffeurs de Franche-
Comté , en quartier dans cette ville , se rendirent
au château de Quincey , fitué à une petite demilieue
de Vefoul , fur les invitations qu'ils en reçurent
des domeftiques de ce château , qui avoient été
autorifés par M. de Mefmai , cosfejler au parlement
de Befançon , & parti deux jours aupara
vant. «
» Entre onze heures & minuit , une explosion fe
fit dans un bofquet des ja dins , où fe t.ouvoient
réunis plufieurs des conviés qui se divertissoient ;
les domestiques de la maison venoicnt de les quitter
, en difant qu'ils alloient leur faire apporter du
vin . Une autre explofion , prefque fimultanée , fe
fit dans un petit bâtiment peu éloigné du bofquet
où la première explofion avoit eu lieu. La première
fit fauter les malheureux acteurs de cette trifte ſcène ,
& la feconde les couvrit des débris du bâtiment , au
centre duquel elle s'étoit fat . Le réſultat de cet
évènement a été la mort de fept ou neufpersonnes
( car on n'eft pas d'accord sur ce point ) , & la mu
tilation d'un grand nombre d'individus , dont plufieurs
font dangerenfemnt bleeffés . La maréchauf
fée de Vefou , accourue au bruit du toca , a verbalité
fur le lieu même du défaftre , au milieu des
morts , des mourans , des débis . Son procès-verbal
attefte les faits ci - d us ; il eft revêtu de l'hiftorique
vrai ou suppofé par les témoins . Ceux- ci ont
prétendu qu'ils avoient été attirés dans un piége
me les victimes ; qu'il y avoit deux mines correspondage
, préparées à deílein d'amerer cette catastrophe
, & que les dom . ftiques , en quinant le
befquet , fous prétexte d'aller chercher du vin , ne
s'étoient éloignés que pour mettre le feu à la fuſée
qui devoit fa re jouer ces deux mines.
» Oa fent conbien cette fuppofition eft vague
( 137 )
& combien les renfeig emens ; pris dans le pra
mici moment de trouble et de dé'o'ation , peavent
être faurifs ; il eft done prude t de fi fp.ndre fon
jugement dans cette affaire . Le fait pri cipal eft
certain : mais les informations du procès commencé
, informatio, s qui ne nous font point encore
parvenues , pourront feules fixer l'opinion publique
fur les caufes véritables de cet accident ,
et faire connoître s'il n'eſt que l'aff t d'un hafard
malheureux , ou le réfultat d'une atrocité méditée;
fup osition qui répugne d'autant plus qu'on
n'en fauroit deviser l'objet.
» Ce premier malheur a été l'origine d'une infnité
d'autres qui , depuis ce moment , ont affligé
le baillage de Vefoul . Les payfans furieux , ont
commencé par mettre le feu au château de
Quincey , d'aprés la perfuafion où il épient ,
que cet accident réfultoit d'une trame odienfe
du Maître du château . Cette opinion s'eft répandue ,
les têtes fe font électrifées , les habitans des
campagnes fe fent vengés fur les caifons des nobles
& des parlementaires. Au moment où je rédige
cette relation , il y a plus de vingt -cinq châteaux &
abbayes détruits ou pillés ; l'on ignore encore quel
fera le terme de ces ravages.
Les milices bourgeoifes et les troupes réglées
ont marché conjointement ; elles ont empêché
quelques défordres , elles en ont puni quelques
autres : mais ces moyens correctifs font bien peu
nombreux , et infuffiisans pour agir efficacement
par- tout.
J'aurai soin , Monsieur , de vous inftruire des
renfeignemens ultérieurs , et de vous envoyer
l'extrait des procédures.
J'ai l'honneur d'être , LE CLERC , Capi
taiaine au bataillon de Touraine .
( 138 )
Dans un grand nombre de Villes de
différentes provinces , les greniers à sel
ont été ouverts , le sel vendu à moitié
prix , les bureaux des fermes incendiés
ou fermés. Par tout , la Milice Bourgeoise
s'est formée , et en plusieurs lieux les
troupes réglées s'y sont réunies pour le
maintien de la sureté publique . Cette
mesure a sauvé le Maine et sa capitale ,
des désordres dont ils étoient menacés ;
mais elle n'a pu prévenir plusieurs excès ,
résultant , soit de la fermentation générale
, soit du mêlange des vagabonds
avec la saine partie du peuple. M. de
Montesson et son beau-père , saisis par
la multitude , ont été décollés , après
avoir essuyé un traitement cruel . M. de
Montesson , frère de celui dont nous
venons de rapporter le triste sort , et
Député de la Noblesse du Mans à l'Assemblée
nationale , a couru les plus :
grands dangers , ainsi que M. le Vidame.
de Vassé , aussi Député de la même
Noblesse.
On rapporte qu'à Chartres , le 23 ,
le peuple a fait baisser le prix du pain
de vingt-quatre sols les neuf livres , à
vingt sols les huit livres . Les registres
des Commis des recettes ont été brûlés.
On a dévasté de fond én comble la
maison d'un particulier , et quelques personnes
de la multitude ont péri dans
cette émeute . Le Perche a été livré à
des troubles semblables .
( 139 )
Une multitude de relations funestes arrivent
de divers endroits , mais tellement
invraisemblables , tellement chargées d'évidentes
faussetés , que nous devons nous
abstenir de les répéter . C'est bien assez de
la publicité qu'elles acquièrent par mille
imprimés inflammatoires qui mêlent
le faux et le vrai , dénaturent les effets ,
inventent les causes , et affligent chaque
jour les habitans de la capitale , malgré
les précautions du Comité provisoire ,
pour arrêter ces écrits.
M. le Duc de la Vauguyon passant
en Angleterre, sous le nom de Chevalier,
avec son fils , M. le Prince de Carency,
a été reconnu au Havre , dont la Municipalité
a instruit l'Assemblée nationale
de cet évènement. M. le Duc de la
Vauguyon , sortant du Royaume avec
la permission du Roi et un passe-port ,
avoit cru prudent , dans les conjonctures
actuelles , de changer de nom . L'Assemblée
nationale a renvoyé cet incident
à M. le Comte de Montmorin.
Les Provinces Méridionales n'ont pas
encore éprouvé les effets de la fermentation
générale , du moins nous n'en
n'avons aucune connoissance .
P. S. Pour prévenir les faux rapports
qui pourroient nous induire en erreur ,
nous prions ceux de nos Abonnés dans
les Provinces, qui nous ont honorés , plus
d'une fois , de leurs informations , de
( 140 )
nous les continuér en ce moment .:
jamais elles n'ont été plus nécessaires ,
en particulier à ce Recueil ; il ne sera jamais
, malgré la liberté qui lui est rendue
, que le dépôt des faits constatés , appartenant
à l'histoire , et propres à lui .
servir un jour.
P. S. M. Thouret , élu Président de
l'ASSEMBLÉE NATIONALE , a refusé cet
honneur , lundi , par une lettre que
nous rapporterons la semaine prochaine.
M. le Duc de Liancourt a présidé jusqu'à
la nomination de M. le Chapelier
qui a réuni la pluralité des suffrages.
Mardi , il a été décidé qu'on feroit
précéder la Constitution d'une Déclaration
des droits de l'homme et du Citoyen.
Nous présenterons l'histoire des
débats sur cette question ; ils ont occupé
trois Séances : apparemment l'Assemblée
va délibérer sur la nature de
cette Déclaration , M. Target et
M. Demeunier ont présenté chacun un
projet à ce sujet : nous avons annoncé
ceux de MM. l'Abbé Sieyes et Mou
nier.
MM. L'Evêque de Noyon , et de Clermont-
Tonnerre , Abbé de Luxeuil , ont
été arrêtés en Franche - Comté. Cette
province , dans la plupart de ses Districts
, est livrée aux insurrections les
plus violentes. La Municipalité de Saint-
Claude s'est vue obligée d'envoyer de(
141)
mander au Gouvernement de la République
de Genève , un prêt de 600 fusils
, qui lui a été refusé , un Etat étran
ger ne pouvant se prêter à une demande
de cette nature. Dans le pays de Gex ,
on a pillé et brûlé les papiers et titres
de plusieurs châteaux ou maisons de Propriétaires
-fonciers , ainsi que ceux qui
étoient en dépôt chez les Châtelains et Procureurs.
Le Peuple a fait signer à divers
Seigneurs des renonciations à leurs titres
de propriétés seigneuriales. Le Subdélégué
de la Province est gardé à vue.
Les avis du Mâconnois , de la Bresse ,
etc. sont aussi affligeans .
Du 6 Aoust. Le Ministère est rempli.
S. M. a nommé M. l'Archevêque de
Bordeaux , Garde- des- Sceaux ; et M. le
Comte de la Tour-du-Pin , Ministre de
la Guerre . M. l'Archevêque de Vienne
á la Feuille des Bénéfices , et M. le Maréchal
Prince de Beauveau , entre au
Conseil.
Lettre au Réducteur
Alençon , ce 19 Juillet 1789.
» Chacun a arboré ici la Cocarde de la Nation :
une foule de Citoyens de tous les rangs s'eft rendue
aujourd'hui chez M. l'Intendant pour lui en
offrire une ; ce Magiftrat a été harangué par un
Avocat , des mains duquel il a reçu la Cocarde
qu'il a fur- le-champ mife à fou chapeau . Plus
de 4000 Perſonnes étoient entrées dans les cours
( 142 )
& le jardin de l'Intendance : on a dit à M. Jullien
mille chofe flatteufes & méritées fur fon Patriotifme
& fur fon zèle pour la cauſe quia fi heu
reuſement triomphé ; il a répondu avec l'affabilité
qui le caractérife , & a invité à fouper 24 des
Citoyens préfens , au choix de leur Orateur . On
lui a offert d'établir , dès le jour même , une
Garde- Bourgeoife , pour prevenir les défordres
que pourroit occafionner la joie vive & tumultuenfe
du Public , & pour affurer à chaque porte
de la ville la perception des droits du Roi. M.
l'Intendant a accueilli cet offre avec éloge & fatisfaction
, & elle a été réalisée .
Les bonnes Nouvelles reçues ce matin de Paris
ont rempi la ville d'alégreffe . La foule s'eft
rendue à l'Eglife principale pour faire chanter le
Te Deum ; mais le Curé s'y cft refufé , en difant
qu'il ne pouvoit le faire fans une autoriſation de
fon Evêque. Les rues ont retenti , le jour & la
nuit , des cris de Vive la Nation , Vive le Roi. Ily
a eu enfin illumination générale & volontaire.
S. D. L'un de vos Abonnés.
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 1er août
1789 , sont : 90 , 33 , 38 , 55 , 15 .
MERCURE
DE FRANCE
SAMEDI 15 Aour 1789
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
LE PÈRE D'UN SUPPLICIÉ ,
A SON A M I.
L'OPPROBRE et à mes jours attaché pour jamais ;
Il ne m'a rien fervi d'abhorrer les forfairs ,
D'atteindre , vertueux , le terme de ma vie
Dans un emploi pénible , utile à la Patrie.
Mon fils meurt criminel..... Je vis déshonore
Le préjugé fiétrit un vieillard vénéié.
Chaque regard m'infulte ; on craint de me cons
noître .....
Où le crime n'eft pas , la honte peut- elle être ?..
Mon fils a mérité fon déplorable fort ;
Mais n'a -t- il pas aux Loix fatisfait par fa mort
Dans ce qui lui furvit , faut-il qu'on le punide
le fuis fon père, hélas ! mais non pas fon complice
Ah ! s'il n'eût pas rendu mes foins infructueur ,
Mon fils vivroit encore.... il vivroit vertueux..
Nº. 33. 15 Août 178
D
74 MERCURE
Mais l'éducation n'a pu changer fon ame!
Et fon fupplice , ô C el ! rend fa famille infame !
De cet infortuné le ſpectre qui nous fuit ,
Ses longs gémiflemens entendus dans la nuit ,
Son morne défefpoir , les chaînes qu'il agite ....
Et ce peuple inhumain qui fe preffe à ſa ſuite....
N'eft-ce pas trop déjà de ces affreux tableaux ,,
Sans ajouter encor l'i: finie à nos maux ?
Nen , les Loix cor tre nous ne l'ont point décernée ;
A me priver d'un fils , leur rigueur s'eft bornée ,
Je ne fais pas déchu du rang de Citoyen .....
Mais quel père ofera mêler fon fang au mien ?
Le préjugé ravit un époux à ma fille ,
Nous ferme tous les coeurs , ifole ma famille ,
Repouffe des Autels , des Camps , & du Barreau ,
Mes fils & leurs enfans , profcrits dès le berceau,
A peine ils connoîtront qu'il eft des Lox , des
crimes .....
Déjà l'ignominie en fera fes victimes.....
Puiffe jamais pour eux ne luire la raiſon !
Qu'ils foient tous moiffonnés dans leur jeune faifon!
Le défefpair bientôt en leurs cours pourroit naître
Punis en criminels , ils apprendroient à l'être .
L'eftime qu'on obtient répond de nos vertus :
C'eft le frein d'un cour fier...... Tremblez , s'il ne
l'a plus.
Oui , barbares humains , l'opprobre héréditaire
Qui defcend fur mes fils de l'échafaud d'un frère ,
Cet aviliffement qu'ils ne méritent pas ,
Peut les conduire un jour au fort des fcélérats ,
1
DE FRANCE. 71
A la Société que doivent-ils ? ..... la haine .
Ils ont tout à venger , & rien qui les retienne .
Craindront-ils le trépas que d'un bras forcené ,
Sans les pleurs d'une mère , ils fe feroient donné ?...
Loin de les arrêter , moi qui , miné par l'âge ,
N'ai plus qu'un jour peut-être à dévorer l'outrage ,
( De la Religion la voix parloit en vain )
De ce funefte jour j'allois hâter la fin.
Que n'avez- vous , cruels , confommé l'injuftice !
Quand l'honneur eft perdu , qu'importe le fupplice
Sur le même échafaud que n'avez- vous traîné
Ses frères las du jour , fon père confterné ,
Sa mère gémiſſant d'avoir été féconde ,
Sa foeur que le chagrin va retrancher du monde ?: ..
Sans doute on nous eût plaints de périr innocens...
De l'indignation les cris retentiffans ,
Rendant à l'infortune une juftice prompte ,
Nous euffent, en mourant, affranchis de la honte.
Dans l'intérêt commun peut-être enveloppé ,
A l'opprobre avec nous mon fils eût échappé.....
On eût frémi de voir une famille entière
Payant de fon fupplice une faute étrangère .
Mais ôtez l'appareil , les bourreaux , les témoins ,
Nousfouffrons davantage, & ne mourrons pas moins.
Et c'eſt dans le mépris que notre mort s'achève !...
Onion Ami ! quel fort ! tout mon fang fe foulève...
Pardonne -moi ce nom qui ne m'eft plus permis ....
Je le fais; mon malheur ne laifle point d'Amis .
( Far M. Le Gay , Avocat , de la Société
Anacreontique des Rofatti d'Arras. )
MERCURE
1
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade elt Bienfait ; celui
de l'Enigme eft Chemife ; celui du Logogriphe
eft Cane , où l'on trouve Ane.
CHARADE
PRINDS garde , ami Lecteur , de choir en mon
premier ;
Tout animal quelconque a fur lui mon dernier :
Un bon Berger toujours prend foin de mon entier,
JE
( Par M. J. S. C. H. R. )
ENIGM E.
Si le tendre Amour me chérit ,
Au Dieu du Vin fi je fais plaire ,
C'eft qu'à l'un je préfente un lit ,
Et qu'à l'autre je donne au verre.
( Far M. Demont , Chefd'Escadron ati
Rég, de Normandie- Chaffeurs. )
LOGO GRIPHE.
E fuis, fur quatre pieds , du genre mafculin ;
Rien alors de plus doux que le mot & la chofe ,
Rien aufli de plus dur alors qu'on me tranſpoſe ;
Avec les mêmes pieds, je fuis au féminin .
( Par M. Domont de St-Brice. )
DE FRANCE. 77
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TABLEAU des progrès de la Société en
Europe , traduit de l'Anglois de Gilbert
Stuart. Ouvrage contenant des Recherches
fur l'origine des Gouvernemens , les
variations des Maurs & du Systême Féodal.
A Paris , chez Maradan , Libr. Hôtel de
Château-Vieux , rue St- André- des Arts.
In - 89.
IL faut connoître les raonumens des an
tiquités de nos Nations Européennes , ne
fût-ce que pour réduire à leur jufte valeur
les divers fyftêmes qu'ils ont fait naître , &
ceux auxquels ils pourront encore donner
naiffance dans la fuite ; car comme il ne
s'agit guère que de conjectures , le champ
eſt vaſte & la matière inépuifable . Les fources
antiques de nos Hiftoires modernes font
un peu comme les nuages , cù l'imagination
voit tout ce qu'elle eft difpofée à voir.
Malgré les travaux de tant de Savans qui
auroient mieux fait peut-être de fixer une
bonne fois les bornes du connu & de l'inconnu
, & de tracer entre ces deux objets
la ligne de démarcation , que de s'épuifer
en tant de vains fyftêmes , l'Auteur croit
que les titres primordiaux de nos Hiftoires
D 3.
MERCURE
modernes n'ont pas encore été enviſages
"fous toutes leurs diverfes faces , ni même
faifis dans leur véritable point de vue. C'eft
donc un nouveau fyftême que nous donne.
aujourd'hui M. Stuart , & nous lui devons
le témoignage qu'il fait l'art de fyſtématiſer
fes idées , de les faire naître les unes des
autres , de leur donner de la force par cette
liaifon :
·Tantùmferies juncturaque pollet !
de les préfenter avec l'air du naturel &
l'éclat de la vrai femblance
Tantum de medio fumptis accedit honoris !
L'Ouvrage que nous annonçons eft don
un très bon Livre dans un genre qui n'a d'ailleurs
ni l'agrément de certains Livres réputés
frivoles , ni la folidité des Livres véritablement
utiles , mais qui a le mérite d'offrir
des vûes , de faire penfer , & de montrer
l'emploi que l'efprit fait faire de l'érudition .
Cet Ouvrage nous paroît pouvoir être
comparé avec cette favante Préface que M.
Robertfon a placée à la tête de fon Hiftoire
de Charles- Quint , & où quelques erreurs
& beaucoup d'incertitudes que fes
recherches laiffent fubfifter , n'ont pas empêché
d'admirer qu'un Etranger für auffi
inftruit de nos ufages , & du peu qu'on fait
de notre Droit public.
Pour M. Stuart , il remonte à des temps
où les titres de l'Hiftoire font communs à
DE FRANCE. 79
prefque toutes les Nations qui figurent aujourd'hui
dans l'Europe ; & quant aux révolutions
poftérieures , c'eft dans l'Histoire
d'Angleterre qu'il puife fes exemples.
93
Tacite eft fon premier guide . Le Traité
de cet Auteur fur les moeurs des Germains
eft , dit - il , le plus beau préfent que l'Antiquité
ait fait aux Royaumes de l'Europe.
On voit par l'énumération que l'Hiftorien
Romain fait des divers peuples de la Germanie
, qu'il y avoit parmi eux divers degrés
de civilifation : » Les Chauques , par exem、
» ple , formoient une Nation célèbre &
perfectionnée , & ils foutenoient leur
" grandeur par leur probité ; ils aimoient
la paix ainfi que le repos , & ils méprifoient
l'a arice & l'ambition ; ils ne provoquoient
pas de guerres , ils ne com-
» mettoient ni pillage ni incurfion ; &
» ce qu'on doit regarder comme une marque
certaine de leur puiffance & de
leur valeur , ils favoient conferver leur
fupériorité , fans avoir recours à l'injuf-
» tice & à l'oppreffion . Cependant , quand
» leur fituation exigeoit qu'ils fiffent la
guerre , il n'héfitoient pas de prendre les
93
"3
"
33
"
» armes & de lever des troupes .......
» Les Fennes étoient au contraire le peuple
le plus groffier ; ils n'avoient ni armes ,
» ni chevaux , ni religion «……… ..
""
Les autres Tribus des Germains tenoient
le milieu entre la civilifation des Chauques ,
& l'état fauvage des Fennes .
DA
MERCURE
Il n'y avoit chez les Germains qu'une
propriété générale, & point de propriété particulière
ou perfonnelle ; le territoire appartenoit
à la Tribu , & nulle portion de
terrein n'appartenoit en propre à aucun individu,
L'Etat ou la Tribu faifoit la part à
chaque citoyen , & changeoit cette part
tous les ans. Les textes de Tacite & de Cé
far font formels fur ce point.
Agri , pro numero cultorum , ab univerfis
per vices occupantur , quos modò inter fa
fecundum dignationem partiuntur .... Arva
per annos mutant. Tacit. de morib. German.
Cap. 26.
Privati acfeparati agri apud eos nihil
aft..... Neque longiùs anno remanere uno
in loco incolendi caufâ licet . Cafar, de bello
Gallico. Lib. 4. Cap. 1.
Cet ufage enchérifoit beaucoup fur ce
qu'Horace obferve à la louange des anciens
Romains :
Privatus illis cenfus erat brevis ,
Commune
magnum.
Et il eft conforme à ce que le même Horace
dit des Scythes qui avoient à peu près
lesmêmes moeurs , & dont les Romains pouvoient
confondre certaines peupladesavec des
peuplades ou Tribus Germaines du voisinage.
Campefires meliùs Scythæ
Quorum plauftra vagas ritè trahunt domos ,
Vivunt & rigidi Geta ,
Immetata quibus jugera liberas
"
DE FRANCE
Fruges & Cererem ferunt ,
Nec cultura placet longior annuâ.
M. Stuart , felon fa méthode fyftémat
que , déduit de ce défaut de propriété per
fonnelle , les principaux traits du caractère
des Germains , leur indépendance , leur
amour pour la liberté , leur kerté fau
vage , & c . comme de leur tendreffe mêlée
d'eftime pour les femmes , & de leur refpect
pour la Religion , il déduit tout le fyftême
de la Chevalerie ; & de la protection
généreufe que les puiffans accordoient aux
foibles , & de la reconnoiffance libre de
ceux-ci , il déduit tour le fyfteme féodal.
Il diftingue un temps , qu'il appelle l'âge
d'er de la féodalité , où cette protection d'un
côté , cette reconnoiffance de l'autre , formoient
librement cette chaîne qui depuis
a lié forcément le Vaffal au Seigneur . C'eft
par - là qu'il explique ce qu'il appelle les
incidens féodaux & leur origine. » La bonté
» & la puiffance du Chef ou du Seigneur ,
dit-il , étoient le foutien & l'appui de
» ceux qui étoient à fon fervice ; un échange
ور
ود
&
23
continuel de bons offices entretenoit un
mutuel attachement ". Je deviens votre
homine à compter de ce jour , difoit le protégé
avec tranſport. Le Seigneur le recevant
dans fes bras , lui donnoit un baifer, pour
montrer qu'il lui accordoit fon appui & fa
faveur. De là la cérémonie de la foi & hommage.
DS
82
MERCURE
Dans le château du Seigneur , les Vaffaux
augmentoient fon cortège , & contribuoient
à fa magnificence. Dans fon Tribunal , ils
l'aidoient à rendre la juftice. Dans le champ
de bataille , ils combattoient à fes côtés , &
le couvroient de leurs boucliers.
A la mort du Vaffal , le Seigneur prenoit
foin de fon fils ; il veilloit aux intérêts de
cet enfant mineur , le protégeoit lui & fes
biens , & lui remettoit à la majorité ces
biens améliorés. De là l'incident de la garde.
Le Vallal , en entrant en poffeffion de fon
fief , faifoit volontairement un préfent à
fon Seigneur , en reconnoiffance de fes
bienfaits. Delà l'incident du relief.
Le Vaffal , dans les alliances qu'il contractoit
, & nommément dans fes mariages ,
obfervoit tous les égards que la reconnoiffance
& l'attachement lui prefcrivoient pour
fon Seigneur , il évitoit fur tout de s'allier
à une famille ennemie de fon protecteur :
Delà , dit l'Auteur , l'incident du mariage
c'eft- à- dire , le droit un peu tyrannique qu'a
dans quelques provinces le Seigneur d'accorder
, & par conféquent de refufer fon
confentement au mariage du Vaffal dans
de certains cas.
>
Lorfque le Seigneur étoit fait prifonnier
à la guerre , ou qu'il fe trouvoit de quelque
aurre manière , & par quelque autre caufe ,
dans l'embarras ou dans le befoin , le Vaffal
s'empreffoit de partager avec lui fes richeffes
; contribution volontaire alors ; d'où naquit
dans la fuite le droit d'aide.
DE FRANCE. 81
Enfin , lorfque le Vaffal fe rendoit coupable
de lâcheté , de trahifon , ou de quelque
autre délit grave , qui rompoit tous les liens
entre fon Seigneur & lui , il devenoit quelquefois
indifpenfable de lui ôter fon ficf.
De là ce qu'on appelle ici l'incident de l'échoite
, plus connu fous le nom de la commife
ou confifcation & réunion du fief.
Ces exemples fuftifent pour faire voir
comment l'Auteur fait lier & enchaîner fes
idées .
Quant à fes fentimens , ils nous paroiffent
en quelques endroits excéder la mefure
de ceux que l'amour de la liberté eft
en poffeffion d'infpirer aux Anglois les plus
Républicains. La liberté , dit il , devoit un
jour être fcellée du fang d'un Tyran , que
» la Nation infultée fit couler fur un échafaud
, pour expier fon injufte ambition
» & la violation des Loix ".
33
"
13
Cette déclamation , que Milton lui même
ne fe fût permife qu'avec peine , nous paroit
bien violente , & le nom de Tyran ,
appliqué au doux & fage & infortuné Charles
I , eft bien dur & bien injufte . Les vrais
Tyrans furent fes oppreffeurs ; & les Anglois
, comme l'obferve avec raifon le Traducteur
, défapprouvent eux -mêmes la fcène
fanglante que M. Stuart paroît approuver ,
puifqu'ils font tous les ans une cominémoration
folennelle du martyre de Charles I.
Le Traducteur eft le même auquel nous
devons auffi la Traduction de la nouvelle
D6
MERCURE
>
& favante Hiftoire d'Angleterre , du Doce
teur Henri , & celle d'une multitude de
bons Livres Anglois , relatifs foit à la Politique
, foit à la Littérature & à la Philofophie.
Son travail , dans cette nouvelle Traduction
, mérite notre attention particulière,
par le rapport qu'il a prefque partout avec
le feul objet qui foit en poffeffion de nous
intéreffer dans ce moment , avec les Etats-
Généraux.
Dès la Préface il propofe vingt queftions
, qui , comme il le dit lui - même , font
moins des queftions que des fouhaits. Les
voici :
Il demande : 1 °. S'il ne feroit pas avantageux
qu'on délibérât dans les Affemblées
Nationales à voix haute & publiquement ,
& qu'on y opinât à deux différens jours fur
le même objet , afin qu'on pût profiter de
la difcuffion publique.
2°. Si le miniftère de la feuille des bénéfices
ne devroit pas être confié à un Confeil
, dont la moitié des Membres feroit
prife dans le Tiers-Etat.
3. Si les perfonnes nommées à un bénéfice
, même par des Laïcs , ne devroient
pas avoir l'agrément des Etats de la Province
où le bénéfice eft fitué , pourvu que
ces Etats fulfent conftitués comme ceux du
Dauphiné ; & quels feroient les moyens de
faire cette réforme en refpectant les propriétés.
. Si l'on ne devroit pas faire une loi pour
DE FRANCE. 84
qu'un homme ne pût avoir plus de deux
mille écus de revenu en bénéfice ( à l'exception
des Evêques qui n'auroient cepcndant
que leur Evêché ) , & pour que le furplus
fût verfé dans la caiffe de charité de
chaque Province , afin qu'elle vînt , fous
l'infpection des Etats , au fecours des pauvres
, des grêlés , des incendiés , & des autres
infortunés .
5. Si les Canonicats , dans chaque Diocèſe
, ne devroient pas être donnés aux anciens
Curés , Vicaires , Profeffeurs , & autres
Eccléfiaftiques ayant vingt ans de fervice
dans des fonctions utiles du Minifère ;
& s'il ne faudroit pas augmenter le fort
des Curés , & fur-tout des Vicaires de cam--
pagne & de ville , ainfi que des Prêtres de
paroiffe qui ont à peine de quoi vivre.
6. S'il ne faudroit pas réduire chaque
Canonicat à trois ou quatre mille livres de
revenu .
7. Si l'argent des Bulles & l'année de
déport ne devroient pas étre verfés dans la
caiffe de charité de chaque Province , de
laquelle caiffe les Etats fe feroient rendre
compre.
8°. S'il ne faudroit pas diminuer l'étendue
de quelques Diocèfes & Paroifles trop confidérables
.
°. S'il n'y auroit pas quelques précautions
à prendre par rapport à la nomination
des Juges , foit Royaux , foit Seigneuriaux .
10. S'il ne feroit pas utile à l'Agriculture
86 MERCURE.
que les baux fairs par les Bénéficiers , fans
anticipation , faflent entretenus par leurs
fucceffeurs .
11. S'il eft jufte de faire payer un droit
aux gens de main-morte , lorfqu'ils bâtiffent
fur leur terrein .
12 ° . Si les gens de main-morte , & même
les Evêques , ne devroient pas rendre des
comptes de l'emploi de leurs revenus aux
Etats Provinciaux.
13 ° . S'il ne conviendroit pas de faire une
Loi qui permit de partager les terres , nonobftant
les difpofitions des Coutumes , également
entre fes enfans , ou , à défaut d'enfans
, entre fes héritiers collatéraux .
14° . S'il ne conviendroit pas de faire une
Loi qui réfervât aux héritiers préfomptifs
le droit de prélever , ou la moitié de tous
les biens du décédé indiftinctement , ou les
quatre quints des propres , quand il inftitue
les pauvres fes Légataires univerfels , ou
même quand il a fait un teftament.
15 ° . Si les projets préfentés aux Etats
d'une Province & à fes Adminiftrateurs ,
ne devroient pas être dépofés dans fa bibliothèque
publique , pour que chaque citoyen
pût les y confulter tous les jours.
16°. Si dans les Cours Souveraines,, il
ne devroit pas y avoir huit ou dis charges
données gratuitement & à vie à des Avocats
qui auroient exercé leur profeffion pendant
vingt années , qui feroient choifis par leur
Ordre , & à qui il feroit accordé un traitement
fixe.
DE FRANCE. 87
17. Si dans les Commiffions relatives à
la réforme de la Juftice & des Loix , il ne
feroit pas important qu'il y eût un certain
nombre d'Avocats & de Procureurs choisis
par leurs Corps .
18. Si le travail de ces Commiffions ne
devroit pas être imprimé & rendu public ,
avant que le Roi & les Etats - Généraux ftatuaffent
à cet égard ; s'il ne feroit pas
utile
qu'on fit chaque année , dans les Tribunaux ,
des Arrêts de Réglement fur les queftions
nouvelles qui s'y feroient préfentées.
19. Si le Réglement qui exclut le Tiers-
Etat du grade d'Officier , ne doit pas être
promptement révoqué.
20° . Enfin , s'il feroit utile que la lifte
des penfions & graces accordées chaque
année , fût imprimée & rendue publique
l'année fuivante avec les noms des Penfionnaires
, & une notice de la caufe de ces récompenfes
.
De ces vingt propofitions ou queftions ,
quelques- unes ont été faites dans les cahiers
des divers Ordres ou Diftricts , foir avant ,
foit depuis la publication de cet Ouvrage ;
quelques-unes paroîtront peut-être un peu
févères , toutes ont un caractère fenfible
d'utilité ; elles n'ont pu fe préfenter qu'à
un homme de bien , qu'à un ami de l'ordre
, qu'à un zélateur des moeurs.
Le Traducteur , dans une note où il fair
quelques obfervations fur le plan de formation
des Etats du Dauphiné , arrêté le
MERCURE
14 Septembre 1788 , remarque que par l'av
ticle 13 , pour être éligible dans l'Ordre de
la Nobleffe , il faut avoir cent ans de nobleffe.
» N'eft- ce pas , dit-il , vse injuftice à
l'égard des Anoblis , que fouvent on a
» voulu récompenfer en les anobliffant
& qui fe trouvent , par cet article , privés
d'un des plus beaux droirs du citoyen ,
en ne pouvant être élus ni par la No-
» bleffe ni par le Tiers-Etat « ?
En adoptant cette réflexion du Traducteur
, nous ferons une autre obſervation ;
c'eft que l'anobliffement n'auroit jamais
dû être autre chofe qu'une récompenfe , &
que c'étoit dénaturer les objets , & aller directement
contre l'idée de la Nobleffe , que
de la conférer à prix d'argent, ou, ce qui eft
la même chofe , de l'attacher à l'acquifition
d'une charge vénale. Il réfulte de cet abus ,
que des familles qui , depuis trois cents ans
& plus , vivent noblement , qui n'exercent
que des emplois honorables , & qu'on peut
regarder en quelque forte comme des familles
Patriciennes du Tiers - Etat , dont
elles n'ont pas pu ou n'ont pas voulu fortir
par l'acquifition d'un office conférant la
nobieffe , voient en ce moment fiéger parmi
la Nobleffe des gens dont elles ont vu les
pères dans l'abjection , & dont les familles
ne peuvent en aucune manière entrer en
comparaifon avec elles , au moins pour
l'ancienneté & pour la fucceffion des fonctions
nobles & des emplois honorables.
DE FRANCE. 89༡
Telle eft la confufion qui naît de la nobleffe
vénale. Ces mots de Nobleffe & de
Vénalité , mis à côté l'un de l'autre , impliquent
contradiction . Aufli cet abus fera- t-il
vraisemblablement un des premiers réformés.
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE ( I ),
L'AMBITIEUX & L'INDISCRÈTE , Tragi - Comédie
de Néricault Deftouches , a été jouée pour la
première fois en 1737 , après avoir été longtemps
arrêtée par l'ordre du Garde des Sceaux :
enfin on la repréfenta fans l'avoir affichée ; mais
on avoit eu la précaution d'en inftruire le Public
par des avis particuliers. L'Ouvrage n'eut pas un
grand fuccès.
On obferva alors que l'ambition eft une de
ces paffions qui demandent les couleurs de Melpomène
que le perfonnage de l'Indiſcrète étoit
déplacé à côté de celui de l'Ambitieux ; Deftouches
eft convenu lui-même qu'il avoit une diſſonance
marquée à côté des autres. On trouva le rôle
de Don Philippe , premier Miniftre du Roi de
Caftille , affectueux & touchant : on convint qu'il
contraftoit très bien avec celui de l'Ambitieux
Don Fernand ; qu'il y avoit de l'intérêt dans les
combats de ce dernier entre l'amour & l'ambition ;
mais on remarqua que ces combats auroient pu être
plus animés , plus étendus , mieux placés dans une
Tragédie . Une fcène du 4me. Acte , entre le Roi
(1) Cet article & celui de la Comédie Italienne fort de
M. de Charnois.
MERCURE
& fon premier Miniftre , où l'on voit le tableau
rare d'un honnête homme qui n'abule point de
fa place , qui facrifie fes intérêts & fa vanité à
fon devoir & à fon Maître , enleva tous les fffrages
. On loua beaucoup le dénouement ; on
regretta pourtant que Don Philippe ne follicitâ
point auprès du Roi la grace de fon frère.
Ce qu'on obferva en 1737 , on l'a encore obfervé
en 178 : mais cette fois- ci le ſuccès a été
complet , parce que le Public , ayant trouvé dans
le cours de l'Ouvrage un grand nombre d'heureufes
applications a faire aux circonftances préfentes
, a moins été juge que patriote . Nous penfons
come Voltaire , fur le mérite de cette
Tragi Comédie. Elle eft remplie de beaux traits ,
de vers qui méritent d'ê re retenus ; mais cela
n'empêche point que ce ne foit une Production
affez médiocre .
COMÉDIE ITALIENNE,
EN 1736 , Parard a fait jouer à la Foire Saint-
Germain , un Opéra Comique intitulé les Epoux
réunis.
Julie , épaule déla fée par Damon fon mari ,
le rencontre dans un château où il fait fa cour
Hortenfe , Dame du lieu . Elle fe déguife en Cava
lier, feint d'être l'Amant d'Hor enfe , excite la jaloufe
de Damon , qui la provoque , la reconnoît ,
& tombe à fes pieds .
En 1738 , Guyot de Merville a donné au
Théatre François une Pièce en trois Actes & en
vers, qui porte le même titre
сы
Dorimor a époufé Lucile à feize ans , il l'a
quittée pour être libre. Il arrive à Bordeaux ,
fon ami Lifimon , amant de Floriſe , ne peut
déDE
FRANCE.
terminer fa Maîtreffe à lui donner la main. Il y
trouve une jeune veuve , nommée Lucrèce , dent
il devient amoureux. Florife promet à L'fimon
de l'époufer , fi Dorimon , qui a pris le nom de
Damis, fait la conquête de Lucrèce. Cette Lucrèce
eft Lucile elle-même : les époux fe reconnoiflent ,
le réuniffent , & Lifimon eft heureux.
Ces deux Pièces n'ont rien de commun que le
titre avec celle qu'on a jouée au Théatre Italien
le 31 Juillet dernier.
Deux époux , échauffés par les mauvais confeils
d'une tante , fe décident à fe féparer mais
il exifte un enfant de leur mariage ; à qui reftera-
t-il ? On confulte cet enfant. Il dit oui à fon
père, oui à fa mère ; & au réfultat , qu'il veut refter
avec tous les deux. Cette fcène éclaire les époux
qui s'attendriffent , fe jettent dans les bras l'un
de l'autre , & fe réuniffent avec transport.
>
L'idée de cette Comédie eft prife d'un Drame
Allemand , qui a pour titre le Père de famille ,
& dont M. le Baron de Gemmingen eft l'Auteur.
On auroit pa tirer un plus grand parti de 1Ouvrage
original . L'imitateur, en n'y prenant qu'une
fituation , s'eft privé de beaucoup d'avantages ,
& il a été obligé d'étendre la durée de fa Pièce
des développemens un peu froids . La Motte
difoit à Alain , Auteur de l'Epreuve réciproque
qu'il n'avoit pas affez alongé la courroie «. On
peut reprocher à celui des Epoux réunis , de l'avoir
trop afongée.
par
Au refte , il y a de l'efprit , des moeurs , de la
délicateffe , de l'honnêteté , & même du talent
dans cette petite Pièce , dont le but moral eſt
très-eftimable.
Le 1er. Aoûr , on a joué pour la première fois
la Vieille d'Annette & Lubin , Comédie en un
Acte & en profe , mêlée d'Ariettes.
92 MERCURE
Le malheur & les perfécutions ont fait connot
tre au Public les perfonnages intérefans dont
M. Marmontel a fait les Héros de fon Conte
d'Annette & Lubin , fi heureufement arrangé pour
le Théatre par M. Favart. Il étoit tout fimple
qu'on faisît cette circonftance , & qu'on la portât
auffi fur la Sène.
Après trente ans , le Bailli , qui s'eft vu préférer
Lubin , hait encore fon rival , & il cherche
à le perdre. Son filleul Anaclet aine Roſette ,
fille de Lubin , & Rofette , qui aine Julien , ne
veut point d'Anaclet. Comme celui - ci a prêté
1500 liv. à Lubin , le Bailli lui confeille de faire
arrêter Lubin , & de faire vendre fa chaumière.
Plus bête que méchant , plus foible que vindicatif
, Anaclet envoie des Sergens chez le mari
d'Annette . A l'inftant où on le faifit , un Courrier
arrive de Paris , & apporte aux époux 300 louis
que leur envoient quelques perfonnes générenfes
qu'on a inftruites de leur malheur. Anaclet déchire
fes titres de créance , & le Bailli eft encor
une fois confondu.
L'Auteur de ce très - petit Ouvrage y a jeté de
l'intérêt en rappelant avec adreffe quelques fituations
de la Pièce de M. Favart. Tout le refte
eft peu piquant , peu théatral. On y remarque
de la facilité , de l'efprit , peut-être même , trop
de ce dernier par rapport à l'état des perfonnages.
Au furplus , c'eft une Production de circonf
tance qu'il feroit mal - honnête de juger trop fés
vèrement. Le Public a penfé comme nous , & il
a applaudi la Pièce.
M. Chapelle , Muficien de l'Orchestre du Théatre
Italien , a fort bien arrangé , pour cet Ouvrage
, des morceaux de muñque déjà connus ;
ceux de fa compofition , qu'il y a femés , ont
été entendus avec plaifir , & font honneur à fest
Balens.
DE FRANCE.
THEATRE DE MONSIEUR.
LE Lundi 3 de ce mois , on a donné à ce Théatre
la première reptéfentation de l'Ifle enchantée ,
Opéra en trois Actes , de M. Sedaine de Sarcey ,
parodié fur la Mufique de M. Bruni , 1er. Violon
de ce Théatre.
Une Fée , qui jufqu'à ce moment a été infenfible
à l'amour , reçoit des Dieux l'ordre de faire
un choix ; mais fi l'Amant qu'elle aura choifi
n'eft pas conftant , elle doit perdre fon bonheur
& fa puiflance. Quatre Etrangers font jetés dans
fon Ifle par la tempête ; un François fort leger ,
un Baron Allemand , un jeune Comte Italien , &
le Valet de ce dernier. C'eft à l'un d'eux qu'elle
doit donner fa main . Pour les éprouver, elle donne
à fa Suivante fa baguette & fa puiflance , & paffe
à fon tour pour la Suivante fous le nom d'Églé .
Le François & l'Allemand lui font la cour , mais
en cachette , & la facrifient à celle qu'ils prennent
pour la Fée : le Valet même du Comte , qui
a plu à la Féc , étourdi de fa bonne fortune , fe
permet une incartade pour la prétendue Eglé. Le
Vénitien et le feul qui lui montre un attachement
véritable ; & comme c'eft auffi le feul qui ait
touché le coeur de la Fée , après quelques épreuves
, les deux Amans font heureux.
Cette Pièce a paru agréablement écrite , quoique
dialoguée un peu longuement. La mufique a
été fort applaudie ; on y a trouvé beauc d'effet ,
de chants heureux. Tous les rôles ont été fort
bien joués. Nous nous fommes engagés à ne jamais
donner d'éloges particuliers aux Acteurs , à
moins qu'ils n'aient eu l'occafion de développer
des talens extraordinaires . Faire mention des bons
94 MERCURE
> feroit humilier inutilement les médiocres , & les
louer tous indiftin &tement, feroit manquer au Public
, & rer à la louange elle - même tout fon
prix . Nous ne parlerons donc que de Madame
Ponteu , qu'on n'avoit fat qu'entrevoir dans
un autre Ouvrage , & qui débute véritablement
dans celui- ci . Ala plus be le figure , elle joint une
voix fuperbe , une très- bonne maniere de chanter
, & une extrême facilité d'exécution . Elle
paroît deftinée à faciliter fur ce Théatre le fuccès
de l'Opéra Italien parodié ; fes moyens s'y
prêtent parfaitem nt , & le Théatre de Monfieur
ne pouvoit faire une acquifition plus précieuſe.
ANNONCES ET NOTICES.
LES
ES Dangers de l'abfence , ou le Souper de
famille , Comédie en deux Actes & en profe , repréfentée
pour la première fois à Paris par les
Comédiens Italiens ordinaires du Roi , le 11 Novembre
1788 ; & devant Leurs Majeftés , à Verfailles
, le 2 Janvier 1789 ; par M. Pujoulx , de
plufieurs Sociétés Littéraires. Prix , I liv. 10 f. A
Paris , chez Cailleau & fils , Libraires Impr. ruc
Ga ande .
Cette jolie Pièce fera jugée digne, à la lecture ,
du fuccé qu'elle a obtenu fur la Scène .
Confiderations fur les richeffes & le luxe , nou
velle Edition , corrigée & augmentée . In-8 ° . Prix,
4 liv . broché . A Amfterdam ; & fe trouve à Paris,
chez la veuve Valade , rue des Noyers
DE FRANCE. 95
Confiderations politiques fur le commerce du
Royaume , avec des obfervations fur les impôts
qui nuifent à fon activité , & dont on propofe la
fuppreffion , ainfi que le remplacement , d'une
manière plus avantageufe pour les Finances &
pour les Peuples précédées de quelques Réflexions
particulières fur tout ce qui peut intérefler le
cominerce de Picardie . Ouvrage deftiné pour l'ALfemblée
des Etats Généraux. Par un Citoyen. In-
8. avec des Planches ; 84 pages . A Paris, chez
Godefroy , Libraire , quai des Auguftins.
:
Difcours hiftoriques fur la Féodalité& l'Allodialité
, fuivis de Difertations fur le Franc-aleu des
Coutumes d'Auvergne , de Bourbonnois , du Berri ,
de Champagne , & principalement pour la partie
de cette Province , régie par la Coutume de Vitry ;
par M. Chapfal , Avocat au Parlement , exerçant
au Piéfidial de Riom ; in- 8 ° . A Paris , chez Guef,
fier jeune , Lib. rue du Hurepo , Nº . 17 .
Précis des fuccès de l'Etabliſſement que la Ville
de Paris a fait en faveur des perfonnes noyées.
Prix , 1 liv. 4 f. 8e . Partie , pour fervir de Supplément
aux fept Brochures in- 12 , publiées fucceffivement
chaque année , fous le titre de Detail
des fuccès obtenus fur les noyés , &c. par M. Pia ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , & ancien Echevin
de la Ville de Paris ; in-12 . A Paris , chez Nyon
l'aîné & fils , Lib. rue du Jardinet.
On trouve chez le mêmes Libraires les fept
premières Parties .
Effai fur la Théorie des Volcans d'Auvergne ,
par M. le Chevalier de Reynaud de Montlofier ;
in- 8 ° . de 134 pages . A Paris , chez Delalain le
jeune , Lib. rue St-Jacques , Nt . 13. Prix , I live
16 fous.
5
MERCURE DE FRANCE .
L'Art de peindre , Traduction libre en vess
françois du Poëme latin de Charles - Alphonse Dufrefnoy
, avec des Remarques ; par M. Renou ,
Peintre du Roi , Secrétaire-Adjoint de l'Académie
Royale de Peinture & Sculpture , &c. ; in- 8 ° . A
Paris , de l'Imprimerie de Monfieur ; fe trouve
chez Didot le jeune , quai des Auguftins ; & Firmin
Didot , rue Dauphine ; & à l'Académie de
Peinture.
Nouvelle fuite d'Harmonie à 8 & 9 Parties ,
pour 2 Clarinettes , 2 Haut bois , 2 Baffons , 2 Cors
& Serpent ou Contre-baffe , contenant des Ouvertu
res , Airs & Ariettes d'Opéras férieux ou comiques ,
arrangés par M. Gébeauer. Prix , 7 liv. 4 fous. A
Paris , chez Boyer , Md. de Mufique , rue de Ri-
Richelieu , à la Clef d'or ; & chez Mine. Lemenu,
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Trois Quatuors de G. Haydn , arrangés pour le
Clavecin , ou Piano- Forté avec accompagnement
de Violon & Baffe , par M. Lachnitt. Première
fuite. Prix , 9 liv . pour Paris & la Province , port
franc par la Pofte. A Paris , chez Leduc , Md. de
Mufque , rue du Roule , Nº. 6, 1
Numéros 15
24 , ou se. Année des Feuilles
de Terpfychore , pour la Harpe & le Clavecin.
Prix, chaque N. , 1 liv. 4 f. Abernement
pour
chaque Journal , 30 liv. franc de port. A Paris ,
shez Coufineau père & fils , Luthiers de la Reine ,
Die des Poulics.
TABLE .
LE Père d'un fupplicié, 731 Comédie Italienne,
Charade, Enig. & Log. 76 Theatre de Monfieur.
Tableau.
Gomédie Françoise.
93
77 Annonces & Notices. 94
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
POLOGNE.
De Varsovie , le 21 juillet 1789.
APRES un ajournement de trois semaines
, les Etats s'étant rassemblés , le
Prince Sapieha , Maréchal de la Confédération
de Lithuanie , leur a notifié , le
13 , la fuite du Prince Poninski , et en,
même temps qu'il avoit été repris sur la
frontière . il.
M. Suchodolski , Nonce de Chelm , a
jugé convenable de faire donner à M.
Deboli , Ministre de la République à Péri
tersbourg, l'ordre de demander , de la
part de sa Cour , la réponse à la dernière :
note remise par lur au Ministère de
Russie . Cette lenteur de la part de la b
Cour de Russie ne doit pas surprendre ,
si l'on considère la quantité de demandes
épineuses auxquelles elle se voit obligée
N° . 33. 15 Août 1789 . g
( 146 )
de répondre dans les circonstances présentes.
On a proposé ensuite d'augmenter l'approvisionnement
, en tout genre , de la
forteresse de Kaminieck , afin qu'elle
puisse balancer celle de Choczim , rétablie
par l'Empereur.
M. Morski , Nonce de Podolie , ' a
confirmé cette proposition , en ajoutant
qu'il lui paroissoit de la plus grande nécessité
de prendre toutes les précautions
possibles contre la peste , sur les frontières
de ce Palatinat.
La Députation des Affaires Etrangères
a communiqué à la Diète une Note
de la Cour de Suède qui , rapprochant
de plus en plus ses intérêts de ceux de
la République , la remercie du choix
qu'elle afait en la personne du Comte Po
tocki, pour la représenter à Stockholm.
L'Évêché de Cracovie , du revenu dé
700 mille florins , étant vacant , il
voit
été mis en question de consacrer une
partie de cet immense bénéfice à l'entretien
d'un régiment. Après un débat
de sept heures , il fut décidé , vendredi
17, à la pluralité de 57 voix contre 23,
de réduire le futur Evêque à un revenu
de 100 mille florins ..
On
建
OD 20
remarque avec plaisir les progrès
frappans de l'esprit public : nous en avons
ob. G.
( 147 )
cité plusieurs traits ; en voici de nouveaux.
Le District de Lukow , qui fait partie du
Palatinat de Lublin , abonde en Noblesse
pauvre , qui cultive elle-même ses terres , et
n'a point de paysans par là elle se trouvoit
exempte de l'impôt des deux vingtièmes ; mais
blessée de cette exemption , elle a demandé
tumultueusement à contribuer à proportion
de ses moyens.
Les trois Palatinats de grande Pologne
voulant augmenter la masse des contributions,
et en même temps le commerce des laines
ont taxé tous les terrains où l'on peut nourrir
des troupeaux de moutons ; cette taxe cessera
du moment où ces terrains recevront des
troupeaux.
M. Rudnicki , Lieutenant d'artillerie , qui
a pris et ramené le Prince Poninski , a refusé
toute gratification ; il a demandé seulement ,
et a obtenu que l'on adoucît les arrêts des
Officiers qui avoient laissé échapper le Prisonnier.
SUÈDE.
De Stockholm , le 17 juillet.
Les derniers combats en Finlande , du
28 juin et du 3 de ce mois , n'ont pas
encore été publiés officiellement , le
Roi poursuivant son invasion dans la
Finlande Russe . Ce Prince s'est porté
vers Fridéricsham , dont la garnison , suivant
le bruit courant , a fait une sortie
le 6, et a été repoussée après sept heures
gij
( 148 )
d'engagement . D'un autre côté , le Major
Général de Steding a repris sur les Russes
le poste de Saint-Michel , dont il a dispersé
les défenseurs.
Les dernières lettres de Finlande ont
confirmé la fin du Général de Sprengporten
, mort , le 5 , de ses blessures . Cet
Officier , égaré toute sa vie par cette ambition
inquiète et hardie qui forme les
hommes dangereux , contribua d'abord
à la révolution de 1772. Comblé de récompenses
, il désira de lever un régiment
au service de Leurs Hautes Puissances
, obtint l'agrément et les plus
vives recommandations de son Souverain.
Mécontent ensuite , et oubliant la
reconnoissance et le devoir , il offrit ses
services à la Russie , en seconda tous les
projets , lui en suggéra même , remua la
Finlande et l'armée , l'année dernière ;
enfin , vient de périr en combattant
contre sa patrie.
Suivant quelques avis de la Baltique ,
notre flotte étoit en présence de celle
des Russes , et d'un instant à l'autre l'on
s'attendoit à une bataille navale . Voici la
composition de notre escadre, telle qu'elle
est sortie de Carlscrona.
Gustave III de 70 can., vaisseau Amiral.
Sophie Magdeleine, 70 can. , Contre - Amiral ,
Hedwige Charlotte, 60 can. ,
Liljehorn.
Lieutenant-Colonel
, Modée.
Wladislas , .70
( 149 )
Adolphe Frédéric..70 canons.
Louise Ulrique , .. 70
Gotha Leyon, ... 70
Enighet , · 1 °
Fædernesland , ...60
Emhet , .60
Rettwsaw ..60 2
Dygden ,
Forsigtighet ,
..60
... 60
Æran , ..60 .
Drisstighet ,
..60
Manlighet, ... 60
Taperhet ,
60
Prince Frédéric Adolphe , 60
Prince Charles , ..60
Riksens Stænder , .60
Wasa ,
Uplande ,
Gripon
Minerve ,
Froya ,
"
Thétis ,
Camille ,
.60
Frégates .
.40 canons.
40
40
.40
· 2 .. •
• 40
40
Galathée , • 40
Euridice ,
Zémire
Illerim ,
Jaramas
.40
• · .40
Jarislawiz ,
Hector ,
Disa et Froya.
•
32
28
.32
.26
Shooners:
Ern ,
Cutters .
12 canons .
g iij
( 150 )
Falk , ..
Swala
.
Barthélemi
,
Esplendian ,...
12 canons.
8
8
En tout 41 voiles. Depuis sa première sor
tie , deux vaisseaux de ligne de plus ont
joint l'escadre.
ESPAGNE.
De Madrid , le 6 Août.
9
Le Ministère Espagnol avoit donné ordre
au Lieutenant-général Don Théodore de la
Croix , ci - devant Vice - Roi du Pérou et
aujourd'hui Colonel du régiment des Gardes-
Wallones , d'envoyer un habile Officier reconnoître
, au nord de l'Amérique occidentale ,
les établissemens des Russes et autres Européens.
Ce Vice-Roi choisit , pour cette expé
dition , Don Stefano - Joseph Martinet , qui
l'exécuta , en huit mois , avec autant de
zèle que d'intelligence . Il partit , vers la fin
de mars 1788 , du port S. Blaise. En 68 jours
de navigation , il s'éleva par les 60 degrés de
latitude , en suivant exactement les traces du
Capitaine Cook , à partir du 40 ° . degré. M.
Martinet toucha à la baie du Prince Guillaume,
qui git par les 60 ° . 11 ' . Les courans qu'il
rencontra dans ce parage , l'obligerent de
revenir sur ses pas , après avoir longé l'isle
de Montagu. Le 28 mai , temps auquel la
saison avoit couvert le sol de sa plus riche
parure , il entre dans la baie de cette isle
déja connue , et à laquelle il donna le nom
( 151 )
nouveau de Baie des fleurs . Il n'y trouva
aucun établissement , mais les Naturels lui
donnèrent beaucoup de détails relatifs aux
navigations antérieures , dans ces mers , par
les Anglois et par les Russes . La colonie
Russe la plus remarquable est établie à 10
lieues au nord de l'isle de la Trinité. Elle
est peuplée d'un grand nombre de Russes ,
défendue par un fort et par quelques galères.
Son Commandant étend sa jurisdiction sur
le vaste territoire d'Alaska , et sur les nombreuses
isles de cet Archipel . Au sortir de
ce port , M. Martinet reconnut les isles Schaumagin
et plusieurs autres inconnues au Capitaine
Cook : s'étant ensuite arrêté à Ouna-
Laschka , il y fut reçu très - cordialement par
le Commissaire Russe , M. Saicost Potap Cusmich
, qui commande la colonie , où se trouvoient
70 Russes et une galiotte. Le Navigateur
Espagnol , après avoir séjourné un
mois à Ounalaschka , remit en mer , et revint
au port Saint-Blaise , par Montérei et le
canal Sainte-Barbe , sans avoir touché à la
côte de Nootka où les Russes n'ont aucun
établissement.
Le fruit de cette expédition a été de
dissiper les inquiétudes qu'on avoit au sujet
des prétendues hostilités des Russes , dont
nous avons éprouvé , au contraire , la plus
généreuse hospitalité. Les côtes et les colonies
de ce vaste Océan sont mieux connues ;
on a pris possession de six parages importans
, au nom du Roi d'Espagne ; on a acquis
une juste idée du caractère des Nations Américaines
dépendantes des Russes ; et enfin ,
l'on a eu les relations les plus intéressantes
pour notre tranquillité. Le Commandant Espagnol
a rapporté une quantité de fourrures ,
giv
( 152 )
de productions naturelles , terrestres et marines
, de monnoies Russes d'or et d'argent ,
ainsi que des papiers -monnoies que les Russes
distribuent aux Nations tributaires.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 4 août.
Forcés depuis un mois , de sacrifier
cet article d'Angleterre , nous le sommes
aujourd'hui de ne présenter que sommairement
les principales délibérations du
Parlement , durant cet intervalle .
Les deux Chambres ont passé les Bills
d'une taxe additionnelle sur les testamens
, et d'une autre sur les Papiers-
Nouvelles , toutes deux devant remplacer
la taxe sur les boutiques , révo
quée.
Le Ministre a soumis à la délibération
de la Chambre- Basse , un Bill qui
assujettit les Marchands de Tabac à la
régie de l'Accise : l'énorme contrebande
exeréée sur cet article a motivé cette
opération . Le Comité en ayant présenté
le rapport dans la Séance du 15 juillet ,
on en discuta les principales clauses ,
et l'ensemble.
M. Fox entra dans un examen général
de l'extension inconstitutionnelle des lois de
l'Accise . Il renouvela les argumens vigoureux ,
mais un peu surannés , dont on s'est servi constamment
dans ce pays , toutes les fois qu'on
( 153 )
*
a traité de cette forme d'administration fiscale.
Quant au principe qui sert de base à
cette perception , la visite dans les maisons ,
« dit M. Fox, j'en suis tellement ennemi , je
« le regarde comme si répugnant aux maximes
de notre Constitution , qu'aucun homme
« libre , à mon sens , ne devroit se résoudre à
« vivre sous son empire . » Si aujourd'hui il
étoit question , pour la première fois , de l'introduire
, on le rejeteroit , quelque impérieux
que fût le besoin des finances . Ce qui marque
les lois de l'Accise du sceau de la réprobation ,
c'est qu'on ne les a proposées qu'à des époques
malheureuses. Le courage du Parlement , l'esprit
du Peuple se réunirent autrefois pour rejeter
une Accise sur le tabac , et le grand nom
de Sir Robert Walpole ne put surmonter cette
résistance. Néanmoins , je pense favorablement
de l'administration de cet Homme d'Etat ;
mais , comme il est plus aisé de calomnier et
de flétrir la mémoire d'un Ministre qui n'existe
plus , que d'apprécier celle d'un Ministre vivant
, Sir Robert Walpole étoit généralement
condamné de ceux qui ne jugeoient que superficiellement
de sa conduite ministérielle .
Onpouvoit lui reprocher ce projet d'une Accise
sur le tabac. Lorsqu'on essaya de soumettre
les cidres aux Commis de l'Accise , les Propriétaires
des terres ( Country Gentlemen's )
s'y opposèrent sur- le-champ , comme à l'introduction
d'une nouveauté dangereuse et alar
mante . Ils déclarérent que la maison de chacun
d'entre eux étoit son château , et que s'ils
y souffroient une invasion , elle seroit bientôt
suivie de la perte de leur liberté . Cette maxime
étoit bonne ; mais ils auroient dû en étendre
l'application aux Marchands et aux Manufac
turiers , et affranchir de l'Accise les vendeurs
g V
( 154 )
2
comme les consommateurs. Ces oppositions à
l'Accise avoient eu lieu dans un temps où les
finances nationales n'étoient pas si florissantes
qu'on nous les représente maintenant. Se flattoit-
on qu'à l'époque actuelle , dans un moment
où l'influence de la philosophie et de
l'expérience étoit plus répandue que jamais ,
l'odieuse et inconstitutionnelle proposition
qu'on soumettoit à la Chambre , pût jamais
recevoir l'approbation d'un Parlement Anglois
? Non , sans doute ; et ce fol espoir étoit
victorieusement combattu par l'exemple du
passé. Si , cependant , l'intérêt des finances du
Royaume exigeoit une augmentation de revenu
, personne n'ignore qu'il existe encore
dés taxes en réserve , que l'on pouvoit imposer
de préférence à des règlemens si destructifs.
L'Accise , établie comme elle l'est
maintenant , étoit certainement une chose fâcheuse
, et qui exigeoit la surveillance de tout
Anglois. Si la liberté dont nous jouissons a
été défendue par notre sang , et acquise au
prix de celui de nos ancêtres ; si nous sommes
encore prêts à la défendre , il devient de plus
en plus indispensable d'apporter la plus grande
circonspection à l'extension d'un règlement ,
qui ne manqueroit pas de détruire notre commerce
; extension qui ne répond point au but
qu'on se propose , et qui , même en le remplissant
, devroit être réprouvé par tous ceux
qui ne sont pas disposés à sacrifier leur liberté
aux intérêts du fisc .
M. Grenville admit , avec M. Fox , que nous
étions à un période où la philosophie marchoit
surement à l'appui de l'expérience . Les
vrais et heureux principes de la Constitution
se trouvoient plus exactement définis et connus
que par le passé. De jour en jour cette Cons(
155 )
titution alloit en s'améliorant. Mais , dans la
proportion de ces heureux progrès , devoient
aussi tomber ces raisonnemens qui présentoient
l'esprit des temps ; cette terreur chimérique
d'un Peuple ou d'un Gouvernement ,
disposés à empiéter sur la liberté. L'attachement
du Parlement à la Constitution avoit
été démontré de la manière la plus glorieuse
dans la délicate affaire de la Régence.
Quant à l'Accise , elle fut d'abord établie sous.
le règne de Charles II,Néanmoins , ce fut aussi
sous ce même règne , pour la première fois, que
le Peuple commença à peser , à sentir , et à comprendre
les principes de la liberté . Je défie de
trouver, dans l'Histoire , aucun période où l'on
voie se répandre avec plus d'abondance toutes
lesbénédictions , qui sont le fruit de ce domaine
inaliénable de l'homme .
Généralement , les mesures du Chevalier
Robert Walpole furent sagement adaptées
aux intérêts de l'Etat . On n'a reproché à ce
Ministre , avec justice , que les moyens de
corruption dont il se servit pour fortifier son
administration , et qui tendoient à accroître
les dépenses publiques. Peut- être encore n'étoit-
il pas assez prévoyant à trouver des res
sources et des subsides qui pussent faire face
aux demandes du trésor , ainsi qu'à la diminution
de ses dettes . Cette dernière accusation
n'est pas sans fondement ; mais , ce que
l'on peut compter au nombre des malheurs
de cet Homme d'Etat , c'est qu'au moment
qu'il proposa l'Accise sur le tabac , la meilleure
et la plus fructueuse des ressources auxquelles
il put avoir recours , il existoit ,
Angleterre , un parti acharné dont les clameurs
anéantirent ce projet : les penseurs jusen
g vi
( 156 )
tifioient aujourd'hui Sir Robert Walpole des
injustes inculpations de ses contemporains .
Au reste , l'état actuel des choses étoit tout
différent. M. Pitt , indépendamment de tous
les droits possibles à la reconnoissance et à
l'approbation de la postérité , s'étoit acquitté
des devoirs difficiles de son poste éminent
d'une manière si prudente , qu'aucun effort de
parti , aucune calomnie , aucune interprétation
défavorable , ne pouvoient ébranler la
juste confiance que sa patrie accordoit à sa
sagesse et à ses talens . 1
Il étoit étonnant que M. Fox , si habile à
saisir les différences , en laissât échapper une
bien importante . Si , contradictoirement à la
sagesse de nos ancêtres , et à la longue expérience
qui nous a appris comment la liberté
pouvoit fleurir et fructifier durant l'existence
de l'Accise , on pouvoit accorder quelque crédit
aux reproches déclamatoires faits si géné
ralement à l'ensemble de ce systême , il fau
droit aussi considérer qu'on levoit actuellement
, à la faveur de cette même Accise , SIX
MILLIONS STERLINGS de revenu , sans encourir
aucun de ces dangers si gratuitement prédits.
Certainement , ces dangers ne résulteroient
´pas du nouveau règlement , qui soumettroit
environ trois cents personnes de plus aux
Jois déja établies , et augmenteroit le revenu
de trois ou quatre cents mille liv. sterl .
M. Sheridan avoit prétendu que la recette
étoit à présent de deux millions au - dessous
de la dépense : si cette assertion , très - éloignée
de la vérité , avoit quelque fondement ,
il devenoit d'autant plus nécessaire d'adopter
les mesures sages qui pourroient ramener la
recette au niveau de la dépense , ou du moins
les rapprocher.
( 157 )
La grande objection de M. Fox portant
moins sur l'extension des règlemens actuels ,
que sur le principe général de l'Accise ,
quels inconvéniens ne résulteroient pas de son
opposition admise dans son universalité ?
L'Accise fournissoit annuellement six millions.
Supposez donc qu'en cédant aux vues
de M. Fox , on l'abolit entièrement , quels
seroient les suites de cette marche insensée ?
La banqueroute nationale , la dissolution du
Gouvernement , l'anéantissement absolu de
tous les avantages commerciaux et constitutionnels
, qui font aujourd'hui la gloire de la
Nation Britannique. Aucun plan de finance ,
aucun systême de réglement , ne seroient plus
nécessaires après la consécration d'un tel principe.
En effet , M Fox , en se proposant de
renverser la base de l'Accise , se propose aussi ,
sans le savoir , de renverser la Constitution .
S'il n'a d'autres projets que d'empêcher l'addition
du règlement actuel aux précédens ,
son but est extrêmement frivole ; car le tabac
est un article aussi propre que tout autre à
supporter les droits de l'Accise : quel petit
nombre de personnes se trouveroit soumis au
nouveau règlement , en comparaison de celles
sur lesquelles il portoit déjà ? Une autre
considération de quelque poids , est le grand
accroissement qui en résultera pour le revenu ,
ainsi que l'encouragement du Commerçant
honnête . Dans l'état où est actuellement cette
branche de négoce , aucuns bons Citoyens ne
-vouloient l'embrasser : car , un homme scrupuleux
, engagé dans cette profession parce
qu'elle étoit celle de ses pères , devoit nécessairement
se faire violence à lui-même , et
étouffer le cri du remords pour exercer les manoeuvres
clandestines et illégales actuellement
( 158 )
en pratique , ou renoncer à toute concurrence
avec ses voisins moins consciencieux
Plusieurs autres Membres parlèrent
pour ou contre le Bill qui fut admis à la
pluralité de 70 voix contre 20 .
Porté à la Chambre-Haute , ce Règlement
y a été moins favorablement reçu :
on l'a considéré sous d'autres faces , en
faisant apercevoir le vice de sa composition
, échappé à la pénétration des
Communes . Sans ce contrôle de l'une des
deux branches de la Législature sur
l'autre , l'Angleterre auroit vu sanctionner
un acte , dont l'intérêt public exigeoit
la réformation . C'est le Lord
Chancelier qui lui a porté un coup décisif,
le 29 , à l'instant où il fut présenté
à la Chambre- Haute.
Ce Ministre prenant la parole , fixa toute
l'attention de la Chambre ; il exposa son
opinion en peu de mots , mais avec une
fermeté , une persuasion intime de la justesse
de ses principes . « Le Bill , dit - il , renferme
des vices essentiels , et tels , qu'il seroit le
premier à lui retirer son approbation , s'il
restoit dans sa forme actuelle il ne pensoit
pas que la Chambre fût le lieu où l'on devoit
décider du sort de ce Bill ; il falloit le
renvoyer à un Comité , dans lequel on verroit
probablement s'évanouir une partie des
difficultés qui s'opposent à son admission.
Il offroit un cahos sans issues un embarras
inextricable on l'avoit assis sur des considérations
qui , d'après des témoignages ir(
159 )
récusables , paroissoient directement contraires
aux intérêts du commerce. Il se réunissoit
de tout son coeur à ceux qui condamnoient
les atteintes dont ce Règlement menaçoit
les propriétés particulières .
Cependant, les Manufacturiers reconoissoient
eux- mêmes qu'il existoit des abus crians dans
la perception du revenu ; abus qui , en mêmetemps
qu'ils fraudoient le Gouvernement d'une
partie des secours qu'exigeoient ses besoins ,
tendoient à ruiner les honnêtes Commerçans .
Il n'étoit pas moins de son intérêt , que conforme
aux vues d'un Gouvernement sage , de
corriger ces abus .
En avouant les défauts et les inexactitudes
du Bill , le Chancelier justifia très - habilement
M. Pitt , et montra qu'on ne devoit rien lui
imputer à cet égard . Dans le fait , il n'étoit
point l'auteur du Bill . S'il étoit capable de
dresser un Bill de revenu , il ne seroit pas propre
à remplir le poste de premier Lord de la Tréso-
Terie. Dans la réalité , le Ministre étoit obligé
de requérir le secours des Employés aux
divers départemens ; ils l'avoient bien mal
servi . Il s'étoit adressé aux Solliciteurs des
différens Bureaux , qui pouvoient écrire , quoique
peut-être ils ne pussent pus lire . Ces
Messieurs s'étoient permis de rédiger les
clauses du Bill , sans s'inquiéter d'établir de
l'accord et de l'harmonie entre leurs différens
plans. Il espéroit néanmoins qu'ils se résoudroient
à corriger cette bigarrure , et qu'ils
refondroient leurs différentes clauses en un
systême uniforme. En conséquence il a conclu
à ce que le Bill fût renvoyé à l'examen d'un
Comité.
Cet avis du Chancelier devint celui
( 160 )
de la Chambre : le Bill a été réexaminé
, vendredi dernier. L'une de ses
principales clauses a été corrigée par
un amendement qu'a proposé le Duc
de Leeds , et la discussion ultérieure
doit s'achever demain .
LL. MM. sont toujours à Weymouth ,
et profitent de tous les beaux jours pour
se promener en mer. Elles ont monté , à
trois reprises , la frégate le Southampton
, qui a fait , en leur présence , plusieurs
évolutions navales. Une escadreentière
, sous les ordres du Contre-Amiral
Bickerton , donnera en grand ce spectacle
à Leurs Majestés qui doivent se rendre
à Plymouth au premier jour. Outre le
Magnificent de 74 can . , et la frégate le
Southampton de 32 , cette escadre sera
composée des vaisseaux suivans qui ,
le 28 , ont appareillé de Spithéad , sous
les ordres du Commodore Goodall.
Le Carnatic , le Cumberland , l'Orion , le
Bedfort , le Goliath , la Bellona , tous de 74
canons ; le Director de 64 , l'Hébé de 36 , le
Termagant de 18 , le Speedwell de 16 , et le
Brazen de 14.
( 161 )
Nous devons placer ici un document
essentiel , arriéré depuis six semaines .
C'est la récapitulation sommaire de l'état
des Finances Britanniques pour 1789 :
SUBSIDES OU DÉPENSES pour l'année 1789.
Marine.
20,000 Matelots ... 1,040,000 l. st.
Dépenses ordinaires
.
713,000
Dépenses extraordinaires
...... 575,000
Armée.
Service ordinaire .. 1,517,879
-extraordinaire .. 398,000
Mais cet extraordinaire étant
acquitté d'avance , comme
on l'a vu dans l'état du
Budget , rapporté précédemment,
reste pour les dépenses
de la Guerre en
1789 ..
Artillerie
Etablissement Civil de la
Nouvelle Ecosse , Saint-
Jean , etc......
Remboursement à faire à la
Liste Civile , conformé-
2,328,000.
• 1,517,879
459,444
24,937
( 162 )
ment à différentes avances
demandées par la Chambre
des Communes
Pour les Loyalistes d'Amé-
34,000
rique .. 355,218
Transport des Malfaiteurs et
leur entretien ....
56,598
Remboursemens aux Secrétaires
et Commissaires de
différes Bureaux ....
Musée Britannique , Forts
d'Afrique , routes d'Ecosse ..
A livrer au Prince de Galles
pour achever le Palais
Carleton
15,000
20,000
35,000
Frais du procès de M. Hastings,
durant la présente
Session ( 1 ) ... 12,000
Déficit sur le produit de la
taxe des terres et de la
Drèche .... 350,000
Déficit sur d'autres branches
de subsides ..... 331,000
5,539,076
Prêt à la Hollande , rembour
sable avec intérêt à échéances
annuelles , mais qui
(1 ) Cet article monte à 20,000 liv . st . pour
cette année.
( 163 )
forme une dépense momentanée
de ...... ... 191,000
Subsides énoncés ci-dessus .... 5,539,076
Total des Subsides nécessaires.5,730,076
VOIES ET MOYENS .
Taxe des Terres et
de la Drèche .... 2,760,000
Loterie.....
Surplus du Fonds
271,000
consolidé ...... 1,530,000
Emprunt par Tontines
..1,002,500
Courtes annuités ,
remboursables
annuellement par
équivalent du
Prêt à la Hol-
Jande, aussi remboursable
..... 187,000
Total des Voies et Moyens .... 5,740,000
Totaldes Subsides ..
Excédent des Voies et Moyens
sur les Subsides ..
.5,730,076
9,924 I. st.
Mais il restera à bonifier le déficit du Fonds
consolidé , qui , au mois d'avril dernier , se
trouvoit de 520, coo 1. st .; déficit qui sera
rempli par les arrérages dus sur différentes
( 164 )
taxes , par la balance non rentrée de divers
comptes publics , par le payement que fera
cette année la Compagnie des Indes au Gouvernement
, et par l'accroissement présumé
du produit des droits sur le tabac.
Si l'on veut connoître la Dépense et le
Revenu complets de la Grande Bretagne en
1789 , il faut ajouter aux totaux de Subsides
et de Moyens énoncés ci-dessus , les Dépenses
et Revenus hypothèqués , qui n'entrent jamais
dans le compte du Budget , savoir :
Pour l'intérêt de la
Dette publique ,
environ ...
Liste Civile.....
Amortissement annuel
de la Dette
Dépenses.
.9,100,000 1. st.
900,000
publique ....... 1,000,0000
11,000 000
Revenus.
Les branches réunies du revenu
public ont produit du
premier avril 1788 , au premier
avril 1789 ....
Emprunt par Tontines
..... 15,578,000
1,000,000
---
par
tés ..
courtes Annui-
187,000
Total du Revenu public en
1789 ... ..16,765,000
( 165 )
M. Sheridan attaqua , le 10 , l'exposé
des Finances présenté par le Chancelier
de l'Echiquier , et s'efforça de
démontrer , par le calcul et par lẻ raisonnement
que , depuis trois ans , la
dépense annuelle avoit surpassé la recette
de 2,003,960 1. sterl . Il proposa
de nommer un Comité pour examiner
de nouveau les comptes publics , fut
réfuté , et perdit sa Motion , sans qu'elle
fût mise aux voix .
La dette de la Compagnie des Indes
dans ses possessions Asiatiques , ayant
été transportée en Angleterre , il a fallu
pourvoir à cette charge par une addition
au capital. En conséquence , la Cour
des Directeurs a demandé à la Chambre
des Communes , et a obtenu d'être autorisée
à un emprunt d'un million sterl. , ce
qui porte le fonds capital de la Compagnie
à cinq millions.
FRANCE.
De Versailles , le 14 août.
C'est le 4 , que le Roi remplit les
places vacantes dans le Ministère , en
y appelant les Personnes que nous avons
nommées dans le Journal précédent :
S. M. informa de ce choix l'ASSEMBLÉE
NATIONALE , par une lettre qu'on trouvera
plus bas et qui forme un des
( 166 )
précieux monumens des annales de la
Monarchie .
Pour mettre encore plus d'accord dans toutes
les parties de l'Administration , et prévenir
l'influence de la faveur ou des prédilections ,
le Roi a ordonné que dorénavant toutes les
nominations de charges , d'emplois ou de bénéfices
dans l'Eglise , la Magistrature , les Affaires
Etrangères , la Guerre , la Marine , la
Finance et la Maison du Roi seront présen
tées à la décision dans le Conseil.
Le Roi avoit le dessein de nommer M.
Necker Ministre principal ; mais M. Necker,
en recevant avec une respectueuse reconnoissance
ce témoignage de la confiance de Sa
Majesté , l'a priée de permettre qu'il ne fût
accompagné d'aucun rang , ni d'aucun titre.
Ce Ministre ayant demandé au Roi d'être
soulagé d'une grande partie du Département
des Finances , Sa Majesté a rétabli la place
de Contrôleur-général , et la confiée à M.
Lambert, dont l'application et l'intégrité ont
été déja éprouvées.
Il travaillera avec le Roi en présence de
M. Necker , premier Ministre des Finances ,
lequel , avee la permission du Roi , s'est réservé
le Trésor royal et les ordres à prendre
de Sa Majesté pour la nomination aux places
et aux emplois.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
L'étendue des matières nous obligea ,
la semaine dernière , à restreindre le
sommaire de la Séance du samedi pre
mier Août en voici une analyse moins
( 167 )
succinte , mais rapide , le principal objet
de délibération reparoissant dans les
Séances suivantes.
Les contemporains et la postérité doivent
sans doute juger une Assemblée
législative sur ses actes , et non sur ses
discours ; ils imitent en cela l'histoire et la
loi, qui se bornent à prononcer sur les actions
des hommes. Cependant , il entre
dans les annales du temps de conserver ,
avec les résolutions , les motifs qui les
ont déterminées , et le combat d'opinions
au milieu duquel elles ont flotté. Le
caractère d'une Assemblée ne résulte
pas de trois ou quatre discours seule-.
ment , quoique ces discours principaux
entraînent un grand nombre d'avis : c'est
par le frottement général de beaucoup
d'opinions différemment débattues , que
l'Observateur saisit les mouvements de
la délibération . Pour en connoître l'esprit
, il faut donc en présenter toutes les
faces , et un argument vicieux tient sa
place dans ce tableau , comme une vérité
lumineuse .
Les faits seuls , racontés exactement ,
placés avec ordre , dégagés des longueurs
inséparables de l'éloquence parlée , voilà
ce que l'histoire consultera un jour , ce
qu'attend le Public , et ce que nous lui
devons. Nous n'avons pas la présomption
de vouloir éclairer ou égarer son jugement
, par des réflexions que leur promptitude
fait nécessairement rentrer dans
( 168 )
le cercle des lieux communs. Chaque
Citoyen doit consulter sa raison propre
, et non celle d'un Journaliste. Ce
verbiage , d'ailleurs , qu'on honore du
nom de réflexions , interrompt le récit ,
et substitueroit indiscrètement l'avis de
L'Auteur à celui des Membres de l'Assemblée
. Lorsqu'il se présentera quelques
sujets de discussion , sur lesquels il
importeroit de ramener l'attention du Public,
nous rejeterons ces remarques dans
un Supplément , après avoir laissé mûrir
nos idées par le doute et par le temps.
Fidèles en outre au plan ' d'impar
tialité que nous nous sommes imposés
dès l'origine , nous ne perdrons jamais
de vue le précepte de Tacite : Præci
puum munus Annalium reor, ne vir
tutes sileantur , utque pravis dictis ,
factisque exposteritate et infamia metus
sit.
Du Samedi premier Aour 1789. Lecture
faite des Adresses de différentes villes expri
mant à l'Assemblée leur reconnoissance , leurs
félicitations etleur adhésion , on a pris connois
sance de la lettre des Officiers Municipaux du
Havre , au sujet de la détention de M. le Duc
de la Vauguyou et de M. son fils ( Nous
avons rendu compte, il y a huit fours , de cet
évènement ).
Sur l'annonce de plusieurs Députations de
Paris , d'Orléans , de Sens et de Dieppe , M.
Arnaudat a exposé les distractions qu'occasionnoient
ces Députations aux travaux prés .
sans
3
( 169 )
sans de l'Assemblée , et la nécessité de ne les
tecevoir que dans les Séances de relevée.
M. Pison du Galland , modifiant cette opinion
, a proposé an arrêté , en vertu duquel
les Députations ne seroient admises que jusqu'au
8 de ce mois ; les Villes , Corps et Districts
pouvant s'adresser à l'Assemblée , par
Mémoires qui seroient discutés au Comité
de rapport.
M. Fréteau , appuyant cette Motion , a demandé
qu'on fit imprimer cet arrêté dans
tous les papiers publics , et qu'on donnât dix
jours pour recevoir les Députations qui pourroient
être en route.
Un Préopinant a distingué les Députations.
des villes , d'avec celles de Paris , et a voté
pour renvoyer ces dernières au Comité de
rapport.
M. de Mirabeau a prétendu qu'autant valoit
déclarer aux Commettans qu'on n'avoit
pas le temps de les entendre.
On a fait la lecture de la Motion qui a
été interrompue plusieurs fois par la rumeur
de l'Assemblée , et qui a passé malgré l'opposition
. On a objecté ensuite que le Règlement
ne permettoit pas de proposer et de
résoudre une Motion dans le même jour.
M. le Comte de Clermont -Tonnerre a lu
l'article du Règlement qui porte qu'une Motion
pourra passer le même jour qu'elle aura été
élevée , losrque l'Assemblée le jugera à propos .
M. Le Président a proposé une seconde fois la
Motion , approuvée de nouveau . L'opposition
de la Minorité subsistant toujours , M. Buzota
demandé par amendement, qu'on distinguât les
Députations d'honneur de celles d'affaires ; que
deux jours par semaine fussent consacrés aux
premières , & que le Comité de rapport reçût
No. 33. 15 Août 1789. h
.
( 170 ))
les secondes. Cet amendement a été rejeté ,
& la Motion originelle admise en entier .
Cette résolution prise , eft entrée une Députation
des Représentans de la Commune de
Paris. M. Huguet de Semonville , Conseiller
au Parlement , portant la parole , a présenté
l'Arrêté suivant de ses Commettans.
» L'Assemblée des Représentans de la Commune
persistant dans son Arrêté d'hier au
soir , pour s'assurer de la personne du sieur
Besenval, en conséquence duquel Arrêté un
Courier cft allé aussitôt porter l'ordre de le
tenir sous bonne et sûre garde , a cru de sa
sagesse de députer sur-le-champ à l'Assemblée
nationale , pour la conjurer d'ajouter au
choix de plusieurs de ses hiembres qu'elle a
chargés d'informer sur le crime de lèze-nation,
l'établissement d'un Tribunal , revêtu de sa
sanction et de celle du Roi , qui prononcera
sans délai sur ces crimes , afin que le châtiment
des coupables donnant un exemple né
cessaire , la tranquillité publique se rétablisse ,
& que les Citoyens assurés que la justice nationale
agit , ne se permettent aucun acte capable
de détruire des preuves importantes ,
on troublant l'ordre indispensable pour les
obtenir. L'Assemblée ordonne en outre , que
le présent Arrêté sera imprimé et affiché. »
M. le Préfident a répondu que l'Assemblée
prendroit en considération la question que les
Représentans de la Commune de Paris venoient
de lui soumettre.
Un systême de Gouvernement doitil
être précédé d'une Déclaration des
droits génériques ? Faut - il dans cetic Déclaration
, considérer l'homme sous le
double rapport d'Etre animé , agissanė
( 171 )
par les lois de la nature , et d'Etre existant
en société , ou de Citoyen ? Telles
sont les questions sur lesquelles l'Assemblée
a porté ses regards ; jusqu'ici , elles
n'avoient occupé que les philosophes.
Les droits de l'homme naturel lui as '
surent le libre exercice de ses facultés physiques
et morales ; d'où résulte , dans le fait,
une inégalité de droits proportionnelle à
celle de ces facultés. La supériorité de
force , d'intelligence , d'agilité , créent
l'empire d'un homme sur un autre ; ettant
que le genre humain reste dans cet état
primitif,il reste soumis aux différences que
la nature même a mises entre les individus
: ainsi les buissons se courbent sous
les chênes , et les harengs sont dévorés par
les baleines. Voilà le droit de nature.
La société y substitue un droit de
convention ; elle nivelle les inégalités ,
par l'établissement de l'égalité politique :
celle-ci ne seroit jamais que rationnelle
, sans les lois qui en déterminent
la sanction et en assurent le maintien .
Ces lois seules font les droits de l'homme
social et celui de la Communauté dont
il est Membre. S'il s'en attribuoit d'autres,
cette prétention deviendroit générale , la
société seroit dissoute .
Les droits de l'homme sont donc inséparables
de ceux du Citoyen , puisque ce
n'est qu'à ce dernier titre , qu'il est soustrait
à la supériorité naturelle des forces
physiques el morales. Les lois positives.
hij
( 172 )
déterminent sa condition , ses prérogatives
et leurs limites : il ne peut lui rester ,
sous peine d'entrer en guerre avec ses
semblables , d'autres droits que ceux
qu'a sanctionné la société générale.
Par conséquent , déclarer des droits ,
c'est déclarer des lois , ou faire une chose
inutile ; car la vérité même n'oblige le
Citoyen , qu'autant qu'elle se lie à une
institution positive les plus beaux
axiomes n'auront jamais dans le systême
social , la vertu d'une ordonnance de
police.
Ce n'est point retenir le peuple dans
l'ignorance de ses droits, comme l'ont
craint divers Opinans , que de promulguer
ses véritables droits , dérivant de
la loi conventionnelle , et ne pouvant
dériver d'une autre source. La connoissance
des statuts dont se compose sa
liberté , est la seule dont il puisse faire
usage , sans danger pour lui-même et
pour l'Etat. Toute vérité abstraite , tout
principe non obligatoire , manque le but
d'assurer aux Nations un rempart de
leurs prérogatives : ce rempart est dans
la loi positive , car le peuple saura défendre
des droits dont l'application est
journalière , et dont il sait que l'infraction
est aussi criminelle que celle d'un
yol de grand chemin .
Lorsqu'en 1688 les Anglois dressèrent
leur fameux Bill des droits , ils
connoissoient parfaitement les droits "
( 173 )
de l'homme en général ; dix ans de
suite on les avoit développés sous le
règne de Charles I ; cent discours Parlementaires
, cent écrits citèrent ces
principes métaphysiques : ils se trouvent
tous , et illimités, dans le fameux ouvrage
de Marchmont-Needham , en 1656 ( 1 ) .
Cependant , le Parlement se contenta
de déclarer les lois dont il réparoit la
violation , et les lois nouvelles qu'il
instituoit .
Les Américains Unis ont suivi une
autre marche , mais c'est dans leurs
Chartes , et non dans leurs déclarations
préliminaires , que la génération actuelle
ou les suivantes trouveront les
principes de leur liberté , et les moyens
de la défendre .
Ces foibles observations , peut -être mal
fondées , nous ont été suggérées par le
débat dont nous allons rendre compte ,
au sujet de la question préliminaire d'une
Déclaration de droits quelconque .
M. Durand de Maillane , Député d'Arles ,
s'est d'abord autorisé de son cahier , pour
réclamer la Déclaration des droits de l'homme
et ducitoyen . Elle devoit être affichée par- tout,
( 1 ) Ce livre singulier a pour titre , The
Excellence of Free state , or the Right Cons
tilution of a Commonwealth. Le contrat so_
cial de Rousseau semble n'être qu'un extrait
timide de cet ouvrage , dont mon célèbre
Concitoyen n'avoit cependant aucune con
noissance.
hiij
( 174 )
même dans les Eglises . Il falloit distingue
le principe , de la loi même ; celle-ci étoit
subordonnée à des vérités premières et nécessaires
, sans la connoissance desquelles
le peuple n'obéiroit qu'imparfaitement. L'Opinant
s'est étendu en longues réflexions , et
a exposé des plans divers , auxquels l'Assemblée
a prêté moins d'attention , qu'au discours
suivant de M. Crenière , dont elle a même demandé
l'impression.
M. Crenière , Député du Vendômois .
« Les François demandent , les Françoisyeulent
une Constitution libre ; mais avant
de faire une Constitution , il est nécessaire
de déterminer le sens qu'il faut donner à
ce mot , qui , comme tant d'autres , est devenu
presqu'insignifiant , à force d'acceptions
dont la plupart sont absolument différentes ,
et quelques- unes même contradictoires. »
"
Il me semble que la Constitution d'un
peuple, n'est pas une Loi , ni un code de
Lois , dites improprement constitutionnelles ;
car l'établissement d'une Loi , ou d'un code
de Lois , suppose nécessairement quelque
chose d'antérieur : il faut qu'un peuple existe
avant d'agir , qu'il soit constitué avant de
s'organiser, que des hommes soient devenus
Citoyens par un pacte , avant de devenir
Sujets par l'établissement de la Loi ; il faut
enfin qu'une convention permanente ,
immuable
, éternelle , assure à tous les Membres
du Corps politique l'exercice de leurs droits
essentiels , avant qu'ils puissent , en les exerçant
, déterminer , par des institutions , leurs
rapports consentis . »
16
Il me semble encore que la Constitution
d'un peuple ne peut pas avoir pour objet
de fixer la manière de faire les Lois , et de les
( 175 )
faire exécuter , parce qu'un Peuple peut et
doit changer tel ou tel mode de législation ,
tel ou tel mode d'exécution , quand il le veut ,
parce que , d'après ce principe du premier, ec
peut- être du sen publiciste qui nous ait
éclairés sur nos droits , que la Constitution
donne l'existence au corps politique , et que
la législation lui donne le mouvement et la
vie , on ne peut changer la Constitution
sans dissoudre la Société , tandis que l'un
doit toujours choisir, entre les moyens d'agir ,
ceux qui paroissent les plus propres à atteindre
le but de toute Société bien ordonnée
, c'est-à- dire , le bonheur de tous et
chacun des Membres qui la composent ; parce
qu'enlin l'objet de la Constitution doit être
d'assurer les droits individuels dont la réunion
seule forme les droits de tous , tandis que
les institutions ne doivent tendre qu'à subordonner
les intérêts particuliers à l'intérêt
général. »
L'homme , dans l'état de nature , n'est ni
libre , ni esclave ; il est indépendant , il exerce
ses facultés comme il lui plaît , sans autre
règle que sa volonté , sans autre Loi que
la mesure de ses forces ; en un mot , il n'a
ni droits à exercer , ni devoirs à remplir.
La nature ne donne rien d'inutile ; et si
l'homme isolé avoit des droits , contre qui
et comment les exerceroit- il ? Hors de l'éiat
de société , il n'y a ni personnes obligées
ni force publique , ni Gouvernement ni
Tribunaux ; mais il faut conclure de ce que ,
je viens d'établir , que l'homme dans l'état
de société n'a pu s'imposer des devoirs sans
acquérir des droits équivalens ; qu'il n'a pu
faire le sacrifice de son indépendance naturelle
, sans obtenir en échange la liberté
h iv
( 176 )
politique ; et qu'en consentant à ne plus
faire tout ce qu'il veut , il doit pouvoir ce
que tous ses associés veulent. Il faut en
conclure encore , que les droits qu'il acquiert
par le simple acte de son association , sont
naturels , parce que son premier soin étant
celui de sa conservation ; son premier désir ,
celui du bien -être ; sa première faculté , celle
de vouloir , il est contre la nature , et par conséquent
impossible , qu'il ait abandonné ce
soin , renoncé à ce désir , et qu'il ait voulu.
n'avoir plus de volontés. Il faut en conclure
enfin que ces droits sont imprescriptibles ; car
on ne peut y renoncer volontairement sans
dissoudre la société et rentrer dans l'état de
nature , et l'on ne peut en être dépouillé ,
parce que si l'exercice en est interrompu par
la force , jamais la force n'a fait acquérir des
droits contraires à ceux qu'elle voudroit
anéantir.
Ainsi l'homme isolé n'a point de droits ;
telle est la loi de la nature .
:
L'homme en société a des droits naturels
et imprescriptibles ; tel est l'axiome de la
raison des Citoyens qui les exercent forment
un Peuple libre ; des Sujets qui ne les exercent
pas , ne sont qu'une troupe d'hommes enchaìnés
ou trompés .
C'est l'établissement de ces droits naturels
et imprescriptibles , antérieur aux lois qui
n'établissent que des droits positifs ou relatifs
, que j'appelle la Constitution d'un Peuple
; et je ne crois pas que l'acte de cette
Constitution doive en énoncer d'autres .
Il me reste maintenant à chercher quels
sont les droits naturels et imprescriptibles
dont l'énonciation doit seule , à ce qu'il me
semble , faire l'acte de la Constitution d'un
( 177 )
Peuple je n'aurai pas besoin d'employer de
grands efforts ; ils sont si connus , si évidens ,
que leur extrême simplicité est sans doute la
seule raison qui ait pu décider à en imaginer
d'autres.
Tels sont les principes qui m'ont dicté le
projet suivant :
Les François considérant qu'il leur étoit
impossible de s'assembler tous dans un même
lieu , et de se communiquer leurs intentions ,
- s'ils s'assembloient dans des lieux différens , ont
librement choisi dans chaque Province , oupartie
de Province , des Mandataires qu'ils ont
envoyés à Versailles pour les constituer en
Peuple libre .
Fidèles aux ordres de leurs Commettans ,
dont ils exercent les droits et expriment les
volontés , ces Mandataires constitués en Assemblée
Nationale , ont déclaré et déclarent
à jamais ,
1° . Que la volonté du plus grand nombre
étant la loi de tous , chaque Citoyen a le
droit de concourir à la formation des lois , en
exprimant son vou , particulier.
2º. Que chaque Citoyen doit être soumis
aux lois , et qu'il ne doit dans aucun cas être
contraint d'obéir à des volontés privées..
3°. Que chaque Citoyen a le droit de concourir
à l'institution du pouvoir chargé de
faire exécuter les lois .
4°. Que chaque Citoyen a le droit de demander
la conservation ou l'abrogation des
lois et des institutions existantes , et la création
de lois et d'institutions nouvelles .
5°. Que le pouvoir législatif et institutif
appartenant essentiellement au Peuple , chaque
Citoyen a le droit de concourir à l'organisation
de tous les pouvoirs.
hy
178 )
6°. Que l'exercice de ce pouvoir peut être
confié à des Mandataires nommés par les
habitans de chaque Province , dans un nombre
proportionné à celui des Commettans .
7°. Que l'époque de la tenue des Assemblées
Nationales , leur durée ou la permanence
même de l'une de ces Assemblées , ne
peuvent être déterminées que par la volonté
des Citoyens , exprimées par eux ou par leurs
Mandataires.
8°. Qu'aucuns impôts , sacrifices ni emprunts
ne peuvent être faits , exigés , ni perçus sans le
consentement du Peuple.
9°. Qu'enfin ces droits étant naturels , imprescriptibles
, ils doivent être inviolables et
sacrés ; qu'on ne peut y porter atteinte sans
se rendre coupable du crime irrémissible de
lese- Nation ; qu'appartenans indistinctement
à tous les Citoyens , ils sont tous libres , tous
égaux aux yeux de la loi , et qu'ayant tous
les mêmes droits , ils ont aussi les mêmes
devoirs et les mêmes obligations.
M. le Comte Mathieu de Montmorency a
défendu la Déclaration , comme indispensable
à la Constitution : celle - ci est l'édifice , la
première dolui servir de fondement. Les
droits étant éternels et imprescriptibles , leur
déclaration ne sauroit être provisoire. La
vérité fera le bonheur du Peuple ; il seroit
dangereux de ne pas Péclairer. C'est à la
France à présenter à l'Univers un code de
sagesse qui devienne celui de toutes les Nations.
M. de Castellane a réfuté les objections
levees dans les Bureaux contre une Décla
ration des droits. Depuis Charlemagne , l'idée
de ces droits avoit disparu ; il importoit de
les rappeler . Nul n'avoit pu dire à son Souve
( 179 )
"
rain : « Je te livre un pouvoir arbitraire sur
« mapersonne ; à ton gré , tu nous plongeras
« dans les prisons , et nous y périrons , si c'est
l'intérêt de ta Maîtresse ou de ton Favo-
« ri . » Les Parlemens , exposés eux - mêmes aux
Lettres-de -cachet , avoient- ils pu y soustraire
les Citoyens ? Le Peuple seul peut faire respecter
les Lois. Une si longue oblitération des
principes en exigeoit la reconnoissance formelle
. D'ailleurs , l'expérience prouvoit la
nécessité de cette Déclaration . En Angleterre,
leshommes étoient encore sous le joug des
abus ,,
parce que leurs droits y étoient encore
ignorés.
M. Target , après une peinture énergique
de l'esclavage , a fait un plaidoyer sur les
droits de l'homme. Pour former un Peuple
libre , il faut lui apprendre quels sont les
droits de la liberté aucune vérité ne peut
lui nuire ; il faut le conduire au bonheur par
les lumières , et nous ne le pouvons qu'en
gravant sur l'airain les bois naturelles.
M. l'Evêque de Langres. n La Conftitution eft
un code & Corps de Lois ; tout ce qui n'eft
pas loi, ne doit pas faire corps avec la Conftitution ."
Les principes parlent à la raison pour ' a convaincre
, & les Lois à la volonté pour la foumettre :
beaucoup de perfonnes ne feroient pas en état
d'entendre les maximes que vous leur préfenterez
; non que je veuille qu'on tienne le peuple
dans l'ignorance, mais je voudrois qu'on l'éclai--
rât par des livres , & non par des déclarations
abftraites. Celle qu'on propofe doit le réduire à un
préambule fimple & clair , qui ne renferme que des
maximes incontestables .
48 Membres devant encore parler sur la même
queſtion , on en a remis l'ultérieure discuffion au
lundi fuivant.
h vi
( 180 )
Quatorzième semaine de la Session .
Du lundi 3 Aour 1789. M. le Président a
annoncé que le scrutin de samedi dernier lui
avoit donné pour successeur M. Thouret , élu
à la pluralité de 406 voix contre 402. Le jour
même de sa nomination , ce Député de Rouen ,
qui, à plusieurs reprises , a manifesté le talent
assez rare de la discussion , preuve de l'ordre
des idées et de la sureté du jugement , s'étoit
excusé d'accepter la place qu'on lui déféroit.
Son refus , exprimé samedi dans une lettre
qu'il avoit écrite à M. le Duc de Liancourt ,
a été confirmé par lui - même dans le discours
suivant qu'il a adressé à l'Assemblée.
MESSIEURS ,
» Lorsque vous avez daigné m'élever à l'honneur
de vous préfider , cet e ,faveur inestimab e
étoit au -' effus de toutes mes efpérances : je ne me
ferois pas cru permis de porter fi haut des voeux
dont rien n'auoit pu juftifier à mes yeux la préfemption
; mon premier , mon plus vif fentiment
fut , et eft encore , celui de la prof nde et refpectueufe
reconnoiffance dont j'ofe vous supplier
d'agréer l'hommage , «<
» Preffé par ce même sentiment , par l'obligation
de vous en donner le plus utile et le plus
digne témoignage , je cédai avec empreſſement au
devoir que j'ai rempli par la lettre que j'eus
l'honneur d'écrire , dès le foir même , à M.le Duc de
Liarcourt.<< 5
» C'eſt en fentant tout le prix de l'honneur
que vous m'avez déféré , et qui ne pourroit pas
m'être ravi , que j'ai le courage de me refufer à
fa jouiffance , quand fous d'autres rapports il eût été
peut-être excufable de penfer que le courage étoit de
l'accepter. «
( 181 )
J'aurai encore aftez de force en cet inftant , je
prendrai affez fur moi- même pour sacrifier au majestueux
intérêt de votre Séance , des détails dont
l'objet me feroit perfonnel : je fens bien que
J'Individu doit difparoître où les foins de la caufe
publique ont feuls le droit de fe montrer et de
dominer. Qu'il me foit feulement permis de
dire que je fuis capab e et digne de faire à cette
grande caufe tous les facrifices à-la -fois ; & que
c'eft à ce double tit e que je viens vous demander
de recevoir mes remercîmens et ma dểmiffio
. "
Sous la préfilence de M. le duc de Liancourt ,
continuée cejour , on a lu par extrait , des adresses ,
lettres à l'Affemblée , révocations de pouvoirs
impératifs.
Enfuite , M. Bouche obfervant que la longueur
immoderée des Difecurs emportoit un temps
précieux , a propofé de placer une horloge de fable
fur le bureau de M. le préfident ; que chaque orateur
ne pût garder la parole au- delà de cinq minutes
, & qu'à leur expiration , il lui fût impofé
filence. Cette motion a été fort applaude , comme
favorable également à ceux qui fe taifent , et à
ceux qui aiment à parler. On l'a prife en délibération
. M. Mounier a que penfé que fi elle étoit
adoptée , l'Aflemblée devoit en même temps déclarer
qu'elle del bé eroit fans difcuter ; mieux
vaudroit , a- t- il ajouté , laiffer à M. le préfident ,
la liberté de pie l'Orateur de s'affeoir. M. Target
a demandé , pa fo. me d'amendement , dix minutes
au lieu de cinq , et qu'ap ès avoir oui dix membres
fur use question , l'Affemblée pût prononcer que
le fujet étoit épuifé.
Un Membre de la Nobleffe reftrignoit la loi
des cinq minutes à la lecture , ' a parole reftant
libre in léfiniment . MM. de la Rochefoucault et de
Clermont-Tonnerre ont combattu toutes ces reftric182
)
tions ; M. Rabaut de Saint-Etienne en a preffè l'in
compatibilité avec l'énoncé clair et précis d'un
argument quelconque.
Enfa , la motion de M. Bouche & l'amende
ment de M. Target ayant été écartés , on a admis
l'avis de M. Péthion de Villeneuve , conſiſtant à former
deux liftes concurrentes de tous les opinans qui
demanderoient la parole fur une queftion quelcoaque
, & qui seroient entendus alternativement.
Cette difcuffion terminée , M. de Clermont-
Tonnerre a follicité un passe-port pour M. ſon oncle
, abbé de Luxeuil , profcrit en Franche- Comté ,
réfugié à Porentrui dans l'évêché de Dâle , & demandant
de fe rendre à Versailles , même comme
prifonnnier.
M. le Vicomte de Noailles a obje&té qu'accorder
cette demande , c'était déférer d'avance à toutes
celles du même genre ; ce qui méritoit un examen
sérieux,
M. de Lally-Tolendal a préfenté un tableau effrayant
& top réel de la trifte fituation du royaume,
dont les routes même; ceffoient d'être libres ,
tandis que tour citoyen avoit le droit ded'être , tant
qu'il n'étoit pas frappé du glaive de l'accusation
juridique. M. de Mirabeau , repréfentant que les
fonctions de l'affemblée n'étoient pas de délivrer
des paffe- ports , a rappelé la détention de M. le duc
de la Vauguyon , fur laquelle on s'étoit abftenu de
prononcer.
L'affaire a été renvoyée au Comité de Rapporr.
La déclaration des droits remife en délibéra
tion , M. Demeunier en a dévelopé l'importance :
elle rendra plus populaire & plus exacte la connoiffance
des prérogatives du citoyen ; elle rappellera
les François aux principes de leur ancienne liberté.
L'opinant a lu enfuite un projet de déclaration
des droits de l'homme en fociété .
M. de Biauzat a combattu les formules impri
( 183 )
mées de déclaration des droits , buivant lui , la liberté
du citoyen doit émaner de la conftitution & des
decrets de l'affemblée. On ne peut confidérer
l'homme que dans l'état civil ; le prendre dans
l'état de nature , c'eft pofer des bafes chimériques
d'inftitution politique.
M. le comte d'Entraigues a foutenu une déclara.
tion des droits de l'homme et du citoyen , & a expofé
fes propres vues fur la manière dont elle devoit
être compofée. Il a célébré J. J. Rouffeau,
dont les idées fur les effets de la propriété font
néanmoins diamétralement oppofées à celles de
l'Orateur.
M. Malouet n'a point envifagé la déclaration etc.
comme uninftrumeut néceffaire à la deftruction de la
tyrannie ; la Conſtitution y fuffira : toutes maximes
métaphyfiquesfont peu intelligibles pour le commun
des hommes , & il eft dangereux de leur préfenter
un fyftême de droits dont leur raifon ne pourroit
faifir , ni le vrai caractère , ni les limites . L'Amérique
étoit dans une toute autre pofition que la nôtre,
lorfqu'elle proclama fa déclaration . Celles qu'on
propofe doivent être fimplifiées , & liées à la conf
titution même."
. de Landine ( 1 ) , Député du Forez , a pris la
parole , & a dit :
Le plus beau moment pour la Nation Françoife
& pour vous , eft fans doute celui-ci . Elle
réclame une Conftitution ; vous allez l'établir : ce
bonheur , qui manqua à nos pères , vous en ferez
jouir aos defcendans , & la France peut reprendre
les fentimens de fa gloire & de fon ancienne
fplendeur. »
(1 ) M. de Landine eft l'Homme de Lettres de
ce nom , auquel on doit plufieurs ouvrages eſtimables
d'érudition , & l'un des meilleurs de ceux
qui ont paru fur les États-Généraux,
184 )
» Mais en parlant de Conftitution , de droits naturels
, de principes imprefcriptibles , ne nous laiſſons
point aller à des idées trop abftraites : gardonsnous
du développement même de principes , vrais
au fond , ingénieux dans la forme , mais inutiles
au moment ; & ayons le bon esprit de favoir
borner notre carrière , fi nous voulons arriver au
but. "
" La déclaration des droits naturels de l'homme
offre fans doute l'objet d'un travail très -philofophique
, mais très -peu à la portée du plus grand
nombre des hommes qui doivent être foumis à la
loi . Elle renferme des principes qui font dans tous
les efprits , ou doivent y être. Sans doute toute
bonne Conftitution eft fondée fur le droit naturel
, & la nôtre repofera auffi fur ces vérités immuables
qui le conſtituent ; mais ces verités font de
tous les âges , de tous les lieux , & on ne peut les
méconnoître. »
» Ce n'eft pas des droits naturels fixés au berceau
des peuplades naiflantes dont il faut s'occuper
; c'eft des droits civils , du d oit positif
propre à un grand peuple réuni depuis quinze
fiècles , vieilli au milieu de lois discordantes , mais
éclairé en ce moment par l'hiftoire , qui n'eſt que
l'expérience des faits , par la philofophie , & furfon
intérêt , loi fuprême des Etats , comme
elle eft celle des individus qui les compofent.
Loin de remonter donc à l'origine de l'ordre fosial ,
améliorons celui où nous fommes placés ; abandonnons
l'homme naturel , pour nous occuper du fort de
l'homme civilife ; & fans chercher ce que nous avons
été , nt même ce que nous fommes , fixons ce que
nous devons être.
tout par
» Les auteurs des Déclarations des droits naturels
ont très-bien établi que l'homme eft né libre
; qu'il doit l'être encore dans l'exercice de
fes facultés , dans la difpofition de fa propriété ,
( 185 )
dans l'emploi de fon industrie. Je me plais à
adopter , à profeffer les mêmes principes ; mais
confervons les principes pour nous qui fa fons
les lois , & hâtons- nous de donner aux autres les
conféquences , qui font les lois elles - mêmes. Locke,
Cumberland , Smith , Hume , Rouffeau & plufieurs
autres , ont développé les mêmes principes ;
leurs ouvrages les ont fait germer parmi nous.
Si nous devions créer une théorie politique , fans
doute nous devrions travailler à l'imitation de ces
écrivains fameux ; mais il ne s'agit pas de la
théorie , c'eft de la pratique ; il ne s'agit pas de
l'univerfalité des gouvernemens , mais du nôtre.
La plupart de vous , Meffieurs , n'ignorent pas
les idées vaſtes que ces philofophes ont répandues
fur la légiflation des Empires , & nous ne
les perdrons pas de vue dans la feule application
que nous devons en faire. Oui , je le répète ,
c'eft cette application feule qui doit à l'inftant
même nous occuper.
<< Sans doute l'homme doit favoir qu'il eft
libre ; mais il faut faire plus que de le lui déclarer
, il faut ordonner qu'il le foit. La loi qui empêchera
qu'on n'attente à fa liberté , fans corps
de délit conftant , prouvera mieux que tous les
raifonnemens , que la liberté de l'homme eſt naturelle
& facrée. La Loi qui profcrira ces lettresde-
cachet , monument de la tyrannie , qui font
pour nous ce qu'eft pour l'Afie le cordon fatal ;
cette loi fera plus pour le bonheur public & notre
fureté individuelle , que tous les préambules &
les préliminaires . Inutilement a-t-on dit , quoiqu'avec
beaucoup d'éloquence , que fi , d'ans l'avenir
, un Tyran venoit à déroger à la loi , du
moins déclaration des droits naturels fubfiftant
toujours , pourroit l'arrêter , & ferviroit à nos
neveux de témoignage de notre fageffe . Le tyran ,
qui mettroit fous fes pieds la loi , fouleroit de
( 186 )
du tems
2
même une vaine déclaration ; & quant ǎ la race
future , la loi prouvera bien plus en notre faveur
que fa préface. En effet , c'eft être fage que de gagner
dans un moment où nous en avons affez
perdu , & où nous ne devons plus en avoir à perdre
; c'eft être fage que de ne pas ouvrir aux efprits
François une vafte carrière de conteftations ,
de commentaires & d'opinions : car fi les articles
offrent même parmi nous une longue difcuffion ,
penfe- t-on que l'imagination des autres refte tranquille
, & ne fe divife pas fur les mêmes objets ?
De là les écrits contraires ; & ces débats affcibliront
toujours un peu le refpcct profond qu'on
doit avoir pour tout ce qui émane de l'Affemblée
éclaiée des Repréfentans de la Nation .
» Dans le grand nombre d'excellens articles
produits dans les projets de déclarations , il en
eft plufieurs qui appartiennent directement , &
doivent fervir de bafes aux droits des peuples &
da fouverain ; ce font ces articles dont il faut tout
de fuite faire des lois , puifque ce foat ces droits
qu'il faut fixer. Une divifion plus fimple que
toutes celles qui nous ont été offertes , une divifion
adoptée par le plus grand nombre des pu
bliciftes , & dont on n'auroit peut- être pas dû
s'écarter , faciliteroit le travail , & présenteroit
un rapprochement plus aifé dans la difcuffion &
-les opinions.
Certe divifion feroit 1 ° . l'examen des droits de
Nation antérieurs à tout autre , & dont tout
autre émace ; des droits de la nation , c'est - àdire
, des citoyens qui la compofent , & qui marchent
égaux devant la loi qu'ils ont volontairement
& librement confentie. 2°. L'examen des
droits du Monarque qui fait exécuter cette loi.
3 ° . L'examen des droits de ceux qui l'exécute ,
& qui tirent leur pouvoir & de la Nation & du
Souverain. Tels font les trois branches de l'arbre
187
focial , & tels font les trois & uniques points
de notre travail , & le plan dans lequel il fandroit
peut-être nous circonfcrire. Dans le peuple
aflemblé , la puffance légiflatrice ; dans le roi ,
Je pouvoir exécutif ; dans ceux qu'il emploie , la
force militaire & judiciaire , l'une & l'autre déterminées
d'après le confentament général . Voilà
notre tâche : elle eft affez grande , affez importante
, pour nous occuper fans diſtraction à la
bica remplir.»
"
» En me réfumant , je répète que nous ne
fommes pas venus établir des principes que nous
devons connoître , mais en promulguer les refultats
; travailler non à des préliminaires de lois
mais à la formation même des lois. Le dix- huitième
fiècle a éclairé les fciences & les arts ; il
n'a rien fait pour la légiflation. Le moment eft
arrivé de la créer. Que la loi foit concife , pour
qu'elle puiffe fe fixer dans le fouvenir de tous
même de nos enfans ; qu'elle fcit simple , pour
qu'elle fait entendue de tous. Gardons pour nous
l'étude des principes , les bafes du travail , &
faifons-en cueillir aux peuples les fruits. Ainfi
fe cachent au fein de la terre les vaftes fondemens
d'un palais ; & l'oeil du citoyen jouit feulement
de l'enfemble & de la majefté de l'édifice .
Hâtons-rous de l'élever cet édifice , & puiffe- t- il
mériter la contemplation des Sages , & les regards
de la postérité .
MM. de Virieu & Cufline ont récapitulé avec
précifion les motifs qui néceffitoient la Dicaration.
Enfin , M. Mounier , en la défirant fimple &
non raifonnée , applicable à l'homme en fociété
& non à l'homme ifolé qui, pour la première
fois , s'unir en communauté politique , a obfervé
que la différence des avis portoit peut- être fur les
mots . Chacun admettoit une Déclaration de droits
( 188 )
quelconque ; mais les uns la demandoient comme
une Conftitution , les autres comme un préalable.
Séance du foir , 3 AOUT. Au fortir de la
Séance du matin , on s'étoit retiré dans les Bureaux
pour y nommer un Préſident. L'Élection a été
déclarée dans la Séance du foir : M. le Chapelier,
qui a montré tant de courage , de lumières &
d'application dès l'origine , avoit réusi la grande
majorité de 945 fuffrages. Il a prononcé un Dif
cours à l'Affemblée , à la fuite de celui de M. le
Duc de Liancourt , ancien Préfident, & en faveur
duquel on a voté des remercimens.
M. Salomon , Secrétaire du Comité de Rapport,
a fait celui des malheurs qui défolent les provinces
; les chartriers pillés , les châteaux brûlés ,
des ligues de payfans pour refufer la dixme & le
terrage , des gentilshommes égorgés , des Abbayes
pillées & renverfées : telle eft l'affligeante image
que le Comité de Rapport a chaque jour fous les
yeux.
M. Salomon a propofé un plan de Déclaration
pour tâcher de ramener à l'ordre un peuple égaré,
qui a paffé de la liberté à la licence , & qui penfe
le recouvrement de fes droits ne peut s'établir
que par le renversement de tous les droits .
que
Ce projet de Déclara ion ayant été lu , plúfieurs
Membres l'ont critiqué ; les uns en élevant
des doutes fur les faits , les autres en confidé.
rant le danger de compromettre l'Aſſemblée par
des ordres ou par des confeils .
M. Mougin de Roquefort a foutenu que l'Affemblée
nationale étoit la fauve-garde de la fociété
; que la notoriété de fait , conftatée par les
lettres de Perſonnes publiques , fervoit de preuves
inconteſtables des troubles qui agitoient ces pro
vinces , & que ces preuves fuffifoient pour exig er
de l'Affemblée un acte d'invitation & de prévoyance
, tel que l'Arrêté du Comité .
( 189 )
M. Madier a appuyé avec force cette opinion
fage , & que les circonftances fembloient rendre
néceffaire .
M. Grégoire a annoncé qu'en Alface on venoit
d'exercer envers les Juifs des perfécutions inouies ;
& que comme miniftre d'une religion qui regarde
tous les hommes comme frères , il devoit
réclamer , dans cette circonftance , l'intervention
de l'Affemblée en faveur de ce peuple profcrit
& malheureux .
M. de Raze a obfervé que la féodalité eft de
toutes les qutions la plus importante pour les
habitans des campagnes , & qu'il ne falloit rien
promulguer fur ce point jufqu'à la Conftitution.
M. Regnaud de Saintonge a fait fentir que ces
malheurs , ces dévaſtations portoient fur une
claffe utile & refpectable qu'il étoit particulièrement
venu défendre , fur les cultivateurs. Les terres
feigneuriales font affermées , a-t-il dit ; les fermiers
n'ont que le produit de leur induftrie pour fubfifter.
Les ravages , les incendies , le pillage leur enlève
le fruit de leurs travaux. Quand leur Seigneur
feroit la remiſe du prix de fa ferme , ce qui eft
douteux , ils auront à payer les impôts dont l'Affemblée
a décrété la perception ; ils feront privés
du bénéfice qui doit faire fubfifter leur nombreufe
& laborieufe famille ; & des enfans qui
faifoient leur richeffe , éprouvant bientôt les horreurs
du befoin & de la mifère , augmenteront ,
leur défefpoir.
Le projet d'ure Déclara on ayant réuni une
grande pluralité , on en a renvoyé la rédaction
au Comité , pour en rendre compte le lendemain.
MM. l'Abbé Grégoire , de Clermont -Tonnerre , &
Mounier , Co-Secrétaires de l'Affemblée , étant
renvoyés par le fort , & la nomination de M. le
Chapelier à la Préfidence , laiffant une quatrième
( 190 )
1
place vacante , les quatre nouveaux Secrétaires
lus au ferutin , ont été MM. Fréteau , l'Abbé
de Montefquiou , Pethion de Villeneuve & Emery.
Un Membre du Comité de Rapport a rendu
compte de l'enlèvement d'un dépôt d'armes à
Toul & dans les environs de Thionville , par
ordre de M. le Maréchal de Broglie , l'un du
16 , l'autre du 23 juillet , Les habitans réclament
ces armes , & l'avis du Comité a été de déférer
à cette demande.
Item , de la détention de M. l'Evêque de Noyon
à Dole , dont les Officiers Municipaux demandoient
les ordres de l'Affemblée. Le Comité a
été d'avis de renvoyer cette affaire au Miniftre ,
& de rappeler aux Municipaux de Dole l'illégalité
de leur conduite. Ces deux rapports ont eu
l'approbation de l'Affemblée.
Dans le cours de la Séance , il a été fait lecture de
la lettre fuivante , communiquée par M. le Comte
de Montmorin, à M. le Préfident.
Lettre de M. le Duc DE DORSET , Ambaſſadeur
d'Angleterre , à M. le Comte DE MONTMORIN ,
Minire et Secrétaire d'Etat au Département des
Affaires Etrangères.
MONSIEUR
Paris 3 Août 1786 .
« Ma Cour , à qui j'ai rendu compte de la Lettre
que j'ai eu l'honneur d'écrire à V. E. le 27
dejuillet , & qu'elle a eu la bonté de communiquer
à l'Affemblée Nationale , vient , par sa Dépêche
du 1 , que je reçois à l'inftant , non-feulement
d'approuver ma démarche, mais m'a autorifé
fpécialement de vous renouveler , dans les termes
les plus pofitifs , le defir ardent de Sa Majefté
Britannique & des Miniftres , de cultiver & d'encourager
l'amitié & l'harmonie qui fubfiftent fi heureufement
entre les deux Nations, »
И
Il m'eft d'autant plus flatteur de vous annoncer
( 191 )
ces nouvelles affurances d'harmonie & de bonne intelligence
, qu'il ne peut que réfulter le plus grand
bien d'une amitié permanente entre les deux Nation
, & qui eſt d'autant plus à defiɣer , que rien ne
peut contribuer davantage à la tranquilité de l'Europe
, que le rapprochement des deux bouts. "
Je vous ferai obligé de communiquer à M. e
Préndent de l'Affemblée Nationale , confirmation
des fentimens du Roi et de fes Miniftres. »
Du Mardi 4 AOUT , Séance du matin. Lecture
faite de plufieurs Adreffes & Actes d'adhéſion
aux Arrêtés de l'Affemblée , elle a délibéré une
troifième fois fur la Déclaration des droits.
L'impatience de finir cette difcuffion l'a rendue
tumultueufe , & ce n'eft qu'au travers d'interruptions
continuelles que les nouveaux Opinans ont
pu fe faire écouter.
M. Dupont , Député de Bigorre , a conſidéré .
la queſtion comme plutôt faite pour exercer les
talens des métaphyficiens , que la fageffe d'une
Affemblée légiflative. A qui , a-t- il dit , donneronsnons
des lois , quand l'ep it d'indépendance aura
exalté tous les efprits , & rompu les liens du
pacte focial ? Fréférens de faire le bien à la vanité
de nous faire admirer ; que , parmi tous les titres
dont les Repréfentans de la Nation auoient pu
shoncrer , ils n'ambitionnent ou ne méritent que
celui de Sages.
M. le Marquis de Sillery. La Conſtitution d'un
pays eft le mode des lois générales qui gouvernent
les hommes. Pour établir ces lois , il faut développer
les principes, avec lefquels elles ont des rapports intimes.
Il est donc néceffaire de les rappeler.
Dans l'ordre moral , toutes les lois devroient
s'appliquer à tous les pays & à toutes les nations ;
mais une longue expérience nous a démontré que
les lois d'un pays ne font pas applicables à tel
( 192 )
autre. Les Légiflateurs d'un Peuple immenfe doivent
prendre en confidération la différence des
moeurs & des ufages , qui varient comme les climats
& les productions .
Ne perdons pas de vue l'intérêt des nombreux
& utiles habitans de la campagne. Il ne nous
demandent pas des lois inintelligibles ; il ne faut
pas leur préfenter des difcuffions philofophiques,
qui les mécontenteroient ou qu'ils interpréteroient
mal .
Cependant je regarde la Déclaration de Droits
comme très - néceffaire ; mais je la défire plus
fimple , moins didactique , moins compliquée.
De toutes parts on crioit aux voix , lorfque
M. Camus a infifté fur une Déclaration des droits
& des Devoirs du Citoyen. Il a propofé cette
forme comme un amendement à la queſtion principale.
Alors , on a analyfé , diftingué , rapproché les
Droits & les Devoirs . M. l'Evêque de Chartres
voyoit , dans cette double déclaration , un frein à
l'égoïfme & à l'orgueil . L'une ferviroit de correctif
à l'autre , & il ne feroit pas inutile de les lier à quelques
idées religieufes, noblement exprimées . M. Gré
goire , & la plupart des Membres du Clergé , adhéroient
à cette opinion . D'autres ont combattu l'amendement
:: on est allé aux voix par affis & levé , fans
pouvoir obtenir un réfultat clair ; enfin , les fuffrages
pris par appel , 570 contre 430 , ont rejeté l'amendement
de M. Camus : la queftion principa'e
, fila Conftitution feroit accompagnée d'une
Déclaration des Droits , a paffé à l'affirmative ,
une grande majorité .
à
Pendant la délibération , l'Affemblée a reçu la
lettre fuivante du Roi.
Du 4 Aout 1789.
» Je crois , Meffieurs , répondre aux fentimens
de
( 193 )
» de confiance qui divent regner entre nous , en
>> vous faifant ратт directement de la manière dont
» je viens de remplir les places ventes dans mon,
» miniſtère. Je dorne les fceaux à M. l'Archevêque
» de Bordeaux , la feuille des bénéfices à M. l'’Ár-
» chevêque de Vienne , le département de la
» guerre à M. de la Tour- du-Pin- Paulin , & j'appelle
dans mon Confeil M. le Maréchal de Beau-
» vau. Les choix que je fais dans votre Affemblée
» même , vous annoncent le défir que j'ai d'entre-
» tenir avec el'e la plus conftante & la plus ami-
» cale harmonie . »
Signé Louis.
L'Affemblée a voté une députation & une
adreffe de remercimens à Sa Majesté.
Deux députations , l'une des fix Corps Marchands
de laville de Paris , l'autre des Office:s
de la Table de Marbre , ont été admifes .
M. le Baron de Marguerites a fait part à l'Affemblée
d'une requête envoyée par le Con'eil permanent
de la ville de Breft , au fujet d'un conflit
entre l'autorité de Terre , celle de la Marine , &
du Confeil permanent nouvellement étabi . Le
voeu des habitans de cette ville eft d'obtenir un
ommandant général des forces de terre & ' de '
mer quait la confiance des troupes , & Tambur
du Peuple , & ce voeu nomme M. le comte
deftaing.
L'Ademblée Nationale a délibéré que M. le Préfident
fe rendroit auprès du Roi , pour mettre fous
les yeux de Sa Majefté la demande des habitans
de la ville de Breft.
Du Mardi 4 AOUT. Séance du for. Cette féance ,
qui fera époque dans l'hiftoire de l'Europe & dans
celle du coeur numain , a duré depuis huit heu ès
jufqu'à deux après minuit. L'Affemblée avoit fous
les yeux le tableau des horreurs dont le Royaume
eft la proie , prefque d'un bout à l'autre ; elle
Nº. 33. 15 Août 1789.
( 194 )
avoit réfo'u de tenter une déclaration propre à
fufpendre le cours de ces dévaftations , encouragées
par le file.ce des lois & par la nullité du pouvoir
réprimant. A l'ouverture de la féance , M.
Target ut un projet de Déclaration , arrê é par
le Comité de rédaction , où l'on rappeloit les Peuples
au respect des propriétés , des redevances Seigneuriales
& des impofitions , jufqu'à ce que
I Affen blée eût ftatué fur ces différens objets.
M. le Vicomte de Noailles , s'élevant contre
l'infuffifance de ce projet , a perfuadé l'Affemb ée
que le calme ne renaîtroit parmi le Peuple , qu'au
moment cù il recevroit des foulagemens , où il
apprendroit des facrifices faits à fon infortune.
Je propofe donc , a-t-il ajouté , 1 ° . qu'il foit
dit , avant la déclaration projetée par le Comté ,
que les repréfentans de la nation on: décidé que
l'impôt feroit payé par tous les individus du
Royaume , dans la proportion de leurs revenus. »
2°. Que toutes les charges publiques feront
à l'avenir fupportées également par tous. «
» 3°. Que tous les droits féodaux feront rem-
Lourfés par les communautés , cu échangés far le
pied d'une jufte eftimation , c'eft- à- ire , d'après
le revenu d'une année commune , pife fur. dix
années de revenu. »
4°. Que les rentes Seigneuriales tant en volailles
, comeftibles , grains , argent , feront rembourfables
par les propriésaires , ou f lidaires des
terrains y fujets , fuivant l'évaluation des mêmes
dix années. «
» 5°. Que les corvées Seigneuriales , les mainmortes
& autres fervitudes perfonneiles feront
détruites fans rachat. «
Ce Difcours , ces propofitions ont été un coup
électrique , reffenti par toute l'Afſemblée . Une
impulfion d'enthouſiaſme généreux a élevé les
mes au-deffus de tout calcul , & même de la
( 195 )
réflexion. Dans la Nobletie , dans le Clergé ,
s'ett difputé à l'envi le mérite du dévouement :
les facritices fe fuccédoient , fe preffoient avec
l'impétuoûté de la parole , & de cet élan général
eft réfulté l'anéantiffement des droits comme
celui des ufurpations , des prérogatives tyranniques
, comme de celles d'honneur . Cinq heures ont
fuffi pour renverfer l'ouvrage de dix fiècles.
A la motion de M. de Noailles , M. d'Aiguillon
à ajouté celle- ci .
« L'Affemblée Nationale , confidérant que le
premier & le plus facré de fes devoirs eft de
faire céder des intérê: s particuliers & perfonnels
à l'intérêt généra! ; «
19
Que les impôts feroient beaucoup moins
cnéreux pour les Peuples , s'ils étoient répartis
également fur tous les citoyens , en raifon de
Lurs facultés ; »
19
s ;
Que la juftice exige que cette exacte proportion
font obſervée : «
» Arrê.e que les Corps , Villes , communautés
& individus qui o t joui jufqu'à préfent des
priviléges particuliers , d'exemptions perfonnelles
, fupporteront à l'avenir tous les fubfides
toutes les charges publiques , fans aucune diftinction
, foit pour la quotité des impôts , foit
pour la forme de leur per eption . «
» L'Afemblée Nationale , conſidérant en outre
que les droits féodaux & Seigneuriaux font cenfés
une eſpèce de tribut onéreux , qui nait à l'agriculture
& défole les campagnes , ne pouvant
fe diffimuler néanmoins que ces droits font
une véritable propriété , & que toute propriété
eft inviolable ; «
» Arrête que tous les droits , féodaux
Seigneuriaux feront à l'avenir rembourfables
à la volonsé des redevables , au denier trente
ou à tel autre qui , dans chaque Province , fem
( 196 )
jugé plus équitable par l'Aifemblée Nationale
d'après les tarifs qui lui feront préfentés . «
» Ordonne enfin l'Affemblée Nationale
, que
tous ces droits feront exactement perçus & maintenus
comme par le paflé , jufqu'à leur parfait
remboursement.
Ces Motions adoptées par acclamation auffi
tôt que préfentées , ont été fuivies d'un torrent de
renonciations pareilles ; elles n'ont pas été interrompues
par une réflexion de M. Dupont , Député
de Nemours , qui jugeant difficile d'établir
un ordre politique fans lois ni tribunaux protecteurs
de la fureté des performes & des propriétés,
a propofé d'ajouter à la Déclaration , que la
Force de la Nation , foit employée au maintien des
lois.
季
M. le Duc du Châtelet a regretté d'avoir été
prévenu par M. le Vicome de Noailles , & a
demandé que les dixmes de tout genre fuffent
converties en redevances pécuniaires , & rachetables
dans une proportion à régler.
M. le Comte de Foucault- Lardimalie a porté
la hache fur les penfions envahies par des Courtifans
, par des Familles en faveur , accumulées
fans titres dans les mêmes mains : il a énergiquement
requis la réduction de ces tributs ufuraires
payés par l'Etat à l'inutilité , !!
M. Cotin a demandé l'abolition des Juftiers
Seigneuriales ; M. l'Evêque de Chartres , celle du
droit exclufif de la chaffe ; M. l'Abbé Grégoire , la
suppreffion des Annates.
» Accoutumés , a dit M. l'Evêque de Nanty,
à voir de près la mifère & la douleur des peuples
, les membres du Clergé ne forment pas
des voeux plus ardens que ceux de les voir ceffer .
Les honorables Mimbres qui ont déja parlé
n'ont demande le rachat que pour les propriétaires
. Je viens exprimer, au nom des Membres
du Clergé , un voeu qui honore à-la-fois la juf,
( 197 )
tice , la religion & humanité. Je demande que
fi le rachat eft accordé , il ne tourne pas au profit
du Seigneur eccléfiaftique , mais qu'il foit fait
des placemens utiles pour les bénéfices mêmes ,
afin que leurs Adminiſtrateurs puiffent répandre
des Aumônes abondantes fur l'indigenice.
7
M. de Digoine a fait le facrisce de plufieurs
droits qu'il poffède en divers lieux de la Bourgogne.
M. de Saint - Fargeau a demandé que l'égalité
d'impofitions eû: lieu pour les 6 mois courans
, & que la répartition en fût confiée aux Adminiftrations
provinciales .
"
Comme Catulle , a dit M. le Comte de Virieu,
je demande à offrir mon moineau : les colom
» biers nuifent aux campagnes ; je fais le facrifice
>> des miens . »
L'abnégation des Provinces privilégiées a
fuivi celle des Particuliers : liés ou non par
des mandats impératifs , leurs Dépurésy en kuř
nom , ont renoncé à ces droits , 2 femen Pas
dus garanside la ratification de leurs Commettans.
La Bourgogne , le Mâconndis , le Languedoc , la
Bretagne , la Provence , l'Alace , Normandie,
la Lorraine , l'Agencis , la Franche- Comté , le
Cambrefis ; les villes de Paris , Lyon , Marſeille ,
Clermont-Ferrand , ont dépofé leurs Chartes ,
& fe font claffées au niveau des autres Villes &
Provinces. A
Un Député d'Amont a requis la suppreffion
de la vénalité des Charges de Magiftrature & de
l'hérédité des Offices . Un Député du Beaujolois
celle des Corporations d'Arts & Alétiers , Jurandes
& Maîtrifes. Un troiftème Membre accordoit
la plénitude de la liberté religieufe aux
non-Catholiques . M. l'Archevêque d'Aix a profcrit
à jamais le rétablißement des droits féodaux .
M. Goulard, Curé de Rouane , & M. Def
vernay, Cur de Villefranche en Beaujolois , ont
1 11]
( 198 )
1
demandé l'exéction des lois canoniques contre
la pluralité des bénéfices. Ils ont réligné deox
bénéfices fimples qu'ils pffédo ent , ne ſe réfervant
que les fonctions pénibles de leur Cure. Un
troiſième Curé a fait annoncer par un des Seeréraires
une pareille démiffion . I. a voulu cacher
fon nom , & l'Affemblée , en applaudiſlant à ce
Lacrifice , a refpecté fon fecret.
M. l'Evêque de Courances a défiré la fuppre
fion d'un Droit perçu an profit des Evêques , &
connu en Normandie fous le nom de déport.
Plufieurs Barons , tels que MM . d'Aoft , de
Lameth , &'Egmont , Duc d'Orléans , de Villequier,
& c. , ont renoncé à leurs Baronnies en Artois ,
Picardie , Flandre , Languedoc &c. Chaque détail
de cette Séance étonnante , offriroit un trait
d'enthouſiafine ou de grandeur d'ame : une efpèce
d'infpiration furnaturelle fembloit commander
aux préjugés ; & fur les débris de tant d'intérêts
immanias , o ne diitinguoit que la paffion
d'offrir des holocauftes. Une révolution fi inatsendue
exigeoit un Te Deum ; M. l'Archevêque
de Paris la propofé aux acclamations de l'Af◄
femblée. Cette journée fera confacrée par une
médaille dont M. le Duc de Liancourt a indiqué
le projet ; elle fut dignement terminée par le voeu
de M. de Lally- Tolendal , de décernerà Louis XVI
le titre de Reftaurateur de la Liberté de la France.
On fuppofe , & on ne peut rendre l'ivreffe
générale , & les acclamations au bruit defquelles
tant de Motions extraordinaires & patriotiques
ont été converties en Réfolutions. L'Ar êré qui
doit les contenir a été envoyé au Comité de
Rédaction .
Du Mercredi 5 AOUT 1789. M le Comte d'Antraigus
, au nom du Comité de R. pport , a rendu
compte de l'attaque d'un bateau de grains def
199 )
tinés pour Paris , & efcorté par la Milice Bourgeoife
d'Elbeuf. Le Peuple de Louviers , a arrêté
ce transport.
Cette violence & tant d'autres dont le récit dépicrable
frappe les oreilles de l'Affemblée depuis
quinze jours , one fait naître un projet d'Arrêté futlequel
les opinions fe font partagées . Les uns demandolent
que la Milice Bourgeoife feule , & les Tribu;
naux s'oppofafient aux excès & voies de fait ,
d'autres , qu'en outre , on autorifât les Juges s
Baillis , Sénéchaux , &c. à requérir le fecours de
Troupes réglées. Ce dernier avis à prévalu .
M. Fréteau a fait la lecture du Procès - Verbal
de la Mémorable Séance de la nuit précédente
; elle a donné lieu à quelques obfervations
, d'après lefquelles ce Procè -Verbal a été.
rectifié. M. le Préfident a enfuite communiqué
la lettre ſuivante des trois nouveaux Miniftres
à l'Affemblée Nationale.
" MONSIEUR LE PRÉSIDENT
» Appelés par le Roi dans fes Conſeils , nous
nous empreffons de dépofer nos fentimens dans
le fein de l'ASSEMBLÉE NATIONALE. «
» Les marques de bienveillance dont nous
avons été comblés depuis l'inftant heureux de
notre réunion , & fur-tout notre fidélité aux
principes de l'ASSEMBLÉE NATIONALE , & notre
refpectueufe confiance en Elle , font les motifs
les plus capables de foutenir notre cou
rage. «
» Nous ne perdrons jamais de vue que , pour
bien répondre aux intentions du Roi , nous devons
toujours avoir préfente à la penſée cetté
grande vérité , que l'ASSEMBLÉE NATIONALE a
ramenée , & qui ne retentira plus en vain , que
la puiffance & la félicité des Rois ne peuvent
dignement s'affeoir & durablement s'affermir que
i iv
( 200 )
fur les fondemens du bonheur & de la liberté
des Peuples. «
Daignez , Monfieur le Préfident , être notre
interprète auprès de l'Affemblée , & lui offrir ,
en notre nom , la proteftation fincère de ne
vouloir excer aucune fonction publique , qu'autant
que nous pourrons nous honorer de fon
fufrage , & conferver notre dévouement à fes
maximes.
† J. G. Arch . de Vienne ,
† J. M. Arch. de Bordeaux ,
LA TOUR DU PIN.
Du Jeudi 6 AOUT. Lecture faite de nouvelles
Adrefles à l'Aflemblée , M. le Préfident a propofé,
de lire l'Arrêté du 4 , tel qu'il venoit d'être
rédigé par le Comité. En voici le difpofitif, dont
la frine a fubi & fubira quelques modifications.
L'Afemblée nationale confidérant , 1 ° . que. dans
un état libre , les propriétés doivent être auffi
libres que les perfonnes ; 2 °. que la force dé l'empire
ne peut réfulter que de la réunion parfaite
de toutes les parties & de l'égalité des
droits & des charges ; 3 °. que tous les Membres
privilégiés & les Repréfentans des provinces &
des villes fe font empreffés , comme à l'envi ,
de faire , au nom de leurs commettans , entre
les mains de la Nation , la renonciation folennelle
à leurs droits particuliers & à tous leurs
privilèges.
Arrêté & décrété ce qui fuit :
-
ART. I. Les main mortes , morte - tailles ;
corvées , droits de feu , guet & garde , & toutes
autres fervitudes féodales , fous quelque dénomination
que ce foit , même les redevances ,
les preftations pécuniaires établies en remplacement
de même droits , font abolies à jamais , fans
aucune indemnité .
( 201 )
frates ,
" II. Les droits de banalité , quels qu'ils foient
& de tous les droits feigneuriaux , tels que cens ,
'redevances , droits de mutation , champarts
, terrages , droits de minage , mefurage &
autres , fous quelque dénomination que ce foit ,
feront rachetables à la volonté des redevables
au prix qui fera fixé , foit de gré à gré , "foit
felon les proportions qui feront réglées par l'Aflemblée
Nationale ..
III. Les fuies & colombiers font fupprimés.
IV. Le droit exclufif de la chafle & de la
pêche et pareillement aboli , & tout propriétaire
eft autorifé à pêcher & faire pêcher dans les rivières
& ruiffeaux qui coulent le long de fa terre , à
détruire & faire détruire , feulemex fur fon héri
tage , toute eſpèce de gibier.
V. Le droit de garenne eft également aboli .
VI. Les Jaftices feigneuriales font fupprimées
fans indemnité ; & néanmoins les officiers de ces
Juſtices continueront leurs fon&tions jufqu'à ce qu'il
ait été pourvu par l'Affemblée au moyen de rap.
procher la Juftice royale des jufticiables .
VII. Les dimes en nature eccléfiaftiques , laïques
& inféodées , pourront être converties en redevances
pécuniaires , & rachetables à la volonté
des redevables , felon la proportion qui fera réglée,
foit de gré à gré , foit par la loi, fauf le remploi à
faire par les décimateuss , s'il y a lieu.
"
: VIII. Toutes les reates foncières fot en nature ,
foit en argent, de quelque effèce qu'elles foient , feront
rachetab'es.
*
IX.Ilfera pourvu inceffamment à l'établiffement
de la Juftice gratuite , & à a fupp effion de la vénas
lité des offices de judicature, 1
X. Les droit cafuels des Cusés de campagne
font fupprimés . Il fera purvu à augmenta in des
portions congrues , à la doration des vicaires , &
i v
( 202 )
il fera fait un règlement pour fixer le fort des turés
des villes.
XI. Tous privilèges pécuniaires , perfonnels
ou réels , en ma ière de fubfides , font abolis à
jamais ; la perception fe fera fur tous les citoyens
& fur tous les biens , de la même manière & dans
la même forme. Il va être avisé au moyen d'effectuer
le payement proportionnel de toutes les
contributions , même pour les fix derniers mois de
l'année de l'impofition courante.
XII. Une conftitution nationale & la liberté
publique , étant plus avantageufes aux provinces
que les privilèges dont quelques- unes jouiffent , &
dont le facrifice eft néceffaire à l'union intime
de toutes les parties de l'empire , il eſt déclaré
que tous les privilèges particuliers des provinces ,
des principautés , des villes , corps & cominu au
tés , foit pécuniaires , foir de toute autre nature
, font abolis fans retour , & demeurerom
confondus dans les droits communs de tous les
François.
XIII. Tous les citoyens , fans diſtinction de
naiffance , pourront être admis à tous les emplois
& dignités eccléfiaftiques , civiles & militaires.
XIV. Les annates & déports feront fuppri
més.
XV. La pluralité des bénéfices n'aura plus lieu
pour l'avenir.
XVI. Sur le compte qui fera rendu à l'Affer
blée Nationale de l'état des perfions , & des
graces , elle s'occupera avec le Roi de la fupprefhon
de celles qui n'auroient pas éré néceffaires , &
de la réduction de celles qui feroient exceffives ,
fauf à déterminer pour l'avenir une fomme ou
emploi , dont le Roi pourra difpofer à te fujet.
XVII. L'Affemblée Nationale décrète qu'en
mémoire des grandes délibérations qui viennent
203 )
d'être prifes pour le bonheur de la France , une
médaille fera frappée , & qu'il fera chanté un Te
Deum dans toutes les églifes & paroiffes du
royaume.
XVIII. L'Affemblée Nationale proclame folennellement
le Roi Louis XVI , Reftaurateur de la
Liberté publique.
XIX. L'Aſſemblée Nationale fe rendra en corps
auprès du Roi , pour préſenter à Sa Majesté l'Arrêté
qu'elle vient de prendre , pour lui porter l'hommage
de fa refpectueufe reconnoiffance , & la féliciter
du bonheur qu'elle a de commander à une
Nation généreufe.
Sa Majefté fera fuppliée de permettre que le
Te Deum foit chanté dans fa Chapelle , & d'y affifter
Elle-même.
>
Plufieurs Députés ont débattu contradictoirement
les deux premiers articles de l'Arrêté
concernant les droits féodaux réels & perfonhe's
. E fin , fur l'avis de M. Duport , la pref
que unanimité des fuffrages a adopté l'article
Lu.vant.
« L'Affemblé : Nationale détruit entièrement
le Régime Féodal , & déclare que dans les
Dois & Devoirs , tant féodeaux que Cenfuels ,
ceux qui tiennent à la main-morte réelle ou
perfonnelle , & à la fervitude perfonnelle , &
ceux qui les repréfentent , font abolis fans indemnité
& tous les autres déclarés rache:ables ;
etle prix& le mode du rachat ſeront fixés par l'Af
femblée Nationale ; ordonne que ceux defdits droits
qui ne font pas fupprimés par le décret ci-deffus
, continueront néanmoins à être perçus jufqu'au
rembourfement. »
Séance du foir , Jeudi 6 Aour. M. le Préfident
a inftit l'Afemblée que fon Chef avoit
1
i vj
( 204 )
obtenu de Sa Majeité les entrées de la Chambre..
M. le premier Préfident du Parlement de l'ordeaux
, & M. le Comte de Neubourg , ont renoncé
à un péage cor fidérable fur une rivière .
Rapport fait de la détention de M. le Duc
de la Vuguyon , & de l'avis du Comité de renvoyer
cette affaire au pouvoir exécutif, fauf les
raitons qu'auroit le Comité d'informations de s'y
opp fer ;
M. de Mirabeau a prétendu que fi l'Affemblée
regardoit ce fait comme affaire de Police ,
la déc fion devoir être renvoyée au Rei ; mais
que fi la chofe intéreffoit le droit Public ,
devoit faire garder au Havre M. de la Vauguyon
, commé préfumé d'être entré dans une
confpiration .
оп
M. l'Abbé Sieves avoit opiré à renvoyer au
- pouvoir exécutif. Suivant un autre Député , on
devoit ne pas ' re âcher M. de la Vauguyon , mais
s'en fervir à découvrir fés complices.
a
Cet avis ayant caufé affez de rumeur
été combattu & rejeté , & celui du Comité , de
Rapport a prévalu. On a également renvoyé au
pouvoir exécutif l'affaire d'un Magiftrat d'Haguenau
, arrêté près d'Huningue , par des vagabonds
, & mis au cachot.
1 re
Difcuffion de l'Art. III , de l'Arrêté du´ 4 ‚ '
latif aux Colombiers : il a été rédigé comme il
fuit , fur l'avis de M. Rabaud de Saint- Etienne. *
» Le droit exclufif des fuies & colombiers eft
» aboli . Les pigeons feront renfermés aux épo-
" ques fixées par les Communautés , & durant
» ce temps ils feront regardés comme gibier , &
» chacun pourra les tuer fur fon héritage ,
«
Du vendredi 7 Aour. On a repris la déli
bération sur les articles 4 et 5 de l'Arrêté
( 205 )
du 4 , abolissant les droits de chasse , pêche
et garenne.
Plusieurs Membres ont disserté sur le premier
de ces priviléges , et sur la forme dans
laquelle on devoit l'aneantir . M. Buzot accordoit
les armes de tout genre aux habitans de
la campagne , se fondant sur l'expérience innocente
de plusieurs pays . M. de Custines ,
au contraire , ne voyoit pas qu'un Etat grevė
de quatre ou cinq milliards de dettes , dût
être peuplé de chasseurs , et prohiboit les
armes à feu. M. le Comte de Dorétans a représenté
que la chasse une fois ouverte , en
ce moment , les ouvriers , les artisans , les
vagabonds , fondroient sur les campagnes ,
fouleroient les récoltes , et fourniroient de
nouveaux sujets de trouble et de querelle.
( Cette prévoyance vient d'être justili e par
ce qui se passe en plusieurs lieux , notamment
aux environs de Paris , dont les Cultivateurs
ont rendu plainte ) .
M. Malouet vouloit un Règlement sur la
destruction du gibier , et M. d'Ambly a cité
l'exemple de l'Angleterre , où nul ne peut
porter un fusil de chasse sans un revenu de
cent guinées. De ces debats , suivis de beaucoup
d'autres , tant sur le droit de chasse'
même , que sur les Capitaineries Royales et
autres , est résulté l'article suivant :
« Le droit exclusif de la chasse et celui des
garennes ouvertes sont pareillement abolis 2
et tout propriétaire a le droit de détruire et
faire détruire , seulement sur ses héritages
toute espece de' gibier , sauf à se conformer
aux lois de police qui seront faites , relative
ment à la sureté publique , par l'Assemblée'
Nationale .
Toutes Capitaineries , même Royales , et
( 206 )
Boutes réserves des plaisirs , sous quelques dénominations
que ce soit , sont dès ce moment,
abolies ; il sera pourvu , par des moyens compatibles
avec le respect dû aux propriétés et
à la liberté , à la conservation des plaisirs personnels
du Roi. »
M. le Président est chargé de demander
au Roi la grace des galériens , et le retour des
bannis , pour simple fait de chasse , l'élargis
sement des prisonniers actuellement détenus
et l'abolition des procédures à cet égard. »
On alloit délibérer sur les Justices Seigneuriales
, lorsque tous les Ministres de S. M.
sont entrés ; M. l'Archevêque de Bordeaux a
pris la parole , et dit : ·
Discours de M. le Garde-des-Sceaux.
à l'Assemblée Nationale , le 7 Août
1789.
MESSIEURS ,
Nous sommes envoyés vers vous par le Roi , ·
pour déposer dans votre sein les inquiétudes
dont le coeur paternel de Sa Majesté est agité.
Les circonstances sont tellement impérieuses
et pressantes , qu'elles ne nous ont pas permis
de concerter avec vous les formes avec lesquelles
doivent bure reçus les Envoyés du Roi ,
formes auxquelles nous n'attachons personnellement
aucune importance , mais que vous
jugerez sans doute nécessaire de régler pour,
l'avenir , par un juste égard pour la dignité.
et la majesté du Trône.
Pendant que les Représentans de la Nation ,
heureux de leur confiance dans le Monarque.
et de son abandon paternel à leur amour , préparent
le bonheur de la Patrie et en posent
les inébranlables fondemens , une seerète et
"
( 207 )
douloureuse inquietude l'agite , la soulève et
répand par-tout la consternation .
Soit que le ressentiment des abùs divers
dont le Roi veut la réforme , et que vous
désirez de proscrire pour toujours , ait égaré
les Peuple ; soit que l'annonce d'une régé
neration universelle ait fait chanceler les pouvoirs
divers sur lesquels repose l'ordre social ;
soit que des passions ennemies de notre bonheur
aient répandu leur maligne influence
sur et Empire quelle qu'en soit la cause ,
Messieurs , la vérité est que l'ordre et la tranquillité
publics sont troublés dans presque
toutes les parties du Royaume.
Vous ne l'ignorez pas , Messieurs , les propriétés
sont violées dans les Provinces ; des
mains incendiaires ont ravagé les habitations
des Citoyens ; les formes de la Justice sont
méecnnues , et remplacées par des voies de
fait et par des proscriptions. On a vu
quelques lieux menacer les moissons et poursuvre
les Peuples jusque dans leurs espérances.
en
On envoie la terreur et les alarmes partout
où l'on ne peut envoyer des dépsédateurs ;
la licence est sans frein , les Lois sans force ,
les Tribunaux sans activité , la désolation
couvre une partie de la France , et l'effroi l'a
saisie toute entière ; le commerce et l'industrie
sont suspendus , et les asyles de la piété
même , ne sont plus à l'abri de ces emportemens
meurtriers.
Et cependant , Messieurs , ce n'est pas l'in
digence seule qui a produit tous ces troubles .
On sait que la saison ménage des travaux à
tous , que la bienfaisance du Roi s'est exercée
de toutes les manières , que les riches ont
plus que jamais partagé leur fortune avec les
( 208 )
malheureux. Se pourroit - il donc qu'à cette
époque , où la Représentation nationale est
plos nombreuse , plus éclairée , plus imposante
qu'elle n'a jamais été ; où la reunion
de tous les Membres de l'Assemblée dans un
seul et même Corps , et son'union intime de
principes et de confiance avec le Roi , ne
laissent aucune ressource aux ennemis de la
prosperité publique ; se pourroit - il que tant
et de si grands moyens fussent impuissans
pour remedier aux maux qui nous pressent
de toutes parts ?
Vous l'avez justement pensé , Messieurs ;
une belle et sage Constitution est et doit être
le principe le plus sûr et le plus fécond du
bonheur de cet Empire. Sa Majesté attend ,
avec la plus vive impatience , le résultat de
vos travaux , et Elle nous a expressément
chargés de vous presser de les accélérer; mais
les circonstances exigent des précautions et des
soins , dont l'effet soit plus instant et plus acuf.
Elles exigent que vous preniez les plus promptes
mesures pour réprimer l'amour effrené du
pillage et la confiance dans l'impunité ; que
vous rendiez à la force publique l'influence
qu'elle a perdue. Ce n'est point celle que vous
autoriserez, qui sera jamais dangereuse ; c'est
le desordre armé quide deviendra chaque jour
davantage. Considérez , Messieurs , que ile
mépris des Lois exi tantes inenaceroit bientôt
celles qui vont leur succéder ; c'est aux
Lois que la licence aime à se soustraire , non
point parce qu'elles sont mauvaises , mais
parce qu'elles sont des Lois. Vous réformerez
les abus qu'elles présentent ; vous perfections
nerez l'ordre judiciaire dans toutes ses parties!
Le pouvoir militaire deviendra , comme il
doit être , de plus en plus redoutable à l'en(
209 )
nemi , utile au maintien de l'ordre , sans qu'il
puisse être jamais dangereux pour le Citoyen.
Mais jusqu'à ce que votre sagesse ait pro
duit ces grands hiens , la nécessité réclame
le concours de vos efforts et de ceux de Sa
Majesté pour le rétablissement
de l'ordre et
l'exécution des Lois .
la des
sagesse Sa Majesté compte assez sur
résolutions que vous prendrez à ce sujet , pour
vous annoncer d'avance qu'Elle s'empressera
de les sanctionner et de les faire exécuter
aens tout son Royaume.
Il étoit juste , Messieus , de vous entretenir
' abord de la subversion générale de la
police publique. Il étoit juste de vous deman
der'emploi de tous vos moyens pour son rétablissement. Le Ministre vertueux que le
Roi vous a rendu , qu'il a rendu à vos regretset
à votre estime , va vous montrer , sous
une nouvelle face , les funestes effets de ces
mémes désordres ; il va mettre sous vos yeux
P'état actuel des finances .
Vous reconnoître, ce que les lenteurs , et
en beaucoup d'endroits la nullité des perceptions
, forment de vide dans le Trésor
Royal , ou plutôt dans celui de l'Etat ; car
le Roi ne distingue pas son trésor de celui
de la Nation , et quand ses besoins vous sont
connus , vous ne pouvez vous dispenser d'y
subvenir , sans ébranler , dans une proportion
quelconque , toutes les fortunes et l'organisation
même du Corps politique . Vos Commettans
, il est vrai , se sont flattés
que la Constitution
pourroit avoir reçu sa sanction , avant qu'il fût nécessaire de vous
occuper d'aucun impôt , ni même d'aucun
emprunt ; mais ils ont également
voulu que
vous consolidiez
la dette publique , et que
( 210 )
vous rejetiez , avec une juste indignation ,
toute mesure qui seroit capable d'alterer ia
confiance.
Le temps est venu , Messieurs , où une impérieuse
nécessité semble vous commander ,
et vous avez déja fait connoitre l'esprit qui
vons anime , en prorogeant les impôts établis ,
et en plaçant les créanciers de l'Etat sous la
sauve - garde de l'honneur et de la loyauté
Françoise.
Le Roi, Messieurs , vous demande de prendre
en considération cet important objet , dans
lequel il ne veut jamais avoir d'intérêt séparé
des vôtres . Il a voulu que sa franchise
égalant le sentiment de sa confiance , on ne
vous dissimulât rien . Il désire enfin que vous
associant à ses sollicitudes , vous réunissiez
vos efforts aux siens , pour rendre à la force
publique , son énergie ; au pouvoir judiciaire ,
son activité ; aux deniers publics , leur cours
nécessaire et légitime. ,
« Et nous , Messieurs , que vous avez si sensiblement
honorés de votre bienveillance ,
nous Ministres d'un Roi qui ne veut faire
qu'un avec sa Nation , et qui sommes respon
sables envers elle , comme envers lui , de nos
conseils et de notre administration , nous qui
sommes intimement unis par notre amour
pour le meilleur des Rois , par notre confiance
réciproque et mutuelle , par notre zèle pour
le bonheur de la France , et par notre fidèle
attachement à vos maximes , nous venons
réclamer vos lumières et votre appui , pour
préserver la Nation des maux qui l'affligent
ou qui la menacent. »
M. Necker a présenté ensuite , et en ces
termes , le tableau du Royaume, et la nés
"
( 211 )
cessité ďun secours immediat pour les Fi-
Nances.
* Je viens , Messieurs , vous instruire de l'état
présent des Finances , et de la nécessité
devenue indispensable de trouver sur-le- champ
des ressources. »
Á mon retour dans le Ministère , au mois
d'août dernier , il n'y avoit que quatre cents
mille francs en, écus ou billets de la Caisse
d'Escompte au Trésor royal ; le déficit entre
les revenus et les dépenses ordinaires étoit
énorme , et les opérations antérieures à cette
époque avoient détruit le crédit entièrement.
Il a fallu , avec ces difficultés , conduire les
affaires sans trouble et sans convulsion , et
arriver à l'époque où l'Assemblée nationale ,
après avoir pris connoissance des affaires ,
pourroit remettre le calme et fonder un ordre
durable.
Cette époque s'est éloignée au -delà du
terme qu'il étoit naturel de supposer ; et en
même temps des dépenses extraordinaires et
des diminutions inattendues dans le produit
des revenus , ont augmenté l'embarras des
finances .
Les secours immenses en blés que le Roi
a été obligé de procurer à son royaume , ont donné lieu non-seulement à des avances
considérables , mais ont encore occasionné
une perte d'une grande importance , parce
que le Roi n'auroit pu revendre ces blés au
prix coûtant , sans exceder les facultés du
Peuple , et sans occasionner le plus grand
trouble dans son royaume. Il y a eu de plus ,
et il y a journellement des pillages que la
force publique ne peut arrêter . Enfin , la
nisere generale et le défaut de travail ont
( 212 )
obligé Sa Majesté à repandre des secours con
sidérables.
On a établi des travaux extraordinaires autour
de Paris , uniquement dans la vue de
donner une occupation à beaucoup de gens
qui ne trouvoient point d'ouvrage , et le nom
bre s'en est tellement augmenté , qu'il se monte
maintenant à plus de douze mille hommes.
Le Roi leur paie vingt sous par jour , dépense
indépendante de l'achat des outils et
des salaires des surveillans.vez
Je ne ferai pas le recensement de plusieurs
autres dépenses extraordinaires amenées par
la nécessité ; mais je n'omettra point de vous
rendre compte d'une circonstance de la plus
grande gravité : c'est de la diminution sensible
des revenus , et du progrès journalier
de ce malheur..
Le prix du sel a été réduit à moitiés par
contrainte dans les généralités de Cach, et
d'Alençon , et ce désordreecommutețice › à · d'introduire
dans le Maine. La vente du faux sel
et du tabac se fait par convois et à force ou•
verte dans une partie de la Lorraine , des
Trois-Evêchés et de la Picardie ; le Soisson.
nois et la généralité de Paris commencent à
s'en ressentir.
Toutes les barrières de la Capitale ne sent
pas encore rétablies , et il suffit d'une seule
qui soit ouverte , pour occasionner une grande
perte dans les revenus du Roi . Le recouvre
ment des droits d'Aides est soumis aux mêmes
contrariétés. Les bureaux ont été pillés , les
registres dispersés , les perceptions arrêtées
ou suspendues dans une infinité de lieux dont
Pénumération prendroit trop de place , et
chaque jour on apprend quelque autre nouvelle
aflligeante .
है
( 213 )
L'onéprouve aussi des retards dans le payement
de la taille , des vingtièmes et de la
capitation ; en sorte que les Receveurs généraux
et les Receveurs des tailles sont aux abois ,
et plusieurs d'entre eux ne peuvent tenir leurs
traités.
La force de l'exemple doit empirer journellement
ce malheureux état des affaires ;
et les conséquences peuvent en être telles ,
qu'il devienne au- dessus de votre zèle et de
vos moyens de prévenir le plus grand désordre
et dans les finances et dans toutes les
fortunes , et d'empêcher , au moins pendant
long- temps , la degradation des forces de ce
beau Royaume.
Je crois donc , Messieurs , que vous sentirez
la nécessité d'examiner , sans un seul moment
de retard , l'état que je vous présente des
secours indispensables pour empêcher une
suspension de payemens ; et le Roi ne doute
point que vous ne sanctionniez ensuite l'émprunt
qu'exigent la sureté des engagemens ,
et des dépenses inévitables pendant deux
mois ; terme qui vous suffira sans doute pour
achever ou pour avancer les grands travaux
dont vous êtes occupés , et pour établir un
ordre permanent , et tel que la France a droit
de l'attendre de votre zèle éclairé , et des dispositions
justes et bienfaisantes de Sa Majesté.
Il est vraisemblable qu'avec trente millions .
il sera possible de pourvoir aux besoins indispensables
pendant l'intervalle que je viensd'indi
quer ; mais il n'y a pas un instant à perdre pour
rassembler cette somme . Je crois qu'il ne fait
point chercher àdécider la confiance par dehaults
intérêts ; ce n'est point de la spéculation qu'il
faut attendre des secours dans les circonstances
présentes , mais d'an sentiment généreux et
( 214 )
patriotique , et ce sentiment répugneroit à
accepter, aucun intérêt au dessus de l'usage.
Je proposerois donc , Messieurs , que l'einprunt
fût simplement à cinq pour cent par
an , remboursable à telle époque qui seroit
demandée par chaque prêteur à la suivante
tenue des Etats- Généraux.
Que ce remboursement fût placé en première
ligne dans les arrangemens que vous
prendrez pour l'établissement d'une Caisse
d'amortissement.
Mais comme il est très- possible que , pat
le résultat de vos soins et de vos travaux ,
les affaires générales du royaume et de la
finance acquièrent un grand degré de prospérité
, et qu'un intérêt de cinq pour cent
devienne en peu de temps un intérêt précieux ,
je voudrois que le remboursement de l'Emprunt
proposé , n'eût lieu qu'avec le consentement
des prêteurs .
Je proposerois que cet Emprunt fût en bil.
lets au porteur ou en contrats , au choix des
prêteurs ; et qu'il fût stipulé que dans le cas
où le Roi , de concert avec l'Assemblée nationale
, ordonneroit la conversion en contrats
des effets au porteur actuellement existans
, ceux de l'Emprunt proposé ne pourroient
jamais être soumis à cette conversion
sans le consentement des prêteurs .
Je proposerois encore que l'on dressât uné
liste de tous les prêteurs et de tous les souscripteurs
qui , par eux - mêmes ou par la confance
de leurs Correspondans et de leurs
Clien , auroient rempli cet Emprunt patriotique
, et que cette liste fût communiquée à
votre Assemblée , et conservée , si vous le jugiez
à propos , dans vos registres .
Vous ne vous refuserez pas , Messieurs ,
( 213 )
la sanction de ce ! Emprunt . Plusieurs cahiers ,
sans doute , ont exigé que la Constitution fût
réglée avant le consentement à aucun impôt
, à aucun emprunt ; mais pouvoit- on prévoir
les difficultés qui ont retardé vos travaux ?
pouvoit-on prévoir la révolution inouie arrivée
depuis trois semaines ? Vos Commettans
vous crieroient , s'ils pouvoient se faire entendre
: Sauvez l'Etat , sauvez la Patrie ; c'est
de notre repos , c'est de notre bonheur dont
Vous êtes comptables. Et combien ne l'êtesvous
pas aujourd'hui , Messieurs , que le Gouvernement
ne peut plus rien , et que vous
seuls avez encore quelque moyen pour résister
à l'orage ! Pour moi , j'ai rempli ma tâche ;
je dépose entre vos mains la connoissance des
affaires ; et de quelque moyen dont vous fassiez
le choix , mon devoir se borne à respecter
vos opinions , et à donner , jusqu'au dernier
moment , des témoignages de zèle et de dévouement.
On ne doit pas se dissimuler qu'au milieu
des troubles dont nous sommes environnés
le succès de cet Emprunt n'est pas démontré.
Cependant , un premier Emprunt , garanti par
les Représentans de la Nation la plus amachée
aux lois de l'honneur , et la plus riche
de l'Europe , présente un emploi à l'abri de
toute inquiétude réelle. On appercevra , sans
doute aussi , qu'indépendamment des sentimens
généreux et patriotiques qui doivent
favoriser le succès de cet Emprunt , il y a bien
des motifs de politique propres à déterminer
les Capitalistes. Il est manifeste que chacua
a un intérêt majeur à prévenir une confusion
générale , et à vous laisser le temps d'arriver
à votre terme. Ah ! Messieurs , que ce terme
est nécessaire ! qu'il est pressant ! vous voyez
( 216 )
si
les désordres qui régnent de toutes parts dans
le royaume ; ces désordres s'accroîtront ,
vous n'y portez pas , sans délai , une main
salutaire et conservatrice : il ne faut pas que
Jes matériaux du bâtiment soient dispersés ou
anéantis , pendant que les plus habiles Architectes
en composent le dessin .
Vous considérerez , Messieurs , s'il n'est pas
devenu indispensable d'inviter ceux qui disposent
aujourd'hui de quelque manière d'une
puissance exécutrice , à maintenir le recouvrement
des droits et des impôts établis tant
qu'ils font partie des revenus de l'Etat . On
ne peut payer sans recevoir , on ne peut recevoir
sans l'action des lois ; et cette action
s'affoiblit , lorsqu'aucun pouvoir ne la rassure
et ne la soutient . L'habitude de se soustraire
aux charges publiques , déja si attrayante par
elle-même , acquiert de nouvelles forces par
F'exemple ; et lorsqu'elle n'est pas combattue
de bonne heure , il n'est souvent plus possible
de la dominer sans les moyens les plus violens.
Vous ne pouvez donc , Messieurs , vous dispenser
de jeter un regard d'inquiétude sur
l'état de la France , afin de prévenir que des
précautions trop tardives n'empêchent ce beau
royaume de profiter des bienfaits que vous
lui préparez . Le Roi , Messieurs , est disposé
à concourir à vos vues , et les Ministres auxquels
il a donné sa confiance , s'en serviront
selon ses intentions , pour contribuer avec
vous au bonheur de la Nation . Réunissons-'
nous donc pour sauver l'Etat , et que tous les
gens de bien entrent dans cette coalition : il
ne faut pas moins que l'efficacité d'une pa
reille alliance , pour surmonter les difficultés
dont nous sommes entourés. Le mal est si
grand que chacun est malheureusement à
portée
( 217 )
portée de l'apprécier; mais au centre où les
Ministres du Roi sont placés , il présente un
tableau véritablement effrayant . Tout est relâché
, tout est en proie aux passions individuelles
, et d'un bout du royaume à l'autre
on soupire ardemment après un plan raisonnable
de Constitution et d'ordre public , qui
rétablisse le calme et présente l'espoir du bonheur
et de la paix.
Malgré nos maux , le royaume est entier ,
et la réunion de vos lumières peut féconder
tous les germes de prospérité. Que personne
donc , ni dans cette Assemblée , ni dans la
Nation ne perde courage : le Roi voit la vé
rité ; le Roi veut le bien ; ses Sujets ont con
servé pour sa personne un penchant que le
retour de la tranquillité de son royaume for
tifiera et augmentera. Livrons - nous donc ,
Messieurs , à l'heureuse perspective que nous
pouvons découvrir ; un jour , peut-être au
milieu des douceurs d'une sage liberté et
d'une confiance sans nuages , la Nation Françoise
effacera de son souvenir ces temps de
calamité , et en jouissant des biens dont elle
sera redevable à vos généreux efforts , elle ne
séparera jamais de sa reconnoissance , le nom
du Monarque à qui dans votre amour vous
venez d'accorder un si beau titre.
Les Miniftres retirés , M. de Clermont-Lodève
s'eft écrié qu'à l'inftant , & par acc'amation ,
on devoit confentir l'Emprunt demandé ; mais
ce mouvement d'enthouſiaſme n'a pas éte conta
gieux .
Un Député des Communes a commercé par
réclamer fes cahiers , qui lui interdifent l'octroi
de tout Emprunt ou Impôt , avant la confection
des Lois politiques ; mais s'il étoit nécef-
N°. 33. 15 Août 1789 . k
( 218 )
faire , il engageroit fa fortune de fix cents mille
livres au nom de fa Province .
obéir M. Camus. Une Nation aſſemblée ne peut
à un premier élan de générofité. Que le Comité
des Finances conftate notre fituation , & qu'en.
fuite , fi befoin eft , on délibère fur l'Emprunt
avec maturité. Plufieurs Articles du projet des .
Miniftres demandent un examen plus réfléchi ; il
faut le renvoyer au Comité des Finances , & fur.
fon rapport , en délibérer le lendemain.
M. de Lally-Tolendal. Par l'un de fes Arrêtés ,
l'Affemblée a pris fous fa fauve-garde les Créanciers
de l'Etat . Par un fecond Arrêté , elle a
porté l'anaêthme contre le mot de banqueroute.
Comment donc , fans manquer à fes propres
décrets , fe refufera-t-elle à un Emprunt néceffaire
à la chofe publique ? Le vertueux Etranger
qui a repris le Ministère des Finances ,
n'avoit-il pas droit de compter fur des fecours
auxquels nos propres Délibérations nous ont engagés
? Nuls Cahiers n'ont pu prévoir la criſe
où nous fommes parvenus. Le mien même s'oppofe
à tout octroi de subfides avant la Conftitution
; mais il s'oppofe également à la violation
des propriétés. Concilions le falut public avec la
prudence ; que la néceffité de l'Emprunt foit reconnue
, par le Comité des Finances , & qu'il
nous foumette demain à ſon examen.
M. de la Cote a propofé le renvoi au Comité ,
& d'hypothéquer l'Emprunt fur les biens Eccléfiaftiques
, comme appartenans à la Nation.
M. de Mirabeau. Si vos Commettans ne partageoient
pas votre voeu fur l'Emprunt , il feroit
inutile; la confiance manqueroit , & l'Emprunt ne
fe rempliroit pas . Des lieux communs ne vous
éblouironr pas plus qu'ils ne fauveront l'Etat.
Trente millions ne fuffiront pas à tous les befoins
qu'on expofe emphatiquement. Toutes les an(
219 )
tiennes baſes du credit font vermoulues , & fes
formes ufées. Le refpect des Mandats eft inviolable.
Pour obtenir des Contributions patriotiques ,
ceux qui les demandent doivent en donner l'exemple
, à commencer par le Chef de la Nation , qui
doit vivre de peu. Il feroit bon de ne pourvoir
qu'aux befoins du moment , d'accorder des fecours
pour un mois feulement , de nommer des
Commillaires chargés de figner des Reconnoiffances
rembourfables dans un an. Que le Peuple
ou les Adminiftrations provinciales nous
autorifent à un Emprrunt , & le refpect de nos
mandats ne fera pas violé .
Les voix prifes fur la queſtion de délibérer à
l'inftant , ou de renvoyer l'objet au Comité des
Finances , ce dernier avis a été adopté.
Du Samedi 8 Août. Le Rapport du Comité
des Finances fur l'Emprunt , n'étant pas encore
arrivé , on a délibéré ſur l'Article VI de l'Arrêté
du 4 , Article qui concerne les Juftices Seigneuriales
. Quelques Députés y ont oppoſé des reftrictions
, ont demandé des changemens ; enfin ,
l'Article a été arrêté & dreffé en ces termes :
" Toutes les Juftices Seigneuriales font fupprimées
fans indemnité ; & cependant les Officiers
continueront leurs fonctions , jufqu'à ce que l'AC
femblée Nationale ait pourvu à un nouvel ordre
judiciaire. »
C'eft M. le Duc d'Aiguillon qui a fait le Rapport
du Comité de Finances , fur le projet d'Emprunt.
L'état du Tréfor- Royal a été conftaté :
Recette du mois d'Août 1789 ... 27,960,000 1
Du mois de Septembre ....
DÉPENSES .
9,269,000
37,226,000
..68,000,000
ainfi que
La diminution du revenu eft averée ,
kij
( 220 )
la néceffité d'y fuppléer ; mais le Comité propofe
des corrections dans le préambule & le projet
d'emprunt .
M. le Préfident a pofé trois queſtions.
Votera-t-on un Emprunt ?
De quelles fomme fera l'Emprunt?
Quel fera le mode de l'Emprunt ?
Sur la première , d'abord traitée , M. le Duc
de Lévis a rappelé l'obligation des mandats &
le ferment des mandataires. Ainfi fiés , ceux- ci
ne pouvoient que propofer en garantie leurs fortunes
particulières .
M. Buzot. Point d'emprunt avant la Conftitu
tion. Mes mandats font impératifs à cet égard :
la demande des Miniftres doit être renvoyée à
nos Conftituans . Avant tout , il faut vérifier la
dette. Quels reproches ne nous feroient pas nos
Commettars , en apprenant que depuis feptembre
1788 , les Emprunts, Anticipations , payemens
arriérés , montent à 365 millions .
M. d'Antraigues a vu dans l'économie , des
moyens qui devoient précéder tout emprunt.
M. de Lally. Le rapport du Comité est décifif.
De grands dangers , de grands devoirs , l'honneur
François en dictent l'adoption . L'Aſſemblée
eft refponfable des fuites pernicieuſes d'un refus.
On ne pouvoit objecter des Mandats impératifs ,
puifqu'ils étoient révoqués , & que les feuls mandataires
libres conftituoient l'Affemblée , avec fa-"
culté de concourir à fes décrets. M. Barnave s'eft
récrié contre l'enthouſiafme. De tous les devoirs ,
les plus facrés étoient ceux des Repréfentans envers
les Repréſentés : déjà le Peuple repouffoit les in =
pôts onéreux dont il eft chargé. L'emprunt engendre
l'impôt , & la chofe publique doit être
fecourue par tous autres moyens. Votez l'Emprunt
, s'il le faut , mais fans accroître , pour en
acquitter l'intêret , les charges du Peuple.
( 221 )
M. de Mirabeau. Nu! travail approfondi fur les
finances ne peut avoir lieu en ce moment. Il est
un moyen d'accorder les befoins du Gouvernement
avec la confiance de nos Commettans ; c'eſt
de former l'Emprunt , fous l'engagement des
Membres de l'Affemblée , chacun à proportion
de fa fortune. Une auffi noble foufcription , ouverte
chez le Préfident , concilie nos devoirs envers
nos conſtituans & envers l'Etat ; elle ani
mera l'efprit public , & deviendra un glorieux
exemple de facrifices.
M. de la Cote , Député Noble du Charollois , a
renouvelé fa propofition d'affurer la créance des
Prêteurs fur les biens Eccléfiaftiques. A la fuite
d'un préambule raiſonné , il a préſenté la Motion
fuivants.
L'Affemblée Nationale déclare :
1°. Que tous les biens dits Eccléfiaftiques , de
quelque nature qu'ils foient , appartiennent à la
Nation.
2º. Qu'à dater de l'année 1790 , toutes dixmes
Eccléfiaftiques feront & demeureront fupprimées
.
3 °. Tous les Titulaires quelconques garderort
pendant leur vie un revenu égal au produit actuel de
leur bénéfice; & cette fomme leur fera payée par les
Affemblées Provinciales , en obfervant de plus que
la dotation des Curés doit être ſenſiblement augmentée.
4°. Les Affemblées Provinciales régleront pour
l'avenir le taux des honoraires des évêques , qui
font , avec les Curés , les feuls Miniftres effentie's
du culte divin. Elles fixeront également les fonds
deftinés au fervice des Cathédrales & aux retraites
des anciens Paſteurs.
5. Elles pourvoiront auffà penfionner d'une
manière équitable les perfonnes de l'un & l'autre
k iij
222
fexe engagées dans les Ordres Monaftiques , lef
ques Ordres feront fupprimés. »
M. Alexandre de Lameth , a parlé dans le même
efprit , fans convaincre une partie de l'Affemblée ,
d'où il est échappé de grands murmures.
M.le Vicomte de Mirabeau , Député de la Nobleffe
du Haut-Limoufin , a fait la Motion fuivente
, aux applaudiffemens univerfels.
Je n'ai pu refufer un tribut légitime d'adm²-
´ration à la force d'ame de l'hono.able Membre qui
le premier a donné l'idée & l'exemple du facifice
des intérêts de fes Commettans & des fiens ,
à l'apperçu du bien général dont il a cru voir
le germe dans la diſpoſition de l'arrêté qu'il a propofé
le 4.
Je fais fi profondémant pénétré de ce même
festiment d'admiration , que je ne doute point
que l'auteur de la motion , & ceux qui l'ont appayé
, n'attendent une occafion favorable , pour
fare l'abnégation glorieufe de quelques jouiffances
plus perfonnelles & plus directement utiles aux
befoins urgens de l'État : je crois devoir leur rappeler
que la voici , cette occafion ; & je mets
autant d'empreffement à la leur off ir , que je fuis
convaincu qu'ils en mettront à la faifir.
Je crois qu'il est néceffaire d'établir d'abord
qu'il eft de devoir pour moi d'infifter fur cet
objet important , & que j'ai un titre pour faire accueillir
ma propofition.
>
Je me contenterai , pour le premier objet , de
lire un article du cahier qui ref rme les voeux
de mes Commettans , & par conféquent l'énoncé
de mes devoirs. L'article 12 du chapi-
» tre 6 dit que parmi les moyens d'économie ,
u néceffaires à placer à côté des projets de dé-
» penfe ou d'augmentation , les États - Généraux
» prendront en confidération l'abus de l'énorme
quantité de graces & de charges accumulées
"
( 223 )
fur un même tête , qui ne pourroient être bien
» remplies , fi elles étoient actives , & qui ne
» font qu'augmenter la dépenfe , fi elles ne le font
» pas.
Quant à mon titre , le voici : je fais fur le bureau
la remife d'une penfion de deux mille livres
feul bienfait que je tienne des bontés du Roi. Je
l'ai obtenu après la guerre d'Amérique. Perfonne
ne prife plus que moi les graces de fon
Souverain mon amour pour fa perfonne facrée
en eſt un fûr garant ; mais fi j'ai été affez heureux
pour les mériter par mes fervices , j'en fuis
affez récompenfé par l'honneur de les avoir rendus
, & par la pofition où ce Monarque bienfaifant
m'a mis , en me confiant le commandement
d'un de fes Corps , de le fervir plus
efficacement. Je remets donc fur le bureau la
renonciation à la feule penfion que ma famille
poffède ; je voudrois avoir un facrifice plus important
à faire ; mais , toute proportion gardée , cela
pourroit en être un pour moi.
Je crois avoir fuffifamment établi que j'ai
droit & devoir de parler , en cette occafion importante.
Je propofe donc à l'Affemblée d'énoncer
qu'elle va nommer un Comité chargé de
recevoir avec reconnoiffance l'abandon volontaire
que les Membres de cette refpectable Affembée
pourront faire des graces exagérées dont eux
& leur famille font comblés & d'examiner
toutes celles dont la poportion n'eft point équivalente
aux fervices qui les ont mérités .
Si l'Affemblée fe détermine à mettre à profit
cet élan ce patriotifme , qui fans doute ne s'affoiblira
jamais , mais dont il eft quelquefois effent
el de faifir le mouvement inftantané , je fuis
perfuadé qu'on verra ceffer les abus multipliés
qui on : néceffité les plaintes de mes Commettans.
k iv
( 224 )
Que telle perfonne qui a obtenu des fecours
énormes & perpétuels pour foutenir un grand
nom , croira que fa façon de penfer & fon énergie
doivent feules en maintenir la gloire , & fera
facrifice de ce qu'elle tient du Souverain .
Que ceux qui , après avoir réuni ſur leur tête
toutes les graces réfervées aux courtifans , ont
encore obtenu celles dues aux guerriers actifs &
utiles , feront à l'État & à eux-mêmes la juftice
de fe dépouiller librement des unes ou des
autres.
Que celui qui , chargé d'un gouvernement aux
portes de Paris , en poffède un autre aux frontières
les plus éloignées du Royaume , s'empre
fera de ne garder que celui des deux auquel il peut
donner une surveillance active .
Que fi quelqu'nn a trouvé le moyen de faire
payer à la Nation fes dettes perfonnelles , il lui
offirira le remboursement des avances qu'elle lui
a faites , dans un moment où elle à befoin de toutes
fes reffources.
Que d'autres demanderont qu'on annulle les
échanges onéreux au Roi & à l'État , qu'ils ont
follicités.
Que les perfonnes qui ont bâti , prefque fous
nos yeux , un palais fur un terrain domanial , fe
trouveront , par la prompre reftitution d'un dépôt
amélioré être les bienfaiteurs de la Patrie.
Que ceux qui réuniffent fur leur tête des places
municipales , domeftiques & militaires à la
Cour , & tiennent encore le premier rang dars
nos armées , s'emprefferont , par un ch¸ix éclairé ,
de prouver que loin de vouloir tout envahir ,
ils ont la générofité de facrifier leur intérêt perfonnel
à lintérêt public.
Qu'une feule famille enfin , qui eft dénoncée par
la clameur publique , pour poffèder deux millions
de revenus en graces & en bienfaits , fe fera un devoir
( 225 )
de renoncer aux uns , & de juftifier au public les
fervices qui ont mérité les autres.
Je conviendrai facilement à cet égard de la vérité
de l'axiome qui établit qu'il ne faut croire que la moitié
des oui - dires ; mais cette moitié eft encore beaucoup;
car je crois que nous en fommes au point où
l'on peut calculer la valeur d'un million de revenu.
J'imagine qu'on ne s'arrêtera point au facrifice
des penfions & des graces connues , & qu'on renoncera
généreusement auffi à ces traitemens obfcurs
fur les Régies , les Fermes , les poftes , les Provinces
d'Etats , &c. à ces conceffions de domaine
fans nombre ; car l'infatiabilité eft un prothée qui
s'enveloppe fous toutes les formes ; & il paroîtra
bien doux à la Nation de la voir entièrement démaíquée
, en ce jour , par un dévouement généreux
& patriotique.
Toutes ces confidérations me font infifter fur
demande que je viens de faire à l'Aſſemblée ,
fur laquelle je la fupplie de délibérer ; & je vais
relire la rédaction d'arrêté que je propofe.
» Il feranommé fur-le-champ un Comité, chargé
de recevoir avec reconnoiffauce l'abandon volontaire
qu'on lui fera des graces qui font accumulées
fur les mêmes têtes , ou dans les mêmes familles ,
& de faire un examen fcrupuleux de toutes les
penfrons , & traitemens fur les différentes Régies
& branches d'adminiftration quelconque , qui
ne feront pas proportionnés aux fervices qui les ont
mérités. "
» L'Affemblée Nationale efpère de l'efprit de
patrio:ifme qui femble animer tous fes membres ,
qu'elle trouvera dans cette reffource une hypothèque
cerraine pour l'emprunt propofé , & qu'elle
recueillera dans fon propre fein les moyens d'en
payer les intérêts. «
Cette motion , a excité une réclamation de
k v
( 226 )
M. le vicomte de Noailles . 11 a regretté de n'avoit
arcune penfion à facrifier ; mais il avoit fait l'abandon
de la furvivance d'une charge de bailli d'épée .
M. de Clermont-Tonnerre ayant réfumé les opinions
, & expofé des réflexions judicieufes , en faveur
de l'emprunt de 30 millions , cette reffource a
été admife prefque univerfellement . La dernière
queſtion fur la forme de l'emprunt a été renvoyée
àla Séance extraordiuaire du lendemain. Celle d'aujourd'hui
a été ferminée par la réception des dépu
tations de Nemours & de la Guadeloupe , qui , au
nom de feize mille habitans , demande une repréfentation
provifoire.
Da famedi 8 Août. Séance du foir. On s'y est occupé
exclufivement du rapport douloureux des
défaftres de plufieurs provinces . M. l'abbé d'Eymar
a annoncé qne M. le cardinal de Rohan , arrêté dans
fa route , & mis en danger , n'avoit pu fe rendre à
l'Affemblée. Toute la haute & baffe-Alface font en
armes : le peuple pille les châteaux , & en enlève
les chartres . Une abbeffe , plus que fexagénaire , a
été affaffinée. Les infurgens portent un faux édit du
Roi , qui accorde au peuple tous les droits des feigneurs
, & lui attribue des pouvoirs de tout genre.
Suivant le rapport du Comité , toutes les lettres
annoncent des ravages commis par des brigands ,
porteurs de lettres , qui indiquent que ces horreurs
dureront trois mois. M. le marquis de Falconet
mande à M. le préfident , dans une lettre datée.
d'auprès Argentan , qu'on a brûlé tous fes contrats,
fes titres , fes quittances ; lui- même a été condamné
au feu , ainfi que Madame la marquife de Saint-
Aubin . Il n'a dû la vie qu'à une difpute furvenue
entre fes bourreaux. On l'a retiré du bûcher , après
avoir eu un pied & les deux mains brûlées , Le iendemain
on l'a forcé , dans cet état, de fe rendre chez
un notaire , pour renoncer à tous fes droits , à fes
( 227 )
let res de marquifat , &c. en lui difant qu'il n'étoit
pas plus grand feigneur que le Roi qui s'étoit déclaré
du Tiers-Etat.
M. le baron de Wimpfen a demandé avec chaleur
qu'on s'occupât féieufement, & fans délai , de rétablir
le calme , l'ord.e , la juftice , le refpect des
propriétés & des perfonnes . Si l'on tarde , a-t-il dit ,
l'empire françois va fe diffoudre Au nom de la patrie,
il a conjuré l'affemblée de remettre en vigueur le
pouvoir exécutif & judiciaire, de prier le Roi d'ordonner
aux débris de nos régimens de prêter mainforte
aux municipalités & aux affemblées provinciales
, de faire prêter aux troupes ferment à la Nation
& au Roi , & de renvoyer aux Tribunaux le
procès des coupables .
M. Target a rapporté que dans la France mérdionale
, un courier avoit femé l'alarme , en annonçant
que des brigands & des Anglois venoient faccager
les campagnes . Arrêté & conduit aux prifons
de Bordeaux , cet impofteur devoit être conduit ici ,
& interrogé par le Comité d'information ,
M. Milouet a fupplié qu'on ne laffât pas plus
long-temps attenter fur les vies , fur les propriétés ,
fur la liberté des citoyens ; il a propofé une forme
d'arrêté, & une prière au Roi , d'exercer fon pouvoir
dans une circonftance aufli déplorable.
Trois particuliers , chefs de brigands , a dit un
autre membre , arrêtés à Rouen , ont été relâchés
& repris ; l'un eft le nommé Bordier , acteur des Va
riétés amufantes ; l'autre , un chirurgien de Rouen ; le
troifième , un officier volontaire il feroit utile de
les farre foigneufement interroger.
M. de Virieu a infifté fur la motion de M. de
Wimpfen.
Un autre Député du Dauphiné a fait un récit lamentable
des excès commis dans cette province.
Les châteaux d'Anton , de Puligneu , de Mérieu
de Janeyria , du Ja :c, appartenant à M. le Comte de
Kvj
( 228 )
Saint-Prieft , & vingt-deux autres ont été incendiés.
Plufieurs gentilshommes ont été tués. On eft venu
arracher les laboureurs de leurs travaux , pour les
forcer , le piftolet à la main , à ces dévaſtations. A
Vienne , on avoit mis en prifon 37 brigands ; cette
ville , quoique confidérable , menacée d'être incendiée
& pillée , a été obligée , pour fa fureté , de les
relâcher.
La commiffion des Eta's du Dauphiné confirme
ces malheurs , & implore du fecours.
Le Mâconnois offe de pires horreurs encore.
Plufieurs des incendiaires ont été trouvés chargés
de pancartes , qui portoient : » Le Roi ordonne
de brûler tous les châteaux ; il ne veut que le fien . «
M. de Cuftines a opiné à terminer fans délai le
bel arrêté du 4 , à le joindre à celui de la veille , &
à l'envoyer dans les provinces .
M. de Clermont Tonnerre : Au même inftant on a
armé le peuple dans tout le royaume. Ce concert
indique un complot. Le remède eft fimple : fanctionner
d'abord les facrifices , afin que la Francé
fache qu'il n'existe plus qu'un intérêt , l'intérêt national
. Il a enfuite propofé un arrêté , relatif aux
brigands détenus ; mais un autre membre a obfervé
qu'il ne falloit pas multiplier les décrets.
M. le Duc de Liancourt a appuyé l'avis de ne pas
défemparer jusqu'à la rédaction parachevée de l'arrêté
du 4.
M. le Duc du Châtelet a vu , comme M. de
Clermont-Tonnerre , un concert dans les attentats
commis par-tout , au même inftant. Il a propofé
de faire démentir le prétendu Arrêt du Roi , &
de prier Sa Majesté de promettre une récompenſe
aux Révélateurs des Inftigateurs ou Complices de
cet incendie .
Les cinq principaux projets d'Arrêté ont été
renvoyés an Comité de Rédaction , auquel fe
réuniront les Auteurs de ces projets.
( 229 )
La Ville de Saint- Denis a envoyé une Déprtation
, chargée de témoigner à l'Affèmblée fa
douleur de l'affaffinat du Lieutenant de Maire
de cette Municipalité.
Des Cultivateurs des environs de Paris ont
porté des plaintes amères , des dégats qu'occafionnoient
dans les campagnes des bandes de gene
armés qui , fous prétexe de faire des patrouilles ,
font des battues de gibier & foulent aux pieds les
récoltes . Le défordre fera profcrit dans l'Arrêté à
prendre.
M. l'Evêque de Chartres a obfervé que plufieurs
Membres de l'Aſſemblée , peu favorisés de
la fortune , & ne recevant pas les honoraires
promis par leurs Commettans , ne pouvoient demeurer
ici plus long tems. Il a propofé en confé
quence de faire une extenfion à l'Emprunt , pour
fubvenir aux befoins des Députés.
Un autre Membre a cbfervé qu'on ne devoit
point interrompre les Difcuffions des Affaires de
l'Etat , pour s'occuper de l'intérêt perfonnel.
Un Membre des Communes a ajouté qu'il
étoit indigne de l'Affemblée de faire un Emprunt
pour elle.
Un Préopinant a propofé de former un Emprunt
particulier , pour les Députés. Cette propofition
a été fort mal reçue.
Un grand nombre de Membres vouloient attendre
la rédaction de l'Arrêté ; d'autres ont
voulu partir. M. le Préfident a propofé , pár affis
ou levé , de lever la Séance .
Cet avis a paffé à une grande majorité.
Du Dimanche 9 AQUT, Séance extraordinaire.
Elle a été tout entière confacrée à la Difcuffion
de la forme & des conditions de l'Emprunt. Le
Préambule du Décret a été dreffé en ces termes :
» L'Affemblée Nationale , informée des be(
230 )
» fins urgens de l'État , decrète uu Emprunt de
» trente millions »
Sur 'avis de M. le Vicomte de Noailles l'intérêt
de cet emprunt a été fixé à quatre & demi
fans retenue.
pourcent ,
Nous développerons
cette Difcuffien dans le Journal fuivant.
P. S. C'eſt par méprife que , dans le No. 31
nous avons annoncé le départ de M. le Comte
de Crillon pour les eaux. Ce Député n'a jamais
eu l'idée de s'éloigner un moment de l'Affemblée
Nationale , & n'a pas été abfent une feule
Séance . On la confondu avec M. le Comte
d'Andlau qui a demandé à fe retirer pour raifon
de fanté .
De Paris , le 12 août.
L'importance et la variété des détails
qu'on vient de lire dans le Journal de
l'Assemblée nationale , restreint à peu
de lignes , pour aujourd'hui , le précis
des faits que nous aurions à rapporter,
soit de la Capitale , soit des Provinces.
Des bords du Rhône à ceux du Rhin ,
et de la Moselle à la Loire , elles ont
offert , presque au même instant , un
tableau digne de réflexion et de pitié.
Le Dauphiné , le Mâconnois , le Beau
jolois , le Bugey , le Pays de Gex , la
Franche-Comté , le Sundgaw , l'Alsace ,
une partie de la Lorraine , de la Normandie
, du Perche , du Maine , du Nivernois
, de la Tourraine , de l'Anjou , etc.
ont offert , en 15 jours , le pillage des
( 231 )
titres seigneuriaux , l'incendie des Châ
teaux , celle de plusieurs Abbayes ; des
meurtres et des dévastations qui accableront
pour plusieurs années les Fermiers
et les Seigneurs , le revenu public
et celui des particuliers . Nous croyons
prudent , même nécessaire , de garder le
silence sur cette pluralité funeste de
désastres de toutes parts , nous sommes
accablés de leurs récits ; il nous
faut le temps de la réflexion avant de
les mettre au jour .
Une Abbave célèbre dans le Mâconnois
(Cluny) , attaquée par une foule
de brigands , leur a opposé , dit - on ,
une résistance efficace , et en a tué
cent. En Franche - Comté un nom
bre de personnes se sont également réunies
pour la défense de leurs foyers , et
l'on cite une Dame d'un nom très- connu ,
qui , habillée en homme , et armée , a
étendu de sa main trois incendiaires
morts à ses pieds. Les Milices Bourgeoises
et les Maréchaussées ont sauvé
plusieurs héritages , et quoiqu'un grand
nombre d'ouvriers ait par-tout déserté
les moissons , pour suivre un torrent
dont l'Assemblée nationale cherchera
la source , on espère que ce fléau , aussi
rapide que la peste , sera arrêté dans ses
progrès
La pluralité des Districts de Paris a
adopté , à ce que nous croyons , au moins
la première partie du plan de M. de la
Fayette , pour la formation de la Milice
( 232 )
Parisienne : un grand nombre de Gardes-
Françoises s'y sont incorporés , et l'on
a proposé dans quelques Districts , de
reconnoître leurs services , enir'autres ,
par le don d'une Médaille d'or , qu'ils
porteront à leurs boutonnières. Depuis
15 jours , les Compagnies qui étoient
restées à Versailles , ont abandonné cette
ville , pour se réunir à leurs camarades .
«
Quant aux évènemens de détail , ils se
réduisent à quelques particularités . Les
canons de M. le Prince de Conti à 17sle-
Adam , ont été conduits ici , au nombre
de dix-sept , le 4 de ce mois. » Il est assez
plaisant , dit une feuille de la Capitale ,
« qui rend compte de cette capture ,
d'avoir vu des Grenadiers couchés sur
<«< des lits superbes , et des étoffes magnifiques
souillées par tous les genres de
malpropretés. » La moralité de cette
expédition , dit l'Auteur que nous citons ,
est que la force fait tout.
Le sieur Duchartel , Lieutenant de
Maire de Saint - Denis , accusé par le
cri populaire , d'accaparemens , et d'avoir
fait vendre du pain mêlé de blé et
de seigle , a proscrit , et massacré
dans la nuit du dimanche au lundi 10 ;
sa tête a été promenée dans la ville par
ses meurtriers , dont quelques- uns , diton
, sont arrêtés.
Un autre incident a alarmé la Capitale,
la semaine dernière . Voici ce qu'on
en raconte . Les Régisseurs des poudres
( 233 )
envoyoient à Essonne un bâteaude poudre
de traite pour y être rafinée ; le bâteau
étoit muni d'un passe-port , signé le
Marquis de la Salle , en l'absence de M.
de la Fayette. Le bâteau saisi et fouillé ,
jette l'alarme parmi le Peuple ; il_de--
mande la tête de M. de la Salle. On a
soustrait cet Officier , Commandant en
second de la Milice Parisienne , aux soupçons
et au ressentiment publics , par des
mesures vigoureuses prises à l'Hôtelde-
Ville. Deux des Régisseurs des poudres
MM . Lavoisier et le Faucheux
ont failli être enveloppés dans cette anathème
, et se sont retirés hors de Paris .
Nous ne pourrions mieux faire con
noître la situation actuelle de cette Ca
pitale , qu'en rapportant la Délibéra
tion suivante du District de Sainte- Opportune
, le 5 Aoust.
L'Affemblée confidérant que les Arrêtés de
divers Diſtricts peuvent préfenter l'idée d'une autorité
locale , & quelquefois même celle d'un
pouvoir ifolé & indépendant de leurs co-Diftricts
, a envifagé avec effroi les funeftes conféquences
qui pourroient réfulter de femblables
idées , qui , fi elles n'étoient détruites , diviferoient
la Capita'e en foixante Républiques ; &
pourroient , dans un moment où tous les pouvoirs
font brifés & la force publique abfente , produire
des maux innombrables .
Elle penfe donc :
1°. Que les Diftricts n'étant qu'une foixantème
partie de la Capitale , leurs voeux ne peu(
234 )
vent acquérir force de loi , qu'autant qu'ils font
adoptés par la pluralité des autres Districts .
2 °. Que ce principe une fois pofé , les Diſtricts
doivent s'abstenir de porter leur voeu particulier
à l'Affemblée Nationale , parce que cette Auguſte
Affemblée ne peut s'occuper que des voeux de la
ville de Paris , & non de ceux de chacune de fes
divifions.
3 °. Que du même principe il réfulte que les
Difticts doivent également s'abſtenir de faire publier
& afficher leurs Arrêtés ; & que s'ils le font,
ils doivent au moins fe circonfcrire dans leurs
limites refpectives , parce que ces Affiches multipliées
mettent de la conf. fion dans les idées du
Peuple , & que l'impoffibilité de les lire toutes ,
le conduit à n'en lire aucune , même celles les
plus néceffaires ,
4°. Que dans ce moment où le châtiment des
ennemis publics , & la conquête de la Liberté
ont porté les efprits à la plus grande exaltation ,
i eft bien important de conferver les vrais principes
de la Liberté , de crainte que la licence
n'arrive à fa fuite , & n'enfante des maux pires
que ceux que nous avons détruirs .
5°. Que tous les bons Citoyens , que tous
les Citoyens éclairés doivent concevoir que la fureté
commune repofe fur leur feule vigilance ,
& le falut de la Patrie fur leur union ; & que
fi la difcorde pouvoit les égarer un jour , il en
réfulteroit une Anarchie , cent fois plus à redouter
que tous les forfaits du Defpo me.
6°. Que tous les efforts des amis de la Liberté
fe ont fans effet , s'is n'annoncent autant
d'union pour la conferver , que nos ennem's ea
ont déployé & peuvent en déployer encore ,
pour nous en priver à jamais.
77°. Qu'en attendant l'organifatjon des Lois
municipales , & de la force Militaire qui doit en
( 235 )
être l'appui , le feul moyen d'affurer la tranquillité
publique , de rendre à leurs travaux des
hommes utiles , de voir revenir parmi nous ceux
qui nous enrichiffent , de ranimer le commerce
& l'industrie , d'arrêter pour toujours les profcriptions
arbitraires , de fonder enfin la liberté
publique fur des bates inébranlables , eft de réunir
en un même centre nos forces & nos volontés ,
afin d'en former une maffe active & impofante ,
capable de réprimer la licence par tout où elle
voudroit paroître,
8°. Que l'Aflemblée générale des Repréfentans
de la Commune , préfentement chargée de
cette organiſation & de l'Adminiftration provifoire
de la Cité , doit être ce centre de pouvoir &
d'activité , fans lequel rien de grand , rien d'unanime
ne peut s'opérer.
9. Que cette Affemblée refteroit fans fonctions
& fans utilité , fi chacun des Diſtricts rerenoit
l'exercice du pouvoir qu'ils lui ont confié.
10°.Que cette Affemblée , compofée de Membres
choifis par toute la Commune , doit réunir
la confiance de tous les Citoyens , & la réunir
d'autant plus parfaitement , qu'ils fe font réſervé
la faculté de les remplacer toutes les fois qu'ils
le jugeront convenable .
11°. Que les Diftricts ne doivent point craindre
de voir meconnoître par cette Affemblée le pouvoir
qui réfide inconteftablement en eux , parce
que c'eft le conflater que de le confier à des Repréfentans
, chargés privativement de le faire frictifier
,
12 °. Que d'ailleurs les Membres actuels de cette
Affemblée viennent de donner une preuve certaine
de leur patriotifme , en demandant une augmentation
de 60 nouveaux Re réfentans .
Certe demande , qui place la confiance publique
fur une bafe plus étendue , prouve qu'ils font ca(
236 )
pables de facrifier à l'intérêt pub'ic les confells fecrets
de l'amour-p op e , & qu'ils méritent la confiance
de leurs Concitoyens .
L'Affemblée du District a arrêté que tette Déclara
ion de fes fentimens feroit portée par fon Préfident
& fon Secrétaire à celle géré ale des Repréfentans
de la Commune , & communiquée à tous
les Districts , avec prière d'y adhérer.
J. J. ROUSSEAU , Préfident.
DESMOUSSEAUX , Vice - Préſident & Secrét .
Nota. Plufieurs Diſtricts ont déja manifefté les
mêmes principes.
Avertiffement demandé.
» Huit cents Citoyens , réunis fous le Comman
» dement de M. le Comte d'Aubigny , veillent
" au maintien du bon ordre , dans la Ville de
» Falaife. Depuis cette heureufe affociation , la
» tranquillité publique , troublée un inftant , eft
» parfaitement rétablie. «<
" Le Comité National de cette Ville invita
toutes les perfonnes qui ont le défir de venir à
» la Foire de Guibray , à être fans inquiétude &
» à s'y rendre avec fécurité . «
( Au Journal suivant la lettre de MM.
les Volontaires d'Elbeuf, et d'autres dont
on a requis la publicité).
( 237 )
AVERTISSEMENT.
Un nouvel ordre de chofes néceffite pour nous
une innovation dont nous devons prévenir le Public.
Dorénavant les Morceaux inférés dans ce
Journal ne feront plus cenfurés , & par-là nous
eférons qu'il acquerra un nouveau degré d'intérêt
& d'utilité ; mais chacun dès-lors étant devenu
fon propre Cenfeur , ou les noms fignés
au bas feront connoître les Auteurs de chaque
Morceau , ou M. IMBERT , en qualité de Rédateur
, répondra des Articles anonymes , étant
cenfé l'Auteur de ces Articles , ou pouvant en
déclarer les Auteurs (1) .
Les circonstances actuelles nous preſcrivent
encore un autre chargement. La partie Politique
ayant pris aujourd'hui un intérêt prédominant ,
nous avons cru devoir l'augmenter , au befoin
d'une feuille, que quefois d'une feuille & demie,
& même deux feuilles . La première feuille fera
priſe fur la partie Littéraire.
Cette augmentation de la partie Politique n'aura
lieu que pendant la tenue de l'Affemblée Nationale
, & commence avec cet Ordinaire du Mer
cu:e.
pour ne
Cet arrangement devenoit néceſſaire
pas augmenter le prix de ce Journal ; il nous
étoit auffi preſcrit par l'étendue que nous donnons
au Journal de l'Affemblée Nationale " ;
dont nous embraſſons , à la fois , les débats &
( 1 ) Les Articles , quand les Auteurs le défireront
, feront imprimés anonymes ; mais on
n'en inférera aucun , que l'Auteur n'ait ſigné fon
Manufcrit
.
( 238 )
les réfolutions , les difcours & les documens fon
damentaux . Tous les autres Articles du Journal
Politique participeront aux avantages de la liberté
qui nous eft rendue. L'Article de France
en particulier prendra un tout autre caractère ,
& nous ne ferons plus obligés d'en puifer les
nouvelles dans les Gazettes Etrangères , pour les
imprimer féparément : il fera nourri de tous les
faits qui pourront intéreffer les Soufcripteurs.
M. MALLET DU PAN , Citoyen de Genève , eft
feul Auteur de toute la partie Politique ; M.
FRAMERY , des Articles du Concert Spirituel , de
l'Opéra , & du Spectacle de MONSIEUR Frère
du ROI ; M. DE CHARNOIS , de la partie des
Comédies Françoife & Italienne .
P. S. Dans la Séance de lundi soir ,
L'Assemblée nationale a aboli toutes les
Dimes Ecclésiastiques , lesquelles no
nobstant seront perçues jusqu'à leur rem
placement.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 AO U T 1789.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION
Pour le Portrait de ROUSSEAU le Lyrique.
EXEMPLE douloureux de gloire & de difgrace ,
Combien il dut jouir , & combien il fouffrit !
Il régnoit fur notre Parnaſſe ,
Et loin de nou mourut profcrit.
( Par M. D*** T*****. ).
Nº.34. 22 Août 1789.
E
98
MERCURE
COUPLET S
A Mile. VARESCOT , fur l'Air : Philis
demande fon Portrait.
Į RRIS , l'Amour fe plaint de vous ,
Je dois vous en inftruire :
Lorfqu'il rendit vos yeux fi doux ,
C'étoit pour tout féduire ;
Mais vous aimez fidèlement ,
Malgré ce Dieu volage ,
Vous donnez tout au fentiment ,
Sans confulter l'uſage.
Nos Belles favent mieux jouir
D'une heureuſe jeuneſſe :
Leur idole , c'eft le plaifir ;
La vôtre eft la tendreffe.
Vous ne voulez qu'un coeur conftant ,
Quel ennuyeux partage !
C'eft le charme du fentiment ,
Mais il n'eft plus d'uſage.
Nos Belles trouvent le bonheur
Au Temple de la Mode :
Un ton fimple , un air de candeur ,
Vous paroît plus commode ;
DE FRANCE. 99
Changer de parure & d'Amant ,
N'a point votre fuffrage :
C'eft trop donner au fentiment ,
Il faut fuivre l'ufage .
Nos Belles parlent joliment
De la Philofophie :
Un Profeffeur d'appartement
L'a bientôt définie .
Près de vous un jeune Savant
N'obtient nul avantage ;
Votre esprit a du jugement ,
C'eft trop bleffer l'ufage.
IRIS , enfin corrigez- vous
De tout ce que je blâme :
Dans vos traits comme dans vos goûts ,
Laiffez moins voir votre ame ;
C'eft nous critiquer fortement ,
Tâchez d'être moins fage ;
Voulez-vous voir le fentiment
Triompher de l'ufage .
( Par Mme. de Montenclos . )
E &
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent .
LEmot
E mot de la Charade eft Troupeau ; celui
de l'Enigme eft Fougère ; celui du Logogriphe
eft Miel , où l'on trouve Lime.
CHARADE.
CHACUN reçoit fa nourriture
De mon premier ;
L'imitateur de la Nature
Eft mon dernier ;
O Laboureurs , plus vos champs font fuperbes ,
Plus vous devez facrifier de gerbes
Qu'on exige pour mon entier.
( Par M. N. D. de Neuville aux
Loges , près Orléans. )
ÉNIGM E.
LECTEUR , je m'annonce avec bruit ,
Et fans jamais caufer d'alarmes ;
Pourtant l'effet qui me produit
Fait bien fouvent verfer des larmes.
I
DE FRANCE
.
Je me répète quelquefois ,
Mais toujours dé.ourvu de grazes L
Et le plus fédu fant minois
Fait par moi d'horribles grimaces.
Je fais goûter qu Ique plaifir ;'
Un rien comine tui me fait naître
Et l'inftant qui me donne l'être ,
Tout auffi -tôt me voit mourir .
Mais il eft temps que je finiffe ;;
Mon récit t'a rendu rêveur .
Courage , allons , mon cher Lecteur !!
Bon... t'y voilà ... Dieu te béniffe.
( Par M. de Beauchefpe , Off. de M. )}
JE t
LOGOGRIPHE
..
E t'offre , ami Ledeur , un léger vête:nentr
Que l'ufage rend néceffaire ::
Mon nom n'a que trois pieds ; mais le plus étonnant,
Lecteur , c'est qu'en les retournant,,
De Plante que j'étois , je devienne Rivière..
( Par M. Pillet, Lyonnois… )
E
102 MERCURE
14
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LA Jurifprudence du Parlement de Bordeaux
, avec un Recueil de Queftions
agitées en cette Cour , & les Arrêts qui
les ont décidées par M. SALVIAT, Confeiller
au Prefidial de Brive , Secrétaire
perpétuel de la Société d'Agriculture de
la même Ville , & Membre honoraire de
l'Académie d'Arras. Vol. in 4° . A
Paris, chez Buiffon , Libraire , Hôtel de
Coëtlofquet , rue Haute-feuille , N. 20,
Prix , 10 liv. br. , 12 liv, rel. , & 11 liv,
franc de portpar la Pofié.
C
·
HAQUE Parlement a une Jurifprudence
qui lui eft propre fur plufieurs objets. C'eft
l'effet de la diverfité d'opinions naturelle &
chaque individu , à chaque famille , à chaque
Compagnie qui ne fait plus alors qu'un
feul individu , quant à la façon de penfer.
On aura beau multiplier les Loix & les Ordonnances
, il eft impoffible qu'elles prévoient
tout , & même les cas prévus feront
toujours interprétés d'une manière différente
par les Tribunaux . Il feroit donc à fouhaiter
DE FRANCE. 1031
qu'il fe trouvât dans le reffort de tous les
Parlemens quelque Jurifconfulte auti zélé
& auffi éclairé que M. Salviat , pour publier,
leur Jurifprudence particulière. Ce recueil
formeroit un code précieux de Légiſlation
Nationale . M. Salviat a imaginé le premier
d'ouvrir une carriè e que perfonne avant
lui n'avoit découverte , ou au moins n'avoit
parcourue . Il fournir un exemple bon
à imiter. On a affez de Collections d'Arrêts
; mais des Arrêts prefque toujours
ifolés n'établiffent pas une Jurifprudence
fixe.
Si M. Salviat a le mérite de l'invention ,
il a auffi celui de l'exécurion. Son Ouvrage
eft écrit avec méthode & clarté . Il évitera s
beaucoup de peine & de travail aux jeunes
gens qui fe deftinent au Barrean ; il fera
d'un grand fecours aux Juges &: Avocats
les plus inftruits & les plus confonimés &
doit occuper un des premiers rays dans
leur bibliothèque. Il et d'ailleurs is à la
portée de tout le monde , même des purfonnes
qui ne s'attachent pas à l'étude des
Loix.
Son utilité n'eft pas refferrée dans les limites
du Parlement de Bordeaux. Elle eft
univerfeile pour tout le royaume , en ce
que l'Auteur commence par expofer les
principes généraux fur chaque matière
avant de rapporter les ufages de cette Cour ,
ce qui facilite par-tout l'inftruction : mais
fur tout par le recueil d'Arrêts qui termine
E 4
104 MERCURE
le volume , où on trouve des questions intéreffantes
, difcutées avec beaucoup de lagacité
& de jugement.
L'Auteur ne fe montre pas feulement
Magiftrat favant , mais encore Citoyen
vertueux. Il fe récrie contre la multiplicité
des vices dont notre Légiarion criminelle
eft infectée ; contre la permiflion accordée
à un Juge de prononcer feul des décrets de
prile de corps , & de difpofer feul de la
libe té d'un accufé ; contre la confifcation,
do il rapporte en abrégé l'origine . Il fé
licite les habitans du reffort du Parlement
de Bordeaux , de n'être pas affujettis à cette
barbarie qui punir l'innocent & non le
coupable. » Ce n'eft pas le malheureux
qu'on a mis àmort, qui fouffre de la perte
de fes biens ce font les enfans inno-
» cens ". Ses réclamations paroiffent dans
un temps favorable , cù le Gouvernement
eft difpofé à les écouter.
ود
"3
Il fe récrie auffi contre plufieurs , défauts
de nos Loix Civiles ; contre l'abus d'autorité
que font fouvent les Officiers de Pos
lice , en emprifonnant des gens domiciliés ,
fous le frivole prétexte qu'ils leur ont man.
qué de refpect ; " contre cette Loi ridicule
13
qu'on appelle ban de vendanges , " &
fur-tout contre les Juftices Seigneuriales . Il
défire qu'elles foient fupprimées , & qu'on
prohibe les revendications. Il doit être flatté
de voir ces voeux là cxaucés.
DE FRANCE.. 105
Parmi les queftions , nous allons en extraire
une qui pourra paroître curieufe à
nos Lecteurs. Les Juifs mineurs peuvent- ils
fe marier en France fans le confentement de
leurs parens?
Abraham Robbes , mineur de 16 ou 18
ans , fur fiancé avec Sara Rodrigues Janic..
La cérémonie fe fit dans la maifon de ladive
Sara , en préfence de fa mère , de fes:
frères & foeurs , & de trois témoins étrangers
.Mole Rodrigues , fère de la fiancée , fit:
la fonction de Rabbin , & donna les béné--
dictions d'ufage parmi les Juifs . Le mariagefut
enfuite célébré . Sur la plaine portée:
à la Nation Hébraïque par Molle Robbes
père d'Abraham , toutes les Parties , mêmes:
le Rabbin & les témoins , furent cités à la
Synagogue , & excommuniés ; mais l'excommunication
ft bientôt levée , & Sara
Rodrigues fut adin fa aux bains réfervés
aux femmes 1'gi imes.
Moile , mécontent d jugement de fa
Nation , fe pourvur en Joftice. Abraham
Robbes , la veu e Rodrigues & fa file fou--
tenoient que les Ordonnances de nos Rois ,
gai prohibent les mariages des enfans fans
le confentement de leur père , ne regardient
pas les Juifs . La Loi de Moïle &
lears ufages font la fe le règle qu'on puiffe
confulter für la validité de leurs mariages.
Les Juifs , par un ordre particulier de la
Providence , difperfés dins tous les endroits
de l'Univers , ont confervé au milicu des
106 MERCURE
Nations la Religion & les Coutumes , de
leus pères . Par tout où la main de Dieu
les a conduits , on voit un peuple qui ne
s'alfocie avec aucun autre , qui n'adopte
aucunes moeurs , qui vit dans les maximes
& dans les pratiques propres . Chez les anciens
Romains .... dans la Rome moderne
au centre de la Catholicité , dans la France,
dans tous les lieux & tous les temps , on
trouve les Juifs régis par la Loi de Molle ,
& féparés de moeurs & de police comme
de créance , d'avec le refte du genre humain.
Il faut donc examiner cette Loi, Con
tient- elle quelque difpofition qui faffe du
concours des pères une condition néceffaire
du mariage des enfans : Non ; au contraire ,
on trouve des exemples d'enfans mariés
fans le confentement des parens . Tel eft
celui de Tobie marié par- l'Ange fon con
ducteur , & fait à l'infçu de fon père : tel
eft celui de Samfon , qui , fans égard pour
les remontrances de fes parens , fur le ma
ringe qu'il vouloir contracter avec une Philiftine
, leur répondit qu'il la vouloit , parce
qu'elle lui avoit plu , & l'époufa. Les ufages
ne font pas plus févères que la Loi . Tout
Juif et majeur à quatorze ans , & peut fi bien
fe marier , qu'il eft fans exemple qu'aucun
père air figné l'a Kerouba , qui eft parmi eux
face irrévocable qui les lie l'un à l'autre.
Moite Robbes répondoit que les Ordonnances
de nos Rois fur les mariages lioicnt
DE FRANCE. 107
tous leurs fujets , de quelque Religion qu'ils
fuffent ; le confentement des parens au mariage
de leurs enfans , eft une Loi de Police,
générale pour tous les habitans de Royaume,
fans diftinction de cule. Les Loix des Juifs
& leurs ufages ne font pas moins précis.
Dieu dit dans l'Ancien Teftament : Tu he
donneras pas ta fille aux Gentils , & ne.
prendras pas leur fille pour ton fils . Abraham.
choifit Rebecca pour fon fils , & les parens.
de celle - ci répondirent : Recevez- la de nos
mains. Ifaac défendit à fon fils Jacob de
prendre une fille de la terre de Canaan..
Hémor , père de Sichem , demanda Dina à
Jacob pour fon fils. Efaii ayant époufé une
Cananéenne fans confulter fon père , Dieu
prononça lui-même fa condamnation .
Arrêt du 16 Mars 1744 , qui confirma
le mariage.
NOUVELLE Correfpondance , ou Choix de
Lettres intéreflantes fur divers fujets ,
recueillies en 1789. A Spa ; & fe trouve
à Paris , ch z Buiffon そ , Libr. que Hautefeuille
, N°. Lo.
ON lit avec intérêt les Obfervations qui
peignent les moeurs d'une Nation , lors
même que les formes qu'elles nous retracent
font pailees de mode , où qu'elles
nous font étrangères. Nous en avons unepreuve
incontestable dans le Spectateur
E 6
MERCURE
Anglois , Ouvrage devenu claffique , même
pour la France ; & le tableau des ridicules
qui régnoient à Londres du temps de Steele
& d'Aditfon , nous intérefle encore aujourd'hui.
Ce principe une fois pofé , quel
fuccès ne doit point avoir un Kecueil de
Lettres intéretf.ntes , qui eft le filele miroir
de nos moeurs ? " Celui des travers , com.ne
» l'obferve très judicieu euent l'Aurer
eſt , à la vérité , fi mobile , qu'il change
» à Paris plus d'une fois chique année ;
» mais le ridicule ne s'en fait que mieux
» appercevoir , quand on commence à n'y
» être plus fi accoutumé. Du refle, ce genre
» a la même utilité que la Comédie ".
La plupart des morceaux qui compoſent
ce Recueil , & qui ont été puifés dins
différens Journaux , font d'un ftyle ingé
nieux & léger. Dans d'autres morceaux ,
traités plus férieufement , on trouve des
objets d'utilité , ce qui jerte une agréable
variété dans ces Ecrits. Pour en donner
une idée , nous allons rapporter ici en fon
entier une Lettre d'une jolie Ferme fur
fon vieux Mari. » Monfieur , je n'y tiens
plus , il faut que j'éclate à mon tour.
J'ai beaucoup à me plaindre du fort. -
Pourquoi cela ? Le voici en trois
» mots : Je fuis mariée , je fuis jeune ; on
» me trouve jolie ; mon Mari eft riche ;
» & fr cela continue , il faut n'enterrer
» dans fix mois. Cela vous étonne ? Je vais
m'expliquer mieux ; vous faire l'hiftoire
ور
ور
و د
"
DE FRANCE. 109
" de mon Mari , c'eft vous offrir le tableau
" de mes douleurs .
» Mon Mari eft riche , mais il eft vieux ;
» ce n'eft pas la fon plus grand torr. Etant.
" jeune , il avoit pris une vieille femme ;
& etant vieux , il m'a époulée , moi qui
» n'ai pas enco.e dix fept ans . Voila qui
" peut paroitie plai.ant , & j'en rirois peut-
" ete la première , fi je n'y étois pour
rien ; mais par malheur , je fais les frais
» du dénouemen , & cela gâte l'aventure."
" Sa première femme , dont il avoit épousé
" la fortune , & qui croyoit que fon or
devoit lui tenir lieu de jeunelle & de
99.
beauté, étoit pour lui une compagne auffi
" exigeante qu'importune. Sa jaloufie en fai-
" foit un argus auili ennuyeux qu'incorrup-
" tible. Enfin le bonheur du jeune époux.
" ne commença que le premier jour de
fon veuvage. Il trouvoit les procédés de 30-
la Dame très - ridicules ; il les iegarde
» comme tels encore aujourd'hui . Eh bien !
" Monfieur , la conduite dont il fut la
» victime comme jeure époux , il la tient
» envers moi comme vicux mari . Mon air,
» mes manières , mes habits , mon ftyle
» même tout excite fon huineur , &
» même la jaloufie. I fe plaint tous les
" jours à mes parens de mon indifcrétion
» & de ma légèreté , & mes parens pré-
» tendent qu'il a raifon . Quand je me
" plains de fon humeur , on me di que
je favois bien qu'il étoit vieux en l'é-
و د
[ IQ MERCURE
..
ور
•
ود
ינ
poufant ; & je réponds qu'il favoit fort
bien aufli que j'étois jeune quand il me
prit.
""
Lorfque je confentis à le prendre pour
» époux , malgré fon âge avancé , je favois
hiftoite de fon premier mariage ; lui-
" même me l'avoit racontée plus d'une
fois. Je crus au moins qu'en l'époufant ,
je le trouverois tout corrigé par fa pro-
" pre expérience . Je me figurai qu'il n'a
dopteroit pas des ridicules dont il s'étoit
moqué tant de fois & dont il avoit
» été le martyr. Point du tout ; on diroit
que c'eft une revanche qu'il veut pren-
" dre. Il voudroit toujours me voir louer
le temps paflé , que je n'ai pas connu ,
ور
»
و ر
4
& blâmer le préfent qui me plaît beau-
" coup. I trouve tous nos Acteurs dételtables
, toutes nos Pièces mauvaifes , tous.
99
ود
ور
ود
nos Livres bêtes , nos modes extrava-
" gantes , & fur tout nos jeunes gens ri-.
dicules ; c'eft à -dire qu'il faudroit , felon
lui , n'aller jamais aux Spectacles , ne
plus lire aucuns Romans , renoncer anx
modes , & ne fréquenter que des vicillards.
Vous conviendrez , tout riche qu'il
eft , que c'eft exiger un peu trop ; que
fes procédés font, ufura res , & que c'elt
» vendre trop cher fon argent. Il me dit
à tout moment de prendre un air plus
raffis ; mais que me répondroit-il , M. ,
fi je le priois de devenir, plus jeu.e ?
» Je voudrois qu'on fit quelque bonne.
"
و د
و د
"
DE FRANCE. ΠΙΣ
"
>>
Differtation fur les difproportions d'âge
» entre deux époux , & qu'on prît la peine
de tracer une elpèce de code marital qui
marquât les facrifices que, doit faire le
plus jeune , & l'indulgence qui convient .
» au plus âgé . Vous voyez , Monfieur , que
" malgré la légèreté dint on m'accule , je
" viens d'indiquer une nouvelle branche
» de Légiflation ; j'attends de votre amour
" pour le bien public, tous les efforts nécellaires
pour la réaufer «.
"J
Il parcitra chaque année un Resucil à
peu près tel que celui- ci , on n'y fera jamais
entrer que des Pièces irréprochables ,
pour qu'on puille les mettre dans les mains
des jeunes gens des deux sèxes , ce qui aura
l'avantage de contribuer à les former au
genre épiftolaire , dont l'habitude et le
plus nécellaire dans le cours de la vie .
IK
On prévient dans un Avertiffement mist
en tête de l'Ouvrage , que l´s perfonnes
qui défireront inférer des, Pièces dans les
Recueils fuivans , auront droit à la peconneillance
de l'Auteur , & pourront les
adreffer , francs de port , au Sieur Buiffen ,
Libraire , rue Haute-feuille.
i
2
ΙΟ
TABLEAU du Palais - Royal. 2 Volumes
in- 12. , Prix , 3 liv . br. , & 3 lið .
francs de port par la Pofe , avec deux
Gravures reprefentant l'ancien & le nou112
MERCURE
veau Palais -Royal. A Paris , chez Ma
radan , Libr, rue Saint - Andri- des- Arts.
L'EXACTITUDE de cet Ouvrage n'échap
pera point à ceux qui l'auront lu : le Palais
- Royal y et figuré , tant par les
Planches que par les Difcours , dans une
parfaite reffemblance. Si ce Livre parvient
en province , à des perfonnes qui n'aient
point vu le Palais Royal , elles feront tentées
de croire que cet efpace eft une ville ,
dans laquelle on trouve l'agréable , l'utile ,
le luxe , & le mouvement d'une popula
tion active , induſtrieuſe , galante , & riche.
L'Auteur n'a rien omis , il a tout dit , &
tout repréſenté fous la couleur propre; fans
prétention , fans morgue , il eft tours en
mefure. On trouvera plaifante la compa
raifon des Evènemens d'une jeune Fille entrerenue
, avec les Evènemens d'un jeune
& joli Cheval. Nous allons tranfcrire le
Chapitre XXIX , qui a pour titre les Libraires
ce Chapitre eft de la plus grande
vérité. Les Brochures de ci conftance ;
» dit - il , les Romins nouveaux , les Pamphlets
venimeux de quelques Auteurs
affamés , font les principaux objērs qui
» font le véritable bénéfice des Libraires
da Palais - Royal . Le grand art du Libraire,
» dont la bou i que est fournie d'Ouvrages
»
"
20
fcandaleux & profcrits , eft de lire dans
» les yeux du Libertin , le défir qu'il a
» d'acheter une de ces Brochures. L'homme
DE FRANCE. 113
*
ל כ
fi
s'approche de la boutique avec timidité ,
» n'ofant clairement expliquer ce qu'il dé-
» fire ; il parcourt des yeux toutes les Brochures
qui fe trouvent en éralage , ren-
» contre ceux du Libraire ; ils fe fixent , &
» bientôt ils s'en endent ..... Les plus
plates méchancetés , les diarribes les plus
fanglantes , les Ecrits les plus fcandaleux
circulent par tour , &c. &c. &c. Tous les
Chapitres nous ont paru écris avec la même
vérité , & plufieurs font alfez piquans.
VARIÉTÉS.
FIN DES PENSÉES DIVERSES.
POUR L'ordinaire nous appelons fou celui qui
n'a pas nos opinions , & fauvage celui qui n'a
pas nos meurs.
LES hommes s'occupent plus à foutenir ce
qu'ils croient , qu'à examiner pourquoi ils le
croient.
La vérité n'a qu'un moment brillant en France ,
celui où elle eft devenue mode,
QUAND une erreur & une mode nous quittent,
prefque toujours on peut leur dire , au revoir.
L'HOMME de génie ne fçauroit réfider avec
tous les autres , il les paffe ; l'homme à paradoxe n'y
veut point réfider , il fe jette à l'écart
114 MERCURE
L'ESPRIT de paradoxe eft à l'efprit originat
ce que l'affectation eft à la grace .
LES mêmes effets viennent fouvent de caufes
oppof es ; un homine de beaucoup d'efprit peut
mépfer les conno flances humaines , parce qu'il
voit trop où elles finiflent ; un fot peut les
m prifer aufli , mais parce qu'il ne voit pas feulenient
où elles commencent.
UN homme d'efprit paffe fa vie entre des fots
qui ne peuvent l'entendre , & des´ gens d'efprit
qui ne veulent pas l'écouter .
L'HOMME qui a le plus de force & d'activité
dans l'efprit , cft celui-là même qui fent le mieux
fa fo bielle cette force le poule fans cetle contre
des barrières cu al fe froffe, fi je puis ait fi dire ;
une expérience continuelle & pénible l'avertir de
ce qu'il ne peut pas l'homme ordinaire ne
foupçonne pas même des barrières ; & il·les are ,
parce qu'il n'a jamais cu la force d'aller jufqu'cu
elles font.
,
C'est ains que de plufieurs offeaux renfermés
dans une grande volière l'aigle gémiroit
modeftement de fa prifon , & le ferin pourroit
fe croire libre dans un cfpace immenfe : a
la modcftic prouve le talent ; en même temps
qu'elle le fait pardonner.
DE toutes les économies , la plus rare eft celle
des paroles ; & par une fatalité commune , les
pauvres font prodigues & les riches avares ; plus
d'idées , moins de paroles , & réciproquement.
UN homme qui fe tait peut fe comparer àun
cabinet fermé; perfonne n'oferoit gager qu'il n'y
a pas là une bibliothèque .
QUE d'idées douces & confolantes éveille une
DE FRANCE 115
-
fore ! Voulez- vous méditer ; voilà le recueille- . '
ment & le filence : étes vous perfécuté une
forêt femble un afile : voulez -vousé virer la chaleur
? vous trouverez la fraîcheur & l'embre :
avez-vous befoin de repos ? que de gazons ombragés
par des ferillages ! avez vous fof ? une
foret donne la fraîcheur & promet de l'eau :
avez-vous faim ? parmi tant d'arbres , n'y auroitil
point quelque fruit nourriflant ? Enfin voulezvous
de la fociété ? ne faites point de bruit ; ta fez- .
vous , & dans un moment mille oifeaux vont voltiger
& gazouiller autour de vous.
Un champ couvert de la plus riche moiſſon ,
que vous dit il au contraire ? ure vérité bien dure :
c'eft que tout cela fora le prix de l'argent , parce
qu'il en eft le prodait : & duffiez - vous mourir ›
de fainr, pas un de ces grains- la ne vous concerne;
& puis , que faire des grains de blés ? ilvous
faudroit plus de vingt hommes avec leurs
machines pour faire avec ce grain un aliment
agréable & nourrifiant.
LA fenfibilité & imagination font deux qua-
It's de l'ame qui s'entr'aident merveilleufement
& fe fortifient Tune par Tautre .
La fenfibilité confidérée dans fa canfe n'eft , à
mon avis , que l'habitude de ler toutes ou pref
que toutes les idées à quelque idée de peine ou
de plaifir , ma's Timagination confifte à lier à
chaque de limage complete d'un cu plufieurs
objets.
Analifez attentivement les morceaux de Racine'
cu règne la fenfibilité la plus touchante , & vous
trouverez , li je ne me trompe que chaque idée
entraîne doucement avec elle l'idée de peine ou
de plaifir ; vous fentirez que l'émotion aimable,
caulée par un écrit touchant , confifte dans cette
eſpèce d'ondulation de l'ame , qui , pour ainfi dire ,
116. MERCURE
:
fe balance mollement entre les diverfes craintes
& les diverfes fpérances , entre les idées de peine
& de plaifir efpèse de fituation douce & partant
mobile & qui par là réunit deux chofes
néceffaires à l'ho me , le bien-être , & le changement
ou la variété .
La fenfibilité confidérée dans le moral de
l'homme , dérive très - vra-femblablement de cette
fenfibilité qu'on appelle phyfique , & j'entends parlà
, une difpofition dans les organes qui rend ca
pable de fentir diftinct ment , de la part des objets
extérieurs , des impretions infentibles pour
les autres .
Cette propriété pourroit être regardée comme
une efpèce de mala ke , ou du moins comme un
excès oppofé à celui de la fupité.
Quoi qu'il en foit , ceux que la Nature, a doués
de cette faculté heureuſe ou malheureuſe , ont
un autre univers , une autre mémoire , un autre
tour de penfer , un autre génie que les hommes
indiffrent..
Les perfonnes fenfibles ont un autre univers ,
car notre univers n'eft , après tout , que fam
blage des chofes dont nous prenons poff thon
pour nos lens , & quiconque ades fens nouveaut ,
ou ce qui revient au même , des fens plus éteodus,
parce qu'ils font plus mobils , plus irritables ,
&tend fon univers , comme l'aveugle de Cherelden
étendit le fien en dépouillant fa cataracte .
Les perfonnes fenfibles ont auffi une mémoire
différente ; le phénomène de la mémoire n'eft que
celui de la liaifon des idées , & les homines indifférens
ne lient leurs idées que par des circonftances
de temps , de licu , de figure , de couleur
, & autres idées abftra tes qui ne les affectent
point ou ne les affectent que peu : au lieu que
les perfonnes fenfibles enchainent étroitement leurs
idées par celles de plaifir ou de peine ; & cos
DE FRANCE. 117
idées ne font point , dans leurs têtes , des idées .
abitraites , clles rappellent toujours avec elles l'idée
totale & réelle de Tobjet qui les a caulées.
J'ai dit que les perfonnes fenfibles avoient un
tour particulier de penfer & de parler en effet ,
elles ne jugent guère les objets que dans les
rapports qui font entre eux & elles , tandis que
les hommes indifférens s'appliquent à confidérer
les rapports que ces objets ont fimplement entre
eux; & ces hommes fent précisément ceux qui
deviennent ou qu'on appelle Savans.
Aufli les perfonnes fenfibles ne parlent - elles
d'ordinaire qu'avec l'émotion du plaifir ou de la
peine ; c'eft ce qui rend la fenfibilité fi perfuafive
& fi éloquente pour tous ceux qui font lenfibles
eux-mêmes un Ecrivain tel que Racine , Fénélon
, Rouffeau , doués d'une exquife fenfibilité ,
peuvent fe comparer à des cordes dont les on-
-dulations très- vives fent réfcnner & onduler vi
vement auteur d'eux toutes les cordes qui leur
fort harmoniques.
Mais fi les perfonnes fenfibles font éloquentes
pour ceux qui leur reffemblent à quelque degré
elles paroiflent ben himériques à tous les autres
qui- ne leur reflemblent point . Ceux-ci s'étonnent
& fe moquent de tous ces mouvemens dont il
ne peuvent faifir la caufe , puifqu'elle est vraiſemblablement
dans la différence de leurs plus intimes
organes.
Enfin , pour exprimer le caractère de la fenfbilité,
de l'imagination & de la raifen, ne pourroiton
pas dire que l'objet de la fenubilité s'étend
depuis l'agréable jufqu'au délicieux , que celui de
l'imagination embraffe le nouveau & le merveilleux
& que l'objet de la raifen commence au
wraisemblable & fe termine à l'évidence ?
Je fuppofe qu'en mentre une belle main , dont
le corps et voilé , à trois Peintres , dont le
pre718
MERCURE
:
mier a l'ame fentible le fecond cft doué d'une
imagination vive , & le troisième n'a qu'une raifon
froide , je préfume que le Peintie aifonnable
deffinera très - exactement la main , & la
mettia dans fon porte - feuille pour l'employer au
befoin l'homme d'imagination ajoutera a cette
belle main le plus beau corps qu'il pourra fe figurer
, & le Peintre fenfible , deflinant la femme
qu'il a le plus aimée , l'unira à cette main que
fa fenfibilité y attache par un invincible lien .
Dans les Ouvrages d'un homme fenfible ,
trouve fouvent plus d'intérêt de nouveauté ;
que
mais dans ceux d'un homme doué d'une belle
imagination , on peut trouver plus de nouveauté
que d'intérêt ; car une nouvelle combinaifon d'ob
jets qu'on appele image , vous amufc fouvent !
comme nouvelle , fáns vous intéreffer comme utile
à votre bonheur.
оп
Ceci me ramène à ce que j'ai dit , que l'imagination
& la fenfibilité s'entr'aident merveilleufement
& fe fortifient l'une par l'autre ; il eft
aifé de concevoir cemment cette fenfibil té , fen
nous attachant plus vivement à nos idées , nous,
donne par- là plus de temps & de force pour les
combiner en images : d'un autre côté, l'imagination
qui raffemble ces objets & les réduit en' tableaux ,
excite fouvent , par cet aflemblage , des émotions
que chaque objet féparé n'eût point caufées ; ainfi
il est très-vrai de dire que la fenfibilité s'accroît
par l'imagination , comme l'imagination par la
fenfibilité ; plus on fent , plus on imagine , & ré
ciproquement, plus on imagine , & plus on fent :
mais ou conduifent enfin ces deux facultés enivrantes
? quelquefois à la gloire, & plus fouvent
au malheur.
( Par M. le Marg , de C*** , d'Avignon .)
DE FRANCE
ANNONCES ET NOTICES.
MÉTHODE pour traiter toutes les Maladies ,
très-utile aux jeunes Médecins , aux Chirurgiens ,
& aux gens charitables qui exercent la Médecine
dans les campagnes ; dédiée au ROI , par M. Vachier
, Ecuyer , Docteur-Régent de la Faculté de
Médecine , &c . Tomes VIIIe , IXe , Xe . & XIe.
In- 12 . A Paris , chez Méquignon l'aîné , Libr.
rue des Cordeliers ; & Croullebois , rue des Mathurins.
>
Mémoires d'Agriculture , d'Economie rurale &
domeftique , publiés par la Société Royale d'Agriculture
de Paris . Année 1788. 2 Vol. in- 8 ° . ;
Trimestre d'Hiver & Trimeftre de Printemps. A
Paris , chez Cuchet , Libr. rue & hôtel Serpente .
La Guirlande de Julie , offerte à Mademoiſelle
de Rambouillet , Julie-Lucine ' d'Angènes ; par M.
le Marquis de Montaufier ; in- 8 . de 82 pages.
Prix , 6 liv. De l'Imprimerie de MONSIEUR . A.
Paris , chez Didot le jeune , Libr. quai des Auguftins,
Cette Guirlande eft un Ouvrage très - célèbre ;
& l'Edition que nous annonçons mérite beaucoup
d'éloges ; elle n'a été tirée qu'à 150 Exemplaires .
Hiftoire critique & apologétique de l'Ordre des
Chevaliers du Temple de Jérufalem, dits Templiers; ·
120 MERCURE DE FRANCE.
par feu le R. P. M. J... , Chanoine Régulier de
l'Ordre de Prémontré , Docteur en 1héo ogie ,
Prieur de l'Abb ye d'Etival. 2 Volum. ir-4º. A
Paris , chez Guillot , Lib. rue des Bernardins , la
première porte cochère en face de St - Nicolas da
Chardonner.
L'Efprit des Impôts & de leur Régime , par F. L.
Chaubray de la Roche ; in- 8 ° . A Londres : & fe
trouve à Paris , chez Pichard , Libr . quai des Théz
tins ; Defenue , au Palais-Royal ; & Méquignon ,
au Palais.
Nos. 3 à 7 du Journal de Clavecin , par les meil
leurs Maîtres. Séparément , 3 liv. Abonnement,
15 liv. pour 12 Numéros.
30
Numéres 17 à du Journal de Harpe , p
les meilleurs Maitres.
Nos. 27 à 40 du Journal Hebdomadaire , com
polés de différens Airs, avec accompagnement de
Clavecin , par les me lleurs Maîtres . Il paroît un
Numéro de chacun de ces deux Journaux tous les
Dimanches . Prix féparément , 12 f. Aboan. 154.
A Paris , chez Le Duc au Magafin de Mulique &
d'Inftrumens , rue du Roule , Ѱ. 6.
TABLE
INSCRIPTI NSCRIPTION.
Compress
27 Nouvelle. 107
98 Tableau. 111
Cavalet ig.& Lozog
La Jurisprudence
100 Mariétés.
13
192 Annonces & Notices. 119
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
Be Stockholm , le 1er . août 1789. I
DE jour en jour , les évènemens de la
campagne augmentent d'intérêt , et répondent
à nos espérances. La semaine
dernière , un courrier de Finlande a apporté
à la Reine et au Prince Royal ,
des nouvelles importantes. La supério
rité de nos armes s'affermit par de nouveaux
avantages. Après une longue et
vive canonnade , le Lieutenant - général
de Meyerfeld s'est rendu maître du poste
important de Hogfors dans la Finlande
Russe , et au bout de douze heures , a
forcé les défilés de Pyttis , Kuppis , Broby
et Sartola . Le Roi s'est trouvé à l'attaque
de Hogfors , et a lui-même poursuivi l'ennèmi
, qui a brûlé ses ponts de retraite ,
après nous avoir laissé un Officier et dix
N°. 34. 22 Août 1789.
1
( 242 )
Soldats prisonniers. La flottille de Swea
-borg couvre le flanc droit de notre armée
, et l'avant - garde a investi Fridéricsham
lagarnison de cette place manque
de vivres , et n'a pas fait de sortie ,
comme on l'avoit débité .
A l'aide du renfort qu'il a reçu , le
Colonel Steding a chassé devant lui le
Général Russe Michelson , et pénétré
de nouveau dans le Savolax : les trois
premières actions qu'il a soutenues , lui
ont coûté cinq cents hommes , morts ou
blessés.
On savoit que notre grande flotte étoit
en présence de celle des Russes , à la
hauteur de Bornholm : l'attente d'une
bataille s'est réalisée , et hier on a appris
, par divers bâtimens , qu'elle avoit
eu lieu dimanche 26 , entre les isles de
Bornholm et de Gothland . L'engagement,
aussi long que sanglant , a duré depuis 2
heures jusqu'à 9 de l'après- midi . La flotte
Russe , au rapport unanime des Patrons ,
faisoit voile à l'Est , et la nôtre étoit à
sa poursuite . D'un instant à l'autre , on
attend les détails de cette action .
POLOGNE.
De Varsovie , le 27 juillet.
Quoique l'Archevêque de Carthage ,
Nonce du Pape , ait adressé aux Etats
une Représentation sur la réduction des
( 243 )
revenus de l'Evêché de Cracovie , cette
mesure a été consommée dans la Séance
du 24 ; et , conformément au premier
projet , l'excédent de cent mille florins
dans ce revenu épiscopal , qui étoit de
700,000 , est consacré à l'entretien de
l'armée . Par un Décret subséquent du
24 , la Diète a fixé à cent mille florins
les revenus de chaque Evêché , ce qui ,
à l'avenir , améliorera le sort de la pluralité
des Evêques ; mais les Etats , sachant
allier la justice avec l'utilité publique
, ont fixé l'exécution de cette Loi,
seulement après le décès des Possesseurs
actuels . *
Une autre résolution encore plus importante
a distingué la Séance de vendredi
dernier. Sur la proposition faite
antérieurement par M. Matuszewicz ,
Nonce de Brzesc , la Diète a été rendue
permanente , et le Roi ne pourra la proroger
qu'avec le consentement unanime
des Etats , demandé par leur Maréchal.
Les Lettres d'Ukraine , du 15 de ce
mois ont confirmé l'apparition d'une
flotte Turque de seize vaisseaux de ligne
et de quinze frégates dans les eaux d'Õczakof.
Derrière la ligne de ces vaisseaux ,
Occupant une étendue de trois quarts
de lieue , se trouvent d'autres bâtimens
de moindre grandeur. Le Vice- Amiral
Russe , qui commande dans ces parages
sept vaisseaux de ligne et quelques
petits bâtimens , avoit fait ses disposi-
1 ij
( 244 )
tions pour recevoir l'ennemi , qui ,
sans doute , va tenter le siége d'Oczakor.
Une bataille navale décisive peut ac
juger à l'un ou à l'autre des combattans
la souveraineté de la mer Noire
pour cette année.
Nous avons été inondés ici , comme
le reste de l'Europe , de relations fictives
sur des victoires Russes à Galacz , à
Bender , etc. etc. Ces rapports méritent
peu de créance ; nous opposerons à toutes
ces victoires de Gazettes , la lettre suivante
, très-authentique , écrite de Podolie
, le 13 de ce mois , par une personne
éminente.
K
44
« Vous avez lu sans doute la relation que
la Cour de Pétersbourg a donnée de l'af-
« faire de Galacz , relation dans laquelle
<«< les Russes disent avoir tué 6co Turcs ;
« mais vous ignorez peut-être ce qui s'est
passé à cette occasion , et que l'on a eu
soin de tenir secret jusqu'à ce moment :
« voici le fait. Les Russes proposèrent une
<< armistice ; on avoit déja arrêté de part
« et d'autre la cessation des hostilités , lorsque
« le Commandant Russe fit inviter le Séras-
» , kier qui commandoit à Galacz , à venir au
« camp Russe pour conclure plus promptement
« les articles . Le Séraskier ne balança pas , A
4 peine fut- il entré avec sa suite , qu'on le retint
prisonnier ; ses gens eurent le même sort ,
« et ceux qui osèrent se défendre furent
«c massacrés. Un Corps Turc qui étoit dans
« le voisinage , ayant été informé de cetic
trahison , fondit sur les Russes , en tua
a plus de 2500 , au nombre desquels se trouve
" .
( 245 )
a le Général Wozmitelow , et fit prisonniers
« 3 bataillons de Chasseurs , 4 Compagnies de
« Grenadiers du régiment Duschkon , et 3
« Compagnies du régiment Mila zowicz . Vous
“ pouvez compter sur la vérité de ces détails.
Le Séraskier , prisonnier , a été envoyé
« à la grande armée ; il reçoit deux roubles par
jour. J'apprends dans ce moment que les
a Russes qui s'approchoient de Bender, ont été
« repoussés , et leur armée est en assez mauvais
« état. On parle d'une révolte des Paysans
Russes dans le Gouvernement de Kiovie; mais
je n'ose rien avancer de positif là-dessus . »
"(
"
ALLEMAGNE.
De Vienne , le 3 Août .
La santé de l'Empereur se fortifie de
jur en jour. Un léger accès de fièvre ,
le 22 juillet , àla suite d'une promenade
par un temps humide , est le seul que
Sa Majesté ait ressenti depuis un mois :
quoique nous avons eu des jours froids
la semaine dernière , S. M. I. les a supportés
sans le moindre retour de fièvre ,
de toux , ou de douleurs. Les Médecins
ont été renvoyés , et l'un deux , le célèbre
Baron de Storck a reçu un présent de
600 souverains d'or. 'Comme l'on prépare
ici les appartemens du Château
Impérial et de l'Augarten , il est apparent
que l'Empereur reviendra ici incessamment
.
Depuis la prise de Berbir , nous n'avons
reçu aucun avis important de nos
Tiij
( 246 )
différens Corps d'armées : celui de Transylvanie
reste sur la défensive ; M. le Maréchal
de Haddick , toujours convales
cent , n'a pas encore fait de mouvement,
et ceux du Maréchal de Laudhon présagent
un changement d'opérations. Le
bruit général , il y a quelques jours , annonçoit
le projet du siége de Belgrade ;
des transports d'Artillerie de différentes
places de Hongrie à Semlin , et quelques
dispositions du Corps d'Esclavonie accréditoient
cette supposition . Cependant ,
celle du départ de M. de Laudhon pour
Semin ne s'est pas encore réalisée , et
notre paix particulière pourra être faite
avant qu'on ait acquis la certitude du
projet de Belgrade . Il est sûr que les
négociations ont repris leur activité , et
que les termes de rapprochement sont
moins éloignés qu'ils ne l'étoient il y
a deux mois.
Ce changement n'est pas l'effet, comme
on pourroit le présumer , de celui survenu
dans le Ministère de Constantinople.
C'est le premier de Juin que Sa
Hautesse expédia au Grand- Visir Jous- 2
suf-Pacha , le Hatti-Chérif de sa révocation
. Il a remis le Commandément de
la grande Armée au Pacha de Widdin
qui le remplace dans le Visirat. Ce Pacha
est un Officier intelligent et brave ; il
se distingua dans la guerre dernière , et
on lui doit le projet de l'invasion du Ban
nat , pendant la campagne précédente .
( 247 )
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 11 août,
Le Parlement s'est borné , la semaine
dernière , à ratifier le Bill pour la nouvelle
Régie du Tabac , et celui de l'Emprunt
demandé par la Compagnie des
Indes. Malgré les observations du Lord
Chancelier , admises d'abord dans la
Chambre Haute , le premier de ces deux
Actesa passé sans amendement. Le même
Ministre a fait retrancher du second , la
clause qui permettoit de placer les fonds
des mineurs dans l'Emprunt de la Com
pagnie des Indes.
En général , peu de Sessions ont été
moins intéressantes par le genre des objets
qu'on y a traités. Les efforts de l'opposition
et de l'éloquence s'étoient épuisés
sur l'affaire de la Régence : les deux
partis se sont donnés , depuis , quelque
repos , et l'on ne s'est attaché à aucune
grande discussion . Celle qu'annonçoit
le projet d'abolir la Traite des Nègres ,
a été amortie , peut- être à jamais , par
l'instruction testimoniale dont nous avons
rendu compte plus de 20 Séances ont
été consacrées à recevoir ces dépositions ,
et une fois reçues , ceux qui avoient désiré
le plus vivement une prompte décision
, ont été les premiers à désirer qu'on
Tiv
( 248 )
la différât. L'enthousiasme s'est éteint ;
mais il peut se ranimer , quoique la grande
information ait donné de puissantes ames
aux intérêts privés. Comme l'intérêt
public n'est , en dernière analyse , que le
résumé de ces intérêts privés , les Représentans
de la Nation ne se croirontpas
en pouvoir de disposer des fortunes
, et des établissemens de leurs
Commettans.
Quelques personnes attribuent le refroidissement
des Communes , sur cette
question si digne de l'éloquence , aux dispositions
manifestées par quelques Colonies
Etrangères , menacées encore plus
que les nôtres , non-seulement de l'abolition
de la Traite , mais encore de l'affranchissement
des Nègres . Cette révolution
, disent les mêmes Politiques , en
amèneroit bientôt une seconde , sur laquelle
il nous importe d'avoir les yeux
ouverts.
La Famille Royale séjourne encore à
Weymouth , ou plutôt sur la Manche :
le 6 , pendant qu'Elle observoit les évo◄
Tutions du Magnificent de 74 can . et
du Southampton de 32 , à bord de cette
frégate , un bâtiment Américain s'approcha
, sans baisser les voiles supérieures
devant le Pavillon Royal. Le Magnificent
le ramena à l'étiquette par un boulet
de 18 l. b. Jeudi , LL. MM . se rendent
à Exeter , où Elles passeront huit
jours au milieu des fêtes : d'Exeter on ira
( 249 )
à Plymouth , puis dans le Comté de Cornouailles
, d'où les Augustes Voyageurs
reviendront à Windsor à la fin de septembre.
Le Roi n'a pas le moindre reste
de foiblesse , et jouit d'une santé parfaite.
Samedi dernier , la plupart des Minis
tres s'étant rendus à Weymouth , on tint
Conseil en présence du Roi . Quant à
l'Escadre sortie de Portsmouth sous les
ordres du Commodore Goodall , elle a
fait voile à l'ouest , et a dépassé Torbay .
L'on ne pénètre pas encore sa destination .
Les Commissaires pour la réduction de
la dette nationale , ont terminé , le 31 du
mois dernier , le rachat de la troisième
année d'amortissement . Le rachat total ,
à ce jour , est de quatre millions et
demi sterling , principalement dans les
trois pour cent consolidés. Pendant l'année
qui s'ouvre , ils comptent racheter
près de deux millions sterling de plus ;
accroissement qui résulte de l'accumulation
des intérêts des fonds déja rachetés ,
et de l'extinction des annuités qu'on réunit
au million annuel d'amortissement.
Parmi les risibles amphigouris , et les
commentaires de nos Papiers publics
sur la situation actuelle de la France
il se trouve des paragraphes judicieux ,
et qui caractérisent un peuple exercé
à la liberté. Nous rapporterons quelquefois
certains de ces articles ; quelquesuns
ne sont pas sans utilité . Il n'y a
qu'une voix sur celle de la révolution
I v
( 250 )
politique de la France , qui peut rapprocher
les deux Peuples par une plus
grande conformité de Gouvernement.
On a ri de lire dans quelques imprimésou
Papiers publics du Continent , que nous
- avions arboré la Cocarde , démolila Tour
de Londres , cassé notre Chambre Haute ,
et livré M. de Calonne à ses compatriotes
. Ce n'est pas là le caractère national
, trop égoïste et trop réfléchi ,
pour se livrer à un pareil enthousiasme.
Quant aux Anglois qui enleveroient un
Etranger de cette terre hospitalière , ils
s'en banniroient eux-mêmes pour jamais ,
car personne ici n'a le droit d'exercer
la justice pour autrui ; et l'autorité publique
ne laisseroit pas impunie une
pareille atteinte à la liberté et aux
lois nationales.
Le numéraire n'a jamais été aussi
abondant qu'il l'est aujourd'hui : on peut
emprunter telle somme que ce soit à
quatre pour cent , et il a été prêté de
l'argent à trois et trois et demi pour cent.
On compte que la Banque se déterminera
dans peu à escompter les Billets à quatre
pour cent. Ce sera le préliminaire de
la réduction de l'intérêt légal au même
taux. Les Fonds ont haussé progressivement
depuis un mois. Les actions
de la Banque sont à 186 , et les trois
pour cent consolidés à 79 et demi.
Ces derniers étoient à 56 , lorsque M.
Pitt rentra dans le Ministère. La nouvelle
Tontine gagne trois pour cent.
-
( 251 )
Mathieu Tait , âgé de 120 ans , existe actuellement
dans le village d'Aughton- hake dans
Ayrshire en Ecosse. Il est enrôlé dans l'armée
depuis 104 ans , et il jouit d'une bonne santé .
Il a loué depuis peu une pièce de terre sur laquelle
il se propose de construire une maison ,
pour fixer sa résidence pendant le reste de sa
vie.
P. S. Le Duc de Dorset est arrivé ici hier , et
a été en conférence avec le Duc de Leeds ,
Ministre des Affaires Etrangères.
PAYS- BA S.
De Bruxelles , le 18 août 1789.
Les émeutes de Tirlemont et Louvain
n'ont pas eu de suites : des détachemens
de troupes ont mis fin au pillage , et
jusqu'ici la sévère Ordonnance du Gouvernement
n'a pas éprouvé de contradiction
active .
Il n'est pas certain que M. le Maréchal
de Broglie ait quitté Luxembourg pour
passer à Francfort ; ce qui l'est , c'est
que de Verdun il a été constamment sous
l'escorte du Régiment Suisse de Castella ,
et d'un détachement des Hussards de Lausun
après s'être reposé à Etain , M.
de Broglie se rendit à Arlon , où il trouva
le Gouverneur de Luxembourg qui l'attendoit
à la tête d'un Régiment Impérial ,
et qui le conduisit à Luxembourg avec
tous les honneurs militaires.
Nos avis de Vienne , en date du 3 ,
annoncent la prolongation d'armistice ,
1 vj
( 252 )
entre le Maréchal de Haddick et le Pa-.
cha de Belgrade . Cette trève locale , pa
roit même sur le point de devenir générale.
Le Maréchal de Laudhon ne
quittera point la Bosnie ; les Régimens
qui s'étoient mis en marehe , de Hermanstadt
, ont repris leur première station ;
toutes les dispositions paroissent contremandées
, même du côté des Ottomans
, qui portent leurs principales forces
contre les Russes.
FRANCE.
De Versailles , le 21 août.
ASSEMBLÉE NATIONALE.
La forme de l'Emprunt de 30 millions
fut réglée , ainsi que nous l'annonçames
la semaine dernière , le Dimanche 9. de
ce mois. On a cru devoir modifier le .
projet de M. Necker , en particulier , sur
l'intérêt nous devons un sommaire de
cette Séance , susceptible d'être extraite
en fort peu d'espace.
M. le Duc de Liancourt adhéra le premier
au - projet du Gouvernement , en rejetant l'idée
d'hypothéquer les Biens Ecclésiastiques ,
et celle d'une retenue quelconque sur l'intérêt
de l'Emprunt , intérêt dont il valoit
mieux fixer le taux plus has.
Après lui , M. Péthion de Villeneuve remarqua
que c'étoit à l'Assemblée , et non
au Roi , à décréter l'Emprunt. Son emploi
( 253 )
devoit être surveillé par une Commission de
dix Députés , dont deux au moins signeroient
les Dépenses . Quant à l'intérêt , on ne pou
voit le fixer à cinq pour cent , sans retenue.
Fait sous la solidarité des Membres de l'Assemblée
, cet Emprunt eût pris un grand et
noble caractère.
M. d'André s'opposa également à l'intérêt
de cinq pour cent sans retenue , ainsi qu'à
la conversion des quittances en contrats , qui
favoriseroit l'agioiage. Quant à l'emploi ,
ajouta-t il , pourquoi sommes nous chargés
d'une dépense de cent mille livres de rente viagère
par mois , payables à un Prince du
Sang ? Pourquoi deux cent mille livres par
mois à la Ville de Paris , pour la clôture
odieuse de Paris ; et cent mille livres pour
le nouveau Pont de Louis XVI ? Il étoit donc
nécessaire de joindre au Décret une clause
qui réduise les dépenses à celles qui concernent
la dette de l'Etat , les Départemens , et
la Maison du Roi , sous l'inspection du Comité
, proposé par le Préopinant.
M. de Landine est revenu à l'idée d'hypothéquer
l'Emprunt sur les biens du Clergé.
Trente millions portent 15 cent mille livres
d'intérêt; ajoutez cinq cent mille livres pour
un amortissement graduel ; puis , versez le
produit des Annates , des grands bénéfices ,
des pensions inutiles , dans le Trésor public,
vous aurez bientôt payé votre Emprunt ,
surcharger la Nation.
sans
A ces mots , M. l'Archevêque d'Aix applaudissant
à cette idée , a proposé que le Clergé
se retirât pour en délibérer. Un Curé s'est opposé
à toute retraite ; les opinions se choquoient
sans s'éclairer ( ce qui arrive presque
toujours ) , lorsque M. Mounier a pris la pa(
254 )
3 role. « On ne doit , a - t- il dit , promettre
qu'un intérêt légal , mais il importe d'achever la
Constitution , avant de s'occuper des moyens
d'améliorer les Finances . Un Comité de surveillance
sur l'Emprunt seroit dangereux , superflu
même , car les Ministres sont comptables
de l'emploi des deniers . Il ne faut point
parler , dans un Décret d'Emprunt , de l'établissement
d'une Caisse Nationale ; cet article
mérite une longue et postérieure réflexion
. »
M. d'Antraigues s'est récrié contre l'agiotage.
Il a pensé que les spéculations des prêteurs
ne devoient pas suivre un Emprunt national
; qu'il étoit aisé d'en écarter les agioteurs
, en imprimant les noms des prêteurs , etc.
M. de Mirabeau a fait sentir qu'un moment
de détresse n'étoit pas celui qu'il falloit choisir
pour inspirer des soupçons contre les prêteurs.
M. de Clermont- Tonnerre a rejeté Caisse
Nationale , Hypothèque des biens du Clergé ,
et Comité d'inspection , en votant pour le
plan de M. Necker.
On demandoit d'aller aux voix , lorsque M.
Guinebaud de Nantes , et M. Begouin de
Caux , ont offert chacun trente mille livres
sans intérêt .
Lecture faite du projet , le préambule a
excité des réclamations ; on l'a recorrigé , relu
et adopté dans cette nouvelle rédaction .
:
Le taux de l'intérêt a excité de nouveaux
débats les uns le vouloient à cinq pour cent
sans retenue ; d'autres ont proscrit les retenues
, et fixé l'intérêt à quatre et demi pour
cent, en affirmant que l'Emprunt seroit aussitôt
rempli que décrété. Nouvelle , longue
et bruyante discussion , au travers de laquelle
M. Guillotin a interjété que c'étoit décider
( 255 )
d'avance la grande question de l'intérêt de
l'argent ; il a tenté d'appuyer ses remarques ,
mais inutilement l'impatience d'aller aux
voix l'a emporté , et de leur pluralité est émané
le Décret suivant ( Voyez l'art. Faris. J.
:
QUINZIÈME SEMAINE DE LA
SESSION.
Les premières Séances de cette semaine
ont été consacrées à achever la
ratification du fameux Arrêté du 4 .
Quelques articles ont passé sans débat ;
d'autres , sans débats proportionnels avec
leur nature : un seul enfin , celui de l'abolition
des Dimes Ecclésiastiques , a
produit cette vivacité d'opinions contraires
, d'où il résulte encore plus d'intérêt
que d'instruction . L'analyse de ces
discussions ne peut correspondre à la
longueur des Séances qu'elles ont animées
; nous y donnerions la plus grande
étendue , que l'exainen des questions resteroit
insuffisant aux yeux d'une infinité
de Lecteurs : nous nous renfermerons
dans l'essentiel .
Du Lundi ro Aour , Séance du matin.
Les Motions da Samedi précédent , relatives
à la tranquillité publique , ont produit un
Arrêté du Comité de rédaction , doni M. Target
a fait lecture. Ses dispositions emportoient
l'emploi des Maréchaus ées et Troupes réglées
à se joindre aux Milices bourgeoises ;
le jugement des perturbateurs par les Tribu(
256 )
naux du lieu ; l'envoi des Procès -verbaux à
l'Assemblée Nationale ; le désarmement des
personnes sans état et sans aveu , et un serment
des Troupes à la Nation et au Roi.
M. Dupont a demandé l'adoption de l'acte
de Mutinerie , en vertu duquel le Magistrat
civil en Angleterre , proclame la loi contre
les émeutes , en cas d'offense à la paix publique
, et est autorisé à se faire donner mainforte
(1 ).
Un Membre de la Noblesse a objecté qu'en
Angleterre , souvent le Juge qui lisoit la Loi
étoit assommé avant la fin de la lecture , et
que , pour prévenir cet inconvénient , la lecture
de la Proclamation devoit être censée
faite , du moment où elle étoit commencée .
Une question aussi capitale , par ses rapports
avec l'ordre public et la liberté particulière
, présentoit une foule de considérations.
M. Mounier contredit la partie de l'Arrêté
de M. Target , qui enjoint aux Troupes de
ne prendre les armes qu'à la requisition de
( 1 ) On confond ici le Bill dé Mutinerie ,
qui assujettit les Troupes de terre et de mer
à la discipline , et à l'obéissance à leurs Officiers
, avec l'Act of riots , on routs ; Acte des
tumultes et des séditions , par lequel les
Schérifs , les Municipaux , les Juges de paix ,
sont autorisés à proclamer la Loi martiale ,
avant de faire agir la force. Ces deux Actes
sont absolument distincts . La Loi Angloise
ne permet pas que des Officiers de Justice se
mêlent de cette fonction car , dit Blackstone ,
le Juge du délit , ne doit pas être l'exécuteur
du jugement.
( 257 )
l'Assemblée Nationale. Celle- ci doit faire des
lois , et non commander des Troupes. Ce seroit
réunir deux pouvoirs dont l'union deviendroit
dangereuse ; ce seroit usurper une prérogative
qui n'appartient qu'à la puissance exécutive.
Le serment des Troupes proposé entraînòit
des inconvéniens , et devoit être conçu en
d'autres termes.
M. Fréteau voulut lire les formules de serment
pour les Troupes , et pour les Chefs des
Corps ; mais les réclamations des Membres
qui proposoient des amendemens , des modifications
, l'interrompirent plusieurs fois.
M. de Castellane ne voyoit que la Constitution
propre à ramener le calme .
M. de Mirabeau faisoit également marcher
la Constitution avant le serment militaire ,
et craignoit le danger d'étendre en ce moment
le pouvoir des Municipalités , la plupart organisées
encore sur de mauvais principes.
Au travers de ce débat , M. d'Espémesnil ,
absent depuis quelque temps , et que la voix
publique avoit fait faussement voyager à
Londres , a déclaré qu'il venoit vivre et mourir
pour la patrie ; que les papiers publics en
avoient imposé à son sujet ; que la Constitu
tion militaire devoit être liée aux Lois politiques
, etc. etc.
Déja l'on demandoit les voix , lorsque M.
Barnave perça la rumeur , pour répéter que
les Municipalités n'étoient point encore partout
établies , qu'il falloit attendre leur ins
titution ; laisser ensuite aux Officiers municipaux
le soin de ramener la paix , de rétablir
la discipline militaire ; confier enfin l'au
torité aux Tribunaux et aux Officiers qui ont
le plus de confiance .
M. le Président proposa d'aller aux voix ,
( 258 )
mais il fut interrompu par des réclamations
et des débats très - tumultueux ... Enfin il
fut décidé à la majorité , que l'Arrêté qu'on
venoit de discuter , seroit mis en délibération
. MM. Péthion de Villeneuve et Fréteau
en firent différentes lectures , interrompues
par des projets de correction .
Ces conteftations tumultueufes ont enfin cédé
à l'adoption unanime du Décret & de la formule
de ferment , que nous rapporterons plus bas . Il
a de même été décidé de joindre à l'envoi de
Fun & de l'autre , l'Arrêté du 4 , dont on a repris
fur-le-champ la difcuffion , à commencer par
Particle VII, qui ftipule le rachat des Dîmes Eccléfiaftiques
, Laïques & inféodées .
Peu de Délibérations ont été plus orageufes
& plus défordonnées. La queftion pure & fimple
offroit déja la matière d'une épineufe di
cuffion : celle-ci a acquis une nouvelle gravité ,
lorfqu'elle a embraffé le caractère même de la
propriété des biens du Clergé , en les confidé
rant comme des Fidei- Con.mis de la Nation à l'un
des Ordres de l'État
M. Merlin , examirant d'abord la queftion du
rachat , a recommandé ' a diſtinction des dîmes appartenantes
à la Nobleffe , des dimes des Frélats ,
& de celles des Curés de campagne. Il pourroit
être dangereux , a -t-il dit , de remettre aux ufufruitiers
actuels le capital des rachat , les Curés
feroient peut -ête trop , ou trop peu payés ;
mais les Administrations Provinciales devroient
être chargées du Règlement de rachat , comme
parfaitement propres à juger des proportions.
:
M. Arnoux a trouvé l'article infuffifant . La
dime eft la plus onéreufe des charges publiques.
Convertiffez- la en redevances pécuniaires ,
vous la confervez en réalité , & le bienfait du
rachat devient illufoire. Ce tribut n'eſt point un
( 259 )
droit foncier; jamais les terres qui le fupportent ,
n'apparti rent au Clergé ; il fut plutôt un den
gratuit , une Contribution permife par la Nation
pour la fubfiftence du le gé paftoral . La Nation
cit donc maîtreffe de pourvir de toute autre
marière à l'entretien des Eccléfiaftiques.
Un Curé a réclamé les termes de l' - rrêté du
4, qui porte a converfion , & non l'anéantiffement
des danes Eccléfiaftiques . A quel titre
les diftinguer des dîmes inté dées ? Toutes font
des propriétés également faciées. Un autre Curé ,
M. François , a objecté le tort que feroient aux
pauvres la fuppreffion des dimes en nature , le
découragement de ceux qui fe deftinent au Minif
tère facré , &c.
M. l'Evêque de Dijon a préfenté de nouvelles
confidérations , ainfi que M. l'Evêque de Largres.
Malgré les clameurs d'une partie de l'affemblée ,
ce dernier Prélat a gardé la Tribune jufqu'au
développement complet de fen avis. Il a traité
de l'origine , des titres primitifs , des proprietés
Eccléfiaftiques , de leur parfaite conformité avec
toutes autres poffeffions légitimes ; mais c'eft fars
fuccès qu'il a allié l'érudition au raifonnement.
Les opinions contraires étoient trop affermies ,
& M. Chaffet , Député du Beaujolois , leur a
prêté, une nouvelle force . Ce Membre pre - oit
la parole pour la première fois , & a fait regretter
qu'on ne l'eût pas entendu plutôt . Il a réfuté
M. l'Evêque de Langres ; & fans difcuter l'origine
des propriétés Eccléfiaftiques , il les a définies.
Les dimes laïques , a t- il dit , ſont diſtin.
guées des dimes du Clergé , par un caractère
fpécifique les premières font tranfmiffibles , aliénables
, commutables , & tels font les droits de
popriété ; mais aucune de ces prérogatives n'appartient
à des ufufruitiers , n'appartient au Clergé,
dont les dimes ne peuvent changer de poffeffeurs
( 260 )
.ès
ni de nature. Je propofe donc , a- t - il ajouté ,
que la dime Eccléfiaftique foit perçue comme cidevant
, jufqu'à une époque déterminée , ap.
laquelle l'Affemblée Nationale décrétera fa fuppreffion
& fen remplacement.
M. de Mirabeau a ajouté à l'avis du Préopinant
, que les fonctions des Curés comme ce les
des autres perfonnes publiques , devroient être
falariées par l'Etat . Cette expreffion de falariés
ayant révoré les Intéreffé , l'Opinant les a confolé
, en apprenant à l'Affemb'és qu'il n'exiftoit
que trois manières d'exifter dans le monde , mendians,
voleur oufalarié Quelques - uns ont trouvé ce trajt
lancé d'une voix forte , vraiment éne gique , &
fur-tout précife ; d'autres l'ont jugé un mod le
d'excel ente p'aifanterie ; de troisièmes , apparem.
ment propiétaires , réclamoient une pace dans
ce dénombrement : c'eſt au Pub ic à concilier
toutes ces opinions.
M. l'Evêque de Perpignan propofoit de fufpendre
la fuppreffion , jufqu'à ce que les Provinces
euffent fixé les fecours à donner au Clergé , dont
l'extrême pauvreté, dans plufieurs Diocèfes, & dans
lefien en particulier, alloit devenit l'indigence même.
D'autres Députés fe difputoient enfuite la parole,
lorsque la difcuffion a été remiſe à l'après-dînée.
Du Lundi 10 AoUST , Séance du foir.
A l'ouverture , M. le Préfident a fair part à
l'Affemblée d'une obferva ion qui lui avoit été
faite au fujet de ces mots : Les quittances feront
délivrées au Prêteur.
J
Les Prêteurs pouvant fe trouver dans les Proviaces
& dans l'Etranger , il eft indifefable
de livrer les quittances au Porteur.
Ce changement a été auffitôt admis..
vif Le débat fur le rachat des dîmes , déja
dans la matinée , a recommencé avec plus de cha(
261 )
leur & d'opiniâtreté. Comme il n'étoit queſtion ici
que de l'intérêt d'ure Claffe particulière de l'Etat ,
fette Caffe devoit fe défendre & ê re attaquée
avec un égal échauffement.
Un Membre de la Nobleffe a effayé d'abord
de procurer du calme , en condamnant les applau
diffemers quelconques , & plus encore les huées ,
outrageantes à ceux qui en font l'objet , & indignes
du caractère de l'Aflemblée. L'approbation qu'en
a donnée à coet avis , n'a pas empêché que cette
Séance ne fût plus tumultueufe , peut-être , qu'on
ne pourroit le concevoir d'un Congrès auffi augufte.
M. Duport a commencé par réfuter la maxime ,
que les biens du Clergé appartiennent à la Ntion
, & par s'opposer au rachat des dimes , dont
le mode entraînercit une infinité de procès &
d'injuftices. Les dîmes , a - t - il dit , tirent leur
origine des volontés de la Nation ; il me paroît
impoffible de les racheter . On ne rachette point
un impôt. D'ailleurs les difficultés locales & de
détail s'y oppofent. Il faut donc abolir la dîme ,
& a remplacer par des fonds confacrés à l'entretien
du Clergé
M. l'Evêque de Rhodes . » Je demande , comme
in difpenfable , la confervation des biens Eccléfialtiques
, & la converfion des dîmes en preſtations
p'cuniaires....... Votre Arrêté attaque , & tendroit
à détruire la Religion même . La dime eft
deftinée à la fabfiftance du Prêtre. Elle exift :
depuis les premiers temps du Chriftianiſme ; elle
a é é confirmée par Pepin & Charlemagne. Il faut
un culte divin ; il faut des Prêtres ; il faut auffi
des fonds ou des rentes néceffaires à leur fubfltance
, à leurs retraites , à leur foulagement.
Sans cela , les Paroilles fe trouveront bien ôt fans
Pafteurs , les confeffionaux fans Confeffeurs , les
( 262 )
malades fans fecours , les pauvres fans foulage-"
ment , les affligés fans confolations , &c.
« L'énumération des dépenfes du Clergé prouve- .
roit l'é endue de la charge dont on grèverait l'Etat,
en fupprimant les propriétés Eccléfiaftiques. Le
rachat des dimes entraîneroit des inconvégiens fans
nombre , & fi l'on perfiftoit à le vouloir , il falloit ,
du moins , en remettre les fonds aux Communautés.
"
M. l'Evêque de Rhodes ne put conferver la
parole jufqu'à la fin , qu'au travers d'une oppontion
tumultueufe , qui le privoit de la liberté de
fe faire ente dre. Le même ſort , les ntêmes clameurs
, le même t page , interrompirent , à p'ufieurs
reprifes , M. l'Abbé Sieyes , qui prit enfuite
la parole , & qui , fans s'effrayer de cette violente
manière de fe donner raifon , demanda plufieurs
fois aux Oppofans s'il n'étoit permis de leur dire
que des vérités agréables. Voici le précis des argumens
dont il fit ufage , avec le fang froid de la
fermeté.
« Si la dîme eft abolie fans indemnités , elle
refte à ceux qui la doivent , elle eſt enlevée à
» ceux à qui e le eft due. Une pareille fpoliation
» détruira-t- elle le droit de ces de miers ? Eft- ce
» au bien de l'Etat, au fervice public qu'on fait
» ce facrifice ? Non , c'eft au Propriétaire , au
» Débiteur qui refufe de payer fa dette. Ce refus
» eft un véritable vol , & le préte du patriotisme
» qui le confacre , eft l'avarice de guifée . Dire que
» la dime n'eſt pas une propriété . , c'eſt une plai-
» fanterie LÉONINE. D'ailleurs , Meffieurs , dans
la foirée du 4 , vous avez déclaré la dime rachetable
: vous l'avez donc reconnue propriété
» du Clergé ; fi aujourd'hui vous en prononcez
l'abolition , vous faites un acte contradictoire ,
» vous commettez un faux . Obfervez , de plus ,
» que les Propriétaires actuels , payant la dime ,
29
e
t
C
C
C
( 263 )
" cnt ache é leurs biens fonds au taux d'un re-
» venu , dont la dime eft néceffairement déduite ,
» & qu'ainfi vous leur faites un facrifice injufte
aurant que gratuit , puifqu'ils n'en ont jamais
» payé le prix . De pareils debats , & le tu-
» multe qui trouble les Séances depuis quelques
» jours , font un fcanda'e prémédité. »
"
M. l'Abbé de Montefquiou défendít de même
les intérêts du Clergé. Les dîmes lui appartiennent
, & la Nation ne peut les lui ravir ; ce n'eft pas
d'elle qu'il les'tient . Quand elle les auroit données ,
elle ne pourroit les reprendre , & ne le devroit
pas . L'Orateur remonta à l'origine des dîmes , à
leur confecration depuis Charlemagne , à leur
emploi jufqu'à nos temps ; & de leur ancienneté
comme de leurs confirmations par les Rois de
France , il en induifit leur légitimité.
Un Député de la Nobleffe ramera les idées
contraires. Le payement des Eccléfiaftiques eſt
levé , dit-il , fur le quart du rapport des terres ,
diminution faite des dépenfes de culture. Cette
coutume eft barbare ; elle doit fon origine aux
temps barbares ; elle fait partie des vexations de
la féodalité . C'eft une fource de haines , de divifions
, d'injuftices . Elle fe lève également fur
l'abondance & fur la ftérilité . Son abolition eft
donc une loi des plus fages que vous puiffiez
décréter.
M. Garat cadet réfuta enfuite les Avocats du
Cle gé , par une longue differtation , qu'on ne
voulut pas entendre , qui fut repouffée comme
difcuffion philofophique , & qui n'étoit pas achevée
, lorfque ce Député quitta la tribune. Il paroît
qu'il s'étudia à prouver que la Société avoit
préexifté au Clergé & à tous les Corps ; que ceuxci
étoient, dans l'Etat , maîtres de les détruire comme
il lès avoit créés : il répéta les argumens de M.
( 264 )
Chaffet fur la différence des propriétés Laïques &
des propriétés Eccléfaftiques , &c.
La tribune n'éto.t plus abordable , fans encourir
l'affaut des clameu: s redoublées. On a paſſé aux
voix par affis &levé fur l'Ar : êté du Comité. La ma
jorité reftant douteuse , on a voulu recourir à l'appel
, lire les divers Arrêtés propofés par divers
pinans: mais le défordre , les interruptions , le
tumulte croiffoient de minute en minute ; on quit
toit fes places pour ſe confondre au milieu de la
fale , & l'Affemblée s'eft difperfée fans prendre
de réfolution .
Du Mardi 11 AOUT. Un des Secrétaires s'eft
plaint de la Scène tumultueufe de la veille ; après
quoi , un Membre des Communes a fait une forrie
furieuſe contre le Clergé, à l'occafion des dimes ;
&´a traité toute réc amation à ce sujet , comme
un attentat fur les droits de la Nation . M. Ricard
de Seault, Député de Toulon , a défendu les
mêmes principes avec moins de colère , en difant :
...
" On nous offre la liberté de racheter des
dîmes , & on nous l'offre comme un facrifice !
Mais réfléchit-on fur le fiècle dans lequel nous
vivons ? Comment erterd - on que nous rachetions
les dimes en entier ? nous groffiilons
les revenus du Clergé , & nous les mettons à
l'abri des hafards des faifons... En détail nous .
mettons le Clergé dans la néceffité de tenir des
regiftres , qui , dans les fiècles à venir , lui fer
viront , d'armes contre nos defcendans ... Et que
fera devenue cette liberté après laquelle vous
foupirez depuis tant de fècles ? Mais les droits
de l'Eglife font-ils plus facrés , doivent - ils être
plus respectés que ceux de la Nobleffe ? Et lorf
que les repréfentars de cet Ordre fe levoient la
nuit du 4 avec tant d'enthouſiaſme , pour vous
donner l'exemple d'une générofité patriotique ,
lorfqu'il
( 265 )
orfqu'il concouroit avec vous à détruire l'aydre
de la Féodalité , penfiez - vous qu'au lien de facrifier
à fon tour , il cherchoit à augmenter la
richeffe & fa puiffance fur les débris de votre
Patrimoine ?
" Vous ne tomberez pas dans ce piége. La fuppreffion
de la dime eft le feul moyen qui puiffe
remplir vos vues ; & cette fuppreffion , vous
vous hâterez de la prononcer ; oui , vous abolirez
cet impôt défaftreux ; vous délivrerez l'agriculture
de ce fleau deftructeur ; & en le remplaçant
par un équivalent équitable & juftement
réparti , vous ferez celler cette énorme difproportion
qui exifte entre les revenus des Miniftres
des Autels...
1
» La Nobleffe & les Communes ont fait des
facrifices... Quel est donc celui du Clergé ?
Compteroit -il l'abolition des Annates ? compte.
roi - il la défenfe de cumuler à l'avenir plufieurs
bénéfices fur une même tête ? compteroit- il la
renonciation que ces généreux Curés Congruiftes
de campagne , ont fait de leur cafuel ? ...
» C'est trop hésiter : enpreffez -vous à profcrire
les dîmes , conformément au projet de M.
Chasset ; finon , déclarez qu'il n'y a pas lieu
de délibérer ; rejerez au loin cet article de l'Arrêté
qu'il vous eft fi preffan d'envoyer dans les
Provinces ; ne fouffrez pas qu'il fouille la nuit
du Patriotifme François : annoncez au peuple
ce que vous vouliez faire pour lui ; demandezlui
de nouveaux pouvoirs , fi vous n'avez pas
le courage de franchir les difficultés dort on
veut vous environner , & attendez le Haut
Cligé à la Conftitution ... Tout autre parti , je
ne crains pas de le due , eft indigne de vous ,
& vous déshonoreroi , je ne dis pas foulement
aux yeux de vos commettans , mais de toute
l'Europe qui vous con emple.
No. 34. 22 Août 1789.
m
( 266 )
Cependant , en prenant ce parti , n'oubliez
pas les hommages que vous devez à ces Eccléfiaft
ques généreux qui viennent , par un anê é
d gne d'eux , de remettre leurs dîmes entre les
mains de la Nation : permettez moi de vous en
faire lecture ; je m'applaudis trop d'être l'organe
de ces vertueux pafteurs , qui font MM. Brouſſe ,
de Thionvil e ; Maffieu , de Sergé ; £ effe , de Saint-
Aubin ; Dillon , Curé de Ponzanges ; David ,
Curé de Lormaiton ; Gaff ndi , Curé de Barras ,
& plufieurs autres.
Aces mos , on a vu le renouveler la fcène du
4 , les Curés co ! rant au Bureau figner leurs rer oncia
ions. M. l'Abbé du Plaquet , Député des Communes
de Saint-Quenan , sft démis d'un Prieuré,
en difant que , malgré l'éloquence énumérative
dr M. de Mirabeau , il étoit trop âgé pour g gaer
fon falaire , trop honnête homme pour voler , &
fes fervices paffés devoient le me re à l'abri
de la mendicé .
que
Ls applaud ffemens fendoient les voûtes de la
falle , & privoient de la pa ole M. l'Archevêque
de Paris , qui attendoir dans la tribune l'inftant
de pouvo'r fe faire entendre.
Nos Collègues , s'eſt - il écrié , n'ont fait que
devancer le fcrifice que nous off ons tous à la
patrie : nous remetton: dans les mains de la Nation
toutes les dime: Eccléfiaftiques , & nous n. us
confions entièrement en fa fage . Que Evangile
foit annoncé , que le cult . d vin ne perde rien de
fa décence , que les pauvres foient foulagés. Voilà
l'obje de nos voeux , le bar & la fin de notre
miniflère ; & nous cfpérons trouver dans vos lumières
des fecours néceffaires pour de. objets auffi
importans.
A peine les battemens de mains ont-ils permis
à M le Cardinal de la Rechefoucault de dire que
la déclaration unanime du Clergé effaçoit toutes
( 267 )
1
les fignatures , & en tenoit lieu. M. l'Evêque de
Perpignan a exprimé les mêmes fentimens , en
écartant les fignatures particulières : le Clergé
en Corps s'offroit en facrifice ; facrifice dont l'abfence
, la maladie , cu des mandats impératifs
pouvoient priver quelques-uns des Eccléfiaftiques
Députés.
is
Un des Opinars vouloit déchirer les fignatures ;
M. le Préfident fe rendoit également à une déclaration
commune , tandis que M. Barnave péroroit
pour une Délibération , pour un Arrêté.
M. Camus infiftoit fur le même avis : dix voix
s'élevoient & étoient étouffées par le bruit général
; enfin M. l'Evêque d'Autun a demandé l'Arrêté
de M. Chaffet , avec adoption unanime. Chacun
propofoit une claufe additionnelle ou explicative ;
M. Lanjuinais rappeloit toutes les dimes quelconques
appartenantes aux Gens de main - morte ;
M. Camus , celles abandonnées aux Décimateurs
inféodés , dans le cas d'option de la portion congue
; M. l'Evêque de Clermont fupplicit qu'on
fe fouvint de laiffer fubfifter les dies jufqu'au
nouveau régime qui en tiendroit ieu. M. de Grosbois
, qu'on fit attention aux Hôpitaux , poffetfeurs
de dimes Eccléfiaftiques : celles de l'Ordre de
Malte ont eu leur tour , ont participé à la fuppreffion
commune , après des débats irréguliers &
peu écoutés .
M. Fréteau a commencé la lecture d'une nouvelle
rédaction de l'Article ; le&ture interrompue
par de nouvelles obfervations . Un Prélat a averti
l'Affemblée que plufieurs maifons Religieufes ne
fubfiftoient que dès îmes , & que leur fort méritoit
une confidération . Un autre Evêque a prévu
qu'à la première connoiffance de l'Arrêté , les
Payfans refuferoient de payer les dîmes cette année.
Ce n'est qu'à la fuite de nombre d'objections
pareilles , que le Secrétaire - Lecteur a obtenu fimij
( 268 )
lence , qu'on a été aux voix , & que l'article a
paffé à leur unanimité , fauf celle de M. ' bbé
Sieyes qu a eu le courage de perfifter , & d'un Député
de la Nub'effe . ( On le trouvera plus bas . )
L'Article VII de l'Arrêté du 4 , concernant
le rachat des rentes foncières , &c. a été remis
en Délibération . Un Membre des Communes
vouloit une exception en faveur des rentes Covenancières
, d'ufage en Bretagne & dans quelques
autres Coutumes : MM . Lanjuinais , Coroller &
Bouche , ont rejeté ces égards aux us barbares
de différentes Provinces , & réc'amé une redemp
tion générale. Plufieurs avis découfus ou épifodiques
ont retardé la réfolution prefque unanime ,
qu'on a enfin arrêtée te le qu'on la lira plus bas.
Dans le cours de la difcuffion , M. le Prince
de Broglie a informé l'Aflemblée , qu'en Alface
les Bas- Officiers & Soldats avoient refufé d'obéir
à leurs Supérieurs , infulté leurs Commandans
, enfoncé les prifons . Il importe , a-t- il ajouté ,
d'envoyer fans délai dans les Provinces l'Arrêté
de hier , & de fupplier le Roi d'accorder une
Amnistie aux Soldats qui , dans un délai fixé ,
rejoindroient leurs drapeaux.
On a enfuite difcuté la rédaction de l'Article
qui porte fuppreffion de la vénalité des Charges ,
& la juftice gratuitement rendue. Quelques Magiftrats
ou Officiers de Juftices , entr'autres M.
Boeri & Salé de Choux , ont renoncé aux droits
de leurs Charges , & invité leurs Confrères à les
imiter.
M. le Vicomte de Mirabeau , Député Noble
du Limousin , a étendu le but de l'Ariêté , en
difant :
» Depuis long-temps nous fommes perfuadés
» que la juftice eft impayable. Mais ce n'eft pas
» le tout de la rendre gratuite ; il faut envelop-
» per encore les frais ruineux , les vexations de
( 269 )
"
» tout genre qu'entraîne la chicane . Vous man-
» queriez ce but , fi vous ne vous òccupiez de répri-
» primer ou d'anéantir tous ces Agens fubalternes
» de la Juſt ce , ces Vampires des Villes & des
" Campagnes , ce cortège dévo ant d'Avocats ,
» de Procureurs , d'Huiffiers , de Sergens , de Gref-
» fiers , dont les manoeuvres ont fait imaginer le
» tableau d'un homme nu parce qu'il a perdu
» fon procès , & d'un homme en chemiſe parce
» qu'il a gagné le fien, »
» Permettez à tout homme de plaider fa cauſe ,
» fans être obligé de recourir à ces intermédiaires
» dévorans. Défendez à ces brigands de s'établir
» dans Is campagnes ; i's en font l'impôt le plus
» deftructeur. »
M. Target a adouci l'âpre vérité de cette peinture
, fans difconvenir de fa jufteffe : Mais les réformes
demandées , a-t-il dit , doivent être remiſes
à un autre temps . Aujourd'hui , il faut rendre
aux Tribunaux leurs pouvoirs , & ne pas
s'occuper d'en changer la nature ; le zèle a fes
bornes.
M. le Duc de la Rochefoucault a expofé qu'on
ne pouvoit en ce moment s'occuper du rembourfement
des Charges , ni d'un nouveau Code. On
fe borneroit à déclarer la fuppreffion de la vénalité
, l'appointement des Juges payés comme les
Officiers Militaires , & leur élection par les Justiciab'es.
M. d'André, perfuadé d'ailleurs que fon Parlement
, celui d'Aix , rendroit gratuitement la.
jaftice , a objecté que les Juftices inférieures pour-
1oient difficilement faire le facrifice de leurs
Charges. Il eft fait , a crié un Député. Ce cri n'a
pas prévenu de nouvelles objections de l'Opinant
Provençal , qui a cité le Lieutenant de l'Amirau
é de Marfeille , dont la Charge coûtoit cent
mille écus , & n'en rappottoit pas mille. Il a fini
m iij
270 )
par folliciter le remboursement , avant la fuppreffion
des épices .
Après nombre de fluctuations fur la forme dans
Jaquelle feroit rédigé l'Arrêté , il a paffé , comme
on le verra dans l'inftant .
La fuppreffion du cafuel des Curés de campa
gne à paffé enfuite en revue. Occafionnellement ,
M. l'Evêque d'Agen a propofé de porter à 1,500l .
le revenu des Curés de campagne , à 2,400 l . celui
des Curés des Vilies , & à 800 liv. les honoraires
des Vicaires . On n'a point délibéré fur cet avis ;
mais l'article du Règlement fur le cafuel n'a pas
fouffert d'oppofitions .
Du Mardi 13 Août. Séance du foir. Elle a terminé
la rédaction de l'Arrêté du 4 , & la confommation
des facrifices. Lorfqu'il a été question des
Annates , M. Camus a prononcé un favant difcours
fur cette matière , épuifée depuis long- temps. Un
Député a objecté , cependant, les confidé ations
commerciales , les priviléges , dont le trafic national
jouiffoit dans les Etats du Pape ; l'importance
de ce commerce pour le Languedoc , Marfeille
& Lyon; la rivalité des Anglois qui nous
fupplanteront. « Ce font-là des vues mercantiles
& fauffes , » a prétendu M. Camus ; & l'avis de
ce Jurifconfulte a paffé en loi .
Le chapitre des penfions , graces , appointe
mens , étoit d'une toute autre importance que les
Annates ; on s'eft contenté de l'affleurer , en propofant
quelques additions , fur lefquell´s il n'a rien
été ftatué , l'article du Règlement ayant été admis
dans la forme primitive.
Voici maintenant cet Arê é qui décide du fort
de tant de familles , & qu'en d'autres temps , dix
ans de délibérations euffent à peine effectué, même
avec l'intention fincère d'epérer de fi grandes réformes.
( 271 )
Articles arrêtés , rédigés et décrétes dans les
Séances des 4 , 6 , 7 , 8 et 11 Août 1789.
ART . I. L'Assemblée Nationale détruit entièrement
le régime féodal. Elle décrète que ,
dans les droits et devoirs tant féodaux que
censuels , ceux qui tiennent à la main- morte
réelle ou personnelle , et à la servitude personnelle
, et ceux qui les représentent , sont
abolis sans indemnité ; tous les autres sont
déclarés rachetables ; et le prix et le mode du
rachat seront fixés par l'Assemblée Nationale.
Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés
par ce Décret , continueront néanmoins
à être perçus jusqu'au remboursement.
II . Le droit exclusif des fuies et colombiers
est aboli .
Les pigeons seront enfermés aux époques
fixées par les Communautés ; durant ce tenips ,
ils seront regardés comme gibier , et chacun
aura le droit de les tuer sur son terrain .
III. Le droit exclusif de la chasse et des
garennes onyertes est pareillement aboli , et
tout Propriétaire a le droit de détruire et faire
détruire , seulement sur ses possessions , toute)
espèce de gibier , sauf à se conformer aux
Lois de Police qui pourront être faites relativement
à la sûreté publique.
Toute Capitainerie , même royale , et toute
réserve de chasse , sous quelque dénomination
que ce soit , sont pareillement abolies ; et il
sera pourvu , par des moyens compatibles avec
le respect du aux propriétés et à la liberté ,
à la conservation des plaisirs personnels du
Roi.
M. le Président sera chargé de deinander
m iv
( 272 )
au Roi le rappel des
eriens et des Bannis
pour simple fait de chasse , l'élargissement
des Prisonniers actuellement détenus , et l'abolition
des procédures existantes à cet égard.
IV. Toutes les Justices Seigneuriales sont
supprimées sans aucune indemnité , et néanmoins
les Officiers de ces Justices continueront
leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été
pourvu par l'Assemblée Nationale à l'établissement
d'un nouvel ordre judiciaire.
V. Les Dimes de toute nature , et les redevances
qui en tiennent lieu , sous quelque
dénomination qu'elles soient connues et perçues
, même par abonnement , possédées par
les Corps séculiers et réguliers , par les Bénéficiers
, les Fabriques , et tous gens de mainmorte
, même par l'Ordre de Malthe , et autres
Ordres Religieux et Militaires , même celles
qui auroient été abandonnées à des laïques ,
en remplacement et pour option de portions
congrues , sont abolies , sauf à aviser aux
moyens de subvenir d'une autre manière , à
la dépense du Culte Divin , à l'entretien des
Ministres des Autels , au soulagement des
Pauvres , aux réparations et reconstructions
des Eglises et Presbytères , et à tous les Etablissemens
, Séminaires , Ecoles , Colléges ,
Hopitaux , Communautés , et autres , à l'entretien
desquels elles sont actuellement affectées.
Et cependant , jusqu'à ce qu'il y ait été
pourvu , et que les anciens Possesseurs soient
entrés en jouissance de leur remplacement ,
l'Assemblée Nationale ordonne que lesdites
Dimes continueront d'être perçues suivant les
Lois et en la manière accoutumée .
Quant aux autres Dîmes , de quelque nature
qu'elles soient , elles seront rachetables
( 273 )
de la manière qui sera réglée par l'Assemblée;
et jusqu'au Réglement à faire à ce sujet
, l'Assemblée Nationale ordonne que la
perception en sera aussi continuée .
VI . Toutes les rentes foncières perpétuelles
, soit en nature , soit en argent , de quelque
espèce qu'elles soient , quelle que soit
leur origine , à quelques personnes qu'elles
soient dues , Gens de main- morte , Domaines ,
Apanagistes , Ordre de Malthe , seront rachetables
; les champarts de toute espèce , et
sous toutes dénominations , le seront pareillement
, au taux qui sera fixé par l'Assemblée .
Defenses seront faites de plus à l'avenir
créer aucune redevance non - remboursable.
VII. La vénalité des Offices de Judicature
et de Municipalité est supprimée dès cet
instant. La justice sera rendue gratuitement ;
et néanmoins les Officiers pourvus de ces
Offices , continueront d'exercer leurs fonctions
, et d'en percevoir les émolumens ; jusqu'à
ce qu'il ait été pourvu par l'Assemblée ,
aux moyens de leur procurer leur rembour-
Sement.
VIII. Les droits casuels des Curés de campagnes
sont supprimés , et cesseront d'être
payés aussitôt qu'il aura été pourvu à l'augmentation
des portions congrues , et à la pension
des Vicaires ; et il sera fait un Règlement
pour fixer le sort des Curés des villes.
IX . Les Privileges pécuniaires , personnels.
ou réels , en matière de subsides , sont abolis
à jamais. La perception se fera sur tous les
Citoyens et sur tous les biens , de la même
maniere et dans la même forme ; et il va être
avisé aux moyens d'effectuer le paiement proportionnel
de toutes les contributions , même
m v
( 274 )
pour les six derniers mois de l'année d'imposition
courante.
X. Une Constitution Nationale et la liberté
publique étant plus avantageuses aux
provinces que les priviléges dont quelquesunes
jouissoient , et dont le sacrifice est nécessaire
à l'union intime de toutes les parties
de l'Empire , il est déclaré que tous les priviléges
particuliers des Provinces , Principautés
, Pays , Cantons , Villes et Communautés
d'Habitans , soit pécuniaires , soit de
toute autre nature , sont abolis sans retour ,
et demeureront confondus dans le droit commun
de tous les François .
XI . Tous les Citoyens , sans distinction de
naissance , pourront être admis à tous les emplois
et dignités Ecclésiastiques , Civils et Militaires
, et nulle profession utile n'emportera
dérogeance.
Xi A l'avenir il ne sera envoyé en Cour
de Rome , en la Vice- Légation d'Avignon ,
en la Nonciature de Lucerne , aucuns deniers
pour Annates , ou pour quelque autre cause
que ce soit ; mais les Diocésains s'adresseront
à leurs Evêques pour toutes les provisions de
bénéfices et dispenses , lesquelles seront accordées
gratuitement , nonobstant toutes réserves
, expectatives et partages de mois , toutes
les Eglises de France devant jouir de la même
liberté .
XIII. Les déports , droits de cote - morte ,
dépouilles , vacat , droits censaux , deniers de
S. Pierre , et autres de même genre , établis
en faveur des Evêques , Archidiacres ,
Archiprêtres
, Chapitres , Curés primitifs , et tous
autres , sous quelque nom que ce soit , sont
abolis ; sauf à pourvoir , ainsi qu'il appartiendra
, à la dotation des Archidiaconés et des
( 275 )
Archiprêtrés qui ne seroient pas suffisamment
dotés
XIV. La pluralité des bénéfices n'aura plus
lieu à l'avenir , lorsque les revenus du bénéfice
ou des bénéfices dont on sera titulaire ,
excéderont la somme de trois mille liv. Il ne
sera pas permis non plus de posséder plusieurs
pensions sur bénéfices , ou une pension et un
bénéfice , si le produit des objets de ce genre
que l'on possède déja , excède la même somme
de trois mille liv.
XV. Sur le compte qui sera rendu à l'Assemblée
Nationale de l'état des pensions ,
graces et traitemens , elle s'occupera , de concert
avec le Roi , de la suppression de celles
qui n'auroient pas été méritées , et de la réduction
de celles qui seroient excessives ; sauf
à déterminer pour l'avenir une somme dont
le Roi pourra disposer pour cet objet.
XVI . L'Assemblée Nationale décrète qu'en
mémoire des grandes et importantes Délibé
rations qui viennent d'être prises pour le bonheur
de la France , une médaille sera frap-
'pée , et qu'il sera chanté en actión de graces
un Te Deum dans toutes les Paroisses et
Eglises du Royaume.
XVII. L'Assemblée Nationale proclame solennellement
le Roi Louis XVI Restaurateur
de la Liberté Françoise.
XVIII. L'Assemblée Nationale se rendra
en corps auprès du Roi , pour présenter à Sa
Majesté l'Arrêté qu'elle vient de prendre , lui
porter l'hommage de sa plus respectueuse
reconnoissance , et la supplier de permettre
que le Te Deum soit charté dans sa Chapelle
, et d'y assister elle-même. "
XIX. L'Assemblée Nationale s'occupera ,
immédiatement après la Constitution , de la
m vj
( 276 )
rédaction des Lois necessaires pour le développement
des principes qu'elle a fixes par le
présent Arrêté , qui sera incessamment envoye
par MM . les Deputés dans toutes les
Provinces , avec le Décret du 10 de ce mois ,
pour y être imprimé , publié , même au Prône
des Paroisses , et affiché par-tout où besoin
sera.
Signé LE CHAPELIER , Président ; l'Abbé
SYEYES , le Comte DE LALLY - TOLENDAL ,
FRETEAU , PETHION DE VILLENEUVE , l'Abbé
DE MONTESQUIOU , EMMERY , Secrétaires.
Le même jour , l'Aſſemblée a finalement rendu
la proclamation fuivante , fauvegarde dernière
des propriétés & des perfonnes.
Extrait du Procès-verbal de l'Assemblée Nationale
, du 10 août 1789.
L'Assemblée Nationale , considérant que
les ennemis de la Nation ayant perdu l'espoir
d'empêcher , par la violence du Despotisme ,
Ja régénération publique et l'établissement
de la liberté , paroissent avoir conçu le projet
criminel de ramener au même but par la
voie du désordre et de l'anarchie ; qu'entre
autres moyens , ils ont , à la même époque ,
et presque le même jour , fait semer de fausses
alarmes dans les différentes Provinces du
Royaume , et qu'en annonçant des incursions
et des brigandages qui n'existoient pas , ils
ont donné lieu à des excès et des crimes
qui attaquent également les biens , et les
personnes , et qui ; troublant lordre universel
de la Société , méritent les peines les plus
sévères ; que ces hommes ont porté l'audace
jusqu'à répandre de faux ordres , et même
( 277 )
de faux Edits du Roi , qui ont armé une
portion de la Nation contre Fautre , dans le
moment même où l'Assemblée Nationale
portoit les Décrets les plus favorables à
l'intérêt du Peuple ; »
«
Considérant que , dans l'effervescence
générale , les propriétés les plus sacrées , et
les moissons mêmes , seul espoir du Peuple
dans ces temps de disette , n'ont pas été
respectees ; »
Considérant enfin que l'union de toutes
les forces , l'influence de tous les pouvoirs ,
l'action de tous les moyens , et le zèle de
tous bons Citoyens , doivent concourir à
réprimer de pareils désordres : »
« Arrête et décrète , »
a Que toutes les Municipalités du royaume ,
tant dans les villes que dans les campagnes , veilleront
au maintien de la tranquillite publique ;
et que sur leur simple requisition , les Milices
Nationales , ainsi que les Marechaussees, seront
assistées des troupes , à l'effet de poursuivre
et d'arrêter les perturbateurs du repos public ,
de quelqu'état qu'ils puissent être ; »
¿C Que les personnes arrêtées seront remises
aux Tribunaux de justice , et interrogées incontinent
; et que le procès leur sera fait ,
mais qu'il sera sursis au jugement et à l'exécution
à l'égard de ceux qui seront prévenus
d'être les auteurs de fausses alarmes
et les instigateurs des pillages et violences ,
soit sur les biens , soit sur les personnes ;
et que cependant copies des informations ,
des interrogatoires et autres procédures , seront
successivement adressées à l'Assemblée
Nationale , afin que , sur l'examen et la comparaison
des preuves rassemblées des différens
lieux du Royaume , elle puisse remonter à
( 278 )
la source des désordres , et pourvoir à ce
que les chefs de ces complots soient soumis
à des peines exemplaires qui répriment efficacement
de pareils attentats ; »
" Que tous attroupemens séditieux , soit
dans les villes , soit dans les campagnes
même sous prétexte de chasse , seront incontinent
dissipés par les Milices Nationales ,
les Maréchaussées et les Troupes , sur la simple
requisition des Municipalites : »
"L
Que dans les villes , et Municipalités
des campagnes , ainsi que dans chaque District
des grandes villes il sera dressé un role
des hommes sans aveu , sans métier ni profession
, et sans domicile constant , lesquels
seront désarmés , et que les Milices Nationales ,
les Maréchaussées et les Troupes veilleront
particulièrement sur leur conduite ; »
«
Que toutes ces Milices Nationales prêteront
serment entre les mains de leur Commandant
, de bien et fidèlement servir pour
le maintien de la paix , pour la défense des
Citoyens , et contre les perturbateurs du repos
public ; et que toutes les Troupes , savoir , les
Officiers de tout grade , et Soldats , prêteront
serment à la Nation , et au Roi , chef de la
Nation , avec la solennité la plus auguste ; »
9
« Que les Soldats jureront , en présence
du Régiment entier sous les armes ,
de ne
jamais abandonner Jeurs Drapeaux d'être
fidèles à la Nation , au Roi et à la Loi ,
et de se conformer aux règles de la discipline
militaire ; »
" Que les Officiers jureront , és mains des
Officiers Municipaux , en présence de leurs
Troupes , de rester fidèles à la Nation , au
Roi et à la Loi , et de ne jamais employer
ceux qui seront sous leurs ordres , contre
( 279 )
les Citoyens , si ce n'est sur la requisition
des Olliciers Civils et Municipaux , laquelle
requisition sera toujours lue aux Troupes
assemblées ; »
" Que les Curés des villes et des campagnes
feront lecture du présent Arrêté à
leurs Paroissiens réunis dans l'Eglise , et qu'ils
emploieront , avec tout le zèle dont ils ont
constamment donné des preuves , l'influence
de leur Ministère , pour rétablir la paix et
la tranquillité publiques , et pour ramener
tous les Citoyens à l'ordre et à l'obéissance
qu'ils doivent aux autorités légitimes. >>
« SA MAJESTÉ sera suppliée de donner
les ordres nécessaires pour la pleine et entière
exécution de ce Décret , lequel sera adressé
à toutes les Villes , Municipalités et Paroisses
du royaume , ainsi qu'à tous les Tribunaux ,
pour y être lu , publié , affiché , et inscrit dans
les registres. "
Du Mercredi 12 Aour. M. le Préfident avertit
l'Aflemblée qu'il seroit admis vers les deux heures
et demie , à l'audience de Sa Majeſté , & convoqua
le Comité de rédaction , pour s'occuper d'une
adreffe au Roi , qui seroit remife à l'Affemblée
avant qu'elle fe féparât.
On décida à la pluralité , que la Députation
prendroit legrand coftume. Lecture & correction du
Procès- verbal du 4.
M. de Cuftine , Député de Metz , dit , que
lié par des Mandats impératifs , il ne pouvoit acquiefcer
à une renonciation totale des droits de fa
Province fur le reculement des barrières ; mais qu'il
demanderoit l'autorisation de fes Commettans.
M. de Gaillon , Député de Mantes , propofa la
fuppreffion du droit d'aineffe , fource continuelle
de divifions & de jaloufies dans les familles ....Les
•
( 280 )
applaudiffemens n'empêchèrent pas qu'on ne regardar
la queftin comme trop prématurée ; auſſi
fut- elte renvoyée à un autre temps.
» Meffieurs , s'écria alors M. de Mirabeau
-nous devons regarder comme un retard à la Conftitution
, toute excurfion étrangère à ce grand objet.
Je demande que toute épiſode foit interdite , & que
nous nous occupions inceffamment de ce travail ,
dont l'exécution devient de jour en jour plus inftante.
M. le Duc de Liancourt demanda la permiffion
de repréfenter un avis effentiel , que le Comité des
finances le chargeoit de communiquer à l'Affemblée.
Un grand nombre de Députés demandoient
qu'il fût pourvu à leur traitement pécuniaire.
Les Commettans devoient le fournir , & l'Affem.
blée en déterminer la valeur . Mais comme ces
payemens néceffitoient des avances ou des emprunts
, il propofoit un Comité pour y parvenir.
M. Chaffet revint à l'exécution de l'arrêté du 4 ,
qui , fans des lois de détail , devier droit inutile.
Il propofa premièrement , un Comité pour préparer
le travail des affaires concernant le Clergé,
lequel Comité donneroit à l'Afemblée tous les
éclairciflemens néceffaires , & l'inftruiroit du rap
port exact des Dimes , du nombre des Paſteurs ,
Communautés , & c.
Deux èmement , un Com'té qui s'afſureroit du
nombre des Charges de jud cature , de leurs valeurs
anciennes & actuelles , pour effectuer leur rachat
& rembourfement , qui prépareroit auffi les
Règlemens fur les Cens , les rentes foncières &
la liquidation de Droits féodaux.
Un troisième Comité , pour les Règ'emens des
Chailes & des Co ombiers ; & un quatrième détaché
du Comté des finances pour la vérification des
penfions graces & traitemens.
Enfin un Comité des finances , qui s'occupât
( 281 )
des moyens généraux d'une répartition égale des
Impôts pour les fix derniers mois de l'Année.
M. Dupleffis , Député de Nantes , a ajouté à
cette Motion , un article fur la néceffité de répondre
aux engagemens de la Nation , fynallagmatiques
envers le Clergé. En pienant les biens du
Clergé , dit-il , on doit auflife charger de fes dettes.
Il feroit donc convenable de former un Comité
pour les vérifier , & prendre un état act des
revenus des Bénéfices , des biens des Communautés ,
fur-tout de celles dont la fuppreffion pouvoit être
utile à l'Etat.
Un Député de la Nobleffe ramena l'Affemblée
à l'objet de la Conftitution .
M. Demeunier propofa de ne point difcuter
féparément chaque article , mais de nommer un
Comité de fix perfonnes pour rédiger une Décla
ration des Droits de l'homme , d'après les diffé
rens projets qui avoient été propofes , & de foumettre
ce te Rédaction , lundi prochain , à la dif
cuffion de l'Aflemblée Nationale... Les Membres
qui compoferciens ce Comité , ne pourroient
être choifis parmi ceux qui ont été chargés du
travail de la Conftitution , non plus que parmi
ceux qui ont préfenté des projets .
Un Député de la Nobleffe propofa , au contraire
de raffember tous ceux qui avoient donné des
projets. Leurs propofitions , dit - il , étant profque
toutes conformes , elles feroient rédigées fans difficultés
; s'ils différoient entre eux , l'Affemb.ée jugeroit.
Cet avis fut rejeté , & la motion précédente
admife à l'unanimité .
On affure qu'à ces mors , porter aux pieds de S. M.
il s'éleva un ci de point de pies , point de pieds ;
& que l'expreffion , l'Assemblée enivrée de joie ,
arracha à un Député de Provence l'obfervation que,
l'Assemblée n'é.oit ni ivre ni enivrée. Le Rédacteur
( 282 )
n'étoit pas témoin de ces corrections , & n'en ga
rantit pas la certitude.
M. Target fit enfuite la lecture de l'Adreffe au
Roi ; après quoi un Membre des Communes propofa
de mettre fous les yeux de l'Affemblée la
lifte des pouvoirs vérifiés .
A cette occafion , M. Lawye , Député de Belfort
, repréfenta les troubles qui agiolent la Province
d'Alface ; fit fentir combien il étoit dangereux
que M. l'Evêque de I.yda y retournât , au
cas que fon élection fût déclarée illégale , & pría
l'Affemblée de différer ce jugement.
M. de Lyda lui en témoigna fa reconnoiſſance ,
& après avoir fait quelques réflexions fur la validité
de fon élection , témoigna à l'Affemblée la
droiture de fes intentions , jufqu'ici contrariées par
des mandats impératifs.
M. le Préfident mit alors aux voix l'Arrêté propofé
par M. Chasset , portant l'établiſſement de
quatre Comités. Il fut admis unanimement ; ainſi
que l'élection d'un nouveau Comité de rédaction
.
Un Curé propofa de faire témoigner aux nouveaux
Miniftres , par l'organe du Préfident , la
fatisfaction de l'Affemblée fur le choix de Sa Majesté.
Cette démarche ne parut point convenir à la
dignité de l'Affemblée
Du Jeudi 13 AOUT , Séance du matin.
M. le Préſident a inftruit l'Affemblée qu'il avoit
eu l'honneur de préfenter hier au foir à Sa
Majefté , les deux Arrêtés , favoir , celui de l'Emprunt,
& celui portant fuppreffion des priviléges des
Corps & Provinces . Sa Majefté avoit fixé l'heure
de midi pour recevoir l'Affemblée Nationale ,
& enfuite affifter à la célébration d'un Te Deum.
Il a enfuite rapporté qu'une Compagnie de
( 283 )
•
Milice Bourgeoife de Sèvies avoit arrêté & eſcorté
jufqu'à Verfailles , deux voitures de foin , dans
une defquelles on avoit trouvé un paquet de
le tres couvertes de toile cirée ; & qu'il l'avoit
ouvert en préfence de M. de Villequier &
d'un autre Député. Ce paquet contenoit des
imprimés relatifs à une maiſon de Charité ,
inftituée par M. l'Evêque de Beauvais ; une lettre
à ce Prélat , & trois autres pour fon Grand-
Vicaire , fon Secrétaire & fon Valet- de - Chambre
; que ces lettres avoient été miſes à l'abri de
la pluie dans ce foin , envoyé aux écuries de-
M. de Beauvais ; qu'enfin ne pouvant paroître
fufpectes , il les lui avoit remifes .
Cette capture inquifitoriale de la Milice de
Sèves , ayant fur-le-champ donné lieu à cent rumeurs
extravagantes , M. l'Evêque de Saintes témoigna
les craintes que lui infpiroient les foupçons
qui s'étoient auffi répandus dans Verſailles
à cet égard. Il pria l'Affemblée d'autorifer le
Préfident à faire publier le Procès - verbal qu'il
avcit dreffé à l'ouverture du paquet. L'Aſſemblée
n'héfita pas à déférer à lajuftice de cette demande.
M. Fréteau indiqua les Membres dont les pouvoirs
avoient été jugés légitimes , & annonça de
nouvelles Villes & Communautés , qui avoient
adreffé à l'Affemblée leur tribut de reſpect &
de reconnoiffance , & leur athéfion à fes Ar-
"rêtés .
Un Membre du Comité de Rapport détailla
les, motifs de Réclamation d'un Procureur du
Roi du Bailliage de Falaife , contre le Parlement
de Rouen. Ce Citoyen , élu Commiffaire aux
Elections de fon Bailliage , inféra dans les cahiers ,
des principes contraires à ceux du Parlement de
fa Province . Cette Cour étendant fon autorité
jufque fur les opinions , dépofa le Procureur , le fit
décréier& poursuivre à rigueur.
( 284 )
Le Rapporteur, de cette plainte propofa que
les pourfuites du Parlement de Rouen fuffent
déclarées attentatoires à la Liberté nationale ; qu'on
lui fit fentir qu'il n'avoit point le droit de reftreindre
la liberté des opinions ; & qu'on le condamnât
à une indemnité envers le Procureur .
Divers avis furent préfentés à ce fujet . Un
Membre de la Nobleffe vouloit que l'Affemblée
fit rendre compte aux Tribunaux qui auroient
abusé de leur autorité , & qu'elle fe nast
du jugement de cette affaire .
M. le Duc de Mortemart s'y oppofa , par la
raifon que l'Aflemblée étoit un Corps législatif ,
& non judiciaire : elle ne pouvoit , fans le plus
grand danger , s'ingérer à rendre ou à réformer
des jugemens.
M. Target réclamoit un Mémoire expofitif des
motifs de la conduite de l'Accufé , avec toutes
les pièces de la Procédure..
M. Garat l'aîné foutint que , en cas de reproches
contre un Tribunal , c'étoit à la Nation à
en juger. J'ajouterai , dit- il , qu'il eft effentiel à
l'Aſſemblée d'ordonner que tous les Membres qui
auroient des plaintes contre les Tribunaux , expri
ment les délits qui les ont occafionnés. En cette
occafion , l'on doit nommer un Comité informa
teur , & créer au plus tôt le Tribunal qui juge les
crimes de cette nature.
L'avis du Comité de rapport , étoit de faire écrire
par le Préſident , à M. le Garde- des - Sceaux , pour
le prier de fournir à l'Aſſemblée toutes les pièces
de la procédure ; ce qui fut agréé unanimement.
M. Grellet de Beauregard lut à l'Affemblée les
réclamations du Bailliage de Chauni , qui demandoit
à députer immédiatement à l'Affemblée Natio
ale , comme formant ure population de
69,400 ames , de 140 Eccléfialliques , & 80 Gen(
285 )
tilshommes poffedan fiefs . On adopta l'avis du
Comité , de refufer cette demande.
M. le Comte de Virieux releva ure erreur dans
la formule du ferment pour les Chefs des Troupes ;
ferment qui ne devoit pas être fait ès mais des
Officiers municipaux , ce qui indiqueroit une
subordination . Il falloit fubftituer à ce mot , celui
en préfence des Officiers municipaux.
M. de Mirabeau foutint cette obſervation . Cette
formule , dit-il , n'eft pas plus pure en principes ,
qu'heureuſe en rédaction . Les rites de la conduite
militaire ne doivent jamais paffer à l'entière subordination
du Civil.... Les Municipalités font un
Corps monstrueux . Je connois 1 ariftocratie miniftérielle
, l'ariftocratie parlementaire , l'aristocratie
eccléfiaftique ; mais je n'en connois pas de plus
cruelle que l'aristocratie municipale . T'appartiens
à une province , dont le Chef de la Municipalité
a le premier fait verfer le fang des Citoyens , &
eft peut- être le feul auteur des troubles qui l'agitent.
La direction des forces militaires appartient né- .
ceffairement au pouvoir exécutif.... Mais il eſt
des rapports effentiels à fixer entre la Conftitution
militaire & la Conftitution nationale. Ils font
indifpenfablement de notre Jurifdiction . La queftion
feroit prématurée en ce moment - ci ; mais
j'adhère à la correction_propofée par le Préopinant.
Telle fut auffi l'opinion de l'Affemblée .
-M. le Préfident mit aux voix , fi l'on feroit une
nouvelle édition de l'Arrêté , ou fi l'on y joindroit
feulement une feuille corrective. Après quelques
débats , ce dernier avis fut adopté.
Il étoit midi. On leva la Séance pour aller
préfenter au Roi les Arrêtés de l'Affemblée , &
affifter à un Te Deum dans la Chapelle de Sa Majefté
,
( 286 )
DISCOURS de M. le Président au Roi.
" SIRE , "
» L'Aſſemblée Nationale apporte à Votre Majefté
une offrande vraiment digne de votre coeur :
c'eft un Monument élevé par le patriotisme &
la générosité de tous les Citoyens. Les priviléges
, les droits particuliers , les diftinctions nuifibles
au bien public ont difparu . Provinces ,
Villes , Eccléfiaftiques , Nobles , Citoyens des
Communes , tous ont fait éclater , comme à l'envi ,
le dévouement le plus mémorable ; tous ont
abandonné leurs antiques ufages avec plus de
joie que la vanité n'avoit jamais mis d'ardeur à
Sire ,
les réclamer. Vous ne voyez devant vous ,
que des François foumis aux mêmes Lois , gouvernés
par les mêmes principes , pénétrés des
mêmes fentimens , & prêts à donner leur vie
pour les intérêts de la Nation & de fon Roi, Compur
n'auroit-il pas ment cet efprit fi noble & fi
été ranimé encore par l'expreffion de votre confiance
, par la touchante promeffe de cette conftante
& amicale harmonie , dont jufqu à préſent
peu de Rois avoient affuré leurs Sujets , & dont
Votre Majefté a fenti que les François étoient
dignes . » » Votre choix , Sire , offre à la Nation des
Miniftres qu'elle vous eût préfentés elle- même,
C'est parmi les Dépofitaires
des intérêts publics ,
que vous choififfez les Dépofitaires de votre autorité.
Vous voulez que l'Affemb'ée
Nationale
fe réunie à Votre Majefté pour le rétabliffement
de l'ordre public & de la tranquilité générale.
Vous facrifiez au bonheur du Peuple vos plaifirs
perfonnels. »
Agréez donc , Sire , notre refpectueuse reconnoiffance
& hommage de notre amour ; &
portez , dans tous les âges , le feul titre qui puiſſe
( 287 )
ajouter de l'éclat à la Majesté Royale , le titre
que nos acclamations unanimes vous ont déféré ,
le titre de Reftaurateur de la Liberté Françoiſe. »
RÉPONSE du Roi.
» J'accepte avec reconnoiffance le titre que
vous me donnez ; il répond aux motifs qui m'ont
guidé , lo ſque j'ai raflemblé autour de moi les
Repréfentans de ma Nation . Mon voeu maintenant
eft d'affurer avec vous la liberté publique
par le retour fi néceſſaire de l'ordre & de la tranquillité.
Vos lumières & vos intentions m'infpirent
une grande confiance dans le réſultat de vos
Délibérations. "
» Allons prier le Cel de nous accorder fon
affiftance , & rendons lui des actions de graces
des fentimens généreux qui règneat dans votre
Affemblée.
Du Jeudi 13 AOUT , Séance du foir. Une difcuffion
fur la formation des Comités décretés
hier , d'après l'avis de M. Chasset , a été terminée
par le choix de trois Perfonaes de chaque
Bureau , dans le nombre defquelles l'Affemblée
retiendra les Membres néceffaires aux Comités .
La définition d'un mot effentiel a abſorbé le
refte de la Séance . M. de Clermont -Tonnerre éleva
quelques doutes fur l'exact tude du mot remplacement
, imprimé dans l'article de l'Arrêté relatif
aux imes Eccléfiaftiques . Vérification faite ,
on conftata la conform té de l'imprimé avec la
rédaction , & la difficul.é ne roula p'us que fur
le fens du mot remplacement.
MM. Target & Camus établirent qu'on ne pou
voit entendre par-là qu'un revenu quelconque
accordé aux Pafteurs , en remplacemen: de 1.
dîme , & ils oppofèrent à toute autre interpré
tation , l'abandon illimité que le Clergé venoit
faire de fes biens.
( 288 )
Cet avis entraîna que ques débats , qui rendirent
la difcuffion pus tumultueue qu'inſtructive.
M. P'Archevêque de Paris & plufieurs Curés y
mirent fin , par leur acceffion à la Motion de
M. Camus , & l'on admit le mot remplacement ,
dans la fignification donnée par ce Député.
Du Vendredi 14 Aour. Lecture du Procèsverbal
, & mention des Adreffes de plufieurs
Villes , ainfi qu de l'envoi d'ouvrages , dont leurs
Aut u's font hommage à l'Affemblée .
M. Duquesnoy , Deputé de Bar - le - Duc ,
prenat la parole , a dit en ſubſtance :
» V. us avez arrêté , Meffieurs , que vous
éloigneriez en ce moment toute Motion étrangère
à la Conftitution . Occupons - nous donc fans
délai de ce important ouvrage. Vous avez formé
un Comité pour le préparer . Il n'étoit point alors.
dans vos vues de recevoir un projet particu ier de
chaque Commiffaire ; vous demandiez un feul
plan formé de la réunion de leurs avis ....
Vous avez perdu le fruit de ce Comité , puiſque
vous avez été obligés d'en créer un nouveau.
Que feroit-ce fi vous éprouviez encore les mêmes
inconvéniens de celui- ci?
Qu'il ne foit donc ples permis aux Membres
du Comité de préfenter leurs idées individuelles , "
& qu'ils ne forment de leurs différe s avis qu'un
réſultat urique , capable d'être foumis à la difcuffion
de l'Affemblée . »
" Les principa es queftions me femblent fe divifer
en deux Claffes ; favoir , ce les qu'il fera
néceffaire d'établir les premières , & celles dont
la difcuffion doit être fubféquente. "
La première de toutes , offre affez d'accord
dans les opinions : L'Affemblée fera- t-elle perma
nente ou périodique ?
2°. Quelles qualités font néceffaires pour être
E. &eur
( 289 )
Electeur ou Eligible aux Afemblées , tant Nationales
que fecondaires? 39
» Vous déciderez fi l'Affemblée Nationa'e fera
compofée des Repréſentans de la Nation , ou des
Corporations ; fi elle doit n'avoir qu'un intérêr ,
ou plufieurs intérêts croifés & combinés , &c. En
décidant le mode des Elections , vous hâterez
l'établiffement des Affemblées Provinciales , »
» Une autre Queftion importante fe préfente. «
" Quelle fera l'influence de l'autorité Royale
fur la Législation ?
» Le Roi aura-t-il le Veto ? Son pouvoir pourrat-
il être fufpendu , & c . ?
3°. Y aura- t-il deux Chambres ? quels feront
leurs rapports , leur influence refpective ?
Il me femble que fi les deux Queſtions préliminaires
étoient décidées , le Comité chargé de
ce travail auroit deux bafes folides , fur lefquelles
il éleveroit les autres , & yous éviteriez
de grandes difcufli : ns.
par
là
M. de Volney.» Avant de délibérer , il feroit
à propos de favoir fi le travail du Comité eft
achevé , & où il en eft . M. Bergasse a un travail
complet fur la Conftitution ; il faut connoître ,
quelle en eft la forme , quels en font les déve
loppemers , les détails , «
" Quant à la Motion actuelle , j'obſerverai
que l'opinion commence à fe former fur la néceffité
de créer un pouvoir exécutif. Nous réuniffons
prefque toute la puiffance ; mais ce n'eſt
qu'uce puiffarce mora'e . Vous ne pouvez faire
effectuer vos lois fans le pouvoir exécutif : il faut
donc le déterminer, »
» 2. Tous les autres pouvoirs fubalternes fontdiffous
dans le Royaume. Occupons - nous donc
inceffamment de la forma ion des Affemblées
provinciales , & de toutes les Affemblées fecondaires.
Profitons du temps où les Peuples font oc-
N°. 34. 22 Août 1789.
( 290 ) cupés aux travaux de l'Agriculture
, & n'aften- dors point l'époque où , délivrés de leurs occupations
, ils fe livreroient plus amplement
aux
affaires d'Etat , & refuferoient
peut -être les pou- voirs auxquels nous voudrions les foumettre . » Occupons-nous encore de déterminer la L berté
individuelle
& politique , le droit des propriétés , la perception
des impôts , & autres queftions. de cette nature , de la decifion defquelles dépendent
le fort & le falut de l'Etat."
M. de Montmorenci
remarqua que la Motion de M. Duquenoy étoit contraire aux vues dans lef
quel es l'Affemblée avoit créé le Comité de Conf
titution , pour faire précéder d'une Déclaration
de droit toutes les autres queſtions.
M. Regnault foutint la Motion de M. Duquesnoy. " Il eft certain , dit- il , que tous les jours l'A
femblée Nationale fe trouve obligée de confier fes décrets aux Municipalités
, & fe voit fouvent
; elle ne
embarraffée
d'effectuer leur exécution
peut non plus parvenir à ce but par l'intermé
diaire des Affemblées provinciales
actuelles , puifque
ce ne font point des Affemblées
provinciales
& nationales. Il eft donc de néceffité indifpenfable
de les créer le plus tôt poffible , & de charger
à cet effet le Comité de Conſtitution
de prépa
rer le travail de leur organiſation. » " Il n'eft pas moins effentiel de pourvoir à la réforme du pouvoir judiciaire. D'après votre Ar- rêté , portant fuppreffion
de la vénalité des Charges
, tous Officiers civils ne fe regardant plus que comme Membres
momentanés
des Tribunaux
abolis , ne peuvent être fufceptibles
de l'énergie
néceffaire à leurs fonctions. » M. de Clermont- Tonnerre
rappela la décifion de l'Affemblée
, au fujet de la Déclaration
des Droits qui devoit précéder
la Conſtitution
. Les queftions
qu'on avoit propofées
étoient fubfidiai(
291 )
"
res d'autres articles fondamentaux ; les agiter mainterant
, ce fe oit établir les conféquences avant le
principe. L'Opinant promit pour lundi le rapport
du travail du Comité de Conſtitution , & pria
l'Affemblée de ne point délibérer , avant ce tems ,
la Motion propolće.
Cet avis fut app audi & admis unanimement .
On fe retiran Bureaux pour procéder à l'é ection
des Men bres de plufieurs Comités , de deux
Secrétaires , & d'un nouveau Préſident.
Du Samedi 15 AOUT. La veil'e , l'Affemblée
s'étant ajournée à lundi , il n'y a point eu de Séance .
De Paris , le 20 août.
Déclaration du Roi , concernant un
Emprunt de trente millions ; donnée
à Versailles , le 12 Août 1789.
"
Le Roi ayant fait connoître à l'Assemblée
Nationale le besoin pressant d'un
« emprunt de trente millions , l'Assemblée
Nationale a délibéré cet emprunt par le
« Décret suivant :
44
L'Assemblée Nationale , informée des besoins
urgens de l'Etat , décrète un Emprunt
de 30 millions , aux conditions suivantes :
ART. I. L'intérêt sera à quatre et demi pour
cent , sans aucune retenue .
ART. II . La jouissance de l'intérêt appartiendra
aux Prêteurs , à commencer du jour
auquel ils auront porté leurs deniers .
ART. III. Le premier payement des intérêts
se fera le premier janvier 1790 , et les autres
payemens se feront ensuite , tous les six mois ,
l'Administrateur du Trésor-Public.
ART. IV. Il sera délivré à chaque Prêteur ,
des quittances de Finances , sous son nom ,
par
nij
( 292 )
avec promesse de passer contrat , conformé
ment au modèle ci - après .
ART. V. Aucune quittance ne pourra être
passée au-dessous de mille livres ."
En conséquence , Sa Majesté autorisé
le sieur Duruey , Administrateur du Trẻ-
sor Royal , chargé de la recette et des
caisses , à recevoir les fonds des per
sonnes de tout pays et de tout état qui
voudront s'intéresser dans cet emprunt,
aux clauses et conditions énoncées dans
le Décret ci - dessus transcrit ; et seront ,
sur la présente Déclaration , toutes Lettres-
Patentes nécessaires expédiées . FAIT
à Versailles, le douze Août mil sept cent
quatre - vingt - neuf. Signé LOUIS. Et
plus bas, par le Roi , Signé LE COMTE
DE SAINT-PRIEST .
Ordonnance du Roi , du 10 août 1789 ,
concernant la Chasse..
DE PAR LE ROI.
Sa Majesté , toujours disposée à tous les
sacrifices personnels que l'intérêt de ses Sujetspeut
demander , vent et entend que toutes
les Capitaineries soient supprimées. Mais ent
même temps Sa Majesté doit , pour le maintien
de l'ordre et la conservation des propriétés
, prendre des mesures eficaces , afin
que , sous prétexte de chasse , personne ne
puisse porter atteinte au droit d'autrui A ces
causes , le Roi fait inhibitions et défenses à
tous et chacun de s'introduire dans les plaines
non moissonnées , et autres territoires dont
les récoltes ne seroient pas enlevées , sous
( 293 )
prétexte de chasser , et d'y commettre aucun
dégât , sous peine d'être punis suivant la rigueur
des Ordonnances. Mande et ordonne
Sa Majesté à tous les Officiers et Gardes de
ses Capitaineries de continuer leurs fonctions
pour le fait seulement de la conservation
des moissons et récoltes. Enjoint aux
Maréchaussées de s'y réunir , aux Milices
bourgeoises d'y veiller , et aux Troupes
réglées de prêter main-forte , sur la requisition
des Officiers de Police : Et sera la
présente Ordonnance imprimée et affichée
par - tout où besoin sera , à ce qu'aucune
personne n'en ignore . Fait à Versailles , le dix
août mil sept cent quatre-vingt- neuf.
1.
Signé LOUIS , et plus bas , le Comte DE
SAINT -PRIEST.
DE PAR LERO I.
Sa Majesté est informée que des troupes
de brigands , répandues dans le Royaume ,
s'attachent à tromper les habitans de plu
sieurs Communautés , en leur persuadant
qu'ils peuvent , sans s'écarter des intentions
de Sa Majesté , attaquer les châteaux , en
enlever les archives , et commettre d'autres
excès envers les habitations et les propriétés
des Seigneurs . Sa Majesté se trouve donc dans
la nécessité de faire connoître que de semblables
violences excitent toute son indignation
Elle enjoint expressément à tous ceux
qui sont chargés de l'exécution de ses ordres ,
de prévenir ces délits par tous les moyens
qui sont en leur pouvoir , et d'en poursuivre
sévèrement la punition . Sa Majesté ne peut
voir, sans la plus grande affliction , le trouble
qui régne dans son Royaume ; trouble excité
depuis quelque temps par des gens mal intentionnés
, et qui commencent par semer
n iij
( 294 )
de faux bruits dans les campagnes , afin d'y
répandre l'alarme , et d'engager les habitans
des villages à prendre les armes . Sa Majesté
ordonne aux Commandans de ses provinces ,
de veiller de près sur des manoeuvres si condamnables
. Elle avertit ses fidèles Sujets de
se tenir en garde contre ces mauvais desseins
et ces suggestions artificieuses ; et Elle invite
tous les bons Citoyens à s'opposer de tout
leur pouvoir à la continuation d'un désordre'
qui fait le scandale et la honte de la France ,
et qui contrarie essentiellement les vues bienlaisantes
dont le Roi et les Représentans de
la Nation sont animés pour l'avancement
du bonheur et de la prospérité du Royaume.
Vent Sa Majesté que laprésente Ordonnance
soit imprimée et affichée par-tout où besoin
sera , et même publiée aux prônes des. Messes
paroissiales . Fait à Versailles le neuf août
mil sept cent quatre- vingt- neuf.
Signé LOUIS ; et plus bas , le Comte DE
SAINT-PRIEST .
Règlementfait par le Roi , du 9 Août
1789 , pour la réunion de ses Conseils
; extrait des Registres du Conseil
d'Etat.
Le Roi ayant reconnu la nécessité de faire
régner entre toutes les parties de l'Adminis
tration , cet accord et cette unité si désirables
dans tous les temps , et plus nécessaires
encore dans les temps difficiles , Sa Majesté
a jugé à propos de réunir au Conseild'Etat ,
Je Conseil des Dépêches et le Conseil Royal
des Finances et du Commerce ; et pour que
les affaires contentieuses , qui étoient portées
les Secrétaires d'Etat au Conseil des Dé
par
( 295 )
pêches , soient à l'avenir vues et discutées
dans une forme capable de préserver des variations
et des surprises , Sa Majesté a en
même temps jugé convenable de former ,
pour ces sortes d'affaires , un Comité semblable
à celui qui existe pour les affaires contentieuses
du Département des Finances : Elle
espère trouver , dans cet établissement , les
mêmes avantages et la même utilité que le
Comité contentieux des Finances a constamment
procurés depuis son institution .
ART. I. Le Conseil des Dépêches et le
Conseil Royal des Finances et du Commerce ,
seront et demeureront réunis au Conseil d'Etat,
pour ne former à l'avenir qu'un seul et mêine
Conseil , lequel sera composé des personnes
que le Roi jugera à propos d'y appeler.
II. Pour mettre d'autant plus d'accord dans
toutes les parties d'Administration , et prévenir
l'influence de la faveur ou des prédilections
, le Roi a ordonné que toutes les
nominations aux charges , emplois ou bénéfices
dans l'Eglise , la Magistrature , les Affaires
étrangères , la Guerre , la Marine , la
Finance et la Maison du Roi , seront présentées
dorénavant à la décision de Sa Majesté ,
dans son Conseil .
III. Toutes les demandes et affaires contentieuses
qui étoient rapportées au Conseil
des Dépêches par les Secrétaires d'Etat , seront
renvoyées de chaque Département , à
un Comité que Sa Majesté établit sous le
titre de Comité contentieux des Départemens.
IV. Le Comité sera composé de quatre
Conseillers d'Etat , et il y sera attaché quatre
Maîtres des Requêtes , en qualité de Rapporteurs.
V. Les avis du Comité seront remis au
n iy
( 296 )
1
Secrétaire d'Etat du Département ; et dans
le cas où une affaire aura paru d'une nature
et d'une importance telle qu'il doive en être
rendu un compte particulier au Roi , Sa Majesté
appelera à son Conseil , les Conseillers
d'Etat composant ledit Comité , et le Maitre
des Requêtes Rapporteur , pour , sur son rapport
, être statué par Sa Majesté .
VI. Il en sera usé de même à l'égarð da
Comité contentieux des Finances ; et Sa Majesté
se réserve en outre d'appeler paruculièrement
à sondit Conseil , le Controleurgénéral
de ses finances , toutes les fois que
les circonstances pourront l'exiger.
Fait au Conseil d'Etat du Roi , Sa Majesté
y étant , tenu à Versailles , le neuf Août mil
sept cent quatre-vingt-neuf. Signé , le Comte
DE SAINT-PRIEST.
Le plan de la Municipalité à former ,
fut remis le 12 , par ses Rédacteurs, à l'Assemblée
générale des Représentans de
la Commune : il seroit superflu de le
rapporter avant son adoption , car il est
possible qu'il subisse beaucoup de changement.
La base de ce Projet consiste
à créer des Assemblées et des Comités
des soixante Districts existans , une Assemblée
générale de 300 Représentans ,
soit de ces Districts , soit de la Commune;
un Corps d'exécution , sous le nom de
Conseil de Ville , et composé de 60
Membres de l'Assemblée des Représen
tans ; enfin , un Bureau de Ville , consistant
en 21 Officiers du Conseil de
Ville : c'est le dernier terme de l'échelle
municipale. Le Conseil de Ville en pa
( 297 )
roît le point central : ce Corps éliroit ses
propres Membres au scrutin , parmi les
Représentans de la Commune , amovibles
eux-mêmes par rotation ; en sorte
qu'en cinq ans , leur Assemblée générale
soit entièrement renouvelée .
Ce Projet, à ce que nous croyons ,
n'est pas encore sorti de l'Hôtel - de- Ville ,
pour être soumis aux délibérations des
Districts , toujours assemblés depuis le
milieu du mois dernier , soit en Comités
, soit en Assemblées générales. Il seroit
contre nature que ces soixante divisions
Citadines fussent en harmonie :
un accord aussi parfait seroit incompa
tible avec une liberté récente , et en in
diqueroit le sommeil. Quelques- uns de
ces Districts ont éprouvé assez de fermentation
, sur-tout à l'instant de la nomination
des Officiers de la Milice . Plusieurs
de ces Officiers ont été cassés après
leur Election , et le conflit des prétentions
à ces nouveaux Grades militaires
n'a pas encore permis , si le bruit
public ne nous trompe pas , de consommer
en entier cette promotion . Quantau
plan général de la Milice Nationale Parisienne
, il semble adopté en très-grande
partie . Les Gardes- Françoises , au nombre
de 2000 , se sont , dit- on , incorporés
dans la division de cette Milice , qui
sera soldée , et qui fera un service permanent.
Toute la semaine dernière à
été employée à des bénédictions de dran
v
( 298 )
peaux dans les divers Districts . M. le Marquis
de la Fayette a nommé au grade
de son Major-Général , M. de Gouvion,
qui s'est distingué dans la guerre d'Amérique
, et dont le choix a été approuvé
par l'Hôtel - de- Ville et par les Districts .
Nous élaguons l'histoire de tous les
petits dissentimens , contrariétés , incidens
minutieux , qui alimentent les Feuilles
journalières , et qu'on oublie le lendemain
de leur récit. Il est d'ailleurs
fort difficile d'en constater la certitude :
témoin les 17 Canons pris à l'Isle-Adam , -
chez M. le Prince de Conti , et qui se
réduisent à six , suivant l'attestation
signée de M. le Chevalier de Saint-Léger,
Commandant de cette expédition . Il
n'est pas moins faux qu'on eût trouvé
un magasin de bleds et de farines dans
le Château . L'Histoire du moment est
presque toujours négative , et condamnée
à détruire des rapports , encore plus
qu'à en faire.
Un très- grand nombre de Gardes -Suisses
ont suivi l'exemple des Gardes- Françoises ,
quoique liés par des devoirs différens : ils
ont abandonné leurs Casernes , et beaucoup
d'entr'eux_montent journellement la garde
dans les différens Districts . Dans l'origine ,
Ja plupart l'avoient fait avec la permission
de leurs Chefs ; délivrés de la discipline de
leur Corps , qui , comme on le sait , est une
discipline Nationale , ils se sont présentés à
P'Hôtel-de-Ville, pour y être incorporés dans
la Milice soldée. M. de la Fayette n'a voulu
( 299 )
recevoir que ceux qui s'étoient rendus à là
Ville , avant la Lettre du Roi à re Général :
les autres ont reçu leurs congés , & des passeports
pour sortir du royaume. Le soir s'éleva
une querelle entre la Caserne des Suisses
de Chaillot ; et quelques- uns de leurs Camades
, attachés au District du Roule , au sujet
d'un esponton pris par ces derniers , sur la
Caserne de Chaillot . M. du Rocher , Commandant
la Maréchaussée de Passy , et qui
jouissoit de l'estime publique , engagea le
District du Roule à restituer l'esponton , et
il en porta la promesse
à la Caserne
de
Chaillot
, accompagné
de M. Deschamps
,
Commandant
du Roule. Les Habitans
de ce
District
s'imaginant
que M. du Rocher
alloit
livrer leur Chef aux Suisses
de Chaillot
, le
suivirent
, blessèrent
M. du Rocher
; l'instant
d'après , cet Officier
reçut un coup de feu qui
le tua.
Versailles , comme Paris , est gardé
par la Milice Bourgeoise ; on y visite
ceux qui entrent et ceux qui sortent .
Des Députés à l'Assemblée Nationale, et
l'une des Princesses, n'ont pas été exempts
de cette formalité , poussée quelquefois
un peu trop loin . Cette même ville de
Versailles, dont l'aspect étonneroit étrangement
Louis XIV , s'il revenoit au
monde , a vu la semaine dernière un
spectacle digne de quelque réflexion .
Un garçon serrurier avoit tué son père
d'un coup de couteau , qu'il assura être
destiné à une servante , concubine de
l'auteur de ses jours . Condamné aux
termes de la loi , à être rompu , puis
n vj
( 300 )
jeté dans les flammes , on le conduit
au lieu du supplice. Cette roue , ce bu
cher , cet appareil effrayant enflamment .
la multitude; elle proclame la grace du
patient, et l'exécute . L'officier de justice ,
et son cortège se retirent ; on conduit
le parricide en lieu de sureté , et par
une espèce de compensation , digne des
Acteurs , on accroche à un reverbère
une femme du peuple , à laquelle on
attribue des propos de circonstance. La
corde casse , et la malheureuse renaît
pour deux jours , au bout desquels elle est
expirée.
Deux procès-verbaux du io , publiés
par l'Hôtel- de - Ville , nous ont appris
que , de l'Hôtel -de-Ville de Brie - Comte-
Robert , M. le Baron de Besenval avoit
été transféré au Château de la même
ville . Un , deux , et même trois Officiers
de l'Etat- Major , ne quittent point sa
chambre pendant le jour . A sa porte ,
sont en sentinelle , un Garde- Francoise
et un Volontaire de la Basoche. Le
château , très-gardé , est entouré d'un
fossé plein d'eau , et large de 20 pieds.
On assure que ce Général Suisse a conservé
la plus grande sérénité , et qu'ilsera
jugé par un Grand- Juré , Tribunal
encore inconnu dans le royaume.
Cette détention occupe le Corps Helvétique.
L'état des provinces semble moins agité
, graces à la récolte qui occupe les
( 301 )
Journaliers , et à l'activité des détachemeus
de troupes , ainsi que des Milices'
Bourgeoises . Mais toutes nos lettres attestent
une fermentation alarmante , et
l'effroi des Habitans paisibles. L'Alsace
et la Franche- Comté ont le plus souffert
de ces dévastations , combinées et exécutées
par la même classe d'hommes sur
les Châteaux , les Abayes , les Monastères
, et même sur diverses Manufactu
res. Voici ce qu'on nous mande de Colmar
, le 9 de ce mois.
» Nous avons eu une insurrection de la
part de notre Bourgeoisie ; mais le Magistrat
a préven les accidens , en déférant aux
vaux du Peuple. On a armé les Citoyens ,
et le calme règne dans cette Ville . Il n'en est
pas de même aux environs . Les Paysans des
Vallées ont commis les excès les plus affreux .
On a brûlé , dans la Haute-Alsace , nombre
de Châteaux ; l'Abbaye de Cuevilers est dévastée
; plusieurs Baillis ont été attaqués ét
chasses de leurs demeures ; on a expulsé les
Juifs du Sundgau , et brûlé leurs Maisons .
La plus grande fermentation régnoit aussi à
Ribeauviller , Chef-lieu des terres que possède
, dans la Haute - Alsace , le Prince Maximilien
de Deux-Ponts. On assure que ce Prince
a été obligé de quitter Srasbourg : on a calmé
ses vassaux par des sacrifices . C'est le Bureau
de la Commission intermédiaire de Colmar
qui a appaisé ces troubles . «
» Notre Bourgeoisie vient de changer son
ancienne Constitution ; elle s'est réduite à
quatre Tribus , au lieu de dix ; l'Administra
tion sera entre les mains de quarante huit
( 302 )
Echevins , dont huit formeront un Bureau d'administration.
« Vous savez ce qui s'est passé à Strasbourg :
on a pillé Hotel -de - Ville , et les Maisons de
deux Principaux Magistrats . Des Bourgeois ,
secondés des Troupes , avoient ramené le
calme ; mais il n'a pas été de durée. Le six
de ce mois , il y a eu de nouvelles Scènes .
La Bourgeoisie avoit accordé une gratification
aux Militaires ; on se livra d'abord à
la gaieté ; mais à la fin , le vin ayant échauffé
les têtes , les Soldats mêlés de Bourgeois , se
débandèrent dans les rues , et firent boire tous
les passans , sans distinction d'âge , de rang ?
et de sexe on força les prisons , on délivra
les prisonniers faits le jour de la première
insurrection. On se rendit ensuite à la Maison-
de-Force , d'où l'on fit sortir les person.
nes des deux Sexes , qui y étoient renfermées .
Les prostituées mises en liberté , se livrèrent
à toutes sortes d'excès. Le désordre étoit
à son comble , et les efforts des Officiers Supérieurs
, et autres , furent inutiles pour ramener
les Soldats à la subordination.
Du 12 , même lieu . La tranquillité est rétablie
à Strasbourg,
Plus de 1200 Juifs pillés , et expulsés
du Sundgau , de l'Alsace et de la Lorraine ,
se sont réfugiés à Basle , dont le Gouvernement
leur a fait délivrer des logemens
et des subsistances . On a débité qué
les Suisses avoient fermé leurs frontières
à tous les fugitifs ; une défense générale
de cette nature , deshonoreroit une Nation
, et les Suisses ne peuvent avoir
encouru un pareil reproche , quoique
( 303 )
la prudence leur eût dicté des précau
tions. L'incendie des Châteaux et le pillage
des Archives avoient gagné la Principauté
de Montbelliard et celle de Porentrui;
mais ces ravages ont été arrêtés
à temps. On assure que le Roi de Sardaigne
a fait marcher des troupes en
Savoie pour garder ses frontières.
Une lettre authentique de Vesoul , et
très-récente , puisqu'elle date du 13 , nous
instruit des détails suivans , sur la fidélité
desquels on peut compter.
» Je ne tenterai pas de vous rendre la fituation
de c Bailliage. Vous voulez des faits ; je
ne vous parlerai que de ceux de notoriété publique .
Les Abbayes de Clairfon aine , de Lure , de
Bithaine , & plufieurs autres de différens Ord´es ,
ont été investies par des bandes de payfans , auxquels
elles ont été forcées de remettre tous leurs
tres , leurs provifions de vins & de farines , &
pis que cela en divers lieux. Les Châteaux ont été
encore plus maltraités . Ce n'est point l'affaire de
Quincey qui a occafionné les premiers défaftres ,
puifqu'elle a eu lieu le dimanche 19 , à onze
heures du foir ; & le 16 , le Château de Saucy ,
apparterant à Madame la Princefle de Beaufremont
, avoit été attaqué , dévasté , & la Princeſſe
obligée de monter à cheval , déguifée , & de paffer
la rivière à gué . Le 18 , dévalations de Lure ,
Bithaine , & du Château de Molans ; le 3 au matin ,
celle du Château de Châtenoy.
Je fuis à même de fatisfaire votre curiofité
fur l'affaire de Quincey. Il eft aujourd'hui
conftaté , 1 °. Qu'il n'y a point eu d'invitation faite
par M. de Mefmay , ni aux Chaffeurs de notre
Garnifon , ni aux Bourgeois , ni à perfonne ;
( 304 )
2. que depuis le mercredi 15 , ce Seigneur étoit
abfent de fon Château : l'accident eft arrivé le
19 au foir. 3 °. On a reconnu qu'il n'y avoit ,
& qu'il n'y a jamais eu aucune trace de mine
dans l'endroit où étoit la poudre , & où l'explo
fio s'eft faite . 4 ° . Qu'il n'y a point eu de table
dreffée pour les convives dans et endroit , éloigné
du château de 50 pas. 5° . Que trois Dragors
& un adolefcent de 16 ans ont péri feuls. Deux
des Dragons étoient occupés d'un befoin ; e troifième
caufoit avec le jeune homme. 6°. Six habitans
feuls de Vef ul étoient réunis au Château
avec 50 Dragons ou Chaffeurs ; ceux- ci n'étoient
arrivés qu'à 9 heures du foir , & plufieurs fe'
trouvoient déja ivres . Quant à M. de Mefmay
il n'y a , jufqu'ici , aucune dépofition contre lui. »
1
» Nous favons tous , il eft connu de chacun
dans le Bailliage , que ce Gentilhomme fort riche
& agromare , forçoit les pierres à produire , &
que toute l'année il faifoir jouer la poudre dans
les rochers de Quincey. Avoit- il obtenu une pe
tite furface plane ? il y faifoit porter de la terre ;
au moyen de deux grues , & recueilloit da vin
excellent. Au moment de fon départ , il s'en
trouvoit 700 muids dans fa cave. Je ne fuis ri
fon apologifle ni fon accufateur ; je vous rends
des faits avérés : je me demande de p us , ce que
fignifie un complot contre quatre Dragons & un
enfant ? je me demande , pourquoi le confpirateur
n'a pas empoifoncé les mets & les vins fervis
à 56 convives réunis au Château , plurôt que
de faire périr ces quatre Dragons & ce ; enfat ?
Je me demande qu'elle efpèce de vengeance M,
de Mefmay avoit à exercer fur ces Dagons ?
Quoi qu'il en fait , cet évènement a été suivi
de défaftres bien plus déplo ables. Le château de
Vauxvilers eft abymné de la cave juſqu'au trît.
Madame la Duche de Clermont- Tonnerre a été
( 305 )
enlevée par fes domestiques , qui ont abattu un
pan de mur de fon parc , pour la faire fauver.
Réfugiée dans le faux grenier d'une maifon particulière
, elle y eft reftée cachée tous des fagots ,
jufqu'à l'inftant où Madame la Princeffe de Broglie
lui a envoyé , de Saint- Remi , un détachement de
Chaffeurs pour la conduire en lien de fureté. Ces
Chaffeurs ont infpiré du cou age à la Milice , qui
a pris les armes avec eux : douze des pillards ont
été tués, & 27 fai's prisonniers . ».
Le Comité de Vefoul a envoyé , dans toutes
les paroifles , le fignalement d'un homme qui a
emis dans plufieurs Communautés des ordres
faux , fignés Louis , par lefque's ils étoient autorifés
à faccager les Châteaux & les Monaftères
"
» Cetre fréréfie a paffé en Alface & en Lorraine.
Plufieurs gentilshommes s'étoient rafiemblés
à Chauvirey contre les brigands ; quelquesuns
ont été bleffés ; 24 des fcélérats agreffears
font reftés fur le carreau . Mademoiſelle d'A*** ,
en habit d'homme , paſſe pour en avoir tué trois
de fa main.
» La moiſſon ouverte nous a procuré une trève :
jefouhaite qu'elle amène une tranquillité conftante.
»
Le 12 Juillet , il y avoit eu un pillage de
grains à Rouen : la maison du Procureur
Général fut enfoncée et dévastée ; les
séditieux commirent ensuite cent dé-.
sordres dans la ville , forcèrent des magasins
de commerce , des moulins , etc.
Quelques-uns de ces malheureux furent
saisis ; il y en eut même d'exécutés. La
Milice Bourgeoise et les troupes ramenèrent
la tranquillité , et assurèrent la
libre circulation des bleds : le prix du
( 306 )
pain baissa à un taux fort- modéré , et
cet état de calme se prolongea jusqu'aux
premiers jours de ce mois.
- Un fieur J*** , venu de Paris , s'i: troduifit , à
cette époque , parmi la jeuneffe de Rouen , qui
formoit une troupe de Volontaires ; il parvint à
fe faire nommer Capitaine d'une Compagnie : dèslors
une fermentation fourde fe fit fentir ; la défunion
éclata biénôt entre les Volontaires & la
Milice Bourgeoife.
La fermentation augmentoit au point que le
Corps municipal & électoral ſe vit dans l'impo
fibilité de donner des Ordies , fans rifquer de compromettre
fon autorité , & de mettre aux prifes
les Citoyens contre les Citoyens .
Plufieurs mauvais fujets d'une des Compagnies
du Régiment de Navarre furent gagnés , & fe
mèrent parmi quelques-uns de leurs camarades ,
des idées d'infubordination qui gagnèrent de proche
en proche , & inquiétèrent vivement le Corps
des Officiers .
Dans ces conjonctures , le fieur B*** , Acteur
des Variétés de Paris , arrive le Lundi 3 du cou
rant , avec quelques- uns de fes agens , qui répan
dirent parmi le peuple qu'il étoit Deputé de Pa-
1is. Vers minuit une troupe de bandits , ayant à .
leur tête le fieur B*** qu'ils appeloient leur
Général, fe porte chez M. l'Intendant ( Magiftrat
qui jouit de la plus jufte confidération ) , brife les
portes de fon Hôtel , fait la recherche de fa perfonne
, avec les plus horribles imprécations , &
dem ndé fa tête. M. de Mauffion s'étant fouftrait
à leur fureur , i's commirent toutes fortes d'excès
dans fes appartemens , fe répandirent dans
fes caves , & s'y enivrerent.
Le lendemain matin , dès que ces miférables ,
dontle mot de ralliement étoit Caraba , euient cuvé
( 307 )
leur vin , ils fe réunirent fous les ordres de leur
Général , & fe portèrent à incendier tous les Bureaux
des Fermes.
Cependant les Chefs & Officiers du Régiment
de Navarre , qui avoient détruit la veille le complot
formé dans fon fein , furent prévenus que.
plufieurs de leurs Soldats , mêlés parmi la populace
, fe répandoient dans les rues de Rouen ,
en criant qu'ils alloient délivrer les prifonniers ,
s'emparer de l'intendant , & lui couper la tête .
Auflitôt on battit la générale , & les Officiers
coururent à leurs compagnies. Le Régimeut fit
bientôt entendre un murmure d'indignation , & demanda
la punition des coupables.
Pendant cet intervalle , le fieur B *** avoit
éé arrêté par une patroui le bourgoife , & mis
dans les prifons du Palais. Le fieur J *** , à la
tête d'une partie de fa Compagnie , vient le réclamer
au nom du Corps des Volontaires -Patriotes
, auxquels on le remit , pour ne point donner
*** fe lieu à une fciffion dangereufe. Le fieur B
mit dans la diligence pour retourner à Paris . Mais
le Corps des Volontaires ayant acquis de, lumières
fur le compre du fieur J *** & du ſieur
B*** , s'empatèrent du premier , & firent courir
après le fecond. Un détachement le rattrapa à
Magny, & le ramena à Rouen le lendemain matin.
L'un & l'autre ont été conftitués prifonniers ;
& , d'après les informations & dépofitions faites
contre eux tous deux ont été décrétés , & on
inftruit leur procès.
"
Le lendemain , deux des ircendiaires ont été
pendus. Les malfaiteurs , arrêtés par la pife de
leurs Chefs & de quanti é d'entre eux , plus encore
par l'harmonie rétablie entre tous les Corps
Militaires , les Citoyens & la Municipalité , fe
font diffipés , & ont rendu le calme à la Ville .
( 308 )
On a vu la semaine dernière , à l'art.
de l'Assemblée Nationale , l'attaque
d'un bateau de grains , faite par le Peuple
de Louviers , et sauvé par les Volontaires
d'Elbeuf. Deux de ceux- ci , MM.
Waast-Robert Dupont , et Quesné Dumoulins
, Députés à Versailles , nous
ont remis la relation suivante de cette
affaire , en en requérant la publication.
« Le 27 juillet passé , les Volontaires- patriotes
d'Elbeuf ont délivré du pillage un
bateau chargé de blé destiné pour Paris ,
attaqué par trois à quatre mille personnes ,
pres du village de Poser ; ils ont dû leur succes
à la nuit qui cachoit leur petit nombre , et
à l'heureux stratagême qu'ils ont employé
à leur arrivée sur les piilards , en appelant
à grands cris autour d'eux divers Régimens
qui n'existoient pas , et dont les noms seuls
les défendoient. Deux jours après , ils ont eu
le même bonheur , et au même endroit. "
«
Le 30 du même mois , un des leurs , le
sieur Guilbert , étant allé à Louviers , il fut
insulté par le peuple , qui , le reconnoissant
à son uniforme , pour un des Volontaires qui
deux fois avoient écarté les pillards , se prépara
à s'en venger ; on ne put le dérober à
cette fureur , qu'en l'enfermant dans un cachot
de la prison. La ville d'Elbeuf instruite de sa
cruelle détention , et invitée par un Député
de la Municipalité de Louviers , à se joindre
à sa Milice pour la délivrance de l'innocent ,
inforina du fait M. le Marquis d'Harcourt ,
Commandant de la province , qui sensiblement
touché du sort du malheureux Volontaire
d'Elbeuf , joignit aux Concitoyens du sieur
Guilbert , deux détachemens de Cavelerie et
( 309 )
Dragons , fortifiés encore de quelques braves
Volontaires de Rouen. Cette petite troupe
d'environ soixante hommes , s'étant présentée
à Louviers , où elle espéroit trouver la Garde
bourgeoise dans son parti , en fut reçue à
coups de fusils et de bayonnettes. Forcée par
sor Commandant de se retirer dans un faubourg
, pour y attendre les Officiers municipaux
de Louviers , elle en reçut la douloureuse
réponse , que la fureur du peuple étant
à son comble , on ne pouvoit rendre le prisonnier.
»
« Frémissant sur son sort , elle invite l'Hôtel-
de-Ville de Rouen à députer vers Louvier
, pour réclamer le sieur Guilbert. La députation
de Rouen , loin d'y réussir , fut à
son retour visitée par le peuple , qui vouloit
s'assurer si elle ne lui enlevoit pas sa victime.
Aussitôt PAssemblée manicipale et électorale
d'Elbeuf a envoyé à l'Hôtel- de - Ville de Paris
et à M. le Marquis de la Fayette deux
Députés , pour implorer leur médiation auprèsde
la ville de Louviers. »
« Deux Membres du Conseil des 120 les
ont accompagnés et présentés à l'Assemblée
Nationale , qui a arrêté d'écrire aux habitans
de Louviers , qu'elle avoit appris avec peine
la détention du sieur Guilbert , et qu'elle espéroit
qu'elle ne seroit pas prolongée. »
"
Déja l'Hôtel -de - Ville de Rouen avoit
envoyé à Louviers une seconde députation
plus nombreuse , laquelle ayant communiqué
aux habitans le danger auquel les exposoit
l'indignation des Troupes et des Citoyens
de Rouen, eut le bonheur de tirer l'innocent de
son cachot : il a été reçu avec affection par
( 310 )
M. le Marquis d'Harcourt , et par tous les
habitans de Rouen . Ses compatriotes d'Elbeuf
ont été au-devant de lui , et l'ont rendu à
son père , à sa mère , à sa ' amille éperdue. »
« Les éloges flatteurs que l'Assemblée Nationale
, l'Hotel- de - Ville de Paris et de Rouen,
et M. le Marquis de la Fayette ont donné
aux Volontaires d'Elbeuf , dans les lettres
de félicitation qu'ils leur ont adressées , et
l'accueil honorable qu'ils ont fait à leurs Députés
, sont pour eux la plus douce récom
pense de leur service , et l'aiguillon le plus
pressant pour les engager à continuer leurs
travaux au péril de leur vie .
>>
Suivant le rapport fait lundi à l'Assemblée
Nationale , et confirmé les
par
lettres particulières , la nouvelle du complot
contre le port de Brest , et revélé
par l'Ambassadeur d'Angleterre a
ranimé le ressentiment public contre
la Noblesse de cette province. Plusieurs
Gentilshommes , entr'autres M. de Botherel
, Procureur - Syndic des Etats , M.
de Tremergat , etc. ont été arrêtés et
enfermés aux Châteaux de Nantes et de
Saint- Malo , par les Milices Bourgeoises. !
Ils ont fait parvenir leurs plaintes à
l'ASSEMBLÉE NATIONALE , qui a renvoyé
l'affaire au Ministre , et arrêté d'écrire
aux Bretons de libérer les Gentilshommes
détenus.
« On a vu ſe renouveler à Caen , la femaine dernière,
une deces fcènes d'exécution fans forme de Pro
cès , fansjugement, & dont l'effet eft d'entretenir l'ef
fervefcence & d'empêcher le retour ſi néceffaire
du bon ordre & de la tranquillité, M. de Belzunce ,
( 311 )
Major du Régiment de Bourbon , accufé de s'être
permis des propos contre la Ville , avoit , à
la requifition du Comité , reçu de fes Supérieurs
l'ordre de s'éloigner. On fut qu'il n'avoit pas obé ,
& qu'il s'é oit retiré , le 11 , aux cafernes ; des
fentinelles Bourgeoifes furent pofté de tous côtés.
A onze heures du foir , un de fes amis s'approcha
du Bourgeois en faction , à la defcente du
Vaucelles ; celui -ci lui cria trois fois , qui vive ,
fans recevoir d'autres réponfe qu'un coup de piftolet
à bout portant , qui pourtant le manqua .
Le factionnaire lui caffa la tête d'un coup de ru
fil , & refta ferme à fon pofte ; on lui tira cinq
coups des cafernes fans le toucher. Le bruit attira
du monde ; en un quart- d'heure il fe trouva
un nombre confidérable d'hommes armés fur la
place des cafernes , où l'on braqui trois canons.
A deux heures du matin , 3 ou 400 Bourgeois y
pénétrèrent , s'emparèrent de M. de Belzunce , le
conduifirent au Comité , & de-là au château ; dans
la matinée ils retournèrent le chercher pour le
conduire , difoient- ils , au Comité. Arrivé fur la
place de Saint-Pierre , on lui déchargea fur la tête
un coup de croffe de fufil , qui ne l'abattit point ;
on voulut le dépouiller de fon uniforme , il réfifta
, & fut maffacré ; fa tête coupée fut portée dans
les rues. Peut-être auroit-on épargné la vie , fans
quelques femmes qui fuivo:ent & qui animoient
les hommes par leurs cris. »
C'est le 5 de ce mois que M: le
Comte D'ARTOIS arriva à Bonn , avec
le Prince d'Henin , son Capitaine des
Gardes , le Marquis de Polignac , le
Comte de Vaudreuil , le Vicomte de
Fleury , etc. etc. S. A. R. fut reçue au
Château par l'Electeur , et y est logée ,
ainsi qu'une partie des Seigneurs de sa
( 312 )
suite. On présumoit qu'après, quelque
séjour à Ban , ce Prince se rendroit
å Turin.
L‹ 8 , MM. le Prince de Condé , Duc
de bourbon , Duc d'Enghien , et Madame
la Princesse Louise de Condé ont
passé également à Bomm , sans s'arrêter ,
et ont pris la route de Coblentz , avec
une suite nombreuse , dans laquelle se
trouvoient , entr'autres , Madamela Princesse
de Monaco , le Marquis et la Marquise
d'Autichamp, le Comte d'Espinchal
, etc.
P.S. « Nous avons été priés d'annoncer
que MM. d'Alibert et Lucot , tous deux
Officiers des troupes du Roi , et se trouvant
à Paris à la suite d'un Procès , se
sont distingués en militaires patriotes ,
à la prise de la Bastille. »
Les Numéros sortis au Tirage de la
Loterie Royale de France , le 17 août
1789 , sont : 26 , 7 , 62 , 82 , 33.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 AOUT 1789.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. D*** de St - M *** , qui , à l'oc- :
cafion de mon Epitre à un Philanthrope ,
me difoit Filleul de l'Abbé de Chaulieu .
Dʊ
Non noftrum eft . VIRG.'
U charmant Prieur d'Oléron
Si je n'ai pas le bénéfice ,
Tu me décores de fon nom !
C'eft me faire un plus riche don
Pourvu que l'humaine malice
Ne me prête point l'artifice
Du Geai , qui voulut ( nous dit- on)
Paffer pour l'oifeau de Junon.
N. 35. 29 Août 1789.
122 MERCURE
Si doucement l'orgueil fe gliffe ,
Qu'à peine eft-il un coeur qui puiſſe
Se garantir de ce poiſon ;
Mais je fais me rendre juftice .....
Loin de prétendre entrer en lice
Avec ce Prêtre d'Apollon ,
(Quoique l'amitié m'applaudiffe )
Dans l'art des Vers encor novice ,
Tu me verras en cette efquiffe
Devant lui baiffer pavillon .
Oui , long-temps je fis mes délices
De ce Chaulieu , qui , Nourriffon
Des Mufes fes inftitutrices ,
Pour célébrer fes Bienfaitrices
Bégaya plus d'une chanfon :
Lui qui , né ſous l'Aftre propice
De Tibulle & d'Anacréon ,
Fut choifi par la Pythoniffe
Pour remplacer fur l'Hélicon
La Nymphe qui chanta Phaon ,
Et le Peintre heureux de Narciffe,
Epris de fes Vers enchanteurs ,
Dès les beaux jours de mon jeune âge.
A ce faveri des neuf Soeurs
Je m'empreffai de rendre hommage.
Tantot a l'ombre d'un bocage ,
Tantôt dans le calme des nuits ,
J'étois heureux avec ce Sage
Qui fe peignoit dans fes Ecrits ;
Et quand , pour de nouveaux pays,
2
DE FRANCE. 723
J'aimois à changer de rivage ,
Il étoit toujours du voyage
Dont il me fauvoit les ennuis ..
Vois , d'après ce tableau fidèle ,
Digne d'un plus brillant pinceau ,
Si je fuis loin de mon modèle !
Je le compare à Philomèle ;
Je m'affimile au Tourtereau.
Combien donc je ferois crédule
De m'en tenir à tes accens !
Quelle vanité ridicule ,
Si je jugeois mon Opufcule
Digne d'un fi flatteur encens
>
L'Aigle altier , en fon vol rapide ,
S'élance jufque dans les cieux ;
Tandis que , modefle & timide
Au fond des bois filencieux ,
La douse Colombe réfide .
Dans fon effor audacieux ,
Icare , à fon guide rebelle ,
Veut de l'Olympe radieux
Atteindre la cime immortelle s
Mais de ce jeune ambitieux ,
La chute ( leçon bien cruelle )
Fut toujours préſente à mes yeux.
Le Paon qui demandoit aux Dieux
Du Roffignol le doux ramage ,
A mon avis fut trop heureux
De ne pas perdre fon plumage.
(Par M. l'Abbé Dourneau. )
124
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogriphe du Mercure précédent.
E mot de la Charade eft Champart; celui
de l'Enigme e Eternuement ; celui du Logogriphe
eft Lin , où l'on trouve Nil.
CHARADE.
Mox cher Lecteur , de mon dernier
Le Soleil eft le père ;.
On voit toujours dans mon premier
Du méchant le contraire :
Mci j'ofe te remercier
De lire cet ouvrage ;
Que le fouhait de mon entier
T'en foit le témoignage.
(Par M. Demont , Chefd'Efcadron au
Rég. de Normandie- Chaffeurs. )
ÉNIGM E.
JE fuis certain défaut que l'on reproche aux Bellesz
Les Amans fe plaignent de moi ,
DE FRANCE. 825
Je ne fais pourtant pas pourquoi.
Els difent , ces Meffieurs , que je fais des cruelles ;
Il eft vrai que fouvent je fais enrager l'un ,
Mais c'eft pour fervir l'autre avec un foin extrême;
Et tel en foupirant feroit fort importun ,
Qui me doit le bonheur fuprême.
( Par M. Lefevre. )
LOGO GRIPHE.
LE gros animal que je fuis !
Je veux offrir un doute à la raiſon humaine
Et je dis bêtement qu'un de mes pieds démis ,
Chacun peut m'avaler fans peine.
( Par un Abonne.
F 5
126 MERCURE
NOUVELLES LÍTTÉRAIRES .
›
SUR quelques Contrées de l'Europe , ou
Lettres du Ch. de *** , à Madame la
Comteffe de *** . 2 Vol. in - 8°.. avec
cette Epigraphe :
.
Quiconque ne voit guère ,
N'a guère à dire auffi ,
La Font. Fabl. des deux Pigeons.
Se trouve à Paris , chez Lejay , Libr. ,
rue de l'Echelie.
PREMIER EXTRAIT.
Les François ont mérité long - temps
le reproche de ne pas aimer les Voyages.
Ils ont enfin fenti qu'on a beau
être aimable , l'ignorance eft fouvent à
charge & toujours honteufe ; que tout ce
qu'on peut apprendre n'eft pas dans les
Livres que le grand Livre de la Société
humaine , qui pourroit feul tenir lieu de
tous les autres, & dont les autres ne peuvent
tenir lieu , eft compofé d'une infinité
de parties éparfes dans tout le monde ; &
que celui - là peut le plus intéreffer fes
femblables & fe plaire avec lui - même ,
qui a le plus confulté dans leurs formes
DE FRANCE. 127
originales , & comparé les unes avec les
autres les diverfes parties de ce grand Livre.
Tout homme inftruit , qui voyage pour
s'inftruire encore fe fent porté à fixer
fur le papier les connoiffances qu'il acquiert
, les obfervations qu'il fait , les réflexions
& les fentimens que lui infpire
le ſpectacle des Nations étrangères. A ſon
retour , il foumet à fes amis ce recueil
qu'il n'a cru d'abord former que pour fon
ufage fes amis l'engagent à les communiquer
au Public , & le voilà devenu Auteur
fans en avoir eu le projet.
De là cette multitude de Voyages , qui,
depuis quelques années , ont paru fucceffivement
en France , & qui nous ont fait
connoître les régions Orientales , l'Egypte ,
la Grèce , & les nouveaux Etats Améri
eins , & les anciennes Conftitutions Européennes
; les parties de l'Europe encore
infectées des restes de la barbarie , celles où
la Politique domine & celles où règnent
les Art:.
,
Parmi ces Voyageurs , les uns difent feulement
ce qu'ils ont vu , ce qu'ils ont entendu
ce que tout autre à leur place
pourroit voir & entendre : les autres, exercés
à penfer , on doués d'une imagination
active , réfléchiffent fur tous les objets qui
les frappent , jugent , comparent , laiffent
aller leur efprit & leur ame , & parlent
en même temps à l'ame & à l'efprit de
leurs Lecteurs.
F
22S MERCURE
C'eft dans cette dernière claffe qu'il faut
ranger l'Auteur de ce nouveau Voyage ,
qui paroît fous un titre modefte , mais où
l'on trouve des obfervations fines , des fentimens
nobles , des idées juftes , un ftyle
pur , une profe vraiment françoile , ce qui
n'eft pas aujourd'hui très - commun , & qui
plus elt , de fort jolis vers , quelquefois
même de très beaux vers.
Chapelle & Bachaumacar nous ont donné
le premier Elai de cette manière d'écrire,
un Voyage , moitié vers & moitié profs.
Leur badinage cft plein de graces & de
ceue aimable facilité qui vaut mieux que
le bel- efprit ; mais ce n'eft qu'un badinage.
Ils ont eu quelques imitateurs plus ou
moins heureux ; perfonne n'avoit encore
employé cette méthode dans un Ouvrage
de quelque éren.lue , & fur des matières
fouvent graves & élevées. Nous verrons
bientôt avec quel fuccès M. le Chevalier
de *** en a fait ufage.
Il part de France pour l'Italie , & revient
par la Suiffe. De là quelques obfervations
fur la France d'abord , enfuite des réflexions
fur la Patrie des Arts , & enfin fur
celle de la Liberté & des Maurs . Tout fenbloit
dit fur l'Italie : en lifant ces Lettres ,
on voit que tout ne l'étoit pas . Ce qui regarde
la Suiffe paroiffoit épuifé : fous la
plume du nouveau Voyageur , c'ekt une
matière toute nouvelle .
J'ai dit le nouveau Voyageur , & cepenDE
FRANCE. 129
dant ce Voyage n'eft pas nouveau. Il exif-`
toit depuis plus de vingt ans dans le portefeuille
de l'Auteur. En le publiant, il paroît
l'avoir retravaillé d'un bout à l'autre ,
& y avoir inféré des chofes relatives aux
évènemens actuels , quand la matière l'y
invitoit . En écrivant fon Ouvrage , comme
en le retouchant , on voit qu'il s'eft livré
avec un abandon également heureux à la
facilité de fon talent & à la franchife des
fon ame..
Le commencement de la Lertre VIIF
nous apprend ce qu'eft M. le Ch . de ***..
" Des efclaves Chrétiens s'étoient emparés ,
» d'une caravelle du Grand Seigneur , l'a-
» voient conduite à Malte , & vendue à
l'Ordre ; le Roi de France ne l'avoit pas
» encore rachetée pour la renvoyer à
Conftantinople . On armoit dans tous les
» ports de l'Empire Othoman ; l'Ifle étoit
menacée , & le Grand Maître nous avoit
appelés à fa défenfe. Le devoir & l'hon-
» neur m'ordonnoient de partir pour Mal
& c. "
"
n
»
» te ,
On voit que l'Auteur aime fón Ordre ;;
il combat quelques préjugés qui lui font
contraires : il loue l'Adminiſtration de
Malte , & donne fans emphafe des preuves:
inconteftables de fa fageffe . " Quand l'Or-
» dre prit poffeffion de cette Ifle , que la
politique & la fierté de Charles -Quint:
» lui firent tant acheter , il n'y trouva que
quelques hameaux , difperfés çà & là…
* E
S
130 MERCURE
23
fur des rochers ftériles. Aujourd'hui deix
» grandes Cités lɩ décorent : elle eft cou-
» verte de jolis villages , de belles maiſons
» de campagne , & d'une population étonnante
, figne le moins équivoque , fur
un rocher tel que Make , du bonheur
• des hommes & de la douceur du Gouvernement.
Vingt-cinq mille habitans y
» font toujours prêts à prendre les armes
» au premier fignal. Cette petite Iſle eft
"
23
3
une preuve frappante de ce que peuvent
» l'induftrie & l'activité , quand elles ne
» font ni gênées par des Loix prohibitives,
» ni tourmentées par d'abfurdes Adminif
» trateurs. Ces deux agens des Peuples heu
reux font parvenus à féconder le rocher
de Malte broyé à deux & trois pieds de
profondeur , il produit des légumes excellens
, des arbres fruitiers de toute efpèce
, des orangers , dont on fait un
commerce confidérable ; du raiſin , de
l'orge , & le coton le plus eftimé de la
Terre. N'oublions pas d'obferver que &
la Nature , forcée à Malte par d'infati
gables Cultivateurs , les dédommage de
» leurs travaux le Gouvernement n'en
» partage point le fruit avec eux ; l'exemption
de toute eſpèce d'impôts achève
d'embellir ces rochers aux yeux de leurs
poffeffeurs. Ce que le Maltois cueille eft
» à lui , à fa femme , à fes enfans , &
n'eft point dévoré d'avance par l'impitoyable
Publicain : enfin eette colonie
"2
»
*
DE FRANCE.
130
"3
» d'Arabes forme peut-être un des tableaux
politiques les plus curieux de la Terre ;
" tableau que Lycurgue eût admiré ,
qui n'eft pas affez connu «<.
&
Après cette énumération rapide des avantages
de ce petit Gouvernement , le coeur
de M. le Ch. de *** s'échauffe , & il exprime
fes fentimens dans un langage plus
favorable que la profe aux élans de l'imagination
& de la fenfibilité .
O mes Confrères généreux !
Nobles Membres d'un Corps illuftre ,
Vous rendez les Maltois heureux ;
Et c'eft-là votre plus beau lufire.
Oui , je veux offrir quelque jour ,
Aux yeux de l'Europe étonnée ,
Cette Peuplade fortunée
Que la bienfaifance & l'amour
A vos Loix avoient deſtinée.
Je veux qu'au bout de l'Univers
On refpecte ce coin de terre
Où le Sujet marche fans fers ,
Et le Souverain fans tonnerre .
On verra la fimplicité
De ce Chef- d'oeuvre politique ,
Dont la bafe eft l'égalité
Dont la juftice & la bonté
Font mouvoir le reffort unique.
Dans fon ftyle un peu trop diffus
Vertot , fur nos remparts en cendre ,
F 6
132 MERCURE
A célébré les Alexandre ;
Et moi je peindrai les Titus.
Ceci conduit l'Auteur à une difcuffion
eritique au fujet d'une certaine Lettre
écrite de Malte il y a quelques années par
un de nos meilleurs Poëtes à une jolie
femme de Paris : cette jolie femme eut ,
comme on fait , l'imprudence de la faire
circuler dans le monde , elle fut même im
primée ; & M. le Ch . de *** a cru qu'il
étoit de fon devoir d'y répondre . Il le fait
fur tous les points d'une manière auffi décente
que victorieufe . On peut juger par
ce qu'il dit en finiflant cette réponſe , des.
juftes égards qu'il y a mis. » M. l'Abbé
» il ne peut m'être agréable de me mefu-
" rer avec vous. Vos vertus me font con-
" nues , & je fais vos vers par coeur ; mais
plus j'attache de prix à votre eftime
» moins j'ai dû vous paffer des farcafmes
» que trop d'efprits fuperficiels pourroient
prendre pour règles de leurs jugemens ..
» L'erreur des hommes tels que vous , eft
toujours plus ou moins contagieufe ; c'eft ,,
entre mille autres , un des inconvéniens
attachés à la célébrité «.
33
""
1 .
Il feroit à défirer que la critique parlât
toujours ainfi on n'en auroit pas moins
raifon ; & l'on rendroit la raifon aimable
, même à ceux à qui elle fereit con-
Taire..
y a peu d'Ouvrages où la philofophic
DE FRANCE. 733
& les connoiffances hiftoriques foient aufli
néceffaires & puiffent être auffi heureuſement
employées, que les Voyages . Un efprit
cultivé , une mémoire fidelle , éclairent ,
pour ainfi dire , l'oeil de l'Obfervateur . Pag
des rapprochemens ingénieux , il enrichit
les fcènes préfentes du fouvenir des feènes.
paffécs. Un monument lui rappelle des
Peuples entiers ; une pierre lui retrace tout
un Empire. C'eft une vérité dont on trouve
de fréquens exemples dans ces deux Volumes
; en voici un pris au hafard.
" On demandoit à un Philofophe ce qu'il
» avoit vu en Grèce : Le Temps , répondit-il,
" qui démolifoit en filence. Ce mot n'a pas
" befoin de commentaire : toutes les idées
39
qu'il fait naître vous affaillent dans les
» environs de Naples. La terre y eft jonchée
de monumens antiques . On y mar
che fur des ruines . De la colonne bri
fée , fur laquelle on fe repofe on s'enfonce
dans le paílé , on s'élance dans
l'avenir. Le voile du Temps fe déroule..
Je voyois paffer devant moi & ces Empires
détruits les uns par les autres , &
ces grands perfonnages devant lefquels fe
taifoit la Terre étonnée ; & cette fuite de
Céfars , qui ont tous fini par une mort
violente ; cat on fait que le premier fut
affaffiné par Brutus , & que Livie fut
fortement foupçonnée d'avoir avancé les
jours d'Augufte . Tibère mourut étouffé par
l'ordre de Caligula , lequel , à fon tour
ر و
242 22
134 MERCURE
fut poignardé par Chéréas. Le poifon
» termina la vie de Claude ; & Néron fut
» contraint de fe tuer lui-même, &c. “..
L'Hiftoire & la Philofophie Orientale
viennent alors joindre dans l'imagination
du Voyageur , un de fes tableaux à celui
de l'Hiftoire Romaine. " A cette étrange
» deftinée de tous les Céfars , dit - il dans
une Note , on pourroit joindre certe
» réflexion d'un Vieillard Arabe . On apportoit
à un Calife de Syrie la tête de
» fon concurrent au Califat. Tous les
" Courtifans , fuivant l'ufage , le félici-
وو
"
"
toient fur fon bonheur. Le Vieillard
» feul gardoit un profond filence . A quoi
penfes-tu done , bon homme , lui dit le
Calife ? Je penfois , répondit le Vieillard
, que dans cette même place où je
» fuis , j'ai vu préfenter la tête de Hofein
à Obeid, celle d'Obéid, à Moktar ; celle
» de Moktar , à Mufab ; & que voilà celle
» de Mufab qu'on te préfente. Je penſois
encore que mon père avoit cent ans
lorfque fa vie s'éteignit tout doucement
dans mes bras ; que j'en ai quatre-vingts,
» & que je vis dans l'efpérance , quand je
» rendrai mon corps aux élémens , de ren-
" dre auffi mon dernier foupir dans le fein
» de mon fils «.
"
"
De Naples , notre Voyageur fe rend à
Rome. Il ne décrit point ce que tant d'autres
ont décrit avant lui ; il ne s'égare point,
par exemple, dans les détails de l'églife de
DE FRANCE. 135
S. Pierre ; mais il raffemble en peu de mots
tout ce qui en peut donner une idée immenfe
; & il termine ce tableau par une
comparaifon d'un genre nouveau entre ce
Temple & celui des Dieux du Paganiſme .
و د
Quand il n'y auroit que Rome dans
» toute l'Italie , il faudroit fe rendre à
» Rome de toutes les parties du Monde ;
& quand il n'y auroit à Rome que le
feul Temple de S. Pierre , il faudroit y
» venir encore ; il faudroit voir ce monu-
" ment que Montefquieu compare aux
Pyrénées , où l'oeil , qui d'abord croyoit
les mefurer , découvre des montagnes
fe perd toujours davantage .....
93
»
"
Deux Etrangers étoient à Rome du
» temps de Léon X ; ils viatoient le Pan-
» théon , & ne fe laffoient point d'admirer
» ce chef- d'oeuvre de l'architecture antique.
Le Bramante aura beau faire , difoit
» l'un d'eux ; il n'imaginera rien au delà
» de cette coupole. Il fera mieux , répli-
» qua le Bramante qui étoit là , & que les
» deux Etrangers ne connoifloient pas ; il
» faura fe donner un point d'appui dans
» les airs , & y porter cette coupole
» énorme. Ne croit-on pas entendre , ne
» croit-on pas voir un de ces fiers Titans
qui entaffoient Offa fur Pélion ?
ל כ
"
33
و د
Epuifons cet article gigantefque. Il
fallur plus d'un fiècle , le règne de qua-
" torze Papes , & 250 millions de noure
monnoie , pour achever cette Bafilique . Le
ม
13
MERCURE 1;5
23
»
23
"
22
20
و د
39
baldaquin du grand autel n'a pas moins
de 121 pieds de hauteur , & furpaffe de
plus de 20 pieds le fronton du Louvre ;
il est formé de 200 mille liv . de bronze
qu'on a arraché du périftile & de la voûte
du Panthéon : les quatre colonnes torfes
qui foutiennent le grand autel , ont été
faites des feuls clots qui attachoient
dans le Panthéon , la couverture du portique.
Genferić , Roi des Vandales , l'a-
» voit dépouillé d'une porte de même mé
tal , & les Vandales qui régnèrent depuis
» à Rome , n'ont pas rougi d'imiter ce Barbare.
Au refte , ils l'ont dégradé , fans
" pouvoir le détruire , ce monument fi
noble du bean génie des Anciens' ; & ils
» ont décoré l'églife de S. Pierre, fans pou
voir lui rendre la folidité qui lui manque.
Léfardé même avant que d'être
» fini , & fortifié tous les ans par des mil
liers de livres de fer , dont on le lie dans
» tous les fens , on tremble à Rome qu'il
ne foit menacé d'une ruine prochaine.
» L'ancien Temple des Dieux eft là pour
» braver fon faftacax vainqueur , auquel il
femble dire dans fa beauté mâle & r0-
bulle " :
ود
"
و د
Quoi ! deux fiècles , à peine écoulés fur ta tête,
Ont ébranlé déjà tes foibles fondemens !
Les miens font affermis du poids de deux mille anst
Sur ces bords défolés ton Dien fit ma conquête.
DE FRANCE. £37
·
Je devins le tombeau de fes Martyrs fanglans :
Je reçus dans mon fein leurs triftes offemens :
J'envis pâlir mes Dieux. Bientôt mon front fuperbe
Fut dépouillé pour toi de tous fes ornemens .
Le Temps amènera de nouveaux changemens
Mais tu feras alors enfeveli fous l'herbe ;
Etj'aurai fatigué les Deflins & le Temps.
Je ne fais fi je me trompe ; mais cette
profopopée du Panthéon me proft auft
fublime qu'elle eft neuve , elle fail : l'imagination
; elle y imprime une grande image,
cile invite à des réflexions profondes . On
a beaucoup parté du Panthéon ; il étoit réfervé
à M. le Ch . de *** de le faire parler,
& de lui donner un langage qu'on eût appelé
celui des Dieux dans les temps où ce
monument leur étoit confacré.
Oppofons à ces grands coups de pinceau
le joli portrait des Payfannes de l'Etat de
Florence rien ne peut mieux prouver la
foupletfe du talent de l'Auteur.
"
""
On admire la plupart des villes d'Italie
, & l'on feroit tenté de s'établir å
» Florence . Cette ville , furnommée la
Belle , eft traverfée par l'Arno , & dans
" une fituation charmante . L'Ariofte en
" trouvoit le féjour préférable à celui de
Rome , & l'Ariofte étoit connoiffeur.
J'aime à penfer qu'Ifabelle , Ang lique ,
» & quelques autres Héroïnes du Roland
furieux , font les portraits des Maîtreffes
,,
"
138 MERCURE
» que le galant Ariofte eut à Florence , &
» dont les fatires & les éloges reviennent
" tour à tour & fi fouvent dans fon Poëme
» immortel . Ce que les femmes de Flo-
" rence étoient au fiècle de l'Ariofte .......
و د
"3
. و ر
»
elles le font encore aujourd'hui . Si Fontenele
avoit voyagé en Tofcane , je di-
» rois que c'eft- là qu'il écrivit fes Eglogues.
" Je dirois qu'il a modelé fes Bergères fur
les Payfannes des environs de Florence.
Le fang y eft d'une beauté , d'une pu-
» rezé dont je n'ai vu d'exemple que dans
quelques cantons de la Suiffe . L'ajuſte-
" ment de ces Payfannes eft plein de grace
& de coquetterie. C'est un jufte fans
" manches ; ce font des rubans de diverfes
» couleurs , qui , de l'épaulette à laquelle
ils font attachés , pendent & volrigent
» au gré du vent : c'eſt un jupon court ,
» ordinairement de couleur écarlate : c
» un chapeau de paille, mis fur l'oreille,
" & garni de fleurs commie les cheveux.
" Encore une fois , ceux qui reprochent à
» Fontenelle la gentilleffe de fes Bergères ,
» n'ont pas vu celles des environs de Flo
"
33
≫rence ".
Le Poëte , le Peintre , & l'amant , & l'époux ·
Trouvent dans ces belles campagnes
Des fites raviffans , un air pur , un ciel doux ,
Tous les biens en un mor ; & ce quiles vaut tous
L'Amour & fes Seurs pour compagues.
DE FRANCE. 159
PENSEES fur différens fujets de Morale &
de Piété, choifies dans les Sermons de
M. Boffuet , Evêque de Meaux ; précédées
de quelques Réflexions fur le caractère
de cet Orateur & des autres grands
Prédicateurs de fon fiècle. In- 12. A
Paris, chez le Clerc, Lib. rue S. Martin,
N. 254 ; Baillard , rue Neuve St. Roch.
M. l'Abbé Barret , Editeur de ce Recueil
, a fait preuve en même temps de
bon goût & de fes bons principes. Son
efprit & fon coeur fe montrent également
d'une manière recommandable.Son Difcours
préliminaire eft eftimable par le fond des
chofes , & par la manière avec laquelle elles
font préfentées. On a beaucoup parlé du
genre des Sermons de Bofluer , & on n'a
pas mieux dit que M. l'Abbé Barret , qui
ne copie perfonne. Dien , dit - il , eft dans
les Sermons de Boffuet , comme dans le
Difcours fur l'Hiftoire univerfelle , le feul
principe, le feul agent, l'ame qui vivifie tout ;
tout y émane de lui , tout y ramène à lui ,
tout y dévoile une Providence vigilante ,
à qui rien n'échappe , qui difpofe , qui crée
les évènemens pour fa gloire , & les dirige
avec une fageffe auffi douce que majeftueufe
. Mais pour les bien apprécier , il
faut les lire plufieurs fois. Nous n'adopterons
cependant point fon opinion , quand
il met pour le fublime des idécs ces Ser€
40 MERCURE
mons au deffus de ceux de Maffillon & de
Bourdaloue ; nous n'en trouverons pas moins
bon pour cela le rette du parallèle entre
Maffilon , Boffüct & Bourdaloue . Ce paparallèle
, à la conclufion près , donne la
mefure des connoiffances de M. l'Abbé
Barret , qui parle trop bien de l'éloquence ,
pour n'etre pas Orateur à fen tour. " J'ai cru
faire pla , dirail , en sappi dit-il ' en approchin quel
ques-unes beary morceans qui m'ent
le plus fappé dans la lectie des Sermens
de Boffhet , & en les préfentant au
Public dans une espèce de Manuel «. Tel
eft en peu de mots le plan de M. l'Abbé
Barret. Le choix bon ou mauvais pouvoit
feal faire le mérite de fon Recueil ; mais
a-t-on à craindre un mauvais choix , quand
il s'agit de réduire Boffuet Nous raffurons
far ce point volontiers nos Lecteurs , &
M. l'Abbé Barret eft très propre à inſpirer
la plus grande confiance .
SPECTACLES.
THEATRE DE MONSIEUR.
DEPUIS le dernier compte que nous avons rendu
de ce Spectacle , on y a repréſenté trois nouveautés
; un Opéra Italien , une Comédie , & un Drame
héroïque. Ce Drame eft intitulé : Camille , Dietateur
pour la troifieme fois . Elle eft de M. le Chevalier
Aude. Elle a paru écrite avee élégance &
DE FRANCE. 140
nobleffe. Des allufions délicates & bien appliquées
aux circonftances préfentes , en ont augmenté le
fuccès. L'autre cft une Comédie intitulée : la Confiance
trahie. Elle eft d'un homme de beaucoup de
mérite , & remplie de détails ir finiment agréables,
Mais quelques longueurs dans les développemens .
le caractere principal qui a para exagéré , & un
autre peut -être un peu odieux , ont excité des murmures.
Il eft à préfumer qu'avec quelques changemens
cet Ouvrage réuliroit plus complettement.
La troifiere nouveauté eft l'Ifola "a fabitata ,
Drame Italien de Métaftafio , mis en mufique par
M. Mengezzi . Cet Ouvrage eft une fone de
tentative d'Opéra férieux. Le Compofiteur , qui
a defiré у donner une certaine étendue , a prolongé
en deux Actes une action qui ne comportoit
peut- être pas cette durée . La fituation des
perfonnages ne pouvant changer qu'au dénotement
, il n'a pu y introduire affez de variété. 11
gagneroit peut-être à faire le facrifice de quelques
beautés , car chacun des morceaux a paru
réunir tous les fuffrages. On a fur- tout diftingué
Touverture , le trio qui termine le premier Acte
& les deux morceaux de femme du fecond. L'Ouvrage
néanmoins a fait beaucoup de plaifir , &
doit faire le plus grand honneur aux talens de
M. Mengozzi .
Il a été en général parfaitement exécuté. Mais
nous ne ferons de mention particuliere que de
Mlle. Simonet , jeune Françoife , qui débute fur
la fcène Italienne de la maniere la plus brillante.
Dans un âge où l'on donne à peine des efpérances,
elle montre déjà un talent très - perfectionné. Sa
voix , qui doit prendre de la force avec les années
, eft très -fonore , très - jufte , extrêmement
Aexible, & d'un timbre très -flareur . Elle joue avec
beaucoup de grace & d'intelligence , & annonce
infiniment d'efprit. Mlle. Simonet eft éleve de
M. Mengozzi.
142
MERCURE
ANNONCES
ET NOTICES.
ON
N mettra en vente , Lundi prochain , 31 da
courant , Hôtel de Thou , rue des Poitevins ,
33e. Livraiſon de l'ENCYCLOPÉDIE.
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Cette Livraiſon eft compofée du Tome III ,
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III , 2me. Partie de l'Hiftoire , & de la 2me , Livraiſon
des Planches de l'Hiftoire Naturelle , par
M. l'Abbé Bonnaterre , dédiée & préfentée à M.
Necker , Miniftre d'Etat , & Directeur Général des
Finances .
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Comte de la Cépède , Garde du Cabinet du Roi ;
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de l'Ouvrage que nous annonçons . L'Auteur a fait
connoître depuis long-temps , par des Productions confidérables
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Galant , depuis fon origine en 1672, continué fous
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, Fréron . Les Caufes célèbres . — L'Ef
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VERS .
TABLE.
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Sur quelques Contrées.
121 Penfées.
124 Théorre de Monfieur.
126 Annonces & Notices.
19
.140
142
'
JOURNAL POLITIQUE
DE
BRUXELLES.
SUÈDE.
De Stockholm , le 4 Août 1789.
LES opérations de l'armée en Finlande ,
deviennent de jour en jour si importantes
, elles nous préparent à des évènemens
si décisifs , qu'il devient nécessaire
d'en recueillir le Journal exact , depuis
l'instant où Sa Majesté a passé le fleuve
Kymène , et pénétré sur le territoire de
l'Ennemi.
Dès qu'une partie de l'armée sous les ordres
du Lieutenant- Général de Platen fut rassemblée
à Elimæ , et le reste sous les ordres
du Lieutenant- Général Baron de Siegroth ,
parvenu à Kasala , l'armée entière se mit en
marche , le 23 Juin , vers les frontieres , par
les villages Wilikala , Anjala et Verche , où
l'on jeta un pont pour passer le fleuve de
Kymene. Plusieurs batteries sur les hauteurs
assuroient notre passage. L'ennemi , posté de
l'autre côté de la rivière , tira sur nos batte
No. 35. 29 Août 1789.
14
( 314 )
3
ries ; mais leur feu ayani bientôt démonté
ses canons , il fut contraint à se retirer. Le
25 , quelques uns de nos Chasseurs passerent
le fleuve , et se rendirent maîtres du village de
Makikovala ; et le 26 , toute l'armée passa
le pont , et campa de l'autre côté de la rivière.
Les Russes se retirèrent jusqu'à Uttismalny ,
pour se joindre aux troupes postées à Kaipias
près de Davidsstad là , ils furent renforcés
par 2 bataillons du régiment .Welika-
Julski , 2 Escadrons des Cuirassiers du Grand-
Duc , et par plusieurs Corps de Cosaques et
de Tartares . Instruit que les Russes étoient
dans l'intention de nous attaquer pendant la
nuit du 22 au 29 , et qu'ils devoient être
soutenus par plusieurs Corps , du côté de
Wiala , le Roi marcha , le 28 , à trois heures
du matin , avec trois bataillons des régimens
de Westmannie et de Weskerbottaie , 100
Chasseurs , un escadron des Dragons des Gar
des , et 50 Dragons de Carelier. Pour sontenir
ce Corps , le Lieutenant - Général de
Platen fut commandé , avec 2 bataillons des
régimens de Kronoberg et d'Ostrogothie ,
un escadron de Dragons et 2 canons , pour
rester à la distance d'une werste . L'avantgarde,
composée de Chasseurs et de Cavalerie
légère , fut commandée par le Colonel de
Pauli. Le Lieutenant - Général de Siegroth
resta au camp , avec les autres troupes pour
défendre le pont et pour observer les nouvemens
des Ennemis , rassemblés près de
Friderischam . Les Russes se mirent en ordre
de bataille , à 3 werstes de leur camp. Leurs
forces consistoient en 2 bataillons de Chasseurs
tout le régiment de Welikaluski , un
bataillon des Grenadiers des Gardes , quelques
escadrons de Cuirassiers et plusieurs
( 315 )
compagnies de Cosaques , de Tartares et de
Baschires ; 5 à 6 canons étoient rangés sur
le grand chemin , qui , dans cet endroit , traverse
une forêt. Le premier bataillon du régiment
de Westmannie se unit à l'instant en
mouvement pour seconder l'avant - garde .
L'attaque de l'Ennemi fut très - opiniâtre ,
et repoussée avec la même vigueur par le
régiment de Westmannie. Pour secourir d'autant
plus efficacement l'aile droite , Sa Maj.
envoya sa propre Garde- du- Corps , qui consistoit
en 24 Dragons. Le Général de Platen
étant arrivé , il fit placer quelques canons
de 6 livres en avant , marcha lui- même avec
le régiment de Kroneberg pour tourner l'aile
gauche des Russes , pendant qu'un bataillon
d'Ostrogothie alloit rejoindre le régiment de
Westerbottnie, qui devoit tourner l'aile droite.
Cette manoeuvre contraignit l'ennemi à la
retraite , jusqu'à son camp de Uttismalni , où
il se forma de nouveau en ordre de bataille.
Les nôtres le poursuivirent avec célérité , et
le régiment de Kroneberg , ayant passé un
marais , le prit en flanc , en même temps
que le reste des troupes l'attaquoit de l'autre
côté : l'Ennemi perdant son ordre de bataille ,
prit la fuite , laissant nombre de morts et de
blessés , plusieurs drapeaux , chariots de munitions
, et approvisionnemens qu'il n'eut pas
temps d'emmener. Une marche forcée pendant
une pluie continuelle, un combat sanglant
de 5 heures , avoient trop alloibli les forces de
nos troupes , pour qu'il fût possible de poursuivre
l'ennemi , qui se retira jusqu'à Kaipias.
Le Roi retourna au camp , laissant un
bataillon à Korsmalmon. Notre perte fut d'un
Officier , le Lieutenant de Rosen , tué , et deux
blessés. Quatorze Soldats tués et 85 blessés ;
le
o ij
( 316 )
on a trouvé 40 Russes morts sur le champ de
bataille ; plusieurs ont été tués dans les bois.
Les déserteurs ont assuré que presque tous
les Canonniers de l'ennemi ont péri .
Le 30 juin , les Russes furent entièrement`chassés
du village de Wiala, où le Général Siégroth
rejoignit le reste de l'armée , commandée
par le Roi, et sous lui , par le Général de Platen,
Le 2 juillet, à 4 heures du matin , l'armée
se mit en marche sur trois colonnes : l'une
conduite par le Roi , la seconde par le Baron
de Siégroth, et la troisième , avec le bagage ,
par le Lieutenant- Colonel Baron de Frisendorff.
Ces trois colonnes suivirent le grand
chemin vers Fridericsham , à 3 verstes de distance
l'une de l'autre, jusqu'à ce que la colonne
sous les ordres du Roi prit le chemin de
Memela par un pays très - montagneux , et que
l'ennemi croyoit impénétrable aux bagages.
Le Baron de Siégroth fit halte , pour donner au
Roi le temps de gagner la hauteur ; après quoi,
il marcha vers Likala. La troisième colonne
suivit cette même route , et toutes furent
continuellement inquiétées par les Chasseurs
de l'ennemi. Le Roi prit lui-même soin de
tenir la colonne en ordre , et marcha à la
tête du premier bataillon des Gardes - Infanterie.
On envoya des Chasseurs au village de
Memela , qu'on trouva entièrement évacué
par l'ennemi , et le pont sur le fleuve presque
achevé par le régiment de Sudermannie. Le
3 Juillet , à 6 heures du matin , les deux colonnes
se mirent en marche vers Likala ; å
deux verstes delà , on rencontra des piquets
de l'ennemi , qui furent repoussés jusqu'à un
pont qu'on avoit rasé, près de Likala. L'attaque
commença alors à 8 heures , et dura
jusqu'à dix La position avantageuse de l'en(
317 )
remi et la dificulté qu'avoient nos troupes à
manoeuvrer , à cause du terrain , nous présageoit
un combat sanglant ; mais notre bonne
artillerie et le courage de nos troupes nous
donnerent bientôt l'avantage. Aussitôt que
notre feu eu fait taire celui de l'ennemi , les
deux bataillons des Gardes , sous les ordres
du Baron Cedorstrom et de Nummers , attaquèrent
les hauteurs et s'en rendirent maîtres ,
après avoir chassé les Russes jusqu'à un pont
qu'ils rasérent après l'avoir passé ; ce qui les
déroba à notre poursuite . Notre armée campa
à Likala , à 18 verstes de Fredricsham .
Nous avons et en cette occasion 3 hommes
de tués et 18 blessés , dont le Major des Gardes
de Nummers , le Baron de Rappe , et un Officier
de l'Artillerie.
Le Roi a nommé Commandeur de l'Ordre
de l'Epée , le Colonel de Pauli; plusieurs
autres Officiers ont été créés Chevaliers du
même Ordre. Le Roi a aussi témoigné à toute
l'armée son contentement de la bravoure
qu'elle a montrée dans ces deux affaires .
On a vu , la semaine dernière , que ces
premiers progrès en ont amené de nouveaux
, et que les postes Kusses de Hogfors
, jusqu'à Suttala , avoient été emportés
, en présence du Roi , par le Général
de Meyerfeld. Depuis , l'on a appris que
le Corps resté à Likala , ayant été menacé
par l'ennemi en force supérieure ,
s'étoit replié, à peu de distance , sur War
cela , en attendant du renfort. Les dispositions
de notre armée sont dirigées
contre Fridericsham , d'où elle se trouve
peu éloignée , et les premiers rapports
f
o iij
( 318 )
nous informeront des suites de cette
entreprise.
Celledu Colonel de Steding, curle canton
Russe de Savolax , a complétement
réussi , et il vient d'être publié officiellement
que , le 21 de ce mois , M. de
Steding a attaqué , près de Parkumaki , à
peu de distance de Nyslot , le Corps du
Lieutenant - Général Russe de Schiltz ,
et l'a entièrement défait. Le Major de
Toll, Commandant de Nyslot , 24 autres
Officiers , 5 canons , 10 obusiers , 2 drapeaux
, 650 Soldats , 15 chariots de munitions
; le camp et les bagages sont tombés
entre nos mains. Cette victoire nous
a coûté 4 Officiers , 6 Bas - Officiers et
173 Soldats , dont 131 blessés . Le Roi ,
sur-le-champ , a élevé le Colonel de Steding
au grade de Général -Major.
Notre armée recevra dans peu de
jours les renforts qui sont partis de cette
capitale 21 galères , portant 6,000 hommes
, dont entre autres le beau régiment
Allemand de Philanderhielm , venu de
Stralsund, et plus de 100 transports chargés
de munitions et d'approvisionnemens
de tout genre , ont mis àla voile , il y a
quelques jours , de notre port ; se sont
rendus et réunis à Furusand , vis-à-vis
Pentrée du golfe de Finlande , et doivent
avoir gagné Sweaborg.
Aujourd'hui est arrivé un courrier du
Duc de Sudermanie , avec la nouvelle
que , le 26 , la flotte de ce Prince avoit
( 319 )
engagé une action avec celle de Cronstadt
, forte de 36 voiles , et s'étoit retirée
la dernière du combat. Le vaisseau de
Son Altesse Royale , appuyée de trois
autres , a soutenu le feu de 7 vaisseaux
Russes , dont deux à trois ponts. Cette
affaire , qui paroît n'avoir pas été meurtrière
, nous a enlevé seulement 50
hommes.
Nous devons une place à la Déclara
tion suivante du Roi , en date du 2 juin
1789 , et qu'il nous a été impossible de
placer plus tôt .
« Au commencement de la guerre injuste
que la Russie suscita au Roi de Suède , S. M.
eur soin de faire déclarer par ses Ministres ,
dans les Cours Etrangères , qu'Elle ne s'écarteroit
jamais des principes établis par la convention
maritime de 1780 , en faveur du
Commerce et de la Navigation des neutres ,
et Sa Majesté ayant eu la satisfaction de
voir que dans un temps où leur concours
dans la Baltique lui étoit d'une grande utilité ,
leur confiance n'a point diminuée . Elle pour-
Foit regarder toute assurance ultérieure à cot
égard , comme proprement superficielle ; mais
le Roi n'a pas moins voulu la réitérer par la
présente Déclaration , d'une manière encore
plus formelle , pour prévenir à temps l'effet .
de toutes les interprétations contraires qui
pourroient être données sur les principes de
'S. M. A ce sujet , et afin que les Nations ,
neutres dans le cours de cette guerre , dont
la Russie se plait à prolonger la durée ,
continuent à se livrer sans inquiétude à toutes
leurs entreprises de commerce dans les parages
O IV
( 320 )
*
de la Suède. Pour cet effet , Sa Majesté le
Roi de Suède fait savoir à tous cenx à qui
il appartiendra , que par une suite des ordres ,
qui dès le commencement des hostilités ont
été donnés aux Commandans de ses forces
navales , la protection la plus entière sera
accordée à tous les vaisseaux marchands
neutres que les intérêts de Commerce conduiront
pendant la guerre dans la Baltique ,
et les mers qui en sont le théâtre , leur navigation
restant parfaitement libre et sûre,
de la part de la Suède , pour quelque port de
ces mers qu'elle puisse être dirigee . Ils recevront
aussi des Commandans du Roi toute
l'assistance et toute la protection qui dépen
dront d'eux , et auxquelles tout Sujet d'une
Puissance neutre a droit de s'attendre . Mais
ces avantages , réservés aux vaisseaux marchands
neutres , ne sauroient s'étendre à ceux
qui viendroient porter aux Ennemis de la
Suède des munitions de guerre , universellement
rangées dans la classe des marchandises
de contrebande , et conime telles , sujettes
à confiscation. »
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 14 août.
Le combat naval du 26 juillet , entre
les flottes Russes et Suédoises , à la hau
teur de Bornholm , ne leur a coûté que
de la poudre et des boulets. L'action a
été partielle et indécise . On en con
noît aujourd'hui les véritables circonstances
, par la lettre suivante , datée de
( 321 )
Carlscrona , le 30 juillet ; elle est de l'Amiral
Wrangel , et adressée au Baron
de Sprengporten , Ambassadeur de Suède
à Copenhague.
« Les relations des navires Anglois viennent
d'être entièrement constatées par les rapports
qu'un Officier , arrivé de la flotte , et chargé
de dépêches pour Sa Majesté , en Finlande ,
vient de me remettre ; en voici la substance :
>
" A juger de la position des flottes , lors
du départ de l'Officier , tout l'avantage étoit
du côté du Duc de Sudermanie qui continua
pour lors à poursuivre l'Ennemi , et
auroit encore rengagé le combat de nouveau ,
après avoir , par l'action continuelle de la
bataille de la veille , qui avoit duré depuis
une heure trois quarts jusqu'à huit heures
trois quarts du soir , force Ennemi d'abandonner
le champ de bataille , quoique notre
avant -garde , qui étoit engagée avec l'arrière
de l'Ennemi , n'eût pas láché un seul coup ;
cette négligence attira au Contre - Amiral
Lillehorn la perte du commandement , et une
des moindres frégates , à ce que dit l'Officier ,
doit être en route pour le conduire prisonnier
ici. Notre arrière - garde , engagee avec l'avantgarde
ennemie , faisoit un feu continuel ; deux
des grandes fregates qui la composoient , la
Zémire et la Thétis , poursuivirent chacune un
vaisseau de 70 canons. Notre vaisseau
la Hardiesse , de 60 , fit un feu si formidable ,
qu'une pièce, du calibre de 18 creva par la
chaleur, et fit perir trois hommes . - Le Prince
in'informe ensuite , de sa propre main , qu'il
est absolument satisfait de son entreprise , et
qu'il espère de me donner dans peu des nouvelles
en notre faveur touchant l'ennemi. Il
O V
( 322 )
-
donne des éloges au Cl el de l'arrière-garde ,
le Colonel Modée , qui s'est distingné par la
plus grande valeur. La ligne de bataille des
Suédois étoit de 21 vaisseaux , et celle de
l'ennemi de 22 , parmi lesquels il y avoit 3
vaisseaux à trois ponts et 2 de 80; toute la
force Russe étoit de 33 voiles. »
Cette relation paroît confirmée par
tous les avis particuliers , dignes de quelque
confiance. Les Russes mêmes y donnent
un nouveau poids par le récit qu'ils
ont fait insérer dans les Gazettes , entre
autres dans celles de Leyde et d'Amsterdam
, où ils assurent qu'étant sous le
yent , ils n'ont pu approcher l'Ennemi,
et que , vu l'éloignement , les BOULETS
N'ATTEIGNOIENT POINT ; mais que
cependant ces mêmes boulets , restés en
chemin , ont démâté deux vaisseaux
Suédois.
L'escadre Russe , forte de 9 vaisseaux
de ligne , qui mouilloit dans la baie de
Kioge , sous les ordres du Vice- Amiral
Koslainoff, ayant mis à la voilele 30 juillet
, se réunit le surlendemain à la grande
flotte , aujourd'hui de 31 vaisseaux de
ligne . Cette supériorité de nombre et de
la force des bâtimens ennemis , a obligé
le Duc de Sudermanie de rentrer à
Carlscrona , pour y prendre les trois
vaisseaux de ligne dont on pressoit l'armement.
Ces vaisseaux, qui sont le Prince
Charles Frédéric de 70 canons , le Prince
Ferdinand de 60 , et la Finlande, aussi
( 323 )
de 60 , se joindront à la grande escadre
avec 4 brûlots . C'est l'Amiral Tschitschagoff
qui commande en Chef la flotte
Russc.
Il continue de nous arriver des relations
de la Gazette de Pétersbourg , copiées
ensuite par d'autres Gazettes . C'est
aujourd'hui une victoire près de Bender ,
sur quelques milliers de Tures qui ont
perdu des centaines d'hommes , tandis
que les Russes n'ont laissé que DEUX
COSAQUES sur le champ de bataille . Dans
le récit Russe de l'affaire de Galacz , que
nous avons rectifié la semaine dernière ,
c'étoit TROIS COSAQUES qui , seuls , de
toute l'armée , n'avoient pas été invulnérables
. Ces rapports , vraiment dérisoires
, paroissent l'ouvrage de Secré
taires bien mal-habiles .
De Francfort surle Mein, le 17 août,
Tous les avis de Vienne constatent les
progrès journaliers de la convalescence
de l'Empereur : il soutient aujourd'hui
de longues promenades , et se trouve sans
fièvre. Tant que durera la belle saison
il est apparent qu'il ne quittera pas
"Laxembourg , et quoiqu'il soit attendu
à Vienne , ce séjour , nécessité par des
affaires de la plus haute importance , ne
sera , dit-on , que passager.
Le Maréchal de Haddick , entièreo
vj
( 324 )
ment rétabli , a reparu , le 19 juillet ,
au quartier général . Son armée , répartie
en six divisions , et composée de 66
bataillons , n'a fait encore aucun moùvement
. Le Prince de Cobourg reste éga
lement sur la défensive en Buchowine.
Le Maréchal de Laudhon n'a fait aucune
entreprise ultérieure , depuis l'occupation
de Gradiska qu'il fait réparer.
Cette inaction , au milieu de la campagne
, fait présumer , ou des projets
nouveaux dont les dispositions ne sont
pas encore arrêtées , ou l'approche d'une
pacification séparée . L'opinion flotte
entre ces deux idées ; et quoiqu'on parle
de nouveau , dans les Cercles de Vienne,
du siége prochain de Belgrade , ce projet
- s'accrédite peu. Les mouvemens des Ottomans
fortifient les apparences de la
paix , car le nouveau Grand- Visir a
changé son plan , et s'approche des
Russes . Différens Corps marchent en
Bessarabie ; il ne reste à- peu- près que
30,000 hommes dans la Valachie , pour
inquiéter les défilés de la Transylvanie ;
un autre Corps rassemblé à Nissa , doit
observer les mouvemens des Autrichiens.
Ceux-ci paroissent fort peu disposés à
se sacrifier pour leurs Alliés , comme ils
l'ont fait la campagne précédente . L'ar
mée Russe est en mauvais état , mal pourvue
, chargée de nouvelles recrues ,
et
( 325 )
ne seconderoit jamais que foiblement les
mouvemens des Autrichiens .
D'ailleurs , ces mêmes Russes vont de-.
venir le principal objet de la guerre qu'ils
ont occasionnée . Le nouveau Grand-
Seigneur , d'un caractère violent , veut ,
à tout prix , se venger des affronts , et
réparer les pertes qu'essuya son Prédé
cesseur. Il est certain , quoi qu'en disent
des Papiers publics mal informés , que
ces dispositions de Selim 111 ont amené
la disgrace du Grand- Visir. Soit foiblesse ,
soit politique , soit corruption , cè Ministre
s'étoit hasardé à proposer et à
conseiller la paix avec les Ennemis de
l'Empire. Ces remontrances ont été, regardées
comme un indice de lâcheté ou
de trahison , et le Ministre a été sacrifié .
La Porte , d'ailleurs , attend l'effet d'une
diversion qu'elle a tentée dans le Couban
, où 40,000 hommes devoient débarquer
au mois dejuillet . Il est si vrai qu'elle
ne pense en aucune manière à accorder
la paix aux Russes , que , malgré les ef
forts employés pour empêcher le Grand-
Seigneur de renouveler le traité de l'Einpire
avec la Suède , M. de Heidenstam ,
Ministre de cette Puissance à Constanti-
¡nople , a obtenu , à la fin de juin , la promesse
positive d'une conclusion ins-
´tante.
où il
Le Roi de Prusse partira , le 16
de ce mois , pour la Silésie
fera la revue de ses troupes. La Prin
( 326 )
cesse d'Orange doit retourner en Hol
lande le 10. - Il circule à Berlin , et dans
quelques Cours d'Allemagne , un - plan
très-intéressant de Capitulation provisoire
, pour l'Election du Roi des . Romains
ce projet est attribué à un Ministre
célèbre dans la carrière politique
et littéraire.
GRANDE - BRETAGNE.
De Londres , le 17 août.
Le 11 de ce mois , la Chambre- Haute
étant assemblée , le Lord Chancelier ,
le Duc de Leeds et Lord Sydney , autorisés
par une Commission du Roi ,
consentirent et sanctionnèrent , au nom
de S. M. , les Bills suivans :
Acte pour abolir les droits sur le tabac à
fumer et en poudre , et pour les remplacer pår
d'autres.
Acte qui continue pour un temps limité , et
modifie un acte fait dans la dernière Session
du Parlement , intitulé : Acte qui règle pour un
temps limité , l'embarquement et le transport
des Nègres chargés à la côte d'Afrique sur des
vaisseaux Anglois.
Acte pour faire exécuter plus exactement
les lois concernant les prisons. ¡
Arte pour autoriser la Compagnie des Indes
orientales à augmenter son capital destiné au
commerce , et plusieurs autres Biils publics qu
particuliers.
( 327 )
-
Après cela , le Chancelier prononça
le Discours suivant :
Milords et Messieurs ,
• Il nous est ordonné , par Sa Majesté , de
vous témoigner avec quelle satisfaction Elle a
vu les preuves continuelles que vous avez données
, durant la présente Session , de votre application
soutenue aux affaires publiques ,
ainsi que de votre zèle pour l'honneur , les
intérêts de sa Couronne le bien-être et la
prospérité de son Peuple. »
?
Messieurs de la Chambre des Communes ,
Sa Majesté nous a particulièrement chargés
de vous remercier de l'empressement avec
lequel vous avez accordé les subsides nécessaires
pour les différentes branches du service
public. »
Milords et Messieurs ,
a Quoique les bons oflices de Sa Majesté
et de ses Alliés , n'aient pas été jusqu'ici assez
efficaces pour rétablir la tranquillité générale
de l'Europe , le Roi a la satisfaction de vor
qu'on a prévenu du moins toute extension
ultérieure des hostilités , et que la situation
'des affaires continue de promettre à ce pays ,
Ja jouissance non interrompue des bénédic
tions de la paix . "
Le Lord Chancelier dit ensuite , par
Commandement de Sa Majesté :
Milords et Messieurs ,
C'est lavolonté royale de Sa Majesté, et son
plaisir , que ce Parlement soit proroge jusqu'au
jeudi 29 du mois d'octobre prochain, pour être
après tenu ici ; et , en conséquence , ce parlement
est prorogé jusqu'au jeudi 29 d'octobre
prochain. »
( 328 )
FRANCE.
De Versailles , le 25 août.
S. M. voulant témoigner à M. Du
fresne , la satisfaction qu'Elle ressent des
services que lui a rendus cet Intendant
du Trésor Royal , dans les différentes
places auxquelles il a été appelé , l'anommé
Directeur-Général du Trésor Royal.
Le Marquis de Rossel , ancien Capitaine
de vaisseau , a eu l'honneur de présenter au
Roi , le 12 du mois dernier , le tableau qu'il
a peint , par ordre de Sa Majesté , représen
tant le combat rendu à la hauteur de la Doninique
, le 17 Avril 1780 , par l'armée navale
du Roi , composée de vingt -deux vaisseaux ,
quatre frégates et trois corvettes , sous e commandement
du Compte de Guichen , Lieutenant
-général , contre l'armée Angloise , de
vingt-un vaisseaux , dont deux à trois ponts ,
trois frégates et un bricq , aux ordres de l'A
miral Rodney. Ce tableau fait partie de la Collection
qui se grave , et que le Roi et la Famille
Royale ont lionoré de leur souscription.
ASSEMBLÉE NATIONALle.
SEIZIEME SEMAINE DE LA
SESSION.
L'Evangile a donné la plus simple , la
plus courte , et la plus complète Décla
ration des droits de l'homme, lorsqu'il
a dit : Ne fais pas à autrui ce que tu
ne voudrois pas qui te fût fait. Toute
la politique naturelle porte sur ce point
( 329 )
•
d'appui , et rien de plus fécond que
cette maxime , d'où dérivent le terme des
droits de l'homme et celui de ses devoirs.
Elle frappe tous les âges et tous les
esprits : un Porte - faix en pénètre le sens
et l'application aussi bien qu'un Métaphy
sicien toute loi de libertés'y rapporte ;
elle est imparfaite , si elle s'en écarte.
Sans doute , les droits sont fondés
sur des principes ; mais tous les jours ,
et par-tout , on confond les principes
avec les opinions : les avis d'un siècle ,
d'un pays , d'une classe d'individuş , ne
sont pas des vérités , et toute idée sur
laquelle les hommes ne s'accordent point ,
ne peutservir de fondement à la Politique
naturelle . Un Député de la Noblesse ,
qui montre autant d'élévation dans
ses discours que dans ses sentimens , a
observé, quesi, au milieu d'une Assemblée
de mille personnes , il se trouvoit cent
opinions différentes sur une Déclaration
des droits , il y en auroit cent mille
dans une Nation de vingt-quatre millions
d'ames ce dissentiment seroit progressif
et incalculable , si l'on soumettoit
ce problême aux autres Peuples. Est- ce
à ce caractère qu'on reconnoît des principes
fondamentaux ?
Quel est , par exemple , l'homme du
Peuple ou de Cabinet qui sera jamais intérieurement
convaincu que les hommes
naissent libres et égaux ? Le premier
ne voit dans la société , même au sein
( 330 )
des Démocraties Helvétiques , seules
Démocraties de l'Univers , que des iné
galités physiques et morales. Le second
ne découvre également qu'inégalités dans
l'état de nature. Chez les Insulaires de
la mer du Sud , chez les Tribus des
Sauvages occidentaux , chez les hordes
d'Arabes et de Tartares , seuls Peuples
encore voisins du berceau de la création ,
il retrouve une échelle de subordination ,
et nulle part une égalité absolue .
La loi seule corrige la nature , et la
supplée , en abaissant devant elle toute
les
Aristocraties de naissance , de force ,
de richesse , d'autorité , et en rendant
parfaitement égale la distribution du
bien et du mal politique. La Constitution
est la clef de cet édifice d'égalité
et de liberté factices : elle doit lui servir
de garantie ; mais ce grand ouvrage de
l'esprit humain, perfectionné , n'a pas un
élément dans l'état primitif de l'espèce
humaine .
On cite la conservation et la défense
de soi- même , comme des droits innés
et indépendans de tout pacte social;
mais on ne considère pas que ces droits
étant réciproques , ils emportent celui
de se nuire mutuellement , toutes les
fois que le salut ou l'intérêt de l'un est
attaché aux privations ou à la mort de
l'autre . Telle est l'origine des guerres
fréquentes des Sauvages .
La consécration de la propriété est
( 331 )
le renversement du droit de nature.
Rousseau l'a démontré Du moment
où l'homme a usurpé le droit d'enclore
un champ , il a autorisé ses pareils à
usurper la terre entière . Les Nations à
demi - civilisées , vivent sous ce régime ;
les conventions sociales peuvent seules
l'en tirer.
Tout se réduit donc à ces conventions ,
et non à des principes , encore moins
à un usage illimité de nos facultés. Une
doctrine n'est pas une loi , à moins que
la loi ne consacre la doctrine , qui devient
alors un statut positif.
Ces idées , qui ne sont autre chose
que des opinions , et que nous nous
permettons de répandre , parce qu'elles
n'ont rien de dangereux , peuvent servir
d'introduction aux débats importans
qui , la semaine dernière , ont occupé
de nouveau L'ASSEMBLÉE NATIONALE.
La Déclaration des droits a absorbé
encore plusieurs Séances , remarquables
par la variété des sentimens , et par l'appli
cation que plusieurs Députés ont portée
à l'examen de cet Acte préliminaire.
Sur la demande réitérée de plusieurs
de nos Abonnés des provinces , qui
ont parti ne pas goûter des détails ultérieurs
trop étendus , sur les divers
plans de Déclaration des droits , nous
nous renfermerons dans l'abrégé concis
des nouvelles discussions qui ont eu
ces plans pour objet..
( 332 )
pro- Du Lundi 17 Adur. M. de Clermont-Tonnerre
ayant réuni 473 voix sur 812 ,
clamé Président à l'ouverture de la Séance.
M. le Chapelier , son prédécesseur , lit ses
remercimens´ a l'Assemblée par un Discours
appiauai, ainsi que celui du nouveau/President.
MM. Fréteau et Emmeri , Secrétaires , firentla
lecture des Procès - verbaux du 4 au matin ,
du 10 et du 11.
M. de Clermont - Tonnerre communiqua à
l'Assemblee lee une lettre de M. le Garde - des-
Sceaux , par laquelle ce Ministre envoie à l'Âssemblee
, 1 ° . une Déclaration du Roi pour le
rétablissement de la paix .
2º. Une Ordonnance qui enjoint aux troupes
de prêter main- forte aux Milices Bourgeoises ,
à la requisition des Municipalités , ét de prêter
serment , d'après la formule arrêtée par PASsemblée
; avec une Lettre aux Soldats de
l'armée .
•
3º. Une Ordonnance de Sa Majesté , qui
accorde une amnistie générale aux Soldats
qui ont quitté leurs Corps depuis le 1 Juin ,
et qui auront rejoint leurs drapeaux au i
Octobre ( 1).
4°. La liste de treize galériens pour bracon
nage , auxquels le Roi a rendu la liberté.
5°. La procédure du Parlement de Rouen
contre le Procureur du Roi de Falaise . Cette
lecture excita de vifs applaudissemens et des
cris de vue le Roi.
Plusieurs des galériens indiqués étant coupables
de délits capitaux , divers Membres observèrent
que l'intention de l'Assemblée ne pou
voit être de leur donner la liberté ; et qu'Elle
( 1 )Voyez l'article Paris.
333 )
n'avoit demandé au Roi , que l'élargissement
des galériens condamnés pour braconnage
Cette réflexion fut renvoyée au Comité de
rapports.
M. le Chapelier sortant de charge , reçut
les reinercimens de l'Assemblée.
M. de Mirabeau rendit compte à l'Assemblée
du travail du Comité des Cinq , chargé
de l'examen des Déclarations de droits ; travail
dont il avoit été le Rédacteur.
a
La Déclaration des droits de l'homme ,
dit - il , est un développement de principes
applicables à toutes les formes de Gouvernement.
Le Comité que l'Assemblée
honoré de sa confiance , a bien aperçu les
difficultés du travail , et reconnu qu'il n'étoit
susceptible que d'une perfection relative. Il
est en effet peu aisé de présenter un plan
perfectionné , lorsqu'il faut le faire pour un
Gouvernement déja vieux , lorsqu'il faut le
faire en trois jours , et au milieu de vingt
projets différens ; cependant il a fallu obéir.
Heureusement nous étions éclairés par l'esprit
de l'Assemblée ; nous avons adopté une
forme simple et populaire , afin qu'elle fût
à la portée de tout le monde : cette forme est
précieuse pour un ouvrage de ce genre ,
dans
lequel il ne faut pas s'occuper de déductions
philosophiques. S'il a fallu quelquefois employer
des mots abstraits , nous les avons
joints à des idées précises. C'est ainsi qu'ont
fait les Américains : nous avons tâché de suivre
leur méthode , én écartant les défauts
qu'elle offroit. La difficulté a été de distinguer:
ce qui appartient à l'homme naturel , de ce
qui est de l'apanage de l'homine en société.
Peut-être les hommes ne sont - ils pas assez.
1
( 334 )
-múrs pour la liberte , et nous n'offrons ici
qu un foible essai.
Une lecture rapide ne permettant pas de
saisir l'ensemble , les idées et les rapports
des diverses parties de ce projet , on en or
donna l'impression , et l'examen dans les
Bureaux . Le voici dans sa forme originelle.
» Les Représentans du Peuple François cons
considérant titués en Assemblée Nationale ,
que l'ignorance , l'oubli ou le mépris des droits
de l'homme , sont l'unique cause des malheurs
publics et de la corruption du Gouvernement ,
ont résolu de rétablir , dans une Déclaration
solemnelle , les droits naturels , inaliénables
et sacrés de l'homme , afin que ceite décla
ration , constamment présente à tous les
Membres du Corps social , leur rappelle sans
cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que
les actes du pouvoir législatif et exécutif,
pouvant être à chaque instant comparés avec
le but de toute institution politique , en soient
plus respectés ; afin que les réclamations des.
Citoyens , fondées désormais sur des principes
simples et incontestables , tournent toujours
au maintien de la Constitution et au bonheur
de tous . »
« En conséquence , l'Assemblée Nationale
reconnoît et déclare les articles suivans : »
1º . Tous les hommes naissent égaux et
libres ; aucun d'eux n'a plus de droit que les
autres de faire usage de ses facultés naturelles
on acquises ; ce droit , commun à tous , n'a
d'autre limite que la conscience même de
celui qui l'exerce , laquelle lui interdit d'en
faire usage au détriment de ses semblables.
2º. Tout Corps politique reçoit l'existence
d'un contrat social , exprès ou tacite , par
( 335 )
lequel chaque individu met en commun sa
personne et ses facultés , sous la suprême direction
de la volonté générale , et en nêure,
temps le Corps reçoit chaque individu comme
portion.
3°. Tous les pouvoirs auxquels une Nation
se soumet , éinanant d'elle - même , nul Corps ,
nul individu ne peut avoir d'autorité qui n'en
dérive expressément. Toute association politique
a le droit inalienable d'établir , de modifier
ou de changer la Constitution , c'està-
dire , la forme de son Gouvernement , la
distribution et les bornes des différens pouvoirs
qui le composent.
4° . Le bien commun de tous , et non l'intérêt
particulier d'un homme ou d'une classe
d'hommes quelconque , est le principe et le
but de toutes les associations politiques. Une
Nation ne doit donc reconnoître d'autres Lois
que celles qui ont été expressément approu
vées et consenties par elle-même ou par ses
Représentans souvent renouvelés , légalement
elus , toujours existans , fréquemment assemblés
, agissant librement selon les formes prescrites
par la Constitution.
5°. La Loi , étant l'expression de la vo-
Jonté générale , doit être générale dans son
objet , et tendre toujours à assurer à tous
les Citoyens la liberté , la propriété et l'égalité
civile .
6°. La liberté du Citoyen consiste à n'être
soumis qu'à la Loi , à n'être tenu d'obéir
qu'à l'autorité établie par la Loi , à pouvoir
faire , sans crainte de punition , ' tout usage
de ses facultés qui n'est pas défendu par la
Loi , et par conséquent à résister à l'oppression.
7°. Ainsi , libre dans sa personne , le˚ Ci(
336 )
toyen ne peut être accusé que devant les Tribunaux
établis par la Loi ; il ne peut être
arrêté , détenu , emprissonné que dans les
cas où ces précautions sont nécessaires pour
assurer la réparation ou la punition , d'un délit
, et selon les formes prescrites par la Loi :
il doit être publiquement poursuivi , publiquement
confronté , publiquement jugé . On
ne peut lui infliger que des peines déterminées
parla Loi avant l'accusation : ces peines
doivent toujours être graduées suivant la nature
des délits , et enfin ég les pour tous les
Citoyens .
8. Ainsi , libre dans ses pensées , et même
dans leur manifestation , le Citoyen a le
droit de les répandre par la parole , par l'és
criture , par l'impression , sous la réserve ex
presse de ne pas donner atteinte aux droits
d'autrui ; les lettres en particulier doivent être
sacrées.
9. Ainsi , libre dans ses actions , le Citoyen
peut voyager , transporter son domicile
où il lui plait , sortir même de l'enceinte
de l'Etat , à la réserve des cas désignés par
la Loi.
10º. On ne sauroit , sans attenter aux droits
des Citoyens , les priver de la faculté de s'as
sembler dans la forme légale , pour consulter
sur la chose publiqué , pour donner des instructions
à leurs mandataires , ou pour de
mander le redressement de leurs griefs .
14. Tout Citoyen a le droit d'acquérir ,
de posséder, de fabriquer , de faire le commerce
, d'employer ses facultés et son industrie
, et de disposer à son gré de ses propriétés.
La Loi seule peut apporter des modi-
Eestions à cette liberté pour l'intérêt général .
propriété
12. Nul ne peut être forcé de céder sa
( 337 )
propriété à quelque personne que ce soit :
le sacrifice n'en est dû qu'à la société entière,
mais seulement dans le cas d'une nécessité
publique ; et alors la société doit au propriétaire
une indemnité équivalente .
13°. Tout Citoyen sans distinction doit
contribuer aux dépenses publiques , dans la
proportion de ses biens.
14. Toute contribution blesse les droits
des hommes , si elle décourage le travail et
F'industrie , si elle tend à exciter la cupidité ,
à corrompre les moeurs , et à ravir au Peuple
ses moyens de subsistance .
15°. La perception des revenus publics doit
être assujettie à une comptabilité rigoureuse ,
à des règles fixes , faciles à connoître ; en
sorte que les contribuables obtiennent prompte
justice , et que les salaires des Collecteurs
des revenus soient strictement déterminés .
16° . L'économie dans l'administration des
dépenses publiques est d'un devoir rigoureux ;
le salaire des Officiers de l'Etat doit être modéré
, et il ne faut accorder de récompense
que pour de véritables services .
17° . L'égalité civile n'est pas l'égalité des
propriétés ou des distinctions ; elle consiste
en ce que tous les Citoyens sont également
obligés de se soumettre à la Loi , et ont un
droit égal à la protection de la Loi.
18. Ainsi tous les Citoyens sont également
admissibles à tous les Emplois Civils ,
Ecclésiastiques , Militaires , selon la mesure
de leurs talens et de leur capacité .
19°. L'établissement de l'Armée n'appartient
qu'à la Législature ; le nombre des troupes
doit être fixé par elle; leur destination est la
défense de l'Etat ; elles doivent toujours être
subordonnées à l'autorité civile ; elles ne peu-
N°. 35, 29 Août 1789..
( 333 )
vent faire aucun mouvement relatif à la franquillité
intérieure , que sous l'inspection des
Magistrats désignes per la Loi , connus du
Peuple , et responsables des ordres qu'ils leur
donneront.
Depuis long- temps M. Bergasse “avoit promis
le travail du Comité de Constitution , sur
celle du Pouvoir judiciaire : le plan qu'il remit
à l'Assemblée ne fit pas regretter le temps
consacré à cette Rédaction . L'Auteur commença
par exposer les principes , dans un Discours
clair et concis , qu'il fit suivre de l'exposé
des résultats , c'est- à- dire , d'un Code
d'Ordre judiciaire , divisé en cinq Titres , sub
divisés eux- mêmes par articles. On s'est réuni
à louer la clarté , l'ordre d'idées , l'enchaînement
de rapports , et le caractère sain et vigoureux
de ce travail . Nous n'en hasarderons
l'analyse qu'après son impression , ordonnée par
l'Assemblée pour être soumise aux Bureaux.
Le Comité de Rapport rendit cómpte á
l'Assemblée de la détention d'un Gentilhomme
Éreton , arrêté à S. Malo , pour soupçon d'émigration
; de celle d'un voyageur arrêté par
la Milice de Nantes ; de celle de M. de Tremergat
, de Botherel , et de plusieurs autres ,
appréhendés au bord de la mer. L'avis du
Comité étoit de renvoyer l'affaire au Ministre
, et d'écrire aux détempteurs de Nantes
et S. Malo , qu'on devoit relâcher des Gentilshommes
contre lesquels il n'y avoit ni
accusation , ni motif de suspicion .
Un Membre des Communes demanda qu'ils
fussent jugés par l'Assemblée , et craignoit
que leur elargissement ne les rejetât dans
de nouveaux dangers .
Deux autres Membres représentèrent qu'une
339 )
"
Assemblée aussi auguste devoit être toujours
conforme à ses principes . Lorsqu'on vous
rapporta la détention de M. le Duc de la
Vauguyon , dit l'en, d'eux , vous avez jugé
qu'il devoit être remis en liberté . Puisque ,
donc , vous n'avez de même aucune preuve
d'accusation contre les Citoyens dont il s'agit ,
ils doivent être rendus à la Société .
: M. le Président mit la question aux voix ,
en ces termes : Adoptera- t- on l'avis du Comité,
ou suspendra-t -on le jugement ? La décision
du Comité fut adoptée unanimement.
On fit ensuite la lecture d'une plainte des
Officiers , et des Gentilshommes de Bretagne ,
rassemblés à Brest , qui réclament contrel'injustice
des soupçons calomnieux dont ils sont
l'objet , relativement au complot vaguement
dénoncé par M. le Duc de Dorset , et qui
prient l'Assemblée d'en rechercher les Auteurs,
et d'en presser la révélation auprès de M. l'Anibassadeur
d'Angleterre. Une lettre de la Commission
des Etats de Bretagne exprime les
mêmes sentimens .
L'avis du Comité étoit de faire demander
à l'Ambassadeur d'Angleterre , par M. le
Comte de Montmorin , toutes les instructions
nécessaires , et d'ordonner en même temps ,
dans la Province , des perquisitions pour remonter
à la source de cette trahison.
Un Membre des Communes s'y opposa ,
en disant que M le Duc de Doreet ne pouvoit
déclarer les personnes ; qu'il devoit ce secret
à lui et à sa Cour ; que d'ailleurs il avoit
déja donné à M. le Comte de Montmorin
toutes les communications qu'il étoit en pouvoir
de faire. Cette question , ajouta - t-il , est
trop difficultueuse , et même insoluble ; il
ny a donc point lien à délibérer.
р .
( 340 )
Un Gentilhomme ajouta qu'ane pareille
déclaration pourroit troublerla France entière.
Un second rappela que M. le Comte de
Montmorin avoit déja fait les informations
et les recherches les plus exactes , sans avoir
rien pu découvrir. Les renseignemens de M. le
Duc de Dorset , avoient été aussi infructueux.
Il est donc démontré que la Noblesse de Bretagne
ne peut être soupçonnée , et qu'il n'y à
lieu à délibérer .
M. de Montmorency prétendit que , par son
caractère même , un Ambassadeur ne sauroit
toujours être véridique . Ses déclarations ne
sont pas des témoignages authentiques . L'Anglois
, jaloux de la France , ne pourroit- il
pas être soupçonné plutôt que la Noblesse de
Bretagne ?
D'autres Membres insistoient sur une information.
M. le Duc du Châtelet releva les soupçons
qu'on essayoit de jeter sur les Anglois , que
la conduite de leur Ambassadenr avoit pleinement
disculpés a Nous devons , ajouta-t-il,
nous en tenir à l'assurance authentique que
nous avons reçue de la Cour de Londres .
Gardons-nous d'une délibération qui pourroit
nous faire accuser d'injustice envers cette
Cour , dont nous devons ménager les sentimens
et estimer la modération . Les complots
pareils à celui de Brest , sont presque toujours
formés par des fous ou des scélérats
obscurs , incapables même de les exécuter :
mettre une importance publique à ces projets
, c'est courir le risque de commettre entre
elles des Nations qui vivent en harmonie.
Lorsque j'étois Ambassadeur en Angleterre ,
on me proposa plusieurs plans pour incendier
Portsmouth, Chatham , Plymouth , et en les
( 341 )
repoussant , je montrai l'horreur que ces
attentats inspirent aux Nations qui repectent
la justice. »
La sagesse de cet avis détermina l'Assemblée
à prononcer unanimement qu'il n'y avoit
pas lieu à délibérer ( 1) .
Du Mardi 18 Aour. Trois des Secrétaires
sortant de charge , M. le Président a déclaré
leurs successeurs : ce sont , MM . l'Abbé de
Barmont , par 186 voix ; M. l'Evêque d'Autun,
par 122 ; et M. de Montmorency , par 116.
On présenta ensuite les Adresses et Délibérations
de différentes Villes et Communautés ,
ainsi que le don de la finance de son Office
fait à l'Etat par M. Chalan , Procureur du Roi
de Meulan.
Le projet de Déclaration des Droits , présenté
la veille par M. de Mirabeau , étant
remis en délibération , M. Crenière a soutenu
le premier , qu'une véritable Déclaration de
droits n'étoit pas une suite de principes , et
(1 ) Les réflexions judicieuses de M. le Duc du
Châtelet, ont été faites par plusieurs personnes ,
à l'instant où il a été question du complot
sur le port de Brest ; mais on eût été mal
venu de rappeler des vérités si simples. I
est de fait , qu'il ne s'est peut- être pás écoulé
d'année , ou du moins qu'il n'est pas d'Ambassadeur
de France à Londres , et d'Ambassadeur
d'Angleterre à Paris , qui n'ait reçu
dé pareilles propositions . Presque toutes sont
l'ouvrage de gens perdus de jugement ou
d'affaires , qui , pour escroquer 50 louis
s'offrent ainsi à brûler des Ports , ou à livrer
des Citadelles .
p iij
( 342 )
·
qu'il y avoit une difference essentielle entre,
les simples facultés de l'Homme et les droits
du Citoyen ( 1).
M. le Vicomte de Mirabeau releva , comme
impropre, l'épithete imprescriptibles , employée
dans le Projet. Un honorable Membre , continua
-t- il , en parlant de son frere , dont vous
êtes accoutumés à admirer l'éloquencé , vous
a dit que l'antorite la plus dangereuse est celle,
des Municipalités. Il doit être surprenant de,
le voir pos r ma'ntenant un principe contraire ,
et su ordonner le Mil taire au Civil.... Il est
vrai que le nombre des troupes doit être fixé
par le pouvoir legislatif ; mais ce n'est qu'au
pouvoir exécutif qu'il appartient de les gouverner.
M. le Comte de Mirabeau voulut répondre
à cette interprétation de ses idées; mais l'ordre
des Membres qui avoient demandé la parole ,
l'emporta pour le moment.
M. de Gessé proposa à l'Assemblée de corriger
l'article 6 , qui comptoit parmi les droits ,
du Citoyen , celui de résister à l'oppression.
Ce n'est pas , dit - il , dans des temps de fermentation
, lorsque tout le royaume est en
feu , qu'il faut publier de pareilles vérités . Le
peuple n'abse déja que trop de ses droits..
Pourquoi lui en rappeler un dont il lui - est
(1) Le Discours de ce Député mériteroit
une mention étendue ; mais nous ne nous hasarderons
à en rendre compte que sur un im
primé authentique . Faute d'espace , nous n'avons
présenté , dans le No. 33 , qu'une partie
des observations de M. Crenière sur la Constitution
d'un Peuple , dans la Séance du premier ·
août.
( 343 )
si facile de faire une dangereuse application ?
M. le Marquis de Bonnay représenta que ,
de tous les projets proposés , ancun n'avoit
parfaitement rempli l'attente de l'Assemblée;
que cependant il étoit urgent d'adopter une
Déclaration de droits ; que le plus court moyen
étoit de se séparer en Bureaux pour choisir
au scrutin , celle qui paroitroit la plus convenable.
Le plan ainsi tracé , il ne s'agiroit plus
que de la discuter article par article , pour y
faire les changemens qu'on jugeroit nécessaires
.
Cette Motion fut bientôt écartée par d'autres
opinions.
M. Vernier regarda une mention de l'Etre
Suprême , comme inséparable de la Déclaration
agitée. C'est au principe qu'il faut remonter;
c'est à l'auteur de nos facultés et de
nos droits , qu'il faut les rapporter. Les Lois
civiles et politiques sont souvent impuissantes
sans la Religion ; l'idée d'un Dieu leur sert
de lien . Enfin , nous devons prévoir qu'il sera
parlé dans la Constitution d'un culte public.
Il faut donc commencer par rappeler ici le
souvenir de la Divinitė . M. P'Abbé Grégoire
soutint le même sentiment , et avec lui tout
le Clergé .
M. Rabaud de Saint-Etienne : L'état actuel
de la France pouvoit être comparé à celuide
l'Amérique - Unie , au moment de sa révolution.
La Déclaration des droits de cette République
étoit insuffisante , ainsi que toutes
celles proposées par l'Assemblée. Si les idées
qu'elles présentent sont vraies , leur ensemble
est impossible à saisir.... De plus , je souhaiterois
de l'ordre , de l'enchaînement , plus
de netteté dans les principes et les conséquences.
Une Déclaration de droits doit poser
piv
( 344 )
sur un plan raisonné , simple , court , afin que
dans le moment même de la promulgation ,
dle devienne la leçon des pères , l'alphabet
des enfans , l'instruction de la jeunesse , etc.
C'est avec une belle éducation que se formeroit
une race d'hommes vraiment libres , qui ,
armés de la raison et de la connoissance de
leurs droits , sauroient toujours les maintenir
contre les efforts du despotisme.
« Une Déclaration pure et simple est encore
insuffisante ; elle ne renferme pas tous les préliminaires
de la Constitution. La Déclaration
des droits ne doit que faire partie de ce préliminaire.
Il faut y joindre encore des principes
qui veillent à la conservation de ces
droits. Aussi j'adopte , de préférence , la Déclaration
de M. l'Abbé Syeyes. Elle seule contient
ces sentimens , ces maximes préservatrices
qui peuvent maintenir l'observance des
droits. Je demande que ces principes soient
insérés dans la Déclaration rédigée par le
Comité des Cinq , et que l'on suive les observations
que j'ai indiquées . »
M. de Biauzat dit qu'une Déclaration de
droits devoit être une chaîne non interrompue
de points fondamentaux . Un droit doit être
constant , et si naturel , que tout le monde
puisse le concevoir. Jamais il ne doit s'éloigner
des vues générales .
Il développa ensuite l'origine du contrat
social , qu'il dit être de droit naturel , comme
étant une suite nécessaire de la nature et des
besoins de l'homme.
Il distingua la liberté en naturelle , civile
et politique , et finit par quelques réflexions
sur le pouvoir paternel , qui parurent sages ,
mais peu relatives au sujet.
( 345 )
M. de Mirabeau prit ensuite la parole :
« Je crois pouvoir déclarer , dit- il en substance
, au nom du Comité des Cinq , que nous
avons rempli l'objet de notre commission . Les
débats antérieurs et actuels sur cette matière
semblent tous inculper notre conduite. Nous
avons agi de trop bonne foi , pour entreprendre
la défense de notre projet . Nous avons
été chargés d'extraire des plans , et non d'en
faire. Ce n'est point un parallèle que vous
demandiez de nous ... Aussi n'est - il , dans le
précis que nous avons eu l'honneur de vous
proposer , aucun principe que nous n'ayons
puisé dans d'autres Projets . Nous avons donc
été fidèles à vos Lois , et nous n'avons pas cru
devoir sacrifier l'amour- propre de rédacteur
au zèle de novateur...
Cependant , s'il m'est permis de présenter
mon avis personnel , je dirai que nous ne devons
pas introduire ici un travail philosophique
et abstrait . Le grand principe est que
nous sommes en société , non - seulement pour
maintenir , mais pour acquérir des droits . C'est
celui que mon père professoit il y a vingt ans ;
c'est celui que je professerai avec le même
courage ; c'est ce principe qu'a si fortement
démontré M. l'Abbé Syeyes , et qui me fait
préférer son Projet à tous ceux qui vous ont
été proposés. Vous n'avez qu'un moyen de
sortir du cercle inextricable où vous êtes renfermés
; choisissez une Déclaration que vous
discuterez ensuite article par article. »
«
Quant à l'observation personnelle que j'ai
à faire , elle porte sur l'erreur d'un des Préopinans
, qui , sans douté n'a pas entendu les
termes du Projet. Nous n'avons pas dit que
l'armée étoit au pouvoir législatif ; mais que
l'établissement , le traitement de l'armée ap-
P V
( 346 )
partenoit à la législation : nous démontrons
qu'il n'y aura jamais de liberté pour une
Nation, chez laquelle l'établissement des forces
militaires échapperoit au ressort législatif.
« A l'égard du Projet même, j'avoue qu'il est
imparfait, et que son plus grand vice dépend
de la rédaction : celle de cinq personnes différentes
offre souvent un concours d'idées liées
par des mots , qui hurlent de se voir ainsi
accouplés; et s'il devoit exister un despotisme
tolérable , ce seroit celui d'un rédacteur
unique.
M. Demeunier prétendit au contraire qu'une
Déclaration de droits n'étoit qu'un expose des
principes généraux et du but du gouvernement
; il falloit , non des vérités métaphysiques
, mais pratiques ; et la liaison des idées
n'étoit qu'un mérite subalterne , etc. La Déclaration
des Américains étoit , à divers titres ,
l'acte le plus inepte , l'attentat le plus médité
contre la liberté .... Au surplus , ne confondons
pas l'homme civil avec Phomme religieux;
et , si l'on doit s'arrêter à quelque avis , c'est
à celui d'adopter un canevas de Projet quel
conque , sauf à le corriger , àમૈં l'augmenter, à
le réformer , à le supprimer tout entier , s'il le
fa ut.
M. de Lévis proposa un nouvel avis ; MM .
Duquesnoy et de Custines , se rangeant à celui
de M. de Mirabeau , M. le Président interrogea
alors le voeu de l'Assemblée sur le parti àprendre....
On fit la lecture de la Motion
suivante de M. de Bonnay :
L'Assemblée Nationale , séparée en Breaux
, procédera par la voie du scrutin ; au
choix d'un projet de Dédaration. Chácăn
écrira sur un billet le nom de l'anteur ou le
titre de la Déclaration ; tes billets seront veri(
347 )
fiés selon la forme ordinaire , et le Projet qui
aura réuni le plus de suffrages , sera soumis
à la discussion de l'Assemblée , article par
article . »
Un Membre des Communes objecta que
cette -Motion étoit contraire au Réglement ,
qui ne permet pas de déterminer de résultat
dans les Bureaux.
Un seul plan , reprit un autre Membre ,
n'est pas assez sensible. Il ne faut pas se
livrer au despotisme d'un seul rédacteur. Un
Comité même de rédaction sera toujours
hué.
Un Député de la Noblesse revendiquoit le
projet de Déclaration dressé par M. de la
Fayette.
On crioit aux voix de toutes parts , lorsque
M. de Mirabeau proposa de remettre la
Déclaration apres la Constitution faite , vù la
nécessité de connoître préalablement tous les
plans de celles- ci .
Cette Motion excita une grande rumeur
le désordre s'empara quelque temps de l'Assemble
, par les différens cris d'applaudissemens
et d'improbation qui la partagérent.
M. Péthion de Villeneuve s'éleva le premier
contre ce avis , contraire au Décret de l'Assemblée,
qui , après trois jours de discussions ,
avoit arrêté que la Déclaration des Droits précéderoit
la Constitution . En cas de besoin ,
on pouvoit modifier les conséquences , selon
les principes ; d'ailleurs , ces principes étant
uniformes , invariables , ils devoient être nécessairement
les mêmes , avant ou après la
Constitution.
Plusieurs autres Membres pensoient de
même.
M. Redon : Les droits dérivent de la conp
vì
( 348 )
vention ; la société est un droit ; point d'homme
qui n'existe nécessairement en société. Une
Déclaration de droits doit être l'exposition
des vérités éternelles , qui servent à tout ordre
social légitime. C'est un préambule préparatoire
; c'est la lumière qui marche avant la
loi. Un discours simple , clair , intelligible à
tout le monde. Ce préambule n'est que le
vestibule de l'édifice , qu'on décorera après
que l'édifice sera terminé ; ce n'est qu'un frontispice
qu'il n'est pas nécessaire d'achever avant
le bâtiment , etc.
"
M. Reubell, ainsi que M. Gleizen , combattirent
fortement l'avis de M. de Mirabeau.
« J'ai souvent applaudi aux talens de l'auteur ,
dit le second de ces Députés ; mais j'ai
regret de le voir souvent nous entraîner
contre nos opinions . Il a toujours le talent
suprême de nous jeter dans des partis op-
❝ posés. »
« Je méprise , répliqua M. de Mirabeau ,
ces traits artificieusement décochés ; mais je
respecte trop l'Assemblée , pour croire qu'elle
veuille établir parmi les hommes le dogme de
l'infaillibilité. On a cru , avec erreur , que je
voulois contrevenir à ses Décrets , en rejetant
la Déclaration des droits après la Constitution.
Le seul Membre qui m'ait rendu justice ,
c'est celui qui a combattu mon opinion avec
fidélité , en disant qu'elle ne porte que sur la
rédaction. J'ai dit que cette rédaction pouvoit
être remise après la Constitution ; et j'ai pu
me tromper. »
Je répète cependant , que si vous rédigez
Ja Déclaration dans ce moment d'anarchie ;
si vous y apportez ces principes éphémères
et circonstanciés , qui paroissent maintenant
vous agiter ; si vous n'attendez jusqu'à ce que
( 349 )
vous ayez déterminé les principes de la Constitution
, vous ne ferez qu'une Déclaration
tronquée , ambigüe , incomplète.
»
" Vous êtes d'accord sur les principes ; vous
ne craignez que de fatales conséquences . Attendez
donc , avant que d'arrêter votre rédaction
irrévocablement ; attendez à quelques
semaines , jusqu'à ce que le temps ait donné
plus de maturité à vos réflexions . »
M. le Chapelier , rapelant combien cette
Motion étoit contraire aux Décrets de l'Assemblée
, ajouta que renvoyer la rédaction à'
un autre temps , c'étoit remettre la Déclaration
même. Lorsque le principe est fixé , n'eston
pas maître des conséquences ? A la fin ,
notre embarras ne seroit - il pas le même ?...
Je propose de lire , et de mettre aux voix successivement
les différens Projets .
Aprés ce choc d'opinions , M. le Président
proposa la question suivante : Adoptera- t- on
le Projet du Comité , ou le renverra - t-on à
l'examen des Bureaux ? Ce second avis fut
adopté unanimement.
M. Regnaut , du Comité des Rapports , rapporta
une lettre de M. de Cazalès , Député
Noble de Rivière -Verdun , et arrêté par la Milice
Bourgeoise de Caussade, M. de Cazalès .
n'étant parti que pour obtenir la révocation
de ses pouvoirs impératifs , et n'étant point
accusé , on ne pouvoit prolonger sa détention ,
sans violer la liberté et la justice ; aussi l'Assemblée
autorisa-t -elle M. le Président à réclamer
l'élargissement du Prisonnier.
Du Mercredi 19 Aour. Lecture d'Adresses ,
Mémoires , Félicitations , et spécialement d'un
Arrêté des Juges du Bailliage de Troyes , qui
désormais rendront la Justice gratuitement ,
( 350 )
et qui invite les Jurisdictions inférieures du
ressort au même dévouement .
de
On a ensuite communiqué à l'Assemblée
la résignation qu'a fait , de son Evêché de
Beauvais , M. le Cardinal de la Rochefaucault,
entre les mains de M. l'Archevêque
Vienne , chargé de la Feuille des Bénéfices.
M. PEvêque de St. Dié a pareillement renoncé
à son Evêché , ne conservant qu'un Bénéfice:
dont il est pourvu
.
nous L'ordre du jour , a dit M. le Président ,
ramène à discuter la Déclaration des droits .
Et d'abord , M. l'Abbé de Bonnefoi a donné
la préférence à celle de M. de la Fayette , en
y ajoutant que l'Etre Suprême a fait les hom
mes égaux et libres en droits.
M. Pellerin éloignoit les expressions abstraites
et vagues , comme susceptibles d'interprétations
dangereuses : les devoirs , suivant
lúi , étoient corrélatifs des droits ; il proposoit
la lecture en deux colonnes d'on projet
conforme à cette idée , par M. de Sinetri. Sut
quoi M. de Volney a observé qu'il ne s'agissoit
plus de projets à faire , mais de prononcer la
Sanction d'un projet rédigé.
M. le Vicomte de Mirabeau , simplifiant
toutes les Dissertations , réduisoit tout préambule
de la Constitution à ces mots : Pour le
bien de chacun et de tous , nous avons arrétéce
qui suit , etc.
Les préjuges et les obscurités métaphysiques
, a dit M. Guiot de St. Florent , sont les
deux écueils à éviter. Le principe générateur
de nos droits et de nos devoirs , est celui
qui attache l'homme à sa propre conservation .
A ce degré de discussion , M. le Président
ayant rappelé la question du jour , savoir si
Pon admettroit ou si l'on rejetteroit le projet
( 351 )
du Comité des Cinq , article par article ,
toutes les voix , à l'exception de sept , ont
décidé la négative , et demandé une autre
rédaction .
Alors , M. le Marquis de Bonnay revenant
à sa Motion de la veille , a de nouveaú
opine à faire par Bureaux le choix d'un projet,
non au scrutin , mais à voix haute , en indiquant
le titre da projet et le nom de son
Auteur. La Déclaration qui réuniroit le plus
de suffrages seroit alors deliberée et discutée
dans l'Assemblée .
M. Pérès de Lagesse a observé que dans
l'embarras du choix où se trouvoit l'Assem-
`blée , elle devoit repre ndre les Déclarations
présentées par le Comité Constitutif; retour
d'autant plus juste , qu'elles avoient servi
de modèle aux projets postérieurs , et qu'on
leur devoit la même déference qu'à celle du
Comité des Cinq , c'est-à -dire , de delibérer
si elles seroient discutees , ` qu non , avant
de passer à aucune autre,
MM. Demeunier , de Castellane , Péthion ,
opposoient le Règlement à l'opinion de M.
de Bonnay , lorsque M. de Lally a pris la
parole :
« L'Assemblée Nationale a décrété qu'une
Déclaration des droits de l'homme précéderoit
la Constitution : les difficultes que nous éprouyons
sont véritablement inquiétantes ; car si
l'accord sur un objet de cetté nature ne peut
se trouver entre douze cents hommes qui.¸
composent cette Assemblée ; comment espérer
que vingt-quatre millions d'hommes pourront
s'entendre ? Ecartez toutes ces questions métaphysiques
, substituez - leur des verités de
fait il faut sur la déclaration que vous aurez
adoptée , ne pouvoir ni raisonner , ni discu-.
( 352 )
ter ; il faut juger et saisir dès le premier aperçu.
Choisissez -donc la Déclaration la plus simple ,
la plus claire , et la plus courte . Si vous considérez
l'homme dans les forêts , hâtez-vous
de l'en arracher , et de le placer au milieu
de la France. Les Anglois , à qui la politique
doit de si grandes lumières , et la société un
Gouvernement si sage , ont toujours banni
de leurs lois la métaphysique. La Déclaration
des droits de l'homme, présentée par M. le
Marquis de la Fayette , et perfectionnée par
M. Mounier , m'a paru la plus digne d'être
promptement discutée ; et cette célérité est
importante. Votre choix une fois fait , ne
craignez point de peser les rapports entre Dieu
et l'homme: l'idée de la religion a toujours une
influence très -salutaire ; et qu'on ne croie pas
cet article de la Déclaration indifférent à son
objet . J'insiste donc sur ce que ce choix soit
fait le plus tôt possible , non dans les Bureaux ,
comme on l'a proposé , mais dans l'Assemblée
générale . »
Dix autres Membres ont présenté des observations
qui , plus ou moins , rentroient dans
les précédentes , et après lesquelles on a passé
aux voix par appel , sur le choix d'une Déclaration
: celle proposée par le sixième Bureau ,
et dont on attribuoit la rédaction à M. l'Evêque
de Nancy , a obtenu 620 suffrages ;
celle de M. l'Abbé Syeyes , 240 ; et celle de
M. dela Fayette , 419.
Nous ne transcrirons pas ce projet du
sixième Bureau , parce que , ainsi qu'on le verra
dans les Séances suivantes , la discussion ne
lui a pas été plus favorable qu'aux premières.
Séance du Soir , Mercredi 19 Aour. Presqu'entiérement
occupée par divers rapports ,
( 353 )
entre autres par celui d'un différend entre la
Députation du Couserans et celle des Quatre-
Vallées. Le Suppléant de la première prétendant
représenter la seconde , cette demande a
été combattue , et l'Assemblée a décidé qu'il
n'y avoit lieu à délibérer.
Autre rapport d'un démêlé entre les Communes
de Givet et Charlemont , et les Officiers
Municipaux de ces deux villes , desquels on
exige une reddition de compte. Cette contestation
a été renvoyée au Gouvernement.
Troisième rapport d'une plainte de la Commission
intermédiaire d'Alsace contre la
publication d'une lettre d'un Député de Belfort,
au sujet de l'Arrêté du 4, auquel , selon les
Réclamans , l'Ecrivain avoit donné , d'enthousiasme
, une extension contre laquelle il
s'élevoit. Plusieurs Membres pressoient la lecture
de la plainte et de la lettre , lorsque M.
Lawy a justifié ses intentions , et déterminé
l'Assemblée à un non délibéré.
A la fin de ces détails , M. de Mirabeau a
représenté un objet d'attention plus général ;
savoir , l'état de l'emprunt de 30 millions , qui
ne se remplit pas , et eelui du crédit national
qui paroît en souffrance. L'Orateur a répété
ce qu'avoit observé M. Necker , que le royaume
encore entier , non dévasté par l'ennemi ,
riche , plein de ressources , offroit mille motifs
de confiance . La liberté et l'harmonie ferient
reparoître le numéraire enseveli . Il ne s'agissoit
pas de déclamer contre les Capitalistes
et les Agioteurs ; mais on s'étoit trompé en
réformant le taux de l'emprunt ; on s'étoit
trompé en comptant sur le crédit public et sur
le zele patriotique. Il falloit sauver la foi publique
, et pour cela autoriser le Roi à prendre
les mesures qu'il jugeroit nécessaires à la destinée
de l'emprunt.
1
( 354 )
Sur cette proposition inattendue , M. Laville-
le-Roux a opiné à attendre les nouvelles
des provinces , à designer les époques de remboursement
, et à créer dans chaque province
une Caisse d'Escompte,
Les deux Motions ont été renvoyées à la
' discussion des Bureaux .
Du Jeudi 20 AOUT. M. de Montesson ,
Député de la Noblesse du Maine , et dont
le frère a été victime des fureurs populaires
de cette province , ayant résigné sa Commission
, M. le Comte de Praslin , son Suppléant ,
a été agréé par l'Assemblée .
Ici commence l'examen du Projet de Déclaration
des droits , rédigé par le sixième Bureau
, et d'abord, ce ui du préamhule.
M. Anson , Député de Paris , et Receveur-
Général des Finances a , le premier , attaqué
ce Projet , comme un canevas sans énergie
et sans dignité. Cet Opinant- a terminé ses.
remarques par l'aven que , a quoique en-
» rôle dans la Malice Financière , Milice qui
n'est point Nationale , il en attendoit la
« réforme avec impatience . »
M. Target a également relevé, dans ce Projet
, un manque d'énergie , de fermeté et
d'expression . C'est une table des matières qui
a besoin de changemens , d'additions et de développemens
essentiels au maintien de la
liberté.
M. Demeunier retranchoit les dix premiers
articles du Projet , sauf à y ajouter ensuite
les détails nécessaires .
M. de la Borde établissant que le principe
fondamental de tout ordre politique rési--
doit dans l'emploi de la force et des pouvoirs
de tous , au maintien et à l'extension
K
( 355 )
des droits de chacun , a offert un Projet de
préambule conforme à ces maximes .
M. Duquesnoy , à l'exemple du Preopinant ,
a considére The mme en société comme fait
pour acquerir , et non pour perdre des droits ,
dont la Déclaration etoit independante des
circonstances et des temps .
M. de Virieux a j gé le Projet incomplet
, et a fait lecture d'un preambule qu'il
avoit rédigé conjointement avec M. de Marguerittes.
M. le Vicomte de Mirabeau regrettant le:
temps perdu par l'Asssemblee , au choix d'une
Déclaration , a proposé d'adopter le décalo-.
gue. To s les droits de l'homine , à son avis ,
sont renfermés dans ces trois mots : Propriété,
sûreté , liberté. Les subtilités méthaphysiques
seront admirées de tous ceux qui ne les entendront
pas , et comprises par fort peu de
personnes .
M. de Volney plaçoit au préambule la
date , l'époque du présent régne , un exposé
succinct des faits qui nécessitent une Déclaration
, et les causes du désordre , suite de
l'oubli des devoirs dans le Gouvernement , et
de l'oubli des droits dans le Peuple.
M. Mounier a réclamé le préambule du Comité
des Cinq , ainsi qu'une invocation à l'Etre
Suprême . Plusieurs Membres ont adhéré à
cette addition . M l'Evêque de Nimes l'a ap- :
puyée avec onction .
M. Mongins de Roquefort a cité l'exemple
des Romains , qui invoquoient leurs Dieux à la
tête de toutes leurs Lois.
M. Pellerin , passant du Paganisme à la Loi
de Jésus Christ , a rappelé que les Empereurs
Romains ayant adopté le vrai Dieu , mirent
leurs Codes sous sa protection. La Suède , la
( 356 )
Russie , l'Amérique , etc. ont imité cette sagesse.
Serions -nous les seuls à nous en écar
ter ?
" Que pensera- t-on , s'est écrié M. l'Abbé-
Grégoire , quand on saura que nous avons
discuté long-temps pour , savoir si nous invoquerions
à la tête de nos lois , cet Etre -Suprême
, de qui seul elles émanent , et qui
seul peut nous donner les lumières nécessaires
pour les bien déterminer ?
Un Membre des Communes rejetoit ces
termes : En présence de Dieu , parce qu'ils
pourroient faire croire qu'il y a quelque chose
hors de sa présence.
Un Curé dit qu'on ne pouvoit juger les
projets d'articles par une lecture rapide ; qu'il
falloit , suivant les termes du Règlement ,
en différer de trois jours la discussion.
M. le Président lui fit observer que, ni ces
articles , ni les amendemens n'étoient des motions
, et que 24 articles exigeroient 72 jours
de discussion.
L'appel des voix , l'impatience et le bruit,
ont amené la délibération à son issue . Une
grande majorité a rejeté le préambule du
sixième Bureau , et a fini par reprendre celui
du Comité des Cinq , tel qu'on va le lire dans
l'instant.
´L'Assemblée passant à la discussion des
articles mêmes de la Déclaration , M. d'André
a proposé de réduire les cinq premiers en un
seul , dont il a donné le modèle : M. Target
a aussi présenté le sien . Plusieurs Membres
demandoient des limitations , d'autres
plus d'étendue à la rédaction . Enfin , l'on
a consenti à trois articles proposés par M.
Mounier , à la place des six premiers du projet.
( 357 )
En voici la teneur , ainsi que celle du préambule
:
Les Représentans du Peuple François ,
constitués en Assemblée Nationale , considérant
que l'ignorance , l'oubli , ou le mépris
des droits de l'homme , sont les seules causes
des malheurs publics , et de la corruption
des Gouvernemens , ont résolu d'exposer dans
une Déclaration solennelle les droits naturels ,
inalienables et sacrés de l'homme , afin que
cette Déclaration constamment présente à
tous les Membres du Corps social , leur rappelle
sans cesse leurs droits et leurs devoirs ,
afin que les actes du pouvoir législatif et
ceux du pouvoir exécutif , pouvant être à
chaque instant comparés avec le but de toute
institution politique , en soient plus respectés ;
afin que les réclamations des Citoyens
fondées désormais sur des principes simples
et incontestables , tournent toujours au
maintien de la Constitution et au bonheur
de tous. »
« En conséquence , l'Assemblée Nationale
reconnoît et déclare , en présence et sous
les auspices de l'Etre- Suprême , les droits suivans
de l'Homme et du Citoyen . »
ART. I. Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur
P'utilité commune.
H. Le but de toute association politique
est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l'homme . Ces droits sont la liberté
, la propriété , la sûreté et la résistance à
l'oppression.
III. Le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la Nation . Nul
( 358 )
corps , nul individu ne peut exercer d'autorité
qui n'en entane expressément.
Du Vendredi 21 AOUT. On nous pardonnera
d'élaguer le rapport des Difcuffions de cette
Séance. Nous n'avons pas la tête affez forte pour
en faifir les détai's ; ils accableroient le Lecteur
le plus avide de ces contentions philofophiques
& grammaticales.
La Séance a commencé par la lecture de l'Adreffe
d'un grand nombre de Gentilshommes de
Quimper , qui adhèrent à tous les Arrêtés paffés,
préfens & tuturs de l'Affemblée .
Difcuffion r'ouverte fur les articles de la Déclaration
de droits projetés par le fixième Bureau
, M. le Chevalier Alexandre de Lameth a propoté
deux Articles fur la Definition de la Liberté,
à fubftituer aux articles 7 , 8 , 9 & 10 du projet.
M. d'André a auffi préfenté fon offrande , &
Pa retirée. Cinq Députés ont parlé pour ou contre
le mot évidemment ; fix autres fur la préférance
du met peut fur le mot veut : Un Membre
du Clergé rejetoit le terme de Liberté , comme
trop général , & demandoit celui de Liberté civile :
la Liberté fans adjectif a prévalu , & les deux
Articiés de M. Lameth ont été décretés en ces
termés :
» ART. IV. La liberté confifte à pouvoir faire
tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainfi l'exer-
» cice des droits naturels de chaque homme n'a
» de bornes que celles qui affurent aux autres
Membres de la Société la jou ffance des mêmes
» droits : ces bornes ne peuvent être déterminées
» que par la Loi . »
» V. La Loi ne doit défendre que les actions
» nuifibles à la Société. Tout ce qui n'eſt pas
» défendu par la Loi ne peut être empêché .
( 359 )
» Nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle
n'ordonne pas. »
Paifant à Particle XI du Projet , concernant le
droit de tout Citoyen à tous emplois publics , PALfemb
ée, d'accord fur le principe , s'eft divifée fur
les expreffions du Décret à prendre. M. Barrère
de Vieuzac ne trouvoit point l'Artic'e d'un ton
affez élevé, & a propofé d'en rehauffer l'énergie.
M. de Beauharnais un ffoit l'Article XII à celui
en diſcuſſion ; MM. de Volney & Pifon du Galand
demandoient la priorité de cet Ar icle XII fur
le onzième. Chaque mot amenoit une foule d'opinions
diverfes , & de débats métaphyfiques.
M. le Marquis de Gouy- d'Arcy a dit : J'ai
toujours penfé , Meffieurs , que dans une Déclaration
de droits , le premier mérite étoit la c'arté ,
& le fecond la préciſion . C'eft dans certe opirien
que je foumets aux vores the rédaction
des cinq Articles XI , XII , XIII , XIV & XV,
que j'ai réduits en un feul. »
» La Loi érant l'expreffion de la volonté gé
» nérale , fera le réſultat du vou médiat ou immédiat
de tous , égale pour tous ; dans les
» mêmes délits , elle prononcera toujours les
» mêmes peines , & elle n'écartera jamais des
Emplois pubics aucun fujer capable. » "
&
MM. Camus , le Chapelier , Target , & prefque
tous les Opinans , ont offert des Rédactions différentes.
Celle de M. l'Evêque d'Autun ayant pris
faveur , elle a été arrê é fur le mot SUSCEPTIBLES
d'admiffion aux places , felon les vertus & les talens.
Le terme d'admiſſibles a paru plus exact ,
a prévalu. Celui de vertus & talens a entraîné une
autre controverse ; M. Mounier trouvoit le mot
capacité moins vague ; enfin , pour tout concilier ,
on a déclaré admiffibles la capacité , les vertus
& les talens. La teneur de l'article déc été , eft :
" La Loi eft l'expreffion de la volonté géné360
)
» rale. Tous les Citoyens ont le droit de re-
" courir perfonnellement ou par leurs Repréfen-
« tans à fa formation . Elle doit être la même
» pour tous , foit qu'elle protège ou qu'elle pu-
» niffe. Tous les Citoyens étant égaux à fes yeux ,
» font également admiffibles à toutes Dignités ,
» Places & Emplois publics , felon leur capacité ,
» & fans autre diftinction que celle de leurs
» vertus & de leurs talens . «
?
>
Séance du foir. Vendredi 21 AOUT. En Hainaut
, à la Requête des Officiers municipaux
& de l'Intendant , M. le Comte d'Esterhazy
Commandant de la Province a fait arrêter
quatre habitans de Marienbourg , & les a fait
mettre en prifon le 13 de ce mois . Ces quatre
hommes ont porté plainte à l'Affemblée nationale
; & fur le rappo t de cette affaire , pluſieurs
membres fe font élevés avec rigueur contre M.
d'Efterhazy : l'un d'eux alloit même juſqu'à requérir
qu'on le blamât. M. le Marquis de Gouy
d'Arfy, député de Saint - Domingue , s'eft levé :
» Je penſe , a t - il dit , que l'Affemblée na-
» tionale ne peut agir , dans cette circonſtance ,
» que conformément aux décrets qu'elle a pro-
» noncés fur des détentions femblables. »
" Quant à M. d'Efterhazy , que je ne connois
» point , je n'entreprendrai point fa défenfe ;
» mais c'est avec douleur que j'ai entendu un
» membre de cette augufte Affemblée , conclure
" à ce que ce Commandant fût blâmé : le blâme
» de l'Affemblée nationale me paroît le plus
» grand , le plus févère de tous les châtimens
» qu'un François puiffe fubir , & je ne pourrois
» concevoir que des Juges intègres prononçaffent
» l'Arrêt le plus redoutable contre un citoyen qui
» n'a pas été entendu , qui n'a pas même été ap-
" pělé. Vous , Meffieurs , qui élevez le grand
édifice K
( 361 )
» édifice de la liberté ; vous qui venez d'abattre
" le coloffe monftrueux du defpotifme , vou-
» driez-vous exercer la plus cruelle des magiftra-
» tures ? Voudriez- vous être le Miniftre de la plus
» dangereufe des Ariftocraties , celle de difpofer
» fouverainement , fans appel , de l'honneur d'un
» citoyen qui eft peut-être innocent ?
» Si le Commandant du Hainaut étoit coupa-
" ble , d'avoir , contre le droit naturel , & contre
» les lois que nous allons faire , attenté à la liberté
» des Citoyens ; ferions- nous moins coupables que
» lui , de le condamner fans l'entendre ? D'ail-
» leurs , Meffieurs , fur quelles lois le jugerez
» vous ? les voeux que votre humanité a exprimés
» jufqu'ici , ne font point encore des lois promulguées.
Penferiez- vous que , dans ce cas même ,
» vos Décrets puffent avoir un effet rétroactif ?
» S'il en étoit ainfi , ils deviendroient la terreur
» de la France , au lieu d'en être les confola-
» teurs bienfaifans .
"
» Je concluds donc , 1 °. à ce que les quatre
» Citoyens arrêtés foient élargis , s'ils ont été dé-
» tenus fans décret préalable ; 2 ° . à ce que toute
» opinion foit fufpendus fur le compte de l'Agent
» du pouvoir exécutif , jufqu'à ce qu'il ait été
» prouvé qu'il eft prévenu d'un délit. »
Cet avis , développé enfuite par M. Emery,
a été adopté.
Du Samedi 22 AOUT. Après l'indication ordinaire
des adreЛles à l'Affemblée , M. Fréteau
lui a fait part d'une Requête de M. Meunier de
L'Erable , Auditeur des Comptes , qui fair homà
l'Affemblée d'un Tableau alphabétique ,
mage
qu'il a dreffé , de toutes les Penfions & des noms
des Penfionnaires , & qui demande que fon travail
foit joint à celui du Comité des Finances ,
auquel il offre les renfeignemens néceffaires . Cette
N°. 35. 29 Août 1789. ૬
( 362 )
propofition a été acceptée avec des remerciemens
à l'Auteur.
On a mis en difcuffion
l'Article
XIV du
Projet de Déclaration
du 6° . Bureau , relatif à
la liberté individuelle
.
M. Target a propofé une forme de Rédaction
moins générale , & l'addition d'une clauſe contre
tous Ordonnateurs , cu Exécuteurs d'Ordres arbitraires.
M. le Marquis de Bonnay réuniffoit
plufieurs autres Articles du projet dans la Rédaction
qu'il a préfentée à fon tour , en infif
tant fur ce qu'on ôtât formellement à la Loi
tout pouvoir rétroactif.
M. Duport : Rien n'honore plus un Peuple que
la douceur de fa légiflation . Celle des Anglois
eft le principe des Sentimens généreux de cette
Nation. L'exil étoit , chez les Romains , la plus
grande peine pour un Citoyen , & vous devez
créer des Lois qui conviennent à des hommes
libres. Dé ruifez donc c's Cachots de nos Prifons
criminelles , cent fois plus cruels que ceux
de la Baftille . On ne peut fans effroi penfer aux
horreurs de ces cavernes infernales ; la Déclaration
des Droits fera le remède à ces excès , &
fervira de frein au légiflat.ur.
» La Lɔi ne peut établir de pe'nes que celles
indifpenfablement réceffaires au bien commun
& proportionnées au délit . «
que
» Et nul homme ne peut être maltraité avant
d'avoir été condamné. «
Quelques Membres regardèrent ces Articles
comme prématurés , & comme faifant partie de
la légiflation.
M. de Lally-Tollendal exprima la néceffité de
faire entrer ces principes dars la Déclaration des
Droits. Ce ne font pas des Lois , dit- il , mais
des devoirs de la Loi.
» La fociété a befoin de fe faire pardonner
K
( 363 )
le droit terrible de donner la mort à un
être vivant. S'il étoit un Pays où le Defpctifme
judiciaire exerçât fes ravages ; s'il étoit un
Pays où de malheureufes rivalités d'Etat excitaffent
les Paffions , cù la mort d'un homme
pouvoit être la jouiffance de la vanité d'un au -`
tre ; s'il étoit un Pays , où l'on eût raffafié d'opprobre
un malheureux , accufé par le defpctifme
d'un feul homme , ne feroit - il pas néceffaire d'y
rappeler les Juges à l'humanité & à la juftice ? ....
Sachons fupporter la vérité : ce Pays eft celui
que nous habitons , ma's auffi celui que nous régénérons.
»
M. le Préfident , pour ramener la queftion ,
mit aux voix l'Article 14 du Projet. Il fut reje
é unanimement.
Alors , MM. Target , Duport & de Bonnay ,
adoptant mutuellement leurs Articles refpe&tifs
M. le Préfident les réunir en une feule rédaction
, & M. Fréteau en fit la lecture
qui donna naiffance à une infinité d'amendemens.
Le plus effentiel regardoit la reſponſabilité de tous
les Inftrumens quelconques de l'exécution des Lois.
Tous Ordres Arbritraires , dit M. Rabaud de Saint-
Etienne , font puniffables. Tous ceux qui les auront
follicités , expédiés , exécutés ou fait exécuter , font
refponfables envers l'Accufé & la Société. Les Subalternes
doivent être punis , s'ls exécutent des
Ordres contre les difpofitions de la Loi .
» Il n'eft pas de Peuple , ajouta M. de Mirabeau
, chez lequel on ait nié qu'un Cityen ne
doit être arrêté qu'en vertu des Leis . »
Ce principe exifta toujours dans notre légiflation.
Il n'a pas prévenu c pendant le monceau
de Lettres - de- Cachet dout on accabloitles Citoyens
fouvent les plus innocer s. La efpenfabilité
des Agens de l'autorité eft le feu moyen de réprimer
ce defpotifme. Déja plufieurs de vos déq
ij
( 364 )
aux
crets ont déclaré reputables tous les Exécuteurs
d'Ordres . N'ome : tez donc point , dans vo-
、re Déclaration , ce Droit effentiel de faire
endre compte de leur Adminiſtration ,
épofitaires de leur autorité ..... Souvenez -vous
u vous ne ferez jarnais que des efclaves , fi du
pre mier Miniftre jufqu'au de nier fbirre , tous ne
font refponfables de leur conduite.
M. Mallouet trouvoit les articles 19 , 20 &
21 de la Déclaration de M. l'Abbé Sieyes , plus
propres à exprimer la liberté civile & individuelle .
M. le Duc du Châtelet cita l'ufage de l'Angleterre
, cù l'on ne peut arrêter unparticulier , que par
un ordre figné Warrant. Si l'ordre eft injufte ,
celui qui l'a figé eft attaquable.
M. l'Archevêque d'Aix : Il faut déterminer la
perfonne qui doit donner l'ordre ; car il eſt abfurde
qu'un Agent fubalterne foit refponfable
de l'infraction de la Loi. Il ne peut connoître que
quelques formes , & les perfonnes autorifées à
commander. Tout ce qui regarde les ordres arbitraires
, doit être rejeté dans la Législation même.
:
Un autre membre propofa d'ajouter à ces
mots; arrêté , ni détenu , nipuni , ceux- ci : ni troublé
dans l'ufage de fa propriété. Cet amendement , ditil
, ne peut faire fort à perfonne , mais peut faire
du bien à beaucoup de monde.
M. le Préfident mit alors en délibération les divers
amendemens propofés ... Le premier confiftoit à
retrancher le mot accufé. Le mot fut confervé..
Le fecond , à renvoyer à la Légiflation qui regarde
les ordres arbitraires .
» Je vois un grand danger, dit enfuite M. de Gouy
d'Arcy , à laifler à tous les Subalternes le droit de
difcuter la loi ; & ce droit leur appartiendroit , fans
doute , s'ils devoient répondre de fon exécution . "
« Seroit- il jufte enfuite que , pour une feule
faute commife par un Miniftre , vous euffiez peutêtre
ceat coupables à punir ; & fi l'on admet
( 365 )
toit cette doctrine , quelle feroit la compofition
de tous les Agens du pouvoir exécutif ? »
» Toujours placés entre la peine due à l'infubordination
, lorfqu'ils fe refuſeroient à un Ordre
Légal , & le châtiment infligé par la refponfabilité
abfolue , lorfqu'ils auroient mal interpiêté
la Loi , la liberté n'auroit pour Miniftres
, d'autres individus que ceux qui n'au-,
roient rien à perdre ; & bientôt le défordre fuccéderoit
à cet Ordre admirable que la Conftitution
doit établir. »
» On confond , reprit M. de Mirabeau , le
Dogme de la refponfabilité avec le Mode . Le
Chef de la Société , feul excepté par l'inviolabilité
de fa perfonne , toute la hiérarchie fociale
doit être refponfable . Le Dogme de cette refponfabilité
eft un Droit de la Nation . C'eft un
principe dont les détails feront exprimés dans
la légiflation , mais qui doit faire partie de la
Déclaration des Droits . C'eft une de ces maximes
imprefcriptibles , auxquelles font fubordonnés
les Légiflateurs eux- mêmes.
Les Agens fubalternes ont des formes ftri&tement
prefcrites. C'eft de ces formes , de cette régularité
dans l'exécution de la Loi qu'ils doivent
être refponfables.
M. Demeunier fut du même fentiment , &
l'amendement fur la refponfabilité rejeté prefque à
l'unanimité.
On fit une troifième lecture des Articles corrigés
d'après les obfervations précédentes . Ils furent
adoptés dans la forme que voici .
ART. VII. « Nul homme ne peut être accufé ,
arrêté , ni détenu , que dans les cas déterminés
par la Loi , & felon les formes qu'elle a prefcrites.
Ceux qui follicitent , expédient , exécutent
ou font exécuter des ordres arbitraires , doivent
être punis. Tout Citoyen appelé ou faifi en
q nj
( 366 )
vertu de la Loi , doit obéir à l'inftant ; il fe rend
coupable par la réfiftance.
"
VIII. La Loi ne doit établir que des peines
ftrictement & évidemment néceffaires ; & nul
ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie ,
promulguée antérieurement au délit , & légalement
appliquée.
IX. Tout homme étant préſumé innocent
jufqu'à ce qu'il ait été condamné , s'il eſt jugé
indifpenfable de l'arrêter , toute rigueur , qui ne
fera pas néceffaire pour s'affarer de fa perfonne ,
doit être févèrement réprimée par la Loi , »-
Plufieurs Opinans entamèrent enfuite la difcuffion
des Art. XVI , XVII , XVIII du projet
fur la liberté des Opinions religieufes & le
refpect du Culte Public ; mais , d'après la Motion
de M. l'Abbé d'Aymar , on renvoya au lendemain
Dimanche l'examen ultérieur de ces Articles ,
dont il demanda la féparation. "
On termina la Séance par la lecture d'une
lettre de M. Necker , où ce Ministre annonce
qu'il viendra, mercredi prochain, rendre compte
de l'état de l'Emprunt , et prie qu'on suspende
jusqu'alors toute délibération sur cet objet.
M. de Mirabeau se leva pour déclarer qu'une
Lettre Alinistérielle ne devoit pas influer sur
les délibérations de l'Assemblée , et M. d'André
observoit que le Ministre auroit dû se
'rendre en personne à l'Assemblée , et ne point
attendre à mercredi . On renvoya cette discussion
à la Séance du soir , où il n'en a pas
été question.
le
Du Dimanche 23 AOUT. Cette Séance
caractérisée , comme plusieurs autres , par
tumulte des opinions et par un acharnement
à les défendre , peu compatible avec la régularité
d'une Assemblée législative , a eu
( 367 )
pour objet la question la plus sérieuse. Il
s'agissoit non-seulement du respect inviolable
dû aux opinions religieuses ; mais encore de
la liberté générale à accorder à chacun dans
l'exercice de sa Religion . D'un coup d'oeil
on embrasse les conséquences de ces deux
principes jusqu'ici séparés dans les Etats qui
se piquent de tolérance , et qui , en consacrant
une Religion dominante , lui ont plus
ou moins subordonné l'exercice des Cultes
dissidens. Les articles XVI et XVII du projet
de Déclaration ne contenant que des devoirs
, M. Péthion de Villeneuve fit observer
qu'ils appartenoient à la Constitution , et qu'l
n'y avoit pas lieu à délibérer . Cette opinion fut
plutôt discutée que contredite ; mais appuyée
par M. l'Evêque d'Autun , elle devint unanime .
L'article XVIII amena l'orage . M. de Mirabeau
présenta avec feu les maximes philosophiques
de quelques Ecrivains modernes ,
contre toute police religieuse , contre la prohibition
des Assemblées de Sectaires , contre
tout culte dominant qu'il appella une opinion .
Par une suite de ces principes , il adopta la Motion
faite la veille par M. de Castellane , et qui
portoit : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions religieuses , ni troublé dans l'exer
cice de sa Religion .
"C
<<
сс
"
La première partie de cette double proposition
n'excita pas de grands débats . La seconde
les absorba tous , et d'abord M. de
Castellane lui-même la défendit . Des signes.
d'improbation se manifestèrent M. le Président
réclama l'ordre et la tranquillité . Divers
Opinans , entre autres M. l'Archevêque de
Paris , jugèrent qu'il n'y avoit lieu à délibérer
; d'autres renvoyoient à la Constitution :
alors M. de Castellane retira la seconde partie
q iv
( 368 )
de sa Motion. On proposa aux voix l'article
18 de la Déclaration ; il fut rejeté , et le premier
point de l'avis de M. de Castellane resta
seul en discussion . Bientôt il fut atténué par
divers amendemens , dont le plus complet ,
soutenu avec sagesse et modération par M.
de Virieux , soumettoit la liberté des opinions
religieuses à la restriction suivante , pourvu
que leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public.
M Rabaud de Saint - Etienne parla trèslong-
temps; son discours éloquent et persuasif,
mais contraire aux idées du Préopinant , exigera
, ainsi que plusieurs autres , une mention
particulière . M. Rabaud demandoit pour chaque
homme la liberté de professer son propre culte.
MM . les Evêques de Clermont et de Lydda
développérent, en le justifiant, l'amendement de
M. de Virieux. Les modifications s'entassoient,
lorsque , sur la demande de M. le Président , i
il
fut décidé qu'il y avoit lieu à délibérer encore.
Un nouvel amendement , qui spécific
Tordre public , ÉTABLI PAR LA LOI , Suecéda
aux précédens . M. de Mirabeau_reprit
la parole pour le combattre , et eut à combattre
, avec l'amendement , l'Assemblée ellemême
, à laquelle il demanda acte de son
refus : il se rendit au Bureau revint à
sa place ; les clameurs redoubloient , elles augmentèrent
encore de la part de l'Opposition ,
Torsque les deux principaux amendemens furent
admis . Présentés aux suffrages , conjointeinent
avec la Motion originelle , ils furentrepoussés
par un nouveau tumulte . Vingt fois
M. de Clermont - Tonnerre voulut calmer la
tempête : les esprits ne reconnoissoient plus
de Pilote ; et ce Président , qui réunit tant de
noblesse à tant de prudence, modèle lui - même
( 369 )
de toutes les qualités d'un Opinant , se vit
forcé d'offrir deux fois sa démission . Le voeu
public a prévenu cette perte , et enfin , à quatre
heures et un quart , la Motion et les amendemens
ont été décrétés en ces termes :
« Nul homme ne doit être inquiété dans
ses opinions , même religieuses , pourvu que
« leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public , établi par la loi . » *
Nous compléterons par la suite le rapport
des détails de cette délibération .
Supplément à l'Assemblée Nationale
Nous avons été priés de revenir sur
une Motion faite en ces termes , le 23
juillet , par M. Brouillet , Curé d'Avize .
MESSIEURS ,
» Les mouvemens tumultueux d'un Peuple
égaré vous affligent ; votre coeur frillogne au triſte
récit des excès qu'il fe permet ; vous avez cherché
, de fang-froid , dans vos juftes & tendres
inquiétudes , le remède à tant de maux : parmi
ceux que votre éloquente fagefle a indiqués , l'établiffement
d'une Garde-Bourgeoife , confacré ,
fanctionné par le pouvoir exécutif , vous a pa u
efficace. J'oferois me permettre de vous obferver
que , dans les hameaux où l'impérieuſe réceffité
force au travail , où les individus n'ont du pa'n
que trempé dans la fueur , cù le jour fuffit à
peine à la journée pour l'ur en fournir pour alimenter
leurs familles , ce remède n'en peut être
un , à moins que les amas berfaifantes , les
citoyens ailés ne viennent à leur fecours. »
Mais un moyen qui produiroit par- tout des
effets falutaires , qui exifte dans tous les lieux ,
Q V
( 370 )
"
fi fouvent éprouvé avec avantage , qui tout mo
ral qu'il eft , influe fouverainement fur l'ordre
Civil & Politique , c'eft l'intervention , l'exercice
de la follicitude de ces zélés & verteux
Paſteurs dont mille circonftances périlleuſes juſ
tifient mon opinion ; ils peuvent tout fur l'efprit
fur les moeurs de leurs ouailles ; ils font plus
humains , plus citoyens , plus patriotes , plus
François que jamais : leur religion & leur piété
éu ent , perfectionnent ces nobles , ces glorieuſes
qualités , ils ne ceffent de les propofer aux Peuples
comine le précieux objet de leur admiration
& de leur convoitife ; ils n'attendent pas ,
fans doute , vos ordres pour déployer leur courage
, contenir & ramener au calme ceux que
l'effervefcence du moment féduit ou entraînę .
Mais , Meffieurs , un mot de votre bouche , une
Adrefle de votre part , dictés par cet amour de
la patrie qui vous enflamme; la plus foible marque
de confiance feur communiqueroit une impulfion
trop puiffante , pour ne pas amener les
fuccès qui fo. t dans vos coeurs. »
» Que mes Confières difent fi ma Motion eft
jufte , fi elle n'exprime pas leur fincère vou ,
s'ils ne voudroient pas fe trouver , dans ces momens
de crife , au milieu de leurs Peuples , pour
les défarmer au nom de la religion qui les confole
, de la patrie qui les plaint ? Qu'ils difent
s'ils n'ont pas déja recommandé à leurs fidèles
Suppléans le fort de tant d'infortunés , & fi à
cet égard ils n'ont pas épanché , dans leur ame ,
les juftes inquiétudes , le défefpoir paternel dont
la leur eft agitée? »
» Je vous prierois , Meffieurs , de vous rappeler
la fatale époque du brigandage des grains ;
de ne pas feparer de cette trifte idée la conduite
courageufe & confolante des Curés ; combien
leur utilité les combla de bénédictions ! com(
371 )
bien enfin ils fe firent gloire d'être victimes de
leur devoir , & de juftifier la haute confiance dont
le Gouvernement , dans fa fageffe , honora leur
zèle ! »
» Je foumets au refte , Meffieurs , avec autant
de déférence que de fécurité , mon avis fur
ce point , à votre amour ardent & éclairé pour
la patrie. »
M. l'Abbé Sieyes a publié , ces jours
derniers , des Observations sommaires
sur les Biens Ecclésiastiques , que
nous voudrions pouvoir transcrire en
entier. Chaque ligne est un argument , et
il est difficile de porter plus loin la force
de tête et celle de style . C'est un modèle
de véritable énergie , de celle qui résulte
de la précision d'idées frappantes , et
non de déclamations , où le ton furieux
couvre la nullité du raisonnement . Nous
placerons dans huit jours quelques fragmens
de cet Ecrit , à l'art. Paris.
Mais on nous saura gré de rapporter
aujourd'hui , sans l'abréger , un morceau
détaché de ces Observations , sous
le titre suivant ( 1 ) :
Opinion de M. l'Abbé Sieyes sur l'Arrêté
du 4 , relatif aux dimes , pro-
(1 ) Il comprend le Discours de M. l'Abbé
Sieyes , dans la Séance du 19 août , et dont
nous n'avions pu donner qu'un extrait imparfait.
q vi
( 372 )
noncée, le 10 août, à la Séance du
soir.
Du 12 Août 1789.
Mes principes fur la dime Eccléfiaftique n'ont
pas pu ê re expofés dans cette Séance , İl ne s'agiffoit
pas de juger l'affaire au fond , mais feulcment
de recevoir ou rejeter la rédaction de l'article
VII de l'Arrêté du 4 , que le Comité de
rédaction avoit préfenté à l'Affemblée dans les
termes fuivans.
» Les Dimes en nature , eccléfiaftiques , laïques
inféodées , pourront être converties en rede-
» vances pécuniaires , & rachetab es à la volonté
» des contribuables , felon la proportion qui
» fera réglée , foit de gré à gré , foit par la loi ,
» fauf le remploi à faire par les décimateurs ,
» s'il y a lieu. »
Je connois auffi bien qu'un autre tous les inconvéniens
de la dime , & j'aurois pu à cet
égard enchérir fur tout ce qui a été dit. Mais
parce que la dime eft un véritable fléau pour
l'agriculture , parce qu'il eft plus néceffaire d'affranchir
les terres de cette charge , que de toute
autre redevance , & parce qu'il eſt certain encore
que le rachat de la dime peut être employé
plus utilement & plus également que la dime
elle-même , je n'en concluds pas qu'il faille faire
préfent d'environ foixante- dix milions de rante
aux Propriétaires fonciers. Quand le législateur
exige ou reçoit des facrifices , dans une circonftance
comme celle-ci , ils ne doivent pas tourner
fo profit des riches , foixante- dix millions de
iente étoient une refforce immenfe ; elle eft
perdue aujourd'hui . Je dois croire que j'ai tort ,
puifque l'Aflemblée en a jugé autrement ; mais
peut- être ce tort ne paroîtra- t-il pas fi grave à
ceux qui voudront bien m'entendre.
( 373 )
On a comparé la dime à un impôt ; elle a trèscertainement
les inconvéniens du plus déteftable
de tous les impôts ; mais on fe trombe , finon
fur fes effets , au moins fur fon origine Lorfque la
Nation , ou plutôt la loi a parlé , pour la première
fois , de la dime , elle s'étoit déja établie depuis
plus de trois fiècles ; elle étoit différente , fuivant
les lieux, foit dans fa quotité , foit relativement
aux eſpèces de produit. Ces différences fubfiftent
encore aujourd'hui ; elles font la fuite naturelle
de la manière dont la dîme s'étoit établie. Elle a
été d'abord un don libre & volontaire de la part
de quelques Propriétaires. Peu - à -peu l'afcendant
des idées religieufes l'a étendue prefque par- tour;
elle a fini par être une véritable ceffion , fur-tout
par ceux qui tranfmettoient leurs biens : les héritiers
ou les donataires les acquéroient à cette
condition , & ils n'entroient dans le commerce ,
que chargés de cette redevance . Ainfi , il faut
regarder la dime comme une charge ou une redevance
impofée à la terre , non par la Nation ,
comme on le prétend fans aucune espèce de
preuve , mais par le Propriétaire lui -même , libre
affurément de donner fon bien à telles conditions
qu'il lui plaifoit. Il y a plus : c'eſt qu'il
eft impoflible d'imaginer comment , ni quand la
Nation auroit pu impofer cette prétendue taxe
publique. On voir feulement que beaucoup de
redevab es , tantôt dans un lieu , tantôt dans un
autre , refufoient quelquefois de l'acquitter : alors
ces conftations fe terminoient , comme tous les
procès , par les Jages. Les premières lois connues
à cet égard n'ont été que la rédaction d'fages
en vigneus. Toutes nos coutumes font dans ce
cas. Elles n'ont pas même dit : La dîme fera étable
; elles ont dit : C'est à tort que quelques- uns
refuferoient de payer a dime. La loi doit garaatir
toutes les propriétés ; elle garantifoit celle(
374 )
là comme toutes les autres ; & en vérité cellelà
ne valoit pas moins qu'une autre. Quand on
confidère , avec impartialité , à quelle origine
on peut faire remonter toutes les propriétés , on
a bien tort affurément de fe montrer difficile fur
l'origine des dime ....
Quoi qu'il en foit , il fuit , 1. que la dime
ne doit point, être comparée à un impôt , ou
une taxe mife fur les terres , tels que les vingtièmes
, par exemple , mais à une véritable redevance
, mife fur fes biens par le propriétaire
lui-même. L'impôt n'eft confenti que pour un
tems : il eft révocable à la volonté des Repréfentans
de la Nation ; au lieu que la dîme a été
cédée à perpétuité par ccux mêmes qui pou
voient s'en deffaifir. 2 °. Par cónféquent , elle ne
doit pas être fupprimée au profit des propriétaires
actuels , qui d'ailers favent très-bien qu'ils
n'ont jamais acheté la dîme , & qu'elle re fauroit
leur appartenir. 3 ° . Néanmoins la dîme ,
étant à jule raison placée dans la claffe des propriétés
, légitimes à la vérité , mais nuii b'es à la
chofe publique , il faut l'éteindre comme
éteint ces fortes de propriétés , c'est-à-dire , en
offrant une indemnité. 4 °. Le rachat doit être
convenu de gré à gré entre les communautés
& les décimateurs , ou réglé au taux le plus
modique par l'Affemblée Nationale . 5 ° . Enfin ,
les fommes proves antes de ce rachat peuvent
être placées de manière à ne pas manquer à
l'objet primitif des dimes , & cependant elles.
peuvent fournir à l'état des reffources infiniment
précieufes dans la circonftance .
оп
C'eft ainfi que j'avois conçu l'affaire des dîmes ,
& je conviens que je n'ai pu être de l'avis de
tout le monde . Mais , pour n'en être point
confus , j'ai confidéré que j'étois chargé de dire
( 375 )
mon avis , & non celui des amis ou des ennemis
du Clergé.
Au moment encore où j'écris , je fuis étonné ,
& affligé plus que je ne voudrois l'être , d'avoir
cn; endu décider : " Que les dîmes de toute nature ,
» les redevances qui en tiennent lieu , font abolies ,
» fauf à avifer aux moyens de fubvenir , &c. , "
J'aurois défiré qu'on eût avifé aux moyens de
fubvenir , &c. avant d'abolir : on ne dér,uit
pas une ville , fauf à avifer aux moyens de la
rebâtir.
J'aurois défiré qu'on n'eût pas fait un préfent
gratuit de plus de fuixante- dix millions de rente
aux propriétaires afuels , mais qu'on les eût
la ffés racheter cette redevance comme toutes les
autres , & avant les autres , s'ils la trouvent la plus
onéreufe.
J'aurois défiré que par un emploi bien adminiftré
de ces rachats , on cût fecouru la chofe
publique , en lui prêtant à trois & demi ou quatre
pour cent , & l'on eût fait un fonds fuffilant
pour nourrir les Curés , les Vicaires , & tant d'autres
Eccléfiaftiques qui vont mourir de faim , en
attendant qu'on ait avifé aux moyens , & c . parce
qu'il eft bien difficile de conjecturer que la dîme
fera payée de fait jufqu'au remplacement promis,
malgré les ordres de l'Affemblée .
J'aurois défiré qu'on eût ainfi évité le beſoin
du remplament annoncé . Car , fi le remplacement
eft payé par un nouvel impôt fur la généralité
des contribuables , ceux qui n'ont point
de terres , il faut en convenir , ne trouveront
pas très agréable d'être chargés de la dette de
meffieurs les propriétaires fonciers.
Si le remplacement ne porte que fur les fonds
de terre , comme tous les propriétaires ne payent
pas la dîme au même taux , & fur les mêmes
produits , les uns perdront , les autres gagneront
( 376 ) -
à cette converfion , & puis cette idée reſſemble un
peu au projet d'égaliter les dettes . Si le remplacement
n'eft répa ti fur les propriétaires qu'à raifen
de ce que chacun payoit déja , étoit- ce bien
la peine de rejeter le rachat que je demande ?
Efi , je cherche ce qu'on a fait pour le peuple
dan cette grande opération , & je ne le trouve
pas : mais jy vois parfaitement l'avantage des
riches. il eft calculé fur la proportion des for--
tunes ; de forte qu'on y gagne d'autant plus ,
qu'on eft plus riche. Aufli , j'ai entendu quelqu'un
remercier l'Afemblée de lui avoir donné
par fon feul Arrêté trente mille livres de rente
de p'us .
Beaucoup de perfonnes fe perfuadent que c'eſt
aux Fermiers qu'on a fait le facrifice de la dîme.
C'eft connoître bien peu les caufes qui réglent
par-tout les prix des baux : en général , toute diminution
d'impôt ou de charge foncière retourne
au profit du propriétaire. Les gros propriétaires
n'en deviendront pas plus utiles , ou n'en feront
pas mieux cultiver leurs terres , parce qu'au lieu
de dix , de vingt mille livres de rentes , ils en
auront à l'avenir onze ou vingt -deux . Quant aux
petits propriétaires qui cultivent eux- mêmes leurs.
champs , ils méritent certainement plus d'intérêt.
Eh bien , il étoit poffible de les favorifer dans
le plan du rachat que je propofe . Il n'y avoit
qu'à faire , dans chaque Paroiffe , une remife fur
le prix total du rachat , à l'avantage des petits
cultivateurs , & proportionnellement à leur peu
d'aifance. Cette opération eût été digne de la fageffe
du Légiflateur , & n'eût fair tort ni au
Clergé , ni à l'Etat , attendu la différence des placemens.
J'ai beaucoup entendu dire qu'il falloit bien
auffi que le Clergé fit fon offrande. J'avoue que
les plaifanteries qui portent fur le foible dépouillé ,
1
( 377 )
me paroiffent cruelles . Je répondrai férieufement
que tous les facrifices qui avoient été faits jufque-
là , ne frappoient pas moins fur le Clergé que
fur la Nobleffe , & fur cette partie des Communes
qui poffède des fiefs & des feigneuries.
Le Clergé perdoit même déja beaucoup plus que
les autres , puifque lui feul avoit des Affemblées
de corps , & une adminiftiation particulière à facrifier.
Je n'ajoute plus qu'un mot : y a- t-il beaucoup
de juftice à déclarer que les dimes inféodées , qui
font de même nature , & ont les mêmes orignes ,
foit qu'elles fe trouvent dans des mains laïques
ou dans des mains Eccléfiaftiques , font fupprimées
avec indemnité pour le Laïque , & fans indemnité
pour l'Ecclefiaftique ? .... Ils veulent être
libres , ils ne favent pas êtres juftes!
Voici mon opinion telle que je l'ai donnée
fur la rédaction de l'article qui concerne le rachat
des dimes , dans la Séance du foir , 10 Août.
Je n'ai parlé que cette fois fur cet article.
Ainfi tous les difcours qu'on fe plaît à m'attritribuer
dans un certain public , font deftitués de
fondement.
« Je ne fais , Meffici quelques perfonnes
trouveront que les
vous préfenter , feroient
autre bouche que dans
ervations que j'ai à
ex placées dans toute
miene ; une plus haute
confidération me frape c'eft que tout Membre
de l'Affemblée
elle eft jufte , & qu'à l'a
mon avis.
do to opinion quand
croit uri e . Je dirai donc
» L'Affemblée Nationale a arrêté , le 4 , que
la dime étoit racherable. Anjourd'hui , il s'agit
de la rédaction de cet article , & l'on vous pro.
pofe de prononcer que la dîme ne doit point
être rachetée. boniendra-t-on qu'il n'y a dans
ce changement qu'une diférence de rédaction ?
( 378 )
1
Certes , une telle plaifanterie eft trop léonine ;
elle montre bien d'où part le mouvement irrégulier
qui s'eft , depuis peu , emparé de l'affemblée
; ce mouvement que nos ennemis applaudiffent
en fouriant , & qui peut nous conduire
à notre perte . Puifqu'il faut remonter aux
tifs fecrets qui vous guident , & dont , fans doute,
vous ne vous êtes pas rendu compte , j'oferai
vous les révéler.
ง
mo-
» Si la dime eccléfiaftique eft fupprimée fans
indemnité , ainfi qu'on vous le propofe , que
s'enfuit-il ? que la dime reftera entre les mains
de celui qui la devoit , au lieu d'aller à celui à
qui elle eft due ? Prenez garde , Meffieurs , que
Pavarice ne fe mafque fous l'apparence du zèle.
Il n'eft pas une terre qui n'ait été vendue & revendue
depuis l'établiffement de la dîme. Or ,
je vous le demande , lorfque vous achetez une
terre , n'achetez - vous pas moins les redevances
dont elle eft chargée , moins la dime qu'on pais
de temps immémorial ? La dime n'appartient à
aucun des propriétaires qui la paient aujourd'hui
je le répète ; aucun n'a acheté , n'a acquis
en propriété cette partie du revenu de fon
bien. Donc , aucun propriétaire ne doit s'en emparer.
Je me fuis demandé pourquoi , au milieu
de tant d'opinions qui paroiffent n'annoncer que
le défir du bien public , aucun , cependant , n'a
été au- delà du bien particulier. On veut tirer la
dîme des mains eccléfiaftiques ; pourquoi ? ece
pour le ſervice public ? eft- ce pour quelqu'établiffement
utile ? Non c'eft que le propriétaire
voudroit bien ceffer de la payer ; elle ne lui
appartient pas ; n'importe : c'eſt un débiteur qui
fe plaint d'avoir à payer fon créancier ; & ce
débiteur croit avoir le droit de fe faire juge dans
fa propre caufe.
» S'il eft poffible encore de réveiller l'amour
( 379 )
་
de la juice , qui devroit n'avoir pas befoin d'être
réveillé , je vous demanderai , non pas s'il
vous eft commode , s'il vous eft utile de vous
emparer de la dime , mais fi c'est une injuftice.
Je le prouve avec évidence , en démontrant
comme je viens de le faire , que la dime , quel
que foit fon fort futur , ne vous appartient pas.
Si elle eft fupprimée dans la main du créancier
elle ne doit pas l'ê.re pour cela dans celle du
débiteur. Si ele eft fupprimée , ce n'eft pas à
vous à en profiter.
" Par le prompt effet d'un enthouſiaſme patritristique
, nous nous fommes tout -à- coup placés
dans une fituation que nous n'aurions pas ofé efpérer
de long-temps . On doit applaudir au réfultat
, mais la forme a été mauvaiſe ; ne faifons
pas dire à la France , à l'Europe , que le
bien même , nous le . faifons mal. Nous nous
trouvons étonnés de la rapidité de notre marche
, effrayés prefque de l'extrémité à laquelle
des fentimens irréfléchis auroient pu nous conduire
Eh bien ! dans cette nuit fi fouvent citée ,
où l'on ne peut pas vous reprocher le manque
de zèle , vous avez déclaré que les dimes étoient
rachetables ; vous n'avez pas cru pouvoir aller
plus loin , dans le mouvement où vous ayez cependant
montré le plus de force pour marcher
en avant. Aujourd'hui , vous ne favez plus vous
contenir ; la dime , fi l'on vous en croit , ne
mérite plus même d'être rachetée ; elle ne doit
pas même devenir une reffource pour l'Etat.
Vous projetez d'en augmenter votre fortune par
ticulière , dans un moment où tous les autres
contribuables font menacés de voir diminuer la
leur.
».Il eft temps de le dire , Meffieurs : fi vous
ne vous contentez pas de diger vos arrêtés du
4 ; fi vous les changez de tout en tout , comme
( 380 )
vous prétendez le fire à l'égard de la dîme , nul
autre décret n'aura le droit de fubfifter : il fuffira
à un petit nombre d'entre nous de demander
la révifion de tous les articles , d'én propofer
le cha gement. Rien n'aura été fait , & les
provinces apprend ont avec é:oentment que nous
remertons fans ceffe en queftion les objets de nos
Arrêtés.
» J'ofe défier que l'on réponde à ce raifonnement
; la dîme a été déclarée rachetable ; donc
elle a été reconnue par l'Ailemblée elle - même
pour ce qu'elle eft , pour une poffeilion légitime :
elle a été déclarée rachetable ; donc vous ne pouvez
pas la décla er non- rachetable.
» Ce n'eft pas ici le moment d'entrer dans
une autre difcuffien . Si vous jugez que la dime
do ve fubir un autre examen fur le fond , atten
das au moins , Meffieurs , que l'Affemblée s'occupe
des objets de légiflation ; alors vous conviendrez
peut-être que je fuis auffi févère en
cette matièe , que ceux qui ont la plus haute
opinion des fac nices que les Corps doivent s'empretter
de faire à l'intérêt général de la Nation .
Mais alors je foutiendrai encore , je foutiendrai
jufqu'à l'extrémité , que ces facrifices doivent être
faits à l'intérêt National , au foulagement du Peuple
, & non à l'intérêt particulier des propriétaire.
fonciers , c'est - à- dire , en général des claffes
les plus aifées de la fociété,
De Paris , le 26 Août.
DECLARATION DU ROI , donnée à
Versailles , le 14 Août 1789 , pour
le rétablisément de l'ordre et de la
tranquillité dans son Royaume.
» Les défordres occafionnés dans prefque tou
( 281 )
tes les provinces du Royaume par des perfonnes
mal-intentionnées , ont fenfiblement affligé le
coeur paternel du Roi . Pour en arrêter les funeftes
progrès , & par l'effet de fa confiance dans
les Repréfentans de la Nation , Sa Majetté a dé
pofé fes peines & fon inquiétude dans le fein de
l'Affemblée Nationale , qui , animée du même
efprit , a pris la Délibération fuivante , en fuppliant
Sa Majesté de donner les ordres néceffaires
pour la pleine & entière exécution de fon Décret.
»
( Suit l'extrait du Procès - verbal de
l'Assemblée Nationale , du 10 Août , que
nous avons rapporté. )
» Le Roi , perfuadé que l'exécution des mefures
délibérées par l'Aflemblée Nationale , &
le concours de tous les moyens , rendront enfin
la force aux lois , l'activité aux Tribunaux , la
fécurité aux Citoyens , le calme & la tranquillité
à tous fes Sujets : MANDE & ordonne à tous
les Gouverneurs & Commandans da s fes provinces
, à tous Officiers Civils & Municipaux ,
chacun en ce qui les concerne , d'exécuter &
faire exécuter les difpofitions ci - deflus prefcrites.
Et feront , fur la préfente Déclaration , toutes Lettres
néceffaires expédiées. »
ORDONNANCE DU ROI , du 11 Août
concernant la main - forte à donner
par les Troupes , et le serment à prés
par elles . ter
Cette Ordonnance offre d'abord l'Extrait du
Décret de l'Affemblée Nationale , du 10 août ,
pour le rétabiiffement de la tranquillité publique.
( 382 )
Décret en conféquence duquel le Roi a ordonne
& ordense ce qui fuit :
ART. I. Les Troupes donneront main forte
aux Milices Nationales & aux Maréchauffées ,
toutes les fos qu'elles en feront requifes par les
Officiers civils ou les Officiers municipaux.
II. 11 fera prêté par les Troupes , ainfi que
par les Officiers qui les commandent , de quelque
grade qu'ils foient , le ferment ci - après.
III. A cet effet , les Officiers prêteront leur
ferment à la tête de leurs Troupes , en préfence
des Officiers municipaux. A
IV. Chaque corps de Troupes fera affemblé ,
pour qu'avec la folennité la plus angufte , le ferment
foit prêté par les bas-Officers & Soldars
fous les armes.
V. Le ferment des Officiers fera : « Nous ju
n rons de refter fidèles à la Nation , au Roi & à
» Loi , & de ne jamais employer ceux qui eront
» à nos ordres , contre les Citoyens , fi nous n'en
» fommes requis par les Officiers civils ou les Offi
» ciers municipaux. »
VI. Le ferment des Soldats fera : » Nous ju
rons de ne jamais abandonner nos Drapeaux ,
» d'être fidèles à la Nation , au Roi & à la Loi ,
» & de nous conformer aux règles de la difcipline
» Militaire. »
Made & ordonne Sa Majesté aux Officiers
généraux & autres ayant autorité fur ces Troupes ,
ainfi qu'à tous ceux qu'il appartiendra , de tenir
la main à l'exécution de la préfente Ordonnance.
LETTRE DU ROI aux Officiers et aux
Soldats de son armée.
» Praves Guerriers , les nouvelles obligations
que je vous impofe , de concert avec l'Aſſemblée
Nationale , ne vous feront furement aucune peine ;
( 383 )
vos premiers devoirs font ceux de citoyens , &
ces devoirs feront toujours conformes à l'obéiffance
que vous me devez , puifque je ne veux
jamais employer ma puiffance qu'à la protection
des Lois & à la défenfe des intérêts de la Nation.
Les Officiers qui commandent mes Troupes , quoique
certains de toute ma confiance , verront avec
plaifir , ainfi que moi , qu'il n'y a aucune incer
titude fur le moment où le concours de la force
militaire eft néceffaire au maintien de l'ordre public.
"
" Le plus grand fervice que je puis attendre
en cet inftant de mon Armée , c'eft de fe réunir
avec zèle à tous les bons Citoyens , pour repouffer
les brigands qui , non -contens de jeter le défordre
dans mon royaume , effayent de pervertir
l'efprit de mes bons & fidèles Sujets , pour venir
à bout de les affocier à leurs violences ou à
leurs perfides effeins. »
» L'honneur doit faire fans doute une partie
effentielle de la récompenfe des Guerriers , &
tel eft le ſentiment que mes troupes ont toujours
montré ; mais je n'ai pas moins défiré d'améliorer
le fort des Soldats . J'ai commencé à le
faire dès l'année dernière , malgré la fituation de
mes finances, & j'espère que le rétablillement de
l'ordre me furnira dans peu de tems le moyen de
remplir entièrement mes voeux. Je vois avec une
véritable fatisfaction que tous les Députés à l'Aſfemblée
Nationale partagent ce fentiment . »
« J'ai donné ordre au Miniftre de la Guerre , '
de s'occuper de toutes les parties de la difcipline
militaire , qui peuvent exiger des changemens
raifonnables , & de concilier , autant qu'il eft
poffible , le voeu des Troupes avec le bien du
[ervice. »
» Je défire fincèrement de prouver aux Officiers
& aux Soldats de mon Armée , que j'attache
( 384 )
un grand prix à leur affection ; je ne crains point
de a leur demander au nom des fentimens que
j'ai toujours eus pour eux , & au nom , s'il le
faut , de mes Ancêtres , que les vôtres , depuis
tant de fiècles & au milieu de tous les dangers ,
n'ont jamais ceffé d'environner . Comptez donc
fur ma bienveillance , comme je compterai toujours
fur votre fidélité . » LOUIS .
L'original eft dépofé aux Archives de la Guerre.
LA TOUR-DU-PIN .
ORDONNANCE DU ROI , du 14 Août,
portant Amnistie en faveur des Sol
dats , Cavaliers , Hussards , Dragons
et Chasseurs qui ont quitté
leurs Corps sans permission , depuis
le premierJuin dernier.
Sa Majefté prenant en confidération les circonf
tances qui ont porté quelques Soldats , Cavaliers ,
Huffards , Dragons & Chaffeurs de fes Troupes,
à quitter leurs Corps fans permiffion , depuis le
premier juin dernier , Elle veut bien les autorifer
à les rejoindre , en deur affurant l'entier oubli
du paffé , & le rétabiiflement à leur rang dans
les Compagnies dont il faifoient partie , comme
s'ils ne s'en étoient pas abientés , à condition
toutefois que chacun d'eux y fera rentré le premier
octobre de cette année :
Sa Majesté confirmant d'ailleurs toute permiffion
qu'Elle auroit précédemment accordée , nommément
à M. le Marquis de la Fayette , par fa
Leure du 21 juillet dernier , & n'entendant par
la préfente O donnance , rien changer aux ar
rangemens qu'Elle auroit déja autorifés .
Mande & ordonne Sa Majefté , aux Officiers
généraux & autres , ayant autoriré fur fes Troupes,
ainsi
( 385 )
ainfi qu'à tous ceux qu'il appartiendra de tenir
la main à l'exécution de la préfente Ordonnance
.
L'Asssemblée des Représentans de la
Commune a arrêté, par deux résolutions
du 17 et du 19 , imprimées et affichées ,
qu'à dater du 17 , on ne recevroit plus
dans la Garde Nationale Parisienne aucans
Soldats d'Infanterie , Cavaliers
Hussards ou Dragons , à quelque Corps
qu'ils appartiennent . Item , que sur l'avis
de la prochaine arrivée de 250 Soldats
qui se rendoient à Paris pour s'y faire
incorporer dans la nouvelle Milice , on
iroit au devant d'eux , et on les renverroit
à leurs régimens , en payant les
frais de leur retour , à raison de 3 sous
par lieue. Cette disposition a été exécutée
.
A nombre d'égards , la situation de la
Capitale est encore stationnaire. Ni les
esprits , ni le mouvement général n'ont
pris leur assiette . Dans un ordre si
nouveau , on distingue un mélange d'attente
inquiète , d'espérance et de sentimens
confus qui se succèdent , s'effacent
et renaissent en raison des évènemens
journaliers. Les opinions sont innombrables
, ainsi que les petits dissentimens
de détail ; ce cahos d'idées qui se
heurtent , en se dégageant de la fermentation
, présentent au moral l'image de
l'irrégularité physique de cette Ville .
Le nouveau plan de Municipalité est
No. 35. 29 Août 1789.
r
( 386 )
toujours à l'examen de l'Hôtel- de - Ville ;
examen qu'interrompt chaque jour l'exercice
varié de tant de pouvoirs divers
réunis dans la main de cette Assemblée ,
à laquelle viennent aboutir les rapports
et les décisions d'une foule d'incidens,
Nous présenterons , dans huit jours , une
esquisse de ce plan , célèbré par les uns ,
critiqué par les autres , et digne au moins
d'une longue et froide méditation,
Quant à l'organisation militaire , elle
prend couleur. La troupe soldée présente
déja nombre d'uniformes ; sa formation
s'avance , et l'on s'occupe de la
caserner dans les divers Districts , aux
dépens de l'Hôtel- de- Ville .
L'hiver dernier , l'Administration avoit
rassemblé en ateliers, à Montmartre , ailleurs,
une foule d'ouvriers sans pain et sans ouvrage :
dans son dernier discours à l'Assemblée Nationale
, M. Necker en a porté le nombre
à 12000 chacun re evoit journellement
20 sous. L'effrayante misere du moment , le
défaut d'ouvrage qui s'accroît , le goût de
l'oisiveté , l'appât qu'offroit l'état de la Capitale
, il y a six semaines , aux gens sans aven ,
augmentérent prodigieusement les journaliers
du Faubourg Montmartre. Le Public en comp
toit 20 mille , suivant le style exagérateur du
jour ; mais nous pensons être coulans , en
portant cette population à la moitié du nombre
ci-dessus . L'inquiétude que donnoit cette
multitude , et l'énorme dépense qu'elle entramoit,
ont déterminé l'Assemblée des Représentans
de la Commune à la congédier.
Le 30 , l'Atelier de Montmartre doit être
( 387 )
fermé. Tous les ouvriers , non domiciliés
Paris , recevront des Passe- poris , pour retourner
dans leur Province , ou dans leur pays ,
s'ils sont Etrangers : il leur sera délivré 24
sols le jour de leur départ , trois sous par
lieue , jusqu'à leur destination ; et douze sous
par jour , pendant les sept jours qui suivront
leur arrivée. Quant aux Domiciliés , ils se feront
inscrire , et s'ils sont dans le besoin , on
les emploiera à d'autres ateliers. On dit
que M. de la Fayette est allé en personne
signifier aux ouvriers l'ordre de leur départ ,
et qu'environ 12 à 1500 , la plupart Etran
gers , ont déja obéi.
- Depuis quatre jours , le pain est devenu
très-rare , et avant dix heures du
matin , la plupart des boutiques de
Boulangers ont été vidées. Au milieu
des glaces de l'hiver , on n'avoit pas
ressenti une pareille pénurie . L'abon
dance des convois , pendant les 15 premiers
jours de la Révolution , et la
récolte à - peu - près achevée par-tout ,
promettoient plus de facilité dans les
subsistances . En effet , on a beaucoup
de grains , mais peu de farines , les eaux
étant basses , les moulins sans action ,
et les convois de l'Etranger retardés.
On a monté des moulins à bras dans
divers lieux.
La Comédie Françoise offrit , la semaine
dernière , un incident qui touche à une question
délicate , celte de la liberté illimitée à
accorder à toutes Pièces de Théâtres reçues
par les Comédiens . Dans ce nombre , se trouvoit
une Tragédie , apparemment interdite
rij
388 )
intitulée Charles IX, ou la Saint- Barthelemi ,
et attribuée à M. de Chenier. Quelques Feuilles
avoient déja réclamé le droit de circonstances
en faveur de la réprésentation de cette
Piece , lorsque le Public , il y a huit jours ,
intima aux Comédiens de donner Charles IX.
Le sieur Fleury ayant fait observer au parterre
que la Comédie Françoise s'étoit fait
une Loi d'attendre la permission , on s'écria:
Point de permission ; nous vous la donnons :
nous avons la liberté de faire jouer ce qu'il
nous plait , comme nous avons celle de
penser. A cet ordre , reçu , comme on le sup
pose de reste , aux applaudissemens univer
sels , M. Fleury opposa un mot sage : Mon
sieur , dit-il à l'Orateur principal , j'ose vous
demander , si vous nous donnez la permission
d'enfreindre des Lois que nous avons
respectées depuis cent ans. Cette réponse juste
et polie désarma l'Audience , qui se borna
à requérir d'abord l'abolition de la censure ,
ensuite l'appel de la question à la Municipa
lité. Celle-ci a demandé la Pièce , et après
l'examen , il est à présumer qu'elle prononcera.
Cette Police de l'Hôtel - de - Ville s'étend
également sur les Imprimés , jugés illégitiines.
Ces jours derniers , un Avocat au Parlement
, soupçonné , dit-on , d'être l'Auteur
d'une brochure, intitulée : Le Triomphe
de la Capitale , où l'on tourne en
dérision les évènemens dujour, et voyant
des gens armés investir sa maison , rue
du Battoir , s'est précipité de sa fenètre ,
et blessé peu dangereusement . On l'a
arrêté , et conduit à la prison de l'Abbaye
Saint-Germain ,
( 389 )
་་ ས་
Un Etranger fameux avance , dans un
Ecrit très-récent , que l'imposture acquiert
toujours à Paris une vogue redoutable
, parce que l'habitude générale
est de n'y douter de rien . Il faut
être , témoin de cette crédulité , pour
sentir la justesse de cette assertion .
Croiroit- on que sur la foi de dix Feuilles
volantes , des Ecrits périodiques qui
se multiplient par douzaine , et de ces
Bulletins manuscrits , qui , après avoir
faits les délices des Cercles , vont alimenter
les Gazettes de Hollande , les
trois quarts de Paris sont convaincus
que le Parlement d'Angleterre envoie
une Adresse congratulatoire à l'Assemblée
Nationale ? La dernière Gazette
d'Avignon n'a pas manqué d'informer le
Midi de la France de ce grand évènement.
- Croiroit- on encore , que , toujours sur
la foi des Imprimés à la feuille ou au
feuillet , criés en détail par les Colporteurs
, ou vendus en gros par souscrip
tion , une foule de Lecteurs ne dou
tent aucunement que 40,000 Flamands .
n'aient été prendre des armes en Hollande
incognito et qu'ils ne soient
revenus dans le Brabant pour y détrôner
l'Empereur ? que par - tout on voit des
Bastilles enlevées , des têtes coupées , des
Nobles détruits , des Peuples en armes ,
r iij
( 390 )
et des Souverains abandonnés par leurs
régimens ?
L'autre jour on m'assura , dans un
cercle de très- bonne compagnie , où ,
sur vingt - un assistans , il se trouvoit dixhuit
Législateurs , que la Prusse étoit révoltée
je demande quelle partie des
Etats du Roi de Prusse? Monsieur , me
répliqua-t- on d'un ton assuré , c'est la
Prusse de Brandebourg.
C'est avec la même fermeté de style ,
qu'on embrase la Suisse , qu'on chasse
les Nobles de Bâle , où il n'y a point de
Noblesse depuis plus de trois siècles ;
qu'on arme Cantons contre Cantons ,
Démocraties contre Aristocraties , Aris .
tocraties contre Municipalités , Paysans
contre Bourgeois ; et , par- dessus tout ,
qu'on expulse généralement les Etrangers
réfugiés entre lesAlpeset le Jura . Si quel
qu'un veut bien nous en croire , nous le
tranquilliserons sur ces grandes agitàtions
, qui se réduisent, en dernière analyse
, à l'embarras que cause , dans toute
la Suisse , le retard des payemens des
rentes de France , l'affluence des Voyageurs
auxquels il faut des logemens , et
le manque de numéraire . La conduite
des Soldats Suisses qui ont quitté leurs
drapeaux , occupe , il est vrai , les divers.
Cantons , qui vont prendre une résolution
à cet égard . On dit qu'un grand
Souverain d'Allemagne leur a fait offrir
( 391 )
une Capitulation militaire , au défaut de
celle qui les lie à la France , dans le cas
où le voeu de plusieurs Cahiers contre
les Troupes étrangères , deviendroit loi
de l'Etat.
Au reste , la Suisse est pleine d'Etrangers
, recus , quels qu'ils soient , avec
Phospitalité Helvétique. Le Gouvernement
de Berne vient de mettre , par simple
précaution, tout le Canton sur le pied
de guerre. Les 54 mille hommes de Milice
Nationale , enrégimentés et exercés , par
la Loi de l'Etat , sur lepied des meilleures
Troupes réglées, dont elles tiennent lieu,
ont recu les ordres de leurs Supérieurs :
l'Artillerie a été mise en bon état , etc.
Outre les Troupes cantonuées en Savoie,
on y a fait entrer le régiment de Piémont.
Nous avons lu avec surprise dans une
Feuille qui ne doit pas être confondue
avec celles dont nous venons de parler ,
que le pays de Gex fourmilloit de brigands;
que le Château de Ferney alloit
être saccagé par 2000 d'entre eux ; mais
qu'électrisés par le nom de Voltaire ,
- 800 Genevois avoient chassé les dévas
tateurs , et établi une garnison à Ferney
avec du canon . On a étrangement abusé
l'Editeur de cette relation . Le pays de
Gex n'a point vu de brigands ; les Paysans ,
comme ailleurs, se sont emparés des Titres
et Archives des Châteaux , sans en détruire
u seul . Pas un Genevois armé n'a passé
la frontière ; l'excursion qu'on leur supriv
( 392 )
posoit est une chimère , et il leur suffic
de garder leurs foyers, sans aller défendre
les Châteaux , comme Don- Quichotte.
Celui de Ferney appartient, il est vrai ,
à M. de Budé , Citoyen de Genève , et
de la Famille duquel Voltaire avoit
acquis cette terre. Le Possesseur actuel
a pu prendre quelques précautions , sans
avoir beso , pour cela , d'électriser, au
nom de Voltaire , 800 Volontaires Génevois.
Le pays de Gex est aujourd'hui
tranquille , ainsi que la partie voisine
de la Franche- Comté , comme on en
jugera par la lettre suivante :
LETTRE AU REDACTEur.
MONSIEUR ,
I eft ben vrai que nous avons demandé
des fufils au Gouvernement de la République de
Genève , D'après des bruits continuels de bandits
répandus dans toute la France , & une lettre dé
M. le Marquis de Langeron , notre Gouverneur,
qui nous avertiffoit de nous tenir far nos gardes ,
& qu'il &toit forti deux cents brigands des Voges
qui avoifinent la Comté , la municipalité de Saint-
Claude prit le parti de me députer à Genève.
MM, les Syndics & Confeil de la Républi
que ne nous accordèrent point d'armes , & ce ne
fut qu'à regret. Ils eurent la bonté de s'en réfé
rer là - deffus au confentement du Roi , de le demander
, de l'ob ezir , & de nous tranfme:tre enfuite
l'offre la plus gracieufe des armes que nous
avions follicitées . Not: e digne Gouverneur nous
l'ayant remis , nous avons remercié cette Républi
que , qui , dans tous les temps , nous a donné
1
( 393 )
les plus grands fecours. Avant que d'appartenir à
la France , nous fûmes b ûlés par les Suédois , &
Genève nous procura toutes les aides imaginables
pour nous rebâtir ; peu de Bailliages ont été plus
tranquilles que le nôtre ; toute propriété a été
refpectée comme ci - devant , & les lois bien obfervées
. Par le bon ordre que nous avons établi , la
tranquillité de chaque individu a été maintenue.
M. de Langeron nous en a témoigné fa fatisfaction .
Vous voudrez bien , Monfieur , donner une
place à ma lettre parce que votre nº. 32 du
Mercure pourroit laiffer une impreffion déſagréa
ble , & c. & c.
ROSSEL DE LECT.
Saint-Claude en Franche-Comté , le 18 août 1789.
De Bonn , M. le Comte d'Artois a suivi
le Rhin , traversé la Suisse , fait quelque
séjour à Evian , sur les bords du lac
de Genève , où se trouvent S. A. R. le
Duc de Chablais et nombre d'Etrangers
de distinction . D'Evian , il est passé à
Turin, par la route de Savoie.M . le Prince
de Condé , sa Famille , et 44 Personnes
de leur suite , étoient à Manheim , le 12
de ce mois. Cela n'empêche pas qu'on
n'ait imprimé ici , que ce Prince avoit
demandé à l'Etat - Major de Lille , de le
recevoir prisonnier dans la Citadelle
avec sa Famille .
On écrit de Sens qu'on y a appris , avec beau-
Соцр de joie , la nomina ion que le Roi ya faite ,
le 2 d. ce mois , da Marquis de Chambonas ,
Colonel , en qualité de Commandant particulier
pour cette ville . Ce tit e , a cordé par Sa Majeſté ,
far la demande de tous les Sénonois , eft la récompenfe
du zèle avec lequel le Marquis de Cham
ry
( 396 )
inférieur d'un tiers , au
traitement des Réguliers
supprimés dans les Etatsde
l'Empereur ; la dépense
viagère sera de .. 78,000,000
Nous laissons pro Me-. Mémoria
, la dépense de
l'entretien des Eglises ,
Presbytères , maisons
Religieuses jusqu'à leur
vente , des Aumônes
des rentes Ecclésiastiques
de nombre d'Hôpitaux ,
etc. etc.
Il résulte que l'Etat seroit
chargé à l'instant d'une
Dépense de .
.151,000,000
Sur un revenu de 130 millions , duquel
il faut soustraire
le produit des
dixmes abolies , produit qui forme près
d'un tiers de cette somme.
Resteroit donc quatre-ving-dix millions
pour balancer une dépense de
cent cinquante-un . Par conséquent , le
calculateur que nous relevons , a spéculé
pour l'avenir et non pour le présent.
Au surplus , nous n'attribuons pas
plus de valeur à nos raisonnemens par
chiffres , que n'en mérite cette espèce
de logique , qui porte sur des dénombremens
assez équivoques ( 1 ) .
( 1 ) M. l'Abbé Sieyes , dans l'Ecrit dont nous
avons parlé , compte 64000 Paroifles , & éva(
395 )
peut cependant leur faire observer
que Voltaire n'a jamais porté cet état
au- dessus de 80 millions , et on n'accusera
pas Voltaire d'une réticence partiale
. M. Necker , dans son Traité de
PAdministration des Finances, a élevé
ce produit à 130 millions ; mais avec sa
prudence ordinaire , il se défie de la
justesse de cette appréciation . Peu de
gens , je pense , ont été aussi voisins
que ce Ministre , des élémens sur lesquels
on doit asseoir son jugement.
Ör , sur 130 millions , il faut entretenir
200,000 Ecclésiastiques.
40,000 Curés , à 1500 l. l'un
dans l'autre , exigent une
dépense annuelle de . . 60,000,000 1 .
20,000 Vicaires à 500 1 .
(somme trop bornée )
,
10,000,000
Intérêt de la dette du Clergé. 11,000,000
Archevêques , Evêques ,
Chapitres , Collégiales ,
Prieurs , Chantres , Enfans
de Choeur , Prêtres
habitués , Chapelains ,
Clergé Régulier des deux
sexes , auxquels on doit
au moins la subsistance ,
en convertissant leurs revenus
, qui forment un
nombre de 140 mille
Sujets. A ne mettre leur
pension alimentaire qu'à
500 1. , ce qui est même
r vi
( 396 )
inférieur d'un tiers , au
traitement des Réguliers
supprimés dans les Etatsde
l'Empereur ; la dépense
viagère sera de .. 78,000,000
Nous laissons pro Mé- .
moria , la dépense de
l'entretien des Eglises ,
Presbytères maisons
Religieuses jusqu'à leur
vente , des Aumônes ,
des rentes Ecclésiastiques
de nombre d'Hôpitaux ,
etc. etc.
"
Il résulte que l'Etat seroit
chargé à l'instant d'une
Dépense de ..
.151,000,000
Sur un revenu de 130 millions , duquel
il faut soustraire
le produit
des
dixmes abolies , produit qui forme près
d'un tiers de cette somme.
Resteroit donc quatre-ving-dix millions
pour balancer une dépense de
cent cinquante-un. Par conséquent , le
calculateur que nous relevons , a spéculé
pour l'avenir et non pour le présent.
Au surplus , nous n'attribuons pas
plus de valeur à nos raisonnemens par
chiffres , que n'en mérite cette espèce
de logique , qui porte sur des dénombremens
assez équivoques ( 1 ) .
( 1 ) M. l'Abbé Sieyes , dans l'Ecrit dont nous
avons parlé , compte 64000 Paroises , & éva(
399 )
fortiteit aucune munition , fans ordres exprès de
M. Bailli & de M. de la Fayette . Le lendemain
7 , M. Benard , Préfident du bureau Militaire
du Diftri& de Saint Louis- de-la- Culture , al'a chercher
la bonne poudre à Effonne ; les 10 milliers
arrivèrent le 8 , à 10 heures du matin , au Port
Saint-Paul , comme les Régiffeurs l'avoient promis.
Voilà le récit exact de cette affaire qui a
penfé coûter la vie à M. de la Salle.
Dans le cercle des attentats commis
sur la liberté et la sûreté personnelles ,
il en est un , différent des brigandages
contre les Châteaux et les Abbayes , qui
doit acquérir la notoriété générale. La
relation que nous allons en donner , nous
a été adressée par un ami de M. Francois
de Neufchâteau , Littérateur dont
chacun estime les talens et la personne ,
et qui a failli être victime de la violence
que voici :
De Toul , le 9 Aout 1789.
» Il vient de fe paffer ici une fcène , incroyable
par fon objet par fes Acteurs ; fcène qui pouvoit
avoir des fuires affreufes , fans la modération
de la principale victime , & fans la fageffe da
Cominandant de la Province . »
» Le jeudi 6 Août , quarante- cinq Députés
des Communes du Bailliage de Toul s'étoient
réunis dans un petit village , à une lieue de cette
ville , où ils fe concertoient fur les fuites à don.
ner à l'exécution de certains articles de leur Cahier
, dont il a été parlé dans le tems avec éloge.
M. François de Neufchâteau , Député fuppléant
du Tiers-État de ce Bailliage , s'étoit rendů à l'Aſ.
femblée , avec les Pouvoirs exp ès de neuf Communautés.
»
( 400 )
Au milieu du diné frugal qui fuccédait à une
Délibération paifib'e , la Maréchauffée de Tou' ,
renforcée d'un détachement confidérable du Régiment
de Royal- Normandie , en garnifon à Toul,
eft veru s'emparer des perfonnes de quatre de
ces Députés , fous prétexte que leur Affemblée
étoit illicite , faute d'être tenue de l'ordre da
Lieutenant de Roi de Tou ' . On a eu beau leur
cbjeter que ce Lieutenant de Roi n avoit point
d'ordre de ce genre à donner de fon chef , hors
de la place où il commande , & que tout au plus
pouvoit-il fe faire informer des motifs de cette
Conférence des Communes. "
" On a offert de lui communiquer ces motifs ,
qui n'avoient rien que de conforme au ben ordre,
de refpectueux pour le Roi , & d'utile pur
-la Nation. "
" Sans égard pour ces raifons , & fans vouloir
montrer le Décret en vertu duquel on agiffoit ,
la Maréchauffée & la Cavalerie ont fait fortir de
table quatre Députés ( MM. François de Neuf
château , Suppléant ; Quinos , Electeur ; Bigot &
Chénin , Rédacteurs ) . On les a traînés ignominieufement
& à pied , pendant plus d'une heure ;
on les a promenés dans les rues de Toul avec
appareil , la Troupe ayant le moufqueton hant,
le fabre nu la trompette fonnante . On peut
imaginer la furprife & le concours , & les queftions
du peuple . Comme on n'avoit parlé depuis
quelque tems que de bandits , les enfans
crioient : Voilà les bandits . Et tout le monde a pu
le croire , quand on a vu que ces Députés , introduits
un moment dans la cour de M. le Lieutenant
de Roi de Toul , en font fortis au bout
d'une minute , avec le même appareil , pour être
transférés à la Conciergerie. »
"
"
Là , on les a féparés : on n'a
pasfouffert que
leurs amis puffent les voir , & on les a traités
( 401 )
du reste avec toute la rigueur dont on ufe envers
les fcélérats reconnus. Dans la nuit , à une
heure du matin , on a annoncé aux quatre Députés
prifonniers qu'on les envoyoit à Metz , pour
y être jugés prévôtalement , attendu qu'ils étoient
coupables d'un attroupement illicite . Ceux qui employcient
ces termes , n'en connoiffoient pas la valeur.
»
« Un Magiftrat du lieu eft venu vifiter ces
quatre Députés dans la prifon. M François de Neufchâteau
, l'un des quatre , a repréfenté à ce Magiftrat
l'inviolabilité de fa personne , en qualité de
Suppléant. Il a fait voir qu'un homme , tel que
lui , qui a été décoré des premières places de Magiftrature
, qui tient à une Cour Souveraine ,
comme Confeiller honoraire , &c. ne pouvoit
être foumis à la jurisdiction prévôtale , comme
les vagabonds & les gens fans aveu . Le Magiſtrat
auroit dû revendiquer cette affaire pour les Triburaux
ordinaires , vû fur-tout que la dernière
Déclaration du Roi , qui attribue à la Maréchauffée
la connoiffance des Affemblées illicites , ne fait
point Loi dans le reffort du Parlement de Metz ,
où elle n'a pas été enregistrée . ».
Le Magiftrata laiffe partir les prifonniers
pour Metz. Les quatre Députés , traités en cri
minels d'état ; gardés à vue , font arrivés , à fix
heures du matin , fur la place de Pont- à- Mouffon
, ville de Lorraine entre Toul & Metz :
c'étoit l'heure du marché. Il étoit trop aifé de
faire prendre le change au peuple , & d'infinuer
que ces prifonniers étoient des brigands , des coupeurs
de blé . Il n'en falloit pas davantage pour
exciter du trouble. Heureufement M. François
de Neufchâteau a fa répuration faite , depuis longtems
, en Lorraine & ailleurs. Sur fon nom feul ,
on n'a pas pu préfumer qu'il fût à la tête des
coupeurs de blé & des brigands . Il auroit dé(
400 )
Au milieu du dîné frugal qui fuccedit à une
Délibération paifib'e , la Maréchauffée de Tou' ,
renforcée d'un détachement confidérable du Régiment
de Royal- Normandie , en garnifon à Toul,
eft veru s'emparer des perfonnes de quatre de
ces Députés , fous prétexte que leur Affemblée
étoit illicite , faute d'être tenue de l'ordre da
Lieutenant de Roi de Tou' . On a eu beau lear
cbjecter que ce Lieutenant de Roi n avoit point
d'ordre de ce genre à donner de fon chef , hors
de la place où il commande , & que tout au plus
pouvoit- il fe faire informer des motifs de cette
Conférence des Communes. "
» On a offert de lui communiquer ces motifs.
qui n'avoient rien que de conforme au ben ordre,
de refpectueux jour le Roi , & d'utile p ur
-la Nation. "
» Sans égard pour ces raifons , & fans vouloir
montrer le Décret en vertu duquel on agiffoit ,
la Maréchauffée & la Cavalerie ont fait fortir de
table quatre Députés ( MM. François de Neufchâteau
, Suppléant ; Quinos , Electeur ; Bigot &
Chenin , Rédacteurs ) . On les a traînés ignomnieufement
& à pied , pendant plus d'une heure ;
on les a promenés dans les rues de Toul avec
appareil , la Troupe ayant le moufqueton hant
le fabre nu , la trompette fonnante. On peut
imaginer la furprife & le concours , & les queftions
du peuple . Comme on n'avoit parlé depuis
quelque tems que de bandits , les enfans
crioient : Voilà les bandits . Et tout le monde a pu
le croire , quand on a vu que ces Députés , introduits
yn moment dans la cour de M. le Lieutenant
de Roi de Toul , en font fortis au bout
d'une minute , avec le même appareil , pour être
transférés à la Conciergerie .
"
» Là , on les a féparés : on n'a pas fouffert que
leurs amis puffent les voir , & on les a traités
( 401 )
du reste avec toute la rigueur dont on ufe envers
les fcélérats reconnus. Dans la nuit , à une
heure du matin , on a annoncé aux quatre Députés
prifonniers qu'on les envoyoit à Metz , pour
y être jugés prévôtalement , attendu qu'ils étoient
coupables d'un attroupement illicite. Ceux qui employcient
ces termes , n'en connoiffoient pas la valeur.
»
« Un Magiftrat du lieu eft venu vifiter ces
quatre Députés dans la prifon. M François de Neufchâteau
, l'un des quatre , a repréfenté à ce Magiftrat
l'inviolabilité de fa personne , en qualité de
Suppléant. Il a fait voir qu'un homme , tel que
lui , qui a été décoré des premières places de Magiftrature
, qui tient à une Cour Souveraine ,
comme Confeiller honoraire , &c. ne pouvoit
être foumis à la jurisdiction prévôtale , comme
les vagabonds & les gens fans aveu. Le Magiftrat
auroit dû revendiquer cette affaire pour les Tribunaux
ordinaires , vû fur-tout que la dernière
Déclaration du Roi , qui attribue à la Maréchauffée
la connoiffance des Affemblées illicites , ne fait
point Loi dans le reffort du Parlement de Metz ,
où elle n'a pas été enregistrée. ».
Le Magiftrata laiffe partir les prisonniers
pour Metz. Les quatre Députés , traités en cri
minels d'état ; gardés à vue , font arrivés , à fix
heures du matin , fur la place de Pont- à- Mouffon
, ville de Lorraine , entre Toul & Metz :
c'étoit l'heure du marché. Il étoit trop aifé de
faire prendre le change au peuple , & d'infinuer
que ces prifonniers étoient des brigands , des coupeurs
de blé. Il n'en falloit pas davantage pour
exciter du trouble. Heureufement M. François
de Neufchâteau a fa réputation faite , depuis longtems
, en Lorraine & ailleurs. Sur fon nem feul ,
on n'a pas pu préfumer qu'il fût à la tête des
coupeurs de blé & des brigands . Il auroit dé(
404 )
Volontaires-Patriotes d'Elbeuf. Elle n'a
pu être placée l'Ordinaire dernier.
MESSIEURS ,
* Recevez le témoignage de reconnoissance
que la Ville de Paris doit au courage qui
vous a fait braver les plus grands dangers ,
pour assurer sa subsistance ; elle sent vivement
toutes les obligations qu'elle vous a ,
et son seul regret est de ne pas avoir d'ex
pressions assez énergiques pour rendre tous
les sentimens dont elle est pénétrée . Au récit
de vos braves Députés , les larmes ont coulé
de tous les yeux. L'Assemblée , frappée tourà-
tour d'admiration et de terreur , a partagé
tous vos dangers et toutes vos sollicitudes.
Elle s'est empressée de députer à l'Assemblée
Nationale pour s'assurer des moyens de procurer
à votre brave Compagnon, M. Guilbert ,
la liberté dont vous savez tous faire , Messieurs
, un si noble usage. Ses voeux sont
remplis , il est rendu à sa famille , á ses
amis et à sa Patrie. Daignez l'assurer , Messieurs
, que l'Assemblée des Représentans de
Ja Commune de Paris a frémi de ses dangers ,
et qu'elle n'auroit rien négligé pour vous prouver
qu'elle ne se borne pas à une admiration
stérile ? et qu'elle sait voler au secours
de ceux qui veulent bien s'exposer au dan
ger pour elle. Recevez , Messieurs , tous en
général , et chacun en particulier , l'assurance
d'une éternelle gratitude ; et soyez les interprètes
de ses sentimens auprès d'un Chef ,
M. Carbonnier, qui sait joindre la prudence
$
( 405 )
à la bravoure , et qui est si digne de vous
- Commander. »
n
Vos très-humbles et trèsobéissans
serviteurs ,
Signés , BAILLI , Maire ; MOREAU DE SAINTMÉRY,
DELAVIGNE , Présidens ; BROUSSE DES
FAUCHERETS , Secrétaire.
Paris , le 8 Août 1789.
L'anecdote consignée dans la lettre
que l'on va parcourir , offre une singu
larité physique , parfaitement certaine ,
dont le récit fera diversion un instant ,
à ceux , trop sérieux , dont nous entretenons
nos Lecteurs depuis un mois.
$
A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU MERCURE.
« Trouvez bon , Monfieur , que je vous demande
une petite place pour la lettre dont j'ai l'honneur
de vous envoyer copie , dans le propre
ftyle naif de l'honnête Régiffeur qui me l'écrit
» de lui- même , & de fa main , deux jours après
» l'accident qu'il rapporte. »
A Fougères , près Blois , ce vendredi 31 juillet 1789.
MONSIEUR ,
« Il eft arrivé un grand malheur au château ,
mardi dernier ( 28 ) , à une heure après midi , le
temps étant noir feulement par gros carreaux mêlés
de blanc ; il a fait un fi fameux coup de tonnerre ,
qu'il est tombé fur la g ande tour. Il a fait une
rote depuis le plomb d'en haut , du côté de
la faye , de la largeur de deux pieds & demi ,
( 404 )
Volontaires-Patriotes d'Elbeuf. Elle m'a
pu être placée l'Ordinaire dernier .
MESSIEURS ,
* Recevez le témoignage de reconnoissance
que la Ville de Paris doit au courage qui
vons a fait braver les plus grands dangers ,
pour assurer sa subsistance ; elle sent vivement
toutes les obligations qu'elle vous a ,
et son seul regret est de ne pas avoir d'expressions
assez énergiques pour rendre tous
les sentimens dont elle est pénétrée , Au récit
de vos braves Députés , les larmes ont coulé
de tous les yeux. L'Assemblée , frappée tourà-
tour d'admiration et de terreur , a partagé
tous vos dangers et toutes vos sollicitudes.
Elle s'est empressée de députer à l'Assemblée
Nationale pour s'assurer des moyens de procurer
à votre brave Compagnon, M. Guilbert ,
la liberté dont vous savez tous faire , Messieurs
, un si noble usage. Ses voeux sont
remplis ; il est rendu à sa famille , à ses
amis et à sa Patrie. Daignez l'assurer , Messieurs
, que l'Assemblée des Représentans do
Ja Commune de Paris a frémi de ses dangers ,
et qu'elle n'auroit rien négligé pour vous prouver
qu'elle ne se borne pas à une admiration
stérile , et qu'elle sait voler au secours
de ceux qui veulent bien s'exposer au danger
pour elle. Recevez , Messieurs , tous en
général , et chacun en particulier , l'assurance
d'une éternelle gratitude ; et soyez les interprètes
de ses sentimens auprès d'un Chef ,
M. Carbonnier, qui sait joindre la prudence
( 407 )
avant & après l'évènement ) . Je ne peux vous en
-écrire davantage , je fuis trop fatigué.
">
J'ai l'honneur d'être & c.
BERTIN.
Le Sieur Bordier , Acteur des Variétés
Amusantes , et arrêté à Rouen ,
comme l'un des Chefs de la dernière
émeute , a été jugé , après une procé
dure régulière , comdamné à mort , et
exécuté la semaine dernière.
M. Mounier vient de publier sous le
titre de Considérations sur les Gouvernemens
, et principalement sur celui
qui convient à la France , un Ecrit digne
d'être sérieusement médité , et dont
nous parlerons plus en détail la semaine
suivante.
P. S. Par une méprise typographique ,
on a annoncé , au dernier Nº , que M.
Duport avoit réfuté la maxime que les
biens du Clergé appartiennent à la Nation
. Il faut lire a DÉFENDO la maxime
, etc. Bendoo et
( 406 )
juſqu'en bas ; & encore une autre rote , depuis le
plomb , en tournant de la grande cour à la petive ,
& eft tombé fur les bâtimens , à la defcente de
la grande tour ; il a paflé dans le mur , & eft entré
dans ma chambre où étoit ma femme , bien malade
, a caffé un jambage de pierre en trois , percé
le rideau du lit où étoit ma femme , a repaflé
dans le mur de la fenêtre & caffé les vitres de
la cuifine au- dessous. J'y étois alors à dîner : il
cft tombé tout le long de mon côté gauche , entre
la peau & la camifolle de dessous ; m'a bûlé le
côté , depuis le bas de l'épaule juſqu'à la ceinture de
ma culotte , où il a entré , a percé ma chemiſeen
deux trous à paſſer un oeuf , & m'a emporté la
peau jufqu'à la chair , de trois doigts de large ,
de la longueur de la main ; a defcendu le long
de ma cuiffe & le long de la jambe. Le feu a
pris à ma grande culotte ( le pantalon ) , & m'a
brûle depuis le gras de la jambe jufqu'au bas ;
cependant mon bas n'a pas même été brûlé ni .
rôti je n'en ai point perdu la parole ; j'ai rec: mmandé
mon ame à Dieu , où je croyois paffer
dans le moment : mais for que j'ai eu reçu le
coup , j'ai perdu l'ufage des deux jambes & des
deux cuifles, reftées comme mortés : ( cet état n'a pas
duré. ) Peut-être un quart de minute avant le coup ,
je regardois à travers la vitrè s'il ne tombot point
de grêle: en me retournant , pour me raffeoir ,
tonnerre a paflé par l'endroit où je regardois ;
lorfqu'il m'a paffé le long du côté & dans ma
culotte , je n'en ai rien fenti . On est allé chercher
M. le Curé , le Médecin de Pontlevry , & le Chirurgien
de Coutru , qui m'ont faigné & fait vomir :
jugez , Monfieur , combien j'ai de graces à rendre
au Seigneur. De ce mauvais crage , il est tombé
bien de la grêle en plufieurs endroits ( uit un
détail très-calme des opérations ordinaires de fa régie
le
( 407 )
avant & après l'évènement ) . Je ne peux vous en
écrire davantage , je fuis trop fatigué. »
J'ai l'honneu d'être & c.
BERTIN.
Le Sieur Bordier , Acteur des Variétés
Amusantes , et arrêté à Rouen ,
comme l'un des Chefs de la dernière
émeute , a été jugé , après une procédure
régulière , comdamné à mort , et
exécuté la semaine dernière .
M. Mounier vient de publier sous le
titre de Considérations sur les Gouvernemens
, et principalement sur celui
qui convient à la France , un Ecrit digne
d'être sérieusement médité , et dont
nous parlerons plus en détail la semaine
suivante .
P. S. Par une méprise typographique ,
on a annoncé , au dernier Nº , que M.
Duport avoit réfuté la maxime que les
biens du Clergé appartiennent à la Nation
. Il faut
Qualité de la reconnaissance optique de caractères