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1786, 04, n. 13-17 (1, 8, 15, 22, 29 avril)
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MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
&
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spec
tacles ; les Caufes Célèbres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits.
Arrêts ; les Avis particuliers , &c . & c..
SAMEDI I AVRIL 1786
BQCE
HATEAU
DEU
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thoug
rue des Poitevins , No. 17.
Avec Approbation & Brevet du Rei.
TABLE
Pu
Du mois de Mars 1786.
IÈCES FUGITIVES .
Vers à Madame la Comreffe
d'Arville ,
• 22
Le Mariage inattendu de Ché.
rubin , Comédie ,
Difcours aux Enfans de Mgr.
le Duc d'Orléans ,
Eirennes du Parnaffe ,
le Caroline ,
Ariette traduite du Drame de
Vinceflas ,
VersCome Difcours de
Hiftoire
de France
,
Sur la Mort de Hervé , Euphemie , Nouvelle,
Marquis de Thieuville , 49
Réponses à la Question , so
56
69
70
103
112
Hiftoire Littéraire du Moyen
Age
3154
AM. le Marquis de Mon L'Art Mufical ramené à fes
tefquiou ,
AM.Vernet,
97
29
Yers à M. le Chevalier de C **
145
169 vrais principes ,
Notice Raifonnée des Ouvrages
de Gafpard Schott , 174
SPECTACLES.
Bouts-rimés W147 Académie Roy. de Mufiq. 34,
Charades , Enigmes & Logo
gryphes., 5.54, 101 , 152 Comédie Françoife , 134 , 181
NOUVELLES LITTER. Comédie Italienne , 40,87
30.78 , 115 , 133
Fièces intereffantes pour fervir Sciences & Arts ,
Hiftoire & à la Littéra Variétés
zure
Traduction nouvelle de Pro-
Annonces & Notices , 41 , 99,
139. 186
perce,
16
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT
me dela Harpe, près S. Conn.
STOR
LIBRARY
S
EW-Y
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
Sur le Tableau repréfentant le Serment
des Horaces.
Les voilà !... ce font eux.. ces fublimes Horaces ,
Héros qui pouvoient feuls vaincre les Curiaces!....
Certe mâle vigueur & ce hardi maintien ,
Tout en eux m'eft garant du triomphe de Rome.
A ton enthouſialme on te reconnoît bien ,
O père généreux, coeur au-deffus de l'homme !
La Nature a parlé.... tu n'entends que fa voix...
Pour toi , pour les tiens que de gloire!
Mais que de pleurs , hélas ! fuivront cette victoire !
Je gémis fur ton fort , & t'envie à la fois.....
Qui , maintenant , je puis comprendre
Tout ce quele génie afur nous de pouvoir :
A ij
MERCURE
Ces Héros que Corneille a fu me faire entendre ,
Non moins grand dans fon Art , David me les fait voir.
(Par un Amateur des Arts. )
INSCRIPTION pour la Façade du nouveau
Palais de Juftice.
IN ædem Juftitiæ ,
Regnante ac jubente beneficentiffimo Rege
Ludovico XVI ,
Nobilius reftauratam
Anno Domini......
Hic Themis alta fedens ; gladioque ac lance tremenda,
Vim legum ac mores ftabilit , civifque falutem.
Ou bien.
Hic augufta Themis referans oracula legum ,
Moribus invigilat , vitamque ac jura tuetur.
( Par M. Audet de la Méfanguère , Mattre
Es- Arts & de Penfion à Picpus , Auteur de
celle qui fut jugée la meilleure pour la Pompe
Feu de MM . Perrier. }
DE FRANCE.
S
HISTOIRE de deux Jeunes Amies,
par Madame RICCO BONI.
CHARLES Adolphe de Linange , né en Nor-
,
ancienne ,
@
mandie d'une famille noble
mais peu opulente ; privé de fes parens dès
fa plus tendre enfance , maître de lui- même
à vingt & un an , vendit fon modique héritage
, convertit en marchandifes les deux
tiers de fa fortune , & s'embarqua pour la
Martinique , où depuis plus de trente ans
un oncle de fa mère s'étoit établi . Sa traverfée
fut heureufe : fon vieux parent le reçut
avec joie; & comme il n'avoit point d'enfans,
Monfieur de Linange devint en peu de
temps l'objet de toute fa tendreffe. "
Une figure gracieufe , un naturel aimable,
fixèrent bientôt fur lui l'attention des Créoles
les plus diftinguées . Huit mois après fon
arrivée , une jeune veuve , en l'époufant , le
rendit maitre de deux habitations très -valtes ,
dont une partie étoit affez mal cultivée . L'intelligence
& l'activité de Monfieur de Linange
en augmentèrent confidérablement la valeur ,
& le mirent en état d'étendre fon commerce
& fes poffeffions.
Cinq ans après fon mariage , la mort de
fon grand oncle tripla fa fortune. Heureux
s'il eût fu borner fes voeux , & fuivre le plan
raifonnable qu'il formoit en quittant la France!
Il fe propofoit feulement alors d'acquérir
un fonds fuffifant pour vivre avec aifance
A iij
MERCURE
dans fa patrie . Peu-à- peu une perſpective
trop brillante s'ouvrit devant lui : la poffibilité
d'amaffer des richeffes lui donna le defir
d'en accumuler ; defir dangereux , fouvent
nuifible à fon objet , propre à écarter du
but que l'on envifage en s'y livrant . Monſieur
de Linange en fit la trifte expérience. L'avidité
le conduifit à laiffer échapper l'inſtant
où il pouvoit affurer à jamais la fortune &
fa tranquillité.
Marié depuis dix ans , il perdit fa femme
& la regretta fincèrement. Elle lui laiffoit une
fille , feul fruit de leur union . Pendant la
vie de Madame de Linange , fon mari n'avoit
ofé céder à l'envie de faire élever fa
fille en France : il craignoit d'affliger une
tendre mère , s'il la privoit du plaifir de voir
croître cet enfant fous fes yeux. Rien ne
gênant plus fa volonté , il faifit la première
occafion favorable à fon deffein . Zéphirine
de Linange , âgée de neuf ans , fut amenée
en Europe par une amie de fon père , que
des affaires y rappeloient. Cette amie la
conduifit à Paris, & la remit entre les mains
de Madame de Raré , Religieufe aux Dames
Annonciades du Saint-Efprit, à Popincour
coufine germaine de la mère de Monfieur
de Linange. A peine fortoit- il de l'enfance
quand elle quitta fa province ; cependant
elle fe fouvenoit de l'avoir vu , defiroit beaucoup
fon avantage & fon retour en France.
Monfieur Rémond Banquier autrefois
compagnon d'étude du père de la jeune Amé-
> >
DE FRANCE.
ricaine , alors fon Correfpondant à Paris ,
fut chargé par lui de fournir a Madaine de
Raré , l'argent néceflaire à l'entretien & à
Féducation de cet enfant chéri. On le pria de
ne point fixer fa dépenfe , Monfieur de Linange
fouhaitant procurer à fa fille tout ce qui pourroit
contribuer à la rendre aimable & heureufe.
La grande fortune dont Zéphirine devoit
jouir , unit toute la Communauté dans le
defir de lui attacher une jeune perfonne
qui , en s'attirant fa bienveillance , lui devroit
peut- être un jour fon établitlement. La
maifon s'en trouvoit chargée par un événe
ment affez extraordinaire. Sa pofition la
mettoit dans la néceffité de prendre le voile
quand elle auroit atteint l'âge où l'on peut
embraffer la vie monaftique ; & ces Dames
craignoient de la voir contrainte à prononcer
des voeux fans vocation & fans goût pour
la retraite.
Elle étoit de l'âge de Mademoiſelle de
Linange , & fe nommoit Clémence d'Artenay.
Elle joignoit à une figure attrayante
beaucoup d'efprit , un naturel doux , & cette
docilité, cette attention à plaire où la dépendance
accoutume , en infpirant la crainte de
s'attirer un reproche. Madame de Raré confentit
avec joie à cet arrangement des autres :
Religieufes ; Clémence fut reçue dans l'appartement
de Mademoiſelle de Linange
partagea fes études & fes amuſemens. Traitée
par elle comme une four chérie , Mademoifelle
d'Artenay en prit les fentimens , & rien
A iv
8 MERCURE
n'altéra dans la fuite ces premières difpofitions
de leurs coeurs .
connu
Soigneufe de remplir les intentions de
Monfieur de Linange , Madame de Raré fe
fit un devoir de donner à fa fille une éducation
diftinguée. Zéphirine en profita. Inrelligente
, appliquée , elle acquit avec facilité
des connoillances utiles & des talens
agréables. Bien faite , jo lie , gracieuſe , ſenfible
, libérale , elle devint chère à toutes
les perfonnes dont elle fe trouvoit environnée.
Huit années s'écoulèrent dans ce
calme heureux , partage de la jeuneffe & de
l'innocence , calme dont on jouit fans en
apprécier l'ineftimable avantage ,
feulement quand il n'existe plus , quand on
perdu pour jamais l'efpoir de le recouvrer.
La paix de mademoifelle de Linange fut
troublée par le retard des lettres de la Martinique.
Elle confervoit un fouvenir bien vif
de fon père , fe rappeloit avec attendriffement
fes traits , fes careffes & fes bontés.
Les expreffions affectueufes dont il fe fervoit
en lui écrivant , entretenoient dans fon
coeur un defir ardent de le revoir , de fe
fentir encore preffée contre le fein de ce
parent chéri. Par fes dernières lettres il lui
annonçoit fon prochain retour en France
le deffein formé d'y refter , de lui procurer
un grand établiffement ; d'employer le fruit
de fes longs & pénibles travaux à faire la félicité
de unique objet de ſes foins & de
fa tendreffe.
DE FRANCE. 9
Que ces flatteufes eſpérances répandoient
de joie dans l'ame de Zéphirine ! à quelles
vives douleurs la livrèrent-elles en fe diffipant
! Une année fe paffa toute entière , &
plufieurs vaiffeaux arrivèrent fans lui apporter
aucune lettre de la Martinique. Les vilites
de Monfieur Rémond , auparavant affez fréquentes
, devenoient rares & courtes. Les
queftions fur le filence de Monfieur de Linange
l'embarraffoient ; il y répondoit par
des propos vagues , & laiffoit toujours dans
P'incertitude où lui même feignoit d'être , fur
la caufe de cet alarmant filence.
Le bon coeur de Monfieur Rémond l'engageoit
feul à cacher de triftes événemens.
Depuis un an Monfieur de Linange n'exiſtoit
plus ; fa mort , fuite des chagrins violens
que lui avoit donnés le défordre de fes
affaires , réduifoit fa fille à l'indigence . Des
depredations de toute efpèce , une maladie
épidemique répandue fur fes nègres , des
pertes reitérées le forcèrent à contracter des
dettes immenfes. Il lui reftoit des moyens de
rétablir la fortune : il les employoit avec
ardeur , quand la guerre , portant fes funeftes
ravages dans cette partie du Globe , arrêta
fes travaux , anéantit fes efpérances, lui montra
fa ruine inévitable , & le fort qu'elle préparoit
à l'enfant aimable & chéri , dont
l'élévation & le bonheur formoient le plan
de fa propre félicité. Cette cruelle idée fe
préfentant fans ceffe à fon efprit , ferra fon
coeur , l'accabla d'une mortelle affliction ,
A v
10
MERCURE
détruifit en lui tous les principes de la vie ,
& lui fit terminer en peu de mois , des jours
devenus fi malheureux .
La vente de fes habitations , celle de fes
effets , fes fonds raffemblés fuffirent à remplir
fes engagemens , mais il ne refta rien.
Depuis quinze mois Zéphirine devoit à Monfieur
Rémond l'aifance dont elle jouiffojt
encore. Il eût pu foutenir fans fe gêner fa
dépenfe néceffaire ; mais Madame de Raré
fembloit fe plaire à l'étendre , à l'augmenter
chaque jour : elle rempliffoit fon appartement
de meubles inutiles & chers , lui
faifoit porter les plus riches étoffes , lui entretenoit
plus de femmes que fon fervice
n'en exigeoit,& lui laiffoit la liberté de donner
beaucoup. Monfieur Rémond fentoit le befoin
d'arrêtér fa prodigalité , de l'avertir du
changement arrivé dans la fituation de fon
Élève vingt fois il fe rendit au Couvent
avec le deffein de parler ; mais prêt à s'expliquer,
l'idée de la douleur qu'il alloit exciter
, le retenoit , l'engagecit à retarder
encore ce fatal éclairciffement ; fa tendre
compaffion lui faifoit fouhaiter d'attendre
des circonftances plus favorables au defir
qu'il avoit d'adoucir en partie une découverte
fi défefpérante.
Séparé depuis long-temps de Monfieur de
Linange , cet homme honnête confervoit le
fouvenir d'un léger ſervice reçu de cet ami
dans fa jeuneffe . L'état prefent de fa fille lui
infpiroit l'envie de reconnoître ce ſervice en
DE FRANCE.
obligeant la jeune orpheline ; mais embarraffé
alors par des pertes récentes , par des
doutes fur deux maifons de commerce dont
la folidité l'intéretfoit ; dégoûté des affaires
& s'arrangeant pour les quitter , il venoit
d'acheter une terre dans la Province , avec
le deffein de s'y retirer : cette acquifition
le mettoit à l'étroit pour le moment , & ne
lui permettoit pas de difpofer de fes fonds
au gré de les defirs .
Preffé par les inftances de Madame de
Raré , il rêvoit un jour au moyen d'éluder
encore cette trifte explication , quand on lui
remit fes lettres d'Efpagne.Son Correſpondant
de Cadix l'informoit du retour d'un vaiffeau
dont on croyoit depuis deux ans la perte
certaine. Il venoit d'arriver chargé d'une riche
cargaifon. Le bénéfice de Monfieur Rémond
fur fa part des marchandiſes apportées , montoit
à plus de cent mille livres : ce profit
inattendu le furprit. Le retour de ce vaiffeau
lui parut un bienfait de la Providence ; &
l'inftant où elle le ramenoit , une marque de
fa bonté pour Mademoiſelle de Linange.
Déterminé à partager ce profit avec elle , it
fe rendit at Couvent , fit prier Madame de
Raré de venir feule au parloir ; & rompant
enfin un filence gardé fi long-temps , & par
de fi louables motifs , il lui apprit les défaftres
arrivés à la Martinique , la mort de
fon parent , & la fituation cruelle où fa fille
fe trouvoit réduite.
Confternée d'un événement qu'elle avoit
A-vj
72 MERCURE
craint fans en prévoir les fuites , Madame de
Raré , les yeux baignés de larmes , les mains
jointes , élevées , fembloit en l'écoutant , implorer
le fecours célefte pour la malheureufe
or heline , dont toutes les efpérances s'éva-,
nouiffoient à jamais. Après un inftant de
filence , elle s'ecria : ô ma chère Zéphirine !
que ferez- vous ? que deviendrez - vous ? & regardant
Monfieur Remond : quoi , lui ditelle,
vous êtes für de fon entière ruine ? quoi ,
l'heritiere de tant de riches habitations , ne
pofside rien , n'attend rien ? quoi , Monfieur ,
elle n'a pas même la mcdique fomme néceffaire
pour confacrer fes jours dans cette
maifon ? elle eft fans appui , fans afyle , fans
reflources , abandonnee à toutes les horreurs
de l'extrême pauvreté ?
Non , Madame , non , répondit Monfieur
Rémond , fa pofition eft facheufe , mais elle
n'eft pas fi cruelle. Ceffez de vous affliger à
cet excès. Aidée de vos confeils & de la
raifon, fi Mademoiſelle de Linange peut , fans
trop de regret , ceffer d'envifager un brillant
avenir , fe contenter d'être à l'abri du befoin
& de la dépendance , on la met en état de
continuer à vivre fous vos yeux , avec un revenu
très- borné , il eft vrai , mais fuffifant
pour ne pas la contraindre à prendre le voile,
ou à contracter d'humiliantes obligations .
Tirant alors de fon porte-feuille plufieurs
billets : voici , Madame , continua-t-il , des
effets appartenans à Mademoiſelle de Linange.
Un ami de fon père ma chargé de les lui reDE
FRANCE. 13
mettre , & d'en payer le montant. Il fe trouvera
heureux fi vous daignez les accepter
pour elle , fans chercher a le connoître. En
parlant , il paffoit les billets du côté de Mas
dame de Raré , & l'interrompant a fa première
queftion fur cet ami , il la pria de lui
laiffer garder un fecret confié a fa foi.
Peu de momens auparavant , Madame de
Raré fe feroit vivement affligée de voir la
fortune de fa parente bornee a un fonds de
cinquante mille livres. Ce qu'elle venoit
d'apprendre lui fit paroitre cette fomme confidérable
; elle en marqua fa reconnoiffance
à Monfieur Rémond. En vain s'efforça -t- il
de détourner fes idees : elles fe fixèrent fur
lui. Je n'infifterai point , Monfieur , lui ditelle
, fur un aveu de votre part ; je ne vous
priverai point de la fatisfaction de vous montrer
aufli modefte que généreux ; je ne vous
remercierai point d'affurer lafubiiſtance d'une
infortunée , mais puiffent fes voeux & les
miens attirer les bénédictions du ciel fur la
noble créature dont vous taifez le nom ! puiffe
ce bienfaifant ami de mon malheureux parent
, n'éprouver jamais l'amertume de la
douleur , ou , s'il en reffent un inftant l'atteinte
, que toutes les Puiffances céleftes répandent
alors dans fon ame la douceur confolante
dont il vient de pénétrer la mienne !
Touché de cette effution du coeur de la
Religieufe attendrie , Monfieur Remond la
pria de moins exalter ce fervice. Après avoir
pris avec elle des arrangemens fur l'emploi
14 MERCURE
des cinquante mille livres , il la quitta, foulagé
par l'aveu qu'il venoit de faire , &
content de s'être trouvé le pouvoir de remplir
les devoirs de l'amitié.
L'efpèce de calme où il laiffa Madame de
Raré , dura peu . Dans le premier accablemént
où l'avoient jetée de fi funeftes -nouvelles
, le préfent de Monfieur Rémond
lui fembloit une reffource fuffifante ; mais
la réflexion lui peignit bientôt Zéphrine réduite
au fimple néceffaire , privée de l'ef
poir d'une grande alliance , du rang, de l'éclat
que donne la fortune ; contrainte de paffer
fes jours dans la retraite , fans pouvoir à
l'avenir s'y procurer les agrémens propres à
en écarter le dégoût & l'ennui . Ces confidérations
faifoient couler fes larmes , pendant
qu'elle marchoit lentement vers le jardin ,
où l'attendoit Mademoiſelle de Linange. La
voyant accourir à fa rencontre , elle baiffa
fon voile , & fans répondre à fes inquiètes
queftions , elle la prit par la main , la conduifit
au choeur , où perfonne n'étoit en ce
moment : là , fe profternant avec elle au pied
de la grille , ô , ma chère Zéphirine , lui ditelle
d'une voix étouffée par fes pleurs , foumettez-
vous à la volonté du Ciel : il vous
éprouve. Vous n'avez plus de père , plus de
poffeffions , plus d'efpérances ! Abandonnée
au foin de la Providence , béniffez fa vigilante
bonté : elle vient de pourvoir à vos plus
preffans befoins. Priez , ma fille , priez pour
votre père , priez pour vous ; demandez au
DE FRANCE.
15
Tout-puiffant l'oubli de votre bonheur paffé,
& la force de foutenir les traits de l'adverfité ,
Mademoiſelle de Linange entendit à peine
les dernières paroles de Madame de Raré ;
faifie d'une vive douleur , elle répéta foiblement
je n'ai plus de père ! ah , Dieu , je n'ai
plus de père ! & perdit la connoillance &
le fentiment.
Revenue d'un long évanouiffement , retournée
chez elle , des larmes abondantes
foulagèrent un peu l'oppreffion de fon coeur.
Elle furprit Madame de Raré , par la modération
de fes regrets fur la perte de fes héritages
: plus touchée de la mort de ſon père
que du renversement de fa fortune , elle ne
pleuroitpoint des biens dont fon éducation ne
luiavoit pointappris à connoître tous les avantages.
Peu d'idée du monde , de fes ufages ,
de fes préjugés , du prix qu'il attache aux
grandeurs , à la richelle , la rendoit moins
fenfible au changement de fa pofition. Le
bienfait du généreu ami de fon père ne
l'humilia point : aucun mouvement d'orgueil
n'affoibliffant fa reconnoiffance , elle ne devint
point un fentiment pénible pour fon
coeur ; elle fe prêta fans répugnance aux réformes
indifpenfables qu'exigeoit fa fituation
préfente , fe vit ôter fes femmes , fes maitres
; paffa d'un très- bel appartement dans
un fort petit ; abandonna un joli jardin où
elle fe plaifoit à faire cultiver des fleurs ,
& s'amufoit du foin d'une volière. Aucune
de ces privations ne lui arracha la plus légère
16 MERCURE
plainte; mais fa fermeté ceffa de fe foutenir,
quand Madame de Raré lui montra le deffein
de chercher une autre protectrice à Mademoiſelle
d'Artenay , l'événement ne lui permettant
plus de remplir à fon égard fes
premières intentions. La feule idée de fe féparer
d'une compagne fi chère , fit jeter des
cris de douleur à la fenfible Zéphirine.Laiffezmoi
Mademoiſelle d'Artenay , laiffez-la moi ,
répétoit- elle toute en pleurs à Madame de
Raré. Mon infortune n'a pas altéré fon
amitié ; elle confent à partager mon fort : fi
mon revenu ne fuffit pas pour toutes deux ,
nous l'augmenterons par un travail aflidu ;
ces beaux ouvrages en broderie , que j'aimois
tant a faire pour les donner , m'occuperont
plus agréablement encore , quand leur produit
me confervera la douceur de vivre avec
Clemence. Mademoiſelle d'Artenay , plus
attachée à Zéphirine depuis qu'elle la voyoit
malheureufe , mêla fes larmes au prières de
fa tendre amie , & Madame de Raré ne
put refufer à ces aimables filles une fatiffaction
fi ardemment fouhaitée.
Comme au temps de fa profpérité Mademoiſelle
de Linange, généreufe & modefte,
ne tiroit aucune vanité de fa fortune , elle
n'avoit jamais bleffè l'orgueil ni excité l'envie
des compagnes de fa retraite. Prompte
à les obliger , à prévenir leurs deſirs , la
perte de fes eſpérances ne lui fit point éprouver
de leur part ces froideurs mortifiantes
cette eſpèce de dédain , que trop fouvent la
>
DE FRANCE,
difgrace entraîne à fa fuite . On la plaignit ,
on la rechercha , on s'occupa du foin de la
confoler , de la diftraire ; & fa noble réfignation
, après un fi grand revers , la rendit
Pobjet de l'eftime & des égards de toute la
maifon.
1
Infenfiblement Mademoiſelle de Linange
recouvra cette tranquillité d'efprit qu'un
fâcheux événement interrompt & ne détruit
pas , quand on ne peut s'accufer de s'être
attiré fon malheur. Si la perte de fon père
excitoit encore fes larmes , celle de fa fortune
fembloit entièrement effacée de fon fouvenir.
Madame de Raré s'en occupoit davantage
: elle ne s'accoutumoit point à voir
Zéphirine dans une fituation fi différente de
l'état brillant où elle l'avoit long- temps envifagée.
Les perfonnes qui ont volontairement
renoncé aux pompes du fiècle , ne font
pas toujours les moins frappées de la confidération
attachée à l'opulence , aux titres , à
l'éclat des vanités mondaines ; peut -être en
les prifant beaucoup , trouvent- elles un plaifir
fecret à s'exagérer le facrifice qu'elles en
ont fait.
Délicate , foible , attaquée de plufieurs infirmités
, en s'abandonnant trop à de fombres
réflexions , Madame de Raré tomba dans une
noire mélancolie ; de violens accès de vapeurs
s'y joignirent , fon efprit s'altéra comme fa
fanté peu de mois la réduifirent à cet etat
d'enfance & d'ineptie , où la Nature femble
' agir encore que pour dégrader l'être mal18
MERCURE
heureux & dépendant , foumis par elle à cette
trifte & humiliante condition..
Pénétrée de ce cruel accident , Mademoifelle
de Linange , affidue près d'elle , lui rendit
les foins les plus attentifs & les plus affectueux.
Pendant dix mois elle ne la quitta pas
un feul inftant ; & elle s'en vit privée pour
jamais avec cette douleur , ce regret dévorant
que fait fentir l'éternelle féparation d'une
amie dont on fe reproche d'avoir innocemment
caufe les chagrins , aigri les maux , en
répandant l'amertume dans fon coeur.
Clémence & elle pleurèrent long- temps
Madame de Raré. Le fouvenir de fes fouffrances
, la certitude du bonheur que fes
vertus lui affuroient à jamais , les confola
peu -à- peu. Zéphirine commençoit à recou →
vrer fa paix intérieure , quand un bien petit
événement troubla ce calme renaiffant , ouvrit
fon efprit à de nouvelles idées , ſon
coeur à une forte d'agitation & d'inquiétude,
dont fa retraite fembloit devoir la garantir
pour toujours .
Aglaé d'Alerac , entrée au Couvent peu de
temps après Zéphirine, lui avoit montrébeaucoup
d'attachement.Ses préférences pour elle
étoient même devenues plus marquées &
plus obligeantes depuis la mort de Monfieur
de Linange. Cette jeune Demoifelle fut retirée
du Couvent & mariée avec le Comte
de Nancé fix femaines après fon mariage ,
elle fe fit un plaifir de donner aux amies
qu'elle venoit de quitter , une eſpèce de petite
DE FRANCE.
19
fère , dont toute la Communauté pût partager
l'amufement. C'étoit une magnifique collation
, précédée & fuivie d'un concert de voix
& d'inftrumens , exécuté par les plus habiles
Muficiens. Clémence & Zéphirine , fuivies
de plufieurs jeunes perfonnes , fortirent pour
être avec la Comteffe dans un parloir du
dehors , pendant que les Religieufes & les
Penfionnaires fe fuccédoient tour à - tour dans
le parloir intérieur.
LeConcert étoit fini , les Muficiens congédiés,
lorfque le Comte de Nancé , revenant de la
challe avec le Marquis de Mullidan , fon
ami , lui propofa d'aller furprendre fa femme
au milieu de la joie enfantine où elle devoit
fe livrer en ce moment. Le Marquis y confentit.
A cent pas du Monaftère , Monfieur
de Nancé arrêta fa voiture , en defcendit ,
entra dans la cour , défendir aux gens de la
Comtelle de l'avertir , & s'avança fans bruit
vers le parloir où elle étoit. Près d'y entrer ,
il fe retint , craignant d'interrompre une perfonne
qui chantoit en s'accompagnant fur
la harpe.
La voix douce , fonore & légère de cette
perfonne , fixoit les deux amis à leur place ,
& les faifoit fouhaiter de Pentendre longtemps.
L'air fini , Madame de Nancé voulant
appeler une Tourière , jeta les yeux vers la
porte , vit fon mari , fe leva , courut à lui ,
le prit par la main , & le préfenta d'un air
riant & fatisfait à toutes les Dames qui fe
trouvoient au parloir.
20 MERCURE
Pendant les complimens d'ufage fur l'heureux
affortiment des deux époux , le Marquis
de Muffidan cherchoit des yeux la chanteufe
dont les fons féduifans venoient de lui
caufer tant de plaifir. La place où il voyoit
Mademoiſelle de Linange , fa harpe encore
devant elle , la diftinguoient affez. Il s'avança
vers elle dans le deffein de louer la beauté
´de fa voix ; mais en l'approchant , fon admiration
changea d'objet. La contenance noble &
modefte de Zéphirine , les graces répandues
fur toute fa perfonne ; cet air impofant que
donnent la candeur & l'innocence , quand
elles fe peignent fur un vifage aimable
étonna le Marquis ; il oublia ce qu'il vouloit
lui dire , & fes expreflions lui prouvèrent
feulement la furprife ou le jetoit l'affemblage
de tant de charmes réunis en elle.
Accoutumée à ce langage flatteur , une
femme élevée dans le monde y eût fans
doute fait peu d'attention . Mademoifelle de
Linange l'entendoit pour la première fois :
elle ne l'écouta point avec indifférence. Une
forte de plaifir qu'elle n'avoit jamais fenti
fe mêloit à l'embarras d'y répondre : frappée
de la figure attrayante de Monfieur de Muffidan
, elle ne put fe défendre de lui donner
interieurement une partie des louanges qu'il
yenoit de lui prodiguer.
Monfieur de Nancé s'empreffa d'adreffer
des complimens polis à l'amie de la Comteffe .
La converfation devint vive & enjouée.
Mademoiſelle de Linange parla peu ; mais fon
DE FRANCE 21
air attentif & fatisfait , montroit combien
elle s'en amufoit. Le moment vint où il
falloit fe féparer. Madame de Nancé ne pouvoit
le réfoudre à quitter Zéphirine . Toutes
deux s'attendrirent en fe difant adieu. La
Comteffe partoit dans quinze jours pour
Nancé ; elle avoit déja montré à fes deux
amies le plus grand defir de les y mener :
elle pria fon mari de l'aider à obtenir d'elles
cette faveur. Clémence parut très-difpofée
à faire ce voyage ; Mademoiſelle de Linange
n'ayant aucune raifon de fe refufer à de
preffantes , à d'affectueufes invitations , s'y
rendit. Non-feulement elle promit d'aller à
Nancé avec la Comteffe , mais elle confentit
à y paffer tout le temps qu'elle - même
comproit y refter. Le Comte, fa femme &
le jeune Marquis s'éloignèrent à regret. Les
deux folitaires rentrèrent dans la maifon ;
Mademoiſelle d'Artenay fort occupée de la
petite fête & du voyage projeté ; Zéphirine
rêveufe , fe rappelant avec une forte d'émotion
tout ce que l'on avoit dit , s'étonnant
encore des expreffions de Monfieur de Muffidan
, prenant un plaifir fecret à fe les répérer
, à les graver dans fa mémoire ; à ſe
retracer fes traits , l'air doux & animé de fa
phyfionomie , & le fon touchant de ſa voix
pendant qu'il lui parloit .
Aú temps prefcrit , la Comteffe alla chercher
au Couvent fes deux amies , & prit
avec elles la route de Normandie. Tout fur
cette route attiroit & charmoit leurs regards ;
22
MERCURE
la vue des terres cultivées , des troupeaux épars
dans la campagne ; les villages, leurs habitans ;
les bois , les eaux fembloient leur donner
des idées & des fenfations nouvelles. A leur
arrivée , l'afpect riant & magnifique du
château , la foule des villageois accourant de
routes parts pour voir la Comteffe , les accla
mations dont ils firent retentir l'air en l'apperçevant
, mêlèrent le mouvement d'une
joie douce & tendre , à l'émotion qu'éprou
voient deux cénobites accutumées dès leur
enfance à la trifte uniformité du cloître , &
goûtant , pour la première fois , le plaifir
attaché à la variété des objets.
Le Maréchal du Pleflis , père de Monfieur
de Nancé , venoit en le mariant de lui donner
cette fuperbe Terre. Peu de jours avant
le départ de fon fils , il s'y étoit rendu avec
le Marquis de Mullidan , pour y préparer
une fête champêtre dont il vouloit amufer
la Comteffe à fon arrivée. Cette fête commença
au moment où elle entra dans l'avenue
du château , fut très-agréable , dura le
refte du jour, & même une partie de la nuit.
Mais elle devint fatale à celui qui la donnoit
, en réveillant dans le fond de fon coeur
une fenfibilité dont il fe flattoit d'avoir pour
jamais amorti la dangereufe activité.
.
Le Maréchal du Pleffis , né tendre , ſuſ
ceptible d'une paffion vive & conftante
n'avoit pas eu fujet de s'applaudir d'un lien
formé par la plus fincère affection. Jeune
encore quand il perdit fa femme , il s'attaDE
FRANCE.
23
eha plufieurs fois. Souvent favorifé , rarement
heureux , toujours trompé , il réſolut
de fe défendre contre l'amour , en adoptant
tous les goûts , en s'appliquant à toutes les
études propres à occuper affez l'efprit pour
bannir du coeur ce befoin d'aimer que fait
fentir le loifir & l'inaction . Il avoit quarante-
fix ans quand il unit fon fils unique
à Mademoiſelle d'Alerac. Grand , bien fait
il joignoit à de beaux traits une phyfionomie
ouvertė , animée , & cet air qui plaît , infpire
la confiance & fait naître l'amitié. Son
humeur étoit égale , fon efprit un peu porté
vers la raillerie ; mais un naturel doux ,
obligeant , modéroit cepenchant ; il badinoit ,
& n'offenfoit pas. Poffeffeur d'une grande
fortune , il fe montroit magnifique dans fa
dépenſe ; mais une fage économie lui donnoit
les moyens d'en employer une grande
partie à de nobles ufages. Eftimé , chéri
recherché , il jouiffoit d'une paix qu'il croyoit
maltérable , quand Madame de Nancé la
troubla en offrant à fes yeux un objet également
capable d'augmenter fon bonheur ou
de le détruire.
Charmée de devoir à l'attention du Maréchal
un divertiffement où elle ne s'attendoit
pas , la Comteffe voulut en marquer fa
reconnoiffance en montrant tout le plaifir
qu'il lui donnoit. Bientôt elle unit fa voix aux'
chants ruftiques des jeunes villageoiſes. Zé-
Phirine l'imita. Mademoifelle d'Artenay fe
mêla parini' les danfeufes , & développa tant
24
MERCURE··
de graces en fe livrant à cet exercice , qu'elle
fixa fur elle les regards du Maréchal & s'attira
fon adiniration . En confidérant fes traits ,
fon air , l'aifance de fes mouvemens , il fe
rappela une de ſes nièces , qu'il avoit beaucoup
aimée , & dont la mort prématurée
excitoit encore fes regrets plus il confidéroit
Clémence , plus ille fentoit frappé de
cette reflemblance. Il fit obferver à fon fils
ce fingulier effet du hafard, & s'en occupa
tout le foir.
Les premiers jours fe pafsèrent à parcourir
les jardins , le parc ; à vifiter les bofquets
les grottes , à voir les cafcades : on ne fe
laffoit point d'admirer les agrémens de cette
charmante habitation ; & l'air parfumé par
les lilas , les jacintes & les narcifles , augmentoit
encore le plaifir de ces longues promenades.
On étoit alors au commencement du printemps
, faifon choifie exprès par le Comte
de Nancé , pour éviter les importuns que
l'automne l'eût forcé de recevoir. Vraiment
touché des attraits de fa jeune compagne ,
il vouloit jouir fans contrainte de la douceur
d'être avec elle , de lui prouver fa tendreffe ,
de fe montrer uniquement occupé du foin
de l'amufer & de lui plaire. Un même ſentiment
rempliffoit le coeur de la Comteffe ;
l'affiduité de fon mari près d'elle , lui faifoit
aimer le fejour de Nancé , & redoubloit à
fes yeux les beautés que la Nature renaiffante
offroit de toutes parts à la contemplation.
4
De
DE FRANCE. 25.
De ces fix perfonnes, convenues de paffer enfemble
plufieurs mois à la campagne , deux y
goûtoient une félicité parfaite. Mademoiſelle
d'Artenay , n'éprouvant aucune altération
dans fa façon habituelle d'envifager les objets
, s'amufoit de tout. Le refte de la petite
fociété s'abandonnoit à des idées inquiètes
à de fàcheufes réflexions ; formoit des voeux ,
s'avouoit qu'ils étoient indifcrets : la crainte ,
le defir , d'inutiles regrets occupoient des
creurs fenfibles ; ils s'efforçoient de cacher
leur trouble , & quelquefois en laiffoient
échapper des marques vifibles.
Depuis l'arrivée de la Comteffe , le Maréchal
ne fe trouvoit plus dans cette difpofition
d'efprit qui , depuis plufieurs années ,
le rendoit paifible & heureux. En croyant chercher
l'image d'une parente fur le vifage
aimable de Mademoiſelle d'Artenay, il s'étoit
imprudemment livré au plaifir de la regarder.
Chaque inftant ce plaifir devenoit plus doux ,
plus attachant. Mille qualités folides , de
Pefprit , de l'enjouement , de la fenfibilité ,
changèrent l'attention du Maréchal en un
intérêt fi vif , qu'il ne put fe méprendre aux
mouvemens de fon coeur ; il rougit de fa
foibleffe , s'en alarma , fe promit de vaincre
une paflion fi contraire à fon repos , d'éviter
le danger en modérant fes empreffemens
pour Clémence , en la regardant moins , en
le privant de fon entretien ; mais un attrait
irréfiftible le conduifoit toujours fur fes pas ,
le forçoit à la chercher. Flattée du foin qu'il
N°, 13, 1 Avril 1785. B
26 MERCUREM
prenoit de l'amufer , de l'inftruire , Mademoifelle
d'Artenay aimoit à fe promener
avec lui , à profiter de fes connoiffances. Il
lui faifoit remarquer une infinité de petites
créatures qu'elle fouloit fous fes pieds , fans
foupçonner leur exiftence ; il lui apprenoit
leurs habitudes & leur apparente deftination
dans la Nature. En l'écoutant , l'attentive
écolière fixoit fur lui des yeux fi beaux ;
une fenfibilité fi vraie, fi animée , fe peignoit
fur tous les traits , les rendoit fi touchans ,
que le Maréchal , oubliant fes projets de
séfiftance , s'abandonnoit tout entier au penchant
de fon coeur , & quelquefois fe fentoit
prêt à l'avouer.
L'impreffion que Mademoiſelle de Linange
avoit faite fur le Marquis de Muſfidan , le
jour de la petite fête du Couvent , devint à
Nancé une paflion très-vive. Sentible pour la
première fois , fans efpérance de rendre fon
amour heureux , il s'affligeoit d'être jeune ,
d'être riche , d'être le chef d'une illuftre Maifon.
Dépendant des volontés de fon tuteur ,
réfifteroit- il pendant trois années aux projets
formés par ce refpectable parent ? refuſeroitil
une femme donnée & préfentée de la
main du Chevalier de Muflidan ? Dans ces
circonftances , oferoit-il avouer ſon penchant,
montrer à Madenoifelle de Linange le defir
de lui plaire ? L'offre de fon coeur offenſeroit
cette fille aimable & délicate , que l'inégalité
de leur fortune féparoit à jamais de
lui ; elle le craindroit , elle le fuiroit peutDE
FRAANNCCEE.. 17
être. Pourquoi rifquer de perdre la douceur
de fon entretien , de fe voir traité par elle
comme un ami ? Sans ceffe occupé de ces
idées , toujours plus amoureux , plus chagrin
, Monfieur de Muilidan foupiroit , fe
taifait , mais fes regards étoient fi expreflifs ,
fes foins fi marqués , qu'il falloit toute l'inex
périence d'une jeune perfonne élevée loin
du monde , pour attribuer à la fimple politeffe
, ou aux égards de l'amitié , les plus
tendres empreffemens de l'amour.
Mademoiſelle de Linange avoit auffi des
peines fecrettes ; elle ne fe fentoit plus ni
paifible ni fatisfaite de fon fort. En trouvant
à Nancé Monfieur de Muflidan , fa préfence
lui avoit caufé une douce émotion : l'habitude
de le voir ne diminua pas les mouve
mens involontaires dont elle fe demandoit
en vain la raifon. Quand elle le rencontroit
inopinément , une palpitation violente agitoit
fon coeur. Souvent on s'entretenoit devant
elle du Chevalier de Muffidan : le Maréchal
fouhaitoit fon retour , rioit des affaires
qui le retenoient à Marseille , fans les particularifer
, & plaignoit le Marquis d'attendre
fi long-temps un parent dont le premier foin
en arrivant feroit de le marier. Il nommoit
toutes les maifons , toutes les perſonnes où
le choix de fon oncle devoit s'arrêter. Ces
difcours rappeloient à Mademoiſelle de
Linange le temps où Madame de Raré envifageoit
pour elle des titres , des grandeurs.
Cette fortune perdue deux ans auparavant
Bij
28
MERCURE
:
avec tant de réfignation , lui parut alors le
bien le plus defirable; elle regretta fes bril-
Intes efpérances, fe fentit humiliée de n'être
plus au rang de ces riches héritières nommées
par le Maréch: l ; elle fe repentoit
d'avoir quitté fa retraite. Tout à Nancé lui
retraçoit la première opulence , mettoit fans
ceffe fous les yeux l'objet d'une mortifiante
comparaifon. La profonde triftelle du Marquis
redoubloit fes chagrins , l'inquiétoit , la
touchoit elle n'ofoit lui en demander la
cufe. Tous deux fenfibles , tous deux timides
, tous deux attentifs à leurs moindres
mouvemens , ffee pprroommeennooiieenntt eenn filence pendant
des heures entières ; de longs foupirs,
vainement retenus , s'échappant à la fois
fembloient les avertir qu'un même fentiment
oppreffoit leurs coeurs ; ils fe regardoient
foupiroient encore , & fouvent prêts à fe parler
, à s'interroger mutuellement , ils fe quittoient
, comme fi une forte de crainte les
forçoit à fe féparer.
Deux mois fe pafsèrent fans changer la
fituation de ces fix perfonnes. Le Maréchal
réfléchiffant furia fienne , fentit la néceffité
de prendre un parti . Mademoiſelle d'Artenay
lui devenoit tous les jours plus chère. Sa
candeur, fon ingénuité relevoient fes charmes
à fes yeux ; elle montroit du plaifir à le voir ,
à l'entendre : peut- être l'aimoit- elle dans l'innocence
de fon coeur ; quel attrait offroit
cette idée à l'ame tendre du Maréchal ! la
fatteufe efpérance d'être un époux heureux ,
DE FRANCE. 29
la perfpective d'un bonheur long-temps fouhaité!
Mais combien de confidérations s'op
pofoient au defir d'en jouir ! Le monde , les
convenances , fon rang; tant de difproportion
dans l'àge , dans l'état , exigeoient le
facrifice d'une paffion qui l'expoferoit à la
cenfure , peut-être même au ridicule. Il fe
le dit avec douleur , mais il s'impofa coura
geufement cet effort. Réfolu d'immoler fon
amour à fa raifon , il fe permit la douceur
confolante de prouver à Mademoiſelle d'Artenay
, fous les apparences de l'amitié , les
fentimens qu'il lui cachoit ; il voulut la rendre
indépendante , & même lui donner le pouvoir
de reconnoître la généreufe affection de
fon amie en l'obligeant à fon tour.
Il venoit d'hériter d'une jolie Terre à fix
lieues de Paris ; elle étoit affermée onze millé
livres. Le château , bien fitué , bien bâti , en
rendoit le féjour commode & agréable. Le
goût de Mademoiſelle d'Artenay pour les
amuſemens champêtres , lui perfuada qu'elle
& fa compagne y vivroient heureufes. Il
fit part à Monfieur & à Madame de Nancé
de fes intentions : elles n'étoient pas de leur
ôrer la propriété de cette Terre , mais de la
donner à vie à Mademoiſelle d'Artenay , en
affurant à fon amie une moitié du revenu ,
fi elle lui furvivoit . Non-feulement le Comte
& la Comteffe approuvèrent ce projet bienfaifant
du Maréchal , mais ils en montrèrent
beaucoup de joie. On fe promit de garder le
fecret , de faire tout préparer pour leur ré-
Bij
30 MERCURE
ception chez elles , & de les conduire dans
leur château quand elles croiroient retourner
au Couvent. Comme ce don exigeoit des
formalités, le Maréchal fit plufieurs queftions
à Madame de Nancé : elle ne put y fatisfaire;
entrée au Couvent plufieurs années après
Clémence , elle fe reffouvenoit très-confufément
des particularités relatives à l'abandon
où cette jeune perfonne fe feroit trouvée
fans l'extrême bonté des Religieufes ; mais
elle fe rappela que la Supérieure confervoit
une efpèce de procès- verbal fait dans le temps
où cet abandon parut conftaté , & tout de
fuite elle écrivit à cette Dame , pour la prier
de lui en envoyer une copie .
>
Le Maréchal fe difpofoit à donner à fes
gens d'affaires les ordres convenables à fes
deffeins , quand on lui remit un paquet affez
gros : il reconnut la main du Chevalier de
Mullidan , Fouvrit , & trouva d'abord cette
Lettre.
2.
"
33
A Marfeille , Lundi 17 Juin 17 **.
» S'il étoit poffible de fe brouiller avec
un ami dont les fentimens , éprouvés depuis
vingt années , ont mérité má plus
incère affection , je vous prierois de ne
jamais in'écrire . Votre obftination à me
» croire très - extraordinaire , capable d'un
» attachement bizarre , d'une conftance plus
barre encore ; vos continuelles railleries
fur l'objet attriftant qui me retient ici ,
mefachent , m'impatientent , aigriffent mes
30
DE FRANCE. gi
» chagrins. Je me flatte de vous faire chan-
» ger de ftyle en vous dévoilant les motifs
» de cette conduite fi étonnante , fi propre à
vous perfuader de ma furprenante fingu
» larité.
و ر
ود
» Pendant votre féjour à Marſeille , mes
» affiduités auprès d'une fille privée de fa raifon
, tant de moyens ellayés à grands frais
» pour rappeler cette raifon égarée , vous
» ont prouvé dites-vous , le vifintérêt qui me
" lie à elle ah , oui , un intérêt bien vif,
un intérêt bien cher me lie à cette infor-
» tunée !
"
K
و د
un
» L'aliénation de fon efprit me cache un
» fecret important ; le bonheur ou le mal-
» heur du refte de ina vie dépend de la découverte
de ce fecret. Actuellement fortmalade
, près de terminer fes jours ,
» dernier effort de la nature peut , dit - on ,
» lui rendre une lueur de raifon ; l'efpoir
d'en être reconnu , de recevoir un éclair-
» ciffement fi long-temps defiré , me re-
» tient depuis huit mois auprès de cette fille
agitée, fouffrante, objet de vos plaifanteries,
» celui de ma tendre compaffion , de mes
» cruelles inquiétudes.
ود
و د
ود
""
« Sur combien de fauffes opinions vous
fondez un indifcret badinage ! Vous m'avez
toujours vu , dites -vous , me détourner du
fentier que je devois fuivre. Indifférent
dans ce temps de la vie où les paffions
» maîtrifent tous les hommes , je m'obtinois
» à fair les plaifirs , à me livrer à de vaines
ود
Biv
32
MERCURE
"
ور
études , à vouloir
prononcer mes voeux
quand, déjà riche par des héritages , la mort
» de mon frère aîné , le foible tempérament
» du fecond , fembloient devoir me rendre
و ر
"}
le chef de ma maiſon. J'ai refufé de reffer-
» rer les noeuds de notre amitié en m'uniffant
» à votre foeur. En convenant de tous ces
faits , je vous demande où vous trouvez
» la certitude d'un attachement bizarre. Eft
ce dans une indifférence qu'il eft facile de
feindre ? n'ai-je puaffecter de l'éloignement
" pour des liens propofés , & quand vous me
prefsâtes d'en prendre , faviez-vous ſi je
૨૩ n'en avois pas déjà formé ?
"
ور
*
>>
ود
23
331
" Toutes vos fuppofitions vous autorifent-
» elles à transformer en une efpèce d'avan-
» turière , une fille dont vous connoillez à
peine le nom Mademoiſelle d'Arcy n'a
t'elle pu vivre ' en Efpagne , revenir en
France , fans que l'amour l'ait conduite
dans une contrée ou ramenée dans l'autre?
» Avec tant d'humanité , une ame fi compatiffante
, fi généreufe , comment jugez-
» vous avec cette légèreté , des moeurs &
» du caractère d'une perfonne qui vous est
parfaitement étrangère , dont on ne vous
a jamais parlé ? Son hiftoire eft bien fimple ,
» & n'exige pas un long récit. La reconnoif
fance , l'amitié , la juftice me forcent à
» vous en inftruire .
ور
ود
و ر
༢
ور
» Née à Marſeille de parens eftimés ;
orpheline à fix ans , ruinée par la
d'un procès , elle trouva une généreuse
perte
DE FRANCE.
33
99
ور
anie Madame de Mauni , quittant Marfeille
pour habiter Paris avec un Banquier
de cette Ville , qu'elle venoit d'époufer ,
fe chargea de la petite orpheline , lui donna
» une excellente éducation , & la traita com-
» me fa propre fille. Devenue veuve , ap-
" pelée en Eſpagne par un riche parent de
""
fa mère établi à Carthagène , qui , vieux
» & fans enfans, defiroit la mettre à la tête de
" fa maifon , elle fe rendit auprès de lui avec
fon élève , alors âgée de quinze ans . Elle
en paffa trois chez ce parent , dont la mort
» augmentant confidérablement la fortune ,
lui fit defirer de retourner à Marseille , &
d'y fixer fon fejour. Elle y ramena fa jeune
» amie. Des circonftances que vous connoî-
» trez , engagèrent, Madame de Mauni à fe
و ر
"
ور
་
priver d'elle pendant plus de cinq ans ,
» lui permettre d'habiter près de Paris une
agréable campagne. Que j'étois heureux
quand elle y vivoit ! Temps à jamais cher
à ma mémoire , vous ne pouvez renaî-
" tre, vous ne pouvez être oublié ! Un feul
» objet étoit capable d'adoucir l'amertume
de ma perte , de mon irréparable perte !
» il m'eft ravi , j'ignore s'il exifte encore , &
chaque inftant peut m'ôter la foible eſpérance
qui me retient ici.
و
ود
» Voilà ces voyages que votre imagination
vous a peints comme très - amufans. Ni
» moi , ni perfonne n'a enlevé de la France ,
» n'a enlevé de l'Efpagne cette fille infor-
» tunée. Ses moeurs , fon efprit , ſes ſenti-
By
34%
MERCURE
22
›
mens , fon malheur , doivent vous donner
un regret véritable de l'avoir choilie pour
l'objet des plaifanteries dont vous ne ceffez
de remplir vos lettres..
» C'est en s'abandonnant à cette légèreté
» d'idées & de jugemens , que , fans être nimalin
ni méchant , on fe permet dans la
fociété de répandre des faits abfurdes , des
» aventures ridicules . Il faut foutenir , ani-
» mer la converfation . Tout fujet paroît bon,
و د
s'il peut amener un conte plaifant. Que
» de facrifices on fait à cette nécellité de
parler & d'amufer ! Je ne vous foupçonne
point d'avoir brillé dans un cercle
par le récit de ma prétendue bizarrerie ;
je vous connois trop pour le croire. C'eft
» au fond de votre coeur que vous avez ri des
travers d'un ami. Le mien eft bleffé de
» l'erreur où vous êtes. Lifez dans le petit
cahier que je joins à ma lettre , une partie
de mes fecrets : l'autre vous fera remife
avant peu. Adieu : foyez sûr de mon amitié,
& rendez enfin juftice à mes fentimens. »
Le Maréchal , vivement touché des expref
frons du Chevalier de Muffidan , ne pouvoit fe
pardonner d'avoir aigri les peines d'un ami. H
ne concevoit pas comment un fimple badinage.
lui attiroit des reproches fi férieux . Il en chercha
la caufe dans les feuilles qui accompa
gnoient cette lettre , & trouva ce qui fuit :
22 ,
" Vous favez que mes érudes finies , le
Commandeur de Pienes , mon oncle maternel
, me conduifit à Malte. Je fis mes
DE FRANCE.
35.
"
caravanes , & après les avoir terminées,
je me préparois a revenir en France , quand
» le Commandeur m'arrêta par la propofi-
≫tion de partager avec lui la gloire & les dan-
" gers d'une expédition méditée depuis plu
พ
ود
fieurs mois, & confiée à fon habileté recon-
» nue. J'acceptai avec joie cette invitation..
L'entrepriſe étoit hardie , & même témé
» raire . Elle réuflit , & l'on en dut le fuccès
» au courage & à la prudence du Com
» mandant. Jeus le bonheur, de me dif-
» tinguer fous fes yeux ; mais au moment où.
le combat ceffoit , je fus bleife. Pendant
plufieurs jours on craignit pour ma vie.
Notre Efcadre reprit la route de Malte ;
mais les vents contraires ne permettoient
pas de la fuivre. La mer m'incommodoit
fort. Un gros temps fépara nos vaiffeaux :
après une longue tourmente, celui de mon
oncle fut jeté fur les côtes d'Efpagne , où
nous abordâmes difficilement. Le Commandeur
prit terre à Carthagène , & me fit.
" porter chez Dom Ramire Herrera , hom
me diftingué par fa naiffance , par une réputation
de bravoure & d'intrépidité dont
» il avoit donné des preuves dans la Marine
» de Sa Majefté Catholique. Mon oncle le
» connciffoit& l'eftimoit depuis long-temps
» Il me confia à fes foins. Forcé de remettre:
22
20.
و د
ود
à la voile , il me donna un Chirurgien de
» fon vaiffeau , joignit à mon valer-de-cham--
» bre un des fiens qui m'étoit très-attaché
» merecommanda fortement à Dom Ramire
30
Bvj
36
MERCURE
K
" & me laiffa au milieu de tous les fecours
néceffaires à mon état.
و ر » Pendant près d'un mois, je vis feulement
» Dom Ramire & les perfonnes de fa maifon
ນ qui pouvoient m'être utiles. Il étoit veuf,
» avoit trois filles , encore très-jeunes , &
» deux nièces un peu plus âgées. L'aînée ,
» nommée Dona Louife , fille de fon propre
frère , dépendoit abfolument de lui par le
» teftament de fon père & par la médiocrité
» de fa fortune. La feconde , née d'une foeur
→ deDom Ramire , avoit fes parens au Mexi-
» que , & pouvoit devenir un parti très-
» riche. Donna Louife, promiſe à un Comte
» Sicilien , alors à Naples , pour y terminer
d'importantes affaires , devoit être
» mariée au retour de fon amant. Moins
rigide qu'on ne l'eft ordinairement en
Efpagne , Dom Ramire accordoit affez de
liberté à ces jeunes perfonnes : elles rece
voient leurs amies , leurs parens ; donnoient
» fouvent des concerts , & s'appliquoient
» toutes à l'étude de la Langue Françoife.
و د
"
»
» Cette même Mademoiſelle d'Arcy , dont
» l'aliénation d'efprit m'a caufe & me cauſe
» encore des chagrins fi réels , occupant avec
» Madame de Mauni une maiſon qui touchoit
à celle de Dom Ramire , paffoit des
jours entiers avec fes filles . Tendrement
» attachée à Dona Louife , elles fe quit
» toient rarement. Le caractère aimable de
" Mademoiſelle d'Arcy , fon efprit , fes talens
"
39
la rendoient chère à toute cette famille ;
DE FRANCE.
37
≫ & c'étoit pour mieux goûter fon entretien
" que l'on avoit appris la Langue , & que
» l'on vouloit s'y perrectionner.
33
و د
*
ע
Cette jeune perfonne fe faifoit tous les
• jours inſtruire de mon état . Quand je commençai
à me lever , Madame de Mauni &
elle demand rent a me voir , & me firent
plufieurs vitites. Dans la fuite Mademoi-
» felle d'Arcy vint familièrement m'entrete-
» nir , accompagnée d'une Duegne_dont
» la préfence ne génoit point la confiance
qu'elle me montroit , cette femme n'en-
» tendant point le François.
29
23
"
39
"
» Mademoiſelle d'Arcy me fit part , avec
beaucoup de franchiſe , de fa fituation , des
» bontés de Madame de Mauni pour elle ,
» des motifs de leur fejour en Espagne , da
deffein de fa protectrice de retourner en
France , où elle faifoit paffer les fommes
≫ provenantes de l'héritage de fon vieux pa-
» rent. Elle me laiffa voir un extrême regret
» d'être forcée de s'éloigner de Dona Louife ,
» me dit avec attendriffement qu'elle la laif
» feroit malheureufe , bien malheureuſe !
» Elle blama Dom Ramire , l'accufa d'abuſer
» de fon autorité fur fa nièce , de la contrain-
» dre à recevoir la main d'un homme haïffable
, puiffamment riche à la vérité , mais
laid , mal - fait , vieux , avare , d'une humeur
facheufe , d'un naturel foupçonneux :
ce Comte la conduiroit en Sicile , la confi-
» neroit dans un antique Château ; elle y
» vivroit feule avec lui , & ne jouiroit d'au-
39
"
و ر
33
38 MERCURE
"
"
92
22.
cun des avantages attachés à cette grande
fortune que vouloit lui procurer fon oncle.
Les difcours de Mademoifelle d'Arcy
و ر
» me touchoient , m'infpiroient une tendre
compaflion pour fon amie. Dès les premiers
» jours de maconvalefcence je fus admis dans
l'appartement des Dames. Une parentc
âgée , dont l'auftère gravité n'invitoit
guère au plaifir , préfidoit aux amuſemens
de ces jeunes perfonnes. En me difpofant
» à les partager , je me fis une loi de ne
» point manquer à la réferve que m'impofoient
la reconnoiffance & l'hofpitalité.
Soigneux d'éviter le reproche d'indifcré-
» tion trop fouvent fait aux François , je
» réfolus de montrer les mêmes égards & le
» même refpect à toutes celles qui compofoient
ce petit cercle , fans me permettre
la plus légère préférence , ou la moindre
» attention particulière capable d'annoncer
» un goût décidé pour une d'entre- elles .
و ر
99
Je vis Dona Louife. Elle me parut belle.
Sa profonde trifteffe me fit éprouver un
fentiment pémble. Prévenu par les confi-
» dences de Mademoiſelle d'Arcy , je la plai
gnois , elle m'infpiroit de l'eftime , de l'amitié
; mais un mouvement plus vif nes'y
» méloit point , ne m'engageoit point à defirer
fa préfence , & c'étoit fans me contraindre
que je ne montrois aucun empreffement
à m'approcher d'elle ou à l'entre
tenir ; je tenois ma partie dans les concerts
où Don Ramire afliftoit toujours ; mais je
DE FRANCE. 39
m'en amufois peu , & filapoliteffe me l'eût
» permis , je me ferois fouvent difpenfe de
≫ paroître au fallon.
"
» Dans le temps où j'attendois le retour
» de mes forces & les ordres de mon père
"
pour repaffer à Malte ou retourner en
» France , il fe formoit chez Don Ramire
» un projet imaginé par Dona Louiſe &
» fecondé par les deux Françoifes dont elle
» étoit fi lincèrement aimée. On me le ca
cha d'abord ; mais mon fecours paroillant
» néceffaire aux fuites de fon exécution , on
jugea convenable de me le communiquer
" Je venois de recevoir une lettre de mon
» père. Il me laiffoit le choix de retourner
23
»
à Malte ou de revenir auprès de lui.
Une forte d'engagement pris depuis ma
" convalefcence avec le Comte de Pienes
» qui fouhaitoit mon retour à Malte , me
» rendoit indécis . Je le difois à Mademoifelle
d'Arci , & je fus furpris de l'entendre
» me prier avec inftance de me déterminer
pour la France , & m'affurer que j'obligerois
trois perfonnes en cédant à fes defirs.
» Elle m'apprit alors les réfolutions de Dona
Louife & la facilité qu'elle trouvoit à les
» fuivre.
»
24
» Peu de temps avant mon arrivée à Car--
thagène, une de fes coufines, nouvellement
revenue du Pérou avec une fortune im-
» menfe , avoit paffe trois mois chez Don
Ramire pour terminer des affaires d'intérêt
qui leur étoient communes . Cette Damne
MERCURE
"
و د
»
"
prit beaucoup de part aux chagrins de
" Dona Louife , & le jour de fon départ
elle lui donna en fecret une petite boîte
remplie de perles & de diamans , de la
❞ valeur d'environ cent mille livres . Elle
» lui recommanda de cacher ce préfent
propre à exciter la jaloufie de fes autres
parentes , & de s'en fervir feulement
" dans une occafion preffante. Des lettres
" de Naples annonçant le prochain retour
» du Comte renouvelèrent l'effroi de
" Dona Louife , & la firent penfer à ce don.
» Il lui parut un moyen de fe fouftraire à
" l'autorité de fon oncle , & d'éviter le ma-
"
"
>
riage odieux dont elle fe voyoit menacée.
» Madame de Mauni alloit partir ; l'idée
» d'être à jamais féparée de Mademoiſelle
d'Arcy , rendoit fes peines plus infupportables.
Elle prit enfin le parti de quitter la
" patrie , de paffer en France avec fes amies,
» de borner toutes fes efpérances de fortune
"3
au petit fonds qu'elle poffédoit. Le deffein
» de vivre dans un Monaftère, le rendoit fuffifant
à fes befoins ; tous fes defirs fe bor-
" nant alors à fe conferver libre.
23
و د
י נ כ
ود
» Madame de Mauni , bonne & complaifante
, applaudiffoit à ce plan ; tout etoit
arrangé pour l'exécuter. Huit jours avant
fon embarquement,la nièce de Dom Ramire
s'échapperoit furtivement de fa maiſon ,
fe tiendroit cachée dans celle d'une femme
dont lafidélité lui étoit connue; Ses effets les
plus précieux y feroient fecrètement tranfDE
FRANCE. 41
» portés , & cette même femme la conduiroit
au vaiffeau la nuit du jour où l'on
mettroit à la voile.
2
33
33
20
"
"
Surpris en écoutant Mademoiſelle d'Arcy,
je ne concevois pas le motif de fa confiance.
Pourquoi me faire part de ce projet?
Elle m'en découvrit la raifon.
و د
Après leur départ de Carthagène , Don
» Ramire pourroit, en fe rappelant leur inti-
" mité avec la nièce , les foupçonner d'avoir
favorifé fa fuite , faire d'exactes recherches
" pour découvrir fon afyle, Dona Louife
préfentée dans une maifon Religieufe par
Madame de Mauni , arrivant d'Espagne
fon âge , le temps de fon évafion , un accent
étranger la feroient connoître. L'au-
» torité pourroit l'arracher de cette retraite ,
» la remettre entre les mains de fon parent
» irrité. Je diffiperois la crainte à cet égard
ور
و د
33
fi préférant l'invitation de mon père à celle
» du Commandeur de Pienes , je confentois
» à retourner en France. Dona Louife m'au-
» roit une éternelle obligation , fi je voulois
» la conduire de Marfeille à Paris , lui pro- 23
2
curer la connoiffance de quelque Dame de
» ma famille. La protection d'une perfonne
diftinguée lui ouvriroit l'entrée d'un Cou-
» vent, & la mettroit à l'abri des recherches
>> curieufes dont une étrangère jeune & fans
»" appui , devient naturellement l'objet.
Cette confidence me fit éprouver une
peine fenfible. J'aurois fouhaité n'être pas
» inftruit de l'étrange démarche de Dona
ود
42 MERCURE
23.
Louife. Les égards de Don Ramire pour
moi , méritoient ma reconnoiffance. La
» néceffité de me taire me fembloit une ef-
" pèce de trahifon. On s'apprêtoit à lui caufer
» un extrême chagrin : je le favois , & me
fentois gêné de le favoir. Je ne le reverrois
plus fans émotion , fans reffentir à ſon afpect
un mouvement femblable au reprodoit
exciter la feinte dans un
ود
ور
و د
ود
che
que
» coeur honnête .
» Rien ne me donnant le droit de m'ériger
» en cenfeur , ou de combattre des réfolu-
» tions irrévocablement prifes , je me ferois
» accufé de dureté en refufant à Dona
» Louiſe un ſervice aufli léger. Ainfi je m'en-
" gageai à partir pour la France trois femai-
» nes après elle , à la prendre à Marſeille ,
» à la conduire à Paris , où je la remettrois
» entre les mains d'une de mes tantes , qui
» fe feroit un devoir de l'obliger..... Mais
» ce paquet eft déjà gros pour la pofte. Cette
» partie de mon récit doit vous prouver que
» je n'ai point enlevé Mademoiſelle d'Arcy
» qu'elle ne m'a point infpiré en Espagne
» cette paffion dont vous m'avez tant parlé
» dans vos lettres. Un de mes gens , qui
» part après demain pour Paris , vous re-
» mettra la fuite d'une aventure où je me
croyois peu intéreffé. Mais prévoit-on les
» fuites des démarches les plus indifférentes
en apparence ? Notre coeur fe connoît- il
» & peut- il s'affurer fur fes difpofitions ? »
( La fin au prochain Mercure. )
,,
DE FRANCE. 43
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Migraine.
Réponse à l'Enigme.
La livre de tabac , c'eft feize onces , je crois :
Or done , lorfque je l'eus tout-à- fait confumée ;
Dans les cendres je trouve une once ; alors je vois
Qu'il en étoit forti quinze onces de fumée.
celui du Logogryphe eft Sorcier , où l'on
trouve or , cor, foie , cri , fi , Roi , Sire ,
cire, rofier , rofe, ce foir.
CHARADE
A Mme la Marquise DE LA FAYETTE.
Les grands Hommes , les Rois , les Héros magnanimnes
,
Sont tous de mon premier les fuperbes victimes ;
Un pronom perfonnel défigne mon dernier ;
Dans votre coeur , Madame , habite mon entier.
( Par M. Briffat , Peintre , & Profeffeur de
Deffin & d'Ecriture à Roanne, )
44
MERCURE
A L'HO
ÉNIG ME.
L'HOMME avec le temps j'apprends ce que je
vaux ;
Je dirige & foutiens le fou comme le fage.
Redouté du faquin , defiré du Héros ,
Celui-ci , je l'illuftre , & l'autre je l'outrage.
De néant, de grandeur quel bizarre affemblage !
En partageant la gloire où j'élève un grand coeur ,
On me donne le nom d'un groffier perfonnage ;
Et l'on met dans fa main , pour marque de valeur
Ce qui du lâche feul doit être l'apanage.
Qu'eft- ce donc qui devient tour-à-tour , par l'uſage
Qu'en font affez fouvent la haine & la faveur ,
L'inftrument de la honte ou le prix de l'honneur ?
( Par M. le Baron de Thomaffin de Juilly. )
LOGOGRYPHE.
LECTEUR ,
ECTEUR
, je fuis le Roi du monde
;
Avec fareur par-tout on me pourfuit
.
Je rends la Nature
féconde
,
C'est par moi que tout s'embellit
,
Je hais
l'éclat & le grand
bruit,
J'aime
à voltiger
fur l'herbetse
;
Mais rarement on me faifit
Dans le boudoir d'une coquette,
DE FRANCE.
45.
Je fuis connu: j'en ai tròp dit.
Me défunir paroît bien inutile.
Si de moi cependant tu veux mieux t'affurer ,
Dans mes fept pieds cherche une ville
Qù l'on fait tout pour me trouver ;
Je t'offre encor deux notes de mufique ,
Un titre rare , un fluide léger ;
Une production commune en Amérique ;
Ce qu'on fait très-fouvent en regardant jouer ;
Un terme de blafon ; une fleur qui t'eft chère ,
Et ce qu'on eft sûr d'éprouver
Auprès d'une Beauté fincère
Qu'on chérit & qui fait aimer,
Enfin , puifqu'il faut tout te dire
Si tu prends plaifir à me lire,
Tu fauras bien me deviner.
( Par M. Saint - G ** , Officier au
Régiment de Picardie . )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
POESIES Diverfes de M. Hoffman , in-16.
de 164 pages. A Nancy , & fe trouve à
Paris , chez L. F. Prault , Imprimeur du
Roi , quai des Auguſtins .
M. HOFFMAN s'étoit fait connoître avantageufement
par diverfes Pièces imprimées
46 MERCURE
féparément dans les Recueils du jour. Il vient
de raffembler fes Poéties , qui forment le
petit volume que nous annonçons . Nous avons
été fouvent à portée d'obferver que le projet
de fe recueillir a été l'écueil contre lequel eft
venu fe brifer la réputation de plufieurs
Poëtes. Plus d'un jeune Auteur , après s'être
fait applaudir par des Poéfies imprimées
dans les Recueils , quand il vient à publier
le fien , trouve le Lecteur froid , dédaigneux
, & voit flétrir fes lauriers ou fes rofes
éphémères. Soit que dans ce cas l'amour pa
ternel l'ait empêché d'être fur le choix auffi
févère que le feroit un Éditeur impartial ; foit
que peu de talens ayent l'art de fe varier affez
pour faire entreprendre à des Lecteurs François
une lecture fuivie d'Ouvrages en vers ;
quoi qu'il en foit , cette épreuve a été morrelle
à plufieurs réputations ébauchées .
A
Celle de M. Hoffman nous paroît propre
à en fortir faine & fauve. Il y a dans fa poéfie
un mélange d'efprit & de naïveté , une facilité
graciéufe , un enjouement doux qui plaît
& qui intéreffe. Ce volume eft compofé de
Fables , de Contes , d'Épîtres & autres genres
de poéfie. Mais il nous a femblé qu'en général
les Fables de M. Hoffman étoient plutôt
des allégories ; & cette dénomination leur
conviendroit d'autant plus , qu'elles font prefque
toujours dénuées de fens moral. En général
ce Poëte paroît avoir beaucoup de penchant
pour le ſtyle allégorique. Ce genre-là fe prête
DE FRANCE. 47
à l'efprit & à l'imagination ; mais l'abus en eft
fatigant.
Quelques - unes des Fables manquent de
jufteffe, Telle eft la feptième , intitulée : Le
Myrte & le Laurier.
Le Laurier difoit un jour
Au Myrte du voisinage :
Va, fuis loin de ce rivage,
Vil arbriffeau de l'Amour !
Foible ennemi de la gloire ,
Tu fouilles par tes rameaux
La couronne des Héros ,
Et l'arbre de la Victoire.
Ne fais-tu pas qui je fuis
Dit le Myrte débonnaire ?
C'eft moi qui rends à la terre
Le bonheur que tu détruis.
Eft- ce bien moi que tu braves ,
Moi qui compte tant d'heureux,
Et qui fais autant d'esclaves
De tous tes Héros fameux ?
Ces vers - là font agréables ; mais la conclufion
n'eft pas jufte. Le myrte ne fait pas d'ef
claves , comme le laurier ne fait pas de Héros ;
mais feulement le myrte couronne les efclaves
de l'Amour , comme le laurier couronne
les Héros.
La Fable intitulée : La Vie & la Mort de
l'Amour , eft très-juste ; & quoiqu'elle foit
un peu longue , on la lit avec grand plaifir.
48 MERCURE
Il n'y a pas de longueur dans Thémis , l'Amour
& la Raifon ; & il y a autant de grâces que
d'efprit.
La Pièce intitulée ; Défauts d'Annette , eft
ingénieufe , mais grimacée. Le Poëte , en
parlant d'Anette , prétend que
Chez elle tout eft emprunté ,
Tout eft artifice chez elle ,
Dans fon efprit & ſa beauté.
Sa blancheur , elle l'a volée au lys ; fes yeux ,
elle les a pris à l'Amour , qui s'eft aveuglé
pour elle , & c. Tout cela peut être galant ,
mais tout cela n'eft pas naturel ; & ce défaut
eft ici d'autant plus fenfible , qu'il eft fort rare
dans les Poéfies de M. Hoffman.
Nous aurions voulu auffi qu'il eût fupprimé
un couplet , dans lequel, en rendant
hommage à Mlle C***, le Poëte finit par
dire :
Le goût bat des mains ; mais je gage
Que le coeur bat bien davantage
En vous voyant.
Le goût qui bat des mains , & un coeur qui
bat, n'ont aucun rapport enfemble : c'eſt un
mauvais jeu de mots ; & M. Hoffman n'a pas
befoin de ces triftes reffources.
Nous aurions moins infifté fur ces obfervations
critiques , fi le talent de M. Hoffinan
n'étoit affez vrai , affez marqué pour en faire
defirer la perfection. Il a les grâces du ftyle ,
le piquant de la penſée ; & il s'eft garanti de
l'emphafe
DE FRANCE.
49
l'emphafe & de la manière. Il y a preíqus
dans toutes fes Pièces des détails heureux.
Quelques - unes par leur genre ne font pas
fufceptibles d'être citées dans ce Journal,
Nous allons rapporter une Romance fur l'air :
Lifon guettoit.
J'y longerai toute ma vie ,
Voilà le lien
Où ma tant belle & douce amic
Me dit adieu.
Chaque jour au même bocage
Je viens exprès ,
Et ne trouve fous le feuillage
Que des regrets.
POURTANT , moi qui fuis cant à plaindre ,
Je fus heureux
Trop heureux , j'étois loin de craindre
Ce coup affreux.
Sur cette herbe alors ſi jolie ,
A chaque jour,
2 * J'étois sûr de trouver Zélie
$
2.
Et puis l'amour.
En vain, gentille fouvenance ,
Vous me flattez ;
Au lieu d'adoucir ma fouffrance
Vous
l'augmentez,
C Quand oneeſt loin de ce qu'on aime ;
Plus de plaffir !
No. 13 , 1 Avril 1786. C
MERCURE
Le fouvenir du plaifir même
Coûte un foupir.
Il y a certainement dans ce Recueil bien
d'autres Pièces aufli agréables que celle- là ;
nous l'avons choifie fur- tout parce qu'elle eft
courte , & affez étendue pourtant pour pouvoir
donner une idée de la manière de l'Auseur.
Ces deux vers naïfs :*
Pourtant, moi qui ſuis tant à plaindre ,
Je fus heureux ,
font dans ce genre d'une tournure délicieufe ;
& plufieurs autres traits pareils , répandus
dans ce volume , doivent faire infcrire leur
Auteur fur notre Parnaffe Érotique.
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
?
Des Philofophes ont, avancé que l'intérêt
perfonnel eft le premier mobile de toutes les
actions des hommes ; ils auroient dû remarquer
aufli le caractère de l'Égoïfme n'of
fre pas la même phyfionomie dans tous les
temps & chez tous les peuples , qu'il peut
être le principe , l'appui des vertus , & leur
que
* C'eft l'avis d'Helvétius : mais ce Philofophe a
érigé l'Égqïfmè en fyfteme,& dans les efprits foibles
ee fyftême ne peut que faire naître des idées fauffes
& dangereufes
DE FRANCE.
si
donner une fin utile. Avec cette reſtriction
ils n'en auroient pas moins dit une vérité fenfible
; mais l'humanité n'auroit point à leur
reprocher de l'avoir très - légèrement calomniée.
Quand une Nation eft portée vos la
manie des conquêtes , ou , fi on l'aime mieux ,
vers le fantôme de la gloire , le fentiment
qui enflamme les Chefs & les Soldats de
Famour des grandes actions, dudefir de la célé
brité, peut être un fentiment perfonnel ; mais
il devient louable par l'effet même qu'il produit
ou qu'il veut produire, puifqu'il tourne à
l'avantage général, puifqu'il peut concourir
au bien de l'Etat. Dans des temps de calamité,
lorfque les peuples gémiffent accablés fous
les fuites d'une guerre ruineufe & fanglante
quand ils font devenus les victimes ou de l'in
tempérie des faifons , ou bien encore d'une
de ces révolutions effrayantes dont le monde
eft quelquefois frappé , c'eft peut-être l'Égoïfme
qui donne des confolateurs aux miférables
, qui fait braver les dangers , les épidémies
; qui fait immoler une partie des forrunes
à l'efpoir d'acquérir un grand renom
de générofité. Cet égoïfme , fi on peut appliquer
ici le mot, eft certainement bien refpectable
; car il produit la pitié & la bienfaifance.
L'intérêt perfonnel naît avec l'hom
me ; il croît , il fe développe avec lui , il le
fuit dans fes paffions , il les échauffe , il les
foutient. L'ambitieux , l'avare , l'envieux , le
tartufe , le jaloux font des égoïftes ; mais le
Protecteur qui aime à s'entourer des heureux
Cij
52 MERCURE
qu'il a faits; le Philofophe, le Poete, le Peintre
qui courent après la réputation ; l'Homme
d'État , le Juge , qui facrifient leur repos &
leurs plaifirs à la tranquillité générale , font
aufli des hommes perfonnels : ainfi l'amour de
foi- même eftune paffion qui, bien dirigée , peut
produire des talens & des vertus , & dont
T'abus fait des fcélérats , des monftres. Cet
abus fe fait plus fentir chez les Nations ri
ches & puillantes que chez les autres ; & c'eft
quand l'oubli des principes devient général ,
quand les moeurs font abfolument relâchées ,
quand un luxe dévorant confume toutes les
fortunes & confond tous les rangs , que
' égoïfme eft le plus dangereux , qu'il eft le
fléau de la fociété , & qu'il étouffe dans tous
les coeurs le gérme des fentimens qui font
des pères , des enfans & des citoyens. Alors
il fubordonne toutes les paffions , il les abforbe
toutes en lui , il ceffe d'être leur reffort,
pour faire tour à tour de chacune d'elles
le reffort de fa propre fatisfaction . Quand il
eft parvenu à ce degré , il eft fufceptible des
grands effets de la Scène , il devient un caractère
très-dramatique ; mais pour le bien peindre
, il faut tout- à - la - fois les talens d'un Ecrivain
familier avec les fineffes de l'art , le
tact d'un homme de goût , & le coup- d'oeil
d'un Obfervateur philofophe.
On doit favoir gré à M. de Cailhava d'avoir
apperçu l'égoïfme fous les couleurs qui lui
conviennent , fous celles qu'il a réellement à
l'inftant où nous vivons ; mais on doit auffi
DANCE.
13
lui reprocher d'avoir chargé le tableau dans
les deux derniers Actes de fa Comédie. Dans
les trois premiers , le caractère de Philémon
s'expofe & fe développe heureufement
; tantôt il fe montre , tantôt il fe cache
fuivant que les circonftances l'exigent : il eft
fidèle à fes principes , & ne laiffe voir de lui
que ce qui peut lui devenir utile en le
rendant intérellant aux yeux de ceux qu'il
veut feduire. Après , il devient audacieux &
fripon ; il calcule avec un mercenaire les
moyens de voler les bienfaits de fon oncle;
il lève le mafque , il ne garde plus de me
fures. Tout cela eft - il dans l'ordre , tout celá
rentre- t'il dans les convenances dramatiques ?
Écoutons Philemon lui - même: Quand', dit-il ,
On n'a pas * reçu pour fon partage
De l'aigle ou du lion la force & le courage ,
Serpent adroit & fouple il faut fe replier ,
Et favoir fous les fleurs fe frayer un fenties.
Comment , d'après ce fyftême , qui eft
bien celui d'un égoïfte , Philémon , quand
il est démafqué , brave - t'il l'oncle qui
veut bien veiller encore fur lui , tout cou
pable qu'il eft ; comment ofe - t'il effron--
tément avouer fes principes deftructeurs dévant
l'homme qui s'eft déclaré le plus irréconciliable
ennemi de l'égoïlme ? Comment
Polidor l'entend t'il dire fans en témoigner la
moindre humeur , fans révoquer les bienfaits
?
Pai joué de malheur : je quitte la partie.
Cij
54
MERCURE
Peut-être reviendrai -je un jour dans ma patrie ;
Et , plus profond dans l'art d'attirer tout à foi ,
Je n'aurai plus alors les rieurs contre moj.
Il faut avouer que tant d'audace eft bien
furprenante dans la bouche d'un homme qui
a plus befein que jamais des fecours d'autruis
& que s'il y a quelque chofe de plus furprenant
ancore , c'eft la bonhommie pallive de ce
Polidor que l'on féduit , que l'on trompe , que
Ton brave impunément , & qui doit être bien
étonné de s'entendre traiter de rieur au mo¬
mentfans doute où il a le moins envie de rire .
M. de Cailhava s'eft dit ( v. la Préf. de l'Égoïfme
, page xii ) l'hypocrifie defociété eft digne
d'être mariée à l'Egoifme ; leur union doublera
leur force comique & morale. Pourquoi
dans fon dénouement a- t'il oublié ce principe
vrai & bien apperçu ? De deux chofes l'unet
ou Philmon , auteur d'un ouvrage affreux ,
devoit être , pour la fatisfaction du Spectateur
, puni d'une manière exemplaire &
plus vraisemblable que ne l'eft la peine de
T'exil ; ou bien il falloit faire jouer les refforts
de cette hypocrifie feduifante qui fe
marie à l'égoïfme , attaquer , furprendre la
fenfibilité de Polidor, celle de toute la famille
préfente; enfin montrer le fcélérat, fier de ce
nouveau fuccès , formant pour l'avenir de
nouvelles efpérances, & fe promettant d'immoler
quelque jour à fes propres intérêts ,
ceux même dont il recevra dans fon exil les
fecours dont il a befoin. Cette fin feroit àtroDE
FRANCE.
SS
ce , dira-t'on : oui , elle le feroit ; mais au
moins feroit - elle raifonnable , le caractère
feroit confervé , & le dénouement actuel eft
tout-à-la-fois atroce & déraisonnable. Non ,
nous ne concevrons jamais comment on peut
conferver quelqu'intérêt pour un monftre qui
plaifante avec le crime , qui fait trophée dé
fes affreux principes , & qui perfiffle fes bienfaiteurs.
?
La Fable de l'Egoïfme nous paroît auffi
mériter des reproches. Au premier Acte ,
Polidor n'eft pas encore arrivé ; il arrive au
fecond Acte ; au troifième il alfocie Philémon
à fes projets de bienfaifance , & lui
remet en effets au porteur , la moitié de fa
fortune. Une telle invraifemblance eft choquante;
elle l'eft d'autant plus qu'il étoit facile
de la faire difparoître. Pourquoi Polidor
n'eft-il pas dans la maifon depuis trois mois
Il pouvoit y être , diffimuler fa nouvelle fortune
, obferver les caractères de fes parens ,
& trouvant dans l'adroit Philémon le mafque
des vertus qui lui font chères , lui confier le
fecrer de fa ticheffe , en faire fon ami , fon
affocié. Eft-ce en vingt-quatre heures qu'un
Égoïfte habile cherche à furprendre l'abfolue
confiance de celui dont il veut faire fa dupe ?
Eft- ce en vingt- quatre heures qu'un homme
trompé par un impofteur peut l'être aulfi
légèrement par un autre? Que M. de Cailhaya
y réfléchiffe , & nous fommes perfuadés qu'il
conviendra de la jufteffe de nos réflexions.
Nous ne nous étendrons pas fur les autres
56 MERCURE
reproches qu'on a faits à l'intrigue de cette
Comédie, lorfqu'elle fut repréfentée pour la
première fois au mois de Juin 1777. Les uns
étoient fondés , les autres étoient au moins
équivoques ; & c'eft le fort de tous les Ouvrages
, de faire naître beaucoup de fades
éloges , beaucoup de fauffes critiques parmi
quelques obfervations raifonnables. Nous obferverons
feulement que le caractère d'Antonius
Durand nous paroît tenir plus à la farce
qu'à la Comédie , qu'il eft étranger au genre
noble , & que loin de pouvoir éclairer les
gens du monde fur l'importance qu'il faut
mettre au choix d'un Instituteur comme
l'Auteur paroît le defirer , il jette au contraire
fur les gens de cet état un vernis de ridicule
& même de flétriffure.
>
La reprife qu'on vient de faire de l'Egoïfme
, le Mercredi 22 Mars , a eu beaucoup
de fuccès. Elle a fait concevoir toutes les
difficultés du fujet choifi par M. de Cailhava.
La Pièce n'a pas été , dans fon enfemble
, auffi bienjouée qu'elle pourroit l'être ,
mais le rôle de Philemon a été rendu par M.
Molé avec une grande fupériorité. Cet Acteur,
toujours plus juftement aimé du Public,
a fait fentir par la fineffe & l'intelligence de
fon jeu le mérite de plufieurs Scènes trèsbien
faites , qui tiennent à la bonne Comédie
, & qui n'avoient pas été appréciées
en 1777 , ni même à la repréfentation qu'on
en donna le 4 Janvier 1778. M. de Cailhava
dit , dans fa Préface , qu'il a cherché à imiter
DE FRANCE. 57
dans fon ftyle la facilité & la précision de celui
de Molière. Cette intention eft digne de
beaucoup d'éloges fans doute , mais il y a loin
d'elle aufuccès ; & nous croyons pouvoir engager
M. de Cailhava à revoir encore fon
ftyle avec beaucoup de foin ; car il fourmille
de négligences , pour ne rien dire de plus. Nous
avons remarqué avec plaifir les corrections
heureufes qu'il a faites à quelques tirades ,
notamment à celle qui trace la peinture de
Pégoïfme , & nous concluons de -là qu'avec
un peu de conftance & de courage, il pourroit
faire difparoître les inverfions forcées qui déparent
fa verfification , & mériter les fuffrages
des Lecteurs difficiles : ils font rares aujourd'hui
, mais c'eſt encore eux qui font les
réputations.
ANNONCES ET NOTICES.
Las Leçons de l'Histoire , ou Lettres d'un père LES
a fon filsfur les Faits intéreffans de l'Hiftoire Univerfelle,
par l'Auteur de Valmont , 2 Vol . in-12 . A
Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire de la
Reine , & c. rue des Mathurins , hôtel de Cluni...
Les Éditions multipliées du Comte de Valmont ou
des Egaremens de la Raifon, ont affez fait connoître
ce qu'on pouvoit attendre de M. l'Abbé Gérard.
Les Leçons de l'Hiftoire qu'il publie aujourd'hui
font une continuation de ce premier Ouvrage. C'est
le père de Valmont qui vient ajouter les leçons de
$8 MERCURE
FHiftoire à toutes celles qu'il avoit déjà données à
fon fils. Il vous manque l'expérience , lui dit ce
rendre père dans fa première Lettre ; il vous manque
du moins celle qui pear convenir à votre âge ,
qui murit la jeuneffe , qui fupplée à une longue vie ,
& qui s'acquiert par une longue connoillance des
faits , par la réflexion fur les actions d'autrui par
la connoiffance des hommes tels qu'ils ont été
tels qu'ils feront dans tous les temps ; & cette expérience
, fans laquelle vous ne pouvez espérer de
leur être véritablement utile , c'eft , avant toute
chofe, l'étude de l'Hiftoire qui nous la donne. »
L'Auteur rend compte dans la Préface du plan
qu'il s'eft tracé. Sa manière exige bien des travaux ,
bien des recherches plus l'Auteur de celle cila
voulu en épargner à fes Lecteurs , plus on ſent qu'il
a dû lui en coûter à lui- même ; & ce n'eft pas une
agère obligation qu'on doit lui en avoir.
TRADUCTION Nouvelle des Elérjes de Sextus-
Aurelius Properce, Chevalier Romain, 1 Vol. in
12. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris , chez Tombert
fils , Libraire , rue Dauphine , & chez les Marchands
de Nouveautés.
Nous avons parlé de cette Traduction avec une
févérité qui provenoit de l'eftime que nous avoit
infpirée l'Auteur. Quant au reproche que nous lai
avions fait d'avoir tronqué & omis quelquefois en
traduifant , nous avons appris depuis , qu'il a traduit
par choix , d'après l'Edition de Coutellier , in 4° .;
& nous croyons , d'après un nouvel examen , devoir
rendre juftice fur ce point à la fidélité de fa verfion.
L'HOMME Généreux , Drame en cing Actes &
en profe , par Mme de Gouge, Auteur du Mariage
de Cherubia . A Paris, chez l'Auteur , rue de Conde,
DE FRANCE.
ر و
. ; Knapen & fils , Impr.- Libr. , rue S. Andrédes
Arcs , au bas du Pont S. Michel.
Tous les Amateurs du Théâtre applaudiront a
l'éloge que Mme de Gou configné dans fa Préface
du célèbre Acteur comique que va perdre la
Scène Françoife. C'eft toujours avec plaifir qu'on
voit le talent rendre juftice au talent.
LE Sieur NNOSEDA , Phyficien & Marchand
d'Eftampes , au Palais Royal , n . 93 , vient de recevoir
de Londres des Principes du Deffin de Ci
priani , & gravés par Bartolozi , zn - 4 ° . , oblong.
Prix , 36 liv .
Ces Principes font deffinés avec un goût erquis,
& font faits pour avoir le plus grand fuccès.
.
VOYAGE's en Europe , en Afie & en Afrique,
contenant la Defcription des Maurs , Coutumes
Loix , Productions , Manufactures de ces contrées
& l'état actuel des Poffeffions Angloifes dans
l'Inde , commencés en 1777 , & finis en 1781 , par
Me Makintosh , fuivis des Voyages du Colonel,
Capper dans les Indes au travers de l'Egypte & du
grand Defert , par Su
Suez & par Baffora, en 1779 ,
traduits de l'Anglois , & accompagnés de Notes fur
original & de Cartes Géographiques , 2 Vol. in-
8 Prix, yaliv . broches . A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Regnaut , Libraise , rue S. Jacques.c
Le mêthe Libraire vient de mettre en vente l'Obvrage
fuivant , qui eft encore important par foa
objet Lettres Philofophiques & Politiques fur
l'Hiftoire de l'Angleterre depuis fon origine jufqu'à
nosjours , traduit de l'Anglois , 2 Vol. in - 8°. Prix,
Brochés
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ALES Pleaumes traduits en François , avec des®
Notes & des Réflexions ,par le Père G. P. Berthiers !
60 MERCURE
1-12. A Paris , chez Mérigot le jeune , Libraire
quai des Auguftins.
Les quatre derniers Volumes de cette Traduction ,
qui en a huit , paroiffent confirment les éloges
qu'avoient mérité les premiers. Les favantes Notes
qui y font jointes ajoutent au mérite & à l'utilité de
cet Ouvrage.
1 QUATUOR détaché de l'Euvre XXXIII de
M. Hayden , pour le Clavecin , Violon & Violon
celle ad libitum , par M. Wenck. Prix , 3 liv. ,
12 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Micho.
dière , maifon de M. Garnier ; & Mme Baillon ,
rue Neuve des Petits-Champs , au coin de celle de
Richelieu,
Numino du Journal 3 de Violon, dédié aux
Amateurs, Prix , Is liv. & 18 liv. pour 12 Livrai
fons. Séparément 2 liv. A Paris , chez M. Bornet
l'aîné , Profeffeur de Mufique , rue Tiquetonne
n.. 10.
10
TABLE.
Sun le Tableau reprefentant UR
le Serment des Horaces ,
Charade, Enigme & Logogry-
43 phe
Infeription pour la façade du Poefies diverfes de M. Hoffnouveau
Palais de Juffice.4 mandado 45
Hiftoirededeuxjeunes Amies, Comédie Françoife,
Annonces &Notices, p 57
APPROBATION. si
J'AI lu , par ordre de M. lele Garde- des - Sceaux ,
MercuredeFrance , pour le Samedi 1 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris le 95 Mars 1786. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION pour le Portrait
de M. Moté.
LE voilà , cet Acteur charmant,
Qui feul, fur l'une & l'autre Scène ,
A fu nous plaire également ;
De Thalie, en un mor , l'amant
Comme l'époux de Melpomene.
( Parun Amateur du Théâtre François . Y
Joy -io $ 7,77
N° . 14, 8 Avril 1786.
D
16
62 MERCURE
COUPLETS à la plus belle & à la plus
favance des Modernes.
Tour votre plai fir , Hor-ten-fe , eft
de lire nuit & jour , & l'amour
de la Sci- en ce vous tient lieu
du ten-dre Amour ; mais ap -prenez
que les Graces , qui s'é- galent
aux neuf Soeurs , ne doi
- vent fuivre
leurs
tra-ces , que pour y cueil
DE FRANCE. 63
lir des fleurs , que pour y cueillir des
Aeurs.
Si c'eft en Aftronomie
Que vous briguez des fuccès ,
De la célefte Uranie
Ne cherchez point les fecrets ;
Laiffez errer les comètes
Dans des cercles peu connus ,
Et ne fixez vos lunettes
Que fur l'orbe de Vénus.
La ſcience de la fphère
Souvent occupe vos yeux ;
C'eft elle qui les éclaire-
Sur la diftance des lieux.
Que cet infaillible guide
Conduife vos jolis doigts
A trouver la place où Gnide
Fut ſituée autrefois.
Dz la nature des plantes ,
Par la botanique inftrait ,
A les recherches favantes
Quand l'Univers applaudir ,
Dij
64
MERCURE
N'en retenez autre chofe
Qu'une grande vérité::
C'eft que la plus belle rofe
Moins que vous a de beauté.
POUR la ténébreufe algèbre
Ne montrez aucun defir ;
Qui veut s'y rendre célèbre ,
Doit renoncer au plaifir.
Cette fcience traîtreſſe
Peut apprendre à fupputer
Les baifers qu'une maîtreffe
1
Donne toujours fans compter.
( Paroles de M. le Chevalier de Cubières , mufique
de M. le Comte de Sainte- Aldégonde. )
FIN de l'Hiftoire des deux Jeunes Amiès ,
par Madame RICCOBONI.
EN apprenant pour la première fois que le
Chevalier de Mullidan éprouvoit des peines
fecrettes , le Maréchal fe fentit encore plus
touché des expreffions de fa lettre. Il ne concevoit
pas fa longue réſerve , & fe croyoit
en droit de s'en plaindre. Il lui écrivit avec
beaucoup de tendreffe , fans lui marquer
combien une confiance fi tardive lui paroiffoit
bleffer l'amitié. Il attendoit , pour le lui
dire, les éclairciffemens promis. Peu de jours
DE FRANCE. 65
après, il les reçut , & s'enferma dans fon cabinet
, où il lut cette continuation écrite de '
la main du Chevalier.
»
Tout fut parfaitement concerté entre la
jeune Efpagnole & fes deux amies. Le jour
» "pris , Dona Louife fortit de grand matin
" fans être apperçue. A l'heure où l'on en-
» troit chez elle, fa femme- de-chambre éton-
» née la chercha vainement. Un biller adreffé
" àfon oncle étoit fur fa toilette. On y trouva
» auffi une lettre pour Mademoiſelle Darcy ,"
compofée à deffein d'éloigner le foupçon
" de leur intelligencel On remit Pun & l'au-'
" tre à Don Ramire. Le billet de fa nièce
contenoit ce péu de mots :
و ر
Je crois être en droit , Monfieur , de
» me fouftraire à votre autorité , quand vous
» vous obftinez à l'employer pour me rendre
» la plus malheureufe de toutes les femmes.
» Hm'eft bien dur de vous paroître ingrate
7
C
C
en cherchant de la protection contre vous."
„ Je vais demander un afyle à mes parens
» maternels. Il me fera plus doux de paffer.
» mes jours dans un Cloître , que de me lier
» à l'objet odieux de votre choix. Je conferverai
toujours , Monfieur , le fouvenir de
" vos premières bontés ; & j'oublierai , s'ik
m'eft poffible de le faire , que ni mes prie
» res ni mes larmes n'ont pu vous toucher
en faveur d'une fille infortunée qui vous
» défobéit à regret , & fouffre une peine violente
en s'éloignant d'un parent qu'elle gémit
de fuir & d'offenfer. A
و ر
22 .
Diij
66
MERCURE
2
20
» Furieux après cette lecture , Don Ramire
donna des ordres pour tour préparer , voulant
partir à l'inftant. Me fachant éveillé, il
» accourut chez moi , me montra le billet
de fa nièce , en faifant mille imprécations
» contre elle & contre tout fon fexe. Com-
» me elle avoit deux tantes Abbeffes à Ma →
» drid
fes expreffions lui perfuadèrent
qu'elle fe rendoit à l'un ou l'autre Couvent.
" Il fe flattoit de l'atteindre fur la route , de
» la ramener & de la punir févèrement d'une
démarche fi hardie . Sa colère , fon chagrin ,
" la vaine efpérance où il fe livroit, me jetè-
" rent dans un trouble,dans un embarras inexprimable.
Il me fembloit qu'il pouvoit fe
plaindre de moi , m'accufer delui en impofer
" par mon filence. Je rougiffois , je perdois
" contenance , & n'ofois parler. Trop agité
>>> lui- même pour faire attention à mes mou-
» vemens , il marchoit à grands pas , preffoit
fes gens , s'impatientoit. On l'avertit
enan. Il m'embraffa , me pria de le plain-
» dre , d'attendre fon retour , & partit.
رد
و د
"
33
Il refta près d'un mois abfent , revint
» fatigué d'une inutile recherche , perfuadé
du féjour de Dona Louiſe à Madrid , &
défefpéré de la voir échappée à fon pou-
» voir & à fa vengeance . Je partis deux jours
après. J'arrivai à Marseille fans accident , &
» trouvai mes jeunes amies habitant unejolie
» baftide que Madame de Mauni venoit d'a-
» cheter.
"
Rien ne me parut changé dans l'air : ni
DE FRANCE. 67
» dans l'accueil de Mademoiſelle d'Arcy
≫ mais je ne pus me défendre d'une extrême
furpriſe en examinant Dona Louife. Je
» l'avois vue trifte , diftraite chez fon oncle,
»
"
و ر
l'efprit toujours occupé de fâcheufes idées ,
» fe prêtant avec répugnance aux jeux , aux
» amuſemens de fes compagnes ; parlant peu,
inquiète , rêveufe , négligeant tout , & mê
» me le foin de fa parure. Qu'elle étoit diffé-
» rente alors ! Le plaifir de ne plus redouter
» un lien fi long- temps l'objet de fa ter-
» reur , de fe voir libre , donnoit de l'éclat à
» fon teint , animoit fes yeux , embelliffoit
fes traits doux & réguliers , répandoit fur
» toute fa perfonne ce charme inexprimable
dont on fe fent touché fans connoître par
quel attrait il émeur. Dona Louife , auparavant
fombre & filencieufe , fe livroit à
l'enjouement , montroit des connoiffances
acquifes ; cette vivacité modérée par la
modeftie , qui amufe & qui plaît : fes idées
» toujours juftes , prouvoient la droiture de
fon coeur , & je ne fais quoi de tendre , d'affectueux
dans fes expreffions , rendoit in-
» téreffant tout ce qu'elle penfoit , tout ce
qu'elle difoit.
"3
"
39.
33
"
"
ע
"
" En la regardant , en l'écoutant , je crus ne
l'avoir jamais vue , jamais entendue. Je me
demandois comment j'avois paffé tant.
» d'heures avec elle fans m'appercevoir des
» graces de fa perfonne , des agrémens de
fon efprit. Chaque inftant me la montroit
plus aimable. Des mouvemens inquiets ,
ر و
23
.C.
Div
68 MERCURE
35
& pourtant flatteurs, m'agitoient enfa préfence
; je la quittois avec peine , avec effort,
un defir ardent de la fevoir me tourmen
toit loin d'elle. Ses projets de retraite m'af
fligcoient. Je me fentois oppreffe quand je
» fongeois que j'allois la conduire à Paris , ou
l'attiroit le deffein de fe fouftraire au
monde , de s'enfermer dans un Cloître ;
contribuer moi- même à lui ouvrir ce trifte
afyle , où peut -être elle confacreroit fes
» jours. Mon coeur fe ferroit à l'idée de
perdre à jamais la liberté de la voir , de
l'entretenir :liberté qui me rendoit alors fr
heureux ! Je ne me diffimulois point l'ef
spèce de mes fentimens , mais je craignois
de les avouer. Après ma longue froideur ,
» Dona Louiſe ne s'étonneroit-elle pas de
ce changement , pourroit - elle me croire
» fenfible , n'imagineroit- elle pas qu'enhardi
par fi pofition préfente , j'ofois m'écarter
» du refpect que je lui avois montré dans le
» temps où tout devoit la rendre impofante
» à mes yeux ? Timide , indécis , je cherchois
» des prétextes pour retarder notre départ
» de Marfeille. Mademoiſelle d'Arcy les faififfoit
, & montroit une forte de répu
ignance à faire le voyage de Paris . Je la
voyois rêveufe , inquiète toutes les expreflions
devenoient myftérieufes . Sou-
» vent elle fembloit vouloir me parler , s'in-
» terrompoit , continuoit à fe taire. Surpris
» de certe nouveauté , je me plaignis d'avoir
perdu fa confiance ; je la preffai de
ນ
35
DE FRANCE. 66
m'ouvrir fon coeur. Je ne le puis , me dit-
» Selle, fans commettre une indifcretion , fans
» m'expofer aux reproches de Dona Louiſe.
Je me trompe peut-être , mes craintes font
» peut-être vaines; mais fes projets m'alar-
» ment. Je redoute pour elle le féjour de
Paris ; & vous m'obligeriez fenfiblement ,
» fi vous la déterminiez à refter en Pro-
>>> vence.
1
» Mais , lui dis - je un peu furpris , vous
approuviez en Efpagne un deffein appuyé
» fur des motifs encore fubfiftans: d'où vient
» le condamnez - vous à préfent ? Je n'avois
» pas réfléchi , reprit-elle , fur mille circonf-
» tances où je faifois alors peu d'attention.
Avant de vous avoir vu , Dona Louife
vouloit fuir, fe retirer dans un Couvent,
» à Madrid; quand elle me montra un defir
» ardent de paffer en France , fon amitié
» pour moi me parut l'unique caufe de ce
» changement. Sans ceffe elle m'entretenoit
» de vous , de vos qualités aimables , des
» agrémens de votre perfonne ; elles me
frappoient comme elle , & je la croyois
julte fans la croire prévenue. Hélas ! je
me trompois. Je vois qu'un penchant irré
» fuftible l'attire dans votre patrie , lui fait
» imaginer de la douceur à vivre près de
vous , à fe lier avec les Damés de votre famille
, à conferver au fond de la retraite
de plaifir d'entendre parler de vous , de vous
Mour prendre une forte, d'intérêt à elle.
Jiguore , continua-t - elle , les effets d'une
"
Dv
70.
MERCURE
paflion que j'ai toujours redoutée fans la
» connoître ; mais li cer attachement de
Dona Louiſe pour vous étoit de l'amour !
firl'innocence de fes penfées déguifoit à
fesyeux les fentimens de fon coeur ! fi
elle vous aimoit ! Mais puis-je en douter ,
quand tout me dit , tout me prouve , tout
m'affure que vous êtes cher à Dona
» Lonifer , que vous êtes aimé de Dona
» Louife ? Y
"2
or Ah, quel mouvement cette confidence
excita dans mon ame ! Emu , charmé , pénétré
d'une douce joie , je pris les mains
» de Mademoiſelle d'Arcy, je les preflai entre
les miennes avec une ardeur que rien encore
ne m'avoit fait fentir : eft-il vrai , eft-il
bien vrai , lai demandois- je transporté de
plaifir Ah , répétez-moi cent fois , mille
>> fois! vous êres cher à Dona Louife ; vous
Lêtes aimé de Dona Louife.
Eh quoi , me dit - elle d'un air étonné
quand je crois vous intéreffer à la paix , à
la tranquillité d'une fille digne à tant d'égards
de votre eftime , de votre amitié ;
quand j'espère trouver en vous de l'appui
contre fa foibleffe , vous engager à m'aider
dans le deffein de la retenir ici , vous
» ofez vous montrer fenfible à fes fentimens,
montrer de la joie d'être aimé ! Oubliez
75% vous votre état , les obligations qu'il vous
as impofera? Ne vous fépare - t-il pas à jamais
de Dona Louife ? Rien rien , m'écriai-je
avec vivacité , ne me fépare d'elle , sien
ھ د
DE FRANCE. 71
» ne s'oppofe à més defirs , fi Dona Louife
» les partage. Plus de retraite , plus de voile
» pour l'aimable fille dont vous venez de me
» faire efpérer la tendreffe. Si elle confent
à me rendre heureux , je puis lui engager
» ma foi aux pieds des Autels , fans quitter
la marque de cet état , que vous croyez ·
» contraire à d'autres voeux.
»
"
J'appris alors à Mademoiſelle d'Arcy ,
qu'une fuite de Chevaliers de mon nom
« s'étant diftingués dans l'Ordre de Malte par
» leur zèle pour fa gloire, par d'éclatantes vic-
» toires remportées fur les Infidèles , avoient
" acquis à ma Maifon les privileges honora
bles dont elle jouifioit depuis près de deux
fiècles. Raffurée par cette explication , Ma
» demoiſelle d'Arcy m'objecta mon âge , la
» dépendance où il m'affujettiffoir , le tort
JJ
que feroit à ma fortune un mariage constracte
fans l'aveu de mon père , & l'umpof-
» fibilité d'efpérer fon confentement pour
me lier avec une étrangère. Cet obftacle
» eft puiffant , lui répondis-je ; mais fi votre
" amie m'aime , il n'eft pas infurmontable.
" Aucun motif intéreffé ne me porte à crain
dre de révolter mon père contre moi.
» Je puis me paffer de fes bienfaits ; mais
je ne me pardonnerois jamais de l'at
trifter , de répandre un inftant d'amer-
» tume fur fa vie. Oferai-je propofer à Dona
Louife le feul moyen que j'imagine pour
affurer notre colomun bonheur ? L'offre
d'un mariage fecret n'offenfera-t- elle poins
Bliss Dvjero
you
C.
7.2 MERCURE
fa délicatefle ? Ne paroîtrai-je pas trop préfumer
de fes bontés , fi je lui demande une
preuve fi grande de fa tendrelle ? En s'u-
» niffant à moi , voudra-t - elle attendre du
» temps & des événemens l'occafion favora-
→ ble d'avouer nos liens ? Ou je connois mak
» fes fentimens , dit Mademoiſelle d'Arcy y
ou je puis vous affurer qu'elle mettra tout
» fon bonheur à faire le vôtre. Cependant
» je fonderai fes difpofitions , & vous en ferez
inftruit par moi même .
ور
La noble franchife de Dona Louife ne
lui permit pas de diffimuler combien elle
» étoit fenfible à l'ardente paffion d'un homme
dont la fimple amitié lui avoit paru un
bien defirable . Elle confentit à fe donner
» à mon Avignon nous préfentoit les moyens
» de furmonter toutes les difficultés . Madame
» de Mauni & Mademoiſelle d'Arcy y conduifitent
Dona Louife; je m'y rendis . Nous
yfines pour jamais unis. Que le ferment
de nous aimer toujours fut fincère ! que
nos coeurs le gardèrent avec fidélité ! Sou
» venir trop cher , trop préfent à ma mé-
" moire ! félicité fi vivement fentie , heu-
» teux temps vous vous retracèrez fans
» ceffe à l'amé fenfible dont le regret & la
» douleur n'ont pu vous effacer !
"
**
- Peu de jours après notre mariage , Mademoiſelle
d'Arcy, ma charmante compagne
& moi , nous primes la route de Paris.
» Mon père étoit alors dans une de fes terres.
Son abfence mè donna le loifir de : fuivre
DE FRANCE. 73
و ر
ور
ود
""
les projets formés en Provence. Je louai à
» trois lieues de Paris une jolie maiſon où
» fe trouvoit tout ce qui peut rendre une
» folitude agréable & fure. J'y établis Dona
Louife & fon amie. Après leur avoir pro-
» curé toutes les commodités néceflaires ,
» tous les objets d'amufement dont elles
pouvoient faire ufage dans leur retraite ;
j'allai trouver mon père en Champagne:
" Vous y étiez. La maladie dont mon frère y
fut attaqué , nous ramena promptement à
Paris , où fa mort prématurée nous caufa
» de fenfibles regrets que vous partageâtes. "
» Mon père fe hâta de marier fon fecond
fils : vous favez combien fa complexion
foible & délicate l'inquiétoit ; il commençoit
à fonder l'efpoir de fa Maifon fur moi
» Ses moindres difcours fur ce fujet me je
» toient dans de continuelles alarmes. Jelme
» vis contraint de feindre un extrême éloi-
» gnement pour le mariage
و ر
و د
ود
و د
ל כ
un grand
» defir de retourner à Malte , d'y faire mes
» voeux : je fuyois les vains plaifirs qui vous
» féduifoient alors. Que les miens étoient
» doux , qu'ils étoient vrais ! Seul dans ma
A
confidence, le valet- de- chambre que j'avois
» ramené d'Eſpagne me tenoit à toute-heure
» des chevaux prêts. Je faififfois les occafions
de m'échapper , je courois , je volois chez
ma chère Louife , je lui donnois tous les
momens dontje pouvois difpofer. Souvent
elle venoit à Paris , où un petit appartement
meublé pour la recevoir nous offroit
74 MERCURE
ג כ
la commodité de paffer unplus long- temps
» enfemble. "
"
ཚྭ་
Mon frère eut un fils. La naiffance de
» cet enfant me combla de joie ; elle diflipa
les idées de mon père fur, mon établiffe-
» ment. Cinq années s'écoulèrent rapide-
» ment au gré de mes defirs fatisfaits , &
» toujours renaiffans. Le fecret augmentoit
» les charmes de notre union . Dona Louiſe
"
devenue mère, me paroilloit tenir à moi par
» un nouveau lien . Combien je me plaifois à
voir la jolie petite créature qui me repréfentoit
déjà les traits aimables , les graces
» touchantes de Dona Louife ! Quelle douce
" Occupation pour cette tendre mère , de ca-
» reffer , de parer cet enfant chéri , de pré-
" parer les jeux ! combien elle - même s'en
» amufoit ! Ah , fi du moins l'objet de tant
" de foins , de tant d'amour , m'étoit refté !
» mais condamné à tout perdre , à n'éprou-
ور
ver aucune confolation dans l'amertume
33 $ de mes regrets , livré depuis quinze ans á
» la douleur, au toutment d'une dévorante
inquiétude ; je vois ma dernière efpérance
près de s'évanouir , & je vais dans peu de
jours , peut- être , m'éloigner d'ici le plus
malheureux de tous les hommes. »
Monpèreme montroit tant de bonté que
fouvent jeme reprochois de ne pas lui avouer
mes engagemens. Dona Louife m'en dé-
» tournoit. Elle craignoit de paffer aux yeux
» du Comte de Mulidan pour une fille impru
» dente , capable de fe laiffer guider par une
DE FRANCE. 75
"
30
33
» folle paffion. Comment prouver à mon père ,
» à toute ma famille , les motifs de fa fuite ,
l'innocence de fes deffeins? Les apparences
étoient contre elle & contre moi. On penferoit
qu'abufant de la confiance de Don
Ramire , j'avois féduit un coeur foible. Croi-
» roit-on qu'une perfonne fi tendrement aimée
» à Marſeille , me fût indifférente en Espagne ?
Eh, pourquoi rifquer de lui faire éprouver
» des mortifications par cet aveu , que rien
» n'exigeoit encore. Heureufe d'être à moi ,
» contente de fa fituation préfente , elle ne
» fouhaitoit point paroître dans le monde , où
peut-être une partie de fon bonheur fe diffiperoit
au milieu des foins & des égards dont
» la fociété la contraindroit à s'occuper.
39
"
"
Ces confidérations ne m'auroient point
arrêté ; mais Dona Louife obtenoit tout de
" ma complaifance. Jejouiffois avec délices du
» plaifir d'être mari , d'être père , quand Malte,
" alarmée d'un projet d'attaque contre elle, appela
fes Chevaliers à fon fecours. Il fallut
» me préparer à partir. Si je fentis une extrêné
» douleur en me feparant de Dona Louife , fi
fes larmes déchirèrent mon coeur , il ne fe
joignit à nos triftes adieux aucun de ces noirs
preffentimens qui femblent annoncer aux
» ames fenfibles des malheurs imprévus. Je me
propofois de vaincre à mon retour la répu
" gnance de ma charmante compagne fur la
publicité de notre mariage. Quelle riante
perfpective elle offroit à mes regards ! paffer
les jours , les heures , tous les tans de ma
ช
לכ
33
"
ཐ
7760 MERCURE
"
» vie auprès de Dona Louife ! Vain elpoir de
» bonheur ! trompeufes illufions , qu'érez- vous
devenues ! Combien ket avenir dont j'em→
portois l'attente Hatteufe , me préparoit de
" peines combien de fois j'ai fouhaité qu'il
» n'eût jamais été pour moi!
30 .
"
$
Je ne vous parlerai point des événemens
dont vous fûtes inftruit dans, le temps . Le
» lendemain de mon arrivée à Malte , je m'embarquai
fur un vaiffeau de la Religion. Norre
Efcadre, commandée par mon Oncle, fut trois
mois en mer . A mon retour dans l'lfle , je
» demandai avec empreffement mes lettress
Peignez-vous ma furprife & mon effroi , en
» ne reconnoiffant la main de Dona Louife
fur aucune , en appercevant celle de Mademoifelle
d'Arcy fur un paquet cacheté de noir !
» Un faififfement affreux glaça mon coeur Je
» déchirai Fenveloppé en treniblant. Hélas !
"
ود
Louife , ma chère Louife n'étoit plus Le foir
» même de mon départ elle avoit fenti les pre-
» mières atteintes de la plus dangereufe des
maladies. Le prairpte s'y méla , les vainsfe
» cours de l'art nelpurentfauver mon aimable ,
» ma charmante femme ; elle fut à jamais ravie
» à l'époux malheureux , qui , fidèle à fa mémoire
, chérit encore chérira toujours le
» fouvenir ineffaçable de fes attraits , de fon
» amour, de fes vertus.
Ada lecture de cette fatale lettre mes fens
m'abandonnèrent. Unlong évanouifferent
laiffa douter fije vois encore. En revenant
» de cet état , je pouffai des cris douloureux. Une
DE FRANCE. 77
"3
"
fièvre ardente me jeta dans une espèce de
» frénéfie ; on défefpéra long-temps de ma
vie. Après fix femaines de délire , d'accès
furieux , ma trifte & foible convalefcence ne
calma point les agitations de mon ame.,
"3
ל כ
20
, ל
"
64
Beaucoup de Lettres de Mademoiſelle
d'Arcy étoient reftées parmi celles que je
» n'avois point décachetées. Je les ouvris toutes.
J'y cherchois de funeftes détails fur le cruel
» événement dont je gémiffois . J'appris que
les foins de cette amie avoient préfervé ma
fille du mal affreux de fon infortunée mère.
» Dans la dernière en date , elle m'annonçoit
fon prochain départ pour Marſeille . Madame
» de Mauni la preffoit de s'y rendre. La reconnoiffance
& Pamitié ne lui permettoient pas
» de différer à fatisfaire, cette Dame. Ma fille
l'embarraffoit. Son deffein de la laiffer au
» foin de fa Gouvernante , femme honnête ;
و د
.وو
""
intelligente , très - attachée à l'enfant , deve-
» venoit impoffible , cette femme étant rete-
» nue au lit par une feiatique très -douloureuſe.
" Cette circonftance la déterminoit à emmener
la petite. Je crois vous obliger , me difoit-
"9
elle , en vous procurant la fatisfaction de
» voir plus tôt votre fille , de jouir du plaifir de
l'embraffer à Marſeille , & de la douceur de
» la reconduire vous - même à Paris . Je ne dé-
» fapprouvai point cet arrangement de Mamoifelle
d'Arcy . Qui m'eût dit alors combien
il répandroit d'amertume fur le refte de
و د
ود
" ma vie !
« Tout fembloit s'unir pour redoubler mes
78 MERCURE
"
93
chagrins. Je reçus la nouvelle de la mort de
» mon frère , & des ordres précis du Comte
de Muflidan de hâter mon retour en France.
» Dès que mes forces me permirent d'obéir , je
m'embarquai. A la vue des côtes de Marfeille
, des lieux où j'avois fenti les premières
émotions de l'amour , le plaifir enchanteur
d'en infpirer , le bonheur de m'unir à l'objet
» le plus digne de ma tendreffe , toutes mes
douleurs fe ranimèrent. Je brûlois du defir
de ferrer contre mon coeur affligé le gage de
l'affection de ma chère Louife , de l'inonder
de mes pleurs. J'arrive , je cours chez
Madame de Mauni : de nouveaux malheurs
m'y attendent. Ma fille n'y eft point , elle
» n'eft point venue à Marſeille ; & Mademoi-
» felle d'Arcy eft hors d'état de dire comment
» elle s'en eft féparée , & dans quelles mains elle
» l'a laiffée.
33
ور
»
و ر
I
33
ور
" Cette Dame me montre plufieurs lettres
» de Mademoiſelle d'Arcy , écrites avant fon
départ de Paris. Elle lui affure qu'elle part en
pofte avecma fille. A fon arrivée à Lyon , elle
» lui écrit de certe Ville , où fe trouvant un peu
» malade & très- fatiguée , elle fe repofera deux
" jours. Elle ajoute que fon naturel timide lui
» a fait préférer la voiture publique à la pofte ,
» n'ofant s'expofer au danger de courir feule,
Elle vient , dit- elle , de trouver une occa
fion de continuer fa route, bien accompagnée,
& la prie d'envoyer au- devant d'elle .
و د
Jy allai moi- même , continua Madame de
" Maui. Fétois bien éloignée de prévoir l'é-
T
i
DE FRANCE. 75
33
19
" tat affreux où je devois revoir ma pauvre
» amie. A deux lieues de Marſeille , des brigands
ayant arrêté le poftillon , fes compa-
" gnons de voyage , courageux & bien armés ,
defcendirent : aidés de leurs gens , ils blef-
" sèrent à mort deux des voleurs , & forcèrent "
» les autres de fuir. Le péril où se trouvoit
Mademoiſelle d'Arcy , le bruit des armes à
feu , fon laquais tué , la vue du fang d'un
des voyageurs bleffe , firent une fi terrible
impreffion fur les fens , qu'elle perdit con-
" noillance. On la porta chez un Payfan. L'impoffibilité
de la tirer de fon évanouiffement ,
» obligea de l'abandonner dans ce lieu , pour
» arriver à Marfeille , d'où on lui enverroit
"
33
K
t
du fecours. La rencontre de la voiture m'inf
» truint de cette aventure , & de l'accident
" de mon amie. J'allai la chercher. Je l'a-
» menai chez moi fort inalade , attaquée de
? violentes convulſions , donnant de continuellos
marques de terreur , & retombant à tout
» moment en foibleffe. Elle ne me reconnoif-
" foit point , pouvoit à peine parler , & le peu
de mots qu'elle prononçoit , montroient de
l'égarement. Je l'attribuois à fon mal , à fon
» effroi ; j'efpérois lui voir recouvrer fa raiſon
» avec fa fanté. Vaine attente ! Elle eft fans
» fièvre , fes accidens ont ceffé , la nature a
repris fon cours ordinaire , fans lui rendre ni
fon jugement ni fa mémoire. Elle refpire
» ella vit ; elle ne penfe plus. Son exiſtence eft
» celle d'un enfant qui ne connoit rien , & s'ighorelui-
même.
23
و د
33
OMER CURE
»
Dans quel trouble , dans quelle inquiétude
» me jeta ce trifte récit ! Où étoit ma fille ?"
où la chercher ? Il me fembla perdre une fe--
» conde fois ma chère Louife , en perdant l'ob
" jet de fes tendres affections. Je vis Mademoifelle
d'Arcy. Je fis d'inutiles efforts pour mé
rappeler à l'idée de cette malheureufe fille ;*
.. elle me regardoit en filence , m'écoutoit fans
paroître me comprendre ; & fi je prenois fa
inain , elle poutfoit des cris perçans , pâliffoit ,
» & montroit la plus grande frayeur. Je partis
pénétré de fon état , défolé de l'ignorance ou
ilmelaiffoit fur le fort dema fille . Mes.recher-
» ches à Lyon, fur ma route , furent infructueus
» fes . En arrivant à Paris , je vis fa gouvernante .
» Elle m'atfura que fon Élève étoit partie ave
» Mademoiſelle d'Arcy.Les gens de Dona Louife,
» reftés à la campagne en attendant mon retour,
» me le confirmèrent. Le Jardinier avoit con
و د
duit & fait plomber fes malles à la Doua de
& le coffre où étoit renfermé ce qui appar
tenoit à ma fille. Une peine bien amère vint
aigrir mes chagrims. Mon père , accablé de
langueur , déjà foible , abattu , me fut enlevé
" trois mois après mon retour à Paris . Vous
le pleurâtes avec moij & je me rappellerar
» toujours les preuves d'attachement que vous
" me domates duns cette trifte occafion, ft «
Il ne nie refte rien à vous apprendre. Le
temps que m'a laiffé le fervice & des devoirs
indifpenfables , je l'ai employé à ces voyages
» en Provence dont vous m'avez fait tant de
reproches. Je confervois toujours l'efpérance
20
4
DEFR A NICE. Si
23
≫ de tirer Mademoifelle d'Arcv de cet état de
bftupeur & d'enfance qui ,melaifloit dans une -
» fi cruelle incertitude. Les hommes les plus
» habiles ont tout tenté fans.fuccès . Les recherchesles
plus exactes, les plus minutieufes même,
faites cent fois de Paris à Lyon , dans la
» Ville , dans fes environs , ne m'ont rien ap-
»pris. Ma fille eft à jamais perdue pour moi!
» L'idée des malheurs qu'elle peut éprouver,
» fi elle refpire encore , me livre à cette mé-
» lancolie dont vous avez cru l'objet li bizarre.
» Je voudrois ne plus paroître à la Cour, fuir
» le monde , vivre dans une de ines terres ;
»mais le bonheur & l'élévation du: Marquis
» de Mullidan fufpendent mes projets de re-
» traite. Je l'aimai dès fon enfance . Ses heureufes
qualités ont toujours augmenté ma tendreffe.
Attrayant par la nobleſſe & les grâces
» de fa perfonne , aimable par fon caractère ,
» eftimable par fes fentimens, il mérite que je
» lui facrifie mes dégoûrs.Ne l'affligez pas en lui
» communiquant mes peines. Je mereprocherois
d'altérer un feul inftant la douce tranquillité
de fon âme.
ود
ל כ
"
1 .
J'accepte votre tendre invitation . J'irai
» yous trouver dès que le trifte événement
" prévu me permettra de quitter pour jamais
Marfeille........On m'interrompt ........
» Mademoiſelle d'Arcy ſe meurt . Ma dernière
- » eſpérance va s'anéantir , & vous me verrez
» peut-être à Nancé auffitôt que mon courier.
»
Pendant la lecture de ce cahier, mille mou82
MERCURE
1
vemens avoient agité le Maréchal. Des idées
vagues , adoptées , rejetées , le mêloient à
l'intérêt que lui infpiroient les chagrins de fon
ami. Il relifoit plufieurs endroits de ce manufcrit
, le quittoit , le reprenoit encore , voudoit
y trouver la confirmation de ces idées
confufes , enfantées par fes propres defirs ,
quand Madame de Nancé lui envoya la copie
desdétails demandés qu'elle venoit de recevoir
adu Couvent des Dames Annonciades . Il la
prit avec émotion, ſe hâta de la parcourir, &
trouva ce qui fuit :
ע
Le 24 Septembre 17**, Madame de Saint-
Ange , alors première Maîtreffe des Penfionnaires
, étant l'après-midi à fon parloir , occupée
à régler les mémoires de plufieurs Ouvriers
, y vit entrer une Dame jeune , bien
faite , dont l'air & la parure annonçoient une
perfonne au-dellus du commun. Cette Dame
lui préfenta une très -jolie petite fille , âgée
au plus de quatre ans & demi ; elle étoit en
deiil , & venoit de perdre fa mère . Celle
aqui le difoit ne put retenir fes larmes en
parlant de l'amie dont l'enfant lui étoit confé.
Forcée de partir le foir même pour la
Province , craignant d'expofer la petite à
trop de fatigue n'ofant l'abandonner au
foin d'aucun domeftique , elle fouhaitoit la
mettre au Couvent pendant fon abfence &
nocelle de fon père , actuellement en merpour
le fervice de fon Prince.
2
,
nu Madame de St. Ange éleva des difficultés
fur l'âge de lajeune Demoffelle, fur is attenDE
FRANCE. < 83
tions qu'il exigeoit ; mais l'offre de payer une
femme pour la fervir , & les grâces touchantes
de l'enfant , engagèrent à la recevoir avec le
confentement de la Supérieure , qui fut demandé
& obtenu. On infcrivit fur la lifte
des Penfionnaires , Clémence d'Artenay
fille du Comte d'Artenay Chef d'Efcadre
de la Marine Royale. Toutes les conventions
arrêtées , le Laquais de la Dame fit
entrer des hommes qui apportèrent fur des
brancards les meubles néceffaires , avec un
grand coffre & plufieurs caffettes . Madame de
Saint- Ange reçut des mains de la Dame un
inventaire de ce qu'ils contenoient , les premiers
fix mois de la penfion de Mademoifelle
d'Artenay , des gages & de la nourriture
de la Gouvernante que l'on fe changeoir de
lui donner. Elle ajouta trente louis de plus
pour des dépenfes imprévues , & pour fatisfaire
les fantaifies de la petite , fi elle ſouhaitoit
quelques bagatelles.
Ces arrangemens finis , lá Dame , qui paroiffoit
fe féparer de la jeune pêrfonne avec
un extrême regret , la prit entre fes
bras
,
l'inonda de fes pleurs , la recommanda fortement
à Madame de St. Ange la conduifit à la
porte de clôture , la careffa , effaya d'appaifer
fes cris , lui dit , lui répéta de fe fouvenir
de fa mère , de fon aimable & rendre mère ,
de prier pour elle , & pour l'heureux retour
de fon père. A peine la vit- elle entrée & la
porte fe refermer fur elle , que pouffant un
cri douloureux, elle courut toute en lar.nes à
84
MERCURE
fa voiture , s'y jeta promptement & partit,
Tout s'étoit palle affez vite & avec beau
coup de diftraction de la part de Madame de
Saint- Ange , fachée de faire perdre du temps
aux ouvriers qui attendoient d'elle le montant
de leurs mémoires. Après les avoir réglés &
payés l'efprit plus libre , elle fe rappela
qu'elle n'avoit demandé à cette Dame ni fon
nom ni le lieu où elle alloit. Elle s'étonna
de cet oubli , plus encore de la négligence
d'une perfonne qui paroiffant fi attachée à
l'enfant , devoit bien fonger à s'en procurer
des nouvelles ; mais elle fit alors peu d'attention
fur leur commune faute.
"On eutbeaucoup de peine à calmer la jolie
penfionnaire. Elle pleuroit amèrement , s'écrioit
: ma bonne amie ! ma bonne amie , où
allez-vous ? On vous cachera dans la Chapelle
avec maman , je ne vous verrai plus ;
on me dira de prierpour vous ! On lui fit mille
queftions fur fes parens , fur fa demeure , fur
la bonne amie qu'elle regrettoit. Ses réponſes
n'apprirent rien. Sa mémoire ne lui rappeloit
que des noms careffans & des épithètes enfantines.
Elle parloit de jardins , de vergers ,
de fleurs , d'oifeaux; on jugea qu'elle vivoit
à la campagne.
En rangeant fa chambre, on s'étonna de la
beauté de tout ce qui lui appartenoit. Les
meubles confiftoient en un petit lit de fatin
blanc doublé de la même étoffe, & d'une
forme très agréable ; deux fiées pareils ; une
petite toilette & plufieurs chofes utiles &
commodes.
DE FRANCE. 85
cemmodes. Le coffre renfermoit quantité de
très -beau linge ; des robes , des dentelles , des
rubans ; une profufion de parures à fon ulage.
Enouvrant les caffettes , la furpriſe augmenta.
On vit dans la première un écrin. Il contenoit
des braffelets de perles très rondes & de
la plus belle eau ; une chaîne des mêmes
perles , d'où pendoit une miniature entourée
de brillans ; elle repréfentoit une femme fort
jeune & fort belle. L'enfant dit que c'étoit
le portrait de fa mère. Il y avoit aufli des
boucles d'oreilles , plufieurs poinçons de dia
mans & des bijoux , dont la petitefle montroit
qu'ils étoient faits pour elle. Cette
caffette , & deux autres remplies de jouets, d'un
petit ménage de vermeil , & de milles jolies
bagatelles , donnèrent une haute opinion
de la fortune de Mademoiſelle d'Artenay ; &
quand le temps eut produit fur elle fon effet
ordinaire , elle fe montra fi douce , fi docile
fi aimable , qu'elle devint l'objet de l'affection
de toute la Communauté.
,
» Al'extrême furpriſe des Dames Annons
ciades, dix-huit mois s'écoulèrent fans que perfonne
fe préfentât pour voir cette Demoifelle.
Un oubli fi long , fi étrange , caufa
de l'inquiétude , porta ces Dames à faire des
recherches. On apprit à l'Amirauté qu'aucun
Officier de la Marine ne portoit le nom
d'Artenay ; aucun Chef- d'Efcadre de ce nom
n'y étoit connu. La Compagnie des Indes où
l'on s'adreifa , n'avoit aucun Marin qui le
portât . Cette fuppofition de nom & de qua-
No. 14, 8 Avril 1786.
E
86 MERCURE !
lité , éleva enfin des foupçons fur l'état de
l'enfant , fur le deffein de celle dont la mauvaife
foi devenoit fi apparente. Sans doute
obligée de prendre foin de la petite fille , cette
femme s'en étoit débarraffée par le vil artifice
qui en chargeoit la Maifon . Mais avec cette
baffe intention , comment lui auroit-elle laiſſé
fes perles, fes jouets, plufieurs bijoux de prix ?
On fe perdoit dans une foule de conjectures.
Le récit d'une Tourière fufpendoit encore
l'opinion des Religieufes fur la conduite de
cette inconnue. En caufant avec le Laquais
dont elle étoit fuivie , cette Tourière avoit
appris de lui qu'elle devoit partir trois jours
auparavant dans une chaife de pofte avec la
jeune Demoiſelle pour fe rendre à Lyon &
delà à Marſeille ; mais qu'effrayée par des
hiftoires de vols , d'affaffinats , elle prenoit
la Diligence , & n'ofoit expofer l'enfant à la
fatigue du voyage....... "
#
"
A peine le Maréchal avoit - il contenu la
vivacité de fes mouvemens en lifant ces détails.
A cet endroit il s'interrompit , & fe
levant brufquement : c'eft elle ! oui , c'eft
elle s'écria- t'il tranfporté , hors de luimême
il fonnoit , aappppeellooiitt , demandoit
Mademoiſelle d'Artenay , répétoit : ah , mon
Dieu , c'eft-elle ! Il traverfoit un péron pour
aller la chercher , quand une chaife de pofte ,
arrêtée au pied de l'efcalier , lui fit voir le
Chevalier de Mullidan qui en defcendoit.
Il pouffe un cri de joie , court au- devant de
Jui , l'embraffe , le preffe contre fon fein
DE FRANCE. 87
1
lui dit : elle eft ici , mon ami elle eft ici!
Le bruit qu'avoit fait le Maréchal en fonnant
avec violence , en appelant , venoit d'attirer
tout le monde auprès de lui . Le Chevalier
de Muffidan , frappé de la répétition de
ces mots , elle eft ici , demandoit avec émotion
: Eh ! qui donc eft ici ? Le Marquis de
Muffidan , charmé de voir fon oncle , vouloit
l'approcher ; le Maréchal le repouffoit , crioit
à Mademoiſelle d'Artenay : venez , aimable
Clémence , venez , fille heureuſe , dans les
bras d'un père qui vous cherche , qui vous
pleure depuis fi long-temps. Clémence ! répéta
le Chevalier , ah , Dieu , quel nom ! Seroit-
il poffible ? Des explications données avec
une joie vive , reçues avec tranſport , ne
laifsèrent aucun doute au Chevalier de
Muffidan. Les douces larmes de Clémence
, les effufions du coeur de fon père attendrirent
les témoins de cette touchante
reconnoiffance. On vouloit parler , on no
pouvoit s'entendre . On s'embraffoit On
pleuroit ; mais quel plaifir fe mêloit à ces
larmes que l'amour , la nature & l'amitié
forçoient de répandre !
>
Il feroit inutile de fatiguer l'attention d'un
Lecteur intelligent , par des détails qu'il
peut aifément fe faire à lui-même. La généreufe
, la conftante amitié de Zéphirine pour
Mademoiſelle de Muflidan , la rendit fi chère
à l'oncle de fon amant , qu'il l'unit avec plaifir
à l'aimable Marquis. Clémence , déjà fenfible
au mérite du Maréchal , le devint à
E ij
88 MERCURE
fon amour. Ces heureux mariages furent
célébrés à Nancé, & fuivis de fêtes brillantes.
Le Chevalier de Muffidan avoua fes premiers
engagemens , & n'en contracta point d'autres.
Inftruit par la fuite , de l'écrit des Dames Annonciades
, de la pieufe compaffion qui les
avoit portées à élever fa fille , à la traiter avec
bonté , à ne jamais lui faire fentir qu'elle
étoit inconnue & fans appui , il acquitta
magnifiquement fes obligations , & para leurs
autels des marques de fa reconnoiffance,
Avant de quitter la Normandie , la jeune
Marquife de Mullidan y fit une vifite à Mon→
fieur Rémond , qui vivoit alors dans fa terre ;
& fon mari trouva un moyen honnête de
lui faire accepter un préfent confidérable , en
l'offrant à une nièce qu'il mariqit . Le Chevalier
de Muffidan voyant dans fa charmante
fille l'image d'une femme adorée & toujours
regrettée , recouvra enfin cette paix du coeur
fi defirable , dont la poffeffion répand tant de
douceurs fur nos jours. Calme heureux ! que
tout être raisonnable femble ambitionner , &
qu'il éloigne toujours de lui , en fe trompant
fur les moyens de l'acquérir & de le conſerver,
321
DE FRANCE.
82
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE
E mot de la Charade eft Vertu ; celui
de l'Énigme eſt Bâton ; celui du Logogryphe
eft Plaifir , où l'on trouve Paris , fi , la ,
pair , air , ris , pari , pal, lis..
CHARADE.
Mon premier eft un animal ON
Dont tu feras la nourriture ;
Mon fecond un autre animal
Qui trouve par-tout ſa pâture ;
Mon tout encore un animal ,
Dont la grande progéniture
Pour bien des gens eft un régal.
( Par M. Duruchanoy , de Saint - Quenika, )
ENIGM E.
UN pié de ma
longueur
Eft la jufte mefare;
Il l'eft auffi de ma largeur :
Cependant du carré je n'ai point la figure.
( Par un Habitant de Paris .)
É iij
୨୦
MERCURE
LOGO GRYP H E.
SUR mes trois pieds j'établis ma grandeur ; ,
De m'approcher chacun brigue l'honneur ;
Sur deux je charme & la brune & la blonde,
Je fais courir jufques au bout du monde :
On brave pour moi le trépas ,
Tant on eftime mes appas.
Enfin , Lecteur , fi tu me décompofes ,
Tu me verras dans les métamorphofes.
( Par M. B. de Saint- Quentin , Abonné. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESS At fur l'Amour. A Amfterdam , & fe
trouve à Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés. in- 12 . 54 pages.
Sous ce titre modefte , c'eſt un petit Ouvrage
plein d'efprit , de goût , de fentiment ,
de grâce & de philofophie , que nous annonçons.
Préfentons , autant qu'il fera poſſible ,
les idées de l'Auteur dans fes propres termes,
pour leur conferver & toute leur jufteffe &
tout leur agrément.
C'est un mélange de befoins phyfiques &
de fentimens moraux qui produit l'amour.
DE FRANCE. 91
Son premier effet eft de foumettre le fexe le
plus fort à l'empire du plus foible : l'amant ne
peut vaincre qu'en perfuadant qu'il eft vamcu
lui -même ; l'amante trouve dans la néceffité
de fe défendre , une raifon pour dominer;
& fa pudeur fait fa fupériorité : elle s'arme de
rigueurs , d'abord pour écarter l'eſpoir , enfuite
pour éprouver la conftance, Elle fait à
la fois tout ce qu'il faut pour exciter l'audace
& pour imprimer le refpect. Toujours attentive
à reculer fa défaite lors même qu'elle la
defire, toujours portée à la préparer lors même
qu'elle la craint , déployant fur fon amant
tout l'afcendant de la raifon & tout le charme
des caprices , l'arrêtant par des refus , l'encourageant
par des bontés , cherchant enfin à
prolonger le combat plutôt qu'à fortir de danger
, elle parvient à lui devenir plus chère &
plus précieufe par les obftacles même qu'elle
apporte à fon bonheur.
L'amour communique à l'ame un mélange
de force & de foibleffe . Les plus grands obftacles
ne fauroient rebuter un amant qui veut
voir fa maîtreffe , & la moindre rigueur fuffit
pour le défefpérer. L'amour ne laifle vois
qu'une chofe au monde , l'objet aimé.
L'amour produit le refpect en même tems
que les defirs. S'il n'etoit fondé que fur les
qualités de l'âme , il laifferoit les fens dans
l'inertie ; s'il n'étoit fondé que fur les charmes
extérieurs , il laifferoit le coeur vuide &
défoccupé. Le véritable amant eft épris également
des vertus & des attraits ; il eft tendre
E iv
92
MERCURE
& paffionné , refpectueux & ardent , délicat
& impétueux. Il foupire après la jouiffance ;
mais il veut lobtenir du fentiment. Il peut
bien être téméraire , mais non pas raviffeur ,
parce que , pour qu'il foit heureux , il faut
qut fon bonheur foit partagé.
Un amant eft feul au milieu des hommes ,
eu , s'ils fe font remarquer à lui , c'eft par la
gêne qu'ils lui caufent. Un homme ceffe d'être
homme , pour ainfi dire : du moment qu'il
aime , il eſt amant; s'il fe promène , c'eſt pour
penfer à fa maitreffe ; s'il s'arrête ,
c'est pour
y rever plus profondément : un amant n'a que
del'amour. Il a cependant des vertus ; l'amour
en fuppofe. Il n'y a qu'une ante noble & bien
faite qui foit fufceptible d'un fentiment fi
pur , fi défintéreffé , fi fublime. Il faut avoir
le goût du beau & de l'honnête , pour aimer
une fermé belle & vertueufe ; & pour lui
plaire , il faut lui reffembler. Un amant n'eſt
pas courageux , fenfible , humain , généreux,
parce qu'il aime . Il aime , parce qu'il eft né
courageux , fenfible , humain , généreux.
L'amour contribue cependant à développer
ces belles qualités & à leur donner de l'énergie.
Deux êtres qui fe conviennent , parce
qu'ils rempliffent aux yeux l'un de l'autre les
idées de perfection qu'ils s'étoient formées ,
ne peuvent que retirer de leur union un
degré de perfection de plus. Ils fe fervent
mutuellementd'exemple & d'encouragement.
Que l'amourfoit heureux ou malheureux
il développe également les qualités qui tien
DE FRANCE. 93.
nent à la fenfibilité. Les plaifirs & les peines
du coeur exercent le coeur également , & il
eſt toujours fenfible quand il eft exercé.
J'ai, dit l'Auteur , une opinion qu'on pour
ra trouver fingulière : je crois l'amour trèsfavorable
à certaines idées auffi confolantes
que fublimes , telles que l'existence d'un Être
Suprême , la fpiritualité de l'ame , fon immortalité.
Il adopte cette idée d'un Auteur Anglois
, que , dans un pays d'Athées , l'amour.
prouveroit l'existence d'un Dieu.
-Deux individus de fexe different , ne peuvent
fe diftinguer avantageufement aux yeux
l'un de l'autre , que par des qualités qui n'appartiennent
pas effentiellement & primitivement
à leur fexe ; mais qui fe fondant avec
leurs attributs conftitutifs , donnent à chacun
d'eux un air qui le caractérife : telles font
par exemple , les graces dans un homme &
la nobleffe dans une femme. Dans l'idée générale
que nous nous formons des deux fexes ,
les graces ne font point l'attribut du premier ,
ni la nobleffe celui du fecond. Nous trouvons
donc alors ces qualités où nous ne les cherchions
pas , & elles nous caufent une furprife
agréable ; mais il n'y a que des qualités fecondaires
qui puiffent ainfi fe tranfporter &
s'échanger avec fuccès d'un fexe à l'autre ;
les qualités primitives & conftitutives ne
pourroient que perdre à cet échange , en dénaturant
chaque fexe , & en lui ôtant fes
moyens propres de plaire . Hommes , laiffez.
la molleffe aux feinines ; femmes , laiffez la
Ev
94 MERCURE
vigueur aux hommes. Femmes , empruntez
des hommes la nobleffe , la vivacité , la conftance.
Hommes , empruntez des femmes les
graces , la douceur & l'aménité ; mais rapprochez-
vous fans vous confondre. Deux êtres
abfolument ſemblables ne fauroient s'attirer.
Que chercheroient-ils l'un dans l'autre ? Un
homme concevra de l'amour pour unefemme,
lorfqu'il verra fur ce fonds de foibleffe & d'indolence
, qui eft la baſe des qualités de fon
fexe , quelques traits adoucis de nobleffe &
de vivacite , & réciproquement il fera aimé
d'elle , fi elle voit fur ce fonds de force & de
folidité qui diftingue les hommes , quelques
traits ennoblis de délicateffe & d'agrément ;
car il faut que deux êtres faits pour s'aimer ,
different encore par ce qu'ils ont de ſemblable
, & que les qualités qu'ils fe communiquent
fe naturalifent chez chacun d'eux , &
fe frappent au coin de fon fexe.
Voyez les portraits des Héros de Roman ,
& fouvenez- vous que les bonnes fictions ne
font que des imitations de la Nature : l'amant
eft repréſenté grand , bienfait , agile , excelfant
dans tous les exercices du corps ; fon regard
eft fier, quoique doux ; vif, quoique tendre;
il étincelle également de plaifir & de colère
; fon front eft ouvert & affuré; fa voix
eft forte & fonore , fon accent élevé , ſes ſoupirs
brûlans. L'amante eft belle , d'un port
gracieux d'une taille finement arrondie ; elle
avance à pas légers , mais peu étendus ; on
diroit qu'elle ne marche que pour déployer
DE FRANCE.
95
l'élégance de fes mouvemens. C'est dans les
traits fur-tout que l'expreflion du plaifir eft.
agréable; une douce gaieté brille dans les yeux,
& la rougeur eft fur fon front , quand le foupire
eft fur fes lèvres. Voulez - vous la voir
plus intéreffante encore ? Voyez -la dans les
douleurs de l'amour. Un nuage humide offuf
que fa vue incertaine , qu'elle n'ofe fixer fur
l'objet de fon chagrin , quoiqu'un mouvement
involontaire l'y ramène fans ceffe ; fa
voix mélodieufe s'éteint dans les foupirs , &
fon fein agité femble s'avancer pour recevoir
fes larmes. Son amant demande pardon
à fes pieds d'une infidélité paffagère , & que
fon coeur n'a point partagée ; il jure de ne
jamais revoir celle qui l'a rendu coupable. A
ce mot , quel changement s'opère tout-à- coup .
dans le maintien de l'amante offenfee ! quelle ,
majeſté ſur ſon front ! quelle férénité dans
fes yeux ! fon ame généreufe s'élève au-deffus
des petiteffes de la jaloufie . Elle ſe plaint avec
douceur , pardonne avec dignité , & fon
amour pour un ingrat qui fe repent , s'accroît
encore par les bontés qu'elle a pour lui.
Il y a de certaines claffes d'hommes qui,
femblent plus faites que les autres pour
l'amour. Tels font les Guerriers. On fait la
fable des amours de Vénus & du Dieu des
combats ; il femble que ce fexe fi foible , &
qui porte jufques dans fes plaifirs le fentiment
de fa foibleffe , cherche une protection:
en même temps que des hommages , & que
le prix qu'il attache au courage , foit propor-
E vj
96
MERCURE
tionné à fa timidité. D'ailleurs , l'idée terrible
qu'on fe forme d'un Guerrier , ne contribue
pas peu à faire concevoir à une femme une
haute opinion de ſes charmes , lorfqu'elle voir
ce meme Guerrier dépofer auprès d'elle la
fierté de fon ame , & folliciter à fes genoux
un bonheur dont elle eft la fuprême difpenfatrice
elle eft Alattée par le contrafte de la
foumiffion de l'amant & de l'audace du guerrier
; plus elle le croit redoutable , plus elle
jouit de fa victoire , & fa difpofition naturelle
à la frayeur , tourne alors au profit de fa
difpofition non moins naturelle à la vanité.
-Les femmes reffemblent für cet article aux
enfans , qui tremblent de peur lorfqu'on leur
montre une épée nue , & qui aiment à jouer
avec , lorfqu'elle eft dans le fourreau. C'eſt ce
que repréfentoit le tableau d'Alexandre défarmé
par les Amours. L'un attachoit à fon
côté l'épée du Héros , & regardant à terre
fembloit s'étonner de fa longueur ; an fecond
s'avançoit d'un air fier , un javelot dans les
inains; deux autres unifoient leurs efforts
pour foulever un bouclier trop . pefant pour
eux ; le plus efpiègle de la troupe fe mettoit.
en embuscade derrière une large cuiraffe , &
la fineffe de fon fourire annonçoit quelque
niche qu'il vouloit faire à fes compagnons ;
c'eft ce joli tableau que M. de Voltaire a imité
dans la Henriade dea
Les folâtres Plaifirs , dans le fein du repos ,
es Amours enfantins défarmoicnt ce Héros ,
DE FRANCE. 97
L'un tenoit fa cuiraffe encor de fang trempée ;
L'autre avoit détaché la redoutable épéc ,
Et rioit, en tenant dans ſes débiles mains,
Ce fer , l'appui du trône , & l'effroi des humains.
Qu'on faffe , dit l'Auteur , déshabiller pat
les Amours un Solon ou un Hippocrate : on
aura un tableau grotefque, au-lieu de ce tableau
gracieux. Ce fera encore pis , fi l'on met en
Scène un Médecin ou un homme de Robe de
nos jours : la gravité déconcertée fait rire ; la
fierté adoucie , plaît & confole.
Aufli tous les Romans font leur Héros d'un
Militaire ; & indépendamment de toutes les
raifons qui viennent d'être dites , il y en aune
autre que voici : c'est qu'il faut que l'amant
ait une manière d'être qui le rende indépendant
du cours ordinaire de la vie civile. Il faut
qu'il n'ait en quelque forte d'autre devoir à
remplir que celui de plaire , d'autres intérêts
à ménager que ceux de fon amour. Imaginez
qu'un Magiftrat quitte fon Tribunal , un Médecin
fes malades , un Commerçant fes affaires
, pour courir après une maîtreffe : vous
ne verrez- là qu'un défordre, moral , qu'une
extravagance ridicule , & yous ne fentirez
point ce plaifir pur & fans mélange qui ré
fulte de la parfaite convenance des chofes.
La monarchie eft de tous les Gouverne
mens le plus favorable à l'amour. Dans les
Républiques , les femmes ne font qu'écono
mes & mères; les hommes feuls , à propre- A
ment patter , y font citoyens & libres; eux
MERCURE
12
feuls compofent l'État , &jouiffent de fa prof
périté. Dans les États defpotiques , un feul eft
tout ; le refte eft efclave , les femmes comme
les hommes. Dans les monarchies , les femmes
font des compagnes qu'on affocie à fon
rang, à fa fortune, a fes affaires , à fes plaifirs ;
les hommes font la partie folide de l'État , les
femmes la partie agréable ; les Loix & les Arts
font du département des hommes , les moeurs
& le goût font du département des femmes.
Ce n'eft que dans les monarchies qu'elles ont
de la raifon , de la fageffe & des graces , &
qu'elles font libres , aimables & refpectées :
c'eft donc là qu'il faut chercher l'amour ; ce
font-là ces belles contrées ,
Où d'un peuple poli les femmes adorées
Reçoivent cet encens que l'on doit à leurs yeux ,
Compagnes d'un époux & Reines en tous lieux ,
Libres fans déshonneur , & fages fans contrainte ,
Et ne devant jamais leurs vertus à la crainte.
L'Auteur déduit de fes divers principes une
grande vérité : c'eft que l'amour ne convient
qu'à très - peu de perfonnes ; il fuppofe dans
fon objet trop de qualités pour convenir au
vulgaire, il fuppofe trop de conftance pour
convenir aux efprits légers , trop d'ardeur
pour convenir aux efprits calmes , trop de
retenue pour convenir aux efprits violens
trop de délicateffe pour convenir aux efprits
fimples ; trop d'enthouſiaſme pour convenir
aux efprits froids ; trop d'activité pour conDE
FRANCE. 99
venir aux efprits indolens ; trop de defirs pour
convenir aux efprits fages ; trop de privations
pour convenir aux efprits libertins .
Il y a plus , dit l'Auteur ; il eft bon que
l'amour foit rare : il ifole trop , il eſt trop
exclufif, il abforbe l'ame toute entière , il
s'identifie avec l'exiftence , il eft la vie. L'amour
feroit dangereux dans une République où le
patriotifme doit dominer fur tous les autres
Tentimens. Il ne feroit pas moins dangereux
dans un État defpotique ; car il eft incompatible
avec la crainte , & il reconnoît une au
torité fupérieure à celle du maitre ; il convient
dans les monarchies à cette claffe d'hommes
préférés que leur naiffance deſtine à ne
rien faire. Fixé dans cette claffe , il y ferviroit
de frein aux mauvaiſes moeurs ; il apprendroit
aux hommes à refpecter les femmes , aux
femmes à fe refpecter elles-mêmes , & par- là ,
du moins , il feroit utile , pourvu qu'il ne fût
pas trop commun ; car une fociété compofée
d'amans , feroit un affemblage de membres
qui ne feroient point un corps : difons mieux ,
une pareille fociéte ne peut exifter.
« Mais fi nous fomines privés de l'amour,
que nous refte- t'il donc ? Ce qu'il vous refte !
la coquetterie , qui peut confoler bien des
femmes de l'abfence de l'amour ; la galanterie
, qui en eft le menfonge perpetue de la
part des hommes. Il refte aux honnêtes gens
& aux coeurs fenfibles la tendreffe ; à tous , le
plaifir , moins delicieux que la volupté des
100 MERCURE
amans , mais auffi mêlé de moins grandes
peines
"
Quand tout cela eft dit , il faut encore finir
par dire avec M. de Voltaire :
La foule des plaifirs , dont je veux tour - à- tour
Remplir le vuide de moi-même ,
N'eft point encore affez pour remplacer l'amour.
Et fi par la tendreffe que l'Auteur laiffe aux
honnêtes gens & aux coeurs fenfibles , il entend
l'amitié , nous dirons encore avec le
même Poëte :
Je la fuivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus fuivre qu'elle.
ESSAI de Fables nouvelles , dédiées au
Roi, fuivies de Poéfies diverfes & d'une
Épire fur les progrès de l'Imprimerie ,
par M. Didot , fils aîné. A Paris , chez
Didot l'aîné , rue Pavée S. André , Didot
fils aîné, & fombert jeune , rue Dauphine ,
près du Pont- neuf.
CET Ouvrage , avec fon titre modefte , n'en
eft pas moins un monument de famille : il
offre un phénomène très-intéreffant pour les
Arts. Compofé par M. Didot fils aîné , fon
père l'a imprimé avec des caractères fondus
par fon fecond fils ; & c'eft un modèle de
Typographie.
La réunion de ces trois talens pourroit feule
recommander cet.Ouvrage au Public ; le mé
DE FRANCE. 101
rite des Poéfies qu'il renferme , lui donne encore
un prix nouveau. L'amour que l'Auteur
témoigne pour La Fontaine dans fa Préface,
paroît plutôt un fentiment qu'une opinions
& c'eft en parlant de Poëtes tels que La Fontaine
, qu'on peut dire :
C'eft avoir profité que de favoir s'y plaire."
La facilité de M. Didot tient plus ſouvent
de la grâce que de la négligence ; & jamais
dans fes Fables l'efprit ne brille aux dépens de
la vérité. Le ſtyle n'en eft pas toujours châtié;
il est toujours naturel. On trouvera du fens
& un ton dramatique dans la Fable fuivante ,
intitulée: La vue courte & la vue longue.
Diftingues-tu là- bas ce chien
Qui garde ce troupeau dans ce gras pâturage ?
Non , mon ami : je n'y vois rien .
Mais tu vois cet autre qui nage ,
Difoit un homme aux yeux vifs & perçans
A fon camarade Myope ;
C'eſt-à- dire à l'un de ces gens
Dont les yeux ne font pas un fort bon télescope.
Ou done ? de quel côté ? Tiens , regarde
tout droit,
-
Là bas , au bout de mon doigt . ha
Le vois-tu ? - Non ; mais je me le figure."
Je te plains , mon ami ; je vois que la Nature
5.N'a pas fué beaucoup en façonnant tes yeux.
Moi! je ne m'en plains pas , dit l'autre , je tejure
102 MERCURE
7.
Je ne fuis pas né curieux.
-Oui ; mais de bons tableaux , une belle ftatue ,
Tu ne peux en juger , s'ils ne font fous ta vue;
Et ces objets font faits pour être vus de loin :
Fu le fais . Une armée en bataille rangée.....
Eh ! mon ami , de grâce , épargne-toi ce foin :
Ma vue à volonté peut-elle être changée ?
Daigne à ton tour m'écouter un moment :
Elle peut n'éprouver nul dépériffement ;
Auffi bien qu'en mon enfance
Je diftingue à préſent ; felon toute apparence ,
Les ans ne fauroient l'affoiblir ;
La tienne en pourroit bien fouffrir ;
Même il te faut déjà des lunettes pour lire ;
Et peut-être qu'avant vingt ans
Tu n'y verras pas trop , l'ami , pour te conduire.
Ne te vante donc plus de tes regards perçans.
Les dons de la fage Nature
Sont partagés avec mesuré :
Tu vois plus loin ; je verrai plus long-temps.
A la vérité , dans toutes les Fables de ce
Recueil , la moralité n'eft pas toujours auffr
marquée ; quelquefois même elles en font abfolument
dépourvues ; mais dans plufieurs
des Fables qui ne juftifient pas leur dénomination
, le feul titre changé en feroit encore
d'agréables Pièces fugitives.
Les Fables font fuivies de Poéfies diverfes
à la tête defquelles fe trouve une Épithalame ,
DE FRANCE. 103
ù l'on remarquera de très -agréables détails .
Le Poëte , après avoir chanté le bonheur des
deux époux , retrace les vertus qu'il defireroit
lui-même dans une compagne ; & il ajoute :
J'aimerois qu'elle fût jolie :
Je fais bien que pour le bonheur ,
La beauté n'eft pas néceffaire ;
Mais de tout temps elle fut en honneur ;
Et tous les peuples de la terre
Semblent juftifier le penchant de mon coeur ;
Quel que foit fon pouvoir, on ſe plaît à l'étendre :
Tout charme en la beauté , tout devient précieux ;
Un regard eft plus doux , le fon de voix plus tendres
Un fourire eft plus gracieux.
Vous , qu'aujourd'hui l'hymen engage fous fa loi ,
Les fouhaits de mon coeur ne peuvent vous déplaire ;
Si je fais tous ces voeux pour moi ,
C'eft que pour vous je n'en ai point à faire.
>
La Pièce qui termine le volume , l'Építre
fur les Progrès de l'Imprimerie , eft une efpèce
de Poëme qui avoit déjà paru avec fuccès.
En vain voudroit - on fe perfuader qu'un
Poëme didactique peut enfeigner l'art dont il
traite. On n'apprend pas même à faire des
vers dans l'Art Poétique de Defpréaux . Mais
il y a du mérite à rendre poétiquement les
principes d'un art quelconque ; & ce mérite
augmente quand les termes en font plus rebelles
à la Poéfie . Sous cet afpect , l'Hiſtoire
104 MERCURE
de l'Imprimerie offroit beaucoup de difficul
tés ; & M. Didot les a fouvent combattues
avec fuccès. Les citations que nous avons déjà
faites , nous ôtent le plaifir de citer encore
quelques détails qui pourroient juftifier cet
éloge.
Dans cette Épître , M. Didot rend un jufte
hommage à un père qui s'eft illuftré dans l'Art
de l'Imprimerie , & à qui cet Art fe trouve
aujourd'hui redevable d'une émulation généralement
répandue , qui ne peut qu'être
utile à fes progrès. Nous félicitons M. Didot
de parler de fon père avec une forte d'orgueil
: cet orgueil tient à la fenfibilité ; & fon
principe le rend digne d'éloge.
OBSERVATIONS fur les Obftacles qui
s'oppofent aux progrès de l'Anatomie
par M. Tenon , Profeffeur Royal au Collége
Royal de Chirurgie , de l'Académie.
Royale des Sciences. Multa viderunt recentiores
in corpore humano veteribus ignota ;
at quàm relicta funt pofterorum induftria
que nos adhuc fugiunt ! MANGET. A Paris ,
de l'Imprimerie de Ph.D. Pierres , rue
S. Jacques , 1785.
Voici un de ces Ouvrages dont l'utilité ne
fe borne point à une feule ville , à un feul
royaume ; mais dont les avantages s'étendent
à toutes les Nations policées. On y combat
des préjugés , les uns admis par des Savans ,
les autres embraffés par le peuple , tous égaDE
FRANCE.
105
lement contraires à l'avancement de l'Anatomie
, & par conféquent au bien de la Société.
L
L'Auteur s'y élève contre des Savans qui
fe perfuadoient que l'Anatomie avoit atteint
à la perfection dont elle eft fufceptible. II :
appréhende , fi leur manière de penfer s'accréditoit
, que le petit nombre de perfonnes
qui fe deftinent à l'étude de cette ſcience , ne
devienne encore moins confidérable , & que,
moins cultivée , le Public ne foit privé des
fecours qu'elle lui procure.
Il examine en même-temps le befoin que
les Anatomiſtes ont de fujets humains pour
apprendre l'Anatomie. Il en fait connoître.
Futilité ; il porte fon attention fur le refus
qui eft fait chez tous les peuples , de ces fujets
fi néceffaires aux progrès de cette Science : ilen
expofe les fuites funeftes. On ne peut difconvénir
que fes remarques ne foient fondées
; elles s'adreffent aux Nations les plus
policées , qui paroiffent n'avoir point porté
le flambeau de la raifon fur cet intéreffant
objet. Il fait connoître d'autres obftacles qui
arrêtent encore les Anatomiftes dans leurs
recherches. Nous ne pouvons le ſuivre dans
tous ces détails ; il faut lire l'Ouvrage même.
Nous nous arrêtons feulement à ce qu'il oppofe
aux Savans qui prétendent que l'Anatomie
eft tellement perfectionnée , que l'on
peut la négliger pour felivrer à d'autres étu
des , felon eux , plus étendues & moins avancéès.
1
MERCURE 106
9
30:
و ر
"Oui , certes , dit M. Tenon , elle a fait
de très -grands progrès , mais dans les objets
les plus apparens , dans ceux qui fe préfentent
les premiers fous la main ; & encore
» jufqu'à quel point ces premiers objets eux
» mêmes font-ils connus ? On fait quelle eft
la direction des muſcles , par exemple
» pour l'homme fait , dans l'inaction, lorfqu'il
» eft debout ou fitué horizontalement ; mais
» qui les a étudiés dans les autres poſitions
ور
22
où ils peuvent fe trouver quand il agit , &
» pour ne point pouffer trop loin l'examen à
ce fujet , dans le Gladiateur , dans le Portefaix,
lorfqu'il eft chargé d'un pefant fardeau?
» Qui s'eft affuré des changemens qu'ils
→ éprouvent dans les différens états où il faut
qu'ils paffent , pour que l'homme puiſſe ſe
» mettre dans ces diverfes attitudes ? Qui a
» jamais déterminé l'analogie , ou faifi la différence
que préfente un même muſcle ,
confidéré dans l'homme , dans la femme,
» dans l'enfant , dans le vieillard ? Quel Anatomifte
connoît la ftructure de la fibre muf-
» culaire , celle de la fibre tendineufe , les
» moyens d'union de ces deux fibres , les
» différences qui fe rencontrent entre les faif-
"
ceaux dont les muſcles font compofés ? Qui
» fit feulement quel eft le poids du fyftême
» mufculaire , du fyftême des os , du tiflu
→ cellulaire , &c. comparés avec celui total
» du corps de l'homme , de la femme , foit
» en fanté , foit après la maladie , & con-
» fiérés à différens âges , &c. ? »
DE FRA N.CE. 107
Il pourfuit l'examen des recherches qu'il y
auroit à faire en Anatomie ; & pour cela , il
conçoit des Anatomiftes à recherches naturelles
, des Anatomiftes à recherches pathologiques
, & des Anatomiftes confacrés tout
entiers à l'enfeignement. Il trace les occupations
de chacun d'eux : elles font immenfes.
Il voudroit que des Anatomiftes dégagés de
la pratique de l'art de guérir , dégagés de l'enfeignement
, fe livraffent uniquement à la
recherche de la ftructure naturelle du corps
humain & de celui des animaux.
:
ور
و ر
ac
Quels avantages ne recueilleroit -on pas,
» dit-il , des travaux de l'Anatomiſte ainfi
adonné à des recherches naturelles ? Il ne
> borneroit pas fes bienfaits , il feroit d'un
grand fecours aux Peintres , aux Sculpteurs ,
en ce qu'il leur feroit connoître des formes
» plus exactes & plus pures ; il offriroit aux
Méchaniciens des modèles fans nombre de
conftructions ingénieufes encore incon-
» nues , & peut- être préférables à quelques-
» unes de celles que l'Anatomie , moins ap-
» profondie , a déjà procurées à la méchanique.
99
"
» Il feroit utile aux Arts qui emploient les
cheveux , les poils , les laines & les autres
» fubftances cornées , par les recherches très-
» étendues qu'il y auroit à faire fur ces productions
; par conféquent aux Arts fondés
fur le feutrage & le tiffage. » Il étendroit
nos lumières fur l'optique , fur l'acouſtique.
Cet Anatomiſte jeteroit encore un certain
23
ور
108 MERCURE
jour fur ce qui regarde les poids & les mefures
répandus chez la plupart des peuples ,
en remontant aux étalons dont ils dépendent ,
& dont le plus grand nombre eft tiré du corps
humain objet d'une fécondité inattendue.
Combien d'autres recherches enfin n'auroitil
point à faire !
« L'Anatomie , envifagée de la forte , eft
une clé des autres Sciences Phyfiques ; on l'a
trop reftreinte , fans doute , quand on ne l'a
cultivée que relativement à l'art de guérir ,
quand on l'a laiffée aux mains feules des Médecins
& des Chirurgiens : elle demanderoit
des hommes capables de l'embraffer dans
toute fon étendue , & qui , uniquement dévoués
aux études & aux travaux infinis qu'elle
préfente , puffent la porter à la perfection
dont elle eft fufceptible. »
Ce travail eft accueilli de tous les Anatomiſtes
de Paris. L'Académie des Sciences ,
après l'avoir honoré de fon fuffrage , a deſiré
que l'objet en fût mis fous les yeux de l'Adminiftration
. Puiffent les autres états civilifés
de l'Europe , le prendre en confidération !
puiffent les Citoyens vertueux l'accueillir , &
les avantages dont l'Auteur voudroit faire
jouir le Public, avoir leur exécution !
*
SPECTACLES .
DE FRANCE. 109
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a fait la clôture de ce Théâtre par une
repréſentation d'Horace , Tragédie de Pierre
Corneille , fuivie de la Partie de Chaffe de
Henri IV, Comédie de Collé . Entre les deux
Pièces , M. Saint -Phal a prononcé le Difcours
fuivant.
MESSIEURS ,
Il n'a pas toujours été difficile d'obtenir des fuccès
dans l'Art de la Comédie. Pendant long-temps cet
Art n'a été qu'un objet de délaffement pour la plus
grande partie du Public ; fes myftères n'étoient point,
ou n'étoient que très - peu connus ; & les Comédiens
ayant pour un petit nombre de juges à craindre , un
grand nombre de fuffrages à efpérer , jouiffoient
tranquillement & prefque fans peine du fruit de leurs
travaux . Peu à peu les lumières fe font étendues , le
goût s'eft perfectionné , l'amour de l'obſervation eft
devenu général ; alors le Comédien , éclairé fur fes
obligations , fur la néceffité d'un travail opiniâtre
fruit de l'étude & de la réflexion , a redouté, malgré
fon ardeur , fon zèle & les efforts , la févérité des
Spectateurs inftruits qu'il avoit à fatisfaire . Telle eft
depuis plus d'un demi-fiècle la pofition de la Comédie
Françoife. Animée par le defir de mériter les applaudiffemens
de fes juges , foutenue par la noble
N° . 14 , 8 Avril 1786. F
110 MERCURE
covie de conferver chez les peuples étrangers la gloire
dont y jouit le Théâtre François , elle n'en a pas
mcins connu l'importance du dépôt qui lui étoit
confié , la néceffité de répondre aux encouragemens
publics , & la difficulté des fuccès . Mais fi elle étoit
juftement effrayée par le tableau de fes devoirs , elle
a été long- temps raffurée fur l'inquiétude de plaire ,
par la présence des Sujets célèbres qu'elle poflédoit ,
par l'effee toujours entraînant du jeu de quelques
Comédiens recommandables par la fupériorité de
leurs talens , & qui toujours attendus avec impa
tience , reçus avec tranfport , applaudis avec enthou
fiafme , follicitoient pour des Acteurs , non pas moins
zélés , mais d'un mérite moins éminent , l'indulgence
des Spectateurs qu'ils enchaînoiert , pour ainfi
dire , à leurs volontés par l'afcendant de leur génie.
Ces beaux jours du Théâtre François ont déjà difparu
en partie : la mort & le temps ont déjà moiffonné
ou éloigné de la carrière un grand nombre de
ceux à qui vos propres mains , Meffieurs , ont accordé
la palme des talens . Menacés , il y a deux ans ,
d'une nouvelle perte fur laquelle vous avez daigné
partager nos alarmes , nous avons preffenti combien
il nous feroit moins permis de compter fur vos foffrages
. Le fouvenir de vos bontés , la reconnoiffance
de vos bienfaits ont retardé le moment de
notre malheur ; mais il eft enfin arrivé , ce moment
fatal ou cette perte eft rendue plus amère qu'elle ne
l'eût été alors , par les pertes qui doivent la ſuivre ;
& quelles pertes encore ! Ce n'étoit donc pas affez
pour nous de renoncer à nous inftruire dans le jeu
profond , favant & naturel de ce Comédien vraiment
inimitable , qui a fu prendre toutes les formes ,
parler à toutes les affections , exprimer tous les carafères,
à qui la Nature prodigua tous les avantages
qui conduisent à la perfection , ce tact exquis , ce goût
sûr , cette flamme du génie qui font les grands ArDE
FRANCE. TIT
tiftes! ( 1 ) Il falloit encore perdre dans une époufe
digne de lui , & qui a mérité d'être affociée à fa
gloire , un modèle de décence , de dignité , de nobleffe
, d'efprit & d'intelligence. (2 ) Il falloit voit
difparoître une des plus dignes Élèves de Thalie ,
dont le jeu fin , piquant & fpirituel , favoit fe plier
avec adreffe à tous les rôles d'un emploi difficile , où
le premier devoir eft d'exciter le rire fans jamais
heurter les principes de la délicateffe & du goût ! ( 3)
Il falloit enfin que Melpomène & Thalie cuffent à
s'affliger ensemble de la retraite d'un Acteur fu
blime , ( 4 ) dont le premier talent fut une ame brûlante
& vraie , qui parcourut avec un égal fuccès
tous les rôles de la Tragédie & de la Comédie ; qui ,
par la mobilité de fa phyfionomie , par l'art de modifier
les accens , peignit tour-à-tour , avec une vérité
frappante, la valeureufe férocité du vieil Horace,
l'orgueilleufe fenfibilité de Don Diègue , la noble
fermeté de Zopire , & la douce générofité d'Al
varès ; qui enfin , & ce dernier trait fuffit à ſon éloge ,
vous a paru digne , pendant un long cours de repréfentations
, de peindre le caractère & l'ame bienfaifante
du meilleur des Rois , du grand , du bon
de l'adorable Henri IV. Mais que fais - je , Meffieurs ?
Eft ce à moi qu'il convient de louer ceux que vous
avez appréciés , dont vous avez établi & fixé la réputation
? Ont-ils encore befoin d'éloges ; & les
fuffrages que vous leur avez accordés , n'ont - ils pas
plus fait pour leur gloire , que ne pourroient faire
toutes les reffources de l'éloquence ?
›
Permettez - nous , Meffieurs , de nous enorgueillir
à vos yeux d'avoir poffédé long- temps parmi nous
( 1 ) M. Préville .
(2) Mme Préville .
(3 ) Mile Fannier.
(4) M. Brizard.
Fij
12 MERCURE
ceux qui vont ceffer d'être les compagnons & les
modèles de nos travaux , & de chercher dans leur
perte même des fujets de confolation & des motifs
d'indulgence. Ils ne nous font pas fans doute , en
nous quittant , les héritiers de tous leurs moyens de
plaire ; mais ils nous en tranfmettent quelques- uns ,
puifqu'ils nous laiffent des exemples à fuivre . Ils nous
ent appris que le talent feul ne fuffit pas pour mériter
votre cftime & pour exciter votre intérêt. Ils
nous ont prouvé que le zèle , le travail , les efforts
& la modeftie font les refforts les plus sûrs pour
fixer votre bienveillance. Ne nous refufez donc pás
l'efpérance de mériter vos bontés en travaillant à
vous confoler, autant qu'il fera poffible , de vos pertes
& des nôtres ; & daignez , par vos encouragemens
comme par vos lumières , nous applanir le chemin
qui peut nous conduire à des fuccès dignes de la
Nation la plus éclairée dans les connoiffances de
l'Art Dramatique .
Le ton modefte & intéreffant avec lequel
ce Difcours a été prononcé par M. Saint-Phal ,
lui a fait obtenir des applaudiffemens très-vifs
& très- nombreux. Les quatre Sujets dont il
annonce la retraite , ont été reçus , dans la
petite Pièce , avec une ivreffe proportionnée
aux regrets qu'ils laiffent après eux. On les a
demandés à la fin du Spectacle ; ils ont paru
pour recevoir de nouveaux hommages , & les
larmes qu'ils ont verfées , ont donné au Public
attendri des preuves de leur reconnoiffance
& de leur fenfibilité.
Au N°. prochain, la clôture de la Comédie
Italienne.
DE FRANCE. 113
ANNONCES ET NOTICES.
NECDOTES intéreſſantes de l'Amour Conjugal ,
revues & expofées avec préciſion : in- 12 . de 138
pages. A Londres , & fe trouve à Paris , chez l'Éditeur
, rue Jacob , vis - à- vis la rue S. Benoît , Fauxbourg
S, Germain , & chez Hardoüin & Gattey , au
Palais Royal , nº , 14.
Cette Brochure renferme deux Anecdotes , dont
voici le fujet.
La première eft intitulée : l ' Amour Conjugal vainqueur.
Le Vicomte de Gatnon fe marie' par obéiffance.
Il avoit une maîtreffe vénale, plus vile encore
par fes fentimens , avec laquelle il renoue après fon
mariage. Quoique adoré de fa femme , il devient
le mari le plus injufte & le plus criminel . La Vicomteffe
ne pouvant plus vivre avec fon époux , s'enfuit
fans l'en avertir , avec fa Femme- de-Chambre , & fe
cache dans un Couvent fans fe faire connoître . L'Ab.
beffe , qui fe trouve par hafard la tante du Vicomte ,
l'invite à venir affifter à la cérémonie des Voeux
d'une nouvelle Religieufe. Cette Religieufe ( incident
très-inattendu par le Mari & le Lecteur ) ſe
trouve juftement la Comteffe , qui commence des
Voeux , que le Mari très -furpris l'empêche d'achever.
Alors,le Vicomte fe réunit à fa femme , qu'il ramène
chez lui, & rompt avec la maîtreffe, qu'il traite fort
mal.
La feconde Anecdote eft intitulée : l'Amour Conjugal
trompé par les apparences . C'eft un mari qui, fe
trouvant près d'un confeffional où le confeffe fa femme
, conclut d'une phrafe équivoque qu'il entend ,
qu'elle lui eft infidelle , & qui pouffe fa vengeance
Fiij
114
MERCURE
jufqu'à la murer dans une chambre , où il la
laifle prefque manquer de tout. Il reconnoît enfin
fon innocence , & l'expie par les remords & de bons
procédés.
On lira cette feconde Anecdote avec plus de plaifir
que la première. Il y ades traits de fenfibilité . Au refte,
on n'accufera pas l'Auteur de courir après une élégance
de ftyle trop recherchée . En parlant de la maîtreffe
du Vicomte de Gatnon , il dit que ces fortes de
femmes là , quand elles ne peuvent empaumer un nigaud
d'une façon , le gagnent d'une autre. Il faut remarquer
que ces deux Anecdotes font férieufes , &
que les Héros font des gens de qualité. Ailleurs il dit
que la Vicomteffe lâcha la bonde à les farces ; & plus
loin , le Vicomte dit à la maîtreffe , en la renvoyant :
que le diable & toute fa troupe te déchirent le coeur ,
comme les remords déchirent le mien.
OBSERVATION fur une Maladie nerveuse avec
complication d'un fommeil tantôt léthargique , tantôt
convulfif, par M. de Beauchêne , Médecin de
MONSIEUR , Frère du Roi , Brochure de vingtdeux
pages. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Mequignon l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
Les Maladies nerveuses , réputées chimériques
autrefois , font reconnues très- réelles aujourd'hui ;
mais elles fe reproduifent fous tant de formes, qu'elles
échappent trop fouvent à la fagacité des Médecins.
Il feroit donc à defirer que chacun d'eux fît part de
fes découvertes en ce genre, pour parvenir à en faire
un jour un corps de doctrine . L'Obſervation que
mous annonçons peut concourir à ce but. C'eſt la
curation d'une Maladie nervenfe qui occafionnoit
par intervalle à la Malade un fommeil de plufieurs
heures. Les détails en font curieux à lire.
Le Défenfeur de l'Ufure , de rechefconfondu ; ou
DE FRANCE. 115
Nouveaux éclairciffemens oppcfés à ceux de la feconde
Edition de la Théorie de l'intérêt de l'argent ; par
l'Auteur du Livre des Principes fur l'Ufure , & de la
réfitation de ladite Théorie , imprimée chez Morin ,
à Paris , in - 12 , Prix , 2 liv . br . A Paris , chez
Morin , Libraire , rue S. Jacques.
Cet Ouvrage , dont le plan offre quatre divifions ,
traite de la règle des moeurs , de la nature & des
caractères du prêt & de l'ufure , de l'oppofition de
l'ufure au droit naturel , & de la condamnation qu'en
ont faite les loix divines , eccléfiaftiques & civiles.
PROVERBES Dramatiques . Deuxième Edition .
6 vol . in- 8 °. A Verfailles , chez Poinçot , Libraire ,
rue Dauphine ; & à Paris , chez Mérigot le jeune ,
Libraire , quai des Auguftins ; Nyon le jeune , Libraire
, quai des Quatre-Nations ; Laporte , Libraire
, rue des Noyers ; Belin , Libraire , rue Saint
Jacques , & Defenne , Libraire , au Palais Royal.
On connoît la réputation que M. de C……… s'eft
faite dans ce genre agréable. Ses Proverbes offrent
des apperçus de Comédie. Les fix Volumes que nous
annonçons de lui , donneront du plaifir aux Sociétés
qui s'amuferont à les jouer , & même aux Perfonnes
qui fe contenteront de les lire dans leur cabinet.
ORAISON Funèbre de très - haut , très-puiſſant &
très-excellent Prince Louis- Philippe d'Orléans
Duc d'Orléans , premier Prince du Sang , prononcée
au Service folemnel que MM. les Maire &
Echevins de la Ville d'Orléans ont fait célébrer en
l'Eglife Cathédrale , le 8 Mars 1786 , par M. de la
Foffe , Chanoine de ladite Eglife , & Bachelier en
Théologie de la Faculté de Paris . A Orléans , de
l'Imprimerie de Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi , rue Vieille- Porerie ; & fe trouve à Paris ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet
IIG MERCURE
quartier Saint-André- des- Arcs ; Cuchet , Libraire ,
rue & hôtel Serpente ; Belin , Libraire , rue Saint
Jacques , & chez les principaux Libraires du Palais.
Les Amateurs de l'Eloquence facrée auront fans
doute du plaifir à comparer les diverfes Oraiſons
Funèbres d'un Prince cher à la Nation. Celle de
M. l'Abbé de la Foffe a de la douceur & de la fimplicité
dans le ftyle & dans les idées. L'impreffion de
ce Difcours mérite des éloges.
SECONDE Suite de l'Aventurier François , contenant
les Mémoires de Caraudin , Chevalier de Rofamène,
fils de Grégoire Merveil , Tomes III &
IV, in-12. A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
l'Auteur, hôtel de Malte , rue Chriftiue ; Quillau
l'aîné , Libraire , rue Chriſtine ; la Veuve Ducheſne,
Libraire rue Saint Jacques ; Belin , Libraire , rue
Saint Jacques ; Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins , & Defenne , Libraire au Palais Royal ..
Nous avons parlé des premiers Volumes de cet
Ouvrage , qui prouve au moins de l'imagination de
la part de fon Auteur.
THESEE domptant le Taureau de Marathon ,
gravé par F. A. David , d'après le Tableau peint
par Carle-Vanloo , premier Peintre de Louis XV
dédié & préfenté à MONSIEUR , Frère du Roi .
A Paris , chez l'Auteur M. David , rue des Cordeliers
, au coin de celle de l'Obfervance ; & chez
Verrier , Négociant , au Palais Royal , n ° . 9.
Cette Eftampe a deux pieds fix lignes de longueur,
fur un pied quatre pouces de hauteur. Prix ,
15 liv. Cette riche compofition , où il fe trouve
près de quarante Figures , mérite d'être diftinguée
tant par l'enſemble des proportions , la fimplicité
des contours , l'excellence des caractères , que par
l'harmonie qui réfuite de l'union des couleurs ,
des
DE FRANCE. 117
effets de leurs ombres & de leurs reflets différens ,
-ce qui a toujours fait regarder ce Tableau comme
le chef- d'oeuvre d'un des plus célèbres Peintres de
l'Ecole Françoife.
LE Général Magnanime , Eftampe deffinée par
Pernotin , gravée par Malbefte . Pix , 3 liv A
Paris , chez Bergny , Marchand d'Eftampes , rue
Coquillière , & à l'hôtel de Penthièvre , vis - à -vis la
Place des Victoires.
Cette Eftampe , dédiée à M. le Duc de Montmorency
, repréfente un trait héroïque rapporté par
M. Déformeaux : « Henri II , Duc de Montmo-
» rency , affiégeoit en 1621 la Ville de Valz en
» Vivarais ; un de fes Maréchaux de Camp , le Ba-
» ron de Morèze , s'étant approché de trop près de
» la Place.pour la reconnoître, fut tout à-coup enveloppé
par les ennemis , & percé de coups . Le Duc
» de Montmorency fe jette à corps perdu dans la
mêlée , écarte l'ennemi par des prodiges de valeur
, charge l'Officier bleffé fur fes épaules , &
» le ramène au camp au milieu des acclamations de
» fon armée . »
ל כ
כ
Cette Gravure plaira aux Amateurs , par le foin.
des détails & l'effet de l'enfemble.
PORTRAIT de Louis Gillet , dit Ferdinand ,
Maréchal-de- Logis au Régiment d'Artois Cavalerie,
deffipé d'après nature par Borel , le 13 Février
1786 , avec permiffion de M. le Comte de Guibert ,
Gouverneur de l'Hôtel Royal des Invalides , gravé
par E. Voyfard , Graveur ordinaire de Mgr. Comte
d'Artois. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Harpe ,
No. 18. Le Maréchal- de- Logis , par les mêmes.
Tout le monde connoît l'Histoire intéreffante de
Louis Giller ; on affure que le Portrait que nous annonçons
eft très- reffemblant. Au bas fe trouvent
---
118 MERCURE
le moment
gravés deux médaillons qui repréfentent , l'un , Louis
Gillet délivrant la jeune fille , & l'autre ,
où il la rend à fes parens. Quant à l'eftampe , qui eft
d'un format un peu plus grand , & qui repréfente ce
Maréchal de Legis aux prifes avec les deux fcélérats
, elle nous a paru d'une compofition intéreflante ,
& gravée avec beaucoup de foin & d'effet.
TRAITE d'Anatomie comparée par Alexandre
Mouro , Docteur en Médecine, &c . publiépar fonfils,
Alexandre Mouro, Docteur en Médecine, Profeffeur,
&c. Nouvelle Édition , corrigée & confidérablement
augmentée , avec des notes traduites de l'Anglois par
M. Sue fils , Membre du Collège & de l'Académie
Royale de Chirurgie , & c. in - 12 . Prix , 2 liv. br. ;
2 liv. 10 f. relié . A Paris , rue & hôtel Serpent .
On n'accufera point le Traducteur de cet
Ouvrage , de ne pas entendre la matière dont il
traite , ce qui arrive quelquefois. L'Ouvrage origi
nal , bon par lui même , a reçu un nouveau prix des
augmentations qu'on vient d'y faire en le traduifant
en François. Plufieurs Gens- de- Lettres y ont mis la
main , comme l'annonce le Traducteur dans fa Préface.
Il eft certain que l'Anatomie comparée deit
répandre les plus grandes lumières fur l'art de guérir
& cet Ouvrage peut amufer encore ceux à qui il
n'eft pas utile , c'eft- à- dire ceux qui ne font pas
une étude de l'Anatomie.
LES Promenades de Clariffe , ou Principes de la
Langue Françoise à l'ufage des Dames , par M.
Tournon , dixième Cahier. A Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur-Libraire , rue Galande , no. 64 ; Jombert
jeune , Libraire , rue Dauphine ; Mérigot , Libraire
, vis- à-vis de l'Opéra & Bailly , Libraire ,
rue Saint Honoré , Barrière des Sergens.
DE FRANCE. 119
Cet Ouvrage , qui joint à l'avantage de préfenter
avec clarté les Elémens de notre Langue , l'intérêt
d'une action morale, fe continue avec luccès . Il mérite
d'être diftingué de ceux du même genre qui ont
paru depuis dix ans .
NOUVELLES inftructives Bibliographiques , Hif
toriques & Critiques de Médecine , Chirurgie &
Pharmacie , ou Recueil raifonné de tout ce qu'il importe
d'apprendre chaque année pour ê re au courant
des connoiffances & à l'abri des erreurs relatives à
l'Art de guérir , année 1786 , Tome II , in- 16. A
Paris , chez Méquignon l'aîné , Libraire , rue des
Cordeliers,
C'eft fans doute une idée heureufe que celle d'un
Ouvrage deftiné à nous faire part des heureufes dé-
Couvertes qui fe font journellement dans l'Art de
guérir , & à nous prémunir contre les erreurs qui
peuvent influer fur notre exiftence. Le plan nous en
a paru bien tracé & bien exécuté . On voit que c'eft
l'Ouvrage d'un bon efprit , & d'un homme trèsinftruit
de la matière qu'il traite. L'Auteur eft quelquefois
févère dans fes jugemens , & par-là même
bien des gen le trouveront injufte ; mais tout Lecteur
fenſé le fouviendra que c'eſt fur- tout dans ce
genre qu'une fade complaifance feroit auffi coupable
que dangereufe .
LA MUSE Lyrique , ou Journal de Guittare ,
dédié à la Reine , par M. Porro , année complette
1785. Prix , 12 liv. , & 18 liv. franc de port. A
Paris , chez Mme Baillon , rue Neuve des Petits-
Champs , au coin de celle de Richelieu.
Ce Journal, dont il paroît deuxNuméros détachés
tous les 15 jours , eſt à ſa ſeizième année , & ſe con
tinue toujours avec fuccès,
120 MERCURE
Nouvelles Etrennes de Guittare , ou Choix des
plus jolies Chanfons nouvellement mifes en Mufsque
& mêlées de Pièces , terminées par une Sonate
& des Obfervations fur la Guittare , par M.
Porro ; uvre cinquième de Guittare . Prix , 7 liv.
4 fols franc de port par la pofte . A Paris , chez
l'Auteur & Mine Baillon , Marchands de Mufique ,
à l'adreffe ci deffus . Troiſième année 1786. La Collection
des trois années coûte 21 liv. franc de
port.
NUMEROS 14 à 20 des Feuilles de Terpfychore
pour la Harpe & pour le Clavecin. Prix , 1 liv. 4 fols
chaque. Abonnement , 30 liv. pour chaque Inftru .
ment , dont il paroît une Feuille tous les Lundis. On
foufcrit chez Coufineau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies.
INSCRIPTI
TABLE.
TION pour le Por- Effai fur l'Amour,
trait de M, Molé,
Couplets ,
61 Ellai de Fables nouvelles , 100
62 Obfervations fur l.s Obstacles
qui s'opposent aux progrès
64 de l'Anatomie ,
Fin de l'Hiftoire des deux Jeunes
Amies ,
Charade, Enigme & Logo Comédie Françoise ,
gryphe ,
104
109
891 Annonces & Nonces , 11;
APPROBATION.
J'AI la , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 8 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion . A
Paris , le 7 Avril 1786, GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 15 AVRIL 1786,
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
FRAGMENT fur l'Influence du Phyfique
de l'Hommefurfesfacultés intellectuelles.
LA vie avec le fang circule dans nos veines ::
Tel un ruiffeau léger qui s'enfuit dans les plaines ,
Divifant fes tréfors en différens canaux ,
Porte aux prés altérés le tribut de les eaux ,
Des roféaux de fes bords nourrit l'ombre naiffante,
Et , fecourant des fleurs la tige languiffante ,
Court abreuver des champs l'ingrate aridité ,
Et répand la richeffe & la fécondité .
Telle du frêle corps la liqueur vagabonde
Roule en mille canaux la pourpre de fon onde ;
Des membres languiffans ranimant la vigueur ,
No. 15 , 15 Avril 1785,
G122
MERCURE
Nourrit leur embonpoint , colore leur fraîcheur ,
Dans le cerveau brûlant fait naître la penſée ,
S'enfuit , revient au coeur , & fans ceffe chaffée ,
Vers les extrémités coule rapidement ,
Et par- tout dans fon cours porte le fentiment.
DE mon pouls inégal que la marche incertaine
Introduife la fièvre en ma brûlante veine ,`
Mes efprits en défordre , errans , tumultueux,
Portent dans mon cerveau leur délire fougueux.
Que d'un fang épaiffi la pourpre rembrunie ,
Des diverfes humeurs détruiſant l'harmonie ,
Dans les vaiffeaux gonflés circule lentement ,
Le corps dans la langueur fe traîne pefamment ;
De l'efprit affaiffé la tardive penſée
De nuages obfcurs eft toujours éclipfée.
Pourquoi faut- il qu'au corps le génie aſſervi ,
De tous les maux du corps fans ceffe poursuivi ,
Du temps & des faifons éprouve l'inconftance ,
D'un ciel fombre ou ferein fubiffe l'influence ;
Qu'un air vif& piquant excite ma gaîté ,
Aninte mon efprit de fa vivacité ;
Que du vent du midi les vapeurs accablantes
Relâchant de mon corps les fibres languiffantes ,
De mes pefans efprits amortiffent les feux?
O toi , Chantre divin des querelles des cieux !
Toi qui , dans les tranfports d'une héroïque audace,
Du père des mortels as chanté la diſgrâce ,
Et les combats livrés dans les plaines des airs ,
DE FRANCE 823
Les délices d'Éiden & l'horreur des enfers ,
Rarement t'agitoit le fouffle d'Uranie ;
Les étés defféchoient la fleur de ton génie.
Tu n'avois plus en toi ce talent créateur
Qui des cieux & d'Homère atteignoit la hauteur ;
Le grand Homme rampoir ignoré fur la terre ,,
Tantôt homme divin , tantôt mortel vulgaire .
( Par M. de la Valette. ) :
ACROSTICHE.
Nous engageons dorénavant les perfonnes .
qui s'occupent d'Acroftiches , à ne pas nommer
dans les vers ce qui en fait le fujet.
L'Acroftiche eſt une eſpèce d'Enigme , dont
on doit trouver le mot en raffemblant les lettres
qui commencent chaque vers. Le foin
que nous defirons n'ajoute guère à la difficulté
, & c'eft une exactitude de plus.
I.
A mort n'a point frappé d'auffi chère victime ;
tit plutôt que nos pleurs l'Oder aura tari.
Offrant à fes vertus le tribut de l'eſtime ,
énétré de respect pour ce Prince chéri ,
n ne s'étonne point de l'ardeur qui l'anime :
e plusbeau fang couloit dans fon coeur magnanime
eux Héros l'infpiroient , Frédéric & Henri.
( Par M. le Marquis de Fulvy.
Gi
824
MERCURE
I I, -
← A terre , de fa gloire en tous lieux fut remplie ,
t feul , en le perdant , fon pays abattu
Ofa fe plaindre au ciel de fon trop de vertu .
cuples infortunés ! déplorable patrie !
O ! combien votre fort auroit fait de jaloux !
Horfque pour deux fujers il a donné la vie ,
evenu Souverain , qu'auroit- il fait
I I I.
pour tous?
ES Princes , endurcis par la grandeur altière ,
coutent rarement la voix des malheureux.
O fublime Brunſwick ! quel effort généreux !
our fauver des mortels tu perdis la lumière ,
Objet infortuné de la fureur des eaux !
'indigent orphelin en toi pleure fon père ,
ans toi l'Univers pleure & l'homme & le Héros,
( Par M. H..... )
I V.
ODER eft débordé ; les peuples du rivage,
n butte à fes fureurs , fous les flots vont périr :
On frémit, le péril étonne le courage ; •
erfonne en ce danger n'ofe les fecourir....
d'un fublime coeur , noble mais trifte uſage !
éopold..., il s'élance .... il fuccombe à l'orage....
ieux ! combien de vertus l'onde vient d'engloutir !
( Par M. Traverfier. )
DE FRANCE.
123
V.
← trépas dans nos coeurs te fait vivre à jamais
n mourant , tu fis taire & rougir l'égoïsme.
Léopold! reçois nos larmes , nos regrets :
our nous , quoique étranger , tout grand Homme
eft François.
On admire en pleurant ton füneſte héroïſme :
'Oder de tes beaux jours éteignit le flambeau ;
ans les flots tu trouvas ta gloire & ton tombeau.
( Par un François . )
V I.
ÉOPOLD à Francfort enfeveli dans l'onde ,
n fauvant des humains qu'engloutiffent les flots
Offre aux coeurs généreux l'exemple d'un Héros ,
rès du Trône placé pour le bonheur du monde.
Oublions que de Mars il fuivit les drapeaux :
a guerre dont il fit un noble apprentiſſage ,
evoit moins que la paix illuftrer fon courage.
(Par M. de C*** , Officier de Canoniers. )
Acroftiche qu'on propofe :
LOUIS GILLET.
Prefque tous les Arts ont célébré l'action
très- connue de ce brave Maréchal- des-Logis ,
qui , ayant eu le courage de délivrer une jeune
fille de deux fcélérats qui l'avoient attachée
Giij
126 MERCURE
nue à un arbre , eut encore la délicateffe de
refufer fa main , tant parce qu'il s'eftimeir
trop vieux pour elle , que pour ne pas abufer
de fon titre de bienfaiteur.
Avisfur les derniers Bouts-rimés.
Dans les derniers Bouts - rimés propofés
il s'eft gliffé une fante qu'il faut rectifier. A
la feptième time , au lieu de Pandour, il faut
fubftituer Tour. Les perfonnes qui ont déjà
envoyé , font priées de revenir fur leur feptième
vers , & d'y rétablir cette nouvelle.
sime.
Explication de la Charade , de l'Enigme
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Verrat ; celui
de l'Enigine eft Soulier ; celui du Logogry
phe eft Roi , où l'on trouve er , Io.
DE FRANCE 127
CHARADE.
ON fe pique fouvent faute de mon premiers
Piqué , fouvent on chante mon dernier ;
Mon tout fouvent confcle un irgrat héritier.
(Par M. le M. de B... )
ENIGM E.
POUR n'avoir pas connu ce dont je fuis capable
Un Saint Homme commit un crime abominable ;
Un Général fameux , chez les Juifs renommé ,
Se vit fans tête un jour pour m'avoir trop aimé ;
Croiriez-vous cependant , chofe très véritable ,
Le premier innocent , & le dernière coupable ?
( Par un Payfan d'Argenou. }
LOGOGRYPH E.
E fuis fils de l'Amour ; la jeuneffe eft ma mères
Mes parens m'ont permis le doux efpoir de plaire
Le plaifir eft mon but , & l'hymen mon tombeau ,
Si fon frère en fes mains ne remet fon flambeau.
Je n'ofe me montrer aux jours de la fageffe ;
Le ridicule alors puniroit ma foibleſſe :
Un fexe fans égards ſe plaît à m'afficher ;
Giv
28 MERCURE
L'autre met conftamment ſes ſoins à me cacher.
J'offre peu de rapports : cinq pieds forment mon être ;
En les décompofant , à vos yeux vont paroître
Ce qui fur quelques fronts remplace les cheveux ;
Un nom qu'on donne aux Rois ; ces enfans trop heureux
,
Efclaves empreffés de la charmante Hélène ;
Ce qu'on voit à fon doigt fix jours de la femaine ;
Dans les brefs du Saint- Père un mot toujours placé ,
Et qui dans nos difcours n'eft jamais prononcé ;
Ce jeu que devant Troye iaventa Palamède ,
Contre lequel les loix n'offrent qu'un vain remèdes
Le fynonyme ancien de cette paffion
Qui roit au camp des Grecs tant de divifion ;
Deux notes de mufique ; un grain qui dans l'Afie
Des peuples malheureux foutient la triſte vie.
Voilà tous mes rapports . Ne vous offenlez pas ,
Beau fexe , fi toujours je vole fur vos pas :
Ouvrage de vos yeux ,de votre doux fourire ,
Ma place eft dans les coeurs foumis à votre empire ;
Malheur à tout mortel peu fait pour le plaifir ,
Qui , forcé d'admirer, ne peut plus me fentir !
( Par M. D. R. M. A M. D. R. D. B
DE FRANCE. 129
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VOYAGE deM. de Mayer en Suiffe en 1784 ,
ou Tableau Hiflorique , Civil, Politique
& Phyfique de la Suiffe . A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Leroy , Libraire ,
rue S. Jacques , 1786. 2 vol. in- 8 °.
Left des Ouvrages de Littérature trèsinnocens
, fur lefquels la critique auroit tort
de s'appefantir. Vous préférez Virgile à Homère
, ou Shakeſpeare à Racine à votre
aife ; qu'importe ces opinions à la fociété ?
Qu'après un fiècle de jugemens , de phrafes
& de puérilités fur Racine & Corneille ,
fur Longin & Boileau , fur le goût & le
fublime , on vous entretienne encore de ces
nouveautés d'hier , afin que l'univers foit
inftruit de ce que penfent de ces lieux communs
les gens d'efprit qui raifonnent fur
le génie , perfonne n'a le droit de s'en plaindre
; autrement , le ridicule de ces graves
difcuffions s'attacheroit à l'importance avec
laquelle on les examineroit févèrement ;
mais cette tolérance devient outrée envers
les Ouvrages où l'on juge les Nations . Elles
ne peuvent refter indifférentes fur des
Arrêts qui tendroient à leur enlever l'eftime
G V
130
MERCURE
des autres peuples ; & quiconque fe hafarde
à les prononcer , doit prévoir que les gens,
inftruits les vérifieront avant de leur attacher
le fceau de l'opinion.
Peu de Voyageurs font d'un âge & d'un
caractère affez mûrs pour obferver. Les:
Chardin , les Cook , les Pallas font perdus.
au milieu d'une bibliothèque immenfe d'impoftures
débitées par des faifeurs d'Itiné
aires. Autrefois , du moins , l'objet de ces
relations étoit circonfcrit , on les mettoit en
chanfons , quelquefois très-gaies : aujourd'hui,
chaque Voyage eft une Encyclopédie leurs
Auteurs ne fe promènent pas pour s'amufer ,
c'eft pour imprimer à leur retour. Ont-ils tra
verfe quelques villes, interrogé quelques poftillons
, vifité quelques affemblées , ils deviennent
les arbitres du fort de la contrée..
Craignant de paroître fecs, s'ils fe borncient à
en décrire les productions , les fites , les
édifices , dans leur chaife- de-pofte , ils en caractérisent
les moeurs & les Gouvernemens :
d'un coup d'oeil ils pénètrent le bien ou
le mal , apprécient les perfonnes , comme
s'ils parloient de leurs condifciples ; les loix ,
les habitudes , le degré de génie , l'efprit géné
tal , rien ne leur échappe ; & des Lettrés fi
bien inftruits , finiffent toujours par donner
des leçons au peuple qu'ils ont profondément
étudié deux mois entiers. Tous les Journaux
les louent , les Importans les citent , les
Compilateurs les copies .
DE FRANCE. 131
La plupart de ces Journaux de Voyage ont
par conféquent dégénéré en fatires impertinentes
, ou en panégyriques enthoufiaftes ,
felon les préjugés , la patrie , les habitudes
de l'Écrivain , qui ne devroit avoir ni préjugés
, ni patrie , ni habitudes.
Les Lecteurs à qui le véritabe état de la
Suiffe eft familier , décideront fi M. de
Mayer a encouru ou non quelques- uns des
précédens reproches. Plus facilement que
d'autres , il a pu les prévenir , puifqu'il
arrivoit à la fuite de trente Voyageurs
éclairé de leurs lumières , averti de leurs
erreurs , prêt à s'enrichir de leurs omiflions.
En Suiffe même , on l'aura mis en garde
contre ces relations précipitées , dont plus
qu'un autre il feroit inexcufable d'avoir
imité l'inconfidération..
C'est un contraste digne d'arrêter l'Obfervateur
, que celui des Voyageurs Anglois &
François dans leurs remarques fur la Suiffe.
Jamais la différence du Gouvernement , du
caractère , des préventions des deux peuples ,
n'a été plus fortement exprimée . Entre les
premiers , on a fur-tout diftingué M. Coxe
Ses Lettres embraffent la Suille fous tous
fes rapports phyfiques & inoracx ; univerfa
lité qui , fans doute , a puiffamment contribué
au fuccès de cer Ouvrage. M. de Mayer
réclame contre cetté réputation , mais par
des argumens peu concluans : M. Coxe ,
dit- il , étoit inconnu ; certainement, le favane
Auteur des Découvertes des Ruffes , & Cr
Gvj
MERCURE
>
n'étoit point inconnu en Suiffe , où la Traduction
de fon Recueil avoit été réimprimée.
Il ignoroit l'Allemand & l'Italien. M. Coxe ,
qui dans ce même Recueil a donné de très:
longs extraits de Muller , ne l'a pas fait
fans favoir l'Allemand ; mais il avoue le
parler peu. Quant à l'Italien , il n'eft d'uſage .
en Suiffe , que fur les frontières orientales.
Enfin , M. de Mayer trouve M. Coxe trop
paffionné pour la liberté. Cependant , cet
Ecrivain ne fe paffionne guères ; & d'ailleurs
, où fe trouveroit cet enthouſiaſme
fi ce n'eft dans le coeur d'un Anglois ,
écrivant fur le berceau de Guillaume Tell ?
A plus jufte titre , M. de Mayer pouvoit reprocher
à M. Coxe des erreurs effentielles
fur la légiflation , fur l'économie politique ,
fur le droit public , fur la ftatiftique , fur les
moeurs de la Suiffe ; beaucoup d'affertions hafardées
fur parole ; une féchereffe quelque- .
fois rebutante , & un ton toujours didactique ,
foit qu'il analyfe un Gouvernement , foit
qu'il décrive fans les peindre les objets phyfiques
les plus propres à ébranler l'imagination.
Ces défauts , il eft vrai , font rachetés
par l'efprit jufte de l'Auteur , exercé en Angleterre
même à étudier les formes Républicaines,
& par fon érudition : érudition indifpenfable
, quoi qu'en dife M. de Mayer ; car ou
apprendre à connoître les Nations , fi ce n'eft
dans leur Hiftoire ?
Cette imperfection du Voyage de Suiffe le
plus eftimé, prouve de plus en plus que , pour
DE FRANCE. 133
juger fainement cette contrée , il faut recourir
aux Écrivains indigènes , & les méditer.
M. de Mayer femble avoir négligé cette précaution
, en donnant trop de confiance à des
apperçus , en décidant au- lieu de douter ,
& én jetant fur le papier le Journal de fes
courſes avec autant de rapidité qu'elles pàroiffent
avoir été faites : je dois à l'estime que
mérite l'Auteur, & à la Suiſſe même, à laquelle
j'ai le bonheur d'appartenir , de juftifier cette
'opinion , fans déguifer les parties recommandable
de cet Ouvrage.
En mettant le pied en Suiffe , l'Auteur
s'annonce fujet d'une Monarchie & habitant
de Paris : il tourne en dérifion les loix fomptuaires
, & trouve ridiculé de bannir le
luxe d'une villa commerçante. Cette ville eft
Bafle , qui , ainfi que Genève , ne fubfiftant
en grande partie que du commerce d'économie
, ne fauroit trop conferver à fes moeurs le
caractère que prennent fes fpéculations ; mais
nous verrons enfuite que M. de Mayer a abfolument
méconnu le motif de ces réglemens
qu'il a l'imprudence de décrier .
La ville de Bafle contient elle feule les
» deux tiers de la population du canton ; "
Bafle a 14 mille habitans , & le canton
entier 38 mille . Celui- ci a 28 lieues quar-.
rées de 25 au degré , chacune defquelles , par
conféquent , renferme environ 1400 habitans.
Les feuls Citoyens de la ville ont part aux
charges , ce qui défigure étrangement la
» démocratie. Dans celle- ci , il faut qu'il y ait
134 MERCURE
plus de Citoyens Magiftrats que de Citoyens
fimples particuliers. Saififfez certe nuance
qui vicie à Bafle la démocratie , & marquez
» fur vos tablettes : là , on n'eſtpas pleine-
» ment libre.»,
و و
On ne le feroit pas davantage à Bafle ,
d'après les idées de M. de Mayer, fi les payfans
même étoient admis aux Charges. Les Tribus
ruftiques jouiroient feulement des droits réfervés
aux Tribus urbaines , en participant à
former le Souverain par repréſentation . Ce
feroit toujours une ariftocratie élective , & la
démocratie confifte dans la réunion des pouvoirs
aux mains de toute la Communauté qui
fe trouve à- la-fois le Souverain & le Gouvernement.
" Les déclamations ne feront point defcendre
du ciel la liberté. En Suiffe , le payſan
» paye une dîme au Chefde la Magiftrature ,
des redevances au Bailli , un impôt pour
les fortifications , un autre pour les frais
de garde , un autre pour un fonds de dépenfes
permanentes ou extraordinaires .....
» Le payfan eft obligé , avant de fe marier
"
de préfenter à l'Infpecteur des Milices
» fon équipage de guerre ; favoir , fon habit.
d'uniforme , un fufil , bayonnette , &c. &c. ·
Cette avance eft évaluée à 144 livres , qui
feroient mieux employées à l'achat de deux
» vaches & d'un cheval. "
Des déclamations ne feront pas fortir læ
Liberté des lieux où elle s'eft refugiée . Il feroittrès-
commode de rencontrer une fociété ci
DE FRANCE. 139
vile exempte de toute efpèce de charges publiques
; comme la chofe eft impoffible ,
même dans les démocraties les plus abfolues
, le Citoyen acquitte fa dette à la liberté ,
en fe foumettant à des contributions néceffaires
& très-limitées , dont perfonne n'a le
privilége d'être difpenfé. En lifant le paragraphe
ci - deffus , on jugera la Suiffe écrâfée
d'impôts ; ce tableau romanefque manque
abfolument de fidélité. On paye au Souverain
une dîme qui fert à acquitter les gages.
de l'Églife & plufieurs dépenfes publiques.
Dans la plupart des Cantons , il n'existe pas.
d'autres redevances au Baillif. Les trois quarts
de la Suiffe n'ont point de fortifications ; ainfi
Te foible tribut qu'on perçoit dans quelques.
villes de garniſon , n'eft nullement général ,
les campagnes en font exemptes. Le payfan
feroit très -fot d'échanger contre deux vaches.
& un cheval , le droit de fe défendre luimême
, de ne jamais être écrâté par des Soldats
, & d'avoir dans fon arſenal domeftique.
un sûr garant de la modération du Gouvernement.
« Voulez-vous quelques traits de plus au
» portrait de cette liberté prônée dans l'in-
" tention defaire une fatire...... Il eft difficile,
au payfan de s'affembler . Dans les villages ,
il y a un Bailli ; à fon défaut c'eſt un Subdélégué.
Celui-ci efpionne , fait desfaignées ,
divife unfang trop vif.Et voilà cette liberté
Superbe!
24
22
23.
Superbe en effet , telle qu'elle exifte . Pas
136 MERCURE
un village n'a de Baillis ni de Subdélégués ;
pas une loi ne défend au payfan de s'affembler.
Le premier qui s'aviferoit de jouer
le rôle d'efpion , ne le joueroit sûrement pas
deux fois. Quant aux faignées & au fang trop
vif, je n'entends pas , je l'avoue , le fens de
cette expreffion.
» Hormis Bafle , Zurich & Schaffouſe , il
» y a en Suiffe très- peu de reffources pour:
les Négocians. "3
و ر
Il y en a beaucoup davantage & même
trop. Genève , Neufchâtel , Winterthour ,
Saint- Gall , Mulhoufe , &c. & c. font exclufivement
des villes de commerce .
و ر
ور
Сс
Il faut des protecteurs aux petites Républiques
; c'eft une vérité auffi ancienne que
» le monde , & confacrée dans l'Hiftoire
» Générale des Nations . » (L'Auteur cite
enfuite les protecteurs adoptés par les Suiffes ,
ou plutôt les Puiffances qui font aux Suiffes
l'honneur de les protéger. )
S'il eft une vérité auffi ancienne que le
monde , c'eft qu'il ne faut de protecteurs ni
aux grandes , ni aux petites Républiques. Les
grandes fe défendent par elles-mêmes , & les
autres par leur petiteffe . On n'a recours à la
dangereufe reffource des protections que lorfqu'on
peut craindre d'être envahi . Dix lignes
plus bas , M. de Mayer nous raffure contré
cette crainte. ".Qu'est -ce qui tente les con-
ور
quérans , dit-il ? De l'or & des terres qui
» rendent de l'or. Il eft impoffible de pouDE
FRANCE. 137
voir jamais établir des impôts un peu forts
en Suiffe , qui puiffent rembourfer les frais
» de conquête , & payer ceux de la garde des
» pays. conquis. Une monarchie a un autre
" régime que de petites Républiques. » M. de
Mayer a pris les alliances du Corps Helvétique
pour des protections .
De tous les diftricts de la Suiffe , le Cantor
d'Appenzell eft le plus digne de fixer les regards
d'un vrai Philoſophe. Là , fe trouvent
encore les moeurs Helvétiques fans alliage ,
la rufticité des manières avec l'intelligence la
plus active & un jugement fain ; la force corporelle
avec l'induftrie ; le génie des Arts méchaniques
& celui de l'agriculture ; toutes les
vertus des peuples libres & pafteurs : fimplicité
, franchiſe , amour de l'égalité , tempérance.
Là , fous une conftitution à peu - près
démocratique , la liberté a fixé le tra- :
vail & l'aifance , a réparti le fol entre tous
les Citoyens, écarté la richeffe & l'indigence,
fa compagne ; là , eft raffemblée , au milieu
des rochers prefque inabordables & des glaces
éternelles , une population qui furpaffe celle
des contrées les plus fertiles. Par lieue carrée
l'Appenzell compte 1700 habitans. Ni les
riches plaines du Milanais ni le fol des Provinces
-Unies ne préfentent une pareille population
; elle fera encore plus confidérable
dans l'Appenzell , fi l'on diftrait de fon étendue
les montagnes réfervées aux pâturages
d'été , & celles que les frimats ont rendues
inacceffibles.
138 MERCURE
Voici les obfervations de M. de Mayer fur
cette contrée , à laquelle il donne la moitié
plus de territoire qu'elle n'en renferme.
}
"
33
" Concevez - vous que l'Ouvrier qui fait
" fortir de fa navette un tiffu précieux, puiffe
être groffièrement vêtu , mange du pain
» noir , & fe refufe le fuc de la viande......
Quel eft le genre de luxe ou de diflipation
qu'il fe procure ? Je n'en vois aucun. Il eft
» heureux , dit- on. Quel bonheur ! Eh ! qu'il
» eft nud ! On a eu raifon de dire qu'il n'y
» avoit dans l'Appenzell ni riches ni pau-
» vres. Hélas ! ils font tous au même degré
» de privation.
Oui , l'on conçoit très - aifément que le
Payfan & le Tifferand Appenzellois foient
vêtus du bon dran de leur pays ; qu'ils le paf
fent de fleur de farine comme de poudre à
cheveux , & qu'ils fe nourriffent d'excellens
fruits , de laitage toujours frais , de légumes
qu'ils ont fait croître . S'il en étoit autrement ,
alors le Voyageur pourroit fe permettre des
interjections. Les privations qui nuifent au
bonheur ne font pas celles qu'on s'impofe ,
ou qui naiffent de l'ignorance des fuperfluités.
Rien n'empêcheroit I habitant de l'Appenzell
de fe les procurer : peu de payfans en Europe
ont fon aifance abfolue ; mais proprement
logé , chaudement vêtu , bien alimenté , ami
du travail , dont perſonne ne vient lui difputer
le fruit , témoin chaque jour des fuccès
de fon économie , fortement attaché à fon
pays & à tous les liens domeftiques , vivant
DE FRANCE. 739
avec les égaux en fortune & en autorité , que
lui refte- t'il à defirer ? Des Comédiens & des
draps de Vanrobais ? Chez lui , la frugalité
eft vraiment une vertu , parce qu'elle n'eſt
point le fruit de la néceflité ; fans elle tout
feroit perdu ; car fi quelques confommateurs
polis & éclairés venoient à ambitionner ce
luxe & cette diffipation fi chères à M. de
Mayer , il faudroit qu'ils dévoraffent l'héritage
de leurs voifins ; & plus de République.
Il est au refte abfolument faux que l'Appenzellois
ne mange jamais de viande.
M. de Mayer juge fuperficiellement le Gouvernement
& les moeurs du Canton de Zurich.
Ce qu'il dit fort à la hâte de fon agricul
ture , n'eſt pas plus exact. Selon lui , " c'eft
>> ici que l'on voit combien les nouveaux fyf-
» têmes d'agriculture ont influé fur les cultivateurs.
On a reçu de nos économistes les
pommes de terre , la tourbe , le blé de Tur-
» quie..... Il n'a manqué à Zurich que des
» Ecrivains pour lui procurer , quant à l'éco-
» nomie ruftique , la même réputation dont
la France jouiffoit. ""
Les habiles & riches payfans du Canton de
Zurich n'ont rien appris des fyftêmes ni des
économistes. Il n'étoit pas queftion de cette
fecte en France , que l'on cultivoit en Suiffe
la pomme de terre & le blé de Turquie. Les
excellens Mémoires de la Société Economique
de Berne , & ceux de la Société Phyfique de
Zurich , ont été plutôt le réfultat des pratiques
agricoles des Cultivateurs Suiffes , que
140 MERCURE
des enfeignemens à ces mêmes Cultivateurs.
Zurich a fourni un Livre célèbre d'économie
ruftique , où on ne trouve , il eft vrai , ni
differtations dogmatiques ni logogryphes fur
l'agriculture , ni théories abftrufes rédigées
dans des boudoirs. Ce Livre eft le Socrate
Ruftique. Ce Socrate eft le payfan Kliog , des
environs de Zurich; un coup- d'oeil fur les
fermes de ce Philofophe n'eût pas été indigne
de M. de Mayer , & lui eût appris des chofes
qui ne fe trouvent pas dans les pamflets des
Vifionnaires & des Sectes. Zurich n'a ni Redoute
ni Ambaffadeus d'Hollande , comme
l'avance le Voyageur.
"Pourquoi le commerce ne fleurit- il point
» à Berne ? C'eft qu'il n'y eft ni honoré ni encouragé
; le régime ariftocratique nuit à
» l'induftrie. »
ود
"
Le commerce du Canton de Berne eft tel
qu'il doit être dans un État agricole , celui
des productions du fol, des vins , des chevaux ,
des toiles , des beftiaux , des fromages . Il ne
faut des manufactures là où les bras font pas
à peine fuffifans à l'exploitation des terres ,
là où les confommateurs font déjà en plus
grand nombre que les confommations. Le
Gouvernement de Berne continue donc à repouffer
très-fagement toutes ces fabriques de
luxe , qui peferoient fur les campagnes fans
les enrichir , & qui éleveroient quelques fortunes
pour faire des milliers de miférables.
L'ariftocratie , d'ailleurs , demande un État
territorial , & s'allieroit mal avec les conDE
FRANCE. 141
féquences du commerce. Celui - ci , par fes
richeffes , éleveroit bientôt une Puiffance rivale
du Patriciat ; il en résulteroit infailliblement
des commotions ; ainfi , tant que Berns
voudra conferver fon Gouvernement , bon
ou mauvais en théorie , la politique lui ordonne
ce que la raifon lui a perfuadé. Le commerce
utile au Canton eft honoré & encou
ragé. Le Confeil Souverain compte plufieurs
familles qui appartiennent encore à cette claffe
de Citoyens.
ور
de
Comment colorer un fonds permanent
de 400,000 liv. fterl. qu'on amaffe dans le
» tréfor de Berne , ou qu'on prête aux Hollandois
? Eft-ce donc pour être en état de
foudoyer la Milice des Cantons pauvres, &
» pouvoir les fubjuguer , & c . &c .»
Je n'ai pas fait l'inventaire du tréfor de
Berne, & je doute qu'on y ait admis l'Auteur.
Il prend ici des fables populaires pour des vérités
hiftoriques. L'Etat n'a rien prêté aux
Hollandois ; mais il a une créance de so mille
liv. fterl . dans les fonds d'Angleterre . Les Rois
de Danemarck & de Sardaigne , l'Électeur de
Saxe & le Duc de Wirtemberg font aufli fes
débiteurs de fommes peu confidérables. A peu
de chofe près , les dépenfes de ce Gouverne
ment égalent fes revenus , & cela doit être ,
puifqu'il fait fe priver de la reffource des impofitions.
Par la même raifon , il s'eft ménagé
très - fagement dans une longue fuite d'économies,
un fonds indépendant pour fubvenir
à des dépenfes extraordinaires & imprévues,
142 MERCURE
Les conjectures de l'Auteur fur l'emploi futur
de ce tréfor , paroîtront exceffivement indifcrettes
; il n'eft guères permis à un Écrivain
fage d'en hafarder dé pareilles , à plus forte
raifon fur des connoiffances erronées.
Les Baillis étoient autrefois électifs :
» le Gouvernement de Berne a jugé à propos
» de les nommer. Il y a moins de brigues ,
dit- on ; il y a plus de dépendance ; & dans
» la créature élevée par faveur, on a un inf-
» trument de domination . »
55
Le ton de fatire fur un Gouvernement
qu'on connoît à peine , eft toujours répréhenfible.
Qu'eft - ce donc , lors qu'il porte fur des
erreurs : Rien ne prouve mieux que ce paffage
la précipitation du Rédacteur . Si le Gouvernement
de Berne nommoit les Baillis , ils
feroient encore électifs : ils ne le font plus ,
parce qu'on les tire au fort ; or , le fort ne
fait ni faveurs ni créatures .
"
"Dans le village d'Heimberg , les habitans
font prefque tous de la fecte des Quakers.
Jamais il n'y eut de Quakers en Suiffe ; l'Aureur
veut parler des Anabaptiftes , qui font
très-différens. "
A Bafle , a Berne , à Fribourg , le Voyageur
turlupine les élections par ballotage ; il
les compare aux Diètes Polonoifes ; cette loterie
, felon lui , eft d'un fiècle barbare & d'ignorance.
A cette décifion je laifferai répondre
l'Abbé de Mably. « Le fort , dit- il , eft quelquefois
jufte ; des intrigans ne le font jamais.
››
»
DE FRANCE
143
1
La plus étrange Lettre de ce Voyage eft celle
fur Genève. La moitié en eft confacrée au
Panégyrique des Spectacles. Ce qui extafie
M. de Mayer , ce n'eft ni la pofition phyfique
de cette ville , ni le charme de fes alentours
ni l'éducation des deux fexes , ni l'univerfalité
des connoiffances , ni les avantages qui
peuvent refter à cette République ; c'eſt la
préfence d'un célèbre Comédien. J. J. Rouf
feau n'a fait qu'un Roman ; il n'a fait fa
cour ni aux femmes ni aux hommes. Les
maurs ! les moeurs ! quel mot! la patrie , quel
cri ! la Comédie n'eft qu'une jouiffance de
plus. J. J. Rouffeau s'étoit trompé dans les
Epoques de Genève , il apris les moeurs d'un
âge pour celles d'un autre , &c. &c. Quelle
morale ! & quelles déciſions !
Il y a vingt-fept ans que parut cette Lettre
patriotique de Rouffeau , l'un des chef- d'oeu
vres de l'éloquence argumentative , & à laquelle
on a tant répondu fans la réfuter. Alors
les moeurs auftères du Calvinifie & de l'État
Républicain étoient encore dans toute leur
vigueur. Alors les ri . heffes s'acquéroient par
des travaux & par une économie héréditaires ;
alors les bienfeances étoient aulli refpectées
que les loix ; les frivolités étrangères prefque
inconnues ; la modeftie chez les femmes , la
modération chez les hommes , l'union dans
les ménages ; toutes les vertus domestiques
étoient garantes des vertus publiques , & le
Genevois n'avoit pas befein de repréſentations
théâtrales pour fentir fon bonheur , &
144 MERCURE
pour le conferver . Et d'un coup de crayon un
étranger anéantillant cet intervalle de vingtfept
ans , nous peint chaque famille en 1758
avecfon carroffe , tandis qu'aujourd'hui même
à peine un dixième des Citoyens aifés s'eft
donné cette fuperfluité , très-inutile dans la
ville même , puiſqu'il eft défendu de s'en
fervir ! Et il nous parle des emprunts , des rafinemens
de banque , & de toutes ces fpéculations
récentes qui ont tué l'ancienne induftrie
! & il nous dit que toutes les Genevoifes
font Angloifes ou étrangères ! comme fi ce
peuple étoit forcé , à l'exemple des Romains ,
à des enlèvemens de Sabines pour fe procurer
des femmes !
20
" La Comédie , ajoute M. de Mayer , a été
reçue avecjoie. Déjà on s'occupe de réfor-
» mer les fermons qui auroient pu croifer les
» fpectacles , &c. »
›
Le Voyageur aurcit dû fe rappeler les
circonftances qui ont fait admettre cette
joyeufe Comédie. Au refte l'évènement
a juftifié Rouffeau , & ceux qui , avec
lui , ont dit que le Genevois n'étoit pas '
fait pour ce genre d'amufement. Malgré tous
les efforts & tous les expédiens , il faut renvoyer
les Comédiens , & donner relâche au
dégoût général.
Par quelle fatalité , depuis le Géomètre
d'Alembert jufqu'au bel- efprit Marquis de
Pezay, & de Voltaire à M. de Mayer , tous
les Écrivains ou Voyageurs François qui ont
fait
DE FRANCE. 145
fait à la Suiffe l'honneur de s'occuper d'elle ,
ont- ils crié à la barbarie qui en éloignoit les
Théâtres Tous , ainſi que M. de Mayer , fe
moquent des loix fomptuaires , des triftes
vertus des femmes , qui s'ennuient comme des
mortes au fein de leurs familles , de la tyrannie
qui leur défend de ruiner leurs maris &
leurs enfans , d'afficher le fafte & l'indecence
, &c. &c. D'où peut venir cet acharnement
à préconifer la dépravation publique
, à en accroître les fources , à y exhorter
de concert des peuples dont on devroit refpecter
les reftes d'innocence , comme dans le
difcours on refpecte celle d'un enfant ?
M. de Mayer décrie par-tout ces Réglemens.
L'effentiel , dit-il , eft d'avoir de l'or
& de le dépenfer. L'effentiel , au contraire ,
dans une République , eft de ménager l'orgueil
de chaque Citoyen ; de ne faire éclater
ni dans les moeurs ni dans les manières , l'inégalité
qui peut exifter dans les fortunes ; de
ne pas fouffrir qu'un Cordonnier foit humilié
du fafte d'un Sénateur ; de contenir tous les
individus dans la modération à l'extérieur , &
de réprimer tout ce qui tend à annoncer de
la différence entre les hommes. Ainfi le voyoit
l'immortel Montefquieu , le feul Ecrivain né
dans une monarchie, qui ait eu des idées faines
fur les Républiques.
Je ne m'arrêterai pas aux obfervations
générales de l'Auteur fur les divers Gouvernemens
de la Suiffe. Ses idées à ce
Nº. 15 , 15 Avril 1786.
H
·146 MERCURE
୮
fujet femblent n'avoir aucune confiftance.
Eft-il dans une ariftocratie ; il invoque à
grands cris la conftitution populaire . Paſſe -t'il
dans une démocratie ; il ne voit plus que les
avantages du Patriciat. Faute des notions difficiles
à acquérir fur ces légiflatures compofées
, du moins l'Auteur pouvoit en obferver
les effets ; ce n'eft pas une manière fufpecte
de juger d'un Gouvernement . Ainfi , au lieu
de tant de déclamations contre celui de Berne ;
au lieu de nous repréfenter le peuple de ce
Canton comme livré au defpotifme du Patriciat
, comme dépouillé , comme hors d'état
de fe plaindre , il auroit vu qu'aucun État
n'a mieux corrigé , par les principes de fon
adminiftration , le vice de l'inftitution fondamentale
; qu'il n'a donné aux Patriciens aucunes
prérogatives civiles ; qu'il perfévère
dans un fyftême de modération invariable ,
& par raifon & par néceffité. Privé de forces
phyfiques, il fent qu'il ne peut attacher à l'obéiffance
un peuple armé qu'en lui faifant aimer
un régime dont la crainte ne fauroit être le
reffort : M. de Mayer eût apperçu , qu'en confé
quence , nulle part la propriété n'eft plus facrée
; qu'aucun peuple ne fupporte moins de
taxes , n'eft plus à l'abri de l'inconſtance &
des caprices de l'autorité ; que la moindre
Communauté de payfans a fes prérogatives &
fa jurifdiction ; qu'avec fa requête , le dernier
Laboureur fe préfente hardiment aux premiers
Magiftrats de l'Etat , eft sûr d'en être
écouté, & que fi l'on trouve quelque part l'aiDE
FRANCE. 147
fance , la paix , la fécurité , c'eſt dans les campagnes
du Canton de Berne.
ود
" Avant de déclamer , dit fagement M. de
Mayer , fi on réfléchiffoit un peu , ou plutôt
» fi on n'écrivoit qu'après avoir beaucoup
» vu , on feroit plus vrai . »
En confultant plus attentivement la carte
géographique , M. de Mayer eût évité quelques
erreurs graves , comme celle de cenfurer
aigrement J. J. Rouffeau , d'avoir oppofé le
tableau riant du pays de Vaud à la côte dépeuplée
du Chablais. Si les frontières , felon
l'expreflion de l'Auteur , font toujours neutralifees
, c'eft-à-dire , plus pauvres , le pays de
Vaud , formant les limites de la Suiffe du
côté de la France , devroit l'être autant que le
Chablais , extrémité de la Savoye : cela n'eft .
point ; donc l'obfervation de J. J. Rouffeau
refte dans toute fa force , & il a eu raifon de
chanter un hymne à la Liberté,
Nous en avons dit affez pour perfuader que
ce Voyage doit être lu avec beaucoup de précaution
. Il n'en eft pas moins fupérieur à
celui d'un Anonyme, magnifiquement imprimé
à Paris en 1783 ; M. de Mayer l'a parfaitement
caractérisé. Cet Anonyme a récriminé
dans une Feuille Publique ; mais il femble
qu'un Écrivain affez courageux pour infulter
une Nation entière , J. J. Rouſſeau &
M. l'Abbé Raynal , devroit être moins irafcible.
Le Marquis de Turcaret prétend qu'il
faut quatre mois de Valogne pour former un
Homme de Cour. L'Anonyme parolt égale-
Hi
148 MERCURE
ment d'avis que fans les airs de Paris , les
montagnards de la Suiffe ne feront jamais que
des imbécilles. On ne trouve point dans M.
de Mayer cet excès de bonne opinion ; fes
fréquentes contradictions tiennent à fes goûts ,
aux préjugés nationaux , à des réticences forcées.
Avec du feu , de l'efprit & des connoiffances
, il perfectionnera une ébauche efquiffée
avant le temps. Plufieurs morceaux de
ce Livre , tels que la peinture du Payfan
Suiffe , p. 225 , celui qui concerne Guillaume
Tell , le tableau de Ferney & du Colon dans
les Démocraties Helvétiques , ont le double
mérite de l'exactitude & de l'intérêt.
Nous ne dirons rien du ftyle , vivement critiqué
, de ce Voyage. On s'arrête peu à la brederie
, lorfqu'un fonds riche abforbe l'attention
; & c'eft à des Écrits de ce genre qu'il
faut appliquer le fage précepte d'Horace :
Scribendi rectè , fapere eft & principium & fons.
Cet Article eft de M. Mallet-du- Pan
Citoyen de Genève. )
*
DE FRANCE. 149
TRADUCTION du Plutarque Anglois
contenant la vie des Hommes les plus illuf
tres de l'Angleterre & de l'Irlande , Miniftres
, Guerriers , Hommes d'Etat &
d'Eglife , Citoyens , Philofophes , Poëtes ,
& des plus célèbres Navigateurs & Artiftes
depuis le règne d'Henri VIII jufqu'à nos
jours ; dédié au Roi de Suède. in- 8 °. A
Paris , chez Mérigot l'aîné , Libraire , au
boulevard de la porte S. Martin , & fous
le veftibule de l'Opéra ; Mérigot le jeune ,
quai des Auguftins ; Renault , rue S. Jacques
, & au Bureau du Théâtre Anglois ,
rue Sainte-Appoline , N°. 6.
IL a paru jufqu'aujourd'hui fix volumes de
cette Traduction , dont l'idée feule doit intéreffer:
c'étoit fans doute un fpectacle curieux
à nous offrir , que le tableau des perfonnages
qui ont figuré dans une Nation qui à fon tour
joue un rôle des plus brillans parmi les peuples
de l'Europe.
On avoit reproché aux deux premiers volumes
des négligences de ftyle & des incorrections
typographiques. Le Traducteur a
mieux aimé profiter de cette obfervation que
de s'en plaindre ; & la fuite de cet Ouvrage
eft écrite & imprimée avec plus de foin. Ne
pouvant faire parcourir à nos Lecteurs tous
les volumes qui ont paru , nous allons nous
arrêter un moment aux deux derniers. Les
perfonnages dont on y raconte la vie , ont
H iij
150
MERCURE.
vécu fous Jacques ou Charles , & quelquesuns
fous le règne de ces deux Monarques.
Une des plus confidérables , c'eft celle de Sir
Waller Raleigh.
ود
و ر
و ر
» Il poffédoit , difent les Éditeurs , le courage
d'un Héros , le zèle d'un bon Citoyen ,
» les talens d'un habile Miniftre , & les con-
» noiffances d'un profond Littérateur. » Il eft
douloureux de fonger que tout cela l'a conduit
à l'échafaud . Dans des temps aufli orageux
, les grandes qualités font plus dangereufes
que les grands crimes.
و د
ور
Il mourut avec courage , mais fans oftentation.
Après avoir harangué , fuivant l'uſage ,
& la prière finie , « Raleigh prit congé des
» Lords & des autres perfonnes qui l'entou
roient ; il donna aux uns fon chapeau , fes
bijoux , aux autres fon argent , remercia le
» Lord Arundel de fa complaifance , & le pria
d'intercéder auprès du Roi , pour que ce
» Prince empêchât la publication des Ecrits
» injurieux à fa mémoire. Ne vous étonnez
» pas , lui dit-il , de mes précautions ; la
» voyage que j'entreprends eft long & incer-
" tain. S'étant dépouillé de fes vêtemens , il
» voulut voir la hache qui devoit finir fa glorieufe
carrière. L'Exécuteur héfita: Donnez,
s'écria - t'il ! cette arme ne m'effraie aucune-
» ment. Puis il en examina le tranchant ; &
fe tournant vers le Shériff, il lui dit : Le
remède eft violent ; mais il guérit de tous les
» maux. Ayant enfuite remis la hache à l'Exé-
» cuteur , celui -ci ſe jeta à fes pieds , & lui
ور
و د
"
DE FRANCE.
isi
33
و د
» demanda pardon . Raleigh le releva , & l'em-
» brafla. L'Exécuteur , fans doute par un ex-
» cès de bienveillance , lui demanda de quel
» côté il fouhaitoit repofer fa tête fur le bil-
» lot : Quand le coeur eft droit , lui répliqua
» Raleigh , il eft inutile de s'occuper de la tète.
ود
و د
Puis donnant le fignal , il fut décapité après
» deux coups de hache. On enterra le corps
» dans le presbytère de l'Abbaye Royale de
» Weftminfter , & l'on en remit la tête à
l'infortunée Lady Raleigh , qui la conferva
» dans fon appartement jufqu'a fon trépas ,
arrivé 29 ans après l'exécution de fon
époux , &c. ,,
ל כ
ود
ود
L'un des hommes les plus célèbres dont ce
volume contient la vie , c'eft le Chancelier
Bacon. La conduite de ce favant perfonnage
ne fut rien moins qu'irréprochable. Il fut fouvent
malheureux , & il le fut fouvent par'fa
faute. Pour fes affaires domeftiques , elles
furent plus d'une fois dans le plus grand défordre.
Il étoit pillé par tous fes gens trop
convaincus de fa négligence ; on doit même
attribuer en partie fa difgrace aux exactions
qu'ils fe permettoient pour leur avancement.
Bacon qui s'en apperçut trop tard , traverfant
un jour fon anti- chambre , dit à fes gens qui
fe levoient: Affeyez-vous , mes maîtres ; votre
élévation a caufe ma chûte.
Il eſt queſtion dans le fixième volume d'un
homme moins favant , mais plus vertueux ;
c'eft John Williams , Archevêque d'Yorck ,
Garde du grand Sceau , & Chancelier d'Angle-
Hiv
152
MERCURE
terre. Les droits que lui donnoit fon crédit ,
devenoient dans fes mains autant de moyens
de bienfaifance. Un jour le Roi fe voyant
forcé de condamner deux Prédicateurs , qui ,
par leur indifcrétion, avoient mérité la rigueur
› des loix , chargea Williams , pour remédier
aux abus de cette efpèce , de faire quelques
réglemens. Williams obéit ; mais voulant profiter
de cette occafion pour obtenir la grace
des deux Prédicateurs , il inféra parmi les articles
du réglement : « Qu'on ne pourroit do
» rénavant monter en chaire avant l'âge de
trente ans , & qu'on ne pourroit plus y
précher à foixante. Le Roi , en lifant cet
article , s'écria : Vous n'y fongez pas , Milord
! je crois en honneur que votre inten-
» tion eft de me priver de mes meilleurs Pré-
" dicateurs ! Ignorez -vous que mes plus vieux
23
وو
33
و د
"
Chapelains ne le cèdent à perfonne en lo-
" quence , & peuvent défier les plus habiles
Théologiens de l'Europe ? Si Votre Majefté
» veut abfolument que jeunes & vieux s'en
mêlent , répliqua Williams , il faut qu'Elle
» ait de l'indulgence pour les étourderies des
» uns , & qu'elle pardonne au radotage des
» autres. Confidérez , Sire , que tous les états .
ont befoin d'un apprentiſfage ; lorſqu'on
eft parvenu à la maîtrife , on n'a qu'un bail
» avec la raifon ; ce bail fini , il n'eft pas éton-
» nant que les hommes retombent dans les
premières folies de l'enfance. Delà , Sire ,
le proverbe que les deux extrémités fe
» touchent. Vous en avez un exemple frap-
93
22
, כ
"J
DE FRANCE.
153
"3
"
ور
» pant dans Knight & White , pour lefquels
j'implore à vos genoux la clémence de
» Votre Majefté. A la bonne heure , répondit
Jacques ; mais à condition que vous
effacerez ce fot article qui me déplaît. »
Williams avoit prédit au Roi Charles ce
que feroit un jour Cromwel. « Quoique cet
homme , dit - il , foit encore confondu dans
la foule , il fera néanmoins un jour votre
plus redoutable ennemi ...... Vous ſavez ,
» Sire , que tout animal a un défaut diftinctif;
Cromwel les réunit tous dans fon coeur.
» Votre Majefté doit donc s'attacher ce mau-
» vais Citoyen à force de bienfaits , ou s'en
» débarraffer par la rufe. »
ود
و ر
ود
و د
La manière dont Jacques établit la dignité
de Baronnet eft affez ingénieufement racontée.
Ce Roi confia à Sir Robert Cotton " fon
projet d'obtenir de l'argent de fes fujets ,
» en flattant leur orgueil par le titre pom-
» peux de Chevalier Baronnet , dignité qu'ils
>> achetteroient pour la fomme de 1000 liv.
fterl. Cotton approuva ce moyen ; la va-
» nité l'adopta; & ce fut peut-être le premier
» fubfide qu'un Monarque Anglois eût ob-
» tenu fans exciter les murmures de fon
peuple. »
و د
ود
Compofer un corps d'Hiftoire de plufieurs
vies particulières, eft une forme qui n'eft pas
fans inconvéniens . Par cette marche , l'Hiſtorien
eft fujet à ſe répéter ſouvent , à revenir
fouvent fur fes pas. D'ailleurs , par un fentiment
dont on ne fe rend pas compte , on
Hv
154
MERCURE
aime , en lifant l'Hiftoire , à avancer dans les
temps à mesure qu'on fuit les événemens ; &
par la méthode adoptée dans cet Ouvrage ,
en achevant de lire la vie d'un homme célèbre
, on eft obligé de reculer dans le paffé
pour reprendre la vie d'un autre perfonnage.
Mais ces inconvéniens font peut - être compenfés
par la facilité de donner une idée plus
diftincte de chaque Héros , qui , d'ailleurs ,
par cette méthode, fe claffe plus aifément dans
la mémoire du Lecteur.
A la lecture de cet Ouvrage , nous n'avons
pu nous défendre d'une réflexion : c'eſt que
la Nation Angloife eft fi continuellement
agitée & divifée par tant d'intérêts oppofés ,
qu'il eft difficile d'apprécier avec certitude les
perfonnages qui en ont opéré les différentes
révolutions ; ils font accufés & juſtifiés par
tant de voix à-la - fois , qu'au travers de ces
diverfes clameurs il eft difficile de déméler la
vérité.
Nous invitons le Traducteur de cette in-.
téreffante Collection , à pourfuivre fon entreprife
, qui devient une importation utile à
notre Littérature.
DE FRANCE. 155
PRÉCIS des Conférences des Commaires
du Clergé avec les Commiffaires du Roi ,
concernant la demande faite aux Bénéfi
ciers de la preftation des foi & hommage.
Nous avons déjà parlé, au mois d'Octobre,
de deux Mémoires qui ont difcuté contradictoirement
cette grande queftion entre le Domaine
du Roi & le Clergé. Il ne nous appartient
pas , il ne nous conviendroit pas ici
d'avoir un avis fur cette affaire , ni de prevoir
la décifion du Tribunal augufte qui doit la
décider. Mais il importe peut-être d'appeler
l'attention des hommes inftruits , vers des Ouvrages
qui répandent de grandes lumières fur
une partie très - peu connue de notre droit
public , & de rendre juftice à des travaux
d'un ordre fupérieur , qui malheureuſement ,
par la nature de leurs objets , ont peu de
juges. Le nouveau Mémoire que M. l'Archevêque
d'Aix vient de publier pour la défenſe
du Clergé, eft encore un Ouvrage plus étendu,
plus profond , plus favant que le premier ;
après l'avoir lu & relu avec toute l'attention
dont nous fommes capables , il nous femble
que c'eft un modèle dans l'art & le talent
d'embraffer de grandes queftions & de les
fimplifier , de créer des principes dans un ordre
de chofes où tout s'eft établi au hafard ,
où l'on ne peut faifir des règles qu'en analyfant
bien une foule de faits , & en les rappro-
Hvj
156
MERCURE
chant de leurs caufes ; dans l'art & le talent
de féparer & de réunir les inftitutions particulieres
& les principes généraux , de les faire
reconnoître à des traits certains , & d'en tirer
toujours les conféquences qui leur font propres
; enan , dans l'art & le talent de foutenir
& de foulager l'attention , qui ſe rebute aifément
d'un fujet aride & abftrait , parbeaucoup
d'ordre & d'enchaînement dans les idées , par
cette fagacité qui démêle tout & lie tout ,
par une difcuffion qui tire tout fon éclat de
la lumière qu'elle répand , tout fon effet de
la conviction qu'elle produit , enfin , par ce
ftyle dont on fent plus le mérite qu'on ne
le remarque , parce qu'il convient toujours
au fujet. Si quelqu'un trouvoit de l'exagération
dans ces éloges , nous le renverrions
pour toute réponſe , à l'Ouvrage même , qui
eft plutôt un Livre de bibliothèque qu'un
Mémoire d'affaire. Il eſt beau , il eft doux
d'être le défenfeur des droits de fon Ordre ;
mais , dans un travail fi long , fi difficile , fi
peu propre à recevoir la gloire qu'il mérite ,
le zèle n'eft pas moins louable que le talent.
( Cet Article eft de M. de L. C. )
>
"
DE FRANCE. 157
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Il y a eu Concert le 25 Mars , le 2 , le 5 &
le 7 Avril. Nous pafferons légèrement fur les
nouveautés qu'on y a entendues , dont aucune
n'a fait de fenfation bien remarquable ,
quoique plufieurs ayent été reçues avec plaifir.
De ce nombre ont été deux fymphonies concertantes
, dont l'une exécutée fur le baffon
par M. Ozy , fur la clarinette par M. Solers ,
avec leur perfection ordinaire , & l'autre à
deux cors , de M. Lebrun , exécutée par lui &
par M. Dominich. Telles font encore une
fymphonie de M. Ragué & une de M. Cannabich,
toutes deux fort agréables. On a auffi
rendu juſtice aux Hyérodrames de MM . Toméoni
& Berton , dont plufieurs morceaux
ont été fort applaudis . Les Solos qui fe font le
plus diftingués , font M. Kreitz für le violon ,
fur - tout M. Michel fur la clarinette , &.
Mlle Deſcarfin , qui mérite une mention particulière
pour le grand talent qu'elle montre
fur la harpe , dans un âge fi peu avancé. Il eft
impoffible, même à un Maître, d'avoir plus de
grâce & de préciſion dans fon jeu. Nous ne
dirons rien de l'Ode de Rouffeau , mife en
mufique par M. l'Abbé le Sueur , Maître des
Innocens , ni du Carmen Seculare , de M.
1,8 MERCURE
Philidor , qu'on entend toujours avec un nouveau
plaifir. Ces morceaux font très - connus
du Public , & depuis long- temps en poffeffion
de fes fuffrages. Nous nous étendrons
davantage fur la réception qu'on a faite à
M. David à fon retour.
Depuis 15 ans on fait affez bien en France
comment les Italiens écrivent la muſique : on
commence à peine à favoir comment ils l'exécutent
; & comme il eft d'ufage que chaque
nouveauté enfante des ſchifines , les avis n'ont
pas manqué d'être partagés fur le ftyle du
chant , comme ils l'avoient été autrefois fur
celui de la compofition. On n'a pas allez pris
garde que le chant n'eft point & ne fauroit
être un langage foumis aux mêmes principes
que la langue parlée ; que c'eft une convention
, & que les conventions doivent varier
fuivant les pays. On a décidé ici que des notes
accumulées , qu'on appelle broderies , étoient .
contraires à l'expreffion ; & d'après ce principe
( comme s'il étoit univerfellement admis
) , la première fois qu'on a entendu M.
David, on a défapprouvé les nombreux paffages
dont il furcharge fon chant. Il me femble
cependant qu'avant de le condamner d'une
manière fi tranchante , on devoit fe faire foimême
les obfervations fuivantes.
1º. Si les ornemens du chant en détruiſent
kexpreffion , un chant , pour être expreflif ,
ne doit pas admettre une feule petite note ;
& cependant nous en applaudiffons tous les
jours dans les morceaux les plus pathétiques ,
DE FRANCE. 159
exécutés même par les François qui nous plaifent
le plus.
2º. M. Savoy , Mme Todi , Mme Mara
faifoient beaucoup de notes dans le Cantabile,
& perfonne ne s'eft avifé d'y trouver à redire.
Mme Mara fur-tout , qui a eu un fuccès
très-grand & très-mérité , en fait à peuprès
autant que M. David.
3°. Le chant des inftrumens doit être modelé
fur celui de la voix , & réciproquement.
L'adagio des uns répond au cantabile de l'autre
; & quoiqu'il n'exprime pas précisément
des paroles , ildoit au moins chercher àpeindre
un fentiment déterminé. Cependant on y
fouffre les notes multipliées , on les y admire ,
on feroit très-étonné de ne les y pas entendre ;
le chant fimple de l'adagio paroitroit froid &
nud. Pourquoi le chant n'auroit - il pas le
même avantage ? Dira - t'on que c'eft parce
qu'il eft accompagné de paroles ? Mais font- ce
donc des paroles , n'eft- ce pas plutôt un fentiment
qu'il doit exprimer ? La voix & les inftrumens
doivent concourir à ce même but ;
pourquoi devroient- ils fuivre une route différente
?
Qu'on me permette encore une queſtion.
Eft- il bien vrai que les agrémens du chant ,
c'eft- à - dire , les notes multipliées en détruifent
l'expreffion ; & pourquoi la détruifentils?
Beaucoup de perfonies feront peut être
étonnées d'avoir à répondre à cette queftion ,
qu'elles ne fe font pas encore faite .
Si nous avions le droit de faire un reproche
160 MERCURE
à M. David, ce feroit de porter ces ornemens
jufques dans le récitatif; non pas comme nuifibles
à l'expreffion , mais au contraire parce
qu'ils en portent une qui convient à l'air , &
non à la déclamation foutenue , parce qu'ils
effacent la diſtinction marquée qui doit exifter
entre le chant proprement dit & le récitatif.
Mais encore une fois , il ne nous appartient
pas de juger des conventions nationales. Nous
favons très- bien que cette manière de chanter
ne convient point à nos Théâtres Lyriques ,
qu'on auroit tort de vouloir l'y introduire ;
mais nous aurions tort de l'exclure de nos
Concerts. Nous ne pouvons ni ne devons décider
fi M. David à raifon de faire ce qu'il
fait : contentons -nous de juger s'il fait bien ce
qu'il fait. C'eft le fage parti que le Public a
pris au retour de M. David ; & comme les
avis ont été généralement pour l'affirmative ,
fon fuccès a été beaucoup plus grand qu'à fon
premier voyage. Après l'avoir bien blâmé,
on s'eft avifé de l'écouter , & l'on a pris grand
plaifir à l'entendre. Il faut convenir auffi
qu'une meilleure fanté a donné à fa voix plus
de facilité , plus de timbre , & que fon talent
même , en formant nos oreilles , nous a mis
plus à portée de le bien apprécier.
L'abondance des matières nous force à remettre
l'article des Théâtres à l'ordinaire
prochain.
53
DE FRANCE. 161
ANNONCES ET NOTICES.
BIBLIOTHÈQUE IBLIOTHÈQUE des meilleurs Poëtes Italiens
en trente -fix Volumes in - 8 ° . , proposée par foulcription
par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi à Orléans , & Editeur de cette Collection.
3
La foufcription eft ouverte au prix de 2 liv.
10 fols le Volume en feuilles , rendu franc de port à.
l'adreffe du Soufcripteur. Chaque Volume , qui
paroît tous les mois , eft compofé de vingt- cinq
feuilles d'impreffion , ou de 400 pages , fur papier
carré fin de Limoges , exécuté avec le caractère de.
Cicéro neuf de Fournier. Les Particuliers qui voudront
s'adreffer directement à M. Couret de Villeneuve
, Editeur de cette Collection , à Orléans , auront
l'attention de joindre à la lettre d'avis le reçu
du Directeur de la Pofte auquel l'argent aura été
remis , parce que ce n'eft que fur le reçu & fur la
lettre d'avis qu'on peut le toucher au Bureau de la
Pofte à Orléans, L'Editeur a établi deux Buïcaux à
Paris pour la commodité de ceux qui defireroient fe
procurer cette Collection ; il fuffit de remettre fon
obligation & la fomme de 30 liv. pour la livraiſon
des douze premiers Volumes , dont il en paroît déjà
dix chez M. Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet
, & chez M. Cuchet , Libraire , rue Serpente . On
peut auffi s'adreffer aux autres Libraires de la Capitale
avec lefquels le Soufcripteur auroit quelque relation
d'affaires . Les Perfonnes de la Province remettront
leur foumiffion, & l'argent de la foufcription
fi elles le jugent à propos , aux principaux Libraires
du Royaume ou des Pays étrangers , ainsi que chez
>
162 . MERCURE
MM les Auteurs ou Directeurs des Papters publics ;
fur leurs ordres on fera les livraiſons à leurs adreffes,
franches de port ; il fuffira d'envoyer aux endroits
indiqués ce modèle d'obligation pour chaque ſoufcription
:
.
Je m'engage à payer à M. Couret de Villeneuve ,
Imprimeur du Roi , à Orléans , la fomme de quatrevingt-
dix livres , pour un Exemplaire de la Bibliothèque
des meilleurs Poëtes Italiens , trente fix
Volumes in- 8 ° . en feuilles , que je payerai en fix
payemens égaux de la fomme de quinze livres , juf
qu'à parfaite livraifon , & conformément aux précé
dens Profpectus.
A le
178
Il s'étoit gliffé quelques
fautes dans les premiers
Volumes
de Ricciardetto
; l'Editeur
a redoublé
de zèle , s'eft affocié plufieurs
Littérateurs
inftruits , & il a dû de nouveaux
Soufcripteurs
à l'exactitude avec laquelle font imprimés
les quatre premiers,
Volumes
d'Apoftolo
Zeno. Enfin . fa délicateffe
& fa confiance
vont jufqu'à propofer
de rendre à la fin l'argent aux Soufcripteurs
, s'ils trouvent
dans
l'Edition de l'incorrection
& de l'inexactitude
. La modicité du prix prouve auffi fon défintéreffement
.
N. B. Comme on avoit promis de livrer les
Volumes de vingt-cinq feuilles ou de quatre cent
pages , on y joindra , lorfque la place le permettra ,
plufieurs Pièces qui ne dépareront pas la Collections
telles font les Satires de Salvator Rofa , quelques
Sonnets du Zappi , les plus belles Odes du Tefti , les
Elégies de Sannazar , la Salmacis du Preti , &c .
PORTRAIT de Louis Gillet , Maréchal des-
Logis , deffiné d'après nature aux Invalides , &
gravé par M. Gaucher , des Académies Royales de
Rouen , Caën , Londres , & c. Le trait de bravoure
de ce courageux Militaire a été annoncé dans tous
DE FRANCE. 163
1
les Journaux . Au- deffous du médaillon , qui eft
très reffemblant , eft une couronne civique attachée
par un ruban antique , fur lequel on lit ce vers :
Pour fervir la Beauté le François n'a point d'âge.
Ce qui ajoute à l'intérêt de ce Portrait , eft un petit
fujet placé au deffous du médaillon , repréfentant ,
avec autant d'expreffion que de vérité , l'action courageufe
du fieur Gillet. L'Auteur a fait hommage
de cette Eftampe à M. le Comte de Guibert , Gouverneur
de l'Hôtel Royal des Invalides . Elle fe
trouve à Paris , chez l'Auteur , rue Saint Jacques ,
vis à -vis Saint Yves. Prix , 1 liv . 4 fols.
Au bas de ce Portrait , qui eft très - bien gravé ,
fe trouve ce Quatrain , par M. Hérivaux :
Intrépide Soldat , Citoyen magnanime ,
Il fervit cinquante ans & l'État & fon Roi ;
Et de fes derniers jours éternifant l'emploi ,
Il vengea la Vertu des attentats du crime .
Le même Attifte fera paroître inceffamment le
Portrait de Mlle Vanhove , Actrice de la Comédie
Françoife , gravé pareillement d'après le delfin de
M. Gaucher.
LES Aveux imprévus , Comédie en trois Aces &
en profe , repréfentée pour la première fois à
Paris fur le Théâtre Italien , le 2 Août 1785 .
Prix , 1 liv. 4 fols A Paris , chez Cailleau , Imprimeur
Libraire , rue Galande.
On a vu avec plaisir cette Pièce au Théâtre Italien.
En voici le fujer : deux Amans tacitement infidèles ,
ne demandent pas mieux que de voir rompre
les engagemens que leurs parens ont contractés à
leur occafion ; de manière que ce qui forme l'intrigue
de cette Comédie , c'eft la manière dont ils
164
MERCURE
filent , pour ainfi dire , leur
rupture. Il Y a dans cet
Ouvrage des intentions vraiment comiques , &
l'action eft bien conduite.
COLLECTION Univerfelle des Mémoires particuliers
relatifs a l'Hiftoire de France , Tome XIII.
A Londres ; & fe trouve à Paris , rue d'Anjou-Dauphine
, n°. 6.
Il paroît régulièrement chaque mois un Volume
de cette Collection . Le prix de la foufcription pour
les douze Volumes à Paris eft de 48 liv. Les Soufcripteurs
de Province payeront de plus 7 liv. 4 fols
à caufe des frais de pofte. Le Volume qui vient de
paroître contient les Mémoires rédigés par Jean de
Troye , autrement dit les Chroniques de Loys de
Valois , Roi de France.
CLÉOMERE , Ou Tableau abrégé des Paffions ,
extrait d'un Manuferit trouvé chez les Caloyers du
Mont Athos , in 16. Prix , 3 liv. broché. A Paris ,
de l'Imprimerie de MONSIEUR , & fe trouve chez
Didot le jeune , Imprimeur - Libraire , quai dés
Auguftins.
Le Héros de ce Roman eft un jeune homme
dont le père mourant a confié la conduite à un
Affranchi , homme vertueux , qui lui fert de Mentor ,
comme Minerve à Télémaque . Cléomère fait glo
rieuſement fes exercices à Lacédémone , & voyage
fous la direction du fidèle Olric ; il devient amoureux
; la jeuneffe & Loccafion dans un autre climat
le font paffer de l'amour à la volupté ; la vertu le
ramène de la volupté à l'amour .
L'Auteur a tracé une peinture fidel'e des moeurs
antiques , fans négliger de cenfurer les moeurs actuelles.
On y voit avec plaifir les ufages , & même
plufieurs Perfonnages antiques ramenés fur la fcène,
quelquefois un peu aux dépens du fujet principal.
DE FRANCE. 165
Paphos & Sybaris y préfentent des tableaux attachans
, voluptueux même , fans détruire le but moral
de l'Auteur.
JERUSALEM Délivrée , nouvelle Traduction ,
dédiée à Mgr. le Comte de Vergennes. 5 Vol.
in- 16.
Cette Traduction littérale & élégante , dont nous
avons rendu compte , eft imprimée Stances par
Stances à côté du texte. C'eft la première Traduction
qui ait cet avantage. M. Cazin , Editeur de la
Collection des petits formats , en a acquis tout le
fonds , elle en fait partie , & fe trouve à Paris , rue
des Maçons , No. 3. Le prix des s vol. eft de 15 liv.;
l'Italien feul , 2 vol . in - 16 . coûte 12 liv.
MEMOIRE Couronné le 25 Août 1784 , par
l'Académie Royale des Sciences , Belles-Lettres &
Arts de Bordeaux , fur cette queftion : Quel feroit
le meilleur procédé pour conferver le plus long temps
poffible ou en grain ou en farine le Maïs ou Bled de
Turquie , plus connu dans la Guienne fous le nom
de Bled d'Espagne , & quels feroient les différens
moyens d'en tirer parti dans les années abondantes ,
indépendamment des ufages connus & ordinaires dans
cette Province ; par M. Parmentier , Cenfeur Royal,
&c. , augmenté par l'Auteur de tout ce qui regarde
l'Hiftoire Naturelle & la culture de ce grain , in- 4º ,
de 164 pages. A Bordeaux , chez Arnaud -Antoine
Pallandre l'aîné , Place Saint Projet.
Le fuffrage de l'Académie qui a couronné ce
Difcours , & la réputation de fon Auteur dans ce
genre de connoiffances , formeroient feuls un préjugé
très-avantageux . L'utilité du fujet qu'on y traite , y
ajoute un nouveau prix , & donne à M. Parmentier
în nouveau droit à la reconnoiſſance publique.
166 MERCURE
PORTRAIT de Louis XVI, peint par J. Boze ,
gravé par B. L. Henriquez , Graveur du Roi & de
S. M. Impériale de Ruffie , Membre de l'Académie .
Impériale de Saint - Pétersbourg. A Paris , chez
Boze , rue du Sentier.
Ce Portrait , qui avoit fait honneur à M. Boze ,
eft reffemblant & bien gravé.
ANGÉLIQUE & Médor , Eftampe gravée par
N. de Launay , de l'Académie Royale de Peinture
& Sculpture , d'après J. Raoux , de la même Académie.
Prix , 12 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue de
la Bucherie , nº . 26.
Cette Eftampe foutiendra parfaitement la réputation
de fon Auteur. La force du burin répond au
mérite de la compofition.
THAIS , ou la belle Pénitente , Eftampe gravée .
par J. C. Levafleur , d'après J. B. Greuze. Prix ,
4 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue des Maçons ,
11. 12.
Cette Eftampe eft d'un burin moelleux , & d'un
effet très-agréable.
CAFÉ DE SANTÉ . Le fieur Frenehard , ancien
Officier d'office , qui s'eft occupé long- tems de Chimie
, & qui a fuivi des Cours de Médecine , a conçu
& exécuté l'utile projet d'imaginer une liqueur qui
puiffe remplacer le Café. On cft généralement
d'accord aujourd'hui fur les inconvéniens de cette
dernière boiffon , prife le matin avec du lait . La
Poudre du ficur Frenehard eft compofée de riz ,
d'orge , de feigle , d'amandes & de fucre. Le goût en
eft agréable ; & la feule expofition de ce qui la com
pofe fuffit pour prouver qu'elle eft fans inconvéniens
pour la fanté. Elle ne peut qu'être utile aux tempé
DE FRANCE. 167
ramens fecs , bili : ux , aux perfonnes attaquées d'infomnie
, & dont le genre nerveux eft facile à s'irriter.
La manière de s'en fervir , c'eft d'en mettre une cuillerée
dans environ un demi fetier d'eau bouillante ,
& on la laiffe repofer après un bouillon ou deux ,
comme le Café ordinaire. Il faut y mettre autant de
fucre que de Poudre. Cette liqueur a des avantages
contre les maladies de poitrine , migraines , vapeurs ,
vertiges , & pas un inconvenient. La Poudre fe vend
30fols la livre , chez le fieur Frenchard , rue Ste- Marguerite
près celle des Cifeaux , entre un Marchand de
Bas & un Boulanger , au troiſième : fon nom eft fur
la porte.
La Dlle Frenehard , fa four , ancienne Coëffeufe,
qui demeure même maiſon , vend une Eau qui
teint les cheveux gris , blancs on rouge , en châtin ,
bran ou noir , & qui rétablit ceux qui font gâtés
déjà par d'autres teintures. Celle- ci opère dès les premiers
jours. Les couleurs qu'elle imprime durent
autant que les cheveux , qui deviennent par-là plus
propres à la frifure , & qui garniffent beaucoup plus ..
On en vend des bouteilles de 24 fols & de 3 liv . pour
en faciliter l'eſſai , & l'on y joint la manière de s'en
fervir. On peut en faire ufage fans danger.
REGUEIL de Romances , Ariettes & Chanfons ,
avec Accompagnement de Harpe ou Piano , par M.
Guichard. Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez Michaud
, rue des Mauvais-Garçons , près celle de
Buffy , chez l'Herboriste .
QUATORZIEME Recueil de Mufique pour le
Ciftre , contenant les plus jolies Ariettes & Airs
variés , par M. Pollet l'aîné , OEuvre XVIII Prix ,
6 liv. A Paris , chez l'Auteur , Cloître Saint Merry ,
maifon de M. Gerbet , Négociant .
168 MERCURE
DEUXIÈME Recueil des Etrennes d'Euterpe
Paroles , Mufique , Accompagnement de Guittare ,
par M. Ducray , OEuvre III . Prix , 2 liv . 8 fols . A
Paris , chez Rebin , quai de Gêvres ; de Roullede ,
rue Saint Honoré , près l'Oratoire , & Mlle Lebeau,
au Palais Royal.
RECUEIL d'Airs nouveaux François & Étrangers
en Quatuors concertans , ou Numéro 4 du
Journal de Violon , Flûte , Alto & Baffe. Abonnement
pour vingt- quatre Cahiers 21 liv. & 24 liv. Il
en paroît un tous les quinze jours. Séparément ,
2 liv . On foufcrit à Paris , chez M. Porro & Mme
Baillon , rue Neuve des Petits Champs , à la Mufe
Lyrique.
Faute à corriger au Mercure dupremier Avril.
Page première , feptième vers : La Nature a parlé,
lifez : La Parrie a parlé.
TABLE.
FRAGMENT fur l'Influence Traduction du Plutarque Andu
phyfique de l'homme fur glois ,
149
fes facultés intellectuelles , Précis des Conférences des
122 Commiffairesdu Clergé avee
Acroftiches , 123 les Commiffaires du Roi ,
Charade , Enigme & Logogry-
155
127 Concert Spirituel , 157
161
phe ,
Voyage de M. de Mayer en Annonces & Notices ,
Suiffe , 129
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr . lè Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 14 Avril 1786. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Madame la Ducheſſe DE COURLANDE ,
en lui préfentant une Rofe naturelle , le
3 Février 1786 , jour de la naiſſance de
S. A. S.
L'AMOUR ,
MOUR
, ce Souverain
des mortels
& des Dieux
,
Voyant
le myrte
fier de couronner
la mère ,
Soutenoit
que la roſe
orneroit
beaucoup
mieux
Une
Déeffe
de Cythère
.
Grand débat fur ce point : l'enfant malicieux ,
Pour effayer la fleur , jette fur vous les yeux.
Mais , hélas ! où chercher , où trouver une rofe ?
No. 16 , 22 Avril 1786.
I
170 MERCURE:
Sous un ciel nébuleux , en cetre âpre faifon ,
Nulle fleur n'eft encore éclofe ;
Tout dort dans la Nature , hors le noir Aquilon ,
Cependant ce projet offre en vain des obftacles :
Le defir de vous plaire enfante des miracles,
L'Amour voit un rofier courbé fous le fardeau
Du givre amoncelé fur fon branchage aride ;
De fa bouche vermeille il approche un rameau ,
Il fouffle : le rofier lève un front moins timide ,
S'étonne des glaçons dont il eft entouré;
Une douce chaleur l'échauffe par degré !
Sa sève devient plus rapide ,
Tout l'arbuste eft régénéré.
Dans un inftant le bourgeon devient feuille ;
Un bouton s'ouvre , un autre après ,
La rofe naît , l'Amour la cueille ,
Et vient en faire hommage à vos attraits.
( Par M. Mayet , Directeur des Fabriques
de Sa Majesté Pruffienne , & Membre des
Académies de Lyon & de Villefranche. )
*
DE FRANCE. 17
CHANSON. *
BELLE Luce .-te, en tends-
E
le ra ma- ge
de ces oi-feaux qui céle
- brent leurs feux ? Ils font re-
* Cette Chanfon eft tirée des Délaffemens de Polymnie
Journal qui paroît tous les quinze jours , chez l'Auteur ,
M. Porro , rue Neuve des Petits-Champs , au coin de
celle de Richelieu .
I ij
17ì MERCURE
di- re à l'é cho du ri- va- ge :
le prin-tems fuit , hâ -tons - nous
d'être heu- reux.
VOIS-TU ces fleurs , ces fleurs qu'un doux zéphire
Va careffant de ſon ſouffle amoureux ?
En fe fanant elles femblent te dire :
L'hiver accourt• hâtons- nous d'être heureux.
HELAS ! hélas ! ces momens pleins de charmes ,
Comme un éclair s'échappent à nos yeux ,
Et les inftans de retard ou d'alarmes
Nous font comptés pour des inftans heureux .
( Paroles de M. Hoffman , mufique de M. Porro. )
DE FRANCE. 173
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Dépouille ; celui
de l'Enigme eft le Vin ; celui du Logogryphe
eft Defir , où l'on trouve rides , Sire , ris ,
dé , Ides , dés , ire , fi , ré , ris.
CHAR AD F.
FILLETTE
TTE a toujours mon premier ;
Ville de guerre mon dernier ;
Et labyrinthe mon entier.
( Par M. Duclauzeau. )
ENIGM E.
ON peut en plaifantant m'appeler une ville.
Jouons donc fur ce mot , puifque plus de cent mille
Hommes, femmes, garçons , filles , vieillards , enfans,
Pendant le cours d'un an fe font mes habitans.
Chez moi bravoure ni nobleſſe
Ne donnent point la primauté ;
Le plus ancien Bourgeois la prend d'autorité.
Hors de mes murs , & par prudence ,
A
Mon Gouverneur tient fa féance ;
I j
174
MERCURE
2 Et foumis à tous mes Bourgeois ,
Aux bêtes feulement il peut donner des loix :
Bêtes qu'on met dehors pour être plus utiles.
Hommes en mouvement , & pourtant immobiles ,
Changent de lieu fans en changer
Ne demandent qu'à déloger ;
Et fortant la nuit par cohortes,
Ils vont dormir hors de mes portes
Et viennent le jour plufieurs fois
Se mettre à couvert fous mes toits.
Mais , me dira bientôt un devineur habile
L'énigme à deviner me paroît trop facile .
Voici le mot, je l'ai trouvé :
Cette ville , c'eft un café ;
Peut- être dans Paris il en eſt bien plus d'une.
On y prend en public une liqueur commune .
Les habitans y font oififs :
Grands difputeurs & décififs ;
Mais hors de la difpute ils font humains , affables ;
Et s'ils débitoient moins de fables ,
Ils feroient grands Hiftoriens.
C'eft un café fans doute ? A ce mot je reviens ;
Et de peur qu'on ne le devine ,
Je le dis franchement , cette franchiſe eſt fine ;
Car qui peut me croire affez fot
Pour dire en même- temps & l'énigne & le mot.
(Par M. Guérin du N **. )
DE FRANCE. 175
LOGO GRYP H E.
ÉPRISÉ par les uns , & des autres chéri ,
J'offre de la vertu le féjour ordinaire :
L'époufe dans mon ſein , fidelle à fon mari ,
Préfente à tous les gens un amour exemplaire.
J'ai fept pieds, cher Lecteur : dans ma divifion
On trouve le féjour où naît l'ambition ;
Ce que l'homme devient quand il commet un crime s
Une note ; un dépôts ce qu'amène le temps ;
Ce que le temps détruit ; un des quatre élémens ;
Et ce qui ne vaut pas la peine qu'on l'imprime.
(Par une jeune Demoiselle. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉLOGE de M. Caffini de Thury , de
l'Académie des Sciences , Directeur de
l'Obfervatoire Royal , par M. le Marquis
de Condorcet.
M. LE MARQUIS DE CONDORCET eft auteur
de cet Éloge ; on y retrouve , comme
dans tous ceux qu'il a écrits , beaucoup de
nobleffe , un ftyle fage , des définitions exactes ,
& le talent de mettre la Science à la portée
Iiv
176' MERCURE
de fes lecteurs. A une diftance égale des excès
du panégyrifte , & de la froideur qui ne fait
point élever à la hauteur convenable le per-
Tonnage dont on doit parler , il plaît par une
impartialité que n'eut pas toujours Fontenelle
. D'Alembert a écrit que les gens - delettres
avoient une fingulière deſtinée , d'être
déchirés de leur vivant , & trop loués après
leur mort. Heureux donc l'homme de génie
auquel le Public' a pardonné fes talens pendant
qu'il vécut , & qui eſt affuré d'être célébré
avec cette équité qui feule rend un
Eloge éternel ! Heureux encore le Savant qui,
claffé par l'importance de fes études hors
de la portée du vulgaire , s'environne d'une
efpèce de facerdoce qui femble rendre fa
perfonne & fes travaux facrés ! On ſent qu'il
exifte , on jouit de fon travail , & on n'a jamais
la hardieffe de le juger.
M. de Caffini fut par ces raifons à l'abri
de la critique, & recueillit de tous les Savans
de l'Europe ce fentiment d'eftime qui lui étoit
dû , & que M. de Condorcet vient enfin
d'exprimer avec toutes les bienféances que
s'impofe néceffairement le Secrétaire de l'Académie
des Sciences.
N
Céfar Francois Caffini de Thury , noble
» Siénois , Maître des Comptes , Directeur
de
l'Obfervatoire Royal , de la Société
Royale de Londres , de l'Inftitut de Bologne
, des Académies de Berlin & de
Munich , Penfionnaire , Aftronome de
l'Académie des Sciences , naquit à Paris
23
DE FRANCE. 177
»
le 17 Juin 1714 , de Jacques Catlini , &
de Sufanne Françoife Charpentier de
Charmoi. »
Quoique la famille de M. de Caflinį ,
connue depuis plufieurs fiècles en Italie ,
fut comptée parmi les familles Sénatoriales
de Sienne , dès le temps du Cardinal Caffini
, Archevêque de cette Ville en 1426 ,
& qu'elle ait eu un fecond Cardinal dans la
promotion de 1712 , c'eft aux Sciences qu'elle
doit fa principale illuſtration.
Douteroit -on que ce ne foit la plus belle ,
& celle qui ne laiffe aucun fâcheux fouvenir ?
La carrière des armes , les grandes places
élèvent un nom , & perpétuent les races :
les fciences ont auffi leur gloire ; celle qui
doit rejaillir fur une famille noble qui les a
cultivées pendant plufieurs fiècles , nous paroit
la pius digne d'envie ; mais par l'erreur ;
de l'opinion , il femble que le gentilhomme
qui fe livre aux belles - lettres , ne doit plus
attendre que la confideration qu'elles donnent
on veut oublier fa naiffance pour ne
lui tenir compte que de fon génie ; de- là
vient qu'on ignore fouvent l'origine de
l'homme-de- lettres , qui peut fouvent le difputer
à des noms illuftrés dans une autre
carrière. Le nom de Dominique Caffini
fera long-temps cité ( dit M. de Condorcet
) parmi ceux dont s'honore un fiècle fécond
en hommes illuftres ; & , ce qui eft fans
exemple dans notre hiftoire , M. le Comte
de Caffini , notre confrère , fils de M. de
Iv
178 MERCURE
Thury , eft le quatrième Académicien en
ligne directe de cette famille , qui , depuis
1669 , a conftamment & fans interruption
donné des Aftronomes à l'Académie.
ور
Le nom de Caflini impofoit de grandes
obligations au jeune Thury. M. Maraldy ,
élève & neveu de Dominique , fe chargea
de diriger les études de fon petit- fils. » A
» dix ans , il calcula les phafes de l'éclipfe
» totale de foleil qu'on attendoit pour l'an-
» née 1727. Il fut reçu en 1737 à l'Aca-
» démie comme adjoint furnuméraire ; il
» avoit vingt-un ans : fon père y avoit été
admis à dix-fept ans ; & fon fils a été reçu
» dans un âge non moins tendre. Ainfi
» le génie des Caffini fut également maintenu
, & toujours précoce ».
Les premiers travaux de M. de Caffini de
Thury eurent pour objet de vérifier ( dit M.
de Condorcet ) la méridienne qui paffe par
PObfervatoire . Il travailla d'abord avec fon
père , enfuite avec l'Abbé de la Caille . Cette
méridienne avoit été tracée par Dominique
Caflini ; fon fils & Picart avoient eu part
ce travail. La querelle fi long-temps foutenue
pour ou contre l'applatillement de la
terre , avoit enfin été terminée par la décifion
de Jacques Caffini , qui s'étoit déterminé
contre l'applatiffement.
à
On avoit aufli formé le projet de faire
une defcription géométrique de la France :
ce projet abandonné , fut repris avec ardeur
par le jeune Caffini , qui y donna l'extenDE
FRANCE. 179
و د
ور
" .
ور
fion la plus complette. » Il ne voulut plus bor-
» ner cette defcription à la détermination des
points des grands triangles qui devoient
» embraffer toute la furface du Royaume ,
» mais il entreprit de lever le plan topographique
de la France entière ; de dé-
» terminer par ce moyen la diſtance de tous
» les lieux à la méridienne de Paris , & à
la perpendiculaire de cette méridienne.
» Jamais on n'avoit formé en Géographie
» une entreprife plus vafte & d'une utilité
» plus générale : c'étoit , en effet , un préliminaire
abfolument néceffaire pour par-
» venir à une connoiffance approfondie &
détaillée de la France : on ne fe bornoit
» pas à marquer fur la carte tous les objets ,
même jufqu'à des chaumières ifolées ; on
devoit y figurer les rerreins autant qu'il
» étoit poffible de le faire , par de fimples
hachures. Ces cartes devenoient un cadre
» dans lequel tous les détails fur l'éléva-
» tion des terreins , la pente & la direction
» des eaux , fur Hiftoire Naturelle , fur
» les productions de chaque Pays , fur l'é- .
و ر
"
و ر
ود
+
tendue des phénomènes de l'atmosphère ,
» fur la population , les limites même des
» Coutumes des différentes Adminiſtrations ,
>>> des Loix de finance ou de commerce ; venoient
fe ranger dans un ordre méthodique
qui promettoit d'en mieux faifir
l'enfemble , d'en tirer des conclufions plus
» exactes.
""
33
1
» Cette entrepriſe fi utile , mais en méme-
· Ivj
180
MERCURE
"
temps fi difficile , exigeoit de la part du
» Gouvernement des fecours extraordinaires :
» M. de Caffini en obtint fans peine. Louis
» XV aveit confervé pour la Géographie un
goût vif; mais M. de Séchelles crut de-
» voir fupprimer les fonds que fes prédé-
» ceffeurs avoient accordés. Le Roi , qui ai-
» moit M. de Caffini , voulut fe charger de
» lui annoncer cette fâcheufe nouvelle.
"
"
"
"
"
»
―-
و ر
Sire , répondit M. de Caffini , que votre
Majefté daigne dire feulement qu'Elle voit
avec peine la fufpenfion de cette entreprife
, & qu'Elle en defire la continuation :
» je me charge du refte. Le Roi y confentit
, mais en plaiſantant M. de Caffini
» fur l'inutilité de cette marque d'intérêt ;
» car ce Prince , après plus de trente ans de
règne , ne connoiffoit pas encore toute
» la force de l'influence que l'opinion du
Monarque a fur les courtifans. Il n'eft
que trop vrai que dans les Monarchies , il
ne faut bien fouvent chercher la caufe de la
corruption & de la reftauration des moeurs ,
qu'auprès du Trône . C'eft- là qu'un feul
homme commande réellement par l'exemple
à tous les fujets , fans le fecours des Loix.
Qu'il aime les grandes entreprifes , il verra
auffi -tôt naître des hommes hardis ; fon goût
pour les fciences , fon eftime pour les Savans ,
enfanteront les hommes de génie. Il n'en
eft pas ainfi dans toute autre forme de Gouvernement
, où tout eft perdu s'il n'y a point
DE FRANCE. 181
de principes immuables , & fi les Loix ne
font point en vigueur.
La première étude de l'homme de génie
eft celle des hommes : M. de Caffini prouva
à Louis XV qu'il en avoit acquis une connoiffance
certaine ; le mot qu'il avoit obtenu
du Monarque ne fut point en pure perte.
Une Compagnie fe forma auffi-tôt , & enfin
le Gouvernement accorda des encouragemens
qu'il avoit retirés avec peine : différentes
Provinces contribuèrent à la dépenfe.
M. de Caffini a eu la confolation de voir
terminer prefqu'entièrement un travail fi
étendu , & d'en devoir à lui-même tout le
fuccès.
23
93
و د
ود
» Il ne vouloit pas borner fa carte ( dit
» M. de Condorcet ) à la France ; il pro-.
fita de la guerre de 1741 pour étendre
fés cartes à la Flandre , & vérifier la mefure
du degré faite par Scellius . C'étoit la
première que les Occidentaux euffent ofé
» tenter; & ce travail , joint à la découverte
» de la loi de la réfraction , avoit immortalifé
avec juftice le nom du favant Hol-
» landois. Cette mefure étoit cependant trèsfautive
; l'erreur paroiffoit de près de deux
» mille toifes fur un degré , & il étoit cu-
» rieux de favoir qu'elle en avoit pu être
la caufe : M. de Caffini trouva qu'il falloit
l'attribuer prefqu'uniquement à l'erreur
qui avoit été commife dans la détermina-
» tion de la différence de latitude des deux
points dont Scellius avoit mefuré la dif-
"
و د
"
182 MERCURE
ور
" tance : mais il s'arrêta ; & où finirent les
conquêtes du Roi , finirent aufli les opé-
» rations de fon Aftronome . Nul péril ne
l'effrayoit ; il cherchoit les plus grandes
élévations pour établir fon obfervatoire ,
» & quelquefois il fe plaçoit fur le clocher
» d'une Ville alliégée . C'étoit réunir à la
» préoccupation d'Archimède , plus de courage
, & non moins d'ardeur.
و د
و د
» En 1761 , il fit un voyage en Allemagne
: il avoit pour objet de prolonger jufqu'à
Vienne la perpendiculaire à la mé-
» ridienne de Paris ; d'unir les triangles de
» la carte de France à des points pris en
Allemagne ; de préparer les moyens d'é-
» tendre à ce vafte pays le plan fuivi en
France , & fucceffivement pour toute l'Eu-
" rope , avec la même uniformité......
و د
22
"
M. de Caffini , toujours occupé de fon
objet , profita de la dernière paix , pour
propofer de joindre , à quelques points
près , fur la côte d'Angleterre , ceux qui
» avoient été déterminés fur celle de France ,
» & lier ainfi la carte générale du Royaume
» à la carte des Ifles Britanniques , de même
و د
" .
qu'il l'avoit déjà liée à celle des Pays - Bas
» & de l'Allemagne. Le Roi a bien voulu
approuver ce plan
و ر
"",
L'entrepriſe des cartes , & l'exécution d'un
plan aufli vafte , amené à une aufli grande
perfection, avoient fuffi pour prouver que M.
de Caflini étoit très - laborieux. On fait qu'il
fut obligé de faire des voyages dans toutes
DE FRANCE. 183
les Provinces & chez l'Étranger ; que la plupart
de fes courfes étoient très- pénibles , &
que graviffant de hautes montagnes il a été
expofé au froid , au chaud , à toutes les intempéries
de l'air ; qu'il a été mal nourri ,
mal couché , tenu dans un état de privation ;
mais confolé par le développement de fes
travaux , & la progreffion caractériſée de fes
cartes , il planoit fur l'horizon , & calquoit
avec fidélité ce fuperbe tableau qui étoit fous
fes pieds , fans en altérer ni le deffin , ni les
couleurs. Combien de fois n'a- t - il pas été
dédommagé par la furpriſe de ces Payfans ,
qui reconnoiffoient & montroient avec leur
doigt leurs propriétés , la couleur de leurs
terreins , celle du chemin qui y conduit , &
la plantation des routes. Une plus grande
récompenfe l'artendoit ; c'étoit la confianceque
fon exactitude avoit infpirée aux Provinces
on confultoit fes cartes ; on trayoit
d'après elles les differentes démarcations ;
les Tribunaux les fuivoient pour toutes les
limites. On ne peut comparer à M. de Caffini
, que M. Pfiffer de Vyer , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , qui a modelé
à Lucerne , les fites que M. de Caffini faifoit
colorer fur fes cartes. L'Aftronome François
a eu le mérite de l'invention , & fon
travail eft d'une utilité plus reconnue ; mais
il manque à la France un plan modelé , dans
les mêmes proportions que celui de M. le
Général Pfiffer. L Gentilhomme Suiffe , &
le Gentilhomme François ont eu de grands
184 MERCURE
=
*
obftacles à vaincre ; celui qui marchera fur
leurs traces , aura befoin d'employer les
mêmes lumières , le même courage , & la
même opiniâtreté.
» La lifte des travaux Aftronomiques de
» M. de Cafiini ( dit M. de Condorcet ) eſt
» nombreuſe. Il a publié dans les Mémoires
de l'Académie , une fuite prefque complette
de ces obfervations que le ciel pré-
» fente chaque année , dont l'enſemble eft
néceffaire à la perfection des théories aftronomiques
, ou peut fervir de bafe à
des théories nouvelles. Sa place de Direc-
» teur de l'Obfervatoire Royal , lui faifoit
» un devoir de ce travail. "
Il avoit reçu du Ciel tout ce qui pouvoit
le rendre utile aux autres ; un caractère ouvert
, & beaucoup de franchife : ces deux
qualités font précieuſes , encore plus dans
un Savant que dans tout autre ; les lumières
ne peuvent s'étendre que par la communication.
M. de Caffini fe plaifoit à faciliter
les recherches ; il fembloit jouir du fuccès
des autres : innacceffible à la haine , à l'envie ;
il honora la Science par la nobleffe de fes
fentimens ; fenfible à l'amitié , il s'oublioit
pour elle , & en général il devenoit volontiers
l'ami de l'homme de génie , & du Savant
qui aimoit l'étude.
Il eut des liaiſons avec les Grands , & n'en
profita point , fe conferva indépendant
& prouva que dans cette correfpondance il
cherchoit bien plus des amis , des relations
DE FRANCE. 18
:
illuftres, que des protecteurs. Son défintéreſfement
ne pouvoit qu'honorer beaucoup les
Sciences le crédit que fes liaifons lui procuroient
, rejailliffoit fur ceux qui cultivent
les lettres. Il feroit à fouhaiter que quelques
Savans confervaffent des correfpondances
étroites avec ceux qui peuvent , par leur
protection , donner au génie une affiftance
dont il ne jouit pas toujours. Quand on ren.
controit M. de Caffini dans les fociétés , ce
n'étoit plus que l'homme du monde ; fon
amabilité étoit ingénieufe : lorfque le Savant
étoit contraint de fe montrer , c'étoit avec
des graces charmantes. Sa bonne conftitu
tion lui promettoit une longue vie ; mais
il fut attaqué de la petite vérole , & mourut
le 4 Septembre 1784. Il a laiffé une
fille mariée à M. le Marquis de Riencourt ,
& un fils , le Comte de Caffini , Membre de
l'Académie , Directeur de l'Obfervatoire.
M. le Marquis de Condorcet n'avoit à
célébrer qu'un Académicien qui n'étoit plus ,
& il n'a rien dit de M. le Comte de Caflini ;
il nous fera permis d'ajouter que cette hérédité
, qui , jufqu'ici, n'avoit point été établie
dans les familles pour les dons du génie , a
paffé toute entière fur le rejeton d'une race
célèbre. Le Comte de Caffini marche dignement
fur les traces de Dominique Caffini
, dont l'Hiftoire de l'Aftronomie a pris
foin d'éternifer le nom. C'eft à fes follicitations
que l'on doit l'École qui vient d'être
inftituée à l'Obfervatoire Royal ; & d'autres
186 MERCURE
efforts prouvent également fon amour pour
le bien de la Science , & pour l'avantage
de la Nation. Nous parlons de lui d'autant
plus volontiers , que nous connoiffors mieux .
que tout autre , & fon efprit & fon coeur.
LE Mari Sentimental , ou le Mariage comme
il y en a quelques - uns ; fuivi des Lettres
de Miftriff Henley , publiées par fon amie
Mme de C*** de Z *** , & de lajuftifi
cation de M. Henley , adreffée à l'amie de
fa femme. 2 vol. in - 12 . A Genève , & fe
trouve à Paris , chez Buiffon , Libraire ,
hôtel de Mefgrigny , rue des Poitevins
No. 13. Prix , 2 liv. broché , & 2 liv. 10 f.
franc de port par la pofte.
LE fond de ce double Roman , dont la
forme eft affez fingulière , a le mérite d'être
abfolument neuf. On ne voit ici ni aventure
merveilleufe, ni amans perfécutés , difperfés ,
réunis on n'y voit point de ces intrigues
filées , promenées d'obftacles en obftacles. Il
n'y a même ni amans , ni paffions amoureufes
, & cependant il y a de l'intérêt. L'Auteur
a eu l'art d'attacher & d'émouvoir fes
Lecteurs , fans avoir recours à ce reffort commun.
Cette tentative a déjà été faite au Théâtre
; mais nous croyons que c'eft la première
fois qu'elle ait été rifquée dans un Roman :
il nous femble cependant qu'elle pourroit être
répétée avec fuccès , & même infiniment
étendue
. of
DE FRANCE. 187
Quel doit être le but du Romancier ?
De nous tracer les divers tableaux de la
vie, afin que parmi ceux qui fe rapprochent
le plus des circonftances qui nous entourent
, nous choififfions la route que nous
devons fuivre , les écueils que nous devons
éviter. Mais la vie finit-elle pour nous au
mariage ? Lorfqu'après avoir éprouvé bien
des traverſes , nous atteignons enfin à ce but
defiré qui nous paroît celui du bonheur ,
eft- il bien vrai que nous foyons toujours heureux?
Les peines de l'amour ne durent qu'un
inftant : voit-on finir celles qu'entraîne fouvent
le mariage ?
>
Ce feroit donc un Roman auffi intéreſſant
qu'utile , que celui qui peindroit les malheurs
d'un homme mal afforti ; qui feroit voir deux
époux qui , par la différence de leur caractère ,
par le défaut de confiance & d'épanchemens ,
fans lefquels il n'eft point de félicité , faute
de ces facrifices continuels au goût l'un de
l'autre , fi néceffaires pour entretenir l'union ,
trouveroient l'infortune la plus intolérable
dans ces liens mêmes dont ils attendoient le
bonheur. Tel eft le fujet du Mari Sentimental.
M. de Bompré a pour ami M. de Saint-
Thomin. Le bonheur de celui- ci , marié nouvellement
, infpire au premier le defir d'en
goûter un femblable , & change toutes fes
idées fur le célibat , dans lequel , jufqu'à ce
moment , il s'étoit cru heureux . M. de Bompré
va à Genève voir un vieux Militaire ,
#
188
MERCURE
fon ancien camarade , qui a une foeur d'une
trentaine d'années , affez agréable de figure ;
des manières fort aimables , & à laquelle on
trouve beaucoup d'efprit. On la lui propofe ;
on lui prouve que cette union eſt très-convenable.
Il n'a pas le temps d'y réfléchir : il
épouſe. Il faut voir dans l'Ouvrage même tous
les détails du changement qui s'opère fucceffivement
dans la maifon de cet infortuné
auparavant ſimple , ruſtique même , mais heu
reufe & gaie : le bon goût & le défeſpoir y
entrent à la fois. Il avoit un chien qu'il aimoit
beaucoup ce chien gâte les meubles ; il le
trouve un matin tué contre une haue ; un
cheval auquel il étoit fort attaché ; Madame
Jui fubftitue deux courfiers fringans ; le mal
heureux époux va le racheter lui- même au
Marchand qui s'en étoit accommodé , & en
fait préfent à fon ami. Un vieux & bon Serviteur
eft chaffé pour avoir caffé une porcelaine.
Jufqu'à l'intérêt que ce coeur honnête
prend à une famille de payfans , eft empoi
fonné par la calomnie , & devient pour lui
une nouvelle fource de malheurs. Tous ces
détails , d'une fenfibilité vive & protonde ,
font naître un intérêt preffant , & perdent
trop à être extraits. Malgré toutes ces défertions
fucceffives , M. de Bompré s'obtine
long-temps à croire qu'il eft aimé de fa fem,
me , qu'elle connoît mieux que lui la route
du bonheur , & il fe laiffe conduire aveuglément
par une perfonne dont il eſtime trop la
raifon & l'efprit. Cette confiance exceffive ,
DE FRANCE. 189
relevée par un fi noble motif, fert encore à
le rendre plus intérellant. Mais enfin le voile
tombe ; il ne peut plus douter de l'empire
tyrannique que s'eft arrogé fa femme. Il fent
trop que fa foiblefle ne lui a valu que des mé
pris ; fon âme s'ouvre à la douleur , qui s'y
établit fans combat & la dévore; le malheu
reux Bompré , qui n'a pas eu la force de pré
venir le mal , n'a pas celle d'y apporter remède
, & il meurt victime de fon excès de
fenfibilité.
Cette Hiftoire , fondée fur un fait réel &
récent , n'a de romanefque que la forme.
L'Auteur eft , à ce qu'on affure , le même que
celui de Camille , ou Lettres de deux filles
de cefiècle , qui a paru il y a peu de temps ,
& qui a été lue avec beaucoup d'intérêt .
Le Roman qui fuit dans le même volume ;
eft le pendant du premier.
Miftriff Henley vient de lire à Londres le
Mari Sentimental , qui , dit-elle , paroît depuis
peu traduit en Anglois. Elle rend compte
à fon amie de l'effet qu'a produit cette lec
ture fur les époux de fa connoiffance , & notamment
fur le fien. La foibleffe de Bompré
eft condamnée , & il paroît que M. Henley
fur-tout veut bien ſe garder de l'imiter. Miſtriff
Henley eft jeune , & mariée depuis peu . Elle
eft vive , étourdie , mais très - fenfible ; elle
veut de tout fon coeur faire le bonheur de
fon mari ; mais elle fe trompe fouvent fur
les moyens. Elle nous peint M. Henley comme
un homme plein de vertus , de fageffe & de
190 MERCURE
mérite ; de l'âme la plus noble , d'une belle
figure , mais d'un fang- froid inaltérable , qui
contrafte parfaitement avec les écarts de fa
jeune époufe. Il la reprend avec toute la douceur
poffible ; mais elle n'en eft pas moins vivement
affectée de voir fes bonnes intentions
manquer leur effet ; & le chagrin qu'elle en
reflent , prend autant fur elle que fi fon mari ,
par de mauvais traitemens , y donnoit un
fondement réel.
Nous en citerons quelques exemples. M.
Henley , déjà veuf , a une fille. Sa nouvelle
époufe , qui ne veut pas paffer pour une bellemère
, dont elle n'a pas les fentimens , s'occupe
beaucoup de l'éducation de cette jeune
perfonne. Elle lui apprend une Fable de La
Fontaine ; Miftriff Henley compte fur le
plus grand fuccès. « Je difois tout bas les
» mots avec elle ; le coeur me battoit , j'étois
» rouge de plaifir. Elle récite à merveille , dit
ود
"
сс
M.Henley; mais comprend-t'elle ce qu'elle
» dit ? Il vaudroit mieux , peut -être , mettre
dans fa tête des vérités avant d'y mettre
» des fictions. L'hiftoire , la géographie ........
" Vous avez raifon , Monfieur , lui dis-je ;
» mais fa Bonne pourra lui apprendre auffi
bien que moi que Paris eft fur la Seine &
» Lisbonne fur le Tage. Pourquoi cette
impatience ? apprenez-lui les Fables de La
» Fontaine , fi cela vous amuſe ; au fond , il
» n'y aura pas grand mal. Non , dis-je
» vivement , ce n'eft pas mon enfant , c'eft le
» vôtre. Mais, ma très-chère , j'efpérois .....
ور
22
33
-
---
-
DE FRANCE. 191
و د
» Je ne répondis rien , & je m'en allai en
pleurant. J'avois tort , je le fais bien ;
» c'étoit moi qui avois tort. Je revins quel-
» que temps après , & M. Henley eut l'air
» de ne pas même fe fouvenir de mon impatience.
»
22
Nous avons copié cette ſcène , pour donner
en même-temps une idée du ton & du ſtyle
de l'Ouvrage. Miftriff Henley éprouve une
contrariété dont les fuites font plus fàcheufes.
Elle devient groffe ; elle eft comblée d'une
joie qu'elle compte bien faire partager à fon
mari. Elle fait déjà des projets d'une ambition
extravagante ; elle les communique au fage
Henley, dont la modération les détruit tous.
Le chagrin que reffent fa femme d'avoir fi
mal faili fon caractère , & de s'être trompée
dans cette circonftance comme dans les autrès
, la mine peu-à-peu , & elle meurt en couches.
C'eft fans doute prendre la chofe bien
au tragique; & c'eft , à ce que nous croyons ,
un reproche à faire à l'Auteur , qui n'a
pas affez motivé cette mort , & qui paroît
n'avoir tué fon Héroïne que parce qu'il étoit
preffé de finir. La conduite de l'impaffible
M. Henley mérite auffi quelque critique.
Sa femme ne lui demandoit pas une approbation
aveugle , mais feulement de lui témoigner
de la tendreffe , & de lui favoir gré
de fes intentions : elle le dit elle-même ; &
il est vrai qu'on ne conçoit pas pourquoi M,
Henley, qui a les plus tendres fentimens pour
La femme s'empreffe,fi peu de les lui exprimer ,
192 MERCURE
L'Auteur a cru répondre à cette critique
par ce qu'il appelle la juſtification de M.
Henley. Là , tout ce qu'on a vu dans l'Ouvrage
précédent eft changé ; les deux caractères
ne font plus les mêmes , & par conféquent
tout le charme eft détruit. Miftriff Henley
n'eft plus cette étourdie , ayant tort ſans ceſſe,
& convenant fans ceffe de fes torts , ce qui
ne la rendoit que plus intéreffante ; peinte
par M. Henley lui-même , c'eft une femme
qui pofsède les perfections les plus rares &
les plus froides ; c'eft une Philofophe qui
cite Rouffeau , Locke & Rollin , & qui ,
à l'article de la mort , fait une differtation
de 30 pages fur le meilleur traité, d'éducation.
Si cette femme avoit vécu , elle
auroit été infoutenable. Cette prétendue juftification
n'eft d'ailleurs rien moins que bien
écrite , & ne paroît pas du tout être de la
même main. Nous en citerons quelques lignes.
» Il me femble , dit Miftriff Henley dans
fon long difcours , il me femble que l'on
dépende atfolument du moment , du pre-
» mier objet que l'on rencontre , & que
l'humeur , le caractère , le ſentiment même
foient attachés à des chofes qui leur font
étrangères. Mon cher ami , aimons- nous
» toujours , & ne mettons notre fenfibilité
qu'à cette félicité. Repouffons es petits
» incidens qui , dans le fond, font indifferens,
» & qui ne valent jamais les maux qu'ils caufent.
Au travers de l'humanité inquiète
foucieufe , agitée , malheureufe , je verrai
"
"
" .
"
→
» toujours
و د
DE FRANCE. 193
وو
"
cc
toujours un mari qui m'aime , & dont je
préférerai le bonheur à ma vie même. « Il
nous paroît impoffible que la main qui a raffemblé
cet amas d'expreffions impropres
obfcures , incohérentes , & de confonnances
fi défagréables , foit la même qui a tracé, par
exemple , ce tableau de ce qui fe palle dans
l'âme de Miftriff Henley. Je fuis malheu-
» reuſe , je m'ennuie. Je n'ai point apporté
» de bonheur ici , je n'en ai point trouvé. J'ai
» caufé du dérangement , & je ne me fuis
» point arrangée. Je déplore mes torts , mais
», on ne me donne aucun moyen de mieux
» faire. Je fuis feule , perfonne ne fent avec
moi. Je fuis d'autant plus malheureuſe .
» qu'il n'y a rien à quoi je puiffe m'en prendre
, que je n'ai aucun changement à demander
, aucun reproche à faire , que je me
blame & me méprife d'être malheureufe. »
Certe dernière phrafe nous paroît charmante
, & caractériſe très- bien le fexe de
l'Auteur , Mme de C.... de Z. Son Ouvrage
mérite en général beaucoup d'estime pour le
fond & pour les détails ; il ne péche même
dans la contexture que parce que le dénouement
n'en eft pas affez adroitement filé..
Nous répétons que nous ne pouvons croire
la juftification de M. Henley de la même
main ; & fi nous l'avons traitée un peu durement
, c'est pour nous venger de ce qu'elle a
troublé & prefque détruit l'extrême plaifir
que nous avoit fait l'Ouvrage.
ود
و ر
"
No. 16 , 22 Avril 1736 .
K
194 MERCURE
TRADUCTION des Faftes d'Ovide , avec
des Notes & des Recherches de Critique ,
d'Hiftoire & de Philofophie , tant fur les
differens objets du fyftême allégorique de la
Religion Romaine , que fur les détails de
fon culte & les monumens qui y ont rapport.
in - 8°. avec figures. Tome II ; par
M. Bayeux , Avocat au Parlement de Normandie
, de l'Académie Royale des Sciences
, Belles-Lettres & Arts de Rouen , Correfpondant
de celle des Infcriptions &
Belles-Lettres. A Rouen , chez le Boucher
lejeune , Libraire , rue Ganterie ; & à Paris ,
chez la Veuve Ballard & fils , Imprimeurs ,
rue des Mathurins, & Barrois l'aîné , Libr. ,
quai des Auguftins.
Nous avons annoncé dans le temps le premier
volume de cette eftimable Traduction.
Il ne fuffit pas , pour bien traduire les Faftes
d'Ovide , d'entendre parfaitement la langue
latine ; il faut avoir une profonde connoiffance
de la mythologie , des moeurs & des
ufages des Romains.
M. Bayeux nous femble appelé à cette difficile
entreprife. Les notes qui accompagnent
fa verfion , fuppofent de grandes recherches ,
& annoncent une érudition très - étendue . On
lui reprochera peut- être de les avoir beaucoup
multipliées ; & en effet , le fecond volume
, qui eft de 546 pages , ne renferme que
la Traduction de deux Livres avec le texte,
DE FRANCE. 195
Mais ce Poëme , par la nature du fujet , eft un
des Ouvrages anciens le plus fufceptibles de
nombreuſes explications.
Quand nous avons parlé d'abord de cette
Traduction , en nous promettant quelques obfervations
critiques , nous avons donné à l'Auteur
les éloges que nous avons cru lui devoir. Le
volume que nous annonçons n'y a pas moins de
droits. Nous nous contenterons de rapporter
ici avec le texte , un morceau pris au haſard.
Le Poëte compare Auguſte à Romulus :
Sancte pater Patria , tibi plebs , tibi curia nomen
Hoc dedit , hoc dedimus nos tibi nomen Eques.
Res tamen ante dedit , ferò quoque vera tulifti
Nomina ; jam pridem tu pater orbis eras .
Hoc tu per terras , quod in here Jupiter alto,
Nomen habes ; hominum tu pater , ille Deum.
Romule , concedas : facit kic tua magna iuendo
Mania ; tu dederas tranfilienda Remo .
Te Patrius parvique Cures , Caninaquefenfit ;
Hoc duce , romanum eft folis utrumque latus.
Tu breve nefcio quid viča telluris habebas ;
Quodcumque eft alto fub Jove , Cafar habet.
Tu rapis , hiccaftas Ducefe jubet effe maritas.
Tu recipis luco , fubmovet ile nefas.
Vis tibi gratafuit ; florent fub Cafare leges :
Tu Domini nomen , Principis ille tenet.
Te Remus incufat ; veniam dedit hoft bus ille.
Caeleftemfecit te pater ; ille patrem.
"Père facré de la Patrie ! tel eft le titre que
Kij
196 MERCURE
و ر
ور
""
"
"
"3
و ر
23
و ر
» vous ont conféré & le Peuple & le Sénat,
» & notre Ordre des Chevaliers ; mais vos
» actions vous l'avoient déjà donné , ce titre
augufte , & vous n'avez reçu de nous que
l'hommage tardif de la vérité. Oui , dèslong-
temps vous étiez le père de l'Univers ;
» vous avez fur la terre le même nom que
Jupiter au haut de l'Olympe ; & comme il
eft le père des Dieux , vous êtes celui des
» hommes. Romulus , abaiffez vos titres de
gloire Rémus put franchir d'un faut les
" murs que vous bâtîtes ; la puiffance d'Augufte
les élève & les agrandit. Tatius & fes
foibles fujets , le petit pays des Sabins &
des Céniniens , furent les feules Nations
qui fentirent la force de vos armes ; au-
» jourd'hui l'une & l'autre borne de la courfe
» du foleil eft foumife aux Romains. Vous
poffédiez pour tout empire , je ne fais quel
» coin de terre enlevé aux vaincus ; celui de
» Céfar embraffe tout ce qui s'étend fous la
" voûte des cieux. Vous enlevâtes des époufes
; Céfar veut que la chafteté veille fur
» la couche nuptiale. Vous ouvrites un áfyle
au crime ; il le repouffe & le punit. Vous
» favorifates la violence ; Céfar fait fleurir
» les loix. Vous affectates le titre de maître ;
» il fe contente de celui de Prince. Rémus
» vous reproche fa mort ; Céfar pardonne
» même à fes ennemis. Enfin , c'eſt à votre
père que vous devez la divinité , & Céfar
la donna au fien. »
"
ود
"
و د
ور
DE FRANCE. 197
SPECTACLES.
COUP-D'OEIL fur le travail fait aux trois
Theatres Royaux , pour l'augmentation
du Répertoire , pendant la dernière année
Dramatique , ( Mardi 5 Avril 1785 , aù
Samedi 1er Avril 1786. )
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. (1)
CE Théâtre fe perfectionne de jour en jour : -
jamais l'exécution muſicale des Ouvrages n'y
a été fi parfaite , jamais on n'y a fi bien chanté.
( 1 ) Le Rédacteuri ordinaire de l'Article de l'Académie
Royale de Mufique , ayant été obligé de fufpendre
pendant quelque temps ce travail , celui des
Théâtres François & Italien a bien voulu fe charger
de le fuppléer , & le Coup-d'oeil qu'on préfente aujourd'hui
fur le travail fait aux trois Théâtres , eft
de la même main . On rendra compte , après la rentrée,
d'un Exercice qui a eu lieu dernièrement fur le
Théâtre des Menus , pour effayer les Sujets de l'Ecole
Royale de Chant , de Danfe & de Déclamation ,
lorfqu'une feconde exécution , dans laquelle on doit
employer de nouveaux Sujets , aura mis à portée de
les connoître tous . Note du Rédacteur ordinaire.
Kiij
98 MERCURE
Il faut être jufte ; c'eft aux lumières qui nous
ont été apportées par les Compofiteurs Italiens
, à la méthode qu'ils ont fait adopter
que nous devons ces avantages. Si M. Gluck
nous a fait fentir d'un côté combien notre
Opéra étoit peu digne d'une Nation Dramatique
, MM. Piccinni & Sacchini nous ont
prouvé , de l'autre , que nous étions très- éloignés
de connoître l'art du chant. Nous n'avons
pas d'abord voulu reconnoître ces vérités , parce
que nous tenions par orgueil à nos vieux principes
; mais il a fallu fe rendre à l'évidence ;
& la révolution dont nous fommes les témoins
, fera jouir un jour notre Académie
Royale de Mufique d'une célébrité digne de
la Nation Françoife.
Les Ouvrages qui ont été repréfentés dans
le cours de la dernière année Dramatique font
au nombre de feize. Ouvrages nouveaux :
Pizarre , Tragédie- Opéra en cinq Actes , par
M...., mufique de M. Candeille ; Pénélope
Tragédie en trois Actes , par M. Marmontel,
mufique de M. Piccinni , & le Premier Navigateur
, Ballet-Pantomime en trois Actes ,
par M. Gardel l'aîné.- Ouvrages remis : Iphigénie
en Tauride , par M. Piccinni ; Colinette
à la Cour , par M. Grétry ; les Danaïdes ,
par M. Salieri ; Diane & Endymion , avec
des changemens , par M. Piccinni ; Dardanus
, avec des changemens , par M. Sacchini ;
Alcefte , par M. Gluck ; Panurge , par M.
Grétry ; Iphigénie en Tauride , par M. Gluck;
DE FRANCE
.
199
普
Iphigénie en Aulide , par le même ; la Caravanne
, par M. Grétry ; le Seigneur Bienfaifant
, par Floquet ; la Rofière , Ballet - l'antomime,
& Mirza , autre Ballet- Pantomime ,
tous deux par M. Gardel l'aîné. Il faut ajouter.
à ce travail trois autres Ouvrages repréſentés
à la Cour: Themiftocle , Tragédie- Opéra en
trois Actes , par M..... , mufique de M. Philidor
; dipe à Colone , Tragédie-Opéra en
trois Actes , par M. Guillard , muſique de M.
Sacchini ; & Amphitrion , Comédie -Opéra
en trois Actes , par M. Sédaine , muſique de
M. Grétry. En tout dix- neufOuvrages.
-
Avant de terminer cet article , nous nous
permettrons quelques réflexions qu'il nous
paroît utile de foumettre à la fagacité des
Amateurs de l'Opéra. Depuis quelques années
on repréfente , & le Public voit avec plaifir
la repréſentation des Ballets Pantomimes.
Ces Ballets font des Ouvrages à part qui demandent
de grands foins , de grandes dépenfes
, des études multipliées , & qui ne peuvent
être exécutés que par les premiers, Sujets
de la Danfe. On doit fans doute de la reconnoiffance
& des éloges à ceux qui cherchent
à diverfifier nos jouiffances ; mais ce genre
convient-il à l'Opéra , & ne peut-il pas , au
contraire , lui devenir très-nuifible ? Le foin
que l'on fe donne pour entourer un Ballet-
Pantomime des charmes dont il eft fufceptible
, ne peut -il pas devenir préjudiciable à
celui qu'exigent les Ballets néceffairement attachés
aux Opéra ? En fuppofant que les Com
Kiv
200 MERCURE
pofiteurs de Ballets trouvent dans leur génie
des reffources fuffifantes pour traiter avec un
égal fuccès les Danfes des Opéra & celles des
Ballets - Pantomimes ; en fuppofant encore
qu'ils foient affez courageux pour ne point
placer de préférence dans leurs compofitions
les pas les mieux arrangés , les plus capables
de produire de l'effet ; la force des premiers
Sujets de la Danfe ne fauroit fuffire à tout.
Avant d'exécuter un Ballet d'action , ceux - ci ne
rifqueront point de fe fatiguer dans des pas
moins agréables pour eux , où leur amourpropre
doit trouver moins d'applaudiffemens
& de fuffrages ; alors les Ballets des Opéra ,
abandonnés aux doubles , feront moins faillans,
ils perdront une partie de leur intérêt , ainfi
que l'Ouvrage auquel ils feront attachés. La
Danfe n'eft qu'un acceffoire du Théâtre de Polymnie
, un acceffoire très- utile & très -indif
penfable , à la bonne heure ; mais nous n'en regardons
pas moins comme une innovation
dangereufe pour ce Spectacle, le parti reçu depuis
quelque temps d'en faire un genre à part,
parce qu'il eft à craindre que tôt ou tard il
ne cherche à prendre le pas fur celui dont il ne
doit être confidéré que comme membre. Au
furplus , comme il eft certain qu'il y a plus
de mérite peut- être à plier avec art fes idées
à celles des autres , à fe fubordonner en quelque
manière pour faire briller les richeffes
de fon génie , qu'à créer au hafard dans des
fujets donnés , ou imaginés plus pour l'effet
que pour la raifon ; nous ne voyons pas pourDE
FRANCE. 201
à
quoi l'orgueil des Compofiteurs de Ballets ,
qui nous rendons d'ailleurs toute la juftice
qui leur eft due , pourroit être choqué de nos
obfervations .
COMÉDIE FRANÇOISE.
VIN
INGT Ouvrages , tant neufs que remis
forment le travail fait à ce Théâtre pendant
le cours de l'année dernière , pour l'augmentation
& le mouvement du Répertoire . Ouvrages
nouveaux : Les Deux Frères , Comédie
en cinq Actes & en vers , par M. de R.... ;
Albert & Emilie , Tragédie en cinq Actes &
en vers , par M. D.... ; la Comtesse de Chazelle
, (1 ) Comédie en cinq Actes & en vers ;
Roxelane & Muftapha , Tragédie en cinq
Actes & en vers , par M. de Maiſon- neuve ;
l'Épreuve Délicate , Comédie en trois Actes
& en vers ; Melcour & Verfeuil , Comédie
en un Acte & en vers , par M. de Murville ;
l'Hôtellerie , ou le Faux Ami , Comédie en
cinq Actes & en vers , imitée de l'Allemand ;
le Page Suppojé , ou Edgar , Roi d'Angleterre
, Comédie en deux Actes & en vers ;
P'Oncle & les Tantes , Comédie en trois Actes
& en vers , par M. le M. D. L. S ; Céramis
(1) Cette Pièce a été repréfentée le 6 Mai 1785 .
Le fonds en eft tiré d'un Roman célèbre où nos
moeurs font peintes avec une vérité trop frappante
pour être admife au Théâtre avec fuccès .
Kv
202 MERCURE
Tragédie en cinq Actes & en vers , par M. le
Mierre , de l'Académie Françoife ; les Coquettes
Rivales , Comédie en cinq Actes &
en vers , & le Mariage Secret , Comédie en
trois Actes & en vers. Ouvrages remis : le
Jalouxfans Amour, par M. Imbert ; l'Impertinent
, par Defmahis ; le Roi Léar, par M.
Ducis ; les Méprifes , par M. Paliffor ; Médée
par Longepierre ; l'Etourderie , par Fagan ; la
Nouveauté , par Legrand , & l'Egoïsme , par
M. de Cailhava. A ces Pièces nous en joindrons
deux qui ont été répréſentées à la Cour :
le Portrait , Comédie en un Acte & en vers ,
& Athalie , Tragédie de Racine , avec les
choeurs , mufique de M. Goffec. En tout ,
vingt-deux Ouvrages , tant remis que nouveaux.
La Comédie Françoife peut placer l'année
dernière au nombre de celles qui lui ont été
le plus fatales. Sur douze Ouvrages nouveaux
qu'elle a repréſentés , fept font tombés
à leur première repréfentation. La févérité
des juges actuels de ce Spectacle , parle bien
victorieufement contre l'avis des perfonnes
qui ont avancé qu'affeoir les Parterres c'étoit
gêner les fuffrages , & amener une indulgence
nuifible aux progrès de l'Art . Elle vient de
perdre quatre Sujets juſtement célèbres , ( 1 )
& qui laifferont après eux de longs regrets; &
( 1 ) Nous donnerons dans le prochain Mercure
une notice fur les Débuts & fur les talens de ces
quatre Sujets .
DE FRANCE.
205
elle peut confidérer cette perte comme un
malheur réel. Il ne faut pourtant pas reffembler
à ces efprits inquiets , à ces têtes exaltées
qui vont criant que la Comédie Françoife eft
anéantie . Ce Spectacle perd beaucoup , fans
doute,dans les quatreComédiens qui viennent
de fe retirer ; mais il lui refte encore un affez
grand nombre de beaux talens pour tranquillifer
les Amateurs du Théâtre , & pour faire
eſpérer de bonnes repréfentations. Mme Veſtris
, Mlle Sainval , Mme Bellecour , Mlle
Contat , Élève de Mme Préville , M. la Rive ,
& M. Molé , ce Comédien charmant , Spes
altera Roma , offrent , avec quelques autres
Sujets dont les talens , le travail & le zèle
font connus , des fujets puiffans de confolation
. Il eſt rare de faire mal quand on a la
volonté & le pouvoir de bien faire . Jamais la
Comédie Françoiſe n'a montré plus d'ardeur
àfervir le Public ; jamais le Répertoire n'a été
plus varié ; jamais on n'a été , fauf les événemens
imprévus , plus exact à repréſenter les
Pièces promifes. L'exactitude de ce ſervice eſt
due non feulement aux efforts des Comédiens,
mais encore à l'intelligence & à l'activité de
M. Florence , que le Spectacle a chargé de
tout ce qui concerne la diftribution des Pièces
& leur repréfentation. Cet Acteur fe multiplie
pour fe rendre utile ; les Comédiens
font très- fatisfaits de l'efprit d'ordre , de juftice
& de fageffe qui règle l'adminiſtration
dont il eſt chargé , il eft jufte que le Public
K vj
204
MERCURE
Amateur fache auffi ce qu'il doit d'eſtime à
fes foins & à fon zèle toujours renaiffant.
COMÉDIE ITALIENN E. ( 1 )
LE tableau du travail fait pendant le cours
de chaque année Dramatique , fur ce Théâtre ,
offre toujours l'idée du même zèle & des
mêmes efforts. On y a repréſenté cette année
vingt-fix Ouvrages , tant nouveaux que remis.
Comédies: la Dupe de foi même , Comédie
en trois Actes & en profe ; Agnès Bernau ',
Drame Héroïque en quatre Actes & en vers,
par M. Milcent ; les Aveux Imprévus , Comédie
en trois Actes & en profe ; Kofe , fuite de
Fanfan & Colas, Comédie en trois Actes & en
profe , par Mme de Beaumanoir ; Germance,
ou la Fauffe Délicateffe , Comédie en trois
Actes & en profe , par M. Miff.; le Méfiant ,
Comédie en cinq Actes & en vers , par M. B.;
la Prévention Vaincue , Comédie en trois
Actes & en profe , par M. F. - Comédies remifes
: l'Auteur Satyrique , Comédie en un
Acte & en vers de feu Voifenon , retouchée
par M. Defprès ; les Trois Jumeaux Vénitiens,
( 1 ) La clôture de ce Théâtre s'eft faite par une
repréſentation de Richard Coeur- de- Lion. A la fin
de cette Pièce , on" a chanté quelques couplets , dont
le motif a été fourni par un épifode du premier Acte.
Ces couplets , dont l'Auteur eft M. Favart le fils ,
ona tenu lieu de compliment ; ils ont été applaudis .
DE FRANCE.
205
Comédie en quatre Actes & en profe , par
Colalto; la Femme Jaloufe , Comédie en cinq
Actes & en vers , par M. Desforges ; Céphife ,
Comédie en un Acte & en profe , par M. de
Ma... des Viv ...- Ouvrages Lyriques neufs :
Théodore , Comédie en trois Actes mêlés
d'ariettes , mufique de M. Davaux ; l'Heureufe
Réconciliation , Drame en un Acte & en
profe , mêlée d'ariettes , mufique de M. L… ... ;
Claude & Claudine , Opéra Comique en un
Acte & en vaudevilles ; Lucette , ( 1 ) Comédie
en trois Actes mêlés d'ariettes , mufique
de M. Fr....; l'Amitié au Viliage , Comédie
en trois Actes & en vers , mufique de M. Philidor
; la Dot , Opéra - Comique en trois
Actes , mufique de M. d'Aleyrac ; Confiance ,
Parodie de Pénéloppe , en un Acte & en
profe , mêlée de vaudevilles ; les Trois Folies
, ( 2) Opéra Comique en un Acte & en
vaudevilles ; Coradin , ( 3 ) Comédie en trois
( 1 ) Cette Pièce a été repréfentée le Jeudi 181
Août 1785. Nous n'en avons point rendu compte ,
parce qu'elle n'a point été achevée. Le Public eft:
quelquefois fi extrême dans fa févérité , qu'elle
anéantit chez lui l'efprit de curiofité & le fentiment
du refpect qu'il fe doit à lui- même.
(2 ) Ouvrage repréfenté le 17 Janvier 1786 ; c'eftà
- dire beaucoup trop tard pour produire un certain
effet. Les trois folies qu'il tourne en ridicule font,
Marlborough , la Harpie & Figaro.
(3 ) On avoit annoncé que cet Ouvrage feroit redonné
avec de grandes corrections ; comme il n'a
pas reparu , nous n'avons pas pu remplir l'engage206
MERCURE
Actes & en profe , mêlée d'ariettes , mufique
de M. Bruni , l'Incendie du Havre , fait hiftotique
en un Acte & en profe , mêlé de vaudevilles
; l'Amour Filial , Comédie en un
Acte & en profe mêlée d'ariettes , muſique
de M. Ragué. - Ouvrages Lyriques remis : le
Corfaire , Comédie en trois Actes & en
vers , mufique de M. d'Aleyrac ; l'Amant
Statue , ( 1 ) Comédie en un Acte , muſique
du même , la Nouvelle Omphale , mufique
de Floquet ; Richard Coeur- de- Lion , par M.
Sédaine , mufique de M. Grétry , d'abord en
quatre Actes , & enfuite en trois Actes. (2)
Outre ces Ouvrages , on en a repréſenté un
autre à la Cour : Cécilia, ou les Trois Tuteurs
, Comédie en trois Actes, mufique de M.
Davaux. En tout vingt-fept Pièces.
ment que nous avions contracté , en promettant d'en
rendre compte.
( 1 ) Cet Ouvrage , qui avoit été repréſenté pour
la première fois en vaudevilles en 1781 , & dont
nous avons rendu compte dans le temps , a été remis
le 4 Août 1786 , avec une mufique nouvelle , qui a
eu & mérité beaucoup de fuccès .
( 2) M. Sédaine a fait d'abord cet Ouvrage en
trois Actes ; enfuite , pour répondre aux voeux du
Public , qui n'étoit point fatisfait du dénouement ,
il avoit ajouté de nouveaux incidens à fon intrigue
, & l'avoit prolongée en quatre Actes ; ce
travail n'ayant point eu de fuccès , on a imaginé de
faire emporter d'affaut le fort où le Roi Richard eft
retenu prifonnier : ce dénouement , qui a remis la
Pièce en trois Actes , & qui eft parfaitement exécuté ,
a eu & continue d'avoir beaucoup de fuccès .
DE FRANCE. 207
Il faut rendre juftice à MM. les Comédiens
Italiens ; le courage qu'ils montrent à
apprendre & à repréfenter des Ouvrages
fouvent très-médiocres , prouve qu'ils n'ont
pas moins à coeur d'encourager les Auteurs
que de fatisfaire le Public. Nous les invitons
de nouveau à fatisfaire tous les gens
raifonnables fur un point effentiel à la
tranquillité générale. Des événemens récens
& funeftes doivent les éclairer fur le
danger de laiffer les Spectateurs debout au
parterre: on aura toujours à craindre qu'une
foule bruyante, tumultueufe, & qui s'échauffe
en proportion de l'agitation qu'elle éprouve ,
ne fe laiffe aller à des excès fur lefquels on
gémit quand il n'eft plus temps de les réparer
, & qu'il feroit bien fage de prévoir. La
raifon & l'humanité fe réuniffent pour crier
à MM. les Comédiens Italiens : Affeyez votre
Parterre: ils ne feront pas fans doute infenfibles
à ces cris ; & fi quelque motif d'intérêt
pouvoit les faire balancer à prendre ce parti ,
nous nous foumettons à leur prouver publiquement
que moyennant une augmentation
raifonnable fur le prix des places au parterre ,
il fera facile d'accorder la bafe de leur fortune
avec la tranquillité publique.
208 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
BUREAU Typographique pour les Enfans.
PARMI
ARMI les Méthodes ingénieuſes inventées pour
faciliter aux Enfans l'étude de la Lecture & de l'Or
tographe , on doit compter le Bureau Typographi
que que nous annonçons. M. Dumas imagina de
leur apprendre à lire en leur faifant faire à - peu -près
les mêmes opérations que fait un Ouvrier à l'Imprimerie.
Ce Bureau Typographique étoit d'abord embarraffant
par fon volume ; la réduction que M.
Reybert en a faite , le rend d'un ufage plus facile.
Par le moyen d'une boîte ou caiffe d'environ 12
pouces de hauteur , fur 30 de largeur & 3 de profondeur
, l'Enfant le plus borné & le plus pareffeux
apprendra fans ennui à lire en bien moins de temps
qu'avec les dez , les fiches , &c.
Dans cette eſpèce d Imprimerie , on ne s'eft pas
borné à la connoiffance des Lettres ; il y a un jeu
deſtiné aux Elémens de la Gramniaire , de la Géographie
, de la Fable & de l'Hiftoire Naturelle . On
a écrit fur chaque carte un nom ou géographique ,
ou hiftorique , ou mythologique , & derrière on en
donne une explication claire & précife ; moyen sûr
& agréable pour apprendre tout-à-la fois aux En
fans & les mots & les chofes .
1
La difficulté de fe procurer des Bureaux ayant empêché
beaucoup d'Inftiteurs d'en faire ufage , M.
Reybert s'eft mis en état d'en fournir très- promptement
à ceux qui s'adrefferont à lui . Ses Bureaux
font compofés de quatre mille quatre cent Cartes
DE FRANCE. 209
gravées très exactement. On pourra remplacer
selles qu'on aura perdues , en les rachetant féparément.
On foufcrit à Avignon , chez l'Auteur , M. Reybert
, & chez Aubanel , Libraire. Le prix jufqu'au
premier Juillet fera de 120 liv . Après cette époque
le Bureau fe vendra 150 liv. , avec une courte Me
thode pour en indiquer l'ufage. On payera en foalcrivant
6 liv. , & le refte en recevant l'Ouvrage,
qui, fera livré un mois après la demande .
ANNONCES ET NOTICES.
VOYAGE
OYAGE en Italie ( avec un Atlas ) , contenant
I'Hiftoire & les Anecdotes les plus fingulières de
l'Italie , & fa Defcription ; ies Ufages , le Gouvernément
, le Commerce , la Littérature , les Arts , l'Hif
toire Naturelle & les Antiquités , avec des jugemens
fur les Ouvrages de Peinture , Sculpture & Architecture
, & les Plans de toutes les grandes Villes d'Italie
, par M. de la Lande , feconde Edition , corrigée
& augmentée , neuf Volumes in 12. Prix , 36 liv.
brochés & 42 iv , reliés.
Le titre de cet Ouvrage annonce un plan trèsétendu
. M. de la Lande a embraffé tout ce que peut
defirer l'imagination des Lecteurs , & il a fa isfait à
tous les intérêts divers de leur curiofité Son enthouhafme
pour les belles contrées qu'il décrit , ne l'emporte
pas au delà de la vérité. Le mélange des matières
a jeté beaucoup de variété dans l'Ouvrage.
Tout ce qui regarde les Sciences & les Arts n'y laiffe
rien à defirer , & les rapprochemens & les comparaifons
dont le favant Auteur l'a enrichi , le rendent
ès- utile au progrès des lumières.
(210 MERCURE
2
Il eft à préfumer que cette nouvelle Edition , qui
eft plus foignée , n'aura pas moins de fuccès que la
première.
Les trois Héroïnes Chrétiennes , ou Vies édi
fiantes de trois jeunes Demoiselles , par M.
l'Abbé **** , troifième Edition , revue , corrigée
& augmentée d'une nouvelle Vie & de Traits intéreſſans
, in- 16 . Prix , 2 liv. relié. A Paris , chez
Benoît Morin , Libraire , rue Saint Jacques ; & à
Rennes , chez les Demoiſelles Vatar , Libraires.
Nous avons déjà annoncé dans fa nouveauté cet
Ouvrage édifiant.
DISCOURS fur divers fujets de Religion & de
Morale , par M. l'Abbé Affelin , ancien Vicaire
Général de Glandèves , 2 Vol . in - 12 . A Paris ,
chez Delalain le jeune , Libraire , rue S. Jacques.
M. l'Abbé Affelin eft depuis long - temps conna
par des Difcours religieux qui ont joui d'un fuccès
mérité. Ce nouvel Ouvrage ne peut que confirmer
la réputation de fon Auteur. On trouve dans ces
divers Diſcours une douce onction , des maximes
religieufes énoncées avec toute l'élégance que comportent
les vérités chrétiennes , & autant de force
de naturel ; en un mot , ce qui diftingue les
autres Ouvrages de M. l'Abbé Afelin .
que
L'ART d'être Heureux fur la terre , mis à la
portée du Peuple de toutes les Nations , in 8. de
200 pages. A Paris , chez Royez.
Cet Ouvrage , divifé en fix Entretiens d'an Maître
avec fon Fermier , remplit parfaitement fon
titre. Les principes de la plus pure Morale y décou
lent du fentiment , & le fentiment y ramène toujours
à la Morale - pratique & au vrai bonheur. L'Auteur
s'attache far-tout à démontrer à fon Fermier que
DE FRANCE. 211
ee bonheur tant cherché, n'eft que le produit naturel
de la conduite dirigée par la Morale , ou par la
Confcience , dépôt facré de fes loix.
De la poffibilité de faciliter l'établiſſement géné
ral de la Navigation intérieure du Royaume , de
Supprimer les Corvées , & d'introduire dans les
travaux publics l'économie que l'on defire , par M.
de Fer de la Nouerre , ancien Capitaine d'Artillerie ,
Académicien-Correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences de Turin , de celle de Dijon , & préfenté
à l'Académie des Sciences , 2 Vol. in 8 ° . A
Paris , chez l'Auteur , rue du petit Bourbon , Fauxbourg
Saint Germain , nº . 13 , & chez la Veuve
Duchefue , Libraire , rue Saint Jacques ; Didot fils
aîné , Libraire , rue Dauphine ; Defenne , Hardouin
& Gatey , Libraires , au Palais Royal.
Nous reviendrons fur cer Ouvrage important,
auquel l'Auteur vient de joindre un Supplément de
136 pages même format , contenant des Réflexions
fur le projet de l'Yvette , & les différens Rapports
fais fur fon Ouvrage , qui doit avoir une fuite de
Volumes.
ESSA18 de Poéfies propres à la Mufique , précé
dés d'un Avant- Propos fur ces deux Arts confidérés
dans leurs rapports entre- eux , & fur le Poëme
d'Orphée , qui fait l'objet principal de ces Effais ,
in 8° . de 87 pages. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint Jacques , &
chez Brunet , Libraire , rue de Marivaux , près du
Théâtre Italien .
Le Poëme d'Orphée contenu dans ce Volume
avoit été envoyé au Concours pour le premier Dé-
'cembre de l'année 1784. L'Auteur n'a voulu préfenter
dans fon fujet qu'un miracle d'amour , & non
un prodige d'harmonie. Orphée va bien chercher fa
212 MERCURE
femme Euridice aux enfers ; mais il n'y pénètre point
par le fecours de fa lyre ; illufion que l'Auteur croit
impoffible fur la fcène. Le Dieu qu'il implore , & qui
ex auce fes voeux , c'eſt l'Amour , qui rend la vie à
Euridice.
Le ftyle de ce Poëme eft fouvent négligé. Les
perfonnes févères accuferont l'Auteur d'avoir dénaturé
le fujet ; mais il a fu le difpofer à des effets
de mufique.
DICTIONNAIRE pour l'intelligence des Auteurs
Claffiques Grecs & Latins , tant Sacrés que Profanes ,
contenant la Géographie , l'Hiftoire , la Fab'e &
es Antiquités , par M. Sabbathier , Profeffeur- Einérite
au Callége de Châlons - fur - Marne , Secrétaire
perpétuel de l'Académie de la même Ville , Affocié de
I'Académie Étrufque de Cortone , & c . Tome XXXII.
A Paris , chez Delalain l'aîné , Libraire , rue Saint
Jacques.
LE Cabinet des Fées , ou Collection choifie des
Contes des Fees & autres Contes merveilleux , ornés
de figures , douzième Livraifon , Tomes XXIII &
XXIV , contenant la Suite des Sultanes de Guzaratte
, le Prince des Aigues- Marines , le Prince invifible
& les Féeries nouvelles .
Cette Collection formera trente-un Volumes
in- 80 dont le prix eft de 3 liv. 12 fols le Volume
broché , avec trois Planches.
Le fuccès qu'elle a obtenu a engagé l'Éditeur à
prendre des arrangemens pour une autre Édition en
trente un Volumes in- 12 , avec les mêmes figures
de l'in 8 ° . , dont le prix eft de 2 liv . 8 fois le
Volume broché , & pour une autre en trente- un
Volumes fans figures , dont le prix eft de 1 liv.
15 fols le Volume broché. Il en paroît actuelle
ment dix Volumes .
DE FRANCE. 215
On s'infcrit , pour les diverfes Éditions , à Paris ,
chez Cuchet , Libraire - Editeur des Euvres de le
Sage & Prevoft; & à Genève , chez Barde Manget
& Compagnie , Imprimeurs Libraires.
0
OEUVRES de Mme de la Fayette , huit petits
Volumes. Prix , 12 liv . brochés , 16 liv. reliés. A
Amfterdam ; & fe trouvent à Paris , rue & hôtel
Serpente.
On verra fans doute avec plaifir la Collection des
Euvres de cette Dame célèbre , qui a mérité cet
éloge de Voltaire : « Les Romans de Mme de la
Fayette , dit- il , furent les premiers où l'on vit les
» mccurs des honnêtes gens & des aventures natu-
30 relles décrites avec grace. »
METHODE nouvelle & facile de guérir la Ma
ladie Vénérienne , fuivie , 1 ° . d'un Traité Pratique
de la G..... ; 2°. d'Obfervations fur les Abfcès &
fur la Chirurgie générale & médicale ; 3 ° . d'une
Lettre à M. Buchan fur l'Inoculation , fur la petite
Vérole &fur les Abfcès varioleux , par M. Clare ,
Chirurgien , traduit de l'Anglois , par J. D. M. H.
D. M. C. D. A. , in- 8° . Prix , 4 liv. broché , s liv.
relié. A Paris , chez Froullé , Libraire , quai des
Auguftins.
Ce Volume eft compofé de plufieurs Morceaux
féparés , tous précieux à l'Ast de guérir. M. Clare
jouit d'une réputation aufli brillante que méritée , &
fes Ouvrages feront fans doute accueillis en France.
Nous devons cette Traduction à l'eftimable Ecrivain
qui nous a fait jouir de la Médecine domeftique , &
l'on ne peut que l'encourager à fournir toujours auffi
dignement une carrière auffi utile.
BIBLIOTHEQUE Univerfelle des Dames; Morale,
TomeV. Théâtre , Tome III. A Paris!, rue d'Anjou ,
214 MERCURE
la feconde porte- cochère à gauche en entrant par la
rue Dauphine .
La foufcription pour les vingt- quatre Volumes
reliés eft de 72 liv. , & de 54 liv. pour les Volumes
brochés.
NEE de la Rochelle , Libraire à Paris , donne
avis au Public qu'il imprime actuellement la Collection
complette des Euvres de M. Marmontel , dont
la première Livraiſon contiendra les Contes Moraux
& Bélifaire ; la feconde , un Cours de Littéra
ture Elémentaire , dans lequel font fondus la Poétique
du même Auteur & tous les Articles qu'il
donnés dans l'Encyclopédie. Cette Edition , ornée
d'un nouveau Portrait de l'Auteur , fera faite fur les
formats in-8 °. & in- 12.
TOMES V & VI du Recueil Manuel des Ordonnances
, format in- 3 2. A Paris , chez Leboucher
Libraire , quai de Gêvres .
Le Tome V contient l'Ordonnance Criminelle de
1670 & celle de 1737 fur le Faux. Prix , 1 liv.
10 fols relié.
Le Tome VI contient l'Edit de 1771 fur les Hypothèques
, fuivi de toutes les Loix qui ont été
publiées depuis , &c. , avec des Notes , par M. Boucher
d'Argis , Confeiller au Châtelet , & c. Prix ,
I liv. 10 fols relié.
SERMONS de M. l'Abbé Foffard , Chanoine ,
Archidiacre de l'Eglife Métropolitaine de Rouen ,
Abbé de Marcheroux , Prédicateur ordinaire du
Roi , 3 Vol. in 12. Prix , 7 div . 10 fols reliés. A
Rouen , chez Leboucher le jeune , Libraire , rue
Gantière ; & à Paris , chez Durand neveu , Li
braire, ruc Galande ; Nyon l'aîné . Libraire , rue
DE FRANCE.
215.
du Jardinet , & Mérigot le jeune , Libraire , quai ,
des Auguftins.
Il eft à préfumer qu'on lira les Sermons de M.
l'Abbé Foffard avec empreffement , comme on couroit
autrefois pour les entendre. Ennemi de tous ,
vains ornemens , & encore plus d'une parure mondaine
, cet Orateur paroît avoir fait marcher les intérêts
de la Religion avant ceux de fa propre gloire.
Il aima mieux inftruite & toucher fes Auditeurs que
d'être loué par eux , & il n'en mérite que mieux
leurs éloges. Une fimplicité vraiment digne de la
Morale Evangélique , une onction religieufe forment
le caractère diftinctif de fon éloquence.
LUMIERE pour la nuit , inventée en Angleterre,
divifée par paquet pour trois cent foixante - cinq
jours.
Une feule de ces Lumières fuffit pour une nuit
des plus longues : il s'agit de les mettre dans un
verre rempli d'eau & d'huile d'olive. La lumière
qu'elles produifent eft très - vive & très nette. Unc
propriété particulière de ces Lumières , eft d'attirer
& confommer les mauvaises vapeurs de l'air du lieu
où elles brûlent , ce qui doit engager à s'en fervir
fur- tout dans les chambres des maiades. Le prix eft
de trente fols le paquet pour une année entière. Le
dépôt eft chez M. Labat , Marchand Tapiffier , rue
de la Roquette , cour des Moulins , Fauxbourg S
Antoine , à Paris.
PRINCIPES de Harpe , fuivis de dix - huit Airs
d'une difficulté graduelle pour fervir d'Exemples , par
M. Ragué , OEuvre VIII . Prix , 9 liv . franc de port
par la pofte. Fantaisie & Sonate pour le Piano ,
far M. W. A. Mozart, Air favori varié &
Rondeau pour le Piano , par M. J. Vanhall ,
OEuvre XXXIV. Eponine & Sabinus , Songte
-
216 MERCURE
de caractère pour le Piano , par M. J. Sardi ;
OEuvre I.Trois Symphonies à grand orchestre ,
par M. Roſetti. -Trois Symphonies
idem , par
―
fols.
M. Hayden. Ouverture de l'Embarras des Richeffes
pour la Harpe , par M. J. Elouis. Prix ,
2 liv. 8 fols franc de port. Premier Recueil
Airs & Romances pour le Piano , par M. Baland.
Prix, liv.
7 4
Soirées de la Comédie Italienne
, premier Recueil d'Airs , Vaudevilles , &c.
Accompagnement de Clavecin , par les meilleurs Auteurs
. Prix , 6 liv. franc de port . A Paris , ehez
Leduc, fucceffeur du fieur de la Chevardière , au
Magafin de Mufique & d'Inftrumens , rue du Roule ,
à la Croix d'or.
Faute à corriger.
Le Portrait de Louis Gillet , par M. Gaucher ,
eft d'une date antérieure à celui que nous avions
annoncé précédemment.
TA BL E.
VERS à Mme la Ducheſſe de Traduction des Faftes d'Ovi-
Courlande ,
Chaifon ,
169 de . 194
171 Académie Roy. de Mufiq . 197
Comédie Françoife , Charide, Enigme & Logo
gryphe ,
Eloge de M. Caffini de Thury, Sciences & Arts
Le Mari Sentimental ,
201
173 Comédie Italienne , 204
208
175 annonces & Notices , 209
186
APPROBATION.
PATla , par ordre
de Mgr
le Garde
des Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
22 Avril
1786.
Je n'y
ai rien trouvé
qui puiffe
en empêcher
l'impreffion
. A
Paris
, le 21 Avril
1786.
GUIDI
.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 29 AVRIL 1786.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERSET EN PROSE.
ÉPITRE à M. S......
Je vous écris , mon cher S ......
Avec un peu d'aigreur dans l'âme;
Je veux vous conter le chagrin
Que m'a caufé certaine Dame
Au coeur perfide , au front d'airain,
ELLE prit d'abord ayec ruſe ,
Pour mieux me cacher fa noirceur ,
De la Bergère de Vauclufe
La modeftie & la douceur ;
Puis fa voix tendre & délicate
Récita mes vers tour- à-tour
Et me fit fentir en ce jour,
No. 17 , 29 Avril 1785 . L
218 MERCURE
Que l'amour propre que l'on atte
Produit fouvent un autre amour.
QU'IL en faut
peu pour nous féduire ,
Nous autres fots de beaux efprits !
Nous croyons , de nous même épris
Que tout le monde nous admire ,
Et que la divine Cypris ,
Quand nous fommes fous fon empire
Comme Apollon nous doit le prix .
Ma très indulgente maîtreffe
Profita donc de ma fimpleffe ;
Mais je m'apperçus à propos
Que je partageois fa tendreffe
Avec trois fortunés rivaux,
Jugez de mes plaintes cruelles ,
Jugez de mon dépit confus
Lorfqu'on fe rit de mes querelles ,
Et que par un coupable abus
On fit cent fermens infidèles :
Je partis , & je ne crois plus
A la fincérité des Belles,
ET VOUS , ami , que faites-vous
Aux bords fleuris où vous promène
Un deftin uniforme & doux ? *
Dites-le moi , l'eau de la Seine
* Cette Épître fut faite l'été dernier.
DE FRANCE.
219
Vous fert-elle encor d'Hippocrène
Pour perfiffler la troupe vaine
Des critiques & des jaloux ?
Chéri des filles de Mémoire ,
Dans leur temple allez-vous rentrer
Et de B...... vantant la gloire ,
Daignerez-vous nous le montrer
Paré des mains de la victoire ?
Ou, loin des belliqueux hafards ,
Et d'une héroïque mapie ,
Crayonnerez vous fon génie ,
Se livrant aux Plaisirs , aux Arts ,
Et voudrez - vous nos regards
N'offrir le favori de Mars
Qu'homme de bonne compagnie ?
Faites plus empruntez fa voix ,
Et ce goût sûr qui
l'accompagne
Quand il va charmer.à-la-fois ,
Par fes talens & les exploits ,
Le Salomon de
l'Allemagne.
Tracez d'après lui le tableau
D'une Cour guerrière & polie ;
Que Potsdam fous votre pinceau
かつ
Reprenne une nouvelle vie.
POTSDAM ! tu vois dans tes déferts
Les merveilles de l'Univers ;
L'art y fixe Flore & Pomone;
Et le Printemps , l'Été , l'Automne ,
Li
220 MERCURE
Y portent leur riche couronne
Parmi les glaçons des Hivers ;
Mais ces fleurs , ces orangers verds ,
Ces fruits de cent climats divers
Nefont pas tout ce qui m'étonne.
Moi , dans ton palais enchanteur ,
J'admire le Légiflateur ,
Qui , defpotique , populaire ,
Conquérant , pacificateur ,
Par fa fageffe nous éclaire ,
Et par les talens fait nous plaire ,
Eft Hiftorien , bon Flûteur ,
Et verfifie à la Voltaire .
JE m'enflamme lorfque je voi
Qu'il remplit fes rivaux d'effṛoi ,
Mais que fenfible à tout mérite ,
Il defcend du rôle de Roi
Pour être ami de bonne - foi
Du grand Général qui l'imite .
J'AIME enfin qu'alors deux Héros
Daignent à leurs favans propos
Mêler d'ingénieux bons -mots ,
Et que , dans leur enthouſiaſme ,
Ils lancent gaîment le farcafme
Sur les poltrons & fur les fots,
( Par M. de Caftera. )
DE FRANCE 221
·
SAILLIE & Mme la Marquife DE C......
la veille de fon départ de L....
MAUDIT AUDITS chevaux ! qui , dès- demain ,
Emportez loin de nous nos plus chères délices
Ah ! puiffiez - vous , au milieu du chemin ,
Etre changés en écreviſſes !
( Par M. D. L. M. )
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade eft Détour ; celui
de l'Enigme eft Diligence ou Coche d'eau ;
celui du Logogryphe eft Village , où l'on
trouve ville , vil, la ( note ) , lie , age , vie ,
eau.
CHARADE.
LORSQUE de mon fecond mon premier n'a pas trop ,
Mon tout peut quelquefois n'être pas mauvais lot.
( Par M. D. )
Lin
222
MERCURE
ÉNIG ME.
L'ILLUSION
'ILLUSION & fes preſtiges
Sans doute , cher Lecteur , ne peuvent rien fur toi ;
Mais pour ton oeil perçant , s'il n'eft point de prodiges,
Nouvel @dipe , explique moi .
De quatre- vingt- dix fils utiles à ton Roi,
Jadis l'intérêt me fit mère ;
A cette époque , d'ordinaire ,
Les charmes font en défarroi.
J'échappe cependant à la commune loi;
-
Et , par un deftin tout contraire ,
Lecteur , j'infpire encore à grand nombre d'amans
Le penchant le plus vif , les goûts les plus conftans :
Auffi je me tire d'affaire ;
Car , pour une faveur que chacun d'eux eſpère ,
Tous fe chargent de mes enfans .
( Par un Membre de la Société Littéraire de
Goven , en Bretagne. )
LOGOGRYPHE.
Ils ne font plus , ces temps où tes aïeux
Me préféroient aux trefors de la terre ;
Et tel ne voit que d'un air dédaigneux
Ce qui faifoit le bonheur de fon père.
DE FRANCE. 223
Ami , veux- tu me trouver ailément ?
Quitte les lieux qu'habite la molleffe ,
Et cherche moi... J'en dis trop à préfent :
Vois dans neuf pieds l'objet de ta tendreffe ;
Un nom chéri qu'honore le Chrétien;
Celui qu'on aime à donner à fa bellez
Enfin celui qu'eut ton père & le fien ;
Ce qui dans toi fe révolte , chancelle ,
Et ce qui vit au -delà du tombeau ;
D'un fol amour l'innocente victime ;
Un temps paffé ; ce qu'on trouve au hameau ;
Le baut d'un mont ; un homme qu'on-eſtin e ,
Et ce qu'on voit chez le riche & les Grands ;
Deux élémens ; un temps de pénitence;
Un Moine , un mois ; ce qu'on mange fans dents ;
Un arbre; un fruit ; ce qui fait ta défenſe.
Je t'offre encore un figne de douleur
Ou de plaifir ; deux notes de muſique ;
Un mal produit par le froid , la chaleur ;
Le nid de l'aigle ; un peuple de l'Afrique ;
Un Magiftrat fort puiffant autrefois ;
Ce qui bientôt doit ceindre cette ville ;
Un chemin ; un .... Mais c'eſt aſſez , je crois.
Adieu , Lecteur : l'énigme eft bien facile .
( Par M. Corbilly, )
Liv
224 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TABLEAU des Arts & des Sciences , depuis
les temps les plus reculés jufqu'au fiècle
d'Alexandre- le-Grand ; Ouvrage traduit
de l'Anglois de M. Jacques Banniſter. A
Paris , chez Lottin de Saint- Germain , rue
S. André- des- Arcs , 1786.
L'OBJET de cet ouvrage eft de donner aux
perfonnes dont l'éducation a été négligée ,
des idées générales fur le progrès des Arts &
des Sciences , ainfi que fur leur haifon avec
la morale & le Gouvernement , & d'engager
les autres à étudier les Anciens , que l'Auteur
regarde , avec raifon , comme les fources des
vraies connoiffances & de la faine philofophie.
Il-fe félicite de ce que les Poëtes , les Hiftoriens
& les Orateurs les plus admirés de l'antiquité
, ont été traduits en Anglois par des
hommes qui ont fu rendre , non- feulement
le fens , mais même l'efprit de ces grands
modèles. On peut fe glorifier en effet d'un
Traducteur d'Homère , tel que Pope , & nous
pouvons nous glorifier auffi du premier Traducteur
qui nous a fait connoître Milton ;
car pour le fecond , s'il a le froid mérite d'être
plus littéral , il a le tort d'être moins animé ,
moins énergique ; s'il traduit les mots AnDE
FRANCE. 225
glois , il ne traduit pas la langue Poétique .
En général , le travail des Traducteurs n'eft
pas affez eftimé ; c'eft rendre le plus grand fervice
à la Littérature Nationale , que de l'enrichir
des bonnes productions étrangères , tant
anciennes que modernes ; & le Traducteur
de cet Ouvrage , qui l'eft auffi de plufieurs
autres bons Ouvrages Anglois , a bonne part
à cét éloge.
Ce volume contient cinq differtations qui
pourront être fuivies de quelques autres. On
traite ici , 1º. de l'Architecture ; 2°. de l'Aftronomie
; 3 °. du Langage ; 4°. de la Mythologie
Payenne & de la Philofophie morale,
f . de la Philofophie naturelle.
Les cavernes & les antres furent la première
habitation des hommes ; les premières
maifons furent d'abord compofées des matériaux
les plus grofliers & les plus groflière→
ment arrangés ; elles étoient placées auprès
des forêts & des rivières pour la commodité
de la chaffe & de la pêche. Le befoin de trouver
de l'eau & des pâturages , force le Berger
à mener une vie errante. La peinture que
l'Écriture Sainte nous fait des Ifraëlites pendant
l'âge Patriarchal , nous prouve qu'ils vivoient
fous des tentes. Les Tartares & les
Arabes fauvages ne connoiffent pas même
encore aujourd'hui d'autres habitations ; ils
affectent de parler avec mépris de nos plus
beaux morceaux d'Architecture , comme de
foibles tentatives faites pour approcher- des
beautés de la Nature, « Que font , difent- ils ,
L V
226 MERCURE
» vos plus belles colonnes , quand on les compare
à l'élévation majeftueufe d'un arbre ?
" Vos temples les plus magnifiques infpirentils
ce refpect religieux qui faifit à l'entrée
» d'un bois écarté , & couvert d'une ombre
⚫ épaiffe? "
L'Architecture proprement dite , doit fa
naiffance à l'Agriculture. L'Auteur eft porté
à croire qu'on employa la brique dans les
bâtimens, long- temps avant la pierre. Tirer la
Pierre de la carrière , la tailler , la mettre en
état de fervir aux bâtimens , fuppofe la connoiffance
d'un grand nombre d'Arts . « Au
ور
contraire , la brique fe fait avec la plus
grande facilité dans quelques pays , & particulièrement
dans la Chaldée . Il eft géné-
» ralement reconnu que Babylone fut confstruite
avec des briques ; & nous lifons dans
les plus anciennes Hiftoires qui exiftent,que
les Ifraëlites étoient occupés , non pas
tirer les pierres de la carrière & à les tailler
, mais à fabriquer de la brique. »
و ر
و ر
Les Égyptiens réclament , avec raifon , la
gloire d'avoir été le premier peuple policé :
on connoît leurs pyramides , leurs obélifques ,
&c. Les Grecs tirèrent de l'Égypte leurs connoiffances
en Architecture. Dans la comparaifon
de l'Architecture Égyptienne & de la
Grecque , à la vue dé la première , nous fommes
frappés de cette idée de grandeur que
produit l'étendue de l'objet , & notre étonnement
augmente lorfque nous confidérons
Pimmenfe difproportion qui eft entre l'ArDE
FRANCE. 227
chitecte & l'édifice , lorfque nous réfléchiffons
fur les bornes de la puiffance humaine, &
fur les effets produits par les travaux conftans
& réunis d'un grand nombre d'hommes.
Les ftatues coloffales des Égyptiens , & les
petits ornemens , fi difficiles à exécuter , dont
ils furchargeoient leurs bâtimens , doivent
pareillement nous faire admirer leur adreffe ;
mais ils ne connoiffoient pas cette beauté qui
réfulte de la correction du deffin & d'un
heureux arrangement des différentes parties
d'un tout. Ils ignoroient l'art de faire une
voûte , ils n'étoient pas heureux dans la difpofition
& la diftribution de leurs jours. Leurs
colonnes font plutôt des défauts que des beautés
, tant elles font hors de toute proportion.
L'Egypte, mère de tous les Arts , n'en a porté
aucun jufqu'à la perfection. « Les loix rigides
» & la ftricte économie du Gouvernement
Égyptien y éteignirent le feu du génie :
l'efprit humain avoit au contraire toute
liberté de fe développer dans la Grèce ; &
c'eft à l'heureux climat de cette contrée
" que nous devons cette combinaiſon de ju-
" gement & de fenfibilité qui conftitue le
» vrai goût..... Si nous regardons un de leurs
95
*
édifices , ou une de leurs ftatues , nous
» concevons.... une idée de la beauté qui eft
le réfultat d'une exacte imitation de la Na-
24
ture.... Si nous examinons féparément
une de leurs colonnes , elle eft parfaite dans
toutes les parties , tout rappelle les idées de
folidité , d'élégance & de grandeur , qui ca-
L vj
228
MERCURE
ractérisent les divers ordres d'Architecture ,
& qui renferment toutes les modifications
poflibles d'utilité & de beauté.
L'Auteur conclut que l'Architecture étoit
parvenue , du tems d'Alexandre -le- Grand , au
plus haut degré de perfection où elle puiffe
atteindre ; que les Grecs ont été très -ſupérieurs
dans cet Art aux Égyptiens , aux Babyloniens
, à toutes les Nations anciennes , &
qu'il ne refte aux modernes qu'à imiter les
modèles que nous a laiffés ce peuple poli &
éclairé.
Les Grecs dûrent auffi à l'Égypte leurs connoiffances
en Aftronomie , ainſi que prefque
toutes leurs autres Sciences ; mais fur ce point
ils furent inférieurs aux Égyptiens , leurs maî
tres. Les Phéniciens ont la gloire d'avoir été
le premier peuple qui ait appliqué la connoiffance
des étoiles à la navigation . Il eſt impoffible
, dit l'Auteur , d'affirmer avec certitude
fi les Grecs ont été égaux aux Chaldéens
& aux Phéniciens dans cette fcience ; il eft
porté à les croire inférieurs. Il avoue que les
anciens n'ont égalé à aucune époque les modernes
pour les connoiffances aftronomiques ;
c'eft de quoi tout le monde eft en état de juger
aujourd'hui d'après la belle Hiftoire de l'Aftronomie
, tant ancienne que moderne , de
M. Bailly.
: «
L'article qui concerne le Langage ; commence
ainfi Rouffeau fuppofe que les
» hommes ont vécu pendant un grand nom
bre de fiècles fans faire ufage du langage. It
ور
DE FRANCE. 229
32
ور
eft inutile de montrer l'abfurdité de cette
» opinion; & ce feroit perdre fon temps que
» de répondre férieufement à un Vifionnaire
fauvage , dont les écrits ne font pas moins
oppofés au fens commun , que deftructeurs
» de tout principe de Morale & de Religion . »
Voilà , il faut l'avouer , un ton un peu étrange
; & la néceflité de rendre les idées & les
expreffions de l'Auteur , a dû coûter ici quelque
chofe au fage Traducteur , qui connoît
mieux les égards & les refpects dûs à l'éloquence
& au talent. Ce jugement , févère jufqu'à
l'injuftice , eft d'autant plus étonnant
que l'Auteur ne s'éloigne pas autant qu'il le
penfe , des véritables idées de Rouffeau .
Voici quelle a été , felon lui , la progreffion
du langage.
"D'abord des fons inarticulés .
و د
Enfuite des perceptions confules , unies
» enſemble & exprimées par un feul mot.
» Troisièmement , des fubftances féparées
» de leurs qualités ; ce qui forme les noms.
" Quatrièmement , les actions féparées des
agens ; ce qui forme les verbes.
و د
Cinquièmement, la dérivation & la compofition
. »
On ne trouvera dans aucune langue fauvage
ni barbare, des noms abftraits, dérivés
des adjectifs , tels que blancheur , tempérance ,
&c.; & ces fubſtantifs , mouvement , couleur ,
ver tu &c. qui ont demandé encore plus
d'art. Les Sauvages ne connoiffent pas la lyntaxe
; ils n'ont ni prépofition ni conjonction ;
ر
230
MERCURE
ils fe fervent dans leurs difcours , comme les
enfans qui apprennent à parler , de mots qui
ne font point liés les uns aux autres. Pour fe
faire entendre , ils ont donc befoin d'employer
des geftes & des tons très - variés. Le
langage des Sauvages eft énergique , parce que
leurs idées font immédiatement tirées de la
Nature ; il eft concis , parce qu'ils ont plus
d'idées que de mots ; il eft figuré par la même
caufe : la métaphore leur eft néceffaire ; cette
figure a dû fon origine à la pauvreté du langage
qu'elle étoit deftinée à embellir , de
même que les habillemens , felon Cicéron ,
furent d'abord portés par néceffité , & enfuite
pour la parure.
L'invention de l'alphabet , dit l'Auteur ,
eft fi ingénieuſe & fi admirable , que Platon
& Cicéron la regardoient comme une découverte
fort au-deffus des forces de l'entendement
humain , & comme un préfent qui nous
avoit été fait immédiatement par les Dieux.
C'eft à peu près ce que Rouffeau avoit dit
du langage ; & il n'y avoit pas là de quoi lui
attirer une fi vigoureufe réprimande de la
part de l'Auteur.
M. Bannister finit ce Chapitre par des jugemens
fur les principaux Écrivains de la
Grèce dans tous les genres , avant le temps
d'Alexandre . C'eft un morceau qu'il faut
voir dans l'Ouvrage même , ainfi que ce que
dit l'Auteur , d'après Varburton , fur les hiéroglyphes.
Sur la Mythologie Payenne & la PhilofoDE
FRANCE. 231
phie morale , il dit des chofes quelquefois
obfcures , mais fouvent ingénieufes ; il ſaiſir
les allégories avec fagacité.
<<
Jupiter , dit-il, étoit fils de Saturne & de
Rhée. Son barbare père avoit dévoré tous
les enfans qu'il avoit eus auparavant ; c'eft
à-dire , que le Temps les avoit couverts du
voile de l'oubli. Quand Jupiter fut parvenu à
l'âge viril , il fit la guerre aux Titans ou aux
élémens difcordans du chaos , il les défit après
de longs combats ; il fe fixa lui - même fur le
trône de fes ancêtres , y établit la paix &
l'harmonie ; enfin il difpofa & gouverna tour
dans le monde par les principes fixes & inaltérables
de la fageffe divine. Cette allégorie ,
dit l'Auteur , eft trop fimple pour avoir befoin
d'explication
.
On repréfente de la même manière Junon
ou l'Air comme la foeur & la femme de Jupiter
, & comme devant auffi le jour à Saturne
& à Rhée. De même qu'on entend par Jupi
ter le principe actif ou créateur ; ainfi l'on
entend par Junon le principe qui reçoit ou
qui produit. L'Auteur refufe toute philofophie
& toute fenfibilité à quiconque n'eſt pas
frappé de la beauté de cette fable.
»
En confervant cette idée de Jupiter &
» de Junon , nous ne ferons point choqués
de leurs difputes fréquentés: ce font les
élémens luttant les uns contre les autres ; &
leur difcorde entretient l'harmonie de l'Univers.
Les différentes formes prifes par Jupiter
cefferont auffi de nous choquer lorfque nous
232 MERCURE
le regarderons comme « le principe de la vie
» & de la génération , & que nous réfléchi-
» rons aux moyens variés dont le Dieu de la
" Nature fait ufage pour parvenir à ſon but. »
L'Auteur n'explique pas moins ingénieu
fementla fible de Prométhée.
Prométhée fignifie la Prévoyance ; il étoit
fils de Japet & de Thémis , c'eft-à dire , du
Defir & de la Deftinée ; il apporta le feu du
ciel , ce qui fignifie qu'il découvrit le feu ,
& fut l'appliquer à des objets utiles ; il civi
lifa le genre-humain , il inventa les Arts &
les Sciences : tout cela , dit l'Auteur , eft
l'effet de la Prévoyance. Un fupplice cruel eft
le prix de tant de bienfaits ; un vautour fans
ceffe renaillant lui dévore les entrailles . L'Auteur
ne fe diffimule pas cette objection , &
voici ce qu'il y répond : « Ce vautour eft - il
» autre chofe que les penfées fatigantes qui
» tourmentent toujours un efprit inquiet &.
» réfléchiffant ? »>
On ne peut nier qu'il n'y ait de l'efprit &
de la fineffe dans ces explications ; mais il
s'élève une objection générale contre toutes
ces allégories : c'eft qu'elles dépendent un peu
trop de l'efprit de celui qui les explique ; ik
y en a quelques- unes fans doute qui font frappantes
de fens & de vérité : tel eft , par exemple
, le beau tableau du Temps , dévoilant la
Vérité ; mais auffi ces fortes d'allégories n'ont
nul befoin d'explication . Toutes celles qu'il
faut expliquer , font dès - lors fort fufpectes ;
elles peuvent fervir à faire briller l'efprit &
;
DE FRANCE. 233
la fagacité de celui qui les explique ; mais on
n'eft jamais sûr qu'il ait rencontré la vérité ;
il en eft de ces explications d'allégories , à peuprès
comme de ces fupplémens par lefquels
des Savans ont joint enſemble, avec beaucoup
d'efprit & d'érudition , des fragmens épars
d'Auteurs anciens , & en ont retrouvé la
liaifon ; leur manière de rentrer dans chaque
fragment eft naturelle , & pourroit avoir
été celle de l'Auteur ; mais il y a toujours
beaucoup plus à parier que ce ne l'étoit pas ,
parce qu'il n'y a qu'un moyen de la retrouver,
& qu'il y en a mille de s'en écarter.
Dans le Traité de la Philofophie naturelle ,
tous les plus grands Philofophes de l'École
Ionique , fondée par Thalès, & de l'École Italique
, fondée par Pythagore , paffent en revue,
& on obferve avec foin tous les pas importans
que chacun d'eux a fait faire à la Philofophie.
Ce Traité finit par un parallèle de
Platon & d'Ariftote, dont voici quelques traits :
Le plus fameux de tous les difciples de
Platon fut Ariftote ; cet homme étonnant ,
qui pénétra avec une fagacité incroyable
» les fecrets les plus cachés de la Nature ;
" dont le génie étendu & vafte embraffa la
» totalité des mondes matériel & immatériel
, & dont le jugement éclairé fut régler
avec méthode & définir exactement
» les opérations les plus compliquées de l'efprit
humain. »
33
ود
33
"
Il différa de fon Maître dans la manière de
traiter les fujets philofophiques. Le ſtyle de
234 MERCURE
ود
و ر
"J
"
Platon eft poétique & figuré..... » Il s'adreffe
» à l'imagination du Lecteur , & revêt fes
» idées fublimes du voile clair & tranſparent
de la fable & de l'allégorie. Ariftote , au
» contraire , ne parle qu'à l'entendement....
Il rejette tout ornement étranger ; il tranf-
» met fes préceptes avec une préciſion fé-
» conde ; & on peut dire qu'il eft auffi avare
de paroles que prodigue d'idées ..... Platon ,
» dont l'imagination étoit riche , & qui étoit
doué d'une grande fenfibilité..... eft rempli
» des plus fublimes idées fur la Divinité ,
» fur fon pouvoir , fa fageffe & fa bonté....
Dans Ariftote , la faculté dominante eft le
jugement ; il paroît avoir eu moins d'imagination
& de fenfibilité ; il laiffe une forte d'incertitude
fur deux vérités importantes : la providence
de Dieu dans le gouvernement du
monde , & l'immortalité de l'ame ; en général
il fe refufoit à croire ce qu'il ne pouvoit pas
toujours comprendre & expliquer..... « En un
» mot , Ariftote écrit comme s'il s'adreffoit
» à une pure intelligence ; Platon , au con-
"
traire , confidère l'homme comme une
» créature compofée ; & en même-temps
» qu'il inftruit fon entendement , il s'efforce
de frapper fon imagination & d'émouvoir
" fes paffions.
DE FRANCE 235
LE Guide des Officiers particuliers en campagne
, ou des Connoiffances Militaires
néceffaires pendant la guerre aux Officiers
particuliers ; par M. de Ceffac , Capitaine
d'Infanterie au Régiment de Mgr. le Dauphin
, de la Société Royale des Sciences
de Metz. 2 vol . in- 8 °. avec 200 figures.
Prix , 10 liv. brochés. A Paris , chez Cellot ,
Imprimeur- Libraire , rue des Grands Auguſtins.
Il fut un temps où l'on favoit gré à un Militaire
de favoir bien figner fon nom ; mais ce
temps étoit celui de la fervitude , de la barbarie
, de l'ignorance ; les Moines feuls comptoient
parmi eux quelques Érudits , & ceux- ci
bornoient leurs connoiffances à favoir lire affez
couramment & à comprendre affez mal les
Livres ou les Écrits qu'ils avoient déchiffrés :
tous les autres états étoient dans la plus grande
ignorance ; la Nobleffe feule recevoit une éducation
; mais deſtinée uniquement à porter
les armes & à guerroyer , cette éducation fe
bornoit à des exercices de gymnaſtique ; cependant
la Nobleffe étoit regardée comme fi
fupérieure aux autres claffes de Citoyens
qu'elle feule étoit chargée de gouverner les
Peuples , de les juger & de combattre pour
eux. Des événemens bien connus occafionnèrent
de grands changemens dans le gouvernement
de l'État , dans la puiffance des
236 MERCURE
Souverains , dans les moeurs & dans les habitudes
des Sujets. En allant combattre dans la
Terre- Sainte , on avoit traversé la Grèce &
Conftantinople , & on avoit trouvé par-tout
des monumens qui avoient donné des idées
fur les Arts , & des Livres dont quelquesuns
une fois déchiffrés , firent naître l'envie
de lire les autres , de les comprendre & de les
imiter. Bientôt Léon X en Italie , Charles-
Quint en Espagne & en Allemagne , Élifabeth
en Angleterre , & François Ier en France ,
virent s'élever des Savans , des Hommes-de-
Lettres , des Artiftes & des Artiſans ; malheureufement
pour l'humanité , on ne ceffa pas
de faire la guerre ; au contraire , on la fit ,
pour ainfi dire , davantage , parce que chaque
État voulant ou établir ou défendre , ou
affermir ou agrandir fa puiffance , on combattic
prefque par- tout. Luther prêchant contre
les dogmes & contre la difcipline ; Colomb
découvrant un nouveau monde ; Gama doublant
le Cap de Bonne- Efpérance , multiplièrent
les caufes de difcorde entre les hommes
& entre les États ; enfin Louis XIV, qui , dans
le feizième ſiècle , pouvoit borner fa gloire à la
protection des Arts & des Lettres , & au bonheur
defes peuples , entraîna l'Europe dans des
guerres qui le flattèrent quelques inftans , &
remplirent fes derniers jours d'amertume , en
accablant de malheurs & de dettes fes peuples-
& fon royaume ..... La guerre ainfi perpétuée ,
prolongea l'ignorance des Militaires qui , depuis
la renailfance des Lettres , n'avoient eu
DE FRANCE. 237
ni les moyens , ni le temps de s'inftruire.
Auffi ce fut à des Moines & à des Savans que
l'on dut d'abord les Traductions de Polybe ,
de Vegèce , d'Élien , de Céfar , de Xénophon ,
&c. Peut-être auffi que dans des temps où les
Armées étoient toujours en campagne , les
Militaires fuppléoient , par une pratique continuelle
, à ce qu'auroit pu leur apprendre la
théorie dans des momens plus calmes . Mais
les Arts & les Sciences étant plus perfectionnés
, on avoit découvert la poudre , imaginé
les armes à feu , trouvé une nouvelle manière
de fortifier , d'attaquer & de défendre les
Places ; les Troupes faifoient des mouvemens
plus rapides ; on avoit multiplié les bouches
à feu à la fuite des Armées ; on fortifioit, dé
fendoit & attaquoit différemment les poftes ,
&c. Tous les Ouvrages Militaires des anciens
étoient traduits , connus , commentés ; enfin
il s'étoit établi une balance entre les États de
l'Europe, & les peuples commençoient à jouir
plus fouvent & plus long - temps des douceurs
de la paix. Cependant les Souverains confervoient
toujours des Troupes fur pied , & il
devint néceffaire aux Officiers qui voulurent
connoître leur Art & s'affurer des fuccès à la
guerre , d'étudier la théorie de cet Art , en y
joignant de la pratique le plus qu'il leur étoit
poffible. Cette néceflité dut décider les Officiers
ftudieux à écrire pour l'inftruction de
leurs camarades , & ces fecours devinrent
d'autant plus importans , que les paix furent
plus longues & les guerres plus éloignées.....
238 MERCURE
Les générations militaires fe fuccèdent
avec
tant de rapidité , que fi l'on ne conſignoit pas
dans de bons Ouvrages les connoiffances qui
peuvent leur être néceffaires , on courroit les
rifques de commencer la guerre avec des Officiers
qui ignoreroient
jufqu'aux premiers
principes de leur Art.....
Mais il faut diftinguer plufieurs , eſpèces
d'Ouvrages Militaires ; les uns ne s'occupant
que de la manière de faire camper , marcher
& combattre les Armées , femblent n'être
principalement deftinés qu'aux Officiers Généraux
; d'autres doivent principalement intéreffer
les Officiers du Génie ; ceux- ci les
Officiers d'Artillerie; très- peu embraffent les
différentes parties de l'inftruction de l'Officier
particulier d'Infanterie ou de Cavalerie , &
peut- être même aucun ne pouvoit leur fuffire.
Cependant , il n'en n'eft pas d'un Officier particulier
commed'un Officier Général ..... L'Of
ficier Général , pendant la paix , peur étudier
les Ouvrages qu'on a faits pour fa partie , &
pendant la guerre il s'entoure d'Officiers du
Génie , d'Artillerie , d'Aides -de- Camp , d'Ingénieurs
- Géographes , & ( fût- il même un
ignorant , ne fe fût- il occupé pendant la paix
que de fes plaifirs ) encore trouve - t'il les
moyens, finon de bien marcher , au moins de
fe foutenir & d'avancer avec les fecours de
toutes les perfonnes dont on vient de parler
qui, par devoir , & encore plus par intérêt &
par ambition , fe font une loi de prévenir de
leurs connoiffances ou de leurs travaux les
DE FRANCE. 239
-
---
―
moindres defirs de leur Général.... Quant à
l'Officier du génie & de l'Artillerie , il a eu
pendant la paix des écoles , des inftructions
une théorie & une pratique conftante . Mais
l'Officier particulier d'Infanterie ou de Cavalerie
a été , pour ainfi dire , abandonné à
lui- même ; on le fatigue par des exercices ,
mais profque aucuns n'ont pu l'inftruire de ce
qu'il faudra qu'il fache à la guerre. Ainſi
sûreté d'une grande garde . Fortification ,
défenſe , attaque d'un pofte. - Conduite ou
enlèvement de convois. Fourrages à faire ,
à protéger ou à attaquer. Pays à reconnoître
militairement. Pofition à prendre ,
&c . Connoiffances toutes néceffaires à la guerre
, qui ont besoin d'avoir été acquifes , pour
être pratiquées avec quelques fuccès ; connoiffances
d'où dépendent prefque toujours
la sûreté des Armées , le gain des batailles , &
l'honneur & le déshonneur de ceux qui en
font chargés, & qui font cependant ignorées
on oferoit prefque dire par tous les Officiers
qui n'ont pas été obligés de s'en occuper à la
guerre..... Jufqu'à préfent même , il eût été
difficile à un Officier particulier,quelle que fut
fon envie de s'inftruire de ces différens objets,
de pouvoir le faire..... Le Chevalier Folard ,
MM . Gaudi , le Cointe , Clairac , Dubreuil ,
Kever , Huller , le Blond , Laroche , Foffé ,
&c. s'en étoient cependant occupés ; mais
parmi ces Auteurs , quelques -uns n'avoient
fait qu'effleurer ces connoiffances ; d'autres
m'avoient traité à fond qu'une des parties
240 MERCURE
de la fcience de l'Officier particulier ; ceux - ci
avoient cru que nous favions tout ce qu'ils
favoient ; ceux - là avoient confondu ce qui
appartient au Général & à l'Ingénieur , avec
ce qui regarde uniquement l'Officier particulier.
En un mot , avec un air d'opulence
nous étions réellement très- peu riches lorf
que l'Ouvrage de M. le Chevalier de Ceffac
a paru.
Le Guide de l'Officier Particulier eft donc
venu nous donner des richeffes plus réelles ;
mais en outre il en a rendu l'ufage plus facile
& plus général , en y joignant le mérite
affez rare de dire tout ce qu'il faut , & de le
dire en peu de mots avec ordre & clarté ; cependant
il feroit trop long , peut - être même
trop difficile de faire connoître aux Militaires
cet Ouvrage qui devroit être connu de tous.
On croit qu'il eft néceffaire de le lire attentivement
d'un bout à l'autre. Pour ceux qui
ont fait la guerre , il rappellera bien des chofes
, les redreffera fur quelques-unes , & les
inftruira fur plufieurs autres. Pour ceux
qui commencent , il doit être leur guide ; il
faut donc qu'ils le méditent , qu'ils , l'apprennent
, qu'ils le fachent par coeur. Aucun
Officier Général ne fera fâché de s'être donné
la peine de le connoître ; peu d'entre - eux ont
pu avoir le temps ou la patience d'acquérir
toutes les connoiffances que renferme ce Livre.
Dans la première partie , dans laquelle
l'Auteur traite de tout ce qui eft relatif au
choix
DE FRANCE. 24x
choix des poftes & à l'art de les mettre en
état de défenfe , il fait voir comment un fol
peut être bon pour être défendu ; comment
un pofte peut être commandé , & comment
on peut le mettre à l'abri des commandemens
, &c. Viennent enfuite les différentes
formes que l'on peut donner aux défenfes
& la façon de les tracer , de les conftruire &
de les rendre plus fortes , &c.
Dans la feconde Partie , l'Auteur entre dans
des détails effentiels par leur fageffe & leur
clarté , qui lui fervent à indiquer la manière
dont il faut garder & défendre les poftes qu'il
vient d'apprendre à fortifier.
Dans la troifième Partie , qui commence le
fecond volume , M. de Cellac enfeigne les
moyens les plus avantageux pour fe rendre
maître , par force ou par adreffe , des différens
poftes qu'on peut être chargé d'attaquer.
Enfin, dans la quatrième Partie , il s'occupe
de l'inftruction de l'Officier particulier lorfqu'il
doit aller en détachement. — Faire des
marches , des retraites , des reconnoiffances
militaires . Attaquer ou défendre un convoi.
Dreffer une embuſcade ou les éviter,
-Lever des contributions , &c.
Il n'y a peut-être aucun Livre qui foit plus.
utile aux Militaires , que le Livre de M. le
Chevalier de Ceffac , dont on vient de voir
une bien foible efquiffe, & qu'il auroit fallu
copier prefque en entier , pour le faire connoître
comme il mérite d'être connu.
N. 17 , 29 Avril 1786. M
MERCURE
SPECTACLES.
RESUME des Concerts de la Quinzaine
de Pâques.
AUCUNE nouveauté étrangère n'a fixé cette
anrée, au Concert Spirituel, l'attention publique
, fi l'on en excepte M. David , qu'on
avoit entendu l'année dernière , & Mlle
Toméoni , dont le fuccès n'a pas été heureux .
Le Concert s'eft uniquement foutenu
par fes
propres forces , par les forces nationales ; &
M. Duport , qu'on entend toujours avec un
nouveau raviffement , MM. Lebrun & Dominich
, dont le fon fur le cor eft fi aimable &
l'exécution fi brillante ; M. Ozy , qui donne
au baffon de nouveaux charmes ; M. Michel
qui femble avoir porté la clarinette au plus
haut point de perfection , ont prouvé que nous
ne le cédons en mufique inftrumentale à aucanegrande
ville de l'Europe ; car nous devons
compter parmi nos richeffes muficales, les Ar- 1
tiftes étrangers qui font fixés parmi nous. Il
feroit difficile de raffembler ailleurs plus de
grands talens qu'on ne le pourroit faire à
Paris , & il s'en faut de beaucoup que le Con-´
sert les ait raffemblés tous. Mais pour ne parDE
FRANCE.
243
ler que de ceux qu'on y a entendus , nous
croyons devoir alfocier à ces grands noms
Mme Gautherot , qui a mérité fur le violon
une réputation très- rare pour une femme , &
dont le jeu fin , délicat & fenfible attefte fon
fexe , mais qui n'a pas befoin de l'indulgence
qu'on accorde à ce fexe , pour obtenir les fuffrages
qu'elle a tous réunis. M. Aldée vient
enfuite , & fes progrès juſtifient les eſpérances
qu'il a données à fon début. On pourroit
reprocher à M. Kreitz de ſe laiffer emporter
à la vivacité ; à M. Bouvier de ne pas affez
travailler fon archet ; tous deux cependant ,
fur le même inftrument , méritent des éloges ,
& fur-tout des encouragemens . Mille Villiaume
& la jeune Mlle Landrin ont joué avec
beaucoup de fuccès du forté -piano . La dernière
fur-tout , très -fupérieure à fon âge ,
mérite d'être diftinguée. Mlle Dorifon , trèsjeune
élève de M. Roze le fils , fur la harpe ,
a mérité les plus grands applaudiffemens par
un jeu rempli de grâce & de préciſion .
On a donné deux fymphonies concertantes
de M. Hayden ; une feule nous a paru digne
de ce grand Maître. Le Duo de flûte de MM.
Turner frères , a fait le plus grand plaifir.
MM . Berthuaume & Graffet ont joué une
concertante à deux violons , & le premier a
recueilli la double gloire que méritent fon
exécution perfonnelle , & le talent qu'il a
donné à M. Graffet , fon élève .
Parmi les grandes fymphonies , on en a
admiré une de M. Janffon l'aîné , qui réunit
Mij
244
MERCURES
de très beaux effets à un chant noble & vigoureux,
Celles de M. Hayden n'ont pas
moins produit de fenfation qu'à l'ordinaire;
mais on n'a pas reconnu fa touche large &
fpirituelle , cette grâce de chant , cette liaiſon
d'idées fi ingénieufe qui le diftinguent, dans la
fymphonie nouvelle qui a été donnée fous
fon nom .
>
Le chant a offert moins de nouveautés intéreffantes.
M. l'Abbé le Sueur , Maitre de
Mufique des SS . Innocens , a fait entendre
trois differens morceaux ; l'un fur des paroles
de Rouffeau , un autre fur des paroles de Racine
, & le troisième , qui eft à grand choeur
fur des paroles de Corneille. Les compofitions
de ce jeune Artifte , dont le nom eft déjà cher
aux Arts , puifqu'il defcend d'Euftache le
Sueur , l'un des meilleurs Peintres de notre
École , font pleines d'efprit & de chaleur ; il
foigne particulièrement fon orcheſtre , & on
voit qu'il eft nourri des Ouvrages des bons
Maîtres. Sa mufique eft très - dramatique ;
peut-être même a-t-elle plus ce caractère que
celui de chapelle ; ce qui eft un heureux défaut.
Nous l'invitons à redoubler de févérité
fur les formes de fon chant , & fur la jufte
étendue qu'il convient de donner aux différens
mouvemens , pour en conſerver tout
l'effet . Mlle Meliancourt , dont on aime avec
raifon la voix mélodieufe & touchante , &
M. Rouffeau , dont le chant devient tous les
jours plus précieux , ont exécuté avec beaucoup
de grâce un Regina cali, très - agréable ,
DE FRANCE. 245
de M. Rigel. Le même M. Rouffeau a chanté
une Hyérodrame, mulique de M. le Berthon ,
fils du Directeur de l'Opéra: il a plu généralement
, & a fait concevoir de ce jeune Artifte
les efpérances les plus flatteules . Le
Maître dont il fuit maintenant les leçons ,
M. Sacchini , eft bien propre à l'aider à les
juſtifier.
Nous ne parlerons point du Stabat de M.
Hayden , qui a eu fon fuccès accoutumé; mais
nous remarquerons , au fujet de celui de Pergolèze
, qu'il eft bien malheureux que les circonftances
n'ayent pas permis au Directeur du
Concert de le faire exécuter par les voix auxquelles
il eft deftiné . Les voix de MM . David
& Laïs font trop graves pour les morceaux à
deux. Le chant du premier mouvement y
perd beaucoup de fa molleffe & de fon expreffion
. Il en résulte des déplacemens d'har
monie défagréables , & l'Ouvrage de Pergolèze,
quoiqu'il ait été parfaitement exécuté ,
n'a pu faire plaifir dans cet état , que par les
anciennes fenfations qu'il a rappelées. On a
extrêmement applaudi le petit verfet que M.
Laïs chante feul. Il l'a rendu en effet avec une
voix très belle , très-fenfible , & une extrême
pureté. On a été bien- aife d'ailleurs d'entendre
ce petit morceau dans toute fa fimplicité ,
fans être déguifée par aucun embelliffement.
Ce n'eft pas qu'il foit intérellant par hi
même , que le chant en ait aucune grâce , aucune
expreffion , qu'il ait rien à perdre à être
déguifé , ni rien à gagner à refter tel qu'il est ;
'Miij
246
MERCURE
mais c'eft qu'en France on aime beaucoup
entendre ce qu'on a beaucoup entendu , &
tel qu'on l'a entendu ; qu'on n'y tient pas
compte à un Artifte habile du talent d'improvifer
fur une harmonie donnée , & qu'on préfère
à ce mérite la nudité d'un chant qu'on
fait déjà par coeur. Ceci eft vrai feulement.
pour le chant vocal ; il n'en eft pas de
même pour les inftrumens ; mais
nous ne
fommes pas du tout au même point dans ces
deux différens genres de mufique . Au refte ,
on devoit peut -être favoir quelque gré à M.
David d'avoir chanté le Vidit fuum , ainfi
que le premier verfet , fans aucune eſpèce de
broderie. Mais puifque nous en revenons à
čes broderies fi fort reprochées , qui tiennent
à une manière applaudie en Italie , &
même par- tout ailleurs qu'à Paris , noas
fommes affez étonnés qu'on ne lui reproche
pas auffi de prononcer le latin comme on le
prononce en Italie ; de dire , par exemple
Joufta croutchem , au lieu de Juxta crucem ,
&c . Que fi on répondoit qu'il eft tout fimple
qu'un Italien prononce le latin à la manière
de fon pays plutôt qu'à la nôtre ; que nous
n'avons pas le droit de défapprouver une prononciation
beaucoup plus généralement reçue
que la nôtre ; qu'il eft au contraire très - probable
que la prononciation de la langue latine
a été moins altérée dans le pays même de
cette langue que parmi nous , & que celle des
Italiens doit être préférée à la nôtre , nous
demanderions qu'on fit en entier l'applicaDE
FRANCE. 247
tion de ce raifonnement à la manière de chanter
dé M. David.
COMÉDIE FRANÇOISE, *
CE Théâtre a vu fixer fix nouveaux Sujets
au nombre de fes membres , pendant le cours
de la dernière année Dramatique : M. Naudet,
Mlle de Vienne, Mlle Vanhove , Mlle Candeille
, Mlle Laurent , & Mlle Emilie Contat,
foeur de l'Actrice du même nom . Nous avons
parlé du talent de MlleVanhove ; il eft inutile
de répéter ici les éloges que nous lui avons
donnés , éloges confirmés d'ailleurs par les fuffrages
publics. Nous avons auffi parlé de Mile
de Vienne & de Mlle Candeille ; mais nous
n'avons point annoncé le Début des trois autres
Suets : nous allons les faire connoître.
M. Naudet a paru dans les Tyrans & dans
les Pères. Il joint à une phyfionomie décente ,
à une taille avantageule , une belle intelligence
, de la vérité , de la raiſon & une certaine
chaleur. Cet Acteur eft beaucoup mieux
Dans le Coup d'oeil fur le travail fait aux trois
Théâtres Royaux , imprimé dans le dernier Mercure ,
nous avons oublié la Phyficienne , Comédie en un
Acte & en vers , repréſentée à la Comédie Françoife.
Ainfi , il faut porter à vingt - trois le nombre
total des Ouvrages joués par les Comédiens de ce
Théâtre , tant à la ville qu'à la Cour , pendant la
dernière année Dramatique.
Miv
248 MERCURE
dans la Comédie que dans la Tragédie ; fon
débit , dans la première , eft naturel , juke &
fenti ; fon organe le trahit quelquefois dans
la feconde ; mais comme il a de l'adreffe &
de la bonne volonté , il diflinule très - fouvent
xcésa
ce que fa voix a de défagréable dans les cordes
aigus : au total , c'eft une fort bonne acquifition
pour le fervice de la Comédie &
pour celui du Public.
Mlle Laurent joue les jeunes Amoureuſes.
Elle a de la grâce dans le maintien , de l'amabilité
dans la figure , & de la fraicheur dans
Porgane. Son jeu n'eft pas toujours affez animé;
ce défaut de chaleur eft fans doute l'effet
d'une timidité louable , que l'ufage du Théâtre
& les encouragemens publics feront bientôt,
difparoître. Nous favons que cetre Actrice
aime fon état , & qu'elle travaille beaucoup ;
cela nous porte à croire que des études alldues
& l'obfervation des bons modèles que
fon peut citer encore , lui feront acquérir un
talent digne d'ètre diftingué.
Mlle Emilie Contat a peu joué : elle paroît
fe confacrer aux rôles des Soubrettes. Sa
phyfionomie a de la mobilité ; fon o
annonce de l'efprit ; mais fon extrême jeuneffe
ne lui permet pas de développer les
qualités qu'exige un emploi difficile , & dans
lequel on ne peut motiver fon jeu qu'après
avoir acquis quelque expérience. On peut efpérer
que les bons confeils de Mlle Contat
mettront bientôt fa jeune foeur en état de
mériter la faveur précoce qu'on lui à bien
DE FRANCE. 2.4.9
voulu accorder , en la plaçant , dans un âge fi
tendre , au rang des Comédiens du Roi.
Après avoir inftruit le Public des acquifitions
que le Théâtre François a faites pour
fon fervice , il faut l'entretenir de fes pertes.
C'eft encore une jouiffance que le fouvenir
des plaifirs paffes.
Pierre- Louis Dubus de Préville , a débuté
à la Comédie Françoife le 20 Septembre 1753 ,
par le Crifpin du Légataire Univerfel. Le 20
Octobre fuivant , il joua fur le Théâtre de
Fontainebleau cinq rôles de traveftiffement
dans le Mercure Galant. Le Roi Louis XV, qui
devoit à la Nature un coup-d'oeil jufte , un tact
sûr, & lefentiment du beau , fut tellement frappé
de la rapidité avec laquelle le talent de ce
célèbre Comédien fe varioit tour-à-tour fous
des formes différentes, toujours avec efprit, naturel
, profondeur & vérité, qu'il ordonna que
M.Préville fût fur le champ reçu au nombrede
fes Comédiens ; honneur inoui , & qui femble
avoir été réfervé pour le plus étonnant
des Acteurs dont la Scène Françoife ait à
s'enorgueillir. Nous difons le plus étonnant ,
& nous pourrions ajouter le plus parfait.
Qu'on fe figure la phyfionomie la plus fpirituelle
, la plus animée , la plus mobile , la
plus piquante , l'accord le plus vrai de la gefticulation
avec la modification des accens ;
l'expreffion toujours bien fäifie du fentiment
qui anime le perfonnage que l'Acteur repréfente
, la connoiffance la plus exacte des divifions
, des fubdivifions , de ces nuances fu-
M v
250
MERCURE
gitives qui font le charme d'un débit naturel
d'un debit toujours adapté à l'état , à l'âge , au
tempérament , au caractère , aux habitudes
du rôle donné , & l'on aura une idée à peuprès
jufte du talent de M. Préville. L'illufion
que produifoit cet Acteur dans les rôles où il
n'avoit pas encore été vu , étoit fi complette ,
que ceux même qui vivoient le plus familièrement
avec lui , avoient peine à le reconnoître
quand il fe préfentoit fur la Scène.
Lorfqu'il joua pour la première fois le rôle
de Paul Verner , dans les Amans Généreux
perfonne ne le reconnut : on n'imaginoit pas
comment ce Comédien fi vif, fi élégant , fi
adroit , qui s'étoit fait admirer dans cent rôles
où il avoit fait briller toutes les reffources de
fon efprit & toute l'aifance de fes manières ,
avoit pu prendre le maintien roide , la démarche
calculée , les attitudes paffives & le
ton brufque d'un Soldat Pruilien. Il fau
droit nommer tous les rôles dans lefquels M.
Préville a brillé , pour faire connoître jufqu'à
quel point fon talent a pu fe modifier ; &
nous n'entreprendrons point cette tâche ; car
ce talent a été fi univerfel, qu'il a été bien
plus facile de le fentir & de l'admirer, qu'il ne
le feroit d'en être l'hiftorien . Depuis l'inftant
où M. Préville a paru , jufqu'au moment de fa
retraite , il a été l'idole des Amateurs du
Théâtre. L'amour général qu'il infpiroit éclata
fur-tout il y a vingt ans , quand une maladie
cruelle attaqua fes jours , & fit craindre de le
perdre. Chaque repréfentation fe terminoit
DE FRANCE. 251
par des acclamations relatives à l'état de la
fanté du Comedien ; & quand on vint annon
cer que cet Acteur adore alloit reparoitre ,
l'ivrefle fut générale : il fembloit que fon retour
fût un des points effentiels de la félicité
publique. Il n'ajamais été plus vrai , plus naturel
, plus admirable que dans les dernières
années de fa carrière Dramatique ; le Public
s'eft porté en foule aux repréfentations dans
lefquelles on étoit sûr de le voir paroître ; les
applaudiffemens les plus univerfels ont couronné
fon zèle & fes talens. Il laiffe après
lui des regrets qui feront longs : on trouvera
fans doute encore des Comédiens eftimables ;
mais cette âme propre à tout fentir , cet efprit
habile à tout concevoir cette facilité à
fe plier à toutes les formes , à rendre tous les
caractères ; cet accord fi rare de la Nature
perfectionnée par l'Art , de l'Art rapproché
de la vérité par la Nature , dirigé par un
goût exquis , par une connoiffance parfaite de
toutes les affections du coeur humain : retrouvera-
t'on toutes ces qualités dans un feul
homme?
›
Madeleine - Angélique- Michelle Drouin ,
épouſe de M. Préville , a fait deux Débuts au
Théâtre François ; le premier, le 28 Septembre
1753 , le fecond, le 10 Mai 1756. Elle a été
Expreffion tirée d'un compliment de rentrée
prononcé par M. Dauberval , cité par l'Abbé de la
Porte , dans fa Collection des Anecdotes Dramatiques.
Mvj
252 MERCURE
reçue le premier Mars 1757. Elle a joué longtemps
avec fuccès les Amoureufes de la
Comédie , & s'eft diftinguée dans les Confidentes
de la Tragédie ; emploi ingrat , toujours
facrifié aux premiers rôles , dans lequel
il faut de l'efprit , de la raifon , de la nobleffe ,
& une abnégation prefque abfolue de l'amour
propre. A la retraite de Mme Grandval , Mme
Préville fut chargée de l'emploi des grandes
Coquettes : c'eft dans ces rôles qu'elle a développé
les grâces , l'aifance , la nobleffe ,
la décence , l'efprit & Pintelligence qui lui
étoient naturelles. Elle y laiffe une tradition
qu'elle a créée , & que nous retrouverons
fans doute un jour dans Mlle Contat,
fon Élève. On pourroit lui reprocher d'avoir
quitté cet emploi dans un temps où elle
pouvoit encore v fervir de modèle , fi la
modeftie pouvoit jamais étre le motif d'un
reproche. A la retraite de Mlle Dumefnil ,
Mme Préville a joué l'emploi des Mères
Nobles ; elle y a été vue avec plaifir &
avec intérêt jufqu'à l'inftant où elle a
quitté ce Théâtre. Parmi les qualités de
cette Actrice , il ne faut point oublier fon
zèle , fon travail & fon afiduité au fervice
public . Quand il falloit être utile à la Comédie
, ou repréfenter un Cuvrage promis , nul
rôle ne lui étoit étranger. C'eft ainfi qu'en
joignant l'ardeur aux talens , on parvient à
faire joindre à l'eftime qu'on accorde au mérite
, un fentiment plus précieux encore : l'eftime
perfonnelle.
DE FRANCE. 253
Jean-Baptifte Brizard a débuté le 30 Juillet
1757, par le rôle d'Alphonfe , dans Ines de Caf
tro, & a étéreçu le 13 Mars 1758. Peu de Comédiens
ont dû à la Nature plus d'avantages
que cet Acteur. La nobleffe impofante de fa
figure, qui n'étoit point incompatible avec l'expreflion
de la candeur & dela probité, préparoit
d'abord les fuffrages en fa faveur ; mais quand
fa voix , intéreilante & fouple , s'animoit à
la chaleur d'une ame impétueufe & brûlante
, alors il faifoit partager à tous les Spectateurs
les fentimens qu'il exprimoit ; l'Acteur
difparoiffoit tout entier, & l'on fe croyoit
tranfporté au temps & dans les circonftances
de l'action dont il étoit un des perfonnages.
Admirable , entraînant dans la Tragédie , il
étoit noble , vrai , aimable dans la Comédie.
Sous l'habit d'un maître ou fous le coftumé
d'un valet , comme dans le Jarvis de Beverley,
il étoit également touchant & pathétique.
Nul Acteur n'a mieux rendu les expreffions
qui tiennent à la fenfibilité ; la Nature
fut fon guide & fon maître , & s'il lui
a dû des talens , il lui dut encore des vertus
qui n'ont pas rendu fon nom moins cher
aux honnêtes gens , qu'intéreffant pour les
amateurs du Théâtre.
Alexandrine Louife Fannier a débuté le 11
-Janvier 1764 , par les rôles de Finette dans le
Diffipateur, & de Lifette dans le Préjugé vaincu.
Elle a été reçue en 1766.Cette Actrice, dont
la figure féduifante annonçoit un efprit fin , vif
& plein de reffources , s'étoit fait un jeu
254 MERCURE
pour fes moyens. EEllllee ne voulut imiter perfonne
, parce qu'elle ne vit , dans aucun des
fujets qui pouvoient lui fervir de modèle ,
rien qu'elle pût adapter à la manière naturelle
, & qui pût lui devenir propre. Cette
feule obfervation fuffiroit pour prouver combien
Mlle Fannier avoit de jufteffe dans le
goût , & combien elle étoit au -deffus de ces
efprits imitateurs qui marchent avec des traditions
, & qui fe fervent du travail des
autres pour obtenir une réputation précaire.
Elle a fu donner à tous les rôles de fon emploi
, principalement à ceux de la Comédie
moderne , une phyfionomie piquante &
gaie. Elle n'a jamais joui d'une fanté bien
forte , & c'eft à la foibleffe habituelle de fon
tempérament qu'il faut attribuer le peu de
fervice qu'elle a fait dans fes deux dernières
années de Théâtre. Elle aimoit fon état , elle
a mérité les fuccès qu'elle y a obtenus , &
l'éloge de fes qualités perfonnelles fe trouve
dans la bouche de tous les Gens- de- Lettres qui
ont été rapprochés d'elle par les circonftances
Qu l'amitié.
par
COMÉDIE ITALIENNE.
PENDANT le cours de l'année dernière , ce
Théâtre n'a fait qu'une acquifition , mais elle
eft également heureufe pour lui & pour le
Public. Mlle Renaut l'aînée , dont le début a
été fi brillant & fi prolongé , a été reçue
DE FRANCE. 255
Comédienne du Roi . Tandis que ce Spectacle
s'enrichiffoit ainfi des talens d'un jeune
fujet , fur lequel on fondoit les plus grandes .
efpérances , il étoit menacé d'une perte fàcheufe
, qu'il vient de faire à la dernière clôture
; nous voulons parler de la retraite de
Mme Trial, Actrice juftement aimée , & fur
les talens de laquelle nous allons donner une
notice qui ne pourra qu'augmenter les regrets
de fa perte.
Marie-Jeanne Milon , époufe de M. Trial,
Penfionnaire & Comédien du Roi , née en
1748 , a débuté au Théatre Italien le 15
Janvier 1766 , par le rôle de Laurette , dans'
le Peintre Amoureux de fon modèle , fous
le nom de Mlle Mandeville. Mme Laruette
jouiffoit alors d'une réputation brillante
& que des talens diftingués lui avoient
fait acquérir l'éclat des fuccès de l'Actrice
généralement goûtée , ne nuifit point à ceux
de la Débutante , dans laquelle on apperçut
d'abord les qualités qui font une bonne Cantatrice
& une Comédienne raifonnable.
Mme Trial fut reçue en 1767, & chaque
année , en développant fes talens , l'a rendue
plus chère au Public , qui l'a toujours écoutée
avec ivreffe , & applaudie avec tranſport.
Cette Actrice devoit à la Nature une phyfionomie
noble , décente & belle , une taille élé
gante & fvelte, & tous les avantages qui rendentune
femme recommandablepar les attraits
& par les graces : néanmoins, à peine tout cela
mérite- t- il d'entrer pour quelque chofe dans
256 MERCURE
fon éloge tant les talens & les qualités
morales font au - delfus des charmes que la
Nature donne ou refufe par hafard , auxquels.
on accorde des hommages paffagers , avec
lefquels on s'habitue , & que l'on finit par
apprécier à leur jufte valeur. La première
vertu de Mme Trial fut la modeftie : lorfque
tout le réunifloit pour attefter fes talens
quand les fuffrages du Public retentiffoient
autour d'elle ; quand les Compofiteurs s'empreffoient
à lui confier leurs fuccès & leur
réputation , elle feule doutoit de fon mérite ;
& ce doute heureux , cette crainte délicate
de n'être pas digne de tous les éloges qu'on
lui prodiguoit à l'envi , redoubloient fon
zèle , fes efforts & fes études , & l'ont ainfi
conduite à une fupériorité que vingt années
de Théâtre n'ont pas démentie un feul inf
tant. Parmi plufieurs époques remarquables de
la vie dramatique de Mme Trial que nous
pourrions citer , nous en citerons une feule.
Le 2 Août 1777 , cette Actrice chanta par
ordre de la Reine , dans la Fête de Flore ,
Opéra de M. de Saint - Marc , Mufique de
feu M. Trial , fur le Théâtre de Choify :
elle y fut d'autant plus admirée , qu'elle étoit
peu familière avec ce genre abfolument
étranger à celui dont elle avoit contracté
une longue habitude , & qu'elle n'y laiffa
rien à défirer. Après le Spectacle , nos Auguftes
Souverains ne dédaignerent pas de lui
faire hautement l'aveu de la fatisfaction
qu'elle leur avoit fait éprouver : Mme Trial
DE FRANCE. 2.57-
2 1
avoit déjà l'honneur d'être attachée à la
Mufique de la Reine , & elle eft la première
Actrice du Théâtre Italien qui ait obtenu
cette flatteufe & rare diftinction . Tel eft
Pafcendant des bonnes moeurs , de la modeftie
& de l'honnêteté réunies aux talens....
& le Comédien qui
shonore lui - même , fe voit à fon tour ho
norer par les faveurs , & par les préférences
qui peuvent s'attacher à fa perfonne. Une
voix pure , flexible , intéreffante ; un gofier
brillant , & auquel toutes les modulations
étoient faciles ; beaucoup de raifon , de fens ,
de goût & de jugement , un zèle infatigable ;
telles furent les autres qualités de Mie
Trial. Elle a vu le fuccès de Mlle Renaut
l'aînée , avec cette joie que le talent feul
peut fentir , parce qu'il eft exempt de
la honteufe jaloufie que l'on peut reprocher
à tant d'Artiftes médiocres , & quelquefois
même , il faut en convenir , à des Artiſtes
diftingués. L'ordre qui lui permet de fe retirer
, motive , de la manière la plus honorable
, la caufe des bienfaits que le Roi lui
accorde. Puiffe cet exemple , que nous citons
avec un plaifir bien vrai , apprendre à nos
Actrices que fi le talent peut faire , pendant
quelque temps , pardonner de grandes erreurs
, il ne fuffit pas pour faire obtenir
une véritable confidération ; que le fouvenir
des jouiffances paffagères difparoît pour ne
plus revenir , & que celui des vertus eft immuable
comme elles !
258 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
TRAITE de
RAITE des Succeffions légitimes , dédié à Mgr.
Garde des Sceaux , première Partie , par M. Duvergier
, Avocat au Parlement , I Vol. in - 12 . Prix ,
2 liv. 10 fols broché , & z liv. relié.
Voici comment s'exprime l'Auteur dans fon
Avertiffement. Le Droit des Succeffions légitimes
forme une des matières les plus vaſtes de notre Jurifprudence.
Ce Volume n'en contient que les principes
généraux . Ce qui concerne la repréfentation ,
les propres , la légitime , &c. peut indifféremment
être compris fous la dénomination générale d'un
Traité des Succeffions , ou être l'objet d'autant de
Traités féparés. On fe propofe de les donner lucceffivement
, de manière qu'ils forment enfemble un
Traité complet des Succeffions , & que néanmoins
chaque Volume foit complet dans la partie qu'il
traitera , & puiffe être acquis féparément.
Ce Traité n'a ni la féchereffe ni le langage barbare
qu'on reproche quelquefois aux Ouvrages de
Jurifprudence. Le ftyle en eft agréable , les idées
précifes , & cependant approfondies ; il peut plaire
2x Gens du monde en même- temps qu'il fera
utile aux Gens de Loi . Le Difcours préliminaire eft
intéreffant ; il traite de l'influence des Ecrits des
Jurifconfultes fur les progrès de la Légiflation.
L'Auteur paroît s'être propofé d'éclairer les mazimes
du Droit par une fage Philofophie , & captiver
la Philofophie même en la foumettant aux
principes de la Loi ; c'eft une carrière nouvelle qu'il
DE FRANCE. 259
s'ouvre , & qu'il paroît capable de remplir avec
honneur.
Le fecond volume de cet intéreſſant Ouvrage eft
fous preffe .
LAGRANGE , Libraire , au Palais Royal , nº . 123,
du côté de la rue des Bons Enfans , donne avis au✅
Public qu'il s'occupe actuellement à faire traduire le
Poëme Espagnol intitulé : La Femme Heureufe ,
dépendante du monde & de la fortune , par un Philo
fophe inconnu. L'Auteur , qui l'a dédié à la Princeff:
des Afturies , y traite , entr'autres chofes , des
moyens d'acquérir des connoiffances , & il y apprécie
finement l'étendue de celles des Modernes . M.
Antoine Campomanès , connu lui- même par plufieurs
Ouvrages eftimés, Cenfeur du nouveau Poëme,
en fait le plus grand éloge , & le croit infiniment
fupérieur à l'Homme Heureux du Portugais Almeida.
Le Philofophe inconnu , Auteur de la Femme
Heureufe , eft le P. André Mérino , des Ecoles
Pies , qui réunit à une vatte érudition l'efprit le plus
facile & le plus gai . Les Amateurs peuvent le faire
infcire dès à préfent chez ledit Libraire.
MEMOIRES d'Agriculture , d'Économie Rurale.
& Domestique , publiés par la Société Royale d'Agriculture
de Paris , avec des Planches en taille-douce ,
in 8 ° . Prix , 2 liv. 8 ſols broché , & 3 liv . 10 fols
relié , année 1785 , trimestre d'été . A Paris , chez
Buiffon , Libraire , hôtel de Mefgrigny , rue des
Poitevins.
L'étude particulière qu'on fait aujourd'hui de
l'Agriculture , qui eft le premier des Arts , eft fans.
doute un heureux à-propos pour le Recueil que nous
annonçons. De pareils Ouvrages font des bienfaits
envers le Public, Les objets que renferme ce premier
Cahier font intéreſſans , & font deſirer la fuite..
260 MERCURE
ETUDES de la Nature , par Jacques- Henri Ber
mardin de Saint-Pierre , feconde Edition , revue ,
corrigée & augmentée , 3 Vol. in 12 , figa Prix ,
10 liv. brochés . A Paris , de l'Imprimerie de
MONSIEUR , chez P. F. Didot le jeune , Libraire ,
quai des Auguftins , & Méquignon l'aîné Libraire.
rue des Cordeliers.
Nous avons donné dans le temps de juftes éloges
à cet Ouvrage inté effant & très- original . Cette
nouvelle Edition , avoaéc feule par l'Attur , &
qu'il ne faut pas confondre avec une autre imprimée
à Lyon fans nom de Libraire , contient de plus que
la précédente , 19. un Avis en tête de l'Ouvrage .
2. à la fin du troifième Volume , dans l'explication
des figures , une Figure da Globe , qui tend à démontrer
d'une manière claire & fimple que la terre
eft alongée aux poles d'après les opérations même
de nos Aftronomes , & contre leurs réſultats ; 3 ° . des
Détails fort curieux fur le cours de l'Océan Atlantique
, fix mois vers le pole fud pendant notre été , &
fix mois vers le pole nord pendant notre hiver ;
d'où l'Auteur conclut que cet Océan , ainfi que
l'Océan Indien , doit fon mouvement général & les
marées qui en résultent , à la fonte alternative des
glaces de chaque pole , & non à l'attraction ou preffon
de la Lune fur l'Equateur.
Cette nouvelle Edition , qui eſt bien exécutée , ſe
trouve auffi chez Racine , Libraire à Rouen , rue
Ganterie.
NOUVELLE Méthode pour apprendre les Principes
de la Langue Françoife , à l'ufage des jeunes
Perfonnes & des Maifons Religieufes , par M."
Tournon , première Partie , in- 12 de 112 pages . A
Paris , chez l'Auteur , rue Saint Martin , en face de
celle du Cimetière Saint Nicolas , maiſon d'un Maître
en Pharmacie ; chez Cailleau , Imprimeur-LiDE
FRANCE. 261
braire , rue Galande ; Didot fils , Libraire , rue Dauphine
Bailly , Libraire , rue Saint Honoré , Barriere
des Sergens , & Lefclapart , Libraire , rue du
Roule.
Cette Méthode eft extraite ( & par l'Auteur luimême
) des Promenades de Clariffe ; elle fera
divifée en quatre Parties . Le fuccès du premier
Ouvrage doit faire bien augurer de celui - ci.
PENSEES fur la Philofophie de l'Incrédulité ,
ou Réflexions fur l'efprit & le deffein des Philofophes
irreligieux de ce fiècle ; dédiées à MONSIEUR ,
Frère du Roi , par M. l'Abbé Lamourette , Docteur
en Théologie. A Paris , chez l'Auteur , rue
du Cherche-Midi , vis-à-vis le Couvent , & chez les
Libraires de Paris.
Cet Ouvrage eft dicté par un zèle très- vif & par
l'amour de la vérité , deux qualités qui ne fe concilient
pas aifément ; mais les principes de l'Auteur
n'offrent rien de répréhenfible ; & en réfutant quelques
Ecrivains qui ont attaqué la Religion , il prouve
qu'il étoit fait pour défendre fa cauſe . Son ftyle
pourroit être un peu moins diffus ; mais il eft en
général affez élégant , & la méthode qui règne dans
cet Ouvrage annonce que l'Auteur a des idées , &
qu'il fait les claffer,
LA Bible , traduite en François , avec l'explication
du fens littéral & du fens fpirituel, tirée des
Saints Pères & des Auteurs Ecclefiaftiques , nouvelle
Edition , Tome XIV. A Nifmes , chez Pierre
Beaume , Imprimeur- Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez Guillaume Defprez , Imprimeur - Libraire , rue
Saint Jacques.
Ce Volume contient Jérémie & Baruch.
TROISIEME & dermère Livraifon de la Carte
262 MERCURE
d'Allemagne, par M. Chauchard , Capitaine d'In
fanterie , & Ingénieur Militaire de Mgr. Comte
d'Artois.
Ce vaſte tableau des Etats de l'Empire , offre à la
Politique l'ordre actuel des poffeffions des Princes ,
& la diflinction la plus précife de cette infinité de
propriétés & de fouverainetés qui fe confondent fi
facilement les unes avec les autres dans les Cartes
ordinaires. Il paroît préféré aux cartes les plus eftimées
des mêmes pays.
Cet Ouvrage fe vend chez le fieur Dezauges ,
Géographe , rue des Noyers , & chez le Suiffe de
l'hôtel de Noailles , rue Saint Honoré.
Nota. L'Auteur ne répond que de l'Enluminure
de celles qui fe vendront à l'hôtel de Noailles .
PORTRAIT du Coufin Jacques , né le 6 Novembre
1 1767 , peint par Violet , gravé par Jonxis . A Paris ,
chez Lefclapart , Libraire , rue du Roule , N° . 11 ..
Au bas de ce Portrait , qui eſt reſſemblant , on lit
le quatrain fuivant :
Il eft des foux dont les accès charmans
A la gaîté joignent les fentimens ,
Des foux heureux dont la plume légère
Aux jeux du Pinde unit ceux de Cythère.
Les Lunes du Coufin Jacques le continuent tou
jours avec fuccès , & leurs influences ne font pas
moins heureuſes. Cet Ouvrage original trompe l'at
tente de ceux qui ne croyoient pas qu'une figrande gaîté
pût le foutenir long- temps . Le dixième Numéro vient
de paroître. Les derniers ont été retardés malgré
l'Auteur ; mais il annonce qu'il a pris des précautions
pour ne plus l'être à l'avenir,
FIGURES de l'Hiftoire Romaine , accompagnées
DE FRANCE. 263.
dun Précis Hiftorique au bas de chaque Eftampe
cinquième Livraiſon. Prix , 15 liv.
On fouferit toujours pour cet Ouvrage intéreſfant
, imprimé fur papier vélin , au Palais Royal ,
paffage de Richelieu , no. 2 , chez l'Auteur , M. de
Myris, Secrétaire des Commandemens de Mgr. le
Duc de Montpenfier.
BISBIS pour les lèvres & gencives. M. Arnoux ,
Ingénieur - Mécanicien du Roi , ayant obtenu de
Sa Majefté un Privilége exclufif enregistré au Parlement
de Paris , pour faire valoir fes Découvertes ,
vient en conféquence de faire publier le Profpectus
du Bisbis pour la confervation des lèvres & des gencives
en bon état , en empêchant les gerçures des
lèvres & le gonflement des gencives . Cette nouvelle
Découverte eft approuvée par l'Académie Royale
des Sciences. Ce qui a fait différer de faire participer
le Public à l'avantage de cette Découverte , c'eft
l'invention que l'Auteur a été obligé de faire d'un
outil qui fert à couper le feutre dans la partie rectili
gne du Bisbis , fans couper le poil ni d'un côté ni de
l'autre. Pour empêcher le Public d'acheter quelque
chofe qui eût la reflemblance du Bisbis , & qui produisit
un effet totalement contraire , il n'y a qu'un
feul Bureau de diftribution du Bisbis dans Paris , au
Palais Royal , vis à - vis le Méridien , chez le Libraire
, nº. 2 , au Pavillon en face du Caveau , & à
la Manufactute , hôtel de l'Espérance , rue du Four-
Saint-Honoré, Le prix du Bisbis eft de 3 liv. avec
fon étui & le Profpectus , qui indique la manière de
s'en fervir. Ce Profpectus eft paraphé par l'Auteur
d'un trait de plume à double face & à main levée,
La Manufacture ne fera co'porter aucun Bishis
dans aucune Ville. Ils feront tous diftribués dans
des Bureaux qui feront annoncés dans les Feuilles
périodiques.
264 MERCURE
LE Pouvoir de l'Amour , Ariette à grand orcheftre
, par M. Champion , Maître de Chant & de
Violon . Prix , 3 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue des
Vieux Auguftins , la porte- cochère en face de celle
de soly.
NUMERO IV du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs , compofé de différens airs arrangés pour
deux violons ; abonnement pour douze Cahiers ,
15 & 18 liv . On s'abonne chez M. Bornet , Profeffeur
de Mufique & de Violon , rue Tique:onne ,
No. 10.
Faute à corriger dans le dernier Mercure.
Page 20e , lignes 27 & 28 : ily a plus de mérite
peut-être ; fupprimez peut être.
TABL E.
EPITRE & M. S .... ,
Saillie à Mme la Marquise de culiers en campagne ,
C......
217 Le Guide des Officiers parti-
235
221 Concert Spirituel , 242
247
221 Comédie Italienne , 254
1259
2431
Charade, Enigme & Logogry- Comédie Françoife ,
phe ♪
Tableau des Arts & des ScienAnnonces & Norices ,
ces ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr . le Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 28 Avril 1786.- GUIDI.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE
HAMBOURG , le 19 Mars.
A Grande Ducheffe de Ruffie eft accou-
Lichée à Sarko -Selo d'une Princeffe nommée
Marie Paulowna.
aux
On apprend de
Copenhague , que pendant
tout l'hyver on a exercé aux manoeuvres
de l'Artillerie 80 foldats , 8 bas-
Officiers & 22 Lieutenans de chaque Régiment
d'Infanterie ; le but du Gouvernement
eft de donner à chaque Régiment une artillerie
de campagne. C'eft auffi dans cette vue
qu'il a été ordonné de conftruire mille cha
riots d'artillerie.
DE VIENNE , le 18 Mars.
Nous avons parlé de la Sentence qui condamnoit
la Baronne de Scribinsky à une
peine également cruelle & infamante ; l'in
nocence de cette Dame vient d'être recc
nue. L'ex- Jéluite Rotter , qu'elle étoir
Nº. 13, 1 Avril 1786.
( 2)
fée d'avoir tué , a lui même abrégé fa vie ,
avec un piftolet dont il s'eft brûlé la cervelle.
Des lettres de ce même Royaume font
une defcription épouvantable de la mifere
qui y regne. On manque de bled & de pain
dans plufieurs Comitats , & les mesures que
l'onavoit prifes jufqu'à préfent pour remédier
à la difette ont été infuffifantes. On a défendu
très-rigoureufement de braffer de l'eau- devie
de grains & tout monopole de bleds.
On rencontre des familles entieres exténuées
de faim , qui quittent leur patrie avec leurs
effets , pour le porter dans des provinces
moins malheureufes. Le Comte de
Podewills , Envoié de Pruffe , eft arrivé dernierement
dans cette Capitale , où le Comte
O'kelly , Miniftre plénipotentiaire de l'Empereur
auprès de la Cour de Dreide , eft parti
le 27 Février.
DE FRANCFORT , le 23 Mars.
La température du commencement de
Février en Allemagne a été très - remarquable
par des orages fimultanés en une infinité
de lieux. Le 7 à Hambourg , il commençoit
à neiger dans la foirée , lorfqu'd s'éleva une
tempête accompagnée d'éclairs & d'un coup
de tonnerre qui tua une Juive de 19 ans .
Le même foir on obferva un violent orage
dans le Margraviat de Bareuth , avec de la
grêle fuivie de neige cet orage fe renouvella
le lendemain. Ce jour même , 7 Fé(
3 )
vrier , même phénomene à Mifchek près de
Prague. Le 9 , de grand matin , le tonnerre
réveilla les habitans d'Augsbourg ; le vent
étoit très- violent , & il avoit neigé la veille.
Le fo , on éprouva un orage femblable
dans le Wurtemberg. Nous parlâmes dans
le temps des coups de tonnerre qui fe firent
entendre à la Haye dans la nuit du 11 au 12
Février ; & nous recevons les mêmes raprapports
de diverfes contrées de la Souabe , de
la Baviere & de l'Autriche.
Le 27 Février à quatre heures du matin
écrit-on de Bieflan , on reffentit à Freudenthal,
Ratibor , Neiff , Oppeln , Neuftadt & Groftku
trois fortes fecoufles de tremblement de terre ,
qui endommagerent confidérablement Freudenthal
& Reiff. Cette commotion fouterraine a
commencé dans les montagnes Carpathes , &
elle s'eft étendue par la Moravie , les princi-
Fautés de Neiff & de Glaz , jufques dans les
montagnes appellées Rie- Sengebrige. Les fecouffes
les plus violentes ont été reffenties à Sorou
, Loflan , Oppelu & Frankenftein ; un
grand nombre de maifons fe font crevaffées ,
dans plufieurs les pendules attachées contre les
murs font tombées par terre ; on entendit à
Loflan lé fon d'une des cloches miſe en branle
par la commotion. Une petite riviere à Ætheide ,
fitués à un mile derriere Glaz , a débordé ſubitement
, au point que les Habitens ont été obligés
de quitter leurs maifons ; mais une heure
après cet événement l'eau débordée a disparu ,
& la riviere eft rentrée dans fon lit.
Le 27 Février , on éprouva à Brinn à quatre
a 2
( 4 ) :
heures du matin , plufieurs fecoufes de tremb'ement
de terre. Le même jour , écrit-on
de Kelfch , on y reffentit à quatre heures moins
un quart du matin , deux fecoufes violentes de
tremblement de terre ; les Habitans quitterent
leurs maiſons & fe refugierent dans les champs.
Cette commotion fouterraine endommagea beaucoup
l'Eglife neuve de Schwechoriz & le Château
de Malhotiz , où l'on vit de très - larges crevalles.
Le Roi de Pruffe vient de faire la
tion fuivante dans fes armées ,
promo-
Lieutenans-Généraux de Cavalerie : les Généraux-
Majors de Czettriz , le Comte de Gortz &
de Bohlen.
·
Lieutenans Généraux d'Infanterie : les Généraux-
Majors d'Erlach , de Lehwald , de Waldeck,
de Bornstedt , de Pfuhl , de Rohdich & de Below.
Ce dernier a obtenu en même temps le Gouvernement
de Stettin , avecune augmentation d'appointemens
de mille écus.
Généraux - Majors d'Infanterie : S. A. S. le
Prince de Hohenlohe , Colonel du Régiment de
Tauenzien ; les Colonels de Favrat , de celui de
Kofchenbahr, ds Konitz , d'Eckersberg , de celui
de Jeune-Waldeck , de Vofs , de celui de Romberg
, de Bonin , de celui du Duc Frédéric de
Brunswich , de Scholten , commandant un bataillon
de Grenadiers ; de Lichnowsky , du Régiment
du Margrave Henri ; & de Bornftedt , de celui
de Knobelsdorff. Le Général- Major de Thuna
a obtenu fa démiſſion , & ſe retire avec une penfion
de deux mille écus.
Colonels de Covalerie ; Les Lieutenans - Colomels
d'Eichftedt , du Régiment des Cuiraffiers de
Kalkreuth , de Banaig , de celui de Mengden ,
de Zitzwitz , de celui de Zitzwitz , de Franckenberg
, de celui de Boffe ; & de Luttichau , de
celui de Lottum .
Colonels des Huffards : les Lieutenans - Colonels
de Holtey , du Régiment de Gronling , de Goc
king , de celui de Schulenburg. Le Général- Ma
jor d'Ufedom eft gratifié d'une augmentation d'ap
pointemens de mille écus.
Colonels d'Infanterie : les Lieutenans Colonels
de Morgenstern , du Régiment du Duc de Brunf
wich ; le Comte de Dohna ; de celui de Gefau ,
quartier- meftre ; de Wacholtz , de celui de Vieux .
Boraftedt , d'Erzdorff , de celui de Trochke , de
Bandemer , de celui de Vieux- Woldeck , de Holwede
, de celui de Vieux- Renitz .
Lieutenans- Colone's de Cavalerie : les Majors de
Bruckner , du Régiment de Thun ; de Grutfchreiber
, de celui de Bohlen , de Bicberftein , de
celui de Barck ; de Kleift ; de celui des Gendarmes
; de Woisky , de celui de Rofembruch.
Lieutenans- Colonels de Huffards : les Majors de
Natzmer , du Régiment de Wuthenowen ; van
der Trenck , de celui de Hohnſtock de Santha ,
celui d'Ufedom ; de Wolfradt , de celui d'Eben .
de
Lieutenans-Colonels d'Infanterie : les Majors de
Schladen , du Régiment du Duc Frédéric de
Brunswich , de Kunheim , de celui d'Eglofsftein ;
de Dobfchutz , de celui de Pfuhl , de Hartog & de
Hundt , de celui d'Eichmann , de Radeke , de
celui de Romberg , de Kuits , de celui d'Anhalt ,
& de Rabiel , de celui de Lehwald .
Voici la fuite de la Differtation de M. de
Hertzberg , Miniftre d'Etat de S. M. P.
M. H. ayant établi , ainfi qu'on l'a vu qu'on
peut envifager la puiffance d'un Etat comme fondée
fur les bafes les plus folides & les plus durables
, lorfqu'il a une population nombreuse , propora
3
( 6 )
}
tionnée à fon territoire , une bonne agriculture &
une grande induftrie nationnale , & une balance de
commerce favorable & affurée , s'attache enſuite à
démontrer que tous ces avantages font applicables
à la Monarchie pruffienne.
«J'ai prouvé , dit l'illuftre Académicien , dans
la differtation que j'ai lue ici au même jour de
l'année paffée, que la Monarchie pruffienne a une
population de 5 millions d'hommes fur un terrein
de 3600 milles quarrés ; ce qui fait 1667 têtes fur
un mille quarré. C'eft une population affez grande
pour un pays médiocrement fertile ; elle n'eft furpaffée
que par celle de la France , de la Hollande,
de l'Angleterre & de la Monarchie autrichienne ;
& elle furpafle en effet celle de tous les autres
grands Etats européens ( 1 ) ; & même quelques
provinces Pruffiennes , comme celles de Halberf
tadt , Minden , &c. furpaffent la population de la
France comparée en total.La population de la Monarchie
pruffienne augmente d'ailleurs tous les
ans dans une progreffion plus grande que celle de
tous les autres Etats connus nommément la
France , comme je l'ai prouvé dans la differtation
de l'année précédente. J'y ai démontré auffi que
la population pruffienne a prefque triplé pendant
les 45 ans du regne du Roi.
Quant à la feconde fource de la puiffance d'un
Etat , après la population ; favoir , l'agriculture ,
M. de H. fait voir qu'en la prenant en général ,
elle doit être , dans les Etats pruffiens , « bonne
& fuffifante , non feulement pour la population
préfente , mais auffi pour l'exportation ; puiſque ,
(1 ) Nous prenons la liberté d'obferver que la Lombardie
, la Tofcane , l'Eta de Venife , la Suiffe ,
Sant plus peuplés, en fuppofant ce dénombrement des
Etats du Roi de Pruffe parfaitement jufte..
( 7 )
depuis 1740 ; nous n'avons eu aucun manque de
grains , & que nous n'avons pas eu befoin d'en
acheter au dehors , même dans l'année calamiteufe
de 1772 , où une famine générale a fait tant
de ravages , jufques dans les pays les plus fertiles,
comme la Saxe & le Palatinat , tandis que les Etats
pruffiens ont pu fubvenir aux befoins de leurs
volfins. Dans les années d'une fertilité commune ,
toute la Monarchie pruffienne peut exporter envi
ron pour 2 millions d'écus , & dans les années ftériles
, le Roi peut toujours fubvenir , & fubvieng
auffi fans difficulté aux befoins de fes fujets , en
Quvrant fes grands magaſins militaires , & en leur
donnant le grain néceflaire en préſent ou pour un
prix médiocre. D'ailleurs la Monarchie pruffienne
ne peut jamais manquer de bled , parce qu'elle a
derriere elle les pays fertiles de la Pologne , dela
Bohême & de la Saxe , qui ne peuvent rien exportes
par mer que par les Etats proffiens , où ils
trouvent , au moyen de l'Elbe , de l'Oder & de-la
V.ftule , une exportation aifée & lucrative . On
pouffe auffi l'Agriculture , dans les Etats pruffins
avec tant d'induſtrie & de zèle , tant de la
part des habitans & du Souverain , qu'elle augmente
d'année en année , de forte qu'elle ne manquera
jamais à la Monarchie pruffienne ; qu'elle
fera toujours fuffifante à fes habitans , & leur fera
même , la plupart du temps , l'objet d'un commerce
confidérable . Les villes de Kocisberg , de
Memel , d'Elbing , de Dantzig & de Stettin exportent
, année commune , plus d'un million de
boiffeaux de grains de toute efpèce. »
«Comme l'induftrie nationale fait la feconde
bâfe de la félicité & de la puiffance d'un Etat ,
je tâcherai de prouver ici en précis que la Monarchie
pruffienne en jouit dans un degré éminent ,
& peut - être immédiatement après la France , l'Ana4
( 8 )
gleterre & la Hollande , ces Puiffances qui , depuis
deux fiecles , ont eu le monopole prefqu'exclufif
des manufactures , du commerce & de la navigation
; pendant que les pruffiens n'y ont pris
quelque part que depuis la fin du dernier fiecle &
le commencement du préfent. Ce n'eft pas ici
Pendroit de faire un tableau exact & général des
fabrications & manufactures pruffiennes ; je me
bornerai à en donner une idée générale , & quelques
échantillons particuliers. Nous avons pref
que toutes les fabriques & manufactures imaginables
, tant pour les objets de première néceffité
que pour les commodités de la vie & du luxe.
Les unes ont acquis un grand degré de perfection
, comme celles de draps , de toiles , de porcelaine
& autres : la plupart font médiocres & parviendront
peu-à-peu à la perfection , fi l'on continue
à leur donner l'attention , les fecours & les
foutiens que le Gouvernement pruffien leur a véritablement
prodigués jufqu'ici, & fur- tout quand
on y ajoutera les motifs & les moyens de l'émulation
, abfolument néceffaires pour la perfection
des fabriques & des manufactures. Nos fabriques
en pourvoient exclufivement tous les Etats pruffiens,
& avec une concurrence affez heureuſe, ſurtout
pour les draps , les laineries & les toiles ,
Pologne , la Ruffie , l'Allemagne , l'Italie , & furtout
l'Espagne & l'Amérique . Pour en donner une
conviction plus forte & plus claire , j'ajouterai ici
un tableau abrégé des principales fabriques & manufactures
qui exiftent dans la Monarchie prulfienne
, de leur produit & du nombre des métiers
& des perfonnes qui y font employées ».
la
On voit , par ce tableau , qu'il y avoit l'année
derniere , dans les Etats pruffiens 165 mille ames
occupées aux diverfes fabriques & métiers; & que
le produit a été de 30 millions 250 mille écus de
( 9 )
Pruffe. On n'a cependant mis en ligne de compte
que les principales fabriques ; mais il y en a en
outre une multitude d'autres de moindre impor
tance , qui , réunies , forment encore un objet de
plufieurs millions .
La Suite à l'Ordinaire prochain.
Le Landgrave de Heffe- Caffe! a fait remettre
à l'affemblée des Etats de Heffe quatre
rapports , dont il réſulte dont il réfulte que les arrérages
dus au Prince par fes fujets pour les quoteparts
aux charges de l'Empire, du cercle du
Haut Rhin & pour d'autres impofitions ,
montant à la fomme de 1,100,661 rixdalers .
On efpere que S. A. S. en fera la remiſe à
fes fujets. La Landgrave douairiere eft encore
à Caffel ; mais elle quittera cette réfdence
à la fin du deuil , pour aller fixer fa
demeure à Hanau.
L'Electeur de Saxe a nommé le Comte
de Salmaer pour aller réfider à Paris en qualité
de fon Miniftre plénipotentiaire , & le
Comte de Redern pour fe rendre à Madrid
en la même qualité.
Le Baron de Furftenberg , Prévôt du
Chapitre de Hildesheim , a été élu le 7 , à
l'unanimité , Coadjuteur de cet Evêché.
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 20 Février.
D'après les plus exactes informations , il
parou que dans le naufrage du vaiffeau Efas
( 10 )
pagnol le S. Pierre d'Alcantara , il a péri 160
hommes de l'équipage , & que 310 ont été
fauvés . Le Commandant de ce vaiffeau
D. Manuel de Eguia eft dangereufement malade.
•
La charge de ce navire confiftoit en fept
millions fix cents trente mille piaftres fortes,
dont jufqu'à préfent on n'a retiré de l'eau
que trois caiffons , renfermant chac.in trois
mille piaftres ; treize mille quintaux de cuivre
; 862 caiffes de Guina ; 71 dito des productions
du Pérou , pour le cabinet d'Hiftoire
Naturelle ; fix caiffons de baume pour
le Roi d'Espagne ; 20 ditó de plantes pour
le jardin de Botanique ; & trois furons de
laine de Vigogne. Il eft arrivé des Plongeurs
de Cadix pour tâcher de relever le refte de
la cargaison , s'il eft poffible , comme on s'en
Aatte.
On doit le fouvenir , que l'Ile de Ste . Catherine
, fur la côte du Brefil , fur livrée fans refiftance
en 1777 , aux Efpagnols : Cette Ife eft
une des principales Colonies Portugaifes , &
M. de Fortado en étoit Gouverneur : Dès - lors
il fut violemment foupçonné de l'avoir remife
par trahison au Commandant Eſpagnol. A fon
retour du Brefil , ce Gouverneur fut cité à un
Tribunal , nommé ici le Tribunal de confcience
& des ordres du Royaume : La Sentence qui intervint
, le déclara lâche & incapable de commander
; mais il fut déchargé du crime de trahifon
, dont il avoit été acculé . Cette affaire fut
appellée à un Confeil de Guerre , compofé de
huit Généraux & préfidé par le Vicomte de Lo
vignan , Gouverneur actuel de la Province d'At
( I )
lentejo ; M. Fortado fut condamné à mort par la
Sentence du Confeil de Guerre . S. M. par un
mouvement de clémence , fit furfeoir à l'exécution
de la Sentence & accorda au criminel une
révifion du Procès : En conféquence , on établit
une commiffion mi - partie , qu'on nomme dans
ce Pays , un Confeil - de- Juftice . Ce Confeil fat
composé de quatre Lieutenants - Généraux & de
quatre Magiftrats ordinaires ; M. le Duc de la
Fons , plus connu fous le nom du Duc de Bragance
,
en fut nommé chef. Ce troifieme Tribunal
rendit une Sentence favorable à l'Accufé ;
mais avec cette particularité remarquable , que
les quatre Magiftrats Civils opinérent pour la
mort du coupable , & les quatre Lieutenans-
Généraux , fe joignant au Préfident , le Duc de
Bragance , opizérent pour le déclarer innocent.
Le Procureur- Général de la Couronne a mis
un Arrêt fur les piéces du procè , & a démandé
une révision finale ; elle lui a été accordée ; c'eft
en conféquence de cette intervention du Procureur-
Général de la Couronne , que le fufdit.
décret a été rendu . On juge faci'ement par la te
neur même de ce décret , que la Cour défaprouve
beaucoup la derniere Sentence , prononcée
par ce Confeil de Juftice. Il y a près
de neuf ans , que cette affaire traine ; mais.
on prévoit qu'à la fin , M. deFortado fuccom
bera.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES, le 17 Mars.
M. Pitt propofa le ro à la Chambre des
Communes de modifier le bill , préfenté aun
a a
( 12.)
commencement de la feffion , pour affem
bler la milice tous les ans. Ce Miniftre ne
reconnoiffant point la néceffité de réunir la
totalité de ce corps , il obferva qu'on pourroit
fuivre l'exemple des troupes réglées , &
n'incorporer tous les ans que les deux tiers
des hommes enregistrés. Par ce moyen , aulieu
de 130,000 liv . fterl . que coûteroit la
milice, les dépenfes de ce corpsferoient réduites
à 90,000 liv. ft. Cet amendement fut
prouvé. Ainfi , la jaloufie très -légitime de
liberté nous fait préférer , en temps de paix ,
de dépenfer tous les ans 90,000 l . fterl. , & en
tems de guerre des fommes infiniment plus
confidérables , pour exercer au métier des armes
une partie de nos concitoyens , à élever
des places fortes.
ap-
M. Francis , fecondé de M. Fox , a fait
paffer une motion le 13 , pour que tous les
Membres de la Chambre fuffent préfens le
28. L'état actuel des affaires de l'Inde , le jugement
de M. Haftings & les modifications
au bill de l'Inde furent les motifs de motion.
Le parti de la minorité murmure des
réſerves du Miniſtere , à communiquer la totalité
des papiers qui ont les affaires de l'Inde
pour objet ; & il paroît que l'on renouvellera
les motions les plus vives pour que ces papiers
foient mis fur le Bureau.
Le Vendredi 16 , M. Dundas , ainfi qu'il
l'avoit annoncé , propofa quelques changemens
au Bill d'adminiftration & de Judica
( 13 )
ture dans l'Inde. Cet acte de correction fur
préfenté par M. Dundas fous les fept chefs
principaux que voici :
Le premier & le fecond font relatifs aux regles
que doit obferver le confeil de l'Inde .
Le troisieme , qui demande une férieuſe dif
cuffion , étoit d'arrêter fi le gouvernement général
du Bengale devoit être membre du confeil ; il
avoit laiffe cette question indéterminée dans fon
bill , & la foumettoit à la décision de la chambre.
La quatrieme claufe du bill étoit de donner au
gouvernement général un pouvoir fupérieur à
celui du confeil dont il pouvoit contrôler, fuf
pendre & révoquer toutes les déterminations , fans
que les membres puffent , en aucune maniere ,
s'opposer à l'exécution de fes volontés , n'ayant
d'autre privilege que celui de proteſter contre les
mefures adoptées par lui , & le droit de faire entrer
leur protêt dans les regiftres du confeil.
Le cinquieme chef portoic fur la promotion
des officiers , à tour de rôle , de forte qu'il ne fût
plus poffible d'envoyer d'Angleterre des gens qui ,
à leur arrivée dans l'Inde , paffoient fur la tête
d'officiers de mérite qui avoient fervi avee honneur
& fidélité.
La fixieme claufe devoit altérer confidérablemeat
les difpofitions du bill actuellement en force
, par lesquelles les officiers & employés de la
compagnie , revenant de l'Inde , étoient obligés
de déclarer le montant de leur fortune , & de
fpécifier les moyens par lefquels ils l'avoient accumulée
; le principe feroit maintenu , mais la
publicité de cet examen feroit abolie,
Septiémement & en dernier lieu , la balote
pour procéder au choix des membres du parlement
qui devoient compofer la cour fuprême de
( 14 )
l'Inde , tant de la chambre des pairs que de celle
des communes , feroit abfolument changée. Pour
le moment, il ne s'étendroit pas davantage à ce
fujet, & fe conten : eroit de demander la permiffion
de préfenter fon bill.
Après quelques obfervations peu importantes
de différens Membres , la motionpaffa
fans aller aux voix.
M. Francis fe leva enfuite pour témoigner
fon inquiétude qu'il ne réfultât quelques conféquences
fâcheufes pour la Conftitution Bricannique
des Réglemens quelconques qu'on fe propoloit
de faire pour l'Inde , attendu que fi l'on
n'y donnoit la plus grande a tention , les poffeffions
étendues de l'Angleterre dans l'Afie occa
fionneroient la ruine de la Grande Bretagne . Pour
prévenir un tel matheur , il falloit faire enforte de
con ilier la confervation & la fûreté de tous les
privileges de la Métropole avec l'étendue de fes
poffeffions au- dehors : en conféquence il fit la
motion fuivante. « Qu'il foit donné aux per-
»fonnes chargées de rédiger les Réglemens propolés
les inftructions convenables , pour qu'il
» Toit veillé avec la plus fcrupuleuſe attention à
» ne pas admettre dans le plan projetté tout ce
qui pourroit mettre en danger les intérêts les
plus chers de l'Angleterre dans l'intérieur de
» l'Empire , & particuliérement pour qu'il ne
foitpor té aucune atteinte à cette ineftimable
prérogative dont les Anglois jouiffent par le
privilege de leur naiffance , favoir le jugement
par Juré ».
35
מ
"
Alors on fit fortir toutes les perſonnes qui rempliffoient
les galeries , & la Chambre étant aliée
aux voix , cetie motion fut rejettée par une majorité
de quatre- vingt-cinq voix contre qua-
Lorze.
( 15 )
y
Le même jour , on fit le rapport du bill
de mutinerie , & le Secrétaire de la guerre
fit inférer que les Officiers par brevets ,
ainsi que les Officiers à la demi-paye , qui
auroient un commandement , feroient foumis
au jugement des Confeils de guerre .
L'Amirauté a envoyé des ordres à Portfmouth
, le 14 Mars , pour faire équiper , le
plus promptement poffible , les vaiffeaux de
guerre le Salisbury , le Léocadie & le Winchelfea
, qui font deftinés pour Terre Neuve . On
attend de jour en jour dans ce poit le Commodore
Elliot, qui doit arborer fon pavillon
fur le Salisbury.
Les Commiffaires de Portsmouth , de
Chatham & de Plymouth ont reçu ordre
de faire paffer , le plutôt poffible , au Bureau
de l'Amirauté , un état de tous les vaiffeaux
qui étoient en état de fervir au 1er. de ce
mois. On préfume que cet ordre eft relatif à
quelque motion qui fera propofée au Parlement.
2
Lord Howe a donné au Bureau de l'Amirauté
le plan d'un vaiffeau , d'une nouvelle
conftruction, qui portera Soc. , quoiqu'il foit
du troifiéme rang. Le Miniftere va faire conítruire
plufieurs vaiffeaux fur ce nouveau modele.
La répartition de 80 can. , fut ponts ,
donnera à ces vaiffeaux une grande fupériorité
de force & de légereté. Leurs canons,
quoique d'une nouvelle forme , feront , à ce
qu'on affure , du même calibre que ceux des
vaiffeaux du premier rang.
( 16 )
Les Papiers publics contiennent de nouvelles
conjectures fur les dépêches arrivées
derniérement de Terre Neuve . Le Commodore
Sawyer, Commandant à la ſtation
d'Hallifax , alarmé , dit on , des empiéte
mens que fe font permis les pêcheurs etrangers
, a envoyés vaiffeaux de guerre pour
contenir ces pêcheurs dans les limites qui
leur font prefcrites.
Suivant d'autres , ces dépêches d'Hallifax
ont apporté au Gouvernement des propofitions
de la part de l'Etat de Vermont ,
qui offre de revenir fous la domination Britannique
, à des conditions dont l'examen
occupe les Miniftres. Ces variantes conftatent
l'incertitude complette de ces nouvelles
fi diverfement rapportées.
On affure que l'intention du Miniftre eft de
donner au Gouverneur général du Bengals , dans
le nouveau bill de l'Inde , le titre de « Viceroi
(Lord Lieutenant ) & Capitaine général de
» l'Inde ». Mais on pourroit alors faire cette queftion
: de qui eft-il Viceroi ? Eft - ce de la Compagnie
de Marchands faifant le commerce de l'Inde ?
Ce feroit un folécifme. En vain citeroit -on l'exemple
du Stathouder , qui fut confervé par la République
de Hollande , bien qu'il eût ceffé d'être
l'agent du Roi d'Efpagne. It eft plus probable que
Je Miniftere voudroit , par cette innovation , faire
valoir les droits de la Couronne fur les acquifitions
de la Compagnie dans l'Inde , & encore plus probable
que le faifeur de conjectures dont nous rapportons
les paroles , ne s'eft pas douté que le
( 17 )
Parlement feul toit législateur de cette partie
des domaines britanniques .
Les Patriotes , qui s'occupent en ce moment
du rétabliffement de nos pêcheries ,
fongent aux moyens de mettre un frein au
commerce ruineux qui fe fait dans l'ifle de
Mann & ailleurs , & qui confifte à importer
des harengs de la Suède , & à les expédier
enfuite pour les ifles , comme provenant des
pêcheries Angloifes. Quoique la pêche foit
dans un état très profpere à Liverpool , il
s'eft formé dans ce port une Société de Capitaliſtes
, pour lui affurer un fuccès plus
floriffant encore.
L'Adminiſtration fe propofe d'ôter tous les
droits qui exiflent fur l'importation des drogues
dans le Royaume , & d'y fubftituer des permif
fions annuelles que les Droguistes feront tenus
de prendre. Ce commerce procurera à la Compagnie
des Indes des bénéfices immenfes , & les
permiffions produiront beaucoup plus que les
droits , attendu que la majeure partie des drogues
eft actuellement importée en contrebande .
On affure que le même plan fera adopté pour
le fel & le tabac.
Les Médecins ayant jugé que l'air de la
mer acheveroit de rétablir la Princeffe Elifabeth
dans fa convalefcence , S. A. R. paffera ,
dit - on , l'Eté fur l'une de nos côtes , fans
prendre cependant les bains de mer , dont
on redoute pour elle l'activité.
La queftion des mariages des perfonnes de
la Famille Royale occupant beaucoup le pu
( 18 )
blic , on a cru devoir rapporter ici les difpofitions
de la Loi à ce fujet. Parun Statut de la do zieme
année de Georges III , il eft ordonné qu'aucun
defcendant de Georges II ( autres que les enfans
des Princes mariés dans les familles étrangères )
n'eft capable de contracter mariage , fans le confentement
préalable du Roi , figné ſous le grand
Sceau ; & que tout mariage ou contrat matrimonial
fait,fans ce confentement , eft nul & fans effet
pour toutes fins & objets , à l'exception de ceux
defdits defcendans , qui étant âgés de plus de 25
ans , peuvent contracter & célébrer ces mariages
fans le confentement de la Couronne, douze mois
après en avoir donné avis au Confeil privé du
Roi , à moins que les deux Chambres du Parlement
, avant l'expiration dudit terme , ne déclarent
expreffément leur défapprobation du mariage
projeté. Et toutes perfonnes concourant , foit
comme Minifites , affiftans ou témoins à ces ma
riages prohibés , encourront les peines du Statut
de Præmunire ; c'eft à dire , la pete de la protec⚫
tion royale , la prison pour un temps illimité , la
confifcation des biens , & c.
Lord Mansfield a toujours reconnu le défaut
de nos Loix , concernant les débiteurs
infolvables . On affure que ce Magiftrat
veut illuftrer fa retraite du Barreau par la ré
forme de cette partie de notre code . It ef
pere fauver à ces malheureux l'emprisonne.
ment perpétuel , & les mettre à couvert de
la vengeance des créanciers avares & inhu
mains.
Une lettre de Montmellick , où le Capitaine
PLR. a été tué dernierement en duel par l'Enfeigne
B Ld N. , porte que leur difpute s'étoit
élevée fur la prononciation d'un certain mot grec.
( 19 )
Ils s'échaufferent tellement dans leur altercation
qu'ils crurent ne pouvoir la décider autrement
qu'en fe battant au piftolet dans une chambre
où ils avoient mis une table entre eux . Malheureuſement
on les laiífa faire . M. P. reçut une
baile dans la poitrine , & mourut fur le champ.
Tous les Profeffeurs de langue grecque des
Un verfités de l'Europe devroient fe réunir pour
élever un monument à la mémoire de cette malheureuse
victime de l'amour des Lettres grecques ,
On peut dire qu'il pouffa fa paffion pour elles depuis
a pha jufqu'à oméga .
La premiere monnoie que le Congrès ait
fait frapper depuis la Révolution de l'Amérique
, dir un de nos Papiers , eft devenue
fi rare , qu'on ne la trouve plus que dans
les cabinets . Cette monnoie confiftoit en une
piece de cuivre , d'environ un pouce & demi
de diamêtre , pefant 240 grains. D'un côté ,
la légende étoit , Continental currency, 1776.
( Monnoie courante du continent , 1776. ) Au
milieu , étoit repréfenté un foleil , éclairant
un cadran , avec ce mot , fugio ; & pour
exergue : Mind your bufineff. ( Songez à vos
affaires . ) Sur le revers , on voyoit 13 petits
Cercles , tenant les uns aux autres , à la manlere
de chaînons , & portant chacun le nom
de l'un des Treize Etats Unis . En dedans ,
étoit une légende circulaire , avec ces mots :
American Congreſſ. ( Congres Américain. ) Et
dans le centre , pour infcription : We are one.
[ Nous fommes un. ]
On ajugé derniérement aux affifes de Chelms
( 20 )
ford le procès d'une fameule courtilanne nommée.
Françoile Davis , acculée d'avoir volé à un
nommé Wrigglesworth , marchand de beftiaux ,
dans un cabaret entre Ilford & Stratford , 163
guinées , une lettre de change de 400 livres
fterlings , & plufieurs billets de banque ; le tout
montant à 1250 livres fterlings. Il paroît par la
dépofition des témoins , que ce vol fut commis de
la maniere fuivante : cette courtifanne , déguisée
enhomme , fe préſenta au cabaret où elle a commis
ce délit , & demanda à y paffer la nuit pour fe
rendre le lendemain à Londres . M. Wrigglesworth
y paffoit auffi la nuit , & alloit au marché de
Smithfield . Elle fe faufila avec le campagnard ,
fe dit marchand de chevaux , & tout en fumant
une pipe avec lui , furprit l'aveu qu'il portoit de
l'argent & des billets de banque à Londres. Après
le fouper , chacun fe retira dans fa chambre. Le
prétendu Maquignon entra de grand matin dans
celle du feur Vrigglefworth , & l'ayant trouvé
endormi , il tira les culottes de deffous le chevet
, & partit avec le Butin .
Le lendemain la courtilanne alla voir une de
fes connoiffances à Newgate , lui fit préfent d'une
guinée , d'une paire de boucles d'argent , & fe
vanta de fon chef- d'oeuvre de la veille . Cette amie
ne garda pas fon fecret , & la Maquignone fut
arrêtée le jour fuivant dans le bourg de Southwark
. On ne trouva fur elle que 900 liv. fterlings,
elle n'a jamais voulu dire ce qu'elle avoit fait
des autres 350 liv. fterl. Elle a été condamnée à
être pendue.
D'après les obfervations météorologiques
du Docteur Huxham & d'autres Savans , les.
mois de Février & Mars 1741 furent trèslemblables
aux mêmes mois de la préfente
( 21 )
·
année. Le vent de nord- eft fe fit également
fentir pendant toute la fin du mois de Février.
Le Mercure fut très élevé pendant
tout le mois de Mars , & le vent varioit aufli
du nord à l'eft. L'air étoit très fec & froid , la
gelée , très fréquente , & vers la fin du mois ,
on en reffentit une très vive . Pendant tout
ce mois , il ne tomba pas une feule goutte
d'eau. Le mois de Mars 1748 fut auffi trèsrude.
Il y eut de la gelée , de la neige & de la
grêle , & ce temps fut particuliérement fatal
aux pulmoniques . La petite- vérole étoit épidémique
, les pleuréfies & les rhumatiẩmes
très -fréquens .
Plufieurs Feuilles publiques rapportent le
trait fuivant de piété filiale , fur l'authenticité
duquel on peut avoir des doutes ,
quoique d'ailleurs , il foit appuié du nom
des intéreffés .
Après la guerre de 1759 contre les François ,
le Capitaine Gilchrift , qui s'y étoit fi fort diftin .
gué par fa bravoure & fes exploits maritimes , fe
retira à Harrogate , à l'extrémité de l'Ecoffe ,
pour y réparer la ſanté épuisée au fervice de fa
patrie , il arriva que , l'été de 1770 , il éprouva
un accès violent qui menaçoit de lui être funefte,
s'il n'étoit faigné fur-le- champ ; mais n'y ayanc
point de Chirurgien dans Harrogate , ni à plufieurs
milles aux environs , il feroit impoffible
d'exprimer la confternation de fa femme & de fa
fille, devenue depuis Lady Dundonab. Enfin cette
derniere , âgée alors de 15 ans , réuniſſant toute
la tendreffe filiale avec l'héroï'me de fon pere ,
fortit foudainement de la chambre de douleur &
( 22 )
fe retira dans la fienne. Là , avec un canif, elle
Le coupe un doigt tout autour jufqu'à l'os , afin de
voir s'i fortoit beaucoup de fang , & de juger
combien cette opération pouvoit être douloureufe.
Ayant remarqué que le fang couloit avec affez
d'abondance , elle alla rejoindre fa mere , lui rendit
compte de l'expérience qu'elle venoit de faire ;
& ajouta que la douleur , quoique vive , étoit cependant
fupportable , & qu'en conféquence elle.
la prioit de faire la même opération à fon pere.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 22 Mars.
Le 14 de ce mois , le Bailli de Suffren ,
Ambaffadeur de Malte , préſenta au Roi les
faucons que le Grand - Maître de l'Ordre
eft dans l'ufage d'envoyer annuellement à
Sa Majefté. Če préfent , qui fut remis au
nom du Grand - Maître , par le Chevalier
d'Ordaygue , Capitaine en fecond au Régiment
du Maine , Infanterie , fut reçu par
le Comte de Vaudreuil , Grand- Fauconnier
de France , & par le Chevalier de Forget ,
Commandant du Vol du Cabinet du Roi.
Le Comte du Moret , Fourrier major
de la premiere Compagnie des Gardes du-
Corps du Roi , a eu l'honneur d'être préfenté
à Monfieur par le Comte de la Châtre ,
Premier Gentilhomme de fa Chambre , en
qualité de Capitaine des levrettes de la
Chambre de ce Prince , & à la Famille
Royale , fur la démiffion du Comte de las
Marliere , Lieutenant pour S. M. , Commandant
des ville & citadelle de Montpellier.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
( 23 )
figné , le 19 de ce mois , le contrat de ma- riage du Comte de Bueil , Sous - Lieutenant
au Régiment
des Gardes Françoifes
, avec la Comteffe
Emilie de Beltunce , Chanoineffe
du Chapitre
de l'Argentiere
, Demoiſelle
d'honneur
de l'Impératrice
de Ruffie ; celui du Comte de Lanans , Maréchal
des Camps
& Armées du Roi , avec Dame de Rozieres-
Sorans , Chanoineffe
de Remiremont
; & celui du Marquis
d'Aramon
, Capitaine
de
Dragons
au Régiment
de Conti , avec Demoiſelle
de Mellet.
Ce jour , la Comteffe de Marconnay a eu
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale par la Marquife
du Chilleau.
Le même jour , le Comte de Neuville a
prêté ferment entre les mains de Sa Majeſté ,
en qualité de Lieutenant de Roi de la province
d'Artois . "
Le fieur de Fer de la Noüerre , ancien
Capitaine d'Artillerie , de l'Académie des
Sciences de Turin , de celle de Dijon , & c .
a eu l'honneur de préfenter au Roi & à la
la Famille Royale , un Ouvrage intitulé :
La Science des Canaux navigables , ou Théorie
générale de leur conftruction.
DE PARIS , le 29 Mars.
M. de Peynier eft entré à Breft avec l'Argonaute
, le 14 de ce mois. Une partie de
fon convoi l'a fuivi dans ce port , l'autre at
mouillé à l'Orient. Sur ces bâtimens , étoit
le Régiment d'Auftrafie , qui s'eft tant dif(
24 )
tingué dans l'Inde. Ce Régiment eft réduit
aujourd'hui à soo hommes environ.
On apprend de Breft , par le même courier
, qu'on a lancé à l'eau , avec le plus
grand fuccès , le vaiffeau les Etats de Bourgogne
, de 124 canons , conftruit fur de nouvelles
dimenfions ; il a 198 pieds de longueur
, fur so de largeur.
Le projet de M. de Parcieux , pour amener
l'eau de l'Yvette à Paris , eft renouvellé.
M. de Fer de la Noüerre , Ingénieur trèshabile
, s'eft chargé de ce travail , & fes
plans , qui ont eu l'approbation du Miniftre ,
n'attendent plus que la fanction de S. M.
M. de Fer ne demande qu'un million pour
conduire cette eau jufqu'à l'Eftrapade. Cette
différence énorme , entre cette légere dépenfe
& les apperçus de M. de Parcieux ,
vient de ce que M. de Fer ne revêtira pas
de pierre fon canal ; & malgré cela , il croit
pouvoir nous donner toujours de l'eau claire,
Le fieur Eberlé , Eſſayeur général des Moné
noies à Francfort , a publié dernierement , fur
la valeur intrinfeque & monétaire des écus de fix
livres , plufieurs écrits dont l'objet paroît être de
prouver qu'il feroit avantageux aux Etats d'Allemagne
d'y interdire entierement le cours des écus
de France , & de prendre ce qu'ils appellent leur
Ecu de convention , pour feule meſure de compte
, en fixant fa valeur ſur un nouveau pied , ce
qui conduiroit à la refonte générale des Monnoies
d'argent dans l'Empire. Cet Eflayeur ayant fait
dans la même vue , des eſſàis de nos écus de fix
livres a prétendu & annoncé à toute l'Allemagne
,
( 25 )
2
gne , que depuis : 026 leur titre avoit été fucceffivement
détérioré , & que particulierement ceux
fabriqués en 1784 & 1785 , fe trouvoient affoiblis
de plufieurs grains . Sur la foi de fon témoignage
& de fes effais , le Magiftrat de Francfort ,
la Régence Electorale de Mayence , celle de Baviere
, & le Sénat de Ratisbonne , ont rendu des
Ordonnances qui diminuent de 3 kreutzers la
valeur monétaire des écus de France , réduction
à- peu -près équivalente à 2 fols 7 den . de notre
monnoie.
Quoique cette réduction ne puiſſe porter aucun
préjudice au commerce du royaume , & qu'une
opération tendante à y faire rentrer les Monnoies
d'argent à plus bas prix qu'elles n'en font
forties , ne puiffe être défavantageufe qu'au pays
qui les perdroit , ( comme les Négocians d'Allemagne
l'ont fort bien obfervé dans la Requête
qu'ils ont préfentée à l'Affemblée des Cercles du
haut Rhin ) ; cependant pour l'honneur de nos
fabrications monétaires , & par une fuite de l'attention
de Sa Majefté à y maintenir la plus fcrupuleule
fidélité , il a paru convenable de vérifier
file reproche d'affoibliffement que l'Effayeur de
Francfort a cru pouvoir faire à nos écus , notamment
à ceux fabriqués en 1784 & 1785 , avoit
quelque fondement. En conféquence , on a fait
faire à l'Hôtel des Monnoies de Paris , des effais
très- exa&s , & qui ont été répétés avec le plus
grand foin.
Par le premier effai , en date du 12 Janvier
dernier , les contre- parties d'écus choifis par le
heur Eberlé , qui nous avoient été envoyées de
Francfort , & fur lesquelles deux Effayeurs ont
opéré féparément , ont été reconnues avoir toutes
I grain & demi ou deux grains de fin de
plus que ne leur avoit attribué fon rapport officiel
1.13 , 1 Avril 1786.
N° .
b
( 26 )
du 15 Décembre 1785. On a encore les échantillons.
Un deuxieme eſſai a été fair le 6 Février, par le
fieur Racle , Elayeur de la Monnaie de Paris ,
en préſence du fi . ur Bourdelois , Procureur géréral
de la Cour des Monnoies , & du feur Talet ,
Membre de l'Académie des Sciences , In pe & evr
général des Effais de France . On avoit pris au
hafar dans différentes caiffes 150 écus de 6 liv.
fabriqués dans les différentes Mornois du Royaume
, perdent les années 1784 & 1785. Il eft réfulé
de l'effoi en ti re commun de 10 ´eniers 21
grains & I neuvieme re grain , par conséquent un
peu au- deflus de celui qu'a constamment prefcrit
la Loi monétaire qui n'a point varié en France depuis
1726. On a confervé les bortons d'effai , ainfi
que les lames dont ils ont été tirés ; elles font étiquetées
fous les numéros cités au procès verbal de
cet effai.
Par
Erin , il a été procédé avec encore plus de folemnité
à un troifieme effai , qui a été fait
les plus habiles Effayeurs de Paris , en prétence
du Procureur général de la Cour des Monnoies ,
de l'Inspecteur général des Effais , du ficur Dasti,
Infpe&teur des Fabrications m néraires , & de
plufieurs Banquiers confidérables de la Capitale ,
choifis parmi ceux qui ont le plus de relation avec
l'Allemagne , tels que les fieurs Girardor , Riller,
Sertorius ; les ferrs Haller & Tourron y ayant
aufi été invités. On s'étoit procuré dans différentes
caiffes publiques de Paris , une gran le quanti
té d'écus fabriqués en 1784 & 1785 ; on en a
pris au haford 4 à roo , en obfervans seulement
qu'il y en cût de toutes les Monnoies du royaume.
Les eff is tur des portions de ces écus qui ont
été numérotées , ont été faits à la coupelle , avec
la plus fcrupuleufe précision , par les feurs Bef
njer , Elayeur général , & Racle , Effayeur par(
27 ).
ticulier ; un fel écu s'eft trouvé n'avoir que ro
deniers 20 grains , un autre 10 deniers 21 grains
/foibles ; tous les autres avoient au - delà de to deniers
21 grains ; plufieurs étoient à 10 deniers 22
grains ou au- deffus ; il s'en eft même trouvé un à
10 deniers 23 grains & un quart ; mais ce qu'il
fuffit d'obferver , c'eft que le tire commun de
tous les ellais , contaé par le procês - verbal figré
de tous les affilars qui ont fuivi les détails
de l'opération avec la plus grande attention , &
ont déclaré en être parfaitement fatisfaits , fe
trouve être de 10 deniers 21 grains & 8 treiziemes
, par conféquent plus fort de 2 tiers de grain
que celui de la Loi , qui n'eſt que de 10 deniers
21 grains .
La fidélité de nos mennoies d'argent & des fabrications
de 1784 & 1785 , eft donc authentiquement
démontrée ; les foupçons qu'on a voulu
faire naître en Allemagne à leur égard fint fins
fondement , & fi Effayeur de Francfort defiroit
s'en afferer encore davantage , il peut venir
lui-même ou envoyer ici telle perfonne qu'il
vendra pour opérer fur nos écus , avec les agens
chimiques . Il n'auroit pas préfenté aux Cercles
de l'Empire des rapports inexacts qui ont occafionné
des réfolutions erronées , s'il avoit bien
voulu confidérer qu'une partie de lingot , fortant
d'une fonte qui n'auroit pas été affez brifée , peut
comporrer plus de fin qu'une autre partie du mê -
me lingot ; que l'extrême précision dépend de
tant de circonftances , que quand il ne fe trouve
que de très -legeres différences ( ar un très - petit
nombre de pieces , ce n'eft pas une raifon d'inculper
toute une fabrication ; & der'effais faits fur
quelques écus ifelés ne fauroient fonder une opimion
jufte & raisonnable . D'ailleurs il eſt évident,
par fon propre rapport , qu'il a pris une base fau
b 2
( 28 )
tive. En effet , il eft reconnu que l'écu marqué A.
de l'année 1726 , qu'il a choifi pour piece de
comparaison , & qu'il a déclaré lui- même être de
14 lots 11 grains ( ce qui revient à 10 deniers 23
grains ,fuivant notre maniere de compter) , eft de
2 grains de fin (upérieur au titre preferit par la loi
monétaire de France , tandis qu'au contraire par
miles fix écus de 1784 & 1785 , qu'il a pris pour
fervir à fon effai comparatif, trois le trouvent , on
ne fait pourquoi , de 2 à 3 grains inférieurs aux
plus foibles de tous ceux qu'on a effayés à plufieurs
reprifes en France , en les prenant au hasard fur
une très-grande quantité.
Ainfi , d'un côté , un feul écu qui fe trouve audeffus
du titre , a fervi & ne devoit pas lervir de
piece de comparaifon ; d'un autre côté , trois écrs
fabriqués , vraisemblablement hors du Royaume,
puifqu'ils font au deffous du titre commun de
la maffe entiere des fabrications de même date >
ont été & ne devoient par être les pieces comparées
.
Voilà ce qui a produit l'erreur. Les Etats de
l'Empire qui s'y font laiffés ſurprendre , ne tarderont
pas à reconnoître que les proclamations
qu'ils ont faites en conféquence , font injuftes dans
leurs principes , & ne pourroient qu'être nuifibles
pour eux dans leurs effets.
On mande de Dunkerque , qu'il fe trouve
actuellement dans les prifons de cette ville ,
12 perfonnes , accufées d'avoir fait périr en
mer des bâtimens chargés de faux tonneaux
& de faux ballots , qu'elles avoient fait af
furer à très haut prix . Ce crime , appellé
la Baratterie , eft puni de mort , aux termes
des Ordonnances. On dit que les Compagnies
d'affurance perdent , par cette fiipo(
29 )
nerie , plus de 1,200 mille liv. ; & on ajoute
que c'est un bâtiment Anglois qui a découvert
la malvertation , en obfervant la manoeuvre
de l'équipage , pour faire périr ſon
bâtiment. Les fix navires perdus , font : la
De. Charlotte , lés Bons- Amis , le Saint Louis,
la Charmante Marie , l'Africaine & le Ballon.
Cette procédure va être fuivie avec rigueur.
En taifant fouiller une carriere près du village
de Marmirolles , à trois lieues de Béfançon , des
ouvriers de M. la Badie ont apperçu le refte d'un
tombeau de pierre marbrée , décorée d'une architecture
affez incertaine . L'intérieur contenoit
quelques os , & un grand nombre de médailles
d'argent. Apparemment leur forme avoit déjà
fouffert de l'altération lorfqu'on les a placées dans
le tombeau ; car les caracteres , prefque tous
effacés , n'ont pu être débrouillés par les yeux
exercés de plufieurs Gens de Lettres & Antiquai
res. Cependant aucunes d'elles ne fe reffemblent.
Sur la mieux confervée on lit ces mots latins :
Vefuntione Capita... & tout le refte eft une énigme.
M. la Badie garde foigneufement cette précieuſe
collection , & j'attends que quelques Antiquaires
puiffent en tirer quelque éclairciffement.
Le 6 de ce mois , le feu fe manifeſta au
village de Tenelles , près Ribemont & Origny-
Sainte- Benoîte : en moins de trois quartsd'heures
, de 160 maiſons dont il étoit compofé
, il n'en eft refté que 15 , parmi lesquelles
eft un feul Fermier ; le refts a été réduit en
cendres. Par ce défaftre affreux , dont la
perte eft évaluée à près de 500 mille liv . ,
plus de 650 perfonnes reftent fans habita
bj
( 30 )
tions , fans pain & fans reffources. Quatorze
Fermiers font réduits à la derniere des ex
trémités, leurs chevax & leurs beftiaux fans
nourritures. Les perfonnes charitables &
bienfaitantes , qui defierolent procurer quel
ques fecours à ces malheureux , font priées
de vouloir bien les adreffer à M. Villin ,
Prêtre , Curé de ladite Paroiffe ; à M. Le
Proux , Procureur & Notaire à Guile en
Picardie , oa au fier Hautoy , Libraire &
Imprimeur du Roi à Saint-Quentin.
Un Gentilhomme , qui a fu réunir à
l'avantage de fa naiflance celui de cultiver
les Lettres d'une maniere très eftimable ,
nous a adreffé la lettre fuivante.
Mr. Permettez moi de configner dans votre
Journal quelques lignes qui pourront fervir de
réponse circulaire aux queftions tant verbales
qu'écrites , que m'attirent deux Oraifons Fu
nèbres de Mgr . le Duc d'Orléans , MM . les Abbés
de Vauxcelles & Fauchet ont peint , avec l'éloquence
du fentiment , la bonté magnanime
qui caractérifoit ce Prince ; leur pinceau tour
chant & animé , a fait revivre le trait relatif à
mon mariage.
2
Rien de plus certain , Mrs. , que le fond de
cette anecdote , dont il eft vrai que toutes les
circonftances ne pouvoient être retracées par les
O a eurs , auxquels je fus moi - même inconnu ,
Ce fut fous les aufpices de S. A. S. , dont
l'augufte Fils ne m'a pas abandonné , que je vis
couronner ma conftance de trois années par mon
mariage , fait , de l'agrément du Roi , à cent
lieues de Paris , quatre vingt de la maison pas
ternelle , cent vingt de ma famille maternelle
& cent quatre-vingt de ma garniſon.
( 31 )
•
Entre nombre de traits rema quables de la fenfibilité
généreufe du premier Prince du Sang ,
celui , qui me concerne a été cébré par
pufieurs Gens-de - Leures , & je me fuis avifé
d . 1 : chinter moi-même , devenant Puëte par
reco noiffance , comme Juv.nal l'étoit devenu
par indignation.
J. fuis , & c.
Votre , &c. C. G. T ...
Fin de la Séance de la Société Royale de
Médecine.
P RIX PROPOS É s.
La Société p opofe pour fujet du Prix de la
valeur de Goo livres fondé par le Roi , la qual
tion fuivante :
Rechercher quelles font les maladies dont le fftême
des vailleaux lyn, hatiques eft le fiége immé
diat , c'eft- à dire , dans lesquelles les glandes , les
vaifleaux lymphatiques & le faite qu ' is contiennent
font effentiellement affectés ; quels font les
fymptômes qui les caractérisent & les indica ions
générales qu'elles offrent à remplir ?
Il y a long - tems que i on parle de la lymphe
, & que l'on dit vaguement que ce fluile
eft vicié. It eft tems de donner à ces expreffions
une jufte valeur. Les glandes & les vaiffeaux
lymphatique. font à préfent bien connus
& ont été décrits par de: A atomites célèbres ,
tels que Monro , Protffeur à Edimbourg ,
Hunter , William Hew, on , Scheldo , & On
fait que ces vaiffeaux font tous abforbans , &
9. ' ils s'ouvrent dans les cavités & fur les dif
frentes (urfaces du corps human : qu'ils font
les inftrumens d'un grand nombre de métaflafes
& q'ils rempliffent une grande partie des fonc
tous les plus aportantes attribuées au tiffu cel
lulaire.
b 4
( 32 )
En appliquant ces connoiffances pofitives à
la pratique de notre Art on fubftituera des
idées exactes à la théorie vague , & aux expreflions
indéterminées que l'on a adoptées jufqu'ici
.
Ce Prix , fera diftribué dans la Séance publique
du Carême 1789. La Société a cru èe
délai néceffaire pour donner aux Auteurs le tems
que ce travail exige. Les Mémoires feront remis
avant le premier Janvier 1789 , ce terme eft de
rigueur.
La Société propoſe pour ſujet d'un Prix de la
valeur de 600 livres , la queſtion fuivante :
Rechercher quelles font les caufes de la Maladie
Aphteufe , connue fous les noms de MUGUET
MILLET , BLANCHET , à laquelle les enfans
font fujers , fur- tout lorfqu'ils font réunis dans les
Hôpitaux , depuis le premier jufqu'au troisieme ou
quatrieme mois de leur naffance ; quels en font
les Symptoms , quelle en eft la nature , & quel
doit en être le traitement , foit préſervatif ; foit
curatif?
Il eft intéreffant de réunir les connoiffances
acquifes fur cette maladie dans les grandes Villes
, foit du Royaume , foit des Pays Etrangers ;
d'en comparer entr'elles les diverfes nuances , &
d'en connoître les variétés .
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publi
que de la Fête de Saint Louis 1787 , & les
Mémoires feront remis avant le premier Mai de
la même année .
La Société propoſe , pour fujet d'un Prix de
la valeur de 600 livres , le Programme fuivant
:
Déterminer quelles font les circonftances les plus
favor bles au développement du vice Jerophuleux
& rechercher , quels font les moyens , foit diésé(
33 )
riques , foit médicinaux , d'en retarder les progrès ;
d'en diminuer l'intenfire & de prévenir les maladies
fecondaires dont ce vice peut être la caufe
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publi
-que du Carême 1788 , & les Mémoires feront
remis avant le premier Janvier de la même
année,
La Société propoſe , pour ſujet d'un quatrieme
Prix , de la valeur de 400 livres , la
queftion fuivante :
Déterminer quelles font , relativement à la température
de la faifon , & à la nature du climat ,
les précautions à prendre pour conferver la Santé
d'une Armée vers la fin de l'hyver , & dans les
premiers mois de la campagne ; à quell's maladies
les troupes font les plus expofées & cette époque
& quels font les meilleurs moyens de traiter & de
prévenir ces maladies ?
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publique
de la Fête de Saint Louis 1787 , & les
Mémoires feront envoyés avant le premier Mai
de la même année .
Les Mémoires qui concourront à ces Prix , feront
adreffés francs de port à M. VICQ- D'AZYR,
Secrétaire perpétuel de la Société , rue des petits
Auguftins n . 2 avec des billets cachetés contenant
le nom de l'Auteur & la même épigraphe que
le Mémoire.
La Société invite les Médecins , les Chirur
giens , & en général les Phyficiens à lui adreffer
des mémoires fur la Topographie médicale
des lieux qu'ils habitent. Les intentions du Roi ,
notifiées à la Société Royale de Médecine , par
M. le Contrôleur - Général des Finances , dans
une lettre en date du 14 Septemb . 1785 , font
que la Société Royale fuive avec la plus grande
activité des recherches qui doivent fervir à la
bs
( 34 ).
rédaction de la Topographie médicale du Royaume
. La S ciété continuera de diftribuer des
Prix aux Auteurs des meilleurs Mémoires envoyés
fur ce fujet. ·
La Société croit devoir rappeller ici la fuite
des recherches qu'elle a commencées ; 10. Sur
la météorologie ; 20. fur les eux minérales &
médicinales ; 30, fur les maladies des Artilans ;
40. fur les maladies des Beftiaux . Elle efpere
que les Médecins & Phyficiens Régnicoles &
Etrangers vendront bien concourir à ces travaux
utiles qui feront continués pendant un
nombre d'années fuffiant pour leur exécution .
La Compagnie fera dans fes Séances publiques
une merion. honorable des obfervations qui
lui auront été envoyées , & ele diftribuera ,
comme elle a fait jufqu'ici , des Médailles de
différente valeur aux Auteurs des Mémoires
qui feront jugés les meilleurs fur ces différentes
matieres.
1 Dans cette même Séance , on a fait les
lectures fuivantes.
M. De perrieres a lu des obfervations fur la
maladie appellée Danfe de St Guy.
M. de Laporte a lu, des réflexions rédigées avec
M. Vicq d'Azyr , für le plan que la Société doir
fuivre dans la rédaction générale des obfervations
qui lui font adrefiées fer les épidémies.
Le Secrétaire a lu des notices fur la Vie &
les Ouvrages de MM. Alexandre , Diaunyere ,
Defmery Rofe & Darlue , affociés régnicoles
& correfpondans de la Société .
M. Chamfera a lu des obfervations fur la nyé-'
tal opie ou aveuglement de nuit.
M. Fourcroy a lu un mémoire fur l'analyse des '
eaux minérales d'Enghien , & fur celle des eaux
minérales fulphureufes en général,
( 35 )
M. Vicq d'Azyr , Secrétaire perpétuel , a terminé
la féance par la lecture de 1 Eloge de M.
Van- doerveren , Profeffeur de Médecine à Leyde
, Affocié étranger.
Dès le premier Avril prochain , chez le fieur
Le Clerc , Baigneur diftingué dans fon art , &
nos connu par l'invention des baignoires méchaniques
: on trouvera des bains de Barrège ,
de Balarue , de Piombières , de Bagnères ; tous
approuvés de la Faculté de Médecine . L'on aura
foin d'avertir la veille , pour qu'on ait le tems
de foigner la compofition de ces bains , de
maniere à leur conferver toute leur efficacit .
Les attentions , l'exactitude & la propriété des
bains adminiftrés par le fieur Le Clerc , rue Pierre
Sarrafin , font trop connues , pour qu'on ait befoin
d'infifter fur cet objet .
Les Feuilles de Flandres viennent d'imprimer
une Correfpon lance entre Mr. de
Montgolfier & le feur Blanchard. Le nom
du premier & l'attention que l'on doit à
toutes fes idées fur l'aeroftatique , nous dé-.
termine à publier ces deux lettres .
J'ai lu avec le plus grand plaifir dans les Papiers
publics , & notamment dans le Courier de
l'Europe , que vous avez trouvé le moyen de
perfectionner votre fublime découverte , en di--
rigeant à volonté votre courfe dans le fluide
éthéré , & que le Gouvernement vient à l'appui
de vos travaux . Je fu's bien en chanté , Monfieur ,
que vous ayez réfola le problême dont je m'cccupe
ardemment depuis fi long- temps . Si en faveur
de mon zele , vous voulez bien m'accorder
u ne olace dans Voiture projettée , je ferai très-
Alatré d'y opérer fous vos ordres. J'ai l'honneur
d'être , &c.
b 6
( 36 )
1
Réponse de M. de Montgolfier , Annonay le
4 Mars 1786.
MONSIEUR ,
Comme depuis long - temps vous fixez l'attention
du Public , & occupez les Journaux de
vos fuccès , perfonne n'eft plus que vous dans le
cas d'éprouver combien l'on doit peu compter fur
l'exactitude des nouvelles qu'ils donnent , & fur
les annonces qu'ils font , lorfqu'elles ne font
avouées par perfonne , mi autorisées par aucune
fignature. La nouvelle que vous avez recueillie
dans les Papiers publics étrangers , en offre une
nouvelle preuve ; il est vrai que je n'ai pas abandonné
une découverte que je crois avantageufe ,
& que je n'ai pas perdu l'efpoir de la voir devenir
un jour utile ; mais je fuis las d'y confacrer
ma fortune , il n'y a que des événemens impréyus
qui puiffent me procurer l'avantage de réalifer
mes espérances . Je fuis bien reconnoiffant ,
Monfieur , de vos offres obligeantes , je ne dois.
les attribuer qu'à votre zele : un nouveau fuccès
n'ajouteroit rien à votre gloire . J'ai l'honneur
d'être , &c.
" PAY S- B A S.
DB BRUXELLES , le 25 Mars.
Les Etats de Hollande & Weſtfriſe font
affembles depuis quelques jours , pour délibérer
, à ce qu'on préfume , fur la reddition
du commandement de la Haye au Stathouder.
La ville d'Amfterdam a pris une réfolution
qu'on dit conforme aux defirs de Son
Alteffe Séréniffime à ce fujet ; mais avec des
reftrictions qui ne le feroient gueres. Le
Prince d'Orange ne rentreroit dans ce com(
37 )
mandement , fuivant le voeu de la Régence
d'Amfterdam , qu'en laiffant aux Etats la liberté
de révoquer , de fufpendre , d'abolir
même ce pouvoir momentané . Le Stathouder
au contraire le regardant comme l'exercice
de les dignités inamovibles , il eft apparent
qu'il fe refuferoit à tout tempérament
qui tendroit à en dénaturer les fondemens .
D'un autre côté , la fituation des affaires
à Utrecht empire de plus en plus . On fe
rappelle que l'année derniere , une partie des
habitans tumultueufement attroupés s'étant
emparés de l'Hôtel - de - Ville , forcerent les
Magiftrats affemblés de violer leur ferment,
au Réglement de Régence de la Province.
La Magiftrature d'Utrecht vient de rendre
& de publier une Déclaration , par laquelle
elle regarde fa réfolution du 20 Décembre
dernier , comme extorquée par la violence ,
& fon ferment comme facré , tant que les
Etats de la Province ne l'en auront pas dé .
gagée ; en conféquence elle perfifte à retufer
abfolument le nouveau ferment exigé d'elle ,
& qu'elle devoit prêter le 20 de ce mois.
Suite du précis des opérations de la Banque de
Saint-Charles.
«Dans les premiers momens de cette révolution,
la Direction eut égard aux différentes maifons de
commerce qui en pouvoient être les victimes , &
avec l'agrément du Miniftere , & la faculté qui
Jui étoit réservée par la dernière affemblée générale
, elle accorda un prêt de 20,000,000 de
réaux fur le dépôt d'actions entre les mains des
( 38 )
fieurs Lecouteulx de Paris , à ra fon de ciny pour
cent d'intérê , & fous condition que les propriétaires
d'actions rembourleroient la inque a 15
Février 1786 , ou qu'ils lui abandonneroin : les
actions au prix fixé par cette afíemblée générale
. Ce fecours fut infuffifant par un effet des
melées ſecrettes & puittantes que l'on faifoit pour
décréditer les actions de la banque. Etrange combinaison
! Les François ont attendu qu'il fût en ré
chez eux un grand nombre d'actions à un prix
exhorbitant , pour enfuite les décréditer ; ils ont
provoqué des pertes proportionnées au prix que :
ces actions leur avoient coûté . N'eft - il pas également
inconcevable que les actions de la banque
fe foient mieux vendues à trois cents lieues chez
l'Etranger , qu'à Madrid même où fe paient les
dividendes fins frais & fans embarras ? Ce phénomène
cft auffi étonnant encommerce que l'autre
l'eft en politique ».
» Il en a coûté aux Etrangers environ douze
millions de réaux qui ont paffé au bénéfice de
l'Espagne , bénéfice fans exemple chez elle depuis
trois fecles ».
« La Direction ne prétend pas fe faire un mérite
de cet événement. Le Public eft témoin
qu'elle a d'abord hauffé les actions au plus haut
prix dont elles étoient fufce ptibles , dans la vue
de refroidir les joueurs ét rangers , & qu'enfuite
elle a cherché à les aider dans leur
malheur.
Les différentes augmentations dans le prix des ,
actions ont donné un bénéfice total de 221,398,000
réaux , dont 210,000 50 0 ont été convertis en
actions de la Compagnie des Philippines , de forte
que la Banque a placé dans cet établiſſement une
fomme qui équivaur à fept pour cent de fon capital
, ou à 140 réaux par action .
( 39 )
Dans l'intervalle , la Dir.ation , toujours occu->
pie du bien public , ayant formé le projet d'un
ca al de navigation depuis Gualda ama "jufqu'à
l'Océan , follicita par une reprétentation au Roi ,
du 7 Mai 1785 , de faire les nivellemens néceffairspurner
les plans de ce canal .
Voici en peu de mot , le projet de ce canal , tel
qu'il eft placé dans cette repréfentation : « Cel
froit de continuer le canal de Monzanares , commencé
à Madrid , près du pont de Tolede , nonfeulement
jufqu'a Aranjuez , mais jufqu'à la montagne
de Guaddarama , en y verfant les eaux de
la riviere qui porte ce nom ».
« En achevant , d'un autre côté , le canal de
Caftille , & remontan, la riviere de
jqu'au pied de la côte appellée del ..
del Coloso , on établiroit une navigation réglée
le fond de la Caftile , dins un espace de plus de
foixante lieue , avec un portage par terre de trois
lieues flament » .
« Etant parvenu àjo`nde le canal de Guaddarama
avec le canal de Madrid , o continuera ce
dernier ve s Aranjuez jusqu'au Tage , à l'endroit
cù il reçoit le Xiromi ».
« Comme il exiſt à Aranjuez des eaux courantes
, il feroit poffible de prolonger le canal
jufqu'au palais , fi on le jugeoit à propos , & de
le faire rabattre enfuite près de Villem fjor , hà
l'endroit où les eaux de la Guardia Tiembleque
& le fan& uaire del Valle te jettent dans le
Tage.
1
Mais ces eaux étant fur un terrein trop bas
pour qu'on put les diriger également vers le
Tage ou la Guadiana , on fe ménageroit alors les
ruilfeaux de la Haure Manche , que l'on conduiroit
aisément dans ces deux fleuves , & qui faci
literoient la navigation de la vallée du Tage àª
( 40 )
celle de la Guadiana , & jufqu'aux eaux de Xavalon
, qui pourroient auffi le verfer dans la Gua
diana , ou dans le Guadalquivir . Telle feroit la
navigation qu'on pourroit établir jufqu'à Séville
, c'est-à- dire depuis Guadarrama jufqu'à
l'Océan »,
D. Carlos le Maur & fes fils furent chargés de
tracer les plans depuis Guadarrama jufqu'à Ef
perlui , attendu que ceux depuis Efperlui jufqu'à
Séville avoient été levés précédemment par cet
Officier. Ces plans furent achevés en trois mois ;
la mort inattendue de cet habile Ingénieur a dés
rangé les projets de la Direction.
Elle regarde comme un devoir facré l'obligation
d'indemnifer fes quatre fils d'un travail
utile à la Nation . D'ailleurs les plans du canal
deviendront par ce moyen la propriété de la
Banque , qui fera vraisemblablement dédommagée
par la fuite de la modique rétribution que
les Actionnaires confacreront à cet objet.
Direction du virement.
La Caiffe d'Efcompte de Cadix , pendant les
fept mois qui le font écoulés depuis ſon établiſ
fement , a produit 1,488,094 réaux 23 maravedis
, ou deux 96 centiemes pour cent de fon
capital , y compris la commiffion. Ce bénéfice
ne juftifie pas encore fon utilité relativement à la
Banque ; mais on ne fauroit nier les avantages
que le Public en a retiré par la modération de
l'intérêt de l'argent.
La Banque a exporté du Royaume pendant
cette année 20,072,928 & demi piaftres fortes . Le
droit d'indult payé au fifc pour cette fomme s'eft
monté à 16,058,342 réaux , & la Banque a retiré
de cette opération un bénéfice de 11,883,656 :
réaux 23 maravedis. Pendant les vinge- neuf:
années depuis 1754 jufqu'en 1783 , l'indult a
( 42 )
produit , année commune , 3,087,074 réaux , &´
l'année la plus abon iante n'a donné que 6,448,250
réaux ; ce fait eft prouvé par l'état n°. 3 tiré de
l'adminiftration des douanes. Depuis deux ans que
la Banque a le privilege de l'exportation des
piaftres , elle a payé pour l'indult 31,537,542
réaux ou plus du tiers du produit des vingt- neuf
années.
Les Actionnaires ont fait cette année fur le
change un bénéfice de 3 huit centiemes , tandis
que l'année derniere il n'avoit produit que 191
centiemes pour cent . Cette différence provient du
rétabliffement au pair du prix des effets royaux ,
& des économies que la Banque a faites dans dif
férentes parties de fon adminiſtration .
Quelqu'étrange que puiffe paroître cet aveu
aux yeux des Actionnaires , la Direction croit
devoir expofer à l'affemblée que la Banque doitdiminuer
le prix de l'exportation des piaftres , qui
eft de 3 pour cent , attendu qu'elle doit feutement
avoir dans cette opération la préférence fur
les particuliers.
Les obligations de la Couronne en pays étrangersfe
font montées à 25,316,443 réaux 6 maravedis
, & la commiffion de cette fomme a produit
par conséquent à la banque une fomme de 253,164
réaux 14 maraved s .
Les lettres-de-change qu'elle a données fur Ca
dix & les autres places du Royaume , font mɔntées
à a05,851,070 réaux 24 maravedis , & le
bénéfice de la banque a été de 1,411,904 réaux
5 maravelis.
L'efcompte des lettres - de- change a produit.
1,160,519 réaux 18 maravedis fur un capital de
146,027, c92 réaux 2 maravedis.
Les Dire&eurs doivent expofer à la Junte le
préjudice que la banque éprouve fur cette partie
(
42 )
l'escompte étant au même taux que l'intérêt des
billets royaux , cette opération entiérement gratuite
de fa part lui caure en ou re des frais de
bureaux , &c . en confiq e ce elle opine pour
que letaux de l'e compte folt at gmemé d'un demi
Pour cent.
Di- dion de fourniture.
La fixe avoit tai. Fainée derniere une économie
de 1,137,781 réaux fur l'approvifionnement
de l'armée . La ftrilité de la derniere récole
ui a caufe cette année une différence à fon
défavantag de 6,344,627 réaux 13 maravedis ,
ou de 4 maravedis to centiems par ration de
pain ; de 6 reaux 18 maraved.spar fanegue d'orge,
& de 3 maravedis 58 centiemes par arrobe de
paill , attendu que l'approvifionnement a été de
18,778,042 rations de pain , de 611,471 fanegues
un céléin trois quarts d'orge , & de 32,626 arrobes
d . foin.
fur-
Si la Direct'on s'eft engagée à faire les approvifionnemens
a meil ur marché que les particuliers
, ce n'a été que fur un ceriain nombre
dannées l'une portant l'autre , & jamais elle n'a
prétendu furmonter la ftérilité des récoltes ,
tout étant encore deftituée des facilités pour le
proluit & la confervation des grains ; ce n'eft
dene que quand les greniers qu'elle fait conf
truire feront achevés , & lorfqu'elle aura joui
des avan ages de deux récoltes abondantes
que l'on pourra juger de fon adminiftration .
L'approvifionnenien: de la marine a produit au
fic une économie de 963,866 réaux 10 mura-`
vedis .
La fourniture des clouteries & dis mâtures eft
montée à 10,863,036 réaux 4 maravedis , & la
Banque a fait en faveur du fifc une économie
de 3 378,489 réaux s maravedis.
( 43 )
L'approvisionnement des Prefides eft mon: é
cerre année à 477,274 éx 22 marevedis ;
mais quoique la Banqueait lieu de prefumer que
cette partie eft a affi à l'avantage du fifc , elle n'a
pas encore pu faire les comptes néceffaires pour
s'en allurer.
La partie des habillemens n'est pas encore vérifiée
, attendu l'extrême complication des détails
qui s'offrert toujours dans une entreprise encore
dans ton enfance.
L'ét n °. 2 préfente le tableaa des bénéfices
de tous genres que la Basque a fairs pendant
l'année , tels qu'on vient de les détailler , & l'état
no. 4 , le tot Ides benéfices que la Banque a don
nés tant à fes actionnaires qu'au fifc . La Direction
fe propofede préſenter tous les ans ce tableau intéreffant
, qui prouve mieux que tout autre l'uti
lité de cet établiſſement.
Refultat des opérations de la Banque.
Les 150,000 actions qui conftiruent le capital
de la Banque ont toutes été remplies , à Fexception
de 11c placées aux Indes , & dont le montant
viendra par les premiers vaiſeaux . Ainfi les
actions qui concourront au dividende actuel font
au nombre de 148,894 formant un capital de
297,788,00réaux .
Les bénéfices de la Banque montent à la fomme
de 48,346,665 réaux 18 maravedis ou à 16 dixhuit
cen iemes pour cent de fon capital . Un coupd'oeil
fur l'état n ° . 1 qui préfène le bilan de la
banque de 30 Novembre 1785 , fera voir la recerte
& l'emploi de ces fommes. >
Mais celle de 21,000,000 réaux , ou de 149
réaux par action , ayant été placée dans les fonds
de la Compagnie des Philippines , le capital du
dividende en de 27,346,665 réaux , & il revient
á chacune des 148,894 actions copartageantes
( 44 )
dix- huit centiemes pour cent , ou 183 réaux de
veillon.
Les maravedis du furplus de chaque dividende
Forment une fomme de 99,073 réaux 18 mara
vedis , que l'on diftribuera felon l'ufage à de pau
vres Artifans & Laboureurs.
Le Secretaire ayant achevé la lecture de la relation
, la Junte paffa neuf arrêtés dont voici les
plus impotsans.
1º. Arrêté qu'à l'avenir la Direction aura la
faculté de prêter aux actionnaires jufqu'à la con
currence de 500 réaux feulement par action .
2°. Que conformément à l'arrangement pris
par la Direction avec les propriétaires des actions
déposées entre les mains des fieursLecouteux
de Paris, les actions feront payées par la Ban
que au prix de 2200 réaux paraction ( le dividende
actuel devant être retenu à fon profit ) à tous ceux
qui préféreront les lui vendre lors du rembourfe
ment qu'ils auront à faire au 15 Février 1786 .
4. La Junte générale vote une fommet de
100,000 réaux , pour être deftinée à récompen
fer les fils de D. Carlos le Maur , des travaux
qu'ils ont faits avec leur pere relativement au
canal de Guaddarama.
1
5. Afin de faciliter le commerce & de mettre
les Fabricans en état d'acheter en leur tems les
matieres premieres , & de les payer enfuite avec
le produ't de leurs Manufactures , les billets à ordre
feront admis à fix mois d'échéance , & avec deux
fignatures feulement , dont l'une devra être d'un
Négociant accrédité.
6°. Le prix de l'eſcompte , qui eft à Madrid &
à Cadix de 4 & pour cent , fera augmenté d'un
demi pour cent , afin de dédommager la Banque
des frais de bureau , & c.
Les autres arrétés font relatifs à des détails qui
(( 45 )
concernentuniquement l'adminiftration intérieure
de la Banque.
S. M. a approuvé les arrêtés de la Junte générale
, & a nommé pour Directeur des fournitures
le Marquis de las Hormazas,
La fin à l'ordinaire prochain .
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
ככ
« Une autre nouvelle affez importante , fi
elle fe vérifie , c'eft que la République de
Gênes offre le Port de Spécie ou la Spezzia
a à l'Impératrice de Ruffie , qui depuis longtemps
en cherche un , dont elle paille librement
difpofer dans la Mediterranée. L'on
fçait , que les ci - devan : Juites ont fait bâtir
dans ce Port un vafte & magnifique Edifice
qui en occupe tout l'efpace. Il étoit deftiné
fous le Pontificat de Clément XIII , à fervir
de refuge aux Jéfuites , expulfés de Portugal ,
» de France , & d'Espagne , & il leur auroit
donné la facilité de correfpondre avec leurs
» Miffionnaires du Levant . Cette circonftance
fait foupçonner , que les Jéfuites de Ruffie
auront engagé leurs Confreres d'Italie à folliciter
la République de Gênes de céder à leur
Augufte Protectrice le Port de la Spezzia ,
» dans l'espérance d'en tirer eux - mêmes leur
profit ». ( Idem . )
Des Lettres de l'Ile de Corfou , en date du
>> 5 Février , nous donnent la fâcheuse nouvelle
» d'un Tremblement de terre qui fe ferait fait
fentir vivement dans cette Ile . La campagne
a fouffert des dommages confidérables , & une
partie de la Ville a été détruite . Il a péri fous
les décombres des édifices , cent vingt perfon•
( 46 )
» nes : mais le rombre des bleffés eſt encore plus
grand . Le Gouverneur avoit eu baucoup de
» peire, de s'échapper dars une chaloupe avec
2 toure a famille & fes domefiques . L'Hôtel du
» Gouvernement a été englou i . On apprend que
> ce Tremblement de terre s'étoit fait fentir aufli
aux If´s de Ste . Maure & d'Argos ; y a caufé.
auth beaucoup de dommagé , mais en n'en a pas
» encore une relation circonilanciée ». ( Gazette
d'Amfterdam , No. 22 .
Caufe extraite du Journal des Caufes célébres ( 1 ) .
Concubine condamnée , depuis peu , pour avoir volé
la fucceffion d'un homme avec lequel elle v.voit .
Le feur Merle , après avoir été marié quelques
années , vivost avec fe femme dans la plus grande
indifference , lo que celle - ci prit à fon fervice ,
en qualité de cu finiere , une jure fi le noinmée
Sufann Funel , Le feur Merle ne fut pas longtems
fans former le projet de orrompre cette fille.
Il fir des propofitions qui furent acceptées , & ,
depuis ce moment , le maître & la fervante vécu .
rent dans un commerce criminel. Pour éviter les
reproches d'une épouse inflement irritée , le figur
Merle couvroit du voile le plus épais la conduite
avec fa trvante ; mais la mort de fon époute le
délivra de cete contrainte . Il quitra auffi tôt fon
pays , & vint le fixer dans la capitale , où il con-
[1] Le Bureau de ce Journal oft actuellement rue du
Théâtre François , la derniere parte cochere près la Place .
chez M. Desparts , Avocat , & chez Mérigot le jeune ,
Libraire , Cuai des Auguflins. Piix , 18 liv, pour Paris ,
& 4 iv pour la Province .
( 47 )
duifit fa concubine. Ifo'é avec elle , n'entretenant
aucunes relations avec fa famille , il vivoit publiquement
avec la compagne de fa débauche . Il paroît
que cette fille avoit acqu's for fon esprit le
plus grand afcendant ; car il l'avoit comblée de
bienfairs , Comme il étoit attaqué d'une maladie
mortelle , il lui avoit fait un legs par fon vella,
ment , qui auroit dû lui faire reſpecter les droits
de la famille ; mais l'avidité eft difficile à fatisfaire.
Le fieur Merle eft mort des suites de la maladie
dont il étoit attaqué. Susanne Funel , au
lieu de donner des larmes à la mémoire de fon
bienfaiteur , s'eft occupée , le jour de fon décès ,
dans le tems même que fon cadavre étoit encore
fous fes yeux , d'exécuter le projet de s'emparer
des objets les plus précieux de fa fucceffion. En
effet , elle a été accufée d'avoir enlevé plufieurs
facs d'argent , pris 12 billets de la caiffe d'ef
compte , dont fept noirs & cinq rouges ; trois
effets fur des particuliers , montant à 1500 livres,
en annonçant qu'elle s'arrangeroit avec les débiteurs
, & que , s'ils ne vouloient pas payer , elle
les jetteroit au fen ; d'avoir été le lendemain chez
un orfevre , pour y faire mentre fur des couverts
que le fieur Merle avoit achetés récemment , la
marque d'elle Funel ; d'avoir été , dans les premiers
jours du décès du fieur Merle , dans diffé
rens bureaux , pour y changer de l'argent contre
des louis d'or , qu'elle a pay és jufqu'à 6 fols & 8
fols par lonis ; enfin , de s'être emparée d'un habit.
de velours & de linge qu'elle avoit démarqué &
marqué à ſon nom .
Pour réparation de ces délits , par fentence du
23 juillet 1784 , le châ elet avoit condamné Sufanne
Funel à être bannis pendant cinq ans , &
avoit ordonné que les effets déposés au greffe feroient
délivrés à l'héritiere da fieur Merle.
( 48 )
Sur l'appel de cette fentence , le parlement ;
par arrêt du 26 octobre 1785 , pour les cas réfultans
du procès , a condamné Sufanne Funel à être
battue & fuftigée nue de verges , par l'exécuteur
de la haute-juftice , dans tous les lieux & carrefours
accoutumés de la ville de Paris , & en l'un
d'iceux flétrie d'un fer chaud en forme de la lettre
V. fur l'épaule droite , par ledit exécuteur ;
ce fait , menée & conduite en la maifon de force
de l'hôpital de la Salpêtriere, pour y être détenue
& renfermée pendant le tems & espace de neuf
ans ; lui fait défenſe de ſe retirer en aucun cas`,
même après le tems de fa condamnation expiré,
dans ladite ville de Paris , fauxbourgs & banlieue
d'icelle , ni à la fuite de la cour , fous les peines
portées par les déclarations du roi ; a condamné
ladite Sufanne Funel , & par corps , à reftituer à
la veuve Roffignol la fomme de 10 oco fivres ; a
ordonné que les mentre , bagues & autres effets
détaillés aux procès - verbaux de faifie & revendication
, des 8 & 19 mai 1784 , enſemble la clef
d'une malle étant chez Bertinot , exécuteur teftamentaire
de Barthélemi Merle , ( tous lefdits effets
& clef déposés au greffe criminel du Châtelet
, ) feroient remis à ladite veuve Roffignol
qui s'en chargera pour les faire ajouter à l'inven
taire fait après le décès dudit Merle; à faire ladite
remife tous greffiers dépofitaires feront contrainte
; quoi faifant , décharges : a déclaré nul
& de nul effet le legs fait à ladite Sufanne Funel ,
tant en effets que deniers comptans , par le teſtament
dudit Merle , du 30 ſeptembre 1783 : a
condamné ladite Sufanne Funel en 1200 livres
de dommages- intérêts , par forme de réparation
civile , envers ladite veave Roffignol , & en outre
en tous les dépens du procès , faits tant au châtebet
qu'en la cour.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 12 Mars.
Lil regne des vents orageux de l'Eft, & le
Sund charie des glaçons. Depuis plufieurs
jours les paquebots ne peuvent plus mettre
en mer. Le thermométre de Réaumur eft à
13 degrés & demi au- deffous de zéro .
Le Tribunal fuprême de Copenhague a
condamné l'ancien Caiffier de la Compagnie
d'Afie à la reftitution de 575,000 rixdaters ,.
fomme qui manquoit à la caiffe. Les biens
de ce caiffier & ceux des autres perfonnes
impliquées dans cette affaire ne montent
qu'à environ 275,000 rixdalers . Les Actionnaires
prétendent que les Directeurs font tenus
de completter de leurs biens la fomme
principale du déficit ; ceux- ci s'y refuſent ;
mais on efpere que l'affaire fe terminera entre
eux par un accommodement.
No.
14 , 8 Avril 1786. C
( 50 )
Le fort de la Compagnie de la Baltique
n'eft pas encore décidé . On préfume qu'il le
fera dans l'affemblée générale des Actionnaires
qui doit avoir lieu au mois de Mai
prochain , ou plutôt , la pofition de cette
Compagnie étant très - critique,
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 26 Mars
La difgrace du Grand - Vifir , à ce qu'on
apprend de Conftantinople , a été fuivie immédiatement
de la dépofition du Muphti.
Jufqu'à préfent ces changemens n'ont été
accompagnés d'aucunes fcenes fanguinairés
; preuve du peu d'importance des Minif
tres congédiés. Le Vifir , Schahim - Aly Pacha
, outre le Gouvernement d'Oczakow
qu'il avoit occupé , & qui lui eft rendu , a
obtenu du Grand- Seigneur le commandement
en chef des troupes de la Beffarabie :
on lui a laiffé jufqu'aux Préfens qu'il tenoit
de la munificence du Sultan , qui , dans fon
Hati Cherif a donné des éloges à la droiture
du Miniftre renvoié. Son fucceffeur Yuffuf-
Pacha n'étoit point encore arrivé de fon
Gouvernement de Morée , à la date des précédentes
nouvelles . Les Courtifans pour qui
un nouveau regne et toujours le texte d'un
panégyrique , célebrent les talens d'Yuffuf-
Pacha ; mais la voix publique eft très éloignée
de confirmer ce jugement intéreſſé.
Une autre lettre particuliere de Conftantinople
, en date du 17 Février , s'exprime
ainfi :
Le Miniftre de Ruffie a des conférences plus
fréquentes avec le Miniftere Ottoman qu'il n'en a
jamais eues il n'eft plus douteux que ces conférences
n'aient pour objet les troubles toujours
croifans entre les Tartares & les Georgiens.
Ceux - ci , comme l'on fait, font fous la protection
immédiate de la Ruffie ; l'Impératrice ne voulant
pas hafarder une guerre ouverte avec les Tartares
retranchés dans les montagnes du Caucaſe , &
formidables par leur nombre , paroît exiger que
la Porte fe joigne à elle , pour faire de concert
la guerre à des peuples qui agiffent visiblement
en faveur de l'Empire du Croiffant . On affure
que le Miniftre Ruffe à Conftantinople infile
fortement pour qu'au moins le Gouvernement
refufe abfolument tout afylé aux Tartates qui
ayant commis des hoftilités contre les Georgiens
, fe retireroient fur les terres de la domination
du Grand - Seigneur , & qu'il leur en défende
rigoureufement l'entrée . L'Internonce de
Vienne paroit appuyer , comme à l'ordinaire ,
les démarches du Miniftre de Ruffie ; mais on ne
peut s'empêcher de remarquer que l'Internor ce
met beaucoup plus de modération & beaucoup
moins de feu dans fes folicitations en faveur de
la Ruffie. La Cour de Vienne qui fe promet avec
raifon des grands avantages de la libre naviga-"
tion de la mer Noire , demanda au Divan , fur
le, ton le plus menaçant , qu'elle fût accordée à
la Ruffie; elle prit le même ton lors de la conceffion
de la Crimée ; mais comme il est très- apparent
que la protection que la Ruffie accorde au
Prince de la Georgie finira par l'acquifition de
C 2
(
cette belle Province en faveur de l'Empire de
Ruflie , l'Empereur peut - être commencé - t-il
à s'appercevoir qu'il ne doit pas tout- à- fait fe prêter
aux vues d'agrandiffement d'une Puiffance
qui pourroit dans la fuite devenir trop formidable
pour la Maifon d'Autriche même. On prévoit
qu'il ne fe décidera rien d'important dans le
Confeil qu'après l'arrivée du nouveau Grand-
Vilir.
Entr'autres particularités débitées fur
l'origine de ce foulevenient en Géorgie , on
diftingue les fuivantes :
Vers le mois de Mai de l'année derniere , un
Berger gardoit fon troupeau au milieu de la
campagne , vers les frontieres de l'Arménie.
Tout-à- coup il voit devant lui un jeune homme
qui l'appelle par ſen nom , lui dit de le fuivre
qu'il ne doit rien craindre pour fon troupeau ,
parce qu'il le laiffe fous la garde d'un Génie fupérieur.
Le Berger fuit le jeune homme qui le
conduit dans un bois épais . Il s'offre à ſa vue un
vieillard vénérable dont la majesté répandoit autour
de lui un grand éclat.
ב כ
Je fuis Mahomet , lui dit- il ; comme mon
peuple s'eft relâché , & fe rend de jour en jour
coupable de mille crimes , j'ai voulu le rendre
» la victime des Infideles : mais compâtiffant
» toujours aux peines des vrais Croyans , je t'ai
appellé & choifi pour être le reftaurateur de
» mon Empire. Préfente - toi au peuple , annonce-
lui la commiffion dont tu es chargé de
ma part. Tous les vrais Fideles s'uniront à
» toi. Si quelqu'un re réfifte , donne - lui la mort.
Ce jeune homme qui t'accompagne , & un
>> autre que j'ai deftiné au même emploi , te fuivront
pat-tout d'une manière inviſible ; tu fetas
appellé le Berger vielorieux.
"
( 53 )
Il dit & difparut. En conféquence de fes ordres,
le Berger s'arrête dans le premier lieu qu'il rencontre
, & annonce au peuple la miffion qu'il
avoit reçue du Prophete. Déja les coeurs étoient
ébranlés , un Aga arrive , l'écoute , & le traite
d'impofteur. Suis - moi , fléchis fous moi , lui dit
audacieufement le Berger ,finon tu mourras L'Aga
vent rire de cette menace , deja il eft mort.
Le peuple furpris , nomme un autre Aga. Sans
être effrayé du fort de fon prédéceffeur , ce nouveau
Magiftrat veut arrêter dans fa naiffance
cette révolte dangereuſe , il meurt à la vue des
alliftans.
A de fi fortes preuves , il n'y a rien à réplia
quer la populace fuit le Berger victorieux ; il fe
forme une petite armée , & va attaquer un village
de la Georgie , défendu par une tour dans laquelle
il y avoit quatre cents Ruffes. Le Berger
fait offrir la vie à tous ceux qui viendront em
braffer la Religion Mufulmane ; deux cents ent
la foibleffe d'y confentir , le refle eft palé au fil
de l'épée.
Le Berger victorieux fe préfente fiérement
devant les trois Bachas de la Georgie , leur fait
part de la miffion , de fes projets , & leur ordonne
de le fuivre & d'unir leurs forces aux fiennes.
Les Bachas répondent qu'ils ne peuvent lui
obéir , puifqu'ils ne font que les Ministres du
Sultan Abdul Hamid , que c'étoit à lui qu'il devoit
s'adreffer, Le Berger qui avoit la force en
main , les contraint d'aller faire leur meffage
eux mêmes.
La réponſe du Sultan fut qu'il devoit communiquer.
cette nouvelle au Grand- Seigneur , pour
ne pas s'expofer lui & toute la famille à une mort
certaine.
C'eft la députation d'Abdul- Hamid qui a ré(
54 )
pandu la confternation dans cette Ville. Comme
le Divan n'a pas jugé à propos d'accorder fa protection
au Berger victorieux , le Public s'eft imaginé
que c'eft à ces refus qu'on doit attribuer les
malheurs de la Famille Impériale. Toute la famille
du Grand- Seigneur doit périr , dit on , & luimême
doit êtrefrappé dans peu.
Déja on raconte que le Berger victorieux eft à
la tête de 40,000 Arabes , & qu'il a défait un
corps confidérable de Ruffes , en faifant mainbaffe
fur tous ceux qui ne veulent point embraffer
la Religion Mahomérane.
Une lettre de Pétersbourg , du 12 Février ,
porte que la femaine précédente les Minif
tres de Fiance & d'Angleterre avoient eu ,
l'un après l'autre , une longue conférence
avec le vice - Chancelier , en préfence des
Confeillers privés Besbarockin & Bakumin .
Depuis , ces Miniftres ont encore conféré
deux fois avec le vice Chancelier & les Secrétaires
d'Etat. On préfume que ces entretiens
avoient pour objet les négociations
relatives aux Traités de commerce. On fait
de plus , que vers la fin de Février , les deux
Miniftres mentionnés plus haut ont expédié
des courriers à leurs Cours refpectives .
DE VIENNE , le 24 Mars.
Un retour de fluxion fur les yeux avoit
ffpendu un moment les occupations de
l'Empereur ; il les a reprifes & fe rend chaque
jour à la Chancellerie. Cette indifpofttion
fembloit préparer des obftacles aux
voyages dont on attribue le projet à S. M. I .;
mais l'on perfifte à dire qu'elle joindra à
( 55 )
Cherfon l'Impératrice de Ruffie. Il faut ce
pendant que le Public & les Gazetiers ne
foient pas fi certains de leur fait , puifque ,
préliminairement ils envoient l'Empereur
faire une promenade à Bude.
Le projet d'élever une digue depuis Nurfdorfjufques
dans cette Capitale , pour arrêter
les débordemens du Danube, a été agréé
par S. M. I. Cet ouvrage coûtera 160 , coo
florins.
Il a été ordonné par des lettres circulaires
à tous les Curés de fe fervir de la langue
Allemande aux baptêmes , aux mariages &
à l'extrême- onction .
Le nommé Zahlheim , emploié à la Chancellerie
, qui après avoir alfaffiné une femme
fa bienfaitrice , à laquelle il avoit promis de
l'époufer , avoit fini par la voler dans fa
mailon , a été rompu vif. On l'a ferré deux
fois avec des tenailles ardentes , en le conduifant
des prifons à l'échafaud . On a obfervé
que c'étoit le premier Arrêt de mort
que l'Empereur ait figné depuis fon regne';
mais cette obfervation n'eft pas jufte , témoin
l'affaire des Valaques .
Le nouvel Hôpital Général de cette Capitale
renferme 62 falles , dans lesquelles fe
trouvent 1488 lits , dont 812 font deftines
pour des hommes , & 676 pour des femmes.
Les deux fexes font féparés ; on eft dans l'ufage
de claffer les maladies , & de diftribuer
en conféquence les malades refpectifs dans
•
C 4
( 96)
diverfes falles. Il y en a deux particulieres
avec 139 lits pour les maladies vénériennes .
Quant à l'adminiftration économique , les
malades font diftribués en 4 claffes ; ceux de
la premiere payent par jour 1 florin , ceux de
la feconde un demi florin , ceux de la troifieme
10 creutzers , & ceux de la quatrieme
font reçus , entretenus & traités gratuitement.
D'après les dernieres Tables de confcription
dans la Hongrie , la population de ce
Royaume monte au- delà de 5 millions d'habitans.
Dans ce nombre on compte quarante
mille Gentilshommes .
DE FRANCFORT , le 29 Mars.
On vient de publier à Manheim une amniftie
générale pour les déferteurs qui retourneront
à leurs Régimens dans l'efpace de fix
mois.
La garniſon de Duffeldorf eft compofée
de 4000 hommes , & elle confifte en 3 Régimens
d'infanterie , chacun de mille hommes
, en un Régiment de Cavalerie de 600
hommes , en 300 artilleurs & en cent chaffeurs.
Il eft certain , écrit on de Vienne , que
l'Archiducheffe Marie - Chriftine a affuré par
une convention à la Maifon d'Autriche l'héritage
de fes capitaux & de tous fes allodiaux
, avec la réſerve cependant de l'ufufruit
pour fon époux , le Duc Albert de
Saxe-Telchen , fi elle venoit à décéder avant
lui.
( 57 )
Selon un papier public eftimé , l'Elecorat
de Baviere renferme 39 villes , 75 bourgs ,
4700 villages , & une population de treize
cent mille ames . Les revenus de cet Electo .
rat y font portés à 6 millions de florins , &
ceux du Palatinat à 4 & demi .
On apprend de Vienne que le Duc Albert
de Saxe - Tefchen & l'Archiducheffe
Chriftine fon époufe partiront de Vienne le
20 de ce mois , pour retourner à Bruxelles ..
La République de Venife , écrit- on de
Vienne , fait acheter dans les Etats hérédi
taires 15000 quintaux de poudre à canon.
On compte , d'après un relevé exact , 61
量
Couvens de Religieux mendians dans la
Baviere & le Haut-Palatinat. Le nombre de
leurs individus monte à 1932. Pour juger
combien ces Moines doivent être onéreux
au pays , il fuffit de rapporter ici des Annales
du fieur Weftenrieder , Auteur Bavarois ,
que la recette des aumônes pendant 1768
monta en argent comptant à 129,299 Aor.
& 58 creuzers ; cet Auteur ajoute que fans
s'écarter de la vérité , on peut évaluer à la
même fomme la recette de leurs collectes en
diverfes efpeces de denrées.
Fin de la Differtation du Baron de Hertzberg
fur la Monarchie Pruffienne.
« La Monarchie Pruffienne , dit l'Auteur , eft
un des pays de l'Europe , ou du moins du Nord ,
qui eft le plus avantageufement fitué pour le
( 58 )
commerce & la navigation . Elle a une côte maa
ritime de quatre-vinges milles d'Allemagne , en
Pomeranie & en Pruffe , le long de la mer Baltique.
Le Souverain de la Pruffe eft maître des
embouchures des trois grandes rivieres qui fe
jettent dans la Baltique , favoir , de l'Oder , de
la Viftule , du Pregel & du Memel , outre un
grand nombre d'autres plus petites rivieres navigables
ou flottables. Il poffede le long de ceite
côte maritime les ports dé Stettin , de Colberg ,
de Dantzig , de Pillau & de Memel , qui font
tous , ou qui peuvent aisément être rendus trèsbons
pour une marine commerçante & militaire,
outre un nombre d'autres petits ports , comme
ceux de Camin , de Treptow , de Rügenwalde
de Stolpe. La grande riviere de l'Oder traverle
en long les principales Provinces pruffiennes , la
Pomeranie , la Marche & la Siléfie dans une
étendue de quatre- vingts milles d'Allemagne
depuis la Baltique jufqu'en Moravie . Cette grande
riviere eft combinée par la Havel & la Sprée , &.
par de bons canaux avec l'Eibe ; & de l'autre
côté avec la Viftule par la Warthe , la Netze , la
Braa & le canal de Netze . Par ce moyen le corps
des Etats pruffiens fitué entre l'Elbe & la Viftule
eft tellement combiné pour la navigation , 'qu'il
peut exporter par l'Oder , par la Viftule , par le
Pregel & par le Memel dans la Baltique , nonfeulement
toutes les productions de Etats Pruffiens
, mais auffi celles de la Pologne & de la
Lithuanie ; qui font un objet peut - être de dix
ou douze millions d'écus par an. Il peut également
exporter par l'Elbe , & par les villes de
Magdebourg & de Hambourg les principales produations
de la Saxe & de la Bohême . Ces pays ,
très - fertiles en eux-mêmes , ne peuvent faire aucun
commerce maritime ni aucune exportation
( 59 )
de mer que par la Monarchie Pruffienre . Ils
peuvent le faire avec un grand avantage pour
eux-mêmes & pour la Pruffe , & le Souverain de
ce Royaume peut tirer de cette fituation le plus
grand parti , pour approprier à fon Eat les principales
branches du commerce du Nord , en favorifant
celui des voifins , & fur - tout le commerce
de la Po'ogne , fur lequel il y a le p'us à gagner,
parce qu'il confifte prefque tout en matieres brutes
& en objets de premiere néceffité , tels que les
grains , les bois & les toiles groffieres , dont les
Nations du Sud ne peuvent pas fe paffer. Je ne
dirai rien ici des grandes rivieres du Wefer , du
Rhin & de l'Ems ; que le Roi ne poffede qu'en
partie , dont il tire un grand profit pour les revenus
, mais qui n'appartiennent pas au corps de
Ja Monarchie Pruffienne , parce qu'ils paffent par
des pays qui font détachés de ce corps , & n'influent
pas immédiatement fur le grand commerce
de la Monarchie Pruffierne , fi ce n'eft par la
communication que la riviere d'Ems & le port
d'Embden peuvent entretenir avec la Baltique
cc« Je crois que ce que je viens d'expofer fuffit
pour prouver que la Monarchie Pruffienne a nonfeulement
déja une bonne agriculture , une
grande industrie nationale , un commerce de
terre & de mer avantageux , & une navigation
étendue ; mais qu'elle peut auffi pouffer tous ces
objets beaucoup plus loin , & à un degré de perfection
plus grand. Si l'on veut fe donner la peine
de récapituler & d'examiner les tableaux , les
calculs & les données que je n'ai fait qu'indiquer
, on comprendra fans peine que la monarchie
Pruffienne doit avoir une balancs de commerce
non-feulernent favorable , mais encore affurée ;
parce que toutes les productions naturelles & arti
ficielles , ainfi que fon exportation , font prefque
сб
60 )
toutes des objets de premiere néceffité , & dont
les Nations du Sud ne peuvent fe paffer , comme
les grains, lesbois , les toilesies & les laineries.
Il ne convient pas , il ne feroit pas même facile de
déterminer au jufte le produit net de la balance du
commerce pruffien ; mais on peut juger aisément
qu'elle doit exifter d'une maniere auffi avantageufe
que décidée , quand on confidere que le
Roi a fontenu quatre guerres longues & coûteufes
qui avoient prefque abîmé fon pays , qu'il a rétabli
fur un pied plus floriffant qu'avant ces guer-
& qu'il a pu deux fois amaffer le tréfor le
plus confidérable qu'aucun Souverain ait jamais
poffédé , fans que le numéraire & fa circulation
aient diminué dans le pays ; mais l'argent y abonde
plutôt , puifque les intérêts font tombés de 6 &
à 4 pour cent , & que le prix des terres a hauffé
extraordinairement ».
res ,
« S'il eft donc vrai , s'il eft prouvé par les
obfervations précédentes , que la Monarchie-
Pruffienne a une population affez grande , proportionnellement
à fon territoire ; qu'elle a une
bonne agriculture & une grande induſtrie ; qu'elle
a une balance de commerce favorable & affurée ;
fi elle eft habitée par une Nation induſtrieufe &
guerrière , qui fe diftingue par un grand caractere.
national , & chez qui l'on ne voit que des fortunes.
médiocres , mais mieux diftribuées pour le bien
de l'Etat que dans la plupart des autres Royaumes ;
fi elle eft défendue par une grande armée & nationale
,fupérieurement difciplinée , tacticienne , &
qui a la réputation d'être la premiere de l'Europe
; fi elle eft gouvernée par un Roi Philofophe
, qui depuis quarante- fix ans eft le modele
des Souverains ; fi elle a les mêmes efpérances de
la part du fucceffeur au trône , cette Monarchie
peut fans vanité briller dans la claffe des premie
( 61 )
res , & prendre une part décidée à la confervation
de l'équilibre de l'Allemagne & de l'Europe. Elle
doit le faire en toute omafion , felon les regles
& les principes d'une politique , grande , fage ,
jufte & généreule , toujours préférable aux appâts
trompeurs d'une politique ambitieufe & intérellée .
mais féductrice dans le fonds . Elle peut le faired'une
maniere avantageufe & décifive avec les
grands avantages de fa population , de fon commerce
, de fon gouvernement civil & militaire ,
& fur- tout par fa pofition locale entre les trois
grandes Puiffances continentales de l'Europe ,
aux extrémités du grand Empire Germanique ,
lequel par fa fituation & par la forme fédérative
de fon gouvernement , eft véritablement créé &
placé par la nature & par la Providence au centre
de l'Europe , pour féparer les grandes Nations
rivales, pour empêcher leurs chocs immédiats &
le bouleversement de l'équilibre général de l'Europe.
Tout obfervateur intelligent & impartial ne
doutera plus , après ce que je viens d'expofer ,
qu'il n'exifte un équilibre particulier en Allemagne
, qui fixe en même-tems celui du Sud & du
Nord ; qu'une Puiffance médiocre , mais qui a
pour elle les avantages du gouvernement & du lo .
cal , eft plus intéreffée & plus propre à conſerver
l'équilibre général & néceffaire en Europe que
de grandes Puiffances , qui ont ordinairement plus
de prétentions & plus de confiance en leurs
forces qu'il ne convient à leurs propres intérêts
& à ceux des autres Nations. Je crois que par
l'enſemble de tout ce que je viens d'expofer & de
déduire ici non par flatterie , mais par des vues
évidentes d'un patriotisme très - pur , chaque
Monarque Pruffien mérite préférablement le
fuffrage & la confiance de toutes les Puiffances
de l'Europe & de tous les Princes d'Allemagne
( 62 )
fur- tout parce qu'il eft de fon intérêt d'être jufle
& le défenfeur de l'équilibre & de la liberté générale
, & qu'il feroit contre fon intérêt & contre
fa prudence de ne pas l'être. Sijamais un Price a
mérité cette confiance générale , ainfi que l'amour
de fes fujets & l'approbation de toutes les Nations
, c'est notre grand Roi , par la conduite civile
, militaire & politique qu'il a tenue pendant
un regne glorieux de quarante - cinq ans , fer - tout
par le rôle généreux & defintereffe dont il s'eft
chargé depuis l'année 1778 , ôle unique dans fon
genre , & peu ufité jufqu'ici aux plus grands Mo
narques ».
ITALI E.
DE NAPLES , le 12 Mars.
Le Roi a nommé le Prince de Caramanico
, ci devant fon Ambaſſadeur à Paris ,
Viceroi de Sicile à la place du Marquis de
Carracciolo.
Le fils du Marquis de C *** vouloit épouser
une jeune perfonne d'une qualité bien inférieure
à la fienne ; mais fon pere , dont il étoit le feul
héritier , s'oppofoit conftamment à ce mariage.
Le jeune homme fentant bien qu'il ne pourroit jamais
contracter une union auffi difproportionnée
réfolut de fe défaire de celui qu'il regardoit co mme
le feel obftacle à fes vues. En conféquence
de concert avec un domeftique , il profita d'un
fouper que fon pere devoit faire avec un de fes
amis , pour empoifonner une bouteille de vin fin
dont il avoit coutume de prendre un petit verre
à la fin de fes repas. Le Marquis de C *** le goûta
( 63 )
en effet ; mais le trouvant beaucoup plus apre
qu'à l'ordinaire , il rejetta auffi tôt ce qu'il en
avoit pris , & gronda fon Officier de ne lui avoir
pas donné fon vin ordinaire . Celui - ci affura qu'l
ne s'étoit point trompé , & que c'étoit abfolument
le même vin qu'il avoit coutume de boire
tous les foirs. Alors l'ai du Marquis en prit à
fon tour dans un petit verre , pour s'affurer fi ce
vin dont il avoit goûté plufieurs fois , n'avoit peint
été changé ; mais à peine en avoit - il avalé quel
ques gorgées , qu'il fentit des douleurs horribles.
Le pere auffi tôt devinant l'attentat , fit venir un
Médecin & fermer fa maifon , pour que les coupables
ne puffent point s'évader . Le jeune hom
me inftruit de cet événement , fauta par la fe
nêtre avec fon complice , & prit la fuite. Les
fecours adminiftrés à temps donnent lieu d'efpérer
que la perfonne empoifonnée ne fera point
victime de cette attentat atroce , quoique fa vie
foit encore en danger .
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 24 Mars.
Le Comité , chargé de l'examen des dé
penfes & des revenus publics , a fini fon
travail. Le 21 , M. Grenville , l'un des Commiffaires
, en préſenta le rapport à la Chambre
des Communes ; & , dans huit jours , à
la demande du Chancelier de l'Echiquier
ce rapport fera pris en confidération .
On affure que ce rapport manifeftera un
excédent confidérable , à appliquer tous les
( 64 )
ans , fous l'autorité du Parlement , en achar
des Actions que les Propriétaires jugeront à
propos de vendre. Voici le plan que l'on
doit fuivre. Après le rapport du Comité
il fera nommé un autre Comité de la Chambre
des Communes , pour délibérer fur l'opération
relative à l'excédant . Ce fecond Comité
, en vertu d'une inftruction publique
ou particuliere , fera chargé de demander
une nouvelle Commiffion fous le grand
Sceau , pour créer & établir un nouveau
Bureau à la Banque , fous la direction de
certains Commiffaires , avec les Commis néceffaires
, &c. C'eft à ce Bureau que s'adrefferont
toutes les perfonnes qui voudront
vendre leurs effets au prix de la place . Les
effets qui rentreront ainfi dans les mains
du Gouvernement diminueront d'autant la
dette nationale . Ce projet donnera matiere
à une infinité d'obfervations ; mais il produi
ra deux effets également falutaires ; le premier
,de maintenir le prix des fonds publics ;
le fecond , de faire hauffer celui des terres.
Dans leur derniere affemblée générale , les
Directeurs de la Banque ont arrêté de prolonger
le paiement de l'emprunt de deux millions fait
par le Gouvernement , fous la condition qu'il
feroit remboursé ſur le pied d'un demi million
par an › & les propriétaires ont approuvé cet
arrêt.
t
Le Préfident de l'affemblée a informé enfuite
les propriétaires que , vu l'accroiffement prodigieux
de la dette nationale , les Directeurs
étoient convenus avec le Miniftre de ne prendre
( 65 )
1
qu'un droit de 450 livres pour chaque million ,
au lien de 562 livres payées jufqu'à préfent pour
les frais de commiffion . Cer arrangement produit
au Gouvernement une épargne de 25000 livres
par an. Les propriétaires ont pareillement approuvé
cette opération.
Il fe trouve actuellement dans les magafins
des Douanes & des Bureaux de l'Accife ,
1,300,000 gallons de liqueurs fpiritueufes ,
faifies en contrebande , depuis l'acte paffé le
10 Octobre 1784.
Les droits que ces liqueurs auroient payés,
fi elles euffent été importées légitimement ,
feroient montés à près de 500,000 liv . fter!.
L'affaire de M. Haftings fait naître toutes
les femaines des digreffions , des débats ir
réguliers , des motions inutiles à l'objet , qui
confument un temps prodigieux en exercices
d'art oratoire. De ce genre , ont été les débats
du 17 ; comme ils avoient pour objet les
négociations de M. Haftings avec l'Empereur
du Mogol , il n'eft pas inutile d'entendre ce
qui fut dit de part & d'autre.
M. Fox ouvrit la fcene par demander la lecture
des arrêtés préliminaires du 28 Mai 1784.
Cette lecture faite , il expofa les principaux
objets de la motion qu'il alloit faire pour établir
; 1 °. La néceffité de la refponfabilité pour
les places qui donnent un grand pouvoir aux
perfonnes qui les occuperont. 2 °. Celle des enquêtes
, fans laquelle la premiere condition devenoit
nulle. 3°. Celle de la production non
moins indifpenfable de tous les titres & papiers
qui doivent fervir de pieces au Procès. Tel
166 )
étoit l'objet des arrêtés du 28 Mai 1784. Le but
du Parlement , en leur donnant ſa ſanction unanime
, avoit été de mettre entre les mains des
Dire&eurs de la Compagnie des Indes l'autorité
néceffaire , pour que leurs ordres ne fuffent peint
méprifés comme ils l'avoient été jusqu'alors
& ces arrêtés avoient été envoyés dans l'Inde ,
pour que les Employés de la Compagnie fuffent
inftruits des conféquences qu'entraîneroit
la contravention à ces ordres . Mais il eft réfulté
de cette loi précifément le contraire de
ce que l'on devoit en attendre. Les Directeurs
ont continué de donner leurs ordres , & leurs
prépofés d'y contrevenir. Il cita un exemple
de cette défobéiffance dans la perfonne de
M. Haflings. « Celui - ci , dit- il , a fait une al-
» liance défenfive avec le grand Mogol , contre
les ordres pofitifs de la Compagnie , & au
mépris d'un acte du Parlement qu'il avoit
fous les yeux. Mais ce n'eft pas tout . Après
s'être rendu conpable d'un délit capital en
contractant celte alliance , il a l'audace de
o la violer , & fait rejetter fur toute la Nation
» au nom de laquelle il étoit cenfé avoir con-
сс
tracé , l'opprobre dont il fe couvre par un
Dattentat auffi révolant contre le droit des
gens & la foi publique ». M. Fox lut à
l'appui de ce fait , quelques paffages d'une Let
tre du Major Brown , l'Agent de M. Haftings ,
à la Cour de Delhi. Il fit fentir combien il
étoit néceffaire pour rétablir l'honneur Britannique
dans l'Inde , de prouver que la Nation
n'a point été complice des horreurs commi'es
en fon nom ; & attaqua enfuite , les Miniftres fur
Te danger de communiquer avec certaines dépêches
, le fecret de leurs opérations . Il réprouva
le fyftême de ménagement & de di(
67 )
rection , comme directement contraire à la Conă
ftitution Britannique , & beaucoup plus propre
à l'outrager qu'à la défendre , en fourniffant
aux Miniftres & à leurs créatures un moyen affuré
, pour fouftraire les attentats les plus énormes
à la vindicte de la loi. Il infifta , fur-tout
à cette occafion , fur ce qu'il ne fût point donné
des pouvoirs plus étendus au nouveau Gouver
neur Général du Bengale , quelque refponfabilité
que l'on affectât d'attacher à cette place ,
expreffion ridicule , & même infultante pour la
Nation , tant que les Miniftres auront le pouvoir
de fouftraire les délinquants aux enquêtes fur
leur conduite. M. Fox termina fon difcours par la
motion fuivante : « Qu'il fût mis fous les yeux
» de la Chambre un extrait des Confultations
du Bengale , du zo Janvier , 1784 , fur tout
» ce qui a quelque trait à une Lettre du Major
Brown , du 7 Septembre 1783 .
M. Pitt nia hautement que le Major Brown
n'eût été en aucune manière autorité par M.
Haftings , à conclure un traité d'alliance avec
Shaw Allure , & affirma que cet Officier avoit
lui-même écrit le contraire dans une autre Lettre.
Quant à la production des papiers demandés
, il continua d'alléguer l'importance du fecret
qui rendait cette communication abfolument
impoffible. M. Sheridan repondit au Minire
, que ce prétexte étoit ridicule , puifque
Madjec Scindra , actuellement en poffeffion du
Mogol , l'étoit auffi du prétendu fecret auquel
on attachoit tant d'importance . Il effaya de prouver
que cette do &rine étoit abfolument nouvelle
au moins dans les affaires de la Compagnie
des Indes & directement contraire à la
Lettre de la Chartre , qui dit expreffement
qu'il n'y aura tien de fecret , dans aucune de
( 68 )
fes opérations. Il cita à l'appui de' cette Loi ,
l'exemple de Lord Clive , qui fubit une enquête
fans qu'on s'avifât de s'y oppofer par
aucun moyen de cette efpece , & enfin celle fur
M. Haftings lui-même , dirigée par M. Dundas ,
& pour laquelle on lui fournit tous les papiers
néceffaires fans aucunes difficultés.
L'honorable Membre ( M. Shéridan ) qui vient
de parler , a traité la queftion de l'Inde d'une maniere
fi extraordinaire , que je ne puis revenir de
mon étonnement. Quoique je ne me fente pas la
force de le fuivre dans fon vol fublime , je n'en
effaierai pas moins , par une expofition fimple &
fidelle des faits , de rendre le fujet qu'il a voulu
traiter , intelligible à la Chambre. Je n'aurai jamais
la préfomption , fans doute , d'entrer en
lice avec cet honorable Membre , lorfqu'il ne
s'agira que de montrer des talens , de faire briller
de l'efprit & de l'adreffe ; mais ne puis - je pas
prétendre , fans vanité à quelque fupériorité tur
lui dans la connoiffance des affaires de l'Inde ,
après un féjour de feize années dans ces contrées
?
A la fuite de toutes ces déclamations contradictoires
, le Major Scott ramena la Chanbre
à la véritable fource de vérité , c'eſt àdire
, aux faits , dont il préſenta l'hiftorique
en ces termes.
Avant de désailler les circonstances des négociations
du Major Brown , qu'il me foit permis
de m'arrêter d'abord fur une fuppofition trèsextraordinaire
, qui fe trouve à la fin du difcours
auquel je réponds , & dont un autre Membre
( M. Fox ) a fait auffi mention dans un débat précédent.
Entr'autres manieres adoptées par ces
Meffieurs , pour rendre raifon de l'offre faite Far
( 69 )
le Major Brown au Gouvernement Britannique
du Bengale , d'affifter le Roi de troupes , ils difent
que cette offre étoit entiérement du goût de M.
Haftings ; & ce qui rend , felon eux , cette offre
fufpe&te , c'eft que ces troupes ne devoient pas'
être commandées par des Officiers anglois. On a
conclu & on a fait clairement entendre à la
Chambre , que dans le tems où cette propofition
vint de la part du Major Brown , M. Haftings
avoit été inftruit de certains événemens qui fe
paffoient en Angleterre, fur- tour du bill de l'Inde
de l'honorable Membre ( M. Fox ) , & qu'il cherchoit
à fe procurer une retraite fûre à Delhi , où
il pût braver la puiffance de la Grande - Bretagne.'
La plus légere attention aux dates fuffit pour détruire
cette accufation. L'offrepour les troupes fut
faite dans le mois d'Octobre 1783 , & ce ne fat
que dans le cours du mois fuivant que le bill fut
préfenté. On ne fuppofera certainement pas que
j'euffe la moindre idée des principaux points de
ce bil, puifque le Chevalier Henri Flether même
qui étoit le Président de la Cour des Directeurs , a
déclaré l'avoir ignoré entiérement jufqu'au moment
qu'il fut propofe à cette Chambse. Ce foupçon
eft abfurde. Dans le mois de Mai 1784 , M.
Haftings avoit été inftruit par moi que le bill avo't
été lu deux fois & mis en comité. Dans fa réponíe
ilm'annonça quel feroit le fort du bill ; il y difoit
expreffément qu'il ne pafferoit point ( Cette
lettre a été lue de plufieurs Membres ). Mais il
ajoutoit que quant à lui , ce bill ne l'affectoit en
aucune maniere , puifque toutes les Puiffances de
la terre ne le retiendroient pas une année de
plus dans l'Inde , à moins qu'on se le revêtît en
Angleterre d'une autorité complette , ce dont il
n'avoit pas la moindre efpérance . M. Haftings tint
parole ; car il fe décida à partir en Février 1783 ,*
( 70 )
17 jours avant que fon fucceffeur eût été nommé
en Angleterre.
Mais admettons pour un inftant que M. Haſtings
reffentant vivement les reproches non mérités
dont on l'accabloit en Europe , pour le récompenfer
d'avoir confervé l'Empire de l'Inde à la
Grande- Bretagne , eût pris la réfolution de réfilter
à ce Bill ; eft- il à fuppofer qu'un plan auffi abfurde
, aufli ridicule , que celui que les deux homorables
Membres lui ont prêté , eût pu entrer
dans fa tête ? Peut - on croire qu'il eût voulu ſe
livrer à la merci de fix miférables bataillons de
Cypayes , fans Officiers Anglois , dans un pays
où il y a eu , pendant les dix dernieres années ,
prefqu'autant d'affaffinats & de révolutions que de
mois dans chaque année ? Il ne faut pas avoir la
moindre connoiffance de l'Inde pour le livrer à
cette idée . Un pareil projet n' uroit pu lui réuffir
qu'en agiffant de concert & dans un parfait accord
avec les Anglois établis dans l'Inde, Mais
M. Haftings à Delhi auroit joui de beaucoup
moins de confidération que M. Haftings à Londres
. D'ailleurs , il n'auroit pas été difficile
à ce Gouverneur de faire cauſe commune avec nos
compatriotes établis dans l'Inde , qui , mécontens
& indignés des traits lancés contre eux pendant
tout le cours des progrès du bill de l'honorable
Membre ( M. Fox ) , & s'attendant à être deſtitués
de leurs emplois par les nouveaux Commiffaires
, au lieu d'être récompenfés des fervices
vraiment importans qu'ils avoient rendus à la
Grande - Bretagne & à la Compagnie , durant la
guerre qui avoit été fi malheureufe par- tout ailleurs
, n'auroient peut être pas refufé de s'unir à
un chef qui étoit univerfellement eftimé , s'il
avoit eu les idées qu'on luiimpute fi gratuitement.
Mais pourquoi s'égarer dans toutes ces vifions
( 71 )
chimériques ? La vérité eft que M. Haftings n'a
voit à coeur que de terminer les affaires de la
Compagnie avec le Vifir , & de s'embarquer pour
fon pays natal.
Je paffe maintenant à l'expofé fimple & exac
des faits , pour répondre à tous les contes ingénieux
que l'honorable Membre nous a débités .
Ce fut le 20 du même mois d'Août 1782 , que
le Major Brown fut nommé par le Gouverneur
général & par le Confeil , & non par M. Haf
tings, Miniftre de la part du Gouvernement Bri
tannique au Mogol . Les inftructions furent données
à M. Haflings , au fu & avec la concurrence
du Confeil. On n'a point conteſté l'utilité de cette
ambaffade. Dans le mois de Mars 1783 , les ré
folutions de la Chambre furent annullées . Dans
le mois d'Octobre de la même année , avant que
le Major Brown eût eu une entrevue avec le Sou
verain du Mogol , Sa Majefté & fon Miniftre firent
propofer au Gouverneur général & au Confeil de
l'affifter de troupes . La paix des Marattes qui
n'avoit pas été ratifiée lorfque le Major Brown
fut député , étoit entiérement terminée à l'époque
de la demande des troupes . M. Haftings recom
manda d'avoir égard à la requête du Roi , mais
le Confeil - Suprême s'y refufa , & l'affaire en
reta là . Il eft néceffaire d'obferver que dans
ce tems , & depuis quelques mois , il y avoit de
très-violentes difputes dans le Confeil , & que
M. Haftings étoit dans la minorité . Ces difputes
continuerent jufqu'à la fin du mois de Décembre,
auquel tems le Bureau confentit à laiffer à M.
Haftings l'adminiftration de la Province d'Oude,
à condition qu'il déchargeroit les Membres du
Confeil de toute refponiabilité ; il y confentit.
Ce fut le 20 Janvier 1784 , que la lettre du Major
Brown , du 30 Décembre 1783 , fut reçue à
( 72 )
Calcutta , & envoyée circulairement aux autres
Membres du Gouvernement. L'affaire d'Oude
Occupoit alors tous les efprits , & deux mois auparavant
le Bureau avoit déclaré vouloir affifter le
Roi. Dix jours après cet événement , M. Haftings
qui étoit alors dans une minorité , quitta Calcutta ,
& fe borna expreflément à l'exécution de l'affaire
dent il étoit chargé , ſavoir , à aider au Vifirà
remettre l'ordre dans fon pays , & à recouvrer les
detres que ce Prince avoit contractées envers la
Compagnie. C'eft donc dans le Confeil de Calcutta
, qui n'étoit pas alors porté pour M. Hafrings
, que réfidoit le pouvoir de rappeller le
Major Brown . Il ne fut cependant pas rappellé.
Au contraire , lui ou le Roi renouvellerent la
même demande de fecours militaires . Dans le
mois de Mai , tandis que M. Haftings étoit occupé
d'arranger les affaires du Nabab Vifir , le Prince
arriva dans le voisinage de Lucknow , & je puis
affurer comme un fait , d'après les affurances folemnelles
de M. Haftings , & de ceux qui étoient
alors avec lui , qu'il ignoroit tout -à - fait la fuite
de ce Prince. Le Gouverneur fit tout ce qui dépendoit
de lui pour l'empêcher d'entrer à Lucknow;
mais n'ayant pu y réuffir , il jugea à propos
de le recevoir d'une maniere conforme à fa dignité
& à fon rang dans l'Indoftan . Sa réponſe au
Prince fut certainement très -fage , & fondée fur
la vérité. Le Roi & fon Miniftre envoyerent enfuite
une ambaffade folemnelle pour demander le
retour du Prince , & le Major Brown fut chargé
d'ordres particuliers de la part du Roi. Soit que
M. Haftings eût raifon ou tort , eft certain qu'il
crut que c'étoit-là le moment favorable d'affifter
le Roi. Il preffa vivement fon Confeil de lui en
accorder le pouvoir. On lui fit un refus péremptoire
, & cette feconde négociation n'alla pas plus
loin,
( 73 )
loin . M. Haflings ne mit jamais dans l'efprit du
Roi ou du Prince , qu'il eût la moindre autorité
pour les affifter , fans en avoir reçu préalablement
la fanction du Confeil- Suprême.
Qu'il me foit encore permis d'obferver que le
voyage de M. Haflings à Lucknow , n'avoit aucune
espece de liaison avec les négociations du
Major Brown. Il y avoit eu de très - vives difputes
à Lucknow entre le Vifir & Hyder - Beg- Cawn
d'un côté , & M. Briftow de l'autre. On en avoit
renvoyé la décision à Calcutta , & l'avis de
M. Haftings à ce fujet , avoit entiérement différé
de celui de fon confeil. Cette diverfité d'opinion
avoit continué depuis le mois de Mai , jufqu'en
Décembre 1783 , temps auquel le Confeil confentit
à céder à l'opinion de M. Haftings , pourvu
qu'il voulût répondre du paiement de la dette
de la Compagnie. Il fe formir à cette condition ,
& fe prépara , d'après l'invitation du Vifir , à fe
rendre à Lucknow. Son offre fut acceptée par le
Bureau , & fes pouvoirs fe bornerent à deux
points ; favoir , celui d'affifter le Vifir , & de recouvrer
les fommes dues par ce Prince à la Compagnie
. N'eft- il pas étrange de conclure , d'après
ce que M. Haftings avoit déclaré au Confeil ,
que fon opinion étoit qu'il pourroit afſiſter efficacement
le Roi , & rendre fa fituation beaucoup
plus agréable qu'elle ne l'avoit été depuis plufieurs
années , fi on lui accordoit des pouvoirs
fuffifans ? Il vouloit par- là engager la Nation
dans une autre guerre. La réuffite qu'il eut dans
fa miffion à Lucknow contre l'attente générale,
forme une présomption très forte , qu'il feroit
venu à bout de ce qu'il avoit promis relativement
au Roi.
L'honorable Membre a affuré que le Vikr
n'avoit point d'armée , à l'exception de nos trou
No. 14, 8 Avril 1786
d
( 74 )
pes ,_commandées par des Officiers Britanni
ques. D'où a- t - il donc tiré cette information ?
L'armée du Vifir confifte au moins en co mille
hommes , dont 15 mille font de cavalerie . Toutes
les troupes que nous avons dans fon pays ,
font une brigade à Cawnpore , fix baraiilons à
Futtyghear , & un petit corps à Lucknow ; mais
fa propre armée est très confidérable . Je puis
déclarer à l'honorable Membre , que je n'ai vu la
lettre fecrete de M. Haftings , écrite le 16 Juin
1784 , au Comité fecret de la Cour des Direteurs
, que depuis que cette question a été agitée.
Il paroît par cette lettre , qu'il avoit donné
aux Directeurs l'avis le plus prompt de fes vues
en faveur du Roi de Delhi , & de la maniere
dont elles avoient été rendues inutiles , par le refus
que le Confeil avoit fait de lui accorder les
pouvoirs néceffaires .
M. Haſtings n'étoit pas revêtu de pouvoirs ; le
Confeil continua à les lui refufer , & le Gouvernement
ne fit rien dans cette affaire ; mais étoit- ce
un crime en lui de les demander , pour rendre ,
à ce qu'il croyoit , un fervice agréable au Mogol
, à cette Nation , & à la Compagnie des
Indes ? &c. & c .
Après , quelques autres difcours moins
importans , la Chambre paffa aux fuffrages,
& la motion de M. Fox fut rejettée à la pluralité
de 140 voix contre 73.
M. Pitt fixa encore l'attention de la Chambre
fur un objet qui demandoit la décifion la plus
prompte. Il dit que le Voorberg , vaiffeau de la
Compagnie des Indes Hollandoiſes , avoit été
contraint de relâcher à Darmouth par la violence.
des venis ; que l'équipage de ce vaiffeau étoit
attaqué d'une maladie épidémique fi maline ,
( 75 )
qu'elle avoit allarmé les habitans de Darmouth
au point qu'ils ne laiffoient débarquer perfonne du
vaiffeau . Il expofa à la Chambre que cette dé
fenfe mettoit l'équipage dans le plus grand danger,
& que fi le Parlement n'apportoit un prompt remede
à leur état affligeant , ces étrangers périroient
tous infailliblement. Sa Majesté & fon Confeil
n'étant pas autorisés à prendre de mesures décifives
dans cette affaire , il propoſoit à la Chambre
de pafler un Bili , par lequel elle nommeroit
des Commiffaires pour conftruire dans un endroit
écarté des logemens volans propres à recevoir
l'équipage du vaiffeau hollandois . Il ajouta qu'il
efpéroit que ce Bill n'éprouveroit aucune oppofition
; un Médecin de Darmouths'étant tranf
porté à bord de ce navire , avoit reconnu que
fa maladie n'étoit nullement peftilentielle ; & ,
attendu l'urgence du cas , il demanda que la
Chambre di pensât ce Bill des formalités ordinaires
, afin qu'il pût être paffé le jour même.
En conféquence , le Bill fut préſenté , lu une
premiere & une feconde fois , remis à un Comité
, lu une troifieme fois , approuvé & envoyé
à la Chambre ftante où il paffa avec les mê
mes formalités .*
Suivant les dernieres lettres de la Jamaïque
, l'Amiral Innes ne reviendra pas en
Angleterre. Mais tous les vaiffeaux de fon
efcadre s'y rendront , excepté l'Europa , de
so can. qui eft en bon état.
Le projet de conftruire des vaiffeaux de 80
canons avec deux batteries feulement , n'eft rien
moins qu'une nouvelle invention . Il y a déja longtems
que la Fance & l'Espagne l'ont adoptée.
Il y a actuellement dans la marine Argloife deux
vaiffeaux de cette efpece pris fur ces Puiffances ;
dz
( 76 )
favoir , le Gilbraltar , ci- devant le Phénix , pris
en 1780 , dans le combat entre les Amiraux
Rodney & Langara , & le Foudroyant pris fur
les François dans la Méditerrannée , en 1758 .
Ces bâtimens font incontestablement d'excellens
voiliers; mais il ne faut pas croire pour cela que
ces 6 canons de plus leur donnent un grand avantage
fur les vaiffeaux de 74 , fur- tout quand on
penfe à la différence énorme du prix de leur
conftruction . En effet , les membres , les mâtures
, & les agrès de toutes efpe ces des vaiffeaux
de 80 à deux ponts , font plus forts d'échantillon
, que ceux des vaiſſeaux de 90 à trois ponts.
D'ailleurs un fait remarquable , c'eft que le Foudroyant
, quoiqu'il fût de 80 canons , fut pris par
un vaiffeau de 74.
Le fieur Thomas Jefferfon, Miniftre plé
tipotentiaire des Etats -Unis de l'Amérique
à la Cour de France , arrivé à Londres ces
jours derniers , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi & à la Reine par le fieur John
Adams , pareillement Miniftre plénipotentiaire
des Etats -Unis d'Amérique à la Cour
d'Angleterre .
Le 23 , on a tiré à Guildhall la Loterie du
Chevalier Ashton Lever , qui avoit mis en
vente de cette maniere , le magnifique Mufeum
dont il étoit propriétaire. Cette fu
perbe collection eft échue au n°. 34,119 appartenant
àun Procureur, nommé Parkinſon.
La Loterie étoit compofée de 36 mille billers ;
le Chevalier Lever en avoit gardé 28 mille ;
ce lot unique eft évalué au moins 20,000 1. ft .
Le mariage de Madame Fitz - Herbert
Occupant toujours la curiofité publique ,
1
( 77 )
les Papiers publics donnent les détails
fuivans fur fon origine,
Madame Fitz- Herbert , eft fille de Walter
Smith , Ecuyer de Rouge Caftle , dans Shropshire
, & niéce du Chevalier Elouard Smith
d'Acton Burnell , dans la même Province.
Elle avoit époufé en premiere nôces John-
Weld , Ecuyer de Lulworth Caftle , dans le
Comté de Dorfet , qui étoit veuf , & dont la
premiere femme s'appelloit Julie , fille de Robert
Jumes , feu Lord Peltre.
Après la mort de Mr. Weld , elle épousa en
feconde nôces Mr. Fitz- Herbert , Ecuyer de
Swinnerton , dans Straffordshire , qui mourut
en 180 , dans une circonftance digne d'être
rapportée. Il étoit un des Spectateurs confondus
dans la populace , lors de l'incendie de l'Hô : el
du Lord Mansfield, dans Bloomsbury Square ;
comme il avoit extrêmement chaud lorfqu'it
rentra chez lui , il prit auffi tôt un bain froid ,
qui lui occafionna une fievre mortelle.
Madame Fitz- Herbert eft niéce du Lord Selton
, & de M. Errington de Stable - Yard , dans la
quartier de Saint-James. Elle n'aura que trenteun
ans au mois d'Octobre prochain. Elle n'a pas
eu d'enfans de fes deux maris Après la mort de
Mr. Fitz-Herbert , elle quitta l'Angleterre , &
vécut trois ans fur le Continent . De preffantes
follicitations la ramenerent en Angleterre .
Madame Fitz - Herbert a pris une maison dans
Saint James Square , occupée ci devant par le
Lord Uxbridge.
Le Statut que nous avons rapporté l'Ordinaire
dernier fur les mariages de la Famille
Royale , n'a , il eft vrai , pas prévu le cas où
l'Héritier de la Couronne , dans un Etat denţ
d 3
( 78 )
le Monarque n'eft que le premier fujet de la
Loi , fe marieroit fans l'aveu & contre le gré
du Roi fon pere & du Souverain ; mais les
claufes de ce Statut , relatives aux branches
cadettes de la poftérité de George II , font
fans doute encore plus applicables aux defcendans
immédiats de George III.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 29 Mars.
04
Le Prince de Talmond , le Marquis Alphonfe
de Durfort Boiffieres , le Comte de
la Laurencie , le Comte de Mouffy de la
Contour , le Comte de Méhérenc - Saint-
Pierre , le Vicomte de Méhérenc - Saint-
Pierre , le Comte de la Roque - Menillet , le
Comte de Pluvié , le Vicomte de Pardieu ,
le Vicomte de Carbonnieres , le Chevalier
de Dampierre , le Chevalier de Lambilly ,
le Comte de Guillaumanches du Bofcage &
le Marquis de Guillaumanches du Bofcage ,
qui avoient précédemment eu l'honneur d'ê
tre préfentés au Roi , ont eu celui de monter
dans les voitures de Sa Majefté & de la fuivre
à la chaffe ; le premier le 20 de ce mois ,
le fecond & le troifieme le 23 , & les onze
autres le 24 du même mois.
ན
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné , le 26 de ce mois , le contrat de mariage
du Marquis de Rayenel , Capitaine au
régiment Royal, Cavalerie , avec Dame de
( 79 )
Rothe , Chanoineffe- Comteffe de Neuville ;
& celui du fieur de Chaumont de la Milliere ,
Maître des Requêtes , Intendant général des
Hopitaux & des Ponts & Chauffées , avec ,
Demoitelle Poulletier de Périgny.
La Vicomteffe de Mory & la Comteffe
d'Ourches ont eu l'honneur d'être préfentées
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ; la
premiere par la Ducheffe de Béthune , & la
feconde par la Marquife de Beauffer.
Le 25 , le Roi a créé Duc héréditaire le
Comte de Tavannes , Chevalier d'honneur
de la Reine , qui portera le nom de Duc de
Saulx- Tavannes. Le lendemain , il a et
l'honneur de faire , en cette qualité , fes remercîmens
à Sa Majesté .
185 Avril
,
DB PARIS , le
On équippe à Breft la frégate la Proferpine
, qu'on croit deftinée pour l'Inde. On
s'y occupe également d'armer plufieurs corvettes
, lougres & autres petits bâtimens de
guerre , dans le deffein , dit on , de former
une efcadrille l'Eté prochain , pour exercer
les Officiers & les équipages de la Marine.
Ces bâtimens , à ce qu'on débite , feront au
nombre de 21. On arme aufli un vaiffeau
neuf de 74 can. appelé le Patriote.
L'Académie Royale des Infcriptions &
Belles Lettres a aggrégé M. le Préſident de
S. Vincent au nombre de fes membres
d
4
( 80 )
comme Affocié Libre regnicole , à la place
vacante par la mort de M. Grofley.
Toutes les Feuilles publiques ont parlé
d'un vol fait à Lyon , il y a quelques mois ,
de la caiffe de M. Finguerlin & Compagnie ,
Banquiers Suiffes à Lyon. Voici ce qu'on
écrit de cette derniere ville , en date du 22
Mars.
Vendredi 17 de ce mois , à 10 heures du
foir , on a arrêté deux hommes , rue des Maronniers
; l'un nommé Gonin , Loueur de chevaux ,
demeurant rue Mulet ; & l'autre nommé Biel ,
Cordonnier demeurant rue Gentil . Gonin ,
homme vigoureux , étoit armé d'une ganne à
épée & d'un long poignard , dont il a bleffé affez
griévement un Records & un malheureux Patron
appellé comme main forte , pour qu'ils foient
morts tous deux de leurs bleffures à l'Hôpital où
on les a apportés fur le champ. Bael , le Cordonnier
, étoit armé de deux piftolets dont il n'a pu fe
fervir.
Ces deux hommes foupçonnés d'avoir eu part
au fameux vol fait chez MM. Finguerlin & Scherrer
, l'ont avoué dans leur interrogatoire. Gonin
a déclaré avoir reçu pour la part 30000 liv. , &
il a défigné l'endroit où il avoit enfoui cette
fomme ; on y eft allé , & on l'a trouvée.
Le chef de cette entrepriſe a été nommé par
ces deux coquins ; c'eft Antoine Thevenet , du
quartier Saint- Georges , homme vraiment unique
pour les grandes conceptions de la friponnerie
& du vol. Il avoit à Lyon quatre domiciles &
une Maitreffe en titre , nommée la Comteffe , &
qui eft arrêtée,
Cet Antoine changeoit à fon gré de nom,
de coftume & d'état ; tantôt Officier , tantôt
( 81 )
Commerçant tantôt Jurifconfulte ; il avoit
dans l'un de fes domiciles , une bibliotheque ,
dans l'autre divers uniformes , & dans un troifieme
on a trouvé de très belles nippes de femme.
Il excelloit dans la Serrurerie , & à la fimple infpection
d'une clef, il en faifoit une pareille pour
s'en fervir au befoin ; il avoit auffi contrefait
toutes les clefs des magafins & comptoirs de M.
Finguerlin , & fes complices ont déclaré qu'à
l'aide de ces clefs , ils étoient entrés de nuit à
plufieurs repriſes ; mais comme Antoine étoit
inftruit que M. Finguerlin devoit avoir incef
famment une fomme très- conſidérable , il dé
daigna de le voler , avant que le tréfor du Puyen
-Velay fût arrivé chez lui.
Cependant toutes les mefures avoient été prises
d'avance , pour bien cacher la totalité du vol
médité. Gonin avoit loué depuis long temps une
care d'un nommé Delorme , Pâtiflir , rue Batd'argent
, à fix maifons de diftance de celle de
M. Finguerlin ; & c'est là que le vol de plus
de 400,000 liv. , du 30 Décembre dernier , s'eft
dépoté en entier. Il y demeura jufqu'au 20 Fé,
vrier , que la répartition en fur faite affez iné
galement entre les affociés ; Gonin & Bael s'en
plaignent.
Les autres intéreflés dans cette grande affaire
font deux freres nommés Picard , de éurant à
la montée de la Glacière ; deux particuliers en
manteau bleu , que Gonin & Bael difent ne
point connoître , & un homme de peine inconnu
auffi, auquel on a donné cent louis pour
avoir aidé au tranfport des efpeces . Ces trois
derniers font des affidés du fieur Antoine.
Le concert de ces huit homme réunis
exigé que deux heures de temps pour
mer ce vol magnifique ; & Antoine
d
( 82 )
la
s'eft alloué à lui feul plus de 200000 liv. dans
part du butin. Il a écrit auffi les lettres qu'on
a reçues , & fait le renvoi à M. Finguerlin.
Les Juges qui ont fait cette premiere inftruction
y ont employé la nuit entiere du Samedi
au Dimanche ; & le lendemain ils ont fait conduire
Gonin en voiture dans les différens domiciles
des complices qu'il a indiqués . On a
affiché à Lyon , & envoyé par-tout le fignalement
de fes complices , & notamment celui du
fameux Antoine , dont la réputation avoit été
déjà divulguée par un de fes camarades , enfermé
à Bicêtre.
Il s'eft paffé à Beauvais un événement tragique
, dont le Spectacle dans les villes de
garnifon n'eft que trop fouvent l'occafion .
Un particulier de Beauvais nous mande en
ces termes les détails de cette fcene , détails
de la parfaite exactitude defquels nous ne
répondons pas , n'en ayant pas été témoins.
Monfieur , le Dimanche 19 Mars , un Militaire
tenoit une porte ouverte fur le théatre
pour jouir du fpectacle. Le Parterre trouvant
mauvais qu'on lui ôtât ainfi l'illufion de la piece ,
cria unanimement fermez la porte. Le Milizaire
fentant bien fon tort , fe rendit aux voeux
réitérés du Parterre , malgré la défense de plu
Geurs de fes camarades . Le lendemain il reçoit
des reproches fur fa lâche complaifance pour un
Parterre auffi mal compofé , & on lui dit qu'on
lui feroit bien voir comme on moriginoit un Parzerre
de cette espèce . Le jour étoit fans doute
pris pour le Dimanche fuivant 26 Mars la
foule étant d'ordinaire plus grande , elle le fut
effectivement . Trente , Militaires à peu près
Occupoient des deux côtés les places fur le des
9
( 83 )
vant du théatre , au point que plufieurs Dames
s'étant préfentées au Bureau , ayant appris que
tout étoit occupé , fe retirerent . J'arrive à l'Orcheftre
, & j'entendis le Parterre crier unanimement
: bas le chapeau . Je vis que c'étoit un G ...
du-C .... , M. de L. , qui occafionnoit ce tumulte
, & qui , bien loin d'avoir égard à la récla
mation du Parterre , lui répondit par des grof
fieretés.
Le Parterre redouble fes cris ; le fieur de L. ,
premier moteur , gardant toujours fon chapeau
veut prendre fon tabouret pour le lancer au Parterre
il en eft empêché par d'autres de fes camarades
, qui avoient médité fans doute un autre
coup d'éclat . On leve le rideau , dans l'efpérance
que le fieur de L. devenu plus honnête
fe decouvriroit , & feroit par là ceffer les juftes réclamations
du Parterre. L'efpérance fut trompée,
les cris continuerent toujours . Le fieur de L.
reçut ordre de fon Supérieur d'ôter fon chapeau.
( Je ne peux cependant pas affirmer cette circonftance
, l'ayant feulement entendu dire ) ;
mais je l'ai vu renfoncer fon chapeau , un de
fes camarades à côté de lui prendre le fien & s'en'
coeffer ; tous les autres de le fuivre auffi tôt. Les
cris redoublent encore : au même inftant le fieur
L. fe précipite des premieres loges dans le Parterre
, l'épée nue & la pointe baffe ; il eft bientot
fuivi du fieur L. , des fieurs G. , M. , de L. ,›
le moteur de tout , & de quelques autres. Ils
commencent leur carnage dans le Parterre ; d'autres
encore du haut des Loges , piquoient aut
hafard dans le Parterre , d'autres avoient été
s'emparer des portes de fortie , & perçoient à
travers les grillages les perfonnes qui defcendoient
des fecondes Loges , né voulant pas être
fpectatrices de cette fcene. D'autres encore occu¿-
d 6
( 84 )
poient le Théatre , & empêchoient de fe fauver
ceux qui en avoient par- là la facilité. Un jeune
homme marié depuis deux ans , dont la femme
eft prête d'acoucher , y a été indignement affaffiné,
& eft mort dix minutes après le coup. Vinge
perfonnes au moins ont été bleffées , dont quatre
affez grievement. On rétablit du mieux qu'il fut
poffible la baluftride qui fépare le Parterre del'Orchestre
, d'où je m'étois retiré , ainfi que lès
autres Amateurs & Muficiens , affez à temps pour
ne pas être écraſé par fa chûte. Après cette légere
réparation , on joua la petite Pièce : vous devez
bien penfer que les Sp dateurs encore effrayés n'y
prirent pas beaucoup de part . Dans l'intervalle
des deux Pieces , la feconde Piece étant commencée,
ils reçurent ordre de l'Etat Major de fe
rendre à l'Ordre . Le bruit de la mort du jeune
homme s'étant bientôt répandu , on fit cefler le
Spectacle. Voilà , Monfieur , le récit exact de
cette querelle meurtrière. J'ai l'honneur d'être ,
un de vos Abonnés
Beauvais , ce 29 Mars 1786.
La noble conduite des foldats du régiment
de Picardie a mérité de grands &
juftes éloges . Mais rien de moins rare que
les traits de défintéreffement & de générosité
donnés en pareille occafion par le Militaire
François. Entre mille qu'on en pourroit citer
, nous prenons au hafard celui- ci qui fe
trouve configné dans le Tome XII de l'Hon
neur François , par M. de Saci , pag. 93 .
M. le Comte de Behague , aujourd'hui Maréchal
de amp , eut le mêm courage & le
» même bonheur . Je ne crains point d'affocier
» à ce nom celui de Bouffard : ' un étoit illufire
, l'autre illuftr.. Une même gloire a
( 85 )
placé fur la même ligne le Cammandant de
" Belle-Ide , & le Pilote de Dieppe ; le bâtiment
la Magdelaine , défemparé par un coup de
vent , fut jetté entre les rochers dont le rivage
de cette ifle et hériffé ; le Comte de
Benhague oublie en ce moment combien fa
» vie importe à la fureté de l'Ifle . Suivi de quel
» ques marelots , de quelques grenadiers de la
"
Marine & de Nivernois ( 1 ) ; il s'avance le
» premier , fautant de roc en roc , s'y attachant
» lorfque les vagues le couvroient & alloient
» l'entraîner , portant dans les mains le falut
des Matelots ; c'étoit un greflin qui fut lancé
fi à propos que l'équipage s'en faifit & s'y
attacha ; mais bientôt une vague énorme &
furieufe met en piece le vaiffeau , & entraîne
les matelors à la mer. Le Commandant , les
grenadiers , tous arrelés au grafin , les atti-
>> rent aux rochers ; ils étoient fans connoiffan
» ce ; les grenadiers les couvrent de leurs ha-
» bits , & les récompenfes offertes à ces braves .
» font diftribuées par eux mêmes aux malheu
reux qui leur doivent la vie ».
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le iI de ce
mois , font : 49 , 28 , 10 , 90 , & 79.
သ
4
PAYS - B A S.
DE BRUXELLES , le 1 Avril.
Un Perruquier de la Haye , nommé Moran,
ayant arrêté le carrole où rouvoit
le Bourguemeftre de Dordrecht le fieur
Gyzelaar , Penfionnaire de la même ville , à
(1 ) Aujourd'hui le Maréchal de Turene
?
1
Y
( 86 )
Inftant où ils fortoient de l'affemblée des
Etats par la Porte Stathoudérienne , on l'a
arrêté , jugé , condamné ; mais à la demande
des Offenfés , les Etats de Hollande lui
ont remis la peine de mort que portoit la
Sentence , & il finira fes jours dans une prie
fon perpétuelle.
Les habitans d'Utrecht , qui demandent
l'abolition du Réglement fondamental de
1674 , ont de nouveau invefti le 20 le
Confeil de Régence à 8 heures du matin ,
& ne l'ont quitté qu'à minuit. Les plus prudens
de ces Magiftrats avoient abfenté le
Confeil & la ville . Parmi les fiégeans , 14
des plus intimidés fignerent qu'au 20 Octobre
ils accepteroient le nouveau ferment..
Les autres refterent attachés à la précédente
réfolution. Les deux Bourguemeftres entr'autres
ont proteſté contre ces violences ,
qui ne font pas à leur terme. Voila la troifieme
fois que ce Confeil fait & défait fes
arrêtés les plus folemnels , & malheureuſement
les Etats de la Province , feul Souverain
, ne font ni ne peuvent rien pour tempérer
un peu cette anarchie.
Les lettres de Lisbonne du 22 Février ,
renferment de nouveaux détails fur le naufrage
du S. Pierre d'Alcantara.
Ön reçoit de tems en tems , difent- elles , des
nouvelles plus ciconftanciées du naufrage du
vailleau de Régiftre Efpagnol , le Saint Pierre
d'Alcantara. Le Lieutenant François Querada
coufin- germain de l'Ambaladeur d'Eſpagne à
4
>
( 87 )
Notre Cour , attribue la perte de ce navire à
une méprise de 75 miles ; mépriſe pardonnable,
puifque depuis les Ifles Açores, jufqu'au moment
où le vaiffeau a péri , le tems avoit été fi obfcur ,
& la mer fi agitée , qu'il n'avoit pas été poffible
de prendre les hauteurs avec quelque précision :
ce Lieutenant avoit la garde du vaiſleau , au moment
qu'il périt. Les Barlingues , où le nayire a
échoué, forment de écueils très - dangereux ; plufieurs
navires y ont péri à divers tems . Le Gouvernement
avoit fait élever anciennement deux
fanaux fur la côte qui , pendant qu'ils ont été entretenus
, étoient d'un fecours infini aux Naviga
teurs, l'un de ces fanaux étoit fur le cap , dit Barlingue
, & l'autre au fort Penicke. Pour fournir à
l'entretien de ces deux fanaux , le Gouvernement
a affujetti tous les navires à une taxe qui
fe paye encore aujourd'hui fort exactement ; nonobftant
que cet argent eft perçu à toute rigueur
les fanaux ne font pas allumés depuis trèslong
tems , & à peine, daigne- t- on donner quelques
faibles fignaux qu'il eft très difficile d'appercevoir.
On affure , & il est très - probable
que fi les fanaux euffent été allumés le Saint
Pierre d'Alcantara auroit évité les écueils & fe feroit
fauvé.
M. l'Ambaffadeur d'Eſpagne fait ici les inftances
les plus fortes , pour que ces deux fanaux
foient rétablis.. Toutes les Nations Commerçan
tes y font fortement intéreffées , & doivent joindre
leurs inftances à celles que la Cour d'Efpagne
fait faire pour l'intérêt général de la Navigation
. Un Moine , Auguftin , & plufieurs paffagers
& autres particuliers , qui fe font noyés fur
le vaiffeau Efpagnol , étoient tous prifonniers
d'Erat ; ils étoient tous complices de la fameufe
Révolte qui a eu lieu au Pérou , il y a deux ans ;
( 88 )
on remarqué que tous lesprifonniers d'Etat , excepté
feulement un petit nombre d'Indiens , ont
peri Le Pilote a cherché à s'échapper ; mais les
Officiers du vaiffeu , s'appercevant qu'il vouloit
s'enfuir , l'ont fait arrêter & mettre aux fers. Le
Capitaine est toujours dangereuſement malade à
Penicke..
On a la plus grande espérance , que la cargaifon
fera fauvée pour la plus grande partie .
On a envoyé de Calix , deux frégates qui portent
deux machines propres à retirer de l'eau ,
les caiffons & autres ballots de marchandiſe . Les
Négocians de Cadix ont envoyé fur les lieux ,
deux Députés pour affifter à tous les travaux &
pour y prendre foin de leurs intérêts. On fe loue
beaucoup du zèle & de la fidélité des habitans
de Penicke ; en un mot , tout annonce que
le malheur ne fera pas auffi grand qu'on le craignoit,
Fin des Opérations de la Banque de S. Charles.
N°. I.
Bilan de la Banque au 30 Novembre 1785 , confor
mément à fes Livres & Regiftres
Recette.
Produit de 148.894 , actions , ci
Bénéfice net
de la Direction du vire
Релих . M.
297,788,000
t ment . • 41,561,362 10
de la Direction des four- 48,346,675 18
nitures 6,782,313
Total • .
Emploi.
En caiffe pour folde
Lettres de change fur Madrid .
346,134,075 18
29,196,517 10
42.793,306 23
Idem fur différentes Places du Royaume 6,425,796 19
( 89 )
Principal de 5600 actions que la Banque
á prifes dans les fonds de la Compagnie
des Philippines , à raifon de a 50
piattres de 15 réaux
Effets actifs de la Direction
de virement .
Effets paffifs à déduire
Effets actifs de la Direc-
259,089,890
19,153 148 15
22,000,000
239,936,741 26
6,782,313 8
• •
3+ 134.675 18
tion des fournitures 134,859,871,28
Effets paffifs à déduire 128,077,558 201
Total
N°. I I.
Etat des bénéfices de la Banque pendant 1785.
-Bénéfice net de la Direction du virement ,
Réaux, M.
42,714,388 32 41,574,362 10
y compris celui de la Caiſſe d'Eſcompte
de Cadix , ci.. •
Frais d'adminiftration à
déduire , ci
Bénéfice net de la Direction
des fournitures , ci
Frais à déduire , ci
1,150,026 22
7,063,446 14 } 6,782,313
• 281,133 6
Total • 48,346,675 18
Détails de ces bénéfices,
Intérêts du capital.
Intérêt journalier des effets
royaux & des actions
• 3,569,533 27
• 1,260,519 18.
594,106 23
9.391,473
· • • 503,118 32
·
Efcompte des lettres -dechange
Montant des intérêts .
Intérêts dus pour le fiſc
aux Indes
Intérêts dus pour les approvifionnemens
Intérêts de la caiffe de
Cadix .
Montant des Changes
1,435,109 12
617,180 28
• 1,411,904 S•
( 90 )
Commiffion
Des remifes faites dans
l'Etranger pour la Couronne
Payée pur lefifc aux Indes
Payée à la caiffe de Cadix
253,164 14 1,321,528 12
197,450 3
870.913 29
11,883,656 23
Benefice provenant de l'exportation des
piaftres
Commiffion d'adminiſtration de 10 p. 130 .
Pour l'approvifionnement
de l'armée & de
la Cour · • 3,066,763 3
· 407,024 32 5,628,337
• 1,187,22 13
765,892 29
Pour celui des préfides
Pour celui de la marine
Pour celui de la mâture
Pour celui des ferremens 201,434 27
Bénéfice extraordinaire provenant du
prix des actions négociées
• 21,552,840
Total ' 49,777,835 12.
A déduire les frais de la
Direction du virement 1,150,026 22
Ceux de la Direction des 1,431,159 #8
fournitures 281,133 6
48,346,675 18
lippines
21,000,00O
Total du bénéfice net de la Banque
Placement dans la Compagnie des Phi-
•
Refte à répartit, entre les A&tionnaires
la fomme de 27,346,675 18
Le nombre des actions remplies jufqu'au 30
Novembre eft de 148,894. Le dividende de
chaque action eft par conféquent de 183 réaux
22 maravedis , ou de 9 dix - huit centiemes pour
cent du capital , & la fomme provenante des
maravedis de furplus qu'on doit partager en lots
en faveur de Laboureurs & d'Artifans , eft de
99,073 réaux 18 maravedis.
( 91 )
Nº. III.
Etat du produit du droit d'indult fur l'exportation des
piafres , pendant les vingt- neuf anné s depuis
1755 jufqu'en 1783 inclufivement , comparé ave
celui des deux années depuis le premier Décembre
1783 jufqu'au 30 Novembre 1785 , pendant lef
quelles ce privilege a été entre les mains de
la Banque nationale de Saint - Charles.
Réaux. Années .
I
:.
Réaux.
1770 6.448,250 1.092,4361770 ...
Années.
1755....
1756 1,464,908 1771 .
1757. 2,031,319 1772
·
1758 5,717,586 1773
...
1759 .... 3,089,588 1774..
1760 .. 2,324,570 1775 .....
4764 472
5,652,933
3.939.389
·
5,309,345
1,567,185
1761 .... 862,720 1776 .. .1,884,802 ....
• 1762 .... 1,086,009
1763 ..... 2,627,552
1764 ... 3,730,210
1765 .. 4,081,853 •
1777 .......
1,493,323
1778 .... 5,212,207
1779 .. 4,662,918
1780 ..... 1,769,206
1766..... 2,714,106 | 1781 ....
1767 ..... 4,024,897 | 1782 ....
1783 .
2,074.763
255,880
2,538,180 1768 ..... 3,937,647
1769 ... 3,156,903
Année commune ...
Total des 29 années ..... 89,525,157.-
..... 3,087,074
Indult payé par la Banque de Saint - Charles.
Depuis le premier Décembre 1783
jufqu'au 30 Novembre 1784 ...
Depuis le premier Décembre 1784
jufqu'au 30 Novembre 1785 ...
Total des deux années ...
Année commune .
15,479,200
16,058,342
3.1537,542
15,768,771
( 92 )
Il réfulte de ce parallele , 1 °. que l'année
commune depuis que la banque eft chargée de
l'exportation des piaftres , a produit cing fors
plus que l'année commune des 29 années pré .
cédentes.
2°. Que l'année la plus abondante de la premiere
période , qui eft celle de 1770 , ayant produit
6,448,250 réaux l'année commune de la feconde
période a donné preſque deux fois & demi
cette fomme .
3 °. Que les deux années du privilege de la
banque ont donné au fifc plus du tiers du pro
duit Lotal des 29 années précédentes.
Nº. I V.
Tableau des bénéfices que la Banque a donnés à fes
Actionnaires , & de ceux qui en font réfultés pour
le fifc , foit par les économies d'adminiftration ,
ou par l'augmentation du produit des droits .
ACTIONNAIRES.
Dividende de 1783
de 1784
de 1785
Réaux. M.
3,301,255 8
17,137,6.2 28
Placement dans la Compagnie des Philippines
en 1785
Total des bénéfices des Actionnaires
27,346,675 18-
21,000,000
68,795,553 14
TRÉSOR ROYAL.
1784. Bénéfice . Préjudice .
Approvifionnement de
l'armée & de la Cour S
Reaux. M.
1,137,785
( 93 )
eries
?
Ferremens & clouteries 2
de la Marine
Augmentation dans le
produir du droit fur
f
Bénéfice. Préjudice .
49.791-19
l'exportation des piaf- 12,393,126
tres felon l'étatˇnuméro
3.
1785.
Approvifionnement de ?
l'armée & de la Cour S
Approvifionnement de la
963,860 10
marine 2
Mâture 3,267,688.15
Ferremens & clouteries
de la marine .S
120.800 24
6,344.627 18
Bénéfice
Préjudice • ·
Augmentation dans le
le 13,971,268
produit de l'indult .
30,893,322
6,344,627 13
6,344,627 13
Total des Bénéfices nets du fifc • • • 24,548,604 21
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1).
• PARLEMENT DE PROVENCE CHAMBRE DES
VACATIONS.
Injures dites aux premiers Juges , premier d'Office
par la Cour. Il n'eft pas permis à des accufés
[1 ] Cer Ouvrage , dont M. MARS Avocat au Parlement
de Paris , eft l'Auteur , paroît tous les Jeudis , depuis plus
de 10 ans fans interruption . On trouve toujours dans chaque
feuille un certain nombre d'articles. 1 ° . Une notice
de Caufes civiles & criminelles. 2 °. Un expofé de queftions
fur lesquelles on demande l'avis des Jurifconfukes,
( 94 )
de faire fignifier des actes injurieux aux Juges,
fous prétexte de récufation , ni de les infulter par
écrit dans les Requêtes , Mémoires & autres
Pieces de la Procédure.
Le 24 Octobre 1780 , M. Jean Joſeph B ... ,
Avocat en la Cour , du lieu de B ... , préfenta
une requête de plainte au Juge du même lieu ,
contre M T... , Notaire royal , en calomnies ,
captations & manoeuvres . M. T ..... préſenta
de fon côté le 24 Octobre , 13 Novembre ,
4 Décembre 1780 , 3 Janvier , 14 Février ,
28 Mai 1781 , différentes requêtes tendantes à
ce qu'il fût informé contre Me. B .... & fes
Complices. Il fe plaignoit d'injures graves &
caractérisées , de fubornation de témoins , de
diffamation , relativement à fa perfonne & à
fon état , ainfi que d'un complot formé contre
lui. Les informations respectivement faites
par le Juge du lieu , il intervint le 7 Décembre
1780 , un décret d'ajournement contre
M. B.... Jofeph Jobity , ménager , Jean Erançois
Jobity , Françoife - Blanche Verignon , &
Jean - Baptifte Ferand , & un décret d'affigné ,
pour être oui contre Me. Louis - Augufte B....
ancien Notaire , Pierre Requier , perruquier ,
Elizabeth-Marie , Louis Ferand & M. T....
Notaire. M. B.... , appella du décret rendu
contre lui ; mais par arrêt d'expédient du 31
3. Les réponses à ces mêmes queftions . 4° . Des differta
tions fur des points de Droit , d'Ordonnance ou de Coutumes,
5. Une indication des Mémoires & Plaidoyers
imprimés . 6°. L'annonce & l'objet des Livres de Droit,
de Jurifprudence & autres qui peuvent y avoir rapport,
7. Les Arrêts du Confeil , ceux des Parlemens & autres
des Cours Souveraines , les Sentences de Police ; en un
mot , tout ce qui fait loi ou réglement dans le Royau
me. 8 °. Enfin un article de Légiflation étrangere. En tout
temps on foufcrit rue & hôtel Serpente, Prix , 15 Ilv . par
franc de port
an ,
( 95 )
-
&
Mars 1781 ; ce décret fut confirmé. --- Jofeph
Jobity , François Jobity & Françoife - Blanche
Verignon appellerent également de leurs dé- ,
crets , qui furent auffi confirmés par arrêts
d'expédient du 4 Juillet 1781. M. B...
Conforts imaginerent de fufpecter les premiers Ju-.
ges , afin de les forcer de s'abftenir . M. B...
& B.... fe permirent dans leurs réponies & aux
confrontations des irrévérences fcandaleufes ;
ils firent enfuite fignifier aux Juges plufieurs
actes injurieux en récufation ; mais ces actes
étoient extrajudiciaires , les Juges ne crurent
pas devoir s'y arrêter. Ils ordonnerent feulement
en queue de la fentence , que ces actes & les
autres pieces injurieufes feroient jointes à la
procédure , pour être apportées enfemble au
Greffe de la Cour. Les infultes faites aux,
Juges n'ayant pas eu l'effet que les accufés en
attendoient , ils eurent recours aux détours de
la chicane.... Ils ne fe préfentoient plus aux
confrontations , malgré les fommations les plus
réitérées : leurs négligences à cet égard étoient fi
affectées, que nombre de procès - verbaux de défaut
furent dreffés , tant contre M. B .... & B....
que contre d'autres complices. - La procé
dure fut fucceffivement in&ruite par tous Juges
différens , qui effuyerent toutes fortes d'invectives
de la part des parties , & qui ne trou
verent rien de mieux à faire que de s'abstenir .
M. Silon , Avocat au Parlement d'Aix , ne
fut pas plus heureux.... Cependant , encouragée
par des Magiftrats fupérieurs , il acheva l'inf
truction du procès extraordinaire , & rendit la
fentence définitive le 5 Octobre 1782 , après
avoir pris l'avis de deux Avocats au Parlement,
fes Affeffeurs , par laquelle M. B ... & B... &
Conforts , furent condamnés à divers réparations
, à des dommages intérêts , & à des Ameng
( 96 )
>
des ; les faux témoins furent mul&és ; les pieces
injurieufes aux Juges furent retenues au Greffe ,
& jointes à la procédure ; M. T... , Procureur ,
fur décreté d'affigné , à la réquisition du Miniſtere
public , & l'impreffion & l'affiche du jugement
furent ordonnées : Les condamnés appellerent
de cette fentence au Parlement d'Aix. Alors
M. le Procureur- Général intervint d'office pour
les premiers Juges infultés , & fit un réquifitoire
en leur faveur , tendant à différentes réparations
& à diverfes peines. Enfin , LA COUR , tenant la
Chambre, de Vacations , rendit, Arrêt qui confirma
la fentence des premiers Juges , avec quelques
modifications dans les peines , & quelque
modération dans les dommages & intérêts , & fai.
fant droit fur le réquifitoire de M. Je Procureur-
Général , ordonne que les pieces dépofées & retenues
au Greffe feroient lacérées au pied du
principal efcalier du Palais , par un Huiffier de
la Cour , qui en drefferoit procès-verbal , comme
étant injurieufes aux Officiers de Juftice :
que les deux Mémoires imprimés de M. B.
& B. feroient imprimés ; les condamna en outre
en vingt livres d'amende envers le Roi, avec
défenfes de récidiver , fous plus grande peine ;
le décret d'affigné rendu contre M. T... fut
confirmé , & il fut dit qu'il répondroit fur les
charges , pardevant le Commiffaire du procès :
l'on ordonna l'impreffion & l'affiche de l'Arrêt
partout ou befoin feroit , au nombre de cent
exemplaires , aux frais defdits M. B... , B... &
Conforts.
ERRATA.
A l'article des Bains artificiels du fieur
le Clerc , l'Ordinaire dernier , lifez Bours
bonne , au lieu de Balaruc.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars:
Epuis quelques jours , le voyage de
Cherfon , ce couronnement folemnel
annoncé , préparé avec tant de bruit , auquel
' Empereur devoit affifter , & qui , infailliblement
, felon les Gazettes , s'effectueroit
avant trois mois , paffe aujourd'hui pour
être différé , à un temps illimité. Les véritables
raifons de ce délai , ou plutôt de cet
abandon font inconnues. Lorſque le voyage
fut annoncé , on le remettoit au mois de
Juin , à caufe de l'intempérie du Printemps ;
aujourd'hui les mêmes Nouvelliftes le retardent
, vu les chaleurs de l'Eté . Quoi qu'il en
foit , les conjectures des efprits clairvoyans
qui ont toujours douté de cet événement ,
paroiffent confirmées.
Les mouvemens & la réunion des Tartares
du Caucafe caufent ici des inquiétudes.
N °. 15, 15 Avril 1786.
e
( 98 )
Peut-être même cette circonftance a t- elle
influé fur le retard du voyage de Cherfon .
Le Lieutenant général Baron d'Igelstrom ,
qui devoit fe rendre ici au Carnaval , eft
refté dans fon Gouvernement d'Orenbourg,
où les difpofitions des Tartares rendent fa
préfence néceflaire.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 17 Mars.
L'ifle de Fionie fi fertile en blé & en
pâturages fe trouve aujourd'hui dans la
plus grande mifere. Les grains & les fourrages
y font d'une rareté exceflive ; les hommes
& les beftiaux fouffrent également . Pluſieurs
Seigneurs ont eu l'humanité de venir au fecours
de leurs fermiers , & entr'autres le
Baron Broktorf de Scheelenborg a fait à ſes
fermiers une remiſe de 1500 rixdalers.
On écrit de Wabnersholm , que la femme
de Jean Nielfen y eft accouchée de deux
garçons & d'une fille. La fille eft venue au
monde le 19 Février à minuit , l'aîné des
garçons à 4 heures du matin , & l'autre lé
21 à deux heures dans l'après midi . Ces enfans
ont reçu le baptême , & ils fe portent .
bien ainfi que leur mere.
Depuis le 10 de ce mois , le Sund eft
couvert de glaces ; on peut le paffer à pied
& en traîneau pour aller en Suede. Le Belt
à Corfoer eft auffi fermé. Le dernier courier
arrivé de cette ville l'a paffé à cheval .
( 92 )
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 1 Avril.
On écrit de Pétersbourg , que l'Impéra
trice de Ruffie a fait demander à l'Empereur.
de la Chine la ceffion d'un diftrict fur les
rives du fleuve Amur qui fe jette dans le
lac de Kamfchatka , celle d'une ifle fituée à
l'embouchure de ce fleuve , & la libre navigation
fur la riviere de Murat pour le commerce
de la Sibérie feptentrionale . On ajoute
que le Gouverneur d'Irkuz eft chargé des
négociations.
Les nouvelles de la Perfe ne donnent point
encore l'efpérance de voir enfin ce Royaume.
dans une fituation plus tranquille. Mehmet Kan
fe préparant à aller attaquer à Chiras , où il s'étoient
retiré , Jaffar -Kan , frere du Régent mort ,
ce dernier eft forti de cette Ville , a marché audevant
de lui , l'a combattu & l'a vaincu dans
deux batailles confécutives . Mehmet s'eſt fauvé,
à Tehram , où il réfide actuellement , & Jaffar eft
entré en vainqueur dans Ifpahan ; il y a trouvé
Baguer- Kan , qui , après la mort du Régent , en
avoit pris le titre ; & qui s'étoit retranché dans
une forte citadelle qui commande les fauxbourgs
de cette capitale ; il a fallu l'affiéger en regle ; la
citadelle a été prife , & Baguer- Kan décapité.
Tout parciffoit alors tranquille , & beaucoup de
Caravanes raffurées s'étoient mifes en route pour
leurs deftinations. Jaffar -Kan avoit envoyé fon
parent Ifmael-Kan , âgé de 23 ans , avec un corps
de 3000 cavaliers , pour réduire la ville d'Hae
2
100 )
·
madan qui tenoit encore le parti de Mehmet ;
mais ce jeune homme au lieu de remplir fa mif
fion , a arrêté & dépouillé toutes les Caravanes ,
& après ce brigandage , il s'eft réuni au Commandant
d'Hamadan contre Jaffar Kan fon parent .
On évalue à plus de quarante millions de France
les déprédations commifes par Ifmael : il a diftribué
à fes foldats les marchandifes qu'il a enlevées
& s'eft fait beaucoup de partifans . Malgré es
neiges & la rigueur de la faifon , Jaffar Kan s'eft
mis en marche à la tête de 40,000 hommes , pour
aller punir ce rébelle .
DE VIENNE , le 30 Mars,
Le Comte de Podewills , Miniftre du
Roi de Pruffe auprès de cette Cour , a eu fa
premiere audience de l'Empereur , à qui il
a remis fes lettres de créance . Elles font ,
dit-on , fous deux formules ; les premieres
adreffées au Chef de l'Empire ; les fecondes
au Roi de Hongrie & de Bohême , &c. &c.
M. de Podewills a été auffi conduit à l'audience
de l'Archiduc François , Prince de
Toſcane,
On compte plus de 30 fuicides dans cette
Capitale depuis le premier Janvier.
On a publié ici par ordre de l'Empereur ,
que le bruit d'une hauffe prochaine des efpeces
d'atgent étoit deftitué de fondement.
L'une de nos Gazettes a rapporté derniement
l'anecdote fuivante.
Dans les guerres de Siléfie , un Huffard Pruffien
rencontra ſur le champ de bataille un jeune
( for )
&
que
Officier Autrichien , griévement bleffé ,
le pria de finir fes fouffrances en lui ôtant la vie,
Non , frere répondit l'Huffard , je te porterai à
l'hôpital , & tu guériras.
L'Officier guérit en effet. Il offre tout ce qu'il
a à fon libérateur ; mais il ne peut lui faire accep
ter qu'une montre que le brave Huffard prit pour
un fouvenir. A la paix , le corps où ce Huflard
fervoit eft réformé. Cet homme, quelques années
après , vient par hafard en Hongrie chercher à fe
placer en qualité de piqueur. Iife préfente chez
le Prince A. Eftherazy qui en cherchoit un. Sa
vue frappe ce Seigneur. Il lui demande s'il n'a
pas fervi dans la guerre de Siléfie . Oui . N'a
vez-vous pas fauvé la vie à un Officier ? - A
plus d'un peut-être ; mais je ne me fouviens bien
que d'un feul dont j'ai cette montre. -- C'eft
moi qui vous l'ai donnée : vous êtes mon liberafear
; oui , vous ferez mon premier Ecuyer &
mon ami , la moitié de ce qui m'appartient eft
à vous.
Tous deux vivent encore, & le Prince ne ceffe
de donner à fon libérateur les marques les plus
vives de fa reconnoiffance.
DE FRANCFORT , le 5 Avril.
La ville Impériale de Dortmund a accordé
aux Proteftans réformés le libre exercice
du culte de leur Religion , & elle leur a
cédé en même temps une Eglife.
Les tonneliers de Trarbrac conftruifirent
le 13 Mars 1748 un tonneau fur la Mofellé
qui étoit termée par la glace ; le 14 de ce
mois ils y ont exécuté une pareille conftruce
3
( 102 )
tion pour perpétuer le fouvenir du grand
froid.
Le Duc Albert de Saxe-Tefchen & l'Archiducheffe
Marie-Chriſtine fon épouse arriverent
ici de Vienne le 15 au foir , &
continuerent le lendemain leur route vers
les Pays Bas.
On écrit de Bonn que l'Electeur , de l'agrément
des Etats , y a établi un Tribunal
de revifion , qui fera compofé d'un Préfident
, de 8 Confeillers , d'un Secrétaire , &c.
L'Electeur -Archevêque de Cologne a ordonné
par un decret du 17 Fevrier , qu'à
l'avenir tous les Mandemens , Monitoires ,
Affignations & Jugemens feront faits en
Langue Allemande.
On apprend de la Baviere , que la diminution
de la valeur extrinfeque des écus de 6 liv . y produit
un mauvais effet . Ces efpeces font portées
dans d'autres Cercles of leur valeur eft plus forte ,
& on ne voit plus actuellement que de la petite
monnoie. Depuis ce changement , le prix des
vivres a augmenté.
La Principauté de Tranfylvanie vient d'être
répartie en trois cercles ou grands diftricts
; favoir , celui de Hermanfadt , compofé
des Comirats ; celui de Fagarafch ,
compofé de 4 Comitats ; & celui de Clau
fenbourg , compofé de 7 Comitats.
ESPAGNE.
DEA MADRID, le 20 Mars.
Le Roi ayant nommé le Duc d'Almodo(
103 )
yar , Grand - Maître de la Maifon de l'Infante
Dona Marie, & ce Seigneur ne pouvant ferendre
à l'Ambaffade d'Angleterre à laquelle il
avoit été defliné , S. M. vient d'y nommer le
Comte de Fernand Nunnez , Ambaſſadeur
en Portugal, où il fera remplacé par D. F.
Morino , Ambaffadeur à Venife , & D. S.
de las Cafas , Miniftre du Roi à Naples , ira
remplir les fontions de fon Ambaſſadeur
auprès de cette République.
La paix avec Alger a été , dit - on , con
clue & fignée , mais l'on connoît trop im
parfaitement encore les articles de ce Traité
pour en faire mention .
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 20 Février.
On a déja fauvé 108 caiffes de la cargalfon
du S. Pierre d'Alcantara , fubmergé à
Péniche. Les Plongeurs Anglois qui ont
retiré les canons des batteries flottantes devant
Gibraltar , font arrivés avec la cloche
ou machine d'Halley. On compte beaucoup
fur leur intrépidité & fur leur intelligence.
On a reconnu le tréfor entier de la
cargaifon à la profondeur de quatre braffes
lorfque la mer eft baffe.
Pendant que l'on dreffoit dans le cours
de Janvier la balance du tréfor royal , le
premier Tréforier , M. Joao Henriquez de
€ 4
( 104 )
Souza s'apperçut d'un vuide , que l'on dit
êre de soo mille crufades. Après bien des
recherches , on a découvert que les commis
à qui font confiées les clefs des coffres
avoient détourné ces deniers. Cinq ont été
arrêtés , & notamment un neveu du grand
Tréforier lui même . Ce Miniftre en eft tombé
dangereufement malade. On a arrêté auffi
un marchand Anglois & fon teneur de livres.
On affure qu'en recevant des fommes
des commis du tréfor royal , il n'ignoroit
pas la fource de leur richeffe. Le Miniftre de
la Cour de Londres a préfenté , dit on , un
mémoire pour réclamer ce marchand , mais
fans fuccès ; cette affaire eft d'autant plus inquiétante
pour ce particulier , qu'on a découvert
qu'il faifoit le commerce des diamans
bruts , contrebande punie de banniffement
perpétuel.
Le 14 Février eft arrivée de Gibraltar la fré
gate la Thétis , Capitaine Blancket . Ce bâtiment
a dû faire une quarantaine . Lorfqu'elle eft achevée,
il eft d'ufage que l'Intendant de fanté fe
rende à bord du bâtiment pour remettre au Capitaine
un biller ou certificat , que le patron eft
obligé de montier au commandant du château
de Belem , pour preuve qu'il peut monter la riviere.
Le Capitaine Anglois a refufé le billet en
queftion , parce que 1 ° . Intendant de fantéavoit
été à bord d'un navire Eſpagnol avant de venir au
fien , 2°. parce qu'il avoit exigé que tout l'équipage
vint fur le pont pour être examiné , tandis
qu'il n'avoit pas exigé la même chofe de l'Eſpa
gnol . Fondé fur ces finguliers moyens , le Capi(
105 )
taine a ordonné à les gens de remonter la riviere
fans s'arrêter au château de Belem : mais furieur
refus réitéré , on leur a lâché une bordée à balle ,
qui leur a fait prendre le parti de renoncer à leur
projet. L'Intendant de fanté ayant été porter fes
plaintes à la cour , le Miniftre de la Marine parut
très-fenfible à ce procédé du Capitaine Anglois
. Cependant on fe contenta d'envoyer fur le
champ à bord du Capitaine , pour lui repréfenter
les fuites de fon inconféquence , & le faire réfoudre
à accepter le certificat d'ufage : ce qu'il fit
après quelques réflexions. On ignore s'il fera
porté plainte à la Cour d'Angleterre.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Avril.
C'est un spectacle vraiment étonnant &
digne de toute l'attention des Obfervateurs ,
que les efforts en tous fens de la Grande-
Bretagne pour remonter les léviers de fa puiffance
& pour affermir ceux de fa profpérité.
Nous ne pouvons rapporter une infinité
d'actes du Parlement qui , depuis deux ans ,
ont atteſté cette énergie ; mais nous irons
toujours foin d'en développer les principaux.
Les Lecteurs frivoles dédaigneront fans
doute ces expofés intéreffans que l'Angleterre
préfente ; ils plairont à tous les efprits
murs. Entre les objets importans qui
ont occupé les dernieres féances du Parlement
, on diftingue le bill de M. Jenkinfon
, concernant les pêcheries de Terrees
( 106 )
Neuve, & le Compte rendu à la Nation par le
Chancelier de l'Echiquier.
Ce fut le 27 Mars que la Chambre des Communes
s'occupa des pêcheries Britanniques fur la
côte de Terre- neuve. M. Jenkinſon célebra le
fuccès de ces pêcheries dont le produitnet monte
à une fomme de so0,000 l . ft . par an , & par confort
au- deffus de ce qu'elle étoit avant la guerre
d'Amérique . Selon lui , la pêcherie de Terréneuve
occupe conftamment 400 Bâtimens & 10
mille Matelots . Il expofa enfuite les différens
moyens employés par les François pour encourager
& améliorer leurs pêcberies dans les mêmes
parages. Ils allouent ; dit M. Jenkinson , 101.
30
par quintal fur tout le poiffon porté à leurs
marchés , & s 1. pour celui qui eft exporté. En
» même temps ils protegent leur conſommation
intérieure par un impôt de 5 l . par quintal , for
tout le poiffon importé ; droit qu'on peut regarder
comme équivalent à une prohibition.
Malgré tous ces encouragemens , je crois la
France dans l'impoffibilité de foutenir avec
quelque fuccès la concurrence des Anglois
» dans cette pêcherie. » M. Jenkinſon fit enſuite
part au Comité des bornes à mettre aux gratifications
pour cet objet , & il annonça en mêmetemps
fon oppofition à toutes meſures ou c'aufes
tendantes à établir des Colonies permanentes fur
la côte de Terre- neuve. « Cette pêcherie , dit il,
doit être purement Britannique , & avoir unisoquement
pour objet l'approvifionnement des
marchés Britanniques . Les Pêcheurs ne doivent
pouvoir faire fur cette côte d'autres éta-
» bliffemens que ceux qui font indifpenfables
pour le fervice paffager de la pêche , & ce feroit
la plus haute extravagance de le permettre. »
! ( 107 )
2
Il fit en conféquence la motion de divers arré.
tés rédigés dans cet efprit , & il pafferent fans
aller aux voix.
Le nouveau bill pour régler l'autorité du
Gouverneur de l'Inde paffa le même jour dans
toute fon étendue , malgré les obſervations de
différens Membres , & entr'autres de M. Dempfter,
quivouloity inférer une claufe limitative
dutemps , pendant lequel le Gouverneur Général
pourroit pofféder ou exercer les pouvoirs
extraordinaires qu'il recevra du bill adopté.
Ces pouvoirs feront très - étendus. Le Gouverneur
pourra agir fans le confentement du
Confeil Suprême de Bengale , mais il fera
refponfable des événemens.
Le 30 Mars , la Chambre s'étant formée
en Comité général , M. Pitt développa fon
plan pour l'extinction de la dette nationale ;
voici le précis du difcours de ce Miniftre .
9*
Il commença par obferver qu'il étoit impoffi
ble de trouver une mefureplus fortement recommandée
que celle qu'il avoit l'honneur de propo◄
fer au Comité. Ce n'eft pas feulement , dit il
cette Chambre & la nation ; mais les étrangers
même , qui atten lent avec impatience le jour où
Pon doit adopter des arrangemens qui placeront
l'Angleterre au plus haut rang parmi les nations
de l'Europe. Que'que variété d'opinions qu'il
puiffe y avoir fur des poin's fpéculatifs de police
domestique , cette diverfité ne peut exifter quant
à la néceffité de former un plan permanent pour™
liquider la dette nationale . Les opinions peuvent
être partagées fur les moyens , mais aucun mem
bre de cette Chambre ne peut fe livrer un mo
e 6
108
ment au moindre doute fur la propriété d'un plan
quelconque.
Auffi n'eft-ce point la néceffité que j'ai deſſein
de difcuter. Deux queftions importantes & fimples
fe préfentent , 1 °. Quels font les moyens
propres à être adoptés ? 2 °. Quelle eft la méthode
la plus efficace pour les mettre en oeuvre ?
Cette déduction n'aura pour baſe que les documens
authentiques , & que des argumens tirés de
certaines données inconteftables , dont je préſen
terai les détails.
Aprés ce préambule , M. Pitt obferva que le
réſultat du rapport fait par le Comité choisi conftatoit
que les reffources actuelles , à compter de
la Saint- Michel 1784 , jufqu'à la Saint - Michel
1785 , confiftoient en 15,397, oco liv. fterl. , à
compter du 5 Janvier 1785 , jufqu'au 5 du même
mois 1786 ; jamais fujet n'avoit été approfondi
avec plus de candeur & plus d'exactitude . D'un
côté, point d'exagération , & de l'autre point de
diminution.
Deux articles principaux préſentés dans le
préambule du rapport fourniffoient ces reffources;
favoir , les taxes perpétuelles , & les dons
& fubfides annuels , tels que la taxe fur les terres ,
la drèche & c .
Il entra enfuite dans les détails particuliers
du rapport , déduifit les droits dus par la Compagnie
des Indes , qui montent à 400 000 1. ft..
auffi bien que le furplus de 26,10r liv. f. qu'on
devoit naturellement attendre des droits fur les
fenêtres , & que le public recevroit infaillible- :
ment dans le courant de cette année. Au refte il
n'étoit pas probable que les taxes impofées en
1785 puffent encore produire tout ce qu'on
avoit droit d'en attendre. La taxe fur les maifons
& la taxe commutative en fourniffoient un 1
( 109 )
exemple frappant . D'après un état comparatif
du produit de la premiere dans l'année 1784 avec
les années 1785 & 86 , il y avoit une différence
en ſa faveur de 103,000 liv . fterl . A l'égard des
taxes de l'année 1785 , il n'étoit pas poffible de
former un jugement exact furleur produit ; mais
le Comité n'avoit point paffé les bornes de la
probabilité dans les différens états qu'il en avoit
fournis,
M. Pitt parla de plufieurs autres taxes , comme
celles fur les Prêteurs fur gages , ſur les Procureurs
, l'amélioration de la taxe fur le fel & de
celle fur les boutiques , dont il eftima le produit
annuel à 260,000 liv. fterl . , produit , obferva
t- il , qui ne pouvoit qu'augmenter confidérablement
avec le temps. Il en concluoit que les
fommes fixées dans le rapport du Comité choifi
relativement au revenu probable de la nation ,
étoient justes & exactes. D'ailleurs il ne doutoit
nullement que le revenu ne s'accrût bientôt audelà
du montant actuel , par le moyen des taxes
exiftantes.
A la vérité , la fluctuation du commerce pou
voit accidentellement produire quelque diminu
tion ; mais outre qu'actuellement on n'avoit pas
lieu de craindre ce contre - temps , il fe flattoit
que la Chambre emploieroit toute fa fermeté,
& la nation toute fa force & fon induftrie , pour
ne pas mettre au pouvoir d'aucun accident le
plan qu'il falloit foumettre à la Chambre. Dans
cette fuppofition , il ne doutoit point que les
effets de cette mefure n'allaffent beaucoup audelà
des espérances les plus brillantes . Ce qui le
prouvoit évidemment , c'étoit l'accroiffement ra .
pide du revenu depuis la conclufion de la paix ;
accroiffement qui provenoit des coups portés
la contrebande par l'acte commutatif; accroiffe
( 110 )
ment qui avoit redonné de la vigueur au commerce
> & qui fe feroit encore mieux fentir
lorfque les vaftes magafins des contrebandiers
feroient épuifés , & qu'ils feroient dégoûtés de
faire des tentatives .
Après avoir parcouru avec la plus grande exactitude
toutes les parties du rapport , relativement
au revenu probable , M. Pitt déclara qu'il étoit
convaincu que la fixation du montant annuel du
revenu à 15,379,000 liv. fterl . étoit un calcul
exact fur lequel on peut compter.
Il paffa enfuite aux dépenses & aux beſoins
de l'Etat ; ceux de l'armée fixèrent d'abord fon
attention . Le démembrement infortuné de l'Empire
, dit il , a diminué nos befoins à cet égard..
Cependant il y a une partie de ce fervice , à la
reduction de laquelle je fuis convaincu que la
Chambre ne voudroit point confentir par jultice
, par générofité & par reconnoiffance . Je
parle de ces braves citoyens qui ont combattu
& veré leur fang pour la patrie. Ainfi les
Officiers à demi- paie , les veuves & les Invalides
de Chelſea , occafionneront une augmentation
de dépenses au - delà des états fournis. Mais
cette augmentation n'égalera point les économies
qui fe feront de ce département.
+
Les dépenfes de l'armée ont été
liv.fterl
fixées par le Comité , à 1,600,000
Celles de la marine , le grand'
boulevard de la nation , à 1,800,000
Celles de l'Artillerie , à
348,000
Celles de la Milice , à.. 91,000
Celle du fervice ſecret , à 74,000
Les droits appropriés à des objets
particuliers montent à 66,538
Les intérêts & charges des det(
11 )
tes publiques font de
Ceux des bills de l'Echiquier
font de
Ceux fur les fonds agrégés ( aggregate
funds)
La lifte civile eft de
9,275,769
258,000
64,600
900,000
Total
14,477,907
Ces dépenses étant fujettes à très peu de fluctuation
, on peut les regarder comme permanentes.
De forte qu'en prenant le revenu à la
plus baffe eftimation ; favoir depuis la St. Michel
1784 , jufqu'en 1785 à la même époque ,
la recerte a été de
Et la dépense actuelle de
Enforte qu'il refte un furplus net de
15,379,000
14,477,907
901,093
fans compter ce que peuvent produire les objets
cafuels.
C'eft fur cette bafe que le Chancelier de l'Echiqu'er
dit qu'il fondoit fon fyfteme. Ses intentions
étoient d'approprier un million par an , pour fervir
à l'extinction de la dette nationale , & de l'employer
de maniere que rien ne pût en détourner
l'emploi , en aucune circonftance .
Il obferva enfuite que pour completer le million
annuellement néceffaire , il falloit malgré lui
mettre de nouvelles taxes pour le montant de cent
mille liv . fterl .
Les articles qu'il taxeroit feroient des bagatelles.
1º. Les liqueurs fpiritueufes . L'impôt fur le
wash ( 1 ) étoit , il y a quelques années , de fept
fous par gallon . Depuis , ce droit a été réduit à a
(1) Préparation du grain à diftiller.
( 112 )
Lous ; fon intention étoit de le hauffer juſqu'à fix ,
ce qui étoit un fou de moins par gallon , qu'il
n'étoit avant la réduction. Il avoit tout lieu de
croire que cette taxe produiroit 70,000 livres
fterlings.
20. Un changement de droits fur les planches
de fapin carrées , de différentes grandeurs ,
que l'on importe de la Norwege ( 1 ). Un droit
égal fur toute efpece de bois de charpente , produiront
une augmentation à la Douane , de vingt
à 30,000 liv . fterl.
30. Une taxe fur la parfumerie & fur la poudre
à cheveux, d'après le calcul le plus modéré , pourra
produire 300,00ɔ liv . fierl.
Le produit de ces trois articles formera au
moins la fomme propofée de 100,000 liv. fterl.;
fans ajouter aux fardeaux des claffes inférieures
du peuple.
M. Pitt paffa à la dicuffion des moyens à prendre
pour fubvénir à l'excédant des dépenfes , fans
interrompre le cours du fyftême graduel & permanent
de la réduction de la dette nationale. Sous
cet excédant de dépenfes , il comprit les efforts
que la nation étoit obligée de faire , pour l'augmentation
& le fupport de la marine ; la liquidation
des dépenfes extraordinaires de la derniere
guerre , celle des dépenfes momentanées de l'année
courante ; les dédommagemens à accorder
aux habitans du Canada & des autres poffeffions
Angloires dans l'Amérique Septentrionale , & les
fecours à donner aux loyalifles Américains. Tous
ces articles de dépenses extraordinaires ne monteroient
pas , d'ici à l'année 1790 , au delà de
4,000,000 liv . fterl . , dont 2,400,000 liv . fte :l. ,
c'eft- à - dire , 600,000 liv. fterl. d'extraordinaire
(1 ) Battens & Deals.
( 113 )
par an , feroient employés pour mettre la marine
fur le pied le plus refpectable où elle ait jamais
été. 11 obferva enfuite que quoique cet excédant
fût très - confidérable , les moyens d'y faire face
ne l'étoient pas moins , fans déranger le fyftême
général qu'il avoit propofé .
Parmi les reffources extraordinaires , M. Pitt
compta :
10. Les économies de l'armée , qu'il évalua à
700,000 liv . fterl . D'après l'expérience des rentrées
qui ont fuivi des guerres précédentes , ces
rentrées ne pouvoient pas être au- deffous de cette
fomme dans l'apurement des comptes du département
de la guerre.
20. Celles de la milice , dont les comptes n'a
voient pas été réglés depuis la premiere convocation
qui avoit été faite dans la derniere guerre.
On pouvoit en juger d'après l'examen des comp
tes d'un feul régiment , où il reftoit une balance
due de 22 mille liv. fterl . Cette balance pouvoit
être un peu erronée , mais comme on doit régler
les comptes de 118 régimens , il étoit probable
que du produit de ces rentrées , les fommes qui
feroient verfées dans l'Echiquier feroient trèsconfidérables
.
3. Les arrérages dus par les Commiffaires
de Guerre , & autres Agens de l'armée pouvoient
être portés au moins à 300,000 liv. fterl.
4°. Les autres balances dues par les banquiers
remettans doivent former une fomme immenſe,
fi on confidere l'énormité de celles qui font forties
de la trésorerie pour cet objet.
50. Une loterie pouvoit fournir annuellement ,
au moins pendant ces quatre ans , la fomme de
140,000 liv. fterl . ; ce qui étoit une reffource infaillible.
6º. Une infinité d'articles fe préfentoient, parmi
( 114 )
lefquels celui du vin pouvoit être d'un produit
plus confidérable , puifqu'en comparant les dix
dernieres années l'une dans l'autre , avec les 40
précédentes , il y avoit un deficit de 200,000 liv.
fterl. fur les impôts qui fe levent fur le vin. }
7° . Enfin , la fomme due par la Compagnie des
Indes qui feroit payée affez à tems pour faire
face à l'excédant des dépenfes extraordinaires
dans le tems fixé .
Outre ces reffources , il s'en trouveroit d'autres
, telles que les réglemens , & l'uniformité à
introduire dans les différentes Douanes , qu'il fe
propofoit d'effectuer dans le cours d'une autre
année ; mefure qui , en procurant de grands avantages
au marchand & à l'honnête détailleur , augmenteroit
confidérablement la recette de la Douane
. Les Domaines de la Couronne pourroient
auffi venir au fecours du fyftême général , par gradation
, en même tems , qu'ils rendroient les denrées
néceffaires à la vie plus abondantes , quand
ils eroient mis en cultivation .
De tous ces raifonnemens , le Chancelier de
l'Echiquier conclut que la premiere opération de
voit être de mettre tous les ans un million à
part , lequel , avec les intérêts compofés , pourroit
former dans l'efpace de 27 ou 28 ans , un
revenu net de 4 millions fterl . pour l'extinction de
la dette nationale. En ajoutant à ce fonds tous les
autres moyens collatéraux provenant de l'accroiffement
du revenu , & de l'extinction des annuités
, la nation pourroit fe livrer à l'espoir de
voir une dette de quatre cens millions , entierement
éteinte dans l'efpace d'un fiecle .
M. Pitr parla enfuite de la Commiffion qu'il
avoit deffein d'établir pour l'adminiſtration du
fonds approprié à la réduction de la dette publi.
que. Il dit qu'il la falloit abſolument indépen
( 115 )
dante du Gouvernement . Il defiroit que les Commiflaires
fuflent autorisés à faire leurs demandes
au tréfor public , avec les mêmes droits & pouvoirs
que fi ces fonds leur appartenoient . Dins
cette capacité , ils devoient tranfiger , comme
Agens du public , fur cette affaire confiée à leur
adminiſtration ; fon intention étant que la foinme
d'un million , formée du furplus & de l'extinction
des rentes viageres , reftât en leurs mains , avec
laquelle ils feroient obligés , à certains jours fixés,
d'acheter des actions dans les fonds publics. Il
adoptoit cette mefure de faire acheter dans les
Fonds à certaines périodes , afin qu'aucun des Com
miffaires ne fût tenté de convertir cette affaire en
agiotage.
L'Orateur de la Chambre des Communes , le
Chancelier de l'Echiquier , le Greffier en chef
de la Chambre , le Gouverneur de la Banque , le
Député- Gouverneur , & l'Auditeur en chef des
comptes de la Cour de la Cancellerie , furent les
fix perfonnes défignées par M. Pitt , pour compofer
la commiflion prépofée aux rembourfemens.
Le Chancelier de l'Echiquier finit fon difcours
par la motion fuivante :
GC
Arrêté , que la fomme d'un million feroit
annuellement remife à certains Commiffaires ,
pour être par eux employée à l'achat des fonds,
pour la décharge de la dette publique de ce
pays ; laquelle fomme fera formée des Turplus &
excedans du revenu qui composent le fonds com.
munément appelé fonds d'amortiffement ».
La motion fut admife , ainfi que les nouvelles
taxes propofées , & le rapport en fut
ordonné aux jours fuivans.
M. Crewe avoit fait adopter au Parlement ,
( 116 )
il y a quelques années , un bill qui diminuoit
l'influence de la Couronne , en privant du
droit de fuffrage aux élections parlementaires
, les Officiers des Douanes & autres
Employés dans la perception des revenus
publics. M. Marsham a propolé d'étendre ce
bill aux Employés dans les départemens de
la Marine & de l'Artillerie ; mais la motion
a été rejettée à la pluralité de 76 voix , comme
exceffivement injufte.
Le plan de M. Pitt , dit un de nos Papiers , produira
indubitablement l'effet qu'on en attend.
1. Si le commerce de la Grande - Bretagne
continue d'être floriſſant.
2º. Si la Marine , l'Armée & l'Artillerie font
en riérement réduites an terme le plus bas de Pétabliſſement
de paix.
3. Si la paix continue.
4. Si les Anglois fe conduifent avec l'écono
mie la plus rigoureufe, tant au dehors qu'au dedans.
5. Si les Officiers font exacts & les Minifires
honnêtes.
Si les taxes continuent de s'accroître . & fi les
dettes des Commiffaires , Tréforier , Quartiers-
Maîtres font payées. Alors , dans quatre ou cinq
ans , l'Angleterre pourra avoir un excéda nt d'un
million. Au moyen de quoi fi le Parlement penſe
toujours comme il fait à préfent , & qu'il ne furvienne
ni guerre ni calamités qui faffe dériver
notre barque économique & ne nous force d'abandonner
le convenable pour le réceffaire , il
fera poffible d'obtenir un excédant net de quatre
millions par an ; ce qui dans un espace d'environ
un demi - fiecle mettra le Gouvernement à portée
d'alléger confidérablement le fardeau des taxes .
( 117 )
Dans quelques jours , le Parlement doit
s'occuper du mariage d'une Perfonne illuftre,
& l'on s'attend à une motion à ce fujet dans
la Chambre des Pairs , avant l'ajournement.
des Fêtes de Pâques .
Le Gouvernement a reçu le 30 Mars des dépêches
de la Nouvelle - Ecoffe , apportées par l'Induftrie
, Capitaine Berkley. L'arrivée de ce Vaif
feau , difent toutes nos Gazettes , a dévoilé le
myftere des nouvelles reçues il y a quelque temps
par le Sloop le Brisk , que le Commiffaire Sawyer
avoit expédié d'Halifax en Janvier dernier. Voici
le fait. Les troubles font devenus fi grands en
Amérique , principalement aux deux extrémités
des Etats- Unis , que pour échapper à l'anarchie
& à la confufion , les plus riches & les plus pacifiques
d'entre les habitans fe retirent peu à peu
dans les endroits où il peuvent trouver un afile.
Un certain nombre d'habitans de Nantuket ,
( prefques tous Quakers ) gens riches & failant
un gros commerce , fe font expatriés avec leurs
familles , & fe font retirés ave leurs biens &
leurs effets dans la Province de la Nouvel'e-
Ecoffe , où ils ont demandé au Gouverneur la
permiffion de s'établir. Ils n'y ont d'abord paffé
qu'en petit nombre au mois d'Août dernier, mais
il s'y en eft rendu beaucoup d'autres dans les mois
fuivans, qui voyant que ceux qui les avoient précédé
avoient été fi bien accueillis des Anglois
font arrivés dans la Nouvelle - Ecoffe avec des
matériaux propres à la conſtruction & ont commencé
à bâtir des maifons . Le Commiffaire Sawyet
a en conféquence envoyé demander en Angleterre
des inftructions touchant la maniere dont
il devoit fe conduire à l'égard des nouveaux venus
, qui méritent , en confidération de leurs ri(
118 )
cheffes & de leurs fentimens tranquilles & pacifiques
, l'appui du gouvernement Anglois .
Le 28 , il eft arrivé à l'Hôtel de la Compagnie
des Indes des dépêches du Bengale ,
en date du 11 Novembre dernier. Elles portent
que les conventions paffées entre M.
Haftings & le Nabab Vifir d'Oude avoient
été fidelement exécutées de part & d'autre ;
le Nabab ayant foldé fa balance , y compris
la dette de 750,000 liv . fterl . & le fubfide
dû aux troupes. Les provinces du Bengale ,
de Bénares & d'Oude étoient dans la plus
grande tranquillité. Madajee Scindia fe préparoit
à entrer dans le Décan , & les hoftilités
entre Tippoo Sultan & les Marattes
étoient fur le point de commencer. Sept
vaiffeaux avoient été expédiés du Bengale ,
fans que le Gouverneur Général & le Confeil
euffent été obligés de donner des traites
fur la Compagnie. Les fortifications ordonnées
par la Cour des Directeurs étoient achevées.
Les traites fùr la Tréforerie ne portoient
pas d'efcompte , & celui des contrats
étoit tombé à 11 pour cent.
Le Paquebot , chargé de ces dépêches , a
auffi apporté une requête des Officiers de
l'armée au Roi & aux deux Chambres du
Parlement contre la partie du Bill de M.
Pitt , concernant la forme des procédures
criminelles.
On apprend auffi qu'il y a eu une révolto
parmi les troupes de Madras au fujer de la
paie , mais on les avoit parfaitement appai(
119 )
fées , lorfque le paquebot a mis à la voile.
A cette époque , la Requête des habitans
n'étoit pas encore prête . Elle avoit occafionné
beaucoup de difcuffions ; les efprits
étoient tellement divifés à cet égard , qu'il
étoit douteux fi elle feroit envoiée.
L'arrivée de ces lettres fera très- utile au
Parlement , dans l'affaire de M. Haſtings , &
à ce célebre Adminiſtrateur lui même , dont
elles conftatent les talens , les fervices &
l'intégrité.
Le 14 Septembre 1785 , les drapeaux Anglois
avoient été arborés à la factorie de Caficut
fur la côte de Malabar , Tippoo ayant
remis cet établiffement à la Compagnie
conformément aux articles du dernier Traité
de paix .
Le Royal Sovereign , de 110 canons
fera lancé à Plymouth le mois prochain ,
en préfence du Prince Williams - Henri.
Ce vaifleau eft plus large , plus long , &
a en général des dimenfions plus grandes
que tout autre de la Marine Royale . L'Impregnable
, de 90 canons , fera auffi lancé au
premier jour , à Deptford , en prélence de
la Famille Royale.
La Société Philofophique Américaine ayant
traité la queſtion tant de fois agitée , « favoir fi
» les cannes à fucre des Ifles étoient indigenes ,
» ou fi elles y avoient étê apportées de l'ancien
continent », elle a décidé, à la pluralitédes voix ,
que les cannes à fucre étoient indigenes dans les
deux Indes , Ce fentiment eft oppofé à celui de
( 120 )
plufieurs Ecrivains célebres qui ont cru que la
canne à fucre avoit été apportée de l'Orient par
les Sarrafins.
Les dernieres lettres de la Jamaïque
reçues par le Gouvernement, lui ont appris
la mort du Contr'Amiral Innes , Commandant
en chef de l'eſcadre ſtationnée à Kingfon,
& mort âgé de 85 ans . On a rendu à
fon cadavre les plus grands honneurs , &
fon autorité paffe au Capitaine Packenham
Commandant le Janus , de 44 canons.
Le Comte de Cornwallis a tenu depuis fa
nomination au Gouvernement de l'Inde la
conduite la plus circonfpecte. Il a refufé
péremptoirement les demandes fans nombre
qui lui ont été faites de toutes parts , &
il a déclaré à fes amis qu'il étoit déterminé à
ne prendre aucuns arrangemens & à ne
nommer à aucunes places , qu'il ne fût inf
tallé dans fon gouvernement. Il n'emmene
avec lui que trois amis ; favoir le Colonel
Roff, qui doit lai fervir de Secrétaire ; le
Capitaine Halden & le Capitaine Madden . Il
eft affurément bien fage de fa part de ne
point promettre ni faire efpérer à perfonne
de le fuivre , fachant que les établiſſemens
dans l'Inde font déja furchargés , mais nous
penfons qu'il feroit de la prudence qu'il fe
fit accompagner d'un plus grand nombre de
fes amis intimes . Si le climat fait périr le
petit nombre de ceux qui le fuivent , il s'expofe
à être trompé par les artifices & les menées
fourdes d'une troupe de gens , qui fous
les
( 121 )
les de hors de l'amitié,feront jouer tous les refforts
de l'intrigue pour le perdre. Le Colonel
Tarleton eft venu à Londres , dans l'efpoir
d'obtenir une place de Lord Cornwallis ,
qui lui a répondu comme aux autres
qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de difpofer
d'aucune place , tant qu'il feroit en Angleterre.
Acette occafion on a rappellé une anecdote
intéreffante , touchant ce nouveau Gouverneur
général du Bengale.
Quelques mois avant le commencement de la
guerre d'Amérique , lorfqu'on fut qu'on devoit
envoyer des troupes dans la Nouvelle- Angleterre
, la Comteffe de Cornwallis ,, nouvellement
acouchée d'un fils ( depuis Lord Broome ) , &
qui aimoit paffionnément fon mari , craignit que
le Régiment qu'il commandoit ne pafsât des premiers
en Amérique à l'infu de Milord Cornwallis ,
elle alla trouver Lord Barrington , alors Secrétaire
d'Etat au departement de la guerre , & le
pria inftamment d'employer fon cdit auprès de
Sa Majefté , dans le cas où le Régiment de Lord
Cornwallis pafferoit en Amérique , pour le difpenfer
d'y aller. Lord Barrington atfura la Comteffe
qu'il obtiendroit fa demande. Peu de temps
après , le Régiment reçut ordre de partir : Lord
Barrington , conformément à fa promeffe , mit
fous les yeux du Roi la demande de la Comteffe
; mais il ne put le faire fi fecrettement
que la nouvelle ne tranfpirât. Le bruit en
vint aux oreilles de Lord Cornwallis lui-même.
D'un côté , il étoit combattu par la tendreffe de
fon épouse & par fon opinion particuliere endierement
oppofée a la guerre d'Amérique ; de
No. 15 , 15 Avril 1786. f
( 122 )
;
l'autre , par les interprétations malignes auxquel
les la démarche de la Comteffe fon épouſe pour
roit donner lier . Il fentoit que fes ennemis ne
manqueroient pas de répandre qu'il étoit de concert
avec fon époufe , & qu'il cherchoit à fe difpenfer
de fervir par une fuite de l'opinion qu'il
avoit donnée dans la Chambre des Pairs au fujet
dis taxes fur les Colonies de l'Amérique . Ces
dernieres confidérations intéreffoient tellement
fon honneur comme militaire 9 qu'il n'hésita
point à folliciter vivement le Roi de lui permettre
de fuivre fon Régiment. Il n'eut pas de
peine à l'obtenir ; mais ce fut un coup mortel
pour la Comteffe , d'autant mieux que fa démarche
pour retenir fon époux avoit précilément néceffité
fon éloignement . Lord Cornwallis partit pour
l'Amérique avec le Chevalier Peter Parker vers
le commencement de 1776 , & la Comteffe mou❤
Fut en Angleterre au commencement de 1779 .
FRANCE.
+
DE VERSAILLES , le 7 Avril.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Langennet
, Ordre de Citeaux , diocefe de Quimper
, l'Abbé Chevreuil , Vicaire général de
Paris ; à celle d'Airvaux , Ordre de Saint-
Auguftin , diocele de la Rochelle , l'Abbé
de Dombafle , Vicaire général de Laon ; à
l'Abbaye réguliere du Mont-Saint-Eloi , même
Ordre , dioceſe d'Arras , le fieur Beugin ,
Religieux profès de la même Abbaye ; & à
celle d'Aurhy , Ordre de Saint - Benoît , diocefe
de Boulogne , le fieur Prévôt , Religieux
profès de l'Abbaye de Saint - Bertin.
Le Comte de Pimodan , le Marquis de
( 123 )
Marconnay , le Comte de Marconnay , le
Chevalier de Murinais , le Comte de Bofe ,
le Comte de Montecot , le Comte de Quatre-
Barbes & le Comte Alexandre de Sainte-
Aldegonde , qui avoient précédemment.eu
T'honneur d'être préfentés au Roi , ont en
celui de monter dans les voitures de S. M.
& de la fuivre à la chaffe ; les quatre premiers
le 28 , & les autres le 31 du mois dernier.
Le Duc de Polignac a prêté , le 2 de ce mois ,
ferment entre les mains du Roi , pour la charge
de Directeur général des Poftes aux chevaux
Relais & Meffageries de France , unie à celle
de Directeur général des Haras , à laquelle Sa
Majefté l'avoir précédemment nommé.
Le même jour , le Marquis de Lafcafes a eu
l'honneur d'être préfenté à Leurs Majeftés par le
Duc de Penthièvre , en qualité de Premier Gentilhomme
de la Chambre de ce Prince .
La Cointeffe de Pluvié & la Baronne de Saint-
Marfault ont eu , le même jour , l'honneur d'être
préfentées à Leurs Majeftés & à la Famille Royale
; la premiere par la Comteffe de Boifgelin , &
la feconde par la Comteffe de Saint- Marfault de
Chatillon.
"
Ce jour , le fieur Deformeaux , de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles- Lettres a eu
l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale le tome. IV de l'Hiftoire de la
Maifon de Bourbon.
2
Le 4 , le fieur Eden , Envoyé extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire de la Cour de Londres
, a eu une audience particuliere du Roi ,
pendant laquelle il a remis les lettres de créance
f 2
( 124 )
à Sa Majefté. Il a été conduit à cette audience &
à celles de la Reine & de la Famille Royale , par
le fieur Tolozan , Introdu&teur des Ambaffadeurs
; le fieur de Séqueville , Secrétaire ordinaire
du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs,
précédoit.
DE PARIS, le 12 Avril.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 23:
Février 1786 , qui rend communs avec les
Fabricans de toiles blanches & imprimées
de Mulhaufen , l'article X de l'Arrêt du 131
Novembre 1785 , & l'Arrêt du 26 Janvier
1786. Cet Arrêt permet aux Négocians de
la ville de Mulhaufen en Suiffe , de jouir
Four la fabrication & vente de leurs toiles ,
des faveurs accordées à ceux de l'Alface.
Autre dit du 17 Février 1786 , qui permet
l'entrée jufqu'au premier Janvier prochain
, des Toiles peintes en Alface , quelle
que foit l'origine des toiles blanches qui auront
été emploiées à leur impreffion , & qui
ordonne à l'Adjudicataire général des Fermes
de continuer à percevoir le droit de
90 livres du quintal defdites toiles peintes ,
& celui de 25 livres fur les toiles de coton
blanches , provenant du commerce de la
Compagnie des Indes.
Autre dit du 5 Février 1786 , qui fixe les
chargemens de morue feche de pêche nationale
, à cinquante quintaux au moins
pour obtenir les Primes d'encouragement
•
( 125 )
accordées par Arrêt du 18 Septembre der
nier.
Autre dit du 21 Février 1786 , qui dé
clare nuls & de nul effet les paffe - ports illi
mités , délivrés par l'ancienne Compagnie
des Indes aux Négocians & Armateurs , &
leur fait détenfes de s'en fervir.
On plaide actuellement au Châtelet une
Caufe finguliere , qui attire l'affluence. Un
Particulier riche de Lyon ayant féduit une
jeune perfonne , elle fe trouva enceinte , le
féducteur lui propofa de la marier , & la
chargea de fe choisir un époux. Elle jetta les
yeux fur un jeune homme qui foufcrivit à
oes
les
conditions
,
&
qui
,
feulement
le
jour des noces , promit à fon époufe de la
relpecter parfaitement. Cette femme accou
cha une fois , deux fois , trois fois ; & à chaque
naiffance d'enfant , l'homme riche dotoit
par teftament le nouveau né , fils de tel
& de telle ; l'homme riche mourut , le mari
tomba malade , & dans cette maladie qui,
fut mortelle , on reconnut en lui une femme
déguifée ; les héritiers de l'homme riche
conftaterent le fait , & ils pourfuivent la
nullité des legs faits aux enfans nés d'un
mariage qui n'a pu être confommé .
Le mois de Novembre dernier , nous annonçames
la mort & une des claufes fingulieres
du teftament de M. Grofley , Affocié
Libre de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres . Le Teftament entier , par
fon originalité , mérite d'être rapporté. En
f3
( 126 )
voici un extrait qu'on prétend être très-
Adele.
« Je veux être inhumé au pied de la croix du
cimetiere de Sainte- Julle , qui , depuis foixante
ans , eft mon promenoir du matin. La ferpilliere,
la civiere , les porteurs , le Cordelier , le luminaire
& le chant , qui accompagnent les morts les
plus pauvres de l'Hôtel - Dieu , feront les frais de
ma fépulture , & qui m'aime me fuive.
Pour teni: lieu de trentain & d'annuel , fera ,
dans l'hiver de mon décès , ou dans celui qui le
fuivra immédiatement , employée une fomme de
800 liv , en habits folides , uniformes , à diftribuer
aux enfans de gens pauvres de bonne conduite
& chargés de famille , cu de veuves de
cet état , dont le choix fera fait par mon exécuteur
teflamentaire , affifté de quatre notables
de la rue du Bois . Sera cet habit une vefte
croifée & doublée du même drap , qui pourra
fe dédoubler pour l'été , & une culotte . La fourniture
de l'étoffe fera prife chez un Marchand
Fabricant , fimple roturier.
Sera compté à ma Servante une double annte
de fes gages outre les courans ; plus 200 1 ,
pour habit de deuil que je la difpenfe de porter
& ma peu magnifique garde-robe fera partagée
entr'elle , & la Janette fa devanciere.
Ala perfonne qui fe chargera des deux chats
mes commenfaux , tant & fi long temps qu'ils
vivront, & jufqu'à la mort du dernier , 24 liv.
chaque année.
« En mémoire des foins que Marie Gauthier
qui fut 70 ans au fervice de mes ayeux , a pris
de mon enfance & de mon éducation avant mes
études , je legue une fomme de 400 liv. entre
les plus pauvres de fes arrieres - neveux.
Pour décharge de confcience , je légue à M.
S... la belle édition de l'Abrégé chronologique
( 129 )
du Préfident Hénault , avec les gravures de Co
chin , de premiere épreuve , qui m'ont été données
par l'Auteur.
» Je légue au Procureur M... pour ce qu'il a
fait dans une inftance entamée à ma requête au
Bailliage , la fomme de 3 liv. 4 f.
Je confirme & ratifie une donation entrevifs
par moi ci - devant faite à la maifon de Saint-
Abraham ( 1 ) , fous condition expreffe que le
Curé de la Magdeleine , chef dudit établiſſement
, confervera le Jubé à jour de fon Eglife ,
unique ornement qu'elle ait , & dont elle foit
fufceptible par elle -même , & la quittance de
600 liv. , objet de cette donation , portera foumiffion
de rapport de cette fomme à ma fuccef
fion en cas d'inexécution de la condition expreffe
de non deftruendo.
Je légue pareille fomme de 600 liv. pour
Contribution de ma part au monument à ériger
au célebre Antoine Arnau'd , foit à Paris , foit
à Bruxelles. L'étude fuivie que j'ai faite de fes
écrits m'a offert un homme au milieu d'une
perfécution continue , fupérieur aux deux grands
mobiles des déterminations humaines , la crainte
& l'efpérance , un homme détaché , comme le
plus parfait Anachorete , de toutes vues d'intérêt
, d'ambition , de bien- être & de fenfualité ,
qui , dans tous les temps ont formé les recrues
de tous les partis . Ses écrits font l'expreffion de
l'éloquence du coeur , qui n'appartient qu'aux
ames fortes & libres il n'a pas joui de fon triomphe.
Clément XII . lui on eût décerné les hon .
neurs , en faifant dépofer fur fon tombeau les
clefs du grand Giefu , comme celles du Château-
Neuf de Randon furent dépofées fur le cercuril
(1 ) L'un des huit Hopitaux de Troyes.
f4
( 128 )
de Duguefclin , pour les raifons configuées de
ma main fur mon exemplaire du Renversement
de la morale.
Edifié de la manière dont M. de Guines ,
mon confrere à l'Académie des Infcriptions ,
cultive les Lettres , fans forfanterie , fans intrigue
, fans prétention à la fortune : je legue
à lui & à fes enfans , s'il me prédécédoit , la
fomme de 3000 liv.
Au niveau de mes affaires & abfolument libre
, j'inftitue mon légatsire univerfel le fils
aîné de M. Sourdat , notre Lieutenant- Général
de Police , petit - fils de M. Scurdat mon camarade
dans toutes mes études & mon confière
dans le College des Avocats.
,
Je le prie , & ceux qui fuivront fon éducation
, de fe fauver du goût pour les Romans.
Le préfent legs eft fait en outre fous condition
expreffe : 1°. que le légataire fuivra l'état de
fes peres , en renonçant à toute idée , à toute
vue militaire : 2°. qu'à l'âge de 23 ans révolus
il fera marié.
A défaut de fatisfaire aux deux conditions irritantes
ci - deffus exprimées , ou dans le cas où
le Légataire viendroit à décéder avant d'être
pourvu par mariage , en chacun de ces trois
cas , je lui fubftitue le troifieme des garçons de
ma niece de Pouilly , qui , encore enfant , m'offrit
de la meilleure grace une pêche qu'il avoit
à la main pour fon goûter.
Arrivant mon décès , mes livres , tableaux ,
eftampes , médailles , feront confervés en nature
,fans inventaire & fur un fimple catalogue.
Je nomme pour exécuteur du préfent teftament
mon compere Mouilefarine.
Lu & relu , &c. à Troyes , ce 3 O&obre 1783 .
Signé; Pierre-Jean GROSLEY.
( 129 )
د م ح م
On a imprimé dans les Affiches de Montpellier
l'extrait fuivant d'une lettre écrite au
Couvent des Capucins de Sion en Valais ,
probablement par un des Chanoines Réguliers
de l'Hofpice du mont Saint Bernard .
Révérends Peres , j'ai l'honneur de vous
informer que le 9 Mars dernier , il est arrivé
une affaire affez importante pour notre Couvent
, où fans le fecours de la Providence Divine
, nous aurions été tous affaffinés par une bande
de vingt- quatre voleurs , qui ont monté la montagne
du côté de la vallée d'Aofte , fous prétexte
d'aller chercher de la contrebande pour tranſporter
en Piémont . Ces malheureux , après avoir
reçu l'hospitalité , comme nous la donnons à
tous les voyageurs , ont attendu la nuit pour
mettre en exécution leur déteftible projet. Comme
la montagne cft affez mauvaiſe , nous les réçûmes
avec toutes les marques d'honnêteté ´&
d'humanité poffibles . Environ fur les fept heures
du foir, ils commencerent à prendre leurs armes
, & faifirent au collet le Pere Clavandier
enfuite les domeftiques & plufieurs Peres , qu'ils
tinrent enfermés dans une chambre , pen lant
qu'une partie de ces fcélérats forçoient le Pere
·Clavandier à les conduire dans la chambre du
tréfor , menaçant d'exterminer tous ceux qui
voudroient faire réfiftance contr'eux . Le Père
Clavandier , tout effrayé & fe recommandant à la
miféricorde de Dieu & à la protection du bienheureux
S. Bernard , leur dit , Meffieurs , je vous
prie de ne faire mal à perfonne du Couvent , je
vais vous ouvrir la chambre où eft le trefor
vous pourrez en difpofer à votre volonté , vous n'y
'trouverez pas grand'chofe à préfent , nous n'avons pis
encore reçu nos collectes. D'après cela , ils montefs
&
( 130 )
rent au nombre de quinze , pour enlever le tréfor
; le Pere Clavandiet , tout tremblant leur
ouvrit la chambre cù nous tenons les gros chiens
de réferve , pour le fervice du Couvent & pour
découvrir les voyageurs , qui ſouvent périroient
dans la montagne le Pere entra dans ladite
chambre , les voleurs le fuivirent fans marquer
aucune crainte. Quand ils furent tous dedans , le
Pere fe tourna vers eux , & appella les chiens à
fon fecours ; chaque chien fe faifit d'un homme
, & il fortit au plus vîte de la chambre , nous
criant de prendre courage , que tout iroit bien ;
nous nous débarraffâmes auffi tôt de ceux qui
-étoient restés en bas . Ils prirent la fuite au travers
de la mon agne , les chiens en tuerent douze,
& le lendemain nous fumes à la pou - fuite de ceux
qui s'étoient évadés des deux côtés de la montagne
étant arrivés à S. Remi en la vallée
d'Aofte , on en trouva fept , qui furent arrétés
fur les plaintes que nos gens porterent contr'eux,
& conduits dans les prifons de la cité d'Aofte , où
ils font encore détenus , & je crois bien qu'ils y
refteront juſqu'u printems. Ainfi , des 24 nous
en avons 19 , tant morts que vifs ; quant aux 5
autres , nous ne favors pas s'ils ont péri dans la
montagne , ou s'ils fe font fauvés par que'qu'autre
endroit. Voilà tout ce que je peux vous dire
pour le préfent à ce sujet ».
Signé , FORMA.
Cette lettre prête à de violens doutes .
Elle eft fans date. L'époque où l'on place
l'événement n'eft point celle des Collectes
annuelles que font les Religieux du
Grand Saint Bernard en Suiffe & à Geneve;
Collectes qui ordinairement ont lieu
en Automne ; les voleurs n'ont pas dû
( 131 )
l'ignorer & choififoient mal leur moment.
Cecoup demain feroit d'autant plus extraordinaire
, que ce paffage eft très - fréquenté ,
& qu'il fe raffemble à l'Hofpice quelquefois
4 à 5 cents voyageurs. L'hiftoire des chiens
ne paroît gueres moins fabuleufe : mais fi le
fait eft peu vraisemblable , il n'eft pas impoffible.
Extrait des regiftres des délibérations du Bureru de
l'hôpital général , tenu à la Pitié le Lundi 13
Mars 1786.
L'Adminiftration , inftruite par les Papiers publics
, qu'il a été propofé un prix de 600 livres ,
par la Société Royale de Médecine , dans la
féance du 7 du préfent mois , fur la queſtion fuivante
: » Rechercher quelles font les caules de
la maladie aphteufe , connues fous les noms de
» Muguet , Mllet , Blanchet ; à laquelle les en-
» fans font fujets , fur tout loifqu'ils font réunis
dans les hôpitaux , depuis le premier jufqu'an
troiheme ou quatrieme mois de leur naiſſance ,
» quels en font les fymptômes , quelle en eft la
nature , & qel doit en être le traitement , foit
» préfervatif, foit coa& f. »
*
Et confilérant combien les recherches fur
cette matiere font importantes pour la confervation
des enfans des hôpitaux ; & fpécialement
pour les enfans reçus en l'hôpital des Enfans-
Trouvés & à l'hofpice de Vaugirard , qui font
mis à l'Hôpital général ; après en avoir délibéré ,
a arrêté que , pour exciter d'autant plus l'émulation
des concurrens , & les dédommager des
dépenfes & peines que de pareilles recherches
peuvent exiger , elle ajouteroit à ce prix pareille
fomme de 600 liv . en faveur de celui qui l'au a
mérité , au jugement de ladite Société , à l'effet
f6
( 132 )
de quoi il lui feta délivré une ordonnance de las
ladite fomme fur le Receveur de l'hôpital des Enfans-
Trouvés , dans la dépenfe duquel elle fera
allouée , en rapportant cette ordonnance duement
quittancée .
Nous avons reçu une lettre dont l'Ecrivain
fe plaint que dans la Notice du Plan
de Bourg en- Breffe , publié par M. de la
Lande , on ait placé dans cette ville la naiffance
de Guichenon , de Collet & de Commerfon
, nés à Chatillon lez Dombes ; mais
Chatillon étant un bourg de la Breffe à 4
lieues de la ville capitale , M. de la Lande à
pu fans erreur comprendre dans fa lifte des
Auteurs de Bourg ceux qui ont reçu le jour
à Chatillon .
Plufieurs Papiers publics , & notamment
le Courrier d'Avignon , ont parlé de l'accueil
diftingué que l'Académie Royale de Nifmes
s'eft empreffée de faire à M. Mefmer , &c. Les
Cabinets de cette Compagnie font ouverts
trois jours de la femaine à tous les Curieux ,
& lorfque M. Meſmer eft venu les vifiter
les Commiffaires de l'Académie préposés à
la garde des Cabinets les lui ont montré ,
comme à d'autres étrangers qui fe préfenterent
pour les voir en même temps que lui .
Le Gazetier d'Avignon a donc été mal informé
des ufages de l'Académie & de fa conduite
dans cette occafion . [ Note envoiée par
le Secrétaireperpétuel de l'Académie ] .
Paul-Charles Marie , Marquis de Lomenie
, Lieutenant Commandant d'escadron
( 133 )
des Gardes du Corps , Compagnie de M. le
Prince de Poix , Brigadier des Armées du
Roi , & Chevalier de l'Ordre Militaire de
Saint-Louis , eft décédé à Brienne , le zo
Mars.
Jacques Duhéron , Chevalier de Malauffane ,
eft mort le 25 Novembre dernier , au château de
Malauffane , près Condom , âgé de 97 ans accomplis
; on n'a point trouvé fon extrait baptiftere ,
mais on fait très- pofitivement dans fa famille
qu'il exiftoit au mois de Septembre 1688 ; il fe
donnoit lui -même un peu plus d'âge ; car il difoit
affez fouvent à fes amis , je galope ma centaine .
Il eftparvenu à cet âge fans avoir effuyé d'autres
maladies que quelques - ures occafionnées par des
chûtes ; il y a trois ans qu'il en fit une en voulant
monter à cheval ; l'étrier caffa , il tomba & fon
corps fut tout meuriri ; il ne voulut faire aucun
remede , & guérit. Il étoit naturellement gros
mangeur , & obfervoit cependant le jeûne avec
une rigidité qui a peu d'exemples ; il ne buvoit
jamais d'eau , mais il fe bornoit à trois petits coups
de vin à fon diaer , autant à fon fouper & deux
à fon déjeûner .
Anne-Jeanne -Amable de Caulet de Gramont
, veuve de Jean-Jacques de la Roche-
Genfac-Lomagne , Vicomte de Lomagne ,
Marquis de Genfac , Comte de Corbarieu
& autres lieux , ancien Capitaine du régiment
de Marcieu , eft morte le 3 du mois
lernier en fon château du Claux près Mona
uban en Querci.
François Jofeph Romain , Baron de Diefbach
de Belleroche , Lieutenant général des
Armées du Roi , Grand - Croix de l'Ordre
( 134 )
royal & militaire de Saint Louis , eft mort
en fon château d'Achiet - le - petit en Artois le
10 Mars , âgé de 70 ans .
">
» C'eſt par méprife & prématurément
qu'on a annoncé dans la Feuille de
» la Correfpondance pour les Sciences & les
» Arts , la retraite de M. du Prat , Secré-
» taire général pour l'Adminiſtration : cette
>> retraite n'a eu lieu qu'avec celle des autres
» Membres de l'Adminiftration de cet Era-
» bliffement , qui a été entierement laiſſée à
» M. de la Blancherie le s du préfent mois.
» Les motifs qui ont déterminé le Confeil
» d'Adminiſtration de la Correſpondance gé-
» nérale & gratuite pour les Sciences & les
» Arts à fe retirer , portent le Comité de cette
» Correfpondance à ne plus participer , dans
» les circenftances actuelles , à ce qui con-
» cerne cet Etabliffement » .
On a conté diverfement une aventure
très -malheureuſe , arrivée à Beauvais . Veici
le Fait.
» Ou jouoit la Comédie dans cette ville 2
ן ו ח
G.- du C... avoit fon chapeau fur la tête dans
» une loge, le Parterre compofé d'ouvriers étran-
» gers, emploiés aux Manufactures de cette ville ,
crierent avec beaucoup d'arrogance , chapeau
bas; les cris empêchoient de jouer la Comédie
; ils crierent encore en l'infultant . Alors
» un autre G.. en colere fe jetta l'épée à la main
» dans le Parterre , & fut fuivi de plufieurs autres.
Cette affaire dura environ quatre minutes ;
la Comédie continua , & on apprit après la
( 135 Y
Piece qu'il y avoit un hommé tué. Le G .. qui
a gardé fon chapeau , & celui qui a fauté dans
» le Parterre ont été arrêtés & enfermés . Les
coupables qu'on a pu découvrir , ont été rem-
Yoits du Corps . On ne connoît pas celui qui a
> eu le malheur de tuer l'ouvrier. Cette aventure
» cauſe un grand chagrin à tous les G...- du-C...
» qui paffent pour une troupe auffi bien compofée
que difciplinée.
Le Clerc , Chevalier de l'Ordre du Roi , &
fon fils , Officier au régiment de Durfort , dragons
, viennent de faire paroître la feconde livraifon
de l'Atlas du Commerce , agréé par Sa
Majefté cette livraiſon confifte 1º . En une Carte
générale de l'Empire de Ruffie ( 1 ) , où l'on
a défigné par des couleurs particulieres , l'éten
due de cet Empire au commencement de ce
fiecle ; les conquêtes de Pierre - le Grand ; la
ceffion que ce Prince fut obligé de faire par la
paix du Prouth ; les pays recouvrés par la paix
de Belgrade ; la partie de la Finlande conquife
par Elifabeth ; les Contrées foumiles à la Ruffie
par Catherine II ; les découvertes faites par
les Voyageurs & les Navigateurs modernes.
2º. La Carte hydrographique de la Mer Cafpienne
, avec des fondes , &c.
3 ° . La Carte de la Mer- Noire , avec des Obfervations
nautiques très récentes.
4° . Le Confluent du Bog & du Borifthene ,
depuis Kerfon jufqu'au Cap Hadgi - haffan
Carte nouvelle très intéreffante.
5. La Carte du Cours du Danube depuis
ธ
( 1 ) Se trouve à Paris , chez Frou'lé , Libraire ,
Quai des Auguftins ; à Versailles , chez Blaifor ,
Libraire du Roi , &c.
( 136 )
1
Vienne jufqu'à les embouchures dans la Mer-
Noire.
La troifieme & derniere livraiſon fe fera dans
trois mois , avec un Volume de texte , in- 4º.
imprimé en caracteres neufs , fur papier Grand-
Rafin.
PAYS - BA S.
DE BRUXELLES , le 8 Avril .
D'après la réfolution du 13 Janvier prife
par les Etats de Hollande , d'offrir au Roi
de France deux vaiffeaux de guerre , on a
choifi dans l'Amirauté de Frife deux vaiffeaux
de 74 can.; l'on payera à cette Amirauté
une indemnité de 500 mille florins , &
l'on chargera le Confeil d'Etat d'une pétition
de 120 mille florins pour l'équipement
de ces deux vaiffeaux.
Sur le chemin de Metz à Treves , fe trouve
aux frontieres une hôtellerie ifolée. Un Officier
François voyageant à cheval , fuivi d'un feul domeftique
, fut dans le cas d'y defcendre il y a
quelque temps. Le Cavalier fe fait donner une
chambre , le valet conduit les chevaux à l'écurie.
Revenu près de fon maître , ils caufoient enfemble
fur l'air fombre & féroce de l'hôte , & la trifteffe
qu'infpiroit le défordre qui regnoit dans
P'hôtellerie. Pendant qu'ils fe faifoient mutuellement
part de leurs conjectures à ce fujet , ils entendent
ungrand bruit dans l'écurie . Les chevaux
ne s'y tenoient point tranquilles ; leurs henniffemens
, les coups de pied réitérés , forcerent le domeftique
d'aller en chercher la caufe. Il revint
tout pâle raconter à fon maître qu'un de leurs
chevaux , à force de battre fur le pavé , avoit dérangé
quelques pierres , & qu'il avoit cru apper(
137 )
1
cevoir dans la terre la main d'un cadavre .
Nous fommes prévenus , dit le maître , cela
nous fuffit. Nous fommes ici dans un lieu dange .
reux. Mais que peuvent craindre deux hommes
bien armés ? J'efpere que tu me feconderas ? Jufqu'à
la mort , répondit le domeflique .
Cependant une jeune fille entre dans leur chambre
pour y mettre le couvert. L'Officier l'interro -
ge , il n'en peut tirer aucune réponse ; il voit
feulement quelques larmes s'échapperde les yeux.
Mais fes prieres ni fes menaces ne peuvent en arracher
aucun éclairciffement. Le maître & le domeftique
redoublent leurs inftances . Enfin l'infor
tunée leur fait entendre par les fignes qu'ils ne
doivent point toucher aux mets qu'on leur préfentera
.
Un moment après entre l'hôte avec le fouper
qu'il place fur la table , en invitant les étrangers
à manger. Ceux- ci s'en excufent , apportent divers
prétextes ; l'hôte infifte , ils tiennent bon.
L'aubergifte fort & rentre accompagné de trois
hommes auffi robuftes , auffi farouches que lui ,
qui fignifient en entrant à l'Officier qu'il doit fe
réfoudre à manger ; l'Officier & fon fidele domef
tique ne répondent à cette politeſſe d'un nouveau
genre , qu'en brûtant la cervelle aux deux affaffins
qui fe trouverent le plus près d'eux ; les deux
autres prennent auffitôt la fuite. Les vainqueurs
Jes pourſuivent , & les forcent de fortir de la mai◄
fon , puis barricadant fortement les portes , ils
reviennent auprès du feu pour attendre le jour ,
& tiennent leurs armes prêtes à foutenir un affaut
en cas de befoin. La précaution ne fut pas
inutile. Vers le milieu de la nuit ils diftinguerent
les voix de plufieurs perfonnes qui travailloient
à enfoncer la porte.
Les affiégés fe rendent au lieu de l'attaque . Les
ennemis avoient déja fait breche : le plus hardi
( 138 )
veut entrer le premier. II eft auffitôt puni de fà
témérité : il en reftoit quatre que la mort de leurs
camarades rendoit plus circonfpects ; pendant
qu'ils déliberent , l'Officier & fon valet les faluent
de deux décharges répétées de leurs armes ,
en voyent encore tomber un , & les trois autres
prendre la fuite , griévement bleffés , à ce qu'il
parut par les traces de leur fang.
Les voyageurs furent tranquilles le refte de la
nuit ; au point du jour ils remontent à cheval
en faifant un détour par précaution , viennent à
la ville , & y dépofent tout ce qui leur eft arrivé.
On eft actuellement à la pourfuite des brigands ,
qui ont échappé aux coups des deux intrépides
voyageurs.
Les Etats de la Province d'Utrecht
peraftent dans leur oppofition aux réfolutions
des habitans de la Gapitale , & de
la ville de Wyk, qui s'eft auffi fouftraite--
à l'autorité du Réglement de 1674. Les
Etats ont réfolu de refufer l'entrée dans leur
Affemblée au Bourgueneftre de cette Mu
nicipalité de Wyk qui a voix délibérative au
Corps Souverain. Celui ci va fe trouver aux
prifes avec la Province de Hollande , qui a
défendu aux troupes à fa folde , de marcher
à Utrecht fans un ordre exprès de fa part.
Les Confeillers - Comités des Etats d Utrecht
fondent leur réclamation fur l'Union d'Utrecht
; mais d'autres Publiciftes trouveront
aifément qu'elle y eft contraire.
Les Etats de Hollande ont décidé la réforme
de toutes les troupes légeres nouvel
lement levées , à l'exception de fix Compagnies
du Corps de Salm.
( 139 )
Le Corps des Nobles de la Province d'Overyffel
vient de faire une démarche , dont.
une lettre de Deventer rend compte en ces
termes :
Les Seigneurs du Corps Equeftre de la province
d'Overyffel ont fait à l'affemblée des Etats ,
du 24 de ce mois , la déclaration fuivante , qu'ils
ont remife par écrit , fur la propofition de MM .
Jes Députés de la Ville de Deventer , du 15
Mars , & dont copie avoit été prise par tous les
Membres :
"
« Les Seigneurs du Corps Equeftre , préfens ,
ayant examiné avec l'attention requife la propofition
par écrit , avec toutes les pieces annexes ,
remifes par MM. les Députés de la ville de Deventer
, le 15 Mars 1786 , à l'affemblée , ils jugent
entiérement inutile d'entrer préalablement dans
une recherche ou réponſe fur le préambule deladite
propofition qui ne tend à rien autre qu'à
annuller le Réglement de la Régence , & ainfi
changer la conftitution établie. Mais ils fe trouvent
obligés de déclarer par la préfente , qu'à
leur admiffion dans le Corps des Nobles de cette
Province , ayant volontairement & de bonne
foi , concurremment avec les autres membres de
l'Etat , juré par ferment folemnel & promis à
Dieu tout - puiffant : qu'ils tiendront & obferveront
pour autant que cela dépend d'eux , & feront tenir
& ol ferver le Réglement de Régence de cette Province
, arrêté le 19 Février 1675 , inhére , renouvellé
& réimprimé par les Nobler & les Villes le
29 Mars 1748 , & fur lequel S. A. S. le Seigneur
Prince Stathouder- Héréditaire actuel a été élevé &
établi comme une loi fondamentale & permanente
pour la Régence de cette Province , & arrêté fans
préjudicier aux Réglemens préalables de la Régence
de la Province , pour autant qu'il n'y eft point con(
140 )
traire : En conféquence de ce , lefdits Seigneurs
du Corps Equeftre ne voulast point le
rendre coupables de parjure & de faux ferment ,
fe tiennent obligés de perfifter fidelement dans
leur ferment primitif , & par ainfi de s'oppofer
à toute alération ou changement , foic propofé,
foit réfolu , fous quelque nom que cela puiffe
être , à l'égard dudit Réglement de Régence ; à
moins toutefois que cela ne fe fit d'une maniere
légitime & du confentement unanime , tant des
Nobles & des Villes , que du Seigneur Prince
Stathouder. »
Lefdits Seigneurs du Corps Equeftre jagent
s'être fuffifamment déclarés par la préfente for
la propoſition faite par MM . les Députés de la
ville de Deventer : ils ajoutent que dans le cas
où il feroit trouvé quelques points fufceptibles de
changement ou annulation dans ledit Réglement
de Régence , ils feront prêts à entrer à cet égard
en befogne avec les autres membres de l'Etat
a nfi qu'à l'égard des plaintes des petites Villes :
étant fort éloigné de vouloir en rien préjudicier
à leurs loix & priviléges légitimement obtenus ,
mais tâchan: au contraire de coopérer à leur
maintien , & rétabliſſement . »
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
La réception très- gracieufe que l'Empereur a
faite au Comte de Podewils , a fourni nouvelle
matiere aux conjectores de nos devins politiques .
A les en croire , cet Ambaſſadeur a apporté à Sa
Maj . Imp. les affurances les plus pofitives de l'inclination
qu'auroit le Roi fon maître de coopérer
efficacement à l'élection d'un Roi des Romains ,
en faveur de S. A. R. l'Archiduc François ,
Grand-Prince de Tofcane ; ils ajoutent qu'en revanche
S. M. Pruffienne defire que la Cour I. R.
obferve la neutralité la plus exacte , au cas que
les différends des Hollandois , perfiftans à ne point
( 141 )
vouloir s'arranger à l'amiable dans les affaires du
Stathouder , le Roi employât des meſures plus.
énergiques. Cette demande paffe ici pour un trajt
de la politique la plus confommée . Quoi qu il en
foit de ces conjectures , il eft certain que le repos
de l'Europe eft fondé fur la bonne intelligence qui
continue de fubfifter entre Jofeph & Frédéric II.
[ Gaz, de la Haye ro. 48. ]
Les dernieres lettres de Lisbonne , en date du
24 Février , annoncent l'arrivée de quatre vaiſfeaux
Portugais , qui venoient des Indes - Orientales
& avoient re'âché au Cap de Bonne - Efpérance.
Un particulier qui s'eft trouvé à bord de
l'un de ces navires , a confirmé la nouvelle de
l'émeute de la Légion de Luxembourg à Columbo
en l'Ile de Ceylan ; mais il rapporte en même
temps , que le Gouvernement Hollandois étant
parvenu à fe faifir des matins , il y en avoit déja
eu 20 des plus coupables condamnés au dernier
fupplice . Les mêmes avis annoncent que l'efcadre
Hollandoife , aux ordres da Commandant van
Braam , s'étoit rendue à Ceylan , pour y porter
les fecours néceffaires au rétabl ffement de l'erdre
& de la tranquillité. Cette efcadre étoit en fort
bon état , quoique les équipages euffen: beaucoup
fouffert par les maladies. Son retour en Europé
ne paroiffoit pas encore fort prochain , vu qu'un
foulevement des Malais qui avoient repris la
ville de Silangor , avoit rendu une nouvelle expédition
néceffaire avec tous les vaiffeaux de l'ef
cadre à Riauw & fur la côte de Malacca. [ Gaz.
de Leyde , no. 27. ]
GAZETTE ABREGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS.
Tournelle Criminelle
Accufation d'affaffinat prémédité, entre Pierre Barou,
Menuifier, Bencit Barou , Cabaretier à Chazelles,
le fieur Mofnier, Curé de Chazelles -fur-l'Àdvieu
( 142 )
en Forez; ce dernier , appellant d'un décret deprife
de corps décerné contre lui par les Officiers du
Bailliage de Montbrifon. Et M. le Procureur-
Général.
L'affaffinat du Sr. Morelde la Combe , Juge Châtelain
de l'Advieu , domicilié dans la Paroille de S.
Jean- Soleimieux , commis le 7 Janvier 1782 , à 11
heures du foir , d'un coup de pistolet , chargé de
deux balles , dont il fut tué , eft le corps de délit
qui a fait la matiere du procès . Le fieur Morel
étoit dans une chambre de fa maiſon , au premier
étage , dans laquelle il ne couchoit que de la
veille , attendu les réparations qu'il faifoit faire.
Son lit étoit dans une alcove , celui de la dame
fon époufe n'en étoit féparé que par un espace
d'environ deux pieds ; un rideau commun fermoit
Palcove. La dame Morel , qui étoit couchée , ainfi
que fon mari , n'a pas été attaquée ; elle a été réveillée
par le bruit du piftolet , & dans le même
moment, elle a apperçu le corps enfanglanté de
fon mari ; elle appelle du fecours , & déja le
meurtrier n'y étoit plus . Le lendemain matin ,
la dame Morel fortit de Chazelles , avec fon neveu
& fa niece , quelques domeftiques les ſuivirent ,
& il ne refta dans la maifon que deux fervantes.
-
Le Vice -régent de la Châtellenie , appellé
pour dieffer fon Procès - verbal , fe rendit dans la
maiſon du fieur Morel , avec le Procureur, Fifcal
& un Chirugien . Le Juge interrogea les fervantes
fur les circonftances de l'affaffinat ; il monta enfuite
dans la chambre où s'étoit commis le crime ;
il conftata l'état du cadavre , fa bleffure , en fit
faire l'ouverture , & trouva deux balles d'étain
dans la tête. Le Procès-verbal qui fut dreffé
ne donnoit aucun indice fur le coupable ; mais
des bruits enfantés par la calomnie , firent parvenir
au Juge quelques foupçons fur le compte de
Pierre Barou , Menuifier , qui avoit travaillé aux
( 143 ).
réparations de la maifon du fieur Morel. On donna
à entendre qu'il avoit dirigé les ouvrages faits
aux portes & fenêtres de la chambre du Sr Morel ,
de maniere à en rendre l'accès plus facile pour
l'exécution du noir deffein qu'on ofa lui fuppofer
d'avoir affaffiné le fieur Morel . C'en fut affez pour
faire arrêter ce malheureux Menuifier , le 10 Jan
vier 1783. L'éclat de cet emprifonnement détermina
quelques foupçons très vagues de la part
de quelques témoins de l'information . Parmi les
témoins , il fe préfenta une fille , qui depuis longtemps
nourriffoit contre le Curé de Chazelles une
inimitié outrée , pour raifon d'un mariage manqué
, dont elle attribuoit la rupture à ce Curé
c'eft une fille qui , dans une dépofition très-longue
, a accufé le Curé de complicité d'affaffinat
du fieur Morel , avec Barou. Elle a fuppofé que
c'étoit le Curé qui en avoit infpiré le deffein au
Menuifier , dans différentes converfations qu'elle
prétendoit avoir entendues. Sa dépofition étoit fi
abfurde & fi ridicule , qu'elle ne fit pas d'impreffion
d'abord fur l'efprit du Juge ; & ce ne fut que
le 22 Décembre 1784 , environ deux mois après
la dépofition de cette file , que le Curé de Chazelles
a été décrété de prife de corps ; il a été
arrêté dans le moment , cù inftruit du décret , il
partoit pour Lyon , où il alloit réclamer la Juftice
de l'Official , fon Juge naturel. Conftitué
prifonnier à Montbrifon , il a interjetté appel en
la Cour , du décret qui avoit été décerné contre
lui. Un premier Arrêt , du 5 Janvier 1784 , a
reçu fon appel , & ordonné l'apport de la procédure
au Greffe de la Tournelle. Un deuxieme
Arrêt , du 18 Mars fuivant , rendu fur le yu des
charges , a ordonné fon élargiffement provifoire .
Le Defenfeur du Curé de Chazelles a établi
J'innocence de Pierre Barou fyr un alibi , & conſé(
144 )
quemment celle du Curé de Chazelles , qui n'avoit
pu confeiller un crime imaginaire , & dont il n'y
avoit aucune preuve dans la procédure ; il a difcuté
en uite la dépofition de Marie Salle , témoin
un que contre le Curé , & il en a démontré la fauſfeté
; enfin , ayant mis dans le plus grand jour
l'innocence des accufés , l'Arrêt que voici eft intervenu
le 28 Septembre 1785. Notredite
» Cour reçoit le Curé de Chazelles incidemment
Appellant de la Sentence du Bailliage de Mont-
» briſon , du 22 Décembre 1784 ; faiſant droit
» fur icelui , met l'appellation & ladite Sentence
» au néant ; émendant disjoint la procédure extraordinaire
faite en la Jufice de Chazelles ,
fur la plainte de Pierre Morel & autres , du 30
Avril 1773 , de celle commencée d'abord en
» la Châtellenic Royale de l'Adviey , à la requê e
» du Subftitut de notre Procureur - Général en
ladite Châtellenie , & continuée au Bailliage
» de Montbrifon ; reçoit notre Procureur- Géné-
">
ral Appellant pour le nommé Benoit Barou , de
» la procédure extraordinaire contre lui , com-
" mencée en la Châtellenie Royale d'Advien
& continuée au Bailliage de Montbrison , faifant
droit fur ledit appel , enfemble fur ceux
interjettés des mêmes procédures par le Curé
de Chazelles & Pierre Barou ; met les appella-
» tions & ce au néant ; évoquant le principal & y
so faifant decit , décharge lerdits Caré de Chazelles,
Pierre Barou & Bencit Barou , des plaintes & accufations
contre eux intentées ; en conféquen-
» ce , ordonne que let dit Pierre & Benoit Baroù
» feront mis hors des pritens ; comme auffi , que
» leurs écrous , ainfi que ceux du Cure de Chazelles
, feront rayés & biffés de tous Regiftres.
Leur permet de faire imprimer & afficher notre
» préſent Arrêt , par- tou où bon le viſemblera.
» SI MANDOns , &c. »
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 8 Avril.
'Oppofition de la ville de Dantzick à la
bonne intelligence avec le Roi de Pruffe ;
oppofition que M. de Hertzberg , dans fa
deniere Differtation , appelle les tracafferies
d'une ville inquiete , paroît fe renouveller . On .
prête aux Dantzickois de fervir d'inftrumens
à d'autres Puiffances ; foupçon peu vraiſemblable
, fi l'on confidere que cette République
, i tiraillée depuis le dernier partage de
la Pologne , n'eft gueres en état de donner
des embarras férieux à S. M. Pruffienne.
Le Pavillon Pruffien , à ce qu'on dit , a été
infulté fur la Viftule ; violence inconfidérée
à laquelle on ne peut ajouter foi , fans des
avis plus authentiques.
L'Elbe eft de nouveau débarraffé de glaces
, & la navigation en eft ouverte. Plufieurs
bâtimens venant de Londres , de Bor-
Nº. 16 , 22 Avril 1786. g
( 146 )
deaux font arrivés ici. La glace s'eft également
rompue dans le Sund qui charie actuellement
beaucoup de glaçons.
On va établir inceffamment à Copenhague
une caiffe royale de crédit , où les propriétaires
de terre & les payfans trouveront
des fonds & des fecours pour l'amélioration
de leurs poffeffions .
Le Roi de Danemarck , inftruit du courage
& de l'humanité d'un particulier de
Shagen , qui a fauvé 13 perfonnes d'un bâtiment
Anglois naufragé près de Shagen , lui
a fait remettre une grande médaille d'argent
avec l'infcription pro meritis , & une
fomme de 100 rixdalers .
•
Fin du Précis fur le Commerce du Danemarck,
Commerce des Danois avec la Hollande.
Marchandifes d'exportation.
Boeufs , bled , bois de conſtruction , fers .
Marchandifes d'importation.
Epicerie & Drogues.
Le bilan du commerce eft en faveur des
Danois ; mais comme l'Etat doit des fommies
confidérables aux Hollandois , & que ces derniers
ont une grande part dans les actions de
la Compagnie Afiatique , le bénéfice du commerce
eft abforbé par les intérêts à payer &
par le dividende des actions qui revient aux
Actionnaires Hollandois.
Commerce des Danois avec l'Angleterre.
Ce commerce le réduit à peu de chofes ;
( 147 )
cependant le commerce interlope avec l'Angle
terre eft de conféquence.
Les Anglois reçoivent de la Norwege du
bois de confiruction , des mâts , des poiffons
féchés , & c. Mais depuis que la Ruffie a permis
l'exportation du bois , & que fon bois eft moins
cher que celui de Norwege , cette branche de
commerce eft beaucoup diminuée.
Le bilan ef en faveur des Danois.
Commerce des Danois avec la France.
"
Marchandifes d'exportation.
Beurre fromages , chevaux du Holftein ;
viande falée , poiffons téchés , reſure de cabeliau
, goudron , voiles , & d'autres marchand.
fes d'importation.
Marchandifes d'importation.
Sel , vins , eaux - de - vie , fruits , marchandifes
de bijouterie & de modes , & par le commerce
interlope des foieries & laineries des
fabriques Françoifes.
Le bilan eft au défavantage des Danois.
Commerce des Danois avec l'Espagne & le
Portugal.
Marchandifes d'exportation.
Les mêmes qu'en France , excepté les
chevaux .
Marchandifes d'importation .
La navigation des Danois dans cette mer eft
confidérable . Ils exportent en Italie , fur- touc
des poiffons féchés , & en importent de la foie.
Mais ce qui rend cette navigation active , c'ek
le fret que gagnent les navigateurs Danois ,
allant de port en port dans cette mer. Les
8 2
( 148 )
Italiens fachant que la couronne de Danemark
vit en paix avec toutes les Puiffances
Barbarefques , confient leurs marchandiſes aux
bâtimens de cette nation , qui les tranfportent
partout dans la Méditerranée . Mais malgré
cet avantage , la nation en général fait peu de
bénéfice dans cette navigation , l'entretien de la
bonne harmonie avec les Barbarefques lui coûte
très-cher.
Commerce des Indes Orientales.
Ce commerce eft fait par le Compagnie
Royale Afiatique , mais depuis 1777 , époque
à laquelle le roi a repris le gouvernement ou
l'adminiſtration territoriale des poffeffions Danoifes
dans cette partie du monde , cette Compagnie
ne fe mêle que des affaires de commerce .
& il eft même permis aux autres fujets du
Roi d'y aller commercer fous la protection de
la Compagnie , & en lui payant une certaine
rétribution .
L'octroi de la Compagnie eft très - avantageux
pour elle. Il lui eft permis entre'autres chofes
de fe procurer tout ce dont elle a befoin pour
l'équippement de fes vaiffeaux , fans en payer
aucun droit de douane : Les artiftes & arti ans
à fon fervice ne font point affujetris aux ftatuts
des corps de métier : elle eft difpenfée de faire
ufage du papier timbré ; elle fait feule les affaires
commerciales fans que le Gouvernement
puiffe s'en mêler , & ne paie à la Couronne
pour les marchandifes de la Chine & des Indes
Orientales que deux pour cent de celles qui
reftent dans les Etats du Roi , un pour cent de
celles qui font réexportées à l'étranger. Le
commerce d'exportation confifte en fer , armes ,
Mainerie & argen: ; celui d'importation en thé ,
( 149 )
fago , quinquina , rhubarbe , tuttanego , nanquins
, foierie , porcelaine , falper , poivre ,
, coquillages , mouffelines , indiennes ,
perles , &c .
Commerce d'Afrique.
Le commerce de Guinée eft réuni à la Compagnie
de la Baltique , dont le fonds et de trois
millions de rixdalers. Les forts de Chriftian bourg
& de Fridericsbourg délendent les poffeffions danoifes
avantageufement fituées à l'embouchure de
la Riovolta. Le comptoir d'Avita eft un de plus
importans. Les negres , l'ivoire & la pouffiere
d'or font les principaux objets de ce com
merce [ ],
Commerce des Ifles de l'Amérique.
Ce commerce qui occupe environ foixantedix
bâtimens par an , confiile en café , gingembre
, bois , coton & fucre. Il feroit avantageux
à la Nation en général , s'il n'y avoit pas dans
ces ifles un grand nombre de planteurs anglois &
hollandois , dont beaucoup vivent dans leur patrie
& confomment chez eux le bénéfice net
de leurs plantations , & fi la Compagnie aliatique
n'avoit pas la permiffion d'y vendre une grande
partie de fes marchandifes de Chine & des Indes
Orientales.
Bilan général du commerce danois.
On n'eft point d'accord fi la Nation gagne
dans fon commerce ou fi elle y perd. Il eft
vrai que plufieurs Provinces perdent confidé-
་ ་
[1] On a formé le projet de réunir dans une feule Compagnie
les Compagnies de la Guinée , de la Baltique_&
des ifles de l'Amérique . Le projet a été publié le 22 Octobre
1784. La pluralité des Actionnaires décidera de
cette réunion .
g 3
(( 150 ))
rablement , & que le commerce interlope fast
auffi un grand tort à l'Erat . Mais en confidérant
, d'un autre côté , le bénéfice que funt
annuellement la Norwege , la Jutlande , le Flef
fois , & le Holftein , & en y ajoutant le produit
annuel des mines d'argent & de cuivre , & celui
des droits du Sund [ 1 ] , il eft certain que le bilan
général eft en faveur du commerce danois . Le bénéfice
cependant qui refte dans le pays n'eft pas
bien confidérable , puifque les étrangers , qui
ont des actions de la Compagnie Afatique , &
les étrangers planteurs en enlevent une bonne
part.
"
Droitsde Douane.
Les droits de douane ne font pas établis également
& fur le même piel par tous les Etats danois.
Ils font très modérés dans les Duchés de
Hoftein & de Fleffois ; prefque toutes les marchandifes
peuvent y entrer & en fortir. A Altona
le commerce eft abfolument libre , & les droits
d'entrée & de fortis font peu de chofe . Il n'en eft
pas de même en Danemarck & en Norwege.
L'importation des marchandifes étrangeres de.
1xe , & relles des manufactures étrangeres que
l'on peut fe procurer des fabriques du pays , y
cft de endu ; il eft auffi défendu d'en exporter
des marchandifes , brutes propres aux manufac
tures du pays. Les marchand fes importées
fur des bâtimens étrangers paient plus de
[ 1 ] Ces droits fixés par un tarif font levés à Hellingòr ,
"Vyborg & Fridericia en Norwege .
32
Les bâtimens Anglois , Hollandois , Suédois , Fran-
Gois & Ruffes ne payent qu'un pour cent des marchandifes
qui n'y font pas defignées , & s'ils font munis de paffe
ports, ils ne font point affujenis à la vifite , mais les
bâtimens des autres nations font vífités , & payenr
droits un quare pour cent en fus,
droits que celles imperiées fur des bâtimens na➤
tionaux. Mais pour ne pas trop géner le comerce
par des reftrictions , il eft permis aux Négocians
d'importer toutes les marchandifes quelconques
deftinées pour d'autres pays , moyennant
un droit modique de tranfit.
Le Baron de Heiniz , Miniftre d'Etat chi
Roi de Pruffe , vient de faire paroître un
Mémoire fur les bénéfices des Mines dans la
Monarchie Pruffienne. Leur exploitation ,
felon lui , forme un objet des millions de
rixdalers ; elle occupe & entretient 88,024
familles qui payent aux diverfes caiffes publiques
une fomme annuelle de 77 000 rixd .
Le Roi , ajoute M. de Heiniz , n'avoit porté
particuliérement fes vues fur cette branche de
l'économie politique , qu'après la guerre de fept
ans : jufqu'en 1778 , Sa Majefte y avoit employé
470,000 rixdalers ; mais en 1783 , elle a afligné
pour cet objet un nouveau fonds de 260,000 r xdalers.
Les Etats du Roi paient encore actuellement
aux Etrangers pour l'importation des productions
brutes du règne minéral , la fomme de
825,000 rixdalers par an; mais l'exportation de
fes Etats des marchandifes tirées du regne minéral
forme un objet annuel de 1,048,803 rixdalers .
Dans la Monarchie Pruffienne , un feizieme de la
population travaille à l'exploitation des mines.
Dans les Etats Autrichiens , en Saxe & en Suede ,
cette branche d'induſtrie occupe trois huitiemes ,
& en Angleterre , un tiers de la population. Les
mines dans les Etats Pruffiens font moins abondantes
& moins lucratives que celles des pays que
l'on vient de nommer, Un feul exemple prouvera
cette affertion , faveir , 43,000 quintaux de minéral
de fer des mines de Viez dans la nouvelle
8 4
( 152 )
Marche , ne produifent que 9000 quintaux de
greufe , ou 5626 quintaux de fer en barres , ce
qui fait 20 livres pefant & cinq fixiemes de bon fer
fur un quintal de minéral.
DE VIENNE , le 7 Avril .
Il eft queftion de transférer dans une autre
ville de l'Archiduché le Lombard ou Montde
Piété établi dans cette Capitale , & de
réduire à quatre pour cent , l'intérêt des gages
dépofés , au lieu de douze pour cent
qu'on paye actuellement. L'anecdote fuivante
a fait penfer , dit on , à cette tranflation
.
L'Empereur s'étant rendu en perfonne ces jours
derniers dans l'hôtel du Lombard, demanda à l'Inf
petteur le nom du propriétaire des pierreries qui y
avoient été miles en gage pour la fomme de 80
mille flor. & qui avoient été eftimées 130 mille.
L'Inspecteur s'excufa en répondant qu'il ne pouvoit
fatisfaire à la demande de S. M. , fans fe rendre
coupable d'un manque de foi qu'il avoit jurée
au propriétaite de ces précieux joyaux , de ne
point divulguer fon nom. L'Empereur , après
quelques momens de réflexion , fe contenta de
cette réponſe , en faisant l'éloge de l'intégrité &
de la fidélité de l'Infpecteur à garder la foi. Cette
vifite de l'Empereur a été occafionnée , dit - on ,
par les demandes de fommes confidérables qui
avoient été faites précédemment par le Lombard
à la Banque de la ville , pour pouvoir fatisfaire le
grand nombre d'emprunteurs qui y étoient venus
porter des gages pendant le dernier carnaval . C'eft
auffi , comme on le préfumes ce qui a donné licu
au nouveau Réglement qui va être publié , de ne
( 153 )
donner à l'avenir durant tout le tems du carnaval
qu'un ou deux bals mafqués au plus par mois , en
ordonnant généralement de reftreindre les divertiffemens
publics de la Capitale .
On s'entretient toujours ici d'un voyage
prochain de l'Empereur , qu'on affure être
fixé au commencement du mois de Mai .
Selon toutes les apparences , S. M. Imp. fe
rendra dans la Hongrie où l'on doit affembler
un camp près de Peft ; & delà elle ira
dans la Tranfylvanie & la Buckowine.
Il est décidé que les Carmes dans le fauxbourg
de Léopolftalt feront fupprimés.
Leur Couvent eft deftiné aux Récollets de la
ville , & celui de ces derniers fera vendu .
Par un nouveau Décret de l'Empereur il
eft ordonné à tous les bâtimens marchands
de fes fujets de porter le pavillon Autrichien
à bandes rouges & blanches , au lieu
du pavillon Impérial ufité jufqu'à préfent.
D'après un relevé des Regiftres publics .
on a compté l'année derniere dans le Royaume
de Bohême 23,464 mariages , 95,189
naiffances & 94,846 morts. Le nombre des
mariages dans cette ville étoit monté à:
1252 , celui des naiffances à 7890 , & celui
des morts à 5558.
Afin de procurer à la Hongrie des débouchés
de commerce , on dit qu'à la Diete
prochaine il fera délibéré fur un plan pour
conduire le Danube dans la mer Adriatique
entre Buccari & Porto Ré , en joignant par
des canaux le Danube , le lac de Neufiedel ,,
& S
( 154 )
है
Ja Raub , la Mihr , la Drawe , la Sawe &
la Kulpa.
DB FRANCFORT , le 12 Avril.
Depuis le mois dernier , il regne une gran
de fermentation à Nuremberg. Les contributions
de cette ville Impériale à l'Empire ,
au cercle de Franconie & fes dépenfes publiques
ayant été calculées à l'époque où , far
l'induftrie de fes habitans & par fa pofition ,
'Nuremberg étoit la premiere ville commerçante
de l'Allemagne , les révolutions du
négoce ont diminué la recette , les dépenfes
font restées les mêmes , & on a contracté
des dettes onéreufes. Pour en fupporter le
poids , la Régence s'eft avifée au mois de
Février d'établir une nouvelle capitation :
cet impôt a trouvé beaucoup de contradictions;
à peine la vingrieme partie des habitans
a t elle adhéré à l'Ordonnance . Les négocians
& les Députés de la ville ont fait
des repréſentations au Magiftrat : celui - ci
a offert d'abandonner l'impôt , moyennant
une contribution volontaire ; mais cette
queftion incidentelle en a amené une beaucoup
plus importante. La Bourgeoisie réclame
contre l'oppreílion de fes anciens privileges
, d'après lefquels nulle loi importante
& nulle taxe ne peuvent recevoir de fanction
que du confentement de la Bourgeoifie.
Celle-ci demande en conféquence que la
Régence retire fon Réglement fifcal fans
condition , & qu'elle confirme tous les droits
( 155 )
•
& privileges de la Communauté. Quelques
notions fur l'Hiftoire de Nuremberg pourront
jetter du jour fur ces diffenfions.
La conftiturion de cette ville eft aristocratique;
mais c'eft une aristocratie très oppreffive. Dixneuf
familles regardent la ville & lon territoire
comme une propriété ; de ces dix - neuf familles
on élit trente- quatre Sénateurs , dont la Police
eft compofée. Dans certaines occafions , huit
Bourgeois tirés des huit métiers privilégiés
font Affeffeurs de la Magiftrature ; mais ce n'eft
qu'une formalité . Aucun autre bourgeois ne peut
efpérer d'entrer dans le Gouvernement. Celui ci
s'appuie fur un privilege de 1 Empereur Frédéric
III , de 1476 , felon lequel le Magiftrat ne doit
compte qu'à l'Empereur en perfonne. Tous les
emplois un peu lucratifs font occupés par des familles
patrici , nnes. Les bourgeois ne font comptés
pour rien. Un voyageur nous affure qu'étant
à Nuremberg , il revint à l'auberge avec un Négociant
diftingué , & que dans le fallon il n'avoit
jamais pu décider ce Négociant à s'affeoir , parce
qu'un enfant de douze à treize ans , fils d'un Patricien
, fe trouvoit préfent. Les jeunes Patriciens
regardent les plus refpectables de leurs concitoyens
avec une hauteur infupportable . Il y a deux
cents ans qu'on portoit les habitans de Nuremberg
foixante - dix mille ams ; ón en compte actuel .
lement trente mille . Scaliger dit que , de fon
tems , la ville de Nuremberg avoit plus de revenos
que l'Electeur de Saxe . Cette ville contribua
& contribue encore autant à l'Empire que le
Royaume de Bohême , & que les deux principautés
réunies d'Anfpach & de Beyreuth, Nuremberg
paie pour le Kammerzieler ( 1 ) 2030 rixdalers ; la
(1) Muricule de l'Empire.
§g 6
( 196 )
Bohême 1416 ; tous les pays de Bourgogne ,
1014 ; les Principautés d'Anfpach & de Bayreuth
enfemble , 1690. En général , les villes libres
furent impofées en 121 plus que les autres Etats
de l'Empire. Ces derniers ne furent taxés qu'à
proportion de leurs domaines , les villes à proportion
de leurs revenus. Par exemple, Augsbourg paie
1268 rixd.; Ulm , 2487 ; Hambourg , 1098 Les revenus
de Nuremberg font évalués à fix milions
de florins ; mais il est vraisemblable qu'ils ne paffent
pas deux millions. Comme les Patriciens
prétendent n'être obligés à rendre compte à per .
fonne qu'à l'Empereur , on leur reproche de partager
entr'eux le produit des impôts . Malgré ces
revenus confidérables , cette Ville eft chargée
de beaucoup de dettes. On évalue l'avantage
d'être né Patricien à la fomme de cent mille
florins. Le Magiftrat de Nuremberg fait un
grand fecret de fes revenus . Depuis long- tems
les gens fenfés prévoyoient une révolution . Les
impôts de la ville font exerbitans .
La ville a confervé jufqu'ici beaucoup de crédit
, à caufe de la régularité avec laquelle on paie
les arrérages des dettes de l'Etat . Indépendamment
des impôts , le Citoyen eft encore affujetti
à beaucoup de dépenfes dont il ne peut fe dif
penfer , & qui font très - onéreuſes . Par exemple ,
l'enterrement d'un homme d'une fortune moyenne
, coûte cin à fix cents florins , une noce ,
8 à 1200 florins ; un baptême , 100 florins. Il y a
des gens préposés à ces cérémonies qu'il faut
payer , même quand on ne s'en fert point. Les
préfens de la nouvelle année montent , pour une
maiton d'une fortune moyenne , à 75 à : 00 florins .
Il faut payer encore une taxe affez confidérable
quand on fait un teftament ou quelqu'autre dif
pofition de ce genre. J'ai fous les yeux un compte
( 157 )
"
d'après lequel , fi un particulier laiffe 50000 f.
dont il a difpofé en faveur de fes enfans , il y a
près de 2000 florins de dépenfes indifpenfables à
faire , comme 1000 fl. pour l'enterrement & les
' habits de deuil , 250 fl . pour la taxe du teftament
, 450f . pour l'inventaire , &c. &c. Ilfaut
que l'efprit d'induftrie & de commerce ait pouffé
ds racines bien profondes dans cette ville pour
n'être pas entiérement détruit par une pareille
administration . Nuremberg cependant fait encore
des affaires très étendues. L'industrie y fleuriſſoit
déja dès le treizieme & le quatorzieme fiecle. On
'y trouve une induftrie prodigieufe , & l'exactitude
nurembergeoife eft en réputation .
Un journalier qui n'avoit pas allez d'argent
pour payer toutes les dépenfes de l'enterrement de
fon enfant , réfolut de l'enterrer lui - même ; dès
que la chofe fut connue , on le condamna à une
longue prifon ; on tira l'enfant de la folfe , & on
l'enterra dans toutes les formes. Une troupe
de Comédiens repréfenta , en 1738 , à Nuremberg
, un traduction allemande des Plaideurs de
Racine. Le Sénat s'imagina que c'étoit une fatyre
contre la Justice de Nuremberg , & on cita le
chefde la troupe ; cependant on le renvoya abfous
lorfqu'il eut déclaré que la Pięce étoit traduire
du françois. Tous les bourgeois font obligés
de donner le repas de noce dans une auberge déterminée.
Un habitant de la ville , qui n'eft pas
bourgeois , & qui n'eft pas affez riche , peut bien
fe difpenfer de donner un repas dans cette maiſon
privilégiée ; mais alors la nouvelle mariée n'ofe
pas porter une couronne comme les autres fiancées
qui donnent un repas dans cette maison .
Sous l'Empereur Charles IV , la Bourgeoifie
fe révolta , dépofa le Magiftrat , & en élat un
autre huit Métiers refterent fideles à l'ancien
( 158 )
: Magiftrat celui - ci étant rétabli , ces huit métiers
obtinrent le privilege d'envoyer un membredes
leurs au Sénat : on nomme res huit bourgeois,
amis du Sénat. Is difent ordinairement oui , à
tout ce que le Sénat décide. Chaque bouteil e
de vin pa e à Nuremberg 1 & demi kreutzets.
L'impôt fur la bierre eft plus confidérable , &
monte à la moitié du prix.
Les nouvelles ultérieures de la haute
Hongrie confirment que le 27 Février , entre
4 & heures du matin , on a éprouvé
une violente fecouffe de tremblement de
terre qui a duré près d'une minute. On doit
avoir fenti le même jour & à la même heure
dans la partie de la Pologne voifine de
ce comitat , des fecouffes encore plus violentes
.
>
On apprend de Wertheim que la Princeffe
de Loevenftein Wertheim y eft accouchée
, le 26 du mois dernier , d'un Prince ,
qui a été nommé au baptême Conftantin-
Louis Charles - François Henri .
Dernierement la Gazette de Mofcou renfermoit
une annonce philofophique affez plaifante.
Antoine le Maire , de Luneville en
» France , arrivé depuis peu à Molcou , fouhaite
d'être employé ou dans une mailon
» de particulier , ou dans une Ecole publi-
» que, pour enfeigner ce qui fuit : La Lan-
" gue Françoife , la Grammaire & l'Ortho-
» graphe des Langues Allemande , Italien-
» ne , Polonoife , Angloife , Suédoïfe , Efpagnole,
Latine , Grecque & Turque , la
Géographie , l'Hiftoire , la Mythologie ,
כ כ
( 159 )
» l'Arithmétique , la Géométrie , la Trigonométrie
, l'Algebre , les haurres Mathematiques
, la Fortification , l'Artillerie , la
» Chymie, la Logique , la Métaphyfique ,
» la Jurifprudence , la Navigation & l'Hy-
» draulique. A côté de cela il entend encore
ל כ
beaucoup d'Arts ; par exemple , celui de
» faire la meilleure Porcelaine de la fayence
» caffée , & plufieurs autres chofes qui appartiennent
à la Chymie. Il peut encore
» donner des leçons de deifin , de clavecin ,
de chant , & enfeigner à voltiger avec une
facilité extrême. Il demeure dans le champ
des Vierges , à côté de la fabrique de
» Thames , dans la maifon du Fripier An-
» dré Horefchtrow , au No. 95 .
כ כ
Un ordre du Roi de Pruffe du 13 Mars
a enjoint aux Tribunaux d'être plus féveres
dans les affaires criminelles , & fur-tout dans
la punition du meurtre , des vols & des violences
commifes fur les grands chemins. Sa
Majefté ordonne que le meurtrier foir puni
de mort, & que ceux qui volent ou maltraitent
quelqu'un fur les grands chemins foient
condamnés à perpétuité aux travaux dans les
fortereffes.
L'adminiſtration des pauvres dans la ville
de Breflau a entretenu pendant l'année 1785 ,
foit avec de l'argent , foit par le travail 3314
individus. Le nombre des malades reçus
dans les Hôpitaux eft monté dans la même
année à 2322.
Le Docteur Bufching a publié dans fes Feuilles
Hebdomadaires les obfervations fuivantes fur les
( 160 )
naillances dans plufieurs villes de Saxe , pendant
Parnée 1785.
A Leipfick , dit il , le nombre des garçons a
furpallé de beaucoup celui des filles ; fur 14 enfans
vivans , on a compté un mort- né & furs enfans'
légitimes , préfentés au Baptême , un enfant illégitime.
3
A Freyberg , le 12e. enfant mort- né , & le 103 .
erfant illegitime.
A Delifch & aux villages y incorporés , le 21e .
enfant mort - né , & le 1ze . enfant illégitime .
A Bitterfeld , le 21e . enfant mort né , & le i je.
enfant illégitime .
A Dicben & aux villages y incorporés , le 2re.
enfant mort né , & le 11. enfant illegitime...
AZoerbig , le 20e. enfant mort- né , & le 13e.
enfant illégitime.
Depuis quelques années , le nombre des pauvres
augmente beaucoup à Leipfick ; l'année derniere
, le Bureau de Charité en a foutenu 3,293.
Il en eft de même à Berlin , où le nombre des
pauvres pendant l'année derniere a forp Ké
de 402 celui de l'arnée 1784 .
Ce même Docteur a inféré dans fou Journal
hebdomadaire une lettre d'un de fes Correfpondans
où on lit que la Gallicie & la Lolomérie ont
1360 milles carrés de furface , & une population
de 3,107,000 ames . Dans ce nombre font compris
125,000 Juifs . La population de Limberg:
monte à 25,000 habitans . Les Proteftans établis
dans certe Ville ont acheté l'Eglife des Dominicains
, dont la conftruction n'avoit pas été achevée,
& qui , pour la finir , leur coûtera encore la
fomme de ro, 000 florins. Le Correfpondans
ajoute que felon la proportion de furface entre les
fufdites deux Provinces & les Provinces qui compofent
actuellement la République de Pologne:
( 161 )
& le Duché de Lithuanie , ces Provinces doivent
renfermer une population de 1 à 12 millions
d'ames, Jufqu'à préfent il n'existe point de
dénombrement exact de la Pologne , & tant que
les dillenfions dureront dans cet Eat , il n'en faut
point efpérer.
Quelques Papiers publics ont parlé des
prétentions de la Maiſon, de Heffe fur le
Duché de Brabant , fans en indiquer l'origine.
On lit à ce fujet le paffage fuivant dans
un Mémoire publié , il y a bien des années ,
par le Profeffeur Hopp , vice - Chancelier de
Univerfité de Marbourg.
Henri II , Landgrave de Heffe , qui poffèdoit
le Duché de Brabant , eut deux fils , favoir :
Henri III qui lui fuccéda dans ce Daché , & Henri,
furnommé l'Enfint , duquel defcendent les Maifons
actuelles de Haffe. Jean III , arriere petitfils
de Henri III , mourut en 1355`, fans laiffer de
defcendans mâles . Après la mort de ce Prince , de
Duché de Brabant auroit dû paffer à Henri , furnommé
de Fer, petit - fils de Henri l'Enfant ; mais
Jean III fit de fon vivant affurer la fucceffion au
Duché aux Princeffes fes filles , contre lufage &
les loix féodales des Peuples . La 3e . de ces Princeffes
, à laquelle échut la fucceffion , avoir épovfé
Louis , Comte de Flandres , & de ce mariage ,
naquit la Princeffe Marguerite , qui fut mariée à
Philippe-le- Hardi , Duc de Bourgogne . Enfin , le
Duché de Brabant paffa dans la Maifon d'Autriche
par le mariage de l'Empereur Maximilien I , avec:
la Princeffe Marie , fille unique de Charles -le-Teméraire
, Duc de Bourgogne.
Le 27 Février , à 4 heures du matin , on
reffentit à Cracovie & aux environs plufieurs
fortes fecoufles de tremblement de terre ,
( 162))
qui durerent pendant 2 fecondes. Dans plusfieurs
endroits le terrein s'eft crévaffé , &
dans d'autres il s'eft enfoncé de plufieurs,
pieds. Le château de Glebow à 7 milles de
Cracovie a été fortement endommagé. La
commotion s'est étendue jufqu'à Radom.
Les tremblemens de terre ne font pas des
événemens inconnus en Pologne. D'après
les anciennes Chroniques de ce Royaume
on en a éprouvé en 1000 , 1016 , 1200 ,
1:57 & 1258 , 1303 & 1348 .
On lit dans le Mémoire fur le commerce des
Eta's Autrichiens , publié par M. Schwighfer ,
les détails fuivans . Les manufactures de toile ,
dans ces Etats , en fabriquoient par an pour 5
millions de florins; celtes de draps , établies dans
la Bohême & la Moravie , pour 15 millions. Les
fabriques d'indiennes pour 3 millions & sceles
de foierie pour environ 4 milions. Toutes les
branches du commerce national occupent envizon
800,000 perſonnes ; ce qui prouve que l'activité
dans ces Etats qui renferment ure population
de 22 millions d'ames , n'eft pas encore portée
au point où elle devroit l'être .
•
Pendant l'année derniere on a fabriqué à Goldberg
, dans la Silefie , 13,323 pieces de draps
fins , dont 10,591 ont paffé à l'Etranger.
ITALI E.
DE LIVOURNE , le 25 Mars..
Un vent violent avoit amené ici un gros
bâtiment destiné pour un autre port. En{
(1163))
tr'autres perfonnes , ce navire portoit deux
Chevaliers de Malthe François. Ils étoient
defcendus à terre , & pendant que le vaiffeau
reftoit dans le port , ils firent la partie
d'aller à Pife. Ils fe promenoient fur les
bords de l'Arno . Un coup de vent enleve le
chapeau d'un des Cavaliers. Il veut le rattrapper
en l'air , le pied lui manque & il
tombe dans l'eau . Son camarade frappé de
cette chute , cherche cependant à encourager
fon ami ; il tire fon mouchoir de fa poche
, & lui fait figne de le faifir , ce que l'autre
fit en effet ; mais la toile n'étant pas affez
forte , le mouchoir fe rompit , & le malheureux
Chevalier fur entraîné par les eaux
qui étoient très rapides . On accourut au fecours
, mais on ne put fauver que celui qui
étant reſté d'abord fur terre s'étoit précipité
dans le fleuve pour aider fon ami. Le premier
eft noyé , & on n'a point encore retrouvé
fon corps . Cet infortuné avoit für
lui deux répétitions en or enrichies de diamans
, & douze louis dans fa bourfe.
Une lettre d'Alger du 26 Février porte ce
qui fuit :
La paix entre l'Espagne & cette Régence eft
enfin définitivement conclue , & la moitié des fùperbes
préfens , envoyés ici par S. M. Catholique ,
ont déja été remis au Dey. Dans quelques mois ,
plus de roco Efpagnols partiront de ce port pour
retourner dans leur patrie , à qui leur liberté
coûte d'autant plus cher , que tout l'or prodigué
dans cette occafion , ne fuffira pas long- tems gour
( 164 )
affouvir l'infatiable cupidité des Algériens . Nous
avons cu un hiver très - doux . Dès la fin du mois
dernier , les campagnes étoient couvertes de verdure
& les arbres de fleurs . Quel beau pays que
celui ci ! Mais il le feroit encore infiniment davantage
, s'il étoit occupé par un peuple induf
trieux , fous les mains duquel les buiffons & les
herbes groffieres fe métamorphoferoient en riches
moiffons.
La Perf.nne envoyée ici par le Roi de Naples
pour conclure pareillement un Traité de paix
avec cette Régence , a eu plufieurs conférences
avec le Bey. Mais il n'y a encore rien de terminé,
& on deute fort que cene négociation réuflille ,
l'Envoyé de S. Al . Sicilienne n'ayant répondu aux
demandes du Dey que par un état des forces mavales
du Roi fon Maître. Cette circonfiance fait
affez voir , que bien loin d'accorder les tributs
énormes qu'exigent les Algériens , la Cour de
Naples eft déterminée à faire ufage de fes forces ,
non - feulement pour ſe mettre à l'abri de leurs
pirateries , mais encore à les châtier par des 18-
préfailles terribles.
Il paroît que les Anglois ont pris de leur
côté une réfolution vigoureufe avec l'Empeteur
de Maroc.
Se trouvant offenfée de n'avoir plus entenda
parler de M. Payne , parti depuis fept mais , de
n'avoir vu effectuer aucune de les promeffes , &
même de n'avoir reçu aucune réponſe à la lettre
qu'elle a écrite au Roi d'Angleterre , dans le mois
d'Aoûr , S. M. Maure a voulu en montrer publiquement
fon reffentiment . Le 6 Février , il arriva
Tanger une Ordonnance pour augmenter les
droits à percevoir fur toutes les provifions quedes
Anglois voudront exporter , & cela , contre la te
( 165 )
neur du Traité du 14 Juillet 1783 , figné par le
ChevalierCurtis , au nom de la Grande Bretagne.
Le Pro- Conful Anglois , Duff, a refufé nettement
de payer l'augmentation , & par ordre du Gouverneur
de Gibraltar , il a fait déclarer à l'Empereur
qu'une façon d'agir de cette nature équivaloit à
une rupture formelle , qui fans doute s'enfuivroit
bientôt . Le Pacha a reçu des ordres de fon Maître
pour fufpendre l'exécution de ceux qui lui
avoient été envoyés , jufqu'à ce qu'il lui ait fait
paffes fa réponſe à la déclaration du Vice - Confal
d'Angleterre. C'eſt de ces derniers ordres qu'on
conclut que l'Empereur voudroit le réconcilier
avec les Anglois.
DE ROME , le 27 Mars,
Une troupe de bandits s'étant réfugiée
dans le petit fort de Montebello en Romagne,
on y a envolé 30 Cavaliers & 20 fantallins .
Ce château fitué fur la pente d'une montagne
, à quinze milles de Rimini , eſt un fief
de la maifon Bagni de Mantoue. Il eft fortifié
à la maniere ancienne , mais dans une pofition
qui permet à deux hommes de réfifter
à cent ; il est même pourvu d'une petite ,
artillerie. Douze brigands l'occupent ; animés
par le défefpoir. Thomas Rimaldini
leur Chef eft intrépide , & paroît fort tran
quille dans fa retraite . Pendant le carnaval
dernier , il envoyoit fes Affociés dans les
maifons d'alentour , inviter au nom du Marquis
de Montebello les jeunes filles à venir au
bal qu'il donnoit dans ce château , & elles'
( 166 )
étoient forcées de s'y rendre. Il a promis.
une récompenfe de cent écus à quiconque
lui apporteroit la tête du Capitaine Jofeph
del Pozzo , Barigel de Viteibe , & Chef des
Archers. Ces brigands fortent de temps ent
temps du château , & il y a déja eu quelques
efcarmouches entre eux & les Sbires. Néanmoins
pour éviter les rencontres , ils fortent
du fort de l'autre côté de la montagne , où
il n'y a point de gardes. Ils parcourent les
différentes maifons & les font contribuer ,
à titre d'aumône , en argent , grain , riz &
autres provifions.
L'aventure fuivante a fait depuis peu le
fujet des converfations de Ferrare.
Un artiſan , veuf, & d'un âge avancé , avoit une
fille unique , auffi belle que ruſée , & amoureuſe
d'un jeune homme d'une belle figure , & âgé de
20 ans. Le pere découvrit certe intrigue , & fut
tianſporté de colere , lorfqu'il fut que fa fille fortoit
de la maiſon pendant la nuit pour aller courir
les bals avec fon amant pendant le carnaval dernicr.
Les plus fortes remontrances ne produifant
aucun effet , il réfolut d'avertir le Gouvernement
& de demander que fi fa fille étoit trouvée pendant
la nuit dans la rue , feule , ou en compagnie , on
s'en faisit & qu'on la conduisît dans la Maifon de
correction . On donna en conféquence les ordres
convenables , & on fit dire à la Supérieure de la
Maiſon de ne point refufer une jeune fille à telle
heure qu'elle fût amenée par les archers. Le pere
voulant infpirer plus de crainte à fa fille , l'inftruifit
des ordres qui avoient été donnés. Aufli-tôr
elle en avertit fon amant . Celui - ci après s'être
introduit un foir en Tecret , fuivant coutume
( 167 )
chez fa maitreffe , en prit les vêtemens, & fortit
de la maison , avec un mafque fur le vifage. Les
archers le faifirent ; le jeune bemme contrefaifant.
fa voix , montra la plus vive douleur , & malgré
les inftances les plus fortes , il fut conduit au lieu
de fa deſtination . Au fon de la cloche , la vieille
Religieufe parut pour recevoir la prétendue fille ,
& elle lá conduifit dans une chambre. Alors , le
jeune homme déclara fon fexe ; mais la Religieufe
n'ajoutant point foi à cet aveu , le carefloit toujours
, en lui difant : « Ma fille , prenez patience :
» ce ne fera rien , & dans peu vous fortirez d'ici . »
Après deux heures d'entretien avec les autres Religieufes
, elles fe retirerent toutes dans leurs
cellules . Le jeune homme renouvellant alors à la
Supérieure les affurance ; qu'il lui avoit données ,
& commençant à hauffer la voix , on prit le parti”
de l'expulfer de la Maifon où cette aventure répandit
le plus grand défordre.
GRANDE - BRETAGNE..
DE LONDRES , le 11 Avril.
La plupart des grandes motions étant
renvoiées ou à des Comités , ou à des termes
peu éloignés , il feroit prématuré de nous en
Occuper actuellement. Nous nous borneronsdonc
à un précis de ce que les dernieres
féances ont offert de plus important.
Ilfe trouve cette année un déficit de
30,000 liv. fterl. dans la Lifte civile , & le
Roi a adreffé un Meffage aux deux Chambres
, en leur demandant d'y pourvoir . Ce
déficit , fuivant les Miniftres , a été princi
( 168 )
palement occafionné par les dépenfes de la
paix dans le département de l'extérieur ,
& par la nomination de plufieurs Envoiés
extraordinaires. La réquifition de S. M. a
paffé au Parlement , mais non fans débats :
ils ont été même très -vifs dans la Chambre
Haute , quoique perfonnels entre le Vicomte
de Stormont , & le Marquis de Lansdown.
M. Powis , dans la Chambre des Communes a
demandé à M. Pitt , pourquoi on faifoit des
dépeníes auffi extravagantes dans le département
des affaires étrangeres ? Pourquoi on nommoit
à la fois deux Miniftres auprès de la Cour
de France , l'un avec le titre d'Ambaffadeur ,
& l'autre avec celui de Miniftre Pléniporentiaire
, pourquoi enfin l'Etat avoit payé depuis
la paix un Ambaffadeur en Espagne , qui n'avoit
pas mis les pieds fur les terres de ce Royaume ?
M. Powis affura la Chambre que ces prodigalités
& plufieurs autres dont il fit l'énumération,
étoient caufe des déficits que le Parlement ne
pouvoit remplir qu'en grèvant le peuple de
nouveaux impôts.
M. Pitt répondit à M Powis , que des raifon s
d'Etat avoient déterminé le Roi à nommer un
Ambaffadeer auprès du Roi d'Espagne mais
qu'auffi tôt que l'on avoit appris l'intention de
la Cour de Madrid , de n'en pas envoyer à
cette époque auprès de S. M. B. , on avoit
rappelle le Comte de Chefterfield. A l'égard
des deux Miniftres à la Cour de France
M. Pitt obferva que l'un d'eux M. Eden ,
étoit chargé de négocier des affaires qui exigeoient
une connoiffance approfondie du comi
merce & de les moindres détails ; connaiſſance
?
que
( 169 )
que l'on ne pouvoit exiger de ceux que d'autres
études & un nom illuftre deftinoient
ordinairement aux Ambaffades , auprès des
grandes puiffances . On a donc jugé néceſſaire
ajouta M. Pitt , de nommer un fecond Minif
tre , & je fuis perfuadé que la Chambre approuve
généralement le choix qui a été fait.
{
M. Fox ne s'eft point oppofé à la demande
du Roi , mais les Miniftres lui ont paru trèsinjustes
de ne point fonger à faire augmenter
la penfion du Prince de Galles . Il rappella
que la lifte civile de Géorge I. n'étoit que de
700,000 liv. ft . & que ce Monarque donnoit
au Prince 100.000 liv. ft. La lifte civile de
George III . eft de 900,000 & le Prince de,
Galles ne reçoit que 50.000 , dans un tems
où tout eft rencheri. M. Pitt garda le filence .
M. Burke , Accufateur de M. Haftings , a
été forcé à la fin de fortir du cercle des per-.
fonnalités & des griefs vagues , dont l'Accufé
a été l'objet dans les féances précédentes.
Le 4 , M. Burke a produit formellement
fes chefs d'accufation.
Il dit , que puifque la Chambre le defiroit ,
c'étoit dans la forme la plus folemnelle , & au
nom des Communes de la Grande - Bretagne
qu'il accufoit Warren Haftings , Ecuyer.
>
1°. De l'injuftice , de la barbarie & de la
trahifon les plus atroces . contre le droit des
gens , pour avoir foudoyé les Soldats Britanniques
, dans le deffein de maffſacrèr les innocens
& infortunés habitans de Rohilland.
2º. D'avoir abufé de l'autorité qu'il tenoit
Be la Compagnie des Indes , pour traiter avec
la plus grande cruauté le Roi Shaw Allum , actuellement
dit le grand Mogol , en le dépouil
No. 16 , 22 Avril 1786,
h
( 170 )
lant de territoires confidérables , en le fruftrant
fans motif du tribut de 26 lacks de Roupies ,"
que la Compagnie s'eft engagée à payer tous
les ans à ce Prince , pour le Dewance des riches
& floriflantes Provinces de Bengale , de
Bahar & dOriffa , qu'elle tient du grand Mogol
& en fon nom ,
3°. De différentes extorfions & autres actes
de mauvaife adminiftration contre le Rayah de
Benares.
Cet article eft divité en trois fections , dans
chacune defquelles , M. Haflings eft accufé des
vexations & cruautés les plus inouies . M. Burke
y joignit les papiers concernant les droits du
Rayah , fon expulfion & les différentes revolutions
opérées par l'influence Britannique ,
fous l'autorité de M. Haftings , dans ce Zemindary.
4°. Des nombreuses & infupportables calamités
auxquelles toutes les perfonnes de la famille
Royale d'Oude s'eft vue en proie , par une
fuite de leurs liaifons avec le Confeil fuprême
de Bengale.
5°. D'avoir par fix révolutions réduit les fertiles
& fuperbes Provinces de Zurruckabad , à
l'état le plus déplorable de mifère & de ruine,
#
6. D'avoit appauvri & dépeuplé tout le
pays d'Oude , & d'avoir ainfi transformé en un
défert inhabitable , une contrée qui n'étoit au
paravant qu'un vaste & magnifique jardin .
7°. D'avoir exercé fes pouvoirs de la maniere
la plus extravagante , la plus injufte & la plus
pernicieuse , d'avoir abufé de la confiance & de
crédit imminent attachés à la place qu'il occupoit
dans l'Inde , pour détruire tous les anciens
établiſſemens du pays , & enfin de s'étre .
procuré une influence illégale , en autorifant
( 171 )
par une concurrence criminelle des marchés
dont les profits étoient extravagans , & en
mettant dans le traitement des employés qui
étoient de fes créatures une magnificence ou
plutôt une profufion inouies .
8°. D'avoir reçu de argent au mépris des
ordres de la Compagnie , d'un acte du Parlement
& des engagemens qu'il avoit contractés ,
& d'avoir appliqué ces fonds à des objets auxquels
ils n'étoient nullement definés , & fans
y avoir été autorifé d'une maniere quelconque.
9. D'avoir réfigné par Procureur dans l'in
tention évidente de garder fa place ; & de nier le
fait perfornellement , en oppofition directe de
tous les pouvoirs en vertu defquels il a agi .
Tels font en fubftance les différens chapitres
des diatribes paffées & à venir de M.
Burke , chapitres rendus dans un ftyle plus
conforme au ton d'un Régent de Rhétorique
, qu'à celui d'un Orateur ai éminent
que M. Burke. Il eft à remarquer , que non
content de repréfenter l'Accufé comme le
plus abominable des fcélé ats , l'Accufateur
s'attaque encore à fes intentions , & qu'il de-.
mande dans le neuvieme chef, qu'il foit jugé
fur fon intention . Nonobftant cet excès
rifible de l'emportement de l'efprit de parti ,
la Chambre a dû ordonner l'impreffion de
ces différentes charges, & il a été arrêté qu'elles
feroient prifes en confidération par un Comité
de toute la Chambre , le 26 de ce mois.
L'état des vaiffeaux en Ordinaire dans
les différens Chantiers au premier Avril
1785 , a été envoié au Bureau de l'Ah2
( 172 )
mirauté , & confifte dans le tableau fuivant.
V. de lig. V. de so. Frég. Sloops.
Dans la Tamife. 1 I 39 14.
Sheerne 7
I 11 12.
Chitam. 24 4
28 8 .
Portsmouth. 48
3
26 8.
Plymouth. 32
12 12 8.
Totaux 21 116 50. 112
Sur ce nombre , il y a 3 vaiffeaux de ligne , 5
valfleaux de cinquante canons , 60 frégates , &
34 floops prêts à fervir . Il y a dans ce momentci
en radoub 16 vaiffeaux de ligne , 2 de 50 &
12 autres va ffeaux. Il n'eft point fait mention
dans ce rapport des vaiffeaux en conftruction,
attendu qu'on ne les compte que lorſqu'ils font
a flot.
L'Expédition de 44 canons , le Pegaze de 28 ,
& fept cu huit autres frégates & floops ayant
été mis dernierement en commiffion , le nombre
des vaiffeaux en ordinaire s'eft trouvé diminué
en le comparant au rapport du i du mois
dernier.
Il a été envoyé un ordre à plufieurs des
anciens Capitaines de vaiffeaux de la Marine
Royale , de fe rendre le 8 au Bureau de
l'Amicauté. On doit mettre dans peu en
commiffion plufieurs nouveaux vaiffeaux de
ligne .
L'Impregnable de soc . eft le premier vaiffeau
quifera conftruit fur le nouveau plan . Le principal
but de cette conftruction eft de mettre
les vaiffeaux en état de faire ufage de leur
premiere batterie dans les gros temps. On
y eft parvenu en élevant cette batterie de 16
pouces de plus.
( 173 )
L'Hannibal , de 74 canons , conftruit à
Blackwall , fera lancé le 15 de ce mois . Il a
été mâté & gréé fur la forme.
On lancera le mois prochain 9 vaiffeaux
de ligne , 3 frégates de 44 can. , 5 frégates &
1 floop , & à la fin de l'Eté deux autres vaiffeaux
de ligne. Quatre de ces vaiffeaux font
conftruits dans les chantiers du Roi.
Le Prince Guillaume Henri ira , dit on
vifiter cet Eté les côtes du Labrador , à
bord de la frégate le Pégafe , pour reconnoître
tous les ports & les havres de la Baie de
Hud on. Il y reftera autant que la faifon le
lui permettra. Du moins , paroit-il certain ,
que cet illuftre Officier prendra le commandement
du Pégase après les têtes de Pâques ,
& mettra à la voile pour Terre - Neuve aves
l'efcadre du Commodore Elliot , à la fin
d'Avril.
Un bâtiment François , dont on ignore le
nom , s'eft perdu dans les mers du Nord
fur un banc de glace flottante , & l'équipage
a été fubmergé. Le bâtiment le Chevreuil ,
porteur de cette nouvelle , a manqué luimême
d'avoir le même fort, par l'effet d'une
de ces fauffes vues 03 brouillards de bancs li
exactement décrits par le Docteur Hawkefworth
, dans fa relation des voyages à l'hé
mifphere méridional,
On prérend que le Gouvernement va
acheter life de Lundi , dans le canal de
Briftol, pour y contruire un Lazareth où fe
h3
( 174 )
endront les vaifleaux venant du dehors
dont les équipages feront réellement attaqués
de maladies contagieufes, ou foupçon .
nés de l'être.
Il eſt très- vrai , dit un papier public , qu'un
jeune Officier de Marine , de la plus illuftre naitfance
, a fait des propofitions de mariage à la
fille du Capitaine La Forey , Commiffaire de
la Marine à Portſmouth . Le pere de la jeune
perfonne , après avoir vainement effayé de détourner
l'Officier de fa réſolution , eft parti pour
Londres , où il a eu ces jours derniers une conférence
avec un grand perfonnage fur cette
affaire embarraffante . La jeune perſonne eft âgée
de 17 ans , & joint beaucoup d'amabilité à beaucoup
de graces & de beauté. Son pere jouit
d'une réputation diftinguée , tant par fa conduite
irréprochable , que par les qualités de fon
coeur.
Le Roi fe promenoit derniérement à pied
dans Windfor, avec le Prince fon 4° . fils , lortqu'il
paffa une petite fille , couverte d'habits
très- groffiers, mais propres & foignés. Elle
fixa l'attention du Roi qui lui demanda à qui
elle appartenoit. L'enfant qui ne connoiffoit
point S. M. , lui montra un Savetier qui travailloit
de l'autre côté de la rue dans fa boutique
, & lui dit que c'étoit fon pere. « Et
» combien avez vous de freres & de foeurs , lui
» demanda le Roi ? Nous fommes 8, Monfieur,
luirépondit-elle . Tenez , mon enfant , prenez
» cette guinée , donnez la à votre pere , & continuez
d'étre toujours propre & foigneufe . »
L'enfant fit une révérence & s'en fut. Le len(
175 )
demain matin , au moment où le Roi paffoit
dans la même rue , la femme du Savetier qui
l'apperçut , s'avança en le faluant , & lui dit:
« Que Dieu béniffe V. M.; je vous remercie
» bien humblement ..... Et de quoi donc ,
» bonne femme ? De la guinée que vous avez
» donnée hier à mon enfant. Oh ! c'eſt trèsɔɔ
bien , dit le Roi. Tenez , en voici une autre ;
» j'aime les gens reconnoiſſans . »
Aucune partie du plan de M. Pitt . , pour la
réduction de la dette nationale , ne mérite autant
la cenfure que celle qui rend les loteries perpétuelles.
?
Il fait de la loterie une de fes reffources
capitales & compte en tirer en quatre ans
560,000 liv. Ainfi il annonce au public qu'il
paiera tous les ans , pour la loterie 140,000 1.
fterlings plus qu'elle ne vaut , & que par conféquent
, pour y parvenir , il fera obligé de tolérer
les friponneries dont le public eft journellement
la dupe. Il fera obligé de permettre
que ce jeu foit pouffé aufli loin qu'il peut
Fêtre , & deviendra coupable du défordre que
cette fureur caufe parmi le peuple . Il ne doit
pas ignorer que la paffion du jeu mène à l'oikveté
, l'oifiveté à la débauché , & celle- ci à la
mifere. Delà l'induftrie fe trouvera gênée , les
arts & les manufactures resteront fans mouvement
. La valeur des terres s'en trouvera affectée;
& ce qu'il y a de pire , c'eft que la débauche
& le défefpoir produiront le brigandage.
En un mot , la loterie fera naître tous les ans
un nombre c nfilérable de malfaiteurs qui
feront la honte & le fléau de la fociété .
Il eſt arrivé à Brodie-Houfe , près de Forreft
h 4
( 176 )
en Ecoffe , un accident bien malheureux .
Lady Margaret Brodie , foeur du Comte de
Fife , après avoir paffé avec fa famille, une
foirée fort tranquille , s'étoit retirée à onze
heures du foir pour aller fe coucher. L'un de
fes enfans , une petite fille âgée de 9 ans , qui
avoit coutume de coucher avec elle , étoit
déja au lit. On fuppofe que cette dame s'étant
mife à lire auprès de la cheminée ,le feu prit à
fes habits. Elle courut au lit , vraiſemblablement
pour fauver fon enfant ; mais le feu
prit au rideau. Alors , elle tomba & périt
dans les flammes . Les cris de l'enfant alarmèrent
les domeftiques & M. Brodie lui - même,
qui couchoit dans un appartement au-deffus
de celui de fa femme. Les domeftiques cependant
parvinrent à fauver l'enfant en bon
état ; mais M. Brodie ayant voulu retirer des
flammes le corps de fa malheureuſe épouſe ,
a été griévement brûlé.
•
Un Officier d'un rang diftingué dans le fervice
de l'Inde , a rapporté de cette partie du Monde ,
entr'autres curiofités , un de ces petits Infectes
rares , appellés (the Animated
ftalk ) , qui ont la forme de plufieurs pailles attachées
enfemble , & portent deux ailes écailleufes
& imparfaites. Le col de ce petit Infecte
n'eft pas plus gros qu'une épingle , & cependant
il eft deux fois plus long que fon corps. Sa tête
reffemble à celle du Lievre , & fes yeux font
placés dans le fens vertical , & très - brillants . Il
fe nourrit de mouches qu'il attrape avec beaucoup
d'adreffe par fes pattes de devant qui font
placées près de fa tête. Lorfqu'il les retire , elles
( 177 )
font pliées en trois , & lorfqu'il fent l'approche
de la proie , alors il les déploie & les lance deffus.
Ce petit Infecte eft très - vorace , & tient la proie
de même que l'écureuil . Sur les jointures extérieures
de ces pattes de devant , font plufieurs
crochets très- aigus , qui lui fervent à faifir fa
nourriture . Ses autres pattes , au nombre de quatre
, n'offrent rien de particulier .
La Société de Charité , connue à Londres
fous le nom de London Difpenfary , & dont
le Marquis de Lanfdown eft Préfident , a
reçu , depuis le mois de Juin 1777 , jufqu'au
9 Mars 1786 , 26,639 malades ,
SAVOIR :
Malades guéris .
Secourus .
Morts. •
•
Malades , actuellement foignés.
238570
1597.
· 782.
405 .
26,639 .
Sur ce nombre , on a traité chez eux 4,814
malades , & on en a admis 240 , fans certificats
, ni d'autres recommandations que leur
érat.
Le Colonel Sauvage , Jofeph Brandt , fe
prépare à partir inceffamment pour le Canada
. Il compte emporter avec lui ure quantité
d'armes curieufes , tant antiques que modernes
, pour en faire préfent aux principaux
Guerriers des fix Nations Indiennes .
On raconte de la maniere fuivante une friponmerie
, dont deux Demoiselles ont été dernierement
les victimes . L'aînée poffédoit environ
500 liv . , & qu'elle avoit placées dans les fonis
hs
( 178 )
རྒྱུ
publics. Les deux fours vivoient d'une maniere
rès -décente du produit de cette petite fortune.
Un Filou très - adroit s'infinua dans leurs bonnes
graces , fous le nom du Marquis de Carmarthen ,
& parvint à gagner tellement la confiance de la
four aînée , qu'elle lui confia tout fon papier
dans l'efperance qu'il trouveroit le moyen de les
vendre & d'en placer le produit d'une maniere
-plus avantageufe. La Demoiſelle exaltée par ces
idées d'une fortune fubite , fe livra aux plus
belles chimeres pendant quatre ou cinq jours ,
n'attribuant l'abfence de fon Marquis qu'aux
grandes affaires d'adminiftration qu'il avoit entre
les mains , ou aux mouvemens ´extraordinaires
qu'il le donnoit pour multiplier fon papier à l'infini.
Cependant l'inquiétude la força d'écrire au
Marquis de Carmarthen , chez, le Duc de Leeds ,
où elle apprit qu'il étoit pour le moment. Elle
lui demandoit par fa lettre une audience qu'elle
obtint aifément. On imagine bien que la fourberie
du faux Marquis fut vite découverte. La pauvre
Demoitelle en a perdu l'esprit , au point qu'on
a été obligé de l'enfermer ces jours derniers. On
a employé depuis tous les moyens pour découvrir
le fcélérat qui l'avoit fi cruellement trompée
, mais jufqu'ici les recherches ont été vaines.
Ce qu'on a appris , c'est qu'il a effectivement
vendu les papiers , & s'eft habi ement ſouftrait au
bras de la Juft ce publique.
Or montroit , il y a quelque temps , une
paire de lunettes , fort bien travaillée , dans
une maifon où le Prince Guillaume Henri
étoit à table. Le Prince l'ayant examinée ,
l'effaya , & voyant qu'elle groffiffoit beaucoup
les plats , il s'ecria : « Oh ! combien
j'aurois donné de ces lunettes fà , lorsque
je mangeois avec l'Amiral Digby, a
( 179 )
Il eft arrrivé dans la Paroiffe de Saint -James
un fait très- fingulier . Un jeune homme de diftinction
avoit perdu une fomme conſidérable au
Phiraon . Ce revers l'affe&ta , au point que dans
fon défefpoir , il réfolut de mettre fin à ſon exiftence.
Rempli de cette idée , il mit une paire de
piftolets dans les poches , & fe rendit dans une
maifon publique fort connue du quartier Saint-
James, Il demanda une chambre , & fe fit apporter
une bouteille de vin , de l'encre & du papier.
Il écrivit auffi - tôt à un de fes amis intime une
lettre , dans laquelle il lui peignoit fa fituation ,
& lui déclaroit , que ne fe fentant pas en état de
la fupporter , il prendroit le feul parti qui lui
reftât pour le dérober à jamais à fa mifere. Il lui
annonçoit que lorsqu'il recevroit cette lettre , il
comptoit n'être plus de ce monde , & pour det
niere preuve de fon amitié , il lui recommandoit
fes dernieres volontés. Ayant expédié fa lettre ,
il mit fes piftolets fur la table. La foif violente
qu'il éprouvoit l'engagea à boire un verre de
vin. Le rafraichiffement falutaire qui s'enfuivit
Pengagea à répéter la dofe Il en avala un troifieme
, puis un quatrieme ; enfin , fes itées fombres
fe trouvereat en peu de temp. totalement
changées , & firent place à la gaité. Il étoit encore
dans cerre difpofition d'e prit , lor que fon
ami fe precipita dans a chambre , comptant le
trouver noyé dans fon fan . Il fut fort étonné
de le voir tranquillement affis le verre à la main.
Il crut devoir ependant retirer les armes qui
étoient fur la rabe , & fin ffant alors la bouteille
avec fon ami , il l'emmena chez lui , réconcilié
avec cette vie , qe p de minutes auparavant
, i rearloid comme le tourment le plus
infupportable.
Une anecdote récente prouve l'avantage
h6
( 180 )
qui refulteroit de l'application des Dividendes
de la Banque non reclamés , au paiement
de la dette nationale , jufqu'à ce qu'ils fuffent
revendiqués par leurs propriétaires refpectifs
ou leurs defcendans. M. Gilbert Elliot avoit
été nommé Exécuteur teftamentaire d'un
planteur des Ifles , appellé Sandal. L'héri
tier du défunt ne fe préfentoit point. M. Gilbert
fit inférer plufieurs avis dans les Papiers
publics , & les répéta de temps à autre , mais
inutilement. Dernierement M. Gilbert étant
à la promenade du côté de Greenwich , fut
affailli d'une ondée qui l'obligea à fe mettre
à couvert fous une porte cochere où plufieurs
perfonnes s'étoient réfugiées . Tandis
qu'il étoit là , quelqu'un appella du nom de
Sandal un pauvre Jardinier qui paffoit. Ce
nom frappa M. Gilbert , & il interrogea
auffitôt cet homme fur fa famille , Il fe trouva
précisément Etre l'héritier véritable que
l'on cherchoit. M. Gilbert l'emmena chez
lui , & lui remit tous les papiers qui conftatoient
la propriété de fes biens aux Ifles , qui
rapportoient un revenu annuel de 6000 liv.
fterlings , & dernierement encore il a accompagné
cet heureux héritier à la Banque,
poury recevoir les Dividendes d'un capital
de s0,000 liv. fterl. qui y dormoit depuis
plus de 20 ans .
Lorfque l'Acte du Timbre fut révoqué,
Lord Cambden propofa d'ajouter au Bill
de révocation , que l'Angleterre n'avoit pas
le droit d'impofer 1Amérique; cing Pairs feu(
181 ).
lement appuyerent cette motion ; & le
Comte de Cornwallis fut du nombre.
1
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 12 Avril.
Le Marquis de Mun , le Comte d'Efclignac
& le Vicomte de Teftu de Balincourt ,
qui avoient précédemment eu l'honneur d'ê
tre préfentés au Roi , ont eu , le 4 de ce
mois , celui de monter dans les voitures de
Sa Majesté & de la fuivre à la chaffe.
Le 9 de ce mois , Dimanche des Rameaux ,
le Roi , accompagné de Monfieur , de Madame ,
de Monfeigneur Comte d'Artois , de Madame
Comteffe d'Artois & de Madame Elifabeth de
France , s'eft rendu à la Chapelle du Château ,
où , après avoir aſſiſté à la Bénédiction des Palmes
& à la proceffion , il a entendu la grand'Meffe ,
chantée par fa mufique , & célébrée par l'Abbé
de Ganderatz . Chapelain de fa grande Chapelle .
Mefdames Adélaïde & Victoire de France ont
auffi affifté , dans une des Chapelles collatérales.
à la grand'Meffe , à laquelle la Comteffe de Sainte-
Aldegonde fit la quête.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont figné
le même jour , le contrat de mariage du Comte de
Saulx -Tavannes , Sons - Lieutenant au Régiment
d'Infanterie de la Reine , avec Demo ifelle de
Choifeul -Gouffier.
Ce jour , les Députés des Etats de Cambrai ,
du pais & Comté de Cambrefis , furent admis à
l'audience du Roi ; ils furent préſentés à Sa Majefté
par le Prince de Robecq , Commandant pour
le Roi dans la Province , & par le Maréchal de
Ségur , Miniftre & Secrétaire d'Etat au départe
ment de la Guerre , ayant celui de la Flandre
( 182 )
La députation , conduite à l'audience de Roi par
les feurs de Nantouillet , Maitres des cérémonies ,
& par le Sieur de Watronville , Aide des Cérémonies
, étoit compofée , pour la Nobleffe , du
Marquis d'Avrincourt , Maréchal de Camp , qui
porta la parole , à cause de l'indifpofition du Prince
Ferdinand de Rohan , Archevêque de Cambrai
qui étoit député pour le Clergé ; & pour le Tiers-
Etat du fieur Lefevre , Avocat & Echevin de la
ville de Cambrai
Le ro , la Reine s'est rendue en cérémonie à
l'Eglife de la Paroiffe Notre Dame , où elle a
communié des mains de l'Evêque Duc de Laon,
fon Grand Aumônier ; la Ducheffe de Luxembourg
& la Ducheffe de Luynes , Dames du Palais,
tenant la nappe.
Madame Comteffe d'Artois s'eft auffi rendue en
cérémonie , le même jour , à la même Eglife ,
cù elle a communié des mains de l'Evêque de
Bayeux , fon Premier Aumonier ; la Ducheffe
de la Vauguyon , Dame d'honneur de Madame
& la Comtefle de la Tour d Auvergne , Dame
pour accompagner Madame , tenant la nappe .
Madame Adélaïde de France s'eft également
ren ue en cérémonie à la même Eglife , où elle
a communié des mains de l'Evêque de Pergame ,
fon Premier Amônier ; la Ducheffe de Laval , fa
Dame d'Atours , & la Ducheffe de Beauvilliers ,
premiere douairiere , Dame pour accompagner
certe Princeffe , tenant la nappe.
7
Madame Victoire de France s'y eft auffi rendue
& à communié des mains de l'Evêque d'Evreux ,
fon Premier Aumônier ; la Princeffe de Chimay ,
douairiere , & la Princeffe de Chifteile , Dames
pour accompagner cette Princeffe , terant k
nappe.
Le fieur Jumentier , Maître de Mufique de
( 183 )
l'Eglife de Sa'nt Quentin , & le fieur de la Place ,
Maitre de Mufique de l'Eglife Cathédrale de
Beauvais , ont eu l'honneur de faire exécuter devant
le Roi plufieurs Moters de leur compofition
.
DE PARIS , le 19 Avril.
On vient d'arrêter à Grenoble, à ce qu'on
dit , encore un des voleurs de la caiffe de
MM. Finguerlin & Scherrer. Il étoit nanti
de 200 louis d'or , & en a déclaré 300 ca
chés dans un lieu où l'on pré end qu'on les
a retrouvés , le Chef de cette bande , nommé
Thevenet, a écrit , à ce qu'on ajoute , à M. R.
Affeffeur de la Maréchauffée , une lettre de
la teneur fuivante , datée de Châlons -fur-
Sâone , le 26 Mars.
Monfieur, j'ai appris que la demoiſelle Thevenet
, ma foeur , étoit arrêtée , elle eft cependant
bien innocente ; fi elle eft coupable de quelque
chofe, c'eft d'avoir eu trop de tendreffe pour moi .
Ne vous y méprenez pas , Monfieur ; elle eft à
tous égards innocente , je ne faurois trop vous le
répérer , autant pour fa juftification que pour vous
mettre en garde contre toutes présomptions ,
contre toutes préventions , contre toutes accufations
venant d'une fource fufpe&te .
Il y a encore bien d'autres innocens rrêtés pour
la même affaire , qui fait gém rma trop infortunée
foeur. Si mon avert ffement peut éclairer ta Juftice
dans le Jugement qu'el'e prononcera , mon voeu
ferarempli. Je finis , parce que je n'ai poin un inf
tant à perdre pour partir & aller me mettre en
( 184 )
fireté , & ce n'eft pas à Dijon que je la trouverai
cette fûreté , ni même dars bien des pays étrangers.
Il y a contre moi une dénonciation trop
complette , & d'un genre qui ne m'accorde que
très - peu d'ayles . Javiferii de mon mieux pour
éhapper. J'ai l'honneur d'être , &c.
Les Affiches de Limoges contiennent
l'extrait d'une Lettre de Châteauneuf près
Eymoutiers , du 20 Mars 1786 , qui porte
en fubftance:
Notre canton eft défolé par les incurfions fréquentes
d'un nombre infini de chiens enragés.
La maladie a auffi gagné les loups. Hier ,
à onze heures du matin , pendant la Meffe de
Paroiffe , un de ces animaux a paffé dans un
village où se trouvoit malheureuſement une pauvre
femme fur la porte de fa maison. La bête
furieufe s'eft jettée fur elle , & lui a déchiré le
vifage par les morfares. Le fort de cette infortunée
eft d'autant plus à plaindre , qu'elle nour
rit un enfant , & ne peut recevoir aucun fcou -s
d'un mari dont l'efprit eft aliéné depuis nombre
d'années.
Je ne puis en même- tems me refufer au plaifir
de vous faire part du trait courage x d'une
jeune femme de vingt ans , qui lutta , il y a peu
de jours , contre un de ces terribles animaux ,
& en triompha glorieufement . Elle gardoit des
brebis dans la prairie de M. de Châteauneuf.
Tout-à- coup un loup enragé paroî : au milieu du
troupeau , mord & déchire de toutes parts les brebis
qu'il peut attraper. Cette généreuse femme
ofe i en difputer une . Mais , ne pouvant lui
faire lâcher prife , elle faifit fortement- l'animal
par le cou , le terraffe , & le tient fous elle pendant
un demi-quart d'heure , jufqu'à ce que fon
( 185 )
frere , attiré par les eris , vole à fon fecours ,
armé d'une barre , dont il affomme le loup. Notre
Héroïne n'a en que deux doigts mordus affez légérement
. Elle a été conduite avec deux autres
malades , par les foins de M. & de Mad. de Châteauneuf,
chez M. de la Pivardiere , leur parent ,
poffeffeur d'un fecret précieux , & éprouvé contre
cette terrible maladie. Les morfures à la bouche
qu'a reçues la malheureufe femme , dont je vous
ai parlé au commencement de ma lettre , n'ont
pas permis de la lui adreffer , parce qu'il n'entreprend
aucun traitement quand on a fucé le
fang.
Enfin dans la terre de Châteauneuf , il y a
cinq perfonnes mordues , & beaucoup des bettiaux
qu'on eft obligé de tuer. I eft à craindre
que ce fléan m'étende plus loin fes ravages ; & il
feroit à defirer qu'on prit des mefares pour les
prévenir.
Extrait d'une Lettre qui nous a été adreſſée
de Lilie , le 20 Mars dernier.
» L'annonce à la gloire de Benjamin
» Franklin vivant , qui fe trouve dans votre
» Mercure , No. 12 , du 25 Mars de certe
» année , m'a rappellé l'Epiraphe de fon
» pere , Libraire & Imprimeur de Bolton ,
» compofée par lui même. La prédict on
» que cette épitaphe contient , & que M.
» Franklin vivant a accomplie , me fait
» croire que vous la trouverez digne d'être
publiée : elle femble d'ailleurs mériter d'ê-
» tre connue par fa fingularité. La voici ,
» telle qu'un Anglois l'a traduite.
و د
" Ci gît comme un livre ufé , fans titre
& fans dorure , le corps de Benjamin
( 186 )
» Franklin , Imprimeur. Les vers le mart-
»geront ; cependant le livre fera confervé.
» Une nouvelle & magnifique édition , revue
& corrigée par l'Auteur , va le faire
→ paroître encore une fois » .
Jeudi dernier on a publié la déclaration du
Roi , qui fait revivre l'Edit de 1723 , par lequel
les places d'Agens de change furent créées en
titre d'office . Ces changes feront au nombre
de foixante. Les pourvus de Commiffions actuelles
auront la préférence pour les lever fans
frais aux parties cafuelles dans le délai de deux
mois. Après cette époque , les courtiers auront la
préférence pour les lever fans frais aux parties
cafuelles ; & enfin après cette époque , les fujets
capables qui fe préfenteront enfuite feront pourvus.
La déclaration attribue à ces charges des gages
à raifon du denier 25 de la finance à laquelle elles
feront fixées. Chaque Agent de change pourra
avoir un Commis-courtier , qu'il préfentera au
Miniftre des Finances , pour agir & négocier
les effets Royaux en ſon nom.
M. Arnaud de Saint- Maurice nous prie
de publier la lettre qu'il a écrite le 12
'de Mars à l'Abbé de Caluzo , Secrétaire-
Perpétuel de l'Académie Royale des Sciences
de Turin .
Mr. J'ai pensé que ce feroit entrer dans ce
qui doit flatter votre goût pour les Arts & pour
leurs progrès , que de vous donner connoiffance
de la nouvelle machine que vient d'imaginer
M. Launoy , Naturalifte , rue Platriere aux caux
minérales à Paris , pour mettre promptement
( 187 )
en fufion les fragmens de différens minéraux ,
des pierres , ainsi que la platine.
Vous favez que la méthode chimique étoit
de foumettre à la flamme , à l'aide du chalumelu
ces matieres toujours avec une forte de
difficulté & d'incertitude dans le réſultat de l'opération,
Comme dans chaque branche de (cience
la marche du génie eft pour l'ordinaire d'aller
en avant , M. Launoy a rempli cette maxime
d'une façon qui donne bonne opinion de fon intelligence.
Cette machine , que l'Auteur m'a prié de
nommer, & que j'ai appelé Fond mine , eft une
e pece de lampe portative , formant un petit
quarré long , porté fur deux petites colonnes ,
qui lui fervent de pieds . Ce quarré peut avoir un
pied de hauteur fur fix pouces de largeur , dans
lequel il y a des tuyaux , de robinets , des foupapes
, le tout difpofé d'une maniere fi fimple ,
qu'il femble que l'on auroit dû l'imaginer foimême.
Le Phyficien peut y introduire différens airs
pour hâter la fufion du minéral , comme air inflammable
, air déphlogistiqué , air nitreux , & c.
Tous ces différens airs viennent frapper la flamme
du Fond-mine dans un point où l'on dépofe les
fragmens pour être fondus. On peut diriger à
volonté le courant d'air , & lui rendre fa marche
plus vive ou plus lente , il eft à remarquer que
le cunanime de ce Fond-mine eft d'autant plus
commode pour faire des effais , que dès qu'il eſt
une fois difpofé pour opérer , le courant d'air agit
for la flamme pendant une heure , fans le fecours
de l'homme , ni fans avoir beſoin d'une nouvelle
puiffance.
1
Sans doute que les papiers publics , ainfi que
le Journal de phyfique , ne tarderont pas à vous
( 188 )
1
annoncer la découverte & l'ufage de ce Fondmine.
Les Minéralogifies de l'Europe feront à
même de comparer les effets avec ceux du Cha-
Jumeau de MM . Schéele ( 1 ) , Bergman , Engef,
tom , Crondlel , André - Swab , & de Sauflure .
Ce Fond mine a été préfenté famedi , 12 de ce
mois , à l'Académie Royale des Sciences de cette
ville , par M. Launoy. L'Académie a nommé des
Commiflaires pour en examiner l'effet , conftater
P'utilité , & affurer à fon Auteur la date légitime
de fon invention . Je puis vous certifier, Monfieur,
que me trouvant le foir même chez M. Launoy
comme il revenoit de l'Académie , il le louoit
beaucoup de l'accueil gracieux que ces M.M. daignerent
lui faire pour , ( difoit - il ) , cette chétive
production .
ARNAUD DE ST.-M.
» On prévient le Public que la toufcrip-
» tion de l'Encyclopédie par ordre de ma-
» tieres fera fermée irrévocablement , &
» pour toujours , le 31 Mai prochain . La
» différence du prix pour ceux qui n'auront
" pas fouferit , fera de 221 liv. , en fuppo
lant qu'il y ait 20 volumes excédants le
» nombre de ceux annoncés dans le Prof-
» pectus , & l'on eft maintenant affuré que
» ce nombre de volumes excédant alia
>> lieu.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le 15 de ce
mois , font : 48,78, 12 , 37 , & 64.
(1 ) Voyez le Journal de Phyfique de 1781 , page
207 , tom. 18 , partie 2 , & le cahier de Juin
8785 , tom. 26 , page 419.
( 189 )
PAYS- BAS.
DE BRUXELLES , le 15 Avril .
Sur le bruit du licenciement prochain des
troupes nouvellement levées en Hollande ,
le Prince de Hefle - Darmftad a préfenté une
Requête à LL. HH. PP . , où il témoigne ia
furprife de voir fon Corps compris dans
la réforme , & demande qu'on en conferve
au moins une partie .
Le Stathouder & fa famille doivent quitter
le Château de Loo , pour habiter celui
de Dieren , également fitué en Gueldres.
On répand le bruit que l'impératrice de
Ruffie , , pour s'affurer irrévocablement fon nouveau
Royaume de Tauride , a réfclu de conquérir
toutes les Hordes Tartares des environs du
Caucafe , dans le cours du printems prochain ,
& de forcer ces peuplades à le foumettre à fon
Empire , cu de lui abandonner leurs plaines &
leurs habitations . L'armée Ruffe a été beaucoup
augmentée dans ces quartiers - là. La Ruffie paroit
ne fe croire affurée de la poffeffion de la
Crimée & du Cuban , qu'autant qu'elle aura
réduit à fon obéiffance , a plus grande partie
de la Tartarie , qui avoifine la Mer- Cafpienne.
GAZETTE ABREGEE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
Entre le fieur S .... accusé , & M. C ....
INSCRIPTION DE FAUX .
En traitant un fujet , même aride , infpirer l'in ..
(1) On foufcrit à tome époque pour l'Ouvrage emier ,
dont le prix eft de 15 liv . par an , chez M. Mars , Avocat
au Parlement , rue & hôtel Serpente.
( 190 )
térêt le plus vif, & le rendre maître , pour ainſ¨
dire , de l'attention de ſes Le&eurs , c'eſt lans
doute le voeu que tout Ecrivain doit former, Ceux
qui liront le Mémoire pour le fieur S .... leront
convaincus que M. de la Croix a parfaitement
rempli fon objet : voici fon exorde. « Quel
Citoyen ne fémira pas fur le fort d'un ancien
» Officier public , qui, rempli du fentiment de
fon innocence , s'eft conftitué volontairement
အ prifonnier , & gemit depuis près de trois ans
» dans les fers , pour avoir demandé à la Juftice
» le paiement d'une fomme de 1000 liv . qu'il a
» prêtée , & dont il produit le titre.
>>
» De quelles expreffions nous fervitons - nous
» pour pénétrer les Magiftrats de divers fenti-
» mens qui nous animent ! Nous avons à démontrer
que l'Accufé dont l'honneur nous e
» confié , eft innocent ; que fon Accufateur eft
» le plus criminel des hommes : cette taché eft
facile à remplir : mais ce qui coûte à notre coeur,
ce qui exige de nous autant de courage que
» de ménagement , c'eft de prouver que des Mi-
» niftres de la Juftice fe font rendus coupables
» d'une contravention manifeſte aux Ordonnances
, d'une prévarication paniffable. Nous ne
»pouvons pas , fans trahir notre miniftère ,
paffer fous filence cette partie de l'affaire que
»› nous fommes chargés de défendre ; & il exiſte
» dans ce procès une infcription de faux contre
quatre pieces dépofées au Greffe , & un Arrêt
» qui joint la demande au fonds. La Cour a
donc à juger non- feulement fi notre malheu-
» reux Client eft coupable de faux , mais encore
» fi les Juges qu'il en accufe ont porté la préva-
» rication juſqu'à en commettre pour le con-
» damner avec plus de célérité . Malheureufe-
» ment l'éloquence a trop de fois cherché à ta
"
-
( 19 )
» téreffer la fenfibilité des Magiftrats pour des
» coupables ; trop fouvent elle s'eft animée d'un
» dangereux zèle contre les Juges qui , par leurs
» fonctions , méritent des égards. Nous n'avons
pas à craindre qu'on nous accule de cet excès.
Armés d'une jufte défiance contre les plaintes
» des Accufés , ce n'eſt qu'après nous être allurés
de la vérité de leurs paroles , que nous leur
» avons prêté notre miniftere. Jamais nous
» n'avons eu une conviction plus forte que celle
» qui nous anime aujourd'hui. Si l'Accufé que
» nous défendons eft coupable du faux pour le-
» quel il eft dans les fers , nous ne pouvons plus
croire à l'innocence . Si les pieces contre
lefquelles il s'eft infcrit en faux ne portent pas
» une date fauffe , & n'ont pas été ſubſtituées à
une piece foufiraite du procès , il n'existe plus.
pour nous de caracteres auxquels il nous fera
poffible de reconnoître la faufleté , Magif ..
trats , dont le plus beau titre eft celui de protecteurs
de l'opprimé , foutenez la foibleffe de
» notre Miniftere , & donnez votre attention à ..
celui qui ne vous la demande que pour tiret ..
» du fin du malheur de l'oppreffion un créans
» cier légitime , retenu dans les fers par fon dés
biteur p .
Nous n'entrerors pas dans ce moment. dans un
détail plus étendu , l'affaire n'étant pas défini- ..
tivement jugée ; nous obferverons Teulement ..
qu'un Arrêt du 24 Mars dernier vient de prouver
combien le Parlement eft attentif à accueillir la
dénonciation des abus qui peuvent le commettre
dans les Jurifdictions inférieures. Le feur
S... , ancien Greffier d'une Jurifdiction de V...,
après avoir langui des années dans les prisons ..
de V... , d'où il a été transféré à celle de la
Conciergerie , vient d'établir fa juſtification par
( 192 )
le Mémoire ci - deffus indiqué , & dans lequel il
dénonce une prévarication qu'il foutient avoir
été commife par les principaux Juges du
Tribunal où il a été condamné . Cette prévarication
parcît confifter dans la fouftraction
d'une Requête répondue le 30 Octobre 1780 ,
& à laquelle on prétend qu'on a fubftitué , en
1783 , une nouvelle Requête répondue d'une
nouvelle Ordonnance , & fuivie des conclufions
du Miniftere - Public , que l'on dit être antidatte
de trois ans . « Siles Magiflrats , difoit M. de la
Croix, Défenfeur de l'Accuté , auquels une
pareille prevarication eft dénoncée, ne donnent
pas un exemple de févérité impolante pour les
Jurifdictions inférieures , ils doivent s'attendre
à être induits dans les plus funeftes erreurs.
» Lorfque le malheureux S .... eft venu le rendre
» dans les prifons de V.... , il donnoit aux Juges
qui l'avoit condamné fi apidement à la peine
prononcée contre les fauflaires , la preuve la
plus éclatante de fa confiance dans leur équité .
Pouvoit-il prévoir que le prix de cet hommage
feroit une captivité de près de trois ans , une
→ condamnation flétriffante , la pére de få for-
> tune , & la ruine d'un frere qui , n'écoutant
que la voix de la nature & de l'honneur , a
abandonné le Tribunal où il fiége en qualité,
de Juge, s'eft féparé de fa femme & de tes enfans
, our venir au fecours de fon frère qu il
fuit de prifons en prifons , dont il adoucit le
fort , dont il foutient le
courage
-L'Arrêt
a ordonné la liberté provifoie de l'Accufé ,
& avant faire droit , que les pieces arguées de ,
de faux feront apportés en minute du Greffé
V .... dans celui de la Cour. Nous rendrons
compte du Jugement définitif lorfqu'il aura été
rendu .
ede
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 15 Avril.
E voyage de l'Impératrice de Ruffie à
Cherfon eft inconteftablement abandonné
, & renvoié en Janvier 1787. Les Gazettes
ont déja tracé la marche de cette Souveraine
, & décrit les préparatifs ; nous aurons
affez de temps pour revenir fur ces détails
jufqu'à l'inftant où ce voyage fe réaliſera.
Le Docteur Bufching a préſenté dans
fes Feuilles hebdomadaires les détails fuivans
fur le commerce maritime de Péterfbourg
pendant 1785. Le nombre des bâtimens
arrivés dans le port de cette ville a été
de 679 , dont 549 Anglois & 7 Américains.
Ces derniers y ont chargé du fer , du chanvre
fin , des cordages , des toiles pour voile
& autres , du fuif , du favon , du goudron &
de l'huile.
Nº. 17 , 29 Avril 1786. i
( 194 )
On apprend de Copenhague que la cherté
des vivres & les Réglemens fomptuaires
forcent un grand nombre d'Artiftes & d'ouvriers
à quitter le Royaume. On compte
plus de mille ouvriers , qui depuis peu fe
font expatriés , faute de travail & de fubfiftances
. Plufieurs d'entre eux font allés s'établir
à Cherfon .
On compte actuellement à Hambourg
971 Négocians , dont 510 font le commerce
de la Banque. Les Agens de change ou
courtiers font au nombre de 348 , dont 12
de la Nation Juive.
Indépendamment des vaiffeaux dont on
avoit ordonné l'armement à Cronstadt , on
a mis les fuivans en commiffion , ſavoir ; l'Elifabeth
de 76 can.; le Schulenbourg de 66 ;
la Sophie de so ; le Ruffaroi de 34 ; l'Atlas
de 26 & le Groenlande de 20.
le
14
DE VIENNE , le Avril.
Relativement aux Abbaies dans l'Autriche
l'Empereur a réfolu qu'à mesure que les Abbés
actuels viendroient à mourir , ils feront remplacés
par des Prieurs que l'on élira tous les trois
ans , en présence d'un Commiffaire de l'Evêque
diocésain ; en même temps il fera nommé des
Abbés Commendataires que les Evêques diocéfains
propoferent & préfenteront aux Abbayes ,
après que ces Abbés propofés auront été confir
més par la Cour. Les Prieurs veilleront à la difcipline
dans leurs maifons , & les Abbés Commendataires
, qui ne pourront plus poffeder en
( 195 )
même temps aucun autre bénéfice , feront chargés
de l'adminiftration du temporel & du foin que
Les Paroiffes dépendantes des Abbayes foient bien
deffervies . Dans cette vue , ils feront connoître
aux Evêques , qui au lieu des Abbés actuels exerceront
les droits de patronage , les Religieux les
plus propres à remplir les fonctions curiales. Les
Abbés Commendataires demeureront dans les
Abbayes qui leur feront un traitement proportionné
aux revenus. Le Clergé fera repréſenté à
l'avenir aux Etats provinciaux par les Archevêques
, les Evêques , les Dignitaires des Chapitres
& les Abbés Commendaraires . Conformément
à cette nouvelle difpofition , il vient d'être
nommé des Abbés Commendataires aux Abbayes
de Zvettel , de Lilienfeld , de Melk & de Geras.
DE FRANCFORT , le 19 Avril.
Le Comte O'kelli , Miniftre plénipoten⚫
tiaire de l'Empereur auprès de la Cour
Electorale de Saxe , eut , le 26 Mars , fa pre .
miere audience de l'Electeur , auquel il remit
fes lettres de créance . Le même jour , le
Baron de Metzbourg , chargé des affaires de
la Cour de Vienne , prit congé de l'Electeur
& de toute la Cour Electorale .
Onécrit de Stutgardt que les Etats du Wirtembergayant
offert au Duc & à la Ducheffe
le préfent d'ufage , lors du mariage du Souverain
, cette offre a étéacceptée , à condition que
le don destiné au Duc feroit remis à l'Ecole
Militaire de Ludwigsbourg , & celui de la
Ducheffe diftribué en partie aux pauvres hai
2
( 196 )
bitans de Liebenzell , de Vayhingeu , de
Neuenbourg & de Guetitien.
Le Landgrave de Heffe a fait remettre
1400 rixdalers au Séminaire pour former
des Maîtres d'Ecole , & mille à la Maifon
de travail établie à Caffel.
Le Confiftoire de Munich vient de révoquer
les Réglemens dont le but étoit de
reftreindre les proceffions & le pélerinage.
Suivant les lettres de Lemberg , dans le
mois de Janvier & de Février il y eft arrivé
1150 étrangers , qui tous fe propofent de
s'établir foit dans la ville , foit dans la province,
L'Empereur , écrit on de Vienne , a fait
venir un Cultivateur Italien pour continuer
& perfectionner les plantations de riz dans
le Bannat, dont le climat & le terrein font ,
dit-on , très - propres à cette production . Sa
Maj. Imp . lui a fait préfent de 500 arpens
de terre , & elle a ajouté à ce don une avance
de 20,000 florins fans intérêts pendant
10 ans .
Une Feuille Allemande rapporte ce qui
fuit :
Plufieurs Minéralogifles ont foutenu que les
montagnes de granit n'avoient point de gangues .
du moins point de minéraux , & encore moins
de métaux parfaits . Cette opinion eft erronée &
contraire à l'expérience . Le fieur Frédéric Kapf
affure , dans un Traité qu'il a publié nouvellement
fur l'exploitation des mines dans la vallée de Kinzig
, Principauté de Furstenberg , que les mon(
197 )
tagnes de ce diftrict foat de granit , qui offre un
mélange de feld-fpath , de quarz & de mica ; que
depuis 25 ans on y avoit trouvé une trentaine de
gangues , dont la plupart étoient abondantes , &
que les gangues contenoient de l'argent natif ,
toutes les cipeces de minerai d'argent , du
plomb , du cuivre , un peu de fer & de pierre
brune , du cobalt , du bifmuth , du foufre & de
Pantimoine. M Kapf ajoute que l'on a retiré de
la miniere de Wenzel dans le canton de Schappach
des morceaux d'argent natif du poids d'un à deux
quintaux , que depuis 1767 jufqu'en 1780 cette
miniere a fourni pour 500 , oco florins d'argent ,
& que la recette de l'exploitation de la miniere
de Sophie depuis 1758 jufqu'en 1784 , étoit
montée à la fomme de 300,000 florins , & c.
Jamais opinion ne fut plus conforme à
T'expérience , que celle des Naturaliftes dont
le fieur Kapfparle fi légerement. Si fon ob--
fervation étoit jufte , ce que nous ne croyons
pas du tout, elle feroit contraire à une regle
générale , parfaitement reconnue , en vertu
de laquelle les mines métalliques fe rencontrent
ordinairement entre les montagnes
primitives & les fecondaires .
ITALI E.
DE MILAN , le 6 Avril.
Il a été publié ici un Edit de S. M. I. , par
lequel l'Empereur donne cours dans la Lombardie
Autrichienne aux Billets de la Banque
de Vienne ; en voici les difpofitions.
1º. Au premier du mois de Mai prochain , il
i 3.
( 198 )
fera établi à Milan une Caiffe , fous la dénomination
de Caiffe Impériale des Billets de Banque
de Vienne , pour la Lombardie Autrichienne ;
cette Caiffe fera chargée d'échanger à la préfentation
des deniers comptans en billets , & des billers
en argent. 2° . Chaque florin devant être réduit
en livre Milanoife , pour l'utilité générale,
il est étab'i pour regle conftante , que 57 fols &
demi de Milan feront l'équivalent d'un florin.
Ainfi un Billet de cinq florins vaudra exactement
16 liv. 17 fols 6 den. 3 ° . Dans les paiemens entre
particuliers , & même à la bourfe des mar→
chands , perfonne ne pourra être contraint de recevoir
des Billets de banque , mais tous les caiffiers
royaux & leurs préposés ne pourront les refufer.
4°. Dans le cas qu'il s'élevât quelque doute
fur la falfification des billets offerts en palemens ,
on devra recourir au Directeur de la Caiffe , qui
vérifiera l'altération ou la fuppofition , confor
mément aux inftructions qu'il aura reçues.
5°. Quiconque altérera les Billets de Banque ,
ou qui participera à l'altération ou fuppofition ,
encourra les peines établies contre les fauffaires
par l'art. 12 de la fanction Impériale du premier
Novembre 1785 , & le dénonciateur d'une pareille
fraude recevra la récompenfe ordonnée par
la même loi. 6º . Les Billets de Banque feront de
5 , 10 , 25 , 50 , 100 , 500 & mille florins chacun ,
& formeront ensemble une fomme de 20 millions
de florins . Ils font tous datés du premier Novembre
1785 , & défignés par un Numéro ; enfin ils
font fignés de la main d'un Magiftrat de Vienne.
Le rapport de la Banque de Vienne avec
les Finances publiques étant en général trèspeu
connu en France , nous préſenterons
ici quelques fragmens de recherches fur cet
objet.
( 199 )
tre ,
Pour payer les dettes de l'Etat , on établit à
Vienne , en 1703 , une Banque à laquelle P'Empereur
Léopold affigna quatse millions de fes revenus
annuels. On penfa au commercement que
tous les paiemens des lettres - de change devoient
paffer par cette Banque, fous peine d'une amende
de dix pour cent ; mais ce réglement fut trouvé
trop dangereux , & il fut aboli en 1704. Dans la
même année 1 Empereur affigna pour cinq miltions
& demi annuellement de fes revenus ; il fe
trouvoit cependant dans ce fonds prétendu plus
heurs objets prefqu'imaginaires . On croyoit metau
moyen de cette Banque , quarante millions
en giro , qui devoient fe rembourser en
douze ans . En 1705 , on fixa les intérêts de la
Banque à cinq pour cent , & la Ville de Vienne
fut déclarée garance du crédit de l'Etat ; la Banque
devint auffi Banque de la Ville ; mais au fond
'étoit toujours une caiffe de crédit pour l'Etat .
En 1714 , Charles VI fit encore quelques changemens
à cette Banque , & lui affigna de neuveaux
revenus . En 1753 , on fit des changemens
confidérables, Voici l'extrait d'une lettre écrite à
ce fujet en 1755 : « La Banque de Vienne fut
établie par le Magiftrat de la Ville , il y a environ
quarante ans . La Ville y prête encore
> actuellement fon nom. Les affignations
très -valables ne font fignées que par les Receto
veurs & les Contrôleurs de la Banque , tous
» deux fubordonnés au Magiftrat. La Cour
» de Vienne étoit bien aife de trouver , par le
crédit de ceste Banque , les fommes dont elle
avoit befoin. Mais il falloit naturellement affi-
" gner auffi à la Banque autant de fonds qu'il en
falloit pour payer les intérêts des fommes levées
par cette voie. De là vint qu'une grande paratie
des revenus de la Souveraine fur engagée à
i 4
( 200 )
פכ
» la Banque , & qu'ils le font encore. La Cour
trouva que l'importance de l'affaire exigeoit
qu'elle-même eût l'oeil fur la régie de tous ces
» revenus , le maniement de la Banque devenant-
» un objet toujours plus digne d'attention . A
cet effet , la Cour établit une commiffion fous
le nom de Minifterial Banco Hof Deputation.
» Cette Commiffion s'eft peu- à - peu emparée de
toute la Direction de la Banque , & le Magif
» trat de la Ville de Vienne ne fait plus qu'y prê
» ter fon nom. Le Comte Rodolphe de Chotek
> eft Président de cette Commiffion , & par là il
» eft en même tems chef du département de
כ כ
tous les importans revenus affignés à la Banque ,
» dont je vais vous faire bientôt le dénombrement.
Il a quatre Confeillers dans fon Confeil ,
→ une infinité de fubalternes à Vienne & dans les
» Provinces , pour la régie de ces revenus. Il eft
» entiérement indépendant , avec tous fes fu-
→ balternes , en tout ce qui a rapport à ce dé-
» partement de la Banque , foit du Directoire à
Vienne , foit de tous les autres dicafteres dans
>> les Provinces . Comme il eft en même tems
» Préſident du Directoire de Commerce , fon
pouvoir s'étend fort loin ..... On m'a affuré
» qu'à la fin de l'année 1748 l'état paffif montoit
à quarante- neuf millions de florins , cutre
beaucoup d'arrérages d'intérêts ; qu'à la fin de
» l'an 1751 , non - feulement tous les arrérages
» d'intérêts étoient acquittés , mais qu'on avoit
auffi payé cinq millions de florins de capital
» dans ces trois ans . C'est donc là - deffus que j'ai
→ fondé le calcul de 44 millions de dettes à la fin de
l'an 1751. Ces dettes & les billets de Banque délivrés
là-deffus font de différentes fortes : 1 °. il y
>> a des emprunts que la Banque a faits elle- même,
& fur lefquels elle a dorné des obligations en
( 201 )
ဘ
כ כ
ɔɔ
"
forme , toujours payables à la requifition du
» créancier , avec les intérêts à cinq pour cent ,
payables par an; 2°. Il y a des fommes placées .
» dans la Banque , conformément aux loix, & qui,
» y doivent refter ou un certain tems , ou à perpétuité
, contre un intérêt de quatre à cinq pour
cent ; tels font les fidéicommis en argent comp-
> tant , les fonds des fondations pieufes , des
Eglifes , d'Hôpitaux & d'autres , les dépôts ,
l'argent des pupilles , fur lefquels la Banque
donne des certificats ; 3 ° . il ya des dettes contractées
& affignées pour le Souverain , & ac-
» ceptées par la Banque , fur lefquelles elle a
donné des billets payables à un certain terme
» avec les intérêts à cinq pour cent , payables
par an. 4°. Il y a d'autres fortes de dettes fur
lefquelles la Banque de Giro combinée à préfent
avec la grande Banque de Vienne , a délivré
des billets , & qui ne font jamais payables ;
» mais dont on tire annuellement l'intérêt à cinq
" pour cent , & dont on peut fe fervir en forme
de paiement par la ceffion . Quant aux dettes
de la premiere claffe , on a nis les intérêts à
» quatre pour cent , & l'on a offert de payer le
capital à qui n'a pas voulu laiffer l'argent pour
cet intérêt baiffé . La plupart ont mieux aimé
» ne point reprendre leur argent , & la Banque a
fait non - feulement par là un gain très - confidéra-
" ble, mais elle a augmenté fon crédit . Pour mieux
» l'établir , on a commencé à s'acquitter des plus
anciennes dettes , & on en eft déjà venu juſqu'à
» celles de l'an 1721 & 1732. On a publié dans
les gazettes de Vinne tout le courant de l'année
1755 , que les dettes de ces deux années
de cette premiere claffe [ die anticipationsund
fculdens capitalia ] devoient être payéesjuſ
i
s.
( 202 )
ככ
» qu'à la fin du mois d'Août 1755 , & que qui ne
» reprendroit point fon argent dans ce terme perdroit
les intérêts pour l'avenir. On a gagné
» par- là pareillement , que la plupart ont laiffé
leur argent fur de nouvelles obligations à quatre
pour cent. Quant à la feconde clalle , les dépôts
& l'argent des pupilles ne restent à la vé
rité à la Banque qu'autant que le procès ou la
» minorité dure ; mais au moins il n'eft pas permis
de l'en tirer pendant ce tems . L'argent , au
contraire , qui appartient aux fideicommis ,
Eglifes , Hôpitaux , & d'autres fondations
pieufes , ne fort jamais de la Banque , & les inté-
» reffes n'en tirent que les intérêts , avec cette
différence , que plufieurs de ces fondations tirent
encore , par privilege ou convention ex-
» preffe , cinq pour cent ; & d'autres où l'on n'a
pas eu la même prévoyance , font obligés de
fe contenter de quatre pour cent. Quant à la
> troifieme claffe , on s'eft fervi prefque du même
moyen qu'à l'égard des dettes de la premiere,
& on a offert , par l'Edit du 30 Novembre
1752 , le paiement de toutes ces dettes jufqu'au
15 Mars 1753 , quoique leur terme ne
» fût pas encore échu , fous peine de perdre les
» intérêts ultérieurs . Beaucoup ont retiré , mais
beaucoup y ont auffi laiffé leur argent à quatre
pour cent. Quant à la quatrieme claffe , il n'y a
» aucun moyen de mettre plus bas l'intérêt de
cinq pour cent , puifque déja ces billets de
» Giro portent le défavantage , que comme e
» n'en puis jamais demander le paiement de la
Banque , leur valeur monte & baiffe plus que
les autres billets , felon les circonftances , &
que fouvent il y a de la perte en les voulant
» réaliſer par des ceffions . Je crois pouvoir tirer de
ל כ
59
( 203 )
» là la conclufion que les deux tiers des dettes de
la Banque ne font plus à préfent qu'à quatre
» pr. 100 , & qu'on paie encore pr. 100 de l'autre
» tiers » . L'Auteur de cette Lettre compte les revenus
affignés à la Banque dans le tems qu'il écrivoit ,'
à 17,0930,000 fl . Les obligations de la Banque
de Vienne peuvent être comparées aux rentes
fur l'Hôtel- de - Ville de Paris . La Cour adminiftre
la Banque par fes Miniftres & Confeillers , & la
Ville de Vienne en fait la garantie . Comme le
capital de ces obligations n'eft fujet à aucun impôt
, on recherche ces obligations . Dans l'année
1778 , on mit une taxe extraordinaire , fous
le titrefubfidium præfentaneum , fur tous les revenus
quelconques , mais les obligations de Banque
furent épargnées. D'ailleurs on ne donne point
des obligations nouvelles à la Banque , ce qui fáit
encore rechercher davantage ces fonds- là.
Après la guerre de 1756 , on fit encore , fur le
crédit de la Banque , pour 10,000,000 florins de
billets de Banque , depuis 5 iufqu'à 5000 forins.
Ces billets étoient acceptés dans toutes les caiffes
impériales comme de l'argent comptant . On
avoit même exigé , pour leur donner plus de
cours , que le paiement de certains revenus devoit
le faire moitié en argent , & moitié en billets
de Banque . Il y avoit d'ailleurs dans les Provinces
des caiffes particulieres où on donnoit de
l'argent fur le champ à ceux qui préfentoient des
bille :s. Indépendamment de la Banque , la
Maifon d'Autriche a encore des dettes fur le cré .
dit des Etats , & d'autres fur le crédit de la
Chambre des Finances. Par 1: crédit des obligations
de Banque qui eft fermée , c'eſt a - dire ,
qui ne reçoit plus d'argent , on foutient adroitement
le crédit des autres papiers. La Cour,pour
foutenir ces crédits , retire même de tems en
r
i 6
( 204 )
tems une partie des obligations. On éva
lua , en 1783 , les dettes de l'Etat à deux cents
millions. Cette fomme ne feroit pas trop forte ,
s'il étoit vrai , comme on l'a imprimé dans le
Journal de Schloezer , que la Cour de Vienne
paie annuellement quinze millions de florins pour
intérêts , & pour éteindre une partie du capital .
Le Comte de Haukwitz a fait beaucoup de réformes
utiles dans les finances de l'Autriche fous
Marie-Thérefe. L'Auteur de la Lettre ci deffus
évalue dans une autre Lettre également écrite
en 1745 , les revenus de l'Autriche à 40 millions
de florins. Il y a une défenfe en Autriche
de donner des capitaux à intérêts dans les pays
étrangers , & une Ordonnance du 27 Mars 1783 ,
d'aprés laquelle tout l'argent appartenant à des
Eglifes ou à des fondations , doit être placé in
fundis publicis , avec défenſe de le prêter à des particuliers.
DE NAPLES , le 29 Mars .
Le Roi avoit commandé un magnifique
fervice de porcelaine à la Manufacture de
cette ville , & l'on apprend que S. M. va
l'envoyer au Roi d'Angleterre , qui lui avoit
fait préfent d'un grand nombre de Caronades,
canons fabriqués à Caron en Ecoffe.
La femme d'un Orfevre de cette ville , mariée
depuis long-temps fans avoir eu d'enfans , accou
cha d'un fils derniérement ; cet événement répandit
la joie dans toute la famille . Le pere en particulier
defirant donner un témoignage public de
fon aegreffe , voulut que le nouveau né fût préfenté
au Baptême avec les ornemens les plus riches ;
en conféquence il le para non feulement de tous
( 205 )
les joyaux & bijoux d'or qu'il poffédoit , mais encore
de tous ceux que lui furent prêtés par les confreres
& par les amis. Un fiou , témoin de toute
cette magnificence , réfolut d'en faire fon profit.
Dans ce deffein , il alla fe placer à la porte de l'Or
fevre , au moment où la cérémonie terminée , on
ramenoit l'enfant à la maiſon. Prenant un air radieux
, il vole au- devant de la fage -femme qui
portoit dans fes bras l'objet convoité. Il fe dit le
frere du pere , met une piece d'or dans la main de
la matrone, prend l'enfant dans ſes bras & defcend
auffi-tô. l'escalier avec une précipitation que cette
bonne femme attribua aux tranſports de joie dont
il paroiffoit enivré ; mais cet efcalier avoit une
iffue fur une autre rue , que le voleur enfila fans
être apperçu . La fage - femme étant montée dans
l'appartement de l'accouchée , & avec la compagnie
ne voyant ni le prétendu oncle , ni le neveu ,
elle fut obligée de raconter le fait . A cette nouvelle
affreufe , ' a mere fut attaquée de convulfions
fi terribles qu'elle en mourut deux jours après.
Quant au voleur , les recherches les plus exactes
n'ont pu encore faire découvrir fa retraite.
GRANDE-BRETAGNE. ·
DE LONDRES , le 18 Avril.
Le Roi a nommé Sir Guy Carleton
Chevalier de l'Ordre du Ban , à la place de
Capitaine Général & de Gouverneur en
Chef du Canada , qu'occupoit Sir Fréderic
Haldimand. Le Chevalier Guy Carleton
eft également Capitaine Général &
Commandant en chef des provinces de la
( 206 )
Nouvelle- Ecoffe , de New Brunſwick , &
généralement de toutes les Colonies Britanniques
dans cette partie du Nouveau-
Monde.
Mylord Cornwallis a pris congé de S. M.
& de fes amis , & il eft parti pour Portf
mouth où il doit s'embarquer , ainſi que le
Commodore Elliot , Commandant de l'Efcadre
de Terre-Neuve.
Samedi 15 , on a lancé à Deptford l'Impregnable
de 90 can . Le temps étoit fuperbe ,
& la foule prodigieufe. La Famille Royale
ne s'eft pas trouvée , comme l'on s'y attendoit
, à ce fpectacle qui avoit attiré le beau
monde de la Capitale , & une foule d'étrangers
de diftinction.
M. Pulteney demanda le 10 à la Chambre
des Communes , permiflion de préfenter un
bill fur les moyens de compofer à l'avenir ,
& en temps de guerre, plus avantageufement
que par la preffe , les équipages de la Marine
Royale. Quoique M. Hopkins , l'un des Lords
de l'Amirauté , ait combattu cette demande ,
comme faite pour femer des alarmes fur les
difpofitions pacifiques de la Grande Bretagne
, M. Pitt adopta & foutint la motion qui
fut admife fans aller aux voix .
Le lendemain 11 , la Chambre fut occupée
d'un objet de la premiere importance , fur lequel
M. Jenkinfon fixa l'attention de l'Affemblée
par un difcours qui entraîna tous les fuffrages.
Aucune harangue parlementaire ne
mérita mieux ce fuccès par l'étendue & la
( 207 )
netteté de la déduction , par la folidité des
principes & par la nature des faits dont ils
furent appuyés. La Chambre étant affemblée
en grand Comité pour prendre en confidération
les loix du commerce maritime & de la
navigation , l'Orateur annonça qu'il alloit
préfenter un fyftême de réglemens nouveaux
fur cet objet.
D'abord , il préfenta rapidement la progreffion
du commerce de l'Angleterre , depuis
1558 , jufqu'à l'année 1784. En 1558 ,
les Anglois n'employoient à leur commerce
que 300 voiles. Depuis le tems du Protectorat
, époque du fameux ate donné par Cromwell
, jufqu'à la reftauration , leur navigation
fut portée à 169,260 tonneaux . Ce nombre
dobla dans l'intervalle de la révolution ,
fous Guillaume III , jufqu'au regne de Georges
I. Il doubla encore pendant la vie de ce
Prince; & de cette époque, jufqu'à nos jours,
il s'efl accrû dans la même proportion . Ainsi,
la Marine marchande de la Grande-Bretagne
eft fept fois plus confidérable qu'elle ne l'étoit
à l'inſtant où l'on adopta l'acte de navigation.
M. Jenkinson , développant enfuite l'état
comparatif de la Marine Angloife , en 1774
& en 1784 , expofa en détail le nombre de
navires employés au commerce étranger , à
celui des Indes occidentales , aux pêcheries ,
au cabotage , & démontra qu'en 1774 , le
tonnage général n'étoit que de 699,818 ton-
>
( 208 )
neaux , & qu'en 1784 , il s'étoit élevé à
889,814. De cet accroiffement , dont les
preuves ne font pas fufceptibles de replique ,
M. Jenkinfon conclut que la révolution de
l'Amérique feptentrionale avoit très - évidemment
favorifé les intérêts commerciaux de
la Grande - Bretagne , & que , fi l'on avoit
perdu une fouveraineté , cette perte étoit
amplement rachetée par l'avantage que la
Nation en retiroit journellement.
Un fyftême qui procuroit des avantages fi précieux
à la nation , obferva M. Jenkinſon , devoit être
maintenu avec toin . Il falloit introduire de nouveaux
réglemens , lorfqu'il ex ftoit des fraudes &
des abus , qui pouvoient en arrêter ou diminuer les
effets falutaires . Or les loix actuelles donnoient
lieu à des fupercheries & à des abus . Tous les navires
étoient obligés de prendre avec eux un certificat
pour paffer dans la Méditerranée ; & il arrivcit
fréquemment qu'après en avoir fait ufage ,
ils vendoient ce certificat en mer à d'autresnavires
qui n'y ont aucun droit . Ainfi un navire produifoit
quelquefois un certificat , dont la date étoit plus
ancienne que le navire qui le portoit ; ce qui prouvoit
évidemment qu'il y avoit de la fraude. Souvent
les certificats différoient effentiellement du
tonnage des navires pour la protection de quels ils
étoient produits. Enfin il fe commettoit tous les
jours une infinité d'autres abus , auxquels il étoit
néceffaire de remédier.
L'Orateur préfenta enfuite les réglemens
qu'il avoit en vue.
1°. Qu'à l'avenir aucun vaiffeau né paille être
répa é de conftruction Britannique qu'il n'ait été.
réellement conftruit dans la Grande-Bretagne ou
( 209 )
dans les poffeffions Britanniques; 2 ° . que tout vaiffeau
foit enregistré dans le port auquel il appartient
& les prifes dans celui où elles auront d'abord été
conduites ; 3 ° . que tout vaiffeau y compris même
les bâtimens côtiers , à un feul pont , & don: le
port n'excede pas quinze tonneaux , foient ob igés
de prendre comme les autres une déclaration ;
4°. qu'il foit fait une révifion générale des déclara
tions actuelles & qu'on en donne d'autres dans une
forme plus propre à prévenir la fraude . Ces décla
rations feront renouvelées en payant un droit de
timbre le plus modique qu'il fera poflible . Il fera
aufli fixé un certain temps pour le retour des vailfeaux
partis du port avec ces déclarations . Ce ter
me fera d'un an pour les vaiffeaux faifant le commerce
d'Europe ; ceux qui font aux Ifles de l'Amérique
auront dix - huit mois , & on accordera deux
ans aux bâtimens qui trafiquent dans l'Inde . A
l'expiration de ces termes refpectifs , tous les navires
ron--pourvus d'une déclaration dans la nouvelle
forme ne feront point réputés de confruction
Britannique. Il faudra auffi augmenter le
droit d'Etranger , & le rendre plus général en
l'étendant aux Etats Unis qui , certainement ,
n'ont plus aucun doit d'en être exemp: s . Lorfqu'on
mit pour la premiere fois fur les étrangers
un droit d'un demi pour cent , c'étoit fans contredit
une précaution fuffifante contre l'abus ,
parce que le droit payé par les fujets Britanniques
n'étoit que de cinq pour cent ; mais à
prefent que cette impofition s'eft élevée à 25 &
même à 28 pour cent , un droit d'Etranger d'un
& demi pour cent , en face d'un autre de 28 ,
ne peut avoir aucune efficacité.
En finiffant , M. Jenkinfon affura que les
réglemens propofés avoient été foumis à
( 210 )
l'examen des Bureaux de la Marine & du
Commerce , & des principaux Négocians du
Royaume ; qu'ils étoient le réfultat de leurs
conférences , & qu'ils en avoient obtenu une
entiere approbation. La motion fut admiſe à
l'unanimité , le bill fera imprimé & publié ,
afin que chaque Citoyen intereffe puiffe propofer
les obfervations qu'il jugera néceflaires .
Le même jour M. Pitt informa la Chambre
des Communes , que l'appât des gratifications
& des remifes de droits accordées
à l'exportation de plufieurs marchandifes ,
engageoit beaucoup de gens à feindre
d'exporter des cargaifons qu'ils déchargeoient
enfuite clandeftinement fur la côte :
il annonça qu'il foumettroit inceffamment
à la Chambre un Bill pour prévenir cette
fraude.
Ce Miniftre avertit également Paffemblée qu'après
les vacances de Pâques , 11 fixeroit fon attention
fur une autre affaire de la plus grande
importance ; favoir , fur un changement dans
la perception des droits fur les vins. Les fraudes
qui fe commettent dans cette branche d'importation
font énormes , & font le plus grand tort
aux revenus de l'Etat . M. Pit affura que l'inportation
des vins avoit diminué pendant quinze
ans dans la proportion de fix à fept mille tonneaux
par an, & cependant tout le monde fait
que , dans aucun temps , la consommation du
vin n'a été auffi étendue qu'aujourd'hui . Selon
M. Pitt , il entre frauduleuſement plus de 7000
tonneaux de vins ; mais en fuppofant qu'il n'en
entre de la forte que 7000 tonneaux , l'Etat
( 211 )
perd 3 à 400,000 liv. ft. par an fur cette branche
d'importation. On attribue cette fraude à
deux caufes : à l'importation frauduleufe des vins
étrangers , & à la compofition chimique d'une
liqueur malfaifante fabriquée en Angleterre fous
le nom de vin. Ces deux caufes peuvent contribuer
à la diminution des revenus de l'Etat ;
mais , felon M. Pitt , la première eft la plus
forte. Il n'eft pas encore decidé fur les moyens
qu'il emploiera à cet effet ; mais il a infinué
que fi la Chambre vouloit y confentir , la voie
la plus courte & la plus sûre étoit de mettre ene
partie des droits fur le vin fous l'adminiftration
de l'Accife. M. Pitt ne cacha pas que le même
pian avoit été rejeté il y a quelques années ;
mais il obferva que les circonftances avoient
changé , & qu'aujourd'hui l'intérêt du Fife &
l'intérêt du commerce devoient déterminer ia
Chambre à l'envifager fous un autre point de
vue. M. Pitt crut cependant devoir répéter qu'il
n'avoit pris encore aucune réfolution fixe à cet
égard , mais qu'il defiroit que les membres de
la Chambre fe préparaffent à la difcuffion prochaine
de cet objet . ( Le plan de M. Pitt feroit
de fupprimer les droits d'entrée , & de les rejetter
fur les débitans foumis à l'Exciſe ) .
Dans la même Séance , Mr. Jenkinfon
Signala de nouveau fes profondes connoiffances
& fon zèle laborieux , dans l'examen
des réglemens concernant la pêche de la baleine
, foumis , felon l'ordre du jour , au
grand Comité de la Chambre.
M. Jenkinfon dit que cette pêche , foit qu'on
la confidérât comme un objet de commerce ,
ou comme un levier capable d'augmenter les
forces navales de l'Angleterre , méritoit toute
( 212 )
l'attention de la Chambre. Il ajouta qu'il avoit
le malheur de différer d'opinion , tant avec les
Commiffaires des Douanes , qu'avec les Marchands
intéreffés dans cette pêche . Selon les
Commiffa es , la pêche de la Baleine étoit actuellement
dans un état fi floriffant , qu'elle
n'avoit pas befoin d'être encouragée par des
gratifications. S'il en failcit croire les Marchands ,
au contraire , ce commerce fe trouveroit totalement
ruiné dès l'inftant où l'on retireroit la
gratification . Dans cette oppofition de fentimens
, il lui fembloit à propos de prendre un
parti moyen. I obferva que les gratifications
payées aux vaiffeaux de l'Angleterre propreme, t
dite , étoient montées l'année dernière à 84,122
livres ſterling , c'eft- à- dire , à environ 600 - liv. ft.
par vaiseau l'un portant l'autre. Si l'en ajoute
à cette femme les gratifications payées en Ecoffe
, on aura pour l'année derniere un total de
94,88 1. Enfin , le total des gratifications payées
depuis le commencement de cette pêche , monte
à 1,165,461 livres fterl . J'ai pris des informatiens
exactes , dit M. Jerkinfon , fur l'état des
bâtimens qu'on a me aquel'ement pour la pêche
prochaine ; ils font au nombre de 190. Les
gratifications qui leur ferent payées , en les
eftimant également fur le pied de 600 livres
par bâtiment , monteront donc à 114,000 liv.
terl. L'accroiffement confidérable de cette pêcherie
a fait , comme on voit , des gratifications
un objet très difpendieux . En conféquence
je propofois de les limiter de maniere que ,
fans porter atteinte à la pêche , cette diminution
put produire quelque économie dans
les dépenfes publiques. M. Jenkinfon s'arrêta
long-tems fur cette idée , & chercha à prouver
que le public n'avoit poin ; d'équivalent pour cette
( 213 )
pour
dépenfe , d'autant que felon lui , les gratifications
n'étoient point effentielles pour maintenir
cette pêche. La réduction qu'il propofoit
pouvoit tout au plus empêcher fes progrès ;
inais en aucune maniere gener fes opérations
acuelles . Il parla enfuite du peu de fecours
que la Marine retiroit en tems de guerre de
cette branche de nos pêcheries. Il obferva qu'il
y avoit plufieurs c'affes de matelots tellement
effentielles le maintien du commerce , que
les Loix les mettoient à l'abri de la preffe .
Quant aux autres matelots , ils étoient , dit- il ,
pour la plupart hors d'état de fervir à bord des
vaiffeaux du Roi. Il finit par infifter fur ce que
les gratifications pouvoient tout au plus encore
favorifer le commerce d'exportation , objet qui
méritoit que l'encouragement du Gouvernement
qui devoit plutôt s'occuper des moyens
d'augmenter la confommation intérieure de la
Grande- Bretagne. En conféquence , il fit une
motion pour que la gratification de 40 liv . fter!.
par tonneau accordée à la pêche de la Baleine
fût réduite à 30 feulement .
M. Dempfter s'éleva contre cette motion , qui
lui préfageoit , dit - il , l'anéantiffement de la pêche
de la Baleine , cette branche de commerce
importante à plus d'un égard. Un grand nombre
de particuliers y font intereffés , & les rifques
auxquels ils expofent leur fortune font incroya
bles. Il blâma M. Jenkinſon d'avoir regretté les
fommes que ces gratifications avoient coûté à la
Nation , & dit qu'elles avoit été amplement
rachetées par les avantages fans nombre que ce
commerce avoit procuré à l'Angleterre. Combien
de millions ne prodigue- t on pas en tems
de guerre ? Cependant la Nation fupporte tranquillement
ces charges , parce qu'on les lui fait
( 214 )
envifager comme néceffaires. L'objet qui occupe
la Chambre en ce moment ne mérite- t - il pas les
plus grands encouragemens par fon importance
& fon utilité ? Sans doute le public doit voir
avec fatisfaction les économies que les Miniftres
operent dans les finances ; mais en cette occa
fion , je crains bien que celle qu'on nous propofe
, loin de produire aucune égargne n'ait
un effet tout contraire. On doit s'étonner
au refte que cet objet n'ait point été traité
avec toute la prudence qu'il demandoit . Les
perfonnes inftruites dans cette partie n'auroientelles
pas dû être confultées à la barre ? Enfin
les propriétaires intéreflés dans les pêcheries auroient
dû avoir la liberté de défendre leur propriété
& de difcuter cette affaire qui n'eft
peint à la portée d'un Comité du Confeil privé
, dent les décifions fe rapportent toujours
aux idées reçues dans le Miniftere. M. Dempster
finit par voter contre la motion .
•
M. Jenkinfon obferva que tout ce qu'il avoit
avancé fur la pêche de la Baleine étoit puifé
dans les papiers qu'il avoit mis fur le Bureau.
M. Wilberforce dit que quoiqu'il fût l'ami
le plus zelé de M. Jenkinfon , il fe trouvoit
contraint de différer de fentiment avec lui fur
l'objet des gratifications . Il s'attacha , de même
que M. Dempfter , à prouver l'importance de
la pêche , & propofa de continuer encore pour
quelque tems les gratifications fous certaines
reftrictions qu'il développa. Il obferva d'ailleurs
que même dans l'état actuel des chofes la pêche
étoit un véritable jeu , & que fi l'on ôtoit la
gratification de 40 liv . fterl, par tonneau , elle
deviendroit une lotterie fans lots.
M. Huffey développa les mêmes principes
( 215 )
& prouva qu'aucune dépenle n'étoit plus utile ni
mieux employée que celle appliquée aux gra
tifications.
Le Chancelier de l'Echiquier répondit à la
plupart des objections qui avoient été faites
contre la motion , & fit un réfumé des principes
fuivans : L'exportation ne doit point être
encouragée par les gratifications accordées à la
pêche ; la pêche de la Baleine ne fournit point
de matelets à la Marine Royale , elle ne fait
que perfectionner ceux qui ont le bonheur de
paffer par cet apprentiffage ; la diminution de
10 liv. fterl. fur la gratification , propofée par
M. Jenkinſon produira une épargne qui n'eft
point à méprifer dans l'état actuel d'épuifement
où fe trouvent les finances ; l'époque actuelle
où nous jouiffons des avantages de la
paix eft le moment le plus favorable pour faire
rénffir la meture projettée ; enfin la diminution
de la gratification ne portera point atteinte à la
pêche de la Baleine , & la rendra feulement
tationnaire , ce qui eft précisément l'objet
que l'auteur de la motion s'eft propofé en la
faifant.
Le Comité étant allé aux voix , la motion paſſa
par une majorité de 26 voix fur 15 .
A la rentrée , après les vacances de Pâques
M. Pitt doit propofer de nouveaux Réglemens
pour l'aménagement & le repeuplement
des forêts. Cet objet eft intimément
lié avec le projet qu'il a d'encourager la
conftruction des vaiffeaux en Angleterre.
L'examen ultérieur du Bill pour l'encouragement
de la pêche du tarbor , a été remis
à l'autre feffion. M. Beaufoy , Auteur
du Bill , y a contenti , la faiſon étant trop
( 216 )
avancée pour que lon plan puiffe être exécuté
cette année.
Suivant une lettre de la Dominique , en date du
3 Février , la rébellion des Negres marons étoit
alors fur le point d'être appaitée , & on s'attendit
d'un jour à l'autre à voir venir le Phoreel
leur Chef, avec cent foixante de ces malheureux ,
qui étoient en pourparler avec le Gouverneur ,
pour le rendre , à condition qu'on leur feroit
grace de la vie.
Mercredi dernier , deux Officiers de
l'Excife s'étant avifés de fuivre un panier
de vins ou de liqueurs , chez un particulier
, dans la naifon duquel ils entrerent ,
au mépris de la loi ; celui - ci appella les Conftables
, & fit arrêter les Employés qui furent
conduits par - devant l'Alderman Hammett.
Ce Magiftiat lut aux coupables l'Acte du
Parlement , & les envoya en prifon , pour
avoir ofé violer les privileges des Citoyens ,
fous prétexte d'obéir au devoir de leur
miffion.
Un Capitaine au fervice de la Compagnie
des Indes a , dit on , préfervé fon équipage
du fcorbut depuis plufieurs années , au
moyen d'une ample provifion de grofeilles
à maquereaux , encore vertes , & confervées
dans des bouteilles , fermées avec foin . Une
petite quantité de ces grofeilles , mêlée aux
alimens ordinaires , a produit des effets plus
avantageux que ceux du fourkraut, du moût
de bierre , ou de tout autre antifcorbutique
connu.
Marai dernier , veille de Pexécution de plufiears
( 217 )
fieurs criminels , le Major Arabin alla à Newgate
voir un de ces malheureux nommé Burdett , & lui
demanda s'il avoft connoiffance d'un vel confidérable
d'argenterie qui avoit été fait chez lui.
Burdett lui dit qu'oui . Alors le Major le preffa
pour favoir s'il avoit des complices , & s'ils étoient
encore en liberté. Major , répondit Burdett , vous
vous dites homme d'honneur ? Oui.
bien , je le fuis auſſi.
quelque efpérance de pardon ?
&
Eh
Mais avez- vous
Non ,
jamais je ne vous diraipour l'obtenir , ce que vous
defirezfavoir. Puis il ajouta : « J'ai long- tems
vécu comme un méchant , comme un fcélérat.
Je mérite la peine que je vais fubir , & j'y ſuis
parfaitement résigné ».
On cite une chaffe au renard , faite ces
jours paffés dans le Glocefter Shire , & remarquable
par la circonftance fuivante.
Le renard avoit pris chaffe depuis fort longtems
, lorfque traverfant une jachere , il donna
fur un lievre qui étoit à l'entrée de fon gîte. Le
lievre voulut s'enfuir ; mais le renard le rattrapa
bientôt & le tua. Des chaffeurs étant furvenus
eurent beaucoup de peine à lui faire lâcher prife"
à coups de fouet. Le renard à l'inſtant traverſa
un village où un pauvre coq fe trouva ſur ſon
chemin ; il effaya de l'attraper ; mais étant vivement
ferré par les chiens ', le coq parvint à
s'échapper. On a dû cette fingularité à ce que le
renard avoit été gardé deux jours fans nourriture
, ce qui l'avoit tellement affimé , que ,
même dans le danger le plus preffant , il s'abandonnoit
aux befoins de la nature .
Un de nos Ouvrages périodiques a fait
en ces termes un éloge vrai du célèbre Docteur
Jebb , mort , il y a deux mois.
N° . 17 , 29 Avril 1786. K
( 218 )
Le Docteur Jebb étoit à - la- fois un favant
diftingué , un homme très - ſenſible & un excellent
patriote. Bien lon , comme tant d'autres , de
refufer aux pauvres les feccurs par avarice & par
orgueil , il fembloit choifir de préférence ces
malheureux comme les objets les plus chers de
fes attentions . Ange tutelaire de l'humanité , il
écartoit d'elle tous les fléaux fur lefquels fes tam
lens & fa bienfaitance avoient quelque empire ;
& s'il n'étoit pas affez heureux pour faire difparoître
l'indigence , il en adoucifloit au moins
l'amertume.
Mais le Docteur Jebb qui avoit dans les moeurs
la douceur d'un enfant , déployoit dans fa conduite
politique , le courage & la fierté d'un lion ;
le désintérellement qui formoit la bafe inaltérable
de fon caractere lui a fait foutenir conftamment
toutes les mesures qui tendoient à maintenir
la liberté , ou à donner une nouvelle énergie
à la Conftitution . Une ame auffi ardente que
la fienne ne pouvoit s'affujettir long temps aux
entraves pédantefques d'une Univerfité ; il quitta
fa robe par des raifons qui font honneur à fon
caractere. Dans fa nouvelle carriere on ne le
vit jamais ni faire fa cour à aucun Miniftae ,
mi accepter aucune faveur , tant il craignoit
out ce qui auroit pu porter la moindre atteinte
à fon indépendance .
Un des objets qu'il avoit principalement à
coeur étoit une repréfentation plus égale de la
nation dans la Chambre des Communes , & il a
fouvent inféré dans les papiers publics différens
écrits pour prévenir les compatriotes que les
droits d'élection ne doiy : nt point être facrifiés
à Kor des corrupteurs ou au crédit des familles
puiffantes. Il defiroit auffi beaucoup qu'il fût fair
une loi , fi digne d'ailleurs de la haute idée que
( 219 )
l'on doit avoir de la liberté Britannique , pour
empêcher un créancier de faire enfermer pour
la vie fon débiteur , fi par quelque fa alité ,
pre que toujours étrangere à l'honneur & à la
probité , celui- ci fe trouve hors d'état de payer
une dette. Le Docteur Jebb avoit confacré fa
plume au fervice de la patrie , & il ne rougif-
Toit point d'avouer qu'il avoit fouvent envoyé
des paragraphes aux papiers publics , qu'il ref
pectoit comme les fentinelles de la liberté nationnale.
Dans les liaifons politiques , il favoit allier
la douceur & les égards à la fermeté que l'on
doit à fes principes . Il avoit été un des plus zélés
partifans de M. Fox ; mais on ne put jamais l'engager
à pardonner la coalition qu'il regardoit
comme une alliance dictée par l'intérêt perfon--
nel. Il répondoit à ceux qui cherchoient à ébranler
fa refolution à ce fujet , que fi une telle
conduite étoit excufable envers un individu
tous les autres auroient droit à la même indulgence
, & qu'alors la nation ne fauroit plus fur
qui compter.
Une ame dont toute l'activité , tous les voeux
avoient pour objet la profpérité du mérite , la
récompenfe des honnêtes gens , & l'exécution
des bonnes mefures , ne pouvoit manquer d'être
fréquemment déchirée . Des chagrins altérèrent
la fanté de cet homme trop fenfible , & les vains
efforts qu'il fit , pour arrêter certains défordres ,
achevèrent de brifer fon coeur , & d'enlever à la
nation britannique & à l'humanité en général leur
meilleur ami & leur plus digne ornement.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 19 Avril.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Toulon l'Ab.
k 2
( 220 )
bé de Caftellane , l'un de fes Aumôniers, Vicaire-
Général de Soiffons ; àl'Abbaye de Sully , Ordre
de S. Benoît , Diocèle de Tours , l'Abbé de
Madame , fur la nommination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; & à l'Abbaye
réguliere de Beaulieu , Ordre de Prémontré ,
Diocèfe de Troyes , le fieur Pierse de Villefrey,
Religieux - profès du même Ordre.
La Députation des Etats de Cambrai , du pays
& comté du Cambrefis , compofée pour la Nobleffe
du Marquis d'Havrincourt , Maréchal - de-
Camp ; & pour le Tiers- Erat du fieur Lefebvre ,
Avocat au Parlement , & Echevin de la Ville &
Cité de Cambrai , après avoir été admife , le 9 de
ce mois , à l'audience du Roi , eut également
l'honneur de préſenter le même jour les refpe&s
à la Reine & à la Famille Royale.
1
Le 11 , Madame s'eft rendue en cérémonie à
J'Eglife de la Paroiffe Notre- Dame , où elle a
communié des mains de l'Abbé de Moftuejouls ,.
fon premier Aumônier ; la Ducheffe de la Vauguyon
, fa Dame d'honneur , & la Ducheffe de
Caylus douairiere , Dame pour accompagnér
cette Princeffe , tenant la nappe.
Le même jour, Madame Elifabeth de France
s'y eft également rendue, & a communié des mains
de l'Evêque de Senlis , premier Aumônier du Roi;
la Ducheffe de Duras , Dame du Palais , & la
Comteffe Diane de Polignac , Dame d'honneur
de cette Princeffe , tenant la nappe,
Le lendemain , Monfieur s'eft rendu en cérémonie
àla même Eglife , & y a communié des
mains de l'Evêque de Séez , fon premier Aumônier
; le Maréchal Duc de Lévis , Capitaine des
Gardes-du- Corps de ce Prince , & le Duc de
Maillé , Premier Gentilhomme de la Chambre de
Monseigneur Comte d'Artois , tenant la nappe .
( 221 )
Le Comte George- Confiantin Commène , le
Comte de Champagné Giffart , le Comte de Re
naud d'Alien , le Comte de Flotte d'Argençon ,
le Comte de Valori , le Marquis de Villers- la-
Faye , le Marquis de Chevigné , le Baron de Ma
let , le Chevalier de Biencourt & le Chevalier de
Monchenu , qui avoient précédemment eu l'honneur
d'être préſentés au Roi , ont eu , le 11 , celui
de monter dans les voitures de Sa Majeſté , & de
la fuivre à la chaffe .
Le Jeudi Saint , après l'Abfoute faite par l'E
vêque de Saint Flour , & le Sermon prononcé par
l'Abbé de la Boiffiere , le Roi lava les pieds à
douze Pauvres , & les fervit à table . Le Prince
de Condé , Grand Maître de la Maiton du Roi
étoit à la tête des Maitres d'Ho el de Sa Majefté,
& précéda le fervice , dont les plats furent portés
par Monfieur , Monfeigneur Comte d'Artois , le
Duc d'Orléans , le Duc de Bourbon , le Duc
d'Enghien , le Prince de Conti & le Duc de
Penthièvre , & par les principaux Officiers de
Sa Majesté. Le Roi , accompagné de Monfieur ,
de Madame , de Monfeigneur Comte d'Artois ,
de Madame Comteffe d'Artois & de Madame Elifabeth
de France , fe rendit enfuite à la Chapelle
où il entendit la Grand'Meffe , qui fut
chantée par fa Mufique , & à laquelle l'Abbé de
Ganderatz , Chapelain de la grande Chapelle ,
officia. Mefdames Adélaïde & Victoire de France
affifterent auffi à la Grand'Meffe , à laquelle la
Comteffe de Saiffeval , Dame pour accompagner
Madame Victoire de France , fit la quête.
Le Comte de Bonneval , qui avoit précédem
ment eu l'honneur d'être préfenté au Roi , a eu ,
le 15 de ce mois , celui de monter dans les voi
tures de Sa Majefté , & de la fuivre à la chaffe.
La Cour affifta , le même jour , dans la Cha
k 3
( 222 )`
pèlle du château , à l'O - Filii , de la compofition
du feur Girouft , Maître de mufique de la Chapelle
du Roi , & exécuté par la mufique de Sa
Majefté.
Le lendemain , jour de Pâques , le Roi , accom
pagné de Monfieur , de Madame , de Monfeigneur
Comte d'Artois , de Madame Comteffe d'Artois ,
& de Madame Elifabeth de France , affifta , dans
la Chapelle du château , à la Grand'Meffe , qui
fut chantée par fa mufique . L'Evêque de S. Flour
y officia pontificalement , & la Marquife de
Mouftiers , Dame pour accompagner Madame
Elifabeth de France , fit la quête.
L'après-midi , le Roi , accompagné comme le
matin , après avoir entendu le Sermon , affifta aux
Vepres . Mefdames Adélaïde & Victoire de France
affifterent , ce jour , à l'Office dans une des tra
vées.
Le lendemain , le Roi (e rendit en cérémonie
à l'Eglife de la Paroiffe Notre- Dame , où il communia
des mains de l'Evêque de Senlis , fon
premier Aumônier ; le Duc de Coigny & le Duc
de Briffac tenant la nappe du côté du Roi , & les
deux Aumôniers de quartier , du côté de l'Autel.
Le 16 , Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné le contrat de mariage du Comte de la Roque-
Menillet , Sous -Lieutenant au Régiment du
Roi , Infanterie , avec demoiſelle Bochart de
Champigny.
Le fieur de Bonneville a eu l'honneur de préfenter
à Leurs Majeftés un Ouvrage intitulé : Ef
fais, choix de petits Romans imités de l'allemand,
fuivis de quelques elfais de Pocfies lyriques , dédiés
à la Reine.
DE PARIS , le 26 Avril.
Le 13 de ce mois , le feu fe manifefta au
( 223 )
village d'Hardivilliers . 21 maifons , les ba
timens en dépendans , les meubles , effets ,
vêtemens & beftiaux qui y étoient renfermés
furent la proie des flammes . M. de Barentin
, Premier Préfident de la Cour des
Aides , Seigneur du lieu eft parvenu par fes
foins & par des travaux fagement ordonnés
, à arrêter le progrès du mal. Il a pourvu
dans le moment à tous les befoins de ces
malheureux que fa préſence a ranimé. M.
d'Agay , Intendant de Picardie , s'eft empreffé
de leur faire délivrer les fecours que
leur pofition rendoit néceffaires .
Le Vendredi Saint , les Affemblées de
Charité furent terminées par une délivrance
de prifonniers pour dettes de mois de Nourrices
, qui fe fit dans la falle du Confeil du
Châtelet. Mad . la Princeffe de Léon , après
avoir fait la quête , fe rendit dans cette falle ,
où il fe trouva un grand nombre de perſonnes
de la premiere diftinction , pour contribuer
à cette bonne oeuvre : on y délivra 87
Prifonniers , dont un avoit 10 enfans , refte
de : 6 ; quelques autres 9 , 8 & pluſieurs 6.
La totalité des dettes de nourritures d'enfans
de ces 87 Prifonniers , a monté à 7475 liv.
16 fols 3 den. , & en outre , chacun a reçu
un petit fecours en argent , proportionné à
fes charges , pour fubvenir , en rentrant dans
fa maifon , aux befoins les plus preffans de
fa famille.
Oa écrit de Saint - Quentin que le ro du mois.
dernier, jour du tirage de la milice du fauxbourg
k4 .
( 224 )
Saint Jean , entre midi & une heure , un jeune
homme de quinze à ſeize ans , gliffant fur la glace
qui couvroit le grand abreuvoir de ce fauxbourg,
tomba dans l'eau , qui dans cet endroit avoit au
moins huit pieds de profondeur : il pouffa un cri
perçant qui fit accourir la femme d'un Maçon
dont la maifon étoit voifine : elle apperçut le jeune
homme enfoncé dans l'eau jufqu'au cou , &
quoiqu'elle fût dans un tems critique , elle n'héfita
pas à voler à fon fecours , elle faifit la main
du jeune homme ; le poids de fon corps fit rompre
de nouveau la glace fur laquelle elle étoit , elle
tomba elle - même dans l'eau , & difparut à l'infzant.
Une jeune fille , âgée de dix - huit ans , témoin
de ce qui fe paffoit , courut aux deux infortunés
; s'accrochant d'une main au garde- fou qui
entoure l'abreuvoir , elle faifit de l'autre les jupons
de la femme , qui flettoient fur l'eau , &
après bien des efforts , elle parvint à la fauver ,
ainfi que le jeune homme , dont celle - ci tenoit
toujours la main , qu'elle n'avoit point lâchée.
L'un & l'autre étoient fans connoiffance ; on leur
donna les fecours les plus prompts , qui les rappellèrent
à la vie ; mais la femme a fait une maladie
dont elle eft à peine remife , & elle boite
encore,d'une bleffure qu'elle s'eft faite au genou
en tombant. Cette femme , dont on ne peut qu'admirer
lecourage & l'humanité , a donné de cette
derniere vertu d'autres preuves qui la rendent encore
plus intéreffante. Elle a fecouru jufqu'à fa
mort , tant de fa bourfe que de fes foins , une
pauvre vieille femme abandonnée de tout le
monde , qu'elle n'avoit connue que par hafard ; &
elle ne l'avoit foignée que parce qu'elle la voyoit
feule & dans la derniere mifere. Le Subdélégué de
'Intendant à Saint Quentin , qui rend compte de
ces faits , ajoute qu'ils font parvenus à fa connoif
( 225 )
fance un peu tard , par l'indifférence où la mo
deftie de leurs auteurs , qui croient n'avoir fait
que ce que toute autre perfonne auroit fait à leur
place.
M. M*** nous adreffe les obfervations
fuivantes fur les inconvéniens des cheminées
actuelles , & fur les moyens d'y remédier.
Entre tant d'abfurdités que la routine a confacrées
, & qui cedent fi lentement au poids de la
raifon , il me femble que la conftruction de nos
Cheminées mérite une attention particuliere,
fur-tout en ce moment où la difette du bois de
chauffage follicite la vigilance du Gouvernement
, & éveille l'induftrie des Citoyens.
•
La forme de nos Cheminées paroît , de toutes
celles qu'on eût pu adopter , la moins propre à
remplir fon objet . Cette vérité depuis longtems
a été fentie par un ordre de Religieux,
plus particulièrement dévoués aux économies
de la pauvreté , dont nous rapproché inceffamment
l'ivreffe de notre luxe ; & par les fimples
& précieux Cultivateurs d'Allemagne , qui ufent
du moyen que nous propofens .
Dans nos Cheminées telles qu'elles font en ce
moment , le feu concentré entre trois parois , ne
communique qu'à la longue , très peu , ou point
de chaleur à l'appartement ; & n'eft acceffible
fur ane ouverture de trois pieds, & demi , qu'à
trois ou quatre perfonnes ; & qu'à huit ou dix
dans la plus grande proportion de ces Cheminées.
:
Dans oes deux cas , il y a double inconvé
nient celui d'être trop près du brafier , qui incommode
alors ; & celui d'en être trop loin , f
l'on forme le demi - cercle.
Il n'eft pas ici queftion des Hôtels , & des
( 226 )
Palais où de grands feux dans plufieurs antichambres
, & des poëles jufques fur les efcaliers ,
& fous des parquets de marbre , fuppléent à
grands frais les vices de nos Cheminées , en augmentant
la difette du bois . Il faut indiquer au
plus grand nombre le moyen de fe chauffer mieux
avec moins de dépenſe.
Ce moyen eft de placer les Cheminées , fi- non
au milieu de l'appartement , du moins à l'une
de fes extrémités fur la longueur , de maniere
qu'on puiffe avoir des fiéges entre le mur & le
foyer.
Les gens de l'art verront bien mieux que moi
le parti qu'on peut tirer de cette conſtruction , &
les détails où je n'entre point , parce qu'ils font
de leur reffort.
En adoptant cette conftruction , on y devroit
avoir égard dans les bâtimens nouveaux où l'on
donneroit plus de longueur aux pieces . Mais
dès ce moment , les Cheminées que je propoſe
peuvent être conftruites dans plufieurs fales ,
fallons , & grands cabinets oblongs , tels qu'ils
font.
Le point effentiel eft d'élever de 4 ou 5 pouc.
un foyer abfolument circulaire , à rebords affez
hauts pour contenir le bois , & la braife. Ce
foyer aura pour fonds une forte grille de fer ;
& fous elle un recueilloir pour recevoir les cendres
. Si l'on objectoit que la grille confomme
trop de bois , on peut la fuppléer par un fonds
plein , ou percé d'un feul trou.
Le tuyau qui commencera à 3 ou 4 pieds de
ce foyer , fera pofé fur trois légeres colonnes de
fer , ou de bronze décorées à volonté . Ce cuyau ,
bien entendu , devra être incliné par une pente
douce , pour rejoindre celui d'ancienne conftruction
; & fera formé de barres de fer , recouver◄
tes de tôle, ou de briques , &c . &c .
( 227 )
Par rapport à la fumée dont les détracteurs
de toute nouveauté qui ne vient pas d'eux , ne
manqueront pas d'exagérer les inconvéniens , il
ne paroît point qu'elle foit plus à craindre
avec un brafier qui raréfie l'air en raison de fa
grandeur , & de fon activité. D'ailleurs on découvre
& l'on publie chaque jour des moyens de
fe garantir de la fumée.
De telles Cheminées fufceptibles d'embelliffemens
nouveaux , exciteront l'induftrie fi féconde
de nos Artiftes , & préfentent divers avantages
que la comparaifon rend fenfibles .
On voit d'abord que toute la chaleur du foyer
fera à profit ; tandis qu'elle eft abforbée dans
l'âtre , dans le contre coeur , & dans les côtés de
nos abfurdes Cheminées . Les hommes , tout à leur
aife , pourront tourner le dos au feu , fans le maf
quer aux femmes .
Au lieu d'un demi - cercle , où chacun fe chauffe
trop , ou trop peu , l'on formera , en proportion
du diamètre du foyer , un cercle de 10 ou 20
perfonnes jouillant toutes également d'un brafier
qui infpire la gaieté : & ce coup d'oeil nouveau
aura un autre mérite , foit qu'il offre une famille
réunie autour de ce brafier , ou bien une alfemblée
dans tout l'étalage de la parure.
à D. , le 29 Mars 1786 .
par M. M****
On peut le rappeller la conteftation
qui
s'eft élevée entre M. Gardanne & M. Brulé ,
fur la Colique des gens de mer. Le premier
nous a priés de donner cours à fa réponſe
fur cet objet ; en voici la teneur.
Je dois , Meffieurs , depuis longtems , une
réponse à M. Brulé , Médecin de la Marine al
Breft ; il faut enfin que je m'en acquito. I
K. 6
( 228 )
m'accufe , dans fon Mémoire , d'avoir été caufe
par une mépriſe à laquelle il prétend que j'ai
donné lieu , de la mort d'une Dame , et d'accidens
fâcheux arrivés à des Matelots , à l'occafion
de leur colique particuliere : felon lui
j'ai indiqué la fauffe application de la méthode
de la charité contre la colique des Peintres :
tout ceci pourtant n'eft qu'une erreur de
M. Brulé dont je vais donner la démon(→
tration .
(
>
Il est bien étonnant que les gens de l'art , exerçant
la Médecine dans nos vaiffeaux , aient pu
prendre le change fur une inculpation fauffe &
malhonnête , faite par M. Brulé , fur- tout quand
il s'agit de la réputation d'un Médecin , accufé
d'avoir donné des confeils dangereux de Médecine-
Pratique. Jamais aucun ne s'eft foumis aux lumieres
de fes confreres , & si j'avois eu une
opinion erronée , confondu la colique des Peintres
avec celle des Matelots , & fauffement appliqué
le traitement de cette derniere à la précédente
, les Médecins & les Chirurgiens de la Marine
, maîtres de leur choix , auroien : commis une
faute énorme en adoptant cette omiffion ; mais ,
Meffieurs , il n'eft rien de tout cela ; l'erreur que
M. Brulé me reproche eft un fantôme , un être
de raifon dont je vais démontrer la nullité , pour
mettre ma réputation en garde contre une imputation
auffi grave que celle d'accufer un Médecin
d'avoir pris le change fur le choix d'une méthode ,
& d'avoir induit en erreur des perfonnes qui
par l'expérience , auroient du s'en garantir ,
en supposant toujours que j'euffe pu
tromper ..
me
On ne conçoit pas comment M. Brulé a pu
prétendre que j'aie conftamment fait mention,
dans mon Mémoire fur la colique des gens de mer ,
( 229 )
de celle des Matelots : il n'y a jamais été mention
que de celle des Officiers , comparée avec celle
des Peintres : c'eft après ce parallele , établi par
M. Defperriers , qu'a du fuivre l'application du
traitement fort de la colique des Peintres , contre
une maladie qui vient des molécules faturnines ,
comme cette derniere , ainsi que M. Deſperriers
paroît en convenir . Il n'a pas été queſtion , ni dans
mon Mémoire , ni dans mes lettres , de la colique
des Matelots , & l'on peut voir , parcelle du Journal
Encyclopédique , qu'il a toujours été queſtion
de la colique des Peintres & des Officiers qui font
les mêmes.
Voilà , Meffieurs , la réponse que je devois à
M. Brulé , qui en m'accufant , dans mon Mémoire ,
d'avoir commis l'erreur d'appliquer mal- à propos
à une colique particuliere aux Matelots , un traitement
qui luieft tout - à - fait contraire , a infidieufement
attaqué ma réputation. Vous voyez
pourtant qu'il n'eft rien de ce qu'il a dit de mon
mémoire & de mes lettres , & que fa rêverie ne mérite
aucune confidération
Ainsi fe détruifent ces idées fur la mort d'une
dame atteinte , de fon aveu ,de la colique nerveufe,
qu'il a trouvée telle dans fon principe . Il a pris
le change fur la maladie , & l'a traitée non comme
la colique des Matelots , mais comme celle des
Peintres. Encore en adminiftrant le traitement à
une maladie oppofée à celle des Plombiers , &
que ce traitement ne réussît point dans le début ,
on ne s'obſtineroit pas comme on l'a fait fur la
maladie dont il s'agit , à victimer fon eftomac par
la continuation habituelle de l'émétique. Cette
femme eft morte pourtant d'un ulcere cancereux
comme on devoit le prévoir , & cette mort s'eft
paffée fous les yeux de M. Brulé.
Plufieurs Matelots ayant leur colique , &
( 230 )
traités par la méthode oppofée , ont éprouvé
à leur tour des accidents , M. Brulé les a eu
fous les yeux ; & cette erreur a conţinué pendant
trois ans fans qu'il ait cherché à la réformer.
C'eft ainfi que par des méprifes & des inconféquences
impardonnables , au- lieu d'accufer
fes confreres d'erreurs qu'ils n'ont point
connues , il tombe lui - même dans ces erreurs :
je ne le fuivrai pas davantage dans les détails
de fon mémoire , cù je pourrois trouver des
fautes , des contrefens & des inadvertences. I
me fuffit de m'être juftifié des torts que m'a
fait ce Médecin peu expérimenté , qui préfére
de s'attacher à fon art , que d'engager des dif
putes polémiques.
PAYS- B A S.
DE BRUXELLES , le 22 Avril.
2
Le 12 , l'Archi -Ducheffe Marie - Chriftine
& le Duc de Saxe Tefchen , nos Gouverneurs
Généraux , font arrivés en cette ville ,
où ils ont été reçus avec l'allégreffe générale ..
Les Etats d'Utrecht ont exécuté le 12 la
réfolution que nous avions annoncée , d'écrire
aux Etats de Hollande , pour fe plaindre
de leur refus de laiffer expédier par le
Stathouder dans la province d'Utrecht , des
troupes à la répartition de celle de Hollande.
Voici la fubftance de cette lettre , qui
conftate un conflit férieux entre les deux
Provinces fur l'une des bafes capitales de
l'Union d'Utrecht.
Les Etats parlent d'abord de l'affaire d'A
( 231 )
mersfcort , arrivée l'année derniere . La Pro
vince de Frife ne fit pas difficulté de confentir
» à ce que S. A.S. y envoy ât des troupes à la folde
de cette Province , & offrit aux Etats d'Utrecht
tous les fervices qu'ils étoient en droit d'atterr-
" dre d'un bon confédéré , conformément au
» traité d'union de 1579. Les Etats de Hot-
» lande , en s'offrant , le 9 Décembre dernier ,
» comme médiateurs , déclaroient que les af-
ور
50
>>
faires de la Ville d'Utrecht regardoient la fou-
» veraineté dans les Etats de la Province ; en admettant
la vérité de cette affertion , les Etats
d'Utrecht repliquent qu'elle eft applicable éga-
» lement à la Province de Hollande , qui en conféquence
n'a pas manqué de fe fervir des
troupes dans les diffenfions qui la divifent , iis
» ont donc été fort étonnés , quand ils ont appris
» le contenu de la lettre de L. N. & G. P. au
Capitaine Genéral . Ils ne peuvent s'empêcher
» de regarder cette démarche comme contraire à
» l'Union de 1579 , & à tout ce qui s'eft pratiqué
jufqu'à ce jour. L'Union oblige les confé-
» dérés à reconnoître leur fouveraineté réciproque
, & à fe donner toute l'affiftance poffible ;
quelle idée nous formerons- nous par- là , difent les
» États d'Utrecht , de la défenfe générale de la République
, &c . fi un des confédérés refufe à l'autre
des troupes, pour maintenir le bon ordre & la léga
» lité de la Régence , tandis que ce même confédéré
n'hésite pas d'en faire uſage chez lui pour le même
objet » ?
"
כ כ
לכ
33
Les Etats Généraux ont congédié irrévocablement
le 11 de ce mois , la Légion de
Maillebois , le Corps du Prince de Heffe-
Darmstadt , ceux du Colonel Matha & du
Colonel Sternbach.
( 232 )
La Gazette d'Utrecht , du 9 Avril , rapporte
l'anecdote fuivante.
« Il vient de mourir à la Haie une Fruitiere ,
âgée de 81 ans , qui auroit pu fournir à Moliere
» de nouveaux traits pour fon Avare. Cette fem-
» me , depuis 40 ans , ne vivoit que de café & de
» beurrées. Ses parens n'avoient la permiffion
» d'entrer que jufques dans fa boutique : le refte
30
de fon logement leur étoit interdit , tant elle
so fe méfioit de leur prétendue avidité ! Pendant
» un violent orage , la grêle avoit brifé tous les
carreaux de fa maifon ; elle a mieux aimé
fouffrir les froids les plus rigoureux , que de
» débourſer un fol pour leur réparation ; & ce
qui'ajoute encore à ce trait de léfinerie , c'eft
» que jamais , pendant l'hiver , on ne trouvoit
» de feu chez elle. Quand elle en avoit beſoin
pour faire bouillir fon café , elle fe contentoit
d'en envoyer acheter chez les gens qui
» en vendent ; mais comme elle n'avoit perfonne
pour la fervir , elle chargeoit ordinai-
» rement de cette commiffion le premier petit
» garçon qu'elle voyoit paffer , en le détermi-
» nant par l'appât de quelques fruits gâtés ,
qu'elle ne pouvoit plus mettre en vente, Après
fa mort , la Juftice , accompagnée de fes Col-
» latéraux , ( car elle n'avoit point d'enfans )
fit une defcente dans fa maifon . Quoique les
Héritiers s'attendiffent à y trouver quelques
épargnes , on ne peut pas fe faire une idée
de leur extafe à la vue de la quantité d'argent
qu'on y découvrit chaque panier de
fruits contenoit des monnoies de différentes
efpèces. On affure que fa fucceffion fe monte
» à 35 mille florins , outre deux maiſons qu'elle
avoit en ville . »
"
D
Extrait d'une Lettre de Cadix , du 28 Mars.
« Il y a 15 jours , qu'environ 12 Commerçans
( 233 )
étrangers de cette ville reçurent ordre de
» l'Adminiftrateur- Général des Revenus Royaux_
» de fe rendre fur le champ à Séville , fans
D
qu'on leur dît le motif d'un pareil ordre ;
» mais ils furent feulement que c'étoit pour
répondre juridiquement à certaines demandes
qui leur feroient faites . Ces Commerçans tinrent
une Aflemblée avec d'autres Négocians
» Efpagnols , & obtinrent la permiffion , avant
d'obéir , d'envoyer deux Couriers extraordi-
» naires , l'un à Madrid , & l'autre à Versailles.
» Au retour de celui de Madrid , les ordres de
» leur départ pour Séville furent contremandés ;
cependant , le bruit fe répandit qu'ils avoient
» fait paffer millions de piafres à Lisbonne ,
& ce fut , dit- on , le motif de la rigueur pro-
» jettée contre eux par l'Adminiftrateur des
Deniers Royaux.
> » Le calme s'étoit rétabli dans cette Place
lorfque ce matin , deux Maifons Françoifes
» & une Maiſon Eſpagnole ont fufpendus leurs
paiemens ; la premiere manque de 1,200,000
» piaftres ; la feconde , de 800,000 ; & la troi-
» fiéme , de 600,000 ; au total , environ de
» 11,000,000 liv. de liv . tournois.
» On attribue ces catastrophes au long délai
de l'arrivée du vaiffeau le S. Pierre d'Alcan-
» tara , & au malheur de fon naufrage ; cependant
, les frégates qui paffent continuellement
» du Péniche dans ce Port , ont déja rapporté
» 4 millions , cinq cents mille piaftres fortes
qui ont été retirées du fond de la mer ; &
» on efpere que le fuccès des plongeurs fera
» complet ; mais on craint qu'il ne foit difficile
de retirer également les piaftres non- enregiftrées
, & qui s'élevent à une fomme trèsconfidérable
. »
23
( 234 )
Une Lettre de Dantzick , du 4 Avril ,
parle en ces termes d'une inondation caufée
par la débacle des glaces.
Depuis le premier de ce mois , les glaces de la
Viftule fe font détachées , & ont commencé à defcendre
; mais comme les eaux entre Dirfchew &
Move étoient gelées jufqu'au fond , elles ont interrompu
l'écoulement des glaces fupérieures ,
& occafionné la rupture des digues du Marienburger
, diftri& Pruffien , qui a été preſque entierement
inondé . Cet événement a caufé une perte
immenfe aux habitans , dont les maiſons ont été
en partie détruites & les bestiaux noyés . Hier
enfin les glaces fe font entierement dégagées , &
ont paffé avec force pardevant cette ville , emportant
avec elles des débris de maiſons , effets , &c.
Au deffus de Move , les digues s'étant auffi rompues
, tout le bas pays a été fubmergé depuis
Thors jufqu'à Birfchaw , plufieurs perfonnes y
ent perdu la vie La digue élevée à l'endroit où
la Viftule fe partage en deux branches , dont
l'une conferve le nom de Viftule & pafle vers
Dantzick , & l'autre fous le nom de Nogat paffe
à Marienburg & Elbing , a beaucoup fouffert , &
auroit occafionné la fubmerfion totale d'Elbing ,
fi elle fe fût rompue. On attribue les malheurs de
ce genre , qui arrivent prefque tous les ans dans
la Pruffe occidentale , aux changemens de mefures
adoptées par les Pruffiens depuis qu'ils font
en poffeffion de ce territoire . Le defir de favorifer
le commerce d'Elbing a fait négliger les diverfes
réparations du lit de l'autre bras de la Viftule
bien moins fourni d'eaux de forte que la
majeure partie du fleuve fe portant fur l'autre
canal , il réſulte lors des débacles de grands inconvéniens
de cette inégalité de partage. Autre
fois les habitans eux -mêmes étoient chargés de
:
( 235 )
l'infpe&tion de ces digues : mais depuis qu'elle a
été remife à des Infpe&teurs royaux , moins au
fait fans doute du local , le pays eft fujet à beaucoup
plus d'accidens. Il eft probable que le funefte
exemple de cette année fera prendre d'autres
arrangemens .
Un bâtiment vient d'arriver de Thorn : ce qui
annonce que le fleuve eft dégarni de glaces , &
que la navigation va reprendre fon cours.
On écrit de Saint- Quentin une anecdote affez
finguliere , quoique peut- être apocryphe . Deux
Anglois arrivés dans cette Ville , après y avoir
refié quelque tems , emprunterent mille écus fur
des lettres - de- change qu'ils donnerent fur Londres
; le prêteur leur demanda de fe faire connoître
, & ils indiquerent l'Ambaffadeur de leur
Nation à Paris . L'Ambaffadeur répondit qu'il ne
les connoiffoit pas cependant ils partirent , &
leurs lettres - d - change revinrent proteftées de
Londres. On fe moqua du prêteur trop facile , &
quelqu'un paria cinquante louis contre lui qu'il
ne feroit jamais rembourfé. Le pari fut accepté ,
& les deux partics confignerent chacun leur mife.
Dans ces entrefaites , un incendie aux environs
de Saint-Quentin , ruina un petit village. Les
parieurs deftinerent le gain à fecourir les infortunés
qui avoient été brûlés , & on leur envoya
cinquante louis. Le même jour le prêteur reçut
de Londres le remboursement de fes mille écus
& fut ainfi doublement fatisfait d'avoir fait deux
bonnes actions .
9
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
« Le 28 Mars , le Courier ordinaire de Conftantinople
artiva à Vienne avec des dépêches
en date du 4 du même mois . Quoique les nou
1
( 236 )
velles particulieres ne contiennent rien de fort
remarquable : on apprend cependant de bonne
part , que la Chancellerie d'Etat a reçu des avis
importans fur la fermentation extraordinaire qui
regne & qui s'accroît de plus en plus parmi le
peuple de Conftantinople. Au départ du courier il
étoit queftion de la dépofition du Grand- Seigneur,
& de l'élévation du Prince Sélim au Trône . L'alarme
étoit générale ; chacun fe tenoit fur fes
gardes , & les Miniftres des Cours étrangères reftoient
enfermés dans leurs demeures à Péra. Il
faut en effet que l'orage foit bien près d'éclater ,
puifque plufieurs perfonnes de diftinction de notre
Cour font revenues ici , pour ne pas fe trouver à
Conftantinople dans les circonstances actuelles » .
[ Courier du Bas - Rhin , nº. 30 ] .
< L'efcadre Hollandoife aux ordres du Contre-
Amiral van Kinsbergen , a mouillé le 11 dans le
port de Malaga , compofée des vaiffeaux de guerre
le Jupiter & la Nord- Hollande , des frégates le
Tigre & la Médée , & des corvettes la Guêpe & le
Lion. L'Oud-Hoerlem , navire de la Compagnie
Hollandoife des Indes Orientales , eft entré le
4 Janvier à Sainte- Croix de Ténériffe. Parti de
Fleffingue au mois d'Octobre 1785 , ce bâtiment
fut une navigation fi malheureufe , qu'au nouvel
an il n'étoit encore parvenu qu'à la hauteur des
Canaries. Comme il avoit cinq pieds d'eau à
fond de cale , ce ne fut qu'avec beaucoup de peine
qu'il atteignit le port de Sainte-Croix , abfolument
hors d'état de continuer le trajet . L'équipage
étant épuifé de fatigue & rongé de fcorbut , le
Capitaine demanda au Gouverneur la permiffion
de le mettre à terre ; mais celui - ci s'y refufa : &,
quoique l'Officier Hollandois offrit de fe fou--
mettre à toutes les conditions qu'on voudroit
prefcrire au débarquement de fon monde , foit
( 237 )
de le défarmer , de le renfermer dans un endroit
clos , ou de le mettre fous garde , le Commandant
Espagnol perfifta dans fon refus & continua
de traiter ce malheureux équipage comme des
vagabonds dont il avoit tout à craindre , apparemment
parce que le nombre des Hollandois
monte à une centaine d'hommes , & que fa garnifon
n'eft
que de deux cents foldats. Le Capitaine,
a envoyé ici des plaimes au Miniftre de fa Nation
: mais , renfermé avec fes gens fur fon navire
, ils peuvent tous être morts du fcorbut ,
avant que M. l'Ambaffa deur Comte de Recheteren
ait pu leur faire parvenir la permiffion que
l'humanité de S. M. Catholique la portera fans
doute à lui accorder. » [ Gaz. de Leyde ] .
GAZETTE ABREGÉE DES TRIBUNAUX .
PARLEMENT DE NORMANDIE.
Billets faits par un Normand majeur , âgé de 21 ans
& demi , fils de famille , ne jouiffant d'au un
pécule , font- ils nuls de plein droit ?
Cette question , infiniment intéreffante , puiqu'elle
touche à la tranquillité des familles ,
fouvent à leur honneur , a été jugée pour l'affirmative
en faveur du fieur de L'Hôpital de la
Cunette , contre le fieur Gros- Jean. En 1779,
le fieur de L'Hôpital de la Cunette , fis de famille
Normande , étoit Cadet Gentilhomme dans un
Régiment Francois , en garnifon à Neuf- Brifach ,
en Alface , alors âgé de 20 ans & demi ; il trouvoit
la penfion que lui faifoit fon pere au de flous
de fes befoins. Le JuifScrops lui offroit des fecours
qu'il accepta; il commença par exiger de ce jeune
homme deux billets de 9,000 l. chacun , dont l'un
( 238 )
-Le billet
avoit 9 mois à courir , l'autre , un an , au bénéfice
du heur Gros- Jean , Négociant à Scheleftat. Quelques
jours après , le Juiflui apporta des marchandites
de toutes efpeces , comme draps , toiles , chapeaux
, gazes , & c . Il y joignit la facture du fieur
Gros -Jean. Le fieur L'Hôpital revendit ces marchandiles
pour 1,900 & quelques 1.-
de 9 mois étant fur le point d'écheoir , le Sr Gros-
Jean chercha les moyens de s'en procurer le paiement
. Le fieur L'Hôpital pere , qui demeuroit
en Normandie , fut averti de la diffipation de fon
fils ; il écrivit aux Chefs du Corps où il fervoir ,
pour avoir des éclairciffemens . Le fieur Gros - Jean
fut entendu , & fe reftreignit à 9,000 1. pour folde
des deux billets . A cette époque , le fieur L'Hôpital
pere mourut ; alors , le fieur Gros- Jean fit affigner
le fieur L'Hôpital fils , devant le Vicomte
d'Evreux , pour être payé du montant des deux
billets. Le fieur L'Hôpital invoqua le Senatus Confulte-
Macédonien , & foutint la nullité des billets ,'
aux offres de remettre au fieur Gros- Jean le produit
de la vente des marchandiſes mentionnées
dans la facture . Le Vicomte donna a&e au fieur
L'Hôpital de les offres , & déclara les billets nuls .
Sur l'Appel du fieur Gros Jean en la Cour ,
Arret du 13 Janvier 1786, qui a mis l'appellation
au néant , avec amende & dépens.
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Allodialité de la Coutume du Bourbonnois , confirmée.
QUESTION DE DROIT PUBLIC .
Il eft peu d'affaires plus importantes que celle
dont nous allons rendre compte. L'Adminiftrateur
des Domaines du Roi a prétendu , en versu
( 239 )
a
de droit de Suzéraineté du Monarque , affujettie
tous les héritages du Bourbonnois à la mouvance
univerfelle envers Sa Majesté . L'effet de ce fyftême
étoit d'impofer un Cens & d'exiger des droits
de dire&e Seigneurie , tels que lois & ventes fur
tous les héritages qui ne font pas érigés en Fiefs,
ou qui ne relevent d'aucun Seigneur. A.nfi , l'Adminiftrateur
rejettoit la maxime : nul Seigneur fans
titre , qui , jufqu'à préfent , a fait la bafe du régime
féodal en Bourbonnois , & il vou'oit fubftituer la
maxime contraire : nulle Terrefans Seigneur , qui
régna dans les Coutumes cenfuelles. Voici les circonftances
de l'affaire . En 1774 , le fieur
Audifret avoit acquis la Métairie des Gâteaux ,
fruée en Bourbonnois , Châtellenie de Moulins ;
partie de cette Métairie releve du Roi , les lods en
ont été payés , le furplus a été foutenu Allodial , &
conféquemment , l'acquéreur en a réfuté les lods.
Adminiftrateur ayant prétendu que le Roi
avoit la Seigneurie univerfelle de toutes les Terres
de fon Royaume , & que les droits de cette Seigneurie
étoient dûs à Sa Majefté , par- tout cù il
n'y avoit point de Seigneur particulier ; il a fait
affigner le fieur Audifret devant les Officiers du
Bureau des Finances de Moulins , Juges du Domaine
du Roi en cette Province , en paiement de
lods & ventes de la totalité du prix de fon acquifition
; & par Sentence de ce Tribunal , du 7 Avril
1775 , il a été ordonné , qu'avant faire droit
l'Adminiftrateur feroit tenu de rapporter les titres
envers lefquels il préten toit que tout ou partie des héritages
en queftion étoient dans la Cenfive du Roi,
Sur l'Appel de cette Sentence interjetté par
Adminiftrateur , les Officiers Municipaux de la ville
de Moulins ont pris le parti d'intervenir pour le
général des habitans de la Province , & en adhérant
aux Conclufions du fieur Audifret , ils le font
réunis pour demander la confirmation de la Sen(
240 )
tence du Bureau des Finances ; ainfi , l'affaire s'eft
engagée ertre l'Adminiftrateur du Domaine & les
habitans du Bourbonnois , & on a traité à fond la
queſtion de favoir : Si la Coutume de cette Province
étoit allodiale , ou cenfuelle ; fi les héritages y étoient
préfumésfrancs ; s'il n'y avoit titre contraire , & par
conféquent , fi c'étoit la maxime : nul Seigneur fans
titre qui devoit être la regle du régime. féodal ; ou au
contraire fi la fervitude étoit la condition naturelle des
fonds,& s'ils étoient gouvernés par la regle : nulle
Terre fans Seigneur, ou nul franc- aleu fans titres.
-L'Adminiftrateur a fait imprimer deux Mémoires
, & a foutenu que la regle : nulle Terrefans
Seigneur formoit le droit commun du pays courumier,
& qu'elle devoit être fuivie dans toutes
celles où la maxime contraire n'étoit pas écrite :
il a appuyé ce fyftême par le grand nombre des
Coutumes cenfuelles , comparées avec le petit
nombre des Coutumes allodiales . Comme la Coutume
du Bourbonnois n'a point d'article précis qui
prononce littéralement la franchiſe naturelle des
héritages , il en a conclu qu'elle ne l'admettoit
pas. Les habitans du Bourbonnois , dans un
Mémoire & une Confultation , ont foutenu que
leur Province , érigée en Duché en 1327 , étoit
autrefois un patrimoine héréditaire. Le Bourbonnois
n'a été empreint du titre de Domaine de la
Couronne que par la fubftitution faite en 1400 par
le Duc de Bourbon , en faveur de la Couronne, au
défaut d'hoirs mâ'es. La donation du Bourbonnois
à la Couronne , au défaut d'hoirs , & la réunion
qui s'en eft fuivie , n'ont tranfmis au Roi que les
droits qu'avoient les anciens Ducs , & n'ont opéré
aucun changement dans les Us & Coutumes des
lieux. - Les moyens des habitans du Bourbonnois
ont prévalu , & l'Arrêt du 27 Mars 1786 , a confirmé
la Sentence du Bureau des Finances de Mou.
lins , avec amende & dépens."
DE FRANCE ,
DEDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
&
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces Fugitives nouvelles
en vers en profe ; Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spec
tacles ; les Caufes Célèbres ; les Académies de
Paris & des Provinces ; la Notice des Édits.
Arrêts ; les Avis particuliers , &c . & c..
SAMEDI I AVRIL 1786
BQCE
HATEAU
DEU
A PARIS ,
Au Bureau du Mercure , Hôtel de Thoug
rue des Poitevins , No. 17.
Avec Approbation & Brevet du Rei.
TABLE
Pu
Du mois de Mars 1786.
IÈCES FUGITIVES .
Vers à Madame la Comreffe
d'Arville ,
• 22
Le Mariage inattendu de Ché.
rubin , Comédie ,
Difcours aux Enfans de Mgr.
le Duc d'Orléans ,
Eirennes du Parnaffe ,
le Caroline ,
Ariette traduite du Drame de
Vinceflas ,
VersCome Difcours de
Hiftoire
de France
,
Sur la Mort de Hervé , Euphemie , Nouvelle,
Marquis de Thieuville , 49
Réponses à la Question , so
56
69
70
103
112
Hiftoire Littéraire du Moyen
Age
3154
AM. le Marquis de Mon L'Art Mufical ramené à fes
tefquiou ,
AM.Vernet,
97
29
Yers à M. le Chevalier de C **
145
169 vrais principes ,
Notice Raifonnée des Ouvrages
de Gafpard Schott , 174
SPECTACLES.
Bouts-rimés W147 Académie Roy. de Mufiq. 34,
Charades , Enigmes & Logo
gryphes., 5.54, 101 , 152 Comédie Françoife , 134 , 181
NOUVELLES LITTER. Comédie Italienne , 40,87
30.78 , 115 , 133
Fièces intereffantes pour fervir Sciences & Arts ,
Hiftoire & à la Littéra Variétés
zure
Traduction nouvelle de Pro-
Annonces & Notices , 41 , 99,
139. 186
perce,
16
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT
me dela Harpe, près S. Conn.
STOR
LIBRARY
S
EW-Y
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE
Sur le Tableau repréfentant le Serment
des Horaces.
Les voilà !... ce font eux.. ces fublimes Horaces ,
Héros qui pouvoient feuls vaincre les Curiaces!....
Certe mâle vigueur & ce hardi maintien ,
Tout en eux m'eft garant du triomphe de Rome.
A ton enthouſialme on te reconnoît bien ,
O père généreux, coeur au-deffus de l'homme !
La Nature a parlé.... tu n'entends que fa voix...
Pour toi , pour les tiens que de gloire!
Mais que de pleurs , hélas ! fuivront cette victoire !
Je gémis fur ton fort , & t'envie à la fois.....
Qui , maintenant , je puis comprendre
Tout ce quele génie afur nous de pouvoir :
A ij
MERCURE
Ces Héros que Corneille a fu me faire entendre ,
Non moins grand dans fon Art , David me les fait voir.
(Par un Amateur des Arts. )
INSCRIPTION pour la Façade du nouveau
Palais de Juftice.
IN ædem Juftitiæ ,
Regnante ac jubente beneficentiffimo Rege
Ludovico XVI ,
Nobilius reftauratam
Anno Domini......
Hic Themis alta fedens ; gladioque ac lance tremenda,
Vim legum ac mores ftabilit , civifque falutem.
Ou bien.
Hic augufta Themis referans oracula legum ,
Moribus invigilat , vitamque ac jura tuetur.
( Par M. Audet de la Méfanguère , Mattre
Es- Arts & de Penfion à Picpus , Auteur de
celle qui fut jugée la meilleure pour la Pompe
Feu de MM . Perrier. }
DE FRANCE.
S
HISTOIRE de deux Jeunes Amies,
par Madame RICCO BONI.
CHARLES Adolphe de Linange , né en Nor-
,
ancienne ,
@
mandie d'une famille noble
mais peu opulente ; privé de fes parens dès
fa plus tendre enfance , maître de lui- même
à vingt & un an , vendit fon modique héritage
, convertit en marchandifes les deux
tiers de fa fortune , & s'embarqua pour la
Martinique , où depuis plus de trente ans
un oncle de fa mère s'étoit établi . Sa traverfée
fut heureufe : fon vieux parent le reçut
avec joie; & comme il n'avoit point d'enfans,
Monfieur de Linange devint en peu de
temps l'objet de toute fa tendreffe. "
Une figure gracieufe , un naturel aimable,
fixèrent bientôt fur lui l'attention des Créoles
les plus diftinguées . Huit mois après fon
arrivée , une jeune veuve , en l'époufant , le
rendit maitre de deux habitations très -valtes ,
dont une partie étoit affez mal cultivée . L'intelligence
& l'activité de Monfieur de Linange
en augmentèrent confidérablement la valeur ,
& le mirent en état d'étendre fon commerce
& fes poffeffions.
Cinq ans après fon mariage , la mort de
fon grand oncle tripla fa fortune. Heureux
s'il eût fu borner fes voeux , & fuivre le plan
raifonnable qu'il formoit en quittant la France!
Il fe propofoit feulement alors d'acquérir
un fonds fuffifant pour vivre avec aifance
A iij
MERCURE
dans fa patrie . Peu-à- peu une perſpective
trop brillante s'ouvrit devant lui : la poffibilité
d'amaffer des richeffes lui donna le defir
d'en accumuler ; defir dangereux , fouvent
nuifible à fon objet , propre à écarter du
but que l'on envifage en s'y livrant . Monſieur
de Linange en fit la trifte expérience. L'avidité
le conduifit à laiffer échapper l'inſtant
où il pouvoit affurer à jamais la fortune &
fa tranquillité.
Marié depuis dix ans , il perdit fa femme
& la regretta fincèrement. Elle lui laiffoit une
fille , feul fruit de leur union . Pendant la
vie de Madame de Linange , fon mari n'avoit
ofé céder à l'envie de faire élever fa
fille en France : il craignoit d'affliger une
tendre mère , s'il la privoit du plaifir de voir
croître cet enfant fous fes yeux. Rien ne
gênant plus fa volonté , il faifit la première
occafion favorable à fon deffein . Zéphirine
de Linange , âgée de neuf ans , fut amenée
en Europe par une amie de fon père , que
des affaires y rappeloient. Cette amie la
conduifit à Paris, & la remit entre les mains
de Madame de Raré , Religieufe aux Dames
Annonciades du Saint-Efprit, à Popincour
coufine germaine de la mère de Monfieur
de Linange. A peine fortoit- il de l'enfance
quand elle quitta fa province ; cependant
elle fe fouvenoit de l'avoir vu , defiroit beaucoup
fon avantage & fon retour en France.
Monfieur Rémond Banquier autrefois
compagnon d'étude du père de la jeune Amé-
> >
DE FRANCE.
ricaine , alors fon Correfpondant à Paris ,
fut chargé par lui de fournir a Madaine de
Raré , l'argent néceflaire à l'entretien & à
Féducation de cet enfant chéri. On le pria de
ne point fixer fa dépenfe , Monfieur de Linange
fouhaitant procurer à fa fille tout ce qui pourroit
contribuer à la rendre aimable & heureufe.
La grande fortune dont Zéphirine devoit
jouir , unit toute la Communauté dans le
defir de lui attacher une jeune perfonne
qui , en s'attirant fa bienveillance , lui devroit
peut- être un jour fon établitlement. La
maifon s'en trouvoit chargée par un événe
ment affez extraordinaire. Sa pofition la
mettoit dans la néceffité de prendre le voile
quand elle auroit atteint l'âge où l'on peut
embraffer la vie monaftique ; & ces Dames
craignoient de la voir contrainte à prononcer
des voeux fans vocation & fans goût pour
la retraite.
Elle étoit de l'âge de Mademoiſelle de
Linange , & fe nommoit Clémence d'Artenay.
Elle joignoit à une figure attrayante
beaucoup d'efprit , un naturel doux , & cette
docilité, cette attention à plaire où la dépendance
accoutume , en infpirant la crainte de
s'attirer un reproche. Madame de Raré confentit
avec joie à cet arrangement des autres :
Religieufes ; Clémence fut reçue dans l'appartement
de Mademoiſelle de Linange
partagea fes études & fes amuſemens. Traitée
par elle comme une four chérie , Mademoifelle
d'Artenay en prit les fentimens , & rien
A iv
8 MERCURE
n'altéra dans la fuite ces premières difpofitions
de leurs coeurs .
connu
Soigneufe de remplir les intentions de
Monfieur de Linange , Madame de Raré fe
fit un devoir de donner à fa fille une éducation
diftinguée. Zéphirine en profita. Inrelligente
, appliquée , elle acquit avec facilité
des connoillances utiles & des talens
agréables. Bien faite , jo lie , gracieuſe , ſenfible
, libérale , elle devint chère à toutes
les perfonnes dont elle fe trouvoit environnée.
Huit années s'écoulèrent dans ce
calme heureux , partage de la jeuneffe & de
l'innocence , calme dont on jouit fans en
apprécier l'ineftimable avantage ,
feulement quand il n'existe plus , quand on
perdu pour jamais l'efpoir de le recouvrer.
La paix de mademoifelle de Linange fut
troublée par le retard des lettres de la Martinique.
Elle confervoit un fouvenir bien vif
de fon père , fe rappeloit avec attendriffement
fes traits , fes careffes & fes bontés.
Les expreffions affectueufes dont il fe fervoit
en lui écrivant , entretenoient dans fon
coeur un defir ardent de le revoir , de fe
fentir encore preffée contre le fein de ce
parent chéri. Par fes dernières lettres il lui
annonçoit fon prochain retour en France
le deffein formé d'y refter , de lui procurer
un grand établiffement ; d'employer le fruit
de fes longs & pénibles travaux à faire la félicité
de unique objet de ſes foins & de
fa tendreffe.
DE FRANCE. 9
Que ces flatteufes eſpérances répandoient
de joie dans l'ame de Zéphirine ! à quelles
vives douleurs la livrèrent-elles en fe diffipant
! Une année fe paffa toute entière , &
plufieurs vaiffeaux arrivèrent fans lui apporter
aucune lettre de la Martinique. Les vilites
de Monfieur Rémond , auparavant affez fréquentes
, devenoient rares & courtes. Les
queftions fur le filence de Monfieur de Linange
l'embarraffoient ; il y répondoit par
des propos vagues , & laiffoit toujours dans
P'incertitude où lui même feignoit d'être , fur
la caufe de cet alarmant filence.
Le bon coeur de Monfieur Rémond l'engageoit
feul à cacher de triftes événemens.
Depuis un an Monfieur de Linange n'exiſtoit
plus ; fa mort , fuite des chagrins violens
que lui avoit donnés le défordre de fes
affaires , réduifoit fa fille à l'indigence . Des
depredations de toute efpèce , une maladie
épidemique répandue fur fes nègres , des
pertes reitérées le forcèrent à contracter des
dettes immenfes. Il lui reftoit des moyens de
rétablir la fortune : il les employoit avec
ardeur , quand la guerre , portant fes funeftes
ravages dans cette partie du Globe , arrêta
fes travaux , anéantit fes efpérances, lui montra
fa ruine inévitable , & le fort qu'elle préparoit
à l'enfant aimable & chéri , dont
l'élévation & le bonheur formoient le plan
de fa propre félicité. Cette cruelle idée fe
préfentant fans ceffe à fon efprit , ferra fon
coeur , l'accabla d'une mortelle affliction ,
A v
10
MERCURE
détruifit en lui tous les principes de la vie ,
& lui fit terminer en peu de mois , des jours
devenus fi malheureux .
La vente de fes habitations , celle de fes
effets , fes fonds raffemblés fuffirent à remplir
fes engagemens , mais il ne refta rien.
Depuis quinze mois Zéphirine devoit à Monfieur
Rémond l'aifance dont elle jouiffojt
encore. Il eût pu foutenir fans fe gêner fa
dépenfe néceffaire ; mais Madame de Raré
fembloit fe plaire à l'étendre , à l'augmenter
chaque jour : elle rempliffoit fon appartement
de meubles inutiles & chers , lui
faifoit porter les plus riches étoffes , lui entretenoit
plus de femmes que fon fervice
n'en exigeoit,& lui laiffoit la liberté de donner
beaucoup. Monfieur Rémond fentoit le befoin
d'arrêtér fa prodigalité , de l'avertir du
changement arrivé dans la fituation de fon
Élève vingt fois il fe rendit au Couvent
avec le deffein de parler ; mais prêt à s'expliquer,
l'idée de la douleur qu'il alloit exciter
, le retenoit , l'engagecit à retarder
encore ce fatal éclairciffement ; fa tendre
compaffion lui faifoit fouhaiter d'attendre
des circonftances plus favorables au defir
qu'il avoit d'adoucir en partie une découverte
fi défefpérante.
Séparé depuis long-temps de Monfieur de
Linange , cet homme honnête confervoit le
fouvenir d'un léger ſervice reçu de cet ami
dans fa jeuneffe . L'état prefent de fa fille lui
infpiroit l'envie de reconnoître ce ſervice en
DE FRANCE.
obligeant la jeune orpheline ; mais embarraffé
alors par des pertes récentes , par des
doutes fur deux maifons de commerce dont
la folidité l'intéretfoit ; dégoûté des affaires
& s'arrangeant pour les quitter , il venoit
d'acheter une terre dans la Province , avec
le deffein de s'y retirer : cette acquifition
le mettoit à l'étroit pour le moment , & ne
lui permettoit pas de difpofer de fes fonds
au gré de les defirs .
Preffé par les inftances de Madame de
Raré , il rêvoit un jour au moyen d'éluder
encore cette trifte explication , quand on lui
remit fes lettres d'Efpagne.Son Correſpondant
de Cadix l'informoit du retour d'un vaiffeau
dont on croyoit depuis deux ans la perte
certaine. Il venoit d'arriver chargé d'une riche
cargaifon. Le bénéfice de Monfieur Rémond
fur fa part des marchandiſes apportées , montoit
à plus de cent mille livres : ce profit
inattendu le furprit. Le retour de ce vaiffeau
lui parut un bienfait de la Providence ; &
l'inftant où elle le ramenoit , une marque de
fa bonté pour Mademoiſelle de Linange.
Déterminé à partager ce profit avec elle , it
fe rendit at Couvent , fit prier Madame de
Raré de venir feule au parloir ; & rompant
enfin un filence gardé fi long-temps , & par
de fi louables motifs , il lui apprit les défaftres
arrivés à la Martinique , la mort de
fon parent , & la fituation cruelle où fa fille
fe trouvoit réduite.
Confternée d'un événement qu'elle avoit
A-vj
72 MERCURE
craint fans en prévoir les fuites , Madame de
Raré , les yeux baignés de larmes , les mains
jointes , élevées , fembloit en l'écoutant , implorer
le fecours célefte pour la malheureufe
or heline , dont toutes les efpérances s'éva-,
nouiffoient à jamais. Après un inftant de
filence , elle s'ecria : ô ma chère Zéphirine !
que ferez- vous ? que deviendrez - vous ? & regardant
Monfieur Remond : quoi , lui ditelle,
vous êtes für de fon entière ruine ? quoi ,
l'heritiere de tant de riches habitations , ne
pofside rien , n'attend rien ? quoi , Monfieur ,
elle n'a pas même la mcdique fomme néceffaire
pour confacrer fes jours dans cette
maifon ? elle eft fans appui , fans afyle , fans
reflources , abandonnee à toutes les horreurs
de l'extrême pauvreté ?
Non , Madame , non , répondit Monfieur
Rémond , fa pofition eft facheufe , mais elle
n'eft pas fi cruelle. Ceffez de vous affliger à
cet excès. Aidée de vos confeils & de la
raifon, fi Mademoiſelle de Linange peut , fans
trop de regret , ceffer d'envifager un brillant
avenir , fe contenter d'être à l'abri du befoin
& de la dépendance , on la met en état de
continuer à vivre fous vos yeux , avec un revenu
très- borné , il eft vrai , mais fuffifant
pour ne pas la contraindre à prendre le voile,
ou à contracter d'humiliantes obligations .
Tirant alors de fon porte-feuille plufieurs
billets : voici , Madame , continua-t-il , des
effets appartenans à Mademoiſelle de Linange.
Un ami de fon père ma chargé de les lui reDE
FRANCE. 13
mettre , & d'en payer le montant. Il fe trouvera
heureux fi vous daignez les accepter
pour elle , fans chercher a le connoître. En
parlant , il paffoit les billets du côté de Mas
dame de Raré , & l'interrompant a fa première
queftion fur cet ami , il la pria de lui
laiffer garder un fecret confié a fa foi.
Peu de momens auparavant , Madame de
Raré fe feroit vivement affligée de voir la
fortune de fa parente bornee a un fonds de
cinquante mille livres. Ce qu'elle venoit
d'apprendre lui fit paroitre cette fomme confidérable
; elle en marqua fa reconnoiffance
à Monfieur Rémond. En vain s'efforça -t- il
de détourner fes idees : elles fe fixèrent fur
lui. Je n'infifterai point , Monfieur , lui ditelle
, fur un aveu de votre part ; je ne vous
priverai point de la fatisfaction de vous montrer
aufli modefte que généreux ; je ne vous
remercierai point d'affurer lafubiiſtance d'une
infortunée , mais puiffent fes voeux & les
miens attirer les bénédictions du ciel fur la
noble créature dont vous taifez le nom ! puiffe
ce bienfaifant ami de mon malheureux parent
, n'éprouver jamais l'amertume de la
douleur , ou , s'il en reffent un inftant l'atteinte
, que toutes les Puiffances céleftes répandent
alors dans fon ame la douceur confolante
dont il vient de pénétrer la mienne !
Touché de cette effution du coeur de la
Religieufe attendrie , Monfieur Remond la
pria de moins exalter ce fervice. Après avoir
pris avec elle des arrangemens fur l'emploi
14 MERCURE
des cinquante mille livres , il la quitta, foulagé
par l'aveu qu'il venoit de faire , &
content de s'être trouvé le pouvoir de remplir
les devoirs de l'amitié.
L'efpèce de calme où il laiffa Madame de
Raré , dura peu . Dans le premier accablemént
où l'avoient jetée de fi funeftes -nouvelles
, le préfent de Monfieur Rémond
lui fembloit une reffource fuffifante ; mais
la réflexion lui peignit bientôt Zéphrine réduite
au fimple néceffaire , privée de l'ef
poir d'une grande alliance , du rang, de l'éclat
que donne la fortune ; contrainte de paffer
fes jours dans la retraite , fans pouvoir à
l'avenir s'y procurer les agrémens propres à
en écarter le dégoût & l'ennui . Ces confidérations
faifoient couler fes larmes , pendant
qu'elle marchoit lentement vers le jardin ,
où l'attendoit Mademoiſelle de Linange. La
voyant accourir à fa rencontre , elle baiffa
fon voile , & fans répondre à fes inquiètes
queftions , elle la prit par la main , la conduifit
au choeur , où perfonne n'étoit en ce
moment : là , fe profternant avec elle au pied
de la grille , ô , ma chère Zéphirine , lui ditelle
d'une voix étouffée par fes pleurs , foumettez-
vous à la volonté du Ciel : il vous
éprouve. Vous n'avez plus de père , plus de
poffeffions , plus d'efpérances ! Abandonnée
au foin de la Providence , béniffez fa vigilante
bonté : elle vient de pourvoir à vos plus
preffans befoins. Priez , ma fille , priez pour
votre père , priez pour vous ; demandez au
DE FRANCE.
15
Tout-puiffant l'oubli de votre bonheur paffé,
& la force de foutenir les traits de l'adverfité ,
Mademoiſelle de Linange entendit à peine
les dernières paroles de Madame de Raré ;
faifie d'une vive douleur , elle répéta foiblement
je n'ai plus de père ! ah , Dieu , je n'ai
plus de père ! & perdit la connoillance &
le fentiment.
Revenue d'un long évanouiffement , retournée
chez elle , des larmes abondantes
foulagèrent un peu l'oppreffion de fon coeur.
Elle furprit Madame de Raré , par la modération
de fes regrets fur la perte de fes héritages
: plus touchée de la mort de ſon père
que du renversement de fa fortune , elle ne
pleuroitpoint des biens dont fon éducation ne
luiavoit pointappris à connoître tous les avantages.
Peu d'idée du monde , de fes ufages ,
de fes préjugés , du prix qu'il attache aux
grandeurs , à la richelle , la rendoit moins
fenfible au changement de fa pofition. Le
bienfait du généreu ami de fon père ne
l'humilia point : aucun mouvement d'orgueil
n'affoibliffant fa reconnoiffance , elle ne devint
point un fentiment pénible pour fon
coeur ; elle fe prêta fans répugnance aux réformes
indifpenfables qu'exigeoit fa fituation
préfente , fe vit ôter fes femmes , fes maitres
; paffa d'un très- bel appartement dans
un fort petit ; abandonna un joli jardin où
elle fe plaifoit à faire cultiver des fleurs ,
& s'amufoit du foin d'une volière. Aucune
de ces privations ne lui arracha la plus légère
16 MERCURE
plainte; mais fa fermeté ceffa de fe foutenir,
quand Madame de Raré lui montra le deffein
de chercher une autre protectrice à Mademoiſelle
d'Artenay , l'événement ne lui permettant
plus de remplir à fon égard fes
premières intentions. La feule idée de fe féparer
d'une compagne fi chère , fit jeter des
cris de douleur à la fenfible Zéphirine.Laiffezmoi
Mademoiſelle d'Artenay , laiffez-la moi ,
répétoit- elle toute en pleurs à Madame de
Raré. Mon infortune n'a pas altéré fon
amitié ; elle confent à partager mon fort : fi
mon revenu ne fuffit pas pour toutes deux ,
nous l'augmenterons par un travail aflidu ;
ces beaux ouvrages en broderie , que j'aimois
tant a faire pour les donner , m'occuperont
plus agréablement encore , quand leur produit
me confervera la douceur de vivre avec
Clemence. Mademoiſelle d'Artenay , plus
attachée à Zéphirine depuis qu'elle la voyoit
malheureufe , mêla fes larmes au prières de
fa tendre amie , & Madame de Raré ne
put refufer à ces aimables filles une fatiffaction
fi ardemment fouhaitée.
Comme au temps de fa profpérité Mademoiſelle
de Linange, généreufe & modefte,
ne tiroit aucune vanité de fa fortune , elle
n'avoit jamais bleffè l'orgueil ni excité l'envie
des compagnes de fa retraite. Prompte
à les obliger , à prévenir leurs deſirs , la
perte de fes eſpérances ne lui fit point éprouver
de leur part ces froideurs mortifiantes
cette eſpèce de dédain , que trop fouvent la
>
DE FRANCE,
difgrace entraîne à fa fuite . On la plaignit ,
on la rechercha , on s'occupa du foin de la
confoler , de la diftraire ; & fa noble réfignation
, après un fi grand revers , la rendit
Pobjet de l'eftime & des égards de toute la
maifon.
1
Infenfiblement Mademoiſelle de Linange
recouvra cette tranquillité d'efprit qu'un
fâcheux événement interrompt & ne détruit
pas , quand on ne peut s'accufer de s'être
attiré fon malheur. Si la perte de fon père
excitoit encore fes larmes , celle de fa fortune
fembloit entièrement effacée de fon fouvenir.
Madame de Raré s'en occupoit davantage
: elle ne s'accoutumoit point à voir
Zéphirine dans une fituation fi différente de
l'état brillant où elle l'avoit long- temps envifagée.
Les perfonnes qui ont volontairement
renoncé aux pompes du fiècle , ne font
pas toujours les moins frappées de la confidération
attachée à l'opulence , aux titres , à
l'éclat des vanités mondaines ; peut -être en
les prifant beaucoup , trouvent- elles un plaifir
fecret à s'exagérer le facrifice qu'elles en
ont fait.
Délicate , foible , attaquée de plufieurs infirmités
, en s'abandonnant trop à de fombres
réflexions , Madame de Raré tomba dans une
noire mélancolie ; de violens accès de vapeurs
s'y joignirent , fon efprit s'altéra comme fa
fanté peu de mois la réduifirent à cet etat
d'enfance & d'ineptie , où la Nature femble
' agir encore que pour dégrader l'être mal18
MERCURE
heureux & dépendant , foumis par elle à cette
trifte & humiliante condition..
Pénétrée de ce cruel accident , Mademoifelle
de Linange , affidue près d'elle , lui rendit
les foins les plus attentifs & les plus affectueux.
Pendant dix mois elle ne la quitta pas
un feul inftant ; & elle s'en vit privée pour
jamais avec cette douleur , ce regret dévorant
que fait fentir l'éternelle féparation d'une
amie dont on fe reproche d'avoir innocemment
caufe les chagrins , aigri les maux , en
répandant l'amertume dans fon coeur.
Clémence & elle pleurèrent long- temps
Madame de Raré. Le fouvenir de fes fouffrances
, la certitude du bonheur que fes
vertus lui affuroient à jamais , les confola
peu -à- peu. Zéphirine commençoit à recou →
vrer fa paix intérieure , quand un bien petit
événement troubla ce calme renaiffant , ouvrit
fon efprit à de nouvelles idées , ſon
coeur à une forte d'agitation & d'inquiétude,
dont fa retraite fembloit devoir la garantir
pour toujours .
Aglaé d'Alerac , entrée au Couvent peu de
temps après Zéphirine, lui avoit montrébeaucoup
d'attachement.Ses préférences pour elle
étoient même devenues plus marquées &
plus obligeantes depuis la mort de Monfieur
de Linange. Cette jeune Demoifelle fut retirée
du Couvent & mariée avec le Comte
de Nancé fix femaines après fon mariage ,
elle fe fit un plaifir de donner aux amies
qu'elle venoit de quitter , une eſpèce de petite
DE FRANCE.
19
fère , dont toute la Communauté pût partager
l'amufement. C'étoit une magnifique collation
, précédée & fuivie d'un concert de voix
& d'inftrumens , exécuté par les plus habiles
Muficiens. Clémence & Zéphirine , fuivies
de plufieurs jeunes perfonnes , fortirent pour
être avec la Comteffe dans un parloir du
dehors , pendant que les Religieufes & les
Penfionnaires fe fuccédoient tour à - tour dans
le parloir intérieur.
LeConcert étoit fini , les Muficiens congédiés,
lorfque le Comte de Nancé , revenant de la
challe avec le Marquis de Mullidan , fon
ami , lui propofa d'aller furprendre fa femme
au milieu de la joie enfantine où elle devoit
fe livrer en ce moment. Le Marquis y confentit.
A cent pas du Monaftère , Monfieur
de Nancé arrêta fa voiture , en defcendit ,
entra dans la cour , défendir aux gens de la
Comtelle de l'avertir , & s'avança fans bruit
vers le parloir où elle étoit. Près d'y entrer ,
il fe retint , craignant d'interrompre une perfonne
qui chantoit en s'accompagnant fur
la harpe.
La voix douce , fonore & légère de cette
perfonne , fixoit les deux amis à leur place ,
& les faifoit fouhaiter de Pentendre longtemps.
L'air fini , Madame de Nancé voulant
appeler une Tourière , jeta les yeux vers la
porte , vit fon mari , fe leva , courut à lui ,
le prit par la main , & le préfenta d'un air
riant & fatisfait à toutes les Dames qui fe
trouvoient au parloir.
20 MERCURE
Pendant les complimens d'ufage fur l'heureux
affortiment des deux époux , le Marquis
de Muffidan cherchoit des yeux la chanteufe
dont les fons féduifans venoient de lui
caufer tant de plaifir. La place où il voyoit
Mademoiſelle de Linange , fa harpe encore
devant elle , la diftinguoient affez. Il s'avança
vers elle dans le deffein de louer la beauté
´de fa voix ; mais en l'approchant , fon admiration
changea d'objet. La contenance noble &
modefte de Zéphirine , les graces répandues
fur toute fa perfonne ; cet air impofant que
donnent la candeur & l'innocence , quand
elles fe peignent fur un vifage aimable
étonna le Marquis ; il oublia ce qu'il vouloit
lui dire , & fes expreflions lui prouvèrent
feulement la furprife ou le jetoit l'affemblage
de tant de charmes réunis en elle.
Accoutumée à ce langage flatteur , une
femme élevée dans le monde y eût fans
doute fait peu d'attention . Mademoifelle de
Linange l'entendoit pour la première fois :
elle ne l'écouta point avec indifférence. Une
forte de plaifir qu'elle n'avoit jamais fenti
fe mêloit à l'embarras d'y répondre : frappée
de la figure attrayante de Monfieur de Muffidan
, elle ne put fe défendre de lui donner
interieurement une partie des louanges qu'il
yenoit de lui prodiguer.
Monfieur de Nancé s'empreffa d'adreffer
des complimens polis à l'amie de la Comteffe .
La converfation devint vive & enjouée.
Mademoiſelle de Linange parla peu ; mais fon
DE FRANCE 21
air attentif & fatisfait , montroit combien
elle s'en amufoit. Le moment vint où il
falloit fe féparer. Madame de Nancé ne pouvoit
le réfoudre à quitter Zéphirine . Toutes
deux s'attendrirent en fe difant adieu. La
Comteffe partoit dans quinze jours pour
Nancé ; elle avoit déja montré à fes deux
amies le plus grand defir de les y mener :
elle pria fon mari de l'aider à obtenir d'elles
cette faveur. Clémence parut très-difpofée
à faire ce voyage ; Mademoiſelle de Linange
n'ayant aucune raifon de fe refufer à de
preffantes , à d'affectueufes invitations , s'y
rendit. Non-feulement elle promit d'aller à
Nancé avec la Comteffe , mais elle confentit
à y paffer tout le temps qu'elle - même
comproit y refter. Le Comte, fa femme &
le jeune Marquis s'éloignèrent à regret. Les
deux folitaires rentrèrent dans la maifon ;
Mademoiſelle d'Artenay fort occupée de la
petite fête & du voyage projeté ; Zéphirine
rêveufe , fe rappelant avec une forte d'émotion
tout ce que l'on avoit dit , s'étonnant
encore des expreffions de Monfieur de Muffidan
, prenant un plaifir fecret à fe les répérer
, à les graver dans fa mémoire ; à ſe
retracer fes traits , l'air doux & animé de fa
phyfionomie , & le fon touchant de ſa voix
pendant qu'il lui parloit .
Aú temps prefcrit , la Comteffe alla chercher
au Couvent fes deux amies , & prit
avec elles la route de Normandie. Tout fur
cette route attiroit & charmoit leurs regards ;
22
MERCURE
la vue des terres cultivées , des troupeaux épars
dans la campagne ; les villages, leurs habitans ;
les bois , les eaux fembloient leur donner
des idées & des fenfations nouvelles. A leur
arrivée , l'afpect riant & magnifique du
château , la foule des villageois accourant de
routes parts pour voir la Comteffe , les accla
mations dont ils firent retentir l'air en l'apperçevant
, mêlèrent le mouvement d'une
joie douce & tendre , à l'émotion qu'éprou
voient deux cénobites accutumées dès leur
enfance à la trifte uniformité du cloître , &
goûtant , pour la première fois , le plaifir
attaché à la variété des objets.
Le Maréchal du Pleflis , père de Monfieur
de Nancé , venoit en le mariant de lui donner
cette fuperbe Terre. Peu de jours avant
le départ de fon fils , il s'y étoit rendu avec
le Marquis de Mullidan , pour y préparer
une fête champêtre dont il vouloit amufer
la Comteffe à fon arrivée. Cette fête commença
au moment où elle entra dans l'avenue
du château , fut très-agréable , dura le
refte du jour, & même une partie de la nuit.
Mais elle devint fatale à celui qui la donnoit
, en réveillant dans le fond de fon coeur
une fenfibilité dont il fe flattoit d'avoir pour
jamais amorti la dangereufe activité.
.
Le Maréchal du Pleffis , né tendre , ſuſ
ceptible d'une paffion vive & conftante
n'avoit pas eu fujet de s'applaudir d'un lien
formé par la plus fincère affection. Jeune
encore quand il perdit fa femme , il s'attaDE
FRANCE.
23
eha plufieurs fois. Souvent favorifé , rarement
heureux , toujours trompé , il réſolut
de fe défendre contre l'amour , en adoptant
tous les goûts , en s'appliquant à toutes les
études propres à occuper affez l'efprit pour
bannir du coeur ce befoin d'aimer que fait
fentir le loifir & l'inaction . Il avoit quarante-
fix ans quand il unit fon fils unique
à Mademoiſelle d'Alerac. Grand , bien fait
il joignoit à de beaux traits une phyfionomie
ouvertė , animée , & cet air qui plaît , infpire
la confiance & fait naître l'amitié. Son
humeur étoit égale , fon efprit un peu porté
vers la raillerie ; mais un naturel doux ,
obligeant , modéroit cepenchant ; il badinoit ,
& n'offenfoit pas. Poffeffeur d'une grande
fortune , il fe montroit magnifique dans fa
dépenſe ; mais une fage économie lui donnoit
les moyens d'en employer une grande
partie à de nobles ufages. Eftimé , chéri
recherché , il jouiffoit d'une paix qu'il croyoit
maltérable , quand Madame de Nancé la
troubla en offrant à fes yeux un objet également
capable d'augmenter fon bonheur ou
de le détruire.
Charmée de devoir à l'attention du Maréchal
un divertiffement où elle ne s'attendoit
pas , la Comteffe voulut en marquer fa
reconnoiffance en montrant tout le plaifir
qu'il lui donnoit. Bientôt elle unit fa voix aux'
chants ruftiques des jeunes villageoiſes. Zé-
Phirine l'imita. Mademoifelle d'Artenay fe
mêla parini' les danfeufes , & développa tant
24
MERCURE··
de graces en fe livrant à cet exercice , qu'elle
fixa fur elle les regards du Maréchal & s'attira
fon adiniration . En confidérant fes traits ,
fon air , l'aifance de fes mouvemens , il fe
rappela une de ſes nièces , qu'il avoit beaucoup
aimée , & dont la mort prématurée
excitoit encore fes regrets plus il confidéroit
Clémence , plus ille fentoit frappé de
cette reflemblance. Il fit obferver à fon fils
ce fingulier effet du hafard, & s'en occupa
tout le foir.
Les premiers jours fe pafsèrent à parcourir
les jardins , le parc ; à vifiter les bofquets
les grottes , à voir les cafcades : on ne fe
laffoit point d'admirer les agrémens de cette
charmante habitation ; & l'air parfumé par
les lilas , les jacintes & les narcifles , augmentoit
encore le plaifir de ces longues promenades.
On étoit alors au commencement du printemps
, faifon choifie exprès par le Comte
de Nancé , pour éviter les importuns que
l'automne l'eût forcé de recevoir. Vraiment
touché des attraits de fa jeune compagne ,
il vouloit jouir fans contrainte de la douceur
d'être avec elle , de lui prouver fa tendreffe ,
de fe montrer uniquement occupé du foin
de l'amufer & de lui plaire. Un même ſentiment
rempliffoit le coeur de la Comteffe ;
l'affiduité de fon mari près d'elle , lui faifoit
aimer le fejour de Nancé , & redoubloit à
fes yeux les beautés que la Nature renaiffante
offroit de toutes parts à la contemplation.
4
De
DE FRANCE. 25.
De ces fix perfonnes, convenues de paffer enfemble
plufieurs mois à la campagne , deux y
goûtoient une félicité parfaite. Mademoiſelle
d'Artenay , n'éprouvant aucune altération
dans fa façon habituelle d'envifager les objets
, s'amufoit de tout. Le refte de la petite
fociété s'abandonnoit à des idées inquiètes
à de fàcheufes réflexions ; formoit des voeux ,
s'avouoit qu'ils étoient indifcrets : la crainte ,
le defir , d'inutiles regrets occupoient des
creurs fenfibles ; ils s'efforçoient de cacher
leur trouble , & quelquefois en laiffoient
échapper des marques vifibles.
Depuis l'arrivée de la Comteffe , le Maréchal
ne fe trouvoit plus dans cette difpofition
d'efprit qui , depuis plufieurs années ,
le rendoit paifible & heureux. En croyant chercher
l'image d'une parente fur le vifage
aimable de Mademoiſelle d'Artenay, il s'étoit
imprudemment livré au plaifir de la regarder.
Chaque inftant ce plaifir devenoit plus doux ,
plus attachant. Mille qualités folides , de
Pefprit , de l'enjouement , de la fenfibilité ,
changèrent l'attention du Maréchal en un
intérêt fi vif , qu'il ne put fe méprendre aux
mouvemens de fon coeur ; il rougit de fa
foibleffe , s'en alarma , fe promit de vaincre
une paflion fi contraire à fon repos , d'éviter
le danger en modérant fes empreffemens
pour Clémence , en la regardant moins , en
le privant de fon entretien ; mais un attrait
irréfiftible le conduifoit toujours fur fes pas ,
le forçoit à la chercher. Flattée du foin qu'il
N°, 13, 1 Avril 1785. B
26 MERCUREM
prenoit de l'amufer , de l'inftruire , Mademoifelle
d'Artenay aimoit à fe promener
avec lui , à profiter de fes connoiffances. Il
lui faifoit remarquer une infinité de petites
créatures qu'elle fouloit fous fes pieds , fans
foupçonner leur exiftence ; il lui apprenoit
leurs habitudes & leur apparente deftination
dans la Nature. En l'écoutant , l'attentive
écolière fixoit fur lui des yeux fi beaux ;
une fenfibilité fi vraie, fi animée , fe peignoit
fur tous les traits , les rendoit fi touchans ,
que le Maréchal , oubliant fes projets de
séfiftance , s'abandonnoit tout entier au penchant
de fon coeur , & quelquefois fe fentoit
prêt à l'avouer.
L'impreffion que Mademoiſelle de Linange
avoit faite fur le Marquis de Muſfidan , le
jour de la petite fête du Couvent , devint à
Nancé une paflion très-vive. Sentible pour la
première fois , fans efpérance de rendre fon
amour heureux , il s'affligeoit d'être jeune ,
d'être riche , d'être le chef d'une illuftre Maifon.
Dépendant des volontés de fon tuteur ,
réfifteroit- il pendant trois années aux projets
formés par ce refpectable parent ? refuſeroitil
une femme donnée & préfentée de la
main du Chevalier de Muflidan ? Dans ces
circonftances , oferoit-il avouer ſon penchant,
montrer à Madenoifelle de Linange le defir
de lui plaire ? L'offre de fon coeur offenſeroit
cette fille aimable & délicate , que l'inégalité
de leur fortune féparoit à jamais de
lui ; elle le craindroit , elle le fuiroit peutDE
FRAANNCCEE.. 17
être. Pourquoi rifquer de perdre la douceur
de fon entretien , de fe voir traité par elle
comme un ami ? Sans ceffe occupé de ces
idées , toujours plus amoureux , plus chagrin
, Monfieur de Muilidan foupiroit , fe
taifait , mais fes regards étoient fi expreflifs ,
fes foins fi marqués , qu'il falloit toute l'inex
périence d'une jeune perfonne élevée loin
du monde , pour attribuer à la fimple politeffe
, ou aux égards de l'amitié , les plus
tendres empreffemens de l'amour.
Mademoiſelle de Linange avoit auffi des
peines fecrettes ; elle ne fe fentoit plus ni
paifible ni fatisfaite de fon fort. En trouvant
à Nancé Monfieur de Muflidan , fa préfence
lui avoit caufé une douce émotion : l'habitude
de le voir ne diminua pas les mouve
mens involontaires dont elle fe demandoit
en vain la raifon. Quand elle le rencontroit
inopinément , une palpitation violente agitoit
fon coeur. Souvent on s'entretenoit devant
elle du Chevalier de Muffidan : le Maréchal
fouhaitoit fon retour , rioit des affaires
qui le retenoient à Marseille , fans les particularifer
, & plaignoit le Marquis d'attendre
fi long-temps un parent dont le premier foin
en arrivant feroit de le marier. Il nommoit
toutes les maifons , toutes les perſonnes où
le choix de fon oncle devoit s'arrêter. Ces
difcours rappeloient à Mademoiſelle de
Linange le temps où Madame de Raré envifageoit
pour elle des titres , des grandeurs.
Cette fortune perdue deux ans auparavant
Bij
28
MERCURE
:
avec tant de réfignation , lui parut alors le
bien le plus defirable; elle regretta fes bril-
Intes efpérances, fe fentit humiliée de n'être
plus au rang de ces riches héritières nommées
par le Maréch: l ; elle fe repentoit
d'avoir quitté fa retraite. Tout à Nancé lui
retraçoit la première opulence , mettoit fans
ceffe fous les yeux l'objet d'une mortifiante
comparaifon. La profonde triftelle du Marquis
redoubloit fes chagrins , l'inquiétoit , la
touchoit elle n'ofoit lui en demander la
cufe. Tous deux fenfibles , tous deux timides
, tous deux attentifs à leurs moindres
mouvemens , ffee pprroommeennooiieenntt eenn filence pendant
des heures entières ; de longs foupirs,
vainement retenus , s'échappant à la fois
fembloient les avertir qu'un même fentiment
oppreffoit leurs coeurs ; ils fe regardoient
foupiroient encore , & fouvent prêts à fe parler
, à s'interroger mutuellement , ils fe quittoient
, comme fi une forte de crainte les
forçoit à fe féparer.
Deux mois fe pafsèrent fans changer la
fituation de ces fix perfonnes. Le Maréchal
réfléchiffant furia fienne , fentit la néceffité
de prendre un parti . Mademoiſelle d'Artenay
lui devenoit tous les jours plus chère. Sa
candeur, fon ingénuité relevoient fes charmes
à fes yeux ; elle montroit du plaifir à le voir ,
à l'entendre : peut- être l'aimoit- elle dans l'innocence
de fon coeur ; quel attrait offroit
cette idée à l'ame tendre du Maréchal ! la
fatteufe efpérance d'être un époux heureux ,
DE FRANCE. 29
la perfpective d'un bonheur long-temps fouhaité!
Mais combien de confidérations s'op
pofoient au defir d'en jouir ! Le monde , les
convenances , fon rang; tant de difproportion
dans l'àge , dans l'état , exigeoient le
facrifice d'une paffion qui l'expoferoit à la
cenfure , peut-être même au ridicule. Il fe
le dit avec douleur , mais il s'impofa coura
geufement cet effort. Réfolu d'immoler fon
amour à fa raifon , il fe permit la douceur
confolante de prouver à Mademoiſelle d'Artenay
, fous les apparences de l'amitié , les
fentimens qu'il lui cachoit ; il voulut la rendre
indépendante , & même lui donner le pouvoir
de reconnoître la généreufe affection de
fon amie en l'obligeant à fon tour.
Il venoit d'hériter d'une jolie Terre à fix
lieues de Paris ; elle étoit affermée onze millé
livres. Le château , bien fitué , bien bâti , en
rendoit le féjour commode & agréable. Le
goût de Mademoiſelle d'Artenay pour les
amuſemens champêtres , lui perfuada qu'elle
& fa compagne y vivroient heureufes. Il
fit part à Monfieur & à Madame de Nancé
de fes intentions : elles n'étoient pas de leur
ôrer la propriété de cette Terre , mais de la
donner à vie à Mademoiſelle d'Artenay , en
affurant à fon amie une moitié du revenu ,
fi elle lui furvivoit . Non-feulement le Comte
& la Comteffe approuvèrent ce projet bienfaifant
du Maréchal , mais ils en montrèrent
beaucoup de joie. On fe promit de garder le
fecret , de faire tout préparer pour leur ré-
Bij
30 MERCURE
ception chez elles , & de les conduire dans
leur château quand elles croiroient retourner
au Couvent. Comme ce don exigeoit des
formalités, le Maréchal fit plufieurs queftions
à Madame de Nancé : elle ne put y fatisfaire;
entrée au Couvent plufieurs années après
Clémence , elle fe reffouvenoit très-confufément
des particularités relatives à l'abandon
où cette jeune perfonne fe feroit trouvée
fans l'extrême bonté des Religieufes ; mais
elle fe rappela que la Supérieure confervoit
une efpèce de procès- verbal fait dans le temps
où cet abandon parut conftaté , & tout de
fuite elle écrivit à cette Dame , pour la prier
de lui en envoyer une copie .
>
Le Maréchal fe difpofoit à donner à fes
gens d'affaires les ordres convenables à fes
deffeins , quand on lui remit un paquet affez
gros : il reconnut la main du Chevalier de
Mullidan , Fouvrit , & trouva d'abord cette
Lettre.
2.
"
33
A Marfeille , Lundi 17 Juin 17 **.
» S'il étoit poffible de fe brouiller avec
un ami dont les fentimens , éprouvés depuis
vingt années , ont mérité má plus
incère affection , je vous prierois de ne
jamais in'écrire . Votre obftination à me
» croire très - extraordinaire , capable d'un
» attachement bizarre , d'une conftance plus
barre encore ; vos continuelles railleries
fur l'objet attriftant qui me retient ici ,
mefachent , m'impatientent , aigriffent mes
30
DE FRANCE. gi
» chagrins. Je me flatte de vous faire chan-
» ger de ftyle en vous dévoilant les motifs
» de cette conduite fi étonnante , fi propre à
vous perfuader de ma furprenante fingu
» larité.
و ر
ود
» Pendant votre féjour à Marſeille , mes
» affiduités auprès d'une fille privée de fa raifon
, tant de moyens ellayés à grands frais
» pour rappeler cette raifon égarée , vous
» ont prouvé dites-vous , le vifintérêt qui me
" lie à elle ah , oui , un intérêt bien vif,
un intérêt bien cher me lie à cette infor-
» tunée !
"
K
و د
un
» L'aliénation de fon efprit me cache un
» fecret important ; le bonheur ou le mal-
» heur du refte de ina vie dépend de la découverte
de ce fecret. Actuellement fortmalade
, près de terminer fes jours ,
» dernier effort de la nature peut , dit - on ,
» lui rendre une lueur de raifon ; l'efpoir
d'en être reconnu , de recevoir un éclair-
» ciffement fi long-temps defiré , me re-
» tient depuis huit mois auprès de cette fille
agitée, fouffrante, objet de vos plaifanteries,
» celui de ma tendre compaffion , de mes
» cruelles inquiétudes.
ود
و د
ود
""
« Sur combien de fauffes opinions vous
fondez un indifcret badinage ! Vous m'avez
toujours vu , dites -vous , me détourner du
fentier que je devois fuivre. Indifférent
dans ce temps de la vie où les paffions
» maîtrifent tous les hommes , je m'obtinois
» à fair les plaifirs , à me livrer à de vaines
ود
Biv
32
MERCURE
"
ور
études , à vouloir
prononcer mes voeux
quand, déjà riche par des héritages , la mort
» de mon frère aîné , le foible tempérament
» du fecond , fembloient devoir me rendre
و ر
"}
le chef de ma maiſon. J'ai refufé de reffer-
» rer les noeuds de notre amitié en m'uniffant
» à votre foeur. En convenant de tous ces
faits , je vous demande où vous trouvez
» la certitude d'un attachement bizarre. Eft
ce dans une indifférence qu'il eft facile de
feindre ? n'ai-je puaffecter de l'éloignement
" pour des liens propofés , & quand vous me
prefsâtes d'en prendre , faviez-vous ſi je
૨૩ n'en avois pas déjà formé ?
"
ور
*
>>
ود
23
331
" Toutes vos fuppofitions vous autorifent-
» elles à transformer en une efpèce d'avan-
» turière , une fille dont vous connoillez à
peine le nom Mademoiſelle d'Arcy n'a
t'elle pu vivre ' en Efpagne , revenir en
France , fans que l'amour l'ait conduite
dans une contrée ou ramenée dans l'autre?
» Avec tant d'humanité , une ame fi compatiffante
, fi généreufe , comment jugez-
» vous avec cette légèreté , des moeurs &
» du caractère d'une perfonne qui vous est
parfaitement étrangère , dont on ne vous
a jamais parlé ? Son hiftoire eft bien fimple ,
» & n'exige pas un long récit. La reconnoif
fance , l'amitié , la juftice me forcent à
» vous en inftruire .
ور
ود
و ر
༢
ور
» Née à Marſeille de parens eftimés ;
orpheline à fix ans , ruinée par la
d'un procès , elle trouva une généreuse
perte
DE FRANCE.
33
99
ور
anie Madame de Mauni , quittant Marfeille
pour habiter Paris avec un Banquier
de cette Ville , qu'elle venoit d'époufer ,
fe chargea de la petite orpheline , lui donna
» une excellente éducation , & la traita com-
» me fa propre fille. Devenue veuve , ap-
" pelée en Eſpagne par un riche parent de
""
fa mère établi à Carthagène , qui , vieux
» & fans enfans, defiroit la mettre à la tête de
" fa maifon , elle fe rendit auprès de lui avec
fon élève , alors âgée de quinze ans . Elle
en paffa trois chez ce parent , dont la mort
» augmentant confidérablement la fortune ,
lui fit defirer de retourner à Marseille , &
d'y fixer fon fejour. Elle y ramena fa jeune
» amie. Des circonftances que vous connoî-
» trez , engagèrent, Madame de Mauni à fe
و ر
"
ور
་
priver d'elle pendant plus de cinq ans ,
» lui permettre d'habiter près de Paris une
agréable campagne. Que j'étois heureux
quand elle y vivoit ! Temps à jamais cher
à ma mémoire , vous ne pouvez renaî-
" tre, vous ne pouvez être oublié ! Un feul
» objet étoit capable d'adoucir l'amertume
de ma perte , de mon irréparable perte !
» il m'eft ravi , j'ignore s'il exifte encore , &
chaque inftant peut m'ôter la foible eſpérance
qui me retient ici.
و
ود
» Voilà ces voyages que votre imagination
vous a peints comme très - amufans. Ni
» moi , ni perfonne n'a enlevé de la France ,
» n'a enlevé de l'Efpagne cette fille infor-
» tunée. Ses moeurs , fon efprit , ſes ſenti-
By
34%
MERCURE
22
›
mens , fon malheur , doivent vous donner
un regret véritable de l'avoir choilie pour
l'objet des plaifanteries dont vous ne ceffez
de remplir vos lettres..
» C'est en s'abandonnant à cette légèreté
» d'idées & de jugemens , que , fans être nimalin
ni méchant , on fe permet dans la
fociété de répandre des faits abfurdes , des
» aventures ridicules . Il faut foutenir , ani-
» mer la converfation . Tout fujet paroît bon,
و د
s'il peut amener un conte plaifant. Que
» de facrifices on fait à cette nécellité de
parler & d'amufer ! Je ne vous foupçonne
point d'avoir brillé dans un cercle
par le récit de ma prétendue bizarrerie ;
je vous connois trop pour le croire. C'eft
» au fond de votre coeur que vous avez ri des
travers d'un ami. Le mien eft bleffé de
» l'erreur où vous êtes. Lifez dans le petit
cahier que je joins à ma lettre , une partie
de mes fecrets : l'autre vous fera remife
avant peu. Adieu : foyez sûr de mon amitié,
& rendez enfin juftice à mes fentimens. »
Le Maréchal , vivement touché des expref
frons du Chevalier de Muffidan , ne pouvoit fe
pardonner d'avoir aigri les peines d'un ami. H
ne concevoit pas comment un fimple badinage.
lui attiroit des reproches fi férieux . Il en chercha
la caufe dans les feuilles qui accompa
gnoient cette lettre , & trouva ce qui fuit :
22 ,
" Vous favez que mes érudes finies , le
Commandeur de Pienes , mon oncle maternel
, me conduifit à Malte. Je fis mes
DE FRANCE.
35.
"
caravanes , & après les avoir terminées,
je me préparois a revenir en France , quand
» le Commandeur m'arrêta par la propofi-
≫tion de partager avec lui la gloire & les dan-
" gers d'une expédition méditée depuis plu
พ
ود
fieurs mois, & confiée à fon habileté recon-
» nue. J'acceptai avec joie cette invitation..
L'entrepriſe étoit hardie , & même témé
» raire . Elle réuflit , & l'on en dut le fuccès
» au courage & à la prudence du Com
» mandant. Jeus le bonheur, de me dif-
» tinguer fous fes yeux ; mais au moment où.
le combat ceffoit , je fus bleife. Pendant
plufieurs jours on craignit pour ma vie.
Notre Efcadre reprit la route de Malte ;
mais les vents contraires ne permettoient
pas de la fuivre. La mer m'incommodoit
fort. Un gros temps fépara nos vaiffeaux :
après une longue tourmente, celui de mon
oncle fut jeté fur les côtes d'Efpagne , où
nous abordâmes difficilement. Le Commandeur
prit terre à Carthagène , & me fit.
" porter chez Dom Ramire Herrera , hom
me diftingué par fa naiffance , par une réputation
de bravoure & d'intrépidité dont
» il avoit donné des preuves dans la Marine
» de Sa Majefté Catholique. Mon oncle le
» connciffoit& l'eftimoit depuis long-temps
» Il me confia à fes foins. Forcé de remettre:
22
20.
و د
ود
à la voile , il me donna un Chirurgien de
» fon vaiffeau , joignit à mon valer-de-cham--
» bre un des fiens qui m'étoit très-attaché
» merecommanda fortement à Dom Ramire
30
Bvj
36
MERCURE
K
" & me laiffa au milieu de tous les fecours
néceffaires à mon état.
و ر » Pendant près d'un mois, je vis feulement
» Dom Ramire & les perfonnes de fa maifon
ນ qui pouvoient m'être utiles. Il étoit veuf,
» avoit trois filles , encore très-jeunes , &
» deux nièces un peu plus âgées. L'aînée ,
» nommée Dona Louife , fille de fon propre
frère , dépendoit abfolument de lui par le
» teftament de fon père & par la médiocrité
» de fa fortune. La feconde , née d'une foeur
→ deDom Ramire , avoit fes parens au Mexi-
» que , & pouvoit devenir un parti très-
» riche. Donna Louife, promiſe à un Comte
» Sicilien , alors à Naples , pour y terminer
d'importantes affaires , devoit être
» mariée au retour de fon amant. Moins
rigide qu'on ne l'eft ordinairement en
Efpagne , Dom Ramire accordoit affez de
liberté à ces jeunes perfonnes : elles rece
voient leurs amies , leurs parens ; donnoient
» fouvent des concerts , & s'appliquoient
» toutes à l'étude de la Langue Françoife.
و د
"
»
» Cette même Mademoiſelle d'Arcy , dont
» l'aliénation d'efprit m'a caufe & me cauſe
» encore des chagrins fi réels , occupant avec
» Madame de Mauni une maiſon qui touchoit
à celle de Dom Ramire , paffoit des
jours entiers avec fes filles . Tendrement
» attachée à Dona Louife , elles fe quit
» toient rarement. Le caractère aimable de
" Mademoiſelle d'Arcy , fon efprit , fes talens
"
39
la rendoient chère à toute cette famille ;
DE FRANCE.
37
≫ & c'étoit pour mieux goûter fon entretien
" que l'on avoit appris la Langue , & que
» l'on vouloit s'y perrectionner.
33
و د
*
ע
Cette jeune perfonne fe faifoit tous les
• jours inſtruire de mon état . Quand je commençai
à me lever , Madame de Mauni &
elle demand rent a me voir , & me firent
plufieurs vitites. Dans la fuite Mademoi-
» felle d'Arcy vint familièrement m'entrete-
» nir , accompagnée d'une Duegne_dont
» la préfence ne génoit point la confiance
qu'elle me montroit , cette femme n'en-
» tendant point le François.
29
23
"
39
"
» Mademoiſelle d'Arcy me fit part , avec
beaucoup de franchiſe , de fa fituation , des
» bontés de Madame de Mauni pour elle ,
» des motifs de leur fejour en Espagne , da
deffein de fa protectrice de retourner en
France , où elle faifoit paffer les fommes
≫ provenantes de l'héritage de fon vieux pa-
» rent. Elle me laiffa voir un extrême regret
» d'être forcée de s'éloigner de Dona Louife ,
» me dit avec attendriffement qu'elle la laif
» feroit malheureufe , bien malheureuſe !
» Elle blama Dom Ramire , l'accufa d'abuſer
» de fon autorité fur fa nièce , de la contrain-
» dre à recevoir la main d'un homme haïffable
, puiffamment riche à la vérité , mais
laid , mal - fait , vieux , avare , d'une humeur
facheufe , d'un naturel foupçonneux :
ce Comte la conduiroit en Sicile , la confi-
» neroit dans un antique Château ; elle y
» vivroit feule avec lui , & ne jouiroit d'au-
39
"
و ر
33
38 MERCURE
"
"
92
22.
cun des avantages attachés à cette grande
fortune que vouloit lui procurer fon oncle.
Les difcours de Mademoifelle d'Arcy
و ر
» me touchoient , m'infpiroient une tendre
compaflion pour fon amie. Dès les premiers
» jours de maconvalefcence je fus admis dans
l'appartement des Dames. Une parentc
âgée , dont l'auftère gravité n'invitoit
guère au plaifir , préfidoit aux amuſemens
de ces jeunes perfonnes. En me difpofant
» à les partager , je me fis une loi de ne
» point manquer à la réferve que m'impofoient
la reconnoiffance & l'hofpitalité.
Soigneux d'éviter le reproche d'indifcré-
» tion trop fouvent fait aux François , je
» réfolus de montrer les mêmes égards & le
» même refpect à toutes celles qui compofoient
ce petit cercle , fans me permettre
la plus légère préférence , ou la moindre
» attention particulière capable d'annoncer
» un goût décidé pour une d'entre- elles .
و ر
99
Je vis Dona Louife. Elle me parut belle.
Sa profonde trifteffe me fit éprouver un
fentiment pémble. Prévenu par les confi-
» dences de Mademoiſelle d'Arcy , je la plai
gnois , elle m'infpiroit de l'eftime , de l'amitié
; mais un mouvement plus vif nes'y
» méloit point , ne m'engageoit point à defirer
fa préfence , & c'étoit fans me contraindre
que je ne montrois aucun empreffement
à m'approcher d'elle ou à l'entre
tenir ; je tenois ma partie dans les concerts
où Don Ramire afliftoit toujours ; mais je
DE FRANCE. 39
m'en amufois peu , & filapoliteffe me l'eût
» permis , je me ferois fouvent difpenfe de
≫ paroître au fallon.
"
» Dans le temps où j'attendois le retour
» de mes forces & les ordres de mon père
"
pour repaffer à Malte ou retourner en
» France , il fe formoit chez Don Ramire
» un projet imaginé par Dona Louiſe &
» fecondé par les deux Françoifes dont elle
» étoit fi lincèrement aimée. On me le ca
cha d'abord ; mais mon fecours paroillant
» néceffaire aux fuites de fon exécution , on
jugea convenable de me le communiquer
" Je venois de recevoir une lettre de mon
» père. Il me laiffoit le choix de retourner
23
»
à Malte ou de revenir auprès de lui.
Une forte d'engagement pris depuis ma
" convalefcence avec le Comte de Pienes
» qui fouhaitoit mon retour à Malte , me
» rendoit indécis . Je le difois à Mademoifelle
d'Arci , & je fus furpris de l'entendre
» me prier avec inftance de me déterminer
pour la France , & m'affurer que j'obligerois
trois perfonnes en cédant à fes defirs.
» Elle m'apprit alors les réfolutions de Dona
Louife & la facilité qu'elle trouvoit à les
» fuivre.
»
24
» Peu de temps avant mon arrivée à Car--
thagène, une de fes coufines, nouvellement
revenue du Pérou avec une fortune im-
» menfe , avoit paffe trois mois chez Don
Ramire pour terminer des affaires d'intérêt
qui leur étoient communes . Cette Damne
MERCURE
"
و د
»
"
prit beaucoup de part aux chagrins de
" Dona Louife , & le jour de fon départ
elle lui donna en fecret une petite boîte
remplie de perles & de diamans , de la
❞ valeur d'environ cent mille livres . Elle
» lui recommanda de cacher ce préfent
propre à exciter la jaloufie de fes autres
parentes , & de s'en fervir feulement
" dans une occafion preffante. Des lettres
" de Naples annonçant le prochain retour
» du Comte renouvelèrent l'effroi de
" Dona Louife , & la firent penfer à ce don.
» Il lui parut un moyen de fe fouftraire à
" l'autorité de fon oncle , & d'éviter le ma-
"
"
>
riage odieux dont elle fe voyoit menacée.
» Madame de Mauni alloit partir ; l'idée
» d'être à jamais féparée de Mademoiſelle
d'Arcy , rendoit fes peines plus infupportables.
Elle prit enfin le parti de quitter la
" patrie , de paffer en France avec fes amies,
» de borner toutes fes efpérances de fortune
"3
au petit fonds qu'elle poffédoit. Le deffein
» de vivre dans un Monaftère, le rendoit fuffifant
à fes befoins ; tous fes defirs fe bor-
" nant alors à fe conferver libre.
23
و د
י נ כ
ود
» Madame de Mauni , bonne & complaifante
, applaudiffoit à ce plan ; tout etoit
arrangé pour l'exécuter. Huit jours avant
fon embarquement,la nièce de Dom Ramire
s'échapperoit furtivement de fa maiſon ,
fe tiendroit cachée dans celle d'une femme
dont lafidélité lui étoit connue; Ses effets les
plus précieux y feroient fecrètement tranfDE
FRANCE. 41
» portés , & cette même femme la conduiroit
au vaiffeau la nuit du jour où l'on
mettroit à la voile.
2
33
33
20
"
"
Surpris en écoutant Mademoiſelle d'Arcy,
je ne concevois pas le motif de fa confiance.
Pourquoi me faire part de ce projet?
Elle m'en découvrit la raifon.
و د
Après leur départ de Carthagène , Don
» Ramire pourroit, en fe rappelant leur inti-
" mité avec la nièce , les foupçonner d'avoir
favorifé fa fuite , faire d'exactes recherches
" pour découvrir fon afyle, Dona Louife
préfentée dans une maifon Religieufe par
Madame de Mauni , arrivant d'Espagne
fon âge , le temps de fon évafion , un accent
étranger la feroient connoître. L'au-
» torité pourroit l'arracher de cette retraite ,
» la remettre entre les mains de fon parent
» irrité. Je diffiperois la crainte à cet égard
ور
و د
33
fi préférant l'invitation de mon père à celle
» du Commandeur de Pienes , je confentois
» à retourner en France. Dona Louife m'au-
» roit une éternelle obligation , fi je voulois
» la conduire de Marfeille à Paris , lui pro- 23
2
curer la connoiffance de quelque Dame de
» ma famille. La protection d'une perfonne
diftinguée lui ouvriroit l'entrée d'un Cou-
» vent, & la mettroit à l'abri des recherches
>> curieufes dont une étrangère jeune & fans
»" appui , devient naturellement l'objet.
Cette confidence me fit éprouver une
peine fenfible. J'aurois fouhaité n'être pas
» inftruit de l'étrange démarche de Dona
ود
42 MERCURE
23.
Louife. Les égards de Don Ramire pour
moi , méritoient ma reconnoiffance. La
» néceffité de me taire me fembloit une ef-
" pèce de trahifon. On s'apprêtoit à lui caufer
» un extrême chagrin : je le favois , & me
fentois gêné de le favoir. Je ne le reverrois
plus fans émotion , fans reffentir à ſon afpect
un mouvement femblable au reprodoit
exciter la feinte dans un
ود
ور
و د
ود
che
que
» coeur honnête .
» Rien ne me donnant le droit de m'ériger
» en cenfeur , ou de combattre des réfolu-
» tions irrévocablement prifes , je me ferois
» accufé de dureté en refufant à Dona
» Louiſe un ſervice aufli léger. Ainfi je m'en-
" gageai à partir pour la France trois femai-
» nes après elle , à la prendre à Marſeille ,
» à la conduire à Paris , où je la remettrois
» entre les mains d'une de mes tantes , qui
» fe feroit un devoir de l'obliger..... Mais
» ce paquet eft déjà gros pour la pofte. Cette
» partie de mon récit doit vous prouver que
» je n'ai point enlevé Mademoiſelle d'Arcy
» qu'elle ne m'a point infpiré en Espagne
» cette paffion dont vous m'avez tant parlé
» dans vos lettres. Un de mes gens , qui
» part après demain pour Paris , vous re-
» mettra la fuite d'une aventure où je me
croyois peu intéreffé. Mais prévoit-on les
» fuites des démarches les plus indifférentes
en apparence ? Notre coeur fe connoît- il
» & peut- il s'affurer fur fes difpofitions ? »
( La fin au prochain Mercure. )
,,
DE FRANCE. 43
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Migraine.
Réponse à l'Enigme.
La livre de tabac , c'eft feize onces , je crois :
Or done , lorfque je l'eus tout-à- fait confumée ;
Dans les cendres je trouve une once ; alors je vois
Qu'il en étoit forti quinze onces de fumée.
celui du Logogryphe eft Sorcier , où l'on
trouve or , cor, foie , cri , fi , Roi , Sire ,
cire, rofier , rofe, ce foir.
CHARADE
A Mme la Marquise DE LA FAYETTE.
Les grands Hommes , les Rois , les Héros magnanimnes
,
Sont tous de mon premier les fuperbes victimes ;
Un pronom perfonnel défigne mon dernier ;
Dans votre coeur , Madame , habite mon entier.
( Par M. Briffat , Peintre , & Profeffeur de
Deffin & d'Ecriture à Roanne, )
44
MERCURE
A L'HO
ÉNIG ME.
L'HOMME avec le temps j'apprends ce que je
vaux ;
Je dirige & foutiens le fou comme le fage.
Redouté du faquin , defiré du Héros ,
Celui-ci , je l'illuftre , & l'autre je l'outrage.
De néant, de grandeur quel bizarre affemblage !
En partageant la gloire où j'élève un grand coeur ,
On me donne le nom d'un groffier perfonnage ;
Et l'on met dans fa main , pour marque de valeur
Ce qui du lâche feul doit être l'apanage.
Qu'eft- ce donc qui devient tour-à-tour , par l'uſage
Qu'en font affez fouvent la haine & la faveur ,
L'inftrument de la honte ou le prix de l'honneur ?
( Par M. le Baron de Thomaffin de Juilly. )
LOGOGRYPHE.
LECTEUR ,
ECTEUR
, je fuis le Roi du monde
;
Avec fareur par-tout on me pourfuit
.
Je rends la Nature
féconde
,
C'est par moi que tout s'embellit
,
Je hais
l'éclat & le grand
bruit,
J'aime
à voltiger
fur l'herbetse
;
Mais rarement on me faifit
Dans le boudoir d'une coquette,
DE FRANCE.
45.
Je fuis connu: j'en ai tròp dit.
Me défunir paroît bien inutile.
Si de moi cependant tu veux mieux t'affurer ,
Dans mes fept pieds cherche une ville
Qù l'on fait tout pour me trouver ;
Je t'offre encor deux notes de mufique ,
Un titre rare , un fluide léger ;
Une production commune en Amérique ;
Ce qu'on fait très-fouvent en regardant jouer ;
Un terme de blafon ; une fleur qui t'eft chère ,
Et ce qu'on eft sûr d'éprouver
Auprès d'une Beauté fincère
Qu'on chérit & qui fait aimer,
Enfin , puifqu'il faut tout te dire
Si tu prends plaifir à me lire,
Tu fauras bien me deviner.
( Par M. Saint - G ** , Officier au
Régiment de Picardie . )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
POESIES Diverfes de M. Hoffman , in-16.
de 164 pages. A Nancy , & fe trouve à
Paris , chez L. F. Prault , Imprimeur du
Roi , quai des Auguſtins .
M. HOFFMAN s'étoit fait connoître avantageufement
par diverfes Pièces imprimées
46 MERCURE
féparément dans les Recueils du jour. Il vient
de raffembler fes Poéties , qui forment le
petit volume que nous annonçons . Nous avons
été fouvent à portée d'obferver que le projet
de fe recueillir a été l'écueil contre lequel eft
venu fe brifer la réputation de plufieurs
Poëtes. Plus d'un jeune Auteur , après s'être
fait applaudir par des Poéfies imprimées
dans les Recueils , quand il vient à publier
le fien , trouve le Lecteur froid , dédaigneux
, & voit flétrir fes lauriers ou fes rofes
éphémères. Soit que dans ce cas l'amour pa
ternel l'ait empêché d'être fur le choix auffi
févère que le feroit un Éditeur impartial ; foit
que peu de talens ayent l'art de fe varier affez
pour faire entreprendre à des Lecteurs François
une lecture fuivie d'Ouvrages en vers ;
quoi qu'il en foit , cette épreuve a été morrelle
à plufieurs réputations ébauchées .
A
Celle de M. Hoffman nous paroît propre
à en fortir faine & fauve. Il y a dans fa poéfie
un mélange d'efprit & de naïveté , une facilité
graciéufe , un enjouement doux qui plaît
& qui intéreffe. Ce volume eft compofé de
Fables , de Contes , d'Épîtres & autres genres
de poéfie. Mais il nous a femblé qu'en général
les Fables de M. Hoffman étoient plutôt
des allégories ; & cette dénomination leur
conviendroit d'autant plus , qu'elles font prefque
toujours dénuées de fens moral. En général
ce Poëte paroît avoir beaucoup de penchant
pour le ſtyle allégorique. Ce genre-là fe prête
DE FRANCE. 47
à l'efprit & à l'imagination ; mais l'abus en eft
fatigant.
Quelques - unes des Fables manquent de
jufteffe, Telle eft la feptième , intitulée : Le
Myrte & le Laurier.
Le Laurier difoit un jour
Au Myrte du voisinage :
Va, fuis loin de ce rivage,
Vil arbriffeau de l'Amour !
Foible ennemi de la gloire ,
Tu fouilles par tes rameaux
La couronne des Héros ,
Et l'arbre de la Victoire.
Ne fais-tu pas qui je fuis
Dit le Myrte débonnaire ?
C'eft moi qui rends à la terre
Le bonheur que tu détruis.
Eft- ce bien moi que tu braves ,
Moi qui compte tant d'heureux,
Et qui fais autant d'esclaves
De tous tes Héros fameux ?
Ces vers - là font agréables ; mais la conclufion
n'eft pas jufte. Le myrte ne fait pas d'ef
claves , comme le laurier ne fait pas de Héros ;
mais feulement le myrte couronne les efclaves
de l'Amour , comme le laurier couronne
les Héros.
La Fable intitulée : La Vie & la Mort de
l'Amour , eft très-juste ; & quoiqu'elle foit
un peu longue , on la lit avec grand plaifir.
48 MERCURE
Il n'y a pas de longueur dans Thémis , l'Amour
& la Raifon ; & il y a autant de grâces que
d'efprit.
La Pièce intitulée ; Défauts d'Annette , eft
ingénieufe , mais grimacée. Le Poëte , en
parlant d'Anette , prétend que
Chez elle tout eft emprunté ,
Tout eft artifice chez elle ,
Dans fon efprit & ſa beauté.
Sa blancheur , elle l'a volée au lys ; fes yeux ,
elle les a pris à l'Amour , qui s'eft aveuglé
pour elle , & c. Tout cela peut être galant ,
mais tout cela n'eft pas naturel ; & ce défaut
eft ici d'autant plus fenfible , qu'il eft fort rare
dans les Poéfies de M. Hoffman.
Nous aurions voulu auffi qu'il eût fupprimé
un couplet , dans lequel, en rendant
hommage à Mlle C***, le Poëte finit par
dire :
Le goût bat des mains ; mais je gage
Que le coeur bat bien davantage
En vous voyant.
Le goût qui bat des mains , & un coeur qui
bat, n'ont aucun rapport enfemble : c'eſt un
mauvais jeu de mots ; & M. Hoffman n'a pas
befoin de ces triftes reffources.
Nous aurions moins infifté fur ces obfervations
critiques , fi le talent de M. Hoffinan
n'étoit affez vrai , affez marqué pour en faire
defirer la perfection. Il a les grâces du ftyle ,
le piquant de la penſée ; & il s'eft garanti de
l'emphafe
DE FRANCE.
49
l'emphafe & de la manière. Il y a preíqus
dans toutes fes Pièces des détails heureux.
Quelques - unes par leur genre ne font pas
fufceptibles d'être citées dans ce Journal,
Nous allons rapporter une Romance fur l'air :
Lifon guettoit.
J'y longerai toute ma vie ,
Voilà le lien
Où ma tant belle & douce amic
Me dit adieu.
Chaque jour au même bocage
Je viens exprès ,
Et ne trouve fous le feuillage
Que des regrets.
POURTANT , moi qui fuis cant à plaindre ,
Je fus heureux
Trop heureux , j'étois loin de craindre
Ce coup affreux.
Sur cette herbe alors ſi jolie ,
A chaque jour,
2 * J'étois sûr de trouver Zélie
$
2.
Et puis l'amour.
En vain, gentille fouvenance ,
Vous me flattez ;
Au lieu d'adoucir ma fouffrance
Vous
l'augmentez,
C Quand oneeſt loin de ce qu'on aime ;
Plus de plaffir !
No. 13 , 1 Avril 1786. C
MERCURE
Le fouvenir du plaifir même
Coûte un foupir.
Il y a certainement dans ce Recueil bien
d'autres Pièces aufli agréables que celle- là ;
nous l'avons choifie fur- tout parce qu'elle eft
courte , & affez étendue pourtant pour pouvoir
donner une idée de la manière de l'Auseur.
Ces deux vers naïfs :*
Pourtant, moi qui ſuis tant à plaindre ,
Je fus heureux ,
font dans ce genre d'une tournure délicieufe ;
& plufieurs autres traits pareils , répandus
dans ce volume , doivent faire infcrire leur
Auteur fur notre Parnaffe Érotique.
SPECTACLE S.
COMÉDIE FRANÇOISE.
?
Des Philofophes ont, avancé que l'intérêt
perfonnel eft le premier mobile de toutes les
actions des hommes ; ils auroient dû remarquer
aufli le caractère de l'Égoïfme n'of
fre pas la même phyfionomie dans tous les
temps & chez tous les peuples , qu'il peut
être le principe , l'appui des vertus , & leur
que
* C'eft l'avis d'Helvétius : mais ce Philofophe a
érigé l'Égqïfmè en fyfteme,& dans les efprits foibles
ee fyftême ne peut que faire naître des idées fauffes
& dangereufes
DE FRANCE.
si
donner une fin utile. Avec cette reſtriction
ils n'en auroient pas moins dit une vérité fenfible
; mais l'humanité n'auroit point à leur
reprocher de l'avoir très - légèrement calomniée.
Quand une Nation eft portée vos la
manie des conquêtes , ou , fi on l'aime mieux ,
vers le fantôme de la gloire , le fentiment
qui enflamme les Chefs & les Soldats de
Famour des grandes actions, dudefir de la célé
brité, peut être un fentiment perfonnel ; mais
il devient louable par l'effet même qu'il produit
ou qu'il veut produire, puifqu'il tourne à
l'avantage général, puifqu'il peut concourir
au bien de l'Etat. Dans des temps de calamité,
lorfque les peuples gémiffent accablés fous
les fuites d'une guerre ruineufe & fanglante
quand ils font devenus les victimes ou de l'in
tempérie des faifons , ou bien encore d'une
de ces révolutions effrayantes dont le monde
eft quelquefois frappé , c'eft peut-être l'Égoïfme
qui donne des confolateurs aux miférables
, qui fait braver les dangers , les épidémies
; qui fait immoler une partie des forrunes
à l'efpoir d'acquérir un grand renom
de générofité. Cet égoïfme , fi on peut appliquer
ici le mot, eft certainement bien refpectable
; car il produit la pitié & la bienfaifance.
L'intérêt perfonnel naît avec l'hom
me ; il croît , il fe développe avec lui , il le
fuit dans fes paffions , il les échauffe , il les
foutient. L'ambitieux , l'avare , l'envieux , le
tartufe , le jaloux font des égoïftes ; mais le
Protecteur qui aime à s'entourer des heureux
Cij
52 MERCURE
qu'il a faits; le Philofophe, le Poete, le Peintre
qui courent après la réputation ; l'Homme
d'État , le Juge , qui facrifient leur repos &
leurs plaifirs à la tranquillité générale , font
aufli des hommes perfonnels : ainfi l'amour de
foi- même eftune paffion qui, bien dirigée , peut
produire des talens & des vertus , & dont
T'abus fait des fcélérats , des monftres. Cet
abus fe fait plus fentir chez les Nations ri
ches & puillantes que chez les autres ; & c'eft
quand l'oubli des principes devient général ,
quand les moeurs font abfolument relâchées ,
quand un luxe dévorant confume toutes les
fortunes & confond tous les rangs , que
' égoïfme eft le plus dangereux , qu'il eft le
fléau de la fociété , & qu'il étouffe dans tous
les coeurs le gérme des fentimens qui font
des pères , des enfans & des citoyens. Alors
il fubordonne toutes les paffions , il les abforbe
toutes en lui , il ceffe d'être leur reffort,
pour faire tour à tour de chacune d'elles
le reffort de fa propre fatisfaction . Quand il
eft parvenu à ce degré , il eft fufceptible des
grands effets de la Scène , il devient un caractère
très-dramatique ; mais pour le bien peindre
, il faut tout- à - la - fois les talens d'un Ecrivain
familier avec les fineffes de l'art , le
tact d'un homme de goût , & le coup- d'oeil
d'un Obfervateur philofophe.
On doit favoir gré à M. de Cailhava d'avoir
apperçu l'égoïfme fous les couleurs qui lui
conviennent , fous celles qu'il a réellement à
l'inftant où nous vivons ; mais on doit auffi
DANCE.
13
lui reprocher d'avoir chargé le tableau dans
les deux derniers Actes de fa Comédie. Dans
les trois premiers , le caractère de Philémon
s'expofe & fe développe heureufement
; tantôt il fe montre , tantôt il fe cache
fuivant que les circonftances l'exigent : il eft
fidèle à fes principes , & ne laiffe voir de lui
que ce qui peut lui devenir utile en le
rendant intérellant aux yeux de ceux qu'il
veut feduire. Après , il devient audacieux &
fripon ; il calcule avec un mercenaire les
moyens de voler les bienfaits de fon oncle;
il lève le mafque , il ne garde plus de me
fures. Tout cela eft - il dans l'ordre , tout celá
rentre- t'il dans les convenances dramatiques ?
Écoutons Philemon lui - même: Quand', dit-il ,
On n'a pas * reçu pour fon partage
De l'aigle ou du lion la force & le courage ,
Serpent adroit & fouple il faut fe replier ,
Et favoir fous les fleurs fe frayer un fenties.
Comment , d'après ce fyftême , qui eft
bien celui d'un égoïfte , Philémon , quand
il est démafqué , brave - t'il l'oncle qui
veut bien veiller encore fur lui , tout cou
pable qu'il eft ; comment ofe - t'il effron--
tément avouer fes principes deftructeurs dévant
l'homme qui s'eft déclaré le plus irréconciliable
ennemi de l'égoïlme ? Comment
Polidor l'entend t'il dire fans en témoigner la
moindre humeur , fans révoquer les bienfaits
?
Pai joué de malheur : je quitte la partie.
Cij
54
MERCURE
Peut-être reviendrai -je un jour dans ma patrie ;
Et , plus profond dans l'art d'attirer tout à foi ,
Je n'aurai plus alors les rieurs contre moj.
Il faut avouer que tant d'audace eft bien
furprenante dans la bouche d'un homme qui
a plus befein que jamais des fecours d'autruis
& que s'il y a quelque chofe de plus furprenant
ancore , c'eft la bonhommie pallive de ce
Polidor que l'on féduit , que l'on trompe , que
Ton brave impunément , & qui doit être bien
étonné de s'entendre traiter de rieur au mo¬
mentfans doute où il a le moins envie de rire .
M. de Cailhava s'eft dit ( v. la Préf. de l'Égoïfme
, page xii ) l'hypocrifie defociété eft digne
d'être mariée à l'Egoifme ; leur union doublera
leur force comique & morale. Pourquoi
dans fon dénouement a- t'il oublié ce principe
vrai & bien apperçu ? De deux chofes l'unet
ou Philmon , auteur d'un ouvrage affreux ,
devoit être , pour la fatisfaction du Spectateur
, puni d'une manière exemplaire &
plus vraisemblable que ne l'eft la peine de
T'exil ; ou bien il falloit faire jouer les refforts
de cette hypocrifie feduifante qui fe
marie à l'égoïfme , attaquer , furprendre la
fenfibilité de Polidor, celle de toute la famille
préfente; enfin montrer le fcélérat, fier de ce
nouveau fuccès , formant pour l'avenir de
nouvelles efpérances, & fe promettant d'immoler
quelque jour à fes propres intérêts ,
ceux même dont il recevra dans fon exil les
fecours dont il a befoin. Cette fin feroit àtroDE
FRANCE.
SS
ce , dira-t'on : oui , elle le feroit ; mais au
moins feroit - elle raifonnable , le caractère
feroit confervé , & le dénouement actuel eft
tout-à-la-fois atroce & déraisonnable. Non ,
nous ne concevrons jamais comment on peut
conferver quelqu'intérêt pour un monftre qui
plaifante avec le crime , qui fait trophée dé
fes affreux principes , & qui perfiffle fes bienfaiteurs.
?
La Fable de l'Egoïfme nous paroît auffi
mériter des reproches. Au premier Acte ,
Polidor n'eft pas encore arrivé ; il arrive au
fecond Acte ; au troifième il alfocie Philémon
à fes projets de bienfaifance , & lui
remet en effets au porteur , la moitié de fa
fortune. Une telle invraifemblance eft choquante;
elle l'eft d'autant plus qu'il étoit facile
de la faire difparoître. Pourquoi Polidor
n'eft-il pas dans la maifon depuis trois mois
Il pouvoit y être , diffimuler fa nouvelle fortune
, obferver les caractères de fes parens ,
& trouvant dans l'adroit Philémon le mafque
des vertus qui lui font chères , lui confier le
fecrer de fa ticheffe , en faire fon ami , fon
affocié. Eft-ce en vingt-quatre heures qu'un
Égoïfte habile cherche à furprendre l'abfolue
confiance de celui dont il veut faire fa dupe ?
Eft- ce en vingt- quatre heures qu'un homme
trompé par un impofteur peut l'être aulfi
légèrement par un autre? Que M. de Cailhaya
y réfléchiffe , & nous fommes perfuadés qu'il
conviendra de la jufteffe de nos réflexions.
Nous ne nous étendrons pas fur les autres
56 MERCURE
reproches qu'on a faits à l'intrigue de cette
Comédie, lorfqu'elle fut repréfentée pour la
première fois au mois de Juin 1777. Les uns
étoient fondés , les autres étoient au moins
équivoques ; & c'eft le fort de tous les Ouvrages
, de faire naître beaucoup de fades
éloges , beaucoup de fauffes critiques parmi
quelques obfervations raifonnables. Nous obferverons
feulement que le caractère d'Antonius
Durand nous paroît tenir plus à la farce
qu'à la Comédie , qu'il eft étranger au genre
noble , & que loin de pouvoir éclairer les
gens du monde fur l'importance qu'il faut
mettre au choix d'un Instituteur comme
l'Auteur paroît le defirer , il jette au contraire
fur les gens de cet état un vernis de ridicule
& même de flétriffure.
>
La reprife qu'on vient de faire de l'Egoïfme
, le Mercredi 22 Mars , a eu beaucoup
de fuccès. Elle a fait concevoir toutes les
difficultés du fujet choifi par M. de Cailhava.
La Pièce n'a pas été , dans fon enfemble
, auffi bienjouée qu'elle pourroit l'être ,
mais le rôle de Philemon a été rendu par M.
Molé avec une grande fupériorité. Cet Acteur,
toujours plus juftement aimé du Public,
a fait fentir par la fineffe & l'intelligence de
fon jeu le mérite de plufieurs Scènes trèsbien
faites , qui tiennent à la bonne Comédie
, & qui n'avoient pas été appréciées
en 1777 , ni même à la repréfentation qu'on
en donna le 4 Janvier 1778. M. de Cailhava
dit , dans fa Préface , qu'il a cherché à imiter
DE FRANCE. 57
dans fon ftyle la facilité & la précision de celui
de Molière. Cette intention eft digne de
beaucoup d'éloges fans doute , mais il y a loin
d'elle aufuccès ; & nous croyons pouvoir engager
M. de Cailhava à revoir encore fon
ftyle avec beaucoup de foin ; car il fourmille
de négligences , pour ne rien dire de plus. Nous
avons remarqué avec plaifir les corrections
heureufes qu'il a faites à quelques tirades ,
notamment à celle qui trace la peinture de
Pégoïfme , & nous concluons de -là qu'avec
un peu de conftance & de courage, il pourroit
faire difparoître les inverfions forcées qui déparent
fa verfification , & mériter les fuffrages
des Lecteurs difficiles : ils font rares aujourd'hui
, mais c'eſt encore eux qui font les
réputations.
ANNONCES ET NOTICES.
Las Leçons de l'Histoire , ou Lettres d'un père LES
a fon filsfur les Faits intéreffans de l'Hiftoire Univerfelle,
par l'Auteur de Valmont , 2 Vol . in-12 . A
Paris , chez Moutard , Imprimeur- Libraire de la
Reine , & c. rue des Mathurins , hôtel de Cluni...
Les Éditions multipliées du Comte de Valmont ou
des Egaremens de la Raifon, ont affez fait connoître
ce qu'on pouvoit attendre de M. l'Abbé Gérard.
Les Leçons de l'Hiftoire qu'il publie aujourd'hui
font une continuation de ce premier Ouvrage. C'est
le père de Valmont qui vient ajouter les leçons de
$8 MERCURE
FHiftoire à toutes celles qu'il avoit déjà données à
fon fils. Il vous manque l'expérience , lui dit ce
rendre père dans fa première Lettre ; il vous manque
du moins celle qui pear convenir à votre âge ,
qui murit la jeuneffe , qui fupplée à une longue vie ,
& qui s'acquiert par une longue connoillance des
faits , par la réflexion fur les actions d'autrui par
la connoiffance des hommes tels qu'ils ont été
tels qu'ils feront dans tous les temps ; & cette expérience
, fans laquelle vous ne pouvez espérer de
leur être véritablement utile , c'eft , avant toute
chofe, l'étude de l'Hiftoire qui nous la donne. »
L'Auteur rend compte dans la Préface du plan
qu'il s'eft tracé. Sa manière exige bien des travaux ,
bien des recherches plus l'Auteur de celle cila
voulu en épargner à fes Lecteurs , plus on ſent qu'il
a dû lui en coûter à lui- même ; & ce n'eft pas une
agère obligation qu'on doit lui en avoir.
TRADUCTION Nouvelle des Elérjes de Sextus-
Aurelius Properce, Chevalier Romain, 1 Vol. in
12. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris , chez Tombert
fils , Libraire , rue Dauphine , & chez les Marchands
de Nouveautés.
Nous avons parlé de cette Traduction avec une
févérité qui provenoit de l'eftime que nous avoit
infpirée l'Auteur. Quant au reproche que nous lai
avions fait d'avoir tronqué & omis quelquefois en
traduifant , nous avons appris depuis , qu'il a traduit
par choix , d'après l'Edition de Coutellier , in 4° .;
& nous croyons , d'après un nouvel examen , devoir
rendre juftice fur ce point à la fidélité de fa verfion.
L'HOMME Généreux , Drame en cing Actes &
en profe , par Mme de Gouge, Auteur du Mariage
de Cherubia . A Paris, chez l'Auteur , rue de Conde,
DE FRANCE.
ر و
. ; Knapen & fils , Impr.- Libr. , rue S. Andrédes
Arcs , au bas du Pont S. Michel.
Tous les Amateurs du Théâtre applaudiront a
l'éloge que Mme de Gou configné dans fa Préface
du célèbre Acteur comique que va perdre la
Scène Françoife. C'eft toujours avec plaifir qu'on
voit le talent rendre juftice au talent.
LE Sieur NNOSEDA , Phyficien & Marchand
d'Eftampes , au Palais Royal , n . 93 , vient de recevoir
de Londres des Principes du Deffin de Ci
priani , & gravés par Bartolozi , zn - 4 ° . , oblong.
Prix , 36 liv .
Ces Principes font deffinés avec un goût erquis,
& font faits pour avoir le plus grand fuccès.
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VOYAGE's en Europe , en Afie & en Afrique,
contenant la Defcription des Maurs , Coutumes
Loix , Productions , Manufactures de ces contrées
& l'état actuel des Poffeffions Angloifes dans
l'Inde , commencés en 1777 , & finis en 1781 , par
Me Makintosh , fuivis des Voyages du Colonel,
Capper dans les Indes au travers de l'Egypte & du
grand Defert , par Su
Suez & par Baffora, en 1779 ,
traduits de l'Anglois , & accompagnés de Notes fur
original & de Cartes Géographiques , 2 Vol. in-
8 Prix, yaliv . broches . A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Regnaut , Libraise , rue S. Jacques.c
Le mêthe Libraire vient de mettre en vente l'Obvrage
fuivant , qui eft encore important par foa
objet Lettres Philofophiques & Politiques fur
l'Hiftoire de l'Angleterre depuis fon origine jufqu'à
nosjours , traduit de l'Anglois , 2 Vol. in - 8°. Prix,
Brochés
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ALES Pleaumes traduits en François , avec des®
Notes & des Réflexions ,par le Père G. P. Berthiers !
60 MERCURE
1-12. A Paris , chez Mérigot le jeune , Libraire
quai des Auguftins.
Les quatre derniers Volumes de cette Traduction ,
qui en a huit , paroiffent confirment les éloges
qu'avoient mérité les premiers. Les favantes Notes
qui y font jointes ajoutent au mérite & à l'utilité de
cet Ouvrage.
1 QUATUOR détaché de l'Euvre XXXIII de
M. Hayden , pour le Clavecin , Violon & Violon
celle ad libitum , par M. Wenck. Prix , 3 liv. ,
12 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Micho.
dière , maifon de M. Garnier ; & Mme Baillon ,
rue Neuve des Petits-Champs , au coin de celle de
Richelieu,
Numino du Journal 3 de Violon, dédié aux
Amateurs, Prix , Is liv. & 18 liv. pour 12 Livrai
fons. Séparément 2 liv. A Paris , chez M. Bornet
l'aîné , Profeffeur de Mufique , rue Tiquetonne
n.. 10.
10
TABLE.
Sun le Tableau reprefentant UR
le Serment des Horaces ,
Charade, Enigme & Logogry-
43 phe
Infeription pour la façade du Poefies diverfes de M. Hoffnouveau
Palais de Juffice.4 mandado 45
Hiftoirededeuxjeunes Amies, Comédie Françoife,
Annonces &Notices, p 57
APPROBATION. si
J'AI lu , par ordre de M. lele Garde- des - Sceaux ,
MercuredeFrance , pour le Samedi 1 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A
Paris le 95 Mars 1786. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
INSCRIPTION pour le Portrait
de M. Moté.
LE voilà , cet Acteur charmant,
Qui feul, fur l'une & l'autre Scène ,
A fu nous plaire également ;
De Thalie, en un mor , l'amant
Comme l'époux de Melpomene.
( Parun Amateur du Théâtre François . Y
Joy -io $ 7,77
N° . 14, 8 Avril 1786.
D
16
62 MERCURE
COUPLETS à la plus belle & à la plus
favance des Modernes.
Tour votre plai fir , Hor-ten-fe , eft
de lire nuit & jour , & l'amour
de la Sci- en ce vous tient lieu
du ten-dre Amour ; mais ap -prenez
que les Graces , qui s'é- galent
aux neuf Soeurs , ne doi
- vent fuivre
leurs
tra-ces , que pour y cueil
DE FRANCE. 63
lir des fleurs , que pour y cueillir des
Aeurs.
Si c'eft en Aftronomie
Que vous briguez des fuccès ,
De la célefte Uranie
Ne cherchez point les fecrets ;
Laiffez errer les comètes
Dans des cercles peu connus ,
Et ne fixez vos lunettes
Que fur l'orbe de Vénus.
La ſcience de la fphère
Souvent occupe vos yeux ;
C'eft elle qui les éclaire-
Sur la diftance des lieux.
Que cet infaillible guide
Conduife vos jolis doigts
A trouver la place où Gnide
Fut ſituée autrefois.
Dz la nature des plantes ,
Par la botanique inftrait ,
A les recherches favantes
Quand l'Univers applaudir ,
Dij
64
MERCURE
N'en retenez autre chofe
Qu'une grande vérité::
C'eft que la plus belle rofe
Moins que vous a de beauté.
POUR la ténébreufe algèbre
Ne montrez aucun defir ;
Qui veut s'y rendre célèbre ,
Doit renoncer au plaifir.
Cette fcience traîtreſſe
Peut apprendre à fupputer
Les baifers qu'une maîtreffe
1
Donne toujours fans compter.
( Paroles de M. le Chevalier de Cubières , mufique
de M. le Comte de Sainte- Aldégonde. )
FIN de l'Hiftoire des deux Jeunes Amiès ,
par Madame RICCOBONI.
EN apprenant pour la première fois que le
Chevalier de Mullidan éprouvoit des peines
fecrettes , le Maréchal fe fentit encore plus
touché des expreffions de fa lettre. Il ne concevoit
pas fa longue réſerve , & fe croyoit
en droit de s'en plaindre. Il lui écrivit avec
beaucoup de tendreffe , fans lui marquer
combien une confiance fi tardive lui paroiffoit
bleffer l'amitié. Il attendoit , pour le lui
dire, les éclairciffemens promis. Peu de jours
DE FRANCE. 65
après, il les reçut , & s'enferma dans fon cabinet
, où il lut cette continuation écrite de '
la main du Chevalier.
»
Tout fut parfaitement concerté entre la
jeune Efpagnole & fes deux amies. Le jour
» "pris , Dona Louife fortit de grand matin
" fans être apperçue. A l'heure où l'on en-
» troit chez elle, fa femme- de-chambre éton-
» née la chercha vainement. Un biller adreffé
" àfon oncle étoit fur fa toilette. On y trouva
» auffi une lettre pour Mademoiſelle Darcy ,"
compofée à deffein d'éloigner le foupçon
" de leur intelligencel On remit Pun & l'au-'
" tre à Don Ramire. Le billet de fa nièce
contenoit ce péu de mots :
و ر
Je crois être en droit , Monfieur , de
» me fouftraire à votre autorité , quand vous
» vous obftinez à l'employer pour me rendre
» la plus malheureufe de toutes les femmes.
» Hm'eft bien dur de vous paroître ingrate
7
C
C
en cherchant de la protection contre vous."
„ Je vais demander un afyle à mes parens
» maternels. Il me fera plus doux de paffer.
» mes jours dans un Cloître , que de me lier
» à l'objet odieux de votre choix. Je conferverai
toujours , Monfieur , le fouvenir de
" vos premières bontés ; & j'oublierai , s'ik
m'eft poffible de le faire , que ni mes prie
» res ni mes larmes n'ont pu vous toucher
en faveur d'une fille infortunée qui vous
» défobéit à regret , & fouffre une peine violente
en s'éloignant d'un parent qu'elle gémit
de fuir & d'offenfer. A
و ر
22 .
Diij
66
MERCURE
2
20
» Furieux après cette lecture , Don Ramire
donna des ordres pour tour préparer , voulant
partir à l'inftant. Me fachant éveillé, il
» accourut chez moi , me montra le billet
de fa nièce , en faifant mille imprécations
» contre elle & contre tout fon fexe. Com-
» me elle avoit deux tantes Abbeffes à Ma →
» drid
fes expreffions lui perfuadèrent
qu'elle fe rendoit à l'un ou l'autre Couvent.
" Il fe flattoit de l'atteindre fur la route , de
» la ramener & de la punir févèrement d'une
démarche fi hardie . Sa colère , fon chagrin ,
" la vaine efpérance où il fe livroit, me jetè-
" rent dans un trouble,dans un embarras inexprimable.
Il me fembloit qu'il pouvoit fe
plaindre de moi , m'accufer delui en impofer
" par mon filence. Je rougiffois , je perdois
" contenance , & n'ofois parler. Trop agité
>>> lui- même pour faire attention à mes mou-
» vemens , il marchoit à grands pas , preffoit
fes gens , s'impatientoit. On l'avertit
enan. Il m'embraffa , me pria de le plain-
» dre , d'attendre fon retour , & partit.
رد
و د
"
33
Il refta près d'un mois abfent , revint
» fatigué d'une inutile recherche , perfuadé
du féjour de Dona Louiſe à Madrid , &
défefpéré de la voir échappée à fon pou-
» voir & à fa vengeance . Je partis deux jours
après. J'arrivai à Marseille fans accident , &
» trouvai mes jeunes amies habitant unejolie
» baftide que Madame de Mauni venoit d'a-
» cheter.
"
Rien ne me parut changé dans l'air : ni
DE FRANCE. 67
» dans l'accueil de Mademoiſelle d'Arcy
≫ mais je ne pus me défendre d'une extrême
furpriſe en examinant Dona Louife. Je
» l'avois vue trifte , diftraite chez fon oncle,
»
"
و ر
l'efprit toujours occupé de fâcheufes idées ,
» fe prêtant avec répugnance aux jeux , aux
» amuſemens de fes compagnes ; parlant peu,
inquiète , rêveufe , négligeant tout , & mê
» me le foin de fa parure. Qu'elle étoit diffé-
» rente alors ! Le plaifir de ne plus redouter
» un lien fi long- temps l'objet de fa ter-
» reur , de fe voir libre , donnoit de l'éclat à
» fon teint , animoit fes yeux , embelliffoit
fes traits doux & réguliers , répandoit fur
» toute fa perfonne ce charme inexprimable
dont on fe fent touché fans connoître par
quel attrait il émeur. Dona Louife , auparavant
fombre & filencieufe , fe livroit à
l'enjouement , montroit des connoiffances
acquifes ; cette vivacité modérée par la
modeftie , qui amufe & qui plaît : fes idées
» toujours juftes , prouvoient la droiture de
fon coeur , & je ne fais quoi de tendre , d'affectueux
dans fes expreffions , rendoit in-
» téreffant tout ce qu'elle penfoit , tout ce
qu'elle difoit.
"3
"
39.
33
"
"
ע
"
" En la regardant , en l'écoutant , je crus ne
l'avoir jamais vue , jamais entendue. Je me
demandois comment j'avois paffé tant.
» d'heures avec elle fans m'appercevoir des
» graces de fa perfonne , des agrémens de
fon efprit. Chaque inftant me la montroit
plus aimable. Des mouvemens inquiets ,
ر و
23
.C.
Div
68 MERCURE
35
& pourtant flatteurs, m'agitoient enfa préfence
; je la quittois avec peine , avec effort,
un defir ardent de la fevoir me tourmen
toit loin d'elle. Ses projets de retraite m'af
fligcoient. Je me fentois oppreffe quand je
» fongeois que j'allois la conduire à Paris , ou
l'attiroit le deffein de fe fouftraire au
monde , de s'enfermer dans un Cloître ;
contribuer moi- même à lui ouvrir ce trifte
afyle , où peut -être elle confacreroit fes
» jours. Mon coeur fe ferroit à l'idée de
perdre à jamais la liberté de la voir , de
l'entretenir :liberté qui me rendoit alors fr
heureux ! Je ne me diffimulois point l'ef
spèce de mes fentimens , mais je craignois
de les avouer. Après ma longue froideur ,
» Dona Louiſe ne s'étonneroit-elle pas de
ce changement , pourroit - elle me croire
» fenfible , n'imagineroit- elle pas qu'enhardi
par fi pofition préfente , j'ofois m'écarter
» du refpect que je lui avois montré dans le
» temps où tout devoit la rendre impofante
» à mes yeux ? Timide , indécis , je cherchois
» des prétextes pour retarder notre départ
» de Marfeille. Mademoiſelle d'Arcy les faififfoit
, & montroit une forte de répu
ignance à faire le voyage de Paris . Je la
voyois rêveufe , inquiète toutes les expreflions
devenoient myftérieufes . Sou-
» vent elle fembloit vouloir me parler , s'in-
» terrompoit , continuoit à fe taire. Surpris
» de certe nouveauté , je me plaignis d'avoir
perdu fa confiance ; je la preffai de
ນ
35
DE FRANCE. 66
m'ouvrir fon coeur. Je ne le puis , me dit-
» Selle, fans commettre une indifcretion , fans
» m'expofer aux reproches de Dona Louiſe.
Je me trompe peut-être , mes craintes font
» peut-être vaines; mais fes projets m'alar-
» ment. Je redoute pour elle le féjour de
Paris ; & vous m'obligeriez fenfiblement ,
» fi vous la déterminiez à refter en Pro-
>>> vence.
1
» Mais , lui dis - je un peu furpris , vous
approuviez en Efpagne un deffein appuyé
» fur des motifs encore fubfiftans: d'où vient
» le condamnez - vous à préfent ? Je n'avois
» pas réfléchi , reprit-elle , fur mille circonf-
» tances où je faifois alors peu d'attention.
Avant de vous avoir vu , Dona Louife
vouloit fuir, fe retirer dans un Couvent,
» à Madrid; quand elle me montra un defir
» ardent de paffer en France , fon amitié
» pour moi me parut l'unique caufe de ce
» changement. Sans ceffe elle m'entretenoit
» de vous , de vos qualités aimables , des
» agrémens de votre perfonne ; elles me
frappoient comme elle , & je la croyois
julte fans la croire prévenue. Hélas ! je
me trompois. Je vois qu'un penchant irré
» fuftible l'attire dans votre patrie , lui fait
» imaginer de la douceur à vivre près de
vous , à fe lier avec les Damés de votre famille
, à conferver au fond de la retraite
de plaifir d'entendre parler de vous , de vous
Mour prendre une forte, d'intérêt à elle.
Jiguore , continua-t - elle , les effets d'une
"
Dv
70.
MERCURE
paflion que j'ai toujours redoutée fans la
» connoître ; mais li cer attachement de
Dona Louiſe pour vous étoit de l'amour !
firl'innocence de fes penfées déguifoit à
fesyeux les fentimens de fon coeur ! fi
elle vous aimoit ! Mais puis-je en douter ,
quand tout me dit , tout me prouve , tout
m'affure que vous êtes cher à Dona
» Lonifer , que vous êtes aimé de Dona
» Louife ? Y
"2
or Ah, quel mouvement cette confidence
excita dans mon ame ! Emu , charmé , pénétré
d'une douce joie , je pris les mains
» de Mademoiſelle d'Arcy, je les preflai entre
les miennes avec une ardeur que rien encore
ne m'avoit fait fentir : eft-il vrai , eft-il
bien vrai , lai demandois- je transporté de
plaifir Ah , répétez-moi cent fois , mille
>> fois! vous êres cher à Dona Louife ; vous
Lêtes aimé de Dona Louife.
Eh quoi , me dit - elle d'un air étonné
quand je crois vous intéreffer à la paix , à
la tranquillité d'une fille digne à tant d'égards
de votre eftime , de votre amitié ;
quand j'espère trouver en vous de l'appui
contre fa foibleffe , vous engager à m'aider
dans le deffein de la retenir ici , vous
» ofez vous montrer fenfible à fes fentimens,
montrer de la joie d'être aimé ! Oubliez
75% vous votre état , les obligations qu'il vous
as impofera? Ne vous fépare - t-il pas à jamais
de Dona Louife ? Rien rien , m'écriai-je
avec vivacité , ne me fépare d'elle , sien
ھ د
DE FRANCE. 71
» ne s'oppofe à més defirs , fi Dona Louife
» les partage. Plus de retraite , plus de voile
» pour l'aimable fille dont vous venez de me
» faire efpérer la tendreffe. Si elle confent
à me rendre heureux , je puis lui engager
» ma foi aux pieds des Autels , fans quitter
la marque de cet état , que vous croyez ·
» contraire à d'autres voeux.
»
"
J'appris alors à Mademoiſelle d'Arcy ,
qu'une fuite de Chevaliers de mon nom
« s'étant diftingués dans l'Ordre de Malte par
» leur zèle pour fa gloire, par d'éclatantes vic-
» toires remportées fur les Infidèles , avoient
" acquis à ma Maifon les privileges honora
bles dont elle jouifioit depuis près de deux
fiècles. Raffurée par cette explication , Ma
» demoiſelle d'Arcy m'objecta mon âge , la
» dépendance où il m'affujettiffoir , le tort
JJ
que feroit à ma fortune un mariage constracte
fans l'aveu de mon père , & l'umpof-
» fibilité d'efpérer fon confentement pour
me lier avec une étrangère. Cet obftacle
» eft puiffant , lui répondis-je ; mais fi votre
" amie m'aime , il n'eft pas infurmontable.
" Aucun motif intéreffé ne me porte à crain
dre de révolter mon père contre moi.
» Je puis me paffer de fes bienfaits ; mais
je ne me pardonnerois jamais de l'at
trifter , de répandre un inftant d'amer-
» tume fur fa vie. Oferai-je propofer à Dona
Louife le feul moyen que j'imagine pour
affurer notre colomun bonheur ? L'offre
d'un mariage fecret n'offenfera-t- elle poins
Bliss Dvjero
you
C.
7.2 MERCURE
fa délicatefle ? Ne paroîtrai-je pas trop préfumer
de fes bontés , fi je lui demande une
preuve fi grande de fa tendrelle ? En s'u-
» niffant à moi , voudra-t - elle attendre du
» temps & des événemens l'occafion favora-
→ ble d'avouer nos liens ? Ou je connois mak
» fes fentimens , dit Mademoiſelle d'Arcy y
ou je puis vous affurer qu'elle mettra tout
» fon bonheur à faire le vôtre. Cependant
» je fonderai fes difpofitions , & vous en ferez
inftruit par moi même .
ور
La noble franchife de Dona Louife ne
lui permit pas de diffimuler combien elle
» étoit fenfible à l'ardente paffion d'un homme
dont la fimple amitié lui avoit paru un
bien defirable . Elle confentit à fe donner
» à mon Avignon nous préfentoit les moyens
» de furmonter toutes les difficultés . Madame
» de Mauni & Mademoiſelle d'Arcy y conduifitent
Dona Louife; je m'y rendis . Nous
yfines pour jamais unis. Que le ferment
de nous aimer toujours fut fincère ! que
nos coeurs le gardèrent avec fidélité ! Sou
» venir trop cher , trop préfent à ma mé-
" moire ! félicité fi vivement fentie , heu-
» teux temps vous vous retracèrez fans
» ceffe à l'amé fenfible dont le regret & la
» douleur n'ont pu vous effacer !
"
**
- Peu de jours après notre mariage , Mademoiſelle
d'Arcy, ma charmante compagne
& moi , nous primes la route de Paris.
» Mon père étoit alors dans une de fes terres.
Son abfence mè donna le loifir de : fuivre
DE FRANCE. 73
و ر
ور
ود
""
les projets formés en Provence. Je louai à
» trois lieues de Paris une jolie maiſon où
» fe trouvoit tout ce qui peut rendre une
» folitude agréable & fure. J'y établis Dona
Louife & fon amie. Après leur avoir pro-
» curé toutes les commodités néceflaires ,
» tous les objets d'amufement dont elles
pouvoient faire ufage dans leur retraite ;
j'allai trouver mon père en Champagne:
" Vous y étiez. La maladie dont mon frère y
fut attaqué , nous ramena promptement à
Paris , où fa mort prématurée nous caufa
» de fenfibles regrets que vous partageâtes. "
» Mon père fe hâta de marier fon fecond
fils : vous favez combien fa complexion
foible & délicate l'inquiétoit ; il commençoit
à fonder l'efpoir de fa Maifon fur moi
» Ses moindres difcours fur ce fujet me je
» toient dans de continuelles alarmes. Jelme
» vis contraint de feindre un extrême éloi-
» gnement pour le mariage
و ر
و د
ود
و د
ל כ
un grand
» defir de retourner à Malte , d'y faire mes
» voeux : je fuyois les vains plaifirs qui vous
» féduifoient alors. Que les miens étoient
» doux , qu'ils étoient vrais ! Seul dans ma
A
confidence, le valet- de- chambre que j'avois
» ramené d'Eſpagne me tenoit à toute-heure
» des chevaux prêts. Je faififfois les occafions
de m'échapper , je courois , je volois chez
ma chère Louife , je lui donnois tous les
momens dontje pouvois difpofer. Souvent
elle venoit à Paris , où un petit appartement
meublé pour la recevoir nous offroit
74 MERCURE
ג כ
la commodité de paffer unplus long- temps
» enfemble. "
"
ཚྭ་
Mon frère eut un fils. La naiffance de
» cet enfant me combla de joie ; elle diflipa
les idées de mon père fur, mon établiffe-
» ment. Cinq années s'écoulèrent rapide-
» ment au gré de mes defirs fatisfaits , &
» toujours renaiffans. Le fecret augmentoit
» les charmes de notre union . Dona Louiſe
"
devenue mère, me paroilloit tenir à moi par
» un nouveau lien . Combien je me plaifois à
voir la jolie petite créature qui me repréfentoit
déjà les traits aimables , les graces
» touchantes de Dona Louife ! Quelle douce
" Occupation pour cette tendre mère , de ca-
» reffer , de parer cet enfant chéri , de pré-
" parer les jeux ! combien elle - même s'en
» amufoit ! Ah , fi du moins l'objet de tant
" de foins , de tant d'amour , m'étoit refté !
» mais condamné à tout perdre , à n'éprou-
ور
ver aucune confolation dans l'amertume
33 $ de mes regrets , livré depuis quinze ans á
» la douleur, au toutment d'une dévorante
inquiétude ; je vois ma dernière efpérance
près de s'évanouir , & je vais dans peu de
jours , peut- être , m'éloigner d'ici le plus
malheureux de tous les hommes. »
Monpèreme montroit tant de bonté que
fouvent jeme reprochois de ne pas lui avouer
mes engagemens. Dona Louife m'en dé-
» tournoit. Elle craignoit de paffer aux yeux
» du Comte de Mulidan pour une fille impru
» dente , capable de fe laiffer guider par une
DE FRANCE. 75
"
30
33
» folle paffion. Comment prouver à mon père ,
» à toute ma famille , les motifs de fa fuite ,
l'innocence de fes deffeins? Les apparences
étoient contre elle & contre moi. On penferoit
qu'abufant de la confiance de Don
Ramire , j'avois féduit un coeur foible. Croi-
» roit-on qu'une perfonne fi tendrement aimée
» à Marſeille , me fût indifférente en Espagne ?
Eh, pourquoi rifquer de lui faire éprouver
» des mortifications par cet aveu , que rien
» n'exigeoit encore. Heureufe d'être à moi ,
» contente de fa fituation préfente , elle ne
» fouhaitoit point paroître dans le monde , où
peut-être une partie de fon bonheur fe diffiperoit
au milieu des foins & des égards dont
» la fociété la contraindroit à s'occuper.
39
"
"
Ces confidérations ne m'auroient point
arrêté ; mais Dona Louife obtenoit tout de
" ma complaifance. Jejouiffois avec délices du
» plaifir d'être mari , d'être père , quand Malte,
" alarmée d'un projet d'attaque contre elle, appela
fes Chevaliers à fon fecours. Il fallut
» me préparer à partir. Si je fentis une extrêné
» douleur en me feparant de Dona Louife , fi
fes larmes déchirèrent mon coeur , il ne fe
joignit à nos triftes adieux aucun de ces noirs
preffentimens qui femblent annoncer aux
» ames fenfibles des malheurs imprévus. Je me
propofois de vaincre à mon retour la répu
" gnance de ma charmante compagne fur la
publicité de notre mariage. Quelle riante
perfpective elle offroit à mes regards ! paffer
les jours , les heures , tous les tans de ma
ช
לכ
33
"
ཐ
7760 MERCURE
"
» vie auprès de Dona Louife ! Vain elpoir de
» bonheur ! trompeufes illufions , qu'érez- vous
devenues ! Combien ket avenir dont j'em→
portois l'attente Hatteufe , me préparoit de
" peines combien de fois j'ai fouhaité qu'il
» n'eût jamais été pour moi!
30 .
"
$
Je ne vous parlerai point des événemens
dont vous fûtes inftruit dans, le temps . Le
» lendemain de mon arrivée à Malte , je m'embarquai
fur un vaiffeau de la Religion. Norre
Efcadre, commandée par mon Oncle, fut trois
mois en mer . A mon retour dans l'lfle , je
» demandai avec empreffement mes lettress
Peignez-vous ma furprife & mon effroi , en
» ne reconnoiffant la main de Dona Louife
fur aucune , en appercevant celle de Mademoifelle
d'Arcy fur un paquet cacheté de noir !
» Un faififfement affreux glaça mon coeur Je
» déchirai Fenveloppé en treniblant. Hélas !
"
ود
Louife , ma chère Louife n'étoit plus Le foir
» même de mon départ elle avoit fenti les pre-
» mières atteintes de la plus dangereufe des
maladies. Le prairpte s'y méla , les vainsfe
» cours de l'art nelpurentfauver mon aimable ,
» ma charmante femme ; elle fut à jamais ravie
» à l'époux malheureux , qui , fidèle à fa mémoire
, chérit encore chérira toujours le
» fouvenir ineffaçable de fes attraits , de fon
» amour, de fes vertus.
Ada lecture de cette fatale lettre mes fens
m'abandonnèrent. Unlong évanouifferent
laiffa douter fije vois encore. En revenant
» de cet état , je pouffai des cris douloureux. Une
DE FRANCE. 77
"3
"
fièvre ardente me jeta dans une espèce de
» frénéfie ; on défefpéra long-temps de ma
vie. Après fix femaines de délire , d'accès
furieux , ma trifte & foible convalefcence ne
calma point les agitations de mon ame.,
"3
ל כ
20
, ל
"
64
Beaucoup de Lettres de Mademoiſelle
d'Arcy étoient reftées parmi celles que je
» n'avois point décachetées. Je les ouvris toutes.
J'y cherchois de funeftes détails fur le cruel
» événement dont je gémiffois . J'appris que
les foins de cette amie avoient préfervé ma
fille du mal affreux de fon infortunée mère.
» Dans la dernière en date , elle m'annonçoit
fon prochain départ pour Marſeille . Madame
» de Mauni la preffoit de s'y rendre. La reconnoiffance
& Pamitié ne lui permettoient pas
» de différer à fatisfaire, cette Dame. Ma fille
l'embarraffoit. Son deffein de la laiffer au
» foin de fa Gouvernante , femme honnête ;
و د
.وو
""
intelligente , très - attachée à l'enfant , deve-
» venoit impoffible , cette femme étant rete-
» nue au lit par une feiatique très -douloureuſe.
" Cette circonftance la déterminoit à emmener
la petite. Je crois vous obliger , me difoit-
"9
elle , en vous procurant la fatisfaction de
» voir plus tôt votre fille , de jouir du plaifir de
l'embraffer à Marſeille , & de la douceur de
» la reconduire vous - même à Paris . Je ne dé-
» fapprouvai point cet arrangement de Mamoifelle
d'Arcy . Qui m'eût dit alors combien
il répandroit d'amertume fur le refte de
و د
ود
" ma vie !
« Tout fembloit s'unir pour redoubler mes
78 MERCURE
"
93
chagrins. Je reçus la nouvelle de la mort de
» mon frère , & des ordres précis du Comte
de Muflidan de hâter mon retour en France.
» Dès que mes forces me permirent d'obéir , je
m'embarquai. A la vue des côtes de Marfeille
, des lieux où j'avois fenti les premières
émotions de l'amour , le plaifir enchanteur
d'en infpirer , le bonheur de m'unir à l'objet
» le plus digne de ma tendreffe , toutes mes
douleurs fe ranimèrent. Je brûlois du defir
de ferrer contre mon coeur affligé le gage de
l'affection de ma chère Louife , de l'inonder
de mes pleurs. J'arrive , je cours chez
Madame de Mauni : de nouveaux malheurs
m'y attendent. Ma fille n'y eft point , elle
» n'eft point venue à Marſeille ; & Mademoi-
» felle d'Arcy eft hors d'état de dire comment
» elle s'en eft féparée , & dans quelles mains elle
» l'a laiffée.
33
ور
»
و ر
I
33
ور
" Cette Dame me montre plufieurs lettres
» de Mademoiſelle d'Arcy , écrites avant fon
départ de Paris. Elle lui affure qu'elle part en
pofte avecma fille. A fon arrivée à Lyon , elle
» lui écrit de certe Ville , où fe trouvant un peu
» malade & très- fatiguée , elle fe repofera deux
" jours. Elle ajoute que fon naturel timide lui
» a fait préférer la voiture publique à la pofte ,
» n'ofant s'expofer au danger de courir feule,
Elle vient , dit- elle , de trouver une occa
fion de continuer fa route, bien accompagnée,
& la prie d'envoyer au- devant d'elle .
و د
Jy allai moi- même , continua Madame de
" Maui. Fétois bien éloignée de prévoir l'é-
T
i
DE FRANCE. 75
33
19
" tat affreux où je devois revoir ma pauvre
» amie. A deux lieues de Marſeille , des brigands
ayant arrêté le poftillon , fes compa-
" gnons de voyage , courageux & bien armés ,
defcendirent : aidés de leurs gens , ils blef-
" sèrent à mort deux des voleurs , & forcèrent "
» les autres de fuir. Le péril où se trouvoit
Mademoiſelle d'Arcy , le bruit des armes à
feu , fon laquais tué , la vue du fang d'un
des voyageurs bleffe , firent une fi terrible
impreffion fur les fens , qu'elle perdit con-
" noillance. On la porta chez un Payfan. L'impoffibilité
de la tirer de fon évanouiffement ,
» obligea de l'abandonner dans ce lieu , pour
» arriver à Marfeille , d'où on lui enverroit
"
33
K
t
du fecours. La rencontre de la voiture m'inf
» truint de cette aventure , & de l'accident
" de mon amie. J'allai la chercher. Je l'a-
» menai chez moi fort inalade , attaquée de
? violentes convulſions , donnant de continuellos
marques de terreur , & retombant à tout
» moment en foibleffe. Elle ne me reconnoif-
" foit point , pouvoit à peine parler , & le peu
de mots qu'elle prononçoit , montroient de
l'égarement. Je l'attribuois à fon mal , à fon
» effroi ; j'efpérois lui voir recouvrer fa raiſon
» avec fa fanté. Vaine attente ! Elle eft fans
» fièvre , fes accidens ont ceffé , la nature a
repris fon cours ordinaire , fans lui rendre ni
fon jugement ni fa mémoire. Elle refpire
» ella vit ; elle ne penfe plus. Son exiſtence eft
» celle d'un enfant qui ne connoit rien , & s'ighorelui-
même.
23
و د
33
OMER CURE
»
Dans quel trouble , dans quelle inquiétude
» me jeta ce trifte récit ! Où étoit ma fille ?"
où la chercher ? Il me fembla perdre une fe--
» conde fois ma chère Louife , en perdant l'ob
" jet de fes tendres affections. Je vis Mademoifelle
d'Arcy. Je fis d'inutiles efforts pour mé
rappeler à l'idée de cette malheureufe fille ;*
.. elle me regardoit en filence , m'écoutoit fans
paroître me comprendre ; & fi je prenois fa
inain , elle poutfoit des cris perçans , pâliffoit ,
» & montroit la plus grande frayeur. Je partis
pénétré de fon état , défolé de l'ignorance ou
ilmelaiffoit fur le fort dema fille . Mes.recher-
» ches à Lyon, fur ma route , furent infructueus
» fes . En arrivant à Paris , je vis fa gouvernante .
» Elle m'atfura que fon Élève étoit partie ave
» Mademoiſelle d'Arcy.Les gens de Dona Louife,
» reftés à la campagne en attendant mon retour,
» me le confirmèrent. Le Jardinier avoit con
و د
duit & fait plomber fes malles à la Doua de
& le coffre où étoit renfermé ce qui appar
tenoit à ma fille. Une peine bien amère vint
aigrir mes chagrims. Mon père , accablé de
langueur , déjà foible , abattu , me fut enlevé
" trois mois après mon retour à Paris . Vous
le pleurâtes avec moij & je me rappellerar
» toujours les preuves d'attachement que vous
" me domates duns cette trifte occafion, ft «
Il ne nie refte rien à vous apprendre. Le
temps que m'a laiffé le fervice & des devoirs
indifpenfables , je l'ai employé à ces voyages
» en Provence dont vous m'avez fait tant de
reproches. Je confervois toujours l'efpérance
20
4
DEFR A NICE. Si
23
≫ de tirer Mademoifelle d'Arcv de cet état de
bftupeur & d'enfance qui ,melaifloit dans une -
» fi cruelle incertitude. Les hommes les plus
» habiles ont tout tenté fans.fuccès . Les recherchesles
plus exactes, les plus minutieufes même,
faites cent fois de Paris à Lyon , dans la
» Ville , dans fes environs , ne m'ont rien ap-
»pris. Ma fille eft à jamais perdue pour moi!
» L'idée des malheurs qu'elle peut éprouver,
» fi elle refpire encore , me livre à cette mé-
» lancolie dont vous avez cru l'objet li bizarre.
» Je voudrois ne plus paroître à la Cour, fuir
» le monde , vivre dans une de ines terres ;
»mais le bonheur & l'élévation du: Marquis
» de Mullidan fufpendent mes projets de re-
» traite. Je l'aimai dès fon enfance . Ses heureufes
qualités ont toujours augmenté ma tendreffe.
Attrayant par la nobleſſe & les grâces
» de fa perfonne , aimable par fon caractère ,
» eftimable par fes fentimens, il mérite que je
» lui facrifie mes dégoûrs.Ne l'affligez pas en lui
» communiquant mes peines. Je mereprocherois
d'altérer un feul inftant la douce tranquillité
de fon âme.
ود
ל כ
"
1 .
J'accepte votre tendre invitation . J'irai
» yous trouver dès que le trifte événement
" prévu me permettra de quitter pour jamais
Marfeille........On m'interrompt ........
» Mademoiſelle d'Arcy ſe meurt . Ma dernière
- » eſpérance va s'anéantir , & vous me verrez
» peut-être à Nancé auffitôt que mon courier.
»
Pendant la lecture de ce cahier, mille mou82
MERCURE
1
vemens avoient agité le Maréchal. Des idées
vagues , adoptées , rejetées , le mêloient à
l'intérêt que lui infpiroient les chagrins de fon
ami. Il relifoit plufieurs endroits de ce manufcrit
, le quittoit , le reprenoit encore , voudoit
y trouver la confirmation de ces idées
confufes , enfantées par fes propres defirs ,
quand Madame de Nancé lui envoya la copie
desdétails demandés qu'elle venoit de recevoir
adu Couvent des Dames Annonciades . Il la
prit avec émotion, ſe hâta de la parcourir, &
trouva ce qui fuit :
ע
Le 24 Septembre 17**, Madame de Saint-
Ange , alors première Maîtreffe des Penfionnaires
, étant l'après-midi à fon parloir , occupée
à régler les mémoires de plufieurs Ouvriers
, y vit entrer une Dame jeune , bien
faite , dont l'air & la parure annonçoient une
perfonne au-dellus du commun. Cette Dame
lui préfenta une très -jolie petite fille , âgée
au plus de quatre ans & demi ; elle étoit en
deiil , & venoit de perdre fa mère . Celle
aqui le difoit ne put retenir fes larmes en
parlant de l'amie dont l'enfant lui étoit confé.
Forcée de partir le foir même pour la
Province , craignant d'expofer la petite à
trop de fatigue n'ofant l'abandonner au
foin d'aucun domeftique , elle fouhaitoit la
mettre au Couvent pendant fon abfence &
nocelle de fon père , actuellement en merpour
le fervice de fon Prince.
2
,
nu Madame de St. Ange éleva des difficultés
fur l'âge de lajeune Demoffelle, fur is attenDE
FRANCE. < 83
tions qu'il exigeoit ; mais l'offre de payer une
femme pour la fervir , & les grâces touchantes
de l'enfant , engagèrent à la recevoir avec le
confentement de la Supérieure , qui fut demandé
& obtenu. On infcrivit fur la lifte
des Penfionnaires , Clémence d'Artenay
fille du Comte d'Artenay Chef d'Efcadre
de la Marine Royale. Toutes les conventions
arrêtées , le Laquais de la Dame fit
entrer des hommes qui apportèrent fur des
brancards les meubles néceffaires , avec un
grand coffre & plufieurs caffettes . Madame de
Saint- Ange reçut des mains de la Dame un
inventaire de ce qu'ils contenoient , les premiers
fix mois de la penfion de Mademoifelle
d'Artenay , des gages & de la nourriture
de la Gouvernante que l'on fe changeoir de
lui donner. Elle ajouta trente louis de plus
pour des dépenfes imprévues , & pour fatisfaire
les fantaifies de la petite , fi elle ſouhaitoit
quelques bagatelles.
Ces arrangemens finis , lá Dame , qui paroiffoit
fe féparer de la jeune pêrfonne avec
un extrême regret , la prit entre fes
bras
,
l'inonda de fes pleurs , la recommanda fortement
à Madame de St. Ange la conduifit à la
porte de clôture , la careffa , effaya d'appaifer
fes cris , lui dit , lui répéta de fe fouvenir
de fa mère , de fon aimable & rendre mère ,
de prier pour elle , & pour l'heureux retour
de fon père. A peine la vit- elle entrée & la
porte fe refermer fur elle , que pouffant un
cri douloureux, elle courut toute en lar.nes à
84
MERCURE
fa voiture , s'y jeta promptement & partit,
Tout s'étoit palle affez vite & avec beau
coup de diftraction de la part de Madame de
Saint- Ange , fachée de faire perdre du temps
aux ouvriers qui attendoient d'elle le montant
de leurs mémoires. Après les avoir réglés &
payés l'efprit plus libre , elle fe rappela
qu'elle n'avoit demandé à cette Dame ni fon
nom ni le lieu où elle alloit. Elle s'étonna
de cet oubli , plus encore de la négligence
d'une perfonne qui paroiffant fi attachée à
l'enfant , devoit bien fonger à s'en procurer
des nouvelles ; mais elle fit alors peu d'attention
fur leur commune faute.
"On eutbeaucoup de peine à calmer la jolie
penfionnaire. Elle pleuroit amèrement , s'écrioit
: ma bonne amie ! ma bonne amie , où
allez-vous ? On vous cachera dans la Chapelle
avec maman , je ne vous verrai plus ;
on me dira de prierpour vous ! On lui fit mille
queftions fur fes parens , fur fa demeure , fur
la bonne amie qu'elle regrettoit. Ses réponſes
n'apprirent rien. Sa mémoire ne lui rappeloit
que des noms careffans & des épithètes enfantines.
Elle parloit de jardins , de vergers ,
de fleurs , d'oifeaux; on jugea qu'elle vivoit
à la campagne.
En rangeant fa chambre, on s'étonna de la
beauté de tout ce qui lui appartenoit. Les
meubles confiftoient en un petit lit de fatin
blanc doublé de la même étoffe, & d'une
forme très agréable ; deux fiées pareils ; une
petite toilette & plufieurs chofes utiles &
commodes.
DE FRANCE. 85
cemmodes. Le coffre renfermoit quantité de
très -beau linge ; des robes , des dentelles , des
rubans ; une profufion de parures à fon ulage.
Enouvrant les caffettes , la furpriſe augmenta.
On vit dans la première un écrin. Il contenoit
des braffelets de perles très rondes & de
la plus belle eau ; une chaîne des mêmes
perles , d'où pendoit une miniature entourée
de brillans ; elle repréfentoit une femme fort
jeune & fort belle. L'enfant dit que c'étoit
le portrait de fa mère. Il y avoit aufli des
boucles d'oreilles , plufieurs poinçons de dia
mans & des bijoux , dont la petitefle montroit
qu'ils étoient faits pour elle. Cette
caffette , & deux autres remplies de jouets, d'un
petit ménage de vermeil , & de milles jolies
bagatelles , donnèrent une haute opinion
de la fortune de Mademoiſelle d'Artenay ; &
quand le temps eut produit fur elle fon effet
ordinaire , elle fe montra fi douce , fi docile
fi aimable , qu'elle devint l'objet de l'affection
de toute la Communauté.
,
» Al'extrême furpriſe des Dames Annons
ciades, dix-huit mois s'écoulèrent fans que perfonne
fe préfentât pour voir cette Demoifelle.
Un oubli fi long , fi étrange , caufa
de l'inquiétude , porta ces Dames à faire des
recherches. On apprit à l'Amirauté qu'aucun
Officier de la Marine ne portoit le nom
d'Artenay ; aucun Chef- d'Efcadre de ce nom
n'y étoit connu. La Compagnie des Indes où
l'on s'adreifa , n'avoit aucun Marin qui le
portât . Cette fuppofition de nom & de qua-
No. 14, 8 Avril 1786.
E
86 MERCURE !
lité , éleva enfin des foupçons fur l'état de
l'enfant , fur le deffein de celle dont la mauvaife
foi devenoit fi apparente. Sans doute
obligée de prendre foin de la petite fille , cette
femme s'en étoit débarraffée par le vil artifice
qui en chargeoit la Maifon . Mais avec cette
baffe intention , comment lui auroit-elle laiſſé
fes perles, fes jouets, plufieurs bijoux de prix ?
On fe perdoit dans une foule de conjectures.
Le récit d'une Tourière fufpendoit encore
l'opinion des Religieufes fur la conduite de
cette inconnue. En caufant avec le Laquais
dont elle étoit fuivie , cette Tourière avoit
appris de lui qu'elle devoit partir trois jours
auparavant dans une chaife de pofte avec la
jeune Demoiſelle pour fe rendre à Lyon &
delà à Marſeille ; mais qu'effrayée par des
hiftoires de vols , d'affaffinats , elle prenoit
la Diligence , & n'ofoit expofer l'enfant à la
fatigue du voyage....... "
#
"
A peine le Maréchal avoit - il contenu la
vivacité de fes mouvemens en lifant ces détails.
A cet endroit il s'interrompit , & fe
levant brufquement : c'eft elle ! oui , c'eft
elle s'écria- t'il tranfporté , hors de luimême
il fonnoit , aappppeellooiitt , demandoit
Mademoiſelle d'Artenay , répétoit : ah , mon
Dieu , c'eft-elle ! Il traverfoit un péron pour
aller la chercher , quand une chaife de pofte ,
arrêtée au pied de l'efcalier , lui fit voir le
Chevalier de Mullidan qui en defcendoit.
Il pouffe un cri de joie , court au- devant de
Jui , l'embraffe , le preffe contre fon fein
DE FRANCE. 87
1
lui dit : elle eft ici , mon ami elle eft ici!
Le bruit qu'avoit fait le Maréchal en fonnant
avec violence , en appelant , venoit d'attirer
tout le monde auprès de lui . Le Chevalier
de Muffidan , frappé de la répétition de
ces mots , elle eft ici , demandoit avec émotion
: Eh ! qui donc eft ici ? Le Marquis de
Muffidan , charmé de voir fon oncle , vouloit
l'approcher ; le Maréchal le repouffoit , crioit
à Mademoiſelle d'Artenay : venez , aimable
Clémence , venez , fille heureuſe , dans les
bras d'un père qui vous cherche , qui vous
pleure depuis fi long-temps. Clémence ! répéta
le Chevalier , ah , Dieu , quel nom ! Seroit-
il poffible ? Des explications données avec
une joie vive , reçues avec tranſport , ne
laifsèrent aucun doute au Chevalier de
Muffidan. Les douces larmes de Clémence
, les effufions du coeur de fon père attendrirent
les témoins de cette touchante
reconnoiffance. On vouloit parler , on no
pouvoit s'entendre . On s'embraffoit On
pleuroit ; mais quel plaifir fe mêloit à ces
larmes que l'amour , la nature & l'amitié
forçoient de répandre !
>
Il feroit inutile de fatiguer l'attention d'un
Lecteur intelligent , par des détails qu'il
peut aifément fe faire à lui-même. La généreufe
, la conftante amitié de Zéphirine pour
Mademoiſelle de Muflidan , la rendit fi chère
à l'oncle de fon amant , qu'il l'unit avec plaifir
à l'aimable Marquis. Clémence , déjà fenfible
au mérite du Maréchal , le devint à
E ij
88 MERCURE
fon amour. Ces heureux mariages furent
célébrés à Nancé, & fuivis de fêtes brillantes.
Le Chevalier de Muffidan avoua fes premiers
engagemens , & n'en contracta point d'autres.
Inftruit par la fuite , de l'écrit des Dames Annonciades
, de la pieufe compaffion qui les
avoit portées à élever fa fille , à la traiter avec
bonté , à ne jamais lui faire fentir qu'elle
étoit inconnue & fans appui , il acquitta
magnifiquement fes obligations , & para leurs
autels des marques de fa reconnoiffance,
Avant de quitter la Normandie , la jeune
Marquife de Mullidan y fit une vifite à Mon→
fieur Rémond , qui vivoit alors dans fa terre ;
& fon mari trouva un moyen honnête de
lui faire accepter un préfent confidérable , en
l'offrant à une nièce qu'il mariqit . Le Chevalier
de Muffidan voyant dans fa charmante
fille l'image d'une femme adorée & toujours
regrettée , recouvra enfin cette paix du coeur
fi defirable , dont la poffeffion répand tant de
douceurs fur nos jours. Calme heureux ! que
tout être raisonnable femble ambitionner , &
qu'il éloigne toujours de lui , en fe trompant
fur les moyens de l'acquérir & de le conſerver,
321
DE FRANCE.
82
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE
E mot de la Charade eft Vertu ; celui
de l'Énigme eſt Bâton ; celui du Logogryphe
eft Plaifir , où l'on trouve Paris , fi , la ,
pair , air , ris , pari , pal, lis..
CHARADE.
Mon premier eft un animal ON
Dont tu feras la nourriture ;
Mon fecond un autre animal
Qui trouve par-tout ſa pâture ;
Mon tout encore un animal ,
Dont la grande progéniture
Pour bien des gens eft un régal.
( Par M. Duruchanoy , de Saint - Quenika, )
ENIGM E.
UN pié de ma
longueur
Eft la jufte mefare;
Il l'eft auffi de ma largeur :
Cependant du carré je n'ai point la figure.
( Par un Habitant de Paris .)
É iij
୨୦
MERCURE
LOGO GRYP H E.
SUR mes trois pieds j'établis ma grandeur ; ,
De m'approcher chacun brigue l'honneur ;
Sur deux je charme & la brune & la blonde,
Je fais courir jufques au bout du monde :
On brave pour moi le trépas ,
Tant on eftime mes appas.
Enfin , Lecteur , fi tu me décompofes ,
Tu me verras dans les métamorphofes.
( Par M. B. de Saint- Quentin , Abonné. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
ESS At fur l'Amour. A Amfterdam , & fe
trouve à Paris , chez les Libraires qui vendent
les Nouveautés. in- 12 . 54 pages.
Sous ce titre modefte , c'eſt un petit Ouvrage
plein d'efprit , de goût , de fentiment ,
de grâce & de philofophie , que nous annonçons.
Préfentons , autant qu'il fera poſſible ,
les idées de l'Auteur dans fes propres termes,
pour leur conferver & toute leur jufteffe &
tout leur agrément.
C'est un mélange de befoins phyfiques &
de fentimens moraux qui produit l'amour.
DE FRANCE. 91
Son premier effet eft de foumettre le fexe le
plus fort à l'empire du plus foible : l'amant ne
peut vaincre qu'en perfuadant qu'il eft vamcu
lui -même ; l'amante trouve dans la néceffité
de fe défendre , une raifon pour dominer;
& fa pudeur fait fa fupériorité : elle s'arme de
rigueurs , d'abord pour écarter l'eſpoir , enfuite
pour éprouver la conftance, Elle fait à
la fois tout ce qu'il faut pour exciter l'audace
& pour imprimer le refpect. Toujours attentive
à reculer fa défaite lors même qu'elle la
defire, toujours portée à la préparer lors même
qu'elle la craint , déployant fur fon amant
tout l'afcendant de la raifon & tout le charme
des caprices , l'arrêtant par des refus , l'encourageant
par des bontés , cherchant enfin à
prolonger le combat plutôt qu'à fortir de danger
, elle parvient à lui devenir plus chère &
plus précieufe par les obftacles même qu'elle
apporte à fon bonheur.
L'amour communique à l'ame un mélange
de force & de foibleffe . Les plus grands obftacles
ne fauroient rebuter un amant qui veut
voir fa maîtreffe , & la moindre rigueur fuffit
pour le défefpérer. L'amour ne laifle vois
qu'une chofe au monde , l'objet aimé.
L'amour produit le refpect en même tems
que les defirs. S'il n'etoit fondé que fur les
qualités de l'âme , il laifferoit les fens dans
l'inertie ; s'il n'étoit fondé que fur les charmes
extérieurs , il laifferoit le coeur vuide &
défoccupé. Le véritable amant eft épris également
des vertus & des attraits ; il eft tendre
E iv
92
MERCURE
& paffionné , refpectueux & ardent , délicat
& impétueux. Il foupire après la jouiffance ;
mais il veut lobtenir du fentiment. Il peut
bien être téméraire , mais non pas raviffeur ,
parce que , pour qu'il foit heureux , il faut
qut fon bonheur foit partagé.
Un amant eft feul au milieu des hommes ,
eu , s'ils fe font remarquer à lui , c'eft par la
gêne qu'ils lui caufent. Un homme ceffe d'être
homme , pour ainfi dire : du moment qu'il
aime , il eſt amant; s'il fe promène , c'eſt pour
penfer à fa maitreffe ; s'il s'arrête ,
c'est pour
y rever plus profondément : un amant n'a que
del'amour. Il a cependant des vertus ; l'amour
en fuppofe. Il n'y a qu'une ante noble & bien
faite qui foit fufceptible d'un fentiment fi
pur , fi défintéreffé , fi fublime. Il faut avoir
le goût du beau & de l'honnête , pour aimer
une fermé belle & vertueufe ; & pour lui
plaire , il faut lui reffembler. Un amant n'eſt
pas courageux , fenfible , humain , généreux,
parce qu'il aime . Il aime , parce qu'il eft né
courageux , fenfible , humain , généreux.
L'amour contribue cependant à développer
ces belles qualités & à leur donner de l'énergie.
Deux êtres qui fe conviennent , parce
qu'ils rempliffent aux yeux l'un de l'autre les
idées de perfection qu'ils s'étoient formées ,
ne peuvent que retirer de leur union un
degré de perfection de plus. Ils fe fervent
mutuellementd'exemple & d'encouragement.
Que l'amourfoit heureux ou malheureux
il développe également les qualités qui tien
DE FRANCE. 93.
nent à la fenfibilité. Les plaifirs & les peines
du coeur exercent le coeur également , & il
eſt toujours fenfible quand il eft exercé.
J'ai, dit l'Auteur , une opinion qu'on pour
ra trouver fingulière : je crois l'amour trèsfavorable
à certaines idées auffi confolantes
que fublimes , telles que l'existence d'un Être
Suprême , la fpiritualité de l'ame , fon immortalité.
Il adopte cette idée d'un Auteur Anglois
, que , dans un pays d'Athées , l'amour.
prouveroit l'existence d'un Dieu.
-Deux individus de fexe different , ne peuvent
fe diftinguer avantageufement aux yeux
l'un de l'autre , que par des qualités qui n'appartiennent
pas effentiellement & primitivement
à leur fexe ; mais qui fe fondant avec
leurs attributs conftitutifs , donnent à chacun
d'eux un air qui le caractérife : telles font
par exemple , les graces dans un homme &
la nobleffe dans une femme. Dans l'idée générale
que nous nous formons des deux fexes ,
les graces ne font point l'attribut du premier ,
ni la nobleffe celui du fecond. Nous trouvons
donc alors ces qualités où nous ne les cherchions
pas , & elles nous caufent une furprife
agréable ; mais il n'y a que des qualités fecondaires
qui puiffent ainfi fe tranfporter &
s'échanger avec fuccès d'un fexe à l'autre ;
les qualités primitives & conftitutives ne
pourroient que perdre à cet échange , en dénaturant
chaque fexe , & en lui ôtant fes
moyens propres de plaire . Hommes , laiffez.
la molleffe aux feinines ; femmes , laiffez la
Ev
94 MERCURE
vigueur aux hommes. Femmes , empruntez
des hommes la nobleffe , la vivacité , la conftance.
Hommes , empruntez des femmes les
graces , la douceur & l'aménité ; mais rapprochez-
vous fans vous confondre. Deux êtres
abfolument ſemblables ne fauroient s'attirer.
Que chercheroient-ils l'un dans l'autre ? Un
homme concevra de l'amour pour unefemme,
lorfqu'il verra fur ce fonds de foibleffe & d'indolence
, qui eft la baſe des qualités de fon
fexe , quelques traits adoucis de nobleffe &
de vivacite , & réciproquement il fera aimé
d'elle , fi elle voit fur ce fonds de force & de
folidité qui diftingue les hommes , quelques
traits ennoblis de délicateffe & d'agrément ;
car il faut que deux êtres faits pour s'aimer ,
different encore par ce qu'ils ont de ſemblable
, & que les qualités qu'ils fe communiquent
fe naturalifent chez chacun d'eux , &
fe frappent au coin de fon fexe.
Voyez les portraits des Héros de Roman ,
& fouvenez- vous que les bonnes fictions ne
font que des imitations de la Nature : l'amant
eft repréſenté grand , bienfait , agile , excelfant
dans tous les exercices du corps ; fon regard
eft fier, quoique doux ; vif, quoique tendre;
il étincelle également de plaifir & de colère
; fon front eft ouvert & affuré; fa voix
eft forte & fonore , fon accent élevé , ſes ſoupirs
brûlans. L'amante eft belle , d'un port
gracieux d'une taille finement arrondie ; elle
avance à pas légers , mais peu étendus ; on
diroit qu'elle ne marche que pour déployer
DE FRANCE.
95
l'élégance de fes mouvemens. C'est dans les
traits fur-tout que l'expreflion du plaifir eft.
agréable; une douce gaieté brille dans les yeux,
& la rougeur eft fur fon front , quand le foupire
eft fur fes lèvres. Voulez - vous la voir
plus intéreffante encore ? Voyez -la dans les
douleurs de l'amour. Un nuage humide offuf
que fa vue incertaine , qu'elle n'ofe fixer fur
l'objet de fon chagrin , quoiqu'un mouvement
involontaire l'y ramène fans ceffe ; fa
voix mélodieufe s'éteint dans les foupirs , &
fon fein agité femble s'avancer pour recevoir
fes larmes. Son amant demande pardon
à fes pieds d'une infidélité paffagère , & que
fon coeur n'a point partagée ; il jure de ne
jamais revoir celle qui l'a rendu coupable. A
ce mot , quel changement s'opère tout-à- coup .
dans le maintien de l'amante offenfee ! quelle ,
majeſté ſur ſon front ! quelle férénité dans
fes yeux ! fon ame généreufe s'élève au-deffus
des petiteffes de la jaloufie . Elle ſe plaint avec
douceur , pardonne avec dignité , & fon
amour pour un ingrat qui fe repent , s'accroît
encore par les bontés qu'elle a pour lui.
Il y a de certaines claffes d'hommes qui,
femblent plus faites que les autres pour
l'amour. Tels font les Guerriers. On fait la
fable des amours de Vénus & du Dieu des
combats ; il femble que ce fexe fi foible , &
qui porte jufques dans fes plaifirs le fentiment
de fa foibleffe , cherche une protection:
en même temps que des hommages , & que
le prix qu'il attache au courage , foit propor-
E vj
96
MERCURE
tionné à fa timidité. D'ailleurs , l'idée terrible
qu'on fe forme d'un Guerrier , ne contribue
pas peu à faire concevoir à une femme une
haute opinion de ſes charmes , lorfqu'elle voir
ce meme Guerrier dépofer auprès d'elle la
fierté de fon ame , & folliciter à fes genoux
un bonheur dont elle eft la fuprême difpenfatrice
elle eft Alattée par le contrafte de la
foumiffion de l'amant & de l'audace du guerrier
; plus elle le croit redoutable , plus elle
jouit de fa victoire , & fa difpofition naturelle
à la frayeur , tourne alors au profit de fa
difpofition non moins naturelle à la vanité.
-Les femmes reffemblent für cet article aux
enfans , qui tremblent de peur lorfqu'on leur
montre une épée nue , & qui aiment à jouer
avec , lorfqu'elle eft dans le fourreau. C'eſt ce
que repréfentoit le tableau d'Alexandre défarmé
par les Amours. L'un attachoit à fon
côté l'épée du Héros , & regardant à terre
fembloit s'étonner de fa longueur ; an fecond
s'avançoit d'un air fier , un javelot dans les
inains; deux autres unifoient leurs efforts
pour foulever un bouclier trop . pefant pour
eux ; le plus efpiègle de la troupe fe mettoit.
en embuscade derrière une large cuiraffe , &
la fineffe de fon fourire annonçoit quelque
niche qu'il vouloit faire à fes compagnons ;
c'eft ce joli tableau que M. de Voltaire a imité
dans la Henriade dea
Les folâtres Plaifirs , dans le fein du repos ,
es Amours enfantins défarmoicnt ce Héros ,
DE FRANCE. 97
L'un tenoit fa cuiraffe encor de fang trempée ;
L'autre avoit détaché la redoutable épéc ,
Et rioit, en tenant dans ſes débiles mains,
Ce fer , l'appui du trône , & l'effroi des humains.
Qu'on faffe , dit l'Auteur , déshabiller pat
les Amours un Solon ou un Hippocrate : on
aura un tableau grotefque, au-lieu de ce tableau
gracieux. Ce fera encore pis , fi l'on met en
Scène un Médecin ou un homme de Robe de
nos jours : la gravité déconcertée fait rire ; la
fierté adoucie , plaît & confole.
Aufli tous les Romans font leur Héros d'un
Militaire ; & indépendamment de toutes les
raifons qui viennent d'être dites , il y en aune
autre que voici : c'est qu'il faut que l'amant
ait une manière d'être qui le rende indépendant
du cours ordinaire de la vie civile. Il faut
qu'il n'ait en quelque forte d'autre devoir à
remplir que celui de plaire , d'autres intérêts
à ménager que ceux de fon amour. Imaginez
qu'un Magiftrat quitte fon Tribunal , un Médecin
fes malades , un Commerçant fes affaires
, pour courir après une maîtreffe : vous
ne verrez- là qu'un défordre, moral , qu'une
extravagance ridicule , & yous ne fentirez
point ce plaifir pur & fans mélange qui ré
fulte de la parfaite convenance des chofes.
La monarchie eft de tous les Gouverne
mens le plus favorable à l'amour. Dans les
Républiques , les femmes ne font qu'écono
mes & mères; les hommes feuls , à propre- A
ment patter , y font citoyens & libres; eux
MERCURE
12
feuls compofent l'État , &jouiffent de fa prof
périté. Dans les États defpotiques , un feul eft
tout ; le refte eft efclave , les femmes comme
les hommes. Dans les monarchies , les femmes
font des compagnes qu'on affocie à fon
rang, à fa fortune, a fes affaires , à fes plaifirs ;
les hommes font la partie folide de l'État , les
femmes la partie agréable ; les Loix & les Arts
font du département des hommes , les moeurs
& le goût font du département des femmes.
Ce n'eft que dans les monarchies qu'elles ont
de la raifon , de la fageffe & des graces , &
qu'elles font libres , aimables & refpectées :
c'eft donc là qu'il faut chercher l'amour ; ce
font-là ces belles contrées ,
Où d'un peuple poli les femmes adorées
Reçoivent cet encens que l'on doit à leurs yeux ,
Compagnes d'un époux & Reines en tous lieux ,
Libres fans déshonneur , & fages fans contrainte ,
Et ne devant jamais leurs vertus à la crainte.
L'Auteur déduit de fes divers principes une
grande vérité : c'eft que l'amour ne convient
qu'à très - peu de perfonnes ; il fuppofe dans
fon objet trop de qualités pour convenir au
vulgaire, il fuppofe trop de conftance pour
convenir aux efprits légers , trop d'ardeur
pour convenir aux efprits calmes , trop de
retenue pour convenir aux efprits violens
trop de délicateffe pour convenir aux efprits
fimples ; trop d'enthouſiaſme pour convenir
aux efprits froids ; trop d'activité pour conDE
FRANCE. 99
venir aux efprits indolens ; trop de defirs pour
convenir aux efprits fages ; trop de privations
pour convenir aux efprits libertins .
Il y a plus , dit l'Auteur ; il eft bon que
l'amour foit rare : il ifole trop , il eſt trop
exclufif, il abforbe l'ame toute entière , il
s'identifie avec l'exiftence , il eft la vie. L'amour
feroit dangereux dans une République où le
patriotifme doit dominer fur tous les autres
Tentimens. Il ne feroit pas moins dangereux
dans un État defpotique ; car il eft incompatible
avec la crainte , & il reconnoît une au
torité fupérieure à celle du maitre ; il convient
dans les monarchies à cette claffe d'hommes
préférés que leur naiffance deſtine à ne
rien faire. Fixé dans cette claffe , il y ferviroit
de frein aux mauvaiſes moeurs ; il apprendroit
aux hommes à refpecter les femmes , aux
femmes à fe refpecter elles-mêmes , & par- là ,
du moins , il feroit utile , pourvu qu'il ne fût
pas trop commun ; car une fociété compofée
d'amans , feroit un affemblage de membres
qui ne feroient point un corps : difons mieux ,
une pareille fociéte ne peut exifter.
« Mais fi nous fomines privés de l'amour,
que nous refte- t'il donc ? Ce qu'il vous refte !
la coquetterie , qui peut confoler bien des
femmes de l'abfence de l'amour ; la galanterie
, qui en eft le menfonge perpetue de la
part des hommes. Il refte aux honnêtes gens
& aux coeurs fenfibles la tendreffe ; à tous , le
plaifir , moins delicieux que la volupté des
100 MERCURE
amans , mais auffi mêlé de moins grandes
peines
"
Quand tout cela eft dit , il faut encore finir
par dire avec M. de Voltaire :
La foule des plaifirs , dont je veux tour - à- tour
Remplir le vuide de moi-même ,
N'eft point encore affez pour remplacer l'amour.
Et fi par la tendreffe que l'Auteur laiffe aux
honnêtes gens & aux coeurs fenfibles , il entend
l'amitié , nous dirons encore avec le
même Poëte :
Je la fuivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus fuivre qu'elle.
ESSAI de Fables nouvelles , dédiées au
Roi, fuivies de Poéfies diverfes & d'une
Épire fur les progrès de l'Imprimerie ,
par M. Didot , fils aîné. A Paris , chez
Didot l'aîné , rue Pavée S. André , Didot
fils aîné, & fombert jeune , rue Dauphine ,
près du Pont- neuf.
CET Ouvrage , avec fon titre modefte , n'en
eft pas moins un monument de famille : il
offre un phénomène très-intéreffant pour les
Arts. Compofé par M. Didot fils aîné , fon
père l'a imprimé avec des caractères fondus
par fon fecond fils ; & c'eft un modèle de
Typographie.
La réunion de ces trois talens pourroit feule
recommander cet.Ouvrage au Public ; le mé
DE FRANCE. 101
rite des Poéfies qu'il renferme , lui donne encore
un prix nouveau. L'amour que l'Auteur
témoigne pour La Fontaine dans fa Préface,
paroît plutôt un fentiment qu'une opinions
& c'eft en parlant de Poëtes tels que La Fontaine
, qu'on peut dire :
C'eft avoir profité que de favoir s'y plaire."
La facilité de M. Didot tient plus ſouvent
de la grâce que de la négligence ; & jamais
dans fes Fables l'efprit ne brille aux dépens de
la vérité. Le ſtyle n'en eft pas toujours châtié;
il est toujours naturel. On trouvera du fens
& un ton dramatique dans la Fable fuivante ,
intitulée: La vue courte & la vue longue.
Diftingues-tu là- bas ce chien
Qui garde ce troupeau dans ce gras pâturage ?
Non , mon ami : je n'y vois rien .
Mais tu vois cet autre qui nage ,
Difoit un homme aux yeux vifs & perçans
A fon camarade Myope ;
C'eſt-à- dire à l'un de ces gens
Dont les yeux ne font pas un fort bon télescope.
Ou done ? de quel côté ? Tiens , regarde
tout droit,
-
Là bas , au bout de mon doigt . ha
Le vois-tu ? - Non ; mais je me le figure."
Je te plains , mon ami ; je vois que la Nature
5.N'a pas fué beaucoup en façonnant tes yeux.
Moi! je ne m'en plains pas , dit l'autre , je tejure
102 MERCURE
7.
Je ne fuis pas né curieux.
-Oui ; mais de bons tableaux , une belle ftatue ,
Tu ne peux en juger , s'ils ne font fous ta vue;
Et ces objets font faits pour être vus de loin :
Fu le fais . Une armée en bataille rangée.....
Eh ! mon ami , de grâce , épargne-toi ce foin :
Ma vue à volonté peut-elle être changée ?
Daigne à ton tour m'écouter un moment :
Elle peut n'éprouver nul dépériffement ;
Auffi bien qu'en mon enfance
Je diftingue à préſent ; felon toute apparence ,
Les ans ne fauroient l'affoiblir ;
La tienne en pourroit bien fouffrir ;
Même il te faut déjà des lunettes pour lire ;
Et peut-être qu'avant vingt ans
Tu n'y verras pas trop , l'ami , pour te conduire.
Ne te vante donc plus de tes regards perçans.
Les dons de la fage Nature
Sont partagés avec mesuré :
Tu vois plus loin ; je verrai plus long-temps.
A la vérité , dans toutes les Fables de ce
Recueil , la moralité n'eft pas toujours auffr
marquée ; quelquefois même elles en font abfolument
dépourvues ; mais dans plufieurs
des Fables qui ne juftifient pas leur dénomination
, le feul titre changé en feroit encore
d'agréables Pièces fugitives.
Les Fables font fuivies de Poéfies diverfes
à la tête defquelles fe trouve une Épithalame ,
DE FRANCE. 103
ù l'on remarquera de très -agréables détails .
Le Poëte , après avoir chanté le bonheur des
deux époux , retrace les vertus qu'il defireroit
lui-même dans une compagne ; & il ajoute :
J'aimerois qu'elle fût jolie :
Je fais bien que pour le bonheur ,
La beauté n'eft pas néceffaire ;
Mais de tout temps elle fut en honneur ;
Et tous les peuples de la terre
Semblent juftifier le penchant de mon coeur ;
Quel que foit fon pouvoir, on ſe plaît à l'étendre :
Tout charme en la beauté , tout devient précieux ;
Un regard eft plus doux , le fon de voix plus tendres
Un fourire eft plus gracieux.
Vous , qu'aujourd'hui l'hymen engage fous fa loi ,
Les fouhaits de mon coeur ne peuvent vous déplaire ;
Si je fais tous ces voeux pour moi ,
C'eft que pour vous je n'en ai point à faire.
>
La Pièce qui termine le volume , l'Építre
fur les Progrès de l'Imprimerie , eft une efpèce
de Poëme qui avoit déjà paru avec fuccès.
En vain voudroit - on fe perfuader qu'un
Poëme didactique peut enfeigner l'art dont il
traite. On n'apprend pas même à faire des
vers dans l'Art Poétique de Defpréaux . Mais
il y a du mérite à rendre poétiquement les
principes d'un art quelconque ; & ce mérite
augmente quand les termes en font plus rebelles
à la Poéfie . Sous cet afpect , l'Hiſtoire
104 MERCURE
de l'Imprimerie offroit beaucoup de difficul
tés ; & M. Didot les a fouvent combattues
avec fuccès. Les citations que nous avons déjà
faites , nous ôtent le plaifir de citer encore
quelques détails qui pourroient juftifier cet
éloge.
Dans cette Épître , M. Didot rend un jufte
hommage à un père qui s'eft illuftré dans l'Art
de l'Imprimerie , & à qui cet Art fe trouve
aujourd'hui redevable d'une émulation généralement
répandue , qui ne peut qu'être
utile à fes progrès. Nous félicitons M. Didot
de parler de fon père avec une forte d'orgueil
: cet orgueil tient à la fenfibilité ; & fon
principe le rend digne d'éloge.
OBSERVATIONS fur les Obftacles qui
s'oppofent aux progrès de l'Anatomie
par M. Tenon , Profeffeur Royal au Collége
Royal de Chirurgie , de l'Académie.
Royale des Sciences. Multa viderunt recentiores
in corpore humano veteribus ignota ;
at quàm relicta funt pofterorum induftria
que nos adhuc fugiunt ! MANGET. A Paris ,
de l'Imprimerie de Ph.D. Pierres , rue
S. Jacques , 1785.
Voici un de ces Ouvrages dont l'utilité ne
fe borne point à une feule ville , à un feul
royaume ; mais dont les avantages s'étendent
à toutes les Nations policées. On y combat
des préjugés , les uns admis par des Savans ,
les autres embraffés par le peuple , tous égaDE
FRANCE.
105
lement contraires à l'avancement de l'Anatomie
, & par conféquent au bien de la Société.
L
L'Auteur s'y élève contre des Savans qui
fe perfuadoient que l'Anatomie avoit atteint
à la perfection dont elle eft fufceptible. II :
appréhende , fi leur manière de penfer s'accréditoit
, que le petit nombre de perfonnes
qui fe deftinent à l'étude de cette ſcience , ne
devienne encore moins confidérable , & que,
moins cultivée , le Public ne foit privé des
fecours qu'elle lui procure.
Il examine en même-temps le befoin que
les Anatomiſtes ont de fujets humains pour
apprendre l'Anatomie. Il en fait connoître.
Futilité ; il porte fon attention fur le refus
qui eft fait chez tous les peuples , de ces fujets
fi néceffaires aux progrès de cette Science : ilen
expofe les fuites funeftes. On ne peut difconvénir
que fes remarques ne foient fondées
; elles s'adreffent aux Nations les plus
policées , qui paroiffent n'avoir point porté
le flambeau de la raifon fur cet intéreffant
objet. Il fait connoître d'autres obftacles qui
arrêtent encore les Anatomiftes dans leurs
recherches. Nous ne pouvons le ſuivre dans
tous ces détails ; il faut lire l'Ouvrage même.
Nous nous arrêtons feulement à ce qu'il oppofe
aux Savans qui prétendent que l'Anatomie
eft tellement perfectionnée , que l'on
peut la négliger pour felivrer à d'autres étu
des , felon eux , plus étendues & moins avancéès.
1
MERCURE 106
9
30:
و ر
"Oui , certes , dit M. Tenon , elle a fait
de très -grands progrès , mais dans les objets
les plus apparens , dans ceux qui fe préfentent
les premiers fous la main ; & encore
» jufqu'à quel point ces premiers objets eux
» mêmes font-ils connus ? On fait quelle eft
la direction des muſcles , par exemple
» pour l'homme fait , dans l'inaction, lorfqu'il
» eft debout ou fitué horizontalement ; mais
» qui les a étudiés dans les autres poſitions
ور
22
où ils peuvent fe trouver quand il agit , &
» pour ne point pouffer trop loin l'examen à
ce fujet , dans le Gladiateur , dans le Portefaix,
lorfqu'il eft chargé d'un pefant fardeau?
» Qui s'eft affuré des changemens qu'ils
→ éprouvent dans les différens états où il faut
qu'ils paffent , pour que l'homme puiſſe ſe
» mettre dans ces diverfes attitudes ? Qui a
» jamais déterminé l'analogie , ou faifi la différence
que préfente un même muſcle ,
confidéré dans l'homme , dans la femme,
» dans l'enfant , dans le vieillard ? Quel Anatomifte
connoît la ftructure de la fibre muf-
» culaire , celle de la fibre tendineufe , les
» moyens d'union de ces deux fibres , les
» différences qui fe rencontrent entre les faif-
"
ceaux dont les muſcles font compofés ? Qui
» fit feulement quel eft le poids du fyftême
» mufculaire , du fyftême des os , du tiflu
→ cellulaire , &c. comparés avec celui total
» du corps de l'homme , de la femme , foit
» en fanté , foit après la maladie , & con-
» fiérés à différens âges , &c. ? »
DE FRA N.CE. 107
Il pourfuit l'examen des recherches qu'il y
auroit à faire en Anatomie ; & pour cela , il
conçoit des Anatomiftes à recherches naturelles
, des Anatomiftes à recherches pathologiques
, & des Anatomiftes confacrés tout
entiers à l'enfeignement. Il trace les occupations
de chacun d'eux : elles font immenfes.
Il voudroit que des Anatomiftes dégagés de
la pratique de l'art de guérir , dégagés de l'enfeignement
, fe livraffent uniquement à la
recherche de la ftructure naturelle du corps
humain & de celui des animaux.
:
ور
و ر
ac
Quels avantages ne recueilleroit -on pas,
» dit-il , des travaux de l'Anatomiſte ainfi
adonné à des recherches naturelles ? Il ne
> borneroit pas fes bienfaits , il feroit d'un
grand fecours aux Peintres , aux Sculpteurs ,
en ce qu'il leur feroit connoître des formes
» plus exactes & plus pures ; il offriroit aux
Méchaniciens des modèles fans nombre de
conftructions ingénieufes encore incon-
» nues , & peut- être préférables à quelques-
» unes de celles que l'Anatomie , moins ap-
» profondie , a déjà procurées à la méchanique.
99
"
» Il feroit utile aux Arts qui emploient les
cheveux , les poils , les laines & les autres
» fubftances cornées , par les recherches très-
» étendues qu'il y auroit à faire fur ces productions
; par conféquent aux Arts fondés
fur le feutrage & le tiffage. » Il étendroit
nos lumières fur l'optique , fur l'acouſtique.
Cet Anatomiſte jeteroit encore un certain
23
ور
108 MERCURE
jour fur ce qui regarde les poids & les mefures
répandus chez la plupart des peuples ,
en remontant aux étalons dont ils dépendent ,
& dont le plus grand nombre eft tiré du corps
humain objet d'une fécondité inattendue.
Combien d'autres recherches enfin n'auroitil
point à faire !
« L'Anatomie , envifagée de la forte , eft
une clé des autres Sciences Phyfiques ; on l'a
trop reftreinte , fans doute , quand on ne l'a
cultivée que relativement à l'art de guérir ,
quand on l'a laiffée aux mains feules des Médecins
& des Chirurgiens : elle demanderoit
des hommes capables de l'embraffer dans
toute fon étendue , & qui , uniquement dévoués
aux études & aux travaux infinis qu'elle
préfente , puffent la porter à la perfection
dont elle eft fufceptible. »
Ce travail eft accueilli de tous les Anatomiſtes
de Paris. L'Académie des Sciences ,
après l'avoir honoré de fon fuffrage , a deſiré
que l'objet en fût mis fous les yeux de l'Adminiftration
. Puiffent les autres états civilifés
de l'Europe , le prendre en confidération !
puiffent les Citoyens vertueux l'accueillir , &
les avantages dont l'Auteur voudroit faire
jouir le Public, avoir leur exécution !
*
SPECTACLES .
DE FRANCE. 109
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE.
ON a fait la clôture de ce Théâtre par une
repréſentation d'Horace , Tragédie de Pierre
Corneille , fuivie de la Partie de Chaffe de
Henri IV, Comédie de Collé . Entre les deux
Pièces , M. Saint -Phal a prononcé le Difcours
fuivant.
MESSIEURS ,
Il n'a pas toujours été difficile d'obtenir des fuccès
dans l'Art de la Comédie. Pendant long-temps cet
Art n'a été qu'un objet de délaffement pour la plus
grande partie du Public ; fes myftères n'étoient point,
ou n'étoient que très - peu connus ; & les Comédiens
ayant pour un petit nombre de juges à craindre , un
grand nombre de fuffrages à efpérer , jouiffoient
tranquillement & prefque fans peine du fruit de leurs
travaux . Peu à peu les lumières fe font étendues , le
goût s'eft perfectionné , l'amour de l'obſervation eft
devenu général ; alors le Comédien , éclairé fur fes
obligations , fur la néceffité d'un travail opiniâtre
fruit de l'étude & de la réflexion , a redouté, malgré
fon ardeur , fon zèle & les efforts , la févérité des
Spectateurs inftruits qu'il avoit à fatisfaire . Telle eft
depuis plus d'un demi-fiècle la pofition de la Comédie
Françoife. Animée par le defir de mériter les applaudiffemens
de fes juges , foutenue par la noble
N° . 14 , 8 Avril 1786. F
110 MERCURE
covie de conferver chez les peuples étrangers la gloire
dont y jouit le Théâtre François , elle n'en a pas
mcins connu l'importance du dépôt qui lui étoit
confié , la néceffité de répondre aux encouragemens
publics , & la difficulté des fuccès . Mais fi elle étoit
juftement effrayée par le tableau de fes devoirs , elle
a été long- temps raffurée fur l'inquiétude de plaire ,
par la présence des Sujets célèbres qu'elle poflédoit ,
par l'effee toujours entraînant du jeu de quelques
Comédiens recommandables par la fupériorité de
leurs talens , & qui toujours attendus avec impa
tience , reçus avec tranfport , applaudis avec enthou
fiafme , follicitoient pour des Acteurs , non pas moins
zélés , mais d'un mérite moins éminent , l'indulgence
des Spectateurs qu'ils enchaînoiert , pour ainfi
dire , à leurs volontés par l'afcendant de leur génie.
Ces beaux jours du Théâtre François ont déjà difparu
en partie : la mort & le temps ont déjà moiffonné
ou éloigné de la carrière un grand nombre de
ceux à qui vos propres mains , Meffieurs , ont accordé
la palme des talens . Menacés , il y a deux ans ,
d'une nouvelle perte fur laquelle vous avez daigné
partager nos alarmes , nous avons preffenti combien
il nous feroit moins permis de compter fur vos foffrages
. Le fouvenir de vos bontés , la reconnoiffance
de vos bienfaits ont retardé le moment de
notre malheur ; mais il eft enfin arrivé , ce moment
fatal ou cette perte eft rendue plus amère qu'elle ne
l'eût été alors , par les pertes qui doivent la ſuivre ;
& quelles pertes encore ! Ce n'étoit donc pas affez
pour nous de renoncer à nous inftruire dans le jeu
profond , favant & naturel de ce Comédien vraiment
inimitable , qui a fu prendre toutes les formes ,
parler à toutes les affections , exprimer tous les carafères,
à qui la Nature prodigua tous les avantages
qui conduisent à la perfection , ce tact exquis , ce goût
sûr , cette flamme du génie qui font les grands ArDE
FRANCE. TIT
tiftes! ( 1 ) Il falloit encore perdre dans une époufe
digne de lui , & qui a mérité d'être affociée à fa
gloire , un modèle de décence , de dignité , de nobleffe
, d'efprit & d'intelligence. (2 ) Il falloit voit
difparoître une des plus dignes Élèves de Thalie ,
dont le jeu fin , piquant & fpirituel , favoit fe plier
avec adreffe à tous les rôles d'un emploi difficile , où
le premier devoir eft d'exciter le rire fans jamais
heurter les principes de la délicateffe & du goût ! ( 3)
Il falloit enfin que Melpomène & Thalie cuffent à
s'affliger ensemble de la retraite d'un Acteur fu
blime , ( 4 ) dont le premier talent fut une ame brûlante
& vraie , qui parcourut avec un égal fuccès
tous les rôles de la Tragédie & de la Comédie ; qui ,
par la mobilité de fa phyfionomie , par l'art de modifier
les accens , peignit tour-à-tour , avec une vérité
frappante, la valeureufe férocité du vieil Horace,
l'orgueilleufe fenfibilité de Don Diègue , la noble
fermeté de Zopire , & la douce générofité d'Al
varès ; qui enfin , & ce dernier trait fuffit à ſon éloge ,
vous a paru digne , pendant un long cours de repréfentations
, de peindre le caractère & l'ame bienfaifante
du meilleur des Rois , du grand , du bon
de l'adorable Henri IV. Mais que fais - je , Meffieurs ?
Eft ce à moi qu'il convient de louer ceux que vous
avez appréciés , dont vous avez établi & fixé la réputation
? Ont-ils encore befoin d'éloges ; & les
fuffrages que vous leur avez accordés , n'ont - ils pas
plus fait pour leur gloire , que ne pourroient faire
toutes les reffources de l'éloquence ?
›
Permettez - nous , Meffieurs , de nous enorgueillir
à vos yeux d'avoir poffédé long- temps parmi nous
( 1 ) M. Préville .
(2) Mme Préville .
(3 ) Mile Fannier.
(4) M. Brizard.
Fij
12 MERCURE
ceux qui vont ceffer d'être les compagnons & les
modèles de nos travaux , & de chercher dans leur
perte même des fujets de confolation & des motifs
d'indulgence. Ils ne nous font pas fans doute , en
nous quittant , les héritiers de tous leurs moyens de
plaire ; mais ils nous en tranfmettent quelques- uns ,
puifqu'ils nous laiffent des exemples à fuivre . Ils nous
ent appris que le talent feul ne fuffit pas pour mériter
votre cftime & pour exciter votre intérêt. Ils
nous ont prouvé que le zèle , le travail , les efforts
& la modeftie font les refforts les plus sûrs pour
fixer votre bienveillance. Ne nous refufez donc pás
l'efpérance de mériter vos bontés en travaillant à
vous confoler, autant qu'il fera poffible , de vos pertes
& des nôtres ; & daignez , par vos encouragemens
comme par vos lumières , nous applanir le chemin
qui peut nous conduire à des fuccès dignes de la
Nation la plus éclairée dans les connoiffances de
l'Art Dramatique .
Le ton modefte & intéreffant avec lequel
ce Difcours a été prononcé par M. Saint-Phal ,
lui a fait obtenir des applaudiffemens très-vifs
& très- nombreux. Les quatre Sujets dont il
annonce la retraite , ont été reçus , dans la
petite Pièce , avec une ivreffe proportionnée
aux regrets qu'ils laiffent après eux. On les a
demandés à la fin du Spectacle ; ils ont paru
pour recevoir de nouveaux hommages , & les
larmes qu'ils ont verfées , ont donné au Public
attendri des preuves de leur reconnoiffance
& de leur fenfibilité.
Au N°. prochain, la clôture de la Comédie
Italienne.
DE FRANCE. 113
ANNONCES ET NOTICES.
NECDOTES intéreſſantes de l'Amour Conjugal ,
revues & expofées avec préciſion : in- 12 . de 138
pages. A Londres , & fe trouve à Paris , chez l'Éditeur
, rue Jacob , vis - à- vis la rue S. Benoît , Fauxbourg
S, Germain , & chez Hardoüin & Gattey , au
Palais Royal , nº , 14.
Cette Brochure renferme deux Anecdotes , dont
voici le fujet.
La première eft intitulée : l ' Amour Conjugal vainqueur.
Le Vicomte de Gatnon fe marie' par obéiffance.
Il avoit une maîtreffe vénale, plus vile encore
par fes fentimens , avec laquelle il renoue après fon
mariage. Quoique adoré de fa femme , il devient
le mari le plus injufte & le plus criminel . La Vicomteffe
ne pouvant plus vivre avec fon époux , s'enfuit
fans l'en avertir , avec fa Femme- de-Chambre , & fe
cache dans un Couvent fans fe faire connoître . L'Ab.
beffe , qui fe trouve par hafard la tante du Vicomte ,
l'invite à venir affifter à la cérémonie des Voeux
d'une nouvelle Religieufe. Cette Religieufe ( incident
très-inattendu par le Mari & le Lecteur ) ſe
trouve juftement la Comteffe , qui commence des
Voeux , que le Mari très -furpris l'empêche d'achever.
Alors,le Vicomte fe réunit à fa femme , qu'il ramène
chez lui, & rompt avec la maîtreffe, qu'il traite fort
mal.
La feconde Anecdote eft intitulée : l'Amour Conjugal
trompé par les apparences . C'eft un mari qui, fe
trouvant près d'un confeffional où le confeffe fa femme
, conclut d'une phrafe équivoque qu'il entend ,
qu'elle lui eft infidelle , & qui pouffe fa vengeance
Fiij
114
MERCURE
jufqu'à la murer dans une chambre , où il la
laifle prefque manquer de tout. Il reconnoît enfin
fon innocence , & l'expie par les remords & de bons
procédés.
On lira cette feconde Anecdote avec plus de plaifir
que la première. Il y ades traits de fenfibilité . Au refte,
on n'accufera pas l'Auteur de courir après une élégance
de ftyle trop recherchée . En parlant de la maîtreffe
du Vicomte de Gatnon , il dit que ces fortes de
femmes là , quand elles ne peuvent empaumer un nigaud
d'une façon , le gagnent d'une autre. Il faut remarquer
que ces deux Anecdotes font férieufes , &
que les Héros font des gens de qualité. Ailleurs il dit
que la Vicomteffe lâcha la bonde à les farces ; & plus
loin , le Vicomte dit à la maîtreffe , en la renvoyant :
que le diable & toute fa troupe te déchirent le coeur ,
comme les remords déchirent le mien.
OBSERVATION fur une Maladie nerveuse avec
complication d'un fommeil tantôt léthargique , tantôt
convulfif, par M. de Beauchêne , Médecin de
MONSIEUR , Frère du Roi , Brochure de vingtdeux
pages. A Amfterdam ; & fe trouve à Paris ,
chez Mequignon l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
Les Maladies nerveuses , réputées chimériques
autrefois , font reconnues très- réelles aujourd'hui ;
mais elles fe reproduifent fous tant de formes, qu'elles
échappent trop fouvent à la fagacité des Médecins.
Il feroit donc à defirer que chacun d'eux fît part de
fes découvertes en ce genre, pour parvenir à en faire
un jour un corps de doctrine . L'Obſervation que
mous annonçons peut concourir à ce but. C'eſt la
curation d'une Maladie nervenfe qui occafionnoit
par intervalle à la Malade un fommeil de plufieurs
heures. Les détails en font curieux à lire.
Le Défenfeur de l'Ufure , de rechefconfondu ; ou
DE FRANCE. 115
Nouveaux éclairciffemens oppcfés à ceux de la feconde
Edition de la Théorie de l'intérêt de l'argent ; par
l'Auteur du Livre des Principes fur l'Ufure , & de la
réfitation de ladite Théorie , imprimée chez Morin ,
à Paris , in - 12 , Prix , 2 liv . br . A Paris , chez
Morin , Libraire , rue S. Jacques.
Cet Ouvrage , dont le plan offre quatre divifions ,
traite de la règle des moeurs , de la nature & des
caractères du prêt & de l'ufure , de l'oppofition de
l'ufure au droit naturel , & de la condamnation qu'en
ont faite les loix divines , eccléfiaftiques & civiles.
PROVERBES Dramatiques . Deuxième Edition .
6 vol . in- 8 °. A Verfailles , chez Poinçot , Libraire ,
rue Dauphine ; & à Paris , chez Mérigot le jeune ,
Libraire , quai des Auguftins ; Nyon le jeune , Libraire
, quai des Quatre-Nations ; Laporte , Libraire
, rue des Noyers ; Belin , Libraire , rue Saint
Jacques , & Defenne , Libraire , au Palais Royal.
On connoît la réputation que M. de C……… s'eft
faite dans ce genre agréable. Ses Proverbes offrent
des apperçus de Comédie. Les fix Volumes que nous
annonçons de lui , donneront du plaifir aux Sociétés
qui s'amuferont à les jouer , & même aux Perfonnes
qui fe contenteront de les lire dans leur cabinet.
ORAISON Funèbre de très - haut , très-puiſſant &
très-excellent Prince Louis- Philippe d'Orléans
Duc d'Orléans , premier Prince du Sang , prononcée
au Service folemnel que MM. les Maire &
Echevins de la Ville d'Orléans ont fait célébrer en
l'Eglife Cathédrale , le 8 Mars 1786 , par M. de la
Foffe , Chanoine de ladite Eglife , & Bachelier en
Théologie de la Faculté de Paris . A Orléans , de
l'Imprimerie de Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi , rue Vieille- Porerie ; & fe trouve à Paris ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet
IIG MERCURE
quartier Saint-André- des- Arcs ; Cuchet , Libraire ,
rue & hôtel Serpente ; Belin , Libraire , rue Saint
Jacques , & chez les principaux Libraires du Palais.
Les Amateurs de l'Eloquence facrée auront fans
doute du plaifir à comparer les diverfes Oraiſons
Funèbres d'un Prince cher à la Nation. Celle de
M. l'Abbé de la Foffe a de la douceur & de la fimplicité
dans le ftyle & dans les idées. L'impreffion de
ce Difcours mérite des éloges.
SECONDE Suite de l'Aventurier François , contenant
les Mémoires de Caraudin , Chevalier de Rofamène,
fils de Grégoire Merveil , Tomes III &
IV, in-12. A Londres ; & fe trouve à Paris , chez
l'Auteur, hôtel de Malte , rue Chriftiue ; Quillau
l'aîné , Libraire , rue Chriſtine ; la Veuve Ducheſne,
Libraire rue Saint Jacques ; Belin , Libraire , rue
Saint Jacques ; Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins , & Defenne , Libraire au Palais Royal ..
Nous avons parlé des premiers Volumes de cet
Ouvrage , qui prouve au moins de l'imagination de
la part de fon Auteur.
THESEE domptant le Taureau de Marathon ,
gravé par F. A. David , d'après le Tableau peint
par Carle-Vanloo , premier Peintre de Louis XV
dédié & préfenté à MONSIEUR , Frère du Roi .
A Paris , chez l'Auteur M. David , rue des Cordeliers
, au coin de celle de l'Obfervance ; & chez
Verrier , Négociant , au Palais Royal , n ° . 9.
Cette Eftampe a deux pieds fix lignes de longueur,
fur un pied quatre pouces de hauteur. Prix ,
15 liv. Cette riche compofition , où il fe trouve
près de quarante Figures , mérite d'être diftinguée
tant par l'enſemble des proportions , la fimplicité
des contours , l'excellence des caractères , que par
l'harmonie qui réfuite de l'union des couleurs ,
des
DE FRANCE. 117
effets de leurs ombres & de leurs reflets différens ,
-ce qui a toujours fait regarder ce Tableau comme
le chef- d'oeuvre d'un des plus célèbres Peintres de
l'Ecole Françoife.
LE Général Magnanime , Eftampe deffinée par
Pernotin , gravée par Malbefte . Pix , 3 liv A
Paris , chez Bergny , Marchand d'Eftampes , rue
Coquillière , & à l'hôtel de Penthièvre , vis - à -vis la
Place des Victoires.
Cette Eftampe , dédiée à M. le Duc de Montmorency
, repréfente un trait héroïque rapporté par
M. Déformeaux : « Henri II , Duc de Montmo-
» rency , affiégeoit en 1621 la Ville de Valz en
» Vivarais ; un de fes Maréchaux de Camp , le Ba-
» ron de Morèze , s'étant approché de trop près de
» la Place.pour la reconnoître, fut tout à-coup enveloppé
par les ennemis , & percé de coups . Le Duc
» de Montmorency fe jette à corps perdu dans la
mêlée , écarte l'ennemi par des prodiges de valeur
, charge l'Officier bleffé fur fes épaules , &
» le ramène au camp au milieu des acclamations de
» fon armée . »
ל כ
כ
Cette Gravure plaira aux Amateurs , par le foin.
des détails & l'effet de l'enfemble.
PORTRAIT de Louis Gillet , dit Ferdinand ,
Maréchal-de- Logis au Régiment d'Artois Cavalerie,
deffipé d'après nature par Borel , le 13 Février
1786 , avec permiffion de M. le Comte de Guibert ,
Gouverneur de l'Hôtel Royal des Invalides , gravé
par E. Voyfard , Graveur ordinaire de Mgr. Comte
d'Artois. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Harpe ,
No. 18. Le Maréchal- de- Logis , par les mêmes.
Tout le monde connoît l'Histoire intéreffante de
Louis Giller ; on affure que le Portrait que nous annonçons
eft très- reffemblant. Au bas fe trouvent
---
118 MERCURE
le moment
gravés deux médaillons qui repréfentent , l'un , Louis
Gillet délivrant la jeune fille , & l'autre ,
où il la rend à fes parens. Quant à l'eftampe , qui eft
d'un format un peu plus grand , & qui repréfente ce
Maréchal de Legis aux prifes avec les deux fcélérats
, elle nous a paru d'une compofition intéreflante ,
& gravée avec beaucoup de foin & d'effet.
TRAITE d'Anatomie comparée par Alexandre
Mouro , Docteur en Médecine, &c . publiépar fonfils,
Alexandre Mouro, Docteur en Médecine, Profeffeur,
&c. Nouvelle Édition , corrigée & confidérablement
augmentée , avec des notes traduites de l'Anglois par
M. Sue fils , Membre du Collège & de l'Académie
Royale de Chirurgie , & c. in - 12 . Prix , 2 liv. br. ;
2 liv. 10 f. relié . A Paris , rue & hôtel Serpent .
On n'accufera point le Traducteur de cet
Ouvrage , de ne pas entendre la matière dont il
traite , ce qui arrive quelquefois. L'Ouvrage origi
nal , bon par lui même , a reçu un nouveau prix des
augmentations qu'on vient d'y faire en le traduifant
en François. Plufieurs Gens- de- Lettres y ont mis la
main , comme l'annonce le Traducteur dans fa Préface.
Il eft certain que l'Anatomie comparée deit
répandre les plus grandes lumières fur l'art de guérir
& cet Ouvrage peut amufer encore ceux à qui il
n'eft pas utile , c'eft- à- dire ceux qui ne font pas
une étude de l'Anatomie.
LES Promenades de Clariffe , ou Principes de la
Langue Françoise à l'ufage des Dames , par M.
Tournon , dixième Cahier. A Paris , chez Cailleau ,
Imprimeur-Libraire , rue Galande , no. 64 ; Jombert
jeune , Libraire , rue Dauphine ; Mérigot , Libraire
, vis- à-vis de l'Opéra & Bailly , Libraire ,
rue Saint Honoré , Barrière des Sergens.
DE FRANCE. 119
Cet Ouvrage , qui joint à l'avantage de préfenter
avec clarté les Elémens de notre Langue , l'intérêt
d'une action morale, fe continue avec luccès . Il mérite
d'être diftingué de ceux du même genre qui ont
paru depuis dix ans .
NOUVELLES inftructives Bibliographiques , Hif
toriques & Critiques de Médecine , Chirurgie &
Pharmacie , ou Recueil raifonné de tout ce qu'il importe
d'apprendre chaque année pour ê re au courant
des connoiffances & à l'abri des erreurs relatives à
l'Art de guérir , année 1786 , Tome II , in- 16. A
Paris , chez Méquignon l'aîné , Libraire , rue des
Cordeliers,
C'eft fans doute une idée heureufe que celle d'un
Ouvrage deftiné à nous faire part des heureufes dé-
Couvertes qui fe font journellement dans l'Art de
guérir , & à nous prémunir contre les erreurs qui
peuvent influer fur notre exiftence. Le plan nous en
a paru bien tracé & bien exécuté . On voit que c'eft
l'Ouvrage d'un bon efprit , & d'un homme trèsinftruit
de la matière qu'il traite. L'Auteur eft quelquefois
févère dans fes jugemens , & par-là même
bien des gen le trouveront injufte ; mais tout Lecteur
fenſé le fouviendra que c'eſt fur- tout dans ce
genre qu'une fade complaifance feroit auffi coupable
que dangereufe .
LA MUSE Lyrique , ou Journal de Guittare ,
dédié à la Reine , par M. Porro , année complette
1785. Prix , 12 liv. , & 18 liv. franc de port. A
Paris , chez Mme Baillon , rue Neuve des Petits-
Champs , au coin de celle de Richelieu.
Ce Journal, dont il paroît deuxNuméros détachés
tous les 15 jours , eſt à ſa ſeizième année , & ſe con
tinue toujours avec fuccès,
120 MERCURE
Nouvelles Etrennes de Guittare , ou Choix des
plus jolies Chanfons nouvellement mifes en Mufsque
& mêlées de Pièces , terminées par une Sonate
& des Obfervations fur la Guittare , par M.
Porro ; uvre cinquième de Guittare . Prix , 7 liv.
4 fols franc de port par la pofte . A Paris , chez
l'Auteur & Mine Baillon , Marchands de Mufique ,
à l'adreffe ci deffus . Troiſième année 1786. La Collection
des trois années coûte 21 liv. franc de
port.
NUMEROS 14 à 20 des Feuilles de Terpfychore
pour la Harpe & pour le Clavecin. Prix , 1 liv. 4 fols
chaque. Abonnement , 30 liv. pour chaque Inftru .
ment , dont il paroît une Feuille tous les Lundis. On
foufcrit chez Coufineau père & fils , Luthiers de la
Reine , rue des Poulies.
INSCRIPTI
TABLE.
TION pour le Por- Effai fur l'Amour,
trait de M, Molé,
Couplets ,
61 Ellai de Fables nouvelles , 100
62 Obfervations fur l.s Obstacles
qui s'opposent aux progrès
64 de l'Anatomie ,
Fin de l'Hiftoire des deux Jeunes
Amies ,
Charade, Enigme & Logo Comédie Françoise ,
gryphe ,
104
109
891 Annonces & Nonces , 11;
APPROBATION.
J'AI la , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 8 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion . A
Paris , le 7 Avril 1786, GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 15 AVRIL 1786,
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
FRAGMENT fur l'Influence du Phyfique
de l'Hommefurfesfacultés intellectuelles.
LA vie avec le fang circule dans nos veines ::
Tel un ruiffeau léger qui s'enfuit dans les plaines ,
Divifant fes tréfors en différens canaux ,
Porte aux prés altérés le tribut de les eaux ,
Des roféaux de fes bords nourrit l'ombre naiffante,
Et , fecourant des fleurs la tige languiffante ,
Court abreuver des champs l'ingrate aridité ,
Et répand la richeffe & la fécondité .
Telle du frêle corps la liqueur vagabonde
Roule en mille canaux la pourpre de fon onde ;
Des membres languiffans ranimant la vigueur ,
No. 15 , 15 Avril 1785,
G122
MERCURE
Nourrit leur embonpoint , colore leur fraîcheur ,
Dans le cerveau brûlant fait naître la penſée ,
S'enfuit , revient au coeur , & fans ceffe chaffée ,
Vers les extrémités coule rapidement ,
Et par- tout dans fon cours porte le fentiment.
DE mon pouls inégal que la marche incertaine
Introduife la fièvre en ma brûlante veine ,`
Mes efprits en défordre , errans , tumultueux,
Portent dans mon cerveau leur délire fougueux.
Que d'un fang épaiffi la pourpre rembrunie ,
Des diverfes humeurs détruiſant l'harmonie ,
Dans les vaiffeaux gonflés circule lentement ,
Le corps dans la langueur fe traîne pefamment ;
De l'efprit affaiffé la tardive penſée
De nuages obfcurs eft toujours éclipfée.
Pourquoi faut- il qu'au corps le génie aſſervi ,
De tous les maux du corps fans ceffe poursuivi ,
Du temps & des faifons éprouve l'inconftance ,
D'un ciel fombre ou ferein fubiffe l'influence ;
Qu'un air vif& piquant excite ma gaîté ,
Aninte mon efprit de fa vivacité ;
Que du vent du midi les vapeurs accablantes
Relâchant de mon corps les fibres languiffantes ,
De mes pefans efprits amortiffent les feux?
O toi , Chantre divin des querelles des cieux !
Toi qui , dans les tranfports d'une héroïque audace,
Du père des mortels as chanté la diſgrâce ,
Et les combats livrés dans les plaines des airs ,
DE FRANCE 823
Les délices d'Éiden & l'horreur des enfers ,
Rarement t'agitoit le fouffle d'Uranie ;
Les étés defféchoient la fleur de ton génie.
Tu n'avois plus en toi ce talent créateur
Qui des cieux & d'Homère atteignoit la hauteur ;
Le grand Homme rampoir ignoré fur la terre ,,
Tantôt homme divin , tantôt mortel vulgaire .
( Par M. de la Valette. ) :
ACROSTICHE.
Nous engageons dorénavant les perfonnes .
qui s'occupent d'Acroftiches , à ne pas nommer
dans les vers ce qui en fait le fujet.
L'Acroftiche eſt une eſpèce d'Enigme , dont
on doit trouver le mot en raffemblant les lettres
qui commencent chaque vers. Le foin
que nous defirons n'ajoute guère à la difficulté
, & c'eft une exactitude de plus.
I.
A mort n'a point frappé d'auffi chère victime ;
tit plutôt que nos pleurs l'Oder aura tari.
Offrant à fes vertus le tribut de l'eſtime ,
énétré de respect pour ce Prince chéri ,
n ne s'étonne point de l'ardeur qui l'anime :
e plusbeau fang couloit dans fon coeur magnanime
eux Héros l'infpiroient , Frédéric & Henri.
( Par M. le Marquis de Fulvy.
Gi
824
MERCURE
I I, -
← A terre , de fa gloire en tous lieux fut remplie ,
t feul , en le perdant , fon pays abattu
Ofa fe plaindre au ciel de fon trop de vertu .
cuples infortunés ! déplorable patrie !
O ! combien votre fort auroit fait de jaloux !
Horfque pour deux fujers il a donné la vie ,
evenu Souverain , qu'auroit- il fait
I I I.
pour tous?
ES Princes , endurcis par la grandeur altière ,
coutent rarement la voix des malheureux.
O fublime Brunſwick ! quel effort généreux !
our fauver des mortels tu perdis la lumière ,
Objet infortuné de la fureur des eaux !
'indigent orphelin en toi pleure fon père ,
ans toi l'Univers pleure & l'homme & le Héros,
( Par M. H..... )
I V.
ODER eft débordé ; les peuples du rivage,
n butte à fes fureurs , fous les flots vont périr :
On frémit, le péril étonne le courage ; •
erfonne en ce danger n'ofe les fecourir....
d'un fublime coeur , noble mais trifte uſage !
éopold..., il s'élance .... il fuccombe à l'orage....
ieux ! combien de vertus l'onde vient d'engloutir !
( Par M. Traverfier. )
DE FRANCE.
123
V.
← trépas dans nos coeurs te fait vivre à jamais
n mourant , tu fis taire & rougir l'égoïsme.
Léopold! reçois nos larmes , nos regrets :
our nous , quoique étranger , tout grand Homme
eft François.
On admire en pleurant ton füneſte héroïſme :
'Oder de tes beaux jours éteignit le flambeau ;
ans les flots tu trouvas ta gloire & ton tombeau.
( Par un François . )
V I.
ÉOPOLD à Francfort enfeveli dans l'onde ,
n fauvant des humains qu'engloutiffent les flots
Offre aux coeurs généreux l'exemple d'un Héros ,
rès du Trône placé pour le bonheur du monde.
Oublions que de Mars il fuivit les drapeaux :
a guerre dont il fit un noble apprentiſſage ,
evoit moins que la paix illuftrer fon courage.
(Par M. de C*** , Officier de Canoniers. )
Acroftiche qu'on propofe :
LOUIS GILLET.
Prefque tous les Arts ont célébré l'action
très- connue de ce brave Maréchal- des-Logis ,
qui , ayant eu le courage de délivrer une jeune
fille de deux fcélérats qui l'avoient attachée
Giij
126 MERCURE
nue à un arbre , eut encore la délicateffe de
refufer fa main , tant parce qu'il s'eftimeir
trop vieux pour elle , que pour ne pas abufer
de fon titre de bienfaiteur.
Avisfur les derniers Bouts-rimés.
Dans les derniers Bouts - rimés propofés
il s'eft gliffé une fante qu'il faut rectifier. A
la feptième time , au lieu de Pandour, il faut
fubftituer Tour. Les perfonnes qui ont déjà
envoyé , font priées de revenir fur leur feptième
vers , & d'y rétablir cette nouvelle.
sime.
Explication de la Charade , de l'Enigme
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Verrat ; celui
de l'Enigine eft Soulier ; celui du Logogry
phe eft Roi , où l'on trouve er , Io.
DE FRANCE 127
CHARADE.
ON fe pique fouvent faute de mon premiers
Piqué , fouvent on chante mon dernier ;
Mon tout fouvent confcle un irgrat héritier.
(Par M. le M. de B... )
ENIGM E.
POUR n'avoir pas connu ce dont je fuis capable
Un Saint Homme commit un crime abominable ;
Un Général fameux , chez les Juifs renommé ,
Se vit fans tête un jour pour m'avoir trop aimé ;
Croiriez-vous cependant , chofe très véritable ,
Le premier innocent , & le dernière coupable ?
( Par un Payfan d'Argenou. }
LOGOGRYPH E.
E fuis fils de l'Amour ; la jeuneffe eft ma mères
Mes parens m'ont permis le doux efpoir de plaire
Le plaifir eft mon but , & l'hymen mon tombeau ,
Si fon frère en fes mains ne remet fon flambeau.
Je n'ofe me montrer aux jours de la fageffe ;
Le ridicule alors puniroit ma foibleſſe :
Un fexe fans égards ſe plaît à m'afficher ;
Giv
28 MERCURE
L'autre met conftamment ſes ſoins à me cacher.
J'offre peu de rapports : cinq pieds forment mon être ;
En les décompofant , à vos yeux vont paroître
Ce qui fur quelques fronts remplace les cheveux ;
Un nom qu'on donne aux Rois ; ces enfans trop heureux
,
Efclaves empreffés de la charmante Hélène ;
Ce qu'on voit à fon doigt fix jours de la femaine ;
Dans les brefs du Saint- Père un mot toujours placé ,
Et qui dans nos difcours n'eft jamais prononcé ;
Ce jeu que devant Troye iaventa Palamède ,
Contre lequel les loix n'offrent qu'un vain remèdes
Le fynonyme ancien de cette paffion
Qui roit au camp des Grecs tant de divifion ;
Deux notes de mufique ; un grain qui dans l'Afie
Des peuples malheureux foutient la triſte vie.
Voilà tous mes rapports . Ne vous offenlez pas ,
Beau fexe , fi toujours je vole fur vos pas :
Ouvrage de vos yeux ,de votre doux fourire ,
Ma place eft dans les coeurs foumis à votre empire ;
Malheur à tout mortel peu fait pour le plaifir ,
Qui , forcé d'admirer, ne peut plus me fentir !
( Par M. D. R. M. A M. D. R. D. B
DE FRANCE. 129
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
VOYAGE deM. de Mayer en Suiffe en 1784 ,
ou Tableau Hiflorique , Civil, Politique
& Phyfique de la Suiffe . A Amfterdam , &
fe trouve à Paris , chez Leroy , Libraire ,
rue S. Jacques , 1786. 2 vol. in- 8 °.
Left des Ouvrages de Littérature trèsinnocens
, fur lefquels la critique auroit tort
de s'appefantir. Vous préférez Virgile à Homère
, ou Shakeſpeare à Racine à votre
aife ; qu'importe ces opinions à la fociété ?
Qu'après un fiècle de jugemens , de phrafes
& de puérilités fur Racine & Corneille ,
fur Longin & Boileau , fur le goût & le
fublime , on vous entretienne encore de ces
nouveautés d'hier , afin que l'univers foit
inftruit de ce que penfent de ces lieux communs
les gens d'efprit qui raifonnent fur
le génie , perfonne n'a le droit de s'en plaindre
; autrement , le ridicule de ces graves
difcuffions s'attacheroit à l'importance avec
laquelle on les examineroit févèrement ;
mais cette tolérance devient outrée envers
les Ouvrages où l'on juge les Nations . Elles
ne peuvent refter indifférentes fur des
Arrêts qui tendroient à leur enlever l'eftime
G V
130
MERCURE
des autres peuples ; & quiconque fe hafarde
à les prononcer , doit prévoir que les gens,
inftruits les vérifieront avant de leur attacher
le fceau de l'opinion.
Peu de Voyageurs font d'un âge & d'un
caractère affez mûrs pour obferver. Les:
Chardin , les Cook , les Pallas font perdus.
au milieu d'une bibliothèque immenfe d'impoftures
débitées par des faifeurs d'Itiné
aires. Autrefois , du moins , l'objet de ces
relations étoit circonfcrit , on les mettoit en
chanfons , quelquefois très-gaies : aujourd'hui,
chaque Voyage eft une Encyclopédie leurs
Auteurs ne fe promènent pas pour s'amufer ,
c'eft pour imprimer à leur retour. Ont-ils tra
verfe quelques villes, interrogé quelques poftillons
, vifité quelques affemblées , ils deviennent
les arbitres du fort de la contrée..
Craignant de paroître fecs, s'ils fe borncient à
en décrire les productions , les fites , les
édifices , dans leur chaife- de-pofte , ils en caractérisent
les moeurs & les Gouvernemens :
d'un coup d'oeil ils pénètrent le bien ou
le mal , apprécient les perfonnes , comme
s'ils parloient de leurs condifciples ; les loix ,
les habitudes , le degré de génie , l'efprit géné
tal , rien ne leur échappe ; & des Lettrés fi
bien inftruits , finiffent toujours par donner
des leçons au peuple qu'ils ont profondément
étudié deux mois entiers. Tous les Journaux
les louent , les Importans les citent , les
Compilateurs les copies .
DE FRANCE. 131
La plupart de ces Journaux de Voyage ont
par conféquent dégénéré en fatires impertinentes
, ou en panégyriques enthoufiaftes ,
felon les préjugés , la patrie , les habitudes
de l'Écrivain , qui ne devroit avoir ni préjugés
, ni patrie , ni habitudes.
Les Lecteurs à qui le véritabe état de la
Suiffe eft familier , décideront fi M. de
Mayer a encouru ou non quelques- uns des
précédens reproches. Plus facilement que
d'autres , il a pu les prévenir , puifqu'il
arrivoit à la fuite de trente Voyageurs
éclairé de leurs lumières , averti de leurs
erreurs , prêt à s'enrichir de leurs omiflions.
En Suiffe même , on l'aura mis en garde
contre ces relations précipitées , dont plus
qu'un autre il feroit inexcufable d'avoir
imité l'inconfidération..
C'est un contraste digne d'arrêter l'Obfervateur
, que celui des Voyageurs Anglois &
François dans leurs remarques fur la Suiffe.
Jamais la différence du Gouvernement , du
caractère , des préventions des deux peuples ,
n'a été plus fortement exprimée . Entre les
premiers , on a fur-tout diftingué M. Coxe
Ses Lettres embraffent la Suille fous tous
fes rapports phyfiques & inoracx ; univerfa
lité qui , fans doute , a puiffamment contribué
au fuccès de cer Ouvrage. M. de Mayer
réclame contre cetté réputation , mais par
des argumens peu concluans : M. Coxe ,
dit- il , étoit inconnu ; certainement, le favane
Auteur des Découvertes des Ruffes , & Cr
Gvj
MERCURE
>
n'étoit point inconnu en Suiffe , où la Traduction
de fon Recueil avoit été réimprimée.
Il ignoroit l'Allemand & l'Italien. M. Coxe ,
qui dans ce même Recueil a donné de très:
longs extraits de Muller , ne l'a pas fait
fans favoir l'Allemand ; mais il avoue le
parler peu. Quant à l'Italien , il n'eft d'uſage .
en Suiffe , que fur les frontières orientales.
Enfin , M. de Mayer trouve M. Coxe trop
paffionné pour la liberté. Cependant , cet
Ecrivain ne fe paffionne guères ; & d'ailleurs
, où fe trouveroit cet enthouſiaſme
fi ce n'eft dans le coeur d'un Anglois ,
écrivant fur le berceau de Guillaume Tell ?
A plus jufte titre , M. de Mayer pouvoit reprocher
à M. Coxe des erreurs effentielles
fur la légiflation , fur l'économie politique ,
fur le droit public , fur la ftatiftique , fur les
moeurs de la Suiffe ; beaucoup d'affertions hafardées
fur parole ; une féchereffe quelque- .
fois rebutante , & un ton toujours didactique ,
foit qu'il analyfe un Gouvernement , foit
qu'il décrive fans les peindre les objets phyfiques
les plus propres à ébranler l'imagination.
Ces défauts , il eft vrai , font rachetés
par l'efprit jufte de l'Auteur , exercé en Angleterre
même à étudier les formes Républicaines,
& par fon érudition : érudition indifpenfable
, quoi qu'en dife M. de Mayer ; car ou
apprendre à connoître les Nations , fi ce n'eft
dans leur Hiftoire ?
Cette imperfection du Voyage de Suiffe le
plus eftimé, prouve de plus en plus que , pour
DE FRANCE. 133
juger fainement cette contrée , il faut recourir
aux Écrivains indigènes , & les méditer.
M. de Mayer femble avoir négligé cette précaution
, en donnant trop de confiance à des
apperçus , en décidant au- lieu de douter ,
& én jetant fur le papier le Journal de fes
courſes avec autant de rapidité qu'elles pàroiffent
avoir été faites : je dois à l'estime que
mérite l'Auteur, & à la Suiſſe même, à laquelle
j'ai le bonheur d'appartenir , de juftifier cette
'opinion , fans déguifer les parties recommandable
de cet Ouvrage.
En mettant le pied en Suiffe , l'Auteur
s'annonce fujet d'une Monarchie & habitant
de Paris : il tourne en dérifion les loix fomptuaires
, & trouve ridiculé de bannir le
luxe d'une villa commerçante. Cette ville eft
Bafle , qui , ainfi que Genève , ne fubfiftant
en grande partie que du commerce d'économie
, ne fauroit trop conferver à fes moeurs le
caractère que prennent fes fpéculations ; mais
nous verrons enfuite que M. de Mayer a abfolument
méconnu le motif de ces réglemens
qu'il a l'imprudence de décrier .
La ville de Bafle contient elle feule les
» deux tiers de la population du canton ; "
Bafle a 14 mille habitans , & le canton
entier 38 mille . Celui- ci a 28 lieues quar-.
rées de 25 au degré , chacune defquelles , par
conféquent , renferme environ 1400 habitans.
Les feuls Citoyens de la ville ont part aux
charges , ce qui défigure étrangement la
» démocratie. Dans celle- ci , il faut qu'il y ait
134 MERCURE
plus de Citoyens Magiftrats que de Citoyens
fimples particuliers. Saififfez certe nuance
qui vicie à Bafle la démocratie , & marquez
» fur vos tablettes : là , on n'eſtpas pleine-
» ment libre.»,
و و
On ne le feroit pas davantage à Bafle ,
d'après les idées de M. de Mayer, fi les payfans
même étoient admis aux Charges. Les Tribus
ruftiques jouiroient feulement des droits réfervés
aux Tribus urbaines , en participant à
former le Souverain par repréſentation . Ce
feroit toujours une ariftocratie élective , & la
démocratie confifte dans la réunion des pouvoirs
aux mains de toute la Communauté qui
fe trouve à- la-fois le Souverain & le Gouvernement.
" Les déclamations ne feront point defcendre
du ciel la liberté. En Suiffe , le payſan
» paye une dîme au Chefde la Magiftrature ,
des redevances au Bailli , un impôt pour
les fortifications , un autre pour les frais
de garde , un autre pour un fonds de dépenfes
permanentes ou extraordinaires .....
» Le payfan eft obligé , avant de fe marier
"
de préfenter à l'Infpecteur des Milices
» fon équipage de guerre ; favoir , fon habit.
d'uniforme , un fufil , bayonnette , &c. &c. ·
Cette avance eft évaluée à 144 livres , qui
feroient mieux employées à l'achat de deux
» vaches & d'un cheval. "
Des déclamations ne feront pas fortir læ
Liberté des lieux où elle s'eft refugiée . Il feroittrès-
commode de rencontrer une fociété ci
DE FRANCE. 139
vile exempte de toute efpèce de charges publiques
; comme la chofe eft impoffible ,
même dans les démocraties les plus abfolues
, le Citoyen acquitte fa dette à la liberté ,
en fe foumettant à des contributions néceffaires
& très-limitées , dont perfonne n'a le
privilége d'être difpenfé. En lifant le paragraphe
ci - deffus , on jugera la Suiffe écrâfée
d'impôts ; ce tableau romanefque manque
abfolument de fidélité. On paye au Souverain
une dîme qui fert à acquitter les gages.
de l'Églife & plufieurs dépenfes publiques.
Dans la plupart des Cantons , il n'existe pas.
d'autres redevances au Baillif. Les trois quarts
de la Suiffe n'ont point de fortifications ; ainfi
Te foible tribut qu'on perçoit dans quelques.
villes de garniſon , n'eft nullement général ,
les campagnes en font exemptes. Le payfan
feroit très -fot d'échanger contre deux vaches.
& un cheval , le droit de fe défendre luimême
, de ne jamais être écrâté par des Soldats
, & d'avoir dans fon arſenal domeftique.
un sûr garant de la modération du Gouvernement.
« Voulez-vous quelques traits de plus au
» portrait de cette liberté prônée dans l'in-
" tention defaire une fatire...... Il eft difficile,
au payfan de s'affembler . Dans les villages ,
il y a un Bailli ; à fon défaut c'eſt un Subdélégué.
Celui-ci efpionne , fait desfaignées ,
divife unfang trop vif.Et voilà cette liberté
Superbe!
24
22
23.
Superbe en effet , telle qu'elle exifte . Pas
136 MERCURE
un village n'a de Baillis ni de Subdélégués ;
pas une loi ne défend au payfan de s'affembler.
Le premier qui s'aviferoit de jouer
le rôle d'efpion , ne le joueroit sûrement pas
deux fois. Quant aux faignées & au fang trop
vif, je n'entends pas , je l'avoue , le fens de
cette expreffion.
» Hormis Bafle , Zurich & Schaffouſe , il
» y a en Suiffe très- peu de reffources pour:
les Négocians. "3
و ر
Il y en a beaucoup davantage & même
trop. Genève , Neufchâtel , Winterthour ,
Saint- Gall , Mulhoufe , &c. & c. font exclufivement
des villes de commerce .
و ر
ور
Сс
Il faut des protecteurs aux petites Républiques
; c'eft une vérité auffi ancienne que
» le monde , & confacrée dans l'Hiftoire
» Générale des Nations . » (L'Auteur cite
enfuite les protecteurs adoptés par les Suiffes ,
ou plutôt les Puiffances qui font aux Suiffes
l'honneur de les protéger. )
S'il eft une vérité auffi ancienne que le
monde , c'eft qu'il ne faut de protecteurs ni
aux grandes , ni aux petites Républiques. Les
grandes fe défendent par elles-mêmes , & les
autres par leur petiteffe . On n'a recours à la
dangereufe reffource des protections que lorfqu'on
peut craindre d'être envahi . Dix lignes
plus bas , M. de Mayer nous raffure contré
cette crainte. ".Qu'est -ce qui tente les con-
ور
quérans , dit-il ? De l'or & des terres qui
» rendent de l'or. Il eft impoffible de pouDE
FRANCE. 137
voir jamais établir des impôts un peu forts
en Suiffe , qui puiffent rembourfer les frais
» de conquête , & payer ceux de la garde des
» pays. conquis. Une monarchie a un autre
" régime que de petites Républiques. » M. de
Mayer a pris les alliances du Corps Helvétique
pour des protections .
De tous les diftricts de la Suiffe , le Cantor
d'Appenzell eft le plus digne de fixer les regards
d'un vrai Philoſophe. Là , fe trouvent
encore les moeurs Helvétiques fans alliage ,
la rufticité des manières avec l'intelligence la
plus active & un jugement fain ; la force corporelle
avec l'induftrie ; le génie des Arts méchaniques
& celui de l'agriculture ; toutes les
vertus des peuples libres & pafteurs : fimplicité
, franchiſe , amour de l'égalité , tempérance.
Là , fous une conftitution à peu - près
démocratique , la liberté a fixé le tra- :
vail & l'aifance , a réparti le fol entre tous
les Citoyens, écarté la richeffe & l'indigence,
fa compagne ; là , eft raffemblée , au milieu
des rochers prefque inabordables & des glaces
éternelles , une population qui furpaffe celle
des contrées les plus fertiles. Par lieue carrée
l'Appenzell compte 1700 habitans. Ni les
riches plaines du Milanais ni le fol des Provinces
-Unies ne préfentent une pareille population
; elle fera encore plus confidérable
dans l'Appenzell , fi l'on diftrait de fon étendue
les montagnes réfervées aux pâturages
d'été , & celles que les frimats ont rendues
inacceffibles.
138 MERCURE
Voici les obfervations de M. de Mayer fur
cette contrée , à laquelle il donne la moitié
plus de territoire qu'elle n'en renferme.
}
"
33
" Concevez - vous que l'Ouvrier qui fait
" fortir de fa navette un tiffu précieux, puiffe
être groffièrement vêtu , mange du pain
» noir , & fe refufe le fuc de la viande......
Quel eft le genre de luxe ou de diflipation
qu'il fe procure ? Je n'en vois aucun. Il eft
» heureux , dit- on. Quel bonheur ! Eh ! qu'il
» eft nud ! On a eu raifon de dire qu'il n'y
» avoit dans l'Appenzell ni riches ni pau-
» vres. Hélas ! ils font tous au même degré
» de privation.
Oui , l'on conçoit très - aifément que le
Payfan & le Tifferand Appenzellois foient
vêtus du bon dran de leur pays ; qu'ils le paf
fent de fleur de farine comme de poudre à
cheveux , & qu'ils fe nourriffent d'excellens
fruits , de laitage toujours frais , de légumes
qu'ils ont fait croître . S'il en étoit autrement ,
alors le Voyageur pourroit fe permettre des
interjections. Les privations qui nuifent au
bonheur ne font pas celles qu'on s'impofe ,
ou qui naiffent de l'ignorance des fuperfluités.
Rien n'empêcheroit I habitant de l'Appenzell
de fe les procurer : peu de payfans en Europe
ont fon aifance abfolue ; mais proprement
logé , chaudement vêtu , bien alimenté , ami
du travail , dont perſonne ne vient lui difputer
le fruit , témoin chaque jour des fuccès
de fon économie , fortement attaché à fon
pays & à tous les liens domeftiques , vivant
DE FRANCE. 739
avec les égaux en fortune & en autorité , que
lui refte- t'il à defirer ? Des Comédiens & des
draps de Vanrobais ? Chez lui , la frugalité
eft vraiment une vertu , parce qu'elle n'eſt
point le fruit de la néceflité ; fans elle tout
feroit perdu ; car fi quelques confommateurs
polis & éclairés venoient à ambitionner ce
luxe & cette diffipation fi chères à M. de
Mayer , il faudroit qu'ils dévoraffent l'héritage
de leurs voifins ; & plus de République.
Il est au refte abfolument faux que l'Appenzellois
ne mange jamais de viande.
M. de Mayer juge fuperficiellement le Gouvernement
& les moeurs du Canton de Zurich.
Ce qu'il dit fort à la hâte de fon agricul
ture , n'eſt pas plus exact. Selon lui , " c'eft
>> ici que l'on voit combien les nouveaux fyf-
» têmes d'agriculture ont influé fur les cultivateurs.
On a reçu de nos économistes les
pommes de terre , la tourbe , le blé de Tur-
» quie..... Il n'a manqué à Zurich que des
» Ecrivains pour lui procurer , quant à l'éco-
» nomie ruftique , la même réputation dont
la France jouiffoit. ""
Les habiles & riches payfans du Canton de
Zurich n'ont rien appris des fyftêmes ni des
économistes. Il n'étoit pas queftion de cette
fecte en France , que l'on cultivoit en Suiffe
la pomme de terre & le blé de Turquie. Les
excellens Mémoires de la Société Economique
de Berne , & ceux de la Société Phyfique de
Zurich , ont été plutôt le réfultat des pratiques
agricoles des Cultivateurs Suiffes , que
140 MERCURE
des enfeignemens à ces mêmes Cultivateurs.
Zurich a fourni un Livre célèbre d'économie
ruftique , où on ne trouve , il eft vrai , ni
differtations dogmatiques ni logogryphes fur
l'agriculture , ni théories abftrufes rédigées
dans des boudoirs. Ce Livre eft le Socrate
Ruftique. Ce Socrate eft le payfan Kliog , des
environs de Zurich; un coup- d'oeil fur les
fermes de ce Philofophe n'eût pas été indigne
de M. de Mayer , & lui eût appris des chofes
qui ne fe trouvent pas dans les pamflets des
Vifionnaires & des Sectes. Zurich n'a ni Redoute
ni Ambaffadeus d'Hollande , comme
l'avance le Voyageur.
"Pourquoi le commerce ne fleurit- il point
» à Berne ? C'eft qu'il n'y eft ni honoré ni encouragé
; le régime ariftocratique nuit à
» l'induftrie. »
ود
"
Le commerce du Canton de Berne eft tel
qu'il doit être dans un État agricole , celui
des productions du fol, des vins , des chevaux ,
des toiles , des beftiaux , des fromages . Il ne
faut des manufactures là où les bras font pas
à peine fuffifans à l'exploitation des terres ,
là où les confommateurs font déjà en plus
grand nombre que les confommations. Le
Gouvernement de Berne continue donc à repouffer
très-fagement toutes ces fabriques de
luxe , qui peferoient fur les campagnes fans
les enrichir , & qui éleveroient quelques fortunes
pour faire des milliers de miférables.
L'ariftocratie , d'ailleurs , demande un État
territorial , & s'allieroit mal avec les conDE
FRANCE. 141
féquences du commerce. Celui - ci , par fes
richeffes , éleveroit bientôt une Puiffance rivale
du Patriciat ; il en résulteroit infailliblement
des commotions ; ainfi , tant que Berns
voudra conferver fon Gouvernement , bon
ou mauvais en théorie , la politique lui ordonne
ce que la raifon lui a perfuadé. Le commerce
utile au Canton eft honoré & encou
ragé. Le Confeil Souverain compte plufieurs
familles qui appartiennent encore à cette claffe
de Citoyens.
ور
de
Comment colorer un fonds permanent
de 400,000 liv. fterl. qu'on amaffe dans le
» tréfor de Berne , ou qu'on prête aux Hollandois
? Eft-ce donc pour être en état de
foudoyer la Milice des Cantons pauvres, &
» pouvoir les fubjuguer , & c . &c .»
Je n'ai pas fait l'inventaire du tréfor de
Berne, & je doute qu'on y ait admis l'Auteur.
Il prend ici des fables populaires pour des vérités
hiftoriques. L'Etat n'a rien prêté aux
Hollandois ; mais il a une créance de so mille
liv. fterl . dans les fonds d'Angleterre . Les Rois
de Danemarck & de Sardaigne , l'Électeur de
Saxe & le Duc de Wirtemberg font aufli fes
débiteurs de fommes peu confidérables. A peu
de chofe près , les dépenfes de ce Gouverne
ment égalent fes revenus , & cela doit être ,
puifqu'il fait fe priver de la reffource des impofitions.
Par la même raifon , il s'eft ménagé
très - fagement dans une longue fuite d'économies,
un fonds indépendant pour fubvenir
à des dépenfes extraordinaires & imprévues,
142 MERCURE
Les conjectures de l'Auteur fur l'emploi futur
de ce tréfor , paroîtront exceffivement indifcrettes
; il n'eft guères permis à un Écrivain
fage d'en hafarder dé pareilles , à plus forte
raifon fur des connoiffances erronées.
Les Baillis étoient autrefois électifs :
» le Gouvernement de Berne a jugé à propos
» de les nommer. Il y a moins de brigues ,
dit- on ; il y a plus de dépendance ; & dans
» la créature élevée par faveur, on a un inf-
» trument de domination . »
55
Le ton de fatire fur un Gouvernement
qu'on connoît à peine , eft toujours répréhenfible.
Qu'eft - ce donc , lors qu'il porte fur des
erreurs : Rien ne prouve mieux que ce paffage
la précipitation du Rédacteur . Si le Gouvernement
de Berne nommoit les Baillis , ils
feroient encore électifs : ils ne le font plus ,
parce qu'on les tire au fort ; or , le fort ne
fait ni faveurs ni créatures .
"
"Dans le village d'Heimberg , les habitans
font prefque tous de la fecte des Quakers.
Jamais il n'y eut de Quakers en Suiffe ; l'Aureur
veut parler des Anabaptiftes , qui font
très-différens. "
A Bafle , a Berne , à Fribourg , le Voyageur
turlupine les élections par ballotage ; il
les compare aux Diètes Polonoifes ; cette loterie
, felon lui , eft d'un fiècle barbare & d'ignorance.
A cette décifion je laifferai répondre
l'Abbé de Mably. « Le fort , dit- il , eft quelquefois
jufte ; des intrigans ne le font jamais.
››
»
DE FRANCE
143
1
La plus étrange Lettre de ce Voyage eft celle
fur Genève. La moitié en eft confacrée au
Panégyrique des Spectacles. Ce qui extafie
M. de Mayer , ce n'eft ni la pofition phyfique
de cette ville , ni le charme de fes alentours
ni l'éducation des deux fexes , ni l'univerfalité
des connoiffances , ni les avantages qui
peuvent refter à cette République ; c'eſt la
préfence d'un célèbre Comédien. J. J. Rouf
feau n'a fait qu'un Roman ; il n'a fait fa
cour ni aux femmes ni aux hommes. Les
maurs ! les moeurs ! quel mot! la patrie , quel
cri ! la Comédie n'eft qu'une jouiffance de
plus. J. J. Rouffeau s'étoit trompé dans les
Epoques de Genève , il apris les moeurs d'un
âge pour celles d'un autre , &c. &c. Quelle
morale ! & quelles déciſions !
Il y a vingt-fept ans que parut cette Lettre
patriotique de Rouffeau , l'un des chef- d'oeu
vres de l'éloquence argumentative , & à laquelle
on a tant répondu fans la réfuter. Alors
les moeurs auftères du Calvinifie & de l'État
Républicain étoient encore dans toute leur
vigueur. Alors les ri . heffes s'acquéroient par
des travaux & par une économie héréditaires ;
alors les bienfeances étoient aulli refpectées
que les loix ; les frivolités étrangères prefque
inconnues ; la modeftie chez les femmes , la
modération chez les hommes , l'union dans
les ménages ; toutes les vertus domestiques
étoient garantes des vertus publiques , & le
Genevois n'avoit pas befein de repréſentations
théâtrales pour fentir fon bonheur , &
144 MERCURE
pour le conferver . Et d'un coup de crayon un
étranger anéantillant cet intervalle de vingtfept
ans , nous peint chaque famille en 1758
avecfon carroffe , tandis qu'aujourd'hui même
à peine un dixième des Citoyens aifés s'eft
donné cette fuperfluité , très-inutile dans la
ville même , puiſqu'il eft défendu de s'en
fervir ! Et il nous parle des emprunts , des rafinemens
de banque , & de toutes ces fpéculations
récentes qui ont tué l'ancienne induftrie
! & il nous dit que toutes les Genevoifes
font Angloifes ou étrangères ! comme fi ce
peuple étoit forcé , à l'exemple des Romains ,
à des enlèvemens de Sabines pour fe procurer
des femmes !
20
" La Comédie , ajoute M. de Mayer , a été
reçue avecjoie. Déjà on s'occupe de réfor-
» mer les fermons qui auroient pu croifer les
» fpectacles , &c. »
›
Le Voyageur aurcit dû fe rappeler les
circonftances qui ont fait admettre cette
joyeufe Comédie. Au refte l'évènement
a juftifié Rouffeau , & ceux qui , avec
lui , ont dit que le Genevois n'étoit pas '
fait pour ce genre d'amufement. Malgré tous
les efforts & tous les expédiens , il faut renvoyer
les Comédiens , & donner relâche au
dégoût général.
Par quelle fatalité , depuis le Géomètre
d'Alembert jufqu'au bel- efprit Marquis de
Pezay, & de Voltaire à M. de Mayer , tous
les Écrivains ou Voyageurs François qui ont
fait
DE FRANCE. 145
fait à la Suiffe l'honneur de s'occuper d'elle ,
ont- ils crié à la barbarie qui en éloignoit les
Théâtres Tous , ainſi que M. de Mayer , fe
moquent des loix fomptuaires , des triftes
vertus des femmes , qui s'ennuient comme des
mortes au fein de leurs familles , de la tyrannie
qui leur défend de ruiner leurs maris &
leurs enfans , d'afficher le fafte & l'indecence
, &c. &c. D'où peut venir cet acharnement
à préconifer la dépravation publique
, à en accroître les fources , à y exhorter
de concert des peuples dont on devroit refpecter
les reftes d'innocence , comme dans le
difcours on refpecte celle d'un enfant ?
M. de Mayer décrie par-tout ces Réglemens.
L'effentiel , dit-il , eft d'avoir de l'or
& de le dépenfer. L'effentiel , au contraire ,
dans une République , eft de ménager l'orgueil
de chaque Citoyen ; de ne faire éclater
ni dans les moeurs ni dans les manières , l'inégalité
qui peut exifter dans les fortunes ; de
ne pas fouffrir qu'un Cordonnier foit humilié
du fafte d'un Sénateur ; de contenir tous les
individus dans la modération à l'extérieur , &
de réprimer tout ce qui tend à annoncer de
la différence entre les hommes. Ainfi le voyoit
l'immortel Montefquieu , le feul Ecrivain né
dans une monarchie, qui ait eu des idées faines
fur les Républiques.
Je ne m'arrêterai pas aux obfervations
générales de l'Auteur fur les divers Gouvernemens
de la Suiffe. Ses idées à ce
Nº. 15 , 15 Avril 1786.
H
·146 MERCURE
୮
fujet femblent n'avoir aucune confiftance.
Eft-il dans une ariftocratie ; il invoque à
grands cris la conftitution populaire . Paſſe -t'il
dans une démocratie ; il ne voit plus que les
avantages du Patriciat. Faute des notions difficiles
à acquérir fur ces légiflatures compofées
, du moins l'Auteur pouvoit en obferver
les effets ; ce n'eft pas une manière fufpecte
de juger d'un Gouvernement . Ainfi , au lieu
de tant de déclamations contre celui de Berne ;
au lieu de nous repréfenter le peuple de ce
Canton comme livré au defpotifme du Patriciat
, comme dépouillé , comme hors d'état
de fe plaindre , il auroit vu qu'aucun État
n'a mieux corrigé , par les principes de fon
adminiftration , le vice de l'inftitution fondamentale
; qu'il n'a donné aux Patriciens aucunes
prérogatives civiles ; qu'il perfévère
dans un fyftême de modération invariable ,
& par raifon & par néceffité. Privé de forces
phyfiques, il fent qu'il ne peut attacher à l'obéiffance
un peuple armé qu'en lui faifant aimer
un régime dont la crainte ne fauroit être le
reffort : M. de Mayer eût apperçu , qu'en confé
quence , nulle part la propriété n'eft plus facrée
; qu'aucun peuple ne fupporte moins de
taxes , n'eft plus à l'abri de l'inconſtance &
des caprices de l'autorité ; que la moindre
Communauté de payfans a fes prérogatives &
fa jurifdiction ; qu'avec fa requête , le dernier
Laboureur fe préfente hardiment aux premiers
Magiftrats de l'Etat , eft sûr d'en être
écouté, & que fi l'on trouve quelque part l'aiDE
FRANCE. 147
fance , la paix , la fécurité , c'eſt dans les campagnes
du Canton de Berne.
ود
" Avant de déclamer , dit fagement M. de
Mayer , fi on réfléchiffoit un peu , ou plutôt
» fi on n'écrivoit qu'après avoir beaucoup
» vu , on feroit plus vrai . »
En confultant plus attentivement la carte
géographique , M. de Mayer eût évité quelques
erreurs graves , comme celle de cenfurer
aigrement J. J. Rouffeau , d'avoir oppofé le
tableau riant du pays de Vaud à la côte dépeuplée
du Chablais. Si les frontières , felon
l'expreflion de l'Auteur , font toujours neutralifees
, c'eft-à-dire , plus pauvres , le pays de
Vaud , formant les limites de la Suiffe du
côté de la France , devroit l'être autant que le
Chablais , extrémité de la Savoye : cela n'eft .
point ; donc l'obfervation de J. J. Rouffeau
refte dans toute fa force , & il a eu raifon de
chanter un hymne à la Liberté,
Nous en avons dit affez pour perfuader que
ce Voyage doit être lu avec beaucoup de précaution
. Il n'en eft pas moins fupérieur à
celui d'un Anonyme, magnifiquement imprimé
à Paris en 1783 ; M. de Mayer l'a parfaitement
caractérisé. Cet Anonyme a récriminé
dans une Feuille Publique ; mais il femble
qu'un Écrivain affez courageux pour infulter
une Nation entière , J. J. Rouſſeau &
M. l'Abbé Raynal , devroit être moins irafcible.
Le Marquis de Turcaret prétend qu'il
faut quatre mois de Valogne pour former un
Homme de Cour. L'Anonyme parolt égale-
Hi
148 MERCURE
ment d'avis que fans les airs de Paris , les
montagnards de la Suiffe ne feront jamais que
des imbécilles. On ne trouve point dans M.
de Mayer cet excès de bonne opinion ; fes
fréquentes contradictions tiennent à fes goûts ,
aux préjugés nationaux , à des réticences forcées.
Avec du feu , de l'efprit & des connoiffances
, il perfectionnera une ébauche efquiffée
avant le temps. Plufieurs morceaux de
ce Livre , tels que la peinture du Payfan
Suiffe , p. 225 , celui qui concerne Guillaume
Tell , le tableau de Ferney & du Colon dans
les Démocraties Helvétiques , ont le double
mérite de l'exactitude & de l'intérêt.
Nous ne dirons rien du ftyle , vivement critiqué
, de ce Voyage. On s'arrête peu à la brederie
, lorfqu'un fonds riche abforbe l'attention
; & c'eft à des Écrits de ce genre qu'il
faut appliquer le fage précepte d'Horace :
Scribendi rectè , fapere eft & principium & fons.
Cet Article eft de M. Mallet-du- Pan
Citoyen de Genève. )
*
DE FRANCE. 149
TRADUCTION du Plutarque Anglois
contenant la vie des Hommes les plus illuf
tres de l'Angleterre & de l'Irlande , Miniftres
, Guerriers , Hommes d'Etat &
d'Eglife , Citoyens , Philofophes , Poëtes ,
& des plus célèbres Navigateurs & Artiftes
depuis le règne d'Henri VIII jufqu'à nos
jours ; dédié au Roi de Suède. in- 8 °. A
Paris , chez Mérigot l'aîné , Libraire , au
boulevard de la porte S. Martin , & fous
le veftibule de l'Opéra ; Mérigot le jeune ,
quai des Auguftins ; Renault , rue S. Jacques
, & au Bureau du Théâtre Anglois ,
rue Sainte-Appoline , N°. 6.
IL a paru jufqu'aujourd'hui fix volumes de
cette Traduction , dont l'idée feule doit intéreffer:
c'étoit fans doute un fpectacle curieux
à nous offrir , que le tableau des perfonnages
qui ont figuré dans une Nation qui à fon tour
joue un rôle des plus brillans parmi les peuples
de l'Europe.
On avoit reproché aux deux premiers volumes
des négligences de ftyle & des incorrections
typographiques. Le Traducteur a
mieux aimé profiter de cette obfervation que
de s'en plaindre ; & la fuite de cet Ouvrage
eft écrite & imprimée avec plus de foin. Ne
pouvant faire parcourir à nos Lecteurs tous
les volumes qui ont paru , nous allons nous
arrêter un moment aux deux derniers. Les
perfonnages dont on y raconte la vie , ont
H iij
150
MERCURE.
vécu fous Jacques ou Charles , & quelquesuns
fous le règne de ces deux Monarques.
Une des plus confidérables , c'eft celle de Sir
Waller Raleigh.
ود
و ر
و ر
» Il poffédoit , difent les Éditeurs , le courage
d'un Héros , le zèle d'un bon Citoyen ,
» les talens d'un habile Miniftre , & les con-
» noiffances d'un profond Littérateur. » Il eft
douloureux de fonger que tout cela l'a conduit
à l'échafaud . Dans des temps aufli orageux
, les grandes qualités font plus dangereufes
que les grands crimes.
و د
ور
Il mourut avec courage , mais fans oftentation.
Après avoir harangué , fuivant l'uſage ,
& la prière finie , « Raleigh prit congé des
» Lords & des autres perfonnes qui l'entou
roient ; il donna aux uns fon chapeau , fes
bijoux , aux autres fon argent , remercia le
» Lord Arundel de fa complaifance , & le pria
d'intercéder auprès du Roi , pour que ce
» Prince empêchât la publication des Ecrits
» injurieux à fa mémoire. Ne vous étonnez
» pas , lui dit-il , de mes précautions ; la
» voyage que j'entreprends eft long & incer-
" tain. S'étant dépouillé de fes vêtemens , il
» voulut voir la hache qui devoit finir fa glorieufe
carrière. L'Exécuteur héfita: Donnez,
s'écria - t'il ! cette arme ne m'effraie aucune-
» ment. Puis il en examina le tranchant ; &
fe tournant vers le Shériff, il lui dit : Le
remède eft violent ; mais il guérit de tous les
» maux. Ayant enfuite remis la hache à l'Exé-
» cuteur , celui -ci ſe jeta à fes pieds , & lui
ور
و د
"
DE FRANCE.
isi
33
و د
» demanda pardon . Raleigh le releva , & l'em-
» brafla. L'Exécuteur , fans doute par un ex-
» cès de bienveillance , lui demanda de quel
» côté il fouhaitoit repofer fa tête fur le bil-
» lot : Quand le coeur eft droit , lui répliqua
» Raleigh , il eft inutile de s'occuper de la tète.
ود
و د
Puis donnant le fignal , il fut décapité après
» deux coups de hache. On enterra le corps
» dans le presbytère de l'Abbaye Royale de
» Weftminfter , & l'on en remit la tête à
l'infortunée Lady Raleigh , qui la conferva
» dans fon appartement jufqu'a fon trépas ,
arrivé 29 ans après l'exécution de fon
époux , &c. ,,
ל כ
ود
ود
L'un des hommes les plus célèbres dont ce
volume contient la vie , c'eft le Chancelier
Bacon. La conduite de ce favant perfonnage
ne fut rien moins qu'irréprochable. Il fut fouvent
malheureux , & il le fut fouvent par'fa
faute. Pour fes affaires domeftiques , elles
furent plus d'une fois dans le plus grand défordre.
Il étoit pillé par tous fes gens trop
convaincus de fa négligence ; on doit même
attribuer en partie fa difgrace aux exactions
qu'ils fe permettoient pour leur avancement.
Bacon qui s'en apperçut trop tard , traverfant
un jour fon anti- chambre , dit à fes gens qui
fe levoient: Affeyez-vous , mes maîtres ; votre
élévation a caufe ma chûte.
Il eſt queſtion dans le fixième volume d'un
homme moins favant , mais plus vertueux ;
c'eft John Williams , Archevêque d'Yorck ,
Garde du grand Sceau , & Chancelier d'Angle-
Hiv
152
MERCURE
terre. Les droits que lui donnoit fon crédit ,
devenoient dans fes mains autant de moyens
de bienfaifance. Un jour le Roi fe voyant
forcé de condamner deux Prédicateurs , qui ,
par leur indifcrétion, avoient mérité la rigueur
› des loix , chargea Williams , pour remédier
aux abus de cette efpèce , de faire quelques
réglemens. Williams obéit ; mais voulant profiter
de cette occafion pour obtenir la grace
des deux Prédicateurs , il inféra parmi les articles
du réglement : « Qu'on ne pourroit do
» rénavant monter en chaire avant l'âge de
trente ans , & qu'on ne pourroit plus y
précher à foixante. Le Roi , en lifant cet
article , s'écria : Vous n'y fongez pas , Milord
! je crois en honneur que votre inten-
» tion eft de me priver de mes meilleurs Pré-
" dicateurs ! Ignorez -vous que mes plus vieux
23
وو
33
و د
"
Chapelains ne le cèdent à perfonne en lo-
" quence , & peuvent défier les plus habiles
Théologiens de l'Europe ? Si Votre Majefté
» veut abfolument que jeunes & vieux s'en
mêlent , répliqua Williams , il faut qu'Elle
» ait de l'indulgence pour les étourderies des
» uns , & qu'elle pardonne au radotage des
» autres. Confidérez , Sire , que tous les états .
ont befoin d'un apprentiſfage ; lorſqu'on
eft parvenu à la maîtrife , on n'a qu'un bail
» avec la raifon ; ce bail fini , il n'eft pas éton-
» nant que les hommes retombent dans les
premières folies de l'enfance. Delà , Sire ,
le proverbe que les deux extrémités fe
» touchent. Vous en avez un exemple frap-
93
22
, כ
"J
DE FRANCE.
153
"3
"
ور
» pant dans Knight & White , pour lefquels
j'implore à vos genoux la clémence de
» Votre Majefté. A la bonne heure , répondit
Jacques ; mais à condition que vous
effacerez ce fot article qui me déplaît. »
Williams avoit prédit au Roi Charles ce
que feroit un jour Cromwel. « Quoique cet
homme , dit - il , foit encore confondu dans
la foule , il fera néanmoins un jour votre
plus redoutable ennemi ...... Vous ſavez ,
» Sire , que tout animal a un défaut diftinctif;
Cromwel les réunit tous dans fon coeur.
» Votre Majefté doit donc s'attacher ce mau-
» vais Citoyen à force de bienfaits , ou s'en
» débarraffer par la rufe. »
ود
و ر
ود
و د
La manière dont Jacques établit la dignité
de Baronnet eft affez ingénieufement racontée.
Ce Roi confia à Sir Robert Cotton " fon
projet d'obtenir de l'argent de fes fujets ,
» en flattant leur orgueil par le titre pom-
» peux de Chevalier Baronnet , dignité qu'ils
>> achetteroient pour la fomme de 1000 liv.
fterl. Cotton approuva ce moyen ; la va-
» nité l'adopta; & ce fut peut-être le premier
» fubfide qu'un Monarque Anglois eût ob-
» tenu fans exciter les murmures de fon
peuple. »
و د
ود
Compofer un corps d'Hiftoire de plufieurs
vies particulières, eft une forme qui n'eft pas
fans inconvéniens . Par cette marche , l'Hiſtorien
eft fujet à ſe répéter ſouvent , à revenir
fouvent fur fes pas. D'ailleurs , par un fentiment
dont on ne fe rend pas compte , on
Hv
154
MERCURE
aime , en lifant l'Hiftoire , à avancer dans les
temps à mesure qu'on fuit les événemens ; &
par la méthode adoptée dans cet Ouvrage ,
en achevant de lire la vie d'un homme célèbre
, on eft obligé de reculer dans le paffé
pour reprendre la vie d'un autre perfonnage.
Mais ces inconvéniens font peut - être compenfés
par la facilité de donner une idée plus
diftincte de chaque Héros , qui , d'ailleurs ,
par cette méthode, fe claffe plus aifément dans
la mémoire du Lecteur.
A la lecture de cet Ouvrage , nous n'avons
pu nous défendre d'une réflexion : c'eſt que
la Nation Angloife eft fi continuellement
agitée & divifée par tant d'intérêts oppofés ,
qu'il eft difficile d'apprécier avec certitude les
perfonnages qui en ont opéré les différentes
révolutions ; ils font accufés & juſtifiés par
tant de voix à-la - fois , qu'au travers de ces
diverfes clameurs il eft difficile de déméler la
vérité.
Nous invitons le Traducteur de cette in-.
téreffante Collection , à pourfuivre fon entreprife
, qui devient une importation utile à
notre Littérature.
DE FRANCE. 155
PRÉCIS des Conférences des Commaires
du Clergé avec les Commiffaires du Roi ,
concernant la demande faite aux Bénéfi
ciers de la preftation des foi & hommage.
Nous avons déjà parlé, au mois d'Octobre,
de deux Mémoires qui ont difcuté contradictoirement
cette grande queftion entre le Domaine
du Roi & le Clergé. Il ne nous appartient
pas , il ne nous conviendroit pas ici
d'avoir un avis fur cette affaire , ni de prevoir
la décifion du Tribunal augufte qui doit la
décider. Mais il importe peut-être d'appeler
l'attention des hommes inftruits , vers des Ouvrages
qui répandent de grandes lumières fur
une partie très - peu connue de notre droit
public , & de rendre juftice à des travaux
d'un ordre fupérieur , qui malheureuſement ,
par la nature de leurs objets , ont peu de
juges. Le nouveau Mémoire que M. l'Archevêque
d'Aix vient de publier pour la défenſe
du Clergé, eft encore un Ouvrage plus étendu,
plus profond , plus favant que le premier ;
après l'avoir lu & relu avec toute l'attention
dont nous fommes capables , il nous femble
que c'eft un modèle dans l'art & le talent
d'embraffer de grandes queftions & de les
fimplifier , de créer des principes dans un ordre
de chofes où tout s'eft établi au hafard ,
où l'on ne peut faifir des règles qu'en analyfant
bien une foule de faits , & en les rappro-
Hvj
156
MERCURE
chant de leurs caufes ; dans l'art & le talent
de féparer & de réunir les inftitutions particulieres
& les principes généraux , de les faire
reconnoître à des traits certains , & d'en tirer
toujours les conféquences qui leur font propres
; enan , dans l'art & le talent de foutenir
& de foulager l'attention , qui ſe rebute aifément
d'un fujet aride & abftrait , parbeaucoup
d'ordre & d'enchaînement dans les idées , par
cette fagacité qui démêle tout & lie tout ,
par une difcuffion qui tire tout fon éclat de
la lumière qu'elle répand , tout fon effet de
la conviction qu'elle produit , enfin , par ce
ftyle dont on fent plus le mérite qu'on ne
le remarque , parce qu'il convient toujours
au fujet. Si quelqu'un trouvoit de l'exagération
dans ces éloges , nous le renverrions
pour toute réponſe , à l'Ouvrage même , qui
eft plutôt un Livre de bibliothèque qu'un
Mémoire d'affaire. Il eſt beau , il eft doux
d'être le défenfeur des droits de fon Ordre ;
mais , dans un travail fi long , fi difficile , fi
peu propre à recevoir la gloire qu'il mérite ,
le zèle n'eft pas moins louable que le talent.
( Cet Article eft de M. de L. C. )
>
"
DE FRANCE. 157
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Il y a eu Concert le 25 Mars , le 2 , le 5 &
le 7 Avril. Nous pafferons légèrement fur les
nouveautés qu'on y a entendues , dont aucune
n'a fait de fenfation bien remarquable ,
quoique plufieurs ayent été reçues avec plaifir.
De ce nombre ont été deux fymphonies concertantes
, dont l'une exécutée fur le baffon
par M. Ozy , fur la clarinette par M. Solers ,
avec leur perfection ordinaire , & l'autre à
deux cors , de M. Lebrun , exécutée par lui &
par M. Dominich. Telles font encore une
fymphonie de M. Ragué & une de M. Cannabich,
toutes deux fort agréables. On a auffi
rendu juſtice aux Hyérodrames de MM . Toméoni
& Berton , dont plufieurs morceaux
ont été fort applaudis . Les Solos qui fe font le
plus diftingués , font M. Kreitz für le violon ,
fur - tout M. Michel fur la clarinette , &.
Mlle Deſcarfin , qui mérite une mention particulière
pour le grand talent qu'elle montre
fur la harpe , dans un âge fi peu avancé. Il eft
impoffible, même à un Maître, d'avoir plus de
grâce & de préciſion dans fon jeu. Nous ne
dirons rien de l'Ode de Rouffeau , mife en
mufique par M. l'Abbé le Sueur , Maître des
Innocens , ni du Carmen Seculare , de M.
1,8 MERCURE
Philidor , qu'on entend toujours avec un nouveau
plaifir. Ces morceaux font très - connus
du Public , & depuis long- temps en poffeffion
de fes fuffrages. Nous nous étendrons
davantage fur la réception qu'on a faite à
M. David à fon retour.
Depuis 15 ans on fait affez bien en France
comment les Italiens écrivent la muſique : on
commence à peine à favoir comment ils l'exécutent
; & comme il eft d'ufage que chaque
nouveauté enfante des ſchifines , les avis n'ont
pas manqué d'être partagés fur le ftyle du
chant , comme ils l'avoient été autrefois fur
celui de la compofition. On n'a pas allez pris
garde que le chant n'eft point & ne fauroit
être un langage foumis aux mêmes principes
que la langue parlée ; que c'eft une convention
, & que les conventions doivent varier
fuivant les pays. On a décidé ici que des notes
accumulées , qu'on appelle broderies , étoient .
contraires à l'expreffion ; & d'après ce principe
( comme s'il étoit univerfellement admis
) , la première fois qu'on a entendu M.
David, on a défapprouvé les nombreux paffages
dont il furcharge fon chant. Il me femble
cependant qu'avant de le condamner d'une
manière fi tranchante , on devoit fe faire foimême
les obfervations fuivantes.
1º. Si les ornemens du chant en détruiſent
kexpreffion , un chant , pour être expreflif ,
ne doit pas admettre une feule petite note ;
& cependant nous en applaudiffons tous les
jours dans les morceaux les plus pathétiques ,
DE FRANCE. 159
exécutés même par les François qui nous plaifent
le plus.
2º. M. Savoy , Mme Todi , Mme Mara
faifoient beaucoup de notes dans le Cantabile,
& perfonne ne s'eft avifé d'y trouver à redire.
Mme Mara fur-tout , qui a eu un fuccès
très-grand & très-mérité , en fait à peuprès
autant que M. David.
3°. Le chant des inftrumens doit être modelé
fur celui de la voix , & réciproquement.
L'adagio des uns répond au cantabile de l'autre
; & quoiqu'il n'exprime pas précisément
des paroles , ildoit au moins chercher àpeindre
un fentiment déterminé. Cependant on y
fouffre les notes multipliées , on les y admire ,
on feroit très-étonné de ne les y pas entendre ;
le chant fimple de l'adagio paroitroit froid &
nud. Pourquoi le chant n'auroit - il pas le
même avantage ? Dira - t'on que c'eft parce
qu'il eft accompagné de paroles ? Mais font- ce
donc des paroles , n'eft- ce pas plutôt un fentiment
qu'il doit exprimer ? La voix & les inftrumens
doivent concourir à ce même but ;
pourquoi devroient- ils fuivre une route différente
?
Qu'on me permette encore une queſtion.
Eft- il bien vrai que les agrémens du chant ,
c'eft- à - dire , les notes multipliées en détruifent
l'expreffion ; & pourquoi la détruifentils?
Beaucoup de perfonies feront peut être
étonnées d'avoir à répondre à cette queftion ,
qu'elles ne fe font pas encore faite .
Si nous avions le droit de faire un reproche
160 MERCURE
à M. David, ce feroit de porter ces ornemens
jufques dans le récitatif; non pas comme nuifibles
à l'expreffion , mais au contraire parce
qu'ils en portent une qui convient à l'air , &
non à la déclamation foutenue , parce qu'ils
effacent la diſtinction marquée qui doit exifter
entre le chant proprement dit & le récitatif.
Mais encore une fois , il ne nous appartient
pas de juger des conventions nationales. Nous
favons très- bien que cette manière de chanter
ne convient point à nos Théâtres Lyriques ,
qu'on auroit tort de vouloir l'y introduire ;
mais nous aurions tort de l'exclure de nos
Concerts. Nous ne pouvons ni ne devons décider
fi M. David à raifon de faire ce qu'il
fait : contentons -nous de juger s'il fait bien ce
qu'il fait. C'eft le fage parti que le Public a
pris au retour de M. David ; & comme les
avis ont été généralement pour l'affirmative ,
fon fuccès a été beaucoup plus grand qu'à fon
premier voyage. Après l'avoir bien blâmé,
on s'eft avifé de l'écouter , & l'on a pris grand
plaifir à l'entendre. Il faut convenir auffi
qu'une meilleure fanté a donné à fa voix plus
de facilité , plus de timbre , & que fon talent
même , en formant nos oreilles , nous a mis
plus à portée de le bien apprécier.
L'abondance des matières nous force à remettre
l'article des Théâtres à l'ordinaire
prochain.
53
DE FRANCE. 161
ANNONCES ET NOTICES.
BIBLIOTHÈQUE IBLIOTHÈQUE des meilleurs Poëtes Italiens
en trente -fix Volumes in - 8 ° . , proposée par foulcription
par M. Couret de Villeneuve , Imprimeur
du Roi à Orléans , & Editeur de cette Collection.
3
La foufcription eft ouverte au prix de 2 liv.
10 fols le Volume en feuilles , rendu franc de port à.
l'adreffe du Soufcripteur. Chaque Volume , qui
paroît tous les mois , eft compofé de vingt- cinq
feuilles d'impreffion , ou de 400 pages , fur papier
carré fin de Limoges , exécuté avec le caractère de.
Cicéro neuf de Fournier. Les Particuliers qui voudront
s'adreffer directement à M. Couret de Villeneuve
, Editeur de cette Collection , à Orléans , auront
l'attention de joindre à la lettre d'avis le reçu
du Directeur de la Pofte auquel l'argent aura été
remis , parce que ce n'eft que fur le reçu & fur la
lettre d'avis qu'on peut le toucher au Bureau de la
Pofte à Orléans, L'Editeur a établi deux Buïcaux à
Paris pour la commodité de ceux qui defireroient fe
procurer cette Collection ; il fuffit de remettre fon
obligation & la fomme de 30 liv. pour la livraiſon
des douze premiers Volumes , dont il en paroît déjà
dix chez M. Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet
, & chez M. Cuchet , Libraire , rue Serpente . On
peut auffi s'adreffer aux autres Libraires de la Capitale
avec lefquels le Soufcripteur auroit quelque relation
d'affaires . Les Perfonnes de la Province remettront
leur foumiffion, & l'argent de la foufcription
fi elles le jugent à propos , aux principaux Libraires
du Royaume ou des Pays étrangers , ainsi que chez
>
162 . MERCURE
MM les Auteurs ou Directeurs des Papters publics ;
fur leurs ordres on fera les livraiſons à leurs adreffes,
franches de port ; il fuffira d'envoyer aux endroits
indiqués ce modèle d'obligation pour chaque ſoufcription
:
.
Je m'engage à payer à M. Couret de Villeneuve ,
Imprimeur du Roi , à Orléans , la fomme de quatrevingt-
dix livres , pour un Exemplaire de la Bibliothèque
des meilleurs Poëtes Italiens , trente fix
Volumes in- 8 ° . en feuilles , que je payerai en fix
payemens égaux de la fomme de quinze livres , juf
qu'à parfaite livraifon , & conformément aux précé
dens Profpectus.
A le
178
Il s'étoit gliffé quelques
fautes dans les premiers
Volumes
de Ricciardetto
; l'Editeur
a redoublé
de zèle , s'eft affocié plufieurs
Littérateurs
inftruits , & il a dû de nouveaux
Soufcripteurs
à l'exactitude avec laquelle font imprimés
les quatre premiers,
Volumes
d'Apoftolo
Zeno. Enfin . fa délicateffe
& fa confiance
vont jufqu'à propofer
de rendre à la fin l'argent aux Soufcripteurs
, s'ils trouvent
dans
l'Edition de l'incorrection
& de l'inexactitude
. La modicité du prix prouve auffi fon défintéreffement
.
N. B. Comme on avoit promis de livrer les
Volumes de vingt-cinq feuilles ou de quatre cent
pages , on y joindra , lorfque la place le permettra ,
plufieurs Pièces qui ne dépareront pas la Collections
telles font les Satires de Salvator Rofa , quelques
Sonnets du Zappi , les plus belles Odes du Tefti , les
Elégies de Sannazar , la Salmacis du Preti , &c .
PORTRAIT de Louis Gillet , Maréchal des-
Logis , deffiné d'après nature aux Invalides , &
gravé par M. Gaucher , des Académies Royales de
Rouen , Caën , Londres , & c. Le trait de bravoure
de ce courageux Militaire a été annoncé dans tous
DE FRANCE. 163
1
les Journaux . Au- deffous du médaillon , qui eft
très reffemblant , eft une couronne civique attachée
par un ruban antique , fur lequel on lit ce vers :
Pour fervir la Beauté le François n'a point d'âge.
Ce qui ajoute à l'intérêt de ce Portrait , eft un petit
fujet placé au deffous du médaillon , repréfentant ,
avec autant d'expreffion que de vérité , l'action courageufe
du fieur Gillet. L'Auteur a fait hommage
de cette Eftampe à M. le Comte de Guibert , Gouverneur
de l'Hôtel Royal des Invalides . Elle fe
trouve à Paris , chez l'Auteur , rue Saint Jacques ,
vis à -vis Saint Yves. Prix , 1 liv . 4 fols.
Au bas de ce Portrait , qui eft très - bien gravé ,
fe trouve ce Quatrain , par M. Hérivaux :
Intrépide Soldat , Citoyen magnanime ,
Il fervit cinquante ans & l'État & fon Roi ;
Et de fes derniers jours éternifant l'emploi ,
Il vengea la Vertu des attentats du crime .
Le même Attifte fera paroître inceffamment le
Portrait de Mlle Vanhove , Actrice de la Comédie
Françoife , gravé pareillement d'après le delfin de
M. Gaucher.
LES Aveux imprévus , Comédie en trois Aces &
en profe , repréfentée pour la première fois à
Paris fur le Théâtre Italien , le 2 Août 1785 .
Prix , 1 liv. 4 fols A Paris , chez Cailleau , Imprimeur
Libraire , rue Galande.
On a vu avec plaisir cette Pièce au Théâtre Italien.
En voici le fujer : deux Amans tacitement infidèles ,
ne demandent pas mieux que de voir rompre
les engagemens que leurs parens ont contractés à
leur occafion ; de manière que ce qui forme l'intrigue
de cette Comédie , c'eft la manière dont ils
164
MERCURE
filent , pour ainfi dire , leur
rupture. Il Y a dans cet
Ouvrage des intentions vraiment comiques , &
l'action eft bien conduite.
COLLECTION Univerfelle des Mémoires particuliers
relatifs a l'Hiftoire de France , Tome XIII.
A Londres ; & fe trouve à Paris , rue d'Anjou-Dauphine
, n°. 6.
Il paroît régulièrement chaque mois un Volume
de cette Collection . Le prix de la foufcription pour
les douze Volumes à Paris eft de 48 liv. Les Soufcripteurs
de Province payeront de plus 7 liv. 4 fols
à caufe des frais de pofte. Le Volume qui vient de
paroître contient les Mémoires rédigés par Jean de
Troye , autrement dit les Chroniques de Loys de
Valois , Roi de France.
CLÉOMERE , Ou Tableau abrégé des Paffions ,
extrait d'un Manuferit trouvé chez les Caloyers du
Mont Athos , in 16. Prix , 3 liv. broché. A Paris ,
de l'Imprimerie de MONSIEUR , & fe trouve chez
Didot le jeune , Imprimeur - Libraire , quai dés
Auguftins.
Le Héros de ce Roman eft un jeune homme
dont le père mourant a confié la conduite à un
Affranchi , homme vertueux , qui lui fert de Mentor ,
comme Minerve à Télémaque . Cléomère fait glo
rieuſement fes exercices à Lacédémone , & voyage
fous la direction du fidèle Olric ; il devient amoureux
; la jeuneffe & Loccafion dans un autre climat
le font paffer de l'amour à la volupté ; la vertu le
ramène de la volupté à l'amour .
L'Auteur a tracé une peinture fidel'e des moeurs
antiques , fans négliger de cenfurer les moeurs actuelles.
On y voit avec plaifir les ufages , & même
plufieurs Perfonnages antiques ramenés fur la fcène,
quelquefois un peu aux dépens du fujet principal.
DE FRANCE. 165
Paphos & Sybaris y préfentent des tableaux attachans
, voluptueux même , fans détruire le but moral
de l'Auteur.
JERUSALEM Délivrée , nouvelle Traduction ,
dédiée à Mgr. le Comte de Vergennes. 5 Vol.
in- 16.
Cette Traduction littérale & élégante , dont nous
avons rendu compte , eft imprimée Stances par
Stances à côté du texte. C'eft la première Traduction
qui ait cet avantage. M. Cazin , Editeur de la
Collection des petits formats , en a acquis tout le
fonds , elle en fait partie , & fe trouve à Paris , rue
des Maçons , No. 3. Le prix des s vol. eft de 15 liv.;
l'Italien feul , 2 vol . in - 16 . coûte 12 liv.
MEMOIRE Couronné le 25 Août 1784 , par
l'Académie Royale des Sciences , Belles-Lettres &
Arts de Bordeaux , fur cette queftion : Quel feroit
le meilleur procédé pour conferver le plus long temps
poffible ou en grain ou en farine le Maïs ou Bled de
Turquie , plus connu dans la Guienne fous le nom
de Bled d'Espagne , & quels feroient les différens
moyens d'en tirer parti dans les années abondantes ,
indépendamment des ufages connus & ordinaires dans
cette Province ; par M. Parmentier , Cenfeur Royal,
&c. , augmenté par l'Auteur de tout ce qui regarde
l'Hiftoire Naturelle & la culture de ce grain , in- 4º ,
de 164 pages. A Bordeaux , chez Arnaud -Antoine
Pallandre l'aîné , Place Saint Projet.
Le fuffrage de l'Académie qui a couronné ce
Difcours , & la réputation de fon Auteur dans ce
genre de connoiffances , formeroient feuls un préjugé
très-avantageux . L'utilité du fujet qu'on y traite , y
ajoute un nouveau prix , & donne à M. Parmentier
în nouveau droit à la reconnoiſſance publique.
166 MERCURE
PORTRAIT de Louis XVI, peint par J. Boze ,
gravé par B. L. Henriquez , Graveur du Roi & de
S. M. Impériale de Ruffie , Membre de l'Académie .
Impériale de Saint - Pétersbourg. A Paris , chez
Boze , rue du Sentier.
Ce Portrait , qui avoit fait honneur à M. Boze ,
eft reffemblant & bien gravé.
ANGÉLIQUE & Médor , Eftampe gravée par
N. de Launay , de l'Académie Royale de Peinture
& Sculpture , d'après J. Raoux , de la même Académie.
Prix , 12 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue de
la Bucherie , nº . 26.
Cette Eftampe foutiendra parfaitement la réputation
de fon Auteur. La force du burin répond au
mérite de la compofition.
THAIS , ou la belle Pénitente , Eftampe gravée .
par J. C. Levafleur , d'après J. B. Greuze. Prix ,
4 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue des Maçons ,
11. 12.
Cette Eftampe eft d'un burin moelleux , & d'un
effet très-agréable.
CAFÉ DE SANTÉ . Le fieur Frenehard , ancien
Officier d'office , qui s'eft occupé long- tems de Chimie
, & qui a fuivi des Cours de Médecine , a conçu
& exécuté l'utile projet d'imaginer une liqueur qui
puiffe remplacer le Café. On cft généralement
d'accord aujourd'hui fur les inconvéniens de cette
dernière boiffon , prife le matin avec du lait . La
Poudre du ficur Frenehard eft compofée de riz ,
d'orge , de feigle , d'amandes & de fucre. Le goût en
eft agréable ; & la feule expofition de ce qui la com
pofe fuffit pour prouver qu'elle eft fans inconvéniens
pour la fanté. Elle ne peut qu'être utile aux tempé
DE FRANCE. 167
ramens fecs , bili : ux , aux perfonnes attaquées d'infomnie
, & dont le genre nerveux eft facile à s'irriter.
La manière de s'en fervir , c'eft d'en mettre une cuillerée
dans environ un demi fetier d'eau bouillante ,
& on la laiffe repofer après un bouillon ou deux ,
comme le Café ordinaire. Il faut y mettre autant de
fucre que de Poudre. Cette liqueur a des avantages
contre les maladies de poitrine , migraines , vapeurs ,
vertiges , & pas un inconvenient. La Poudre fe vend
30fols la livre , chez le fieur Frenchard , rue Ste- Marguerite
près celle des Cifeaux , entre un Marchand de
Bas & un Boulanger , au troiſième : fon nom eft fur
la porte.
La Dlle Frenehard , fa four , ancienne Coëffeufe,
qui demeure même maiſon , vend une Eau qui
teint les cheveux gris , blancs on rouge , en châtin ,
bran ou noir , & qui rétablit ceux qui font gâtés
déjà par d'autres teintures. Celle- ci opère dès les premiers
jours. Les couleurs qu'elle imprime durent
autant que les cheveux , qui deviennent par-là plus
propres à la frifure , & qui garniffent beaucoup plus ..
On en vend des bouteilles de 24 fols & de 3 liv . pour
en faciliter l'eſſai , & l'on y joint la manière de s'en
fervir. On peut en faire ufage fans danger.
REGUEIL de Romances , Ariettes & Chanfons ,
avec Accompagnement de Harpe ou Piano , par M.
Guichard. Prix , 7 liv. 4 fols . A Paris , chez Michaud
, rue des Mauvais-Garçons , près celle de
Buffy , chez l'Herboriste .
QUATORZIEME Recueil de Mufique pour le
Ciftre , contenant les plus jolies Ariettes & Airs
variés , par M. Pollet l'aîné , OEuvre XVIII Prix ,
6 liv. A Paris , chez l'Auteur , Cloître Saint Merry ,
maifon de M. Gerbet , Négociant .
168 MERCURE
DEUXIÈME Recueil des Etrennes d'Euterpe
Paroles , Mufique , Accompagnement de Guittare ,
par M. Ducray , OEuvre III . Prix , 2 liv . 8 fols . A
Paris , chez Rebin , quai de Gêvres ; de Roullede ,
rue Saint Honoré , près l'Oratoire , & Mlle Lebeau,
au Palais Royal.
RECUEIL d'Airs nouveaux François & Étrangers
en Quatuors concertans , ou Numéro 4 du
Journal de Violon , Flûte , Alto & Baffe. Abonnement
pour vingt- quatre Cahiers 21 liv. & 24 liv. Il
en paroît un tous les quinze jours. Séparément ,
2 liv . On foufcrit à Paris , chez M. Porro & Mme
Baillon , rue Neuve des Petits Champs , à la Mufe
Lyrique.
Faute à corriger au Mercure dupremier Avril.
Page première , feptième vers : La Nature a parlé,
lifez : La Parrie a parlé.
TABLE.
FRAGMENT fur l'Influence Traduction du Plutarque Andu
phyfique de l'homme fur glois ,
149
fes facultés intellectuelles , Précis des Conférences des
122 Commiffairesdu Clergé avee
Acroftiches , 123 les Commiffaires du Roi ,
Charade , Enigme & Logogry-
155
127 Concert Spirituel , 157
161
phe ,
Voyage de M. de Mayer en Annonces & Notices ,
Suiffe , 129
APPROBATIO N.
J'AI lu , par ordre de Mgr . lè Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 14 Avril 1786. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 AVRIL 1786.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A Madame la Ducheſſe DE COURLANDE ,
en lui préfentant une Rofe naturelle , le
3 Février 1786 , jour de la naiſſance de
S. A. S.
L'AMOUR ,
MOUR
, ce Souverain
des mortels
& des Dieux
,
Voyant
le myrte
fier de couronner
la mère ,
Soutenoit
que la roſe
orneroit
beaucoup
mieux
Une
Déeffe
de Cythère
.
Grand débat fur ce point : l'enfant malicieux ,
Pour effayer la fleur , jette fur vous les yeux.
Mais , hélas ! où chercher , où trouver une rofe ?
No. 16 , 22 Avril 1786.
I
170 MERCURE:
Sous un ciel nébuleux , en cetre âpre faifon ,
Nulle fleur n'eft encore éclofe ;
Tout dort dans la Nature , hors le noir Aquilon ,
Cependant ce projet offre en vain des obftacles :
Le defir de vous plaire enfante des miracles,
L'Amour voit un rofier courbé fous le fardeau
Du givre amoncelé fur fon branchage aride ;
De fa bouche vermeille il approche un rameau ,
Il fouffle : le rofier lève un front moins timide ,
S'étonne des glaçons dont il eft entouré;
Une douce chaleur l'échauffe par degré !
Sa sève devient plus rapide ,
Tout l'arbuste eft régénéré.
Dans un inftant le bourgeon devient feuille ;
Un bouton s'ouvre , un autre après ,
La rofe naît , l'Amour la cueille ,
Et vient en faire hommage à vos attraits.
( Par M. Mayet , Directeur des Fabriques
de Sa Majesté Pruffienne , & Membre des
Académies de Lyon & de Villefranche. )
*
DE FRANCE. 17
CHANSON. *
BELLE Luce .-te, en tends-
E
le ra ma- ge
de ces oi-feaux qui céle
- brent leurs feux ? Ils font re-
* Cette Chanfon eft tirée des Délaffemens de Polymnie
Journal qui paroît tous les quinze jours , chez l'Auteur ,
M. Porro , rue Neuve des Petits-Champs , au coin de
celle de Richelieu .
I ij
17ì MERCURE
di- re à l'é cho du ri- va- ge :
le prin-tems fuit , hâ -tons - nous
d'être heu- reux.
VOIS-TU ces fleurs , ces fleurs qu'un doux zéphire
Va careffant de ſon ſouffle amoureux ?
En fe fanant elles femblent te dire :
L'hiver accourt• hâtons- nous d'être heureux.
HELAS ! hélas ! ces momens pleins de charmes ,
Comme un éclair s'échappent à nos yeux ,
Et les inftans de retard ou d'alarmes
Nous font comptés pour des inftans heureux .
( Paroles de M. Hoffman , mufique de M. Porro. )
DE FRANCE. 173
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Dépouille ; celui
de l'Enigme eft le Vin ; celui du Logogryphe
eft Defir , où l'on trouve rides , Sire , ris ,
dé , Ides , dés , ire , fi , ré , ris.
CHAR AD F.
FILLETTE
TTE a toujours mon premier ;
Ville de guerre mon dernier ;
Et labyrinthe mon entier.
( Par M. Duclauzeau. )
ENIGM E.
ON peut en plaifantant m'appeler une ville.
Jouons donc fur ce mot , puifque plus de cent mille
Hommes, femmes, garçons , filles , vieillards , enfans,
Pendant le cours d'un an fe font mes habitans.
Chez moi bravoure ni nobleſſe
Ne donnent point la primauté ;
Le plus ancien Bourgeois la prend d'autorité.
Hors de mes murs , & par prudence ,
A
Mon Gouverneur tient fa féance ;
I j
174
MERCURE
2 Et foumis à tous mes Bourgeois ,
Aux bêtes feulement il peut donner des loix :
Bêtes qu'on met dehors pour être plus utiles.
Hommes en mouvement , & pourtant immobiles ,
Changent de lieu fans en changer
Ne demandent qu'à déloger ;
Et fortant la nuit par cohortes,
Ils vont dormir hors de mes portes
Et viennent le jour plufieurs fois
Se mettre à couvert fous mes toits.
Mais , me dira bientôt un devineur habile
L'énigme à deviner me paroît trop facile .
Voici le mot, je l'ai trouvé :
Cette ville , c'eft un café ;
Peut- être dans Paris il en eſt bien plus d'une.
On y prend en public une liqueur commune .
Les habitans y font oififs :
Grands difputeurs & décififs ;
Mais hors de la difpute ils font humains , affables ;
Et s'ils débitoient moins de fables ,
Ils feroient grands Hiftoriens.
C'eft un café fans doute ? A ce mot je reviens ;
Et de peur qu'on ne le devine ,
Je le dis franchement , cette franchiſe eſt fine ;
Car qui peut me croire affez fot
Pour dire en même- temps & l'énigne & le mot.
(Par M. Guérin du N **. )
DE FRANCE. 175
LOGO GRYP H E.
ÉPRISÉ par les uns , & des autres chéri ,
J'offre de la vertu le féjour ordinaire :
L'époufe dans mon ſein , fidelle à fon mari ,
Préfente à tous les gens un amour exemplaire.
J'ai fept pieds, cher Lecteur : dans ma divifion
On trouve le féjour où naît l'ambition ;
Ce que l'homme devient quand il commet un crime s
Une note ; un dépôts ce qu'amène le temps ;
Ce que le temps détruit ; un des quatre élémens ;
Et ce qui ne vaut pas la peine qu'on l'imprime.
(Par une jeune Demoiselle. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
ÉLOGE de M. Caffini de Thury , de
l'Académie des Sciences , Directeur de
l'Obfervatoire Royal , par M. le Marquis
de Condorcet.
M. LE MARQUIS DE CONDORCET eft auteur
de cet Éloge ; on y retrouve , comme
dans tous ceux qu'il a écrits , beaucoup de
nobleffe , un ftyle fage , des définitions exactes ,
& le talent de mettre la Science à la portée
Iiv
176' MERCURE
de fes lecteurs. A une diftance égale des excès
du panégyrifte , & de la froideur qui ne fait
point élever à la hauteur convenable le per-
Tonnage dont on doit parler , il plaît par une
impartialité que n'eut pas toujours Fontenelle
. D'Alembert a écrit que les gens - delettres
avoient une fingulière deſtinée , d'être
déchirés de leur vivant , & trop loués après
leur mort. Heureux donc l'homme de génie
auquel le Public' a pardonné fes talens pendant
qu'il vécut , & qui eſt affuré d'être célébré
avec cette équité qui feule rend un
Eloge éternel ! Heureux encore le Savant qui,
claffé par l'importance de fes études hors
de la portée du vulgaire , s'environne d'une
efpèce de facerdoce qui femble rendre fa
perfonne & fes travaux facrés ! On ſent qu'il
exifte , on jouit de fon travail , & on n'a jamais
la hardieffe de le juger.
M. de Caffini fut par ces raifons à l'abri
de la critique, & recueillit de tous les Savans
de l'Europe ce fentiment d'eftime qui lui étoit
dû , & que M. de Condorcet vient enfin
d'exprimer avec toutes les bienféances que
s'impofe néceffairement le Secrétaire de l'Académie
des Sciences.
N
Céfar Francois Caffini de Thury , noble
» Siénois , Maître des Comptes , Directeur
de
l'Obfervatoire Royal , de la Société
Royale de Londres , de l'Inftitut de Bologne
, des Académies de Berlin & de
Munich , Penfionnaire , Aftronome de
l'Académie des Sciences , naquit à Paris
23
DE FRANCE. 177
»
le 17 Juin 1714 , de Jacques Catlini , &
de Sufanne Françoife Charpentier de
Charmoi. »
Quoique la famille de M. de Caflinį ,
connue depuis plufieurs fiècles en Italie ,
fut comptée parmi les familles Sénatoriales
de Sienne , dès le temps du Cardinal Caffini
, Archevêque de cette Ville en 1426 ,
& qu'elle ait eu un fecond Cardinal dans la
promotion de 1712 , c'eft aux Sciences qu'elle
doit fa principale illuſtration.
Douteroit -on que ce ne foit la plus belle ,
& celle qui ne laiffe aucun fâcheux fouvenir ?
La carrière des armes , les grandes places
élèvent un nom , & perpétuent les races :
les fciences ont auffi leur gloire ; celle qui
doit rejaillir fur une famille noble qui les a
cultivées pendant plufieurs fiècles , nous paroit
la pius digne d'envie ; mais par l'erreur ;
de l'opinion , il femble que le gentilhomme
qui fe livre aux belles - lettres , ne doit plus
attendre que la confideration qu'elles donnent
on veut oublier fa naiffance pour ne
lui tenir compte que de fon génie ; de- là
vient qu'on ignore fouvent l'origine de
l'homme-de- lettres , qui peut fouvent le difputer
à des noms illuftrés dans une autre
carrière. Le nom de Dominique Caffini
fera long-temps cité ( dit M. de Condorcet
) parmi ceux dont s'honore un fiècle fécond
en hommes illuftres ; & , ce qui eft fans
exemple dans notre hiftoire , M. le Comte
de Caffini , notre confrère , fils de M. de
Iv
178 MERCURE
Thury , eft le quatrième Académicien en
ligne directe de cette famille , qui , depuis
1669 , a conftamment & fans interruption
donné des Aftronomes à l'Académie.
ور
Le nom de Caflini impofoit de grandes
obligations au jeune Thury. M. Maraldy ,
élève & neveu de Dominique , fe chargea
de diriger les études de fon petit- fils. » A
» dix ans , il calcula les phafes de l'éclipfe
» totale de foleil qu'on attendoit pour l'an-
» née 1727. Il fut reçu en 1737 à l'Aca-
» démie comme adjoint furnuméraire ; il
» avoit vingt-un ans : fon père y avoit été
admis à dix-fept ans ; & fon fils a été reçu
» dans un âge non moins tendre. Ainfi
» le génie des Caffini fut également maintenu
, & toujours précoce ».
Les premiers travaux de M. de Caffini de
Thury eurent pour objet de vérifier ( dit M.
de Condorcet ) la méridienne qui paffe par
PObfervatoire . Il travailla d'abord avec fon
père , enfuite avec l'Abbé de la Caille . Cette
méridienne avoit été tracée par Dominique
Caflini ; fon fils & Picart avoient eu part
ce travail. La querelle fi long-temps foutenue
pour ou contre l'applatillement de la
terre , avoit enfin été terminée par la décifion
de Jacques Caffini , qui s'étoit déterminé
contre l'applatiffement.
à
On avoit aufli formé le projet de faire
une defcription géométrique de la France :
ce projet abandonné , fut repris avec ardeur
par le jeune Caffini , qui y donna l'extenDE
FRANCE. 179
و د
ور
" .
ور
fion la plus complette. » Il ne voulut plus bor-
» ner cette defcription à la détermination des
points des grands triangles qui devoient
» embraffer toute la furface du Royaume ,
» mais il entreprit de lever le plan topographique
de la France entière ; de dé-
» terminer par ce moyen la diſtance de tous
» les lieux à la méridienne de Paris , & à
la perpendiculaire de cette méridienne.
» Jamais on n'avoit formé en Géographie
» une entreprife plus vafte & d'une utilité
» plus générale : c'étoit , en effet , un préliminaire
abfolument néceffaire pour par-
» venir à une connoiffance approfondie &
détaillée de la France : on ne fe bornoit
» pas à marquer fur la carte tous les objets ,
même jufqu'à des chaumières ifolées ; on
devoit y figurer les rerreins autant qu'il
» étoit poffible de le faire , par de fimples
hachures. Ces cartes devenoient un cadre
» dans lequel tous les détails fur l'éléva-
» tion des terreins , la pente & la direction
» des eaux , fur Hiftoire Naturelle , fur
» les productions de chaque Pays , fur l'é- .
و ر
"
و ر
ود
+
tendue des phénomènes de l'atmosphère ,
» fur la population , les limites même des
» Coutumes des différentes Adminiſtrations ,
>>> des Loix de finance ou de commerce ; venoient
fe ranger dans un ordre méthodique
qui promettoit d'en mieux faifir
l'enfemble , d'en tirer des conclufions plus
» exactes.
""
33
1
» Cette entrepriſe fi utile , mais en méme-
· Ivj
180
MERCURE
"
temps fi difficile , exigeoit de la part du
» Gouvernement des fecours extraordinaires :
» M. de Caffini en obtint fans peine. Louis
» XV aveit confervé pour la Géographie un
goût vif; mais M. de Séchelles crut de-
» voir fupprimer les fonds que fes prédé-
» ceffeurs avoient accordés. Le Roi , qui ai-
» moit M. de Caffini , voulut fe charger de
» lui annoncer cette fâcheufe nouvelle.
"
"
"
"
"
»
―-
و ر
Sire , répondit M. de Caffini , que votre
Majefté daigne dire feulement qu'Elle voit
avec peine la fufpenfion de cette entreprife
, & qu'Elle en defire la continuation :
» je me charge du refte. Le Roi y confentit
, mais en plaiſantant M. de Caffini
» fur l'inutilité de cette marque d'intérêt ;
» car ce Prince , après plus de trente ans de
règne , ne connoiffoit pas encore toute
» la force de l'influence que l'opinion du
Monarque a fur les courtifans. Il n'eft
que trop vrai que dans les Monarchies , il
ne faut bien fouvent chercher la caufe de la
corruption & de la reftauration des moeurs ,
qu'auprès du Trône . C'eft- là qu'un feul
homme commande réellement par l'exemple
à tous les fujets , fans le fecours des Loix.
Qu'il aime les grandes entreprifes , il verra
auffi -tôt naître des hommes hardis ; fon goût
pour les fciences , fon eftime pour les Savans ,
enfanteront les hommes de génie. Il n'en
eft pas ainfi dans toute autre forme de Gouvernement
, où tout eft perdu s'il n'y a point
DE FRANCE. 181
de principes immuables , & fi les Loix ne
font point en vigueur.
La première étude de l'homme de génie
eft celle des hommes : M. de Caffini prouva
à Louis XV qu'il en avoit acquis une connoiffance
certaine ; le mot qu'il avoit obtenu
du Monarque ne fut point en pure perte.
Une Compagnie fe forma auffi-tôt , & enfin
le Gouvernement accorda des encouragemens
qu'il avoit retirés avec peine : différentes
Provinces contribuèrent à la dépenfe.
M. de Caffini a eu la confolation de voir
terminer prefqu'entièrement un travail fi
étendu , & d'en devoir à lui-même tout le
fuccès.
23
93
و د
ود
» Il ne vouloit pas borner fa carte ( dit
» M. de Condorcet ) à la France ; il pro-.
fita de la guerre de 1741 pour étendre
fés cartes à la Flandre , & vérifier la mefure
du degré faite par Scellius . C'étoit la
première que les Occidentaux euffent ofé
» tenter; & ce travail , joint à la découverte
» de la loi de la réfraction , avoit immortalifé
avec juftice le nom du favant Hol-
» landois. Cette mefure étoit cependant trèsfautive
; l'erreur paroiffoit de près de deux
» mille toifes fur un degré , & il étoit cu-
» rieux de favoir qu'elle en avoit pu être
la caufe : M. de Caffini trouva qu'il falloit
l'attribuer prefqu'uniquement à l'erreur
qui avoit été commife dans la détermina-
» tion de la différence de latitude des deux
points dont Scellius avoit mefuré la dif-
"
و د
"
182 MERCURE
ور
" tance : mais il s'arrêta ; & où finirent les
conquêtes du Roi , finirent aufli les opé-
» rations de fon Aftronome . Nul péril ne
l'effrayoit ; il cherchoit les plus grandes
élévations pour établir fon obfervatoire ,
» & quelquefois il fe plaçoit fur le clocher
» d'une Ville alliégée . C'étoit réunir à la
» préoccupation d'Archimède , plus de courage
, & non moins d'ardeur.
و د
و د
» En 1761 , il fit un voyage en Allemagne
: il avoit pour objet de prolonger jufqu'à
Vienne la perpendiculaire à la mé-
» ridienne de Paris ; d'unir les triangles de
» la carte de France à des points pris en
Allemagne ; de préparer les moyens d'é-
» tendre à ce vafte pays le plan fuivi en
France , & fucceffivement pour toute l'Eu-
" rope , avec la même uniformité......
و د
22
"
M. de Caffini , toujours occupé de fon
objet , profita de la dernière paix , pour
propofer de joindre , à quelques points
près , fur la côte d'Angleterre , ceux qui
» avoient été déterminés fur celle de France ,
» & lier ainfi la carte générale du Royaume
» à la carte des Ifles Britanniques , de même
و د
" .
qu'il l'avoit déjà liée à celle des Pays - Bas
» & de l'Allemagne. Le Roi a bien voulu
approuver ce plan
و ر
"",
L'entrepriſe des cartes , & l'exécution d'un
plan aufli vafte , amené à une aufli grande
perfection, avoient fuffi pour prouver que M.
de Caflini étoit très - laborieux. On fait qu'il
fut obligé de faire des voyages dans toutes
DE FRANCE. 183
les Provinces & chez l'Étranger ; que la plupart
de fes courfes étoient très- pénibles , &
que graviffant de hautes montagnes il a été
expofé au froid , au chaud , à toutes les intempéries
de l'air ; qu'il a été mal nourri ,
mal couché , tenu dans un état de privation ;
mais confolé par le développement de fes
travaux , & la progreffion caractériſée de fes
cartes , il planoit fur l'horizon , & calquoit
avec fidélité ce fuperbe tableau qui étoit fous
fes pieds , fans en altérer ni le deffin , ni les
couleurs. Combien de fois n'a- t - il pas été
dédommagé par la furpriſe de ces Payfans ,
qui reconnoiffoient & montroient avec leur
doigt leurs propriétés , la couleur de leurs
terreins , celle du chemin qui y conduit , &
la plantation des routes. Une plus grande
récompenfe l'artendoit ; c'étoit la confianceque
fon exactitude avoit infpirée aux Provinces
on confultoit fes cartes ; on trayoit
d'après elles les differentes démarcations ;
les Tribunaux les fuivoient pour toutes les
limites. On ne peut comparer à M. de Caffini
, que M. Pfiffer de Vyer , Lieutenant-
Général des Armées du Roi , qui a modelé
à Lucerne , les fites que M. de Caffini faifoit
colorer fur fes cartes. L'Aftronome François
a eu le mérite de l'invention , & fon
travail eft d'une utilité plus reconnue ; mais
il manque à la France un plan modelé , dans
les mêmes proportions que celui de M. le
Général Pfiffer. L Gentilhomme Suiffe , &
le Gentilhomme François ont eu de grands
184 MERCURE
=
*
obftacles à vaincre ; celui qui marchera fur
leurs traces , aura befoin d'employer les
mêmes lumières , le même courage , & la
même opiniâtreté.
» La lifte des travaux Aftronomiques de
» M. de Cafiini ( dit M. de Condorcet ) eſt
» nombreuſe. Il a publié dans les Mémoires
de l'Académie , une fuite prefque complette
de ces obfervations que le ciel pré-
» fente chaque année , dont l'enſemble eft
néceffaire à la perfection des théories aftronomiques
, ou peut fervir de bafe à
des théories nouvelles. Sa place de Direc-
» teur de l'Obfervatoire Royal , lui faifoit
» un devoir de ce travail. "
Il avoit reçu du Ciel tout ce qui pouvoit
le rendre utile aux autres ; un caractère ouvert
, & beaucoup de franchife : ces deux
qualités font précieuſes , encore plus dans
un Savant que dans tout autre ; les lumières
ne peuvent s'étendre que par la communication.
M. de Caffini fe plaifoit à faciliter
les recherches ; il fembloit jouir du fuccès
des autres : innacceffible à la haine , à l'envie ;
il honora la Science par la nobleffe de fes
fentimens ; fenfible à l'amitié , il s'oublioit
pour elle , & en général il devenoit volontiers
l'ami de l'homme de génie , & du Savant
qui aimoit l'étude.
Il eut des liaiſons avec les Grands , & n'en
profita point , fe conferva indépendant
& prouva que dans cette correfpondance il
cherchoit bien plus des amis , des relations
DE FRANCE. 18
:
illuftres, que des protecteurs. Son défintéreſfement
ne pouvoit qu'honorer beaucoup les
Sciences le crédit que fes liaifons lui procuroient
, rejailliffoit fur ceux qui cultivent
les lettres. Il feroit à fouhaiter que quelques
Savans confervaffent des correfpondances
étroites avec ceux qui peuvent , par leur
protection , donner au génie une affiftance
dont il ne jouit pas toujours. Quand on ren.
controit M. de Caffini dans les fociétés , ce
n'étoit plus que l'homme du monde ; fon
amabilité étoit ingénieufe : lorfque le Savant
étoit contraint de fe montrer , c'étoit avec
des graces charmantes. Sa bonne conftitu
tion lui promettoit une longue vie ; mais
il fut attaqué de la petite vérole , & mourut
le 4 Septembre 1784. Il a laiffé une
fille mariée à M. le Marquis de Riencourt ,
& un fils , le Comte de Caffini , Membre de
l'Académie , Directeur de l'Obfervatoire.
M. le Marquis de Condorcet n'avoit à
célébrer qu'un Académicien qui n'étoit plus ,
& il n'a rien dit de M. le Comte de Caflini ;
il nous fera permis d'ajouter que cette hérédité
, qui , jufqu'ici, n'avoit point été établie
dans les familles pour les dons du génie , a
paffé toute entière fur le rejeton d'une race
célèbre. Le Comte de Caffini marche dignement
fur les traces de Dominique Caffini
, dont l'Hiftoire de l'Aftronomie a pris
foin d'éternifer le nom. C'eft à fes follicitations
que l'on doit l'École qui vient d'être
inftituée à l'Obfervatoire Royal ; & d'autres
186 MERCURE
efforts prouvent également fon amour pour
le bien de la Science , & pour l'avantage
de la Nation. Nous parlons de lui d'autant
plus volontiers , que nous connoiffors mieux .
que tout autre , & fon efprit & fon coeur.
LE Mari Sentimental , ou le Mariage comme
il y en a quelques - uns ; fuivi des Lettres
de Miftriff Henley , publiées par fon amie
Mme de C*** de Z *** , & de lajuftifi
cation de M. Henley , adreffée à l'amie de
fa femme. 2 vol. in - 12 . A Genève , & fe
trouve à Paris , chez Buiffon , Libraire ,
hôtel de Mefgrigny , rue des Poitevins
No. 13. Prix , 2 liv. broché , & 2 liv. 10 f.
franc de port par la pofte.
LE fond de ce double Roman , dont la
forme eft affez fingulière , a le mérite d'être
abfolument neuf. On ne voit ici ni aventure
merveilleufe, ni amans perfécutés , difperfés ,
réunis on n'y voit point de ces intrigues
filées , promenées d'obftacles en obftacles. Il
n'y a même ni amans , ni paffions amoureufes
, & cependant il y a de l'intérêt. L'Auteur
a eu l'art d'attacher & d'émouvoir fes
Lecteurs , fans avoir recours à ce reffort commun.
Cette tentative a déjà été faite au Théâtre
; mais nous croyons que c'eft la première
fois qu'elle ait été rifquée dans un Roman :
il nous femble cependant qu'elle pourroit être
répétée avec fuccès , & même infiniment
étendue
. of
DE FRANCE. 187
Quel doit être le but du Romancier ?
De nous tracer les divers tableaux de la
vie, afin que parmi ceux qui fe rapprochent
le plus des circonftances qui nous entourent
, nous choififfions la route que nous
devons fuivre , les écueils que nous devons
éviter. Mais la vie finit-elle pour nous au
mariage ? Lorfqu'après avoir éprouvé bien
des traverſes , nous atteignons enfin à ce but
defiré qui nous paroît celui du bonheur ,
eft- il bien vrai que nous foyons toujours heureux?
Les peines de l'amour ne durent qu'un
inftant : voit-on finir celles qu'entraîne fouvent
le mariage ?
>
Ce feroit donc un Roman auffi intéreſſant
qu'utile , que celui qui peindroit les malheurs
d'un homme mal afforti ; qui feroit voir deux
époux qui , par la différence de leur caractère ,
par le défaut de confiance & d'épanchemens ,
fans lefquels il n'eft point de félicité , faute
de ces facrifices continuels au goût l'un de
l'autre , fi néceffaires pour entretenir l'union ,
trouveroient l'infortune la plus intolérable
dans ces liens mêmes dont ils attendoient le
bonheur. Tel eft le fujet du Mari Sentimental.
M. de Bompré a pour ami M. de Saint-
Thomin. Le bonheur de celui- ci , marié nouvellement
, infpire au premier le defir d'en
goûter un femblable , & change toutes fes
idées fur le célibat , dans lequel , jufqu'à ce
moment , il s'étoit cru heureux . M. de Bompré
va à Genève voir un vieux Militaire ,
#
188
MERCURE
fon ancien camarade , qui a une foeur d'une
trentaine d'années , affez agréable de figure ;
des manières fort aimables , & à laquelle on
trouve beaucoup d'efprit. On la lui propofe ;
on lui prouve que cette union eſt très-convenable.
Il n'a pas le temps d'y réfléchir : il
épouſe. Il faut voir dans l'Ouvrage même tous
les détails du changement qui s'opère fucceffivement
dans la maifon de cet infortuné
auparavant ſimple , ruſtique même , mais heu
reufe & gaie : le bon goût & le défeſpoir y
entrent à la fois. Il avoit un chien qu'il aimoit
beaucoup ce chien gâte les meubles ; il le
trouve un matin tué contre une haue ; un
cheval auquel il étoit fort attaché ; Madame
Jui fubftitue deux courfiers fringans ; le mal
heureux époux va le racheter lui- même au
Marchand qui s'en étoit accommodé , & en
fait préfent à fon ami. Un vieux & bon Serviteur
eft chaffé pour avoir caffé une porcelaine.
Jufqu'à l'intérêt que ce coeur honnête
prend à une famille de payfans , eft empoi
fonné par la calomnie , & devient pour lui
une nouvelle fource de malheurs. Tous ces
détails , d'une fenfibilité vive & protonde ,
font naître un intérêt preffant , & perdent
trop à être extraits. Malgré toutes ces défertions
fucceffives , M. de Bompré s'obtine
long-temps à croire qu'il eft aimé de fa fem,
me , qu'elle connoît mieux que lui la route
du bonheur , & il fe laiffe conduire aveuglément
par une perfonne dont il eſtime trop la
raifon & l'efprit. Cette confiance exceffive ,
DE FRANCE. 189
relevée par un fi noble motif, fert encore à
le rendre plus intérellant. Mais enfin le voile
tombe ; il ne peut plus douter de l'empire
tyrannique que s'eft arrogé fa femme. Il fent
trop que fa foiblefle ne lui a valu que des mé
pris ; fon âme s'ouvre à la douleur , qui s'y
établit fans combat & la dévore; le malheu
reux Bompré , qui n'a pas eu la force de pré
venir le mal , n'a pas celle d'y apporter remède
, & il meurt victime de fon excès de
fenfibilité.
Cette Hiftoire , fondée fur un fait réel &
récent , n'a de romanefque que la forme.
L'Auteur eft , à ce qu'on affure , le même que
celui de Camille , ou Lettres de deux filles
de cefiècle , qui a paru il y a peu de temps ,
& qui a été lue avec beaucoup d'intérêt .
Le Roman qui fuit dans le même volume ;
eft le pendant du premier.
Miftriff Henley vient de lire à Londres le
Mari Sentimental , qui , dit-elle , paroît depuis
peu traduit en Anglois. Elle rend compte
à fon amie de l'effet qu'a produit cette lec
ture fur les époux de fa connoiffance , & notamment
fur le fien. La foibleffe de Bompré
eft condamnée , & il paroît que M. Henley
fur-tout veut bien ſe garder de l'imiter. Miſtriff
Henley eft jeune , & mariée depuis peu . Elle
eft vive , étourdie , mais très - fenfible ; elle
veut de tout fon coeur faire le bonheur de
fon mari ; mais elle fe trompe fouvent fur
les moyens. Elle nous peint M. Henley comme
un homme plein de vertus , de fageffe & de
190 MERCURE
mérite ; de l'âme la plus noble , d'une belle
figure , mais d'un fang- froid inaltérable , qui
contrafte parfaitement avec les écarts de fa
jeune époufe. Il la reprend avec toute la douceur
poffible ; mais elle n'en eft pas moins vivement
affectée de voir fes bonnes intentions
manquer leur effet ; & le chagrin qu'elle en
reflent , prend autant fur elle que fi fon mari ,
par de mauvais traitemens , y donnoit un
fondement réel.
Nous en citerons quelques exemples. M.
Henley , déjà veuf , a une fille. Sa nouvelle
époufe , qui ne veut pas paffer pour une bellemère
, dont elle n'a pas les fentimens , s'occupe
beaucoup de l'éducation de cette jeune
perfonne. Elle lui apprend une Fable de La
Fontaine ; Miftriff Henley compte fur le
plus grand fuccès. « Je difois tout bas les
» mots avec elle ; le coeur me battoit , j'étois
» rouge de plaifir. Elle récite à merveille , dit
ود
"
сс
M.Henley; mais comprend-t'elle ce qu'elle
» dit ? Il vaudroit mieux , peut -être , mettre
dans fa tête des vérités avant d'y mettre
» des fictions. L'hiftoire , la géographie ........
" Vous avez raifon , Monfieur , lui dis-je ;
» mais fa Bonne pourra lui apprendre auffi
bien que moi que Paris eft fur la Seine &
» Lisbonne fur le Tage. Pourquoi cette
impatience ? apprenez-lui les Fables de La
» Fontaine , fi cela vous amuſe ; au fond , il
» n'y aura pas grand mal. Non , dis-je
» vivement , ce n'eft pas mon enfant , c'eft le
» vôtre. Mais, ma très-chère , j'efpérois .....
ور
22
33
-
---
-
DE FRANCE. 191
و د
» Je ne répondis rien , & je m'en allai en
pleurant. J'avois tort , je le fais bien ;
» c'étoit moi qui avois tort. Je revins quel-
» que temps après , & M. Henley eut l'air
» de ne pas même fe fouvenir de mon impatience.
»
22
Nous avons copié cette ſcène , pour donner
en même-temps une idée du ton & du ſtyle
de l'Ouvrage. Miftriff Henley éprouve une
contrariété dont les fuites font plus fàcheufes.
Elle devient groffe ; elle eft comblée d'une
joie qu'elle compte bien faire partager à fon
mari. Elle fait déjà des projets d'une ambition
extravagante ; elle les communique au fage
Henley, dont la modération les détruit tous.
Le chagrin que reffent fa femme d'avoir fi
mal faili fon caractère , & de s'être trompée
dans cette circonftance comme dans les autrès
, la mine peu-à-peu , & elle meurt en couches.
C'eft fans doute prendre la chofe bien
au tragique; & c'eft , à ce que nous croyons ,
un reproche à faire à l'Auteur , qui n'a
pas affez motivé cette mort , & qui paroît
n'avoir tué fon Héroïne que parce qu'il étoit
preffé de finir. La conduite de l'impaffible
M. Henley mérite auffi quelque critique.
Sa femme ne lui demandoit pas une approbation
aveugle , mais feulement de lui témoigner
de la tendreffe , & de lui favoir gré
de fes intentions : elle le dit elle-même ; &
il est vrai qu'on ne conçoit pas pourquoi M,
Henley, qui a les plus tendres fentimens pour
La femme s'empreffe,fi peu de les lui exprimer ,
192 MERCURE
L'Auteur a cru répondre à cette critique
par ce qu'il appelle la juſtification de M.
Henley. Là , tout ce qu'on a vu dans l'Ouvrage
précédent eft changé ; les deux caractères
ne font plus les mêmes , & par conféquent
tout le charme eft détruit. Miftriff Henley
n'eft plus cette étourdie , ayant tort ſans ceſſe,
& convenant fans ceffe de fes torts , ce qui
ne la rendoit que plus intéreffante ; peinte
par M. Henley lui-même , c'eft une femme
qui pofsède les perfections les plus rares &
les plus froides ; c'eft une Philofophe qui
cite Rouffeau , Locke & Rollin , & qui ,
à l'article de la mort , fait une differtation
de 30 pages fur le meilleur traité, d'éducation.
Si cette femme avoit vécu , elle
auroit été infoutenable. Cette prétendue juftification
n'eft d'ailleurs rien moins que bien
écrite , & ne paroît pas du tout être de la
même main. Nous en citerons quelques lignes.
» Il me femble , dit Miftriff Henley dans
fon long difcours , il me femble que l'on
dépende atfolument du moment , du pre-
» mier objet que l'on rencontre , & que
l'humeur , le caractère , le ſentiment même
foient attachés à des chofes qui leur font
étrangères. Mon cher ami , aimons- nous
» toujours , & ne mettons notre fenfibilité
qu'à cette félicité. Repouffons es petits
» incidens qui , dans le fond, font indifferens,
» & qui ne valent jamais les maux qu'ils caufent.
Au travers de l'humanité inquiète
foucieufe , agitée , malheureufe , je verrai
"
"
" .
"
→
» toujours
و د
DE FRANCE. 193
وو
"
cc
toujours un mari qui m'aime , & dont je
préférerai le bonheur à ma vie même. « Il
nous paroît impoffible que la main qui a raffemblé
cet amas d'expreffions impropres
obfcures , incohérentes , & de confonnances
fi défagréables , foit la même qui a tracé, par
exemple , ce tableau de ce qui fe palle dans
l'âme de Miftriff Henley. Je fuis malheu-
» reuſe , je m'ennuie. Je n'ai point apporté
» de bonheur ici , je n'en ai point trouvé. J'ai
» caufé du dérangement , & je ne me fuis
» point arrangée. Je déplore mes torts , mais
», on ne me donne aucun moyen de mieux
» faire. Je fuis feule , perfonne ne fent avec
moi. Je fuis d'autant plus malheureuſe .
» qu'il n'y a rien à quoi je puiffe m'en prendre
, que je n'ai aucun changement à demander
, aucun reproche à faire , que je me
blame & me méprife d'être malheureufe. »
Certe dernière phrafe nous paroît charmante
, & caractériſe très- bien le fexe de
l'Auteur , Mme de C.... de Z. Son Ouvrage
mérite en général beaucoup d'estime pour le
fond & pour les détails ; il ne péche même
dans la contexture que parce que le dénouement
n'en eft pas affez adroitement filé..
Nous répétons que nous ne pouvons croire
la juftification de M. Henley de la même
main ; & fi nous l'avons traitée un peu durement
, c'est pour nous venger de ce qu'elle a
troublé & prefque détruit l'extrême plaifir
que nous avoit fait l'Ouvrage.
ود
و ر
"
No. 16 , 22 Avril 1736 .
K
194 MERCURE
TRADUCTION des Faftes d'Ovide , avec
des Notes & des Recherches de Critique ,
d'Hiftoire & de Philofophie , tant fur les
differens objets du fyftême allégorique de la
Religion Romaine , que fur les détails de
fon culte & les monumens qui y ont rapport.
in - 8°. avec figures. Tome II ; par
M. Bayeux , Avocat au Parlement de Normandie
, de l'Académie Royale des Sciences
, Belles-Lettres & Arts de Rouen , Correfpondant
de celle des Infcriptions &
Belles-Lettres. A Rouen , chez le Boucher
lejeune , Libraire , rue Ganterie ; & à Paris ,
chez la Veuve Ballard & fils , Imprimeurs ,
rue des Mathurins, & Barrois l'aîné , Libr. ,
quai des Auguftins.
Nous avons annoncé dans le temps le premier
volume de cette eftimable Traduction.
Il ne fuffit pas , pour bien traduire les Faftes
d'Ovide , d'entendre parfaitement la langue
latine ; il faut avoir une profonde connoiffance
de la mythologie , des moeurs & des
ufages des Romains.
M. Bayeux nous femble appelé à cette difficile
entreprife. Les notes qui accompagnent
fa verfion , fuppofent de grandes recherches ,
& annoncent une érudition très - étendue . On
lui reprochera peut- être de les avoir beaucoup
multipliées ; & en effet , le fecond volume
, qui eft de 546 pages , ne renferme que
la Traduction de deux Livres avec le texte,
DE FRANCE. 195
Mais ce Poëme , par la nature du fujet , eft un
des Ouvrages anciens le plus fufceptibles de
nombreuſes explications.
Quand nous avons parlé d'abord de cette
Traduction , en nous promettant quelques obfervations
critiques , nous avons donné à l'Auteur
les éloges que nous avons cru lui devoir. Le
volume que nous annonçons n'y a pas moins de
droits. Nous nous contenterons de rapporter
ici avec le texte , un morceau pris au haſard.
Le Poëte compare Auguſte à Romulus :
Sancte pater Patria , tibi plebs , tibi curia nomen
Hoc dedit , hoc dedimus nos tibi nomen Eques.
Res tamen ante dedit , ferò quoque vera tulifti
Nomina ; jam pridem tu pater orbis eras .
Hoc tu per terras , quod in here Jupiter alto,
Nomen habes ; hominum tu pater , ille Deum.
Romule , concedas : facit kic tua magna iuendo
Mania ; tu dederas tranfilienda Remo .
Te Patrius parvique Cures , Caninaquefenfit ;
Hoc duce , romanum eft folis utrumque latus.
Tu breve nefcio quid viča telluris habebas ;
Quodcumque eft alto fub Jove , Cafar habet.
Tu rapis , hiccaftas Ducefe jubet effe maritas.
Tu recipis luco , fubmovet ile nefas.
Vis tibi gratafuit ; florent fub Cafare leges :
Tu Domini nomen , Principis ille tenet.
Te Remus incufat ; veniam dedit hoft bus ille.
Caeleftemfecit te pater ; ille patrem.
"Père facré de la Patrie ! tel eft le titre que
Kij
196 MERCURE
و ر
ور
""
"
"
"3
و ر
23
و ر
» vous ont conféré & le Peuple & le Sénat,
» & notre Ordre des Chevaliers ; mais vos
» actions vous l'avoient déjà donné , ce titre
augufte , & vous n'avez reçu de nous que
l'hommage tardif de la vérité. Oui , dèslong-
temps vous étiez le père de l'Univers ;
» vous avez fur la terre le même nom que
Jupiter au haut de l'Olympe ; & comme il
eft le père des Dieux , vous êtes celui des
» hommes. Romulus , abaiffez vos titres de
gloire Rémus put franchir d'un faut les
" murs que vous bâtîtes ; la puiffance d'Augufte
les élève & les agrandit. Tatius & fes
foibles fujets , le petit pays des Sabins &
des Céniniens , furent les feules Nations
qui fentirent la force de vos armes ; au-
» jourd'hui l'une & l'autre borne de la courfe
» du foleil eft foumife aux Romains. Vous
poffédiez pour tout empire , je ne fais quel
» coin de terre enlevé aux vaincus ; celui de
» Céfar embraffe tout ce qui s'étend fous la
" voûte des cieux. Vous enlevâtes des époufes
; Céfar veut que la chafteté veille fur
» la couche nuptiale. Vous ouvrites un áfyle
au crime ; il le repouffe & le punit. Vous
» favorifates la violence ; Céfar fait fleurir
» les loix. Vous affectates le titre de maître ;
» il fe contente de celui de Prince. Rémus
» vous reproche fa mort ; Céfar pardonne
» même à fes ennemis. Enfin , c'eſt à votre
père que vous devez la divinité , & Céfar
la donna au fien. »
"
ود
"
و د
ور
DE FRANCE. 197
SPECTACLES.
COUP-D'OEIL fur le travail fait aux trois
Theatres Royaux , pour l'augmentation
du Répertoire , pendant la dernière année
Dramatique , ( Mardi 5 Avril 1785 , aù
Samedi 1er Avril 1786. )
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. (1)
CE Théâtre fe perfectionne de jour en jour : -
jamais l'exécution muſicale des Ouvrages n'y
a été fi parfaite , jamais on n'y a fi bien chanté.
( 1 ) Le Rédacteuri ordinaire de l'Article de l'Académie
Royale de Mufique , ayant été obligé de fufpendre
pendant quelque temps ce travail , celui des
Théâtres François & Italien a bien voulu fe charger
de le fuppléer , & le Coup-d'oeil qu'on préfente aujourd'hui
fur le travail fait aux trois Théâtres , eft
de la même main . On rendra compte , après la rentrée,
d'un Exercice qui a eu lieu dernièrement fur le
Théâtre des Menus , pour effayer les Sujets de l'Ecole
Royale de Chant , de Danfe & de Déclamation ,
lorfqu'une feconde exécution , dans laquelle on doit
employer de nouveaux Sujets , aura mis à portée de
les connoître tous . Note du Rédacteur ordinaire.
Kiij
98 MERCURE
Il faut être jufte ; c'eft aux lumières qui nous
ont été apportées par les Compofiteurs Italiens
, à la méthode qu'ils ont fait adopter
que nous devons ces avantages. Si M. Gluck
nous a fait fentir d'un côté combien notre
Opéra étoit peu digne d'une Nation Dramatique
, MM. Piccinni & Sacchini nous ont
prouvé , de l'autre , que nous étions très- éloignés
de connoître l'art du chant. Nous n'avons
pas d'abord voulu reconnoître ces vérités , parce
que nous tenions par orgueil à nos vieux principes
; mais il a fallu fe rendre à l'évidence ;
& la révolution dont nous fommes les témoins
, fera jouir un jour notre Académie
Royale de Mufique d'une célébrité digne de
la Nation Françoife.
Les Ouvrages qui ont été repréfentés dans
le cours de la dernière année Dramatique font
au nombre de feize. Ouvrages nouveaux :
Pizarre , Tragédie- Opéra en cinq Actes , par
M...., mufique de M. Candeille ; Pénélope
Tragédie en trois Actes , par M. Marmontel,
mufique de M. Piccinni , & le Premier Navigateur
, Ballet-Pantomime en trois Actes ,
par M. Gardel l'aîné.- Ouvrages remis : Iphigénie
en Tauride , par M. Piccinni ; Colinette
à la Cour , par M. Grétry ; les Danaïdes ,
par M. Salieri ; Diane & Endymion , avec
des changemens , par M. Piccinni ; Dardanus
, avec des changemens , par M. Sacchini ;
Alcefte , par M. Gluck ; Panurge , par M.
Grétry ; Iphigénie en Tauride , par M. Gluck;
DE FRANCE
.
199
普
Iphigénie en Aulide , par le même ; la Caravanne
, par M. Grétry ; le Seigneur Bienfaifant
, par Floquet ; la Rofière , Ballet - l'antomime,
& Mirza , autre Ballet- Pantomime ,
tous deux par M. Gardel l'aîné. Il faut ajouter.
à ce travail trois autres Ouvrages repréſentés
à la Cour: Themiftocle , Tragédie- Opéra en
trois Actes , par M..... , mufique de M. Philidor
; dipe à Colone , Tragédie-Opéra en
trois Actes , par M. Guillard , muſique de M.
Sacchini ; & Amphitrion , Comédie -Opéra
en trois Actes , par M. Sédaine , muſique de
M. Grétry. En tout dix- neufOuvrages.
-
Avant de terminer cet article , nous nous
permettrons quelques réflexions qu'il nous
paroît utile de foumettre à la fagacité des
Amateurs de l'Opéra. Depuis quelques années
on repréfente , & le Public voit avec plaifir
la repréſentation des Ballets Pantomimes.
Ces Ballets font des Ouvrages à part qui demandent
de grands foins , de grandes dépenfes
, des études multipliées , & qui ne peuvent
être exécutés que par les premiers, Sujets
de la Danfe. On doit fans doute de la reconnoiffance
& des éloges à ceux qui cherchent
à diverfifier nos jouiffances ; mais ce genre
convient-il à l'Opéra , & ne peut-il pas , au
contraire , lui devenir très-nuifible ? Le foin
que l'on fe donne pour entourer un Ballet-
Pantomime des charmes dont il eft fufceptible
, ne peut -il pas devenir préjudiciable à
celui qu'exigent les Ballets néceffairement attachés
aux Opéra ? En fuppofant que les Com
Kiv
200 MERCURE
pofiteurs de Ballets trouvent dans leur génie
des reffources fuffifantes pour traiter avec un
égal fuccès les Danfes des Opéra & celles des
Ballets - Pantomimes ; en fuppofant encore
qu'ils foient affez courageux pour ne point
placer de préférence dans leurs compofitions
les pas les mieux arrangés , les plus capables
de produire de l'effet ; la force des premiers
Sujets de la Danfe ne fauroit fuffire à tout.
Avant d'exécuter un Ballet d'action , ceux - ci ne
rifqueront point de fe fatiguer dans des pas
moins agréables pour eux , où leur amourpropre
doit trouver moins d'applaudiffemens
& de fuffrages ; alors les Ballets des Opéra ,
abandonnés aux doubles , feront moins faillans,
ils perdront une partie de leur intérêt , ainfi
que l'Ouvrage auquel ils feront attachés. La
Danfe n'eft qu'un acceffoire du Théâtre de Polymnie
, un acceffoire très- utile & très -indif
penfable , à la bonne heure ; mais nous n'en regardons
pas moins comme une innovation
dangereufe pour ce Spectacle, le parti reçu depuis
quelque temps d'en faire un genre à part,
parce qu'il eft à craindre que tôt ou tard il
ne cherche à prendre le pas fur celui dont il ne
doit être confidéré que comme membre. Au
furplus , comme il eft certain qu'il y a plus
de mérite peut- être à plier avec art fes idées
à celles des autres , à fe fubordonner en quelque
manière pour faire briller les richeffes
de fon génie , qu'à créer au hafard dans des
fujets donnés , ou imaginés plus pour l'effet
que pour la raifon ; nous ne voyons pas pourDE
FRANCE. 201
à
quoi l'orgueil des Compofiteurs de Ballets ,
qui nous rendons d'ailleurs toute la juftice
qui leur eft due , pourroit être choqué de nos
obfervations .
COMÉDIE FRANÇOISE.
VIN
INGT Ouvrages , tant neufs que remis
forment le travail fait à ce Théâtre pendant
le cours de l'année dernière , pour l'augmentation
& le mouvement du Répertoire . Ouvrages
nouveaux : Les Deux Frères , Comédie
en cinq Actes & en vers , par M. de R.... ;
Albert & Emilie , Tragédie en cinq Actes &
en vers , par M. D.... ; la Comtesse de Chazelle
, (1 ) Comédie en cinq Actes & en vers ;
Roxelane & Muftapha , Tragédie en cinq
Actes & en vers , par M. de Maiſon- neuve ;
l'Épreuve Délicate , Comédie en trois Actes
& en vers ; Melcour & Verfeuil , Comédie
en un Acte & en vers , par M. de Murville ;
l'Hôtellerie , ou le Faux Ami , Comédie en
cinq Actes & en vers , imitée de l'Allemand ;
le Page Suppojé , ou Edgar , Roi d'Angleterre
, Comédie en deux Actes & en vers ;
P'Oncle & les Tantes , Comédie en trois Actes
& en vers , par M. le M. D. L. S ; Céramis
(1) Cette Pièce a été repréfentée le 6 Mai 1785 .
Le fonds en eft tiré d'un Roman célèbre où nos
moeurs font peintes avec une vérité trop frappante
pour être admife au Théâtre avec fuccès .
Kv
202 MERCURE
Tragédie en cinq Actes & en vers , par M. le
Mierre , de l'Académie Françoife ; les Coquettes
Rivales , Comédie en cinq Actes &
en vers , & le Mariage Secret , Comédie en
trois Actes & en vers. Ouvrages remis : le
Jalouxfans Amour, par M. Imbert ; l'Impertinent
, par Defmahis ; le Roi Léar, par M.
Ducis ; les Méprifes , par M. Paliffor ; Médée
par Longepierre ; l'Etourderie , par Fagan ; la
Nouveauté , par Legrand , & l'Egoïsme , par
M. de Cailhava. A ces Pièces nous en joindrons
deux qui ont été répréſentées à la Cour :
le Portrait , Comédie en un Acte & en vers ,
& Athalie , Tragédie de Racine , avec les
choeurs , mufique de M. Goffec. En tout ,
vingt-deux Ouvrages , tant remis que nouveaux.
La Comédie Françoife peut placer l'année
dernière au nombre de celles qui lui ont été
le plus fatales. Sur douze Ouvrages nouveaux
qu'elle a repréſentés , fept font tombés
à leur première repréfentation. La févérité
des juges actuels de ce Spectacle , parle bien
victorieufement contre l'avis des perfonnes
qui ont avancé qu'affeoir les Parterres c'étoit
gêner les fuffrages , & amener une indulgence
nuifible aux progrès de l'Art . Elle vient de
perdre quatre Sujets juſtement célèbres , ( 1 )
& qui laifferont après eux de longs regrets; &
( 1 ) Nous donnerons dans le prochain Mercure
une notice fur les Débuts & fur les talens de ces
quatre Sujets .
DE FRANCE.
205
elle peut confidérer cette perte comme un
malheur réel. Il ne faut pourtant pas reffembler
à ces efprits inquiets , à ces têtes exaltées
qui vont criant que la Comédie Françoife eft
anéantie . Ce Spectacle perd beaucoup , fans
doute,dans les quatreComédiens qui viennent
de fe retirer ; mais il lui refte encore un affez
grand nombre de beaux talens pour tranquillifer
les Amateurs du Théâtre , & pour faire
eſpérer de bonnes repréfentations. Mme Veſtris
, Mlle Sainval , Mme Bellecour , Mlle
Contat , Élève de Mme Préville , M. la Rive ,
& M. Molé , ce Comédien charmant , Spes
altera Roma , offrent , avec quelques autres
Sujets dont les talens , le travail & le zèle
font connus , des fujets puiffans de confolation
. Il eſt rare de faire mal quand on a la
volonté & le pouvoir de bien faire . Jamais la
Comédie Françoiſe n'a montré plus d'ardeur
àfervir le Public ; jamais le Répertoire n'a été
plus varié ; jamais on n'a été , fauf les événemens
imprévus , plus exact à repréſenter les
Pièces promifes. L'exactitude de ce ſervice eſt
due non feulement aux efforts des Comédiens,
mais encore à l'intelligence & à l'activité de
M. Florence , que le Spectacle a chargé de
tout ce qui concerne la diftribution des Pièces
& leur repréfentation. Cet Acteur fe multiplie
pour fe rendre utile ; les Comédiens
font très- fatisfaits de l'efprit d'ordre , de juftice
& de fageffe qui règle l'adminiſtration
dont il eſt chargé , il eft jufte que le Public
K vj
204
MERCURE
Amateur fache auffi ce qu'il doit d'eſtime à
fes foins & à fon zèle toujours renaiffant.
COMÉDIE ITALIENN E. ( 1 )
LE tableau du travail fait pendant le cours
de chaque année Dramatique , fur ce Théâtre ,
offre toujours l'idée du même zèle & des
mêmes efforts. On y a repréſenté cette année
vingt-fix Ouvrages , tant nouveaux que remis.
Comédies: la Dupe de foi même , Comédie
en trois Actes & en profe ; Agnès Bernau ',
Drame Héroïque en quatre Actes & en vers,
par M. Milcent ; les Aveux Imprévus , Comédie
en trois Actes & en profe ; Kofe , fuite de
Fanfan & Colas, Comédie en trois Actes & en
profe , par Mme de Beaumanoir ; Germance,
ou la Fauffe Délicateffe , Comédie en trois
Actes & en profe , par M. Miff.; le Méfiant ,
Comédie en cinq Actes & en vers , par M. B.;
la Prévention Vaincue , Comédie en trois
Actes & en profe , par M. F. - Comédies remifes
: l'Auteur Satyrique , Comédie en un
Acte & en vers de feu Voifenon , retouchée
par M. Defprès ; les Trois Jumeaux Vénitiens,
( 1 ) La clôture de ce Théâtre s'eft faite par une
repréſentation de Richard Coeur- de- Lion. A la fin
de cette Pièce , on" a chanté quelques couplets , dont
le motif a été fourni par un épifode du premier Acte.
Ces couplets , dont l'Auteur eft M. Favart le fils ,
ona tenu lieu de compliment ; ils ont été applaudis .
DE FRANCE.
205
Comédie en quatre Actes & en profe , par
Colalto; la Femme Jaloufe , Comédie en cinq
Actes & en vers , par M. Desforges ; Céphife ,
Comédie en un Acte & en profe , par M. de
Ma... des Viv ...- Ouvrages Lyriques neufs :
Théodore , Comédie en trois Actes mêlés
d'ariettes , mufique de M. Davaux ; l'Heureufe
Réconciliation , Drame en un Acte & en
profe , mêlée d'ariettes , mufique de M. L… ... ;
Claude & Claudine , Opéra Comique en un
Acte & en vaudevilles ; Lucette , ( 1 ) Comédie
en trois Actes mêlés d'ariettes , mufique
de M. Fr....; l'Amitié au Viliage , Comédie
en trois Actes & en vers , mufique de M. Philidor
; la Dot , Opéra - Comique en trois
Actes , mufique de M. d'Aleyrac ; Confiance ,
Parodie de Pénéloppe , en un Acte & en
profe , mêlée de vaudevilles ; les Trois Folies
, ( 2) Opéra Comique en un Acte & en
vaudevilles ; Coradin , ( 3 ) Comédie en trois
( 1 ) Cette Pièce a été repréfentée le Jeudi 181
Août 1785. Nous n'en avons point rendu compte ,
parce qu'elle n'a point été achevée. Le Public eft:
quelquefois fi extrême dans fa févérité , qu'elle
anéantit chez lui l'efprit de curiofité & le fentiment
du refpect qu'il fe doit à lui- même.
(2 ) Ouvrage repréfenté le 17 Janvier 1786 ; c'eftà
- dire beaucoup trop tard pour produire un certain
effet. Les trois folies qu'il tourne en ridicule font,
Marlborough , la Harpie & Figaro.
(3 ) On avoit annoncé que cet Ouvrage feroit redonné
avec de grandes corrections ; comme il n'a
pas reparu , nous n'avons pas pu remplir l'engage206
MERCURE
Actes & en profe , mêlée d'ariettes , mufique
de M. Bruni , l'Incendie du Havre , fait hiftotique
en un Acte & en profe , mêlé de vaudevilles
; l'Amour Filial , Comédie en un
Acte & en profe mêlée d'ariettes , muſique
de M. Ragué. - Ouvrages Lyriques remis : le
Corfaire , Comédie en trois Actes & en
vers , mufique de M. d'Aleyrac ; l'Amant
Statue , ( 1 ) Comédie en un Acte , muſique
du même , la Nouvelle Omphale , mufique
de Floquet ; Richard Coeur- de- Lion , par M.
Sédaine , mufique de M. Grétry , d'abord en
quatre Actes , & enfuite en trois Actes. (2)
Outre ces Ouvrages , on en a repréſenté un
autre à la Cour : Cécilia, ou les Trois Tuteurs
, Comédie en trois Actes, mufique de M.
Davaux. En tout vingt-fept Pièces.
ment que nous avions contracté , en promettant d'en
rendre compte.
( 1 ) Cet Ouvrage , qui avoit été repréſenté pour
la première fois en vaudevilles en 1781 , & dont
nous avons rendu compte dans le temps , a été remis
le 4 Août 1786 , avec une mufique nouvelle , qui a
eu & mérité beaucoup de fuccès .
( 2) M. Sédaine a fait d'abord cet Ouvrage en
trois Actes ; enfuite , pour répondre aux voeux du
Public , qui n'étoit point fatisfait du dénouement ,
il avoit ajouté de nouveaux incidens à fon intrigue
, & l'avoit prolongée en quatre Actes ; ce
travail n'ayant point eu de fuccès , on a imaginé de
faire emporter d'affaut le fort où le Roi Richard eft
retenu prifonnier : ce dénouement , qui a remis la
Pièce en trois Actes , & qui eft parfaitement exécuté ,
a eu & continue d'avoir beaucoup de fuccès .
DE FRANCE. 207
Il faut rendre juftice à MM. les Comédiens
Italiens ; le courage qu'ils montrent à
apprendre & à repréfenter des Ouvrages
fouvent très-médiocres , prouve qu'ils n'ont
pas moins à coeur d'encourager les Auteurs
que de fatisfaire le Public. Nous les invitons
de nouveau à fatisfaire tous les gens
raifonnables fur un point effentiel à la
tranquillité générale. Des événemens récens
& funeftes doivent les éclairer fur le
danger de laiffer les Spectateurs debout au
parterre: on aura toujours à craindre qu'une
foule bruyante, tumultueufe, & qui s'échauffe
en proportion de l'agitation qu'elle éprouve ,
ne fe laiffe aller à des excès fur lefquels on
gémit quand il n'eft plus temps de les réparer
, & qu'il feroit bien fage de prévoir. La
raifon & l'humanité fe réuniffent pour crier
à MM. les Comédiens Italiens : Affeyez votre
Parterre: ils ne feront pas fans doute infenfibles
à ces cris ; & fi quelque motif d'intérêt
pouvoit les faire balancer à prendre ce parti ,
nous nous foumettons à leur prouver publiquement
que moyennant une augmentation
raifonnable fur le prix des places au parterre ,
il fera facile d'accorder la bafe de leur fortune
avec la tranquillité publique.
208 MERCURE
SCIENCES ET ARTS.
BUREAU Typographique pour les Enfans.
PARMI
ARMI les Méthodes ingénieuſes inventées pour
faciliter aux Enfans l'étude de la Lecture & de l'Or
tographe , on doit compter le Bureau Typographi
que que nous annonçons. M. Dumas imagina de
leur apprendre à lire en leur faifant faire à - peu -près
les mêmes opérations que fait un Ouvrier à l'Imprimerie.
Ce Bureau Typographique étoit d'abord embarraffant
par fon volume ; la réduction que M.
Reybert en a faite , le rend d'un ufage plus facile.
Par le moyen d'une boîte ou caiffe d'environ 12
pouces de hauteur , fur 30 de largeur & 3 de profondeur
, l'Enfant le plus borné & le plus pareffeux
apprendra fans ennui à lire en bien moins de temps
qu'avec les dez , les fiches , &c.
Dans cette eſpèce d Imprimerie , on ne s'eft pas
borné à la connoiffance des Lettres ; il y a un jeu
deſtiné aux Elémens de la Gramniaire , de la Géographie
, de la Fable & de l'Hiftoire Naturelle . On
a écrit fur chaque carte un nom ou géographique ,
ou hiftorique , ou mythologique , & derrière on en
donne une explication claire & précife ; moyen sûr
& agréable pour apprendre tout-à-la fois aux En
fans & les mots & les chofes .
1
La difficulté de fe procurer des Bureaux ayant empêché
beaucoup d'Inftiteurs d'en faire ufage , M.
Reybert s'eft mis en état d'en fournir très- promptement
à ceux qui s'adrefferont à lui . Ses Bureaux
font compofés de quatre mille quatre cent Cartes
DE FRANCE. 209
gravées très exactement. On pourra remplacer
selles qu'on aura perdues , en les rachetant féparément.
On foufcrit à Avignon , chez l'Auteur , M. Reybert
, & chez Aubanel , Libraire. Le prix jufqu'au
premier Juillet fera de 120 liv . Après cette époque
le Bureau fe vendra 150 liv. , avec une courte Me
thode pour en indiquer l'ufage. On payera en foalcrivant
6 liv. , & le refte en recevant l'Ouvrage,
qui, fera livré un mois après la demande .
ANNONCES ET NOTICES.
VOYAGE
OYAGE en Italie ( avec un Atlas ) , contenant
I'Hiftoire & les Anecdotes les plus fingulières de
l'Italie , & fa Defcription ; ies Ufages , le Gouvernément
, le Commerce , la Littérature , les Arts , l'Hif
toire Naturelle & les Antiquités , avec des jugemens
fur les Ouvrages de Peinture , Sculpture & Architecture
, & les Plans de toutes les grandes Villes d'Italie
, par M. de la Lande , feconde Edition , corrigée
& augmentée , neuf Volumes in 12. Prix , 36 liv.
brochés & 42 iv , reliés.
Le titre de cet Ouvrage annonce un plan trèsétendu
. M. de la Lande a embraffé tout ce que peut
defirer l'imagination des Lecteurs , & il a fa isfait à
tous les intérêts divers de leur curiofité Son enthouhafme
pour les belles contrées qu'il décrit , ne l'emporte
pas au delà de la vérité. Le mélange des matières
a jeté beaucoup de variété dans l'Ouvrage.
Tout ce qui regarde les Sciences & les Arts n'y laiffe
rien à defirer , & les rapprochemens & les comparaifons
dont le favant Auteur l'a enrichi , le rendent
ès- utile au progrès des lumières.
(210 MERCURE
2
Il eft à préfumer que cette nouvelle Edition , qui
eft plus foignée , n'aura pas moins de fuccès que la
première.
Les trois Héroïnes Chrétiennes , ou Vies édi
fiantes de trois jeunes Demoiselles , par M.
l'Abbé **** , troifième Edition , revue , corrigée
& augmentée d'une nouvelle Vie & de Traits intéreſſans
, in- 16 . Prix , 2 liv. relié. A Paris , chez
Benoît Morin , Libraire , rue Saint Jacques ; & à
Rennes , chez les Demoiſelles Vatar , Libraires.
Nous avons déjà annoncé dans fa nouveauté cet
Ouvrage édifiant.
DISCOURS fur divers fujets de Religion & de
Morale , par M. l'Abbé Affelin , ancien Vicaire
Général de Glandèves , 2 Vol . in - 12 . A Paris ,
chez Delalain le jeune , Libraire , rue S. Jacques.
M. l'Abbé Affelin eft depuis long - temps conna
par des Difcours religieux qui ont joui d'un fuccès
mérité. Ce nouvel Ouvrage ne peut que confirmer
la réputation de fon Auteur. On trouve dans ces
divers Diſcours une douce onction , des maximes
religieufes énoncées avec toute l'élégance que comportent
les vérités chrétiennes , & autant de force
de naturel ; en un mot , ce qui diftingue les
autres Ouvrages de M. l'Abbé Afelin .
que
L'ART d'être Heureux fur la terre , mis à la
portée du Peuple de toutes les Nations , in 8. de
200 pages. A Paris , chez Royez.
Cet Ouvrage , divifé en fix Entretiens d'an Maître
avec fon Fermier , remplit parfaitement fon
titre. Les principes de la plus pure Morale y décou
lent du fentiment , & le fentiment y ramène toujours
à la Morale - pratique & au vrai bonheur. L'Auteur
s'attache far-tout à démontrer à fon Fermier que
DE FRANCE. 211
ee bonheur tant cherché, n'eft que le produit naturel
de la conduite dirigée par la Morale , ou par la
Confcience , dépôt facré de fes loix.
De la poffibilité de faciliter l'établiſſement géné
ral de la Navigation intérieure du Royaume , de
Supprimer les Corvées , & d'introduire dans les
travaux publics l'économie que l'on defire , par M.
de Fer de la Nouerre , ancien Capitaine d'Artillerie ,
Académicien-Correfpondant de l'Académie Royale
des Sciences de Turin , de celle de Dijon , & préfenté
à l'Académie des Sciences , 2 Vol. in 8 ° . A
Paris , chez l'Auteur , rue du petit Bourbon , Fauxbourg
Saint Germain , nº . 13 , & chez la Veuve
Duchefue , Libraire , rue Saint Jacques ; Didot fils
aîné , Libraire , rue Dauphine ; Defenne , Hardouin
& Gatey , Libraires , au Palais Royal.
Nous reviendrons fur cer Ouvrage important,
auquel l'Auteur vient de joindre un Supplément de
136 pages même format , contenant des Réflexions
fur le projet de l'Yvette , & les différens Rapports
fais fur fon Ouvrage , qui doit avoir une fuite de
Volumes.
ESSA18 de Poéfies propres à la Mufique , précé
dés d'un Avant- Propos fur ces deux Arts confidérés
dans leurs rapports entre- eux , & fur le Poëme
d'Orphée , qui fait l'objet principal de ces Effais ,
in 8° . de 87 pages. A Londres ; & fe trouve à
Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint Jacques , &
chez Brunet , Libraire , rue de Marivaux , près du
Théâtre Italien .
Le Poëme d'Orphée contenu dans ce Volume
avoit été envoyé au Concours pour le premier Dé-
'cembre de l'année 1784. L'Auteur n'a voulu préfenter
dans fon fujet qu'un miracle d'amour , & non
un prodige d'harmonie. Orphée va bien chercher fa
212 MERCURE
femme Euridice aux enfers ; mais il n'y pénètre point
par le fecours de fa lyre ; illufion que l'Auteur croit
impoffible fur la fcène. Le Dieu qu'il implore , & qui
ex auce fes voeux , c'eſt l'Amour , qui rend la vie à
Euridice.
Le ftyle de ce Poëme eft fouvent négligé. Les
perfonnes févères accuferont l'Auteur d'avoir dénaturé
le fujet ; mais il a fu le difpofer à des effets
de mufique.
DICTIONNAIRE pour l'intelligence des Auteurs
Claffiques Grecs & Latins , tant Sacrés que Profanes ,
contenant la Géographie , l'Hiftoire , la Fab'e &
es Antiquités , par M. Sabbathier , Profeffeur- Einérite
au Callége de Châlons - fur - Marne , Secrétaire
perpétuel de l'Académie de la même Ville , Affocié de
I'Académie Étrufque de Cortone , & c . Tome XXXII.
A Paris , chez Delalain l'aîné , Libraire , rue Saint
Jacques.
LE Cabinet des Fées , ou Collection choifie des
Contes des Fees & autres Contes merveilleux , ornés
de figures , douzième Livraifon , Tomes XXIII &
XXIV , contenant la Suite des Sultanes de Guzaratte
, le Prince des Aigues- Marines , le Prince invifible
& les Féeries nouvelles .
Cette Collection formera trente-un Volumes
in- 80 dont le prix eft de 3 liv. 12 fols le Volume
broché , avec trois Planches.
Le fuccès qu'elle a obtenu a engagé l'Éditeur à
prendre des arrangemens pour une autre Édition en
trente un Volumes in- 12 , avec les mêmes figures
de l'in 8 ° . , dont le prix eft de 2 liv . 8 fois le
Volume broché , & pour une autre en trente- un
Volumes fans figures , dont le prix eft de 1 liv.
15 fols le Volume broché. Il en paroît actuelle
ment dix Volumes .
DE FRANCE. 215
On s'infcrit , pour les diverfes Éditions , à Paris ,
chez Cuchet , Libraire - Editeur des Euvres de le
Sage & Prevoft; & à Genève , chez Barde Manget
& Compagnie , Imprimeurs Libraires.
0
OEUVRES de Mme de la Fayette , huit petits
Volumes. Prix , 12 liv . brochés , 16 liv. reliés. A
Amfterdam ; & fe trouvent à Paris , rue & hôtel
Serpente.
On verra fans doute avec plaifir la Collection des
Euvres de cette Dame célèbre , qui a mérité cet
éloge de Voltaire : « Les Romans de Mme de la
Fayette , dit- il , furent les premiers où l'on vit les
» mccurs des honnêtes gens & des aventures natu-
30 relles décrites avec grace. »
METHODE nouvelle & facile de guérir la Ma
ladie Vénérienne , fuivie , 1 ° . d'un Traité Pratique
de la G..... ; 2°. d'Obfervations fur les Abfcès &
fur la Chirurgie générale & médicale ; 3 ° . d'une
Lettre à M. Buchan fur l'Inoculation , fur la petite
Vérole &fur les Abfcès varioleux , par M. Clare ,
Chirurgien , traduit de l'Anglois , par J. D. M. H.
D. M. C. D. A. , in- 8° . Prix , 4 liv. broché , s liv.
relié. A Paris , chez Froullé , Libraire , quai des
Auguftins.
Ce Volume eft compofé de plufieurs Morceaux
féparés , tous précieux à l'Ast de guérir. M. Clare
jouit d'une réputation aufli brillante que méritée , &
fes Ouvrages feront fans doute accueillis en France.
Nous devons cette Traduction à l'eftimable Ecrivain
qui nous a fait jouir de la Médecine domeftique , &
l'on ne peut que l'encourager à fournir toujours auffi
dignement une carrière auffi utile.
BIBLIOTHEQUE Univerfelle des Dames; Morale,
TomeV. Théâtre , Tome III. A Paris!, rue d'Anjou ,
214 MERCURE
la feconde porte- cochère à gauche en entrant par la
rue Dauphine .
La foufcription pour les vingt- quatre Volumes
reliés eft de 72 liv. , & de 54 liv. pour les Volumes
brochés.
NEE de la Rochelle , Libraire à Paris , donne
avis au Public qu'il imprime actuellement la Collection
complette des Euvres de M. Marmontel , dont
la première Livraiſon contiendra les Contes Moraux
& Bélifaire ; la feconde , un Cours de Littéra
ture Elémentaire , dans lequel font fondus la Poétique
du même Auteur & tous les Articles qu'il
donnés dans l'Encyclopédie. Cette Edition , ornée
d'un nouveau Portrait de l'Auteur , fera faite fur les
formats in-8 °. & in- 12.
TOMES V & VI du Recueil Manuel des Ordonnances
, format in- 3 2. A Paris , chez Leboucher
Libraire , quai de Gêvres .
Le Tome V contient l'Ordonnance Criminelle de
1670 & celle de 1737 fur le Faux. Prix , 1 liv.
10 fols relié.
Le Tome VI contient l'Edit de 1771 fur les Hypothèques
, fuivi de toutes les Loix qui ont été
publiées depuis , &c. , avec des Notes , par M. Boucher
d'Argis , Confeiller au Châtelet , & c. Prix ,
I liv. 10 fols relié.
SERMONS de M. l'Abbé Foffard , Chanoine ,
Archidiacre de l'Eglife Métropolitaine de Rouen ,
Abbé de Marcheroux , Prédicateur ordinaire du
Roi , 3 Vol. in 12. Prix , 7 div . 10 fols reliés. A
Rouen , chez Leboucher le jeune , Libraire , rue
Gantière ; & à Paris , chez Durand neveu , Li
braire, ruc Galande ; Nyon l'aîné . Libraire , rue
DE FRANCE.
215.
du Jardinet , & Mérigot le jeune , Libraire , quai ,
des Auguftins.
Il eft à préfumer qu'on lira les Sermons de M.
l'Abbé Foffard avec empreffement , comme on couroit
autrefois pour les entendre. Ennemi de tous ,
vains ornemens , & encore plus d'une parure mondaine
, cet Orateur paroît avoir fait marcher les intérêts
de la Religion avant ceux de fa propre gloire.
Il aima mieux inftruite & toucher fes Auditeurs que
d'être loué par eux , & il n'en mérite que mieux
leurs éloges. Une fimplicité vraiment digne de la
Morale Evangélique , une onction religieufe forment
le caractère diftinctif de fon éloquence.
LUMIERE pour la nuit , inventée en Angleterre,
divifée par paquet pour trois cent foixante - cinq
jours.
Une feule de ces Lumières fuffit pour une nuit
des plus longues : il s'agit de les mettre dans un
verre rempli d'eau & d'huile d'olive. La lumière
qu'elles produifent eft très - vive & très nette. Unc
propriété particulière de ces Lumières , eft d'attirer
& confommer les mauvaises vapeurs de l'air du lieu
où elles brûlent , ce qui doit engager à s'en fervir
fur- tout dans les chambres des maiades. Le prix eft
de trente fols le paquet pour une année entière. Le
dépôt eft chez M. Labat , Marchand Tapiffier , rue
de la Roquette , cour des Moulins , Fauxbourg S
Antoine , à Paris.
PRINCIPES de Harpe , fuivis de dix - huit Airs
d'une difficulté graduelle pour fervir d'Exemples , par
M. Ragué , OEuvre VIII . Prix , 9 liv . franc de port
par la pofte. Fantaisie & Sonate pour le Piano ,
far M. W. A. Mozart, Air favori varié &
Rondeau pour le Piano , par M. J. Vanhall ,
OEuvre XXXIV. Eponine & Sabinus , Songte
-
216 MERCURE
de caractère pour le Piano , par M. J. Sardi ;
OEuvre I.Trois Symphonies à grand orchestre ,
par M. Roſetti. -Trois Symphonies
idem , par
―
fols.
M. Hayden. Ouverture de l'Embarras des Richeffes
pour la Harpe , par M. J. Elouis. Prix ,
2 liv. 8 fols franc de port. Premier Recueil
Airs & Romances pour le Piano , par M. Baland.
Prix, liv.
7 4
Soirées de la Comédie Italienne
, premier Recueil d'Airs , Vaudevilles , &c.
Accompagnement de Clavecin , par les meilleurs Auteurs
. Prix , 6 liv. franc de port . A Paris , ehez
Leduc, fucceffeur du fieur de la Chevardière , au
Magafin de Mufique & d'Inftrumens , rue du Roule ,
à la Croix d'or.
Faute à corriger.
Le Portrait de Louis Gillet , par M. Gaucher ,
eft d'une date antérieure à celui que nous avions
annoncé précédemment.
TA BL E.
VERS à Mme la Ducheſſe de Traduction des Faftes d'Ovi-
Courlande ,
Chaifon ,
169 de . 194
171 Académie Roy. de Mufiq . 197
Comédie Françoife , Charide, Enigme & Logo
gryphe ,
Eloge de M. Caffini de Thury, Sciences & Arts
Le Mari Sentimental ,
201
173 Comédie Italienne , 204
208
175 annonces & Notices , 209
186
APPROBATION.
PATla , par ordre
de Mgr
le Garde
des Sceaux
, le
Mercure
de France
, pour
le Samedi
22 Avril
1786.
Je n'y
ai rien trouvé
qui puiffe
en empêcher
l'impreffion
. A
Paris
, le 21 Avril
1786.
GUIDI
.
MERCURE
DE
FRANCE.
SAMEDI 29 AVRIL 1786.
PIÈCES
FUGITIVES
EN VERSET EN PROSE.
ÉPITRE à M. S......
Je vous écris , mon cher S ......
Avec un peu d'aigreur dans l'âme;
Je veux vous conter le chagrin
Que m'a caufé certaine Dame
Au coeur perfide , au front d'airain,
ELLE prit d'abord ayec ruſe ,
Pour mieux me cacher fa noirceur ,
De la Bergère de Vauclufe
La modeftie & la douceur ;
Puis fa voix tendre & délicate
Récita mes vers tour- à-tour
Et me fit fentir en ce jour,
No. 17 , 29 Avril 1785 . L
218 MERCURE
Que l'amour propre que l'on atte
Produit fouvent un autre amour.
QU'IL en faut
peu pour nous féduire ,
Nous autres fots de beaux efprits !
Nous croyons , de nous même épris
Que tout le monde nous admire ,
Et que la divine Cypris ,
Quand nous fommes fous fon empire
Comme Apollon nous doit le prix .
Ma très indulgente maîtreffe
Profita donc de ma fimpleffe ;
Mais je m'apperçus à propos
Que je partageois fa tendreffe
Avec trois fortunés rivaux,
Jugez de mes plaintes cruelles ,
Jugez de mon dépit confus
Lorfqu'on fe rit de mes querelles ,
Et que par un coupable abus
On fit cent fermens infidèles :
Je partis , & je ne crois plus
A la fincérité des Belles,
ET VOUS , ami , que faites-vous
Aux bords fleuris où vous promène
Un deftin uniforme & doux ? *
Dites-le moi , l'eau de la Seine
* Cette Épître fut faite l'été dernier.
DE FRANCE.
219
Vous fert-elle encor d'Hippocrène
Pour perfiffler la troupe vaine
Des critiques & des jaloux ?
Chéri des filles de Mémoire ,
Dans leur temple allez-vous rentrer
Et de B...... vantant la gloire ,
Daignerez-vous nous le montrer
Paré des mains de la victoire ?
Ou, loin des belliqueux hafards ,
Et d'une héroïque mapie ,
Crayonnerez vous fon génie ,
Se livrant aux Plaisirs , aux Arts ,
Et voudrez - vous nos regards
N'offrir le favori de Mars
Qu'homme de bonne compagnie ?
Faites plus empruntez fa voix ,
Et ce goût sûr qui
l'accompagne
Quand il va charmer.à-la-fois ,
Par fes talens & les exploits ,
Le Salomon de
l'Allemagne.
Tracez d'après lui le tableau
D'une Cour guerrière & polie ;
Que Potsdam fous votre pinceau
かつ
Reprenne une nouvelle vie.
POTSDAM ! tu vois dans tes déferts
Les merveilles de l'Univers ;
L'art y fixe Flore & Pomone;
Et le Printemps , l'Été , l'Automne ,
Li
220 MERCURE
Y portent leur riche couronne
Parmi les glaçons des Hivers ;
Mais ces fleurs , ces orangers verds ,
Ces fruits de cent climats divers
Nefont pas tout ce qui m'étonne.
Moi , dans ton palais enchanteur ,
J'admire le Légiflateur ,
Qui , defpotique , populaire ,
Conquérant , pacificateur ,
Par fa fageffe nous éclaire ,
Et par les talens fait nous plaire ,
Eft Hiftorien , bon Flûteur ,
Et verfifie à la Voltaire .
JE m'enflamme lorfque je voi
Qu'il remplit fes rivaux d'effṛoi ,
Mais que fenfible à tout mérite ,
Il defcend du rôle de Roi
Pour être ami de bonne - foi
Du grand Général qui l'imite .
J'AIME enfin qu'alors deux Héros
Daignent à leurs favans propos
Mêler d'ingénieux bons -mots ,
Et que , dans leur enthouſiaſme ,
Ils lancent gaîment le farcafme
Sur les poltrons & fur les fots,
( Par M. de Caftera. )
DE FRANCE 221
·
SAILLIE & Mme la Marquife DE C......
la veille de fon départ de L....
MAUDIT AUDITS chevaux ! qui , dès- demain ,
Emportez loin de nous nos plus chères délices
Ah ! puiffiez - vous , au milieu du chemin ,
Etre changés en écreviſſes !
( Par M. D. L. M. )
Explication de la Charade , de l'Énigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade eft Détour ; celui
de l'Enigme eft Diligence ou Coche d'eau ;
celui du Logogryphe eft Village , où l'on
trouve ville , vil, la ( note ) , lie , age , vie ,
eau.
CHARADE.
LORSQUE de mon fecond mon premier n'a pas trop ,
Mon tout peut quelquefois n'être pas mauvais lot.
( Par M. D. )
Lin
222
MERCURE
ÉNIG ME.
L'ILLUSION
'ILLUSION & fes preſtiges
Sans doute , cher Lecteur , ne peuvent rien fur toi ;
Mais pour ton oeil perçant , s'il n'eft point de prodiges,
Nouvel @dipe , explique moi .
De quatre- vingt- dix fils utiles à ton Roi,
Jadis l'intérêt me fit mère ;
A cette époque , d'ordinaire ,
Les charmes font en défarroi.
J'échappe cependant à la commune loi;
-
Et , par un deftin tout contraire ,
Lecteur , j'infpire encore à grand nombre d'amans
Le penchant le plus vif , les goûts les plus conftans :
Auffi je me tire d'affaire ;
Car , pour une faveur que chacun d'eux eſpère ,
Tous fe chargent de mes enfans .
( Par un Membre de la Société Littéraire de
Goven , en Bretagne. )
LOGOGRYPHE.
Ils ne font plus , ces temps où tes aïeux
Me préféroient aux trefors de la terre ;
Et tel ne voit que d'un air dédaigneux
Ce qui faifoit le bonheur de fon père.
DE FRANCE. 223
Ami , veux- tu me trouver ailément ?
Quitte les lieux qu'habite la molleffe ,
Et cherche moi... J'en dis trop à préfent :
Vois dans neuf pieds l'objet de ta tendreffe ;
Un nom chéri qu'honore le Chrétien;
Celui qu'on aime à donner à fa bellez
Enfin celui qu'eut ton père & le fien ;
Ce qui dans toi fe révolte , chancelle ,
Et ce qui vit au -delà du tombeau ;
D'un fol amour l'innocente victime ;
Un temps paffé ; ce qu'on trouve au hameau ;
Le baut d'un mont ; un homme qu'on-eſtin e ,
Et ce qu'on voit chez le riche & les Grands ;
Deux élémens ; un temps de pénitence;
Un Moine , un mois ; ce qu'on mange fans dents ;
Un arbre; un fruit ; ce qui fait ta défenſe.
Je t'offre encore un figne de douleur
Ou de plaifir ; deux notes de muſique ;
Un mal produit par le froid , la chaleur ;
Le nid de l'aigle ; un peuple de l'Afrique ;
Un Magiftrat fort puiffant autrefois ;
Ce qui bientôt doit ceindre cette ville ;
Un chemin ; un .... Mais c'eſt aſſez , je crois.
Adieu , Lecteur : l'énigme eft bien facile .
( Par M. Corbilly, )
Liv
224 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
TABLEAU des Arts & des Sciences , depuis
les temps les plus reculés jufqu'au fiècle
d'Alexandre- le-Grand ; Ouvrage traduit
de l'Anglois de M. Jacques Banniſter. A
Paris , chez Lottin de Saint- Germain , rue
S. André- des- Arcs , 1786.
L'OBJET de cet ouvrage eft de donner aux
perfonnes dont l'éducation a été négligée ,
des idées générales fur le progrès des Arts &
des Sciences , ainfi que fur leur haifon avec
la morale & le Gouvernement , & d'engager
les autres à étudier les Anciens , que l'Auteur
regarde , avec raifon , comme les fources des
vraies connoiffances & de la faine philofophie.
Il-fe félicite de ce que les Poëtes , les Hiftoriens
& les Orateurs les plus admirés de l'antiquité
, ont été traduits en Anglois par des
hommes qui ont fu rendre , non- feulement
le fens , mais même l'efprit de ces grands
modèles. On peut fe glorifier en effet d'un
Traducteur d'Homère , tel que Pope , & nous
pouvons nous glorifier auffi du premier Traducteur
qui nous a fait connoître Milton ;
car pour le fecond , s'il a le froid mérite d'être
plus littéral , il a le tort d'être moins animé ,
moins énergique ; s'il traduit les mots AnDE
FRANCE. 225
glois , il ne traduit pas la langue Poétique .
En général , le travail des Traducteurs n'eft
pas affez eftimé ; c'eft rendre le plus grand fervice
à la Littérature Nationale , que de l'enrichir
des bonnes productions étrangères , tant
anciennes que modernes ; & le Traducteur
de cet Ouvrage , qui l'eft auffi de plufieurs
autres bons Ouvrages Anglois , a bonne part
à cét éloge.
Ce volume contient cinq differtations qui
pourront être fuivies de quelques autres. On
traite ici , 1º. de l'Architecture ; 2°. de l'Aftronomie
; 3 °. du Langage ; 4°. de la Mythologie
Payenne & de la Philofophie morale,
f . de la Philofophie naturelle.
Les cavernes & les antres furent la première
habitation des hommes ; les premières
maifons furent d'abord compofées des matériaux
les plus grofliers & les plus groflière→
ment arrangés ; elles étoient placées auprès
des forêts & des rivières pour la commodité
de la chaffe & de la pêche. Le befoin de trouver
de l'eau & des pâturages , force le Berger
à mener une vie errante. La peinture que
l'Écriture Sainte nous fait des Ifraëlites pendant
l'âge Patriarchal , nous prouve qu'ils vivoient
fous des tentes. Les Tartares & les
Arabes fauvages ne connoiffent pas même
encore aujourd'hui d'autres habitations ; ils
affectent de parler avec mépris de nos plus
beaux morceaux d'Architecture , comme de
foibles tentatives faites pour approcher- des
beautés de la Nature, « Que font , difent- ils ,
L V
226 MERCURE
» vos plus belles colonnes , quand on les compare
à l'élévation majeftueufe d'un arbre ?
" Vos temples les plus magnifiques infpirentils
ce refpect religieux qui faifit à l'entrée
» d'un bois écarté , & couvert d'une ombre
⚫ épaiffe? "
L'Architecture proprement dite , doit fa
naiffance à l'Agriculture. L'Auteur eft porté
à croire qu'on employa la brique dans les
bâtimens, long- temps avant la pierre. Tirer la
Pierre de la carrière , la tailler , la mettre en
état de fervir aux bâtimens , fuppofe la connoiffance
d'un grand nombre d'Arts . « Au
ور
contraire , la brique fe fait avec la plus
grande facilité dans quelques pays , & particulièrement
dans la Chaldée . Il eft géné-
» ralement reconnu que Babylone fut confstruite
avec des briques ; & nous lifons dans
les plus anciennes Hiftoires qui exiftent,que
les Ifraëlites étoient occupés , non pas
tirer les pierres de la carrière & à les tailler
, mais à fabriquer de la brique. »
و ر
و ر
Les Égyptiens réclament , avec raifon , la
gloire d'avoir été le premier peuple policé :
on connoît leurs pyramides , leurs obélifques ,
&c. Les Grecs tirèrent de l'Égypte leurs connoiffances
en Architecture. Dans la comparaifon
de l'Architecture Égyptienne & de la
Grecque , à la vue dé la première , nous fommes
frappés de cette idée de grandeur que
produit l'étendue de l'objet , & notre étonnement
augmente lorfque nous confidérons
Pimmenfe difproportion qui eft entre l'ArDE
FRANCE. 227
chitecte & l'édifice , lorfque nous réfléchiffons
fur les bornes de la puiffance humaine, &
fur les effets produits par les travaux conftans
& réunis d'un grand nombre d'hommes.
Les ftatues coloffales des Égyptiens , & les
petits ornemens , fi difficiles à exécuter , dont
ils furchargeoient leurs bâtimens , doivent
pareillement nous faire admirer leur adreffe ;
mais ils ne connoiffoient pas cette beauté qui
réfulte de la correction du deffin & d'un
heureux arrangement des différentes parties
d'un tout. Ils ignoroient l'art de faire une
voûte , ils n'étoient pas heureux dans la difpofition
& la diftribution de leurs jours. Leurs
colonnes font plutôt des défauts que des beautés
, tant elles font hors de toute proportion.
L'Egypte, mère de tous les Arts , n'en a porté
aucun jufqu'à la perfection. « Les loix rigides
» & la ftricte économie du Gouvernement
Égyptien y éteignirent le feu du génie :
l'efprit humain avoit au contraire toute
liberté de fe développer dans la Grèce ; &
c'eft à l'heureux climat de cette contrée
" que nous devons cette combinaiſon de ju-
" gement & de fenfibilité qui conftitue le
» vrai goût..... Si nous regardons un de leurs
95
*
édifices , ou une de leurs ftatues , nous
» concevons.... une idée de la beauté qui eft
le réfultat d'une exacte imitation de la Na-
24
ture.... Si nous examinons féparément
une de leurs colonnes , elle eft parfaite dans
toutes les parties , tout rappelle les idées de
folidité , d'élégance & de grandeur , qui ca-
L vj
228
MERCURE
ractérisent les divers ordres d'Architecture ,
& qui renferment toutes les modifications
poflibles d'utilité & de beauté.
L'Auteur conclut que l'Architecture étoit
parvenue , du tems d'Alexandre -le- Grand , au
plus haut degré de perfection où elle puiffe
atteindre ; que les Grecs ont été très -ſupérieurs
dans cet Art aux Égyptiens , aux Babyloniens
, à toutes les Nations anciennes , &
qu'il ne refte aux modernes qu'à imiter les
modèles que nous a laiffés ce peuple poli &
éclairé.
Les Grecs dûrent auffi à l'Égypte leurs connoiffances
en Aftronomie , ainſi que prefque
toutes leurs autres Sciences ; mais fur ce point
ils furent inférieurs aux Égyptiens , leurs maî
tres. Les Phéniciens ont la gloire d'avoir été
le premier peuple qui ait appliqué la connoiffance
des étoiles à la navigation . Il eſt impoffible
, dit l'Auteur , d'affirmer avec certitude
fi les Grecs ont été égaux aux Chaldéens
& aux Phéniciens dans cette fcience ; il eft
porté à les croire inférieurs. Il avoue que les
anciens n'ont égalé à aucune époque les modernes
pour les connoiffances aftronomiques ;
c'eft de quoi tout le monde eft en état de juger
aujourd'hui d'après la belle Hiftoire de l'Aftronomie
, tant ancienne que moderne , de
M. Bailly.
: «
L'article qui concerne le Langage ; commence
ainfi Rouffeau fuppofe que les
» hommes ont vécu pendant un grand nom
bre de fiècles fans faire ufage du langage. It
ور
DE FRANCE. 229
32
ور
eft inutile de montrer l'abfurdité de cette
» opinion; & ce feroit perdre fon temps que
» de répondre férieufement à un Vifionnaire
fauvage , dont les écrits ne font pas moins
oppofés au fens commun , que deftructeurs
» de tout principe de Morale & de Religion . »
Voilà , il faut l'avouer , un ton un peu étrange
; & la néceflité de rendre les idées & les
expreffions de l'Auteur , a dû coûter ici quelque
chofe au fage Traducteur , qui connoît
mieux les égards & les refpects dûs à l'éloquence
& au talent. Ce jugement , févère jufqu'à
l'injuftice , eft d'autant plus étonnant
que l'Auteur ne s'éloigne pas autant qu'il le
penfe , des véritables idées de Rouffeau .
Voici quelle a été , felon lui , la progreffion
du langage.
"D'abord des fons inarticulés .
و د
Enfuite des perceptions confules , unies
» enſemble & exprimées par un feul mot.
» Troisièmement , des fubftances féparées
» de leurs qualités ; ce qui forme les noms.
" Quatrièmement , les actions féparées des
agens ; ce qui forme les verbes.
و د
Cinquièmement, la dérivation & la compofition
. »
On ne trouvera dans aucune langue fauvage
ni barbare, des noms abftraits, dérivés
des adjectifs , tels que blancheur , tempérance ,
&c.; & ces fubſtantifs , mouvement , couleur ,
ver tu &c. qui ont demandé encore plus
d'art. Les Sauvages ne connoiffent pas la lyntaxe
; ils n'ont ni prépofition ni conjonction ;
ر
230
MERCURE
ils fe fervent dans leurs difcours , comme les
enfans qui apprennent à parler , de mots qui
ne font point liés les uns aux autres. Pour fe
faire entendre , ils ont donc befoin d'employer
des geftes & des tons très - variés. Le
langage des Sauvages eft énergique , parce que
leurs idées font immédiatement tirées de la
Nature ; il eft concis , parce qu'ils ont plus
d'idées que de mots ; il eft figuré par la même
caufe : la métaphore leur eft néceffaire ; cette
figure a dû fon origine à la pauvreté du langage
qu'elle étoit deftinée à embellir , de
même que les habillemens , felon Cicéron ,
furent d'abord portés par néceffité , & enfuite
pour la parure.
L'invention de l'alphabet , dit l'Auteur ,
eft fi ingénieuſe & fi admirable , que Platon
& Cicéron la regardoient comme une découverte
fort au-deffus des forces de l'entendement
humain , & comme un préfent qui nous
avoit été fait immédiatement par les Dieux.
C'eft à peu près ce que Rouffeau avoit dit
du langage ; & il n'y avoit pas là de quoi lui
attirer une fi vigoureufe réprimande de la
part de l'Auteur.
M. Bannister finit ce Chapitre par des jugemens
fur les principaux Écrivains de la
Grèce dans tous les genres , avant le temps
d'Alexandre . C'eft un morceau qu'il faut
voir dans l'Ouvrage même , ainfi que ce que
dit l'Auteur , d'après Varburton , fur les hiéroglyphes.
Sur la Mythologie Payenne & la PhilofoDE
FRANCE. 231
phie morale , il dit des chofes quelquefois
obfcures , mais fouvent ingénieufes ; il ſaiſir
les allégories avec fagacité.
<<
Jupiter , dit-il, étoit fils de Saturne & de
Rhée. Son barbare père avoit dévoré tous
les enfans qu'il avoit eus auparavant ; c'eft
à-dire , que le Temps les avoit couverts du
voile de l'oubli. Quand Jupiter fut parvenu à
l'âge viril , il fit la guerre aux Titans ou aux
élémens difcordans du chaos , il les défit après
de longs combats ; il fe fixa lui - même fur le
trône de fes ancêtres , y établit la paix &
l'harmonie ; enfin il difpofa & gouverna tour
dans le monde par les principes fixes & inaltérables
de la fageffe divine. Cette allégorie ,
dit l'Auteur , eft trop fimple pour avoir befoin
d'explication
.
On repréfente de la même manière Junon
ou l'Air comme la foeur & la femme de Jupiter
, & comme devant auffi le jour à Saturne
& à Rhée. De même qu'on entend par Jupi
ter le principe actif ou créateur ; ainfi l'on
entend par Junon le principe qui reçoit ou
qui produit. L'Auteur refufe toute philofophie
& toute fenfibilité à quiconque n'eſt pas
frappé de la beauté de cette fable.
»
En confervant cette idée de Jupiter &
» de Junon , nous ne ferons point choqués
de leurs difputes fréquentés: ce font les
élémens luttant les uns contre les autres ; &
leur difcorde entretient l'harmonie de l'Univers.
Les différentes formes prifes par Jupiter
cefferont auffi de nous choquer lorfque nous
232 MERCURE
le regarderons comme « le principe de la vie
» & de la génération , & que nous réfléchi-
» rons aux moyens variés dont le Dieu de la
" Nature fait ufage pour parvenir à ſon but. »
L'Auteur n'explique pas moins ingénieu
fementla fible de Prométhée.
Prométhée fignifie la Prévoyance ; il étoit
fils de Japet & de Thémis , c'eft-à dire , du
Defir & de la Deftinée ; il apporta le feu du
ciel , ce qui fignifie qu'il découvrit le feu ,
& fut l'appliquer à des objets utiles ; il civi
lifa le genre-humain , il inventa les Arts &
les Sciences : tout cela , dit l'Auteur , eft
l'effet de la Prévoyance. Un fupplice cruel eft
le prix de tant de bienfaits ; un vautour fans
ceffe renaillant lui dévore les entrailles . L'Auteur
ne fe diffimule pas cette objection , &
voici ce qu'il y répond : « Ce vautour eft - il
» autre chofe que les penfées fatigantes qui
» tourmentent toujours un efprit inquiet &.
» réfléchiffant ? »>
On ne peut nier qu'il n'y ait de l'efprit &
de la fineffe dans ces explications ; mais il
s'élève une objection générale contre toutes
ces allégories : c'eft qu'elles dépendent un peu
trop de l'efprit de celui qui les explique ; ik
y en a quelques- unes fans doute qui font frappantes
de fens & de vérité : tel eft , par exemple
, le beau tableau du Temps , dévoilant la
Vérité ; mais auffi ces fortes d'allégories n'ont
nul befoin d'explication . Toutes celles qu'il
faut expliquer , font dès - lors fort fufpectes ;
elles peuvent fervir à faire briller l'efprit &
;
DE FRANCE. 233
la fagacité de celui qui les explique ; mais on
n'eft jamais sûr qu'il ait rencontré la vérité ;
il en eft de ces explications d'allégories , à peuprès
comme de ces fupplémens par lefquels
des Savans ont joint enſemble, avec beaucoup
d'efprit & d'érudition , des fragmens épars
d'Auteurs anciens , & en ont retrouvé la
liaifon ; leur manière de rentrer dans chaque
fragment eft naturelle , & pourroit avoir
été celle de l'Auteur ; mais il y a toujours
beaucoup plus à parier que ce ne l'étoit pas ,
parce qu'il n'y a qu'un moyen de la retrouver,
& qu'il y en a mille de s'en écarter.
Dans le Traité de la Philofophie naturelle ,
tous les plus grands Philofophes de l'École
Ionique , fondée par Thalès, & de l'École Italique
, fondée par Pythagore , paffent en revue,
& on obferve avec foin tous les pas importans
que chacun d'eux a fait faire à la Philofophie.
Ce Traité finit par un parallèle de
Platon & d'Ariftote, dont voici quelques traits :
Le plus fameux de tous les difciples de
Platon fut Ariftote ; cet homme étonnant ,
qui pénétra avec une fagacité incroyable
» les fecrets les plus cachés de la Nature ;
" dont le génie étendu & vafte embraffa la
» totalité des mondes matériel & immatériel
, & dont le jugement éclairé fut régler
avec méthode & définir exactement
» les opérations les plus compliquées de l'efprit
humain. »
33
ود
33
"
Il différa de fon Maître dans la manière de
traiter les fujets philofophiques. Le ſtyle de
234 MERCURE
ود
و ر
"J
"
Platon eft poétique & figuré..... » Il s'adreffe
» à l'imagination du Lecteur , & revêt fes
» idées fublimes du voile clair & tranſparent
de la fable & de l'allégorie. Ariftote , au
» contraire , ne parle qu'à l'entendement....
Il rejette tout ornement étranger ; il tranf-
» met fes préceptes avec une préciſion fé-
» conde ; & on peut dire qu'il eft auffi avare
de paroles que prodigue d'idées ..... Platon ,
» dont l'imagination étoit riche , & qui étoit
doué d'une grande fenfibilité..... eft rempli
» des plus fublimes idées fur la Divinité ,
» fur fon pouvoir , fa fageffe & fa bonté....
Dans Ariftote , la faculté dominante eft le
jugement ; il paroît avoir eu moins d'imagination
& de fenfibilité ; il laiffe une forte d'incertitude
fur deux vérités importantes : la providence
de Dieu dans le gouvernement du
monde , & l'immortalité de l'ame ; en général
il fe refufoit à croire ce qu'il ne pouvoit pas
toujours comprendre & expliquer..... « En un
» mot , Ariftote écrit comme s'il s'adreffoit
» à une pure intelligence ; Platon , au con-
"
traire , confidère l'homme comme une
» créature compofée ; & en même-temps
» qu'il inftruit fon entendement , il s'efforce
de frapper fon imagination & d'émouvoir
" fes paffions.
DE FRANCE 235
LE Guide des Officiers particuliers en campagne
, ou des Connoiffances Militaires
néceffaires pendant la guerre aux Officiers
particuliers ; par M. de Ceffac , Capitaine
d'Infanterie au Régiment de Mgr. le Dauphin
, de la Société Royale des Sciences
de Metz. 2 vol . in- 8 °. avec 200 figures.
Prix , 10 liv. brochés. A Paris , chez Cellot ,
Imprimeur- Libraire , rue des Grands Auguſtins.
Il fut un temps où l'on favoit gré à un Militaire
de favoir bien figner fon nom ; mais ce
temps étoit celui de la fervitude , de la barbarie
, de l'ignorance ; les Moines feuls comptoient
parmi eux quelques Érudits , & ceux- ci
bornoient leurs connoiffances à favoir lire affez
couramment & à comprendre affez mal les
Livres ou les Écrits qu'ils avoient déchiffrés :
tous les autres états étoient dans la plus grande
ignorance ; la Nobleffe feule recevoit une éducation
; mais deſtinée uniquement à porter
les armes & à guerroyer , cette éducation fe
bornoit à des exercices de gymnaſtique ; cependant
la Nobleffe étoit regardée comme fi
fupérieure aux autres claffes de Citoyens
qu'elle feule étoit chargée de gouverner les
Peuples , de les juger & de combattre pour
eux. Des événemens bien connus occafionnèrent
de grands changemens dans le gouvernement
de l'État , dans la puiffance des
236 MERCURE
Souverains , dans les moeurs & dans les habitudes
des Sujets. En allant combattre dans la
Terre- Sainte , on avoit traversé la Grèce &
Conftantinople , & on avoit trouvé par-tout
des monumens qui avoient donné des idées
fur les Arts , & des Livres dont quelquesuns
une fois déchiffrés , firent naître l'envie
de lire les autres , de les comprendre & de les
imiter. Bientôt Léon X en Italie , Charles-
Quint en Espagne & en Allemagne , Élifabeth
en Angleterre , & François Ier en France ,
virent s'élever des Savans , des Hommes-de-
Lettres , des Artiftes & des Artiſans ; malheureufement
pour l'humanité , on ne ceffa pas
de faire la guerre ; au contraire , on la fit ,
pour ainfi dire , davantage , parce que chaque
État voulant ou établir ou défendre , ou
affermir ou agrandir fa puiffance , on combattic
prefque par- tout. Luther prêchant contre
les dogmes & contre la difcipline ; Colomb
découvrant un nouveau monde ; Gama doublant
le Cap de Bonne- Efpérance , multiplièrent
les caufes de difcorde entre les hommes
& entre les États ; enfin Louis XIV, qui , dans
le feizième ſiècle , pouvoit borner fa gloire à la
protection des Arts & des Lettres , & au bonheur
defes peuples , entraîna l'Europe dans des
guerres qui le flattèrent quelques inftans , &
remplirent fes derniers jours d'amertume , en
accablant de malheurs & de dettes fes peuples-
& fon royaume ..... La guerre ainfi perpétuée ,
prolongea l'ignorance des Militaires qui , depuis
la renailfance des Lettres , n'avoient eu
DE FRANCE. 237
ni les moyens , ni le temps de s'inftruire.
Auffi ce fut à des Moines & à des Savans que
l'on dut d'abord les Traductions de Polybe ,
de Vegèce , d'Élien , de Céfar , de Xénophon ,
&c. Peut-être auffi que dans des temps où les
Armées étoient toujours en campagne , les
Militaires fuppléoient , par une pratique continuelle
, à ce qu'auroit pu leur apprendre la
théorie dans des momens plus calmes . Mais
les Arts & les Sciences étant plus perfectionnés
, on avoit découvert la poudre , imaginé
les armes à feu , trouvé une nouvelle manière
de fortifier , d'attaquer & de défendre les
Places ; les Troupes faifoient des mouvemens
plus rapides ; on avoit multiplié les bouches
à feu à la fuite des Armées ; on fortifioit, dé
fendoit & attaquoit différemment les poftes ,
&c. Tous les Ouvrages Militaires des anciens
étoient traduits , connus , commentés ; enfin
il s'étoit établi une balance entre les États de
l'Europe, & les peuples commençoient à jouir
plus fouvent & plus long - temps des douceurs
de la paix. Cependant les Souverains confervoient
toujours des Troupes fur pied , & il
devint néceffaire aux Officiers qui voulurent
connoître leur Art & s'affurer des fuccès à la
guerre , d'étudier la théorie de cet Art , en y
joignant de la pratique le plus qu'il leur étoit
poffible. Cette néceflité dut décider les Officiers
ftudieux à écrire pour l'inftruction de
leurs camarades , & ces fecours devinrent
d'autant plus importans , que les paix furent
plus longues & les guerres plus éloignées.....
238 MERCURE
Les générations militaires fe fuccèdent
avec
tant de rapidité , que fi l'on ne conſignoit pas
dans de bons Ouvrages les connoiffances qui
peuvent leur être néceffaires , on courroit les
rifques de commencer la guerre avec des Officiers
qui ignoreroient
jufqu'aux premiers
principes de leur Art.....
Mais il faut diftinguer plufieurs , eſpèces
d'Ouvrages Militaires ; les uns ne s'occupant
que de la manière de faire camper , marcher
& combattre les Armées , femblent n'être
principalement deftinés qu'aux Officiers Généraux
; d'autres doivent principalement intéreffer
les Officiers du Génie ; ceux- ci les
Officiers d'Artillerie; très- peu embraffent les
différentes parties de l'inftruction de l'Officier
particulier d'Infanterie ou de Cavalerie , &
peut- être même aucun ne pouvoit leur fuffire.
Cependant , il n'en n'eft pas d'un Officier particulier
commed'un Officier Général ..... L'Of
ficier Général , pendant la paix , peur étudier
les Ouvrages qu'on a faits pour fa partie , &
pendant la guerre il s'entoure d'Officiers du
Génie , d'Artillerie , d'Aides -de- Camp , d'Ingénieurs
- Géographes , & ( fût- il même un
ignorant , ne fe fût- il occupé pendant la paix
que de fes plaifirs ) encore trouve - t'il les
moyens, finon de bien marcher , au moins de
fe foutenir & d'avancer avec les fecours de
toutes les perfonnes dont on vient de parler
qui, par devoir , & encore plus par intérêt &
par ambition , fe font une loi de prévenir de
leurs connoiffances ou de leurs travaux les
DE FRANCE. 239
-
---
―
moindres defirs de leur Général.... Quant à
l'Officier du génie & de l'Artillerie , il a eu
pendant la paix des écoles , des inftructions
une théorie & une pratique conftante . Mais
l'Officier particulier d'Infanterie ou de Cavalerie
a été , pour ainfi dire , abandonné à
lui- même ; on le fatigue par des exercices ,
mais profque aucuns n'ont pu l'inftruire de ce
qu'il faudra qu'il fache à la guerre. Ainſi
sûreté d'une grande garde . Fortification ,
défenſe , attaque d'un pofte. - Conduite ou
enlèvement de convois. Fourrages à faire ,
à protéger ou à attaquer. Pays à reconnoître
militairement. Pofition à prendre ,
&c . Connoiffances toutes néceffaires à la guerre
, qui ont besoin d'avoir été acquifes , pour
être pratiquées avec quelques fuccès ; connoiffances
d'où dépendent prefque toujours
la sûreté des Armées , le gain des batailles , &
l'honneur & le déshonneur de ceux qui en
font chargés, & qui font cependant ignorées
on oferoit prefque dire par tous les Officiers
qui n'ont pas été obligés de s'en occuper à la
guerre..... Jufqu'à préfent même , il eût été
difficile à un Officier particulier,quelle que fut
fon envie de s'inftruire de ces différens objets,
de pouvoir le faire..... Le Chevalier Folard ,
MM . Gaudi , le Cointe , Clairac , Dubreuil ,
Kever , Huller , le Blond , Laroche , Foffé ,
&c. s'en étoient cependant occupés ; mais
parmi ces Auteurs , quelques -uns n'avoient
fait qu'effleurer ces connoiffances ; d'autres
m'avoient traité à fond qu'une des parties
240 MERCURE
de la fcience de l'Officier particulier ; ceux - ci
avoient cru que nous favions tout ce qu'ils
favoient ; ceux - là avoient confondu ce qui
appartient au Général & à l'Ingénieur , avec
ce qui regarde uniquement l'Officier particulier.
En un mot , avec un air d'opulence
nous étions réellement très- peu riches lorf
que l'Ouvrage de M. le Chevalier de Ceffac
a paru.
Le Guide de l'Officier Particulier eft donc
venu nous donner des richeffes plus réelles ;
mais en outre il en a rendu l'ufage plus facile
& plus général , en y joignant le mérite
affez rare de dire tout ce qu'il faut , & de le
dire en peu de mots avec ordre & clarté ; cependant
il feroit trop long , peut - être même
trop difficile de faire connoître aux Militaires
cet Ouvrage qui devroit être connu de tous.
On croit qu'il eft néceffaire de le lire attentivement
d'un bout à l'autre. Pour ceux qui
ont fait la guerre , il rappellera bien des chofes
, les redreffera fur quelques-unes , & les
inftruira fur plufieurs autres. Pour ceux
qui commencent , il doit être leur guide ; il
faut donc qu'ils le méditent , qu'ils , l'apprennent
, qu'ils le fachent par coeur. Aucun
Officier Général ne fera fâché de s'être donné
la peine de le connoître ; peu d'entre - eux ont
pu avoir le temps ou la patience d'acquérir
toutes les connoiffances que renferme ce Livre.
Dans la première partie , dans laquelle
l'Auteur traite de tout ce qui eft relatif au
choix
DE FRANCE. 24x
choix des poftes & à l'art de les mettre en
état de défenfe , il fait voir comment un fol
peut être bon pour être défendu ; comment
un pofte peut être commandé , & comment
on peut le mettre à l'abri des commandemens
, &c. Viennent enfuite les différentes
formes que l'on peut donner aux défenfes
& la façon de les tracer , de les conftruire &
de les rendre plus fortes , &c.
Dans la feconde Partie , l'Auteur entre dans
des détails effentiels par leur fageffe & leur
clarté , qui lui fervent à indiquer la manière
dont il faut garder & défendre les poftes qu'il
vient d'apprendre à fortifier.
Dans la troifième Partie , qui commence le
fecond volume , M. de Cellac enfeigne les
moyens les plus avantageux pour fe rendre
maître , par force ou par adreffe , des différens
poftes qu'on peut être chargé d'attaquer.
Enfin, dans la quatrième Partie , il s'occupe
de l'inftruction de l'Officier particulier lorfqu'il
doit aller en détachement. — Faire des
marches , des retraites , des reconnoiffances
militaires . Attaquer ou défendre un convoi.
Dreffer une embuſcade ou les éviter,
-Lever des contributions , &c.
Il n'y a peut-être aucun Livre qui foit plus.
utile aux Militaires , que le Livre de M. le
Chevalier de Ceffac , dont on vient de voir
une bien foible efquiffe, & qu'il auroit fallu
copier prefque en entier , pour le faire connoître
comme il mérite d'être connu.
N. 17 , 29 Avril 1786. M
MERCURE
SPECTACLES.
RESUME des Concerts de la Quinzaine
de Pâques.
AUCUNE nouveauté étrangère n'a fixé cette
anrée, au Concert Spirituel, l'attention publique
, fi l'on en excepte M. David , qu'on
avoit entendu l'année dernière , & Mlle
Toméoni , dont le fuccès n'a pas été heureux .
Le Concert s'eft uniquement foutenu
par fes
propres forces , par les forces nationales ; &
M. Duport , qu'on entend toujours avec un
nouveau raviffement , MM. Lebrun & Dominich
, dont le fon fur le cor eft fi aimable &
l'exécution fi brillante ; M. Ozy , qui donne
au baffon de nouveaux charmes ; M. Michel
qui femble avoir porté la clarinette au plus
haut point de perfection , ont prouvé que nous
ne le cédons en mufique inftrumentale à aucanegrande
ville de l'Europe ; car nous devons
compter parmi nos richeffes muficales, les Ar- 1
tiftes étrangers qui font fixés parmi nous. Il
feroit difficile de raffembler ailleurs plus de
grands talens qu'on ne le pourroit faire à
Paris , & il s'en faut de beaucoup que le Con-´
sert les ait raffemblés tous. Mais pour ne parDE
FRANCE.
243
ler que de ceux qu'on y a entendus , nous
croyons devoir alfocier à ces grands noms
Mme Gautherot , qui a mérité fur le violon
une réputation très- rare pour une femme , &
dont le jeu fin , délicat & fenfible attefte fon
fexe , mais qui n'a pas befoin de l'indulgence
qu'on accorde à ce fexe , pour obtenir les fuffrages
qu'elle a tous réunis. M. Aldée vient
enfuite , & fes progrès juſtifient les eſpérances
qu'il a données à fon début. On pourroit
reprocher à M. Kreitz de ſe laiffer emporter
à la vivacité ; à M. Bouvier de ne pas affez
travailler fon archet ; tous deux cependant ,
fur le même inftrument , méritent des éloges ,
& fur-tout des encouragemens . Mille Villiaume
& la jeune Mlle Landrin ont joué avec
beaucoup de fuccès du forté -piano . La dernière
fur-tout , très -fupérieure à fon âge ,
mérite d'être diftinguée. Mlle Dorifon , trèsjeune
élève de M. Roze le fils , fur la harpe ,
a mérité les plus grands applaudiffemens par
un jeu rempli de grâce & de préciſion .
On a donné deux fymphonies concertantes
de M. Hayden ; une feule nous a paru digne
de ce grand Maître. Le Duo de flûte de MM.
Turner frères , a fait le plus grand plaifir.
MM . Berthuaume & Graffet ont joué une
concertante à deux violons , & le premier a
recueilli la double gloire que méritent fon
exécution perfonnelle , & le talent qu'il a
donné à M. Graffet , fon élève .
Parmi les grandes fymphonies , on en a
admiré une de M. Janffon l'aîné , qui réunit
Mij
244
MERCURES
de très beaux effets à un chant noble & vigoureux,
Celles de M. Hayden n'ont pas
moins produit de fenfation qu'à l'ordinaire;
mais on n'a pas reconnu fa touche large &
fpirituelle , cette grâce de chant , cette liaiſon
d'idées fi ingénieufe qui le diftinguent, dans la
fymphonie nouvelle qui a été donnée fous
fon nom .
>
Le chant a offert moins de nouveautés intéreffantes.
M. l'Abbé le Sueur , Maitre de
Mufique des SS . Innocens , a fait entendre
trois differens morceaux ; l'un fur des paroles
de Rouffeau , un autre fur des paroles de Racine
, & le troisième , qui eft à grand choeur
fur des paroles de Corneille. Les compofitions
de ce jeune Artifte , dont le nom eft déjà cher
aux Arts , puifqu'il defcend d'Euftache le
Sueur , l'un des meilleurs Peintres de notre
École , font pleines d'efprit & de chaleur ; il
foigne particulièrement fon orcheſtre , & on
voit qu'il eft nourri des Ouvrages des bons
Maîtres. Sa mufique eft très - dramatique ;
peut-être même a-t-elle plus ce caractère que
celui de chapelle ; ce qui eft un heureux défaut.
Nous l'invitons à redoubler de févérité
fur les formes de fon chant , & fur la jufte
étendue qu'il convient de donner aux différens
mouvemens , pour en conſerver tout
l'effet . Mlle Meliancourt , dont on aime avec
raifon la voix mélodieufe & touchante , &
M. Rouffeau , dont le chant devient tous les
jours plus précieux , ont exécuté avec beaucoup
de grâce un Regina cali, très - agréable ,
DE FRANCE. 245
de M. Rigel. Le même M. Rouffeau a chanté
une Hyérodrame, mulique de M. le Berthon ,
fils du Directeur de l'Opéra: il a plu généralement
, & a fait concevoir de ce jeune Artifte
les efpérances les plus flatteules . Le
Maître dont il fuit maintenant les leçons ,
M. Sacchini , eft bien propre à l'aider à les
juſtifier.
Nous ne parlerons point du Stabat de M.
Hayden , qui a eu fon fuccès accoutumé; mais
nous remarquerons , au fujet de celui de Pergolèze
, qu'il eft bien malheureux que les circonftances
n'ayent pas permis au Directeur du
Concert de le faire exécuter par les voix auxquelles
il eft deftiné . Les voix de MM . David
& Laïs font trop graves pour les morceaux à
deux. Le chant du premier mouvement y
perd beaucoup de fa molleffe & de fon expreffion
. Il en résulte des déplacemens d'har
monie défagréables , & l'Ouvrage de Pergolèze,
quoiqu'il ait été parfaitement exécuté ,
n'a pu faire plaifir dans cet état , que par les
anciennes fenfations qu'il a rappelées. On a
extrêmement applaudi le petit verfet que M.
Laïs chante feul. Il l'a rendu en effet avec une
voix très belle , très-fenfible , & une extrême
pureté. On a été bien- aife d'ailleurs d'entendre
ce petit morceau dans toute fa fimplicité ,
fans être déguifée par aucun embelliffement.
Ce n'eft pas qu'il foit intérellant par hi
même , que le chant en ait aucune grâce , aucune
expreffion , qu'il ait rien à perdre à être
déguifé , ni rien à gagner à refter tel qu'il est ;
'Miij
246
MERCURE
mais c'eft qu'en France on aime beaucoup
entendre ce qu'on a beaucoup entendu , &
tel qu'on l'a entendu ; qu'on n'y tient pas
compte à un Artifte habile du talent d'improvifer
fur une harmonie donnée , & qu'on préfère
à ce mérite la nudité d'un chant qu'on
fait déjà par coeur. Ceci eft vrai feulement.
pour le chant vocal ; il n'en eft pas de
même pour les inftrumens ; mais
nous ne
fommes pas du tout au même point dans ces
deux différens genres de mufique . Au refte ,
on devoit peut -être favoir quelque gré à M.
David d'avoir chanté le Vidit fuum , ainfi
que le premier verfet , fans aucune eſpèce de
broderie. Mais puifque nous en revenons à
čes broderies fi fort reprochées , qui tiennent
à une manière applaudie en Italie , &
même par- tout ailleurs qu'à Paris , noas
fommes affez étonnés qu'on ne lui reproche
pas auffi de prononcer le latin comme on le
prononce en Italie ; de dire , par exemple
Joufta croutchem , au lieu de Juxta crucem ,
&c . Que fi on répondoit qu'il eft tout fimple
qu'un Italien prononce le latin à la manière
de fon pays plutôt qu'à la nôtre ; que nous
n'avons pas le droit de défapprouver une prononciation
beaucoup plus généralement reçue
que la nôtre ; qu'il eft au contraire très - probable
que la prononciation de la langue latine
a été moins altérée dans le pays même de
cette langue que parmi nous , & que celle des
Italiens doit être préférée à la nôtre , nous
demanderions qu'on fit en entier l'applicaDE
FRANCE. 247
tion de ce raifonnement à la manière de chanter
dé M. David.
COMÉDIE FRANÇOISE, *
CE Théâtre a vu fixer fix nouveaux Sujets
au nombre de fes membres , pendant le cours
de la dernière année Dramatique : M. Naudet,
Mlle de Vienne, Mlle Vanhove , Mlle Candeille
, Mlle Laurent , & Mlle Emilie Contat,
foeur de l'Actrice du même nom . Nous avons
parlé du talent de MlleVanhove ; il eft inutile
de répéter ici les éloges que nous lui avons
donnés , éloges confirmés d'ailleurs par les fuffrages
publics. Nous avons auffi parlé de Mile
de Vienne & de Mlle Candeille ; mais nous
n'avons point annoncé le Début des trois autres
Suets : nous allons les faire connoître.
M. Naudet a paru dans les Tyrans & dans
les Pères. Il joint à une phyfionomie décente ,
à une taille avantageule , une belle intelligence
, de la vérité , de la raiſon & une certaine
chaleur. Cet Acteur eft beaucoup mieux
Dans le Coup d'oeil fur le travail fait aux trois
Théâtres Royaux , imprimé dans le dernier Mercure ,
nous avons oublié la Phyficienne , Comédie en un
Acte & en vers , repréſentée à la Comédie Françoife.
Ainfi , il faut porter à vingt - trois le nombre
total des Ouvrages joués par les Comédiens de ce
Théâtre , tant à la ville qu'à la Cour , pendant la
dernière année Dramatique.
Miv
248 MERCURE
dans la Comédie que dans la Tragédie ; fon
débit , dans la première , eft naturel , juke &
fenti ; fon organe le trahit quelquefois dans
la feconde ; mais comme il a de l'adreffe &
de la bonne volonté , il diflinule très - fouvent
xcésa
ce que fa voix a de défagréable dans les cordes
aigus : au total , c'eft une fort bonne acquifition
pour le fervice de la Comédie &
pour celui du Public.
Mlle Laurent joue les jeunes Amoureuſes.
Elle a de la grâce dans le maintien , de l'amabilité
dans la figure , & de la fraicheur dans
Porgane. Son jeu n'eft pas toujours affez animé;
ce défaut de chaleur eft fans doute l'effet
d'une timidité louable , que l'ufage du Théâtre
& les encouragemens publics feront bientôt,
difparoître. Nous favons que cetre Actrice
aime fon état , & qu'elle travaille beaucoup ;
cela nous porte à croire que des études alldues
& l'obfervation des bons modèles que
fon peut citer encore , lui feront acquérir un
talent digne d'ètre diftingué.
Mlle Emilie Contat a peu joué : elle paroît
fe confacrer aux rôles des Soubrettes. Sa
phyfionomie a de la mobilité ; fon o
annonce de l'efprit ; mais fon extrême jeuneffe
ne lui permet pas de développer les
qualités qu'exige un emploi difficile , & dans
lequel on ne peut motiver fon jeu qu'après
avoir acquis quelque expérience. On peut efpérer
que les bons confeils de Mlle Contat
mettront bientôt fa jeune foeur en état de
mériter la faveur précoce qu'on lui à bien
DE FRANCE. 2.4.9
voulu accorder , en la plaçant , dans un âge fi
tendre , au rang des Comédiens du Roi.
Après avoir inftruit le Public des acquifitions
que le Théâtre François a faites pour
fon fervice , il faut l'entretenir de fes pertes.
C'eft encore une jouiffance que le fouvenir
des plaifirs paffes.
Pierre- Louis Dubus de Préville , a débuté
à la Comédie Françoife le 20 Septembre 1753 ,
par le Crifpin du Légataire Univerfel. Le 20
Octobre fuivant , il joua fur le Théâtre de
Fontainebleau cinq rôles de traveftiffement
dans le Mercure Galant. Le Roi Louis XV, qui
devoit à la Nature un coup-d'oeil jufte , un tact
sûr, & lefentiment du beau , fut tellement frappé
de la rapidité avec laquelle le talent de ce
célèbre Comédien fe varioit tour-à-tour fous
des formes différentes, toujours avec efprit, naturel
, profondeur & vérité, qu'il ordonna que
M.Préville fût fur le champ reçu au nombrede
fes Comédiens ; honneur inoui , & qui femble
avoir été réfervé pour le plus étonnant
des Acteurs dont la Scène Françoife ait à
s'enorgueillir. Nous difons le plus étonnant ,
& nous pourrions ajouter le plus parfait.
Qu'on fe figure la phyfionomie la plus fpirituelle
, la plus animée , la plus mobile , la
plus piquante , l'accord le plus vrai de la gefticulation
avec la modification des accens ;
l'expreffion toujours bien fäifie du fentiment
qui anime le perfonnage que l'Acteur repréfente
, la connoiffance la plus exacte des divifions
, des fubdivifions , de ces nuances fu-
M v
250
MERCURE
gitives qui font le charme d'un débit naturel
d'un debit toujours adapté à l'état , à l'âge , au
tempérament , au caractère , aux habitudes
du rôle donné , & l'on aura une idée à peuprès
jufte du talent de M. Préville. L'illufion
que produifoit cet Acteur dans les rôles où il
n'avoit pas encore été vu , étoit fi complette ,
que ceux même qui vivoient le plus familièrement
avec lui , avoient peine à le reconnoître
quand il fe préfentoit fur la Scène.
Lorfqu'il joua pour la première fois le rôle
de Paul Verner , dans les Amans Généreux
perfonne ne le reconnut : on n'imaginoit pas
comment ce Comédien fi vif, fi élégant , fi
adroit , qui s'étoit fait admirer dans cent rôles
où il avoit fait briller toutes les reffources de
fon efprit & toute l'aifance de fes manières ,
avoit pu prendre le maintien roide , la démarche
calculée , les attitudes paffives & le
ton brufque d'un Soldat Pruilien. Il fau
droit nommer tous les rôles dans lefquels M.
Préville a brillé , pour faire connoître jufqu'à
quel point fon talent a pu fe modifier ; &
nous n'entreprendrons point cette tâche ; car
ce talent a été fi univerfel, qu'il a été bien
plus facile de le fentir & de l'admirer, qu'il ne
le feroit d'en être l'hiftorien . Depuis l'inftant
où M. Préville a paru , jufqu'au moment de fa
retraite , il a été l'idole des Amateurs du
Théâtre. L'amour général qu'il infpiroit éclata
fur-tout il y a vingt ans , quand une maladie
cruelle attaqua fes jours , & fit craindre de le
perdre. Chaque repréfentation fe terminoit
DE FRANCE. 251
par des acclamations relatives à l'état de la
fanté du Comedien ; & quand on vint annon
cer que cet Acteur adore alloit reparoitre ,
l'ivrefle fut générale : il fembloit que fon retour
fût un des points effentiels de la félicité
publique. Il n'ajamais été plus vrai , plus naturel
, plus admirable que dans les dernières
années de fa carrière Dramatique ; le Public
s'eft porté en foule aux repréfentations dans
lefquelles on étoit sûr de le voir paroître ; les
applaudiffemens les plus univerfels ont couronné
fon zèle & fes talens. Il laiffe après
lui des regrets qui feront longs : on trouvera
fans doute encore des Comédiens eftimables ;
mais cette âme propre à tout fentir , cet efprit
habile à tout concevoir cette facilité à
fe plier à toutes les formes , à rendre tous les
caractères ; cet accord fi rare de la Nature
perfectionnée par l'Art , de l'Art rapproché
de la vérité par la Nature , dirigé par un
goût exquis , par une connoiffance parfaite de
toutes les affections du coeur humain : retrouvera-
t'on toutes ces qualités dans un feul
homme?
›
Madeleine - Angélique- Michelle Drouin ,
épouſe de M. Préville , a fait deux Débuts au
Théâtre François ; le premier, le 28 Septembre
1753 , le fecond, le 10 Mai 1756. Elle a été
Expreffion tirée d'un compliment de rentrée
prononcé par M. Dauberval , cité par l'Abbé de la
Porte , dans fa Collection des Anecdotes Dramatiques.
Mvj
252 MERCURE
reçue le premier Mars 1757. Elle a joué longtemps
avec fuccès les Amoureufes de la
Comédie , & s'eft diftinguée dans les Confidentes
de la Tragédie ; emploi ingrat , toujours
facrifié aux premiers rôles , dans lequel
il faut de l'efprit , de la raifon , de la nobleffe ,
& une abnégation prefque abfolue de l'amour
propre. A la retraite de Mme Grandval , Mme
Préville fut chargée de l'emploi des grandes
Coquettes : c'eft dans ces rôles qu'elle a développé
les grâces , l'aifance , la nobleffe ,
la décence , l'efprit & Pintelligence qui lui
étoient naturelles. Elle y laiffe une tradition
qu'elle a créée , & que nous retrouverons
fans doute un jour dans Mlle Contat,
fon Élève. On pourroit lui reprocher d'avoir
quitté cet emploi dans un temps où elle
pouvoit encore v fervir de modèle , fi la
modeftie pouvoit jamais étre le motif d'un
reproche. A la retraite de Mlle Dumefnil ,
Mme Préville a joué l'emploi des Mères
Nobles ; elle y a été vue avec plaifir &
avec intérêt jufqu'à l'inftant où elle a
quitté ce Théâtre. Parmi les qualités de
cette Actrice , il ne faut point oublier fon
zèle , fon travail & fon afiduité au fervice
public . Quand il falloit être utile à la Comédie
, ou repréfenter un Cuvrage promis , nul
rôle ne lui étoit étranger. C'eft ainfi qu'en
joignant l'ardeur aux talens , on parvient à
faire joindre à l'eftime qu'on accorde au mérite
, un fentiment plus précieux encore : l'eftime
perfonnelle.
DE FRANCE. 253
Jean-Baptifte Brizard a débuté le 30 Juillet
1757, par le rôle d'Alphonfe , dans Ines de Caf
tro, & a étéreçu le 13 Mars 1758. Peu de Comédiens
ont dû à la Nature plus d'avantages
que cet Acteur. La nobleffe impofante de fa
figure, qui n'étoit point incompatible avec l'expreflion
de la candeur & dela probité, préparoit
d'abord les fuffrages en fa faveur ; mais quand
fa voix , intéreilante & fouple , s'animoit à
la chaleur d'une ame impétueufe & brûlante
, alors il faifoit partager à tous les Spectateurs
les fentimens qu'il exprimoit ; l'Acteur
difparoiffoit tout entier, & l'on fe croyoit
tranfporté au temps & dans les circonftances
de l'action dont il étoit un des perfonnages.
Admirable , entraînant dans la Tragédie , il
étoit noble , vrai , aimable dans la Comédie.
Sous l'habit d'un maître ou fous le coftumé
d'un valet , comme dans le Jarvis de Beverley,
il étoit également touchant & pathétique.
Nul Acteur n'a mieux rendu les expreffions
qui tiennent à la fenfibilité ; la Nature
fut fon guide & fon maître , & s'il lui
a dû des talens , il lui dut encore des vertus
qui n'ont pas rendu fon nom moins cher
aux honnêtes gens , qu'intéreffant pour les
amateurs du Théâtre.
Alexandrine Louife Fannier a débuté le 11
-Janvier 1764 , par les rôles de Finette dans le
Diffipateur, & de Lifette dans le Préjugé vaincu.
Elle a été reçue en 1766.Cette Actrice, dont
la figure féduifante annonçoit un efprit fin , vif
& plein de reffources , s'étoit fait un jeu
254 MERCURE
pour fes moyens. EEllllee ne voulut imiter perfonne
, parce qu'elle ne vit , dans aucun des
fujets qui pouvoient lui fervir de modèle ,
rien qu'elle pût adapter à la manière naturelle
, & qui pût lui devenir propre. Cette
feule obfervation fuffiroit pour prouver combien
Mlle Fannier avoit de jufteffe dans le
goût , & combien elle étoit au -deffus de ces
efprits imitateurs qui marchent avec des traditions
, & qui fe fervent du travail des
autres pour obtenir une réputation précaire.
Elle a fu donner à tous les rôles de fon emploi
, principalement à ceux de la Comédie
moderne , une phyfionomie piquante &
gaie. Elle n'a jamais joui d'une fanté bien
forte , & c'eft à la foibleffe habituelle de fon
tempérament qu'il faut attribuer le peu de
fervice qu'elle a fait dans fes deux dernières
années de Théâtre. Elle aimoit fon état , elle
a mérité les fuccès qu'elle y a obtenus , &
l'éloge de fes qualités perfonnelles fe trouve
dans la bouche de tous les Gens- de- Lettres qui
ont été rapprochés d'elle par les circonftances
Qu l'amitié.
par
COMÉDIE ITALIENNE.
PENDANT le cours de l'année dernière , ce
Théâtre n'a fait qu'une acquifition , mais elle
eft également heureufe pour lui & pour le
Public. Mlle Renaut l'aînée , dont le début a
été fi brillant & fi prolongé , a été reçue
DE FRANCE. 255
Comédienne du Roi . Tandis que ce Spectacle
s'enrichiffoit ainfi des talens d'un jeune
fujet , fur lequel on fondoit les plus grandes .
efpérances , il étoit menacé d'une perte fàcheufe
, qu'il vient de faire à la dernière clôture
; nous voulons parler de la retraite de
Mme Trial, Actrice juftement aimée , & fur
les talens de laquelle nous allons donner une
notice qui ne pourra qu'augmenter les regrets
de fa perte.
Marie-Jeanne Milon , époufe de M. Trial,
Penfionnaire & Comédien du Roi , née en
1748 , a débuté au Théatre Italien le 15
Janvier 1766 , par le rôle de Laurette , dans'
le Peintre Amoureux de fon modèle , fous
le nom de Mlle Mandeville. Mme Laruette
jouiffoit alors d'une réputation brillante
& que des talens diftingués lui avoient
fait acquérir l'éclat des fuccès de l'Actrice
généralement goûtée , ne nuifit point à ceux
de la Débutante , dans laquelle on apperçut
d'abord les qualités qui font une bonne Cantatrice
& une Comédienne raifonnable.
Mme Trial fut reçue en 1767, & chaque
année , en développant fes talens , l'a rendue
plus chère au Public , qui l'a toujours écoutée
avec ivreffe , & applaudie avec tranſport.
Cette Actrice devoit à la Nature une phyfionomie
noble , décente & belle , une taille élé
gante & fvelte, & tous les avantages qui rendentune
femme recommandablepar les attraits
& par les graces : néanmoins, à peine tout cela
mérite- t- il d'entrer pour quelque chofe dans
256 MERCURE
fon éloge tant les talens & les qualités
morales font au - delfus des charmes que la
Nature donne ou refufe par hafard , auxquels.
on accorde des hommages paffagers , avec
lefquels on s'habitue , & que l'on finit par
apprécier à leur jufte valeur. La première
vertu de Mme Trial fut la modeftie : lorfque
tout le réunifloit pour attefter fes talens
quand les fuffrages du Public retentiffoient
autour d'elle ; quand les Compofiteurs s'empreffoient
à lui confier leurs fuccès & leur
réputation , elle feule doutoit de fon mérite ;
& ce doute heureux , cette crainte délicate
de n'être pas digne de tous les éloges qu'on
lui prodiguoit à l'envi , redoubloient fon
zèle , fes efforts & fes études , & l'ont ainfi
conduite à une fupériorité que vingt années
de Théâtre n'ont pas démentie un feul inf
tant. Parmi plufieurs époques remarquables de
la vie dramatique de Mme Trial que nous
pourrions citer , nous en citerons une feule.
Le 2 Août 1777 , cette Actrice chanta par
ordre de la Reine , dans la Fête de Flore ,
Opéra de M. de Saint - Marc , Mufique de
feu M. Trial , fur le Théâtre de Choify :
elle y fut d'autant plus admirée , qu'elle étoit
peu familière avec ce genre abfolument
étranger à celui dont elle avoit contracté
une longue habitude , & qu'elle n'y laiffa
rien à défirer. Après le Spectacle , nos Auguftes
Souverains ne dédaignerent pas de lui
faire hautement l'aveu de la fatisfaction
qu'elle leur avoit fait éprouver : Mme Trial
DE FRANCE. 2.57-
2 1
avoit déjà l'honneur d'être attachée à la
Mufique de la Reine , & elle eft la première
Actrice du Théâtre Italien qui ait obtenu
cette flatteufe & rare diftinction . Tel eft
Pafcendant des bonnes moeurs , de la modeftie
& de l'honnêteté réunies aux talens....
& le Comédien qui
shonore lui - même , fe voit à fon tour ho
norer par les faveurs , & par les préférences
qui peuvent s'attacher à fa perfonne. Une
voix pure , flexible , intéreffante ; un gofier
brillant , & auquel toutes les modulations
étoient faciles ; beaucoup de raifon , de fens ,
de goût & de jugement , un zèle infatigable ;
telles furent les autres qualités de Mie
Trial. Elle a vu le fuccès de Mlle Renaut
l'aînée , avec cette joie que le talent feul
peut fentir , parce qu'il eft exempt de
la honteufe jaloufie que l'on peut reprocher
à tant d'Artiftes médiocres , & quelquefois
même , il faut en convenir , à des Artiſtes
diftingués. L'ordre qui lui permet de fe retirer
, motive , de la manière la plus honorable
, la caufe des bienfaits que le Roi lui
accorde. Puiffe cet exemple , que nous citons
avec un plaifir bien vrai , apprendre à nos
Actrices que fi le talent peut faire , pendant
quelque temps , pardonner de grandes erreurs
, il ne fuffit pas pour faire obtenir
une véritable confidération ; que le fouvenir
des jouiffances paffagères difparoît pour ne
plus revenir , & que celui des vertus eft immuable
comme elles !
258 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
TRAITE de
RAITE des Succeffions légitimes , dédié à Mgr.
Garde des Sceaux , première Partie , par M. Duvergier
, Avocat au Parlement , I Vol. in - 12 . Prix ,
2 liv. 10 fols broché , & z liv. relié.
Voici comment s'exprime l'Auteur dans fon
Avertiffement. Le Droit des Succeffions légitimes
forme une des matières les plus vaſtes de notre Jurifprudence.
Ce Volume n'en contient que les principes
généraux . Ce qui concerne la repréfentation ,
les propres , la légitime , &c. peut indifféremment
être compris fous la dénomination générale d'un
Traité des Succeffions , ou être l'objet d'autant de
Traités féparés. On fe propofe de les donner lucceffivement
, de manière qu'ils forment enfemble un
Traité complet des Succeffions , & que néanmoins
chaque Volume foit complet dans la partie qu'il
traitera , & puiffe être acquis féparément.
Ce Traité n'a ni la féchereffe ni le langage barbare
qu'on reproche quelquefois aux Ouvrages de
Jurifprudence. Le ftyle en eft agréable , les idées
précifes , & cependant approfondies ; il peut plaire
2x Gens du monde en même- temps qu'il fera
utile aux Gens de Loi . Le Difcours préliminaire eft
intéreffant ; il traite de l'influence des Ecrits des
Jurifconfultes fur les progrès de la Légiflation.
L'Auteur paroît s'être propofé d'éclairer les mazimes
du Droit par une fage Philofophie , & captiver
la Philofophie même en la foumettant aux
principes de la Loi ; c'eft une carrière nouvelle qu'il
DE FRANCE. 259
s'ouvre , & qu'il paroît capable de remplir avec
honneur.
Le fecond volume de cet intéreſſant Ouvrage eft
fous preffe .
LAGRANGE , Libraire , au Palais Royal , nº . 123,
du côté de la rue des Bons Enfans , donne avis au✅
Public qu'il s'occupe actuellement à faire traduire le
Poëme Espagnol intitulé : La Femme Heureufe ,
dépendante du monde & de la fortune , par un Philo
fophe inconnu. L'Auteur , qui l'a dédié à la Princeff:
des Afturies , y traite , entr'autres chofes , des
moyens d'acquérir des connoiffances , & il y apprécie
finement l'étendue de celles des Modernes . M.
Antoine Campomanès , connu lui- même par plufieurs
Ouvrages eftimés, Cenfeur du nouveau Poëme,
en fait le plus grand éloge , & le croit infiniment
fupérieur à l'Homme Heureux du Portugais Almeida.
Le Philofophe inconnu , Auteur de la Femme
Heureufe , eft le P. André Mérino , des Ecoles
Pies , qui réunit à une vatte érudition l'efprit le plus
facile & le plus gai . Les Amateurs peuvent le faire
infcire dès à préfent chez ledit Libraire.
MEMOIRES d'Agriculture , d'Économie Rurale.
& Domestique , publiés par la Société Royale d'Agriculture
de Paris , avec des Planches en taille-douce ,
in 8 ° . Prix , 2 liv. 8 ſols broché , & 3 liv . 10 fols
relié , année 1785 , trimestre d'été . A Paris , chez
Buiffon , Libraire , hôtel de Mefgrigny , rue des
Poitevins.
L'étude particulière qu'on fait aujourd'hui de
l'Agriculture , qui eft le premier des Arts , eft fans.
doute un heureux à-propos pour le Recueil que nous
annonçons. De pareils Ouvrages font des bienfaits
envers le Public, Les objets que renferme ce premier
Cahier font intéreſſans , & font deſirer la fuite..
260 MERCURE
ETUDES de la Nature , par Jacques- Henri Ber
mardin de Saint-Pierre , feconde Edition , revue ,
corrigée & augmentée , 3 Vol. in 12 , figa Prix ,
10 liv. brochés . A Paris , de l'Imprimerie de
MONSIEUR , chez P. F. Didot le jeune , Libraire ,
quai des Auguftins , & Méquignon l'aîné Libraire.
rue des Cordeliers.
Nous avons donné dans le temps de juftes éloges
à cet Ouvrage inté effant & très- original . Cette
nouvelle Edition , avoaéc feule par l'Attur , &
qu'il ne faut pas confondre avec une autre imprimée
à Lyon fans nom de Libraire , contient de plus que
la précédente , 19. un Avis en tête de l'Ouvrage .
2. à la fin du troifième Volume , dans l'explication
des figures , une Figure da Globe , qui tend à démontrer
d'une manière claire & fimple que la terre
eft alongée aux poles d'après les opérations même
de nos Aftronomes , & contre leurs réſultats ; 3 ° . des
Détails fort curieux fur le cours de l'Océan Atlantique
, fix mois vers le pole fud pendant notre été , &
fix mois vers le pole nord pendant notre hiver ;
d'où l'Auteur conclut que cet Océan , ainfi que
l'Océan Indien , doit fon mouvement général & les
marées qui en résultent , à la fonte alternative des
glaces de chaque pole , & non à l'attraction ou preffon
de la Lune fur l'Equateur.
Cette nouvelle Edition , qui eſt bien exécutée , ſe
trouve auffi chez Racine , Libraire à Rouen , rue
Ganterie.
NOUVELLE Méthode pour apprendre les Principes
de la Langue Françoife , à l'ufage des jeunes
Perfonnes & des Maifons Religieufes , par M."
Tournon , première Partie , in- 12 de 112 pages . A
Paris , chez l'Auteur , rue Saint Martin , en face de
celle du Cimetière Saint Nicolas , maiſon d'un Maître
en Pharmacie ; chez Cailleau , Imprimeur-LiDE
FRANCE. 261
braire , rue Galande ; Didot fils , Libraire , rue Dauphine
Bailly , Libraire , rue Saint Honoré , Barriere
des Sergens , & Lefclapart , Libraire , rue du
Roule.
Cette Méthode eft extraite ( & par l'Auteur luimême
) des Promenades de Clariffe ; elle fera
divifée en quatre Parties . Le fuccès du premier
Ouvrage doit faire bien augurer de celui - ci.
PENSEES fur la Philofophie de l'Incrédulité ,
ou Réflexions fur l'efprit & le deffein des Philofophes
irreligieux de ce fiècle ; dédiées à MONSIEUR ,
Frère du Roi , par M. l'Abbé Lamourette , Docteur
en Théologie. A Paris , chez l'Auteur , rue
du Cherche-Midi , vis-à-vis le Couvent , & chez les
Libraires de Paris.
Cet Ouvrage eft dicté par un zèle très- vif & par
l'amour de la vérité , deux qualités qui ne fe concilient
pas aifément ; mais les principes de l'Auteur
n'offrent rien de répréhenfible ; & en réfutant quelques
Ecrivains qui ont attaqué la Religion , il prouve
qu'il étoit fait pour défendre fa cauſe . Son ftyle
pourroit être un peu moins diffus ; mais il eft en
général affez élégant , & la méthode qui règne dans
cet Ouvrage annonce que l'Auteur a des idées , &
qu'il fait les claffer,
LA Bible , traduite en François , avec l'explication
du fens littéral & du fens fpirituel, tirée des
Saints Pères & des Auteurs Ecclefiaftiques , nouvelle
Edition , Tome XIV. A Nifmes , chez Pierre
Beaume , Imprimeur- Libraire ; & fe trouve à Paris ,
chez Guillaume Defprez , Imprimeur - Libraire , rue
Saint Jacques.
Ce Volume contient Jérémie & Baruch.
TROISIEME & dermère Livraifon de la Carte
262 MERCURE
d'Allemagne, par M. Chauchard , Capitaine d'In
fanterie , & Ingénieur Militaire de Mgr. Comte
d'Artois.
Ce vaſte tableau des Etats de l'Empire , offre à la
Politique l'ordre actuel des poffeffions des Princes ,
& la diflinction la plus précife de cette infinité de
propriétés & de fouverainetés qui fe confondent fi
facilement les unes avec les autres dans les Cartes
ordinaires. Il paroît préféré aux cartes les plus eftimées
des mêmes pays.
Cet Ouvrage fe vend chez le fieur Dezauges ,
Géographe , rue des Noyers , & chez le Suiffe de
l'hôtel de Noailles , rue Saint Honoré.
Nota. L'Auteur ne répond que de l'Enluminure
de celles qui fe vendront à l'hôtel de Noailles .
PORTRAIT du Coufin Jacques , né le 6 Novembre
1 1767 , peint par Violet , gravé par Jonxis . A Paris ,
chez Lefclapart , Libraire , rue du Roule , N° . 11 ..
Au bas de ce Portrait , qui eſt reſſemblant , on lit
le quatrain fuivant :
Il eft des foux dont les accès charmans
A la gaîté joignent les fentimens ,
Des foux heureux dont la plume légère
Aux jeux du Pinde unit ceux de Cythère.
Les Lunes du Coufin Jacques le continuent tou
jours avec fuccès , & leurs influences ne font pas
moins heureuſes. Cet Ouvrage original trompe l'at
tente de ceux qui ne croyoient pas qu'une figrande gaîté
pût le foutenir long- temps . Le dixième Numéro vient
de paroître. Les derniers ont été retardés malgré
l'Auteur ; mais il annonce qu'il a pris des précautions
pour ne plus l'être à l'avenir,
FIGURES de l'Hiftoire Romaine , accompagnées
DE FRANCE. 263.
dun Précis Hiftorique au bas de chaque Eftampe
cinquième Livraiſon. Prix , 15 liv.
On fouferit toujours pour cet Ouvrage intéreſfant
, imprimé fur papier vélin , au Palais Royal ,
paffage de Richelieu , no. 2 , chez l'Auteur , M. de
Myris, Secrétaire des Commandemens de Mgr. le
Duc de Montpenfier.
BISBIS pour les lèvres & gencives. M. Arnoux ,
Ingénieur - Mécanicien du Roi , ayant obtenu de
Sa Majefté un Privilége exclufif enregistré au Parlement
de Paris , pour faire valoir fes Découvertes ,
vient en conféquence de faire publier le Profpectus
du Bisbis pour la confervation des lèvres & des gencives
en bon état , en empêchant les gerçures des
lèvres & le gonflement des gencives . Cette nouvelle
Découverte eft approuvée par l'Académie Royale
des Sciences. Ce qui a fait différer de faire participer
le Public à l'avantage de cette Découverte , c'eft
l'invention que l'Auteur a été obligé de faire d'un
outil qui fert à couper le feutre dans la partie rectili
gne du Bisbis , fans couper le poil ni d'un côté ni de
l'autre. Pour empêcher le Public d'acheter quelque
chofe qui eût la reflemblance du Bisbis , & qui produisit
un effet totalement contraire , il n'y a qu'un
feul Bureau de diftribution du Bisbis dans Paris , au
Palais Royal , vis à - vis le Méridien , chez le Libraire
, nº. 2 , au Pavillon en face du Caveau , & à
la Manufactute , hôtel de l'Espérance , rue du Four-
Saint-Honoré, Le prix du Bisbis eft de 3 liv. avec
fon étui & le Profpectus , qui indique la manière de
s'en fervir. Ce Profpectus eft paraphé par l'Auteur
d'un trait de plume à double face & à main levée,
La Manufacture ne fera co'porter aucun Bishis
dans aucune Ville. Ils feront tous diftribués dans
des Bureaux qui feront annoncés dans les Feuilles
périodiques.
264 MERCURE
LE Pouvoir de l'Amour , Ariette à grand orcheftre
, par M. Champion , Maître de Chant & de
Violon . Prix , 3 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue des
Vieux Auguftins , la porte- cochère en face de celle
de soly.
NUMERO IV du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs , compofé de différens airs arrangés pour
deux violons ; abonnement pour douze Cahiers ,
15 & 18 liv . On s'abonne chez M. Bornet , Profeffeur
de Mufique & de Violon , rue Tique:onne ,
No. 10.
Faute à corriger dans le dernier Mercure.
Page 20e , lignes 27 & 28 : ily a plus de mérite
peut-être ; fupprimez peut être.
TABL E.
EPITRE & M. S .... ,
Saillie à Mme la Marquise de culiers en campagne ,
C......
217 Le Guide des Officiers parti-
235
221 Concert Spirituel , 242
247
221 Comédie Italienne , 254
1259
2431
Charade, Enigme & Logogry- Comédie Françoife ,
phe ♪
Tableau des Arts & des ScienAnnonces & Norices ,
ces ,
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr . le Garde- des- Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Avril 1786. Je n'y
ai rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A
Paris , le 28 Avril 1786.- GUIDI.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE
HAMBOURG , le 19 Mars.
A Grande Ducheffe de Ruffie eft accou-
Lichée à Sarko -Selo d'une Princeffe nommée
Marie Paulowna.
aux
On apprend de
Copenhague , que pendant
tout l'hyver on a exercé aux manoeuvres
de l'Artillerie 80 foldats , 8 bas-
Officiers & 22 Lieutenans de chaque Régiment
d'Infanterie ; le but du Gouvernement
eft de donner à chaque Régiment une artillerie
de campagne. C'eft auffi dans cette vue
qu'il a été ordonné de conftruire mille cha
riots d'artillerie.
DE VIENNE , le 18 Mars.
Nous avons parlé de la Sentence qui condamnoit
la Baronne de Scribinsky à une
peine également cruelle & infamante ; l'in
nocence de cette Dame vient d'être recc
nue. L'ex- Jéluite Rotter , qu'elle étoir
Nº. 13, 1 Avril 1786.
( 2)
fée d'avoir tué , a lui même abrégé fa vie ,
avec un piftolet dont il s'eft brûlé la cervelle.
Des lettres de ce même Royaume font
une defcription épouvantable de la mifere
qui y regne. On manque de bled & de pain
dans plufieurs Comitats , & les mesures que
l'onavoit prifes jufqu'à préfent pour remédier
à la difette ont été infuffifantes. On a défendu
très-rigoureufement de braffer de l'eau- devie
de grains & tout monopole de bleds.
On rencontre des familles entieres exténuées
de faim , qui quittent leur patrie avec leurs
effets , pour le porter dans des provinces
moins malheureufes. Le Comte de
Podewills , Envoié de Pruffe , eft arrivé dernierement
dans cette Capitale , où le Comte
O'kelly , Miniftre plénipotentiaire de l'Empereur
auprès de la Cour de Dreide , eft parti
le 27 Février.
DE FRANCFORT , le 23 Mars.
La température du commencement de
Février en Allemagne a été très - remarquable
par des orages fimultanés en une infinité
de lieux. Le 7 à Hambourg , il commençoit
à neiger dans la foirée , lorfqu'd s'éleva une
tempête accompagnée d'éclairs & d'un coup
de tonnerre qui tua une Juive de 19 ans .
Le même foir on obferva un violent orage
dans le Margraviat de Bareuth , avec de la
grêle fuivie de neige cet orage fe renouvella
le lendemain. Ce jour même , 7 Fé(
3 )
vrier , même phénomene à Mifchek près de
Prague. Le 9 , de grand matin , le tonnerre
réveilla les habitans d'Augsbourg ; le vent
étoit très- violent , & il avoit neigé la veille.
Le fo , on éprouva un orage femblable
dans le Wurtemberg. Nous parlâmes dans
le temps des coups de tonnerre qui fe firent
entendre à la Haye dans la nuit du 11 au 12
Février ; & nous recevons les mêmes raprapports
de diverfes contrées de la Souabe , de
la Baviere & de l'Autriche.
Le 27 Février à quatre heures du matin
écrit-on de Bieflan , on reffentit à Freudenthal,
Ratibor , Neiff , Oppeln , Neuftadt & Groftku
trois fortes fecoufles de tremblement de terre ,
qui endommagerent confidérablement Freudenthal
& Reiff. Cette commotion fouterraine a
commencé dans les montagnes Carpathes , &
elle s'eft étendue par la Moravie , les princi-
Fautés de Neiff & de Glaz , jufques dans les
montagnes appellées Rie- Sengebrige. Les fecouffes
les plus violentes ont été reffenties à Sorou
, Loflan , Oppelu & Frankenftein ; un
grand nombre de maifons fe font crevaffées ,
dans plufieurs les pendules attachées contre les
murs font tombées par terre ; on entendit à
Loflan lé fon d'une des cloches miſe en branle
par la commotion. Une petite riviere à Ætheide ,
fitués à un mile derriere Glaz , a débordé ſubitement
, au point que les Habitens ont été obligés
de quitter leurs maifons ; mais une heure
après cet événement l'eau débordée a disparu ,
& la riviere eft rentrée dans fon lit.
Le 27 Février , on éprouva à Brinn à quatre
a 2
( 4 ) :
heures du matin , plufieurs fecoufes de tremb'ement
de terre. Le même jour , écrit-on
de Kelfch , on y reffentit à quatre heures moins
un quart du matin , deux fecoufes violentes de
tremblement de terre ; les Habitans quitterent
leurs maiſons & fe refugierent dans les champs.
Cette commotion fouterraine endommagea beaucoup
l'Eglife neuve de Schwechoriz & le Château
de Malhotiz , où l'on vit de très - larges crevalles.
Le Roi de Pruffe vient de faire la
tion fuivante dans fes armées ,
promo-
Lieutenans-Généraux de Cavalerie : les Généraux-
Majors de Czettriz , le Comte de Gortz &
de Bohlen.
·
Lieutenans Généraux d'Infanterie : les Généraux-
Majors d'Erlach , de Lehwald , de Waldeck,
de Bornstedt , de Pfuhl , de Rohdich & de Below.
Ce dernier a obtenu en même temps le Gouvernement
de Stettin , avecune augmentation d'appointemens
de mille écus.
Généraux - Majors d'Infanterie : S. A. S. le
Prince de Hohenlohe , Colonel du Régiment de
Tauenzien ; les Colonels de Favrat , de celui de
Kofchenbahr, ds Konitz , d'Eckersberg , de celui
de Jeune-Waldeck , de Vofs , de celui de Romberg
, de Bonin , de celui du Duc Frédéric de
Brunswich , de Scholten , commandant un bataillon
de Grenadiers ; de Lichnowsky , du Régiment
du Margrave Henri ; & de Bornftedt , de celui
de Knobelsdorff. Le Général- Major de Thuna
a obtenu fa démiſſion , & ſe retire avec une penfion
de deux mille écus.
Colonels de Covalerie ; Les Lieutenans - Colomels
d'Eichftedt , du Régiment des Cuiraffiers de
Kalkreuth , de Banaig , de celui de Mengden ,
de Zitzwitz , de celui de Zitzwitz , de Franckenberg
, de celui de Boffe ; & de Luttichau , de
celui de Lottum .
Colonels des Huffards : les Lieutenans - Colonels
de Holtey , du Régiment de Gronling , de Goc
king , de celui de Schulenburg. Le Général- Ma
jor d'Ufedom eft gratifié d'une augmentation d'ap
pointemens de mille écus.
Colonels d'Infanterie : les Lieutenans Colonels
de Morgenstern , du Régiment du Duc de Brunf
wich ; le Comte de Dohna ; de celui de Gefau ,
quartier- meftre ; de Wacholtz , de celui de Vieux .
Boraftedt , d'Erzdorff , de celui de Trochke , de
Bandemer , de celui de Vieux- Woldeck , de Holwede
, de celui de Vieux- Renitz .
Lieutenans- Colone's de Cavalerie : les Majors de
Bruckner , du Régiment de Thun ; de Grutfchreiber
, de celui de Bohlen , de Bicberftein , de
celui de Barck ; de Kleift ; de celui des Gendarmes
; de Woisky , de celui de Rofembruch.
Lieutenans- Colonels de Huffards : les Majors de
Natzmer , du Régiment de Wuthenowen ; van
der Trenck , de celui de Hohnſtock de Santha ,
celui d'Ufedom ; de Wolfradt , de celui d'Eben .
de
Lieutenans-Colonels d'Infanterie : les Majors de
Schladen , du Régiment du Duc Frédéric de
Brunswich , de Kunheim , de celui d'Eglofsftein ;
de Dobfchutz , de celui de Pfuhl , de Hartog & de
Hundt , de celui d'Eichmann , de Radeke , de
celui de Romberg , de Kuits , de celui d'Anhalt ,
& de Rabiel , de celui de Lehwald .
Voici la fuite de la Differtation de M. de
Hertzberg , Miniftre d'Etat de S. M. P.
M. H. ayant établi , ainfi qu'on l'a vu qu'on
peut envifager la puiffance d'un Etat comme fondée
fur les bafes les plus folides & les plus durables
, lorfqu'il a une population nombreuse , propora
3
( 6 )
}
tionnée à fon territoire , une bonne agriculture &
une grande induftrie nationnale , & une balance de
commerce favorable & affurée , s'attache enſuite à
démontrer que tous ces avantages font applicables
à la Monarchie pruffienne.
«J'ai prouvé , dit l'illuftre Académicien , dans
la differtation que j'ai lue ici au même jour de
l'année paffée, que la Monarchie pruffienne a une
population de 5 millions d'hommes fur un terrein
de 3600 milles quarrés ; ce qui fait 1667 têtes fur
un mille quarré. C'eft une population affez grande
pour un pays médiocrement fertile ; elle n'eft furpaffée
que par celle de la France , de la Hollande,
de l'Angleterre & de la Monarchie autrichienne ;
& elle furpafle en effet celle de tous les autres
grands Etats européens ( 1 ) ; & même quelques
provinces Pruffiennes , comme celles de Halberf
tadt , Minden , &c. furpaffent la population de la
France comparée en total.La population de la Monarchie
pruffienne augmente d'ailleurs tous les
ans dans une progreffion plus grande que celle de
tous les autres Etats connus nommément la
France , comme je l'ai prouvé dans la differtation
de l'année précédente. J'y ai démontré auffi que
la population pruffienne a prefque triplé pendant
les 45 ans du regne du Roi.
Quant à la feconde fource de la puiffance d'un
Etat , après la population ; favoir , l'agriculture ,
M. de H. fait voir qu'en la prenant en général ,
elle doit être , dans les Etats pruffiens , « bonne
& fuffifante , non feulement pour la population
préfente , mais auffi pour l'exportation ; puiſque ,
(1 ) Nous prenons la liberté d'obferver que la Lombardie
, la Tofcane , l'Eta de Venife , la Suiffe ,
Sant plus peuplés, en fuppofant ce dénombrement des
Etats du Roi de Pruffe parfaitement jufte..
( 7 )
depuis 1740 ; nous n'avons eu aucun manque de
grains , & que nous n'avons pas eu befoin d'en
acheter au dehors , même dans l'année calamiteufe
de 1772 , où une famine générale a fait tant
de ravages , jufques dans les pays les plus fertiles,
comme la Saxe & le Palatinat , tandis que les Etats
pruffiens ont pu fubvenir aux befoins de leurs
volfins. Dans les années d'une fertilité commune ,
toute la Monarchie pruffienne peut exporter envi
ron pour 2 millions d'écus , & dans les années ftériles
, le Roi peut toujours fubvenir , & fubvieng
auffi fans difficulté aux befoins de fes fujets , en
Quvrant fes grands magaſins militaires , & en leur
donnant le grain néceflaire en préſent ou pour un
prix médiocre. D'ailleurs la Monarchie pruffienne
ne peut jamais manquer de bled , parce qu'elle a
derriere elle les pays fertiles de la Pologne , dela
Bohême & de la Saxe , qui ne peuvent rien exportes
par mer que par les Etats proffiens , où ils
trouvent , au moyen de l'Elbe , de l'Oder & de-la
V.ftule , une exportation aifée & lucrative . On
pouffe auffi l'Agriculture , dans les Etats pruffins
avec tant d'induſtrie & de zèle , tant de la
part des habitans & du Souverain , qu'elle augmente
d'année en année , de forte qu'elle ne manquera
jamais à la Monarchie pruffienne ; qu'elle
fera toujours fuffifante à fes habitans , & leur fera
même , la plupart du temps , l'objet d'un commerce
confidérable . Les villes de Kocisberg , de
Memel , d'Elbing , de Dantzig & de Stettin exportent
, année commune , plus d'un million de
boiffeaux de grains de toute efpèce. »
«Comme l'induftrie nationale fait la feconde
bâfe de la félicité & de la puiffance d'un Etat ,
je tâcherai de prouver ici en précis que la Monarchie
pruffienne en jouit dans un degré éminent ,
& peut - être immédiatement après la France , l'Ana4
( 8 )
gleterre & la Hollande , ces Puiffances qui , depuis
deux fiecles , ont eu le monopole prefqu'exclufif
des manufactures , du commerce & de la navigation
; pendant que les pruffiens n'y ont pris
quelque part que depuis la fin du dernier fiecle &
le commencement du préfent. Ce n'eft pas ici
Pendroit de faire un tableau exact & général des
fabrications & manufactures pruffiennes ; je me
bornerai à en donner une idée générale , & quelques
échantillons particuliers. Nous avons pref
que toutes les fabriques & manufactures imaginables
, tant pour les objets de première néceffité
que pour les commodités de la vie & du luxe.
Les unes ont acquis un grand degré de perfection
, comme celles de draps , de toiles , de porcelaine
& autres : la plupart font médiocres & parviendront
peu-à-peu à la perfection , fi l'on continue
à leur donner l'attention , les fecours & les
foutiens que le Gouvernement pruffien leur a véritablement
prodigués jufqu'ici, & fur- tout quand
on y ajoutera les motifs & les moyens de l'émulation
, abfolument néceffaires pour la perfection
des fabriques & des manufactures. Nos fabriques
en pourvoient exclufivement tous les Etats pruffiens,
& avec une concurrence affez heureuſe, ſurtout
pour les draps , les laineries & les toiles ,
Pologne , la Ruffie , l'Allemagne , l'Italie , & furtout
l'Espagne & l'Amérique . Pour en donner une
conviction plus forte & plus claire , j'ajouterai ici
un tableau abrégé des principales fabriques & manufactures
qui exiftent dans la Monarchie prulfienne
, de leur produit & du nombre des métiers
& des perfonnes qui y font employées ».
la
On voit , par ce tableau , qu'il y avoit l'année
derniere , dans les Etats pruffiens 165 mille ames
occupées aux diverfes fabriques & métiers; & que
le produit a été de 30 millions 250 mille écus de
( 9 )
Pruffe. On n'a cependant mis en ligne de compte
que les principales fabriques ; mais il y en a en
outre une multitude d'autres de moindre impor
tance , qui , réunies , forment encore un objet de
plufieurs millions .
La Suite à l'Ordinaire prochain.
Le Landgrave de Heffe- Caffe! a fait remettre
à l'affemblée des Etats de Heffe quatre
rapports , dont il réſulte dont il réfulte que les arrérages
dus au Prince par fes fujets pour les quoteparts
aux charges de l'Empire, du cercle du
Haut Rhin & pour d'autres impofitions ,
montant à la fomme de 1,100,661 rixdalers .
On efpere que S. A. S. en fera la remiſe à
fes fujets. La Landgrave douairiere eft encore
à Caffel ; mais elle quittera cette réfdence
à la fin du deuil , pour aller fixer fa
demeure à Hanau.
L'Electeur de Saxe a nommé le Comte
de Salmaer pour aller réfider à Paris en qualité
de fon Miniftre plénipotentiaire , & le
Comte de Redern pour fe rendre à Madrid
en la même qualité.
Le Baron de Furftenberg , Prévôt du
Chapitre de Hildesheim , a été élu le 7 , à
l'unanimité , Coadjuteur de cet Evêché.
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 20 Février.
D'après les plus exactes informations , il
parou que dans le naufrage du vaiffeau Efas
( 10 )
pagnol le S. Pierre d'Alcantara , il a péri 160
hommes de l'équipage , & que 310 ont été
fauvés . Le Commandant de ce vaiffeau
D. Manuel de Eguia eft dangereufement malade.
•
La charge de ce navire confiftoit en fept
millions fix cents trente mille piaftres fortes,
dont jufqu'à préfent on n'a retiré de l'eau
que trois caiffons , renfermant chac.in trois
mille piaftres ; treize mille quintaux de cuivre
; 862 caiffes de Guina ; 71 dito des productions
du Pérou , pour le cabinet d'Hiftoire
Naturelle ; fix caiffons de baume pour
le Roi d'Espagne ; 20 ditó de plantes pour
le jardin de Botanique ; & trois furons de
laine de Vigogne. Il eft arrivé des Plongeurs
de Cadix pour tâcher de relever le refte de
la cargaison , s'il eft poffible , comme on s'en
Aatte.
On doit le fouvenir , que l'Ile de Ste . Catherine
, fur la côte du Brefil , fur livrée fans refiftance
en 1777 , aux Efpagnols : Cette Ife eft
une des principales Colonies Portugaifes , &
M. de Fortado en étoit Gouverneur : Dès - lors
il fut violemment foupçonné de l'avoir remife
par trahison au Commandant Eſpagnol. A fon
retour du Brefil , ce Gouverneur fut cité à un
Tribunal , nommé ici le Tribunal de confcience
& des ordres du Royaume : La Sentence qui intervint
, le déclara lâche & incapable de commander
; mais il fut déchargé du crime de trahifon
, dont il avoit été acculé . Cette affaire fut
appellée à un Confeil de Guerre , compofé de
huit Généraux & préfidé par le Vicomte de Lo
vignan , Gouverneur actuel de la Province d'At
( I )
lentejo ; M. Fortado fut condamné à mort par la
Sentence du Confeil de Guerre . S. M. par un
mouvement de clémence , fit furfeoir à l'exécution
de la Sentence & accorda au criminel une
révifion du Procès : En conféquence , on établit
une commiffion mi - partie , qu'on nomme dans
ce Pays , un Confeil - de- Juftice . Ce Confeil fat
composé de quatre Lieutenants - Généraux & de
quatre Magiftrats ordinaires ; M. le Duc de la
Fons , plus connu fous le nom du Duc de Bragance
,
en fut nommé chef. Ce troifieme Tribunal
rendit une Sentence favorable à l'Accufé ;
mais avec cette particularité remarquable , que
les quatre Magiftrats Civils opinérent pour la
mort du coupable , & les quatre Lieutenans-
Généraux , fe joignant au Préfident , le Duc de
Bragance , opizérent pour le déclarer innocent.
Le Procureur- Général de la Couronne a mis
un Arrêt fur les piéces du procè , & a démandé
une révision finale ; elle lui a été accordée ; c'eft
en conféquence de cette intervention du Procureur-
Général de la Couronne , que le fufdit.
décret a été rendu . On juge faci'ement par la te
neur même de ce décret , que la Cour défaprouve
beaucoup la derniere Sentence , prononcée
par ce Confeil de Juftice. Il y a près
de neuf ans , que cette affaire traine ; mais.
on prévoit qu'à la fin , M. deFortado fuccom
bera.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES, le 17 Mars.
M. Pitt propofa le ro à la Chambre des
Communes de modifier le bill , préfenté aun
a a
( 12.)
commencement de la feffion , pour affem
bler la milice tous les ans. Ce Miniftre ne
reconnoiffant point la néceffité de réunir la
totalité de ce corps , il obferva qu'on pourroit
fuivre l'exemple des troupes réglées , &
n'incorporer tous les ans que les deux tiers
des hommes enregistrés. Par ce moyen , aulieu
de 130,000 liv . fterl . que coûteroit la
milice, les dépenfes de ce corpsferoient réduites
à 90,000 liv. ft. Cet amendement fut
prouvé. Ainfi , la jaloufie très -légitime de
liberté nous fait préférer , en temps de paix ,
de dépenfer tous les ans 90,000 l . fterl. , & en
tems de guerre des fommes infiniment plus
confidérables , pour exercer au métier des armes
une partie de nos concitoyens , à élever
des places fortes.
ap-
M. Francis , fecondé de M. Fox , a fait
paffer une motion le 13 , pour que tous les
Membres de la Chambre fuffent préfens le
28. L'état actuel des affaires de l'Inde , le jugement
de M. Haftings & les modifications
au bill de l'Inde furent les motifs de motion.
Le parti de la minorité murmure des
réſerves du Miniſtere , à communiquer la totalité
des papiers qui ont les affaires de l'Inde
pour objet ; & il paroît que l'on renouvellera
les motions les plus vives pour que ces papiers
foient mis fur le Bureau.
Le Vendredi 16 , M. Dundas , ainfi qu'il
l'avoit annoncé , propofa quelques changemens
au Bill d'adminiftration & de Judica
( 13 )
ture dans l'Inde. Cet acte de correction fur
préfenté par M. Dundas fous les fept chefs
principaux que voici :
Le premier & le fecond font relatifs aux regles
que doit obferver le confeil de l'Inde .
Le troisieme , qui demande une férieuſe dif
cuffion , étoit d'arrêter fi le gouvernement général
du Bengale devoit être membre du confeil ; il
avoit laiffe cette question indéterminée dans fon
bill , & la foumettoit à la décision de la chambre.
La quatrieme claufe du bill étoit de donner au
gouvernement général un pouvoir fupérieur à
celui du confeil dont il pouvoit contrôler, fuf
pendre & révoquer toutes les déterminations , fans
que les membres puffent , en aucune maniere ,
s'opposer à l'exécution de fes volontés , n'ayant
d'autre privilege que celui de proteſter contre les
mefures adoptées par lui , & le droit de faire entrer
leur protêt dans les regiftres du confeil.
Le cinquieme chef portoic fur la promotion
des officiers , à tour de rôle , de forte qu'il ne fût
plus poffible d'envoyer d'Angleterre des gens qui ,
à leur arrivée dans l'Inde , paffoient fur la tête
d'officiers de mérite qui avoient fervi avee honneur
& fidélité.
La fixieme claufe devoit altérer confidérablemeat
les difpofitions du bill actuellement en force
, par lesquelles les officiers & employés de la
compagnie , revenant de l'Inde , étoient obligés
de déclarer le montant de leur fortune , & de
fpécifier les moyens par lefquels ils l'avoient accumulée
; le principe feroit maintenu , mais la
publicité de cet examen feroit abolie,
Septiémement & en dernier lieu , la balote
pour procéder au choix des membres du parlement
qui devoient compofer la cour fuprême de
( 14 )
l'Inde , tant de la chambre des pairs que de celle
des communes , feroit abfolument changée. Pour
le moment, il ne s'étendroit pas davantage à ce
fujet, & fe conten : eroit de demander la permiffion
de préfenter fon bill.
Après quelques obfervations peu importantes
de différens Membres , la motionpaffa
fans aller aux voix.
M. Francis fe leva enfuite pour témoigner
fon inquiétude qu'il ne réfultât quelques conféquences
fâcheufes pour la Conftitution Bricannique
des Réglemens quelconques qu'on fe propoloit
de faire pour l'Inde , attendu que fi l'on
n'y donnoit la plus grande a tention , les poffeffions
étendues de l'Angleterre dans l'Afie occa
fionneroient la ruine de la Grande Bretagne . Pour
prévenir un tel matheur , il falloit faire enforte de
con ilier la confervation & la fûreté de tous les
privileges de la Métropole avec l'étendue de fes
poffeffions au- dehors : en conféquence il fit la
motion fuivante. « Qu'il foit donné aux per-
»fonnes chargées de rédiger les Réglemens propolés
les inftructions convenables , pour qu'il
» Toit veillé avec la plus fcrupuleuſe attention à
» ne pas admettre dans le plan projetté tout ce
qui pourroit mettre en danger les intérêts les
plus chers de l'Angleterre dans l'intérieur de
» l'Empire , & particuliérement pour qu'il ne
foitpor té aucune atteinte à cette ineftimable
prérogative dont les Anglois jouiffent par le
privilege de leur naiffance , favoir le jugement
par Juré ».
35
מ
"
Alors on fit fortir toutes les perſonnes qui rempliffoient
les galeries , & la Chambre étant aliée
aux voix , cetie motion fut rejettée par une majorité
de quatre- vingt-cinq voix contre qua-
Lorze.
( 15 )
y
Le même jour , on fit le rapport du bill
de mutinerie , & le Secrétaire de la guerre
fit inférer que les Officiers par brevets ,
ainsi que les Officiers à la demi-paye , qui
auroient un commandement , feroient foumis
au jugement des Confeils de guerre .
L'Amirauté a envoyé des ordres à Portfmouth
, le 14 Mars , pour faire équiper , le
plus promptement poffible , les vaiffeaux de
guerre le Salisbury , le Léocadie & le Winchelfea
, qui font deftinés pour Terre Neuve . On
attend de jour en jour dans ce poit le Commodore
Elliot, qui doit arborer fon pavillon
fur le Salisbury.
Les Commiffaires de Portsmouth , de
Chatham & de Plymouth ont reçu ordre
de faire paffer , le plutôt poffible , au Bureau
de l'Amirauté , un état de tous les vaiffeaux
qui étoient en état de fervir au 1er. de ce
mois. On préfume que cet ordre eft relatif à
quelque motion qui fera propofée au Parlement.
2
Lord Howe a donné au Bureau de l'Amirauté
le plan d'un vaiffeau , d'une nouvelle
conftruction, qui portera Soc. , quoiqu'il foit
du troifiéme rang. Le Miniftere va faire conítruire
plufieurs vaiffeaux fur ce nouveau modele.
La répartition de 80 can. , fut ponts ,
donnera à ces vaiffeaux une grande fupériorité
de force & de légereté. Leurs canons,
quoique d'une nouvelle forme , feront , à ce
qu'on affure , du même calibre que ceux des
vaiffeaux du premier rang.
( 16 )
Les Papiers publics contiennent de nouvelles
conjectures fur les dépêches arrivées
derniérement de Terre Neuve . Le Commodore
Sawyer, Commandant à la ſtation
d'Hallifax , alarmé , dit on , des empiéte
mens que fe font permis les pêcheurs etrangers
, a envoyés vaiffeaux de guerre pour
contenir ces pêcheurs dans les limites qui
leur font prefcrites.
Suivant d'autres , ces dépêches d'Hallifax
ont apporté au Gouvernement des propofitions
de la part de l'Etat de Vermont ,
qui offre de revenir fous la domination Britannique
, à des conditions dont l'examen
occupe les Miniftres. Ces variantes conftatent
l'incertitude complette de ces nouvelles
fi diverfement rapportées.
On affure que l'intention du Miniftre eft de
donner au Gouverneur général du Bengals , dans
le nouveau bill de l'Inde , le titre de « Viceroi
(Lord Lieutenant ) & Capitaine général de
» l'Inde ». Mais on pourroit alors faire cette queftion
: de qui eft-il Viceroi ? Eft - ce de la Compagnie
de Marchands faifant le commerce de l'Inde ?
Ce feroit un folécifme. En vain citeroit -on l'exemple
du Stathouder , qui fut confervé par la République
de Hollande , bien qu'il eût ceffé d'être
l'agent du Roi d'Efpagne. It eft plus probable que
Je Miniftere voudroit , par cette innovation , faire
valoir les droits de la Couronne fur les acquifitions
de la Compagnie dans l'Inde , & encore plus probable
que le faifeur de conjectures dont nous rapportons
les paroles , ne s'eft pas douté que le
( 17 )
Parlement feul toit législateur de cette partie
des domaines britanniques .
Les Patriotes , qui s'occupent en ce moment
du rétabliffement de nos pêcheries ,
fongent aux moyens de mettre un frein au
commerce ruineux qui fe fait dans l'ifle de
Mann & ailleurs , & qui confifte à importer
des harengs de la Suède , & à les expédier
enfuite pour les ifles , comme provenant des
pêcheries Angloifes. Quoique la pêche foit
dans un état très profpere à Liverpool , il
s'eft formé dans ce port une Société de Capitaliſtes
, pour lui affurer un fuccès plus
floriffant encore.
L'Adminiſtration fe propofe d'ôter tous les
droits qui exiflent fur l'importation des drogues
dans le Royaume , & d'y fubftituer des permif
fions annuelles que les Droguistes feront tenus
de prendre. Ce commerce procurera à la Compagnie
des Indes des bénéfices immenfes , & les
permiffions produiront beaucoup plus que les
droits , attendu que la majeure partie des drogues
eft actuellement importée en contrebande .
On affure que le même plan fera adopté pour
le fel & le tabac.
Les Médecins ayant jugé que l'air de la
mer acheveroit de rétablir la Princeffe Elifabeth
dans fa convalefcence , S. A. R. paffera ,
dit - on , l'Eté fur l'une de nos côtes , fans
prendre cependant les bains de mer , dont
on redoute pour elle l'activité.
La queftion des mariages des perfonnes de
la Famille Royale occupant beaucoup le pu
( 18 )
blic , on a cru devoir rapporter ici les difpofitions
de la Loi à ce fujet. Parun Statut de la do zieme
année de Georges III , il eft ordonné qu'aucun
defcendant de Georges II ( autres que les enfans
des Princes mariés dans les familles étrangères )
n'eft capable de contracter mariage , fans le confentement
préalable du Roi , figné ſous le grand
Sceau ; & que tout mariage ou contrat matrimonial
fait,fans ce confentement , eft nul & fans effet
pour toutes fins & objets , à l'exception de ceux
defdits defcendans , qui étant âgés de plus de 25
ans , peuvent contracter & célébrer ces mariages
fans le confentement de la Couronne, douze mois
après en avoir donné avis au Confeil privé du
Roi , à moins que les deux Chambres du Parlement
, avant l'expiration dudit terme , ne déclarent
expreffément leur défapprobation du mariage
projeté. Et toutes perfonnes concourant , foit
comme Minifites , affiftans ou témoins à ces ma
riages prohibés , encourront les peines du Statut
de Præmunire ; c'eft à dire , la pete de la protec⚫
tion royale , la prison pour un temps illimité , la
confifcation des biens , & c.
Lord Mansfield a toujours reconnu le défaut
de nos Loix , concernant les débiteurs
infolvables . On affure que ce Magiftrat
veut illuftrer fa retraite du Barreau par la ré
forme de cette partie de notre code . It ef
pere fauver à ces malheureux l'emprisonne.
ment perpétuel , & les mettre à couvert de
la vengeance des créanciers avares & inhu
mains.
Une lettre de Montmellick , où le Capitaine
PLR. a été tué dernierement en duel par l'Enfeigne
B Ld N. , porte que leur difpute s'étoit
élevée fur la prononciation d'un certain mot grec.
( 19 )
Ils s'échaufferent tellement dans leur altercation
qu'ils crurent ne pouvoir la décider autrement
qu'en fe battant au piftolet dans une chambre
où ils avoient mis une table entre eux . Malheureuſement
on les laiífa faire . M. P. reçut une
baile dans la poitrine , & mourut fur le champ.
Tous les Profeffeurs de langue grecque des
Un verfités de l'Europe devroient fe réunir pour
élever un monument à la mémoire de cette malheureuse
victime de l'amour des Lettres grecques ,
On peut dire qu'il pouffa fa paffion pour elles depuis
a pha jufqu'à oméga .
La premiere monnoie que le Congrès ait
fait frapper depuis la Révolution de l'Amérique
, dir un de nos Papiers , eft devenue
fi rare , qu'on ne la trouve plus que dans
les cabinets . Cette monnoie confiftoit en une
piece de cuivre , d'environ un pouce & demi
de diamêtre , pefant 240 grains. D'un côté ,
la légende étoit , Continental currency, 1776.
( Monnoie courante du continent , 1776. ) Au
milieu , étoit repréfenté un foleil , éclairant
un cadran , avec ce mot , fugio ; & pour
exergue : Mind your bufineff. ( Songez à vos
affaires . ) Sur le revers , on voyoit 13 petits
Cercles , tenant les uns aux autres , à la manlere
de chaînons , & portant chacun le nom
de l'un des Treize Etats Unis . En dedans ,
étoit une légende circulaire , avec ces mots :
American Congreſſ. ( Congres Américain. ) Et
dans le centre , pour infcription : We are one.
[ Nous fommes un. ]
On ajugé derniérement aux affifes de Chelms
( 20 )
ford le procès d'une fameule courtilanne nommée.
Françoile Davis , acculée d'avoir volé à un
nommé Wrigglesworth , marchand de beftiaux ,
dans un cabaret entre Ilford & Stratford , 163
guinées , une lettre de change de 400 livres
fterlings , & plufieurs billets de banque ; le tout
montant à 1250 livres fterlings. Il paroît par la
dépofition des témoins , que ce vol fut commis de
la maniere fuivante : cette courtifanne , déguisée
enhomme , fe préſenta au cabaret où elle a commis
ce délit , & demanda à y paffer la nuit pour fe
rendre le lendemain à Londres . M. Wrigglesworth
y paffoit auffi la nuit , & alloit au marché de
Smithfield . Elle fe faufila avec le campagnard ,
fe dit marchand de chevaux , & tout en fumant
une pipe avec lui , furprit l'aveu qu'il portoit de
l'argent & des billets de banque à Londres. Après
le fouper , chacun fe retira dans fa chambre. Le
prétendu Maquignon entra de grand matin dans
celle du feur Vrigglefworth , & l'ayant trouvé
endormi , il tira les culottes de deffous le chevet
, & partit avec le Butin .
Le lendemain la courtilanne alla voir une de
fes connoiffances à Newgate , lui fit préfent d'une
guinée , d'une paire de boucles d'argent , & fe
vanta de fon chef- d'oeuvre de la veille . Cette amie
ne garda pas fon fecret , & la Maquignone fut
arrêtée le jour fuivant dans le bourg de Southwark
. On ne trouva fur elle que 900 liv. fterlings,
elle n'a jamais voulu dire ce qu'elle avoit fait
des autres 350 liv. fterl. Elle a été condamnée à
être pendue.
D'après les obfervations météorologiques
du Docteur Huxham & d'autres Savans , les.
mois de Février & Mars 1741 furent trèslemblables
aux mêmes mois de la préfente
( 21 )
·
année. Le vent de nord- eft fe fit également
fentir pendant toute la fin du mois de Février.
Le Mercure fut très élevé pendant
tout le mois de Mars , & le vent varioit aufli
du nord à l'eft. L'air étoit très fec & froid , la
gelée , très fréquente , & vers la fin du mois ,
on en reffentit une très vive . Pendant tout
ce mois , il ne tomba pas une feule goutte
d'eau. Le mois de Mars 1748 fut auffi trèsrude.
Il y eut de la gelée , de la neige & de la
grêle , & ce temps fut particuliérement fatal
aux pulmoniques . La petite- vérole étoit épidémique
, les pleuréfies & les rhumatiẩmes
très -fréquens .
Plufieurs Feuilles publiques rapportent le
trait fuivant de piété filiale , fur l'authenticité
duquel on peut avoir des doutes ,
quoique d'ailleurs , il foit appuié du nom
des intéreffés .
Après la guerre de 1759 contre les François ,
le Capitaine Gilchrift , qui s'y étoit fi fort diftin .
gué par fa bravoure & fes exploits maritimes , fe
retira à Harrogate , à l'extrémité de l'Ecoffe ,
pour y réparer la ſanté épuisée au fervice de fa
patrie , il arriva que , l'été de 1770 , il éprouva
un accès violent qui menaçoit de lui être funefte,
s'il n'étoit faigné fur-le- champ ; mais n'y ayanc
point de Chirurgien dans Harrogate , ni à plufieurs
milles aux environs , il feroit impoffible
d'exprimer la confternation de fa femme & de fa
fille, devenue depuis Lady Dundonab. Enfin cette
derniere , âgée alors de 15 ans , réuniſſant toute
la tendreffe filiale avec l'héroï'me de fon pere ,
fortit foudainement de la chambre de douleur &
( 22 )
fe retira dans la fienne. Là , avec un canif, elle
Le coupe un doigt tout autour jufqu'à l'os , afin de
voir s'i fortoit beaucoup de fang , & de juger
combien cette opération pouvoit être douloureufe.
Ayant remarqué que le fang couloit avec affez
d'abondance , elle alla rejoindre fa mere , lui rendit
compte de l'expérience qu'elle venoit de faire ;
& ajouta que la douleur , quoique vive , étoit cependant
fupportable , & qu'en conféquence elle.
la prioit de faire la même opération à fon pere.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 22 Mars.
Le 14 de ce mois , le Bailli de Suffren ,
Ambaffadeur de Malte , préſenta au Roi les
faucons que le Grand - Maître de l'Ordre
eft dans l'ufage d'envoyer annuellement à
Sa Majefté. Če préfent , qui fut remis au
nom du Grand - Maître , par le Chevalier
d'Ordaygue , Capitaine en fecond au Régiment
du Maine , Infanterie , fut reçu par
le Comte de Vaudreuil , Grand- Fauconnier
de France , & par le Chevalier de Forget ,
Commandant du Vol du Cabinet du Roi.
Le Comte du Moret , Fourrier major
de la premiere Compagnie des Gardes du-
Corps du Roi , a eu l'honneur d'être préfenté
à Monfieur par le Comte de la Châtre ,
Premier Gentilhomme de fa Chambre , en
qualité de Capitaine des levrettes de la
Chambre de ce Prince , & à la Famille
Royale , fur la démiffion du Comte de las
Marliere , Lieutenant pour S. M. , Commandant
des ville & citadelle de Montpellier.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
( 23 )
figné , le 19 de ce mois , le contrat de ma- riage du Comte de Bueil , Sous - Lieutenant
au Régiment
des Gardes Françoifes
, avec la Comteffe
Emilie de Beltunce , Chanoineffe
du Chapitre
de l'Argentiere
, Demoiſelle
d'honneur
de l'Impératrice
de Ruffie ; celui du Comte de Lanans , Maréchal
des Camps
& Armées du Roi , avec Dame de Rozieres-
Sorans , Chanoineffe
de Remiremont
; & celui du Marquis
d'Aramon
, Capitaine
de
Dragons
au Régiment
de Conti , avec Demoiſelle
de Mellet.
Ce jour , la Comteffe de Marconnay a eu
l'honneur d'être préfentée à Leurs Majeftés
& à la Famille Royale par la Marquife
du Chilleau.
Le même jour , le Comte de Neuville a
prêté ferment entre les mains de Sa Majeſté ,
en qualité de Lieutenant de Roi de la province
d'Artois . "
Le fieur de Fer de la Noüerre , ancien
Capitaine d'Artillerie , de l'Académie des
Sciences de Turin , de celle de Dijon , & c .
a eu l'honneur de préfenter au Roi & à la
la Famille Royale , un Ouvrage intitulé :
La Science des Canaux navigables , ou Théorie
générale de leur conftruction.
DE PARIS , le 29 Mars.
M. de Peynier eft entré à Breft avec l'Argonaute
, le 14 de ce mois. Une partie de
fon convoi l'a fuivi dans ce port , l'autre at
mouillé à l'Orient. Sur ces bâtimens , étoit
le Régiment d'Auftrafie , qui s'eft tant dif(
24 )
tingué dans l'Inde. Ce Régiment eft réduit
aujourd'hui à soo hommes environ.
On apprend de Breft , par le même courier
, qu'on a lancé à l'eau , avec le plus
grand fuccès , le vaiffeau les Etats de Bourgogne
, de 124 canons , conftruit fur de nouvelles
dimenfions ; il a 198 pieds de longueur
, fur so de largeur.
Le projet de M. de Parcieux , pour amener
l'eau de l'Yvette à Paris , eft renouvellé.
M. de Fer de la Noüerre , Ingénieur trèshabile
, s'eft chargé de ce travail , & fes
plans , qui ont eu l'approbation du Miniftre ,
n'attendent plus que la fanction de S. M.
M. de Fer ne demande qu'un million pour
conduire cette eau jufqu'à l'Eftrapade. Cette
différence énorme , entre cette légere dépenfe
& les apperçus de M. de Parcieux ,
vient de ce que M. de Fer ne revêtira pas
de pierre fon canal ; & malgré cela , il croit
pouvoir nous donner toujours de l'eau claire,
Le fieur Eberlé , Eſſayeur général des Moné
noies à Francfort , a publié dernierement , fur
la valeur intrinfeque & monétaire des écus de fix
livres , plufieurs écrits dont l'objet paroît être de
prouver qu'il feroit avantageux aux Etats d'Allemagne
d'y interdire entierement le cours des écus
de France , & de prendre ce qu'ils appellent leur
Ecu de convention , pour feule meſure de compte
, en fixant fa valeur ſur un nouveau pied , ce
qui conduiroit à la refonte générale des Monnoies
d'argent dans l'Empire. Cet Eflayeur ayant fait
dans la même vue , des eſſàis de nos écus de fix
livres a prétendu & annoncé à toute l'Allemagne
,
( 25 )
2
gne , que depuis : 026 leur titre avoit été fucceffivement
détérioré , & que particulierement ceux
fabriqués en 1784 & 1785 , fe trouvoient affoiblis
de plufieurs grains . Sur la foi de fon témoignage
& de fes effais , le Magiftrat de Francfort ,
la Régence Electorale de Mayence , celle de Baviere
, & le Sénat de Ratisbonne , ont rendu des
Ordonnances qui diminuent de 3 kreutzers la
valeur monétaire des écus de France , réduction
à- peu -près équivalente à 2 fols 7 den . de notre
monnoie.
Quoique cette réduction ne puiſſe porter aucun
préjudice au commerce du royaume , & qu'une
opération tendante à y faire rentrer les Monnoies
d'argent à plus bas prix qu'elles n'en font
forties , ne puiffe être défavantageufe qu'au pays
qui les perdroit , ( comme les Négocians d'Allemagne
l'ont fort bien obfervé dans la Requête
qu'ils ont préfentée à l'Affemblée des Cercles du
haut Rhin ) ; cependant pour l'honneur de nos
fabrications monétaires , & par une fuite de l'attention
de Sa Majefté à y maintenir la plus fcrupuleule
fidélité , il a paru convenable de vérifier
file reproche d'affoibliffement que l'Effayeur de
Francfort a cru pouvoir faire à nos écus , notamment
à ceux fabriqués en 1784 & 1785 , avoit
quelque fondement. En conféquence , on a fait
faire à l'Hôtel des Monnoies de Paris , des effais
très- exa&s , & qui ont été répétés avec le plus
grand foin.
Par le premier effai , en date du 12 Janvier
dernier , les contre- parties d'écus choifis par le
heur Eberlé , qui nous avoient été envoyées de
Francfort , & fur lesquelles deux Effayeurs ont
opéré féparément , ont été reconnues avoir toutes
I grain & demi ou deux grains de fin de
plus que ne leur avoit attribué fon rapport officiel
1.13 , 1 Avril 1786.
N° .
b
( 26 )
du 15 Décembre 1785. On a encore les échantillons.
Un deuxieme eſſai a été fair le 6 Février, par le
fieur Racle , Elayeur de la Monnaie de Paris ,
en préſence du fi . ur Bourdelois , Procureur géréral
de la Cour des Monnoies , & du feur Talet ,
Membre de l'Académie des Sciences , In pe & evr
général des Effais de France . On avoit pris au
hafar dans différentes caiffes 150 écus de 6 liv.
fabriqués dans les différentes Mornois du Royaume
, perdent les années 1784 & 1785. Il eft réfulé
de l'effoi en ti re commun de 10 ´eniers 21
grains & I neuvieme re grain , par conséquent un
peu au- deflus de celui qu'a constamment prefcrit
la Loi monétaire qui n'a point varié en France depuis
1726. On a confervé les bortons d'effai , ainfi
que les lames dont ils ont été tirés ; elles font étiquetées
fous les numéros cités au procès verbal de
cet effai.
Par
Erin , il a été procédé avec encore plus de folemnité
à un troifieme effai , qui a été fait
les plus habiles Effayeurs de Paris , en prétence
du Procureur général de la Cour des Monnoies ,
de l'Inspecteur général des Effais , du ficur Dasti,
Infpe&teur des Fabrications m néraires , & de
plufieurs Banquiers confidérables de la Capitale ,
choifis parmi ceux qui ont le plus de relation avec
l'Allemagne , tels que les fieurs Girardor , Riller,
Sertorius ; les ferrs Haller & Tourron y ayant
aufi été invités. On s'étoit procuré dans différentes
caiffes publiques de Paris , une gran le quanti
té d'écus fabriqués en 1784 & 1785 ; on en a
pris au haford 4 à roo , en obfervans seulement
qu'il y en cût de toutes les Monnoies du royaume.
Les eff is tur des portions de ces écus qui ont
été numérotées , ont été faits à la coupelle , avec
la plus fcrupuleufe précision , par les feurs Bef
njer , Elayeur général , & Racle , Effayeur par(
27 ).
ticulier ; un fel écu s'eft trouvé n'avoir que ro
deniers 20 grains , un autre 10 deniers 21 grains
/foibles ; tous les autres avoient au - delà de to deniers
21 grains ; plufieurs étoient à 10 deniers 22
grains ou au- deffus ; il s'en eft même trouvé un à
10 deniers 23 grains & un quart ; mais ce qu'il
fuffit d'obferver , c'eft que le tire commun de
tous les ellais , contaé par le procês - verbal figré
de tous les affilars qui ont fuivi les détails
de l'opération avec la plus grande attention , &
ont déclaré en être parfaitement fatisfaits , fe
trouve être de 10 deniers 21 grains & 8 treiziemes
, par conféquent plus fort de 2 tiers de grain
que celui de la Loi , qui n'eſt que de 10 deniers
21 grains .
La fidélité de nos mennoies d'argent & des fabrications
de 1784 & 1785 , eft donc authentiquement
démontrée ; les foupçons qu'on a voulu
faire naître en Allemagne à leur égard fint fins
fondement , & fi Effayeur de Francfort defiroit
s'en afferer encore davantage , il peut venir
lui-même ou envoyer ici telle perfonne qu'il
vendra pour opérer fur nos écus , avec les agens
chimiques . Il n'auroit pas préfenté aux Cercles
de l'Empire des rapports inexacts qui ont occafionné
des réfolutions erronées , s'il avoit bien
voulu confidérer qu'une partie de lingot , fortant
d'une fonte qui n'auroit pas été affez brifée , peut
comporrer plus de fin qu'une autre partie du mê -
me lingot ; que l'extrême précision dépend de
tant de circonftances , que quand il ne fe trouve
que de très -legeres différences ( ar un très - petit
nombre de pieces , ce n'eft pas une raifon d'inculper
toute une fabrication ; & der'effais faits fur
quelques écus ifelés ne fauroient fonder une opimion
jufte & raisonnable . D'ailleurs il eſt évident,
par fon propre rapport , qu'il a pris une base fau
b 2
( 28 )
tive. En effet , il eft reconnu que l'écu marqué A.
de l'année 1726 , qu'il a choifi pour piece de
comparaison , & qu'il a déclaré lui- même être de
14 lots 11 grains ( ce qui revient à 10 deniers 23
grains ,fuivant notre maniere de compter) , eft de
2 grains de fin (upérieur au titre preferit par la loi
monétaire de France , tandis qu'au contraire par
miles fix écus de 1784 & 1785 , qu'il a pris pour
fervir à fon effai comparatif, trois le trouvent , on
ne fait pourquoi , de 2 à 3 grains inférieurs aux
plus foibles de tous ceux qu'on a effayés à plufieurs
reprifes en France , en les prenant au hasard fur
une très-grande quantité.
Ainfi , d'un côté , un feul écu qui fe trouve audeffus
du titre , a fervi & ne devoit pas lervir de
piece de comparaifon ; d'un autre côté , trois écrs
fabriqués , vraisemblablement hors du Royaume,
puifqu'ils font au deffous du titre commun de
la maffe entiere des fabrications de même date >
ont été & ne devoient par être les pieces comparées
.
Voilà ce qui a produit l'erreur. Les Etats de
l'Empire qui s'y font laiffés ſurprendre , ne tarderont
pas à reconnoître que les proclamations
qu'ils ont faites en conféquence , font injuftes dans
leurs principes , & ne pourroient qu'être nuifibles
pour eux dans leurs effets.
On mande de Dunkerque , qu'il fe trouve
actuellement dans les prifons de cette ville ,
12 perfonnes , accufées d'avoir fait périr en
mer des bâtimens chargés de faux tonneaux
& de faux ballots , qu'elles avoient fait af
furer à très haut prix . Ce crime , appellé
la Baratterie , eft puni de mort , aux termes
des Ordonnances. On dit que les Compagnies
d'affurance perdent , par cette fiipo(
29 )
nerie , plus de 1,200 mille liv. ; & on ajoute
que c'est un bâtiment Anglois qui a découvert
la malvertation , en obfervant la manoeuvre
de l'équipage , pour faire périr ſon
bâtiment. Les fix navires perdus , font : la
De. Charlotte , lés Bons- Amis , le Saint Louis,
la Charmante Marie , l'Africaine & le Ballon.
Cette procédure va être fuivie avec rigueur.
En taifant fouiller une carriere près du village
de Marmirolles , à trois lieues de Béfançon , des
ouvriers de M. la Badie ont apperçu le refte d'un
tombeau de pierre marbrée , décorée d'une architecture
affez incertaine . L'intérieur contenoit
quelques os , & un grand nombre de médailles
d'argent. Apparemment leur forme avoit déjà
fouffert de l'altération lorfqu'on les a placées dans
le tombeau ; car les caracteres , prefque tous
effacés , n'ont pu être débrouillés par les yeux
exercés de plufieurs Gens de Lettres & Antiquai
res. Cependant aucunes d'elles ne fe reffemblent.
Sur la mieux confervée on lit ces mots latins :
Vefuntione Capita... & tout le refte eft une énigme.
M. la Badie garde foigneufement cette précieuſe
collection , & j'attends que quelques Antiquaires
puiffent en tirer quelque éclairciffement.
Le 6 de ce mois , le feu fe manifeſta au
village de Tenelles , près Ribemont & Origny-
Sainte- Benoîte : en moins de trois quartsd'heures
, de 160 maiſons dont il étoit compofé
, il n'en eft refté que 15 , parmi lesquelles
eft un feul Fermier ; le refts a été réduit en
cendres. Par ce défaftre affreux , dont la
perte eft évaluée à près de 500 mille liv . ,
plus de 650 perfonnes reftent fans habita
bj
( 30 )
tions , fans pain & fans reffources. Quatorze
Fermiers font réduits à la derniere des ex
trémités, leurs chevax & leurs beftiaux fans
nourritures. Les perfonnes charitables &
bienfaitantes , qui defierolent procurer quel
ques fecours à ces malheureux , font priées
de vouloir bien les adreffer à M. Villin ,
Prêtre , Curé de ladite Paroiffe ; à M. Le
Proux , Procureur & Notaire à Guile en
Picardie , oa au fier Hautoy , Libraire &
Imprimeur du Roi à Saint-Quentin.
Un Gentilhomme , qui a fu réunir à
l'avantage de fa naiflance celui de cultiver
les Lettres d'une maniere très eftimable ,
nous a adreffé la lettre fuivante.
Mr. Permettez moi de configner dans votre
Journal quelques lignes qui pourront fervir de
réponse circulaire aux queftions tant verbales
qu'écrites , que m'attirent deux Oraifons Fu
nèbres de Mgr . le Duc d'Orléans , MM . les Abbés
de Vauxcelles & Fauchet ont peint , avec l'éloquence
du fentiment , la bonté magnanime
qui caractérifoit ce Prince ; leur pinceau tour
chant & animé , a fait revivre le trait relatif à
mon mariage.
2
Rien de plus certain , Mrs. , que le fond de
cette anecdote , dont il eft vrai que toutes les
circonftances ne pouvoient être retracées par les
O a eurs , auxquels je fus moi - même inconnu ,
Ce fut fous les aufpices de S. A. S. , dont
l'augufte Fils ne m'a pas abandonné , que je vis
couronner ma conftance de trois années par mon
mariage , fait , de l'agrément du Roi , à cent
lieues de Paris , quatre vingt de la maison pas
ternelle , cent vingt de ma famille maternelle
& cent quatre-vingt de ma garniſon.
( 31 )
•
Entre nombre de traits rema quables de la fenfibilité
généreufe du premier Prince du Sang ,
celui , qui me concerne a été cébré par
pufieurs Gens-de - Leures , & je me fuis avifé
d . 1 : chinter moi-même , devenant Puëte par
reco noiffance , comme Juv.nal l'étoit devenu
par indignation.
J. fuis , & c.
Votre , &c. C. G. T ...
Fin de la Séance de la Société Royale de
Médecine.
P RIX PROPOS É s.
La Société p opofe pour fujet du Prix de la
valeur de Goo livres fondé par le Roi , la qual
tion fuivante :
Rechercher quelles font les maladies dont le fftême
des vailleaux lyn, hatiques eft le fiége immé
diat , c'eft- à dire , dans lesquelles les glandes , les
vaifleaux lymphatiques & le faite qu ' is contiennent
font effentiellement affectés ; quels font les
fymptômes qui les caractérisent & les indica ions
générales qu'elles offrent à remplir ?
Il y a long - tems que i on parle de la lymphe
, & que l'on dit vaguement que ce fluile
eft vicié. It eft tems de donner à ces expreffions
une jufte valeur. Les glandes & les vaiffeaux
lymphatique. font à préfent bien connus
& ont été décrits par de: A atomites célèbres ,
tels que Monro , Protffeur à Edimbourg ,
Hunter , William Hew, on , Scheldo , & On
fait que ces vaiffeaux font tous abforbans , &
9. ' ils s'ouvrent dans les cavités & fur les dif
frentes (urfaces du corps human : qu'ils font
les inftrumens d'un grand nombre de métaflafes
& q'ils rempliffent une grande partie des fonc
tous les plus aportantes attribuées au tiffu cel
lulaire.
b 4
( 32 )
En appliquant ces connoiffances pofitives à
la pratique de notre Art on fubftituera des
idées exactes à la théorie vague , & aux expreflions
indéterminées que l'on a adoptées jufqu'ici
.
Ce Prix , fera diftribué dans la Séance publique
du Carême 1789. La Société a cru èe
délai néceffaire pour donner aux Auteurs le tems
que ce travail exige. Les Mémoires feront remis
avant le premier Janvier 1789 , ce terme eft de
rigueur.
La Société propoſe pour ſujet d'un Prix de la
valeur de 600 livres , la queſtion fuivante :
Rechercher quelles font les caufes de la Maladie
Aphteufe , connue fous les noms de MUGUET
MILLET , BLANCHET , à laquelle les enfans
font fujers , fur- tout lorfqu'ils font réunis dans les
Hôpitaux , depuis le premier jufqu'au troisieme ou
quatrieme mois de leur naffance ; quels en font
les Symptoms , quelle en eft la nature , & quel
doit en être le traitement , foit préſervatif ; foit
curatif?
Il eft intéreffant de réunir les connoiffances
acquifes fur cette maladie dans les grandes Villes
, foit du Royaume , foit des Pays Etrangers ;
d'en comparer entr'elles les diverfes nuances , &
d'en connoître les variétés .
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publi
que de la Fête de Saint Louis 1787 , & les
Mémoires feront remis avant le premier Mai de
la même année .
La Société propoſe , pour fujet d'un Prix de
la valeur de 600 livres , le Programme fuivant
:
Déterminer quelles font les circonftances les plus
favor bles au développement du vice Jerophuleux
& rechercher , quels font les moyens , foit diésé(
33 )
riques , foit médicinaux , d'en retarder les progrès ;
d'en diminuer l'intenfire & de prévenir les maladies
fecondaires dont ce vice peut être la caufe
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publi
-que du Carême 1788 , & les Mémoires feront
remis avant le premier Janvier de la même
année,
La Société propoſe , pour ſujet d'un quatrieme
Prix , de la valeur de 400 livres , la
queftion fuivante :
Déterminer quelles font , relativement à la température
de la faifon , & à la nature du climat ,
les précautions à prendre pour conferver la Santé
d'une Armée vers la fin de l'hyver , & dans les
premiers mois de la campagne ; à quell's maladies
les troupes font les plus expofées & cette époque
& quels font les meilleurs moyens de traiter & de
prévenir ces maladies ?
Ce Prix fera diftribué dans la Séance publique
de la Fête de Saint Louis 1787 , & les
Mémoires feront envoyés avant le premier Mai
de la même année .
Les Mémoires qui concourront à ces Prix , feront
adreffés francs de port à M. VICQ- D'AZYR,
Secrétaire perpétuel de la Société , rue des petits
Auguftins n . 2 avec des billets cachetés contenant
le nom de l'Auteur & la même épigraphe que
le Mémoire.
La Société invite les Médecins , les Chirur
giens , & en général les Phyficiens à lui adreffer
des mémoires fur la Topographie médicale
des lieux qu'ils habitent. Les intentions du Roi ,
notifiées à la Société Royale de Médecine , par
M. le Contrôleur - Général des Finances , dans
une lettre en date du 14 Septemb . 1785 , font
que la Société Royale fuive avec la plus grande
activité des recherches qui doivent fervir à la
bs
( 34 ).
rédaction de la Topographie médicale du Royaume
. La S ciété continuera de diftribuer des
Prix aux Auteurs des meilleurs Mémoires envoyés
fur ce fujet. ·
La Société croit devoir rappeller ici la fuite
des recherches qu'elle a commencées ; 10. Sur
la météorologie ; 20. fur les eux minérales &
médicinales ; 30, fur les maladies des Artilans ;
40. fur les maladies des Beftiaux . Elle efpere
que les Médecins & Phyficiens Régnicoles &
Etrangers vendront bien concourir à ces travaux
utiles qui feront continués pendant un
nombre d'années fuffiant pour leur exécution .
La Compagnie fera dans fes Séances publiques
une merion. honorable des obfervations qui
lui auront été envoyées , & ele diftribuera ,
comme elle a fait jufqu'ici , des Médailles de
différente valeur aux Auteurs des Mémoires
qui feront jugés les meilleurs fur ces différentes
matieres.
1 Dans cette même Séance , on a fait les
lectures fuivantes.
M. De perrieres a lu des obfervations fur la
maladie appellée Danfe de St Guy.
M. de Laporte a lu, des réflexions rédigées avec
M. Vicq d'Azyr , für le plan que la Société doir
fuivre dans la rédaction générale des obfervations
qui lui font adrefiées fer les épidémies.
Le Secrétaire a lu des notices fur la Vie &
les Ouvrages de MM. Alexandre , Diaunyere ,
Defmery Rofe & Darlue , affociés régnicoles
& correfpondans de la Société .
M. Chamfera a lu des obfervations fur la nyé-'
tal opie ou aveuglement de nuit.
M. Fourcroy a lu un mémoire fur l'analyse des '
eaux minérales d'Enghien , & fur celle des eaux
minérales fulphureufes en général,
( 35 )
M. Vicq d'Azyr , Secrétaire perpétuel , a terminé
la féance par la lecture de 1 Eloge de M.
Van- doerveren , Profeffeur de Médecine à Leyde
, Affocié étranger.
Dès le premier Avril prochain , chez le fieur
Le Clerc , Baigneur diftingué dans fon art , &
nos connu par l'invention des baignoires méchaniques
: on trouvera des bains de Barrège ,
de Balarue , de Piombières , de Bagnères ; tous
approuvés de la Faculté de Médecine . L'on aura
foin d'avertir la veille , pour qu'on ait le tems
de foigner la compofition de ces bains , de
maniere à leur conferver toute leur efficacit .
Les attentions , l'exactitude & la propriété des
bains adminiftrés par le fieur Le Clerc , rue Pierre
Sarrafin , font trop connues , pour qu'on ait befoin
d'infifter fur cet objet .
Les Feuilles de Flandres viennent d'imprimer
une Correfpon lance entre Mr. de
Montgolfier & le feur Blanchard. Le nom
du premier & l'attention que l'on doit à
toutes fes idées fur l'aeroftatique , nous dé-.
termine à publier ces deux lettres .
J'ai lu avec le plus grand plaifir dans les Papiers
publics , & notamment dans le Courier de
l'Europe , que vous avez trouvé le moyen de
perfectionner votre fublime découverte , en di--
rigeant à volonté votre courfe dans le fluide
éthéré , & que le Gouvernement vient à l'appui
de vos travaux . Je fu's bien en chanté , Monfieur ,
que vous ayez réfola le problême dont je m'cccupe
ardemment depuis fi long- temps . Si en faveur
de mon zele , vous voulez bien m'accorder
u ne olace dans Voiture projettée , je ferai très-
Alatré d'y opérer fous vos ordres. J'ai l'honneur
d'être , &c.
b 6
( 36 )
1
Réponse de M. de Montgolfier , Annonay le
4 Mars 1786.
MONSIEUR ,
Comme depuis long - temps vous fixez l'attention
du Public , & occupez les Journaux de
vos fuccès , perfonne n'eft plus que vous dans le
cas d'éprouver combien l'on doit peu compter fur
l'exactitude des nouvelles qu'ils donnent , & fur
les annonces qu'ils font , lorfqu'elles ne font
avouées par perfonne , mi autorisées par aucune
fignature. La nouvelle que vous avez recueillie
dans les Papiers publics étrangers , en offre une
nouvelle preuve ; il est vrai que je n'ai pas abandonné
une découverte que je crois avantageufe ,
& que je n'ai pas perdu l'efpoir de la voir devenir
un jour utile ; mais je fuis las d'y confacrer
ma fortune , il n'y a que des événemens impréyus
qui puiffent me procurer l'avantage de réalifer
mes espérances . Je fuis bien reconnoiffant ,
Monfieur , de vos offres obligeantes , je ne dois.
les attribuer qu'à votre zele : un nouveau fuccès
n'ajouteroit rien à votre gloire . J'ai l'honneur
d'être , &c.
" PAY S- B A S.
DB BRUXELLES , le 25 Mars.
Les Etats de Hollande & Weſtfriſe font
affembles depuis quelques jours , pour délibérer
, à ce qu'on préfume , fur la reddition
du commandement de la Haye au Stathouder.
La ville d'Amfterdam a pris une réfolution
qu'on dit conforme aux defirs de Son
Alteffe Séréniffime à ce fujet ; mais avec des
reftrictions qui ne le feroient gueres. Le
Prince d'Orange ne rentreroit dans ce com(
37 )
mandement , fuivant le voeu de la Régence
d'Amfterdam , qu'en laiffant aux Etats la liberté
de révoquer , de fufpendre , d'abolir
même ce pouvoir momentané . Le Stathouder
au contraire le regardant comme l'exercice
de les dignités inamovibles , il eft apparent
qu'il fe refuferoit à tout tempérament
qui tendroit à en dénaturer les fondemens .
D'un autre côté , la fituation des affaires
à Utrecht empire de plus en plus . On fe
rappelle que l'année derniere , une partie des
habitans tumultueufement attroupés s'étant
emparés de l'Hôtel - de - Ville , forcerent les
Magiftrats affemblés de violer leur ferment,
au Réglement de Régence de la Province.
La Magiftrature d'Utrecht vient de rendre
& de publier une Déclaration , par laquelle
elle regarde fa réfolution du 20 Décembre
dernier , comme extorquée par la violence ,
& fon ferment comme facré , tant que les
Etats de la Province ne l'en auront pas dé .
gagée ; en conféquence elle perfifte à retufer
abfolument le nouveau ferment exigé d'elle ,
& qu'elle devoit prêter le 20 de ce mois.
Suite du précis des opérations de la Banque de
Saint-Charles.
«Dans les premiers momens de cette révolution,
la Direction eut égard aux différentes maifons de
commerce qui en pouvoient être les victimes , &
avec l'agrément du Miniftere , & la faculté qui
Jui étoit réservée par la dernière affemblée générale
, elle accorda un prêt de 20,000,000 de
réaux fur le dépôt d'actions entre les mains des
( 38 )
fieurs Lecouteulx de Paris , à ra fon de ciny pour
cent d'intérê , & fous condition que les propriétaires
d'actions rembourleroient la inque a 15
Février 1786 , ou qu'ils lui abandonneroin : les
actions au prix fixé par cette afíemblée générale
. Ce fecours fut infuffifant par un effet des
melées ſecrettes & puittantes que l'on faifoit pour
décréditer les actions de la banque. Etrange combinaison
! Les François ont attendu qu'il fût en ré
chez eux un grand nombre d'actions à un prix
exhorbitant , pour enfuite les décréditer ; ils ont
provoqué des pertes proportionnées au prix que :
ces actions leur avoient coûté . N'eft - il pas également
inconcevable que les actions de la banque
fe foient mieux vendues à trois cents lieues chez
l'Etranger , qu'à Madrid même où fe paient les
dividendes fins frais & fans embarras ? Ce phénomène
cft auffi étonnant encommerce que l'autre
l'eft en politique ».
» Il en a coûté aux Etrangers environ douze
millions de réaux qui ont paffé au bénéfice de
l'Espagne , bénéfice fans exemple chez elle depuis
trois fecles ».
« La Direction ne prétend pas fe faire un mérite
de cet événement. Le Public eft témoin
qu'elle a d'abord hauffé les actions au plus haut
prix dont elles étoient fufce ptibles , dans la vue
de refroidir les joueurs ét rangers , & qu'enfuite
elle a cherché à les aider dans leur
malheur.
Les différentes augmentations dans le prix des ,
actions ont donné un bénéfice total de 221,398,000
réaux , dont 210,000 50 0 ont été convertis en
actions de la Compagnie des Philippines , de forte
que la Banque a placé dans cet établiſſement une
fomme qui équivaur à fept pour cent de fon capital
, ou à 140 réaux par action .
( 39 )
Dans l'intervalle , la Dir.ation , toujours occu->
pie du bien public , ayant formé le projet d'un
ca al de navigation depuis Gualda ama "jufqu'à
l'Océan , follicita par une reprétentation au Roi ,
du 7 Mai 1785 , de faire les nivellemens néceffairspurner
les plans de ce canal .
Voici en peu de mot , le projet de ce canal , tel
qu'il eft placé dans cette repréfentation : « Cel
froit de continuer le canal de Monzanares , commencé
à Madrid , près du pont de Tolede , nonfeulement
jufqu'a Aranjuez , mais jufqu'à la montagne
de Guaddarama , en y verfant les eaux de
la riviere qui porte ce nom ».
« En achevant , d'un autre côté , le canal de
Caftille , & remontan, la riviere de
jqu'au pied de la côte appellée del ..
del Coloso , on établiroit une navigation réglée
le fond de la Caftile , dins un espace de plus de
foixante lieue , avec un portage par terre de trois
lieues flament » .
« Etant parvenu àjo`nde le canal de Guaddarama
avec le canal de Madrid , o continuera ce
dernier ve s Aranjuez jusqu'au Tage , à l'endroit
cù il reçoit le Xiromi ».
« Comme il exiſt à Aranjuez des eaux courantes
, il feroit poffible de prolonger le canal
jufqu'au palais , fi on le jugeoit à propos , & de
le faire rabattre enfuite près de Villem fjor , hà
l'endroit où les eaux de la Guardia Tiembleque
& le fan& uaire del Valle te jettent dans le
Tage.
1
Mais ces eaux étant fur un terrein trop bas
pour qu'on put les diriger également vers le
Tage ou la Guadiana , on fe ménageroit alors les
ruilfeaux de la Haure Manche , que l'on conduiroit
aisément dans ces deux fleuves , & qui faci
literoient la navigation de la vallée du Tage àª
( 40 )
celle de la Guadiana , & jufqu'aux eaux de Xavalon
, qui pourroient auffi le verfer dans la Gua
diana , ou dans le Guadalquivir . Telle feroit la
navigation qu'on pourroit établir jufqu'à Séville
, c'est-à- dire depuis Guadarrama jufqu'à
l'Océan »,
D. Carlos le Maur & fes fils furent chargés de
tracer les plans depuis Guadarrama jufqu'à Ef
perlui , attendu que ceux depuis Efperlui jufqu'à
Séville avoient été levés précédemment par cet
Officier. Ces plans furent achevés en trois mois ;
la mort inattendue de cet habile Ingénieur a dés
rangé les projets de la Direction.
Elle regarde comme un devoir facré l'obligation
d'indemnifer fes quatre fils d'un travail
utile à la Nation . D'ailleurs les plans du canal
deviendront par ce moyen la propriété de la
Banque , qui fera vraisemblablement dédommagée
par la fuite de la modique rétribution que
les Actionnaires confacreront à cet objet.
Direction du virement.
La Caiffe d'Efcompte de Cadix , pendant les
fept mois qui le font écoulés depuis ſon établiſ
fement , a produit 1,488,094 réaux 23 maravedis
, ou deux 96 centiemes pour cent de fon
capital , y compris la commiffion. Ce bénéfice
ne juftifie pas encore fon utilité relativement à la
Banque ; mais on ne fauroit nier les avantages
que le Public en a retiré par la modération de
l'intérêt de l'argent.
La Banque a exporté du Royaume pendant
cette année 20,072,928 & demi piaftres fortes . Le
droit d'indult payé au fifc pour cette fomme s'eft
monté à 16,058,342 réaux , & la Banque a retiré
de cette opération un bénéfice de 11,883,656 :
réaux 23 maravedis. Pendant les vinge- neuf:
années depuis 1754 jufqu'en 1783 , l'indult a
( 42 )
produit , année commune , 3,087,074 réaux , &´
l'année la plus abon iante n'a donné que 6,448,250
réaux ; ce fait eft prouvé par l'état n°. 3 tiré de
l'adminiftration des douanes. Depuis deux ans que
la Banque a le privilege de l'exportation des
piaftres , elle a payé pour l'indult 31,537,542
réaux ou plus du tiers du produit des vingt- neuf
années.
Les Actionnaires ont fait cette année fur le
change un bénéfice de 3 huit centiemes , tandis
que l'année derniere il n'avoit produit que 191
centiemes pour cent . Cette différence provient du
rétabliffement au pair du prix des effets royaux ,
& des économies que la Banque a faites dans dif
férentes parties de fon adminiſtration .
Quelqu'étrange que puiffe paroître cet aveu
aux yeux des Actionnaires , la Direction croit
devoir expofer à l'affemblée que la Banque doitdiminuer
le prix de l'exportation des piaftres , qui
eft de 3 pour cent , attendu qu'elle doit feutement
avoir dans cette opération la préférence fur
les particuliers.
Les obligations de la Couronne en pays étrangersfe
font montées à 25,316,443 réaux 6 maravedis
, & la commiffion de cette fomme a produit
par conséquent à la banque une fomme de 253,164
réaux 14 maraved s .
Les lettres-de-change qu'elle a données fur Ca
dix & les autres places du Royaume , font mɔntées
à a05,851,070 réaux 24 maravedis , & le
bénéfice de la banque a été de 1,411,904 réaux
5 maravelis.
L'efcompte des lettres - de- change a produit.
1,160,519 réaux 18 maravedis fur un capital de
146,027, c92 réaux 2 maravedis.
Les Dire&eurs doivent expofer à la Junte le
préjudice que la banque éprouve fur cette partie
(
42 )
l'escompte étant au même taux que l'intérêt des
billets royaux , cette opération entiérement gratuite
de fa part lui caure en ou re des frais de
bureaux , &c . en confiq e ce elle opine pour
que letaux de l'e compte folt at gmemé d'un demi
Pour cent.
Di- dion de fourniture.
La fixe avoit tai. Fainée derniere une économie
de 1,137,781 réaux fur l'approvifionnement
de l'armée . La ftrilité de la derniere récole
ui a caufe cette année une différence à fon
défavantag de 6,344,627 réaux 13 maravedis ,
ou de 4 maravedis to centiems par ration de
pain ; de 6 reaux 18 maraved.spar fanegue d'orge,
& de 3 maravedis 58 centiemes par arrobe de
paill , attendu que l'approvifionnement a été de
18,778,042 rations de pain , de 611,471 fanegues
un céléin trois quarts d'orge , & de 32,626 arrobes
d . foin.
fur-
Si la Direct'on s'eft engagée à faire les approvifionnemens
a meil ur marché que les particuliers
, ce n'a été que fur un ceriain nombre
dannées l'une portant l'autre , & jamais elle n'a
prétendu furmonter la ftérilité des récoltes ,
tout étant encore deftituée des facilités pour le
proluit & la confervation des grains ; ce n'eft
dene que quand les greniers qu'elle fait conf
truire feront achevés , & lorfqu'elle aura joui
des avan ages de deux récoltes abondantes
que l'on pourra juger de fon adminiftration .
L'approvifionnenien: de la marine a produit au
fic une économie de 963,866 réaux 10 mura-`
vedis .
La fourniture des clouteries & dis mâtures eft
montée à 10,863,036 réaux 4 maravedis , & la
Banque a fait en faveur du fifc une économie
de 3 378,489 réaux s maravedis.
( 43 )
L'approvisionnement des Prefides eft mon: é
cerre année à 477,274 éx 22 marevedis ;
mais quoique la Banqueait lieu de prefumer que
cette partie eft a affi à l'avantage du fifc , elle n'a
pas encore pu faire les comptes néceffaires pour
s'en allurer.
La partie des habillemens n'est pas encore vérifiée
, attendu l'extrême complication des détails
qui s'offrert toujours dans une entreprise encore
dans ton enfance.
L'ét n °. 2 préfente le tableaa des bénéfices
de tous genres que la Basque a fairs pendant
l'année , tels qu'on vient de les détailler , & l'état
no. 4 , le tot Ides benéfices que la Banque a don
nés tant à fes actionnaires qu'au fifc . La Direction
fe propofede préſenter tous les ans ce tableau intéreffant
, qui prouve mieux que tout autre l'uti
lité de cet établiſſement.
Refultat des opérations de la Banque.
Les 150,000 actions qui conftiruent le capital
de la Banque ont toutes été remplies , à Fexception
de 11c placées aux Indes , & dont le montant
viendra par les premiers vaiſeaux . Ainfi les
actions qui concourront au dividende actuel font
au nombre de 148,894 formant un capital de
297,788,00réaux .
Les bénéfices de la Banque montent à la fomme
de 48,346,665 réaux 18 maravedis ou à 16 dixhuit
cen iemes pour cent de fon capital . Un coupd'oeil
fur l'état n ° . 1 qui préfène le bilan de la
banque de 30 Novembre 1785 , fera voir la recerte
& l'emploi de ces fommes. >
Mais celle de 21,000,000 réaux , ou de 149
réaux par action , ayant été placée dans les fonds
de la Compagnie des Philippines , le capital du
dividende en de 27,346,665 réaux , & il revient
á chacune des 148,894 actions copartageantes
( 44 )
dix- huit centiemes pour cent , ou 183 réaux de
veillon.
Les maravedis du furplus de chaque dividende
Forment une fomme de 99,073 réaux 18 mara
vedis , que l'on diftribuera felon l'ufage à de pau
vres Artifans & Laboureurs.
Le Secretaire ayant achevé la lecture de la relation
, la Junte paffa neuf arrêtés dont voici les
plus impotsans.
1º. Arrêté qu'à l'avenir la Direction aura la
faculté de prêter aux actionnaires jufqu'à la con
currence de 500 réaux feulement par action .
2°. Que conformément à l'arrangement pris
par la Direction avec les propriétaires des actions
déposées entre les mains des fieursLecouteux
de Paris, les actions feront payées par la Ban
que au prix de 2200 réaux paraction ( le dividende
actuel devant être retenu à fon profit ) à tous ceux
qui préféreront les lui vendre lors du rembourfe
ment qu'ils auront à faire au 15 Février 1786 .
4. La Junte générale vote une fommet de
100,000 réaux , pour être deftinée à récompen
fer les fils de D. Carlos le Maur , des travaux
qu'ils ont faits avec leur pere relativement au
canal de Guaddarama.
1
5. Afin de faciliter le commerce & de mettre
les Fabricans en état d'acheter en leur tems les
matieres premieres , & de les payer enfuite avec
le produ't de leurs Manufactures , les billets à ordre
feront admis à fix mois d'échéance , & avec deux
fignatures feulement , dont l'une devra être d'un
Négociant accrédité.
6°. Le prix de l'eſcompte , qui eft à Madrid &
à Cadix de 4 & pour cent , fera augmenté d'un
demi pour cent , afin de dédommager la Banque
des frais de bureau , & c.
Les autres arrétés font relatifs à des détails qui
(( 45 )
concernentuniquement l'adminiftration intérieure
de la Banque.
S. M. a approuvé les arrêtés de la Junte générale
, & a nommé pour Directeur des fournitures
le Marquis de las Hormazas,
La fin à l'ordinaire prochain .
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
ככ
« Une autre nouvelle affez importante , fi
elle fe vérifie , c'eft que la République de
Gênes offre le Port de Spécie ou la Spezzia
a à l'Impératrice de Ruffie , qui depuis longtemps
en cherche un , dont elle paille librement
difpofer dans la Mediterranée. L'on
fçait , que les ci - devan : Juites ont fait bâtir
dans ce Port un vafte & magnifique Edifice
qui en occupe tout l'efpace. Il étoit deftiné
fous le Pontificat de Clément XIII , à fervir
de refuge aux Jéfuites , expulfés de Portugal ,
» de France , & d'Espagne , & il leur auroit
donné la facilité de correfpondre avec leurs
» Miffionnaires du Levant . Cette circonftance
fait foupçonner , que les Jéfuites de Ruffie
auront engagé leurs Confreres d'Italie à folliciter
la République de Gênes de céder à leur
Augufte Protectrice le Port de la Spezzia ,
» dans l'espérance d'en tirer eux - mêmes leur
profit ». ( Idem . )
Des Lettres de l'Ile de Corfou , en date du
>> 5 Février , nous donnent la fâcheuse nouvelle
» d'un Tremblement de terre qui fe ferait fait
fentir vivement dans cette Ile . La campagne
a fouffert des dommages confidérables , & une
partie de la Ville a été détruite . Il a péri fous
les décombres des édifices , cent vingt perfon•
( 46 )
» nes : mais le rombre des bleffés eſt encore plus
grand . Le Gouverneur avoit eu baucoup de
» peire, de s'échapper dars une chaloupe avec
2 toure a famille & fes domefiques . L'Hôtel du
» Gouvernement a été englou i . On apprend que
> ce Tremblement de terre s'étoit fait fentir aufli
aux If´s de Ste . Maure & d'Argos ; y a caufé.
auth beaucoup de dommagé , mais en n'en a pas
» encore une relation circonilanciée ». ( Gazette
d'Amfterdam , No. 22 .
Caufe extraite du Journal des Caufes célébres ( 1 ) .
Concubine condamnée , depuis peu , pour avoir volé
la fucceffion d'un homme avec lequel elle v.voit .
Le feur Merle , après avoir été marié quelques
années , vivost avec fe femme dans la plus grande
indifference , lo que celle - ci prit à fon fervice ,
en qualité de cu finiere , une jure fi le noinmée
Sufann Funel , Le feur Merle ne fut pas longtems
fans former le projet de orrompre cette fille.
Il fir des propofitions qui furent acceptées , & ,
depuis ce moment , le maître & la fervante vécu .
rent dans un commerce criminel. Pour éviter les
reproches d'une épouse inflement irritée , le figur
Merle couvroit du voile le plus épais la conduite
avec fa trvante ; mais la mort de fon époute le
délivra de cete contrainte . Il quitra auffi tôt fon
pays , & vint le fixer dans la capitale , où il con-
[1] Le Bureau de ce Journal oft actuellement rue du
Théâtre François , la derniere parte cochere près la Place .
chez M. Desparts , Avocat , & chez Mérigot le jeune ,
Libraire , Cuai des Auguflins. Piix , 18 liv, pour Paris ,
& 4 iv pour la Province .
( 47 )
duifit fa concubine. Ifo'é avec elle , n'entretenant
aucunes relations avec fa famille , il vivoit publiquement
avec la compagne de fa débauche . Il paroît
que cette fille avoit acqu's for fon esprit le
plus grand afcendant ; car il l'avoit comblée de
bienfairs , Comme il étoit attaqué d'une maladie
mortelle , il lui avoit fait un legs par fon vella,
ment , qui auroit dû lui faire reſpecter les droits
de la famille ; mais l'avidité eft difficile à fatisfaire.
Le fieur Merle eft mort des suites de la maladie
dont il étoit attaqué. Susanne Funel , au
lieu de donner des larmes à la mémoire de fon
bienfaiteur , s'eft occupée , le jour de fon décès ,
dans le tems même que fon cadavre étoit encore
fous fes yeux , d'exécuter le projet de s'emparer
des objets les plus précieux de fa fucceffion. En
effet , elle a été accufée d'avoir enlevé plufieurs
facs d'argent , pris 12 billets de la caiffe d'ef
compte , dont fept noirs & cinq rouges ; trois
effets fur des particuliers , montant à 1500 livres,
en annonçant qu'elle s'arrangeroit avec les débiteurs
, & que , s'ils ne vouloient pas payer , elle
les jetteroit au fen ; d'avoir été le lendemain chez
un orfevre , pour y faire mentre fur des couverts
que le fieur Merle avoit achetés récemment , la
marque d'elle Funel ; d'avoir été , dans les premiers
jours du décès du fieur Merle , dans diffé
rens bureaux , pour y changer de l'argent contre
des louis d'or , qu'elle a pay és jufqu'à 6 fols & 8
fols par lonis ; enfin , de s'être emparée d'un habit.
de velours & de linge qu'elle avoit démarqué &
marqué à ſon nom .
Pour réparation de ces délits , par fentence du
23 juillet 1784 , le châ elet avoit condamné Sufanne
Funel à être bannis pendant cinq ans , &
avoit ordonné que les effets déposés au greffe feroient
délivrés à l'héritiere da fieur Merle.
( 48 )
Sur l'appel de cette fentence , le parlement ;
par arrêt du 26 octobre 1785 , pour les cas réfultans
du procès , a condamné Sufanne Funel à être
battue & fuftigée nue de verges , par l'exécuteur
de la haute-juftice , dans tous les lieux & carrefours
accoutumés de la ville de Paris , & en l'un
d'iceux flétrie d'un fer chaud en forme de la lettre
V. fur l'épaule droite , par ledit exécuteur ;
ce fait , menée & conduite en la maifon de force
de l'hôpital de la Salpêtriere, pour y être détenue
& renfermée pendant le tems & espace de neuf
ans ; lui fait défenſe de ſe retirer en aucun cas`,
même après le tems de fa condamnation expiré,
dans ladite ville de Paris , fauxbourgs & banlieue
d'icelle , ni à la fuite de la cour , fous les peines
portées par les déclarations du roi ; a condamné
ladite Sufanne Funel , & par corps , à reftituer à
la veuve Roffignol la fomme de 10 oco fivres ; a
ordonné que les mentre , bagues & autres effets
détaillés aux procès - verbaux de faifie & revendication
, des 8 & 19 mai 1784 , enſemble la clef
d'une malle étant chez Bertinot , exécuteur teftamentaire
de Barthélemi Merle , ( tous lefdits effets
& clef déposés au greffe criminel du Châtelet
, ) feroient remis à ladite veuve Roffignol
qui s'en chargera pour les faire ajouter à l'inven
taire fait après le décès dudit Merle; à faire ladite
remife tous greffiers dépofitaires feront contrainte
; quoi faifant , décharges : a déclaré nul
& de nul effet le legs fait à ladite Sufanne Funel ,
tant en effets que deniers comptans , par le teſtament
dudit Merle , du 30 ſeptembre 1783 : a
condamné ladite Sufanne Funel en 1200 livres
de dommages- intérêts , par forme de réparation
civile , envers ladite veave Roffignol , & en outre
en tous les dépens du procès , faits tant au châtebet
qu'en la cour.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 12 Mars.
Lil regne des vents orageux de l'Eft, & le
Sund charie des glaçons. Depuis plufieurs
jours les paquebots ne peuvent plus mettre
en mer. Le thermométre de Réaumur eft à
13 degrés & demi au- deffous de zéro .
Le Tribunal fuprême de Copenhague a
condamné l'ancien Caiffier de la Compagnie
d'Afie à la reftitution de 575,000 rixdaters ,.
fomme qui manquoit à la caiffe. Les biens
de ce caiffier & ceux des autres perfonnes
impliquées dans cette affaire ne montent
qu'à environ 275,000 rixdalers . Les Actionnaires
prétendent que les Directeurs font tenus
de completter de leurs biens la fomme
principale du déficit ; ceux- ci s'y refuſent ;
mais on efpere que l'affaire fe terminera entre
eux par un accommodement.
No.
14 , 8 Avril 1786. C
( 50 )
Le fort de la Compagnie de la Baltique
n'eft pas encore décidé . On préfume qu'il le
fera dans l'affemblée générale des Actionnaires
qui doit avoir lieu au mois de Mai
prochain , ou plutôt , la pofition de cette
Compagnie étant très - critique,
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 26 Mars
La difgrace du Grand - Vifir , à ce qu'on
apprend de Conftantinople , a été fuivie immédiatement
de la dépofition du Muphti.
Jufqu'à préfent ces changemens n'ont été
accompagnés d'aucunes fcenes fanguinairés
; preuve du peu d'importance des Minif
tres congédiés. Le Vifir , Schahim - Aly Pacha
, outre le Gouvernement d'Oczakow
qu'il avoit occupé , & qui lui eft rendu , a
obtenu du Grand- Seigneur le commandement
en chef des troupes de la Beffarabie :
on lui a laiffé jufqu'aux Préfens qu'il tenoit
de la munificence du Sultan , qui , dans fon
Hati Cherif a donné des éloges à la droiture
du Miniftre renvoié. Son fucceffeur Yuffuf-
Pacha n'étoit point encore arrivé de fon
Gouvernement de Morée , à la date des précédentes
nouvelles . Les Courtifans pour qui
un nouveau regne et toujours le texte d'un
panégyrique , célebrent les talens d'Yuffuf-
Pacha ; mais la voix publique eft très éloignée
de confirmer ce jugement intéreſſé.
Une autre lettre particuliere de Conftantinople
, en date du 17 Février , s'exprime
ainfi :
Le Miniftre de Ruffie a des conférences plus
fréquentes avec le Miniftere Ottoman qu'il n'en a
jamais eues il n'eft plus douteux que ces conférences
n'aient pour objet les troubles toujours
croifans entre les Tartares & les Georgiens.
Ceux - ci , comme l'on fait, font fous la protection
immédiate de la Ruffie ; l'Impératrice ne voulant
pas hafarder une guerre ouverte avec les Tartares
retranchés dans les montagnes du Caucaſe , &
formidables par leur nombre , paroît exiger que
la Porte fe joigne à elle , pour faire de concert
la guerre à des peuples qui agiffent visiblement
en faveur de l'Empire du Croiffant . On affure
que le Miniftre Ruffe à Conftantinople infile
fortement pour qu'au moins le Gouvernement
refufe abfolument tout afylé aux Tartates qui
ayant commis des hoftilités contre les Georgiens
, fe retireroient fur les terres de la domination
du Grand - Seigneur , & qu'il leur en défende
rigoureufement l'entrée . L'Internonce de
Vienne paroit appuyer , comme à l'ordinaire ,
les démarches du Miniftre de Ruffie ; mais on ne
peut s'empêcher de remarquer que l'Internor ce
met beaucoup plus de modération & beaucoup
moins de feu dans fes folicitations en faveur de
la Ruffie. La Cour de Vienne qui fe promet avec
raifon des grands avantages de la libre naviga-"
tion de la mer Noire , demanda au Divan , fur
le, ton le plus menaçant , qu'elle fût accordée à
la Ruffie; elle prit le même ton lors de la conceffion
de la Crimée ; mais comme il est très- apparent
que la protection que la Ruffie accorde au
Prince de la Georgie finira par l'acquifition de
C 2
(
cette belle Province en faveur de l'Empire de
Ruflie , l'Empereur peut - être commencé - t-il
à s'appercevoir qu'il ne doit pas tout- à- fait fe prêter
aux vues d'agrandiffement d'une Puiffance
qui pourroit dans la fuite devenir trop formidable
pour la Maifon d'Autriche même. On prévoit
qu'il ne fe décidera rien d'important dans le
Confeil qu'après l'arrivée du nouveau Grand-
Vilir.
Entr'autres particularités débitées fur
l'origine de ce foulevenient en Géorgie , on
diftingue les fuivantes :
Vers le mois de Mai de l'année derniere , un
Berger gardoit fon troupeau au milieu de la
campagne , vers les frontieres de l'Arménie.
Tout-à- coup il voit devant lui un jeune homme
qui l'appelle par ſen nom , lui dit de le fuivre
qu'il ne doit rien craindre pour fon troupeau ,
parce qu'il le laiffe fous la garde d'un Génie fupérieur.
Le Berger fuit le jeune homme qui le
conduit dans un bois épais . Il s'offre à ſa vue un
vieillard vénérable dont la majesté répandoit autour
de lui un grand éclat.
ב כ
Je fuis Mahomet , lui dit- il ; comme mon
peuple s'eft relâché , & fe rend de jour en jour
coupable de mille crimes , j'ai voulu le rendre
» la victime des Infideles : mais compâtiffant
» toujours aux peines des vrais Croyans , je t'ai
appellé & choifi pour être le reftaurateur de
» mon Empire. Préfente - toi au peuple , annonce-
lui la commiffion dont tu es chargé de
ma part. Tous les vrais Fideles s'uniront à
» toi. Si quelqu'un re réfifte , donne - lui la mort.
Ce jeune homme qui t'accompagne , & un
>> autre que j'ai deftiné au même emploi , te fuivront
pat-tout d'une manière inviſible ; tu fetas
appellé le Berger vielorieux.
"
( 53 )
Il dit & difparut. En conféquence de fes ordres,
le Berger s'arrête dans le premier lieu qu'il rencontre
, & annonce au peuple la miffion qu'il
avoit reçue du Prophete. Déja les coeurs étoient
ébranlés , un Aga arrive , l'écoute , & le traite
d'impofteur. Suis - moi , fléchis fous moi , lui dit
audacieufement le Berger ,finon tu mourras L'Aga
vent rire de cette menace , deja il eft mort.
Le peuple furpris , nomme un autre Aga. Sans
être effrayé du fort de fon prédéceffeur , ce nouveau
Magiftrat veut arrêter dans fa naiffance
cette révolte dangereuſe , il meurt à la vue des
alliftans.
A de fi fortes preuves , il n'y a rien à réplia
quer la populace fuit le Berger victorieux ; il fe
forme une petite armée , & va attaquer un village
de la Georgie , défendu par une tour dans laquelle
il y avoit quatre cents Ruffes. Le Berger
fait offrir la vie à tous ceux qui viendront em
braffer la Religion Mufulmane ; deux cents ent
la foibleffe d'y confentir , le refle eft palé au fil
de l'épée.
Le Berger victorieux fe préfente fiérement
devant les trois Bachas de la Georgie , leur fait
part de la miffion , de fes projets , & leur ordonne
de le fuivre & d'unir leurs forces aux fiennes.
Les Bachas répondent qu'ils ne peuvent lui
obéir , puifqu'ils ne font que les Ministres du
Sultan Abdul Hamid , que c'étoit à lui qu'il devoit
s'adreffer, Le Berger qui avoit la force en
main , les contraint d'aller faire leur meffage
eux mêmes.
La réponſe du Sultan fut qu'il devoit communiquer.
cette nouvelle au Grand- Seigneur , pour
ne pas s'expofer lui & toute la famille à une mort
certaine.
C'eft la députation d'Abdul- Hamid qui a ré(
54 )
pandu la confternation dans cette Ville. Comme
le Divan n'a pas jugé à propos d'accorder fa protection
au Berger victorieux , le Public s'eft imaginé
que c'eft à ces refus qu'on doit attribuer les
malheurs de la Famille Impériale. Toute la famille
du Grand- Seigneur doit périr , dit on , & luimême
doit êtrefrappé dans peu.
Déja on raconte que le Berger victorieux eft à
la tête de 40,000 Arabes , & qu'il a défait un
corps confidérable de Ruffes , en faifant mainbaffe
fur tous ceux qui ne veulent point embraffer
la Religion Mahomérane.
Une lettre de Pétersbourg , du 12 Février ,
porte que la femaine précédente les Minif
tres de Fiance & d'Angleterre avoient eu ,
l'un après l'autre , une longue conférence
avec le vice - Chancelier , en préfence des
Confeillers privés Besbarockin & Bakumin .
Depuis , ces Miniftres ont encore conféré
deux fois avec le vice Chancelier & les Secrétaires
d'Etat. On préfume que ces entretiens
avoient pour objet les négociations
relatives aux Traités de commerce. On fait
de plus , que vers la fin de Février , les deux
Miniftres mentionnés plus haut ont expédié
des courriers à leurs Cours refpectives .
DE VIENNE , le 24 Mars.
Un retour de fluxion fur les yeux avoit
ffpendu un moment les occupations de
l'Empereur ; il les a reprifes & fe rend chaque
jour à la Chancellerie. Cette indifpofttion
fembloit préparer des obftacles aux
voyages dont on attribue le projet à S. M. I .;
mais l'on perfifte à dire qu'elle joindra à
( 55 )
Cherfon l'Impératrice de Ruffie. Il faut ce
pendant que le Public & les Gazetiers ne
foient pas fi certains de leur fait , puifque ,
préliminairement ils envoient l'Empereur
faire une promenade à Bude.
Le projet d'élever une digue depuis Nurfdorfjufques
dans cette Capitale , pour arrêter
les débordemens du Danube, a été agréé
par S. M. I. Cet ouvrage coûtera 160 , coo
florins.
Il a été ordonné par des lettres circulaires
à tous les Curés de fe fervir de la langue
Allemande aux baptêmes , aux mariages &
à l'extrême- onction .
Le nommé Zahlheim , emploié à la Chancellerie
, qui après avoir alfaffiné une femme
fa bienfaitrice , à laquelle il avoit promis de
l'époufer , avoit fini par la voler dans fa
mailon , a été rompu vif. On l'a ferré deux
fois avec des tenailles ardentes , en le conduifant
des prifons à l'échafaud . On a obfervé
que c'étoit le premier Arrêt de mort
que l'Empereur ait figné depuis fon regne';
mais cette obfervation n'eft pas jufte , témoin
l'affaire des Valaques .
Le nouvel Hôpital Général de cette Capitale
renferme 62 falles , dans lesquelles fe
trouvent 1488 lits , dont 812 font deftines
pour des hommes , & 676 pour des femmes.
Les deux fexes font féparés ; on eft dans l'ufage
de claffer les maladies , & de diftribuer
en conféquence les malades refpectifs dans
•
C 4
( 96)
diverfes falles. Il y en a deux particulieres
avec 139 lits pour les maladies vénériennes .
Quant à l'adminiftration économique , les
malades font diftribués en 4 claffes ; ceux de
la premiere payent par jour 1 florin , ceux de
la feconde un demi florin , ceux de la troifieme
10 creutzers , & ceux de la quatrieme
font reçus , entretenus & traités gratuitement.
D'après les dernieres Tables de confcription
dans la Hongrie , la population de ce
Royaume monte au- delà de 5 millions d'habitans.
Dans ce nombre on compte quarante
mille Gentilshommes .
DE FRANCFORT , le 29 Mars.
On vient de publier à Manheim une amniftie
générale pour les déferteurs qui retourneront
à leurs Régimens dans l'efpace de fix
mois.
La garniſon de Duffeldorf eft compofée
de 4000 hommes , & elle confifte en 3 Régimens
d'infanterie , chacun de mille hommes
, en un Régiment de Cavalerie de 600
hommes , en 300 artilleurs & en cent chaffeurs.
Il eft certain , écrit on de Vienne , que
l'Archiducheffe Marie - Chriftine a affuré par
une convention à la Maifon d'Autriche l'héritage
de fes capitaux & de tous fes allodiaux
, avec la réſerve cependant de l'ufufruit
pour fon époux , le Duc Albert de
Saxe-Telchen , fi elle venoit à décéder avant
lui.
( 57 )
Selon un papier public eftimé , l'Elecorat
de Baviere renferme 39 villes , 75 bourgs ,
4700 villages , & une population de treize
cent mille ames . Les revenus de cet Electo .
rat y font portés à 6 millions de florins , &
ceux du Palatinat à 4 & demi .
On apprend de Vienne que le Duc Albert
de Saxe - Tefchen & l'Archiducheffe
Chriftine fon époufe partiront de Vienne le
20 de ce mois , pour retourner à Bruxelles ..
La République de Venife , écrit- on de
Vienne , fait acheter dans les Etats hérédi
taires 15000 quintaux de poudre à canon.
On compte , d'après un relevé exact , 61
量
Couvens de Religieux mendians dans la
Baviere & le Haut-Palatinat. Le nombre de
leurs individus monte à 1932. Pour juger
combien ces Moines doivent être onéreux
au pays , il fuffit de rapporter ici des Annales
du fieur Weftenrieder , Auteur Bavarois ,
que la recette des aumônes pendant 1768
monta en argent comptant à 129,299 Aor.
& 58 creuzers ; cet Auteur ajoute que fans
s'écarter de la vérité , on peut évaluer à la
même fomme la recette de leurs collectes en
diverfes efpeces de denrées.
Fin de la Differtation du Baron de Hertzberg
fur la Monarchie Pruffienne.
« La Monarchie Pruffienne , dit l'Auteur , eft
un des pays de l'Europe , ou du moins du Nord ,
qui eft le plus avantageufement fitué pour le
( 58 )
commerce & la navigation . Elle a une côte maa
ritime de quatre-vinges milles d'Allemagne , en
Pomeranie & en Pruffe , le long de la mer Baltique.
Le Souverain de la Pruffe eft maître des
embouchures des trois grandes rivieres qui fe
jettent dans la Baltique , favoir , de l'Oder , de
la Viftule , du Pregel & du Memel , outre un
grand nombre d'autres plus petites rivieres navigables
ou flottables. Il poffede le long de ceite
côte maritime les ports dé Stettin , de Colberg ,
de Dantzig , de Pillau & de Memel , qui font
tous , ou qui peuvent aisément être rendus trèsbons
pour une marine commerçante & militaire,
outre un nombre d'autres petits ports , comme
ceux de Camin , de Treptow , de Rügenwalde
de Stolpe. La grande riviere de l'Oder traverle
en long les principales Provinces pruffiennes , la
Pomeranie , la Marche & la Siléfie dans une
étendue de quatre- vingts milles d'Allemagne
depuis la Baltique jufqu'en Moravie . Cette grande
riviere eft combinée par la Havel & la Sprée , &.
par de bons canaux avec l'Eibe ; & de l'autre
côté avec la Viftule par la Warthe , la Netze , la
Braa & le canal de Netze . Par ce moyen le corps
des Etats pruffiens fitué entre l'Elbe & la Viftule
eft tellement combiné pour la navigation , 'qu'il
peut exporter par l'Oder , par la Viftule , par le
Pregel & par le Memel dans la Baltique , nonfeulement
toutes les productions de Etats Pruffiens
, mais auffi celles de la Pologne & de la
Lithuanie ; qui font un objet peut - être de dix
ou douze millions d'écus par an. Il peut également
exporter par l'Elbe , & par les villes de
Magdebourg & de Hambourg les principales produations
de la Saxe & de la Bohême . Ces pays ,
très - fertiles en eux-mêmes , ne peuvent faire aucun
commerce maritime ni aucune exportation
( 59 )
de mer que par la Monarchie Pruffienre . Ils
peuvent le faire avec un grand avantage pour
eux-mêmes & pour la Pruffe , & le Souverain de
ce Royaume peut tirer de cette fituation le plus
grand parti , pour approprier à fon Eat les principales
branches du commerce du Nord , en favorifant
celui des voifins , & fur - tout le commerce
de la Po'ogne , fur lequel il y a le p'us à gagner,
parce qu'il confifte prefque tout en matieres brutes
& en objets de premiere néceffité , tels que les
grains , les bois & les toiles groffieres , dont les
Nations du Sud ne peuvent pas fe paffer. Je ne
dirai rien ici des grandes rivieres du Wefer , du
Rhin & de l'Ems ; que le Roi ne poffede qu'en
partie , dont il tire un grand profit pour les revenus
, mais qui n'appartiennent pas au corps de
Ja Monarchie Pruffienne , parce qu'ils paffent par
des pays qui font détachés de ce corps , & n'influent
pas immédiatement fur le grand commerce
de la Monarchie Pruffierne , fi ce n'eft par la
communication que la riviere d'Ems & le port
d'Embden peuvent entretenir avec la Baltique
cc« Je crois que ce que je viens d'expofer fuffit
pour prouver que la Monarchie Pruffienne a nonfeulement
déja une bonne agriculture , une
grande industrie nationale , un commerce de
terre & de mer avantageux , & une navigation
étendue ; mais qu'elle peut auffi pouffer tous ces
objets beaucoup plus loin , & à un degré de perfection
plus grand. Si l'on veut fe donner la peine
de récapituler & d'examiner les tableaux , les
calculs & les données que je n'ai fait qu'indiquer
, on comprendra fans peine que la monarchie
Pruffienne doit avoir une balancs de commerce
non-feulernent favorable , mais encore affurée ;
parce que toutes les productions naturelles & arti
ficielles , ainfi que fon exportation , font prefque
сб
60 )
toutes des objets de premiere néceffité , & dont
les Nations du Sud ne peuvent fe paffer , comme
les grains, lesbois , les toilesies & les laineries.
Il ne convient pas , il ne feroit pas même facile de
déterminer au jufte le produit net de la balance du
commerce pruffien ; mais on peut juger aisément
qu'elle doit exifter d'une maniere auffi avantageufe
que décidée , quand on confidere que le
Roi a fontenu quatre guerres longues & coûteufes
qui avoient prefque abîmé fon pays , qu'il a rétabli
fur un pied plus floriffant qu'avant ces guer-
& qu'il a pu deux fois amaffer le tréfor le
plus confidérable qu'aucun Souverain ait jamais
poffédé , fans que le numéraire & fa circulation
aient diminué dans le pays ; mais l'argent y abonde
plutôt , puifque les intérêts font tombés de 6 &
à 4 pour cent , & que le prix des terres a hauffé
extraordinairement ».
res ,
« S'il eft donc vrai , s'il eft prouvé par les
obfervations précédentes , que la Monarchie-
Pruffienne a une population affez grande , proportionnellement
à fon territoire ; qu'elle a une
bonne agriculture & une grande induſtrie ; qu'elle
a une balance de commerce favorable & affurée ;
fi elle eft habitée par une Nation induſtrieufe &
guerrière , qui fe diftingue par un grand caractere.
national , & chez qui l'on ne voit que des fortunes.
médiocres , mais mieux diftribuées pour le bien
de l'Etat que dans la plupart des autres Royaumes ;
fi elle eft défendue par une grande armée & nationale
,fupérieurement difciplinée , tacticienne , &
qui a la réputation d'être la premiere de l'Europe
; fi elle eft gouvernée par un Roi Philofophe
, qui depuis quarante- fix ans eft le modele
des Souverains ; fi elle a les mêmes efpérances de
la part du fucceffeur au trône , cette Monarchie
peut fans vanité briller dans la claffe des premie
( 61 )
res , & prendre une part décidée à la confervation
de l'équilibre de l'Allemagne & de l'Europe. Elle
doit le faire en toute omafion , felon les regles
& les principes d'une politique , grande , fage ,
jufte & généreule , toujours préférable aux appâts
trompeurs d'une politique ambitieufe & intérellée .
mais féductrice dans le fonds . Elle peut le faired'une
maniere avantageufe & décifive avec les
grands avantages de fa population , de fon commerce
, de fon gouvernement civil & militaire ,
& fur- tout par fa pofition locale entre les trois
grandes Puiffances continentales de l'Europe ,
aux extrémités du grand Empire Germanique ,
lequel par fa fituation & par la forme fédérative
de fon gouvernement , eft véritablement créé &
placé par la nature & par la Providence au centre
de l'Europe , pour féparer les grandes Nations
rivales, pour empêcher leurs chocs immédiats &
le bouleversement de l'équilibre général de l'Europe.
Tout obfervateur intelligent & impartial ne
doutera plus , après ce que je viens d'expofer ,
qu'il n'exifte un équilibre particulier en Allemagne
, qui fixe en même-tems celui du Sud & du
Nord ; qu'une Puiffance médiocre , mais qui a
pour elle les avantages du gouvernement & du lo .
cal , eft plus intéreffée & plus propre à conſerver
l'équilibre général & néceffaire en Europe que
de grandes Puiffances , qui ont ordinairement plus
de prétentions & plus de confiance en leurs
forces qu'il ne convient à leurs propres intérêts
& à ceux des autres Nations. Je crois que par
l'enſemble de tout ce que je viens d'expofer & de
déduire ici non par flatterie , mais par des vues
évidentes d'un patriotisme très - pur , chaque
Monarque Pruffien mérite préférablement le
fuffrage & la confiance de toutes les Puiffances
de l'Europe & de tous les Princes d'Allemagne
( 62 )
fur- tout parce qu'il eft de fon intérêt d'être jufle
& le défenfeur de l'équilibre & de la liberté générale
, & qu'il feroit contre fon intérêt & contre
fa prudence de ne pas l'être. Sijamais un Price a
mérité cette confiance générale , ainfi que l'amour
de fes fujets & l'approbation de toutes les Nations
, c'est notre grand Roi , par la conduite civile
, militaire & politique qu'il a tenue pendant
un regne glorieux de quarante - cinq ans , fer - tout
par le rôle généreux & defintereffe dont il s'eft
chargé depuis l'année 1778 , ôle unique dans fon
genre , & peu ufité jufqu'ici aux plus grands Mo
narques ».
ITALI E.
DE NAPLES , le 12 Mars.
Le Roi a nommé le Prince de Caramanico
, ci devant fon Ambaſſadeur à Paris ,
Viceroi de Sicile à la place du Marquis de
Carracciolo.
Le fils du Marquis de C *** vouloit épouser
une jeune perfonne d'une qualité bien inférieure
à la fienne ; mais fon pere , dont il étoit le feul
héritier , s'oppofoit conftamment à ce mariage.
Le jeune homme fentant bien qu'il ne pourroit jamais
contracter une union auffi difproportionnée
réfolut de fe défaire de celui qu'il regardoit co mme
le feel obftacle à fes vues. En conféquence
de concert avec un domeftique , il profita d'un
fouper que fon pere devoit faire avec un de fes
amis , pour empoifonner une bouteille de vin fin
dont il avoit coutume de prendre un petit verre
à la fin de fes repas. Le Marquis de C *** le goûta
( 63 )
en effet ; mais le trouvant beaucoup plus apre
qu'à l'ordinaire , il rejetta auffi tôt ce qu'il en
avoit pris , & gronda fon Officier de ne lui avoir
pas donné fon vin ordinaire . Celui - ci affura qu'l
ne s'étoit point trompé , & que c'étoit abfolument
le même vin qu'il avoit coutume de boire
tous les foirs. Alors l'ai du Marquis en prit à
fon tour dans un petit verre , pour s'affurer fi ce
vin dont il avoit goûté plufieurs fois , n'avoit peint
été changé ; mais à peine en avoit - il avalé quel
ques gorgées , qu'il fentit des douleurs horribles.
Le pere auffi tôt devinant l'attentat , fit venir un
Médecin & fermer fa maifon , pour que les coupables
ne puffent point s'évader . Le jeune hom
me inftruit de cet événement , fauta par la fe
nêtre avec fon complice , & prit la fuite. Les
fecours adminiftrés à temps donnent lieu d'efpérer
que la perfonne empoifonnée ne fera point
victime de cette attentat atroce , quoique fa vie
foit encore en danger .
GRANDE - BRETAGNE.
DE LONDRES , le 24 Mars.
Le Comité , chargé de l'examen des dé
penfes & des revenus publics , a fini fon
travail. Le 21 , M. Grenville , l'un des Commiffaires
, en préſenta le rapport à la Chambre
des Communes ; & , dans huit jours , à
la demande du Chancelier de l'Echiquier
ce rapport fera pris en confidération .
On affure que ce rapport manifeftera un
excédent confidérable , à appliquer tous les
( 64 )
ans , fous l'autorité du Parlement , en achar
des Actions que les Propriétaires jugeront à
propos de vendre. Voici le plan que l'on
doit fuivre. Après le rapport du Comité
il fera nommé un autre Comité de la Chambre
des Communes , pour délibérer fur l'opération
relative à l'excédant . Ce fecond Comité
, en vertu d'une inftruction publique
ou particuliere , fera chargé de demander
une nouvelle Commiffion fous le grand
Sceau , pour créer & établir un nouveau
Bureau à la Banque , fous la direction de
certains Commiffaires , avec les Commis néceffaires
, &c. C'eft à ce Bureau que s'adrefferont
toutes les perfonnes qui voudront
vendre leurs effets au prix de la place . Les
effets qui rentreront ainfi dans les mains
du Gouvernement diminueront d'autant la
dette nationale . Ce projet donnera matiere
à une infinité d'obfervations ; mais il produi
ra deux effets également falutaires ; le premier
,de maintenir le prix des fonds publics ;
le fecond , de faire hauffer celui des terres.
Dans leur derniere affemblée générale , les
Directeurs de la Banque ont arrêté de prolonger
le paiement de l'emprunt de deux millions fait
par le Gouvernement , fous la condition qu'il
feroit remboursé ſur le pied d'un demi million
par an › & les propriétaires ont approuvé cet
arrêt.
t
Le Préfident de l'affemblée a informé enfuite
les propriétaires que , vu l'accroiffement prodigieux
de la dette nationale , les Directeurs
étoient convenus avec le Miniftre de ne prendre
( 65 )
1
qu'un droit de 450 livres pour chaque million ,
au lien de 562 livres payées jufqu'à préfent pour
les frais de commiffion . Cer arrangement produit
au Gouvernement une épargne de 25000 livres
par an. Les propriétaires ont pareillement approuvé
cette opération.
Il fe trouve actuellement dans les magafins
des Douanes & des Bureaux de l'Accife ,
1,300,000 gallons de liqueurs fpiritueufes ,
faifies en contrebande , depuis l'acte paffé le
10 Octobre 1784.
Les droits que ces liqueurs auroient payés,
fi elles euffent été importées légitimement ,
feroient montés à près de 500,000 liv . fter!.
L'affaire de M. Haftings fait naître toutes
les femaines des digreffions , des débats ir
réguliers , des motions inutiles à l'objet , qui
confument un temps prodigieux en exercices
d'art oratoire. De ce genre , ont été les débats
du 17 ; comme ils avoient pour objet les
négociations de M. Haftings avec l'Empereur
du Mogol , il n'eft pas inutile d'entendre ce
qui fut dit de part & d'autre.
M. Fox ouvrit la fcene par demander la lecture
des arrêtés préliminaires du 28 Mai 1784.
Cette lecture faite , il expofa les principaux
objets de la motion qu'il alloit faire pour établir
; 1 °. La néceffité de la refponfabilité pour
les places qui donnent un grand pouvoir aux
perfonnes qui les occuperont. 2 °. Celle des enquêtes
, fans laquelle la premiere condition devenoit
nulle. 3°. Celle de la production non
moins indifpenfable de tous les titres & papiers
qui doivent fervir de pieces au Procès. Tel
166 )
étoit l'objet des arrêtés du 28 Mai 1784. Le but
du Parlement , en leur donnant ſa ſanction unanime
, avoit été de mettre entre les mains des
Dire&eurs de la Compagnie des Indes l'autorité
néceffaire , pour que leurs ordres ne fuffent peint
méprifés comme ils l'avoient été jusqu'alors
& ces arrêtés avoient été envoyés dans l'Inde ,
pour que les Employés de la Compagnie fuffent
inftruits des conféquences qu'entraîneroit
la contravention à ces ordres . Mais il eft réfulté
de cette loi précifément le contraire de
ce que l'on devoit en attendre. Les Directeurs
ont continué de donner leurs ordres , & leurs
prépofés d'y contrevenir. Il cita un exemple
de cette défobéiffance dans la perfonne de
M. Haflings. « Celui - ci , dit- il , a fait une al-
» liance défenfive avec le grand Mogol , contre
les ordres pofitifs de la Compagnie , & au
mépris d'un acte du Parlement qu'il avoit
fous les yeux. Mais ce n'eft pas tout . Après
s'être rendu conpable d'un délit capital en
contractant celte alliance , il a l'audace de
o la violer , & fait rejetter fur toute la Nation
» au nom de laquelle il étoit cenfé avoir con-
сс
tracé , l'opprobre dont il fe couvre par un
Dattentat auffi révolant contre le droit des
gens & la foi publique ». M. Fox lut à
l'appui de ce fait , quelques paffages d'une Let
tre du Major Brown , l'Agent de M. Haftings ,
à la Cour de Delhi. Il fit fentir combien il
étoit néceffaire pour rétablir l'honneur Britannique
dans l'Inde , de prouver que la Nation
n'a point été complice des horreurs commi'es
en fon nom ; & attaqua enfuite , les Miniftres fur
Te danger de communiquer avec certaines dépêches
, le fecret de leurs opérations . Il réprouva
le fyftême de ménagement & de di(
67 )
rection , comme directement contraire à la Conă
ftitution Britannique , & beaucoup plus propre
à l'outrager qu'à la défendre , en fourniffant
aux Miniftres & à leurs créatures un moyen affuré
, pour fouftraire les attentats les plus énormes
à la vindicte de la loi. Il infifta , fur-tout
à cette occafion , fur ce qu'il ne fût point donné
des pouvoirs plus étendus au nouveau Gouver
neur Général du Bengale , quelque refponfabilité
que l'on affectât d'attacher à cette place ,
expreffion ridicule , & même infultante pour la
Nation , tant que les Miniftres auront le pouvoir
de fouftraire les délinquants aux enquêtes fur
leur conduite. M. Fox termina fon difcours par la
motion fuivante : « Qu'il fût mis fous les yeux
» de la Chambre un extrait des Confultations
du Bengale , du zo Janvier , 1784 , fur tout
» ce qui a quelque trait à une Lettre du Major
Brown , du 7 Septembre 1783 .
M. Pitt nia hautement que le Major Brown
n'eût été en aucune manière autorité par M.
Haftings , à conclure un traité d'alliance avec
Shaw Allure , & affirma que cet Officier avoit
lui-même écrit le contraire dans une autre Lettre.
Quant à la production des papiers demandés
, il continua d'alléguer l'importance du fecret
qui rendait cette communication abfolument
impoffible. M. Sheridan repondit au Minire
, que ce prétexte étoit ridicule , puifque
Madjec Scindra , actuellement en poffeffion du
Mogol , l'étoit auffi du prétendu fecret auquel
on attachoit tant d'importance . Il effaya de prouver
que cette do &rine étoit abfolument nouvelle
au moins dans les affaires de la Compagnie
des Indes & directement contraire à la
Lettre de la Chartre , qui dit expreffement
qu'il n'y aura tien de fecret , dans aucune de
( 68 )
fes opérations. Il cita à l'appui de' cette Loi ,
l'exemple de Lord Clive , qui fubit une enquête
fans qu'on s'avifât de s'y oppofer par
aucun moyen de cette efpece , & enfin celle fur
M. Haftings lui-même , dirigée par M. Dundas ,
& pour laquelle on lui fournit tous les papiers
néceffaires fans aucunes difficultés.
L'honorable Membre ( M. Shéridan ) qui vient
de parler , a traité la queftion de l'Inde d'une maniere
fi extraordinaire , que je ne puis revenir de
mon étonnement. Quoique je ne me fente pas la
force de le fuivre dans fon vol fublime , je n'en
effaierai pas moins , par une expofition fimple &
fidelle des faits , de rendre le fujet qu'il a voulu
traiter , intelligible à la Chambre. Je n'aurai jamais
la préfomption , fans doute , d'entrer en
lice avec cet honorable Membre , lorfqu'il ne
s'agira que de montrer des talens , de faire briller
de l'efprit & de l'adreffe ; mais ne puis - je pas
prétendre , fans vanité à quelque fupériorité tur
lui dans la connoiffance des affaires de l'Inde ,
après un féjour de feize années dans ces contrées
?
A la fuite de toutes ces déclamations contradictoires
, le Major Scott ramena la Chanbre
à la véritable fource de vérité , c'eſt àdire
, aux faits , dont il préſenta l'hiftorique
en ces termes.
Avant de désailler les circonstances des négociations
du Major Brown , qu'il me foit permis
de m'arrêter d'abord fur une fuppofition trèsextraordinaire
, qui fe trouve à la fin du difcours
auquel je réponds , & dont un autre Membre
( M. Fox ) a fait auffi mention dans un débat précédent.
Entr'autres manieres adoptées par ces
Meffieurs , pour rendre raifon de l'offre faite Far
( 69 )
le Major Brown au Gouvernement Britannique
du Bengale , d'affifter le Roi de troupes , ils difent
que cette offre étoit entiérement du goût de M.
Haftings ; & ce qui rend , felon eux , cette offre
fufpe&te , c'eft que ces troupes ne devoient pas'
être commandées par des Officiers anglois. On a
conclu & on a fait clairement entendre à la
Chambre , que dans le tems où cette propofition
vint de la part du Major Brown , M. Haftings
avoit été inftruit de certains événemens qui fe
paffoient en Angleterre, fur- tour du bill de l'Inde
de l'honorable Membre ( M. Fox ) , & qu'il cherchoit
à fe procurer une retraite fûre à Delhi , où
il pût braver la puiffance de la Grande - Bretagne.'
La plus légere attention aux dates fuffit pour détruire
cette accufation. L'offrepour les troupes fut
faite dans le mois d'Octobre 1783 , & ce ne fat
que dans le cours du mois fuivant que le bill fut
préfenté. On ne fuppofera certainement pas que
j'euffe la moindre idée des principaux points de
ce bil, puifque le Chevalier Henri Flether même
qui étoit le Président de la Cour des Directeurs , a
déclaré l'avoir ignoré entiérement jufqu'au moment
qu'il fut propofe à cette Chambse. Ce foupçon
eft abfurde. Dans le mois de Mai 1784 , M.
Haftings avoit été inftruit par moi que le bill avo't
été lu deux fois & mis en comité. Dans fa réponíe
ilm'annonça quel feroit le fort du bill ; il y difoit
expreffément qu'il ne pafferoit point ( Cette
lettre a été lue de plufieurs Membres ). Mais il
ajoutoit que quant à lui , ce bill ne l'affectoit en
aucune maniere , puifque toutes les Puiffances de
la terre ne le retiendroient pas une année de
plus dans l'Inde , à moins qu'on se le revêtît en
Angleterre d'une autorité complette , ce dont il
n'avoit pas la moindre efpérance . M. Haftings tint
parole ; car il fe décida à partir en Février 1783 ,*
( 70 )
17 jours avant que fon fucceffeur eût été nommé
en Angleterre.
Mais admettons pour un inftant que M. Haſtings
reffentant vivement les reproches non mérités
dont on l'accabloit en Europe , pour le récompenfer
d'avoir confervé l'Empire de l'Inde à la
Grande- Bretagne , eût pris la réfolution de réfilter
à ce Bill ; eft- il à fuppofer qu'un plan auffi abfurde
, aufli ridicule , que celui que les deux homorables
Membres lui ont prêté , eût pu entrer
dans fa tête ? Peut - on croire qu'il eût voulu ſe
livrer à la merci de fix miférables bataillons de
Cypayes , fans Officiers Anglois , dans un pays
où il y a eu , pendant les dix dernieres années ,
prefqu'autant d'affaffinats & de révolutions que de
mois dans chaque année ? Il ne faut pas avoir la
moindre connoiffance de l'Inde pour le livrer à
cette idée . Un pareil projet n' uroit pu lui réuffir
qu'en agiffant de concert & dans un parfait accord
avec les Anglois établis dans l'Inde, Mais
M. Haftings à Delhi auroit joui de beaucoup
moins de confidération que M. Haftings à Londres
. D'ailleurs , il n'auroit pas été difficile
à ce Gouverneur de faire cauſe commune avec nos
compatriotes établis dans l'Inde , qui , mécontens
& indignés des traits lancés contre eux pendant
tout le cours des progrès du bill de l'honorable
Membre ( M. Fox ) , & s'attendant à être deſtitués
de leurs emplois par les nouveaux Commiffaires
, au lieu d'être récompenfés des fervices
vraiment importans qu'ils avoient rendus à la
Grande - Bretagne & à la Compagnie , durant la
guerre qui avoit été fi malheureufe par- tout ailleurs
, n'auroient peut être pas refufé de s'unir à
un chef qui étoit univerfellement eftimé , s'il
avoit eu les idées qu'on luiimpute fi gratuitement.
Mais pourquoi s'égarer dans toutes ces vifions
( 71 )
chimériques ? La vérité eft que M. Haftings n'a
voit à coeur que de terminer les affaires de la
Compagnie avec le Vifir , & de s'embarquer pour
fon pays natal.
Je paffe maintenant à l'expofé fimple & exac
des faits , pour répondre à tous les contes ingénieux
que l'honorable Membre nous a débités .
Ce fut le 20 du même mois d'Août 1782 , que
le Major Brown fut nommé par le Gouverneur
général & par le Confeil , & non par M. Haf
tings, Miniftre de la part du Gouvernement Bri
tannique au Mogol . Les inftructions furent données
à M. Haflings , au fu & avec la concurrence
du Confeil. On n'a point conteſté l'utilité de cette
ambaffade. Dans le mois de Mars 1783 , les ré
folutions de la Chambre furent annullées . Dans
le mois d'Octobre de la même année , avant que
le Major Brown eût eu une entrevue avec le Sou
verain du Mogol , Sa Majefté & fon Miniftre firent
propofer au Gouverneur général & au Confeil de
l'affifter de troupes . La paix des Marattes qui
n'avoit pas été ratifiée lorfque le Major Brown
fut député , étoit entiérement terminée à l'époque
de la demande des troupes . M. Haftings recom
manda d'avoir égard à la requête du Roi , mais
le Confeil - Suprême s'y refufa , & l'affaire en
reta là . Il eft néceffaire d'obferver que dans
ce tems , & depuis quelques mois , il y avoit de
très-violentes difputes dans le Confeil , & que
M. Haftings étoit dans la minorité . Ces difputes
continuerent jufqu'à la fin du mois de Décembre,
auquel tems le Bureau confentit à laiffer à M.
Haftings l'adminiftration de la Province d'Oude,
à condition qu'il déchargeroit les Membres du
Confeil de toute refponiabilité ; il y confentit.
Ce fut le 20 Janvier 1784 , que la lettre du Major
Brown , du 30 Décembre 1783 , fut reçue à
( 72 )
Calcutta , & envoyée circulairement aux autres
Membres du Gouvernement. L'affaire d'Oude
Occupoit alors tous les efprits , & deux mois auparavant
le Bureau avoit déclaré vouloir affifter le
Roi. Dix jours après cet événement , M. Haftings
qui étoit alors dans une minorité , quitta Calcutta ,
& fe borna expreflément à l'exécution de l'affaire
dent il étoit chargé , ſavoir , à aider au Vifirà
remettre l'ordre dans fon pays , & à recouvrer les
detres que ce Prince avoit contractées envers la
Compagnie. C'eft donc dans le Confeil de Calcutta
, qui n'étoit pas alors porté pour M. Hafrings
, que réfidoit le pouvoir de rappeller le
Major Brown . Il ne fut cependant pas rappellé.
Au contraire , lui ou le Roi renouvellerent la
même demande de fecours militaires . Dans le
mois de Mai , tandis que M. Haftings étoit occupé
d'arranger les affaires du Nabab Vifir , le Prince
arriva dans le voisinage de Lucknow , & je puis
affurer comme un fait , d'après les affurances folemnelles
de M. Haftings , & de ceux qui étoient
alors avec lui , qu'il ignoroit tout -à - fait la fuite
de ce Prince. Le Gouverneur fit tout ce qui dépendoit
de lui pour l'empêcher d'entrer à Lucknow;
mais n'ayant pu y réuffir , il jugea à propos
de le recevoir d'une maniere conforme à fa dignité
& à fon rang dans l'Indoftan . Sa réponſe au
Prince fut certainement très -fage , & fondée fur
la vérité. Le Roi & fon Miniftre envoyerent enfuite
une ambaffade folemnelle pour demander le
retour du Prince , & le Major Brown fut chargé
d'ordres particuliers de la part du Roi. Soit que
M. Haftings eût raifon ou tort , eft certain qu'il
crut que c'étoit-là le moment favorable d'affifter
le Roi. Il preffa vivement fon Confeil de lui en
accorder le pouvoir. On lui fit un refus péremptoire
, & cette feconde négociation n'alla pas plus
loin,
( 73 )
loin . M. Haflings ne mit jamais dans l'efprit du
Roi ou du Prince , qu'il eût la moindre autorité
pour les affifter , fans en avoir reçu préalablement
la fanction du Confeil- Suprême.
Qu'il me foit encore permis d'obferver que le
voyage de M. Haflings à Lucknow , n'avoit aucune
espece de liaison avec les négociations du
Major Brown. Il y avoit eu de très - vives difputes
à Lucknow entre le Vifir & Hyder - Beg- Cawn
d'un côté , & M. Briftow de l'autre. On en avoit
renvoyé la décision à Calcutta , & l'avis de
M. Haftings à ce fujet , avoit entiérement différé
de celui de fon confeil. Cette diverfité d'opinion
avoit continué depuis le mois de Mai , jufqu'en
Décembre 1783 , temps auquel le Confeil confentit
à céder à l'opinion de M. Haftings , pourvu
qu'il voulût répondre du paiement de la dette
de la Compagnie. Il fe formir à cette condition ,
& fe prépara , d'après l'invitation du Vifir , à fe
rendre à Lucknow. Son offre fut acceptée par le
Bureau , & fes pouvoirs fe bornerent à deux
points ; favoir , celui d'affifter le Vifir , & de recouvrer
les fommes dues par ce Prince à la Compagnie
. N'eft- il pas étrange de conclure , d'après
ce que M. Haftings avoit déclaré au Confeil ,
que fon opinion étoit qu'il pourroit afſiſter efficacement
le Roi , & rendre fa fituation beaucoup
plus agréable qu'elle ne l'avoit été depuis plufieurs
années , fi on lui accordoit des pouvoirs
fuffifans ? Il vouloit par- là engager la Nation
dans une autre guerre. La réuffite qu'il eut dans
fa miffion à Lucknow contre l'attente générale,
forme une présomption très forte , qu'il feroit
venu à bout de ce qu'il avoit promis relativement
au Roi.
L'honorable Membre a affuré que le Vikr
n'avoit point d'armée , à l'exception de nos trou
No. 14, 8 Avril 1786
d
( 74 )
pes ,_commandées par des Officiers Britanni
ques. D'où a- t - il donc tiré cette information ?
L'armée du Vifir confifte au moins en co mille
hommes , dont 15 mille font de cavalerie . Toutes
les troupes que nous avons dans fon pays ,
font une brigade à Cawnpore , fix baraiilons à
Futtyghear , & un petit corps à Lucknow ; mais
fa propre armée est très confidérable . Je puis
déclarer à l'honorable Membre , que je n'ai vu la
lettre fecrete de M. Haftings , écrite le 16 Juin
1784 , au Comité fecret de la Cour des Direteurs
, que depuis que cette question a été agitée.
Il paroît par cette lettre , qu'il avoit donné
aux Directeurs l'avis le plus prompt de fes vues
en faveur du Roi de Delhi , & de la maniere
dont elles avoient été rendues inutiles , par le refus
que le Confeil avoit fait de lui accorder les
pouvoirs néceffaires .
M. Haſtings n'étoit pas revêtu de pouvoirs ; le
Confeil continua à les lui refufer , & le Gouvernement
ne fit rien dans cette affaire ; mais étoit- ce
un crime en lui de les demander , pour rendre ,
à ce qu'il croyoit , un fervice agréable au Mogol
, à cette Nation , & à la Compagnie des
Indes ? &c. & c .
Après , quelques autres difcours moins
importans , la Chambre paffa aux fuffrages,
& la motion de M. Fox fut rejettée à la pluralité
de 140 voix contre 73.
M. Pitt fixa encore l'attention de la Chambre
fur un objet qui demandoit la décifion la plus
prompte. Il dit que le Voorberg , vaiffeau de la
Compagnie des Indes Hollandoiſes , avoit été
contraint de relâcher à Darmouth par la violence.
des venis ; que l'équipage de ce vaiffeau étoit
attaqué d'une maladie épidémique fi maline ,
( 75 )
qu'elle avoit allarmé les habitans de Darmouth
au point qu'ils ne laiffoient débarquer perfonne du
vaiffeau . Il expofa à la Chambre que cette dé
fenfe mettoit l'équipage dans le plus grand danger,
& que fi le Parlement n'apportoit un prompt remede
à leur état affligeant , ces étrangers périroient
tous infailliblement. Sa Majesté & fon Confeil
n'étant pas autorisés à prendre de mesures décifives
dans cette affaire , il propoſoit à la Chambre
de pafler un Bili , par lequel elle nommeroit
des Commiffaires pour conftruire dans un endroit
écarté des logemens volans propres à recevoir
l'équipage du vaiffeau hollandois . Il ajouta qu'il
efpéroit que ce Bill n'éprouveroit aucune oppofition
; un Médecin de Darmouths'étant tranf
porté à bord de ce navire , avoit reconnu que
fa maladie n'étoit nullement peftilentielle ; & ,
attendu l'urgence du cas , il demanda que la
Chambre di pensât ce Bill des formalités ordinaires
, afin qu'il pût être paffé le jour même.
En conféquence , le Bill fut préſenté , lu une
premiere & une feconde fois , remis à un Comité
, lu une troifieme fois , approuvé & envoyé
à la Chambre ftante où il paffa avec les mê
mes formalités .*
Suivant les dernieres lettres de la Jamaïque
, l'Amiral Innes ne reviendra pas en
Angleterre. Mais tous les vaiffeaux de fon
efcadre s'y rendront , excepté l'Europa , de
so can. qui eft en bon état.
Le projet de conftruire des vaiffeaux de 80
canons avec deux batteries feulement , n'eft rien
moins qu'une nouvelle invention . Il y a déja longtems
que la Fance & l'Espagne l'ont adoptée.
Il y a actuellement dans la marine Argloife deux
vaiffeaux de cette efpece pris fur ces Puiffances ;
dz
( 76 )
favoir , le Gilbraltar , ci- devant le Phénix , pris
en 1780 , dans le combat entre les Amiraux
Rodney & Langara , & le Foudroyant pris fur
les François dans la Méditerrannée , en 1758 .
Ces bâtimens font incontestablement d'excellens
voiliers; mais il ne faut pas croire pour cela que
ces 6 canons de plus leur donnent un grand avantage
fur les vaiffeaux de 74 , fur- tout quand on
penfe à la différence énorme du prix de leur
conftruction . En effet , les membres , les mâtures
, & les agrès de toutes efpe ces des vaiffeaux
de 80 à deux ponts , font plus forts d'échantillon
, que ceux des vaiſſeaux de 90 à trois ponts.
D'ailleurs un fait remarquable , c'eft que le Foudroyant
, quoiqu'il fût de 80 canons , fut pris par
un vaiffeau de 74.
Le fieur Thomas Jefferfon, Miniftre plé
tipotentiaire des Etats -Unis de l'Amérique
à la Cour de France , arrivé à Londres ces
jours derniers , a eu l'honneur d'être préfenté
au Roi & à la Reine par le fieur John
Adams , pareillement Miniftre plénipotentiaire
des Etats -Unis d'Amérique à la Cour
d'Angleterre .
Le 23 , on a tiré à Guildhall la Loterie du
Chevalier Ashton Lever , qui avoit mis en
vente de cette maniere , le magnifique Mufeum
dont il étoit propriétaire. Cette fu
perbe collection eft échue au n°. 34,119 appartenant
àun Procureur, nommé Parkinſon.
La Loterie étoit compofée de 36 mille billers ;
le Chevalier Lever en avoit gardé 28 mille ;
ce lot unique eft évalué au moins 20,000 1. ft .
Le mariage de Madame Fitz - Herbert
Occupant toujours la curiofité publique ,
1
( 77 )
les Papiers publics donnent les détails
fuivans fur fon origine,
Madame Fitz- Herbert , eft fille de Walter
Smith , Ecuyer de Rouge Caftle , dans Shropshire
, & niéce du Chevalier Elouard Smith
d'Acton Burnell , dans la même Province.
Elle avoit époufé en premiere nôces John-
Weld , Ecuyer de Lulworth Caftle , dans le
Comté de Dorfet , qui étoit veuf , & dont la
premiere femme s'appelloit Julie , fille de Robert
Jumes , feu Lord Peltre.
Après la mort de Mr. Weld , elle épousa en
feconde nôces Mr. Fitz- Herbert , Ecuyer de
Swinnerton , dans Straffordshire , qui mourut
en 180 , dans une circonftance digne d'être
rapportée. Il étoit un des Spectateurs confondus
dans la populace , lors de l'incendie de l'Hô : el
du Lord Mansfield, dans Bloomsbury Square ;
comme il avoit extrêmement chaud lorfqu'it
rentra chez lui , il prit auffi tôt un bain froid ,
qui lui occafionna une fievre mortelle.
Madame Fitz- Herbert eft niéce du Lord Selton
, & de M. Errington de Stable - Yard , dans la
quartier de Saint-James. Elle n'aura que trenteun
ans au mois d'Octobre prochain. Elle n'a pas
eu d'enfans de fes deux maris Après la mort de
Mr. Fitz-Herbert , elle quitta l'Angleterre , &
vécut trois ans fur le Continent . De preffantes
follicitations la ramenerent en Angleterre .
Madame Fitz - Herbert a pris une maison dans
Saint James Square , occupée ci devant par le
Lord Uxbridge.
Le Statut que nous avons rapporté l'Ordinaire
dernier fur les mariages de la Famille
Royale , n'a , il eft vrai , pas prévu le cas où
l'Héritier de la Couronne , dans un Etat denţ
d 3
( 78 )
le Monarque n'eft que le premier fujet de la
Loi , fe marieroit fans l'aveu & contre le gré
du Roi fon pere & du Souverain ; mais les
claufes de ce Statut , relatives aux branches
cadettes de la poftérité de George II , font
fans doute encore plus applicables aux defcendans
immédiats de George III.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 29 Mars.
04
Le Prince de Talmond , le Marquis Alphonfe
de Durfort Boiffieres , le Comte de
la Laurencie , le Comte de Mouffy de la
Contour , le Comte de Méhérenc - Saint-
Pierre , le Vicomte de Méhérenc - Saint-
Pierre , le Comte de la Roque - Menillet , le
Comte de Pluvié , le Vicomte de Pardieu ,
le Vicomte de Carbonnieres , le Chevalier
de Dampierre , le Chevalier de Lambilly ,
le Comte de Guillaumanches du Bofcage &
le Marquis de Guillaumanches du Bofcage ,
qui avoient précédemment eu l'honneur d'ê
tre préfentés au Roi , ont eu celui de monter
dans les voitures de Sa Majefté & de la fuivre
à la chaffe ; le premier le 20 de ce mois ,
le fecond & le troifieme le 23 , & les onze
autres le 24 du même mois.
ན
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné , le 26 de ce mois , le contrat de mariage
du Marquis de Rayenel , Capitaine au
régiment Royal, Cavalerie , avec Dame de
( 79 )
Rothe , Chanoineffe- Comteffe de Neuville ;
& celui du fieur de Chaumont de la Milliere ,
Maître des Requêtes , Intendant général des
Hopitaux & des Ponts & Chauffées , avec ,
Demoitelle Poulletier de Périgny.
La Vicomteffe de Mory & la Comteffe
d'Ourches ont eu l'honneur d'être préfentées
à Leurs Majeftés & à la Famille Royale ; la
premiere par la Ducheffe de Béthune , & la
feconde par la Marquife de Beauffer.
Le 25 , le Roi a créé Duc héréditaire le
Comte de Tavannes , Chevalier d'honneur
de la Reine , qui portera le nom de Duc de
Saulx- Tavannes. Le lendemain , il a et
l'honneur de faire , en cette qualité , fes remercîmens
à Sa Majesté .
185 Avril
,
DB PARIS , le
On équippe à Breft la frégate la Proferpine
, qu'on croit deftinée pour l'Inde. On
s'y occupe également d'armer plufieurs corvettes
, lougres & autres petits bâtimens de
guerre , dans le deffein , dit on , de former
une efcadrille l'Eté prochain , pour exercer
les Officiers & les équipages de la Marine.
Ces bâtimens , à ce qu'on débite , feront au
nombre de 21. On arme aufli un vaiffeau
neuf de 74 can. appelé le Patriote.
L'Académie Royale des Infcriptions &
Belles Lettres a aggrégé M. le Préſident de
S. Vincent au nombre de fes membres
d
4
( 80 )
comme Affocié Libre regnicole , à la place
vacante par la mort de M. Grofley.
Toutes les Feuilles publiques ont parlé
d'un vol fait à Lyon , il y a quelques mois ,
de la caiffe de M. Finguerlin & Compagnie ,
Banquiers Suiffes à Lyon. Voici ce qu'on
écrit de cette derniere ville , en date du 22
Mars.
Vendredi 17 de ce mois , à 10 heures du
foir , on a arrêté deux hommes , rue des Maronniers
; l'un nommé Gonin , Loueur de chevaux ,
demeurant rue Mulet ; & l'autre nommé Biel ,
Cordonnier demeurant rue Gentil . Gonin ,
homme vigoureux , étoit armé d'une ganne à
épée & d'un long poignard , dont il a bleffé affez
griévement un Records & un malheureux Patron
appellé comme main forte , pour qu'ils foient
morts tous deux de leurs bleffures à l'Hôpital où
on les a apportés fur le champ. Bael , le Cordonnier
, étoit armé de deux piftolets dont il n'a pu fe
fervir.
Ces deux hommes foupçonnés d'avoir eu part
au fameux vol fait chez MM. Finguerlin & Scherrer
, l'ont avoué dans leur interrogatoire. Gonin
a déclaré avoir reçu pour la part 30000 liv. , &
il a défigné l'endroit où il avoit enfoui cette
fomme ; on y eft allé , & on l'a trouvée.
Le chef de cette entrepriſe a été nommé par
ces deux coquins ; c'eft Antoine Thevenet , du
quartier Saint- Georges , homme vraiment unique
pour les grandes conceptions de la friponnerie
& du vol. Il avoit à Lyon quatre domiciles &
une Maitreffe en titre , nommée la Comteffe , &
qui eft arrêtée,
Cet Antoine changeoit à fon gré de nom,
de coftume & d'état ; tantôt Officier , tantôt
( 81 )
Commerçant tantôt Jurifconfulte ; il avoit
dans l'un de fes domiciles , une bibliotheque ,
dans l'autre divers uniformes , & dans un troifieme
on a trouvé de très belles nippes de femme.
Il excelloit dans la Serrurerie , & à la fimple infpection
d'une clef, il en faifoit une pareille pour
s'en fervir au befoin ; il avoit auffi contrefait
toutes les clefs des magafins & comptoirs de M.
Finguerlin , & fes complices ont déclaré qu'à
l'aide de ces clefs , ils étoient entrés de nuit à
plufieurs repriſes ; mais comme Antoine étoit
inftruit que M. Finguerlin devoit avoir incef
famment une fomme très- conſidérable , il dé
daigna de le voler , avant que le tréfor du Puyen
-Velay fût arrivé chez lui.
Cependant toutes les mefures avoient été prises
d'avance , pour bien cacher la totalité du vol
médité. Gonin avoit loué depuis long temps une
care d'un nommé Delorme , Pâtiflir , rue Batd'argent
, à fix maifons de diftance de celle de
M. Finguerlin ; & c'est là que le vol de plus
de 400,000 liv. , du 30 Décembre dernier , s'eft
dépoté en entier. Il y demeura jufqu'au 20 Fé,
vrier , que la répartition en fur faite affez iné
galement entre les affociés ; Gonin & Bael s'en
plaignent.
Les autres intéreflés dans cette grande affaire
font deux freres nommés Picard , de éurant à
la montée de la Glacière ; deux particuliers en
manteau bleu , que Gonin & Bael difent ne
point connoître , & un homme de peine inconnu
auffi, auquel on a donné cent louis pour
avoir aidé au tranfport des efpeces . Ces trois
derniers font des affidés du fieur Antoine.
Le concert de ces huit homme réunis
exigé que deux heures de temps pour
mer ce vol magnifique ; & Antoine
d
( 82 )
la
s'eft alloué à lui feul plus de 200000 liv. dans
part du butin. Il a écrit auffi les lettres qu'on
a reçues , & fait le renvoi à M. Finguerlin.
Les Juges qui ont fait cette premiere inftruction
y ont employé la nuit entiere du Samedi
au Dimanche ; & le lendemain ils ont fait conduire
Gonin en voiture dans les différens domiciles
des complices qu'il a indiqués . On a
affiché à Lyon , & envoyé par-tout le fignalement
de fes complices , & notamment celui du
fameux Antoine , dont la réputation avoit été
déjà divulguée par un de fes camarades , enfermé
à Bicêtre.
Il s'eft paffé à Beauvais un événement tragique
, dont le Spectacle dans les villes de
garnifon n'eft que trop fouvent l'occafion .
Un particulier de Beauvais nous mande en
ces termes les détails de cette fcene , détails
de la parfaite exactitude defquels nous ne
répondons pas , n'en ayant pas été témoins.
Monfieur , le Dimanche 19 Mars , un Militaire
tenoit une porte ouverte fur le théatre
pour jouir du fpectacle. Le Parterre trouvant
mauvais qu'on lui ôtât ainfi l'illufion de la piece ,
cria unanimement fermez la porte. Le Milizaire
fentant bien fon tort , fe rendit aux voeux
réitérés du Parterre , malgré la défense de plu
Geurs de fes camarades . Le lendemain il reçoit
des reproches fur fa lâche complaifance pour un
Parterre auffi mal compofé , & on lui dit qu'on
lui feroit bien voir comme on moriginoit un Parzerre
de cette espèce . Le jour étoit fans doute
pris pour le Dimanche fuivant 26 Mars la
foule étant d'ordinaire plus grande , elle le fut
effectivement . Trente , Militaires à peu près
Occupoient des deux côtés les places fur le des
9
( 83 )
vant du théatre , au point que plufieurs Dames
s'étant préfentées au Bureau , ayant appris que
tout étoit occupé , fe retirerent . J'arrive à l'Orcheftre
, & j'entendis le Parterre crier unanimement
: bas le chapeau . Je vis que c'étoit un G ...
du-C .... , M. de L. , qui occafionnoit ce tumulte
, & qui , bien loin d'avoir égard à la récla
mation du Parterre , lui répondit par des grof
fieretés.
Le Parterre redouble fes cris ; le fieur de L. ,
premier moteur , gardant toujours fon chapeau
veut prendre fon tabouret pour le lancer au Parterre
il en eft empêché par d'autres de fes camarades
, qui avoient médité fans doute un autre
coup d'éclat . On leve le rideau , dans l'efpérance
que le fieur de L. devenu plus honnête
fe decouvriroit , & feroit par là ceffer les juftes réclamations
du Parterre. L'efpérance fut trompée,
les cris continuerent toujours . Le fieur de L.
reçut ordre de fon Supérieur d'ôter fon chapeau.
( Je ne peux cependant pas affirmer cette circonftance
, l'ayant feulement entendu dire ) ;
mais je l'ai vu renfoncer fon chapeau , un de
fes camarades à côté de lui prendre le fien & s'en'
coeffer ; tous les autres de le fuivre auffi tôt. Les
cris redoublent encore : au même inftant le fieur
L. fe précipite des premieres loges dans le Parterre
, l'épée nue & la pointe baffe ; il eft bientot
fuivi du fieur L. , des fieurs G. , M. , de L. ,›
le moteur de tout , & de quelques autres. Ils
commencent leur carnage dans le Parterre ; d'autres
encore du haut des Loges , piquoient aut
hafard dans le Parterre , d'autres avoient été
s'emparer des portes de fortie , & perçoient à
travers les grillages les perfonnes qui defcendoient
des fecondes Loges , né voulant pas être
fpectatrices de cette fcene. D'autres encore occu¿-
d 6
( 84 )
poient le Théatre , & empêchoient de fe fauver
ceux qui en avoient par- là la facilité. Un jeune
homme marié depuis deux ans , dont la femme
eft prête d'acoucher , y a été indignement affaffiné,
& eft mort dix minutes après le coup. Vinge
perfonnes au moins ont été bleffées , dont quatre
affez grievement. On rétablit du mieux qu'il fut
poffible la baluftride qui fépare le Parterre del'Orchestre
, d'où je m'étois retiré , ainfi que lès
autres Amateurs & Muficiens , affez à temps pour
ne pas être écraſé par fa chûte. Après cette légere
réparation , on joua la petite Pièce : vous devez
bien penfer que les Sp dateurs encore effrayés n'y
prirent pas beaucoup de part . Dans l'intervalle
des deux Pieces , la feconde Piece étant commencée,
ils reçurent ordre de l'Etat Major de fe
rendre à l'Ordre . Le bruit de la mort du jeune
homme s'étant bientôt répandu , on fit cefler le
Spectacle. Voilà , Monfieur , le récit exact de
cette querelle meurtrière. J'ai l'honneur d'être ,
un de vos Abonnés
Beauvais , ce 29 Mars 1786.
La noble conduite des foldats du régiment
de Picardie a mérité de grands &
juftes éloges . Mais rien de moins rare que
les traits de défintéreffement & de générosité
donnés en pareille occafion par le Militaire
François. Entre mille qu'on en pourroit citer
, nous prenons au hafard celui- ci qui fe
trouve configné dans le Tome XII de l'Hon
neur François , par M. de Saci , pag. 93 .
M. le Comte de Behague , aujourd'hui Maréchal
de amp , eut le mêm courage & le
» même bonheur . Je ne crains point d'affocier
» à ce nom celui de Bouffard : ' un étoit illufire
, l'autre illuftr.. Une même gloire a
( 85 )
placé fur la même ligne le Cammandant de
" Belle-Ide , & le Pilote de Dieppe ; le bâtiment
la Magdelaine , défemparé par un coup de
vent , fut jetté entre les rochers dont le rivage
de cette ifle et hériffé ; le Comte de
Benhague oublie en ce moment combien fa
» vie importe à la fureté de l'Ifle . Suivi de quel
» ques marelots , de quelques grenadiers de la
"
Marine & de Nivernois ( 1 ) ; il s'avance le
» premier , fautant de roc en roc , s'y attachant
» lorfque les vagues le couvroient & alloient
» l'entraîner , portant dans les mains le falut
des Matelots ; c'étoit un greflin qui fut lancé
fi à propos que l'équipage s'en faifit & s'y
attacha ; mais bientôt une vague énorme &
furieufe met en piece le vaiffeau , & entraîne
les matelors à la mer. Le Commandant , les
grenadiers , tous arrelés au grafin , les atti-
>> rent aux rochers ; ils étoient fans connoiffan
» ce ; les grenadiers les couvrent de leurs ha-
» bits , & les récompenfes offertes à ces braves .
» font diftribuées par eux mêmes aux malheu
reux qui leur doivent la vie ».
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le iI de ce
mois , font : 49 , 28 , 10 , 90 , & 79.
သ
4
PAYS - B A S.
DE BRUXELLES , le 1 Avril.
Un Perruquier de la Haye , nommé Moran,
ayant arrêté le carrole où rouvoit
le Bourguemeftre de Dordrecht le fieur
Gyzelaar , Penfionnaire de la même ville , à
(1 ) Aujourd'hui le Maréchal de Turene
?
1
Y
( 86 )
Inftant où ils fortoient de l'affemblée des
Etats par la Porte Stathoudérienne , on l'a
arrêté , jugé , condamné ; mais à la demande
des Offenfés , les Etats de Hollande lui
ont remis la peine de mort que portoit la
Sentence , & il finira fes jours dans une prie
fon perpétuelle.
Les habitans d'Utrecht , qui demandent
l'abolition du Réglement fondamental de
1674 , ont de nouveau invefti le 20 le
Confeil de Régence à 8 heures du matin ,
& ne l'ont quitté qu'à minuit. Les plus prudens
de ces Magiftrats avoient abfenté le
Confeil & la ville . Parmi les fiégeans , 14
des plus intimidés fignerent qu'au 20 Octobre
ils accepteroient le nouveau ferment..
Les autres refterent attachés à la précédente
réfolution. Les deux Bourguemeftres entr'autres
ont proteſté contre ces violences ,
qui ne font pas à leur terme. Voila la troifieme
fois que ce Confeil fait & défait fes
arrêtés les plus folemnels , & malheureuſement
les Etats de la Province , feul Souverain
, ne font ni ne peuvent rien pour tempérer
un peu cette anarchie.
Les lettres de Lisbonne du 22 Février ,
renferment de nouveaux détails fur le naufrage
du S. Pierre d'Alcantara.
Ön reçoit de tems en tems , difent- elles , des
nouvelles plus ciconftanciées du naufrage du
vailleau de Régiftre Efpagnol , le Saint Pierre
d'Alcantara. Le Lieutenant François Querada
coufin- germain de l'Ambaladeur d'Eſpagne à
4
>
( 87 )
Notre Cour , attribue la perte de ce navire à
une méprise de 75 miles ; mépriſe pardonnable,
puifque depuis les Ifles Açores, jufqu'au moment
où le vaiffeau a péri , le tems avoit été fi obfcur ,
& la mer fi agitée , qu'il n'avoit pas été poffible
de prendre les hauteurs avec quelque précision :
ce Lieutenant avoit la garde du vaiſleau , au moment
qu'il périt. Les Barlingues , où le nayire a
échoué, forment de écueils très - dangereux ; plufieurs
navires y ont péri à divers tems . Le Gouvernement
avoit fait élever anciennement deux
fanaux fur la côte qui , pendant qu'ils ont été entretenus
, étoient d'un fecours infini aux Naviga
teurs, l'un de ces fanaux étoit fur le cap , dit Barlingue
, & l'autre au fort Penicke. Pour fournir à
l'entretien de ces deux fanaux , le Gouvernement
a affujetti tous les navires à une taxe qui
fe paye encore aujourd'hui fort exactement ; nonobftant
que cet argent eft perçu à toute rigueur
les fanaux ne font pas allumés depuis trèslong
tems , & à peine, daigne- t- on donner quelques
faibles fignaux qu'il eft très difficile d'appercevoir.
On affure , & il est très - probable
que fi les fanaux euffent été allumés le Saint
Pierre d'Alcantara auroit évité les écueils & fe feroit
fauvé.
M. l'Ambaffadeur d'Eſpagne fait ici les inftances
les plus fortes , pour que ces deux fanaux
foient rétablis.. Toutes les Nations Commerçan
tes y font fortement intéreffées , & doivent joindre
leurs inftances à celles que la Cour d'Efpagne
fait faire pour l'intérêt général de la Navigation
. Un Moine , Auguftin , & plufieurs paffagers
& autres particuliers , qui fe font noyés fur
le vaiffeau Efpagnol , étoient tous prifonniers
d'Erat ; ils étoient tous complices de la fameufe
Révolte qui a eu lieu au Pérou , il y a deux ans ;
( 88 )
on remarqué que tous lesprifonniers d'Etat , excepté
feulement un petit nombre d'Indiens , ont
peri Le Pilote a cherché à s'échapper ; mais les
Officiers du vaiffeu , s'appercevant qu'il vouloit
s'enfuir , l'ont fait arrêter & mettre aux fers. Le
Capitaine est toujours dangereuſement malade à
Penicke..
On a la plus grande espérance , que la cargaifon
fera fauvée pour la plus grande partie .
On a envoyé de Calix , deux frégates qui portent
deux machines propres à retirer de l'eau ,
les caiffons & autres ballots de marchandiſe . Les
Négocians de Cadix ont envoyé fur les lieux ,
deux Députés pour affifter à tous les travaux &
pour y prendre foin de leurs intérêts. On fe loue
beaucoup du zèle & de la fidélité des habitans
de Penicke ; en un mot , tout annonce que
le malheur ne fera pas auffi grand qu'on le craignoit,
Fin des Opérations de la Banque de S. Charles.
N°. I.
Bilan de la Banque au 30 Novembre 1785 , confor
mément à fes Livres & Regiftres
Recette.
Produit de 148.894 , actions , ci
Bénéfice net
de la Direction du vire
Релих . M.
297,788,000
t ment . • 41,561,362 10
de la Direction des four- 48,346,675 18
nitures 6,782,313
Total • .
Emploi.
En caiffe pour folde
Lettres de change fur Madrid .
346,134,075 18
29,196,517 10
42.793,306 23
Idem fur différentes Places du Royaume 6,425,796 19
( 89 )
Principal de 5600 actions que la Banque
á prifes dans les fonds de la Compagnie
des Philippines , à raifon de a 50
piattres de 15 réaux
Effets actifs de la Direction
de virement .
Effets paffifs à déduire
Effets actifs de la Direc-
259,089,890
19,153 148 15
22,000,000
239,936,741 26
6,782,313 8
• •
3+ 134.675 18
tion des fournitures 134,859,871,28
Effets paffifs à déduire 128,077,558 201
Total
N°. I I.
Etat des bénéfices de la Banque pendant 1785.
-Bénéfice net de la Direction du virement ,
Réaux, M.
42,714,388 32 41,574,362 10
y compris celui de la Caiſſe d'Eſcompte
de Cadix , ci.. •
Frais d'adminiftration à
déduire , ci
Bénéfice net de la Direction
des fournitures , ci
Frais à déduire , ci
1,150,026 22
7,063,446 14 } 6,782,313
• 281,133 6
Total • 48,346,675 18
Détails de ces bénéfices,
Intérêts du capital.
Intérêt journalier des effets
royaux & des actions
• 3,569,533 27
• 1,260,519 18.
594,106 23
9.391,473
· • • 503,118 32
·
Efcompte des lettres -dechange
Montant des intérêts .
Intérêts dus pour le fiſc
aux Indes
Intérêts dus pour les approvifionnemens
Intérêts de la caiffe de
Cadix .
Montant des Changes
1,435,109 12
617,180 28
• 1,411,904 S•
( 90 )
Commiffion
Des remifes faites dans
l'Etranger pour la Couronne
Payée pur lefifc aux Indes
Payée à la caiffe de Cadix
253,164 14 1,321,528 12
197,450 3
870.913 29
11,883,656 23
Benefice provenant de l'exportation des
piaftres
Commiffion d'adminiſtration de 10 p. 130 .
Pour l'approvifionnement
de l'armée & de
la Cour · • 3,066,763 3
· 407,024 32 5,628,337
• 1,187,22 13
765,892 29
Pour celui des préfides
Pour celui de la marine
Pour celui de la mâture
Pour celui des ferremens 201,434 27
Bénéfice extraordinaire provenant du
prix des actions négociées
• 21,552,840
Total ' 49,777,835 12.
A déduire les frais de la
Direction du virement 1,150,026 22
Ceux de la Direction des 1,431,159 #8
fournitures 281,133 6
48,346,675 18
lippines
21,000,00O
Total du bénéfice net de la Banque
Placement dans la Compagnie des Phi-
•
Refte à répartit, entre les A&tionnaires
la fomme de 27,346,675 18
Le nombre des actions remplies jufqu'au 30
Novembre eft de 148,894. Le dividende de
chaque action eft par conféquent de 183 réaux
22 maravedis , ou de 9 dix - huit centiemes pour
cent du capital , & la fomme provenante des
maravedis de furplus qu'on doit partager en lots
en faveur de Laboureurs & d'Artifans , eft de
99,073 réaux 18 maravedis.
( 91 )
Nº. III.
Etat du produit du droit d'indult fur l'exportation des
piafres , pendant les vingt- neuf anné s depuis
1755 jufqu'en 1783 inclufivement , comparé ave
celui des deux années depuis le premier Décembre
1783 jufqu'au 30 Novembre 1785 , pendant lef
quelles ce privilege a été entre les mains de
la Banque nationale de Saint - Charles.
Réaux. Années .
I
:.
Réaux.
1770 6.448,250 1.092,4361770 ...
Années.
1755....
1756 1,464,908 1771 .
1757. 2,031,319 1772
·
1758 5,717,586 1773
...
1759 .... 3,089,588 1774..
1760 .. 2,324,570 1775 .....
4764 472
5,652,933
3.939.389
·
5,309,345
1,567,185
1761 .... 862,720 1776 .. .1,884,802 ....
• 1762 .... 1,086,009
1763 ..... 2,627,552
1764 ... 3,730,210
1765 .. 4,081,853 •
1777 .......
1,493,323
1778 .... 5,212,207
1779 .. 4,662,918
1780 ..... 1,769,206
1766..... 2,714,106 | 1781 ....
1767 ..... 4,024,897 | 1782 ....
1783 .
2,074.763
255,880
2,538,180 1768 ..... 3,937,647
1769 ... 3,156,903
Année commune ...
Total des 29 années ..... 89,525,157.-
..... 3,087,074
Indult payé par la Banque de Saint - Charles.
Depuis le premier Décembre 1783
jufqu'au 30 Novembre 1784 ...
Depuis le premier Décembre 1784
jufqu'au 30 Novembre 1785 ...
Total des deux années ...
Année commune .
15,479,200
16,058,342
3.1537,542
15,768,771
( 92 )
Il réfulte de ce parallele , 1 °. que l'année
commune depuis que la banque eft chargée de
l'exportation des piaftres , a produit cing fors
plus que l'année commune des 29 années pré .
cédentes.
2°. Que l'année la plus abondante de la premiere
période , qui eft celle de 1770 , ayant produit
6,448,250 réaux l'année commune de la feconde
période a donné preſque deux fois & demi
cette fomme .
3 °. Que les deux années du privilege de la
banque ont donné au fifc plus du tiers du pro
duit Lotal des 29 années précédentes.
Nº. I V.
Tableau des bénéfices que la Banque a donnés à fes
Actionnaires , & de ceux qui en font réfultés pour
le fifc , foit par les économies d'adminiftration ,
ou par l'augmentation du produit des droits .
ACTIONNAIRES.
Dividende de 1783
de 1784
de 1785
Réaux. M.
3,301,255 8
17,137,6.2 28
Placement dans la Compagnie des Philippines
en 1785
Total des bénéfices des Actionnaires
27,346,675 18-
21,000,000
68,795,553 14
TRÉSOR ROYAL.
1784. Bénéfice . Préjudice .
Approvifionnement de
l'armée & de la Cour S
Reaux. M.
1,137,785
( 93 )
eries
?
Ferremens & clouteries 2
de la Marine
Augmentation dans le
produir du droit fur
f
Bénéfice. Préjudice .
49.791-19
l'exportation des piaf- 12,393,126
tres felon l'étatˇnuméro
3.
1785.
Approvifionnement de ?
l'armée & de la Cour S
Approvifionnement de la
963,860 10
marine 2
Mâture 3,267,688.15
Ferremens & clouteries
de la marine .S
120.800 24
6,344.627 18
Bénéfice
Préjudice • ·
Augmentation dans le
le 13,971,268
produit de l'indult .
30,893,322
6,344,627 13
6,344,627 13
Total des Bénéfices nets du fifc • • • 24,548,604 21
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1).
• PARLEMENT DE PROVENCE CHAMBRE DES
VACATIONS.
Injures dites aux premiers Juges , premier d'Office
par la Cour. Il n'eft pas permis à des accufés
[1 ] Cer Ouvrage , dont M. MARS Avocat au Parlement
de Paris , eft l'Auteur , paroît tous les Jeudis , depuis plus
de 10 ans fans interruption . On trouve toujours dans chaque
feuille un certain nombre d'articles. 1 ° . Une notice
de Caufes civiles & criminelles. 2 °. Un expofé de queftions
fur lesquelles on demande l'avis des Jurifconfukes,
( 94 )
de faire fignifier des actes injurieux aux Juges,
fous prétexte de récufation , ni de les infulter par
écrit dans les Requêtes , Mémoires & autres
Pieces de la Procédure.
Le 24 Octobre 1780 , M. Jean Joſeph B ... ,
Avocat en la Cour , du lieu de B ... , préfenta
une requête de plainte au Juge du même lieu ,
contre M T... , Notaire royal , en calomnies ,
captations & manoeuvres . M. T ..... préſenta
de fon côté le 24 Octobre , 13 Novembre ,
4 Décembre 1780 , 3 Janvier , 14 Février ,
28 Mai 1781 , différentes requêtes tendantes à
ce qu'il fût informé contre Me. B .... & fes
Complices. Il fe plaignoit d'injures graves &
caractérisées , de fubornation de témoins , de
diffamation , relativement à fa perfonne & à
fon état , ainfi que d'un complot formé contre
lui. Les informations respectivement faites
par le Juge du lieu , il intervint le 7 Décembre
1780 , un décret d'ajournement contre
M. B.... Jofeph Jobity , ménager , Jean Erançois
Jobity , Françoife - Blanche Verignon , &
Jean - Baptifte Ferand , & un décret d'affigné ,
pour être oui contre Me. Louis - Augufte B....
ancien Notaire , Pierre Requier , perruquier ,
Elizabeth-Marie , Louis Ferand & M. T....
Notaire. M. B.... , appella du décret rendu
contre lui ; mais par arrêt d'expédient du 31
3. Les réponses à ces mêmes queftions . 4° . Des differta
tions fur des points de Droit , d'Ordonnance ou de Coutumes,
5. Une indication des Mémoires & Plaidoyers
imprimés . 6°. L'annonce & l'objet des Livres de Droit,
de Jurifprudence & autres qui peuvent y avoir rapport,
7. Les Arrêts du Confeil , ceux des Parlemens & autres
des Cours Souveraines , les Sentences de Police ; en un
mot , tout ce qui fait loi ou réglement dans le Royau
me. 8 °. Enfin un article de Légiflation étrangere. En tout
temps on foufcrit rue & hôtel Serpente, Prix , 15 Ilv . par
franc de port
an ,
( 95 )
-
&
Mars 1781 ; ce décret fut confirmé. --- Jofeph
Jobity , François Jobity & Françoife - Blanche
Verignon appellerent également de leurs dé- ,
crets , qui furent auffi confirmés par arrêts
d'expédient du 4 Juillet 1781. M. B...
Conforts imaginerent de fufpecter les premiers Ju-.
ges , afin de les forcer de s'abftenir . M. B...
& B.... fe permirent dans leurs réponies & aux
confrontations des irrévérences fcandaleufes ;
ils firent enfuite fignifier aux Juges plufieurs
actes injurieux en récufation ; mais ces actes
étoient extrajudiciaires , les Juges ne crurent
pas devoir s'y arrêter. Ils ordonnerent feulement
en queue de la fentence , que ces actes & les
autres pieces injurieufes feroient jointes à la
procédure , pour être apportées enfemble au
Greffe de la Cour. Les infultes faites aux,
Juges n'ayant pas eu l'effet que les accufés en
attendoient , ils eurent recours aux détours de
la chicane.... Ils ne fe préfentoient plus aux
confrontations , malgré les fommations les plus
réitérées : leurs négligences à cet égard étoient fi
affectées, que nombre de procès - verbaux de défaut
furent dreffés , tant contre M. B .... & B....
que contre d'autres complices. - La procé
dure fut fucceffivement in&ruite par tous Juges
différens , qui effuyerent toutes fortes d'invectives
de la part des parties , & qui ne trou
verent rien de mieux à faire que de s'abstenir .
M. Silon , Avocat au Parlement d'Aix , ne
fut pas plus heureux.... Cependant , encouragée
par des Magiftrats fupérieurs , il acheva l'inf
truction du procès extraordinaire , & rendit la
fentence définitive le 5 Octobre 1782 , après
avoir pris l'avis de deux Avocats au Parlement,
fes Affeffeurs , par laquelle M. B ... & B... &
Conforts , furent condamnés à divers réparations
, à des dommages intérêts , & à des Ameng
( 96 )
>
des ; les faux témoins furent mul&és ; les pieces
injurieufes aux Juges furent retenues au Greffe ,
& jointes à la procédure ; M. T... , Procureur ,
fur décreté d'affigné , à la réquisition du Miniſtere
public , & l'impreffion & l'affiche du jugement
furent ordonnées : Les condamnés appellerent
de cette fentence au Parlement d'Aix. Alors
M. le Procureur- Général intervint d'office pour
les premiers Juges infultés , & fit un réquifitoire
en leur faveur , tendant à différentes réparations
& à diverfes peines. Enfin , LA COUR , tenant la
Chambre, de Vacations , rendit, Arrêt qui confirma
la fentence des premiers Juges , avec quelques
modifications dans les peines , & quelque
modération dans les dommages & intérêts , & fai.
fant droit fur le réquifitoire de M. Je Procureur-
Général , ordonne que les pieces dépofées & retenues
au Greffe feroient lacérées au pied du
principal efcalier du Palais , par un Huiffier de
la Cour , qui en drefferoit procès-verbal , comme
étant injurieufes aux Officiers de Juftice :
que les deux Mémoires imprimés de M. B.
& B. feroient imprimés ; les condamna en outre
en vingt livres d'amende envers le Roi, avec
défenfes de récidiver , fous plus grande peine ;
le décret d'affigné rendu contre M. T... fut
confirmé , & il fut dit qu'il répondroit fur les
charges , pardevant le Commiffaire du procès :
l'on ordonna l'impreffion & l'affiche de l'Arrêt
partout ou befoin feroit , au nombre de cent
exemplaires , aux frais defdits M. B... , B... &
Conforts.
ERRATA.
A l'article des Bains artificiels du fieur
le Clerc , l'Ordinaire dernier , lifez Bours
bonne , au lieu de Balaruc.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars:
Epuis quelques jours , le voyage de
Cherfon , ce couronnement folemnel
annoncé , préparé avec tant de bruit , auquel
' Empereur devoit affifter , & qui , infailliblement
, felon les Gazettes , s'effectueroit
avant trois mois , paffe aujourd'hui pour
être différé , à un temps illimité. Les véritables
raifons de ce délai , ou plutôt de cet
abandon font inconnues. Lorſque le voyage
fut annoncé , on le remettoit au mois de
Juin , à caufe de l'intempérie du Printemps ;
aujourd'hui les mêmes Nouvelliftes le retardent
, vu les chaleurs de l'Eté . Quoi qu'il en
foit , les conjectures des efprits clairvoyans
qui ont toujours douté de cet événement ,
paroiffent confirmées.
Les mouvemens & la réunion des Tartares
du Caucafe caufent ici des inquiétudes.
N °. 15, 15 Avril 1786.
e
( 98 )
Peut-être même cette circonftance a t- elle
influé fur le retard du voyage de Cherfon .
Le Lieutenant général Baron d'Igelstrom ,
qui devoit fe rendre ici au Carnaval , eft
refté dans fon Gouvernement d'Orenbourg,
où les difpofitions des Tartares rendent fa
préfence néceflaire.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 17 Mars.
L'ifle de Fionie fi fertile en blé & en
pâturages fe trouve aujourd'hui dans la
plus grande mifere. Les grains & les fourrages
y font d'une rareté exceflive ; les hommes
& les beftiaux fouffrent également . Pluſieurs
Seigneurs ont eu l'humanité de venir au fecours
de leurs fermiers , & entr'autres le
Baron Broktorf de Scheelenborg a fait à ſes
fermiers une remiſe de 1500 rixdalers.
On écrit de Wabnersholm , que la femme
de Jean Nielfen y eft accouchée de deux
garçons & d'une fille. La fille eft venue au
monde le 19 Février à minuit , l'aîné des
garçons à 4 heures du matin , & l'autre lé
21 à deux heures dans l'après midi . Ces enfans
ont reçu le baptême , & ils fe portent .
bien ainfi que leur mere.
Depuis le 10 de ce mois , le Sund eft
couvert de glaces ; on peut le paffer à pied
& en traîneau pour aller en Suede. Le Belt
à Corfoer eft auffi fermé. Le dernier courier
arrivé de cette ville l'a paffé à cheval .
( 92 )
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 1 Avril.
On écrit de Pétersbourg , que l'Impéra
trice de Ruffie a fait demander à l'Empereur.
de la Chine la ceffion d'un diftrict fur les
rives du fleuve Amur qui fe jette dans le
lac de Kamfchatka , celle d'une ifle fituée à
l'embouchure de ce fleuve , & la libre navigation
fur la riviere de Murat pour le commerce
de la Sibérie feptentrionale . On ajoute
que le Gouverneur d'Irkuz eft chargé des
négociations.
Les nouvelles de la Perfe ne donnent point
encore l'efpérance de voir enfin ce Royaume.
dans une fituation plus tranquille. Mehmet Kan
fe préparant à aller attaquer à Chiras , où il s'étoient
retiré , Jaffar -Kan , frere du Régent mort ,
ce dernier eft forti de cette Ville , a marché audevant
de lui , l'a combattu & l'a vaincu dans
deux batailles confécutives . Mehmet s'eſt fauvé,
à Tehram , où il réfide actuellement , & Jaffar eft
entré en vainqueur dans Ifpahan ; il y a trouvé
Baguer- Kan , qui , après la mort du Régent , en
avoit pris le titre ; & qui s'étoit retranché dans
une forte citadelle qui commande les fauxbourgs
de cette capitale ; il a fallu l'affiéger en regle ; la
citadelle a été prife , & Baguer- Kan décapité.
Tout parciffoit alors tranquille , & beaucoup de
Caravanes raffurées s'étoient mifes en route pour
leurs deftinations. Jaffar -Kan avoit envoyé fon
parent Ifmael-Kan , âgé de 23 ans , avec un corps
de 3000 cavaliers , pour réduire la ville d'Hae
2
100 )
·
madan qui tenoit encore le parti de Mehmet ;
mais ce jeune homme au lieu de remplir fa mif
fion , a arrêté & dépouillé toutes les Caravanes ,
& après ce brigandage , il s'eft réuni au Commandant
d'Hamadan contre Jaffar Kan fon parent .
On évalue à plus de quarante millions de France
les déprédations commifes par Ifmael : il a diftribué
à fes foldats les marchandifes qu'il a enlevées
& s'eft fait beaucoup de partifans . Malgré es
neiges & la rigueur de la faifon , Jaffar Kan s'eft
mis en marche à la tête de 40,000 hommes , pour
aller punir ce rébelle .
DE VIENNE , le 30 Mars,
Le Comte de Podewills , Miniftre du
Roi de Pruffe auprès de cette Cour , a eu fa
premiere audience de l'Empereur , à qui il
a remis fes lettres de créance . Elles font ,
dit-on , fous deux formules ; les premieres
adreffées au Chef de l'Empire ; les fecondes
au Roi de Hongrie & de Bohême , &c. &c.
M. de Podewills a été auffi conduit à l'audience
de l'Archiduc François , Prince de
Toſcane,
On compte plus de 30 fuicides dans cette
Capitale depuis le premier Janvier.
On a publié ici par ordre de l'Empereur ,
que le bruit d'une hauffe prochaine des efpeces
d'atgent étoit deftitué de fondement.
L'une de nos Gazettes a rapporté derniement
l'anecdote fuivante.
Dans les guerres de Siléfie , un Huffard Pruffien
rencontra ſur le champ de bataille un jeune
( for )
&
que
Officier Autrichien , griévement bleffé ,
le pria de finir fes fouffrances en lui ôtant la vie,
Non , frere répondit l'Huffard , je te porterai à
l'hôpital , & tu guériras.
L'Officier guérit en effet. Il offre tout ce qu'il
a à fon libérateur ; mais il ne peut lui faire accep
ter qu'une montre que le brave Huffard prit pour
un fouvenir. A la paix , le corps où ce Huflard
fervoit eft réformé. Cet homme, quelques années
après , vient par hafard en Hongrie chercher à fe
placer en qualité de piqueur. Iife préfente chez
le Prince A. Eftherazy qui en cherchoit un. Sa
vue frappe ce Seigneur. Il lui demande s'il n'a
pas fervi dans la guerre de Siléfie . Oui . N'a
vez-vous pas fauvé la vie à un Officier ? - A
plus d'un peut-être ; mais je ne me fouviens bien
que d'un feul dont j'ai cette montre. -- C'eft
moi qui vous l'ai donnée : vous êtes mon liberafear
; oui , vous ferez mon premier Ecuyer &
mon ami , la moitié de ce qui m'appartient eft
à vous.
Tous deux vivent encore, & le Prince ne ceffe
de donner à fon libérateur les marques les plus
vives de fa reconnoiffance.
DE FRANCFORT , le 5 Avril.
La ville Impériale de Dortmund a accordé
aux Proteftans réformés le libre exercice
du culte de leur Religion , & elle leur a
cédé en même temps une Eglife.
Les tonneliers de Trarbrac conftruifirent
le 13 Mars 1748 un tonneau fur la Mofellé
qui étoit termée par la glace ; le 14 de ce
mois ils y ont exécuté une pareille conftruce
3
( 102 )
tion pour perpétuer le fouvenir du grand
froid.
Le Duc Albert de Saxe-Tefchen & l'Archiducheffe
Marie-Chriſtine fon épouse arriverent
ici de Vienne le 15 au foir , &
continuerent le lendemain leur route vers
les Pays Bas.
On écrit de Bonn que l'Electeur , de l'agrément
des Etats , y a établi un Tribunal
de revifion , qui fera compofé d'un Préfident
, de 8 Confeillers , d'un Secrétaire , &c.
L'Electeur -Archevêque de Cologne a ordonné
par un decret du 17 Fevrier , qu'à
l'avenir tous les Mandemens , Monitoires ,
Affignations & Jugemens feront faits en
Langue Allemande.
On apprend de la Baviere , que la diminution
de la valeur extrinfeque des écus de 6 liv . y produit
un mauvais effet . Ces efpeces font portées
dans d'autres Cercles of leur valeur eft plus forte ,
& on ne voit plus actuellement que de la petite
monnoie. Depuis ce changement , le prix des
vivres a augmenté.
La Principauté de Tranfylvanie vient d'être
répartie en trois cercles ou grands diftricts
; favoir , celui de Hermanfadt , compofé
des Comirats ; celui de Fagarafch ,
compofé de 4 Comitats ; & celui de Clau
fenbourg , compofé de 7 Comitats.
ESPAGNE.
DEA MADRID, le 20 Mars.
Le Roi ayant nommé le Duc d'Almodo(
103 )
yar , Grand - Maître de la Maifon de l'Infante
Dona Marie, & ce Seigneur ne pouvant ferendre
à l'Ambaffade d'Angleterre à laquelle il
avoit été defliné , S. M. vient d'y nommer le
Comte de Fernand Nunnez , Ambaſſadeur
en Portugal, où il fera remplacé par D. F.
Morino , Ambaffadeur à Venife , & D. S.
de las Cafas , Miniftre du Roi à Naples , ira
remplir les fontions de fon Ambaſſadeur
auprès de cette République.
La paix avec Alger a été , dit - on , con
clue & fignée , mais l'on connoît trop im
parfaitement encore les articles de ce Traité
pour en faire mention .
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 20 Février.
On a déja fauvé 108 caiffes de la cargalfon
du S. Pierre d'Alcantara , fubmergé à
Péniche. Les Plongeurs Anglois qui ont
retiré les canons des batteries flottantes devant
Gibraltar , font arrivés avec la cloche
ou machine d'Halley. On compte beaucoup
fur leur intrépidité & fur leur intelligence.
On a reconnu le tréfor entier de la
cargaifon à la profondeur de quatre braffes
lorfque la mer eft baffe.
Pendant que l'on dreffoit dans le cours
de Janvier la balance du tréfor royal , le
premier Tréforier , M. Joao Henriquez de
€ 4
( 104 )
Souza s'apperçut d'un vuide , que l'on dit
êre de soo mille crufades. Après bien des
recherches , on a découvert que les commis
à qui font confiées les clefs des coffres
avoient détourné ces deniers. Cinq ont été
arrêtés , & notamment un neveu du grand
Tréforier lui même . Ce Miniftre en eft tombé
dangereufement malade. On a arrêté auffi
un marchand Anglois & fon teneur de livres.
On affure qu'en recevant des fommes
des commis du tréfor royal , il n'ignoroit
pas la fource de leur richeffe. Le Miniftre de
la Cour de Londres a préfenté , dit on , un
mémoire pour réclamer ce marchand , mais
fans fuccès ; cette affaire eft d'autant plus inquiétante
pour ce particulier , qu'on a découvert
qu'il faifoit le commerce des diamans
bruts , contrebande punie de banniffement
perpétuel.
Le 14 Février eft arrivée de Gibraltar la fré
gate la Thétis , Capitaine Blancket . Ce bâtiment
a dû faire une quarantaine . Lorfqu'elle eft achevée,
il eft d'ufage que l'Intendant de fanté fe
rende à bord du bâtiment pour remettre au Capitaine
un biller ou certificat , que le patron eft
obligé de montier au commandant du château
de Belem , pour preuve qu'il peut monter la riviere.
Le Capitaine Anglois a refufé le billet en
queftion , parce que 1 ° . Intendant de fantéavoit
été à bord d'un navire Eſpagnol avant de venir au
fien , 2°. parce qu'il avoit exigé que tout l'équipage
vint fur le pont pour être examiné , tandis
qu'il n'avoit pas exigé la même chofe de l'Eſpa
gnol . Fondé fur ces finguliers moyens , le Capi(
105 )
taine a ordonné à les gens de remonter la riviere
fans s'arrêter au château de Belem : mais furieur
refus réitéré , on leur a lâché une bordée à balle ,
qui leur a fait prendre le parti de renoncer à leur
projet. L'Intendant de fanté ayant été porter fes
plaintes à la cour , le Miniftre de la Marine parut
très-fenfible à ce procédé du Capitaine Anglois
. Cependant on fe contenta d'envoyer fur le
champ à bord du Capitaine , pour lui repréfenter
les fuites de fon inconféquence , & le faire réfoudre
à accepter le certificat d'ufage : ce qu'il fit
après quelques réflexions. On ignore s'il fera
porté plainte à la Cour d'Angleterre.
GRANDE-BRETAGNE.
DE LONDRES , le 1 Avril.
C'est un spectacle vraiment étonnant &
digne de toute l'attention des Obfervateurs ,
que les efforts en tous fens de la Grande-
Bretagne pour remonter les léviers de fa puiffance
& pour affermir ceux de fa profpérité.
Nous ne pouvons rapporter une infinité
d'actes du Parlement qui , depuis deux ans ,
ont atteſté cette énergie ; mais nous irons
toujours foin d'en développer les principaux.
Les Lecteurs frivoles dédaigneront fans
doute ces expofés intéreffans que l'Angleterre
préfente ; ils plairont à tous les efprits
murs. Entre les objets importans qui
ont occupé les dernieres féances du Parlement
, on diftingue le bill de M. Jenkinfon
, concernant les pêcheries de Terrees
( 106 )
Neuve, & le Compte rendu à la Nation par le
Chancelier de l'Echiquier.
Ce fut le 27 Mars que la Chambre des Communes
s'occupa des pêcheries Britanniques fur la
côte de Terre- neuve. M. Jenkinſon célebra le
fuccès de ces pêcheries dont le produitnet monte
à une fomme de so0,000 l . ft . par an , & par confort
au- deffus de ce qu'elle étoit avant la guerre
d'Amérique . Selon lui , la pêcherie de Terréneuve
occupe conftamment 400 Bâtimens & 10
mille Matelots . Il expofa enfuite les différens
moyens employés par les François pour encourager
& améliorer leurs pêcberies dans les mêmes
parages. Ils allouent ; dit M. Jenkinson , 101.
30
par quintal fur tout le poiffon porté à leurs
marchés , & s 1. pour celui qui eft exporté. En
» même temps ils protegent leur conſommation
intérieure par un impôt de 5 l . par quintal , for
tout le poiffon importé ; droit qu'on peut regarder
comme équivalent à une prohibition.
Malgré tous ces encouragemens , je crois la
France dans l'impoffibilité de foutenir avec
quelque fuccès la concurrence des Anglois
» dans cette pêcherie. » M. Jenkinſon fit enſuite
part au Comité des bornes à mettre aux gratifications
pour cet objet , & il annonça en mêmetemps
fon oppofition à toutes meſures ou c'aufes
tendantes à établir des Colonies permanentes fur
la côte de Terre- neuve. « Cette pêcherie , dit il,
doit être purement Britannique , & avoir unisoquement
pour objet l'approvifionnement des
marchés Britanniques . Les Pêcheurs ne doivent
pouvoir faire fur cette côte d'autres éta-
» bliffemens que ceux qui font indifpenfables
pour le fervice paffager de la pêche , & ce feroit
la plus haute extravagance de le permettre. »
! ( 107 )
2
Il fit en conféquence la motion de divers arré.
tés rédigés dans cet efprit , & il pafferent fans
aller aux voix.
Le nouveau bill pour régler l'autorité du
Gouverneur de l'Inde paffa le même jour dans
toute fon étendue , malgré les obſervations de
différens Membres , & entr'autres de M. Dempfter,
quivouloity inférer une claufe limitative
dutemps , pendant lequel le Gouverneur Général
pourroit pofféder ou exercer les pouvoirs
extraordinaires qu'il recevra du bill adopté.
Ces pouvoirs feront très - étendus. Le Gouverneur
pourra agir fans le confentement du
Confeil Suprême de Bengale , mais il fera
refponfable des événemens.
Le 30 Mars , la Chambre s'étant formée
en Comité général , M. Pitt développa fon
plan pour l'extinction de la dette nationale ;
voici le précis du difcours de ce Miniftre .
9*
Il commença par obferver qu'il étoit impoffi
ble de trouver une mefureplus fortement recommandée
que celle qu'il avoit l'honneur de propo◄
fer au Comité. Ce n'eft pas feulement , dit il
cette Chambre & la nation ; mais les étrangers
même , qui atten lent avec impatience le jour où
Pon doit adopter des arrangemens qui placeront
l'Angleterre au plus haut rang parmi les nations
de l'Europe. Que'que variété d'opinions qu'il
puiffe y avoir fur des poin's fpéculatifs de police
domestique , cette diverfité ne peut exifter quant
à la néceffité de former un plan permanent pour™
liquider la dette nationale . Les opinions peuvent
être partagées fur les moyens , mais aucun mem
bre de cette Chambre ne peut fe livrer un mo
e 6
108
ment au moindre doute fur la propriété d'un plan
quelconque.
Auffi n'eft-ce point la néceffité que j'ai deſſein
de difcuter. Deux queftions importantes & fimples
fe préfentent , 1 °. Quels font les moyens
propres à être adoptés ? 2 °. Quelle eft la méthode
la plus efficace pour les mettre en oeuvre ?
Cette déduction n'aura pour baſe que les documens
authentiques , & que des argumens tirés de
certaines données inconteftables , dont je préſen
terai les détails.
Aprés ce préambule , M. Pitt obferva que le
réſultat du rapport fait par le Comité choisi conftatoit
que les reffources actuelles , à compter de
la Saint- Michel 1784 , jufqu'à la Saint - Michel
1785 , confiftoient en 15,397, oco liv. fterl. , à
compter du 5 Janvier 1785 , jufqu'au 5 du même
mois 1786 ; jamais fujet n'avoit été approfondi
avec plus de candeur & plus d'exactitude . D'un
côté, point d'exagération , & de l'autre point de
diminution.
Deux articles principaux préſentés dans le
préambule du rapport fourniffoient ces reffources;
favoir , les taxes perpétuelles , & les dons
& fubfides annuels , tels que la taxe fur les terres ,
la drèche & c .
Il entra enfuite dans les détails particuliers
du rapport , déduifit les droits dus par la Compagnie
des Indes , qui montent à 400 000 1. ft..
auffi bien que le furplus de 26,10r liv. f. qu'on
devoit naturellement attendre des droits fur les
fenêtres , & que le public recevroit infaillible- :
ment dans le courant de cette année. Au refte il
n'étoit pas probable que les taxes impofées en
1785 puffent encore produire tout ce qu'on
avoit droit d'en attendre. La taxe fur les maifons
& la taxe commutative en fourniffoient un 1
( 109 )
exemple frappant . D'après un état comparatif
du produit de la premiere dans l'année 1784 avec
les années 1785 & 86 , il y avoit une différence
en ſa faveur de 103,000 liv . fterl . A l'égard des
taxes de l'année 1785 , il n'étoit pas poffible de
former un jugement exact furleur produit ; mais
le Comité n'avoit point paffé les bornes de la
probabilité dans les différens états qu'il en avoit
fournis,
M. Pitt parla de plufieurs autres taxes , comme
celles fur les Prêteurs fur gages , ſur les Procureurs
, l'amélioration de la taxe fur le fel & de
celle fur les boutiques , dont il eftima le produit
annuel à 260,000 liv. fterl . , produit , obferva
t- il , qui ne pouvoit qu'augmenter confidérablement
avec le temps. Il en concluoit que les
fommes fixées dans le rapport du Comité choifi
relativement au revenu probable de la nation ,
étoient justes & exactes. D'ailleurs il ne doutoit
nullement que le revenu ne s'accrût bientôt audelà
du montant actuel , par le moyen des taxes
exiftantes.
A la vérité , la fluctuation du commerce pou
voit accidentellement produire quelque diminu
tion ; mais outre qu'actuellement on n'avoit pas
lieu de craindre ce contre - temps , il fe flattoit
que la Chambre emploieroit toute fa fermeté,
& la nation toute fa force & fon induftrie , pour
ne pas mettre au pouvoir d'aucun accident le
plan qu'il falloit foumettre à la Chambre. Dans
cette fuppofition , il ne doutoit point que les
effets de cette mefure n'allaffent beaucoup audelà
des espérances les plus brillantes . Ce qui le
prouvoit évidemment , c'étoit l'accroiffement ra .
pide du revenu depuis la conclufion de la paix ;
accroiffement qui provenoit des coups portés
la contrebande par l'acte commutatif; accroiffe
( 110 )
ment qui avoit redonné de la vigueur au commerce
> & qui fe feroit encore mieux fentir
lorfque les vaftes magafins des contrebandiers
feroient épuifés , & qu'ils feroient dégoûtés de
faire des tentatives .
Après avoir parcouru avec la plus grande exactitude
toutes les parties du rapport , relativement
au revenu probable , M. Pitt déclara qu'il étoit
convaincu que la fixation du montant annuel du
revenu à 15,379,000 liv. fterl . étoit un calcul
exact fur lequel on peut compter.
Il paffa enfuite aux dépenses & aux beſoins
de l'Etat ; ceux de l'armée fixèrent d'abord fon
attention . Le démembrement infortuné de l'Empire
, dit il , a diminué nos befoins à cet égard..
Cependant il y a une partie de ce fervice , à la
reduction de laquelle je fuis convaincu que la
Chambre ne voudroit point confentir par jultice
, par générofité & par reconnoiffance . Je
parle de ces braves citoyens qui ont combattu
& veré leur fang pour la patrie. Ainfi les
Officiers à demi- paie , les veuves & les Invalides
de Chelſea , occafionneront une augmentation
de dépenses au - delà des états fournis. Mais
cette augmentation n'égalera point les économies
qui fe feront de ce département.
+
Les dépenfes de l'armée ont été
liv.fterl
fixées par le Comité , à 1,600,000
Celles de la marine , le grand'
boulevard de la nation , à 1,800,000
Celles de l'Artillerie , à
348,000
Celles de la Milice , à.. 91,000
Celle du fervice ſecret , à 74,000
Les droits appropriés à des objets
particuliers montent à 66,538
Les intérêts & charges des det(
11 )
tes publiques font de
Ceux des bills de l'Echiquier
font de
Ceux fur les fonds agrégés ( aggregate
funds)
La lifte civile eft de
9,275,769
258,000
64,600
900,000
Total
14,477,907
Ces dépenses étant fujettes à très peu de fluctuation
, on peut les regarder comme permanentes.
De forte qu'en prenant le revenu à la
plus baffe eftimation ; favoir depuis la St. Michel
1784 , jufqu'en 1785 à la même époque ,
la recerte a été de
Et la dépense actuelle de
Enforte qu'il refte un furplus net de
15,379,000
14,477,907
901,093
fans compter ce que peuvent produire les objets
cafuels.
C'eft fur cette bafe que le Chancelier de l'Echiqu'er
dit qu'il fondoit fon fyfteme. Ses intentions
étoient d'approprier un million par an , pour fervir
à l'extinction de la dette nationale , & de l'employer
de maniere que rien ne pût en détourner
l'emploi , en aucune circonftance .
Il obferva enfuite que pour completer le million
annuellement néceffaire , il falloit malgré lui
mettre de nouvelles taxes pour le montant de cent
mille liv . fterl .
Les articles qu'il taxeroit feroient des bagatelles.
1º. Les liqueurs fpiritueufes . L'impôt fur le
wash ( 1 ) étoit , il y a quelques années , de fept
fous par gallon . Depuis , ce droit a été réduit à a
(1) Préparation du grain à diftiller.
( 112 )
Lous ; fon intention étoit de le hauffer juſqu'à fix ,
ce qui étoit un fou de moins par gallon , qu'il
n'étoit avant la réduction. Il avoit tout lieu de
croire que cette taxe produiroit 70,000 livres
fterlings.
20. Un changement de droits fur les planches
de fapin carrées , de différentes grandeurs ,
que l'on importe de la Norwege ( 1 ). Un droit
égal fur toute efpece de bois de charpente , produiront
une augmentation à la Douane , de vingt
à 30,000 liv . fterl.
30. Une taxe fur la parfumerie & fur la poudre
à cheveux, d'après le calcul le plus modéré , pourra
produire 300,00ɔ liv . fierl.
Le produit de ces trois articles formera au
moins la fomme propofée de 100,000 liv. fterl.;
fans ajouter aux fardeaux des claffes inférieures
du peuple.
M. Pitt paffa à la dicuffion des moyens à prendre
pour fubvénir à l'excédant des dépenfes , fans
interrompre le cours du fyftême graduel & permanent
de la réduction de la dette nationale. Sous
cet excédant de dépenfes , il comprit les efforts
que la nation étoit obligée de faire , pour l'augmentation
& le fupport de la marine ; la liquidation
des dépenfes extraordinaires de la derniere
guerre , celle des dépenfes momentanées de l'année
courante ; les dédommagemens à accorder
aux habitans du Canada & des autres poffeffions
Angloires dans l'Amérique Septentrionale , & les
fecours à donner aux loyalifles Américains. Tous
ces articles de dépenses extraordinaires ne monteroient
pas , d'ici à l'année 1790 , au delà de
4,000,000 liv . fterl . , dont 2,400,000 liv . fte :l. ,
c'eft- à - dire , 600,000 liv. fterl. d'extraordinaire
(1 ) Battens & Deals.
( 113 )
par an , feroient employés pour mettre la marine
fur le pied le plus refpectable où elle ait jamais
été. 11 obferva enfuite que quoique cet excédant
fût très - confidérable , les moyens d'y faire face
ne l'étoient pas moins , fans déranger le fyftême
général qu'il avoit propofé .
Parmi les reffources extraordinaires , M. Pitt
compta :
10. Les économies de l'armée , qu'il évalua à
700,000 liv . fterl . D'après l'expérience des rentrées
qui ont fuivi des guerres précédentes , ces
rentrées ne pouvoient pas être au- deffous de cette
fomme dans l'apurement des comptes du département
de la guerre.
20. Celles de la milice , dont les comptes n'a
voient pas été réglés depuis la premiere convocation
qui avoit été faite dans la derniere guerre.
On pouvoit en juger d'après l'examen des comp
tes d'un feul régiment , où il reftoit une balance
due de 22 mille liv. fterl . Cette balance pouvoit
être un peu erronée , mais comme on doit régler
les comptes de 118 régimens , il étoit probable
que du produit de ces rentrées , les fommes qui
feroient verfées dans l'Echiquier feroient trèsconfidérables
.
3. Les arrérages dus par les Commiffaires
de Guerre , & autres Agens de l'armée pouvoient
être portés au moins à 300,000 liv. fterl.
4°. Les autres balances dues par les banquiers
remettans doivent former une fomme immenſe,
fi on confidere l'énormité de celles qui font forties
de la trésorerie pour cet objet.
50. Une loterie pouvoit fournir annuellement ,
au moins pendant ces quatre ans , la fomme de
140,000 liv. fterl . ; ce qui étoit une reffource infaillible.
6º. Une infinité d'articles fe préfentoient, parmi
( 114 )
lefquels celui du vin pouvoit être d'un produit
plus confidérable , puifqu'en comparant les dix
dernieres années l'une dans l'autre , avec les 40
précédentes , il y avoit un deficit de 200,000 liv.
fterl. fur les impôts qui fe levent fur le vin. }
7° . Enfin , la fomme due par la Compagnie des
Indes qui feroit payée affez à tems pour faire
face à l'excédant des dépenfes extraordinaires
dans le tems fixé .
Outre ces reffources , il s'en trouveroit d'autres
, telles que les réglemens , & l'uniformité à
introduire dans les différentes Douanes , qu'il fe
propofoit d'effectuer dans le cours d'une autre
année ; mefure qui , en procurant de grands avantages
au marchand & à l'honnête détailleur , augmenteroit
confidérablement la recette de la Douane
. Les Domaines de la Couronne pourroient
auffi venir au fecours du fyftême général , par gradation
, en même tems , qu'ils rendroient les denrées
néceffaires à la vie plus abondantes , quand
ils eroient mis en cultivation .
De tous ces raifonnemens , le Chancelier de
l'Echiquier conclut que la premiere opération de
voit être de mettre tous les ans un million à
part , lequel , avec les intérêts compofés , pourroit
former dans l'efpace de 27 ou 28 ans , un
revenu net de 4 millions fterl . pour l'extinction de
la dette nationale. En ajoutant à ce fonds tous les
autres moyens collatéraux provenant de l'accroiffement
du revenu , & de l'extinction des annuités
, la nation pourroit fe livrer à l'espoir de
voir une dette de quatre cens millions , entierement
éteinte dans l'efpace d'un fiecle .
M. Pitr parla enfuite de la Commiffion qu'il
avoit deffein d'établir pour l'adminiſtration du
fonds approprié à la réduction de la dette publi.
que. Il dit qu'il la falloit abſolument indépen
( 115 )
dante du Gouvernement . Il defiroit que les Commiflaires
fuflent autorisés à faire leurs demandes
au tréfor public , avec les mêmes droits & pouvoirs
que fi ces fonds leur appartenoient . Dins
cette capacité , ils devoient tranfiger , comme
Agens du public , fur cette affaire confiée à leur
adminiſtration ; fon intention étant que la foinme
d'un million , formée du furplus & de l'extinction
des rentes viageres , reftât en leurs mains , avec
laquelle ils feroient obligés , à certains jours fixés,
d'acheter des actions dans les fonds publics. Il
adoptoit cette mefure de faire acheter dans les
Fonds à certaines périodes , afin qu'aucun des Com
miffaires ne fût tenté de convertir cette affaire en
agiotage.
L'Orateur de la Chambre des Communes , le
Chancelier de l'Echiquier , le Greffier en chef
de la Chambre , le Gouverneur de la Banque , le
Député- Gouverneur , & l'Auditeur en chef des
comptes de la Cour de la Cancellerie , furent les
fix perfonnes défignées par M. Pitt , pour compofer
la commiflion prépofée aux rembourfemens.
Le Chancelier de l'Echiquier finit fon difcours
par la motion fuivante :
GC
Arrêté , que la fomme d'un million feroit
annuellement remife à certains Commiffaires ,
pour être par eux employée à l'achat des fonds,
pour la décharge de la dette publique de ce
pays ; laquelle fomme fera formée des Turplus &
excedans du revenu qui composent le fonds com.
munément appelé fonds d'amortiffement ».
La motion fut admife , ainfi que les nouvelles
taxes propofées , & le rapport en fut
ordonné aux jours fuivans.
M. Crewe avoit fait adopter au Parlement ,
( 116 )
il y a quelques années , un bill qui diminuoit
l'influence de la Couronne , en privant du
droit de fuffrage aux élections parlementaires
, les Officiers des Douanes & autres
Employés dans la perception des revenus
publics. M. Marsham a propolé d'étendre ce
bill aux Employés dans les départemens de
la Marine & de l'Artillerie ; mais la motion
a été rejettée à la pluralité de 76 voix , comme
exceffivement injufte.
Le plan de M. Pitt , dit un de nos Papiers , produira
indubitablement l'effet qu'on en attend.
1. Si le commerce de la Grande - Bretagne
continue d'être floriſſant.
2º. Si la Marine , l'Armée & l'Artillerie font
en riérement réduites an terme le plus bas de Pétabliſſement
de paix.
3. Si la paix continue.
4. Si les Anglois fe conduifent avec l'écono
mie la plus rigoureufe, tant au dehors qu'au dedans.
5. Si les Officiers font exacts & les Minifires
honnêtes.
Si les taxes continuent de s'accroître . & fi les
dettes des Commiffaires , Tréforier , Quartiers-
Maîtres font payées. Alors , dans quatre ou cinq
ans , l'Angleterre pourra avoir un excéda nt d'un
million. Au moyen de quoi fi le Parlement penſe
toujours comme il fait à préfent , & qu'il ne furvienne
ni guerre ni calamités qui faffe dériver
notre barque économique & ne nous force d'abandonner
le convenable pour le réceffaire , il
fera poffible d'obtenir un excédant net de quatre
millions par an ; ce qui dans un espace d'environ
un demi - fiecle mettra le Gouvernement à portée
d'alléger confidérablement le fardeau des taxes .
( 117 )
Dans quelques jours , le Parlement doit
s'occuper du mariage d'une Perfonne illuftre,
& l'on s'attend à une motion à ce fujet dans
la Chambre des Pairs , avant l'ajournement.
des Fêtes de Pâques .
Le Gouvernement a reçu le 30 Mars des dépêches
de la Nouvelle - Ecoffe , apportées par l'Induftrie
, Capitaine Berkley. L'arrivée de ce Vaif
feau , difent toutes nos Gazettes , a dévoilé le
myftere des nouvelles reçues il y a quelque temps
par le Sloop le Brisk , que le Commiffaire Sawyer
avoit expédié d'Halifax en Janvier dernier. Voici
le fait. Les troubles font devenus fi grands en
Amérique , principalement aux deux extrémités
des Etats- Unis , que pour échapper à l'anarchie
& à la confufion , les plus riches & les plus pacifiques
d'entre les habitans fe retirent peu à peu
dans les endroits où il peuvent trouver un afile.
Un certain nombre d'habitans de Nantuket ,
( prefques tous Quakers ) gens riches & failant
un gros commerce , fe font expatriés avec leurs
familles , & fe font retirés ave leurs biens &
leurs effets dans la Province de la Nouvel'e-
Ecoffe , où ils ont demandé au Gouverneur la
permiffion de s'établir. Ils n'y ont d'abord paffé
qu'en petit nombre au mois d'Août dernier, mais
il s'y en eft rendu beaucoup d'autres dans les mois
fuivans, qui voyant que ceux qui les avoient précédé
avoient été fi bien accueillis des Anglois
font arrivés dans la Nouvelle - Ecoffe avec des
matériaux propres à la conſtruction & ont commencé
à bâtir des maifons . Le Commiffaire Sawyet
a en conféquence envoyé demander en Angleterre
des inftructions touchant la maniere dont
il devoit fe conduire à l'égard des nouveaux venus
, qui méritent , en confidération de leurs ri(
118 )
cheffes & de leurs fentimens tranquilles & pacifiques
, l'appui du gouvernement Anglois .
Le 28 , il eft arrivé à l'Hôtel de la Compagnie
des Indes des dépêches du Bengale ,
en date du 11 Novembre dernier. Elles portent
que les conventions paffées entre M.
Haftings & le Nabab Vifir d'Oude avoient
été fidelement exécutées de part & d'autre ;
le Nabab ayant foldé fa balance , y compris
la dette de 750,000 liv . fterl . & le fubfide
dû aux troupes. Les provinces du Bengale ,
de Bénares & d'Oude étoient dans la plus
grande tranquillité. Madajee Scindia fe préparoit
à entrer dans le Décan , & les hoftilités
entre Tippoo Sultan & les Marattes
étoient fur le point de commencer. Sept
vaiffeaux avoient été expédiés du Bengale ,
fans que le Gouverneur Général & le Confeil
euffent été obligés de donner des traites
fur la Compagnie. Les fortifications ordonnées
par la Cour des Directeurs étoient achevées.
Les traites fùr la Tréforerie ne portoient
pas d'efcompte , & celui des contrats
étoit tombé à 11 pour cent.
Le Paquebot , chargé de ces dépêches , a
auffi apporté une requête des Officiers de
l'armée au Roi & aux deux Chambres du
Parlement contre la partie du Bill de M.
Pitt , concernant la forme des procédures
criminelles.
On apprend auffi qu'il y a eu une révolto
parmi les troupes de Madras au fujer de la
paie , mais on les avoit parfaitement appai(
119 )
fées , lorfque le paquebot a mis à la voile.
A cette époque , la Requête des habitans
n'étoit pas encore prête . Elle avoit occafionné
beaucoup de difcuffions ; les efprits
étoient tellement divifés à cet égard , qu'il
étoit douteux fi elle feroit envoiée.
L'arrivée de ces lettres fera très- utile au
Parlement , dans l'affaire de M. Haſtings , &
à ce célebre Adminiſtrateur lui même , dont
elles conftatent les talens , les fervices &
l'intégrité.
Le 14 Septembre 1785 , les drapeaux Anglois
avoient été arborés à la factorie de Caficut
fur la côte de Malabar , Tippoo ayant
remis cet établiffement à la Compagnie
conformément aux articles du dernier Traité
de paix .
Le Royal Sovereign , de 110 canons
fera lancé à Plymouth le mois prochain ,
en préfence du Prince Williams - Henri.
Ce vaifleau eft plus large , plus long , &
a en général des dimenfions plus grandes
que tout autre de la Marine Royale . L'Impregnable
, de 90 canons , fera auffi lancé au
premier jour , à Deptford , en prélence de
la Famille Royale.
La Société Philofophique Américaine ayant
traité la queſtion tant de fois agitée , « favoir fi
» les cannes à fucre des Ifles étoient indigenes ,
» ou fi elles y avoient étê apportées de l'ancien
continent », elle a décidé, à la pluralitédes voix ,
que les cannes à fucre étoient indigenes dans les
deux Indes , Ce fentiment eft oppofé à celui de
( 120 )
plufieurs Ecrivains célebres qui ont cru que la
canne à fucre avoit été apportée de l'Orient par
les Sarrafins.
Les dernieres lettres de la Jamaïque
reçues par le Gouvernement, lui ont appris
la mort du Contr'Amiral Innes , Commandant
en chef de l'eſcadre ſtationnée à Kingfon,
& mort âgé de 85 ans . On a rendu à
fon cadavre les plus grands honneurs , &
fon autorité paffe au Capitaine Packenham
Commandant le Janus , de 44 canons.
Le Comte de Cornwallis a tenu depuis fa
nomination au Gouvernement de l'Inde la
conduite la plus circonfpecte. Il a refufé
péremptoirement les demandes fans nombre
qui lui ont été faites de toutes parts , &
il a déclaré à fes amis qu'il étoit déterminé à
ne prendre aucuns arrangemens & à ne
nommer à aucunes places , qu'il ne fût inf
tallé dans fon gouvernement. Il n'emmene
avec lui que trois amis ; favoir le Colonel
Roff, qui doit lai fervir de Secrétaire ; le
Capitaine Halden & le Capitaine Madden . Il
eft affurément bien fage de fa part de ne
point promettre ni faire efpérer à perfonne
de le fuivre , fachant que les établiſſemens
dans l'Inde font déja furchargés , mais nous
penfons qu'il feroit de la prudence qu'il fe
fit accompagner d'un plus grand nombre de
fes amis intimes . Si le climat fait périr le
petit nombre de ceux qui le fuivent , il s'expofe
à être trompé par les artifices & les menées
fourdes d'une troupe de gens , qui fous
les
( 121 )
les de hors de l'amitié,feront jouer tous les refforts
de l'intrigue pour le perdre. Le Colonel
Tarleton eft venu à Londres , dans l'efpoir
d'obtenir une place de Lord Cornwallis ,
qui lui a répondu comme aux autres
qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de difpofer
d'aucune place , tant qu'il feroit en Angleterre.
Acette occafion on a rappellé une anecdote
intéreffante , touchant ce nouveau Gouverneur
général du Bengale.
Quelques mois avant le commencement de la
guerre d'Amérique , lorfqu'on fut qu'on devoit
envoyer des troupes dans la Nouvelle- Angleterre
, la Comteffe de Cornwallis ,, nouvellement
acouchée d'un fils ( depuis Lord Broome ) , &
qui aimoit paffionnément fon mari , craignit que
le Régiment qu'il commandoit ne pafsât des premiers
en Amérique à l'infu de Milord Cornwallis ,
elle alla trouver Lord Barrington , alors Secrétaire
d'Etat au departement de la guerre , & le
pria inftamment d'employer fon cdit auprès de
Sa Majefté , dans le cas où le Régiment de Lord
Cornwallis pafferoit en Amérique , pour le difpenfer
d'y aller. Lord Barrington atfura la Comteffe
qu'il obtiendroit fa demande. Peu de temps
après , le Régiment reçut ordre de partir : Lord
Barrington , conformément à fa promeffe , mit
fous les yeux du Roi la demande de la Comteffe
; mais il ne put le faire fi fecrettement
que la nouvelle ne tranfpirât. Le bruit en
vint aux oreilles de Lord Cornwallis lui-même.
D'un côté , il étoit combattu par la tendreffe de
fon épouse & par fon opinion particuliere endierement
oppofée a la guerre d'Amérique ; de
No. 15 , 15 Avril 1786. f
( 122 )
;
l'autre , par les interprétations malignes auxquel
les la démarche de la Comteffe fon épouſe pour
roit donner lier . Il fentoit que fes ennemis ne
manqueroient pas de répandre qu'il étoit de concert
avec fon époufe , & qu'il cherchoit à fe difpenfer
de fervir par une fuite de l'opinion qu'il
avoit donnée dans la Chambre des Pairs au fujet
dis taxes fur les Colonies de l'Amérique . Ces
dernieres confidérations intéreffoient tellement
fon honneur comme militaire 9 qu'il n'hésita
point à folliciter vivement le Roi de lui permettre
de fuivre fon Régiment. Il n'eut pas de
peine à l'obtenir ; mais ce fut un coup mortel
pour la Comteffe , d'autant mieux que fa démarche
pour retenir fon époux avoit précilément néceffité
fon éloignement . Lord Cornwallis partit pour
l'Amérique avec le Chevalier Peter Parker vers
le commencement de 1776 , & la Comteffe mou❤
Fut en Angleterre au commencement de 1779 .
FRANCE.
+
DE VERSAILLES , le 7 Avril.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Langennet
, Ordre de Citeaux , diocefe de Quimper
, l'Abbé Chevreuil , Vicaire général de
Paris ; à celle d'Airvaux , Ordre de Saint-
Auguftin , diocele de la Rochelle , l'Abbé
de Dombafle , Vicaire général de Laon ; à
l'Abbaye réguliere du Mont-Saint-Eloi , même
Ordre , dioceſe d'Arras , le fieur Beugin ,
Religieux profès de la même Abbaye ; & à
celle d'Aurhy , Ordre de Saint - Benoît , diocefe
de Boulogne , le fieur Prévôt , Religieux
profès de l'Abbaye de Saint - Bertin.
Le Comte de Pimodan , le Marquis de
( 123 )
Marconnay , le Comte de Marconnay , le
Chevalier de Murinais , le Comte de Bofe ,
le Comte de Montecot , le Comte de Quatre-
Barbes & le Comte Alexandre de Sainte-
Aldegonde , qui avoient précédemment.eu
T'honneur d'être préfentés au Roi , ont en
celui de monter dans les voitures de S. M.
& de la fuivre à la chaffe ; les quatre premiers
le 28 , & les autres le 31 du mois dernier.
Le Duc de Polignac a prêté , le 2 de ce mois ,
ferment entre les mains du Roi , pour la charge
de Directeur général des Poftes aux chevaux
Relais & Meffageries de France , unie à celle
de Directeur général des Haras , à laquelle Sa
Majefté l'avoir précédemment nommé.
Le même jour , le Marquis de Lafcafes a eu
l'honneur d'être préfenté à Leurs Majeftés par le
Duc de Penthièvre , en qualité de Premier Gentilhomme
de la Chambre de ce Prince .
La Cointeffe de Pluvié & la Baronne de Saint-
Marfault ont eu , le même jour , l'honneur d'être
préfentées à Leurs Majeftés & à la Famille Royale
; la premiere par la Comteffe de Boifgelin , &
la feconde par la Comteffe de Saint- Marfault de
Chatillon.
"
Ce jour , le fieur Deformeaux , de l'Académie
royale des Infcriptions & Belles- Lettres a eu
l'honneur de préfenter à Leurs Majeftés & à la
Famille Royale le tome. IV de l'Hiftoire de la
Maifon de Bourbon.
2
Le 4 , le fieur Eden , Envoyé extraordinaire
& Miniftre plénipotentiaire de la Cour de Londres
, a eu une audience particuliere du Roi ,
pendant laquelle il a remis les lettres de créance
f 2
( 124 )
à Sa Majefté. Il a été conduit à cette audience &
à celles de la Reine & de la Famille Royale , par
le fieur Tolozan , Introdu&teur des Ambaffadeurs
; le fieur de Séqueville , Secrétaire ordinaire
du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs,
précédoit.
DE PARIS, le 12 Avril.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 23:
Février 1786 , qui rend communs avec les
Fabricans de toiles blanches & imprimées
de Mulhaufen , l'article X de l'Arrêt du 131
Novembre 1785 , & l'Arrêt du 26 Janvier
1786. Cet Arrêt permet aux Négocians de
la ville de Mulhaufen en Suiffe , de jouir
Four la fabrication & vente de leurs toiles ,
des faveurs accordées à ceux de l'Alface.
Autre dit du 17 Février 1786 , qui permet
l'entrée jufqu'au premier Janvier prochain
, des Toiles peintes en Alface , quelle
que foit l'origine des toiles blanches qui auront
été emploiées à leur impreffion , & qui
ordonne à l'Adjudicataire général des Fermes
de continuer à percevoir le droit de
90 livres du quintal defdites toiles peintes ,
& celui de 25 livres fur les toiles de coton
blanches , provenant du commerce de la
Compagnie des Indes.
Autre dit du 5 Février 1786 , qui fixe les
chargemens de morue feche de pêche nationale
, à cinquante quintaux au moins
pour obtenir les Primes d'encouragement
•
( 125 )
accordées par Arrêt du 18 Septembre der
nier.
Autre dit du 21 Février 1786 , qui dé
clare nuls & de nul effet les paffe - ports illi
mités , délivrés par l'ancienne Compagnie
des Indes aux Négocians & Armateurs , &
leur fait détenfes de s'en fervir.
On plaide actuellement au Châtelet une
Caufe finguliere , qui attire l'affluence. Un
Particulier riche de Lyon ayant féduit une
jeune perfonne , elle fe trouva enceinte , le
féducteur lui propofa de la marier , & la
chargea de fe choisir un époux. Elle jetta les
yeux fur un jeune homme qui foufcrivit à
oes
les
conditions
,
&
qui
,
feulement
le
jour des noces , promit à fon époufe de la
relpecter parfaitement. Cette femme accou
cha une fois , deux fois , trois fois ; & à chaque
naiffance d'enfant , l'homme riche dotoit
par teftament le nouveau né , fils de tel
& de telle ; l'homme riche mourut , le mari
tomba malade , & dans cette maladie qui,
fut mortelle , on reconnut en lui une femme
déguifée ; les héritiers de l'homme riche
conftaterent le fait , & ils pourfuivent la
nullité des legs faits aux enfans nés d'un
mariage qui n'a pu être confommé .
Le mois de Novembre dernier , nous annonçames
la mort & une des claufes fingulieres
du teftament de M. Grofley , Affocié
Libre de l'Académie des Infcriptions &
Belles- Lettres . Le Teftament entier , par
fon originalité , mérite d'être rapporté. En
f3
( 126 )
voici un extrait qu'on prétend être très-
Adele.
« Je veux être inhumé au pied de la croix du
cimetiere de Sainte- Julle , qui , depuis foixante
ans , eft mon promenoir du matin. La ferpilliere,
la civiere , les porteurs , le Cordelier , le luminaire
& le chant , qui accompagnent les morts les
plus pauvres de l'Hôtel - Dieu , feront les frais de
ma fépulture , & qui m'aime me fuive.
Pour teni: lieu de trentain & d'annuel , fera ,
dans l'hiver de mon décès , ou dans celui qui le
fuivra immédiatement , employée une fomme de
800 liv , en habits folides , uniformes , à diftribuer
aux enfans de gens pauvres de bonne conduite
& chargés de famille , cu de veuves de
cet état , dont le choix fera fait par mon exécuteur
teflamentaire , affifté de quatre notables
de la rue du Bois . Sera cet habit une vefte
croifée & doublée du même drap , qui pourra
fe dédoubler pour l'été , & une culotte . La fourniture
de l'étoffe fera prife chez un Marchand
Fabricant , fimple roturier.
Sera compté à ma Servante une double annte
de fes gages outre les courans ; plus 200 1 ,
pour habit de deuil que je la difpenfe de porter
& ma peu magnifique garde-robe fera partagée
entr'elle , & la Janette fa devanciere.
Ala perfonne qui fe chargera des deux chats
mes commenfaux , tant & fi long temps qu'ils
vivront, & jufqu'à la mort du dernier , 24 liv.
chaque année.
« En mémoire des foins que Marie Gauthier
qui fut 70 ans au fervice de mes ayeux , a pris
de mon enfance & de mon éducation avant mes
études , je legue une fomme de 400 liv. entre
les plus pauvres de fes arrieres - neveux.
Pour décharge de confcience , je légue à M.
S... la belle édition de l'Abrégé chronologique
( 129 )
du Préfident Hénault , avec les gravures de Co
chin , de premiere épreuve , qui m'ont été données
par l'Auteur.
» Je légue au Procureur M... pour ce qu'il a
fait dans une inftance entamée à ma requête au
Bailliage , la fomme de 3 liv. 4 f.
Je confirme & ratifie une donation entrevifs
par moi ci - devant faite à la maifon de Saint-
Abraham ( 1 ) , fous condition expreffe que le
Curé de la Magdeleine , chef dudit établiſſement
, confervera le Jubé à jour de fon Eglife ,
unique ornement qu'elle ait , & dont elle foit
fufceptible par elle -même , & la quittance de
600 liv. , objet de cette donation , portera foumiffion
de rapport de cette fomme à ma fuccef
fion en cas d'inexécution de la condition expreffe
de non deftruendo.
Je légue pareille fomme de 600 liv. pour
Contribution de ma part au monument à ériger
au célebre Antoine Arnau'd , foit à Paris , foit
à Bruxelles. L'étude fuivie que j'ai faite de fes
écrits m'a offert un homme au milieu d'une
perfécution continue , fupérieur aux deux grands
mobiles des déterminations humaines , la crainte
& l'efpérance , un homme détaché , comme le
plus parfait Anachorete , de toutes vues d'intérêt
, d'ambition , de bien- être & de fenfualité ,
qui , dans tous les temps ont formé les recrues
de tous les partis . Ses écrits font l'expreffion de
l'éloquence du coeur , qui n'appartient qu'aux
ames fortes & libres il n'a pas joui de fon triomphe.
Clément XII . lui on eût décerné les hon .
neurs , en faifant dépofer fur fon tombeau les
clefs du grand Giefu , comme celles du Château-
Neuf de Randon furent dépofées fur le cercuril
(1 ) L'un des huit Hopitaux de Troyes.
f4
( 128 )
de Duguefclin , pour les raifons configuées de
ma main fur mon exemplaire du Renversement
de la morale.
Edifié de la manière dont M. de Guines ,
mon confrere à l'Académie des Infcriptions ,
cultive les Lettres , fans forfanterie , fans intrigue
, fans prétention à la fortune : je legue
à lui & à fes enfans , s'il me prédécédoit , la
fomme de 3000 liv.
Au niveau de mes affaires & abfolument libre
, j'inftitue mon légatsire univerfel le fils
aîné de M. Sourdat , notre Lieutenant- Général
de Police , petit - fils de M. Scurdat mon camarade
dans toutes mes études & mon confière
dans le College des Avocats.
,
Je le prie , & ceux qui fuivront fon éducation
, de fe fauver du goût pour les Romans.
Le préfent legs eft fait en outre fous condition
expreffe : 1°. que le légataire fuivra l'état de
fes peres , en renonçant à toute idée , à toute
vue militaire : 2°. qu'à l'âge de 23 ans révolus
il fera marié.
A défaut de fatisfaire aux deux conditions irritantes
ci - deffus exprimées , ou dans le cas où
le Légataire viendroit à décéder avant d'être
pourvu par mariage , en chacun de ces trois
cas , je lui fubftitue le troifieme des garçons de
ma niece de Pouilly , qui , encore enfant , m'offrit
de la meilleure grace une pêche qu'il avoit
à la main pour fon goûter.
Arrivant mon décès , mes livres , tableaux ,
eftampes , médailles , feront confervés en nature
,fans inventaire & fur un fimple catalogue.
Je nomme pour exécuteur du préfent teftament
mon compere Mouilefarine.
Lu & relu , &c. à Troyes , ce 3 O&obre 1783 .
Signé; Pierre-Jean GROSLEY.
( 129 )
د م ح م
On a imprimé dans les Affiches de Montpellier
l'extrait fuivant d'une lettre écrite au
Couvent des Capucins de Sion en Valais ,
probablement par un des Chanoines Réguliers
de l'Hofpice du mont Saint Bernard .
Révérends Peres , j'ai l'honneur de vous
informer que le 9 Mars dernier , il est arrivé
une affaire affez importante pour notre Couvent
, où fans le fecours de la Providence Divine
, nous aurions été tous affaffinés par une bande
de vingt- quatre voleurs , qui ont monté la montagne
du côté de la vallée d'Aofte , fous prétexte
d'aller chercher de la contrebande pour tranſporter
en Piémont . Ces malheureux , après avoir
reçu l'hospitalité , comme nous la donnons à
tous les voyageurs , ont attendu la nuit pour
mettre en exécution leur déteftible projet. Comme
la montagne cft affez mauvaiſe , nous les réçûmes
avec toutes les marques d'honnêteté ´&
d'humanité poffibles . Environ fur les fept heures
du foir, ils commencerent à prendre leurs armes
, & faifirent au collet le Pere Clavandier
enfuite les domeftiques & plufieurs Peres , qu'ils
tinrent enfermés dans une chambre , pen lant
qu'une partie de ces fcélérats forçoient le Pere
·Clavandier à les conduire dans la chambre du
tréfor , menaçant d'exterminer tous ceux qui
voudroient faire réfiftance contr'eux . Le Père
Clavandier , tout effrayé & fe recommandant à la
miféricorde de Dieu & à la protection du bienheureux
S. Bernard , leur dit , Meffieurs , je vous
prie de ne faire mal à perfonne du Couvent , je
vais vous ouvrir la chambre où eft le trefor
vous pourrez en difpofer à votre volonté , vous n'y
'trouverez pas grand'chofe à préfent , nous n'avons pis
encore reçu nos collectes. D'après cela , ils montefs
&
( 130 )
rent au nombre de quinze , pour enlever le tréfor
; le Pere Clavandiet , tout tremblant leur
ouvrit la chambre cù nous tenons les gros chiens
de réferve , pour le fervice du Couvent & pour
découvrir les voyageurs , qui ſouvent périroient
dans la montagne le Pere entra dans ladite
chambre , les voleurs le fuivirent fans marquer
aucune crainte. Quand ils furent tous dedans , le
Pere fe tourna vers eux , & appella les chiens à
fon fecours ; chaque chien fe faifit d'un homme
, & il fortit au plus vîte de la chambre , nous
criant de prendre courage , que tout iroit bien ;
nous nous débarraffâmes auffi tôt de ceux qui
-étoient restés en bas . Ils prirent la fuite au travers
de la mon agne , les chiens en tuerent douze,
& le lendemain nous fumes à la pou - fuite de ceux
qui s'étoient évadés des deux côtés de la montagne
étant arrivés à S. Remi en la vallée
d'Aofte , on en trouva fept , qui furent arrétés
fur les plaintes que nos gens porterent contr'eux,
& conduits dans les prifons de la cité d'Aofte , où
ils font encore détenus , & je crois bien qu'ils y
refteront juſqu'u printems. Ainfi , des 24 nous
en avons 19 , tant morts que vifs ; quant aux 5
autres , nous ne favors pas s'ils ont péri dans la
montagne , ou s'ils fe font fauvés par que'qu'autre
endroit. Voilà tout ce que je peux vous dire
pour le préfent à ce sujet ».
Signé , FORMA.
Cette lettre prête à de violens doutes .
Elle eft fans date. L'époque où l'on place
l'événement n'eft point celle des Collectes
annuelles que font les Religieux du
Grand Saint Bernard en Suiffe & à Geneve;
Collectes qui ordinairement ont lieu
en Automne ; les voleurs n'ont pas dû
( 131 )
l'ignorer & choififoient mal leur moment.
Cecoup demain feroit d'autant plus extraordinaire
, que ce paffage eft très - fréquenté ,
& qu'il fe raffemble à l'Hofpice quelquefois
4 à 5 cents voyageurs. L'hiftoire des chiens
ne paroît gueres moins fabuleufe : mais fi le
fait eft peu vraisemblable , il n'eft pas impoffible.
Extrait des regiftres des délibérations du Bureru de
l'hôpital général , tenu à la Pitié le Lundi 13
Mars 1786.
L'Adminiftration , inftruite par les Papiers publics
, qu'il a été propofé un prix de 600 livres ,
par la Société Royale de Médecine , dans la
féance du 7 du préfent mois , fur la queſtion fuivante
: » Rechercher quelles font les caules de
la maladie aphteufe , connues fous les noms de
» Muguet , Mllet , Blanchet ; à laquelle les en-
» fans font fujets , fur tout loifqu'ils font réunis
dans les hôpitaux , depuis le premier jufqu'an
troiheme ou quatrieme mois de leur naiſſance ,
» quels en font les fymptômes , quelle en eft la
nature , & qel doit en être le traitement , foit
» préfervatif, foit coa& f. »
*
Et confilérant combien les recherches fur
cette matiere font importantes pour la confervation
des enfans des hôpitaux ; & fpécialement
pour les enfans reçus en l'hôpital des Enfans-
Trouvés & à l'hofpice de Vaugirard , qui font
mis à l'Hôpital général ; après en avoir délibéré ,
a arrêté que , pour exciter d'autant plus l'émulation
des concurrens , & les dédommager des
dépenfes & peines que de pareilles recherches
peuvent exiger , elle ajouteroit à ce prix pareille
fomme de 600 liv . en faveur de celui qui l'au a
mérité , au jugement de ladite Société , à l'effet
f6
( 132 )
de quoi il lui feta délivré une ordonnance de las
ladite fomme fur le Receveur de l'hôpital des Enfans-
Trouvés , dans la dépenfe duquel elle fera
allouée , en rapportant cette ordonnance duement
quittancée .
Nous avons reçu une lettre dont l'Ecrivain
fe plaint que dans la Notice du Plan
de Bourg en- Breffe , publié par M. de la
Lande , on ait placé dans cette ville la naiffance
de Guichenon , de Collet & de Commerfon
, nés à Chatillon lez Dombes ; mais
Chatillon étant un bourg de la Breffe à 4
lieues de la ville capitale , M. de la Lande à
pu fans erreur comprendre dans fa lifte des
Auteurs de Bourg ceux qui ont reçu le jour
à Chatillon .
Plufieurs Papiers publics , & notamment
le Courrier d'Avignon , ont parlé de l'accueil
diftingué que l'Académie Royale de Nifmes
s'eft empreffée de faire à M. Mefmer , &c. Les
Cabinets de cette Compagnie font ouverts
trois jours de la femaine à tous les Curieux ,
& lorfque M. Meſmer eft venu les vifiter
les Commiffaires de l'Académie préposés à
la garde des Cabinets les lui ont montré ,
comme à d'autres étrangers qui fe préfenterent
pour les voir en même temps que lui .
Le Gazetier d'Avignon a donc été mal informé
des ufages de l'Académie & de fa conduite
dans cette occafion . [ Note envoiée par
le Secrétaireperpétuel de l'Académie ] .
Paul-Charles Marie , Marquis de Lomenie
, Lieutenant Commandant d'escadron
( 133 )
des Gardes du Corps , Compagnie de M. le
Prince de Poix , Brigadier des Armées du
Roi , & Chevalier de l'Ordre Militaire de
Saint-Louis , eft décédé à Brienne , le zo
Mars.
Jacques Duhéron , Chevalier de Malauffane ,
eft mort le 25 Novembre dernier , au château de
Malauffane , près Condom , âgé de 97 ans accomplis
; on n'a point trouvé fon extrait baptiftere ,
mais on fait très- pofitivement dans fa famille
qu'il exiftoit au mois de Septembre 1688 ; il fe
donnoit lui -même un peu plus d'âge ; car il difoit
affez fouvent à fes amis , je galope ma centaine .
Il eftparvenu à cet âge fans avoir effuyé d'autres
maladies que quelques - ures occafionnées par des
chûtes ; il y a trois ans qu'il en fit une en voulant
monter à cheval ; l'étrier caffa , il tomba & fon
corps fut tout meuriri ; il ne voulut faire aucun
remede , & guérit. Il étoit naturellement gros
mangeur , & obfervoit cependant le jeûne avec
une rigidité qui a peu d'exemples ; il ne buvoit
jamais d'eau , mais il fe bornoit à trois petits coups
de vin à fon diaer , autant à fon fouper & deux
à fon déjeûner .
Anne-Jeanne -Amable de Caulet de Gramont
, veuve de Jean-Jacques de la Roche-
Genfac-Lomagne , Vicomte de Lomagne ,
Marquis de Genfac , Comte de Corbarieu
& autres lieux , ancien Capitaine du régiment
de Marcieu , eft morte le 3 du mois
lernier en fon château du Claux près Mona
uban en Querci.
François Jofeph Romain , Baron de Diefbach
de Belleroche , Lieutenant général des
Armées du Roi , Grand - Croix de l'Ordre
( 134 )
royal & militaire de Saint Louis , eft mort
en fon château d'Achiet - le - petit en Artois le
10 Mars , âgé de 70 ans .
">
» C'eſt par méprife & prématurément
qu'on a annoncé dans la Feuille de
» la Correfpondance pour les Sciences & les
» Arts , la retraite de M. du Prat , Secré-
» taire général pour l'Adminiſtration : cette
>> retraite n'a eu lieu qu'avec celle des autres
» Membres de l'Adminiftration de cet Era-
» bliffement , qui a été entierement laiſſée à
» M. de la Blancherie le s du préfent mois.
» Les motifs qui ont déterminé le Confeil
» d'Adminiſtration de la Correſpondance gé-
» nérale & gratuite pour les Sciences & les
» Arts à fe retirer , portent le Comité de cette
» Correfpondance à ne plus participer , dans
» les circenftances actuelles , à ce qui con-
» cerne cet Etabliffement » .
On a conté diverfement une aventure
très -malheureuſe , arrivée à Beauvais . Veici
le Fait.
» Ou jouoit la Comédie dans cette ville 2
ן ו ח
G.- du C... avoit fon chapeau fur la tête dans
» une loge, le Parterre compofé d'ouvriers étran-
» gers, emploiés aux Manufactures de cette ville ,
crierent avec beaucoup d'arrogance , chapeau
bas; les cris empêchoient de jouer la Comédie
; ils crierent encore en l'infultant . Alors
» un autre G.. en colere fe jetta l'épée à la main
» dans le Parterre , & fut fuivi de plufieurs autres.
Cette affaire dura environ quatre minutes ;
la Comédie continua , & on apprit après la
( 135 Y
Piece qu'il y avoit un hommé tué. Le G .. qui
a gardé fon chapeau , & celui qui a fauté dans
» le Parterre ont été arrêtés & enfermés . Les
coupables qu'on a pu découvrir , ont été rem-
Yoits du Corps . On ne connoît pas celui qui a
> eu le malheur de tuer l'ouvrier. Cette aventure
» cauſe un grand chagrin à tous les G...- du-C...
» qui paffent pour une troupe auffi bien compofée
que difciplinée.
Le Clerc , Chevalier de l'Ordre du Roi , &
fon fils , Officier au régiment de Durfort , dragons
, viennent de faire paroître la feconde livraifon
de l'Atlas du Commerce , agréé par Sa
Majefté cette livraiſon confifte 1º . En une Carte
générale de l'Empire de Ruffie ( 1 ) , où l'on
a défigné par des couleurs particulieres , l'éten
due de cet Empire au commencement de ce
fiecle ; les conquêtes de Pierre - le Grand ; la
ceffion que ce Prince fut obligé de faire par la
paix du Prouth ; les pays recouvrés par la paix
de Belgrade ; la partie de la Finlande conquife
par Elifabeth ; les Contrées foumiles à la Ruffie
par Catherine II ; les découvertes faites par
les Voyageurs & les Navigateurs modernes.
2º. La Carte hydrographique de la Mer Cafpienne
, avec des fondes , &c.
3 ° . La Carte de la Mer- Noire , avec des Obfervations
nautiques très récentes.
4° . Le Confluent du Bog & du Borifthene ,
depuis Kerfon jufqu'au Cap Hadgi - haffan
Carte nouvelle très intéreffante.
5. La Carte du Cours du Danube depuis
ธ
( 1 ) Se trouve à Paris , chez Frou'lé , Libraire ,
Quai des Auguftins ; à Versailles , chez Blaifor ,
Libraire du Roi , &c.
( 136 )
1
Vienne jufqu'à les embouchures dans la Mer-
Noire.
La troifieme & derniere livraiſon fe fera dans
trois mois , avec un Volume de texte , in- 4º.
imprimé en caracteres neufs , fur papier Grand-
Rafin.
PAYS - BA S.
DE BRUXELLES , le 8 Avril .
D'après la réfolution du 13 Janvier prife
par les Etats de Hollande , d'offrir au Roi
de France deux vaiffeaux de guerre , on a
choifi dans l'Amirauté de Frife deux vaiffeaux
de 74 can.; l'on payera à cette Amirauté
une indemnité de 500 mille florins , &
l'on chargera le Confeil d'Etat d'une pétition
de 120 mille florins pour l'équipement
de ces deux vaiffeaux.
Sur le chemin de Metz à Treves , fe trouve
aux frontieres une hôtellerie ifolée. Un Officier
François voyageant à cheval , fuivi d'un feul domeftique
, fut dans le cas d'y defcendre il y a
quelque temps. Le Cavalier fe fait donner une
chambre , le valet conduit les chevaux à l'écurie.
Revenu près de fon maître , ils caufoient enfemble
fur l'air fombre & féroce de l'hôte , & la trifteffe
qu'infpiroit le défordre qui regnoit dans
P'hôtellerie. Pendant qu'ils fe faifoient mutuellement
part de leurs conjectures à ce fujet , ils entendent
ungrand bruit dans l'écurie . Les chevaux
ne s'y tenoient point tranquilles ; leurs henniffemens
, les coups de pied réitérés , forcerent le domeftique
d'aller en chercher la caufe. Il revint
tout pâle raconter à fon maître qu'un de leurs
chevaux , à force de battre fur le pavé , avoit dérangé
quelques pierres , & qu'il avoit cru apper(
137 )
1
cevoir dans la terre la main d'un cadavre .
Nous fommes prévenus , dit le maître , cela
nous fuffit. Nous fommes ici dans un lieu dange .
reux. Mais que peuvent craindre deux hommes
bien armés ? J'efpere que tu me feconderas ? Jufqu'à
la mort , répondit le domeflique .
Cependant une jeune fille entre dans leur chambre
pour y mettre le couvert. L'Officier l'interro -
ge , il n'en peut tirer aucune réponse ; il voit
feulement quelques larmes s'échapperde les yeux.
Mais fes prieres ni fes menaces ne peuvent en arracher
aucun éclairciffement. Le maître & le domeftique
redoublent leurs inftances . Enfin l'infor
tunée leur fait entendre par les fignes qu'ils ne
doivent point toucher aux mets qu'on leur préfentera
.
Un moment après entre l'hôte avec le fouper
qu'il place fur la table , en invitant les étrangers
à manger. Ceux- ci s'en excufent , apportent divers
prétextes ; l'hôte infifte , ils tiennent bon.
L'aubergifte fort & rentre accompagné de trois
hommes auffi robuftes , auffi farouches que lui ,
qui fignifient en entrant à l'Officier qu'il doit fe
réfoudre à manger ; l'Officier & fon fidele domef
tique ne répondent à cette politeſſe d'un nouveau
genre , qu'en brûtant la cervelle aux deux affaffins
qui fe trouverent le plus près d'eux ; les deux
autres prennent auffitôt la fuite. Les vainqueurs
Jes pourſuivent , & les forcent de fortir de la mai◄
fon , puis barricadant fortement les portes , ils
reviennent auprès du feu pour attendre le jour ,
& tiennent leurs armes prêtes à foutenir un affaut
en cas de befoin. La précaution ne fut pas
inutile. Vers le milieu de la nuit ils diftinguerent
les voix de plufieurs perfonnes qui travailloient
à enfoncer la porte.
Les affiégés fe rendent au lieu de l'attaque . Les
ennemis avoient déja fait breche : le plus hardi
( 138 )
veut entrer le premier. II eft auffitôt puni de fà
témérité : il en reftoit quatre que la mort de leurs
camarades rendoit plus circonfpects ; pendant
qu'ils déliberent , l'Officier & fon valet les faluent
de deux décharges répétées de leurs armes ,
en voyent encore tomber un , & les trois autres
prendre la fuite , griévement bleffés , à ce qu'il
parut par les traces de leur fang.
Les voyageurs furent tranquilles le refte de la
nuit ; au point du jour ils remontent à cheval
en faifant un détour par précaution , viennent à
la ville , & y dépofent tout ce qui leur eft arrivé.
On eft actuellement à la pourfuite des brigands ,
qui ont échappé aux coups des deux intrépides
voyageurs.
Les Etats de la Province d'Utrecht
peraftent dans leur oppofition aux réfolutions
des habitans de la Gapitale , & de
la ville de Wyk, qui s'eft auffi fouftraite--
à l'autorité du Réglement de 1674. Les
Etats ont réfolu de refufer l'entrée dans leur
Affemblée au Bourgueneftre de cette Mu
nicipalité de Wyk qui a voix délibérative au
Corps Souverain. Celui ci va fe trouver aux
prifes avec la Province de Hollande , qui a
défendu aux troupes à fa folde , de marcher
à Utrecht fans un ordre exprès de fa part.
Les Confeillers - Comités des Etats d Utrecht
fondent leur réclamation fur l'Union d'Utrecht
; mais d'autres Publiciftes trouveront
aifément qu'elle y eft contraire.
Les Etats de Hollande ont décidé la réforme
de toutes les troupes légeres nouvel
lement levées , à l'exception de fix Compagnies
du Corps de Salm.
( 139 )
Le Corps des Nobles de la Province d'Overyffel
vient de faire une démarche , dont.
une lettre de Deventer rend compte en ces
termes :
Les Seigneurs du Corps Equeftre de la province
d'Overyffel ont fait à l'affemblée des Etats ,
du 24 de ce mois , la déclaration fuivante , qu'ils
ont remife par écrit , fur la propofition de MM .
Jes Députés de la Ville de Deventer , du 15
Mars , & dont copie avoit été prise par tous les
Membres :
"
« Les Seigneurs du Corps Equeftre , préfens ,
ayant examiné avec l'attention requife la propofition
par écrit , avec toutes les pieces annexes ,
remifes par MM. les Députés de la ville de Deventer
, le 15 Mars 1786 , à l'affemblée , ils jugent
entiérement inutile d'entrer préalablement dans
une recherche ou réponſe fur le préambule deladite
propofition qui ne tend à rien autre qu'à
annuller le Réglement de la Régence , & ainfi
changer la conftitution établie. Mais ils fe trouvent
obligés de déclarer par la préfente , qu'à
leur admiffion dans le Corps des Nobles de cette
Province , ayant volontairement & de bonne
foi , concurremment avec les autres membres de
l'Etat , juré par ferment folemnel & promis à
Dieu tout - puiffant : qu'ils tiendront & obferveront
pour autant que cela dépend d'eux , & feront tenir
& ol ferver le Réglement de Régence de cette Province
, arrêté le 19 Février 1675 , inhére , renouvellé
& réimprimé par les Nobler & les Villes le
29 Mars 1748 , & fur lequel S. A. S. le Seigneur
Prince Stathouder- Héréditaire actuel a été élevé &
établi comme une loi fondamentale & permanente
pour la Régence de cette Province , & arrêté fans
préjudicier aux Réglemens préalables de la Régence
de la Province , pour autant qu'il n'y eft point con(
140 )
traire : En conféquence de ce , lefdits Seigneurs
du Corps Equeftre ne voulast point le
rendre coupables de parjure & de faux ferment ,
fe tiennent obligés de perfifter fidelement dans
leur ferment primitif , & par ainfi de s'oppofer
à toute alération ou changement , foic propofé,
foit réfolu , fous quelque nom que cela puiffe
être , à l'égard dudit Réglement de Régence ; à
moins toutefois que cela ne fe fit d'une maniere
légitime & du confentement unanime , tant des
Nobles & des Villes , que du Seigneur Prince
Stathouder. »
Lefdits Seigneurs du Corps Equeftre jagent
s'être fuffifamment déclarés par la préfente for
la propoſition faite par MM . les Députés de la
ville de Deventer : ils ajoutent que dans le cas
où il feroit trouvé quelques points fufceptibles de
changement ou annulation dans ledit Réglement
de Régence , ils feront prêts à entrer à cet égard
en befogne avec les autres membres de l'Etat
a nfi qu'à l'égard des plaintes des petites Villes :
étant fort éloigné de vouloir en rien préjudicier
à leurs loix & priviléges légitimement obtenus ,
mais tâchan: au contraire de coopérer à leur
maintien , & rétabliſſement . »
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
La réception très- gracieufe que l'Empereur a
faite au Comte de Podewils , a fourni nouvelle
matiere aux conjectores de nos devins politiques .
A les en croire , cet Ambaſſadeur a apporté à Sa
Maj . Imp. les affurances les plus pofitives de l'inclination
qu'auroit le Roi fon maître de coopérer
efficacement à l'élection d'un Roi des Romains ,
en faveur de S. A. R. l'Archiduc François ,
Grand-Prince de Tofcane ; ils ajoutent qu'en revanche
S. M. Pruffienne defire que la Cour I. R.
obferve la neutralité la plus exacte , au cas que
les différends des Hollandois , perfiftans à ne point
( 141 )
vouloir s'arranger à l'amiable dans les affaires du
Stathouder , le Roi employât des meſures plus.
énergiques. Cette demande paffe ici pour un trajt
de la politique la plus confommée . Quoi qu il en
foit de ces conjectures , il eft certain que le repos
de l'Europe eft fondé fur la bonne intelligence qui
continue de fubfifter entre Jofeph & Frédéric II.
[ Gaz, de la Haye ro. 48. ]
Les dernieres lettres de Lisbonne , en date du
24 Février , annoncent l'arrivée de quatre vaiſfeaux
Portugais , qui venoient des Indes - Orientales
& avoient re'âché au Cap de Bonne - Efpérance.
Un particulier qui s'eft trouvé à bord de
l'un de ces navires , a confirmé la nouvelle de
l'émeute de la Légion de Luxembourg à Columbo
en l'Ile de Ceylan ; mais il rapporte en même
temps , que le Gouvernement Hollandois étant
parvenu à fe faifir des matins , il y en avoit déja
eu 20 des plus coupables condamnés au dernier
fupplice . Les mêmes avis annoncent que l'efcadre
Hollandoife , aux ordres da Commandant van
Braam , s'étoit rendue à Ceylan , pour y porter
les fecours néceffaires au rétabl ffement de l'erdre
& de la tranquillité. Cette efcadre étoit en fort
bon état , quoique les équipages euffen: beaucoup
fouffert par les maladies. Son retour en Europé
ne paroiffoit pas encore fort prochain , vu qu'un
foulevement des Malais qui avoient repris la
ville de Silangor , avoit rendu une nouvelle expédition
néceffaire avec tous les vaiffeaux de l'ef
cadre à Riauw & fur la côte de Malacca. [ Gaz.
de Leyde , no. 27. ]
GAZETTE ABREGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS.
Tournelle Criminelle
Accufation d'affaffinat prémédité, entre Pierre Barou,
Menuifier, Bencit Barou , Cabaretier à Chazelles,
le fieur Mofnier, Curé de Chazelles -fur-l'Àdvieu
( 142 )
en Forez; ce dernier , appellant d'un décret deprife
de corps décerné contre lui par les Officiers du
Bailliage de Montbrifon. Et M. le Procureur-
Général.
L'affaffinat du Sr. Morelde la Combe , Juge Châtelain
de l'Advieu , domicilié dans la Paroille de S.
Jean- Soleimieux , commis le 7 Janvier 1782 , à 11
heures du foir , d'un coup de pistolet , chargé de
deux balles , dont il fut tué , eft le corps de délit
qui a fait la matiere du procès . Le fieur Morel
étoit dans une chambre de fa maiſon , au premier
étage , dans laquelle il ne couchoit que de la
veille , attendu les réparations qu'il faifoit faire.
Son lit étoit dans une alcove , celui de la dame
fon époufe n'en étoit féparé que par un espace
d'environ deux pieds ; un rideau commun fermoit
Palcove. La dame Morel , qui étoit couchée , ainfi
que fon mari , n'a pas été attaquée ; elle a été réveillée
par le bruit du piftolet , & dans le même
moment, elle a apperçu le corps enfanglanté de
fon mari ; elle appelle du fecours , & déja le
meurtrier n'y étoit plus . Le lendemain matin ,
la dame Morel fortit de Chazelles , avec fon neveu
& fa niece , quelques domeftiques les ſuivirent ,
& il ne refta dans la maifon que deux fervantes.
-
Le Vice -régent de la Châtellenie , appellé
pour dieffer fon Procès - verbal , fe rendit dans la
maiſon du fieur Morel , avec le Procureur, Fifcal
& un Chirugien . Le Juge interrogea les fervantes
fur les circonftances de l'affaffinat ; il monta enfuite
dans la chambre où s'étoit commis le crime ;
il conftata l'état du cadavre , fa bleffure , en fit
faire l'ouverture , & trouva deux balles d'étain
dans la tête. Le Procès-verbal qui fut dreffé
ne donnoit aucun indice fur le coupable ; mais
des bruits enfantés par la calomnie , firent parvenir
au Juge quelques foupçons fur le compte de
Pierre Barou , Menuifier , qui avoit travaillé aux
( 143 ).
réparations de la maifon du fieur Morel. On donna
à entendre qu'il avoit dirigé les ouvrages faits
aux portes & fenêtres de la chambre du Sr Morel ,
de maniere à en rendre l'accès plus facile pour
l'exécution du noir deffein qu'on ofa lui fuppofer
d'avoir affaffiné le fieur Morel . C'en fut affez pour
faire arrêter ce malheureux Menuifier , le 10 Jan
vier 1783. L'éclat de cet emprifonnement détermina
quelques foupçons très vagues de la part
de quelques témoins de l'information . Parmi les
témoins , il fe préfenta une fille , qui depuis longtemps
nourriffoit contre le Curé de Chazelles une
inimitié outrée , pour raifon d'un mariage manqué
, dont elle attribuoit la rupture à ce Curé
c'eft une fille qui , dans une dépofition très-longue
, a accufé le Curé de complicité d'affaffinat
du fieur Morel , avec Barou. Elle a fuppofé que
c'étoit le Curé qui en avoit infpiré le deffein au
Menuifier , dans différentes converfations qu'elle
prétendoit avoir entendues. Sa dépofition étoit fi
abfurde & fi ridicule , qu'elle ne fit pas d'impreffion
d'abord fur l'efprit du Juge ; & ce ne fut que
le 22 Décembre 1784 , environ deux mois après
la dépofition de cette file , que le Curé de Chazelles
a été décrété de prife de corps ; il a été
arrêté dans le moment , cù inftruit du décret , il
partoit pour Lyon , où il alloit réclamer la Juftice
de l'Official , fon Juge naturel. Conftitué
prifonnier à Montbrifon , il a interjetté appel en
la Cour , du décret qui avoit été décerné contre
lui. Un premier Arrêt , du 5 Janvier 1784 , a
reçu fon appel , & ordonné l'apport de la procédure
au Greffe de la Tournelle. Un deuxieme
Arrêt , du 18 Mars fuivant , rendu fur le yu des
charges , a ordonné fon élargiffement provifoire .
Le Defenfeur du Curé de Chazelles a établi
J'innocence de Pierre Barou fyr un alibi , & conſé(
144 )
quemment celle du Curé de Chazelles , qui n'avoit
pu confeiller un crime imaginaire , & dont il n'y
avoit aucune preuve dans la procédure ; il a difcuté
en uite la dépofition de Marie Salle , témoin
un que contre le Curé , & il en a démontré la fauſfeté
; enfin , ayant mis dans le plus grand jour
l'innocence des accufés , l'Arrêt que voici eft intervenu
le 28 Septembre 1785. Notredite
» Cour reçoit le Curé de Chazelles incidemment
Appellant de la Sentence du Bailliage de Mont-
» briſon , du 22 Décembre 1784 ; faiſant droit
» fur icelui , met l'appellation & ladite Sentence
» au néant ; émendant disjoint la procédure extraordinaire
faite en la Jufice de Chazelles ,
fur la plainte de Pierre Morel & autres , du 30
Avril 1773 , de celle commencée d'abord en
» la Châtellenic Royale de l'Adviey , à la requê e
» du Subftitut de notre Procureur - Général en
ladite Châtellenie , & continuée au Bailliage
» de Montbrifon ; reçoit notre Procureur- Géné-
">
ral Appellant pour le nommé Benoit Barou , de
» la procédure extraordinaire contre lui , com-
" mencée en la Châtellenie Royale d'Advien
& continuée au Bailliage de Montbrison , faifant
droit fur ledit appel , enfemble fur ceux
interjettés des mêmes procédures par le Curé
de Chazelles & Pierre Barou ; met les appella-
» tions & ce au néant ; évoquant le principal & y
so faifant decit , décharge lerdits Caré de Chazelles,
Pierre Barou & Bencit Barou , des plaintes & accufations
contre eux intentées ; en conféquen-
» ce , ordonne que let dit Pierre & Benoit Baroù
» feront mis hors des pritens ; comme auffi , que
» leurs écrous , ainfi que ceux du Cure de Chazelles
, feront rayés & biffés de tous Regiftres.
Leur permet de faire imprimer & afficher notre
» préſent Arrêt , par- tou où bon le viſemblera.
» SI MANDOns , &c. »
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 8 Avril.
'Oppofition de la ville de Dantzick à la
bonne intelligence avec le Roi de Pruffe ;
oppofition que M. de Hertzberg , dans fa
deniere Differtation , appelle les tracafferies
d'une ville inquiete , paroît fe renouveller . On .
prête aux Dantzickois de fervir d'inftrumens
à d'autres Puiffances ; foupçon peu vraiſemblable
, fi l'on confidere que cette République
, i tiraillée depuis le dernier partage de
la Pologne , n'eft gueres en état de donner
des embarras férieux à S. M. Pruffienne.
Le Pavillon Pruffien , à ce qu'on dit , a été
infulté fur la Viftule ; violence inconfidérée
à laquelle on ne peut ajouter foi , fans des
avis plus authentiques.
L'Elbe eft de nouveau débarraffé de glaces
, & la navigation en eft ouverte. Plufieurs
bâtimens venant de Londres , de Bor-
Nº. 16 , 22 Avril 1786. g
( 146 )
deaux font arrivés ici. La glace s'eft également
rompue dans le Sund qui charie actuellement
beaucoup de glaçons.
On va établir inceffamment à Copenhague
une caiffe royale de crédit , où les propriétaires
de terre & les payfans trouveront
des fonds & des fecours pour l'amélioration
de leurs poffeffions .
Le Roi de Danemarck , inftruit du courage
& de l'humanité d'un particulier de
Shagen , qui a fauvé 13 perfonnes d'un bâtiment
Anglois naufragé près de Shagen , lui
a fait remettre une grande médaille d'argent
avec l'infcription pro meritis , & une
fomme de 100 rixdalers .
•
Fin du Précis fur le Commerce du Danemarck,
Commerce des Danois avec la Hollande.
Marchandifes d'exportation.
Boeufs , bled , bois de conſtruction , fers .
Marchandifes d'importation.
Epicerie & Drogues.
Le bilan du commerce eft en faveur des
Danois ; mais comme l'Etat doit des fommies
confidérables aux Hollandois , & que ces derniers
ont une grande part dans les actions de
la Compagnie Afiatique , le bénéfice du commerce
eft abforbé par les intérêts à payer &
par le dividende des actions qui revient aux
Actionnaires Hollandois.
Commerce des Danois avec l'Angleterre.
Ce commerce le réduit à peu de chofes ;
( 147 )
cependant le commerce interlope avec l'Angle
terre eft de conféquence.
Les Anglois reçoivent de la Norwege du
bois de confiruction , des mâts , des poiffons
féchés , & c. Mais depuis que la Ruffie a permis
l'exportation du bois , & que fon bois eft moins
cher que celui de Norwege , cette branche de
commerce eft beaucoup diminuée.
Le bilan ef en faveur des Danois.
Commerce des Danois avec la France.
"
Marchandifes d'exportation.
Beurre fromages , chevaux du Holftein ;
viande falée , poiffons téchés , reſure de cabeliau
, goudron , voiles , & d'autres marchand.
fes d'importation.
Marchandifes d'importation.
Sel , vins , eaux - de - vie , fruits , marchandifes
de bijouterie & de modes , & par le commerce
interlope des foieries & laineries des
fabriques Françoifes.
Le bilan eft au défavantage des Danois.
Commerce des Danois avec l'Espagne & le
Portugal.
Marchandifes d'exportation.
Les mêmes qu'en France , excepté les
chevaux .
Marchandifes d'importation .
La navigation des Danois dans cette mer eft
confidérable . Ils exportent en Italie , fur- touc
des poiffons féchés , & en importent de la foie.
Mais ce qui rend cette navigation active , c'ek
le fret que gagnent les navigateurs Danois ,
allant de port en port dans cette mer. Les
8 2
( 148 )
Italiens fachant que la couronne de Danemark
vit en paix avec toutes les Puiffances
Barbarefques , confient leurs marchandiſes aux
bâtimens de cette nation , qui les tranfportent
partout dans la Méditerranée . Mais malgré
cet avantage , la nation en général fait peu de
bénéfice dans cette navigation , l'entretien de la
bonne harmonie avec les Barbarefques lui coûte
très-cher.
Commerce des Indes Orientales.
Ce commerce eft fait par le Compagnie
Royale Afiatique , mais depuis 1777 , époque
à laquelle le roi a repris le gouvernement ou
l'adminiſtration territoriale des poffeffions Danoifes
dans cette partie du monde , cette Compagnie
ne fe mêle que des affaires de commerce .
& il eft même permis aux autres fujets du
Roi d'y aller commercer fous la protection de
la Compagnie , & en lui payant une certaine
rétribution .
L'octroi de la Compagnie eft très - avantageux
pour elle. Il lui eft permis entre'autres chofes
de fe procurer tout ce dont elle a befoin pour
l'équippement de fes vaiffeaux , fans en payer
aucun droit de douane : Les artiftes & arti ans
à fon fervice ne font point affujetris aux ftatuts
des corps de métier : elle eft difpenfée de faire
ufage du papier timbré ; elle fait feule les affaires
commerciales fans que le Gouvernement
puiffe s'en mêler , & ne paie à la Couronne
pour les marchandifes de la Chine & des Indes
Orientales que deux pour cent de celles qui
reftent dans les Etats du Roi , un pour cent de
celles qui font réexportées à l'étranger. Le
commerce d'exportation confifte en fer , armes ,
Mainerie & argen: ; celui d'importation en thé ,
( 149 )
fago , quinquina , rhubarbe , tuttanego , nanquins
, foierie , porcelaine , falper , poivre ,
, coquillages , mouffelines , indiennes ,
perles , &c .
Commerce d'Afrique.
Le commerce de Guinée eft réuni à la Compagnie
de la Baltique , dont le fonds et de trois
millions de rixdalers. Les forts de Chriftian bourg
& de Fridericsbourg délendent les poffeffions danoifes
avantageufement fituées à l'embouchure de
la Riovolta. Le comptoir d'Avita eft un de plus
importans. Les negres , l'ivoire & la pouffiere
d'or font les principaux objets de ce com
merce [ ],
Commerce des Ifles de l'Amérique.
Ce commerce qui occupe environ foixantedix
bâtimens par an , confiile en café , gingembre
, bois , coton & fucre. Il feroit avantageux
à la Nation en général , s'il n'y avoit pas dans
ces ifles un grand nombre de planteurs anglois &
hollandois , dont beaucoup vivent dans leur patrie
& confomment chez eux le bénéfice net
de leurs plantations , & fi la Compagnie aliatique
n'avoit pas la permiffion d'y vendre une grande
partie de fes marchandifes de Chine & des Indes
Orientales.
Bilan général du commerce danois.
On n'eft point d'accord fi la Nation gagne
dans fon commerce ou fi elle y perd. Il eft
vrai que plufieurs Provinces perdent confidé-
་ ་
[1] On a formé le projet de réunir dans une feule Compagnie
les Compagnies de la Guinée , de la Baltique_&
des ifles de l'Amérique . Le projet a été publié le 22 Octobre
1784. La pluralité des Actionnaires décidera de
cette réunion .
g 3
(( 150 ))
rablement , & que le commerce interlope fast
auffi un grand tort à l'Erat . Mais en confidérant
, d'un autre côté , le bénéfice que funt
annuellement la Norwege , la Jutlande , le Flef
fois , & le Holftein , & en y ajoutant le produit
annuel des mines d'argent & de cuivre , & celui
des droits du Sund [ 1 ] , il eft certain que le bilan
général eft en faveur du commerce danois . Le bénéfice
cependant qui refte dans le pays n'eft pas
bien confidérable , puifque les étrangers , qui
ont des actions de la Compagnie Afatique , &
les étrangers planteurs en enlevent une bonne
part.
"
Droitsde Douane.
Les droits de douane ne font pas établis également
& fur le même piel par tous les Etats danois.
Ils font très modérés dans les Duchés de
Hoftein & de Fleffois ; prefque toutes les marchandifes
peuvent y entrer & en fortir. A Altona
le commerce eft abfolument libre , & les droits
d'entrée & de fortis font peu de chofe . Il n'en eft
pas de même en Danemarck & en Norwege.
L'importation des marchandifes étrangeres de.
1xe , & relles des manufactures étrangeres que
l'on peut fe procurer des fabriques du pays , y
cft de endu ; il eft auffi défendu d'en exporter
des marchandifes , brutes propres aux manufac
tures du pays. Les marchand fes importées
fur des bâtimens étrangers paient plus de
[ 1 ] Ces droits fixés par un tarif font levés à Hellingòr ,
"Vyborg & Fridericia en Norwege .
32
Les bâtimens Anglois , Hollandois , Suédois , Fran-
Gois & Ruffes ne payent qu'un pour cent des marchandifes
qui n'y font pas defignées , & s'ils font munis de paffe
ports, ils ne font point affujenis à la vifite , mais les
bâtimens des autres nations font vífités , & payenr
droits un quare pour cent en fus,
droits que celles imperiées fur des bâtimens na➤
tionaux. Mais pour ne pas trop géner le comerce
par des reftrictions , il eft permis aux Négocians
d'importer toutes les marchandifes quelconques
deftinées pour d'autres pays , moyennant
un droit modique de tranfit.
Le Baron de Heiniz , Miniftre d'Etat chi
Roi de Pruffe , vient de faire paroître un
Mémoire fur les bénéfices des Mines dans la
Monarchie Pruffienne. Leur exploitation ,
felon lui , forme un objet des millions de
rixdalers ; elle occupe & entretient 88,024
familles qui payent aux diverfes caiffes publiques
une fomme annuelle de 77 000 rixd .
Le Roi , ajoute M. de Heiniz , n'avoit porté
particuliérement fes vues fur cette branche de
l'économie politique , qu'après la guerre de fept
ans : jufqu'en 1778 , Sa Majefte y avoit employé
470,000 rixdalers ; mais en 1783 , elle a afligné
pour cet objet un nouveau fonds de 260,000 r xdalers.
Les Etats du Roi paient encore actuellement
aux Etrangers pour l'importation des productions
brutes du règne minéral , la fomme de
825,000 rixdalers par an; mais l'exportation de
fes Etats des marchandifes tirées du regne minéral
forme un objet annuel de 1,048,803 rixdalers .
Dans la Monarchie Pruffienne , un feizieme de la
population travaille à l'exploitation des mines.
Dans les Etats Autrichiens , en Saxe & en Suede ,
cette branche d'induſtrie occupe trois huitiemes ,
& en Angleterre , un tiers de la population. Les
mines dans les Etats Pruffiens font moins abondantes
& moins lucratives que celles des pays que
l'on vient de nommer, Un feul exemple prouvera
cette affertion , faveir , 43,000 quintaux de minéral
de fer des mines de Viez dans la nouvelle
8 4
( 152 )
Marche , ne produifent que 9000 quintaux de
greufe , ou 5626 quintaux de fer en barres , ce
qui fait 20 livres pefant & cinq fixiemes de bon fer
fur un quintal de minéral.
DE VIENNE , le 7 Avril .
Il eft queftion de transférer dans une autre
ville de l'Archiduché le Lombard ou Montde
Piété établi dans cette Capitale , & de
réduire à quatre pour cent , l'intérêt des gages
dépofés , au lieu de douze pour cent
qu'on paye actuellement. L'anecdote fuivante
a fait penfer , dit on , à cette tranflation
.
L'Empereur s'étant rendu en perfonne ces jours
derniers dans l'hôtel du Lombard, demanda à l'Inf
petteur le nom du propriétaire des pierreries qui y
avoient été miles en gage pour la fomme de 80
mille flor. & qui avoient été eftimées 130 mille.
L'Inspecteur s'excufa en répondant qu'il ne pouvoit
fatisfaire à la demande de S. M. , fans fe rendre
coupable d'un manque de foi qu'il avoit jurée
au propriétaite de ces précieux joyaux , de ne
point divulguer fon nom. L'Empereur , après
quelques momens de réflexion , fe contenta de
cette réponſe , en faisant l'éloge de l'intégrité &
de la fidélité de l'Infpecteur à garder la foi. Cette
vifite de l'Empereur a été occafionnée , dit - on ,
par les demandes de fommes confidérables qui
avoient été faites précédemment par le Lombard
à la Banque de la ville , pour pouvoir fatisfaire le
grand nombre d'emprunteurs qui y étoient venus
porter des gages pendant le dernier carnaval . C'eft
auffi , comme on le préfumes ce qui a donné licu
au nouveau Réglement qui va être publié , de ne
( 153 )
donner à l'avenir durant tout le tems du carnaval
qu'un ou deux bals mafqués au plus par mois , en
ordonnant généralement de reftreindre les divertiffemens
publics de la Capitale .
On s'entretient toujours ici d'un voyage
prochain de l'Empereur , qu'on affure être
fixé au commencement du mois de Mai .
Selon toutes les apparences , S. M. Imp. fe
rendra dans la Hongrie où l'on doit affembler
un camp près de Peft ; & delà elle ira
dans la Tranfylvanie & la Buckowine.
Il est décidé que les Carmes dans le fauxbourg
de Léopolftalt feront fupprimés.
Leur Couvent eft deftiné aux Récollets de la
ville , & celui de ces derniers fera vendu .
Par un nouveau Décret de l'Empereur il
eft ordonné à tous les bâtimens marchands
de fes fujets de porter le pavillon Autrichien
à bandes rouges & blanches , au lieu
du pavillon Impérial ufité jufqu'à préfent.
D'après un relevé des Regiftres publics .
on a compté l'année derniere dans le Royaume
de Bohême 23,464 mariages , 95,189
naiffances & 94,846 morts. Le nombre des
mariages dans cette ville étoit monté à:
1252 , celui des naiffances à 7890 , & celui
des morts à 5558.
Afin de procurer à la Hongrie des débouchés
de commerce , on dit qu'à la Diete
prochaine il fera délibéré fur un plan pour
conduire le Danube dans la mer Adriatique
entre Buccari & Porto Ré , en joignant par
des canaux le Danube , le lac de Neufiedel ,,
& S
( 154 )
है
Ja Raub , la Mihr , la Drawe , la Sawe &
la Kulpa.
DB FRANCFORT , le 12 Avril.
Depuis le mois dernier , il regne une gran
de fermentation à Nuremberg. Les contributions
de cette ville Impériale à l'Empire ,
au cercle de Franconie & fes dépenfes publiques
ayant été calculées à l'époque où , far
l'induftrie de fes habitans & par fa pofition ,
'Nuremberg étoit la premiere ville commerçante
de l'Allemagne , les révolutions du
négoce ont diminué la recette , les dépenfes
font restées les mêmes , & on a contracté
des dettes onéreufes. Pour en fupporter le
poids , la Régence s'eft avifée au mois de
Février d'établir une nouvelle capitation :
cet impôt a trouvé beaucoup de contradictions;
à peine la vingrieme partie des habitans
a t elle adhéré à l'Ordonnance . Les négocians
& les Députés de la ville ont fait
des repréſentations au Magiftrat : celui - ci
a offert d'abandonner l'impôt , moyennant
une contribution volontaire ; mais cette
queftion incidentelle en a amené une beaucoup
plus importante. La Bourgeoisie réclame
contre l'oppreílion de fes anciens privileges
, d'après lefquels nulle loi importante
& nulle taxe ne peuvent recevoir de fanction
que du confentement de la Bourgeoifie.
Celle-ci demande en conféquence que la
Régence retire fon Réglement fifcal fans
condition , & qu'elle confirme tous les droits
( 155 )
•
& privileges de la Communauté. Quelques
notions fur l'Hiftoire de Nuremberg pourront
jetter du jour fur ces diffenfions.
La conftiturion de cette ville eft aristocratique;
mais c'eft une aristocratie très oppreffive. Dixneuf
familles regardent la ville & lon territoire
comme une propriété ; de ces dix - neuf familles
on élit trente- quatre Sénateurs , dont la Police
eft compofée. Dans certaines occafions , huit
Bourgeois tirés des huit métiers privilégiés
font Affeffeurs de la Magiftrature ; mais ce n'eft
qu'une formalité . Aucun autre bourgeois ne peut
efpérer d'entrer dans le Gouvernement. Celui ci
s'appuie fur un privilege de 1 Empereur Frédéric
III , de 1476 , felon lequel le Magiftrat ne doit
compte qu'à l'Empereur en perfonne. Tous les
emplois un peu lucratifs font occupés par des familles
patrici , nnes. Les bourgeois ne font comptés
pour rien. Un voyageur nous affure qu'étant
à Nuremberg , il revint à l'auberge avec un Négociant
diftingué , & que dans le fallon il n'avoit
jamais pu décider ce Négociant à s'affeoir , parce
qu'un enfant de douze à treize ans , fils d'un Patricien
, fe trouvoit préfent. Les jeunes Patriciens
regardent les plus refpectables de leurs concitoyens
avec une hauteur infupportable . Il y a deux
cents ans qu'on portoit les habitans de Nuremberg
foixante - dix mille ams ; ón en compte actuel .
lement trente mille . Scaliger dit que , de fon
tems , la ville de Nuremberg avoit plus de revenos
que l'Electeur de Saxe . Cette ville contribua
& contribue encore autant à l'Empire que le
Royaume de Bohême , & que les deux principautés
réunies d'Anfpach & de Beyreuth, Nuremberg
paie pour le Kammerzieler ( 1 ) 2030 rixdalers ; la
(1) Muricule de l'Empire.
§g 6
( 196 )
Bohême 1416 ; tous les pays de Bourgogne ,
1014 ; les Principautés d'Anfpach & de Bayreuth
enfemble , 1690. En général , les villes libres
furent impofées en 121 plus que les autres Etats
de l'Empire. Ces derniers ne furent taxés qu'à
proportion de leurs domaines , les villes à proportion
de leurs revenus. Par exemple, Augsbourg paie
1268 rixd.; Ulm , 2487 ; Hambourg , 1098 Les revenus
de Nuremberg font évalués à fix milions
de florins ; mais il est vraisemblable qu'ils ne paffent
pas deux millions. Comme les Patriciens
prétendent n'être obligés à rendre compte à per .
fonne qu'à l'Empereur , on leur reproche de partager
entr'eux le produit des impôts . Malgré ces
revenus confidérables , cette Ville eft chargée
de beaucoup de dettes. On évalue l'avantage
d'être né Patricien à la fomme de cent mille
florins. Le Magiftrat de Nuremberg fait un
grand fecret de fes revenus . Depuis long- tems
les gens fenfés prévoyoient une révolution . Les
impôts de la ville font exerbitans .
La ville a confervé jufqu'ici beaucoup de crédit
, à caufe de la régularité avec laquelle on paie
les arrérages des dettes de l'Etat . Indépendamment
des impôts , le Citoyen eft encore affujetti
à beaucoup de dépenfes dont il ne peut fe dif
penfer , & qui font très - onéreuſes . Par exemple ,
l'enterrement d'un homme d'une fortune moyenne
, coûte cin à fix cents florins , une noce ,
8 à 1200 florins ; un baptême , 100 florins. Il y a
des gens préposés à ces cérémonies qu'il faut
payer , même quand on ne s'en fert point. Les
préfens de la nouvelle année montent , pour une
maiton d'une fortune moyenne , à 75 à : 00 florins .
Il faut payer encore une taxe affez confidérable
quand on fait un teftament ou quelqu'autre dif
pofition de ce genre. J'ai fous les yeux un compte
( 157 )
"
d'après lequel , fi un particulier laiffe 50000 f.
dont il a difpofé en faveur de fes enfans , il y a
près de 2000 florins de dépenfes indifpenfables à
faire , comme 1000 fl. pour l'enterrement & les
' habits de deuil , 250 fl . pour la taxe du teftament
, 450f . pour l'inventaire , &c. &c. Ilfaut
que l'efprit d'induftrie & de commerce ait pouffé
ds racines bien profondes dans cette ville pour
n'être pas entiérement détruit par une pareille
administration . Nuremberg cependant fait encore
des affaires très étendues. L'industrie y fleuriſſoit
déja dès le treizieme & le quatorzieme fiecle. On
'y trouve une induftrie prodigieufe , & l'exactitude
nurembergeoife eft en réputation .
Un journalier qui n'avoit pas allez d'argent
pour payer toutes les dépenfes de l'enterrement de
fon enfant , réfolut de l'enterrer lui - même ; dès
que la chofe fut connue , on le condamna à une
longue prifon ; on tira l'enfant de la folfe , & on
l'enterra dans toutes les formes. Une troupe
de Comédiens repréfenta , en 1738 , à Nuremberg
, un traduction allemande des Plaideurs de
Racine. Le Sénat s'imagina que c'étoit une fatyre
contre la Justice de Nuremberg , & on cita le
chefde la troupe ; cependant on le renvoya abfous
lorfqu'il eut déclaré que la Pięce étoit traduire
du françois. Tous les bourgeois font obligés
de donner le repas de noce dans une auberge déterminée.
Un habitant de la ville , qui n'eft pas
bourgeois , & qui n'eft pas affez riche , peut bien
fe difpenfer de donner un repas dans cette maiſon
privilégiée ; mais alors la nouvelle mariée n'ofe
pas porter une couronne comme les autres fiancées
qui donnent un repas dans cette maison .
Sous l'Empereur Charles IV , la Bourgeoifie
fe révolta , dépofa le Magiftrat , & en élat un
autre huit Métiers refterent fideles à l'ancien
( 158 )
: Magiftrat celui - ci étant rétabli , ces huit métiers
obtinrent le privilege d'envoyer un membredes
leurs au Sénat : on nomme res huit bourgeois,
amis du Sénat. Is difent ordinairement oui , à
tout ce que le Sénat décide. Chaque bouteil e
de vin pa e à Nuremberg 1 & demi kreutzets.
L'impôt fur la bierre eft plus confidérable , &
monte à la moitié du prix.
Les nouvelles ultérieures de la haute
Hongrie confirment que le 27 Février , entre
4 & heures du matin , on a éprouvé
une violente fecouffe de tremblement de
terre qui a duré près d'une minute. On doit
avoir fenti le même jour & à la même heure
dans la partie de la Pologne voifine de
ce comitat , des fecouffes encore plus violentes
.
>
On apprend de Wertheim que la Princeffe
de Loevenftein Wertheim y eft accouchée
, le 26 du mois dernier , d'un Prince ,
qui a été nommé au baptême Conftantin-
Louis Charles - François Henri .
Dernierement la Gazette de Mofcou renfermoit
une annonce philofophique affez plaifante.
Antoine le Maire , de Luneville en
» France , arrivé depuis peu à Molcou , fouhaite
d'être employé ou dans une mailon
» de particulier , ou dans une Ecole publi-
» que, pour enfeigner ce qui fuit : La Lan-
" gue Françoife , la Grammaire & l'Ortho-
» graphe des Langues Allemande , Italien-
» ne , Polonoife , Angloife , Suédoïfe , Efpagnole,
Latine , Grecque & Turque , la
Géographie , l'Hiftoire , la Mythologie ,
כ כ
( 159 )
» l'Arithmétique , la Géométrie , la Trigonométrie
, l'Algebre , les haurres Mathematiques
, la Fortification , l'Artillerie , la
» Chymie, la Logique , la Métaphyfique ,
» la Jurifprudence , la Navigation & l'Hy-
» draulique. A côté de cela il entend encore
ל כ
beaucoup d'Arts ; par exemple , celui de
» faire la meilleure Porcelaine de la fayence
» caffée , & plufieurs autres chofes qui appartiennent
à la Chymie. Il peut encore
» donner des leçons de deifin , de clavecin ,
de chant , & enfeigner à voltiger avec une
facilité extrême. Il demeure dans le champ
des Vierges , à côté de la fabrique de
» Thames , dans la maifon du Fripier An-
» dré Horefchtrow , au No. 95 .
כ כ
Un ordre du Roi de Pruffe du 13 Mars
a enjoint aux Tribunaux d'être plus féveres
dans les affaires criminelles , & fur-tout dans
la punition du meurtre , des vols & des violences
commifes fur les grands chemins. Sa
Majefté ordonne que le meurtrier foir puni
de mort, & que ceux qui volent ou maltraitent
quelqu'un fur les grands chemins foient
condamnés à perpétuité aux travaux dans les
fortereffes.
L'adminiſtration des pauvres dans la ville
de Breflau a entretenu pendant l'année 1785 ,
foit avec de l'argent , foit par le travail 3314
individus. Le nombre des malades reçus
dans les Hôpitaux eft monté dans la même
année à 2322.
Le Docteur Bufching a publié dans fes Feuilles
Hebdomadaires les obfervations fuivantes fur les
( 160 )
naillances dans plufieurs villes de Saxe , pendant
Parnée 1785.
A Leipfick , dit il , le nombre des garçons a
furpallé de beaucoup celui des filles ; fur 14 enfans
vivans , on a compté un mort- né & furs enfans'
légitimes , préfentés au Baptême , un enfant illégitime.
3
A Freyberg , le 12e. enfant mort- né , & le 103 .
erfant illegitime.
A Delifch & aux villages y incorporés , le 21e .
enfant mort - né , & le 1ze . enfant illégitime .
A Bitterfeld , le 21e . enfant mort né , & le i je.
enfant illégitime .
A Dicben & aux villages y incorporés , le 2re.
enfant mort né , & le 11. enfant illegitime...
AZoerbig , le 20e. enfant mort- né , & le 13e.
enfant illégitime.
Depuis quelques années , le nombre des pauvres
augmente beaucoup à Leipfick ; l'année derniere
, le Bureau de Charité en a foutenu 3,293.
Il en eft de même à Berlin , où le nombre des
pauvres pendant l'année derniere a forp Ké
de 402 celui de l'arnée 1784 .
Ce même Docteur a inféré dans fou Journal
hebdomadaire une lettre d'un de fes Correfpondans
où on lit que la Gallicie & la Lolomérie ont
1360 milles carrés de furface , & une population
de 3,107,000 ames . Dans ce nombre font compris
125,000 Juifs . La population de Limberg:
monte à 25,000 habitans . Les Proteftans établis
dans certe Ville ont acheté l'Eglife des Dominicains
, dont la conftruction n'avoit pas été achevée,
& qui , pour la finir , leur coûtera encore la
fomme de ro, 000 florins. Le Correfpondans
ajoute que felon la proportion de furface entre les
fufdites deux Provinces & les Provinces qui compofent
actuellement la République de Pologne:
( 161 )
& le Duché de Lithuanie , ces Provinces doivent
renfermer une population de 1 à 12 millions
d'ames, Jufqu'à préfent il n'existe point de
dénombrement exact de la Pologne , & tant que
les dillenfions dureront dans cet Eat , il n'en faut
point efpérer.
Quelques Papiers publics ont parlé des
prétentions de la Maiſon, de Heffe fur le
Duché de Brabant , fans en indiquer l'origine.
On lit à ce fujet le paffage fuivant dans
un Mémoire publié , il y a bien des années ,
par le Profeffeur Hopp , vice - Chancelier de
Univerfité de Marbourg.
Henri II , Landgrave de Heffe , qui poffèdoit
le Duché de Brabant , eut deux fils , favoir :
Henri III qui lui fuccéda dans ce Daché , & Henri,
furnommé l'Enfint , duquel defcendent les Maifons
actuelles de Haffe. Jean III , arriere petitfils
de Henri III , mourut en 1355`, fans laiffer de
defcendans mâles . Après la mort de ce Prince , de
Duché de Brabant auroit dû paffer à Henri , furnommé
de Fer, petit - fils de Henri l'Enfant ; mais
Jean III fit de fon vivant affurer la fucceffion au
Duché aux Princeffes fes filles , contre lufage &
les loix féodales des Peuples . La 3e . de ces Princeffes
, à laquelle échut la fucceffion , avoir épovfé
Louis , Comte de Flandres , & de ce mariage ,
naquit la Princeffe Marguerite , qui fut mariée à
Philippe-le- Hardi , Duc de Bourgogne . Enfin , le
Duché de Brabant paffa dans la Maifon d'Autriche
par le mariage de l'Empereur Maximilien I , avec:
la Princeffe Marie , fille unique de Charles -le-Teméraire
, Duc de Bourgogne.
Le 27 Février , à 4 heures du matin , on
reffentit à Cracovie & aux environs plufieurs
fortes fecoufles de tremblement de terre ,
( 162))
qui durerent pendant 2 fecondes. Dans plusfieurs
endroits le terrein s'eft crévaffé , &
dans d'autres il s'eft enfoncé de plufieurs,
pieds. Le château de Glebow à 7 milles de
Cracovie a été fortement endommagé. La
commotion s'est étendue jufqu'à Radom.
Les tremblemens de terre ne font pas des
événemens inconnus en Pologne. D'après
les anciennes Chroniques de ce Royaume
on en a éprouvé en 1000 , 1016 , 1200 ,
1:57 & 1258 , 1303 & 1348 .
On lit dans le Mémoire fur le commerce des
Eta's Autrichiens , publié par M. Schwighfer ,
les détails fuivans . Les manufactures de toile ,
dans ces Etats , en fabriquoient par an pour 5
millions de florins; celtes de draps , établies dans
la Bohême & la Moravie , pour 15 millions. Les
fabriques d'indiennes pour 3 millions & sceles
de foierie pour environ 4 milions. Toutes les
branches du commerce national occupent envizon
800,000 perſonnes ; ce qui prouve que l'activité
dans ces Etats qui renferment ure population
de 22 millions d'ames , n'eft pas encore portée
au point où elle devroit l'être .
•
Pendant l'année derniere on a fabriqué à Goldberg
, dans la Silefie , 13,323 pieces de draps
fins , dont 10,591 ont paffé à l'Etranger.
ITALI E.
DE LIVOURNE , le 25 Mars..
Un vent violent avoit amené ici un gros
bâtiment destiné pour un autre port. En{
(1163))
tr'autres perfonnes , ce navire portoit deux
Chevaliers de Malthe François. Ils étoient
defcendus à terre , & pendant que le vaiffeau
reftoit dans le port , ils firent la partie
d'aller à Pife. Ils fe promenoient fur les
bords de l'Arno . Un coup de vent enleve le
chapeau d'un des Cavaliers. Il veut le rattrapper
en l'air , le pied lui manque & il
tombe dans l'eau . Son camarade frappé de
cette chute , cherche cependant à encourager
fon ami ; il tire fon mouchoir de fa poche
, & lui fait figne de le faifir , ce que l'autre
fit en effet ; mais la toile n'étant pas affez
forte , le mouchoir fe rompit , & le malheureux
Chevalier fur entraîné par les eaux
qui étoient très rapides . On accourut au fecours
, mais on ne put fauver que celui qui
étant reſté d'abord fur terre s'étoit précipité
dans le fleuve pour aider fon ami. Le premier
eft noyé , & on n'a point encore retrouvé
fon corps . Cet infortuné avoit für
lui deux répétitions en or enrichies de diamans
, & douze louis dans fa bourfe.
Une lettre d'Alger du 26 Février porte ce
qui fuit :
La paix entre l'Espagne & cette Régence eft
enfin définitivement conclue , & la moitié des fùperbes
préfens , envoyés ici par S. M. Catholique ,
ont déja été remis au Dey. Dans quelques mois ,
plus de roco Efpagnols partiront de ce port pour
retourner dans leur patrie , à qui leur liberté
coûte d'autant plus cher , que tout l'or prodigué
dans cette occafion , ne fuffira pas long- tems gour
( 164 )
affouvir l'infatiable cupidité des Algériens . Nous
avons cu un hiver très - doux . Dès la fin du mois
dernier , les campagnes étoient couvertes de verdure
& les arbres de fleurs . Quel beau pays que
celui ci ! Mais il le feroit encore infiniment davantage
, s'il étoit occupé par un peuple induf
trieux , fous les mains duquel les buiffons & les
herbes groffieres fe métamorphoferoient en riches
moiffons.
La Perf.nne envoyée ici par le Roi de Naples
pour conclure pareillement un Traité de paix
avec cette Régence , a eu plufieurs conférences
avec le Bey. Mais il n'y a encore rien de terminé,
& on deute fort que cene négociation réuflille ,
l'Envoyé de S. Al . Sicilienne n'ayant répondu aux
demandes du Dey que par un état des forces mavales
du Roi fon Maître. Cette circonfiance fait
affez voir , que bien loin d'accorder les tributs
énormes qu'exigent les Algériens , la Cour de
Naples eft déterminée à faire ufage de fes forces ,
non - feulement pour ſe mettre à l'abri de leurs
pirateries , mais encore à les châtier par des 18-
préfailles terribles.
Il paroît que les Anglois ont pris de leur
côté une réfolution vigoureufe avec l'Empeteur
de Maroc.
Se trouvant offenfée de n'avoir plus entenda
parler de M. Payne , parti depuis fept mais , de
n'avoir vu effectuer aucune de les promeffes , &
même de n'avoir reçu aucune réponſe à la lettre
qu'elle a écrite au Roi d'Angleterre , dans le mois
d'Aoûr , S. M. Maure a voulu en montrer publiquement
fon reffentiment . Le 6 Février , il arriva
Tanger une Ordonnance pour augmenter les
droits à percevoir fur toutes les provifions quedes
Anglois voudront exporter , & cela , contre la te
( 165 )
neur du Traité du 14 Juillet 1783 , figné par le
ChevalierCurtis , au nom de la Grande Bretagne.
Le Pro- Conful Anglois , Duff, a refufé nettement
de payer l'augmentation , & par ordre du Gouverneur
de Gibraltar , il a fait déclarer à l'Empereur
qu'une façon d'agir de cette nature équivaloit à
une rupture formelle , qui fans doute s'enfuivroit
bientôt . Le Pacha a reçu des ordres de fon Maître
pour fufpendre l'exécution de ceux qui lui
avoient été envoyés , jufqu'à ce qu'il lui ait fait
paffes fa réponſe à la déclaration du Vice - Confal
d'Angleterre. C'eſt de ces derniers ordres qu'on
conclut que l'Empereur voudroit le réconcilier
avec les Anglois.
DE ROME , le 27 Mars,
Une troupe de bandits s'étant réfugiée
dans le petit fort de Montebello en Romagne,
on y a envolé 30 Cavaliers & 20 fantallins .
Ce château fitué fur la pente d'une montagne
, à quinze milles de Rimini , eſt un fief
de la maifon Bagni de Mantoue. Il eft fortifié
à la maniere ancienne , mais dans une pofition
qui permet à deux hommes de réfifter
à cent ; il est même pourvu d'une petite ,
artillerie. Douze brigands l'occupent ; animés
par le défefpoir. Thomas Rimaldini
leur Chef eft intrépide , & paroît fort tran
quille dans fa retraite . Pendant le carnaval
dernier , il envoyoit fes Affociés dans les
maifons d'alentour , inviter au nom du Marquis
de Montebello les jeunes filles à venir au
bal qu'il donnoit dans ce château , & elles'
( 166 )
étoient forcées de s'y rendre. Il a promis.
une récompenfe de cent écus à quiconque
lui apporteroit la tête du Capitaine Jofeph
del Pozzo , Barigel de Viteibe , & Chef des
Archers. Ces brigands fortent de temps ent
temps du château , & il y a déja eu quelques
efcarmouches entre eux & les Sbires. Néanmoins
pour éviter les rencontres , ils fortent
du fort de l'autre côté de la montagne , où
il n'y a point de gardes. Ils parcourent les
différentes maifons & les font contribuer ,
à titre d'aumône , en argent , grain , riz &
autres provifions.
L'aventure fuivante a fait depuis peu le
fujet des converfations de Ferrare.
Un artiſan , veuf, & d'un âge avancé , avoit une
fille unique , auffi belle que ruſée , & amoureuſe
d'un jeune homme d'une belle figure , & âgé de
20 ans. Le pere découvrit certe intrigue , & fut
tianſporté de colere , lorfqu'il fut que fa fille fortoit
de la maiſon pendant la nuit pour aller courir
les bals avec fon amant pendant le carnaval dernicr.
Les plus fortes remontrances ne produifant
aucun effet , il réfolut d'avertir le Gouvernement
& de demander que fi fa fille étoit trouvée pendant
la nuit dans la rue , feule , ou en compagnie , on
s'en faisit & qu'on la conduisît dans la Maifon de
correction . On donna en conféquence les ordres
convenables , & on fit dire à la Supérieure de la
Maiſon de ne point refufer une jeune fille à telle
heure qu'elle fût amenée par les archers. Le pere
voulant infpirer plus de crainte à fa fille , l'inftruifit
des ordres qui avoient été donnés. Aufli-tôr
elle en avertit fon amant . Celui - ci après s'être
introduit un foir en Tecret , fuivant coutume
( 167 )
chez fa maitreffe , en prit les vêtemens, & fortit
de la maison , avec un mafque fur le vifage. Les
archers le faifirent ; le jeune bemme contrefaifant.
fa voix , montra la plus vive douleur , & malgré
les inftances les plus fortes , il fut conduit au lieu
de fa deſtination . Au fon de la cloche , la vieille
Religieufe parut pour recevoir la prétendue fille ,
& elle lá conduifit dans une chambre. Alors , le
jeune homme déclara fon fexe ; mais la Religieufe
n'ajoutant point foi à cet aveu , le carefloit toujours
, en lui difant : « Ma fille , prenez patience :
» ce ne fera rien , & dans peu vous fortirez d'ici . »
Après deux heures d'entretien avec les autres Religieufes
, elles fe retirerent toutes dans leurs
cellules . Le jeune homme renouvellant alors à la
Supérieure les affurance ; qu'il lui avoit données ,
& commençant à hauffer la voix , on prit le parti”
de l'expulfer de la Maifon où cette aventure répandit
le plus grand défordre.
GRANDE - BRETAGNE..
DE LONDRES , le 11 Avril.
La plupart des grandes motions étant
renvoiées ou à des Comités , ou à des termes
peu éloignés , il feroit prématuré de nous en
Occuper actuellement. Nous nous borneronsdonc
à un précis de ce que les dernieres
féances ont offert de plus important.
Ilfe trouve cette année un déficit de
30,000 liv. fterl. dans la Lifte civile , & le
Roi a adreffé un Meffage aux deux Chambres
, en leur demandant d'y pourvoir . Ce
déficit , fuivant les Miniftres , a été princi
( 168 )
palement occafionné par les dépenfes de la
paix dans le département de l'extérieur ,
& par la nomination de plufieurs Envoiés
extraordinaires. La réquifition de S. M. a
paffé au Parlement , mais non fans débats :
ils ont été même très -vifs dans la Chambre
Haute , quoique perfonnels entre le Vicomte
de Stormont , & le Marquis de Lansdown.
M. Powis , dans la Chambre des Communes a
demandé à M. Pitt , pourquoi on faifoit des
dépeníes auffi extravagantes dans le département
des affaires étrangeres ? Pourquoi on nommoit
à la fois deux Miniftres auprès de la Cour
de France , l'un avec le titre d'Ambaffadeur ,
& l'autre avec celui de Miniftre Pléniporentiaire
, pourquoi enfin l'Etat avoit payé depuis
la paix un Ambaffadeur en Espagne , qui n'avoit
pas mis les pieds fur les terres de ce Royaume ?
M. Powis affura la Chambre que ces prodigalités
& plufieurs autres dont il fit l'énumération,
étoient caufe des déficits que le Parlement ne
pouvoit remplir qu'en grèvant le peuple de
nouveaux impôts.
M. Pitt répondit à M Powis , que des raifon s
d'Etat avoient déterminé le Roi à nommer un
Ambaffadeer auprès du Roi d'Espagne mais
qu'auffi tôt que l'on avoit appris l'intention de
la Cour de Madrid , de n'en pas envoyer à
cette époque auprès de S. M. B. , on avoit
rappelle le Comte de Chefterfield. A l'égard
des deux Miniftres à la Cour de France
M. Pitt obferva que l'un d'eux M. Eden ,
étoit chargé de négocier des affaires qui exigeoient
une connoiffance approfondie du comi
merce & de les moindres détails ; connaiſſance
?
que
( 169 )
que l'on ne pouvoit exiger de ceux que d'autres
études & un nom illuftre deftinoient
ordinairement aux Ambaffades , auprès des
grandes puiffances . On a donc jugé néceſſaire
ajouta M. Pitt , de nommer un fecond Minif
tre , & je fuis perfuadé que la Chambre approuve
généralement le choix qui a été fait.
{
M. Fox ne s'eft point oppofé à la demande
du Roi , mais les Miniftres lui ont paru trèsinjustes
de ne point fonger à faire augmenter
la penfion du Prince de Galles . Il rappella
que la lifte civile de Géorge I. n'étoit que de
700,000 liv. ft . & que ce Monarque donnoit
au Prince 100.000 liv. ft. La lifte civile de
George III . eft de 900,000 & le Prince de,
Galles ne reçoit que 50.000 , dans un tems
où tout eft rencheri. M. Pitt garda le filence .
M. Burke , Accufateur de M. Haftings , a
été forcé à la fin de fortir du cercle des per-.
fonnalités & des griefs vagues , dont l'Accufé
a été l'objet dans les féances précédentes.
Le 4 , M. Burke a produit formellement
fes chefs d'accufation.
Il dit , que puifque la Chambre le defiroit ,
c'étoit dans la forme la plus folemnelle , & au
nom des Communes de la Grande - Bretagne
qu'il accufoit Warren Haftings , Ecuyer.
>
1°. De l'injuftice , de la barbarie & de la
trahifon les plus atroces . contre le droit des
gens , pour avoir foudoyé les Soldats Britanniques
, dans le deffein de maffſacrèr les innocens
& infortunés habitans de Rohilland.
2º. D'avoir abufé de l'autorité qu'il tenoit
Be la Compagnie des Indes , pour traiter avec
la plus grande cruauté le Roi Shaw Allum , actuellement
dit le grand Mogol , en le dépouil
No. 16 , 22 Avril 1786,
h
( 170 )
lant de territoires confidérables , en le fruftrant
fans motif du tribut de 26 lacks de Roupies ,"
que la Compagnie s'eft engagée à payer tous
les ans à ce Prince , pour le Dewance des riches
& floriflantes Provinces de Bengale , de
Bahar & dOriffa , qu'elle tient du grand Mogol
& en fon nom ,
3°. De différentes extorfions & autres actes
de mauvaife adminiftration contre le Rayah de
Benares.
Cet article eft divité en trois fections , dans
chacune defquelles , M. Haflings eft accufé des
vexations & cruautés les plus inouies . M. Burke
y joignit les papiers concernant les droits du
Rayah , fon expulfion & les différentes revolutions
opérées par l'influence Britannique ,
fous l'autorité de M. Haftings , dans ce Zemindary.
4°. Des nombreuses & infupportables calamités
auxquelles toutes les perfonnes de la famille
Royale d'Oude s'eft vue en proie , par une
fuite de leurs liaifons avec le Confeil fuprême
de Bengale.
5°. D'avoir par fix révolutions réduit les fertiles
& fuperbes Provinces de Zurruckabad , à
l'état le plus déplorable de mifère & de ruine,
#
6. D'avoit appauvri & dépeuplé tout le
pays d'Oude , & d'avoir ainfi transformé en un
défert inhabitable , une contrée qui n'étoit au
paravant qu'un vaste & magnifique jardin .
7°. D'avoir exercé fes pouvoirs de la maniere
la plus extravagante , la plus injufte & la plus
pernicieuse , d'avoir abufé de la confiance & de
crédit imminent attachés à la place qu'il occupoit
dans l'Inde , pour détruire tous les anciens
établiſſemens du pays , & enfin de s'étre .
procuré une influence illégale , en autorifant
( 171 )
par une concurrence criminelle des marchés
dont les profits étoient extravagans , & en
mettant dans le traitement des employés qui
étoient de fes créatures une magnificence ou
plutôt une profufion inouies .
8°. D'avoir reçu de argent au mépris des
ordres de la Compagnie , d'un acte du Parlement
& des engagemens qu'il avoit contractés ,
& d'avoir appliqué ces fonds à des objets auxquels
ils n'étoient nullement definés , & fans
y avoir été autorifé d'une maniere quelconque.
9. D'avoir réfigné par Procureur dans l'in
tention évidente de garder fa place ; & de nier le
fait perfornellement , en oppofition directe de
tous les pouvoirs en vertu defquels il a agi .
Tels font en fubftance les différens chapitres
des diatribes paffées & à venir de M.
Burke , chapitres rendus dans un ftyle plus
conforme au ton d'un Régent de Rhétorique
, qu'à celui d'un Orateur ai éminent
que M. Burke. Il eft à remarquer , que non
content de repréfenter l'Accufé comme le
plus abominable des fcélé ats , l'Accufateur
s'attaque encore à fes intentions , & qu'il de-.
mande dans le neuvieme chef, qu'il foit jugé
fur fon intention . Nonobftant cet excès
rifible de l'emportement de l'efprit de parti ,
la Chambre a dû ordonner l'impreffion de
ces différentes charges, & il a été arrêté qu'elles
feroient prifes en confidération par un Comité
de toute la Chambre , le 26 de ce mois.
L'état des vaiffeaux en Ordinaire dans
les différens Chantiers au premier Avril
1785 , a été envoié au Bureau de l'Ah2
( 172 )
mirauté , & confifte dans le tableau fuivant.
V. de lig. V. de so. Frég. Sloops.
Dans la Tamife. 1 I 39 14.
Sheerne 7
I 11 12.
Chitam. 24 4
28 8 .
Portsmouth. 48
3
26 8.
Plymouth. 32
12 12 8.
Totaux 21 116 50. 112
Sur ce nombre , il y a 3 vaiffeaux de ligne , 5
valfleaux de cinquante canons , 60 frégates , &
34 floops prêts à fervir . Il y a dans ce momentci
en radoub 16 vaiffeaux de ligne , 2 de 50 &
12 autres va ffeaux. Il n'eft point fait mention
dans ce rapport des vaiffeaux en conftruction,
attendu qu'on ne les compte que lorſqu'ils font
a flot.
L'Expédition de 44 canons , le Pegaze de 28 ,
& fept cu huit autres frégates & floops ayant
été mis dernierement en commiffion , le nombre
des vaiffeaux en ordinaire s'eft trouvé diminué
en le comparant au rapport du i du mois
dernier.
Il a été envoyé un ordre à plufieurs des
anciens Capitaines de vaiffeaux de la Marine
Royale , de fe rendre le 8 au Bureau de
l'Amicauté. On doit mettre dans peu en
commiffion plufieurs nouveaux vaiffeaux de
ligne .
L'Impregnable de soc . eft le premier vaiffeau
quifera conftruit fur le nouveau plan . Le principal
but de cette conftruction eft de mettre
les vaiffeaux en état de faire ufage de leur
premiere batterie dans les gros temps. On
y eft parvenu en élevant cette batterie de 16
pouces de plus.
( 173 )
L'Hannibal , de 74 canons , conftruit à
Blackwall , fera lancé le 15 de ce mois . Il a
été mâté & gréé fur la forme.
On lancera le mois prochain 9 vaiffeaux
de ligne , 3 frégates de 44 can. , 5 frégates &
1 floop , & à la fin de l'Eté deux autres vaiffeaux
de ligne. Quatre de ces vaiffeaux font
conftruits dans les chantiers du Roi.
Le Prince Guillaume Henri ira , dit on
vifiter cet Eté les côtes du Labrador , à
bord de la frégate le Pégafe , pour reconnoître
tous les ports & les havres de la Baie de
Hud on. Il y reftera autant que la faifon le
lui permettra. Du moins , paroit-il certain ,
que cet illuftre Officier prendra le commandement
du Pégase après les têtes de Pâques ,
& mettra à la voile pour Terre - Neuve aves
l'efcadre du Commodore Elliot , à la fin
d'Avril.
Un bâtiment François , dont on ignore le
nom , s'eft perdu dans les mers du Nord
fur un banc de glace flottante , & l'équipage
a été fubmergé. Le bâtiment le Chevreuil ,
porteur de cette nouvelle , a manqué luimême
d'avoir le même fort, par l'effet d'une
de ces fauffes vues 03 brouillards de bancs li
exactement décrits par le Docteur Hawkefworth
, dans fa relation des voyages à l'hé
mifphere méridional,
On prérend que le Gouvernement va
acheter life de Lundi , dans le canal de
Briftol, pour y contruire un Lazareth où fe
h3
( 174 )
endront les vaifleaux venant du dehors
dont les équipages feront réellement attaqués
de maladies contagieufes, ou foupçon .
nés de l'être.
Il eſt très- vrai , dit un papier public , qu'un
jeune Officier de Marine , de la plus illuftre naitfance
, a fait des propofitions de mariage à la
fille du Capitaine La Forey , Commiffaire de
la Marine à Portſmouth . Le pere de la jeune
perfonne , après avoir vainement effayé de détourner
l'Officier de fa réſolution , eft parti pour
Londres , où il a eu ces jours derniers une conférence
avec un grand perfonnage fur cette
affaire embarraffante . La jeune perſonne eft âgée
de 17 ans , & joint beaucoup d'amabilité à beaucoup
de graces & de beauté. Son pere jouit
d'une réputation diftinguée , tant par fa conduite
irréprochable , que par les qualités de fon
coeur.
Le Roi fe promenoit derniérement à pied
dans Windfor, avec le Prince fon 4° . fils , lortqu'il
paffa une petite fille , couverte d'habits
très- groffiers, mais propres & foignés. Elle
fixa l'attention du Roi qui lui demanda à qui
elle appartenoit. L'enfant qui ne connoiffoit
point S. M. , lui montra un Savetier qui travailloit
de l'autre côté de la rue dans fa boutique
, & lui dit que c'étoit fon pere. « Et
» combien avez vous de freres & de foeurs , lui
» demanda le Roi ? Nous fommes 8, Monfieur,
luirépondit-elle . Tenez , mon enfant , prenez
» cette guinée , donnez la à votre pere , & continuez
d'étre toujours propre & foigneufe . »
L'enfant fit une révérence & s'en fut. Le len(
175 )
demain matin , au moment où le Roi paffoit
dans la même rue , la femme du Savetier qui
l'apperçut , s'avança en le faluant , & lui dit:
« Que Dieu béniffe V. M.; je vous remercie
» bien humblement ..... Et de quoi donc ,
» bonne femme ? De la guinée que vous avez
» donnée hier à mon enfant. Oh ! c'eſt trèsɔɔ
bien , dit le Roi. Tenez , en voici une autre ;
» j'aime les gens reconnoiſſans . »
Aucune partie du plan de M. Pitt . , pour la
réduction de la dette nationale , ne mérite autant
la cenfure que celle qui rend les loteries perpétuelles.
?
Il fait de la loterie une de fes reffources
capitales & compte en tirer en quatre ans
560,000 liv. Ainfi il annonce au public qu'il
paiera tous les ans , pour la loterie 140,000 1.
fterlings plus qu'elle ne vaut , & que par conféquent
, pour y parvenir , il fera obligé de tolérer
les friponneries dont le public eft journellement
la dupe. Il fera obligé de permettre
que ce jeu foit pouffé aufli loin qu'il peut
Fêtre , & deviendra coupable du défordre que
cette fureur caufe parmi le peuple . Il ne doit
pas ignorer que la paffion du jeu mène à l'oikveté
, l'oifiveté à la débauché , & celle- ci à la
mifere. Delà l'induftrie fe trouvera gênée , les
arts & les manufactures resteront fans mouvement
. La valeur des terres s'en trouvera affectée;
& ce qu'il y a de pire , c'eft que la débauche
& le défefpoir produiront le brigandage.
En un mot , la loterie fera naître tous les ans
un nombre c nfilérable de malfaiteurs qui
feront la honte & le fléau de la fociété .
Il eſt arrivé à Brodie-Houfe , près de Forreft
h 4
( 176 )
en Ecoffe , un accident bien malheureux .
Lady Margaret Brodie , foeur du Comte de
Fife , après avoir paffé avec fa famille, une
foirée fort tranquille , s'étoit retirée à onze
heures du foir pour aller fe coucher. L'un de
fes enfans , une petite fille âgée de 9 ans , qui
avoit coutume de coucher avec elle , étoit
déja au lit. On fuppofe que cette dame s'étant
mife à lire auprès de la cheminée ,le feu prit à
fes habits. Elle courut au lit , vraiſemblablement
pour fauver fon enfant ; mais le feu
prit au rideau. Alors , elle tomba & périt
dans les flammes . Les cris de l'enfant alarmèrent
les domeftiques & M. Brodie lui - même,
qui couchoit dans un appartement au-deffus
de celui de fa femme. Les domeftiques cependant
parvinrent à fauver l'enfant en bon
état ; mais M. Brodie ayant voulu retirer des
flammes le corps de fa malheureuſe épouſe ,
a été griévement brûlé.
•
Un Officier d'un rang diftingué dans le fervice
de l'Inde , a rapporté de cette partie du Monde ,
entr'autres curiofités , un de ces petits Infectes
rares , appellés (the Animated
ftalk ) , qui ont la forme de plufieurs pailles attachées
enfemble , & portent deux ailes écailleufes
& imparfaites. Le col de ce petit Infecte
n'eft pas plus gros qu'une épingle , & cependant
il eft deux fois plus long que fon corps. Sa tête
reffemble à celle du Lievre , & fes yeux font
placés dans le fens vertical , & très - brillants . Il
fe nourrit de mouches qu'il attrape avec beaucoup
d'adreffe par fes pattes de devant qui font
placées près de fa tête. Lorfqu'il les retire , elles
( 177 )
font pliées en trois , & lorfqu'il fent l'approche
de la proie , alors il les déploie & les lance deffus.
Ce petit Infecte eft très - vorace , & tient la proie
de même que l'écureuil . Sur les jointures extérieures
de ces pattes de devant , font plufieurs
crochets très- aigus , qui lui fervent à faifir fa
nourriture . Ses autres pattes , au nombre de quatre
, n'offrent rien de particulier .
La Société de Charité , connue à Londres
fous le nom de London Difpenfary , & dont
le Marquis de Lanfdown eft Préfident , a
reçu , depuis le mois de Juin 1777 , jufqu'au
9 Mars 1786 , 26,639 malades ,
SAVOIR :
Malades guéris .
Secourus .
Morts. •
•
Malades , actuellement foignés.
238570
1597.
· 782.
405 .
26,639 .
Sur ce nombre , on a traité chez eux 4,814
malades , & on en a admis 240 , fans certificats
, ni d'autres recommandations que leur
érat.
Le Colonel Sauvage , Jofeph Brandt , fe
prépare à partir inceffamment pour le Canada
. Il compte emporter avec lui ure quantité
d'armes curieufes , tant antiques que modernes
, pour en faire préfent aux principaux
Guerriers des fix Nations Indiennes .
On raconte de la maniere fuivante une friponmerie
, dont deux Demoiselles ont été dernierement
les victimes . L'aînée poffédoit environ
500 liv . , & qu'elle avoit placées dans les fonis
hs
( 178 )
རྒྱུ
publics. Les deux fours vivoient d'une maniere
rès -décente du produit de cette petite fortune.
Un Filou très - adroit s'infinua dans leurs bonnes
graces , fous le nom du Marquis de Carmarthen ,
& parvint à gagner tellement la confiance de la
four aînée , qu'elle lui confia tout fon papier
dans l'efperance qu'il trouveroit le moyen de les
vendre & d'en placer le produit d'une maniere
-plus avantageufe. La Demoiſelle exaltée par ces
idées d'une fortune fubite , fe livra aux plus
belles chimeres pendant quatre ou cinq jours ,
n'attribuant l'abfence de fon Marquis qu'aux
grandes affaires d'adminiftration qu'il avoit entre
les mains , ou aux mouvemens ´extraordinaires
qu'il le donnoit pour multiplier fon papier à l'infini.
Cependant l'inquiétude la força d'écrire au
Marquis de Carmarthen , chez, le Duc de Leeds ,
où elle apprit qu'il étoit pour le moment. Elle
lui demandoit par fa lettre une audience qu'elle
obtint aifément. On imagine bien que la fourberie
du faux Marquis fut vite découverte. La pauvre
Demoitelle en a perdu l'esprit , au point qu'on
a été obligé de l'enfermer ces jours derniers. On
a employé depuis tous les moyens pour découvrir
le fcélérat qui l'avoit fi cruellement trompée
, mais jufqu'ici les recherches ont été vaines.
Ce qu'on a appris , c'est qu'il a effectivement
vendu les papiers , & s'eft habi ement ſouftrait au
bras de la Juft ce publique.
Or montroit , il y a quelque temps , une
paire de lunettes , fort bien travaillée , dans
une maifon où le Prince Guillaume Henri
étoit à table. Le Prince l'ayant examinée ,
l'effaya , & voyant qu'elle groffiffoit beaucoup
les plats , il s'ecria : « Oh ! combien
j'aurois donné de ces lunettes fà , lorsque
je mangeois avec l'Amiral Digby, a
( 179 )
Il eft arrrivé dans la Paroiffe de Saint -James
un fait très- fingulier . Un jeune homme de diftinction
avoit perdu une fomme conſidérable au
Phiraon . Ce revers l'affe&ta , au point que dans
fon défefpoir , il réfolut de mettre fin à ſon exiftence.
Rempli de cette idée , il mit une paire de
piftolets dans les poches , & fe rendit dans une
maifon publique fort connue du quartier Saint-
James, Il demanda une chambre , & fe fit apporter
une bouteille de vin , de l'encre & du papier.
Il écrivit auffi - tôt à un de fes amis intime une
lettre , dans laquelle il lui peignoit fa fituation ,
& lui déclaroit , que ne fe fentant pas en état de
la fupporter , il prendroit le feul parti qui lui
reftât pour le dérober à jamais à fa mifere. Il lui
annonçoit que lorsqu'il recevroit cette lettre , il
comptoit n'être plus de ce monde , & pour det
niere preuve de fon amitié , il lui recommandoit
fes dernieres volontés. Ayant expédié fa lettre ,
il mit fes piftolets fur la table. La foif violente
qu'il éprouvoit l'engagea à boire un verre de
vin. Le rafraichiffement falutaire qui s'enfuivit
Pengagea à répéter la dofe Il en avala un troifieme
, puis un quatrieme ; enfin , fes itées fombres
fe trouvereat en peu de temp. totalement
changées , & firent place à la gaité. Il étoit encore
dans cerre difpofition d'e prit , lor que fon
ami fe precipita dans a chambre , comptant le
trouver noyé dans fon fan . Il fut fort étonné
de le voir tranquillement affis le verre à la main.
Il crut devoir ependant retirer les armes qui
étoient fur la rabe , & fin ffant alors la bouteille
avec fon ami , il l'emmena chez lui , réconcilié
avec cette vie , qe p de minutes auparavant
, i rearloid comme le tourment le plus
infupportable.
Une anecdote récente prouve l'avantage
h6
( 180 )
qui refulteroit de l'application des Dividendes
de la Banque non reclamés , au paiement
de la dette nationale , jufqu'à ce qu'ils fuffent
revendiqués par leurs propriétaires refpectifs
ou leurs defcendans. M. Gilbert Elliot avoit
été nommé Exécuteur teftamentaire d'un
planteur des Ifles , appellé Sandal. L'héri
tier du défunt ne fe préfentoit point. M. Gilbert
fit inférer plufieurs avis dans les Papiers
publics , & les répéta de temps à autre , mais
inutilement. Dernierement M. Gilbert étant
à la promenade du côté de Greenwich , fut
affailli d'une ondée qui l'obligea à fe mettre
à couvert fous une porte cochere où plufieurs
perfonnes s'étoient réfugiées . Tandis
qu'il étoit là , quelqu'un appella du nom de
Sandal un pauvre Jardinier qui paffoit. Ce
nom frappa M. Gilbert , & il interrogea
auffitôt cet homme fur fa famille , Il fe trouva
précisément Etre l'héritier véritable que
l'on cherchoit. M. Gilbert l'emmena chez
lui , & lui remit tous les papiers qui conftatoient
la propriété de fes biens aux Ifles , qui
rapportoient un revenu annuel de 6000 liv.
fterlings , & dernierement encore il a accompagné
cet heureux héritier à la Banque,
poury recevoir les Dividendes d'un capital
de s0,000 liv. fterl. qui y dormoit depuis
plus de 20 ans .
Lorfque l'Acte du Timbre fut révoqué,
Lord Cambden propofa d'ajouter au Bill
de révocation , que l'Angleterre n'avoit pas
le droit d'impofer 1Amérique; cing Pairs feu(
181 ).
lement appuyerent cette motion ; & le
Comte de Cornwallis fut du nombre.
1
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 12 Avril.
Le Marquis de Mun , le Comte d'Efclignac
& le Vicomte de Teftu de Balincourt ,
qui avoient précédemment eu l'honneur d'ê
tre préfentés au Roi , ont eu , le 4 de ce
mois , celui de monter dans les voitures de
Sa Majesté & de la fuivre à la chaffe.
Le 9 de ce mois , Dimanche des Rameaux ,
le Roi , accompagné de Monfieur , de Madame ,
de Monfeigneur Comte d'Artois , de Madame
Comteffe d'Artois & de Madame Elifabeth de
France , s'eft rendu à la Chapelle du Château ,
où , après avoir aſſiſté à la Bénédiction des Palmes
& à la proceffion , il a entendu la grand'Meffe ,
chantée par fa mufique , & célébrée par l'Abbé
de Ganderatz . Chapelain de fa grande Chapelle .
Mefdames Adélaïde & Victoire de France ont
auffi affifté , dans une des Chapelles collatérales.
à la grand'Meffe , à laquelle la Comteffe de Sainte-
Aldegonde fit la quête.
Leurs Majeftés & la Famille Royale ont figné
le même jour , le contrat de mariage du Comte de
Saulx -Tavannes , Sons - Lieutenant au Régiment
d'Infanterie de la Reine , avec Demo ifelle de
Choifeul -Gouffier.
Ce jour , les Députés des Etats de Cambrai ,
du pais & Comté de Cambrefis , furent admis à
l'audience du Roi ; ils furent préſentés à Sa Majefté
par le Prince de Robecq , Commandant pour
le Roi dans la Province , & par le Maréchal de
Ségur , Miniftre & Secrétaire d'Etat au départe
ment de la Guerre , ayant celui de la Flandre
( 182 )
La députation , conduite à l'audience de Roi par
les feurs de Nantouillet , Maitres des cérémonies ,
& par le Sieur de Watronville , Aide des Cérémonies
, étoit compofée , pour la Nobleffe , du
Marquis d'Avrincourt , Maréchal de Camp , qui
porta la parole , à cause de l'indifpofition du Prince
Ferdinand de Rohan , Archevêque de Cambrai
qui étoit député pour le Clergé ; & pour le Tiers-
Etat du fieur Lefevre , Avocat & Echevin de la
ville de Cambrai
Le ro , la Reine s'est rendue en cérémonie à
l'Eglife de la Paroiffe Notre Dame , où elle a
communié des mains de l'Evêque Duc de Laon,
fon Grand Aumônier ; la Ducheffe de Luxembourg
& la Ducheffe de Luynes , Dames du Palais,
tenant la nappe.
Madame Comteffe d'Artois s'eft auffi rendue en
cérémonie , le même jour , à la même Eglife ,
cù elle a communié des mains de l'Evêque de
Bayeux , fon Premier Aumonier ; la Ducheffe
de la Vauguyon , Dame d'honneur de Madame
& la Comtefle de la Tour d Auvergne , Dame
pour accompagner Madame , tenant la nappe .
Madame Adélaïde de France s'eft également
ren ue en cérémonie à la même Eglife , où elle
a communié des mains de l'Evêque de Pergame ,
fon Premier Amônier ; la Ducheffe de Laval , fa
Dame d'Atours , & la Ducheffe de Beauvilliers ,
premiere douairiere , Dame pour accompagner
certe Princeffe , tenant la nappe.
7
Madame Victoire de France s'y eft auffi rendue
& à communié des mains de l'Evêque d'Evreux ,
fon Premier Aumônier ; la Princeffe de Chimay ,
douairiere , & la Princeffe de Chifteile , Dames
pour accompagner cette Princeffe , terant k
nappe.
Le fieur Jumentier , Maître de Mufique de
( 183 )
l'Eglife de Sa'nt Quentin , & le fieur de la Place ,
Maitre de Mufique de l'Eglife Cathédrale de
Beauvais , ont eu l'honneur de faire exécuter devant
le Roi plufieurs Moters de leur compofition
.
DE PARIS , le 19 Avril.
On vient d'arrêter à Grenoble, à ce qu'on
dit , encore un des voleurs de la caiffe de
MM. Finguerlin & Scherrer. Il étoit nanti
de 200 louis d'or , & en a déclaré 300 ca
chés dans un lieu où l'on pré end qu'on les
a retrouvés , le Chef de cette bande , nommé
Thevenet, a écrit , à ce qu'on ajoute , à M. R.
Affeffeur de la Maréchauffée , une lettre de
la teneur fuivante , datée de Châlons -fur-
Sâone , le 26 Mars.
Monfieur, j'ai appris que la demoiſelle Thevenet
, ma foeur , étoit arrêtée , elle eft cependant
bien innocente ; fi elle eft coupable de quelque
chofe, c'eft d'avoir eu trop de tendreffe pour moi .
Ne vous y méprenez pas , Monfieur ; elle eft à
tous égards innocente , je ne faurois trop vous le
répérer , autant pour fa juftification que pour vous
mettre en garde contre toutes présomptions ,
contre toutes préventions , contre toutes accufations
venant d'une fource fufpe&te .
Il y a encore bien d'autres innocens rrêtés pour
la même affaire , qui fait gém rma trop infortunée
foeur. Si mon avert ffement peut éclairer ta Juftice
dans le Jugement qu'el'e prononcera , mon voeu
ferarempli. Je finis , parce que je n'ai poin un inf
tant à perdre pour partir & aller me mettre en
( 184 )
fireté , & ce n'eft pas à Dijon que je la trouverai
cette fûreté , ni même dars bien des pays étrangers.
Il y a contre moi une dénonciation trop
complette , & d'un genre qui ne m'accorde que
très - peu d'ayles . Javiferii de mon mieux pour
éhapper. J'ai l'honneur d'être , &c.
Les Affiches de Limoges contiennent
l'extrait d'une Lettre de Châteauneuf près
Eymoutiers , du 20 Mars 1786 , qui porte
en fubftance:
Notre canton eft défolé par les incurfions fréquentes
d'un nombre infini de chiens enragés.
La maladie a auffi gagné les loups. Hier ,
à onze heures du matin , pendant la Meffe de
Paroiffe , un de ces animaux a paffé dans un
village où se trouvoit malheureuſement une pauvre
femme fur la porte de fa maison. La bête
furieufe s'eft jettée fur elle , & lui a déchiré le
vifage par les morfares. Le fort de cette infortunée
eft d'autant plus à plaindre , qu'elle nour
rit un enfant , & ne peut recevoir aucun fcou -s
d'un mari dont l'efprit eft aliéné depuis nombre
d'années.
Je ne puis en même- tems me refufer au plaifir
de vous faire part du trait courage x d'une
jeune femme de vingt ans , qui lutta , il y a peu
de jours , contre un de ces terribles animaux ,
& en triompha glorieufement . Elle gardoit des
brebis dans la prairie de M. de Châteauneuf.
Tout-à- coup un loup enragé paroî : au milieu du
troupeau , mord & déchire de toutes parts les brebis
qu'il peut attraper. Cette généreuse femme
ofe i en difputer une . Mais , ne pouvant lui
faire lâcher prife , elle faifit fortement- l'animal
par le cou , le terraffe , & le tient fous elle pendant
un demi-quart d'heure , jufqu'à ce que fon
( 185 )
frere , attiré par les eris , vole à fon fecours ,
armé d'une barre , dont il affomme le loup. Notre
Héroïne n'a en que deux doigts mordus affez légérement
. Elle a été conduite avec deux autres
malades , par les foins de M. & de Mad. de Châteauneuf,
chez M. de la Pivardiere , leur parent ,
poffeffeur d'un fecret précieux , & éprouvé contre
cette terrible maladie. Les morfures à la bouche
qu'a reçues la malheureufe femme , dont je vous
ai parlé au commencement de ma lettre , n'ont
pas permis de la lui adreffer , parce qu'il n'entreprend
aucun traitement quand on a fucé le
fang.
Enfin dans la terre de Châteauneuf , il y a
cinq perfonnes mordues , & beaucoup des bettiaux
qu'on eft obligé de tuer. I eft à craindre
que ce fléan m'étende plus loin fes ravages ; & il
feroit à defirer qu'on prit des mefares pour les
prévenir.
Extrait d'une Lettre qui nous a été adreſſée
de Lilie , le 20 Mars dernier.
» L'annonce à la gloire de Benjamin
» Franklin vivant , qui fe trouve dans votre
» Mercure , No. 12 , du 25 Mars de certe
» année , m'a rappellé l'Epiraphe de fon
» pere , Libraire & Imprimeur de Bolton ,
» compofée par lui même. La prédict on
» que cette épitaphe contient , & que M.
» Franklin vivant a accomplie , me fait
» croire que vous la trouverez digne d'être
publiée : elle femble d'ailleurs mériter d'ê-
» tre connue par fa fingularité. La voici ,
» telle qu'un Anglois l'a traduite.
و د
" Ci gît comme un livre ufé , fans titre
& fans dorure , le corps de Benjamin
( 186 )
» Franklin , Imprimeur. Les vers le mart-
»geront ; cependant le livre fera confervé.
» Une nouvelle & magnifique édition , revue
& corrigée par l'Auteur , va le faire
→ paroître encore une fois » .
Jeudi dernier on a publié la déclaration du
Roi , qui fait revivre l'Edit de 1723 , par lequel
les places d'Agens de change furent créées en
titre d'office . Ces changes feront au nombre
de foixante. Les pourvus de Commiffions actuelles
auront la préférence pour les lever fans
frais aux parties cafuelles dans le délai de deux
mois. Après cette époque , les courtiers auront la
préférence pour les lever fans frais aux parties
cafuelles ; & enfin après cette époque , les fujets
capables qui fe préfenteront enfuite feront pourvus.
La déclaration attribue à ces charges des gages
à raifon du denier 25 de la finance à laquelle elles
feront fixées. Chaque Agent de change pourra
avoir un Commis-courtier , qu'il préfentera au
Miniftre des Finances , pour agir & négocier
les effets Royaux en ſon nom.
M. Arnaud de Saint- Maurice nous prie
de publier la lettre qu'il a écrite le 12
'de Mars à l'Abbé de Caluzo , Secrétaire-
Perpétuel de l'Académie Royale des Sciences
de Turin .
Mr. J'ai pensé que ce feroit entrer dans ce
qui doit flatter votre goût pour les Arts & pour
leurs progrès , que de vous donner connoiffance
de la nouvelle machine que vient d'imaginer
M. Launoy , Naturalifte , rue Platriere aux caux
minérales à Paris , pour mettre promptement
( 187 )
en fufion les fragmens de différens minéraux ,
des pierres , ainsi que la platine.
Vous favez que la méthode chimique étoit
de foumettre à la flamme , à l'aide du chalumelu
ces matieres toujours avec une forte de
difficulté & d'incertitude dans le réſultat de l'opération,
Comme dans chaque branche de (cience
la marche du génie eft pour l'ordinaire d'aller
en avant , M. Launoy a rempli cette maxime
d'une façon qui donne bonne opinion de fon intelligence.
Cette machine , que l'Auteur m'a prié de
nommer, & que j'ai appelé Fond mine , eft une
e pece de lampe portative , formant un petit
quarré long , porté fur deux petites colonnes ,
qui lui fervent de pieds . Ce quarré peut avoir un
pied de hauteur fur fix pouces de largeur , dans
lequel il y a des tuyaux , de robinets , des foupapes
, le tout difpofé d'une maniere fi fimple ,
qu'il femble que l'on auroit dû l'imaginer foimême.
Le Phyficien peut y introduire différens airs
pour hâter la fufion du minéral , comme air inflammable
, air déphlogistiqué , air nitreux , & c.
Tous ces différens airs viennent frapper la flamme
du Fond-mine dans un point où l'on dépofe les
fragmens pour être fondus. On peut diriger à
volonté le courant d'air , & lui rendre fa marche
plus vive ou plus lente , il eft à remarquer que
le cunanime de ce Fond-mine eft d'autant plus
commode pour faire des effais , que dès qu'il eſt
une fois difpofé pour opérer , le courant d'air agit
for la flamme pendant une heure , fans le fecours
de l'homme , ni fans avoir beſoin d'une nouvelle
puiffance.
1
Sans doute que les papiers publics , ainfi que
le Journal de phyfique , ne tarderont pas à vous
( 188 )
1
annoncer la découverte & l'ufage de ce Fondmine.
Les Minéralogifies de l'Europe feront à
même de comparer les effets avec ceux du Cha-
Jumeau de MM . Schéele ( 1 ) , Bergman , Engef,
tom , Crondlel , André - Swab , & de Sauflure .
Ce Fond mine a été préfenté famedi , 12 de ce
mois , à l'Académie Royale des Sciences de cette
ville , par M. Launoy. L'Académie a nommé des
Commiflaires pour en examiner l'effet , conftater
P'utilité , & affurer à fon Auteur la date légitime
de fon invention . Je puis vous certifier, Monfieur,
que me trouvant le foir même chez M. Launoy
comme il revenoit de l'Académie , il le louoit
beaucoup de l'accueil gracieux que ces M.M. daignerent
lui faire pour , ( difoit - il ) , cette chétive
production .
ARNAUD DE ST.-M.
» On prévient le Public que la toufcrip-
» tion de l'Encyclopédie par ordre de ma-
» tieres fera fermée irrévocablement , &
» pour toujours , le 31 Mai prochain . La
» différence du prix pour ceux qui n'auront
" pas fouferit , fera de 221 liv. , en fuppo
lant qu'il y ait 20 volumes excédants le
» nombre de ceux annoncés dans le Prof-
» pectus , & l'on eft maintenant affuré que
» ce nombre de volumes excédant alia
>> lieu.
Les Numéros fortis au Tirage de la
Lo erie Royale de France , le 15 de ce
mois , font : 48,78, 12 , 37 , & 64.
(1 ) Voyez le Journal de Phyfique de 1781 , page
207 , tom. 18 , partie 2 , & le cahier de Juin
8785 , tom. 26 , page 419.
( 189 )
PAYS- BAS.
DE BRUXELLES , le 15 Avril .
Sur le bruit du licenciement prochain des
troupes nouvellement levées en Hollande ,
le Prince de Hefle - Darmftad a préfenté une
Requête à LL. HH. PP . , où il témoigne ia
furprife de voir fon Corps compris dans
la réforme , & demande qu'on en conferve
au moins une partie .
Le Stathouder & fa famille doivent quitter
le Château de Loo , pour habiter celui
de Dieren , également fitué en Gueldres.
On répand le bruit que l'impératrice de
Ruffie , , pour s'affurer irrévocablement fon nouveau
Royaume de Tauride , a réfclu de conquérir
toutes les Hordes Tartares des environs du
Caucafe , dans le cours du printems prochain ,
& de forcer ces peuplades à le foumettre à fon
Empire , cu de lui abandonner leurs plaines &
leurs habitations . L'armée Ruffe a été beaucoup
augmentée dans ces quartiers - là. La Ruffie paroit
ne fe croire affurée de la poffeffion de la
Crimée & du Cuban , qu'autant qu'elle aura
réduit à fon obéiffance , a plus grande partie
de la Tartarie , qui avoifine la Mer- Cafpienne.
GAZETTE ABREGEE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
Entre le fieur S .... accusé , & M. C ....
INSCRIPTION DE FAUX .
En traitant un fujet , même aride , infpirer l'in ..
(1) On foufcrit à tome époque pour l'Ouvrage emier ,
dont le prix eft de 15 liv . par an , chez M. Mars , Avocat
au Parlement , rue & hôtel Serpente.
( 190 )
térêt le plus vif, & le rendre maître , pour ainſ¨
dire , de l'attention de ſes Le&eurs , c'eſt lans
doute le voeu que tout Ecrivain doit former, Ceux
qui liront le Mémoire pour le fieur S .... leront
convaincus que M. de la Croix a parfaitement
rempli fon objet : voici fon exorde. « Quel
Citoyen ne fémira pas fur le fort d'un ancien
» Officier public , qui, rempli du fentiment de
fon innocence , s'eft conftitué volontairement
အ prifonnier , & gemit depuis près de trois ans
» dans les fers , pour avoir demandé à la Juftice
» le paiement d'une fomme de 1000 liv . qu'il a
» prêtée , & dont il produit le titre.
>>
» De quelles expreffions nous fervitons - nous
» pour pénétrer les Magiftrats de divers fenti-
» mens qui nous animent ! Nous avons à démontrer
que l'Accufé dont l'honneur nous e
» confié , eft innocent ; que fon Accufateur eft
» le plus criminel des hommes : cette taché eft
facile à remplir : mais ce qui coûte à notre coeur,
ce qui exige de nous autant de courage que
» de ménagement , c'eft de prouver que des Mi-
» niftres de la Juftice fe font rendus coupables
» d'une contravention manifeſte aux Ordonnances
, d'une prévarication paniffable. Nous ne
»pouvons pas , fans trahir notre miniftère ,
paffer fous filence cette partie de l'affaire que
»› nous fommes chargés de défendre ; & il exiſte
» dans ce procès une infcription de faux contre
quatre pieces dépofées au Greffe , & un Arrêt
» qui joint la demande au fonds. La Cour a
donc à juger non- feulement fi notre malheu-
» reux Client eft coupable de faux , mais encore
» fi les Juges qu'il en accufe ont porté la préva-
» rication juſqu'à en commettre pour le con-
» damner avec plus de célérité . Malheureufe-
» ment l'éloquence a trop de fois cherché à ta
"
-
( 19 )
» téreffer la fenfibilité des Magiftrats pour des
» coupables ; trop fouvent elle s'eft animée d'un
» dangereux zèle contre les Juges qui , par leurs
» fonctions , méritent des égards. Nous n'avons
pas à craindre qu'on nous accule de cet excès.
Armés d'une jufte défiance contre les plaintes
» des Accufés , ce n'eſt qu'après nous être allurés
de la vérité de leurs paroles , que nous leur
» avons prêté notre miniftere. Jamais nous
» n'avons eu une conviction plus forte que celle
» qui nous anime aujourd'hui. Si l'Accufé que
» nous défendons eft coupable du faux pour le-
» quel il eft dans les fers , nous ne pouvons plus
croire à l'innocence . Si les pieces contre
lefquelles il s'eft infcrit en faux ne portent pas
» une date fauffe , & n'ont pas été ſubſtituées à
une piece foufiraite du procès , il n'existe plus.
pour nous de caracteres auxquels il nous fera
poffible de reconnoître la faufleté , Magif ..
trats , dont le plus beau titre eft celui de protecteurs
de l'opprimé , foutenez la foibleffe de
» notre Miniftere , & donnez votre attention à ..
celui qui ne vous la demande que pour tiret ..
» du fin du malheur de l'oppreffion un créans
» cier légitime , retenu dans les fers par fon dés
biteur p .
Nous n'entrerors pas dans ce moment. dans un
détail plus étendu , l'affaire n'étant pas défini- ..
tivement jugée ; nous obferverons Teulement ..
qu'un Arrêt du 24 Mars dernier vient de prouver
combien le Parlement eft attentif à accueillir la
dénonciation des abus qui peuvent le commettre
dans les Jurifdictions inférieures. Le feur
S... , ancien Greffier d'une Jurifdiction de V...,
après avoir langui des années dans les prisons ..
de V... , d'où il a été transféré à celle de la
Conciergerie , vient d'établir fa juſtification par
( 192 )
le Mémoire ci - deffus indiqué , & dans lequel il
dénonce une prévarication qu'il foutient avoir
été commife par les principaux Juges du
Tribunal où il a été condamné . Cette prévarication
parcît confifter dans la fouftraction
d'une Requête répondue le 30 Octobre 1780 ,
& à laquelle on prétend qu'on a fubftitué , en
1783 , une nouvelle Requête répondue d'une
nouvelle Ordonnance , & fuivie des conclufions
du Miniftere - Public , que l'on dit être antidatte
de trois ans . « Siles Magiflrats , difoit M. de la
Croix, Défenfeur de l'Accuté , auquels une
pareille prevarication eft dénoncée, ne donnent
pas un exemple de févérité impolante pour les
Jurifdictions inférieures , ils doivent s'attendre
à être induits dans les plus funeftes erreurs.
» Lorfque le malheureux S .... eft venu le rendre
» dans les prifons de V.... , il donnoit aux Juges
qui l'avoit condamné fi apidement à la peine
prononcée contre les fauflaires , la preuve la
plus éclatante de fa confiance dans leur équité .
Pouvoit-il prévoir que le prix de cet hommage
feroit une captivité de près de trois ans , une
→ condamnation flétriffante , la pére de få for-
> tune , & la ruine d'un frere qui , n'écoutant
que la voix de la nature & de l'honneur , a
abandonné le Tribunal où il fiége en qualité,
de Juge, s'eft féparé de fa femme & de tes enfans
, our venir au fecours de fon frère qu il
fuit de prifons en prifons , dont il adoucit le
fort , dont il foutient le
courage
-L'Arrêt
a ordonné la liberté provifoie de l'Accufé ,
& avant faire droit , que les pieces arguées de ,
de faux feront apportés en minute du Greffé
V .... dans celui de la Cour. Nous rendrons
compte du Jugement définitif lorfqu'il aura été
rendu .
ede
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
ALLEMAGNE.
DE HAMBOURG , le 15 Avril.
E voyage de l'Impératrice de Ruffie à
Cherfon eft inconteftablement abandonné
, & renvoié en Janvier 1787. Les Gazettes
ont déja tracé la marche de cette Souveraine
, & décrit les préparatifs ; nous aurons
affez de temps pour revenir fur ces détails
jufqu'à l'inftant où ce voyage fe réaliſera.
Le Docteur Bufching a préſenté dans
fes Feuilles hebdomadaires les détails fuivans
fur le commerce maritime de Péterfbourg
pendant 1785. Le nombre des bâtimens
arrivés dans le port de cette ville a été
de 679 , dont 549 Anglois & 7 Américains.
Ces derniers y ont chargé du fer , du chanvre
fin , des cordages , des toiles pour voile
& autres , du fuif , du favon , du goudron &
de l'huile.
Nº. 17 , 29 Avril 1786. i
( 194 )
On apprend de Copenhague que la cherté
des vivres & les Réglemens fomptuaires
forcent un grand nombre d'Artiftes & d'ouvriers
à quitter le Royaume. On compte
plus de mille ouvriers , qui depuis peu fe
font expatriés , faute de travail & de fubfiftances
. Plufieurs d'entre eux font allés s'établir
à Cherfon .
On compte actuellement à Hambourg
971 Négocians , dont 510 font le commerce
de la Banque. Les Agens de change ou
courtiers font au nombre de 348 , dont 12
de la Nation Juive.
Indépendamment des vaiffeaux dont on
avoit ordonné l'armement à Cronstadt , on
a mis les fuivans en commiffion , ſavoir ; l'Elifabeth
de 76 can.; le Schulenbourg de 66 ;
la Sophie de so ; le Ruffaroi de 34 ; l'Atlas
de 26 & le Groenlande de 20.
le
14
DE VIENNE , le Avril.
Relativement aux Abbaies dans l'Autriche
l'Empereur a réfolu qu'à mesure que les Abbés
actuels viendroient à mourir , ils feront remplacés
par des Prieurs que l'on élira tous les trois
ans , en présence d'un Commiffaire de l'Evêque
diocésain ; en même temps il fera nommé des
Abbés Commendataires que les Evêques diocéfains
propoferent & préfenteront aux Abbayes ,
après que ces Abbés propofés auront été confir
més par la Cour. Les Prieurs veilleront à la difcipline
dans leurs maifons , & les Abbés Commendataires
, qui ne pourront plus poffeder en
( 195 )
même temps aucun autre bénéfice , feront chargés
de l'adminiftration du temporel & du foin que
Les Paroiffes dépendantes des Abbayes foient bien
deffervies . Dans cette vue , ils feront connoître
aux Evêques , qui au lieu des Abbés actuels exerceront
les droits de patronage , les Religieux les
plus propres à remplir les fonctions curiales. Les
Abbés Commendataires demeureront dans les
Abbayes qui leur feront un traitement proportionné
aux revenus. Le Clergé fera repréſenté à
l'avenir aux Etats provinciaux par les Archevêques
, les Evêques , les Dignitaires des Chapitres
& les Abbés Commendaraires . Conformément
à cette nouvelle difpofition , il vient d'être
nommé des Abbés Commendataires aux Abbayes
de Zvettel , de Lilienfeld , de Melk & de Geras.
DE FRANCFORT , le 19 Avril.
Le Comte O'kelli , Miniftre plénipoten⚫
tiaire de l'Empereur auprès de la Cour
Electorale de Saxe , eut , le 26 Mars , fa pre .
miere audience de l'Electeur , auquel il remit
fes lettres de créance . Le même jour , le
Baron de Metzbourg , chargé des affaires de
la Cour de Vienne , prit congé de l'Electeur
& de toute la Cour Electorale .
Onécrit de Stutgardt que les Etats du Wirtembergayant
offert au Duc & à la Ducheffe
le préfent d'ufage , lors du mariage du Souverain
, cette offre a étéacceptée , à condition que
le don destiné au Duc feroit remis à l'Ecole
Militaire de Ludwigsbourg , & celui de la
Ducheffe diftribué en partie aux pauvres hai
2
( 196 )
bitans de Liebenzell , de Vayhingeu , de
Neuenbourg & de Guetitien.
Le Landgrave de Heffe a fait remettre
1400 rixdalers au Séminaire pour former
des Maîtres d'Ecole , & mille à la Maifon
de travail établie à Caffel.
Le Confiftoire de Munich vient de révoquer
les Réglemens dont le but étoit de
reftreindre les proceffions & le pélerinage.
Suivant les lettres de Lemberg , dans le
mois de Janvier & de Février il y eft arrivé
1150 étrangers , qui tous fe propofent de
s'établir foit dans la ville , foit dans la province,
L'Empereur , écrit on de Vienne , a fait
venir un Cultivateur Italien pour continuer
& perfectionner les plantations de riz dans
le Bannat, dont le climat & le terrein font ,
dit-on , très - propres à cette production . Sa
Maj. Imp . lui a fait préfent de 500 arpens
de terre , & elle a ajouté à ce don une avance
de 20,000 florins fans intérêts pendant
10 ans .
Une Feuille Allemande rapporte ce qui
fuit :
Plufieurs Minéralogifles ont foutenu que les
montagnes de granit n'avoient point de gangues .
du moins point de minéraux , & encore moins
de métaux parfaits . Cette opinion eft erronée &
contraire à l'expérience . Le fieur Frédéric Kapf
affure , dans un Traité qu'il a publié nouvellement
fur l'exploitation des mines dans la vallée de Kinzig
, Principauté de Furstenberg , que les mon(
197 )
tagnes de ce diftrict foat de granit , qui offre un
mélange de feld-fpath , de quarz & de mica ; que
depuis 25 ans on y avoit trouvé une trentaine de
gangues , dont la plupart étoient abondantes , &
que les gangues contenoient de l'argent natif ,
toutes les cipeces de minerai d'argent , du
plomb , du cuivre , un peu de fer & de pierre
brune , du cobalt , du bifmuth , du foufre & de
Pantimoine. M Kapf ajoute que l'on a retiré de
la miniere de Wenzel dans le canton de Schappach
des morceaux d'argent natif du poids d'un à deux
quintaux , que depuis 1767 jufqu'en 1780 cette
miniere a fourni pour 500 , oco florins d'argent ,
& que la recette de l'exploitation de la miniere
de Sophie depuis 1758 jufqu'en 1784 , étoit
montée à la fomme de 300,000 florins , & c.
Jamais opinion ne fut plus conforme à
T'expérience , que celle des Naturaliftes dont
le fieur Kapfparle fi légerement. Si fon ob--
fervation étoit jufte , ce que nous ne croyons
pas du tout, elle feroit contraire à une regle
générale , parfaitement reconnue , en vertu
de laquelle les mines métalliques fe rencontrent
ordinairement entre les montagnes
primitives & les fecondaires .
ITALI E.
DE MILAN , le 6 Avril.
Il a été publié ici un Edit de S. M. I. , par
lequel l'Empereur donne cours dans la Lombardie
Autrichienne aux Billets de la Banque
de Vienne ; en voici les difpofitions.
1º. Au premier du mois de Mai prochain , il
i 3.
( 198 )
fera établi à Milan une Caiffe , fous la dénomination
de Caiffe Impériale des Billets de Banque
de Vienne , pour la Lombardie Autrichienne ;
cette Caiffe fera chargée d'échanger à la préfentation
des deniers comptans en billets , & des billers
en argent. 2° . Chaque florin devant être réduit
en livre Milanoife , pour l'utilité générale,
il est étab'i pour regle conftante , que 57 fols &
demi de Milan feront l'équivalent d'un florin.
Ainfi un Billet de cinq florins vaudra exactement
16 liv. 17 fols 6 den. 3 ° . Dans les paiemens entre
particuliers , & même à la bourfe des mar→
chands , perfonne ne pourra être contraint de recevoir
des Billets de banque , mais tous les caiffiers
royaux & leurs préposés ne pourront les refufer.
4°. Dans le cas qu'il s'élevât quelque doute
fur la falfification des billets offerts en palemens ,
on devra recourir au Directeur de la Caiffe , qui
vérifiera l'altération ou la fuppofition , confor
mément aux inftructions qu'il aura reçues.
5°. Quiconque altérera les Billets de Banque ,
ou qui participera à l'altération ou fuppofition ,
encourra les peines établies contre les fauffaires
par l'art. 12 de la fanction Impériale du premier
Novembre 1785 , & le dénonciateur d'une pareille
fraude recevra la récompenfe ordonnée par
la même loi. 6º . Les Billets de Banque feront de
5 , 10 , 25 , 50 , 100 , 500 & mille florins chacun ,
& formeront ensemble une fomme de 20 millions
de florins . Ils font tous datés du premier Novembre
1785 , & défignés par un Numéro ; enfin ils
font fignés de la main d'un Magiftrat de Vienne.
Le rapport de la Banque de Vienne avec
les Finances publiques étant en général trèspeu
connu en France , nous préſenterons
ici quelques fragmens de recherches fur cet
objet.
( 199 )
tre ,
Pour payer les dettes de l'Etat , on établit à
Vienne , en 1703 , une Banque à laquelle P'Empereur
Léopold affigna quatse millions de fes revenus
annuels. On penfa au commercement que
tous les paiemens des lettres - de change devoient
paffer par cette Banque, fous peine d'une amende
de dix pour cent ; mais ce réglement fut trouvé
trop dangereux , & il fut aboli en 1704. Dans la
même année 1 Empereur affigna pour cinq miltions
& demi annuellement de fes revenus ; il fe
trouvoit cependant dans ce fonds prétendu plus
heurs objets prefqu'imaginaires . On croyoit metau
moyen de cette Banque , quarante millions
en giro , qui devoient fe rembourser en
douze ans . En 1705 , on fixa les intérêts de la
Banque à cinq pour cent , & la Ville de Vienne
fut déclarée garance du crédit de l'Etat ; la Banque
devint auffi Banque de la Ville ; mais au fond
'étoit toujours une caiffe de crédit pour l'Etat .
En 1714 , Charles VI fit encore quelques changemens
à cette Banque , & lui affigna de neuveaux
revenus . En 1753 , on fit des changemens
confidérables, Voici l'extrait d'une lettre écrite à
ce fujet en 1755 : « La Banque de Vienne fut
établie par le Magiftrat de la Ville , il y a environ
quarante ans . La Ville y prête encore
> actuellement fon nom. Les affignations
très -valables ne font fignées que par les Receto
veurs & les Contrôleurs de la Banque , tous
» deux fubordonnés au Magiftrat. La Cour
» de Vienne étoit bien aife de trouver , par le
crédit de ceste Banque , les fommes dont elle
avoit befoin. Mais il falloit naturellement affi-
" gner auffi à la Banque autant de fonds qu'il en
falloit pour payer les intérêts des fommes levées
par cette voie. De là vint qu'une grande paratie
des revenus de la Souveraine fur engagée à
i 4
( 200 )
פכ
» la Banque , & qu'ils le font encore. La Cour
trouva que l'importance de l'affaire exigeoit
qu'elle-même eût l'oeil fur la régie de tous ces
» revenus , le maniement de la Banque devenant-
» un objet toujours plus digne d'attention . A
cet effet , la Cour établit une commiffion fous
le nom de Minifterial Banco Hof Deputation.
» Cette Commiffion s'eft peu- à - peu emparée de
toute la Direction de la Banque , & le Magif
» trat de la Ville de Vienne ne fait plus qu'y prê
» ter fon nom. Le Comte Rodolphe de Chotek
> eft Président de cette Commiffion , & par là il
» eft en même tems chef du département de
כ כ
tous les importans revenus affignés à la Banque ,
» dont je vais vous faire bientôt le dénombrement.
Il a quatre Confeillers dans fon Confeil ,
→ une infinité de fubalternes à Vienne & dans les
» Provinces , pour la régie de ces revenus. Il eft
» entiérement indépendant , avec tous fes fu-
→ balternes , en tout ce qui a rapport à ce dé-
» partement de la Banque , foit du Directoire à
Vienne , foit de tous les autres dicafteres dans
>> les Provinces . Comme il eft en même tems
» Préſident du Directoire de Commerce , fon
pouvoir s'étend fort loin ..... On m'a affuré
» qu'à la fin de l'année 1748 l'état paffif montoit
à quarante- neuf millions de florins , cutre
beaucoup d'arrérages d'intérêts ; qu'à la fin de
» l'an 1751 , non - feulement tous les arrérages
» d'intérêts étoient acquittés , mais qu'on avoit
auffi payé cinq millions de florins de capital
» dans ces trois ans . C'est donc là - deffus que j'ai
→ fondé le calcul de 44 millions de dettes à la fin de
l'an 1751. Ces dettes & les billets de Banque délivrés
là-deffus font de différentes fortes : 1 °. il y
>> a des emprunts que la Banque a faits elle- même,
& fur lefquels elle a dorné des obligations en
( 201 )
ဘ
כ כ
ɔɔ
"
forme , toujours payables à la requifition du
» créancier , avec les intérêts à cinq pour cent ,
payables par an; 2°. Il y a des fommes placées .
» dans la Banque , conformément aux loix, & qui,
» y doivent refter ou un certain tems , ou à perpétuité
, contre un intérêt de quatre à cinq pour
cent ; tels font les fidéicommis en argent comp-
> tant , les fonds des fondations pieufes , des
Eglifes , d'Hôpitaux & d'autres , les dépôts ,
l'argent des pupilles , fur lefquels la Banque
donne des certificats ; 3 ° . il ya des dettes contractées
& affignées pour le Souverain , & ac-
» ceptées par la Banque , fur lefquelles elle a
donné des billets payables à un certain terme
» avec les intérêts à cinq pour cent , payables
par an. 4°. Il y a d'autres fortes de dettes fur
lefquelles la Banque de Giro combinée à préfent
avec la grande Banque de Vienne , a délivré
des billets , & qui ne font jamais payables ;
» mais dont on tire annuellement l'intérêt à cinq
" pour cent , & dont on peut fe fervir en forme
de paiement par la ceffion . Quant aux dettes
de la premiere claffe , on a nis les intérêts à
» quatre pour cent , & l'on a offert de payer le
capital à qui n'a pas voulu laiffer l'argent pour
cet intérêt baiffé . La plupart ont mieux aimé
» ne point reprendre leur argent , & la Banque a
fait non - feulement par là un gain très - confidéra-
" ble, mais elle a augmenté fon crédit . Pour mieux
» l'établir , on a commencé à s'acquitter des plus
anciennes dettes , & on en eft déjà venu juſqu'à
» celles de l'an 1721 & 1732. On a publié dans
les gazettes de Vinne tout le courant de l'année
1755 , que les dettes de ces deux années
de cette premiere claffe [ die anticipationsund
fculdens capitalia ] devoient être payéesjuſ
i
s.
( 202 )
ככ
» qu'à la fin du mois d'Août 1755 , & que qui ne
» reprendroit point fon argent dans ce terme perdroit
les intérêts pour l'avenir. On a gagné
» par- là pareillement , que la plupart ont laiffé
leur argent fur de nouvelles obligations à quatre
pour cent. Quant à la feconde clalle , les dépôts
& l'argent des pupilles ne restent à la vé
rité à la Banque qu'autant que le procès ou la
» minorité dure ; mais au moins il n'eft pas permis
de l'en tirer pendant ce tems . L'argent , au
contraire , qui appartient aux fideicommis ,
Eglifes , Hôpitaux , & d'autres fondations
pieufes , ne fort jamais de la Banque , & les inté-
» reffes n'en tirent que les intérêts , avec cette
différence , que plufieurs de ces fondations tirent
encore , par privilege ou convention ex-
» preffe , cinq pour cent ; & d'autres où l'on n'a
pas eu la même prévoyance , font obligés de
fe contenter de quatre pour cent. Quant à la
> troifieme claffe , on s'eft fervi prefque du même
moyen qu'à l'égard des dettes de la premiere,
& on a offert , par l'Edit du 30 Novembre
1752 , le paiement de toutes ces dettes jufqu'au
15 Mars 1753 , quoique leur terme ne
» fût pas encore échu , fous peine de perdre les
» intérêts ultérieurs . Beaucoup ont retiré , mais
beaucoup y ont auffi laiffé leur argent à quatre
pour cent. Quant à la quatrieme claffe , il n'y a
» aucun moyen de mettre plus bas l'intérêt de
cinq pour cent , puifque déja ces billets de
» Giro portent le défavantage , que comme e
» n'en puis jamais demander le paiement de la
Banque , leur valeur monte & baiffe plus que
les autres billets , felon les circonftances , &
que fouvent il y a de la perte en les voulant
» réaliſer par des ceffions . Je crois pouvoir tirer de
ל כ
59
( 203 )
» là la conclufion que les deux tiers des dettes de
la Banque ne font plus à préfent qu'à quatre
» pr. 100 , & qu'on paie encore pr. 100 de l'autre
» tiers » . L'Auteur de cette Lettre compte les revenus
affignés à la Banque dans le tems qu'il écrivoit ,'
à 17,0930,000 fl . Les obligations de la Banque
de Vienne peuvent être comparées aux rentes
fur l'Hôtel- de - Ville de Paris . La Cour adminiftre
la Banque par fes Miniftres & Confeillers , & la
Ville de Vienne en fait la garantie . Comme le
capital de ces obligations n'eft fujet à aucun impôt
, on recherche ces obligations . Dans l'année
1778 , on mit une taxe extraordinaire , fous
le titrefubfidium præfentaneum , fur tous les revenus
quelconques , mais les obligations de Banque
furent épargnées. D'ailleurs on ne donne point
des obligations nouvelles à la Banque , ce qui fáit
encore rechercher davantage ces fonds- là.
Après la guerre de 1756 , on fit encore , fur le
crédit de la Banque , pour 10,000,000 florins de
billets de Banque , depuis 5 iufqu'à 5000 forins.
Ces billets étoient acceptés dans toutes les caiffes
impériales comme de l'argent comptant . On
avoit même exigé , pour leur donner plus de
cours , que le paiement de certains revenus devoit
le faire moitié en argent , & moitié en billets
de Banque . Il y avoit d'ailleurs dans les Provinces
des caiffes particulieres où on donnoit de
l'argent fur le champ à ceux qui préfentoient des
bille :s. Indépendamment de la Banque , la
Maifon d'Autriche a encore des dettes fur le cré .
dit des Etats , & d'autres fur le crédit de la
Chambre des Finances. Par 1: crédit des obligations
de Banque qui eft fermée , c'eſt a - dire ,
qui ne reçoit plus d'argent , on foutient adroitement
le crédit des autres papiers. La Cour,pour
foutenir ces crédits , retire même de tems en
r
i 6
( 204 )
tems une partie des obligations. On éva
lua , en 1783 , les dettes de l'Etat à deux cents
millions. Cette fomme ne feroit pas trop forte ,
s'il étoit vrai , comme on l'a imprimé dans le
Journal de Schloezer , que la Cour de Vienne
paie annuellement quinze millions de florins pour
intérêts , & pour éteindre une partie du capital .
Le Comte de Haukwitz a fait beaucoup de réformes
utiles dans les finances de l'Autriche fous
Marie-Thérefe. L'Auteur de la Lettre ci deffus
évalue dans une autre Lettre également écrite
en 1745 , les revenus de l'Autriche à 40 millions
de florins. Il y a une défenfe en Autriche
de donner des capitaux à intérêts dans les pays
étrangers , & une Ordonnance du 27 Mars 1783 ,
d'aprés laquelle tout l'argent appartenant à des
Eglifes ou à des fondations , doit être placé in
fundis publicis , avec défenſe de le prêter à des particuliers.
DE NAPLES , le 29 Mars .
Le Roi avoit commandé un magnifique
fervice de porcelaine à la Manufacture de
cette ville , & l'on apprend que S. M. va
l'envoyer au Roi d'Angleterre , qui lui avoit
fait préfent d'un grand nombre de Caronades,
canons fabriqués à Caron en Ecoffe.
La femme d'un Orfevre de cette ville , mariée
depuis long-temps fans avoir eu d'enfans , accou
cha d'un fils derniérement ; cet événement répandit
la joie dans toute la famille . Le pere en particulier
defirant donner un témoignage public de
fon aegreffe , voulut que le nouveau né fût préfenté
au Baptême avec les ornemens les plus riches ;
en conféquence il le para non feulement de tous
( 205 )
les joyaux & bijoux d'or qu'il poffédoit , mais encore
de tous ceux que lui furent prêtés par les confreres
& par les amis. Un fiou , témoin de toute
cette magnificence , réfolut d'en faire fon profit.
Dans ce deffein , il alla fe placer à la porte de l'Or
fevre , au moment où la cérémonie terminée , on
ramenoit l'enfant à la maiſon. Prenant un air radieux
, il vole au- devant de la fage -femme qui
portoit dans fes bras l'objet convoité. Il fe dit le
frere du pere , met une piece d'or dans la main de
la matrone, prend l'enfant dans ſes bras & defcend
auffi-tô. l'escalier avec une précipitation que cette
bonne femme attribua aux tranſports de joie dont
il paroiffoit enivré ; mais cet efcalier avoit une
iffue fur une autre rue , que le voleur enfila fans
être apperçu . La fage - femme étant montée dans
l'appartement de l'accouchée , & avec la compagnie
ne voyant ni le prétendu oncle , ni le neveu ,
elle fut obligée de raconter le fait . A cette nouvelle
affreufe , ' a mere fut attaquée de convulfions
fi terribles qu'elle en mourut deux jours après.
Quant au voleur , les recherches les plus exactes
n'ont pu encore faire découvrir fa retraite.
GRANDE-BRETAGNE. ·
DE LONDRES , le 18 Avril.
Le Roi a nommé Sir Guy Carleton
Chevalier de l'Ordre du Ban , à la place de
Capitaine Général & de Gouverneur en
Chef du Canada , qu'occupoit Sir Fréderic
Haldimand. Le Chevalier Guy Carleton
eft également Capitaine Général &
Commandant en chef des provinces de la
( 206 )
Nouvelle- Ecoffe , de New Brunſwick , &
généralement de toutes les Colonies Britanniques
dans cette partie du Nouveau-
Monde.
Mylord Cornwallis a pris congé de S. M.
& de fes amis , & il eft parti pour Portf
mouth où il doit s'embarquer , ainſi que le
Commodore Elliot , Commandant de l'Efcadre
de Terre-Neuve.
Samedi 15 , on a lancé à Deptford l'Impregnable
de 90 can . Le temps étoit fuperbe ,
& la foule prodigieufe. La Famille Royale
ne s'eft pas trouvée , comme l'on s'y attendoit
, à ce fpectacle qui avoit attiré le beau
monde de la Capitale , & une foule d'étrangers
de diftinction.
M. Pulteney demanda le 10 à la Chambre
des Communes , permiflion de préfenter un
bill fur les moyens de compofer à l'avenir ,
& en temps de guerre, plus avantageufement
que par la preffe , les équipages de la Marine
Royale. Quoique M. Hopkins , l'un des Lords
de l'Amirauté , ait combattu cette demande ,
comme faite pour femer des alarmes fur les
difpofitions pacifiques de la Grande Bretagne
, M. Pitt adopta & foutint la motion qui
fut admife fans aller aux voix .
Le lendemain 11 , la Chambre fut occupée
d'un objet de la premiere importance , fur lequel
M. Jenkinfon fixa l'attention de l'Affemblée
par un difcours qui entraîna tous les fuffrages.
Aucune harangue parlementaire ne
mérita mieux ce fuccès par l'étendue & la
( 207 )
netteté de la déduction , par la folidité des
principes & par la nature des faits dont ils
furent appuyés. La Chambre étant affemblée
en grand Comité pour prendre en confidération
les loix du commerce maritime & de la
navigation , l'Orateur annonça qu'il alloit
préfenter un fyftême de réglemens nouveaux
fur cet objet.
D'abord , il préfenta rapidement la progreffion
du commerce de l'Angleterre , depuis
1558 , jufqu'à l'année 1784. En 1558 ,
les Anglois n'employoient à leur commerce
que 300 voiles. Depuis le tems du Protectorat
, époque du fameux ate donné par Cromwell
, jufqu'à la reftauration , leur navigation
fut portée à 169,260 tonneaux . Ce nombre
dobla dans l'intervalle de la révolution ,
fous Guillaume III , jufqu'au regne de Georges
I. Il doubla encore pendant la vie de ce
Prince; & de cette époque, jufqu'à nos jours,
il s'efl accrû dans la même proportion . Ainsi,
la Marine marchande de la Grande-Bretagne
eft fept fois plus confidérable qu'elle ne l'étoit
à l'inſtant où l'on adopta l'acte de navigation.
M. Jenkinson , développant enfuite l'état
comparatif de la Marine Angloife , en 1774
& en 1784 , expofa en détail le nombre de
navires employés au commerce étranger , à
celui des Indes occidentales , aux pêcheries ,
au cabotage , & démontra qu'en 1774 , le
tonnage général n'étoit que de 699,818 ton-
>
( 208 )
neaux , & qu'en 1784 , il s'étoit élevé à
889,814. De cet accroiffement , dont les
preuves ne font pas fufceptibles de replique ,
M. Jenkinfon conclut que la révolution de
l'Amérique feptentrionale avoit très - évidemment
favorifé les intérêts commerciaux de
la Grande - Bretagne , & que , fi l'on avoit
perdu une fouveraineté , cette perte étoit
amplement rachetée par l'avantage que la
Nation en retiroit journellement.
Un fyftême qui procuroit des avantages fi précieux
à la nation , obferva M. Jenkinſon , devoit être
maintenu avec toin . Il falloit introduire de nouveaux
réglemens , lorfqu'il ex ftoit des fraudes &
des abus , qui pouvoient en arrêter ou diminuer les
effets falutaires . Or les loix actuelles donnoient
lieu à des fupercheries & à des abus . Tous les navires
étoient obligés de prendre avec eux un certificat
pour paffer dans la Méditerranée ; & il arrivcit
fréquemment qu'après en avoir fait ufage ,
ils vendoient ce certificat en mer à d'autresnavires
qui n'y ont aucun droit . Ainfi un navire produifoit
quelquefois un certificat , dont la date étoit plus
ancienne que le navire qui le portoit ; ce qui prouvoit
évidemment qu'il y avoit de la fraude. Souvent
les certificats différoient effentiellement du
tonnage des navires pour la protection de quels ils
étoient produits. Enfin il fe commettoit tous les
jours une infinité d'autres abus , auxquels il étoit
néceffaire de remédier.
L'Orateur préfenta enfuite les réglemens
qu'il avoit en vue.
1°. Qu'à l'avenir aucun vaiffeau né paille être
répa é de conftruction Britannique qu'il n'ait été.
réellement conftruit dans la Grande-Bretagne ou
( 209 )
dans les poffeffions Britanniques; 2 ° . que tout vaiffeau
foit enregistré dans le port auquel il appartient
& les prifes dans celui où elles auront d'abord été
conduites ; 3 ° . que tout vaiffeau y compris même
les bâtimens côtiers , à un feul pont , & don: le
port n'excede pas quinze tonneaux , foient ob igés
de prendre comme les autres une déclaration ;
4°. qu'il foit fait une révifion générale des déclara
tions actuelles & qu'on en donne d'autres dans une
forme plus propre à prévenir la fraude . Ces décla
rations feront renouvelées en payant un droit de
timbre le plus modique qu'il fera poflible . Il fera
aufli fixé un certain temps pour le retour des vailfeaux
partis du port avec ces déclarations . Ce ter
me fera d'un an pour les vaiffeaux faifant le commerce
d'Europe ; ceux qui font aux Ifles de l'Amérique
auront dix - huit mois , & on accordera deux
ans aux bâtimens qui trafiquent dans l'Inde . A
l'expiration de ces termes refpectifs , tous les navires
ron--pourvus d'une déclaration dans la nouvelle
forme ne feront point réputés de confruction
Britannique. Il faudra auffi augmenter le
droit d'Etranger , & le rendre plus général en
l'étendant aux Etats Unis qui , certainement ,
n'ont plus aucun doit d'en être exemp: s . Lorfqu'on
mit pour la premiere fois fur les étrangers
un droit d'un demi pour cent , c'étoit fans contredit
une précaution fuffifante contre l'abus ,
parce que le droit payé par les fujets Britanniques
n'étoit que de cinq pour cent ; mais à
prefent que cette impofition s'eft élevée à 25 &
même à 28 pour cent , un droit d'Etranger d'un
& demi pour cent , en face d'un autre de 28 ,
ne peut avoir aucune efficacité.
En finiffant , M. Jenkinfon affura que les
réglemens propofés avoient été foumis à
( 210 )
l'examen des Bureaux de la Marine & du
Commerce , & des principaux Négocians du
Royaume ; qu'ils étoient le réfultat de leurs
conférences , & qu'ils en avoient obtenu une
entiere approbation. La motion fut admiſe à
l'unanimité , le bill fera imprimé & publié ,
afin que chaque Citoyen intereffe puiffe propofer
les obfervations qu'il jugera néceflaires .
Le même jour M. Pitt informa la Chambre
des Communes , que l'appât des gratifications
& des remifes de droits accordées
à l'exportation de plufieurs marchandifes ,
engageoit beaucoup de gens à feindre
d'exporter des cargaifons qu'ils déchargeoient
enfuite clandeftinement fur la côte :
il annonça qu'il foumettroit inceffamment
à la Chambre un Bill pour prévenir cette
fraude.
Ce Miniftre avertit également Paffemblée qu'après
les vacances de Pâques , 11 fixeroit fon attention
fur une autre affaire de la plus grande
importance ; favoir , fur un changement dans
la perception des droits fur les vins. Les fraudes
qui fe commettent dans cette branche d'importation
font énormes , & font le plus grand tort
aux revenus de l'Etat . M. Pit affura que l'inportation
des vins avoit diminué pendant quinze
ans dans la proportion de fix à fept mille tonneaux
par an, & cependant tout le monde fait
que , dans aucun temps , la consommation du
vin n'a été auffi étendue qu'aujourd'hui . Selon
M. Pitt , il entre frauduleuſement plus de 7000
tonneaux de vins ; mais en fuppofant qu'il n'en
entre de la forte que 7000 tonneaux , l'Etat
( 211 )
perd 3 à 400,000 liv. ft. par an fur cette branche
d'importation. On attribue cette fraude à
deux caufes : à l'importation frauduleufe des vins
étrangers , & à la compofition chimique d'une
liqueur malfaifante fabriquée en Angleterre fous
le nom de vin. Ces deux caufes peuvent contribuer
à la diminution des revenus de l'Etat ;
mais , felon M. Pitt , la première eft la plus
forte. Il n'eft pas encore decidé fur les moyens
qu'il emploiera à cet effet ; mais il a infinué
que fi la Chambre vouloit y confentir , la voie
la plus courte & la plus sûre étoit de mettre ene
partie des droits fur le vin fous l'adminiftration
de l'Accife. M. Pitt ne cacha pas que le même
pian avoit été rejeté il y a quelques années ;
mais il obferva que les circonftances avoient
changé , & qu'aujourd'hui l'intérêt du Fife &
l'intérêt du commerce devoient déterminer ia
Chambre à l'envifager fous un autre point de
vue. M. Pitt crut cependant devoir répéter qu'il
n'avoit pris encore aucune réfolution fixe à cet
égard , mais qu'il defiroit que les membres de
la Chambre fe préparaffent à la difcuffion prochaine
de cet objet . ( Le plan de M. Pitt feroit
de fupprimer les droits d'entrée , & de les rejetter
fur les débitans foumis à l'Exciſe ) .
Dans la même Séance , Mr. Jenkinfon
Signala de nouveau fes profondes connoiffances
& fon zèle laborieux , dans l'examen
des réglemens concernant la pêche de la baleine
, foumis , felon l'ordre du jour , au
grand Comité de la Chambre.
M. Jenkinfon dit que cette pêche , foit qu'on
la confidérât comme un objet de commerce ,
ou comme un levier capable d'augmenter les
forces navales de l'Angleterre , méritoit toute
( 212 )
l'attention de la Chambre. Il ajouta qu'il avoit
le malheur de différer d'opinion , tant avec les
Commiffaires des Douanes , qu'avec les Marchands
intéreffés dans cette pêche . Selon les
Commiffa es , la pêche de la Baleine étoit actuellement
dans un état fi floriffant , qu'elle
n'avoit pas befoin d'être encouragée par des
gratifications. S'il en failcit croire les Marchands ,
au contraire , ce commerce fe trouveroit totalement
ruiné dès l'inftant où l'on retireroit la
gratification . Dans cette oppofition de fentimens
, il lui fembloit à propos de prendre un
parti moyen. I obferva que les gratifications
payées aux vaiffeaux de l'Angleterre propreme, t
dite , étoient montées l'année dernière à 84,122
livres ſterling , c'eft- à- dire , à environ 600 - liv. ft.
par vaiseau l'un portant l'autre. Si l'en ajoute
à cette femme les gratifications payées en Ecoffe
, on aura pour l'année derniere un total de
94,88 1. Enfin , le total des gratifications payées
depuis le commencement de cette pêche , monte
à 1,165,461 livres fterl . J'ai pris des informatiens
exactes , dit M. Jerkinfon , fur l'état des
bâtimens qu'on a me aquel'ement pour la pêche
prochaine ; ils font au nombre de 190. Les
gratifications qui leur ferent payées , en les
eftimant également fur le pied de 600 livres
par bâtiment , monteront donc à 114,000 liv.
terl. L'accroiffement confidérable de cette pêcherie
a fait , comme on voit , des gratifications
un objet très difpendieux . En conféquence
je propofois de les limiter de maniere que ,
fans porter atteinte à la pêche , cette diminution
put produire quelque économie dans
les dépenfes publiques. M. Jenkinfon s'arrêta
long-tems fur cette idée , & chercha à prouver
que le public n'avoit poin ; d'équivalent pour cette
( 213 )
pour
dépenfe , d'autant que felon lui , les gratifications
n'étoient point effentielles pour maintenir
cette pêche. La réduction qu'il propofoit
pouvoit tout au plus empêcher fes progrès ;
inais en aucune maniere gener fes opérations
acuelles . Il parla enfuite du peu de fecours
que la Marine retiroit en tems de guerre de
cette branche de nos pêcheries. Il obferva qu'il
y avoit plufieurs c'affes de matelots tellement
effentielles le maintien du commerce , que
les Loix les mettoient à l'abri de la preffe .
Quant aux autres matelots , ils étoient , dit- il ,
pour la plupart hors d'état de fervir à bord des
vaiffeaux du Roi. Il finit par infifter fur ce que
les gratifications pouvoient tout au plus encore
favorifer le commerce d'exportation , objet qui
méritoit que l'encouragement du Gouvernement
qui devoit plutôt s'occuper des moyens
d'augmenter la confommation intérieure de la
Grande- Bretagne. En conféquence , il fit une
motion pour que la gratification de 40 liv . fter!.
par tonneau accordée à la pêche de la Baleine
fût réduite à 30 feulement .
M. Dempfter s'éleva contre cette motion , qui
lui préfageoit , dit - il , l'anéantiffement de la pêche
de la Baleine , cette branche de commerce
importante à plus d'un égard. Un grand nombre
de particuliers y font intereffés , & les rifques
auxquels ils expofent leur fortune font incroya
bles. Il blâma M. Jenkinſon d'avoir regretté les
fommes que ces gratifications avoient coûté à la
Nation , & dit qu'elles avoit été amplement
rachetées par les avantages fans nombre que ce
commerce avoit procuré à l'Angleterre. Combien
de millions ne prodigue- t on pas en tems
de guerre ? Cependant la Nation fupporte tranquillement
ces charges , parce qu'on les lui fait
( 214 )
envifager comme néceffaires. L'objet qui occupe
la Chambre en ce moment ne mérite- t - il pas les
plus grands encouragemens par fon importance
& fon utilité ? Sans doute le public doit voir
avec fatisfaction les économies que les Miniftres
operent dans les finances ; mais en cette occa
fion , je crains bien que celle qu'on nous propofe
, loin de produire aucune égargne n'ait
un effet tout contraire. On doit s'étonner
au refte que cet objet n'ait point été traité
avec toute la prudence qu'il demandoit . Les
perfonnes inftruites dans cette partie n'auroientelles
pas dû être confultées à la barre ? Enfin
les propriétaires intéreflés dans les pêcheries auroient
dû avoir la liberté de défendre leur propriété
& de difcuter cette affaire qui n'eft
peint à la portée d'un Comité du Confeil privé
, dent les décifions fe rapportent toujours
aux idées reçues dans le Miniftere. M. Dempster
finit par voter contre la motion .
•
M. Jenkinfon obferva que tout ce qu'il avoit
avancé fur la pêche de la Baleine étoit puifé
dans les papiers qu'il avoit mis fur le Bureau.
M. Wilberforce dit que quoiqu'il fût l'ami
le plus zelé de M. Jenkinfon , il fe trouvoit
contraint de différer de fentiment avec lui fur
l'objet des gratifications . Il s'attacha , de même
que M. Dempfter , à prouver l'importance de
la pêche , & propofa de continuer encore pour
quelque tems les gratifications fous certaines
reftrictions qu'il développa. Il obferva d'ailleurs
que même dans l'état actuel des chofes la pêche
étoit un véritable jeu , & que fi l'on ôtoit la
gratification de 40 liv . fterl, par tonneau , elle
deviendroit une lotterie fans lots.
M. Huffey développa les mêmes principes
( 215 )
& prouva qu'aucune dépenle n'étoit plus utile ni
mieux employée que celle appliquée aux gra
tifications.
Le Chancelier de l'Echiquier répondit à la
plupart des objections qui avoient été faites
contre la motion , & fit un réfumé des principes
fuivans : L'exportation ne doit point être
encouragée par les gratifications accordées à la
pêche ; la pêche de la Baleine ne fournit point
de matelets à la Marine Royale , elle ne fait
que perfectionner ceux qui ont le bonheur de
paffer par cet apprentiffage ; la diminution de
10 liv. fterl. fur la gratification , propofée par
M. Jenkinſon produira une épargne qui n'eft
point à méprifer dans l'état actuel d'épuifement
où fe trouvent les finances ; l'époque actuelle
où nous jouiffons des avantages de la
paix eft le moment le plus favorable pour faire
rénffir la meture projettée ; enfin la diminution
de la gratification ne portera point atteinte à la
pêche de la Baleine , & la rendra feulement
tationnaire , ce qui eft précisément l'objet
que l'auteur de la motion s'eft propofé en la
faifant.
Le Comité étant allé aux voix , la motion paſſa
par une majorité de 26 voix fur 15 .
A la rentrée , après les vacances de Pâques
M. Pitt doit propofer de nouveaux Réglemens
pour l'aménagement & le repeuplement
des forêts. Cet objet eft intimément
lié avec le projet qu'il a d'encourager la
conftruction des vaiffeaux en Angleterre.
L'examen ultérieur du Bill pour l'encouragement
de la pêche du tarbor , a été remis
à l'autre feffion. M. Beaufoy , Auteur
du Bill , y a contenti , la faiſon étant trop
( 216 )
avancée pour que lon plan puiffe être exécuté
cette année.
Suivant une lettre de la Dominique , en date du
3 Février , la rébellion des Negres marons étoit
alors fur le point d'être appaitée , & on s'attendit
d'un jour à l'autre à voir venir le Phoreel
leur Chef, avec cent foixante de ces malheureux ,
qui étoient en pourparler avec le Gouverneur ,
pour le rendre , à condition qu'on leur feroit
grace de la vie.
Mercredi dernier , deux Officiers de
l'Excife s'étant avifés de fuivre un panier
de vins ou de liqueurs , chez un particulier
, dans la naifon duquel ils entrerent ,
au mépris de la loi ; celui - ci appella les Conftables
, & fit arrêter les Employés qui furent
conduits par - devant l'Alderman Hammett.
Ce Magiftiat lut aux coupables l'Acte du
Parlement , & les envoya en prifon , pour
avoir ofé violer les privileges des Citoyens ,
fous prétexte d'obéir au devoir de leur
miffion.
Un Capitaine au fervice de la Compagnie
des Indes a , dit on , préfervé fon équipage
du fcorbut depuis plufieurs années , au
moyen d'une ample provifion de grofeilles
à maquereaux , encore vertes , & confervées
dans des bouteilles , fermées avec foin . Une
petite quantité de ces grofeilles , mêlée aux
alimens ordinaires , a produit des effets plus
avantageux que ceux du fourkraut, du moût
de bierre , ou de tout autre antifcorbutique
connu.
Marai dernier , veille de Pexécution de plufiears
( 217 )
fieurs criminels , le Major Arabin alla à Newgate
voir un de ces malheureux nommé Burdett , & lui
demanda s'il avoft connoiffance d'un vel confidérable
d'argenterie qui avoit été fait chez lui.
Burdett lui dit qu'oui . Alors le Major le preffa
pour favoir s'il avoit des complices , & s'ils étoient
encore en liberté. Major , répondit Burdett , vous
vous dites homme d'honneur ? Oui.
bien , je le fuis auſſi.
quelque efpérance de pardon ?
&
Eh
Mais avez- vous
Non ,
jamais je ne vous diraipour l'obtenir , ce que vous
defirezfavoir. Puis il ajouta : « J'ai long- tems
vécu comme un méchant , comme un fcélérat.
Je mérite la peine que je vais fubir , & j'y ſuis
parfaitement résigné ».
On cite une chaffe au renard , faite ces
jours paffés dans le Glocefter Shire , & remarquable
par la circonftance fuivante.
Le renard avoit pris chaffe depuis fort longtems
, lorfque traverfant une jachere , il donna
fur un lievre qui étoit à l'entrée de fon gîte. Le
lievre voulut s'enfuir ; mais le renard le rattrapa
bientôt & le tua. Des chaffeurs étant furvenus
eurent beaucoup de peine à lui faire lâcher prife"
à coups de fouet. Le renard à l'inſtant traverſa
un village où un pauvre coq fe trouva ſur ſon
chemin ; il effaya de l'attraper ; mais étant vivement
ferré par les chiens ', le coq parvint à
s'échapper. On a dû cette fingularité à ce que le
renard avoit été gardé deux jours fans nourriture
, ce qui l'avoit tellement affimé , que ,
même dans le danger le plus preffant , il s'abandonnoit
aux befoins de la nature .
Un de nos Ouvrages périodiques a fait
en ces termes un éloge vrai du célèbre Docteur
Jebb , mort , il y a deux mois.
N° . 17 , 29 Avril 1786. K
( 218 )
Le Docteur Jebb étoit à - la- fois un favant
diftingué , un homme très - ſenſible & un excellent
patriote. Bien lon , comme tant d'autres , de
refufer aux pauvres les feccurs par avarice & par
orgueil , il fembloit choifir de préférence ces
malheureux comme les objets les plus chers de
fes attentions . Ange tutelaire de l'humanité , il
écartoit d'elle tous les fléaux fur lefquels fes tam
lens & fa bienfaitance avoient quelque empire ;
& s'il n'étoit pas affez heureux pour faire difparoître
l'indigence , il en adoucifloit au moins
l'amertume.
Mais le Docteur Jebb qui avoit dans les moeurs
la douceur d'un enfant , déployoit dans fa conduite
politique , le courage & la fierté d'un lion ;
le désintérellement qui formoit la bafe inaltérable
de fon caractere lui a fait foutenir conftamment
toutes les mesures qui tendoient à maintenir
la liberté , ou à donner une nouvelle énergie
à la Conftitution . Une ame auffi ardente que
la fienne ne pouvoit s'affujettir long temps aux
entraves pédantefques d'une Univerfité ; il quitta
fa robe par des raifons qui font honneur à fon
caractere. Dans fa nouvelle carriere on ne le
vit jamais ni faire fa cour à aucun Miniftae ,
mi accepter aucune faveur , tant il craignoit
out ce qui auroit pu porter la moindre atteinte
à fon indépendance .
Un des objets qu'il avoit principalement à
coeur étoit une repréfentation plus égale de la
nation dans la Chambre des Communes , & il a
fouvent inféré dans les papiers publics différens
écrits pour prévenir les compatriotes que les
droits d'élection ne doiy : nt point être facrifiés
à Kor des corrupteurs ou au crédit des familles
puiffantes. Il defiroit auffi beaucoup qu'il fût fair
une loi , fi digne d'ailleurs de la haute idée que
( 219 )
l'on doit avoir de la liberté Britannique , pour
empêcher un créancier de faire enfermer pour
la vie fon débiteur , fi par quelque fa alité ,
pre que toujours étrangere à l'honneur & à la
probité , celui- ci fe trouve hors d'état de payer
une dette. Le Docteur Jebb avoit confacré fa
plume au fervice de la patrie , & il ne rougif-
Toit point d'avouer qu'il avoit fouvent envoyé
des paragraphes aux papiers publics , qu'il ref
pectoit comme les fentinelles de la liberté nationnale.
Dans les liaifons politiques , il favoit allier
la douceur & les égards à la fermeté que l'on
doit à fes principes . Il avoit été un des plus zélés
partifans de M. Fox ; mais on ne put jamais l'engager
à pardonner la coalition qu'il regardoit
comme une alliance dictée par l'intérêt perfon--
nel. Il répondoit à ceux qui cherchoient à ébranler
fa refolution à ce fujet , que fi une telle
conduite étoit excufable envers un individu
tous les autres auroient droit à la même indulgence
, & qu'alors la nation ne fauroit plus fur
qui compter.
Une ame dont toute l'activité , tous les voeux
avoient pour objet la profpérité du mérite , la
récompenfe des honnêtes gens , & l'exécution
des bonnes mefures , ne pouvoit manquer d'être
fréquemment déchirée . Des chagrins altérèrent
la fanté de cet homme trop fenfible , & les vains
efforts qu'il fit , pour arrêter certains défordres ,
achevèrent de brifer fon coeur , & d'enlever à la
nation britannique & à l'humanité en général leur
meilleur ami & leur plus digne ornement.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 19 Avril.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Toulon l'Ab.
k 2
( 220 )
bé de Caftellane , l'un de fes Aumôniers, Vicaire-
Général de Soiffons ; àl'Abbaye de Sully , Ordre
de S. Benoît , Diocèle de Tours , l'Abbé de
Madame , fur la nommination & préſentation de
Monfieur , en vertu de fon apanage ; & à l'Abbaye
réguliere de Beaulieu , Ordre de Prémontré ,
Diocèfe de Troyes , le fieur Pierse de Villefrey,
Religieux - profès du même Ordre.
La Députation des Etats de Cambrai , du pays
& comté du Cambrefis , compofée pour la Nobleffe
du Marquis d'Havrincourt , Maréchal - de-
Camp ; & pour le Tiers- Erat du fieur Lefebvre ,
Avocat au Parlement , & Echevin de la Ville &
Cité de Cambrai , après avoir été admife , le 9 de
ce mois , à l'audience du Roi , eut également
l'honneur de préſenter le même jour les refpe&s
à la Reine & à la Famille Royale.
1
Le 11 , Madame s'eft rendue en cérémonie à
J'Eglife de la Paroiffe Notre- Dame , où elle a
communié des mains de l'Abbé de Moftuejouls ,.
fon premier Aumônier ; la Ducheffe de la Vauguyon
, fa Dame d'honneur , & la Ducheffe de
Caylus douairiere , Dame pour accompagnér
cette Princeffe , tenant la nappe.
Le même jour, Madame Elifabeth de France
s'y eft également rendue, & a communié des mains
de l'Evêque de Senlis , premier Aumônier du Roi;
la Ducheffe de Duras , Dame du Palais , & la
Comteffe Diane de Polignac , Dame d'honneur
de cette Princeffe , tenant la nappe,
Le lendemain , Monfieur s'eft rendu en cérémonie
àla même Eglife , & y a communié des
mains de l'Evêque de Séez , fon premier Aumônier
; le Maréchal Duc de Lévis , Capitaine des
Gardes-du- Corps de ce Prince , & le Duc de
Maillé , Premier Gentilhomme de la Chambre de
Monseigneur Comte d'Artois , tenant la nappe .
( 221 )
Le Comte George- Confiantin Commène , le
Comte de Champagné Giffart , le Comte de Re
naud d'Alien , le Comte de Flotte d'Argençon ,
le Comte de Valori , le Marquis de Villers- la-
Faye , le Marquis de Chevigné , le Baron de Ma
let , le Chevalier de Biencourt & le Chevalier de
Monchenu , qui avoient précédemment eu l'honneur
d'être préſentés au Roi , ont eu , le 11 , celui
de monter dans les voitures de Sa Majeſté , & de
la fuivre à la chaffe .
Le Jeudi Saint , après l'Abfoute faite par l'E
vêque de Saint Flour , & le Sermon prononcé par
l'Abbé de la Boiffiere , le Roi lava les pieds à
douze Pauvres , & les fervit à table . Le Prince
de Condé , Grand Maître de la Maiton du Roi
étoit à la tête des Maitres d'Ho el de Sa Majefté,
& précéda le fervice , dont les plats furent portés
par Monfieur , Monfeigneur Comte d'Artois , le
Duc d'Orléans , le Duc de Bourbon , le Duc
d'Enghien , le Prince de Conti & le Duc de
Penthièvre , & par les principaux Officiers de
Sa Majesté. Le Roi , accompagné de Monfieur ,
de Madame , de Monfeigneur Comte d'Artois ,
de Madame Comteffe d'Artois & de Madame Elifabeth
de France , fe rendit enfuite à la Chapelle
où il entendit la Grand'Meffe , qui fut
chantée par fa Mufique , & à laquelle l'Abbé de
Ganderatz , Chapelain de la grande Chapelle ,
officia. Mefdames Adélaïde & Victoire de France
affifterent auffi à la Grand'Meffe , à laquelle la
Comteffe de Saiffeval , Dame pour accompagner
Madame Victoire de France , fit la quête.
Le Comte de Bonneval , qui avoit précédem
ment eu l'honneur d'être préfenté au Roi , a eu ,
le 15 de ce mois , celui de monter dans les voi
tures de Sa Majefté , & de la fuivre à la chaffe.
La Cour affifta , le même jour , dans la Cha
k 3
( 222 )`
pèlle du château , à l'O - Filii , de la compofition
du feur Girouft , Maître de mufique de la Chapelle
du Roi , & exécuté par la mufique de Sa
Majefté.
Le lendemain , jour de Pâques , le Roi , accom
pagné de Monfieur , de Madame , de Monfeigneur
Comte d'Artois , de Madame Comteffe d'Artois ,
& de Madame Elifabeth de France , affifta , dans
la Chapelle du château , à la Grand'Meffe , qui
fut chantée par fa mufique . L'Evêque de S. Flour
y officia pontificalement , & la Marquife de
Mouftiers , Dame pour accompagner Madame
Elifabeth de France , fit la quête.
L'après-midi , le Roi , accompagné comme le
matin , après avoir entendu le Sermon , affifta aux
Vepres . Mefdames Adélaïde & Victoire de France
affifterent , ce jour , à l'Office dans une des tra
vées.
Le lendemain , le Roi (e rendit en cérémonie
à l'Eglife de la Paroiffe Notre- Dame , où il communia
des mains de l'Evêque de Senlis , fon
premier Aumônier ; le Duc de Coigny & le Duc
de Briffac tenant la nappe du côté du Roi , & les
deux Aumôniers de quartier , du côté de l'Autel.
Le 16 , Leurs Majeftés & la Famille Royale ont
figné le contrat de mariage du Comte de la Roque-
Menillet , Sous -Lieutenant au Régiment du
Roi , Infanterie , avec demoiſelle Bochart de
Champigny.
Le fieur de Bonneville a eu l'honneur de préfenter
à Leurs Majeftés un Ouvrage intitulé : Ef
fais, choix de petits Romans imités de l'allemand,
fuivis de quelques elfais de Pocfies lyriques , dédiés
à la Reine.
DE PARIS , le 26 Avril.
Le 13 de ce mois , le feu fe manifefta au
( 223 )
village d'Hardivilliers . 21 maifons , les ba
timens en dépendans , les meubles , effets ,
vêtemens & beftiaux qui y étoient renfermés
furent la proie des flammes . M. de Barentin
, Premier Préfident de la Cour des
Aides , Seigneur du lieu eft parvenu par fes
foins & par des travaux fagement ordonnés
, à arrêter le progrès du mal. Il a pourvu
dans le moment à tous les befoins de ces
malheureux que fa préſence a ranimé. M.
d'Agay , Intendant de Picardie , s'eft empreffé
de leur faire délivrer les fecours que
leur pofition rendoit néceffaires .
Le Vendredi Saint , les Affemblées de
Charité furent terminées par une délivrance
de prifonniers pour dettes de mois de Nourrices
, qui fe fit dans la falle du Confeil du
Châtelet. Mad . la Princeffe de Léon , après
avoir fait la quête , fe rendit dans cette falle ,
où il fe trouva un grand nombre de perſonnes
de la premiere diftinction , pour contribuer
à cette bonne oeuvre : on y délivra 87
Prifonniers , dont un avoit 10 enfans , refte
de : 6 ; quelques autres 9 , 8 & pluſieurs 6.
La totalité des dettes de nourritures d'enfans
de ces 87 Prifonniers , a monté à 7475 liv.
16 fols 3 den. , & en outre , chacun a reçu
un petit fecours en argent , proportionné à
fes charges , pour fubvenir , en rentrant dans
fa maifon , aux befoins les plus preffans de
fa famille.
Oa écrit de Saint - Quentin que le ro du mois.
dernier, jour du tirage de la milice du fauxbourg
k4 .
( 224 )
Saint Jean , entre midi & une heure , un jeune
homme de quinze à ſeize ans , gliffant fur la glace
qui couvroit le grand abreuvoir de ce fauxbourg,
tomba dans l'eau , qui dans cet endroit avoit au
moins huit pieds de profondeur : il pouffa un cri
perçant qui fit accourir la femme d'un Maçon
dont la maifon étoit voifine : elle apperçut le jeune
homme enfoncé dans l'eau jufqu'au cou , &
quoiqu'elle fût dans un tems critique , elle n'héfita
pas à voler à fon fecours , elle faifit la main
du jeune homme ; le poids de fon corps fit rompre
de nouveau la glace fur laquelle elle étoit , elle
tomba elle - même dans l'eau , & difparut à l'infzant.
Une jeune fille , âgée de dix - huit ans , témoin
de ce qui fe paffoit , courut aux deux infortunés
; s'accrochant d'une main au garde- fou qui
entoure l'abreuvoir , elle faifit de l'autre les jupons
de la femme , qui flettoient fur l'eau , &
après bien des efforts , elle parvint à la fauver ,
ainfi que le jeune homme , dont celle - ci tenoit
toujours la main , qu'elle n'avoit point lâchée.
L'un & l'autre étoient fans connoiffance ; on leur
donna les fecours les plus prompts , qui les rappellèrent
à la vie ; mais la femme a fait une maladie
dont elle eft à peine remife , & elle boite
encore,d'une bleffure qu'elle s'eft faite au genou
en tombant. Cette femme , dont on ne peut qu'admirer
lecourage & l'humanité , a donné de cette
derniere vertu d'autres preuves qui la rendent encore
plus intéreffante. Elle a fecouru jufqu'à fa
mort , tant de fa bourfe que de fes foins , une
pauvre vieille femme abandonnée de tout le
monde , qu'elle n'avoit connue que par hafard ; &
elle ne l'avoit foignée que parce qu'elle la voyoit
feule & dans la derniere mifere. Le Subdélégué de
'Intendant à Saint Quentin , qui rend compte de
ces faits , ajoute qu'ils font parvenus à fa connoif
( 225 )
fance un peu tard , par l'indifférence où la mo
deftie de leurs auteurs , qui croient n'avoir fait
que ce que toute autre perfonne auroit fait à leur
place.
M. M*** nous adreffe les obfervations
fuivantes fur les inconvéniens des cheminées
actuelles , & fur les moyens d'y remédier.
Entre tant d'abfurdités que la routine a confacrées
, & qui cedent fi lentement au poids de la
raifon , il me femble que la conftruction de nos
Cheminées mérite une attention particuliere,
fur-tout en ce moment où la difette du bois de
chauffage follicite la vigilance du Gouvernement
, & éveille l'induftrie des Citoyens.
•
La forme de nos Cheminées paroît , de toutes
celles qu'on eût pu adopter , la moins propre à
remplir fon objet . Cette vérité depuis longtems
a été fentie par un ordre de Religieux,
plus particulièrement dévoués aux économies
de la pauvreté , dont nous rapproché inceffamment
l'ivreffe de notre luxe ; & par les fimples
& précieux Cultivateurs d'Allemagne , qui ufent
du moyen que nous propofens .
Dans nos Cheminées telles qu'elles font en ce
moment , le feu concentré entre trois parois , ne
communique qu'à la longue , très peu , ou point
de chaleur à l'appartement ; & n'eft acceffible
fur ane ouverture de trois pieds, & demi , qu'à
trois ou quatre perfonnes ; & qu'à huit ou dix
dans la plus grande proportion de ces Cheminées.
:
Dans oes deux cas , il y a double inconvé
nient celui d'être trop près du brafier , qui incommode
alors ; & celui d'en être trop loin , f
l'on forme le demi - cercle.
Il n'eft pas ici queftion des Hôtels , & des
( 226 )
Palais où de grands feux dans plufieurs antichambres
, & des poëles jufques fur les efcaliers ,
& fous des parquets de marbre , fuppléent à
grands frais les vices de nos Cheminées , en augmentant
la difette du bois . Il faut indiquer au
plus grand nombre le moyen de fe chauffer mieux
avec moins de dépenſe.
Ce moyen eft de placer les Cheminées , fi- non
au milieu de l'appartement , du moins à l'une
de fes extrémités fur la longueur , de maniere
qu'on puiffe avoir des fiéges entre le mur & le
foyer.
Les gens de l'art verront bien mieux que moi
le parti qu'on peut tirer de cette conſtruction , &
les détails où je n'entre point , parce qu'ils font
de leur reffort.
En adoptant cette conftruction , on y devroit
avoir égard dans les bâtimens nouveaux où l'on
donneroit plus de longueur aux pieces . Mais
dès ce moment , les Cheminées que je propoſe
peuvent être conftruites dans plufieurs fales ,
fallons , & grands cabinets oblongs , tels qu'ils
font.
Le point effentiel eft d'élever de 4 ou 5 pouc.
un foyer abfolument circulaire , à rebords affez
hauts pour contenir le bois , & la braife. Ce
foyer aura pour fonds une forte grille de fer ;
& fous elle un recueilloir pour recevoir les cendres
. Si l'on objectoit que la grille confomme
trop de bois , on peut la fuppléer par un fonds
plein , ou percé d'un feul trou.
Le tuyau qui commencera à 3 ou 4 pieds de
ce foyer , fera pofé fur trois légeres colonnes de
fer , ou de bronze décorées à volonté . Ce cuyau ,
bien entendu , devra être incliné par une pente
douce , pour rejoindre celui d'ancienne conftruction
; & fera formé de barres de fer , recouver◄
tes de tôle, ou de briques , &c . &c .
( 227 )
Par rapport à la fumée dont les détracteurs
de toute nouveauté qui ne vient pas d'eux , ne
manqueront pas d'exagérer les inconvéniens , il
ne paroît point qu'elle foit plus à craindre
avec un brafier qui raréfie l'air en raison de fa
grandeur , & de fon activité. D'ailleurs on découvre
& l'on publie chaque jour des moyens de
fe garantir de la fumée.
De telles Cheminées fufceptibles d'embelliffemens
nouveaux , exciteront l'induftrie fi féconde
de nos Artiftes , & préfentent divers avantages
que la comparaifon rend fenfibles .
On voit d'abord que toute la chaleur du foyer
fera à profit ; tandis qu'elle eft abforbée dans
l'âtre , dans le contre coeur , & dans les côtés de
nos abfurdes Cheminées . Les hommes , tout à leur
aife , pourront tourner le dos au feu , fans le maf
quer aux femmes .
Au lieu d'un demi - cercle , où chacun fe chauffe
trop , ou trop peu , l'on formera , en proportion
du diamètre du foyer , un cercle de 10 ou 20
perfonnes jouillant toutes également d'un brafier
qui infpire la gaieté : & ce coup d'oeil nouveau
aura un autre mérite , foit qu'il offre une famille
réunie autour de ce brafier , ou bien une alfemblée
dans tout l'étalage de la parure.
à D. , le 29 Mars 1786 .
par M. M****
On peut le rappeller la conteftation
qui
s'eft élevée entre M. Gardanne & M. Brulé ,
fur la Colique des gens de mer. Le premier
nous a priés de donner cours à fa réponſe
fur cet objet ; en voici la teneur.
Je dois , Meffieurs , depuis longtems , une
réponse à M. Brulé , Médecin de la Marine al
Breft ; il faut enfin que je m'en acquito. I
K. 6
( 228 )
m'accufe , dans fon Mémoire , d'avoir été caufe
par une mépriſe à laquelle il prétend que j'ai
donné lieu , de la mort d'une Dame , et d'accidens
fâcheux arrivés à des Matelots , à l'occafion
de leur colique particuliere : felon lui
j'ai indiqué la fauffe application de la méthode
de la charité contre la colique des Peintres :
tout ceci pourtant n'eft qu'une erreur de
M. Brulé dont je vais donner la démon(→
tration .
(
>
Il est bien étonnant que les gens de l'art , exerçant
la Médecine dans nos vaiffeaux , aient pu
prendre le change fur une inculpation fauffe &
malhonnête , faite par M. Brulé , fur- tout quand
il s'agit de la réputation d'un Médecin , accufé
d'avoir donné des confeils dangereux de Médecine-
Pratique. Jamais aucun ne s'eft foumis aux lumieres
de fes confreres , & si j'avois eu une
opinion erronée , confondu la colique des Peintres
avec celle des Matelots , & fauffement appliqué
le traitement de cette derniere à la précédente
, les Médecins & les Chirurgiens de la Marine
, maîtres de leur choix , auroien : commis une
faute énorme en adoptant cette omiffion ; mais ,
Meffieurs , il n'eft rien de tout cela ; l'erreur que
M. Brulé me reproche eft un fantôme , un être
de raifon dont je vais démontrer la nullité , pour
mettre ma réputation en garde contre une imputation
auffi grave que celle d'accufer un Médecin
d'avoir pris le change fur le choix d'une méthode ,
& d'avoir induit en erreur des perfonnes qui
par l'expérience , auroient du s'en garantir ,
en supposant toujours que j'euffe pu
tromper ..
me
On ne conçoit pas comment M. Brulé a pu
prétendre que j'aie conftamment fait mention,
dans mon Mémoire fur la colique des gens de mer ,
( 229 )
de celle des Matelots : il n'y a jamais été mention
que de celle des Officiers , comparée avec celle
des Peintres : c'eft après ce parallele , établi par
M. Defperriers , qu'a du fuivre l'application du
traitement fort de la colique des Peintres , contre
une maladie qui vient des molécules faturnines ,
comme cette derniere , ainsi que M. Deſperriers
paroît en convenir . Il n'a pas été queſtion , ni dans
mon Mémoire , ni dans mes lettres , de la colique
des Matelots , & l'on peut voir , parcelle du Journal
Encyclopédique , qu'il a toujours été queſtion
de la colique des Peintres & des Officiers qui font
les mêmes.
Voilà , Meffieurs , la réponse que je devois à
M. Brulé , qui en m'accufant , dans mon Mémoire ,
d'avoir commis l'erreur d'appliquer mal- à propos
à une colique particuliere aux Matelots , un traitement
qui luieft tout - à - fait contraire , a infidieufement
attaqué ma réputation. Vous voyez
pourtant qu'il n'eft rien de ce qu'il a dit de mon
mémoire & de mes lettres , & que fa rêverie ne mérite
aucune confidération
Ainsi fe détruifent ces idées fur la mort d'une
dame atteinte , de fon aveu ,de la colique nerveufe,
qu'il a trouvée telle dans fon principe . Il a pris
le change fur la maladie , & l'a traitée non comme
la colique des Matelots , mais comme celle des
Peintres. Encore en adminiftrant le traitement à
une maladie oppofée à celle des Plombiers , &
que ce traitement ne réussît point dans le début ,
on ne s'obſtineroit pas comme on l'a fait fur la
maladie dont il s'agit , à victimer fon eftomac par
la continuation habituelle de l'émétique. Cette
femme eft morte pourtant d'un ulcere cancereux
comme on devoit le prévoir , & cette mort s'eft
paffée fous les yeux de M. Brulé.
Plufieurs Matelots ayant leur colique , &
( 230 )
traités par la méthode oppofée , ont éprouvé
à leur tour des accidents , M. Brulé les a eu
fous les yeux ; & cette erreur a conţinué pendant
trois ans fans qu'il ait cherché à la réformer.
C'eft ainfi que par des méprifes & des inconféquences
impardonnables , au- lieu d'accufer
fes confreres d'erreurs qu'ils n'ont point
connues , il tombe lui - même dans ces erreurs :
je ne le fuivrai pas davantage dans les détails
de fon mémoire , cù je pourrois trouver des
fautes , des contrefens & des inadvertences. I
me fuffit de m'être juftifié des torts que m'a
fait ce Médecin peu expérimenté , qui préfére
de s'attacher à fon art , que d'engager des dif
putes polémiques.
PAYS- B A S.
DE BRUXELLES , le 22 Avril.
2
Le 12 , l'Archi -Ducheffe Marie - Chriftine
& le Duc de Saxe Tefchen , nos Gouverneurs
Généraux , font arrivés en cette ville ,
où ils ont été reçus avec l'allégreffe générale ..
Les Etats d'Utrecht ont exécuté le 12 la
réfolution que nous avions annoncée , d'écrire
aux Etats de Hollande , pour fe plaindre
de leur refus de laiffer expédier par le
Stathouder dans la province d'Utrecht , des
troupes à la répartition de celle de Hollande.
Voici la fubftance de cette lettre , qui
conftate un conflit férieux entre les deux
Provinces fur l'une des bafes capitales de
l'Union d'Utrecht.
Les Etats parlent d'abord de l'affaire d'A
( 231 )
mersfcort , arrivée l'année derniere . La Pro
vince de Frife ne fit pas difficulté de confentir
» à ce que S. A.S. y envoy ât des troupes à la folde
de cette Province , & offrit aux Etats d'Utrecht
tous les fervices qu'ils étoient en droit d'atterr-
" dre d'un bon confédéré , conformément au
» traité d'union de 1579. Les Etats de Hot-
» lande , en s'offrant , le 9 Décembre dernier ,
» comme médiateurs , déclaroient que les af-
ور
50
>>
faires de la Ville d'Utrecht regardoient la fou-
» veraineté dans les Etats de la Province ; en admettant
la vérité de cette affertion , les Etats
d'Utrecht repliquent qu'elle eft applicable éga-
» lement à la Province de Hollande , qui en conféquence
n'a pas manqué de fe fervir des
troupes dans les diffenfions qui la divifent , iis
» ont donc été fort étonnés , quand ils ont appris
» le contenu de la lettre de L. N. & G. P. au
Capitaine Genéral . Ils ne peuvent s'empêcher
» de regarder cette démarche comme contraire à
» l'Union de 1579 , & à tout ce qui s'eft pratiqué
jufqu'à ce jour. L'Union oblige les confé-
» dérés à reconnoître leur fouveraineté réciproque
, & à fe donner toute l'affiftance poffible ;
quelle idée nous formerons- nous par- là , difent les
» États d'Utrecht , de la défenfe générale de la République
, &c . fi un des confédérés refufe à l'autre
des troupes, pour maintenir le bon ordre & la léga
» lité de la Régence , tandis que ce même confédéré
n'hésite pas d'en faire uſage chez lui pour le même
objet » ?
"
כ כ
לכ
33
Les Etats Généraux ont congédié irrévocablement
le 11 de ce mois , la Légion de
Maillebois , le Corps du Prince de Heffe-
Darmstadt , ceux du Colonel Matha & du
Colonel Sternbach.
( 232 )
La Gazette d'Utrecht , du 9 Avril , rapporte
l'anecdote fuivante.
« Il vient de mourir à la Haie une Fruitiere ,
âgée de 81 ans , qui auroit pu fournir à Moliere
» de nouveaux traits pour fon Avare. Cette fem-
» me , depuis 40 ans , ne vivoit que de café & de
» beurrées. Ses parens n'avoient la permiffion
» d'entrer que jufques dans fa boutique : le refte
30
de fon logement leur étoit interdit , tant elle
so fe méfioit de leur prétendue avidité ! Pendant
» un violent orage , la grêle avoit brifé tous les
carreaux de fa maifon ; elle a mieux aimé
fouffrir les froids les plus rigoureux , que de
» débourſer un fol pour leur réparation ; & ce
qui'ajoute encore à ce trait de léfinerie , c'eft
» que jamais , pendant l'hiver , on ne trouvoit
» de feu chez elle. Quand elle en avoit beſoin
pour faire bouillir fon café , elle fe contentoit
d'en envoyer acheter chez les gens qui
» en vendent ; mais comme elle n'avoit perfonne
pour la fervir , elle chargeoit ordinai-
» rement de cette commiffion le premier petit
» garçon qu'elle voyoit paffer , en le détermi-
» nant par l'appât de quelques fruits gâtés ,
qu'elle ne pouvoit plus mettre en vente, Après
fa mort , la Juftice , accompagnée de fes Col-
» latéraux , ( car elle n'avoit point d'enfans )
fit une defcente dans fa maifon . Quoique les
Héritiers s'attendiffent à y trouver quelques
épargnes , on ne peut pas fe faire une idée
de leur extafe à la vue de la quantité d'argent
qu'on y découvrit chaque panier de
fruits contenoit des monnoies de différentes
efpèces. On affure que fa fucceffion fe monte
» à 35 mille florins , outre deux maiſons qu'elle
avoit en ville . »
"
D
Extrait d'une Lettre de Cadix , du 28 Mars.
« Il y a 15 jours , qu'environ 12 Commerçans
( 233 )
étrangers de cette ville reçurent ordre de
» l'Adminiftrateur- Général des Revenus Royaux_
» de fe rendre fur le champ à Séville , fans
D
qu'on leur dît le motif d'un pareil ordre ;
» mais ils furent feulement que c'étoit pour
répondre juridiquement à certaines demandes
qui leur feroient faites . Ces Commerçans tinrent
une Aflemblée avec d'autres Négocians
» Efpagnols , & obtinrent la permiffion , avant
d'obéir , d'envoyer deux Couriers extraordi-
» naires , l'un à Madrid , & l'autre à Versailles.
» Au retour de celui de Madrid , les ordres de
» leur départ pour Séville furent contremandés ;
cependant , le bruit fe répandit qu'ils avoient
» fait paffer millions de piafres à Lisbonne ,
& ce fut , dit- on , le motif de la rigueur pro-
» jettée contre eux par l'Adminiftrateur des
Deniers Royaux.
> » Le calme s'étoit rétabli dans cette Place
lorfque ce matin , deux Maifons Françoifes
» & une Maiſon Eſpagnole ont fufpendus leurs
paiemens ; la premiere manque de 1,200,000
» piaftres ; la feconde , de 800,000 ; & la troi-
» fiéme , de 600,000 ; au total , environ de
» 11,000,000 liv. de liv . tournois.
» On attribue ces catastrophes au long délai
de l'arrivée du vaiffeau le S. Pierre d'Alcan-
» tara , & au malheur de fon naufrage ; cependant
, les frégates qui paffent continuellement
» du Péniche dans ce Port , ont déja rapporté
» 4 millions , cinq cents mille piaftres fortes
qui ont été retirées du fond de la mer ; &
» on efpere que le fuccès des plongeurs fera
» complet ; mais on craint qu'il ne foit difficile
de retirer également les piaftres non- enregiftrées
, & qui s'élevent à une fomme trèsconfidérable
. »
23
( 234 )
Une Lettre de Dantzick , du 4 Avril ,
parle en ces termes d'une inondation caufée
par la débacle des glaces.
Depuis le premier de ce mois , les glaces de la
Viftule fe font détachées , & ont commencé à defcendre
; mais comme les eaux entre Dirfchew &
Move étoient gelées jufqu'au fond , elles ont interrompu
l'écoulement des glaces fupérieures ,
& occafionné la rupture des digues du Marienburger
, diftri& Pruffien , qui a été preſque entierement
inondé . Cet événement a caufé une perte
immenfe aux habitans , dont les maiſons ont été
en partie détruites & les bestiaux noyés . Hier
enfin les glaces fe font entierement dégagées , &
ont paffé avec force pardevant cette ville , emportant
avec elles des débris de maiſons , effets , &c.
Au deffus de Move , les digues s'étant auffi rompues
, tout le bas pays a été fubmergé depuis
Thors jufqu'à Birfchaw , plufieurs perfonnes y
ent perdu la vie La digue élevée à l'endroit où
la Viftule fe partage en deux branches , dont
l'une conferve le nom de Viftule & pafle vers
Dantzick , & l'autre fous le nom de Nogat paffe
à Marienburg & Elbing , a beaucoup fouffert , &
auroit occafionné la fubmerfion totale d'Elbing ,
fi elle fe fût rompue. On attribue les malheurs de
ce genre , qui arrivent prefque tous les ans dans
la Pruffe occidentale , aux changemens de mefures
adoptées par les Pruffiens depuis qu'ils font
en poffeffion de ce territoire . Le defir de favorifer
le commerce d'Elbing a fait négliger les diverfes
réparations du lit de l'autre bras de la Viftule
bien moins fourni d'eaux de forte que la
majeure partie du fleuve fe portant fur l'autre
canal , il réſulte lors des débacles de grands inconvéniens
de cette inégalité de partage. Autre
fois les habitans eux -mêmes étoient chargés de
:
( 235 )
l'infpe&tion de ces digues : mais depuis qu'elle a
été remife à des Infpe&teurs royaux , moins au
fait fans doute du local , le pays eft fujet à beaucoup
plus d'accidens. Il eft probable que le funefte
exemple de cette année fera prendre d'autres
arrangemens .
Un bâtiment vient d'arriver de Thorn : ce qui
annonce que le fleuve eft dégarni de glaces , &
que la navigation va reprendre fon cours.
On écrit de Saint- Quentin une anecdote affez
finguliere , quoique peut- être apocryphe . Deux
Anglois arrivés dans cette Ville , après y avoir
refié quelque tems , emprunterent mille écus fur
des lettres - de- change qu'ils donnerent fur Londres
; le prêteur leur demanda de fe faire connoître
, & ils indiquerent l'Ambaffadeur de leur
Nation à Paris . L'Ambaffadeur répondit qu'il ne
les connoiffoit pas cependant ils partirent , &
leurs lettres - d - change revinrent proteftées de
Londres. On fe moqua du prêteur trop facile , &
quelqu'un paria cinquante louis contre lui qu'il
ne feroit jamais rembourfé. Le pari fut accepté ,
& les deux partics confignerent chacun leur mife.
Dans ces entrefaites , un incendie aux environs
de Saint-Quentin , ruina un petit village. Les
parieurs deftinerent le gain à fecourir les infortunés
qui avoient été brûlés , & on leur envoya
cinquante louis. Le même jour le prêteur reçut
de Londres le remboursement de fes mille écus
& fut ainfi doublement fatisfait d'avoir fait deux
bonnes actions .
9
Paragraphes extraits des Papiers Anglois & autres.
« Le 28 Mars , le Courier ordinaire de Conftantinople
artiva à Vienne avec des dépêches
en date du 4 du même mois . Quoique les nou
1
( 236 )
velles particulieres ne contiennent rien de fort
remarquable : on apprend cependant de bonne
part , que la Chancellerie d'Etat a reçu des avis
importans fur la fermentation extraordinaire qui
regne & qui s'accroît de plus en plus parmi le
peuple de Conftantinople. Au départ du courier il
étoit queftion de la dépofition du Grand- Seigneur,
& de l'élévation du Prince Sélim au Trône . L'alarme
étoit générale ; chacun fe tenoit fur fes
gardes , & les Miniftres des Cours étrangères reftoient
enfermés dans leurs demeures à Péra. Il
faut en effet que l'orage foit bien près d'éclater ,
puifque plufieurs perfonnes de diftinction de notre
Cour font revenues ici , pour ne pas fe trouver à
Conftantinople dans les circonstances actuelles » .
[ Courier du Bas - Rhin , nº. 30 ] .
< L'efcadre Hollandoife aux ordres du Contre-
Amiral van Kinsbergen , a mouillé le 11 dans le
port de Malaga , compofée des vaiffeaux de guerre
le Jupiter & la Nord- Hollande , des frégates le
Tigre & la Médée , & des corvettes la Guêpe & le
Lion. L'Oud-Hoerlem , navire de la Compagnie
Hollandoife des Indes Orientales , eft entré le
4 Janvier à Sainte- Croix de Ténériffe. Parti de
Fleffingue au mois d'Octobre 1785 , ce bâtiment
fut une navigation fi malheureufe , qu'au nouvel
an il n'étoit encore parvenu qu'à la hauteur des
Canaries. Comme il avoit cinq pieds d'eau à
fond de cale , ce ne fut qu'avec beaucoup de peine
qu'il atteignit le port de Sainte-Croix , abfolument
hors d'état de continuer le trajet . L'équipage
étant épuifé de fatigue & rongé de fcorbut , le
Capitaine demanda au Gouverneur la permiffion
de le mettre à terre ; mais celui - ci s'y refufa : &,
quoique l'Officier Hollandois offrit de fe fou--
mettre à toutes les conditions qu'on voudroit
prefcrire au débarquement de fon monde , foit
( 237 )
de le défarmer , de le renfermer dans un endroit
clos , ou de le mettre fous garde , le Commandant
Espagnol perfifta dans fon refus & continua
de traiter ce malheureux équipage comme des
vagabonds dont il avoit tout à craindre , apparemment
parce que le nombre des Hollandois
monte à une centaine d'hommes , & que fa garnifon
n'eft
que de deux cents foldats. Le Capitaine,
a envoyé ici des plaimes au Miniftre de fa Nation
: mais , renfermé avec fes gens fur fon navire
, ils peuvent tous être morts du fcorbut ,
avant que M. l'Ambaffa deur Comte de Recheteren
ait pu leur faire parvenir la permiffion que
l'humanité de S. M. Catholique la portera fans
doute à lui accorder. » [ Gaz. de Leyde ] .
GAZETTE ABREGÉE DES TRIBUNAUX .
PARLEMENT DE NORMANDIE.
Billets faits par un Normand majeur , âgé de 21 ans
& demi , fils de famille , ne jouiffant d'au un
pécule , font- ils nuls de plein droit ?
Cette question , infiniment intéreffante , puiqu'elle
touche à la tranquillité des familles ,
fouvent à leur honneur , a été jugée pour l'affirmative
en faveur du fieur de L'Hôpital de la
Cunette , contre le fieur Gros- Jean. En 1779,
le fieur de L'Hôpital de la Cunette , fis de famille
Normande , étoit Cadet Gentilhomme dans un
Régiment Francois , en garnifon à Neuf- Brifach ,
en Alface , alors âgé de 20 ans & demi ; il trouvoit
la penfion que lui faifoit fon pere au de flous
de fes befoins. Le JuifScrops lui offroit des fecours
qu'il accepta; il commença par exiger de ce jeune
homme deux billets de 9,000 l. chacun , dont l'un
( 238 )
-Le billet
avoit 9 mois à courir , l'autre , un an , au bénéfice
du heur Gros- Jean , Négociant à Scheleftat. Quelques
jours après , le Juiflui apporta des marchandites
de toutes efpeces , comme draps , toiles , chapeaux
, gazes , & c . Il y joignit la facture du fieur
Gros -Jean. Le fieur L'Hôpital revendit ces marchandiles
pour 1,900 & quelques 1.-
de 9 mois étant fur le point d'écheoir , le Sr Gros-
Jean chercha les moyens de s'en procurer le paiement
. Le fieur L'Hôpital pere , qui demeuroit
en Normandie , fut averti de la diffipation de fon
fils ; il écrivit aux Chefs du Corps où il fervoir ,
pour avoir des éclairciffemens . Le fieur Gros - Jean
fut entendu , & fe reftreignit à 9,000 1. pour folde
des deux billets . A cette époque , le fieur L'Hôpital
pere mourut ; alors , le fieur Gros- Jean fit affigner
le fieur L'Hôpital fils , devant le Vicomte
d'Evreux , pour être payé du montant des deux
billets. Le fieur L'Hôpital invoqua le Senatus Confulte-
Macédonien , & foutint la nullité des billets ,'
aux offres de remettre au fieur Gros- Jean le produit
de la vente des marchandiſes mentionnées
dans la facture . Le Vicomte donna a&e au fieur
L'Hôpital de les offres , & déclara les billets nuls .
Sur l'Appel du fieur Gros Jean en la Cour ,
Arret du 13 Janvier 1786, qui a mis l'appellation
au néant , avec amende & dépens.
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE.
Allodialité de la Coutume du Bourbonnois , confirmée.
QUESTION DE DROIT PUBLIC .
Il eft peu d'affaires plus importantes que celle
dont nous allons rendre compte. L'Adminiftrateur
des Domaines du Roi a prétendu , en versu
( 239 )
a
de droit de Suzéraineté du Monarque , affujettie
tous les héritages du Bourbonnois à la mouvance
univerfelle envers Sa Majesté . L'effet de ce fyftême
étoit d'impofer un Cens & d'exiger des droits
de dire&e Seigneurie , tels que lois & ventes fur
tous les héritages qui ne font pas érigés en Fiefs,
ou qui ne relevent d'aucun Seigneur. A.nfi , l'Adminiftrateur
rejettoit la maxime : nul Seigneur fans
titre , qui , jufqu'à préfent , a fait la bafe du régime
féodal en Bourbonnois , & il vou'oit fubftituer la
maxime contraire : nulle Terrefans Seigneur , qui
régna dans les Coutumes cenfuelles. Voici les circonftances
de l'affaire . En 1774 , le fieur
Audifret avoit acquis la Métairie des Gâteaux ,
fruée en Bourbonnois , Châtellenie de Moulins ;
partie de cette Métairie releve du Roi , les lods en
ont été payés , le furplus a été foutenu Allodial , &
conféquemment , l'acquéreur en a réfuté les lods.
Adminiftrateur ayant prétendu que le Roi
avoit la Seigneurie univerfelle de toutes les Terres
de fon Royaume , & que les droits de cette Seigneurie
étoient dûs à Sa Majefté , par- tout cù il
n'y avoit point de Seigneur particulier ; il a fait
affigner le fieur Audifret devant les Officiers du
Bureau des Finances de Moulins , Juges du Domaine
du Roi en cette Province , en paiement de
lods & ventes de la totalité du prix de fon acquifition
; & par Sentence de ce Tribunal , du 7 Avril
1775 , il a été ordonné , qu'avant faire droit
l'Adminiftrateur feroit tenu de rapporter les titres
envers lefquels il préten toit que tout ou partie des héritages
en queftion étoient dans la Cenfive du Roi,
Sur l'Appel de cette Sentence interjetté par
Adminiftrateur , les Officiers Municipaux de la ville
de Moulins ont pris le parti d'intervenir pour le
général des habitans de la Province , & en adhérant
aux Conclufions du fieur Audifret , ils le font
réunis pour demander la confirmation de la Sen(
240 )
tence du Bureau des Finances ; ainfi , l'affaire s'eft
engagée ertre l'Adminiftrateur du Domaine & les
habitans du Bourbonnois , & on a traité à fond la
queſtion de favoir : Si la Coutume de cette Province
étoit allodiale , ou cenfuelle ; fi les héritages y étoient
préfumésfrancs ; s'il n'y avoit titre contraire , & par
conféquent , fi c'étoit la maxime : nul Seigneur fans
titre qui devoit être la regle du régime. féodal ; ou au
contraire fi la fervitude étoit la condition naturelle des
fonds,& s'ils étoient gouvernés par la regle : nulle
Terre fans Seigneur, ou nul franc- aleu fans titres.
-L'Adminiftrateur a fait imprimer deux Mémoires
, & a foutenu que la regle : nulle Terrefans
Seigneur formoit le droit commun du pays courumier,
& qu'elle devoit être fuivie dans toutes
celles où la maxime contraire n'étoit pas écrite :
il a appuyé ce fyftême par le grand nombre des
Coutumes cenfuelles , comparées avec le petit
nombre des Coutumes allodiales . Comme la Coutume
du Bourbonnois n'a point d'article précis qui
prononce littéralement la franchiſe naturelle des
héritages , il en a conclu qu'elle ne l'admettoit
pas. Les habitans du Bourbonnois , dans un
Mémoire & une Confultation , ont foutenu que
leur Province , érigée en Duché en 1327 , étoit
autrefois un patrimoine héréditaire. Le Bourbonnois
n'a été empreint du titre de Domaine de la
Couronne que par la fubftitution faite en 1400 par
le Duc de Bourbon , en faveur de la Couronne, au
défaut d'hoirs mâ'es. La donation du Bourbonnois
à la Couronne , au défaut d'hoirs , & la réunion
qui s'en eft fuivie , n'ont tranfmis au Roi que les
droits qu'avoient les anciens Ducs , & n'ont opéré
aucun changement dans les Us & Coutumes des
lieux. - Les moyens des habitans du Bourbonnois
ont prévalu , & l'Arrêt du 27 Mars 1786 , a confirmé
la Sentence du Bureau des Finances de Mou.
lins , avec amende & dépens."
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