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1784, 05-06, n. 18, 20-25 (1, 15, 22, 29 mai, 5, 12, 19 juin)
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MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles ,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI I ΜΑΙ 1784.
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
PIÈCES FUGITIVES.
Versfur un Legs connu ,
TABLE
Du mois de Mai 1784 .
3
Héritière , premier Extrait ,
103
Sur le Parterre debout de la Suite d'expériences faites avec
Comédie Italienne ,
l'Eau Médicinale , 111
4
Portrait d'Aglaure,
La Piqûre d'Epingle ,
49 Chimène & Rodrigue , Opéra ,
SI 114
LePapillon & le Lys, Fable, 52 Cuvres Complettes d'Homère,
▲M. Pannelierd'Annel , 13 122
Epitaphe d'un Gentilhomme ,
55
Cecilia , qu Mémoires d'une
Héritière , fecond Extrait ,
Epître à Madame ***
Vers àM. de
, 97
152
Courte Mémoire d'un Amanı ,
Chanfon Bachique ,
Epitre àScarron , 148
Quatrain
Quatrain.
laHarpe, 99 Recueil de Plaidoyers , &e.
Julie ou le Triple Choix , 145 Variétés ,
150 Concert Spirituel , 33, 82,176
Charades , Enigmes & Logo- Acad. Roy. de Musique , 126
gryphes : 9,56 , 101 , 150 Comédie Françoise , 36 , 84,
Loix Pénales ,
NOUVELLES LITTÉR. 128 , 181
10 Comédie Italienne , 86, 152 ,
184
58 Annonces &Notices , 42 , 89 ,
137, 185
Finde i' Extrait de laMonarchieFrançoise
,
Cécilia,qu Mémoires d'une
161
100 Idéedu Mande , 173
25
146 Académie Françoise , So
SPECTACLES.
AParis , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , True de la Harpe , près S. Come.
Compl. sets
7-10-
24009
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI I MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
MADRIGAL.
Mon premier Soupir.
Tor, la gloire &l'honneur des vierges deton âge,
Chère ſoeur de l'Amour, daigne agréer l'hommage
D'an coeur qui veut & vivre & mourir ſous ſa loi ;
Contre l'Amourpeut-être un autre auroit des armes ;
Mais moi , ſi j'héſitois à t'engager ma foi ,
Seroit- ce donc ſentir le pouvoir de tes charmes ?
En te cédant, Fanny , je cède à mon vainqueur.
Oui , j'en jure l'Amour , j'en atteſte l'houncur ,
J'aime mille fois mieux , dans un profond filence ,
Toujours conftant , fidèle à mon ardeur ,
Te chérir , t'adorer , même ſans récompenſe,
Que revoir mes beaux jours en proie à la langueur
D'une éternelle & triſte indifférence.
(Par M. de Puthod-Maison-Rouges )
A i
4
MERCURE
QUATRAIN pour mettre au bas d'un
Grouppe en porcelaine de Sève, représentant
une Mère entourée d'Enfans.
:
CETTE Mère , dont les Enfans
Sont les tréſors & la parure ,
Unit par des plaifirs conftans
L'Amour , l'Hymen & la Nature.
(Par M. Manuel. )
ÉLOGE DES BRUNE S.
AIR : Vive le Vin , vive l'Amour.
DESES Brunes vive la beauté;
Nargue de la Blonde Myrthé :
Blondes , qu'un autre vous encenſe ;
Je ris de l'inexpérience
De l'amant par vous enchanté ,
Qui prend toujours pour l'air de volupté
Ce qui n'eſt jamais qu'indolence .
BLONDES , votre teint délicat
De la roſe a le frais éclat ;
Mais la roſe combien vit- elle ?
Oui , ſur le trône où toute Belle
Siège à Cythère dès quinze ans ,
DE FRANCE.
S
La Brune règne au moins trente printems ,
I orſqu'à vingt la Blonde y chancelle.
VANTE qui voudra les yeux bleus ;
Moi , de l'azur qui brille aux cieux
Je hais l'éclat trop uniforme:
Aux voeux de la Blonde conforme
L'Amour ſoupire des vapeurs ;
Et quand l'Amour dégénère en langueurs ,
Il faut bien que l'Amour endorme.
SI D'HÉLÈNE guidant les pas ,
L'Amour l'enlève à Ménélas ,
Et des Grecs arme la vengeance ;
Si Troye , expiant cette offenſe ,
Voit par eux briſer ſes remparts :
C'eſt dire affez quelle eſt de vos regards ,
Brunes , la magique puiſſance.
:
LA BRUNE a tout pour nous ravir ;
Étonner eſt plus qu'attendrir.
Que peut fur nous l'Amour tranquille?
Des amaus Flore en compte mille ,
Cérès n'en eût jamais , dit - on ;
Il n'en faut pas chercher d'autre raiſon :
Cérès eſt Blonde , & n'eſt qu'utile.
• •
( Par M. Damas . )
:
A iij
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
Le mot de la Charade eft Atome ; celui
de l'énigme eft Trompette; celui du Logogty
phe eſt Bouffole , où l'on trouve boule,
bolju , boſſe,fol,bol, fuo , fole.
CHARADE.
M
ON premier en harmonie
Tient ſa place avec honneur ;
Mon ſecond, par fa mélodie,
D'un Roi jadis a calmé la furcu
Douze fois couronné vainqueur ,
Mon tout célèbre Sectateur
De l'humaine philoſophie ,
Pour l'indigent noblement ſacrifie
Leprix que refuſe ſon coeur,
Et que l'on doit à ſon génie.
J
(Par M. Arnault. )
ÉNIGME.
E ſuis le même que j'étois ,
Et cependant j'ai ceſſé d'être.
L'anagrame me fait paroitre.
1
DE FRANCE. 7
Le même en Latin qu'en François.
Songez donc , pour me bien connoître ,
A ce que je ſuis & je fus :
J'étois naguère & ne ſuis plus.
Dans peu je dois encor éclore :
Montrépas commence au matin ;
Etcommeje tiens à l'aurore ,
Vous pourrez me nommer demain.
( Par un Habitant de Monts , en Périgord. )
LOGOGRYPH Ε.
JE ſuis par fois un ſéjour ſupportable ,
Mais jamais à coup sûr un ſéjour agréable.
Dans mes fix piés en cherchant bien , Lecteur ,
Tu peux rencontrer un Auteur ;
Le premier d'une monarchie;
Une graine qui vient d'Afie ;
Une Cité célèbre , également antique ;
Il faut joindre à cela ſa note de muſique ;
Ungraintrès recherché qui croît en nos climatss
Une part du froment que nous ne mangeons pas.
(Par un Habitant du Château de Ham. )
Aiv
S MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAIfur l'Histoire Générale des Tribunaux
de toutes les Nations , ou Dictionnaire
Hiftorique & Judiciaire. Huitième & dernier
Volume , par M. Deſeſſarts , Avocat ,
Membre de pluſieurs Académies. Prix ,
4liv.; les huit Volumes ſe vendent 32 liv .
francs de port dans toute l'étendue du
Royaume , chez l'Auteur , rue Dauphine ,
hôtel de Mouy; Mérigot le jeune , Durand
neveu , Nyon l'aîné, la Veuve Duchefne ,
Laporte , Savoye , Libraires.
ON a beaucoup écrit ſur la Jurisprudence
& fur les Loix , mais perſonne , avant M.
Deſeſſarts , ne s'étoit occupé d'écrire l'Hiftoire
des Tribunaux de toutes les Nations .
Cette branche d'Hiſtoire eſt cependant trèsimportante
par l'influence qu'elle peut avoir
fur le bonheur des hommes. En effet , la
comparaiſon des Loix étrangères avec les
Loix Nationales , des Coutumes, admifes
chez les autres peuples avec celles que
nous ſuivons ; enfin la manière d'adminiftrer
la juſtice dans les Tribunaux des autres
Royaumes avec celle de nos Tribunaux , ne
peut être que très utile. Elle peut ſervir à
détruiré les préjugés & les abus qui s'oppoſent
àdes reformes falutaires ,& préparer une réDE
FRANCE.
១
volution dens la Légiflation des différens peuples.
C'eſt ſur- tout dans la partie de l'adminiſtration
de la juftice criminelle qu'on defire
cette révolution , & c'eſt auffi celle dont.
M. Deſelfarts s'eſt le plus occupé. Le Volume
qu'il vient de faire paroître contient l'Hiftoire
des Tribunaux de plusieurs Nations ,
entre autres de l'Écoffe , des États Unis de
l'Amérique , de la Perſe , de l'Abbiffinie
du Mexique & de la Chine. Nous nous bornerons
à rapporter ce que M. Deſeſſarts dit
des Loix Criminelles de l'Écoffe.
1 « L'Écoffe met la haute trahifon au rang
des crimes capitaux.On regarde comme coupable
de haute trahiſon quiconque confpire
contre la vie du Roi & de la Reine , qui
cherche à leur cauſer quelque mal corporel
, ou à leur faire quelque violence ; qui
conque empêche le Roi de gouverner librement
ſes États , lève l'étendard & prend les
armes contre lui ou coutre ceux qui commandent
fous ſon autorité ; quiconque engage
les étrangers ou autres à envahir fes
États , ou qui fait connoître & manifeſte l'inten
ion de commettre de pareils attentats ,
par des diſcours malicieux & mal avifés
débités , écrits ou imprimés. Tous ces crimes
ſont regardés comme haute trahison , &
punis de mort. »
ود
د
Le ſupplice des coupables eſt , comme
en Angleterre , d'être traînés au lieu de l'exécution
, pour y être pendus & coupés par
quartiers , fi le coupable eſt du ſexe maf
Av
10 MERCURE
culin, &brûlés ſi c'eſt une femme. Cependant
en Écofle, comme en Angleterre , la
nobleſſe eſt décapitée , mais d'une manière
particulière. "
« L'inſtrument dont on ſe ſert, & que les
Écoffois appellent maiden , eſt une pièce de
fer , large d'environ un pied quarré , dont le
tranchant eft extrêmement affilé , ſa partie
ſupérieure eſt couverte d'un morceau de
plomb fi confidérable , qu'il eſt preſque impoſſible
de le remuer : au moment de l'exécution
, on l'enlève en haut d'un cadre de
bois de dix pieds , qui eſt diſpoſé de façon
qu'il puiffe couler ſans obſtacle : au- deſſus
eft élevé , à quatre pieds de terre , le bloc
fur lequel le criminel doit poſer la tête entre
deux eſpèces de barres affez ferrées pour
la tenir immobile. Dès que le ſignal eft
donné , l'exécuteur laiſſe tomber le maiden ,
qui ne manque jamais , au premier coup ,
de ſéparer la tête du corps. Les Écoffois affurent
que l'inventeur de cette machine barbare
en a fait le premier effai. »
, " On regarde encore comme trahifon
en Écoffe , l'introduction du poiſon dans le
royaume , le refus de reconnoître l'autorité
du Roi , & les attaques qu'on oſe faire à
celle des Erats oudu Parlement , & c. Mais
tous les autres cas , que les anciens Écoſſois
rangeoient dans cette claffe, ont été mis
par l'acte d'union , au rang des crimes capitaux
, & ne font plus punis que comme
tels. "
DE FRANCE. 11
• Les voleurs de grand chemin , ceux qui
entrent avec violence & fracture dans les
maiſons , les perſonnes qui donnent aſyle
aux voleurs , & qui font aſſociées avec eux ,
font coupables de crimes capitaux , & panis
de mort ; ce qui entraîne la confiſcation de
leurs biens. »
• Ceux qui prennent du bois dans les forêts
, briſent ou rompent des haies , des
digues ou des baritères , qui dérobent des
fruits , du miel ou des poiffons dans les
étangs ou lacs , ne ſont punis en Écolle que
par amende. Si les coupables font des enfans
mineurs , les parens ou les maîtres qui en
ont ſoin , doivent payer ou des livrer au
juge , qui les condamne au fouer. Si quelqu'un
s'entremêle dans la vente des effets dé
robés , parce que le voleur n'oſe les apporter
lui-même au marché , il eſt banni , &
tout fon mobilier eſt confiſqué au profit de
la Couronne & du particulier qui s'eſt ſaiſi
du coupable. »
« La Loi d'Écoſſe aſſujetit les faux témoins
& les perſonnes convaincues d'en
avoir ſuborné , ainſi que celles qui ſont
complices , à avoir la langue percée , à être
publiquement déclarées infâmes , & à perdre
tous leurs biens , meubles & immeubles ;
il eſt encore permis aux Juges d'aggraver ,
ſelon les circonstances , la ſévérité de la
fentence. Ceux de ſeſſion ſont dans l'uſage
de condamner à mort pour ces différens
crimes.>>
Avj
12 MERCURE
" Les ufuriers qui prêtent de l'argent à
plus gros interêt que le cours ordinaire , per
dent , outre le capital prêté , le mobilier
dont ils jouiffent. »
" Ceux qui , par des moyens illégaux , empêchent
la fourniture des marchés publics ,
en allant attendre les marchandises ou les
denrées , & en les achetant ſur l'eau ou fur
terre avant qu'elles aient pu parvenir au
marché , & avant le temps preſcrit par la
Loi , doivent être condamnés à garder prifon
, & à cent livres ſtealing d'amende pour
la première fois , au double pour la ſeconde ,
& à la confiſcation de leur mobilier pour la
troifième.>>
On trouve dans l'Ouvrage de M. Defeffarts
, à la ſuite de l'Histoire des Tribunaux
des differentes Nations , des Procès intéreffans.
Nous en citerons quelques-uns. On y
lit avec intérêt les exemples ſuivans d'accuſés
innocens qui ont été expoſes au dernier
fupplice fur des indices trompeurs .
" Il est bien peu de Nations , dit M. Deſeſſarts
, dont l'hiſtoire ne foit flétrie par plus
ou moins de ces mépriſes fatales qui ont fait
verſer le ſang innocent fur des échafauds,
Les annales criminelles de tousles pays n'offrent
malheureuſement que trop d'exemples
de cette affligeante vérité. J'aurois defiré que
le plan de mon Ouvrage me permît de cacher
à mes Lecteurs ces tableaux effrayans ;
mais c'eſt une partie effentielle de l'Hiſtoire
des Tribunaux ; c'eſt ſur-tout la plus utile ;
DE FRANCE.
13
car on ne fauroit, pour l'intérêt de l'humamité,
rappeler trop ſouvent ces evenemens
ſanglans à ceux qui rempliffent les fonctions
fublimes & terribles de juger leurs femblables
, & qui , dans cette claſſe , font chargés
de l'emploi délicat de recueillir les preu.
ves du crime ou de l'innocences c'eſt ſurtout
à ces premiers Miniftres des Loix qu'on
ne peut affez offrir ces cruelles Hiſtoires ,
pour les avertir d'être en garde contre ces
préventions funeſtes qui ont tant de fois.
égaré le glaive de la justice , & dont les hom.
mes les plus vertueux ne ſont pas même
exempts. >>
:
PREMIER EXEMPLE.
Esclave condamné à mort pour un crime qu'il
n'avoit pas commis.
• Valère-Maxime rapporte qu'un eſclave
ayant diſparu , un de ſes camarades fut accuſé
de l'avoir tué. Des indices trompeurs
ſembloient appuyer cette accufation. On
chargea de fers cet eſclave , & on inſtruifit
ſon procès. Les Juges n'ayant pas des preuves
ſuffiſantes pour le condamner à mort ,
ordonnèrent qu'il ſeroit appliqué à la queſ
tion. La douleur arracha au malheureux
l'aveu du crime dont il étoit accuſé. Après
cet aveu , les Juges ne virent en lui qu'un infarne
affaffin , digne du ſupplice , & l'y envoyèrent.
L'infortuné reçut la mort , en proteſtant
qu'il n'étoit pas coupable. On re14
MERCURE
garda cette proteſtation tardive comme une
impoſture , & jamais des Juges ne furent
ſi convaincus de la justice de l'arrêt qu'ils
avoient rendu , que ceux qui avoient prononce
fur le fort de cet eſclave. »
" Cependant , quelques jours après , l'efclave
qu'on croyoit avoir été affaffiné reparut
; de combien de remords ne durent pas
être déchirésdes Juges qui avoient condamné
l'eſclave infortune à périr pour un crime qui
n'avoit jamais exiſte ! »
SECOND EXEMPLE.
Mari condamné aufupplice pour avoir afſaſſiné
Safemme,justifié ensuite par un événement
inattendu .
" Charondas rend ainſi compte des circonſtances
de ce procès , auſſi cruel qu'étrange.
La femme d'un Boulanger , dit ce Jurifconfulte
, entretenoit un commerce criminel
avec un amant , & vivoit très mal avec
fon mari. Ce dernier , qui n'avoit que de
trop juſtes motifs de jalousie , faifoit ſouvent
les plus vifs reproches à ſon époule;
quelquefois même il paſſoit des reproches
aux menaces . & des menaces aux violences .
Au milieu d'une nuit les voiſins ſont réveillés
par les cris de cette femme; ils l'entendent
appeler au ſecours , & crier au menrtre
, à l'affaffin. Le lendemain matin , ils
font très- empreſſes d'entrer chez le Boulanger
, pour ſavoir les ſuites de la querelle
DE FRANCE.
15
nocturne qu'il avoit eue avec ſa femme. Des
traces de ſang s'offrent aux regards des voifins
curieux. Ils queſtionnent le mari. Celuici
ſe trouble. On prend ſon agitation pour
une preuve de ſon crime. Son feur qui
fume encore , & qui paroît avoir été le tombeaude
ſa femme , offre une nouvelle preuve
du crime aux voiſins prévenus. Le Boulanger
eſt ſur le champ denoncé à la juſtice ,
qui le fait auffitôt arrêter & charger de fers
comme un ſcélérat . » .
« Les indices qui avoient frappé les voifins,
font la même imprefſion ſur l'eſprit des
Juges ; ils ne voient, dans le mari , qu'un
monſtre qui a afſaſſine ſa femme. "
" Lorſqu'on interroge cet infortuné , il
avoue qu'il a eu une rixe avec ſon épouse;
mais il foutient qu'il ne l'a pas tuée. Malgré
ſa perſévérance à nier , & le défaut de preuves,
les Juges ordonnent que le Boulanger
ſera appliqué à la queſtion. Cet infortuné
ne pouvant réſiſter aux tourmens qu'on lui
faitfouffrir , avoue qu'il eſt coupable , & , fur
le champ , on le condamneà être rompu vif. »
" Dans l'inſtant même on le transfère
dans les priſons de la Corciergerie , & peu
de jours après la Tournelle s'aſſemble pour
le juger. Les Magiſtrats ſont aux opinions ,
lorſqu'une femme demande à entrer dans la
chambre : c'éroit celle du Boulanger , qui
fait l'aveu de ſa debauche , en demande pardon
à fon mari , & fupp'ie les Magiftrats de
rendre la liberté à ſon époux. »
16 MERCURE
" Cet événement inattendu prouve combien
il eſt dangereux de ſe determiner fur
des apparences trompeuſes ; car , un jour
plus tard , le malheureux Boulanger eût péri
fur la roue. »
TROISIÈME EXEMPLE.
Maréchal, accufé injustement , qui meurt dans
les tourmens de la question.
i
Voici encore un exemple du danger d'admettre
légèrement des indices .
" Deux voleurs avoient formé le projet
de forcer la caiffe. d'un riche Banquier. A
quelque diſtance de la maiſon de ce dernier
Jogeoit un Maréchal , dont la probité n'avoit
jamais été ſuſpecte. Les voleurs entrent dans
ſa boutique , & profitent d'un inſtant où il
étoit forti , pour ſe ſaiſir d'un marteau. Au
milieu de la nuit ſuivante, le Banquier étant
à la campagne , les portes de ſa maiſon ſe
trouvent briſées , & fon coffre - fort pillé.
Ce Négociant arrive le lendemain matin.
Le premier objet qui le frappe , après avoir
vû ſa caiſſe volée , fut un marteau . On le
ramaſſe avec ſoin, & les Officiers de Juſtice
s'en emparent pour découvrir les auteurs du
vol. Pendant l'information , le marteau fut
préſenté à tous les témoins. Un des garçons
du Maréchal , qui étoit du nombre des témoins
, ayant vû ce marteau , le reconnut ,
&déclara fur le champ que c'étoit celui dont
fon maître ſe ſervoit ordinairement. >>
DE 17 FRANCE.
Sur cet indice, le Maréchal eſt arrêté &
condamné à la queſtion. Cet infortuné , d'une
complexion trop foible pour réſiſter aux douleurs
de cette terrible épreuve , meurt quelques
inſtans après , en proteſtant qu'il eſt
innocent. »
« Sa mémoire fut flétrie par les ſoupçons
les plus infâmes , juſqu'au moment qu'un
nouveau vol fit arrêter les auteurs du délit
qui lui avoit coûté la vie. Ces ſcélérats confeſsèrent
ſur le champ qu'ils avoient volé
le Banquier. Cette lumière tardive rendit
l'honneur à la famille de l'infortuné Maréchal;
mais la Juſtice n'eut pas moins à ſe
reprocher d'avoir eu trop de confiance dans
un indice trompeur , & d'avoir occaſionné
la mort de ce Citoyen vertueux. Les deux
voleurs fubirent la peine qu'ils méritoient >>
On trouve dans le même Volume des
Procès beaucoup plus étendus que ceux que
nous venons de citer ; entre autres ceux du
Surintendant Fouquet , de la Maréchale
d'Ancre , d'Anne Dubourg, du Connétable
de Luxembourg , de Michel Servet , &c.
D'après la variété qui règne dans cet Ou
vrage , il n'eſt pas étonnant qu'il ait eu un
grand ſuccès.
(A un autre Mercure la fin de l'Extrait
de Cécilia. )
13 MERCURE
SERMONS fur l'Aumône , prononcé dans
l'Eglise de S. Sulpice, le 22 Février 1784 ,
par M. l'Abbé Desjardins , Curé d'Yvetot ,
dans la Haute- Normandie. A Paris , chez
l'Eſclapart , Libraire de MONSIEUR , Pont
Notre- Dame , Nº. 23 .
La lecture de cet Ouvrage ne peut qu'intéreſſer
vivement les coeurs ſenſibles & bienfaifans
. L'Auteur a le talent d'attendrir , &
l'on trouve dans ſon ſtyle de la nobleſſe &
de l'énergie. Le morceau ſuivant ſuffit pour
faire juger de la totalité du diſcours , prefqu'entièrement
écrit de la même manière.
• N'attendez pas , mes frères , que les pan-
> vres vous expoſent leurs néceſſités , qu'ils
- vous prient avec inſtance , qu'ils vous
>> preſſent de les ſecourir. Hélas ! ils font
■ affez malheureux d'être forcés de recevoir
, pour n'être pas forcés de demander.
• Épargnez- leur l'humiliation de vous ex-
> primer leurs peines..... Abus déplorable ,
➤ qu'il faille vous exciter à être miféricor-
>> dieux , comme on poursuit la faveur d'an
ود homme puiſſant ! que de démarches , de
>> fupplications , d'affiduites , de dures con-
>> traintes pour obtenir ! Le riche ne ſe ga-
> gne preſque que par affauts , & l'on ne
» remporte la victoire ſur ſon indifference
» qu'en luttant péniblement contre lui.
>> Combien y en a-t'il qui ne font remués
> que par la vivacité des tableaux ? Point
DE FRANCE.
19
ود
ود
de compaffion pour eux ſans image; leur
âme eſt , ſi je puis ainſi dire , dans les ſens ,
>> en forte que ſi ceux ci ne ſont pas forte-
>> ment frappés, celle-là reſte froide &dans
ود l'inaction. Ce n'eſt que par le pouvoir des
> plaintes & des cris , par l'éloquence des
❤larmes , qu'on vient à bout de les tou-
>>cher , & ils ne font tomber leur pitié que
ود fur des malheureux couverts de plaies.
Eh ! quoi , pour être homme , est- il done
• néceflaire d'être cruel en promenant fa
ود vûe ſur les ſpectacles divers de la mi-
» sère ? »
FRAGMENT de Xénophon , nouvellement
trouvé dans les ruines de Palmyre, par un
Anglois , & déposé au Museum Britannicum,
à Londres. Traduit du Grec par
un François , & lû à une Affemblée par
blique du Muſée de Paris , rue Dauphine.
A Paris , chez Prault , Imprim. Libraire ,
Quai des Auguftins .
Ce titre , auffi piquant que fingulier , ne
laiffe pas long temps voyager l'imagination .
Dès les premières lignes de l'ingénieuſe allégorie
que ce prétendu fragment préſente ,
on faifir la chaîne des événemens à jamais
mémorables qui viennent de changer la
fituation politique des deux mondes. Sous
les noms les plus célèbres de l'ancienne
Grèce , ou ſous des anagrammes faciles à interpreter
, on voit agir les plus ſages & les .
20 MERCURE
plus courageux Citoyens des États- Unis ; ce
Franklin , dont le génie profond & hardi a
ſu enrichir la Phyſique & la Médecine de
découvertes fi nouvelles & fi utiles ; & qui ,
après avoit conçu & établi le plus beau
Code de Loix pour ſa patrie , devenue une
République commerçante & belliqueuſe ,
vient parmi nous folliciter & obtenir des
ſecours pour la défenſe de la liberté ; ce
Waſington , qui a ſu , avec des forces ſi précaires
& fi inégales, tenir en échec les Armées
les plus nombreuſes & les mieux diſciplinées
, faire tête aux plus habiles Généraux
Anglois , & triompher des efforts réitérés de
cerre Nation fi long temps victorieuſe. On
voit les projets habiles & profonds d'un
Miniſtre protecteur de la liberté , & réparateur
de la gloire du pavillon François ; la
bravoure&l'expérience prématurée du jeune
Héros qui , le premier vola au ſecours des
Américains ; la louable émulation de l'élite
de notre jeune Nobleſſe, & les ſuccès de
nos meilleurs Généraux ; les voeux du jeune
Titus de la France pour le bonheur de ſes
Peuples , & l'accompliſſement de ſes voeux
pour l'unanimité d'une paix auſſi avatageuſe
qu'honorable .
Ce petit Ouvrage , ainſi que l'Avertiſſement
qui le précède , renferme un très-grand
nombre de traits ingénieux & fins. Il eſt écrit
en total avec beaucoup de goût & d'élégance.
Il n'y a pas juſqu'à nos ennemis même,
auxquels l'Auteur ſait parfaitement rendre
DE FRANCE. 21
juſtice , qui ne doivent être flattés de cette
charmante allégorie.
Cet Ouvrage a encore le mérite d'une
fort belle exécution typographique ; c'eſt
une petite Brochure de 52 pages du format
in- 18 , & qui ſoutient la réputation des
prefſes de Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire
du Roi.
L'Auteur de ce joli fragment , qui joint
la modeftie au talent , eſt M. l'Abbé Brizard ,
qui nous pardonnera ſans doute de tirer le
rideau de l'Anonyme ſous lequel il vouloit
ſe cacher.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LES deux derniers Concerts ſe ſont donnés
dans la Salle du Château des Tuileries ,
appelée Salle des Machines , & qu'occupoit
dernièrement la Comedie Françoiſe. La
précipirarion avec laquelle s'eſt fait ce déplacement
, n'a permis de faire que les changemens
de première néceflité. Une partie
du Theatre , coupé par une cloiſon qui n'a
encore aucun ornement , a ſervi à placer
lorchestre , dont les divers inftrumens ſont
diſtues avec beaucoup d'intelligence , relativement
à 1effet. Bien entendu qu'on a
mis des banquettes dans le parterre , dont
22 MERCURE
-
on a fait un parquet ; mais comme cette
place eſt la plus recherchée , il paroît qu'elle
ne contient pas un affez grand nombre de
perfonnes. Le paradis offre , à la vérité, beaucoup
de places au même prix ; mais les Amateurs
du Concert préfèreront toujours un
local où ils puiſſent aller &venit à volonté.
Il paroît donc néceſſaire de ſupprimer les
petites loges qui rétréciſſent ce parquet ;
peut être même faudra - t'il par ſuite y
joindre l'amphithéâtre ; mais on ſentque ces
changemens ne ſe peuvent faire que fucceffivement.
Au reſte , la Salle est très-fonore ,
on entend bien par tout , trop bien quelquefois
, on y ſaiſit les plus légers défauts
avec une facilité dangereuſe,les talens ſupérieurs
y feront mieux appréciés , les ralens
médiocres y auront plus à craindre ;
eft-ce un avantage ou un malheur? Ily
avoit foule à ces deux Concerts , fur tout au
premier; mais foit que le nombre des curieux
l'ait emporté ſur celui des véritables
Amateurs, foit que le parquet , qui , naguère,
étoit un parterre debout , eût confervé
un reſte de cette maligne influence ,
le Public a paru oublier cette décence qui ,
bannie des Théâtres où ſe conſerve cet
uſage barbare , ſembloit s'être réfugiée au
Concert Spirituel. Paſſons vite fur ce trait
de rigueur , d'autant plus qu'il porteit fur
des talens que les Amateurs chériffent avec
justice. La ſeule nouveauté dont nous avons
à parler , eſt un Hyerodrame de M. l'Abbé
-
DE FRANCE . 23
Lepreux , qu'on a fort applaudi. M. Duport
a joué de manière à prouver qu'il n'a rien à
redouter de l'examen le plus fevère.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
د par
ON a donné Lundi 26 Avril
extraordinaire , la première repréſentation
des Danaïdes , Tragedie Lyrique , paroles
de M. *** , muſique de MM. le Chevalier
Gluck & Salieri , Maître de la Muſique de
la Chambre de l'Empereur & des Spectacles
de la Cour de Vienne.
> Lenom de M. Gluck, l'incertitude où l'on
eſt ſur la part qu'il a eue àla compoſition de
la muſique , la réputation déjà méritée de
M. Salieri , & le choix qu'un ſi grand Maître
fait de lui pour l'aſſocier à ſes travaux , tout
étoit bien propre àexciter la curioſité& l'emdreſſement
du Public fur cette nouveauté.
Obligés , comme à l'ordinaire , d'envoyer
cet article à l'Imprimeur avant la première
repréſentation , nous nous contenterons de
donner ici la ſimple analyſe du Poëme , pour
en faire connoître la marche dramatique.
Le Poëme eſt en cinq Actes. Le premier
Acte ſe paſſe ſur le bord de la mers près du
temple de Junon. On voit les fils d'Égyptus
defcendre de leurs vaiſſeaux. Danaüs , Hypermneſtre
, Lincée , les Danaïdes , les frères
deLincée, les Prêtres &le Peuple rempliſſent
La Scène,
24 MERCURE
Ce ſujet a , comme tous les ſujets de l'antiquité
déjà mis fur nos Théâtres , l'avantage
de n'avoir pas beſoin , pour être entendu ,
de ces détails d'expoſition ſi peu favorables
à la muſique , mais indiſpenſables dans un
ſujet peu connu ou d'invention .
L'expoſition des Danaïdes est un grand
tableau. Danaüs & fes filles , Lincée & ſes
frères jurent devant l'autel de Junon d'étouffer
à jamais les reſſentimens qui ont fi longtemps
diviſé les deux familles ,& le mariage
des fils d'Égyptus avec les filles de Danaüs eſt
le gage de cette grande réconciliation. Danaüs
invite les nouveaux époux à jouir du
bonheur que hymen leur promet ; Lincée &
Hypermneftre ſe livrent à tous les tranſports
del'amour heureux après de longues traverſes.
L'Acte eſt terminé par une invocation à
l'Hymen & par des danſes.
Le deuxième Acte repréſente un temple fouterrain
, conſacré à Némeſis. La ſtatue de la
Déeſſe eſt aumilieu, & au devant eſt un autel.
Ce lieu n'eſt éclairé que par la lumière pâle
& lugubre d'une lampe. Danaüs y a raffemblé
ſes filles , pour leur révéler un grand
myſtère. Il leur rappelle que ſon frère Égyptus
l'a chaſſe du trône , qu'il a voulu le faire
périr, que fa haine, toujours implacable &
cruelle , ſe cache en ce moment ſous des
apparences d'amitié , que leur hymen couvre
un piège funeſte , & qu'elles doivent périr
de la main de leurs époux. Les Danaïdes ,
à l'exception d'Hypermneſtre , partagent à
ce
DE FRANCE.
25
ce récit ſa fureur & le reſſentiment de leur
père. Il leur fait jurer ſur l'autel de Némeſis
de ſervir ſa haine & fa vengeance ; elles lui
promettent une aveugle obeiflance ; alors
Danaüs , découvrant le voile qui cache un
faiſceau de poignards dépoſes ſur l'autel ,
leur ordonne des'en armer , &de les cacher
dans leur ſein juſqu'à ce que la nuit amène
leurs époux dans leurs bras , & de les frapper
toutes à la fois lorſqu'il leur en donnera
le ſignal. Elles en font l'horrible ferment &
fortentdu temple. Danaüs , qui a remarqué
la conſternation & le filence d'Hypermneſtre,
l'arrête au moment où elle veut ſortir avec
ſes ſoeurs. Il lui reproche de ne point partager
leur obéiſſance. Hypermneſtre répond qu'elle
déteste une pareille obéiſſance ; qu'elle ne
confentira jamais à égorger l'époux à qui
elle vient de donner la foi. Elle conjure fon
père de renoncer à cette horrible vengean.
ce ; il eſt inflexible ; il lui rappelle l'Oracle
qui le menace de périr par la main d'un fils
d'Égyptus.
Tu fais qu'un Oracle effrayant
Menace Danais de tomber expirant
Sous la, fatale main d'un des fils de fon frère :
Tu le fais,& tu veux, pour ſauver ton amant,
Voir immoler ton père!
Mais tu le voudras vainement.
Tremble juſqu'à l'heure fixée
Où Joit couler le ſang du perfide Lincée ;
N°. 18 , 1 Mai 17541 B
ءا
26 MERCURE
5 2
Des regards vigilans ,que tu ne verras pas ,
Vont alliéger tes pas ,
Et pénétrer juſques dans ta penſée!
2103Si mon fecret peut t'échapper
ינ
Par un coup-d'oeil , une parole
Sur tous deux ſoudain la mort vole ,
Un même coup va vous frapper.
Hypermneſtre , reſtée ſeule , ſent toute
T'horreur de fa fituation.
Faut-il que je découvre un horrible myſtère ?
Dans l'ombre du ſecret dois-je l'enſevelir ?
Si je parle , j'immole un père ;
:
Si je me tais ,mon époux va périr !
Elle fort en invoquant la mort , comme la
ſeule reffource qui lui reſte.
Au troiſième Acte , le Théâtre repréſente
un jardin orné pour une fête conſacrée à
Bacchus & aux Dieux de l'Hymenée.
Danaüs , ſes filles & leurs époux , accompagnés
d'eſclaves des deux ſexes , couronnées
de fleurs , viennent célébrer la fête de
l'Hymenée par des chants & des danſes, fuivis
d'unbanquet, où chaque Danaïde aflife
à côté de ſon époux , ſemble vouloir lui infpirer
la double ivreſſe de Bacchus & de
l'Amour. Lincée , ſurle devant du Theatre ,
préſente une coupe à Hypermneſtre , cui la
rejette avec horreur. Lincée , étonné le ce
mouvement, veut en ſavoir la cauſe; Danaüs
, qui n'a pas ceffé de les obſerver , en
DE FRANCE.
27
feignant de parler à ſa fille en faveur de
Lincée , la menace de lui percer le coeur à
tous deux , fi elle dit un mot. Hypermneſtre
ne peut plus ſoutenir la contrainte de cette
fituation. Elle fort au déſeſpoir ; Lincée veut
la ſuivre. Danaüs le retient , en lui promettant
de la rendre bientôt plus docile aux
voeux de ſon amant. La fête continue cepen•
dant ; & l'Acte ſe termine par une daufe
pantomime , où des Hymens avec des flambeaux
précèdent chaque couple d'époux , que
des Génies enchaînent avec des guirlandes ,
&parciffent les conduire dans la chambre
nuptiale.
Le Théâtre repréſente au quatrième Acte
une galerie qui communique à l'appartement
d'Hypermneſtre & à celui de ſes ſoeurs.
Hypermneſtre entre avec ſon père , qu'elle
tente encore de fléchir; mais ſes prières , ſes
raiſons , ſes larmes ne peuvent toucher ce
coeur barbare; il veut qu'elle obeiffe , qu'elle
ſerve ſa vengeance , & il la laiſſe ſous la
garde de quelques Soldats chargés d'environner
la porte de l'appartement , & de n'y laiffer
entrer que Lincée.
Hypermneſtre au déſeſpoir , ne formeplus
d'autre voeu que celui de voir Lincée s'éloigner
d'elle pour jamais. Il entre en ce moment
, & ſe précipite à ſes genoux , plein
d'eſpérance &d'amour. Elle le repouffe avec
un attendriſſement mêlé de trouble & de
terreur.
Bij
28 MERCURE
LINCÉE.
Ciel! que dois-je penſer de ce déſordre affreux ?
HYPERM NESTRE.
Ah ! cher époux , rappelle ton courage.
LINCÉE , à part.
Qu'entends je !
Parle.
HYPERM NESTRE.
Hélas ! je ſens tout le mien expirer.
LINCÉE.
HYPERMNESTRE.
Lincée, il faut nous ſéparer !
LINCÉE.
Nous ſéparer ! quel étrange langage !
Qui peut nous impoſer cette barbare loi ?
HYPERM NESTRE.
Etl'enfer& leciel dont je ſuis pourſuivie , &c.
Lincée lui propoſe de fuir avec lui. Elle ne
le peut pas. Il accuſe alors le coeur & la fincérité
d'Hypermneſtre. Accablée de ce reproche
, elle eſt prête à tout avouer ; mais
-la crainte d'expoſer ſon père la retient encore.
Au milieu de ce combat pénible , Pélagus
vient annoncer qu'on va donner l'affreux
fignal 1
DE FRANCE.
29
HYPERMNESTRE , pouffant Lincée hors du
Théâtre.
Fuis , malheureux , fuis ce palais fatal.
LINCÉE.
Quedites-vous?
HYPERMNESTRE.
Tu meurs ſi tu diffères.
(On entend lefignal. )
Ociel!
LINCÉE.
Qu'entends-je ?
HYPER MNESTRE.
Fuis! on égorge tes frères,
LINCÉE.
Mes frères!
:
HYPERMNESTRE.
Fuis!
LINCÉE.
Je cours les ſecourir ,
Les venger ou périr. ( Ilfort. )
A peine eſt il forri que l'on entend de derrière
la Scène les cris des malheureux époux
que l'on égorge. Hypermneſtre tombe évanouie
, & ce choeur effrayant termine l'Acte.
La décoration reſte la même au cinquième
Acte. Hypermneſtre , qui eſt reſtée ſur la Scène
évanouie , revientà elle encore égarée , ignor
1
B iij
30 MERCURE
rant le fort de ſon amant. Danaüs ſurvient ,
lui demande ſi Lincée a péri de ſa main; les
queftions de fon père lui font voir que fon
amant vit encore: ceffant de craindre la fureur
de ce monſtre , elle ſe livre à la joie
que cette idée lui inſpire. Danaüs la menace
de la mort la plus affreuſe : J'ai fauvé mon
époux , dit elle , je brave ta vengeance. Elle
fort , & Danaüs fort après elle pour faire
chercher Lincée. Alors les Danaïdes entrent
fur la Scène en déſordre , furieuses, les che
veux épars ; ellessont couvertes à moitié de
peaux de tygres , & les unes,tiennent d'une
main un tirfe , & de l'autre un poignard enfanglanté.
Les autresportent des tamboursfur
lesquels elles frappent avec les poignards ;
d'autres portent des flambeaux allumés. Tandis
que les unes chantent une hymne à Bacchus
dans les fureurs qu'inſpire ce Dieu ,
& le meurtre de Penthée expirant ſous le
tirſe des Ménades , d'autres expriment la
même fureur par des danſes pantomimes ,
où elles ſemblent rappeler l'image des meurtres
qu'elles viennent de commettre. Danaüs
rentre en annonçant à ſes filles quefa vengeance
eſt trahie , & que Lincée échappe à
fon courroux. Elles ſortent pour alier le
chercher , & pour completter la vengeance
de leur père. Mais Lincée , à la tête de ſes
Soldats qu'il a raſſemblés , vient attaquer le
palais . Danaüs , qui en eſt inſtruit , fait venir
Hypermneſtre pour l'immoler de ſa propre
main. Au moment où il lève le glaive
DE FRANCE.
31
fur elle , Lincée entre avec les fiens ; Pélagus
fond fur Danaiis & le tue dans la couliffe.
Hypermneſtre s'écrie : Dieux! Sauvez
mon père , & tombe évanouie. En ce moment
le Théâtre s'obſcurcit , la terre tremble , &
le tonnerre gronde. Lincée & les fiens for-1
tent avec précipitation .
Le palais , écraſé par la foudre & dévoré
par les flammes , s'abyme & difparoît.
La decoration change , & repréſente les en-.
fers. On voit le Tartare roulantdes lorsde
ſang ſur ſesbords , & au milien du Théâtre ,
Danais paroît enchaîné fur un rocher , dévoré
par un vautoun ,& fa têre eſt frappée de
la foudre à coups redoublés. Les Danaïdes ,
enchaînées par grouppes , tourmontées par les
démonsou pourſuivies par des Furies, rempliffent
le Théâtre de leurs mouvemens & de.
leurs cris; une pluje de feu tombe perpe
tuellement. Pendant que cette action pantomime
s'exécute par des Danſeurs , un choeur
exprime les cris & les gémiſſemens des Da
naïdes , qui cherchent en vain à fléchir les
démons qui les poursuivent & les tourmentent.
21 יז
Nous nous garderons bien de prévenir par
aucune réflexion le jugement que portera le
Public ſur un Ouvrage d'un genre ſi nouveau
& fi hardi: nous nous bornerons àtranſcrire
icil Avertiſſement qu'on lità la tête du Poëme.
Après les ſuccès nombreux & mérités
que le ſujet des Danaïdes a obrenus fur nos
différens Théâtres , nous n'aurions pas ofé le
1
Biv
32 MERCURE
faire reparoître ſur celui de l'Opéra , ſi nous
n'avions pas imaginé de l'y montrer ſous
une forme nouvelle. Si le Public juge qu'à
cet égard notre Poëme a quelque mérite ,
nous aimons à déclarer ici que ce mérite ne
nous appartient pas tout entier. >>
" On nous a communiqué un manuscrit
de M. de Cazabigi , Auteur de l'Orfeo & de
l'Alceste en Italien , dont nous nous ſommes
beaucoup aides ; nous avons emprunté quelques
idées du Ballet des Danaïdes, du célèbre
M. Noverre, ce moderne rival des Batilles&
des Pilades; nous y avons joint les nôtres , &
du tout nous avons compoſé notre plan.
"Un de nos amis , que fa famille nous a
défendu de nommer , a bien voulu , pour
accélérer l'Ouvrage , mettre en vers une partiede
notre compoſition , & ce n'eſt pas certainement
celle dont le ſtyle paroîtra le plus
négligé.
" La mort vient de nous enlever cet excellent
homme , connu par pluſieurs Ouvrages
en profe & en vers également eftimés;
il étoit auſſi recommandable par ſes,
vertus ſociales , ſon mérite militaire & ſa
haute naiflance , que par ſon eſprit & fes
talens Littéraires.
« Qu'il foit permis à notre amitié de fai
fir cette occaſion de rendre à ſa mémoire ce
jufte tribut d'éloges. »
DE FRANCE.
33
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 19 Avril , l'ouverture de
ce Spectacle s'eft faite par la ſeptième repréſentation
du Jaloux , Comédie de M. Rochon
de Chabannes , ſuivie de l'Aveugle
Clairvoyant , Comédie de le Grand, en un
Acte & en vers.
Avant la première Pièce , M. de Saint-
Prix a prononcé le Diſcours ſuivant.
ESSIEURS ,
:
" C'eſt ſur tout lorſque nous voyons la
>> carrière ſe rouvrir devant nous , que nous
ود ſentons plus vivement le beſoin de votre
» bienveillance. Ce n'eſt point l'ulage qui
>> nous fait une loi de venir vous la deman-
>> der ; c'eſt la perfuafion où nous ſommes
ود que c'eſt de vous que dépendent nos fuc-
>> cès , que ſi votre indulgence enhardis nos
>> efforts , nos diſpoſitions font moins lentes
20 à ſe développer , & que s'il eſt déjà rafſuré
>> par vos fuffrages , notre talent s'accroît
>> encore par le deſir de les conſerver.
>> Et en effet, Meſſieurs , n'eſt ce pas à ce
» prix flatteur de leurs travaux que vous
» avez dû les Acteurs dont vous aimez à
>> vous rappeler les noms ? N'est- ce pas à
> lui que vous devez ceux que la Comédie
Bv
34
MERCURE :
ود
ود
ſe fait aujourd'hui un bonheur de poffeder?
>>>Perſonne de nous n'a pu ſe le diſſimuler ;
il n'est peut- être point d'Art , ſi l'on nous
>> permet de le dire , qui ſoit plus difficile
ود
ود que le nôtre. Adopter tous les caractères ,
» en faifir les moindres nuances , accoutu-
""mer notre âme à recevoir & à communiquer
toutes les impreſſions , la forcer de
>> gouverner fes mouvemens lorſqu'elle n'eſt
>> preſque plus ſuſceptible de les réprimer ,
>> nous rapprocher enfin de la vérité au point
99
ود
de vous faire oublier que c'eſt tous les
> jours le même Acteur qui vient vous repréſenter
un nouveau perſonnage , tels
>> font en partie , Meſſieurs , les engagemens
que nous contractons avec vous lorſque
> nous ofons prétendre à vous plaire un
jour.
ود
» Eh! quel eſt le Comédien qui , pénétré
➤ des difficultés de ſon Art, pourroit ſeflat-
» ter de trouver dans les dons même que la
Nature lui auroit prodigués , les reffources
qui ne font bien ſouvent le fruit que du
travail , de l'habitude & du temps .
" Je ne m'aveugle point ſur ma poſition.
Deſtiné à remplacer quelquefois un Ac-
" teur que vous chériſſez à juſte titre , je
3ſens combien il vous fera pénible d'en être
» privé; mais puiſque c'eſt à vous que je
>> dois le fort qui m'attache à préſent à la
>> Comédie , puiſſéje , aidé de vos conſeils ,
>>* & préparé à un travail auſſi conſtant qu'in
ود
DE FRANCE.
35
>> fatigable , justifier vos bontés , & vous
prouver qu'elles ont pénétré mon coeur
d'une éternelle reconnoiſſance ! »
"
ود
Ce Diſcours n'eſt ni piquant ni neuf ; il a
même cela de particulier qu'il auroit pu être
prononcé il y a huit ans , par M. de la Rive ,
comme double du célèbre Lekain , & que
dans une vingtaine d'années il ne ſeroit point
déplacé dans la bouche du ſucceſſeur de M.
de Saint- Prix. Cette réflexion , & d'autres
qu'on a déjà faites avant nous , doivent prouver
qu'il eſt temps d'abroger l'uſage des complimens
de clôture & de rentrée. L'Acteur
chargé de les faire eft fi embarraſfé de ce qu'il
'doitdire, qu'après avoir adreſſe au Public deux
mots de politeffe , il eſt obligé de parler de
lui même,pour donner à ſon difcours une certaine
étendué ; ce qui peut devenir fort ennoyeux
, & qui nous paroît abſolument inutile..
Au reſte , on aime M. de Saint Prix , &
fon Diſcours , récité d'ailleurs d'une manière
intéreſſante , a été fort applaudi .
M. de Chabannes a fait de nouvelles corrections
au Jaloux. C'eſt principalement au troiſième
Acte que l'effet en eſt ſenſible . Quelques
détails ajoutés au perſonnage de Valſain
font connoître plus poſitivement la jalousie
du Chevalier de Bellegarde , & motivent
mieux l'éclat qu'il lui donne. Un tableau du
caractère de ce même Chevalier , placé dans
la bouche de la Marquiſe , ſon amante ,
expofe les raiſons qui l'attachent à lui ,
malgré ſes emportemens & ſes fureurs ja
Bvj
36 MERCURE
loufes , & ajoutent beaucoup à l'intérêt
qu'il inſpire. Il faut obſerver que ces corrections
n'ont rien changé au plan de l'Ouvrage
, qui eſt toujours le même , ce qui
prouve qu'il étoit bien conçu; & que ſi l'Aureur
s'étoit trompé ſur quelques formes , il
avoit vû fon løjet , quant au fonds, comme il
convient que le voie un Auteur Dramatique .
Le Jaloux , toujours plus applaudi , a excité
àcette ouverturedes applaudiſſemensd'ivreffe;
& nous en ſommes d'autant moins furpris
, que le principal caractère de cette Comédie
, quoique chargé encore d'une grande
partie de ce qui déplaît dans la jaloufie , annonce
tant de délicateſſe & d'âme , qu'il offre
peut être le ſeul Jaloux que l'on puiffe préfenter
à des François ſans les révolter.
Ceſt un mérite rare ſans doute que celui
de ſavoir comment il faut plaire aux Spectareurs
de ſa Nation , fans altérer la phyfionomie
del'homme de tous les lieux .
COMÉDIE ITALIENNE.
DANANSS notre Journal du 10 Avril , en rendant
compte du Compliment de clôture de
ceThéâtre, nousdiſions que naturellement les
productions de cette eſpèce devoient êtremédiocres
, puiſqu'il s'agiſſoit toujours de remercier
le Public des encouragemens qu'il
avoit accordés , & de lui promettre de nou
veaux efforts pour continuer à les obtenir.
DE FRANCE.
37
M. Favart fils , dans ſon Compliment d'ouverture
, * le 19 Avril , a répété en trois ou
quatre lignes de proſe rimée , ce que nous
avions dit nous même en profe toute nue.
Il eſt convenu enſuite que le meilleur Compliment
à faire au Public à l'ouverture du
Théâtre , c'étoit de lui donner beaucoup de
nouveautés dans le cours de l'année ,&il a
conclu en diſant que ſi les Muſes treflorent
la couronne du talent , c'étoit le Parterre
qui la décernoit. Cette petite cajolerie a été
d'aurant mieux reçue , que le Compliment
étoit fort court. D'ailleurs , il a été prononcé
par le Sr Granger , Acteur dont les
talens font trop juſtement chéris du Public ,
pour qu'il n'accueille pas avecbonté tout ce
qui paffe par ſa bouche.
1 Le Public ayant beaucoup murmuré pendant
le cours de l'année dernière , ſur une
foule d'incommodités & d'irrégularités dont
* C'eſt par une repréſentation de la Mélomanie
que s'est faite l'ouverture de ce Théâtre. La mu
fique est de M. Champein; elle lui a fait beaucoup
d'honneur , & on l'entend toujours avec un
nouveau plaifir. Nous dirons à ce ſujet que le 29
Mars dernier , cet Ouvrage fut repréſenté à Rouen
avec le plus grand ſuccès. Quelqu'un apperçut M.
Champein dans un coin de l'orchestre , bientôt on
J'appela à haute voix..& on le força de laiffer placer
une couronne fur la tête , malgré tous les efforts qu'il
fit pour s'en défendre. Cet événement impoſe à M.
Champeio de grands devoirs à remplir , & lui fais
une loi de mériter des fuccès nouveaux.
38 MERCURE
tous les yeux étoient frappés ; un grand nom
bre de Spectateurs s'étant plaints de la fatigue
qu'ils éprouvoient dans des loges étroites &
incommodes , les Comédiens Italiens ont fait
un ſacrifice d'environ 100,000 liv. pour faire
àleur Salle les changemens dont elle pouvoit
êtreſuſceptible, en les conciliant avec les vûes
du Public.M. de Wailly, fur les deſſins duquel
a été conſtruite la Salle actuellement occupée
par les Comédiens François , n'a pas dédaigné
d'employer encore ſes talens aux changemens
qu'on lui demandoit.
Il réſulte de ceux qu'il a fait exécuter deux
effets également précieux.
r D'abord, l'enſemble de la Salle offre plus
de régularité & plus d'élégance.
Et en ſecond lieu , les Spectateurs , autrefois
gênés & preſſés dans des caiffes qu'on
appeloit des loges , ſont aujourd'hui placés
auſſi aisément qu'on le puiſſe defirer dans
un lieu public; la profondeur de chaque loge
ayant été augmentée d'un pied de terrein
pris ſur la largeur des corridors , & leur
largeur ayant auſſi gagné quelque eſpace par
la ſuppreſſion d'une loge à chaque côté des
rangs.
Il réſulte encore un effet ſalutaire de ces
changemens , c'eſt que , quoiqu'on ait fupprimé
deux loges à chaque étage, le nombre
des places ſe trouve cependant augmenté par
la création d'un quatrième rang de logestout
neuf , & au même étage, en face du Théâtre,
d'un vaſte amphithéâtre , d'où l'on voit &
DE FRANCE.
39
l'on entend bien , & qui peut ſeul contenir
environ soo perſonnes.
Les Comédiens , dont on doit louer le zèle
dans cette circonſtance , en recueilleront ,
au reſte , bientôt le fruit; car il eſt indubitable
que s'ils ont le bonheur de fixer cette
année le goût du Public , & l'on doit l'atten,
dre de leur conſtance infatigable a varier
leur Répertoire , les changemens qui viennent
d'être faits à leur Salle , doivent augmenter
leur recette cette année de quarante
mille écus de plus que cele qu'ils auroient
faite en laiſſant ſyber Tancienne conftruction
.
Ces changemens ont offert encore une
nouveauté intéreſſante. Sur le rideau du devant
du Théâtre , les Comédiens ont fait
peindre un temple qui repréſente une offrande
, un ſacrifice au Dieu du Goût , par
les Muſes de la Comédie , de la Muſique &
du Drame. De chaque côté du temple on
voit deux obéliſques auxquels fontattachées ,
par différens Génies, des figures en médaillon
, repréſentant les Auteurs & les Muſiciens
qui ont le plus contribué à la gloire
du Theatre Italien, & dont les noms font
inſcrits autour des médaillons , tels que ceux,
de Goldony , Monſigny , Sédaine , Grétry ,
&c. Cet hommage flatteur rendu aux talens ,
a été généralement approuvé ; & le rideau ,
conſidéré en lui même comme ouvrage de
peinture , a été trouvé d'un bel effet. L'idée
de ce tableau allégorique eſt de M. Monnet ,
40 MERCURE
1
qui ena deſſiné l'eſquiſſe. L'exécution , telle
qu'elle eſt ſous les yeux du Public , eft de
M. Chays , Artiſte d'un mérite fort diſtingué
, & qui doit jouir un jour d'une belle
réputation , ſi on l'acquiert par les talens &
par l'amour le plus vif pour l'état qu'on a
embraflé.
VARIÉTÉS.
LETTRE aux Rédacteurs du Mercure.
MESSIEURSY
Les changemens que j'ai été chargé de faire au
Théâtre Italien , pendant la clôture , ne m'ont pas
laiſfé le temps de lire les Papiers Publics. J'ai appris
depuis que , dans vos feuilles , à l'occafion de ces
mêmes changemens , votre annonce ſembloit m'attribuer
ſeul la gloire d'avoir conſtruit le Théâtre
François , tandis qu'il eſt de fait , ( ainſi que vous
l'avez imprimé lors de l'ouverture de cette Salle ) que
je la partage avec M. Peyre l'aîné , món confrère &
mon ami. Je m'empreſſe , Metſieurs , de vous prier ,
très inftamment , d'inférer cette préſente Lettre dans
vos premières Feuilles , afin que le Public ſoit de
nouveau inftruit de cette vérité. Il m'importe d'autant
plus que vous veulliez vous prêter à la publier ,
qu'amis ou ennemis ne me pardonneroient pas le
filence.
J'ai l'honneur d'être , très-parfaitement , Meſſieurs ,
Votre très-humb'e & très - obéiffant
ferviteur , DE WAILLY ,
Architecte du Roi.
A Faris , le Mardi 20 Avril 1784.
DE FRANCE. 41
ΑΝΝΟΝCEST NOTICES.
M
ÉMOIRESfur les Styletsou Sondes folides ,&
fur les Sondes cannelées , couronné par l'Académie
Royale de Chirurgie en 1784. in-4". Prix, 36 fols.
A Paris , de l'imprimerie de Michel Lambert , Im
primeur de l'Académie Royale de Chirurgie, rue de
la Harpe, près S. Côme , 1784.
;
L'OBSERVATOIRE volant &le Triomphe
héroïque de la Navigation aérienne & des veficatoires
amusantes & célestes , Poëme en quatre Chants,
avec des Notes historiques fur cette belle Découverte,
& le précis des Expériences du 27 Août au
Champ de Mars , du 21 Novembre à la Muette, &
celles du premier Décembre au Jardin Royal des
Tuileries , par M. Charles. A Paris, chez les Marchandsde
Nouveautés.
En ouvrant cette Brochure, nous ſommes tombés
ſur ces vers très curieux :
Jene puis détourner le goût quime féduit,
Ni éteindre le feu qui me brûle & me fuit.
Pourquoi donc, après tout , étouffer dans mon âme
Un feu dont les Neuf Soeurs alimentent la flamme?
Un feu qui ennoblit & qui fait reſpecter
Le génie bien ou mal capable d'enfanter ?
Nous avouons que nous n'avons lû de ce Poëme
en quatre Chants que ces fix vers ; nous avons
cru pouvoir, en les citant, mettre nos Lecteurs en
état de prononcer ſur tout le reſte; nous avons cru
que cela fuffiroit à leur admiration , & que nous
pouvions nous diſpenſer d'aller plus loin ſans blef.
42
MERCURE
fer notre confcience deCritique. Sans nous arrêter à
la beauté du ſens & aux charmes du ſtyle , nous
oferons ſeulement conſidérer ici la verſification , &
nous dirons à l'Auteur que ni éteindre forme ce que
nous appellons un hiatus par la rencontre des deux
voyelles i & e , c'est-à-dire , que cela ne peut entrer
dans un vers françois ; que un feu qui ennoblit
eſt encore un hiatus ; & que le vers ſuivant , le
génie bien ou mal capable d'enfanter a une ſyllabe
de trop, parce que l'e muet de génie compte, comme
de raiſon , pour une ſyllabe. Ceci n'attaque ni les
connoiſſances ni la gaîté de l'Auteur ; mais il eſt
bon de lui dire que la marche ordinaire pour faire
des vers eſt d'apprendre auparavant la verſification ,
comme un enfant avant de lire doit apprendre à
connoître ſes lettres.
ÉLÉMENS de la Tactique de l'Infanterie , ou
Instructions d'un Lieutenant Général Pruffien pour
les Troupes deson inspection , par le Général Sale
dern, traduits de l'Allemand . Prix , 4 livres 10 fols
broché, avec Plans. A Paris , chez,Jombert jeune ,
Libraire , rue Dauphine. ) and
L'Auteur de cet Ouvrage voudroit que l'exercice
des ſoldats devînt une ſcience d'après des principes
univerſellement établis, & qu'on en fît une
eſpèce de Code qui ſerviroit de règlé à tous les Officiers
, & qui diſpenſeroit les foldats de recommencerun
nouvel apprentiſſage en changeant de régiment,
ce qui arrive quelquefois. 'C'ell d'après cette
idée que l'Auteur a fait & publié cet Ouvrage.
१
SUPPLÉMENT à l'Optique de Smith , contenant
une méorie générale des Inſtrumens de Dioptrique,
in -4°. Prix , 6 livres broché. ABrest , chez
R. Malaſſis , Imprimeur ordinaire du Roi & de la
DE FRANCE,
43
Marine ; & à Paris , chez Durand neveu , Libraire ,
rue Galande , & Jombert jeune , Libraire , rue Dauphine.
L'Auteur de cet Ouvrage a puiſé dans de bonnes
fources il a écrit d'après le célèbre Euler. Sa première
l'artie contient les Principes de ce grand Géomètre
pour la conſtruction des Inſtrumens de Dioptrique,
& dans la ſeconde il fait l'application de la
théorie. Le même Auteur nous promet inceffam ,
ment un Traité d'Aſtronomie , &celui- ci eft pro
pre à le faire defirer.
!
OEUVRES Choisies de l'Abbé, Prevost, avea
figures , quatrième Livraiſon , contenant Histoire
d'une Grecque moderne , Volume , Car; agnes
Philofophiques , 1 Volume , Mémoires de Malthe
1 Volume, Marguerite d'Anjou , I Volume.
On ſouſcrit pour leſdites OEuvres , conjoin;
tement avec celles de le Sage , à Paris , rue &
hôtel Serpente , & chez les principaux Libraires
de l'Europe. La Collection des deux Auteurs for.
mera quarante- neuf Volumes ornés de figures faites
ſous la direction de MM. Delaunay & Marillier,
Les OEuvres de le Sage ſont actuellement achevées
&contiennent quinze Volumes. Le prix de la ſoufcription
eſt de 3 liv. 12 fols le Volume broché. On
a tiré vingt-quatre Exemplaires ſur papier de Hollandeà
12 liv, le Volume broché.
Cours de Langue Angloise , à l'aide duquel
on peut apprendre ceite Longue ſans Maître , par
M. Luneau de Boisjermain. Ce Cours eſt le ſecond
Cours d'inftruction du Journal d'Éducation . M.
Luneau de Boisjermain vient de livrer les derniers
Cahiers de fon Coursde Langue Italienne , compoſé
de quatre Cahiers de proſe & de dix Cahiers
de Poésie , qui parviennent port franc par la poſte
44 MERCURE
pour la ſomme de 26 livres s ſols adrefiés à l'Auteur
par lettre affranchie.
L'Auteur exécute ſur le même plan un Cours de
Langue Angloiſe ; il durera huit mois , pendant
teſquels on lira les vingt-quatre Livres de Télémaquepartagés
en ſeize Cahiers diſtribués le premier
& le quinze de chaque mois. La manière dont il
fautprononcer les mots Anglois eſt écrite au bas de
chaque rage d'après le parler Anglois : au deſſous
de chaque mot Anglois ſe trouve la ſignification
verbaledes mots.
Les douze Livres du Paradis perdu de Milton
feront partagés en fix Cahiers. Ils feront diſtribués le
20de chaque mois , à commencer au 10 Mai prechain.
An 30 Août 1784 l'impreſſion & diſtribution
du Cours de Langue Angloiſe ſeront entièrement
achevées. Ce Cours coûtera 41 liv. s ſols. On paye
en ſe faiſant infcrire 15 livres ; on reçoit en ſouſcrivant
les Cahiers diſtribués ; on envoie en mêmetemps
le modèle ſuivant de Soumiſſion :
:
Je m'engage à prendre la totalité du Cours de
Langue Angloife, pour lequelj'ai déjà payé15 liv.,
&àpayer les 15 liv. Second payement de cet Ouvrage
dans le courant de Juin suivant. On affranchira
l'argent & la lettre d'avis ; on les adreſſera à
M. Luneau de Boisjermain rue Saint André des
Arcs , vis-à- vis l'hôtel de Lyon.
د
Les Cahiers de ce Cours ſont remis francs de
port à Paris ou dans la Province.
TELEMAQUE , imprimé par ordre du Roi , pour
l'éducation de Mgr. le Dauphin. A Paris , chez Didot
Faîné , Imprimeur- Libraire , rue Pavée S. Andrédes-
Arcs. 2 vol. in- 8 ° . Prix , 30 liv.
C'eſt le troiſième format du Télémaqur ; il ne le
cède point aux précédens. M Didot travaille toujours
avec le même zèle , & toujours avec le même
i
DEFRANCE.
45
ſuccès. Cette Édition eſt une des plus belles qui ſoient
ſorties de ſes preffes.
On trouve chez le même , & chez Debure l'aîné ,
Entretiens de Socrate , deux volumes nouveaux de
la Collection des Moraliſtes Anciens , dédiée au Roi ;
papier d'Annonay , 4 liv. chaque ; papier ordinaire ,
3 liv.
PLAIDOYERS pour M. de Viffery de Bois-Valé,.
appelant d'un Jugement des Échevins de Saint-Omer,
qui avoit ordonné la destruction d'un Par- à- Tonnerre
élevéfurfa maison , par M. de Robeſpierre , Avocat
AParis, chez Deſenne , au Palais Royal.
CesPlaidoyers font le plus grand honneur àM.de
Robespierre , à peine ſorti de l'adolefcence.
NOUVELLE Topographie de la France. Carte de
laRégion Nord-Eft.
CetteCarteeſt la ſeptième des neuf qui préſentent
le premier degré de détail de la ſuperficie du
Royaume. On y trouve la portion de la Champagne,
qui contient le Réthélois , le Rémois , la Champagne
propre , le Perthois & le Vallage , les Duchés
de Lorraine&Barrois , le Pays des Trois Évêchés ,
&la Baſſe-Alíace.
Ces Cartes font toujours gravées avec la même
exactitude.
:
Le Comte deGleichen,Nouvelle Historique , par
M. d'Arnaud. A Paris , chez la Veuve Ballard &
fils , Imprimeurs du Roi , rue des Mathurins. Prix ,
3 liv. broché.
CetteNouvelle eſt la ſeconde du troiſième Volume
des Nouvelles Historiques. A *** , qui ſe publiera
dans le courant de Juillet prochain, complettera le
troiſième Volume. Ce qui compofera le quatrième
paroîtra dans le courant de la préſente année. Les
46. MERCURE
deux premiers Tomes de certe Collection ſe trouvent
chez Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques , visà-
vis la rue du Platre.
APHORISMES d'Hippocrate , donnés par M.
Lorry. in- 16 . Prix , 3 liv. A Paris , chez Théophile
Barrois le jeune , Libraire , Quai des Auguftins.
Feu M. Lorry , dont la Médecine & l'humanité
pleureront long- temps la perte , a ajouté de nouvelles
notes à cette Édition. Le texte Grec plus correct;
les citations des Commentaires de Vanſwieten
fur les Aphoritmes de Boerhaave complettées ; celles
des endroits d'Hippocrate & de'Celſe qui répondent
aux Aphorifmes vérifiées & corrigées avec la plus
ſcrupuleuſe exactitude ; la partie Typographique
très-foignée , rendent cette Edition plus précieuſe
que la précédente.
On trouve chez le même , Recueil d'Obſervations
Chirurgicales , faites par M. Saviard , ancien Maître
Chirurgien de l'Hôtel-Dieu , & Juré de Paris , com-
-mentées par M. le Rouge , Médecin ordinaire du
Roi , & Chirurgien Interne de l'Hôtel - Dieu. Nouvelle
Édition . in 12 Prix , 3 liv. relié. Obſervations
fur le Traitement de la Gonor ... Prix , 15 fols.
C
Détails Historiques des Tremblemens de Terre
arrivés en Italie , depuis les Févrierjusqu'en Mai
1783 , par MM . le Chevalier Hamilton , de la Société
Royale de Londres , & le Marquis Hyppolite, &
lûs dans une Aſſemblée de cette Société , traduits par
M. Lefebvre de Villebrune ; Brochure de 73 pages.
Prix , 1 liv. 4 ſols.- Itinéraire des Routes les plus
fréquentées,&c .
1
DEUXIÈME Recueil d'Airs , tirés de l'Opéra de
Blaife & Babet , pour le Clavecin , par M Charpentier.
Ouvre dix-septième. Prix , 6 liv. port franc
1
DE FRANCE.
47
par lapoſte. A Paris , chez Leduc , au magaſin de
Muſique , rue Traverſière S. Honoré.
く
DEUXIÈME Suite des Plaisirs de la Société .
compoſée d'Airs d'Opéras ſérieux & comiques ou
autres , pour le forté-piano, viol. ad libitum , par
M. Foignet. Prix , 7 liv. 4 fols franc de port. A
Paris , chez le Duc , même Adreſſe.
Ce ſecond Recueil n'est pas moins intéreſſant que
le premier par le choix des Airs & des paroles..
DEUXIÈME Air de la Caravane : Vainement
Almaïde encore , & ne fuis-je pas auffi captive
, arrangés pour le Forte Piano , Viol. obl. par
M. Pouteau , Maître de Clavecin. Prix de chacun ,
I livre 4 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand de
Muſique , rue Saint Honoré , près Saint Roch , &
Mlle Castagnery , rue des Prouvaires .
TROIS Sonates pour le Forte-Piano , Accompagnement
de Violon , par M. Kotzwara , Elève de
J. C. Bach . Prix , 4 liv. 16 ſols. A Paris , aux
mêmes Adreſſes que ci-deſſus.
SIX Duos concertans pour Flûte & Alto , par
M. de Vienne le jeune , Muſicien de la Chambre de
Mgr. le Comte de Rohan, cinquième OEuvre de
Duos. Prix , 7 liv. 4 fols port franc. A Paris , chez
Leduc, au Magaſin de Muſique , rue Traverſière-
Saint-Honoré .
Nous croyons que le Public verra toujours avec
plaifir les Ouvrages de M de Vienne , qui ne montre
pas moins de talens dans ſes compoſitions que
dans ſon exécution .
SIX Duos pour deux Bafſfons , par M. FrédéricBlafius.
Prix , 7 li vres 4 fols port franc par la
48 MERCURE
pofte. AParis , chez Leduc, même Adreſſe que cir
deffus.
:
QUATRE Sonates & deux Duos à quatre mains
pour le Forte-Piano , Violon ad libitum , par M..
Millot, Organiſte de Panthemont, Ouvre I. Prix ,
و liv.AParis, chez Leduc, meme Adreſſe que cideffus.
:
Duo pour Violon & Alto , par Ch. Stamitz.
Prix, livre 16 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand
de Muſique, rue Saint Honoré , près Saint
Roch ; Mile Caſtagnery, rue des Prouvaires , &
Blaizot, rue Satory, à Versailles. T
On n'a point oublié le mérite des Ouvrages de
M. Stamitz ; on'en verra de nouveaux ſans doute
avee plaifir .
Pour les Annonces des Titres de la Gravure .
dela Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
4
MADRIGAL,
TABLE.
1
Fragment de Xénophon , 19
4Concert Spirituel , 21
ib Acarémie Roy. de Musiq. 23
Charade, Enigme& Logogry Comédie Françoise,
Quatrain ,,
Eloge des Brunes ,
phe ,
des Tribunaux ,
Sermons fur l'Aumône,
Effaissur l'Histoire Générale Variétés ,
33
6 Comédie Italienne, 36
40
8 Annonces & Notices , 4
18,
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'ar lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Mai. Je n'y bi
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.A Paris ,
leoAvril 1984. GUDL0 утв L
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars.
E Comte Wolodimir Orlow , frere du
Lfeu Prince de ce nom , arrivé ces jours
derniers de Moſcou dans cette Capitale , y
a préſenté à l'Impératrice le portrait de
S. M. I. qu'elle avoit donné au Prince ſon
frere , avec la permiſſion de le porter à la
boutonniere de ſon habit. S. M. ne l'a point
repris ; elle a déclaré que le don de ce portrait
avoit été un témoignage de ſa ſatisfactiondes
ſervices , que ce Prince & toute fa
famille avoient rendus à l'Era , & qu'elle le
donnoit au Comte Alexis Orlow , celui qui
dans la derniere guerre , remporta la victoiredeTſcheſme
, avec la permiffion de le
porter de lamême maniere.
S. M. I. a alligné au Lieutenant Général
d'Artillerie , M. Meliffimo , 300 roubles par
mois pour fa table.
N°. 18 , 1 Mai 1784. a
48 MERCURE
poſte. AParis , chez Leduc , même Adreſſe que cis
deffus.
QUATRE Sonates & deux Duos à quatre mains
pourle Forte- Piano , Violon ad libitum , par M.
Millot, Organiſte de Panthemont, Ouvre I. Prix ,
وliv.AParis, chez Leduc, meme Adreſſe que cideffus.
: Duo pour Violon & Alto , par Ch. Stamitz.
Prix, livre 16 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand
de Muſique, rue Saint Honoré, près Saint
Roch ; Mile Castagnery, rue des Prouvaires , &
Blaizot, rue Satory, à Versailles.
On n'a point oublié le mérite des Ouvrages de
M. Stamitz; on en verra de nouveaux ſans doute
avee plaifir.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure .
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
MADRIGAL,
TABLE.
1
Fragment de Xénophon , 19
Quatrain , 3 , 4Concert Spirituel, 21
Elogedes Brunes , ib Acarémie Roy. de Musiq. 23
phe ,
Charade, Enigme& Logogry Comédie Françoise,
Effaissurl'Histoire Générale Variétés ,
33
6ComédieItalienne, 36
40
des Tribunaux 8 Annonces & Notices , 4
Sermonsfur l'Aumône, 18,
APPROBATIΟΝ.
J'ai lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Mai . Je m'y bi
tien tronvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.A Paris ,
Je-30 Avril 1984. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES. ?
1
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars.
E Comte Wolodimir Orlow , frere du
Lfeu Prince de ce nom , arrivé ces jours
derniers de Moſcou dans cette Capitale , y
a préſenté à l'Impératrice le portrait de
S. M. I. qu'elle avoit donné au Prince ſon
frere , avec la permiſſion de le porter à la
boutonniere de ſon habit. S. M. ne l'a point
repris ; elle a déclaré que le don de ce portrait
avoit été un témoignage de ſa fatisfactiondes
ſervices , que ce Prince& toute fa
famille avoient rendus à l'Era , & qu'elle le
donnoit au Comte Alexis Odow , celui qui
dans la derniere guerre , remporta la victoiredeTſcheſme
, avec la permiffion de le
porter de la même maniere.
S. M. I. a affigné au Lieutenant Général
d'Artillerie , M. Meliffimo , 300 roubles par
mois pour fa table.
Nº. 18 , 1 Mai 1784 .
( 2 )
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 6 Avril.
On vient de recevoir la nouvelle fâcheuſe
du naufrage du bateau de poſte , parti il
y a 8 jours pour Hambourg , dans le petit-
Belt , à un quart de mille d'Aroësund , par
une tempête qu'il a eſſuyée le 30 du mois
dernier ; la perte de la malle des dépêches
& des eſpeces qu'il portoit , n'eſt point la
plus fâcheuſe qu'on ait à déplorer. 18 perſonnes
ont été englouties par les flots. Une
feule eſt ſauvée ; c'eſt M. de Seidwitz , Lieutenant
de Huſſards , qui s'eſt réfugié ſur un
morceau de glace , d'où il a été tiré par un
bâtiment qui étoit à portée.
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 6 Avril.
S'il faut en croire les bruits publics
S. M. n'eſt attendue de retour dans ſesEtats ,
qu'au mois de Septembre ou d'Octobre
prochain. Ce qui ſemble le confirmer , c'eſt
que ſes dernieres lettres révoquent tous les
ordres qu'elle avoit déja donnés l'été dernier
pour faire camper ſes troupes cette année;
de forte qu'il n'y aura point de camp ,
&que 6000 hommes de troupes de terre
feront employées à réparer les fortifications
des places frontieres. 售
( 3 )
:
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 6 Avril.
Il paroît certain aujourd'hui , que conformément
à l'alternative établie entre les trois
grandes Provinces de la République , pour
la tenue des dietes , la premiere s'aſſemblera
en Lithuanie. Le Comte Gurowski , Grand-
Maréchal de ce grand Duché , a déja envoyé
ordre au Commandant de la Garde
Hongroiſe à Grodno , de l'habiller de neuf ;
les régimens des Gardes de Lithuanie à pied
&à cheval , le feront également ; & ce dernier
, qui eſt en garniſon ici , ſe rendra l'été
prochain à Grodno.
On lit dans quelques lettres de Ruffie les
détails ſuivans des arrangemens pris par
cette Cour au ſujet de ſes nouvelles poffeffions.
Ils ont pour objet trois points principaux ,
1 °. de changer la conſtitution antérieure & leadminiſtration
de ces pays , pour leur en donner de
conformes à celles adaptées dans le reſte de l'Empire.
2°. De les mettre dans un état de défenſe
convenable pour l'avenir , & de les aſſurer contre
les invaſions qu'on pourroit y faire du côté
de la Turquie. 3º. D'exécuter les grands projets
de commerce & de navigation qu'on avoit
fondés ſur l'acquiſition de ces contrées , & de
mettre ainſi réellement à profit le traité de commerce
conclu l'année derniere avec la Porte.
-Pour le premier objet , on ne s'eſt pas cons
a 2
( 4 )
tenté de changer le nom de Crimée en celui de
Tauride , on a fait reprendre àtoutes les villes
&places de cette contrée les noms qu'elles portoient
antérieurement ; c'eſt ainſi que Caffa s'appelloit
Théodoſie , &c. La preſqu'ifle ſera partagée
en 7 cercles différens , qui formeront avec
celle deTaman un gouvernement général, dont
le Prince Potemkin ſera revêtu. Le gouvernement
civil ſera mis ſur le même pied où les autres
Provinces de la Ruſſie , de la Finlande , de
l'Estonie , de la Livonie & de l'Ukraine ont été
miſes par l'Ordonnance de 1775.- Quant au
fecond point , les principales places feront fortifiées
, il y ſera mis de nombreuſes garnisons , &
l'on potte à 50,000 hommes les troupes qui y ſeront
employées. - Quant au ze , on remettra en
état le port de Cherſoneſe,ou du Vieux-Cherfon,
on le garnira des fortification néceſſaires, comme
le plus propre pour y mettre à l'abri non-feulesment
des bâtimens marchands,mais auſſi des vaiffeaux
de guerre,& comme non moins avantageux
par ſa poſition poury établir l'entrepôt & l'étape
du commerce de la Ruffie. Ce port , connu ſur
les anciennes cartes ſous le nom de Cherſoneſe ,
& ſitué dans la Crimée , ſur le bord de la mer
Noire , à 15 ou 20 lieues de l'endroit où le Dnieper
ſe débouche dans cette mer , ne doit point
ſe confondre avec la ville de Cherfon', que la
Ruſſie a fondée depuis peu d'années ſur le bord de
cette riviere , & qui ſe nomme le nouveau Cherfon.
On ajoute à ces détails que le Prince Potemkin
retournera dans peu en Crimée , poury
faire exécuter ces arrangemens. Mais il ne paroît
pas également certain qu'il doive enſuite ſe rendre
par Conſtantinople en Italie, puiſque le bruit
s'eſt renouvellé que l'Impératrice fera elle-même
l'été prochain un tour à Cherſon,& que dans.
( 5 )
cecas le Prince Potemkin reſtera ſans doute dans
fonGouvernement général pour l'y recevoir.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 10 Avril.
L'Empereur a fait ſes Pâques le Jeudi-
Saint , dans la grande Chapelle de la Cour ,
où il a communié des mains du Nonce
Apostolique ; le même jour il fit la cérémonie
de laver les pieds à douze pauvres , &
de les ſervir à table; c'étoit douze vieillards
qu'on avoit raſſemblés ,& dont les âges réunis
formoient 997 ans.
S. M. I. pendant ſon ſéjour en Italie , a
terminé pluſieurs différends qui fubfiftoient
avec le S. Siege pour la collation des Prélatures.
La nomination de l'Archevéque de
Milan a été confirmée par le Pape , & le
nouvel Archevêque a été à Rome.
L'Empereur , qui ſe propoſe de donner
une plus grande activité au commerce de
ſes ſujets dans les Indes Orientales , a, diton
, déligné les ports de Trieſte, de Livourne
& d'Oſtende , pour ſervir d'entrepôts à
ce comm srce.
DEHAMBOURG , le 11 Avril,
S'il faut en croire nos papiers , tout chan**
gera bientôt de face dans l'empire Ottoman.
Le Gouvernement éclairé commence
a 3
L ( 6 )
à fentir l'abfurdité des préjugés , qui juſqu'ici
l'ont empêché de profiter des lumieres répandues
dans l'Europe , & s'occupe à les attirer.
-
On travaille , lit - on dans une lettre de
Conſtantinople , à relever les maiſons détruites
par les incendies de 1782 , & le grand Vifir fait
conſtruire actuellement à ſes frais , pour la décoration
de cette Ville , & l'uſage des habitants ,
une magnifique fontaine. On ſe flatte à
préſent qu'en conféquence de l'accommodement
avec les deux Cours Impériales , & la neutralité
avec celle d'Efpagne , notre commerce qui eſt
en grande partie entre les mains des Grecs &
des Arméniens nations économes & actives ,
reprendra bientôt un aspect plus avantageux. Le
Divan examine divers projets qui lui ont été
préfentés , pour mettre fur un meilleur pied le
ſyſtème économique & la caiſſe des finances.
Quant à la culture & à l'inſtruction , la nation
ſemble ſe rapprocher d'une époque favorable
aux Sciences & aux Arts. Onfait que le Sultan
aacquis des connoiffances étrangeres pour ainſi
dire juſqu'à ce moment dans le Serrail ; il les a
puiſées dans la lecture de pluſieurs Ouvrages
étrangers , parmi leſquels il a donné la préférence
à ceux qui traitoient de la politique &du
commerce. Ilen a fait traduire un grand nombre
dans la langue turque , & il en fait traduire
journellement ; on dépoſe auſſi tốt ces verſions
dans la Bibliotheque publique qu'il a formée
depuis quelques années , & dans laquelle on
trouve à préſent quantité de manufcrits arabes ,
perfans & turcs. Le Grand Seigneur a ordonné
de rouvrir l'imprimerie qui avoit été fermée depuis
la mort d'Ibrahim Effendi ; & l'on prétend
( 7 )
que le premier Ouvrage qui ſortira des preſſes
Ottomanes ſera une traduction de l'hiſtoire da
commerce des Européens dans les deux Indes ».
Des lettres particulieres portent que la
paix conclue entre les deux cours Impériales
, l'a été pour le terme de 12 ans; cela eſt
conforme à l'uſage ancien de la Maiſon
d'Autriche , &pratiqué long-temps , de ne
faire que des trêves avec les Turcs , & jamais
de paix perpétuelle.
Cependant , écrit- on de Semlin , il arrive
continuellementdes troupes aſiatiques à Belgrade,
& on dit qu'elles doivent être ſuivies encore de
pluſieurs corps. 'Cela n'empêche pourtant pas
que la communication n'ait été rouverte , & que
le commerce ne ſoit repris. Un Commerçant de
cette Ville ayant réſolu d'établir une maiſon de
négoce à Belgrade , a fait demander au feu Bacha
s'il falloit que ſon Commiſſionnaire revêtit
l'habit turc ; &le Commandant lui a faitrépondre
que les Européens pouvoient conferver leurs
vêtements , & paroître même devant lui fans
s'aſtreindre à un autre costume. - Un Off
cier Ottoman , ajoutent les mêmes. Lettres,
s'étant embarqué ſur un bateau avec fix hommes
de ſanation ,& ayant voulu , malgré les défenſes
formelles , débarquer fur le rivage autrichien , le
Soldat de garde de ce côté lui cria d'atréter , le
menaçade faire feu,& fit feu réellement fur fon
refus. Iltira ſucceſſivement deux coups ,dont le
premier tua l'Officier , & le ſecond un de ſes
compagnons. Sur les plaintes portées par notre
Commandant à celui de Belgrade, il fut arrêté
que les deux morts s'étant attiré leur fin funeſte ,
ils ſeroient l'un & l'autre jetés dans le Danube
avec une corde au col .
24
( 8 )
Les réglemens relatifs au Clergé s'exécutentdans
tous les Etats héréditaires ; S. M. I.
en a adreſſé un nouveau à tous les Evêques
deHongrie , de Bohême & de Gallicie; elle
leur recommande l'attention la plus ſévere
dans le choix des ſujets qu'ils admettent aux
Ordres facrés , & leur preſcrit de les foumettre
auparavant aux examens les plus rigoureux.
Les hommes chargés du ſoin des ames & de
Finſtruction religieuſe des peuples , eſt- ilditdans
ce réglement , ne fauroient être trop inſtruits ni
trop éclairés ; c'eſt d'eux qu'il faut attendre la
deſtruction des vains préjugés , des pratiques fuperftitieuſes
qui ont été priſes juſqu'à préſent pat
l'ignorance pour la Religion même à laquelle
elles font étrangeres. Un Prêtre doit remplir avec
intelligence &avecdignité les fonctions ſacrées
du Sacerdoce ; une des plus importantes , & qu'il
ne doit jamais négliger , eft celle de l'inſtruc
tion. Chargé de diriger la conduite religieuſe de
l'homme en fanté & de P'homme malade , il doit
veiller avec foin à ne jamais l'égarer ni l'affliger.
C'eſt fur- tout le moribond qui mérite de fapart
plus de ſoin , de douceur & d'indulgence. Le
zele peu éclairé , au lieu de lui offrir les confo
lations qu'il lui doit , ne fait que le troubler &
l'effrayer dans ſes derniers moments ; c'eſt lui
qui a introduit l'uſage de cet appareil ſombre &
lugubre dont ſouvent on l'environne ; ces flambeaux
noirs qu'on étale dans ſon appartement ,
qu'on diſtribue de tous côtés , & qu'on allume
pour chaffer d'auprès de lui les démons tentateurs,
& les empêcher d'en approcher , idées capables
d'accabler le malade , de hater ſa mort, d'empoifonner
ſes dernieres heures , de le remplir d'une
terreur qui abſorbe ce qui lui reſte de facultés
& ne lui laiſſe plus la liberté, la préſenced'efprit
néceſſaire pour ſe recueillir & ſe recommander
au Juge ſuprême devant lequel il va
paroître.
DE COLOGNE , le 15 Avril.
L'Electeur , dont la maladie a toujours
empiré depuis le 13 de ce mois , y a fuccombé
aujourd'hui : on apprend de Bonn ,
que ce matin à 9 heures & demi il eſt mort.
Il avoit été élu Archevêque de Cologne le
6 Avril 1761 , & Prince-Evêque de Munfter
le 16 Septembre 1762. Il étoit né le 13
Mai 1708 : pendant le cours de ſa maladie ,
qui a duré 7jours , il a montré une fermeté
inébranlable , & la plus parfaite réſignation
àla volonté divine. Son ſucceſſeur est l'Ar--
chiduc Maximilien d'Autriche.
ITALIE.
1
3
DE LIVOURNE, le 27 Mars.
*
Onn'a point encore de nouvelles poſiti
ves de la Grande- Duchefſſe de Toscane. Celles
qui avoient été publiées de ſa priſe par une
frégate Françoiſe , qui après l'avoir enlevée
aux Eſclavons , s'en étoit rendu mai
tre , & l'avoit conduite à Malthe ſelon les
uns , & à Alger ſelon les autres , ne ſe ſon't
as
( 10 )
point confirmées. Une des frégates Angloiſes
qui l'ont cherchée inutilement, a mouillé
le 21 ici , d'où elle a remis à la voile hier ;
on dit qu'elle va croiſer ſur les côtes de Sardaigne
; & voici les nouveaux bruits qui
font eſpérer que cette nouvelle recherche
ne ſera pas infructueuse .
Le 7 Février , ce Bâtiment jetta l'ancre dans le
Golfe d'Oreſtano , iſle de Sardaigne ; les Commis
de l'Amirauté s'étant rendus à bord , un
des Eſclavons ſe dit Capitaine du Bâtiment ,
&dit qu'il avoit été obligé de faire côte parce
qu'envoulantjetter l'ancre,leventavoit changé ;
dans ce moment , ajouta-t-il , la plus grande partie
de ſon équipage étoit dans la chaloupe qui
avoit chavire ; ce récit fervoit à juſtifier le peu
de monde qu'il avoit à bord ; il ne conſiſtoit ,
dit- il , qu'en 7 perſonnes , dont l'une étoit une
femme ; on prétend qu'il a enrôlé là quelques
Matelots.
Il a été préparé dans différens endroits divers
armemens , pour ſuivre les traces de ce
navire ; & on apprend qu'il eſt aufli parti de
Naples pour cet objet 4 chebecs du Roi.
Ces jours derniers , la Patrouille en faiſant ſa
ronde a trouvé ſur le bord du foffé de la fortereſſe
neuve , un paquet de hardes qu'elle a ouvert
&qu'elle a trouvé contenir un habit complet
d'homme ; un chapeau dans lequel étoit une
montre , une bourſe avec peu d'argent , & un
billet où l'on liſoit : Ne cherchez point mon meurtrier;
c'est moi qui me fuis donné la mert. La Patrouille
, en vifitant exactement le lieu
trouvé dans le foſſé le cadavre d'un noye ; on
Pa retiré ,& on l'a reconnu pour celui du Doc
a
( II )
teur Novelli. Il paroit qu'avant de ſe jeter dans
l'eau il s'étoit porté un coup de couteau à la
gorge ; on ignore quels motifs ont pû le porter à
cet acte de déſeſpoir.
: On s'occupe dans toute l'Italie des expériences
des machines aéroſtatiques ; quelques
imprudences ont donné licu, à l'Ordonnance
ſuivante , publiée à Milan.
« Le Gouvernement ayant été informé que
quelques ballons aéroſtatiques remplis d'air raréfié
par le feu , ſont tombés près de nos magaſins
& moulins à poudres , où , étant conſumés
par les flammes , ils auroient pu cauſer des
pertes conſidérables , & voulant obvier aux malheurs
que pourroient occaſionner de pareilles
machines , qui ne fervent que d'amusement ,
&qui , tombant ſans être dirigées , ne laiſſeroient
pas d'être funeſtes fi elles venoient à tomber
ſur les maiſons , magaſins à foins & autres lieux
où se trouvent des matieres combustibles. S.A. R.
a réſolu de défendre ſous des peines arbitraires
àtous ſes ſujets en général de lancer des Aerottats
dans cette ville & dans toute rétendue de
de la Lombardie Autrichienne. S.A. R. fe
réſerve d'en accorder de temps - en-temps la
permiffion à des perſonnes intelligentes qui feront
obligées d'uſer de toutes les précautions
qu'exige la sûreté publique ,&c.
DE NAPLES , le 20 Mars
وا
T
Le Roi ayant fait publier un écrit , po
tant défenſe aux Religieux Francifcains de
s'abſenter à l'avenir de leurs Couvens , &
enjoignant à ceux qui en font fortis d'y rea
6
( 12 )
tourner ,
1
on a fait, le dénombrement de
ceux qui reſtent dans cette capitale ; il monte
à ris ; ceux qui ſe trouvent dans la Calabre
ultérieure , font au nombre de 1100.
Ils feront répartis dans les divers couvens
du royaume.
On a , dit- on , préſenté dernierement au
Confeil d'Etat deux projets, dont l'un eft
relatifà la diminution du nombre des Evêchés,
& l'autre à la ſuppreſſion des Couvens
réguliers. )
Les Gazettes étrangères ayant parlé avec peu
d'exactitude des différends qui viennent d'être
terminés entre notre Cour & la republique de
Ragule , on croit devoir rect fier ici les détails
qu'elles en ont donnés. Il eſt vrai que l'Empereur
a employé ſes bons offices auprès du Roi , en
faveur de la République, comme l'avoient fait les
Cours de France & d'Espagne. Ce Prince ayant
reconnu le droit légitime de la Couronne de
Naples für le point en conteſtation , a infinué
amicalement àla République de ſe déſiſter de fa
prétention. Elle a expédié à cette Cour le Sénateur
Baron de Zamagno , comme ſon Miniftre
extraordinaire , pour affurer leRoi de ſon dévouement,&
le ſupplier d'envoyer à Raguſe le Gouverneur
d'armes qu'il lui avoit deſtiné , pour
exercer les mêmes fonctions que ſes prédecelſeurs.
Il n'est point établi qu'en cas de mort , de
retraite ou de congé de ce Gouverneur d'armes ,
il n'en ſera pas envoyé d'autres de la part de cette
Cour, parce que le Roi ne cédera en aucuns cas
cedroitde ſa Couronne. Cette Cour , au reftes
n'a jamais refuſe à la République la faculté d'envoyer&
d'entretenir ici un Miniſtre , quand elle
( 13 )
juge à propos , il a été accordé au Baron Zima
gno, qui est aujourd'hui chargé de cette million,
lemêmetraitement dont ontjoui les Miniſtres fes
prédéceſſeurs.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 20 Avril.
Ona parlé ſouvent dans le cours de la
derniere guerre , des démêlés de l'Etat de
Vermont avec quelques autres ; ils font à
préſent terminés : la lettre fuivante , écrite
deBenington , dans cet état , donnera une
idée del'érat actuel de ce pays , de ſa popu
lation&de lon gouvernement.
T
>>>Arrivé à Quebec le 8 Septembre avec ma
famille , & la riviere,nous promettant une tras
verſée agréable pour nous rendre ici , nous tra
verſames le lac Champlain , & arrivames le 25.
J'achettai ſur le champ pour 900 liv. ſterl. une
partie de terrein de 720 arpens , où j'ai établi
une ferme & placé ma famille que j'entretiens
à peu de fraix. Je me ſuis occupé d'abord à
éclaircir les bois de mon domaine , & à préparer
des terres pour la récolte prochaine , j'ai
conſervé le bois néceſſaire pour construire &
entretenir tous mes édifices , granges , paliſſades
, &c. , & une partie de très beaux chênes que
je deſtine à l'exportation , & qui couvriront mes
dépenſes de maniere que bientôt mon établiſſe
ment ne me coûtera rien. -En général le
terrain égale ici en bonté les plus fertiles que
je connoille; il n'y a pas dans le monde entier
de plus beau bois de conſtruction que ceux des
( 14 )
environs demon établiſſement. Nous avons beaucoup
de mines de fer, & nous ne manquons pas
d'eau pour faire des machines & autres établiſſemens
; nos ruiſſeaux abondent d'ailleurs en trèsbeaux
poiffons , & nos lacs & étangs ſont couverts
d'oiſeaux ſauvages ; je connois des perſonnes
qui dans cette ſaiſon ont tué entre 60 & 70
bêtes fauves ; mais la fertilité du terrain, la ſalubrité
du climat & la beauté du payſage font audeſſus
de toute expreffion, & mériteront à cette
contrée la préférence ſur toutes les autres de l'Amérique.
Le Gouvernement eſt encore un attrait
de préférence pour toutAnglois. Le peuple ici
eft indépendant ; il eſt ſon propre ſouverain ; la
forme du Gouvernement eſt entiérement démocratique
; nous n'avons aucune part à la confédération
des Etats-Unis , & nous n'entrons pour
riendans ladette continentales en conféquence
les impôts ſont trés légers , le peuple n'a à payer
que lesOfficiers du Gouvernement , dont les appointemens
ne montent pas à plus de 600 liv.
fterl. par année ; j'oſe aſſurer que la Juſtice n'eſt
nulle part ni mieux ni plus promptement adminiſtrée
; par exemple , il n'y a pas de procès
entredeux particuliers qui ne puifle être terminé
judiciairement pour moins des livres ſterl . II
y a ısans qu'il n'y avoit pas une ſeule habitation
fur toute la vaſte ſurface de cette contrée. On
y compte déjà 38000 habitans. Il eſt très-ordinaired'y
voir un colon avec 100 bêtes à cornes
dans ſes enclos , qui n'agueres étoient couverts
d'arbres & formoient des hailliers impénétrables,
même aux rayons du ſoleil.
S'il faut en croire nos papiers , les établifſemens
formés dans la Nouvelle-Ecoffe ,
n'offrent pas de moindres avantages à ceux
( 15 )
qui s'y ſont réfugiés ; & cette colonie deviendra
dans la ſuite un objet fort intéreſſant
pour le commerce de la Grande-Bretagne;
on préſume qu'elle finira par nous
dédommager, autant qu'il étoit poſſible, de
celles que nous avons perdues.
:
1
L'eſcadre de l'Amiral Campbell à Terre->
Neuve, ſera compoſée du Salisburi de so
canons , du Winchelsea de 32 , de la Thisbé
de 28 , & du marquis de Seignelay de 16 .
Après bien des tableaux contradictoires de
l'établiſſement de paix pour la Marine , on
vient de publier celui-ci , qui , dit -on , a été.
enfin arrêté.
Il y aura 25 vaiſſeaux de ligne tant du ze que
du 4e rang , 8 de 50 canons ,43 fregates & 1379
floops ou cutters. C'eſt ainſi que les 214 vaifſeaux
ſeront diftribués. Il y en aura 21 de ligne
qui feront de garde dans les ports de la Grande-
Bretagne , ſavoir 6 à Portsmouth , 6 à Plimouth ,
7àChatham , 2 à Sheerneſſ. On établira en croifiere
, dans le canal entre la G. B.& l'Irlande ,
ſur les côtes d'Ecoſſe , & dans la ſtation du nord
un vaiſſeau de 50 canons, 17 fregates , 62 cutters
& floops. Les forces à Gibraltar& dans la Méditerranée
conſiſt ront enun vaiſſeau de 64 , unde
50, 6 fregates & 3 floops ; àla côte d'Afrique
nous aurons un vaiſſeau de so , une fregate , 4
floops . On répartira dans nos autres poffeffions :
de l'Amérique ſeptentrionale , qui font Quebec ,
Hallifax&Terre-Neuve 2 vaiſſeaux de 50, 4 fregates
& 35 floops ou cutters ; à la Jamaïque il y
en aura un 50, fept fregates , 8 floops ; dans les
autres iftes un de 50 , 5 fregates & 12 floops ;
aux Indes orientales4de ligne , un de 10, 4 fregates&
autant de floops
( 161)
La Compagniedes Indes a reçu des nou
velles de Bombay , en date du ro Décem
bre; elles font arrivées le 18 de ce mois ,
&portent , dit-on en ſubſtance,les détails
ſuivans.
La paix avec les Marattes eſt inviolablement
obſervée de part & d'autre , &Mandalje Scindia
en a fait part à Tippo- Saïb en lui recommandant
l'obfervation de l'article 5 du Traité , pour
ne pas mettre ſanationdans le casde remplir l'engagement
qu'elle a pris de pénétrer dans ſon pays&
de lui faire la guerre. --La trève en're ce Prince
& la Compagnie ſubſiſte toujours ; le Gouver--
neur-Général & le Conſeil ont confirmé cette
ſuſpenſion d'hoſtilités , & envoyé des Députés
pour traiter d'une paix définitive ; on eſpère
qu'on parviendra à la conclure ; en attendant
le Général Fullarton eſt à portée de pénétrer
dans les Etats du Prince Indien avec 1700 Européens
, 17 bataillons de Cipays , & un train
d'artillerie conſiſtant en 60 pieces de canon ;
il eſt prêt à agır au premier ordre , & on ſe flatte
querfa bonne contenance influera fur les diſpofitions
de Tippo- Saib . Le Général Stuart
eſt en route pour l'Europe ; il s'embarqua le
16 Septembre tur le paquebot la Fortitude. On a
perdu dans Finde le vaiſſeau le Superbe qui ar
péri en ſe rendant à Tellicherry , avec tout ſon
équipage , dont il ne s'eſt ſauvé que deux
matelots .
15
L'élection de Westminster n'eſt pas en
core terminée , aujourd'hui le Lord Hood a
6174 voix , fir Cecil Wray 1973 , & M. FOK
5443. Les uns & les autres convenant qu'il
ya eu bien des fraudes dans les fuffrages ,
( 17 )
s'accordent à demander le ſcrutin, ce qui va
faire traîner encore cette élection. Ce ſcrutin
fait l'eſpérance des amis de M. Fox , qui
defirent qu'il ſoit élu , & qui n'ont rien négligé
pour y réuffir. :
On fait pluſieurs contes affez plaiſans ſur
cequi a été faitdans cette élection . Une belledame
qui prend beaucoup d'intérêt à M. Fox , inftruite
que fix Electeurs favoriſant le Lord Hood ,
dinoient enſemble dans la maiſon de l'un d'eux ,
imagina de ſe rendre au lieu du feftin , &d'eſſayer
d'aſſurer leurs voix à M. Fox. Elle arrive au
moment où la maîtreſſe de la maiſon avoit quitté
la table , &que le vin étoit apporté ; elle s'aflit ,
en diſant qu'elle n'avoit pas dîné , & qu'elle ne
les dérangeroit point. Quelle ſanté buvez-vous ?
Le maître lui dit , c'eſt à la Conſtitution. J'y
fais raiſon , dit-elle , de tout mon coeur , Fox&
laConstitution; on la pria de ne pas altérerla ſanté;
elle but , & demanda ce qu'elle avoit bu , c'étoit
du ponch irlandois ; elle leur dit enſuite qu'elle
avoit un ſervice à leur demander , qu'elle croyoit
qu'ils ne le refuſeroient pas à une Dame. On
s'empreſſa de lui répondre qu'il étoit difficile
en effet de n'être pas galant ; mais que quand
il s'agiſſoit de Dames , on étoit moins fcrupuleux
, & qu'on recevoit volontiers leurs prétens ;
on exigea un baiſer avant tout ; il fut accordé;
après quoi , elle leur propoſa de donner leur
voix à M. Fox. Ils le promirent , mais pour
l'élection ſuivante ils n'étoient plus maîtres
de varier pour celle-ci ; la Dame ſe plaignit
, & il lui échappa de faire entrer dans ſes.
plaintes la malhonnêteté du baiſer extorqué , &
on s'empreſſade le lui rendre, c'eſt tout ce qui rés
ſulta de cette viſite.
,
ن
( 18 )
Nos papiers qui copient cette anecdote ,
qui n'eſt ſans doute qu'une plaiſanterie , font
un calcul affez plaiſant du nombre de baifers
appliqués par les plus jolies femmes de
l'Angleterre ſur les levres groſſieres des électeurs
, pour en acheter les voix , &l'un d'eux
faitcette obſervation.
C'eſt une faute affez finguliere de la part
de ceux qui ont porté des bills pour prévenir
la corruption aux Elections d'avoir oublié de
fixer des peines contre les belles Dames qui
vont ſolliciter les hommes de donner leur voeu
& qui les embraſſent pour les y décider ; un
baiſer a ſouvent plus de prix que tout autre
préfent , & par conséquent plus d'influence. Les
Dames qui les accordent ſont ſans doute coupables
quand elles ſont mariées , & que ce
n'eſtpas pour leurs maris qu'elles follicitent .
Dans quelques endroits les partis ſe ſont
conduits d'une maniere plus vive & plus indécente
pour foutenir leurs créatures.
L'élection ici , écrit-on de Coventry , a été
accompagnée de bien des troubles ; un pauvre
homme qui avoit voté pour Sir Sampſon &
M. Wilmott en oppoſition aux ordres précis de
ſon maître , vit ſes biens ſaiſis le lendemain pour
trois quarts d'une année de rente , montant à 3
liv. II f. 6 d. , & due ſeulement de la veille.
On ne ſe propoſoit rien moins que de ruiner
ce pauvre homme & ſa famille. Sir Sampſon
en ayant été inſtruit a fait payer la dette , &
les biens ont été rendus. Ce mème Sir Sampſon
a fait une pension de 20 livres ſterlings
à la veuve d'un pauvre Electeur qui eſt mort
d'une chute qu'il a faite en venant au lieu de
( 19 )
Pélection ; il en a donné s pour le faire en
terrer , & a chargé un de ſes gens de veiller ,
à ce que tout ſe paſſe dans la plus grande décence.
Ces actesde générofité ont fortifié ſon parti;
le parti oppoſé s'eſt manifefté par quelques excès ;
il a briſé les vitres des deux Candidats préférés ,
&cellesde quelques-uns de leurs amis. Une douzaine
de manufacturiers de ſoye ont annoncé
une réſolution de n'employer aucun Ouvrier
qui auroit voté pour Sir Sampſon &M. Wilmott.
C'eſt ainſi que le peuple ſe conduit dans
Poccafion la plus intéreſſante , celle où il a
de l'importance dans la légiſlation; en vain
on ne ceſſe de publier des avis qui font propres
à le rappeller à une conſidération férieuſe
de ce qu'il ſe doit , ou il ne les lit pas ,
ou ce qui revient au même , il n'y fait aucune
attention .
Le peuple anglois a maintenant une grande
queſtion à décider; il s'agit de ſavoir fi lui &
fa poſtérité feront libresou non. Les Chambres
des Communes du Parlement , par une longue
proſtitution , ſont tombées dans le mépris ; & la
nationa dirigé la prérogative royale à la deftructionpolitique
de la derniere Chambre. Dans cet
état des chofes , il faut inviter les hommes à ré
fléchir , à ne pas ſouffrir que l'indignation , ce
ſentiment quidérive naturellement des profondes
fouffrances, leur faffe perdre de vue l'importance
& la dignité d'un Corpsrepréſentatif. Qu'ils fongent
auDanemarck & âla Suede. LesRois peuvent
parler le langage qu'il leur plaît ; mais tout
homme aime le pouvoir, & il eſt facile à tout
homme d'être corrompu par ce même pouvoir.
-On a fait pendant le regne actuel divers efforts
continus pour répandredans les eſprits une
( 20 )
اه
défiance générale entre chaque homme afpirant
aux vertus publiques fondées ſur l'amour des peu.
ples,& ils n'ont malheureuſement que trop réuſſi;
mais l'homme , trompé par fix ind gnes amis
n'a pas le droit de ne plus croire à l'utilité de l'amitié
; une pareille concluſion ſeroit plus condam
nable encore dans le peuple , parce que ſes conſéquences
feroient plus funeſt s. - Aucun
homme accoutumé à réfléchic fur l'humanité en
général , ne peut croire que le mouvement actuel
qui dirige la popularité en faveurde la prérogative
, eft la conféquence de quelques progrès
en ſageſſe politique ; il n'eſt que la conféquence
du ſentiment , ou plutôt le reſſentimentd'une inſulte
; car en général on regarde ſous ce pointde
vue une coalition contre nature ; de-là les appa
rences de violence , les outrages faitsà la dignité
des Communes , les bleſſures cruelles portées au
Lord North & à M. Fox. Tout le monde ſent peu
ce raisonnement. Il faut profiter de ce moment
pour perfectionner la repréſentationdu peuple ,
fant quoi fa liberté ſe perdra. Le tems en a offert
des exemples . L'intégrité du Miniſtre , ſes vertus
même ne peuvent produire aucun bien , juſqu'à
ce que la nation ait pris ſes meſures pour régler
fon administration. Juſques - là la Chambre des
Comm nes pouvant être corrompue , le fera tou
jours. Les moyens de corruption peuvent - ils étre
diminués par les efforts que l'on fait pour l'ac
croître. L'effet de l'habitude eſt de mal fairedans
les occafions les moins importantes , & on n'y
fait pas affez d'attention. La Courtilanne qui ti,
roit cent guinées pour une nuit , en s'abandonnant
pour une , n'eſt devenue que plus vile .
Chaque Chambre des Communes , élue d'après
le plan actuel , étant corruptible , & pouvant
être en conféquence corrompue par habitude
1
1
( 21 )
excitera plus de reſſentiment parmi la nation's
celle-ci ſe livrera à fon mépris , on l'irritera adroitement
,& on finira par l'enchaîner. La probabilité
de cet événement augmente quand on confidere
les peſans fardeaux qui peuvent être ajoutés à
ceux que la nation porte déjà avec tant d'impatience.
La ſituation du Miniſtere aquel eſt
délicate ; la beſogne dont il eſt chargé eſt peutêtre
au-deffus des forces de l'homme;il faut conſerver
ſon influence ſur un peuple qui ſe plaint
d'avoir perdu ſa dignité , & de voir diminuer
ſes revenus; il fautdes diminuer encore , & l'em .
pêcher de s'en plaindre. On conviendra que rien
n'eſt plus difficile; que fa majorité , s'il l'obtient ,
pourra exciterdes plaintes ,& faire defirer de réclamer
encore une fois l'opinion de la nation ,
encompoſant un nouveau Parlement.
- Les nouvelles d'Irlande annoncent beaucoup
de fermentation dans ce Royaume ;
on peut en juger par la lettre ſuivante écrite
deDublin.
Le4de ce mois , 500 Manufacturiers de cette
ville ont entouré la maiſon où ſiege le Parlement
, & ont fait entrer pluſieurs des leurs dans
la galerie de la Chambre des Communes pour
haranguer les membres qui s'étoient oppoſés
à quelques opérations avantageuſes au commerce
de ce Royaume. Pluſieurs régimens ſont accourus ,
&ontdiſperſé ces Manufacturiers. On en a pris
deux qui ont été conduits en prifon. On craint
beaucoup que ce ſoulèvement n'ait des fuit s
ficheutes , fur-tout dans un moment où le
Gouvernement a profité de quelques paragraphes
qui avoient été imprimés contre l'Angleterre
dans les papiers publics pour reftraindre la liberté
de la preſſe. Depuis ce temps on a dou
( 22)
blé les gardes par-tout ; la garniſon entiere eſt
Tous les armes ; on fait des patrouilles jour &
nuit ; & la crainte des attroupemens a fait donner
ordre aux foldats de ſéparer auffi-tốt toutes les
perſonnes qui ſe trouveront enſemble au nombre
de trois dans le voisinage de leurs poſtes
f
Ces troubles ont été l'objet des dernieres
délibérations de la Chambre des Communes
deDublin.
Les de ce mois , les deux priſonniers arrêtés
lors de l'émeute de la veille , furent amenés à la
barre de la Chambre , & interrogés ; leurs réponſes
ne produiſant rien pour leur déſenſe , ils
furent renvoyés enprifon , & il fut réſolu de
préſenter auDuc de Rutland , Lord- Lieutenant,
une adreſſe pourle prierd'ordonner au Procureurgénéral
de pourſuivre les délinquans , & de leur
faire leur procès. On fit enſuite quelques réflexions
ſur la conduite des Magiſtrats de la Ville ,
qu'on accuſa de n'avoir pas fait ce qu'ils devoient
contre les mutins. Cette réflexion qui fut faite
parM. Forſter , & combattueparM. Newenham ,
amena une motion de la part du premier , pour
nommeruncomité chargé de faire des recherches
ſur ce ſujet ; elle paſſa unanimement , après cela
M. Forſter produiſit un morceau du volunteer's
Journal dans lequel on avoit repréſenté dans une
gravure groffiere une homme pendu en effigie ,
avec un paragraphe au- deſſous , ou l'on avoit
pouffé la méchanceté juſqu'au dernier degré de
L'indécence. M. Forſter demanda qu'on manda
l'imprimeur ; le ſergent d'armes qui partit ſur le
champ pour lui porter cet ordre , vint rendre
compte qu'il ne l'avoit pas trouvé. On vota alors
une nouvelle adreſſe au Viceroi , portant priere
de rendre une proclamation , promettant récom
( 23 )
penſe à qui feroit connoître l'auteur , l'impris
meur& le colporteur du libelle .
Le 6 on lut le rapport du commité ſur les
Magiſtrats ; le réſultat en étoit que le Lord Maire,
inſtruit dès le matin à 9 heures par Secrétaire
Orde , de la fermentation qui régnoit , qu'il y
avoit pluſieurs placards ſéditieux affichés , n'ayant
pris aucune meſure pour prévenir ce déſordre, ne
s'étoitpas conduitcommeil convenoità un premier
Magiſtrat. Lepremier ſergent demanda,lorſqu'on
alloit paffer ce réſultat en réſolution de la
Chambre , que le nom de Thomas Green , qui
eſt celui du Lord- Maire , fut exprimé immédiasement
après le titre par lequel on s'étoit
contenté de le déſigner , ce qui paſſa ſans contradiction.
Le 7 , M. Forſter demanda qu'il lui fut permis
de préſenter un bill dont l'effet ſeroit d'affurer
la liberté de la preſſe en réprimant ſa
licence ; ce qui fut accordé. Après cela on revint
au libelle qui y donnoit lieu , aux recher
ches juſqu'alors infructueuſes pour en découvrir
l'Auteur , & une nouvelle adreſſe fut arrêtée
pour ajouter aux inſtances déja faites au Vice-
Roi de hâter la proclamation que la Chambre
demandoit.
Le 8, le bill propoſe par M. Forſter fut préſenté
& lu pour la premiere fois. Il porte en- /
tr'autres que le Propriétaire & l'Imprimeur
d'un papier ſe feront connoître , que le dernier
dépoſera 500 livres ſterlings pour répondre des
frais que pourroit occaſionner un papier qu'il
imprimeroit. La ſeconde lecture du bill fut remiſe
au 10.- Ce jour-là il y eut quelque oppoſition.
Sir Edouard Crofton fit la motion de
renvoyer cette ſeconde lecture au i Août ;quelques
membres l'appuyerent , & ſe fonderent fur
(24 )
l'atteinte qu'il porteroit à la liberté de la preſſe,
qu'on arrêteroit toujours ſous le prétexte de
licence ; mais il paroît que le parti étoit pris
fur cet objet ; lorſqu'on mit la motion de Sir
Edouard Crofton aux voix elle n'en eut que 20
&fut rejettée par 71 .
On s'attend que ces mouvemens exciteront
de grands mécontentemens , & l'on ne
doute pas , que les Volontaires armés ne ſe
montrent de nouveau.
Tout , écrit - on de Dublin , prouve la nécef-
Até d'une réforme parlementaire. Lanouvelle
adminiſtration du Duc de Rutland a enfin déclaré
ouvertement les principes contraires aux intérêts
particuliers de l'Irlande ; elle ſemble avoir arrêté
que toute meſure propoſée dans notre Sénat qui
combattroit le ſordide intérêt du dernier individu
qui réſide enAngleterre , on qui tendroit
àdiminuer l'influence qui a fi long - tems gouverné
notre Parlement , & opéré ſa corruption ,
trouvera l'oppoſition la plus opiniâtre dans tous
les membres fubordonnés au gouvernement c.
Une lettre de Drogheda en Irlande , offre
le récit ſuivant d'un meurtre qui peut être
mis à côté de celui commis ſur un Juif à
Szegedin , dont nous avons dernierement
rendu compte.
Un Soldat qui avoit ſervi pendant la guerre
derniere en Amérique , revenant dans le Comté
d'Antrim , où il étoit né , s'arrêta au village de
Garman , à 2 milles de cette ville , pour faire
ferrer ſon cheval. Il s'informe du maréchal com.
bien il y avoit de là àDunleer , & trouvant la
diſtance trop grande poury aller coucher , il
demanda au maréchal s'il pourroit trouver une
auberge 1
( 25 )
auberge stre , parce que , ajouta-t-il , il avoit de
Pargent ſur lui , & qu'il ne jugeoit pas à propos
-de voyager la nuit. Le maréchal le conduifit dans
une , foupa avec lui , & lui promit de revenir
le lendemain matin pour le réveiller & dê
jeûner. Le maréchal , conformément à ſa promeſſe
, ſe leva de bonne heure & alla à l'au
berge. L'hôte lui dit que le ſoldat avoit été malade
toute la nuit , qu'il repoſoit , & qu'il avoit
recommandé qu'on n'entrât pas juſqu'à ce qu'il
appellat. Le maréchal inſiſta , força le paſſage &
pénétra dans la chambre , ou il trouva le foldat
égorgé & nageant dans ſon ſang ; il appella au
fecours; les voisins accoururent ; l'aubergiſte &
toute fa famille furent arrêtés , & conduits en
prifon.
L'Aréoſtat qui a été lancé à Newſtat le premier
de ce mois à une heure &demie après midi,
eſt tombé à trois heures & demie du même jour
près de Wakefield , dans le Comté d'York. Il pa
roît par-là qu'il a fait 133 milles en une heure
&demie. Aucune machine de cette eſpece n'a
juſqu'à préſent parcouru un ſi grand eſpace on
peude tems.
FRANCE.
DE PARIS, le 26 Avril.
La Gabarre la Barbe , érrit -on de Breft ,
vient d'appareiller pour l'Inde , & la frégate la
Nymphe , commandée par M. de la Mothe Grou ,
ſe prépare à partir pour Terre Neuve , où elle
va protéger la pêche. Si les travaux du port
fontrallentis , on ne ſonge pas moins à le fournir
de matériaux néceſſaires aux conſtructions.
Nº.18 , 1 Mai 1784. b
1
(26 )
A cet effet bientôt fix gabarres iront de nou
veau dans le Nord , y faire toutes les provifions
propres à bâtir au premier ordre les vaifſeaux
qu'on defirera . --Parmi les bâtimens du
Roi , qui ont eſſuyé les derniers coups de vent
la gabarre la bonne Amitié eſt celle qui a été la
plus malheureuſe. Un enſeigne de vaiſſeau
garde-marine & 10 matelots ont péri avec elle,
--Pluſieurs de nos jeunes gens partent pour Toulon
, où il y a un armement plus confidérable
qu'ici.
, un
L'armement de Toulon , aux ordres de
M. de Senneville , auquel on travaille avec
activité , ſera composé , dit on , d'un vaiffeau
de 74 , de 4 frégates , & des corvettes
ou chebecs , en tout to bâtimens de guerre.
Cette petite eſcadre , lit-on dans quelques
lettres de ce port , qu'on croyoit devoir être
chargée d'une commiffion particuliere , & dont
le port de Larrache paffoit ici pour être l'objet ,
ne doit ſervir aujourd'hui qu'à conduire à Conftantinople
l'Ambaſſadeur du Roi, & à protéger
notre commerce dans diverſes ſtationsdu Levant ,
& fur les côtes de Barbarie , où cette année les
efcadres de quelques Ptiffances doivent faire la
guerre aux Régences d'Afrique.
Nous avons publié ily a quelque temps
une relation particuliere du combat donné
dans l'Inde , près de Goudelour, le 13 -Juin
de l'année derniere ; comme elle n'étoit pas
exacte , nous nous empreſſons d'en placer
ici une qui la rectifie..
** Les deux arniées étoient campées dans le ſud
deGoudelour à une demie- lieue de diſtance l'une
de l'autre , entre la mer & un côteau boife , auquel
( 27 )
-
elles appuyoient , l'une ſa droite , & l'autre ſa
gauche , & l'eſpace qui les ſéparoit , étoit couvert
de bois de cocotiers . L'armée Françoiſe ,
commandée en chef par M. le Marquis de Buffy ,
&en ſecond par M. le Comte d'Hoffelize , Maréchal
de Camp , étoit compoſée de 2,200 Européens
effectifs , & de 2,300 Cipayes , diviſée en
deuxBrigades , & de 3000Cipayes, & 2000 Piedas
du Nabab Tipou-Sultan .- Les deux Bataillons
d'Auſtrafie & le Bataillon de Royal Rouffillon
formoient la premiere Brigade , commandée par
M. leBarond'Albignac , Brigadier. La ſeconde ,
compoſée du Bataillon d'Aquitaine & des deux
Bataillons du Régiment de la Marck , étoit aux
ordres de M. le Comte de la Marck. M. le Vicomte
d'Houdetot commandoit l'avant-garde formée par
les Volontaires étrangers & de Bourbon , & sà
600 Cipayes . L'armée Angloiſe, commandée
par leGénéral Stuart, étoit forte de 3,800 à 4000
Européens , 12000 Cipayes , & 1800 hommes de
Cavalerie noire.-L'armée du Roi campoità500
toiſes en avant de Goudelour entre deux buttes
formées par des dunes de ſable que l'on occupa ;
celle de la droite par 150 hommes , & 7 à 800
Cipayes commandés par M. Bint , Lieutenant-
Colonel , qui donna fon nom à ce pofte ; &
celle de la gauche , nommée la Tombe des Fakirs ,
fut gardée par 50 hommes & quelques Cipayes.
,
د
La droite & le centre du Camp étoient coн-
verts par quelques retranchemens inforames.
--Entre le poſte de Bint , éloigné d'environ 400
toiſes ,& la droite du Camp , & le côteau boiſé ,
il y avoit un intervalle de 250 à 300 toiſes qui fut
occupé par les 3000 Cipayes du Nabab , dont le
front fut protégé par une batterie de 2 pieces de 4,
placée ſur une pointe du côteau , auquel ces Cipayes
appuyoient leur droite. Sept autres batteries
b2
( 28 )
Surent établies ſur les deux buttes& ſur le frontde
notre Camp Le 12 Juin au foir , M. le Marquisde
Buffy , informé que les Ennemis failoient
beaucoupde mouvemens dans lesbois du côteau ,
&que l'ony emendoit traîner de l'Artillerie , y
It marcher 500 hommes de la Brigade d'Auſtraſie
pour renforcer le poſte de la droite des Cipayes
du Nabab.- Le 13 , à la pointe du jour , les Ennemis
firent un feu très- vif fur ces Cipayes & fur
lepoſtedeBint dedeux batteries , l'une de 8 piéees
de 18 , & l'autre de 6 pieces d'un calibre inféricur,
qu'ils avoient établies dans la nuit ſur deux
plateaux de ce côteau.-Les 3000Cipayes du
Nabab ayant diſparu dès les premiers coups de
canon pour ne plus reparoître , les 500 hommes
de la Brigade d'Auſtraſie , qui pouvoient être coupés
par la fuite des Cipayes , n'eurent que le tems
de ſe replier ſur le poſtedeBint, où ils rejoignirent
leur Brigade , qui , ainſi que l'avant- garde ,
avoit eu ordre de s'y porter , & qui s'y mit en
bataille,lagauche à se poſte faiſant face au côteau.
Les deux Bataillons de la Marck furent
rapprochés de Goudelour pour couvrir l'ambulance&
la communication de cette ville avec le
Camp , & le Bataillon d'Aquitaine , campé à la
gauche, vint occuper nos retranchemens qui ſe
trouvoient dégarnis par l'éloignement de la Brigade
d'Auftrafie & du Régimest de la Marck ,
qui avoient été portés , la premiere au poſte de
Bint, & le ſecond à l'ambulance. Vers 7 heures
du matin , pluſieurs colonnes ennemies déboucherentdes
bois du côteau & ſe dirigerent ſur le
poſte de Bint & la Brigade d'Auſtrafie. Mais l'extrême
vivacité du feu des 8 pieces de Régiment
de cette Brigade , & de 2 pieces de 18du poſte
deBint les entint toujours éloignés.- Le feu
des batteries ennemies ayant été éteint , après
( 29 )
4heuresdedurée , & les colonnes étant rentrées
dans le bois , on ceffa'de tirer de part & d'autres ,
à9 heures & demie , la Brigade d'Auftratie eue
ordre de rentrer dans les retranchemens , & l'a
vant garde commandée par M. le Vicomted-Hou
detot reſta au poße deBint pour le renforcer. Lé
Bataillon d'Aquitaine retourna dans ton Camp à
la gauche. A peine les Troupes avoient - eiles
eu le temps de prendre quelques nourritures , que
deux colonnes ennemies déboucherent des bois
de cocotiers en avant du poſte de Bint, fur lequel
elles ſe dirigeoient avec beaucoup de célérité.
-Dès que la Brigade d'Auſtraſie vit reparoître
les Ennemis, couriraux armes , fortir des retran
chemens ,& fe former en colonnes , ce fut l'affaire
du moment ; le Baron d'Albignac la mena aux
deux colonnes ennemies , qu'elle chargea à la
bayonnette , & avec une telle impétuofté , que
ers colonnes s'entremêlerent & furent repouffées
dans le bois d'où elles fortoient . Le N
taillon d'Aquitaine ſe porta à la Tombe des Fakirs
pour s'oppoler à une diverſion , que les Ennemis
paroiſſoient vouloir faire' dans cette partie.
Pendant que la Brigade d'Auſtraſie s'enfonçoit
dans le bois à la pourſuite des ennemis ,
deux autres colonnes , l'une de grenadiers anglois
, commandés par le Lord Cathcart , &
Pautre de troupes hannovriennes , aux ordres du
Colonel Kelly , déboucherent pour la ſeconde
fois des bois de la droite fur le poſte de Bint ,
qui étoit alors livré à ſes propres forces ; elles
s'en emparerent; de-là elles marcherent à nos
retranchemens , qu'elles voyoient dégarnis , &
elies s'y établirent. Elles furent chargées dans
ce moment par le premier Bataillon de la Marck ,
quí , obligé de céder à leur grande ſupériorité ,
ſe replia fur notre gauche pour la renforcer.M. le
b3
( 30 ))
1
Comte de la Marck fut bleſſé dès le commencement
de cette charge , & obligé de laiffer le
commandement à M. de Freyrag , ſon Lieutenant
-Colonel . Le deuxieme Bataillon.de -
ce Régiment avoit été envoyé au village de
Vandipaleon , ſur l'avis qu'un corps ennemi ſe
portoit fur nos derrieres . - Le Baron d'Albignac
ayant été averti que nos retranchemens
étoient au pouvoir de l'ennemi , rallia la Brigade
d'Auſtrafie , & la ramena , par le chemin
de Chalembron , à une ſeconde charge , qui fut
plus meurtriere , par la réſtance des ennemis ,
quine cédoient ce terrein que pied à pied : cependant
, après un combat long & opiniâtre ,
ils abandonnerent nos retranchemens & ſe retirerent
au poſte de Bint , dont ils reſterent les
maîtres , & le combat ceſſa tout-à- fait vers une
heure après midi . M. de Villeneuve , Lieutenant
Colonel d'Auftrafie , fut dangereuſement
blefié dans cette derniere charge.- Ce que la
Brigade d'Auſtrafie a fait au combat du 13 juin ,
me diſpenſe de m'étendre ſur les éloges que
mérite le Baron d'Albignac , le Chevalier de
Boiffieu , Major de cette Brigade , MM.de-Ca
naple , Deſvaux & Derivet, Officiers ſupérieurs,
qui y ont fervi en qualité de Volontaires , mais
fur-tout M. de Vaugirard , Lieutenant-Colonel
de Royal- Rouffillon , dont on ne peut faire trop
connoître le zele. Cet Officier , d'un âge avancé,
& retenu au lit d'une maladie aſſez grave , fe
ranima au premier coup de canon qu'il entendit
le 13 au matin ; il ſe fit porter à la tête de ſon
Bataillon , & y trouva des forces , qui ne l'ont
abandonné que lorſqu'il n'y eut plus d'ennemis
àcombattre; & toujours malade , il s'embarqua
le 17 pour combattre ſous les ordres de l'immortel
Suffren.-La maniere dont l'artillerie ,
( 31 )
commandée par M. de Senarmont , a ſervi dang
cette journée du 13 , eſt au-deſſus de tout éloge.
Notre perte a été , vu le petit nombre de
combattans , très- confidérable; on en jugera par
l'état ſuivant des tués ou morts de leurs bleffu
res , ou bleſlés :
Brigade d'Auſtrafie , de mille hommes effectifs.
Aastrafie . MM. de Villeneuve , Lieutenant Co
lonel , Dommartin, Brullon , Patornay , Prévot
, Montrouant , d'Hantonville , Capitaines
Dufraife , Bicourt , Chev. de Malard , Lieutenants
, tués. Pouter , Signy , Moutord , Dutrévet
, Malard , Segrois , Dargy , Capitaines ;
Leglife , la Croix , Chev. Baudor , Chev. Deglepierre
, Lieutenants , bleſſes , 59 Bas- Officiers
ou Soldats tués , & 151 bleffés . Second Ba
zaillon de Royal- Roufilon . Dunegre , Bertrand ,
Capitaines ; Barry , Lieutenant , tués . - Deux
Lieutenants bleffés , dont on n'a pas les noms ,
18 Bas Officiers ou Soldats tués , & 61 bleflés .
Artillerie. Chev. Defreidy , Lieutenant , tué ;
de Fiard , Vaillard , Capitaines , & Vailiard
Lieutenant , bleſlés : 9 Bas-Olliciers on Soldats
tués , & 40 bleflés.
-
Régim. de la Marck . Le Cie de la Marck , de
Verner , Munct , de Freytag , Capitaines , de' .
Camerer , Lieutenant , bleffés : 10 Bas-Officiers
ou Soldats tués , & 18 de bleflés .
fie, -
Volontaires étrangers de la Marine , de Bourbon
& autres , au poste de Bint ou à la Brigade d' Auftra
Bint, Lieutenant-Colonel ,de Nadrin,
de Malafoffe , Capitaines , tués ; Deriver , ancien
Chef de Bataillon ,Chev . de Fayol , de laRoche-
Duronzé , Capitaines ; Saint- Martin , Rambaut ,
Lieutenants , bleſſés : 17 Bas-Officiers ou Soldats
tués , & 26 bleffés ..
De l'aveu des ennemis , leur perte a été de
-
b4
( 32 )
68 Officiers , & de 7 à 800 Européens tués ; on
ignore le nombre des bieflés , ainſi que celui
des Cipayes tués & bleflés .
Nous nous empreſſons de placer ici la lettre
ſuivante que nous venons de recevoir.
« J'ai lieu de me plaindre, M., d'un articlede
JaGazette de Leyde nº. 21 , où l'on me fait dire
des choſes auxquellesje n'ai jamais penſé , & je
viens d'en porter mes plaintes â ce Gazetier. J'ai
étédans toutes les circonstances de ma vie affez
maître de moi pour ne rien écrire qui pût me
mettre dans le cas de faire des excuſes àperſonne .
J'ai rendu juſtice à la bravoûre de M. de Bougainville.
C'eſt à ceux qui peuvent avoir bleffé
eet Officier général dans ſon honneur , à ſe rétracter.
Je vous prie d'inférer cet aveu dans votre
premier n° . J'ai l'honneur d'être , &c. Signé , le
MARQUIS DE VAUDREUIL.
On connoît les ſuccès de MM. Mathieu
Johannot pere & fils d'Annonay, dans leurs
établiſſemens en papeterie, & la perfection
à laquelle ils ont porté la fabrique des papiers
en France. M. le Contrôleur Général à
qui il en a été rendu compte , leur a adreſſé
la lettre ſuivante , le 18 du mois dernier.
Je vous informe avec plaifir , M. , que ſur le
compte favorable qui m'a été rendu devotre établiſſement
, je me ſuis déterminé à vous accorder
le prix inſtitué par l'ordonnance du 28 8bre
1777 , en faveur de ceux qui auront frayé de
nouvelles routes à l'induſtrie nationale ou qui
auront mérité , en la perfectionnant , quelques
marques publiques de la bienveillance du Confeil.
Je ne doute pas , M., que cette récompenfe
ne vous encourage à redoubler de zele & d'acti(
33 )
vité pour porter l'art de la papeterie au dégré
de perfection dont il eſt ſuſceptible; je ferai paſler
inceſſamment à M. l'Intendant de Languedoc la
médaille qui vous eſt deſtinée,& c'eſt de ce Magiſtrat
que vous la recevrez. Je ſuis , &c. Signé ,
DE CALONNE
Ceux qui connoiſſent l'induſtrie de MM.
Mathieu Johannot , pere & fils , & leur modeſtie,
& ce que l'art de la Papeterie leur
doit, verront avec plaiſir la diſtinction flatteuſe
&méritée qu'ils ont obtenue.
>> Ils remporterent en 1760 le prix des Arts
qui devoit être adjugé à celui qui indiqueroit les
meilleurs moyens de perfectionner les manufactures
de papier dans le Royaume. En 1762 ils
découvrirent l'apprêt de l'échange ou relevage ,
qui avoit fait la réputation des papiers de Hollande
, & ils le pratiquerent avec tant de ſuccès ,
qu'en 1764 l'Académie de Paris reconnut d'un
avis unanime, leur papier d'écriture ſupérieut
à ceux de Hollande. Ce font eux qui en,1764
inventerent le papier rayé qu'ils appellerent alors
à laGrecque ; & ce ſont eux auffi qui ont introduit
les premiers en France la fabrication du
papier velin, ſur lequel M. Didot l'aîné , célebre
Imprimeur de cette Capitale , employe avec
tant de ſuccès ſes beaux caracteres , pour les ouvrages
imprimés par ordre du Roi , pour l'éducationdeMonſeigneur
le Dauphin (1 ) . La protec-
(1)Nous faiſiſſons cette occafion d'annoncer , que M.
Didot l'aíné vient de publier l'édition de Télémaque en
2vol. in-8 , papier velin ; c'eſt le dernier format dans
lequel il avoit promis dedonner cet ouvrage, dont il avoit
déja fait deux éditions en 2 vol. in-4°. & en 4 vol. ir- 18.
L'édition in-4°. des oeuvres de Racine eſt à la veille d'être
terminée ; le troiſſeme & dernier volume paroîtra incefbs
( 34)
tion que leGouvernement accorde à leur Manufacture,
eſt un garant des efforts qu'ils feront ,
pour pouffer l'art de la Papeterie au plus haut
degré de perfection dont il foit ſuſceptible.
La ſuperbe édition de la Gerufalemme liberata,
imprimée par M. Didot l'aîné , ſous
la protection & par les ordres de Monfieur ,
n'a été retardée juſqu'ici que par le délai
qu'ont demandé les Artiſtes choiſis par
Monfieur pour en executer les deffins & les
gravures , & qui étoit indiſpenſable : mais
ce délai n'ira pas plus loin qu'au mois de
Juin , époque où MM. Cochin & Tilliard
ſe flattent de faire paroitre leur premiere livraiſon.
L'édition pour le papier & le caractere
ſera conforme au Profpectus , & on
peut ajouter que M. Didot l'aîné s'eſt ſurpaffé
encore. Elle ſera tirée à 200 exemplaires.
Monfieur en a retenu so ; & pour les
150 reſtans , il ne reſte plus que 25 foufcriptions.
Leprixde l'exemplaire complet en 2 vol . in- 4°.
furpapiervélin de MM Matthieu Joannet,qui les
premiers ont fabriqué de cette eſpece depapier
en France , orné de 41 planches , y compris le
frontiſpice , ſera de ri louis . Les Souſcripteurs
ne feront aucune avance , & ne paieront qu'à
,
Samment; & les éditions in-18 & in-80, viendront enfuite.
Il vient de donner tout récemment une ſeconde
édition in 18. du joli Roman de Galathee prix
4liv. en papier ordinaire , & 6 liv. en papier de MM.
Mathieu Johannot. Il ſe trouve chez M, Didot Paîné ,
ue Pavée S. André-des-Arts.
1
( 35 )
meſure qu'ils recevront la partie de l'Ouvrage .
achevé : il ſera partagé en 4 livraiſons de 10
planches chacune , & de la partie du texte correſpondante.
La premiere livraiſon paroîtra en
Juin ; on paiera 4 louis en la recevant; la ſeconde
paroîtra to mois après la premiere , &
on paiera 4 autres louis ; les deux dernieres paroîtront
ſucceſſivement de dix en dix mois ,&
on paiera 2 louis pour chacune. - M. Didot
Paîné , après la ſeconde livraiſon du Taffe ,
fera paroître le Virgile en un volume in 4º.
même papier , même format , même caractere ,
& fucceflivement le même Ouvrage in- 8° &
int 18. Ces trois éditions font partie de la collestion
des Auteurs claſſiques pour l'éducation
de Monseigneur le Dauphin , dont le Télémaque
fait le premier , les Cuvres de Racine le feat
'cond;ils ſeront ſuivis immédiatement du diſcours
de Boſſuet ſur l'Hiſtoire univerſelle , & dela
Bible latine dédiée au Clergé qui ſont ſous
preffe.
:
5
Le magnétiſme animal occupe aujour
d'hui tous les eſprits ; c'eſt la folie du jour
elle a fuccédé à celle des Ballons : car il n'eſt
plus queſtion d'aéroſtats que dans les atteliers
de quelques Artistes. Les jolies femmes
ne courent plus au jardin Reveillon, chez
M. Charles , &c. elles vont chez M. Mefmer
, chez M. Deflon , les unes par curiofité,
les autres tourmentées par quelque maladie ,
peut-être, imaginaire.
1
Il n'y a point d'exemple dans aucun état
dit-on , d'une fortune, pareille àl celle que val
faire M. Meſmer ; il gagne , à ce qu'on prétend ,
600000 livres en 6 mois , & l'année entiere hair.
b6
( 36 )
vaudra près d'un million. Il a dévoilé fes recrets
à 104 perſonnes qui lui ont donné chacune
100 louis pour un cours de 14 leçons. Il
n'a pas été plutôt fini que cent autres ſe font
préſentées en fourniſſant la même ſomme. Les
eſprits les plus prévenus , les ſavans les plus
récalcitransn'ont pu s'empêcher d'avouer que les
connoiſſances qu'ils ont acquiſes dans ce cours
ne leur foient fort agréables , & ne leur deviennent
unjour très-utiles. Qu'on joigne à ces
cours 80 ou 100 malades qui donnent 6 , 8 &
10 louis par mois , & on jugera fi jamais Médecin
a eu une perspective auffi belle. On prétend,
qu'il va quitter Paris l'été prochain , pour
aller temer ſa ſcience dans les autres Capitales
de l'Europe. S'il y fait une moiſſon auffi abondante
qu'à Paris , il ſera le docteur le plus riche
du monde ; & fa méthode , qui a fait véritablement
des cures merveilleuſes , ſera bientôt la
ſeule médecine univerſelle. On prétend qu'il a
appris tous ſes ſecrets dans un vieux livre écrit
en allemand , qui vient d'être découvert en Hollande
, & que l'on traduit en ce moment. Cela
lui doit être fort égal aujourd'hui que ſon ſecretn'en
est plus an , puiſqu'il en a fait part
àplus de 200 perſonnes. Sans ce livre & fans
donner 100 louis,bien des perſonnes s'attendent
à être auſſi inſtruites dans la ſcience que le
meilleur de ſes Eleves. Nos têtes Françoiſes
ne ſont pas faites pour le régime pythagoricien
; elles parleront , & le fameux fecret ſera
dévoilé.
Depuis le décès de la veuve Belloſte , ſes deux
fils aînés , qui compofoient avec elle , depuis plufieurs
années, les véritables pilules de ce nom ,
encontinuent par privilege du Roi la compoſition
, dans le même appartement , au bâtiment
( 37 )
de la Croix Rouge. Ces pilules , conve nables aux
perſonnes attaquées de dartres, boutons , affections
pſoriques , & de quelques maladies internes
, comme obstructions & engorgemens lym
phatiques , embarras de viſceres & autres , font
propres pour les militaires , les marins & les
voyageurs. On les vend dans des boëtes cachetées&
étiquetées 24 liv. l'once , 12 liv. la de-.
mi-once , & 6 liv. le quart d'once. Il n'y en a
point d'autre dépôt dans Paris , & le ſeul qu'il y
ait à Verſailles , eſt chez le ſieur Tiffot , parfumeur
du Roi , rue du vieux Verſailles .
M. Houel , Peintre du Roi, rue du Coq S.
Honoré , a publié le 1re. Cahier du Voyage pirtoreſque
de la Sicile. Chaque partie qui aparu de,
cet Ouvrage intéreſſant, ne fait que confirmer
ſon ſuccès , & ajouter à ſa célébrité. Celle-ci
offre en cinq planches les vues & les plans de
Volcanello & Volcano , & une vue de l'intérieur
du cratere de ces deux volcans ; dans le texte ,
l'Auteur a traité des volcans qui ont formé les
ifles de Lipari , & des révolutions qu'elles ont.
éprouvé juſqu'à nos jours. La fixieme planchepréſente
la vue de l'intérieur du cratere de Volcanello
, de Volcano , des iſles de Lipari ,de Saline
, d'Alicudi & de Felicudi. L'Auteur obſerve
enpeintre tous les tableaux vaſtes & variés que,
préſente la nature dans ces contrées ; il décrit en
phyficien naturaliſte les phénomenes qui ſe montrent
par tout à ſes yeux : en philoſophe il peint
les moeurs des habitans ; & c'eſt en critique qu'il
peſe & diſcute les faits dont il rend compte.
DE BRUXELLES , le 27 Avril.
Les différends avec la République de
Hollande , pour l'arrangement delquels les
Etats-Généraux ont enfin nommé des Com
( 38 )
miffaires qui font arrivés ici , ne ſont,pas
encore à la veille d'être terminés ; il s'eſt
élevé de nouvelles difficultés qui vont prolonger
les négociations ; c'eſt ainſi qu'elles
font expoſées dans un Mémoire remis par
le Gouvernement général des Pays - Bas à
M. de Hop , Miniſtre de L. H. P. le 4de ce
mois.
Quoique les ouvrages du Fort de Lillo , tels
qu'ils exiftent à préſent , foient déjà pris en partie
far le territoire de l'Empereur , & qu'il y ait derechef
pour Lillo , comme pour les autres Forts
queles Etats Généraux occupent ſur l'Eſcaut , &
dent , ſuivant les traités , quelques uns ne de-.
vroient plus ſubſiſter, des réclamations multipliées
à faire de la part de S. M. , le Gouvernement
Général vient d'apprendre que l'on renou-,
velle les paliſſades à Lillo , comme on l'avoit entrepris
déjà en 1753 ; qu'on y ajoutoit une ligne
qui ferme l'accès nommément à l'Ecluſe , ou
qui le rend au moins dépendant d'un aveu ou
permiffion de la garaiſon , & qu'on y renouvelle
ou conftruit au ſurplus une batterie qui domine
l'Ecluſe , & qui eſt pour aing dire contigue.
Quand S. M. a droit de prétendre que les choſes,
foient miſes , à l'égard de tous ces Forts , comme
elles devroient être , d'après les traités, le Gouvernement
ne s'attendoit & ne pouvoit pas s'attendre
à des mesures qui , comme celle - ci , ſont
une nouvelle violation du territoire de S. M. ,
commiſe dans le moment où l'on touche à l'ou- ,
verture d'uné négociation pour laquelle les Plénipotentiaires
ſont enfin nommés de part & d'autre
, & après que l'emplacement ſeul des paliffades
entrepris en 1753 avoit déjà excité les
plaintes & les réclamations du Gouvernement
( 39 )
Général, comme d'une violation du territoire ,
ainſi qu'on peut le voir par les mémoires remis à
feu M. le Baron de Haren , le 9 Décembre
1753 , & le 19 Mars 1755. Après ce que M. le
Baron de Hop a témoigné dans fon mémoire du
21 Février dernier , & répété de vive voix fur
la ſenſibilité qu'a excité dans l'eſprit de L. H. P.
le reproche que l'on a cru trouver dans le mémoire
du Gouvernement , du 11 , commeſi on
leur ſuppoſoit des principes d'offenſe ou de mépris
pour le territoire de S. M. , le Gouvernement-
Général , defiroit pouvoir ſe laiſſer aller à la
confiance que L. H. P. n'ont point de partà des
diſpoſitions qui, dans toutes leurs relations , ſont
de nature à exciter tout au moins la ſurpriſe de
S. M. Elle ne pouvoit fans doute pas préſumer
que dans l'inftant même de la négociation , dans
P'inſtant où on a développé des ſentiments de
reſpect pour Elle , le defir de cultiver ſon amitié
&ſa bienveillance , & le prix qu'on y attache ,
on pourroit penſer , beaucoup moins avoir le
courage de contredite l'expreffion de ces ſentiments
tant de fois réitérés , par des violations
nouvelles qui ajoutent à celles qui exiſtoient déji.
Malgré les déclarations poſitives faites aunom de
১. M. quant à la ſouveraineté de Doël , malgré le
devoir impoſé aux Commandans Holiandois de
reſpecter le territoire de S. M. , même dans la
partie de ce territoire , que le mémoire de M. le
Baron de Hop , du ro Novembre dernier
voulu rendre litigieuſe , & malgré l'exemple de
lapunirion décernée à la charge du Lieut. Col, van
Schweinitz le Commandant de Lillo , s'eft néanmoins
cru permis de s'adreſſer au Dykgraef du
Doel , pour qu'il faſſe afficher & publier un
avis portant que ceux qui voudront prendre en
louage la pêche devant l'Ecluſe du Polder de
,
a
( 40 )
(
Doel , ainſi que les herbages d'une partie de la
digue à commencer de la même Ecluſe , pourront
s'adreſſer au Commandant de Liefkenshoek .
Cette derniere démarche qui certainement
n'aura pas ſon effet , peut être une tentative particuliere
dirigée par l'intérêt privé des Conmandants
accoutumés à des jouiſſances indues ſur le
territoire de S. M.: ce qu'on peut en inférer ,
c'eſt qu'au moins ces Officiers ne font pas aſſez
inftruits , ou pas affez ménagés pour ſentir ce
qu'ils doivent à la Souveraineté de S. M. ,&aux
déclarations données par L. H. P. elles-mêmes ;
mais pour les diſpoſitions qui ſe font à Lillo , &
dont il eſt parlé ci-deſſus , le Gouvernement-
Général ne peut pas le diſpenſer , en ſe réſervant
toutes les réclamations dont l'état des chotes ,
quant au fort , étoit déja ſuſceptible , de reclamer
nommément & par proviſion contre la violation
renouvellée qui réſulte dela direction d'après
laquelle on remplace les paliſſades ; contre ce
qu'on fait entr'autres à l'égard de l'Ecluſe , &
contre toute gêne qu'on établiroit relativement
à cette même Ecluſe qui eſt ſur le territoire de
S. M. I. & dont les intéreſſés devoient pouvoit
diſpoſer en tous temps avec une entiere liberté ,
fans pouvoir être dépendant , ou dans le rifque
de dépendre d'aucune autoritéou influence étran .
gere. L. H. P. trouveront dans leur ſageſſe & leurs
lumieres les moyensd'appaiſer S. M. ſur les violations
nouvelles& vraiment inattendues que l'on
vient de ſe permettre à Lillo , & de prévenir
les effers& les ſuites que des procédés de certe
eſpece ne pourroient manquer d'entrainer , ſi la
République ne les prévenoit point par un
paiſement dont S. M. 1. puinſe ſe contenter.
Ce mémoire fat ſuivi le même jour d'un
ſecond conçu ainſi :
ap
( 41 )
Au moment où on alloit remettre à M. le Baron
de Hop la plainte qu'il recevra avec le préſent
mémoire , unév mement nouveau , l'attentat
le plus caractériſé , force le Gouvernement-
Général à une réclamation nouvelle. Le nommé
Brager , ſujet de S. M. 1º Batelier , domicilié à
Doël , établi Marcktſchipper , au nom du Duc
d'Aremberg , Seigneurdu lieu , ferendant le 31
Mars du Doel àAnvers , avec ſon bateau chargé
dedenrées &de quelques paffagers , & le trouvant
devant le fort Lillo , le nommé Drouckers , Matelot&
Pilotede la chaloupe Hollandoiſe , appellaBrager
, & lui demanda s'il ne venoit pas faire
ſa déclaration . Brager répondit négativement ,
&ſe déclarant établi par le Seigneur du Doel ,
pour naviguer fur Anvers & vice-verfa . il ajouta
qu'il lui étoitdéfenju de la part de S. M. de s'arrêter
à Lillo , & d'y faire aucune déclaration ;
Drouckers luidit alors qu'au moins il devoit jeter
l'ancre; mais Brager lui ayant témoigné qu'il
ne le faroit point, l'autre en laiſſant cependant
paffer Brager avec ſon bateau , lui déclara qu'il
devoit en rendre compte au Fort , où il ſe rendit
en effer, &qu'on trouveroitbien Brager l'aprèsdiné.
Ce batelier ſe trouva en effet devant Lillo ,
avec ſon bateau ,le même jour à une heure & demis
l'après-diné avec des paſſagers , &des denrées
deſtinées pour les habitans du Doël ; mais à
peine eût-il été apperçu par ceux de la frégare ,
qu'ils lui annoncerent , par le ſecours d'un porevoix
qu'il eût à venir faire ſa déclaration à Lillo ;
il leur repliqua en réclamant ſa qualité de Marckſchipper
établi par le Seigneur de Doel , & la
défenſe de S. M. de faire aucune déclration ;
mais ceux de la Frégate lui annoncerent en
Réponſe qu'il devoit venir faire ſa déclaration à
Lillo, ou qu'ils couleroient ſon bateau à fond.
( 42 )
Le Batelier continua non- obſtant ſa route ;
mais alors ceux de la Frégate pointerent le canon
vers ſon bateau , & montrerent la méche , en
menaçant qu'il feroit feu. Sur cette démonſtration
le Batelier baiſſa tes voiles , immédiatement
après , ceux de la Frégate ſe rendirent dans une
chaloupe , & vinrent aborder le Batelier , en lui
ordonnant de nouveau d'aller faire ſa déclaration
àLillo. Il s'y refuſa encore , en diſant que cela
lui étoit défendu au nom de S. M.1.- LeBaillif
de Beveren & de Doel qui ſe trouvoit ſur le
bateau , comme paſſager , prit alors la parole
pour demander au Commandant de la Frégate
pourquoi il vouloit couler le bateau à fond ? Cer
Officier répondit alors que cela lui étoit ordonné
ainfi , & qu'il auroit effectué la menace ſi le
batelier n'avoit pas baiſſe ſes voiles , ou s'il avoit
oſe paſſer outre; & quoique le Baillifeut confirmé
au Commandant, que le Batelier avoitune défenſe
expreſſe de S. M. & obſervé que ceux de Lillo ,
non plus que leurs maîtres , n'avoient aucun &
pas le moindre droit de Souveraineté ſur l'Er.
caut , cependant le Commandant ne continua pas
moins à perſiſter , en arrêtant le bateau , que le
Batelier devoitfaire ſa déclaration à Lillo.- Sur
cela le Baillif demandant que le Commandant
ſe décidât à prendre un parti , & à laiſſer paſſer
le bateau , ou à déclarer pour quelle raiſon il
vouloit l'arrêter , proteſtant d'avance de tous
dommages & intérets , tant pour lui-même que
pour les paſſagers , le Batelier & le bateau , le
Commandant après quelques pourparlers ultérieurs
retourna avec ſa chaloupe à la Frégate ,
en déclarant au Batelier en termes menaçans , que.
s'il s'aviſoit de vouloit paſſer outre avec ſon
bateau , il le couleroit à fond . Le Batelier ne prenant
ce langage que pour une menace releva ſes
( 43 )
{
voiles, mais dans l'inſtant même le canon de la
Frégate fut pointé de nouveau contre le bateau ,
la mêche reparut , & on étoit prêt à faire feu ſur
le bateau. Alors les paſſagers crierent qu'ils aborderoient
à Lillo comme on le fit en effer. Apeine
yfurent- ils que deux commis employés au Bureau
deLillo ſe préſenterent pour ſe rendre à bord du
bateau : mais le Baillif leur déclara que cela ne
ſe pouvoit point ; ſur cela un des Commis ordonna
auBatelier d'ouvrir le deſſus du bateau ; le Baillif
s'yrefuſa encore , toujours en reclamant la qualité
de Marckichipper , & la défenſe donnée de ne
permettre aucune viſite ni inſpection.-Enfin ce
ne fut qu'après que le Baillif eut demandé au
Commis , par quelle raiſon ceux de la Frégate
avoient fait la menace , de couler le bateau à
fond , & pourquoi on prétendoit qu'il dût amarer
â Lillo , & après qu'il les eût interpellés , en rappellant
toujours la défenſe , dont le Batelier
étoit muni, ou à laiſſer librement paſſer le bateau,
ou àdéclarer les raiſons pour lesquelles on l'arrêtoit
, que les commis ont laché priſe , & laiffé
partir le bateau vers le Doël , en témoignant que
puiſque le Batelier étoit muni d'un acte , portant
défenſe de la part de S. M. ils le laiſſeroient librement
paſſer pour le préſent & pour le futur.I
Telles font les circonstances de l'événement qui
vient de ſe préſenter ; événement inconcevable ,
inattendu , & qui , s'il procédoit des ordres &
inſtructions de LL. HH. PP. ce qu'il eſt impoſſible
de préſumer ſeulement, ſeroit un ſignal certain
d'une Réſolution priſe de rompre tous les liens
d'amitié & d'égards.-Empêcher le librepaffage
des ſujets de S. M. for fon territoire & dans ſa
Souveraineté ; embarraſſer la navigation , la foumettre
à des génes & à des viites ; employer
la contrainte par la voie d'une exploitation , d'une
( 44 )
autorité & d'une force Grangere & ineempetente;
arrêter lesbateaux des ſujets de S. M.;
menacer de faire feu , pointer le canon fur eux ,
leur montrer la mêche , ſe préparer à deux repriſes
pour exécuter la menace ; mépriſer la qualité
légale du Batelier , la réclamation des droits de
S. M. celle d'une défenſe poſitive , portée en fon
nom & ſe fonder ſur ce qu'il étoit ordonné d'en
agir ainſi : c'eſt mettre le comble à tout ce qu'on
peut imaginer de plus inſultant pour les droits
abſolus de la ſouveraineté de S. M. & il n'y a pas
d'exemple d'une conduite auſſi téméraire &aufi
criminelle . Le Gouvernement Général doit
aux droits que S. M. ſaura foutenir au beſoin ;
dedéferer dabord à LL. HH. PP. la connoif
fandede ce qui vient de ſe paſſer , & perfuadé
qu'il eſt impoffible qu'Elles aient donné , ni meme
pu penſer de donner des ordres pareils , pour
attaquer ouvertement la ſouveraineté de S. M. &z
pour traiter ainſi ſes ſujets , il attend de leur
justice &de leurs ſentimens qu'Elles ne balance
ront & ne tarderont pas d'un moment de punir
avec la plus grande ſévérité les auteurs & les
complicesde ces violences & démarches extrê
mes , & qu'elles donneront à S. M. une répara
tion & une fatisfaction également prompte ,
complette & folemnelle; en faiſant au ſurplus
Jeursdiſpoſitions, &en donnantdes ordres que leur
fageſſe& leurprudence leur ſuggéreront pour que
les employés de la République ne ſe permet
tent ni démarches , ni oppoſition , ni prétentionscontraires
à ladéfenſe réellement donnée aux
ſujets de S. M. de ne reconnoitre aucune autorité
étrangere ſur l'Eſcaut entre le Doël &Anvers ,
de ne ſe rendre à aucune interpellation , de ne ſe
foumettre à aucune viſite , ailleurs qu'aux Bureaux
& par les Employés de S. M.
(45)
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Leſcrutin de Londres a fourni des anecdotos
qui figurent dans l'hiſtoire des Elections . On vitun
exemple remarquable d'intégrité dansun étattrèsordinaire
à l'élection conteſtée à Lynn, en 1766, entre
fir JohnTurner & M. Molyneux. Un ouvrier
Vitun jour 150 guinées miſes ſur ſa table par les
amis du premier , afra de lui affurer ſa voix : il
les refula avec dédain . A une ſeconde élection ,
ſa voix fut follicitée par un de ſes amis. Vous
voyez , lui dit- il , que je n'en ſuis pas plus mal
pour avoir refuſé deme laiſſer corrompre. Jai
vécu dix ans à Londres avec un maître , il m'a
laillé ſon commerce. Je ſonge avec plaifir que
jamais je n'ai vendu ma voix; je vais la donner
encore à celui à qui je l'ai déjà donnée. Il ſe rendit
en effet de Londres à Lynn à ſes frais , & il
vota pour M. Molyneux .
M. Walker , appellé communément le ſage
Walker, qui poſſédoit des grands biens dans le
Warvickshire & le Lancashire , fut fi dégoûté
des élections , après avoir perdu pluſeurs fois des
ſommes conſidérables par ſon oppofitiou aux intérêts
de fir Robert Walpole , que par ſon dernier
teſtament , il chercha à empêcher ſes enfans de
l'imiter ; il avoit trois fils & pluſieurs filles ; il
lia les premiers de maniere à ne pouvoir jamais
ſe préſentercomme candidats pour aucun Bourg ,
ni ſe mêler d'aucune affaire d'élection. Quant a
ſes filles , il ne voulut point qu'elles épouſaſſent
de Membres du Parlement , ni de perſonnes intéreſſées
aux courſes de chevaux , ou membres
dans un club à la mode de jeu.
Ila été obſervé , au ſujet de la Ducheſſe de ...
&deMilady .... pendant qu'elles ſollicitoient ,
le to de ce mois, les voeux en faveur de M. Fox
que c'étoit les plus aimables ſolliciteuſes qui euſ
lent paru en pareille occafion.
46 )
15
Lesgens ſenſés& modérés penſent que le refſentiment
qu'ont excité la conduite & les deſſeins
de la coalition eſt pouffé trop loin , & que dans
l'état actuel des chofes , il ſeroit auſſi contraire
à la politique de n'avoir pas une forte oppofition
contre le Gouvernement , qu'il l'auroit été de
laiſſer les affaires publiques entre les mains du
Lord North & deM Fox.
Ces jours derniers , la femme d'un Marchand
de cette Ville fut trouvée morte dans ſon lit par
la domeſtique ; elle alla ſur le champ auprès de
ſon maître lui peindre ſon effroi & ce qui s'étoit
paſſé ; celui-ci lui répondit froidement , je le.
Tais , c'eſt moi qui l'ai tuée. Le Juré appellé a
déclaré que cette mort avoit été occaſionnée par
l'effet de la folie; il paroît que le mari en avoit
donné des marques depuis quelque temps .
On écrit deBath que Lady .... faiſant une
partie dans une des fallesd'aſſemblée , un troupe
de femmes qui ne la connoiſſoient pas , s'étant
placées derriere ſachaiſe , ſe mirent à s'entretenir
d'elle en la nommant , & en dirent tout ce
qu'elles ſavoient , & ce qu'elles ne ſavoient pas.
Cette ſcene qui étoit très plaiſante , ne ſuſpendit
pas ſon ju. Lorſqu'elle fut finie , ſon partner lui
dit : eh bien , que dit votre honneur de tout cela ?
Mon honneur, répondit elle , en vérité , je ne
ſaispas fi ces femmes m'en ont laiſſé.
L'élection de fix nouveaux Directeurs de la
Compagnie des Indes , qui doivent remplacer
cette année un pareil nombre d'anciens , a été
faite le 19 de ce mois. MM. Baring , Boehm ,
Inglis, Manship, le Meſurier & Motteux, recommandés
par les Directeurs , ont été élus. Mм.
Caming , Harriſon & Moffatt , qui étoient au
nombre des concurrens , n'ont point eu d'autre
titre d'exclufion , que le tort d'avoir accepté des
( 47 )
places dans la nouvelle adminiſtration que Mi
Fox vouloit établir , ſi ſonbill avoit paffé .
Cause extraite du Journal des Cauſes célebres ( 1 ) .
QUESTION DE DROIT PUBLIC .
Sur la capacité des Portugais à recueillir des
fucceſſions de leurs parens décédés en France.
Voici les faits qui ont donné lieu à cette cauſe
une des plus importantes qui aient été jugée
depuis long-temps. -- Le comte Doria , Géno is
d'origine , est né ſujet de la Reine de Portugal.
Il épouſa , en 1772 , Angélique - Marie-
Urfule Bellew , fille d'un gentilhomme Irlandois
qui demeuroit en France , mais qui n'y étoit
pas naturaliſé. Son épouſe eſt morte en France
au mois de Décembre 1775. Il lui reſte une fille
de ce mariuge. Le ſieur Bellew mourut peu de
temps après lacomteſſe Doria , ſa fille . Il laiſſoit
pour héritieres , Marie-Jeanne-Luce Bellew , ſa
fille puînée , & la demuſelle Doria , ſa petite
fille ,repréſentant la colite Doria , ſa mere.
Marie-Jeanne-Luce Bellew prétendit que ſa
niece n'étoit pas habile à ſuccéder en France , attendu
ſa qualité de Portugaiſe. II n'exiſtoit ,
en effet alors , aucune loi qui déclarât les Portugais
habiles à ſuccéder en France. Un arrêt
du parlement ordonna que la demoiſelle Bellew
demeureroit ſeule propriétaire des immeubles
réels , & des rentes dont ledit d'établiſſement
ne permettoit pas l'acquiſition aux étrangers. II
ordonna le partage par moitié , entre la demoiſelle
Bellew & la demoiselle Doria , de la ſucceſſion
mobiliaire, & des rentes dont les édits de créa-
[1 ] On foufcrit en tout temps pour ce Journal intéreſ
fant, chez M.,Des Effarts, Avocat , rue Dauphine , hôtel
de Mouy , qui nous a fourni cet extrait , & chez Mérigot
le jeune, Libraire , quai des Auguſtins, Prix , 181.
pour Paris , & 24 liv. pour la Province,
( 48 )
cion permettoient l'acquiſition auxétrangers..La
liquidation & le partage de cette fucceffion fu
rent faits le 20 Janvier 1781 , entre le Comte
Doria & la Demoiselle Bellew. La Demoiſetle
Bellew eft morte le 8 Mars 1783. Les Scel
lés ont été appoſés ſur les effets. Le fieur Cligny
&les fieur & dame Oshée ont fait oppofition
au ſcellé. ils ſe prétendent parens , & habiles
à ſe porter héritiers de la demoiſelle Bellew.
Avantl'ouverture de cette fucceffion , dèsl'année
1778 , il avoit été fait une convention entre
Je Roi de France & la Reine de Portugal ,
qui donnoit aux Portugais le droit de ſuccéder
en France & aux François le droitde faccéder
en Portugal. Cette convention avoit été
ratifiée par des lettres patentes , données à
Verſailles le 8 Novembre 1778 ,& enregiftrées
au Parlement le 23 Avril 1779. Cette nouvelle
loi faifoit ceſſer l'incapacité qui avoit écarté
juſqu'alors la demoiſel Doria des ſucceſſions
françoiſes. La demoiselle Doria Bellew , fille
de la Comteffe Doria , ſa ſoeur , ſa plus proche
parente , ſeule habile à recueillir ſa ſucceffion
mobilaire & ſes propres paternels & maternels .
Le Comte Doria , comme tuteur de ſa fille , a
affigné le feurCligny & les fieur & dame Oshée
pour voir ordonner que main-levée pure & fimple
lui ſeroit faite des oppofitions par eux induement
formées ſur les effets de la demoiselle
Bellew , comme ſe diſant & prétendant , ſans
titre , droit & qualité , héritiers de ladite demoiſelle
Bellew. La queſtion ſe réduiſeit
à examiner i le traité , fait entre la France &
le portugal en 1778 , donne aux Portugais la
capacité de ſuccéder en France;&la Sentencedu
Châtelet du 7 Février dernier àjugé pour l'affirs
mative.
-
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS ΜΑΙ 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE SUR L'AMBITION.
QUE je plains les tourmensd'unhomme ambitieux ,
Jour & nuit agité de ſoucis envieux !
Qui , paſſant tour à- tour de l'orgueil aux baſſeſſes ,
Trifte au ſeindesplaiſirs , pauvre au ſein des richeſſes ,
Mécontent du paffé , redoutant l'avenir ,
Du préſent qui lui rit jamais ne fait jouir .
Jamais d'un jour ferein il ne goûte les charmes ,
Jamais aucun repos ne ſuſpend ſes alarmes ;
Mille ſonges affreux agitent ſon ſommeil ;
Mille foins inquiets afſiègent ſon réveil.
L'oeil égaré , penfif , le teint pâle & livide ,
Peignant dans tous ſes traits ſa paſſion avide ,
Il vole chez des Grands , ſouvent plus bas que lui ,
Mendier les affronts , les rebuts & l'ennui .
N°. 20 , 15 Mai 1784
E
98 MERCURE
1
La folle ambition ſur la ſcène du monde ,
En maux , en cruautés ſera toujours féconde.
Son éclat nous aveugle , & malgré ſes tourmens ,
Nous n'en voyons l'abus qu'à nos derniers momens
Alors le bandeau tombe , & d'une erreur funeſte ,
Un triſte repentir eft tout ce qui nous reſte.
Heureux l'homme né ſimple ,&dont les feuls defirs
Sont de fixer chez lui les tranquilles plaiſirs !
S'il n'a point à ſa ſuite une foule importune
D'eſclaves enchaînés au char de la fortune ,
D'adulateurs rampans , de courtiſans flétris ,
Par l'intérêt fordide & l'intrigue avilis ,
Il a l'économie & l'ordre pour richeſſe ,
Des moeurs & des vertus pour titres de nobleſſe.
Ses goûts , comme ſes voeux', ſont ſimples & touchans,
Il aime à cultiver ſon jardin & ſes champs ,
Avoir mûrir ſes fruits , à voir ſes fleurs éclore ,
Le retour du printemps , le lever de l'aurore ;
Il voit de ſon hymen les chers & tendres fruits
Aimer , faire le bien , par fon exemple inftruits ;
Il les voit tour - à-tour empreſſés à lui plaire ,
Et captiver leurs foins ,&l'amour de leur mère.
Tous ſes deſirs ſont purs , tous ſes plaiſirs fereins ,
Tous ſes travaux font gais , tous fes repas ſont ſains.
Son ſommeil doux , paiſible , eſt le repos du ſage;
Du matin d'un beau jour ſon réveil eſt l'image !
Sur ces deux vrais tableaux , mortel , réfléchiffez ,
Il s'agit d'être heureux. Tremblez ! & choififfez .
(Par M. Bailly de Saint-Paulin. )
DE FRANCE.
११
COU PLETS à Mlle WARESCOT ,
Sur fa Fête.
AIR : Oui , j'aime à boire , moi , &c.
CHERS
HERS Amis , parmi vous
Que chacun me ſeconde ;
Chantons, aimons , grondons tous
Catherine à la ronde.
Je ſens tout ce qu'elle vaut ,
Oui, je lui rends juſtice ;
Mais je lui trouve un défaut....
Quoi? pas un ſeul caprice !
Chers Amis , &c .
QU'IMPORTE que la raiſon
La dirige , la guide ?
Le coeur peut- il être bon
Quand l'oeil eſt homicide ?
Chers Amis , &c .
Que fert il de raiſonner
Quand on eſt à ſon âge ?
C'eſt vouloir ſe cantonner ,
C'eſt manquer à l'uſage.
Chers Amis , &c.
LaNature la combla
Demaint attrait bien rare ;
)
Eij
100 MERCURE
Mais de tous ces tréſors- là
Je la ſoupçonne avare.
Chers Amis , &c .
Qui , ſon coeur mérite bien
D'en captiver dix autres ,
Mais elle garde le fien ,
Et veut prendre les nôtres.
Chers Amis , &c.
SES regards font gracieux ,
Sa voix fait des merveilles ;
Si l'on n'eſt pris par les yeux ,
On l'eſt par les oreilles.
Chers Amis , &c .
Je crois bien qu'en fait d'ardeur
Catherine eft conſtante ;
Mais , lorſqu'on ne veut qu'un coeur ,
En faut- il voler trente ?
CherAmis , &c.
( Par M. de la Dixmerie. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade eſt Degré ; celui
de l'Enigme eſt Poulet ; celui du Logogryphe
eſt Curedent , où l'on trouve écu,
étude, cent , été Cure, cedre, dent rente ,
Crète, dureté.
DE FRANCE. 101
CHARADE.
Sur l'Air : Quoi ma Voiſine es-tu fâchée.
Mon premier ſuffit pour ſéduire
Petit poiffon ;
Le Dieu des Vents , dans ſon délire ,
Batmon fecond ;
Et pour mon tout , Iris , ſans doute
Vous le ſavez.
Eh bien , parlez , je vous écoute.....
Oui , vous l'avez .
:
( Par M. de G. , Officier au Rég. de Boulonois .)
ÉNIGME.
ME
E définir , Lecteur , n'eſt pas choſe facile;
Les ſages l'ont tenté , j'en ai dérouté mille ;
J'enchaîne les Héros , ſoumets les Souverains ,
Et décide du fort de moitié des humains;
Je ſuis , ſur mes fix piés , &ta femme & ta mère;
Ore-moi tête & queue , &je ferai ton père ;
Veux- tu par le milieu me couper ſans pitié ?
De toi je ſuis encor la plus noble moitié.
(ParM. P..... )
E iij
102 MERCURE
LOGOGRYPHΗ Ε.
ANINIMMÉÉ,, je ſuis ton idole ,
Tu me chéris, tu fais des voeux pour moi ;
Inanimé , je te conſole ,
Je fais des miracles pour toi.
Enmedécompoſant , tu trouveras ſans peine
Un adverbe local , un pronom , une fleur ,
Et des amans la véritable chaîne ;
Sous deux aſpects je forme ton bonheur.
( Par M. L** R ** , Abonné. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
CÉCILIA , ou Mémoires d'une Héritière ,
par l'Auteur d'Evelina , traduits de l'Anglois.
A Neufchâtel , & ſe trouve à Paris ,
ens vol. in 12. , chez Mérigot jeune ,
Libraire, Quai des Auguſtins ; & en 4 vol.
in2. , chez Barrois le jeune , Libraire ,
Quai des Auguſtins. Troisième Extrait.
ON a pu remarquer , dans les événemens
que nous avons précédemment indiqués ,
que ſi l'aimable Cécile y paroît toujours la
perfonne la plus parfaite , elle n'y eſt prefque
jamais pourtant le principal perſonnage.
DE FRANCE.
103
Miff Burney ne perd pas une occafion de
donner à fon Héroïne une grâce , une vertu
de plus ; mais en raſſemblant fur elle tout
ce qui peut la faire rechercher , elle ſemble ,
en quelque forte , craindre de la produire.
C'eſt une mère tendre , qui , au moment de
préſenter dans le cercle une fille chérie , la
retient encore , dans l'eſpoir d'ajouter quelque
choſe à ſa parure.
Mais enfin , Miff Beverley va prendre fon
effor. Déjà la voilà heureuſement fortie de
la dangereuſe ſociété d'Harrel. Son bon efprit
l'y a garantie des ridicules & ſauvée des
mauvais choix. A la vérité , ſa bonté trop
facile lui a fait diffiper tout fon patrimoine,
devenu preſque en entier la proie de fon tuteur;
mais la fortune du Doyen la rend encore
un très- riche parti , & la jeune héritière
n'a que fon coeur à confulter pour ſe choitir
un époux. Le Lecteur ſe reſſouvient , fans
doute , que ce choix eſt déjà fait , & que
l'heureux Delvile Mortimer eft le mortel
préféré. Nous ajouterons que ce charmant
jeune homme , déjà ſi digne de cette préférence
par ſes qualités perſonnelles , ne la
mérite pas moins par la paffion fi tendre &
ſi vraie qu'il reſſent pour Cécile; mais ce
qu'apprend là le Lecteur , nos deux amans
l'ignorent encore , & chacun d'eux a mille
raiſons pour douter des ſentimens de l'autre .
Ce n'étoit pas que l'amour de Mortimer
n'eût quelquefois éclaté dans ſes actions ; ce
n'étoit pas non plus que Cécile ne s'en fût
Eiv
104
MERCURE
pas apperçue ; mais elle n'avoit pas moins
remarqué qu'à ces mouvemens ſi paffionnés ,
mais ſi rares , fuccédoit tout- à coup une froi
deur vraiment déſeſpérante. La tendre Miff
s'en déſoloit toujours & s'en indignoit quelquefois.
Ce n'est pas tout. Elle avoit fait la
triſte découverte que l'intéreſſante Henriette
Belfied aimoit paſſionnément Delvile Mortimer
, & en avoit conclu aſſez naturellement
que Mortimer aimoit Henriette ; enfin
Cécile étoit jalouſe. Mortimer l'étoit auili ;
& fa jaloufie , pour être fans fondement
n'étoit pas fans motif.
?
On ſe rappelle que Miff Belfied a un
frère , que ce frère s'eſt battu contre le Chevalier
Floyer , & que Cécile a été fort émue
de cet événement. Delvile avoit facilement
ſenti que le Chevalier Floyer n'étoit pas digne
d'intéreſſfer Cécile; mais il n'avoit pas
jugé de même de Belford. Ce jeune homme ,
qu'il eſt temps de faire connoître , eſt un des
perſonnages le mieux conçu qui ſe trouve
dans cet Ouvrage. De l'eſprit , de l'honnêteté
, des vertus le rendent très- intéreſſant
pour tout le monde , tandis que le défaut
de caractère le précipite d'infortune en infortune,
Livré d'abord aux gens de la Cour ,
par qui il eſt accueilli , & même recherché ,
il n'en eſt ni ſervi ni ſecouru , &tombe dans
la misère. On le voit tour- à- rour homme de
bonne compagnie , Inſtituteur , Valet de
Ferme , Auteur , tenetur de Livres ; & toujours
il trouys excellentes raiſons pour
4
DE FRANCE. 104
prendre & pour quitter ces différens états.
On fent affez qu'un tel homme , né pauvre ,
ne doit pas devenir riche ; mais on conçoit
auſſi qu'il peut intéreſſer beaucoup : on conçoit
fur tout qu'une jeune perfonne , libre ,
généreuse & ſenſible , peut être tentée de
fixer ce caractère inconſtant , & vouloir réparer
les torts de la fortune. Telle étoit l'idée
deMortimer.
Ce ſoupçon s'étoit accru par mille circonftances.
Cécile avoit elle- même recom
mandé Belfied à Mortimer ; elle alloit fouvent
voir Henriette , & le frère demeuroit
avec la ſoeur; & , par une fatalité qu'on
pourroit peut être reprocher à l'Auteur , jamais
Cécile n'entre dans cette maiſon fans
être apperçue ou ſurpriſe , ſoit par Delvile ,
foit par ſon père , ſoit par quelques uns des
domeſtiques de cette famille. Enfin une
Mme Belfied , mère des deux jeunes gens ,
bourgeoiſe ridicule & bavarde impitoyable ,
fe perfuade aufſi cet amour de Cécile , & ne
manque pas de publier cette découverte.
Elle s'en entretient avec tout le monde; elle
en parle à Cécile elle même. Nous avons
peine à concevoir comment Miff Beverley ,
qui ſouvent ſe trouve embarraſſée par cette
idée fauſſement répandue , ne prend pas le
parti de la démentir hautement ; comment
fur tout elle ne s'en explique pas avec Mortimer
, qui lui fait connoître affez clairement
ſes ſoupçons à cet égard . Cependant ,
comme nous ſavons qu'en Angleterre les
Ev
106 MERCURE
jeunes perſonnes ſe diftinguent par beaucoup
de réſerve & de modeſtie , & que ces
qualités précieuſes y font particulièrement
chéries de leur ſexe & honorées du nôtre , il
ſe pourroit que ce filence , qui nous paroît
extraordinare , ne paſsât pourtant point les
bornes de la vraiſemblance dans les moeurs
Angloiſes.
Quoi qu'il en ſoit, c'eſt dans cette ſituation
de jalouſie réciproque que Cécile part , avec
toute la famille Delvile , pour ſe rendre à
leur terre. Bientôt après y arrive Miladi
Pemberton , dont les remarques malignes &
les propos inconſidérés ajoutent , à chaque
inſtant , à l'anxiété de la jeune Miff. Mortimer
y conferve d'abord , encore plus qu'à la
ville, fa conduite froide & réſervée ; mais
toute ſa prudence vient enfin échouer contre
une occafion imprévue.
Parmi les ſcènes intéreſſantes que fournit
le ſéjour à la campagne , on diftingue furtout
celle d'un orage , qui ſurprend Miff
Cécile & Miladi Pemberton , toutes deux
éloignées du château ; Mortimer arrive à
leur ſecours Là , notre jeune ſage oublie
toutes fes réſolutions , & ſe livre entièrement
au fentiment qu'il éprouve . Jamais
l'amour ne fut peint fous des couleurs plus
vraies. Toutes les actions , tous les difcours
de Mortimer partent de ſon coeur , & pénètrent
celui de ſon amante. Amoureux & non
pas feducteur , il ne parle point d'amour ,
mais l'amour le fait parler. Il ne raconte pas
DE FRANCE.
107
ſa paſſion , il la montre; & , ce qui nous paroît
admirablement obſervé , de ce moment
Cécile rentre dans tous les droits de ſon ſexe.
Elle ſe rappelle avec ſévérité la conduite difparate
de Mortimer ; & tandis qu'elle n'éprouve
que tendreſſe & fatisfaction , elle ne
montre que rigueur & colère. Elle va juſqu'à
refuſer les ſoins de Mortimer, & l'infortuné
jeune homme s'éloigne enfin ſans être pardonné.
Tous ceux qui ont connu l'amour , favent
combien l'aveu de ce ſentiment en augmente
l'empire ; Mortimer l'éprouve, &, tourmenté
par une paffion qu'il croit encore malheureuſe
, ſans confolation & fans reſſources
contre des obſtacles qu'il prévoit invincibles ,
bientôt la ſanté s'altère ; l'alarme eſt géné
rale , & le Médecin eſt mande. Ce Médecin
connoît la véritable cauſe de la maladie de
Mortimer ; il ſait auſſi que l'abfence & les
diſtractions en font, non pas le sûr , mais le
ſeul remède. Il conſeille les eaux de Bristol ,
&Mortimer ſe décide à partir. Mais avant
ce départ , il a une converſation avec Cécile
, & elle y apprend de lui - méme que
le changement de nom exigé par le teſtament
du Doyen , ne lui permet pas de fonger à
devenir jamais l'heureux époux de l'aimable
héritière. Mme Delvile , qui a lû dans le
coeur de la jeune perſonne , augmente encore
ſa douleur par ſes réflexions ſages , mais
cruelles. La tendre Miff enfin , n'a plus de
momens fupportables que ceux qu'elle paſſe
Evj
103 MERCURE
avec Fidèle , le chien favori de Mortimer.
C'eſt le compagnon des promenades folitaires
de la belle affligée ; c'eſt le confident
que ſon coeur a choiſi ; ce n'eſt qu'à lui
qu'elle oſe parler de ſon amour ; & ce foible
foulagementde ſes peines devient bientôt
la plus douce habitude de ſon coeur.
:
Peu de temps après , Mill Beverley part
du château , n'emportant pas même l'eſpoir
d'y revenir un jour. Elle ſe retire chez la
digne amie , Mme Charlton. Elle y retrouve
une partie de ſes anciennes connoiffances ;
mais tout autre intérêt diſparoît à l'arrivée
imprévue du véritable ami de Cécile , de
Fidèle,le chien de Mortimer. Nous regrettons
de fupprimer ici mille détails charmans;
mais nous croyons devoir paſſer an
moment où Cécile a l'heureux malheur d'inftruire
Delvile de tout l'amour dont elle
brûle pour lui . Elle ſe croyoit ſeule dans un
pavillon avec le bien aimé Fidèle, & confioit
à ce difcret confident & ſes chagrins &
fon amour. Tout à- coup Fidèle la quitte
avec vivacité , il court à la porte du pavillon;
aux accens de la joie bruyante , Cécile lève
les yeux , elle voit Mortimer , & ne peut
douter qu'il ne l'ait entendue.
Quelques critiques remarqueront peutêtre
que ce moyen n'eſt pas neuf, qu'il eſt
déjà employé dans la Paſtorale de Galatée ,
& qu'ily eſt mieux à ſa place; les converfations
amoureuſes entre les Bergères & les
chiens étant au moins d'une vérité de conDE
FRANCE. 109
vention. On pourra dire auſſi que cette déclamation
, un peu romanesque , eſt bien
foible auprès du filenee exprefifde la Princeſſe
de Clèves regardant le portrait de Nemours.
Mais qui pourroit voir ſans indulgence
, diſons mieux , fans interêr , le jeune
&modeſte Auteur de Cécilia , partager en
quelque forte l'embarras de ſon Héroïne ,
pour faire le pénible aveu d'un amour que
le mariage ne doit pas autoriſer.
La connoiffance des ſentimens de Cécile
ajoute encore à la paſſion de Mortimer , tandis
qu'elle rend plus difficile la défenſe de
l'aimable Miff; les deux amans ne ſe ſeparent
qu'après être convenus d'un mariage
fecret,& en avoir fixé le jour. M. Monckton
eſt mis dans cette importante confidence; &
malgré tous ſes efforts pour détourner Cécile
de cette réſolution , il ne peut empêcher
qu'elle n'aille , au jour convenu , rejoindre
Mortimer. Il faut voir dans l'Ouvrage même
le tourment que lui cauſe la rencontre qu'elle
fait, fur le chemin , de toute l'ancienne ſociété
de M. Harrel. Cette ſcène de fâcheux
n'auroit peut- être pas été déſavouée par Mo.
lière. Enfin Cécile arrive à Londres. Dès le
lendemain l'heureux couple ſe préſente au
temple , & rien ne paroît plus pouvoir troubler
leur bonheur; mais au moment où le
Miniſtre adjure les aſſiftans de déclarer s'ils
ont quelque empêchement à mettre à ce
mariage , une femme s'écrie: Je m'y oppose,
& diſparoît ſoudain. La cérémonie eſt autli
110 MERCURE
tôt interrompue; on cherche cette femme ,
& on ne la trouve point. Delvile , qui proteſte
de ſon innocence , veut que la célébration
ſe continue ; mais Cécile , déjà alarmée
de ſa démarche irrégulière, s'obſtine dans ſes
refus , & fort de l'Églife. Rentrée chez elle ,
elle n'y voit Delvile que pour lui déclarer
que rien ne pourra la décider à une ſeconde
démarche tant qu'elle craindra de déplaire à
Mme Delvile ; & Cécile enſuite reprend
triſtement la roure de Bury.
Trois jours après , Mme Delvile arrive.
Elle a été informée de tout ce qui s'eſt paffé ,
& elle vient engager Cécile à renoncer
d'elle même à un mariage qui jamais n'aura
l'aveu d'une famille dont il ruineroit l'efpoir.
Notre généreuſe Héroïne y confent.
Mais Mortimer , qui arrive preſque auflitôt ,
eft loin de ſouſcrire à ces cruelles réfolutions.
Dans une entrevue avec ſa mère &
Cécile, il déclare au contraire que Cécile eſt
à lui , que nulle puiſſance ne peut l'en féparer.
Les promeſſes ne lui ſuffiſent pas , il
y joint les fermens. Mme Delvile , dont la
fermeté ne s'eſt point démentie juſqu'alors ,
porte en ce moment la main à ſon front ,
s'écrie qu'elle a la tête en feu , & fort brufquement
de la falle. Cécile effrayée ſe dégage
des mains de Delvile ; Delvile conſterné ,
fort pour rejoindre ſa mère: il la trouve dans
la pièce voiſine , étendue fur le plancher &
noyée dans ſon ſang. Cet accident étoit , par
fa nature , plus effrayant que dangereux ;
DE FRANCE. II
mais il a rendu des forces à Cécile , & a
abattu celles de Mortimer ; tous deux , de
concert , viennent ſe mettre aux pieds de
Mme Delvile , & lui jurer une entière foumiſſion
à ſes volontés.
Cécile reſtée ſeule & fans efpoir , perd fa
digne amie Mme Charlton , & fe trouve
par- là obligée de changer de domicile. A la
vérité , elle eſt devenue majeure, & peut habiter
chez elle; mais ſa maiſon n'eſt pas
prête pour la recevoir , & elle va demeurer
chez M. Monckton . C'eſt avec lui qu'elle va
à Londres pour les arrangemens à prendre
avec ſes deux tuteurs. Cette entrevue entre
MM. Delvile & Briggs donne heu à une
ſcène plus dans le goût Anglois que dans le
nôtre , où la hauteur de M. Delvile eſt miſe
aux plus fortes épreuves. Celui- ci , reſté
ſeul avec Cécile , blâme affez durement fa
conduite ; il lui reproche fur tout ſa haiſon
avec M. Belfied,& les dettes ufuraires qu'elle
a contractées avec des Juifs . Ce dernier reproche
élève un premier doute contre M.
Monckton dars l'eſprit de Cécile , parce
qu'il étoit ſeul informé de cette affaire;
mais il parvient aiſément à détruire un ſoup.
çon que Miff Beverley ſe reprochoit comme
un outrage fait à l'amitié. Cependant elle fe
prépare à quitter Londres ; & avant de partir
, elle va , pour la dernière fois , revoir fa
chère Henriette.
Nous avons déjà remarqué que Cécile
n'entre point dans la maiſon de M. Belfied
112 MERCURE
ſans y être ſurpriſe. Elle l'eſt cette fois par
M. Delvile le père , qui y venoit pour éclaircir
ſes doutes. Il s'adreſſe à Mme Belfied .
Celle ci lui dit , & lui répète qu'en effet
Cécile ne demanderoit pas mieux que d'épouferM.
Belfied; mais que le jeune homme ,
trop timide ou trop modeſte , ne profite pas
de ſes avantages. Cécile entend cette converfation
d'une chambre voiſine , & ne fait
pas prendre fur elle de ſe montrer & de démentir
ces abſurdes propos. Dans ces entrefaites
, M. Belfied , qui n'étoit pas chez lui , y
rentre , & va droit à la chambre où font Cécile
& Henrietre , parce que ceſt celle qu'il
occupe. Un moment après , & par d'autres
événemens , M. Delvile & Mine Belfied entrent
dans cette même chambre , & y trouvent
Cécile en tiers avec le frère & la ſoeur.
Cécile déconcertée , eſſaie de ſe juftifier; mais
elle est loin d'y mettre la force néceſſaire ,
&M. Delvile ne nous paroît pas iniuſte , en
fortant perfuadé de la vérité de ſes ſoupçons.
L
Cécile revenue dans ſa Province , s'établit
dans la maiſon qui lui appartient. Elle y recueille
Mme Harrel; elle y appelle Henriette
; elle y voit ſouvent Albany; & , libre
dans ſa conduite , elle partage ſon temps entre
les occupations utiles , les diſtractions
honnêtes & l'exercice de ſon active bienfaiſance.
Un hiver s'étoit paffé ainfi , & Cécile
étoit , non pas heureuſe mais tranquille ,
quand Mortimer revint de nouveau auprès
DE FRANCE. 113
d'elle. M. & Mme Delvile avoient confenti
que leur fils épousât Cécile , pourvu qu'elle
renonçât à la ſucceſſion du Doyen ; par ce
moyen , Mortimer garderoit ſon nom , &
ſes parens approuvoient , à cette condition ,
que la jeune Miff n'apportât pour dot que le
bien qu'elle avoit reçu de ſes pères. Qu'on
ſe rappelle ici que le patrimoine de Cécile
eſt entièrement diffipé, & qu'on juge de ſa
Gtuation , Elle est obligée d'apprendre à Mortimer
que la condition impoſée eſt impoffrble
à remplir. Dans la trite explication qui
fuit cette nouvelle , Cécile apprend que M.
Delvile père a communiqué tous les foupçons
à ſon fils , & on voit qu'elle vient d'en
confirmer une partie; mais elle ſe juſtifie
facilement fur tout le reſte , & Mortimer
repart plus amoureux que jamais; il va retrouver
la mère , il la fléchit , & obtient
enfin ſon conſentement à ce mariage.
A la vérité , M. Delvile père n'y conſent
pas; mais Cécile n'eſt liée par aucune promeſſe
avec M. Delville , de qui elle a toujours
eu à ſe plaindre. Elle a promis au contraire
, & promis avec ſerment , de ſe laiſſer
toujours guider par Mme Delvile; la tendre
Milf confent donc à ce mariage. Le Lecteur
partage avec les deux jeunes époux l'inquiérude
que leur donne pendant tout le temps
de la célébration , le ſouvenir de cette voix
fatale , qui déjà une fois a renverſé leur bonheur;
mais la cérémonie s'achève ſans obftacle.
114
MERCURE
La convention & la néceflité du ſecret ,
obligent les deux époux à ſe ſéparer auflitor.
Mortimer part pour aller inſtruire ſon père,
&doit aller enſuite accompagner ſa mère ,
que ſa ſanté oblige de voyager hors du
Royaume. Cécile retourne dans ſa Province,
& , deux jours après , elle y découvre que
• la perſonne qui avoit mis oppofition à la
première célébration de ſon mariage , n'étoit
autre que Miss Bennet , la complaiſante de
M. & Madame Monckton. C'eſt pour s'affurer
de ce fait , qui réveille tous ſes ſoupçons
, que Cécile envoie chez M. Monckton ;
mais fon meſſager revient , & lui apprend
queM. Monckton vient d'être rapporté mort
chez lui.
Preſque an même inſtant , Cécile reçoit
un billet de Delvile , & bientôt il arrive
lui- même ; c'eſt lui qui s'eſt battu contre
Monckton , qui , à la vérité , n'eſt pas
mort , mais dangereuſement bleffé. Ce combat
étoit la ſuite de l'indignation de Delvile,
en apprennant que c'étoit ce fourbe adroit
qui avoit donné à M. Delvile père , tant
de préventions défavorables ſur le compte
de Cécile ; mais cette vengeance , pour être
juſte , n'en redouble pas moins les chagrins
& l'embarras des deux nouveaux époux. Elle
rend ſur tout le départ de Delvile plus néceffaire
que jamais , & il s'éloigne de nouveau.
A peine eſt - il parti , qu'un nouvel
incident vient ajouter encore aux chagrins
de Miſs Beverley ; ſon mariage a tranſpiré
DE FRANCE.
115
on fait que Delvile eſt ſon époux , & il n'a
pas pris le nom de Beverley. Enconfèquence,
un M. Eggleston fait fignifier qu'il rentre ,
par ce mariage , en poffeffion de tous les
biens du Doyen de ***, les conditions du
teſtament n'ayant point été remplies.
Cécile n'a rien à oppoſer à cette réclamation
légale ; mais quel parti prendra t-elle ?
Elle ſe décide à confulter M. Delvile père ;
elle lui fait l'aveu de fon mariage & le
ſupplie de vouloir bien régler lui -même
la conduite que doit tenir la femme de fon
fils ; mais l'orgueilleux M. Delvile refuſe
tout conſeil , dans la crainte qu'on n'en
puiſſe conclure qu'il ait confenti en rien à
une ſemblable alliance. Alors Cécile ne ſe
voit plus d'autre reſſource que de paſſer en
France pour y rejoindre ſon mari.
Ce départ forçoit Madame Harrel de retourner
dans la triſte habitation de M. Arnott.
La crainte de la folitude où elle alloit
ſe trouver , lui fit defirer d'emmener Henriette
avec elle ; & Cécile y confentit d'autant
plus volontiers , qu'elle conçut auffitôt
l'eſpoir d'unir un jour Henriette & M. Arnott
,& de conſoler ainſi deux coeurs qu'elle
avoit involontairement affligés. Henriette ,
à qui toute deſtination étoit égale , puiſque
toutes la ſéparoient de ſa chère Cécile , accepta
la propoſition de Madame Harrel ; &
notre héroïne partit enfin , emportant les
bénédictions de tous ,& juſqu'aux regrets
de ſa rivale.
116 MERCURE
Cécile , avant de paffer en France , ſe
rendit à Londres pour y prendre les éclairciſſemens
& les précautions néceffaires pour
ce voyage ; & ne ſachant à qui s'adreſſer
pour ces différens objets , elle ſe fit defcendre,
à ſon arrivée , chez l'honnêteM. Belfied
, le ſeul homme qu'elle eût rencontré
juſqu'alors digne de ſa confiance. Pendant
ce temps , Delvile , qui a trouvé ſa mère
en meilleure ſanté , a pris la réſolution de
repaffer en Angleterre , pour y avoir des
nouvelles de l'état de M. Monctkon , pour
aller enſuite informer ſon père de fon mariage
, & enfin prendre les meſures convenables
pour le rendre bientôt publie. Il
arrive à Londres le même jour que Cécile ;
la première perſonne qu'il y rencontre , eſt
le domeſtique qu'elle y avoit amené ; & il
apprend de lui que Miſs Beverley eſt à
Londres , & qu'elle y eft chez M. Belfied.
Il s'y rend auffitôr. Cécile , toujours deſtinée
à être ſurpriſe dans cette maiſon , y est
trouvée , par ſon mari , en tête-à tête , &
preſque renfermée avec ce même M. Belfied
, au ſujet de qui elle a déjà été dans le
cas de ſe juftifier .
Nous avouons qu'on peut être ſurpris
que le premier ſoin de Cécile ne ſoit pas
d'apprendre à Delvile la raiſon de ce voyage
& les motifs de cette viſite. Afſurément
rien n'étoit plus aiſé que d'éclaircir en peu
de mots cet érrange myſtère ; & toutes les
réponſes de Cécile ſemblent , au contraite ,
DE
FRANCE .
117
devoir accroître les ſoupçons de Delvile.
Mais ſi l'on fonge avec quelle facilité ſe
trouble l'innocence accuſée , & combien ce
trouble prend plus d'empire encore ſur un
ſexe foible & ſenſible, qui , preſque jamais ,
ne perd ſa timidité que par la dépravation ;
qui ofera nier que la modeſte Cécile , entourée
pour la première fois des apparences
du crime , n'ait pu reſter accablée ſous tant
d'humiliations , ſans avoir ni la force de les
foutenir , ni celle de les repouſſer ?
Delvile a déjà quitté Cécile , & rien encore
n'eſt élairci. La ſeule idée qui occupe
la nouvelle épouse , eſt le danger qu'elle
prévoit que ſon époux va courir ; elle fent
qu'ilva chercher Belfied , & c'eſt là ſur tout
ce qu'elle veut prévenir. Elle retourne chez
celui ci ; elle y apprend qu'en effet ils font
fortis enſemble. Elle s'informe , elle les fuir,
& ſes recherches font vaines. Elle ſe préſente
à l'hôtel de Delvile, où ſon mari lui a ordonné
de te rendre , & M. Delvile père lui en fait
refufer l'entrée. Elle
recommence ſes recherches
& ſes courſes. La fatigue , le chagrin
, l'inquiétude , lui caufent une fièvre ardente.
Son eſprit s'aliène. Dans ſon délire ,
elle court les rues de Londres en demandant
fon mari. Elle tombe enfin , de laſſitude
, dans la boutique d'un Prêteur fur
gages , qui la recueille , non par pitié , mais
dans l'eſpoir qu'il enviſage d'une récompenſe
à obtenir. Afes diſcours on la croit
une folle échappée , & on l'enferme en
118 MERCURE
attendant qu'on la réclame. Les traitemens
barbares qu'on lui fait éprouver augmentent
fon mal ; & quand ſes amis la retrouvent ,
on n'eſpère plus rien ni de fa raifon , ni de
ſa ſanté. Là commence une ſcène du plus
grand effet , & dont l'intérêt augmente &
varie à raiſon des perſonnages qui ſe montrent
: tendre ayec Henriette , déchirante
avec Delvile , impoſante & majestueuſe
avec Albani ; tous les caractères y font foutenus
, tous les ſentimens y font vrais , tout
y eſt parfaitement à ſa place ; ce morceau
nous paroît enfin un chef- d'oeuvre de ſenſibilité
& de talent.
Cependant les ſoins qu'on donne à Cécile
ne ſont pas infructueux. Sa ſanté revient ,
& ce violent orage a préparé le calme général
. M. Delvile le père , inſtruit de ce qui
ſe paſſe , ſe reproche d'avoir refuſé un aſyle
à cette infortunée. Il ſe regarde comme la
cauſe de ſes malheurs ; le repentir ouvre
fon coeur à la clémence ; il pardonne enfin ,
& confent à recevoir chez lui les deux
jeunes époux. Miſs Burney nous apprend
enfuite qu'Henriette épouſe M. Arnott ;
que Madame Harrel ſe remarie à un riche
particulier ; que Belfied obtient une place
qui le met dans le chemin de la fortune ;
que M. Monckton , qui n'eſt pas mort des
ſuites de ſa bleſſure , reſte ſeul , malheureux ,
& livré à ſes remords. Pendant ce temps ,
Madame Delvile la mère , dont la ſanté s'eſt
rétablie , eſt revenue en Angleterre , & y
DE
FRANCE .
vit heureuſe , chérie & reſpectée de ſes en- 119
fans . Enfin notre héroïne ſe concilie l'affection
de tout ce qui l'entoure. Les parens de
Delvile ſemblent ſe diſputer l'avantage de
dédommager l'heureux couple du ſacrifice
qu'ils ont fait de la fortune du Doyem ; & les
tendres époux jouiffent enfin paiſiblement
d'un bonheur fi long-temps attendu , & fi
bien mérité.
En rendant compte de cet Ouvrage , il
nous a été facile d'en relever les défauts ,
tandis qu'il nous étoit impoſſible d'en faire
connoître les beautés. Cette
conſidération
nous engage à réſumer ici notre opinion ,
non par la vaine prétention d'influer fur
l'opinion des autres , mais par un ſentiment
de juſtice qui ne veut pas qu'on diſe le
mal & qu'on diffimule le bien. Nous croyons
donc qu'on peut reprocher à Miſs Burney
de ſe ſervir trop ſouvent des mêmes moyens,
& quelquefois d'en employer de trop foibles;
comme auſſi de ſe laiffer entraîner
trop facilement par des détails , par des
ſcènes entières , qui ne ſervent ni à l'intérêt
de l'action , ni au développement des caraetères
; enfin , de ramener trop ſouvent des
perſonnages peu utiles qui ne peuvent
inſpirer qu'un intérêt de curioſité , & que ,
par- là même on ne defire plus de revoir
du moment qu'ils ſont connus. Mais
nous devons dire auſſi que fon Ouvrage
nous paroît d'une grande conception &
d'un vif intérêt ; qu'il poſsède éminemment
le mérite de peindre les moeurs &
1
126 MERCURE
les uſages ; qu'il eſt rempli d'obſervations
fines & profondes ; qu'en général , les caractères
& les ſentimens y ſont vrais & bien
foutenus ; que la morale en eſt attrayante
& pure. Nous penſons enfin que ce Roman
doit être compris parmi les meilleurs Ouvrages
de ce genre : en exceprant toutefois
Clariffe , celui des Romans où il y a le plus
de génie ; Tom Jones , le Roman le mieux
fait ; & la Nouvelle Héloïte , le plus beau
des Ouvrages produits ſous le titre de Roman.
DOUTES fur différentes Opinions reçues
dans la Société. Troiſième Edition , revue
& augmentée. A Londres , & ſe trouve à
Paris , chez Barrois l'aîné , Libraire , Quai
des Auguſtins , du côté du pont S. Michel ,
1754. 2 petit vol. in 12 .
Nous n'avons pas le droit de parler trop
ſouvent ni trop long-temps d'un même Quvrage.
On attend de nous une forte de juftice
diftributive , qui nous oblige de ménager
l'eſpace confacré aux extraits de Littérature.
S'il pouvoit y avoir une exception à cette
règle , ce ſeroit en faveur d'un Livre auſſi
penſé , auſſi rempli de vérités fines ou profondes
, que celui dont nous annonçons cette
nouvelle Édition , la troiſième en quinze ou
dix huit mois; nous nous felicitons d'avoir
préſagé le ſuccès , & fenti d'abord le mérite
de ce Livre; mais l'étendue qu'on a donnée à
l'extrait
(
DE FRANCE. 121
l'extrait de la ſeconde Édition nous interdit
le plaifir de nous étendre fur cette troiſièine ;
nous nous bornerons à dire qu'elle eſt ſupé,
rieure aux precédentes , parce qu'elle eſt augmentée
; tant d'autres Livres gagneroient à
être diminués !
Les nouveaux Chapitres font , celui
de la Bêtife. Il rappelle le ſentiment de cet
ambitieux qui auroit mieux aimé être le premier
dans un village que le ſecond dans
Rome; on aimeroit mieux auſſli , pour fon
bonheur & pour l'amusement des autres ,
être parfait , être le premier dans le genre
dont il s'agit, qu'un des derniers dans le gen
re oppoſé. Au reſte , quoique la ſuprême
ignorance ſuppoſe toujours beaucoup de bê,
tiſe , l'erreur qui défigure les mots ou qui
en défigure le ſens , appartient plus à l'ignorance
qu'à la bêtiſe proprement dite : une
femme d'eſprit ignorante ne peut même s'en
préſerver entièrement, que par un fermepropos
de ne jamais employer un ſeul mot dont
elle ne connoiſſe parfaitement la ſignification
, & même l'étymologie.
2°. Le Chapitre de la Bienséance. Il eſt
des bienféances de convention; il en eft
d'état ; il en eſt de poſition ; il en eſt d'âge.
Toutes ces differentes bienséances , avec la
manière dont on les obſerve , dont on les
néglige , dont on les viole , ſont claffées &
diftinguées ici avec la préciſion la plus philofophique.
3. Nous aimons encore mieux , s'il eſt
N°. 20 , 1 ; Mai 1784
122 MERCURE
poſſible , le Chapitre de l'Efprit conciliant ,
&nous l'adoptons tout entier ſans modification
ni teſtriction .
4. Duſtyle élégant , du ſtyle faux & du
Style peu naturel. L'évidence fur ces matières
n'eſt jamais allez forte pour qu'on ne puiffe
pas toujours diſputer. Il eſt très vrai , quoique
l'Auteur paroiſſe en douter , que des
mots changent de ſignification avec le tems ;
&il faut bien que le Public fe foumette à
ces changemens , puiſque c'eſt lui qui les
fait; ce ſeroit même la partie la plus curieuſe&
la plus utile de la méraphyſique des
langues , de ſuivre la route par laquelle certains
mots ont paffé de leur fignification originaire
& naturelle , à leur fignification actuelle
& acquiſe ; mais l'Auteur détigne &
eritique avec raiſon certains novateurs fanariques,
qui, de leur autorité privée, altèrent &
dénaturent la langue par un bizarre emploi
&de bizarres alliances de mots ,
:
Qui , par force & fans choix enrôlés ,
Heurlent d'effroi de ſe voir accouplés.
Comme Rouſſeau l'a dit avec plus d'énergie
que de goût.
5. De la Délicateffe. Excellent Chapitre
encore. L'Auteur a raiſon , & celui qu'il critique
n'a pas entièrement tort . Ce mot d'une
femme à fon mari , qui regrettoit ſa première
femme : Ah ! Monfieur , qui la regrette
plus que moi ? a toute la délicateffe
que comporte le genre épigrammatique &
DE FRANCE. 123
ſatyrique ; mais alors elle s'appelle fineſſe ,
&la delicateſſe appartient au gente laudatif;
pour qu'un mot , pour qu'un tentiment foit
ſuſceptible de delicateſſe , il faut qu'il ſoit
favorable , & non pas contraire ; c'eſt ce
queprouvent les exemples cités par l'Auteur.
6°. Duſtyle Épistolaire. L'Auteur fait voir
par la diftinction des genres & des ſujets ,
qu'onne fait pas tropbien ce qu'on dit quand
on parle duſtyle épiſtolaire. Il en eſt de même
du ſtyle de l'hiſtoire. Tout le monde prononce
ce mot & croit l'entendre , & il n'y
a point deflyle de l'histoire.
7°. On trouve à la fin du ſecond volume
la réponſe à quelques objections faites
contre le Livre des Doutes, dans l'extrait de
la ſeconde Édition.
En général ce Livre eſt unde ceux qui font
le plus penſer , qui diſſipent le plus d'erreurs
, qui rectifient le plus d'idées. L'Auteur
penſe & s'exprime preſque toujours ou avec
l'audace brillante du génie , ou avec l'agrément
piquant de l'eſprit. Nous croyons qu'il
occupera dans la poſtérité une place honorable
parmi les la Bruyère , les la Rochefoucauld
, les Vauvenargues , &c.
ij
124 I MERCURE
A
ÉTRENNES du Parnaffe , on Choix de
Poésies. AParis , chez Brunet , Libraire ,
place du Theatre Italien , & les Marchands
deNouveautés. 1
Ce n'eſt pas , dit on , l'enfant à qui on
fait le plus changer de maîtres , qui eſt ordi .
nairement le mieux élevé. Cet apophtegme ,
ou ce proverbe , est très - applicable au
choix de Poéfies dont nous allons rendre
compte. C'étoit M. le Prévôt d'Exmes qui le
rédigeoit il y a deux ans ; c'eſt M. *** qui
s'en est chargé l'année paffée ; & avant M. le
Prévôt d'Exmes , il avoit paffé par beaucoup
d'autres mains, ſansjamais avoir eu un ſuccès
bien remarquable. Ce Recueil a pourtant
été toujours affez bien fait ; & s'il n'a pas eu
toute la vogue qu'il méritoit, il faut fur tout
Fattribuer à ſa mauvaiſe étoile ; car on ſait
que: Habentfua fata libelli.
Le nouveau Rédacteur annonce que dorénavant
il mettra tousfesfoins à ne préfenter
au Public que les productions des Auteurs en
poffeffion de lui plaire : il a déjà tenu ſa promefle
en partie.Ona remarqué dans le Recueil
de cette année , pluſieurs jolies Pièces
de MM. de la Louptière, Silvain Maréchal ,
de Piis , Mérard de Saint-Juſt , le Chevalier
de Cubières , Sabathier de Cavailhon ,
Baudrais , &c. Feu M. Saurin , qui , autrefois
, a eu le même avantage , doit l'avoir encore
pour une chanson fort agréable , ſur un
DE FRANCE 125
ſujet fort rebattu,fur le Nouvel An. Le premier
couplet de cette chanson eſt fort piquant.
Le voici :
:
Dans ce jour que d'embraſſemens
Qui ſont pure grimace ?
Que de feu dans les complimens !
Dans les coeurs que de glace!
Tel charme par les voeux qu'il fait ,
Sa moitié laide ou belle ,
Qui , tout bas , lui fait le ſouhait
De la vie éternelle.
Le coupler ſuivant , d'une tournure un
peumoins railleaſe , offre une peinture charmante
de l'Aniour & de l'Amitié, ſujets qui
ne ſont pas moins rebattus que celui du
NouvelAn.
L'Amitié , chère en tous les temps ,
Conſole le vieil âge ;
Elle eſt , ſur-tout dans les vieux ans ,
Le vrai tréſor du ſage....
De l'Amitié les feux conftans
N'ont qu'une douce flamine ;
L'Amour est le beſoin des fens
Elle eſt celui de l'âme.
On mérite bien d'avoir des amis ,&même
une maîtreffe , quand on fait d'auſſi jolis
vers. M. Baudrais en a adreſſe à M. de la
Harpe qui ſont d'un genre plus élevé , &
ont de la vérité & de la nobleffe. M. de
Fiij
126 MERCURE
1
la Harpe, comme on fait , a enrichi notre
Théâtre d'un des plus beaux monumens de la
Poéſie Dramatique des anciens , en y mettant
Philoctete de Sophocle. M. Baudrais a célébré
le ſuccès de M. de la Harpe, Voici fa
Pièce ; il nous eſt permis de la citer en entier
, parce qu'elle eſt courte.
Quand Sophocle à grands traits peignant les paſſions,
Des peuples de l'Attique enlevoit les fuffrages ,
Sans doute il étoit loin de s'attendre aux hommages
Qu'à fon mâle génie aujourd'hui nous rendons.
Mais fi dans l'Elysée il entendit Corneille ,
Et l'Auteur d'Athalie , & l'Auteur de Pyrrhus ,
Et celui qui peignit Mahomet & Brutus ;
Si ton nom quelquefois a frappé ſon oreille ,
Et s'il a reconnu de ces illuſtres morts
La touche vigoureuſe & les tendres accords ,
Aux fureurs de Warwick , aux pleurs de Mélanie;
S'il ſentiede tes vers la grâce& l'harmonie ,
Il dut croire la France , accoutumée enfin
Ace fublime fimple , à ce vrai beau qui dure
Antant que fon modèle , autant que la Nature.
De Sophocle pourtant le triomphe eſt certain :
Dès long-temps,parmi nous , on retrouvoit à peine
Les traces que jadis y laiſſa Melpomène ;
Et l'ombre de ce Grec , évoquée à ta voix ,
L'a ramenée encore en ces lieux qu'autrefois
Ses regards fatisfaits euſſent pris pour la Grèce ,
Ont'y doit le retour de la docte Déeſſe.
DE FRANCE.
127
Puiſſe- tu , l'y fixant par de nouveaux efforts ,
Ola Harpe ! envers elle effacer tous nos torts !
Voilà un ſouhaitque nous formens bien
fincèrement , ainſi que M. Baudrais. La Tragédie
des anciens étoit ſimple ; une ſeule ac
tion ſuffifoit à Sophocle pour faire cinq
Actes qui raviffoient , qui enchantoient les
Spectateurs , & dans lesquels même il n'y
avoit rien de vuide. On aime beaucoup à
préſent ces Pièces que Corneille appeloit
Implexes , Pièces, dont le genre eſt un peu
contraire à la vraiſemblance & à la belle
ſimplicité grecque.
M. Baudrais eſt encore l'Auteur d'un vaudeville
, intitulé : le Siècle préſent', qui eft
compoſé de ſeize couplets, dont voici le
refrein : • ye
Toujours fronder, toujours médire ,
DesChanfonniers telle eft le goût:
Pour moi , j'abjure la fatyre;'
Etfais me contenter de tout.
Cé refrein eſt agréable, & le couplet ſuivant
ne l'eſt pas moins.
Peintres , Orateurs & Poëtes,
Hiſtoriens , Romanciers,
Et les Journaux & les Gazettes ,
Tous moraliſent volontiers:
1
Chaque jour voit naître un programme ,:
Dont la vertu foule eſt l'objet ;
1
7
Fiv
128 MERCURE
Chaque jour voit tomber un Drame
Dont la vertu fut le fujet.
د
M. Baudrais , dans ce vaudeville , paffe
en revue toutes les découvertes nouvelles
le Bateau Volant ,le Sourcier Bleton , le
GlobeAerostatique, le Magnétiſme Animal ,
&c.... & les fronde avec eſprit , quoi qu'ayant
L'air de les approuver. Mais tous fes couplets
ne font pas auffi bons que le précédent. Nous
pourrions , par exemple , blâmer avec raifon
les expreffions & les idées de celui qui
fuit , fur l'Anti méphitique.
Pour accroître notre eſpérance ,..
En Chimie , un fameux Docteur ,
Aux caffolettes de Provence;
Ote à la fois crédit , honneur ;
Chaque maiſon ſe voir pourvue
D'un parfum,dit-il pou goûté :
Quelqu'acide! & je le tranfmue
En baume de falubrité.
10. Nous avons fait pluſieurs citations des
Pièces de M. Baudrais , parce que les cinq
qu'il a fait inférer dans les Étrennes du Parnaffe
n'avoient encore paru nulle part. Il
n'en eft pas de même de beaucoup d'autres ;
& l'on feroit peu fatisfait de les y voir, ſi
elles n'avoient pas un métite plus ſolide que
celui de la nouveaure.
Outre des vers de M. le Chevalier de
DE FRANCE.
129
Cubières , fur les prodiges des Sciences &
des Arts , il y a du même Auteur une Épître
à une jolie Tête qu'on voudroit changer; elle
eſt beaucoup moins connue , & mérite que
nous en citions une partie :
Tête , qui de ton ſexe es la gloire & l'honneur ,
De vouloir te changer un mortel à l'audace !
O l'inſenſé réformateur !
Quelle autre eſpère-t'il pouvoir mettre à ta place?
Seroit-ce la tête à l'évent
:
De la jeune & vive Delphire ,
Que l'on voit tourner ſi ſouvent
Au moindre ſouffle du Zéphire ?
Seroit - ce , &c.
1
Après avoir fait le portrait de pluſieurs
têtes beaucoup moins aimables que celle
qu'on voudroit changer , M. le Chevalier de
Cubières termine ſa jolie Épître par les vers
ſuivans :
Seroit-ce... Mais quoi donc ! dois-je épuiſer les traits
De mille têtes ſans attraits ,
Et qui ſont toujours ſous les armes
Pour des triomphes imparfaits ?
Tête que j'adore , ah ! permets
Que, las de ces tableaux ,j'oſe eſquiſſer tes charmes.
Toi ſeule , ſur les tendres coeurs ,
Mérites d'obtenir l'empire;
Fv
130
MERCURE
Si l'on échappe à tes regards vainqueurs ,
Échappe-t'on à ton ſourire ?
Ton ſourire charmant fubjugueroit les Dieux ;
Et le ciel tout entier n'eſt-il pas dans tes yeux ?
Cette Reine des fleurs , dont le printempss'honore ,
La roſe fixe tous les voeux ;
Mais , enlacée à tes cheveux ,
Elle les fixe plus encore.
Fleur toi - même , de ton éclat
Tu pares la fleur la plus belle;
Telle on voit la couleur d'un pastel délicat
Pâlir auprès de fon modèle;
Et ton front ingénu , fiège de la candeur ,
Oferai-je auffi le décrire ?
Qu'apperçois -je ! ... il rougit ! ...O divine pudeur!
Je l'entends , c'en est fait , &je ſuſpends ma lyre
Aux autels que lui doit mon coeur.
Le nouvel Éditeur des Étrennes annonce
que l'année prochaine , ( ſans retrancher fur
la quantité des poéſies ) il commencera à
donner à la fin du Volume, une notice de tous
les différens Ouvrages qui auront paru dans
le courant de 1784. Si cette notice tient un
milieu entre l'éloge & la ſatyre ; s'il y règne
de l'impartialité & du goût , & fi le Rédacteur
choiſit des Pièces auſſi agréables , mais
moins connues, il eſt certain que les Étrennes
du Parnaſſe deviendront de véritables étrennes
pour le Public; & que ſans avoir le def
DE FRANCE. 131
ſein de leur nuire , il pourra , à l'exemple
de M. Saurin ,
Leur faire tout bas le ſouhait
De la vie éternelle. ف
1
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations des Danaïdes continuent
d'attirer beaucoup de monde , fans
cependant exciter ces applaudiſſemens vifs
& répétés qui conſtatent les grands ſuccès.
Nous croyons en effet que malgré le mérite
du Poëme , les grandes beautés dont la muſique
eſt pleine , la pompe & la variété du
Spectacle , chacune de ces parties laiffe à
defirer quelques changemens effentiels pout
obtenir l'effet qu'on a droit d'attendre d'un
ſujet auffi propre à réunir toutes les richelles
du genre lyrique .
Quelques perſonnes , plus frappées fans
doute du fond du ſujet que de la manière
dont il eſt traité , le trouvent d'une atrocité
révoltante. Nous penſons au contraire
que les impreffions de terreur y font trop
affoib'ies , & les images douces & gaies trop
dominantes. Tout ce que l'action a d'horrible
ſe paffe hors de la Scène , & les yeux
Fvj
132 MERCURE
font continuellement frappés de tableaux
agréables. Comme les quarante-neuf foeurs
d'Hypermneſtre &leurs maris ne ſont jamais
en Scène , on ne peut ni être révolté de la
cruauté perfide des unes , ni s'intéreſſer au
fort des autres; l'intérêt ne porte donc que
fur Danaüs , Hypermneſtre & Lyncée , dont
les caractères & la ſituation ont éte regardés
de tout temps comme très propres aux
grands effets de la Tragedie. Nous ferons
d'ailleurs ici une obfervation qui nous paroît
importante: c'eſt que les ſujets les plus
terribles conviennent mieux au Théâtre Lyrique
qu'à la Tragédie ſeulement récitée ;
parce que la terreur y eft adoucie & tempérée
par les charmes de la muſique & de
la danſe , parce que la repréſentation même
en eſt moins vraie,& que l'illufion de la vraifemblance
y eft remplacée par l'illuſion de
tous les Arts. Nous répéterons ici ce que nous
avons dit dans le précédent extrait , que c'eſt
au défaut de variété, &de mouvement dans la
fituation des principaux perſonnages , qu'il
faut attribuer la longueur qui ſe fait ſentir
dans une partie de l'action : Danais n'a
qu'un ſentiment,& , pour ainſi dire , qu'une
ſeule attitude ; Hypermneſtre reſte trois Actes
dans la même ſituation ; Lyncée n'influe
pas affez ſur l'action pour y jeter beaucoup
d'intérêt; & ces défauts font d'autant plus
difficiles à corriger , qu'ils appartiennent encoreplus
au ſujet qu'à l'Auteur. Nous croyons
DE FRANCE.
133
cependant qu'ils pourroient être adoucis par
quelques changemens peu difficiles à faire ,
& qui nous paroîtroient avantageux. Par
exemple , le ſecond Acte eſt termine par un
monologue d'Hypermneſtre , de quarante
vers de recitatifcoupes par un feul air , & ce
long morceau n'exprime que les ſentimens
violens du deſeſpoir. Tout ce que dit Hypermneſtre
eft conforme à ſa ſituation & au
caractère que le Poëte lui a donne ; mais n'auroit-
il pas pu , avecune égale vérite, luidonner
dans ce moment un ſentiment plus tendre ;
lui faire faire un retour doux & touchant fur
le bonheur qui s'étoit offert à elle , & qui lui
échappe au moment où elle ſe croyoit ſi près
d'en jouir : Cette nuance auroit pu tout à-lafois
repoſer l'Actrice, varier ſes mouvemens,
& fournir au Compoſiteur un ſujet d'air d'un
chant ſenſible & melodieux ; caractère de
chant qui eſt trop rate dans cet Opera ; il
faut ſe ſouvenir que les ſentimens tendres
font ceux que la muſique exprime plus naturellement
& avec un effet plus heureux;
&que s'il faut ſe garder de prodiguer dans
les Drames Lyriques les airs de ce genre , il
faut ſe garder bien davantage de les éviter
lorſque le ſujet & la ſituation peuvent les
offrir.
Nous avons remarqué dans notre dernier
extrait , qu'au troiſième Acte Hypermneſtre
& Lyncée étoient oubliés au milieu des
danſes , peut-être trop continues , qui rempliſſent
la première moitié de cet Acte. On
134 MERCURE
voit ſur le devant du Théâtre ces deux perſonnages
, affis à côté l'un de l'autre , ſans
ſe rien dire , occupés comme des Spectateurs
indifférens à regarder les mouvemens
des Danſeurs. Cette fituation eſt non ſeulement
invraiſemblable pour l'action , mais
elle eſt encore deſtructive de l'intérêt , qui ,
n'ayant commencé qu'à la fin du ſecond
Acte , auroit beſoin d'être foutenu , ou tout
au moins rappelé aux Spectateurs . Le Poëte
n'auroit- il pas pu couper la danſe & les
choeurs , ou même les faire précéder par
quelques traits de monologue ou de Scène ,
où Lyncée & Hypermneſtre , toujours obfervés
& contenus par Danaüis , exprimeroient
,l'un ſon tendre empreſſement , l'autre
la perplexité & le trouble de ſon âme.
Ces changemens , & quelques autres encore
dont la repréſentation aura ſans doute fait
ſentir l'importance à l'Auteur , lui ſeroient
d'autant plus aiſe à faire , qu'il a prouvé
dans d'autres Ouvrages , & dans celui-ci
même , qu'il entend ſupérieurement la coupe
& la marche dramatique qui convient au
Théâtre Lyrique; on en peut juger par la
première Scène de l'Opéra , qui préſente un
tableau impoſant & vrai , où le récitatif , le
chant meſuré & les choeurs ſont unis de la
manière la plus heureuſe. Dans la Scène de
Danais & d'Hypermneſtre , qui ouvre le
quatrième Acte , & dans celle qui fuit entre
Hypermneſtre & Lyncée , le dialogue eſt
énergique , rapide & concis , moyennant les
DE FRANCE
135
retranchemens que l'Auteur y a faits luimême.
Dans la ſeconde Scène du cinquième
Acte , lorſque Danais demande à ſa fille ſi
Lyncée eſt mort ; elle répond :
Qu'ai- je entendu ! Lyncée ! il vit encore!
J'ai ſauvé mon époux ! je vous rend grâce , ô Dieux !
Ce mouvement , auſſi vrai que paſſionné ,
eſt du plus grand effet. Le ſtyle du Počime
eſt inégal ; on y trouve quelques vers durs ,
des conſtructions un peu forcées , & quelques
incorrections, mais en général il a de
la force , de la chaleur , & quelquefois de
l'imagination. D'ailleurs, la hardieffe & l'originalité
de la conception générale , la rapidité
de la marche , l'art des oppoſitions dans
les mouvemens & les tableaux mettent cet
Ouvrage fort au deſſus des compoſitions ordinaires
de ce genre.
On doit beaucoup d'éloges au zèle de
l'Adminiſtration , qui n'a rien épargné pour
donner à la repréſentation de cet Opéra
toute la pompe & l'éclat qu'il ſembloit
exiger.
Le ſieur Larrivée a joué le rôle de Danaüs
avec la chaleur & l'intelligence qu'on a
droit d'attendre de ſon talent & de ſon expérience.
Mlle Saint Huberty eſt dans ce rôle ce
qu'elle eſt depuis quelque temps dans tous
ceux qu'elle joue, au deffus de nos éloges
& même de nos critiques.
Le ſieur Lainezjoue celui de Lyncée avec
136 MERCURE
tout l'intérêt dont il eſt ſuſceptible.
Les autres principaux Sujets du Chant &
de la Danſe qui font chargés des rôles fubordonnés
de la Pièce les rempliffent avec
autant de zèle que de talent , & méritent à
ce titre la reconnoiffance & les éloges du
Public.
Nous parlerons dans le Mercure prochain
de la Muſique , des Balless & des Décorations.
ANNONCES ET NOTICES.
ES Les Veillées du Château , ou cours de Morale,
par l'Auteur d'Adèle & Théodore. 3 Vol. in- 8 °. Prix,
15 liv. A Paris , chez M. Lambert , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe , près S. Côme.
Le ſuccès d'Adèle & du Théâtre d'Education doit
exciter l'empreſſement du Public pour ce nouvel Ouvrage
de Madame la Comteſſe de Genlis. Nous en
rendrons un compte détaillé lorſque l'abondance des
matières nous le permettra.
:
La Gerusalemme Liberata , imprimée par Didot
l'aîné , ſous la protection & par les ordres de
MONSIEUR , rue Pavée Saint-André.
La rigueur de la ſaiſon qui vient de s'écouler a
augmenté les beſoins & diminué les moyens de les
fatisfaire; il n'est pas étonnant qu'elle ait retarde
les productions des Arts d'agrément & d'utilité. La
belle Entrepriſe de la Jérusalem Délivrée en a fouffert,
&dans l'Avis que nous annonçons on demande
à prolonger lapremière LLiivvrraaiiſonjuſqu'au mois de
Juin. Si la jouiſſance des Souſcripteurs ſe trouve
DE FRANCE 137
par-là retardée, ils ont au moins la ſatisfaction de
voir les beaux caractères qu'on employera , & qui
n'auront ſervi encore que pour cet Ouvrage.
2 Cette Édition eſt tirée au nombre de deux cent
Exemplaires ſeulement. MONSIEUR en ayant retenu
cinquante , il ne reſte plus que vingt- cinq
ſouſcriptions à remplir. Le prix de l'Exemplaire ,
compoſéde deux Volumes in-4°. ſur papier vélin
d'Annonay , & orné de quarante-une Planches , y
compris le Frontiſpice , ſera de douze louis. On ne
payera qu'à meſure qu'on recevra les quatre Livrai
fons qui en feront faites , c'est-à dire , quatre louis à
la première , qui fe fera en Juin prochain , quatre
louis à la ſeconde , qui ſe fera dix mois après , &
deux louis enfin pour chacune des deux dernières ,
qui ſe feront de dix en dix mois. On imprimera la
liſte des Amateurs qui auront donné leur promeſſe
de prendre un Exemplaire.
Le troifième & dernier Volume du beau Racine
in-4° , forti des mêmes Preſſes , paroît, & ſe vend
30 liv.
La Henriade ; avec des Commentaires , par
M. Paliffor , ornée du Portrait de M de Voltaire à
l'âge de vingt ans , belle Édition in - 8°. Prix ,
3 liv broché. Il en a été tiré cent Exemplaires fur
papier vélin, dontle prix eft de 12 liv. Cetre Éditien
fait honneur aux Preſſes du ſieur Moutard.
Nous parlerons de cet Ouvrage.
Le même Libraire vient de mettre en vente la
Vie du Maréchal de Villars , écrite par lui-même ,
&donnée an Public par M. Anquetil, 4 Volumes in-
12. Prix , 12 liv. reliés , & 10 liv. brochés. Cet Ouvrage
eſt aſſez important pour mériter auſſi une
mention particulière.
Le Marchand d'Esclaves , Parodie de la Cara
138 MERCURE
vane , en deux Altes & en vaudevilles , par MM. R.
&R. , repréſentée pour la première fois , par les
Comédiens Italiens ordinaire du Roi , le Mardi 27
Janvier 1784. A Paris , chez Bruner , Libraire , rue
deMarivaux, près de la Comédie Italienne .
On a ſuivi dans cette perite Pièce la marche de
l'Opéra parodié , c'est-à- dire , que cette Parodie eft
dans le genre des traveſtiſſemens. C'eſt une idée afſſez
heureuſe d'avoir profité de la Caravane pour mettre
en Scène les ballons ; la Pièce devient tout-à-la- fois
parodie & vaudeville. Les Spectateurs y ont applaudi
des coupletsbien faits , des traits de gaîté , quelques
épigramines, telles que cecoupletchanté par Huſca ,
le Marchand d'Esclaves , ſur l'air: J'arriveà piedde
Province.
ر
J'arrive ici de Province ,
Mon cher Tamorin ,
Etde contenter le Prince
J'ai l'eſpoir enfin.
Tu vas voir , dans mes emplettes ,
Du beau , du brillant ,
Des femmes belles , parfaites .
TAMORIN.
Propos de Marchand.
Et enfin le dénouement qui ſe fait par un ballon
avec cet autre couplet , ſur l'air: J'ai perdu mon âne.
De pareilles venues
Ne font pas inconnues;
Et nous voyons de temps en temps
De pareils dénoumens
Qui tombent des nues .
CHEFS -D'OEUVRES de l'Antiquitéfur les Beaux .
Arts , Monumens précieux de la Religion des
&
DE FRANCE.
139
Grecs& des Romains, de leurs Sciences , de leurs
Loix , &c tirés des principaux Cabinets de l'Europe
, gravés en taille-douce par Bernard Picart , &
publiés par M. Poncelin de la Roche-Tilhac ,Écuyer,
Conſeiller du Roi à la Table de Marbre , un Volume
in-folio . A Paris , chez l'Auteur , rue Garancière , &
chez Lamy , Libraire , quai des Auguſtins .
C'eſt à l'Auteur de cet Ouvrage , propoſé par
ſouſcription , que nous devons les Cérémonies Religieuses
*. Son but principal eſt de ſuivre rapidement
la naiſſance , les progrès & la décadence des
Arts chez les Grecs & les Romains , & d'indiquer
les principaux Morceaux d'Architecture , de Sculpture,
de Peinture& de Gravure qui enrichirent ces
deux Peuples. Le nomdu célèbre Bernard Picart doit
prévenir en faveur des Gravures qui accompagneront
l'Ouvrage ; il ſera terminé par une Notice qui
expliquera toutes les Gravures. Il eſt diſtribué en
quatre Cahiers , dont le premier paroîtra à la fin de
Mai , & les autres de mois en mois. Chaque Cahier
contiendra dix-huit Planches , qui , avec le Diſcours,
formeront un Volume affez conſidérable. Il y aura à
latête un Précis Hiſtorique ſur la Vie & les OEuvres
dePicart. On l'imprimera fur grand & petit papier.
Le prix du grand ,dont il ne ſera tiré que cinquanto
Exemplaires, ſera de 18 liv. le Cahier , & celui du
petit Is livres pour ceux qui ſouſcriront à la fin
d'Avril. Les Perſonnes qui avant cette époque n'auront
pas donné leur ſoumiſſion , payeront chaque
- Cahier du grand papier 24 livres , & celui du petit
21 liv. La ſouſcription ſera fermée au premier Juin ,
Comme les Planches qu'on donnera dans cet Ouvrage
ſe trouvent dans celui des Pierres gravées ,
on fournira à ceux qui poſsèdent celui ci le Texte
* Elles ſe vendent chez Laporte, Libraire , rue des
Noyers. :
140 MERCURE
ſéparément pour 18 liv. petit papier , & 24 livres le
grand.
TABLEAU Indicatifdes Vents , avec leurs noms ,
fur l'Océan ,fur la Mer Méditerranée &fur laMer
Noire , auquel on a joint une explication abrégée
dans laquelle ſe trouve indiquée la dénomination des
différens Vents que l'on éprouve en mer. Dreffé par
Dezauche , Géographe , ſucceſſeur des Sieurs Delille
& Phil. Buache , premiers Géographes du Roi . Α
Paris , chez l'Auteur , chargé de l'Entrepôt général
des Cartes de la Marine du Roi , rue des Noyers.
Prix , 1 liv. s ſols.
C'eſt chez le même que ſe trouve le Neptune
Oriental, par M. Daprès de Mannevilette.
ONZIÈME Cahier des Jardins Chinois à la mode ,
contenant les détails des Jardins de la Cour de
Wirzbourg , en fix planches , pluſieurs Kioſques &
Ruines , deſſinés à Trianon , à Rambouillet , à la
Chapelle près Nogent ſur-Seine , à Chaville , à
Dampierre. Total vingt planches. Prix , 12 liv. A
Paris , chez Lerouge , Géographe du Roi , rue des
Grands Auguſtins.
Ontrouve chez le même deux Vûes de Paris,
gravées ſupérieurement en couleur par Deſcourtis ,
d'après Machi , portant 22 pouces 9 lignes fur is
pouces. Prix , 24 liv. pièce.
EUVRES de M. le Franc de Pompignan , 4 vol .
reliés en veau écaille , filets. Prix , 24 liv. A Paris ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet.
Nous rendrons compte de ce Recueil intéreſſant
par lenom de ſon Auteur , & qui renferme nombre
d'Ouvrages qui n'avoient point vu le jour.
1.
La Gnomonique théorie pratique , ou les PrinciDE
FRANCE. 141
pes de Géométrie , de Trigonométrie rectil'gne &
Sphérique ,fur lesquels est fondé l'art de tracer les
cadrans fciatériques ou folaires , par M. l'Abbé
Dulac , Chanoine & Curé de la R ***, in - 8 ° . de
110 pages. Prix , 3 liv. broché A Paris , chez Jombert
jeune , Libraire, rue Dauphine.
Cette Brochure, en expliquant l'art de faire des
cadrans ſolaires , enſeigne à en calculer par les logarithmes
, les angles horaires & les axes dont l'Auteur
a donné les Tables dreſſées dans ſon Ouvrage.
Il y a joint l'explication & l'uſage des Tables , & il
amis ſes préceptes à la portée de tout le monde.
LETTRES de M. Mittié , Docteur-Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , &c. La première à
la Faculté de Médecine; la ſeconde au Collége de
Chirurgie; la troiſième à l'Académie des Sciences ,
en leur envoyant le Recueil des Pièces qu'il a publiéesfur
la Maladie Vénérienne , fur les inconvéniens
du Mercure & fur l'efficacité des Végétaux de
l'Europe pour la guérison de cette maladie.
Ce Recueil ſe trouve chez Didot jeune , Quai des
Auguſtins,
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Sieur Fréminet. A Paris , chez l'Auteur , rue du Peris
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ſous l'eau , la joniſſance des mouvemens muſculaires
&l'air néceſſaire à la reſpiration , de manière qu'un
homme d'une complexion ordinaire puiſſe y reſter
75 minutes fans ſouffrir aucune altération ni incom.
modité,
Le Patriotisme des Habitans de Calais , & le
Triomphe de la Valeur.
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142
MERCURE
action fort connue , font ſuite à d'autres que nous
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1
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Mgr le Prince de Pruſſe, compoſée par M. le Baron
de Bagge. Prix , 4 liv. 4 fols , frontiſpice de M.
Cochin.
mens ,
SECOND Concerto de Violon à plusieurs inftrudédié
à S. A. R. Madame la Princeſſe de
Prufſe , compoſé par le même , ayant pour frontifpice
le médaillon de cette Princeſſe , foutenu par les
génies des Arts ; ce frontiſpice eſt auſſi deſſiné par
M. Cochin , & gravé par M. Nicollet. On y lit ces
quatre vers :
L'objet qui frappe tes regards ,
Que les Grâces , Péclat & la gloire environnent ,
Acouronné les Talens& les Arts ,
Les Talens &c les Arts à leur tour le couronnent.
AIR de Marlbrough varié, pourle Clavecin , ac
compagnement de Violon , par le même. Prix , 3 liv.
Ces trois Ouvrages ſe vendent chez Bailleux , Mar
144
MERCURE
chand de Muſique de la Famille Royale , rue S. Honoré
, près celle de la Lingerie; & chez Sieber , rue
S. Honoré , vis- à- vis l'hôtel d'Aligre. On y reconnoît
le ſtyle & le talent extraordinaire de leur Auteur.
Nous avons déjà eu l'occaſion de rendre compre
de l'effet fingulier que la Symphonie a produit au
Concert Spirituel. Ces Ouvrages ont encore un mérite
plus particulier quand l'Auteur les exécute luimême.
NUMÉRO IV du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Ce Journal eſt composé d'Airs de différens
genres arrangés pour deux Violons ou Violoncelles
; & comme tout le chant eſt dans le premier
deſſus , ils peuvent être exécutés par une ſeule perſonne
L'abonnement eſt de is liv. , & 18 liv. en
Province. Chaque Cahier ſéparé , 2 liv. Il en paroît
un par mois. On s'abonne chez le ſieur Bornet l'aîné ,
Profeſſeur & Marchand de Muſique , rue des Prouvaires
, près S. Eustache , au Bureau de Loterie.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
EPITREfurl'Ambition , 97 Doutes sur différentes Opi-
Couplets à Mlle Warefcot , 99 nions , 120
Charade , Enigme& Logogry- Etrennes du Parnaſſfe , 124
phe, 101 Асалетіе Roy. de Musiq . 131
Cécilia,TroisièmeExtrait, 1021Annonces &Notices , 136
I APPROBATION.
J'AI la, par ordre de Mgr leGarde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi is Mai. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêche, Pimpresion.A Paris ,
le 14Mai 1784 GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 6 Avril.
EGrand-Viſir a acheté une frégate que
Lquelques Armateurs Anglois avoient
conduite ici pour l'y vendre , & en a fait
préſent à l'Amirauté.
:
Depuis que les Rufles font en poffeffiont
de laCrimée, & qu'ils ont traité avec le Régent
actuel de Perſe , ils pouſſent avec beaucoup
d'activité l'exécution du plan formé
fous Pierre-le-Grand , pour étendre leur navigation
ſur la mer Cafpienne , & fe mettre
en poffeſſion du commerce exclusif des provinces
ſeptentrionales de la Perſe. Les circonſtances
ſont d'autant plus favorables à
leurs vues , que ce malheureux Royaume
n'eſt point encore ſorti de l'état de défordre
&d'anarchie , dans lequel il eſt tombé à la
mort du célebre ufurpateur Thamas Kouli-
Kan. Le Régent actuel exerce le deſpotiſme
N°. 20 , 15 Mai 1784.
e
( 98 )
1
le plus rigoureux ; les lettres qu'on reçoit de
ces contrées , en font du moins le portrait
ſuivant.
Abdul, Fat-Kan , diſent elles , eſt peut-être le.
tyran le plus cruel , qui ait jamais porté le ſceptre
dans l'Orient. Il eſt bien éloigné d'imiter cet
Empereur Romain , qui déclara en montant fur
le trône , que jamais un homme de bien ne ſeroit
mis à mort par fon ordre; il ſemble trouver un
barbare plaifir à multiplier ſes victimes ; fon
nom feul fait trembler tous les habitans , & il ſe
paſſe peu de jours qu'il n'ordonne la mort de
quelques-uns de ſes ſujets, Il hérite de tous ceux
qui périſſent ainfi ; & c'eſt un grand crime à un
homme d'être très- riche, Auſfirôt que ſes émirfaires
ont découvert quelqu'un , dont l'héritage
peut letenter, il le mande dans ſon palais ou il
Je fait étrangler en ſa préſence. Aucun Européen
me ſe rend à préfent , comme autrefois , à Iſpahan
: ceux qui y avoient formé des établiſſemens
Pont quitté ſucceſſivement , & ont cru devoir
chercher la sûreté de leur fortune & de leur vie
en s'éloignant,
!
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Avril.
Lamajorité du Prince Royal, & fon en
trée au Conſeil ont été ſuivies de près d'une
grande révolution dans l'Adminiſtration.
L'influence de ceux qui y ont eu part depuis
1772 juſqu'à préfent, paroît totalement cefſée
: c'est ainsi que cet événement s'eſt paſſé.
Le Prince Royal entra pour la premiere fois au
( وو (
Conſeil d'Etat , le 14 de ce mois. Le Roi ordon .
na qu'on fit la lecture d'un nouveau plan d'adminiſtration
, que le Prince Royal avoit déja
foumis à l'approbation de S. M. Ce Prince fit
lui-même cette lecture avec beaucoup de force
&d'énergie. Après cela , il le préſenta au Roi qui
le ſigna; il fit voir enſuite cette fignature à
tous les membres du Conſeil , & s'adreſſant au
Comte de Molckte , à MM. de Guldebourg , de
Roſencrone & de Steman , il leur dit que le Roi
n'avoit plus beſoin de leurs ſervices . Dans
le moment , MM.de Roſencrantz , le Général
Huth & de Stampe , nommés pour compofer le
nouveau Miniftere , ainſi que M. de Schack-
Ratlow , le ſeul des anciens Miniſtres qui ait éré
conſervé , reçurent ordre d'entrer au Confeil .
Le Comte de Bernſtorf , qui eſt auſſi membre du
nouveau Conſeil d'Etat , étoit ablent ; & il lui a
été dépêché un exprès , pour l'inftruire de ſa nomination;
il ſera chargé des affaires étrangeres
que dirigera juſqu'à fon retour M. de Schak-
Ratlow. Lorsque le nouveau Conſeil fut affemblé
, on fit encore une lecture du nouveau plan
d'Adminiſtration; il ſe ſépara enſuite , & le Prince
Royal manda chez lui tous les membres ; il leur
futdéclaré, que tous les ordres du Cabinet étoient
ſupprimés , & qu'ils n'en devoient reconnoître.
aucun , qui ne fut figné par le Roi , & contreigné
par le Prince Royal. M. de Schack, Grand-Maréchal
de la Cour , a été remplacé par M. de
Numſen , ci devant l'un des Chefs du département
de la Banque ; MM. de Hoy , de Bruckel
& de Giedde , ont été nommés Chambellans ordinaires
, pour ſervir alternativement auprès du
Roi , & M. de Meſting , pour ſervir toute l'année
, en qualité deGentilhomme de S. M.
Cette journée du 14, qui a amené cette
e2
( 100 )
révolution , fut terminée par unpetit Bala
la Cour , où aſſiſterent la Reine Douairiere ,
le Prince Royal & le Prince Frédéric. On
croit que la Reine Douairiere & le Prince
fon fils ſe retireront au château de Frédéricksruhe;
ceux qui ne manquent pas de faire
des conjectures ſur tous les événemens , &
qui recueillent tous les faits , ont remarqué
que cette Princeſſe & le Prince Frédéric ne
ſe trouverent pas le 4 de ce mois à la cérémonie
de la Confirmationdu Prince Royal.
Les Miniſtres qui ſe ſont retirés, ont reçu
des penſions de 2 à 3000 écus.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 24 Avril.
L'Archiduc Maximilien , élu ci - devant
Coadjuteur de l'Archevêque - Electeur de
Cologne , & Prince- Evêque de Munster ,
eſt parti avant hier , às heures du foir, pour
ſe rendre à Bonn , où il eſt attendu par ſes
nouveaux ſujets.
Le Prince de Gallitzin a fait , dit - on ,
dernierement au Prince de Kaunitz , l'ouverture
officiellé , que fa Souveraine étoit
décidée à ajouter à ſon titre d'Impératrice
de Ruffie , celui de Reine de Tauride .
Les Proteftans de la Confeſſion d'Aufbourg
, établis en Hongrie , s'occupent à introduire
dans toutes leurs égliſes une liturgie
générale , qui ſera ſoumiſe à l'Empereur ,
( 101 )
&ne ſera adoptée qu'après qu'elle aura ob
tenu ſon approbation.
S. M. I. pendant le ſéjour qu'elle a fait
dernierement à Trieſte , a ordonné que le
Siege Epifcopal de cette derniere ville feroit
transféré àGoertz. Ces deux Evêchés doivent
être réunis , & n'en former qu'un ſeul.
L'Evêque de Trieſte eſt deſtiné à paſſer à ce
Siége.
On parle ici de l'établiſſement prochain
d'un nouveau ſyſtême de contribution dan's
les Etats de l'Empereur. Selon ce plan , le
commerce & les entrées feront libres , & les
douanes feront tranſportées ſur les frontieres.
On vient de voir ici un fait , qui montre à
quels excès de fureur la jalousie peut porter les
hommes. Ces jours derniers un ſoldat paffiont
*dans un cabaret, y trouva fa maitreſſe qui buvoit
tête à tête avec un de ſes rivaux; celle-ci
qui ne s'attendoit pas à cette ſurpriſe , & qui en
craignit les conféquences , chercha à diſſiper la
jalouſie dont elle le ſavoit fufceptible; elle ſe
leva , courut à lui , l'embraſſa , & lui préſenta
unverre de vin que venoit de verſer ſon compagnon.
Le ſoldat l'accepta , mais en le prenant
d'une main , il ſaiſit un couteau de l'autre , & le
plongeadans le coeur de ſon rival . Il a été arrêté
fur le champ , & conduit en prison .
DE HAMBOURG , le 25 Avril.
Nous avons donné ily a quelque temps
un précis hiſtorique des forces militaires de
l'Empire Ottoman ; on ſera bien- aiſe de
4.
e3
( 102 )
trouver ici quelques détails ſur ſa Marine;
ils termineront naturellement le tableau que
nous avons commencé de ſa conſtitution
militaire. Nous y en joindrons quelquesuns
fur fon agriculture , ſon commerce &
ſes manufactures.
La marine Ottomane eſt peu importante , les
vaiſſeaux de ligne en état de ſervir font tout au
plus au nombre de dix. Il est vrai qu'en temps de
guerre les régences d'Alger , de Tunis & de
Tripoli ainſi que le Caire , ſont obligés de
fournir au Grand- Seigneur plufieurs vaiſſeaux
armés & équip's ; Alger doit en donner 4 , Tunis
3 & Tripoli 3 depuis 40 juſqu'a 44 canons & le
Caire 24 de 50 canons , chacun de 600 hommes.
Independament des vaiſſeaux de ligne , il y a
encore dans cette marine des frégates , des galeres
&des galiotes , mais ces derniers bâtimens étant
petits& ne portant que quelques canons , ne font
gueres propres qu'à la courſe. On compte trois
eſpeces de vaiſſeaux de guerre , ſavoir de 100
juſqu'à 160 canons de 66 & de 36 à 48.
L'équipage complet d'un vaiſſeau de 160 canons
eſt de 1,300 Leventi ou ſoldats mariniers
, & de cent matelots grecs ; celui d'un vaifſeau
de 66 canons , de 850 hommes ;& celui de
36 à 48 canons , de 230 homines. On ne conftruit
plus de vaiſſeau de 160 canons à cauſe de
la difficulté de la manoeuvre , & on donne actuellement
la préférence aux vaiſſeaux de 70 canons.
Le Chef de la marine eſt appellé Capitan-Bacha
ou Grand-Amiral. On compte beaucoup en
temps de guerre ſur le ſecours des Barbareſques ,
leurs marins étant plus habiles & plus exercés
que les marins de la Porte.
Les revenus de l'Empire ſont confidérables.
( 103 )
LesGrecs & nommément ceux de Conftantinople,
qu'on évalue à 300,000 ames , ſont obligés de
payer par tête , à un certain âge , une capitation
qu'on appelle Chavatſch de cinq piaſtres . Ceux
qui ne la payent pas , ſont emprisonnés juſqu'à
ce que ce payement ſoit fait. Les marchands
payent des taxes à proportion de l'étendue de
leur trafic . Les Arméniens , qui font plus nombreux
encore que les Grecs , acquittent auſſi des
contributions confidérables . Les Chrétiens qui
vivent ſous la protection d'un Ambaſſadeur ou
d'un conful , ſont exemts d'impofitions. On
évaluoit autrefois les ſommes qui entroient dans
le tréſor public , & dans celui du Grand-Seigneur
, à environ 15 millions de rixdalers , mais
ces revenus ordinaires ayant été augmentés par
le hauffement des droits de Douane & par
d'autres arrangemens , on peut les porter à 20
millions de rixdalers . Les impoſitions ſur les
marchandises font très modérées en comparaiſon
de ce qu'on en acquitte dans d'autres états ; on
n'en paye communément que trois pour cent ,
d'après la déclaration du propriétaire . Dans pref
que tous les Ports Ottomans , le commerce eſt
florifſfant ; cela n'eſt pas étonnant; puiſqu'il eſt
permis d'y entrer avec preſque toutes les marchandiſes
quelconques ,& de les y débiter. La
fraude dans la déclaration des droits de Douane
eſt punie du payement du double des droits . -
Pluſieurs manufactures dans l'Empire font dans
un affez bon état , ſur tout celles des tapiſſeries ,
d'étoffes de ſoie , de cuirs , & de teinture de
coton & de laine. Le commerce principal eſt
entre les mains des Arméniens & des Juifs , qui
font en grand nombre dans cet empire. Les
intéréts , pour prêt d'argent , font en raiſon da
gainque l'on croit faire avec le fonds emprunté;
e 4
( 104 )
left très-rare de trouver de l'argent au deſſous
de huit pour cent ; fi on en donne à ce taux ,
c'eſt d'amitié ; & en donnant pour l'emprunt les
plus grandes fûretés.-L'agriculture eſt négligée.
La pareffe des Turcs& les impofitions onéreuſes
depuis le regne de Mahomet IIl en ſont
Ja cauſe. On ne cultive du bled dans les provinces
que tout auplus pour la proviſionde l'année ,
&dans beaucoup d'endroits ce travail eſt abandonné
aux eſclaves ſeuls . On ne fait point
d'approvifionnement pour l'avenir , & c'eſt auſſi
pour cette raiſon , que lorſque la moiſſon d'une
année a été mauvaiſe , la famine en eſtune ſuite
inévitable.-Du reſte , cet empire , qui pouroit
être le plus floriflant de tous les Etats , eſt le
plus malheureux; les principes de religion , le
gouvernement militaire , en un mot , le deſpotiſme
abſolu qui y regne , écraſent à la fois la
population , l'induſtrie & le commerce.
Tous les papiers publics contiennent le
Sened ſuivant (déclaration ) de la Sublime
Porte , au ſujet des privileges de commerce
dont les ſujets de S. M. I. & R. jouiront à
l'avenir , dans l'empire Ottoman.
Au nom de l'êtreſuprême.
La raiſon pour laquelle la préſente Patente
eſt expédiée , eſt que l'Internonce impérial ,
notre ami , a demandé de la part de ſa Cour
dans un mémoire , dont le contenu eſt fondé
ſur l'article 8 du traité de Belgrade , divers
arrangemens en faveur des négocians & ſujets
allemands dans les Etats de la domination ottomanne.
La ſublime Porte , ayant examiné le
contenu de ce mémoire , a trouvé que ledit article
ſert de baſe aux propoſitions de la Cour impériale
de Vienne. Pour cet effet , & ladite Cour
4
i
( 105 )
ayant donné dans ledit mémoire , l'affurance
poſitive que les bâtimens de comaierce de la fublime
Porte qui , dans tous les Etats de la Cour
impériale , font la navigation & le commerce ,
tant dans les mers que dans les rivieres de ſa domination
, jouiroient relativement au commerce
des privileges des nations les plus favoriſées , &
même de plus confidérables , la fublime Porte
étant toujours encline , & prête à remplir les obligations
qu'elle a contractées par les traités , &
-voulantdonner à la Cour impériale ,ſon ancienne
amie & voiſine , des preuves non équivoques de
la fincérité de ſes ſentimens &de fon amitié conf
tamte , s'eſt engagé à obſerver & faire exécuter
religieuſement les points & articles ſuivans , lefquels
non-feulement ſerviront à l'avenir de regle
invariable , relativement au traitement de la nation
allemande , mais auront auſſi la même va.
lidité que le traité de Belgrade 1º. Le traité
de comunerce , fait en 1132 à Paſſarowiz , &
ſervant de baſe à l'article 8 du traité de Belgrade ,
ſera , ainſi qu'il convient , obſervé & exécuté partout
dans la domination de l'Empire ottoman en
faveur des ſujets & négocians allemands , la fublime
Porte s'engageant à ce qu'il n'y foit ja
mais porté la moindre atteinte. Quant au com
merce de mer & dans les rivieres , il en fera
uſé conformément auxſtipulations de l'article 6 du
préſent Sened. 2º. à l'égard des droits de Douane
que les ſujets & négociants impériaux auront à
payer, la fublime porte déclare denouveau qu'ils
ne payeront que 3 p. pour toutes les marchandiſes
, à l'exception cependant des marchandifes
prohibées , ſoit à l'entrée , ſoit au lieu de def
tination , les marchandises étant d'importation,
ou d'exportation , & cela de maniere que le commercedes
négocians aliemands , détaillé ci-deſſous
es
( 106 )
ſpécifiquement , ſera exempt , tant à l'entrée qu'a
lafortie de toutes les impoſitions , quelque détermination
qu'elles puiſſent avoir , & nommément
des taxes de Masderie , Caffabie , Bydaud , Befmilhondanie
, Reft , Padſch , Fsakkoali , &c. L'Internonce
impérial , ayant ob ervé en outre que
par le laps de temps il s'étoit gliflé pluſieurs abus
dans les arrangemens mercantiles dans pluſieurs
provinces Ottomanes , & notamment dans la
Moldavie & dans la Wallachie , il eſt convenu
& ordonné par le préſent que tous les arrangemens
, arrêtés au ſujet du commerce réciproque
, feront confirmés & exécutés à l'avenir de
la maniere la plus Aricte dans tous les Etats de
l'Empire ottoman. 3 °. Pour prévenir tous les
inconvéniens , relativement au commerce ſur mer
&dans les rivieres , la fublime Porte déclare &
fait connoitre à ſes Commandans , Magiſtrats
& autres Officiers qu'en vertu des traités il eſt
permis aux ſujets & négocians de l'Empereur ,
munis de paſſeports , de naviguer librement dans
Is mers & rivieres de la domination ottomane,
d'y faire le comm rce tant fur terre que fur
mer , de conduire leurs bâtimens où i's jugeront
à propos de décharger leurs marchandises , &
de charger celles qui ne font point prohibées ,
en acquittant toutefois les droits preſcrits . 4°. La
fublime Porte reconnoit que la Cour impériale
& royale , en vertu dis traités de commerce de
Belgrade & de Paſſarowitz , attendu la bonne
intelligence qui regne entre les deux Cours ,
eft en droi d'exiger d'elle en faveur de ſes ſujets
& négocians les mêmes privileges & avantages
de commerce dont jouiffent actuellement , ou
.nom- pourront jouir par'a fuite d'autres nation
mément 'es Fa çois ,lesAnglois , les Hollandois
, les Rufles , & d'autres nations plus favo
( 107 )
ſées encore. 5º. Les ſujets & négocians de l'Em
pereur pourront , fans être tenus dorénavant à
ce qui avoit été ſtipulé à cet égard dans le traité
de Paſſarowiz , naviguer librement pour affai
res de négoces ſur mer & dans les rivieres en
paffant ou repaſſant de l'une dans les autres ,
& vice versâ avec des bâtimens , pavillons &
matelets allemands , fans qu'on puiſſe en exiger
plus que lesdits droits d'exportation ou d'importation
qu'ils n'acquitteront qu'une feule fois.
6°. Quant au commerce de tranfit ſur les côtes &
par les détroits & canaux dans la domination
ottomane , & nommément par le canal de la
mer noire , les bâtimens des ſujets & négocians
impériaux , venant fur mer ou dans les rivieres
des Provinces allemandes , & ſous pavillon
impérial , & allant dans des ports étrangers , ou
venant des ports étrangers & allant dans des
Provinces allemandes , pourront le faire fans aucun
empêchement quelconque & fans en acquitter
le moindre droit, & ils ne pourront pas non
plus être forcés de débarquer leurs marchandises ,
bien entendu cependant qu'ils payeront pour
les marchand ſes qu'ils débarqueront volontairement
pour la vente, les droits ordinaires de
Donane , & qu'ils ne feront ce commerce que
dans des bâtimens du bord de ceux accordés aux
ſujets de la Ruflie. Il ſera accordé & donné aux
fuje's & négocians de l'Empereur pendant leur
féjour dans les Provinces ottomanes toute l'af
fitance dont ils pourront avoir beſoin , & ils
feront traités comme il convient de faire aux
ſujets d'une Cour qui vit avec la fublime Porte
dans les liaiſons de la plus étroite amitié. Au
reſte , & comme les bâtimens , naviguant fur
des rivieres , ne pourront gueres être employés
fur mer. Il ſera permis à ſes bâtimens , borf
e 6
( 108 )
qu'ils feront arrivés dans des endroits près de
la mer , de décharger leurs marchandiſes dans
des bâtimens propres à la navigation de la mer
noire , ſans qu'on en puiſſe demander aucun
droit. 7 Dans le cas où il ſurviendroit des
difficultés par rapport à l'exécution de l'un ou
de l'autre arttcle du préſent Sened , & particulierement
par rapport aux marchandiſes prohibées
par les traités de Paſſarowiz & de Belgrade.
La fublime Porte fera toujours prête de
les livrer par un accord réciproque , fondé ſur
l'équité ; mais dans le cas où elles ne pourroient
pas être arrangées de cette maniere , la fublime
Porte conſent qu'elles feront accomodées amicalement
, & fur le pied établi à cet égard
dans le traité de commerce , conclu l'année
derniere avec la Ruffie , & cela d'une maniere
convenable au commerce allemand, Donné à
Conftantinople le 2 du mois de Rebynlayhyr ,
de l'an de l'Hegyre 1198 [ & qui revient au 21
Février 1784. ] Signé HAMID , fils de HALIL ,
Grand-Vifir .
On lit dans les lettres du Brandebourg
une obſervation , que nous nous empreſſons
de tranfcrire.
Onne peut ſe faire une idée du bien étonnant
qu'a opéré juſqu'à préſent la réforme que le Roi a
faite de la juſtice dans ſes Etats ; on ne peut qu'en
eſpérer encore davantage par l'augmentation de
la diminution des procès. Il n'y en a eu l'année
derniere que 12470, au lieu de 18 à 19000 qui
s'élevoient ordinairement ; on les a tous terminés
, à l'exception de 145 , & de ceux de la Pruffe
Occidentale , que diverſes circonstances ont empêché
de finir. Sur le total de ces procès , il
by a eu que 394 appels au Tribunal ſuprême
( 109 )
de Berlin. L'économie qu'a caufé cette réforme
dans les Tribunaux ſupérieurs des provinces ſeulement
, a été de plus de 200, 000 écus .
Les lettres de Dreſde ont fait craindre
pendant quelques jours pour la vie de l'Electeur
de Saxe. Il avoit été attaqué au com .
mencementde ce mois d'une groffe fievre ,
accompagnée d'un violent point de côté.
Le 12 de ce mois l'alarme étoit générale ,
& on avoit commencé des prieres publiques
dans toutes les Eglifes , pour demander
à Dieu le rétabliſſement de la ſanté de ce
Prince. Le 13 la maladie parut prendre un
tour favorable, & les dernieres lettres nous
apprennent que le mieux s'eſt ſoutenu
queledanger eft paſſé , & que l'on a chanté
à ce ſujet le TeDeum dans toutes les Eglifes
deDreſde.
On a fait dans un papier eſtimé le tableau
comparatifdes Naiſſances &des Morts qui
ont eu lieu pendant l'année derniere dans
pluſieurs endroits de l'Europe : on fait de
quelle importance font ces calculs pour fixer
la population; & nous nous empreſſons d'en
placer ici le rapprochement.
Naiſſances. Morts,
Paris, 19,688 20,010
Londres , 17,091 19,290
Vienne en Autriche , 9,230 11,093
Amſterdam , 4,941 9,141
Berlin , 4,758 5,129
Warſovie ,
3.934 3,267
Madrid , 4,686 3,664
Coppenhague, 3:035 3,917
( 110 )
4
Hambourg . 2,670 2,892
Konigſberg , 2,112 1,955
Rotterdam , 1,792 1,797
Strasbourg ; 1,552 1,848
Danzık , 1,409 1,837
Utrecht , 1,279 866
Munich , 1,190 1,406
Leide , 1,038 1,189
La Haye , 1,030 1,364
Leipfic , 899 1,110
Francfort ſur le Mein , 858 1,198
Brunswik , 773 805
Caffel , 680 834
Stutgard , 676 १००
Manheim , 657 1,325
Altona, 620
754
Gothembourg , 449 553
Hanau , 380 472
Gotha ,
Darmſtadt
322 365
302 504
Norkoping , 231 32
Evêché de Dromtheim , 35,252 4,111
4
de Chriſtianſand , 3.642 3,195
de Séeland , 7,723 6,247
de Ripen , 3-446 2,617
d'Aalbourg , 2,157 1,624
de Wibourg , 1,662 1.234
- d'Aarhuus , 3,8: 0 3039
-d'Aggerhuus , 8,86 8,600
Ifl de Fulmen , 5,227 4374
Hoftein Neumünster , 3,783 3.050
:
Holstein- Rendibourg , 11,720 10 377
Com de Pinneberg , 780 595
Comté de Ranzau , 389 294
Marche de Brandebourg ,
Pomeranie Pruſſienne ,
33.982 18,556
14,922 11 ;781
( III )
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Les dernieres lettres de la Sicile annoncent
de nouveaux tremblemens de terre à
Meſſine ; celles de Naples en annoncent
auffi dans la Calabre; & celles de Rome font
mention de quelques autres qui ont été fenties
à Frafcato , Marino , Caftello , Albano ,
Genzano , Ancia , petites villes des environs
de Rome , & peu éloignées les unes des autres
; quoique vives, elles ont fait plus de
peur que de mal dans ces endroits ; on ignore
ſi l'on a été auſſi heureux à Meſſine : quant
à la Calabre , elles ont renversé un pan de
mur , qui eſt tombé ſur une barraque voifine
, où se trouvoient 3 perſonnes qui ont
été écraſées.
Les avis de Rome ajoutent que le Prélat
Saluzzo a été nommé Nonce du S. S'ege en
Pologne , à la place du prélat Archerti , qui
remplit celle de Nonce extraordinaire près
de l'Impératrice de Ruffie.
Le Roi de Suede ſe diſpoſe à partir le
Rome le 19 de ce mois ; il ſe rend de-là à
Parme , où l'on lui prépare des fêres brillantes
, & où il eſt attendu vers le 22 .
Selon les lettres de Naples ,le Cardinal-
Archevêque de cette ville a fait a Roi des
repréſentations , dans lesquelles il a expofé
les motifs d'après leſquels il croit ne pou
( 112 )
voir pas accorder des diſpenſes de mariage,
dans les cas où il y a empêchement d'honnêteté
publique. S. M. I. a fait remettre ces
repréſentations à la Chambre Royale.
Ces jours derniers , écrit- on de Čento , dans
la Légation de Ferrare , il eſt arrivé un évenement
atroce. Quelques ſcélérats s'introduiſirent
pendant la nuit chez le Chanoine Piombini ,
vieillard de 92 ans , qui n'avoit que deux domeſtiques
du ſexe , l'une & l'autre plus que canoniques.
Ce qui les avoit attirés , étoit l'opinion
que l'on avoit de la richeſſe du bon Cha.
noine , qui en effet avoit beaucoup d'argent
comptant chez lui. Pour le voler plus commo .
dément , ils l'égorgerent ainſi que ſes deux demeſtiques
, enleverent tout ce qu'ils trouverent
facile à tranſporter , & s'en allerent , après avoir
exactement fermé les portes. Le lendemain on
s'étonna de voir que la porte du Chanoine étoit
reſtée fermée tout le jour. Une voifine , dont les
fenêtres donnoient fur lejardin de l'Eccléſiaſtique
, apperçut un cadavre ſous un arbre , & répandit
l'alarme ; le Gouvernement averti envoya
faire une viſite dans la maiſon où l'on vit
çe qui s'étoit paffé pendant les ténebres . On a
pris des meſures pour pouvoir découvrir les cou .
pables , & on a déja arrêté deux jeunes gens fortement
ſoupçonnés. Ils font l'un & l'autre beauxfils
d'une des ſervantes du Chanoine aſſaffiné ;
on ſait que de tems en tems ils alloient voir leur
belle-mere qui les aidoit ; dans leurs fréquentes
viſites ils avoient appris à connoître l'intérieur
de la maiſon du Chanoine. On a trouvé ſur eux
plus d'argent qu'ils ne devoient naturellement en
avoir , & quelques taches de ſang ſur leurs habits;
ces indices peuvent mener à de plus gran
des découvertes ,
( III )
ITALI Ε.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Les dernieres lettres de la Sicile annoncent
de nouveaux tremblemens de terre à
Meſſine ; celles de Naples en annoncent
auſſi dans la Calabre; & celles de Rome font
mention de quelques autres qui ont été fenties
à Frafcato , Marino , Caftello , Albano ,
Genzano , Ancia , petites villes des environs
de Rome, & peu éloignées les unes des autres
; quoique vives, elles ont fait plus de
peur que de mal dans ces endroits; on ignore
ſi l'on a été auſſi heureux à Meſſine : quant
à la Calabre , elles ont renverſé un pan de
mur , qui eſt tombé sur une barraque voifine
, où ſe trouvoient 3 perſonnes qui ont
été écraſées.
Les avis de Rome ajoutent que le Prélat
Saluzzo a été nommé Nonce du S. S'ege en
Pologne , à la place du prélat Archerti , qui
remplit celle de Nonce extraordinaire près
de l'Impératrice de Ruffie .
Le Roi de Suede ſe diſpoſe à partir de
Rome le 19 de ce mois; il ſe rend de-là à
Parme , où l'on lui prépare des fêres brillantes
, & où il eſt attendu vers le 22 .
Selon les lettres de Naples, le Cardinal-
Archevêque de cette ville a fait a Roi des
repréſentations , dans lesquelles il a expofé
les motifs d'après leſquels il croit ne pou
( 112 )
voir pas accorder des diſpenſes de mariage,
dans les cas où il y a empêchement d'honnêteté
publique. S. M. I. a fait remettre ces
repréſentations à la Chambre Royale.
Cesjours derniers , écrit- on de Cento , dans
la Légation de Ferrare , il eſt arrivé un évenement
atroce. Quelques ſcélérats s'introduiſirent
pendant la nuit chez le Chanoine Piombini ,
vieillard de 92 ans , qui n'avoit que deux domeſtiques
du ſexe , l'une & l'autre plus que canoniques.
Ce qui les avoit attirés , étoit l'opinion
que l'on avoit de la richeſſe du bon Cha.
noine , qui en effet avoit beaucoup d'argent
comptant chez lui. Pour le voler plus commo .
dément , ils l'égorgerent ainſi que ſes deux demeſtiques
, enleverent tout ce qu'ils trouverent
facile à tranſporter , & s'en allerent , après avoir
exactement fermé les portes. Le lendemain on
s'étonna de voir que la porte du Chanoine étoit
reſtée fermée tout le jour. Une voifine , dont les
fenêtres donnoient fur lejardin de l'Eccléſiaſtique
, apperçut un cadavre ſous un arbre , & répandit
l'alarme ; le Gouvernement averti envoya
faire une viſite dans la maiſon où l'on vit
çe qui s'étoit paſſé pendant les tenebres . On a
pris des meſures pour pouvoir découvrir les coupables
, & on a déja arrêté denx jeunes gens fortement
ſoupçonnés. Ils font l'un & l'autre beauxfils
d'une des ſervantes du Chanoine aſſaffiné ;
on fait que de tems en tems ils alloient voir leur
belle-mere qui les aidoit ; dans leurs fréquentes
viſites ils avoient appris à connoître l'intérieur
de la maiſon du Chanoine. On a trouvé fur eux
plus d'argent qu'ils ne devoient naturellement en
avoir , & quelques taches de ſang ſur leurs habits;
ces indices peuvent mener à de plus gran
des découvertes,
( 113 )
ANGLETERRE
DE LONDRES , le 20 Avril.
Nos nouvelles de l'Amérique Septentrio
nale ſe réduiſent à peu de détails; on annonce
toujours de la méſintelligence entre
les Loyaliſtes reſtés à New-Yorck , & les
habitans; les premiers éprouvoient d'abord
des perſécutions , maintenant ils éprouvent
desaéſagrémens; & il n'y a que le temps qui
puiſſe les en délivrer , en faiſant oublier leur
ancienne conduite , ou du moins , en en affaibliſſant
le ſouvenir.
On lit dans nos papiers quantité de paragraphes
ſur l'état floriſſant des nouveaux
établiſſemens formés danslaNouvelle Ecoffe
par les Réfugiés. Leur afluence à Hallifax a
fur-tout produit de grands avantages à cette
place. Cependant une lettre particuliere d'un
Loyaliſte à un de ſes amis à New-Yorck ,
n'offre pas un tableau fi flatteur.
Toutes les merveilles qui nous avoient été annoncées
, relativement à cette terre promiſe , ſe
ſont évaporées en fumée. Quand nous étions à
Newyork , on nous diſoit que ce pays - ci n'étoit
point auſſi ſtérile & auffi rempli de brouillards
qu'on l'avoit prétendu ; mais nous trouvons qu'il
eſt encore bien au-deſſous de ſon diſcrédit , du
moins nous le penſons ainſi ; moi & ceux qui
n'ont pour ſubſiſter que les cherifs fecours du
Gouvernement , &du pain qui n'eſt pas cuit.
Mais , direz-vous , il vous eſt ſi aiſé de le faire
1
( 114 )
cuire dans un pays où il y a tant de bois ! A
quoi je répons , venez-y vous- même , & vous
Saurez bientôt le pourquoi. Les marchands & les
gens à argent , qui ſont venus de Newyork , ne
tarderont pas à raſſembler tout l'argent qui a
été apporté ici. Et comme , en général , ceux
qui ont quitté Newyork , par principe ſeulement ,
ſe trouvent à l'étroit , ils manqueront inceſſament
des articles de marchandiſes dont ils ont le plus
beſoin ; leurs terres avec les petites améliorations
qu'ils auront pu y faire tomberont entre les mains
desmarchands , & ils ſeront réduits à devenir leurs
ténanciers. Jamais naufragé n'a mis le pied ſur
une terre außi maudite que celle-ci. Pour comble
de malheur, il vient de nous arriver d'Angleterre
une pacotille de malfaiteurs. Ils avoient d'abard
débarqué ici , mais leur Capitaine n'ayant pas pu
les vendre , il les a menés au port Maltoon , aujourd'huiGainsborough
, où il leur ſera facile de
trouver une ſociété de bandits qui leur reſſemblent.
S'il faut en croire nos papiers, il n'y a rien
de fixé définitivement en Amérique , relativement
au Gouvernement.
On ne s'y entend point , diſent- ils , ſur le
pouvoir qu'il faut déléguer au Congrès ; il
paroît indi penſable de lui en donner plus qu'il
n'en apréſentement ; mais les Etats du Nord ne
veulent pas fur ce point ſe prêter au defir des
Etats du Midi. -
L'Etat de Vermont , qui
n'eſt pas encore admis à la confédération , exerce
cependant les actes de ſouverainté indépendante ;
ila élu tous les différens Officiers du Gouvernement
pour l'année prochaine , & nommé entr'autres
des délégués au Congrés. Les Habitans
du pays à l'orient des montagnes d'Alle
( 115 )
gany prétendent auſſi former un Etat indépen
dant de la légiflation de Virginie , qui réclame
la fouveraineté ſur eux , & qu'ils ne paroiſſent
pas déterminés à lui abandonner.
Aces paragraphes nous joindrons les ſui
vans.
« On dit que le Congrès , parmi ſes grands
projets , s'occupe des moyens d'établir un commerce
entre les Etats-Unis & l'Inde ; cet établiſſement
, s'il a liea , ne pourra manquer d'exciter
lajaloufie de toutes les grandes Puiffances
maritimes de l'Europe. Le Gouvernement de la
baye de Maffachuffet s'eſt , dit-on , engagé à
fournir tous les ans à la France un quantitéconfidérable
de mâts pour l'uſage de la marine françoiſe
, & quoique la nouvelle Angleterre produiſe
les plus beaux mâts de tout l'univers , le
marché pour cet article a été réglé à un prix
très-modéré. Il n'y a qu'un cri dans toute l'étendue
des Etats-Unis contre les restrictions que
la G. B. amites au commerce de l'Amérique
avec les ifles britanniques , pluſieurs Etats ont
déja fermé leurs ports à nos vaiſſeaux , & on
s'attend qu'an printems prochain il n'y en aura
plus aucun qui nous ſoient ouverts .
Ces plaintes ne ſont pas bornées auxEtats-
Unis ; on en fait de pareilles dans les Ifles ,
l'aſſemblée de l'iſle de la Jamaïque , après
la publication de la proclamation du Roi,
préſenta le 28 Septembre dernier l'adreſſe
ſuivante au Chevalier Campbell , Capitaine-
Général , Gouverneur - Commandant en
chefde l'ifle &de ſes dependances .
« Nous , les fideles &humbles ſujets de S м.
l'aſſembléede la Jamaïque ayant examiné très at
( 116 )
tentivement & péſé très-impartialement les con
ſéquences de la proclamation de S. M. & de ſon
Conteil , du 2 Juillet dernier , & les ordres que
V. E. a cru devoir donner en conféquence aux
Officiers publics de cette Iſle , nous oſerons repré.
Tenter à V. E. , comme un fait vérifié par nos ſoins,
que , depuis la prohibition faite par cette proclamation
aux vaifieaux américains , de décharger
leurs cargaiſons dans cette Iſle, les articles les plus
importanspour notre commerce & notre bien-être ,
tels que les noirs , les planches de pin , les bordages
, & autres bois de conſtruction ont été portés
aux prix les plus exorbitans. En réfléchiffant le
moins du monde ſur la nature de nos denrées , &
de nos beſoins locaux & momentannés , occafion.
nés par les viſites onéreuſes auxquelles on nous a
aſſujettis , on ſentira combien le beſoin que nous
avons de ces articles eſt urgent & indiſpentable .
Nous avons négligé de les tirer d'ailleurs , dans
l'eſpérance qu'il nous feroit permis de nous en
fournir en Amérique , comme en effet , on nous
en a donné la permiſſion tacite pendant un temps .
Mais notre Métropole n'a pas daigné écouter nofre
priere ; & pour furcroît de malheur , nous avons
la mortification de voir nos formidables rivaux des
Iles françoiſes , par le judicieux encouragement
que l'on donne à leur commerce , ſe pourvoir
abondamment de tout ce dont il ont beſoin ; tandis
que nous ſommes réduits àla néceſſité d'acheter
à quelque prix que ce ſoit la petite quantité qui
nous reſte de ces articles , ayant , en outre , les plus
juſtes raiſonsde craindre que, malgré nos efforts les
plus vigoureux, nos productions ne nous reſtent en.
tre les mains , faute de débouchés. D'après la connoiffance
que nous avons de V. E. , il ne nous eſt
point permis de douter de l'intérêt qu'elle prend
ànos intérêts ;&dans une poſition auſſi critique ,
( 117 )
&auſſi notoire, nous eſpérons que V. E. trouvera
notre expoſe aſſez fondé pour nous accorder la
grace que nous ſollicitons.- En conséquence ,
nous vous fupplionsde vouloir permettre, comme
un foulagement aux dificultés que nous éprouvons
actuellement , & comme un semede aux obſtacles
plusgrands encore qui nous menacent , l'importation
des articles énoncés dans la proclamation
du 2 Juillet dernier , ſur des navires américains ,
venantdes Etats-Unis de l'Amérique , & l'exportation
de nos productions en retours pour l'eſpace
de neufmois, ſur les vaiſſeauxde la même nation .
Le Gouverneur fit à cette adreſſe la réponſe
ſuivante.
MM. , l'opinion favorable , que vous voulez
bien vous former de mon attachement aux intérêts
de votre commerce, mérite mes remerînens
les plus vifs. Je m'eſtimerai toujours comme fore
heureux de poſſéder les moyens de ſoulager cette
Ifle de ſes malheurs ; mais lorſque S. M. établit
avec la ſanction du Parlement des reglemens de
la plus grande conféquence pour la nation , &
que mon autorité , relativement à ces ordres ſouverains
, ſe trouve reſtreinte par des inſtructions
particulieres , j'eſpere que vous conviendrez qu'il
ſeroit déplacé de ne pas m'y conformer. Je me
flatte cependant qu'en conféquence des demandes
répétées que j'ai faites aux Gouverneurs du Canada
, & de la nouvelle Ecoſſe des articles les plus
néceffaires à cette Iſle , & de l'encouragement ac
cordé aux marchands anglois , les prix des objets
énoncés dansvotre adreſſe baiſſeront inceſſament,
&les appréhenſions d'une diſette ſeront bientôt
diffipées.
Le paquebot la Fortitude , venant de l'Inde,&
en dernier lieu de ſainte-Helene qu'il
( 118 )
quitta le 27 Février , eſt arrivé à Portsmouth
le 26 du mois dernier ; le Général Stuart
étoit à bord de ce bâtiment. L'Europe a
mouillé enfuite dans le même port. Ce vaifſeau
de 64 canons étoit parti le 20 Février
du Cap de Bonne Eſpérance : les nouvelles
qu'il apporte font les ſuivantes.
&
Le Héros , le Cumberland , le Monarque , le
Magnanime , l'Afrique, le Sceptre , l'Ingexible , le
S. Charles , & la Nayade étoient reſtés au Cap ſous
les ordres du Commodore King , & devoient en
mettre à la voile le ser. Mars. Le Commodore
Bickerton s'y trouvoit auſſi avec le Gibraltar
, le Burford & le floop le Hound , & devoiten
partir le premier Avril. L'Exeter , hors d'état
de faire le voyage , avoit été brûlé au Cap ,
on avoit remplacé par ſes mâts ceux que le
Sceptre avoit perdus dans une tempête. Le voyage
deces vaiſſeaux de Madras au Cap avoit été trèspénible
; il étoit mort ſur-tout beacoup d'hommes;
on n'en comptoit pas moins de 64ſur le
Cumberland , 36 ſur le Sceptre , 43 fur l'Afrique ,
15 ſur l'Europe , 20 ſur le Magnanime , 31 ſur le
Héros, 12 fur l'Inflexible , 180 ſur le Monarque ,
8ſur la Sea-House , 13 fur le S. Carlos , en tout
435. Ona fait paſſer ſur le Monarque la plupart
des matelots de l'Exeter , parce qu'il en avoit le
plus beſoin. Peu de vaiſſeaux ont perdu plus de
monde , puiſqu'on dit qu'en un an de tems il lui
eſt mort 360 hommes.
On a reçu par le même vaiſſeau quelques
papiers de l'Inde , dont nous extrairons les
détails ſuivans , en date de Madraſſ le 17
Octobre.
Le vailleau le Necker a déchargé ſa cargaiſon
( 119 )
& a fait route pour le Pegu.-Le prix du ris à
Madras eft actuellement de 200 pagodes la garſe.
D'après les eſpérances que donnent les récoltes à
Ganjam & dans toute la partie méridionale de
ces Provinces , on a lieu de croire que l'armée
ne manquera pas d'approviſionnemens . -Le
Gouverneur Général & le Confeil, ont mis le 31
dumois dernier un embargo général ſur l'exportation
des grains de toute eſpece , & ont meme
défendu de fatisfaire aux contrats ſtipulés par le
Gouvernement. Tout marchand natif, ou Européen,
qui tenteroit d'exporter par mer , des grains
du Bengale , ſera condamné à la confſcationde
ſes grains ; & toute perſonne qui en exportera
dans le moment préſent , paiera une amende du
double de la valeur de ce qu'il aura fait fortir ,
évaluée au prix courant du grain au marché , lors
de l'exportation; la moitié de l'amende ſera accordée
aux délateurs. Ces meſures produi
ront ſans doute tout l'effet qu'on en attend , &
lorſque les inhumains traitans qui privent leurs
concitoyens de grains par un eſprit de monopole ,
verront que le Gouvernement en fixe le prix , &
donne des récompenſes aux délateurs , il feront
de néceſſité vertu , & ouvriront leurs greniers
cachés . Les Membres du Conſeil ſuprême
ont prié le Peintre , fir Elijah Impey , de leur
donner la ſatisfaction de faire , avant ſon départ
pour l'Angleterre , le portrait de leur Preſident
( ChiefJustice ) M. Zoffany , qu'ils veulent placer
dans la nouvelle ſalle du Conſeil , pour marquer
à ce Magiſtrat leur reconnoiſſance des attentions
&de l'affabilité qu'il a toujours montré à tous les
individus du Conſeil , & de l'intégrité & des ſuccès
avec leſquels il a adminiſtré la Justice depuis
l'inſtitution du Conſeil. - On ſe flatte dans
L'Inde de voir enfin conclure une paix générale,
( 120 )
Typpo-Saïb , dans les lettres qu'il a écrites au
Peshwa & à Madajée Scindia , a marqué le deſir
qu'il avoit d'y concourir dans les termes ſtipulés
par l'article neuvieme ,& non lecinquieme comme
nous l'avons dit , du traité de Poonah , ratifié entre
lui & le Peshwa , dont voici la teneur. Art .
neuvieme: Le Peshwa exige que , d'autant que le
Nabab - Hyder-Aly- Kan , après avoir conclu avec
lui un traité , a pris poſſeſſion de certains territoiresappartenans
auxAnglois & à leurs Alliés ,
il les cedera& les rendra à la compagnie & au
Nabab Mahomet Aly Kan. Tous les prifonniers
qui ont été prisdes deux parts pendant la guerre ,
feront relâchés , Hyder-Aly-Kan s'engagera å reltituer
àlacompagnie Angloiſe & à ſes Alliés tous
les territoires dont il s'eſtrendu maître depuis le 9
du mois de Ramzan de l'an 1180 , jour auquel
s'eſt ratifié ſon traité avec le Peshwa; & leſdits
territoires ſeront délivrés aux Anglois & an Nabab
Mahomet Aly Kan , avant le terme de fix
mois , après la concluſion du préſent traité ; &
lesAnglois s'engagent , dans ce cas , à ne point
faire d'hoſtilités à Hyder-Aly Kan , tant qu'il
n'en agira point hoftilement de ſon côté avec eux
ni avec leurs Alliés , & tant qu'il entretiendra
une harmonie parfaite avec le Peshwa ».
La même gazette de l'Inde contient l'extrait
ſuivant des papiers de Dehli , Dig.
,
Le 23 Septembre , à environ 3 heures après
midi , le Nabab Mika Shuffey , Affrafiab Kan
Rajah Hemet Bahaden , Suliman Kan , Kaulim
Kan , Merbaun Kan , Koijah Neaz Kan , Aſſibed
Kan , Bazid Kan &autres monterent à cheval
pour aller viſiter Mamod Beg ; quand ils furent
arrivés à un mille , un Harcarra vint leur dire
que Mamod Beg étoit dans ſa tente , que fa ca
valerie ,
( 121 )
valerie , ſon artillerie , &c. étoient à environ
un demi mille; Mirza Suffey dit ſur cela à Affrafiab
Kan qu'il ſoupçonnoit quelque piege.
Affrafiab repliqua : J'irai d'abord , je le viſiterai ;
j'examinerai & nous verrons. Mirzha Shuffey fit
halte avec ſa ſuite. Affrafiab Kan , Bafid Kan ,
Merbaun Kan , & quelques perſonnes de la ſuite
du premier , au nombre de deux cens , s'avancerent;
à leur approche. Mamod Beg & fon neveu
Aga Ismaël monterent fur leurs éléphans ,
&allerent au- devant d'eux. Après les complimens
ordinaires & une courte converation ,
Affrafiab retourna auprès du Nabab Shuffey , &
lui dit qu'il pouvoit avancer ſans crainte. Le
Nabab marcha avec un petit nombre deCavaliers
, & prit avec lui ſur ſon éléphant Akeem
Ali Couli Kan ; Mamod Amin Kan l'accompagna
aufſi. La ſuite du Nabab & celle de Mamod
Beg ſe ſaluerent ; en même tems la eavalerie
& l'artillerie du dernier , qui n'étoit qu'à
un demi mille , s'approcha. Mamod Amin Kan ,
ſoupçonnant quelque trahiſon , dit au Nabab qu'il ,
ſeroit prudent de retourner auprès de ſes gardes.
Je ne m'en retournerai pas , répondit le Nabab ,
ſans avoir fait ma viſite ; il en arrivera ce qui
pourra. Là- deſſus il s'avança encore un peu &
s'arrêta. Mamod Beg s'approcha & le ſalua en
joignant les mains. Pour parler avec le Nabab ,
il ordonna qu'on conduisit ſon éléphant à côté
du ſien; ſon neveu fit de même ,de maniere qu'ils
ſe trouvoient de chaque côté du Nabab qui étoit
au centre. Ils commencerent à parler enſemble;:
enfin Mamod Beg prit la main droite du Nabab
& l'attira à lui ; le Nabab le repouſſa , &
lui mit la main gauche ſur l'épaule pour ſe débarraffer
; Mamed Beg s'empara encore de cette
main , & fon neveu plongea un poignard dans
N°.20 , 51 Mai 1784. f
( 122 )
lecôtégauchedu Nabab,qui s'étantretournéauſſitốt
, reçut un ſecond coup de poignard de Mamod,
Beg dans le côtédroit. Il mourutde ce derniercoup,
&tomba de fon éléphant.Aga Iſmaëltomba auffi.
Mamod Amin Khan tua le Conducteur de l'éléphant
de celui-ci , & le fut lui-même par les
gens de la ſuite de MamodBeg. Auſſi-tôt l'artillerie
fit feu ; le peu de gens que Mirza Shuffey
avoit avec lui , prirentla fuite , & rejoignirent
la garde avec laquelle ils revinrent ; une mélée.
ſuivit. Affrafiab Khan pour exciter le courage des
hens , leur promit un mois de paie en gratification.
Il y eut 600 tués de part & d'autre ; 400
bleſſés du côté de Nabab , & de celui de Mamod
Beg ; le combat dura 7 heures. Le Nabab Mirza
Shuffey Kham étoit neveu de feu Nujiff Khan ,
& lui avoit ſuccédé dans ſes biens& ſes titres.
L'élection de Weſtminſter ſe continue;
M. Fox a repris la majorité par degrés ; elle
a été ſucceſſivement de 21 , de 56 voix en .
ſa faveur , & le 30 elle étoit de 86; aujourd'hui
elle eſt de 136 , c'est-à-dire , de 6049
contre 5913. En reprenant l'avantage , il
avoit adreſſé la lettre ſuivante aux Electeurs .
>>> Meſſieurs , l'état actuel de l'Election offre
un exemple glorieux de ce que l'on peut attendre
de la perſévérance d'hommes indépendans qui ſe
font rendus les défenſeurs de la liberté de la
conſtitution. Je vous demande avec la plus vive
inſtance la permiſſion de ſolliciter la continuation
de vos efforts généreux en ma faveur. L'importancede
chaque individu eſt maintenant affez
évidente , de même que le nombre des Electeurs
qui m'ont aſſuré de profiter de toute circonſtance
favorable&de me donner leur voix toutes les fois
( 123 )
que les apparences leur pro mettroient unplein
ſuccès. Les procédés inouis & fans exemple que
les Miniſtres actuels ſe ſont permis contre moi ,
par une proſtitution indécente des noms les plus
reſpectables & par toutes les menées ſourdes &
odieuſes d'une influence inconſtitutionnelle , ont
produit les effets qui devoient naturellement réſulter
de meſures auſſi infâmes , en réveillant le
courage& en excitant l'indignation de toutElecteur
indépendant & honnête. Comme vous êtes
parfaitement inſtruits de ma vie publique , j'éviterai
, à cet égard , des proteſtations ſuperflues.
Ces principes , auxquels nous sommes redevables
de la glorieuſe révolution qui a mis ſur le trône
l'illuſtre famille de S. M. , & préſervé de toutes
atteinte la liberté de cette conſtitution ; ces principes
, dis je , ont toujours été la regle inviolable
de ma conduitepolitique.C'eſt d'après ces mêmes
principes que je prends de nouveau la liberté de
demander votre appui , & fi je ſuis affez heureux
d'être réélu repréſentant de cette grande & refpectable
Cité , vous pouvez être pleinement aſſuré
de trouver en moi un ferme ſoutien de la cauſe
des Whigs , un ennemi déclaré de cette ſecrette
influence qui a ſervi de marche- pied à l'admin'ſtration
actuelle , & un ami incorruptible des
droits du peuple. Je ſuis , &c.
Les troubles continuent toujours en Irlande,
& on ignore encore comment ils ſe
termineront.
L'affaire des libelles qui ont occaſionné le bill
relatif à la preſſe en Irlande a occupé pluſieurs
ſéances de la chambre des Communes . Deux
perſonnes , ſoupçonnées d'être les Editeurs ou
imprimeurs de ces libelles , avoient été arrêtées ;
& le 19 , l'un deux , M. Carrey fut appellé à
f2
( 124 )
la barre de la chambre ; ſa réponſe aux interro
gations , qui lui furent faites , fut qu'il ne reconnoiſſoit
pas l'autorité de la Chambre ; qu'il
devoit étre jugé par une Cour de juſtice , & que
la Chambre n'en étoit pas une. M. Fofter demanda
qu'on lût le paragraphe dont on ſe plai.
gnoit ; il occafionna quelques difcuffions , pendant
leſquelles il s'éleva quelques voix en faveur
du ſieur Carey, qui s'en tint toujours à ſapremiere
réponſe de décliner la jurisdiction des communes
qui n'avoient pas de droit de prendre connoiffance
de cette affaire ; il recrimina enſuite
contre le Sergent d'armes qui l'avoit arrêté en
plein jour, conduit au milieu d'une troupe de Soldats
, qui l'avoit fait garder chez lui , en le traitant
mal & en lui refuſant des plumes & du papier
& en n'admettant pas toujours ceux qui venoient
le voir. Sur cette plainte , il fut nommé un comité
pour examiner la conduite du Sergent d'Armes:
le 21 ces accuſations & les défenſes du Sergent
futentexaminées; il en réſulta quece dernier s'étoit
conduit avec la prudence néceſſaire pour s'aſſurer
de fon prifonnier. Quant au ſieur Bingley qui
avoit été arrêté en même-temps , il fut remis en
liberté , parce qu'il prouva qu'il n'étoit qu'un
Commis de l'Imprimeur du papier.
Ce qui ſe paſſe en Irlande relativement à
la liberté de la preſſe , n'excite pas moins de
fermentation ici qu'à Dublin. Les papiers de
l'oppofition & ceux du parti de la Cour ſe
réaniffent pour condamner le bill qui doit
la gêner.
Ces derniers s'empreſſent de publier que le miniftere
le défàpprouve , qu'il l'a témoigné de la
maniere la plus franche ; ceci ne parois qu'une
mauvaiſe juftification aux autres ; ils prétendent
( 125 )
que ſi ce bill eſt renvoyé avec la ſanction royale ,
tout ce qu'on dit du væn des Miniſtres pour laiffer
les chofes comme elles étoient , ſera fans fondement
, & prouvera au contraire qu'ils en faifoient .
un pour le changer , fans paroître eux- mêmes
avoir opéré ce changement. Mais paflera t- il
comme ils l'efperent ? Les Irlandois le pafferontils
ſans ſe permettre que de vaines réclamations
qui ne produiront rien ? Ne fongeron - ils pas à
défendre leur liberté , à forcer l'abregation d'une
loi qui peut lui être ſi funefte ? Ne feront- ils pas
appuyés du voeu de l'Angleterre ? Est-ce dans ce
fiecle que les attentats contre la liberté font
poffibles ? Jamais en aucun temps elle n'a inſpiré
plus d'enthousiasme. Nous ne ſommes plus dans
celui où les peuples n'toient regardés que comme
de vils troupeaux deſtinés à fervir les caprices &
les fantaiſies de leurs maîtres. Il n'y a plus , dars
le monde chrétien, que la Ruffie où prévaut encore
la coutume barbare & fauvage dt nos ancêtres
, & dans ce pays même la féodalité diminue.
L'Impératrice a déjà porté la faulx dans le
pouvoirtrop étendu de la nobleſle ; on commerce
àconnoître le nom de la liberté ; elle naîtra Cins
doute un jour : les peuples qui en jouiffent déjà
ſe la laiſſeront ils enlever ?
:
Celui , dit Montaigne,qui rend fidelement
un dépôt qui lui a été confié dans le fecret ,
ne fait que remplir fon devoir & s'abſtenir
d'un crime; la véritable récompenſe eſt dans
ſaconſcience; il ne lui faut que celle là. Cerre
vérité ne paroîtra ſévere qu'à ceux qui feroient
capables d'un abus de confiance; mais
elle n'empêchera pas de trouver le fait fuivant
intéreſſant.
f 3
( 126 )
Un Eccléſiaſtique très -riche , jouiſſant d'une
Rectoretie confidérable dans le Comté de Worcefter
, mourut il y a quelques ſemaines ; on
vendit ſes meubles dans la maiſon qu'il occupoit.
Un pauvre Vicaire qu'il avoit pris &
qui faiſoit le ſervice de la paroiſſe pour un ſa
laire très - médiocre , eut envie d'une groſſe &
vieille boîte , ayant la forme d'un gros volume
in- folio; il l'acheta , & la fit porter dans la maiſon
qu'il occupoit à quelque diſtance. De retour
chez lui , il n'eut rien de plus preſſé que de
voir fon acquiſition , & d'examiner ſi elle étoit
en bon état, & fi elle n'avoit pas été dégradée
dans le tranſport; il ouvrit ſa boîte avec peine ,
& en la vifitant , ildécouvrit un petit ſecret qui
fermoit une caſe qu'on ne voyoit point , & dans
laquelle il trouva un rouleau de 200 guinées.
Etonné de voir cette ſomme , il examinala boîte
plus attentivement , & trouva encore une cafe
ſecrette qui contenoit une pareille ſomme en or.
Il prit cet argent dans ſa poche , & courut au
Presbytere , où il le remit entre les mains des
Adminiftrateursdes biens du défunt , en leur racontant
où il l'avoit trouvé. Ils ne furent pas peu
furpris de cette reſtitution , en confidérant la pauvreté
du Vicaire , ſa malheureuſe famille , la
facilité qu'il avoit à s'approprier une ſomme
dont perſonne n'avoit connoiſſance , & qui n'eût
jamais été réclamée. On auroit dû peut - être
récompenſer ſa probité , en la lui laiſſant ; & on
ne dit pas ſi on lui fit autrement un préſent ,
qu'il méritoit également par ſon honnêteté
par ſes beſoins .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le II Mai.
Le Maréchal d'Aubeterre, Commandant
( 127 )
en chef en Bretagne , ayant obtenu la démiſſion
de ce Commandement , S. M. y'a
nommé le Comte de Montmorin , ci -devant
fon Ambaſſadeur extraordinaire à Madrid ,
où il ſera remplacé par le Duc de la Vauguyon
, ci-devant Ambaſſadeur de S. M.
à la Haye , où ſe rendra le Marquis de Verac
, auparavant Miniſtre Plénipotentiaire à
Petersbourg , où le Comte de Segur ira
prendre ſa place en la même qualité. Ils eurent
l'honneur de faire le 20 du mois'der
nier leurs remercîmens au Roi à qui ils furent
préſentés par le Comte de Vergennes ,
Chef du Confeil Royal des Finances , Mi-
-niſtre& Secrétaire d'État , ayant le département
des affaires étrangeres .
Le 21 le Roi , en conſidération des ſervices
de M. Marquelet de la None , Lieutenant-
Général Honoraire au Bailliage & Siege
préfidial de Meaux , & Subdélégué de
Intendance de Paris , a bien voulu lui accorder
un Brevet de Conſeiller d'Etat.
Le Comte de Croiſmare , qui avoit elu
Thonneur d'être préſenté au Roi le 26 , a eu
celui de monter le 29 dans les voitures de
S. M. &de chaffer avec elle .
L. M. & la Famille Royale ont figné le 2
dece mois, le contrat de mariage du Marquis
de Caumont de la Force , Chefde l'unique
branche reſtante de ſa maiſon , avec
la Comteſſe Louiſe de Loſtanges , Chanoineſſe
du Chapitre noble de Largentiere.
f4
( 128 )
L'AbbéSoulavie a eu l'honneur de préſenter
à L. M. le diſcours qu'il a compoſé pour
la cerémonie de l'ouverture des Etats de
Languedoc , ayant pour titre : De l'influence
des Moeurs fur la prospérité ou la décadence
des Empires .
DE PARIS , le 11 Mai.
Le 6 de ce mois , à midi précis , le Roi
s'eſt rendu à la plaine des Sablons , où il a
fait la revue du Régiment de ſes Gardes-
Françoiſes & de celui de ſes Gardes-Suiſſes;
comme le temps étoit fort beau , & que le
peuple ſe porte avec empreſſement dans tous
les endroits où il peut jouir de la préſence
de fon Souverain , le concours fut extraordinaire.
La Reine devoit venir dîner à Paris
le même jour , & fe rendre enſuite aux Italiens
, mais Monſeigneur le Dauphin ayant
éprouvé quelque dérangement par le travail
de la dentition , S. M. retourna à Verſailles
après la revue.
Depuis la paix les Anglois ont perdu dans
l'Inde le vaiſſeau le Superbe. La fortune nous
a traités de même , & le Sévere de 64 , commandé
par M. de Maurville , a péri , dit on ,
en entrant au Cap de Bonne-Efpérance ; il
a donné fur des roches , & comme c'étoit
un vieux vaiſſeau , il n'a pu réſiſter au choc;
l'équipage a été ſauvé. C'eſt la frégate la
Fine, arrivée àRochefort , qui a donné cette
nouvelle.
M. Duclos , Lieutenant de vaiſſeau , qui commandoit
la gabarre l'Adour , perdue ſur l'iſle de
( 129 )
Rhé , écrit on de la Rochelle , eſt parti pour
Breſt , ainſi que les Officiers qui ſervoient fous
lui , pour y être jugés par un Conſeil de guerre ;
c'eſt une formalité d'ufage en pareille circonftance
. L'Orion , de 74 canons ,ſe conſtruit
à Bayonne , c'est-à- dire que des gabarres apporteront
à Rochefort les pieces de ce vaiſſeau
toutes taillées & prêtes à être montées dans fix
ſemaines ou deux mois . Ces conſtructions préparatoires
ont eu lieu pendant la guerre , afin
de pouvoir conſtruire en pluſieurs endroits à la
fois.
On lit dans une lettre de Morlaix les détails
ſuivans.
-
« Les ordres ont été donnés depuis quelque
tems de reprendre les conſtructions dans tous
les départemens de la Marine royale ; mais tout
eſt tranquille encore à cet égard à Brest ;
on s'y borne à faire travailler au radoub des
vaifſeaux. Les Deux-Freres , de 80 canons , & le
Superbe , de 74 , font encore fur les chantiers ;
ſi l'on y travaille , ils pourront être à l'eau dans
le courant de l'été , comme il avoit été projetté.
Il paſſe pour conftant que l'on va
reprendre les travaux de Cherbourg avec la
plus grande vigueur , pour eſſayer d'y former
cette rade étonnante dont il a été parlé , au
moyen des caiſſons que l'on doit couler. M. de
la Bretonniere , Capitaine de vaiſſeau , dirigera
& commandera les manoeuvres de mer . On a
fait paſſer de Brest à Cherbourg des détachemens
de la Marine royale , & les fûtes l'Aigle
, le S. Barco , le Frédéric-Guillaume , & le
Canada , pour ſervir de pontons.- Les frégates
la Nymphe , de 40 canons , la Dangé , de 36 , les
Aûtes l'Autruche , la Sonde , la Bretonne , la Loire ,
Saumon , lı Pintade , la Doraie , la Forte &
fs
le
( 132 )
Anonyme font en armement à Breſt.
M. le Comte de Choiſeul- Gouffier ayant
été demander au Roi ſon agrément pour la
nomination , que l'Académie Françoiſe a
faite de M. le Marquis de Monteſquiou ,
S. M. approuva le choix de l'Académie , &
daigna s'informer en même temps de l'état
de M. le Franc de Pompignan , qu'on déſeſpere
de voir pleinement ſe rétablir , depuis
la derniere attaque d'apoplexie dont il a été
frappé.
On a perdu depuis peu un Artiſte bien intéreſſant
par ſon talent & par ſes qualités
perſonnelles; c'eſt avec empreſſement que
nous inférons ici la notice ſuivante , qu'on
nous afaitpaſſer ſur la vie& ſur les ouvrages
de M. Macret.
Avec des talens ſuperieurs , il n'eſt pas néceffaire
d'avoir parcouru une longue carriere pour
obtenir une réputation diftinguée ; non ſeulement
l'Artiſte dont nous regrettons la perteauroit
pu égaler les plus grands Maîtreess,, mais
on remarquoit dans ſes ouvrages le ſentiment,
l'expreffion & le caractere des Auteurs qu'il traduiſoit
, lorſqu'une mort prématurée eſt venue
l'enlever aux Arts. Charles - François-Adrien
Macret naquit à Abbeville le 2 Mai 1750. 11
annonça , dès l'âge le plus tendre , ces heureuſes
diſpoſitions qu'on ne doit qu'à la nature , & ce
fut pour les cultiver efficacement que ſes parens
l'envoyerent à Paris . Il étudia les principes
du deſſin & de la gravure ſous Nicolas Dupuis
& Littrait de Montigny , chez leſquels il fit
des progrès rapides. Un accident funeſte le priva
bientôt de ſon pere , & lui fit ſentir la néceffité
de redoubler ſes efforts , & de ſe rendre
( 131 )
entiérement à l'étude. Après la mort de fes
premiers Maîtres , le jeune Macret ſe mit ſous
la direction de MM. Aliamet & de S. Aubin , &
il ne tarda pas à donner des preuves de fa capacité;
ſes premiers ouvrages furent la Simaritaine
, gravée d'après le Chevalier Vander Werf,
& la priere à l'Amour , d'après M. Greuze. Dans
une Eſtampe qu'il grava enſuite , d'après Gon
zales , & qui a pour titre , les prémices de
lamour propre , il développa ce goût pur & ce
ſtyle harmonieux qui caractériſent ſes productions.
S'étant marié en 1777 , il eut la douleur
de perdre , quatre ans après , une épouſe chérie
qui faiſoit ſon bonheur , & cette privation
répandit dans l'ame ſenſible de M. Macret une
mélancolie profonde qui empoiſonna le reſte
de ſa vie. L'amour de ſon état, & fa tendreſſe
pour ſes enfans ſuſpendirent pendant quelque
tems le chagrin dont il étoit dévoré. Il grava ,
d'après M Moreau , l'arrivée de J. J. Rouffeau aux
Champs-Elisées , pour ſervir de pendant a l'arrivée
de Voltaire , qu'il avoit miſe au jour quelque
tems auparavant (1) . Ses derniers ouvrages
furent la Fontaine enchantée , ſujet tiré de l'Aſtrée,
d'après le deſſin de M. Cochin ; & la fuite à
deffein , d'après M. Fragonard. On remarque
dans ces différens ouvrages une profonde connoiſſance
du deſſin , une touche moëleuſe ,
fuave & fpirituelle. Conſumé par une fievre
lente , que l'application au travail rendit peutêtre
rebelle à tous les remedes , cet eſtimable
Artiſte mourut le 24 Décembre dernier , em-
(1)Ces deux Eſtampes , qui font très - précieuſes , & qui
ne peuvent que le devenir tous les jours davantage , à
préſent que "Artitte auquel on les doit , n'eſt plus , font
-pendantl'une àl'autre , & le trouvent maintenant chez la
mere de l'Auteur , rue des Foffes M.le Prince , au coin
de celle de Touraine , maiſon du Tapiffier,
f6
( 132 )
portant au tombeau l'eſtime du public,l'amitié
de tous ceux qui l'avoient connu , & les regrets
d'une famille éplorée dont il étoit le ſoutien.
Acet article nous en joindrons un autre ,
qui n'intéreſſera pas moins nos lecteurs ; c'eſt
l'éloge de l'homme bienfaiſant , qui a gouverné
pendant plus de 30 ans le Séminaire
de S. Louis à Paris .
Permettez- moi , Monfieur , de jetter quelques
fleurs ſur la tombe de l'homme Gimple & vertueux
qui vient d'être enlevé à la religion dont il faifoit
l'oruement , & de me ſervir de la voie de
votre journal , pour donner aux ames ſenſibles
le précis de ſes brillantes qualités. Il fut bienfaifant
, & c'eſt un titre pour mériter une place
dans vos feuilles . M. Garrel avoit reçu de
la nature un coeur fait pour être aimé , & un
eſprit capable des plus grandes choſes. Appellé
aux fonctions laborieuſes du Miniftere ſacré , il
ſe livra avec ardeur à l'étude de la Théologie.
On rendit bientôt juſticeàſes talens . Dans un
âge où les autres peuvent à peine ſe conduire
eux mêmes , il fut choih pour former de jeunes
Eccléſiaſtiques , & remplit avec distinction durant
pluſieurs années les devoirs de cette place délicare
& importante. M. de Beaumont , dont le
coup-d'oeil juſte & exercé ſavoit ſi bien apprécier
le mérite , lui confia là conduite d'une Maifon
célebre par les ſervices qu'elle a rendus à
TEgliſe de France , & par le nombre des ſujets
qui ont été élevés dans ſon ſein , & qui ſont
maintenant la lumiere des Dioceſes . M. Garrel
s'empreſſa de justifier le choix de Mgr. l'Archevêque
; on le vit porter avec un zele courageux
le fardeau qui lui avoit été impofé , exciter dans
ſa maiſon la noble émulation du bien , donner
àtous l'exemple de la piété , de la modeſtie ,de
( 133 )
la charité , du déſintéreſſement , de l'amour des
devoirs ; de-là cette réputation éclatante dont
jouit le Séminaire de S. Louis & dont il jouira
long-tems , puiſque le ſucceſſeur de M. Garrel
eſt l'héritier de toutes ſes vertus. Il ne tarda point
àmériter la confiance de nos Evêques ; & pour
achever cette partie de ſon éloge , il fut eſtimé
de M. de Juigné , qui lui donna pluſieurs fois des
marques de bienveillance & de conſidération .
Tous les jeunes Eleves qui furent confiés à ſes
ſoins , le chériſſoient comme un pere ; ils voulurent
que le pinceau d'un Artiſte célébre confervât
à la poſtérité les traits précieux d'un homme
ſi cher à la religion . Sa vieilleſſe fut fans nuages;
fi on en excepte la derniere année de ſa
vie. Dans l'âge le plus avancé , ſon ze'e ne ſe
ralentit point; il bravoit la rigueur des ſaiſons ,
&préſidoit à tous les exercices ; en un mot , il
fit le bien juſqu'à ſa mort. Il s'eſt montré pendant
toute ſa vie généreux & défintéreſlé . Le
tableau des miferes humaines pénétroit ſon ame
de la plus vive douleur ; il s'eſt plu à verſer des
ſecours ſur les familles indigentes ; & malgré
la modicité de ſa fortune , il a exercé pluſieurs
actes de bienfaisance , que les bornes d'une lettre
ne me permettent pas de rapporter ; & après
avoir fourni une carriere longue & pleine de
bonnes oeuvres , il mourut dans la paix du Seigneur.
Je ſuis , &c . Signé , L'ABBÉ BONNERIE .
Nous venons de lire dans un Papier public
un avis qui intéreſſe les Cultivateurs , &
auquel nous nous empreſſons de donner de
la publicité.
MM. les Commiſſaires des Etats de Bretagne ,
de l'Evêché de Nantes , donnent avis aux Cultivateurs
que le ſieur Guillaumé le Quellec , labou
reur dans la Paroiſſe de Pleubian,Evêché de Tre,
( 134)
guyer, emploie conftamment ,depuis 35 ans , la
graine de lin qu'il recueille ſur la terre , qu'illa
Jaiſſe múrir fur pied , & que la portion de lin,
qu'il ſacrifie pour la graine peut etre encore employée
, quoique d'une qualité inférieure : qu'il
trouve dans cette méthode l'avantage de r'avoirjamais
fémé fans ſuccès , & fans une bonne récolte
, ſuivant l'année;& une très grande économie ,
en ce que le baril de graine de lin , que la Com
pagnie danoiſe vend 60 livres , & qui demande
une terre préparée par une culture diſpendieu .
Ye , ne lui revient qu'à onze , en la recueillant luimême
, & n'eſt point d'une qualité auſſi ſuſpecte
que celle du Nord. MM. les CommiſſairesdesEtats
invitent des Cultivateurs à faire l'expérience
d'un procédé dont il réſulteroit un
très grand bien pour la Province ;& ils les prient
de leur donner avis du ſuccès de leurs premiers
effais.
-
Une lettre de Rouen nous apprend que
M. Blanchard ſe propoſe d'y répéter l'expérience
qu'il a faite à Paris au champ de Mars ,
avec ſon vaiſſeau volant, le 2 du mois de
Mars dernier. Il y annonce , comme il l'avoit
fait à Paris , qu'il montera & defcendra
à volonté , au moyen d'aîles &de machines
qu'il a inventées, qu'il planera long-temps ,
&fera diverſes évolutions dans le lieu fermé
qu'il a choiſi , & qu'il ne déſignera que quelques
jours avant l'expérience ; il ne dit pas
qu'il fe dirigera à volonté , mais il eſpere
qu'il le pourra. On ne peut que lui ſouhaiter
plusde ſuccès qu'il n'en a eu à Paris fur
ce dernier objet , & qu'il n'éprouve pas du
moins les inconvéniens qui l'avoient privé
( 135 )
des machines qu'il avoit préparées. Comme
àParis il a ouvert une ſouſcription; le jour
fixé pour fon expérience ; eſt le 23 de ce
mois.
L'Académie Royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres tint le 20 du mois dernier ſa ſéance publique
d'après Pâques. Elle adjugea au Baron
deMeerman le prix extraordinaire deſtiné à un
mémoire dans lequel on comparoît entr'elles la
Igue des Achéens , 280 ans avant J. C. , celle
des Suiffes en 1307 de l'ere chrétienne , celle des
Provinces Unies en 1589 , & où l'on développe les
causes , l'origine , la nature & l'objet de ces affociations.
Le prix ordinairefur l'influence des loix
maruimes des Rhodiens , fur la marine des Grecs
& des Romains , & l'influence de la marinefur
la puiſſance de ces peuples , fut donné à M. de
Paftoret , Conſeiller de la Cour des Aides. =
Le ſujet du prix qui ſera décerné à la S. Martin
1785 , eſt de rechercher quelfut l'état de l'Architecture
chez les Egyptiens , & ce que lesGrecsparoiffent
en avoir emprunté. Les mémoires doivent
être remis, francs de port , à M. Daeier , Se-
-cretaire perpétuel , avant le premier Juillet
1785.-M. Duteil lut enſuite un exposé des
recherches relatives à l'Hiſtoire de France ,
faites à Rome depuis 1777 juſqu'en 1784. M. de
Kéralio , le précis d'un mémoire ſur la milice
grecque & romaine . M. Boukaud , un mémoire
fur un fragment de la lei des douze tables ,
concernant la perquifition du vol qui ſe faiſoit
cum lance& licio. M. de Rochefort , un mémoire
fur Ménandre. L'objet de l'Auteur eſt de faire
connoître par les révolutions que la comédie
éprouva chez les Grecs , par l'analogie tirée
des principes d'Ariftote , & par des extraits
raiſonnés des comédies de Térence qui a copié
( 136 )
Ménandre , quel étoit l'Art de ce Poëte , qui
fit pendant trente ans les délices des Athé
niens.
,
L'Académie Royale des Sciences , toujours attentive
à ce qui peut contribuer à la fûreté & aux
avantages du Public , tant par les productions
nouvelles qu'elle met au jour , qu'en encourageant
les Artiſtes qui font leurs efforts pour mériter
ſon fuffrage , a approuvé , dans la ſéance du
13 Mars dernier , une machine qui a pour objet
d'empêcher le verſement d'une charrette lorſque
l'eſſieu caſſe ; elle en a fait un examen d'autant
plus exact & plus prompt , que le moyen lui
a paru très - ſimple , peu diſpendieux , commode
vu qu'il ne change en rien la conftruction
des charettes , & qu'on en retirera de
grands avantages ; ce qui l'a engagé à accompagner
ſon approbation d'éloges qu'elle donne
au fieur Gouault de Monchaux , inventeur du
moyen. Il ſeroit à defirer que tous les particuliers
qui font ulage de ces voitures , s'en ſervilſent
, fur-tout pour celles qui menent des fardeaux
conſidérables , comme des grès ou des
moëllons ( le modele qui a été préſenté à l'Académie
par le ſieur Gouault de Monchaux , étoit
dans les proportions de cette derniere eſpece de
charrette) . Mais il ſera po Aible d'adapter ceste machine
à toute autre , de la faire reſſervir àune neu .
ve , comme de la remettre àune ancienne. Avant
de faire connoître tous les avantages qu'on en
peut retirer , il eſt bon de donner une idée de
ſa construction , qui mettra à portée de les mieux
fentir, & engagera à en faire uſage. La principale
piece eſt en bois , & appellée jante deſupport ,
de la grandeur & de la forme d'une jante de
roue foutenue ſupérieurement à la roue , audeſſus
de laquelle elle s'éleve de deux pouces , &
y forme comme un petit chapiteau , par les cora
( 137
nes de rancher du male , auxquelles elle tient
par un fort affemblage ; ceſdites cornes font tenues
auffi beaucoup plus ſolidement qu'à l'ordinaire
à l'échantignole & au brancard de la charrette.
Les ranchers de bois ſont mis preſque auprès
de la circonférence de la roue , & affez alongés
de côté & d'autre pour cutrepaffer cette circonférence.
De plus , il y a des plaques de fer ,
dits crochets , aſſujétis par des boulons à vis ou
écrou , dans lesquels elles tournent ; les unes
font au centre de la jante de ſupport , tombent
verticalement au- devant de la roue ,& font maintenues
dans cette poſition par une ferrure trèsſimple
, de même que celles qui ſont au bout
des ranchers le ſont dans une ftuation horifontale
par une ferrure pareille. Le tout eft cependant
affez diſtant de la roue pour n'en gêner en
aucune façon le roulement. Il réſulte de cette
Aructure que la roue étant renfermée entre la
jante de ſupport , les ranchers de bois & les crochets
de fer , ne peut , lorſque l'eſſien caſſe , ni
jetter en-dehors , ſoit par en-bas ou par en-haut,
ni couler, foit en avant , ſoit en arriere ; que la
jante de ſupport tombant ſur la partie ſupérieure
de la roue au moment de la rupture , porte la
charge de la voiture à la place de l'effieu ; en
conféquence la voiture ne verſe que de la diftance
qu'il y a de la jante de ſupport à la roue ;
cette diſtance n'étant, comme il eſt dit ci-deſſus ,
que de deux pouces , ce verſement eſt imperceptible
, ce qui procure entr'autres avantages ceux
qui ſuivent. La roue ne tombe pas ſur les per-
Tonnes qui paſſent malheureuſement auprès d'elle
lorſque l'effieu vient à caffer, & par conséquent
ne les mutile ni ne les tue . La voiture ne verfant
pas , les pierres ne s'écroulent point , & ne
vont eſtropier perſenne. En ſuppoſant qu'elle
ſoit chargée de verrerie ou de porcelaine , la
( 138 )
marchandiſe ne court point le riſque d'être toute
fracaffée ; le cheval de brancard n'eſt point expofé
à être tué ou à avoir les reims caffés , ce qui
arrive preſque toujoursdans ces ſortes d'accidens.
Ce moyen rendra la caſſure de l'eſſieu moins
fréquente , en ce qu'il ne permet point d'employer
indiſtinctement des effieux trop longs , ou
*des moyeux trop courts. Le ſieur de Gouault de
Monchaux a rendu les plaques qui forment les
crochets , fixes ou mobiles , à volonté , pour que
les Voituriers aient la facilité de graiffer les
roues.
Il y a erreur dans l'article du Journal du premierde
ce mois , où l'introduction des procédés
Hollandois dans l'Art de la papeterie , & celle
de la fabrication du papier vélin ſont attribuées
à M. Johannot ; cet Artifte recommandable
par la perfection des ouvrages qui fortentde ſa
fabrique , aété récompenſé par la médaille qui
lui a été accordée , mais il a été conſtaté que
c'eſt M. Mongolfier qui a le premier monté ſa
papeterie ſur les principes adoptés en Hollande ,
&qui a le premier fabriqué du papier vélin en
France; enconféquence ,M.Mongolfier a obtenu
par Arrêt du Conseil le titre de Manufacture
Royale , pour l'établiſſement qu'il a formé à
Annonay , & il a reçu , ainſi que M. Johannot ,
la médaille d'or deſtinée à ceux qui ont frayé
de nouvelles routes à l'induſtrie , ou perfectionné
une fabricationdéja connue.
Nous tenions d'une main étrangere les
détailsque nous avons donnés ilya quelque
temps , d'une expérience intéreſſante , faite
au caffé du Caveau : nous n'en avions pas
été témoins nous-mêmes , & le merve lleux
qu'elle offroit , nous avoit inſpiré une défiance
que nous ne pûmes nous empêcher de
( 139 )
manifeſter. La lettre ſuivante prouvera que
ce merveilleux n'étoit point exagéré; la ſeule
erreur importante qui ſe trouve dans nos détails
, regarde l'Auteur de cette découverte
précieuſe. C'eſt un Citoyen également diftingué
par ſon état, par ſes connoiſſances &
par ſes qualités perſonnelles , qui n'ajamais
fongé à en faire un ſecret , & qui l'auroit
déja publié , ſi ſon honnêteté , ſon amour
pour l'humanité ne lui faisoient craindre les
abas que ne manqueroient pas d'en faire le
Charlataniſme& la cupidité, en l'employant
dans toutes fortes de maladies. Il ſe fait un
plaifirde la communiquer aux gens de l'Art ,
qui peuvent feuls en preſcrire & en diriger
l'uſage. Nous lui devions cette réparation ,
dictée par la justice & la vérité , & nous faiſiſſons
avec empreſlement l'occafion que
nous en a fourni cette lettre.
M. Vous avez inféré dans votre Journal du
6 Mars dernier , n. to , un article relatifà l'expérience
faite au Café du Caveau , pour l'épreuve
d'une liqueur vulnéraire nouvellement découverte.
Le propriétaire y eſt annoncé comme un
homme qui court le monde pour débiter ſon
remede. Ce ne peut être , M. que ſur le rapport
de quelqu'un qui ſans doute ne le connoif-
Toit pas , que vous l'avez préſenté au public ſous
un jour qui ne fauroit lui être agréable. Les
liaiſons que nous avons avec lui nous impoſent
le devoir de vous informer qu'il ne reſſemble
en rien à l'homme de votre Journal ; c'eſt un
Citoyen diftingué par ſa profeſſion & par fon
mérite , eſtimé & aimé de pluſieurs perſonnes
( 140 )
,
du plus haut rang , qui n'a jamais fondé au
cuneſpoir de fortune ſur l'utile liqueur dont le
hafard qui a fait trouver la compoſition , &
qui ne defire en tirer d'autre avantage que le
bien de l'humanité. Pluſieurs grands Seigneurs
de notre Cour voulant ſeconder ſes vues , ont
fait , de concert avec loi , ſur différens animaux ,
des expériences variées , deſquelles nous avons
été témoins , & qui ont toutes réuſſi à ſouhait .
Les plus ſurprenantes ſont celles qui ont été
tentées ſur un veau. Des Chirurgiens d'un habileté
reconnue , ont fait dans la cuiſſe de cer
animal , une ouverture d'environ deux pouces
de longueur , & coupé un artere , la bleſſure
a été parfaitement guérie en deux jours par l'application
de cette liqueur, fans qu'il y ait eu
hémorragie , ſuppuration ni épanchement ;
l'autre dans la capacité de la poitrine , où on
a plongé un ingrument , de maniere que l'air
des poumons ſortoit vivement par l'ouverture
faite ; on introduiſit de la liqueur avec un petit
entonnoirde verre , & ce ſeul panſement a guéri
la plaie , & préſervé de tous les accidens ordinaires
à cette forte de bleſſure. C'eſt , M. ,
d'après le deſir que ces mêmes Seigneurs nous
ont témoigné , que nous avons l'honneur de
vous écrire ; pour vous faire appercevoir d'une
erreur que vous avez innocemment commiſe ,
ſur la foi d'autrui. Vous êtes trop honnête ,
M. , pour ne pas rendre cette lettre publique ,
& nous ſavoir gré de vous avoir mis à même
de rendre juſtice àun Citoyen qui , par ſon état
& ſes qualités perſonnelles , ſon défintéreſſcment
& l'utilité de ſa découverte , mérite les
égards & la reconnoiffance de ſes concitoyens.
Nous avons l'honneur d'être , &c. Signés , le
Baron D'HAUGWITZ , ancien Lieutenant de Roi de
)
( 141 )、
Ia partiedu nordde la Guyane Françoise; le Che
valier DE LA FAGE ; ancien Capitaine de Grenadiers
au Regiment d'Hainault ; PEISSONNEL , an
cien Conful général de France à Smyrne.
DE BRUXELLES , le 11 Mai.
Deslettres de Paris portent que, leMinistere
Anglois a fait ſavoir aux Ambaſſadeurs des
Etats-Généraux , que , felon le defir de la
Hollande , ſa Cour confentoit à ce que le
Traité de paix fût ſigné à Paris : en conféquence
ce Traité , qui ne ſera autre chofe ,
que les Préliminaires , convertis en Traité
définitif , a dû être ſigné à préſent.
Nous nous flattons , écrit- on de la Haye , que
cette grande affaire eſt enfin terminée , que le
parti qui avoit agi pour faire tranſporter les négociations
ici , ou du moins à Londres , n'a pas
réuffi , quoiqu'on ait pris toutes les meſures
poffibles pour l'intimider. On ne croit pas que
ce que l'on a fait juſqu'ici pour retarder l'alliance
des Etats Généraux avec la France ait plus de
ſuccès ; il ne paroît pas du moins que de longtemps
laHollande reprenne les anciens fers dont
on l'avoit chargée , ſous prétexte de la foutenir.
- Le Duc de la Vauguyon eſt ici ; ſon ſéjour
ne doit pas y être long ; mais on ne doute
pas qu'il ne convienne des principaux articles
d'un traité avec les Etats généraux. -M. de
Thulemeyer , après avoir remis à L. H. P. la
Lettre du Roi , relative au Stadhouder , en a
envoyé copie à la régence d'Amſterdam , & l'a
exhortée à remplir l'attente du Roi, ſon maî
tre , en favoriſant les vues de conciliation qu'il
a propoſées. La réponſe de MM. d'Amſterdam
( 142 )
contient l'afſurance qu'ils n'ont rien de plus
à coeur que le rétabliſſement de la tranquillité
, & ils s'excuſent d'entrer dans un examen
du contenu de la Lettre du Roi , ſur ce que
faiſant corps avec les membres qui compoſent
la ſouveraineté de cette Province , ils ne peuvent
s'occuper de ce travail ſans leur concurrence.
Les mêmes leatres portent que l'on y a
appris de l'Ecluſe en Flandres, que les troupes
Autrichiennes ſembloient avoir le defſeinde
s'emparer des écluſes , dans la crainte
que le Commandant de Lillo ne fût dans
l'intention d'inonder les Polders , intention ,
que, ſelon ces lettres , il ne peut avoir. Le
petit fort du vieux Lillo eſt entierement démoli;
& il ne paroît pas que le détachement
qui en a été chargé , ait ordre de rien entreprendre
contre les autres forts.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
On parle d'un mariage entre le Prince Evêque
d'Osnabrug , fecond fils du Roi , & la Princeffe
Frédérique- Louiſe, fille aînée du Stathouder de
Hollande. Cette Princeſſe eſtdans ſa quatorzieme
année , & le Prince dans ſa vingt - unieme. Ce
dernier , comme Evêque d'Oſnabrug & Souverainindépendant
enAllemagne , peut ſe marier
à ſon gré ; mais comme héritier ſecondaire de
la Couronne de la Grande Bretagne , il ne peut
contracter aucun mariage avant d'avoir atteint
l'âge de 24 ans ſans le conſentement du Roi ſon
pere , qui a déja déclaré , dit- on , qu'il n'y avoit
aucune objection contre cette alliance , lamai(
143 )
fond'Orange étant déja alliée à celle de Brunfwick
, par le mariage du grand-pere du Stathouder
actuel avec une Princeſſe de la Grande Bre
tagne.
Des lettres de Kingſton , de la Jamaïque, portent
que le Gouverneur de la Floride orientale
a annoncé aux habitans , par une proclamation ,
qu'après l'expiration du terme fixé dans le cinquieme
article du Traité de paix entre l'Eſpagne
& laGrande Bretagne , ils doivent quitter cette
Province , à moins qu'ils ne profeſſent la religion
catholique , & qu'à la même époque les ports
ſeront fermés aux vaiſſeaux Britanniques.
Selon quelques nouvelles de l'Inde datées d'Anjengo,
l'armée de Madras , du côté de Cuddalor ,
étoit dans une poſition très-critique , & même
ſa retraite étoit fort douteuſe, ſi la nouvelle de
la fignature des préliminaires de la paix , arrivée
par Baffora , & envoyée non par le Gouvernement
, mais par M. Wraxall , n'eût pas donné
lieu a une ceſſation d'hoſtilités .
On ajoute que le Conſeil Suprême a ordonné
péremptoirement au Lord Macartney de rompre
la convention faite avec le Nabab d'Arcate, pour
abandonner à la Compagnie la perception des
revenus du Canate ; mais que le Lord a refuſé
d'obéir à cet ordre , qu'on s'attendoit que le
Conſeil Suprême interdiroit le Lord Macartney
pour ſa dérobéifſance; mais qu'on ne ſavoit pas
file Lordſe ſoumettroit à cette interdiction .
Nos papiers , en annonçant la perte du Severe
, vaiſſeau François de 64 eanons , qui a péri
au Cap de Bonne-Eſpérance , diſent que c'eſt le
dix-huitieme que cette Nation a perdu par divers
accidens depuis le commencement de la ,
guerre.
( 144 )
GAZETTE ABRÉGEE DES TRIBUNAUX.
Parlement de Paris , Grand Chambre .
des Bénéfices.
Union
Les opérations les plus utilés éprouventquelquefois
des obſtacles de la part de ceux même
pour le bien deſquels elles ſont dirigées. La.
Cure de S. Pierre- le- Moutier , dans le dioceſe
de Luçon , étoit du revenu modique de 800 liv.
Cette Paroiffe néanmoins affez conſidérable ,
avoit beſoin d'un Vicaire , & la modicité de la
Cure ôtcit cette facilité au Curé .- Il y avoit
dans la même Egliſe un titre de Bénéfice ſimple ,
fons lenomdu Prieuré de S. Pierre-le-Moutier ,
dont le revenu étoit auffi de 800 liv . Ce Prieur
n'étoit aſſujetti qu'à dire une Meſſe baſſe tous
les Dimanches : il n'étoit pas même obligé ,
en cas d'abſence , ou autre empêchement , de
la faire dire par un autre Prêtre , de maniere
que les habitans ne profitoient que très rarement
de l'avantage de cette Meſſe. - L'Evêque
de Luçon , pour le plus grand bien des fideles ,
& d'après les formalités requiſes & néceſſaires en
pareil cas , a rendu un décret d'union & incorporation
de ce Prieuré & de ſes revenus à la
Cure de S. Pierre- le- Moutier , à la charge par
le Curé d'avoir un Vicaire , à qui il donneroit
4001. lequel feroit tenu de dire tous les jours une
Meſſe , & en cas d'empêchement , de la faire
dire à ſes frais , & d'aider le Curé dans les
fonctions de ſon Miniftere. Sur ce décret , le
Roi a accordé des Lettres- Patentes confirmatives .
-Quelques Paroiffiens ont néanmoins formé
opoſition à l'enregistrement de ces Lettres-
Patentes. Arrêt du 23 Juillet 1783 , qui , fans
avoir égard à l'oppoſition des habitans dont ils
ſont déboutés , a ordonné qu'il feroit paffé outre
à l'enregiſtrement des Lettres-Patentes , & con
damné les oppoſans aux dépens .
:
:
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
Madame DE MEULAN , pour la
remercier d'un Ruban de Guittare.
DEvotre main , belle Meulan ,
Vous daignez donc orner ma lyre ?
Pour fixer le Dieu qui m'inſpire ,
CeDieu qui près de vous inceſſamment ſoupire ,
Vous n'employez , ainſi que ſa mainan ,
Ni d'autres armes qu'un ſourire ,
Ni d'autres chaînes qu'un ruban.
(Par M. le Vicomte de Br.... deVérac. )
Nº. 21 , 22 Mai 1784. G
146 MERCURE
A M. Pujos , qui m'avoit dejné.
e
C'EST
م
'EST moi , mais il eftmieux que moi.
Tu rends la Nature plus belle ;
Pujos , il n'appartient qu'à toi
**De tromper & d'être fidèle.
:
(ParM. H.... de Sech .... )
A Madame ***
AIR : Daigne écouter l'Amant fidèle & tendre,
DBEvous chanter je n'ai pas le génie ,
Et tous mes vers ſont peu dignes de vous :
Je ne ſuis point parent de Polymnie ;
Je ſuis le vôtre , & j'en ſuis plus jaloux.
:
Ce titre heureux eſt le ſeul qui m'inſpire;
Lui feul ſaura ſans effort exprimer
Ce que l'eſprit eût eu peine à mieux dire ,
Combien mon coeur ſe plaît à vous aimer,
Our , ma coufine , & vous , ſa digne fille ,
Sans les doux noeuds dont je vous fuis lié,
Mon coeur encor feroit de la famille
Par les liens d'une tendre amitié.
(Par M. de Saint-Ange. )
DE FRANCE.
147
.e
"
REGRETS d'une Mère obligée de
renoncer à nourrirſon premier Enfant.
PARS, ARS , mon enfant, le deſtin trop févère
N'a point d'égard à ma douleur ;
En vain j'éloigne un départ néceſſaire ,
Il faut y réfoudre mon coeur.
RIGUEURS ! Ô mon fils! ô regrets ſuperfias !
Il est donc vrai , je ne te verrai plus
Preffer mon"fein de ta main careffante ;
Je ne cueillerai plus fur tabouche riante
Cebaifer pur , ce baifer de l'Amour ,
Ce baiſer qu'un époux , par un tendre retour ,
Payoit avec ufure à mon âme contente.
On ne nous verra plus eſſayer tour à tour
De tes pieds délicats la marche chancelante ,
Ou par un léger mouvement ,
Balançant à
à l'envi la couche ou tu repoſes ,
Inviter le fommeil à répandre des rofes
Surton front innocent.
7 .
Pars, mon enfant, & c .
D'UNE Nourrice mercenaire ,
Omon fils , mon cher fils , tu ſuceras le lait !
Elle entendra d'un air diftrait .
Bégayer le faint nom de mère
Sans en éprouver les douceurs ,
Gij
F4S MERCURE
Pendant qu'en proie à ſes douleurs
Tamère , hélas ! ta mère véritable ,
De ton abſence inconfolable
Verſera d'inutiles pleurs.
Pars , mon enfant , &c.
-e
J'ESPÉROIS ſous mes yeux élever ton enfance ,
J'eſpéroisde ma main guider tes premiers pas ;
Ivreſſe du bonheur, trop flatteuſe eſpérance,
Pour mon coeur prévenu que vous aviez d'appas!
Mais votre lueur paſſagère
Pour moi n'a brillé qu'un matin.
Suis -je affez malheureuſe ! .... ô ſort , fort inhumain!
Les Dieux que j'invoquois exaucent ma prière ,
Ils accordent un fils aux larmes d'une mère.....
Étoit-ce donc pour le ravir ſoudain ?
Pars , mon enfant ,&c.
AH! daigne au moins , daigne le ciel propice
Veiller ſur un dépôt qui n'eſt ſi précieux ;
Et toi , que j'implorai dans des jours plus heureux ,
Étends , chafte Lucine , une main protectrice
Sur cet infortuné , l'objet de tous mes voeux.
Miniſtres de Morphée , officieux menfonges,
Accourez , agréables ſonges ,
Venez- le careffer quand le doigt du ſommeil
Preſſera ſa foible paupière ,
1
Et quand ſes yeux feront ouverts à la lumière ,
Dans un séduisant apparcil ,
DE FRANCE.
149
Volez , Amours , volez , troupe aimable & légère ,
Volez en foule à ſon réveil
Le récréer encor d'une douce chimère.
PARS, mon enfant , le deſtintrop ſévère
N'a point d'égard à ma douleur ;
En vain j'éloigne un départ néceſſaire ,
Il faut y réſoudre mon coeur.
(Par M. Gorfas. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
duLogogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Vertige ; celui
de l'Enigme eſt Madame; celui du Logogryphe
eſt Louis, où l'on trouve ou lui ,
lis,oui.
M
CHARADE.
ON premier, mon ſecond, quoique deux , ne
fontqu'un ; :
Demême que mon tout de deux pieds en fait quatre.
Voilà pour les Savans un calcul à débattre ,
Et pour les curieux un fruitbien peu commun.
(Par M. Micro-Mégas. )
Giij
150 MERCURE
:
ÉNIGM E.
Au milieu d'un brafier je reçus l'existence ;
Etmalgré le grand feu qui me donna nanfance,
Je ſuis la glace même , & crains fort la chaleur ;
Je ſuis franc& fincère",
Complaifant& poli ſans être adulateur ;
A la ſimple Bergère ,
Comme au plus puiffant Roi , j'offre la vérité;
Je ne parle jamais & réfléchis fans ceffe ;
Q
Je plais toujours à la beauté ,
Et fuis aimé de la jeuneſſe .
LOGOGRYPHE.
1
UE de maux , cher Lecteur , je procure à la terre !
Où que vous vous cachiez je vous trouve toujours ;
I'lus cruelle cent fois que la parte de l'ours ,
Je déchire , je mords & je ſouffle la guerre.
Par le mauvais côté c'eſt affez me montrer: 012
Si tu n'as pu , Lecteur , encor me pénétrer ,
A toije vais m'offrir dans mes métamorphofes.
Etd'abord j'ai fix pieds : ſi tu les décompoſes , ....
Sans effort tu pourras découvrir à l'inftant
Un ſtupide animal ; du ciel un habitant ;
Ce que cache un fille; un ton de la muſique;
Un fel ; un élément; un terme numériques
DE
٢٢٤
FRANCE.
Cequi, bien compofé, ſert de piège aux diſeaux;
Ceque le poiſſon fait ſans ceſſe dans les eaux ;
Pour le Marchand Drapier un meuble fort utile ;
Une négation ; en Guyenne une ville.
Enfin , fi tu t'entends , Lecteur , à tranſpoſer ,
Je peux t'offrir encor une des ſept planètes ;
Ce qui nous l'intercepte & porte les tempêtes .
Bref..... maintenant chez toi je dois me repofer.
(Par M. M..ge , à T....... )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
:
GALATÉE , Roman Pastoral , imité de
Cervantes , par M. de Florian , Capitaine
de Dragons , & Gentilhomme de S. A. S.
Mgr. le Duc de Penthièvre , avec cette
épigraphe :
On peut donner du luſtre à leurs inventions ;
On le peut, je l'eſſaie; un plus ſavant le faffe.
:
LA FONTAINE
יי
A Paris, de l'Imprimerie de Didot l'aîné,
rue Pavée , 1783 .
UNE des choſes qui importe le plus au
progrès de la raiſon , du goût & des talens ,
c'eſt de pouvoir comparer les différentes productions
des Arts chez toutes les Nations.
C'eſt par là que chaque Écrivain peut agran ,
1
Gi
152
MERCURE
dir ou épurer ſa manière , s'approprier de
nouvelles beautés , & ſouvent les tirer des
défauts même que lui ont offert des ouvrages
brutes& originaux. Il eſt done très- précieux
aux hommes de talent d'aller puiſer dans le
tréſor des langues étrangères. On fait tout ce
que Corneille a dû au Théâtre Eſpagnol ; &
l'on peut concevoir tout ce que le génie bar
bare de Shakespeare auroit pu lui inſpirer
par toutes les beautés que Voltaire lui a empruntées.
Il n'eſt pas moins utile au Public
de connoître les Ouvrages étrangers. Son
goût en devient moins exclufif, il fort davantage
de ces petites règles que lui ont ſouvent
impoſées la pédanterie & les routines , pour
ſaiſir les règles éternelles du beau&du grand.
Si le ſyſtême monstrueux & hardi du Théâtre
Anglois avoit été plus connu de la Nation
Françoiſe , lorſque Voltaire a commencé à
en tranſporter dans ſes Tragédies quelques
grands effets , ils euſſent moins excité de clameurs
parmi les prétendus gens de goût , &
Voltaire eût plus ofé. Malheureuſement le
ſervice de nous faire connoître les Littératures
étrangères nous a preſque toujours été
rendu par des hommes très médiocres . Tous
ceux qui ſe ſentoient incapables de rien produire
par eux-mêmes , ſe ſont voués à la
traduction , tandis qu'eux-feuls auroient dû
s'en exclure. Un Traducteur ne ſe montre
digue de la fonction qu'il remplit, qu'autant
qu'il ſe montre fait pour rivaliſer au moins
avec le ſtyle de fon original. Mais comment
DE FRANCE. 153
:
impoſer aux hommes ſupérieurs ce travail
qui doit moins piquer leur genie , & qui
leur offre une moindre gloire ? Si vous traduisez
toujours , on ne vous traduirajamais ,
difoitMontesquieu. Sans doute. Aufli l'on ne
vous propoſe pas de laiſſer la l'Eſprit des
Loix pour vous mettre à traduire Tacite ou
Gravina. Mais eût il été indigne de vous de
choitir dans les langues anciennes ou étrangères
, l'Ouvrage ou les morceaux qui plaifoient
le plus à votre goût , qui avoient le
plus d'analogie avec votre talent ? Il ſemble
qu'on devroit cette marque de reconnoifſance
à une langue nouvelle dont on vient
de s'enrichir , d'exercer ſon talent ſur quelques-
unes de ſes plus belles productions ,
en les faiſant connoître à ſa patrie. Si cette
règle eût éré ſuivie , nous aurions aujourd'hui
de belles copies des plus beaux originaux
anciens ou étrangers.
M. le Chevalier de Florian , qui , tout
jeune encore , a déjà obtenu une réputation
flatteuſe par pluſieurs Comédies qui ont un
caractère particulier , & par un affez grand
nombre de Pièces fugitives charmantes , n'a
pas cru faire de ſon talent un emploi inutile
à ſa gloire , en le portant ſur un Ouvrage
étranger. Il pouvoit d'autant moins ſe tromper
dans cette idee, que l'Ouvrage qu'il a
traduit convient particulièrement au genre
de talent qu'il a le plus montré , & on lui
a une plus grande obligation pour l'avoir
G
154
MERCURE
4
choiſi dans une langue fort négligée mainte
nant dans toute l'Europe.
Toutes les Nations ont chanté la vie paftorale;
les Eſpagnols ont pluſieurs Ouvrages
de ce genre , & leur Écrivain le plus connu ,
l'Auteur de Don- Quichotte , s'y eft exercé.
Il a fait une eſpèce de Roman paftoral intitulé
Galatée, c'eſt ce Roman paſtoral que
M. de Florian a imité plutôt que traduit.
M. de Florian a mis à la tête de ſon Ouvrage
une Vie de Michel Cervantes , trop intéreſſante,
par les faits & le ſtyle , & trop
glorieuſe aux Gens de Lettres pour ne pas
sen offrirpluſieurs citations. Peu de Gens de
-Lettres ont eu une vie plus malheureuſe &
plus traverſée que Michel Cervantes . Né
Gentilhomme & Poëte, il fut obligé , pour
vivre , de ſe faire Laquais & Soldat , & il
fut fait eſclave par les Algériens. L'hiſtoire
de ſes malheurs , dans cette époque de ſa
vie , eſt pleine de courage & de grandeur.
! " La fortune , qui épuiſoit ſes rigueurs fur
le malheureux Cervantes , ne put laffer fon
>> courage. Efclave d'un maître cruel , sûr de
>>> mourir dans les tourmens s'il oſoit faire la
moindre tentative pour ſe remettre en li-
>> berté, il concerta ſa fuite avec quatorze
->> captifs Eſpagnols. On convint de rache-
>> ter un d'entre eux qui retourneroit dans
*>> ſa patrie, & reviendroit avec une barque
i» enlever, les autres pendant la nuit. L'exé-
>>> cution de ce projet n'étoit pas facile; il fal-
>> loit d'abord amaffer la rançon d'un priDE
FRANCE.
155
ود
ود
ſonnier , enfuitę s'échapper tous de chez
leurs différens maîtres , & pouvoir reſter
>> affemblés , fans être decouverts , juſqu'au
>> momentoùla barque viendroit les prendre .
ود
ود
>> Tant de difficultés paroiffoient infurmontables
: l'amour de la liberté vint à
bout de tout. Un captif Navarrois , em-
>> ployé par ſon maître à cultiver un grand
>>jardin fur le bord de la mer, ſe chargea
>> d'y creuſer , dans l'endroit le plus caché,
>> un fouterrain capable de contenir les
>>quinze Eſpagnols, Le Navarrois mit deux
ود
ود
ود
ود
ans à cet ouvrage. Pendant ce temps , on
gagna , foit par des aumônes, ſoit à force
de travail , la rançon d'un Maïorquin ,
>> nommé Viane , dont on étoit sûr , & qui
connoiffoit parfaitement toute la côte de
Barbarie. L'argent pret , & le fouterrain
achevé , il fallut encore fix mois pour que
tout le monde pût s'y rendre : alors Viane
>> ſe racheta, & partit , après avoir jure de
revenir dans peu de temps.
ود
ود
1
1
44
Cervantes avoit été l'âme de l'entrepriſe;
ce fut lui qui s'expoſa toutes les
>> nuits pour aller chercher des vivres à les
>> compagnons . Des que le jour patoiffoit ,
>> il rentroît dansle fouterrain avec la provifion
de la journée . Le Jardibier , qui
>> n'étoit pas obligé de ſe cacher ,
ود
३
avoitfars
ceffe les yeux fur la mer pour découvrir fi
la bar que ne venoit point.
ود
ود
ود
11
{ Viane tint parole, Arrivé à Maïorque ,
> il va trouver le Vice-Roi, lui expole fa ود
Gvj
115 MERCURE
- commiſſion , & lui demande de l'aider
" dans ſon entrepriſe. Le Vice-Roi lui donne
>> un brigantin: Viane , le coeur rempli d'ef-
>> poir , vole à la délivrance de ſes frères.
ود
>> Il arriva fur la côte d'Alger le 28 Septembre
de cette même année 1577 , un
>> mois après en être parti. Viane avoit bien
» obſervé les lieux; il les reconnut , quoi-
>> qu'il fit nuit; il dirige fon petit bâtiment
>>> vers le jardin où on l'attendoit avec tant
>> d'impatience. Le Jardinier , qui étoit en
>> ſentinelle, l'apperçoit , & court avertir les
>> treize Eſpagnols. Tous leurs maux font
>> oubliés à cette heureuſe nouvelle ; ils s'em-
>>braffent; ils ſe preffent de ſortir du ſou-
>> terrain ; ils regardent avec des larmes de
>> joie la barque du libérateur. Mais , hélas !
>> comme la proue touchoit la terre , plu-
>> ſieurs Maures paffent, & reconnoiſſent les
>> Chrétiens ; ils crient aux armes. Viane
> tremblant reprend le large , gagne la haute
» mer , diſparoît;& les malheureux caprifs ,
>> retombés dans les fers , vont pleurer au
>> fondde leur fouterrain.
>>Cervantes les ranima : il leur fit eſpérer,
» il ſe flatta lui-même que Viane revien-
>> droit; mais on ne vit plus reparoître Viane.
Le chagrin & l'humidité de leur demeure
>> étroite&mal faine , causèrent d'affreuſes
maladies à pluſieurs de ces malheureux.
>>Cervantes ne pouvoit plus ſuffire à nourrir
> les uns, à foigner les autres , à les encou-
رد
rager tous.
DE FRANCE.
157
"
ود
>>Il ſe fit aider par un de ſes compagnons ,
& le chargea d'aller chercher des vivres à
fa place. Celui qu'il choiſit etoit un traitre ;
il va trouver le Roi d'Alger, ſe fait Mufulman
, & conduit lui-même au fouterrain
>> une troupe de Soldats , qui enchaînent
les treize Eſpagnols.
ود
>>Traînés devant le Roi , ce Prince leur
... promit la vie s'ils vouloient déclarer quel
étoit l'auteur de l'entrepriſe. C'est moi
lui dit Cervantes; ſauve mes frères , &
>> fais moi mourir. Le Roi reſpecta ſon in-
> trépidité. »
: Peu de temps après , la famille de Cervantes
parvint à ratſembler la ſomme nécefſaire
pour ſa rançon.
De retour enEſpagne , il ſe donna tout
entier aux Lettres ,& fut toujours perſécuté
par la fortune & l'envie. Il eut cependant
des protecteurs généreux , puiſqu'ils excitèrent
en lui une vive reconnoiffance. On ne
peut rien lire de plus noble & de plus touchant
que cette Lettre qu'il écrivit au Comte
de Lemos ſur ſon lit de mort , & quatre
jours avant d'expirer.
A Don Pedro Fernandès de Castro ,
Comte de Lemos , &c.
« Nous avons une vieille Romance Eſpa-
>> gnole qui ne me va que trop bien ; celle
» qui commence par ces mots :
La mort me preſſe de partir ,
Etje veux pourtant vous écrire ,&a
158 MERCURE
>>Voilà précisément l'état où je ſuis. Ils
>> m'ont donné hier l'extrême - onction ; jе
me meurs , & je ſuis bien fâché de ne
>> pouvoir pas vous dire combien votre ar-
>> rivée en Eſpagne me cauſe de plaiſir. La
>>joie que j'en ai auroit dû me ſauver la vie ;
ود mais la volonté de Dieu ſoit faite! Votre
>>Excellence ſaura du moins que ma recon-
>> noiffance a duré autant que mes jours.
ود J'ai bien du regret de ne pouvoir pas finir
» certains Ouvrages que je vous deſtinois,
>> comme les Semaines du Jardin , le Grand
» Bernard , & les derniers Livres de Galatée,
*>> pour laquelle je fais que vous avez de
>> l'amitié; mais il faudroit pour cela un mi- -
20 racle duTout-puiflant,&jennee luidemande
>> que d'avoir foin de Votre Excellence. >>
AMadrid , ce 19 Avril 1616 .
1.MICHEL CERVANTES.
Ala ſuite de la Vie de Cervantes , on lit
dans l'Ouvrage deM. le Chevalier de Florian
un morceau plein de goût dans les idées
&dans le ſtyle, ſur les Ouvrages de cet
Ecrivain. Je me contenterai de rapporter ce
qu'il dit fur le Roman de Galatée.
" Il me reſte à parler de Galatée, qui fut
>> fon premier Ouvrage. Dans le temps qu'il
- l'écrivit , l'Eſpagne étoit la Nation du
monde la plus galante : l'Amour faifoit
Tunique ocupation des Eſpagnols , le
fujet de tous leurs Livres. Montemayor ,
célèbre Poëtes, venoit de donner un Ro-
>>man deDiane, que l'on a traduit en Fran
ود
ود
DE FRANCE .
159
» çois . Cet Ouvrage eut un grand fuccès ,
*>> & le méritoit à quelques égards : un ftyle
>> pur , beaucoup d'eſprit , de la douceur ,
ود
du ſentiment , une poéſie ſouvent enchan-
" tereffe , & la naïveté touchante qui règne
fur- tour dans la Nouvelle du Maure Abin-
-> darraès , rachettent aux yeux des connoiſ.
feurs le fonds d'invraiſemblance , les hiftoires
de magie , & le manque d'action
que l'on reproche à la Diane de Mon-
>> temayor.
ود
:
4
» Cervantes , qui connoiſſoit tous ces dé-
>> fauts , comme on peut le voir dans l'exa-
» men de la Bibliothèque de Don Quichotte ,
>> en évita quelques- uns dans Galatéc , mais
>> ne lési évita pas tous. Ses aventures ſont
-> plus naturelles, ſes perſonnages plus in-
>> tereffans; mais ſon ſtyle , & fur tout fes
>> vers,le mettent au deffous deMontemayor.
-> Gâté par le malheureux goût de ſcholaſtique
qui régnoit alors , Cervantes fait
diffefter fes Bergers comme s'ils étoient
>> fur les bancs. Ils prononcent de longs.
traités pour ou contre l'Amour ; ilsy citent
>>Minos , Ixion,Marc-Antoine , Rodrigue ,
tous les Héros de la Fable& de l'histoire.
ود
ود Si Tircis veut conſoler ſon ami de ce qu'il
* nepeut rien'obtenir de fa Bergère , il lui
parle ainfi: On ditpar tout que Galatée est
encare plus belle qu'elle n'est crustle ; mais
>> on ajoute quefur toutes choses elte eftfpiri-
>> tuelle. Or , fi'c'est la vérité, comme cela
doit l'être , il s'enfuit de fon esprit qu'elle
160 MERCURE
>> doit se connoître elle- même; de cette con-
» noiffance , qu'elle doit s'estimer; de cette
» eſtime , qu'elle ne veut pas ſe perdre ; & de
» cette volonté , qu'elle ne veut pas céder à
» tes defirs.
>>Dans un autre endroit , un amant éloi-
» gné de ſa maîtreſſe dit en vers : Quoique
* je paroiſſe voir, entendre &fentir,je ne
ſuis qu'un fantômeformé par l'Amour &
>>foutenu par l'Espérance.
>>Dans tout l'Ouvrage , le ſoleil n'éclaire
le monde qu'avec la lumière qu'il reçoit
>> des yeux de Galatée.
>>En voilà bien affez pour donner une idee
du mauvais goût qui régnoit alors , &
>> auquel Cervantes lui-même n'a pas échap-
» pé. Mais au milieu de toutes ces folies ,
on trouve des idées charmantes , des ſen-
> timens vrais, bien exprimés , des ſituations
attachantes , les mouvemens & les com-
> bars du coeur. Voilà ce qui m'a fait choiſir
>> la Galasée de Cervantes , pour en donner
>> une imitation. Juſqu'à préſent ,perſonne
>> ne l'a traduite; & ce Roman eſt abſolu-
> ment inconnu aux François.
>>Comme il est très- poſſible que mon
>> travail ne réuſſiſſe point ,je dois , pour la
>> gloire de Cervantes , convenir ici de tous
>> les changemens que j'ai faits à ſon Ouvrage.
Galatée , dans l'original , a fix
>> Livres , & n'eſt point achevée : j'ai réduit
>> ces fix Livres à trois ,& je l'ai finie dans
» un quatrième. Preſque nulle part je n'ai
DE FRANCE. 161
* traduit; les vers ſur tout ne reſſemblent
>> à l'Eſpagnol que dans les endroits cités. Je
ود n'ai pris que le fonds des aventures , j'y ai
>>même changé des circonstances quand je
l'ai cru néceſſaire; j'ai ajouté des Scènes
> entières , comme le troc des houlettes
> dans le premier Livre ; la fête champêtre
•& l'hiſtoire des tourterelles dans le ſe-
>> cond; les adieux au chien d'Élicio dans
>> le troiſième ; le quatrième en entier eft
>> demon invention.
»On me reprochera ſans doute le trop
>> grand nombre d'épiſodes & le peu d'évé-
> nemens qui arrivent à Galatée : dans Cer-
>> vantes , il y a deux fois plus d'épiſodes ,
»&Galatée paroît beaucoup moins. Mon
>> temayor a fait la même faute dans ſa
>> Diane, qui n'eſt proprement qu'en Re-
>>>cueil d'Hiftoires différentes. Tel étoit le
>> goût du ſiècle , tels ont été nos grands Ro-
- mans François , ſi long- temps à la mode ,
>> & dont les Auteurs avoient pris les Eſpagnols
pour modèles. Quant aux batailles ,
رد aux duels , qu'on fera peut-être étonnéde
→ trouver dans un Ouvrage paftoral , c'eſt
>> un tribut queCervantes payoitàſa Nation .
>> Je ne connois point de Roman , point de
>> Comédie Eſpagnole fans combats. Ce
> peuple , un des plus vaillans de l'Europe ,
ود &fans contredit le plus paffionné , a be-
>> ſoin , pour qu'un Livre l'amuſe , d'y trou-
>> ver des récits de guerre & d'amour. D'ail-
> leurs on doit pardonner à Cervantes , qui
162 MERCURE
:
>> avoit eu lui même des aventures extraordinaires
, d'avoir imaginé qu'elles ſeroient
>> vraiſemblables dans un Roman. ”
L'analyſe d'un Ouvrage comme celui ci
feroit un morceau bien froid; il ne vit que
par le charme des détails. Toutes les critiques
que l'on en pourroit faire reviendroient
à celles que M. de Florian en a fait lui même
dans le morceau qu'on vient de lire ; & pour
le bien louer , il ſuffit de beaucoup citer.
J'obſerverai ſeulement que le ſtyle de cet
Ouvrage , qui en eſt peut être le principal
mérite , eft toujours plein de grâces & de
fimplicité , & qu'il n'offre pas la moindre
trace d'affectation ni de mauvais goût ; &
l'on reconnoît ſouvent que les meilleurs
morceaux conviennent trop au talent particulier
du Traducteur pour ne pas lui appartenir.
Parmi toutes les ſcènes gracieuſes qu'offre
la vie des Bergers , je ne fais s'il en eſt de
plus agréables que celle qui ouvre l'action
de ce Roman .
ود
" Les deux rivaux , devenus amis , alloient
accorder leurs muſettes , quand Galatée ,
>> avec ſon troupeau , parut ſur la colline.
Un fimple corſet , un jupon d'étoffe com-
> mune compoſoient toute ſa parure; fa
taille ſeule rendoit cet habit charmant :
fes longs cheveux blonds flottoient fur
ſes épaules ; un chapeau de paille garan-
>> tilfoit fon viſage de l'ardeur du ſoleil. Sim-
ود
ود
DEFRANCE. 16.3
>> ple comme la fleur des champs , elle étoit
>> belle , & ne le ſavoit pasa
ود Élicio s'avance pour lui parler ; mais
>> les chiens de Galatée , qui ne laiffoient
>> approcher perſonne du troupeau , courent
>> en grondant ſur le Berger. A peine l'ont-
>> ils reconnu que , honteux de leur mé
"
priſe , ils baiſſent le cou , le flattent de
>> leurs queues , & vont cacher leurs têtes
ſous fes mains careffantes. Le bélier conducteur
, qu'Élicio avoit ſouvent nourri
>> de ſon pain , l'apperçoit , & vient à lui ,
la tête haute, en agitantfa fonnette ; toutes
ود
" les brebis le ſuivent. Élicio leur ouvre fa
>> panetière , il diftribue aux chiens & au
>> troupeau tout ce qu'elle contenoit; des
ود larmes de joie coulent de ſes yeux ; & la
Bergère , embarraffée de voir ſes moutons
reconnoître ſi bien ſon amant , fe
hâte d'arriver au bélier, le frappe de ſa
shoulette , en rougiffant , & le force de
s'éloigner d'Élicio.
ود
>>>Le Berger lui reproche ce mouvement
de colère : pourquoi , dit il , punir vos
>> brebis,quand c'est moi que vous voulez
> punir ? » T
Voici une autre Scène: Pastorale non
*moins agréable.
" Le foleil s'étoit couché , & les trois Ber-
* gères raffemblèrent le troupeau pour le
> ramener au village. Elles n'étoient pas en
>>core à la moitié du chemin , quand Ga-
ود latée s'apperçut qu'elle avoit oublié fa
-
164 MERCURE
>> houlette : elle pria Floriſe & l'étrangère
>> de veiller à ſes brebis , & retourna ſeule
>> pour la chercher. Elle découvrit bientôt
→ à travers les arbres un vieux Berger ,
nommé Lenio , affis à la place qu'elle avoit
> occupée : il tenoit dans ſes mains la hou-
> lette qu'elle venoit reprendre.
ود >>Dans le même intant Élicio , qui re-
>> tournoit à ſa cabane avec ſon petit trou-
>>peau de chèvres , vint à paſſer ; & recon-
>> noiffant la houlette de Galatée, il s'arrête
> en regardant Lenio d'un air étonné. Ga-
>> latée , attentive an mouvement d'Élicio ,
>> ſe cache derrière un buiffon pour écouter
>> ce qu'il alloit dire.
ود
" De qui tiens-tu cette houlette? demande
Élicio d'une voix animée. Je viens de la
trouver ici , lui répond le vieux Berger ,
» & je la deftine à Béliſe , qui ne refuſera
pas un fi beau préſent.-Je ſouhaite que
*tu puiſſes attendrir Béliſe par le don de
>> cette houlette; mais la mienne eft encore
>> plus belle : regarde comme l'écorce,adroi-
>> tement enlevée ſemble former tout au tour
» une branche de lierre. Que veux- ra , que
>> je te donne pour la changer contre celle
>> que tu tiens ?-Je veux la plus belle de
>> tes chèvres. Ah! j'y conſens ; je n'en
>> ai que fix , les voilà; tu peux choiſir . Le
» vieux Lenio n'eut pas de peine à fe déci-
ود
-
der : des fix chèvres d'Élicio , une ſeule
>> étoit près de mettre bas; ce fut celle là
» qu'il choiſir. Élicio tranſporté lui donna
DEFRANCE.
165
la chèvre , changea de houlette , & l'em-
>> braſſa de tout ſon coeur. Les deux Ber-
>> gers , également ſatisfaits, ſe ſéparèrent ;
» & Galatée, toute penſive , rejoignit Flo
>> riſe&Téolinde , qui lui demandèrent des
>> nouvelles de ſa houlette. Quelqu'un l'a
>> priſe , répondit la Bergère ; mais je n'y ai
» pas de regret. "
De tous les épiſodes qui compoſent cer
Ouvrage , aucun nem'a paru aufli bien approprié
au ſujet &auffi heureuſement traité
que celui de Teolinde. Le ſtyle & les aventures
joignent à une aimable ſimplicité une
doucemélancolie.On lira sûrement avec un
grand plaiſir un morceau un peu étendu de
cet épiſode. C'eſt une Bergère qui raconte à
d'autres Bergères fon malheur & celui de
fonamanr.
" J'étois certaine d'être aimée,& je n'a-
» vois pu cacher à mon amant que mon
» coeur étoit à lui. Nous étions convenus
» qu'il retourneroit à ſon village , comme
>> il l'avoit annoncé , & que peu de jours
>> après il enverroit un ami de ſa famille me
ود demander à mon père. Nous étions sûrs
→ rous deux que nos parens conſentiroient
>> à ce mariage : tout ſembloit d'accord avec
>> nos projets; quand , deux jours avant le
›› départ d'Artidore, mon malheur fit re-
>> venir ma foeur jumelle d'un village voifin
où elle étoit allée voir une de mes tantes.
>> Cette foeur, par une fatalité bien rare ,
>> eft mon portrait vivant. Son viſage , ſa
t
166 MERCURE
32
"
taille, ſa voix , tout eſt ſi ſemblable entre
>> nous deux , que nos parens nous donnoient
des habits differens pour nous reconnoître.
Mais nos caractères, font bien
loin de cette reffemblance; & fi nos coeurs
> avoient été jumeaux , je ne verferois pas
tantde larmes.
ود
"
ود Dès le lendemain de fon retour , ma
" foeur fit fortir le troupeau , & le conduifit
au pâturage avant que je fuffe éveillée. Je
>>>voulus aller la rejoindre ; mais mon père
me retint toute la journée : il fallut re-
>> noncer à l'eſpérance de voir Artidore. Le
>> ſoir ma ſoeur revint , & me dit avec myf.
>> tère qu'elle avoit à me parler de quelque
در choſed'important. Le coeur me battit ;je
devinai mon malheur . J'allai n'enfermer
» avec elle : jugez de ce que je devins en
> entendant ces paroles.
» Ce matin , una ſoeur , je conduifois le
>>troupeau ſur les rives de l'Hénarès , lorf-
» que j'ai vu venir à moi un jeune Berger
» qui m'eſt inconnu : il m'a faluée , & m'a
ود
pris la main avec une familiarité qui m'a
>>ſurpriſe & offenſée. Mon filence , & l'altération
qu'il a dû remarquer fur mon
>> viſage , n'ont pas été capables d'arrêter
fes tranſports. Eh quoi ! ma belle Téolinde
,m'a-t'il dit ne reconnoiffez- vous
38
99
>> pas celui qui vous aime plus que lui-même ?
ود J'ai bien vû, ma foeur , que j'étois priſe
» pour vous ; mais comme votre répu-
>> tation m'eſt chère , & qu'un Berger aufli
DE FRANCE. 167
"
ود
hardi pourroit lui faire grand tort , j'ai
voulu vous débaraſſer pour jamais de cet
>> importun. Je me ſuis gardée de lui dire
» qu'il ſe trompoit; &, prenant le ton que
رد Téolinde auroit dû toujours avoir , j'ai ré-
>> pondu à ſes diſcours avec une fierté , avec
>> un dédain qui l'ont fort étonné ; ce qui
>> ne vous juſtifie pas trop , ma ſoeur. Mais ,
heureuſement pour vous, mes paroles lui ود
ود ont fait impreſſion ; il m'a quittée en me
>> nommant perfide , ingrate ; & je crois
» pouvoir vous répondre que vous ne le
>> reverrez plus .
ود
ود
ود
ود
ود
ود
ود
ود
>>Vous comprenez , aimables Bergères ,
>> combien je ſouffrois pendant ce récit.
J'aurois donné la moitié de ma vie pour
être au lendemain , pour aller à l'inftant
même détromper mon malheureux amant.
Ah ! que la nuit me parut longue ! les
étoiles brilloient encore , que j'étois déjà
dans les champs. Jamais mes pauvres
brebis n'avoient marché ſi vite. J'arrive à
l'endroit où j'avois coutume de trouver
Artidore, je le cherche , je l'appelle , je
parcours le rivage , le bois , la campagne ;
>> je ne trouve point Artidore. Reviens ,
m'écriai - je ; reviens , mon bien aimé:
>> voici la véritable Téolinde , celle qui ne
وو
"
ود
ود vit que pour t'aimer. L'échos répète mes
>> paroles; & Artidorene vientpoint. Enfin,
laffée de tant de recherches je vais m'alfeoir
au pied d'un ſaule , & j'attends que
>> le jour foit plus grand pour parcourir de
ود
168 MERCURE
- nouveau tous les lieux que j'avois pár-
" courus.
ود
>> A peine l'aube du matin laiſſoit diftin-
» guer les objets , que j'apperçois des caractères
tracés ſur l'écorce d'un peuplier
blanc. Je regarde , je reconnois la main
d'Artidore , & je ne fais comment je pus
lire ſans mourir les vers que voici :
"
ود
ود
• O vous , dont l'inconſtance égale la beauté,
>> Vous qui comptez pour rien vos ſermens&ma vie,
>> Vous ordonnez qu'elle me ſoit ravie :
>> Elle eſt à vous , comme ma liberté.
>>>J'obéirai , cruelle , à votre ordre terrible ;
* Vous ne me verrez plus; mais , àmondernier jour,
>> Je veux parler de mon amour;
» Oui , je veux répéter à votre âme inſenſible
>> Le ſerment que je fis , hélas ! pour mon malheur :
>> En l'écrivant ſur l'écorce flexible ,
> Il reſtera gravé mieux que dans votre coeur.
30 Adieu; juſqu'au tombeau le mienvous a chérie;
>> Pour' ne plus vous le dire , ita fallu mourir,
"و
>> Si mon trépas vous arrache un ſoupir ,
>> Ma mort ſera plus douce que ma vie.
« Je lûs deux fois ſans pleurer ces triſtes
>> adieux : je voulus les relire encore ; mais
les larmes m'en empêchèrent ; & fi ces
larmes n'étoient venues , je ſerois morte
ſur le champ. La douleur m'ôta dès ce
moment le peu de raiſon que l'amour
"
"
>> m'avoit laiſſe .
4 :
Il
DEFRANCE. 169
Il me ſemble qu'il y a dans ces vers une
douceur , une grâce , une mélancolie qui
yont au coeur.
M. de Florian excelle dans ce ton fimple
& naïf. Je citerai en preuve de cet éloge la
Romance de Nelzir , qui me paroît un des
chef-d'oeuvrés de ce genre.
Le beau Nelzir aimoit Sémire ,
Sémire aimoit le beau Nelzir :
Se voir , s'aimer & ſe le dire ,
Étoit leur vie& leur plaifir .
Le bonheur tient à peu de choſe ,
Un rien le fait évanouir :
Hélas! d'une feuille de roſe
Dépendoit le ſort de Nelzir.
TANT que fur ſa tige fleurie
La feuille fatale tiendra ,
Nelzir doit conſerver la vie ;
Si la feuille tombe , il mourra.
Sémire , toujours attentive ,
Ses beaux yeux fixés ſur la fleur ,
D'une main timide cultive
Le rofier qui fait ſon bonheur.
Un jour ſur ſa bouche mi-cloſe ,
Nelzir imprime un doux baiſer :
Séanire veut le rendre & n'oſe ;
En vain l'Amour lui dit d'ofer.
C'eſt à la fleur à peine écloſe
Nº. 21 , 22 Mai 1784.
1
H
170 MERCURE
Qu'elle rend ce baifer charmant.
Mais ſa bouche effeuille la roſe ,
Sémire a tué ſon amant.
NELZIR tombe aux pieds de Sémire ,
Sans ſentiment & fans couleur :
Il preſſe ſa main , il expire ;
L'Amour quitte à regret ſon coeur.
Sémire , interdire & tremblante ,
Sur ſes lèvres cherche la mort ,
Et preſſant ſa bouche expirante,
Par un baifer finit ſon ſort .
Je ne finirois pas ſi je voulois citer tous les
morceaux fur lesquels on s'arrête avec un
intérêt particulier. Mais je ne puis me refufer
au plaifir de tranſcrire encore le début
du ſecond Livre , qui n'a d'autre défaut que
d'être trop court.
ود
"Quand pourrai- je vivre au village ! quand
>>ſerai-je le poſſeſſeur d'une petite maiſon
entouréede cerifiers ! Tout auprès ſeroient
>> un jardin , un verger , une prairie , &des
ruches : un ruiſſeau bordé de noifetiers
environneroit mon empire ; & mes defirs
» ne paſſeroient jamais ce ruiſſeau. Là , je
coulerois des jours heureux; le travail ,
ود
ود
ود
وم la promenade , la lecture , occuperoient
>> tous mes momens. J'aurois de quoi vivre ;
- j'aurois encore de quoi donner ; car fans
ود cela point de richeſſe; c'eſt n'avoir rien
>> que de n'avoir que pour ſoi. Si je pou
DE FRANCE.
171
> vois jouir de tous ces biens avec une
>>> épouſe ſage & douce , & voir nos enfans ,
>> jouant ſur le gazon , ſe diſputer à qui
>> courra le mieux pour venir embraſſer leur
» mère , je croirois devoir exciter l'envie de
> tous les Rois de l'Univers .
Ce petit Ouvrage ne laiſſe d'autre regret
que celui de ne pas voir un ſujet plus heureux
entre les mains du Traducteur; il eſt
aiſé de diftinguer que les parties de l'Ouvrage
dont on eſt le moins content , font
celles où il a fait peu de changemens. Au
refte , il a toujours rendu ſervice à notre
Littérature en l'enrichiſſant de l'Ouvrage d'un
étranger qui a eu du génie ; & le goût & la
grâce que l'on retrouve par tout dans cette
imitation , rendent ce petit Roman digne
des preſſes élégantes de M. Didot , qui devroient
être réſervées excluſivement pour
les bons Ouvrages.
( CetArticle est de M. de L. C. )
Hij
172 MERCURE
GÉOMÉTRIE Nouvelle , établie fur des
principes inconnus à tous les Géomètres ;
par Meffire Simon Couder , Prêtre de la
Ville de Saint Ambroise , Diocèſe d'Uzès ,
ancien Curé de la Paroiffe de Saint Jean-
Baptiſte de Vic le Feſq , même Diocèſe ,
Directeur des Dames Religieuſes de Saint-
Mandé , Banlieue de Paris. Brochure de
2 pages. A Avignon , chez Niel ; & fe
trouve à Paris , chez Onfroy , Libraire ,
Quai des Auguſtins .
CINQ règles ſimples , dont la première eſt
le fondement des quatres autres , font les
ſeules fources d'où découlent tous les effets
naturels & fans exemples contenus dans
cette Brochure. Ces règles font priſes dans
le fond même des lignes & furfaces , & par
conféquent naturelles. Leur petit nombre
ſuffit pour toutes les opérations à faire dans
la Géométrie , même celles que les Algébriſtes
prétendent avoir démontrées impoffibles
, telles que l'analyſe des arcs & circonférences
en leurs vraies & naturelles parties
élémentaires , leurs rapports exacts & abfolus
avec leurs rayons & lignes droites , ſur
quoi l'on y donne bon nombre d'exemples ;
moyennant ces règles , on ſe paſſe de calculs
algébriques , de tables de ſinus & de logarithmes
, de formules , de ſignes radicaux ,
d'inconnues , & généralement de tous les
fignes vagues qui laiſſent ignorer la préciſion
DE FRANCE. 173
& la vérité des réſultats des calculs , ou
plutôt qui ne fervent qu'à couvrir leurs
fauffetés.
Quoique dans cet eſſai on ne donne que
la règle de calcul des lignes par leurs parties
élémentaires , & un ſeul principe pour exprimer
la valeur des élémens des ſurfaces ,
cela ſuffit pour démontrer , dans des règles
de proportions , la vérité du nombre des
parties élémentaires , attribuées aux droites
& courbes , de même qu'aux ſurfaces , &
cela dans toute l'exactitude géométrique .
On peut , avec ce ſeul éclairciſſement ,
parvenir , par la méditation , à la découverte
des quatres autres règles que l'Auteur
ne fait qu'annoncer , n'ayant eu deſſein que
de donner des effets ſenſibles de ces règles,
effets qu'il ſera toujours impoſſible aux
Géomètres de produire avec leurs principes
de convention.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations des Danaides continuent
d'attirer beaucoup de monde ; mais il
feroit difficile de déterminer l'opinion du
Public fur le degré de mérite de la muſique.
Nous nous contenterons d'expoſer la nôtre
d'après les impreſſions que nous avons re
Hij
174 MERCURE
çues , & nous la ſoumettons au jugement des
perſonnes éclairées & impartiales.
L'ouverture nous a paru d'une belle intention.
Le début en eſt noble & grave. Il
eſt ſuivi d'un morceau d'un mouvement vif
& d'un chant gai , qui donne une idée de
fêtes ; ce morceau eſt coupé par d'autres
traits dont les expreſſions fortes & les accens
pathétiques ramènent à des idées ſom-,
bres & tragiques; ces différens caractères
ſont contraſtés & fondus avec art , & foutenus
par un bel effet d'orcheſtre ; peut- être
que le premier morceau grave n'eſt pas affez
développé , & que l'impreſſion en eſt troptôt
effacée par le mouvement gai qui y fuc
cède , & qui nous paroît dominer un peu
trop dans le morceau. En total on y reconnoît
le véritable eſprit de ce genre de compoſition
, dont M. Gluck a donné fur notre
Théâtre le premier modèle , dans la ſublime
ouverture d'Iphigénie en Aulile. Celle des
Danaïdes , fans pouvoir être comparée à
celte là , eſt fort au deſſus de ces ſymphonies
infignifiantes , qui ne peignent rien ,
n'annoncent rien; qui , jetées dans le moule
commun des fonates , ſont toutes compoſées
de trois ou quatre morceaux , de caractères
& de mouvemens différens , ſans unité
comme ſans intention,& que cependant d'habiles
Compoſiteurs appellent des ouvertures.
Le récitatif nous a paru en général bien
accentué , rapide , expreffif & vrai ; mais
DE FRANCE.
175
quelquefois un peu trop chantant , c'est-àdire
, marchant par de trop grands intervalles
, & fur tout par les intervalles conſonans.
Nousy trouvons aufli certaines finales
de phraſes qui reviennent ſouvent & qui
ſemblent appartenir à la marche du récitatif
Italien . Dans les endroits paſſionnés ,
les mouvemens & les nuances des pathons y
font exprimés par des modulations fortes &
fenfibles. Il est preſque toujours accompagné
, & toujours avec intention ; les traits
d'orcheſtre qui le coupent ou le renforcent ,
ont plus ou moins de développement &
d'expreſſion ſuivant que les paroles & la
fituation l'exigent. Le Compofiteur n'a eu
garde de s'aſſervir à cette diſtinction fi gratuite
du récitatif ſimple & du récitatif appelé
improprement obligé; l'un monotone
pour le chant & dénué d'harmonie , faiſant
la baſe de la Scène; l'autre coupé par des
phraſesd'accompagnement expreſſives , mais
qu'on réſervoit pour quelques monologues
paffionnés , & qui préparoient toujours un
air. M. Gluck a fait ſentir la puérilité de ces
procédés de la routine , érigés en règle dans
l'enfance de l'art , abandonnés aujourd'hui
par les Compoſiteurs même les plus attachés
à l'ancienne méthode. L'Auteur des
Danaïdes a mêlé enſemble , avec beaucoup
d'art & d'intelligence , le récitatif
ſimple & le récitatif prétendu obligé ;
il les a coupés quelquefois par des phrases
meſurées qui ne font pas des airs ; & il n'a
Hiv
176 MERCURE
confulté pour cela que le ſens des paroles ,
la fituation & le ſentiment des perſonnages .
Cet éloge n'eſt cependant pas fans exceptions
; & nous conviendrons qu'il y a pluſieurs
endroits du récitatif, même des plus
intéreſſans , où les accens ne nous paroifſent
pas heureuſement placés , & où la
déclamation n'eſt pas auſſi juſte que nous
l'aurions defiré. Nous ſommes fâchés que
les bornes de ce Journal nous forcent de
nous renfermer dans une critique ſi générale
, & ne nous permettent pas de citer des
exemples qui en expliquant notre penſée ,
mettroient nos Lecteurs à portée d'apprécier
la juſteſſe de cette obſervation .
Les airs nous paroiſſent avoir en général
les caractères & le mouvement qui conviennent
aux perſonnages qui chantent & aux
ſentimens qu'ils expriment. Le Compoſiteur
ya fu unir ladéclamation au chant fans alrérer
le développement de les motifs , ni
l'unité du tout. Il fait employer avec
goût ces répétitions , néceſſaires dans la
muſique , & qui fervent à donner de la
rondeur à l'air , mais qui , étant prodiguées ,
ne font que l'énerver en arrêtant le mouvement
de la Scène. Les accompagnemens.
concourent toujours à foutenir le caractère
général de l'air , & à en fortifier les expreſſions
particulières. Nous citerons pour exemple
les trois airs pathétiques d'Hypermneſtre :
Par les larmes dont votrefille, an fecond
Acte : Ne voyez vous pas que j'expire ,
V
DE FRANCE
177
au troiſième : Père barbare , arrache moi la
vie , au cinquièine. La première partie
fur- tout du premier de ces airs , eſt du chant
le plus fimple , avec la déclamation la plus
vraie; la repetition des mots mon père ! porte
l'accent le plus ſenſible dans le chant , fortifie
d'une manière admirable par le crefcendo
des inftrumens , qui ſemblent umr
leurs voix à celle d'Hypermnestre , pour
flechir le coeur de Danaüs. On pourroit
peut être citer ce même air comme un modèle
de l'etendue & de la juſte meſure que
comporte un air paffionné placé au milieu
d'une Scène intéreſſante. On n'a peut étre
jamais uni plus heureuſement l'accent de
la déclamation à la beauté du chant que dans
le troiſième air : Père barbare , & c . la richeffe
& la vérité de l'accompagnement
complettent le grand effet de ce morceau .
Lincée n'a que deux airs dans ſon rôle ; le
premier , Rends moi ton coeur la confiance ,
eſt d'un chant facile & fentible , mais d'un
effet peu marqué ; le ſecond , Des tourmens
de la jalousie , eſt d'un caractère plus Lenf,
&d'une expreffion plus animée, l'accompagnement
en eſt riche & intereffant , & il a
toujours produit un grand effet. Le premier
air de Danaüs : Jouiſſez du deftin propice,
nous paroît fait de main de maître ,
&pour la conception & pour l'execution.
Le ſujet de l'air eſt dans le goût antique , &
rappelle ces couplets d'Anacreon & de Ca-,
tulle , où l'idee de la mort eſt miſe à côté des
Hv
178 MERCURE
images de la volupté. Cette intention nous
paroît parfaitement remplie par le Compofiteur.
Le motifde l'air eſt d'un chant agréa
ble & facile , auquel vient s'unir d'une manière
adroite & naturelle l'expreffion fombre
de la ſeconde idée. L'accompagnement
eſt plein d'eſprit & de chaleur.
Les deux caractères ſi oppoſés font fondus
dans l'air avec un art & un bonheur qui
nous paroiffent mériter l'attention des gens
de goût ; mais nous convenons en mêmeremps
que cet air n'a jamais produit à la repréſentation
l'effet que nous aurions cru pouvoir
en attendre. Le ſecond air de Danaüs ,
au ſecond Acte , Je vous vois frémir de colère
, eſt un air de ſituation , dont l'effet eſt
preſque tout entier dans l'accompagnement.
Le chant n'a rien de remarquable ; mais le
mouvementde l'orcheftre, femblable en quelque
forte à celuid'une mer agitée,peint le trouble&
le ſentiment féroce qui agite en ce moment
l'âme des Danaïdes autour de Danaüs,
&il s'exprime avec une progreſſion de force
& de chaleur dont l'effet eſt bien frappant.
On a defiré qu'il y eût dans cet Opéra un
plus grand nombre d'airs ; & ſur tour , commenousl'avonsditprécédemment
, de ces airs
d'une mélodie douce & regulière qui repoſe
l'âmedes énotions trop fortes ,& qui laiſſent
dansl'oreilledes impreffions qu'on aimeàconferver.
Nous croyonsce reproche fondé; nous
croyons de plus qu'on pourroit reprocher
au Compoliteur des morceaux d'un chant
DE FRANCE.
179
auſſi commun que l'air de Danaus au troiſième
Acte : Aux Dieux qui fuivent l'hymenée.
Nous trouvons aufli dans quelques
airs d Hypermneſtre que le chant en eſt,
vague & decoufu & que a melodie
y eft gratatement facrifice a lexpreffion
declamatoire , ce qu'il ne faut faire qu'avec
fooriere , & lorſqu'il en retuite un grand
effet pour la Scène. En admirantla richtiſe
des accompagnemens de la plupart des airs,
nous ajourerons que cette fichetſe va quelquefois
juſqu'au luxe , & qu'en multipliant
les parties intereſſantes de l'orcheſte, l'orenle
eſt ſouvent diſtnite du chant , ce qui nous
a paru nuire à l'effet des plus beaux airs.
Nous croyons auſſi que le Compofiteur
fait un trop fréquent uſage des inftrumens
à vent , l'effet en eſt très piquant lorſqu'ils
ſout adaptés aux caractères & aux expreffions
qui leur font propres, mais on affoiblit neceffairement
cet effet , lorſqu'on les applique
à tout , & qu'on les confond indistincte :
ment avec les autres inſtrumens. C'eſt un
abus qui devient tous les jours p'us commun
, qui a privé la muſique theâtrale d'une
ſource feconde de beaux effets , & qu'il faut
attribuer aux progrès mêmes de la inufique
inftrumentale.
Les choeurs font de toutes les parties de
cet Opéra celle qui nous paroît fur tout
diftinguer le grand Maître; ils ont preſque
tous du caractère , de la mélodie & de
beaux effets d'harmonie; quelques uns fa
Hvj
180 MERCURE
pleins d'imagination , de grâce & de ſenſibilité.
Le choeur du premier Acte : Descends
des Cieux doux Hymenée, eſt un modèle
dans ce genre ; celui du troiſième Acte :
Descends dans leſein d' Amphitrite , joint à
une expreffion pleine de volupté l'harmonie
la plus pure & la plus ſuave. Le choeur
fuivant : L'Amourfourit au doux Vainqueur
duGange, plus brillant&plus piquant encore
que les deux autres , nous paroît d'un charme
inexprimable . Le petit choeur des Danaïdes
au ſecond Acte : A quels maux nous livra fa
cruelle poursuite? eſt d'un tout autre caracrère;
le chant en eſt doux & fimple , mais
l'expreſſion de la douleur & de la plainte y
eft rendue par des accens aufli vrais que touchans.
Les airs de danſe ont en général du
caractère , & fur- tout de la variété.
:
Les Ballets de cet Ouvrage font honneur
à M. Gardel , qui a pu y déployer des
talens & des reſſources dont les Opéras ordinaires
ne font guères fufceptibles. Les
Ballers du premier & du troiſième Acte préfentent
une grande multitude de tableaux&
de figures très bien compoſés , très bien
deffines , & toujours conformes à l'intention
de l'Ouvrage. Le pas de quatre par
Miles Guimard & Dorlay , & les Sieurs
Gardel & Nivelon , est très bien conçu
& parfaitement exécuté. La pantomime
qui termine le troiſième Acte , préfenrant
le tableaudes Hymens qui conduiſent
les époux au lit nuptial eſt une idée
د
DEFRANCE. 181
heureuſe , dont l'exécution eſt très agréable.
La pantomime des Bacchantes au cinquième
Acte a de beaux mouvemens , mais nous
paroît manquer de la variete & de la progreffion
néceflaires pour donner à la Scène
tout fon effer. Le tableau fi hardi des Danaïdes
dans le Tartare , animé par un choeur
du plus grand caractère & par une décoration
ſuperbe , eſt d'un trop grand effet pour
nous permettre de rechercher ce qu'on pour
roit y defirer encore pour la pantomime.
P. S. Depuis que cet article a été livré à
l'impreffion , on a vu dans le Journal de
Paris une Lettre de M. Gluck , qui déclare
que la muſique des Danaïdes est entièrement
de M. Salieri , & qu'il n'y a eu d'autre part
que cellesdes conſeils qu'il a donnés à ce
nouveau Compoſiteur. Cette déclaration ne
peut que faire honneur aux talens dejà bien
connus de M. Salieri. Les grandes & vraies
beautés qui abondent dans cet Opéra , & les
réflexions que lui aura fait faire une connoiffance
plus préciſe de notre Theatre , doivent
nous donner les plus grandes eſpérances
pour les productions que nous avons droit
d'attendre de lui.
182 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 4 de ce mois , on a donné la
première repréſentation de la ConfianceDan
gereuse, Comedie en deux Actes & en vers ,
par M. de la Chabeaufſière.
Belmont , un de ces fats qu'on eſt convenu
d'appeler des roues , aime la temme
d'un Financier nommé Dorimon. Dans l'intention
de parvenir à inſpirer quelque tendreſſe
à la victime qu'il ſe propoſe d'immoler
à ſon goût , il perfuade au Financier ,
dont il a tout- à-fait fubjugué leſprit , qu'il
eſt abſolument ridicule d'aimer ſa femme ,
& qu'un pareil travers ſuffit pour rendre un
hounme odieux à la ſociété. Le très- facile
Dorimon , qui a la manze d'imirer le ton &
les manières de ce qu'on appelle le grand
monde , ſe garde bien de laitſer éclarer la
tendreſſe que ſa femme lui a inſpirée ; au
contraire , il affecte l'indifférence , ſouvent
même une humeur brutale. La ſituation de
la Financière eſt très douloureuſe ; dans un
des accès du chagrin qui la dévore , le perfide
Belmont lui confeille de chercher à ramener
ſon époux , en l'effrayant par les menaces
d'une féparation. Simple & credule ,
elle alopte ce moyen ; en conféquence elle
écrit à fon mari , dont le coeur épouvanté,
&bientôt rendu à ſes véritables fentimens ,
éprouve toutes les angoiſſes que peut faire
DE FRANCE. 18;
naître la crainte de perdre un objet qu'on
adore. Il répond à ſa femme , & fa réponſe
eſt fort tendre. Il a l'imprudence de communiquer
fon billet à Belmont , & de le
prieć de le faire remettre à ſa femme. Le
Roué ſubſtitue au billet de Dorimon une
lettre , dans laquelle il hafarde une déclaration
, & il engage le bonhomme à être le
témoin de l'effet que produira la lecture de
ſa réponſe. On croit bien que la Financière ,
auſſi vertueuſe que belle & intéreſſante , ne
peut lire ſans in lignation la declaration du
Fat , & qu'elle laiſſe éclater toute la colère
qu'elle lui inſpire. Belmont ne manque pas
de perfuader à l'époux abuſé que ſa femme
a pour lui le plus profond mépris , ce qui
déchire l'âme& allume la fureur du Financier.
Heureuſement une explication éclaire
toute cette intrigue , démafque le Roué , &
fait connoître la foibleſſe de Dorimon , qui ,
après en avoir rougi , renonce pour jamais
à Belmont , comme à tous les amis de fon
eſpèce , & rend tout haut à ſa femme un
coeur qui n'a jamais foupiré que pour elle.
Cette Comédie eſt imitée d'un Ouvrage
Anglois , dont Madame Riccoboni nous a
donné la traduction dans ſon Théâtre Anglois
, & qui a pour titre : Le moyen de le
fixer. M. de la Chabeauffière a banni de fon
imitation tous les développemens du Drame
Anglois , qui lui ont paru faits pour donner
à l'action de la langueur , & pour lui ôter de
l'intérêt ; maispeut être a-t'il oublié que ces
184 MERCURE
développemens ſervoient à déguiſer la refſemblance
qui exiſte entre le Moyen de le
fixer & le Préjugé à la Mode , de la Chauf
ſée. La marche des deux Comédies n'eſt pas
la même , mais c'eſt le même fonds , c'eſt le
même ridicule ; & quoique ce ridicule ſoit
place chez deux perſonnages d'un caractère
très différent , on ne fauroit ſe diſſimuler
que l'un de ces Ouvrages n'eſt guères que
l'imitation de l'autre . Au reſte , le ſujet eſt
fort adroitement accommodé à nos moeurs ,
& cette petite Comédie n'eſt pas indigne des
applaudiſſemens qu'elle a reçus. Le ſtyle en
eſt plus brillant que facile; c'eſt un reproche
que tous les bons juges feront à M. de
la Chabeauffière. Sa manière d'écrire annon
ce beaucoup d'eſprit ; mais on y remarque
trop ſouvent une coquetterie qui devroit
être bannie de tous les Ouvrages qui tendent
à peindre , dans leur exacte vérité, les moeurs
domeſtiques de la ſociété. Molière n'a jamais
cherché à éblouïr par le luxe des mots ni par
le clinquant des formes; il a voulu plaire
par les choſes , frapper les efſprits par un
comique imple & vrai , & parler à la raifon
par la vérité & la force des idées. M. de
la Chabeauſſière nous paroît fait pour afpirer
à une réputation plus qu'éphémère ; s'il
y veut atteindre , comme il le peut , ceux
qui s'intéreſſent à ſes ſuccès doivent l'engager
à chercher des modèles près de lui , à
ceffer d'être imrateur , & à donner à ſon
ftyle un ton plus naturel , plus facile , & qui
DE FRANCE. 185
foit tout-à la fois capable d'être goûté , &
par les Spectateurs du moment, & par leurs
fucceffeurs.
L'abondance des matières nous force de
renvoyer au Mercure prochain l'analyſe de
la Comédie des Deux Tuteurs , donnée pour
la première fois le Samedi & de ce mois.
ANNONCES ET NOTICES.
P
ETITE Bibliothèque des Théâtres , contenant un
Recueil des meilleures Pièces du Théâtre François ,
Tragique , Comique , Lyrique & Bouffon , depuis
l'origine des Spectacles en France jusqu'à nos jours.
Numéros VI & VII . A Paris , au Bureau de la Petite
Bibliothèque des Théâtres , rue des Moulins , butte
S. Roch.
Cette Collection a toujours le même ſuccès . Le
premier des deux Volumes qui viennent de paroître ,
contient le Port à l'Anglois , Comédie en trois
Actes; Danaüs, Tragi- Comédie , & le Valet Auteur
, Comédie en trois Actes & en vers libres . Le
Port à l'Anglois eſt d'Autreau ; c'eſt la première
Pièce Françoiſe jouée ſur le Théâtre Italien ; Delifie
eſt Auteur de la Tragi-Comédie de Danaüs , Pièce
qu'on ne fera peut- être pas fâché de comparer à
l'Opéra des Danaïdes. Outre le mérite de l'à- propos ,
cette Tragi- Comédie offre aux Souſcripteurs un
avantage dont ils doivent tenir compte aux Éditeurs ,
c'eſt qu'elle n'avoit jamais été imprimée , & qu'on
la donne auſſi d'après un manufcrit qu'on a découvert.
C'eſt à Deliste auſſi qu'appartient le Valet
Auteur.
L'autre Volume contient trois Tragédies : laMé
186 MERCURE
dée, de Longe-Pierre ; l'Iphigénie en Tauride , de
Guimond de la Touche , & la Mort de Solon . Les
deux premières font fort connues ; la troiſième a été
envoyée manufcrite aux Éditeurs , qui , comme on
voit ne négligent rien pour donner à leur Collection
tout l'intérêt dont elle eſt ſuſceptible .
L'ENFANT Géographe , Etrennes Intéreſſantes ,
petite Introduction à la Géographie & à la Géométrie
, divisée par Leçons , Demandes & Réponses.
AParis , chez Deſnos , Ingénieur-Géographe & Libraire
de Sa Majesté Danoiſe , rue S. Jacques , au
Globe. Prix , 31 .
Cette méthode eſt ſi ſimplifiée, que l'on pourra apprendre
en peu de temps la Géographie & les différentes
poſitions de la ſphère, ſans le ſecours d'aucun
Maître. On y a joint une explication de quelques
termes de Géométrie , dont l'intelligence et
néceſſaire à tout le monde ; c'eſt un préliminaire à
l'érude du globe . Il y a des figures , & à la fin des
tabletres économiques , pour que chacun puiffe
écrire ce qu'il deſirera.
DEUX Anagrammes de Louis XVI , par la
grâce de Dieu , Roi de France & de Navarre ;
l'une en François , l'autre en Latin , avec des ornemens
en gravure ; le portrait du Roi en haut , & au
bas ſon écuſſon; préſentées au Roi par Madame
Louiſe; deſſinées &gravées par F. M. Queverde. A
Paris , chez Laurent , rue de Tournon
Les Anagrammes ſont de M. le Gay; les ornemens
de gravure ſont faits avec ſoin.
THEATRE & OEuvres Complets de M. Danchet ,
de l'Académie Françoise. 4 vol. in- 12. A Paris ,
au Cabinet Littéraire , Quai & près des Auguſtins.
Danchet a partagé ſon temps & fon talent entre
DE FRANCE. 187
la Tragédie & l'Opéra ; il a obtenu & mérité des
ſuccès dans ce dernier genre. La Mothe le regardoit
comme le premier de nos Poëtes Lyriques après
Quinault.
TRAITE des Deviſes Héraldiques , de leur
origine & de leur usage , avec un Recueil des Armes
de toutes les Maiſons qui en portent , ensemble un
-Précis fur leur origine , & un Recueil des faits qui
leur font particuliers , & qui ne font point encore
connus , enrichi de, Gravures , le tout pour fervir
d'Introduction à l'État de la France, ſeconde Partie;
par M. de Combles , Officier d'Infanterie. A
Paris , chez l'Auteur , hôtel Saint Pierre , rue des
Cordiers , près la Place de Sorbonne ; la Veuve
Ducheſne & Belin , Libraires , rue Saint Jacques ;
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ; Mérigot
& Royez , quai des Auguſtins; la Veuve Eſprit ,
Libraire , au Palais Royal , & Blaizot , Libraire , à
Verſailles . Prix , 4 liv. 12 fols broché, & 2 liv.
12 fols chaque Partie ſéparée.
Ceux qui ont acquis la première peuvent repréſenter
leurs quittances .
MENTOR UNIVERSEL Ouvrage deſtiné à
PÉducation , & dont il paroîtra un Volume le premier
de chaque mois. Le prix de la ſouſcription pour
l'année entière , compoſée de douze Volumes , format
in- 18 , pareil à l'Ami des Enfans , brochés ,
ſera de 13 liv. 4 ſols pour Paris, & de 16 livres
4 fols pour la Province , port franc.
On ſouſcrit à Paris , chez l'Auteur , rue Guénégaud,
n°. 20 , au Bureau du Mentor Universel , &
chez les principaux Libraires du Royaume.
SUPPLÉMENT à mes Expériences auprès de
Paris, contenant un Expoſe ſommaire de la cauſe
188 MERCURE
générale de la pauvreté & de la mendicité, & des
moyens d'y remédier ; par M. Maupin. A Paris ,
chez Mufier & Gobreau , Libraires , quai des Au
guftins.
- Nou-
Il ne nous appartient pas de prononcer ſur le
fonds des Ouvrages de M. Maupin ; mais un préjugé
favorable , c'eſt ſon application conftante aux
matières dont il traite. Ilnous ſemble auſſi qu'on a
reconnu l'utilité de ſa manipulation pour les vins
rouges. Nous invitons les Amateurs & les Connoifſeurs
dans le genre dont il s'occupe , à le lire & à le
juger. L'importance des matières mérite leur atten
tion. Voici les titres des Ouvrages qu'il a donnés
ſucceſſivement : La Richeſſe des Vignobles , ou
nouvelle Manipulation générale des Vins , avec les
principales Expériences qui en ont été faites en
France & dans les Pays étrangers , & la Description
d'une nouvelle Fouloire , &c. Prix , 3 livres
12 fols , avec le reçu ſigné de l'Auteur.
velle Méthode pour planter & cultiver la Vigne à
beaucoup moins de frais , jointe à la théorie ſur le
temps de la vendange. Prix , 3 livres 6 fols avec le
reçu ſigné de l'Auteur. Nouveaux procédés pour
la fermentation & l'amélioration de tous les Vins
blancs & des cidres , joints à l'Avis & Leçons aux
Laboureurs & aux principales bévues des Vignerons.
Prix , 3 liv. 12 fols avec le reçu ſigné de l'Auteur.
MesExpériences à Sève , près Paris , &
en dernier lieu à Belle- Ville , banlieue de Paris ,
pour prouver que l'on peut faire des Vins d'une trèsbonne
qualité dans les environs de Paris & dans
celles des Provinces de France qui ne cultivent point
la Vigne , avec quelques nouveaux Principes fur la
fermentation & le décuvage des Vins. Prix , I livre
avec le reçu ſigné de l'Auteur.
-
M. Maupin , pour en faciliter la circulation dans
toutes les Provinces, y fait paſſer ſes livres francs de
DE FRANCE 189
portpar la poſte en lui en faiſant tenir le prix portfranc
par la poſte , & non autrement , &en affranchiffant
les lettres de demande , qui lui feront adrefſées
rue du Pont- aux-Choux , au petit hôtel de Poitou
, à Paris .
GRAMMAIRE de l'Académie des Enfans ,
Seconde Partie du Recueil de leurs Etudes , par
Pierre Frefneau , Inftituteur de ladite Académie. A
Verſailles , nouvelle Édition . Prix , 1 livre 16 fols
broché. A Paris , chez l'Auteur , Place de l'École ,
près Saint Germain l'Auxerrois ; la Veuve Hériffant
, Imprimeur - Libraire , rue Saint Jacques ;
Savoye , Libraire , rue S. Jacques ; à Versailles , à
l'Académie des Enfans , aux quatre Bornes , &
chez Blaizot , Libraire.
Nous avons annoncé la première Partie de cet
Ouvrage; la ſeconde contient les Tableaux élémentaires
de la Langue Françoiſe , avec des Explications
fuccinctes, mais fuffifantes, pour conduire trèsméthodiquement
à la connoiffance des Élémens de
cette Langue , & des Principes de ſa prononciation
&de fon orthographe , terminés par un petit Abrégé
de la Proſodie , d'un Vocabulaire d'Homonymes , &
de quatre petits Traités particuliers ſur l'Orthographe
, la Syntaxe , la Poétique & la Rhétorique
Françoiſes.
HISTOIRE d'Ab- dal- mazour , ſuite des Contes
Orientaux , troiſième récit du ſage Caleb , Voyageur
Perfan, in- 12 , par Mime Mon.... A Conftantinople;
& le trouve à Paris , chez P. Fr. Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe.
L'Auteur de cet Ouvrage a fait une nouvelle
Édition de ſes deux premiers Contes Orientaux , la
Bienfaisance & la Femme bien corrigée , auſſi in
190 MERCURE
12 , qui ſe vend ſéparément à la même Adreſſe , &
chez tous les Marchands de Nouveautés.
La première Édition de ces deux Contes a cu
beaucoup de ſuccès ; ils ont acquis de nouveaux
droits à l'empreſſement du Public par les correc
tions que l'Auteur vient d'y faire. Nous parlerons
plus particulièrement de la ſeconde Partie , qui paroît
pour la première fois , & qui eſt digne de la
première.
REMARQUES fur la Langue Françoise , contenant
la Profodie Françoise , les Effais de Grammaire
, les Remarques fur Racine , nouvelle Édition ,
volume in- 12. relié. Prix , 2 liv. 10 ſols. A Paris ,
chez Barbou , Imprimeur Libraire , rue des Mathurins
; à Limoges , chez Barbou , Imprimeur du Roi.
La réputation de cet Ouvrage eſt depuis longtemps
& folidement établie.
On trouve chez les mêmes , Étrennes du Chrétien ,
in-32. en maroquin , 2 liv. ; les mêmes en veau doré,
1 liv. 4 fols. Carte de Limoges , 3 liv.
duDiocèse de Limoges, 3 liv.- Carte Itinéraire &
Minéralogique du Diocèse di Limoges , 3 liv.
- -Carte
Le même vend auſſi une nouvelle Édition de
l'Abrégé de l'Histoire Romaine par Eutrope. Cette
Édition eſt ſupérieure aux précédentes , par le ſoin
qu'on a mis à la retoucher. On a mis à côté le texte
Latin.
De la Tragédie, pour fervir de fuite aux Lettres
à Voltaire par M. Clément ; première Partic.
Prix , 2 liv. 8 fols. A Paris , chez Moutard , Emprimeur
- Libraire , rue des Mathurins , hôtel de
Cluni. - Le Cri du Citoyen , Satyre , par M. Clément
, Broch. 12 ſols , Cisez le même .
Nous rendrons compte inceſſamment de ces deux
Ouvrages.
DE FRANCE.
191
La Caravane du Caire , Opéra en trois Aites ,
repreſenté à Fontainebleau le 30 Octobre 1783 ,
à Paris , le 12 Janvier 1784 , par M. Grétry ,
Conſeiller Intime du Prince de Liège , de pluſieurs
Académies , &c. OEuvre vingt-deuxieme. Prix , 24 liv.
AParis , aux Adreſſes ordinaires .
On ne peut voir qu'avec grand plaiſir la Partition
d'un Ouvrage dont le ſuccès a été ſi ſoutenu. Nous
allons , felon notre coutume , remarquer les morceaux
qui peuvent figurer avec le plus d'avantage
dans les Concerts. De ce nombre on trouve au
premier Acte un fort joli petit Air: Ne fuis-je pas
auſſi captive ; un duo entre Zélime & Saint-Phar , un
air d'Hufcar ( baffe taille )& fur-tout le final, depuis
ce vers : Que me demandes-tu ? Ce morceau entier
eft fait avec tout l'eſprit &toute la grâce dont M.
Gréry a donné tant de preuves. Au ſecond Acte , on
remarque ſur- tout un charmant duo : J'ai des beantés
piquantes , & le trio plus ſpirituel encore : Il
amène des Hollandoiſes . N'oublions pas un fort joli
air : C'est la triste monotonie , que M. Roufſeau
(Haute - Contre ) chante avec beaucoup de goût &
de légèreté. Le Divertiſſement offre auffi pluſieurs
airs qui méritent d'être diſtingués. Celui de Saint-
Phar , qui termine l'Acte , eſt d'un grand effet L'air
qui ouvre le troifième : Ah ! fi pour la Patatrriiee , a
réuni tous les ſuffrages , & eſt en effet d'une ſuperbe
expreffion. Les deux ais d'Almaïde : Je fouffrirois
qu'une rivale , & Jabjure la haine cruelle ,
fur-toutcelui du Pacha ( baſſe ) Vainement Almaide
encorree ,, dont l'accompagnemmeenntt eſt délicieux , feront
enrendus avec le plus grand plaifir. Le final de cet
Acte , commençant au trio : Prends pitié de fon
triftefort , doit faire , au Concert comme au Théâtre ,
un excellent effet. En général , cet Ouvrage eſt fait
pour foutenir avantageuſement la réputation de
M. Grétry.
192
MERCURE
TROIS Sonates pour le Clavecin , Flûte on Violon
obligé, dédiées à Mgr. le Comte d'Artois , & trois
autres à Madame Elifabeth de France , par Ch.
Hartman de Saxe. Prix , 4 liv. 16 fols chaque OEuvre.
A Paris , chez Baillon , Marchand de Muſique , rue
Neuve des Petits Champs, au coin de celle de Richelieu
, à la Muse Lyrique.
DOUZE Numéros du Journal de Guittare , compoſé
des plus jolis Airs , avec accompagnement de
différens Maîtres. On ſouſcrit pour ce Journal , chez
M. Baillon , même Adreſſe que ci deſſus.
NUMÉRO III du Journal de Violon , ou Recueil
d'Ains arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Le prix de l'année entière 18 liv. à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque cahier , 2 liv. 8 fols.
A Paris , chez M. Baillon , même Adreſſe que
ci-deffus.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE..
AMadame de Meulan , 145 Galarée ,
AM. Pujos ,
AMadame ***
,
Regrets d'uneMère ,
Charade , Enigme &
151
192
ib. Académ. Royale de Musiq. 173
146 Géométrie nouvelle ,
147 Comédie Italienne ,
Logo Annonces &Notices ,
182
185
gryphe , 1491
AAIL lu
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Mai. Je
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. А
Paris, le 21 Mai 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
L
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 6 Avril..
Eplan de la nouvelle répartition de l'armée
Impériale , tant dans les anciennes
poſſeſſions que dans les nouvelles acquiſitions
de l'Impératrice a été arrêté ; elle ſerá
déformais partagée en 12 diviſions , commandées
chacune par un Feld- Maréchal , un
Général en chef, ou un Lieutenant Général.
Le Prince Potemkin eſt parti pour la
Tauride. Il a pris ſa route par Mofcou & la
Ruſſie Blanche ; il est accompagné par l'Archevêque
de Mohilow , & par fon Coadjuteur
l'Abbé Beniflawki.
Une nouvelle Ordonnance de l'Impératrice
permet aux Eccléſiaſtiques de l'Egliſe
Catholique Romaine , de s'établir librement
dans toutes les parties de ſes Etats , & d'en
fortir lorſqu'ils le jugeront à propos; elle ne
No. 21 , 22 Mai 1784. g
(146).
les aftreint dans l'un& l'autre cas, qu'à ob
renir la permiflion de l'Archevêque de Mohilow.
Nous avons indiqué précédemment l'ukaſede
l'Impératrice , qui accorde à toutes
les nations le droit de commercer dans les
poffeffions réunies nouvellement à ſon Empire:
cette loi mérite des détails, & nous la
placerons ici.
Par la grace de Dieu , Nous Catherine II ,
Impératrice & Autocratrice de toutes les Ruflies ,
de Mofcovie , Kiovre , Władimirie , Novogorod ,
Czarine de Cazan , d'Aſtracan , de S.bérie , dela
Cherfonète Taurique , &c. Nos foins pour
étendrede plus en plus le commerce de nos Sujets
&avec eux celui des autres Nations dans la mer
Noire & la Méditerranée , ont été ſuivis d'un
ſuccès décidé, depuis que par le Traité conclu
avec la Porte le 19 Juin 1783 , nous sommes
parvenues à lever toutes les difficultés , que la
forme du Gouvernement Turclui avoit conftamment
oppofées, Ce commerce en général ne ſauroit
avoir lieu ni fleurir que là où il eſt protégé
par les Loix & guidé dans toutes ſes opérations
par une parfaite liberté ; nous nous ſommes tou.
jours conformées à ces principes d'une liberté
illimitée dès le commencement de notre règne ,
ainſi que leprouvent quantité d'Ordonnances &de
Réglemens émanés de notre Trone. Maintenant
nous les appliquons ,& nous les approprions au
commerce de la mer Noire , dont les avantages
&la sûreté ſe trouve conſolidés , depuis que la
réunionà notre Empire , de l'État Taurique &
des pays qui en dépendent , ya ouvert pluſieurs
portsde mer àtous ceux qui voudront en exporter
des productions ou yporter le ſuperflu de celles
:
( 147 )
dufol des Ruſſes & de leurs Manufactures. Il eſt
notoire qu'à peine nous avions terminé par une
paix utile & glorieuſe notre derniere guerre de
fix années avec la Porte Ottomane , que nous
avons fondé dans le Gouvernement de Catharinoflaw
, fur les bords du Dnieper& près de fon
embouchure , la ville de Cherſon , qui , par fon
fite , eſt également favorable pour exporter les
productions Ruſſes , & importer en échange les
étrangeres qui peuvent nous êtredequelqu'utilité.
Outre la sûreté que nous avons procurée à ce
commerce par une puiſſante protection & d'autres
moyens efficaces , nous lui avons accordé encore
tous les encouragemens poſſibles. Nous ordonnons
que cette ville , avec nos deux autres
places maritimes ſituées dans la Taurique , ſavoir
Sevastopol , connu autrefois ſous le nom d'Achtlar
, pourvue d'un très bon port, ainſi que Théodofie
, autrement Kafa , foient ouvertes à toutes
les Nations amies de notre Empire , pour l'avantagede
leur commerce avec nos fidèles Sujets.
Leſdites Nations pourront en conféquence arriver
dans ces villes sûrement & librement , fans
aucun empêchement , ſoit par terre foit ſur des
Vaiſſeaux portant leur pavillon & leur appartenant
en propre ou frétés ; les charger & s'en
retourner de même par terre , ou par mer ,
ſelen leur bon plaifir , en ſe conformant quant
à l'aquit des droits d'importation , & d'exportation
pour toutes les productions & marchandiſfes
, aux Tarifs & Règlemens de Douane érablis.
Chaque individu de telle Nation qu'il
puiſſe être , auſſi long-temps qu'il s'arrêtera dans
ceſdites villes pour ſes affaires , ou parce qu'il
enaura envie , jouira du libre exercice de fa'
Religion , felon le louable principe qui nous a
été trapſmispar les Souverains nos prédéceſſeurs,
82
( 148 )
&que nous avons encore étendu & affermi ;
en accordant à toutes les Nations établies en
Ruffie la liberté de louer le Dieu tout-puiſſant;
chacune conformément au culte & à la religion
de fes ancêtres , en lui adreſſant conjointement
ayee nos sujets , des prieres pour l'augmentazion
du Lien- etre & l'affermiſſement de la puiſſance
de notre Empire. Nous permettons à tous & un
chacun d'exercer le commerce ſans la moindre
contrainte ſoit par compagnie ou ſéparément ,
& nous promettons fur notre parole impériale ,
d'accorder à tous les Étrangers dans ces trois,
villes les mêmes avantages dont ils jouiffent
déjà dans notre capitale de Saint- Pétersbourg &
dans la ville provinciale & maritime d'Archangel.
En cas de guerre . chacun trouvera fa
fureté dans les principes du ſyſteme de neutralité
que nous avons établi & dont nous sommes
rélolues de ne nous écarter jamais .- Si un étranger
vouloit s'établir dans ces villes ou dans toute
autre de notre Empire , & paſſer au nombre de
nos Sujets , nous le recevrons très-gracieuſement
, en promettant de lui accorder , outre le
liore exercice de la religion , une pleine jouiffance
des mêmes droits & préférences dans le
commerce & la navigation dont jouiflent nes
Sujets, avec la liberté illimitée d'établir des
fabriques , manufactures , &c. pour ſon profit &
le bien général , & ainſi que tous les avantages
& priviléges particuliers à nos Sujets du même
état que le ſien , de façon pourtant qu'il aquit-,
tera les droits que ceux-ci font tenus de payer.
Pareillement il fera libre à chaque Étranger reçu
comme Sujet , ainſi qu'à ſes deſcendans , de vivre.
en cette qu'alité dans nos États auffi long-temps.
qu'il le jugera de ſon avantage ; & lorſqu'il
voudra y renoncer , il en aura la liberté Lans,
- 3
149 )
aucun empêchement quelconque , en payant
cependant pour trois années encore les droits
qui ont été à ſa charge. Ces fortes de droits de
Bourgeoiſie ſeront expliqués avec plus de détails
dans les Règlemens & les Patentes dont nous
munirons nos villes & qui feront publiés dans
peu. Donné à Saint-Pétersbourg le 22 Février ,
1784 , & de notre règne le vingt-deuxieme.
DANNEMARC К.
DE COPENHAGUE , le 27 Avrils
Le Prince Royal , accompagné de M. de
Bulow , fon Maréchal, a honoré de ſa viſite
Jes nouveaux membres du Conſeil d'Etar ;
il a fait le même honneur au Comte de
Thott , retiré depuis long-temps des affaires
, & que fon grand âge n'a pas permis
d'y rappeller , en formant une nouvelleAdminiſtration,
Journellement il viſite les différens
départemens ; & ces jours derniers il
a examiné l'arſenal& le chantier. S. M. lui
a accordé un diſtrict étendu dans l'iſle de
Séeland , où les revenus feront perçus pour
lui& en fon nom, & l'adminiftration dirigée
par ſes ordres .
C'eſt dans le duché de Holſtein que font
ſitués le château de Fredericſruhe , & la terre
de Hanerau , que le Roi a également donnés
, l'un à la Reine-Douairiere , & l'autre
au Prince Fréderic , avec le droit d'en difpoſer
à leur volonté , de les conferver , vendre,
ou donner.
83
(150)
Le froid continue d'être très- vifdans l'ifle
de Fionie, dont les ports font toujours embarraffés
par les glaces , au point que le s
de ce mois , on pouvoit aker encore en trafneau
juſqu'à Faabourg.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 1 Mai.
Le bruit ſe répand qu'un corps de troupes
Ruffes entrera dans la Lithuanie , &
campera aux environs de Grodno , pendant
la durée de la Diere prochaine , & qu'un .
Miniſtre de la Cour de Vienne aliſtera à
certe affemblée.
On s'occupe ici , écrit-on de Conſtantinople,
de la réforme des abus qui ſe ſont introduits dans
legouvernement de cerEmpire : le Capitan Bachas'eft
joint au Grand Vifir , pour engager le
Sultan à donner le premier l'exemple de cette
réforme falutaire. On fait des efforts pour plier
les Jarriffaires , & les autres corps de troupes à la
diſcipline Européenne ; & l'on travaille à un
plan politique , dans lequel on fera entrer tout
ce qui fera jugé néceſſaire au bien de cet Empire.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Mai.
L'établiſſement formé en cette Capitale ,
au mois de Septembre dernier , pour fournir
à la ſubſiſtance des pauvres , qui vivent
( 151 )
d'aumônes publiques , a fait depuis cette
époque des progrès fi conſidérables , qu'au
moyen des ſecours obtenus de la bienfaiſance
de nos concitoyens , il ſe trouvoit en état
à la fin du mois de Mars , de nourrir 6507
pauvres; la recette générale à cette date étoit
de 70831 florins; la ſomme des aumônes
diftribuées eſt montée à 74599 ; cet excédent
montre que , grace à un bienfaiteur inconnu ,
la caiſſe n'eſt pas bornée dans ſes diftributions.
Sur des indices certains que la Société
des Entrepreneurs de la Loterie Impériale &
Royale , avoit fait un préſent conſidérable
en argent à un des Employés au département
des Finances , l'Empereur a ordonné
que, pour récompenfer le zele du dénonciatear
, qui le premier avoit donné connoif
fance de cette malverſation , la Société fera
obligée de lui remettre 600 ducats , ce qui
a été exécuté tout de ſuite.
Le Comte de Flangallas , Gentilhomme de
Bohente, écrit-on de Prague , âgé de 32 ans
riche & aimable , s'eſt coupé la gorge avec un
rafoir . On attribue la cauſe de cet acte de déſeſ
poir , à la mélancolie affreuſe qu'il avoit contractée
immédiatement après la mort de ſa fem .
me, qu'il s'eſt toujours reprochée , & dont il ſe
regardoit comme l'auteur , parce qu'il l'avoit
empêchée d'aller prendre les bains de Pite qu'elle
croyoit devoir lui faire du bien.
On croit que l'Archiduc Maximilien ,
après avoir pris poſſeſſion de ſon Electorat
de Cologne, &de ſa Principauté de Munf
4
( 152 )
ter , reviendra ici pour ſe trouver à l'arrivée
des Archiducs , qu'on attend de Toſcane
dans le mois de Juin prochain. i
L'uſage du Rouge eſt devenu tellement
commun ici , que depuis un an , il n'y a pas
de filles du peuple , & même de domeſtiques
qui n'en employent; il en eſt réſulté
beaucoup de troubles dans quantité de ménages
, dont les peres & les maris ont vu
avec peine leurs femmes &leurs filles ſe parer
de couleurs artificielles. Pluſieurs n'étant
pas affez riches , pour acheter le beau rouge ,
qui est très-cher , en achettent de mauvais &
de dangereux pour la peau , que l'on leur
vend en fecret ; & on parle d'une loi qui va
défendre le rouge à tout le monde , à l'exception
des Dames d'un haut rang , & des
femmes de théâtre .
DE HAMBOURG , le 4 Mai. 2
Le 24du mois dernier àmidi, ona eſſuyéici
Porage le plus violent qu'on ſe ſouvienne
d'avoir éprouvé ; il a duré juſqu'au lendemain
matin. Quantité d'arbres ont été déracinés,
les toîts emportés , les édifices publics
& les maiſons particulieres confidérablement
endommagés. Les clochers des Egliſes
ont été ſi fort ébranlés, que dans plu
fieurs les cloches ſe ſont fait entendre. Trois
navires ont péri dans l'Elbe , & l'un avec
tout fon équipage; un bâtiment a été rene
)
( 153 )
verſe ſur l'Oſter , & tous ceux qui s'y trouvoient
ont été noyés. La partie baſſe des
Lucha a été inondée, & les diſtricts des environs
ont beaucoup fouffert.
Le bruit eſt aſſez généralement répandu
lit on dans quelques feuilles publiques , que
dans le courant de l'Eté prochain , il fera
procédé à la création d'un neuvieme Electorat
; les deux principaux concurrens pour
sette dignité éminente , font , ajoute-t- on ,
le duc de Wurtemberg , & le Landgrave de
Heffe Caffel.
Les négociations pour l'arrangement des différends
ſurvenus entre la République des Provinces
Unies & celle de Venise , lit on dans une
lettre de Vienne , ont fouffert quelque interruption
ces jours derniers , à caufe du Manifeſte qui
aparu de la part de la derniere de ces Puiflances
, dans divers papiers publics . Il paroît que ce
ſujet de mécontentement n'aura pas de ſuite .
L'ordre de dépouiller les images confervéess
dans lesEgliſesde l'or , de l'argent & des pierres
précieuſes dont on les a parées avec une profufion
qui ſurcharge , maſque & fait diſparoître
ſouvent les chef-d'oeuvres de la peinture &de la
ſculpture , s'exécute non-feulement ici , ajoutent
ces mêmes lettres , mais dans toutes les Provinces
où il a été expédié aux Gouverneurs . La
caiſſe de relgion , & conféquemment les lieux
pies & les hôpitaux auxquels on deſtine toutes
cesricheſſesvont recevoir uneaugmentation confiderable.
On peut en juger par ce que fournit la
feuleMadone des Francifcains; on n'en évalue pas
Jes bijoux à moins de 600 Aorins ..
Une lettre de Peterſbourg contient les
détails ſuivans.. g
(154)
Far l'art . 16 duTraité de commerce conclu
l'année derniere par la Cour de Madrid , avee
la Porte , il a été ſtipulé , que dans le cas où l'une
ou l'autre des Parties contractantes feroient en
guerre , elles ne permettroient point que leurs
navires fuffent inquiétés par ceux des autres
Poiffances ſur leurs côtes ; que S. M. C. donneroit
connoiffance de cet engagement aux autres
Puiſſances , s'informeroientde leurs sentimens à
cet égard,& en inſtruiroit le Divan. -- Cette communication
a été faite par le Ministre d'Eſpagne.
L'Impératrice ne s'eſt point expliquée définitivement
; elle a répondu ſeulement qu'elle ne
vouloit point décider ſeule l'objet en queſtion ;
qu'elle prendroit l'avis des autres Puiflances avec
leſquelles eile avoit une convention touchant
la libre navigation& le commerce , & avec qui
elle avoit conclu le Traité de la Neutralité armée
; c'eſt après cela qu'elle répondra à S. M. C.
Le vice Chancelier , Comte d'Oſtermann a
donné connoiffance de cette propoſition à tous les
Minifires étrangers , avec priere d'en écrire à
leurs Cours , pour être inſtruits de leurs ſentimens
; on affure en attendant , que la Cour de
Petersbourg ne croit pas devoir admettre l'engagement
de l'Espagne , dans toute ſon étendue ,
mais ſe borner ſimplement à ne point attaquer ,
ni inquiéter les navires ennemis , lorſqu'ils fo
trouveront à la portée du canon des côtes neutres.
Acettte lettre nous joindrons l'extrait de
la ſuivante , en date de Conſtantinople , le
30 Mars dernier.
>> Nous avons eu ici le ſpectacle de l'entrée
pompeuſe de l'Ambaſſadeur de Suede dans
cette ville. Elle commença à la pointe du jour.
( 155 )
L'Ambaſſadeur& les gens de ſa ſuite arriverent
dans des bateaux , magnifiquement ornés & illuminés
; ils furent reçus au port par le Gouverneur
, qui leur fit donner des chevaux du Sultanmagnifiquement
caparaçonnés. La Cavalcade
ſe forma & te rendit chez le Grand- Vifir , qui
monta à cheval avec ſon cortege , & marcha à
la tête. On alla au Serrail , on entra dans l'avantcour
, d'où le Grand-Viſir fit parvenir au Grand-
Seigneur une lettre , par laquelle il lui notifioit
l'arrivée de l'Ambaſſadeur de Suede , & lui de
mandoit l'heure de ſon Audience. S. H. l'indiqua
pour l'après dîner : alors le Grand-Viſir ,
P'Ambaſſadeur & tout le Cortege deſcendirent
de cheval , & entrerent dans les Salles d'un
quartier ſéparé du Serrail ; il leur fut ſervi un
diner ſplendide à la mode Turque On apporta
fur des tables d'un bois précieux & très-propre
de grandes jattes & terrines d'argent , pleines de
viandes préparées de différentes manieres. Il n'y
avoit ni napes , ni fourchettes , ni couteaux. La
furpriſe étoit peinte ſur les viſages des Suédois ;
mais le moment où les Muſulmans ſpectateursjoui
rendeplus deleur embarras , fut celuioù àl'exemple
du Grand-Vifir & du Cadi , les Suédois furent
obligés de mettre la main dans les terrines
pour en retirer les viandes. L'après-diner l'Ambaſſadeur
de Suede fut admis à l'Audience du
Grand-Seigneur , qui le reçut aſſis fur un trône
reſplendiffant d'or & de pierreries ; il préſenta
àS. H. ſes Lettres de créance , & ſe retira à ſon
hôtel , dans le même ordre qu'il étoit venu ,
accompagné par le Grand-Vifir.
ITALIE.
DE ROME, le 22 Avril.
Le Roi de Suede eſt parti de cette ville,
g
( 156 )
le 19 de ce mois , emportant les regrets généraux
: il a laiſſé de riches préfens à plufieurs
perſonnes ; il a voulu entre autres que
le Cardinal de Bernis acceptât ſon portrait ,
garni de diamans , & que le Chevalier de
Bernis , neveu de cette Eminence , acceptât
auſſi une ſuperbe tabatiere enrichie de diamans.
S. M. avoit envoyé à D. Romualdo Oneſti ,
Majordome , trois caiſſes d'un bois particulier
du Brefii , pour être remis à S. S. Ces caiffes
font richement travaillées & garnies de divers
métaux dorés. Dans la premiere il y a 89 mé
dailles d'or , dans la ſeconde 71 médailles d'argent,
leſquelles forment la collection totale des
médailles qui repréſentent les Rois de Suede.
Parmi les médailles d'or , il y en a une plus
grande que les autres , dont le ſujet fait alluſion
à la liberté que S. M. a accordée aux Catholiques
de conſtruire des Egliſes , & d'y exercer leur
culte. La troiſieme caiſſe renferme 62 médailles ,
formant la collection de celles frappées pour les
hommes illuftres duRoyaume de Suede. S. S. a
témoigné combien ce préſent lui étoit agréable.
Cematin le Pape eſt parti pour les marais
Pontins , où ſon ſéjour ſera , dit-on , de 12
jours. Des galeres ont eu ordre de fortir de
Civita Vecchia , & de ranger la côte pour
en éloigner les corſaires Barbareſques..
DE NAPLES , le 15 Avril.
On dit que l'efcadre , deſtinée à ſe réunir
àcelle d'Eſpagne contreAlger , partira d'ici
1
( 157 )
le 4 du mois prochain ; on y embarquera
280 Liparotes , qui s'occupent déja à préparer
leurs équipages , & qui ont reçu pour
cet effet 30 ducats chacun.
Lefameux chefde brigands , Angioletto , qui
infeſte la Pouille , a été attaqué il y a quelques
jours par les Miniſtres de la Juſtice; le combat
a été , dit-on , très -vif; il a été bleſſé dangereuſement
: mais il a réuſſi à s'échapper , & il s'eſt
réfugié avec une partie de ſa troupe fur le mont
Altafade , voiſin de la Pouille. On a arrêté deux.
de ſes compagnons , qui ont déja offert de le lis
vrer au Gouvernement , ſi l'on vouloit leur accorder
la vie & la liberté.
Le P. Bertola , jeune Religieux Olivetan ,
qui a publié pluſieurs ouvrages , qui ont eu
le plus grand ſuccès , vient d'obtenir de
l'Empereur une Chaire dans l'Univerſité de
Pavie, avec 150 ſequins d'appointemens , &
la liberté de ſe ſéculariſer.
On apprend de la Calabre , que le 1 de ce
mois , à la fuite d'un orage terrible , accompagné
de grêle & d'éclairs , on a éprouvé
encore une forte ſecouſſe de tremblement
de terre , qui a répandu beaucoup d'effroi.
ETATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE .
1
DePhiladelphie , le 8 Mars. La plupart des Etats
ontprisdes réſolutions relative à la proclamation
du Roi d'Angleterre , du 2 Juillet dernier, qui
defend à tout vaiſſeau qui n'eſt pas anglois de
porter des marchandiſes aux les. L'aſſemblée
générale de cet état a paffé un bill pour mettre
1
( 158 )
undroit &un impôt ſur les marchandiſes &les
vaiſſeaux anglois. Ce droit ſera des ſchelings
par tonneau , & l'impôt ſur les marchandiſes
angloiſes ſera de deux & demi pour cent en ſus
de ceque paient , &de ce que paieront à l'avenir
les citoyens de l'Etat.
Au milieu de ces actes politiques d'adminiſtration,
il s'en trouve un en faveur des ſciences , qui
a été paſſé le 2 Décembre dernier & qui mérite
d'être tranſcrit. : :
La culture du génie & l'encouragement des
arts libéraux & des Sciences , ſur- tout de celles
qui tendent à développer le ſyſtème de la nature
&à faire connoître la ſageſſe adorable , la bonté
& le pouvoir du créateur, ont toujours été regardés
comme un objet digne de fixer l'attention
de tous les peuples civilités , en ce que non ſeulement
les études perfectionnent le jugement &
adouciſſent , les moeurs , mais qu'elles contribuent
conſidérablement à pourvoir aux besoins , au
bonheur & même à la ſûreté de l'homme.- La
ſcience de l'Aſtronomie eſt ſur tout recomman
dable par les avantages qu'elle a procurés au
genre humain ; c'eſt elle qui a rapproché & uni
en quelque forte , par les relations & les moeurs
du commerce , les nations les plus éloignées les
unes des autres ; elle a fait découvrir les nouvelles
régions de la terre , c'eſt à elle fur-tout
que lavaſte contrée où nous ſommes établis , doit
ſa culture , ſes loix, ſes cités & tous les autres
bienfaitsde la civiliſation ; enfin , c'eſt par elle
que les loix du ſyſtême planétaire ont été déterminées
avec une précision mathématique & que
le ſpectacle ſuperbe du ciel s'est découvert tout
entier aux regards avides de l'homme plus
inttroit. Ces importantes découvertes , faites
& ſuivies par des ſavans que ces études détour
( 159 )
noient de toute autre objet , ayantété très raco
ment utiles à leur fortune , malgré les avantages
inappréciables que le genre humain en retiroit ,
il a été repréſenté par un nombre conſidérable
de citoyens de Philadelphie , que vû la ſituation
favorable de ladite ville pour des obſervations
aſtronomiques , il ſeroit honorable & avanrageux
à cet état , d'établir une place d'Aftronome
pour l'état de Penſilvanie , & d'atrasher
à ladite place un traitement , au moyen duquel ;
celui qui en ſeroit pourvû , fut en état de continuer
ſes travaux d'une maniere utile, non ſeulement
à ce pays , mais à la république des Lettres
en général. En conféquence il eft ordonné ,
qu'il foit établi & créé un officier , ſous la dénomination
& le titre d'Aſtronome de l'état de
Penſylvanie , auquel ſera faittraitement de sooliv.
ſterl par an , payable de trois en trois mois.
Ordonné de plus que le dit Aftronome occupe,
& exerce ledit office , conformément aux réglemens
qui feront faits à cet effet , & approuvéς
par la légiflature de cet état , pour s'occuper de
toutes les obſervations néceſſaires relativement
aux mouvemens , changemens , éclipſes , pafſages
& autres phénomenes des corps célestes ,
& pour faire fur la Philoſophie naturelle les
expériences avec les remarques & les réſultats
qui pourront tendre au progrès de ces ſciences
& à l'avantage du genre humain , leſquelles
obſervations , remarques & réſultats , il publiera
de temps en temps ſous l'inſpection de la ſociésé
Philofophique Américaine pour l'avancement
des connoiſſances. - Ledit Astronome cherchera
à établir une correſpondance avec ceux
des ſavans de l'europe qui s'appliquent particulierement
à l'Aſtronomie & à la Philoſophie
naturelle ; cette correfpondance ne pouvant
:
( 160 )
manquer de fournir des avantages réciproques.
Le bruit qui s'étoit répandu que l'Etat de Maffachuſet
avoit rejetté l'acte de commutation étoit
fans fondement: non ſeulement cet Erat a adopté
L'impôt de cinq pour cent , mais il a pris la réſolution
d'aquiefcer à cet acte dans toute ſon étendue.
Le 24Décembre dernier , il a décidé que
les Etats Unis aſſemblés en Congrés doivent être
revêtus du pouvoir excluſif de faire des réglemens
de commerce dans les Etats Unis d'Amérique
, qu'ils doivent être autoriſés en conféquence
à empêcher les vaiſſeaux anglois d'apporter
aucune des productions des Iſſes dans les Etars
Unis tant que ſubſiſtera la proclamation qui
défend aux Américains d'y porter les leurs .
1
Nous apprenons , écrit-on de Neuhaven par
un vaiſſeau arrivé des Indes occidentales , que les
Négocians Anglois cherchent à obtenir en ſecret
des certificats de l'étranger , afin de faire le
commerce avec nous , ce qu'ils ſavent fort bien
qui ſeroit déplacé ſous pavillon britannique ,
rant que leurs ports nous feront fermés. Un fenau&
un brigantin appartenantàAntigues ſe ſont
donc procuré entre autres des certificats , fran--
çois , & ont chargé pour quelques ports du continent.
Si Nous avions à commercer avec une na--
tion fur un autre pied que celui d'une égalité parfaite,
lors fur-tout que cette inégalité ſeroit à notre
déſavantage , ce ne feroit certainement pas à
l'Angleterre que nous devrions accorder cette:
préférence.
Toute anecdote ſur un grand homme eſt
intéreſſante . En voici une fur le Général Was-
Hington. Pendant ſon ſéjour en cette ville , il
remit au Contrôleur le regiſtre de ſes comptes..
Ce regiſtre et écrit en entier de fa main &
comprend une période de huit années, Chaque
( 161 )
article de dépenſe y eſt détaillé , motivé de la
maniere la plus claire , de forte que la verification
de ces comptes ſe peut faire avec la plus
grande facilité. Le Général Washington étoit
né pour ſervir en tout de modele. Les états
unis ſeroient trop heureux fi tous ceux qui ont
le maniement des deniers publics rendoient
leurs compres avec autant d'exactitude & de
ponctualité.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 11 Mai.
La grande affaire des Elections eſt maintenant
la ſeule qui occupe dans ce Royaume,
la chance qui avoit été d'abord ſi défavorable
à M. Fox , paroît maintenant tournée
à ſon avantage; chaque jour il a foutenu
ſa majorité ; &dans le moment actuel elle
eſt de 194 voix : il en a 6165 , & fir Cecil
Wray 5971. Ce ſuccès doit fans doute dé
plaire à ſes ennemis; ils l'ont témoigné hier
d'une maniere aſſez vive, pour mécontenter
ſes partiſans qui ont pris de l'humeur : il s'en
eſt enſuivi une rixe. Pour la faire ceſſer , if
a fallu faire venir des Connétables qui ont
été maltraités eux- mêmes , & qu'on a cru
devoir faire foutenir par un détachement
des Gardes du Roi : quelques hommes ont
été arrêtés ; comme ils ſe trouvent du nombre
de ceux qui ſe réjouiſſoient du ſuccès de
M. Fox , & qui ſe battoient pour lui , les
papiers qui le ſoutiennent , n'ont pas man(
162)
quéd'annoncer cet évenement fimple com
me une choſe très-grave ; nous les laiſſons
parler eux mêmes , parce que leurs plaintes
fondées ou non , rappellent quelquesprincipes
de la conſtitution, relatifs aux Elections.
On peut juger de la maniere dont le nouveau
Miniſtere a appellé de la Chambredes Communes
au peuple , par le fait ſuivant.-Toutes les circondances
de l'élection de Weſtminster , depuis
qu'elle eſt commencée , prouvent-elles un defſein
de protéger les droits ſacrés des Anglois ?
On a vu une troupe de matelots , avec les couleurs
de la couronne , & les Officiers du Roi à leur
tête , eſſayer d'engager les Electeurs à voter pour
les favoris de la Cour. Le to cette prétention
a été entiérement démontrée. On a vu les ſoldats
du Roi environner le lieu de l'élection , avec la
bayonnette au bout du fufil , ſaiſir les paiſibles
habitans de laCité , & les menacer de la mort.
On ſe rappelle qu'hier to eſt précisément l'ani
verfaire de la mort du jeune Allen, afſaſſiné le
10 Mai 1768 , dans S. Georgefield, par letroifieme
Régiment des Gardes. La même ſcene
s'eſt renouvellée ; un coup de fufil a été tiré ſue
le peuple ; heureuſement il n'y a pas eu de victimes.
Un des principes ſacrés de la conſtitu
tion , ſi nous pouvons nous vanter encore d'en
avoir une , défend qu'aucune troupe nedemeure
dans uneVille , ni un bourg , pendant le tems
de l'élection. La Cité de Westminster eſt la ſeule
exception à cette regle , parce qu'elle eſt la réfidence
du Roi , & que ſa garde doit reſter auprès
de la perſonne; mais cette exception autoriſet-
elle une infraction ſi palpable & fi odieuſe à la
liberté des élections ?
Au reſte cette élection de Westminster
( 163 )
n'eſt pas encore près de finir. On aura bientôt
achevé de recueillir les voix : mais le
fcrutin qui ſera infailliblenient demandé , va
prolonger cette affaire ; & on s'attend à voir
réformer bien des voix , lorſqu'on les examinera.
Quelle que foit l'iſſue desélections, ditun de
nos papiers , M. Fox eſt für d'une place au Parlement;
la Ville de Kirkwal en Ecofle l'a élu
pour ſon repréſentant ; & fi elle ne lui donис
pas lamême confiftance que donne le titre de repréſentant
de Westminster , il en prenira une
par lui-même. Preſque tous les partitans du Mi-
Biſtere ont échoué dans les efforts qu'ils ont faits
pour ſe faire élire en Ecoſſe; en général , ils y
ont été moins heureux qu'en Angleterre , où ils
ont obtenu la préférence. LeGouverneur Johnſtone
que l'on a vu dans le dernier Parlement
s'élever avec tant de force contre les opérations
de M. Fox , s'eſt préſenté dans divers endroits ,
& a eu le chagrin de ſe voir rejetter par tout.
Ceux qui avoient parié que M. Fox ſeroit élu ,
regardent déja leur pari comme gagné , & ils
en font maintenant un nouveau , c'eſt que l'oppofition
aura la majorité. C'eſt au tems à nous
apprendre ce qui en fera : en attendant les Miniltresdonnentdes
Pairies; le chevalier Lowther , le
lord Bulkeley & pluſieurs autres Seigneurs ont
été revêtus de cette dignité.
Il n'y a rien encore de décidé , relativement
au Sceau privé : il y a lieu de croire
qu'il ſera donné avant la premiere Affemblée
du nouveau Parlement, mais on ignore
ſi ce ſera au Duc de Grafton , au Lord Shelburne
, ou à quelque autre.
( 164 )
On ne fait pas non plus quel doit être le nouveau
ſyſteme pour l'Inde. Le Miniſtre a eu diverſes
conférences avec un comité choisi des
Directeurs , & ſes propoſitions ont été miſes ſous
les yeux de la Compagnie M. Atkinfon eſt celui
que M. Pitt confulte le plus dans tous les projets
de commerce , & perſonne ne doute de ſa capacité.
Nous aurons donc un ſyſtème de Gouvernement
pour l'Inde , formé à l'Hôtel de
la Compagnie , & on prendra tout le ſoin poffible
pour que le nouveau plan ne conſerve rien
de l'eſpece de péculat qui régnoitdans l'ancien.
La Chambre des Communes adoptera cette
opération , & les Gentilshommes de la Chambre
n'ymettent point oppoſition. Tout promet d'aller
bien , ſi les Miniſtres ont le defir & le talent
de bien faire.
Lanéceffité d'un changement dans l'adminiſtration
de l'Inde, & del'établiſſement d'un
plan vigoureux , eſt généralement reconnue ;
les derniers avis reçus de ces contrées , s'il
faut en croire nos papiers , la font ſentirplus
vivement encore : nous les laiſſerons parler
fur cet objet.
On s'eſt bien gardé , diſent- ils , de publier
les dernieres dépêches arrivées de l'Inde ; mais
malgré le ſoin qu'on prend pour dérober au
public l'état alarmant des affaires dans ces contrées
il en a tranſpiré quelque choſe; & ilne
peut être plus effrayant. -Un ordre du Confeil
a ſuſpendu tous les paiemens pour le ſervice
civil. Les billets de la Compagnie perdent à
l'eſcompte 18 pour 100. Les ordres du tréſorier
ſont refuſés & on ne les vend qu'à 4 pour
100 de perte. Il eſt dû plus de 6 mois d'arrérages
à l'armée du Bengale. Les balances de
( 165 )
la recette des revenus pendant les troisdernieres
années , finiſfant en Mai 1783 , montoient à
7,223,319 roupies ficca ou au- dela de 900,000
liv. fterl . Ce qui eſt plus terrible que le reste c'eff
que tout le pays depuis Patna juſqu'à Delhi eft
défolé par une famine univerſelle, dont les effers
ſe ſont répandus dans toutes nos Provinces &
ſe font ſentir à Calcutta. Les diviſions du Conteil
, portées au plus haut degré , ajoutent à
cet état de détreſſe générale. M. Haftings a ſeul
àcombattre Wheeler , Macpherson , & Stables
qui ont réuni leurs efforts contre lui. Il accufe
le premier de manquer de candeur , le ſecond
d'être un traitre , & le troiſieme d'une imbéci
lité qui ne permet de faire aucune réponſe à
tout ce qu'il dit. M. Haſtings déclare hautement
qu'il regrette le temps où il trouvoit dans ceux
qui lui étoient oppoſés des hommes d'honneur
& de talens qui l'attaquoient ouvertement & noblement
, & qui , s'ils l'empêchoient d'agir ,
Lavoient agir eux- mêmes & empêcher que le fervice
public en ſouffrit ; il ne parle qu'avec mépris
du nouveau trio d'oppoſans .
Le Parlement d'Irlande apaſſéunBill pour
Ôter au Lord Scrangfort la faculté de don
ner ſa voix en perfonne , ou par Procureur ,
à la Chambre haute. C'eſt ainſi que nos papiers
rendent compte du motifde ce Bill. 1
La grande cauſe d'Ely , fur laquelle les opi
nions étoient partagées , parut fournir à ce Pair
une occaſion d'utilité pour lui , fans faire vio
lence à ſa propre opinion. Il écrivit imprudem
mens àune des parties , que ſi elle vouloit lui
envoyer une certaine fomme , il voteroit en ſa
faveur. La lettre fut miſe ſous les yeux des
Pairs , & il eſt tout fimple qu'elle ait amené le
( 166 )
Bill contre le Lord Strangfort. Il eſt fort agé, fa
fortune eſt médiocre , & ſa famille nombreuſe.
11_rfide à Palmerſton , à quelques milles de
Dublin.
Une aſſemblée nombreuſe, tenue à Shamrock
, & préſidée parM. JamesByrne, a pris
les réſolutions ſuivantes :
Arrêté que nous ne faiſons point de voeux
pour la liberté , ſi toutes les claſſes du peuple
Irlandois ne partagent pas ſes douceurs. Arrêté que
nous croyons qu'il eſt de notre devoir de faire
connoître combien nous ſommes fâchés que les
ſages & bonnes diſpoſitions des premiers auteurs
de la réforme parlementaire , les illuftres patriotes
deDungannon , aient été malicieuſement
détruites par les manoeuvres de gens mal intentionnés
, &de déclarer qu'en qualité de citoyens
&de volomaires nous ferons tous nos efforts
pourdéfendre nos vies & nos fortunes & pour
obtenir une réforme dans les Communes du Parlement
ſur la grande & indiſpenſable baſe de la
Juſtice& de la libéralité. Arrêté que comme
lesplus précieux intérêts de ce pays ont été conftament
ſacrifiés à ceux de la Grande-Bretagne
nous nous engageons de la maniere la plus ſolemnelle
à ne porter ſur nous aucun article de
manufacture angloiſe & à ne faire aucune confommationdedreche
ou d'autre liqueur angloiſe
que lorſque nous aurons obtenu des droits de
protection& que nous n'acheterons rien d'aucun
marchand tenant boutique qu'après qu'il nous
aura donné une atteſtation ſous ferment que jamais
il ne cherchera à trømper le public en
vendant des manufactures angloiſes pour des
manufactures Irlandoiſes .Arrêté qu'à l'affemblée
généralequi ſe tiendra le 17 Juin chaque membre
( 167)
y paroîtra avec un habit neufde manufacture
Irlandoite.
Une autre aſſemblée tenue à Dublin , ſous
la présidence du grand Sheriff , a aufli tait
les arrêtés ſuivans , le 28 du mois dean.er.
Arreté unanimement qu'un comiteteran mmé
pour réd ger une pétition à S. M. contre le vill
intitulé , Bill pour aſſurer la siberté de la preffe.
1
Arrêté unanimement que la liberté de la
prefle & la liberté du ſujet font fi étroitement
liées enſemble , qu'elles ne peuvent ni ſubiſter
ni être détruites Pune ſans l'autre.-Que le
bill porté au Parlement tous le titre abfurde mais
ſpécieux de Bill pour affurer la liberté de la preſſe
ne contient rien qui ne ſoit directement contraire
aux principes & à l'eſprit de notre conſtitution
, & abſolument incompatible avec la liberté
& la fûreté du ſujet . -Que nous ferons
toujours diſpoſés à coopérer de tout notre pouvoir
avec nos concitoyens dans toutes les mefures
légales & conftitutionelles , tendantes à
obtenir un redreſſement de griefs & un rétabliſ-
Lementde nosdroits & priviléges.
Tous ces arrêtés prouvent combien ceBill
acaufé de mécontentement , &à quel degré
eſt portée la fermentation. La lettre ſuivante
de Dublin ajoute encore à l'idée qu'on
doit s'en former.
Le moyen d'une aſſemblée de Commiſſaires
tirés des Parlemens de la G. B. & de l'Irlande
pour arranger pendant les vacances tous les
points en litige, relativement au commerce des
deux.Royaumes , eſt une imagination d'un ancien
Miniſtre pour amuſer les Irlandois & les
empêcher d'adopter aucuns plans de commerce
qui n'aient été approuvés par la Cour de Long
( 168 )
dres. M. Orde , Secrétaire du Lord Lieute
nant , a engagé les affidés du Gouvernement à
ſonder la nation ou plutôt à chercher les moyens
de procurer une conte-adreſſe au Trône pour affoiblir
l'impreſſion que les adreſſes du corps
réuni des citoyens de Dublin & de toutes les
communautés de cette ville peuvent faire fur
l'eſprit du Roi. Il faut être juſte ; les agens miniſtériels
n'ont rien négligé de ce qui étoit en
leur pouvoir pour réuffir. On fait qu'il y avoit
autrefois parmi les principaux habitans de cette
ville un affez grand nombre de perſonnes qui
contents de leur fortune & de tous les agrémens
qu'elle leur procuroit , ne defirant, comme on dit,
que paix & aiſe , trouvoient les choſes trèsbien
comme elles étoient , abhorroient tout ce
qui avoit la moindre apparence de changement ,
&ne pouvoient manquer par cette raiſon d'être
les amis déclarés du Gouvernement,de défendre
toutes les meſures & d'être conſtamment àLondres;
foit pour lui donner ſa voix , ou lui procurer une
adreſſe , ſelon que les circonfiances le requéroient.
En conféquence , cette claſſe a dû être &
a été en effet la premiere ſollicitée ; mais hélas !
les choſes ſont bien changées. Une froideur immobile
a ſuccédé à ce zele , jadis ſi ardent pour
tout ce qui concernoit les intérêts de la Cour.
Le changement continuel , non ſeulement d'Adminiſtrateurs
, mais de ſyſtême , leur a fait perdre
toute confiance dans un Gouvernement ſi incon- .
féquent , & la miſere de leurs malheureux com
patriotes mourans de faim à leur porte , eſt une
preuve ſi forte de l'ineptie miniſtérielle , qu'elle
n'a pas beſoin d'être étayée par d'autres argumens.
Quant au gros du peuple en général , les
émiſſaires de la Cour ſe donneront bien de garde
d'aller demander ſon appui. Les principes de la
nation
( 169 )
nation font trop connus pour attendre aucun ſuccès
de ce côté-là. Les Officiers de l'Accife & tous les
valets de la vice- royauté ſont les ſeuls gens
fur leſquels on puiſſe compter ; mais M. Orde
lui-même n'eſt pas aſſez dépourvu de bon fens
pour vouloir d'une adreſſe ſignée par de tels
hommes.
Le Commandant Anglois dans la Méditerranée
a , dit- on, écrit au Gouvernement
pour demander qu'on renforçât Peſcadre
Britannique dans cette ſtation. Les François
, les Eſpagnols , les Hollandois , les
Napolitains & les Vénitiens ont dans cette
mer des eſcadres plus fortes que celle que
commande le Commodore Lindſey , qui ,
s'il devenoit néceſſaire d'agir , feroit dans
l'impoſſibilité abſolue de le faire.
La Cour des plaids communs a jugé, il y a
quelque temps, un procès d'une nature affez curieuſe;
miſtriſf Yartes , actrice du théâtre de
Covent-garden , avoit porté une plainte contre
le Directeur qui lui refuſoit ſon ſalaire ; elle
Teclamoit 850 liv. fterl. en conféquence d'un
'engagement verbal dont elle prouva la certitude
par témoins. Le directeur prétendoit ne lui
en devoir que 150 ; il convenoit qu'en effet
il lui avoit promis une plus groſſe ſomme ; mais
qu'elle avoit toujours été malade , & qu'elle
n'étoit autorisée à réclamer que ce qui lui revenoit
pour le temps pendant lequel elle s'étoit
bien portée. Le Lord Loughorough qui préfidoit
ce tribunal , obſerva que dès que l'engagement
exiſtoit il croyoit que l'autre étoit en droit de
reclamer la ſomme entiere fixée pour les douze
mois, eût- elle été malade pendant onze. Le juré
Nº. 21 , 22 Mai 1784 . h
( 170 )
prononça conformément a fon opinion , parce
que ſi miſtriſf Yartes n'avoit pas joué autant que
le Directeur l'auroit déſiré , ce n'étoit ni par
négligence ni par mauvaiſe volonté.
Une aventure affez plaiſante , arrivée ici
ces jours paſſés , a attiré l'attention de cette
ville, &fourni matiere à bien des Epigrammes.
1
Une jeune & jolie Demoiſelle avoit contracté
la mauvaiſe habitude d'eſcamoter tout ce qu'elle
pouvoit, par-tout où elle ſe trouvoit, lorſqu'elle
étoit aſſuréede n'être pas apperçue. Elle n'étoit
nullement forcée par la néceſſité; la fortune étoit
conſidérable. Toutes les fois qu'elle entroit dans
une boutique, elle s'emparoit des marchandises
qui étoient à ſa bienséance. Mais ayant fait un
jourcepetit manege , elle ne fut pas affez adroite
pour empêcher que le garçon de boutique ne s'en
apperçût ; celui-ci imagina d'en faire ſon profit.
Peu après , ſachant que la Demoiſelle devoit revenir
, il étala devant elle pluſieurs étoffes de
prix, en faiſant ſemblant de ne prendre aucune
garde à ſes actions : ſuivant ſon anciennecoutume,
lavoleuſe ne manqua pas de profiter de l'occaſion ,
elles'appropria tout ce qui lui convint. Mais le
garçon adroit , ſous prétexte de lui montrer quelque
choſe d'extraordinaire , l'attira dans une
chambre écartée , & là il lui déclara qu'il avoit
ſouvent obſervé ſes vols réitérés & qu'il alloit la
dénoncer à la Juſtice. La Demoiſelle effrayée ,
honteuſe & tremblante , avoua le fait , & implora
grace; le garçon lui dit qu'il ſe tairoit , mais à
condition qu'elle lui feroit ſur le champ une promeſſe
de mariage , ſans cela il l'aſſura qu'il alloit
chercher un Connétable pour la faire arrêter &
conduire en priſon, Après quelques momens de
( 171 )
reflexions , la Demoiſelle préféra le mariage a
l'échafaut ; elle fit la promeſſe , & le garçon , par
le mariage qui a été conclu , a acquis une fortune
de 15000 liv. ſterlings .
Les vols ſont toujours très fréquens dans
cette ville & fur les grands chemins. Dernierement
deux Officiers , l'un Capitaine des
Gardes Dragons , & l'autre des Gardes à
cheval, ſe rendant à Cantorbery , furent arrêtés
par 2 voleurs qui leur prirent so guinées,
leurs bijoux &leurs meilleures hardes ,
&les mirent dans un tel état , qu'en arrivant
à Darford , ils furent obligés d'emprunter,
del'Aubergiſte l'argent néceſſaire pour payer
la voiture qui les avoit amenés de Londres,
&pour continuer leur route.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 18 Mai.
Les de ce mois , L. M. ont tenu ſur les
fonts de baptême la fille de M. Augué, Receveur-
Général des Finances. Les cérémonies
du baptême furent ſupplées par l'Abbé
de Caſtellane , maître de l'Oratoire du Roi ,
enpréſencede M. Brocquevielle , Curé de la
paroiſſe Notre-Dame.
:
Le , les Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre du S. Eſprit s'étant afſemblés
dans le cabinetdu Roi , S. M. tint
un chapitre extraordinaire, dans lequel elle
nomma Chevalier de l'Ordre du S. Eſprit , -
le Bailli de Suffren.
h2
( 172 )
M. de laCorée , ci-devant Intendant de
Besançon , que le Roi a nommé à la place
de Conſeiller d'Etat , vacante par la mort de
M. Bignon , & M. le Pileur de Brevannes ,
Préſident de la Chambre des Comptes de
Paris , nommé à la place de Confeiller
d'honneur du Parlement de Paris , vacante
également par la mort de M. Bignon , ont
eu l'honneur d'être préſentés à S. M. par le
Garde des Sceaux , & de lui faire leurs remercîmens.
Le même jour 9, la Maréchale de Levis a
pris le Tabouret ; la Marquiſe de Laval , la
Comtefle Jofeph de la Ferronays , la Comtelſe
de S. Tropez , la Comteile de Valon
d'Ambrugeac , & la Vicomteſſe de Vibraye
ont eu l'honneur d'être préſentées à L. M.&
à la Famille Royat , la premiere par la Ducheſſe
de Laval , la ſeconde par la Ducheffe
de la Rochefoucault , la troiſieme par la
Princeſſe de Berghes , la quatrieme par la
Marquiſe de Roquelaure , & la cinquieme
par la Marquiſe de Vibraye.
Le 10 , on a célébré à Versailles l'anniverfaire
de la mort du feu Roi ; le Roi , la Reine
, Madame , Madame Comteſſe d'Artois ,
Madame Elifabeth , & Mesdames Adelaïde
& Victoire de France y ont aſſiſté ; ce jour
Monfieur & Monſeigneur Comte d'Artois
s'étoient rendu à S. Denis , où l'on célébra
le même anniverſaire , & le 11 , le Servic
fondé pour le repos de l'ame de Louis XV ,
( 173 )
fut célébré dans l'Egliſe de la paroiſſe de
S. Louis , toute la Cour y aſſiſta .
Le Roi , en confidération des ſervices de
M. Dufraiſſe Duchey , dans la charge de
Procureur du Roi , en la Sénéchauffée d'Auvergne
& Siege préſidial de laville de Riom,
lui a accordé le 12 Janvier dernier un Brevet
de Conſeiller d'Etat.
DE PARIS , le 18 Mai.
:
I.es vaiſſeaux du Roi le Fendant, l'Argonaute
, le Brillant, le S. Michel & l'Annibal ,
Anglois , font reſtés dans l'Inde , fous le
commandement de M. de Peynier. L'Illuftre
eſt arrivé à Breſt , le Sphynx & l'Artéſien
à Rochefort, le Héros àToulon , où le Hardi
doit auffi être actuellement. On attend encore
à Rochefort le Vengeur , l'Ajax & le
Flamand , & à Breſt l'Annibal , François .
L'Orient , le Bifarre & le Sévere ont fait
naufrage dans l'Inde .
On a reçu une lettre particuliere , écrite à
bord d'un de nos vaiſſeaux , à la rade de
Trinquemale , le 20 Novembre de l'année
derniere , dans laquelle on lit les détails
ſuivans.
>>>Demain ſi les vents font bons , nous partirons
pour la côte de Malabar , au nombre de 3
vaiſſeaux , une frégate & une flute. Voici la liſte
de cette petite eſcadre. Le Fendant, de 74 ca
nons , M. de Peynier , Commandant ; l'Argenaute
de même force , M. de Cleviere ; le faint
Michel , de de , M. de Beaumont-le. Maitreう
h3
( 174 )
JaBellonede40 , M. de Coſtebelle ; & la Ante
les Bons-Amis. Nous viſiterons ſucceſſivement
Colombo , chef-lieu des poſſeſſions Hollandoiſes
fur l'ifle de Ceylan , Cochin , autre comptoir
Hollandois ; Mahe , d'où nous irons àGoa , fameux
établiſſement Portugais , qui ſera ſans
doute le terme de notre voyage..
Nous avons donné dernierement un relevé
des Regiſties des Paroiſſes de Mont.
pellier ; la petite vérole qui y regna l'année
derniere , augmenta conſidérablement la
lifte des morts. Aujourd'hui nous placerons
ici quelques obſervations ſur cette épidémies
elles font l'ouvrage d'un Médecin de cette
ville , & méritent de l'attention .
On fit environ 40 inoculations pendant les
mois de Mars & d'Avril 1783 : elles réuſſirent
routes. Dans letemps qu'on cherchoit du germe
variolique pour faire la premiere inoculation , on
trouva deux petites véroles naturelles & ſpontanées
dans le quartier des Carmes de S. Pierre.
Peu contentde la matiere variolique que préſenfoient
ces deux petites veroles naturelles , on en
fut chercherde choix àAigues-mortes , où cette
maladie étoit répandue , & c'eſt de ce germe venu
d'Aigues -mortes , qu'ont été ſucceſſivement
faites les40 inoculations. - Pendant le traitement
des premieres , vers le mois d'Avril , la
petite vérole naturelle commença à ſe répandre
au point qu'elle fut propagée dans tous les
quartiers de la ville vers la finde Mai. Cette
maladie fut d'abord affez bénigne ; mais elle
devint meurtriere dès le mois de Juillet , &
continua àl'être juſqu'à la fin de l'année , quoiqu'un
peu moins en Décembre , elle n'avoit
cependant aucun caractere particulier de mati.
( 175 )
1
gnité. Il eſt mort proportionnellement beau
coup moins d'enfans parmi les perſonnes aiſées
& inſtruites , qu'il n'en eſt mort parmi le peuple.
Les inoculations qu'on avoit pratiquées avoient
faittenir ſur leursgardes les perſonnes inſtruitesdu
traitement qui convient à cette maladie ; on
avoit tenu les enfans à un régime préparatoire
dont on a reſſenti les heureux effets . On a obſervé
de plus que , foit Parens , ſoit Médecins & Chirurgiens
, on s'étoit généralement plus conformé
au traitement rafraîchiſſant ou aéré uſité dans la
petite vérole artificielle . Le peuple qui raiſonne
peu en général , qui ne connoît & ne prend
aucune précaution , qui ne peut, lors même qu'il
le voudroit , tenir ſes logemens auſſi aérés qu'il
faudroit , a preſque ſeul ſupporté la mortalité
que cettte cruelle maladie a occaſionnée . - Il y
a eu beaucoup d'adultes attaqués de la petite
vérole, tous s'en font heureuſement tirés. -
Cette maladie s'eſt communiquée à preſque
tous les enfans de l'Hôpital général qui étoient
dans le cas de la prendre : il n'en eft mort aucun.
Onobſerve que cette Maiſon a preſque le même
bonheur dans toutes les épidémies varioliques .
Ladiverſité des ſujets bâtards , enfans trouvés ,
ſcrophuleux , &c. que cette Maiſon reçoit , indique
affez que tous ces enfans ne ſont pas à la
même époque dans l'état de ſanté le plus favorable
pour recevoir cette maladie : il doit donc
y avoir quelque cauſe générale qui rende bénignes
dans cette Maiſon les épidémies qui ſont
meurtrieres dans le reſte de la Ville. L'auteur
penſe qu'on peut attribuer cet effet fingulier
àdeux cauſes, 1º, à la maniere vaſte & aérte
avéc laquelle les enfans y font logés ; 2°. au
régime perpétuel auquel ils font foumis par le
bon ordre & l'économie qui regnent dans cette
h4
( 176 )
-
,
Maiſon, Cette ſeconde raiſon pourra être de
quelque poids dans la queſtion fi ſouvent agitée,
pour ſavoir s'il faut ou s'il ne faut pas des préparations
avant de ſoumettre les ſujets à la petite
vérole artificielle . Comme on ne fauroit
trop prémunirles parens & les gens de l'art con.
tre les ravages occaſionnés par les épidémies de
la petite vérole naturelle , il eſt à propos de
leur rappeller qu'elle reviennent à Montpellier
tous les quatre ans , que rarement elles
retardent juſqu'à la cinquieme année. On en a
la preuve en confidérant que cette cruelle maladie
a régné dans cette Ville en 1766 , 1770 ,
1774 , 1778 , & que pour cette fois ſeulement
depuis plus de vingt ans elle n'a paru qu'à la
cinquieme année , qui a été l'année 1783 que
nous venons de parcourir . - Des calculs faits
avec ſoin ſur les trois dernieres épidémies , démontrent
que celle de 1774 a enlevé 441 enfans
au deſſous de dix ans . - Que celle de 1778
en a enlevé 509 du même age. - Que celle de
1783 en a enlevé 542. Par un autre calcul
affez exact , on peut eſtimer que la petite
vérole naturelle enleve à Montpellier environ
la huitieme partie des enfans qu'elle attaque .
Que l'on apprécie la perte que cette ville ſeule
préſentedans l'eſpace d'un fiecle ! Qu'on ſe forme
une idée de la progreſſion que cela auroit
pu produire pour la popularion ! En verfant une
larme fur le fort de tant de victimes de l'aveu -
glement & du préjugé , continuons nos voeux &
nos efforts pour voir propager la méthode ſalutaire
de l'inoculation , & répétons ſans ceſſe que
le nombre de perſonnes mortes pendant ou à
la ſuitede cette opération depuis qu'on inocule ,
eſt fi peu conſidérable , qu'on n'a pu le réduire
encore en calcul proportionnel , tandis qu'il en
( 177 )
meurt au moins un ſur huit de ceux qui font
attaqués par la petite vérole naturelle.
La lettre ſuivante n'a pas beſoin de commentaire,
ſi le remede qu'on y indique contre
les effets funeſtes de l'arſenic, que l'imprudence
a ſouvent multipliés , eſt sûr , on
ne fauroit trop lui donner de publicité.
M. Vous avez inféré dans un de vos Journaux
que toute une famille diftinguée avoit péri des
ſuites d'une mépriſe cruelle,de l'arſenic pris pour
de la farine. Je vous prie de publier ce remede ,
auſſi efficace que facile,qui eſt le plus prompt que
j'aie jamais éprouvé , tant pour l'arſenic que
pour le vert-de-gris qui quelquefois ſe mêle
aux alimens que nous prenons. Il s'agit d'exprimertrois
citrons dans un grand verre à bierre ,
&d'en couler le ſuc ; après la colature , prendre
deux gros d'yeux d'écreviſſes préparés & réduits
en poudre très-fine ; jeter dans le ſuc de citron
cette poudre au moment de la donner au malade
, ayant ſoin auparavant de la bien mêler
avec une cuiller d'argent , ou de bois , ou même
la lame d'un coûteau , la faire prendre de faite
la fermentation , &dès l'inſtant le malade eſt ſoulagé
: & fi les douleurs ſe renouvelloient , on
réitéreroit le remede. Deux fois j'ai dû la vie à
ce moyen , qui n'agit qu'en neutralifant l'acide
corrofif , parce qu'il a plus de force que celui
du citron , pour s'emparer fur le champ des yeux
d'écreviſſes , par ſa grande affinité avec les terres
abſorbantes & a'kalines . J'ai ſauvé pluſieurs
perſonnes par ce remede , & récemment deux
femmes qui s'étoient empoiſonnées en faiſant
bouillir leur lait pour leur café dans un poëlon
de cuivre boſſelé , & qui avoit été mal récuré.
L'effet de ce remede eſt ſi prompt que les douleurs
hs
( 178)
1
ceffent auſſi-tot après l'avoir pris ; & fi on foupçonne
une grande quantité de poiſon, on le répere
deux à trois fois dans les vingt-quatre heures. Je
le donne auffi avec ſuccèsdans les coliques bilieuſes
: mais quoiqu'il enleve les douteurs , dans
ce cas là il agit différemment , puiſqu'il fait
très-ſouvent vomir , au lieu qu'en cas de poiſon
il purge. Il faut , après les douleurs ceſſées ,
purger les malades avec de la manne fondue
dans debonne huile d'olive , ou d'amande douce
récente, &pour plus de fûreté , réitérer ce purgatif
deux à trois fois , & faire boire du lait au
malade ; mais pour les coliques , il ne faut pas
purger avec cette potion huileuſe , maisdes minoratifs
quelconques. Je croirois manquer à
l'humanité ſi je laiſſois ignorer un moyen fi facile
de ſe guérir. La plus grande difficulté eft
de trouver des citrons; mais on peut facilement
les conſerver des années entieres , en les metzant
dans des boîtes ou des flacons bien bouchés ,
&les couvrant par couches de fable fin paſſé au
four & au tamis. J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé,GRÉGOIRE FROMY , Religieux Chirurgien
de l'hôpital de la Charité à Cadillac.
Page
P. Š. Ce qui m'a décidé à faire mettre ce remede
dans votre Journal , c'eſt la mort de ceux
qu'on a traités , &je ſuis certain que même du
fublimé corrofifne feroit pas périr , ſi ondonnoit
defuite le remede ci-deſſus .
Une lettre d'Abbeville contient les détails
ſuivans.
11 a été trouvé , dans le courant du mois dernier
, fur le terrois d'Ailly-le-haut-Clocher ,
diſtant de trois lieues de la ville d'Abbeville , une
Urne ou Potiche de pierre de taille groffiérement
creufée & couverte d'un plateau de même
matiere , dans laquelle étoit renfermée une quan
( 179 )
tité conſidérable de monnoies de cuivre. Doux
Particuliers , en recherchant une borne dans les
champs , fentirent de la réſiſtance à la profone
deur de la beche ; mais au lieu de la borne ,
c'étoit le dépôt dont il s'agit. Ils crurent leur
fortune faite. A force de travail ils vinrent à
bout de lever cetteUrne dans laquelle ils trouverent
environ 120 liv. peſant de monnoies de
cuivre ; il en faut dix pour le poids de demionce
, & par conséquent les 120 livres , au poids
de 15 onces , donnent la quantité de 18,000
pieces; elles ſont toutes de la même grandeur ;
elles ont été vendues au poids à un Chaudronnier
d'Abbeville. Il faudroit un grand amour
de l'antiquité & une grande patience pour nettoyer
toutes ces pieces de la terre & du vert de
grisqui les couvre ; un grand nombre font collées
les unes contre les autres , pluſieurs font
corrodées & totalement effacées : quelques-unes
priſes au haſard & nettoyées , ont laiffé lire les
noms de Gordien , de Galien , de Carinus. A en
juger par- là , elles ſont toutes du Bas-Empire.
Les Inventeurs ſoutiennent quils n'ont rien trouvé
autre choſe , & qu'il n'y avoit point de monnoiss
d'or ni d'argent. Eft- il poſſible qu'une auffi
prodigieuſe quantité de petites monnoies ait
formé le tréſor d'un particulier , ſans qu'il y ait
joint des piecesd'une plus grande valeur ?
Dans un moment où l'on ne s'occupe
que du Magnétiſme animal , où l'enthoufiaſme
eſt ſi vif, où il parle avec tant d'éclat
& de hauteur , que l'incrédulité n'oſe élever
ſes doutes , & paroît contrainte de ſe taire ,
on ne peut être fâché de trouver ici la lettre
ſuivante ; elle offre un nouveau Magnétifme
, ce qui doit la bien faire recevoir des
h6
( 180 )
partiſans de la doctrine ; & ſes détracteurs
conviendront, que ce n'eſt pas ſérieuſement
que certains objets doivent être attaqués ,
& que l'on a raifon , lorſqu'on eſt plaifant.
>
M. Au milieu des jouiſſances ſans nombre de
cette Capitale , par l'adoption du magnétisme ,
ou plutôt des magnétiſmes , permettez-vous àun
nouvel adepte , bien &duement initié , d'élever,
la voix ? C'eſt pour vous propoſer , Monfieur
& par vous , à tout Paris , un moyen nouveau
d'étendre ces mêmesjouiſſances , en répandant,
à la fois ſur tous ſes habitans le véritable magnétiſme.
N'est- ce pas accomplir les voeux que
P'on fait par tout en faveur de la médecine magnétique
, en faifant en même tems , avec raifon
des épigrammes contre celle qui ne l'eſt
pas. Ne croyez pas , Monfieur , qu'il ſoit
ici queſtion de faire revivre l'eſpece de magné
tifine qui s'exerçoit , il y a juſtement quarante
ans , au milieu de Paris , avec des ſuccès au
moins comparables à ceux du magnétifime de
nos jours. Le rappro hement facile à faire de
cequi ſe paſſoit alors avec ce qui ſe paſſe au
jourd'hui , la parfaite identité des effets &des
cures du baquet bienfaiſant , &de la bienfaifante
tombe , appartiennent à une Science phyficomorale
que je développerai une autre fois. La
partie curative & 1 partie divertiſſante ou fanraftique
de l'un & l'autre magnétiſme feront
traités ſéparément , & d'une maniere neuve ,
dans un Ouvrage qui , j'eſpere , ſera digne d'être
mis à côté du Livre bleu -Quant à préſent ,
M. , mon ſeul but eſt d'étab'ir pour Paris excluſivement
, un magnétiſme plus grand& in
finiment plus puiffant que tous ceux dont on a
parlé juſqu'ici : le Mesmerisme , le Delonisme ,le
( 181 )
:
- Des
Martinisme , &c. qui , de l'aveu des fondateurs ,
font très-différens , mais qui pourtant , au rap
port des ſectaires de chacun , produiſent tous les
mêmes miracles , ne font que de foibles eſſais
magnétiques en comparaiſon du mien. Le magnétiſme
d'Alfort , celui d'Amins , celui de
Mâcon , celui memede Portugal , que l'on a voulu
gauchement affimiler aux autres , ne font non
plus que des jeux deufans auprès du magnétiſme
de Chailot ; c'eſtainfi , M. , que j'appelle
le mien , & vous allez voir pourquoi.
trois ou quatre gran is baquets qui font établis
ſur la montagne de Chaillot , pour la diftribution
des eaux de Seine à Paris , partant des canaux
qui vont aboutir dans tous les quartiers & à
toutes les maiſons de cette immenfe vlle ; on
ne me conteſtera pas fins doute ( & j'en ai acquis
la preuve certaine moyennant cent louis)
qu'il ne ſoit très-conforme aux loix de la ſaine
phyſique , & plus encore aux principes reçus du
magnétiſme , que les grands baquets de Chaillot
font de vrais réceptacles , & les canaux qui en
fortent les meilleurs conducteurs de ce fluide
univerſel . Cela poſé , le reſte va de lui même.
-
Il ne s'agit plus que d'ajouter à la ſouſcription
annuelle de so liv. de MM. Perrier ,
pareille ſomme de 50 liv une fois payée , pour
chaque maison , & on y recevra tous les matins,
avec le muid d'eau , la quantité de magnétifme
que l'on voudra pour la journée. Vous faurez ,
M. , qu'il eſt tout auffi facile de magnétiſer
deux ou trois cents mille muids d'eau que celle
d'une fimple bouteille, ou d'un petit baquet :
tout comme de magnét fer à la fois une forêr
entiere ne coûteroit pas plus que de magnétiſer
un ſeularbre du Luxembourg. Perſonne n'ignore
que ces petits tours de phyſique ſe font déja ré
182
pétés pluſieurs fois ſur les baſſins & fur les atbres
dans quelques jardins de cette Capitale. -
Ainfi nul doure , M. , dans la réuſſite du projet
que je propoſe , & l'on conviendra que c'eſt projetteren
grand. Quant au détail , il y aura déformais
dans chaque maiſon , pour y recevoir
les écoulemens du magnétiſme , des cabinets de
ſanté , garnis de pointes , de chaînes , &c. préparées
pour les criſes , comme il y a des cabinets
debains avec des tuyaux , des robinets , &c.
On établira pour le peuple des hoſpices &des
hôpitaux magnétiques , qui feront fans ceſſe
alimentés de ce fluide falutaire , comme enRuffie
, par exemple , on établit des falles publiques
de bains vaporaux , toujours entretenus au même
degré de chaleur. -Si ce plan eſt adopté ,
M. , on n'entendra plus murmurer que les avantagesde
la ſublime découverte du magnétiſme re
font encore profitables qu'à un petit nombre
d'individus privilégiés , faiſant loges , cercles ou
cotteries. Un autre bienfait qui réſultera de la
propagation de mon magnétiſme aqueux , ce ſera
de me fournir les moyens d'établir gratis un
autre magnétiſme que j'appellerai aérien ,&dont
le foyer ou baquet ſera diſpoſe dans les tours de
Sainte Genevieve. Par ce dernier établiſſement ,
dont la gravure va paroître , je ne pourrai , à
la vérité, magnétiſer que le quart de Paris à
la fois ; mais chaque quart aura ſon tour dans
l'eſpace de vingt-quatre heures , en ſuivant alternativement
les quatre points cardinaux du
globe , & en obſervant , comme de raiſon , le
cours des aſtres & des planetes . Je dirai , M. ,
pourquoi je préfere Sainte Genevieve à tout
autre lieu , même à une eſpece de patache que l'on
pourroit établir au-deſſus de Paris par le moyen
des balons. La pluie & le beau tems ne font
( 183 )
nullement indifférents à mes opérations magné
tiques , pas plus qu'ils ne le ſont aux nombreux
baquets déja établis dans la ville & fauxbourgs
deParis ; chétifs baquets ,je le répete , qui vont
par ma découverte , devenir , comme on l'a déja
dit , le jouet des écoliers de physique. J'ai l'honneur
d'être , &c. Le premierApôtre du maznétisme.
On a fait les 19 ,20, 21 & 22 du mois d'Avril
dernier , à l'Hôtel-de-Ville , en préſence deMM.
les Prévôt des Marchands & Echevins de la ville
de Paris , le premier tirage de la Loterie royale
établie par Arrêt du Conſeil du 4 Octobre 1783 .
Nous ne pouvons placer ici la liſte des 4000billets
ſortis ,dontles lots réunis forment un total
de 1,961,000 liv.: nous nous contenterons de
faire connoître les principaux. Le lot de 80,000 1.
eſt échu au nº. 56,226 , celui de 30.000 liv. au
n°. 46,570 , celui de 12,000 li. au no.5102 , celuide
8000 liv. au nº. 34,460. Les autres lots conſiſtent
endeux de 6000 liv. , quatorze de 3000 1. ,
tremede 1500 1. , cinquante de 800l. , troiscents
de 600 liv. Les autres lots de 420 liv. chacun
font au nombre de 3600 1. Conformément à
P'Arrêt du Conſeil portant établiſſement de cette
Loterie , les lots fortis feront payés dans le mois
d'Octobre prochain au Tréſor royal .
DE BRUXELLES, le 18 Mai.
Les Commiſſaires envoiés ici par la République
des Provinces-Unies , pour conférer
avec le Gouvernement - Général des
PaysBas; fur les différends qui ſe ſont élevés
, ſont arrivés ici depuis quelque temps ,
& ont préſenté leurs lettres de créance à
L. A. R. Depuis cette époque les conférences
ont commencé.
( 184 )
On apprend de la Haye, que l'Enſeigne
de Witte, quoique reconnu coupable , mais
en même temps plus malheureux encore ,
tie fubira point la mort , & qu'il lui fera fait
même grace de toute peine infamante.
Les demandes de l'Empereur aux Etats-
Généraux font maintenant connues : elles
conſiſtent en 14 articles que nous placerons
ici.
1°. Les marcations des frontieres de Flandre
doivent , conformément aux déclarations répétées
de feue l'Impératrice Reine &de S. M. l'Empereur
, actuellement regnant glorieuſement , refter
d'après la teneur de la convention de l'an
1664 ; & fi par le cours du tems , il s'y eſt élevé
quelques nuages , S. M. s'attend que L. H. P.
nommeront des Commiſſaires pour , de concert
avec ceux qu'il y deſtinera , rétablir les cho
ſes ſur le pied où elles doivent être d'après la
dite convention , comme l'unique baſe que S.
M. reconnoît . 2°. S. M. s'atrend en même
temps , que L. H. P. feront démolir cette partie
des fortifications du Fort de Liefskenshok , qui
s'étend plus loin qu'il n'eſt aſſigné à la République
par le VI . Art. de la convention de 1664 ,'&
qu'en même tems elles feront ceſſer toutes les
ufurpations qu'on a laiſſées , particulierement fur
le pays avancé du Polder de Doel . 3 ° S. M. demande
que les forts Kruis-Schans & Fréderic-
Henri fovent inceſſamment démolis & évacués ,
vu que le Traité de 1648 eſt très clair là- deſſus.
4°. S. M. demande que le fort de Lillo , dont les
fortifications s'étendent fur le territoire pris çà
&là for fon territoire , ſera à tous égards porté à
Pétat où il étoit auparavant , lorſque la poffeflion
en eſt reſtée aux Etats-Généraux par le Traité
( 185 )
mentionné. 5º . S. M. qui , conformément aux
traités , penſe avoir la ſouveraineté pleine & indépendante
de toutes les parties de l'E caut , depuis
Anvers juſqu'à Safungep , demande que le
vaiſſeau de garde , placé devant le fort Lillo , &
que L. H. P. ont fait retirer proviſionnellement ,
fera pour toujours fupprimé , S M. ne pouvant
fouffrir dans toute l'étendue de ſa Souveraineté
fur l'Escaut aucun navire , ou quelque autre pouvoir
ou inſpection étrangere. 6°, S. M. demande
que la République rende les villages de Bladel &
de Reufel, dont la République s'eſt rendue maitreſſe
, ſous prétexte qu'ils auroient fait autrefois
partie de la mairie de Bois-le-Duc , quoique cependant
il foit avéré , que le Roi d'Eſpagne les
poſſédoit lors du traité de Munter , & qu'ils ont
toujours a partenu au quartier d'Anvers. 7 ° . S.
M. demande , que les Etats Généraux faifant cef,
fion de leur prétention ſur le village de Poſtel ,
qu'ils ont en poffeffion , rendent à l'Abbaye de ce
nom les biens qu'ils poſſedent fur ce territoire &
dont ils ſe ſont rendus maîtres en contravention
au 43 art. du traité de Munſter. 8°. S. M. demande
que les Etats-Généraux ceſſent toutes les
ufurpations contre la Souveraineté marquée , à
l'égard des pays de Koningsheim , Telogne ou
Voelen , Grootloon , Heeren Keer, Hoppertin
gen , Moppertingen , Nederen , Paur , Ruffen ou
Rutten , Sluyſen , Sepperen , Falais , Argen
teau & Hermaal , & que de la part de L. H. P.
on s'abſtienne de toutes levées , ſoit ſous le titre
de ſubſide , ſoit autrement, qu'on s'eſt arrogé de
tirer de ces pays , contre le droit & la justice , &
au préjudice du droit & de la ſouveraineté de
l'Empereur , S. M. demande que les Etats Génér
raux fatisfaifant aux engagemens qu'ils ont con
tractés par le Traité du 30 Août 1673 , lui.res
( 186 )
mettront enfin la ville de Maeftricht & le comte
de Vroenhove , avec toutes ſes dépendances dans
le pays d'Outre-Meuſe , leſquels ils retiennent
injuſtement&contre la teneur dudit traité. 10°.
S. M. demande indemniſation & reſtitution des
revenus, productions , fruits , &c . quelconques
perçus par la République ou ſes receveurs , ſous
quelque nom ou titre que ce ſoit, de tous lesarticles
contenus dans cette Note. I. S. M. demande
que les Etats Généraux lui faſſent indemniſationpour
les pertes énormes qu'il a eſſuyées
dans le produit des droits d'entrée&de fertie ,
pour ( en ajoutant foi àla promeſſe poſitive d'un
Traité de commerce , faite par la République,
mais toutefois éludée & jamais miſe en exécution
) avoir maintenu pendant quelques années
Fimpofition de ce droit, ſur un pied défavorable
&défavantageux à tous égards. 12º. S. M. exige
que lesEtats-Généraux lui reſtituent le montant
de tout ce qui lui revientde la partde la ville&
duMarquifatdeBergen-op Zoom , de la ville &
de la baronnie de Breda & d'autres parties du
Brabant-Hollandois : que lesEtat-sGénéraux reftituent
à S. M. I. leur portion dans les rentes affectées
ſur l'ancien ſubſide de la province de
Brabant, & qu'outre la reſtitution entieres du capital,
à compter du moment que, ces poffeffions
font paffées ſous la ſouveraineté de la République,
les Etats-Généraux , pour l'avenir fatisfafſent
régulierement au contingent , ſur le pied
dont on conviendra. 13 °. S. M. réclame la reſftitution
ou le paiement de toute l'artillerie & de
toutes les munitions de guerre, laiſſées ſous leur
garde& leur direction , lorſque les troupes de
'Etat ſont venues en garniſon dans quelquesunesdes
places de ce pays ; & S. M. exige en
même tems le remboursement de deux millions
( 187 )
de livres , qu'en vertu du Traité de pain conclu
àAix- la-Chapelle , la France doit avoir payés à
la République pour l'artillerie & les munitions
de guerre enlevées de ces places durant les heftilités.
14°. S. M. demande que les Etats-Généraux
fatfent payer aux corps & aux particuliers
nommés dans la Note ci-jointe, les capitaux qui
s'y trouvent ſpécifiés , avec les intérêts en réſultans
. NOTE. 1°. Les Etats de Namur
ont, en vertu d'un Arrangement avec le Gouverneur
Hollandais de Namur , & du confentement
de L. H. P. , le 12 Juillet 1745 , fourni
pour 8236 flor. 1 ſols de Bétail , pour la fubſiſtance
de la Garniſon , & dont le payement à
été reclamé en vain juſqu'à ce jour. 2°. Le Magiftratde
Namur a de même , en 1746 , livré
du bétail pour la Garniſon , ſans en avoir pu
toucher juſqu'à ce jour le Payement de 5268
florins 6 fols. 3°. Les Perſonnes Hannouſt ,Gabriel
, d'Outrebande &Maneffe ont , par ordre
du Gouverneur deNamur,pour le ſervice de
Garniſon pendant le Siege en 1746 , fourni des
lits avec ce qui en dépend , dont le sotal monte
à 36862 flor . 2 ſols, ſans en avoir pu juſqu'à
ce jour obtenir le payement , quoiqu'après la
priſe de Namur , cette fourniture ait été taxée
fur le même pied par les Otages Hollandois
reftés à Namur. 4°. Il faut qu'on rembourſe à
la régence de Tournai, le total des dettes ,
qui de lapartdes Etats-Générauxy ont été contractées
par le Général de Dorth pendant le
Siège en 1745 , formant ſomme de 8224 florins
ſept fols un denier ; auſſi bien qu'à différens Particuliers
du même diſtrict , la ſomme de 14689
florins neuf ſols; ce dont le Général de Dorth
paſſa dans la même année une Obligation formelle
de la part de L. H. P. , quoique juſqu'à
préſenttoutes les ſolicitations pour en obtenir le
la
( 188 )
remboursement , aient été infructueuſes. 5º. Les
Particuliers Marten Robyns , Pierre Langord ,
Henry Heyman & F. Caſtro ont dans les années
1709, 1712 & 1713 livré aux Troupes de la
République des Vivres & du Fourrage pour la
ſomme de 263392 flor. 15 lols , Argent d'Hol +
lande , ſans que, nonobſtant divertesOrdonnan
ces du Conſeil d'Etat , expédiées en leur faveur ,
particulièrement en 1721 & 1729 , & malgré
- leurs follicitations continuelles , ils en aient pu
être payés juſqu'à préſent.
Une lettre particuliere contient les détails
ſuivans , fur ce qui s'eſt paſſé de la part des
Portugais fur la côte d'Angola , & dont
tous les papiers publics ont parlé juſqu'ici
d'une maniere fort vague , & fur-tout avec
beaucoup d'exagération.
Voici , affure t-on , à quoi ſe réduiſent tous
les griefs élevés contre les Portugais. Leur Reine
leur avoit ordonné de bâtir un fort à Cabinde. Ce
fort , ou pour mieux dire , cette redoute de trois
à quatre canons , n'étoit élevée que pour mettre
les Portugais à l'abri des incurſions des peuplades
barbares voiſines , qui venoient ſouvent les inquiéter
& enlever leurs eſclaves , qu'elles vendoient
enſeite aux autres Puiſſances européennes,
Pendant qu'on travailloit à ce fort , leGouver
neur mourut ; un jeune Officier lui ſuccéda par
interim ; & les Negres ayant choifi ce moment
pour tenter de détruire l'ouvrage qu'ils voyoient
s'élever, le jeune Gouverneur accuſa le Capitaine
d'un bâtiment françois qui étoit ſur la côte,
d'avoir provoqué& favorisé cette agreſſion , &
fans forme de procès , il s'empara du bâtiment
&confiſqua la cargaison , conſiſtanteenbeaucoup
( 189 )
de Negres , parmi lesquels il y avoir entr'autres
un Prince d'une peuplade voifn
pas davantage pour éloigner de acti
autres bâtimens qui ve orent
répandit en Europe que les Porn
1.
中
roient pas qu'on y fit , comme peris
traite des Negres . Cette Cour a done les p'us
fortes affurances que jamais ce n'avoit été fonintention
, que les Puifiances Européennes feront
libres d'y commercer à l'ordinaire , & qu'elle
avoit envoyé des ordres pour punir l'Officier qui,
fans des preuves ſuffifantes , avoit confiique la
cargaiſon d'un bâtiment appartenant à une Puif
ſance amie.
• Des lettres de Veniſe apprennent que l'on
a enfin retrouvé le bâtiment Anglois la
Grande-Ducheſſe de Tofcane . C'eſt à Zante
qu'il a été arrêté , par les ſoins du Conful
d'Angleterre.
Les ſcélérats qui s'en étoient emparé l'avoient
conduit dans un havre , à l'oppoſite de la ville de
Zante ,& député l'un d'eux pour engager des matelots.
Le Conful anglois en ayant été informé , &
ayant des foupçons , employa trois habitans &
deux foldats déguiſés en matelots. Ceux- ci parurent
vouloir prendre parti , & ferent conduits
à bord du bâtiment , & ils ſe rendirent maîtres
des ícélérats avant qu'ils puſſent mettre le feu
au vaiſſeau , comme ils ſe l'étoient propoſé. La
femme du Capitaine , deux enfans & un ſeul paf
ſager qui étoient reftés à bord te portent bien .
Les coupables ont été exécutés ſur le champ ,
leurs têtes coupées & expoſées. Le Provéditeur
de Zante a expédié un paquebot à Livourne pour
yporter cette nouvelle au Capitaine Blacket , qui
fans doute aura mis à la voile pour aller repren
dre poffeffion de ſon vaiſſeau.
:
( 192 )
Le3 du mois dernier , on a fait à Lisbonne,
comme par-tout , des épreuves de la
Machine aéroſtatique de MM. de Montgel
fier; elles n'y ont pas eu moins de ſuccès :
mais elles ont donné lieu à des recherches
de la part des Erudits ; on prétend qu'ils ont
découvert , que l'honneur de l'invention eſt
due au Portugal; & voici ce que l'on écrit.
<<<En 1720, il ſe trouvoit à Lisbonne un certainBarthelemi
de Gusmao , qui avoit été Jéſuite
dans le Bréſil ; il avoit du talent , beaucoupd'imagination&
d'adreſſe; avec la permiſſion du Roi
Jean V, il fabriqua un balon aéroſtatique , dans
la place contigue au Palais Royal ; & à un jour
fixé, en préſencede L. M. &d'une foule immenſe,
il s'éleva en l'air , au moyen d'un feu allumé
dans la machine , juſqu'à la hauteur de la corniche
du faîte du palais ; mais par la négligence
& le peu d'habitude de ceux qui tenoient les
cordes , la machine pritune direction oblique&
toucha cette corniche où elle ſe rompit& tomba;
elle avoit la forme d'un oiſeau , avec la queue &
les aîles. L'Inventeur ſe propoſoit de faire de nou
velles expériences; mais affligé des railleries du
peuple , qui l'appelloient ſorcier , effrayé par
l'Inquifition , qu'il apprit diſpoſée à ſe ſaiſir de
lui , il profita des conſeils de ſes protecteurs , il
brûla ſes manuſcrits , ſe traveſtit , prit la fuite&
ſe ſauva enEſpagne , où , peu detems après , il
mourut dans unHôpital.On ajoute à préſent que
des Savans françois & anglois qui avoient été à
Lisbonne pour vérifier ce fait , ont fait des recherches
dans le Couvent des Carmes , où le P.
de Guſmao avoit un frere qui a conſervé quelques-
uns de ſes manuscrits ſur la maniere de
conſtruire les machines aéroſtatiques . Pluſieurs
perſonnes affurent qu'elles ont aſſiſté à l'expé
( 191 )
riencedu Jésuite , & qu'il en avoit reçu le ſebriquer
de Voador ou l'homme volant.
Acôté de ces détails , que nous préſentons
, comme nous les traduiſons , nous
joindrons ce paragraphe , que nous traduifons
des papiers Anglois.
ce On dit ici , comme un fait poſitif, que le
principe d'aſcenſiondes ballens aéroſtatiques étoit
connu des Anciens ilya environ deux mille ans.
Le Lecteur trouvera dans le dixieme livre d'Aulugelle
, chapitre 12 , le paſſage ſuivant : -Archytas
, diſciple de Pythagore , fit un pigeon de
bois , qui s'élevoit au moyende l'air enfermé dans
ſon intérieur , & raréfié par le mouvement de
quelques reſſorts qui le faiſoient mouvoir herizon,
talement,
Preſſé par le temps , nous ne pouvons vérifier
ce paſſage , mais on fait qu'en effet
Archytas , qui vivoit l'an 408 avant J. C.
fut un grand Mechanicien , qu'il inventa la
vis & la poulie , & trouva la duplication du
cube , découvertes citées par pluſieurs Auteurs
, comme plus utiles que celle de fon
pigeon volant , dont on n'auroit pas eu une
plus grande idée, il y a un an ou 18 mois ,
avant celle de M. de Montgolfier.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL .
Le tems préſent a amené les révolutions les
plus favorables à M. Wilkes , & auxquelles on ne
ſe ſeroit pas attendu il ya quelques années. Le
Docteur Wilſon de Bath lui a laiſſé un legs de
20,000 liv. ft. Sa femme , qui vient de mourir,
lui a abandonné pendant ſa vie la jouiſſance du
bien qu'elle lui avoit apporté ; il eſt réélu
Membre du Parlement pour le Comté de Middlefex
, & parune coalition honorable à laquelle
(192 )
ilis'eſt prêté , il eſt bien venu maintenant au
Palais Royal , qui luiavoit été autrefois fermé .
Il y a un contraſte affez fingulier entre les
commencemens de l'administration de M. Pitt &
de celle de M. Fox , lorſque ce dernier arriva
au pouvoir , le propriétaire d'un papier du matin
manqua & fir perdre au Bureau du timbre une
fomme confidérable qu'il devoit. Le Miniſtre
propoſa d'obliger , en accordant le privilege à
d'un papier quelconque , de dépoſer , pour la ſůreté
du Gouvernement , une ſomme qui pourroit
répondre du crédit qu'on lui feroit pour le droit
datimbre. Quoique cela parût favorable pour
le tréſor , l'expédient parut auffi mettre quelque
restriction à la liberré de la preſſe , & M. Fox
Pabandonna auſſi- tôt. On affure formellement
ce fat ; cela n'empêche pas qu'un papier d'hier
n'aie dit qu'aucun homme n'avoit plus de diſpofition
que M. Fox , s'il rentroit en place , à porter
un coup funeſte à la liberté de la preſſe.
Celui qu'on lui a porté en Irlande eſt un eſſal
qu'ona tenté pour préparer à celui qu'on veut
lui porter en Angleterre ; mais ce dernier n'aura
lieu que dans un an. Les mécontentemens qui
ont éclaté en Irlande montrent ceux qui auroient
Heu ici , & on veut marcher avec circonſpection.
Les Officiers François dans l'Inde ont , dit-on ,
reçu dernièrement Typo- Saib Franc-Maçon
les lettres qui nous l'apprennent aſſurent que
c'eſt un fait. Il y avoit quelques années que fir
John Duy avoit donné le titre de cette fraternité
au Nabab d'Arcate , qui en conféquence decette
initiation , écrivit en langue perſane une lettre
curieuſe de remerciemens au Grand-Maître de
la loge d'Angleterre ; elle étoit accompagnée
•d'un riche préſent , & elle eſt conſervée dans les
archives de la loge fuprême.
3
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
Au Prince FERDINAND D'AUTRICHE ,
pendantfon séjour à Aix.
T.On air affable & gracieux,
Prince , nous a tourné la tête ;
Anos tranſports , à l'air de fête
Étincelantdans tous les yeux,
Qui ne dirait pas qu'en ces lieux
Louis eſt avec Antoinette ?
Tu nous peins leur aménité,
Etfur ton front éclate & brille
Ladouceur &la majesté!
Il paroît bien en vérité
Quemon Prince eſt de la famille.
C'eſt vainement que déſormais
N°. 22 , 29 Mai 1784.
)
I
194
MERCURE
Ta grandeur , craignant de paroître,
Voudra diffimuler ſes traits ;
Ton art de plaire & tes bienfaits
Te feront par -tout reconnoître .
Tel quand d'un nuage à nos yeux
Phébus cache ſon diſque immenſe ,
L'azur & la clarté des cieux
Ayertiſſent de ſa préſence.
Jalouſe de combler leurs veoeux ,
Ton inquiète bienfaiſance
Cherche par- tout les malheureux ,
Et ta bonté devient pour eux
Une nouvelle providence.
Au premier cri de l'indigence ,
C'eſt toi que l'on voit accourir ;
Dans l'âge de l'effervefcence ,
Et dans la ſaiſon du plaifir ,
Semer avec intelligence
Les tréſors de ton opulence ,
Voilà pour toi l'art de jouir.
CE ROI que la vertu couronne ,
Ce Frère auguſte & reſpecté ,
Qui , pour confeil , prit ſur le trône
La justice & la vérité ;
Joſeph , qu'admira ce rivage ,
Voyageoit avec la raiſon ;
Son eſprit , ſublime & profond ,
Obſervoit tout fur ſon paſſage.
DE FRANCE. تور
L
Fidelle compagne du ſage ,
Elle t'a ſuivi dans ces lieux ;
Mais pour égayer fon langage ,
Et ſon ton , par fois ennuyeux ,
Tu fus d'avis que , pour le mieux ,
Ton Épouſe fût du voyage.
Dieux ! que de charmes confondus
Dans celle que ton coeur adore !
Plus que du rang les attributs ,
L'affabilité la décore.
De faire adorer les vertus ,
Qui poſsède mieux l'art ſuprême ?
En elle la Sageſſe même
Devient une Grâce de plus.
MAIS inflexible Souveraine ,
Une cruclle & dure loi ,
Loin de ces bords heureux par toi ,
Couple adoré , déjà t'entraîne .
D'un Frère remplis les ſouhaits ;
Dans nos coeurs , mieux que dans l'hiſtoire ,
L'amour conſervera tes traits.
Que ton bonheur ſoit déſormais
Durable comme ta mémoire ,
Et vif autant que nos regrets .
(ParM. Morel , Doctrinaire , l'un des Profeſſeur
de Rhétorique au College Royal- Bourbon- d'Aix .)
Lij
196 MERCURE
:
LA FAUSSE RIVALITÉ , Anecdote.
MÉRIVAL vivoit dans une aiſance qu'il ne
devoit qu'à lui -même , c'eſt à dire , que la
jouiſſance lui en étoit bien plus douce ; car
la richeſſe dans laquelle on eſt né , devient
une habitude ſouvent infipide ; au lieu
qu'une fortune acquiſe eſt une eſpèce de régénération
dont on jouit avec volupté ; ce
bonheur eſt d'autant plus vif qu'il s'accroît
par le ſouvenir du paffe. Si Mérival étoit
heureux par la nature même de ſa fortune ,
il ſavoit l'être auſſi par l'emploi qu'il en
faiſoit. Il n'avoit ni cet orgueil trop ordinaire
aux parvenus , qui fait de leur naiffance
une occafion de reproche , quand elle
devroit être un motif d'éloge , ni cette triſte
& aveugle parcimonie , qui , ſentant trop
bien encore ce qu'il en coûte pour amaffer ,
n'oſe toucher au fruit de ſes travaux; qui ,
dupe enfin de ſes calculs , après avoir eu la
peine d'acquérir des richeſſes , ſe défend la
confolation d'en jouir. Mérival aimoit à
faire des heureux ; mais il y regardoit de
près auparavant. Avant d'exercer ſa bienfaiſance,
il examinoit très ſcrupuleuſement
fi l'on en étoit digne. Il pouſſoit même cette
recherche un peu trop loin ; quand il s'agit
de faire du bien , trop de prudence devient
un défaut; car il vaut encore mieux riſquer
d'obliger un ingrat que de refuſer ſes bien
DE FRANCE.
197
faits à celui qui les mérite. Auffi entroit il
un peu d'égoïſme dans la bienfaiſance de
Mérival; il aimoit à être utile , mais il craignoit
trop d'être dupe. Il vouloit être sûr
des malheurs qu'il foulageoit , comme du
mérite qu'il récompenfoit; & il lui falloit
un peu trop d'évidence pour s'en aſſurer.
Ajoutons néanmoins que cette exigeance
provenoit moins chez lui d'un défaut de
ſenſibiliré que d'un excès de raiſon. Un fervice
qu'il refuſoit étoit une privation pour
lui ; en un mot , quiconque ſait combien les
vertus humaines perdent à être examinées
de trop près , auroit été content du coeur de
Mérival ; & il faut convenir qu'il eſt encore
peu d'hommes auſſi dignes que lui du titre
de bienfaiteur.
Mérival avoit élevé auprès de lui la fille
d'un de ſes amis mort dans la pauvreté. Il
avoit cru qu'il étoit de ſon devoir de le remplacer
auprès d'Agathe; ( c'eſt le nom de la
jeune perſonne. ) Il avoit cherché à ſe confoler
de la perte de ſon ami , en ſervant de
père à ſa fille; & en effet , Agathe avoit
trouvé chez lui le coeur de ſon père avec la
fortune de plus. C'étoit le bienfait le plus
ſignalé de Mérival ; c'étoit auffi le plus mérité
Ce qu'il avoit dépenſé pour l'éducation
d'Agathe n'étoit rien moins que perdu ; car
elle avoit acquis tous les talens qui ajoutent
à la ſéduction de la beauté; & fa tendreffe
étoit bien payée par la reconnoiffance
qu'elle avoit pour lui. Quand la Nature l'eût
I iij
198 MERCUREI
condamnée à la laideur , Agathe auroit charmé
par fon eſprit ,& intéreſſé par ſon coeur;
mais à ces dons précieux elle joignoit encore
une figure charmante & la plus piquante
phyſionomie. Deux grands yeux bleus
armés de longues paupières , & couronnés
de ſourcils noirs des mieux deſſinés , complétoient
la ſéduction ; & fes regards , fes
moindres geftes , reſpiroient cette pudeur
intéreſſante , qui , faite pour écarter le defir ,
ne réuffit que mieux à l'allumer .
Le ciel avoit voulu combler le bonheur
de Mérival ; il lui avoit donné un fils qu'il
chériſſoit tendrement , & qui répondoit par
fes talens & fes vertus à tous les ſoins qu'on
avoit donnés à ſon enfance. On le nommoit
Servily. Mérival ne pouvoit conſidérer ſes
traits fansy voir ſon portrait vivant; & cette
reflemblance , malgré qu'on en ait , ne laiffe
pas d'entrer pour quelque choſe dans les
motifs de la tendreſſe paternelle. C'étoit
peu de lui reſſembler par la figure , il lui
reſſembloit encore par les qualités du coeur.
Mais pardeſſus tout , Servily ſe diftinguoit
par l'amour filial ; c'étoit le fi's le plus tendre
& le plus reſpectueux. Il étoit loin de
calculer , comme tant d'autres , par quel
motif Mérival étoit devenu ſon père ; il ne
comptoit pas avec la Nature ; il lui payoit
fon tribut fans reftriction ; fes ſentimens
étoient purs , ſans mêlange , comme ſa reconnoiffance
ſans bornes ; perfuadé qu'un
fils qui raiſonne ſur ſon devoir l'a déjà trahi.
DE FRANCE.
199
Servily étoit dans ſa dix huitième année ,
& Agathe venoit de voir commencer fon
quinzième printemps. Mérival leur avoit
ordonné de s'aimer comme frère & foeur ;
ils s'aimèrent aufli , mais autrement ; &
long- temps ils crurent l'un & l'autre n'avoir
fait qu'obéir. Quand le jeune homme eut
démêlé la nature de ſes ſentimens , fa tendreffe
filiale en fut alarmée ; il craignit d'être
coupable , ou du moins de le devenir par
fon filence. Il réſolut donc de s'ouvrir à fon
père , afin d'é ouffer ſon amour dans ſa naifſance
, s'il avoit le malheur de ne pas obtenir
ſon aveu. Il ſentoit combien cet effort
feroit pénible & douloureux ; mais , dupe
de ſa candeur , il eſpéroit y réuffir. Hélas !
il ignoroit qu'en amour on ne s'apperçoit
guères de la maladie que lorſqu'il n'y a plus
de guériſon à eſpérer.
Cet amour étoit déjà ſi avancé , qu'il n'avoit
pu échapper aux yeux de Mérival. Il
n'en fut pas effrayé ; mais il réſolut de s'en
ſervir pour éprouver à la fois Agathe & fon
fils . Il les aimoit tous deux tendrement. Il
voulut voir juſqu'à quel point il régnoit
dans le coeur de fon fils , & découvrir en
même temps quel pouvoir il avoit fur celui
d'Agathe. Dès que Servily ouvrit la bouche
pour lui dire qu'il avoit un ſecret à lui révéler
, Mérival devina ce ſecret : un pareil
aveu ne ſe fait jamais avec préciſion ; il y a
toujours nombre de mots inutiles avant d'en
venir à l'effentiel ; Mérival , qui avoit ſes
I iv
100 MERCURE
vûes , eut donc le temps & la facilité d'éluder
cette confidence. Il prétexta une affaire
très preffée , & donna un rendez-vous à ſon
fils pour le lendemain.
"
Le lendemain Servily étant venu le retrouver
dans ſon cabinet : " Mon fils , lui
> dit Mérival , je veux encourager votre
confiance & votre franchiſe. J'ai moimême
une confidence à vous faire. C'eſt
>>un aveu qui vous ſurprendra ; il coûte
>> même à mon amour propre; mais votre
>> amitié pour moi me répond de votre in-
>> dulgence. Vous ne connoiſſez pas encore
>> l'amour par votre propre expérience ;
>> mais vous ſavez qu'aucun âge n'eſt à l'abri
ود de cette foibleffe. J'aime , non fils ; voilà
» mon ſecret. » Servily n'entendit pas ce
mot ſans un mouvement de plaifir ; il ſe
flattoit que ſon père lui pardonneroit un
ſentiment dont il n'avoit pu ſe garantir , &
qu'il auroit pour ſon fils une indulgence
dont il avoit beſoin lui-même. Enfin il ſe
réjouiffoit au fond du coeur , quand Mérival
reprit ainſi : " J'aime; & ce qui vous fur-
>> prendra fur- tout , c'eſt que l'objet de mon
> amour n'est pas encore au tiers de mon
» âge. ( Cette circonſtance ajoutoit encore
ود à l'eſpoir de Servily. ) Enfin , continua
>>Mérival , celle qui a ſu toucher le coeur
ود de votre père; c'eſt , le croirez- vous , la
» jeune Agathe. » Ce mot fut un coup de
foudre pour ſon fils , qui paya bien par fa
douleur l'illufion d'un ſeul inſtant. Aufſi
DE FRANCE. 201
quand ſon père , après cette confidence , lui
dit de parler à ſon tour : Je n'ai plus rien
à vous dire , répond Servily , qui n'avoit ni
affez de courage pour déclarer ſes ſentimens ,
ni allez d'adreſſe pour les cacher tout- à- fait.
Mérival feignit de ne ſe douter de rien , lui
dit qu'il apprendroit ſes ſecrets quand il
voudroit les lui communiquer ; & en attendant
il le pria de ne pas trahir le ſien.
Le même jour il le fit appeler , & lui
dit : " Mon fils , ce n'eſt pas tout- à- fait pour
>> rien que je t'ai dit mon fecret. Il faut
>> m'aider à faire connoître mon amour; il
-
faut m'aider à toucher , s'il ſe peut , le
>> coeur d'Agathe . - Moi , mon père ?
• Qui , toi - même. Voici pour le moment
>> ce que j'attends , ce que j'exige de ton
>> amitié. Prends ce bouquet; il faut le lui
ود
ود
porter de ma part , ſonder ſon coeur , &
ſans lui déclarer mon amour pour elle , la
>> préparer du moins à en entendre l'aveu. »
A ce diſcours , Servily avoit trop à dire
pour entreprendre de parler. Il ſe tait , & fe
diſpoſe à obéir. Quelque douloureux que
fût un pareil emploi , il s'y méloit une forte
de plaiſir : c'eſt à Agathe qu'il alloit parler ;
c'eſt à Agathe qu'il devoit offrir un bouquet;
Agathe alloit le recevoir de ſa main.
Il n'avoit pas encore ofé lui parler de fon
amour; mais elle le partageoit trop bien
pour ne pas le deviner. Quand elle eut apperçu
le bouquet dans les mains de Servily ,
qui ſe diſpoſoit à le lui préſenter , elle éprou-
Iv
202 MERCURE
)
va , malgré elle , un mouvement de joie qui
la fit rougirde plaifir & de pudeur tout àla
fois. Mais quand elle eut appris de la:
bouche tremblante de Servily que ce bou-:
quet étoit un préſent de ſon père , elle expia
bien le plaiſir qu'elle avoit eu ; fon viſage
s'attriſta , non qu'elle ne fût ſenſible à l'atrention
de fon bienfaiteur ; mais fon coeur
s'attendoit à un bienfait de l'amour ; &
quand on eſpère une grande jouiffance , un
moindre plaifir devient chagrin. Pour Servily,
il n'eut pas la force de pouffer plus
loin fon obéiſſance. Il donna le préſent de
fon père; mais il ne put ſe rendre l'organe
de ſes ſentimens. D'ailleurs , il avoit beſoin
de quitter Agathe pour cacher ſes larmes
qu'il ſentoit prêtes à couler; & il ſe retira
auſſi fatigué que s'il eût épuiſé ſes forces par
un travail exceffif.
Dès qu'il fut rentré chez lui , Mérival vint
le trouver , & lui demanda compte de ſa
négociation . Servily , en le voyant, rougit ,
balbutia, quelques mots d'excuſe. « Je vous
>> entends , mon fils , dit Mérival ; vous
» avez craint d'embarraffer la pudeur d'A-
>> gathe. Eh bien , il faut la ménager. Écri-
» vez lui ; car je veux que ce ſoit par vous
>>> qu'elle apprenne mes fentimens ; & je me
flatte que vous n'épargnerez rien pour les
faire approuver. » Il fallut encore obéir.
ود
ود
Servilv prit la plume , écrivit deux pages
mais ſon ſtyle ſe reſſentoit trop du trouble
de ſon coeur ; la lettre étoit pleine de fautes
DE FRANCE. 203
de ratures; il fallut la recommencer. " Mon
>> père , dit Servily , fi vous dictiez vous-
» même , la lettre ſeroit mieux. En effet ,
>> dit Mérival , on exprime mieux ce qu'on
>> fent , & l'amour est encore étranger à ton.
» coeur. » Servily rougit de nouveau , &
Mérival dicta la lettre. L'écriture n'en fut
pas bien bonne , car Servily étoit trop agité
pour que fa main fût tranquille ; mais le
ſtyle en étoit plus correct , plus clair. Mérival
demanda à la lire ; & quand il en fut au
milieu : Servily , dit- il , voici encore une
ود faute. J'avois dicté , il vous aime ; vous
» avez écrit , je au lieu d'il ; voyez , il y a ,
» je vous aime. » A cette vûe Servily eſt
déconcerté , ſtupéfait; il ſe confond en excuſes
ſur cette diſtraction , tombe preſque
aux pieds de ſon père pour lui en demander
pardon. " Mais en voilà trop , interrompt
Mérival avec douceur. Pourquoi tant d'excuſes
& de regrets ſi exagérés ? Ce n'eſt
pas une faute ſi grave d'avoir écrit un
>> mot pour un autre. Mettez il , & effacez
» je ; tout fera dit. >> Servily fit la correction
fans rien dire ; la lettre partit ; & Mérival
rentra dans ſon appartement.
ود
ود
Cette ſcène avoit été bien longue pour
Servily. Agathe , de fon côté , ne fut pas
moins embarraffée en lifant la lettre qu'il
avoit écrite. Il y avoit de quoi s'étonner que
Mérival eût emprunté pour cela la main de
fon fils ; mais ce n'étoit pas là le ſentiment
qui eccupoit alors le coeur d'Agathe. L'amour
I vj
204 MERCURE
que Mérival lui déclare , celui qu'elle ſent
pour Servily : voilà l'objet de ſa ſurpriſe&
la cauſe du chagrin qui vient l'accabler.
Quelle douloureuſe ſituation pour la
fenfible Agathe , pour un coeur auſſi délicat
que le fien ! Elle ne peut rejeter les voeux de
Mérival ſans s'accuſer d'ingratitude. Renoncer
à Servily , c'eſt vouloir mourir ; mais
elle aime mieux la mort que d'être ingrate
envers fon bienfaiteur. Enfin elle est encore
maîtreffe de ſon ſecret , elle ſe promet de
ne pas le trahir ; & le filence que Servily s'eſt
preſcrit par reſpect pour ſon père , elle ſe
l'impoſe à fon tour par reconnoiſſance. Pauvre
Agathe ! à peine a- t'elle formé cette réſolution,
qu'elle ſe trouve le viſage & le
ſein baignés de larmes. Cependant elle y
perſiſte , & ſe met à écrire une lettre , dans
laquelle la reconnoiſſance tâche de remplaeer
l'amour ; malgré ſes efforts , il eſt à préſumer
que Mérival en auroit été peu ſatisfait
, s'il eût éré réellement amoureux ; mais
il feignit d'être content , & il la remercia
fans renoncer à ſon projet un peu cruel.
د
Le malheur d'Agathe & de Servily étoit
d'autant plus déchirant , qu'ils ne pouvoient
le pleurer enſemble. Que dis je ? Ils étoient
forcés de ſe fuir , de peur de trahir leur ſecret
par des larmes , par un regard. Le tendre
Servily cherchoit au moins à tromper ſa
douleur par ces détails , ſi minutieux aux
yeux de l'homme indifférent , & qu'on fent
fi vivement quand on aime. Dès qu'il pou
DE FRANCE. 205
voit regarder Agathe ſans en étre apperçu ,
ſes yeux ne pouvoient plus la quitter; fon
coeur treſſailloit ; il oublioit juſqu'à ſes chagrins.
Il recueilloit , il preſſoit contre fon
coeur tout ce qu'Agathe avoit touché. Sil
l'avoit vûe ſe promener au jardin , il y couroit
quand elle en étoit fortie; il parcouroit
les mêmes allées ; il poſoit , en marchant
, ſon pied dans l'empreinte qu'avoit
laiſſée celui d'Agathe; & il avoit enſuite du
regret d'en avoir effacé la trace. Un jour
qu'il avoit trouvé un ruban qu'elle avoit
laiffe tomber, & qui avoit fervi à ſa parure ,
ſon père le ſurprit comme il le baifoit &
rebaiſoit de tout fon coeur& fans s'arrêter :
• Que faites vous là, lui dit Mérival , en
>> feignant d'être fâché ? Vous faites éclater
>> un tranſport bien propre à confirmer un
>> ſoupçon que j'ai depuis long- temps. Ai-
» mez-vous Agathe ? Voulez vous affliger
>> votre père par une coupable rivalité ?
ود Êtes vous unfils ingrae ? » Servily paroît
accablé de ce reproche ; il veut répondre ;
l'agitation de ſon coeur intercepte ſa voix. Le
haſard fait entrerAgathe au même inſtant ;
Servily , le coeur déchiré , la tête troublée ,
ſe tourne vers elle , & lui dit avec des ſons
mal articulés : " Non..... Mademoiselle.......
» non...... je ne vous aime pas ...... je pleure ;
ود mais..... non , je ne vous aime point......
» Aimez , rendez heureux..... » Il veut pourfuivre
; ſes ſoupirs , ſes ſanglots étouffent ſa
voix; il fort , laiſſe Agathe fort étonnée , &
206 MERCURE
Merival lui même attendri ; il fait néanmoins
un effort pour donner une explication telle
quelle à Agathe. " Belle Agathe dit- il , par
ود ſa juftification vous devinez mes repro-
>> ches. J'avois cru que mon fils vous ai-
ود moit. Lui , répond Agathe , qui n'étoit
>> guères moins troublée que Servily ! Et
>> quand il aucoit le malheur de m'aimer ,
> croyez vous que la Nature ne l'empor-
>> teroit pas ſur ſon amour ; qu'il ne s'im-
>> moleroit pas à ſon devoir ? » Elle prononça
ces paroles d'un ton qui prouvoit
qu'elle faifoit l'hiſtoire de ſon propte coeur..
" Agathe , interrompt Mérival , dont le coeur
ود
رد
étoit touché , mais dont l'eſprit ne ſe laifſoit
convaincre que par l'évidence , vous
» avez bonne opinion de Servily. Et vous
>> auriez fans doute le même courage ? Oui ,
>> j'aurois..... le même courage , reprit- elle ,
» avec un ton de frayeur. Je n'exigerois pas
>> de vous , continua Mérival, un auſſi grand
ود ſacrifice ; mais puiſque vous n'avez mis
>> aucun obſtacle à mes prétentions , je crois
>> pouvoir pourſuivre mon projet. » Alors
il fait entrer un Notaire qui étoit dans une
pièce voifine , & préſentant à Agathe un
contrat de mariage : " Voulez- vous , lui
>>dit il , figner cet écrit qui vous unit àmoi ?
>> Oui , je le ſignerai , dit - elle en ſouriant
>> de peur de pleurer; " & elle écrit ſon nom
d'une main toute tremblante. Comme elle
finiſſoit , une larme tomba ſur la page où
elle écrivoit ; elle l'eſſuya bien vite avec ſes
DE FRANCE. 207
doigts , ſans avoir pu la cacher; mais Merrval
feignit de n'en rien voir , & il appela
Servily. " Mon fils , lui dit il , voulez vous
>> figner ce contrat de mariage ? Oui , mon
>> père , répondit- il le coeur gros de foupirs. »
Comme il prend la plume, ſon père l'auête
&lui dit : " Servily , afin que vous le fafliez
"
ود
de meilleur coeur , apprenez un ſecret que
>> vous.ignorez encore. Mes enfans, vous avez
fatisfait à la Nature, à la reconnoiffance ; il
>> eſt temps que je cède à l'équité & au voeu
de mon coeur. Je fais que vous êtes amans ;
que ce contrat faffe de vous des époux
heureux ; pardonnez moi cette épreuve ,
ود
ود
ود &aimez moi comme je vous aime. » La
joie des deux amans fut égale à leur furpriſe
; & Mérival n'ayant plus de doute fur
leurs fentimens , ne mit plus de bornes à ſa
tendreſſe & à ſes bienfaits.
( Par M. Imbert. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent .
LE mot de la Charade eſt Coco ; celui de
l'Enigme eſt Miroir; celui du Logogtyphe
eft Langue , où l'on trouve ane, Ange , age
la , alun , eau , un , glu , nage, aune , ne
Agen ,lune , nuage..
208 MERCURE
MON
CHARADE.
ON premier de l'hiver eſt le plaifir fidèle;
Au nom d'un Saint mon fecond eſt uni ;
Mon tout pour un amant eſt un toit fort joli
Apartager avec ſa Belle.
SANS
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
ÉNIGME.
ANS Architecte ni Maçon ,
Voulez-vous élever un logis magnifique ?
EN
Sans uſer d'un pouvoir magique ,
Thémire , en voici la façon.
D'un châtaigner prenez la tête ,
Joignez-y le pied d'un ormeau ,
Auffitôt la beſogne est faite.
Mon ſecret n'eft - il pas nouveau ?
(Par M. Lagache fils , à Amiens. )
LOGOGRYPΗ Ε.
N quatre pieds , Lecteur , j'offre un titre éminent;
Tranches ma tête , alors je ſuis un élément.
(ParM. M..ge , à ......... ) .
DE FRANCE. 209
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE Naturelle des Oiseaux. Tome
IX . in- 4° . De l'Imprimerie Royale. A
Paris , chez Panckoucke , hôtel de Thou ,
rue des Poitevins.
En terminant l'Histoire des Oiseaux aquatiques
, ce neuvième Volume complette
auſſi l'Ornithologie dans ce ſuperbe Recueil.
Comme les précédentes , cette partie offre
toujours la réunion des richeſſes de la nature
& de celles du ſtyle; c'eſt une nouvelle
trace du géant ſur le ſable; elle n'a plus de
meſure dans les temps actuels ; ajoutons
même qu'elle n'eut jamais de modèle.
Non , perſonne n'avoit encore raſſemblé
une pareille ſuite de deſcriptions , dont l'univerſalité
& l'exactitude ne ſont qu'un mérite
ſecondaire. Perſonne n'avoit conçu cette
galerie immenſe de tableaux de tout genre ,
où , vivans & inanimés , tous ces êtres font
repréſentés avec leurs formes , leurs attributs
, leurs inclinations , leurs rapports , &
où le Peintre , ſemblable à la Nature ellemême
, en imite l'ordonnance , la grandeur
&la variété.
Pline eſt loin de mériter le même éloge.
Son érudition eſt immenſe ; M. de Buffon
210 MERCURE
ſeul a poſſédé le talent de mettre la ſienne
en oeuvre; il a épuré les connoiſſances naturelles
, agrandies des recherches , des faits
de toutes les découvertes de la ſcience depuis
dix ſept ſiècles. Trop ſouvent Hiſtorien
des préjugés & des erreurs du temps ,
Pline leur a payé ſon tribut de crédulité ; le
Naturalifte François diſcerne les effets avant
de les décrire ; & lorſqu'il a cherché les
cauſes , ſi ſes ſyſtemes n'ont pas toujours
convaincu l'opinion , ils l'ont étonnée ; ils
ont exercé la ſagacité & excité les recherches
de Phyſiciens célèbres : émulation qui a produit
de nouvelles approximations vers la
vérité.
Et la méthode , la manière , l'élocution ,
l'art des deux Hiſtoriens n'ont - ils pas fixé
la diſtance qui les ſépare ? N'eſt elle pas la
même qu'entre la galerie de Rubens & le
froid récit des événemens conſacrés par le
Peintre ? Pline dit les chofes , M. de Buffon
les anime ; le Romain , dans ſon ſtyle élevé
avec meſure , & fouvent noble avec ſimplicité,
a dédaigné ces formes variées , certe:
force d'expreffions pittoreſques , cette harmonie
du ſujet avec l'élocution qui donnent
an ſtyle & la grace & la vie. Pline enfin eſt
ſouvent obfcur , même pour ſes Commentateurs
.
Atoutesles qualités eſſentielles & primitives
du ſtyle , M. de Buffon a joint celles
qui en font le charme & la magnificence.
Son Hiftoire Naturelle eſt le ſeul Livre qu'on
DE FRANCE. 211
1
puiſſe propoſer à la fois comme le dépôt de
tous les faits qui forment le ſpectacle de la
Nature,& comme un modèle aux Écrivains,
aux Orateurs & aux Poëtes. S'il étoit vrai que
la culture des Sciences pût influer heureufement
fur les Arts d'imagination ; fi de ce
concours hétérogène des connoiffances exactes
& des talens , il réſultoit autre choſe
qu'une dégénération réelle ; fi ce paradoxe
enfin , né de nos jours , & dementi par
l'exemple même de ſes Apologiſtes , avoit
quelque fondement, ſa plus forte autorité
feroit le Livre de 1 Hiſtoire Naturelle; malheureuſement
, il eſt une exception à la règle
générale; en deux mots , c'eſt caractériſer le
génie de l'Auteur.
Il s'eſt reproduit dans ce nouveau Volume
avec tous les avantages qu'on lui connoît.
L'Hiſtorien avoit à peindre des êtres , des
conformations, des fingularités & des inftints
très- différens de ceux embellis juſqu'à
ce jour par ſa plume éloquente. Elle n'a pas
moins paré ces deſcriptions d'une Eſpèce
plus fugitive , qui ſe dérobe ſouvent à l'examen
, & dont nous ne connoiſſons bien les
moeurs que dans un état qui fletrit & dégrade
toutes les races , à commencer par la
race humaine , ſavoir dans la ſervitude.
M. de Buffon a rendu à ces eſclaves leur
dignité première en les peignant tels que la
Nature nous a fait tous , égaux & libres. A
la tête de la hiérarchie aquatique , l'Hiftorien
a placé cet oiſeau célèbre , dont les ace
212 MERCURE
cens, la mort , les amours & les fonctions
furent ornées par les fables de la Mythologie.
Elles n'ont rien de plus beau ni de plus
riant que la deſcription du cigne , qui commence
le Volume.
ود
ود
ود
• Dans toute ſociété , dit M. de Buffon ,
foit des animaux , ſoit des hommes , la
violence fit les tyrans , la douce autorité .
fait les Rois; le lion &le tigre ſur la terre ,
>>l'aigle & le vautour dans les airs , ne règnentque
par la guerre, ne dominent que ود
" par l'abus de la force & de la cruauté : au
>> lieu que le cigne règne ſur les eaux à tous
>>les titres qui fondent un empire de paix ,
ود
ود
la grandeur , la majeſté , la douceur..... Il
fait combattre & vaincre fans jamais atta-
» quer : Roi paiſible des oiſeaux d'eau , il
brave les tyrans de l'air ; il attend l'aigle
دد ſans le provoquer , ſans le craindre ; il
» repoufſe ſes aſſauts en oppoſant à ſes ar-
>> mes la réſiſtance de ſes plumes,&les coups
>>précipités d'une aîle vigoureuſe qui lui
>> ſert d'égide , & ſouvent la victoire cou-
>> ronne ſes efforts . Au reſte , il n'a que ce
fier ennemi , tous les autres oiſeaux de
> guerre le reſpectent , & il eſt en paix avec
- toute la Nature ; il n'eſt que le chef, le
>> premier habitant d'une république tran-
» quille , où les citoyens n'ont rien à crain-
» dre d'un maître qui ne demande qu'autant
» qu'il leur accorde , & ne veut que calme
19 &liberté. ...
....
• Aſa noble aiſance , à la facilité , la liberté
DE FRANCE.
213
- de ſes mouvemens ſur l'eau , on doit le
>> reconnoître , non ſeulement comme le
>> premier des Navigateurs aîles , mais com-
وو me le plus beau modèle que la Nature
>> nous ait offert pour l'art de la navigation.
ود Son cou élevé & ſa poitrine relevee &
>>> arrondie,ſemblent en effet figurer la proue
da navire fendant l'onde , fon large eſto-
>> mac en repréſente la carène ; fon corps ,
>> penché en avant pour cingler , ſe redreſſe
20 à l'arrière & ſe relève en poupe ; fa queue
>> eſt un vrai gouvernail; les pieds ſont de
>> larges rames , & ſes grandes aîles demiouvertes
au vent , & doucement enflées ,
font les voiles qui pouffent le vaiſſeau
vivant , navire & pilote à la fois. »
ود
رد
ود
En tranſcrivant le préambule entier de
cet article du cygne, nous ne ferions que
multiplier les exemples de cette éloquence
imitative qui ennoblit les moindres détails ,
fans autre luxe que celui même de la Nature
fortement ſentie & obſervée ; on peut , à
juſte titre , lui appliquer ce qu'on a dit de la
poéſie , & ce qui est vrai d'un ſi petit nombre
de Poëtes , que ſous ſon pinceau tout prend
une âme , une couleur & un viſage.
M. de Buffon paroît laiſſer indéciſe la
queſtion du chant du cygne , queſtion ,
comme tant d'autres , décidée par les modernes
contre les anciens , & qu'on eſt enfin
venu à examiner après l'avoir tranchée. Empruntons
ici les obſervations & le coloris
enchanteur de l'Hiſtorien. " Il paroît que le
214 MERCURE
" cygne ſauvage a mieux conſervé ſes pré-
>> rogatives , & qu'avec le ſentiment de la
>> pleine liberté , il en a auffi les accens.
"
L'on diftingue en effet dans ſes cris , ou
>>plutôt dans les éclats de ſa veix , une forte
de chant meſuré, nodulé, des fons bruyans
de clairon , mais dont les tons aigus &
peu diverfifiés , font néanmoins très- éloi-
>> gnés de la tendre mélodie & de la variété
douce & brillante de nos oiſeaux chan-
"
"
وو
teurs . ”
Aucun chant élégiaque dans notre langue
n'offre une expreffion plus touchante & une
peinture d'une plus douce mélancolie que
celle des adieux funèbres du cygne , tels que
les anciens les avoient imaginés. Selon eux ,
66 cet oiſeau chantoit encore au moment de
>> ſon agonie , & préludoit par des fons har-
>> monieux à ſon dernier ſoupir ; c'étoit près
>> d'expirer & faiſant à la vie un adieu
ود
3
triſte & tendre , que le cygne rendoit ces
>> accens ſi doux & fi touchans , & qui , pareils
à un léger & douloureux murmure ,
d'une voix baſſe , plaintive & lugubre ,
formoient fon chant funèbre : on entendoit
ce chant juſqu'au lever de l'aurore ,
les vents & les flots étoient calmés ; on
avoit mêine vû des cygnes expirans en
>> muſique & chantant leurs hymnes funéraires.
Nulle fiction en Hiſtoire Natu-
>> relle , nulle fable chez les anciens n'a été
>> plus célébrée , plus répétée , plus accré-
>> ditée ; elle s'étoit emparée de l'imagina
ود
50
DE FRANCE.
215
2
"
"
• tion vive & ſenſible des Grecs ; Poëtes ,
Orateurs , Philoſophes même l'ont adoptée
comme une vérité trop agréable pour
vouloir en douter. Il faut bien leur pardonner
leurs fables ; elles étoient aimables
&,touchantes ; elles valoient bien de
triſtes vérités . Les cygnes ſans doute ne
chantent pas leur mort ; mais toujours en
» parlant du dernier effor & des derniers
"
ود
ود
" élans d'un beau génie prêt à s'éteindre , on
>> rappellera avec ſentiment cette expreſſion
>> touchante : c'est le chant du cygne !
Ce que La Fontaine a été dans la fable ,
M. de Buffon l'eſt dans le genre élevé. Quadrupedes
ou volatiles , chacun de ſes perfonnages
intéreſſe , attache par ſes affections
& par ſes attributs. Perſonne n'a mieux
connu l'art d'en relever le mérite , de les
annəblir lorſqu'ils paroiſſent ignobles , &
fur tout de ramener toujours le Lecteur vers
les rapports de ſentiment ou d'utilité qui
lient les animaux à l'eſpèce humaine. L'Hiftorien
a t'il à peindre l'oie , ce ſerviteur de
baffe- cour , avili par la chaîne domeſtique
& par le dédain que les tyrans ont pour les
ſujets qu'ils ont dégradés ? " Dans chaque
ود genre , dit il , les eſpèces premières ont
>> emporté tous nos éloges , & n'ont laiſſé
» aux eſpèces ſecondes que le mépris tiré
>>de leur comparaiſon . L'oie , par rapport
» au cygne , eſt dans le même cas que l'âne
>> vis à- vis du cheval ; tous deux ne font pas
» priſés à leur juſte valeur........ Éloignant
216 MERCURE
>> donc pour un moment la trop noble
>>image du cygne , nous trouverons que
ود l'oie eſt encore dans le peuple de la baffe-
>> cour un habitant de distinction : ſa cor-
>> pulence , ſon port droit , ſa démarche
>>grave , ſon plumage net & luftré , & fon
naturel ſocial qui la rend ſuſceptible d'un
fort attachement & d'une longue reconnoiffance
; enfin ſa vigilance très ancien-
>> nement célebrée , tout concourt à nous
>> preſenter l'oie comme l'un des plus inté
20
ود
ود
ود reffans & même des plus utiles oiſeaux
> domeſtiques ; car , indépendamment de
ود la bonne qualité de ſa chair & de ſa
>> graiffe , dont aucun autre oiſeau n'eſt plus
>> abondamment pourvu , l'oie nous fournit
> cette plume délicate ſur laquelle la mol-
" leſſe ſe plaît à repoſer , & cette autre
>> plume , inſtrument de nos penſées , &
>> avec laquelle nous écrivons ici ſon éloge. >>
Le parallèle de divers oiſeaux aquatiques ,
libres encore fur les mers & fur les rivières ,
avec leurs eſpèces dégénérées en ſervant à
notre uſage , les caractères qui les diſtinguent
& ceux qui ſont propres à l'eſpèce entière
, leurs demeures , leurs retraites automnales
, leur vie privée & leurs loix de
ſociété , leurs variétés & les guerres dont les
hommes les perfecutent au tiſque même de
leur ſanté , en atteſtant la fécondité de la
Nature , atteſtent également celle des connoiſſances
& de l'imagination vive &
grande de l'Hiſtorien.
Sa
DE FRANCE. 217
Sa philoſophie n'eſt pas moins remarquable
ici que ſes lumières & fon éloquence.
Tout eſt lié dans cet Ouvrage par les vûes
générales qui reſultent des détails particuliers
: l'Écrivain ne manque jamais de ſaiſir
& de préſenter ces loix univerſelles; elles
font reffortir des parties de ce vaſte tableau
le plan & l'unité des deſſeins du grand Architecte.
En décrivant les manchots ou oiſeaux
fans aîles , M. le Comte de Buffon fait
obſerver la gradation & les points de prolongement
qui , en diftinguant les grandes
familles des quadrupèdes , des oiſeaux & des
poiffons , les rapprochent néanmoins , &
les lient à l'échelle générale; des morceaux
de ce genre , peu ſont aufli piquans que l'introduction
à l'article des Macareux.
" Le bec , dit l'hiſtorien , cet organe
>>principal des oiſeaux , & duquel dépend
l'exercice de leurs forces, de leur induſtrie
&de la plupart de leurs facultés ; le bec
» qui eſt à la fois pour eux la bouche &
ود
ود
ود
ود
la main , l'arme pour attaquer , l'inftru-
>> ment pour ſaifir , doit par conféquent être
la partie de leur corps dont la conformation
influe le plus ſur leur inſtinct , &
décide la néceſſité de la plupart de leurs
» habitudes ; & fi ces habitudes font infini-
"
ود
ور ment variées dans les innombrables peu-
>> plades du genre volatile ; ſi leurs différentes
inclinations les diſperſent dans l'air ,
fur la terre & les eaux , c'eſt que la Na-
» ture a de même varié à l'infini , & deſſiné
Nº. 22 , 29 Mai 17541
ود
ود
K
218 MERCURE
ود
"
ود
23
fous tous les contours poflibles le traindu
bec. Un croc aigu & dechirant arme la
tête des fiets oiſeaux de proie ; l'appétit de
la chair & la foif du fang , joints aux
> moyens d'y fatisfaire , font qu'ils ſe pré-
>> cipitent du haut des aits for tous les au-
>>> tres oiſeaux , & même fur tous les ani-
>> maux foibles ou craintifs dont ils font
>> également des victimes. Un bec en forme
ود
ود
20
2
"
de cuiller large & platte , détermine l'inftinct
d'un autre genre d'oiſeaux , & les
>> obligent à chercher & ramaffer leur fubſiſtance
au fond des eaux ; tandis qu'un
bec en cône , court & tronqué , en don-
>> nant à nos oiſeaux gallinacées la facilité
de ramaffer les graines ſur la terre, les
>> difpofoit de loin à ſe raſſembler autour
de nous , & fembloit les inviter à recevoir
cette nourriture de notre main . Le
>> bec en forme de fonde grêle & ployante
>> qui allonge la face du courlis , de la bé-
>> caffe , de la barge , & de la plupart des
>> autres oiſeaux de rivage & de marais , les
>> oblige à ſe porter ſur les terres maréca-
>> geuſes pour y fouiller la vaſe molle & le
ود
limon humide ; le bec tranchant & acéré
>>> des pics , fait qu'ils s'attachent au tronc
des arbres pour en percer le bois ; &
enfin ,le petitbec en alène de la plupart des
oiſeaux des champs , ne leur permet que
de,faifir les moucherons ou d'autres menus
infectes , & leur interdit toute autre
• nourriture; ainsi , la différente forme du
DE FRANCE 291
"
ود
ود
ود
"
ود
ود
ود
ود
......
bec modifie l'inflinct &néceflite la plupart
des habitudes de l'oiſeau .
L'énorme grandeur du bec du toucan , la
monstrueule enflure de celui du calao,a
difformité de celui du flammant , la figure
bizarre du bec de la ſpehèle, la courbure
à contre fens de celui de l'avocette , &c.
* nous démontrent affez que toutes les figu-
>> res poffibles ont été tracées , & toutes les
formes remplies ; & pour que dans certe
fuite il ne reſte rien à delirer ni même à
>> imaginer , l'extrême de toutes ces formes
s'offre dans le bec en lame verticale de
Poiſeau dont il eſt ici queſtion. Qu'on ſe
figure deux lames de couteaux très courtes,
>> appliquées l'une contre l'autre par le tranchant
, c'eſt le bec du macareux , &c.
&c. &c. »
ود
"
ود
Qu'on feroit heureux, fi tant d'Ecrivains
qui ont tranſportéjuſques dans les Sciences!,
&fur tout dans la Phyſique, les convulfions
d'un ſtyle emphatique,& inintelligible , ou
l'entortillage d'une mauvaiſe métaphyfique,
confultoient un peu davantage ces grandes
études d'un Maître , le dernier refte de ce
demi ſiècle qui a augmenté la gloire de la
France dans les Lettres, lui a permis de ſe
comparer aux Anglois dans la Philofophie',
& dont le ſouvenir eſt peut être encore
trop voiſin de nous pour inſpirer les regrets
que lui donnera la génération fuivante.
(Cet Article est de M. Mallet du Pan.)
Kij
220 MERCURE
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Le nouveau Motet de M. l'Abbé le Sueur ,
Maître de Muſique des Innocens , fur lequel
on comptoit, n'a pu être exécuté au Concert
du Jeudi jour de l'Afcenfion. M. Gervais ,
qui mérite chaque jour de nouveaux éloges ,
a joué à ce Concert un charmant Concerto
de Lamothe , de manière à faire croire que
ſon talent s'eſt encore perfectionné depuis
la quinzaine ; il ſurpaſſe même les grandes
eſpérances qu'il avoit données. Mlle Candeille
, qui , à une figure & une taille trèsagréables
, joint un talent précieux pour le
forté-piano , acquiert comme Compofiteur
de nouveaux droits aux applaudiſſemens . Le
Concerto qu'elle a très - bien exécuté eſt d'une
tournure charmante;& on ne fauroit trop
l'encourager à cultiver un Art dans lequel
elle s'annonce ſi bien, Tous les autres morceaux
de ce Concert ont été entendus avec
plaifir.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Samedi 8 de ce mois , on a joué , pour
la première fois , les Deux Tuteurs , CoDE
FRANCE. 221
médie en deux Actes & en proſe , mêlee
d'ariettes .
Cette Comédie a été repréſentée à la Cour
fousletitre des Deux Soupers. Elle étoit alors
en trois Actes. Depuis , elle a été preſqu'entièrement
refondue. Nous allons faire connoître
la marche de ceDrame vraiment bouf.
fon , en donnant un extrait rapide mais exact
des deux Actes qui le compoſent aujourd'hui.
ACTE PREMIER. Jacquinet , Valet de M.
Mathieu , aime Madelon , Servante du même
Maître. Il ſe plaint de ſes rigueurs , & fe
propoſe de la rendre amoureuſe en feignant
d'en aimer une autre; mais il eſt rudement
perfifflé par Madelon , qui , fous fes
yeux , répond très tendrement aux chofes
agréables que vient lui debiter un certain
Georget qu'elle aime , & dont elle veut faire
ſon époux. L'arrivée de M. Mathicu fair efpérer
à Jacquinct qu'il trouvera le moyen
de ſe venger de ſa cruelle ; mais il eſt encore
trompé ; car Madelon fait pafferGeorget pour
un homme qui vient confulter M. Mathieu
fur une affaire intereffante. Comme M. Mathieu
eſt preſſe de fortir , il prie fon client
de repaffer dans un autre inftant , & il envoie
Jacquinet au devant de Mme Doro ,
thée. Cette Mme Dorothée est une femme
d'un certain âge , amie de M. Mathieu.
Celui ci l'a chargée d'endoctriner ſa Pupille
Pauline, dont il a le deſſein de faire ſa fem .
me. Pour laiffer toute liberté à ſon agente ,
il a projeté de la laiffer fouper tête- à- tête
K iij
222 MERCURE
avec Pauline , & d'aller fouper chez un M.
Boudart , ſon ami , qui , comme lui , a une
jeune Pupille qu'il veut époufer auffi. Ce
M. Boudart, homme bon , fimple , fans
prétention , & très éloigné de reffembler à
M. Mathieu , qui a de grandes prétentions,à
plaire , vient prendre fon ami en paifant;&
lorſque Mme Dorothée est arrivée , les deux
Tuteurs fortent. Les projets amoureux des
Tuteurs de Comédie ne font guères fuivis
du fuccès, MmeDorothée n'eſt rien moins
que ce que la croient & le vieillard crednie
& la fimple Pauline. Elle n'ignore pas que
celle ci a un amant aimé ; cet amant , qu'on
nommeDupre, eſt ſon neveu. Il étoit abfent,
il eft de retour. Elle furprend adroitement le
fecret de la jeune perfonne , lui apprend le
deffein qu'elle a formé de protéger la tendrelle
de Dupré , qui n'attend que la permufion
de s'introduire, l'obtient, entre , parle
d'amour , eſt écouté ,& pour lequel on forme,
avec Madelon qui arrive , les projets les
plus déſaſtreux coutre les intentions amoureuſes
de M. Mathieu.
1
ACTE SECOND. Georget a reçu un rendez-
vous de Madelon; il s'y rend ; Madelon
ne vient point , il chante en l'attendant. Madelon
arrive, Scène amoureuſe & plaifante ,
pendant laquelle on voit dans un cabinet à
gauche Pauline , Dupré & Mme Dorothée ,
foupant en trio. M. Mathieu revient plus tôt
qu'on ne l'attendoit. Les éclats de rire auxquels
il s'abandonne le font, entendre de
DE FRANCE. 223
,
loin. On éteint les lumières dans le cabinet
où ſoupoient les conjures , & Georget eft
caché dans une ſerre qui ſe trouve à la gauche
du théâtre. M. Mathieu ne tarde point à
expliquer à l'inquiette Madelon la caufe de
fon retour &de ſa gaîté. Son ami Boudart
a découvert que fa Pupille avoit un amant.
A l'inftant où ils font arrivés chez lui pour
fouper ,les deux jeunes gens étoient enfemble;
mais une Servante adroite a fait evader
l'amoureux fans qu'on ait pu ſavoirce
qu'il est devenu. Il entre dans le détail
des moyeins que l'adroite Servante a pris
pour faire difparoître le rival de Boudart
& Madelon profite de ces mêmes moyens
pour faire fortir Dupré du cabinet dans
lequel il étoit avec Pauline , & le faire
paſſer dans la ferre où Georget eft cache.
Après que M. Mathieu a raconté l'infortune
de fon ami , il rentre pour divertic
Pauline' du récit de ce qu'il a vû ; Madedelon
veut profiter du moment pour faire
fortir Dupré & Georget; mais Mathieu reparoît
avec Mme Dorothée & Pauline. Coatme
il eſt tard,Mme Dorothée ſe prépare à retourner
chez elle, &M. Mathieuſe propofe,
en la reconduifant , d'apprendre ce qu'elle a
fait pour lui; quand l'ami Boudart vient raconter
la fin de fon aventure , dont au reſte
il eſt tout confolé. En pouffant la porte
d'une eſpèce de remiſe , il a découvert l'amant
de ſa Pupille ; pour peindre par la pantomime
la façon dont il a fait cette décon
Kiv
224 MERCURE
verte , il pouſſe la porte de la ferre de M.
Mathieu, &expoſe ainſi aux yeux du vieillard
confondu Georget & Dupré , qui y font
cachés. Boudart , aux dépens duquel a ri Mathieu
, rit à ſon tour aux dépens de fon vieil
ami , qui , furieux d'avoir été trompé , refuſe
d'abord , & confent enſuite à unir les
deux amans.
Le premier Acte de cette Pièce n'eſt guères
qu'une expoſition prolongée , & les deux
premières Scènes du ſecond Acte font abfolument
oifeuſes; mais tout ce qui fuit eſt
d'un effer vraiment agréable & plaiſant ,
quoique le ton en ſoit plus bouffon que
comique. La Scène où M. Mathieu fait le
récit de la déconvenue de ſon ami Boudart ,
pendant laquelle Madelon met en oeuvre
les reffources que le vieillard lui indique ,
fans le ſavoir , pour faire échapper Dupré ,
eſtd'un effet très piquant , & a été généralement
goûtée. Le dialogue eſt naturel &
vrai,& au toral, l'Ouvrage, conſidéré comme
une débauche d'eſprit , a mérité du ſuccès.
La muſique eſt de M. d'Aleyrac , déjà
connu par l'Eclipse Totale & par le Corfaire.
Son ſtyle eſt proportionné à la nature de
l'Ouvrage ſur lequel il a travaillé. Simple ,
facile & gai , il eſt toujours ce qu'il doit
être. Les airs placés dans la bouche de Jacquinet
, de Madelon , de Georget , de M.
Mathieu , de M. Boudard , ont tous le caractère
qui leur convient. Le finalé du pre
mier Acte eſt coupé avec grâce , il eſt dia
DE FRANCE. 225
logué avec une vérité frappante. Les accom.
pagnemens clairs & peu chargés répondent
parfaitement aux motifs de chant & aux
intentions qu'exigent les fituations. En un
mot , quoique cette production muſicale ne
foit en elle même qu'une bagarelle bouffonne
, l'eſprit qui y règne , & qu'on y remarque
d'un bour à l'autre , fait beaucoup
d'honneur à M. d'Aleyrac Cet agréable Compoſiteur
eſt Élève de M. Langle; il eſt rare de
voir un Amateur écrire avec autant de pureté
, & meriter , par un talent auffi diftingué,
des ſuffrages qui ſenableroient ne devoir
appartenir qu'aux Maîtres & aux Compofiteurs
en titre.
VARIÉTÉS. :
LE Public, toujours avide de nouveautés , voudroit
que chaque Numéro d'un Journal lui annonçât
plufieurs beaux Ouvrages. S'il s'écoule un ou
deux mois fans donner le jour à quelque production
diftinguée , on crie à la décadence des Lertres
, & l'on déplore la perte des talens ; mais la
médiocrité ſeule a ce beſoin de paroître tous les
jours ſous les yeux du Public; elle ſeule achève
prompiement des Ouvrages qui n'ont beſoin ni de
temps ni de méditation pour être conçus & exécutés ;
elle ſeule peut être flattée d'amuser un inftant l'oifivete,&
peutprendre pour la gloire un renom qui
ne va pas juſqu'à la fin de la ſemaine. Les véritables
talens aiment mieux ſe laiſſer accuſer de pareffe ,
tandis qu'ils travaillent en filerce pour les fiècles ;
ils réſiſtent aux follicitations de ce Public qui les
Kv
225 MERCURE
preſſe de ſe faire imprimer , & qui enſuite ſe plaît
tant à prononcer que l'Ouvrage a été donné trop
tôt à l'impreſſion. Avec un peu de malignité dans
l'eſprit, on pourroit le ſoupçonner de craindre qu'on
ne lui donne des Ouvrages qui le forcent à trop
d'eſtime & d'admiration. Tacite auroit trouvé peutêtre
ce ſoupçon affez fondé s'il lui avoit paru affez
profond pour fon génie.
,
:
Entre les eſprits médiocres , fi impatiens de voir
leurs petites idées moulées en caractères d'imprimerie
, & les talens d'un goût difficile & craintif qui
renferment dans leur porte-feuille les Écrits dont ils
eſpèrent le plus de gloire , il eſt une claffe'de Savans
& d'Hommes de Lettres , dont les productions
ne paroiffent qu'aux yeux d'une petite portion du
Public, qui communiquent leurs lumières fans donner
leurs Ouvrages , & acquièrent ſouvent de la réputation
dans toute la France par des Écrits qui ne
font connus que de quelques perſonnes de la Capitale.
Ce font ceux qui ouvrent des Cours foit de
Chimie ſoit de Littérature , ſoit de quelque
branche des Sciences exactes. D'excellens morceaux
de Littérature & de Philofophie ſont prononcés fouvent
dans ces Affemblées , qui tous les jours deviennent
plus nombreuſes & plus multipliées , & qui
rappellent en partie ces Académies de l'antiquité ,
ees Lycées où desRépubliques entières s'affembloient
aux leçons d'un Philofophe. On peut remarquer
ſeulement une différence bien honorable pour les
Modernes. Dans les Cours anciens , chaque Philoſophe
avoit un ſyſtême qui sombattoit les ſyſtêmes de
tous les autres Philoſophes; la Nature , que tous fe
vantoient de faire connoître ,n'étoit pas la même
dans denx Écoles , & l'on eût dit que Platon & Arif
tote avoient vû Jeux Univers différens, Parmi nous
ce font les mêmes faits qu'on démontre, dans Ningt
Cours différens ; des talens jaloux les uns des gutics
DE 227
FRANCE
peuvent différer de méthode, mais font forcés d'enſeigner
les mêmes chofes , & vingt rivaux établiſ
fent à-la-fois les mêmes vérités. C'eſt la meilleure
preuve peut - être des progrès du véritable eſpric
philofophique.
On peut être étonné que les Hommes de Lettres
qui travaillent ſouvent à des Journaux , ne tâchent
pas de ſe procurer des fragmens au moins des Diff
cours qu'on prononce quelquefois avectart de fuccès
dans ces Cours publics ; cela vaudroit bien l'extrait
d'un Ronan infipide ou d'une Tragédie tombée .
On nous en a communiqué un qui a été très-applaudi
lorſqu'il a été prononcé , & nous croyons
faire quelque plaifir aux Lecteurs du Mercure en
leur faiſant connoître des morceaux de cet excellent
Difcours . C'est l'Ouvrage d'un Mathématicien; l'éloge
des Mathématiques en eſt le ſujet ; mais on
verra , ce me ſemble , qu'une belle imagination ne
ſe laiſſe point deſſécher par les Sciences exactes , &
que la même plume peut tracer de favans calculs ,
& écrire avec énergie & avec élégance.
M. Prudhomme, qui l'aprononcé , confidère les
Mathématiques ſous deux points de vue ; il peint
d'abord les avantages qu'elles procurent à ceux qui
les cultivent , & retrace enfuite les avantages infinis
qu'en retirent toutes les autres Sciences , les Arts , la
Morale même & la Politique .
Le début ſeul annonce que ce n'eſt pas l'Ouvrage
d'un ſimple Calculateur .
EC Parmi les Sciences que les longs efforts de
>> l'eſprit humain ont créées , & qui , perfectionnées
de ſiècle en fiècle, ſe ſont tranſmiſes juſqu'à nous ,
> il en eſt peu, & peut être il n'en eft aucune qui
>>> renferme grands avantages que les Mathémanées
des premiers beſoins de l'homme , du
beſoin de meſurer & de calculer , bornées d'abord
* àun perit nombre de notions ſimples & de prin-
30
יכ
tiques :
de fi
avantages
Kvj
228 MERCURE
» cipes peu abſtraits , elles ont peu-à-peu agrandi
> leur domaine , ont embraſſé toutes les Sciences ,
>> à qui elles ſe ſont rendues utiles & néceffaires , &
>> ont fini par étendre leur influence fur preſque
> tous les Arts & le bien général de la Société. גכ
Voici comme il rend ſenſible leur heureuſe influence
ſur leseſprits ..
« La qualité la plus précieuſe peut-être de l'ef-
>> prithumain eſt la juſteſſe, ſans celle là toutes les
>> autres deviennent inutiles & ſouvent dange-
33 reuſes. A quoi ſervent l'activité , l'étendue , la
>> pénétration même de l'eſprit, fî elles ne ſont bien
>> dirigées , & fi dans leur marche prompte & ra-
>> pide elles n'ont un fil qui les conduiſe & les mène
>> à la vérité ? Ce fil c'eſt la juſteſſe; c'eſt elle qui
» empêche l'eſprit de s'égarer dans ſes mouvemens
» & d'abuſer de ſes forces. Or les Mathématiques
>> ou lui donnent cette juſteſſe ſi néceſſaire , en l'ac-
>> coutumant à ne ſe rendre qu'à l'évidence , à ne
» marcher jamais qu'appuyé ſur la démonstration ;
>> ou fi elles ne redreſſent pas tout-à-fait un eſprit
> faux elles lui donnent du moins des moyens sûrs
>> de reconnoître & de corriger ſes erreurs. Chez
>>> toutes les Nations & dans tous les ſiècles où l'é-
>> tude des Mathématiques ſera généralement ré-
" pandue , on peut afſurer d'avance qu'il y aura
5 moins de préjugés , de fauſſes opinions ; que
» l'impoſture aura moins de priſe pour égarer les
» hommes , & qu'on y verra peu-à-peu ſe détruire
>> ces grandes erreurs nationales qui , nées dans des
temps barbares , ſont devenues enfuire l'héritage
> de Peuples même les plus policés. L'étude des
Mathématiques eſt pour les erreurs ce qu'eſt pour
un pays nouveau & long-temps inculte la cultare
➡ des plantes ſalutaires; elle y étouffe & fait mourir
les poiſons.
• Un autre avantage de cette Science c'eſt de
DE FRANCE. 229
> donner à l'eſprit qui la cultive une forte de con-
> ſiſtance & de ſolidité qui le dégoûte de tout ce
> qui eft inutile ou frivole , & ne lui permet plus
> de s'occuper que d'objets intéreſſans & qui pré-
>> fentent une utilité réelle pour lui-même & pour
30 les autres. C'eſt peut être un des remèdes les plus
>> sûrs contre cetre frivolité , maladie générale de
>> la Nation , & fur- tout de la première jeuneſſe.
>> L'eſprit accoutumé à chercher , à faifir la vérité ,
>> à ſe paſſionner pour elle , à lier enſemble une
>> foule de vérités qui ſe touchent & qui ſe dédui-
>> fent les unes des autres , ne verra plus qu'avec
>> mépris ces ſciences de mots dont on amuſe notre
enfance & qui perpétuent l'enfance des Peuples ;
>> tous ces vains Écrits ſans idées , que l'oiſiveté fait
>> naître pour charmer l'ennui , & dont le moindre
>> défaut eſt de conſumer ſans fruit pour la Société
>> le temps de ceux qui la compoſent & le temps
وو
לכ de ceux qui les liſent.>>>
Les avantages des Mathématiques ont été relevés
très fonvent , mais non pas , ce me ſemble , avec cet
intérêt de détails & de ſtyle. Les Géomètres communément
ſont trop renfermés dans les Mathématiques
pour en voir ſi bien l'induence ſur les eſprits de tous
les genres.
L'Auteur s'anime encore davantage en peignant
la gloire que les Mathématiques répandent fur ceux
qui les cultivent avec ſuccès. C'eſt la gloire la plus
folide; celle des ſyſtemes eſt bientôt effacée par des
ſyſtêmes nouveaux qui , par leur nouveauté même,
font plus propres à ſéduire l'imagination ; celle des
Arts ne réſiſte pas toujours à ces révolutions du
goût amenées par les révolutions des moeurs , des
opinions , des cultes & des Gouvernemens ; celle des
Mathématiques , fondée ſur la vérité & ſur l'évidence,
eſt immuable comme l'évidence & la vérité.
Tous ces ſyſtêmes vains, par leſquels les Philoſo230
MERCURE
phes de l'antiquité expliquoient d'Univers ont péri ;
les propoſitions mathématiques , démontrées par les
Thalès , les Pythagore , les Euclide , les Archimède,
font devenues plus évidentes encore depuis qu'on a
trouvé des méthodes plus faciles & plus étendues.
« Ce grand & immortel Deſcartes lui-même, qui
>> dans ſon fiècle a renouvelé la marche de la Phi-
>> lofophie, qui a détruit les erreurs des ſiècles paffés,&,
par l'effort le plus hardi, a tenté de recréer
>> les connoiffances humaines ſur un nouveau plan;
>> preſque tous ſes autres Ouvrages font à peine lus
>> aujourd'hui , ſoit à cauſe des erreurs qui y font
>> mêlées, foit parce qu'ils n'étoient pour ainſi dire
>> que les échafauds élevés pour reconſtruire un
>> grand édifice , & qu'à mesure que l'édifice s'é-
>> lève les échafauds devenus inutiles font abandon-
> nés & tombent en ruine ; parmi tous ces débris ,
ſa Géométrie reſte , & ſeule ſoutient toute fa
>> gloire pallée ; c'eſt le monument le plus durable
>> de ſa réputation , & qui n'a rien à craindre ni
» des rivalités nationales , ni du changement des
>> opinions qui ſe ſuccèdent , ſe choquent & ſe
>> détruiſent ſans ceſſe dans,l'empire de la Philoſo-
>> phie, preſque autant ſujet aux révolutions que les
>> Empires politiques. Si dans le dernier ſiècle &
>>> même dans le nôtre il falloit vous montrer la
>>>gloire que les Mathématiques ont procurée aux
>> hommes de génie qui s'y ſont diftingués , vous
>>>verriez Huighens attiré de la Hollande & fixé en
France par les bienfaits de Louis XIV. L'Allema-
>> gne & l'Angleterre ſe difputant la méthode du
>> calcul de l'infini , que Leibnitz & Newton paroif-
>> foient avoir découverte chacun de leur côté , &
>> toute l'Europe ſavante prenant parti dans cette
>> querelle partagée entre deux grands Hommes ;
ce même Newton comblé de gloire en Angle-
>> terre pendant la vie , comblé d'hommages par
DE FRANCE. 221
tous les Peuples éclairés après ſa mort; fon tom-
>> beau placé par ſa nation entre les tombeaux des
>>>Rois. La famille de Bernoulli, où le génie des
Mathématiques paroît avoir été comme hérédi-
>> taire , devenue un des ornemens & pour ainfi
direun des titres de gloire de la Suiffe. Le fameux
Euler , l'honneur du Nord , appelé par les Souverains
de la Ruſſie, fixé à Pétersbourg par des
>> bienfaits dignes de ſes talens , & qui long - temps
> privé de la vûs , mais infatigable dans ſes tra-
>> vaux, après avoir confervé ſa gloire & fon génie
> dans la vieilleſfe la plus avancée, vient de termi-
>> ner ſa carrière honoré des regrets de toute l'Eu-
১১ rope , & pour qui l'Académie entière de Pétersbourg
a pris le deuil comme dans un malheur
>>>public pour les Sciences & pour elle-même. M.
>>>de la Grange attiré à. Berlin , & que le Roi de
>> Pruffe, fi connu par ſes conquêtes guerrièros , ſe
>> glorifie d'avoir conquis fur le Piémont par ſes
>> bienfaits. Enfin M. d'Alembert fi juſtement célè-
>> bre par fes grands travaux dans le même genre ,
→ le rival des Bernoulli comme des Euler , recher-
>> ché par deux Souverains , dont l'un vouloit le
fixer auprès de fa Perſonne , l'autre lui confier
>>>l'Éducationidę fon Fils deſtiné à régner fur un
vafte Empires, qui s'eſt honoré par ſes refus ,
>> comme eux par l'hommage qu'ils ont rendu à
fes talens. La mort vient de l'enlever à la France
>> preſque dans le même temps qu'Euler a été en-
>>> levéà la Ruffie , & l'Europe entière qu'ils avoient
❤éclairée s'eſt unie dans ſes regrets pour la perte de
22 ces deux Hommes célèbres .>>>
ce
Ce tableau, tracé d'un pinceau noble & hardi ,
méritost d'êve, ciré quand n'eût été que pour
offrir ce beau, fpectacle des hommages rendus par
touslesPeuples aux Savans d'un bout de l'Europe à
l'antre; mais nous Javonons , nous avons fur-tout
22 MERCURE
copié le morceau entier pour amener ces dernières
lignes où se trouve le nom de M. d'Alembert. Il est
des âmes qui ne ſavent admirer les grands Hommes
que de loin ,& qui de près n'ouvrent les yeux que
fur leurs foibleſles , mais il en eſt auſſi que la préſence
d un homme célèbre attache davantage à fa
gloire, qui eſtiment plus ſes talens lorſqu'ils ont
été témoins de la fimplicitéde ſon caractère , & qui ,
Jorſque la Renommée prononce fon nom , ſe trouvent
heureux de pouvoir dire , je l'ai vû , je l'ai
connu.
Mais il faut entendre ſur tout l'Auteur de ce
Diſcours, lorſque conſidérant ſon ſujet ſous des rapports
plus étendus & plus importans encore , il fait
voircommentles Mathématiques, par leur influence
&leurs fecours, ſe trouvent mêlées preſque à toutes
les Sciences & à tous les Arts , qui eux - mêmes fone
devenus néceſſaires àl'économie générale de la Société,
à tout ce qui peut concourir à la félicité des
Peuples , à la fûreté comme à la gloire des États.
« L'étude des Aſtres eſt un des plus grands objets
de l'eſprit humain; mais ce n'eſt que ſur les
> aîles des Mathématiques que l'Aftronomie peut
>> s'élever dans les cieux , peut les parcourir , peut
affigner la marche, les diftances , les retours pé-
>> riodiques , les irrégularités ou apparentes ou
> réelles de ces grands corps qui , pour être relé-
>>gués dans les cieux , n'en communiquent pas
,
moins avec la terre & n'en font pas moins
> afſociés par l'homme à ſes différens beſoins ;
>> c'eſt par les Mathématiques que les Aftronomes
marquent la diviſion des temps & l'ordre des ca-
>> lendriers , fixent les grandes époques de la chronologie,
& tracent à l'Histoire une route fare
> dans les temps qui ne font plus, trouvent des
> points fixes pour la diviſion & la connoiffance
>> du Globe, & créant la Science auffi utile que néDE
FRANCE. 233
>> ceffaire de la Géographie , aflignent la meſure de
>> la terre, de l'Équateur au Pole, & des différens cer-
>> cles qui compoſent ſa circonférence , guident
>> enfin le Navigateur ſur les mers par la connoif-
>> ſance des longitudes , ſecret que le génie des Ma-
> thématiques s'applique à perfectionner de plus
» en plus , & auquel il a forcé les ſatellites de Jupi-
>> ter de concourir. Ainſi les Mathématiques ont ,
» pour ainſi dire , lié les cieux avec la terre , &
> la connoiſſance des Aftres avec l'Agriculture , la
• Géographie , l'Hiſtoire , la Chronologie & la
>> Navigation. Si nous nous arrêtons ſur la terre ,
> nous y trouverons par-tout également les traces
> des ſervices que les Mathématiques ont rendus à
>> l'homme C'eſt par l'Arpentage qu'elles apprirent
→la première diviſion des terres,&qu'elles fixent
>> encore tous les jours les bornes indéciſes de la
>> propriété, c'eſt par la Trigonométrie qu'elles en-
>> ſeignent à lever des plans , à marquer les diftances
, à meſurer ou l'étendue des eſpaces ou
>> la hauteur des objets dont l'homme ne peut ap-
>> procher; c'eſt par les Mechaniques qu'elles ont
>> créé cette multitude innombrable d'inftrumens
>> qui ſuppléent à la foibleſle de l'homme en lui
>> donnant, pour ainſi dire , de nouveaux bras , en
3כ faiſant fervir l'eau, l'air &le feu à remuer des
>> fardeaux immenfes , en multipliant ſon induſtrie
>> par toutes les forces de la Nature , & faiſant ,
* pour ainſi dire , du mouvement , de la peſanteur ,
>> de la vireſſe les exécuteurs de ſes ordres & les
>> inſtrumens de toutes ſes volontés ; c'eſt par la
১১ ſcience &les principes du Génie que les Mathé-
>> matiques élèvent & fortifient les Places de
> guerre , apprennent l'Art de les défendre , diri-
>> gent ces machines formidables qui , en imitant le
>> tonnerre , ont changé chez les hommes l'art de la
>> deſtruction , leur marque le point sûr où elles
234 MERCURE
20
20
doivent atteindre , tracent dans l'air la courbe
que les bombes doivent décrire , & ont créé une
>> nouvelle Tactique auſſi ſavante que profonde ,
> qui avec un appareil plus terrib'e que l'ancienne ,
>> diminue cependant le nombre des meurtres , &
* épargne du moins le fang des hommes. Si des
>> champs de bataille nous paffons dans les ports ,
nous y admirerons de nouveaux prodiges créés
par les Mathématiques. Nous les verrons, le compas
à la main, fixer les proportions de l'Archite : -
>> ture navals , marquer les dimenfions & les cour-
>> bes les plus favorables à ces corps immenfes qui
> doivent flotter fur les mers , pour qu'ils éprouvent
> la moindre réſiſtance de la part des flots , fecon-
>> dent le mieux la vîteſſe des vents , & que cepen-
20
30
dant ils ayent la plus grande force poſſible pour
> ſe maintenir contre les attaques & l'action conti-
*nuelle des vagues & des tempêtes ; double pro-
> blême qui eſt ſi difficile à réfoudre, & dou
- dépend néanmoins la fûreté comme l'agilité des
>> vaiſſeaux ; mais ces vaſtes machines une fois
> créées& lancées dans leur élément , nous ver-
>> rons encore les Mathématiques , comme l'âme
>> d'un corps organisé , préſider à tous les mouve
>> mens par la manoeuvre & le pilotage , lutter ſans
* cefle contre l'air & l'eau qui les foutiennent ,
> les guident & peuvent les détruire , & leur affi-
❤gner dans les cieux la route qu'ils doivent fuivre
fur les mers. C'est ainſi que les Mathémati
> ques rendent l'homme ſouverain de tous les élé-
> mens , && maître abſolu de tous les corps que la
>> Nature a diſpoſés autour de lui , & qu'il plie ou
à ſes uſages ou à ſes beſoins. Par elles , domina-
>> teur des mers il exerce le même empire ſur les
> caux , les Aeuves & les rivières que la Nature a
>> diftribués de toutes parts autour de lui comme
* pour atrofer ſon domaine & fervir à la féconDE
FRANCE. 235
OC
و د
29
ככ
ود
.ל פ
dité comme au commerce, mais qui auſſi ſouvent
peuvent porter le ravage & la deftruction.
>> Les Mathématiques viennent à fon fecours pour
calculer la vicefle & la pefantear des eaux , la
force de leur action , la lenteur ou l'impétuofité
avec laquelle elles frappent contre leurs rives ou
pèſent ſur leur fonds; le degré de réſiſtance qu'il
faut oppofer à leur courant ou à leur chûte , foit
oblique , foit perpendiculaire , la différence des
niveaux que parcourent les différens fleuves , l'art
de les rapprocher par des canaux & de multiplier
ainſi les liens de communication entre les
Provinces & les Pays; l'art de ſuſpendre les eaux
→→ dans leurs chûtes pour faire deſcendre les vaitſeaux
du fommet des montagnes dans les vallons
, ou du bas des plaines , de faire , pour ainfi
→→→ dire , gravir d'énormes bateaux fur la cime des
montagnes , prodiges qui s'opèrent par le moyen
des écluſes. Toutes ces admirables inventions ,
fruits des Mathématiques , ne ſont que le tableau
varié des différens ſervices qu'elles rendent à
l'homme dans la paix, dans la guerre, dans les
>> villes , dans les campagnes , dans le continent ,
fur les mers qu'il occupe & habite tour- à- tour.>>>
L'Auteur pourfuit ce riche dénombrement des
ſervices rendus aux Nations par les Mathématiques
, & finit par faire voir que preſque toute la
politique des Etats eft fondée aujourd'hui ſur des
-problêmes d'algèbre. Mais il faudroit copier tout
le Difcours , & nous avons préféré le tableau des
prodiges que les Mathématiques ont opérés dans les
Sciences naturelles, comme d'un plus grand intérêt
dans ce moment où ces Sciences ſemblent prendre
la première place dans les études de l'eſprit humain;
où , par des miracles dont la folie ſeule avoit
eu l'eſpérance , elles tranfportent les hommes dans
les airs , & leur ouvient dans les cieux des routes
235 MERCURE
où les Mathématiques leur ſerviront encore de
guide.
Fontenelle diſoit qu'à égal mérite d'ailleurs ,
1'Homme de Lettres qui feroit Géomètre feroit un
plus bel Ouvrage de Morale , d'Eloquence , de
Poésie même ; it ſeroit peut- être oncore plus vrai de
dire qu'à mérite égal d'ailleurs , de Géomètre qui
écrit avec cette juftelle & cette élévation d'idées &
d'expreffion doit être plus propre aux ſuccès des
Mathématiques.
M. Prudhomme prouve en effet qu'il ne laiſſe
pas les connoiſſances comme il les a priſes , qu'il ne
ſe borne pas à enſeigner à ſes Diſciples ce qu'il a
apprisde ſesMaîtres. Juſqu'àpréſent tous les Geomètres
ont ſéparédans leurs leçons le calcul arithmétique
du calcul algébrique , & en diviſant ainſi le
travail ils croyoient le rendre plus facile. M. Prudhomme
s'eſt apperçu que les Elèves accoutumés aux
formes du premier calcul , avoient infiniment de
peine à paſſer au ſecond, & que leur étude en
étoit plus pénible par cela même qu'elle étoit
partagée. Il a imaginé de les réunir
faire marcher de front ces deux calculs , qui ne
ſont que le même calcul ſous deux formes diffé
rentes, & il a vû par l'expérience que leur étude
réunie en eſt en effet plus facile : c'eſt ainſi que la
vraie Philofophie facilite les opérations de l'eſprit ,
tantôt en les ſéparant & tantôt en les réuniſſant , &
obtient les mêmes avantages par des méthodes oppoſées
*.
de
* M. Prudhomme donne ſes leçons de Mathématiques,
rue Thibautaudé , vis-à- vis le Magafin de Cire d'Eſpagne,
Ellescontiennent des leçons d'Arithmetique , d'Algèbre ,
deGéométrie & de Mécanique.
DE FRANCE.
237
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
MANUEL des Gardes des Eaux & Forêts , ou
Instruction à l'usage des Gardes de Bois , Chaffe &
Pêche , tant du Roi que des Seigneurs & Gens de
Main-morte , par un Officier des Eaux & Forêts.
A Paris , chez Delalain le jeune , Libraire
S. Jacques.
,
rue
L'Ouvrage eſtimable que M. de Froidour a publié
pour les Gardes des Eaux & Forêts , leur devient
à peu près inutile , parce qu'il est trop ſavant
pour eux. L'Auteur de celui- ci s'eſt mis à leur portée ;
La lecture peut leur donner des lumières , & remedier
par là à des abus ſans nombre dont on ſe plaint
tous les jours.
ANTIQUITÉS d'Herculanum , gravées par F. A.
David, avec leurs explications , par P. Sylvain Ma
réchal . Numéros 1 , 2 , 3 , 4 & 5. A Paris , chez
David , Graveur , rue des Noyers , en face de celle
desAnglois.
Ces cinq Numéros font partie du Tome fixième ,
qui eſt le premier des bronzes de cet important
Ouvrage.
ESSAIS fur les eaux auxjambes des chevaux ,
avec un Rapport fait au Confeil du Roi fur le cornage&
fifflage des chevaux , par M. Huzard , Vétérinaire
à Paris. A Paris , chez la Veuve Vallat- la-
Chapelle , Libraire , grande Salle du Palais .
Cet eſtimable Ouvrage a remporté le prix d'encouragement
que la Société Royale de Médecine a
donné fur les maladies des animaux dans ſa Séance
publique tenue au Louvre le 26 Août 1783 .
238 MERCURE
HISTOIRE du grand Duché de Toscane fous le
Gouvernement des Médicis , traduite de l'Italien de
M. Riguccio Galluzzi , Tomes VII , VIII & IX. A
Paris , que & hôtel Serpente.
Ces trois Volumes terminent cet intéreſſant Ou--
vrage, qui ſe vend 22 livres 10 fols broché , &
27 liv . relié.
COUTUME de Bar-le Duc , commentée par feu
Mle Paige , Maitre des Comptes du Barrois
alliée à cele de Saint Mihel, troifitme Edition ,
augmentée d'une Notion des Loix Civiles & Romaines
, &c.; par M. de Maillet , Doyen honoraire
, avec emolumens , de la même Chambre du
Confeil, Cour des Comptes , Domaines , Aides , &c .
2 Parties in - 12 Prix , livres reliées. A Toul, chez
Jofeph Carez , Imprimeur- Libraire , & chez Choppin
, Libraire , à Bar. A Paris, chez Durand neveu ,
Libraire , rue Galande , nº . 74 .
Les Notes de M. de Maillet donnent un nouveau
prix à cette Édition.
L'ART des Expériences , ou Avis aux Amateurs
de la Physiquefur le choix , la construction & l'usage
des Instrumens , fur la préparation & l'emploi des
drogues qui fervent aux Expériences , par M. l'Abbé
Nollet , de l'Académie Royale des Sciences , de la
Société des Sciences , & c. troiſième Édition , 3 Vol.
in- 12 . A Paris , chez Durand neveu , Libraire , rue
Galande.
Le nom de l'Abbé Nollet vivra toujours dans les
Annales de la Phyſique, lors même que de nouvelles
Découvertes auront rendu les fiennes inutiles .
ENVIRONS de Rome, deux Estampes faisant
pendant , gravées en couleur par C. Defcourtis ,
d'après M. de Machy, Peintre du Roi. Prix , 9 liv.
DE FRANCE. 2:9
les deux. A Paris , chez Deſcourtis , Graveur , rue
des grands D. grés , près la Place Maubert , en face
de la rue Perdue.
Ces deux Estampes ſont d'un effet agréable &
piquant.
Vue perspective du Palais de Justice élevé fous
leRegne de Louis XVI. A Paris , chez les frè es
Campion , rue Saint Jacques , à la Ville de Rouen.
Prix, 2 liv.
Ce Plan levé avec exactitude eſt gravé avec
netteté.
THEATRE Italien de M. de Florian , Capitaine
de Dragons & Gentilhomme de S. A. S. Mgr le
Duc de Penthièvre , des Académies de Madrid &
de Lyon , 2 Vol. in- 12 . A Paris , de l'Imprimerie de
Didot l'aîné , rue Pavée- Saint - André .
Toutes les Pièces que renferment ces deux Volumes
font recommandées par des ſuccès obtenus au
Théâtre . Le bon Père ou la ſuite du bon Ménage ,
& Héro & Léandre , Monologue Lyrique n'avoient
jamais paru. Nous parlerons de cette Colection ,
qui ne peut qu'être accueillie favorablement da
Public.
LE Plaisir des bonnes Gens , deſſfiné par C. D.
Cochin , gravé par Mme Lingée. Prix , I livre
10 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue S. Thomasd'Enfer.
Cette Eſtampe dans le genre du Deſſin eft d'un
effet agréable , & doit faire honneur au burin de fon
Auteur.
NUMÉRO IV du Journal de Pièces de Clavecin
par différens Auteurs , contenant une Sonate de M.
Clementi. Prix de l'abonnement , 24 liv. à Paris ,
:
240
MERCURE
30 liv, en Province ; chaque Cahier , 2 liv. 8 fols.
A Paris , chez M. Boyer , Marchand de Muſique , rue
Neuve des Petits Champs , près celle S. Roch ,
N°. 83 , & Mme Lemenu, rue du Roule , à la
Clefd'Or.
NUMÉROS III & IV, Air de la Caravane :
J'ai des beautés piquantes , & celui : Il amène des
Hollandoifes , arrangés pour le Piano- forte , Violon
obligé , parM Pouteau, Prix , I liv. 4 fols chaque.
A Paris , chez M. Bouin , Marchand de Muſique ,
rue S. Honoré , près S. Roch , & Mlle Caftagnery ,
rue des Prouvaires. - Quatre Sonates pour Altoviola
, accompagnement de Baffe , par M. Kotzwara ,
OEuvre deuxième. Prix , 4 liv. 16 fols. A Paris ,
memes Adreſſes , & à Versailles , chez Blaiſor ,
rue Satory.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
EPPIITTRREE au Prince Ferdi- Hiſtoire Naturelle des Oinand
d'Autriche ,
La Fouſſe Rivalité , Anec Concert Spirituel ,
dote ,
193 seaux , 209
220
196 Comédie Italienne , ibid.
225
208 Annonces & Notices , 237
Charade , Enigme& Logogry- Variétés ,
phe ,
APPROBATIΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Mai. Je n'y ai
rien tronvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion .AParis ,
le 28 Mai 1784. GUIDL
JOURNAL Politique
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Mars.
0
N équipe ici une eſcadre qui , ſous les
ordres du Capitan-Bacha, doit ſe rendre
en Egypte, pour mettre un frein aux diſſenſions
des Beys. On ſent plus que jamais la
néceſſité de les ramener à l'obéiflance & au
reſpect qu'ils doivent à la Porte ; juſqu'à préſent
ils ont oppoſé des obſtacles infurmontables
aux projets du Gouvernement , qui
n'apu tirer de ce Royaume aucun des avantages
qu'il auroit pu , & qu'il pourroit lui
procurer dans bien des circonstances ; on
prétend que le produit ſeul des Douanes
d'Egypte fuffiroit pour fournir à l'entretien
d'une armée de 100,000 hommes.
Le Grand- Vifir ſuit , dit-on , avec beaucoup
de conſtance & de fermeté le projet ,
dont l'exécution eſt ſi difficile , d'introduire
ladiſcipline militaire parmi les troupes. Deux
No. 22 , 29 Mai 1784.
i
( 194 )
fois par ſemaine on exerce régulierement les
Canoniers.
Les Catholiques Arméniens craignent de
ne pas jouir long temps de la protection
qu'ils ont obtenue; un ordre du Grand-
Seigneur vient de régler qu'à l'avenir , pour
les diftinguer des Grecs, ceux- ci porteront
le Calpak à la Grecque, & ceux-là à l'Arménienne
; ils regardent cette diſpoſition comme
l'annonce de nouvelles perſécutions.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 4 Mai.
Le 2 de ce mois , à 6 heures & demie du
matin , la Princeſſe Sophie - Frédérique ,
épouse du Prince héréditaire , eſt accouchée
heureuſement d'une Princeſſe. La veille le
Comte de Bernſtoff étoit arrivé ici , & a été
honoré le lendemain d'une viſite du Prince-
Royal,
On aſlure qu'il vient d'être expédié des
ordres , pour équiper avec toute la diligence
poſſible une eſcadre de 6 vaiſſeaux de guerre&
de 8 frégates.
4000 hommes , tant de la garniſon de
cette Capitale , que des Régimens nationaux
des environs , qui conformément à
l'ordre qu'ils en avoient reçu précédemment,
étoient déja en route pour le Seeland,
*où ils doivent travailler aux grandes routes ,
ont reçu un contr'ordre qui leur enjoint de
revenir ſans délai à leurs corps reſpectifs.
( 195 )
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 9 Mai.
Le tranſport de la Couronne Royale de
Hongrie ici , a donné lieu à différentes repréſentations
de la part de la Chambre
Royale de ce Royaunte ; cette Couronne a
toujours été gardée par 300 hommes & 3
Magnats , aux frais du pays; ils devoient en
répondre fur leur tête. L'Empereur a réponduque
la nouvelle deſtination du château de
Bude, rendant le tranſport de cette Couronne
néceſſaire , il avoit jugé qu'elle ne pouvoit
être mieux placée juſqu'à nouvel ordre ,
que dans le tréfor Impérial , avec les autres
bijoux qui y ſont confervés. Lorſqu'on l'a
envoyé chercher, S. M. I. en a chargé un
Magnat du département de Hongrie , avec
quelqdes autres Officiers & une elcorte de
Gardes-Nobles.
Cotte Couronne eſt d'or , & peſe 9 mars & 3
ences . Le Pape Sylvefſtre II en fit préfent l'an
1000 à S. Etianne , Roi de Hongrie ; elte étoit
faite ſur le modele de la Couronne des Empereurs
Grecs , ornée de 53 ſaphirs , de so rubis ,
d'une grande émeraude , & de 338 perles ; toutes
ces pierres ne ſont ni polies , ni taillées élégamment
; outre cela on y voit les images des
Apôtres & de pluſieurs Patriarches . A cette Couronne
le Pape Sylveſtre ajouta une croix patriarchale
d'argent , qui paſſa enſuite dans les armes
deHongrie : c'estd'elle que vient le titre deRai
i 2
( 196 )
Apoftolique , que prirent les Rois de Hongrie,
qui fut négligé enſuite, & que feue l'Impératrice
Reine , Marie Théreſe a renouvellé ; au couronnement
des Rois de Hongrie , elle eſt portée devant
le Monarque par un Evêque. Le manteau
&les fouliers royaux ſont ceux de S. Etienne :
le premier eſt l'ouvrage de Giſele , ſa femme ;
il eſt de toile fine , ſur laquelle ſont brodés en
or , un Chriſt , pluſieurs Patriarches , les Apdtres
, & quantité d'Inſcriptions. Le glaive de S.
Etienne eſt à deux tranchans , & arrondi à la
pointe.
Oncontinue d'enlever des Egliſes les ornemens
inutiles & les ex- voto de métaux
précieux , dont les murs de pluſieurs étoient
ſurchargés ; on les vend , &le prix qu'on en
tire , eſt deſtiné à la caiſſe de Religion. Les
Augaſtins de cette ville ont ſupplie l'Empereur
de permettre qu'on leur remette le produit
de la vente de ceux de ces bijoux qu'on
a enlevés de leurs Eglifes , pour être employé
à la conſtruction d'un grand Autel de
marbre, à la place de celui qu'ils ont , & qui
eſt en bois . S. M. I. y a non- feulement conſenti
, mais en applaudiſſant à cet emploi ,
elle a déclaré qu'elle feroit fournir elle-même
lemarbre néceſſaire qu'on tirera de la carriere
, voiſine de Schombrun.
DE HAMBOURG , le 10 Mai.
Maintenant que les nuages qui menaçoient
d'éclater dans le Nord de l'Europe
font diſſipés , quelques papiers prétendent
( 197 )
qu'il s'en éleve inſenſiblement dans d'autres
endroits . Nous nous bornerons à tranſcrire
leurs doutes & leurs conjectures.
Diverſes circonstances , qui peuvent être indifférentes
, méritent d'être remarquées par la
liaiſon qu'elles ont ſouvent avec les plus grands
événemens. Tels font les achats conſidérables
de grains que la Cour de Berlin a fait faire en
Pologne ; ſon exemple a été ſuivi par celle de
Vienne , & l'on tranſporte cette quantité immenſe
de bled dans les magaſins de la Bohéme.
Cette concurrence en a augmenté confidérablementle
prix. La longueurde l'hiver , fa rigueur
exceſſive , qui ont épuisé la plupart des greniers ,
& la crainte qu'on a que la récolte prochaine ne
ſoit pas abondante , peuvent contribuer àcette
multitude d'achats ; mais la conjoncture critique
des affaires en Europe fait ſuppoſer que les principales
Puiſſances ont cru que la prudence exigeoit
qu'elles ſe pourvuſſent à tout événement.
En effet , on ne fauroit ſe diſſimuler qu'il exiſte
préſentement plus d'un germe de diſcorde . L'affaire
deDantzick eſtdu nnoommbbre , &l'on n'en
prévoit pas encore l'iſſue. A la fin des conférences
ſuſpendues depuis les Fêtes de Pâques ,
la Ville de Dantzick a réclamé la protection de
la Ruſſie . M. de Buchholtz , Réſident de S. M.
Pruffienne , a déclaré que fi les Dantzickois
s'obſtinoient à refuſer les dernieres propofitions
du Roi ſon maître , il ſeroit inutile de continuer
les conférences , puiſque S. M. étoit fermement
réſolue de ne point faire de conceffions ultérieures.
Comme de part & d'autre on paroît décidé
àne pas reculer , & que la Cour de Pétersbourg
-n'a pas témoigné juſqu'ici qu'elle déſapprouve
la conduite des Dantzikois , l'iſſue de cette afi
3
(198 )
faire ne peut qu'intéreſſer la curiofité du public.
Les démêlés entre la Ruffie & la Porte
ont donné lieu à quantité de ſpéculations
pendant qu'ils étoient en pleine activité ; il
eſt tout fimple que l'accommodement & ſes
fuites en fourniſſent de nouvelles: nous placerons
ici celles-ci que nous tirons des mêmes
fources où nous avons puiſé celles que
nous avons déja données ; on les attribue à un
homme établi à Conſtantinople depuis longtemps
, où l'on ſuppoſe qu'il a autant obfervé
que commercé.
Le grand événement de la confirmation & de
la prolongation de la paix a été publié ici dans
le mois de Janvier. Par le traité , l'Impératrice
de Ruffie a obtenu se qu'on dit que ſes prédécefſeurs
, ainſi qu'elle-même , defiroient depuis fi
long-tems , & qui avoit échappé juſqu'ici à leurs
efforts , l'acquifition de la Crimée , & elle l'a
faire ſans qu'il en ait coûté une goutte de ſang .
L'Empereur n'étant point partie principale dans
ces démêlés , mais ſimple auxiliaire de la Ruſſie
en cas d'host.lités , n'a point obtenu de nouveaux
territoires ; mais les limites des deux Empires
ont été fixéesd'une maniere plus diſtincte qu'elles!
ne l'étoient auparavant , & cet avantage n'eſt
pas médinere . On peut demander ſi cette derniere
anquifition de la Ruſſie eſt la conféquence
naturelle de ſes vues politiques ? Et ceux qui
aiment les ſyſtemes & les plans, dont l'imagination
en fabrique ſouvent qu'ils prêtent enfuite
aux cabinets , ceux qui veulent toujours voir
dans les révolutions des cauſes égales aux effets ,
ne manquent pas de répondre affirmativement ;
( 199 )
mais le fait répond le contraire. La Ruffie
apu avoir des vues ſur la Péninſule ; mais elle n'a
eu que trés tard & depuis peu l'idée & l'eſpérance
d'en obtenir la poſſeſſion. C'est le caractere
& la foibleſſe de Sahim-Guérai qui ont fait
naître l'une & l'autre ; un Prince plus ferme
&plus éclairé ne le leur auroit pas permis .
Sahim , dont l'ame a peu d'énergie , & dont le
corps eſt également affoibli par les maladies ,
fut épouvanté par l'opinion qu'on lui ſuggéra
d'un rival formidable que la Porte foutenoit
hautement , & la terreur qu'on lui inſpira de
ce rival fut le premier moyen qu'on employa
pour le déterminer à abdiquer ſon autorité. C'eſt
un fait que les Rufſſes qui l'entouroient ne négligeoient
rien pour lui perfuader de prendre ce
parti. Le tems ſeul peut nous apprendre quelles
en ſeront les conféquences ; mais en attendant ,
il ouvre un vaſte champ aux ſpéculations politiques.
La Ruffie a maintenant de fait & de droit
la liberté de la navigation ſur la mer noire ;
maîtreffe d'un territoire auſſi conſidérable que les
bords de cette mer , qui lui offre tant de maté
riaux pour la conſtruction des vaiſſeaux , & des
ports également importans & fürs , elle peut
former une marine proportionnée à fon ambition
&à ſes moyens ; elle peut lancer ſes Bottes au
Sud & au Nord , embraffer PEurope , & former
des prétentions far une part à l'empire de
l'Océan. Du côté du commerce , que ne doitelle
pas attendre ? Les provinces immenfes &
fertiles , baignées par les grandes rivieres qui
aboutiſſent à la mer noire , & qui font encore
peu connues , ſont ouvertes à tous les Marchands
qui voudront y aller trafiquer , & qui recevront
tous les encouragemens propres à les attirer ,
de la part d'une Cour déja bien convaincue que
i 4
( 200 )
la force& la grandeur d'un Gouvernement dependent
des efforts de l'induſtrie & du commerce.
Le canal projeté pour ouvrir une communication
entre leDon & Wolga , qui n'aura que 20
milles d'étendue , ſera bientôt exécuté. Le commerce
que quelques nations faifoient ſur la mer
Cafpienne, & que divers obſtacles ont interrompu
, pourra être rétabli ; les obſtacles n'exiſtent
plus , & on ne doit plus craindre la répétition
des premieres infortunes qu'on a éprouvées .
Une circonftance qui favorite eet eſpoir , c'eſt
le traité conclu cette année entre la Ruffie &
Ja Cour de Perfe ; il renouvelle tous les ar icles
du traité précédent , & accorde aux Ruſſes ja
liberté de conftruire plufieurs forts pour proseger
leur navigation fur la mer Cafpienne.-
Juſqu'à préſent le Mahométiſme avoit joui d'un
avantage qu'on peut regarder comme une bonne
fortune ; il n'avoit jamais été ſubordonné à aucun
autre culte. La derniere révolution amene
un phénomene abſolument nouveau. L'Eglife
Grecque , tenue dans un état d'abaiſſement &
d'abjectiondans tout l'Empire Ottoman , prend
la ſupériorité ſur le Mahométiſme dans un diftrict;
& les fectaires y obtiennent la permiffion
de ſuivre leur croyance. Quoique pluſieurs dévots
aient déja quitté les lieux , qu'il ſoit eertain
qu'un grand nombre ſuivra encore leur
exemple , il n'en eſtpas moins vrai que leGouvernement
Ruſſe ne négligera rien pour les engager
àdemeurer. Dans cet érat fubordonné où ils ſe
trouveront , ils perdront cette obſtination qui les
attache à leurs anciennes habitudes , &deviendront
pardegrés plus ſuſceptibles d'être policés
par les arts & les connoiſſances. Plus éclairés
que leurs freres en culte dans la Turquie , ils
pourront leur communiquer inſenſiblement les
(201 )
lumieres qu'ils auront acquiſes . La liberté & la
Lûrété dont ils jouiront , pourront attirer dans
leurs Vil'es les perſonnes riches , les Gouverneurs
même de Provinces , qui , s'étant enrichis
par des extorfions , & qui , craignant la vengeance
ou le crédit de leurs ſupérieurs , ne manqueront
d'aſſurer leur vie & leur fortuné par la
fuite ; & cette derniere perſpective eſt très-avantageuſe
pour le Gouvernement Ruſſe. -Cette
paix a été faite au moment où les hoftilités alloient
commencer ; le ſeul délai d'une ſemaine de
la part de la Porte auroit amené la guerre. La
diſpoſition pacifique du Sultan , & plus que
cela l'état de l'Empire , ont levé tous les obſtacles.
Les circonstances particulieres qui ont accompagné
la concluſion du traité , montrent que
cette paix ſi néceſſaire n'a été obtenue qu'à des
conditions humiliantes. Le Grand Viſir confidérant
que le Sultan eſt âgé , & que son fuccefſeur
pouvoit le rendre reſponſable d'une paixde
cette eſpece , a refuſe de ſigner le traité , &
l'affaire a été réglée ſans ſa concurrence. En ſe
mettant à l'abri du reproche d'avoir en part à
cette tranſaction , il a procuré à ceux qui s'en
ſont mêlés toute la ſûreté poſſible. Dabord il a
engagé le Sultan à confulter le Muphti , & à
en obtenir un fetfa d'approbation , en conféquence
duquel S, H. a ſigné de ſa propre main
l'ordre de conclure & de ſigner le traité. Ces
ordre eſt un acte authentique qui ſera conſervé
&tranſmis à la poſtérité , pour juſtifier lesMiniſtres
de la Porte. Ces meſures préalables priſes ,
le traité a été ſigné par le Capitan-Pacha , repréfentant
les Militaires ; le Reis-Effendi , repréſentant
le département civil , & par un des Ulemas
, repréſentant la loi & l'Eglife . On efpere
que cette nouvelle paix fera durable. La
is
( 202 )
Ruffie n'a point en vuede conquête ultérieure,
ſon intention actuelle eſt de cultiver & de perfectionner
les immenſes territoires qu'elle poſſede
déja; & il est vraiſemblable que les Nations étrangeres
ne lui verroient pas volontiers faire de nouveaux
progrès dans leur voiſinage.
CC Le Jeudi Saint , écrit-on de Vienne , on
arrêta fur une place publique deux domeſtiques ,
l'un ſans livrée , & l'autre avec celle d'un Miniſtre
étranger , qui portoient du tabac de contrebande ;
le Secretaire de l'Ambaſſade à laquelle ils appartenoient
ſe rendit fur le champ au Bureau de
la ferme , reclama les deux ſujets , qui furent délivrés
incontinent , moyennant l'amende de 418
florins qu'ils avoient encourue. Le Miniſtre joint
à quelques autres , prétend une fatisfaction
pour la détention de ces deux hommes ; mais on
croitque cette demande n'aura aucun effer. On
rapporte à cette occaſion que ,pour une ſemblable
cauſe, un domestique de l'Ambaſſadeur de Veniſe
fut arrêté à Madrid , il y a deux ans , & reſta fix
jours en prifon , & qu'il ne fut donné enſuite
aucune fatisfaction .
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 26 Avril.
C6
Une troupe de Comédiens, raſſemblés ici
par l'Entrepreneur du Theârre de Cagliari ,
s'étant embarquée le 19 de ce mois fur le
bâtiment courrier , chargé des lettres d'Italie
pour la Sardaigne, a failli de manquer fa
deftination, & de faire un voyage à Tunis.
Le 20 au foir , ce bâtiment fut attaqué par
un Corſaire , portant le pavillon de cette
3
( 203 )
Régence; le combat qui fut long& opinia
tre , dura 3 heures , pendant leſquelles les
Barbareſques tenterent à diverſes repriſes l'abordage
le fabre à la main. Ils furent fi bien
reçus , qu'ils quitterent la partie ; & le bâtiment-
courrier , enchanté d'en être débarraffé
, s'eft réfugié à Baſtia , dans l'ifle de
Corſe , d'où il a dû continuer ſa route pour
Cagliari.
On vient d'éprouver à Celle , village du dif
tria de S. Caſciano de Cotrone , qui appartient à
cette République , écrit on de Lucques , un évé
nement également extraordinaire & funeſte. Après
un orage violent , accompagné de pluie qui regna
pendant toute lajournée du 29 Mars , c.1 s'apperçut
le lendemain à midi que la terre trembloit
fenſiblement ; les habitans effrayés par le ſouvenir
de ce qui s'étoit paſſé à Meſſine & dans les deux
Calabres, fortirent promptement de leurs habitations
, emportant ce qu'ils purent de leurs effets ,
&chaſſant devant eux leurs troupeaux. Cette précaution
étoit prudente ; car le ſoir tout le terrein
du village & autour à 3 milles d'étendue fut
bouleverſé ; toutes les maiſons diſparurent , &
cette partie de campagne qui étoit belle , bien
cultivée , ne parut plus qu'un déſert. Les maiſons
étoient au nombre de 50 , y compris 3 moulins;
elles ſervoient de demeures à 200 habitans , qui
campent aujourd'hui LeGouvernement s'eft haté
d'aller à leur ſecours , & 6 Sénateurs ont été en-.
voyés pour examiner le dommage & y remédier.
Une lettre de Bologne contient l'anecdote,
fuivante.
Le 22 de ce mois , en faiſant le matin la viſite
des priſons, onyatrouvé unpriſonnier qui s'étoit
16
( 204 )
empoisonné. C'étoit un Vénitien , accuſé d'avoir.
faitde faufles lettres-de-change à Vienne , & d'y
avoir eſcroqué des ſommes conſidérables. Il avoit
été reclamé par laCour Impériale auprès de la République
de Venise , qui l'avoit reclamé à ſon tour
de ceGouvernement. Il étoit ici depuis quelque
rems , où il faifoit de grandes dépenſes. En le
cherchant d'auberges en auberges on fit une méprife
qui ne fut pas agréable à un autre étranger
françois de nation qui voyage ; les Sbires ſe porterent
pendant la nuit dans la maiſon où il logeoit,&
entrerentde force dans fa chambre ; furpris
de cette viſite imprévue ,& les prenant pour
des voleurs, il ſauta ſur ſes piſtolets qu'il tira, mais
qui heureuſement ne prirent pas few. Les Sbirres
irrités le maltraiterent , le garroterent & le conduiſirent
à leur corps-de-garde.L'étranger envoya
fur le champ chercher un marchand , ſur lequel il
avoit des lettres de crédis , & celui- ci ayant été
trouver le Cardinal Légar pour l'inſtruire de la
mépriſe , & lui répondre de la perſonne qu'on
avoit arrêtée , l'ordre de le mettre en liberté fut
expédié enmême tems que celui d'empriſonner
les Sbirres ; ce dernier n'a pu être exécuté que
fur leur chef ; les autres s'étant réfugiés dans des
afyles.
Les lettres de Naples annoncent la priſe
du Chefde bandits , Angioletto del Duca;
c'eſtunde ſes compagnons , arrêté dans le
dernier combat où il avoit été bleſfé , qui a
acheté fa grace , en défignant ſa retraite; ils
s'étoit réfugié dans le Couvent de Muro ,
dans la province de Salerne : c'eſt là qu'il a
été arrêté.
D. Dominique Potenza, Fifcal de la Junte
Royale des abus, continuent ees lettres , a propoſé
( 205 )
de fouſtraire tous les Religieux du Royaume à la
dépendance de leurs Généraux réſidans à Rome ,
&de forcer chaque Ordre à élire un Vicaire-
Général pour les États de S. M. Cette affaire avoit
été généralement approuvée , & elle alloit paffer,
lorſque quelques voix s'y oppoſerent , en diſant
que les Vicaires Généraux n'auront pas les pouvoirs
ſpirituels ; il fut en conſequence réfolu de
fuſpendre toute déciſion , juſqu'à ce que l'on fut
de quelle maniere ce point avoit été réglé dans les
Etats Autrichiens & dans ceux de la République
de Venise.
En conséquence de l'ordre du Roi , en date du
14 Février dernier , ajoutent les autres lettres ,
pour ramener à la décence & à la diſcipline les
Religieux vagabonds , hors de leurs Couvens , on
prend toutes les précautions pour cet effet. Le 12
de ce mois , une patrouille extraordinaire a parcouru
la ville pendant la nuit & viſité les mauva
lieux , où l'on dit qu'elle en a trouvé pluſieurs ,
qui ont été conduits en priſon.
:
ESPAGNE.
DE MADRID , le 23 Avril.
Le Roi a diſpoſé de la charge d'Inquifiteur-
Général de ſes Royaumes , vacante par
la mort de D. Philippe Bertran , évêque de
Salamanque , en faveur de D. Auguſtin Rubinde
Cevallos.
Les regrets que cauſe la perte du Chef
d'eſcadreMoreno, ramenent fréquemment à
la malheureuſe affaire qui lui a coûté la vie.
Son adverfaire étoit un Gentilhomme de Salamanque
, appellé D. Antonio Manzano ; i
( 206 )
۱
s'eſt conftitué volontairement priſonnier pour
ſe juſtifier ; on croit que ſon affaire s'arrangera
&qu'il fera remis en liberté. Il a dit & prouvé
par des témoins qu'il n'a fait que le défendre ,
& qu'il n'a point été l'agreſſeur. Le domeſtique
même de M. Moreno, qui ſuiveit ſon naître
& qui étoit avec lui dans ce funeſte moment ,
a confirmé ce témoignage. Le Roi a bien voulu
accorder une penſion de soo écus à la mere
de cet Officier , & une de 150 à un de ſes neveux
qui ſert actuellement dans les gardes roya.
les.
L'échange de toutes les iſles & poſſeſſions
qui , conformément au Traité de Verſailles ,
doivent reſter aux Puiſſances reſpectives par
la Paix, étant terminé , S. M. a nommé pour
fon Ambaſſadeur à la Cour de Londres , le
Marquis d'Almodovar , qui réfidoit en Angleterre
en la même qua'ité avant la rupture.
Pour détruire les préugés trop généralement
répandus contre le travail des mines de vif argent
, que bien des gens regardent comme contraire
à l'humanité & funeſte à la ſanté des ouvriers
qui y font employés , le Gouvernement
a fait publier le relevé ſuivant des regiſtres de
P'hôpital royal , certifié par les Directeurs de cet
hópiral & par le départ ment des mines. De 835
malades qui entrerent l'année derniere dans cet
hospice , & du nombre deſquels il y en avoit
38 qui y avoient paſſé à la fin de la précédente
, on en a guéri 756 , il en eſt mort 48 , &
31 étoient encore malades à la fin du mois de
Décembre.
Un paquebot arrivé à Cadix, a apporté
des lettres du Chili , en date des derniers
( 207 )
jouss de Novembre, dans lesquelles on lit
les détails ſuivans .
On croyoit avoir éteint les révoltes dans le
Pérou par la mort du fameux chef Tupal Amer
&par le fupplice exemplaire auquel il avoit
été livré ; il avoit été tiré à 4 chevaux. Elles
parurent en effet aſſoupies pendant quelquetems ;
mais la terreur , qu'on avoit inſpirée , s'étant
un peu calmée , de nouveaux troubles ſe ſont
élevés. Un frere du chef puni , appellé Diego
Tupal Amer s'eſt déclaré chef des rebelles , &
a juré de le venger. Il paſſe pour être d'un ca.
ractere plus fier & plus hardi : cependant il
n'a fait encore aucune entrepriſe contre les
eſpagnols ; il ſe contente juſqu'à préſent
de faire maſſacrer inhumainement tous les ennemis
qui tombent entre ſes mains , & il ne
s'occupe qu'à exciter à la révolte toutes les peuplades
indiennes voiſines . Le Gouvernement a
pris les meſures néceſſaires pour lui faire ſubir
le fort de ſon frere. Dans le Chili au contraire
tout a été paiſible pendant la guerre , &
la même tranquillité regne. On a mis fans oppofition
en ferme , conformément aux Ordres du
Roi , les jeux de cartes , le papier timbré , &
lapoudre. Depuis le commencement des hoftilités
juſqu'à préſent , nous avons eu ici 7 bâtimens
de guerre & un brigantin pour s'oppoſer
â toute entrepriſe que les Anglois auroient pu
tenter. de ce côté. Leur ſtation aété le porrde la
Conception, qui eſt celui de nos côtes le plus abondant
entout genre de provifions Un particulier
de ce dernier endroit , nommé D. Antonio Lorca
, a formé à ſes dépens , à la rade de S. Vin-
-cent , à 3 lieues de la Conception , un grand
Arſenal qu'il a pourvu de tout ce qui est né
-
( 208 )
,
ceſſaire peur la conſtruction de toutes fortes de
vaiſſeaux. Les Ouvriers qu'il a employés étoient
venus de Panama & de Calao ; ils ont trouvé
le pay's fi fertile qu'ils ont abandonné leurs
anciennes demeures,&ſe ſont établis ici pour toujours.
Le bois , objet principal pour la conftruction,
ſe trouve ſur les Andes en grande quantité
& de qualité excellente. Les pins furpaſſent
en beaurt ceux de Hollande , leur hauteur eft
de 30braſſes caſtillanes , & leur diametre dedeux.
Les autres matériaux ſont foursis par le pays en
abondance& à bonprix.D.'Antonio Lorcaa conftruit
pour ſon compte un vaiſſeau de 60 canons
, une frégate & quelques barques , dont la
plus foible peut porter 11,000 quintaux , & fa
dépenſe ne paſſe pas 250,000 écus. L'efcadre
du Roi , qui a fait un long séjour ici ,
a mis à la voile ces jours derniers pour Calao
d'où elle retournera en Europe ; elle a ſous
fon eſcorte pluſieurs vaiſſeaux appartenant àM.
Lorca & à divers particuliers . Elle s'arrêtera
àCa'ao juſqu'au commencement de 1784 , pour
faifir la taiſon la plus favorable pour doubler le
Cap Horn ; on croit qu'elle pourra arriver
àCadix dans le mois de Mai 1785. La cargaifon
des bâtimens de commerce confiſte en cuirs
chairs falées , fuif ,&c.
-
ANGLETERREDE
LONDRES , le 18 Mai.
Une lettre du Commodore ſir Charles
Douglas , en date du 15 du mois dernier ,
contient les détails ſuivans du malheur arrivé
àquelques Officiers , que le froid a fait
( 209 )
perir , & dont on a parlé vaguement dans
des lettres particulieres .
La déſertion des Matelots Anglois pour paſſer
fur le territoire des Etats-Unis , n'a pas moins
diminué mon équipage que celui des autres vaiffeaux
de S. M.; mais elle y a occafionné un malheur
plus terrible. Le 31 Décembre dernier , 6 de
ces transfuges s'emparerent du canot , tandis que
nous étions à Sandyhook , & firent route pour la
côte du Jerſey. 13 perſonnes , tant Officiers que
Volontaires , inirent en mer la grande chaloupe
pour aller à la pourſuite des fugitifs. Mais une
demie-heure après qu'ils eurent quitté le vaiſſeau,
il s'éleva une brume épaiſſe , occafionnée par la
neigé qui tomboit en grande abondance , & étoit
accompagnée d'un grand vent. L'apparenced'une
tempête me détermina à faire tirer un coup de
canon pour les faire revenir; mais après avoir trèslorg-
tems répété ce ſignal , ſans qu'il produifit
aucun effet, je penſai que la chaloupe avoit gagné
lacore , & que les Officiers voyant le grostems ,
avoient prudemment différé leur retour juſqu'au
lendemainmatin. Le matin arriva ; mais la chaloupe
ne parut point. Je paſſai toute la journée
dans l'anxiété la plus cruelle. Enfin le lendemain
matin , c'est- à-dire , le troiſieme jour après le
départ du canot& de la chaloupe , le tems s'étant
éclairci , nous découvrimes ces deux bâtimens fur
la côte de Jerſey. Nous nous en approchâmes
auſſi-tôt ; mais quelle fut ma douleur , lorſque
je vis tous nos braves gens gelés & exactement
morts de froid. Il y en avoit dix dans la chaloupe ,
étroitement ſerrés l'un contre l'autre ; trois autres
qui étoient deſcendus à terre pour chercher l'abri
d'une maiſon , ont péri dans la neige.
Les lettres de la Jamaïque annoncent que
( 210 )
tout eſt tranquille dans cette ifle , que lesplan--
teurs attendentavec impatience quelques vaifſeaux
de la côte d'Afrique avecdes negres qui
leur manquent , pour faire valoir leurs plantations
; if en arriva 4 vaiſſeaux vers Noël :
mais ils n'en ont pas fourni la quantité dont
on auroit beſoin ; quelques bâtimens étran -
gers font quelquefois des deſcentes dans des
endroits écartés des côtes , pour en enlever ,
cequi fait un tort conſidérable aux plantations.
L'Amiral Gambier a établi quelquesuns
de ſes vaiſſeaux pour croifer dans les
endroits menacés , &mettre un frein à ces
pillages qui ſe ſont fort multipliés .
La frégate le Crocodile a fait naufrage fur.
la pointe de Start , le 9 de ce mois , en revenant
de l'Inde. Elle apportoit des dépêches
de Bombay , en date du 30 Décembre,
&des 9 & 10 Janvier dernier. Elles ont
été fauvées , & on en a publié les détails fuivans.
Quelques chaloupes chargées de Cipayes s'étant
per dues auprès de Cananor , environ 200 de
ces malheureux ont été pris & retenus par le
Bibby , la Princeſſe , malgré les inſtances répétées
qui ont été faites pour demander leur élargiffement.
Comme le Gouvernement de Camanor a
été de tous tems ennemi de la Compagnie, le Général
Macleod , pour obtenir fatisfaction de ces
injures , s'eſt emparé de la Place , & ſuivant le
compte rendu par ce Commandant , les troupes
du Roi & de la Compagnie méritent les plus
grands éloges par la maniere dont elles ſe ſont
conduites dans l'attaque & la réduction de cette
( 211 )
Place & de fes dépendances. -Le Comité
ſecret de Bombay venoit de recevoir une lettre
du Peshwa ou Chef des Marates , pour annoncer
à la Compagnie qu'il accede au Traité dans toute
ſa teneur , & qu'il eſt prêt à ſe joindre aux Anglois
& à ſeconder toutes les metures offonſives
qu'ils pourront prendre contre Tippo- Saib , dans
le cas où ce dernier n'exécuteroit pas les conditions
du Traité propoſé. Cependant , ſelon ces
mêmes avis , le Général de l'armée de Tippo-
Saib dans le Carnate , étoit en pleine marche pour
Changama - Paff, accompagné de MM. Sadlier
&Staunton , nommés par le Lord Macartney ,
pour conclure le Traité avec Tippo ; & ce Prince
lui-même , dans ſa lettre an Général Macleod ,
cite leur arrivée comme un événement qui ne
doit laifler aucun doute ſur la Paix. Mème après
Ja, priſe de Cananore , dont Tippo reclamoit la
Bibury , comme ſon alliée , le Général Macleod
apprend que Tippo ne s'eſt nullement oppoſé à
ce qu'il ravitaillât de nouveau Mangalore &
Onore. Sur une des lettres reçues à Bombay ,
il paroît que Ragonaut Row , ou Ragobah , oncle
du Peshwa , eſt mort le 11 Décembre .
Parmi les lettres particulieres , arrivées en
même temps , quelques-unes offrent le paragraphe
ſuivant.
"Notre voyage de Madraff ici, écrit-on de
Bombay en date du 26 Janvier , a été très-agréable ;
nous eûmes les meilleurs vents du monde ; nous
touchâmes à Colombo & à Cochin , où nous
apprimes que les partis du pays étoient tombés
fur les Hollandois , & avoient pafé au fil de
l'épée la garniſon d'un fort à dix lieues de Cochin,
dans l'intérieur, Le Gouverneur de Batavia
avoit envoyé 600 foldats au ſecours de Cochin :
(212 )
tout portoit l'apparence de la guerre Les
difputes entre les Anglois& les Hollandois , dans
ces quartiers , n'étoient pas prêtes à ceſſer ; ceuxcicraignant
qu'on ne leur remboursât pas toutesles
dépentes qu'ils ont faites dans la derniere guerre
fur l'Ifle de Ceylan. - Les fortifications de
Cochin ſont très-vieilles & très irrégulieres ; mais
elles ont 50 pieces de canons qui font face à la
mer , & 60 qui ſont du côté de la terre . Il y a
pluſieurs familles de juifs qui y ſont établies ; &
ce qui eſt remarquable , c'eſt que les Portugais
ytrouverent leurs ancêtres lorſqu'ils yaborderent
la premiere fois . L'opinion générale eſt qu'ils
deſcendent de quelques juifs qui y voyagerent
peu après la deſtruction finale du temple ; ils
font très Hoſpitaliers envers les étrangers , & font
eſtimés des naturels du pays ».
Un Officier de Madraffécrit ainſi à un de
ſes amis à Edimbourg , ſur la ſituation des
affaires de l'Inde.
>> Notre ſituation ne pouvoit être plus critique
lorſque nous avons reçu la nouvelle de la paix ;
elleaſauvé notre armée , qui vraiſemblablement
oût été perdue. Mais nous ſommes bien éloignés
de jouir de cette paix nous-mêmes. Les plus
grandes diſſenfions prévalent entre les Officiers
dela Compagnie ; le ſujetde diſpute n'eſt pas de
ſavoir quel ſera le plus grand avantage de la
Compagnie , mais ce qui produira plus de profit
àſes employés. Il eſt vrai que Type- Saïb a offert
de bonnes conditions de paix; mais en même
temps il recrute ſes troupes , augmente ſes finances
, & ſemble faire des préparatifs pour ſe
mettre en état de profiter de l'occaſion de tirer
avantage de nos querelles. Les François ſous main
Pencouragent; en un mot, i l'on ne prend pas
( 213 )
quelque meſure générale en Angleterre , pour
réprimer cet eſprit d'ambition , d'avarice & de
tyrannie, la Grande-Bretagne peut renoncer à
tout pouvoir dans l'Orient».
Dans l'intérieur il y a toujours des troubles
: les mécontentemens des Irlandois ont
augmenté. Les divers bills qui avoient été
envoiés à Londres , y ont été renvoiés avec
l'approbation Royale ; celui relatif à la liberté
de la Preſſe, n'a point ſubi de changement,
& ajoute aux plaintes. Les Volontaitaires
s'exercent journellement , & il fe forme
un nouveau Corps , qui prend le titre de
Volontaires de Dublin , & pour deviſe : la
Liberté ou la Mort; il n'eſt encore que de
100 hommes , mais on croit qu'avant la fin
du mois il ſera de 300 .
Aujourd'hui , écrit-on de Cork , un très-grand
nombredepauvres manufacturiers, armés d'épées &
depiſtolets, ſe ſont afſemblés auprès des magaſins ,
où étoitdéposée une quantité conſidérablede laineries
& autres marchandiſes originairement embarquées
à Amſterdam pour un marché étranger ,
mais admiſes depuis dans ce port en vertu d'un acte
de notre Parlement ,& qui devoient être vendues
à l'enchere ce jour même. D'après les remontrances
qui leur ont été faites ſur l'irrégularité
de leur conduite , ils ſe ſont diſperſes ſans commettre
aucun excès; mais les propriétaires &
intéreſfés ont déclaré qu'aucun article de lainerje
faiſant partie de cette cargaiſon , ne ſeroit vendu
en Irlande.
La convention de ne faire aucun uſage
de manufactures étrangeres, paroît maintenant
générale en Irlande; cette meſure &
( 214 )
pluſieurs autres , priſes en divers endroits ,
viennent à l'appui de la déclaration qui ya
été faite , que l'on ne regardoit pas la Chambre
des Communes actuelles , comme repréſentant
véritablement la Nation.
M. Bingley , écrit-on de Dublin , arrêté à
l'occaſion des papiers publics qui ont occafionné
le bill , qui retraint plus qu'il n'aſſure la liberté
de la preſſe , & remis enſuite en liberté , a intenté
une action contre François Graham pour
outrage & emprisonnement illegal , en venant
horsde ſon diſtrict , & en l'arrêtant dans la cité de
Dublin , en le conduiſant au corps de garde du
Château où il fut enfermé , & où on ne permit à
perſonne de le voir ; circonstances toutes déſagréables
, & faiſant injure au caractere dudit
Bingley qui étoit toujours prêt à obéir volontairement
la loi , à ſe préſenter lorſqu'il ſeroit
mandé , & qui n'a fait aucune réſiſtance ;
cette conduite à ſon égard eſt une violation manifeſte
des loix & de la conſtitution du royaume ,
&un abus du pouvoir militaire ſubſtitué au pouvoir
civil. Bingley a auſſi intenté une action
- contre Thomas l'Etrange , député Sergent d'Armes
, & Henri Holmes , un des portiers de la
Chambre des Communes , pour outrage& empriſonnement
injuſte , en l'arrêtant quand il étoit
ſous la garde des Officiers de la loi commune , les
Scherifs, & lorſqu'il alloit donner caution devant
un juge , & après l'avoir donnée dans la maiſon
du Juge Robertſon qui étoit un fanctuaire in
violable pour lui lorſqu'il y étoit.
:
Le moment de l'aſſemblée du nouveau
Parlement eſt arrivé ; l'élection ſi longue de
Weſtminster a été enfin terminée hier ; М.
Fox l'a emporté par une majorité de 234
( 215 )
voix: mais comme il n'eſt pas douteux qu'il
n'y en ait beaucoup de faufies , tant pour lui
que pour fon concurrent, ce dernier a dermandé
le ſcrutin; & le Grand-Bailli la accordé
malgré l'oppoſition des amis de M. Fox , &
les repréſentations qu'il a faites lui-même ,
en obſervant que l'autorité du Grand- Bailli
ceffe , & que la vérification qu'il ordonnoit ,
auroit dû être ordonnée 8 jours auparavant.
Le Bailli a jugé que le cas actuel fortoit des
regles ; & ce ſera le 8 de ce mois que commencera
cette vérification.
Conformément à la proclamation du Roi
pour la diffolusion de l'ancien Parlement &
la création d'un nouveau , c'eſt aujourd'hui
qu'il devoit étre ouvert; S. M. s'eft rendue
eneffet à la Chambre des Pairs : mais elle
s'eſt bornée à faire dire aux Communes par
fon Chancelier , qu'elle vouloit qu'auparavant
elles choiſiſſent leur Orateur. Ce choix
eſt tombé ſur M. Charles Wolfran Cornwall,
qui étoit Orateur dans le dernier Parlement;
il ſerapréſenté demain àS. M., & on
ne croit pas qu'il eſſuye aucune objection de
la part des Miniftres .
On a déja le diſcours que le Roi doit prononcer.
M. Pitt a dû en faire la lecture hier ,
dans une très-grande aſſemblée , compoſée
de membres des deux Chambres ; c'eſt ainſi
que l'on le trouve dans nos papiers.
Milords & Meſſieurs. J'éprouve la plus haute
fatisfaction de voir le Parlement aſſembé après
avoir été forcé de recourir aux ſentimens de mon
( 216 )
tout
peuple ; la loyauté & l'attachement à la conftitution
, qui ſe ſont manifeſtés par
m'ont cauſé beaucoup de joie , & je ne doute
point que ces ſentimens ninfluent ſur votre conduite
, & ne produiſent la modération convenable
dans tous vos procédés.
Meffieursde la Chambre des Communes. J'ai ordonné
qu'on mette les eſtimations ſous vos yeux .
Je déplore la néceſité où je ſuis , de demander,
des ſubſides qui peuvent accroître les charges
de mon peuple. Mais je me flatte que les beſoins
de la nation , à la fin d'une guerre longue &
diſpendieuſe , en montrent la néceſſité.
Milords & Meſſieurs. Les fraudes commiſes
journellement contre le revenu public méritent
votre plus férieuſe attention. J'eſpere que votre
ſageſſe vous fera adopter les meſures les plus
propres à y remédier. Les intérêts du commerce
ne méritent pas moins votre confidération. Les
affaires de l'Inde, liées avec celles de ce Royaume
, demandent une réforme , & je me flate
que vos délibérations ſur ce point feront dirigées
par l'eſprit de la conſtitution . Je n'ai pas
d'autre but que le bien de mon peuple & la conſervation
de ces droits qui font à la fois liés avec
les intérêts de ma couronne & la proſpérité de
mon royaume.
On attend à préſent avec impatience comment
les affaires tourneront au Parlement :
on a dit dans pluſieurs papiers, que l'Election
générale n'avoit pas répondu à l'attente
des Miniftres , & que leur majorité ſera foible.
L'on entre à ce ſujet dans les détails ſuivans.
D'après les liſtes que l'on a reçues des membres
élus juſqu'à préſent pour le nouveau Parlement
( 217 )
ment&le tableau des endroits où il n'y aura
point de conteſtation , il paroît que les partifans
de la coalition ſeront au nombre de 220
au moins . Ainſi les amis du Miniſtre ſeront au
nombre de 330 ou 338. Mais comme il arrive rarement
qu'il y ait plus de 400 ou de 450 membres
préſens , on compte que lorſqu'il y aura diviſion
l'oppoſition ſera de 150 ; les Miniftres en au
ront 220 , c'est -à-dire , une majorité de 70 à
l'ouverture du Parlement , qui eſt la plus petite ,
avec laquelle un Miniſtre populaire ait ouvert
fon adminiſtration . Au commencement de la
guerre d'Amérique , le Lord North eut conf.
tamment dans toutes les grandes occafions une
majorité de près de 300 ; l'oppofition réunif
foit rarement plus de 70 voix.
:
Le tems approche où l'on fera inſtruit de
ce qu'il faut en croire ; en attendant on revient
aux anciens démêlés entre les Miniſtres
& la Chambre des Communes , qui ont
donné lieu à tant d'adreſſes en faveurde la
Couronne contre le Parlement. Un Ecrivain
vient de préſenter les obſervations ſuivantes
aux Auteurs & fauteurs de ces Requêtes.
La derniere diſpute nationale a été entre la
prérogative & les privileges des Communes , qui
repréſentent le peuple; une controverſe exacte
ment ſemblable s'éleva ſous les regnes de Charles
I, Charles II & Jacques II ; l'événement prononça
contre les Rois de la Maiſon de Stuart.
Depuis ce tems, la Chambre des Communes a
été dans l'uſage conſtant de controler chacune
des prérogatives ; &juſqu'à la fin de 1783 , il
n'avoit pas étémis en queſtion ſi elle en avoit le
droit. Auſſi-tôt qu'un Miniſtre perdoit la majorité
, on n'imaginoit pas de demander comment
Nº. 22 , 29 Mai 1784.
k
( 218 )
il reſſoit à S. James. La prérogative de la Couronne
eſtune partie eſtimable de la conſtitution;
mais elle ne fait rien aux droits du peuple ,
quoiqu'elle foit néceſſaire à l'exiſtence de notre
Gouvernement. Il n'en eſt pas de même des privileges
des Communes : fans eux le peuple ne
peut conſerver ſa liberté . S'il conſent à les ſacri.
fier à la prérogative , il fortifie la Couronne à
fon préjudice. Mais s'il ſoutient les Communes ,
quand même il ſe tromperoit ainſi qu'elles , l'erreur
feroit du côté de la liberté . On fait que dans
une dispute avec la Couronne , les Communes
ne peuvent exiſter que par l'appui du peuple ,
Jeur force fait fa force : fi les Communes ont tort,
P'erreur eſt paffagere , parce que ce corps eſt paſfager
auffi . Mais ce qu'obtient la Couronne eſt
durable , on ne peut pas le lui ôter. Quel avantage
peut- il revenir au peuple de priver la Chambre
des Communes du poids qu'elle a eu juſqu'ici
dans leGouvernement , par la jouiffance dudroit
de n'accorder ſa confiance qu'à ceux qu'elle juge
cui la méritent ? Aucun. Mais celui de la Couronne
eſt évident. La raiſon publiquement alléguée
pour le renvoi des anciens Miniſtres , eſt
queS. M. étoit irritée de l'appui qu'ils donnoient
au bill de l'Inde , mais ils l'appuyoient en qualité
de membres du Parlement , & avec l'approbation
d'une majorité de cent perſonnes. Quelle
feradonc la liberté du Parlement , fi la Couronne
renvoie & diſgracie des membres qui n'ont d'autre
tort que d'avoir foutenu une meſure qu'elle
délapprouve ; & qui ofera le faire à l'avenir ?
C'eſt ce qui vient d'être établi , ce dont le Roi
a été remercié dans toutes les adreſſes . Si ceux
qui les ont rédigées & préſentées avoient raiſonné
ſagement , il ſe ſeroient adreſſés d'une ma-
-niere conforme à la conftitution , à la Chambre
( 219 )
-
des Communes contre le bill , ils n'auroient pas
comme ils l'ont fait, oublié cetteChambre comme
fi elle n'exiſtoit pas , & anéanti de tout leur pouvoir
leurs propres délégués , en recourant à la
Couronne ſeule. Ils ontdonné cette leçon dangereuſe
, que le pouvoir de forcer les Communes
n'appartient pas au peuple , mais au Roi.
Lorſque le bill de l'Inde eur paffé à la Chambre
baſſe , il auroit paſſe de meme à la Chambre
haute avec une grande majorité , ſans les prieres
& les menaces d'un noble Lord , proche parent
de M. P. qui , au nom du Roi , obtint de plufieurs
Gentilshommes de la Chambre & autres
perſonnes en place, de ne point lui donner leurs
voix. Le bill fut rejetté pat une majorité de 8 ;
mais peut- on dire qu'il le fut conſtitutionnellement?
-De ces conſidérations déduites des
faits ,j'infere que la conduite de l'Adminiſtration
actuelle dans cette affaire a été une entrepriſe
contre la conſtitution , pour rendre la Couronne
l'agent du peuple ,& établir le Roi comme le
repréſentant de la Nation , de maniere qu'à
l'avenir par ſon autorité perſonnelle , il pourra
dicter aux deux Chambres la conduite qu'elles
doivent tenir .- Les rédacteurs des adreſſes
ont imité & foutenu les conſeillers ſecrets . Nonſeulement
ils n'ont donné aucune connoiſſance
de leur contenu ni à l'une ni à l'autre des deux
Chambres , mais lorſque l'acte d'autorité fait au
nom de la Couronne aété confirmé , au lieu de
le réprouver , on s'eſt empreſſé d'y applaudir ,
&d'encourager la Couronne à violer ainſi les
droits & la conſtitution. En vérité , il y a eu
une grande révolution dans ce pays .
parle depuis long- tems de l'influence de la Couronne
pour corrompre le Parlement , on en a
eu quelques exemples ; mais elle n'avoit jamais
- On
k 2
( 220 )
-
,
été reconnue ni avouée jusqu'à préſent. Maintenant
qu'elle l'eſt , que la Nation l'approuve
quel droit aurions-nous de nous plaindre d'un
Miniſtre ni d'un membre du Parlement qui emplo
era la ſéduction ou la terreur de la Couronne ?
N'avons-nous pas donné à cet uſage une ſanctionauſſi
ouverte , auſſi avouée que la corruption
que nous autoriſons, J'ajouterai que quelle
que ſoit une maxime parlementaire , il n'eſt pas
néceſſaire de détruire pour jamais la liberté du
Parlement , parce que le Parlement aura paflé
un mauvais acte . Le fond de ces mêmes
adreſſes qui ont attaqué cette liberté , pouvoit ,
en en faiſant l'emploi convenable , c'est- à-dire
en en faiſant la baſe de requêtes à la Chambre
des Communes , obtenir qu'on retirât le bill ,
s'il avoit paffé ; & pourquoi n'a-t-on pas ſuivi
cette marche ? elle étoit ſi naturelle. C'eſt parce
qu'elle n'auroit pas répondu aux vues de la cabale
ſecrete , qui vouloit changer la partie de
la légifſlation favorable au peuple , y fubftituer
l'usage direct du nom du Roi , pour influer ſur
les membres du Parlement. Je ne dispute ici ni
pour M. Pitt , ni pour M. Fox; je ne ſuis le
champion ni de l'habileté & de l'honnêteté de
celui- ci , ni des vertus de celui- là ; je déplore
ſeulement la promptitude avec laquelle le peuple
s'eſt empreſſé de décider un point qui intéreſſe
ſes droits les plus eſſentiels & ceux de ſa
poſtérité.
Parmi les plans pour mettre un frein à
la contrebande , en voici un dont , felon nos
papiers le Gouvernement s'occupe.
Il eſt queſtion de ret irer l'impôt ſur le thé , &
d'y ſubſtituer un droit qui fera payé par toutes
( 221 )
les familles , proportionnellementau nombre d'in
dividus dont elles ſont compoſées pour le thé
qu'elles conſomment. Ce moyen eſt le ſeul qu'on
puiſſe employer avec ſuccès pour empêcher la
contrebande exceſſive qu'on fait de cette plante.
On fait que les François, les Danois , les Suédois
, & depuis peu les Autrichiens , envoient
annuellement so vaiſſaux à la Chine , où ils char
gent principalement du thé , qui eſt preſque tout
entier conſommé ici , cù il eſt porté en contrebande.
On en évalue le total à pluſieurs quintaux
par ſemaine. En levant l'impós établi fue
le thé même , les contrebandiers n'auront pas
lemoyen d'en vendre au prix auquel le délivrera
la Compagnie ; & cette Compagme qui n'envoie
que 6 ou 7 vaiſſeaux à la Chine , y en pourra
faire paffer 50 , parce que les étrangers ne trouvant
plus de débit de leur thé , ceſſeront d'en
aller chercher fi loin.
Les lettres de Dublin donnent les dérails
ſuivans ſur un couple centenaire qui y eſt
mort dans le mois d'Avril dernier.
M. & Mde, Sharp , qui viennent de mourir
âgés de III ans, le même jour , à peu d'heures
dedistance l'un de l'autre , étoient nés le 1 Avril
1673. Ils furent mariés à 20 ans le 1 Avril 16935
ils ont eu 4 enfans , dont le premier, qui eſt une
fille , naquit le 1 Avril 1694; le ſecond , le r
Avril 1695 ; le troiſieme , le 2 Avril 1696 , &
le quatrieme , le 1 Avril 1723 ; tous les quatre
vivent encore, & font établis à Londondery , en
Irlande. La fille aînée , qui fut mariée à 18 ans ,
le fut également le 1 Avril ; le premier du même
mois de l'année ſuivante, elle accoucha d'un fils ,
qui eſt M. Witham-Montgomeri , qui occupe actuellement
un poſte diftingué en Amérique,
k3
( 222 )
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 25 Mai.
L. M. & la Famille Royale fignerent le
16le contratde mariage du Vicomte Preiſfac-
Fezenſac , Capitaine au Régiment Royal
Dragons, avec Mademoiſelle d'Uiſon , celui
du Marquis de Puivert , Capitaine-Commandant
au Régiment Royal , Picardie Cavalerie
, avec Mademoiselle de Langeron ,
& celui du Comte de Rency , Meſtre de
Camp , Commandant du Régiment de la
Reine , avec Mademoiselle de Scepeau.
Le même jour , la Comteſſe de Lons eut
l'honneur d'être préſentée à L. M. & à la
Famille Royale , par la Comteſſe d'Oſſun ,
Dame d'Atours de la Reine.
DE PARIS , le 25 Mai.
Le Roi de Suede eſt attendu ici du 4 au
10 du mois prochain ; M. le Marquis de
Gouvernet,Commandant en Bourgogne , a
reçu ordre d'aller le recevoir aux frontieres
de la Province , & de l'accompagner juſqu'à
Paris.
Après unhyver auſſi long & auſſi rigoureux
, nous éprouvons actuellement des chaleurs
exceſſives; elles font venues , pour ainſi
dire, fans gradations ; & fi elles ſe ſoutiennent,
comme elles font actuellement , nous
n'aurons point eu de Printemps, &nous aurons
paffé preſque ſubitement du froid le
plus vif aux plus grandes chaleurs ; le thermometre
, depuis quelques jours, eſt monté
conſtanament à 21 , 22 & 23 degrés.
( 223 )
Le 8 de ce mois il s'eſt tenu aux Cordeliers
un Chapitre des Chevaliers de l'Ordre
de S. Michel, auquel a préſidé , au nom de
S. M. , le Vicomte de laRochefoucault. M.
Pourfin de Grand - champ , Secrétaire du
Roi , Chevalier de cet Ordre , nommé par
le Roi pour ſuppléer M. Collet , Chevalier
& Secrétaire de l'Ordre , a prononcé un difcours
, après lequel le Vicomte de la Roche
foucault a reçu Chevaliers MM. Montgolfier
, Desvaux de x S. Maurice & Pelé. Tous
les Chevaliers ſe ſont enſuite rendus procefſionnellement
en l'Egliſe du Couvent , &y
ont aſſiſté à la Meſſe ſolemnelle qui ſe célebre
tous les ans , le jour de l'apparition de
faint Michel.
L'enthouſiaſme qu'a excité la découverte
de MM. Montgolfier a été générale ; partout
on a répété ſon expérience avec plus ou
moins de fuccès, mais preſque toujours à la
fatisfaction des curieux. Nous n'avons pu ,
& nous n'avons pas dû parler de toutes ; elles
n'ont offertque les mêmes détails &les mêmes
réſultats. Celles qui ont été faites à Narbonne
dans le mois dernier , méritent d'être
diftinguées.
M. Figeac , Ingénieur des ponts & chauffées
du Languedoc , aidé de quelques collaborateurs
adroits , lança le 4 Avril un ballon ſphérique en
papier , fortifié en toile dans le haut & dans le
bas , & de 20 pieds de diametre. Cette machine ,
lancée avec ſuccès , tomba deux heures après à
Fonjoncouſe , à cinq grandes lieues au fud- oueſt
k4
( 224 )
,
de Narbonne. Cette expérience ayant fi bien
réufli , M. Figeac s'occupa d'un autre ballon
conſtruit comme le précédent , mais d'un plus
grand volume , puiſqu'il avoit 30 pieds de diametre.
Les fuſeaux , au nombre de vingt , étoient
garnis de rubans de fil dans leurs joints. Il fut
lancé le 28 Avril , à 2 heures 50 minutes après
midi , & s'éleva malgré divers accidens qui furvinrent
dans l'exécution de l'expérience , dont
l'un perça la machine d'une déchirure verticale
d'environ 18 pouces de longeur , au - deſſus de
ſon équateur. D'abord le globe ſe dirigea vers
l'oueft ; mais un vent contraire l'ayant repouffé ,
il revint un peu obliquement ſur lui - même ,
s'achemina par le fud-oneſt avec des variations
fucceffives , & fut perdu de vue dans l'atmosphere
, qui étoit alors fans nuages , après 55 minutes.
Le même ſoir à fix heures &demie , il defcendit
dans le terroir de Sorgues , au-delà d'Avignon
, c'est-à-dire , à 32 grandes lieues du point
de ſon départ ; ce qui eft prouvé par la lettre
ſuivante , qui a été adreſſée à l'un des Auteurs ,
dont le nom avoit été gravé ſur une plaque adhérente
au réchaud. - De Sorgues , à une lieue
d'Avignon , le 2) Avril. Me trouvant , Monfieur ,
occupé hier à travailler à une de mes terres ,
dans le terroir de ce lieu , j'apperçus ſur les fix
heures & demie da ſoir un globe qui voyageoit
dans l'air , & qui tomba tout enflammé dans une
vigne proche ma terre, ſur deux oliviers , où il
auroit mis le feu , ſi je n'y avois pas accouru. Le
globe futbrûlé totalement; j'en ai retiré le chau
dron , que jeremettrai à qui vous m'indiquerez
parvotre lettre , que je vous prie d'affranchir , fi
vous m'écrivez par la poſte. Mon adreſſe eſt à
Pierre Giry , ouvrier en laine , à Sorgues , par Avignon
.
( 225 )
Cettemachine eſt de toutes celles qui ont
été lancées , celle qui afait le plus de chemin.
La circonſtance de ſa chûte , en tombant
enflammée ſur un Olivier , auquel elle
auroit mis le feu , s'il n'y avoit eu quelqu'un
à portée de l'éteindre , eſt une nouvelle
preuve de la néceſlité du Réglement qui a
paru en dernier lieu , pour défendre les effets
de l'imprudence&de la curioſité, qui s'empreſſent
par-toat de multiplier les ballons ,
&pour ne pas permettre indifféremment à
tout le monde d'en fabriquer & d'en lancer.
Le fait ſuivant qu'on mande de Strasbourg ,
en fournit une autre.
>>>Le ſieur Adorne , Opticien & Phyficien Italien
, établi dans cette villes ayant conſtruit dans
la Citadelle un ballon ſelon la méthode Montgolfier
, s'éleva avec lui le 15 de ce mois , accompagné
d'un de ſes coopérateurs ; ils ne reſterent
que quatre minutes en l'air , & furent tomber
dans le magaſin des paliſſades , qui eſt ſitué entre
Ja citadelle & la ville. Le foyer du feu , attaché
au ballon , mit le feu aux paliſſades. Sur le champ
la générale ſe fit entendre , les troupes accoururent
, les pompiers arriverent ; on fut affez
heureux pour éteindre le feu , qui n'embraſa
qu'un ſeul tücher , graces au bon ordre & à la
promptitude des ſecours apportés par le Commandant
de la province. Les deux navigateurs
penſerent être étouffes ,& ſe ſauverent comme
ils purent. Si le vent avoit été à l'ouest , cet
accident pouvoit avoir les ſuites les plus facheuſes
, & caufer les plus grands dommages aux
magaſins du Roi » .
Les incendies ne ſont pas les ſeuls inconks
( 226 )
véniens àcraindre ; il eſt arrivé malheureuſement
des accidens plus funeſtes &plus terribles
encore , comme on en peut juger par la
lettre ſuivante de Bordeaux , en date du 8
de ce mois : nous ignorons ſi elle contient
des exagérations , & nous le defirerions.
« Le 3 de ce mois , on a voulu procéder , dans
le jardin public , à l'expérience d'un aéroſtat de
ſoixante pieds de diametre qui devoit enlever
trois hommes ; mais le vent s'étant élevé & devenu
un peu trop violent , on fut obligé de renvoyer
l'expérience à un autre jour. Auffi- tôt que
la populace vit deſcendre le pavillon , ſignal
indiquant que l'expérience n'auroit pas lieu , elle
s'ameuta , & la révolte fut ſi vive que deux hommes
furent tués , & pluſieurs autres bleſſés. Ce
furentquelques ouvriers mécontens d'avoir perdu
leur journée & de n'avoir rien vu , qui l'exciterent.
Ils détruiſirent d'abord la barraque où étoit
le bureau des billets d'entrée ; ils caſſerent les
vîtres de la maiſon à côté , & enfoncerent les
portes du jardin ; le guet àcheval qu'ils repoufferent
deux fois à coups de pierres , ne vint à
bout d'écarter les ſeditieux qu'après avoir barricadé
la porte qu'ils avoient enfoncée , & faifi
quelques mutins qui étoient entrés pour mettre
la machine en pieces. Onze de ces boute-feux
furent conduits en priſon; deux ont été pendus:
hier , deux autres ont été condamnés à ſuivre le
tombereau , & à affiſter à l'exécution , qui s'eſt
faite au devant de la premiere porte du jardin
public. Une foule prodigieuſe s'y eft portée ;
mais cette ſuite funeſte de l'émeute du 3 avoit
imprimé une telle terreur dans les eſprits , qu'au
moment où le premier criminel montoit ſur l'echaffaut
, la garde ayant fait demi-tour à droite
( 227 )
,
une peur panique s'empara du peuple ; il crut
qu'on alloit tirer ſur lui; des cris affreux ſe
firent entendre , & chacun prit la fuite. Dans
cette déroute , les uns perdirent leurs fouliers
les autres leurs boucles , preſque tous leurs chapeaux.
Une femme ayant voulu ramaffer une
boucle d'argent , ſe laiſſa tomber ; fa chûte
en entraîna bien d'autres ; par bonheur la foule
pritune autre route , & ceux qui riſquoient d'être
étouffés en furent quittes pour quelques meurtriſſures
» .
,
On écrit de Besançon que la nommée
Pierrette Pillot, Laitiere & nourrice , vient
d'y donner un exemple auſſi touchant que
rare de déſintéreſſement & de tendreſſe
pourun enfant étranger .
Elle avoit été chargée d'allaiter cet enfant ,
dont les parens la payerent mal , parce qu'ils ne
pouvoient faire autrement Le nourriſſon , après
avoir été ſevré , étoit retourné dans la maiſon
paternelle, dont les affaires ſe dérangerent de
plus en plus , & forcerent enfin le pere à diſparoître
, & à quitter ſa famille. La laitiere inftruite
de ce déſaſtre , & alarmée pour le fort de
fon nourriffon , courut à la ville, le trouva dans
l'état le plus déplorable , l'enleva auſſi-tôt dans
ſes bras , & l'emporta dans ſa chaumiere , où depuis
ce tems elle & fon mari partagent leur fortune,
ou plutôt leur ſubſiſtance , avec cet enfant.
A ce trait nous joindrons celui- ci , qui
mérite d'être cité , & que l'on nous mande
de Marſeille.
>>>La Loge des Francs Maçons de cette ville
voulant célébrer la paix d'une maniere conforme
auxfentimens de chacun de ſes membres , réfoluc
d'employer à des actes de bienfaiſance les fommes
k 6
( 228 )
que l'uſage ordinaire eſt d'employer à des fêtes
particulieres. Ils arrêterent de marier une fille
fur chaque paroiffe de la ville , ce qui devoit
former cinq mariages ; de donner à chacune
300 liv. de dot , une gratification pour la noce ,
&une addition pour les frais ; pour prévenir l'inconvénient
& l'abus des ſollicitations , qui auroient
pu influer fur le choix des filles , il fut
décidé qu'on prieroit les Curés de choiſir euxmêmes
les ſujets , & de donner la préférence aux
filles qui ont eu des parens tués dans la derniere
guerre. Les cinq mariages ont été célébrés ; les
Curés qui les ont bénis , les Notaires qui ont
paffé les contrats , ſe ſont empreffés de contribuer
à cet acte de bienfaiſance , en renonçant à
leurs droits Trois des mariés ont employé la
dot à ſe faire un état , que la modicité de leurs
moyens ne leur permettoit pas de ſe procurer.
Le trait ſuivant , qu'on mande de Marceillan
, dans le Bas-Languedoc , trouve naturellement
ſa place à la ſuite de ceux-ci ; ſi
fa dare n'eſt pas récente , il n'en eſt pas
moins intéreſſant : il eſt ſur-tout peu connu ,
&mérite de l'être .
Le 25 Avril 1752 , à une heure après midi ,
trois marelors de cette petite ville traverſoient
l'étang de Thau dans ure nacelle ; à un quart
de lieue da rivage , ils furent accueillis d'un coup
de vent terrible qui dura pluſieurs heures. La
nacelle chavire, les trois matelors luttent contre
les flots; ils s'accrochent à cette petite barque ,
mais la violence des vagumeess les ſubmerge &leur
fait lâcher prife ; ils nagent & raccrochent la
nacelle ; ils font de nouveau ſubmergés ; ils ſe
relevent : & ce travail pénible dura plus de deux
heures , fans qu'il arriva le moindre fecourse
( 229 )
L'un d'eux ne pouvant plus réſiſter , ſe laiſſa
aller de foibleffe , & ſe mit à côté de ſes camarades
; les deux autres ſoutiennent encore cette
fatigue pendant près de deux rouvelles heures.
Un fecond eſt au moment de périr lorſqu'un bateau
qui paſſe , témoin de ce malheur , s'avance
pour les fecourir tous deux . Il arrive ſur un matelot;
celui- ci ſe ſentant encore un peu de force ,
&vojant ſon compagnon prêt à fuccomber ,
s'écrie : Allez vite à mon camarade qui ſe noie ,
& vous viendrez enſuite à moi . On vola en effet
à ce marin ; on le tira de l'eau dans l'inſtant qu'il
alloit plonger : on le ſauva ; & on revient enfuiteau
premier , qu'on a également eu le bonheur
de ſauver. Il ne périt aucun des deux derniers .
L'auteur de cette action héroïque ſe nomme
Sargues; il vit encore , & il lui reſte , de cette
funeſte journée , des douleurs dans tout le corps.
On lit dans un papier étranger,un moyen
pour préſerver les plantes des jardins potagers
des chenilles & des autres inſectes ; voici
le tems de l'employer , s'il eſt efficace , & fi
la rigueur de l'hiver dernier n'en a pas détruit
les oeufs; l'eſſai après tout en eſt facile.
Il ne s'agit que de femer du chanvre ſur toutes
les bordures du terrein où l'on veut planter
des légumes. Quoique tout le voifinage
puiſſe être infeſté de chenilles , l'eſpace renfermé
par le chanvre , en fera parfaitement
garanti , aucune vermine n'en approchera ;
ce qui vient ou de l'averſion des chenilles
pour cette plante , ou , ce qui eft plus vraiſemblable,
de ce que les oiſeaux , qui en font
ſi friands, en ſe jettant ſur le chanvre , détruiſent
en même tems les chenilles , qui ſervent
auffi à leur pâture.
( 230 )
L'Académie Royale de Chirurgie a tenu le
Jeudi 22 Avril 1784 ſa ſéance publique. Le prix
ſur la queſtion ſuivante : Déterminer les différentes
constructions des ſtylets ou fondes folides , & des
Sondes canelées ; quels font les cas où elles doivent
être admiſes ſuivant leur formes particulieres , &
qu'elle est la méthode d'en faire usage , a été adjugé
à un mémoire n. 7 , dont l'auteur eſt м-
Teffier , Eleve en Chirurgie de l'Ecole- pratique.
&des Hôpitaux de Paris , Docteur en médecine
de la Faculté de Caen. Dans l'intention de favorifer
les concurrens aux prix propoſés ſur la
matiere inſtrumentale , l'Académie a jugé à propos
de publier cette diſſertation ( 1) L'Acceffit
a été accordé à un mémoire de M. Icart , Lieutenant
du premier Chirurgien du Roi à Caftres.
-Le prix de l'émulation a été obtenu parM.
Bonnet , Chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu , à
Clermont en Auvergne. Les cinq petites médailles
ont été accordées à MM. Thomaffin , Chirurgien-
major du premier régiment de Chaſſeurs
(1) On trouve cette Differtation chez M. Lambert ,
Imprimeur - Libraire , rue de la Harpe , près S. Côme.
Nous nous empreſſerons de joindre iei l'annonce d'un
ouvrage intéreſſant pour tous les amateurs de la poéfie
ita'ienne qui vient de fortir de ſes preſſes . C'eſt le Recueil
complet des plus beaux morceaux de poéfies italiennes
lyriques , érotiques & fugitives , avec des remarques
critiques ſur le génie de la poéſie italienne , par
M. Baffi , membre de pluſieurs Académies. Ce Recueil
neuf & piquant manquoit encore , & l'exécution ne
laiſſe rien àdefirer , tant pour le choix des ouvrages que
par lamaniere dont l'édition eſt ſoignée. Les 2 premiers
volumes paroiſſent ; leur prix in - 8 ° , grand format , eft
de 12 liv. brochés ; in 4º, grand papier d'Angoulême , 30
liv.; in-4º, papier d'Hollande , 48 liv . On n'exige aucune
avance des Soufcripteurs ; ils doivent ſeulement ſe faire infcrire
chez M. Lambert pour prendre les volumes à meſure
qu'ils paroîtront ; ils doivent remplir cette formalité pour
les volumes ſuivans,
(231 )
acheval ; Rigal , Chirurgien en chefde l'Hôtel-
Dieu à Gaillac ; Mortreuil , Chirurgien à Darnezal
, près Rouen ; Enjourbault , Maître en chirurgie
à Avranches , & Coffinieres , Maître en chirur
gie à Castelnaudari .-Après la diſtribution des
prix& l'annonce d'un nouveau fondé par M. de-
Vermont , Conſeiller d'état & accoucheur de la
Reine , qui conſiſtera en une médaille d'or de 300
liv. pour le meilleur mémoire ſur les obſervations
les plus utiles au progrès de l'art des accouchemens
, envoyé dans le courant de l'année ,
M. Louis , Secrétaire perpétuel , a prononcé l'éloge
de Mr Houſtet.-M. Pallerau a lu l'expoſition
anatomique des parties à la ſuite d'un
anevriſme de l'artere poplitée opéré avec ſuccès
par la ligature ; M. Lou's a fait la lecture d'un
mémoire ſur les corps étrangers , portés par la
déglutition dans les voies alimentaires ; M. L'He
ritier a lu une obſervation ſur les accidens confécutifs
d'une plaie tranſverſale à la trachée-artere ,
& M. Louis a terminé la ſéance par l'éloge de
M. de la Martini re , premier Chirurgien du Roi ,
&Préſident perpétuel de l'Académie Royale de
Chirurgie.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 7,11,87 ,
20 , & 8 .
DE BRUXELLES , le 25 Mai.
Les demandes faites aux Hollandois , au
nom de l'Empereur, par le Gouvernementgénéral
des Pays Bas , fait beaucoup de fenfation
dans les Provinces-Unies. On peut en
juger par les obfervations ſuivantes qui fe
liſent dans tous les papiers publics de ce
pays.
( 232 )
Perſonne n'ignore que lors du ſoulevement
contre les Eſpagnols , qui donna naiſſance à cette
République , les 17 Provinces des Pays-bas formerent
une confédératipn générale. Cette confédération
conſacrée par la pacification deGand ,
ayant depuis perdu des Membres par la défectiondes
Provinces Wallonnes , & par le progrès
ultérieur des armées eſpagnoles , il s'en forma
une autre à Utrecht , ſous le nom d'union , qui
eſt encore le fondement de la République belgique.
Non - ſeulement les 7 Provinces qui la
compoſent actuellement , mais encore une partie
conſidérable du Brabant & de la Flandre entrerent
dans cette ſeconde confédération. Philippe
II fut abjuré en 1581 , & Anvers ne revint ſous
l'ancienne domination qu'en 1585. Les Etats-
Généraux des Pays -bas ſe trouverent alors à -peuprès
en poffeffion de ce qu'ils conſervent encore
aujourd'hui. Leurs droits furent reconnus proviſionnellement
à la trêve d'Anvers en 1609 ,
& enfin confirmés formellement à la paix de
Munster en 16.48 . Cette derniere paix fut même
conclue entre l'Eſpagne & les Etats avec tant
bonne- foi de la part de la République , qu'elle
a mis le plus grand intérêt à conſerver les Paysbas
à l'Auguſte Maiſon d'Autriche . On peut
même ajouter que toutes les guerres dans lef
quelles elle s'eſt engagée depuis contre la France ,
ont eu pour cauſe unique ou principale la conſervation
des Pays - bas Autrichiens. Le parti
républicain , non content d'avoir fait échouer
l'exécution du partage fait avec la France en
1636 , ainſi que la réuſſite du ſiege d'Anvers
en 1647 , abandonna formellement pour l'intérêt
des mêmes Pays-bas , la France , ancienne &
fidele Protectrice de la République. La triplealliance
fut formée en 1666 pour arrêter les pro(
233 )
grès de Louis XIV dans les Pays-Bas ; ce qui
donna Keu à la guerre de 1672 , qui mit la République
à deux doigts de ſa perte. On ne peut
conteſter non plus que ce fut également pour
conſerver le même pays à l'Auguſte Maiſon d'Autriche
, que la République s'engagea dans la
guerre ſi longue & fi ruineuſe de la ſucceſſion.
On fait avec quel défintéreſſement elle refuſa
les occafions de les réunir ſous ſa domination ,
notamment aux conférences de Gertruidenberg.
Les Hollandois ne s'engagerent également dans
la guerre terminée par la paix d'Aix-la-Chapelle
, que pour les intérêts de la Maiſon d'Autriche.
Celle- ci mettoit tant de prix à l'amitié
de la République , qu'elle ne ſe croyoit en fûreté
dans les Pays-bas qu'au moyen des garnifons,
toutes entretenues par la République. Les
Hollandois ne pouvoient pas même retirer les
ſommes qui avoient été aſſignées pour les indeme
niſer de cette charge onéreuse.
Les Etats-Généraux prirent, le 7 de ce
mois , une réſolution tendante à pourvoir
de toutes les chofes dont elles pouvoient
avoir beſoin , les places les plus expoſées de
la Flandre& du Brabant.
: Le Stadhouder , en qualité de Capit. Gn. , a ex
pédié , en conféquence des ordres au régiment de
cavalerie du Gén. Hoop , en garniſon à Nimegue
& à Arsheim , à la Compagnie d' Artilleurs
duGénéralMajor Martfeld ,& au régiment ſuiſſe
duGénéral-Major Mayren , en garniton à Breda ,
pour ſe rendre fur-le-champ à Maſtricht , & on
renforcer la garniſon ; les régimens de Noſtitz
& de Munſter ont reçu celui de ſe rendre l'un
au Sas de Gand , & l'autre à Hultz ; celui de
Holſtein Gottorff , & celui de Bentinck Ma
( 234 )
riniers , iront à Berg-Op- Zoom , où ils tien
dront garniſon juſqu'à nouvel ordre. Le premier
bataillon du régiment d'Orange-Naſſau , le régiment
du Prince héréditaire , celui du Comte
de Byland , iront auſſi dans la même ville , où
ils attendront des ordres pour leur deſtination
ultérieure . Les ſeconds bataillons des Gardes
Hollandoiſes à pied , & des Gardes Suiſſes , iront
remplacer à Breda les troupes qui en ſont parties
pour Maſtricht.
A ces ordres le Stadhouder en a joint
d'autres, qui enjoignent aux Gouverneurs ,
Commandans & grands Majors des places
& frontieres , tant en Brabant qu'en Flandres
, de ſe rendre au plutôt à leurs poftes ,&
à tous les Capitaines & Officiers ſubalternes
abfens par congé , de rejoindre leurs corps
reſpectifs .
Ces mouvemens , lit - on dans des lettres de
la Haye , annoncent les ſentimens qui agitent
généralement les eſprits. L'Envoyé extraordinaire
de la Cour de Vienne , ayant appris les ordres
qui avoient été donnés , ſe rendit le 9 chez le
Conſeiller Penſionnaire de Hollande; il lui témoigna
combien il étoit ſurpris de ces mouvemens
, après qu'il avoit déclaré pluſieurs fois ,
cemme il le faisoit encore , que l'intention de
l'Empereur n'avoit jamais été d'attaquer hoftilement
cette République ; mais que S. M. I. n'étoit
pas moins en droit de faire valoir auprés de
L. H. P. les prétentions qu'elle regardoit comme
légitimes ; prétentions que les Etats Généraux
pouvoient examiner à l'amiable de leur côté
&diſcuter enſuite dansles conférences qui ſe tiennent
à Bruxelles. Le bruit s'étoit répandu qu'après
Cette viſite , il avoit été donné un contr'ordre
د
( 235 )
pour le rappel des troupes ; mais il ne s'eſt pas
foutenu, & les bataillonsdes Gardes Hollandoiſes
& Suiſſes ſont partis le 14 de ce mois pour
Breda.
Les Etats de Hollande & de West Friſe
ont pris , le 12 de ce mois , une réfolution
ſur la communication faite par MM. les
Députés de la ville de Dort , que le Feld-
Maréchal , Duc de Brunswick , auroit interrompu
S. A. comme Capitaine - Général ,
dans ſes diſpoſitions pour donner des ordres
précis& louables qui auroient pu tendre à
aſſurer contre toute aggreffion, ils ont nommé
en conféquence une commiffion pour
faire auprès du Stadhouder des recherches
ſur cet objet important. Cette députation
s'eſt rendue le 14 chez ce Prince.
Des lettres d'Allemagne ſemblent annoncer
que l'election du ſucceſſeur du prince , Evêque
de Liege ſera moins retardée qu'on ne l'avoit
d'abord auguré ; on aſſure que l'Electeur de
Cologne ne ſe met point au nombre des prétendans
; mais on infinue qu'on ne ſereit pas
étonné dans le cas où l'on éliroit quelqu'un qui
fut dans les intérêts de ce Prince , fi le nouveau
Prince lui tranſmettoit ſes droits . Un
papier étranger porte à 200,000 le nombre des
habitans de la principauté , & le revenu à 800,,
ooo liv. Les voyageurs ont depuis long - temps
nommé ce pays l'enfer des femmes , parce que
dans la claſſe du peuple , ce ſont elles qui font
chargées des travaux les plus pénibles , le pur.
gatoire des hommes parce qu'ils font en général
gouvernés par leurs femmes , & le Paradis
des Moines à cauſe des riches bénéfices.
( 236 )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL.
M. Dundasa , dit - on , eu déjà l'adreſſe de
de ſe faire nommer Secréteire d'Etat à la place
du Lord Sidney; peut- être n'en fera-t- il pas
les fonctions avant trois ſemaines ; mais la choſe
eft abſolument décidée. Cedépartement met ſous
ſon autorité toutes les poſſeſſions angloiſes , &
par conséquent celles de l'Eſt , qu'il convoitoit
depuis long-tems. Ainfi , au moyen de cette nouvelle
place & d'une autre de 4000 liv. ſterlings
dont il jouiſſoit déjà ; il faut croire que l'ambition
de M. Dundas peut être fatisfaite pour le
moment préſent.
Il a été créé tant de Pairs , & il s'en crée journellement
un ſi grand nombre , que pour peu
que cela dure , la Chambre de Communes ne
pourra plus porter ce nom , & qu'il faudra l'appeller
la Chambre des Pairs.
Un Ecrivain politique dit qu'il étoit plus honorable
autrefois d'être Membre du Parlement ,
qu'il ne l'eſt aujourd'hui ; mais il avoue auſſi que
cela eſt plus profitable. Y a-t-il un homme qui
achette ſans avoir au moins une diſpoſition prochaine
de vendre ? & comment les marchands
de places du Parlement peuvent-ils s'indemnifer
de leurs frais ſans trahir leurs conſtituans? On
ſe rappelle la réponſe d'un digne membre du
Parlement aux inſtructions que lui avoient envoyées
ceux qu'il repréſentoit : Allez - vousen
au diable , avec vos inſtructions , je vous ai
achetés , & pardieu je vous vendrai.
La fureur des partis étouffe la voix de la raiſon,
ſans cela le peuple n'auroit pas confondu
des chotes auſſi différeenntteess que les Ministres &
les domestiques du Roi. Les premiers appartiennent
au public , les autres ne dépendent que du
choix de S. M. Le Parlement , ſous Edouard I ,
prétendit au droit de choiſir le Chancelier , le
( 237 )
1
chef deJuſtice , & les autres grands Officiers de
l'Etat . Le Roi répondit : pourquoi ne me demandez-
vous pas ma Couronne ? Vous choiſiſſez
vos propres domeſtiques , & vous voulez m'ôter
le choix des miens ! Le Parlement ne repliqua
pas , & l'affaire en reſta là. L'honnête Fletcher
obſerve que quand un particulier privé obtient
un avantage en trahiffant la confiance dont on
l'a honoré ; il n'y a qu'une ou peu de perſonnes
qui en ſouffrent : fi un Juge eſt corrompu ,l'oppreſſion
s'étend à un plus grand nombre. Mais
quand les Légiflateurs le font , alors toute la
Nation en éprouve les effets.
Le Docteur Wilſon , qui eſt mort il y a peu
de tems , a laiſſé par ſon teſtament 18,0001 . ft.
pour dix-huit jeunes femmes qu'il défigne : on
raconte qu'une veuve riche & âgée , qui étoit
bien avec lui , allant le voir , & inſtruite de
cette partie de ſon teſtament , lui dit qu'il lui
auroit été facile de mettre 20,000 livres au lieu
de 18,000 liv. , & de comprendre ſes deux nieces
. Madame , lui répondit le Docteur , je
n'entends rien laiſſer à de jeunes femmes qui ont
de riches tantes .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
Cause entre lefieur de Lalouste , Ecuyer , Docteur-
Régent de la Faculté de Médecine de Paris ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , la Dame de La-
Louete fon épouse, & le ſieur Taitbout de Marigny,
Corful de France en Morée , leur gendre.-
Question d'interprétation de l'article 283 de la
Coutume de Paris , fur la validité des donations
faites par l'un des conjointsfans enfans , au profit
des enfans de l'autre conjoint .
L'Arrët rendu ſur cette queſtion les Avril
dernier , ſera mémorable par la révolution qu'il
operedans notre Jurisprudence ; il interprête un
article de la Coutume qui intéreſſe l'ordre des
( 238 )
fucceffions; il en détermine le véritable ſens;
mal-entendu preſque depuis la réformation de
la Coutume juſqu'à nos jours ,& ſemble devoir
fixer invariablement l'opinion des Juriſconſultes
ſur les avantages faits par l'un des conjoints ,
aux enfans du premier lit de l'autre.- On étoit
perſuadé depuis près de 200 ans , au Palais , que
ces avantages étoient permis quand le donateur
n'avoit pas d'enfans . Cette opinion étoit fondée
fur deux Arrêts célebres qu'on qualifioit d'Arrêts
de réglement , l'un du 4Juillet 1587 , par lequel
la Cour , interprétant & déclarant l'article 283
de la Coutume , avoit jugé ces donations valables
, & ordonné que l'Arrêt ſeroit lu & publié
au Châtelet ; l'autre du 6 Avril 1610 , rendu en
robes rouges , confultis claſſibus , lors duquel
M. le Préſident déclara que la Cour , après avoir
fait apporter ſur le Bureau tous les Arrêts rendus
avant & depuis la réformation de la Coutume ,
même celui de 1587 , en jugeant valable la donation
dont il s'agiſſoit , avoit jugé la queſtion
générale de maniere à ne laiſſer aucun doute.-
L'autorité de ces Arrêts en avoit tellement impoſé
, que ceux qui étoient les plus portés à croirequeces
donations auroient dû être déclarées
nulles , convenoient néanmoins qu'elles étoient
valables dans la Coutume de Paris ; & preſque
tout le Barreau regardoit cette opinion comme
un principe conſtant & incontestable ! c'étoit donc
une entrepriſe , au moins téméraire , que d'oſer
la combattre. Aufſi cette Cauſe , toute favorable
qu'elle eſt par les faits , a t-elle été regardée
comme infoutenable par pluſieurs Juriſconſultes
d'une réputation décidée. M. Sabarot s'eſt
chargé d'approfondirde nouveau ce point dedroit;
il a ofé s'élever contre le torrent de l'opinion générale.
Dans une Conſultation ſavante , qui paroît
moins l'ouvrage d'un jeune débutant que celui
( 239 )
d'un Jurifconfulte consommé , il a prouvé , avec
autant de préciſion que de ſolidité , que l'article
283 de la Coutume de Paris avoit été mal entendu
juſqu'à préient , & que les donations des
conjoints aux enfans l'un del'autre étoient abſolument
prohibées par cet article. Il eſt heureux
pour ce jeune Athlete qu'un début auſſi hardi ait
été pour lui la matiere d'un triomphe éclatant.
Ses moyens préſentés à l'audience par M. de
Bonnieres ,déjà fi connu par ſon élocution faci e
& rapide , ont été adoptés par l'Arrêt .-Voici
les circonstances de la Cauſe. - Le ſieur Taitbout
de Marigny, Conſul général de France en
Morée , reſté veuf avec deux enfans au berceau ,
épouſa en ſecondes noces la Demoiselle de Lalouette
, filledu ſieur de Lalouette , Médecin de
la Faculté de Paris , & de la Demoiselle Ledran,
ſon épouſe. Par le contrat de mariage du 29 Décembre
1766 , les pere & mere lui conſtituent en
dotune ſomme de 62500 livres , pour les intérês
de laquelle ils s'obligent de lui payer une rente
annuelle & perpétuelle de 2500 livres ; l'ayeul &
le grand-oncle maternel de la Dlle y ajoutent ,
l'un 10000 1 ,, l'autre 3000 l . , ce qui forme une
dot de 75500 liv. Lecontrat de mariage contenoit
une mise en communauté de 15000 1. de la
part de chacun des conjoints , avec ſtipulation
qu'en cas de mortde la future ſans enfans , le futur
demeureroit propriétaire de l'univerſalité de
la communauté , ſans être tenu de faire inventaire
,& fur la mise en communauté retiendroit
8000 pour l'indemniter des frais de noces. -
De ce mariage font nés quatre enfans, dont aucun .
n'a vécu. Le 10 Juillet 1777 la Dame Taitbout
de Marigny , fur le point de partir pour accompagner
fon mari à Alexandrie en Egypte , où le
Roi venoit de le nommer Conful , fit ſon teſtament
olographe,par lequelelle légue à fon beau(
240 )
fls 25000 liv. , & à fa belle-fille l'univerſalitédu
furplus de ſes biens , ſubſtituant ſes beaux-enfans
l'un à l'autre , & inſtituant , en tant que de befoin,
le furvivant des deux ſon légataire univerſel,
pour n'avoir leſdites diſpofitions lieu qu'en
cas de décès d'elle ſans enfans , ou deſdits enfans
enminorité , ſans poſtérit-é. Par une clauſe
ſubſéquente , la teſtatrice veut , qu'en cas qu'elle
vienne à décéder avant ſon pere , il jouitſe , ſa
vie durant , de 2000 liv. de rente , à prendre ſur
celle qui lui avoit été conſtituée en dot , & que
le ſurplus de lad. rente&de ſes autres biens ſoit
partagé annuellement & par moitié entre ſes
beaux-enfans juſqu'au décès de ſon pere , après
lequel les premieres diſpoſitions de ſon teſtament
auront leur entier effet-. La Dame Taitbout
eſt morte à Tripoly en Syrie le 3 Août 1780.
Les ſieur & Dame de Lalouette n'ont connu le
teſtament qu'en apprenant le décès de leur fille.
Le ſieur Taitbout de retour en France en 1782 , a
formé ſa demande en délivrance des legs portés
au teftament , au nom & comme tuteur de ſes
enfans mineurs. Les pere & mere de la Dame
Taitbout ont conteſté l'exécution du teſtament ;
uneSentence par défaut du 26 Août 1783 a ordonné
ladite exécution , & prononcé la délivrance
des legs. Les Sr & Dame de Lalouette en ont interjetté
appel. L'Arrêt , après un délibéré
ſur le champ , rendu les Avril 1784 , a mis
l'appellation & ce au néant ; émandant , a déclaré
nuls les legs univerſels& particuliers portés
au teſtament de la Dame Taitboutde Marigny,
auprofit des enfans du premier lit de ſon mari ,
envoyéles Sr & Dame de Lalouette en poffeffion
de la fucceffion mobiliaire de leur fille , dont le
mari ſera tenu de compter , & de reſtituer ce qui
peut être entre ſes mains ,& condamné le ſieur
Taitbout aux dépens.
4
MERCURE
ةم
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Déconvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles ,
les Cauſes célebres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Edits, Arrêts; lesAvis
particuliers , &c. &c.
に
SAMEDIS JUIN 1784
I
i
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation && Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Mai 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
Madr gal,
Quatrain ,
Eroge des Brunes ,
APauline,
Romance ,
3
des Tribunaux ,
Sermons JuraAumône,
8
18
4Fragment de Xénophon , 19
ib. Etrennes Lyriques , 55
49 Cécilia, Troisième Extrait, 102
so Doutes fur differentes Opt-
LeRoi,fon Fils&l'Esclave ,
nions , 120
Fable , $2 Etrennes du Parnaſſe , 124
Epitrefur l'Ambition , 97 Galarée, 151
Couplets àMile Warefcot, 99
Histoire Naturelle des Oi-
AMadame de Meulan , 145
Seaux , 209
AM. Pujos,
146 Nécrologie, 68
AMadame *** ib. SPECTACLE
Regretsd'uneMère, 147 Concert Spirituel , 21 , 220
Epure au Prince Ferdinand Acad. Roy. deMusique , 23 ,
d'Autriche , 193 73 , 131 , 171
La Fausse Rivalité , Anec Comédie Françoise , 33 , 78,
dote, 196
179
Charades , Enigmes & Logo-Comédie Italienne , 36, 182 ,
gryphes , 6 , 54 , 101 , 149 ,
208 Variétés ,
200
39.2:5
NOUVELLES LITTÉR . Annonces &Notices , 40 , 94 ,
136 , 185,257
Effaisfur l'Histoire Générale
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDIS JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à M.
Nous
**
ous voici , cher M *** , dans des tranfes
cruelles,
Je frémis d'y penſer ; nous allons déſormais
Reſſentir les dégoûts, les langueurs de la paix,
Et nousfommes réduits à vivre fans nouveles.
Onvoitdans tous les ports déſarmer les vaiſſcaux ,
Le commerce reprend ſa bénigne influence ;
L'heureux Américain , fier de l'indépendance ,
Aſe donner des Loix conſacre ſon repos;
Bouillé cède aux Anglois ſa plus belle conquête;
Ade haſards plus doux la Fayette s'apprête ,
Rochambeau , Saint-Simon,Viomefuil , Baffy ,
Le ſavant Chatellux , du Portail & Fleury ,
Dès long temsd'Yorck-Townont quittéles murailles,
Et ces Chefs renommés paroiffent à Verſailles.
Aij
4. MERCURE
Hood , Lord Howe & Rodney , ſi ſouvent envies,
De leurs concitoyens vivent preſqu'oubliés ;
Franklin , dont les ſuccès ont couronné l'ouvrage ,
Voit à ſes grands talens l'Europe rendre hommage ;
L'immortel Wafington , rendu dans ſes foyers ,
Aux champs qu'il a ſauvés voit croître ſes lauriers.
Tant de fois couronné des mains de la Victoire ,
Suffren, près de fon Roi , vient jouir de fa gloire,
DANS ce calme , où chercher un remède à l'ennui ?
Dans nos nombreux Papiers que trouver aujourd'hui ?
Leur longueur triſtement ſe borne à nous apprendre
Que Catane a péri, que Meſſine eſt en cendre ,
Qu'on voit renouveler les fureurs de l'Ethra ,
Que l'a'r eft obfcurci des vapeurs de l'Hécla ,
Qu'une Ifle fort des eaux par les feux dévorée ,
Que Bizance à la pefte eſt ſans ceſſe livrée ,
Que la grêle détruit l'eſpoir de nos moiſſons ,
Que des torrens affreux ravagent nos vallons ,
Quela flamme déſole ou nos bourgs ou nos villes ;
Enfin , pour achever ſes articles ſtériles ,
Le Courier de l'Europe oſe nous raconter
Qu'à Londres on veut prouver qu'àpréſent ſans obf.
tacle
Avolonté ſous l'eau nous pouvons habiter ,
Tandis que tout Paris voit un autre ſpectacle.
Un Dédale nouveau part &monte à ſon gré,
Fait fans riſque dans l'air une courſe rapide ,
Y fuit avec ſon char un chemin ignoré,
DE
5
FRANCE.
Reparoît & détruit le préjugé timide.
Jugeant qu'on ne croit guère à ces beaux rêves-là ,
Le Gazetier recourt à Francfort , à Cologne ,
Aux débats éternels des Diètes de Pologue ,
Et nous inftruit des deuils & des Cours en gala.
Ou SONT ces temps heureux où l'Europe alarmée
Vous mettoit en commerce avec la Renommée ?
Pour publier au loin les plus rares exploits ,
Cette agile Déeffe empruntoit votre voix ;
On voyoit fur vos pas même les élégantes ,
Lorſqu'ouvrant les billets du ſage d'Ar .... ,
Vous répandiez le bruit des conquêtes brillantes
D'Hayder-Kan , de Crillon , Galvès & Cordova .
Vous échappiez à peine à la gloire importune ,
Et votre gloire enfin nous devenoit commune .
Auprès de vous grouppés , marchans, à l'ombre affis,
Nous artitions fur nous les regards de Paris .
Que les temps fontchangés! quelle eſt notre exiſtence!
Nousgémi ſons en vain de notre oiſiveté ,
Nous rentrons à jamais dans notre obſcurité ,
Et la paix nous ravit toute notre importance.
Quand l'injufte fortune acharnée envers nous ,
D'un revers accablant nous fait fentir les coups ,
Il nous importe bien qu'avec ſon miniſtère
Louis ſoit occupé des deſtins de la terre ,
Que ſes bienfaits verfés en mille endroits divers ,
Éterniſent ſon nom cher à tout l'Univers ;
De ſes heureux Sujets que la reconnoiffance
Anj
6 MERCURE
Soit le plus beau tribut qui flatte ſa puiſſance.
Son Royaume à ſes ſoins doit ſa proſpérité,
Cela nous ſauve-t'il de notre nullité?
Pouvons- nous échapper à cette indifférence
Que le Public ingrat marque à notre exiſtence ?
Pour obtenir encor part à ſon entretien ,
Coarons voir le ſoteil ſur le Méridien ,
Au jardin donner l'heure , agacer S *** ;
Après l'habit d'été montrer l'habit d'automne ,
Annoncer fi le temps eſt chaud, froid , laid ou beau ,
.... Combiner au café les dez d'un domino
Mais déjà l'on entend la Diſcorde fatale ,
S'élançant à grands cris de la voûte infernale,
Donner dans l'Orient le ſignal des combats,
EtBellone en fureur va marcher ſur ſes pas.
Quel plaifir , cher M***, cet eſpoir nous inſpire!
Quel ſpectacle frappant! la chute d'un Empire ,
Desfiéges, des afſauts , quels grands événemens
Vont ſervir de matière à nos amuſemens ?
Sur les bords da Danube , aux champs de la Crimée,
On ne verra bientôt que ſang & que fumée.
Etle Nord ébranlé va choquer le Midi ;
Achmet dans ſon Serail de frayeur eſt ſaiſi .
Trop vaine illuſion ! aux rives du Boſphore
Louis prend ſa défenſe & négocie encore.
Ah ! que deviendrons-nous , fi ce Roi tout-puiſſant
Pacifie à ſon tour 1 Empire du Croiſſant ?
(Par une Société de Nouvelliftes. )
DE FRANCE. 7
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade et Baldaquin ;
celui de l'Enigme eſt Chateau; celui du Logogryphe
eſt Pair, dont , en otant le p,
refte air.
LORSQUE
CHARADE.
ORSQUE l'Hymen , en caprices fécond ,
Joint l'épouſe méchante àl'époux trop bonhomme ;
La femme eſt mon premier , le mari mon ſecond ;
Mon tout dans vos vergers eſt moins gros qu'une
pomme.
MON
(ParM. le Marquis de Fulvy. )
ÉNIGME.
ON nom doit t'être fort connu.
Vois,cherche un peu dans ta cervelle ;
Jecontiens quand je ſuis femelle ;
Mais mâle , je ſuis contena.
(Par M. Sam... )
Aiv
8 MERCURE
LOGOGRYPΗΕ.
LECETCTEEUURR,, tu la connois; elle eſt grande, elle eft
belle,
Elle eut beaucoup d'éclat aux jours de fon printemps ;
Et , quoiqu'elle ſoit vieille , on fait que ſes amans ,
Toujours plus empreſſes , voudroient régner fur elle.
Dans fes quatorze pieds tout Amateur verva
Le fruit cher & tardifdes amours de Sara ;
Une fête charmante où l'Hymen nous raſſemble ,
Où Plutus & l'Amour vent rarement enſemble;
D'un jeune infortuné le frère criminel ;
D'un Poëte fublime un Ouvrage immortel;
Un grand Saint qui toujours dechafteté fit preuve
Dont la vertu pourtant fatmife àrude épreuve;
Un corps de Citoyens , qui dans Kome autrefois
Fut le ſoutien du peuple &l'ennemi des Rois; -
Un nom chez nous célèbre; un fleuve, ce grand
Homme ,
Qui d'un joug odieux voulut préſerver Rome,
Et dans l'adverſité , plus grand que ſon vainqueur ,
S'eſt acquis , en mourant, un immortel honneur ;
Un Empereur fameux par fa bonté propice ;
L'Écrit du Citoyen qui demande juſtice ;
De l'art des Vignerons le célèbre inventeur ;
D'un peuple aimable & gai l'heureux Législateur ;
Cet Anglois vertueux ,qui fut dans l'Amérique
DE 9 FRANCE .
Fixer par ſes bienfaits ſa ſecte pacifique ;
Des plaiſirs les plus doux , ce fortuné féjour
D'où l'Hymen trop ſouvent chaſſa le tendre Amour ;
Une plaine fatale aux vainqueurs de la terre ;
L'amant trop curieux d'une beauté trop fière ;
Ce prodige d'efprit , de grâces , de beauté ,
Que fon fiècle admira , que Voltaire a chanté;
Ce que j'ai vu ſouvent ſur le ſein de Thémite.
Je ne finirois pas fije voulois tout dire.
(Par M. Louvet. )
/
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECUEIL de quelques Ouvrages de
M. Watelet , de l'Académie Françoise &
de celle de Peinture A Paris , chez Pranit ,
Imprimeur du Roi , Quai des Auguftins ,
1784. in 8 ° .
LES Ouvrages qui compofent ce Recueil
font principalement dans le genre anacréontique
; la grâce & la delicateſſe en font le
premier mérite ; on y trouve par- tout e
molle atque facetum, qu'Horace attribue à
Virgile dans ſes Églogues ; & on peut dire
de la plupart des détails :
Componitfurtim ſubſequiturque decor.
Sylvie , petit Roman Pastoral , eſt tirée de
A
1
10 MERCURE
l'Aminte du Talle , & on en a tiré un Opéra
qui a reuſſi. La modeftie a ſans doute dicté
le jugement un peu ſevère que M. Warelet
porre fur laproſe poétique qu'il a employee
dans cet Ouvrage , & qui , felon lui , a prefque
toujours l'inconvénient de faire regretter
la poélie , fans en dedomraager par les ornemens
dont on cherche à parer la proſe. Télémaque
& le Poëme d'Abel , cités par M.
Watelet, demandent grâce pour ce genre ;
on en peut dire autant de la Traduction de
Milton& de celle de quelques autres Poëtes.
Le Temple de Gnide, bien plus rapproché
du genre de Sylvie , forme un titre bien
puiffant en faveur de la proſe poétique. On
ne peut pas dire de ce charmant petit Poëme
en proſe , qu'il faſſe regretter le moins du
monde la poéfie ; des Poëtes , même bons ,
ontvainement eſſayé de l'embellir ; ils n'ont
fait que prouver que c'eſt , pour ainſi dire ,
une profe facrée , dont la poéhe même doit
reſpecter les beautés originales. Sylvie , deja
imprimée en & qui reparoît aujourd'hui
, fera un titre de plus en faveur
de ce genre; elle offre des tableaux rians ,
d'une galanterie aimable , d'une voluptédou
ce&décente , & c'eſt un fort beau ſtyle que
celui ci :
17+3 ,
>>Les oiſeaux ne chantoient point encore
leurs plaiſirs , les mortels ne recoinmen-
>> coient point à ſe plaindre de leurs peines;
>> rien n'annor çoit le lever de l'aurore : il
* étoit l'heure où tout repoſe , juſqu'aux
DE FRANCE.
>>>amans malheureux , lorſque , dans un ha-
>> meau de l'Arcadie , la Bergère Sylvie s'é-
>> veilla; les Amours s'éveillèrent avec elle...
>> Eile rempliffoit l'Arcadie d'amans & de
>> malheureux...... Elle fort , & les Grâces
>>>qu'elle n'a point appelées , s'empreſſent &
volent ſur ſes pas. » ود
Componitfurtimſubſequiturque decor.
C'eſt un joli tableau , & bien dans la nature
innocente & paftorale , que celui du tumide
Aminte, qui aime Sylvie , qui veut parler &
entreprendre , qui s'anime en fon abſence,
tremble& ſe cache auſſitôt qu'elle paroit.
" Eh ! comment aurois -je pu obtenir ce
» que je ne lui ai jamais demande ? .... J'ai
>> toujours tremble devant elle.... Pourquoi
>> redouterune jeune& craintive Bergère ? ...
» Non , non.... roure ma crainte a diſparu.
• Sylvie , lui dirois je.....
» Dans ce moment il l'apperçoit... Dieux !
> nem'a t'elle pas entendu ? Il ſe cacha auffi-
» tôt.... Tous ſes projets ſe bornèrent à l'ad-
>> mirer & à ſe taire.>>
L'Oracle & Zénéïde font les deux chefd'oeuvres
de la féerie à la Comedie Françoiſe
, & c'étoient pour Mlle Gauffin les
deux chef-d'oeuvres du jeu thuâtral. L'Auteur
de l'Oracle eſt connu , celui de Zénéïde
ne l'étoit pas , du moins il ne l'étoit pas du
Public. Cet Auteur eft M. Watelet. Sa Pièce
eftenproſe comme l'Oracle. M. de Cahuſac ,
àqui elle a été attribuée , n'a fait qu'en chan
A vj
12 MERCUREC
ger la forme & la mettre en vers , chan
gement très indifferent pour le ſuccès , quoi
qu'en ait penſé Caluſac.Le fuceès eſt dû au
charme de la naïveté de Zeneïde , à la vivacité
d'Olin le , aux illufions de l'Amour , au
piquant des fituations , à tous ces traits de
ſentiment , d'eſprit & de délicateſſe dont la
Pièce eft remplie , & tout cela eſt l'Ouvrage
de M. Watelet .
Mais quelle est l'hiſtoire de ce plagiat , s'il
faut lenommer ainſi ? Lá voici.
M. Watelet avoit abandonné cette Pièce à
M. de Cahufac , qui , après en avoir entendu
la lecture , la lui avoit demandée avec inf
rance. J'avois , dit Tanteur, des raiſons
pour ne pas montrer publiquement le
>> goût qui me portoit dans mes premières
>> années à des amuſemens Littéraires ; ( &
ces raiſons , connues de M. de Cahufac , furent
fans doute le fondement de ſa demande)
j'avoue , continue l'Auteur , que je fentis
auffi la curioſité d'éprouver , ſans riſque ,
les hafards de la repréſentation. Je fis ce-
» pendant mes conditions. J'exigeai qu'on
me montreroit Scène à Scène la traduc-
» tion; je demandai qu'on ne changeât point
ود
ma fable , & fur tout que l'Ouvrage , heu-
>>> reux ou malheureux , reftât anonyme. Ce
» paste , ainſi que tant d'autres plus im-
* portans , ne fut pas trop bien obſervé. On
>> ne me montra que la première Scène ver-
1.
ifiée. On l'avoit furchargée du récit d'une
apparition de la Fée Urgande , que je
DE FRANCE. 13
ود
ود
ود
ود
rayai impiroyablement . On ne me demanda
plus d'avis .... En dépit de toute délicateffe
d'Auteur , le père adoptif de Zé
neïde la prit ſur ſon compte , ſans reſtrietion
; mais les amis qui é oient dans la
confidence , futent indiferers ..... & les
Almanachs des Theatres apprirent au Public
que j'avois eu part à cet Ouvrage ....
» Aujourd'hui je rends les vers à celui qui
les a faits , &je donne la Pièce telle que
» je l'ai écrite.... Je ne réclame que le perit
mérite de l'invention , & cela , parce que
bien certainement il m'appartient. "
ود
"
ود
Ce métite de l'invention n'est pas le ſeul.
Le dialogue a bien plus de naturel & de
vérité ; les détails , les développemens , bien
plus de richeſſe dans l'original que dans la
copie. Les mots même les plus précieux que
le verfificateur a confervés , ne viennent pas
aufli à propos , ne font pas auſſi bien placés ,
n'ont pas le même degré de convenance , de
jufteſſe , de preſteffe. L'avantage des vers',
avantage qu'ils doivent à la contrainte même
de la meſure & de la tine , doit être de donner
plus d'éclat aux penſées, de les graver
dans la mémoire , d'obliger à mettre plus de
choix &plus de goût dans l'expreffion. L'avantage
de la proſe eſt d'avoir plus de ſimplicité
, de naturel , d'abandon , de reſſembler
davantage à ce qu'elle imite , de ſuivre de
plus près la Nature dans tous ſes mouvemens
, dans la marche des idées & des ſemtimens
, mérite bien précieux dans l'Art
14 MERCURE
Dramatique , fur- tout dans la Comédie.
Or , les vers de M. de Cahuſac , quoiqu'en
général affez bien faits , ne nous paroiffent pas
avoir le mérite propre aux vers,dans le méme
degré où la proſe de M. Watelet a le mérite
dont la proſe eſt ſuſceptible. Lorſque les
deux Auteurs emploient les mêmes idées ,
l'avantage même de l'expreſſion eſt preſque
toujours du côté de la proſe, l'imitateur n'emploie
pas , à beaucoup près , tous les traits
heureux que fon modèle lui fournit ; & ceux
qu'il ajoute quelquefois de ſon chef, ſont
moins effentiels à l'action , moins adaptés
au caractère du perſonnage , que tendans à
montrer le Poëte & à provoquer les applaudiffemens.
Dès la première Scène de la Pièce en
proſe, Zentide peint plus naïvement ſon
aimable caractère. Dans les vers , elle parle
à la Fée de ſes bienfaits , mais il ſemble
qu'elle ne veuille qu'en avoir parlé; le trait
n'eſt point placé ; il vient quand il peut &
comme il peut; dans la proſe il fort naïvement
du dialogue , comme du coeur de Zénéïde.
La Fée lui reproche d'avoir conté
toure ſon hiſtoire , d'avoir tout dit au jeune
inconnu qu'elle a trouvé au bal.
ZÉNÉÏDE.
-Mais.... mon hiſtoire , n'est- ce pas vos
→bienfaits ? Ah ! je me ſerois reproché d'a-
>> voir rien oublié. »
Dans la grande Scène entre Olinde & Zé
DE FRANCE .
15
neïde , où il s'agit d'établir l'opinion de la
pretendue laideur de celle ci , Olinde dans
la proſe eſt bien plus galant , plus doux , plus
pallionné que dans les vers ; il n'a pas cette
teinte de Perit- Maître que Cahutac lui donne
quelquefois ; il ne dit point bruſquement ,
&d un ton piqué :
Puiſque je ſuis forcé d'être ſincère.......
On ne ſe cache point quand on a de quoi plaire.
Il préſente la même idée ; mais avec quelles
precautions , avec quelles reſtrictions , avec
quels correctifs ! comme on voit toujours
un amant qui craint d'offenſer ce qu'il aime !
Zéneïde ſe fache de ce qu'Olinde s'obſtine
à la croire belle ; & certe colère , où Olinde
n'entend rien , eſt bien dans la ſituation de
Zeneïde , à cauſe de la menace d'Urgande ,
dont elle eſt inſtruite , & qu'Olinde ne peut
favoir.
Votre obſtination m'excède.
Je me connois , apparemment ,
Et je vous dis que je ſuis laide.
Plus de dispute , ou.... je me fâcherai.
Ce ton d'humeur & d'autorité , ce ton d'enfant
gâté n'eſt point du tout ce qui convient ;
l'obſtination d'Olinde n'a rien d'excédent ,
elle eft obligeante; il y a bien plus de fineſſe
& de taiſon dans cette autre expreſſion de
la même impatience.
" Ne voilà t'il pas qu'il me croit la plus
16 MERCURE
ود
ود
ود
belle perſonne du monde ! Et point du
tout. Vous ne ſavez tien de tout ce que
vous dites. Pourquoi parler comme un
>> étourdi fans connoître , fans.....
OLINDE.
>>Mais que voulez vous , vous même , me
faire entendre ? Aimable Zéneïde , oh ! li
> vous ſentiez tout ce que je ſens , vous fau-
"
" riez que le coeur devine , & devine bien
>>plus sûrement , bien plus promptement
» que les yeux ne peuvent appercevoir. Eft-
>> ce que vous ne vous êtes pas apperçue à
» mes regards qu'on s'entend fans ſe parler ,
» qu'on répond à ce qui n'a pas encore été
> prononcé , & qu'on ne ſe trompe jamais
>> quand les ſentimens ſont d'accord ? Hélas !
» pourquoi ne nous comprenons- nous plus
>>depuis quelques momens ?
Au lieu de cette éloquence amoureuſe , de
ce langage paflionné , on ne trouve dans la
copie que cette petite phraſe sèche & commune
en comparaiſon de l'autre.
Non , je ne vous, crois pas.
Mon coeur me parle , il me peint vos appas ;
Et c'eſt lui ſeul que j'en veux croire.
Mais c'eſt ſur- tout dans le monologue d'Olinde
que les deux Auteurs ſont le plus différens
, & que le Traducteur n'a pas même
eu le mérite de ſentir celui de l'original .
Olinde croit Zénéïde laide , & il s'arrange
ſur ce pied-là.
DE FRANCE. 17
" Eh bien! elle aura quelque petite dif.
• formité , à la bonne heure..... D'abord ,
ود ſes yeux font très-beaux , je ne puis en
>> douter ; je les ai bien vûs , & le maſque
>> ne les cache point du tout.... Le tour du
>> viſage eſt encore le plus agréable du
>> monde..... Pour la bouche.... Ah! je n'en
N fais rien; mais elle ne fauroit être diffor-
>> me , à en juger par les fons fi doux & fi
intéreſfans de ſa voix. Le refte .... Oh ! le ود
ود
ود
reſte eft fi peu de choſe ! & puis , dans ce
reſte encore , ne faut il pas compter tour
> ce qui plaît dans fon maintien ce qui
> enchante dans ce qu'elle dit; fa taille , fa
>> démarche , ſes jolies maius , ſes jolis
> pieds... Oh! la part de la laideur doit être
> bien perite. "
Voilà , s'il et permis de s'exprimer ainfi ,
du vraj comique de fentimet: voits ce que
Térence appelle com retione infonire. Rien
n'eſt plus dans la nature de l'amour & dans
le ron de la Comédie noble & delicate. Cela
eſt d'un goûr exquis. Comment ſe prives
t'on d'un pareil morceau , quand on a le bon
heur de le trouver dans l'original ? C'eſt
pourtant ce qu'a fait le Traducteur. Voici à
quoi il réduit le tout.
Eſt- il bien vrai qu'elle ait dit ſon fecret ?
Sereit elle laide en effet ?
Qu'importe après tout je l'adore.
1
1
Ikimportoit beaucour de ne pas rejerer avec
18 MERCURE
ſi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce.
Lefond en étoit ſi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réuſsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien fait
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie, malgré le petit fard de la verſification;
car pour la poetie , elle eft ici du côté
de la profe.
Cette Pièce a été composée en 174301
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en proſe , a eté compoſee en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle ſeulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ſtatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de-là à la fiction
hardie& intéreſſante que l'Auteur emploie,
Oracrires & Alcamène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , fe diſputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
afſſemblésdans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête; l'un prépare un Adonis, l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eſt content
de fonOuvrage; & chacun de ſon côté , pour
s'affurer la victoire , imagine le même ſtratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hafard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont beſoin. Un fils de
famille , échappé de la maiſon paternelle ,
s'eſt fait vendre à Oracrites , par Dave, fon
DE FRANCE. 19-
Valet , déguisé en Marchand d'Eſclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eſt devenu
amoureux de Doride, qu'il n'a vue qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauſſes apparences lui font conjecturer
qu'elle eſt chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'eſclave & de modèle. C'est dans l'eſpé
rance de ſe rejoindre à elle qu'il te fait vendre
à Oracrites ; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à ſes parens , elle lui a été vendue
comme eſclave. Ce font ces deux jeunes
amans (car en ſe revoyant ils ledeviennent)
que les deux Artiſtes , fars s'être concertes ,
& en voulant ſe ſupplanter l'un l'autre ,
placentdans le temple de Vénus. Le peuple
s'aſſemble , & regarde les ſtatues d'une diſ
tance qui ne lui permet pas d'appercevoir la
ſupercherie. Tous les Atheniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Atheniennes
: Rien de fi perfait qu' Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne ? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné, diſent les Atheniennes. Tous enſemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés. Le ſort avoit nommé pour préſider
à la fêre , deux vieillards , Naucrates , qui
pleuroit fon fils , lequel avoit diſparu , Démophon
, qui pleuroit auſſi ſa fille qu'on lui
avoit enlevée ; ces deux matheureux pères ,
en s'approchant, font frappés de la reſſemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans; chacun ſe dirige vers celle
18 MERCURE
ſi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce.
Lefond en étoit ſi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réuſsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien fait
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie , malgré le petit fard de la verſification;
car pour la poetie , elle eſt ici du côté
dela profe.
Cette Pièce a été compoſée en 17430
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en proſe , a eté compoſee en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle ſeulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ſtatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de-là à la fiction
hardie& intéreſſante que l'Auteur emploie.
Oracrires & Alcamène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , ſe difputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
aſſemblés dans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête; l'un prépare un Adonis, l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eſt content
de fonOuvrage;& chacun de ſon côté , pour
s'affurer la victoire , imagine le même ſtratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hafard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont beſoin. Un fils de
famille , échappé de la maiſon paternelle,
s'eſt fait vendre à Oracrites , par Dave, fon
DE FRANCE. 19-
Valet , déguiſé en Marchand d'Eſclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eſt devenu
amoureux de Doride, qu'il n'a vue qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauſſes apparences lui font conjecturer
qu'elle eft chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'eſclave & de modèle. C'eſt dans l'eſpérance
de ſe rejoindre à elle qu'il te fait vendre
à Oracrites; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à ſes parens , elle lui a été vendue
comme eſclave. Ce font ces deux jeunes
amans (car en ſe revoyant ils ledeviennent)
que les deux Artiſtes , ſans s'être concertes ,
& en voulant ſe ſupplanter l'un l'autre ,
placentdans le temple de Vénus. Le peuple
s'aſſemble , & regarde les ſtatues d'une diſtance
qui ne lui permet pas d'appercevoir la
ſupercherie. Tous les Atheniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Atheniennes
: Rien de fi perſait qu' Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné, diſent les Atheniennes. Tous enſemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés. Le ſort avoit nommé pour préſider
à la fêre , deux vieillards , Naucrates , qui
pleuroit fon fils , lequel avoit diſparu , Démophon
, qui pleuroit auſſi ſa fille qu'on lui
avoit enlevée ; ces deux matheureux pères,
en s'approchant, font frappés de la reſſemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans; chacun ſe dirige vers celle
20 MERCURE
des ſtatues qui l'intéreſſe; les ſtatues s'animent
, les enfans tombent aux pieds de leurs
pères. Le peuple demande l'explication d'un
tel prodige , les deux Artiſtes avouent leur
heureux arrifice , demandent grâce & l'obtiennenr
; les deux amans ſont unis.
On ne pouvoit imaginer un ſujet plus
anacreontique , une fiction plus intéreſſante ;
la Pièce eſt parfaitement dans le goût de Térence
& dans le coſtume antique. Tout y
refpire la fimplicité grecque. & l'amour des
Arts. La jalousie des Artiſtes & leur enthouſiaſme
font de main de Maître ; le tableau
du dénouement eſt impofant & agréable ,
plein de charme & d'intérêt ; il ne pourroit
qu'avoir un très grand ſuccès à la repréfentation.
: Les Vouves , ou la Matrone, d'Éphèſe ,
Comédie en trois Actes & en vers , en a eu
dans des, repréſentations particulières. Ce
fujét eſt connu , il a ſouvent été traité ſous
toutes les forines .
S'il eſt un conte ufé , commun & rebattu ,
C'eſt celui qu'en ces vers j'accommode à ma guiſe ;
Pourquoi le choiſir , diras-tu ?
Qui t'engage à cette entrepriſe?
: Cetre queſtion n'embarraſſeroit point M.
Watelet , il pourroit répondre : C'est pour
rendre ce sujet moral , ce qu'on a trop négligé
defaire.
Zélotidès , vieux mari jaloux , pour éprou
DE FRANCE. 2
ver ſa jeane & fenfible épouse, fait répandre
le bruit qu'il eſt mort dans le cours d'un
voyage qu'il faifoit alors , & il revient fecrètement
pour ſurprendre ſa femine ; il apprend
en arrivant qu'inconfolable de fa
mort , elle lui a élevé un tombeau dans lequel
elle s'eſt enfermée , réfolue de ne lui
pas ſurvivre. Il veut jouir d'un ſpectacle ti
doux , il s'approche en ſe cachant , mais
c'eſt pour être témoin du moment où la
veuve, cédant aux voeux d'un nouvel amant ,
fort de fa triſte retraite pour le ſuivre dans
un ſejour plus riant. L'indiffolubilité de nos
mariages laiſſoit d'abord quelque embarras
fur ce dénouement; l'Auteur l'a corrigé d'une
manière très heureuſe, par les moeurs mêmes
d'Athènes , qui admettoient le divorce de
part & d'autre. Zelotides , & fon Valet qu'il
avoir entraîné dans la même faute , s'empreſſent
de la réparer en allant chez l'Archonte
faire leur déclaration de divorce ,
fuivant le confeil de Straton , vieillard , ami
de Zélotidès .
Eſtérie eſt -elle coupable ?
Vous êtes tout ſeul condamnable.
Vous l'avez expoſée au plus preſſant danger ,
Vous lui devez de la rendre innocente.
Voici la moralité de la Pièce :
Pour vous , Meſſieurs , de votre mieux
Tirez profit de notre extravagance :
Pour l'Auteur du conſeil ayez quelque indulgence ,
22 MERCURE
Dans vos femmes Car-tout entière confiance;
Et ſur certains objets , ſouvenez- vous-en bien,
Contentez-vous de l'apparence ,
N'approfondiſſez jamais rien.
Cette Pièce , composée en 1757 & 1758 ,
eſt verſifice avec facilité , avec grâce. Il y a
sûrement une faute d'impreſſion à la page
229 , où on trouve ce vers , qui n'en eſt
pas un :
Ouje me trompedans ma conjecture.
La Maison de Campagne à la Mode , ou
la Comédie d'après nature , Comédie en
deux Actes & en profe, compoſée en 777
Cetre Maiſon de Campagne , où des circonſtances
particulières attirèrent pendant
quelque temps un concours nombreux de
gens qui fe croyoient curieux ,&qui n'étoient
qu'imirateurs & qu'entraînés par la mode ,
eſt celle dont M. l'Abbé de Lille a fair cette
charmante deſcription.
Tel eſt , cher Watelet , mon coeur me le rappelle,
Tel eſt le ſimple aſyle où, fufpendant ſon cours,
Pure comme res morurs , libre comme tesjours ,
En canaux ombragés la Seine ſe partage ,
Etviſite en ſecret la retraite d'un ſage.
Ton art la ſeconda , non cet art impoſteur ,
Des lieux qu'il croit orner hardi profanateur.
Digne de voir , d'aimer, de ſentir la Nature,
Tu traitas ſabeauté comme une Vierge pure
D'E FRANCE.
23
Qui rougitd'être nue &craint les ornemens.
Je crois voir le faux-goût gâter ces lieux charmans,
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eſt qu'un ſon importun, qu'une meule qui crie;
On1 écarte. Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui-même en roulant façonnés ,
S'alignent triſtement. Au lieu de la verdure
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture ,
L'eau dans des quais de pierre accuſe ſa priſon ,
Le marbre faſtueux outrage le gazon ,
Etdes arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis oſe uſurper la rive.
Barbares, arrêtez & reſpectez ces lieux ;
Etvous , fleuve charmant , vous , bois délicieux,
Si j'ai peint vos beautés , ſi dès mon premier âge
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long-temps à votre poffefſeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur.
que
La Pièce de M. Watelet est compoſée de
ce qu'on appelle Scènes à tiroir, dont l'avantage
eſt d'offrir une grande variété de caractères
, ſans qu'on ſoit obligé de mettre entreeux
les mêmes rapports & les mêmes contraftes
dans les Pièces ou d'intrigue ou
de caractère ; elle est animée par un intérêt
d'amour affez piquant , & par un grand danger
que court la perſonne aimée: elle en eſt
préſervée par l'amour; & ſon amant , qui
n'oſoit aſpirer à elle , acquiert par la des
droits qui le font triomphet de ſes rivaux.
24 MERCURE
La Scène où cet amant timile &-intéreſſant,
pour s'introduire dans le jardin où il eſpère
veir Lucinde , ſe donne pour un Botaniſte ,
&parle fans ceſſe de Lucinde , en voulant
décrire une fleur qui l'attire , dit il , dans ce
jardin', eſt d'un agrément &d'un goût infini ,
&les mots amoureux qui lui échappent &
le trahiffent , font d'un comi que noble& fin.
Dorival , c'eſt le nom de cet amant , enſeigne
la Botanique à Lucinde , & ſous ce prétexte
lui parle ſans ceſſe d'amour , en lui
promettant toujours de n'en plus parler. Elle
s'en plaint avec douceur. " Ah ! charmante
ود Lucinde ! s'écrie Dorival, quand je ne vous
>> parlerois même , s'il m'étoit poflible , que
des plantes & des fleurs , pourrois je ne
pas vous parler de ce qui anime toute la
>> Nature , de ce qui eſt la baſe du ſyſtême
ود
رد
20 de l'Univers , de ce qui fait vivre tout ce
» qui exiſte.... Et qui me fera mourir ?
LUCINDE.
>>Mais votre promeffe.....
DORIVAL .
:
• Et ma promeffe , Lucinde , & vos ordres
ſi puiſſans peuvent- ils empêcher que
l'Amour ne ſoit le moyen univerſel qui
>>ſoutient , qui anime , qui vivifie tout ce
» qui reſpire...... tout......
وو
LUCINDE.
>> Cela peut- être , Dorival; mais ce n'eſt
:
"que
DE FRANCE.
25.
que les fleurs dont il doit être queſtion
en ce moment.
ود
DORIVAL.
Eh bien ! ces fleurs , Mademoiselle ;
>> oui , ces fleurs , divine Lusinde , en eprou-
ود vent les mouvemens , en pratiquent les
>> myſtères ; elles ne ſubiſtent que par un
>> penchant qui les dirige les unes vers les
>>autres : elles ſe denrent , ſe cherchent ,
>> s'approchent , s'épanouiffent , s'épanshent
ود
ود
&meurent heureutes. Le ſoleil verſe fur
elles cette âme , cet amour à qui elles
doivent l'éclat qui les embellit ; elles lui
doivent ces développemens qui les font
renaître. Lorſque ce feu leur manque par
l'absence de l'aftre du jour , l'affoupiffe-
> ment qu'elles eprouvent , c'eſt le regret
>> d'être privées du bien qu'elles goûtorent.
ود
و د
ود
ود
ود
Oui , Lucinde , ce font les peines de l'abfence.
Eh bien ! vous allez m'accufer en-
>> core de ne parler que de ce que j'eprouve ,
"
ود
de ce que je lens ......
LUCINDE.
>> Vous en convenez..... & je le devrois.
DORIVAL.
" Oui , je l'avoue. Rien de ce que je vois
> dans l'Univers ne touche mes fons & mon
âme ſans ſe rapporter à Lucinde. Ce qui
m'offre quelque perfection , c'eſt Lucinde ;
>> ce qui peint des affections , des deſirs ,
N°. 23 , Juin 1784.
ود
B
26 MERCURE
39
ود
ود
c'eſt l'image d'un coeur où Lucinde fait
naître tous les fentimens & tous les defirs.
S'eloigne t'elle? Il languit , il ſe fane ,
il ſe ferme à toute eſpèce de bonheur. Il
>> périra comme une plante que frappe un
fouffle funeſte , & qui eft privée de l'aſtre
» qui la faifoit vivre. >>>
ود
ود
Cet art de rajeunir le langage de l'amour ,
de lui donner une éloquence nouvelle & une
forme piquare , en l'affociant à des idées
étrangères , eſt certainement d'un grand
prix.
Un autre mérite de cette Pièce , eſt le ridicule
répandu ſur les exagérations des faux
admirateurs : " le Public , dit M. Watelet ,
>> pourra ne pas dédaigner quelques traits
>> qui peut- être le feront fourire en lui rap-
>> pelant des exaltations de ſentimens fac-
>> tices , & des exagérations de termes qu'il
feroit utile qu'on ridiculisât de nos jours
> avec autant de talent &de ſuccès , que
>>Molière ridiculiſa dans ſon temps le précieux
& le faux ſavoir. »
Réflexion importante. En effet, notre jargon
ſuperlatif ne ſert plus qu'à prouver
qu'on n'a pas les idées , qu'on n'éprouve pas
les ſentimens qu'on prétend exprimer avec
cette fauffe énergie. Lorſqu'on veut donner
de la valeur aux mots , & de la ſignification
aux choſes , on eft obligé d'en revenir aux
expreffions ſimples. Je fuis faché, dit plus
aujourd'hui que je fuis désespéré, je fuis bien
wife , que je fuis enchanté. Cet afpect eft
८
DE FRANCE.
27
riant , ceséjour est beau ; que cela est divin ,
délicieux.
Tels font les Ouvrages les plus confidérables
que contient ce Recueil. Les autres
ſont des Poëmes Lyriques ; c'eſt Milen , Intermède
Paftorale en un Acte , en vers , tiré
d'une Idylle de Gefner. L'Auteur , qui , ditil
, à trouvé deux jeunes amans
S'aimant comme on s'aimoit quand on me laiſſoit
faire,
Fait à la Bergère Chloé
Un conte bien calomnieux,
Bien bon , comme les fait la bonne compagnie.
Ce conte la rend jalouſe , Milon l'appaiſe;
voilà tout , mais les détails font trèsjolis
.
Deucalion & Pyrrha , Opéra à grand ſpectacle
, en quatre Actes , en vers , compoſé
en 1765 .
Le ſpectacle en effet en doit être magnifique
, en ſuppoſant le mérite de l'exécution
égalà celui de l'intention.
Délie , Drame Lyrique , en un Acte & en
vers , compoſé en 1765. Une Ode d'Anacréon
a donné l'idée de ce Poëme , dont
Anacreon eſt le Héros , & qui eſt en effet
très- Anacreontique dans l'idée principale &
dans les détails.
Phaon , Drame Lyrique , en deux Actes ,
en vers , mêlé d'ariettes , repréſenté devant
Leurs Majeftés à Choiſy en Septembre
1778.
د
Bij
28 MERCURE
Un paſſage de Lucien a fourni l'idée de ce
Drame , qui n'eſt pas moins Anacreontique
que le précédent.
Nous regrettons que la longueur de cet
extrait , & la néceſſité de le terminer , ne
nous permettent pas de tirer de ces Poëmes
Lyriques une foule de traits charmans ; on
y trouve par tout de la délicateſſe & de la
grâce , une poéſie facile , & d'une harmonie
douce.
SCELTA di Poefie Italiane , de' più celebri
Autori d' ogni Secolo , raccolte , e con
opportune Note illuſtrate da Anton Benedetto
Baffi, ou Recueil complet des plus
beaux morceaux de Poéfies Italiennes, Lyriques
, Érotiques & Fugitives , avec des
Remarques critiques fur le génie de la
Poésie Italienne , par M. Batli , Membre
depluſieurs Academies. 2 vol. grand in 0 .
AParis , de l'Imprimerie de M. Lambert ,
rue de la Harpe , près S. Côme. Le prix
des deux vol . in 8. brochés eſt de 12 liv.;
celui de l'Édition in 4. , papier d'Angoulême
, eſt de 30 liv. les deux vol. , &
48 liv. pour les mêmes deux vol . in-4°.
papier d'Hollande.
IL ſeroit intéreſſant pour la Littérature
engénéral, qu'on eût un Recueil raiſonné des
meilleures poéſies de chaque Nation , &
que ce Recueil fût fait par un homme de
goût , connoiſſant la Littérature univerſelle ,
DE FRANCE. 29
& capable de juger la fienne avec impartialite.
C'eſt ce que Voltaire ſouhaitoit particulièrement
pour les Italiens , dont la langue
eſt la plus poétique de toutes les langues
vivantes ; & c'eſt ce que vient d'exécuter
M. Baffi . Nous allons donner une idée
du plan qu'il a fuivi , pour mettre le Lecteur
à portée de juger du mérite de ſon travail
& de l'utilité de ſon Ouvrage. Il a renfermé
dans huit Volumes les plus belles
Pièces poétiques de ſa Nation depuis l'origine
de la Poéfie Italienne juſqu'à nos jours .
Des obſervations critiques , des remarques
hiſtoriques , des notes ſur l'idiome poétique
& fur la ſyntaxe grammaticale, accom
pagnent les morceaux qui en font fufceptibles
. Les Pièces ſont diſtribuées de manière
à faire connoître l'Hiſtoire de la Poésie Italienne
, ſes progrès , ſes viciffitudes , fa décadence
, & la renaiſſance du bon goût à
différentes époques. Pour remplir cet objet,
il a fallu que le Rédacteur commencât par des
poéſies des plus anciens Auteurs , comme à
l'époque deladécadence des Lettres en Italie,
il lui a fallu puiſer chez des Poëtes peu eſtimés;
mais ces morceaux qui fuffiſent pour faire
connoître ce qu'étoit la poéſie à ces diverſes
époques , ne font pas affez nombreux pour
rebutter les Lecteurs qui , contens de lire
des Ouvrages qui amuſent leur goût & leur
imagination , ne ſont pas jaloux d'acheter ,
par la lecture de quelques morceaux infi
Biij
30
MERCURE
pides , la connoiſſance de l'hiſtoire poérique
d'une Nation .
Les poéfies des Auteurs modernes ſont
en grand nombre; & il y en a beaucoup qui
n'avoient pas encore vû le jour. On trouve à
la tête du premier Volume un eſſai critique
&hiftorique ſur la Poéſie Italienne ; & au
commencement du ſecond , une differtation
dans laquel'e on développe une théorie nou.
velle ſur l'harmonie maticale & poétique ,
& fur le technique de la verſification Italienne.
M. Bafli , en commençant fon eſſai , remonte
à l'etat de la Littérature Italienne ,
lorſque le fiège de l'Empire fut tranſporté à
Conſtantinople . Dela il paſſe à l'époque où
Charlemagne fonda en Italie l'Académie
dite Palatine. Il entreprend de prouver que
depuis l'arrivée de Charlemagne , juſqu'à
celle de Charles d'Anjou , Comte de Provence
, le goût des Lettres s'eſt toujours
confervé plus ou moins en Italie ; ce qui le
conduit à combattre l'opinion de M. l'Abbé
Millot & du Père Papon, qui s'accordent à
dire qu'à l'arrivée de Charles d'Anjou , les
Italiens étoient plongés dans la plus profonde
ignorance , & qu'ils durent aux Troubadours
l'origine de leur poéſie. Nous n'efſayerons
pas de confirmer ni de réfuter à
cet égard l'opinion de M. Baffi ; nous obferwerons
ſeulement qu'il eſt preſque impoffible
qu'un Écrivain ſe dépouille entièrement
de tout préjugé national. Quoi qu'il en ſoit ,
DE FRANCE.
31
le Dante fut le créateur de la poéſie , qui
acquit ſous la plume de Pérrarque toute
l'harmonie & l'élégance dont elle étoit fufceptible.
Nous invitons nos Lecteurs à lite
l'article de ce dernier , après lequel M. Baffi
jette un coup d'oeil rapide ſur les Poëtes qui
l'ont ſuivi , pour arriver à l'époque de la renaiſſance
des Lettres ſous Laurent de Médicis.
Notre Hiſtorien s'arrête à Bembo, le ref.
taurateur de la langue Italienne ; & le portrait
qu'il en fait eſt accompagné d'obfervations
critiques ſur les travaux de ce célèbre
Littérateur. Parvenu à cette époque , où
le goût & la ſaine critique ont recommencé
à inſpiter les Muſes Italiennes , M. Baili
abandonne le projet de ſuivre par ordre des
temps l'hiſtoire de la poéfie; & s'ouvrant
alors une plus vaſte carrière , il la confidère
dans ſes différens genres. Il examine tour- àtour
l'épique , le dramatique , le lyrique , le
paftoral , le ſatyrique , &c. Il diviſe l'épopée
en trois genres; ſavoir , le Roman épique ,
le Poëme héroïque , & le Poëme héroï- comique.
Dans le premier genre , il place l'Orlando
Furioso , de l'Arioſte ; à la tête des
Poëmes héroïques , il met la Jerufalem Délivrée
; & il regarde la Secchia rapita ,
commele meilleur Poëme héroï comique qui
exiſte dans la moderne Littérature .
En lifant cette diviſion, il nous eſt venu
deux idées , que nous croyons pouvoir communiquer
à M. Baffi. 1º. Nous ne voyons
pas bien clairement pourquoi il donne à la
B_iv
3.2
MERCURE
Jerufalem le titre de Poëme , & celui de
Roman à l'Orlando . Il nous ſemble qu'en
voulant conſerver cette distinction , dont à
la rigueur on pourroit fort bien ſe paffer , il
feroit tout auffi poffible , fans diſputer à la
Jerufalemle titre de Poëme , de lui décerner
celui de Roman; comine on pourroit , fans
ôter à l'Orlando le titre de Roman , lui conſerver
celui de Poëme. Le Toffe a mis dans
fon Ouvrage l'intérêt du Roman comme
Ariofle; & Arioſte a mis dans le fien
toure la ticheffe poetique comme le Taffe.
2º. M. Baffi ne s'eſt pas attendu fans doute
à voir adopter ſans contradiction , par ſes
Lecteurs François , l'éloge qu'il fait de la
Secchia rapita du Taffoni , comme du meilleur
Poëme héroï- comique dans la moderne
Littérature. Il lui fera difficile de perfuader
àune Nation qui poſsède le Lutrin de Boileau
, qu'elle doit décer er la palme du Poëme
héroï comique au Taffoni.
Delà M. Batli paſſe au genre dramatique.
Il cherche bien à la vérité des raiſons pour
excufer les Iraliens de n'avoir pas excellé
dans cette partie de la Littérature ; mais il
convient qu'ils n'y ont pas excellé ; & c'eſt
quelque choſe que d'en convenir. On ne
fera pas fâché de lire ce qu'il dit du célèbre
Métaſtaſe.
Après avoir parlé du genre lyrique , M.
Bafli fait une differtation ſur l'idiome poétique
des Italiens , & tâche de justifier ſa Nation
ſur les Concetti. Il blâme les étrangers ,
DE FRANCE.
33
qui croyent que les pointes & les faux brillans
font les qualites de cet idiôme. Nous
conviendrons avec lui que la manie des
Concetti n'eſt pas la qualité de la langue Italienne
; mais il faudra qu'il convienne avec
nous que c'eſt un peu le défaut de ceux qui
l'écrivent.
M. Batli fait pourtant le procès à Marini ;
& il le dénonce comme un corrupteur du
goût , en lui accordant pluſieurs des qualités
qui conſtituent le grand Poëte ; & fa differtation
finit à la renaiſſance du goût dans le
ſiècle préſent.
Sans parler de pluſieurs autres Poëtes d'un
moindre mérite , ces premiers Volumes renferment
les Poéſies de Dante , de Pétrarque ,
de Sannazzaro , de Bembo , de l'Arioste ,
de Berni , &c. Il a eu ſoin de choiſir de
beaux morceaux de poéſie dans les quatorze
mille vers du Poëme du Dante ; & le tout
eſt accompagné de notes critiques & grammaticales.
Dans cette Collection , tout ce qui eft
note , critique , préliminaire , annonce que
M. Baſſi n'a pas voulu faire un Recueil informe;
il connoît l'art dont il a raſſemblé
les chef d'oeuvres ; il en a ſenti les beautés ;
en un mot , il a fait un choix raiſonné , qui
peut tenir dans nos bibliothèques la place
d'une foule de Volumes , & qui doit être
non ſeulement cher aux partiſans nombreux
de la langue Italienne , mais encore très utile
à ceux qui courent la carrière poétique .
By
34
MERCURE
ABRÉGÉ Latin de Philofophie , avec une
Introduction & des Notes Francoises ,
par M. l'Abbé Hauchecorne , de la Maiſon
& Société de Sorbonne , Profeffeur de
Philofophie au College des Quatre - Nations.
2 vol. in 12. AParis , chez l'Auteur;
Quillau , rue Chriſtine; Nyon le jeune ,
Quaides Quatre Nations.
La première Partie de cet Ouvrage contient
la Logique , la Metaphyfique & la
Morale , avec les préceptes de la Rhétorique
; le ſecond eſt tout entier ſur la Phyſique
, & l'an & l'autre eſt enrichi de notes
faites pour développer les queſtions Latines ,
&tout ce qui , p'us curieux que néceſſaire ,
paroîr étranger à la nature d'un Abrégé. On
voit que l'intention principale de l'Auteur
a été de ſe rendre utile aux jeunes gens qui
veulent être Maitres Es Arts ; mais ce but
n'a point été le ſeul qu'il ait eu en vûe ; il
avoulu de plus offrir aux Penſions un Livre
élémentaire qui les préparât à la longue étude
de la philofophie des Claſſes , ou leur fervit
de ſupplément dans le cas que les Élèves ne
vinflent point au College. Outre l'introduction,
dans laquelle il ſuit la marche de la philofophie
, & l'analyſe qu'il donne de ce que
l'on enſeigne dans les Claſſes , il expoſe en
François , pour être plus clair , tout ce qui
n'eſt fufceptible que d'un Latin difficile &
obfcur. Par exemple , les machines , les obDE
FRANCE 35
ſervations Aftronomiques qui précèdent les
ſyſtemes de Prolomee , de Copernic , de
Tycho Brahé , les Éclipſes , les Météores ,
les Tubes capillaires , les Notions fur le gaz
inflammable & les globes aëroftatiques ; ce
mêlange ne paroîtra point une bigarrure
choquante , & la clarté en ſera le fruir. Il eſt
à préſumer que l'ordre & la méthode qui
règnent dans cet Abrégé le feront goûter ,
& peuvent même en faire un Livre d'uſage.
COLLECTION des Moralistes Modernes ,
L'Ami des Vieillards , préſenté au Roi ,
par M. l'Abbé Roy , Cenſeur Royal ,
Membre de pluſieurs Académies , &c .
2 vol. in 18. Avec cette Épigraphe : Sur
lefront des Vieillards lis tes devoirs écrits .
A Paris , de l'Imprimerie de MONSIEUR ,
1784.
CET Ouvrage eſt du petit nombre de ceux
qu'il importera toujours de mettre entre les
mains de la jeuneſſe. On pourroit le ranger
dans la claſſe des bons Livres Claſſiques de
morale; il porte l'empreinte d'un coeur honnête
, & annonce un eſprit ſain & cultivé.
L'Aureur , dans ſon Avertiſſement ſimple &
modeſte , dit qu'il a travaillé comme un bon
Citoyen , qui n'écrit pas pour être admiré ,
ma's pour être entendu ; il n'entre dans la
lice avec les gens de l'art , ni pour y rompre
des lances honorab'es , ni pour y diſputer de
mérite , mais pour y faire preuve de zèle.
Bvj
36 MERCURE
L'Académie de Montauban avoit propoſé ,
il y a quelques années , cette queſtion importante
à développer : Combien le respect
pour la vieilleſſe contribue au maintien des
moeurs publiques ?
د
nous
M. l'Abbé Roy la traita , ſelon l'uſage , en
forme de diſcours ; il eſt dommage qu'il n'ait
pas tenté l'épreuve du concours
croyons qu'elle n'auroit pu que lui être trèshonorable.
Il a préféré dans la fuite de diftribuer
ſon travail par Chapitres. Les ſeuls
reproches qui pourroient lui être faits, ſans
altérer toutefois le mérite réel de l'Ouvrage ,
il les a fentis & avoués ; ainſi nous n'en parlerons
point. Ce n'est pas une differtation
Académique ſur cette queſtion : combien le
reſpect pour la vieilleſſe contribue an maintien
des moeurs publiques ? Ce n'est qu'un
choix de réflexions ſages & utiles fur cette
matière. Pluſieurs articles ſont écrits avec
foree , d'autres ont lemérite du ſentiment ;
tous généralement ſont marqués au coin du
jugement &de l'érudition.
Ala fin du premier Chapitre , l'Auteur
oppoſe la conduite du jeune homme de la
ville à celle des jeunes gens de la campagne ;
ee Chapitre finit ingénieuſement par un
bel éloge de la Nature ; celui du vieillard
eſt également bien fait. Chapitre
fixième , ce que c'eſt que la vieilleſſe , nous a
paru réunir le double intérêt du folide & de
la gaîté; nous regrettons de ne pouvoir rapDE
FRANCE.
37
porter ces morceaux tout au long. Le Chapitre
huitième est encore un des meilleurs;
M. l'Abbe Roy y prouve d'une manière claire
&préciſe l'obligation commune à tous les
hommes , de travailler , & le pouvoir que
les vieillards eux-mêmes ont de le faire à
leur manière.
Il dit , Chapitre IX, en parlant des moeurs
publiques & particulières : " Les moeurs des
>> particuliers ne font autre choſe que les
>> parties homogènes qui forment le tout
د. moral de même nature , appelé moeurs
>>publiques ; identifie avec elles , ce tout ne
>> peut fubfifter fans ces parties , ni ne pas
ود fubfifter avec elles..... » Quant aux moeurs
publiques , il continue ainſi: " Repréſentez-
> vous les Sujets d'un même État , unis
" enchaînés par le même lien aux mêmes
>> règles de bien, ſoit dans l'ordre politique ,
20
"
ſoit dans l'ordre ſocial , foit dans l'ordre
>> religieux , vous aurez alors l'idée d'un clavecin
organique , incapable d'harmonie ,
fans le fecours puiſſant de ces trois cordes;
la touche male & meſurée du vieillard
n'en tirera que des ſons juſtes &
>>précis , &c. -
"
"
20
Tous les traits cités de l'Hiſtoire ancienne
y ſont expofés avec tout l'intérêt & le charme
qui convenoit au fujer.
Le ſecond Volume ſemble offrir quelque
choſe de plus légèrement tracé. Nous avons
remarqué les dix ſeptième & dix huitième
Chapitres; le dix ſeptième commence par
38 MERCURE
une tirade heureuſe & vraie fur la mode ; il
continue par de ſages avis donnés adroitement
au beau ſexe ; il roule enſuite ſur le
danger de l'union de deux jeunes époux , &
fur l'ufage du bon vieux temps que l'Auteur
regrette , & il établit l'âge convenable au
mariage pour les deux ſexes. Vient après ,
dans le Chapitre dix-neuvième , l'éloge de
Louis XVI , d'autant plus heureuſement
amené , qu'il femble plus éloigné d'abord.
Mais un Chapitre remarquable par une noble
éloquence , c'eſt celui où M. l'Abbé Roy
prouve que le reſpect pour la vieilleſſe eſt
avantageux pour le maintien de la religion ;
nous croyons faire plaisir à nos Lecteurs
en le citant en entier. L'apostrophe au Tems
eſt belle , & n'en relève que mieux celle
qu'il adreſſe enſuite à la Religion. " O toi ,
>>cauſe première & pure de l'harmonie
>>publique , égide des bons Princes contre
>> les méchans , & des Sujets vertueux contre
ود
ود
"
20
ود
les tyrans , fouffle divin , être puffant ,
né pour la gloire du Créateur & le bonheur
de l'homme, Religion fainte , âme de
lUnivers , le premier des vieillards te
ſoutient ! L'Eternel lui dit au moment
>> de la première heure du monde : je te
donne l'empire ſur l'Univers; ouvrage de
» mes mains toutes mes créatures difparoîtront
fucceſſivement devant toi. Les
houlettes , les ſceptres , les monumens ,
les Empires , rien de tout ce qui exiſte ne
> pourra te réſiſter Ma Religion ſeule re-
"
"
"
د
DE FRANCE. 39
>> poſera triomphante ſur tes ailes , & cette
ود faulx énorme dont tu ſeras toujours armé
>> ne reſpectera qu'elle .
ود
ود
"Mais quel feroit ton fort, que deviendroient
tes autels ſans la main du vicil.
lard? Profcrite , abandonnée , importune
» & odieuſe à la jeuneſſe , la vieilleſſe ſe
>> chargera du poids des ignominies dont le
ſiècle s'efforce en vain de te couvrir ; elle
t'offrira dans ſon ſein un port afſuré contre
la malignité de tes ennemis . "
ود
ود
Citons encore cette belle tirade ſur l'Hôtel
des Invalides . Que j'aimerois à te con-
>> templer ſouvent , s'écrie l'Auteur , ſous
>> ces voûtes ſuperbes , monumens inappréciables
de la noble piété d'un grand
• Roi ; ſous ce dôme ſacré , plus précieux
>> encore par l'encens pur dont il eſt ſans
>> ceffe parfumé , que par l'art merveilleux
» des Grands Maîtres dont il eſt l'ouvrage !
>> Là , comme ſous l'ombrage des ailes du
>>> Très- Haut , je verrois ſe raffembler plu-
" ſieurs fois dans la journée, pour lui adrefſer
leurs voeux & leurs prières , ces hom-
» mes du dernier fiècle , qu'il ſuffit d'entre-
ود
ود voir pour être ſaiſi de la plus profonde
>> vénération. Ceux- là , remuant à peine un
" corps mutilé , plus qu'à demi confumé ;
>> ceux- ci , couverts de cicatrices , écrâfes
ſous le poids d'un corps chancelant , &
ſe foutenant à peine , les yeux fermés à la
lumière ; tous uniquement occupés de la
>> grandeur de leur Dieu , oubliant leurs
ود
ود
20
40
MERCURE
> triomphes paſſes , achetés au prix du ſang
>> de leurs frères ; Héros autrefois profanes ,
>> prodigues de leur ſang pour la patrie ; &
maintenant Heros Chrétiens , regrettant
de n'en avoir plus à
ود
ود
ود
répandre par lacaufe
de Jésus- Chriſt. C'eſt ainſi que la Religion
conſacre le nouvel héroïſme qui les
>> distingue; c'eſt ainſi qu'au lieu de ces lau-
ود
ود
riers qui ſe fanent , on les voit ſe préparer
la couronne de l'immortalité , récom-
> penſe de l'homme juſte. Jeune homme,
ود lis tes devoirs écrits ſur le front de ces
» vieillards , & mets ſur ta bouche le doigt
>> reſpectueux du filence. Malheur à quiconque
oſe porter ſes pas dans cet aſyle
ſans en devenir meilleur .
وو
"
Le morceau ſur l'utilité des bénédictions
paternelles eſt touchant , naturel & bien
penſé. Nous ne ſavons de quelle mère l'Auteur
a voulu parler au ſujet de l'habitude
qu'elle a fait contracter à ſa fille de lui demander
tous les jours à ſon lever ſa bénédiction.
On ne peut faire mieux , & plus à
propos , l'éloge de la vertu & de la beauté.
Nous exhortons l'Auteur à continuer l'exécution
du plan qu'il s'eſt propoſé dans la
Collection des Moralistes Modernes ,& nous
ofons promettre d'avance à ſes travaux Littéraires
tout le ſuccès qu'il a droit d'en attendre.
DE FRANCE
41
:
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
MÉMOIRE ÉMOIRE fur les Acides natifs du VVeejus, de
l'Orang , du Citron , &c. par M. Dubuiffon , ancien
Maître Diftillateur .
Nous avons dit, dans le Mercure du 20 Novembre
1779 , que l'Art du Distillateur , par M. Dubuiſſon,
étoit le meilleur Ouvrage qui ait paru dans
ce genre; celui que rous annorçons en eſt une
fuite d'autant plus intéreſfante , que l'Auteur y rend
compte de ſes expériences fur les ſucs acides les plus
néceſſaires , tant dans la pratique de la Médecine que
dans les uſages économiques. Il a trouvé l'art de purifier
ces fucs de maniere à les conſerver pluſieurs
années avec leur faveur naturelle , & à pouvoir
ſupporter les voyages de lorg cours , où ces acides
deviendront alors d'une reſſource précieuſe ; réduits
d'ailleurs à un moindre volume , ils ſeront d'un tranfport
plus facile pour les Voyageurs , & moins coûteux
pour les Provinces éloignées. Nous n'irfifterons
point fur l'utilité de cette découverte ; l'Auteur
l'a foumiſe au jugement de la Faculté&de la Société
Royale de Médecine , qui ont prononcé que les fucs
préparés ainſi feront très wiles, tant en ſanté que
dans le traisement des maladies.
Ce Mémoire ſe diftribue gratis chez l'Auteur ,
boulevard du Mont- Parraffe , à ceux qui ont acquis
& qui repréſenteront l'Art du Distillateur , & aux
adreſſes qui feront indiquées pour les exemplaires
qui ont paflé en Province , en affranchiſſant les
lettres .
ESTAMPE repréſentant Latone vengée , d'après
le Tableau original de Philippe Laury , commencée
42 MERCURE
par Balechou , & confiée aux foins de M. Beauvarlet
pour être achevée. Propoſée par ſouſcription .
Nous invitons à lire leProſpectus fort bien fait
de cette Eſtampe , qui doit intéreſſer tous les Amateurs
de la Gravure. La Mythologie , pour nous
ſervir des expreſſions de l'Auteur de ce Proſpectus ,
fi riche en fictions , fi libérale envers les Arts , n'avoit
jamais exercé ſon burin ; il trouva dans le
cabinet de M. le Comte de Forbin un Tableau de
Philippe Lauri , repréſentant Latone vengée , & il le
choifit pour fervir de pendant aux Baigneuſes qu'il
venoit de publier ; il en étoit occupé lorſqu'il mourut
en 1765. La Planche , alors fort avancée , vient
d'être confiée à M. Beauvarlet pour être terminée
fous fa direction. Les Ouvrages connus de cet Artiſte
l'ont déſigné aux Propriétaires de cette Planche,
comme un de ceux qui pouvoient le mieux faifir
l'eſprit de l'Auteur original. Cette Eſtampe, qu'on
propoſe au Public par ſouſcription , aura 26 pouces
6 lignes de large , fur 18 pouces de hauteur , &
ſera livrée dans le mois de Janvier 1785. On payeta
6 livres en ſouſcrivant , & 6 livres en recevant l'Eftampe.
On n'en tirera qu'un petit nombre d'Exem .
plaires au - delà de celui de la ſouſcription , & ceux
qui n'auront pas ſouſcrit les payeront 18 liv. Cette
ſouſcription ſera ouverte juſqu'au premier Septembre
chez Chereau fils , Graveur, rue des Mathurins,
au coin de la rue de Sorbonne ; Dulac , Marchand
d'Estampes , rue Saint Honoré , près de l'Oratoire
; Iſabey , Marchand d'Eſtampes , rue de
Gêvres ; Couturier , Libraire , quai des Auguſtins ,
& chez tous les Marchands d'Estampes des Provinces.
On pourra voir dès à préſent chez les Perſonnes
indiquées une épreuve de l'Eſtampe telle que
Balechou l'a laiffée. On jugera par-là de ce que
l'Artiſte qui la finit a encore à y travailler pour la
rendre digne de l'un & de l'autre. Ceux qui vouDE
FRANCE. 43
dront avoir des épreuves avant la lettre , ſe feront
infcrire chez les Marchands déſignés , & payeront
le doublede la ſouſcription ordinaire. Les Perſonnes
qui feront des demandes ſont priées d'affranchir les
lettres.
PORTRAIT de M. le Bailli de Suffren, d.Finé
d'après nature par Fontaine , Peintre en miniature ,
& gravé par Goulet. A Paris , chez Fontaine , rue de
la Vieille Draperie , près S. Pierre des Arcis , maifon
de l'Épicier. Prix , I liv. 4 fols.
Il eſt doux de voir les Arts concourir au triomphe
des Bienfaiteurs de la Patrie .
FANNY , Comédie en un Aite & en profe , repréſentée
pour la première fois , à Paris , fur le Théâtre
de l'Ambigu-Comique, le 15 Décembre 1783. t'rix ,
I liv. 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
Un homme qui , dans un naufrage a été recueilli
&ſauvé par une jeune Indienne , dont il a été aimé ,
& qui l'a rendu père ; un homme qui enſuite vend
pour de l'argent , comme un vil bérail , ſa Libéra .
trice , celle à qui il doit la vie ; c'eſt un ſujet trèsdifficile
, preſque impoſſible à mettre au Théâtre .
Peut être l'Auteur de cette Comédie auroit - il dû
placer Jacſon dans l'alternative au moins de ne pouvoir
retourner dans ſa Patrie qu'il aime , faute d'argent,
ou de vendre ſa maîtreffe. Mais un Capitaine
de Vaiſſeau s'offre à le ramener pour rien dans fon
pays ; cette circonstance le laiſſe ſans excuſe.
On trouve à la même adreſſe , l'Angloise Déguisée
, Comédie en un Acte & en profe , par M.
Regnier de la B** , repréſentée pour la première
fois , à Paris , far le Théâtre des Variétés Amufantes
, le 19 Juillet 1783 .
44
MERCURE
ESSAT fur la Topographie d'Olivet , publié par
la Société Koyale de Phyſique , d'Histoire Naturele
& des Arts d'Orléans. A Orléans , chez Couret
de Villeneuve , Imprimeur du Roi , rue Vieille Poterie
; & à Paris , rue &hôtel Serpente.
Cet Ouvrage eſt detiné à ſervir de modèle aux
travaux de ce genre , que la Compagnie demande
à ſes Correspondans ſur les différens Cantons de la
Province de l'Orléanois .
SAINTE BIBLE , traduite en François. Nouve'le
Édition. Tome ſeptième. A Niſmes , chez
Pierre Beaume , Imprimeur- Libraire ; & ſe trouve à
Paris , chez Guillaume De prez , Imprimeur ordinaire
du Roi & du Clergé de France , rue S. Jacques .
La rapidité des Livraiſons de ce grand Ouvrage ,
fait eſpérer qu'il ſera bientôt achevé.
PORTRAIT d'A. Court de Gebelin , Auteur du
Monde Primitif, de diverfes Académies , Préficient
duMusée de Paris , Cenfeur Royal, &c. deſſiné par
A Pujos , gravé par F Huot. A Paris , chez M de
Launay , Graveur du Roi , rue de la Bucherie ,
N°. 26 .
Ce Portrait nous a paru aufſi bien gravé que refſemblant.
TABLEAU Hiftorique de la Noblefſſe Militaire ,
contenant les noms , furnoins & qualités , enſemble
la date de tous les grades , actions , fièges , campagnes
, bleſſures de MM. les Orficiers au Service de
Sa Majefté , & retirés ou employés à la ſuite des
Corps , & dans les différens Etats Majors des villes ,
tant au- dedans qu'au dehors du Royaume , &c. Ouvrage
enrichi d'un Recueil d'Ordonnances Militaires
, pour lequel la Souſcription ſe paye d'avance
DE FRANCE.
45
à raiſon de 6 liv. le vol. br. & 7 liv. franc de port
dans tout le Royaume ; par M. de Combles , Officier
d'Infanterie. A Paris , hôtel S. Pierre , rue des
Cordiers , près la place Sorbonne.
Nous avons tranfcrit le titre entier de cet Ouvrage
pour en faire connoître le plan & l'utilité.
NOUVELLE Carte d'Allemagne , en reuffeuilles ,
grand aigle , par M. Chauchart , Capitaire d'Infanterie
, & Ingénieur Géographe Milta re de Mgr. le
Comte d'Artois. Prix , 4liv. la feuille. A Paris , chez
Dezauche , Géographe , rue des Noyers , & chez le
Suiffe de l'hôtel de Noailles , rue S. Honoré.
Il manquoit à l'étude de la Politique & des Guerres
de l'Allemagne une Carte détaillée de cot Empire.
Il en paroît trois Feures actuellement. Les trois
Feuilles Méridionales paroîtront dans les trois pre-
* miers mois de 1785 , & les dernières vers Septembre
de la même année On publie en même temps une
Carte Générale de cet Empire en une Feu lle.
HERBIER de la France , Numéros 41 , 42 &
43. A Paris , chez l'Auteur , rue des Poftes.
Cet Ouvrage a toujours le même ſuccès , & il le
mérite par l'exactitude & la beauté de l'exécution.
DROIT Public d'Allemagne , contenant la forme
de ſon Gouvernement , les différentes Loix , &c. par
M Jacquet , Licentié ès Loix . 6 Volumes in - 88 .
petit formar. Prix , to liv en Feuilles . A Strasbourg ,
& ſe trouve à Paris , chez G. Deſprez , Imprim ur
du Roi & du Clergé de France , rue Saint Jacques ,
près la rue des Noyers .
Cet Ouvrage peut être fur-tout utile à ceux qui
ſuivent la carrière des négociations publiques dans
les Cours d'Allemagne.
46 MERCURE
LA Dame JOSSE, Marchande de Rougede la Cour,
vient de tranſporter ſon Magaſin à Paris , de la rue
du Mail dans la rue Coquillière, au premier étage audeſſus
de l'entreſol , dans une maiſon qui fait face
au Roulage de France , entre une Marchande de
Modes & un Ferblantier. Elle est parvenue à rendre
le Rouge Végétal & le Blanc qu'elle compoſe
aufli beaux & auſſi agréables à l'oeil que les couleurs
naturelles; au moyen d'un corps gras légèrement
aromatiſé, ce Rouge , quoique plus fin , n'eſt pas
fujetà tomber comme les autres ; il a même l'avanrage
de nourrir & conſerver la peau, ainſi qu'il eft
conftaté par l'Approbation de la Société Royale de
Médecine.
Il y a des pots de Rouge à 6 livres , 9 livres ,
12 livres & 24 livres ; celui du Blanc eſt de 4 livres
le pot. Malgréles différens prix , le Rouge eſt toujours
de même nature , ainſi que les nuances ; mais la
fineſſe diffère à raiſon du prix , & les pots ſont plus
ou moins riches , c'est-à-dire , que ceux de 24 liv.
font de porcelaine de Sève dorés & peints en miniature
; ceux de 12 liv. en porcelaine dorés ſeulement
fur les bords ; ceux de 9 livres en porcelaine ſans
dorure , & ceux de 6 liv. en belle fayence.
Quant aux degrés des nuances , le plus tendre eſt
du numéro premier , ce qui va en augmentant jufqu'au
numéro 12 , qui eſt le plus vif , & dont on ſe
fert au Théâtre.
On prie les Dames qui demeurent en Province de
remettre à la poſte le prix du Rouge qu'elles defireront
, &d'affranchir le port de leurs lettres.
PARTITION du Droit du Seigneur , Comédie en
trois Actes , dédiée à Mme la Ducheſſe de Fronſac ,
miſe en muſique par M. Martini , Amateur , repréſentée
à Fontainebleau le 17 Octobre , & à Faris
le 29 Décembre 1783. Prix , 24 liv. A Paris , chez
,
DE FRANCE.
47
Brunet , Libraire , place du Théâtre Italien , & chez
le Portier de M. le Normant d'Étioles rue du
Sentier , N ° . 34 .
Les parties ſéparées de cet Opéra , prix , 12 liv.;
&les Airs détachés , arrangés pour la Harpe ou le
Forté l'iano , par l'Auteur même. Prix , 7 liv. 4 fols .
Se vendent aux mêmes Adreſſes .
Le premier Acte du Droit du Seigneur contient les
préparatifs de la noce de Julien & de Babet; la
Scene eft remplie de perſonnages , & les Auteurs ont
eu le bon eſprit de n'y pas mettre de morceaux ſeuls
qui auroient laiſſé les Interlocuteurs dans l'inaction .
Ce font donc tous morceaux d'enſemble fort bien
faits , remplis de chant & d'expreſſion , & qui font
très-bien en Scène. On en peut cependant détacher
pluſieurs couplets agréables , entre-autres une ronde
d'un caractère fort original. Le ſecond offre un Air
d'effet chanté par le Comte ( haute- contre ) & un
morceau charmant: Dans la prairie & ſous l'ormeau.
Cet air , déjà connu avantageuſement dans les Sociétés
, avoit été fait fur d'autres paroles que la
muſique exprimoit très-bien. Il eſt ici en trio , &
dans une ſituation différente; mais l'Auteur , dans
fon Recueil d'airs détachés , a rétabli les anciennes
paroles , qui nous ſemblent y convenir beaucoup
mieux. Cet Acte contient encore de fort beaux
morceaux d'enſemble , particulièrement le final qui
doit faire grand plaiſir , même dans les Concerts où
on pourra l'exécuter. Le troiſième Acte commence
par un duo fort plaiſant pour les paroles , & rendu
par le Muſicien avec beaucoup d'eſprit. Le Vaudeville
&d'autres petits airs font auſſi très- agréables .
En général cette muſique , qui a contribué au ſuccès
del'Ouvrage , fait beaucoupd'honneur à M. Martini.
Il a lui-même arrangé ſes petits aits pour la Harpe
ou le Forté-piano. Il ſeroit à ſouhaiter que tous les
Compoſiteurs ſe donnaſſent cette peine, & délivraf
48 MERCURE
fent le Public des productions fautives de ces malheureux
arrangeurs , qui ne vivent qu'en défigurant
le talent des autres .
SIX Duos à deux Violons & un Violoncelle ,
dans lesqueis l'Auteur a inféré des meilleurs morceaux
des Opéras- Comiques les plus nouveaux , &
traités avec le plus grand foin , pour la facilité &
l'agrement des Amateurs , & avec lesquels ils pourron
se faire entendre & paroitre des Virtuoses , par
M. Hullot ,de la Comédie Italienne , Profeffeur de
Violoncelle , & Maître de Muſique Vocale OEuvre
troifième. Prix 7 tiv. 4 fois. A Paris, chez l'Auteur
, rue de Bourbon- Villeneuve , chez M. Poiré ,
Tapiflier.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Libraiviefur
la Couverture .
TABLE.
EPITREàM.***
Charade, Enigme & Logo
gryphe,
3 morceaux de Poésies Italien
es , 28
34
7 Abrégé Latin de Philofophie ,
Recueil de quelques Cuvrages
de M. Watelet , de l'Aca- Collection des Moraliftcs Modémie
Fran oife , 9 dernes ,
Recueil complet des plus beaux Annonces & Notices ,
35
41
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI In par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedis Juin . Je n'y
ai rien trouvé cui puiſſe en empêcher Fimpreſſion. A
Paris , le 4 Juin 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 8 Mai.
Ns'occupe dans cet Arſenal de l'exécu-
Οtion de l'ordre du Roi pour équiper l'efcadre
de 6 vaiſſeaux de ligne &de 8 frégates,
qui doivent être mis en état de partir au
premier ordre ; on enrole des matelots dans
toutes les Provinces de ce Royaume ; & de
pareilles levées ſe font dans la Norwege.
Les Officiers de cette eſcadre ſont déja nommés;
elle ſera ſous les ordres de l'Amiral de
Fontenay. Lorſqu'elle fera prête , on équippera
4autres vaiſſeaux de ligne , & un cutter
qui refteront armés en rade.
Le Régiment du Corps fait ſes diſpoſitions
pour ſe rendre à Helſingor , où il a
reçu ordre de ſe porter.
Le ſenaut la Fama, Capitaine Brig , eſt en
rade: il eſt deſtiné à ſervir de vaiſſeau de
garde dans le Belt.
No. 23 , 5 Juin 1784. a
( 2.)
Les Ordonnances contre les émigrations
ont été renouvellées dernierement , & les
peines ont été aggravées .
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 20 Avril.
La Religion Catholique Romaine n'a
point eu d'exercice public dans ce Royaume,
depuis le regne de Gustave Waza , c'eſta-
dire , depuis plus de 250 ans ; ceux qui la
profeffent , n'avoient d'autres Egliſes que les
Chapelles des Miniftres des Cours Catholiques.
En 1779 les Etats du Royaume accorderent
une entiere liberté de conſcience :
& en 1781 le Roi accorda aux Catholiques
Ie libre exercice de leur Religion .
Le Pape ayant été informé de cet événement
envoya en Suède M. Paſchal Oſter , Docteur
en Théologie , du diocèſe de Metz , en qualité
de Vicaire Apoftolique , pour régler les affaires
desCatholiques de ce Royaume. Arrivé dans cette
Capitale au mois de Juillet de l'année derniere ,
préſenté au Roi auquel il remit une lettre du
Souverain Pontife , il en obtint des lettres patentesqui
l'autoriſoientàremplir les fonctions dont
il étoit chargé. A une aſſemblée des Catholiques
de cette Capitale qu'il convoqua le 8 Février
dernier l'on a nommé pour l'aider dans ſes travaux
quatre Sur - Intendants qui ſont MM. le
Fevre,Gouverneur des Pages des Princes , freres
du Roi , Capitaine au ſervice de France , Uttini ,
Sur- Intendant de la Muſique du Roi , Schurer &
Heffe , Négocians. En attendant que l'Egliſe
( 3 )
que le Roi leur a permis de bâtir ſoit conftruite
, S. M. leur a bien voulu céder une grande
ſalle de la maiſon de Ville. L'inauguration de
cette chapelle s'eſt faite le jour de Pâque par
le Vicaire Apoftolique , ſecondé par MM. Dahmin
& d'Ibarraram , Ecléſiaſtiques attachés à la
légation de Vi nne & à celle d'Eſpagne , les ſeuls
Pretres catholiques qu'il y ait ici . La meſſe qui y
a été célébrée pour la premiere fois , a été
chantée par la muſique du Roi , ainſi que le Te
Deum qui l'a été après les vêpres. Le Duc de
Sudermanie , frere du Roi , a aſſiſté à cette ſolemnité
, ainſi qu'un grand nombre de perſonnes
de diſtinction ; & la Comteſſe de Wrede , Dame
d'honneur de la Reine , a diſtribué le pain béni.
M. Ofter prononça à cette occaſion un
diſcours , dans lequel il expliqua d'une maniere
très ſuccincte , toutes les prieres, les
cérémonies & les rits adoptés pour le Service
divin des Catholiques; il ſaiſit cette occafion
de rappeller les vues bienfaiſantesdu
feu Roi , auxquelles ondoitdans le principe
ceteſpritde tolérance, qui depuis eſt devenu
général en Suede.
>>>La réſolution des Etats en 1779 , ajouta
M. Oſter , eſt une preuve non équivoque de ſes
progrès. J'ai eu moi-même plus d'une fo's occaſion
de m'en convaincre. Je me fais un devoir
de rendre un hommage public aux diſpoſitions
qui caractériſent ſi bien les lumieres & les vertus
ſociales de cette Nation - Nos neveux béniront
dans le nouveau temple les cendres de
ceux qui ont contribué à leur procurer le bienfait
de ce rétabliſſement ; l'hiſtoire tranſmettra
leurs noms à la Poſtérité ; elle ne les prononcera
22
( 4 )
qu'avec attendriſſement ; elle aimera autant que
nous les qualités bienfaiſantes de Guſtave III ,
qui n'eſt pas moins chéri de l'étranger que du
Suédois ; il ravira les ſuffrages de nos deſcendans
comme il ravit les ſentimens & les coeurs de ſes
contemporains; ils n'entendront jamais fon nom
ſans verſer des larmes que la joie & la gratitude
feront couler.... La conduite du digne Chef,
qui dirige la barque de J. C. avec autant de
ſageſſe que de piété , qui eſt occupé à conferver
les dogmes dans leur pureté originelle , à
maintenir les pieuſes ſolemnités du culte &
l'exactitude de la diſcipline , à procurer par là
la ſanctification des ames , nous avertit bien hautement
qu'il faut rendre à Céſar ce qui appartient
à Céſar ».
:
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 18 Mai.
L'opinion générale ici , eſt que l'Empereur
fera rétablir le port d'Anvers , & aſſurera
àſes ſujets la libre navigationde l'Eſcaut;
l'exécution de ce plan ſemble être le butde
tout ce qui s'eſt paſſé, &de ce qui ſe paſſe
encore dans la Flandre Autrichienne.
S. M. I. , par un Réglement qui vient de
paroître , a aſſujetti les ſucceſſions ouvertes
àdes parens collatéraux dans leTyrol, à un
droitde to pour cent , payable au Fifc. Ce
Réglement , dit-on , aura auſſi lieu dans
l'Autriche. 1
Les droits d'entrée impoſés ci devant fur
:
( 5)
la farine & les boeufs de Hongrie , viennent
d'être retirés .
و
La Commiſſion , chargée de la cenfure
des livres pour remédier à l'abus que
l'on n'a pas manqué de faire de la liberté
de la preſſe , vient d'arrêter que les Auteurs
, ou les libraires , en remettant à la
Commiſſion les Manufcrits qu'ils ſe propoſent
de faire imprimer, dépoſeront en même
temps 6 ducats. Si le Manufcrit enſuite n'eſt
point approuvé , cette fomme ſera perdue
pour eux , & confiſquée au profit des pauvres.
Les émigrations qui ſe font de différentes
parties de l'Empire , au profit des EtatsAutrichiens
, où ſe rendent preſque tous les infortunés
, que la miſere force de s'expatrier ,
ontbeaucoup augmenté depuis les dernieres
inondations qui ont cauſé par-tout tant de
dégats. On voit arriver preſque journellement
ici des familles qu'on partage en trois
diviſions , qu'on envoye les unes en Hongrie
, les autres dans la Bohême , & pluſieurs
dans la Pologne Autrichienne ; l'Empereur
fait donner à chacun de ces émigrans 2 florins
par jour ; & ils trouvent quand ils font
rendus au lieu de leur deſtination , des maiſons
, des terres , des matieres , & des inftrumens
de labourage.
Il circule ici un Etat imprimé de la population
de cette Capitale ; il differe de quelques
autres qui ont déja paru ; celui- ci a été
a 3
( 6 )
,
fait à la fin du mois de Février; en voici le
réſultat. 5378 maisons , 45928 familles
compoſant 254181 individus , au nombre
deſquels on compte 2139 Eccléſiaſtiques ,
12530 Militaires avec leurs familles , &
30550 Etrangers , Grecs-unis & Juifs .
1
DE HAMBOURG , le 18 Mai.
La plupart de nos papiers continuent à
préſenter des apparences de troubles & de
diviſions. Selon eux, les derniers arrangemens
pris avec les Turcs , n'écartent pas encore
les ſujets d'inquiétude ; toutes les Puiſſances
intéreſſées ne font pas également fatisfaites :
ils obfervent , que l'armée Autrichienne ,
affemblée ſur les frontieres , n'eſt pas encore
ſéparée , & qu'il n'y a que quelques Régimens
qui aient été renvoiés dans leurs quartiers
de cantonnement. D'un autre côté on
prétend que la Porte n'eſt pas fans défiance,
&on ſcait qu'elle continue ſes préparatifs
deguerre.
C'eſt à une influence particuliere , lit- on dans
une lettre de Berlin , qu'en attribue la lenteur
des négociations avec les députés de Dantzick :
oneſpere peut- être par là d'occuper le Roi de
cette affaire , & de détourner ſon attention de
quantité d'autres qu'on craint qu'il ne ſurveille
de trop près ; on ne croit pas que ce plan ,
s'il a été formé , ait quelque ſuccès. Quoique
tout ſoit tranquille en apparence , il y a des
mouvemens dans les cabiners , & certainement le
Roi ne perd pas de vue les grandes affaires qui
( 1 )
s'y traitent relativement à toute l'Europe en gé
néral , & à l'Allemagne en particulier.
Les lettres de Conſtantinople n'offrent
que les détails ſuivans à la curiofité.
Le Confulde Ruſſie qui réſide à Buccharest ,
une de principales Villes de la Wallachie , a
porté des plaintes au Grand Seigneur contre
Hoſpodar , qu'il accuſe de vexer les peuples
qu'il gouverne par des extorfions . S. H. a trouvé
fingulier qu'un étranger prit la défenſe de ſes
propres ſujets , & ſe mélât des affaires intérieures
duGouvernement d'une province Ottomane ;
elle avoit quelque répugnance à faire attention
à ſes repréſentations. Cependant les
circonstances exigeoient des ménagemens : il a
été tenu une aſſemblée du Divan ſur ce ſujet.
On ignore les détails de ce qui s'y eſt paſſé ;
mais on en ſait le réſultat : il a été envoyé à
I'Hoſpodar défenſe de paſſer les limites dans
la perception des droits. Cependant les politiques
ottomans voient avec inquiétude une pareille
démarche de la part d'un Conſul Ruffe :
elle leur fait craindre de la part de cette Puif
ſance des vues ſur la Wallachie , & que la protection
accordée à ſes habitans ne tendent àpréparer
les eſprits à quelque révolution ſemblable
celle qui vient de ſe paſſer dans la Crimée &dans
leCuban. -On parle de mouvemens qui ſe
font du côté des frontieres d'Arménie par le
Prince Héraclius : c'eſt après des nouvelles reçues
de ce côté , que l'on a expédié les ordres
pour faire fortifier les deux villes arméniennes
de Kars & d'Akatiſique , qu'il en a été envoyé
d'autres au Bacha d'Erzerum de raſſembler des
troupes , de les employer à leur défenſe. Ces
mouvemens du côtéde l'Afie ont rallenti les arme
a 4
( $ )
mens maritimes , & donné lieuà des recrues en
Europe pour les faire paſſer en Afie. -- Legrand
Vifir , toujous occupé de ce qui intéreſſe lebien
de l'Empire , s'occupe des moyens de mettre en
état de défenſe les provinces européennes. La
fortereffe d'Oczacow doit être ceinte de nouvelles
fortifications , & avoir toujours une garniſon
plus nombreufe que ci-devant. On doit faire les
mêmes travaux à toutes les autres places frontieres.
Les forts qu'ona commencés à l'embouchure
du canal dans la mer Noire ſont déja
bien avancés ; lorſqu'ils feront finis , ils défendront
l'entrée de ce canal , où il ne ſera plus
poſſible à aucun vaiſſeau , en tems de guerre , de
paſſer ſans permiffion .
On a parlé précédemment de la révolution
dans l'adminiſtration Danoiſe ; une lettre
de Copenhague qui paroît dans tous les
Papiers publics , en préſente ainſi les détails.
Les circonstances relatives à la révolution nagueres
arrivée dans cette Cour ſe développent
de plus en plus. L'on croit même que les ſuites,
de cet événement important ne feront gueres
moins intéreſſantes que celles de la révolution
de 1772 : c'eſt le Prince-Royal ſeul qui l'a ter
miné . Touché de la ſituation où se trouvoit le
Roi , irrité de la contrainte où lui-même étoit
afſujetti par la Reine Douairiere & ſon fils , il
forma la réſolution debriſer ſes propres entraves
&celles de ſon illuſtre Pere , qui , à cet effet ,
adopta S. A. R. pour Co-Régent. Cejeune Prince
pritdes meſures ſi juſtes , garda ſi bien le ſecret,
que perſonne n'en ſoupçonna rien , qu'au moment
où il exécuta heureuſement le plan qu'il
avoit conçu. Le 14 du mois paſſé vers le
foir, le Conſeil d'Etat étant , comme à l'ordi
(و )
naire , aſſemblé chez S. M. le Prince Royal en
ouvrit la féance par cette Déclaration : Que la
mauvaiſe ſanté du Roi empêchant ſouvent S. M.
dedévelopper toute ſon activité: S. A. R. , en
ſa qualité d'héritier , croyoit être le premier
qui dût affiſter le Roi , ſon Pere , dans le gouvernement
de ſes Etats. Il produifit enfuite un
écrit , & le préſenta au Roi pour le ſigner :
S. M. déclare dans cet écrit , le Prince Royal
pour Co - Régent , avec cette clauſe exprefle :
Que tous les Ordres du Cabinet , pour étre
valables , ſeroient à l'avenir auſſi ſignés par
S. A. R. Le Prince Frederic, frere uterin de S.M.,
ſe donna , il est vrai, bien des mouvemens pour
engager le Roi à ne pas ratifier cet écrit. Mais
fur les inſtances preſſantes du Prince Royal ,
S. M. le figna & le rendit à S. A. R. , qui , après
s'être profondement incliné , baifa la main de
fon Auguſte Pere , & retourna à ſa place. Ce
Prince donna fur-le- champ une preuve du pouvoir
ſuprême que le Roi venoit de lui conférer ,
enremerciant tout le Conſeil d'Etat-Privé , à
l'exception de deux Membres , le Comte Thost
&M. Schack Rathlovv . - On enviſage en général
cette révolution importante comme l'avantcoureur
d'événemens beaucoup plus confidérables
encore ,& prêts à éclore. Le Prince promet
infinimentpar ſon élévation d'eſprit , ſa conduite
prudente,& en particulier par une connoiſſance
peu commune des hommes , & il vient d'en
donner une preuve non équivoque dans le choix
des Miniſtres d'Etat & des Conſeillers qu'il a
nommés. Tous font avantageuſement connus par
leur patriotiſme , par leurs qualités excellentes ;
& c'étoit , avec regret , que le Public éclairé
les avoit vu diſgraciés par l'adminiſtration précédente
, & éloignés de la Cour. On ob
as
( 10 )
ferve avec beaucoup de fatisfaction , chaque fois
que le Prince Royal paroît en public , que les
habitans l'entourent de tous côtés , fontdes voeux
finceres pour ſa conſervation , & le comblent de
bénédictions .
On a préſenté des tableaux de la population
de divers Etats de l'Empire ; un papier
public offre les détails ſuivans ſur celle d'une
partie des Etats de l'Electeur Palatin , Duc
deBaviere.
#Il porte la population des Duchés de Juliers
&de Berg , & du Comté de Ravenſtein , à
400,000 ames , celle du Palatinat Electoral à
300,000 , du Duché de Neubourg à 100,000 , &
du Duché de Baviere à 879,898 . Dans ce total
qui est de 1,679,898 , on ne comprend pas la population
du haut Palatinat , du Landgraviat de
Leuchtenberg , du Duché de Sulzbach , de la
Seigneurie de Mindelheim , du Margraviat de
Bergopzoom , des Seigneuries & Comtés dans
les cercles de Baviere , de Franconie & de Souabe,
& du grand Bailliage d'Uneſtadt qui eſt
encore confidérable. Mais les liſtes qu'on en a
données juſqu'à préſent ſont peu exactes . Les
revenus de l'Electeur pour les Duchés de Juliers
& de Berg , & le Comté de Ravenſtein ,
montentàdeux millions & demi de florins ; ceux
du Palatinat, du Duché de Sulzbach & de Neubourg
, a deux millions , & ceux de la Baviere à
cing , ce qui fait en tout neuf millions &deri
*de florins , qui font plus de vingt millions &
demi de livres tournois. Le même papier aſſure
que les dettes dela Baviere ſeront toutes payées.
àla fin de 1791 , en conféquence des arrangemens
pris pour leur extinction.
٤٠
-
( 1 )
ITALIE.
DE FLORENCE , le 30 Avril.
Le nouveau Cimetiere conſtruit hors de
cette ville eſt terminé ; le 27 il a été béni par
l'Archevêque de cette ville , & c'eſt demain
qu'on commencera à en faire uſage; le Réglement
publié à cette occafion par le
Grand-Duc , contient les diſpoſitions fuivantes
.
Acompter du 1 Mai prochain on ne fera plus
aucune inhumation dans Florence ; on n'excepte
aucun habitant , quelque ſoit ſon rang , fi ce
n'eſtiles Religieuſes qui continueront d'être enterrées
dans les ſépultures qu'elles ont dans l'enceinte
de leurs cloitres. Toutes celles qui exiſtent
dans les Egliſes tant dans la ville que dehors
feront fermées. Les cadavres ſeront tranſportés
par les compagnies qui en ont pris l'engagement
dans le dépôt de Sainte- Catherine chaque
ſoir , &dela on les portera avant le jour au cimetiere
; ceux de l'Hôpital de Sainte-Marie-neuve
ne paſſeront point au dépôt & feront portésdi
rectement au cimetiere. Lorſque lajuſtice ordinaire
ou les parens défireront l'ouverture
d'un cadavre , elle ne ſera faite que dans ledit
hôpital où il ſera tranſporté pour être porté enſuite
directement, dela au cimetiere. Toutes les cérémonies
religieuſes des funérailles ſe feront au
dépôt ; un chapelain avant leur départ pour
le cimetiere les bénira , & perſonne ne les accompagnera.
Comme l'heure du tranſport des
cadavres au dépôt eſt fixée , on ne pourra pas
a 6
( 12 )
ſuivre ftrictement la regle qui preſcrit de les garder
pendant 24 heures dans les maiſons ; on
comprendra dans le nombre de 24 celles qu'ils
paſſeront dans le dépôt. Lorſque la corruption du
corps ſera prompte & ne permettra pas d'attendre
l'heure réglée pour le porter au dépôt , on aura
recours au commiffaire du quartier qui après
avoir vérifié la néceſſité de procéder ſur le
champ à l'enterrement le fera tranſporter au
dépôt & porter ſur le champ au cimetiere le plus
voiſin , mais hors de la ville , avec l'attention
de faire faire ce tranſport dans le temappss où il
y aura le moins de concours dans les rues. Le
Préſident du bas gouvernement , les Commiffaires
de quartier veilleront à l'obſervation de ce
réglement. Lestranfgreffions feront punies parune
amende de so écus , applicable , moitié au délateur
, moitié à l'hôpital , & à de plus grandes
peines s'il y écheoit.
Les lettres de Milan contiennent les détails
ſuivans.
On continue de ſupprimer ici différens couvens
, & les Religieuſes paſſent du centre de la
villedans les fauxbourgs pour y occuper les maifons
de celles qui, conformément aux ordres du
Gouvernement , ont été obligées de les abandonner.
-Le Comte de Colloredo qui vient
d'être nommé à la place de Préſident de la Cham.
bre des Comptes de Mantoue, eſt arrivé ici pour
prêter ferment en cette qualiré. On avoit dit
que le Mantouan devoit être réuni au Milanois.
Cette nomination donne lieu de croire qu'un
pareil bruit eſt deſtitué de tout fondement.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 1 Mai.
Le Confeil de guerre , chargé d'examiner
( 13 )
les plaintes & les charges portées contreD.
Joſeph Solano , Lieutenant-Général des Armées
navales , n'a prononcé que depuis peu ,
& a déclaré que la conduite de ce Général
étoit irréprochable : il lui a été écrit en conſéquence
que ſes arrêts étoient levés , & qu'il
pouvoit paroître à la Cour.
Les préparatifs de l'expédition contreAlger
ſe continuent avec beaucoup d'activité
à Carthagene , D. Antonio Barcelo preſſe
lui-même à Majorque ceux que l'on fait auffi
dans cette ifle.
Cet Officier Général , lit - on dans quelques
lettres , y a éprouvé des contrariétés.
Ayant demandé au Commandant de
Majorque divers matériaux néceſſaires à la
conſtruction des bâtimens de guerre qu'il
fait bâtir ſous ſes yeux , pour ſervir à l'expédition
dont il eſt chargé , ils lui ont été d'abord
refuſés , quoiqu'il eut des ordres précis
du Roi qu'il avoit communiqués à ce
Commandant, & en vertu deſquels tout ce
qu'il demanderoit , devoit lui être fourni.
D. Antonio Barcelo , mécontent des motifs
fur leſquels on fondoit ce refus , en a porté
des plaintes à la Cour , qui a renouvelé ſes
ordres à cet effet,& ils ont été exécutés.
La Caiſſe des penſions des ex-Jéfuires
s'affoibliſſant de jour en jour par ſes charges,
leGouvernement s'occupe des moyens
de diminuer la fortie des eſpeces de laMonarchie
; le bruit s'étoit répandu en confé
( 14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Commiſſaires
Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiſſe , mais depuis quelque
temps on n'en parle plus.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin: nous faiſirons celle- ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occaſion de donner , & qui peu-
-vent piquer la curioſité de nos lecteurs .
* Dans ces occaſions , ily a des Officiers nommés
pour faire la vifite des voûtes inférieures du
Palais de Westminster , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir ſi tout eſt en ordre, s'il n'y a
point de poudre à canon , ni de matieres combuſtibles
qui y foient cachées. Cet uſage qui rappelle
la fameuſe conſpiration des poudres , eft
toujours ſuivi , & on s'y eſt conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi ſe ſoit rendu auParlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leur Orateur , pour le préſenter le lendemain à
S. M. Cette élection , comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro(
15 )
1
poſade l'élirede nouveau. Sir GeorgeHoward
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune objection.
M. Fox qui ſe leva pour témoigner la
fatisfaction qu'il avoit de donner ſa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la ſeſſion qui alloit s'ouvrir ,
ſaiſit cette occafion de jeter un coup d'oeil ſur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceſſité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puiſque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'étoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
ſur ce qui s'étoit paſſé à Westminster , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , ſur la vérification du
ſcrutin arrêtée par le grand Bailli. M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obſervant
que tout ceci étoit étrangerau choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intéreſſoit que
lui , auroit ſon tour quand celle des élections ſeroit
portée à la Chambre. M. Fox ne reſta
pas ſans replique : il obſerva que ce qu'il diſoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit. Suppoſons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on ſe
fut conduit comme le Bailli de Westminster ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye (c'eſt le lieu que repréſenteM.
Cornwal ) n'eut point été fait , la chambre qui a
tant de raiſons de deſirer de nommer ce digne
membre pour ſon Orateur , le pourroit-elle ?
M. Pitt parla à ſon tour , tout ſe paſſad'une mamiere
paiſible , & M. Cornwall fut élu.
-
Le 19 le Roi ſe rendit à la Chambre haute
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
ſe préſenta à la barre , & adreſſa un difcours
( 14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Commiſſaires
Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiſſe, mais depuis quelque
temps on n'en parle plus .
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin : nous ſaiſirons celle-ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occaſion de donner , & qui peuvent
piquer la curioſité de nos lecteurs.
* Dans ces occafions , il y a des Officiers nommés
pour faire la viſite des voûtes inférieures du
Palais de Weſtminster , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir ſi tout eſt en ordre , s'il n'y a
pointde poudre à canon , ni de matieres combuſtibles
qui y ſoient cachées. Cet uſage qui rappelle
la fameuſe conſpiration des poudres , eft
toujours ſuivi , & on s'y eſt conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi ſe ſoit rendu auParlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté ; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leurOrateur , pour le préſenter le lendemain à
S. M. Cette élection , comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro(
15 )
1
poſa de l'élire de nouveau. Sir George Howard
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune objection.
M. Fox qui ſe leva pour témoigner la
fatisfaction qu'il avoit de donner ſa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la feffion qui alloit s'ouvrir ,
ſaiſit cette occafion de jeter un coup d'oeil ſur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceſſité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puiſque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'étoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
ſur ce qui s'étoit paſſé à Westminster , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , ſur la vérification du
ſcrutin arrêtée par le grand Bailli. M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obſervant
que tout ceci étoit étrangerau choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intéreſſoit que
lui, auroit ſon tour quand celle des élections ſeroit
portée à la Chambre. -M. Fox ne reſta
pas ſans replique : il obſerva que ce qu'il diſoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit. Suppoſons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on ſe
fut conduit comme le Bailli de Westminster ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye (c'eſt le lieu que repréſenteM.
Cornwal ) n'eut pointété fait, la chambre qui a
tant de raiſons de deſirer de nommer ce digne
membre pour ſonOrateur, le pourroit-elle ?
M. Pitt parla à son tour , tout ſe paſſad'une mamiere
paiſible , & M. Cornwall fut élu.
Le 19 le Roi ſe rendit à la Chambre haute
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
ſe préſenta à la barre , & adreſſa un difcours
( 16 )
auRoi pour lui annoncer ſon élection, témoigner
une défiance modeſte de ſes propres forces , &
ſupplier S. M. d'ordonnerun autre choix. Le
Chancelier lui répondit , que le Roi approuvoit
ſon élection & la voyoit avec plaifit . M. Cornwal
adreſſa un remerciement à S. M. dans lequel
, en follicitantde l'indulgence pour lui, il
reclama la confirmation des privileges des Communes
, & fur-tout celuid'avoir toujours un libre
accès au pied du Trône. Lorſque le Chancelier
eneut donné l'aſſurance au nom du Souverain ,
S. M. adreſſa le diſcours ſuivant au Parlement :
Milords & Meſſieurs , j'ai la plus grande fatisfaction
de vous voir réunis aujourd'hui , après
avoir eu recours , dans un moment aui important,
à l'opinion de mon peuple; j'ai la plus juſte
& la plus entiere confiance que vous êtes animés
des mêmes ſentimens de loyauté & d'attachement
à notre excellente conſtitution , que j'ał
eu le plaifir de voir û pleinement manifeſtés dans
toutes les parties de mon Royaume. Les heureux
effets d'une pareille diſpoſition paroîtront , je n'en
doutepas , dans la modération&la ſageffe de vos
délibérations , & dans la prompte expéditiondes
objets importans des affaires publiques qui de
madent votre attention : ils me procureront la
fatisfaction particuliere detrouver que l'exercice
du pouvoir que la conftitution m'a confié a produit
des avantages ſi utiles à mes ſujets , dont
les intérêts &lebonheur feront toujours ce que j'ai
deplus cher.
MM. de la Chambre des Communes , j'ai ordonné
qu'on mette lous vos yeux les eſtimations pour
l'année courante : je m'en rapporte à votre zele
&à votre affection ponr parvenir aux moyens
de les remplir , & pour employer les fommes
accordées par le dernier Parlement comme il ſera
( 17 )
jugé néceſſaire. Je regrette ſincérement tout ce
qui ajoute aux charges de mon peuple ; mais il
reconnoîtra , j'en ſuis perfuadé , la néceffité de
pourvoir, après une guerre longue&diſpendieuſe,
au maintiende la foi nationale , & de notre cré
dit, qui intéreſſent ſi eſſentiellement la puiſſance
&laproſpérité de l'Etat .
Milords & Meſſieurs , les progrès alarmans des
fraudes dans lesrevenus , accompagnées dans plufieurs
occafions de violences , ne manqueront
pas d'exciter votre attention . Je recommande en
même tems àvos plus ſérieuſes conſidérations , les
réglemens de commerce qui peuvent être néceffairesdans
lemomentpréſent. Les affaires de la
Compagniedes Indes font intimément liées avec
les intérêts généraux de ce pays : pendant que
vous éprouvez une juſte anxiété de pourvoir à
l'adminiſtration de nos poſſeſſions dans cette partiedu
monde, vous ne perdrez , je crois , jamais
de vue l'effet que les meſures que vous adopterez
peuvent avoir fur notre conſtitution & nos plus
chers intérêts ici. Vous me trouverez toujours
empreffé de concourir avec vous dans toutes les
mefures qui pourront être d'un avantage durable
pourmonpeuple. Mon unique voeu eſt de produire
ſa proſpérité par une attention conſtante à
l'intérêt national , un attachement inviolable aux
vrais principes de notre libre conſtitution , à ſoutenir
, à conſerver dans un juſte équilibre les
droits & les principes de chaque branche de la
légiflarion.
Le Roi s'étant retiré enſuite , &les Communes
étant retournées à leur Chambre , le Comte de
Macclesfield fit dans celle des Pairs la motion
pour l'Adreſſe en réponſe au Diſcours de S. M.
Cette piece, comme toutes les autres de cette
elpece , eſt la répétition du Diſcours ; elle offre
( 18 )
enparticulier des remercimens au Roi de l'exer
cice qu'il a fait de la prérogative dans la difſolution
du dernier Parlement , & quelques réflexions
ſur les efforts de la faction qui étoit parvenue
à attirer a fon parti une branche de la
Légiflation. Le Lord Fitz-William témoigna
qu'il déſapprouvoit ces réflexions ; mais l'Adreſſe
n'éprouva aucune objection & fut préſentée le 20.
Les Communes occupées du ſoin de ſe former,
de recevoir les ſermens des membres qui les compoſent
, ne ſe ſont occupées d'affaires qu'hier ,
encore l'adreſſe n'a-t-elle pas été la premiere
affaire ; celle de l'élection de Westminster a eu
la préférence. M. Lée , après s'être élevé contre
la conduite du Grand- Bailly en ordonnant le
ſcrutin , l'avoir repréſentée comme une ufurpation
contraire à toutes les loix , termina en
tournant en motion la propoſition ſuivante ,
qu'ayant reçu l'ordre de procéder à l'élection de
Westminster& de recueillir les voix , il devoit
en envoyer le réſultat dans le terme prefcrit par
f'ordre qu'il avoit reçu . M. Sheridan approuva
cette motion , contre laquelle s'éleverent le Lord
Mahon , M. Kennyon , qui justifierent le Bailly
qu'on ne devoit pas condamner ſans l'entendre,
&qui citerent ungrand nombre de cas qui prouvoient
la néceſſité de prolonger l'élection pour
la vérification d'un ſcrutin , lorſqu'elle étoit jugée
néceſſaire Le Lord North parla aufſi , mais en
faveur de la motion ; on s'attend bien que M.
Fox ne garda pas le filence ; mais dans le premier
efſai des forces des deux partis , le Ministere a
eu l'avantage ; il a eu 283 voix , & l'oppofition
136 , ce qui fait 147 de majorité pour le Miniſtere.
Il fut ſimplement ordonné que le Bailly
feroit mandé aujourd'hui à la barre de la Chambre
,& que le fous-Bailly l'accompagneroit. -
( 19 )
Ce point réglé , on en vint à l'adreſſe en réponſe
au diſcours du Roi, M. Hamilton rit la parolle ,
il s'étendit fur chaque partie du diſcours qui
doit entrer dans la réponte , & il n'oublia pas
celle où le Roi parle de la néceſſité où il a été de
recourir à l'opinion de ſon peuple. Ilne s'agitrien.
moins , quant à ce point , que de remercier S. M.
d'avoirdiſſous le Parlement , & d'annoncer qu'en
effet l'opinionde la nation étoit contraire à celle
de la Chambre des Communes. Le Lord Surrey ,
en approuvant l'adreſſe , déſapprouva cette partie
dela motion pour en demander la fuppreffion ;
mais cette derniere motion ne fut pas plus
heureuſe ; la majorité pour le Ministere fut de
168 voix. -Dans le cours des débats , l'apologie
dudernier Parlement fut faite par M. Fox; il
en réſulta la critique de l'Adminiſtration actuelle.
Parmi les reproches qu'il lui fit, ilrappela que la fignaturedu
traité de paix avec la Hollande avoit
été faite ; mais il déſapprouva qu'elle eût eu
lieu à Paris , ce qui étoit une conceffion faite à
l'ennemi , qui pouvoitdonner plus de hauteur
à la France. M. Pitt répondit légerement à ce reproche
, il parla auſſi légérement de leur nature ;
&bien certainde la majorité ,&queles ſentimens
du peuple étoient pour le Gouvernement actuel ,
il traita avec un peu de ſévérité M. Fox qui tembloit
n'avoir inſpiré de pitié qu'à un Bourg éloigné
d'Ecoffe , qui lui avoit aſſuré un fiege au
Parlement , lorſque ſon élection pour Weſtminster
étoit encore incertaine.
C'eſt le 28 que doit commencer la vérification
du ſcrutin, qui décidera de l'Election
de M. Fox , & de celle de fir Cecil Wray ;
le premier n'est pas content du parti qu'a
pris le Bailli dans cette occafion. On prétend
( 20 )
qu'il lui intentera un procès , pour le dédommagement
des dépenſes que lui coûtera le
ſcrutin , s'il a lieu; car il n'eſt pas encore décidé
s'il avoit le droit de l'ordonner.
, La queſtion ſuivante toute fimple qu'elle
eft , décidera peut- être , vis- à-vis du Public impartial
, combien la conduite du grand Bailli
eftpeu conformeauxprincipes du droit ou de la
conftitution. Le grand Bailli auroit-il pu , par
fon autoriré privée , procéder à l'Election de
Weſtminster , avant le moment fixé par la Loi ,
pour ſon ouverture ? Tout homme un peu verſé
dans les loix & les uſages de ſon pays , répondra
certainement qu'il ne l'auroit pas pu Si donc
leBailli ne pouvoit pas commencer l'Election
avant le jour fixé par la Loi , comment ſe peutil
faire qu'il ait la faculté de la continuer audelà
du terme fixé pour ſa clôture par la même
autorité ? La Loi détermine également les bornes
des pouvoirs de cet Officier à cet égard ; & tout
homme qui ne conteſte pas que le Bailli ne pouvoit
pas procéder à l'Election , immédiatement
après la diffolution du Parlement , ſans attendre
Ja communication officielle de ſes pouvoirs , de
Ja part des Sheriffs , ne peut pas avancer avec
raiſon ni avec bon ſens , que cet Officier jouit
d'une puiſſance officielle , lorſque les pouvoirs
quelui accorde la Loi , ont ceffé,
En attendant que cette difcuffion foit finie
, les partiſans de M. Fox ont fait des réjouiſſances
à l'occaſion de fon élection .
Le Prince de Galles a donné lui-même une
Fête dans ſes jardins , le 14 de ce mois; plus
de fix cents perſonnes y ont aſſiſté , il y avoit
des tables dreſſées ſous neuftentes , avec toutes
fortes de rafraichiſſemens une muſique déli(
21 )
cieuſe , & on a danſé depuis neuf heures du
matin juſqu'à fix heures du ſoir ; une ſociété
choiſiede trente perſonnes , au nombre deſquelles
étoitM. Fox, eut l'honneur de dîner avec S. A.R.
M. Fox la remercia de ſes bontés & de l'intérêt
qu'elle avoit bien voulu prendre à ſon Election ;
& ce Prince lui répondit qu'il n'avoit été que
guidé par la conviction où il étoit de la ſupériorité
de ſes talens , de la jußice & du déſinté
reſſement de ſes morifs . Cette Fête a été répétée
hier.
S'il faut en croire nos papiers, la nouvelle
Chambre des Communes est compoſée de
558 membres ; on compte 214 anciens amis
de M. Pitt , 167 de M. Fox, 153 nouveaux
membres , 16 qui n'étoient pas prétens aux
derniers troubles , 6 doubles élections con--
teftées , & les 2 membres de Weſtminster
qui ne font pas encore décidés. On prétend
que parmi les nouveaux , M. Fox a beaucoup
de partiſans ; & on doute que la majozité
du Miniftere ſoit de plus de 100. Les
5 ou 6 premieres ſemaines après l'ouverture
feront ſuviies ; cela ira enſuite en décroiffant;
& vers la fin de Juillet , fi les affaires
prolongent la ſeſſion juſques -là , à peine
croit-on pouvoir raſſembler aſſez de membres
pour tenir aſſemblée.
Les mécontentemens en Irlande ne ſont
pas près de finir. L'Adminiſtration de ce
Royaume , embarraſſée des plaintes qui s'élevent
de tous côtés , ne néglige rien pour
ſe procurer des témoignages de ſatisfaction
qu'elle puiſſe leur oppoler ; & on dit qu'elle
1
( 22 )
follicite en conféquence des adreſſes de dif
férens corps.
Il y a quelques jours , écrit-on de Dublin , que
le Comité choiſi des Catholiques de cette ville
s'aſſembla à la requête du LordK... qui , diſoit-il,
avoit à ſoumettre à ſa conſidération des matieres
de la plus haute importance , & qui intéreſſoient
eſſentiellement les Catholiques . Laſſemblée fut
très-nombreuſe; auffitôt que le Lord arriva , on
le pria de dire quelle étoit la nature de l'affaire
pour laquelle il l'avoit convoquée ; il demanda
qu'on nomma un Préſident ; mais on ne youlut
pas le faire , avant de ſavoir fi en effet l'objet de
l'aſſemblée méritoit une diſcuſſion. Le Lord alors
ditque le Gouvernement étoit très - mécontent de
pluſieurs pamphlets qui avoient été publiés dernierement.
Pluſieurs étoient propresà répandre l'alarme
& la révolte ; quelques uns contiennent
même des invitations aux ennemis du pays , à
tenter une invaſion. Il conclut qu'il lui paroiſfoit
néceſſaire que les Catholiques déſavouaſſent tous
ces pamphlets, dans uneAdreſſe préſentée en leur
nom au Viceroi , parce que dans ce tems de trou
ble & de fermentation , ils étoient ſoupçonnés
d'avoir une part ſecrette à ces infinuations. L'afſemblée
fut très- ſurpriſe de cette derniere réflexion
qui attaquoit la loyauté des Catholiques , &
cetamour que tous les Irlandois s'honorent d'avoir
pour leur pays . On demanda au Lord s'il avoit -
quelque meſſage par écrit du Gouvernement ,
il répondit qu'il n'avoit eu fur ce ſujet qu'une
converſation avec M. Orde . Il employa tous ſes
efforts pour décider l'aſſemblée à faire ce qu'il
lui propoſoit , & à tranquilliſer le Gouvernement
dont les alarmes , ajouta t- il , étoient fondées ;
mais il ne réuffit point ; l'aſſemblée regarda le
( 23 )
prétexte de ſa convocation comme une injure ;
elle crut que des accuſations auſſi vagues , auffi
injuſtes ne méritoient pas ſon attention , & elle
ſe ſépara ſans vouloir s'en occuper.
On parle de pluſieurs autres démarches
ſemblables qui ont été faites avec auſſi peu
de ſuccès. On en a eu davantage dans la
grande aſſemblée des repréſentans de la Nation,
qui prétend cependant n'être pas repréfentée.
Le Parlement d'Irlande , conformément à ſon
ajournement , s'eſt raſſemblé le 11 de ce mois ; à
trois heures quarante minutes , l'Orateur ayant
prisſaplace,on lut un meſſage des Pairs quiannon.
çoit leur aveu aux amendemens du bill pour
priver le Lord Strangford du droit de voter. II
yeut enſuite un ajournement d'une demie-heure
qui fut occaſionné parce qu'on attendoit une
perſonne. Après cela on reprit les délibérations.
Le Lord Kilwarlin propoſa une adreſſe au Vice-
Roi pour le remercier de la ſageſſe & de la prudence
qu'il montroit dans ſon administration ;
l'adreſſe étoit prête & fut lue par M. Hattan .
File contenoit l'éloge du Duc de Rutland.
M. Jones ſe leva auſſitot. » C'eſt avec regret ,
dit- il , que je ſuis obligé de m'oppoſer à une
adreſſe de compliment que je ne crois pas que
l'uſage justifie. Je ne puis donner mon aveu à
des actions de grace , quand ma conſcience ne
memontrede tous côtés que des ſujets de plaintes
&de reproches. De quoi , je vous prie , avonsnous
à remercier le Duc de Rutland ? Est - ce de
fon oppofition au voeu de la Nation pour une
réforme parlementaire ? de l'abandon qu'il a fait
du plan de mettre de l'égalité dans le commerce ?
du bill pour un bureau de poſte qui nous prive
( 24 )
de nos privileges& charge le peuple avec excès ?
de ſon oppoſition à la taxe ſur ceux qui s'abſentent
du Royaume ? de ce qu'il a rempli nos
rues d'une foule de mandians ? des indultes répétées
qu'il nous a faites ? d'avoir transformé
Ja Chambre des Communes en une Chambre de
l'Etoile , & le Château de Du lin en une Baftille
? Comme repréſentant du peuple , comme
homme , je dois déſapprouver une adreſſe qui
ne contient pas la cenfure de l'adminiſtration du
Duc de Rutland . -M. Molyneux appuya l'oppoſition
de M. Jones , & dit que fi une adminiſtration
avoit été jamais calculée pour ſemer
la diffention entre ce Royaume & l'Angleterre ,
c'étoit celle du Vice- Roi. » Quand au chef de
cette adminiſtration , ajouta t- il , je pense que
c'eſt un homme honnête & qui veut le bien ;
mais il a confié les affaires de ce Royaume à un
homme qui a une mauvaiſe tête & un coeur pire.
Le Sécretaire d'Etat eſt reſponſable de ce qui eſt
arrivé , & fur-tout d'avoir conféré des honneurs
à un homme marqué du reproche public ; il
ſemble que ſon motif, en agiſſant ainſi , a été de
montrer au peuple qu'il n'eſt pas content de l'opprimer
, mais qu'il le mépriſe. Je lui ferai ſeulement
quelques queſtions ; fa réponſe fixera mon
opinion ſur l'adreſſe, ſon filence dira plus que la
loquacité de ſes prédéceſſeurs. Je l'interpelle
dire à la Chambre, aux dépens de qui a été acheté
la Chancellerie, pour un homme qui a mis à peine
le pied dans ce Royaume. L'office de Maître des
rôles doit-il être acheté auſſi ? un Préſident du
Conſeil doit - il être établi avec un gros ſalaire ?
-Perſonne n'ayant répondu, M. Molyneux conclut
endiſant : Je vois que nous n'avons à chercher
de ſecours qu'en nous-même, j'aime le peuple à
cauſede la meſure qu'il a adoptée , j'admire ſurde
tout
-
( 25 )
tout celle... ici, il fut interrompu par des voix
qui s'éleverent du banc de la Trésorerie pour
l'appeller à l'ordre , & il continua en diſart
j'admire le peuple pour la réſolution qu'il a priſe
de ne faire uſage que des produits de nos Manufactures.
M. Griffith , qui parla enſuite , ne s'oppoſa
point à l'adreſſe qu'il ne regardoit que comme
une formalité ; il voulut qu'on y ajoutat quelques
mots fur la fituation du Royaurie , une priere
au Viceroi de confidérer l'état des manufacturiers
, de repréſenter au Roi la réceſité de l'égalité
& de la réciprocité dans le commerce des
deux Royaumes . Cet amendement fut rejeté à.
une pluralité de ſoixante-deux voix , & l'adreſſe
fut ordonnée . La même motion fut faite le iz
dans la Chambre haute , où elle paſſa également
après avoir donné lieu à quelques obfervations
ſans ſuccès : l'une & l'autre de ces adreſſes furent
préſentées le 13. Le lendemain , le Duc
de Rutland ſe rendit au Parlement pour donner
Ja fanction royale à quarante-un Balls pulics ,
& quinze particuliers : à la tête des premiers eft
celui qui reſtraint la liberté de la Preffe , qu'on
croyoit ne devoir paspaſſer au Confeil.Après cela,
il prorogea le Parlement au 29Juin prochain.
On a fait dans un de nos papiers la liſte
fuivante des places priſes pendant la derniere
guerre , & reftituées ou cédées à la paix.
Conquis par la Grande Bretagne , & rendu d
la France , les ifles de S. Pierre & de Miquelon ,
près de Terre-Neuve , Sainte -Lucie , dans les
Indes occidentales , les ifles de Gorée en Afri
que,Pondichéry dans les Indes orientales .
Conquis par la France fur la Grande. Bretagne,
& rendu à ce le ci , les ifles de Grenades , Grenadines
, S Vincent , la Dominique , S. Chrif
Nº. 23,5 Juin 1784. b
( 26 )
tophe , Nevis , & Montserrat aux Indes occidencales.
Conquis par l'Espagnefur la Grande-Bretagne,
& rendu , les iles de Bahama & de Providence
dans l'Atlantique.
Conquis par la France , & cédé à elle à perpétuité,
l'ifle fertile de Tabago , aux Indes occi
dentales , la riviere de Sénégal en Afrique ; tous
les forts bâtis ſur elle,le commerce exclufif ſur
cette riviere.
Conquis par l'Espagne , & cédé à S. M. C. ,
Minorque dans la Méditerranée , la Province
entiere de la Floride occidentale , dans laquelle
il y a plus de 8000 planteurs anglois.
Non conquis mais cédé à l'Espagne comme le
prix de la paix , la Florideorientale dans un état
plus floriſſant que l'occidentale.
Parmi les dernieres dépêches de l'Inde , il
y en a une qui , felon tous nos papiers, conrient
l'article ſuivant qu'ils ont copié.
Typpoſaib éleve toujours des difficultés fur la
paix , & le traité définitif n'eſt pas prês d'être
rerminé. Ce Prince dit au Général Macleod :
Anglois & François , vous n'avez qu'un ſeul
objet qui vous diviſe , l'intérêt de votre commerce
: c'eſt pour nos dépouilles que vous vous
battez ; elles yous attirent & vous enflamment
parce qu'elles vous enrichiſſent. Vous n'avez
fait la paix , que parce que vous n'aviez płus
d'argent . Vous allez retourner en Europe , économiſer
le produit de vos ſubſides , & vous re
viendrez enfuite vous égorger les uns & les autres
parmi nous , & vous diſputer nos richeſſes .
- Cela montre affez que les Européens com
mencent à être connus ſur les trois côtes,
On déſeſpere depuis long-temps d'avoir
( 27 )
jamais des nouvelles du Caton & de l'Amiral
Hyde Parker; on conjecture que ce vaiſſeau
a péri ſur les côtes de Malabar ; l'équipage.
d'unbâtiment Indien des Ifles de Lacquedives
, arrivé à Bombay , rapporte qu'il a vu
un vaiſſeau brûlant auprès de ces côtes , à
une époque où l'on ſuppoſe que l'Amiral
Parker étoit en route pour aller fe réparer
àBombay des dommages qu'il avoit eſſuiés
dans une tempête durant les mouſſons. Cet
Amiral eſt très - regretté. Ce n'étoit point
des motifs d'ambition , mais l'état de ſa
ſanté qui lui avoit fait accepter le commandement
dans l'Inde. Attaqué depuis longtemps
d'un aſthme , il n'avoit éprouvé de
foulagement que dans les climats chauds.
1
Des lettres de Bombay , arrivées par le dernier
Courier , nous apprennent qu'en Novembre dernier
, cette Ile avoit été infectée de grenouilles
qui ont dévoré les herbes & le petit poiffon :
elles ſe ſont répandues dans tous les étangs , par
quantité incroyable . Quelques unes peſoient de
quatre à cinq livres , & avoient deux pieds de
longueur depuis l'extrémité des bras juſqu'à celle
des pattes , dans toute leur extenfion. Quelque
extraordinaireque paroiſſe cet événement, on peut
compter ſur ſon authenticité.
Selondes lettres du Bengale , les Danois ont
formé dernierement un nouvel établiſſement ſur
larive orientale du Molveira , quieſt une des branches
duGange; ils ont obtenu pour cet effet une
permiſſion du Grand-Mogol auquel le Roi de
Dannemark avoit envoyé un-Ambaſfadeur qui
eft encore à Dehli. Le nouveau fort qu'ils ont
b2
( 28 )
bâti s'appelle Fridericksbourg ; il eſt peuplé par
des Colons qui ont été envoyés d'Elseneur &
du Duché de Holſtein. On a formé la garniſon
de quelques troupes européennes qu'on a tirées
de Tranquebar fur la côte de Coromandel. Ce
nouvel établiſſement , ſitué dans cet endroit ,
eſt à 200 mille de Calcutta , ce qui n'eſt peut-être
pas ſans inconvénient. Mais ils ſont compenfés
par les grandes apparences de profit qu'il préſente
& qu'il doit avoir naturellement par la poſition
dans le coeur du pays où le trafic avec les naturels
elt plus confidérable & plus avantageux que fur
les côtes ,
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 1 Juin.
Le 22 du mois dernier , la Comteffe Jofeph de
la Ferronnays, eut l'honneur d'être préſentée au
Roi & à la Reine par Madame Adélaïde de France,
en qualité de Dame pour accompagner cette Princeife.
Le 23 la Ducheffe de Caylus eut l'honneur
d'être préſentée à L. M. & à la Famille Royale,
par la Ducheffe de Caylus douairiere , & de prendre
le tabouret. La Vicomteſſe de Béthiſy fut
auſſi présentée par la Comteffe de Béthiſy.
Le même jour L. M. & la Famille Royale 6-
gnerent les contrats de mariage du Vicomte de
Lons , Capitaine des Gardes-du Corps de Mon-
Geur , en furvivance , avec Mademoiselle d'Ennery;
du Comte de Langeron ,Capitaine au Régimentde
Condé , avec Mademoiselle de la Vaupaliere
; du Marquisde Baleroy, Capitaine au Régiment
d'Orléans , avec Mademoiselle de la Vaupaliere
, & du Comte de Clermont- Tonnerre de
Thoury, Sous- Lieutenant des Gardes-du- Corps
du Roi, avec Mademoiſelle de Froget.
( 29 )
Les Etats d'Artois furent admis le même jour
àl'Audience du Roi, préſentés par le Maréchal
Ducde Lévis , Gouverneur général de la Province,
& le Maréchalde Ségur , Miniſtre de la Guerre .
La députation conduite par MM. de Nantouillet
& de Vatronville , Maître & Aide des Cérémonies
, étoit compote , pour le Clergé , de l'Abbé
de Bart , Prévôt de l'Egliſe Cathédrale , Vicaire
général du Dioceſe d'Arras , qui porta la parole
; pour la Nobleſſe du Comte de Cunchy de
Fleury , Major du Régiment Provincial d'Artillerie
de Besançon ; & pour le Tiers-Etat , de M.
Brunel , Avocat , ancien Perfionnaire de la Ville
d'Arras , ancien Député général ordinaire des
Etats.
DE PARIS , le 1 Juin .
Toutes les lettres de l'Inde apportées par
les vaiſſeaux nouvellement arrivés , font un
tableau effrayant de la famine horrible qui
a dévaſté la côte , & de la maladie épidémique
auffi cruelle que la peſte qui en a été
la fuite.
Les Européens , diſent ces lettres, ont échappé
à la premiere , parce qu'eux ſeuls ont les moyens
de faire des proviſions & des amas de riz ; mais
la derniere les a frappés , ainſi que los naturels , &
Pondichery fur-tout a fouffert prodigieuſement.
Les Anglois ont profité de ce tems de calamité
pour débaucher le petit nombre de Tifferands
qu'on avoit conſervés dans les Allées voitines.
Ces malheureux , privés de ſubſiſtance , ont
Yuivi la main qui leur préfentoit une nourriture
afſurée. Lafamine à été cautée d'un côté par les
monopoleurs , & de l'autre principalement par
b3
( 30 )
lesgrandes fournitures faites auxarmées desdifférentes
Puiſſances en guerre , &encore plus par
les dévaſtations des Marattes & de Tippo-Sarb.
Ce dernier , depuis que l'armée françoiſe s'eſt
ſéparée de lui , n'a pas laiſſé de tenir la campagne
, & les diviſions des Anglois lui ont donné
tout le temps qu'il lui falloit pour faire beaucoup
de mal à ſes ennemis : il a ruiné & brûlé
Arcate , ainſi que Paliacate ; il a été juſqu'aux
portes de Madras , & n'a pas laiffé pierre fur
pierre dans ſes fauxbourgs , appellés la ville
noire. Ainfi le plus beau pays du monde & le
plus fertile eſt le plus malheureux, graces à l'ambition
& à l'avarice des Européens.
C'eſt le 26 du mois dernier , que M. le
Comte d'Aranda , Ambaſſadeur de S. M. C.
elt arrivé ici de retour du voyage qu'il avoit
tait en Eſpagne.
Le Roi de Suede eſt attendu le 9 de ce
mois. L'Académie Françoiſe a renvoié jufqu'au
23 la réception de vi. ie Marquis de
Monteſquiou , afin que ce Prince puiſſe être
témoin d'une de fes Séances publiques. Les
Comédiens François lui réſervent de leur
côté la premiere Repréſentation de Semiris
Tragédie nouvelle de M. le Mierre.
Lanouvellemachine aéroſtatique que M. Montgolfier
a conſtruite pour le Roi eſt entiérement
finie. Elle est d'une capacité , & par conséquent
d'un diametre beaucoup plus conſidérable que
l'ancienne : il fait avec elle deux ou trois fois par
ſemaine , des expériencesdans le jardin Réveillon.
Ces jours derniers , tro's dames & quelques autres
perſonnes , accompagnées de M. Pilatre du Rbfier
,monterent dans la galerie : on les éleva
( 31 )
juſqu'à deux cens pieds , le ballon étant retenu
par des cordes. On croit qu'il ſervira aux expériences
que le Roi de Suede defire voir. Le
globe des freres Robert paroît être réſervé pour
le même objer.
Al'occaſion des ballons , nous placerons
ici la lettre ſuivante de S. Savin. Nous ne
garantirons point le fait fingulier dont il y
eſt queſtion.
Deux Ballons partis le même jour & à la
même heure ; l'un de Saint-Savin , & l'autre de
Montmorillon , petites villes du Poitou, diſtantes
•de quatre lieues , ſe ſont rencontrés à peu près
à moitié chemin, ils ſe ſont heurtés violemment;
celui de Saint-Savin , plus robuſte , a culbuté
l'autre qui eſt tombé auprès d'un Château du
voiſinage : le Seigneur a fait dreſſer un procèsverbal
de ce Phenomene. Le Ballon vainqueur
a continué ſa route: on ignore encore l'endroit
de ſa chûte ; mais on préſume que s'il n'a pas
rencontré de nouveaux adverſaires , il doit avoir
'été fort loin. Cet événement auſſi piquant par
ſa curiofité , qu'intéreſſant pour l'Aréoftat , peut
jetter quelques lumieres ſur cette découverte :
les deux Ballons étoient de forme Sphéroïde ,
le temps étoit calme. J'ignore le Phlegiſtique
qu'on avoit employé , qui vraiſemblablement
étoit différent. Je laiſſe aux Phyſiciens à raiſonner
fur cet événement.
Le 23 du mois dernier , M. Blanchard a
fait à Rouenl'expérience de ſon bateau volant
; c'eſt ainſi qu'on en rend compte dans
une lettre de cette ville.
Ji eſt parti des anciennes caſernes à 7 heures
20 minutes , fon barometre étant à 28 pouces
4 lignes , & s'eſt élevé majestueuſement dans
b4
( 32 )
l'air. Il a plané long tempsſur le Ville; après
quoi un vent violent contre lequel il a lutté ,
abriſe ſon gouvernail. Alors il ne s'eſt plus occupé
que de faire des obſervations & de monter &
defcendre au moyen de ſes aîtes . A 7 heures 35
minutes to ſecondes , il a remarqué que fon
barometre étoit deſcendu à 19 pouces 8 lignes .
Au même moment il a traverſé un petit nuage
blanchâtre , enſuite un autre très-épais , qui l'a
confidérablement mouillé , puis il s'eſt élevé à
une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de
la glace. Son habit humide par la traverſee du
nuage , eſt devenu roide ; dans cette température ,
il a fait 2 lieues en 2 minutes; & dans un petit
calme qu'il a éprouvé , il a bu & mangé. Il ne
s'eſt décidé à defcendre, que parce qu'il appercevoit
un nuage orageux , & qu'il voyoit la mer .
Il eſt deſcendu fans ouvrir la ſoupape de ſon
Globe , mais ſeulement en faiſant agir ſes aîles
en ſens contraire , dans la plaine de Glaville-
Motteville , às lieues de l'endroit de ſon départ.
Al'inſtant où il deſcendit , vinrent deux paysans
auxquels il propoſa d'arrêter ſon Globe , moyennant
une corde qu'il leur jetta : l'un accepta la
propofition ; mais l'autre ne ſachant à qui il
avoit affaire , & craignant de ſe compromettre ,
ne voulut pas mettre la main à une choſe qui lui
paroiffoit ſuſpecte . La frayeur des habitants fut
égale à celle des payians de Goneſſe , avec cette
différence que ceux de Claville ſe ſont armés
pourguerroier contre le phénomene.
On a beaucoup parlé d'un Suicide, commis
dernierement par un jeune homme âgé
de 25 ans , après avoir dîné au Palais-Royal
chez un reſtaurateur. On dit que c'eſt l'amour
qui a inſpiré ce coup déſeſpéré ; & en
( 33 )
effet les excès funeſtes de cette eſpece ont
prelque toujours leur fource dans la foibleſſe
de l'esprit , dans un état de maladie ,
ou dans une palion extrême. Le testament
de cet infortuné en founit la preuve. En
nous la communiquant , on y a joint les réflexions
ſuivantes .
On peut ſe ſouvenir que J. J. Roufſeau daigna
approuver & même louer la réſolution de
ces deux amans de Lyon qui ſe tuerent au pied
d'un autel. Mais dans ce dévouement il n'y eut
que celui de la fille qui fut méritoire : l'amant
étoit malade & ſouffrant , ce qui ſeul pouvoit
le porter à ſe donner la mort. Il n'en eſt pas de
méme du jeune homme qui vient d'en donner un
exemple récent ; ton dévouement a bien un
autre caractere , & fon ame devoit étre d'une
trempe extraordinaire : ſon action eût été bien
plus admirée de J. J. Rouſſeau , puisqu'il prodiguoit
ſon admiration à ces fortes d'action . II
n'auroit pasmanqué de faire valoir la ſimplicité ,
l'énergie de ſon teftament de mort , & la délicateſſe
de ce malheureux jeune homme à ne pas
nommer l'objet de ſa paſſion. Voici cette piece
très -certainement véritable & remarquable , &
telle qu'elle a été trouvée ſur la table où elle
avoit été écrite , lorſque le Commiſſaire vint dref
ſer ſon procès- verbal. -« Le contrafte inconcevable
qui se trouve entre la mobleſſe de mes
fentimens & la baſſeſſede ma naillance , un amour
auſſi violent qu'inſurmontable pour une fille
adorable , la crainte de cauſer ſon deshonneur ,
: la néceſſité de choiſir entre le crime & la mort ,
tout m'a déterminé à abandonner la vie. J'étois
⚫né pour la vertu ,j'allois être criminel , j'ai préféré
mourir .
bs
( 34)
Ona arrêté ces jours derniers un Fauſfaire
, qui faifoit non-feulement de fauſſes lettres
de change , mais auſſi les lettres d'avis.
Il en avoit envoyé une d'Amiens , dont la
fauſſeté fut reconnue : on ſuivit le Commiffionnaire
qui vint chercher l'argent , & on
découvrit l'Auteur, par le plus grand hafar !,
dans un Caffé vojſin de l'endroit que fon .
camarade , car ils étoient deux , avoit indiqué
au Commiffionnaire , pour y apporter
l'argent. Son complice s'eſt ſauvé.
M. le Chevalier d'Angos , Directeur de l'Obfervatoire
de Malte , a découvertune comete le
11 Avril dans la conftellation du renard , elle
étoit fort petite fans queue , & ne paroiffoit que
comme une légere nébulotité. Le 15 à trois heures
dix-huit minutes du matin, elle avoit 307
degrés d'aſcenſion droite . & 15 degrés 28 minutes
de déclinaiſon boréale. Elle fai oit par
jour près de 2 degrés vers l'occident & vers le
midi. La comete que l'on avoit obſervée à Paris
au mois de Janvier , a été vue après la conjonction
, par M. Méchain de l'Académie Royale
des Sciences.
M. Houel continue la publicationde fon
voyage intéreſſant de Sicile; les livraiſons ſe
fuccédent avec beaucoup de rapidité : la
116. & la 12e. ne ſe ſont pas fait attendre.
L'Auteur continue , dans la derniere qu'il vient
de publier , de faire connoître complettement le
reſte des iſles & des écueils de Lipari dont il avoit
commencé de traiter dans le chapitre précédent ;
foit qu'il les confidere comme volcans , ou fimplement
comme productions de volcan , il dif-
Lingue en Naturaliſte éclairé les matieres dont
( 35 )
ils font compofés , explique les changemens qu'ils
ont éprouvés dans le tems & depuis leur formation
; & par des planches auſſi exactes que foignées
, préſente à l'oeil du Lecteur les aſpects
divers de ces ifles , les particularités qui marquent
les époques eſſentielles des grandes révolutions
que leur ont fait éprouver des exploſions ou
des commotions conſidérables. La derniere planche
du 12e chapitre offre la bouche du volcan
Stromboli , lançant une gerbe de pierre dans
l'état de charbons ardens , repréſentation auſſi rare
qu'intéreſſante. La premiere repréfente un bain
d'eau chaude à Lipari , avec les Scenes qui ſe
paſſentdans ces lieux de ſanté , pendant que les
malades les fréquentent. La 26. , l'aspect d'une
faline ,du ſommet de laquelle on découvre quantitéd'objets
intéreſſans , & entre autres le mont
Etra , qui eſt à plus de 25 lieues de diſtance,
ce qui peut faire jeger de la hauteur de cette
faline quidomine les montagnes les plus élevées
de la Sicile. Dans le texte de ce chapitre , l'Auteur
traite avec intérêt d'autres détails , quelques
objets du commerce de ces ifles , de leurs uſages
domeſtiques & des religions ; il obferve & fait
connoîtte tout ce que ces lieux , anciennement
habités , offrent encore de débris & de monumens
antiques , qui font placés dans les Eſtampes ,
& qui marquent les époques où differentes
nations ont habité ces ifles ( 1 ) .
Nous avons annoncé la premiere livraiſon
des eſtampes repréſentantles conquêtes de l'Empereur
de la Chine , réduites & gravées par M.
Helman; on fait que les deſſins en furent faits
à Pekin , & envoyés en France en 1765 , pour
y être gravés par nos meilleurs Artiftes , & ren-
(1) Ce voyage ſe trouve chez l'Auteur , rue du Coq faing
Honoré,
b6
ン
( 36 )
voyés avec les cuivres en 1774. Il n'en reſta
qu'un petit nombre d'exemplaires deſtinés pour
1. Famille royale & la Bibliotheque du Roi ;
elles ont fi rares , que le prix , quand le hafard
1-s fait rencontrer , en eſt porté à 8001.
M. Helman offre la collection entiere à 48 1 .
La premierelivraiſon en a paru au mois d'Octobre
dernier ; la ſeconde paroît aujourd'hui ;
la troiſieme paroîtra dans quatre mois , & après
un pareil efpace , la quatrieme & derniere ſera
diſtribuée (1) .
Le ſieur Belon , Peintre à Rouen , a imaginé
de concilier les deux ſyſtêmes aſtronomiques de
Ptolomée & de Copernic. Sans entrer ici dans
les détails du ſyſtéme qu'il a compoſé de ces
deux , ce qui eſt au moins inutile , nous nous
bornerons à donner une idée des machines qu'il
a inventées pour l'expliquer autant à l'oeil qu'à
l'eſprit , & qui ſont réellement ingénieuſes. La
premiere eft compoſée d'une table ou planiſphere
de quatre pieds de diametre. Les degrés & les
fignes du Zodiaque , les mois , les ſolſtices , les
équinoxes , le rapport de chaque figne à chaque
mois , &c. tout ſe trouve réglé ſuivant les principes
reçus en Astronomie. Le ſoleil roule ſur
fon char & fait fa courſe & les révolutions au-
( 1) Le prix de chaque livraiſon eſt de 12 liv. Elles ſe
trouvent chez M. Helman , rue S. Honoré . vis-à- vis
Phôtel de Noailles, Cet Artiſte a acquis pluſieurs Planches
du fond de M. le Bas, qu'il propoſe aux Amateurs
àun rabais de moitié de leur ancien prix , pendant
cette année ſeulement , paffe laquelle il n'en donnera plus
qu'au prix ordinaire. D'après Vonfalces, la Priſe duHéron,
3 liv. au lieu de 6 liv . Le Départ de chaffe , idem ,
D'après Chudin, le Bon-homme , 16 fols , au lieu de 30 .
Le Négligé , idem: De Bouchardon , Sculpteur du Roi ,
livre d'après l'antique , de 12 feuilles , 2 liv . au lieu de4.
La réputatio,n de toutes ces Eſtampes eſt faite depuis 30
ans.
( 37 )
✓
tour des planettes qu'il éclaire de ſes feux'; la
terre paroît conduire le char , la lune l'accompagne
& ne le quitte point , faiſant autour d'elle
ſa révolution en vingt-neuf jours & demi ; ces
deux planettes forment des ellipſes très variées ;
le centre commun les retient , le ſoleil les attire ;
cette attraction étant réciproque , le foleil ne
quitte pas la terre , mais il la force de s'incliner un
peu à cauſe du changement de ſes orbites. La
terre tourne før elle-même en 24 heures , accompagnée
de la lune & du ſoleil tournant avec elle ,
&n'a qu'un centre commun à toutesles planetes ;
la lune montre toujours la même face à la terre ,
& démontred'une façon très-juſte ſes différentes
éclipſes , ainſi que celles du ſoleil dans les noeuds
qui arrivent deux fois l'année. Une ſeule aiguille
marque les heures du jour & de la nuit, les
femaines , le quantieme du mois , &c . Toutes
les pieces ſe meuvent en méme- tems , par le
moyen d'une manivelle & d'une corde de ſparterie.
La ſeconde machine fert de ſupplément à
la premiere , attendu que le mouvement des
autres planetes , leur rotation , autour du centre
commun , le corre'pondent toujours entr'elles
en raiſon de leur viteſſe & de l'étendue de leurs
orbits , à l'exception toutefois du ſoleil , qui
éclaire de tous côtés les différens globes .
On connoît la magie du pinceau de M. Fragonard
, les graces & la vérité qu'il a répandues
dans ſes tableaux ; la gravure en a multiplié plufieurs
que les amateurs ſe ſont empreilés d'accueillir.
M. Biot vient d'en graver un qui offre
une estampe charmante , intitulée le verroux; le
ſujet eſt galant & rendu de maniere à produire
l'effet le plus agréable (1).
(1) Le prix de cette eſtampe eft de o liv. Elle se trouve
chez M. Blot , rue S, Ecienne- des-Grez , maiſon du College
de Momaigu.
(-38 )
A cette eſtampe nous enjoindrons une autre
qui eſt le coup d'ellai d'un jeune Artiſte , &
qui annonce un talent diftingué & de grandes efpérances
pour l'avenir. Le ſujet eſt tiré de l'Hitoire
Romaine; c'eſt Mutius Scevola , ſurpris
dans le camp de Porſenna , où il avoit paflé
pour l'affaffiner , défiant les tourmens , & lui
donnant une preuve de ſon courage & de fa
fermeté , en mettant ſa main dans un brafier
ardent. Le tableau eſtde Rubens ( 1) .
Parmi les inventions utiles on diftinguera
celle-ci.
Le Geur Regnier , Mechanicien de S. A. S.
Mgr. le Duc de Chartres , vient de perfectionner
un appareil de filature , qu'il avoit inventé précédemment
, & avec lequel il peut aujourd'hui
filer des cordes de fer, ſolidement treffées & cablées
, & preſqu'auſſi ſouples que certaines cordes
de chanvre. C'eſt avec ces cordes de fer , que
cetArtiſte forme des conducteurs pour les Paratonnerres.
La ville de Semur , ſa patrie , en eft
déja preſqu'entiérement armée ; pluſieurs Chateaux
de laBourgogne en ſont également munis,
& notamment celui deM. leComte de Buffon ,
àMontbard. Les prix de ces cordes ſont de
10à 12fols le pied , felon leur groſſeur. Il faut
s'adreſſer à Semur en Auxois , où le ſieur Regnier
réſide , il les fera paſſer aux Adreſſes qui lui
feront indiquées ; mais on eſt prié d'affranchir
le port de l'argent & de la lettre. Ledit ſieur
Reynier vient auſſi d'inventer un fufil ou briquet
de défente , utile aux perſonnes qui habitent des
maiſons iſolées , pour ſe mettre en fureté contre
les malfaiteurs. Ce briquet de défenſe eſt com-
(1) Certe Estampe de 18 pouces de hau. fur 15 de
large , a été gravée par M. Marchhaanndd,, & ſe vend aliv.
chez M. Voyſard , rue de la Harpe , nº. 18 , vis à vis la
rue Serpente,
( 39 )
poféd'uneLanterne légere,dont la bougie s'allume
, au moyen d'une méche , par la ſeule détente
d'une baterie de piſtolet , il eſt armé en
avantd'une bayonnette.
:
L'Académie des Belles- Lettres , Sciences &
Arts, propoſa , T'année derniere , à l'invitacion
deMM. les Maire , Echevins &Affefleur,,unPrix
de1200 liv . & une Médaille d'or de 300 , pour le
meilleur Plan d'Education , propre à la ville de
Marseille , confidérée comme maritime & commorante.
Elle a reçu divers Mémoires , dont elle
en a diftingué troisqui contiennent d'excellentes
vues ; mais l'Académie devant le conformer forupuleuſement
aux vues patriotiques des Officiers
Municipaux , elle a trouvé que lesAuteurs n'ont
pas affez étendu le plan des Etudes relatives au
Commerce & à la Navigation ; elle a en conféquence
cru devoir réſerver le Prix , & prévenir
les Auteurs qu'ils doivent s'attacher. 1º. A expoſer
avec préciſion les diverſes eſpèces de Commerce
que l'on fuit à Marseille, foit d'importation,
ſoitd'exportation , d'entrepôt , d'économie , &des
diverſes Manufactures de la ville. 2º. A indiquer
le genre d'étude &de connoiſſances le plus propre
àfaciliter , diriger & étendre , toutes les diverſes
branches de Commerce extérieur & intérieur .
3 °.A propoſer les études néceſſaires pour acquérir
unebonne théorie du Commerce en général , cette
profeffion étant la ſeule peut être où l'on ſe livre
fans préparation à la pratique ,&dans laquelle on
fait dépendre la théorie des leçons tardives de
l'expérience. 4 °. L'étude des Langues vivantes ,
fur tout de celles des Peuples avec qui Marſeille
a& peut avoir à l'avenir les relations les plus ſuivies&
les plus intéreſſantes ,doit entrer dans le
Plan d'Education que l'on defire ; on n'oubliera
point l'étude de la Géographie , de la Navigation
, de l'Architecture navale , des Méchaniques,
( 40 )
de l'Hiſtoire Naturelle , & de la Chymie. 5°. Le
mouvement continuel d'un grand Commerce , le
choc varié des intérêts qu'il réunit & qu'il divife ,
produisant chaque jour des prétentions oppoſées ,
des différends & des procès , il paroît eſſentiel que
le Négociant apprenne de bonne heure ces Loix
fimples qui, en le ramenant aux regles ſeules de la
probité , & lui apprenant à éviter les ſurpriſes &
les fraudes , le préparent à devenir le juge de
ſes égaux ; il faut donc indiquer une eſpèce d'Ecole
de Jurisprudence mercantile: 6°. Il paroît
utile de donner aux jeunes Gens quelques notions
d'Adminiſtration publique : les Négocians ſont
quelquefois app- llés à éclairer le Légifl teur ſur
les beſoins du Commerce , ſur les Ordonnances
qui le lient au bien & à l'intérêt public , fur la
protection qui le ſoutient ; enfin ſur les diverſes
circonstances générales par rapport à l'Etat , &
particulieres par rapport à la Province & à la
Ville qu'ils habitent , ſoit relativement à leur
climat , à la fertilité du ſol , à leur population ,
au génie & au beſoin des Peuples environnans.
7°. Pour ſe diftinguer dans la profeſſion qu'on
'embraſſe on ne doit pas ſe reſtreindre aux ſeules
connoiffances qui font propres à cette profeſſion ;
il faut donc que le Négociant qui ſe deſtine aux
grandes entrepriſes de Commerce , ait quelque
connoiffance de la Politique des Nations ,& qu'il
ſoit inſtruit des Traités qui , depuis un fiecle ,
'n'ont eu que le Commerce pour objet. - Les
Ouvrages ne feront reçus que juſqu'au rer de
Mars 1785 , & doivent être adreſſés , franc de
port , à M. l'Abbé de Robineau , Secretaire perpétuel.
: Les Numéros ſortis au Tirage de la Lorerie
Royale de France, font : 58,41,75 ,
34 , & 31 .
( 41 )
DE BRUXELLES , le I Mai.
Les lettres de Liege portent que l'élection
d'un Prince-Evêque étoit décidemment arrêsée
il y a quelques jours , & on croit qu'elle
eft actuellement faite en faveur du Comte de
Hoensbroech , Trefoncier. Les concurrens
étoient l'Archevêque de Cambray , & l'Evêque
de Tournay ; le premier voyant le dernier
réſolu de ne point céder , n'a pas voulu
faire durer la conteſtation ; & comme il
étoit maître de l'élection , en ſe décidant
pour le prétendant qu'il voudroit , à cauſe
du grand nombre de voix dont il pouvoit
diſpoſer , il les a toutes données à M. le
Comte de Hoensbroech .
On mande de la Haye, que la députation
des Etats de Hollande&de Wes-t Friſe, qui
s'eſt rendue le 14 du mois dernier auprès du
Stadhouder , pour avoir des éclairciſſemens
ſur un acte , par lequel , felon le bruit général
, il s'étoit engagé ſous ferment , lors de ſa
majorité , à ſe ſervir conſtamment des conſeils
du Feld - Maréchal PrincedeBrunswick ,
en a reçu la réponſe ſuivante.
« Je ne fais point difficulté de répondre àMM.
les Députés de L. N. & G. P. les Seigneurs Etats
de Hollande &de Westfriſe , en les priant de
communiquer cette préſente réponſe auxdits
Seigneurs Etats , que je ne ſuis pas interrompu
par S A. le Feld- Maréchal Duc deBrunswick ,
à expédier les ordres qui auroient pu ſervir à
prémunir contre toute agreſſion les frontieres
de l'Etat : mais quoique je ne fois pas tenu de
(42 )
rendre compte de mes geftions en qualité deCapitaine
général de l'Union , à perſonne qu'à
L. H. P. , je ſuis prêt , pour marque de ma déférence
aux volontés de L. N. & G. P. , de leur
donner, fi elles le defirent , ouverture des raiſons
& motifs qui m'ont engagé à ne point envoyer.
un grand nombre detroupes vers les frontieres ,
avant la priſe de la réſolution du 7 du courant
-Quant à l'acte paſſé entre le ſuſdit Seigneur
-Duc& moi le 3 Mai 1766 , mais que je n'ai
jamais atteſté par ferment , je m'étois déja propofé
par moi-même , en apprenant les bruitsdéfavantageux
& deſtitués de tout fondement qui ſe
répandoient , de ne le plus tenir ſecret , & je ne
manquerai point de communiquer ſous peu de
jours , une copie authentique dudit acte à L. N.
&G. P.
Les lettres de laHaye rendent ainſi compte
du Jugement rendu dans l'affaire de l'Enſeigne
de Witte, du jardinier van-Brackel , &
de fon exécution.
Le premier , qui étoit en priſon depuis le 27
Septembre 1782 , a été déclaré déchu de ſa
'charge militaire , condamné à être enfermé dans
une place de fûreté pendant fix ans , au bout
deſquels il ſera banni pour toujours de Hollande,
Zélande , Friſe & Utrecht. Quant au Jardinier
, priſonnier depuis le 15 Octobre de la
même année , il a été condamné à être conduit
la corde au cou ſous la potence , à y être
fouetté & marqué , à être enfermé enſuite dans
une maison de correction pendant vingt-cinq
ans , pour y gagner ſa vie & ſon entretien par
le travail de ſes mains. Après ce terme , il eſt
banni des quatre Provinces ſuſdites ſous peine
de mort. Le malheureux a ſubi ſa Sentence le z
du mois dernier.
( 43 )
Des lettres poſtérieures de la Haye portent,
que le 20 du mois dernier au foir ,
l'Ambaſſadeur de France ſe rendit chez des
Membres du Gouvernement , pour leur annoncer
que ſa Cour n'avoit aucune répugnance
à intervenir par ſes bons offices
entre l'Empereur & L. H. P. , pour l'applaniffement
des différends élevés entre
ces deux Etats. Sur cetre communication
intéreſſante , une députation de L. H. P. , à
la tête de laquelle étoit le Préſident de ſemaine
, ſe rendit chez l'Ambaſſadeur pour
lui porter les témoignages de la reconnoifſancede
l'Etat.
Le 11 de ce mois , écrit- on de Berlin , le Roi
vint icide Charlottembourg pour faire un vifite
àla Princeſſe Amélie ; il a donné le même jour
audience à Charlottembourg , à MM. les Princes
de Lambefc & de Vaudemont , ainſi qu'aux autresOfficiers
François qui s'y étoieni rendus. Le
12 , à cinq heures du matin , S. M. paſſa en revue
tous les régimens en garniſon dans cette Ville, &
retourna à Potsdam : la ſanté s'eſt rétablie , & elle
ira fairela revue des troupes aſſemblées àMagdebourg
, à Cuſtrin &dans la Pomeranie. Elle partira
le 25 Mai , & reviendra le 12 Juin.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
)
Au milieu des troubles & des mécontentemens
de l'Irlande, on ne néglige pas les plaifirs
àDublin ; le Directeur du théâtre de cette ville
a engagé M.ftriff Siddon à y faire un voyage ;
&le traité qu'il a fait avec elle , eft de lui donner
24000 liv. fterl. pour 22 repréſentations. Mif.
( 44 )
triffSiddon en ſe rendant à Dublin , paſſera à
Edimbourg, où elle donnera 12 repréſentations ,
dont la derniere ſera à ſon profit.
On s'attend à quelques mouvemens dans les
places de l'adminiſtration. On prétend que le
comte de Shelburne ſera fait premier Lord de
la Tréforerie , & que M. Henri Dundas aura
une place de Secrétaire d'Etat .
Quelques lettres de Madras portent que l'avarice
a fait un tel progrès , qu'à peine leGouverneur
donne- t- il , & rarement , une poignée de
riz à un deſcendant de Tamerlan , qui vient
mendier à ſa porte. Vingt Zemindars demandent
ſur les grands chemins ; & leurs femmes
, abandonnées aux horreur de la pauvreté ,
font forcées , pour vivre , de faire le métier de
courtiſannes.
Nos papiers prétendent qu'il y a une négociation
entre l'Impératrice de Ruffie & les Etats-
Généraux pour une ceſſion à faire par ces derniers
au moyen d'un équivalent d'une Ifle dans les
Indes Occidentales.On dit que ce ſera celle de
S. Martin , & on ignore comment les autres
puiſſances regarderont ces arrangemens. Les
Ruffes s'occupent àdonner à leur commerce toute
l'extenfion dont il eſt ſuſceptible ; ils ont toujours
déſiré des poffeffions en Amérique & en Aſe , &
dans la Méditerranée ; ſi Minorque n'avoit pas
été pris par les Eſpagnols , peut-être en ſeroitelle
maîtreffe à préſent ; & on eſt perfuadé que
lorſque cette ifle nous a été enlevée , il y avoit
une négociation ouverte qui en auroit donné la
propriété à la Ruffie .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS, GRAND CHAMBRE.
Cause entre la dame T .... & le ſieur T ... fon
mari. Séparation de corps .
La ſéparation de corps eſt un moyen que la
( 45 )
Juſtice n'emploie qu'avee ménagement ; par
exemple lorſque la patience d'une femme a éré
mi'e à l'épreuve pendant un certain tems , qu'elle
n'a plus aucun eſpoir de ramener ſon mari à des
ſentimens plusdoux ; qu'il y a méme un danger
immient de la laiſſer au pouvoir d'un homme
qui ne ceſſe de la maltraiter. D'après ces principes
, il eſt difficile d'accueillir favorablement
une demande en ſéparation , formée après fix
mois de mariage ; & il faudroit que le caractere
d'un mari futbien violent &bien intraitable
pour donner lieu . das un fi court eſpace , à un
éclat auſſi funefte . Si les femmes étoient de bonne
foi , elles avoueroient que ce ſout preſque toujours
des confeils étrangers qui préparent ces
diviſions . & qui menent par degré à la perverfité
, un coeur pur , une ame innocente , faire pour
ſuivre fans contrainte le chemin de la vertu :
dans une ſemblable occurrence , quel parti doit
prendre la Juſtice ? C'eſt, avant faire droit définitivement
ſur la demande en ſéparation , d'autoriter
la femme à demeurer pendant un délai fixé dans
une maiſon décente , où le mari , en préſence
de témoins , ait la liberté de voir ſa femme , de
lui prouver qu'il n'eſt pas indigne de ſon amitié.
C'eſt le parti que la Cour vient de prendre dans
la cauſe de la dame T ... mariée au mois de
Janvier 1783 , & qui avoit formé ſa demande en
ſéparation des les premiers jours de Juillet , fur
des motifs de ſévices, d'injures & de mauvais
traitemens , &de diffamation. -La cauſe plai- .
dée au Châtelet , Sentence y est intervenue le 20
Décembre 1783 , qui a admis les Parties à la
preuve des faits reſpectifs , a appointé en droit
fur le fonds , & a joint à l'appointement les enquêtes
à faire. Sur l'appel en la Cour , Arret
du 20 Mars 1784 , qui ſurſeoit à faire droit
46 )
pendantun an , pendant lequel tems la dameT...
feratenue de ſeretirer dans une maiſon indiquée
par une aſſemblée de parens , tenue enpréſence
d'un Commiſſaire de la Cour . Perinet au mari de
la voir en préſence deſdits parents : ordonne
qu'elle ſera payée pendant ladite année d'une
penſion , tant pour elle que pour fon enfant ,
qu'elle eſt autorisée à conferver : dépens compenſés.
Cause extraite du Journal des causes célébres.
PARRICIDE exécuté en Flandres.
Les philoſophes qui ont obſervé avec plus
d'attention la marche des paſſions ; ceux qui ont
pénetré , pour ainſi dire , dans l'abîme du coeur
humain, s'accordent tous à regarder comme un
phénomène , qu'un homme vertueux devienne
tout à coup un ſcélérat. Cette opinion honorable
pour le genre humain , a été adoptée dans
tous les temps. Il faut avouer cependant que
cette règle , admiſe en morale , n'eſt pas , malheureusement
, fans exception. - La Flandre
vientde voir expirer , dans les tourmens du plus
cruel fupplice , un monſtre qui paroît avoir franchi
bruſquement la ligne qui ſépare la vertu du
crime. Quelques inſtans avant ſon forfait , c'ésoit,
dit-on,uncitoyen irréprochable.-Jean-Baptiſte
Lacquemant demeuroit àBeuvry, dépendance
de Marchienne. Si l'on en croit tous les habitans
du canton , il étoit l'exemple du village. Ennemi
de toute eſpece de diſſipation , & fur tout de ces
fêtes de cabaret auxquelles les gens du peuple
ne ſe livrentque trop ſouvent , il n'étoit occupé
quede travaux ruſtiques , des pratiques religieutes
&du bonheur de ſa famille (car il joignoit à la
qualité d'homme réputé vertueux , le mérite
d'être époux &pere); il jouiſſoit enfin de la paix
( 47 )
domeſtique , de l'eſtime de lui -même , &de celle
desautres, lorſqu'un ſordide intérêt cauſatout-àcoup
, en lui , la révolution la plus étrange & la
plus affreuſe . Son pere étoit veuf : las , ap .
paramment de cet état , il conçut le projet
de ſe remarier , & jetta ſes vues ſur une veuve
du canton. Le fils , qui , avant cette
époque étoit cité comme un modèle de ſageſſe
&de modération , devint furieux , lorſqu'il vit
que ledeſſeinde ſon pere alloit le traverſer dans
ſes petits projets économiques. Il réſolut, à quelque
prix que ce fût , de mettre obstacle au
mariage projetté. Travefti & armé d'un bâton ,
il alloit , la nuit , chercher & attendre ſon pere ,
àdeſſein de le détourner , par des terreurs , du
deſſein qu'il avoit conçu, Soit que ce moyen eut
réuffi , foit par tout autre motif, le pere promit
de neplus aller voir la veuve.-La veille de
l'Epiphanie , les gens de la campagne ſe réunifſent
en famille pour célébrer la fête des Rois ;
Lacquemant , qui croyoit avoir fait perdre à fon
pere tout penchant pour le mariage , l'invita à
fouper le 5 janvier 1784. Dans la gaieté du
repas , le bon vieillard par quelque propos déclara
ía perſévérance pour la veuve. Lorſqu'ils ſe
furent ſéparés (vers dix heures & demie ) , le
fils inquiet , voulut s'aſſurer ſi ſon pere étoit
rentrédans ſa maifon : il s'y tranſporta , & ne
l'y ayant point trouvé , il prévit qu'il étoit chez
laveuve; & auffi-tot de ſe livrer à tous les exès
de la fureur. Il court chez lui , ſe déguiſe ,
s'arme d'un gros bâtonde cerifier , va ſe poſter
fur le paſſage de ſon pere, l'attend pendant une
heure &demie , & l'ayant enfin apperçu , s'élance
, lui porte , avec violence , pluſieurs coups
debâton fur les jambes ; elles ſont rompues
; .... le malheureux vieillard ſe releve ſur
....
( 48 )
reur , ....
les genoux , reconnoît ſon fils , frémit d'horla
douleur l'effroi d'une mort violente
, le ſpectacle affreux d'un fils afſaſſinant
ſon pere , tout l'enfer déchirant fon coeur. La
terreur fur le front , les joues livides & creuſées ,
des cheveux blancs hériflés , les bras tremblans
tendus vers fon parricide,il s'exhale en gémiſſemens,
il implore ſa pitié; .... le monſtre , d'une
main horriblement fûre, lui porte ſur la tête le
coup de la mort ...- Le lendemain [ 6 Janvier
le cadavre de cet infortuné vieillard fut
trouvé dans l'endroit même ou il avoit été
affaffiné. Jamais les ſoupçons n'euffent tombé
fur J. B. Lacquemant , fi ce malheureux n'avoit
lui-même été au-devant par ſes inquiétudes &
ſes remords. Bientôt il fut décrété , arrêté ; les
hommes de fief de la cour feodale de la ville de
Marchiennes inftruifirent la procédure , & fur
les preuves qui en réſulterent , ils condamnerent
le parricide à être rompu & brulé. Leur
fentence a été confirmée par le parlement de
Douay , le 29 Janvier 1784. Deux jours après
Jean -Baptiste Lacquemant, ſubitſon fupplicedans
toute fa rigueur , mais avec une réſignation que
la religion ſeule peut inſpirer. Moins effrayé
des tourmens dont ilvoyoit l'affreux appareil, que
de l'horreurde ſon crime, ce malheureux, en montint
à l'échafaud, dit aux religieux qui l'accompagnoient
, que les tranſes qui le bouleverſoient , n'avoient
point pour cauſe l'approche du fupplice qui lui
étoit préparé , mais la crainte que cefupplice neſuffit
paspour expierfon forfait devant Dieu ; qu'une autre
allarme , non moins déchirante pour lui , étoit ſon
incertitude ſur les diſpoſitions de l'ame de fon pere ,
lorſqu'il expira. -Ce fut dans des ſentimens
auffi touchans , que mourut celui qui s'étoit
fouillé du plus abominable de tous les crimes.
MERCURE
DEFRANCE .
SAMEDI 26 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Au Comte DE HAGA.
IL te revoir enfin, ce Peuple aimable & brave ,
Qui , dès tes jeunes ans, jugea ſi bien de toi !
Tu n'as point démenti le grand nom de Guſtave;
On eſtima le Prince , on admire le Roi.
Combien de ta préſence auguſte
Nos Citoyens ſant réjouis !
C'eſt complaire à leur maître.... Ils favent qu'un Roi
juſte
Doit être l'ami de Louis.
Dans cet accueil touchant vois l'honorable marque
De nos voeux & de ton ſuccès ;
Faut- il plus dire encor ?.... Sois sûr que le François ,
S'il n'avoit ſes Bourbons, te voudroit pour Monarque ,
Tant fur lui les vertus ont un attrait puiſſant !
Il n'eſt point , tu le ſais , d'État ſi florifſfant ,
N³. 26 , 26 Juin 1784.
G
146 MERCURE
Et point de fi beau diadême.
Quel est donc en effet le ſort des Souverains !
Beaucoup font reſpectés , d'autres , hélas! ſont craints.
Ce n'est qu'en France qu'on les aime.
( Par M. D.... t. )
:
VERS contre les Vieillards , consacrés à la
gloire de leur plus brillant Doyen.
CROROIIKREE encor écrire enbeauxvers,
Se marier , livrer bataille
Quand on a quatre- vingt hivers ,
C'eſt s'expoſer à trois revers ,
Dont fans pitié chacun ſe raille.
Idolâtrer , ſervir dans un âge auſſi vieux
Les Amours, les Muſes , laGloire ,
N'eft qu'un ridicule odieux.
Tous les vieillards ſont faits pour rater la Victoire.
L'homme au bord du tombeau , traînant ſon corps
perclus ,
Même avant d'expirer ſouvent n'exiſte plus .
Ainfi , Guerriers, Amans , Riments octogénaires ,
Jouiſſez du paflé , bornez-y vos chimères ,
Racontez vos exploits , liſez vos vers heureux ,
Sans eſſayerd'en faire d'autres ;
L'eſprit baiffe & s'éteint dans un corps catarreux .
Mars , Phébus & l'Amour ne lancent plus leurs feux
Sur des coeurs vieux , uſes , glacés comme les vôtres.
'DE 147 FRANCE.
Ces vers , où je m'égaie aux dépens des vieillards ,
Furent lûs l'autre jour d'un ami des Beaux-Arts ,
Qui me dit : « N'en déplaiſe à votre poćke ,
>>>Le modèle brillant de la galanterie ,
>>>Qui pilla de Vénus des grâces le tréſor ,
>>Qui prit Chypre & Mahon en dépit de l'envie ,
>> Qui reçut tour--à tour une couronne d'or ,
• Des trois Dieux que vos vers veulent qu'un vieil-
R
>> lard fuie :
...... qui des Grands piqua la jalouſie ,
>> A quatre vingt-huit ans eſt bien vivace encor.
>> L'âge n'a pas éteint ſa force&ſon génie.
J'en conviens , ce Héros vanté ,
Non moins ſavant dans l'art de Follard , de Polybe,
Que dans l'art plus charinant de dompter la beauté ,
Siffle par ſa bonne ſanté
Ma morale & ma diatribe.
En Grèce , les vieillards à leurs petits enfans
Difcient: « Ce bon Neftor qu'on révère & qu'on
>> aime ,
>> Qui raconte des faits auſſi vieux qu'étonnans ,
>> Qui vit Troye embrâfée& ſes remparts croulans ,
>> Nos pèrescommenous l'ont toujours vù de même..
Je veux que R...... , par un bonheur extrême ,
Conſerve comme lui ſa vigueur & ſes ſens.
Que Bellone & Vénus l'adorent à cent ans .
Ces deux Belles encor , fans nuire àmon ſyſtème ,
Peuvent le couronner de leurs lauriers brillans.
G
1
1
148 MERCURE
Commeonvoitdans l'hiverun beaujourde printems,
Par miracle une fois la ſageſſe ſuprême
Sufpend l'ordre& le cours de fes décrets conftans ,
Garantit unHéros des outrages du temps ,
Et le dérobe aux coups de la parque au teint blême.
Mais comme tout finit , quand ce Neſtor nouveau
Aura dans un eſquif traverſé l'onde noire ,
Voici ce que ſur ſon tombeau :
Gravera le burin des Filles de Mémoire :
« Paffant , qui que tu fois , apprends que dans ce lieu,
>> Sous ce marbre ſacré, repoſe un demi-Dieu ,
>> Qui fixa ſur ſes pas l'Amour & la Victoire ,
• Qui vit bien peu changer les deſtins inconſtans ,
>> Qui joignit de Vénus les mýrtes éclatans
> Aux brillans lauriers de la gloire.
>>> Le plus aimable des François ,
>> Le plus grand aux yeux de Bellone ,
>> Le ſauveur du Génois, la terreur de l'Anglois ;
L'ami de ſon Monarque & l'appui de ſon trône ;
>> Qui réunit tous les honneurs ,
» Qui de Minerve eut les faveurs ,
>> Qui ſubjugua toutes les Belles;
Qui , ſans languir jamais dans un obfcur repos,
>> Se montra près d'un ſiècle un grand Homme, un
לכ Héros;
>>> Il cueillit en tout temps des palmes immortelles. »
Stdu Seigneur vanté, dont je peias les hauts faits ,
DE FRANCE.
149
Dans des vers moins beaux que fidèles ,
Je te tais le grand nom. Tu m'as lû..... Tu le fais.
(ParM. leFrançois , Ancien Officierde Cavalerie.)
IMITATION d'une Épigramme de
l'Anthologie.
APRÈS PRÈS les faveurs d'une Belle ,
Sais-tu ce que j'aime le mieux ?
Ami , c'eſt le vin le plus vieux
Et la chanſon la plus nouvelle.
( Par M. le Vicomte de Br... de Vérac. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Voltaire; celui
de l'Enigme eſt Jus ( fuc, jus ) , Jus (Droitde
Justice) ; celui du Logogryphe eſt Figaro ,
où l'on trouve Io , Roi , air , or , if, fa ,
Riga , Goa , foi , fi , gai.
CHARADE.
L'un de l'autre eſt frère ,
Et le tout eſt père.
(Par M. D***** D. )
Giij
150
MERCURE
ÉNIGME.
JEEne péris point par la corde
T
Et cependant il eſt bien clair
Qu'on me pend ſans miféricorde,
Et queje ſuis pendu même avant d'être en l'air...
Par M. de la Roque , Capitaine en Secona au
Régiment de Baffigny. )
LOGOGRYPΗ Ε.
J'APPARTIENS 'APPARTIENS par droit de conquête ;
Duplus fort jedeviens la part.
J'ai cinq piés. Au pays Picard
Je ſuis ville , en perdant ma tête.
Mes deux premiers à bas , ſans être un Orateur ,
Je fus célèbre au Capitole.
Otes-moi tête& queue ,& parlant à ton coeur ,
François , je nomme ſon idole.
(Par M. le Marquisde Fulvy. )
DE FRANCE : 151
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LES Veillées du Château , ou Cours de
Morale à l'usage des Enfans , par l'Auteur
d'Adèle & Théodore. A Paris , de l'Imprimerie
de Lambert , rue de la Harpe ,
près S. Come ; 1784.3 vol . in- 8 ° . Prix ,
15 liv. brochés .
Je ſuis ,dit Madame de Geulis , le pre-
- mier Auteur qui ſe ſoit occupé de l'Édu-
> cation du Peuple. "
Elle auroit pu ajouter :
Et j'ai pris pour l'inſtruire , la forme la
plus agréable , laplus intéreſſante , là plus à
la portée comme au goût de tout le monde ,
la plus favorable à l'inftruction , la forme
dramatique.
Cet avantage méritoit ſans doute d'être
réclamé. Mme de Genlis , en le réclamant ,
n'en rend pas moins à l'Auteur des Vûes Patriotiques
ſur l'Éducation du Peuple , & c. une
juftice que tout le monde ne luia pas rendue;
mais comment pouvoit on avoir oublié ce
quatrième Volume du Théâtre d'Éducation ,
uniquement deſtiné aux enfans de Marchands
, d'Artiſans , de perſonnes même audeffous
de cette claſſe ? Comment pouvoiton
fur- tout avoir oublié cette Rofière de
Giv
152 MERCURE
Salency, l'un des plus touchans Ouvrages
qui exiftent dans notre langue , & le plus
touchant peut être de tous ceux de Mme de
Genli?s
Quant à la queſtion ſi l'Auteur a voulu ſe
peindre ſous le nom de Mme d'Almane ,
dans Adèle & Théodore , il n'en fut jamais
de plus oiſeuſe. Quel Auteur d'Ouvrage en
forme , ſoit épique, ſoit dramatique , ne
donne pas ſes opinions& ſes ſentimens au
principal perſonnage , au perſonnage le plus
vertueux ? Est- ce s'attribuer les vertus de ce
perſonnage , que d'annoncer qu'on penſe
comme on le fait agit ? Laiffons ces chicanes
nées de la grande célebrité du Livre
d'Adèle & de fon éclatant ſuccès. Les Veillées
du Château vont bien exciter d'autres orages.
Premièrement , quelques Auteurs vivans y
font beaucoup loués , ce qui déplaît toujours
un peu à d'autres Auteurs vivans. Secondement
, des Auteurs illuftres , on encore
vivans ou morts depuis peu , y font beaucoup
critiqués , ce qui eſt encore plus amer ;
& l'Auteur qui vivra éternellement , M. de
Voltaire , y eſt ugé avec une ſévérité qui ne
paroîtra pas juſte à tout le monde. Marchons
d'un pas ferme & libre à travers toutes ces
opinions , en ne les confidérant que comme
des opinions qui ne font loi pour perfonne
, mais qui ne doivent être interdites à
perfonne. Reſpect & admiration pour tout
ce qui en mérite; mais point de culte d'hom
me à homme , point de ſuperſtition. L'OuDE
FRANCE.
193
vrage le plus utile à faire , ſeroit peut être
un examen impartial , à charge & à decharge
des OEuvres de M. de Voltaire , parce que
c'eſt l'Écrivain dont l'influence fur fon fiècle
a éré la plus grande , tant en bien qu'en mal.
S'il y a un genre d'Ouvrage où l'on puiffe
s'attendreàtrouver cet illuftre Écrivain traité
avec quelque rigueur , c'eſt ſans doute an
Livre conſacré à l'éducation de la jeuneſſe ;
& il faut permettre, quand même on ne
ſeroit pas de cet avis , de dire qu'il ne peut
être mis qu'avec précaution & avec choix
entre les mains des enfans,&des jeunes gens .
La Préface des Veillées nous offre d'abord
une grande vérité à laquelle on ne fauroit
faire trop d'attention, c'eſt qu'il n'y a d'utiles
que les Livres agréables; c'eſt que la morale
miſe en action eſt la ſeule qui agiſſe ſur
les âmes; & que les Ouvrages qui ont le
plus influé ſur les moeurs , ont tous une forme
agréable & intéreſſante. Il en eſt de
même detous les genres d'inſtruction : pour
inſtraire , il faut plaire. Combien d'Ouvrages
admirables pour la profondeur des recherches
& l'immenſité des connoiffances , n'ont
rien appris à perſonne , parce que leurs Auteurs
ont négligé de ſacrifier aux Grâces , ou
de prendreune forme attirante & attachante;
car ce que nous diſons ici en général de l'agrément
, tient d'une manière particulière à
La forme , malgré les défauts même de l'exécution.
Un exemple rendra ceci ſenſible.
Tout le monde lit le Spectacle de la Nature ,
Gv
154
MERCURE
&tout le monde convient que , ſans parler
du fond , la forme dialogique n'en yaut rien.
L'Écolier eſt déjà un petit pédant; Madame
la Comteffe , à qui on a voulu donner les
grâces d'une femme du grand monde , n'eſt
qu'une Bourgeoiſe qui a des airs ; M. le
Comte eſt un gentillâtre affez épais ; M. le
Prieur est un homme de College. Tel eſt
cependant le charme de cette forme dramatique
, toute défectueuſe qu'elle eſt , qu'on
s'amuſe en s'inſtruiſant dans le Spectacle de
la Nature , & que l'Histoire du Ciel , du
même Auteur , où c'eſt l'Auteur même qui
parle & enſeigne d'un ton raiſonnable &
ſenſé , ennuie & n'apprend rien.
De toutes les formes qu'on peut donner
' à un Ouvrage d'inſtruction , à toute forte
d'Ouvrages , la forme dramatique est toujours
la plus intéreſſante; l'épopée même eſt
obligée d'y recourir pour produire ſes plus
grands effets ; auſſi eſt- ce la forme que Mme
de Genlis a cru devoir donner à preſque
tous ſes Ouvrages. C'est le Théatre d'Éducation
, c'eſt le Théâtre de Société , toujours
fait dans un eſprit relatif à l'éducation ; le
Roman moral & inſtructif d'Adèle eft en
Lettres , par conféquent dramatique ; dans
les Veillées , tout prend la même forme ,
rout parle & agit ſous les yeux du Lecteur.
La Baronne , & Mme de Clémire ſa fille ,
qui racontent à leurs enfans , dans un vieux
château , les hiſtoires de la veillée , ou qui
les font raconter par des perſonnages inté-
:
DE FRANCE. 155
reſſés à l'action , font agiſſantes comme les
filles de Minée , dans les Métamorphofes ,
quand elles racontent la malheureuſe aventure
de Pyrame & Thisbé , & d'autres hiftoires
ſemblables ; ou , comme Philoctère ,
lorſque d'après Sophocle il peint ſi énergi-
- quement à Télémaque ſes longues fouffrances
dans l'Ifle de Lemnos , ſes touchantes
fupplications à Pyrrhus , ſes fureurs contre
Ulyffe, enfin ſa réconciliation avec ce même
Ulyffe& les Atrides , par l'entremiſe de Pyr
rhus & par l'ordre d'Hercule.
Les Hiſtoires des Freillées , priſes toutes
enſemble , ont un grand objet moral , qui eſt
le même que celuid'Adèle & des deux Théủ-
tres; c'eſt celui d'inſpirer aux enfans les
goûts ſimples & vertueux qui rapprochent
de la Nature , & qui font aimer la vie champêtre;
chaque hiſtoire en particulier a aufli
fon but moral, ſa vérité particulière à établir
& à inſpirer ; & ici le plan romaneſque &
dramatique eſt poſtérieur & fubordonné a
plan des idées: le conte eſt fait pour la mor
ralité , non la moralité pour le conte. Quand
La Fontaine veut prouver qu'il faut avoir le
courage de ſuivre ſa vocation dans le choix
d'un état , ou fon goût dans les choſes indifférentes
, fans donner trop d'importance aux
jugemens frivoles , inconfequens & contradictoires
du valgaire, la fable du Meûnier ,
fon Fils & l'Ane , établit très bien cette vérité;
tous les incidens s'y rapportent parfaitement;
on ſent que le conte a été fait pour
Gvj
156 MERCURE
la moralité ; quand , au contraire , dans une
fable ou prologue contre ceux qui ont le goût
difficile, il eſſaye groteſquement divers tons
fans ceffer de donner priſe à la critique , &
qu'il finit par dire :
Les délicats ſont malheureux ,
Rien ne fauroit les ſatisfaire .
Cette prétendue moralité n'est qu'une défaite
par laquelle le Poëte ſe joue de ſon
Lecteur en finiffant , comine il s'en eſt joué
dans tout le cours de l'Ouvrage : cette moralité
n'eſt nullement établie. Eſt on malheureux
de ne pas trouver que priant &
amant forment une rime bien riche ? Ici la
moralité a été faite pour la pièce , & non la
pièce pour la moralité , c'eſt ce qui fait que
la moralité porte à faux. L'Auteur des Veillées
évite toujours cet inconvenient. Faits ,
incidens , caractères , jeu des paſſions , tout
ſe rapporte a la moralité , tout la développe
& la rend ſenſible. L'enfant ne peut plus la
méconnoître ni l'oublier; il a été amuſé ,
ému , intéreſſé en apprenant ſon devoir ; il
fent la raiſon , il aime la vertu .
Ce n'eft pas tout de prouver à part , &
d'une manière iſolée , chaque vérité ; il faut
qu'en s'enchaînant , elles ſe fortifient & fe
prêtent un ſecours mutuel; ce n'eſt point an
haſard que les diverſes Hiſtoires qui compofent
ce Recueil ſe trouvent placées à la ſuire
les unes des autres; la ſuivante naît toujours
de la précédente, &des réflexions auxquelles
DE FRANCE.
157
elle a donné lieu ; ces hiſtoires ſont difpoſées
dans un ordre graduel , favorable &
adapté aux progrès de l'eſprit des enfans,&
au développement de leur raiſon.
Par exemple, Mine de Clémire s'apperçoit
que des propos de Femmes de chambre&de
Domeſtiques intéreſſes à regretter Paris , ont
jeté dans l'eſprit des enfans des préventions
contre le ſejour de la campagne ; elle reconnoît
d'abord la ſource de ces préventions,
&elle avertit ſes enfans du danger de ces
converſations avec des Domeſtiques , à qui
le défaut d'éducation donne des idées & fuggère
des diſcouts qui ne peuvent que nuire
aux progrès de l'éducation. Cependant cette
règle de ne point caufer familièrement avec
les Domeſtiques, reçoit d'abord toutes les
restrictions dictées par l'humanité , par la
raiſon , par l'élévation înême, ſi différente de
l'orgueil, elle reçoit auffi des exceptions ab
folues; par exemple, lorſqu'un caractère diftingué
, des vertus rares , ou le haſard d'une
éducation heureuſe ſe rencontrent dans ceux
qui ont le malheur d'être réduits à l'état de
Domestiques , ces exceptions ſont autant de
nouvelles vérités à démontrer , & c'eft ce qui
amène la touchante hiſtoire d'Ambroife &
celle de Marianne Rambour , dont l'action ,
difcutée dans un entretien intéreſſant , qui
n'eſt point au deſſus de la portée d'un enfant
bien élevé , eſt jugée ſupérieure à celle d'Ambroiſe,
laquelle fait peut être d'abord plus
d'effet. C'est ainſi que chaque hiſtoire eſt un
158 MERCURE
petit Drame complet , faiſant partie d'un
grand Drame , qui eſt l'ouvrage entier. Ce
mélange de récits , & de réflexions ſur ces
récits , eſt une méthode pleine d'intelligence
& de goût , qui double le mérite des uns&
des autres ; les récits font valoir les réflexions
en les appliquant à quelque choſe de ſenſible
, en leur ôtant cette généralité vague ,
cette ſéchereffe qu'elles ont dans les traits de
morale purement dogmatiques ; les réflexions
à leur tour donnent du prix aux récits ,
elles en prolongentl'effet , elles en font fortir
les détails; quelquefois même , en corrigeant&
modifiant certaines impreffions trop
fortes & trop promptes , elles rectifient ce
que les jugemens peuvent avoir eu , en con
ſéquence, de défectueux . Par exemple, dans
l'hiſtoire de M. de la Palinière , Julie paroît
un exemple de la vertu opprimée & malheureuſe
, & les enfans doivent en juger
ainfi ; un examen plus ſévère , une difcuflion
plus fine fait appercevoir dans ſa conduite
des fautes qui font la véritable cauſe de ſes
malheurs.
C'eſt ainſi que la Baronne & Mme de
Clémire examinent tout , diſcutent tout, pèſent
tout, jugent tout avec leurs enfans , &
leur font faire de leur raiſon naiſſante un
uſage toujours progreſſif; elles deſcendent
noblement, ſans petiteſſe , ſans minutie, jufqu'à
leurs enfans pour les élever juſqu'à
elles; elles obfervent en grand ce beau précepte
de Juvenal : Respectez l'enfance , ne
DE FRANCE. 199
dédaignezpoint lafoibleſſe desjeunes années.
Maximadebetur puero reverentia.......
• . Ne tu vueri contempleris annos .
Voilà pour ce qui concerne le plan général
& le ſyſtemo d'après lequel l'Ouvrage eſt
compofé.
Parcourons quelques détails.
La première & la plus importante leçon à
donner àdes enfans, étoitde leur faire fentir
tout le prix de l'éducation , tout le malheur
d'en être privé , tout l'intérêt qu'ils ont de
ſeconder par leur docilité les foins de leurs
parens,tout le beſoin qu'ils ont de s'inſtruire
&de prendre la raiſon pourjuge de toutes
leurs actions , de leur faire ſentir enfin combien
la deſtinée de ce qu'on appelle un enfantgâté,
peut être malheureuſe.
C'eſt l'objet de la première Hiſtoire , qui
a pour titre: Delphine , ou l'heureuse guérifon.
Nous ne parlons plus ici du rapport
ſenſible des faits & des caractères avec la
leçonqu'on veut donner ; ce mérite de convenance
, qui ſe retrouve dans tout l'ouvrage
, a été ſuffifamment relevé: ce que
nous remarquons plus particulièrement ici ,
c'eſt le talentde peindre & de graver les objets
dans l'imagination en traits ineffaçables ;
c'eſt le jeu des petites paſſions de Delphine ,
de ſes caprices, de ſes hauteurs , de ſes fureurs
, de ſes petites révoltes impuiſſantes
contre la raiſon ferme & calme qui a entrepris
de les dompter , & qui en triomphe;
1.60 MERCURE 1
c'eſt la variété , c'eſt le contraſte des caractères
& de la conduite ; ce ſont ces nuances
fines qui differencient les caractères du
même genre : M. & Mime Steinhauffe , Hen
riette , leur fille , Catau , leur Servante , font
tous caractères du même genre , toujours
guidés par la raiſon; ils font dans la même
cauſe&dans les mêmes intérêts; ils tendent
au même but , ils concourent au même ouvrage
, & cependant ils font tous différens.
Le mari eſt réſervé pour les grandes occafions
: c'eſt un Dieu ſauveur qui ne paroît
que pour rendre la vie& la ſanté; on ne le
voit , pour ainſi dire , que dans le lointain.
C'eſt ſa femme qui eſt chargée des détails da
régime & de la conduite; elle oppoſe aux
contradictions , aux révoltes , aux tempêtes ,
le calme d'une taiſon inaltérable; l'autorité
dont elle est dépositaire , joint à ſadouceur
une petite teinte de ſévérités par la raifon
contraire , on ne voit rien de ſemblable chez
Henriette , ſa raiſon est toujours douce , enjouée
, indulgente , aimable; elle a , pour
ainſi dire, la fraîcheur & les grâces de la jeuneffe;
fa bonté, ſa bienfaiſance en ont toute
l'ardeur . Catau eft , comme le dit Madame
Steinhauſſe , une excellente fille , très patiente
, très douce; la ſeule circonſtance
d'être Allemande & de ne pas entendre un
mot de François , la diftingue fuffisamment
des autres , & contraſte plaiſamment avec
les emportemens& les fureurs de Delphine.
Au milieu de cette tempête, Catau eft in
DE FRANCE. 161
ſenſible & immobile comme un rocher ,
elle n'a d'action que contre les actions ; les
diſcours ne lui ſont abſolument rien. Mais
ce qui eft fur tout ménagé avec un art infini ,
c'eſt le retour de Delphine à la raifon & à
la vertu ; il ſe fait par une gradation patfaitement
proportionnée au caractère de la
jeune fille, qui est très- imparfaite , mais qui
n'eſt point perverfe , & à l'influence que
doivent avoir ſur elle les événemens & les
exemples dont elle eſt entourée. La réparation
qu'elle fait à Catan eſt attendriflante ;
Delphine devient non- feulement bienfaiſante,
mais delicate; car la délicateffe , qui
ménage l'amour- propre ,devient une partie
effentielle de la bienfaiſance .
C'eſt par les plus douces & les plus tendres
larmes que le Lecteur fait l'éloge de
l'Eſtoire qui a pour titre: Le Chaudronnier,
ou la Reconnoiſſance réciproque , & qui eft
déjà célèbre ſous le nom d'Histoire d'Ambroife.
Cet Ambroiſe eſt un Laquais qui
nourrit ſa Maîtreffe , tombée dans la pauvreté.
Obligée de renvoyer tous ſes Domeftiques
, elle avertit Ambroise de chercher
une autre maiſon. "-Non , je mourrai en
>> vous fervant.-Ambroise , vous ne con-
>> noiffez pas ma fituation. - Madante ,
vous ne connoiſſez pas Ambrøife. » Mot
fublime , dont toute la conduire d Ambroiſe
eſt le développement. La reconnoiffance de
fa Maîtreſſe n'eſt pas moins touchante , &
le plaifir de voir leur vertu récompensée est
142 MERCURE
un bonheur dont le Lecteur a beſoin .
L'Hiſtoire des deux petits Payſans , Auguſtin
& Colas , établit une eſpèce de paradoxebien
piquant en morale , & qui pourroit
être bien utile au genre humain ; c'eſt
qu'il n'est pas auffi naturel qu'on le croit
communément , de ſe préférer aux autres.
Auguſtin s'est dépouillé de tous ſes habits ,
>> parce qu'il fouffroit moins de la douleur
➤ qu'il éprouvoit que de celle qu'enduroit
» fon frère ...... O quel ſentiment fublime
>> que la pitié , puiſqu'il peut donner de
ود ſemblables vertus ! Loin d'amollir l'âme ,
>> il l'élève , il fait oublier les dangers , bra-
>> ver la mort & la douleur !..... Ne vous dé-
د fendez donc jamais d'un mouvement fi
>> beau. Conſervez avec ſoin cette paffion
* active & tendre , ſi naturelle au coeur de
> l'homme , & qu'il ne peut perdre qu'en
>> ſe corrompant. "
Nous avons parlé de l'Hiſtoire de Marianne
Rambour, qui remplit, à ſes dépens
&ſur ſes épargnes, les derniers voeux de ſa
Maîtreffe, en fondant une école de charité
que ſa Maîtreſſe , en mourant , regrettoit de
n'avoir pu fonder. Elle en eſt auſſi récompenſée.
Ce qui donne lieu à l'Auteur d'établir
une autre maxime en morale , qui mériteroit
d'être toujours vraie , c'eſt quejamais.
une action héroïque ne reſte ſans récompense,
même dès ce monde.
La mauvaiſe éducation avoit donné des
vices à Delphine ; on ſent aisément l'horreur
DE FRANCE. 163
du vice , on s'effraye moins des ſimples défauts;
la négligence , par exemple , le défaut
de foin& d'ordre ſont affez ordinaires aux
enfans ; on ſe les pardonne d'autant plus aifément,
que la morale n'y paroît pas d'abord
intéreſſée ; l'Auteur fait voir à quel pointils
peuvent être nuiſibles ; c'eſt l'objet de l'Hiftoire
qui a pour titre : Eglantine , ou l'Indolente
corrigée. Le courage maternel de Doralice
( fait véritablé) eſt un ſuperbe incident>
dans cette Hiſtoire. Celle de M. de la Palinière
offre des ſcènes tragiques , & montre
le danger des paffions. Bugénie & Léonce ,
ou l'Habit de Bal. Cette Hiſtoire eſt une
des plus jolies Paftorales Dramatiques , &
nous ne ſerions pas étonnés que ce fût celle
detoutes ces Hiſtoires qui fît le plus de plaifir
à beaucoup de Lecteurs. La ſcène eſt à la
campagne. Eugénie , femme de Léonce ,
jeune, ſenſible & bien élevée , a reçu de fon
beau père une bourſe de ſoixante louis pour
ſe faire faire un habit de bal. Cet uſage de
l'argent lui avoit été indiqué par ſon beaupère.
Il s'agiſſoit d'une grande fête où elle
devoit ſe trouver à Paris dans quelque tems.
Eugénie avoit vû dans la campagne un vieillard
à cheveux blancs , pauvre , chargé d'une
foeur paralytique & de cinq petits enfans
orphelins. Avec cinquante louis , dit-elle ,
j'aurai un habit affez beau; ainfi , je vais
prendre dix louis ſur cette fomme pour les
donner au pauvre Jérôme ( c'eſt le nom du
vieillard ): elle le trouve endormi au bord
164 . MERCURE
d'un ruiſſeau ; ſa petite famille raſſemblée
autour de lui ,& protégeant ſon ſommeil ;
les uns chaſfant les mouches & les coufins
avec des branches de faule , une autre éten
dant an deffus de la tête un tablier pour lui
donner de l'ombre , la naïveté de la petite
fille faiſant ſigne du doigt à Eugénie de ne
pas faire du bruit , & ne conſentant à lui
céder la place , ainſi que ſes perits frères ,
qu'après qu'elle a promis de bien chaffer les
mouches ; tout cela forme un tableau, enchanteur..
Comme il dort paiſiblement , dit Eugé-
> nie en le conſidérant ! pauvre& refpes-
>> table vieillard ! à ſoixante & quinze ans
>> encore obligé de travailler ſans relâche ! ...
>>O qu'il feroit doux d'affarer la tranquillité
de ſes vieux jours !..... Dix lopis ne ſe-
>>, ront qu'un foulagement à ſa misère; mais
>>cinquante le mettroient dans l'aiſance......
>>Valentine, (c'eſt la fille deſaGouvernante)
>>>regarde ce vieillard..... Avec quelle gaîté
>>il fouperoit ce foir, entouré de ſes petits
enfans ! avec quelle joie pure il les embeafferoit&
recevroit leurs careſſes !.... &
» moi , demain matin, je pourrois écrire
tout ce détail à ma mère ...... O ma mère !
combien elle feroir heureuſe en lifant
>>certe lettre ! Elle convient avec Valentine
>> qu'elledoit conſulterLéonce;mais , ajoute-
>>t'elle , éloignons-nous d'ici , car la vue de
ce vieillard me cauſe une rentation à la-
» quelle je ne pourrois réſiſter. Elle fe
DE FRANCE. 165
,
lève pour aller confulter Léonce , elle le voit
àſes pieds: caché derrière une haie , il avoit
tout vû , tout entendu , tout approuvé avec
tranſport.On peut ſe figurer l'etonnement
l'attendriffement , la joie , la reconnoiſſance
du vieillard à fon réveil. A travers tout ce
charme de vertu & de bienfaiſance dont on
eſt pénétré juſqu'au fond du coeur , Cefar ,
fils de Mme de Clémire , remarque la circonſtance
de Léonce , caché derrière une haie
pour ſurprendre ;& malgré toutes les raiſons
qui l'excufoient , on le blâme de s'être caché,
on établit pour principe que dès qu'une
action eft condamnable par elle-même , on
ne doit jamais ſe la permettre , quel que foit
le motif qui nous guide , & cette perite faute
n'a été mêlée parmi tant de bons ſentimens ,
que pour éprouver la raiſon des enfans , en
leur faiſant démêler cette faute comme une
diffonnance ouune couleur trop tranchante .
L'Hiſtoire qui a pour titre : Alphonse &
Dalinde, ou la Féerie de l'Art& de la Nature,
eſt le réfultat de lectures immenfes ;
c'eſtun cours complet d'hiſtoire naturelle &
de géographie : il ſeroit difficile d'inftruire
d'une manière plus agréable &
plus intéreſſante ; mais nous devons peutêtre
avertir les Lecteurs frivoles , les Lecteurs
gens du monde , qu'ils feroient un
étrange contre ſens s'ils prenoient ici le roman
pour l'objet principal , & l'inftruction
pour Pacceſſoire. La manière la plus utile de
lire cette hiſtoire , eſt d'avoir toujours les
166 MERCURE
notes & des cartes ſous les yeux ; en un mot,
c'eſt une étude qu'il faut ſe réſoudre à faire ,
mais une étude dans laquelle l'Auteur a pris
fur elle toute la peine , & n'a laiſſé au Lecteur
que l'agrément .
Il y a dans les converſations de Mme de
Clémire avec ſes enfans , beaucoup d'autres
inſtructions ſemblables ſur les Arts , fur
l'Hiſtoire , fur la Morale , ſur la Phyſique ,
fur tous les objets .
L'Hiſtoire qui a pour titre: Pamela , ou
l'Heureuſe Adoption , offre dans Paméla le
caractère le plus aimable qu'il ſoit poffible
de concevoir , & rien n'eſt plus naturel ni
plus vrai que l'enthouſiaſme de cet Anglois ,
qui s'écrie : Grâce au ciel, cet Ange est une
compatriote.
Voici quelques traits de ſon portrait.
• Son âme l'élevoit ſans ceſſe au deſſus de
ود ſon âge. Lorſqu'elle parloit de ſes ſentimens
, elle n'avoit plus le langage ni les
> expreſſions de l'enfance. On pouvoit citer
>> d'elle mille traits charmans , des réponſes
fines & délicates , & une foule de mots
» heureux & touchans que le coeur ſeul peut
>> inſpirer. Cette ſenſibilité vive & profonde
> répandoit une grâce inexprimable fur
>> toutes les actions de Pamela ; elle donnoit
ود à ſa douceur un charme qui pénétroit
l'âme ,elle embelliſſoit ſa figure .On voyoit
mille fois Pamela avant de ſavoir fi fes
traits étoient réguliers , ſi elle étoit belle
» ou jolie. On n'étoit frappé que de ſa phy-
"
DE FRANCE. 167
وو fionomie intéreſſante , ingenue; on ne re-
>>marquoit que l'expreſſion céleste de ſon
» viſage. On ne pouvoit ni l'examiner ni la
" louercomme une autre.Elle avoit de grands
» yeux bruns , de longues paupières noires.
Onne diſoit rien de ſes yeux; on ne parloit
que de ſon regard.
ود
Olympe & Théophile , ou les Herneutes.
Cette hiſtoire donne de grandes leçons aux
pères ambitieux qui forcent l'inclination de
leurs enfans. Un père qui a voulu ſacrifier
ainſi ſon fils , & qui l'a réduit à la fuite ,
voyage , ou pour le retrouver ou pour diffiper
ſes chagrins. A l'Ange- Sund , en Hollande,
il eſt frappé d'un tableau contraſtant ,
quilui montre la récompenſe de l'indulgence
des parens , dans le bonheur d'une famille
nombreuſe & vertueuſe , qui , ce jour- là ,
célèbre avec reſpect & avec amour la naifſance
d'une vieille grand'mère , âgée de
quatre vingt quinze ans. Elle les bénit tous.
• O mon Dieu , dit- elle , accordez à mon
ود
20
"
fils , juſqu'à ſon dernier moment , la félicité
dont vous m'avez fait jouir ! que ſes
enfans ſoient toujours pour lui ce qu'il a
été conſtamment pour moi ! mon Dieu ,
béniffez-les , tous ces enfans , qui font le
> charme de mes vieux jours , & payez à
>> mon fils ſoixante & douze ans de bonheur
"
20
" que je dois à ſa ten freſſe &àſes vertus.>>
Les Solitaires de Normandie font une hiftoire
véritable , & c'eſt un intérêt de plus ;
163 MERCUREil
est bien doux de ne pas regarder le fait
comme douteux.
Les trois Contes Moraux que renferme le
troiſième volume , n'appartiennent plus aux
Veillées du Château , & ne pourront être à
laportée des enfans de Mme de Clémire que
quand ils feront plus avancés en âge. Daphnis
& Pandroſe eſt un beau morceau de profe
poétique. Le Palais du Silence fourmt des
contraſtes plaifans entre ce que les perfonnages
diſent & ce qu'ils veulent dire; il en
réſulte des ſituations piquantes. Mais le premier
de ces trois Contes , les Deux Réputations
, eſt celui qui excite le plus la curioſité
, & qui , ſans l'aveu de l'Auteur , flatte
le plus la malignité du Public. C'eſt là que
les grands coups ſont frappés. Des Écrivains
illuſtres y font critiqués avec politelle &
avec réſerve , mais avec ſévérité. Les uns
morts depuis peu , laiſſent des amis zélés ;
les autres encore vivans ne ſont que trop
bons pour ſe défendre. Nous n'aurons pas le
ridicule de leur offrir un fecours dont ils
n'ont pas beſoin ; nous aurons encore moins
latémérité de paffer condamnation pour eux.
Un Corps reſpectable eſt auſſi attaqué dans
cet Écrit , mais le trait qu'on lui lance ne
peut porter coup , puiſque pour le trouver
en faute, il a fallu avoir recours à la fiction.
En général on peut toujours attaquer impunément
ce Corps ; le principe de ſon ſilence
eſt le même que celui de la patience d'un
des
DEFRANCE. 169
1
des perſonnages des Veillées : Je nepeuxpas
le lui rendre,jesuis leplusfort. Mais les particuliers
ne font pas ſi endurans. Forts ou
foibles , ils aiment la guerre , & ne ſe perfuadent
pas aisément qu'on ait pu avoir un
motif pur pour les critiquer. Malgré toutes
les proteſtations de l'Auteur , on attribuera
cettehoftilité au reſſentiment qu'elle a conçu
d'un jugement qui a dû lui paroître en contradiction
avec celui du Public. C'eſt le cas
de ces deux vers du Cid :
Dès que j'ai ſu l'affront , j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
1
Le mal eſt que la vengeance appelle la
vengeance , & que les hoftilités entraînent
des hoftilités. Ceci n'eſt encore qu'un badinage;
mais il pourroit aller trop loin.
Ludus enim genuit trepidum certamen & iram
Ira trucés inimicitias & funebre bellum.
Le ciel préſerve la Littérature du ſchiſme
dont ces mouvemens ſemblent la menacer ,
&les Gens de Lettres les plus diftingués du
malheur d'avoir pour ennemie une femme
qui fait écrire avec tant d'eſprit , de grâce ,
de ſenſibilité , d'intérêt , d'éloquence , de
raifon , de goût , de politeſſe , &mettre également
dans ſes intérêts ceux qui rient &
ceux qui pleurent.
Nº. 26 , 26 Juin 1784 H
170 MERCURE
ACADÉMIE FRANÇOISE.
MARDI 16 de ce mois , M. le Marquis
de Montesquiou a prononcé ſon Diſcours
de Réception à la place de M. de Coëtlofquet
, Précepteur de la Famille Royale , &
ancien Évêque de Limoges. Les vertus de
ce digne Prélat & les bienfaits de cette
éducation dont la Nation recueille les fruits
de jour en jour , ont été dignement loués
& vivement applaudis. M. Suard, en qualité
de Directeur , a répondu par un Dif
cours qui ne pouvoit être plus heureuſement
adapté à la circonſtance ; il a parlé de
l'éclat auſſi utile que glorieux que les Grands
peuvent répandre ſur les Lettres , ſoit en
encourageant leurs travaux , ſoit en y coopérant
eux-mêmes. On ſait avec quelle clarté
élégante cet Académicien s'eſt accoutumé à
exprimer ſes idées; on a retrouvé dans ſon
Diſcours ſa raiſon aimable& ſon ſtyle ingénieux
&piquant, Il a été d'autant plus ap
plaudi , que la préſence de M. le Comtede
Haga, en augmentant l'éclat de cette brillante
Affemblée , ajoutoit au Difcours un
nouveau degré d'intérêt. Ce Prince a reçu
des deux Académiciens un tribut d'hommages
qui a été confirmé par les applaudiffe
mens lesplus vifs&les plus réitérés .
M. de la Harpe a lû enſuite un Chant
d'un Poeme ſur les Femmes , ſujet riche
DE FRANCE. 171
:
ſans doute , mais par-là peut-être plus dangereux
à traiter. Souvent l'imagination du
Lecteur on de l'Auditeur , exaltée par un
titre qui la ſéduit, en voyant au- delà de ce
que promet le ſujet, exige au delà de ce qu'il
peut tenir. Voilà peut- être ce qui a dérobé
à M. de la Harpe une partie des applaudisſemens
qu'il auroit pu prétendre ſous un
titre qui eût moins promis à l'imagination.
La Séance a été terminée par la lecture de
quelques Fables charmantes de M. le Duc
de Nivernois , qui ont excité le plus vif enthouſiaſme.
La fineſſe des penſées , la vérité
du ſtyle & la beauté de la morale
y brillent par tout ; par tout les grâces
de l'eſprit y font aimer les leçons de la
faine Philofophie. *
VARIÉTÉS.
:
SUITE des Sermons de l'Abbé Poule ,
comparés à ceux de Bourdaloue & de
Maffillon.
JE
E n'ai comparé Maſſillon à Bourdaloue , que
parce qu'il m'a paru juſte & utile de mettre ces deux
hommes à leur place. Je n'établirai pas de parallèle
entre Bourdaloue & l'Abbé Poule; je n'aurois à
développer qu'une vérité qui me paroît toute évi-
* Les Diſcours ſe vendent chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie , rue Chriſtine. Prix, 24 fols.
Hij
192 MERCURE
dente&toute ſenſible, c'eſt que l'un manque abſo
Jument des grandes qualités de l'Orateur , & que
l'autre les poſsède éininemment; mais Maffillon &
l'Abbé Ponle font de véritables objets de comparaifon
l'un pour l'autre , par la différence même de
leurs talens. Cependant , en embraſſant toutes les
conſidérations , il me semble que Maſſillon mérite à
pluſieurs égards cette plus grande eſtime qu'on lui
accorde.
D'abord , il a répandu ſon talent dans un plus
grand nombre de travaux. Il y a peut-être dans ſa
Collection une vingtaine de Diſcours qu'on relit
toujours avec une nouvelle fatisfaction. Peu d'Écrivains
font auſſi riches en excellens Ouvrages. L'Abbé
Poule fur-tout l'eſt bien moins. Il faut ſe rappeler
pluſieurs faits ſur ſon caractère perfonnel , que j'ai
rapportés dans un précédent Extrait. Il étoit trèspareſſeux
, foit par l'empire de ſes goûts , ſoit par
une certaine difficulté dans ſon eſprit a ſe ſaifir
de toutes ſes forces. Il a prêché pendant trente ans ,
& n'a jamais fait que douze Diſcours , parmi lefquels
il en a un tiers qui ne peuvent rien faire
y
pour ſa réputation.
Il étoit auſſi peu inſtruit qu'il étoit pareſſeux. On
fait que toutes ſes lectures ſe réduiſoient aux Livres
faints, dont il étoit rempli , & à un petit nombre de
Poëtes & d'Orateurs. Il n'en a pas été moins éloquent
, parce qu'on l'eſt par ſon âme & fon imagi
nation,& non par ſes connoiſſances ; mais aufli ,
lorſqu'il ceſſe d'être éloquent , il ne ſe ſoutient pas
par d'autres fortes de mérite. Il tiroit ſouvent de cet
enthouſiaſimequi le dominoit , de grandes vûes ſur
ſes ſujets ; mais en général il cherchoit plutôt dans
ſesplans un cadre à tous les beaux morceaux vers
leſquels il ſe ſentoit entraîné , qu'un développement
complet &précisde ſes ſujets. Si on dépouilloit fes
plans de toute l'éloquence qui les féconde & les
DE FRANCE. 173
anime, ils montreroient trop les bornes de ſon ef
prit ; j'en excepte le Sermonfur le Ciel, dont je par-
Jerai tout-à-l'heure. Il procède dans ſes plans d'une
manière bien moins grande encore ; on eſt ſouvent
déſagréablement ſurpris de voirdes morceaux admirables
en eux-mêmes , amenés par ces formules uſées
qu'il empruntedes plus médiocres Prédicateurs , ou
qu'il partage avec eux ; mais il faut dire auſſi que ces
beauxmorceaux ſont communément de ſi grandes
maſſes dans le Diſcours , qu'ils étendent leur impreffion
ſur tout le Diſcours. Maffillon avoit plus
d'étendue , de ſoupleſſe dans l'eſprit , & un att
plus ſavant & plus heureux.
Je ne puis m'empêcher de reconnoître encore à
Maffillon un avantage bien précieux & bien honorable
, celui de mieux remplir l'objet d'un Prédicateur
, de mieux gagner les coeurs aux vertus qu'il énfeigne.
Je ſuis loinde dire que l'Abbé Poule eût un
coeur moins touché des vérités morales , & un zèle
moinspur &moins vif; mais je crois qu'il fut donné
àMaſſillon d'aimer davantage la vertu de la manière
qui fait le mieux en répandre le goût ; peut être
auſſi la nature de ſon talent le favoriſoit-elle dans
ce point ſi intéreſſant. Il entre mieux dans les replis
intimes de la confcience ; il s'appuie de raiſons
plus perfuafives; il accorde mieux la morale avec le
fond de nos ſentimens. Il est l'Orateur du coeur.
L'Abbé Poule eſt celui de l'imagination. Celui - ci
étonne , ébranle , tranſporte ; mais ces grands .
effets tournent plutôt à la gloire de ſon éloquence
qu'à l'efficacité de ſes exhortations. Maſſillon ſemble
choiſir à deſſein des impreſſions moins vives , mais
plus durables. Rapprochez les Sermons fur l'Aumône
de' ces deux Orateurs. Dans celui de Maffillon
, vous puiſez ou des leçons ou des ſentimens
qui trouvent fans ceſſe où s'appliquer ; c'eſt un
code de loix touchantes que vous emportez avec
Η
174 MERCURE
vous.Dans celui de l'Abbé Poule, vous trouvez des
figures ſublimes, des nouvemens du plus grand
pathétique ; vous êtes plus frappé qu'inſtruit , plus
ému que changé. Il me ſemble qu'il y a entre ces
deuxOrateurs cette différence, qu'on ne peut guères
entendre l'un fans abandonner fon âme à la fincé
rité& à l'onction de ſes diſcours; au lieu qu'on
peut beaucoup admiser l'autre ſans ſe ſoumettre à
ſes leçons; &, je le répète , cela tient eſſentiellement
à leur manière de ſentir la vertu.
C'eſt en citant beaucoup Maffillon , que j'ai
tâché d'expliquer les caractères propres de ſon éloquence.
J'appuyerai auſſi de nombreuſes cications
mon jugement ſur le talent de l'Abbé Poule. Ce
qui me paroît le diftinguer & le placer dans la claffe
des plus grands Orateurs , c'eſt un profond enthoufiaſme&
une vive imagination. Tantque ſon âme ou
fon imagination ne font pas émues, ilrefte dans des
vûes& une manière communes; mais dès qu'il s'échauffe&
s'anime, cen'eſt plus le même homme, c'eſt
um véritableOrateur, c'eſt très-ſouvent un Prophète. Il
Jui vient de ſublimes idées; il ſe place dans des attitudes
où tout ſon ſujet obéit aux impreſſions de fon
âme. Alors ſon diſcours devient une ſcène , où lon,
voit commencer , ſe développer & finir une grande
action. C'eſt tantôt un événement au milieu duquel
il ſe tranſporte , tantôt une viſion à laquelle il ſe
livre, tantôt un ordre du Ciel qu'il reçoit & qu'il
exécute Alors ce ne ſont plus des idées qui s'enchaînent
à des idées , &des ſentimens qui s'y mê ,
lent; tout eſt image & mouvement; & vous le voyez
ſouvent atteindre fans ceffe de nouveaux degrés ſur
ces hauteurs où ſon génie l'a tranſporté.
Commetous les grands talens, il offre un heureux
mêlange de grâce & d'énergie, d'abondance & de précifion,
On croiroit quelquefois que lefondde ſon ſtyle
eſtl'onction la plus aimable; mais plus ſouventencore
1
4
DE FRANCE.
175
il s'élève au ton le plus fublime. Il eſt aiſe cependant
d'appercevoir que la force domine toujours
dans ſon élégance. J'en donnerai pour exemple la
peroraiſonde ſon Discoursfur les Afflictions.
<< Et où en ſerois-je, Seigneur , ſans ce coup de
>> votre miféricorde qui m'a jeté entre vos bras ? Je
>> ledéclare à la face du ciel & de la terre , & pour
ec
l'intérêt de votre gloire ; il m'eſt avantageux que .
> vous m'ayez humilié : Bonum mihi quia humi-
>> liafti me. Je n'aurois jamais eu le courage de bri-
>> ſer tant de liens , de faire tant de ſacrifices , de
> me ſoumettre à cette pénitence rigoureuſe. Vous
> m'y avez forcé malgré moi. Comment reconnoî-
> trai-je un ſi grand bienfait ? Quid retribuam
» Domino pro omnibus que retribuit mihi ? Vous
m'en fourniſſez le moyen. Je prendrai le Calice
> d'amertume que vous me préſentez , & que vous
avez conſacré vous- même én yportant le pre-
>> mier vos lèvres divines : je le boirai juſqu'à la
lie. Il renferme un breuvage de ſalut pour moi;
il eft le gage de votre amour , mon efpérance,
>> ma force, ma pénitence , ma religion : Calicem
falutaris accipiam. Je mêlerai mes afflictions.
avec vos humiliations & vos ſouffrances. Vous
>> mêlerez vos mérites infinis avec mon indignité &
>> ma foibleſſe , & par cette union ineffable , je
>> fouffrirai en homme, je mériterai en Dieu : Et
nomen Domini invocabo Si je vous demande ,
Seigneur , d'éloigner de moi ce Calice de douleur
& d'opprobre , ne m'exaucez pas ; il y va de mon
> falut. Défiez-vous de ma malice; tenez-moi tou-
>> jours dans cette eſpèce d'impoſſibilité de vous
> offenfer. Frappez , il m'échappera peut- être quelques
ſoupirs ; je les déſavoue par avance. Ce
>> font les cris d'une nature aveugle qui veue ſe
perdre. Je ſuis un furieux ; arrachez - moi ces
>> armes meurtrières dont je ne me ſervirois que
H iv
176 MERCURE
» pour me percer. Frappez ; périſſent pour moi
>> le ſiècle & fes enchantemens , & ſes plaiſirs &
> ſes richefſfes ; donnez-moi ſeulement la patience,
>> & vous me rendrez plus que vous ne m'ôterez.
> Frappez , & fortifiez-moi , n'ayez point d'égard à
• ma délicateſſe; employez le fer & le feu ; ap-
>> pliquez par- tout une opération de mort. Que le
» vieil homme, avec ſes inclinations corrompues ,
>> s'anéantiſſe ſous vos coups. Frappez , & ne vous
> arrêtez pas. Ne vous contentez pas d'avoir com-
>> mencé , ô mon Dieu ; achevez votre ouvrage ; il
>> ne peut avancer que ſous vos mains ; il péri-
> roit dans les miennes, "
La Religion n'a pas de ſentimens plus doux , ni
Eloquence d'expreſſions plus vives. Ce n'eſt
cependant pas là l'onction de Maffillon. Voyez
comme il eſt rapide dans la phrafe & dans l'idée ,
comme il paffionne ſa réfignation même , comme il
ymêle une vigueur inattendue : Frappez; il m'échappera
peut-être quelquesfoupirs ; je les défavoue
par avance. - Cefont les cris d'une nature aveugle
qui veutseperdre.-Appliquez par-tout une opération
de mort. Remarquez encore comme il ſait tirer
des effets des plus petits moyens. Périſſent pour moi le
fiècle&fes enchantemens , &fes plaisirs &fes richeffes.
En sedoublant la particule & avec chaque objet , il
ſemble tirer de ſon âme un nouveau détachement ,
& c'eſt ainſi que l'on peut agrandir les impreffions
de l'Eloquence avec la ſeule coupe des mots. On
reconnoît bien ici que chaque Ecrivain conſerve
toujours le caractère principal de fon talent , même
dans les choſes où il paroît entrer dans le goût & la
manière d'un autre Ecrivain.
L'Abbé Poule ſe plaiſoit auſſi à peindre la beauté,
& le bonheur de la vertu ; mais l'amour de la
vertu dans cette imagination paſſionnée, devenois
DE FRANCE. 177
une igreffe & fon bonheur une extafe. Ouvrons
fon Sermon fur le Ciel , dont voici l'Exorde .
« Ecce merces vestra copiosa est in Cælis.- Une
>> grande récompente vous eſt préparée au Ciel.
Que faites vous cependant , mes très-chers
>> Freres , dans cette vallée de larmes ? Inſenſibles
» aux voeux des premiers nés de l'Egliſe qui vous
> appellent, vous vous laiſfez enchanter à la figure
>du monde; vous vous plaiſez dans votre exil.
Que dis -je ? Vous voudriez pouvoir le perpétuer.
>> Vous ne ſongez ſeulement pas que vous avez
>> une autre patrie , ou vous n'y penſez qu'avec cha-
>> grin. Eh! comment pratiqueriez-vous les devoirs
>> pénible du chriſtianitme, fi vous en craignez juf-
» qu'aux récompenfes ? C'eſt dans le defir du Ciel
> queles Martyrs ont puiſé cette intrépidité qui leur
faifoit braver la cruauté des tyrans. C'eſt dans
>> leſpérance du Ciel que des Vierges généreuſes &
>> des Solitaires fervens ont quitté le monde , & fe
font quittés eux-mêmes pour s'enſevelir dans la
retraite. C'eſt pour s'affurer la conquête du Ciel
>> que tant de Saints ont embraffé les travaux rigonreux
de la pénitence. Vous auriez les mêmes
>> vertus , fi vous avez la même foi. Enfans des
hommes , juſqu'à quand aimerez- vous la vanité ,
• & poerfuivrez vous le menfonge ? Cette félicité,
>>>après laquelle vous ſoupírez , n'eſt pas où vousla
cherchez. Elevez vos coeurs appelantis ; entrez
avec nous en eſprit dans ce Royaume de la cha-
>> rité , où tout eſt ſaint , ou tout eft pur , où tout
* eſt éternel Nous allons , à la faveur des divines-
Ecritures , vous découvrir une partie des ſecrets
de l'Eternité , & foulever un coin du voile myftérieux
qui vous dérobe tant demerveilles. Que.ce
fpectacle doit être intéreſſant pourdes Chrétiens!
Je ne sais fi on eſt jamais entré dans fon Lujat
1 H
178 MERCURE
d'une manière plus heureuſe. Il va vous parler du
Ciel, & déja la douce paix , les délices éternelles de
ceſéjour ſe ſont communiquées à ſes idées , à ſes
fentimens, à ſes paroles.A la manière dont il nous
appelle vers le Ciel, on croiroit qu'il en deſcend luimême.
Que faites- vous cependant, mes très - chers
Frères, dans cette vallée de larmes ? Le charme de
ce début pouvoit préparer un écueil à l'Orateur
par ladifficulté de le ſoutenir pendant tout un dif
cours. Eh bien! ce charme ne fait que s'augmenter.
Tout ce que l'âme la plus aimante , tout ce que
l'imagination la plus heureuſe peuvent voir & fen
tirdans un tel ſujet , ſe développe & ſe communique
dans ſes tableaux. Ce que les ſens ont de plus
vifdans leurs impreffions , lui fert pour décrire des
objets qu'ils ne peuvent atteindre. Les Cieux lui
font ouverts ,& il vous y tranſporte avec lui. Ce
qu'il y a encore d'extraordinaire dans ce Diſcours ,
où l'intérêt , ou plutôt l'enchantement s'accroît ſans
ceffe, c'est qu'il eſt preſque entièrement compofé
depafſages tirés des textes ſacrés ; mais ils y font f
Keureuſement fondus , fi heureuſement ſupplées ,
qu'ils forment un tout parfait , &qu'ils reçoivent de
cet emploi une grâce &une beauté nouvelles. On
parle volontiers de ce qu'on aime vivement. J'ai
interrogé pluſieurs perſonnes fur ce Diſcours , qui
me paroît l'Ouvrage le plus accompli de l'Abbé
Poule , & une des plus délicieuſes lectures qu'une
âme tendre & religieuſe puiſſe faire. Peu l'ont lû ,
peu l'ont affez goûté. Peut- être cette indifférence
rient-elle à une prévention affez juſte contre le
ſujet; on peut craindre de n'y trouver qu'une imagination
en délire; mais jamais l'Abbé Poule n'a
réuni à tout fon talent tant de goût dans le ſtyle &
tantde ſageile dans l'eſprit.
J'ai dit que l'Abbé Poule s'élevoit ſouvent aux
plus fublimes idées , & qu'il faiſiſſoit dans ſon ſujet
DE FRANCE.
1/9
des vûes toutes nouvelles. Le Sermon fur le Ciel eſt
pleinde beautés de ce genre ; mais une des plus
frappantes eſt ce morceau du Sermon fur la Foi.
« Le Chrétien , conſidéré ſous ce point de vûe ,
>> eſt un être d'une eſpèce toute fingulière , qu'il eſt
> difficile de définir. Il n'appartient ni au temps,
> puiſqu'il travaille ſans ceſſe à s'en détacher , ni à
> l'Eternité , puiſqu'il n'en jouit pas encore , & il
> participe cependant de tous les deux.
>> Homme du temps, il remplit exactement tous
> ſes devoirs : Monarque bienfaiſant , il veille fans
>> relâche à la félicité des Peuples ſoumis à ſon em-
> pire ; en rendant ſes Sujets heureux , il a trouvé le
>> vrai , l'unique moyende les multiplier : Citoyen
>> zélé , il confacre ſes travaux , ſes talens , & , s'il
>> le faut, ſes jours même à l'avantage de la patrie :
>> époux fidèle , il reſpecte religicuſement les faints
> noeuds qui l'enchaînent: père doublement père ,
s'il ne gravott de bonne heure ſes vertus dans le
» coeur de ſes enfans , il regarderoit le jour qu'il
> leur a donné comme le préſent le plus funeſte 3
>> ainſi paſſe d'âge en âge l'héritage précieux de ſa
>> juftice : protecteur généreux , il eſt le défenſeur
> de l'innocent , l'appui du foible , le refuge de la
>> veuve & de l'orphelin , l'arbitre des différends , le
>> rémunérateur du mérite. Riche , compatiffant &
>> libéral , il répare les malheurs des temps ; il fous
>> lage l'indigence; il borne la mendicité; il aide le
>> travail ; il vivifie les aſyles de miféricorde.Homme
>> de l'Eternité , il relève toutes ſes actions par la
>> ſublimité des motifs qui l'animent & de la fin
» qu'il ſe propoſe; il voit Dieu dans tour & par
>> tout, & il ne voit que Dieu. Homme du temps ,
des tentations ſans nombre l'aſſiègent; les ſcandales
offenſent la pureté de ſes regards ; des
>> exemples éclatans alarment ſa vertu ; limpiété
lui fait entendre ſes blafphemes'; mille objets
Hvj
180 MERCURE
L
ſéducteurs dreſſent ſous ſes pas des embliches
>>>ſecrètes ; l'ange des ténèbres , ce lion rugiffant, le
>>>pourſuit comme une proie qu'il eſt avide de dévorer
, & fans fortir de lui-même , ſes paffions lui
déclarent une guerre inteſtine & perſévérante.
» Homme de l'Eternité, il lève les yeux vers la
>> montagne ſainte , d'où lui viennent les grâces &
১১
בכ
les ſecours; il ſe couvre du bouclier impénétrable
de la Foi ; il ſe ſoutient , il ſe défend par ſes
>> prières & par ſes eſpérances. Homme du temps ,
des perſécutions troublent la ſérénité de ſes jours ;
>> lacalomnie ſe fait un jeu cruel de noircir ſa répu -
tation; l'injustice lui diſpute ſes biens , & quel-
>> quefois l'en dépouille ; des diſgrâces inattendues
>> renverſent de fond en comble l'édifice de ſa fortune
heureux , il avoit des envieux ; malheu-
>> reux , il n'a plus d'amis. Il languiroit abandonné
dans le creuſet des tribulations, s'il n'étoit accom-
>> pagné de ſa vertu. Homme de l'Eternité , qu'au-
> roit-il à redouter de cette confpiration générale!
> Ses ennemis ſont ſur la terre ; il eſt preſque dans
le Ciel. Il voit fans émotion ſe former ſous ſes
pieds ces orages impuiſſans. Il fait d'ailleurs que
→ les épreuves ſont néceffaires; il contemple la couronne
de justice qui l'attend après le ſaint combat
de la Foi , ce grand combat de toute la vie,
>> Homme du temps , il paſſe triſtement à travers
l'inépuiſable menſonge du monde , ce féjour fabuleux&
variable où tout eſt inconſtant ou faux :
promeſſes , engagemens , biens , gloire , titres ,
>> paroles . fermens , joies , larmes , vertus même ,
où l'on ne trouve de réel , de ſtable que la haine,
l'intérêt , l'ambition, la volupté , l'orgueil , palfions
perpétuelles & fouveraines , qui , ſe reproduiſant
ſous toutes fortes de formes, hormis leur
forme naturelle, varient à l'infini la ſcène changeante
du monde, réſiſtent à l'effort des loix hu
DE FRANCE. 1St
maines , des ſiècles , de la Religion , réuniffent &
diviſent les hommes , & font de la Société un
>> compoſé monstrueux de Palais & de priſons ,
» d'Égliſes & de théâtres , de réjouiflances & de
>> calamités , de politeſſes & de perfidies , de ma-
>> riages & de divorces, de luxe & d'indigence ,
>> d'une enveloppe d'agrémens ſuperficiels & d'un
>> abyme d'horreurs profondes.. Quelle demeure
>> pour un citoyen du Ciel ! Homme de l'Eternité ,
>> il ſoupire , avec ſaint Paul , après la deſtruction
১০ de ce vaſe d'argile qui l'attache à tant de vanités
>> & de misères. Ildit avec le Prophète : Qui me
>> donnera les aîles de la colombe ? Ah ! comme je
>> ſortirois de cette terre de malédiction , de ce
>> pays des apparences ! J'irois , je m'éleverois & je
> me repoſerois dans le ſein de la paix & de la vé-
>> rité. Homme du temps & de l'Eternité tout en-
>> ſemble , comme ces Anges que Jacob vit en
fonge, leſquels montoient fans ceſſe ſur l'échelle
mystérieuse , & fans ceffe en deſcendoient ; il
vole au Ciel pour jouir ; il revient ſur la terre
pour mériter ; il revole au Ciel par toute fon
âme; il retourne ſur la terre lentement, à regret ,
» & entraîné par le fardeau des beſoins & des né-
• celſités.
Il y a peut-être quelques longueurs , quelques
idées & quelques tournures communes dans le commencement
de ce morceau. Mais dans un morceau
grandement conçu , fi fortement exécuté , les
beautés de l'enſemble couvrent toutes les imperfec ..
tions de détail , & il feroit petit de s'en offenſer
affez pour avoir le beſoin de les critiquer .
J'ai encore un autre mérite à développer dans
Abbé Poule, celui de ces belles attitudes ouil fait ſe
placer pourdéployer toute la véhémenced'unvéritable
Orateur, & toute l'autorité d'un Miniftre de l'Evangite.
La ſeconde Partie du Sermon fur la Parole de
182 MERCURE
Dieu eſt admirable par cette eſpèce de beautés s
j'enciterai la fin toute entière. Ce qui eſt auſſi beau
ne peut être trop long.
<<Après le retour de la captivité , Eſdras monta
>> ſur un lieu élevé pour y faire la ſimple lecture de
> la loi aux Ifraélites aſſemblés. Tous les mors qu'il
> prononçoit leur rappeloient les bienfaits de Dieu;
>> ces bienfaits leur reprochoient leurs prévarica-
>> tions ; leurs prévarications leur préſentoient les
> menaces des châtimens mérités ; l'image de ces
>> châtimens excitoit leur terreur. Confus de leur
> ingratitude , épouvantés du poids de la colère du
>>Seigneur dont ils étoient menacés , ils ne répon-
>> doient à tous les articles de la loi que par leurs
> larmes & par leurs fanglots. Et les Lévites ! ....
» Les Lévites étoient obligés d'aller de rang en
>> rang, & de leur dire: Faites filence , & ceſſez de
vous affliger: Tacete & nolite dolere. Des foins
>> bien différens occupent à préſent les Miniſtres
> évangéliques. Une loi plus parfaite vous eft an-
>> noncée; des infractions plus énormes vous font
> reprochées ; des châtimens plus affreux vous
> ſont préparés. Verſez - vous une feule larme ?
>> Pouſſez-vous le moindre ſoupir ? Faifons- nous
* ſur vous la plus légère impreffion ? Eh quoi !
>> Nous prononçons à des criminels leur ſentence
• de mort, & de mort éternelle ; nous leur mon-
>> trons le glaive du Seigneur fufpendu ſur leur
>> tête ; nous ouvrons aux yeux de leur foi les
>> abymes de l'enfer prêts à les engloutir ; nous
> menaçons , nous éclatons, nous tonnons. Ah !
>> nous nous attendons d'être interrompus par leurs
>> gemiffemens & par leurs cris ; nous nous prépa-
>> rons à modérer les mouvemens trop impétueux
>> de leur crainte & de leur déſeſpoir excités par des
images fi terribles. Et que voyons - nous ? Des
•Auditeurs inſenſibles, que les objets les plus inté
DE FRANCE. 183
i reſſans de la Religion n'attachent pas , & qui
> s'endorment au bruit de nos anathemes ; des Au-
>> diteurs volages & légers , que tout diffipe , dont
>> l'attention nous échappe à tout moment , & que
>> nous ne faurions fixer ; des Auditeurs inquiets, à
>> qui notre ministère pèſe, qui nous écoutent im-
>> patiemment, & ne ſoupirent qu'après la fin de
>>>nos Diſcours ; des Auditeurs prévenus,déterminés
>> par avance à ne nous pas croire , qui font un
>> pacte avec eux mêmes de ne ſe pas laiſſer tou-
>> cher , encore moins convertir , & qui ne pren-
» nent de nos inſtructions que l'amusement ; des
>> Auditeurs ſacrilèges, qui font une eſpèce d'aſſaut
>> avec nous , qui bravent avec intrépidité les traits
>> de notre cenfure, qui ne rougiffent pas d'étaler en
> ces ſaints lieux toutes les mondanités du ſiècle que
>> nous anathématiſons, qui , par l'indécence de leur
>>>maintien, raffurent les confciences timorées contre
>> les terreurs de notre ministère , & juſques ſous
>>>nos yeux , nous diſputent effrontément la con-
> quête des âmes ; des Auditeurs , ou plutôt des
• Spectateurs , qui aſſiſtent ſeulementànos inftruc-
>> tions , & ne les écoutent pas ; des Anditeurs ſuper-
>> ficiels , peu frappés de la rigueur de nos arrêts ,
> uniquement occupés de la manière dont nous les
>> exprimons; des Auditeurs critiques , obfervateurs
* ſévères de nos défauts , qui examinent avec ſoin
>> tous nos geſtes , diſcutent avec rigueur tous nos
>> raiſonnemens , peſent avec ſcrupule toutes nos
- expreffions , & fongent moins à profiter de nos
>> exhortations qu'à les blâmer. A quoi étions-nous
> donc deſtinés ? Et qui le croiroit ? Du milieu de
- ces diſciples que nous inſtruiſons & de ces crimi-
» nels que nous condamnons,s'élève un tribunal re-
>> doutable, devant lequel on nous traduit. Et tan-
>> dis que de la part de Dieu nous jugeons les autres
entremblant , à regret , & peut- être pour l'éter-
:
184 MERCURE
>> nité , on nous juge impicoyablement nous-mêmes.
• Etquel droit avez - vous fur nous ? Sommes - nous
>> des Orateurs baſſement orgueilleux qui venons
> mendier vos applauditſemens ? Vos applaudiffemens
! Commé Chrétiens , nous devons les craindre;
ils pourroient nous féduire comme Minif-
>> tres de Jésus Chrift , nous les mépriſons; ils nous
>> dégraderoient. Vos applaudiſſemens ! Pour payer
> nos veilles nos travaux, nos ſueurs ! nous les met-
>> tons àun plus haut prix . Ilnous faut les plus grands
> ſacrifices , des larmes amères , des ſentimens de
>> componction , des coeurs humiliés , briſés de
- douleur & de repentir. Vos applaudiſſemens ! A
" vous , Seigneur , l'honneur & la gloire : à nous ,
• dirons nous, le mépris ? Non , norre ministère en
>> fouffriroit mais à nous l'oubli. Eh ! que ſom-
>> mes-nous fans votre grâce ? Un airain ſon-
>> nant, des cymbales retentiſſantes , la voix qui
crie au déſert : Nous pouvons tout au plus amu-
>> fer l'efprit, flatter les oreilles; vous ſeul parlez au
coeur.
ככ Tels font cependant les fruits ordinaires de
notre miffion , ou l'ennui , ou le dégoût , ou des
cenſures , on des éloges. Et quoi, mes très - chers
>>> Frères , jamais de converfon , jamais de converfion
! Devons- nous renoncer à certe douce
>> eſpérance , la ſeule récompenſe digne du miniltère
que nous exerçons ?
>> Si un infidèle à qui notre ſainte Religion & la
>> langue que nous parlons feroien inconnues, entroit
tout à-cous dans cette égliſe & qu'il nous
vit , nous , emus , enflammés , tantôt nous livrer à
>> toute l'impétuofité de nowe zèle , tantôt érendre
les bras vers vous dans une poſture de ſuppliant
, tantôt élever nos regards vers le Ciel,
tantôt accompagner nos inſtances de ſanglots &
de larmes,& qu'il vous vit, vous, tranquilles ,
30
1
DE FRANCE. 185
> indifférens , peut- être diſtraits , prêter à peine
>> l'oreille à nos fupplications preffantes & redou-
>> blées , ne s'imagineroit-il pas que c'eſt un crimi-
>> nel déjà condamné, qui tâche par toutes fortes de
moyens d'attendrir , de fléchir une multitude de
>> juges inſenſibles à ſon infortunc ? Cet infidèle ne
>> ſe tromperoit qu'en partie , mes très-chers Frères.
>> Qui , nous voulons vous fléchir , mais pour
» vous-mêmes. Oui , il s'agit ici de votre intérêt, &
>> de votre intérêt le plus cher , puiſqu'il s'agit de
>> votre ſalut éternel &de la gloire de Dieu.
>> Levez-vous , grand Dieu , votre gloire l'exige ;
> nous vous remettons notre miniſtère ; il eſt pref-
>> que fans force ſur nos lèvres. Nous annonçons
>> votre parole; mais nous n'avons pas votre voix.
>> Faites vous-même ce que nous ne pourrions ac-
>> complir. Voilà les prévaricateursde votre loi ; ils
>> font enfin ſortis de leurs retranchemens & de
leurs forts : attirés par la curiofité, ils font en-
>> trés dans votre Temple; ils y font enfermés.
>> Nous ne demandons pas que vous envoyiez un
>>Ange exterminateur pour les détruire ; ils ſont
>> nos Frères. Nous ne demandons pas que vous
>>> armiez contre eux les mains ſacrées de vos Lévites,
comme vous fites autrefois contre l'impie
>> & barbare Athalie ; vous êtes un Dieu de paix ,
>> la miféricorde même ; vous avez des vengeances
> ſi douces, des vengeances qui font des bien-
>> faits. Convertiſſez & n'exterminez pas. Votre
>> parole a-t-elle donc perdu toute fa force ? Elle
> a tiré le monde du néant ; elle a pu des pierres
ود mêmes ſuſciter des enfans à Abraham ; elle a
* rappelé Lazare à la vie; d'un perfécuteur elle en
a fait un Apôtre ; ne pourroit- elle pas de vos.
>> ennemis (ils ſont déjà Chrétiens) en faire au-
• tant d'adorateurs en eſprit & en vérité ? Vous
> devez ce prodige au crédit de notre ministère, qui
186 MERCURE
>> s'affoiblit de plus en plus ; mais ne différez pas.
>> Nous ne retenons encore ces pécheurs que par
>> effort; dans quelques mounens ils vont nous échapper
; peut - être..... ne leur en donnez pas le.
>> temps. Que votre voix les terraſſe ſur le chemin
de Damas , & qu'ils ne ſe relèvent avec Paul, que
>> pour aller trouver un autre Ananie qui les con
>> duiſe dans les voies de la pénitence. »
Quelle élévation , quelle majeſté ! Voyez d'abord
ce beau contraſte entre la conſternation des Juifs au
récit de leurs prévarications,& l'endurciſſement des
Chrétiens actuels , & quelle vigueur dans le tableau
de leur inſenſibilité à la parole divine ! Comme
tous les traits les plus frappans en ſont ſaiſis & préſentés:
Des Auditeurs qui s'endorment au bruit de
nos anathêmes ... qui nous disputent effrontément la
conquête des âmes.... obfervateurs févères de nos.
défauts , &c. Comme il s'arrête à ce dernier trait !
Comme il s'indigne de n'être qu'admiré ! Enſuite il
vous repréſente un infidèle entrant dans un de nos
Temples , & c'eſt avec cette image de la plus heu
reuſe invention, qu'il achève de confondre ſesAudi
teurs. Mais bientôt du fond de cette cenſure même,
il tire un retour de charité vers eux : Vous ne vous
trompexpas , nous voulons vous fléchir, mais pour
vous-même. Enfin , il fait une invocation à Dieu ,
&voyez ſur quoi il la motive : Vos ennemis font
enfin fortis de leurs retranchemens ; ils font entrés
dans votre Temple .... convertiſſez- les ....
devez ce prodige au crédit de notre ministère ....
mais ne différezpas ; nous ne retenons ces pécheurs
que par effort .... ils vont rentrer dans la corruption
du siècle.... peut- être.... ne leur en donnez pas le
temps ....... Voilà, ce me ſeinble , de la plus fublime
Éloquence. Il n'y a peut-être que Bofluet qui s'élève
à une plus grande hauteur , & qui s'y ſoutient
plus long-temps.
vous
1.
DEFRANCE. 187
Quand on ſe recueille dans le ſentiment de
tant de beautés , on reconnoît avec plaiſir que
l'Abbé Poule nous fournit un grand Homme de
plus à compter dans notre ſiècle. Quoiqu'il ait peu
travaillé , quoiqu'il n'ait pas donné à ſes Ouvrages
toute la perfection dont il étoit capable, on peut
dire néanmoins qu'il a honoré la Littérature de ſa
Nation. Loin d'être aſſez admiré , il n'eſt pas même
aſſez connu. S'il eſt doux de rendre juſtice à un
grand talent , il l'eſt encore davantage de la lui
faire rendre , & j'avouerai que c'eſt la ſatisfaction
que j'ai ofé me propoſer dans cet Ecrit. Malgré un
Extrait de M. de la Harpe ſur les Sermons de
l'Abbé Poule , plein de goût & d'une jufte admiration
, j'ai cru qu'il pouvois encore être utile d'offrir
denouveau ce ſujet à l'attention de ceux qui aiment
&fentent encore la véritable Eloquence.
Quelques Réflexionsfurl'Eloquence de la Chairt
dansun autre Mercure.
ANNONCES ET NOTICES.
ON vient de mettre envente à l'Hôtel deThou ,
rue des Poitevins , à Paris , l'Histoire Naturelle des
Minéraux, parM. de Buffon.Teme Deuxième in-4 °.
Prix, 15 liv. en feuilles , If liv. 10 fols broché ,
17 liv. relié.
Le Vingt-quatrième Cahier des Quadrupèdesenluminés
, prix , 7 liv. 4 ſols.
HISTOIRE générale de la Chine, ou Annales de
cet Empire, traduites du Tong-Kien-Kang-Mou ,
par le feu Père Joſeph Anne- Marie de Moyriac de
Mailla , Jéſuite François , Miſſionnaire à Pékin ,
revues & publiées par M. le Roux des Hautes
188 MERCURE
Rayes , Confeiller , Lecteur du Roi , Profeſſeur
d'Arabe au Collége Royal de France , Interprête de
Sa Majesté pour les Langues Orientales ; Ouvrage
enrichi de Figures & de nouvelles Cartes Géographiques
de la Chine ancienne & moderne levées par
ordre du fen Empereur Kang Hi , & gravées pour
la première fois , Tomes XI & XII. A Paris, chez
Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire du Koi , rue
Saint Jacques.
Les deux Volumes que nous annonçons terminent
ce grand Ouvrage. Il eſt traduit du Chinois;
&lamanière dont on fait que l'Hiſtoire s'écrit dans_
laChine, en nous garantiſſant la vérité des événemens
, nous metà portée de connoître ce Peuple ſi
extraordinaire , & dont on a parlé fi diverſement.
Ledernier Volume contient la Table alphabétique ,
précédée des Nien-Hao, ou noms que lesEmpereurs
ontdonnés aux années de leurs règnes , d'une Nomenclature
Géographique , & de trois Mémoires ou
Notices Hiſtoriques ſur la Cochinchine, ſur le
Tong-King & fur les premières entrepriſes contre
lesChinois.
PROSPECTUS de la parfaite Intelligence du
Commerce , ou Traité complet & portatif de la
Science des Négocians , 2 Vol. in-8º , de plus de
800 pages chacun. Prix , 18 livres , & pour les Soufcripteurs
12 livres , dont 6 liv. en ſe faiſant infcrire,
3 liv. en retirant le Tome I , & 3 liv. en retirant le
Tome II. A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des
Auguſtins , & chez les principaux Libraires de France
&des Pays étrangers.
Si cet Ouvrage, qu'on propoſe par ſouſcription, eit
bienexécuté , comme on l'affure , il ſera de la plus
grande utilité aux Banquiers , Agens de Change ,
Notaires , Gens d'Affaires , &c. Il ſera diviſé en
quatre Parties;la première contiendra un précis de
DE FRANCE. 189
laGéographie moderne; le ſecond un Dictionnaire
contenant des renſeignemens ſur plus de dix mille
Villes , Lieux & Contrées commerçantes des quatre
parties du Globe ; le troiſième un Dictionnaire pour
les termes généraux de commerce , & pour les ré
glemens , ſtatuts , &c. qui y ſont analogues ; la
quatrième enfin traitera des poids , meſures , &c. ,
foires , marchés , productions locales , droits à percevoir
, tarifs , Jurisdictions Conſulaires , ordre des
Courriers , tableau des voitures publiques , indication
desdécouvertes modernes , &c. , & l'on ſe pro
poſe de profiter encore , pour la perfection de l'Ouvrage
, de tous les avis qu'on pourra donner
l'Éditeur.
:
PETITE Bibliothèque des Théâtres , nº. 8. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte Saint
Roch , où l'on ſouſcrit, comme chez Belin , Libraire,
rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rue
de Marivaux , Place du Théâtre Italien.
Le huitième Volume de cette intéreſſante Collection
renferme une Pièce en cing Actes, les Amis
démasqués , d'Autreau , Pièce qui n'a jamais été
jouée , qui n'a même été imprimée qu'après la mort
de l'Auteur ; avec trois petites Pièces , la Magie de
l'Amour, agréable Paſtorale du même , Ouvrage
de ſa vieilleſſe , qui eut du ſuccès à la repréfentation;
les deux autres petites Pièces , le Cercle & le
Somnambule font auſſi jolies qu'elles ſont connues,
Le Cercle eft de Poinſinet , cet Auteur ſi mystifié de
ſon vivant; le Somnambule eſt attribué à M. le
Comte de Pont-de-Veyle.
Les nouveaux Rudimens de la Langue Latine;
par M. Mathieu , Profeſſeur du Collège de Gy. A
Paris , de l'Imprimerie de Cailleau , rue Galande.
La clarté & la précision que le Cenſeur de cet
190 MERCURE
Ouvragey reconnoît , peuvent le rendre utile dans
lesColléges.
DEUX Médaillons d'un plâtre très -fin , du Roi
de Suède, &fon revers de Médaille à cheval. Prix ,
15 ſols la pièce ſans glace. AParis , chez Lauraire ,
de l'ancienne Académie de S. Luc , rue des Prêtres
S. Germain l'Auxerrois .
Le Vignole moderne , ou Traité élémentaire
d'Architecture , troisième Partie , par J. R. Lucotte ,
Architecte. A Paris , chez les Frères Campion ,
Marchands d'Estampes , rue Saint Jacques,
Ville de Rouen.
la
Dans cette troiſième Partie ſont expliqués les
principes& la manière d'appliquer aux édifices les
cinq ordres de J. B. de Vignole.
L'AMOUR Phyſicien , ou l'origine des Ballons,
Comédie en un Acte & en profe , repréſentée pour la
première fois à Paris , ſur le Théâtre de l'Ambigu-
Comique , le premier Janvier 1784. Prix , 1 liv.
4fols. AParis , chez Cailleau , Imprimeur-Libraire ,
rueGalande,
: Ce que nous venons de voir inventé par la connoiſſance
de la Phyſique , ſe fait par amour dans
cetteComédie; c'eſt un amant qui imagine un ballon ,
&qui s'en fert pour enlever ſa maîtreffe.
On trouve à la même adreſſe l'Avocat Chanfonnier
, ou qui comptefans ſon Hôte compte deux
fois, ComédieProverbe , par M. d'Orvigny , repréſentée
ſur le même Théâtre. C'eſt une eſpèce d'Avocat
Petit-Maître , qui compte ſur plufieurs foupers ,
&qui finit par n'en pas trouver un. Il y a dans
cette bagatelle de la gaîté & un dialogne vraiment
comique. :
DE FRANCE. 191
NUMERO'S du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Prix , 2 liv. ſéparément. L'Abonnement
eſt de 15 livres , & 18 livres pour la Province. A
Paris , chez le fieur Bornet l'aîné , Marchand de
Muſique, au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires.
Ce Journal contient des Airs de toute eſpèce arrangés
pour deux Violons ou un Violon & un
Violoncelle; il paroît régulièrement le premier de
chaque mois .
SIX Trios concertans pour Flûte , Alto &
Baffe, par M. de Vienne le jeune, Muſicien de la
Chambre de Mgr. le Cardinal de Rohan. Prix ,
7 liv. 4 fols pour Paris & la Province franc de port
par la poſte. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverfiere-
Saint-Honoré.
NUMÉRO 3 du Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
Abonnement , 15 liv, port franc par la poſte. Même
Adreſſe.
Ce Numéro contient un Air & un Menuet de la
Caravane. Le petit Air, mon cher André, de
Théodore & Paulin , & un Air du Droit du Seigneur.
GALATHÉE , ou Recueil de douzepetitsAirs
pour un Deffus , avec Accompagnement de Forte-
Piano , tirés du Roman de Galathée , & mis en
muſique par M. G. Prix , 7 livres 4 fols. A Paris ,
chez M. Leduc , rue Traverfière-Saint-Honoré , au
Magaſin de Muſique.
Ces petits Airs ont une grâce naïve qui les rend
très-dignes des paroles. Ils font précédés de ſtances
dédicatoires remplies d'une délicateſſe qui faft reconnoître
l'Auteur de la Confeffion de Zulmé,
QUVERTURE de Didon, arrangéepour le Forte
192
MERCURE
-
Piano , Violon ad libitum , par M. Mezguer. Prix ,
3 liv. Ouverture de la Caravane , idem , arrangée
par M. Célar. Prix , 2 liv. 8 fols. A Paris , chez
M. Boyer , rue Neuve des Petits-Champs , près celle
Saint Roch , nº. 83 , & Mme Lemenu , rue du
Roule , à la Clé d'or .
HUIT Numéros du Journal de Guittare , contenant
différens morceaux , avec Accompagnemens ,
la plupart de M. Porro. On ſouſcrit pour ce Journal
, qui paroît très- exactement , chez M. Baillon ,
rue Neuve des Petits-Champs , au coin de celle de
Richelieu.
JOURNAL de Violon , ou Recueil d'Airs nouveaux
arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Prix de l'année entière 18 livres à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
A Paris , chez M. Baillon. Même Adreffe.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
AuComte deHaga, 145 Académie Françoise , 170
Vers contre les Vieillards, 146 Suite des Sermons de l'Abbé
Charade , Enigme& Logogry- Poule ,
phe, 149 Annonces & Notices ,
Les Veillées du Chateau , 151
APPROBATIΟΝ.
171
187
T
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 26 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe enempêcher l'impreſſion . AParis >
le25 Juin 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 5 Juin.
E Duc de Brunswick Bevern , ancien
LGouverneur de cette Capitale, &qui a
réſigné ſes emplois, comme on l'a rapporté,
vient de quitter ce Royaume : il eſt parti
M. de Fontanelle qui , pendant huit ans entiers a rédigé
ce Journal avec ſuccès , étant actuellement chargé de la
compoſition de la Gazete de France , a été obligé d'as
bandonner le travail de ce Journal , qui à compter des
deux derniers Numéros , a été, & fera à l'avenir l'ouvrage
de M. Mallet Dupan , qui a rédigé deux années , à
Geneve fa patrie , les Mémoires Historiques , Politiques&
Littéraires fur l'état préſent de l'Europe. C'eſt à M. Mallet
Paris, tue deTournon , No. 5 , que l'on doit déſormais
envoyer tout ce qui concerne la rédaction de ce Jours
nal , en affranchiſſant les lettres & tous les envois, Pour
tout ce qui regarde les Abonnemens & l'expédition , il faut
coujours s'adreſſer au Directeur du Mercure , hôtel de
Thou , rue des Poitevins.
Le Propriétairede ce Journal s'étant procuré de nouvelles&
les plus sûres Correfpondances, on ſe flatte que
cerOuvrage aura de plus en plus le mérite de la nous
veauté , du choix &de la variété.
N°. 26, 26 Juin 1784. g
( 146 )
pour l'Allemagne avec la Ducheſſe ſon
épouſe,
৮ La Cour eſt au château de Frédérichsberg
où elle doit paſſer l'Eté , & la Reine- Douairiere
ne tardera pas à ſe rendre à Friedenfbourg.
Les vaiſſeaux de guerre l'Oldenbourg , la
Sophie- Frédérique , le Ditmarschen , & la
Wagrie font actuellement en rade , ainſi que
les Frégates le Cronenbourg & le Kiel .
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le I Juin..
La Miſlive de l'Empereur à ſes Conſeillers
, concernantle nouveau projet de contribution
, vient d'être imprimé. Avant de
mettre ce projet à exécution dans les Etats
Autrichiens , S. M. I. a ordonné , à ce qu'on
affure , des eſſais préliminaires, pour vérifier
fi chaque propriétaire de terres peut fournir
aux beſoins publics le 40 pour cent du produitnetde
fon revenu . Cette taxe reffembleroit
beaucoup à l'impôt unique , dont il a été
queſtion ily aquelques années dans les écrits
desEconomiſtes en France .
Preſbourg , Peft & d'autres villes de Hongrie
ont transféré les cimetieres hors de leur
enceinte , a l'imitation de la Capitale.
Des lettres de Szegedin rapportent que
hs champs y font couverts de fauterelles
( 147 )
qui dévorent les récoltes. Le même fléau
affligea l'Andalouſie l'année derniere ; heureuſement
il n'est pas épidémique.
DE BERLIN , le 7 Juin .
LeRoi continue ſes revues avec une ac
tivité infatigable. De Magdebourg S. M.
étoit revenue à Potzdam , d'où elle eſt re
partie le i de ce mois, pour faire la revue
des troupes raſſemblées dans la Pomeranie.
Le Roi a témoigné ſa fatisfaction à divers
de ſes Généraux , par des préſens plus ou
moins confidérables , & en particulier àM.
de Mollendorf, Gouverneur de cette ville ,
Officier d'un mérite diftingué , également
aimé & eſtimé du Souverain & du Public ;
&qui réunit les qualités d'un homme juſte ,
éclairé , aimable , à la capacité la plus émi
nente dans ſon état , capacité dont il a donné
des preuves éclatantes dans la derniere
guerre deBaviere. こ
Lejourde l'Anniverſaire de l'avénement
du Roi au trône , l'Académie a tenú une
ſéance publique , dont M. Formey , felon
l'uſage , a fait l'ouverture par le panégyri
que de S. M. Il annonça enſuite que la claſſe
de Belles- Lettres avoit jugé les difcours ſur
l'univerſalité de la langue Françoiſe. Le prix
a étépartagé entre la diſſertation Allemande
de M. Schwab , Profeſſeur à Stuttgard , &
celle en François du Comte de Rivarol
:
r
( 148 )
L'Acceflit a été donné à un troiſiemeDif
cours auffi en François , portant pour épigraphe:
François! de la raison , des graces&
du goût , votre langue en tous lieux devient
T'heureux langage. On a obſervé avec raiſon ,
qu'un Diſcours ſur les avantages de la langue
Françoiſe , où l'on liſoit en tête que
cette langue devenoit un heureux langage,
ne prévenoit pas en faveur de cette langue.
DE FRANCFORT , le 15 Juin.
Le mois dernier quatre mille hommes ,
formant laderniere divifion des troupesHef
ſoiſes paffées en Amérique, font débarqués
àCarlshaven; trois régimens de cette divi
fion étant arrivés à Caſſel, le Landgrave les
a paffé en revue , après quoi ils ont été
repartis en différentes garnifons.
On écrit de Pologne deux anecdotes
qu'il fuffit de rapporter pour en apprécier
L'authenticité.
LeHoſpodar de Moldavie a affermé à un vieux
& riche Boyard la vente excluſive du tabac : un
Grec , qui peut- être n'avoit pas connoiſſance de
ce privilege , & qui avoit apporté quantité de tabae
à la derniere foire , reçut les défenſes les
plus ſéveres de vendre cette marchandise. Le
Conful Ruſſe ayant fait demander de ce cabac ,
leGrec s'excuſa de lui en vendre , alléguant les
ordres qu'il venoit de recevoir. Bon ! dit le Conful
, vends ta marchandite &repoſe-toi ſur moi,
fi l'on veut t'inquiéter. Sur cette afſurance le
Grecvendit ton tabac;Hoſpodar en ayant été
149 )
inftruit , envoya un bas-Officier pour faifir cet
homme& le lui amener. Le Grec fut affez heuteux
pour échapper au fatellite & se réfugia
dans la maiſon du Conful : le bas-Officier la
ſuivit & le réclama, Le Conful arrive , donne
des coups de canne an bas-Officier , & ordonne
au Grec d'aller achever de vendre tranquillement
fon tabac.
Un Boyard ne pouvant paſſer avec ſon car
roſſe dans une rue embarraffée par des voitures
&charettes de payſan , avoit inutilement demandé
qu'on lui fit place. Voyant que les parotes
ne produiſoient aucun effet , il fit donner par un
de les domeſtiques des coups de bâton à un payfan
qui lui paroiſſoit plus intraitable que les autres
, & continua ſon chemin. Celui- ci fut ſe
plaindre au Conſul Ruſſe qui , fachant que le
Boyard devoit repaſſer , le fit attendre , l'obligea
de fortir de ſa voiture & de recevoir la baſtonade.
Le Bayard ſe plaignit au Hoſpodar , qui
lui déclara qu'il ne pouvoit rien dans ceneaft
On prétend qu'il a porté ſes plaintes à la Cour
de Ruffie , & l'on attend avec impatience le dénouement
de cette finguliere aventure.
Quand ces traits ſeroient auffi exacts qu'ils
font peu vraiſemblables , il ſuffit d'un peu
de bon ſens pour ſentir qu'aucun Souverain
n'autoriſe ſes Confuls à de pareilles violences
; qu'à moins qu'il ne ſoit ivre , un Conful
ne ſe les permet pas , & qu'elles ſuffiroient
pour aliéner les Grecs de la Moldavie , bien
loin d'étendre l'influence de la Czarine fur
ees contrées, comme on le prétend.
L'hiver dernier l'Electeur de Treves prof-
)
83
( 150 )
:
crivit dans ſes Etats la Loterie Génoiſe ,
connue ſous le nom de Lotto. Ces établiſſemens
viennent également d'être ſupprimés
à Liege. La ville de Vervier avoit déja fait
des repréſentations au Prince défunt à ce
fujet: elles furent écoutées , & les Lottos
anéantis. Durant l'interregne , le Chapitre
de Liege a généraliſé cette défenſe , qui a
été applaudie de tous les Citoyens .
Nous pouvons donner le réfumé ſuivant,
comme parfaitement authentique. Depuis
1750 , date de ſon établiſſement à Vienne ,
juſqu'en 1769 , le Lotto a requ 21,000,000
de florins ( plus de deux millions de France
une année dans l'autre ). Le Gouvernement
qui avoit affermé cette loterie , a reçu dans
le même eſpace 3,460,000 forins: l'entretien
des Emploiés a abſorbé 2,080,00€ flor.
ies ga'ns payés par le Lorto font montés à
7,000,000 florins : le profit des fermiers a
été par conféquent de 8,000,000 de florins.
DE VENISE , le 22 Mai.
La cérémonie des épouſailles de la mer
s'est faite le 20 avec toute la pompe imaginable,
Les vaiſſeaux de l'efcadre deſtinée
contre Tunis , étoient rangés en ligne dans
le grand canal . Le départ de cette eſcadre
eſt très -prochain ; elle fera compoſée d'environ
60 voiles , ycompris les bâtimens de
tranſport.
( 1ST )
:
ITALI E.
DE GENES , le 25 Mai.
Le is de ce mois un petit bâtiment Amé-
Yicain arriva dans ce port ; c'eſt le premier
quiy foit venu avec le Pavillon du Congrès.
Il étoit parti de Terre Neuve le 4 Décembre
, & en dernier lieu de la Martinique vers
la fin de Février. Sa cargaiſon confifte en
500 cuirs . Ce bâtiment eſt commandé par
un Capitaine Américain..
:
Les Barbareſques inteſtent tous les parages
de la Méditerranée. Jamais leurs pirateries
n'ont été plus audacicaſes & plus multipliées.
De toutes parts on reçoit des avis
de leurs priſes ou des ſignalemens. Deux
de nos galeres ont mis à la voile, pour aller
àla pourſuite dlee cceess Corſaires.
De Civita Vecchia on apprend que 3 galeres
deS. S. ont donné chaſſe à trois batimens
Algériens qui croifolent près de Monte
Chrifto, l'un de ces bâtimens a été pris , à
ce qu'on ajoute.
DE LIVOURNE, le 26 Mai...
Le 20, l'efcadre Ruſſe fit le premier fignal
departance , mais elle n'a appareillé que le
23 , vers les 6 heures du ſoir.
Un calme étant ſurvenu , on a pu voir
encore aujourd'hui du rivage les vaiſſeaux
obligés de mouiller ſur la côte.
84
( 152)
L'efcadre Napolitaine, deſtinée pour la
Méditerranée, a été auſſi priſede calme : elle
étoit le 18 à la vue de ce port.
Les lettres de Veniſe portent que deux
chebecs de cette République, qui étoient en
croifiere dans l'Archipel , pour y protéger
les bâtimens Vénitiens contre les Corfaires
de Tunis , avoient rencontré une galéaſſe
Vénitienne qui avoit voulu leur échapper en
prenant la fuite , que l'un de ces chebecs
étant parvenu à les joindre , s'en étoit emparé
, & l'avoit mené àCorfou. Les gens de
Téquipage ayant été interrogés par les Juges
de l'endroit , quelques-uns d'eux avouerent
qu'ils étoient allés en courſe & qu'ils
avoient pris 12 ou 13 bâtimens de diverſes
nations , mettant à mort tous les gens de
leurs équipages , & qu'après avoir fait choix
des marchandises les plus précieuſes , ils
avoient jetté les autres à la mer ; ils dépoferent
en outre , que leſdites marchandises
avoient été déchargées à différentes fois dans
une iflede l'Archipel , où avoient débarqué
ceux qui étoient intéreſſés dans cette entrepriſe
, abandonnant l'armement au reſte de
l'équipage , pour faire de nouvelles priſes.
,
Deux bâtimens Vénitiens ayant été pris
par des corſaires de Tunis dans les parages
de Tripoli , cette derniere Régence , indignée
d'une telle infulte, en a fait porter des
plaintes à la Régence de Tunis , & l'a fommée
de reftituer leſdits bâtimens , avec me(
153 )
nace d'entiter vengeance,ſi elless''yyrreeffuſott
DE NAPLES , le 21 Mai.
Maintenant que notre eſcadre eſt partie ,
on va s'occuper , dit- on , à perfectionner le
plan relatifà l'armée de terre. On prétend
que le Miniſtre l'a déja communiqué att
Prince de Stigliano , Capitaine des Gardes
du Corps , & à divers autres Officiers en
chef.
L'Ordonnance du Roi qu'a publié le Général
Pignatelli , dans ſon gouvernement
des deux Calabres , aura ſans doute une influence
ſur le ſortde cette malheureuſe Province:
on peut l'eſpérer d'après les difpofitions
ſuivantes de ce Refcrit.
כנ Le coeur compatiſſant du Roi , toujours
attentif à chercher les moyens les plus propres
&les plus convenables pour ſoulager ſes ſujets ,
&particulièrement ceux qui font encore campés
fur les ruines occaſionnées par le tremblement
de terre dans la Calabre ultérieure , a ordonné
que les pentes de tous les monaſteres , couvens
& autres communautés religieuſes de l'un &
l'autre ſexe dans la ſuſdite province , ſoient converties
& employées au rétabliſſement des maifons
détruites & au ſoulagement des pauvres. Le
St Pontife ayant voulu concourir avec ſa bénédiction
à ce deſſein pieux de S. M. , le Roi veut
& ordonne que tous les Religieux de ces maiſons
foient répartis dans d'autres monafteres ou couvens
de leurs ordres reſpectifs qui ſubſiſtentdans
Je Royaume , excepté ſeulement les ſupérieurs
&procureurs qui doivent donner les renfeigne
g
( 154 )
les
mens néceſſaires , & rendre compte de leurad
miniftration ; & que les Religieuſes ſolent remiſes
entre les mains de leurs plus proches parens ,
ou autres perſonnes d'une honnêteté & probité
reconnue , qui leurfourniront moyens de fubſiſtance
convenables : veut en outre S. M. que
tous les novices ſoient féculariſés ; & quant aux
Freres lais& Clercs qui voudront ſe faire ſéculariſer
, qu'ils demandent l'agrément de l'Ordinaire
du lieu , ſans que toutefois ils ſoient déliés
in fubftantialibus des voeux contenus dans
Pacte de lear profeſſion ſolemnelle : S. M. ſe
réſervant de prendre ſoin de leur ſubſiſtance &
de leur fort. Quant à la maniere dont tous les
Religieux doivent être traités tant dans leurs
voyages que dans les autres conjonctures où ils
pourroientletrouver, la volontédu Roi eſt qu'on
uſe envers eux de toutes les attentions qui conviennent
à des perſonnes diftingués par leur caractere
, & que le Roi veut regarder comme ſes
ſujets les plus obéiffans & les plus pénétrés de la
juſte néceffité où ils font de concourir au foulagement
des pauvres d'une province auſſi malheu.
reufe » .
DE MILAN , le 26 Mai.
L'Empereur voulant ſeconder les vues de
notre Gouvernement , qui lui avoit propoſé
de fonder un Couvent de Chanoineſſes
fur le modele de ceux qui exiftent dans les
Pays-bas Autrichiens , S. M. a rendu un
Edit en date du 5 décembre , par lequel il
autoriſe notre Gouvernement à choiſir dans
l'une des villes de ce Duché , un édifice propre
à recevoir ces Chanoineſſes qui feront
( 155 )
tenues de faire des preuves de Nobleſſe ,
& qui ne feront admiſes que du conſentement
de S. M. I.
On apprend de Florence , que le départ
del'Archiduc François pour Vienne eſt trèsprochain.
Le Comte de Colloredo l'accompagnera
, en ſa qualité de Gouverneur de
S. A. R. Ce Seigneur eſt remplacé dans
l'éducation des jeunes Princes par le Marquis
Frédéric , Colonel du Régiment de
Stein.
:
ESPAGNE. :
DE MADRID , le 25 Mai.
Le Comte de Bournonville , Capitaine de
la Compagnie Flamande des Gardes du
Corps , eft mort ici le 29 du mois dernier ,
âgé de 68 ans. Il ſervoit depuis 1736. On
affure que le Roi a diſpoſé de cette Compagnie
vacante , en faveur du Prince Maflerano
, Brigadier de ſes armées.
On a tenté ici d'enlever un Globe ; après
des eſſais réitérés & infructeux , on eſt parvenu
à en élever un , monté par un François:
mais il avoit apparamment mal pris ſes
précautions ; à la deſcente de la Machine il
aculburé , & eſt tombé d'environ cent pieds
de haut. L'Infant Dom Gabriel , qui favoriſoit
ſon entrepriſe , lui a donné beaucoup
de marques de ſenſibilité , & y joindra ,
on, de grands bienfaits , s'il en réchappe
comme on l'efpere. En attendant , la cour
dit
g 6
(156 )
lui a aſſigné 2500 liv. de penfion , dont on
a payé fix mois d'avance.
DE VALENCE, le 18 Mai.
Cette ville a vu ſe renouveller une cataftrophe
malheureuſement trop ordinaire dans
les fêtes publiques.
Celle qu'on a célébrée ici avoit pour objet la
naiſſance des deux Jumeaux dont la Princeſſe des
Afturies eft accouchée.
« La Proceffion , qui fit l'ouverture de la fête,
fut très-magnifique & très nombreuſe , ornée de
chars de triomphes , d'emblêmes , &c. Les rues
par leſquelles elle paſſa , & les maiſons étoient
tapiffées &ornées de la maniere la plus ſomptueuſe
: d'ailleurs ily régna le plus grand ordre ;
mais il n'en fut pas de même le foir , P'allégreſſe
publique ſe changea en deuil. Parmi ces réjouifſances
l'on avoit projetté trois feux d'artifice ,
l'un repréſentant un château ſur la Place- Royale,
vis- à-vis lePalais , & deux autres ſur la place de
S. Dominique : ondevoit les tirer fucceffivement,
en commençant par celui de la Place Royale ;
celui- ci s'exécuta fans accident , mais au moment
qu'on venoit de le tirer , la foule curieuſe ſe
preffa fi inconſidérément pour aller voir tirer auffi
les autres , qu'il en arriva un très grand malheur.
Pourgagner la place de S. Dominique , en venant
de la Place-Royale , il falloit paffer un pont. La
multitude , ſe heurtant & ſe pouffant de tous
côtés , ne put le déboucher auffi promptement
qu'il le falloit , il y eut un engorgement ,&bien.
tôt nombre de gens furent non-feulement meure
tris& bleſſés , mais renverſés à terre , foulés aux
pieds , ſuffoqués ou écrasés : d'autres , cédant à
une preſſe irréſiſtible , tomberent du pont dans
( 157 )
l'eau & fe noyerent. On ignore le nombre de
ceux qui ont péri dans cette confufion d'une ou
d'autre maniere , ceux qui ont été reconnus ayant
été emportés par leurs parens ou leur famille :
les inconnus , qui n'ont été réclamés par perſonne
, & qu'on a transférés à l'hôpital , ſont au
nombte de 21 , la plupart ( à ce qu'ii paroît )
artifans ou journaliers. Celui des bleſſés est bien
plus confidérable encore ; il n'y acu preſque per-
Tonne dans cette foule qui n'ait été fro.flé ou
n'enait emporté quelque meurtriſſure ».
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 15 Juin. I
Le 8 de ce mois , la Chambre des Communes
a prononcé ſur la difpute relative à
Westminster. Cette déciſion a été précédée
des débats attendus : en voici la ſuccinte
analyſe.
M. Walbore Ellis , pendant quarante ans
l'homme de la Cour & fur - tout des Miniſtres
, accablé de toutes les calomnies qui
ont ſuivi la retraite du Comte Bute , auquel
il étoit attaché , ce Sénateur vétéran , en un
mot , à qui dans ſa longue carriere il n'étoit
jamais échappé une motion contraire au voeu
du pouvoir exécutif, a préféré de lui manquer
de fidélité, plutôt qu'à lord North ,
dont il eſt depuis 15 ans l'acolyte le plus
zélé. Il a ouvert la féance du 8 par la motion
ſuivante :
« Qu'il paroît à cette Chambre que Thomas
( 158 )
Corbett , baillif des libertés de la Cité de
>>>Westminster , ayant reçu ordre du Schériff de
>>Midleſex , d'élire deux citoyens pour ſervir
>> ladite cité en Parlement , &ayant terminé le
>> 17 Mai dernier l'opération de recevoir les ſuf.
>>>frages , pour nommer le lendemain les deux
>>>membres élus , felon la teneur du writ , il foit
>> tenu de ſe conformer à ce writ , & de procla-
*>> mer les deux membres choiſis .
Lord Mulgrave , M. Campbell , Lord
Avocat d'Ecoffe , M. Powis , le chevalier
Erskine , ayant ſucceſſivement rappellé de
part & d'autre les argumens pour & contre
la queſtion , M. Fox s'en empara ; ce qui eft
incroyable pour les étrangers , & qui ne l'eſt
point pour ceux qui ont entendu cet ancien
Miniftre , il parla trois heures conſécutives
avec une force & une facilité dont l'éloquence
politique, même en Angleterre, offre
peu d'exemples .
Selon fa méthode , M. Fox commença
par ſéparer ſon intérêt de celui de la queſtion.
« L'élection de Westminster , dit- il dans ſon
>> exorde , n'est point ma cauſe propre , mais
celle de tous les Electeurs de la Grande- Bre-
>> tagne , & de mes conſtituans en particulier.
Quant à ce qui me regarde perſonnellement ,
dans ce débat , il a été futiſamment diſcuté à
>> la Barre par mes ſavans Conſeils , & éclairci
>> par les illuftres membres qui ont démontré
>> que , fans manquer à ſa propre dignité , à la
décence , à l'impartialité à la Juſtice , la
Chambre ne pouvoit de refuſer à la motion
de mon honorable ami . C'eſt ici la cauſe de la
patrie & de la conſtitution : j'aurois perdu
( 159 )
1
toute ſenſibilité, toute reconnoiffance pour le
>>> Peuple Anglois , fi je n'employois tous les
>>>efforts poſſibles à mes foibles talens , pour
>> ramener les eſprits de la Chambre au véritable
>> état de la queſtion .
Après cet exorde , M. Fox récapitula ſa
défenſe avec la plus grande étendue. Le
Bailli de Westminster , ſon Député , les Miniſtres
, les Membres oppoſés à la motion ,
furent tour-à-tour l'objet de ſes plaintes , de
ſes argumens , de ſes ſarcafmes.
Lorſque je confidere , dit- il en concluant , les
manoeuvres ſcandaleuſes employées durant l'élection
& à ſa clôture , pour me diffamer moi &
mes amis , ainfi que la conduite du Grand Baili ,
le 17 & le 18 du mois de Mai, je n'ai aucun lieu
de douter que le Gouvernement ne foit intervenu
pour ôter aux électeurs de Weſtminster l'exer
cice de leurs droits , & pour me priver de l'honneur
de fiéger ici comme leur repréſentant.
Lorſque je vois , de plus , les troupes miſes ſur
pied dans la forme la plus oppoſée à la conftitution
, la puiſſance civile employée ſous un Magiſtrat
de Westminster , dont le devoir & l'office
immédiats ſont de maintenir la paix & de prévenir
le deſordre , devenir non-feulement la premiere
cauſe du tumulte , mais encore l'instrument
du meurtre ; enfin , après avoir confidéré
qu'en conféquence de ce meurtre , les hommes
les plus honnêtes , les plus innocens ont été mis
à la barre de l'Old Bailey , & que mes amis ,
chers à mon coeur par leurs éminentes qualités ,
refpectables par leurs caracteres, jouiflant au plus
haut degré de l'eſtime publique , ont été impliqués
dans une affaire qui expoſoit leur honneur
&leur vie , s'ils ne ſe fuffent pleinement juſti(
160 )
fiés; toutes ces circonstances raſſemblées me dé
montrent que toute la force du Gouvernement
eſt dirigée contre moi , que mes ennemis ne fe
laſſeront jamais de me perfécuter, & qu'ils ne ſe
laſſeront que lorſqu'ils auront détruit mon exiftence
politique. Que ceux qui ontle pouvoir en
maintriomphent avec plus de modération ; qu'ils
agiſſent avec plus de prudence ; leurs efforts pour
tourmenter un individu ne ſervent qu'à ouvric
les yeux de la nation & à démontrer la fauſſeté
des bruits répandus contre cet individu avec un
artifice & une cruauté ſans exemple. Au furplus ,
je ne mets point l'honorable membre , qui eſt en
face de moi , M. Pitt , au nombre de mes per
fécuteurs de deſſein prémédité. Je lui rends la
juſtice de déclarer que je ne le crois pas le vil
inſtrument d'une atrocité ſi infame , je ſuis perfuadé
qu'il ne s'eſt engagé dans cette affaire que
par une trop foible condeſcendance pour ceux
dont le caractere eſt de hair avec tenacité & de
faire le mal fans remords. Je lui conſeille cependantdeconſidérer
le danger de pouffer trop loin
le reſſentiment & l'oppreffion , de réfléchir furtout
à l'effet que la déciſion de la Chambre doit
produire ſur les droits des électeurs en général ,
&par conséquent ſur la conſtitution du pays ;
s'il veut enviſager de ſang-froid les funeſtes conſéquences
qui en réſulteront infailliblement , je
ne doute point qu'il ne ſoit d'avis que la Chambre
doit ou adopter la motion préſente ,ou arrêter
qu'il ſoit donné un nouveau writ d'élection.
M. Pitt , qui juſqu'à ce moment avoit
gardé le filence, prit la parole &dit:
Je crois devoir faire quelques remarques fur
les affertions haſardées dont il a plu à M. Fox
de ſemer ſon diſcours , & je commencerai par
rappeller à la Chambre que l'ordre actuel porte
( 161 )
que tout Membre , contre lequel il aura été présenté
une pétition , portant plainte d'élection illégale ,fera
obligé de s'absenter toutes les fois que la Chambre
agitera le fujet de la pétition qui le concerne. Au
lieu de ſe conformer à cet ordre , l'honorable
Membre s'eſt levé pluſieurs fois pour parler de
l'élection de Westminster , en profitant du droit
accidentel qu'il a de fiéger comme repréſentant
de-Kvikwall . J'eſpere qu'avant que la Chambre
ajoute foi aux accufations violentes que
M. Fox a ofé avancer directement contre le
Ministere , il faudra qu'il en apporte des preu
ves inconteflables , fans lesquelles je crois qu'il
lui ſera difficile de ſe libérer de l'imputation
de calomnie. Ce ne ſont point ſes accufations
quinoircirontle Miniftere. Ces efforts pour exciter
l'intérêt & la compaffion du Public , en ſe
repréſentant comme l'objet de la perſécution la
p'us inexorable de la part des Miniſtres , n'auront
point leur effet tant que les afſertions ne
feront point completterment juftifiées. Des accufations
du genre de celles que M. Fox a jetté
négligemment & avec une légereté répréhenſible
, ne font point d'une nature indifférente,
&elles ſont auſſi malignes que calomnieuſes.
Leur importance fera pleinement ſentie ſi l'on
confidere qu'elles avoient pour but , fans cependant
apporter de preuves , que le Miniſtere avoit
employé le Magiſtrat de Westminster , & les Officiers
ſous ſes ordres ; 1º , pour troubler la
paix publique en encourageant le tumulte &
Jes émeutes ; 2° , pour commettre le crime de
, pour ſuborner de faux témoins.
( Ici , M. Fox s'écriatout haut ,jen'aipas dit cela.)
Il a ajouté , continua M. Pitt, que la main puif
ſante du Gouvernement étoit marquée viſible.
ment dans tout se qui s'étoit paflé. Si ce fait
meurtre :
3
( 162 )
'eſt vrai , c'eſt à M. Fox à ſuivre ſon accufation
, & à la prouver. La main du Gouvernement
n'eſt point aſſez puiſſante pour détourner des accufations
formelles , ni pour éviter la haîne &
ladiſgrace publique qui en ſeroient le châtiment.
Je prétume d'ailleurs que le Miniftere ne ſera
jamais allez foible pour être atteint par des afſertions
fans preuves. M. Fox s'eſt plû àinvoquer
pluſieurs fois le Ministere pour le prier de l'épargner
, & de ceſſer de le perſécuter. Ses inſtances
au Miniſſere n'étoient point néceſſaires , & la
la Chambre ne les demandoit point. Les Miniſtres
favent trop bien que le feul moyen de
flétrir lear réputation , d'affermir & d'exalter
celle de M. Fox , eſt de faire de cet Orateur
l'objet de leurs perfécutions. Au reſte , on ne
doit pas être ſurpris de fon zele & de fon ardeur
pour acquérir dans le monde le titre
de victime du Miniſtere ; perſonne ne doit le
defirer plus que M. Fox ; peut-être même ſouffriroit-
il le martyre pour obtenir ce qui ſeroit
Je prix de ſa canoniſation , c'est-à-dire , de recouvrer
l'estime publique & la confiance du peuple..
qu'il a perdues par sa conduite détestable en politique.
M. Pitt fit enſuite quelques obſervations fur
l'affaire qui occupoit la Chambre dans ce moment.
Il examina les diverſes dépoſitions qu'avoient
faites les témoins à la barre , dont pluſieurs
avoient été interrogés par M. Fox lui-même,
&conclut que le Grand-Bailli avoit agi avec
toute la droiture qu'exigeoient les devoirs de ſa
place , & la folemnité de ſon ſerment
Suppoſons pour un moment , dit M. Pitt en
terminant , qu'un des Candidats pour Westminfter
fût un homme de mauvaiſe foi , que , dans
les premiers jours , il chargeât précipitamment
( 163 )
l'élection d'une fi grande quantité de votes qu'il
fût impoffible au Grand-Bailli de les examiner
pendant le cours de l'élection ; qu'après avoir fait
ce manége au point de s'aſſurer de la majorité , il
prit la voix toute contraire du délai , pour traîner
l'élection en longueur, en n'apportant qu'un
-ou deux fuffrages par heure , juſqu'a la veille du
jour fixé pourdéclarer les Candidars élus ; qu'au
moyen de ces menées il prévînt la poſſibilité
d'une vérification ; alors ce Candidat ſeroit un
ufurpateur. Dans l'hypotheſe que je viens de
ſuppoſer , il y auroit un abus manifeſte du droit
d'élection , & comme ce cas eſt certainement
poſſible , il fa fanctionner une nouvelle loi
pour régler les élections & limiter leur durée, de
maniere que le Bailli ait le tems de faire la
vérification , s'il étoit néceſſaire , avant le terme
fixé pour le rapport qu'il en doit faire. Croire
que la formation d'un bill à ce ſujet ſeroit une
injuſtice envers les Electeurs de Westminster" ,
:c'eſt une doctrine à laquelle je ne faurois foufcrire.
Quand doivent ſe faire les loix nouvelles ,
fi ce n'eſt au moment où leur néceſſité eſt prouvée
pardes inconvéniens & des abus ?
4
La Chambre ayant paflé aux fuffrages ,
la motion fut rejetée à la pluralité de 78 voix.
Lord Mulgrave en fit immédiatement une
ſeconde pour ordonner au grand Bailli de
procéder ſans délai à la vérification ; après
quelques débats , cette motion fut agréée.
par une majorité de 88 voix. Il eſt à remarquer
que onze des partiſans du Ministère ,
ſoit à deſſein , ſoit ſincérement , votèrent
avec impartialité en faveur de la motion de
M. Welbore Ellis .
(164)
Le to, le grand Bailli & fon député, lord
Hood, fir Cecil Wray & ſes conſeils , s'étant
rendus à l'abbaye de Westminster pour procéder
à la vérification , ni M. Fox ni aucun
de ſes amis ne parurent à cette aſſemblée. On
ylutunelettre de M. Sheridan , qui annonçoit
dans la journée une réponſe finale de
M. Fox. La Cour s'ajourna au lendemain
pour commencer la reviſion , ſans ultérieur
renvoi.
Nous l'avons remarqué, la crainte de voir
mettre au jour les prévarications commifes
dans l'élection , a ſeule déterminé une aufſi
forteoppoſitionà cet examen légal . Si M. Fox
n'a réellement dû ſa majorité qu'à des ſuffrages
illégitimes , ſon élection est une évidente
injuftice envers ſon concurrent & envers
les électeurs. La conſtitution ne peut
P'avoir autoriſée ; & en pareil cas , c'eſt une
défenſe bien ſuſpecte , que des fubtilités fur
un point de forme , pour couvrir une illégalité
réelle.
Il s'eſt élevé une queſtion très-importante,
dans l'élection pour Asburthton , c'eſt de favoir
ſi un eccléſiaſtique Anglican eſt éligible
pour une place au Parlement : un uſage non
interrompu adécidé le problême, maisla loi ,
àce qu'il paroît, le laiſſe irréſolu. Si leClergé
acquiert ce droit précieux, on ne tardera pas
àvoir en Parlement ſes membres les plus dif--
tingués par leurs connoiſſances politiques ,
commeM. Tucker , doyen de Gloceſter ,
( 165 )
ledocteur Jebb &d'autres. Ce privilege jetteroit
dans l'ordre entier une émulation utile,
&décideroit pluſieurs ſujets de mérite à embraſſer
un état dont l'illuſtration eſt aujourd'hui
affez limitée.
A la formation du précédent Parlement,
il y eut quarante élections conteſtées : aujourd'hui
leur nombre eſt de cinquante-une. Six
mois,une année même ſepaſſeront avant que
toutes ces pétitions ayent été jugées; circonf
tance inévitable qui ſuffit pour renverſer la
chimere des Parlemens annuels , renouvellée
detems à autre par l'oppoſition.
Dans la féance du II , la Chambre s'occupa
de l'eftimation des dépenſes de l'artillerie.
L'état en fut préſenté par leCapitaine James-
Luttrell , Intendant-Général de ce dé
partement, & porté à 810,699 1. ft.
M. Luttrell justifia cette demande par les
frais néceſſaires des réparations aux ouvrages
de Gibraltar , des fortifications à ajouter aux
ifles rendues dans les Indes-Occidentales , &
des poſtes à établir dans les poſſeſſions que
conſerve l'Angleterre ſur le continent de l'Amérique.
Il comprit auſſi dans ſon eſtimation
les dettes à payer, qui réſultent en partie des
avances d'argent faites au bureau ſur des contrats
où les prêteurs eſcomptoient 28 pour
100, Malgrél'énormité de cette dépenſe en
tems de paix, la Chambre accorda ce ſubſide
après quelques difcuffions .
Dans le détail des dépenſes d'artillerie, il s'eft
trouvéun articlede 500,000 liv. ft. pour les forg
( 166 )
tifications de Portsmouth & de Plymouth , fur lequel
M. Huffey & le Capitaine MBride ſe ſont
récriés en obſervant que la défenſe de l'Angleterre
ne devoit réſider que dans ſa Marine , & que
tant que ce Royaume auroit des vaiſſeaux , les
places fortes ne lui ſerviroient point ;maisleColonel
Luttrel répondit à ces deux Membres qu'ils
avoient apparemment oublié le tems où M. d'Orvilliers
croiſoit dans la Manche , & où le Cabinet,
de S. -James lui même trembloit que ceGénéral
François ne détruifit tous les Chantiers & tous les
Arſenaux de la Marine Britannique , à l'aide ſeulement
d'une ou deux frégates & de quelques
Volontaires tirés des garniſons de ſes vaiſſeaux.
M. Burke a produit ſes motions fur le Diſcours
duRoi , mais elles n'ont point été admiſes.
La motion de M. Sawbridge a été remiſe.
Le 14, le Secrétaire de la guerre demanda
àla Chambre un ſubſide de 928,662 liv. ſterl.
pour la paie&l'entretiende l'armée en 1784 ,
ſoit de 17,483'hommes effectifs , y compris
2036 invalides & officiers fans commiffion ,
pour les troupes employées aux Colonies &
Gibraltrar , ainſi que pour un régiment de
Dragons légers , & cinq bataillons d'infanterie
employés aux Indes-Orientales.
Le célebre lord Mansfield dont on avoit
tauſſement annoncé la retraite , a repris ſes
fonctions au banc du Roi où il a préſidé. Il
a pris pendant quelque tems des bains de
mer , qui paroiſſent avoir achevé ſon rétabliſſement.
Le Roi a remis au Tréſorier de la Société
qui a célébré le Jubilé d'Handel, une ſomme
de soo liv. fterl., à joindre aux charités aux
( 167 )
1
quelles ſera employée la recette des concerts
qui ont eu lieu derniérement. On a confacré
cette cérémonie par une inſcription en marbre
qui a été placée au-deſſous du monument
d'Handel dans l'abbaye de Weſtminster.
Des ouvriers creufant, il y a quelques jours
un canal dans les jardins du Palais Archiepifcopal
de. Lambeth , trouverent une piece
de métal qui les engagea à étendre leur fouille.
A trois pieds de profondeur, ils découvrirent
101 larges pieces d'or ( des Jacobus ) 36 plus
petites , & 40 dont chacune environ de la
valeur d'une demi-guinée. Ce tréſor ayant
été vendu à un orfevre , la part de chaque
ouvrier a été de 23 liv. ſterl, Malgré le ſecret
qu'ils s'étoientpromis , l'un d'eux l'a divulgué
enachetant une montre. On préſume que
ces monnoies furent enterrées au moment de
Pinfortune de l'Archevêque Laud.
Dans le nombre des ſatyres de tout genre
que produiſent ici la liberté & l'efprit de
parti , il en paroît une dont l'idée eſt aſſez
plaiſante; c'eſt le codicile d'un chef de cabale
; con lui fait léguer fon éloquence aux
» Empyriques , ſa modeſtie Irlandoiſe àM.
>> Courtney , fon intégrité à M. Welbors
>> Ellis , fon patriotiſme au Colonel North ,
>> fon eſprit conféquent au Général Con-
ככ way, fon courage à lord Keppel, ſa chaf-
>>>teté au Duc de Queenſberry , ſa piété à
>> lord Sandwick , ſes fleurs de rhétorique à
>> la chaire, fa battologie au Barreau , & fa
>> réputation au fleuve d'oubli.
( 168 )
3
IRLANDE.
DE DUBLIN , le Juin.
:D'après le rapport du Comité de notre
Chambre des Communes , il paroît que l'importation
des laineries angloiſes dans ce
Royaume, a été
de 1779 à 1780 de la ſomme 64970 1. ſteris
de 1780 à 1781
de 1781 à 1782
de1782 à1783
:
308126
322393
311445
La diſtribution de 15000 liv. ſtr accordées en
gratification par le Parlement d'Irlande , pour
encourager les manufactures nationales , ſe fait
de la maniere ſuivante , ſavoir 7500 liv. ft. en
gratifications de cinq pour cent de la valeur des
marchandiſes aux premiers acheteurs , après le
premier Juin 1784 ; cinq pour cent ſur toutes
Jes laineries exportées après la même date ;
1500 liv. ft. en gratifications de cinq pour cent
fur les cotons ou cotons mêlés; 3 liv. 6 f. 3 d.
fur toutes les toiles de coton fabriquées en Irlande,
& imprimées enſuite ; 1500 liv. engratification
aux fabriques de fer , de cuivre, de
caracteres d'imprimerie& de quincaillerie.
こ
Le 31 du mois dernier , les Volontaires
deDublin ont paſſé en revue à Phenix-Park
devant leur General, le Comte de Charle
mont. Ils étoient au nombre de 1000. Pat
complaifance pour eux la revue de la garniété
renvoiée de deux jours.
Avant-hier 7, les habitans & Francs,Tenanciers
fon a
( 169 )
nanciers de la ville &Comté de Dublin ſe
font aſſemblés pour délibérer ſur la réforme
de la repréſentation Parlementaire. Il eſt
forti de ces Comices une ſuite de réſolutions
qui préparent des ſcenes ſi étranges, qu'on
ne peut ſe diſpenſer de les faire connoître
dans leur entier.
Arrêté unanimement , que la repréſentation
imparfaite , actuellement ſubſiſtante , &la longue
durée des Parlemens , ſont des griefs inconftitu
tionnels & intolérables .
Arrêtéunanimement , que le ſuffrage des Communesd'Irlande
n'eſt pas moins néceſſaire à chaque
objet législatif que le ſuffrage du Souverain oudes
Pairs , &que par conſequent le peuple réclame ce
privilége comme juſte , inhérent à lui & inalienable
, afin que ce peuple puiſſe corriger les abus
danslarepréſentation , toutes les fois que ces abus
ſe ſeront multipliés au point de le priver de la part
queluidonne laConſtitution dans fonGouvernement.
Arrêté unanimement que le peuple jouit & a toujoursjoui
d'un droit évident , inaliénable & irrévocable
, à une fréquence d'Elections , auſſi bien qu'à
une repréſentation proportionnelle & égale , droit
établi ſurune baſe plus forte qu'aucun des actes du
Parlement,&quel'obtentiondeces objets impor-
-tans&conſtitutionnels, eſt le moyen le plus sûr de
rétablir& d'affermir l'indépendance du Parlement.
Arrêté unanimement,que la repréſentation inégale,
exiſtante aujourd'hui,&la longue durée des
Parlemensdétruiſent l'équilibre qui par notre conſtitution
devroit ſubſiſter entre les trois branches
de la Légiflature , rendent indépendans du peuple
JesMembresde la Chambre des Communes , procurent
des majorités décidées en faveur de chaque
No. 26 , 26 Juin 1784. h
( 170 )
Adminiſtrateur , & nous menacent d'une Monarchie
abfolue , ou , ce qui eſt encore beaucoup plus
odieux , d'une Aristocratie tyrannique.
Arrêtéunanimement, que la plus grande partie
de laChambre des Communesn'eſt pas élue par le
peuple , mais par les intriguesdes Pairs du Royaume
& autres , ſoit pour de pauvres bourgs , où à
peine il exiſte quelques habitans , ſoit pour des
villes & cités conſidérables , ou peu de perſonnes
font revêtuesdu pouvoir électif.
Résolu unanimement , que la vénalité & la corruption
de la Chambre des Communes actuelle ,
démontrée par les différens actes arbitraires qu'elle
apaffés dans la derniere ſeſſion , & le mépris &
l'indignité avec leſquels elle a traité les demandes
& les pétitions du corps conſtituant , nous
obligent de ſolliciter le peuple pour qu'il s'uniſſe
à nous , afin d'obtenir une plus juſte repréſentation,
& afin de préſenter une pétition au
Trône , pour hater la diffolution du Parlement
actuel.
Reſoluunanimement , que la forced'une nation
ſe fonde ſur l'union de ſes individus .
Résolu unanimement (une ſeule voix s'y étant
oppoſée ) ; que la participation aux droits généraux
dont jouiſſent tous les individus de la nation
, doit les engager à opérer efficacement les
uns pour les autres.
Résolu en conféquence (une ſeule voix s'y
étant oppoſée) , que de faire participer nos freres
Catholiques Romains au droit de fuffrage, toujours
enpréſervant dans toute fon étendue le gouvernement
protestant actuelde ce pays, ce ſeroit une meſure
d'où réſulteroient les plus heureuſes conféquences
,& qui eſt très-propre àaſſurer de plus en
plus la liberté civile.
Résolu unanimement qu'un comité de vingt &
(( 1711 )
un membres ſera auffi tot nommé pour la rédaction
d'une adreſſe au peuple , pour lui demanderfa
coopération , & d'une pétition au Roi dans laquelle
on lui rendra compre de nos calamités , & par
laquelle on lui demandera la difſſolution du Parlement
actuel , dont la corruption nous force à lui
retirer notre confiance; & que ledit comité nous
préſentera ces deux pieces dreſſées , le Lundi zr
Juin.
Résolu unanimement que nous rendrons les plus
vifs remerciemens à l'Ecuyer John Talbot Ashenhurſt,
des foins particuliers qu'il s'est donné pour
remplir l'office de Secretaire, tant en cette affemblée
que dans les précédentes.
Résolu unanimement que les réſolutions préſentes
feront publiées dans les papiers publics.
Alexandre Kirkpatrick junior , Benjamin Smith ,
Sheriffs ...
ETATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE.
BOSTON , le 27 Avril.
Uncomité des deux chambres de la législature
de Maſſachuſſeſt , a arrêté que la ſociété
de Cincinnatus ne peut point être tolérée
, & que ſi elle n'eſt point détruite , elle
troublera la paix & la liberté des Etats-Unis
en général , & fur-tout de Maſſachuſſeſt .
Cet arrêté a été lu aux deux chambres aſſemblées
, & approuvé par elles après mûre délibération.
L'hérédité attachée à cet ordre eſt une :
eſpèce de nobleſſe que les Etats-Unis aſſemh2
(( 1721 ) )
2
blés en Congrès n'auroient point eux-mêmes
le droit de donner , conformément à
P'article VI de la confédération ; & cette
conſidération a contribué le plus fans
doute à faire profcrire l'aſſociation de Cincinnatus
du Maſſachuſſeſt. On ignore ce que
feront les autres Etats à cet égard.
Nous apprenons de la Havanne que le
Gouvernement efſpagnol exécute avec la plus
grande rigueur ſes édits ſur le commerce.
Pluſieurs particuliers , du nombre deſquels
font un ou deux Américains , ayant été pris
en contravention , ont été condamnés à trois
ans d'eſclavage à la Vera-Crux . :
UnNégociant de Kingſton , dans la Jamaïque
, ayant été foupçonné ou convaincu
de la même contrebande , a été auſſi condamné
à huit ans de prifon à la Vera-Crux ,
&à une amende de 130,000 piaſtres,
On écrit d'Annapolis que le Congrès a pris les
arrangemens relatifs au territoire de l'Oueſt. Des
Commiſſaires font nommés pour traiter avec les
Sauvages , à l'effet d'établir une paix générale ,
&de ſeprocurer , par vente ou autrement , une
étendue de terreindont la limite n'eſt pas préciſément
déterminée , mais qui s'étendra à l'Ouest
juſqu'à la riviere Miami , & qui pourra compoferpluſieursEtats.
Cette négociation aura lieu
dans le cours de l'été prochain. Les Commiffaires
ont ordre de ſe trouver à New Yorc le
10dumois préſent , &d'y prendre les meſures
néceffaires àla conclufion du traité. Il eſt à defirer
qu'on agiſſe avec modération par rapport à
( 173 )
l'argent qu'il faudra tirerde ce pays. Quoi qu'il
en ſoit, comme le ſol eſt fertile & que ſes eaux
font navigables , on ne doute point qu'il ne devienne
une ſource immenſe de force & de proſpétité
pour ces Etats , lorſqu'il ſera cultivé& peuplé
convenablement ; & même, dès à préſent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Couture,
Ordre de S. Benoît, dioceſe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre, Vicaire général de Nevers
, ſur la nomination&préſentation de
Monfieur , en vertu de ſon apanage ; à celle
de Preuilly , même Ordre , dioceſedeTours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaflonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , dioceſe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre, dioceſe d'Agen,
l'Abbé de Villeneuve Eſclapon ; & à celle
d'Hérivaux, Ordre de S. Augustin , dioceſe
de Paris , l'Abbé de Damas d'Autigny...
Le Comte de Mouſtier , Miniſtre pléniporentiaire
du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de S. M.
pour retourner à ſa deſtination , étant préſenté
par le Comte de Vergennes , Chefdu
Confeil royal des finances , Miniftre & Seh
( 174 )
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres. 3
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteſſe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préſentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale; l'une par la
Marquise de Bombelles , Dame pour accompagner
Madame Elifabeth de France ;
& l'autre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon ſejour
juſqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter lon goût ,
lui ont été ménagés ſoit à la ville, foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand ſuccès. La décoration
du bodage où Renaud fesrepoſe ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne,
ont été ſur tout remarquées : l'exé
cution entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Muſique
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'on jouoit Blaise & Babet.
T
Les ballons font du nombre des ſpectacles
dontjouira M. le Comte de Haga. Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 175 )
huit jours dans leur Aeroſtat. La grande
Montgolfiere eft commandée pour le 22. Elle
fera conduite par M. Pilaftre de Rozier qui
ſe promet de faire beaucoup de chemin ;
cette immenſe machine étant reſtée l'autre
jour près des heures en l'air , dans la der
niere expérience faite à huis clos , & quoiqu'elle
fut retenue par des cordes.
رق
L'enthouſiaſme pour ces aëroſtats , très -i
afſoupi depuis quelque temps , reçoit une
nouvelle ſecouſſe en ce moment. Voici ce
qu'on écrit de Dijon le 12 Juin.
Je me hâte de vous annoncer la réuffite de
notre ſeconde expérience aéroſtatique : le ballon
eſt parti aujourd'hui à fept heures un quart , par
le plus beau tems du monde , dirigé par M. de
Morveau & de Virely ( Préfident à notre Chambre
des Comptes : je dis dirigé, parce que malgré la
foibleſſe des moyens qu'on accuſoit M. de
Morveau d'employer, & maleré tousles farcasmes
des incrédules , ces Messieurs ont réellement dirigé ;
ils ont plané très-long-tems fur la Ville & fur ,
les environs , à une très petite élévation , contre
le courant du vent; ils ſe ſont abaiſſes deux fois
à :erre à volonté , ils ſont remontés aux aſtres où
nous les avons perdus de vue.
Nous venons d'apprendre que ces Meſſieurs
fontdeſcendus à dix heures environ à trois lieues
d'ici , aptès avoir fait toutes leurs évolutions.
Voilà certainement une grande oeuvre , fi
tant eſt que ces Meſſieurs aient avancé hori-
Sontalement contre le vent. Les incrédules en
doutent beaucoup : quant au moyen de
s'abaiſſer & de monter à volonté , il n'eft.
1
h4
( 176 )
1
pas contefté. Au reſte nous aurons de plus
grandes certitudes dans 3 ou 4 jours , forfque
le rapport de M. de Morveau , qu'on
nous promet , nous ſera parvenu .
Juſqu'alors les douteurs demanderont à
Melfieurs de Dijon , pourquoi avec leur
moyen de direction , ils ne font pas venus
dîner à Dijon , au lieu de deſcendre à trois
lieues, dans un mauvais village.
Puiſque nous en ſommes aux Ballons , on
nous accuferoit de trop d'indifférence , fi
nous ne parlions pas de celui de Lyon, lancé
enpréſence du Roi de Suede. Il enleva
le Conſtructeur & Madame Tible Lyonoiſe;
au moment que la derniere corde fut coupée
par le Comte de Haga, cette femme
hardie déploya , en s'envolant, un Drapeau
aux Armes de France & de Suede : elle ne
reſta que 4minutes en l'air , traverſa les deux
rivieres , & fut tomber à 3 lieues de fon
départ.
On nous permettra quelques doutes fur
la velocité de cetrajet. 3 lieues en 4minutes
c'eſt une diligence bien extraordinaire. Les
rapports au ſujet de quelques expériences
récentes , ont appris à ſe défier des récits des
entrepreneurs & & des témoins eux-mêmes.
Ces jours derniers , on arrêta aux Italiens un
homme qui s'amuſoit à voler les dragonnes , au
moment qu'il coupoit celle de M. Changran . II
avoit un habit bleu , avec un bouton blanc ,
chargé d'une fleur-de- lys ,&un ruban noir àla
boutonniere.
( 177 )
Quelques accidens arrivés récemment
ont donné lieu à un diſcours ſur la
vente libre des poitons , prononcé par M.
Macors , Apothicaire de Lyon, en préſence
du Corps Municipal. Dans l'examen d'une
cauſe affreuſe , où une doſe d'arfenic , imprudemment
vendue avec de la caſſonade ,
avoit failli conduire un pere de famille à
l'échaffaud, l'un de nos écrivains les plus éloquens
, M. Servan , préſenta des obfervations
énergiques fur l'inſuſtiſance des réglemens
relatifs à la vente des poiſons. Les
Marchands ,dit- il, n'en vendront pas moins
leurs drogues impunément , & les plieront au
besoin dans une feuille de l'Edit. M. Macors
a développé ces inconvéniens en citoyen
pleind'humanité & de fageffe. Comme on
ne fauroit trop ramener l'attention fugitive
du public fur un objet auffi eſſentiel , nous
confignons ici un précis de ce diſcours intéreiſant.
De toutes les marchandiſes qui ſe vendent dans
le commerce , il n'en eſt ſans doute aucune à
laquelle on dût preſcrire plus de bornes qu'à la
vente des poiſons.
Le danger journalier auquel on eſt expoſé nonſeulement
par la facilité qu'on a de ſe les procurer
, mais encore par le déſordre qui regne dans
les magaſins des Marchands auxquels ils font
confiés , par leur impéritie ou leur inadvertance ,
n'a pu être détourné par les réglemens les plus
févéres & les plus ſages. Les abus les plus dangereux
ſe ſont maintenus , multipliés méme ,
h
1
( 178 )
malgré une infinité d'Ordonnances dont le but
étoit cependantde les prévenir.
Dans tous les tems , dans tous les fiecles la
Jiberté abſolue de la vente des poiſons a été funeſteà
des milliers de familles ; dans tous les tems
auſſi le Gouvernement s'eſt occupé du ſoin d'y
remédier; mais malgré les efforts , les effets les
plus terribles n'ont été que trop malheureuſement
la ſuite de ſa confiance à penſer que ſa
furveillance ſuffiſoit pour les prévenir.
Comme les ſubſtances minérales qui conſtituent
les poiſons dont il eſt queſtion ſont d'une
néceſſité indiſpenſable dans les arts , il n'eſt pas
poffible de les proſcrire entiérement. Si la choſe
eût pu fe faire , il eût été bien facile fans doute
d'arrêter tous les défordres qu'ils peuvent jeter
dans la ſociété ; mais nos connoiffances ne nous
ayant pas encore montré qu'il nous fût poſſible
de les remplacer pardes objets moins dangereux ,
cemoyen n'a donc pu ni ne peut être employé , &
conféquemment la vente de ces minéraux eff
devenue & eſt encore néceſſaire & indiſpenfable.
Sous le Regne de Louis XIV , il etoit permis,
comme il l'eſt encore denos jours , aux MarchandsEpiciers
Droguiftes de temir & vendre ces
vénéfices; mais avec des réſerves qui jettent
les débitans dans des entraves trop pénibles pour
que la loi ne ſoit pas bientôt oubliée. V. l'Ordonnancede
1682 , art. 7&8.
Je ne fuis pas le premier à fentir tous les dangers
attachés à lavente des poiſons ; mais peu
ont ofé élever la voix pour démontrer que la
vente libre de toute ſubſtance veneneuſe eſt
l'un des plus terribles maux qui accablent
l'humanité. On ne peut , fans friffonner , for(
179 )
ger àtous les crimes auxquels elle a dans tous
les tems donné lieu. En effet, les malfaiteurs
avec un peu d'argent , peuvent fans entraves fe
munir des moyens d'exécuter leur abominable
complot. Le poiſon eſt indiſtinctement dans toutes
les mains , & rien n'eſt plus facile que de s'en
procurer de toute eſpece.
Cet objet n'eſt point encore le moins effrayant
des dangers qui réſultent de la liberté de la vente
des poiſons ; mon deſſein n'eſt point de porter la
terreur dans l'eſprit de perſonne ; mais combien
de coupables qui ſeroient reſtés integres fans la
dangereuſe facilité avec laquelle un homme ,
dans un inſtant de délire , peut ſe procurer ce
qu'il lui faut pour aſſouvir une paffion dont il
eût pu ſe rendre maître , fi le moindre obſtacle
lui eût donné le tems de rentrer en luimême.
Je ne craindrois pas de mettre dans le plus
grand jour lesjuſtes conféquences que l'on doit
tirer du dépôt qu'on laiſſe indiſtinctement chez
tous les Epiciers : comment ſeroit-il poſſible que
les Réglemens ſoient obſervés par des Marchands
qui ne font guidés que par le defir du gain ;
je parle ici du général , & je ſuis fort éloigné
de douter qu'il n'y en ait parmi eux d'aſſez
inftruits &d'aſſez honnêtes pour ſavoir apprécier
ce qu'ils doivent à leur confcience & à l'Etat .
Cependant , j'oſe le dire , le plus grand nombre
de ces Marchands, ceux qui vendent fur-tout au
détail , ſemblent ignorer qu'il exiſte des Réglomens
ſur la vente des poiſons, un coup-d'oeil
ſuffit pour s'en convaincre , & porter l'effroi
dans le coeur de toute perſonne capable de fentir
la conféquence du déſordre qui regne chez
eux : le verd-de-gris eſt expoſe ſur leurs bouti
h6
( 180 ) ques , en vente à côté du fromage; ſouvent même ſur la même place , la cafſonade eſt à côté
de la céruſe , &c. : Si l'oeil des magiſtrats pouvoit pénétrer dans ces magaſins , où les poiſons font indißinctement mêlés avec les épiceries qui entrent dans nos alimens , dans ces magaſins où prefque tout eft à découvert , où ſans la moindre précaution , ces mêmes peiſons ſont pilés & tamiſés ; fans faire attention à la vapeur meurtriere qui s'en éleve , &va ſe dépoſer ſurles choſes dont nous faiſonsun ufage journalier. Si , dis-je , les Magiftrats pou- voient ſeulement ſoupçonner que l'on portat fi peu d'attention à des objets d'auſſi grande con- ſéquence , il y a long-tems ſans doute que l'on auroit banni de ces magaſins toutes cesſubſtan- ces meurtrieres , & qu'on auroit fait dans chaque
Ville un dépôt particulier. On fait que leGouvernement
a fupprimé les balances de cuivre chez lesdébitans de tabac , à cauſe du verd-de-gris qui pourroit s'y former : pourquoi n'eſpérerions-nous pas que le Miniftre qui ne ceſſe de nous donner des preuves de ſa bienveillance , ne ſupprimât le verd de-gris en ſubſtancedes magaſins où il eſt pelédans la même balance que le poivre , le ſucre , le café , &c. Cette fuppreffion quineceffiteroit cellede toutes les ſubſtancesminerales qui , comme le verd-de- gris , portent avec elles la fatalité de nuireà la viedes hommes , ne peut donc fe faire qu'en faveur d'un entrepôt général de tous ces objets dans un même lieu pour chaque ville, &dans
lequel on ne tiendroitque des marchandises de
centequalité. Perfonne n'ignore encore que la plupart des Epiciers , fans en connoître toute la conféquen
( 181 )
1
ce, préparent & vendent , pour raccommoder
les vins gâtés ,des poudres qui contiennent ſou
ventde la litharge &d'autres matieres auffi nuifibles
,c'eſt dansles grandes villes ſur-tout qu'on
s'apperçoit le plus des funeſtes effets de cette
fraude , qu'on ne doit cependant attribuer qu'à
l'impéritie des Marchands qui les débitent. On
fait encore que pour prévenir les effets dange
reux de ces fortes de mixtions , tous les Parlemens
ont rendu différens Arrêts ; celui de Nancy
particulièrement en a rendu un le 3 Août 1782 ,
qui ordonne que toutes mixtions de plomb , litharge
, &c. dans le vin , à quelques fins que ce
puifle être , ſeront réputées au nombre des poiſons
capablesde procurer la mort précipitée ou
lente , & que ceux qui auront pratiqué telles
mixtions , leurs complices , participants ou adhérants
, ceux même qui auront diſtribué au public
des vins ou vinaigres ainſi préparés , feront réputés
empoiſonneurs , oucomme tels pourſuivis
extraordinairement , &punis ſelon la rigueurdes
loix.
Comme il ne ſuffit pas ſeulement d'éloigner les
effets qui proviennent du déſordre dans la vente
des poiſons , l'inſtitution de cet entrepôt que je
propoſe doit être telle que les malfaiteurs qui
voudroient ſeprocurer des vénéfices , ne le puiffent
en aucune maniere : en conféquence nous
établirions , je ſuppoſe ,
Que l'entrepôt général des poiſons utiles aux
arts& au commerce ſeroit fait dans un endroit
aéré , & dirigé par un Inſpecteur qui füt apprécier
la qualité des marchandises qui y ſeroient
enfermées;
Qu'il y feroit tenu un regiſtre ouvert où ſe
roient écrits , par date de jour , la qualité & la
quantité des marchandises vendues , ainſi que du
nom de l'acheteur ,
( 182
1
Que l'Inſpecteur ſeroit tenu , à la fermeture
de fon magaſin , qui ſe feroit à fix heures du ſoir
en hiver , & à huit heures en été , de faire
porter chez M.le Lieutenant Criminel & chez
M. le Lieutenant de Police , une copie journa-
Herede ſa vente , ainſi que du nom & de la demeure
de l'acheteur ;
Que les Apothicaires ſeroient ſeulschargés de
la compoſition , vente & diſtribution des émétiques
,& de toutes les préparations antimoniales;
Qu'il ſeroit défendu àtout Apothicaire de donner
aucune préparation ou plante vénéneuſe ,
telles que la ciguë , l'opium brut , l'opium préparé
, le laudanum, l'aconit & fon extrait , le
ftramonium , &c. fans une ordonnance du Médecin
du lieu , &c . & c . &c .
Aſes nombreuſes expériences ſur l'électriciré
, M. l'Abbé Bertholon , Profeſſeur de
Phyſique expérimentale , en a joint une nouvelle
digne d'être rapportée.
Ayant fait un petit aéroſtat en baudruche ,
rempli d'air atmosphérique , il l'a fixé à l'extrémité
d'un fil qu'il retenoit avec la main par
l'autre bout. Dans cet état , le petit globe aéroſtatique
, préſenté à une certaine diſtance audeſſous
du conducteur d'une machine électrique ,
s'eſt élevé vers le conducteur par un effet de l'attraction
électrique. Lorſqu'on retenoit le fil ,
l'aéroſtat reſtoit ſuſpendu en l'air , en proie à
deux forces oppoſées qui ſe contrebalançoient ;
ſi on lâchoit le fil , il montoit , & fon élévation
étoit proportionnelle à la longueur du fil
qu'on déployoit , juſqu'à ce qu'enfin il fût en
contact avec le conducteur. En rentrant le fil ,
on éprouvoit bien ſenſiblement la force attrac
t
( 183 )
tive de l'électricité ſur l'aéroſtat , qui de nouveau
reſtoit en Aation , ou s'élevoit ſucceſſivement
, comme dans les premieres expériences.
Notre Phyſicien en conclut avec raiſon , comme
il l'a prouvé dans pluſieurs ouvrages , que
l'électricité qui regne dans l'atmosphere exerce
ſon attraction ſur tous les corps légers , tels que
les vapeurs & les exhalaiſons qui s'échappent de
la terre ; & ſpécialement ſur les globes aéroſtatiques
, qu'elle eſt ſeule capable de produire
cet effet , ainſi qu'il paroît par l'expérience précédente
, où nulle autre cauſe ne concourt ,
puiſque le petit globe aéroſtatique n'eſt point
rempli d'air infiammable ni d'air raréfié par
chaleur; mais d'air atmosphérique. Dans l'élévation
ordinaire des aréoſtats , où l'on a recours
à l'une de ces deux cauſes , l'élévation eſt un
effet composé de l'attraction électrique & de la
différence des gravités ſpécifiques du fluide
contenu , &de celui qui eſt ambiant.
la
: Table des Matières , ou Précis par ordre alphabétique
de la Gazette de France de l'année 1782 .
Cette Table , qui a paru pour la première fois en
1762 , & qui ſe donne tous les ans , eſt trèsutile
, même pour les perfonnes qui ne font
point de Collection des volumes de la Gazette
de France. En 1776, on y a joint un Indexde
tous les noms françois mentionnés dans laGazette
de l'année , au moyen duquel il n'eſt point
d'évènemens rapportés ſur quelque particulier
du Royaume , que l'on ne puiffe facilement retrouver.
La Table & l'Index ſe trouvent chez
les Directeurs des deux Bureaux de la Gazette ,
qui débitent auſſi l'Abrégé des cent trente-cing
premiers volumes in-4 .
DE BRUXELLES , le 22 Juin.
Juſqu'ici on n'avoit pas eu connoiffance,
( 184 )
ni même parlé d'aucun Mémoire , qui eût
accompagné lesdemandesde l'Empereur aux
Etats Généraux . Ce Mémoire cependant a
été remis fimultanément aux Plénpotentiaijes
de la République par M. le Comte
de Belgiojoſo , ci- devant Ambaſſadeur
Impérial à Londres , aujourd'hui Miniftre
Plénipotentiaire de Sa Majeſté dans nos
Provinces. Cet Ecrit jettant un grand jour
fur la naturedes négociations qui vont ſurvre
, il eſt important de le connoître. Il eft
conçu dans les termes ſuivans :
Le Plénipotentiaire de l'Empereur entame ,
avec autant de plaiſir que de confiance , une négociation
, dont conformément aux intentions de
S. M. , conſignées dans un Mémoire que leGouvernement
- général a remis à M. le Baron de
Hop le 12 Novembre 1783 , & confirmées encore
par la teneurduplein-pouvoir de S. M. , l'objet
porte ſur l'établiſſement & le raffermiſſement
d'une amitié ſincere , durable & inviolable entre
l'Empereur & la République. S. M. étant véritablement
animée de ce defir , il fera la baſe &
l'objetde la conduite && des procédés de fon Plénipotentiaire
dans cette négociation ; & il ne fair
point de doute , que L. H. P. ayant , comme elles
l'ont exprimé en tant d'occaſions , l'intention de
marquer leur attachement à S. M. ,le prix qu'elles
mettent àfon amitié , à ſa bienveillance , & le
defir fincere de vivre en bonne intelligence avec
elle, ce ne ſoit-là auffi la baſe des inſtructions de
leurs Plénipotentiaires;&que ces MM. ne répondentd'ailleurs
par leur inclination& leur concours
perſonnel , àla franchiſe , & aux facilités qu'apportera
le Plénipotentiaire de l'Empereur dans
1
:
1
( 185 )
tout cequi pourra concerner un ouvrage , qui
fera aufli agréable à S. M. , qu'intéreſſant pour la
République , & qui fera exiſter un nouvel état
plein d'agrémens & de fatisfaction réciproque ,
affis fur le fondement ſolide d'une confiance inébranlable
& mutuellement fans bornes. Dans
cette vue , le Plénipotentiairede l'Empereur regardera
comme conforme aux intentions & aux
ſentimens des Souverains reſpectifs , d'abréger
autant que poffible les formes & les détails ; de
dégager la négociation du ton de difcuffion , qui
n'eſt pas convenable , ni fait pour un ouvrage
deconciliation entre deux Etats , qui de bonne
foi ont réſolu de s'entendre pour toujours ; &de
conduire la marche & la forme de négociation
d'après ce que dicte le defir réciproque & les
vues qui y ont donné lieu. Il eſt dans la con,
fiance que MM. les Plénipotentiaires agiront de
leur côté dans le même eſprit & d'après les mêmes
principes ; & il ſe félicitera avec eux d'avoir pu
concourir à donner à cette négociation une fin
heureuſe , en employant à cet effet les ſeules
voies qui ſoient faites pour réuffir , & qui conviennent
autant aux ſentimens & à l'intérêt de
la République , qu'à la dignité & aux principes
de S. M.
t
Pour ne pas différer de donner à MM. les Plénipotentiaires
de L. H. P. connoiffance des droits
&prétentions que l'Empereur réclame, ſon Plénipotentiaire
a 1 honneur de leur remettre ci-joint
un Ecrit , ayant pour titre : Tableau Sommaire ,
&qui indique ces mêmes droits & prétentions :
On ſe promet du côté de S. M. , que la réponſe
quiy ſera faite , confirmera la confiance où elle
eſt ſur l'équité & la justice de L. H. P. Fait
Bruxelles , le4 Mai 1784 .
Il s'eſt répandu qu'à l'exemple des Hollan
( 186 )
dois, notre Gouvernement alloit faire marcher
des troupes fur les frontieres : juſqu'ici
ce rapport eſt dénué d'authenticité. Au reſte
les inconvéniens de cette diligence des Hollandois
à renforcer les garnisons de leurs
frontieres , nont point échapé au Prince
Stathouder. On lui a reproché d'avoir attendu
une réſolution des Etats de Hollande,
pour mettre les troupes en mouvement ,
vient de ſe juſtifier de ce déiai dans une Lettre
aux Etats , où il expoſe les conſidérations
&les démarches ſuivantes. : 1
il
Nous avons cru devoir préſumer que l'intention
de L. H. P. étoit de prévenir tout ce qui
pourroit donner quelque mécontentement au
Gouvernement de Bruxelles , & qu'ainſi l'ordre
de faire marcher beaucoup de troupes vers les
frontieres pourroit donner ombrage ; que fi , fans
avoir reçu d'ordre ultérieur nous y faifions beaucoup
de mouvemens , nous pourrions être confidérés
comme avoir provoqué la guerre avec
S. M I. , n'ignorant pas fur tout les bruirs défavantageux
qui couroient à notre égard fur ce
fujet , &que l'on mettoit à notre charge d'avoir
envoyé un ordre ſecret au Lieutenant- Colonel
de Schweinirz de chercher occaſion à quelque
différend avec le Gouvernement de Bruxelles ,
en faiſant enterrer quelqu'un de la garniſon de
Liefkenshock dans le village de Doel , avec les
honneurs militaires : ce qui nous rendoit d'autant
plus circonſpect àrien prendre en ceci fur nous ,
ou à faire quelque démarche qui pût donner lieu
àdesmal-intentionnés de renouveller les bruits ,
&de répandre que nous tâchions d'engager la
République dans une guerre , par des vues qui
( 187 )
ne s'accordent point avec les intérêts de l'Etats
Nous avons principalement craint d'envoyer
ungrand nombre de troupes dans la Fiandre Hollandoite,
fans une réquisition expreſſe de L. H. P.
vû que les troupes qu'on y envoie , peuvent être
confidérées comme coupées ouJéparées , ne pouvanty
être tranſportées autrement que par ear,
parle manque de communication entre la Flandre
&le Brabant Hollandois par terre , fans paſſer fur
leterritoire de S. M. I.; & notre crainte a encore
augmenté , lorſque nous avons réfléchi à l'intalubritéde
ces places de garnison , d'autant qu'on a
peude ſervices à attendre des troupes qui ſejournent
pendant l'été & l'arriere-ſaiſon dans lesdites
places, fur tout lorſque l'été eſt ſec & chaud ,
Jayant beſoin d'un long temps pour ſe remettre
des maladies auxquelles elles font expofces .
Telles font les raiſons qui nous ont engagés à
ne pas faire marcher plus de troupes , & en particulier
dans la Flandre Hollandoife , avant la
Rétolution ultérieure de L. H. P. , dù 7 dù préfent:
àquoi nous pouvons encore ajouter , que
nous avons conſidéré que fi les navires de tranfport
ſe trouvoient prêts , les troupes que l'on
trouveroit bon d'y envoyer pourroient être
promptement tranſportées ; que les forces de
P'Etat ont déja été augmentées dans la Flandre
Hollandoiſe de 4 Bataillons dont i à Hulst , 1 au
Sas de Gand , 1 à Axel & 1 à Philippine , &
que dès que tous les arrangemens néceſſaires auront
été pris , quelques autres Bataillons s'y rendront
encore , s'il arrive que les circonstances
J'exigent.dong
Aumilieude ces dangereuſes diſcuſſions ,
celle qui concerne le Duc de Brunswick
agite de nouveau les différens partis, Le
( 188 )
Feld-Maréchal s'eſt vu dans la néceſſité de
publier un expoſé hiſtorique & juftificatif,
au ſujet de l'acte entre le Prince ſon neveu
& lui , dont nous avons rendu compte. Le
Duc de Brunswick écrit au Stathouder à ce
ſujet dans les termes ſuivans :
J'ai été , comme de raiſon, très-ſenſible aux
attaques publiques qu'on a fait depuis long tems
àmonhonneur & à ma réputation , &d'avoir été
depuis quelque tems continuellement expoſé
aux plus atroces calomnies , auſſi long-tems
qu'on ne produiſit rien de ſpécifique à ma
charge. 1
J'aurois tranquillement perſiſté dans cette réſolution
, fi depuis quelques ſemaines on n'avoic
pas trouvé à propos de m'attaquer particuliérement
ſur lecontenu & l'exiſtence d'un acte qui a
été paſſé entre Votre Alteſſe & moi le 3 Mai
1766.
Erant d'une notoriété publique juſqu'à quel
point on pouſſe lesinenuations malicieuſes contre
moi , tant par rapport à l'exiſtence de cet acte,
que par rapport à ſon contenu , & combien on
tâche deme rendre ſuſpect aux yeux du public ,
en m'attribuant les deſſeins les plus finiftres , il
m'a paru que pour la conſervation & pour la défenſe
de mon honneur & réputation , j'étois indiſpenſablement
obligé de produire & de publier
aux yeux de l'univers entier cet acte; & je ſer
rois par conséquent d'intention de le donner en
fon entier aux yeux de public , en yajoutant un
court expoſe , tel que je prends la liberté de le
préſenter ci -joint à V. A.
Mais conſidérant que cetacte eſt un inftrument
dans lequel V. A. paroît comme haut contrac
tant, & que par conſequenttil dépend de labon
( 189 )
1
ne volonté de V. A. , fi joſe rendre public cet
acte , je prends la libertéde ſolliciter pour ceteffet
la haute approbation & le gracieux conſentementde
V. A. , en la ſupplianttrès - humblement
de vouloir avoirla grace de me faire ſavoir ſes intentions
à cet égard.
Le parti Aristocratique vient de perdre un
de ſes plus ardens défenſeurs , le Baron de
Capelle de Poll. Il eſt mort à Zwoll , d'une
fievre rhumatiſmale , à l'âge de 48 ans. Les
écrits & les diſcours de ce Seigneur ſont
connus de tous ceux qui ont donné quelqu'attention
aux affaires de la Hollande. Les
uns le regrettent comme le plus ferme appui
de la liberté nationale ; les autres le regardent
comme un diſcoureur incendiaire ,
infiniment dangereux pour le repos public.
Tels font les jugemens ordinaires des factions:
ce n'eſt pas d'après leur organe qu'on
peut apprécier le mérite ou le démérite réels
des Acteurs qui les ont ſervies ou contrariées.
Le Baron de Capelle avoit été
Chambellan du Stathouder , & introduit
par les recommandations de ce Prince dans
le corps des Nobles d'Overyſſel.
On n'apoint perdu le ſouvenir des ſcenes
populaires qui précéderent en 1747 le rétabliſſement
du Stathouderat. On fait encore
qu'en pluſieurs villes de la Hollande & des
autres Provinces , il s'eſt formé des Compagnies
de Volontaires armés ſous l'autorité
des Régences. A Rotterdam,le Peuple & le
Gouvernement ayant vu cette inſtitution de
( 19 )
mauvais oeil , il a faliy renoncer. Elle vient
d'occaſionner à Leyde une fermentation encore
plus violente. Le peuple s'y eſt attroupé,
& a marqué la plus grande fureur contre
ces Volontaires, appellés du nom de Corps-
Franc. Les ſéditieux ont arboré les cocardes
Orange, & ont commis diverſes violences.
La ganiſon & la bourgeoiſie ont été obligées
de ſe mettre ſous les armes , de faire
des patrouilles , & l'on a demandé main.
forte à la Haye , d'où il eſt arrive trois compagnies
des Gardes à cheval. Trois perſonnes
ont été arrêtées , & la tranquillité a paru
rétablie pour le moment. Les Magiſtrats de
Leyde ont en conféquence rendu la publication
fuivante :
Le vénérable Magiſtrat de la Ville de Leyde
ayant appris avec une extrême peine les mouvemens
& attroupesiens , ainſi que les violences
commifes par quelques perſonnes malicieuſes
dans les rues de cette ville , & remarquant
que ces mouvemens tumultueux continuoient
encore , ont , après délibération préalable , confidérant
tout cela non- ſeulement comme tendant
à troubler la tranquillité publique , mais auſſi
comme nuiſible pour la fûreté des bons habitans
de cette Ville ) ce qui par cette raiſon doit être
ſérieuſement réprimé : trouvé bon & entendu
d'interdire à un chacun ) ,de la maniere la plus
forte comme Leurs Nobles Vénérables interdiſent
par la préſente , tout mouvement tumulrueux
, foit par des paroles ou des faits , dans
les rues &voies publiques , par menaces , inſultes
ou violences contre qui que ce ſoit des habitans
, en les forçant à porter quelque marque
,
( 191 )
extérieure ou autrement ; interdiſant tout attroupenientquelconque
dans les rues , devant les maifons
, &c. à peine que ceux qui ſeront pris fur
le fait , ou convaincus d'avoir contrevenu à la
préſente publication , feront punis comme perturbateurs
du repos public& ſéditieux,ſelon les
loix & placards du pays , comme il ſera trouvé
convenir.
Et comme le vénérable Magiſtrat ſeroit ext rêmement
mortifié qu'il arrivat aux bons habitans
& bourgeois de cette Ville aucuns dommages &
malheurs , il engage & confeille à tous ceux
qui par état ne fontpoint obligés de ſe mêler de
ces mouvemens tumultueux de ſe tenir chez eux
avec leur famille , afin d'éviter tous accidens qui
pourroient leur arriver.
Mais comme il importe à la justice , pour le
maintien du bon ordre , que les chefs & auteurs
de ces troubles foient découverts , la Régence de
cette Ville promet une prime de rooo Horins à
quiconque pourra les dénoncer de maniere à ce
qu'ils toient mis entre les mains de la juſtice , &
convaincus du fait, le nom dudénonciateur reftant
ſous le ſecret s'il l'exige. Ainsi arrêté à
Leyde le 10 Juin 1784 , lu& affiché ledit jour , &c.
&c. c.
Le contre -Amiral de Kingsbergen eft
chargé du conımandement de l'eſcadre deftinéeà
relever dans la Méditerranée celle du
Vice-Amiral Reynft , miſe hors de ſervice
parles tempêtes.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL .
,
Les réſolutions priſes àDublin ont donné lieu,
dit-on , à un comité chez M. Pitt & à l'iſſue
duquel on a expédié un courier au Duc de Rutland.
( 192 )
Miſtreſs Siddons , à ce qu'on mande d'Edimbourg
, a exalté les têtes écoſſoiſes comme les
nôtres. La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en ſe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le ſpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures &demie. La perte des chapeaux;
des cannes , des ſouliers même a étéle moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été complettementfiddonisé.
Miſtreſs Farmer de New-Yorc a préſenté à
l'aſſemblée de cette province un excellent portrait
originalde Christophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eſtimable préſent avec reconnoiſſance,
&l'a fait placer dans la ſalle d'aſſemblée.
UnOfficier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique , ſorti de ſa patrie pour une affaire
d'honneur ,d'une heureuſe phyſionomie , jeune ,
&ayant des talens pour leGénie , ſe trouvoit à
Amſterdam , ſans refſource , & projettoit de paf
fer en Pruſſe. Ne recevant de ſeceurs ni de fa
famille, ni de perſonne , il s'eſt caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amſterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreſſe d'une de ſes parentes , il avoit écrit ces
deuxvers de Mérope :
Quand on a tout perdu , quand on n'a plus d'eſpeir ,
La vie eſt un opprobre , & la mort un devoir.
Dans une ſituation pareille, ces citations de versi
communesdans les ſuicides françois ſonttellement
forcées qu'elles font ſoupçonner plus d'exaltation
dans la têtedu mort que de déſeſpoirdans ſoname.
CetOfficier , dit- on , eſt Lorrain , &ſe nomme
de Montluifant .
ERRATApour le dernier Nº. , Pag. 114 , 100fuffrages
de donnés , en tout plus de 120000 ; lifez ,
1000fuffrages , & en tout plus de 12000.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ETEN PROSE,
ÉPITRE à MM. de la Société Patriotique
Bretonne pour les remercier de l'honneur
qu'ils m'ont fait en me proclamant Ci
toyenne.
JADIS
*
ADIS Ce Peuplebelliqueux ,
L'orgueil & l'effroi de la terre ,
* La Société Patriotique Bretonne doit ſon origine &
fon inſtitution à M. le Comte de Sérent, Gouverneur de
la preſqu'Iſle de Ruis , Commiſſaire Général des États de
Bretagne au Bureau de l'Adminiſtration , Membre de plufleurs
Académies. C'eſtdans la grande ſalle de ſon château
de Kéralier que ſe tiennent les Aſſemblées.Ony voit une
tribune , portant cette inſcription : « Ici on ſert fonDieu
>> fans hypocrifie , ſon Roi ſans intérêt , & ſa Patrie ſans
ambition. >> On a donné au lieu des Affemblées le nora
très-méritéde Temple de la Patrie. Les Patriotes Bretons ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784. E
99 MERCURE
1
Les Romains regnoient par la guerre;
Vous êtes aufli braves qu'eux ;
Mais à la valeur , au courage ,
Vous réuniflez des vertus
Que n'avoient Caton ni Brutus ,
Héros d'humeur un peu fauvage,'
Les Romains détestoient les Rois :
Souvent dans leur fureur extrême
Ils leur ôtoient le diademe
Et les égorgeoient quelquefois.
Cet uſage n'est point le vôtre.
Vous penſez qu'un Roi vertueux ,
Qu'un Monarque tel que le nôtre ,
Eft le plus beau préſent des cieux,
A fes loix votre coeur fidèle ,
De l'aimer fait tout ſon plaifir ,
Et ne brûle que du defir
De lui montrer un noble zèle.
Citoyens vraimentgénéreux ,
En France on eſt un peu moins libre ;
Mais on eſt cent fois plus heureux
Qu'on ne l'étoit aux bords du Tibre.
Vous le prouvez : chez les Romains
pour augmenter l'éclat de leurs folemnités, ſe ſont afſociés
pluſieurs Femmes célèbres par leurs vertus & leurs talens ;
eutre-autres Mme la Comteſſe de Genlis , Mme la Baronne
de Bourdic , l'Auteur de cette Épître , & Mme la
Comteſſe de Nantais , qui , reçue la première , a étél'introductrice
de ces Dames ,
DE FRANCE. 99
Mon ſexe avoit peu d'avantages :
Plus ſenſibles & plus humains ,
Vous nous adreſſez vos hommages.
Les Romains avoient- ils un coeur ?
Non : épris d'une fauſſe gloire ,
Ils ne vouloient avec ardeur.
Qu'atteindre au temple de mémoire.
Mais ſans nous est- il de bonheur ?
Grâces à la philofophie ,
Qui , chez vous , nous ouvre un accès
Dans le temple de la Patrie ,
Vous le fixerez à jamais.
Que déjà mon regard avide
Ycontemple avec volupté
Cette NANTAIS , nouvelle Armide ,
Dont votre coeur eſt enchanté :
Qui , mère tendre & courageuſe ,
Ales vertus du bon vieux tems ,
Et confacre tous ſes inſtans
A rendre fa famille heureuſes
A ſes côtés devoit s'aſſeoir
L'Auteur d'Adèle & Théodore .
Combien il m'eſt doux de l'y voir !
Accourez , ô vous qui , de Flore ,
Compoſez la riante Cour.
Que toutes vos fleurs en ce jour
Sous ma main s'empreffent d'éclore.
15
Je veux couronner à mon tour
Eij
100 MERCURE
Cette Minerve qu'on adore.
Muſe , ne vas point oublier ,
Dans ton délire pindarique .
Le Héros de Kéralier ,
Notre fondateur pacifique.
Vois-tu ſon frout patriotique
Sur tous les autres dominer ?
C'eſt une couronne civique
Qui ſeule eft faite pour l'orner.
Voudra-t'il bien me pardonner
Mon indigence poétique ?
Ma Muſe , au lieu du chêne antique ,
N'a qu'une roſe à lui donner.
O POURQUOI l'Arbitre ſuprême
N'exauce-t'il pas tous mes voeux !
J'irois dans le temple que j'aime
Voir ces Patriotes heureux
Qu'uniſſent les plus tendres noeuds ,
Etdont la ſageſſe eſt extrême.
J'irois..... Mais quel rayon d'eſpoir
Éclaire tout-à- coup mon âme !
Ignorai-je donc le pouvoir
De la fumée &de la flamme ?
Ignorai -je qu'au ſein de l'air ,
Oùnos Icares intrépides
Ont ſouvent affronté l'éclair ,
Un char peut voler dans l'Éther
Traîné par des oiſeaux rapides ?
DE FRANCE. 101
Puiſque nous ſommes au printems ,
J'eſpère , ou plutôt je prétends
Que de légères hirondelles
Me conduiſent en peu de temps
Chezmes patriotes fidèles.
Oui , tôt ou tard je m'y rendrai ;
Et c'eſt- là que je trouverai
Des aigles &des tourterelles.
(ParMmela Comteffe de Beauharnais. )
VERS fur l'Homme ; Abrégé de la
Philofophie.
IL
1
L faut rire de l'homme , hélas ! auſſi leplaindre ,
Ne voir dans ſes forfaits que d'aveugles erreurs ,
Soulager ſa misère, adoucir ſes fureurs ,
Enfin lui pardonner , mais apprendre à le craindre.
(Par M. de la Roque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigny. )
IMPROMPTU à Madame DE ..... après
l'avoir entendu chanter.
Vous entendre & vous voir ſont deux plaiſirs bien
doux ;
Par deux ſens à la fois vous nous donnez des chaînes.
Si jadis on cût vu des Belles comme vous ,
On n'eût pas diftingué les Grâces des Sirênes.
( Par le même. ) S
Eiij
192 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Paſſage; celui
de l'Enigme eſt Malle ( du Courier ) ; celui
du Logogryphe eſt Loterie , où l'on trouve
hot, love , tor, tri , ire , live , Loire , loir
rote & Loi.
CHARADE.
DEs habitans des airs mon chef eſt l'apanage ;
Pour obtenir ma queue un Huiffier fait tapage;
Mon tout chez les Savans brillera d'âge en âge .
( Par un Abonné de Châlons-fur- Saône. )
FRANÇOIS
ÉNIGME.
RANÇOIS comme Latin , je fers àla cuiſine;
Mais Latin ſeulement , au Barreau je domine.
J'ai trois pieds , cher Lecteur. Me tiens-tu ? Non ?
devine.
( Par M. Micro-Mégas. )
DE FRANCE. 103
LOGOGRYP ΗΕ.
P
OUR un Rimeur , mes fix pieds en font trois ;
Abien des gensje donne ſur les doigts;
Ame décompoſer , ſi votre eſprit s'attache ,
Vous verrez fans peine , je crois ,
Une Beauté qui devint vache ;
Celui dont nous ſuivons les Loix;
Un océan nouveau, dompté par le génie ;
Un métal précieux ; un arbre toujours verd ;
En muſique une note; une ville en Ruffie ;
Une aux bords Indiens; ce que n'a point l'impie ;
Las! ce que dit de moi .... le vice découverts
Mais en revanche on trouve l'épithète
Qui me convient& que je vous ſouhaite.
E iv
104 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
THEATRE d'Aristophane , traduit en François,
partie en vers , partie en profe , avec
les Fragmens de Ménandre & de Philémon ,
par M. Poinfiner de Sivry , Penſionnaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans , &
Membre de la Société Royale des Sciences
& Belles - Lettres de Lorraine. A Paris ,
chez Didot le jeune, Imprimeur Libraire ,
Quai des Auguſtins; Barrois l'aîné , Mérigot
le jeune , Onfroy , Barrois jeune ,
Libraires , Quaides Auguſtins ,&Durand,
rueGalande.
On n'avoit pas encore en François de Traduction
complette du Théâtre d'Aristophane.
M. Poinfinet de Sivry étoit appelé à cette
entrepriſe par une profonde connoiffance
de la langue Grecque,&par pluſieurs ſuccès
dans cegenre de Littérature. Il a faitpluſieurs
découvertes qui éclairciſſent des détails jufqu'à
préſent inintelligibles ; il a redreffé plufieurs
fauſſes interprétations ; & quand il
s'agit d'Auteurs aufli anciens & d'un auſſi
grand mérite qu'Aristophane , rectifier une
erreur , c'eſt ſouvent rétablir une foule de
beautés.
Il faut avouer que pent- être aucun Auteur
Dramatiquen'étoit plusdigne qu'Ariftophane
DE FRANCE.
105
de trouver un Interprète qui sût connoître ,
apprécier & faire ſentir fes beautés. Il
fuffiroit de jeter un coup d'oeil rapide fur
les Pièces que renferment ces quatre Volumes
, pour faire l'éloge tout à- la-fois du
Poëte & du Traducteur. Ce qui frappe furtout
dans la lecture de ce Théâtre , c'eſt le
fel de plaiſanterie , la verve ſatyrique , &
une liberté qui n'eſt permiſe & ne peut convenir
qu'à un génie Républicain. La Comédie
dans Athènes étoit une eſpèce de cenfure pu
blique : quelle arme entre les mains d'un
Poëte auffi mordant , auſſi hardi qu'Ariftophane,
& dans une ville où le moindre
Citoyen avoit le droit de demander compte
de ſa conduite à l'homme puiffant & honoré
!
- Un exemple bien mémorable de cette liberté,
de ce cyniſme utile à la patrie , mais
dangereux , même pour la vertu , c'eſt la fameuſe
Comédie des Nuées. On fait que le
divin Socrate , le plusfage des hommes , est
le ridicule Héros de cetre Pièce ; & qu'Ariftophane
eut la hardieſſe de vouer à la riſée
publique , un Sage qui a mérité le reſpect
de ſes contemporains & l'admiration
des ſiècles. M. de Sivty s'efforce de juftifier
ce procédé , & n'y voit qu'un acte
de courage & de patriotiſme. Il regarde
ce Philofophe comme convaincu d'une
doctrine dangereuſe & d'un fanatiſme
puniffable ; mais même en adhérant à cette
inculpation , fi M. Poinfinet de Sivry n'eft
Ev
106 MERCURE
pas accuſé d'injustice envers Socrate , on lui
reprochera toujours un excès d'indulgence
envers Ariftophane ; car en ſuppoſant que
ce dernier ait fait l'office d'un citoyen zelé
& courageux en attaquant la doctrine de
Socrate , n'a t'il pas paſſe lesbornes lorſqu'il
Ini a fait dire de ce Philoſophe :
Al'aided'un long croc ( fans qu'on l'ait pu farprendre)
Du mur de la Paleſtre il détaché un manteau.
Donner à Socrate le talent de décrocher des
manteaux , c'eſt pouſſerun peu loin le zèle
& le patriotiſme.
Au reſte , cette Comédie eut le ſuccès
qu'elle,devoit avoir chez un peuple aufli malin
& auffi railleur que celui d'Athènes.
On y trouve des traits bien étrangers à nos
moeurs , & même à notre goût dramatique
: Socrate qui s'enlève dans des nuées ;
un choeur de Nuées qu'on entend ſur la
Scène ; tout cela fur nos Théâtres nous paroîtroit
au moins bien étrange ; mais il y
a nombre de traits malins & plaifans , tels
que celui ci , qu'on a imité depuis : As tu de
la mémoire, demande Socrate à un de ſes
Élèves ; & l'Élève lui répond:
Oui , de par Proferpine!
Si quelqu'un m'a fait un billet ,
:
Je m'en fouviens très bien; mais le voudrez - vous
1
croire ?
90-509
Cette excellente & sûre & rapide mémoire ,
Lorſque c'est moi qui dois , m'abandonne tout net.
DEFRANCE. 107
On voit que cette Comédie eſt traduite
en vers; elle le méritoit , ne fût ce que par
ſa célébrité. Nous n'omettrons pas ici un
détail qui prouve la ſagacité du Traducteur :
dans un endroit le choeur eſt pieux ; il
eſt impie dans un autre. M. Poinfiner
de Sivry explique cette contradiction en dittinguant
deux fortes de choeurs ; l'ordinaire ,
&celui que le Poëte adaptoit au fujet. Cette
explication eft claire & vraisemblable.
M. de Sivry a mérité le même éloge
pour la Comédie des Grenouilles , dans
laquelle l'Auteur fait diſcuter lequel doit
avoir la préférence , comme Poëte Tragique
, d'Efchyle ou d'Euripide. La question
ne ſe décide pas à l'avantage de ce dernier ,
qui , là , comme dans d'autres Pièces d' Ariftophane,
eſt traité de la manière la plus injurieuſe.
Ces deux Poëtes y font fuppofés
morts ; mais le Traducteur croit, avec raiſon,
contre l'opinion reçue juſqu'ici , qu'Eu
ripide étoit encore vivant ; & il prouve
CI
que le ſel de cette ſuppoſition eſt de faire
>> entendre qu'Euripide n'a plus aucun ta-
>>lent pour la Scène; que ſa verve eſt étein-
» te ; qu'en un mot , il eſt mort de ſon
» vivant.
Le titre de cette Pièce n'eſt tiré que d'un
incident qui eſt vers la fin du premier Acte ,
&dont il n'eſt plus queſtion dans le reſte
de l'Ouvrage ; d'un concert de grenouilles ,
dont Bacchus eft régalé en paſſant la barque
de Caron. Cela prouve qu'Ariftophane n'y
E vj
108 MERCURE
regardoit pas de bien près pour intituler ſes
Comédies.
Ily a plus de juſteſſe dans le titre des Chevaliers.
( Les Chevaliers formoient à Athènes
la ſeconde claſſe de l'État. ) Le perſonnage
joué dans cette Comédie , n'étoit rien moins
que Cléon, Général de l'Armée , & Tréſorier
de l'Epargne , jouiſſant alors de tout
fon crédit , malgré la haine des Chevaliers ,
qui n'avoient pas vû ſans chagrin le fils d'un
Corroyeur s'elever par la brigue aux premiers
grades de l'Etat. Aucun Comédien
n'ayant été affez hardi pour jouer le rôle de
Cleon , ni aucun Ouvrier pour faire ſon
mafque * , le Poëte le fut affez pour s'en
charger lui- même , en ſe barbouillant le
viſage de lie .
Ariftophane perſonnifie le peuple Athénien
, & en fait un vieillard imbecille , &
dupé par fon eſclave de confiance , qui eſt
Cléon , & qu'il appelle Paphlagon , c'est-àdire
, eſclave correcteur. Deux autres efclaves
, Nicias & Démosthène , ſont ſoumis
à celui- ci , qui abuſe de ſon pouvoir ; ils
cherchent à le perdre auprès du maître , &
ils y réuffiffent. On ne ſera pas fâché de voir
ici dans quels termes on parle de Cléon , ce
perſonnage ſi important. L'Auteur ſuppoſe
un Oracle qu'il fait tomber dans les mains
de Démosthène , qui le lit ainſi:
* Nota. Les Acteurs en Scène avoient un maſque
refſſemblant à la perſonne qu'ils vouloient jouer.
DE FRANCE. 109
DÉMOSTHÈNE .
« L'Oracle s'explique là-deſſus ſans am-
>> biguités. Voici ſes paroles : D'abord un
Vendeur de toile gouvernera l'État..
a
NICIA S. 1
>>Nous connoiffons ce premier Vendeur,
( ** ) Ensuite ?
"
DÉMOSTHENE.
A ce premierfuccédera un Vendeur de
Moutons. ( ***)
NICIAS.
» Et de deux. Mais ſachons ce que ce ſecond
Vendeur devient.
DÉMOSTHÈNE.
→Après une courte domination , il meurt :
» & eft remplacépar un homme beaucoup plus
>>pervers , par le Vendeur de Cuirs , par le
» Paphlagon , homme rapace , grand brail-
>> leur,&dont la voix couvriroit le bruit du
? cyclobore en courroux. ( **** )
NICIA S.
>> Il étoit done écrit au livre des deſtins
» que le Vendeur de moutons ſeroit rem-
>> placé par le Corroyeur !
(** ) Eucrates, ( *** ) Lyficles. ( **** ) Fleuve
del'Attique.
ΙΙΟ MERCURE
DEMOSTHENE.
» Oui , par Jupiter !
NICIAS.
>>Quoi ! un Vendeur , un autre Vendeur,
» & toujours un Vendeur ! & c. »
Comme ce mot Vendeur fert bien la malignité
du Poëte ! L'Oracle déſigne pour ſucceffeur
à ce dernier un homme paítri de
malice& de rufes. C'eſt un Chaircuitier. Dans
ce moment paffe un Chaircuitier en effet ;
(Agoracrite) les deux eſclaves ſe mettent àlui
prouver , à ſon grand étonnement , & d'une
manière fort comique, que c'eſt lui qui doit
gouverner l'Etat à la place de Cléon; cette
fituation très- théâtrale a été imitée par Molière
, dans fon Médecin malgré lui. On lui
fait voir les quatre Ordres de l'Etat , en lui
difant , tout cela eſt à vous; & l'autre en eſt
tout étonné. On lui montre des ports , des
vaiſſeaux , & , tout cela est à vous, fert
de refrein. Enfin , lui dit on , vous voyez
ces deux Provinces ? Eh bien , ce ſera vous
qui les vendrez comme bon vous ſemblera.
Agoracrite ne revient pas de ſa ſurpriſe , &
objecte le peu qu'il eſt. Démosthène lui répond
que c'eſt juſtement parce qu'il eſt un
homme méchant & audacieux.
21
ود
AGORACRITE.
>> En confcience , je ne ſuis pas digne des
honneurs dont vous me flattez.
DE FRANCE
DÉMOSTHENE.
>>Il s'agit bien de ſe croire digne ou in-
>> digne. Ne diroit- on pas à l'entendre , que
ود c'eſt un homme de probité ? Parlez net ;
>> de quelle claſſe d'hommes êtes vous ? Des
bons ou des pervers ? ১১
AGORACRITE.
» Je ſuis un de ces derniers , par tous les
» Dieux !
DÉMOSTHENE.
>>Mortel trop fortuné! vous avez donc
>> tout ce qui conſtitue un homme d'Erat.>>
Voilà bien le ton de la fatyre & le talent
de la Comédie tout à la fois ! A la fin Agoracrite
ſe laiſſe perfuader ; il dénonceCléon ,
&fa prétention ſe realife.
La Comédie des Oiseaux offre un titre fingulier
, & le ſujet en eſt bien plus bizarre en
core. Des hommes habillés en oifeaux , une
ville qu'on bâtit au haut des airs; c'eft une
imagination dont le ſel eſt bien peu fenfible,
s'il n'y a pas quelque alluſion ſecrette. Ce
n'eſt pas qu'il n'y ait des traits ingénieux &
plaifans. Un Député vient complimenter le
fondateur de la ville Aérienne,& lui dit que
depuis cet établiſſement , tout le monde a
adopté les moeurs des oiſeaux , & qu'ils in
fluent niême fur toutes les expreflions qu'a
dopte la mode:
On déniche de grand matin; 9:
472 MERCURE
Onplume , autant qu'on peut, ſon plus proche voiſin;
On va graiffer lapatte à quelque Commiſſaire ;
On fait lepied de grue au lieu de s'ennuyer ;
On tire l'alle pour payer ,
Et l'on fait leplongeon lorſqu'il eſt néceffaire , &c.
Cette Comédie deviendroit même aujourd'hui
. Pièce de circonſtance. Tout le
monde n'y aſpire qu'à voyager dans l'air , &
chacun cherche à ſe pourvoir de bonnes
aîles. Le fondateur de la ville aérienne donne
des ordres pour qu'on rempliſſe d'aîles des
corbeilles &des mannequins. Après quoi , le
choeur fait entendre ces mots :
Arrangez àpréſent ces différens plumages
Selon leurs différens uſages ;
Mettez-moi chaque eſpèce àpart :
Ici , les aîles poétiques;
Auprès d'elles les prophétiques ;
Que tout foit en ſa place. Enfin ayez égard
Aux deſirs des humains ; & , felon leurs demandes ,
Sur l'une& l'autre épaule , ajuſtez avec art
Des aîles petites ou grandes.
Le fonds de la Comédie des Harangueufes
, c'eſt la réſolution que prennent les
femmes de s'emparer du Gouvernement
d'Athènes ; ce qui donne lieu à des tableaux
&à des détails plaiſans & comiques .
:
Les femmes jouent encore un très-grand
rôle dans la Comédie de Lyfiftrate. LesLacédémoniennes
& les Athéniennes, laffées de la
:
DE FRANCE. 1
113
guerre que ſe font Athènes & Sparte , parce
qu'elle les prive trop long tems de la compagnie
de leurs maris ,prennent un parti ſingulier
pour la faire ceffer. Elless'aſſemblent ſecrètement
, &jurent de ſe parer , d'ajouter à
leur beauté naturelle la ſéduction de la toilette
, pour exciter les deſirs de leurs époux ,
& enfuite de ne leur rien accorder qu'ils
n'ayent figné la paix. Le traité s'effectue , à
quelques infractions près de la part de pluſieurs
jeunes femmes; le projet réuffit , &
la paix ſe fait. Il y a beaucoup d'obſcénités
dans cette Comédie.
Celle de Plutus eſt traduite en vers , comme
les Nuées. L'aveugle Plutus tombe
dans les mains de Chrémyle , qui , par le fecours
d'Esculape, lui fait recouvrer la vûe.
Cet incident bouleverſe toutes les fortunes ,
parce que Plutus , voyant clair , retire les
bienfaits qu'il avoit diſpenſés aveuglément.
Les Dieux font abandonnés; on n'a plus de
voeux à leur offrir. Le Grand Prêtre n'a pas
même de quoi vivre , & vient s'en plaindre
à Chrémyle. Comment, s'écrie Carie, l'efclavede
ce dernier :
Mourir de faim étant Grand Prêtre !
Apprenez-moi comment ?
LE GRAND PRÊTRE
Hélas! il le faut bien :
Je vivois de l'autel , l'autel ne rend plus rien..
;
114 MERCURE
Etdepuis quand ?
CARIE .
LE GRAND PRÊTRE.
Depuis que tout le monde,
Grâce à votre Plutus , en richeſſes abonde.
Autrefois un Marchand qui rentroit dans le port ,
Offroit des dons aux Dieux protecteurs de ſon ſort ;
Cet autre , appréhendant les yeux de la juſtice ,
A Jupiter Sauveur faiſoit un ſacrifice ;
On me fêroit auffi , &c .
On fait bien pis , on finit par mettre fur
l'autel Plutus à la place de Jupiter :
Et plaçons ſur l'autel le Dieu de la richeſſe.
Termine cette Pièce ingénieuſe.
Les Fêtes de Cérès font prefque d'un bout
à l'autre une ſatyre contre Euripide , à qui
il paroît qu'Ariftophane en vouloit beaucoup.
Les femmes s'aſſemblent pour délibé.
rer ſur le moyen de punir Euripide du mal
qu'ildit ſans ceſſe de leur ſexe dans ſes Tragédies.
Son beau père conſent à s'habiller en
femme, pour s'introduire parmi elles , &
plaider la caufe de l'accuſé. Il eſt reconnu ;
mais après pluſieurs incidens , Euripide luimême
ſe préſente , & fait fa paix avec fes
juges , en les menaçant de raconter leur con.
duite à leurs maris au retour de l'armée .
Cetre Pièce n'eſt ni bien bonne ni décente.
Les Karniens , qui réuſſirent beaucoup,
DE FRANCE.
115
furent donnés par Ariftophane , pour engager
les Athéniens à faire la paix. Les Arhé
niens couronnèrent le Poëte , & firent la
guerre.
Euripide revient encore dans cette Comédie
, & fournit même une Scène fort
plaifante.
La Paix eſt une autre Comédie qui a le
même but , avec des moyens différens. Ariftophane
avoit fait encore une autre Pièce du
même ſujet , & ſous le même titre , qui ne
nous eſt point parvenue. Dans celle qui nous
eft restée , Trygée monte ſur un eſcarbot
pour arriver au ciel ; il y réuffit , ainſi qu'à
délivrer la Paix , que la Guerre avoit miſe
enprifon. Après l'avoir affranchie , Trygée
épouſe la Paix , & la préſente aux Athéniens ,
qui lui font un doux accueil.
Ce n'eſt pas ſan's intérêt qu'on rencontre
dans cetre Collection la Comédie des
Guêpes, qui a fourni celle des Plaideurs.
M. de Sivry n'a traduit que ce qu'a imité,
l'immortel Racine , c'eſt à- dire , les trois
premiers Actes , les deux derniers font inutiles
à l'action , & fort étrangers à nos
moeurs. L'Aureur des Plaideurs a ſu ajouter
à fon original une foule de traits charmans,
comme il y en a qui lui ont échappé , ou
qui n'ont pu entrer dans ſon plan. Il eſt
plaiſant de voir Philocléon , le Dandin
d'Ariftophane , exhaler en hyperboles le
chagrin qu'il a de fe voir enfermé par fon
fils , qui l'empêche d'aller juger . Après mille
116 MERCURE
ſouhaits extravagans adreffés à Jupiter , il
ajoute: " ou tout au moins métamorphoſe-
>> moi en petite pierre à fuffrages , afin que
» quelque Juge ſe ſerve de moi pour con-
> damner quelqu'un en jugement. » Déterminé
à ſe ſauver par la fenêtre , il dit à
ceux qui l'attendent en bas: " s'il m'arri
> voit de me rompre le cou, ne pouſſez ,
> je vous prie , aucun gémiſſement , &
> daignez , ſans bruit , m'enterrer ſous le
>>banc où j'ai coutume de juger. » Plus
loin , après avoir eu l'air & même le defir
d'entendre raiſon & d'écouter ſon fils , qui
veut le guérir de ſa manie , il s'écrie avec
enthouſiaſme : " emporte , emporte toutes
>> tes promeſſes; je ne reſpire que le Barreau.
Faites- moi , mes amis , entendre
le cri de l'Appariteur , faites- moi voir la
> corbeille aux fuffrages. Quoi ! voudriezvons
que je donnaſſe mon fuffrage le
> dernier ? O mon âme, quitte mon corps ,
» & vas juger ſans lui. Simple ombre , tu
» échapperas à mes geoliers! &, par Her-
>>cules! tu ne ſouffriras pas que mon nom
> foit pointé en qualité d'abſent ſur le
>tableaudes Juges. Non , non , il ne fera
>> pas dit que Cléon vole la République ,
» & que je ne l'aurai pas décrété. »
20
Telles font les Pièces que renferment ces
quatre volumes , les ſeules que nous ayons
d'Aristophane , qui en avoit fait plus de
cinquante. Ce Poëte joignoit les grâces du
ſtyle aux charmes d'une imagination vive&
DE FRANCE 117
brillante. Sa plume répand à grands flots dans
fes vers ce qu'onappelle leſel attique;&l'épi
gramme& le ſarcaſme y jailliſſent de toutes
-parts. Rien ne peut épuiſer ſa verve , encore
moins l'intimider. Ce génie Républicain frappe,
en les nommant , ſur les tyrans de fon
pays ; il ne pardonne pas même à ſes Dieux.
Sans défendre le rire à Thalie, il lui a mis dans
lesmainslefouet ſanglant de la fatyre.
Celui de nos Auteurs Comiques , qui , par
te ſarcaſme , ſe rapproche le plus d'Ariftophane
, c'eſt l'Auteur de Crifpin Rival&de
Turearet; le Sage a ſuivi parmi nous ce
qu'on peut appeler à bon droit la Comédie
Satyrique.
Une remarque aſſez fingulière , c'eſt que
dans les onze Pièces d'Aristophane , il n'y
en a pas une qui ait une intrigue amoureuſe;
au lieu qu'on reproche aux nêtres de finir
routes par le mariage; différence qui tient
bienmoins au goût qu'aux moeurs. De tous
lesOuvrages Littéraires , le Poëme Dramatique
eſtle plus fubordonné à l'influence des
moeurs & du Gouvernement : delà un principe
bien ſimple , c'eſt que jamais le Théâtre
d'une Nation ne peut reſſembler parfaitement
à celui d'une autre ; même avec les
mêmes principes de goût , les formes doivent
varier.
Voilà qui explique l'extrême liberté avec
laquelle écrivoit Ariftophane ; c'eſt qu'il
écrivoit dans un pays Républicain , & ,
comme nous l'avons déjà dit , dans un pays
11S MERCURE
où la Muſe de la Comédie exerçoit , pour
ainſi dire , une cenfure publique ; elle
s'immiſçoit dans les affaires du Gouvernement
; aufli tous les ſujets des Comédies
d'Ariftophane ſont pris ſur les lieux même ,
& font même toujours analogues aux affaires
du moment.
Voilà qui explique encore pourquoi dans
les Comedies d'Ariftophane , on trouve ſi
ſouvent le langage figuré. Qu'on y trouve de
la Mythologie , rien de plus naturel , Athe-
Hes étoit le pays de la Mythologie ; mais on
y voit ſouvent du merveilleux. C'eſt qu'il
écrivoit chez un peuple dont les organes
étoient fi mobiles , ſi ſenſibles; & naturellement
ami de la fiction. Les Grecs mettoient
ſouvent l'imagination à la place de la raiſon;
ou , ſi l'on aime mieux , la raiſon chez eux
n'étoit jamais dépouillée des grâces de l'imagination.
Peut- être avons nous donné dans
un excès contraire ; peut être notre raiſon
eſt elle ſouvent froide , sèche & trop ſévère.
Cependant , ſi l'on peut , ſans impiété ,
diſcuter le înérite des anciens , il ſera
permis de dire , & il faut l'ofer , que notre
Théâtre l'emporte ſur celui des Grecs pour
la perfection de l'art. On s'apperçoit , en lifant
Ariftophane , que la réflexion n'avoit
pas encore développé tous les ſecrets de l'il
luſion dramatique. Les entrées de fes perſonnages
ſont peu motivées; c'eſt tel ou rel
choeur d'une Comédie , ſouvent très étranger
à l'action , qui en détermine le titre ; il
DE FRANCE.
119
néglige quelquefois les moyens d'illuſion les
plus fimples & les plus faciles ; par exem
ple , page 352 & ſuivantes du Tome Ier ,
Nicias quitte la Scène pour aller chercher du
vin ; il revient , & en rapporte ſans que l'Acteur
qui est reſté, ait dit un mot. Il eſt
clair que , ou ce dernier a eu le temps de
parler , ou l'autre n'a pas eu le temps d'aller
chercher du vin. Cependant , pour faire dif.
paroître cette négligence , il n'en eût coûté.
àl'Auteur qu'un monologue.
Mais ce qui frappe bien davantage , c'eſt
de voir très ſouvent les Acteurs en pourparler
avec les Spectateurs . On est tout étonné
d'entendre le choeur , vers la fin du premier
Aste des Nuées , dire au Public :
Spectateurs éclairés , que ce grand jour raſſemble,&c,
Etplus loin :
Nous voulons vous apprendre , honorable aſſemblée ,
&c.
Molière n'a fait cette faute , ou ne s'eſt
donné cette liberté qu'une fois , dans fon
Avare , où Harpagon deinande au Parterre
des nouvelles de ſon voleur. Ces irrégularités
, qui ſembleroient ne devoir appartenir
qu'à l'enfance de l'art , détruiſent toute illufion.
Une action dramatique eſt cenſée n'a
voir aucun témoin, ce qui fait ſentir le ridi
cule (ſi commun encore aujourd'hui) des Acteurs
qui adreſſent au Public leurs àparte ,
c'eſt à dire , ce qui eſt cenfé n'être entendu
de perſonne,
120 : 1
MERCURE
D'après ces réflexions , que nous pour
rions étendre davantage , ayons l'orgueil &
la juſtice de convenir que c'eſt la France , que
c'eſt Molière qui a perfectionné l'Art de la
Comédie; que la Comédie par excellence ,
celle de caractère , nous appartient ; mais
convenons auſſi que la belle Nature a préfidé
aux Ouvrages de l'antiquité; que les
Grecs ſont des modèles auxquels il faut tou
jours revenir ; & que c'eſt d'eux mêmes qu'il
nous a fallu apprendre à les ſurpaſſer.
M. Poinfinet de Sivry a joint au Théâtre
d'Aristophane des Fragmens de Ménandre &
de Philémon. Quoiqu'il nous ſoit reſté trop
peu de ces deux Poëtes , pour pouvoir les
juger comme Auteurs Comiques , ces Fragmens
ſontde beaux & précieux débris dignes
d'être conſervés. Ils donnent un nouveau
prix à cette Edition , qui doit occuper une
place honorable dans nos Bibliothèques ,&
ajouter à nos richeſſes Dramatiques.
VARIÉTÉS.
MONSIEUR ,
Le Public a paru voir avec intérêt le Portrait du
Général Washington tracé par un des Chefs qui
out commandé nos Troupes dans le Nouveau
Monde. Voici un morceau de la même main , extrait
du même Ouvrage, mais d'un antre genre. On
croit lire Homère ou Plutarque quand on confidère
les moeurs & le caractère de M. Nelſon , qu'on va
connoître
DE FRANCE. 121
connoître en liſant le morceau ſuivant. C'eſt la
même ſimplicité de meoeurs & la même élévation ;
c'eſt une de ces âmes qui ne peuvent naître & fe
former que dans les Sociétés libres & naiſſantes. A
côtéde ces vertus ſociales on verra auſſi ſans doute
avec plaifir le caractère ſauvage , mais fenfible &
touchant de la jeune Pocahunta. Pocahunta &
Nelfon honorent infiniment la Société & la Nature ;
& il eſt doux de connaître les vertus quelles peuvent
nous donner. On a dit tant de mal & de la Nature&
de la Société !
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , GARAT.
EXTRAIT du Journal d'un Voyage fait de
Williamsburg,en Virginie, àPetersburg ,
&c.
Après cette petite digreffion , pour laquelle on
aura ſans doute quelque indulgence , il eſt difficile de
trouver une tranfition qui me condoiſe à parler d'un
vieux Magiftrat , dont les cheveux blancs , la taille
élevée& la figure noble , commandent le reſpect &
la vénération; le Secrétaire Nelſon , dont il s'agit
maintenant, doit ce titre à la place qu'il occupoit
ſous leGouvernement Anglois , en Virginie. Le Secrétaire
, chargé de conſerver les regiſtres de tous
les actes publics , étoit membre néceſſaire du Confeil
dont le Gouverneur étoit le Chef. M. Nelſon a oc
cupé cette place pendant 30 ans. Il a vû l'aurere du
beau jour qui commençoit à ſe lever ſur ſon pays;
il avû ſe former les orages qui l'ont trouble; il n'a
cherché ni à les raſſembler ni à les conjurer : trop
avancé en âge pour defirer une révolution , trop
prudent pour l'arrêter ſi elle étoit néceſſaire , &
trop fidèle à ſes Concitoyens pour ſéparer ſes intérêts
des leurs , il a choiſi pour ſe retirer des affaires
l'époque même de leur changement. Aini ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
122 MERCURE
1
defcendant du Théâtre lorſque de nouveaux Drames
demandoient de nouveaux Acteurs , il a pris fa
place parmi les Spectateurs , content de faire des
voeux pour le ſuccès de la Pièce , & d'applaudir à
coux qui joueroient bien leur rôle. Mais dans la dernière
campagne le haſard l'a remis ſur la ſcène , &
lui a donné une funefte célébrité. Il habitoit à Yorck ,
où il s'étoit fait bâtir une très belle maiſon, Le
goût , & même le luxe Européen n'en avoient pas
été exclus ; on admiroit fur tout une cheminée &
quelques bas reliefs , de très beaux marbres & trèsbien
travaillés , lorſque la deſtinée conduisit Lord
Cornwalis dans cette ville pour le défarmer , ainfi
que ſes Troupes , juſques la victorieuſes. Le Secrétaire
Nelſon ne crut pas devoir fuir les Anglois , à
qui il ne pouvoit être odieux , ni inſpirer aucun ombrage.
Il fut bien traité par le Général , qui choifit
fa maiſon pour y établir ſon logement ; mais cette
maiſon , placée ſur une hauteur dans la fituation de
la ville la plus agréable , étoit auſſi placée près des
'fortifications les plus importantes ; c'étoit le premier
objet qui frappât les regards lorſqu'on approchoit
d'Yorck. Bientôt au lieu de l'attention des
Voyageurs , elle attira celle des Canoniers & des
Bombardiers ; bientôt elle fut preſqu'entièrement
détruite. M. Nelſon l'occupoit encore au moment
où nos batteries elfayant leurs premiers coups ,
tuèrent un de ſes Negres à très-peu de diftance de
lui . Lord Cornwalis lui même fut obligé de chercher
un autre afyle ; mais quel aſyle auroit pu convenir
à un vieillard que la goutte privoit pour lors
'de l'uſage de ſes jambes ? Quel aſyle fur- tout au
roit pu le défendre contre les angoiſſes horribles
qu'éprouvoit un père aſſiégé par ſes propres enfans ;
car il en avoit deux dans l'Armée Américaine ; de
Torte que chaque boulet qui étoit tiré pouvoit porter
la mort dans ſon fein , ſoit qu'il partit de la ville,
DE FRANCE. 121
foit qu'il vint de la tranchée. J'ai été témoin de
l'anxiété cruelle d'un de ces malheureux jeunes gens ,
lorſqu'après avoir envoyé un Flag * pour redemander
fon père , il tenoit les yeux fixés ſur la porte
de la ville par laquelle ce Flag devoit fortir , &
ſembloit attendre fa propre ſentence de la réponſe
qu'il recevroit. Lord Cornwalis n'eut pas l'inhumanité
de ſe refuſer à une demande ſi juſte. Je ne pu's
me rappeler ſans émotion d'avoir vu ce vieillard ,
au moment où il venoit de deſcendre chez le Général
Washington ; il étoit affis , parce que fon
attaque de goutte continuoit encore ; & tandis que
nous étions debout autour de lui , il rous racontoir ,
avec un vilage ſerein , quel avoit été l'effet de nos
batteries , dont ſa maiſon avoit éprouvé les premiers
coups.
La tranquillité qui a ſuccédé à ces temps malheureux
, en lui donnant le loiſir de compter ſes
pertes , ne lui en a pas rendu le ſouvenir plus amer.
Il vit heureux dans une de ſes plantations , où il ne
lui faut pas fix heures d'avertiſſement pour raffemblerune
trentaine de ſes enfans ou petits enfans ,
neveux ou petits neveux , qui font au nombre de
Coixante- dix , tous habitans la Virginie. Le rapide
accroiſſement de ſa propre famille justifie ce qu'il
me diſoit de la population générale. Les emplois
qu'il a occupés toute ſa vie l'ont mis à portée d'en
avoir des notions exactes . En 1742 , les perſonnes
taillables de I État de Virginie , c'eſt-à-dire , les males
blancs au- deſſus de 16 ans , & les males & femelles
noires au- deſſus du même âge , étoient au nombre
* Flag ſignifie proprement un Pavillon ; a Flag of
truce, eſt un pavillon de trêve . Envoyer un Flag , c'eſt envoyer
à l'ennemi un pavillon neutre ou Parlementaire.
Cette expreffion eft paffée du ſervice de mer à celui de
rerre. ToutOfficier qui eft chargé d'une commiffion pour
'ennemi reçoit métaphysiquement le nom de Flag.
Fij
124 MERCURE
de 63,000 , maintenant ils'excèdent 160 mille...
Je partis de Powhatan le 24 d'aſſez bonne heure ,
&après m'être arrêté deux fois, la première pour
déjeuner dans une petite maiſon affez pauvre à huic
milles de Powhatan , & la feconde à 24 milles plus
loindans un lieu appelé Chefter Field court house ,
où je vis les reſtes des caſernes occupées autrefois
par le Baron de Stubens , & brûlée depuis par les
Anglois , j'arrivai à Pétersburg à l'entrée de la nuit.
Cettejournée fut encore de 44 milles. La villede
Pétersburg eſt ſituée ſur la rive droite de l'Apamatock.
Il y a bien quelques maiſons ſur la rive gauche;
mais cette espèce de Fauxbourg eſt un chef
Lieu qui envoie des Députés à l'Affemblée , & qui
s'appelle Pocahunta. Je paſſai la rivière ſur un
Ferrybout , * &je fus conduit dans une petite auberge
, à 30 pas dolà , qui n'avoit pas grande appa
rence. Cependant , quand j'y entrai , je vis un appartement
très- proprement meublé , une grande
foamme bienhabillée & de très-bonair , qui donnoit
tous les ordres néceffaires pour notre réception , &
une jeune Demoiselle non moins grande & trèsélégante
, qui étoit occupée à travailler. fe m'informai
de leurs noms & je trouvai qu'ils n'étoient
pas moins impofans que leur extérieur. La maîtreffe
de la maiſon, déjà veuve pour la ſeconde fois , s'appeloio
Miftriff Spemer, & la fille , qui étoit du
prernier Iit , Miff Saunders. On me fit voir ma
chambre à coucher ;& la première choſe qui frappa
mes regards , fut un grand & magnifique clavecin ,
fur lequel il y avoit encore une guittare. Ces inftrumens
de muſique appartenoient à Miff Saunders
qui ſavoit très bien en faire uſage; mais comme
javois plus beſoin d'un fouper que d'un concert
*Elgèce de Baq.
१
DE FRANCE. 125
:
ma première impreffion fut de trouver mes Hôteſſes
de trop bonne compagnie , & de craindre d'avoir
moins d'ordre à donner que de complimens à faire.
Cependant il ſetrouva que Mme Spemer étoit la
meilleure femme du monde , gaie , & même rieuſe ,
diſpoſition très-rare en Amérique , & que ſa fille ,
toute élégante qu'elle paroiſſoit , étoit douce , honnête
& de bonne conversation ; mais pour des
Voyageurs affamés , tout cela ne pouvoit encore
être confidéré que ſous un ſeul point de vûe , c'eſtà-
dire, comme un bon augure pour le ſouper. Ce
fouper ne ſe fit pas attendre. A peine avions- nous
admiré la propreté&la beauté de la nappe , que la
table fut couverte de très-bons plats , & fur-tout de
poiffons monftrueux & excellens. Nous allâmes
nous coucher, déjà très- bien avec nos Hôteſſes ,& le
lendemain matin nous déjeunâmes avec elles. J'étois
prêt à fortir pour me promener lorſque je reçus la
viſite d'un étranger appelé M. Victor , que j'avois
déjà vu à Williamburg. C'est un Pruffien qui a ſervi
autrefois , & qui , après avoir beaucoup voyagé en
Europe , eſt venu s'établir dans ce pays ci , où il a
d'abord fait fortune par ſes talens , & a fini par devenir
Planteur comme les autres. Il eſt excellent
Muficien , & joue de toutes fortes d'inſtrumens , ce
qui le fait rechercher dans tous les environs. Il me
ditqu'il étoit venu paffer quelques jours chez Mme
Bowling , une des plus riches propriétaires de la
Virginie , & à qui la moitié de la ville de Pétersburg
appartient. Il ajouta qu'elle avoit appris mon
arrivée, & qu'elle comptoit que je viendrois diner
chez elle. J'acceptai la propoſition , & je me mis
fous la conduite de M. Victor , qui me mena d'abord
voir les Ware-Houſes , ou magaſins de Tabac. Ces
magaſins , dont on a conftruit une grande quantité
en Virginie, mais dont malheureuſement une
partie a étébrûlée par lesAnglois , ſont ſous la die
Fiij
126 MERCURE
1
rection de l'autorité publique. Ily a des Inſpecteurs ,
nommés pour vérifier la qualité du tabac que les
Planteurs y font porter ; & s'ils la trouvent bonne ,
ils donnent un reçu de la quantité. Alors le tabac
peut être conſidéré comme vendu; car les récépiffés
font monnoie dans le pays. Je ſuppoſe , par exemple
, que j'aie déposé à Pétersburg vingt hogs head,
ou boucauts de tabac , je puis m'en aller à so lieues
delà , comme à Alexandrie ou à Frédéricksburg ; &
ſt j'ai besoin d'acheter des chevaux , des draps on
route autre choſe , je les paye avec mes reçus , lefquels
circuleront peut-être encore dans nombre de
mains avant de parvenir dans celles des Négocians
qui viennent enlever des tabacs pour les exporter. Il
réſulte delà que le tabac eſt non-feulement valear
de banque , mais monnoie de commerce. On entend
dire ſouvent : J'ai payé ma montre dix hogs heads
de tabac, ce cheval me coûté 15 hogs heads , on
m'en a offert , vingt , &c. Il est vrai que le prix de
cette denrée , qui eft preſque toujours le même en
temps de paix , peut varier en temps de guerre ; mais
alors celui qui le reçoit en payement , faifant un
marché libre , calcule ſes riſques & fes efpérances,
Enfin on doit regarder cet établiſſeinent comme
très- utile , puiſqu'il met les denrées en valeur & en
circulation dès qu'elles font recueillies , & qu'il rend
en queique forte le Cultivateur indépendant du
Marchand.
Les magaſins de Pétersburg appartiennent à Mme
Bowling. Ils ont été épargnés par les Anglois , foit
parce que les Généraux Phillips & Arnold , qui ont
logé chez elle , ont eu quelque égard pour fa propriété
, ſoit parce qu'ils vouleient conferver le tabac
qu'ils comptoient vendre à leur profit . Phillips mou-
Fut dans la maison de Mme Bowling , & alors le
cmmandement ſe trouva dévolu à Arnold. S'ai oui
dire à Lord Cornwalis qu'à fon arrivée il le trouva
DE FRANCE.
127
en grande diſpute avec la Marine , qui prétendoit
que tout le butin devoit lui appartenir. Lord Coinwalis
termina la querelle en faiſant brûler le tabac.
Mais Mme Bowling avoit eu le crédit & le temps
de le faire tranſporter hors de ſes magaſins. Elle n'a
pas été moins heureuſe de ſauver un ſuperbe établiſſement
qu'elle poſsède dans la même ville: c'eſt
un moulin qui fait mouvoir un fi grand nombre de
meules , de blutoirs , de vans , &c. & d'une manière
fi fimple & fi facile qu'il lui rapporte plus de
vingt mille livres de rente. Je paſſai près d'une heure
àen examiner toutes les parties & à en admirer la
charpente & la conſtruction. Ce font les eaux de
l'Apamatock qui le font mouvoir.On les a détournées
au moyen d'un canal creusé dans le roc.
Après avoir continué ma promenade dans la ville
oùje vis nombre de boutiques , dont pluſieurs affez
bien fournies, je jugeai que le moment étoit venu
de faire une viſite à Mme Bowling , & je priai M.
Victor de me mener chez,elle. Sa maiſon , ou pluct
fes maifons , car elle en a deux ſymmétriques & for
la même ligne , qu'elle ſe propoſe de joindre en
ſemble par un corps de logis; ces maisons , dis-je. ,
ſont ſituées au haut d'un talus affez confidérable qui
s'élève du terrein où eſt bâtie la ville de Pétersburg ,
&qui correſpond fi parfaitement au cours de la rí
vière, qu'il n'y a pas licu de douter que ce ne fût
Lautrefois la rive même de l'Apamatock. Ce talus,,
& le plateau immenſe ſur lequel la maison de Mme
Bowling oft bâtie , ſont couverts d'herbes , & forment
un excellent pâturage qui appartient encore à
Mme Bowling. Il étoit autrefois entouré de barrières
, & elie y nourrifſoit de très beaux chevaux ;
mais les Anglois ont brûlé les barrières & eminené
une grande partie des chevaux. A mon arrivée je
fus d'abord reçu par Mile Bowling , jeune fille de
15 ans, la mère , fon frère & fa belle four vinrent
۱
Fiv
123 MERCURE
enfuite. La première reſſemble peu à ſes compatriotes
, c'eft une femme de plus de so ans , vive ,
active , intelligente , qui fait bien gouverner fon
immenſe fortune , &, ce qui eſt plus rare encore ,
qui fait en ufer Pour fon fils & ſa belle-fille, je les
avois déjà vûs à Williamsburg. Le premier eſt un
jeune honime qui paroît doux & honnête ; mais fa
femme , âgée ſeulement de 17 ans , eſt intéreſſante
à connoître, non parce qu'elle a une figure & une
taille extrêmement délicates , & une tournure toutà-
fait Européenne , mais parce qu'avec cette taille &
cette figure délicate , elle eſt defcendante de la Princeffe
Sauvage Pocahunta , fille du Roi Pewhatan ,
dont j'ai déjà parlé. Il faut croire que c'eſt plutôt
du caractère de cette aimable Américaine que de fes
formes extérieures que Mme Bowling a hérité. Peut
être ceux qui n'ont pas lû l'Histoire particulière de
la Virginie ignorent- ils que Pocahunta fut la Protectrice
des Anglois , & les déroba ſouvent de la
cruauté de ſon père. Elle n'avoit que 12 ans lorf
que le Capitaine Smith, le plus brave, le plus intelligent
& le plus humain des premiers Colons ,
tomba entre les mains des Sauvages. Il étoit déjà
parvenu à entendre leur langages pluſieurs fois il
avoit appaiſe les querelles qui naiffoient entre-eux &
les Européens; pluſieurs fois auffi il avoit été obligé
de les combattre &de punir leur perfidie . Un jour ,
fous prétexte de commerce, il fut attiré dans une
embuftade ; il vit tomber les deux feuls compagnons
qu'il avoit ; mais il fut fe débarraffer à lui ſeul de
la troupe dont il étoit environné. Malheureuſement
pour lui , il crut pouvoir ſe ſauver en traverſant un
marais , && il y reſta embourbé de manière que les
Sauvages contre leſquels il ne lui reſtoit plus aucuns
moyens de défenſe, purent enfin le prendre , le
lier & le conduire à Powhatan. Celui- ci fut fi fier
d'avoir en ſa puiſſance le Capitaine Smith , qu'il le
DE FRANCE. 129
fit promener en triomphe chez tous les Princes ſes
Tributaires, ordonnant qu'on le ſervit ſplendidement
juſqu'à ce qu'il revînt ſubir le ſort qu'on lui prépa
roit. Le moment fatal étoit enfin arrivé. Le Capi
taine Smith étoit déjà couché devant le foyer du
Roi Sauvage , la tête placée ſur une large pierre
pour recevoir le coup de la mort, lorſque Pocahuuta ,
la plus jeune , la plus chérie des filles de Powhatan ,
ſe jeta les bras étendus ſur le corps du Capitaine
Smith , & déclara que ſi la ſentence cruelle étoit
exécutée , elle recevroit les premiers coups dont on
voudroit le frapper. Tous les Sauvages , y compris
les deſpotes & les tyrans , font plus ſenſibles aux
pleurs d'un enfant qu'à la voix de l'humanité :
Powhatan ne put réſifter aux larmes , aux prières de
ſa fille. Le Capitaine Smith obtint donc la vie, à
condition qu'il payeroit ſa rançon; mais cominent
pouvoit-il ſe procurer la quantité de mouſquets , de
poudre & d'uſtenſiles de fer qu'on lui demandoit ?
On ne vouloit pas le laiſſer retourner à James-
Town; on ne vouloit pas non plus que les Anglois
fuſſent où il étoit , de crainte qu'ils ne le redemandaſſent
les armes à la main. Le Capitaine Smith ,
qui n'avoit pas moins de tête que de courage , dit -au
Roi que s'il vouloit ſeulement ordonner à un de fes
fujets de porter à James-Town une petite planche
qu'il lui remettroit , Il feroit trouver ſous un arbre à
jour&à heure nommés tout ce qu'on exigeoit pour
ſa rançon Powhatan y confentit ſans ajouter foi à
ces promeſſes , & croyant que c'étoit un artifice du
Capitaine pour prolonger ſa vie ; mais celui- ci avoit
gravé ſur la planche quelques lignes qui fuffifoient
pour rendre compte de ſa ſituation. Le meſſager
revint, on envoya au lieu indiqué , & on fut bien
furpris d'y trouver tout ce qu'on avoit demandé.
Powharan ne pouvoit concevoir qu'ilyeût un moyen
de tranſmettre ainſi ſa pensée , & le Capitaine Smith
Fv
110 MERCURE
fur déſormais regardé comme un grand Magicien , à
qui on ne pouvoit trop témoigner de reſpect Il laiſſa
les Sauvages dans cette opinion , & ſe hata de les
quitter. Mais deux ou trois ans après , quelques dif
férends étant encore ſurvenus entre-eux & les Anglois
, Powhatan , qui ne les croyoit plus forciers ,
mais qui ne les en redoutoit pas moins , trama un
affreux complot pour ſe débarraffer d'eux. Il devoit
les attaquer au sein de la paix , & les égorger tous.
La nuit même que ce complot devoit s'exécuter ,
Pocahunta profita de l'obscurité & d'un orage af,
freux qui retenoit les Sauvages dans leurs cabanes ,
elle s'échappa de la maiſon de ſon père , avertit les
Anglois de ſe tenir fur lents gardes , mais les conjura
d'épargner ſa famille , de paroître ignorer će
qu'el'e leur avoit appris , & de terminer toute querelle
par un nouvel accommodement. Il feroit trop
long de raconter tous les ſervices que cet Ange de
paix rendit aux deux Nations. Je dirai ſeulement que
les Anglois, je ne fais par quel motif, mais affuré
meut contre toute bonne- foi & contre toute équité ,
s'avisèrent de l'enlever à ſon père Elle pleura beaucoup
& long-temps ; mais ce fut une confolation
pour elle de retrouver le Capitaine Smith , qui lui tint
lieu de père: on la traica avec beaucoup de reſpect ,
& on la maria à un Colon appelé Roff, qui bientôt
après l'amena en Angleterre . C'étoit ſous le règne
de Jacques Premier. On prétend que ce Monarque
pédant & ridicule en tous points , étoit fi infarué des
prérogatives de la Royauté , qu'il trouva mauvais
qu'un de ſes Sujets eût ofé épouſer la fille d'un Roi
Sauvage. Il ne ſera peut être pas difficile de décider
ſi dans cette occaſion c'étoit le Roi Sauvage qui étoit
honoré de ſe trouver placé fur une même ligne avec
le Prince Européen , où le Monarque Anglois, qui ,
par fon orgueil & ſes préjugés ſe metroit au niveau
d'un Chef de Sauvage. Quci qu'il en ſoit , le CapiDEFRANCE
131
⚫taine Smith , qui étoit retourné à Londres avant l'ar
rivée de Pocahunta, fut ompreſſé de la revoir , rais
n'ofa pas la traiter avec la même familiarité qu'a
James-Town . Dès qu'elle l'avoit apperçu , elle s'étoit
jetée dans ſes bras en l'appelant ſon père; mais
voyant qu'il ne répondoit pas affez à ſes careſſes ,
& qu'il ne l'appeloit pas ſa fille, elle détourna la
tête , pleura amèrement , & fut long- temps ſans
qu'on pur obtenir d'elle une ſeule parole. Le Capitaine
Smith lui demanda pluſieurs fois ce qui pouvoit
l'affliger. Quoi , lui dit- elle enfin , n'aijepas
Sauvé tesjours en Amérique ? Lorsque j'ai été arrachée
du fein de ma famille & conduite parmi tes
frères , ne m'as tu pas promis de me tenir lieu de
père? Ne m'as tu pas dit que fij'allois dans ton pays
tu ferois mon père & que je ferois ta file ? Tu m'as
trompé , & je me trouve ici étrangère & orpheline.
Onconçoit aifément qu'il ne fut pas difficile au Capitaine
de faire ſa paix avec cette charmante créature
, qu'il aimoit tendrement Il la préſenta aux
perfonnes les plus confidérables des deux ſexes ; mais
il n'ofa la mener à la Cour , dont elle reçut pourtant
des bienfaits . Enfin , après avoir paflé pluſieurs années
en Angleterre , où elle donna des preuves con
tinuelles de vertu , de piété & d'attachement à fon
mari , elle mourut comme elle étoit prête à s'embarquer
pour retourner en Amérique. Elle n'avoit
eu qu'un fils; ce fils s'eſt marié , & n'a laiſſé que des
filles , celles- là que d'autres filles ; & c'eſt ainfi , par
une deſcendance féminine , que le fang de l'aimable
Pocahunta coule maintenant dans les veines de la
Jeune & aimable Mme Bowling.
11
4
Fvj
131 MERCURE
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LA Symphonie de M. Candeille , qui a
commencé le Concert du Jeudi 10 Juin , a
paru d'un bon effet; on ne peut que l'inviter
à cultiver ce genre de compofition. M.
l'Abbé le Sueur , nouvellement nommé
Maître de Muſique des Saints Innocens , a
fait entendre un Motet qui juftifie le choix
qu'on a fait de ſes talens : un chant aimable,
une harmonie pure, un ſtyle clair &
concis , font les qualités qu'on y a diftinguées,
chacun des morceaux a été fort applaudi.
Ce Moter a été très bien exécuté
parM. Rouſſeau, dont les progrès ſe font
de plus en plus admirer ; par M. Chéron ,
dont la fuperbe voix fait toujours un nouveau
plaifir , & par M. Murgeon , qui gagne
chaque jour ſur l'opinion du Public à me
fure qu'il ſe fait connoître. M. Zandonati a
exécuté un Concerto de Violoncelle. La manière
dont il tient ſon archet nuit extrêmement
à la beauté , à la netteté du ſon qu'il
tire de cet inſtrument; mais on a pu diftinguer
qu'il avoit beaucoup de préciſion &
de juſteſſe. Les autres morceaux que nous
ne détaillons pas, parce qu'ils n'offrent aucune
nouveauté,ont cependant été applaus
DE FRANCE .
133
dis avec plus de vivacité qu'à l'ordinairers
mais nous ne devons pas oublier une charmante
Symphonie concertante de M. Davaux
, rendue avec la plus grande perfection
par M. de Vienne pour la Flûte , & par
MM. Guerillot & Gervais pour le Violon .
L'Ouvrage & l'exécution ont eu le ſuccès le
plus brillant & le mieux mérité.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi s de ce mois , on a donné ,
pour la première fois, le Temple de l'Hymen ,
Comedie Epifodique en trois Actes & en vers
libres , par M. Desforges.
Acte Ir. Le Théâtre repréſente une avenue
qui conduit au Temple de l'Hymen . L'A.
mour & Moinus ouvrent la Scène. Celui ci
porte un habit taillé en découpures , dans la
manière des Arlequins. Jupiter l'a envoyé
près de l'Hymen , dans le deſſein de l'égayer ;
mais juſqu'ici ſes efforts ont été inutiles , &
leDien, toujours trifte & chagrin , toujours
plus affecte des maux qu'on lui reproche ,
s'eſt proposé d'interdire aux humains l'approche
de fon Temple. Momus engage l'Amour
à guérir l'Hymen de fa mélancolie , en
ſe reuniffant àlui. Le fonds du Théâtre s'ou
vre. L'Hymen fort de ſon Temple; il s'avance
lentement , les yeux tournés vers la terre ,
&fans appercevoir Momus & l'Amour qui
l'écoutent. Il parle tout haut du projet qu'il
134 MERCURE
a formé ,& qu'il voudroit voir adopter par
l'Amour; dela une Scène , dont le réſultat eft
que l'Hymen rentrera dans fon Temple , que
l'Amour s'occupera de chercher des amans
fidèles , & que Momus veillera à la porte
du Temple de l'Hymen , pour n'introduire
que ceux qu'y conduira l'Amour. Dès que
Momus eft teul , il apperçoit unGaſcon petit
Maître , qui le prend pour le Dieud Hymen ,
&qui le prie de le marier. Ce perſonnage
avoue tout naturellement qu'il aime une
femme qui eſt déjà ſur le retour de l'âge ;
mais qu'elle eſt riche , & qu'il veut l'époufer
à cauſe de ſes grands biens. Momus ca
che fon indignation, perfiffle le fat , lui confeille
d'aller chercher l'objet de fon amour ,
& de l'amener au Temple. Tandis qu'il fort
pour obéir à Mamus , une vieille coquette
arrive en minaudant : c'eſt l'amante du Galcon.
Momus cherche à la détromper , & l'engage
à éprouver la tendreſſe de celui qu'elle
veut époufer. En effet, lorſque le fat reparoît,
elle lui propoſe de ſe retirer à la campagne
, en ne confervant de fon bien , qu'elle
diſtribuera à ſa famille , que ce qu'il faur
pour vivre dans une médiocre aifance. Le
Gaſcon , après avoir tenté de lui faire rejeter
ce projet , renonce à épouſer. L'amante
détrompée lui reproche la baff ffe de ſes
fentimens , le fat, infolent plaifante fur fon
aventure , & Momus étonné de tant d'audace
, rentre dans le Temple de l'Hymen.
Acte II . Un célibataire arrive avec fon
DE FRANCE
135
a neveu . Après avoir long temps balancé à
"prendre les chaînes de l'Hymen, il s'y eft
déterminé ; & il déclare à Momus qu'il va
donner fon coeur & fa main à la Pupille Hortenfe.
L'air trifte & taciturne du neveu in
quiète Momus , qui le ſoupçonne de ne voir
qu'avec chagrin les projets de fon oncle.
Momus ne fe trompe pas. Lorsqu'Hortenſe
paroît, elle déclare qu'elle a aimé fon Tu
teur , qu'elle a même été diſpoſée a devenir
ſa femme; mais que ſe voyant négligée par
celui dont elle defiroit l'amour , elle a donné
fon coeur , en un mot, qu'elle eft mariée. Le
Tuteur éclate , reproche à Hortenſe ſon in.
gratitude : Momus le raille un peu fut fon
injustice. Enfin l'époux qu'a choift Hortenfe
paroît. Cet époux , c'eſt le neven lui même ;
il amène un jeune enfant , doux gage de
l'Amour d'Hortenfe. Le célibataire eſt ému,
avoue ſes torts , & donne fon confentement
au mariage de fon neveu & de ſa Pupillet
Là deſſus arrive un Empyrique Italien , qui
vient propoſer de donner à l'Hymen les ailes
de l'Amour , afin d'empêcher celui ci d'être
volage. Momus lui répond qu'alors l'Hymen
deviendroit tout fimplement l'Amour , &
que le mal pourroit être toujours le même.
Autre propofition de l'Empyrique : de laiffer
une aile à l'Amour & de donner l'autre à
l'Hymen . Ah ! dit Momus ,
Fi donc , fi jamais ce partage avoit lieu ,
Les railleurs auroient trop beau jeu ,
:
136 MERCURE
Déjà l'on dit aſſez , j'en ſuis témoin fidèle
Que l'Hymen & l'Amour ne battent que d'une aîle ,
Et l'on dit vrai.
L'Empyrique est écondui par Momus , les
amans entrent au Temple , ſous la proteetion
du Dieu , & de l'aveu de leur oncle.
Acte III . L'Amour reparoît avec Momus.
Il eſt chagrin. Plutus lui enlève tous
ſes ſujets; & depuis ſon départ , il n'a trouvé
que deux vrais amans. Ces deux amans parouffent
, & les Dieux ſe rendent invitibles
pour les écouter. Felix & Hyacinthe s'aiment
de l'amour le plus tendre ; mais le père de
Félix ne veur point confentir à leur mariage ,
parce qu'Hyacinthe n'eſt pas riche , il a
même chatſe ſon fils de ſa maiſon. Félix , au
deſeſpoir , veut engager Hyacinthe à le ſuivre
, à devenir ſa femme malgré la volonté
de ſon père. La tendre &vertueuſe Hyacin
the le rappelle à des ſentimens plus delicats ,
&le force à immoler l'amour à la vertu.
Les deux amans vontſedire un étérnel adieu.
Momus & l'Amour touchés paroiffent à leurs
yeux , ſe déclarent leurs protecteurs , &
l'Amour les introduit dans le parvis du Tem
ple de l'Hymen , tandis que Momus ſe prépare
à entendre le père Gillet , Nicodéme
fon fi's , la mère Vincent , & Roſe ſa fille ,
qui arrivent tous enſemble. Le père Gillet
veut que fon fils épouſe Roſe, & Nicodême
ne le veut point , parce qu'il ne l'aime pas.
Momus les intéroge les uns après les autres.
DE FRANCE. 137
-
De ces differentes Scènes il réſulte que le
père Gillet eſt un homme foible , qui ſe
laiſſe gouverner par la mère Vincent , femme
méchante& bavarde ; qu'il veut que fon
fils épouſe Roſe , parce qu'elle doit être
riche ; que guidé par les conſeils de la mère
Vincent , il a déjà banni de chez lui un fils
aîné , qui n'a point voulu épouſer Rofe ; &
que cette Roſe eſt une petite perſonne
très diſpoſée àdevenit femme , dansl'unique
intention d'être ſa maîtreſſe , mais très peu
à faire le bonheur d'un époux. Cependant
le père Gillet veut être obéi . Nicodême
refuſe; fon père le chaſſe. Avant de fortir ,
Nicodême lui reproche , les larmes aux
yeux , de ſe priverde tous ſes enfans , & il
lui demande quelles confolations reſteront
à ſa vieilleſſe. Le père Gillet s'attendrit ; la
mère Vincent veut ranimer fon courage.
Momus indigné lui ordonne de fortir après lui
avoir reproché fon inhumanité. Elle fort avec
ſa fille. Dès que Nicodême eſt ſeul ayes
ſon père, il lui parle de ſon frère. Momus
lui apprend la généreuſe réſolution qu'Hyacinthe
& Felix ont voulu prendre pour
lui facrifier leur amour. Nicodême toujours
ſenſible propoſeà fon père de donner une
dorà Hyacinthe, en lui cédant la part du bien
qui doit lui revenir un jour. Tout ce qu'il
entend, tout ce qu'il voit défarme le père
Gillet; il confent au bonheur de ſon fils; le
temples'ouvre, l'Hymen & l'Amour ſe réunif.
fent pour ferrer les noeuds des deux amans.
138 MERCURET
un
Une Comédie épiſodique eſt un Ou
vrage peu fufcepuble de produire
grand intérêt au Theâtre. Si les épiſodes font
attachés à une première intrigue , ſouvent
les néceſſaires écraſent le principal. S'il n'y a
point d'intrigue , il n'y a point d'action ; &
fans action , qu'est- ce que la Comédie ? Une
production de ce genre peut néaninoins
plaire par la gaité , par le contraſte & la
variété des caractères & des tableaux ; mais
quand elle eſt denuée de ces refforts , elle
ne produit qu'un effet très médiocre , quelqu'eſprit
d'ailleurs qu'on ait cherché à y répandre.
Le Temple de l'Hymen divisé en
trois Actes préſente trois petites actions
qui ne font point affez oppofées entre
elles, & qui relativement à la nature du
fujet ne pouvoient fans doute pas l'être.
Pour oter à fon Ouvrage la couleur nono
tone & ifte que ces trois actions devoient
lui donner , l'Auteur a fait un gaſcon de
fon petit maître; caricature uſée au Théâtre,
&qui eſt devenue faftidieuſe à force d'avoir
été employée. Il a introduit un empyrique
dont le caractère n'a rien de ſaillant , & qui
ne vient là que dans l'intention d'eveiller un
rire paflager. Le choix de ces moyens plutôt
bouffons que comiques, n'annonce pas
un goût bien délicat , & pourroit faire tort
à l'Auteur dans l'eſprit des bous juges ti fon
Ouvrage n'étoit pas ſeme de traits de fenti
ment, d'efprit && de raiſon faits pour capti
ver tous les fuffrages. Il y a de la philofo
DE FRANCE
139
phiedans la Scène du Célibataite , beaucoup
de ſenſibilité dans celle du père Gillet & de
fon fils. Au total, malgré les défauts que
nous avons indiqués & la négligence qu'on
peut reprocher au ſtyle, cet Ouvrage a mé-
Fité les applaudiſſemens qu'il a reçus .
ANNONCES ET NOTICES.
UVRES choifies de l'Abbé Prévôt , avec figures.
Cinquième Livraiſon , contenant, Voyages de Ro
bert Lode , I vol . , Histoire de Guillaume-le- Conquérant
, 1 vol. , Pamela, 2 vol.
1 Cette intéreſſante Collection va auffi vite qu'elle
peut aller. On Couſcrit pour les oeuvres de l'Abbé
Prévôt , conjointement avec celles de le Sage , à
Paris , rue & bôtel Serpente , & chez les principaux
Libraires de l'Eurorc.
La Collection des deux Auteurs formera 53 vol.
in 8. ornés de figures , faites ſous la direction de
MM. Delaunay & Marillier ; ſavoir 18 vol. des
OEuvres de l'Abbé Prévôt , y compris l'Histoire de la
Vie de Cicéron , dont on n'avoit pas fait mention ,
mais qui a été demandée par MM . les Soulsripteurs ,
& 15 vol . des Pueres de le sage , qui tout actuelicment
finies. Le prix de la Souſcription eſt de 3 liv.
12 fols le vel broché. On a tiré 24 exemplaires
fur papier de Hollande à 12 liv. le vol. broché.
LE Dictionnaire des Jardiniers , huitième Édition
, revue & corrigée ſuivant les meilleurs fyftêmes
de Botanique , & ornée de plusieurs Planches
qui n'étoient point dans les Editions précédentes ,
publiée par Philippe Miller , F. R. S. Jardinier de la
140 MERCURE
Compagnie des Apoticaires à Chelſea , & Membre
de l'Académie Botanique de Florence , Ouvrage
traduit de l'anglois , auquel on a ajouté un grand
nombre de Plantes inconnues a Miller , ainſi que
des Nores relatives à la Phyſique & à la Matière
Médicale , & dans lequel on a retranché toutes les
dénominations Angloiſes pour y ſubſtituer les noms
François; par une Société de Gens de Lettres. A
Paris , chez Guillot, Libraire de MONSIEUR , rue
Saint Jacques , vis-à-vis celle des Mathurins.
Detous les Arts l'Agriculture a toujours été le
plus utile , & c'eſt une vérité qui n'a jamais été
mieux fentie qu'aujourd'hui. D'après cela on doit
très bien augurer du ſuccès de ce Dictionnaire
qu'on propoſe par ſouſcription. L'Ouvrage original
atoujours joni de la plus grande eſtime ; & en
lifant le titre que nous venons de tranfcrire , on
fent qu'il a dû gagner encore par la traduction , &
qu'il a acquis par conséquent un nouveau degré
d'utilité.
On a choifi le format in-4°. comme le plus
commode: la compoſition en caractère Cicéro neuf
pourra fournirs Volumes de 6 à 700 pages chacun.
Le premier Volume ſera orné de pluſieurs
Planches , où feront gravées les différentes parties
des Plantes dont on fait uſage pour établir les
claſſes de la Botanique. Le prix de chaque Volume
pour les Souſcripteurs ſera de 12 livres , & pour
ceux qui n'auront pas ſouſcrit de 1s liv. Les Soufcripteurs
payeront 12 liv. en ſouſcrivant, ils continueront
à payer la même ſomme à chaque Livrai
ſon des quatre premiers Volumes , & ſe trouveront
avoir payé d'avance le dernier , qui leur ſera
délivré gratuitement. La ſouſcription eſt actuellement
ouverte , & fera fermée lorſque le premier
Volume paroîtra , c'est-à- dire , dans le courant da
mois de Juin,
DE FRANCE 141
SOLUTION des trois Problêmes de Géométrie ,
par M. Papion de Tours , Brochure de 42 pages.
Prix , 1 liv. 4 ſols . A Paris , chez L. Cellot, Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguftins.
M. Papion de Tours s'étant occupé avec une efpèce
d'opiniâtreté de la Solution des trois fameux
Problêmes que nous a propoſés l'Antiquité; favoir ,
la Triſection de l'Angle, la Quadrature du Cercle
& la Duplication du Cube , croit avoir enfin trouvé
ce qu'on a cherché ft long-temps en vain , & il
vient de donner ſa Démonftration au Public. Bien
des Savans , qui marchent plus fûrement aujourd'hui
dans la carrière des Sciences , parce qu'ils y
marchent au flambeau de l'Algèbre , ont déclaré
ce Solution impoffible; mais M. Papion prétend
qu'ils n'ont ſans doute prononcé ainſi que parce
qu'ils n'ont pu réſoudre les équations qui réſultoient
deleurs recherches ; il dit que l'Algèbre n'est qu'une
arithmétique compoſée; qu'elle calcule il eſt vrai
les connues & les inconnues; mais que l'application
qu'on a faite de l'Algèbre à la Géométrie ne
lui adonné le droit que de calculer les commenſurables,
& qu'elle ne peut rien ſur les incommenſurables
, au lieu que la Géométrie appliquée à l'Algè
bre rendra& réfoudra tous les Problêmes que cette
dernière lui propoſera ; qu'enfin cetteGéométrie eft
la ſynthèſe que l'on a eu tort d'abandonner , & qu'il
apriſe port guide dans ſes recherches .
En refuſart de prononcer pour ou contre cette
découverte , nous ne ferons qu'imiter la ſageſſe de
l'Aureur lui-même , qui avoue que bien que les Mathématiques
ne foient pas une ſcience arbitraire , les
démonstrations peuvent pécher , & qui , s'il ſe trouve
dans ce cas , remercie d'avance ceux qui ſe chargeront
de l'en faire appercevoir,
Expositiondu Calcul,fes quantités πέρατίνες.
142 MERCURE
AAvignon ; & à Paris , chez Cellot , Imprimeur-Libraire,
rue des grands Auguftins , in - 8 °. Prix ,
3 liv. 12 fols.
Le projet de l'Auteur eſt de prouver qu'en Algèbre
il n'y a ni multiplicateur , ni quotient , ni expofant,
ni logarithme négatif, ni racine imaginaire ,
ni cas irréductible , ni interruption dans la defcription
des lignes courbes , ni progreſſion géométrique
alternative , ni figne moins dans la formule du
ſecond degré, ni fraction : = 2 a ; que les ordons
nées négatives doivent répondre à des axes négatifs ;
que tour produit , toute équation d'un degré quelconque
n'eit compofé que d'une foule racine & de
fes répliques. Nous invitons les Savans en Algèbre
a lite tes preuves, ſur leſquelles nous nous abirendrons
de prononcer.
:
METHODE d'Instruction pour ramener les prétendus
Réformés à l'Eglise Romaine , & confirmer
les Catholiques dans leur croyance, par M. de la
Foreft , Cuftode Curé de Sainte Croix de Lyon ,
Docteur de la Faculté de Théologie de Paris , &c. ,
in - 12. Prix , 2. liv. broché , 2 liv. 10 ſols relié. A
Paris , rue & hôtel Serpente ; à Lyon , chez Aimé de
la Roche , Imprimeur de la Ville , aux Halles de la
Grenette.
Quarante ans d'expériences & d'inſtructions
données aux Proteftans par l'Auteur de cet Ouvrage
doivent prévenir en faveur de la Méthode
qu'il a adoptée. Il a de la préciſion & de la clarté
dans ſa marche , & réunit pluſieurs avantages qui
manquent aux Ouvrages qu'on a écrits fur la vérité
du Catholicifme, quoique nous en ayons d'excellens
fur cette matière .
MOYEN de Direction que M. le Comte d'Albon
ainventé & adopté à fon Ballon , parti defa maison
DEFRANCE
143
de Campagne de Franconville , Gravure d'environ un
pied. A Paris , chez Pagelet,Graveur , rue S. Julienle-
Pauvre.
RECUEIL des Airs du Droit du Seigneur &
'autres petits Airs & Romances , avec Accompagnement
de Harpe , compofés par M. Grenier , Organiſte
& Maître de Harpe , OEuvre V. Prix , 7 livres
4 fols. A Paris , chez Couſineau , Luthier de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'École .
Ces Accompagnemens nous ont paru faits avec
goût,&les petits Airs de M. Grenier prouvent qu'il
a' tort d'arranger la Mufique des autres.
4.
PROSPECTUS . M. Krumpholtz à la follicitation
de pluſieurs Amateurs propoſe une ſouſcription de
deux Symphonies pour la Harpe exécutées par
Mme Krumpholtz au Concert Spirituel. Elles font
principalement compoſées pour la nouvelle Harpe
àfourdine de M. Naderman , & peuvent asili s'exécuter
fans accompagnement. On fouferit juſqu'au
premier Août chezl'Auteur , rue d'Argenteuil , ancien
hôtel de la Prévôté , n° . 14. Prix , 9 livres pour
Paris , & 10 liv. 10 fols pour la Province, paflé ce
terme l'Exemplaire coûtera 12 livres , & l'on n'en
trouvera que chez l'Auteur & chez le fieur Naderman
, Luthier de la Reine , rue d'Argenteuil, L'AUteur
prévient qu'il défavoue & déclare contrefaits
tous les Exemplaires qui le vendroient ailleurs , à
moins qu'ils ne foient fignés de lui .
* QUATRE Ouvertures par MM. Guglielmi , Wanhall,
Ditters & Hayden , arrangées pour le Cla
vecin & deux Sonates , par MM. Clémenti & Scarlati
. Prix , 7 liv. 4 fols A Paris , chez Bailleux , à
la Clefd'or , rue S. Honoré , près celle de la Lingerie.
144
MERCURE
Cette Collection est très - agréable pour le bon
choix des Pièces & la manière dont elles ſont arrangées
, mais ce qui fur- tout la rend infiniment précieuſe
, c'eſt la Sonate de Scarlati que M. Clémenti
exécutoit avec tant de ſuccès après les ſiennes. Les
Ainateurs fauront beaucoup de gré à l'éditeur de
l'avoir miſe au jour.
SEPTIEME Recueil d'Airs d'Opéras , contenant
P'Ouverture de Renaud , par M. Sacchini , & celle
d'Iphigénie en Aulide , par M. Gluck , arrangée pour
deux Flûtes on Violons , par M. Muſſard , Maître
de Flûte. Prix , 6 liv. A Paris , chez M. Muſſard ,
rue Aubri- le-Boucher , maiſon du Marchand de Vin.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes , le Journal de la Librairiefur
la Couverture.
TABLE.
:
EPITRE à MM. delaSo- gryphe,
Versfurl'Homme,
ciété Patriotique Bretonne, Théâtre d'Ariftophanc, 109
97 Variétés ,
ImpromptuàMme de.... ib. Comédie Italienne,
120
101 Concert Spirituel , 132
13
Charade, Enigme & Logo- Annonces &Notices 139
APPROBATION.
JAT lu
par ordre de Mgt le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 19 Juin. Je n'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 18 Juin 1784. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Avril.
EPUIS un mois la peſte s'eſt déclarée à
DSmyrne avec affez de violence , pour
écarter de cette ville une grande partie de
fes habitans. Le commerce languit , d'autant
plus que les cantons voiſins ſont également
infectés de la contagion.
On affure que les Monténégrins ſe ſont
révoltés contre le Pacha , & qu'ils ont forcé
ſes troupes à ſe retirer avec perte. Cette affaire
, dit on , a eu lieu le 7 Avril , entre
Linda& le mont Hatter.
<«<L'échange de la ratification de laconventionconclue
entre la Cour de Ruffie & la Porte ,
au ſujet des provinces Tartares , s'eft fait ſans
beaucoup de cérémonies dans une des maiſons
de plaiſance du Grand- Seigneur , nommée Ainelikavat
, & fituée au nord du port de Constantinople,
la même où ſe ſont tenues la plupart des
conférences entre le Miniſtre de Ruffie & ceux
No. 25 , 19 Juin 1784. e
( 98 )
de la Porte. Le lendemain de cette aſſemblée;
compoſée , d'une part , du Capitur Pachı , du
Reis-Effendi , & de Oricu- Cadiffi , ou Juge de
l'armée , & de M. de Bulhakow , de l'autre ,
ce dernier a envoyé ſon Secretaire chez les Miniſtres
Turcs , avec les prétens qui leur étoient
deſtinés , & qui leur ont été offerts , non comme
venant de la part de l'Impératrice , parce
qu'alors ils n'auroient pu les accepter , mais de
celle de M. de Bulhakow. Ce font les mêmes
préiens qui avoient été envoyés l'année derniere
par la Cour de Rufie , à l'occaſion de la
conclufion du traité de commerce , pour être
diſtribués entre les Miniſtres de la Porte , &
qui alors avoient été refuſés : ils confiftent dans
les pieces ſuivantes : au Grand- Visir, un miroir
entouré de brillans , une bague de diamans , une
montre , & un étui richement garni de brillans ,
outre une pelifle dela plus beide martre , quarante
autres peaux de martre , & un peliſſe de
renard noir : au Capitan- Pacha , un pommeau
garni de brillans , propre pour un bâton de commandement
, & pluſieurs pelleteries de grande
valeur : à l'Ordou- Cadiſſi , une tabatiere enrichie
de brillans , & quarante pieces de la plus
belle martre ; au Reis Effendi , une boite d'or ,
une peliſſe de martre , & quarante pieces de même
pelleterie ; au Breiliski- Effendi , ou premier
Commis de la Chancellerie Turque , une boîte
d'or , & quarante pieces de martre : au Dragoman
de la Porte , une riche tabatiere , une bague de
la valeur de 2500 piastres , quarante peaux de
marrre , & deux très-belles peliſſes. Le lendemain
le même Dragoman , apportant en reanche
les préſens du Grand Vifir au Minift e
VeRufie , qui conſiſtent pour la plupart en riches
droffes des Indes , en reçut encore des mains de
( وو (
M. de Bulhakow une très belle montre avec ſa
chaine ».
Par le dernier Traité arrêté entre la Sublime
Porte & la Ruſſie , on prétend que la
dignité d'Hoſpodar en Moldavie & en Valachie
a été rendue inamovible , ſaufpour raiſon
de plaintes graves portées à Sa Hauteffe
contre l'un ou l'autre des deux Hoſpodars.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Mai.
L'Ordonnance contre les émigrations afſujettit
toutes les perſonnes , allant à nos colonies
des Antilles , à donner une caution
avant leur départ. Si un navire ſe charge de
paſſagers non munis de paſſe-ports, il ſera
ſaiſi comme contrebandier.
Voici le précis fur la Norwege , qui fait
ſuite à celui ſur le Danemarck , que nous
avons donné dans le Nº. précédent.
La ſurface de la Norwege eſt de 7000 milles
quarrés. La partie du ſud eſt aſſez bien cultivée,
celle du nord l'eſt très peu D'après un calcul
moyen de dix ans , il naîten Norwege annuellement
23,100 enfans : en comptant la proportion
des naiſſances à la population totale , dans
le rapport de 1 à 31 , la Norwege auroit
720,000 habitans .
L'un dans l'autre , chaque mille contient
donc 103 habitans; mais dans la partie la plus
cultivée du pays ,& dans le voiſinage des villes ,
il faut porter ce nombre à 153 ; il eſt réduit à
e2
( 100 )
23 par mille dans les diſtricts du nord. Bergen ,
la ville la plus conſidérable du Royaume , a
16000 habitans. Dans le nord , aucune ville , excepté
la fortereſſe de Vardhus , gardée par 40
hommes.
Le produit territorial en bled ne ſuffit pas à
la nourriture des Norwégiens , il faut importer
decette denrée pour 700,000 rixdalers par année
, pour un million même , la récolte n'a pas
été favorable .
Ls produit de la pêche eſt évalué à 2,400,000
rixdalers : il ſeroit quadruple ſi les nations étrangeres
pouvoient être entiérement exclues de ce
commerce.
L'armée de la Norwege eſt diſtincte de celle
de Danemarck. D'après l'état de 1763 , elle confifte
en 29,038 hommes. Un Colonel reçoit annuellement
800 rixdalers , un Capitaine 200 , le
fimple ſoldat rien du tout. L'entretien de la
cavalerie , qui n'eſt habillée que tous les douze
ans , coûte à-peu- près 30,000 rixdalers , &
celui de l'armée entiere 183,000 rixd. annuellement.
Si l'on ajoute à cette armée 14,600 matelots
que porte l'état militaire , & 8000 mineurs qu'on
emploië en tems de guerre , on verra que la
Norwege peut oppoſer près de 60,000 hommes à
une invasion.
La Couronne devroit percevoir ſur la Norwege
un revenu de 1,600,000-rixdales. Cette eſtimation
eſt calculée ſur le produit naturel de l'impôtſur
les métairies , de la dixme du cuivre exploité
, des mines de fer , du commerce des
bois , des péages , des droits ſur les conſommations
, & des contributions extraordinaires ;
mais le revenu effectif est au-deſſous de cette
eftimation , & ne paſſe pas 1,200,000 rixdalers.
( 101 )
Une grande partie de l'armée n'étant point
payée en argent , la défenſe du pays n'eſt nullement
diſpendieuſe , & les montagnes élevées
qui couvrent la Norwege du côté de la Suede ,
font des frontieres autant de fortereſſes natus
relles.
Adéfaut de Lled , les habitans pauvres ſe nourriffent
d'un pain d'écorce de ſapin , dont l'uſage
eſt très dangereux . On a propofé ſouvent
d'imiter pour la pêche de la Norwege l'acte de
navigation des Anglois; mais ce projet eſt reſté
fans exécution.
Le Roi a nommé le Conſeiller privé de
Guldencrons , fon Miniftre Plénipotentiaire
près la Cour de Péterfbourg.
Le 19 , le vaiſſeau de guerre l'Oldenbourg
Capitaine Buddé , eſt allé en rade. Le même
jour il eſt arrivé ici un eſtafette de Peterſbourg.
Le prix des dernieres actions de la Com
pagnie d'Afie , a été de 928 & 929 rixdalers ;
celui des actions de la Compagnie de la
Baltique 94 & 95 rixdalers , & celui des actions
de la Compagnie d'afſurance maritime
230 rixdalers.
ALLEMAGNE
DE HAMBOURG , le 22 Mai.
On écrit de Dantzick , que la navigation
ſuſpendue par la longueur du dernier hyver ,
n'a recommencé qu'à la fin d'Avril. Il y eſt
arrivé peu de bâtimens Polonois , mais un
e 3
( 102 )
1
grand nombre d'Anglois & de la Baltique ,
pour les emplettes de grains. Le bled commence
à devenir rare à Dantzick , mais les
tranſports attendus de Pologne rameneront
l'abondance. L'étendue des commitlions a
fait hauffer le prix de cette denrée.
On trouve dans un Recueil Allemand les
détails ſuivans , au fujet du commerce de
Dantzick.
Les productions de Pologne font le principal
objet de commerce d'exportation de cette ville .
Elle en reçoit , une année portant l'autre , 50 à
60,000 laſt de bled , dont le prix varie teaucoup
, & fe regle annuellement ſur les prix de
Hollande. En comparant enſemble les divers
prix de pluſieurs années , les Dantzickois paient
le laſtde bled à raiſon de dix-huit ducats , ce
qui , pour 60,000 laſts , produit une ſomme de
2,080,000 ducats. Les autres productions , commebois
, cendre, potaſſe , toile , cuir , miel, &c.
que les Négocians de Dantzick reçoivent de la
Pologne montent environ à la même ſomme.
Ainfi cette ville met dans ce commerce un capital
annuel de fix millions de rixdalers . Elle
gagne là-deſſus 20 pour 100 ,& fait parconféquent
un bénéfice de 1,200,000 rixdalers ; mais
elle en paie au Roi de Pologne , à titre d'impoſitions.&
d'autres droits , une fomme annuelle de
150,000 rixdalers , & environ autant pour les intérêts
des ſommes dues à l'Angleterre & à la
Hollande. Certe réduction faite , il reſte aux
Dantzickois un bénéfice net de 900,000 rixdalers ,
qui , faute de fabriques & de manufactures dans
la ville , paſſent à l'étranger pour en faire venir
ce dont ils ont beſoin dans ce genre. Malheureufoment
la plus grande partie de cet argent eſt
( 103 )
employépour des objets de luxe qui va toujours en
croiffant dans cette petite République. D'après
cela on peut aſſurer avec vérité que puiſque la
Ville de Dantzick dépen'e autant qu'elle gagne,
la balance de fon commerce eſt en équilibreaujourd'hui
, & que dans peu , ſi elle ne prend pas
d'autres meſures , ſon commerce ne ſuffira plus
pour fournir à les dépenses. Il n'y a aujourd'hui
que les anciennes maiſons de commerce qui ſe
ſoutiennent encore , les nouvelles qui s'y étoient
formées ſont preſque toutes tombées peu de tems
après leur établiſement. La maison de Rothemboung
eſt la teule qui ait fait fortune , &dont les
affaires font en très-bon état; c'eſt cette maiſon
qui fait preſque toutes les commiſſions pour la
France.
Le nombre des bâtimens arrivés à Dant
zick en 1783 , étoit 681 , & celui des bâtimens
fortis 694.
Le tableau ſuivant des revenus que perçoivent
pluſieurs Couronnes du commerce
du Tabac , peut donner une idée affez
exacte de l'étendue de ce commerce.
En 1753 , le Roi de Portugal a affermé le tabac
pour la fomme annuelle de 2,500,000 rixd
LeRoi d'Efpagne en tire
Le Roi de France
Le Roi des Deux- Siciles
Le Roi de Danemarck
L'Empereur • •
•
8,158,400
3,802,400
370,125
40,000
• 1,800,000
16,670,808 rixd.
M. Buſching porte les revenus que le Roi de
Pruſſe tire de cette branche de commerce plus
haut que ceux que ce Souverain perçoit de ſes
Domaines conndérables dans la Marche Eleatorale.
( 104 )
DE
FRANCFORT , le 4 Juin.
Les
pronoſtics , ou plutôt les rêveries ſur
l'emploi futur des
Aëroſtats , ayant menacé
les places de guerre & les armées de cette
artillerie
aërienne , on prétend qu'un Docteur
Allemand s'eſt occupé
férieuſement des
moyens d'en prévenir les effets. A ce qu'on
rapporte , il a inventé une lentille ou miroir
ardent , capable
d'incendier les ballons &
leur
équipage à la hauteur de 2 ou 3 lieues.
M. le
Conſeiller Eybel, à qui l'on a attribué
l'ouvrage fameux , Qu'est-ce que le Pape ;
eſt chefde l'une des
Commiſſions
nommées
par
l'Empereur pour la viſite des Eglifes &
des
Couvens. On raconte
qu'étant arrivé
dans
l'Egliſe de
Braunau en
Autriche , à
l'inſtant où le
Prédicateur
s'échauffoit contre
les
innovations
récentes , il le laiſſa continuer
fans fortir de
l'incognito. Après le fermon
, le Moine averti vint ſe jetter aux genoux
de M. Eybel, en le priant
d'oublier
fon
éloquence. Mon Pere , lui
répondit le
Viſiteur,j'aurai ſoin de faire
examiner attentivement
votre affaire.
Le 17 le mariage futur du Duc
Charles-
Louis
Fréderic de
Mecklenbourg- Strelitz ,
avec la
Princeſſe
Charlotte-
Chriſtiane-Marie
fille du feu Prince
George
Guillaume de
Heſſe
Darmſtad , a été déclaré
publiquement
à la Cour du
Landgrave.
( 105 )
On mande de Vienne que l'Empereur
vient de ſupprimer les Couvens des Carmes ,
des Peres de l'Ordre de S. François de
Paule , des Servites , des Dominicains & des
Urſulines. La garniſon de Vienne , ajoute-ton
, fera renforcée & portée à l'avenir à
25 à 30 mille hommes.
L'affaire de l'Evêché de Paſſau avec la Cour
Impériale a été , dit- on , arrangée de la maniere
ſuivante : l'Evêché renonce à perpétuité à la Jurisdiction
eccléſiaſtique dans la haute & baſſe Autriche,
& à celle dans le quartier del' Inn cédé à la
Maiſon d'Autriche par la paix de Teſchen , &
s'engage à payer annuellement 25,000 florins au
nouvel Evêché de Linz ; cette ſomme ſera acquittéepartie
en argent comptant , & partie en
Bénéfices cédés pourcet objet. La Cour Impériale
, de ſon côté , reßitue à l'Evêché les diftricts
, dimes , maiſons , &c. qu'elle avoit mis en
ſequeftre. -- La haute Autriche , d'après cet
arrangement , & le quartier del' Inn , feront attribués
au Diocèſe de Linz , deux quarts de la baſſe
Autriche à l'Evêque de S. Poltin , & le reſte à
l'Archevêque de Vienne.
Les conſcriptions militaires font recommencées
pour cette année , & on preſſe même la levée des
troupes.
ITALI E.
DE VENISE , le 23 Mai.
On a répandu que la peſte s'éroit manifeftée
dans la Dalmatie , & notamment à Spalatro.
En conféquence les ports da golfe
Adriatique ſont munis des précautions
es
( 106 ),
d'uſage: Sa Sainteté a même fait fermer le
port de Finigaglia aux navires venant de
nos côtes, & interdit la foire célebre qui a
lieu toutes les années dans cette ville.
Cependant la nature de cette maladie contagieuſe
eſt encore très-équivoque. Elle regna
déja l'année derniere , & on l'attribua
au retour d'un nombre d'émigrans paſſés en
Turquie , & rentrés dans la Province par
les montagnes. On croit d'autant moins
cette épidémie peſtilentielle , que divers malades
ayant été traités dans l'Hôpital de Spa-
Jatro, ils ont été bientôt rétablis.
Le Gouvernement vient d'envoyer ſur
les lieux le Sénateur Diedo , pour vérifier
ces craintes , & pour porter remede à la contagion
quelconque radicalement.
DE NAPLES , le 13 Mai.
L'eſcadre deſtinée à joindre les Eſpagnols
dans leur nouvelle expédition contre Alger ,
doit appareiller le 16. Elle eft compoſée de
deux vaiſſeaux de ligne , de deux frégates ,
&de deux chebecs, fans compter les bâtimens
munitionnaires , & un vaſſeau d'hôpital.
L'état déplorable de la Calabre occupe
toujours le Gouvernement. Il s'eſt tenu à ce
fujet , un Conſeil des Miniſtres d'Etat , auquel
S ..M. a aſſiſté , ainſi que le Maréchal
Pignatelli , chargé l'année derniere du com(
107 )
mandement de cette Province. Ce Général,
à ce qu'on dit , ſe prépare à y retourner ,
poury faire exécuter un Bref de S. S. relatif
à la ſéculariſation des Religieux , Novices
encore , lors de la deſtruction des Monaſteres
ſupprimés.
1
:
ESPAGNE.
DE MADRID , le 2 Mai.
La flotille qu'on équippe pour l'expédition
d'Alger , ſera compoſée de 80 bâtimens,
chaloupes canonnieres ou bombardes;
ſous la protection d'un vaiſſeau de ligne&
de quelques frégates , &de 10 chebecs.
Vu le nombre de troupes qui paroifſent
deſtinées à s'embarquer ſur cette eſcadre
, on préſume qu'il ſera queſtion d'un
débarquement , & non pas ſeulement de
bombarder Alger. Les travaux ſe pouffent
àCarthagene avec la plus grande activité :
de leur côté, les Maures ne font pas oifits.
On annonce qu'indépendamment de leurs
anciennes batteries , ils en ont conſtruit ſept
autres ſur des ouvrages avancés , d'où ils ſe
propoſent d'incendier à boulets rouges, les
bâtimens qui ſe mettront à portée de bombarder
la ville.
7
c6
( 108 )
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 2 Mai.
Le mariage prochain de l'Infante Marie-
Anne Victoire avec l'Infant d'Eſpagne Dom
Gabriel a été déclaré à la Cour. On parle
auſſi d'unir l'Infante Charlotte , fille aînée
du Prince des Afturies avec l'Infant Dom
Juan , fils puîné de LL . MM. Le premier de
ce mariage paroît devoir ſe conclure au
mois d'Octobre prochain.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 8 Juin.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Amérique
Septentrionale font mention des ravages
qu'a occaſionné le dégel des rivieres en
divers endroits. Une lettre de Wyoming
dit:
>Dans la nuit du 15 de ce mois , ( Mars) la
riviere qui arroſe cette Ville , en moins de 26
minutes a éprouvé un débordement ſi confidérable
, qu'elle a inondé toutes les terres baffes
de notre Colonie. Elle a emporté des maitons
entieres , des beftiaux , des grains , &c . & plufieurs
familles qui n'ont pas eu le temps de fortir
de leurs foyers , ont été entraînées dans les bâtimens
à cinq mille d. diſtance . On a vû des
maiſons flotter au milieu des courants avec du
( 109 )
monde & des lumières dedans. Enfin jamais on
n'a vû de déſaſtre ſemblable. La Garniſon qui
étoit logée dans le lieu le plus élevé du pays
étoit noyée de quatre pieds d'eau. Les troupes
ont été obligées de ſe refugier dans les montagnes
& de laiſſer armes & bagages. Les terres
font dans ce moment ci couvertes de glaces
épaiſſes de quatre & cinq pieds . Nous devons
à l'extrême ſolidité du Fort de n'avoir pas vû
nos caſernes détruites. Mais ce qui nous arrache
des larmes c'eſt la ſituation malheureuſe d'une,
foulede femmes & d'enfans deſtitués de vêtemens
& même de vivres par cette déſaſtrueuſe inondation.
Les accidens ont été auſſi fâcheux fur la
Delaware.
>> La navigation de la riviere , écrit-on , qui
avoit été interrompue par les glaces depuis le
26 Décembre dernier , vient enfin d'être ouverte
; un nombre de bâtimens après avoir été
obligés d'errer dans la baye &dans la riviere,
en éprouvant beaucoup d'incommodité , eſt entré
ces jours- ci dans le port. -Pendant la
rude ſaiſon , la glace , en formant ſur la riviere
une route sûre pour la communication de cette
Ville avec les rives oppoſées , nous a du moins
procuré de grands foulagemens pour l'article important
du bois à brûler , qu'on apportoit en
quantité du nouveau Jerſey. Le dégel a malheureuſement
caulé, dit- on , bien du dégat dans
les établiſſemens de la riviere de Schusikill .
-Aux Falls , à environ 5 mille de cette Ville ,
les eaux ſe ſont accrues proligieuſement , & les
glaces qu'elles ont entraînées , ont décruit beaucoup
de bâtimens , tels que des granges , des
écuries , des pécheries , des enceintes , & des
( 110 )
habitations. Un moulin àpapier a été entiérement
renversé & pluſieurs autres fort endommagés .
Ces malheurs joints à la détreffe qu'a néceſſairement
occaſionné un hiver , ſans exemple depuis
40ans, ont bien vexé les pauvres Bien des particuliers
qu'on croyoit être au-deſſus du beſoin ,
ont eu de la peine à paſſer l'hiver .
Enfin l'on mande de Baltimore lesdétails
ſuivans.
Hier , à force de travail & de perſévérance ,
on a achevé au milieu des glaces un canal qu'on
avoit commencé á ouvrir il y a quelques jours
depuis la pointe de Fell ,juſqu'á celle de Whetſtone.
Parce moyen une vingtaine de Bâtimens
&une foule de petites Barques de la Baye qui
avoient éprouvés de la part des glaces un long
& penible retard , font entrées dans le port á la
fois. Ils ont formé un ſpectacle très- agréable aux
labitans qui les ont ſalués de trois acclamations
, auxquelles les équipages ont répondu
avec le même plaifir & la même cordialité.
Le 19 Avril , l'Etat de Maſſachuſett Bay
a fait l'élection annuelle des Chefs de fon
gouvernement : M. Jean Hancock a été réélu
Gouverneur , & dans le nombre des fix nou- .
veaux Sénateurs , ſe trouve M. Samuël
Adams.
L'Aſſemblée générale de Penſylvanie a
reçu le rapport du Comité , chargé d'examiner
les intérêts commerciaux de cet Etat.
Le Comité ayant examiné la lettre du Gouverneur
Harriſon , en date du 21 Décembre , &
les mémoires des Marchands de la Penſylvanie
qu'on voudroit établir ſur les bâtimens britanniques,
a repréſenté dans ſon rapport :
( III )
>>Que le Comité regarde le ſoin de rédiger
des réglemens de commerce comme une entrepriſe
très étendue ; & que , d'après ſes principes de
politique les plus ſains , il penſe que rien ne mérite
davantage l'attention de la Légiflation que
lesmeſures qui ont rapport aux intérêts commer
eiaux de l'Etat .
Que la proclamation du Roi de la G. B. qui,
enreſtreignant le commerce entre ces Etats& les
Coloniesà fucre d'Angleterre , tend à décourager
notre navigation & notre commerce , doit trouver
la plus conſtante oppofitionde la part des Etats
Unis .
Que d'après le mémoire préſenté par le Commerce
de ces Etats, il paroît que les Marchands
s'occupent , de concert avec ceux des autres
Etats ,de la rédaction d'un plan général de commerce
pour les Etats Unis.
Que l'efficacité de ces efforts combinés , jointe
aux démarches particulieres dont nous ſommes
capables , engage le Comité à propoſer la réſo
lution ſuivante.
Résolu que l'on nommera un Comité pour former
un bill qui autoriſe les Etats Unis aſſemblés
en Congrés à défendre l'importation de toutes
denrées ou marchandiſes du crû ou du produit
d'aucune des Colonies à ſucre de l'Angleterre,
dans ces Etats - Unis , ou à adopter tels autres
actes de réciprocité vis-à-vis de la G. B. relativement
au commerce des Etats-Unis , tant que les
restrictions en queſtion auront lieu de la part de
l'Angleterre.
Pourvu toute-fois que cet acte ne puiffe fortir
ſon plein effet que lorſqu'il aura été approuvé par
les autres Etats de l'union .
On écrit d'Hallifax , dans la Caroline Sep
( 112 )
tentrionale , que le Général Rutherford , qui
avoit fait une excurſion du côté du Miſſiſipi ,
avec un corps nombreux de Volontaires ,
dans la vue de faire quelques découvertes
dans les parties occidentales , a été ſurpris
par les ſauvages , & entiérement défait. On
prétend que le Général lui-même a perdu la
vie avec ſes infortunés compagnons, qui ne
penſoient nullement à faire la guerre ; mais
dont l'objet au contraire étoit d'acquérir ,
fans effuſion de ſang , un très-vaſte territoire.
Les ſéances du Par'ement ſont toujours
auſſi vives , ſans en être plus inſtructives , au
moins pour tout ce qui n'eſt pas Anglois.
Les débats ont pris un caracteredd''aaigreur&
de ſévérité qu'on a rarement remarqué dans
les diſcuſſions les plus importantes. Celle
qui continue d'agiter la Chambre , eſt toujours
relative à la queſtion , ſi le Grand Baillif
de Weltminſter ſera admis , ou non , à
procéder à la vérification des ſuffrages , L'un
& l'autre parti mettent à cette querelle une
chaleur qui leur fait oublier non-ſeulement
Les bienféances , mais ce qui eſt encore pis ,
les regles de la Chambre.
On ne ſera pas ſurpris de cet échauffement,
fi l'on confidere que le crédit de M.
Fox tient en gran le parte au ſiege qu'il occupe
par interim ; que s'il en eſt dé offédé ,
il acheve de perdre l'avantage de l'opinion
qui le croit maître de la confiance du peu
( 113 )
ple , opinion auſſi utile que cette confiance
même ; enfin , que Dictateur il y a deux
jours d'un parti prépondérant dans les Communes
, il court le riſque d'être exclus de
ces Communes mêmes.
Ily a auffi une réclamation , comme nous
l'avons dit l'Ordinaire précédent , contre
ſon élection dans un bourg d'Ecoffe. Son
concurrent , fortement foutenu à n'en pas
douter , lui oppoſe des illégalités de toute
efpece. M. Fox n'eſt ni bourgeois , ni habitant
, ni propriétaire , ni ne paye les
taxes dans aucun des bourgs qu'il doit repréſenter
, ce qui eſt formellement contraire
aux actes du Parlement d'Ecofle, relatifs
à l'élection des 16 Pairs & des 45 Députés
qui l'ont remplacé. Cependant ces objections
n'ayant pas paru infurmontables , le
Candidat plaignant s'eft retranché fur les
prévarications commiſes durant l'élection .
Lord Surrey , il eſt vrai , ami zélé de M.
Fox , ayant été élu pour trois bourgs différens
, lui ménage une refſource ; mais il eſt
dur,après tant de ſupériorité , d'en être réduit
là..
Quoiqu'ilen ſoit , il paroît certain que la
verification des Votes ſera ordonnée par la
Chambre des Communes. M. Fox d'une
part, & le grand Baillif Corbett de l'autre
ont plaidé leur cauſe devant l'Aſſemblée ,
par le miniſtere d'Avocats reſpectifs. Certe
plaidoyerie a entraîné pluſieurs ſéances fort
( IT4 )
avant dans la nuit ; elles ſe ſont prolongées,
par débats incidentels qui ſe ſont élevés
entre les membres eux- mêmes. Le plus
important de ces débats a eu pour objet de
décider , ſi l'on devoit entendre ou non , les
témoins amenés par le grand Baillif pour
certifier l'authenticité réelle ou ſuppoſée des
fuffrages frauduleux reprochés à M. Fox.
Malgré la force des expreſſions de cet Orateur
, & les argumens de ſes Avocats , la
motion affirmative a paſſé à la pluralité de
85 voix.
Aujourd'hui , 8 , cette plaidoyerie a été
terminée , & fera jugée demain : il eſt ſuperflu
d'en faire preſſentir la déciſion.
Dans la défenſe qu'a produit le Grand-
Bailli , ou plutôt l'expoſe de ſes motifs en
accordant la vérification , cet officier a af
firméque,dans les dix premiersjoursde l'Elec
tion, qu'ily avoit eu 100 fuffrages dedonnés,
en tout plus de 1200000 , tandis qu'à
l'élection conteſtée entre Lord Trentham
& M. Vandeput , le nombre des votans ne
paſſa pas 9200. >> Tant que M. Fox , ajouta
>> M. Corbett , a eu la minorité , il a me-
>>n>acéouvertenientdedemander la reviſion;
>>>aujourd'hui , il la trouve illégale; mais le
>>changement de ſes intérêts, peut-il avoir
>>fait changer la nature de l'opération ?
Les petitions au ſujet d'élection illégale
ſe multiplient chaque jour ; encore quelquesunes
, & le Parlement entier ſera bientôt en
( 115 )
conteſtation. Le temps perdu à l'examen
de ces demandes , & de la grande affaire
de Westminster , n'a cependant point interrompu
le cours des objets eſſentiels. Les
affaires de l'Inde, l'acte pour règler le commerce
d'Amérique , & les ſubſides ont fixé
l'attention de la Chambre.
Quant au premier objet , on parle encore
trop vaguement du plan du Miniftere pour
en hafarder quelque choſe ici; mais il paroit
sûr que Lord Cornwallis a accepté le
commandement général dans cette partie du
monde.
Pour le ſervice de la Marine en 1784 ,
la Chambre a accordé 26000 matelots ,
y compris 4445 ſoldats de marine. Chaque
homme étant paſſe ſur le pied de 4 liv,
ſterl. par mois , en ajoutant à cette ſomme ,
celle qu'exige l'artillerie de la marine, c'eſt
une dépenſe de 12,53000 liv. ſterl. pour
l'année.
Cet état eſt plus fort de 10,000 matelots
que celui arrêté en 1764 , après la paix ,
ſous le Ministere de M. Grenville ; la dépenſe
ne fut alors que de 832,000. Sous
George II on ne vota jamais plus de 10000
matelots en temps de paix. Un plus grand
nombre de bâtimens employés à courir fur
les contrebandiers explique en partie cette
différence.
M. Sawbridge a déjà réparu deux fois avec ſa
mosion pour la réforme conſtitutive du Parle
( 116 )
ment. Cette motion a été encore éludée , ou
plutôt écartée pour le moment. Il eſt à croire
que le miniſtère actuel prendra un biais afin de ne
pas la rejetter ni l'admettre entierement. La
néceffité de cette réforme , conſidérée abſtraitement
, a été fentie par tous les partis , excepté
par celui du Lord North ; mais en quoi confittera-
t- elle ? Voilà ce qui diviſe les opinions à
l'infini. Les uns veulent abréger la durée du
Parlement , d' utres une élection plus générale,
Les premiers ont contr'eux la plupart des objections
formées par le dernier Parlement contre
ſa diſſolution : les meilleurs écrivains de la
nation ont fait obſerver aux ſeconds que la populace
, très -différente du peuple , feroit peu de
ca d'unpouvoiirr qui ne lui rendroit aucun émo-
Jument , qu'un chaudronnier préféreroit de rajuf
ter une chaudière pour fix fols , à réformer la
conftitution pour rien , qu'un bucheron ne laifferaitpas
ſes fagots pour faire des loix , & qu'un
filou aimeroit toujours mieux voler dans les
poches durant les élections , que d'y donner ſon
uffrage.
Il paſſe pour certain que M. de Saint-Saphorin
, Envoyé de Dannemarc à la Haye ,
a fait ici la demande d'une de nos Princeſſes
pour le Prince Royal de Dannemarc.
Le choix tombera , à ce qu'on aſſure fur
la Princeſſe Auguſte Sophie, fille puinée de
leurs Majestés : elle aura 16 ans au mois
de Novembre prochain ,& le Prince Royal
en a 17 .
Les partiſans modérés du Miniſtere
ont obſervé avec peine , l'eſpece d'emportementaveclequel
ilparoitpourſuivre M. Fox
( 117 )
& ſes adhérens . Si M. Pit: garde plus de
réſerve & de décence dans cette guerre
de paroles ; il n'en eſt pas de même de
divers autres membres de l'adminiſtration .
Les gens de loi ſurtout, ſe font remarquerpar
leurdureté. Si les circonstances ne permettent
pas de mettre de la meſure dans les hoftilités
légales , du moins devra t- on la conſerver
dans les procédés. M. Fox , il eſt vrai , ne
s'en eſt jamais piqué ; il n'a jamais cru
que les ménagemens entraſſent dans les devoirs
d'un Homme d'état; mais fon impétuoſité
naturelle rendoit plus excuſables ces
écarts de l'éloquence. Les Papiers publics
dévoués au Miniſtere , ſont remplis d'horreurs
dégoûtantes contre cet Orateur.
Ils ne ceffent de le comparer à Cromwell ;
mais celui- ci , ont dit les écrivains attachés à
M. Fox , fut- il un Orateur facile , élégant , univerſel?
Non; fut-il d'un caractere ouvert & mâle ?
plaiſant & fpirituel dans la converſation ? Non ;
inſenſible åſes proopprreess intérêts juſqu'à ſervir le
peuple au riſque de ſa ſanté,de ſon crédit&de ſon
pouvoir ? Sûrement non. Les adverſaires de M.
Fox , prenant le revers de cé parallele , conviennent
qu'il manque de juſteſſe; car , diſentils
, M. Fox est-il connu pour un brave & heureuxGénéral
eſt il la terreur de toute l'Europe ?
l'a - t -on jamais trouvé en prieres ? Ses cheveux
font- ils flottans ſans poudre ſur ſes épuales ? eſt-il
remarquable par latempérance ? eſt- ce un homme
d'une propriété parfaitement libre ? Non. En
quoi donc reſſembleroit il à Olivier Cromwell ?
Quoique les variations d'idés &de par(
118 )
tis, à force de ſe multiplier , ne ſe faffent
plus remarquer dans le Parlement , celles
de M. Fox paroiſſent l'emporter fur tous les
exemples de ce genre. On l'a vu pour &
contre la guerre d'Amérique; contre les intérêts
du peuple dans l'affaire de l'élection de
Midlefex , & revenir à ce même peuple
après avoir été diſgracié ; tour-à tour ami
chaud & ennemi déclaré de I.ord North ,
de Lord Shelburne , de M. Pitt ; foutenir
que la voix du peuple n'exiſtoit pas dans
l'enceinte des communes, & fixer enſuite
cette voix dans cette même enceinte, &c.
&c. &c.
Le Chevalier Elijah Empey, ci devant
chet de Juſtice dans le Bengale , eſt revenu
de l'Inde par ordre du Gouvernement, pour
rendre compte de ſa conduite , & M. Pitt
en a donné connoiſſance à la Chambre des
Communes.
Lord Chesterfield eſt reparti ſubitement
pour l'Eſpagne, départ auſſi inattendu que
fon retour , & dont on connoît auſſi peu
les motifs. C'eſt le Chevalier Harris , cidevant
Miniſtre de notre Cour à Petersbourg
, qui paſſe à la Haie; il ena fait ſes
remerciemens à S. M.
DE DUBLIN , le 30 Mai.
La Réponſe du Viceroi au diſcours du
Parlement étoitdans les termes ſuivans :
( 119 )
Milords& Meſſieurs ,je ſaiſis avec plaifir cette
occafion de vous témoigner ma reconnoiſſance
de la réception cordiale que vous m'avez faite ,
& de la confiance que vous m'avez accordée. Je
me félicite en méme- tems d'avoir à vous communiquer
de la part de S. M. ſa parfaite fatisfactiondevotre
conduite ſur tout ce qui concerne
le bien public.
Meſſieurs de la Chambre des Communes,
J'obéis avec joie aux ordres de S. M. qui me
commande de vous remercier du zele avec lequel
vous avez pourvu aux besoins de l'Etat ,
&coopéré à la gloire de ſon gouvernement. Qu'il
me ſoit permis , de mon côté , de vous aſſurer de
la plus grande attention de ma part , à ce que
l'économie & laprudence préſident à la perception
& à l'emploi des ſubſides que vous avez accordés
avec tant de loyauté.
Milords & Meſſieurs , vous ne pouvez qu'éprouver
la plus vive fatisfaction , en réfléchiſſant
que les différens objets ſoumis à votre conſeil
dès l'ouverture de cette ſeſſion , ſuivant le droit
d'un peuple libre, & qui fait ſes propres leix ,
ont été diſcutés , ſuivis & arrêtés avec la diligence
& l'attention qu'ils méritoient.
Vous avez fagementdonné votre ſanction aux
moyens extraordinaires que les circonstances exigeoient
, pour garantir ceRoyaume de la famine.
C'eſt avec un vifplaifir que j'enviſage que ce
fléau eſt éloigné pour l'avenir de cette contrée ,
& que c'eſt par la ſageſſe de vos nouveaux réglemens!
ſur les grains & les améliorations nombreuſes
que vous avez faites à votre agriculture ,
que vous êtes parvenus à le faire,
Je reſſens une vraie joie en voyant les effets de
ce principe hurmain & généreux , qui vous a
portés à encourager l'induſtrie nationale par les
( 120 ) :
réglemens les plus favorables & les reſtritions
les plus ſages. Je m'ai rien de plus à coeur que
l'augmentation de votre commerce , & le fuccés
de vos manufactures; je ne manquerai pas
de donner par la ſuite la plus grande attention
aux objets que les circonstances particulieres de
l'Etat n'ont point permis de rechercher ou d'approfondir
encore , & j'aurai le plus grand foin
qu'ils foient foumis à votre ſage diſcuſſion , avant
de faire aucun réglement .
Les réglemens utiles qu'on a propoſé d'introduire
dans la perception & l'emploi des revenus
publics; la sûreté des propriétés , & l'extenfion
da crédit national , en dépoſant dans la banque
d'Irlande les fonds en litige dans les Cours de la
Chancellerie ou de l'Echiquier ; les projets pour
l'embelliſſement de la Capitale ; votre réſolution
unanime de défendre la liberté de la conſtitution
contre les attaques de la licence , & vetre
zele à foutenir les inſtitutions charitables , font
des témoignages non équivoques de votre fa
geffe , de votre humanité &de votre juſtice.
Je n'ai pas manqué de porter au pied du
Trône la fatisfaction que vous avez hautement
annoncé des avantages dont vous jouiſſez ſous
le gouvernement de Sa Majeſté. Senfibles , comme
vous l'êtes . à ces avantages , jen'ai pas beſoinde
ſouhaiter que vous faffiez vos efforts pour
communiquer aux autres les ſentimens qui vous
animent. La ſupériorité de vos lumieres & de
votre rang ne peut manquer de vous donner
l'influence la plus étendue & la mieux méritée.
J'ai une ferme confiance que , pendant votre
ſéjour dans les provinces , vous n'oublierez rien
pour encourager l'induſtrie deYOS voiſins , &la
diriger fur les objets qui conviennent le mieux à
leur fituation & au bien général de l'Irlande ;
VOUS
( 121 )
Vous mettrez à leur portée toutes les reſſources
d'un pays libre& fertile , favorisé des avantages
de la paix , & protégé par les loix les plus douces;
vous ne fouffrirez pas que des craintes mal
fondées les arrêtent , ou que de mauvais conſeils
Les égarent.
- Je mets menbonheur à penſer , & je m'enorgueillis
en réfléchiſſant que nos efforts communs
ont été & ſont dirigés vers les mêmes
objets : le maintien & l'avancement de vos droits ,
la dignité 5 la prospérité de l'Irlande , & le bien
général de l'Empire Britannique.
. Cette femaine , doit avoir lieu une aſſemblée
générale des Nobles , du Clergé & des
Bourgeois & Francs-Tenanciers de cette
Ville. On y dreſſera une requête au Roi ,
pour demander à S. M. une réforme qui
répartiſſe avec plus d'égalité les repréſentans
du Peuple en Parlement. Cette pétition ,
dit-on , ſera ſuivie de celles de toutes les
autres Villes du Royaume. Tout le monde,
ajoutent les Feuilles publiques , excepté les
monopoliſtes , corrupteurs des Bourgs &
leurs vils partiſans , ne fait qu'un voeu pour
cette réforme. Si les Miniſtres de laGrande-
Bretagne perfuadent au Roi de rejetter les
repréſentations de la Nation Irlandoiſe , le
peuple de ce Royaume ne devra plus avoir
de confiance en aucun des Membres de
l'Administration Britannique , & fera luimême
la justice que le Roi & ſes Miniſtres
lui refuſent.
Samedi dernier , M. Andreas , qui a été long
temps détenu en priſon , ſur l'accuſation dont
Nº. 25 , 19 Juin 1784. f
( 122 )
on l'a chargé , d'avoir conſpiré l'aſſaſſinat de
pluſieurs Membres du Parlement , a été amené
devant la Cour du banc du Roi (Kinsbench) ,
où l'on a pleinement délibéré des deux parts fa
décharge . Le Lord Earlsfort & une majorité de
ſes confreres , ont conclu en faveur des privileges
conftitutionnels dont il appartenoit à Mardren
de jouit , & en conféquence l'on a admis
lacaution,
Un vaiſſeau arrivé à Corck de Gibraltar , a
rapporté les dérails ſuivans :
La frégate la Thétis , de 38 canons , eſt arrivée
d'une croifiere le 2 de ce mois. Le Thrusty ,
monté par le Commodore , eſt toujours mouillé
dans la Baye. Le Orpheus & le Kingo-Fisher ont
mis à la voile pour différentes croifieres. Le
San - Sarmento , frégate eſpagnole de vingtquatre
canons , venant de Barcelonne à Cad.x ,
&commandée par Don Juan Sauride , a été atraquée
par deux corſaires de 16 canons , qui ont
hiffé pavillon maroquin , quoiqu'on les ſoupçonne
d'être algériens. Pendant l'action , qui
dura une heure de tems , les pirates tenterent
deux fois l'abordage ſur les frégates. Mais l'un
d'eux ayant perdu ſon grand mát , & le vent
étant devenu favorable , la frégate parvint à ſe
dégager , & fit voile pour cette Baye , toujours
pourſuivie par les corſaires , juſqu'à la Baye de
Rozia , où le canon du fort les obligea de l'abandonner.
Les Eſpagnols ont eu 14 hommes de
tues , & 15 dangereuſement bleſſés , qu'on a dé
barquês à terre pour être mis à l'hôpital de cetre
ville. On a donné avis á Cadix de cette action
par la voie d'Algéfire , & le San-Sarmento eft
en radoub à la Baye de Rozią.
T
( 123 )
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 13 Juin.
Le 6 de ce mois , le Comte de Choiſeul-
Gouffier , que le Roi avoit précédemment
nommé fon Ambaſſadeur à la Porte , a eu
l'honneur de prendre congé de Sa Majeſté ,
pour ſe rendre à ſa deſtination , lui étant
préſenté par le Comte de Vergennes , Chef
du Conſeil royal des finances , Miniſtre &
Secrétaire d'Etat ayant le département des
Affaires étrangeres.
Ce jour , la Comteſſe d'Aranda , Ambafſadrice
d'Eſpagne , fut préſentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille Royale avec les
formalités accoutumées.
Le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres , & Grand Tréſorier des Ordres
duRoi , ayant prié Sa Majefſté d'agréer
ſa démiſion de cette derniere charge , le
Roi en a difpofé en faveur du ſieur de Calonne
, Miniſtre d'Etat , Contrôleur général
des finances , qui, en cette qualité , a prête,
le 13 de ce mois , ferment entre les mains
de Sa Majeſté.
DE PARIS , le 15 Juin .
M. le Comte de Haga eſt arrivé le 7 à
Verſailles. De Gênes ce Prince eſt venu par
mer en Provence , & fans s'arrêter à Tou
f 2
( 124 )
Ion , ni à Marseille , il s'eſt rendu dans cette
Capitale , où il étoit attendu quelques jours
plus tard. Le Roi qui étoit à la chaſſe à Rambouillet
, & qui devoit y ſouper , revint à
Verſailles , où il précéda d'une demie heure
M. le Comte de Haga. Ce Prince a aſſiſté
aux trois grands Spectacles de la Capitale ,
&ne prolongera pas ſon ſéjour ici , felon le
bruit public , au delà du 22 .
La Méduse , ancienne frégate du Roi ,
donnée à M. de Grand Clos Melé pour le
commerce de l'Inde , & la Driade font revenues
de la Chine. Elles ont laiſſé àCanton
41 bâtimens tant François , qu'Anglois ,
Hollandois , Danois , &c. &c . Cette concurrence
avoit fait renchérir le thé au-deſſus du
prix commun des marchés de l'Orient. On
craint que les Actionnaires ne perdent 40
pour cent de leur miſe dans cette entrepriſe,
excepté ceux qui ont placé à la groſſe. L'énorme
quantité de thé dont l'Europe va être
furchargée, fera ouvrir les magaſins Hollandois
&Danois , & baiſſer la valeur de cette
feuille.
- M. le Comte d'Estaing a fait préſent à
M. le Bailli de Suffren d'un trophée en
bronze doré d'or moulu , dont la pendule
n'eſt que l'acceſſoire. Le Trophée eſt analogue
aux belles actions de M. de Suffren
dans l'Inde. On lui a fait ce beau préſent à
Verſailles , au moment où il fut reçu Chevalier
des Ordres. On afſſure que le Landgrave
de Heffe-Caffel , qui a quitté ſa réſi(
125 )
ce mois , ne tardera pas à arri- dence le 2de
ver dans cette Capitale.
On a affecté d'inférer dans différentes Ga
zettes & Papiers publics , des articles tendans
à perfuader que pluſieurs perfonnes avoient
péri dans le traitement électrique des ſieurs
Ledru , & que d'autres y avoient éprouvé
des accidens graves. On peut aſſurer , d'après
la vérification la plus exacte , que tout
ce qui a été dit à cet égard dans ces Ecrits
périodiques , eſt entierement ſuppoſée
Il paroît des Lettres-Patentes enregiſtrées
au Parlement le 27 du mois de Mai , por
tant fuppreffion des Echoppes de cette ville.
Depuis long temps , le Public defiroit cette
fuppreffion on ne peut qu'applaudir à la
ſageſſe de la Police à cet égard , d'autant
plus qu'en remédiant aux inconvéniens de
ces conſtructions , elle a ménagé, autant que
cela ſe pouvoit , les intérêts des propriécaires.
Dans un inſtant où les ſyſtêmes de la
Phyſique du jour , occupent tous les eſprits ,
on ne verra pas avec indifférence la Lettre
ſuivante , au ſujet des phénomenes météorologiques
de l'année derniere , expliqués f
diverſement .
L'uſage de propoſer des ſyſtêmes nouveaux ,
fans qu'un nombre d'expériences & de faits en
établiſſent l'évidence , ſemble prévaloir aujourd'hui
le goût de la nouveauté, qui eſt devenu
la manie de notre fiecle , a paffé des atteliers
dés artiſans dans les cabinets des ſçavans ; &
f3
( 126 )
cas derniers s'enflamment pour tout ce qui en
porte l'empreinte , jusqu'à vouloir faire plier
ſous l'empire dangereux de leurs opinions nouvelles
les faits les plus propres àles détruire .
Pour justifier mon aſſertion, voici un abrégé
du ſyſteme nouveau annoncé dans le Journal de
Paris , du 6 Avril; au ſujet des chaleurs , du
brouillard , des orages de l'année derniere , &
du froid exceffif quileur a fuccédé.
«L'harmonie de toutes les parties du globe ,
>> ſuivant les Auteurs du Journal , confiſte dans
>> une égale répartition du fluide électrique ,
entre les couches inférieures de l'Atmosphere
>& les couches fupérieures de la Terre.... La
>> conſtitution des années qui ont précédé 1783,
>> n'a pas peu contribué àdéranger cette égale
répartition. Ces années ont été remarquables
>> ou par une féchereffe extrême , ou par un
partage très-inégal dans la chute des pluies....
Les vents du Nord ont produit une évapo-
>> ration forcée ; en épuiſant ainſi la terre de
>>> ſon humidité , ils ont ſupprimé la cauſe des
>> météores aqueux; & plus de météores aqueux,
plus de conducteurs du fluide électrique ,
>> plus de moyens par conféquent de l'éparpiller
>> & de le répandre.... La voie de circulation
>> de ce fluide , ainſi interceptée entre laTerre
>> & l'Atmosphere , il a été forcé de ſe refugier
>> aux extrémités ,& y a préparé la convulfion
>> du globe .... Sa premiere criſe s'eſt manifeſtée
>> par le bouleverſement de la malheureuſe Calabre.
La ſeconde criſe aſuivi de près la pre-
>> miere , elle s'eſt annoncée par un brouillard
>> électrique qui a couvert l'Europe entiere , &
>> ne s'eſt conſumé que parune ſucceſſion rapide
>> des orages incendiés qui ſe ſont formés dans
>> ſon ſein,& ont duré depuis le mois de Juilles
( 127 )
> juſqu'à la fin d'Octobre... ; alors a commencé
>> la troiſiente criſe qui n'eſt pas encore finie ....
>> Cette criſe eſt un état de congélation ex-
>> traordinaire pour les endroits où il ne s'eſt
>> point fait d'accumulation de ce fluide ; &
>> de-là font venus les neiges , les frimats , &
>> enfin le froid rigoureux & conſtant que nous
>> venons d'éprouver » ....
Voilà donc l'électricité devenue tout- à- la- fois.
la cauſe de deux effets contraires , le froid & le
chaud. Déſormais , l'électricité ainſi que l'air
inflammable & le magnétiſme animal , ſera le
ſeul pivot, fur lequel rouleront tous les Phénomenes
de phyſique & d'économie animale. Ces
trois principes circonfcriront à l'avenir le cercle
de toutes nos idées , au point qu'il ne nous fera
plus permis d'aller chercher ailleurs les caufes
des nouvelles révolutions du Globe.
Je ſçais que l'électricité eſt un des anneaux
importans de la chaîne des cauſes; mais je fçais
auſſi que prétendre tout expliquer par ce principe
, c'eſt reſſembler à un malade attaqué de la
jauniffe, & qui tranſporte à tout ce qu'il voit
Ja couleur dont ſon organe eſt teinte.
La nature eſt conſtante & uniforme dans ſa
marche , elle produit toujours les mêmes effets
par les mêmes cauſes. C'eſt là un principe contre
lequel , malgré le goût dominant de la nouveauté
, on n'a pas encore ofé former aucun
doute. C'eſt donc ce principe qui doit ſervir de
baſe à la réfutation du ſyſtème dont il s'agit.
1º. Les conſtitutions des années qui ont pré
cédé celle de 1783 , ont été fréquemment les
mêmes dans des temps antérieurs . Souvent &
très-ſouvent il y a eu des années de ſéchereſſe
extrême , un partage très-inégal dans la chute
des pluies; ſouvent une évaporation forcée de
f 4
( 128 )
J'humidité de la terre , a occaſionné le defféchement
des puits , le tariſſement des ſources &
un abaiffement prodigieux des rivieres ; ſouvent
des vents du Nord ont defféché la rerre , lui
ont ôté fon état d'aggrégation , & ſe ſont oppoſé
par-là à la formation des météores aqueux.
Le fluide électrique, alors privé de ſes conduczeurs
, auroit donc dû , dans ces temps qui nous
ont précédés , comme dans celui dont on parle ,
ſe retirer aux extrêmités du Globe , s'enfoncer
dans les entralles de la Terre , y préparer des
révolutions ſemblables à celles du déſaſtre de la
Calabre , y former des iſtes volcaniques pareilles
celles nouvellement forties du ſein des mers
de l'Iſlande. Cependant aucun de ces effets ,
malgré la coexiſtence de leurs cauſes génératrices
,n'a été produit. On n'a point vu la mer
s'élever alors de ſon lit immenſe , des villes
renverſées , des montagnes fendues , cranſportées,
des Provinces entieres englouties , des Contrées
immenfes arrachées du Continent , de vaſtes pays
abymés , d'autres découverts & mis à fec. Le
fluide électrique auroit il donc eu alors moius
d'énergie qu'aujourd'hui , lorſque les caufes qui
durent le concentrer dans les entrailtes de la
terre , étoient alors elles- mêmes plus efficaces &
plus abondantes ?
2°. On fait que les hivers de 1709 , 1740 ,
1776, ont été plus rigoureux , quoique moins
longs que celui que nous venons d'éprouver. La
congélation extraordinaire arrivée à ces trois
différentes époques , dut alors être l'effet , comme
aujourd'hui , d'une accumulation du fluide électrique,
de ſa répartition inégale dans l'air & fur
la terre ; il auroit donc dû alors , comme aujourd'hui
. préparer les mêmes convulfions , produire
les mêmes criſes ,renverſer des royaumes ,
( 129 )
en faire paroître de nouveaux. Rien de tout
cela cependant n'a précédé les hivers dont nous
parlons ; le Globe & l'Atmosphere n'eurent
aucun de ces accès qu'il plaît aux Auteurs du
ſyſtème d'appeller des crifes falutaires .
3°. L'Europe eſt à peine revenue de la frayeur
que lui a cauſée l'affreuſe catastrophe de la Capitale
du Portugal , le rer. Novembre 1755 ,
Lisbonne fut preſque totalement renverfée par
un tremblement de terre , qui ſe fit ſentir le
mêmejour juſqu'aux extrémités de l'Europe. Ce
déſaſtre affreux fut accompagné d'un ſoulevement
prodigieux des eauxde la mer , qui furent portées
avec violence ſur toutes les côtes occidentales
de notre Continent.
L'Amérique même ne fut point exempte de
ees triſtes ravages ; puiſque , vers ce temps là ,
la ville de Quito fut renverſée.
Juſqu'ici on avoit attribué ces commotions
aux commotions inteſtines duGlobe , produites
par l'action de l'air , de l'eau & du feu , ſur les
matieres inflammables accumulées dans le fein
de la terre. Aujourd'hui de nouveaux Phyficiens
viennent nous dire Apprenez que ces révolutions
qui vous étonnent , font l'effet ſimple ,
naturel & même falutaire d'un fluide électrique
qui , ayant perdu ſes conducteurs , ſes voies de
communication entre la ſurface de la Terre &
Atmosphere , s'eſt refugié aux Pôles & y a
opéré ces convulfions qui jettent dans vos ames
la terreur & l'épouvante ..
,
Si la catastrophe de Lisbonne fut. l'effet du
fluide électrique refugié aux extrêmités du Pôle ,
au moins ne peut - on pas dire qu'en 1755
ce fluide ſe concentra dans les entrailles de la
serre, pour avoir perdu ſcs conducteurs. Il y eur
fs
(130 )
dans les années qui précéderent la révolution
du Portugal , plus de météores aqueux qu'on
n'en vit jamais. Les conſtitutions de ces années
furent abtolument différentes de celles qui ont
précédé 1783 ; il n'y eut , dans ce temps- là , ni
féchereſſe extrême , ni partage inégal dans la
chute des pluies Le refoulement du fluide électrique
aux Pôles auroit donc eu , en 1755 , une
cauſe contraire à celle de 1783. Cette contradiction
dans les caufes n'établit pas un préjugé
favorable pour la nouvelle opinion.
Les bornes d'une lettre ne me permettent pas ,
Meſſieurs , de m'étendre ici ſur toutes les autres
raiſons qui doivent faire refuſer au fluide électrique
la puiſſance qu'on lui ſuppoſe, de produire
les événemens extraordinaires dont nous
avons été les témoins : les météores aqueux ſe.
rent, ff on le veut , les conducteurs qui feront
alternativement paſſer ce fluide de la ſurface du
Globe aux couches inférieures de l'Atmoſphere ;
mais cettevoie de communication nepeutjamais
être interceptée par la ſuppreſſion des météores ;
au point de forcer ce fluide àſe concentrer dans
les entrailles de la Terre , ou dans les Régions
les plus élevées de l'Atmosphere. Si toure cette
théorie lumineuse est en effet d'un Auteur habitué
à confidérer la nature en grand , comme le diſent
lesAuteurs du Journal, on doit donnerle confeil
au Phyficien , Obfervateur en grand, de ſe défier
des illufions d'optique , qui ſont d'autant plus
fréquentes , que l'angle , ſous lequel on voit les
objets , eſt plus ouvert.
Tout en avouant mon ignorance , Meffieurs ,
fur les véritables cauſes des événemens qu'on a
prétendu expliquer par le fluide électrique , on
n'enpourroit rien conclure en faveurde l'opinion
que je viens de combattre ; cependant après
( 131 )
avoir détruit , il faut élever. Voici donc mon
opinion , dont je ſoumets la juſteſſe au jugement
même de ceux qui ont un ſentiment différent .
Le bouleverſement de la Calabre me paroît
être la ſeule cauſe ſimple & naturelle , 1º. de
ce brouillard qu'on appelle électrique , qui pen
dant trois mois aſervi de rideau à toute l'Europe;
2°. de ces chaleurs exceſſives qui l'ont
accompagné ; 3. des orages affreux qui ſuivirent
ſa diſſolution ; 4°. enfin du froid exceffif qui a
terminé la ſuite de cette criſe. Voici les raiſons
qui ſemblentdonner du poids à cette opinion.
On fait que le feu , l'air & l'eau , ces agens
les plus puiſſans de la nature, exercent particuliérement
leur action dans l'intérieur de notre
globe ; que ces couches immenfes de charbon
de terre , d'amas de bitume , de ſoufre , d'alun ,
de pyrites , font des matieres ſur leſquelles ces
agens univerſels exercent leurs forces ; que ces
matieres combustibles , réunies en un même
foyer & diſpoſées à l'inflammation , cherchent
alors une iſſue , & font effort en tous ſens pour
s'ouvrir un paſſage; que toutes les fois que ces
embraſemens s'operent , la face du globe éprouveroit
les changemens les plus faneſtes , ſi la
nature , qui met toujours le bien à côté du mal ,
n'eût donné à ces matieres embraſées un paſſage
propre à rallentir les fermentations intérieures .
Ces iſſues ſont les volcans placés dans toutes
les parties du globle , mais particulièrement
dans les climats les plus chauds , où ces fermentations
ſont plus fréquentes. Ces volcans
font les ſoupiraux de la terre , les cheminées.
par leſquelles elle ſe débarraſſe des matieres
embraſées qui dévorent ſon ſein . Ces cheminées
fourniſlent un libre paſſage à l'air & à l'eau qui
ont été mis en expansion par les fourneaux qui
f6
(132 )
font à leurbaſe. Ces volcans , loin d'être envifagés
comme un malheurde la nature , fontdonc
un de ſes bienfaits , puiſqu'ils fourniffent au
feu & à l'air un libre paſſage qui les empêche de
porter leurs ravages au-delàde certaines bornes ,
&de bouleverſer totalement la furface duglobe.
Plus ces fermentations tardent à ſe manifefzer,
plus alors les pays qu'elles avoiſinent font
menacésd'une ſecouſſe violente. Les matieres enflammées
s'accumulent avec d'autant plusd'abondance
que ces éruptions ſont moins fréquentes ;
& lorſqu'enfin l'air , l'eau & le feu viennent à
agir puiſſamment , le volcan ne devient plus
te ſeul ſoupirailde ces fermentations ; les terres
voiſines contre leſquelles l'embraſement fait
effort, en deviennent avec le volcan lesbouches
communes. Telle a été la cauſe de l'éruption qui
a englouti la Calabre.
Depuis long-tems les éruptions de l'Etna &
du Véſuve avoient été foibles & lentes , les
ifſues ordinaires devenues inſuffiſantes pour les
exploſions , les pays voiſins ont dû y ſuppléer
&participer dès-lors à la ſubverſion. Voilà la
premiere époque de cet événement mémorable..
Cette explofion n'a pu ſe faire fans que de
toutes ces matieres enflammées , les parties les
plus déliées ne ſe ſoient répandues dans l'atmofphere,
& n'aient perdu de leur denſité à meſure
qu'elles ont acquis de l'expanfion. Ces matieres
ainſi volatiliſées , mêlées avec celles que le volcan
a continué de vomir après få premiere explofſion,
ont dû ſuffire pour répandre ſur toute
'Europe un nuage de ſoufre qui a dû donner au
foleil & à l'atmoſphere une teinte rouge. Ce
nuage , devenu cauſe ſurabondante de chaleur
dans l'air , adû y augmenter l'action du feu élec
(133 )
trique , & occaſionner des- lors des chaleurs ex
ceffives , des orages violens ; c'eſt là la cauſedu
ſecond état du ciel, depuis le mois de Juillet
juſqu'en Octobre 1783 .
Enfin les vents du nord , éminemment doués
en effet d'une vertu diſſolvante , ſont venus purger
l'atmosphere de ce nuage malfaiſant , mais
c'eſt en y opérant une congélation exceſſive ,
c'eſt en y diminuant le fluide électrique , c'eſt
enyapportant les principes propres à opérer une
congelation. Voilà la cauſe du rigoureux hiver
qui , au tems où j'écris , ne paroît pas encore à
fon terme.
Si le témoignage de l'hiſtoire peut donner
un nouveau poids à mon opinion , je puis invo
quer ſon autorité avec avantage.
Tite Live nous rapporte que ſous les Confulats
de C. Martius & de T. Manlius Torquatus , il y :
eut des embraſemens du Véſuve dont les exhalaiſons
furent affez épaiſſes pour dérober la lumiere
pendant le jour aux habitans de Rome ,
& nox vifa eft interdiu in urbe Roma .... Dion
rapporte que lors d'un autre fameux embraſement
du Véſuve , arrivé ſous l'Empereur Verpafien
, le vent porta les cendres & la fumée que
vomiſſoit cette montagne , non-feulement jufqu'à
Rome , mais même juſqu'en Egypte .....
La chronique du C. Marcellin obſerve que ſous
le Conſulat de Marius &de Feſtus , cette même
montagne s'étant embraſée , les cendres qui en
ſortirent ſe répandirent par toute l Europe ...
Dans l'embraſement du mont Etna , arrivé en
1537 , la cendre fut portée à plus de 200 licues
de la Sicile , ſuivant l'hiſtoire de ce Royaume,&c.
L'Abbé TABOUET, Avocat,
Le 8 de Mai dernier , l'Académie Royale
des Sciences a élu M. Quatremere d'Isjon(
134 )
val , pour la place de Chymiſte , vacante
par la mort de M. Macquer.
On écrit d'Aix qu'une Demoiselle du nom
de *** , mariée à M. *** le fils , Préſident au
Parlement , a été trouvée égorgée dans ſon lit :
elle étoit fort jolie , & n'avoit pas 24 ans. Comme
il n'a manqué que fa bourſe , & qu'on n'a
point touché à ſes bijoux , ni à ſes diamans
ſoupçonne que des voleurs n'ont pas commis cet
attentat. Les domeſtiques & ſa femme de chanbre
ſe ſont rendus d'eux-mêmes en priſon.
,
on
Les Juin', vers midi & demie , le village de
Belloy-fur-Somme, firué ſur la route d'Amiens
à Abbeville , a eſſuyé le plus terrible incendie.
En moins des quarts d'heure , le Presbytere ,
l'Egliſe avec tous les effets qu'ils renfermoient ,
& 158 maiſons , avec tous les bâtimens en dépendans
, ont été dévorés par les flammes. II
n'eſt reſté que quinze maiſons aux différentes
extrémités du village , diſpoſées de maniere
qu'elles paroiffoient n'y être placées que pour
marquer la circonſcription. Le village entier eft
un champ : les habitans , au nombre de 8 à
900 , n'ont pu fauver qu'une partie de leurs
beftiaux , & ſe ſont diſperſés dans les villages
circonvoiſins. Ils font d'autant plus dignes de
compaffion & de ſecours , qu'ils ont effuyé dans
les premiers mois de cette année des ravages de
volcans , une maladie épidémique , qui a enlevé
uu très grand nombre de chefs de famille , &
qui avoient déja dévaſté ce malheureux pays en
1776.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 31 , 11 , 16 ,
17 , & 2 .
( 135 )
DE BRUXELLES , le 10 Juin:
On ne fait ſur quel fondement on avoit
publié que la France alloit ouvrir un emprunt
de quatre - vingt millions en Hollande.
Il y a d'autant plus lieu de s'étonner
qu'on en ait répandu le bruit, que le cours
des effets publics de ce Royaume , l'abondance
du Numéraire , & la grande exactitude
des paiemens n'y annoncent aucun
beſoin.
Dans le Nº. précédent , nous avions parlé
des projets de liberté , & des démarches
de la Bourgeoiſie d'Utrecht. Cette effervefcence
paroît avoir allarmé les Etats de la
Province , qui en conféquence ont rendu la
publication ſuivante le 30 Mai.
Les Députés des Etats du pays d'Utrecht ,
ayant appris avec autant de regret que de mécontentement
, que l'eſprit de diviſion parmi les
habitant de cette Ville & du plat pays augmente
deplus en plus , &qu'il eſt à craindre que ſi la
licencequi commence àſe manifeſter à cet égard
n'eſt réprimée par l'exercice d'une juſtice rigoureuſe
, il en pourroit réſulter les ſuites les
plus pernicieuſes pour le repos public ; afin d'y
pourvoir , trouvent bon d'avertir un chacun de
ſe conduire comme il convient à de paiſibles
&tranquilles habitans avec déférence & refpect
pour la Régence légitime de ce pays , &
de ſe garder de donner quelque occafion au dérangement
du repos & union parmi les habitans
.
,
( 136 )
Défendant à cette fin , de la maniere la plus
férieuſe , à un chacun , de s'inſulter ou attaquer
par des paroles ou des faits , foit en ſe donnant
des noms injurieux , leſquels démontrent quelque
eſprit de parti : défendant auſſi ſans aucune acception,
les cris ſéditieux ou offenfans , lesprovocations
, les menaces ; comme auffi de tirer ou
montrer des armes ſur les chemins , rues , places
publiques ou ailleurs ; enfin toute contrainte ,
infulte , ou voie de fait envers qui que ce ſoit.
-Défendant également les affemblées non
convenables , les conciliabules , & en général
tout difcours offenfant pour la Régence légitime
du pays . Et afin de prévenir toutes diftinctions
lesquelles donnent lieu à des inſultes , nous
défendons de même à tous les habitans du plat
pays de cette Province de porter aucune marque.
distinctive de couleur quelconque qui puiſſe les
diftinguer des autres habitans , ou à démontrer
quelque parti : le tout fous peine de punition arbitraire
ſuivant l'exigence des cas , & même de
punition corporelle. Et afin que perſonne n'en
puiſſe prétendre cauſe d'ignorance , la préſente
fera affichée & publiée par- tout où beſoin ſera ,
&c. & c. &c.
Le 28 de Mai , M. le Duc de laVauguyon
prit congé des Erats - Généraux , en leur
adreſſant le Difcours ſuivant.
Hauts & Puiffans Seigneurs. Je viens m'acquitterdu
devoir , qui me reſte à remplir auprès
deVos Hautes Puiſſance. La Lettre de S. M. , que
Jai Phonneur de leur remettre, leur fera connoitre
la fatisfaction , qu'elle a daigné avoir de
l'ambaffade , qu'elle a bien voulu me confier ;
&elle leur offrira en même temps une nouvelle
preuve des ſentimens , dont j'ai eu le bonheur
(137 )
d'être ſi ſouvent l'organe. S. M. m'ordonne ,
en terminant ma carriere auprès de V. H. P. ,
de leur témoigner , de la maniere la plus expref.
five, la perſévérance de ſon Amitié & de fon
intérêt pour elles. Je me féliciterai toute
ma vie , HH. & PP. SS. , d'avoir vu , pendant
la durée de ma Miſſion , ſe former ,
s'étendre , & fe cimenter le ſyſtème d'une confiance
mutuelle entre S. M. & V. H. P. , qui
doit devenir la fource de la proſpérité de la
république , & la baſe de l'union de tous ſes
membres . J'éprouvai de tous les temps la plus
ſenſible fatisfaction , en apprenant que Vos
Hautes Puiſſances recueillent ces fruits précieux
dela ſageſſede leurs délibérations ; &je me flatte ,
qu'elles voudront bien être perfuadées , que ma
nouvelle deſtination , en donnant un terme à
mes fonctions auprès d'elles , ne fauroit mettre
de bornes aux voeux ardents , que je ne cefferai
de faire pour leur bonheur & leur gloire ,
ni au ſouvenir des témoignages d'eſtime , qu'elles
m'ont accordés , & dont je conſerverai à jamais
la plus vive reconnoiſſance,
A ce diſcours le Baron de Lynden , Seigneurde
Hemmen, qui préſidoit à l'Affemblée
de Leurs Hautes Puiſſances de la part
de la Province de Gueldre , répondit en ces
termes :
Monſeigneur l'Ambaſſadeur , LL. HH. PP. ,
ſenſibles à toutes les bontés du Roi , dont vous
avez bien voulu renouveller les aſſurances , m'ont
chargé de témoigner à Votre Excellence leur
fincere regret de ſon depart . Elles auroient fouhaité
( & permettez que j'oſe y ajouter mes
propres voeux ) qu'elle eût pu continuer encore
pourquelque temps les fonctions de ſon minif
( 138 )
tere auprès d'elles: Mais, le ſervice , de S. M.
exigeant vos foins ailleurs, elles vous ſouhaitent
unbon & heureux voyage , en vous priant de
vouloir donner de leur part à S. M. les affurances
les plus poſitives de leur déſir conſtantà donner
des preuves non équivoques de leur reconnoif
ſance pour les bienfaits du Roi , qui ſe ſont cant
manifeſté dans le besoin , & dont un traité,
fondé ſur le bonheur des deux Nations va
être la baſe. Elle ſe flattent , que vous voudrez
bien , quoiqu'abſent d'ici , continuer vos bons
offices pour conſolider une union , qui eft votre
ouvrage , & qui , ſelon les defirs de LL. Hн.
PP., fera la fource de la prospérité des deux
Nations.
,
Leurs Hautes puiſſances avoient chargé
leurs Miniſtres à Bruxelles d'une déclaration
proviſionnelle auprès du Gouvernement des
Pays-Bas. Ellesy témoignoient leur ſurpriſe
des nouvelles demandes de S. M. I. en annonçant
qu'elles alloient travailler à en examiner
l'objet. Il s'eſt répandu , mais fans fondement
encore , que cette démarche n'a pas
eu l'effet defiré, & qu'au préalable la Courde
Bruxelles a perſiſté dans ſes prétentions .
Le projet de l'affranchiſſement de l'Eſcaut
a allarmé tous les corps de l'Etat. Les Amirautés
, à ce qu'on dit , ont remis des Mémoires
à L. H. P. , pour leur repréſenter le
tort infini qui en réſulteroit pour la République.
Il eſt certain qu'elle fera croifer quelques
vaiſſeaux de guerre à l'embouchure de
l'Efcaut, pendant toute la durée des Conférences,
( 139 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Mademoiselle Macaulay , connue par une hiftoire
d'Angleterre aſſez eſtimée , malgré l'eſprit
de parti & l'emportement qui y dominent , va
partir pour les Etats-Unis : elle ſe flatte , diton
, d'y être Légiflatrice de ces contrées , &d'y
trouver plus de foi à ſes rêveries démocratiques
qu'on n'a voulu lui en accorder en Angleterre.
Tous les papiers Irlandois ont rapporté le fait
ſuivant : « Le Rouffeau , Capitaine Simpfon ,
chargé d'hommes , femmes & enfans émigrans
3> de ce pays - ci , eſt arrivé à Charlestown ; ſa
>> cargaiſon a été miſe envente. Une très-jolie
>> fille , nommée Nancy , a été achetée , dès la
>> premiere heure , à très bon prix. Son pere ,
>> fa mere & fa soeur furent vendus peu de temps
après : le frere , âgé de 12 ans , a eu lemême ככ
fort ».
L'intérêt que notre Monarque , écrit-on de
Naples , prend au ſuccès de l'expédition de notre
Eſcadre , ne fauroit ſe rendre. Pendant quatre
jours confécutifs , il s'eſt tranſporté à bord de
tous les vaiſſeaux où il a paffé la journée entiere
, dînant avec les premiers Officiers & encourageant
tous les Soldats. Avant- hier il ſe
tranſporta de nouveau à bord , accompagné de
la Reine. Leurs Majeſtés furent reçues au bruit
d'une double ſalve d'Artillerie; le Roi ſe rendit
enſuite à la maison de plaiſance du Feu Prince
de Francavilla , où il dina avec les Officiers de
l'Eſcadre ; & après le diner , il retourna à bord
avec le Prince héréditaire. Hier au foir , ΓΕΩ
cadre , après avoir fait les ſignaux accoutumés ,
appareilla : elle eſt commandée , comme on l'a
( 140 )
dit , par le Capitaine Bologna , qui a reçu ordre
de n'ouvrir ſes inftructions qu'à une certaine
diſtance en mer . On prétend que l'Eſcadre va
à Cartagene , pour s'y joindre à l'Eſcadre Efpagnole.
Les troupes embarquées fur cette Ef
cadre , confiftent, en un bataillon de troupes de
la marine , deux cens Grenadiers , Liparotes &
autres troupes . Les côtes de la Sicile feront protégées
contre les Barbareſques par les quatre
galeres de S M. , leſquelles ſont reſtées ici ,
& qui ſont prêtes à mettre à la voile au premier
ordre.
C
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
PARLEMENT DE PARIS.
Cause entre la Dame le Rafle de Vileneuvre &la
SieurB.... Curé de V
5
V.... S.... B....
Le Juge de Glize eft compétent pour connoître
des délits communs , commis par les Ecclefiaftiques
; & prononcer les réparations qu'ils exigent.
Le fieur B.... Curé de V.... .... ....
avoit ſuſcité différens procès aux ſieur & Dame
le Rafle de Villeneuve , qui avoient tourné à
fon déſavantage.-Ce mauvais ſuccès l'irrita de
plus en plus , & charitablement il chercha à
s'en venger. La Dame de Villeneuve avoit cou
tume de ſe placer dans la nef de l'égliſe , au bas
de la balustrade , près l'autel dédié à la fainte
Vierge , la baluſtrade lui ſervoit à s'appuyer , &
à poſer ſes livres.= Le Curé, en faiſant la cét
(1) On foufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſt de 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocat, rue
& Hôtel de Serpente,
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles ,
les Causes célèbres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDI I ΜΑΙ 1784.
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ;
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
PIÈCES FUGITIVES.
Versfur un Legs connu ,
TABLE
Du mois de Mai 1784 .
3
Héritière , premier Extrait ,
103
Sur le Parterre debout de la Suite d'expériences faites avec
Comédie Italienne ,
l'Eau Médicinale , 111
4
Portrait d'Aglaure,
La Piqûre d'Epingle ,
49 Chimène & Rodrigue , Opéra ,
SI 114
LePapillon & le Lys, Fable, 52 Cuvres Complettes d'Homère,
▲M. Pannelierd'Annel , 13 122
Epitaphe d'un Gentilhomme ,
55
Cecilia , qu Mémoires d'une
Héritière , fecond Extrait ,
Epître à Madame ***
Vers àM. de
, 97
152
Courte Mémoire d'un Amanı ,
Chanfon Bachique ,
Epitre àScarron , 148
Quatrain
Quatrain.
laHarpe, 99 Recueil de Plaidoyers , &e.
Julie ou le Triple Choix , 145 Variétés ,
150 Concert Spirituel , 33, 82,176
Charades , Enigmes & Logo- Acad. Roy. de Musique , 126
gryphes : 9,56 , 101 , 150 Comédie Françoise , 36 , 84,
Loix Pénales ,
NOUVELLES LITTÉR. 128 , 181
10 Comédie Italienne , 86, 152 ,
184
58 Annonces &Notices , 42 , 89 ,
137, 185
Finde i' Extrait de laMonarchieFrançoise
,
Cécilia,qu Mémoires d'une
161
100 Idéedu Mande , 173
25
146 Académie Françoise , So
SPECTACLES.
AParis , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , True de la Harpe , près S. Come.
Compl. sets
7-10-
24009
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI I MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
MADRIGAL.
Mon premier Soupir.
Tor, la gloire &l'honneur des vierges deton âge,
Chère ſoeur de l'Amour, daigne agréer l'hommage
D'an coeur qui veut & vivre & mourir ſous ſa loi ;
Contre l'Amourpeut-être un autre auroit des armes ;
Mais moi , ſi j'héſitois à t'engager ma foi ,
Seroit- ce donc ſentir le pouvoir de tes charmes ?
En te cédant, Fanny , je cède à mon vainqueur.
Oui , j'en jure l'Amour , j'en atteſte l'houncur ,
J'aime mille fois mieux , dans un profond filence ,
Toujours conftant , fidèle à mon ardeur ,
Te chérir , t'adorer , même ſans récompenſe,
Que revoir mes beaux jours en proie à la langueur
D'une éternelle & triſte indifférence.
(Par M. de Puthod-Maison-Rouges )
A i
4
MERCURE
QUATRAIN pour mettre au bas d'un
Grouppe en porcelaine de Sève, représentant
une Mère entourée d'Enfans.
:
CETTE Mère , dont les Enfans
Sont les tréſors & la parure ,
Unit par des plaifirs conftans
L'Amour , l'Hymen & la Nature.
(Par M. Manuel. )
ÉLOGE DES BRUNE S.
AIR : Vive le Vin , vive l'Amour.
DESES Brunes vive la beauté;
Nargue de la Blonde Myrthé :
Blondes , qu'un autre vous encenſe ;
Je ris de l'inexpérience
De l'amant par vous enchanté ,
Qui prend toujours pour l'air de volupté
Ce qui n'eſt jamais qu'indolence .
BLONDES , votre teint délicat
De la roſe a le frais éclat ;
Mais la roſe combien vit- elle ?
Oui , ſur le trône où toute Belle
Siège à Cythère dès quinze ans ,
DE FRANCE.
S
La Brune règne au moins trente printems ,
I orſqu'à vingt la Blonde y chancelle.
VANTE qui voudra les yeux bleus ;
Moi , de l'azur qui brille aux cieux
Je hais l'éclat trop uniforme:
Aux voeux de la Blonde conforme
L'Amour ſoupire des vapeurs ;
Et quand l'Amour dégénère en langueurs ,
Il faut bien que l'Amour endorme.
SI D'HÉLÈNE guidant les pas ,
L'Amour l'enlève à Ménélas ,
Et des Grecs arme la vengeance ;
Si Troye , expiant cette offenſe ,
Voit par eux briſer ſes remparts :
C'eſt dire affez quelle eſt de vos regards ,
Brunes , la magique puiſſance.
:
LA BRUNE a tout pour nous ravir ;
Étonner eſt plus qu'attendrir.
Que peut fur nous l'Amour tranquille?
Des amaus Flore en compte mille ,
Cérès n'en eût jamais , dit - on ;
Il n'en faut pas chercher d'autre raiſon :
Cérès eſt Blonde , & n'eſt qu'utile.
• •
( Par M. Damas . )
:
A iij
MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
Le mot de la Charade eft Atome ; celui
de l'énigme eft Trompette; celui du Logogty
phe eſt Bouffole , où l'on trouve boule,
bolju , boſſe,fol,bol, fuo , fole.
CHARADE.
M
ON premier en harmonie
Tient ſa place avec honneur ;
Mon ſecond, par fa mélodie,
D'un Roi jadis a calmé la furcu
Douze fois couronné vainqueur ,
Mon tout célèbre Sectateur
De l'humaine philoſophie ,
Pour l'indigent noblement ſacrifie
Leprix que refuſe ſon coeur,
Et que l'on doit à ſon génie.
J
(Par M. Arnault. )
ÉNIGME.
E ſuis le même que j'étois ,
Et cependant j'ai ceſſé d'être.
L'anagrame me fait paroitre.
1
DE FRANCE. 7
Le même en Latin qu'en François.
Songez donc , pour me bien connoître ,
A ce que je ſuis & je fus :
J'étois naguère & ne ſuis plus.
Dans peu je dois encor éclore :
Montrépas commence au matin ;
Etcommeje tiens à l'aurore ,
Vous pourrez me nommer demain.
( Par un Habitant de Monts , en Périgord. )
LOGOGRYPH Ε.
JE ſuis par fois un ſéjour ſupportable ,
Mais jamais à coup sûr un ſéjour agréable.
Dans mes fix piés en cherchant bien , Lecteur ,
Tu peux rencontrer un Auteur ;
Le premier d'une monarchie;
Une graine qui vient d'Afie ;
Une Cité célèbre , également antique ;
Il faut joindre à cela ſa note de muſique ;
Ungraintrès recherché qui croît en nos climatss
Une part du froment que nous ne mangeons pas.
(Par un Habitant du Château de Ham. )
Aiv
S MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ESSAIfur l'Histoire Générale des Tribunaux
de toutes les Nations , ou Dictionnaire
Hiftorique & Judiciaire. Huitième & dernier
Volume , par M. Deſeſſarts , Avocat ,
Membre de pluſieurs Académies. Prix ,
4liv.; les huit Volumes ſe vendent 32 liv .
francs de port dans toute l'étendue du
Royaume , chez l'Auteur , rue Dauphine ,
hôtel de Mouy; Mérigot le jeune , Durand
neveu , Nyon l'aîné, la Veuve Duchefne ,
Laporte , Savoye , Libraires.
ON a beaucoup écrit ſur la Jurisprudence
& fur les Loix , mais perſonne , avant M.
Deſeſſarts , ne s'étoit occupé d'écrire l'Hiftoire
des Tribunaux de toutes les Nations .
Cette branche d'Hiſtoire eſt cependant trèsimportante
par l'influence qu'elle peut avoir
fur le bonheur des hommes. En effet , la
comparaiſon des Loix étrangères avec les
Loix Nationales , des Coutumes, admifes
chez les autres peuples avec celles que
nous ſuivons ; enfin la manière d'adminiftrer
la juſtice dans les Tribunaux des autres
Royaumes avec celle de nos Tribunaux , ne
peut être que très utile. Elle peut ſervir à
détruiré les préjugés & les abus qui s'oppoſent
àdes reformes falutaires ,& préparer une réDE
FRANCE.
១
volution dens la Légiflation des différens peuples.
C'eſt ſur- tout dans la partie de l'adminiſtration
de la juftice criminelle qu'on defire
cette révolution , & c'eſt auffi celle dont.
M. Deſelfarts s'eſt le plus occupé. Le Volume
qu'il vient de faire paroître contient l'Hiftoire
des Tribunaux de plusieurs Nations ,
entre autres de l'Écoffe , des États Unis de
l'Amérique , de la Perſe , de l'Abbiffinie
du Mexique & de la Chine. Nous nous bornerons
à rapporter ce que M. Deſeſſarts dit
des Loix Criminelles de l'Écoffe.
1 « L'Écoffe met la haute trahifon au rang
des crimes capitaux.On regarde comme coupable
de haute trahiſon quiconque confpire
contre la vie du Roi & de la Reine , qui
cherche à leur cauſer quelque mal corporel
, ou à leur faire quelque violence ; qui
conque empêche le Roi de gouverner librement
ſes États , lève l'étendard & prend les
armes contre lui ou coutre ceux qui commandent
fous ſon autorité ; quiconque engage
les étrangers ou autres à envahir fes
États , ou qui fait connoître & manifeſte l'inten
ion de commettre de pareils attentats ,
par des diſcours malicieux & mal avifés
débités , écrits ou imprimés. Tous ces crimes
ſont regardés comme haute trahison , &
punis de mort. »
ود
د
Le ſupplice des coupables eſt , comme
en Angleterre , d'être traînés au lieu de l'exécution
, pour y être pendus & coupés par
quartiers , fi le coupable eſt du ſexe maf
Av
10 MERCURE
culin, &brûlés ſi c'eſt une femme. Cependant
en Écofle, comme en Angleterre , la
nobleſſe eſt décapitée , mais d'une manière
particulière. "
« L'inſtrument dont on ſe ſert, & que les
Écoffois appellent maiden , eſt une pièce de
fer , large d'environ un pied quarré , dont le
tranchant eft extrêmement affilé , ſa partie
ſupérieure eſt couverte d'un morceau de
plomb fi confidérable , qu'il eſt preſque impoſſible
de le remuer : au moment de l'exécution
, on l'enlève en haut d'un cadre de
bois de dix pieds , qui eſt diſpoſé de façon
qu'il puiffe couler ſans obſtacle : au- deſſus
eft élevé , à quatre pieds de terre , le bloc
fur lequel le criminel doit poſer la tête entre
deux eſpèces de barres affez ferrées pour
la tenir immobile. Dès que le ſignal eft
donné , l'exécuteur laiſſe tomber le maiden ,
qui ne manque jamais , au premier coup ,
de ſéparer la tête du corps. Les Écoffois affurent
que l'inventeur de cette machine barbare
en a fait le premier effai. »
, " On regarde encore comme trahifon
en Écoffe , l'introduction du poiſon dans le
royaume , le refus de reconnoître l'autorité
du Roi , & les attaques qu'on oſe faire à
celle des Erats oudu Parlement , & c. Mais
tous les autres cas , que les anciens Écoſſois
rangeoient dans cette claffe, ont été mis
par l'acte d'union , au rang des crimes capitaux
, & ne font plus punis que comme
tels. "
DE FRANCE. 11
• Les voleurs de grand chemin , ceux qui
entrent avec violence & fracture dans les
maiſons , les perſonnes qui donnent aſyle
aux voleurs , & qui font aſſociées avec eux ,
font coupables de crimes capitaux , & panis
de mort ; ce qui entraîne la confiſcation de
leurs biens. »
• Ceux qui prennent du bois dans les forêts
, briſent ou rompent des haies , des
digues ou des baritères , qui dérobent des
fruits , du miel ou des poiffons dans les
étangs ou lacs , ne ſont punis en Écolle que
par amende. Si les coupables font des enfans
mineurs , les parens ou les maîtres qui en
ont ſoin , doivent payer ou des livrer au
juge , qui les condamne au fouer. Si quelqu'un
s'entremêle dans la vente des effets dé
robés , parce que le voleur n'oſe les apporter
lui-même au marché , il eſt banni , &
tout fon mobilier eſt confiſqué au profit de
la Couronne & du particulier qui s'eſt ſaiſi
du coupable. »
« La Loi d'Écoſſe aſſujetit les faux témoins
& les perſonnes convaincues d'en
avoir ſuborné , ainſi que celles qui ſont
complices , à avoir la langue percée , à être
publiquement déclarées infâmes , & à perdre
tous leurs biens , meubles & immeubles ;
il eſt encore permis aux Juges d'aggraver ,
ſelon les circonstances , la ſévérité de la
fentence. Ceux de ſeſſion ſont dans l'uſage
de condamner à mort pour ces différens
crimes.>>
Avj
12 MERCURE
" Les ufuriers qui prêtent de l'argent à
plus gros interêt que le cours ordinaire , per
dent , outre le capital prêté , le mobilier
dont ils jouiffent. »
" Ceux qui , par des moyens illégaux , empêchent
la fourniture des marchés publics ,
en allant attendre les marchandises ou les
denrées , & en les achetant ſur l'eau ou fur
terre avant qu'elles aient pu parvenir au
marché , & avant le temps preſcrit par la
Loi , doivent être condamnés à garder prifon
, & à cent livres ſtealing d'amende pour
la première fois , au double pour la ſeconde ,
& à la confiſcation de leur mobilier pour la
troifième.>>
On trouve dans l'Ouvrage de M. Defeffarts
, à la ſuite de l'Histoire des Tribunaux
des differentes Nations , des Procès intéreffans.
Nous en citerons quelques-uns. On y
lit avec intérêt les exemples ſuivans d'accuſés
innocens qui ont été expoſes au dernier
fupplice fur des indices trompeurs .
" Il est bien peu de Nations , dit M. Deſeſſarts
, dont l'hiſtoire ne foit flétrie par plus
ou moins de ces mépriſes fatales qui ont fait
verſer le ſang innocent fur des échafauds,
Les annales criminelles de tousles pays n'offrent
malheureuſement que trop d'exemples
de cette affligeante vérité. J'aurois defiré que
le plan de mon Ouvrage me permît de cacher
à mes Lecteurs ces tableaux effrayans ;
mais c'eſt une partie effentielle de l'Hiſtoire
des Tribunaux ; c'eſt ſur-tout la plus utile ;
DE FRANCE.
13
car on ne fauroit, pour l'intérêt de l'humamité,
rappeler trop ſouvent ces evenemens
ſanglans à ceux qui rempliffent les fonctions
fublimes & terribles de juger leurs femblables
, & qui , dans cette claſſe , font chargés
de l'emploi délicat de recueillir les preu.
ves du crime ou de l'innocences c'eſt ſurtout
à ces premiers Miniftres des Loix qu'on
ne peut affez offrir ces cruelles Hiſtoires ,
pour les avertir d'être en garde contre ces
préventions funeſtes qui ont tant de fois.
égaré le glaive de la justice , & dont les hom.
mes les plus vertueux ne ſont pas même
exempts. >>
:
PREMIER EXEMPLE.
Esclave condamné à mort pour un crime qu'il
n'avoit pas commis.
• Valère-Maxime rapporte qu'un eſclave
ayant diſparu , un de ſes camarades fut accuſé
de l'avoir tué. Des indices trompeurs
ſembloient appuyer cette accufation. On
chargea de fers cet eſclave , & on inſtruifit
ſon procès. Les Juges n'ayant pas des preuves
ſuffiſantes pour le condamner à mort ,
ordonnèrent qu'il ſeroit appliqué à la queſ
tion. La douleur arracha au malheureux
l'aveu du crime dont il étoit accuſé. Après
cet aveu , les Juges ne virent en lui qu'un infarne
affaffin , digne du ſupplice , & l'y envoyèrent.
L'infortuné reçut la mort , en proteſtant
qu'il n'étoit pas coupable. On re14
MERCURE
garda cette proteſtation tardive comme une
impoſture , & jamais des Juges ne furent
ſi convaincus de la justice de l'arrêt qu'ils
avoient rendu , que ceux qui avoient prononce
fur le fort de cet eſclave. »
" Cependant , quelques jours après , l'efclave
qu'on croyoit avoir été affaffiné reparut
; de combien de remords ne durent pas
être déchirésdes Juges qui avoient condamné
l'eſclave infortune à périr pour un crime qui
n'avoit jamais exiſte ! »
SECOND EXEMPLE.
Mari condamné aufupplice pour avoir afſaſſiné
Safemme,justifié ensuite par un événement
inattendu .
" Charondas rend ainſi compte des circonſtances
de ce procès , auſſi cruel qu'étrange.
La femme d'un Boulanger , dit ce Jurifconfulte
, entretenoit un commerce criminel
avec un amant , & vivoit très mal avec
fon mari. Ce dernier , qui n'avoit que de
trop juſtes motifs de jalousie , faifoit ſouvent
les plus vifs reproches à ſon époule;
quelquefois même il paſſoit des reproches
aux menaces . & des menaces aux violences .
Au milieu d'une nuit les voiſins ſont réveillés
par les cris de cette femme; ils l'entendent
appeler au ſecours , & crier au menrtre
, à l'affaffin. Le lendemain matin , ils
font très- empreſſes d'entrer chez le Boulanger
, pour ſavoir les ſuites de la querelle
DE FRANCE.
15
nocturne qu'il avoit eue avec ſa femme. Des
traces de ſang s'offrent aux regards des voifins
curieux. Ils queſtionnent le mari. Celuici
ſe trouble. On prend ſon agitation pour
une preuve de ſon crime. Son feur qui
fume encore , & qui paroît avoir été le tombeaude
ſa femme , offre une nouvelle preuve
du crime aux voiſins prévenus. Le Boulanger
eſt ſur le champ denoncé à la juſtice ,
qui le fait auffitôt arrêter & charger de fers
comme un ſcélérat . » .
« Les indices qui avoient frappé les voifins,
font la même imprefſion ſur l'eſprit des
Juges ; ils ne voient, dans le mari , qu'un
monſtre qui a afſaſſine ſa femme. "
" Lorſqu'on interroge cet infortuné , il
avoue qu'il a eu une rixe avec ſon épouse;
mais il foutient qu'il ne l'a pas tuée. Malgré
ſa perſévérance à nier , & le défaut de preuves,
les Juges ordonnent que le Boulanger
ſera appliqué à la queſtion. Cet infortuné
ne pouvant réſiſter aux tourmens qu'on lui
faitfouffrir , avoue qu'il eſt coupable , & , fur
le champ , on le condamneà être rompu vif. »
" Dans l'inſtant même on le transfère
dans les priſons de la Corciergerie , & peu
de jours après la Tournelle s'aſſemble pour
le juger. Les Magiſtrats ſont aux opinions ,
lorſqu'une femme demande à entrer dans la
chambre : c'éroit celle du Boulanger , qui
fait l'aveu de ſa debauche , en demande pardon
à fon mari , & fupp'ie les Magiftrats de
rendre la liberté à ſon époux. »
16 MERCURE
" Cet événement inattendu prouve combien
il eſt dangereux de ſe determiner fur
des apparences trompeuſes ; car , un jour
plus tard , le malheureux Boulanger eût péri
fur la roue. »
TROISIÈME EXEMPLE.
Maréchal, accufé injustement , qui meurt dans
les tourmens de la question.
i
Voici encore un exemple du danger d'admettre
légèrement des indices .
" Deux voleurs avoient formé le projet
de forcer la caiffe. d'un riche Banquier. A
quelque diſtance de la maiſon de ce dernier
Jogeoit un Maréchal , dont la probité n'avoit
jamais été ſuſpecte. Les voleurs entrent dans
ſa boutique , & profitent d'un inſtant où il
étoit forti , pour ſe ſaiſir d'un marteau. Au
milieu de la nuit ſuivante, le Banquier étant
à la campagne , les portes de ſa maiſon ſe
trouvent briſées , & fon coffre - fort pillé.
Ce Négociant arrive le lendemain matin.
Le premier objet qui le frappe , après avoir
vû ſa caiſſe volée , fut un marteau . On le
ramaſſe avec ſoin, & les Officiers de Juſtice
s'en emparent pour découvrir les auteurs du
vol. Pendant l'information , le marteau fut
préſenté à tous les témoins. Un des garçons
du Maréchal , qui étoit du nombre des témoins
, ayant vû ce marteau , le reconnut ,
&déclara fur le champ que c'étoit celui dont
fon maître ſe ſervoit ordinairement. >>
DE 17 FRANCE.
Sur cet indice, le Maréchal eſt arrêté &
condamné à la queſtion. Cet infortuné , d'une
complexion trop foible pour réſiſter aux douleurs
de cette terrible épreuve , meurt quelques
inſtans après , en proteſtant qu'il eſt
innocent. »
« Sa mémoire fut flétrie par les ſoupçons
les plus infâmes , juſqu'au moment qu'un
nouveau vol fit arrêter les auteurs du délit
qui lui avoit coûté la vie. Ces ſcélérats confeſsèrent
ſur le champ qu'ils avoient volé
le Banquier. Cette lumière tardive rendit
l'honneur à la famille de l'infortuné Maréchal;
mais la Juſtice n'eut pas moins à ſe
reprocher d'avoir eu trop de confiance dans
un indice trompeur , & d'avoir occaſionné
la mort de ce Citoyen vertueux. Les deux
voleurs fubirent la peine qu'ils méritoient >>
On trouve dans le même Volume des
Procès beaucoup plus étendus que ceux que
nous venons de citer ; entre autres ceux du
Surintendant Fouquet , de la Maréchale
d'Ancre , d'Anne Dubourg, du Connétable
de Luxembourg , de Michel Servet , &c.
D'après la variété qui règne dans cet Ou
vrage , il n'eſt pas étonnant qu'il ait eu un
grand ſuccès.
(A un autre Mercure la fin de l'Extrait
de Cécilia. )
13 MERCURE
SERMONS fur l'Aumône , prononcé dans
l'Eglise de S. Sulpice, le 22 Février 1784 ,
par M. l'Abbé Desjardins , Curé d'Yvetot ,
dans la Haute- Normandie. A Paris , chez
l'Eſclapart , Libraire de MONSIEUR , Pont
Notre- Dame , Nº. 23 .
La lecture de cet Ouvrage ne peut qu'intéreſſer
vivement les coeurs ſenſibles & bienfaifans
. L'Auteur a le talent d'attendrir , &
l'on trouve dans ſon ſtyle de la nobleſſe &
de l'énergie. Le morceau ſuivant ſuffit pour
faire juger de la totalité du diſcours , prefqu'entièrement
écrit de la même manière.
• N'attendez pas , mes frères , que les pan-
> vres vous expoſent leurs néceſſités , qu'ils
- vous prient avec inſtance , qu'ils vous
>> preſſent de les ſecourir. Hélas ! ils font
■ affez malheureux d'être forcés de recevoir
, pour n'être pas forcés de demander.
• Épargnez- leur l'humiliation de vous ex-
> primer leurs peines..... Abus déplorable ,
➤ qu'il faille vous exciter à être miféricor-
>> dieux , comme on poursuit la faveur d'an
ود homme puiſſant ! que de démarches , de
>> fupplications , d'affiduites , de dures con-
>> traintes pour obtenir ! Le riche ne ſe ga-
> gne preſque que par affauts , & l'on ne
» remporte la victoire ſur ſon indifference
» qu'en luttant péniblement contre lui.
>> Combien y en a-t'il qui ne font remués
> que par la vivacité des tableaux ? Point
DE FRANCE.
19
ود
ود
de compaffion pour eux ſans image; leur
âme eſt , ſi je puis ainſi dire , dans les ſens ,
>> en forte que ſi ceux ci ne ſont pas forte-
>> ment frappés, celle-là reſte froide &dans
ود l'inaction. Ce n'eſt que par le pouvoir des
> plaintes & des cris , par l'éloquence des
❤larmes , qu'on vient à bout de les tou-
>>cher , & ils ne font tomber leur pitié que
ود fur des malheureux couverts de plaies.
Eh ! quoi , pour être homme , est- il done
• néceflaire d'être cruel en promenant fa
ود vûe ſur les ſpectacles divers de la mi-
» sère ? »
FRAGMENT de Xénophon , nouvellement
trouvé dans les ruines de Palmyre, par un
Anglois , & déposé au Museum Britannicum,
à Londres. Traduit du Grec par
un François , & lû à une Affemblée par
blique du Muſée de Paris , rue Dauphine.
A Paris , chez Prault , Imprim. Libraire ,
Quai des Auguftins .
Ce titre , auffi piquant que fingulier , ne
laiffe pas long temps voyager l'imagination .
Dès les premières lignes de l'ingénieuſe allégorie
que ce prétendu fragment préſente ,
on faifir la chaîne des événemens à jamais
mémorables qui viennent de changer la
fituation politique des deux mondes. Sous
les noms les plus célèbres de l'ancienne
Grèce , ou ſous des anagrammes faciles à interpreter
, on voit agir les plus ſages & les .
20 MERCURE
plus courageux Citoyens des États- Unis ; ce
Franklin , dont le génie profond & hardi a
ſu enrichir la Phyſique & la Médecine de
découvertes fi nouvelles & fi utiles ; & qui ,
après avoit conçu & établi le plus beau
Code de Loix pour ſa patrie , devenue une
République commerçante & belliqueuſe ,
vient parmi nous folliciter & obtenir des
ſecours pour la défenſe de la liberté ; ce
Waſington , qui a ſu , avec des forces ſi précaires
& fi inégales, tenir en échec les Armées
les plus nombreuſes & les mieux diſciplinées
, faire tête aux plus habiles Généraux
Anglois , & triompher des efforts réitérés de
cerre Nation fi long temps victorieuſe. On
voit les projets habiles & profonds d'un
Miniſtre protecteur de la liberté , & réparateur
de la gloire du pavillon François ; la
bravoure&l'expérience prématurée du jeune
Héros qui , le premier vola au ſecours des
Américains ; la louable émulation de l'élite
de notre jeune Nobleſſe, & les ſuccès de
nos meilleurs Généraux ; les voeux du jeune
Titus de la France pour le bonheur de ſes
Peuples , & l'accompliſſement de ſes voeux
pour l'unanimité d'une paix auſſi avatageuſe
qu'honorable .
Ce petit Ouvrage , ainſi que l'Avertiſſement
qui le précède , renferme un très-grand
nombre de traits ingénieux & fins. Il eſt écrit
en total avec beaucoup de goût & d'élégance.
Il n'y a pas juſqu'à nos ennemis même,
auxquels l'Auteur ſait parfaitement rendre
DE FRANCE. 21
juſtice , qui ne doivent être flattés de cette
charmante allégorie.
Cet Ouvrage a encore le mérite d'une
fort belle exécution typographique ; c'eſt
une petite Brochure de 52 pages du format
in- 18 , & qui ſoutient la réputation des
prefſes de Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire
du Roi.
L'Auteur de ce joli fragment , qui joint
la modeftie au talent , eſt M. l'Abbé Brizard ,
qui nous pardonnera ſans doute de tirer le
rideau de l'Anonyme ſous lequel il vouloit
ſe cacher.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LES deux derniers Concerts ſe ſont donnés
dans la Salle du Château des Tuileries ,
appelée Salle des Machines , & qu'occupoit
dernièrement la Comedie Françoiſe. La
précipirarion avec laquelle s'eſt fait ce déplacement
, n'a permis de faire que les changemens
de première néceflité. Une partie
du Theatre , coupé par une cloiſon qui n'a
encore aucun ornement , a ſervi à placer
lorchestre , dont les divers inftrumens ſont
diſtues avec beaucoup d'intelligence , relativement
à 1effet. Bien entendu qu'on a
mis des banquettes dans le parterre , dont
22 MERCURE
-
on a fait un parquet ; mais comme cette
place eſt la plus recherchée , il paroît qu'elle
ne contient pas un affez grand nombre de
perfonnes. Le paradis offre , à la vérité, beaucoup
de places au même prix ; mais les Amateurs
du Concert préfèreront toujours un
local où ils puiſſent aller &venit à volonté.
Il paroît donc néceſſaire de ſupprimer les
petites loges qui rétréciſſent ce parquet ;
peut être même faudra - t'il par ſuite y
joindre l'amphithéâtre ; mais on ſentque ces
changemens ne ſe peuvent faire que fucceffivement.
Au reſte , la Salle est très-fonore ,
on entend bien par tout , trop bien quelquefois
, on y ſaiſit les plus légers défauts
avec une facilité dangereuſe,les talens ſupérieurs
y feront mieux appréciés , les ralens
médiocres y auront plus à craindre ;
eft-ce un avantage ou un malheur? Ily
avoit foule à ces deux Concerts , fur tout au
premier; mais foit que le nombre des curieux
l'ait emporté ſur celui des véritables
Amateurs, foit que le parquet , qui , naguère,
étoit un parterre debout , eût confervé
un reſte de cette maligne influence ,
le Public a paru oublier cette décence qui ,
bannie des Théâtres où ſe conſerve cet
uſage barbare , ſembloit s'être réfugiée au
Concert Spirituel. Paſſons vite fur ce trait
de rigueur , d'autant plus qu'il porteit fur
des talens que les Amateurs chériffent avec
justice. La ſeule nouveauté dont nous avons
à parler , eſt un Hyerodrame de M. l'Abbé
-
DE FRANCE . 23
Lepreux , qu'on a fort applaudi. M. Duport
a joué de manière à prouver qu'il n'a rien à
redouter de l'examen le plus fevère.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
د par
ON a donné Lundi 26 Avril
extraordinaire , la première repréſentation
des Danaïdes , Tragedie Lyrique , paroles
de M. *** , muſique de MM. le Chevalier
Gluck & Salieri , Maître de la Muſique de
la Chambre de l'Empereur & des Spectacles
de la Cour de Vienne.
> Lenom de M. Gluck, l'incertitude où l'on
eſt ſur la part qu'il a eue àla compoſition de
la muſique , la réputation déjà méritée de
M. Salieri , & le choix qu'un ſi grand Maître
fait de lui pour l'aſſocier à ſes travaux , tout
étoit bien propre àexciter la curioſité& l'emdreſſement
du Public fur cette nouveauté.
Obligés , comme à l'ordinaire , d'envoyer
cet article à l'Imprimeur avant la première
repréſentation , nous nous contenterons de
donner ici la ſimple analyſe du Poëme , pour
en faire connoître la marche dramatique.
Le Poëme eſt en cinq Actes. Le premier
Acte ſe paſſe ſur le bord de la mers près du
temple de Junon. On voit les fils d'Égyptus
defcendre de leurs vaiſſeaux. Danaüs , Hypermneſtre
, Lincée , les Danaïdes , les frères
deLincée, les Prêtres &le Peuple rempliſſent
La Scène,
24 MERCURE
Ce ſujet a , comme tous les ſujets de l'antiquité
déjà mis fur nos Théâtres , l'avantage
de n'avoir pas beſoin , pour être entendu ,
de ces détails d'expoſition ſi peu favorables
à la muſique , mais indiſpenſables dans un
ſujet peu connu ou d'invention .
L'expoſition des Danaïdes est un grand
tableau. Danaüs & fes filles , Lincée & ſes
frères jurent devant l'autel de Junon d'étouffer
à jamais les reſſentimens qui ont fi longtemps
diviſé les deux familles ,& le mariage
des fils d'Égyptus avec les filles de Danaüs eſt
le gage de cette grande réconciliation. Danaüs
invite les nouveaux époux à jouir du
bonheur que hymen leur promet ; Lincée &
Hypermneftre ſe livrent à tous les tranſports
del'amour heureux après de longues traverſes.
L'Acte eſt terminé par une invocation à
l'Hymen & par des danſes.
Le deuxième Acte repréſente un temple fouterrain
, conſacré à Némeſis. La ſtatue de la
Déeſſe eſt aumilieu, & au devant eſt un autel.
Ce lieu n'eſt éclairé que par la lumière pâle
& lugubre d'une lampe. Danaüs y a raffemblé
ſes filles , pour leur révéler un grand
myſtère. Il leur rappelle que ſon frère Égyptus
l'a chaſſe du trône , qu'il a voulu le faire
périr, que fa haine, toujours implacable &
cruelle , ſe cache en ce moment ſous des
apparences d'amitié , que leur hymen couvre
un piège funeſte , & qu'elles doivent périr
de la main de leurs époux. Les Danaïdes ,
à l'exception d'Hypermneſtre , partagent à
ce
DE FRANCE.
25
ce récit ſa fureur & le reſſentiment de leur
père. Il leur fait jurer ſur l'autel de Némeſis
de ſervir ſa haine & fa vengeance ; elles lui
promettent une aveugle obeiflance ; alors
Danaüs , découvrant le voile qui cache un
faiſceau de poignards dépoſes ſur l'autel ,
leur ordonne des'en armer , &de les cacher
dans leur ſein juſqu'à ce que la nuit amène
leurs époux dans leurs bras , & de les frapper
toutes à la fois lorſqu'il leur en donnera
le ſignal. Elles en font l'horrible ferment &
fortentdu temple. Danaüs , qui a remarqué
la conſternation & le filence d'Hypermneſtre,
l'arrête au moment où elle veut ſortir avec
ſes ſoeurs. Il lui reproche de ne point partager
leur obéiſſance. Hypermneſtre répond qu'elle
déteste une pareille obéiſſance ; qu'elle ne
confentira jamais à égorger l'époux à qui
elle vient de donner la foi. Elle conjure fon
père de renoncer à cette horrible vengean.
ce ; il eſt inflexible ; il lui rappelle l'Oracle
qui le menace de périr par la main d'un fils
d'Égyptus.
Tu fais qu'un Oracle effrayant
Menace Danais de tomber expirant
Sous la, fatale main d'un des fils de fon frère :
Tu le fais,& tu veux, pour ſauver ton amant,
Voir immoler ton père!
Mais tu le voudras vainement.
Tremble juſqu'à l'heure fixée
Où Joit couler le ſang du perfide Lincée ;
N°. 18 , 1 Mai 17541 B
ءا
26 MERCURE
5 2
Des regards vigilans ,que tu ne verras pas ,
Vont alliéger tes pas ,
Et pénétrer juſques dans ta penſée!
2103Si mon fecret peut t'échapper
ינ
Par un coup-d'oeil , une parole
Sur tous deux ſoudain la mort vole ,
Un même coup va vous frapper.
Hypermneſtre , reſtée ſeule , ſent toute
T'horreur de fa fituation.
Faut-il que je découvre un horrible myſtère ?
Dans l'ombre du ſecret dois-je l'enſevelir ?
Si je parle , j'immole un père ;
:
Si je me tais ,mon époux va périr !
Elle fort en invoquant la mort , comme la
ſeule reffource qui lui reſte.
Au troiſième Acte , le Théâtre repréſente
un jardin orné pour une fête conſacrée à
Bacchus & aux Dieux de l'Hymenée.
Danaüs , ſes filles & leurs époux , accompagnés
d'eſclaves des deux ſexes , couronnées
de fleurs , viennent célébrer la fête de
l'Hymenée par des chants & des danſes, fuivis
d'unbanquet, où chaque Danaïde aflife
à côté de ſon époux , ſemble vouloir lui infpirer
la double ivreſſe de Bacchus & de
l'Amour. Lincée , ſurle devant du Theatre ,
préſente une coupe à Hypermneſtre , cui la
rejette avec horreur. Lincée , étonné le ce
mouvement, veut en ſavoir la cauſe; Danaüs
, qui n'a pas ceffé de les obſerver , en
DE FRANCE.
27
feignant de parler à ſa fille en faveur de
Lincée , la menace de lui percer le coeur à
tous deux , fi elle dit un mot. Hypermneſtre
ne peut plus ſoutenir la contrainte de cette
fituation. Elle fort au déſeſpoir ; Lincée veut
la ſuivre. Danaüs le retient , en lui promettant
de la rendre bientôt plus docile aux
voeux de ſon amant. La fête continue cepen•
dant ; & l'Acte ſe termine par une daufe
pantomime , où des Hymens avec des flambeaux
précèdent chaque couple d'époux , que
des Génies enchaînent avec des guirlandes ,
&parciffent les conduire dans la chambre
nuptiale.
Le Théâtre repréſente au quatrième Acte
une galerie qui communique à l'appartement
d'Hypermneſtre & à celui de ſes ſoeurs.
Hypermneſtre entre avec ſon père , qu'elle
tente encore de fléchir; mais ſes prières , ſes
raiſons , ſes larmes ne peuvent toucher ce
coeur barbare; il veut qu'elle obeiffe , qu'elle
ſerve ſa vengeance , & il la laiſſe ſous la
garde de quelques Soldats chargés d'environner
la porte de l'appartement , & de n'y laiffer
entrer que Lincée.
Hypermneſtre au déſeſpoir , ne formeplus
d'autre voeu que celui de voir Lincée s'éloigner
d'elle pour jamais. Il entre en ce moment
, & ſe précipite à ſes genoux , plein
d'eſpérance &d'amour. Elle le repouffe avec
un attendriſſement mêlé de trouble & de
terreur.
Bij
28 MERCURE
LINCÉE.
Ciel! que dois-je penſer de ce déſordre affreux ?
HYPERM NESTRE.
Ah ! cher époux , rappelle ton courage.
LINCÉE , à part.
Qu'entends je !
Parle.
HYPERM NESTRE.
Hélas ! je ſens tout le mien expirer.
LINCÉE.
HYPERMNESTRE.
Lincée, il faut nous ſéparer !
LINCÉE.
Nous ſéparer ! quel étrange langage !
Qui peut nous impoſer cette barbare loi ?
HYPERM NESTRE.
Etl'enfer& leciel dont je ſuis pourſuivie , &c.
Lincée lui propoſe de fuir avec lui. Elle ne
le peut pas. Il accuſe alors le coeur & la fincérité
d'Hypermneſtre. Accablée de ce reproche
, elle eſt prête à tout avouer ; mais
-la crainte d'expoſer ſon père la retient encore.
Au milieu de ce combat pénible , Pélagus
vient annoncer qu'on va donner l'affreux
fignal 1
DE FRANCE.
29
HYPERMNESTRE , pouffant Lincée hors du
Théâtre.
Fuis , malheureux , fuis ce palais fatal.
LINCÉE.
Quedites-vous?
HYPERMNESTRE.
Tu meurs ſi tu diffères.
(On entend lefignal. )
Ociel!
LINCÉE.
Qu'entends-je ?
HYPER MNESTRE.
Fuis! on égorge tes frères,
LINCÉE.
Mes frères!
:
HYPERMNESTRE.
Fuis!
LINCÉE.
Je cours les ſecourir ,
Les venger ou périr. ( Ilfort. )
A peine eſt il forri que l'on entend de derrière
la Scène les cris des malheureux époux
que l'on égorge. Hypermneſtre tombe évanouie
, & ce choeur effrayant termine l'Acte.
La décoration reſte la même au cinquième
Acte. Hypermneſtre , qui eſt reſtée ſur la Scène
évanouie , revientà elle encore égarée , ignor
1
B iij
30 MERCURE
rant le fort de ſon amant. Danaüs ſurvient ,
lui demande ſi Lincée a péri de ſa main; les
queftions de fon père lui font voir que fon
amant vit encore: ceffant de craindre la fureur
de ce monſtre , elle ſe livre à la joie
que cette idée lui inſpire. Danaüs la menace
de la mort la plus affreuſe : J'ai fauvé mon
époux , dit elle , je brave ta vengeance. Elle
fort , & Danaüs fort après elle pour faire
chercher Lincée. Alors les Danaïdes entrent
fur la Scène en déſordre , furieuses, les che
veux épars ; ellessont couvertes à moitié de
peaux de tygres , & les unes,tiennent d'une
main un tirfe , & de l'autre un poignard enfanglanté.
Les autresportent des tamboursfur
lesquels elles frappent avec les poignards ;
d'autres portent des flambeaux allumés. Tandis
que les unes chantent une hymne à Bacchus
dans les fureurs qu'inſpire ce Dieu ,
& le meurtre de Penthée expirant ſous le
tirſe des Ménades , d'autres expriment la
même fureur par des danſes pantomimes ,
où elles ſemblent rappeler l'image des meurtres
qu'elles viennent de commettre. Danaüs
rentre en annonçant à ſes filles quefa vengeance
eſt trahie , & que Lincée échappe à
fon courroux. Elles ſortent pour alier le
chercher , & pour completter la vengeance
de leur père. Mais Lincée , à la tête de ſes
Soldats qu'il a raſſemblés , vient attaquer le
palais . Danaüs , qui en eſt inſtruit , fait venir
Hypermneſtre pour l'immoler de ſa propre
main. Au moment où il lève le glaive
DE FRANCE.
31
fur elle , Lincée entre avec les fiens ; Pélagus
fond fur Danaiis & le tue dans la couliffe.
Hypermneſtre s'écrie : Dieux! Sauvez
mon père , & tombe évanouie. En ce moment
le Théâtre s'obſcurcit , la terre tremble , &
le tonnerre gronde. Lincée & les fiens for-1
tent avec précipitation .
Le palais , écraſé par la foudre & dévoré
par les flammes , s'abyme & difparoît.
La decoration change , & repréſente les en-.
fers. On voit le Tartare roulantdes lorsde
ſang ſur ſesbords , & au milien du Théâtre ,
Danais paroît enchaîné fur un rocher , dévoré
par un vautoun ,& fa têre eſt frappée de
la foudre à coups redoublés. Les Danaïdes ,
enchaînées par grouppes , tourmontées par les
démonsou pourſuivies par des Furies, rempliffent
le Théâtre de leurs mouvemens & de.
leurs cris; une pluje de feu tombe perpe
tuellement. Pendant que cette action pantomime
s'exécute par des Danſeurs , un choeur
exprime les cris & les gémiſſemens des Da
naïdes , qui cherchent en vain à fléchir les
démons qui les poursuivent & les tourmentent.
21 יז
Nous nous garderons bien de prévenir par
aucune réflexion le jugement que portera le
Public ſur un Ouvrage d'un genre ſi nouveau
& fi hardi: nous nous bornerons àtranſcrire
icil Avertiſſement qu'on lità la tête du Poëme.
Après les ſuccès nombreux & mérités
que le ſujet des Danaïdes a obrenus fur nos
différens Théâtres , nous n'aurions pas ofé le
1
Biv
32 MERCURE
faire reparoître ſur celui de l'Opéra , ſi nous
n'avions pas imaginé de l'y montrer ſous
une forme nouvelle. Si le Public juge qu'à
cet égard notre Poëme a quelque mérite ,
nous aimons à déclarer ici que ce mérite ne
nous appartient pas tout entier. >>
" On nous a communiqué un manuscrit
de M. de Cazabigi , Auteur de l'Orfeo & de
l'Alceste en Italien , dont nous nous ſommes
beaucoup aides ; nous avons emprunté quelques
idées du Ballet des Danaïdes, du célèbre
M. Noverre, ce moderne rival des Batilles&
des Pilades; nous y avons joint les nôtres , &
du tout nous avons compoſé notre plan.
"Un de nos amis , que fa famille nous a
défendu de nommer , a bien voulu , pour
accélérer l'Ouvrage , mettre en vers une partiede
notre compoſition , & ce n'eſt pas certainement
celle dont le ſtyle paroîtra le plus
négligé.
" La mort vient de nous enlever cet excellent
homme , connu par pluſieurs Ouvrages
en profe & en vers également eftimés;
il étoit auſſi recommandable par ſes,
vertus ſociales , ſon mérite militaire & ſa
haute naiflance , que par ſon eſprit & fes
talens Littéraires.
« Qu'il foit permis à notre amitié de fai
fir cette occaſion de rendre à ſa mémoire ce
jufte tribut d'éloges. »
DE FRANCE.
33
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Lundi 19 Avril , l'ouverture de
ce Spectacle s'eft faite par la ſeptième repréſentation
du Jaloux , Comédie de M. Rochon
de Chabannes , ſuivie de l'Aveugle
Clairvoyant , Comédie de le Grand, en un
Acte & en vers.
Avant la première Pièce , M. de Saint-
Prix a prononcé le Diſcours ſuivant.
ESSIEURS ,
:
" C'eſt ſur tout lorſque nous voyons la
>> carrière ſe rouvrir devant nous , que nous
ود ſentons plus vivement le beſoin de votre
» bienveillance. Ce n'eſt point l'ulage qui
>> nous fait une loi de venir vous la deman-
>> der ; c'eſt la perfuafion où nous ſommes
ود que c'eſt de vous que dépendent nos fuc-
>> cès , que ſi votre indulgence enhardis nos
>> efforts , nos diſpoſitions font moins lentes
20 à ſe développer , & que s'il eſt déjà rafſuré
>> par vos fuffrages , notre talent s'accroît
>> encore par le deſir de les conſerver.
>> Et en effet, Meſſieurs , n'eſt ce pas à ce
» prix flatteur de leurs travaux que vous
» avez dû les Acteurs dont vous aimez à
>> vous rappeler les noms ? N'est- ce pas à
> lui que vous devez ceux que la Comédie
Bv
34
MERCURE :
ود
ود
ſe fait aujourd'hui un bonheur de poffeder?
>>>Perſonne de nous n'a pu ſe le diſſimuler ;
il n'est peut- être point d'Art , ſi l'on nous
>> permet de le dire , qui ſoit plus difficile
ود
ود que le nôtre. Adopter tous les caractères ,
» en faifir les moindres nuances , accoutu-
""mer notre âme à recevoir & à communiquer
toutes les impreſſions , la forcer de
>> gouverner fes mouvemens lorſqu'elle n'eſt
>> preſque plus ſuſceptible de les réprimer ,
>> nous rapprocher enfin de la vérité au point
99
ود
de vous faire oublier que c'eſt tous les
> jours le même Acteur qui vient vous repréſenter
un nouveau perſonnage , tels
>> font en partie , Meſſieurs , les engagemens
que nous contractons avec vous lorſque
> nous ofons prétendre à vous plaire un
jour.
ود
» Eh! quel eſt le Comédien qui , pénétré
➤ des difficultés de ſon Art, pourroit ſeflat-
» ter de trouver dans les dons même que la
Nature lui auroit prodigués , les reffources
qui ne font bien ſouvent le fruit que du
travail , de l'habitude & du temps .
" Je ne m'aveugle point ſur ma poſition.
Deſtiné à remplacer quelquefois un Ac-
" teur que vous chériſſez à juſte titre , je
3ſens combien il vous fera pénible d'en être
» privé; mais puiſque c'eſt à vous que je
>> dois le fort qui m'attache à préſent à la
>> Comédie , puiſſéje , aidé de vos conſeils ,
>>* & préparé à un travail auſſi conſtant qu'in
ود
DE FRANCE.
35
>> fatigable , justifier vos bontés , & vous
prouver qu'elles ont pénétré mon coeur
d'une éternelle reconnoiſſance ! »
"
ود
Ce Diſcours n'eſt ni piquant ni neuf ; il a
même cela de particulier qu'il auroit pu être
prononcé il y a huit ans , par M. de la Rive ,
comme double du célèbre Lekain , & que
dans une vingtaine d'années il ne ſeroit point
déplacé dans la bouche du ſucceſſeur de M.
de Saint- Prix. Cette réflexion , & d'autres
qu'on a déjà faites avant nous , doivent prouver
qu'il eſt temps d'abroger l'uſage des complimens
de clôture & de rentrée. L'Acteur
chargé de les faire eft fi embarraſfé de ce qu'il
'doitdire, qu'après avoir adreſſe au Public deux
mots de politeffe , il eſt obligé de parler de
lui même,pour donner à ſon difcours une certaine
étendué ; ce qui peut devenir fort ennoyeux
, & qui nous paroît abſolument inutile..
Au reſte , on aime M. de Saint Prix , &
fon Diſcours , récité d'ailleurs d'une manière
intéreſſante , a été fort applaudi .
M. de Chabannes a fait de nouvelles corrections
au Jaloux. C'eſt principalement au troiſième
Acte que l'effet en eſt ſenſible . Quelques
détails ajoutés au perſonnage de Valſain
font connoître plus poſitivement la jalousie
du Chevalier de Bellegarde , & motivent
mieux l'éclat qu'il lui donne. Un tableau du
caractère de ce même Chevalier , placé dans
la bouche de la Marquiſe , ſon amante ,
expofe les raiſons qui l'attachent à lui ,
malgré ſes emportemens & ſes fureurs ja
Bvj
36 MERCURE
loufes , & ajoutent beaucoup à l'intérêt
qu'il inſpire. Il faut obſerver que ces corrections
n'ont rien changé au plan de l'Ouvrage
, qui eſt toujours le même , ce qui
prouve qu'il étoit bien conçu; & que ſi l'Aureur
s'étoit trompé ſur quelques formes , il
avoit vû fon løjet , quant au fonds, comme il
convient que le voie un Auteur Dramatique .
Le Jaloux , toujours plus applaudi , a excité
àcette ouverturedes applaudiſſemensd'ivreffe;
& nous en ſommes d'autant moins furpris
, que le principal caractère de cette Comédie
, quoique chargé encore d'une grande
partie de ce qui déplaît dans la jaloufie , annonce
tant de délicateſſe & d'âme , qu'il offre
peut être le ſeul Jaloux que l'on puiffe préfenter
à des François ſans les révolter.
Ceſt un mérite rare ſans doute que celui
de ſavoir comment il faut plaire aux Spectareurs
de ſa Nation , fans altérer la phyfionomie
del'homme de tous les lieux .
COMÉDIE ITALIENNE.
DANANSS notre Journal du 10 Avril , en rendant
compte du Compliment de clôture de
ceThéâtre, nousdiſions que naturellement les
productions de cette eſpèce devoient êtremédiocres
, puiſqu'il s'agiſſoit toujours de remercier
le Public des encouragemens qu'il
avoit accordés , & de lui promettre de nou
veaux efforts pour continuer à les obtenir.
DE FRANCE.
37
M. Favart fils , dans ſon Compliment d'ouverture
, * le 19 Avril , a répété en trois ou
quatre lignes de proſe rimée , ce que nous
avions dit nous même en profe toute nue.
Il eſt convenu enſuite que le meilleur Compliment
à faire au Public à l'ouverture du
Théâtre , c'étoit de lui donner beaucoup de
nouveautés dans le cours de l'année ,&il a
conclu en diſant que ſi les Muſes treflorent
la couronne du talent , c'étoit le Parterre
qui la décernoit. Cette petite cajolerie a été
d'aurant mieux reçue , que le Compliment
étoit fort court. D'ailleurs , il a été prononcé
par le Sr Granger , Acteur dont les
talens font trop juſtement chéris du Public ,
pour qu'il n'accueille pas avecbonté tout ce
qui paffe par ſa bouche.
1 Le Public ayant beaucoup murmuré pendant
le cours de l'année dernière , ſur une
foule d'incommodités & d'irrégularités dont
* C'eſt par une repréſentation de la Mélomanie
que s'est faite l'ouverture de ce Théâtre. La mu
fique est de M. Champein; elle lui a fait beaucoup
d'honneur , & on l'entend toujours avec un
nouveau plaifir. Nous dirons à ce ſujet que le 29
Mars dernier , cet Ouvrage fut repréſenté à Rouen
avec le plus grand ſuccès. Quelqu'un apperçut M.
Champein dans un coin de l'orchestre , bientôt on
J'appela à haute voix..& on le força de laiffer placer
une couronne fur la tête , malgré tous les efforts qu'il
fit pour s'en défendre. Cet événement impoſe à M.
Champeio de grands devoirs à remplir , & lui fais
une loi de mériter des fuccès nouveaux.
38 MERCURE
tous les yeux étoient frappés ; un grand nom
bre de Spectateurs s'étant plaints de la fatigue
qu'ils éprouvoient dans des loges étroites &
incommodes , les Comédiens Italiens ont fait
un ſacrifice d'environ 100,000 liv. pour faire
àleur Salle les changemens dont elle pouvoit
êtreſuſceptible, en les conciliant avec les vûes
du Public.M. de Wailly, fur les deſſins duquel
a été conſtruite la Salle actuellement occupée
par les Comédiens François , n'a pas dédaigné
d'employer encore ſes talens aux changemens
qu'on lui demandoit.
Il réſulte de ceux qu'il a fait exécuter deux
effets également précieux.
r D'abord, l'enſemble de la Salle offre plus
de régularité & plus d'élégance.
Et en ſecond lieu , les Spectateurs , autrefois
gênés & preſſés dans des caiffes qu'on
appeloit des loges , ſont aujourd'hui placés
auſſi aisément qu'on le puiſſe defirer dans
un lieu public; la profondeur de chaque loge
ayant été augmentée d'un pied de terrein
pris ſur la largeur des corridors , & leur
largeur ayant auſſi gagné quelque eſpace par
la ſuppreſſion d'une loge à chaque côté des
rangs.
Il réſulte encore un effet ſalutaire de ces
changemens , c'eſt que , quoiqu'on ait fupprimé
deux loges à chaque étage, le nombre
des places ſe trouve cependant augmenté par
la création d'un quatrième rang de logestout
neuf , & au même étage, en face du Théâtre,
d'un vaſte amphithéâtre , d'où l'on voit &
DE FRANCE.
39
l'on entend bien , & qui peut ſeul contenir
environ soo perſonnes.
Les Comédiens , dont on doit louer le zèle
dans cette circonſtance , en recueilleront ,
au reſte , bientôt le fruit; car il eſt indubitable
que s'ils ont le bonheur de fixer cette
année le goût du Public , & l'on doit l'atten,
dre de leur conſtance infatigable a varier
leur Répertoire , les changemens qui viennent
d'être faits à leur Salle , doivent augmenter
leur recette cette année de quarante
mille écus de plus que cele qu'ils auroient
faite en laiſſant ſyber Tancienne conftruction
.
Ces changemens ont offert encore une
nouveauté intéreſſante. Sur le rideau du devant
du Théâtre , les Comédiens ont fait
peindre un temple qui repréſente une offrande
, un ſacrifice au Dieu du Goût , par
les Muſes de la Comédie , de la Muſique &
du Drame. De chaque côté du temple on
voit deux obéliſques auxquels fontattachées ,
par différens Génies, des figures en médaillon
, repréſentant les Auteurs & les Muſiciens
qui ont le plus contribué à la gloire
du Theatre Italien, & dont les noms font
inſcrits autour des médaillons , tels que ceux,
de Goldony , Monſigny , Sédaine , Grétry ,
&c. Cet hommage flatteur rendu aux talens ,
a été généralement approuvé ; & le rideau ,
conſidéré en lui même comme ouvrage de
peinture , a été trouvé d'un bel effet. L'idée
de ce tableau allégorique eſt de M. Monnet ,
40 MERCURE
1
qui ena deſſiné l'eſquiſſe. L'exécution , telle
qu'elle eſt ſous les yeux du Public , eft de
M. Chays , Artiſte d'un mérite fort diſtingué
, & qui doit jouir un jour d'une belle
réputation , ſi on l'acquiert par les talens &
par l'amour le plus vif pour l'état qu'on a
embraflé.
VARIÉTÉS.
LETTRE aux Rédacteurs du Mercure.
MESSIEURSY
Les changemens que j'ai été chargé de faire au
Théâtre Italien , pendant la clôture , ne m'ont pas
laiſfé le temps de lire les Papiers Publics. J'ai appris
depuis que , dans vos feuilles , à l'occafion de ces
mêmes changemens , votre annonce ſembloit m'attribuer
ſeul la gloire d'avoir conſtruit le Théâtre
François , tandis qu'il eſt de fait , ( ainſi que vous
l'avez imprimé lors de l'ouverture de cette Salle ) que
je la partage avec M. Peyre l'aîné , món confrère &
mon ami. Je m'empreſſe , Metſieurs , de vous prier ,
très inftamment , d'inférer cette préſente Lettre dans
vos premières Feuilles , afin que le Public ſoit de
nouveau inftruit de cette vérité. Il m'importe d'autant
plus que vous veulliez vous prêter à la publier ,
qu'amis ou ennemis ne me pardonneroient pas le
filence.
J'ai l'honneur d'être , très-parfaitement , Meſſieurs ,
Votre très-humb'e & très - obéiffant
ferviteur , DE WAILLY ,
Architecte du Roi.
A Faris , le Mardi 20 Avril 1784.
DE FRANCE. 41
ΑΝΝΟΝCEST NOTICES.
M
ÉMOIRESfur les Styletsou Sondes folides ,&
fur les Sondes cannelées , couronné par l'Académie
Royale de Chirurgie en 1784. in-4". Prix, 36 fols.
A Paris , de l'imprimerie de Michel Lambert , Im
primeur de l'Académie Royale de Chirurgie, rue de
la Harpe, près S. Côme , 1784.
;
L'OBSERVATOIRE volant &le Triomphe
héroïque de la Navigation aérienne & des veficatoires
amusantes & célestes , Poëme en quatre Chants,
avec des Notes historiques fur cette belle Découverte,
& le précis des Expériences du 27 Août au
Champ de Mars , du 21 Novembre à la Muette, &
celles du premier Décembre au Jardin Royal des
Tuileries , par M. Charles. A Paris, chez les Marchandsde
Nouveautés.
En ouvrant cette Brochure, nous ſommes tombés
ſur ces vers très curieux :
Jene puis détourner le goût quime féduit,
Ni éteindre le feu qui me brûle & me fuit.
Pourquoi donc, après tout , étouffer dans mon âme
Un feu dont les Neuf Soeurs alimentent la flamme?
Un feu qui ennoblit & qui fait reſpecter
Le génie bien ou mal capable d'enfanter ?
Nous avouons que nous n'avons lû de ce Poëme
en quatre Chants que ces fix vers ; nous avons
cru pouvoir, en les citant, mettre nos Lecteurs en
état de prononcer ſur tout le reſte; nous avons cru
que cela fuffiroit à leur admiration , & que nous
pouvions nous diſpenſer d'aller plus loin ſans blef.
42
MERCURE
fer notre confcience deCritique. Sans nous arrêter à
la beauté du ſens & aux charmes du ſtyle , nous
oferons ſeulement conſidérer ici la verſification , &
nous dirons à l'Auteur que ni éteindre forme ce que
nous appellons un hiatus par la rencontre des deux
voyelles i & e , c'est-à-dire , que cela ne peut entrer
dans un vers françois ; que un feu qui ennoblit
eſt encore un hiatus ; & que le vers ſuivant , le
génie bien ou mal capable d'enfanter a une ſyllabe
de trop, parce que l'e muet de génie compte, comme
de raiſon , pour une ſyllabe. Ceci n'attaque ni les
connoiſſances ni la gaîté de l'Auteur ; mais il eſt
bon de lui dire que la marche ordinaire pour faire
des vers eſt d'apprendre auparavant la verſification ,
comme un enfant avant de lire doit apprendre à
connoître ſes lettres.
ÉLÉMENS de la Tactique de l'Infanterie , ou
Instructions d'un Lieutenant Général Pruffien pour
les Troupes deson inspection , par le Général Sale
dern, traduits de l'Allemand . Prix , 4 livres 10 fols
broché, avec Plans. A Paris , chez,Jombert jeune ,
Libraire , rue Dauphine. ) and
L'Auteur de cet Ouvrage voudroit que l'exercice
des ſoldats devînt une ſcience d'après des principes
univerſellement établis, & qu'on en fît une
eſpèce de Code qui ſerviroit de règlé à tous les Officiers
, & qui diſpenſeroit les foldats de recommencerun
nouvel apprentiſſage en changeant de régiment,
ce qui arrive quelquefois. 'C'ell d'après cette
idée que l'Auteur a fait & publié cet Ouvrage.
१
SUPPLÉMENT à l'Optique de Smith , contenant
une méorie générale des Inſtrumens de Dioptrique,
in -4°. Prix , 6 livres broché. ABrest , chez
R. Malaſſis , Imprimeur ordinaire du Roi & de la
DE FRANCE,
43
Marine ; & à Paris , chez Durand neveu , Libraire ,
rue Galande , & Jombert jeune , Libraire , rue Dauphine.
L'Auteur de cet Ouvrage a puiſé dans de bonnes
fources il a écrit d'après le célèbre Euler. Sa première
l'artie contient les Principes de ce grand Géomètre
pour la conſtruction des Inſtrumens de Dioptrique,
& dans la ſeconde il fait l'application de la
théorie. Le même Auteur nous promet inceffam ,
ment un Traité d'Aſtronomie , &celui- ci eft pro
pre à le faire defirer.
!
OEUVRES Choisies de l'Abbé, Prevost, avea
figures , quatrième Livraiſon , contenant Histoire
d'une Grecque moderne , Volume , Car; agnes
Philofophiques , 1 Volume , Mémoires de Malthe
1 Volume, Marguerite d'Anjou , I Volume.
On ſouſcrit pour leſdites OEuvres , conjoin;
tement avec celles de le Sage , à Paris , rue &
hôtel Serpente , & chez les principaux Libraires
de l'Europe. La Collection des deux Auteurs for.
mera quarante- neuf Volumes ornés de figures faites
ſous la direction de MM. Delaunay & Marillier,
Les OEuvres de le Sage ſont actuellement achevées
&contiennent quinze Volumes. Le prix de la ſoufcription
eſt de 3 liv. 12 fols le Volume broché. On
a tiré vingt-quatre Exemplaires ſur papier de Hollandeà
12 liv, le Volume broché.
Cours de Langue Angloise , à l'aide duquel
on peut apprendre ceite Longue ſans Maître , par
M. Luneau de Boisjermain. Ce Cours eſt le ſecond
Cours d'inftruction du Journal d'Éducation . M.
Luneau de Boisjermain vient de livrer les derniers
Cahiers de fon Coursde Langue Italienne , compoſé
de quatre Cahiers de proſe & de dix Cahiers
de Poésie , qui parviennent port franc par la poſte
44 MERCURE
pour la ſomme de 26 livres s ſols adrefiés à l'Auteur
par lettre affranchie.
L'Auteur exécute ſur le même plan un Cours de
Langue Angloiſe ; il durera huit mois , pendant
teſquels on lira les vingt-quatre Livres de Télémaquepartagés
en ſeize Cahiers diſtribués le premier
& le quinze de chaque mois. La manière dont il
fautprononcer les mots Anglois eſt écrite au bas de
chaque rage d'après le parler Anglois : au deſſous
de chaque mot Anglois ſe trouve la ſignification
verbaledes mots.
Les douze Livres du Paradis perdu de Milton
feront partagés en fix Cahiers. Ils feront diſtribués le
20de chaque mois , à commencer au 10 Mai prechain.
An 30 Août 1784 l'impreſſion & diſtribution
du Cours de Langue Angloiſe ſeront entièrement
achevées. Ce Cours coûtera 41 liv. s ſols. On paye
en ſe faiſant infcrire 15 livres ; on reçoit en ſouſcrivant
les Cahiers diſtribués ; on envoie en mêmetemps
le modèle ſuivant de Soumiſſion :
:
Je m'engage à prendre la totalité du Cours de
Langue Angloife, pour lequelj'ai déjà payé15 liv.,
&àpayer les 15 liv. Second payement de cet Ouvrage
dans le courant de Juin suivant. On affranchira
l'argent & la lettre d'avis ; on les adreſſera à
M. Luneau de Boisjermain rue Saint André des
Arcs , vis-à- vis l'hôtel de Lyon.
د
Les Cahiers de ce Cours ſont remis francs de
port à Paris ou dans la Province.
TELEMAQUE , imprimé par ordre du Roi , pour
l'éducation de Mgr. le Dauphin. A Paris , chez Didot
Faîné , Imprimeur- Libraire , rue Pavée S. Andrédes-
Arcs. 2 vol. in- 8 ° . Prix , 30 liv.
C'eſt le troiſième format du Télémaqur ; il ne le
cède point aux précédens. M Didot travaille toujours
avec le même zèle , & toujours avec le même
i
DEFRANCE.
45
ſuccès. Cette Édition eſt une des plus belles qui ſoient
ſorties de ſes preffes.
On trouve chez le même , & chez Debure l'aîné ,
Entretiens de Socrate , deux volumes nouveaux de
la Collection des Moraliſtes Anciens , dédiée au Roi ;
papier d'Annonay , 4 liv. chaque ; papier ordinaire ,
3 liv.
PLAIDOYERS pour M. de Viffery de Bois-Valé,.
appelant d'un Jugement des Échevins de Saint-Omer,
qui avoit ordonné la destruction d'un Par- à- Tonnerre
élevéfurfa maison , par M. de Robeſpierre , Avocat
AParis, chez Deſenne , au Palais Royal.
CesPlaidoyers font le plus grand honneur àM.de
Robespierre , à peine ſorti de l'adolefcence.
NOUVELLE Topographie de la France. Carte de
laRégion Nord-Eft.
CetteCarteeſt la ſeptième des neuf qui préſentent
le premier degré de détail de la ſuperficie du
Royaume. On y trouve la portion de la Champagne,
qui contient le Réthélois , le Rémois , la Champagne
propre , le Perthois & le Vallage , les Duchés
de Lorraine&Barrois , le Pays des Trois Évêchés ,
&la Baſſe-Alíace.
Ces Cartes font toujours gravées avec la même
exactitude.
:
Le Comte deGleichen,Nouvelle Historique , par
M. d'Arnaud. A Paris , chez la Veuve Ballard &
fils , Imprimeurs du Roi , rue des Mathurins. Prix ,
3 liv. broché.
CetteNouvelle eſt la ſeconde du troiſième Volume
des Nouvelles Historiques. A *** , qui ſe publiera
dans le courant de Juillet prochain, complettera le
troiſième Volume. Ce qui compofera le quatrième
paroîtra dans le courant de la préſente année. Les
46. MERCURE
deux premiers Tomes de certe Collection ſe trouvent
chez Delalain l'aîné , Libraire , rue S. Jacques , visà-
vis la rue du Platre.
APHORISMES d'Hippocrate , donnés par M.
Lorry. in- 16 . Prix , 3 liv. A Paris , chez Théophile
Barrois le jeune , Libraire , Quai des Auguftins.
Feu M. Lorry , dont la Médecine & l'humanité
pleureront long- temps la perte , a ajouté de nouvelles
notes à cette Édition. Le texte Grec plus correct;
les citations des Commentaires de Vanſwieten
fur les Aphoritmes de Boerhaave complettées ; celles
des endroits d'Hippocrate & de'Celſe qui répondent
aux Aphorifmes vérifiées & corrigées avec la plus
ſcrupuleuſe exactitude ; la partie Typographique
très-foignée , rendent cette Edition plus précieuſe
que la précédente.
On trouve chez le même , Recueil d'Obſervations
Chirurgicales , faites par M. Saviard , ancien Maître
Chirurgien de l'Hôtel-Dieu , & Juré de Paris , com-
-mentées par M. le Rouge , Médecin ordinaire du
Roi , & Chirurgien Interne de l'Hôtel - Dieu. Nouvelle
Édition . in 12 Prix , 3 liv. relié. Obſervations
fur le Traitement de la Gonor ... Prix , 15 fols.
C
Détails Historiques des Tremblemens de Terre
arrivés en Italie , depuis les Févrierjusqu'en Mai
1783 , par MM . le Chevalier Hamilton , de la Société
Royale de Londres , & le Marquis Hyppolite, &
lûs dans une Aſſemblée de cette Société , traduits par
M. Lefebvre de Villebrune ; Brochure de 73 pages.
Prix , 1 liv. 4 ſols.- Itinéraire des Routes les plus
fréquentées,&c .
1
DEUXIÈME Recueil d'Airs , tirés de l'Opéra de
Blaife & Babet , pour le Clavecin , par M Charpentier.
Ouvre dix-septième. Prix , 6 liv. port franc
1
DE FRANCE.
47
par lapoſte. A Paris , chez Leduc , au magaſin de
Muſique , rue Traverſière S. Honoré.
く
DEUXIÈME Suite des Plaisirs de la Société .
compoſée d'Airs d'Opéras ſérieux & comiques ou
autres , pour le forté-piano, viol. ad libitum , par
M. Foignet. Prix , 7 liv. 4 fols franc de port. A
Paris , chez le Duc , même Adreſſe.
Ce ſecond Recueil n'est pas moins intéreſſant que
le premier par le choix des Airs & des paroles..
DEUXIÈME Air de la Caravane : Vainement
Almaïde encore , & ne fuis-je pas auffi captive
, arrangés pour le Forte Piano , Viol. obl. par
M. Pouteau , Maître de Clavecin. Prix de chacun ,
I livre 4 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand de
Muſique , rue Saint Honoré , près Saint Roch , &
Mlle Castagnery , rue des Prouvaires .
TROIS Sonates pour le Forte-Piano , Accompagnement
de Violon , par M. Kotzwara , Elève de
J. C. Bach . Prix , 4 liv. 16 ſols. A Paris , aux
mêmes Adreſſes que ci-deſſus.
SIX Duos concertans pour Flûte & Alto , par
M. de Vienne le jeune , Muſicien de la Chambre de
Mgr. le Comte de Rohan, cinquième OEuvre de
Duos. Prix , 7 liv. 4 fols port franc. A Paris , chez
Leduc, au Magaſin de Muſique , rue Traverſière-
Saint-Honoré .
Nous croyons que le Public verra toujours avec
plaifir les Ouvrages de M de Vienne , qui ne montre
pas moins de talens dans ſes compoſitions que
dans ſon exécution .
SIX Duos pour deux Bafſfons , par M. FrédéricBlafius.
Prix , 7 li vres 4 fols port franc par la
48 MERCURE
pofte. AParis , chez Leduc, même Adreſſe que cir
deffus.
:
QUATRE Sonates & deux Duos à quatre mains
pour le Forte-Piano , Violon ad libitum , par M..
Millot, Organiſte de Panthemont, Ouvre I. Prix ,
و liv.AParis, chez Leduc, meme Adreſſe que cideffus.
:
Duo pour Violon & Alto , par Ch. Stamitz.
Prix, livre 16 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand
de Muſique, rue Saint Honoré , près Saint
Roch ; Mile Caſtagnery, rue des Prouvaires , &
Blaizot, rue Satory, à Versailles. T
On n'a point oublié le mérite des Ouvrages de
M. Stamitz ; on'en verra de nouveaux ſans doute
avee plaifir .
Pour les Annonces des Titres de la Gravure .
dela Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
4
MADRIGAL,
TABLE.
1
Fragment de Xénophon , 19
4Concert Spirituel , 21
ib Acarémie Roy. de Musiq. 23
Charade, Enigme& Logogry Comédie Françoise,
Quatrain ,,
Eloge des Brunes ,
phe ,
des Tribunaux ,
Sermons fur l'Aumône,
Effaissur l'Histoire Générale Variétés ,
33
6 Comédie Italienne, 36
40
8 Annonces & Notices , 4
18,
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'ar lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Mai. Je n'y bi
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.A Paris ,
leoAvril 1984. GUDL0 утв L
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars.
E Comte Wolodimir Orlow , frere du
Lfeu Prince de ce nom , arrivé ces jours
derniers de Moſcou dans cette Capitale , y
a préſenté à l'Impératrice le portrait de
S. M. I. qu'elle avoit donné au Prince ſon
frere , avec la permiſſion de le porter à la
boutonniere de ſon habit. S. M. ne l'a point
repris ; elle a déclaré que le don de ce portrait
avoit été un témoignage de ſa ſatisfactiondes
ſervices , que ce Prince & toute fa
famille avoient rendus à l'Era , & qu'elle le
donnoit au Comte Alexis Orlow , celui qui
dans la derniere guerre , remporta la victoiredeTſcheſme
, avec la permiffion de le
porter de lamême maniere.
S. M. I. a alligné au Lieutenant Général
d'Artillerie , M. Meliffimo , 300 roubles par
mois pour fa table.
N°. 18 , 1 Mai 1784. a
48 MERCURE
poſte. AParis , chez Leduc , même Adreſſe que cis
deffus.
QUATRE Sonates & deux Duos à quatre mains
pourle Forte- Piano , Violon ad libitum , par M.
Millot, Organiſte de Panthemont, Ouvre I. Prix ,
وliv.AParis, chez Leduc, meme Adreſſe que cideffus.
: Duo pour Violon & Alto , par Ch. Stamitz.
Prix, livre 16 fols. A Paris , chez Bouin , Marchand
de Muſique, rue Saint Honoré, près Saint
Roch ; Mile Castagnery, rue des Prouvaires , &
Blaizot, rue Satory, à Versailles.
On n'a point oublié le mérite des Ouvrages de
M. Stamitz; on en verra de nouveaux ſans doute
avee plaifir.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure .
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
MADRIGAL,
TABLE.
1
Fragment de Xénophon , 19
Quatrain , 3 , 4Concert Spirituel, 21
Elogedes Brunes , ib Acarémie Roy. de Musiq. 23
phe ,
Charade, Enigme& Logogry Comédie Françoise,
Effaissurl'Histoire Générale Variétés ,
33
6ComédieItalienne, 36
40
des Tribunaux 8 Annonces & Notices , 4
Sermonsfur l'Aumône, 18,
APPROBATIΟΝ.
J'ai lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi Mai . Je m'y bi
tien tronvé qui puiffe en empêcher l'impreffion.A Paris ,
Je-30 Avril 1984. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES. ?
1
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 12 Mars.
E Comte Wolodimir Orlow , frere du
Lfeu Prince de ce nom , arrivé ces jours
derniers de Moſcou dans cette Capitale , y
a préſenté à l'Impératrice le portrait de
S. M. I. qu'elle avoit donné au Prince ſon
frere , avec la permiſſion de le porter à la
boutonniere de ſon habit. S. M. ne l'a point
repris ; elle a déclaré que le don de ce portrait
avoit été un témoignage de ſa fatisfactiondes
ſervices , que ce Prince& toute fa
famille avoient rendus à l'Era , & qu'elle le
donnoit au Comte Alexis Odow , celui qui
dans la derniere guerre , remporta la victoiredeTſcheſme
, avec la permiffion de le
porter de la même maniere.
S. M. I. a affigné au Lieutenant Général
d'Artillerie , M. Meliffimo , 300 roubles par
mois pour fa table.
Nº. 18 , 1 Mai 1784 .
( 2 )
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 6 Avril.
On vient de recevoir la nouvelle fâcheuſe
du naufrage du bateau de poſte , parti il
y a 8 jours pour Hambourg , dans le petit-
Belt , à un quart de mille d'Aroësund , par
une tempête qu'il a eſſuyée le 30 du mois
dernier ; la perte de la malle des dépêches
& des eſpeces qu'il portoit , n'eſt point la
plus fâcheuſe qu'on ait à déplorer. 18 perſonnes
ont été englouties par les flots. Une
feule eſt ſauvée ; c'eſt M. de Seidwitz , Lieutenant
de Huſſards , qui s'eſt réfugié ſur un
morceau de glace , d'où il a été tiré par un
bâtiment qui étoit à portée.
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 6 Avril.
S'il faut en croire les bruits publics
S. M. n'eſt attendue de retour dans ſesEtats ,
qu'au mois de Septembre ou d'Octobre
prochain. Ce qui ſemble le confirmer , c'eſt
que ſes dernieres lettres révoquent tous les
ordres qu'elle avoit déja donnés l'été dernier
pour faire camper ſes troupes cette année;
de forte qu'il n'y aura point de camp ,
&que 6000 hommes de troupes de terre
feront employées à réparer les fortifications
des places frontieres. 售
( 3 )
:
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 6 Avril.
Il paroît certain aujourd'hui , que conformément
à l'alternative établie entre les trois
grandes Provinces de la République , pour
la tenue des dietes , la premiere s'aſſemblera
en Lithuanie. Le Comte Gurowski , Grand-
Maréchal de ce grand Duché , a déja envoyé
ordre au Commandant de la Garde
Hongroiſe à Grodno , de l'habiller de neuf ;
les régimens des Gardes de Lithuanie à pied
&à cheval , le feront également ; & ce dernier
, qui eſt en garniſon ici , ſe rendra l'été
prochain à Grodno.
On lit dans quelques lettres de Ruffie les
détails ſuivans des arrangemens pris par
cette Cour au ſujet de ſes nouvelles poffeffions.
Ils ont pour objet trois points principaux ,
1 °. de changer la conſtitution antérieure & leadminiſtration
de ces pays , pour leur en donner de
conformes à celles adaptées dans le reſte de l'Empire.
2°. De les mettre dans un état de défenſe
convenable pour l'avenir , & de les aſſurer contre
les invaſions qu'on pourroit y faire du côté
de la Turquie. 3º. D'exécuter les grands projets
de commerce & de navigation qu'on avoit
fondés ſur l'acquiſition de ces contrées , & de
mettre ainſi réellement à profit le traité de commerce
conclu l'année derniere avec la Porte.
-Pour le premier objet , on ne s'eſt pas cons
a 2
( 4 )
tenté de changer le nom de Crimée en celui de
Tauride , on a fait reprendre àtoutes les villes
&places de cette contrée les noms qu'elles portoient
antérieurement ; c'eſt ainſi que Caffa s'appelloit
Théodoſie , &c. La preſqu'ifle ſera partagée
en 7 cercles différens , qui formeront avec
celle deTaman un gouvernement général, dont
le Prince Potemkin ſera revêtu. Le gouvernement
civil ſera mis ſur le même pied où les autres
Provinces de la Ruſſie , de la Finlande , de
l'Estonie , de la Livonie & de l'Ukraine ont été
miſes par l'Ordonnance de 1775.- Quant au
fecond point , les principales places feront fortifiées
, il y ſera mis de nombreuſes garnisons , &
l'on potte à 50,000 hommes les troupes qui y ſeront
employées. - Quant au ze , on remettra en
état le port de Cherſoneſe,ou du Vieux-Cherfon,
on le garnira des fortification néceſſaires, comme
le plus propre pour y mettre à l'abri non-feulesment
des bâtimens marchands,mais auſſi des vaiffeaux
de guerre,& comme non moins avantageux
par ſa poſition poury établir l'entrepôt & l'étape
du commerce de la Ruffie. Ce port , connu ſur
les anciennes cartes ſous le nom de Cherſoneſe ,
& ſitué dans la Crimée , ſur le bord de la mer
Noire , à 15 ou 20 lieues de l'endroit où le Dnieper
ſe débouche dans cette mer , ne doit point
ſe confondre avec la ville de Cherfon', que la
Ruſſie a fondée depuis peu d'années ſur le bord de
cette riviere , & qui ſe nomme le nouveau Cherfon.
On ajoute à ces détails que le Prince Potemkin
retournera dans peu en Crimée , poury
faire exécuter ces arrangemens. Mais il ne paroît
pas également certain qu'il doive enſuite ſe rendre
par Conſtantinople en Italie, puiſque le bruit
s'eſt renouvellé que l'Impératrice fera elle-même
l'été prochain un tour à Cherſon,& que dans.
( 5 )
cecas le Prince Potemkin reſtera ſans doute dans
fonGouvernement général pour l'y recevoir.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 10 Avril.
L'Empereur a fait ſes Pâques le Jeudi-
Saint , dans la grande Chapelle de la Cour ,
où il a communié des mains du Nonce
Apostolique ; le même jour il fit la cérémonie
de laver les pieds à douze pauvres , &
de les ſervir à table; c'étoit douze vieillards
qu'on avoit raſſemblés ,& dont les âges réunis
formoient 997 ans.
S. M. I. pendant ſon ſéjour en Italie , a
terminé pluſieurs différends qui fubfiftoient
avec le S. Siege pour la collation des Prélatures.
La nomination de l'Archevéque de
Milan a été confirmée par le Pape , & le
nouvel Archevêque a été à Rome.
L'Empereur , qui ſe propoſe de donner
une plus grande activité au commerce de
ſes ſujets dans les Indes Orientales , a, diton
, déligné les ports de Trieſte, de Livourne
& d'Oſtende , pour ſervir d'entrepôts à
ce comm srce.
DEHAMBOURG , le 11 Avril,
S'il faut en croire nos papiers , tout chan**
gera bientôt de face dans l'empire Ottoman.
Le Gouvernement éclairé commence
a 3
L ( 6 )
à fentir l'abfurdité des préjugés , qui juſqu'ici
l'ont empêché de profiter des lumieres répandues
dans l'Europe , & s'occupe à les attirer.
-
On travaille , lit - on dans une lettre de
Conſtantinople , à relever les maiſons détruites
par les incendies de 1782 , & le grand Vifir fait
conſtruire actuellement à ſes frais , pour la décoration
de cette Ville , & l'uſage des habitants ,
une magnifique fontaine. On ſe flatte à
préſent qu'en conféquence de l'accommodement
avec les deux Cours Impériales , & la neutralité
avec celle d'Efpagne , notre commerce qui eſt
en grande partie entre les mains des Grecs &
des Arméniens nations économes & actives ,
reprendra bientôt un aspect plus avantageux. Le
Divan examine divers projets qui lui ont été
préfentés , pour mettre fur un meilleur pied le
ſyſtème économique & la caiſſe des finances.
Quant à la culture & à l'inſtruction , la nation
ſemble ſe rapprocher d'une époque favorable
aux Sciences & aux Arts. Onfait que le Sultan
aacquis des connoiffances étrangeres pour ainſi
dire juſqu'à ce moment dans le Serrail ; il les a
puiſées dans la lecture de pluſieurs Ouvrages
étrangers , parmi leſquels il a donné la préférence
à ceux qui traitoient de la politique &du
commerce. Ilen a fait traduire un grand nombre
dans la langue turque , & il en fait traduire
journellement ; on dépoſe auſſi tốt ces verſions
dans la Bibliotheque publique qu'il a formée
depuis quelques années , & dans laquelle on
trouve à préſent quantité de manufcrits arabes ,
perfans & turcs. Le Grand Seigneur a ordonné
de rouvrir l'imprimerie qui avoit été fermée depuis
la mort d'Ibrahim Effendi ; & l'on prétend
( 7 )
que le premier Ouvrage qui ſortira des preſſes
Ottomanes ſera une traduction de l'hiſtoire da
commerce des Européens dans les deux Indes ».
Des lettres particulieres portent que la
paix conclue entre les deux cours Impériales
, l'a été pour le terme de 12 ans; cela eſt
conforme à l'uſage ancien de la Maiſon
d'Autriche , &pratiqué long-temps , de ne
faire que des trêves avec les Turcs , & jamais
de paix perpétuelle.
Cependant , écrit- on de Semlin , il arrive
continuellementdes troupes aſiatiques à Belgrade,
& on dit qu'elles doivent être ſuivies encore de
pluſieurs corps. 'Cela n'empêche pourtant pas
que la communication n'ait été rouverte , & que
le commerce ne ſoit repris. Un Commerçant de
cette Ville ayant réſolu d'établir une maiſon de
négoce à Belgrade , a fait demander au feu Bacha
s'il falloit que ſon Commiſſionnaire revêtit
l'habit turc ; &le Commandant lui a faitrépondre
que les Européens pouvoient conferver leurs
vêtements , & paroître même devant lui fans
s'aſtreindre à un autre costume. - Un Off
cier Ottoman , ajoutent les mêmes. Lettres,
s'étant embarqué ſur un bateau avec fix hommes
de ſanation ,& ayant voulu , malgré les défenſes
formelles , débarquer fur le rivage autrichien , le
Soldat de garde de ce côté lui cria d'atréter , le
menaçade faire feu,& fit feu réellement fur fon
refus. Iltira ſucceſſivement deux coups ,dont le
premier tua l'Officier , & le ſecond un de ſes
compagnons. Sur les plaintes portées par notre
Commandant à celui de Belgrade, il fut arrêté
que les deux morts s'étant attiré leur fin funeſte ,
ils ſeroient l'un & l'autre jetés dans le Danube
avec une corde au col .
24
( 8 )
Les réglemens relatifs au Clergé s'exécutentdans
tous les Etats héréditaires ; S. M. I.
en a adreſſé un nouveau à tous les Evêques
deHongrie , de Bohême & de Gallicie; elle
leur recommande l'attention la plus ſévere
dans le choix des ſujets qu'ils admettent aux
Ordres facrés , & leur preſcrit de les foumettre
auparavant aux examens les plus rigoureux.
Les hommes chargés du ſoin des ames & de
Finſtruction religieuſe des peuples , eſt- ilditdans
ce réglement , ne fauroient être trop inſtruits ni
trop éclairés ; c'eſt d'eux qu'il faut attendre la
deſtruction des vains préjugés , des pratiques fuperftitieuſes
qui ont été priſes juſqu'à préſent pat
l'ignorance pour la Religion même à laquelle
elles font étrangeres. Un Prêtre doit remplir avec
intelligence &avecdignité les fonctions ſacrées
du Sacerdoce ; une des plus importantes , & qu'il
ne doit jamais négliger , eft celle de l'inſtruc
tion. Chargé de diriger la conduite religieuſe de
l'homme en fanté & de P'homme malade , il doit
veiller avec foin à ne jamais l'égarer ni l'affliger.
C'eſt fur- tout le moribond qui mérite de fapart
plus de ſoin , de douceur & d'indulgence. Le
zele peu éclairé , au lieu de lui offrir les confo
lations qu'il lui doit , ne fait que le troubler &
l'effrayer dans ſes derniers moments ; c'eſt lui
qui a introduit l'uſage de cet appareil ſombre &
lugubre dont ſouvent on l'environne ; ces flambeaux
noirs qu'on étale dans ſon appartement ,
qu'on diſtribue de tous côtés , & qu'on allume
pour chaffer d'auprès de lui les démons tentateurs,
& les empêcher d'en approcher , idées capables
d'accabler le malade , de hater ſa mort, d'empoifonner
ſes dernieres heures , de le remplir d'une
terreur qui abſorbe ce qui lui reſte de facultés
& ne lui laiſſe plus la liberté, la préſenced'efprit
néceſſaire pour ſe recueillir & ſe recommander
au Juge ſuprême devant lequel il va
paroître.
DE COLOGNE , le 15 Avril.
L'Electeur , dont la maladie a toujours
empiré depuis le 13 de ce mois , y a fuccombé
aujourd'hui : on apprend de Bonn ,
que ce matin à 9 heures & demi il eſt mort.
Il avoit été élu Archevêque de Cologne le
6 Avril 1761 , & Prince-Evêque de Munfter
le 16 Septembre 1762. Il étoit né le 13
Mai 1708 : pendant le cours de ſa maladie ,
qui a duré 7jours , il a montré une fermeté
inébranlable , & la plus parfaite réſignation
àla volonté divine. Son ſucceſſeur est l'Ar--
chiduc Maximilien d'Autriche.
ITALIE.
1
3
DE LIVOURNE, le 27 Mars.
*
Onn'a point encore de nouvelles poſiti
ves de la Grande- Duchefſſe de Toscane. Celles
qui avoient été publiées de ſa priſe par une
frégate Françoiſe , qui après l'avoir enlevée
aux Eſclavons , s'en étoit rendu mai
tre , & l'avoit conduite à Malthe ſelon les
uns , & à Alger ſelon les autres , ne ſe ſon't
as
( 10 )
point confirmées. Une des frégates Angloiſes
qui l'ont cherchée inutilement, a mouillé
le 21 ici , d'où elle a remis à la voile hier ;
on dit qu'elle va croiſer ſur les côtes de Sardaigne
; & voici les nouveaux bruits qui
font eſpérer que cette nouvelle recherche
ne ſera pas infructueuse .
Le 7 Février , ce Bâtiment jetta l'ancre dans le
Golfe d'Oreſtano , iſle de Sardaigne ; les Commis
de l'Amirauté s'étant rendus à bord , un
des Eſclavons ſe dit Capitaine du Bâtiment ,
&dit qu'il avoit été obligé de faire côte parce
qu'envoulantjetter l'ancre,leventavoit changé ;
dans ce moment , ajouta-t-il , la plus grande partie
de ſon équipage étoit dans la chaloupe qui
avoit chavire ; ce récit fervoit à juſtifier le peu
de monde qu'il avoit à bord ; il ne conſiſtoit ,
dit- il , qu'en 7 perſonnes , dont l'une étoit une
femme ; on prétend qu'il a enrôlé là quelques
Matelots.
Il a été préparé dans différens endroits divers
armemens , pour ſuivre les traces de ce
navire ; & on apprend qu'il eſt aufli parti de
Naples pour cet objet 4 chebecs du Roi.
Ces jours derniers , la Patrouille en faiſant ſa
ronde a trouvé ſur le bord du foffé de la fortereſſe
neuve , un paquet de hardes qu'elle a ouvert
&qu'elle a trouvé contenir un habit complet
d'homme ; un chapeau dans lequel étoit une
montre , une bourſe avec peu d'argent , & un
billet où l'on liſoit : Ne cherchez point mon meurtrier;
c'est moi qui me fuis donné la mert. La Patrouille
, en vifitant exactement le lieu
trouvé dans le foſſé le cadavre d'un noye ; on
Pa retiré ,& on l'a reconnu pour celui du Doc
a
( II )
teur Novelli. Il paroit qu'avant de ſe jeter dans
l'eau il s'étoit porté un coup de couteau à la
gorge ; on ignore quels motifs ont pû le porter à
cet acte de déſeſpoir.
: On s'occupe dans toute l'Italie des expériences
des machines aéroſtatiques ; quelques
imprudences ont donné licu, à l'Ordonnance
ſuivante , publiée à Milan.
« Le Gouvernement ayant été informé que
quelques ballons aéroſtatiques remplis d'air raréfié
par le feu , ſont tombés près de nos magaſins
& moulins à poudres , où , étant conſumés
par les flammes , ils auroient pu cauſer des
pertes conſidérables , & voulant obvier aux malheurs
que pourroient occaſionner de pareilles
machines , qui ne fervent que d'amusement ,
&qui , tombant ſans être dirigées , ne laiſſeroient
pas d'être funeſtes fi elles venoient à tomber
ſur les maiſons , magaſins à foins & autres lieux
où se trouvent des matieres combustibles. S.A. R.
a réſolu de défendre ſous des peines arbitraires
àtous ſes ſujets en général de lancer des Aerottats
dans cette ville & dans toute rétendue de
de la Lombardie Autrichienne. S.A. R. fe
réſerve d'en accorder de temps - en-temps la
permiffion à des perſonnes intelligentes qui feront
obligées d'uſer de toutes les précautions
qu'exige la sûreté publique ,&c.
DE NAPLES , le 20 Mars
وا
T
Le Roi ayant fait publier un écrit , po
tant défenſe aux Religieux Francifcains de
s'abſenter à l'avenir de leurs Couvens , &
enjoignant à ceux qui en font fortis d'y rea
6
( 12 )
tourner ,
1
on a fait, le dénombrement de
ceux qui reſtent dans cette capitale ; il monte
à ris ; ceux qui ſe trouvent dans la Calabre
ultérieure , font au nombre de 1100.
Ils feront répartis dans les divers couvens
du royaume.
On a , dit- on , préſenté dernierement au
Confeil d'Etat deux projets, dont l'un eft
relatifà la diminution du nombre des Evêchés,
& l'autre à la ſuppreſſion des Couvens
réguliers. )
Les Gazettes étrangères ayant parlé avec peu
d'exactitude des différends qui viennent d'être
terminés entre notre Cour & la republique de
Ragule , on croit devoir rect fier ici les détails
qu'elles en ont donnés. Il eſt vrai que l'Empereur
a employé ſes bons offices auprès du Roi , en
faveur de la République, comme l'avoient fait les
Cours de France & d'Espagne. Ce Prince ayant
reconnu le droit légitime de la Couronne de
Naples für le point en conteſtation , a infinué
amicalement àla République de ſe déſiſter de fa
prétention. Elle a expédié à cette Cour le Sénateur
Baron de Zamagno , comme ſon Miniftre
extraordinaire , pour affurer leRoi de ſon dévouement,&
le ſupplier d'envoyer à Raguſe le Gouverneur
d'armes qu'il lui avoit deſtiné , pour
exercer les mêmes fonctions que ſes prédecelſeurs.
Il n'est point établi qu'en cas de mort , de
retraite ou de congé de ce Gouverneur d'armes ,
il n'en ſera pas envoyé d'autres de la part de cette
Cour, parce que le Roi ne cédera en aucuns cas
cedroitde ſa Couronne. Cette Cour , au reftes
n'a jamais refuſe à la République la faculté d'envoyer&
d'entretenir ici un Miniſtre , quand elle
( 13 )
juge à propos , il a été accordé au Baron Zima
gno, qui est aujourd'hui chargé de cette million,
lemêmetraitement dont ontjoui les Miniſtres fes
prédéceſſeurs.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 20 Avril.
Ona parlé ſouvent dans le cours de la
derniere guerre , des démêlés de l'Etat de
Vermont avec quelques autres ; ils font à
préſent terminés : la lettre fuivante , écrite
deBenington , dans cet état , donnera une
idée del'érat actuel de ce pays , de ſa popu
lation&de lon gouvernement.
T
>>>Arrivé à Quebec le 8 Septembre avec ma
famille , & la riviere,nous promettant une tras
verſée agréable pour nous rendre ici , nous tra
verſames le lac Champlain , & arrivames le 25.
J'achettai ſur le champ pour 900 liv. ſterl. une
partie de terrein de 720 arpens , où j'ai établi
une ferme & placé ma famille que j'entretiens
à peu de fraix. Je me ſuis occupé d'abord à
éclaircir les bois de mon domaine , & à préparer
des terres pour la récolte prochaine , j'ai
conſervé le bois néceſſaire pour construire &
entretenir tous mes édifices , granges , paliſſades
, &c. , & une partie de très beaux chênes que
je deſtine à l'exportation , & qui couvriront mes
dépenſes de maniere que bientôt mon établiſſe
ment ne me coûtera rien. -En général le
terrain égale ici en bonté les plus fertiles que
je connoille; il n'y a pas dans le monde entier
de plus beau bois de conſtruction que ceux des
( 14 )
environs demon établiſſement. Nous avons beaucoup
de mines de fer, & nous ne manquons pas
d'eau pour faire des machines & autres établiſſemens
; nos ruiſſeaux abondent d'ailleurs en trèsbeaux
poiffons , & nos lacs & étangs ſont couverts
d'oiſeaux ſauvages ; je connois des perſonnes
qui dans cette ſaiſon ont tué entre 60 & 70
bêtes fauves ; mais la fertilité du terrain, la ſalubrité
du climat & la beauté du payſage font audeſſus
de toute expreffion, & mériteront à cette
contrée la préférence ſur toutes les autres de l'Amérique.
Le Gouvernement eſt encore un attrait
de préférence pour toutAnglois. Le peuple ici
eft indépendant ; il eſt ſon propre ſouverain ; la
forme du Gouvernement eſt entiérement démocratique
; nous n'avons aucune part à la confédération
des Etats-Unis , & nous n'entrons pour
riendans ladette continentales en conféquence
les impôts ſont trés légers , le peuple n'a à payer
que lesOfficiers du Gouvernement , dont les appointemens
ne montent pas à plus de 600 liv.
fterl. par année ; j'oſe aſſurer que la Juſtice n'eſt
nulle part ni mieux ni plus promptement adminiſtrée
; par exemple , il n'y a pas de procès
entredeux particuliers qui ne puifle être terminé
judiciairement pour moins des livres ſterl . II
y a ısans qu'il n'y avoit pas une ſeule habitation
fur toute la vaſte ſurface de cette contrée. On
y compte déjà 38000 habitans. Il eſt très-ordinaired'y
voir un colon avec 100 bêtes à cornes
dans ſes enclos , qui n'agueres étoient couverts
d'arbres & formoient des hailliers impénétrables,
même aux rayons du ſoleil.
S'il faut en croire nos papiers , les établifſemens
formés dans la Nouvelle-Ecoffe ,
n'offrent pas de moindres avantages à ceux
( 15 )
qui s'y ſont réfugiés ; & cette colonie deviendra
dans la ſuite un objet fort intéreſſant
pour le commerce de la Grande-Bretagne;
on préſume qu'elle finira par nous
dédommager, autant qu'il étoit poſſible, de
celles que nous avons perdues.
:
1
L'eſcadre de l'Amiral Campbell à Terre->
Neuve, ſera compoſée du Salisburi de so
canons , du Winchelsea de 32 , de la Thisbé
de 28 , & du marquis de Seignelay de 16 .
Après bien des tableaux contradictoires de
l'établiſſement de paix pour la Marine , on
vient de publier celui-ci , qui , dit -on , a été.
enfin arrêté.
Il y aura 25 vaiſſeaux de ligne tant du ze que
du 4e rang , 8 de 50 canons ,43 fregates & 1379
floops ou cutters. C'eſt ainſi que les 214 vaifſeaux
ſeront diftribués. Il y en aura 21 de ligne
qui feront de garde dans les ports de la Grande-
Bretagne , ſavoir 6 à Portsmouth , 6 à Plimouth ,
7àChatham , 2 à Sheerneſſ. On établira en croifiere
, dans le canal entre la G. B.& l'Irlande ,
ſur les côtes d'Ecoſſe , & dans la ſtation du nord
un vaiſſeau de 50 canons, 17 fregates , 62 cutters
& floops. Les forces à Gibraltar& dans la Méditerranée
conſiſt ront enun vaiſſeau de 64 , unde
50, 6 fregates & 3 floops ; àla côte d'Afrique
nous aurons un vaiſſeau de so , une fregate , 4
floops . On répartira dans nos autres poffeffions :
de l'Amérique ſeptentrionale , qui font Quebec ,
Hallifax&Terre-Neuve 2 vaiſſeaux de 50, 4 fregates
& 35 floops ou cutters ; à la Jamaïque il y
en aura un 50, fept fregates , 8 floops ; dans les
autres iftes un de 50 , 5 fregates & 12 floops ;
aux Indes orientales4de ligne , un de 10, 4 fregates&
autant de floops
( 161)
La Compagniedes Indes a reçu des nou
velles de Bombay , en date du ro Décem
bre; elles font arrivées le 18 de ce mois ,
&portent , dit-on en ſubſtance,les détails
ſuivans.
La paix avec les Marattes eſt inviolablement
obſervée de part & d'autre , &Mandalje Scindia
en a fait part à Tippo- Saïb en lui recommandant
l'obfervation de l'article 5 du Traité , pour
ne pas mettre ſanationdans le casde remplir l'engagement
qu'elle a pris de pénétrer dans ſon pays&
de lui faire la guerre. --La trève en're ce Prince
& la Compagnie ſubſiſte toujours ; le Gouver--
neur-Général & le Conſeil ont confirmé cette
ſuſpenſion d'hoſtilités , & envoyé des Députés
pour traiter d'une paix définitive ; on eſpère
qu'on parviendra à la conclure ; en attendant
le Général Fullarton eſt à portée de pénétrer
dans les Etats du Prince Indien avec 1700 Européens
, 17 bataillons de Cipays , & un train
d'artillerie conſiſtant en 60 pieces de canon ;
il eſt prêt à agır au premier ordre , & on ſe flatte
querfa bonne contenance influera fur les diſpofitions
de Tippo- Saib . Le Général Stuart
eſt en route pour l'Europe ; il s'embarqua le
16 Septembre tur le paquebot la Fortitude. On a
perdu dans Finde le vaiſſeau le Superbe qui ar
péri en ſe rendant à Tellicherry , avec tout ſon
équipage , dont il ne s'eſt ſauvé que deux
matelots .
15
L'élection de Westminster n'eſt pas en
core terminée , aujourd'hui le Lord Hood a
6174 voix , fir Cecil Wray 1973 , & M. FOK
5443. Les uns & les autres convenant qu'il
ya eu bien des fraudes dans les fuffrages ,
( 17 )
s'accordent à demander le ſcrutin, ce qui va
faire traîner encore cette élection. Ce ſcrutin
fait l'eſpérance des amis de M. Fox , qui
defirent qu'il ſoit élu , & qui n'ont rien négligé
pour y réuffir. :
On fait pluſieurs contes affez plaiſans ſur
cequi a été faitdans cette élection . Une belledame
qui prend beaucoup d'intérêt à M. Fox , inftruite
que fix Electeurs favoriſant le Lord Hood ,
dinoient enſemble dans la maiſon de l'un d'eux ,
imagina de ſe rendre au lieu du feftin , &d'eſſayer
d'aſſurer leurs voix à M. Fox. Elle arrive au
moment où la maîtreſſe de la maiſon avoit quitté
la table , &que le vin étoit apporté ; elle s'aflit ,
en diſant qu'elle n'avoit pas dîné , & qu'elle ne
les dérangeroit point. Quelle ſanté buvez-vous ?
Le maître lui dit , c'eſt à la Conſtitution. J'y
fais raiſon , dit-elle , de tout mon coeur , Fox&
laConstitution; on la pria de ne pas altérerla ſanté;
elle but , & demanda ce qu'elle avoit bu , c'étoit
du ponch irlandois ; elle leur dit enſuite qu'elle
avoit un ſervice à leur demander , qu'elle croyoit
qu'ils ne le refuſeroient pas à une Dame. On
s'empreſſa de lui répondre qu'il étoit difficile
en effet de n'être pas galant ; mais que quand
il s'agiſſoit de Dames , on étoit moins fcrupuleux
, & qu'on recevoit volontiers leurs prétens ;
on exigea un baiſer avant tout ; il fut accordé;
après quoi , elle leur propoſa de donner leur
voix à M. Fox. Ils le promirent , mais pour
l'élection ſuivante ils n'étoient plus maîtres
de varier pour celle-ci ; la Dame ſe plaignit
, & il lui échappa de faire entrer dans ſes.
plaintes la malhonnêteté du baiſer extorqué , &
on s'empreſſade le lui rendre, c'eſt tout ce qui rés
ſulta de cette viſite.
,
ن
( 18 )
Nos papiers qui copient cette anecdote ,
qui n'eſt ſans doute qu'une plaiſanterie , font
un calcul affez plaiſant du nombre de baifers
appliqués par les plus jolies femmes de
l'Angleterre ſur les levres groſſieres des électeurs
, pour en acheter les voix , &l'un d'eux
faitcette obſervation.
C'eſt une faute affez finguliere de la part
de ceux qui ont porté des bills pour prévenir
la corruption aux Elections d'avoir oublié de
fixer des peines contre les belles Dames qui
vont ſolliciter les hommes de donner leur voeu
& qui les embraſſent pour les y décider ; un
baiſer a ſouvent plus de prix que tout autre
préfent , & par conséquent plus d'influence. Les
Dames qui les accordent ſont ſans doute coupables
quand elles ſont mariées , & que ce
n'eſtpas pour leurs maris qu'elles follicitent .
Dans quelques endroits les partis ſe ſont
conduits d'une maniere plus vive & plus indécente
pour foutenir leurs créatures.
L'élection ici , écrit-on de Coventry , a été
accompagnée de bien des troubles ; un pauvre
homme qui avoit voté pour Sir Sampſon &
M. Wilmott en oppoſition aux ordres précis de
ſon maître , vit ſes biens ſaiſis le lendemain pour
trois quarts d'une année de rente , montant à 3
liv. II f. 6 d. , & due ſeulement de la veille.
On ne ſe propoſoit rien moins que de ruiner
ce pauvre homme & ſa famille. Sir Sampſon
en ayant été inſtruit a fait payer la dette , &
les biens ont été rendus. Ce mème Sir Sampſon
a fait une pension de 20 livres ſterlings
à la veuve d'un pauvre Electeur qui eſt mort
d'une chute qu'il a faite en venant au lieu de
( 19 )
Pélection ; il en a donné s pour le faire en
terrer , & a chargé un de ſes gens de veiller ,
à ce que tout ſe paſſe dans la plus grande décence.
Ces actesde générofité ont fortifié ſon parti;
le parti oppoſé s'eſt manifefté par quelques excès ;
il a briſé les vitres des deux Candidats préférés ,
&cellesde quelques-uns de leurs amis. Une douzaine
de manufacturiers de ſoye ont annoncé
une réſolution de n'employer aucun Ouvrier
qui auroit voté pour Sir Sampſon &M. Wilmott.
C'eſt ainſi que le peuple ſe conduit dans
Poccafion la plus intéreſſante , celle où il a
de l'importance dans la légiſlation; en vain
on ne ceſſe de publier des avis qui font propres
à le rappeller à une conſidération férieuſe
de ce qu'il ſe doit , ou il ne les lit pas ,
ou ce qui revient au même , il n'y fait aucune
attention .
Le peuple anglois a maintenant une grande
queſtion à décider; il s'agit de ſavoir fi lui &
fa poſtérité feront libresou non. Les Chambres
des Communes du Parlement , par une longue
proſtitution , ſont tombées dans le mépris ; & la
nationa dirigé la prérogative royale à la deftructionpolitique
de la derniere Chambre. Dans cet
état des chofes , il faut inviter les hommes à ré
fléchir , à ne pas ſouffrir que l'indignation , ce
ſentiment quidérive naturellement des profondes
fouffrances, leur faffe perdre de vue l'importance
& la dignité d'un Corpsrepréſentatif. Qu'ils fongent
auDanemarck & âla Suede. LesRois peuvent
parler le langage qu'il leur plaît ; mais tout
homme aime le pouvoir, & il eſt facile à tout
homme d'être corrompu par ce même pouvoir.
-On a fait pendant le regne actuel divers efforts
continus pour répandredans les eſprits une
( 20 )
اه
défiance générale entre chaque homme afpirant
aux vertus publiques fondées ſur l'amour des peu.
ples,& ils n'ont malheureuſement que trop réuſſi;
mais l'homme , trompé par fix ind gnes amis
n'a pas le droit de ne plus croire à l'utilité de l'amitié
; une pareille concluſion ſeroit plus condam
nable encore dans le peuple , parce que ſes conſéquences
feroient plus funeſt s. - Aucun
homme accoutumé à réfléchic fur l'humanité en
général , ne peut croire que le mouvement actuel
qui dirige la popularité en faveurde la prérogative
, eft la conféquence de quelques progrès
en ſageſſe politique ; il n'eſt que la conféquence
du ſentiment , ou plutôt le reſſentimentd'une inſulte
; car en général on regarde ſous ce pointde
vue une coalition contre nature ; de-là les appa
rences de violence , les outrages faitsà la dignité
des Communes , les bleſſures cruelles portées au
Lord North & à M. Fox. Tout le monde ſent peu
ce raisonnement. Il faut profiter de ce moment
pour perfectionner la repréſentationdu peuple ,
fant quoi fa liberté ſe perdra. Le tems en a offert
des exemples . L'intégrité du Miniſtre , ſes vertus
même ne peuvent produire aucun bien , juſqu'à
ce que la nation ait pris ſes meſures pour régler
fon administration. Juſques - là la Chambre des
Comm nes pouvant être corrompue , le fera tou
jours. Les moyens de corruption peuvent - ils étre
diminués par les efforts que l'on fait pour l'ac
croître. L'effet de l'habitude eſt de mal fairedans
les occafions les moins importantes , & on n'y
fait pas affez d'attention. La Courtilanne qui ti,
roit cent guinées pour une nuit , en s'abandonnant
pour une , n'eſt devenue que plus vile .
Chaque Chambre des Communes , élue d'après
le plan actuel , étant corruptible , & pouvant
être en conféquence corrompue par habitude
1
1
( 21 )
excitera plus de reſſentiment parmi la nation's
celle-ci ſe livrera à fon mépris , on l'irritera adroitement
,& on finira par l'enchaîner. La probabilité
de cet événement augmente quand on confidere
les peſans fardeaux qui peuvent être ajoutés à
ceux que la nation porte déjà avec tant d'impatience.
La ſituation du Miniſtere aquel eſt
délicate ; la beſogne dont il eſt chargé eſt peutêtre
au-deffus des forces de l'homme;il faut conſerver
ſon influence ſur un peuple qui ſe plaint
d'avoir perdu ſa dignité , & de voir diminuer
ſes revenus; il fautdes diminuer encore , & l'em .
pêcher de s'en plaindre. On conviendra que rien
n'eſt plus difficile; que fa majorité , s'il l'obtient ,
pourra exciterdes plaintes ,& faire defirer de réclamer
encore une fois l'opinion de la nation ,
encompoſant un nouveau Parlement.
- Les nouvelles d'Irlande annoncent beaucoup
de fermentation dans ce Royaume ;
on peut en juger par la lettre ſuivante écrite
deDublin.
Le4de ce mois , 500 Manufacturiers de cette
ville ont entouré la maiſon où ſiege le Parlement
, & ont fait entrer pluſieurs des leurs dans
la galerie de la Chambre des Communes pour
haranguer les membres qui s'étoient oppoſés
à quelques opérations avantageuſes au commerce
de ce Royaume. Pluſieurs régimens ſont accourus ,
&ontdiſperſé ces Manufacturiers. On en a pris
deux qui ont été conduits en prifon. On craint
beaucoup que ce ſoulèvement n'ait des fuit s
ficheutes , fur-tout dans un moment où le
Gouvernement a profité de quelques paragraphes
qui avoient été imprimés contre l'Angleterre
dans les papiers publics pour reftraindre la liberté
de la preſſe. Depuis ce temps on a dou
( 22)
blé les gardes par-tout ; la garniſon entiere eſt
Tous les armes ; on fait des patrouilles jour &
nuit ; & la crainte des attroupemens a fait donner
ordre aux foldats de ſéparer auffi-tốt toutes les
perſonnes qui ſe trouveront enſemble au nombre
de trois dans le voisinage de leurs poſtes
f
Ces troubles ont été l'objet des dernieres
délibérations de la Chambre des Communes
deDublin.
Les de ce mois , les deux priſonniers arrêtés
lors de l'émeute de la veille , furent amenés à la
barre de la Chambre , & interrogés ; leurs réponſes
ne produiſant rien pour leur déſenſe , ils
furent renvoyés enprifon , & il fut réſolu de
préſenter auDuc de Rutland , Lord- Lieutenant,
une adreſſe pourle prierd'ordonner au Procureurgénéral
de pourſuivre les délinquans , & de leur
faire leur procès. On fit enſuite quelques réflexions
ſur la conduite des Magiſtrats de la Ville ,
qu'on accuſa de n'avoir pas fait ce qu'ils devoient
contre les mutins. Cette réflexion qui fut faite
parM. Forſter , & combattueparM. Newenham ,
amena une motion de la part du premier , pour
nommeruncomité chargé de faire des recherches
ſur ce ſujet ; elle paſſa unanimement , après cela
M. Forſter produiſit un morceau du volunteer's
Journal dans lequel on avoit repréſenté dans une
gravure groffiere une homme pendu en effigie ,
avec un paragraphe au- deſſous , ou l'on avoit
pouffé la méchanceté juſqu'au dernier degré de
L'indécence. M. Forſter demanda qu'on manda
l'imprimeur ; le ſergent d'armes qui partit ſur le
champ pour lui porter cet ordre , vint rendre
compte qu'il ne l'avoit pas trouvé. On vota alors
une nouvelle adreſſe au Viceroi , portant priere
de rendre une proclamation , promettant récom
( 23 )
penſe à qui feroit connoître l'auteur , l'impris
meur& le colporteur du libelle .
Le 6 on lut le rapport du commité ſur les
Magiſtrats ; le réſultat en étoit que le Lord Maire,
inſtruit dès le matin à 9 heures par Secrétaire
Orde , de la fermentation qui régnoit , qu'il y
avoit pluſieurs placards ſéditieux affichés , n'ayant
pris aucune meſure pour prévenir ce déſordre, ne
s'étoitpas conduitcommeil convenoità un premier
Magiſtrat. Lepremier ſergent demanda,lorſqu'on
alloit paffer ce réſultat en réſolution de la
Chambre , que le nom de Thomas Green , qui
eſt celui du Lord- Maire , fut exprimé immédiasement
après le titre par lequel on s'étoit
contenté de le déſigner , ce qui paſſa ſans contradiction.
Le 7 , M. Forſter demanda qu'il lui fut permis
de préſenter un bill dont l'effet ſeroit d'affurer
la liberté de la preſſe en réprimant ſa
licence ; ce qui fut accordé. Après cela on revint
au libelle qui y donnoit lieu , aux recher
ches juſqu'alors infructueuſes pour en découvrir
l'Auteur , & une nouvelle adreſſe fut arrêtée
pour ajouter aux inſtances déja faites au Vice-
Roi de hâter la proclamation que la Chambre
demandoit.
Le 8, le bill propoſe par M. Forſter fut préſenté
& lu pour la premiere fois. Il porte en- /
tr'autres que le Propriétaire & l'Imprimeur
d'un papier ſe feront connoître , que le dernier
dépoſera 500 livres ſterlings pour répondre des
frais que pourroit occaſionner un papier qu'il
imprimeroit. La ſeconde lecture du bill fut remiſe
au 10.- Ce jour-là il y eut quelque oppoſition.
Sir Edouard Crofton fit la motion de
renvoyer cette ſeconde lecture au i Août ;quelques
membres l'appuyerent , & ſe fonderent fur
(24 )
l'atteinte qu'il porteroit à la liberté de la preſſe,
qu'on arrêteroit toujours ſous le prétexte de
licence ; mais il paroît que le parti étoit pris
fur cet objet ; lorſqu'on mit la motion de Sir
Edouard Crofton aux voix elle n'en eut que 20
&fut rejettée par 71 .
On s'attend que ces mouvemens exciteront
de grands mécontentemens , & l'on ne
doute pas , que les Volontaires armés ne ſe
montrent de nouveau.
Tout , écrit - on de Dublin , prouve la nécef-
Até d'une réforme parlementaire. Lanouvelle
adminiſtration du Duc de Rutland a enfin déclaré
ouvertement les principes contraires aux intérêts
particuliers de l'Irlande ; elle ſemble avoir arrêté
que toute meſure propoſée dans notre Sénat qui
combattroit le ſordide intérêt du dernier individu
qui réſide enAngleterre , on qui tendroit
àdiminuer l'influence qui a fi long - tems gouverné
notre Parlement , & opéré ſa corruption ,
trouvera l'oppoſition la plus opiniâtre dans tous
les membres fubordonnés au gouvernement c.
Une lettre de Drogheda en Irlande , offre
le récit ſuivant d'un meurtre qui peut être
mis à côté de celui commis ſur un Juif à
Szegedin , dont nous avons dernierement
rendu compte.
Un Soldat qui avoit ſervi pendant la guerre
derniere en Amérique , revenant dans le Comté
d'Antrim , où il étoit né , s'arrêta au village de
Garman , à 2 milles de cette ville , pour faire
ferrer ſon cheval. Il s'informe du maréchal com.
bien il y avoit de là àDunleer , & trouvant la
diſtance trop grande poury aller coucher , il
demanda au maréchal s'il pourroit trouver une
auberge 1
( 25 )
auberge stre , parce que , ajouta-t-il , il avoit de
Pargent ſur lui , & qu'il ne jugeoit pas à propos
-de voyager la nuit. Le maréchal le conduifit dans
une , foupa avec lui , & lui promit de revenir
le lendemain matin pour le réveiller & dê
jeûner. Le maréchal , conformément à ſa promeſſe
, ſe leva de bonne heure & alla à l'au
berge. L'hôte lui dit que le ſoldat avoit été malade
toute la nuit , qu'il repoſoit , & qu'il avoit
recommandé qu'on n'entrât pas juſqu'à ce qu'il
appellat. Le maréchal inſiſta , força le paſſage &
pénétra dans la chambre , ou il trouva le foldat
égorgé & nageant dans ſon ſang ; il appella au
fecours; les voisins accoururent ; l'aubergiſte &
toute fa famille furent arrêtés , & conduits en
prifon.
L'Aréoſtat qui a été lancé à Newſtat le premier
de ce mois à une heure &demie après midi,
eſt tombé à trois heures & demie du même jour
près de Wakefield , dans le Comté d'York. Il pa
roît par-là qu'il a fait 133 milles en une heure
&demie. Aucune machine de cette eſpece n'a
juſqu'à préſent parcouru un ſi grand eſpace on
peude tems.
FRANCE.
DE PARIS, le 26 Avril.
La Gabarre la Barbe , érrit -on de Breft ,
vient d'appareiller pour l'Inde , & la frégate la
Nymphe , commandée par M. de la Mothe Grou ,
ſe prépare à partir pour Terre Neuve , où elle
va protéger la pêche. Si les travaux du port
fontrallentis , on ne ſonge pas moins à le fournir
de matériaux néceſſaires aux conſtructions.
Nº.18 , 1 Mai 1784. b
1
(26 )
A cet effet bientôt fix gabarres iront de nou
veau dans le Nord , y faire toutes les provifions
propres à bâtir au premier ordre les vaifſeaux
qu'on defirera . --Parmi les bâtimens du
Roi , qui ont eſſuyé les derniers coups de vent
la gabarre la bonne Amitié eſt celle qui a été la
plus malheureuſe. Un enſeigne de vaiſſeau
garde-marine & 10 matelots ont péri avec elle,
--Pluſieurs de nos jeunes gens partent pour Toulon
, où il y a un armement plus confidérable
qu'ici.
, un
L'armement de Toulon , aux ordres de
M. de Senneville , auquel on travaille avec
activité , ſera composé , dit on , d'un vaiffeau
de 74 , de 4 frégates , & des corvettes
ou chebecs , en tout to bâtimens de guerre.
Cette petite eſcadre , lit-on dans quelques
lettres de ce port , qu'on croyoit devoir être
chargée d'une commiffion particuliere , & dont
le port de Larrache paffoit ici pour être l'objet ,
ne doit ſervir aujourd'hui qu'à conduire à Conftantinople
l'Ambaſſadeur du Roi, & à protéger
notre commerce dans diverſes ſtationsdu Levant ,
& fur les côtes de Barbarie , où cette année les
efcadres de quelques Ptiffances doivent faire la
guerre aux Régences d'Afrique.
Nous avons publié ily a quelque temps
une relation particuliere du combat donné
dans l'Inde , près de Goudelour, le 13 -Juin
de l'année derniere ; comme elle n'étoit pas
exacte , nous nous empreſſons d'en placer
ici une qui la rectifie..
** Les deux arniées étoient campées dans le ſud
deGoudelour à une demie- lieue de diſtance l'une
de l'autre , entre la mer & un côteau boife , auquel
( 27 )
-
elles appuyoient , l'une ſa droite , & l'autre ſa
gauche , & l'eſpace qui les ſéparoit , étoit couvert
de bois de cocotiers . L'armée Françoiſe ,
commandée en chef par M. le Marquis de Buffy ,
&en ſecond par M. le Comte d'Hoffelize , Maréchal
de Camp , étoit compoſée de 2,200 Européens
effectifs , & de 2,300 Cipayes , diviſée en
deuxBrigades , & de 3000Cipayes, & 2000 Piedas
du Nabab Tipou-Sultan .- Les deux Bataillons
d'Auſtrafie & le Bataillon de Royal Rouffillon
formoient la premiere Brigade , commandée par
M. leBarond'Albignac , Brigadier. La ſeconde ,
compoſée du Bataillon d'Aquitaine & des deux
Bataillons du Régiment de la Marck , étoit aux
ordres de M. le Comte de la Marck. M. le Vicomte
d'Houdetot commandoit l'avant-garde formée par
les Volontaires étrangers & de Bourbon , & sà
600 Cipayes . L'armée Angloiſe, commandée
par leGénéral Stuart, étoit forte de 3,800 à 4000
Européens , 12000 Cipayes , & 1800 hommes de
Cavalerie noire.-L'armée du Roi campoità500
toiſes en avant de Goudelour entre deux buttes
formées par des dunes de ſable que l'on occupa ;
celle de la droite par 150 hommes , & 7 à 800
Cipayes commandés par M. Bint , Lieutenant-
Colonel , qui donna fon nom à ce pofte ; &
celle de la gauche , nommée la Tombe des Fakirs ,
fut gardée par 50 hommes & quelques Cipayes.
,
د
La droite & le centre du Camp étoient coн-
verts par quelques retranchemens inforames.
--Entre le poſte de Bint , éloigné d'environ 400
toiſes ,& la droite du Camp , & le côteau boiſé ,
il y avoit un intervalle de 250 à 300 toiſes qui fut
occupé par les 3000 Cipayes du Nabab , dont le
front fut protégé par une batterie de 2 pieces de 4,
placée ſur une pointe du côteau , auquel ces Cipayes
appuyoient leur droite. Sept autres batteries
b2
( 28 )
Surent établies ſur les deux buttes& ſur le frontde
notre Camp Le 12 Juin au foir , M. le Marquisde
Buffy , informé que les Ennemis failoient
beaucoupde mouvemens dans lesbois du côteau ,
&que l'ony emendoit traîner de l'Artillerie , y
It marcher 500 hommes de la Brigade d'Auſtraſie
pour renforcer le poſte de la droite des Cipayes
du Nabab.- Le 13 , à la pointe du jour , les Ennemis
firent un feu très- vif fur ces Cipayes & fur
lepoſtedeBint dedeux batteries , l'une de 8 piéees
de 18 , & l'autre de 6 pieces d'un calibre inféricur,
qu'ils avoient établies dans la nuit ſur deux
plateaux de ce côteau.-Les 3000Cipayes du
Nabab ayant diſparu dès les premiers coups de
canon pour ne plus reparoître , les 500 hommes
de la Brigade d'Auſtraſie , qui pouvoient être coupés
par la fuite des Cipayes , n'eurent que le tems
de ſe replier ſur le poſtedeBint, où ils rejoignirent
leur Brigade , qui , ainſi que l'avant- garde ,
avoit eu ordre de s'y porter , & qui s'y mit en
bataille,lagauche à se poſte faiſant face au côteau.
Les deux Bataillons de la Marck furent
rapprochés de Goudelour pour couvrir l'ambulance&
la communication de cette ville avec le
Camp , & le Bataillon d'Aquitaine , campé à la
gauche, vint occuper nos retranchemens qui ſe
trouvoient dégarnis par l'éloignement de la Brigade
d'Auftrafie & du Régimest de la Marck ,
qui avoient été portés , la premiere au poſte de
Bint, & le ſecond à l'ambulance. Vers 7 heures
du matin , pluſieurs colonnes ennemies déboucherentdes
bois du côteau & ſe dirigerent ſur le
poſte de Bint & la Brigade d'Auſtrafie. Mais l'extrême
vivacité du feu des 8 pieces de Régiment
de cette Brigade , & de 2 pieces de 18du poſte
deBint les entint toujours éloignés.- Le feu
des batteries ennemies ayant été éteint , après
( 29 )
4heuresdedurée , & les colonnes étant rentrées
dans le bois , on ceffa'de tirer de part & d'autres ,
à9 heures & demie , la Brigade d'Auftratie eue
ordre de rentrer dans les retranchemens , & l'a
vant garde commandée par M. le Vicomted-Hou
detot reſta au poße deBint pour le renforcer. Lé
Bataillon d'Aquitaine retourna dans ton Camp à
la gauche. A peine les Troupes avoient - eiles
eu le temps de prendre quelques nourritures , que
deux colonnes ennemies déboucherent des bois
de cocotiers en avant du poſte de Bint, fur lequel
elles ſe dirigeoient avec beaucoup de célérité.
-Dès que la Brigade d'Auſtraſie vit reparoître
les Ennemis, couriraux armes , fortir des retran
chemens ,& fe former en colonnes , ce fut l'affaire
du moment ; le Baron d'Albignac la mena aux
deux colonnes ennemies , qu'elle chargea à la
bayonnette , & avec une telle impétuofté , que
ers colonnes s'entremêlerent & furent repouffées
dans le bois d'où elles fortoient . Le N
taillon d'Aquitaine ſe porta à la Tombe des Fakirs
pour s'oppoler à une diverſion , que les Ennemis
paroiſſoient vouloir faire' dans cette partie.
Pendant que la Brigade d'Auſtraſie s'enfonçoit
dans le bois à la pourſuite des ennemis ,
deux autres colonnes , l'une de grenadiers anglois
, commandés par le Lord Cathcart , &
Pautre de troupes hannovriennes , aux ordres du
Colonel Kelly , déboucherent pour la ſeconde
fois des bois de la droite fur le poſte de Bint ,
qui étoit alors livré à ſes propres forces ; elles
s'en emparerent; de-là elles marcherent à nos
retranchemens , qu'elles voyoient dégarnis , &
elies s'y établirent. Elles furent chargées dans
ce moment par le premier Bataillon de la Marck ,
quí , obligé de céder à leur grande ſupériorité ,
ſe replia fur notre gauche pour la renforcer.M. le
b3
( 30 ))
1
Comte de la Marck fut bleſſé dès le commencement
de cette charge , & obligé de laiffer le
commandement à M. de Freyrag , ſon Lieutenant
-Colonel . Le deuxieme Bataillon.de -
ce Régiment avoit été envoyé au village de
Vandipaleon , ſur l'avis qu'un corps ennemi ſe
portoit fur nos derrieres . - Le Baron d'Albignac
ayant été averti que nos retranchemens
étoient au pouvoir de l'ennemi , rallia la Brigade
d'Auſtrafie , & la ramena , par le chemin
de Chalembron , à une ſeconde charge , qui fut
plus meurtriere , par la réſtance des ennemis ,
quine cédoient ce terrein que pied à pied : cependant
, après un combat long & opiniâtre ,
ils abandonnerent nos retranchemens & ſe retirerent
au poſte de Bint , dont ils reſterent les
maîtres , & le combat ceſſa tout-à- fait vers une
heure après midi . M. de Villeneuve , Lieutenant
Colonel d'Auftrafie , fut dangereuſement
blefié dans cette derniere charge.- Ce que la
Brigade d'Auſtrafie a fait au combat du 13 juin ,
me diſpenſe de m'étendre ſur les éloges que
mérite le Baron d'Albignac , le Chevalier de
Boiffieu , Major de cette Brigade , MM.de-Ca
naple , Deſvaux & Derivet, Officiers ſupérieurs,
qui y ont fervi en qualité de Volontaires , mais
fur-tout M. de Vaugirard , Lieutenant-Colonel
de Royal- Rouffillon , dont on ne peut faire trop
connoître le zele. Cet Officier , d'un âge avancé,
& retenu au lit d'une maladie aſſez grave , fe
ranima au premier coup de canon qu'il entendit
le 13 au matin ; il ſe fit porter à la tête de ſon
Bataillon , & y trouva des forces , qui ne l'ont
abandonné que lorſqu'il n'y eut plus d'ennemis
àcombattre; & toujours malade , il s'embarqua
le 17 pour combattre ſous les ordres de l'immortel
Suffren.-La maniere dont l'artillerie ,
( 31 )
commandée par M. de Senarmont , a ſervi dang
cette journée du 13 , eſt au-deſſus de tout éloge.
Notre perte a été , vu le petit nombre de
combattans , très- confidérable; on en jugera par
l'état ſuivant des tués ou morts de leurs bleffu
res , ou bleſlés :
Brigade d'Auſtrafie , de mille hommes effectifs.
Aastrafie . MM. de Villeneuve , Lieutenant Co
lonel , Dommartin, Brullon , Patornay , Prévot
, Montrouant , d'Hantonville , Capitaines
Dufraife , Bicourt , Chev. de Malard , Lieutenants
, tués. Pouter , Signy , Moutord , Dutrévet
, Malard , Segrois , Dargy , Capitaines ;
Leglife , la Croix , Chev. Baudor , Chev. Deglepierre
, Lieutenants , bleſſes , 59 Bas- Officiers
ou Soldats tués , & 151 bleffés . Second Ba
zaillon de Royal- Roufilon . Dunegre , Bertrand ,
Capitaines ; Barry , Lieutenant , tués . - Deux
Lieutenants bleffés , dont on n'a pas les noms ,
18 Bas Officiers ou Soldats tués , & 61 bleflés .
Artillerie. Chev. Defreidy , Lieutenant , tué ;
de Fiard , Vaillard , Capitaines , & Vailiard
Lieutenant , bleſlés : 9 Bas-Olliciers on Soldats
tués , & 40 bleflés.
-
Régim. de la Marck . Le Cie de la Marck , de
Verner , Munct , de Freytag , Capitaines , de' .
Camerer , Lieutenant , bleffés : 10 Bas-Officiers
ou Soldats tués , & 18 de bleflés .
fie, -
Volontaires étrangers de la Marine , de Bourbon
& autres , au poste de Bint ou à la Brigade d' Auftra
Bint, Lieutenant-Colonel ,de Nadrin,
de Malafoffe , Capitaines , tués ; Deriver , ancien
Chef de Bataillon ,Chev . de Fayol , de laRoche-
Duronzé , Capitaines ; Saint- Martin , Rambaut ,
Lieutenants , bleſſés : 17 Bas-Officiers ou Soldats
tués , & 26 bleffés ..
De l'aveu des ennemis , leur perte a été de
-
b4
( 32 )
68 Officiers , & de 7 à 800 Européens tués ; on
ignore le nombre des bieflés , ainſi que celui
des Cipayes tués & bleflés .
Nous nous empreſſons de placer ici la lettre
ſuivante que nous venons de recevoir.
« J'ai lieu de me plaindre, M., d'un articlede
JaGazette de Leyde nº. 21 , où l'on me fait dire
des choſes auxquellesje n'ai jamais penſé , & je
viens d'en porter mes plaintes â ce Gazetier. J'ai
étédans toutes les circonstances de ma vie affez
maître de moi pour ne rien écrire qui pût me
mettre dans le cas de faire des excuſes àperſonne .
J'ai rendu juſtice à la bravoûre de M. de Bougainville.
C'eſt à ceux qui peuvent avoir bleffé
eet Officier général dans ſon honneur , à ſe rétracter.
Je vous prie d'inférer cet aveu dans votre
premier n° . J'ai l'honneur d'être , &c. Signé , le
MARQUIS DE VAUDREUIL.
On connoît les ſuccès de MM. Mathieu
Johannot pere & fils d'Annonay, dans leurs
établiſſemens en papeterie, & la perfection
à laquelle ils ont porté la fabrique des papiers
en France. M. le Contrôleur Général à
qui il en a été rendu compte , leur a adreſſé
la lettre ſuivante , le 18 du mois dernier.
Je vous informe avec plaifir , M. , que ſur le
compte favorable qui m'a été rendu devotre établiſſement
, je me ſuis déterminé à vous accorder
le prix inſtitué par l'ordonnance du 28 8bre
1777 , en faveur de ceux qui auront frayé de
nouvelles routes à l'induſtrie nationale ou qui
auront mérité , en la perfectionnant , quelques
marques publiques de la bienveillance du Confeil.
Je ne doute pas , M., que cette récompenfe
ne vous encourage à redoubler de zele & d'acti(
33 )
vité pour porter l'art de la papeterie au dégré
de perfection dont il eſt ſuſceptible; je ferai paſler
inceſſamment à M. l'Intendant de Languedoc la
médaille qui vous eſt deſtinée,& c'eſt de ce Magiſtrat
que vous la recevrez. Je ſuis , &c. Signé ,
DE CALONNE
Ceux qui connoiſſent l'induſtrie de MM.
Mathieu Johannot , pere & fils , & leur modeſtie,
& ce que l'art de la Papeterie leur
doit, verront avec plaiſir la diſtinction flatteuſe
&méritée qu'ils ont obtenue.
>> Ils remporterent en 1760 le prix des Arts
qui devoit être adjugé à celui qui indiqueroit les
meilleurs moyens de perfectionner les manufactures
de papier dans le Royaume. En 1762 ils
découvrirent l'apprêt de l'échange ou relevage ,
qui avoit fait la réputation des papiers de Hollande
, & ils le pratiquerent avec tant de ſuccès ,
qu'en 1764 l'Académie de Paris reconnut d'un
avis unanime, leur papier d'écriture ſupérieut
à ceux de Hollande. Ce font eux qui en,1764
inventerent le papier rayé qu'ils appellerent alors
à laGrecque ; & ce ſont eux auffi qui ont introduit
les premiers en France la fabrication du
papier velin, ſur lequel M. Didot l'aîné , célebre
Imprimeur de cette Capitale , employe avec
tant de ſuccès ſes beaux caracteres , pour les ouvrages
imprimés par ordre du Roi , pour l'éducationdeMonſeigneur
le Dauphin (1 ) . La protec-
(1)Nous faiſiſſons cette occafion d'annoncer , que M.
Didot l'aíné vient de publier l'édition de Télémaque en
2vol. in-8 , papier velin ; c'eſt le dernier format dans
lequel il avoit promis dedonner cet ouvrage, dont il avoit
déja fait deux éditions en 2 vol. in-4°. & en 4 vol. ir- 18.
L'édition in-4°. des oeuvres de Racine eſt à la veille d'être
terminée ; le troiſſeme & dernier volume paroîtra incefbs
( 34)
tion que leGouvernement accorde à leur Manufacture,
eſt un garant des efforts qu'ils feront ,
pour pouffer l'art de la Papeterie au plus haut
degré de perfection dont il foit ſuſceptible.
La ſuperbe édition de la Gerufalemme liberata,
imprimée par M. Didot l'aîné , ſous
la protection & par les ordres de Monfieur ,
n'a été retardée juſqu'ici que par le délai
qu'ont demandé les Artiſtes choiſis par
Monfieur pour en executer les deffins & les
gravures , & qui étoit indiſpenſable : mais
ce délai n'ira pas plus loin qu'au mois de
Juin , époque où MM. Cochin & Tilliard
ſe flattent de faire paroitre leur premiere livraiſon.
L'édition pour le papier & le caractere
ſera conforme au Profpectus , & on
peut ajouter que M. Didot l'aîné s'eſt ſurpaffé
encore. Elle ſera tirée à 200 exemplaires.
Monfieur en a retenu so ; & pour les
150 reſtans , il ne reſte plus que 25 foufcriptions.
Leprixde l'exemplaire complet en 2 vol . in- 4°.
furpapiervélin de MM Matthieu Joannet,qui les
premiers ont fabriqué de cette eſpece depapier
en France , orné de 41 planches , y compris le
frontiſpice , ſera de ri louis . Les Souſcripteurs
ne feront aucune avance , & ne paieront qu'à
,
Samment; & les éditions in-18 & in-80, viendront enfuite.
Il vient de donner tout récemment une ſeconde
édition in 18. du joli Roman de Galathee prix
4liv. en papier ordinaire , & 6 liv. en papier de MM.
Mathieu Johannot. Il ſe trouve chez M, Didot Paîné ,
ue Pavée S. André-des-Arts.
1
( 35 )
meſure qu'ils recevront la partie de l'Ouvrage .
achevé : il ſera partagé en 4 livraiſons de 10
planches chacune , & de la partie du texte correſpondante.
La premiere livraiſon paroîtra en
Juin ; on paiera 4 louis en la recevant; la ſeconde
paroîtra to mois après la premiere , &
on paiera 4 autres louis ; les deux dernieres paroîtront
ſucceſſivement de dix en dix mois ,&
on paiera 2 louis pour chacune. - M. Didot
Paîné , après la ſeconde livraiſon du Taffe ,
fera paroître le Virgile en un volume in 4º.
même papier , même format , même caractere ,
& fucceflivement le même Ouvrage in- 8° &
int 18. Ces trois éditions font partie de la collestion
des Auteurs claſſiques pour l'éducation
de Monseigneur le Dauphin , dont le Télémaque
fait le premier , les Cuvres de Racine le feat
'cond;ils ſeront ſuivis immédiatement du diſcours
de Boſſuet ſur l'Hiſtoire univerſelle , & dela
Bible latine dédiée au Clergé qui ſont ſous
preffe.
:
5
Le magnétiſme animal occupe aujour
d'hui tous les eſprits ; c'eſt la folie du jour
elle a fuccédé à celle des Ballons : car il n'eſt
plus queſtion d'aéroſtats que dans les atteliers
de quelques Artistes. Les jolies femmes
ne courent plus au jardin Reveillon, chez
M. Charles , &c. elles vont chez M. Mefmer
, chez M. Deflon , les unes par curiofité,
les autres tourmentées par quelque maladie ,
peut-être, imaginaire.
1
Il n'y a point d'exemple dans aucun état
dit-on , d'une fortune, pareille àl celle que val
faire M. Meſmer ; il gagne , à ce qu'on prétend ,
600000 livres en 6 mois , & l'année entiere hair.
b6
( 36 )
vaudra près d'un million. Il a dévoilé fes recrets
à 104 perſonnes qui lui ont donné chacune
100 louis pour un cours de 14 leçons. Il
n'a pas été plutôt fini que cent autres ſe font
préſentées en fourniſſant la même ſomme. Les
eſprits les plus prévenus , les ſavans les plus
récalcitransn'ont pu s'empêcher d'avouer que les
connoiſſances qu'ils ont acquiſes dans ce cours
ne leur foient fort agréables , & ne leur deviennent
unjour très-utiles. Qu'on joigne à ces
cours 80 ou 100 malades qui donnent 6 , 8 &
10 louis par mois , & on jugera fi jamais Médecin
a eu une perspective auffi belle. On prétend,
qu'il va quitter Paris l'été prochain , pour
aller temer ſa ſcience dans les autres Capitales
de l'Europe. S'il y fait une moiſſon auffi abondante
qu'à Paris , il ſera le docteur le plus riche
du monde ; & fa méthode , qui a fait véritablement
des cures merveilleuſes , ſera bientôt la
ſeule médecine univerſelle. On prétend qu'il a
appris tous ſes ſecrets dans un vieux livre écrit
en allemand , qui vient d'être découvert en Hollande
, & que l'on traduit en ce moment. Cela
lui doit être fort égal aujourd'hui que ſon ſecretn'en
est plus an , puiſqu'il en a fait part
àplus de 200 perſonnes. Sans ce livre & fans
donner 100 louis,bien des perſonnes s'attendent
à être auſſi inſtruites dans la ſcience que le
meilleur de ſes Eleves. Nos têtes Françoiſes
ne ſont pas faites pour le régime pythagoricien
; elles parleront , & le fameux fecret ſera
dévoilé.
Depuis le décès de la veuve Belloſte , ſes deux
fils aînés , qui compofoient avec elle , depuis plufieurs
années, les véritables pilules de ce nom ,
encontinuent par privilege du Roi la compoſition
, dans le même appartement , au bâtiment
( 37 )
de la Croix Rouge. Ces pilules , conve nables aux
perſonnes attaquées de dartres, boutons , affections
pſoriques , & de quelques maladies internes
, comme obstructions & engorgemens lym
phatiques , embarras de viſceres & autres , font
propres pour les militaires , les marins & les
voyageurs. On les vend dans des boëtes cachetées&
étiquetées 24 liv. l'once , 12 liv. la de-.
mi-once , & 6 liv. le quart d'once. Il n'y en a
point d'autre dépôt dans Paris , & le ſeul qu'il y
ait à Verſailles , eſt chez le ſieur Tiffot , parfumeur
du Roi , rue du vieux Verſailles .
M. Houel , Peintre du Roi, rue du Coq S.
Honoré , a publié le 1re. Cahier du Voyage pirtoreſque
de la Sicile. Chaque partie qui aparu de,
cet Ouvrage intéreſſant, ne fait que confirmer
ſon ſuccès , & ajouter à ſa célébrité. Celle-ci
offre en cinq planches les vues & les plans de
Volcanello & Volcano , & une vue de l'intérieur
du cratere de ces deux volcans ; dans le texte ,
l'Auteur a traité des volcans qui ont formé les
ifles de Lipari , & des révolutions qu'elles ont.
éprouvé juſqu'à nos jours. La fixieme planchepréſente
la vue de l'intérieur du cratere de Volcanello
, de Volcano , des iſles de Lipari ,de Saline
, d'Alicudi & de Felicudi. L'Auteur obſerve
enpeintre tous les tableaux vaſtes & variés que,
préſente la nature dans ces contrées ; il décrit en
phyficien naturaliſte les phénomenes qui ſe montrent
par tout à ſes yeux : en philoſophe il peint
les moeurs des habitans ; & c'eſt en critique qu'il
peſe & diſcute les faits dont il rend compte.
DE BRUXELLES , le 27 Avril.
Les différends avec la République de
Hollande , pour l'arrangement delquels les
Etats-Généraux ont enfin nommé des Com
( 38 )
miffaires qui font arrivés ici , ne ſont,pas
encore à la veille d'être terminés ; il s'eſt
élevé de nouvelles difficultés qui vont prolonger
les négociations ; c'eſt ainſi qu'elles
font expoſées dans un Mémoire remis par
le Gouvernement général des Pays - Bas à
M. de Hop , Miniſtre de L. H. P. le 4de ce
mois.
Quoique les ouvrages du Fort de Lillo , tels
qu'ils exiftent à préſent , foient déjà pris en partie
far le territoire de l'Empereur , & qu'il y ait derechef
pour Lillo , comme pour les autres Forts
queles Etats Généraux occupent ſur l'Eſcaut , &
dent , ſuivant les traités , quelques uns ne de-.
vroient plus ſubſiſter, des réclamations multipliées
à faire de la part de S. M. , le Gouvernement
Général vient d'apprendre que l'on renou-,
velle les paliſſades à Lillo , comme on l'avoit entrepris
déjà en 1753 ; qu'on y ajoutoit une ligne
qui ferme l'accès nommément à l'Ecluſe , ou
qui le rend au moins dépendant d'un aveu ou
permiffion de la garaiſon , & qu'on y renouvelle
ou conftruit au ſurplus une batterie qui domine
l'Ecluſe , & qui eſt pour aing dire contigue.
Quand S. M. a droit de prétendre que les choſes,
foient miſes , à l'égard de tous ces Forts , comme
elles devroient être , d'après les traités, le Gouvernement
ne s'attendoit & ne pouvoit pas s'attendre
à des mesures qui , comme celle - ci , ſont
une nouvelle violation du territoire de S. M. ,
commiſe dans le moment où l'on touche à l'ou- ,
verture d'uné négociation pour laquelle les Plénipotentiaires
ſont enfin nommés de part & d'autre
, & après que l'emplacement ſeul des paliffades
entrepris en 1753 avoit déjà excité les
plaintes & les réclamations du Gouvernement
( 39 )
Général, comme d'une violation du territoire ,
ainſi qu'on peut le voir par les mémoires remis à
feu M. le Baron de Haren , le 9 Décembre
1753 , & le 19 Mars 1755. Après ce que M. le
Baron de Hop a témoigné dans fon mémoire du
21 Février dernier , & répété de vive voix fur
la ſenſibilité qu'a excité dans l'eſprit de L. H. P.
le reproche que l'on a cru trouver dans le mémoire
du Gouvernement , du 11 , commeſi on
leur ſuppoſoit des principes d'offenſe ou de mépris
pour le territoire de S. M. , le Gouvernement-
Général , defiroit pouvoir ſe laiſſer aller à la
confiance que L. H. P. n'ont point de partà des
diſpoſitions qui, dans toutes leurs relations , ſont
de nature à exciter tout au moins la ſurpriſe de
S. M. Elle ne pouvoit fans doute pas préſumer
que dans l'inftant même de la négociation , dans
P'inſtant où on a développé des ſentiments de
reſpect pour Elle , le defir de cultiver ſon amitié
&ſa bienveillance , & le prix qu'on y attache ,
on pourroit penſer , beaucoup moins avoir le
courage de contredite l'expreffion de ces ſentiments
tant de fois réitérés , par des violations
nouvelles qui ajoutent à celles qui exiſtoient déji.
Malgré les déclarations poſitives faites aunom de
১. M. quant à la ſouveraineté de Doël , malgré le
devoir impoſé aux Commandans Holiandois de
reſpecter le territoire de S. M. , même dans la
partie de ce territoire , que le mémoire de M. le
Baron de Hop , du ro Novembre dernier
voulu rendre litigieuſe , & malgré l'exemple de
lapunirion décernée à la charge du Lieut. Col, van
Schweinitz le Commandant de Lillo , s'eft néanmoins
cru permis de s'adreſſer au Dykgraef du
Doel , pour qu'il faſſe afficher & publier un
avis portant que ceux qui voudront prendre en
louage la pêche devant l'Ecluſe du Polder de
,
a
( 40 )
(
Doel , ainſi que les herbages d'une partie de la
digue à commencer de la même Ecluſe , pourront
s'adreſſer au Commandant de Liefkenshoek .
Cette derniere démarche qui certainement
n'aura pas ſon effet , peut être une tentative particuliere
dirigée par l'intérêt privé des Conmandants
accoutumés à des jouiſſances indues ſur le
territoire de S. M.: ce qu'on peut en inférer ,
c'eſt qu'au moins ces Officiers ne font pas aſſez
inftruits , ou pas affez ménagés pour ſentir ce
qu'ils doivent à la Souveraineté de S. M. ,&aux
déclarations données par L. H. P. elles-mêmes ;
mais pour les diſpoſitions qui ſe font à Lillo , &
dont il eſt parlé ci-deſſus , le Gouvernement-
Général ne peut pas le diſpenſer , en ſe réſervant
toutes les réclamations dont l'état des chotes ,
quant au fort , étoit déja ſuſceptible , de reclamer
nommément & par proviſion contre la violation
renouvellée qui réſulte dela direction d'après
laquelle on remplace les paliſſades ; contre ce
qu'on fait entr'autres à l'égard de l'Ecluſe , &
contre toute gêne qu'on établiroit relativement
à cette même Ecluſe qui eſt ſur le territoire de
S. M. I. & dont les intéreſſés devoient pouvoit
diſpoſer en tous temps avec une entiere liberté ,
fans pouvoir être dépendant , ou dans le rifque
de dépendre d'aucune autoritéou influence étran .
gere. L. H. P. trouveront dans leur ſageſſe & leurs
lumieres les moyensd'appaiſer S. M. ſur les violations
nouvelles& vraiment inattendues que l'on
vient de ſe permettre à Lillo , & de prévenir
les effers& les ſuites que des procédés de certe
eſpece ne pourroient manquer d'entrainer , ſi la
République ne les prévenoit point par un
paiſement dont S. M. 1. puinſe ſe contenter.
Ce mémoire fat ſuivi le même jour d'un
ſecond conçu ainſi :
ap
( 41 )
Au moment où on alloit remettre à M. le Baron
de Hop la plainte qu'il recevra avec le préſent
mémoire , unév mement nouveau , l'attentat
le plus caractériſé , force le Gouvernement-
Général à une réclamation nouvelle. Le nommé
Brager , ſujet de S. M. 1º Batelier , domicilié à
Doël , établi Marcktſchipper , au nom du Duc
d'Aremberg , Seigneurdu lieu , ferendant le 31
Mars du Doel àAnvers , avec ſon bateau chargé
dedenrées &de quelques paffagers , & le trouvant
devant le fort Lillo , le nommé Drouckers , Matelot&
Pilotede la chaloupe Hollandoiſe , appellaBrager
, & lui demanda s'il ne venoit pas faire
ſa déclaration . Brager répondit négativement ,
&ſe déclarant établi par le Seigneur du Doel ,
pour naviguer fur Anvers & vice-verfa . il ajouta
qu'il lui étoitdéfenju de la part de S. M. de s'arrêter
à Lillo , & d'y faire aucune déclaration ;
Drouckers luidit alors qu'au moins il devoit jeter
l'ancre; mais Brager lui ayant témoigné qu'il
ne le faroit point, l'autre en laiſſant cependant
paffer Brager avec ſon bateau , lui déclara qu'il
devoit en rendre compte au Fort , où il ſe rendit
en effer, &qu'on trouveroitbien Brager l'aprèsdiné.
Ce batelier ſe trouva en effet devant Lillo ,
avec ſon bateau ,le même jour à une heure & demis
l'après-diné avec des paſſagers , &des denrées
deſtinées pour les habitans du Doël ; mais à
peine eût-il été apperçu par ceux de la frégare ,
qu'ils lui annoncerent , par le ſecours d'un porevoix
qu'il eût à venir faire ſa déclaration à Lillo ;
il leur repliqua en réclamant ſa qualité de Marckſchipper
établi par le Seigneur de Doel , & la
défenſe de S. M. de faire aucune déclration ;
mais ceux de la Frégate lui annoncerent en
Réponſe qu'il devoit venir faire ſa déclaration à
Lillo, ou qu'ils couleroient ſon bateau à fond.
( 42 )
Le Batelier continua non- obſtant ſa route ;
mais alors ceux de la Frégate pointerent le canon
vers ſon bateau , & montrerent la méche , en
menaçant qu'il feroit feu. Sur cette démonſtration
le Batelier baiſſa tes voiles , immédiatement
après , ceux de la Frégate ſe rendirent dans une
chaloupe , & vinrent aborder le Batelier , en lui
ordonnant de nouveau d'aller faire ſa déclaration
àLillo. Il s'y refuſa encore , en diſant que cela
lui étoit défendu au nom de S. M.1.- LeBaillif
de Beveren & de Doel qui ſe trouvoit ſur le
bateau , comme paſſager , prit alors la parole
pour demander au Commandant de la Frégate
pourquoi il vouloit couler le bateau à fond ? Cer
Officier répondit alors que cela lui étoit ordonné
ainfi , & qu'il auroit effectué la menace ſi le
batelier n'avoit pas baiſſe ſes voiles , ou s'il avoit
oſe paſſer outre; & quoique le Baillifeut confirmé
au Commandant, que le Batelier avoitune défenſe
expreſſe de S. M. & obſervé que ceux de Lillo ,
non plus que leurs maîtres , n'avoient aucun &
pas le moindre droit de Souveraineté ſur l'Er.
caut , cependant le Commandant ne continua pas
moins à perſiſter , en arrêtant le bateau , que le
Batelier devoitfaire ſa déclaration à Lillo.- Sur
cela le Baillif demandant que le Commandant
ſe décidât à prendre un parti , & à laiſſer paſſer
le bateau , ou à déclarer pour quelle raiſon il
vouloit l'arrêter , proteſtant d'avance de tous
dommages & intérets , tant pour lui-même que
pour les paſſagers , le Batelier & le bateau , le
Commandant après quelques pourparlers ultérieurs
retourna avec ſa chaloupe à la Frégate ,
en déclarant au Batelier en termes menaçans , que.
s'il s'aviſoit de vouloit paſſer outre avec ſon
bateau , il le couleroit à fond . Le Batelier ne prenant
ce langage que pour une menace releva ſes
( 43 )
{
voiles, mais dans l'inſtant même le canon de la
Frégate fut pointé de nouveau contre le bateau ,
la mêche reparut , & on étoit prêt à faire feu ſur
le bateau. Alors les paſſagers crierent qu'ils aborderoient
à Lillo comme on le fit en effer. Apeine
yfurent- ils que deux commis employés au Bureau
deLillo ſe préſenterent pour ſe rendre à bord du
bateau : mais le Baillif leur déclara que cela ne
ſe pouvoit point ; ſur cela un des Commis ordonna
auBatelier d'ouvrir le deſſus du bateau ; le Baillif
s'yrefuſa encore , toujours en reclamant la qualité
de Marckichipper , & la défenſe donnée de ne
permettre aucune viſite ni inſpection.-Enfin ce
ne fut qu'après que le Baillif eut demandé au
Commis , par quelle raiſon ceux de la Frégate
avoient fait la menace , de couler le bateau à
fond , & pourquoi on prétendoit qu'il dût amarer
â Lillo , & après qu'il les eût interpellés , en rappellant
toujours la défenſe , dont le Batelier
étoit muni, ou à laiſſer librement paſſer le bateau,
ou àdéclarer les raiſons pour lesquelles on l'arrêtoit
, que les commis ont laché priſe , & laiffé
partir le bateau vers le Doël , en témoignant que
puiſque le Batelier étoit muni d'un acte , portant
défenſe de la part de S. M. ils le laiſſeroient librement
paſſer pour le préſent & pour le futur.I
Telles font les circonstances de l'événement qui
vient de ſe préſenter ; événement inconcevable ,
inattendu , & qui , s'il procédoit des ordres &
inſtructions de LL. HH. PP. ce qu'il eſt impoſſible
de préſumer ſeulement, ſeroit un ſignal certain
d'une Réſolution priſe de rompre tous les liens
d'amitié & d'égards.-Empêcher le librepaffage
des ſujets de S. M. for fon territoire & dans ſa
Souveraineté ; embarraſſer la navigation , la foumettre
à des génes & à des viites ; employer
la contrainte par la voie d'une exploitation , d'une
( 44 )
autorité & d'une force Grangere & ineempetente;
arrêter lesbateaux des ſujets de S. M.;
menacer de faire feu , pointer le canon fur eux ,
leur montrer la mêche , ſe préparer à deux repriſes
pour exécuter la menace ; mépriſer la qualité
légale du Batelier , la réclamation des droits de
S. M. celle d'une défenſe poſitive , portée en fon
nom & ſe fonder ſur ce qu'il étoit ordonné d'en
agir ainſi : c'eſt mettre le comble à tout ce qu'on
peut imaginer de plus inſultant pour les droits
abſolus de la ſouveraineté de S. M. & il n'y a pas
d'exemple d'une conduite auſſi téméraire &aufi
criminelle . Le Gouvernement Général doit
aux droits que S. M. ſaura foutenir au beſoin ;
dedéferer dabord à LL. HH. PP. la connoif
fandede ce qui vient de ſe paſſer , & perfuadé
qu'il eſt impoffible qu'Elles aient donné , ni meme
pu penſer de donner des ordres pareils , pour
attaquer ouvertement la ſouveraineté de S. M. &z
pour traiter ainſi ſes ſujets , il attend de leur
justice &de leurs ſentimens qu'Elles ne balance
ront & ne tarderont pas d'un moment de punir
avec la plus grande ſévérité les auteurs & les
complicesde ces violences & démarches extrê
mes , & qu'elles donneront à S. M. une répara
tion & une fatisfaction également prompte ,
complette & folemnelle; en faiſant au ſurplus
Jeursdiſpoſitions, &en donnantdes ordres que leur
fageſſe& leurprudence leur ſuggéreront pour que
les employés de la République ne ſe permet
tent ni démarches , ni oppoſition , ni prétentionscontraires
à ladéfenſe réellement donnée aux
ſujets de S. M. de ne reconnoitre aucune autorité
étrangere ſur l'Eſcaut entre le Doël &Anvers ,
de ne ſe rendre à aucune interpellation , de ne ſe
foumettre à aucune viſite , ailleurs qu'aux Bureaux
& par les Employés de S. M.
(45)
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Leſcrutin de Londres a fourni des anecdotos
qui figurent dans l'hiſtoire des Elections . On vitun
exemple remarquable d'intégrité dansun étattrèsordinaire
à l'élection conteſtée à Lynn, en 1766, entre
fir JohnTurner & M. Molyneux. Un ouvrier
Vitun jour 150 guinées miſes ſur ſa table par les
amis du premier , afra de lui affurer ſa voix : il
les refula avec dédain . A une ſeconde élection ,
ſa voix fut follicitée par un de ſes amis. Vous
voyez , lui dit- il , que je n'en ſuis pas plus mal
pour avoir refuſé deme laiſſer corrompre. Jai
vécu dix ans à Londres avec un maître , il m'a
laillé ſon commerce. Je ſonge avec plaifir que
jamais je n'ai vendu ma voix; je vais la donner
encore à celui à qui je l'ai déjà donnée. Il ſe rendit
en effet de Londres à Lynn à ſes frais , & il
vota pour M. Molyneux .
M. Walker , appellé communément le ſage
Walker, qui poſſédoit des grands biens dans le
Warvickshire & le Lancashire , fut fi dégoûté
des élections , après avoir perdu pluſeurs fois des
ſommes conſidérables par ſon oppofitiou aux intérêts
de fir Robert Walpole , que par ſon dernier
teſtament , il chercha à empêcher ſes enfans de
l'imiter ; il avoit trois fils & pluſieurs filles ; il
lia les premiers de maniere à ne pouvoir jamais
ſe préſentercomme candidats pour aucun Bourg ,
ni ſe mêler d'aucune affaire d'élection. Quant a
ſes filles , il ne voulut point qu'elles épouſaſſent
de Membres du Parlement , ni de perſonnes intéreſſées
aux courſes de chevaux , ou membres
dans un club à la mode de jeu.
Ila été obſervé , au ſujet de la Ducheſſe de ...
&deMilady .... pendant qu'elles ſollicitoient ,
le to de ce mois, les voeux en faveur de M. Fox
que c'étoit les plus aimables ſolliciteuſes qui euſ
lent paru en pareille occafion.
46 )
15
Lesgens ſenſés& modérés penſent que le refſentiment
qu'ont excité la conduite & les deſſeins
de la coalition eſt pouffé trop loin , & que dans
l'état actuel des chofes , il ſeroit auſſi contraire
à la politique de n'avoir pas une forte oppofition
contre le Gouvernement , qu'il l'auroit été de
laiſſer les affaires publiques entre les mains du
Lord North & deM Fox.
Ces jours derniers , la femme d'un Marchand
de cette Ville fut trouvée morte dans ſon lit par
la domeſtique ; elle alla ſur le champ auprès de
ſon maître lui peindre ſon effroi & ce qui s'étoit
paſſé ; celui-ci lui répondit froidement , je le.
Tais , c'eſt moi qui l'ai tuée. Le Juré appellé a
déclaré que cette mort avoit été occaſionnée par
l'effet de la folie; il paroît que le mari en avoit
donné des marques depuis quelque temps .
On écrit deBath que Lady .... faiſant une
partie dans une des fallesd'aſſemblée , un troupe
de femmes qui ne la connoiſſoient pas , s'étant
placées derriere ſachaiſe , ſe mirent à s'entretenir
d'elle en la nommant , & en dirent tout ce
qu'elles ſavoient , & ce qu'elles ne ſavoient pas.
Cette ſcene qui étoit très plaiſante , ne ſuſpendit
pas ſon ju. Lorſqu'elle fut finie , ſon partner lui
dit : eh bien , que dit votre honneur de tout cela ?
Mon honneur, répondit elle , en vérité , je ne
ſaispas fi ces femmes m'en ont laiſſé.
L'élection de fix nouveaux Directeurs de la
Compagnie des Indes , qui doivent remplacer
cette année un pareil nombre d'anciens , a été
faite le 19 de ce mois. MM. Baring , Boehm ,
Inglis, Manship, le Meſurier & Motteux, recommandés
par les Directeurs , ont été élus. Mм.
Caming , Harriſon & Moffatt , qui étoient au
nombre des concurrens , n'ont point eu d'autre
titre d'exclufion , que le tort d'avoir accepté des
( 47 )
places dans la nouvelle adminiſtration que Mi
Fox vouloit établir , ſi ſonbill avoit paffé .
Cause extraite du Journal des Cauſes célebres ( 1 ) .
QUESTION DE DROIT PUBLIC .
Sur la capacité des Portugais à recueillir des
fucceſſions de leurs parens décédés en France.
Voici les faits qui ont donné lieu à cette cauſe
une des plus importantes qui aient été jugée
depuis long-temps. -- Le comte Doria , Géno is
d'origine , est né ſujet de la Reine de Portugal.
Il épouſa , en 1772 , Angélique - Marie-
Urfule Bellew , fille d'un gentilhomme Irlandois
qui demeuroit en France , mais qui n'y étoit
pas naturaliſé. Son épouſe eſt morte en France
au mois de Décembre 1775. Il lui reſte une fille
de ce mariuge. Le ſieur Bellew mourut peu de
temps après lacomteſſe Doria , ſa fille . Il laiſſoit
pour héritieres , Marie-Jeanne-Luce Bellew , ſa
fille puînée , & la demuſelle Doria , ſa petite
fille ,repréſentant la colite Doria , ſa mere.
Marie-Jeanne-Luce Bellew prétendit que ſa
niece n'étoit pas habile à ſuccéder en France , attendu
ſa qualité de Portugaiſe. II n'exiſtoit ,
en effet alors , aucune loi qui déclarât les Portugais
habiles à ſuccéder en France. Un arrêt
du parlement ordonna que la demoiſelle Bellew
demeureroit ſeule propriétaire des immeubles
réels , & des rentes dont ledit d'établiſſement
ne permettoit pas l'acquiſition aux étrangers. II
ordonna le partage par moitié , entre la demoiſelle
Bellew & la demoiselle Doria , de la ſucceſſion
mobiliaire, & des rentes dont les édits de créa-
[1 ] On foufcrit en tout temps pour ce Journal intéreſ
fant, chez M.,Des Effarts, Avocat , rue Dauphine , hôtel
de Mouy , qui nous a fourni cet extrait , & chez Mérigot
le jeune, Libraire , quai des Auguſtins, Prix , 181.
pour Paris , & 24 liv. pour la Province,
( 48 )
cion permettoient l'acquiſition auxétrangers..La
liquidation & le partage de cette fucceffion fu
rent faits le 20 Janvier 1781 , entre le Comte
Doria & la Demoiselle Bellew. La Demoiſetle
Bellew eft morte le 8 Mars 1783. Les Scel
lés ont été appoſés ſur les effets. Le fieur Cligny
&les fieur & dame Oshée ont fait oppofition
au ſcellé. ils ſe prétendent parens , & habiles
à ſe porter héritiers de la demoiſelle Bellew.
Avantl'ouverture de cette fucceffion , dèsl'année
1778 , il avoit été fait une convention entre
Je Roi de France & la Reine de Portugal ,
qui donnoit aux Portugais le droit de ſuccéder
en France & aux François le droitde faccéder
en Portugal. Cette convention avoit été
ratifiée par des lettres patentes , données à
Verſailles le 8 Novembre 1778 ,& enregiftrées
au Parlement le 23 Avril 1779. Cette nouvelle
loi faifoit ceſſer l'incapacité qui avoit écarté
juſqu'alors la demoiſel Doria des ſucceſſions
françoiſes. La demoiselle Doria Bellew , fille
de la Comteffe Doria , ſa ſoeur , ſa plus proche
parente , ſeule habile à recueillir ſa ſucceffion
mobilaire & ſes propres paternels & maternels .
Le Comte Doria , comme tuteur de ſa fille , a
affigné le feurCligny & les fieur & dame Oshée
pour voir ordonner que main-levée pure & fimple
lui ſeroit faite des oppofitions par eux induement
formées ſur les effets de la demoiselle
Bellew , comme ſe diſant & prétendant , ſans
titre , droit & qualité , héritiers de ladite demoiſelle
Bellew. La queſtion ſe réduiſeit
à examiner i le traité , fait entre la France &
le portugal en 1778 , donne aux Portugais la
capacité de ſuccéder en France;&la Sentencedu
Châtelet du 7 Février dernier àjugé pour l'affirs
mative.
-
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI IS ΜΑΙ 1784.
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE SUR L'AMBITION.
QUE je plains les tourmensd'unhomme ambitieux ,
Jour & nuit agité de ſoucis envieux !
Qui , paſſant tour à- tour de l'orgueil aux baſſeſſes ,
Trifte au ſeindesplaiſirs , pauvre au ſein des richeſſes ,
Mécontent du paffé , redoutant l'avenir ,
Du préſent qui lui rit jamais ne fait jouir .
Jamais d'un jour ferein il ne goûte les charmes ,
Jamais aucun repos ne ſuſpend ſes alarmes ;
Mille ſonges affreux agitent ſon ſommeil ;
Mille foins inquiets afſiègent ſon réveil.
L'oeil égaré , penfif , le teint pâle & livide ,
Peignant dans tous ſes traits ſa paſſion avide ,
Il vole chez des Grands , ſouvent plus bas que lui ,
Mendier les affronts , les rebuts & l'ennui .
N°. 20 , 15 Mai 1784
E
98 MERCURE
1
La folle ambition ſur la ſcène du monde ,
En maux , en cruautés ſera toujours féconde.
Son éclat nous aveugle , & malgré ſes tourmens ,
Nous n'en voyons l'abus qu'à nos derniers momens
Alors le bandeau tombe , & d'une erreur funeſte ,
Un triſte repentir eft tout ce qui nous reſte.
Heureux l'homme né ſimple ,&dont les feuls defirs
Sont de fixer chez lui les tranquilles plaiſirs !
S'il n'a point à ſa ſuite une foule importune
D'eſclaves enchaînés au char de la fortune ,
D'adulateurs rampans , de courtiſans flétris ,
Par l'intérêt fordide & l'intrigue avilis ,
Il a l'économie & l'ordre pour richeſſe ,
Des moeurs & des vertus pour titres de nobleſſe.
Ses goûts , comme ſes voeux', ſont ſimples & touchans,
Il aime à cultiver ſon jardin & ſes champs ,
Avoir mûrir ſes fruits , à voir ſes fleurs éclore ,
Le retour du printemps , le lever de l'aurore ;
Il voit de ſon hymen les chers & tendres fruits
Aimer , faire le bien , par fon exemple inftruits ;
Il les voit tour - à-tour empreſſés à lui plaire ,
Et captiver leurs foins ,&l'amour de leur mère.
Tous ſes deſirs ſont purs , tous ſes plaiſirs fereins ,
Tous ſes travaux font gais , tous fes repas ſont ſains.
Son ſommeil doux , paiſible , eſt le repos du ſage;
Du matin d'un beau jour ſon réveil eſt l'image !
Sur ces deux vrais tableaux , mortel , réfléchiffez ,
Il s'agit d'être heureux. Tremblez ! & choififfez .
(Par M. Bailly de Saint-Paulin. )
DE FRANCE.
११
COU PLETS à Mlle WARESCOT ,
Sur fa Fête.
AIR : Oui , j'aime à boire , moi , &c.
CHERS
HERS Amis , parmi vous
Que chacun me ſeconde ;
Chantons, aimons , grondons tous
Catherine à la ronde.
Je ſens tout ce qu'elle vaut ,
Oui, je lui rends juſtice ;
Mais je lui trouve un défaut....
Quoi? pas un ſeul caprice !
Chers Amis , &c .
QU'IMPORTE que la raiſon
La dirige , la guide ?
Le coeur peut- il être bon
Quand l'oeil eſt homicide ?
Chers Amis , &c .
Que fert il de raiſonner
Quand on eſt à ſon âge ?
C'eſt vouloir ſe cantonner ,
C'eſt manquer à l'uſage.
Chers Amis , &c.
LaNature la combla
Demaint attrait bien rare ;
)
Eij
100 MERCURE
Mais de tous ces tréſors- là
Je la ſoupçonne avare.
Chers Amis , &c .
Qui , ſon coeur mérite bien
D'en captiver dix autres ,
Mais elle garde le fien ,
Et veut prendre les nôtres.
Chers Amis , &c.
SES regards font gracieux ,
Sa voix fait des merveilles ;
Si l'on n'eſt pris par les yeux ,
On l'eſt par les oreilles.
Chers Amis , &c .
Je crois bien qu'en fait d'ardeur
Catherine eft conſtante ;
Mais , lorſqu'on ne veut qu'un coeur ,
En faut- il voler trente ?
CherAmis , &c.
( Par M. de la Dixmerie. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade eſt Degré ; celui
de l'Enigme eſt Poulet ; celui du Logogryphe
eſt Curedent , où l'on trouve écu,
étude, cent , été Cure, cedre, dent rente ,
Crète, dureté.
DE FRANCE. 101
CHARADE.
Sur l'Air : Quoi ma Voiſine es-tu fâchée.
Mon premier ſuffit pour ſéduire
Petit poiffon ;
Le Dieu des Vents , dans ſon délire ,
Batmon fecond ;
Et pour mon tout , Iris , ſans doute
Vous le ſavez.
Eh bien , parlez , je vous écoute.....
Oui , vous l'avez .
:
( Par M. de G. , Officier au Rég. de Boulonois .)
ÉNIGME.
ME
E définir , Lecteur , n'eſt pas choſe facile;
Les ſages l'ont tenté , j'en ai dérouté mille ;
J'enchaîne les Héros , ſoumets les Souverains ,
Et décide du fort de moitié des humains;
Je ſuis , ſur mes fix piés , &ta femme & ta mère;
Ore-moi tête & queue , &je ferai ton père ;
Veux- tu par le milieu me couper ſans pitié ?
De toi je ſuis encor la plus noble moitié.
(ParM. P..... )
E iij
102 MERCURE
LOGOGRYPHΗ Ε.
ANINIMMÉÉ,, je ſuis ton idole ,
Tu me chéris, tu fais des voeux pour moi ;
Inanimé , je te conſole ,
Je fais des miracles pour toi.
Enmedécompoſant , tu trouveras ſans peine
Un adverbe local , un pronom , une fleur ,
Et des amans la véritable chaîne ;
Sous deux aſpects je forme ton bonheur.
( Par M. L** R ** , Abonné. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
CÉCILIA , ou Mémoires d'une Héritière ,
par l'Auteur d'Evelina , traduits de l'Anglois.
A Neufchâtel , & ſe trouve à Paris ,
ens vol. in 12. , chez Mérigot jeune ,
Libraire, Quai des Auguſtins ; & en 4 vol.
in2. , chez Barrois le jeune , Libraire ,
Quai des Auguſtins. Troisième Extrait.
ON a pu remarquer , dans les événemens
que nous avons précédemment indiqués ,
que ſi l'aimable Cécile y paroît toujours la
perfonne la plus parfaite , elle n'y eſt prefque
jamais pourtant le principal perſonnage.
DE FRANCE.
103
Miff Burney ne perd pas une occafion de
donner à fon Héroïne une grâce , une vertu
de plus ; mais en raſſemblant fur elle tout
ce qui peut la faire rechercher , elle ſemble ,
en quelque forte , craindre de la produire.
C'eſt une mère tendre , qui , au moment de
préſenter dans le cercle une fille chérie , la
retient encore , dans l'eſpoir d'ajouter quelque
choſe à ſa parure.
Mais enfin , Miff Beverley va prendre fon
effor. Déjà la voilà heureuſement fortie de
la dangereuſe ſociété d'Harrel. Son bon efprit
l'y a garantie des ridicules & ſauvée des
mauvais choix. A la vérité , ſa bonté trop
facile lui a fait diffiper tout fon patrimoine,
devenu preſque en entier la proie de fon tuteur;
mais la fortune du Doyen la rend encore
un très- riche parti , & la jeune héritière
n'a que fon coeur à confulter pour ſe choitir
un époux. Le Lecteur ſe reſſouvient , fans
doute , que ce choix eſt déjà fait , & que
l'heureux Delvile Mortimer eft le mortel
préféré. Nous ajouterons que ce charmant
jeune homme , déjà ſi digne de cette préférence
par ſes qualités perſonnelles , ne la
mérite pas moins par la paffion fi tendre &
ſi vraie qu'il reſſent pour Cécile; mais ce
qu'apprend là le Lecteur , nos deux amans
l'ignorent encore , & chacun d'eux a mille
raiſons pour douter des ſentimens de l'autre .
Ce n'étoit pas que l'amour de Mortimer
n'eût quelquefois éclaté dans ſes actions ; ce
n'étoit pas non plus que Cécile ne s'en fût
Eiv
104
MERCURE
pas apperçue ; mais elle n'avoit pas moins
remarqué qu'à ces mouvemens ſi paffionnés ,
mais ſi rares , fuccédoit tout- à coup une froi
deur vraiment déſeſpérante. La tendre Miff
s'en déſoloit toujours & s'en indignoit quelquefois.
Ce n'est pas tout. Elle avoit fait la
triſte découverte que l'intéreſſante Henriette
Belfied aimoit paſſionnément Delvile Mortimer
, & en avoit conclu aſſez naturellement
que Mortimer aimoit Henriette ; enfin
Cécile étoit jalouſe. Mortimer l'étoit auili ;
& fa jaloufie , pour être fans fondement
n'étoit pas fans motif.
?
On ſe rappelle que Miff Belfied a un
frère , que ce frère s'eſt battu contre le Chevalier
Floyer , & que Cécile a été fort émue
de cet événement. Delvile avoit facilement
ſenti que le Chevalier Floyer n'étoit pas digne
d'intéreſſfer Cécile; mais il n'avoit pas
jugé de même de Belford. Ce jeune homme ,
qu'il eſt temps de faire connoître , eſt un des
perſonnages le mieux conçu qui ſe trouve
dans cet Ouvrage. De l'eſprit , de l'honnêteté
, des vertus le rendent très- intéreſſant
pour tout le monde , tandis que le défaut
de caractère le précipite d'infortune en infortune,
Livré d'abord aux gens de la Cour ,
par qui il eſt accueilli , & même recherché ,
il n'en eſt ni ſervi ni ſecouru , &tombe dans
la misère. On le voit tour- à- rour homme de
bonne compagnie , Inſtituteur , Valet de
Ferme , Auteur , tenetur de Livres ; & toujours
il trouys excellentes raiſons pour
4
DE FRANCE. 104
prendre & pour quitter ces différens états.
On fent affez qu'un tel homme , né pauvre ,
ne doit pas devenir riche ; mais on conçoit
auſſi qu'il peut intéreſſer beaucoup : on conçoit
fur tout qu'une jeune perfonne , libre ,
généreuse & ſenſible , peut être tentée de
fixer ce caractère inconſtant , & vouloir réparer
les torts de la fortune. Telle étoit l'idée
deMortimer.
Ce ſoupçon s'étoit accru par mille circonftances.
Cécile avoit elle- même recom
mandé Belfied à Mortimer ; elle alloit fouvent
voir Henriette , & le frère demeuroit
avec la ſoeur; & , par une fatalité qu'on
pourroit peut être reprocher à l'Auteur , jamais
Cécile n'entre dans cette maiſon fans
être apperçue ou ſurpriſe , ſoit par Delvile ,
foit par ſon père , ſoit par quelques uns des
domeſtiques de cette famille. Enfin une
Mme Belfied , mère des deux jeunes gens ,
bourgeoiſe ridicule & bavarde impitoyable ,
fe perfuade aufſi cet amour de Cécile , & ne
manque pas de publier cette découverte.
Elle s'en entretient avec tout le monde; elle
en parle à Cécile elle même. Nous avons
peine à concevoir comment Miff Beverley ,
qui ſouvent ſe trouve embarraſſée par cette
idée fauſſement répandue , ne prend pas le
parti de la démentir hautement ; comment
fur tout elle ne s'en explique pas avec Mortimer
, qui lui fait connoître affez clairement
ſes ſoupçons à cet égard . Cependant ,
comme nous ſavons qu'en Angleterre les
Ev
106 MERCURE
jeunes perſonnes ſe diftinguent par beaucoup
de réſerve & de modeſtie , & que ces
qualités précieuſes y font particulièrement
chéries de leur ſexe & honorées du nôtre , il
ſe pourroit que ce filence , qui nous paroît
extraordinare , ne paſsât pourtant point les
bornes de la vraiſemblance dans les moeurs
Angloiſes.
Quoi qu'il en ſoit, c'eſt dans cette ſituation
de jalouſie réciproque que Cécile part , avec
toute la famille Delvile , pour ſe rendre à
leur terre. Bientôt après y arrive Miladi
Pemberton , dont les remarques malignes &
les propos inconſidérés ajoutent , à chaque
inſtant , à l'anxiété de la jeune Miff. Mortimer
y conferve d'abord , encore plus qu'à la
ville, fa conduite froide & réſervée ; mais
toute ſa prudence vient enfin échouer contre
une occafion imprévue.
Parmi les ſcènes intéreſſantes que fournit
le ſéjour à la campagne , on diftingue furtout
celle d'un orage , qui ſurprend Miff
Cécile & Miladi Pemberton , toutes deux
éloignées du château ; Mortimer arrive à
leur ſecours Là , notre jeune ſage oublie
toutes fes réſolutions , & ſe livre entièrement
au fentiment qu'il éprouve . Jamais
l'amour ne fut peint fous des couleurs plus
vraies. Toutes les actions , tous les difcours
de Mortimer partent de ſon coeur , & pénètrent
celui de ſon amante. Amoureux & non
pas feducteur , il ne parle point d'amour ,
mais l'amour le fait parler. Il ne raconte pas
DE FRANCE.
107
ſa paſſion , il la montre; & , ce qui nous paroît
admirablement obſervé , de ce moment
Cécile rentre dans tous les droits de ſon ſexe.
Elle ſe rappelle avec ſévérité la conduite difparate
de Mortimer ; & tandis qu'elle n'éprouve
que tendreſſe & fatisfaction , elle ne
montre que rigueur & colère. Elle va juſqu'à
refuſer les ſoins de Mortimer, & l'infortuné
jeune homme s'éloigne enfin ſans être pardonné.
Tous ceux qui ont connu l'amour , favent
combien l'aveu de ce ſentiment en augmente
l'empire ; Mortimer l'éprouve, &, tourmenté
par une paffion qu'il croit encore malheureuſe
, ſans confolation & fans reſſources
contre des obſtacles qu'il prévoit invincibles ,
bientôt la ſanté s'altère ; l'alarme eſt géné
rale , & le Médecin eſt mande. Ce Médecin
connoît la véritable cauſe de la maladie de
Mortimer ; il ſait auſſi que l'abfence & les
diſtractions en font, non pas le sûr , mais le
ſeul remède. Il conſeille les eaux de Bristol ,
&Mortimer ſe décide à partir. Mais avant
ce départ , il a une converſation avec Cécile
, & elle y apprend de lui - méme que
le changement de nom exigé par le teſtament
du Doyen , ne lui permet pas de fonger à
devenir jamais l'heureux époux de l'aimable
héritière. Mme Delvile , qui a lû dans le
coeur de la jeune perſonne , augmente encore
ſa douleur par ſes réflexions ſages , mais
cruelles. La tendre Miff enfin , n'a plus de
momens fupportables que ceux qu'elle paſſe
Evj
103 MERCURE
avec Fidèle , le chien favori de Mortimer.
C'eſt le compagnon des promenades folitaires
de la belle affligée ; c'eſt le confident
que ſon coeur a choiſi ; ce n'eſt qu'à lui
qu'elle oſe parler de ſon amour ; & ce foible
foulagementde ſes peines devient bientôt
la plus douce habitude de ſon coeur.
:
Peu de temps après , Mill Beverley part
du château , n'emportant pas même l'eſpoir
d'y revenir un jour. Elle ſe retire chez la
digne amie , Mme Charlton. Elle y retrouve
une partie de ſes anciennes connoiffances ;
mais tout autre intérêt diſparoît à l'arrivée
imprévue du véritable ami de Cécile , de
Fidèle,le chien de Mortimer. Nous regrettons
de fupprimer ici mille détails charmans;
mais nous croyons devoir paſſer an
moment où Cécile a l'heureux malheur d'inftruire
Delvile de tout l'amour dont elle
brûle pour lui . Elle ſe croyoit ſeule dans un
pavillon avec le bien aimé Fidèle, & confioit
à ce difcret confident & ſes chagrins &
fon amour. Tout à- coup Fidèle la quitte
avec vivacité , il court à la porte du pavillon;
aux accens de la joie bruyante , Cécile lève
les yeux , elle voit Mortimer , & ne peut
douter qu'il ne l'ait entendue.
Quelques critiques remarqueront peutêtre
que ce moyen n'eſt pas neuf, qu'il eſt
déjà employé dans la Paſtorale de Galatée ,
& qu'ily eſt mieux à ſa place; les converfations
amoureuſes entre les Bergères & les
chiens étant au moins d'une vérité de conDE
FRANCE. 109
vention. On pourra dire auſſi que cette déclamation
, un peu romanesque , eſt bien
foible auprès du filenee exprefifde la Princeſſe
de Clèves regardant le portrait de Nemours.
Mais qui pourroit voir ſans indulgence
, diſons mieux , fans interêr , le jeune
&modeſte Auteur de Cécilia , partager en
quelque forte l'embarras de ſon Héroïne ,
pour faire le pénible aveu d'un amour que
le mariage ne doit pas autoriſer.
La connoiffance des ſentimens de Cécile
ajoute encore à la paſſion de Mortimer , tandis
qu'elle rend plus difficile la défenſe de
l'aimable Miff; les deux amans ne ſe ſeparent
qu'après être convenus d'un mariage
fecret,& en avoir fixé le jour. M. Monckton
eſt mis dans cette importante confidence; &
malgré tous ſes efforts pour détourner Cécile
de cette réſolution , il ne peut empêcher
qu'elle n'aille , au jour convenu , rejoindre
Mortimer. Il faut voir dans l'Ouvrage même
le tourment que lui cauſe la rencontre qu'elle
fait, fur le chemin , de toute l'ancienne ſociété
de M. Harrel. Cette ſcène de fâcheux
n'auroit peut- être pas été déſavouée par Mo.
lière. Enfin Cécile arrive à Londres. Dès le
lendemain l'heureux couple ſe préſente au
temple , & rien ne paroît plus pouvoir troubler
leur bonheur; mais au moment où le
Miniſtre adjure les aſſiftans de déclarer s'ils
ont quelque empêchement à mettre à ce
mariage , une femme s'écrie: Je m'y oppose,
& diſparoît ſoudain. La cérémonie eſt autli
110 MERCURE
tôt interrompue; on cherche cette femme ,
& on ne la trouve point. Delvile , qui proteſte
de ſon innocence , veut que la célébration
ſe continue ; mais Cécile , déjà alarmée
de ſa démarche irrégulière, s'obſtine dans ſes
refus , & fort de l'Églife. Rentrée chez elle ,
elle n'y voit Delvile que pour lui déclarer
que rien ne pourra la décider à une ſeconde
démarche tant qu'elle craindra de déplaire à
Mme Delvile ; & Cécile enſuite reprend
triſtement la roure de Bury.
Trois jours après , Mme Delvile arrive.
Elle a été informée de tout ce qui s'eſt paffé ,
& elle vient engager Cécile à renoncer
d'elle même à un mariage qui jamais n'aura
l'aveu d'une famille dont il ruineroit l'efpoir.
Notre généreuſe Héroïne y confent.
Mais Mortimer , qui arrive preſque auflitôt ,
eft loin de ſouſcrire à ces cruelles réfolutions.
Dans une entrevue avec ſa mère &
Cécile, il déclare au contraire que Cécile eſt
à lui , que nulle puiſſance ne peut l'en féparer.
Les promeſſes ne lui ſuffiſent pas , il
y joint les fermens. Mme Delvile , dont la
fermeté ne s'eſt point démentie juſqu'alors ,
porte en ce moment la main à ſon front ,
s'écrie qu'elle a la tête en feu , & fort brufquement
de la falle. Cécile effrayée ſe dégage
des mains de Delvile ; Delvile conſterné ,
fort pour rejoindre ſa mère: il la trouve dans
la pièce voiſine , étendue fur le plancher &
noyée dans ſon ſang. Cet accident étoit , par
fa nature , plus effrayant que dangereux ;
DE FRANCE. II
mais il a rendu des forces à Cécile , & a
abattu celles de Mortimer ; tous deux , de
concert , viennent ſe mettre aux pieds de
Mme Delvile , & lui jurer une entière foumiſſion
à ſes volontés.
Cécile reſtée ſeule & fans efpoir , perd fa
digne amie Mme Charlton , & fe trouve
par- là obligée de changer de domicile. A la
vérité , elle eſt devenue majeure, & peut habiter
chez elle; mais ſa maiſon n'eſt pas
prête pour la recevoir , & elle va demeurer
chez M. Monckton . C'eſt avec lui qu'elle va
à Londres pour les arrangemens à prendre
avec ſes deux tuteurs. Cette entrevue entre
MM. Delvile & Briggs donne heu à une
ſcène plus dans le goût Anglois que dans le
nôtre , où la hauteur de M. Delvile eſt miſe
aux plus fortes épreuves. Celui- ci , reſté
ſeul avec Cécile , blâme affez durement fa
conduite ; il lui reproche fur tout ſa haiſon
avec M. Belfied,& les dettes ufuraires qu'elle
a contractées avec des Juifs . Ce dernier reproche
élève un premier doute contre M.
Monckton dars l'eſprit de Cécile , parce
qu'il étoit ſeul informé de cette affaire;
mais il parvient aiſément à détruire un ſoup.
çon que Miff Beverley ſe reprochoit comme
un outrage fait à l'amitié. Cependant elle fe
prépare à quitter Londres ; & avant de partir
, elle va , pour la dernière fois , revoir fa
chère Henriette.
Nous avons déjà remarqué que Cécile
n'entre point dans la maiſon de M. Belfied
112 MERCURE
ſans y être ſurpriſe. Elle l'eſt cette fois par
M. Delvile le père , qui y venoit pour éclaircir
ſes doutes. Il s'adreſſe à Mme Belfied .
Celle ci lui dit , & lui répète qu'en effet
Cécile ne demanderoit pas mieux que d'épouferM.
Belfied; mais que le jeune homme ,
trop timide ou trop modeſte , ne profite pas
de ſes avantages. Cécile entend cette converfation
d'une chambre voiſine , & ne fait
pas prendre fur elle de ſe montrer & de démentir
ces abſurdes propos. Dans ces entrefaites
, M. Belfied , qui n'étoit pas chez lui , y
rentre , & va droit à la chambre où font Cécile
& Henrietre , parce que ceſt celle qu'il
occupe. Un moment après , & par d'autres
événemens , M. Delvile & Mine Belfied entrent
dans cette même chambre , & y trouvent
Cécile en tiers avec le frère & la ſoeur.
Cécile déconcertée , eſſaie de ſe juftifier; mais
elle est loin d'y mettre la force néceſſaire ,
&M. Delvile ne nous paroît pas iniuſte , en
fortant perfuadé de la vérité de ſes ſoupçons.
L
Cécile revenue dans ſa Province , s'établit
dans la maiſon qui lui appartient. Elle y recueille
Mme Harrel; elle y appelle Henriette
; elle y voit ſouvent Albany; & , libre
dans ſa conduite , elle partage ſon temps entre
les occupations utiles , les diſtractions
honnêtes & l'exercice de ſon active bienfaiſance.
Un hiver s'étoit paffé ainfi , & Cécile
étoit , non pas heureuſe mais tranquille ,
quand Mortimer revint de nouveau auprès
DE FRANCE. 113
d'elle. M. & Mme Delvile avoient confenti
que leur fils épousât Cécile , pourvu qu'elle
renonçât à la ſucceſſion du Doyen ; par ce
moyen , Mortimer garderoit ſon nom , &
ſes parens approuvoient , à cette condition ,
que la jeune Miff n'apportât pour dot que le
bien qu'elle avoit reçu de ſes pères. Qu'on
ſe rappelle ici que le patrimoine de Cécile
eſt entièrement diffipé, & qu'on juge de ſa
Gtuation , Elle est obligée d'apprendre à Mortimer
que la condition impoſée eſt impoffrble
à remplir. Dans la trite explication qui
fuit cette nouvelle , Cécile apprend que M.
Delvile père a communiqué tous les foupçons
à ſon fils , & on voit qu'elle vient d'en
confirmer une partie; mais elle ſe juſtifie
facilement fur tout le reſte , & Mortimer
repart plus amoureux que jamais; il va retrouver
la mère , il la fléchit , & obtient
enfin ſon conſentement à ce mariage.
A la vérité , M. Delvile père n'y conſent
pas; mais Cécile n'eſt liée par aucune promeſſe
avec M. Delville , de qui elle a toujours
eu à ſe plaindre. Elle a promis au contraire
, & promis avec ſerment , de ſe laiſſer
toujours guider par Mme Delvile; la tendre
Milf confent donc à ce mariage. Le Lecteur
partage avec les deux jeunes époux l'inquiérude
que leur donne pendant tout le temps
de la célébration , le ſouvenir de cette voix
fatale , qui déjà une fois a renverſé leur bonheur;
mais la cérémonie s'achève ſans obftacle.
114
MERCURE
La convention & la néceflité du ſecret ,
obligent les deux époux à ſe ſéparer auflitor.
Mortimer part pour aller inſtruire ſon père,
&doit aller enſuite accompagner ſa mère ,
que ſa ſanté oblige de voyager hors du
Royaume. Cécile retourne dans ſa Province,
& , deux jours après , elle y découvre que
• la perſonne qui avoit mis oppofition à la
première célébration de ſon mariage , n'étoit
autre que Miss Bennet , la complaiſante de
M. & Madame Monckton. C'eſt pour s'affurer
de ce fait , qui réveille tous ſes ſoupçons
, que Cécile envoie chez M. Monckton ;
mais fon meſſager revient , & lui apprend
queM. Monckton vient d'être rapporté mort
chez lui.
Preſque an même inſtant , Cécile reçoit
un billet de Delvile , & bientôt il arrive
lui- même ; c'eſt lui qui s'eſt battu contre
Monckton , qui , à la vérité , n'eſt pas
mort , mais dangereuſement bleffé. Ce combat
étoit la ſuite de l'indignation de Delvile,
en apprennant que c'étoit ce fourbe adroit
qui avoit donné à M. Delvile père , tant
de préventions défavorables ſur le compte
de Cécile ; mais cette vengeance , pour être
juſte , n'en redouble pas moins les chagrins
& l'embarras des deux nouveaux époux. Elle
rend ſur tout le départ de Delvile plus néceffaire
que jamais , & il s'éloigne de nouveau.
A peine eſt - il parti , qu'un nouvel
incident vient ajouter encore aux chagrins
de Miſs Beverley ; ſon mariage a tranſpiré
DE FRANCE.
115
on fait que Delvile eſt ſon époux , & il n'a
pas pris le nom de Beverley. Enconfèquence,
un M. Eggleston fait fignifier qu'il rentre ,
par ce mariage , en poffeffion de tous les
biens du Doyen de ***, les conditions du
teſtament n'ayant point été remplies.
Cécile n'a rien à oppoſer à cette réclamation
légale ; mais quel parti prendra t-elle ?
Elle ſe décide à confulter M. Delvile père ;
elle lui fait l'aveu de fon mariage & le
ſupplie de vouloir bien régler lui -même
la conduite que doit tenir la femme de fon
fils ; mais l'orgueilleux M. Delvile refuſe
tout conſeil , dans la crainte qu'on n'en
puiſſe conclure qu'il ait confenti en rien à
une ſemblable alliance. Alors Cécile ne ſe
voit plus d'autre reſſource que de paſſer en
France pour y rejoindre ſon mari.
Ce départ forçoit Madame Harrel de retourner
dans la triſte habitation de M. Arnott.
La crainte de la folitude où elle alloit
ſe trouver , lui fit defirer d'emmener Henriette
avec elle ; & Cécile y confentit d'autant
plus volontiers , qu'elle conçut auffitôt
l'eſpoir d'unir un jour Henriette & M. Arnott
,& de conſoler ainſi deux coeurs qu'elle
avoit involontairement affligés. Henriette ,
à qui toute deſtination étoit égale , puiſque
toutes la ſéparoient de ſa chère Cécile , accepta
la propoſition de Madame Harrel ; &
notre héroïne partit enfin , emportant les
bénédictions de tous ,& juſqu'aux regrets
de ſa rivale.
116 MERCURE
Cécile , avant de paffer en France , ſe
rendit à Londres pour y prendre les éclairciſſemens
& les précautions néceffaires pour
ce voyage ; & ne ſachant à qui s'adreſſer
pour ces différens objets , elle ſe fit defcendre,
à ſon arrivée , chez l'honnêteM. Belfied
, le ſeul homme qu'elle eût rencontré
juſqu'alors digne de ſa confiance. Pendant
ce temps , Delvile , qui a trouvé ſa mère
en meilleure ſanté , a pris la réſolution de
repaffer en Angleterre , pour y avoir des
nouvelles de l'état de M. Monctkon , pour
aller enſuite informer ſon père de fon mariage
, & enfin prendre les meſures convenables
pour le rendre bientôt publie. Il
arrive à Londres le même jour que Cécile ;
la première perſonne qu'il y rencontre , eſt
le domeſtique qu'elle y avoit amené ; & il
apprend de lui que Miſs Beverley eſt à
Londres , & qu'elle y eft chez M. Belfied.
Il s'y rend auffitôr. Cécile , toujours deſtinée
à être ſurpriſe dans cette maiſon , y est
trouvée , par ſon mari , en tête-à tête , &
preſque renfermée avec ce même M. Belfied
, au ſujet de qui elle a déjà été dans le
cas de ſe juftifier .
Nous avouons qu'on peut être ſurpris
que le premier ſoin de Cécile ne ſoit pas
d'apprendre à Delvile la raiſon de ce voyage
& les motifs de cette viſite. Afſurément
rien n'étoit plus aiſé que d'éclaircir en peu
de mots cet érrange myſtère ; & toutes les
réponſes de Cécile ſemblent , au contraite ,
DE
FRANCE .
117
devoir accroître les ſoupçons de Delvile.
Mais ſi l'on fonge avec quelle facilité ſe
trouble l'innocence accuſée , & combien ce
trouble prend plus d'empire encore ſur un
ſexe foible & ſenſible, qui , preſque jamais ,
ne perd ſa timidité que par la dépravation ;
qui ofera nier que la modeſte Cécile , entourée
pour la première fois des apparences
du crime , n'ait pu reſter accablée ſous tant
d'humiliations , ſans avoir ni la force de les
foutenir , ni celle de les repouſſer ?
Delvile a déjà quitté Cécile , & rien encore
n'eſt élairci. La ſeule idée qui occupe
la nouvelle épouse , eſt le danger qu'elle
prévoit que ſon époux va courir ; elle fent
qu'ilva chercher Belfied , & c'eſt là ſur tout
ce qu'elle veut prévenir. Elle retourne chez
celui ci ; elle y apprend qu'en effet ils font
fortis enſemble. Elle s'informe , elle les fuir,
& ſes recherches font vaines. Elle ſe préſente
à l'hôtel de Delvile, où ſon mari lui a ordonné
de te rendre , & M. Delvile père lui en fait
refufer l'entrée. Elle
recommence ſes recherches
& ſes courſes. La fatigue , le chagrin
, l'inquiétude , lui caufent une fièvre ardente.
Son eſprit s'aliène. Dans ſon délire ,
elle court les rues de Londres en demandant
fon mari. Elle tombe enfin , de laſſitude
, dans la boutique d'un Prêteur fur
gages , qui la recueille , non par pitié , mais
dans l'eſpoir qu'il enviſage d'une récompenſe
à obtenir. Afes diſcours on la croit
une folle échappée , & on l'enferme en
118 MERCURE
attendant qu'on la réclame. Les traitemens
barbares qu'on lui fait éprouver augmentent
fon mal ; & quand ſes amis la retrouvent ,
on n'eſpère plus rien ni de fa raifon , ni de
ſa ſanté. Là commence une ſcène du plus
grand effet , & dont l'intérêt augmente &
varie à raiſon des perſonnages qui ſe montrent
: tendre ayec Henriette , déchirante
avec Delvile , impoſante & majestueuſe
avec Albani ; tous les caractères y font foutenus
, tous les ſentimens y font vrais , tout
y eſt parfaitement à ſa place ; ce morceau
nous paroît enfin un chef- d'oeuvre de ſenſibilité
& de talent.
Cependant les ſoins qu'on donne à Cécile
ne ſont pas infructueux. Sa ſanté revient ,
& ce violent orage a préparé le calme général
. M. Delvile le père , inſtruit de ce qui
ſe paſſe , ſe reproche d'avoir refuſé un aſyle
à cette infortunée. Il ſe regarde comme la
cauſe de ſes malheurs ; le repentir ouvre
fon coeur à la clémence ; il pardonne enfin ,
& confent à recevoir chez lui les deux
jeunes époux. Miſs Burney nous apprend
enfuite qu'Henriette épouſe M. Arnott ;
que Madame Harrel ſe remarie à un riche
particulier ; que Belfied obtient une place
qui le met dans le chemin de la fortune ;
que M. Monckton , qui n'eſt pas mort des
ſuites de ſa bleſſure , reſte ſeul , malheureux ,
& livré à ſes remords. Pendant ce temps ,
Madame Delvile la mère , dont la ſanté s'eſt
rétablie , eſt revenue en Angleterre , & y
DE
FRANCE .
vit heureuſe , chérie & reſpectée de ſes en- 119
fans . Enfin notre héroïne ſe concilie l'affection
de tout ce qui l'entoure. Les parens de
Delvile ſemblent ſe diſputer l'avantage de
dédommager l'heureux couple du ſacrifice
qu'ils ont fait de la fortune du Doyem ; & les
tendres époux jouiffent enfin paiſiblement
d'un bonheur fi long-temps attendu , & fi
bien mérité.
En rendant compte de cet Ouvrage , il
nous a été facile d'en relever les défauts ,
tandis qu'il nous étoit impoſſible d'en faire
connoître les beautés. Cette
conſidération
nous engage à réſumer ici notre opinion ,
non par la vaine prétention d'influer fur
l'opinion des autres , mais par un ſentiment
de juſtice qui ne veut pas qu'on diſe le
mal & qu'on diffimule le bien. Nous croyons
donc qu'on peut reprocher à Miſs Burney
de ſe ſervir trop ſouvent des mêmes moyens,
& quelquefois d'en employer de trop foibles;
comme auſſi de ſe laiffer entraîner
trop facilement par des détails , par des
ſcènes entières , qui ne ſervent ni à l'intérêt
de l'action , ni au développement des caraetères
; enfin , de ramener trop ſouvent des
perſonnages peu utiles qui ne peuvent
inſpirer qu'un intérêt de curioſité , & que ,
par- là même on ne defire plus de revoir
du moment qu'ils ſont connus. Mais
nous devons dire auſſi que fon Ouvrage
nous paroît d'une grande conception &
d'un vif intérêt ; qu'il poſsède éminemment
le mérite de peindre les moeurs &
1
126 MERCURE
les uſages ; qu'il eſt rempli d'obſervations
fines & profondes ; qu'en général , les caractères
& les ſentimens y ſont vrais & bien
foutenus ; que la morale en eſt attrayante
& pure. Nous penſons enfin que ce Roman
doit être compris parmi les meilleurs Ouvrages
de ce genre : en exceprant toutefois
Clariffe , celui des Romans où il y a le plus
de génie ; Tom Jones , le Roman le mieux
fait ; & la Nouvelle Héloïte , le plus beau
des Ouvrages produits ſous le titre de Roman.
DOUTES fur différentes Opinions reçues
dans la Société. Troiſième Edition , revue
& augmentée. A Londres , & ſe trouve à
Paris , chez Barrois l'aîné , Libraire , Quai
des Auguſtins , du côté du pont S. Michel ,
1754. 2 petit vol. in 12 .
Nous n'avons pas le droit de parler trop
ſouvent ni trop long-temps d'un même Quvrage.
On attend de nous une forte de juftice
diftributive , qui nous oblige de ménager
l'eſpace confacré aux extraits de Littérature.
S'il pouvoit y avoir une exception à cette
règle , ce ſeroit en faveur d'un Livre auſſi
penſé , auſſi rempli de vérités fines ou profondes
, que celui dont nous annonçons cette
nouvelle Édition , la troiſième en quinze ou
dix huit mois; nous nous felicitons d'avoir
préſagé le ſuccès , & fenti d'abord le mérite
de ce Livre; mais l'étendue qu'on a donnée à
l'extrait
(
DE FRANCE. 121
l'extrait de la ſeconde Édition nous interdit
le plaifir de nous étendre fur cette troiſièine ;
nous nous bornerons à dire qu'elle eſt ſupé,
rieure aux precédentes , parce qu'elle eſt augmentée
; tant d'autres Livres gagneroient à
être diminués !
Les nouveaux Chapitres font , celui
de la Bêtife. Il rappelle le ſentiment de cet
ambitieux qui auroit mieux aimé être le premier
dans un village que le ſecond dans
Rome; on aimeroit mieux auſſli , pour fon
bonheur & pour l'amusement des autres ,
être parfait , être le premier dans le genre
dont il s'agit, qu'un des derniers dans le gen
re oppoſé. Au reſte , quoique la ſuprême
ignorance ſuppoſe toujours beaucoup de bê,
tiſe , l'erreur qui défigure les mots ou qui
en défigure le ſens , appartient plus à l'ignorance
qu'à la bêtiſe proprement dite : une
femme d'eſprit ignorante ne peut même s'en
préſerver entièrement, que par un fermepropos
de ne jamais employer un ſeul mot dont
elle ne connoiſſe parfaitement la ſignification
, & même l'étymologie.
2°. Le Chapitre de la Bienséance. Il eſt
des bienféances de convention; il en eft
d'état ; il en eſt de poſition ; il en eſt d'âge.
Toutes ces differentes bienséances , avec la
manière dont on les obſerve , dont on les
néglige , dont on les viole , ſont claffées &
diftinguées ici avec la préciſion la plus philofophique.
3. Nous aimons encore mieux , s'il eſt
N°. 20 , 1 ; Mai 1784
122 MERCURE
poſſible , le Chapitre de l'Efprit conciliant ,
&nous l'adoptons tout entier ſans modification
ni teſtriction .
4. Duſtyle élégant , du ſtyle faux & du
Style peu naturel. L'évidence fur ces matières
n'eſt jamais allez forte pour qu'on ne puiffe
pas toujours diſputer. Il eſt très vrai , quoique
l'Auteur paroiſſe en douter , que des
mots changent de ſignification avec le tems ;
&il faut bien que le Public fe foumette à
ces changemens , puiſque c'eſt lui qui les
fait; ce ſeroit même la partie la plus curieuſe&
la plus utile de la méraphyſique des
langues , de ſuivre la route par laquelle certains
mots ont paffé de leur fignification originaire
& naturelle , à leur fignification actuelle
& acquiſe ; mais l'Auteur détigne &
eritique avec raiſon certains novateurs fanariques,
qui, de leur autorité privée, altèrent &
dénaturent la langue par un bizarre emploi
&de bizarres alliances de mots ,
:
Qui , par force & fans choix enrôlés ,
Heurlent d'effroi de ſe voir accouplés.
Comme Rouſſeau l'a dit avec plus d'énergie
que de goût.
5. De la Délicateffe. Excellent Chapitre
encore. L'Auteur a raiſon , & celui qu'il critique
n'a pas entièrement tort . Ce mot d'une
femme à fon mari , qui regrettoit ſa première
femme : Ah ! Monfieur , qui la regrette
plus que moi ? a toute la délicateffe
que comporte le genre épigrammatique &
DE FRANCE. 123
ſatyrique ; mais alors elle s'appelle fineſſe ,
&la delicateſſe appartient au gente laudatif;
pour qu'un mot , pour qu'un tentiment foit
ſuſceptible de delicateſſe , il faut qu'il ſoit
favorable , & non pas contraire ; c'eſt ce
queprouvent les exemples cités par l'Auteur.
6°. Duſtyle Épistolaire. L'Auteur fait voir
par la diftinction des genres & des ſujets ,
qu'onne fait pas tropbien ce qu'on dit quand
on parle duſtyle épiſtolaire. Il en eſt de même
du ſtyle de l'hiſtoire. Tout le monde prononce
ce mot & croit l'entendre , & il n'y
a point deflyle de l'histoire.
7°. On trouve à la fin du ſecond volume
la réponſe à quelques objections faites
contre le Livre des Doutes, dans l'extrait de
la ſeconde Édition.
En général ce Livre eſt unde ceux qui font
le plus penſer , qui diſſipent le plus d'erreurs
, qui rectifient le plus d'idées. L'Auteur
penſe & s'exprime preſque toujours ou avec
l'audace brillante du génie , ou avec l'agrément
piquant de l'eſprit. Nous croyons qu'il
occupera dans la poſtérité une place honorable
parmi les la Bruyère , les la Rochefoucauld
, les Vauvenargues , &c.
ij
124 I MERCURE
A
ÉTRENNES du Parnaffe , on Choix de
Poésies. AParis , chez Brunet , Libraire ,
place du Theatre Italien , & les Marchands
deNouveautés. 1
Ce n'eſt pas , dit on , l'enfant à qui on
fait le plus changer de maîtres , qui eſt ordi .
nairement le mieux élevé. Cet apophtegme ,
ou ce proverbe , est très - applicable au
choix de Poéfies dont nous allons rendre
compte. C'étoit M. le Prévôt d'Exmes qui le
rédigeoit il y a deux ans ; c'eſt M. *** qui
s'en est chargé l'année paffée ; & avant M. le
Prévôt d'Exmes , il avoit paffé par beaucoup
d'autres mains, ſansjamais avoir eu un ſuccès
bien remarquable. Ce Recueil a pourtant
été toujours affez bien fait ; & s'il n'a pas eu
toute la vogue qu'il méritoit, il faut fur tout
Fattribuer à ſa mauvaiſe étoile ; car on ſait
que: Habentfua fata libelli.
Le nouveau Rédacteur annonce que dorénavant
il mettra tousfesfoins à ne préfenter
au Public que les productions des Auteurs en
poffeffion de lui plaire : il a déjà tenu ſa promefle
en partie.Ona remarqué dans le Recueil
de cette année , pluſieurs jolies Pièces
de MM. de la Louptière, Silvain Maréchal ,
de Piis , Mérard de Saint-Juſt , le Chevalier
de Cubières , Sabathier de Cavailhon ,
Baudrais , &c. Feu M. Saurin , qui , autrefois
, a eu le même avantage , doit l'avoir encore
pour une chanson fort agréable , ſur un
DE FRANCE 125
ſujet fort rebattu,fur le Nouvel An. Le premier
couplet de cette chanson eſt fort piquant.
Le voici :
:
Dans ce jour que d'embraſſemens
Qui ſont pure grimace ?
Que de feu dans les complimens !
Dans les coeurs que de glace!
Tel charme par les voeux qu'il fait ,
Sa moitié laide ou belle ,
Qui , tout bas , lui fait le ſouhait
De la vie éternelle.
Le coupler ſuivant , d'une tournure un
peumoins railleaſe , offre une peinture charmante
de l'Aniour & de l'Amitié, ſujets qui
ne ſont pas moins rebattus que celui du
NouvelAn.
L'Amitié , chère en tous les temps ,
Conſole le vieil âge ;
Elle eſt , ſur-tout dans les vieux ans ,
Le vrai tréſor du ſage....
De l'Amitié les feux conftans
N'ont qu'une douce flamine ;
L'Amour est le beſoin des fens
Elle eſt celui de l'âme.
On mérite bien d'avoir des amis ,&même
une maîtreffe , quand on fait d'auſſi jolis
vers. M. Baudrais en a adreſſe à M. de la
Harpe qui ſont d'un genre plus élevé , &
ont de la vérité & de la nobleffe. M. de
Fiij
126 MERCURE
1
la Harpe, comme on fait , a enrichi notre
Théâtre d'un des plus beaux monumens de la
Poéſie Dramatique des anciens , en y mettant
Philoctete de Sophocle. M. Baudrais a célébré
le ſuccès de M. de la Harpe, Voici fa
Pièce ; il nous eſt permis de la citer en entier
, parce qu'elle eſt courte.
Quand Sophocle à grands traits peignant les paſſions,
Des peuples de l'Attique enlevoit les fuffrages ,
Sans doute il étoit loin de s'attendre aux hommages
Qu'à fon mâle génie aujourd'hui nous rendons.
Mais fi dans l'Elysée il entendit Corneille ,
Et l'Auteur d'Athalie , & l'Auteur de Pyrrhus ,
Et celui qui peignit Mahomet & Brutus ;
Si ton nom quelquefois a frappé ſon oreille ,
Et s'il a reconnu de ces illuſtres morts
La touche vigoureuſe & les tendres accords ,
Aux fureurs de Warwick , aux pleurs de Mélanie;
S'il ſentiede tes vers la grâce& l'harmonie ,
Il dut croire la France , accoutumée enfin
Ace fublime fimple , à ce vrai beau qui dure
Antant que fon modèle , autant que la Nature.
De Sophocle pourtant le triomphe eſt certain :
Dès long-temps,parmi nous , on retrouvoit à peine
Les traces que jadis y laiſſa Melpomène ;
Et l'ombre de ce Grec , évoquée à ta voix ,
L'a ramenée encore en ces lieux qu'autrefois
Ses regards fatisfaits euſſent pris pour la Grèce ,
Ont'y doit le retour de la docte Déeſſe.
DE FRANCE.
127
Puiſſe- tu , l'y fixant par de nouveaux efforts ,
Ola Harpe ! envers elle effacer tous nos torts !
Voilà un ſouhaitque nous formens bien
fincèrement , ainſi que M. Baudrais. La Tragédie
des anciens étoit ſimple ; une ſeule ac
tion ſuffifoit à Sophocle pour faire cinq
Actes qui raviffoient , qui enchantoient les
Spectateurs , & dans lesquels même il n'y
avoit rien de vuide. On aime beaucoup à
préſent ces Pièces que Corneille appeloit
Implexes , Pièces, dont le genre eſt un peu
contraire à la vraiſemblance & à la belle
ſimplicité grecque.
M. Baudrais eſt encore l'Auteur d'un vaudeville
, intitulé : le Siècle préſent', qui eft
compoſé de ſeize couplets, dont voici le
refrein : • ye
Toujours fronder, toujours médire ,
DesChanfonniers telle eft le goût:
Pour moi , j'abjure la fatyre;'
Etfais me contenter de tout.
Cé refrein eſt agréable, & le couplet ſuivant
ne l'eſt pas moins.
Peintres , Orateurs & Poëtes,
Hiſtoriens , Romanciers,
Et les Journaux & les Gazettes ,
Tous moraliſent volontiers:
1
Chaque jour voit naître un programme ,:
Dont la vertu foule eſt l'objet ;
1
7
Fiv
128 MERCURE
Chaque jour voit tomber un Drame
Dont la vertu fut le fujet.
د
M. Baudrais , dans ce vaudeville , paffe
en revue toutes les découvertes nouvelles
le Bateau Volant ,le Sourcier Bleton , le
GlobeAerostatique, le Magnétiſme Animal ,
&c.... & les fronde avec eſprit , quoi qu'ayant
L'air de les approuver. Mais tous fes couplets
ne font pas auffi bons que le précédent. Nous
pourrions , par exemple , blâmer avec raifon
les expreffions & les idées de celui qui
fuit , fur l'Anti méphitique.
Pour accroître notre eſpérance ,..
En Chimie , un fameux Docteur ,
Aux caffolettes de Provence;
Ote à la fois crédit , honneur ;
Chaque maiſon ſe voir pourvue
D'un parfum,dit-il pou goûté :
Quelqu'acide! & je le tranfmue
En baume de falubrité.
10. Nous avons fait pluſieurs citations des
Pièces de M. Baudrais , parce que les cinq
qu'il a fait inférer dans les Étrennes du Parnaffe
n'avoient encore paru nulle part. Il
n'en eft pas de même de beaucoup d'autres ;
& l'on feroit peu fatisfait de les y voir, ſi
elles n'avoient pas un métite plus ſolide que
celui de la nouveaure.
Outre des vers de M. le Chevalier de
DE FRANCE.
129
Cubières , fur les prodiges des Sciences &
des Arts , il y a du même Auteur une Épître
à une jolie Tête qu'on voudroit changer; elle
eſt beaucoup moins connue , & mérite que
nous en citions une partie :
Tête , qui de ton ſexe es la gloire & l'honneur ,
De vouloir te changer un mortel à l'audace !
O l'inſenſé réformateur !
Quelle autre eſpère-t'il pouvoir mettre à ta place?
Seroit-ce la tête à l'évent
:
De la jeune & vive Delphire ,
Que l'on voit tourner ſi ſouvent
Au moindre ſouffle du Zéphire ?
Seroit - ce , &c.
1
Après avoir fait le portrait de pluſieurs
têtes beaucoup moins aimables que celle
qu'on voudroit changer , M. le Chevalier de
Cubières termine ſa jolie Épître par les vers
ſuivans :
Seroit-ce... Mais quoi donc ! dois-je épuiſer les traits
De mille têtes ſans attraits ,
Et qui ſont toujours ſous les armes
Pour des triomphes imparfaits ?
Tête que j'adore , ah ! permets
Que, las de ces tableaux ,j'oſe eſquiſſer tes charmes.
Toi ſeule , ſur les tendres coeurs ,
Mérites d'obtenir l'empire;
Fv
130
MERCURE
Si l'on échappe à tes regards vainqueurs ,
Échappe-t'on à ton ſourire ?
Ton ſourire charmant fubjugueroit les Dieux ;
Et le ciel tout entier n'eſt-il pas dans tes yeux ?
Cette Reine des fleurs , dont le printempss'honore ,
La roſe fixe tous les voeux ;
Mais , enlacée à tes cheveux ,
Elle les fixe plus encore.
Fleur toi - même , de ton éclat
Tu pares la fleur la plus belle;
Telle on voit la couleur d'un pastel délicat
Pâlir auprès de fon modèle;
Et ton front ingénu , fiège de la candeur ,
Oferai-je auffi le décrire ?
Qu'apperçois -je ! ... il rougit ! ...O divine pudeur!
Je l'entends , c'en est fait , &je ſuſpends ma lyre
Aux autels que lui doit mon coeur.
Le nouvel Éditeur des Étrennes annonce
que l'année prochaine , ( ſans retrancher fur
la quantité des poéſies ) il commencera à
donner à la fin du Volume, une notice de tous
les différens Ouvrages qui auront paru dans
le courant de 1784. Si cette notice tient un
milieu entre l'éloge & la ſatyre ; s'il y règne
de l'impartialité & du goût , & fi le Rédacteur
choiſit des Pièces auſſi agréables , mais
moins connues, il eſt certain que les Étrennes
du Parnaſſe deviendront de véritables étrennes
pour le Public; & que ſans avoir le def
DE FRANCE. 131
ſein de leur nuire , il pourra , à l'exemple
de M. Saurin ,
Leur faire tout bas le ſouhait
De la vie éternelle. ف
1
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations des Danaïdes continuent
d'attirer beaucoup de monde , fans
cependant exciter ces applaudiſſemens vifs
& répétés qui conſtatent les grands ſuccès.
Nous croyons en effet que malgré le mérite
du Poëme , les grandes beautés dont la muſique
eſt pleine , la pompe & la variété du
Spectacle , chacune de ces parties laiffe à
defirer quelques changemens effentiels pout
obtenir l'effet qu'on a droit d'attendre d'un
ſujet auffi propre à réunir toutes les richelles
du genre lyrique .
Quelques perſonnes , plus frappées fans
doute du fond du ſujet que de la manière
dont il eſt traité , le trouvent d'une atrocité
révoltante. Nous penſons au contraire
que les impreffions de terreur y font trop
affoib'ies , & les images douces & gaies trop
dominantes. Tout ce que l'action a d'horrible
ſe paffe hors de la Scène , & les yeux
Fvj
132 MERCURE
font continuellement frappés de tableaux
agréables. Comme les quarante-neuf foeurs
d'Hypermneſtre &leurs maris ne ſont jamais
en Scène , on ne peut ni être révolté de la
cruauté perfide des unes , ni s'intéreſſer au
fort des autres; l'intérêt ne porte donc que
fur Danaüs , Hypermneſtre & Lyncée , dont
les caractères & la ſituation ont éte regardés
de tout temps comme très propres aux
grands effets de la Tragedie. Nous ferons
d'ailleurs ici une obfervation qui nous paroît
importante: c'eſt que les ſujets les plus
terribles conviennent mieux au Théâtre Lyrique
qu'à la Tragédie ſeulement récitée ;
parce que la terreur y eft adoucie & tempérée
par les charmes de la muſique & de
la danſe , parce que la repréſentation même
en eſt moins vraie,& que l'illufion de la vraifemblance
y eft remplacée par l'illuſion de
tous les Arts. Nous répéterons ici ce que nous
avons dit dans le précédent extrait , que c'eſt
au défaut de variété, &de mouvement dans la
fituation des principaux perſonnages , qu'il
faut attribuer la longueur qui ſe fait ſentir
dans une partie de l'action : Danais n'a
qu'un ſentiment,& , pour ainſi dire , qu'une
ſeule attitude ; Hypermneſtre reſte trois Actes
dans la même ſituation ; Lyncée n'influe
pas affez ſur l'action pour y jeter beaucoup
d'intérêt; & ces défauts font d'autant plus
difficiles à corriger , qu'ils appartiennent encoreplus
au ſujet qu'à l'Auteur. Nous croyons
DE FRANCE.
133
cependant qu'ils pourroient être adoucis par
quelques changemens peu difficiles à faire ,
& qui nous paroîtroient avantageux. Par
exemple , le ſecond Acte eſt termine par un
monologue d'Hypermneſtre , de quarante
vers de recitatifcoupes par un feul air , & ce
long morceau n'exprime que les ſentimens
violens du deſeſpoir. Tout ce que dit Hypermneſtre
eft conforme à ſa ſituation & au
caractère que le Poëte lui a donne ; mais n'auroit-
il pas pu , avecune égale vérite, luidonner
dans ce moment un ſentiment plus tendre ;
lui faire faire un retour doux & touchant fur
le bonheur qui s'étoit offert à elle , & qui lui
échappe au moment où elle ſe croyoit ſi près
d'en jouir : Cette nuance auroit pu tout à-lafois
repoſer l'Actrice, varier ſes mouvemens,
& fournir au Compoſiteur un ſujet d'air d'un
chant ſenſible & melodieux ; caractère de
chant qui eſt trop rate dans cet Opera ; il
faut ſe ſouvenir que les ſentimens tendres
font ceux que la muſique exprime plus naturellement
& avec un effet plus heureux;
&que s'il faut ſe garder de prodiguer dans
les Drames Lyriques les airs de ce genre , il
faut ſe garder bien davantage de les éviter
lorſque le ſujet & la ſituation peuvent les
offrir.
Nous avons remarqué dans notre dernier
extrait , qu'au troiſième Acte Hypermneſtre
& Lyncée étoient oubliés au milieu des
danſes , peut-être trop continues , qui rempliſſent
la première moitié de cet Acte. On
134 MERCURE
voit ſur le devant du Théâtre ces deux perſonnages
, affis à côté l'un de l'autre , ſans
ſe rien dire , occupés comme des Spectateurs
indifférens à regarder les mouvemens
des Danſeurs. Cette fituation eſt non ſeulement
invraiſemblable pour l'action , mais
elle eſt encore deſtructive de l'intérêt , qui ,
n'ayant commencé qu'à la fin du ſecond
Acte , auroit beſoin d'être foutenu , ou tout
au moins rappelé aux Spectateurs . Le Poëte
n'auroit- il pas pu couper la danſe & les
choeurs , ou même les faire précéder par
quelques traits de monologue ou de Scène ,
où Lyncée & Hypermneſtre , toujours obfervés
& contenus par Danaüis , exprimeroient
,l'un ſon tendre empreſſement , l'autre
la perplexité & le trouble de ſon âme.
Ces changemens , & quelques autres encore
dont la repréſentation aura ſans doute fait
ſentir l'importance à l'Auteur , lui ſeroient
d'autant plus aiſe à faire , qu'il a prouvé
dans d'autres Ouvrages , & dans celui-ci
même , qu'il entend ſupérieurement la coupe
& la marche dramatique qui convient au
Théâtre Lyrique; on en peut juger par la
première Scène de l'Opéra , qui préſente un
tableau impoſant & vrai , où le récitatif , le
chant meſuré & les choeurs ſont unis de la
manière la plus heureuſe. Dans la Scène de
Danais & d'Hypermneſtre , qui ouvre le
quatrième Acte , & dans celle qui fuit entre
Hypermneſtre & Lyncée , le dialogue eſt
énergique , rapide & concis , moyennant les
DE FRANCE
135
retranchemens que l'Auteur y a faits luimême.
Dans la ſeconde Scène du cinquième
Acte , lorſque Danais demande à ſa fille ſi
Lyncée eſt mort ; elle répond :
Qu'ai- je entendu ! Lyncée ! il vit encore!
J'ai ſauvé mon époux ! je vous rend grâce , ô Dieux !
Ce mouvement , auſſi vrai que paſſionné ,
eſt du plus grand effet. Le ſtyle du Počime
eſt inégal ; on y trouve quelques vers durs ,
des conſtructions un peu forcées , & quelques
incorrections, mais en général il a de
la force , de la chaleur , & quelquefois de
l'imagination. D'ailleurs, la hardieffe & l'originalité
de la conception générale , la rapidité
de la marche , l'art des oppoſitions dans
les mouvemens & les tableaux mettent cet
Ouvrage fort au deſſus des compoſitions ordinaires
de ce genre.
On doit beaucoup d'éloges au zèle de
l'Adminiſtration , qui n'a rien épargné pour
donner à la repréſentation de cet Opéra
toute la pompe & l'éclat qu'il ſembloit
exiger.
Le ſieur Larrivée a joué le rôle de Danaüs
avec la chaleur & l'intelligence qu'on a
droit d'attendre de ſon talent & de ſon expérience.
Mlle Saint Huberty eſt dans ce rôle ce
qu'elle eſt depuis quelque temps dans tous
ceux qu'elle joue, au deffus de nos éloges
& même de nos critiques.
Le ſieur Lainezjoue celui de Lyncée avec
136 MERCURE
tout l'intérêt dont il eſt ſuſceptible.
Les autres principaux Sujets du Chant &
de la Danſe qui font chargés des rôles fubordonnés
de la Pièce les rempliffent avec
autant de zèle que de talent , & méritent à
ce titre la reconnoiffance & les éloges du
Public.
Nous parlerons dans le Mercure prochain
de la Muſique , des Balless & des Décorations.
ANNONCES ET NOTICES.
ES Les Veillées du Château , ou cours de Morale,
par l'Auteur d'Adèle & Théodore. 3 Vol. in- 8 °. Prix,
15 liv. A Paris , chez M. Lambert , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe , près S. Côme.
Le ſuccès d'Adèle & du Théâtre d'Education doit
exciter l'empreſſement du Public pour ce nouvel Ouvrage
de Madame la Comteſſe de Genlis. Nous en
rendrons un compte détaillé lorſque l'abondance des
matières nous le permettra.
:
La Gerusalemme Liberata , imprimée par Didot
l'aîné , ſous la protection & par les ordres de
MONSIEUR , rue Pavée Saint-André.
La rigueur de la ſaiſon qui vient de s'écouler a
augmenté les beſoins & diminué les moyens de les
fatisfaire; il n'est pas étonnant qu'elle ait retarde
les productions des Arts d'agrément & d'utilité. La
belle Entrepriſe de la Jérusalem Délivrée en a fouffert,
&dans l'Avis que nous annonçons on demande
à prolonger lapremière LLiivvrraaiiſonjuſqu'au mois de
Juin. Si la jouiſſance des Souſcripteurs ſe trouve
DE FRANCE 137
par-là retardée, ils ont au moins la ſatisfaction de
voir les beaux caractères qu'on employera , & qui
n'auront ſervi encore que pour cet Ouvrage.
2 Cette Édition eſt tirée au nombre de deux cent
Exemplaires ſeulement. MONSIEUR en ayant retenu
cinquante , il ne reſte plus que vingt- cinq
ſouſcriptions à remplir. Le prix de l'Exemplaire ,
compoſéde deux Volumes in-4°. ſur papier vélin
d'Annonay , & orné de quarante-une Planches , y
compris le Frontiſpice , ſera de douze louis. On ne
payera qu'à meſure qu'on recevra les quatre Livrai
fons qui en feront faites , c'est-à dire , quatre louis à
la première , qui fe fera en Juin prochain , quatre
louis à la ſeconde , qui ſe fera dix mois après , &
deux louis enfin pour chacune des deux dernières ,
qui ſe feront de dix en dix mois. On imprimera la
liſte des Amateurs qui auront donné leur promeſſe
de prendre un Exemplaire.
Le troifième & dernier Volume du beau Racine
in-4° , forti des mêmes Preſſes , paroît, & ſe vend
30 liv.
La Henriade ; avec des Commentaires , par
M. Paliffor , ornée du Portrait de M de Voltaire à
l'âge de vingt ans , belle Édition in - 8°. Prix ,
3 liv broché. Il en a été tiré cent Exemplaires fur
papier vélin, dontle prix eft de 12 liv. Cetre Éditien
fait honneur aux Preſſes du ſieur Moutard.
Nous parlerons de cet Ouvrage.
Le même Libraire vient de mettre en vente la
Vie du Maréchal de Villars , écrite par lui-même ,
&donnée an Public par M. Anquetil, 4 Volumes in-
12. Prix , 12 liv. reliés , & 10 liv. brochés. Cet Ouvrage
eſt aſſez important pour mériter auſſi une
mention particulière.
Le Marchand d'Esclaves , Parodie de la Cara
138 MERCURE
vane , en deux Altes & en vaudevilles , par MM. R.
&R. , repréſentée pour la première fois , par les
Comédiens Italiens ordinaire du Roi , le Mardi 27
Janvier 1784. A Paris , chez Bruner , Libraire , rue
deMarivaux, près de la Comédie Italienne .
On a ſuivi dans cette perite Pièce la marche de
l'Opéra parodié , c'est-à- dire , que cette Parodie eft
dans le genre des traveſtiſſemens. C'eſt une idée afſſez
heureuſe d'avoir profité de la Caravane pour mettre
en Scène les ballons ; la Pièce devient tout-à-la- fois
parodie & vaudeville. Les Spectateurs y ont applaudi
des coupletsbien faits , des traits de gaîté , quelques
épigramines, telles que cecoupletchanté par Huſca ,
le Marchand d'Esclaves , ſur l'air: J'arriveà piedde
Province.
ر
J'arrive ici de Province ,
Mon cher Tamorin ,
Etde contenter le Prince
J'ai l'eſpoir enfin.
Tu vas voir , dans mes emplettes ,
Du beau , du brillant ,
Des femmes belles , parfaites .
TAMORIN.
Propos de Marchand.
Et enfin le dénouement qui ſe fait par un ballon
avec cet autre couplet , ſur l'air: J'ai perdu mon âne.
De pareilles venues
Ne font pas inconnues;
Et nous voyons de temps en temps
De pareils dénoumens
Qui tombent des nues .
CHEFS -D'OEUVRES de l'Antiquitéfur les Beaux .
Arts , Monumens précieux de la Religion des
&
DE FRANCE.
139
Grecs& des Romains, de leurs Sciences , de leurs
Loix , &c tirés des principaux Cabinets de l'Europe
, gravés en taille-douce par Bernard Picart , &
publiés par M. Poncelin de la Roche-Tilhac ,Écuyer,
Conſeiller du Roi à la Table de Marbre , un Volume
in-folio . A Paris , chez l'Auteur , rue Garancière , &
chez Lamy , Libraire , quai des Auguſtins .
C'eſt à l'Auteur de cet Ouvrage , propoſé par
ſouſcription , que nous devons les Cérémonies Religieuses
*. Son but principal eſt de ſuivre rapidement
la naiſſance , les progrès & la décadence des
Arts chez les Grecs & les Romains , & d'indiquer
les principaux Morceaux d'Architecture , de Sculpture,
de Peinture& de Gravure qui enrichirent ces
deux Peuples. Le nomdu célèbre Bernard Picart doit
prévenir en faveur des Gravures qui accompagneront
l'Ouvrage ; il ſera terminé par une Notice qui
expliquera toutes les Gravures. Il eſt diſtribué en
quatre Cahiers , dont le premier paroîtra à la fin de
Mai , & les autres de mois en mois. Chaque Cahier
contiendra dix-huit Planches , qui , avec le Diſcours,
formeront un Volume affez conſidérable. Il y aura à
latête un Précis Hiſtorique ſur la Vie & les OEuvres
dePicart. On l'imprimera fur grand & petit papier.
Le prix du grand ,dont il ne ſera tiré que cinquanto
Exemplaires, ſera de 18 liv. le Cahier , & celui du
petit Is livres pour ceux qui ſouſcriront à la fin
d'Avril. Les Perſonnes qui avant cette époque n'auront
pas donné leur ſoumiſſion , payeront chaque
- Cahier du grand papier 24 livres , & celui du petit
21 liv. La ſouſcription ſera fermée au premier Juin ,
Comme les Planches qu'on donnera dans cet Ouvrage
ſe trouvent dans celui des Pierres gravées ,
on fournira à ceux qui poſsèdent celui ci le Texte
* Elles ſe vendent chez Laporte, Libraire , rue des
Noyers. :
140 MERCURE
ſéparément pour 18 liv. petit papier , & 24 livres le
grand.
TABLEAU Indicatifdes Vents , avec leurs noms ,
fur l'Océan ,fur la Mer Méditerranée &fur laMer
Noire , auquel on a joint une explication abrégée
dans laquelle ſe trouve indiquée la dénomination des
différens Vents que l'on éprouve en mer. Dreffé par
Dezauche , Géographe , ſucceſſeur des Sieurs Delille
& Phil. Buache , premiers Géographes du Roi . Α
Paris , chez l'Auteur , chargé de l'Entrepôt général
des Cartes de la Marine du Roi , rue des Noyers.
Prix , 1 liv. s ſols.
C'eſt chez le même que ſe trouve le Neptune
Oriental, par M. Daprès de Mannevilette.
ONZIÈME Cahier des Jardins Chinois à la mode ,
contenant les détails des Jardins de la Cour de
Wirzbourg , en fix planches , pluſieurs Kioſques &
Ruines , deſſinés à Trianon , à Rambouillet , à la
Chapelle près Nogent ſur-Seine , à Chaville , à
Dampierre. Total vingt planches. Prix , 12 liv. A
Paris , chez Lerouge , Géographe du Roi , rue des
Grands Auguſtins.
Ontrouve chez le même deux Vûes de Paris,
gravées ſupérieurement en couleur par Deſcourtis ,
d'après Machi , portant 22 pouces 9 lignes fur is
pouces. Prix , 24 liv. pièce.
EUVRES de M. le Franc de Pompignan , 4 vol .
reliés en veau écaille , filets. Prix , 24 liv. A Paris ,
chez Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet.
Nous rendrons compte de ce Recueil intéreſſant
par lenom de ſon Auteur , & qui renferme nombre
d'Ouvrages qui n'avoient point vu le jour.
1.
La Gnomonique théorie pratique , ou les PrinciDE
FRANCE. 141
pes de Géométrie , de Trigonométrie rectil'gne &
Sphérique ,fur lesquels est fondé l'art de tracer les
cadrans fciatériques ou folaires , par M. l'Abbé
Dulac , Chanoine & Curé de la R ***, in - 8 ° . de
110 pages. Prix , 3 liv. broché A Paris , chez Jombert
jeune , Libraire, rue Dauphine.
Cette Brochure, en expliquant l'art de faire des
cadrans ſolaires , enſeigne à en calculer par les logarithmes
, les angles horaires & les axes dont l'Auteur
a donné les Tables dreſſées dans ſon Ouvrage.
Il y a joint l'explication & l'uſage des Tables , & il
amis ſes préceptes à la portée de tout le monde.
LETTRES de M. Mittié , Docteur-Régent de la
Faculté de Médecine de Paris , &c. La première à
la Faculté de Médecine; la ſeconde au Collége de
Chirurgie; la troiſième à l'Académie des Sciences ,
en leur envoyant le Recueil des Pièces qu'il a publiéesfur
la Maladie Vénérienne , fur les inconvéniens
du Mercure & fur l'efficacité des Végétaux de
l'Europe pour la guérison de cette maladie.
Ce Recueil ſe trouve chez Didot jeune , Quai des
Auguſtins,
MACHINE Hydrostatergatique , inventée par le
Sieur Fréminet. A Paris , chez l'Auteur , rue du Peris
Pont, maiſon du Libraire , près la Fontaine.
Cette machine eſt faite pour conſerver à 60 pieds
ſous l'eau , la joniſſance des mouvemens muſculaires
&l'air néceſſaire à la reſpiration , de manière qu'un
homme d'une complexion ordinaire puiſſe y reſter
75 minutes fans ſouffrir aucune altération ni incom.
modité,
Le Patriotisme des Habitans de Calais , & le
Triomphe de la Valeur.
Ces deux Estampes , dont l'une repréſente une
142
MERCURE
action fort connue , font ſuite à d'autres que nous
avons annoncées avec éloge , à Paris , chez Couché,
Graveur , rue S. Hyacinte.
SAINTE BIBLE , traduite en François , avec
l'explication du ſens littéral & du ſens spirituel ;
nouve le Édition. Tome fixième. A Niſmes , chez
Pierre Beaume , Imprimeur- Libraire ; & ſe trouve à
Paris , chez Guillaume Deſprez , Imprimeur-Libraire,
rue S. Jacques.
On voit que les Livraiſons de ce grand Ouvrage
ſe ſuccèdent maintenant avec exactitude.
CAPRICES Poétiques , par M. Daillant de la
Touche. A Londres, & ſe trouve à Paris , chez Cloufier
, Imprimeur Libraire , rue de Sorbonne; Guillot,
Libraire de MONSIEUR , rue S. Jacques; & chez
les Marchands de Nouveautés .
Nous rendrons compte de cette Brochure agréable.
HABIT Aérostatique , pour préſerver les Voyageurs
Aériens , & les faciliter à quitter leurs ballons
àde certains degrés d'élévation.
Cette Eſtampe ſe vend à Paris , chez Feſſard ,
rue Amelot , maiſon du Salpétrier.
4,3
ROMANCE du Petit Page & Vaudeville , dans le
Mariage de Figaro , avec accompagnement dePiano-
Forté ou de Harpe. Prix , 2 liv. 8 ſo's. A Paris , chez
le Roi , place du Palais Royal , au Café de la
Régence.
:
Six Trios pour deux Violons & Alto concertans,
par M. Chartrain , deuxième OEuvre de Trio concertant.
Prix, 7 liv. 4 fols port franc par la poſte.
AParis , chez Leduc , au Magaſin de Muſique, rue
Traverſière- Saint-Honoré.
1
DE FRANCE. 144
Annoncer un Ouvrage de M. Chartrain , c'eſt
annoncer ſon mérite & ſon ſuccès.
Six Sonates pour le Forte- Piano , par M. Tapray,
Organiſte de l'École Militaire , OEuvre XVII.
Paix , 6 liv. port franc par la poſte. A Paris , chez .
Leduc , même Adreſſe que ci- deſſus,
DEUX Quatuors pour le Forte - Piano , Accompagnement
de Clarinette ou Violon , Alto &
BaTon ou Violoncelle , par M Tapray , Organiſte
de l École Militaire , OEuvre XVIII. Prix , 7 livres
4 fols port franc par la poſte. A Paris , chez Leduc,
mêmeAdreſſe,
PREMIERE Symphonie à deux Violons , deux
Flûtes , deux Hautbois , deux Bafſſons , deux Cors
obligés , deux Altos , Violoncelle & Contre - Baſſe ,
exécutée au Concert Spirituel , dédiée à S. A. R.
Mgr le Prince de Pruſſe, compoſée par M. le Baron
de Bagge. Prix , 4 liv. 4 fols , frontiſpice de M.
Cochin.
mens ,
SECOND Concerto de Violon à plusieurs inftrudédié
à S. A. R. Madame la Princeſſe de
Prufſe , compoſé par le même , ayant pour frontifpice
le médaillon de cette Princeſſe , foutenu par les
génies des Arts ; ce frontiſpice eſt auſſi deſſiné par
M. Cochin , & gravé par M. Nicollet. On y lit ces
quatre vers :
L'objet qui frappe tes regards ,
Que les Grâces , Péclat & la gloire environnent ,
Acouronné les Talens& les Arts ,
Les Talens &c les Arts à leur tour le couronnent.
AIR de Marlbrough varié, pourle Clavecin , ac
compagnement de Violon , par le même. Prix , 3 liv.
Ces trois Ouvrages ſe vendent chez Bailleux , Mar
144
MERCURE
chand de Muſique de la Famille Royale , rue S. Honoré
, près celle de la Lingerie; & chez Sieber , rue
S. Honoré , vis- à- vis l'hôtel d'Aligre. On y reconnoît
le ſtyle & le talent extraordinaire de leur Auteur.
Nous avons déjà eu l'occaſion de rendre compre
de l'effet fingulier que la Symphonie a produit au
Concert Spirituel. Ces Ouvrages ont encore un mérite
plus particulier quand l'Auteur les exécute luimême.
NUMÉRO IV du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Ce Journal eſt composé d'Airs de différens
genres arrangés pour deux Violons ou Violoncelles
; & comme tout le chant eſt dans le premier
deſſus , ils peuvent être exécutés par une ſeule perſonne
L'abonnement eſt de is liv. , & 18 liv. en
Province. Chaque Cahier ſéparé , 2 liv. Il en paroît
un par mois. On s'abonne chez le ſieur Bornet l'aîné ,
Profeſſeur & Marchand de Muſique , rue des Prouvaires
, près S. Eustache , au Bureau de Loterie.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
EPITREfurl'Ambition , 97 Doutes sur différentes Opi-
Couplets à Mlle Warefcot , 99 nions , 120
Charade , Enigme& Logogry- Etrennes du Parnaſſfe , 124
phe, 101 Асалетіе Roy. de Musiq . 131
Cécilia,TroisièmeExtrait, 1021Annonces &Notices , 136
I APPROBATION.
J'AI la, par ordre de Mgr leGarde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi is Mai. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe en empêche, Pimpresion.A Paris ,
le 14Mai 1784 GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 6 Avril.
EGrand-Viſir a acheté une frégate que
Lquelques Armateurs Anglois avoient
conduite ici pour l'y vendre , & en a fait
préſent à l'Amirauté.
:
Depuis que les Rufles font en poffeffiont
de laCrimée, & qu'ils ont traité avec le Régent
actuel de Perſe , ils pouſſent avec beaucoup
d'activité l'exécution du plan formé
fous Pierre-le-Grand , pour étendre leur navigation
ſur la mer Cafpienne , & fe mettre
en poffeſſion du commerce exclusif des provinces
ſeptentrionales de la Perſe. Les circonſtances
ſont d'autant plus favorables à
leurs vues , que ce malheureux Royaume
n'eſt point encore ſorti de l'état de défordre
&d'anarchie , dans lequel il eſt tombé à la
mort du célebre ufurpateur Thamas Kouli-
Kan. Le Régent actuel exerce le deſpotiſme
N°. 20 , 15 Mai 1784.
e
( 98 )
1
le plus rigoureux ; les lettres qu'on reçoit de
ces contrées , en font du moins le portrait
ſuivant.
Abdul, Fat-Kan , diſent elles , eſt peut-être le.
tyran le plus cruel , qui ait jamais porté le ſceptre
dans l'Orient. Il eſt bien éloigné d'imiter cet
Empereur Romain , qui déclara en montant fur
le trône , que jamais un homme de bien ne ſeroit
mis à mort par fon ordre; il ſemble trouver un
barbare plaifir à multiplier ſes victimes ; fon
nom feul fait trembler tous les habitans , & il ſe
paſſe peu de jours qu'il n'ordonne la mort de
quelques-uns de ſes ſujets, Il hérite de tous ceux
qui périſſent ainfi ; & c'eſt un grand crime à un
homme d'être très- riche, Auſfirôt que ſes émirfaires
ont découvert quelqu'un , dont l'héritage
peut letenter, il le mande dans ſon palais ou il
Je fait étrangler en ſa préſence. Aucun Européen
me ſe rend à préfent , comme autrefois , à Iſpahan
: ceux qui y avoient formé des établiſſemens
Pont quitté ſucceſſivement , & ont cru devoir
chercher la sûreté de leur fortune & de leur vie
en s'éloignant,
!
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Avril.
Lamajorité du Prince Royal, & fon en
trée au Conſeil ont été ſuivies de près d'une
grande révolution dans l'Adminiſtration.
L'influence de ceux qui y ont eu part depuis
1772 juſqu'à préfent, paroît totalement cefſée
: c'est ainsi que cet événement s'eſt paſſé.
Le Prince Royal entra pour la premiere fois au
( وو (
Conſeil d'Etat , le 14 de ce mois. Le Roi ordon .
na qu'on fit la lecture d'un nouveau plan d'adminiſtration
, que le Prince Royal avoit déja
foumis à l'approbation de S. M. Ce Prince fit
lui-même cette lecture avec beaucoup de force
&d'énergie. Après cela , il le préſenta au Roi qui
le ſigna; il fit voir enſuite cette fignature à
tous les membres du Conſeil , & s'adreſſant au
Comte de Molckte , à MM. de Guldebourg , de
Roſencrone & de Steman , il leur dit que le Roi
n'avoit plus beſoin de leurs ſervices . Dans
le moment , MM.de Roſencrantz , le Général
Huth & de Stampe , nommés pour compofer le
nouveau Miniftere , ainſi que M. de Schack-
Ratlow , le ſeul des anciens Miniſtres qui ait éré
conſervé , reçurent ordre d'entrer au Confeil .
Le Comte de Bernſtorf , qui eſt auſſi membre du
nouveau Conſeil d'Etat , étoit ablent ; & il lui a
été dépêché un exprès , pour l'inftruire de ſa nomination;
il ſera chargé des affaires étrangeres
que dirigera juſqu'à fon retour M. de Schak-
Ratlow. Lorsque le nouveau Conſeil fut affemblé
, on fit encore une lecture du nouveau plan
d'Adminiſtration; il ſe ſépara enſuite , & le Prince
Royal manda chez lui tous les membres ; il leur
futdéclaré, que tous les ordres du Cabinet étoient
ſupprimés , & qu'ils n'en devoient reconnoître.
aucun , qui ne fut figné par le Roi , & contreigné
par le Prince Royal. M. de Schack, Grand-Maréchal
de la Cour , a été remplacé par M. de
Numſen , ci devant l'un des Chefs du département
de la Banque ; MM. de Hoy , de Bruckel
& de Giedde , ont été nommés Chambellans ordinaires
, pour ſervir alternativement auprès du
Roi , & M. de Meſting , pour ſervir toute l'année
, en qualité deGentilhomme de S. M.
Cette journée du 14, qui a amené cette
e2
( 100 )
révolution , fut terminée par unpetit Bala
la Cour , où aſſiſterent la Reine Douairiere ,
le Prince Royal & le Prince Frédéric. On
croit que la Reine Douairiere & le Prince
fon fils ſe retireront au château de Frédéricksruhe;
ceux qui ne manquent pas de faire
des conjectures ſur tous les événemens , &
qui recueillent tous les faits , ont remarqué
que cette Princeſſe & le Prince Frédéric ne
ſe trouverent pas le 4 de ce mois à la cérémonie
de la Confirmationdu Prince Royal.
Les Miniſtres qui ſe ſont retirés, ont reçu
des penſions de 2 à 3000 écus.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 24 Avril.
L'Archiduc Maximilien , élu ci - devant
Coadjuteur de l'Archevêque - Electeur de
Cologne , & Prince- Evêque de Munster ,
eſt parti avant hier , às heures du foir, pour
ſe rendre à Bonn , où il eſt attendu par ſes
nouveaux ſujets.
Le Prince de Gallitzin a fait , dit - on ,
dernierement au Prince de Kaunitz , l'ouverture
officiellé , que fa Souveraine étoit
décidée à ajouter à ſon titre d'Impératrice
de Ruffie , celui de Reine de Tauride .
Les Proteftans de la Confeſſion d'Aufbourg
, établis en Hongrie , s'occupent à introduire
dans toutes leurs égliſes une liturgie
générale , qui ſera ſoumiſe à l'Empereur ,
( 101 )
&ne ſera adoptée qu'après qu'elle aura ob
tenu ſon approbation.
S. M. I. pendant le ſéjour qu'elle a fait
dernierement à Trieſte , a ordonné que le
Siege Epifcopal de cette derniere ville feroit
transféré àGoertz. Ces deux Evêchés doivent
être réunis , & n'en former qu'un ſeul.
L'Evêque de Trieſte eſt deſtiné à paſſer à ce
Siége.
On parle ici de l'établiſſement prochain
d'un nouveau ſyſtême de contribution dan's
les Etats de l'Empereur. Selon ce plan , le
commerce & les entrées feront libres , & les
douanes feront tranſportées ſur les frontieres.
On vient de voir ici un fait , qui montre à
quels excès de fureur la jalousie peut porter les
hommes. Ces jours derniers un ſoldat paffiont
*dans un cabaret, y trouva fa maitreſſe qui buvoit
tête à tête avec un de ſes rivaux; celle-ci
qui ne s'attendoit pas à cette ſurpriſe , & qui en
craignit les conféquences , chercha à diſſiper la
jalouſie dont elle le ſavoit fufceptible; elle ſe
leva , courut à lui , l'embraſſa , & lui préſenta
unverre de vin que venoit de verſer ſon compagnon.
Le ſoldat l'accepta , mais en le prenant
d'une main , il ſaiſit un couteau de l'autre , & le
plongeadans le coeur de ſon rival . Il a été arrêté
fur le champ , & conduit en prison .
DE HAMBOURG , le 25 Avril.
Nous avons donné ily a quelque temps
un précis hiſtorique des forces militaires de
l'Empire Ottoman ; on ſera bien- aiſe de
4.
e3
( 102 )
trouver ici quelques détails ſur ſa Marine;
ils termineront naturellement le tableau que
nous avons commencé de ſa conſtitution
militaire. Nous y en joindrons quelquesuns
fur fon agriculture , ſon commerce &
ſes manufactures.
La marine Ottomane eſt peu importante , les
vaiſſeaux de ligne en état de ſervir font tout au
plus au nombre de dix. Il est vrai qu'en temps de
guerre les régences d'Alger , de Tunis & de
Tripoli ainſi que le Caire , ſont obligés de
fournir au Grand- Seigneur plufieurs vaiſſeaux
armés & équip's ; Alger doit en donner 4 , Tunis
3 & Tripoli 3 depuis 40 juſqu'a 44 canons & le
Caire 24 de 50 canons , chacun de 600 hommes.
Independament des vaiſſeaux de ligne , il y a
encore dans cette marine des frégates , des galeres
&des galiotes , mais ces derniers bâtimens étant
petits& ne portant que quelques canons , ne font
gueres propres qu'à la courſe. On compte trois
eſpeces de vaiſſeaux de guerre , ſavoir de 100
juſqu'à 160 canons de 66 & de 36 à 48.
L'équipage complet d'un vaiſſeau de 160 canons
eſt de 1,300 Leventi ou ſoldats mariniers
, & de cent matelots grecs ; celui d'un vaifſeau
de 66 canons , de 850 hommes ;& celui de
36 à 48 canons , de 230 homines. On ne conftruit
plus de vaiſſeau de 160 canons à cauſe de
la difficulté de la manoeuvre , & on donne actuellement
la préférence aux vaiſſeaux de 70 canons.
Le Chef de la marine eſt appellé Capitan-Bacha
ou Grand-Amiral. On compte beaucoup en
temps de guerre ſur le ſecours des Barbareſques ,
leurs marins étant plus habiles & plus exercés
que les marins de la Porte.
Les revenus de l'Empire ſont confidérables.
( 103 )
LesGrecs & nommément ceux de Conftantinople,
qu'on évalue à 300,000 ames , ſont obligés de
payer par tête , à un certain âge , une capitation
qu'on appelle Chavatſch de cinq piaſtres . Ceux
qui ne la payent pas , ſont emprisonnés juſqu'à
ce que ce payement ſoit fait. Les marchands
payent des taxes à proportion de l'étendue de
leur trafic . Les Arméniens , qui font plus nombreux
encore que les Grecs , acquittent auſſi des
contributions confidérables . Les Chrétiens qui
vivent ſous la protection d'un Ambaſſadeur ou
d'un conful , ſont exemts d'impofitions. On
évaluoit autrefois les ſommes qui entroient dans
le tréſor public , & dans celui du Grand-Seigneur
, à environ 15 millions de rixdalers , mais
ces revenus ordinaires ayant été augmentés par
le hauffement des droits de Douane & par
d'autres arrangemens , on peut les porter à 20
millions de rixdalers . Les impoſitions ſur les
marchandises font très modérées en comparaiſon
de ce qu'on en acquitte dans d'autres états ; on
n'en paye communément que trois pour cent ,
d'après la déclaration du propriétaire . Dans pref
que tous les Ports Ottomans , le commerce eſt
florifſfant ; cela n'eſt pas étonnant; puiſqu'il eſt
permis d'y entrer avec preſque toutes les marchandiſes
quelconques ,& de les y débiter. La
fraude dans la déclaration des droits de Douane
eſt punie du payement du double des droits . -
Pluſieurs manufactures dans l'Empire font dans
un affez bon état , ſur tout celles des tapiſſeries ,
d'étoffes de ſoie , de cuirs , & de teinture de
coton & de laine. Le commerce principal eſt
entre les mains des Arméniens & des Juifs , qui
font en grand nombre dans cet empire. Les
intéréts , pour prêt d'argent , font en raiſon da
gainque l'on croit faire avec le fonds emprunté;
e 4
( 104 )
left très-rare de trouver de l'argent au deſſous
de huit pour cent ; fi on en donne à ce taux ,
c'eſt d'amitié ; & en donnant pour l'emprunt les
plus grandes fûretés.-L'agriculture eſt négligée.
La pareffe des Turcs& les impofitions onéreuſes
depuis le regne de Mahomet IIl en ſont
Ja cauſe. On ne cultive du bled dans les provinces
que tout auplus pour la proviſionde l'année ,
&dans beaucoup d'endroits ce travail eſt abandonné
aux eſclaves ſeuls . On ne fait point
d'approvifionnement pour l'avenir , & c'eſt auſſi
pour cette raiſon , que lorſque la moiſſon d'une
année a été mauvaiſe , la famine en eſtune ſuite
inévitable.-Du reſte , cet empire , qui pouroit
être le plus floriflant de tous les Etats , eſt le
plus malheureux; les principes de religion , le
gouvernement militaire , en un mot , le deſpotiſme
abſolu qui y regne , écraſent à la fois la
population , l'induſtrie & le commerce.
Tous les papiers publics contiennent le
Sened ſuivant (déclaration ) de la Sublime
Porte , au ſujet des privileges de commerce
dont les ſujets de S. M. I. & R. jouiront à
l'avenir , dans l'empire Ottoman.
Au nom de l'êtreſuprême.
La raiſon pour laquelle la préſente Patente
eſt expédiée , eſt que l'Internonce impérial ,
notre ami , a demandé de la part de ſa Cour
dans un mémoire , dont le contenu eſt fondé
ſur l'article 8 du traité de Belgrade , divers
arrangemens en faveur des négocians & ſujets
allemands dans les Etats de la domination ottomanne.
La ſublime Porte , ayant examiné le
contenu de ce mémoire , a trouvé que ledit article
ſert de baſe aux propoſitions de la Cour impériale
de Vienne. Pour cet effet , & ladite Cour
4
i
( 105 )
ayant donné dans ledit mémoire , l'affurance
poſitive que les bâtimens de comaierce de la fublime
Porte qui , dans tous les Etats de la Cour
impériale , font la navigation & le commerce ,
tant dans les mers que dans les rivieres de ſa domination
, jouiroient relativement au commerce
des privileges des nations les plus favoriſées , &
même de plus confidérables , la fublime Porte
étant toujours encline , & prête à remplir les obligations
qu'elle a contractées par les traités , &
-voulantdonner à la Cour impériale ,ſon ancienne
amie & voiſine , des preuves non équivoques de
la fincérité de ſes ſentimens &de fon amitié conf
tamte , s'eſt engagé à obſerver & faire exécuter
religieuſement les points & articles ſuivans , lefquels
non-feulement ſerviront à l'avenir de regle
invariable , relativement au traitement de la nation
allemande , mais auront auſſi la même va.
lidité que le traité de Belgrade 1º. Le traité
de comunerce , fait en 1132 à Paſſarowiz , &
ſervant de baſe à l'article 8 du traité de Belgrade ,
ſera , ainſi qu'il convient , obſervé & exécuté partout
dans la domination de l'Empire ottoman en
faveur des ſujets & négocians allemands , la fublime
Porte s'engageant à ce qu'il n'y foit ja
mais porté la moindre atteinte. Quant au com
merce de mer & dans les rivieres , il en fera
uſé conformément auxſtipulations de l'article 6 du
préſent Sened. 2º. à l'égard des droits de Douane
que les ſujets & négociants impériaux auront à
payer, la fublime porte déclare denouveau qu'ils
ne payeront que 3 p. pour toutes les marchandiſes
, à l'exception cependant des marchandifes
prohibées , ſoit à l'entrée , ſoit au lieu de def
tination , les marchandises étant d'importation,
ou d'exportation , & cela de maniere que le commercedes
négocians aliemands , détaillé ci-deſſous
es
( 106 )
ſpécifiquement , ſera exempt , tant à l'entrée qu'a
lafortie de toutes les impoſitions , quelque détermination
qu'elles puiſſent avoir , & nommément
des taxes de Masderie , Caffabie , Bydaud , Befmilhondanie
, Reft , Padſch , Fsakkoali , &c. L'Internonce
impérial , ayant ob ervé en outre que
par le laps de temps il s'étoit gliflé pluſieurs abus
dans les arrangemens mercantiles dans pluſieurs
provinces Ottomanes , & notamment dans la
Moldavie & dans la Wallachie , il eſt convenu
& ordonné par le préſent que tous les arrangemens
, arrêtés au ſujet du commerce réciproque
, feront confirmés & exécutés à l'avenir de
la maniere la plus Aricte dans tous les Etats de
l'Empire ottoman. 3 °. Pour prévenir tous les
inconvéniens , relativement au commerce ſur mer
&dans les rivieres , la fublime Porte déclare &
fait connoitre à ſes Commandans , Magiſtrats
& autres Officiers qu'en vertu des traités il eſt
permis aux ſujets & négocians de l'Empereur ,
munis de paſſeports , de naviguer librement dans
Is mers & rivieres de la domination ottomane,
d'y faire le comm rce tant fur terre que fur
mer , de conduire leurs bâtimens où i's jugeront
à propos de décharger leurs marchandises , &
de charger celles qui ne font point prohibées ,
en acquittant toutefois les droits preſcrits . 4°. La
fublime Porte reconnoit que la Cour impériale
& royale , en vertu dis traités de commerce de
Belgrade & de Paſſarowitz , attendu la bonne
intelligence qui regne entre les deux Cours ,
eft en droi d'exiger d'elle en faveur de ſes ſujets
& négocians les mêmes privileges & avantages
de commerce dont jouiffent actuellement , ou
.nom- pourront jouir par'a fuite d'autres nation
mément 'es Fa çois ,lesAnglois , les Hollandois
, les Rufles , & d'autres nations plus favo
( 107 )
ſées encore. 5º. Les ſujets & négocians de l'Em
pereur pourront , fans être tenus dorénavant à
ce qui avoit été ſtipulé à cet égard dans le traité
de Paſſarowiz , naviguer librement pour affai
res de négoces ſur mer & dans les rivieres en
paffant ou repaſſant de l'une dans les autres ,
& vice versâ avec des bâtimens , pavillons &
matelets allemands , fans qu'on puiſſe en exiger
plus que lesdits droits d'exportation ou d'importation
qu'ils n'acquitteront qu'une feule fois.
6°. Quant au commerce de tranfit ſur les côtes &
par les détroits & canaux dans la domination
ottomane , & nommément par le canal de la
mer noire , les bâtimens des ſujets & négocians
impériaux , venant fur mer ou dans les rivieres
des Provinces allemandes , & ſous pavillon
impérial , & allant dans des ports étrangers , ou
venant des ports étrangers & allant dans des
Provinces allemandes , pourront le faire fans aucun
empêchement quelconque & fans en acquitter
le moindre droit, & ils ne pourront pas non
plus être forcés de débarquer leurs marchandises ,
bien entendu cependant qu'ils payeront pour
les marchand ſes qu'ils débarqueront volontairement
pour la vente, les droits ordinaires de
Donane , & qu'ils ne feront ce commerce que
dans des bâtimens du bord de ceux accordés aux
ſujets de la Ruflie. Il ſera accordé & donné aux
fuje's & négocians de l'Empereur pendant leur
féjour dans les Provinces ottomanes toute l'af
fitance dont ils pourront avoir beſoin , & ils
feront traités comme il convient de faire aux
ſujets d'une Cour qui vit avec la fublime Porte
dans les liaiſons de la plus étroite amitié. Au
reſte , & comme les bâtimens , naviguant fur
des rivieres , ne pourront gueres être employés
fur mer. Il ſera permis à ſes bâtimens , borf
e 6
( 108 )
qu'ils feront arrivés dans des endroits près de
la mer , de décharger leurs marchandiſes dans
des bâtimens propres à la navigation de la mer
noire , ſans qu'on en puiſſe demander aucun
droit. 7 Dans le cas où il ſurviendroit des
difficultés par rapport à l'exécution de l'un ou
de l'autre arttcle du préſent Sened , & particulierement
par rapport aux marchandiſes prohibées
par les traités de Paſſarowiz & de Belgrade.
La fublime Porte fera toujours prête de
les livrer par un accord réciproque , fondé ſur
l'équité ; mais dans le cas où elles ne pourroient
pas être arrangées de cette maniere , la fublime
Porte conſent qu'elles feront accomodées amicalement
, & fur le pied établi à cet égard
dans le traité de commerce , conclu l'année
derniere avec la Ruffie , & cela d'une maniere
convenable au commerce allemand, Donné à
Conftantinople le 2 du mois de Rebynlayhyr ,
de l'an de l'Hegyre 1198 [ & qui revient au 21
Février 1784. ] Signé HAMID , fils de HALIL ,
Grand-Vifir .
On lit dans les lettres du Brandebourg
une obſervation , que nous nous empreſſons
de tranfcrire.
Onne peut ſe faire une idée du bien étonnant
qu'a opéré juſqu'à préſent la réforme que le Roi a
faite de la juſtice dans ſes Etats ; on ne peut qu'en
eſpérer encore davantage par l'augmentation de
la diminution des procès. Il n'y en a eu l'année
derniere que 12470, au lieu de 18 à 19000 qui
s'élevoient ordinairement ; on les a tous terminés
, à l'exception de 145 , & de ceux de la Pruffe
Occidentale , que diverſes circonstances ont empêché
de finir. Sur le total de ces procès , il
by a eu que 394 appels au Tribunal ſuprême
( 109 )
de Berlin. L'économie qu'a caufé cette réforme
dans les Tribunaux ſupérieurs des provinces ſeulement
, a été de plus de 200, 000 écus .
Les lettres de Dreſde ont fait craindre
pendant quelques jours pour la vie de l'Electeur
de Saxe. Il avoit été attaqué au com .
mencementde ce mois d'une groffe fievre ,
accompagnée d'un violent point de côté.
Le 12 de ce mois l'alarme étoit générale ,
& on avoit commencé des prieres publiques
dans toutes les Eglifes , pour demander
à Dieu le rétabliſſement de la ſanté de ce
Prince. Le 13 la maladie parut prendre un
tour favorable, & les dernieres lettres nous
apprennent que le mieux s'eſt ſoutenu
queledanger eft paſſé , & que l'on a chanté
à ce ſujet le TeDeum dans toutes les Eglifes
deDreſde.
On a fait dans un papier eſtimé le tableau
comparatifdes Naiſſances &des Morts qui
ont eu lieu pendant l'année derniere dans
pluſieurs endroits de l'Europe : on fait de
quelle importance font ces calculs pour fixer
la population; & nous nous empreſſons d'en
placer ici le rapprochement.
Naiſſances. Morts,
Paris, 19,688 20,010
Londres , 17,091 19,290
Vienne en Autriche , 9,230 11,093
Amſterdam , 4,941 9,141
Berlin , 4,758 5,129
Warſovie ,
3.934 3,267
Madrid , 4,686 3,664
Coppenhague, 3:035 3,917
( 110 )
4
Hambourg . 2,670 2,892
Konigſberg , 2,112 1,955
Rotterdam , 1,792 1,797
Strasbourg ; 1,552 1,848
Danzık , 1,409 1,837
Utrecht , 1,279 866
Munich , 1,190 1,406
Leide , 1,038 1,189
La Haye , 1,030 1,364
Leipfic , 899 1,110
Francfort ſur le Mein , 858 1,198
Brunswik , 773 805
Caffel , 680 834
Stutgard , 676 १००
Manheim , 657 1,325
Altona, 620
754
Gothembourg , 449 553
Hanau , 380 472
Gotha ,
Darmſtadt
322 365
302 504
Norkoping , 231 32
Evêché de Dromtheim , 35,252 4,111
4
de Chriſtianſand , 3.642 3,195
de Séeland , 7,723 6,247
de Ripen , 3-446 2,617
d'Aalbourg , 2,157 1,624
de Wibourg , 1,662 1.234
- d'Aarhuus , 3,8: 0 3039
-d'Aggerhuus , 8,86 8,600
Ifl de Fulmen , 5,227 4374
Hoftein Neumünster , 3,783 3.050
:
Holstein- Rendibourg , 11,720 10 377
Com de Pinneberg , 780 595
Comté de Ranzau , 389 294
Marche de Brandebourg ,
Pomeranie Pruſſienne ,
33.982 18,556
14,922 11 ;781
( III )
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Les dernieres lettres de la Sicile annoncent
de nouveaux tremblemens de terre à
Meſſine ; celles de Naples en annoncent
auffi dans la Calabre; & celles de Rome font
mention de quelques autres qui ont été fenties
à Frafcato , Marino , Caftello , Albano ,
Genzano , Ancia , petites villes des environs
de Rome , & peu éloignées les unes des autres
; quoique vives, elles ont fait plus de
peur que de mal dans ces endroits ; on ignore
ſi l'on a été auſſi heureux à Meſſine : quant
à la Calabre , elles ont renversé un pan de
mur , qui eſt tombé ſur une barraque voifine
, où se trouvoient 3 perſonnes qui ont
été écraſées.
Les avis de Rome ajoutent que le Prélat
Saluzzo a été nommé Nonce du S. S'ege en
Pologne , à la place du prélat Archerti , qui
remplit celle de Nonce extraordinaire près
de l'Impératrice de Ruffie.
Le Roi de Suede ſe diſpoſe à partir le
Rome le 19 de ce mois ; il ſe rend de-là à
Parme , où l'on lui prépare des fêres brillantes
, & où il eſt attendu vers le 22 .
Selon les lettres de Naples ,le Cardinal-
Archevêque de cette ville a fait a Roi des
repréſentations , dans lesquelles il a expofé
les motifs d'après leſquels il croit ne pou
( 112 )
voir pas accorder des diſpenſes de mariage,
dans les cas où il y a empêchement d'honnêteté
publique. S. M. I. a fait remettre ces
repréſentations à la Chambre Royale.
Ces jours derniers , écrit- on de Čento , dans
la Légation de Ferrare , il eſt arrivé un évenement
atroce. Quelques ſcélérats s'introduiſirent
pendant la nuit chez le Chanoine Piombini ,
vieillard de 92 ans , qui n'avoit que deux domeſtiques
du ſexe , l'une & l'autre plus que canoniques.
Ce qui les avoit attirés , étoit l'opinion
que l'on avoit de la richeſſe du bon Cha.
noine , qui en effet avoit beaucoup d'argent
comptant chez lui. Pour le voler plus commo .
dément , ils l'égorgerent ainſi que ſes deux demeſtiques
, enleverent tout ce qu'ils trouverent
facile à tranſporter , & s'en allerent , après avoir
exactement fermé les portes. Le lendemain on
s'étonna de voir que la porte du Chanoine étoit
reſtée fermée tout le jour. Une voifine , dont les
fenêtres donnoient fur lejardin de l'Eccléſiaſtique
, apperçut un cadavre ſous un arbre , & répandit
l'alarme ; le Gouvernement averti envoya
faire une viſite dans la maiſon où l'on vit
çe qui s'étoit paffé pendant les ténebres . On a
pris des meſures pour pouvoir découvrir les cou .
pables , & on a déja arrêté deux jeunes gens fortement
ſoupçonnés. Ils font l'un & l'autre beauxfils
d'une des ſervantes du Chanoine aſſaffiné ;
on ſait que de tems en tems ils alloient voir leur
belle-mere qui les aidoit ; dans leurs fréquentes
viſites ils avoient appris à connoître l'intérieur
de la maiſon du Chanoine. On a trouvé ſur eux
plus d'argent qu'ils ne devoient naturellement en
avoir , & quelques taches de ſang ſur leurs habits;
ces indices peuvent mener à de plus gran
des découvertes ,
( III )
ITALI Ε.
DE LIVOURNE , le 4 Mai.
Les dernieres lettres de la Sicile annoncent
de nouveaux tremblemens de terre à
Meſſine ; celles de Naples en annoncent
auſſi dans la Calabre; & celles de Rome font
mention de quelques autres qui ont été fenties
à Frafcato , Marino , Caftello , Albano ,
Genzano , Ancia , petites villes des environs
de Rome, & peu éloignées les unes des autres
; quoique vives, elles ont fait plus de
peur que de mal dans ces endroits; on ignore
ſi l'on a été auſſi heureux à Meſſine : quant
à la Calabre , elles ont renverſé un pan de
mur , qui eſt tombé sur une barraque voifine
, où ſe trouvoient 3 perſonnes qui ont
été écraſées.
Les avis de Rome ajoutent que le Prélat
Saluzzo a été nommé Nonce du S. S'ege en
Pologne , à la place du prélat Archerti , qui
remplit celle de Nonce extraordinaire près
de l'Impératrice de Ruffie .
Le Roi de Suede ſe diſpoſe à partir de
Rome le 19 de ce mois; il ſe rend de-là à
Parme , où l'on lui prépare des fêres brillantes
, & où il eſt attendu vers le 22 .
Selon les lettres de Naples, le Cardinal-
Archevêque de cette ville a fait a Roi des
repréſentations , dans lesquelles il a expofé
les motifs d'après leſquels il croit ne pou
( 112 )
voir pas accorder des diſpenſes de mariage,
dans les cas où il y a empêchement d'honnêteté
publique. S. M. I. a fait remettre ces
repréſentations à la Chambre Royale.
Cesjours derniers , écrit- on de Cento , dans
la Légation de Ferrare , il eſt arrivé un évenement
atroce. Quelques ſcélérats s'introduiſirent
pendant la nuit chez le Chanoine Piombini ,
vieillard de 92 ans , qui n'avoit que deux domeſtiques
du ſexe , l'une & l'autre plus que canoniques.
Ce qui les avoit attirés , étoit l'opinion
que l'on avoit de la richeſſe du bon Cha.
noine , qui en effet avoit beaucoup d'argent
comptant chez lui. Pour le voler plus commo .
dément , ils l'égorgerent ainſi que ſes deux demeſtiques
, enleverent tout ce qu'ils trouverent
facile à tranſporter , & s'en allerent , après avoir
exactement fermé les portes. Le lendemain on
s'étonna de voir que la porte du Chanoine étoit
reſtée fermée tout le jour. Une voifine , dont les
fenêtres donnoient fur lejardin de l'Eccléſiaſtique
, apperçut un cadavre ſous un arbre , & répandit
l'alarme ; le Gouvernement averti envoya
faire une viſite dans la maiſon où l'on vit
çe qui s'étoit paſſé pendant les tenebres . On a
pris des meſures pour pouvoir découvrir les coupables
, & on a déja arrêté denx jeunes gens fortement
ſoupçonnés. Ils font l'un & l'autre beauxfils
d'une des ſervantes du Chanoine aſſaffiné ;
on fait que de tems en tems ils alloient voir leur
belle-mere qui les aidoit ; dans leurs fréquentes
viſites ils avoient appris à connoître l'intérieur
de la maiſon du Chanoine. On a trouvé fur eux
plus d'argent qu'ils ne devoient naturellement en
avoir , & quelques taches de ſang ſur leurs habits;
ces indices peuvent mener à de plus gran
des découvertes,
( 113 )
ANGLETERRE
DE LONDRES , le 20 Avril.
Nos nouvelles de l'Amérique Septentrio
nale ſe réduiſent à peu de détails; on annonce
toujours de la méſintelligence entre
les Loyaliſtes reſtés à New-Yorck , & les
habitans; les premiers éprouvoient d'abord
des perſécutions , maintenant ils éprouvent
desaéſagrémens; & il n'y a que le temps qui
puiſſe les en délivrer , en faiſant oublier leur
ancienne conduite , ou du moins , en en affaibliſſant
le ſouvenir.
On lit dans nos papiers quantité de paragraphes
ſur l'état floriſſant des nouveaux
établiſſemens formés danslaNouvelle Ecoffe
par les Réfugiés. Leur afluence à Hallifax a
fur-tout produit de grands avantages à cette
place. Cependant une lettre particuliere d'un
Loyaliſte à un de ſes amis à New-Yorck ,
n'offre pas un tableau fi flatteur.
Toutes les merveilles qui nous avoient été annoncées
, relativement à cette terre promiſe , ſe
ſont évaporées en fumée. Quand nous étions à
Newyork , on nous diſoit que ce pays - ci n'étoit
point auſſi ſtérile & auffi rempli de brouillards
qu'on l'avoit prétendu ; mais nous trouvons qu'il
eſt encore bien au-deſſous de ſon diſcrédit , du
moins nous le penſons ainſi ; moi & ceux qui
n'ont pour ſubſiſter que les cherifs fecours du
Gouvernement , &du pain qui n'eſt pas cuit.
Mais , direz-vous , il vous eſt ſi aiſé de le faire
1
( 114 )
cuire dans un pays où il y a tant de bois ! A
quoi je répons , venez-y vous- même , & vous
Saurez bientôt le pourquoi. Les marchands & les
gens à argent , qui ſont venus de Newyork , ne
tarderont pas à raſſembler tout l'argent qui a
été apporté ici. Et comme , en général , ceux
qui ont quitté Newyork , par principe ſeulement ,
ſe trouvent à l'étroit , ils manqueront inceſſament
des articles de marchandiſes dont ils ont le plus
beſoin ; leurs terres avec les petites améliorations
qu'ils auront pu y faire tomberont entre les mains
desmarchands , & ils ſeront réduits à devenir leurs
ténanciers. Jamais naufragé n'a mis le pied ſur
une terre außi maudite que celle-ci. Pour comble
de malheur, il vient de nous arriver d'Angleterre
une pacotille de malfaiteurs. Ils avoient d'abard
débarqué ici , mais leur Capitaine n'ayant pas pu
les vendre , il les a menés au port Maltoon , aujourd'huiGainsborough
, où il leur ſera facile de
trouver une ſociété de bandits qui leur reſſemblent.
S'il faut en croire nos papiers, il n'y a rien
de fixé définitivement en Amérique , relativement
au Gouvernement.
On ne s'y entend point , diſent- ils , ſur le
pouvoir qu'il faut déléguer au Congrès ; il
paroît indi penſable de lui en donner plus qu'il
n'en apréſentement ; mais les Etats du Nord ne
veulent pas fur ce point ſe prêter au defir des
Etats du Midi. -
L'Etat de Vermont , qui
n'eſt pas encore admis à la confédération , exerce
cependant les actes de ſouverainté indépendante ;
ila élu tous les différens Officiers du Gouvernement
pour l'année prochaine , & nommé entr'autres
des délégués au Congrés. Les Habitans
du pays à l'orient des montagnes d'Alle
( 115 )
gany prétendent auſſi former un Etat indépen
dant de la légiflation de Virginie , qui réclame
la fouveraineté ſur eux , & qu'ils ne paroiſſent
pas déterminés à lui abandonner.
Aces paragraphes nous joindrons les ſui
vans.
« On dit que le Congrès , parmi ſes grands
projets , s'occupe des moyens d'établir un commerce
entre les Etats-Unis & l'Inde ; cet établiſſement
, s'il a liea , ne pourra manquer d'exciter
lajaloufie de toutes les grandes Puiffances
maritimes de l'Europe. Le Gouvernement de la
baye de Maffachuffet s'eſt , dit-on , engagé à
fournir tous les ans à la France un quantitéconfidérable
de mâts pour l'uſage de la marine françoiſe
, & quoique la nouvelle Angleterre produiſe
les plus beaux mâts de tout l'univers , le
marché pour cet article a été réglé à un prix
très-modéré. Il n'y a qu'un cri dans toute l'étendue
des Etats-Unis contre les restrictions que
la G. B. amites au commerce de l'Amérique
avec les ifles britanniques , pluſieurs Etats ont
déja fermé leurs ports à nos vaiſſeaux , & on
s'attend qu'an printems prochain il n'y en aura
plus aucun qui nous ſoient ouverts .
Ces plaintes ne ſont pas bornées auxEtats-
Unis ; on en fait de pareilles dans les Ifles ,
l'aſſemblée de l'iſle de la Jamaïque , après
la publication de la proclamation du Roi,
préſenta le 28 Septembre dernier l'adreſſe
ſuivante au Chevalier Campbell , Capitaine-
Général , Gouverneur - Commandant en
chefde l'ifle &de ſes dependances .
« Nous , les fideles &humbles ſujets de S м.
l'aſſembléede la Jamaïque ayant examiné très at
( 116 )
tentivement & péſé très-impartialement les con
ſéquences de la proclamation de S. M. & de ſon
Conteil , du 2 Juillet dernier , & les ordres que
V. E. a cru devoir donner en conféquence aux
Officiers publics de cette Iſle , nous oſerons repré.
Tenter à V. E. , comme un fait vérifié par nos ſoins,
que , depuis la prohibition faite par cette proclamation
aux vaifieaux américains , de décharger
leurs cargaiſons dans cette Iſle, les articles les plus
importanspour notre commerce & notre bien-être ,
tels que les noirs , les planches de pin , les bordages
, & autres bois de conſtruction ont été portés
aux prix les plus exorbitans. En réfléchiffant le
moins du monde ſur la nature de nos denrées , &
de nos beſoins locaux & momentannés , occafion.
nés par les viſites onéreuſes auxquelles on nous a
aſſujettis , on ſentira combien le beſoin que nous
avons de ces articles eſt urgent & indiſpentable .
Nous avons négligé de les tirer d'ailleurs , dans
l'eſpérance qu'il nous feroit permis de nous en
fournir en Amérique , comme en effet , on nous
en a donné la permiſſion tacite pendant un temps .
Mais notre Métropole n'a pas daigné écouter nofre
priere ; & pour furcroît de malheur , nous avons
la mortification de voir nos formidables rivaux des
Iles françoiſes , par le judicieux encouragement
que l'on donne à leur commerce , ſe pourvoir
abondamment de tout ce dont il ont beſoin ; tandis
que nous ſommes réduits àla néceſſité d'acheter
à quelque prix que ce ſoit la petite quantité qui
nous reſte de ces articles , ayant , en outre , les plus
juſtes raiſonsde craindre que, malgré nos efforts les
plus vigoureux, nos productions ne nous reſtent en.
tre les mains , faute de débouchés. D'après la connoiffance
que nous avons de V. E. , il ne nous eſt
point permis de douter de l'intérêt qu'elle prend
ànos intérêts ;&dans une poſition auſſi critique ,
( 117 )
&auſſi notoire, nous eſpérons que V. E. trouvera
notre expoſe aſſez fondé pour nous accorder la
grace que nous ſollicitons.- En conséquence ,
nous vous fupplionsde vouloir permettre, comme
un foulagement aux dificultés que nous éprouvons
actuellement , & comme un semede aux obſtacles
plusgrands encore qui nous menacent , l'importation
des articles énoncés dans la proclamation
du 2 Juillet dernier , ſur des navires américains ,
venantdes Etats-Unis de l'Amérique , & l'exportation
de nos productions en retours pour l'eſpace
de neufmois, ſur les vaiſſeauxde la même nation .
Le Gouverneur fit à cette adreſſe la réponſe
ſuivante.
MM. , l'opinion favorable , que vous voulez
bien vous former de mon attachement aux intérêts
de votre commerce, mérite mes remerînens
les plus vifs. Je m'eſtimerai toujours comme fore
heureux de poſſéder les moyens de ſoulager cette
Ifle de ſes malheurs ; mais lorſque S. M. établit
avec la ſanction du Parlement des reglemens de
la plus grande conféquence pour la nation , &
que mon autorité , relativement à ces ordres ſouverains
, ſe trouve reſtreinte par des inſtructions
particulieres , j'eſpere que vous conviendrez qu'il
ſeroit déplacé de ne pas m'y conformer. Je me
flatte cependant qu'en conféquence des demandes
répétées que j'ai faites aux Gouverneurs du Canada
, & de la nouvelle Ecoſſe des articles les plus
néceffaires à cette Iſle , & de l'encouragement ac
cordé aux marchands anglois , les prix des objets
énoncés dansvotre adreſſe baiſſeront inceſſament,
&les appréhenſions d'une diſette ſeront bientôt
diffipées.
Le paquebot la Fortitude , venant de l'Inde,&
en dernier lieu de ſainte-Helene qu'il
( 118 )
quitta le 27 Février , eſt arrivé à Portsmouth
le 26 du mois dernier ; le Général Stuart
étoit à bord de ce bâtiment. L'Europe a
mouillé enfuite dans le même port. Ce vaifſeau
de 64 canons étoit parti le 20 Février
du Cap de Bonne Eſpérance : les nouvelles
qu'il apporte font les ſuivantes.
&
Le Héros , le Cumberland , le Monarque , le
Magnanime , l'Afrique, le Sceptre , l'Ingexible , le
S. Charles , & la Nayade étoient reſtés au Cap ſous
les ordres du Commodore King , & devoient en
mettre à la voile le ser. Mars. Le Commodore
Bickerton s'y trouvoit auſſi avec le Gibraltar
, le Burford & le floop le Hound , & devoiten
partir le premier Avril. L'Exeter , hors d'état
de faire le voyage , avoit été brûlé au Cap ,
on avoit remplacé par ſes mâts ceux que le
Sceptre avoit perdus dans une tempête. Le voyage
deces vaiſſeaux de Madras au Cap avoit été trèspénible
; il étoit mort ſur-tout beacoup d'hommes;
on n'en comptoit pas moins de 64ſur le
Cumberland , 36 ſur le Sceptre , 43 fur l'Afrique ,
15 ſur l'Europe , 20 ſur le Magnanime , 31 ſur le
Héros, 12 fur l'Inflexible , 180 ſur le Monarque ,
8ſur la Sea-House , 13 fur le S. Carlos , en tout
435. Ona fait paſſer ſur le Monarque la plupart
des matelots de l'Exeter , parce qu'il en avoit le
plus beſoin. Peu de vaiſſeaux ont perdu plus de
monde , puiſqu'on dit qu'en un an de tems il lui
eſt mort 360 hommes.
On a reçu par le même vaiſſeau quelques
papiers de l'Inde , dont nous extrairons les
détails ſuivans , en date de Madraſſ le 17
Octobre.
Le vailleau le Necker a déchargé ſa cargaiſon
( 119 )
& a fait route pour le Pegu.-Le prix du ris à
Madras eft actuellement de 200 pagodes la garſe.
D'après les eſpérances que donnent les récoltes à
Ganjam & dans toute la partie méridionale de
ces Provinces , on a lieu de croire que l'armée
ne manquera pas d'approviſionnemens . -Le
Gouverneur Général & le Confeil, ont mis le 31
dumois dernier un embargo général ſur l'exportation
des grains de toute eſpece , & ont meme
défendu de fatisfaire aux contrats ſtipulés par le
Gouvernement. Tout marchand natif, ou Européen,
qui tenteroit d'exporter par mer , des grains
du Bengale , ſera condamné à la confſcationde
ſes grains ; & toute perſonne qui en exportera
dans le moment préſent , paiera une amende du
double de la valeur de ce qu'il aura fait fortir ,
évaluée au prix courant du grain au marché , lors
de l'exportation; la moitié de l'amende ſera accordée
aux délateurs. Ces meſures produi
ront ſans doute tout l'effet qu'on en attend , &
lorſque les inhumains traitans qui privent leurs
concitoyens de grains par un eſprit de monopole ,
verront que le Gouvernement en fixe le prix , &
donne des récompenſes aux délateurs , il feront
de néceſſité vertu , & ouvriront leurs greniers
cachés . Les Membres du Conſeil ſuprême
ont prié le Peintre , fir Elijah Impey , de leur
donner la ſatisfaction de faire , avant ſon départ
pour l'Angleterre , le portrait de leur Preſident
( ChiefJustice ) M. Zoffany , qu'ils veulent placer
dans la nouvelle ſalle du Conſeil , pour marquer
à ce Magiſtrat leur reconnoiſſance des attentions
&de l'affabilité qu'il a toujours montré à tous les
individus du Conſeil , & de l'intégrité & des ſuccès
avec leſquels il a adminiſtré la Justice depuis
l'inſtitution du Conſeil. - On ſe flatte dans
L'Inde de voir enfin conclure une paix générale,
( 120 )
Typpo-Saïb , dans les lettres qu'il a écrites au
Peshwa & à Madajée Scindia , a marqué le deſir
qu'il avoit d'y concourir dans les termes ſtipulés
par l'article neuvieme ,& non lecinquieme comme
nous l'avons dit , du traité de Poonah , ratifié entre
lui & le Peshwa , dont voici la teneur. Art .
neuvieme: Le Peshwa exige que , d'autant que le
Nabab - Hyder-Aly- Kan , après avoir conclu avec
lui un traité , a pris poſſeſſion de certains territoiresappartenans
auxAnglois & à leurs Alliés ,
il les cedera& les rendra à la compagnie & au
Nabab Mahomet Aly Kan. Tous les prifonniers
qui ont été prisdes deux parts pendant la guerre ,
feront relâchés , Hyder-Aly-Kan s'engagera å reltituer
àlacompagnie Angloiſe & à ſes Alliés tous
les territoires dont il s'eſtrendu maître depuis le 9
du mois de Ramzan de l'an 1180 , jour auquel
s'eſt ratifié ſon traité avec le Peshwa; & leſdits
territoires ſeront délivrés aux Anglois & an Nabab
Mahomet Aly Kan , avant le terme de fix
mois , après la concluſion du préſent traité ; &
lesAnglois s'engagent , dans ce cas , à ne point
faire d'hoſtilités à Hyder-Aly Kan , tant qu'il
n'en agira point hoftilement de ſon côté avec eux
ni avec leurs Alliés , & tant qu'il entretiendra
une harmonie parfaite avec le Peshwa ».
La même gazette de l'Inde contient l'extrait
ſuivant des papiers de Dehli , Dig.
,
Le 23 Septembre , à environ 3 heures après
midi , le Nabab Mika Shuffey , Affrafiab Kan
Rajah Hemet Bahaden , Suliman Kan , Kaulim
Kan , Merbaun Kan , Koijah Neaz Kan , Aſſibed
Kan , Bazid Kan &autres monterent à cheval
pour aller viſiter Mamod Beg ; quand ils furent
arrivés à un mille , un Harcarra vint leur dire
que Mamod Beg étoit dans ſa tente , que fa ca
valerie ,
( 121 )
valerie , ſon artillerie , &c. étoient à environ
un demi mille; Mirza Suffey dit ſur cela à Affrafiab
Kan qu'il ſoupçonnoit quelque piege.
Affrafiab repliqua : J'irai d'abord , je le viſiterai ;
j'examinerai & nous verrons. Mirzha Shuffey fit
halte avec ſa ſuite. Affrafiab Kan , Bafid Kan ,
Merbaun Kan , & quelques perſonnes de la ſuite
du premier , au nombre de deux cens , s'avancerent;
à leur approche. Mamod Beg & fon neveu
Aga Ismaël monterent fur leurs éléphans ,
&allerent au- devant d'eux. Après les complimens
ordinaires & une courte converation ,
Affrafiab retourna auprès du Nabab Shuffey , &
lui dit qu'il pouvoit avancer ſans crainte. Le
Nabab marcha avec un petit nombre deCavaliers
, & prit avec lui ſur ſon éléphant Akeem
Ali Couli Kan ; Mamod Amin Kan l'accompagna
aufſi. La ſuite du Nabab & celle de Mamod
Beg ſe ſaluerent ; en même tems la eavalerie
& l'artillerie du dernier , qui n'étoit qu'à
un demi mille , s'approcha. Mamod Amin Kan ,
ſoupçonnant quelque trahiſon , dit au Nabab qu'il ,
ſeroit prudent de retourner auprès de ſes gardes.
Je ne m'en retournerai pas , répondit le Nabab ,
ſans avoir fait ma viſite ; il en arrivera ce qui
pourra. Là- deſſus il s'avança encore un peu &
s'arrêta. Mamod Beg s'approcha & le ſalua en
joignant les mains. Pour parler avec le Nabab ,
il ordonna qu'on conduisit ſon éléphant à côté
du ſien; ſon neveu fit de même ,de maniere qu'ils
ſe trouvoient de chaque côté du Nabab qui étoit
au centre. Ils commencerent à parler enſemble;:
enfin Mamod Beg prit la main droite du Nabab
& l'attira à lui ; le Nabab le repouſſa , &
lui mit la main gauche ſur l'épaule pour ſe débarraffer
; Mamed Beg s'empara encore de cette
main , & fon neveu plongea un poignard dans
N°.20 , 51 Mai 1784. f
( 122 )
lecôtégauchedu Nabab,qui s'étantretournéauſſitốt
, reçut un ſecond coup de poignard de Mamod,
Beg dans le côtédroit. Il mourutde ce derniercoup,
&tomba de fon éléphant.Aga Iſmaëltomba auffi.
Mamod Amin Khan tua le Conducteur de l'éléphant
de celui-ci , & le fut lui-même par les
gens de la ſuite de MamodBeg. Auſſi-tôt l'artillerie
fit feu ; le peu de gens que Mirza Shuffey
avoit avec lui , prirentla fuite , & rejoignirent
la garde avec laquelle ils revinrent ; une mélée.
ſuivit. Affrafiab Khan pour exciter le courage des
hens , leur promit un mois de paie en gratification.
Il y eut 600 tués de part & d'autre ; 400
bleſſés du côté de Nabab , & de celui de Mamod
Beg ; le combat dura 7 heures. Le Nabab Mirza
Shuffey Kham étoit neveu de feu Nujiff Khan ,
& lui avoit ſuccédé dans ſes biens& ſes titres.
L'élection de Weſtminſter ſe continue;
M. Fox a repris la majorité par degrés ; elle
a été ſucceſſivement de 21 , de 56 voix en .
ſa faveur , & le 30 elle étoit de 86; aujourd'hui
elle eſt de 136 , c'est-à-dire , de 6049
contre 5913. En reprenant l'avantage , il
avoit adreſſé la lettre ſuivante aux Electeurs .
>>> Meſſieurs , l'état actuel de l'Election offre
un exemple glorieux de ce que l'on peut attendre
de la perſévérance d'hommes indépendans qui ſe
font rendus les défenſeurs de la liberté de la
conſtitution. Je vous demande avec la plus vive
inſtance la permiſſion de ſolliciter la continuation
de vos efforts généreux en ma faveur. L'importancede
chaque individu eſt maintenant affez
évidente , de même que le nombre des Electeurs
qui m'ont aſſuré de profiter de toute circonſtance
favorable&de me donner leur voix toutes les fois
( 123 )
que les apparences leur pro mettroient unplein
ſuccès. Les procédés inouis & fans exemple que
les Miniſtres actuels ſe ſont permis contre moi ,
par une proſtitution indécente des noms les plus
reſpectables & par toutes les menées ſourdes &
odieuſes d'une influence inconſtitutionnelle , ont
produit les effets qui devoient naturellement réſulter
de meſures auſſi infâmes , en réveillant le
courage& en excitant l'indignation de toutElecteur
indépendant & honnête. Comme vous êtes
parfaitement inſtruits de ma vie publique , j'éviterai
, à cet égard , des proteſtations ſuperflues.
Ces principes , auxquels nous sommes redevables
de la glorieuſe révolution qui a mis ſur le trône
l'illuſtre famille de S. M. , & préſervé de toutes
atteinte la liberté de cette conſtitution ; ces principes
, dis je , ont toujours été la regle inviolable
de ma conduitepolitique.C'eſt d'après ces mêmes
principes que je prends de nouveau la liberté de
demander votre appui , & fi je ſuis affez heureux
d'être réélu repréſentant de cette grande & refpectable
Cité , vous pouvez être pleinement aſſuré
de trouver en moi un ferme ſoutien de la cauſe
des Whigs , un ennemi déclaré de cette ſecrette
influence qui a ſervi de marche- pied à l'admin'ſtration
actuelle , & un ami incorruptible des
droits du peuple. Je ſuis , &c.
Les troubles continuent toujours en Irlande,
& on ignore encore comment ils ſe
termineront.
L'affaire des libelles qui ont occaſionné le bill
relatif à la preſſe en Irlande a occupé pluſieurs
ſéances de la chambre des Communes . Deux
perſonnes , ſoupçonnées d'être les Editeurs ou
imprimeurs de ces libelles , avoient été arrêtées ;
& le 19 , l'un deux , M. Carrey fut appellé à
f2
( 124 )
la barre de la chambre ; ſa réponſe aux interro
gations , qui lui furent faites , fut qu'il ne reconnoiſſoit
pas l'autorité de la Chambre ; qu'il
devoit étre jugé par une Cour de juſtice , & que
la Chambre n'en étoit pas une. M. Fofter demanda
qu'on lût le paragraphe dont on ſe plai.
gnoit ; il occafionna quelques difcuffions , pendant
leſquelles il s'éleva quelques voix en faveur
du ſieur Carey, qui s'en tint toujours à ſapremiere
réponſe de décliner la jurisdiction des communes
qui n'avoient pas de droit de prendre connoiffance
de cette affaire ; il recrimina enſuite
contre le Sergent d'armes qui l'avoit arrêté en
plein jour, conduit au milieu d'une troupe de Soldats
, qui l'avoit fait garder chez lui , en le traitant
mal & en lui refuſant des plumes & du papier
& en n'admettant pas toujours ceux qui venoient
le voir. Sur cette plainte , il fut nommé un comité
pour examiner la conduite du Sergent d'Armes:
le 21 ces accuſations & les défenſes du Sergent
futentexaminées; il en réſulta quece dernier s'étoit
conduit avec la prudence néceſſaire pour s'aſſurer
de fon prifonnier. Quant au ſieur Bingley qui
avoit été arrêté en même-temps , il fut remis en
liberté , parce qu'il prouva qu'il n'étoit qu'un
Commis de l'Imprimeur du papier.
Ce qui ſe paſſe en Irlande relativement à
la liberté de la preſſe , n'excite pas moins de
fermentation ici qu'à Dublin. Les papiers de
l'oppofition & ceux du parti de la Cour ſe
réaniffent pour condamner le bill qui doit
la gêner.
Ces derniers s'empreſſent de publier que le miniftere
le défàpprouve , qu'il l'a témoigné de la
maniere la plus franche ; ceci ne parois qu'une
mauvaiſe juftification aux autres ; ils prétendent
( 125 )
que ſi ce bill eſt renvoyé avec la ſanction royale ,
tout ce qu'on dit du væn des Miniſtres pour laiffer
les chofes comme elles étoient , ſera fans fondement
, & prouvera au contraire qu'ils en faifoient .
un pour le changer , fans paroître eux- mêmes
avoir opéré ce changement. Mais paflera t- il
comme ils l'efperent ? Les Irlandois le pafferontils
ſans ſe permettre que de vaines réclamations
qui ne produiront rien ? Ne fongeron - ils pas à
défendre leur liberté , à forcer l'abregation d'une
loi qui peut lui être ſi funefte ? Ne feront- ils pas
appuyés du voeu de l'Angleterre ? Est-ce dans ce
fiecle que les attentats contre la liberté font
poffibles ? Jamais en aucun temps elle n'a inſpiré
plus d'enthousiasme. Nous ne ſommes plus dans
celui où les peuples n'toient regardés que comme
de vils troupeaux deſtinés à fervir les caprices &
les fantaiſies de leurs maîtres. Il n'y a plus , dars
le monde chrétien, que la Ruffie où prévaut encore
la coutume barbare & fauvage dt nos ancêtres
, & dans ce pays même la féodalité diminue.
L'Impératrice a déjà porté la faulx dans le
pouvoirtrop étendu de la nobleſle ; on commerce
àconnoître le nom de la liberté ; elle naîtra Cins
doute un jour : les peuples qui en jouiffent déjà
ſe la laiſſeront ils enlever ?
:
Celui , dit Montaigne,qui rend fidelement
un dépôt qui lui a été confié dans le fecret ,
ne fait que remplir fon devoir & s'abſtenir
d'un crime; la véritable récompenſe eſt dans
ſaconſcience; il ne lui faut que celle là. Cerre
vérité ne paroîtra ſévere qu'à ceux qui feroient
capables d'un abus de confiance; mais
elle n'empêchera pas de trouver le fait fuivant
intéreſſant.
f 3
( 126 )
Un Eccléſiaſtique très -riche , jouiſſant d'une
Rectoretie confidérable dans le Comté de Worcefter
, mourut il y a quelques ſemaines ; on
vendit ſes meubles dans la maiſon qu'il occupoit.
Un pauvre Vicaire qu'il avoit pris &
qui faiſoit le ſervice de la paroiſſe pour un ſa
laire très - médiocre , eut envie d'une groſſe &
vieille boîte , ayant la forme d'un gros volume
in- folio; il l'acheta , & la fit porter dans la maiſon
qu'il occupoit à quelque diſtance. De retour
chez lui , il n'eut rien de plus preſſé que de
voir fon acquiſition , & d'examiner ſi elle étoit
en bon état, & fi elle n'avoit pas été dégradée
dans le tranſport; il ouvrit ſa boîte avec peine ,
& en la vifitant , ildécouvrit un petit ſecret qui
fermoit une caſe qu'on ne voyoit point , & dans
laquelle il trouva un rouleau de 200 guinées.
Etonné de voir cette ſomme , il examinala boîte
plus attentivement , & trouva encore une cafe
ſecrette qui contenoit une pareille ſomme en or.
Il prit cet argent dans ſa poche , & courut au
Presbytere , où il le remit entre les mains des
Adminiftrateursdes biens du défunt , en leur racontant
où il l'avoit trouvé. Ils ne furent pas peu
furpris de cette reſtitution , en confidérant la pauvreté
du Vicaire , ſa malheureuſe famille , la
facilité qu'il avoit à s'approprier une ſomme
dont perſonne n'avoit connoiſſance , & qui n'eût
jamais été réclamée. On auroit dû peut - être
récompenſer ſa probité , en la lui laiſſant ; & on
ne dit pas ſi on lui fit autrement un préſent ,
qu'il méritoit également par ſon honnêteté
par ſes beſoins .
FRANCE.
DE VERSAILLES , le II Mai.
Le Maréchal d'Aubeterre, Commandant
( 127 )
en chef en Bretagne , ayant obtenu la démiſſion
de ce Commandement , S. M. y'a
nommé le Comte de Montmorin , ci -devant
fon Ambaſſadeur extraordinaire à Madrid ,
où il ſera remplacé par le Duc de la Vauguyon
, ci-devant Ambaſſadeur de S. M.
à la Haye , où ſe rendra le Marquis de Verac
, auparavant Miniſtre Plénipotentiaire à
Petersbourg , où le Comte de Segur ira
prendre ſa place en la même qualité. Ils eurent
l'honneur de faire le 20 du mois'der
nier leurs remercîmens au Roi à qui ils furent
préſentés par le Comte de Vergennes ,
Chef du Confeil Royal des Finances , Mi-
-niſtre& Secrétaire d'État , ayant le département
des affaires étrangeres .
Le 21 le Roi , en conſidération des ſervices
de M. Marquelet de la None , Lieutenant-
Général Honoraire au Bailliage & Siege
préfidial de Meaux , & Subdélégué de
Intendance de Paris , a bien voulu lui accorder
un Brevet de Conſeiller d'Etat.
Le Comte de Croiſmare , qui avoit elu
Thonneur d'être préſenté au Roi le 26 , a eu
celui de monter le 29 dans les voitures de
S. M. &de chaffer avec elle .
L. M. & la Famille Royale ont figné le 2
dece mois, le contrat de mariage du Marquis
de Caumont de la Force , Chefde l'unique
branche reſtante de ſa maiſon , avec
la Comteſſe Louiſe de Loſtanges , Chanoineſſe
du Chapitre noble de Largentiere.
f4
( 128 )
L'AbbéSoulavie a eu l'honneur de préſenter
à L. M. le diſcours qu'il a compoſé pour
la cerémonie de l'ouverture des Etats de
Languedoc , ayant pour titre : De l'influence
des Moeurs fur la prospérité ou la décadence
des Empires .
DE PARIS , le 11 Mai.
Le 6 de ce mois , à midi précis , le Roi
s'eſt rendu à la plaine des Sablons , où il a
fait la revue du Régiment de ſes Gardes-
Françoiſes & de celui de ſes Gardes-Suiſſes;
comme le temps étoit fort beau , & que le
peuple ſe porte avec empreſſement dans tous
les endroits où il peut jouir de la préſence
de fon Souverain , le concours fut extraordinaire.
La Reine devoit venir dîner à Paris
le même jour , & fe rendre enſuite aux Italiens
, mais Monſeigneur le Dauphin ayant
éprouvé quelque dérangement par le travail
de la dentition , S. M. retourna à Verſailles
après la revue.
Depuis la paix les Anglois ont perdu dans
l'Inde le vaiſſeau le Superbe. La fortune nous
a traités de même , & le Sévere de 64 , commandé
par M. de Maurville , a péri , dit on ,
en entrant au Cap de Bonne-Efpérance ; il
a donné fur des roches , & comme c'étoit
un vieux vaiſſeau , il n'a pu réſiſter au choc;
l'équipage a été ſauvé. C'eſt la frégate la
Fine, arrivée àRochefort , qui a donné cette
nouvelle.
M. Duclos , Lieutenant de vaiſſeau , qui commandoit
la gabarre l'Adour , perdue ſur l'iſle de
( 129 )
Rhé , écrit on de la Rochelle , eſt parti pour
Breſt , ainſi que les Officiers qui ſervoient fous
lui , pour y être jugés par un Conſeil de guerre ;
c'eſt une formalité d'ufage en pareille circonftance
. L'Orion , de 74 canons ,ſe conſtruit
à Bayonne , c'est-à- dire que des gabarres apporteront
à Rochefort les pieces de ce vaiſſeau
toutes taillées & prêtes à être montées dans fix
ſemaines ou deux mois . Ces conſtructions préparatoires
ont eu lieu pendant la guerre , afin
de pouvoir conſtruire en pluſieurs endroits à la
fois.
On lit dans une lettre de Morlaix les détails
ſuivans.
-
« Les ordres ont été donnés depuis quelque
tems de reprendre les conſtructions dans tous
les départemens de la Marine royale ; mais tout
eſt tranquille encore à cet égard à Brest ;
on s'y borne à faire travailler au radoub des
vaifſeaux. Les Deux-Freres , de 80 canons , & le
Superbe , de 74 , font encore fur les chantiers ;
ſi l'on y travaille , ils pourront être à l'eau dans
le courant de l'été , comme il avoit été projetté.
Il paſſe pour conftant que l'on va
reprendre les travaux de Cherbourg avec la
plus grande vigueur , pour eſſayer d'y former
cette rade étonnante dont il a été parlé , au
moyen des caiſſons que l'on doit couler. M. de
la Bretonniere , Capitaine de vaiſſeau , dirigera
& commandera les manoeuvres de mer . On a
fait paſſer de Brest à Cherbourg des détachemens
de la Marine royale , & les fûtes l'Aigle
, le S. Barco , le Frédéric-Guillaume , & le
Canada , pour ſervir de pontons.- Les frégates
la Nymphe , de 40 canons , la Dangé , de 36 , les
Aûtes l'Autruche , la Sonde , la Bretonne , la Loire ,
Saumon , lı Pintade , la Doraie , la Forte &
fs
le
( 132 )
Anonyme font en armement à Breſt.
M. le Comte de Choiſeul- Gouffier ayant
été demander au Roi ſon agrément pour la
nomination , que l'Académie Françoiſe a
faite de M. le Marquis de Monteſquiou ,
S. M. approuva le choix de l'Académie , &
daigna s'informer en même temps de l'état
de M. le Franc de Pompignan , qu'on déſeſpere
de voir pleinement ſe rétablir , depuis
la derniere attaque d'apoplexie dont il a été
frappé.
On a perdu depuis peu un Artiſte bien intéreſſant
par ſon talent & par ſes qualités
perſonnelles; c'eſt avec empreſſement que
nous inférons ici la notice ſuivante , qu'on
nous afaitpaſſer ſur la vie& ſur les ouvrages
de M. Macret.
Avec des talens ſuperieurs , il n'eſt pas néceffaire
d'avoir parcouru une longue carriere pour
obtenir une réputation diftinguée ; non ſeulement
l'Artiſte dont nous regrettons la perteauroit
pu égaler les plus grands Maîtreess,, mais
on remarquoit dans ſes ouvrages le ſentiment,
l'expreffion & le caractere des Auteurs qu'il traduiſoit
, lorſqu'une mort prématurée eſt venue
l'enlever aux Arts. Charles - François-Adrien
Macret naquit à Abbeville le 2 Mai 1750. 11
annonça , dès l'âge le plus tendre , ces heureuſes
diſpoſitions qu'on ne doit qu'à la nature , & ce
fut pour les cultiver efficacement que ſes parens
l'envoyerent à Paris . Il étudia les principes
du deſſin & de la gravure ſous Nicolas Dupuis
& Littrait de Montigny , chez leſquels il fit
des progrès rapides. Un accident funeſte le priva
bientôt de ſon pere , & lui fit ſentir la néceffité
de redoubler ſes efforts , & de ſe rendre
( 131 )
entiérement à l'étude. Après la mort de fes
premiers Maîtres , le jeune Macret ſe mit ſous
la direction de MM. Aliamet & de S. Aubin , &
il ne tarda pas à donner des preuves de fa capacité;
ſes premiers ouvrages furent la Simaritaine
, gravée d'après le Chevalier Vander Werf,
& la priere à l'Amour , d'après M. Greuze. Dans
une Eſtampe qu'il grava enſuite , d'après Gon
zales , & qui a pour titre , les prémices de
lamour propre , il développa ce goût pur & ce
ſtyle harmonieux qui caractériſent ſes productions.
S'étant marié en 1777 , il eut la douleur
de perdre , quatre ans après , une épouſe chérie
qui faiſoit ſon bonheur , & cette privation
répandit dans l'ame ſenſible de M. Macret une
mélancolie profonde qui empoiſonna le reſte
de ſa vie. L'amour de ſon état, & fa tendreſſe
pour ſes enfans ſuſpendirent pendant quelque
tems le chagrin dont il étoit dévoré. Il grava ,
d'après M Moreau , l'arrivée de J. J. Rouffeau aux
Champs-Elisées , pour ſervir de pendant a l'arrivée
de Voltaire , qu'il avoit miſe au jour quelque
tems auparavant (1) . Ses derniers ouvrages
furent la Fontaine enchantée , ſujet tiré de l'Aſtrée,
d'après le deſſin de M. Cochin ; & la fuite à
deffein , d'après M. Fragonard. On remarque
dans ces différens ouvrages une profonde connoiſſance
du deſſin , une touche moëleuſe ,
fuave & fpirituelle. Conſumé par une fievre
lente , que l'application au travail rendit peutêtre
rebelle à tous les remedes , cet eſtimable
Artiſte mourut le 24 Décembre dernier , em-
(1)Ces deux Eſtampes , qui font très - précieuſes , & qui
ne peuvent que le devenir tous les jours davantage , à
préſent que "Artitte auquel on les doit , n'eſt plus , font
-pendantl'une àl'autre , & le trouvent maintenant chez la
mere de l'Auteur , rue des Foffes M.le Prince , au coin
de celle de Touraine , maiſon du Tapiffier,
f6
( 132 )
portant au tombeau l'eſtime du public,l'amitié
de tous ceux qui l'avoient connu , & les regrets
d'une famille éplorée dont il étoit le ſoutien.
Acet article nous en joindrons un autre ,
qui n'intéreſſera pas moins nos lecteurs ; c'eſt
l'éloge de l'homme bienfaiſant , qui a gouverné
pendant plus de 30 ans le Séminaire
de S. Louis à Paris .
Permettez- moi , Monfieur , de jetter quelques
fleurs ſur la tombe de l'homme Gimple & vertueux
qui vient d'être enlevé à la religion dont il faifoit
l'oruement , & de me ſervir de la voie de
votre journal , pour donner aux ames ſenſibles
le précis de ſes brillantes qualités. Il fut bienfaifant
, & c'eſt un titre pour mériter une place
dans vos feuilles . M. Garrel avoit reçu de
la nature un coeur fait pour être aimé , & un
eſprit capable des plus grandes choſes. Appellé
aux fonctions laborieuſes du Miniftere ſacré , il
ſe livra avec ardeur à l'étude de la Théologie.
On rendit bientôt juſticeàſes talens . Dans un
âge où les autres peuvent à peine ſe conduire
eux mêmes , il fut choih pour former de jeunes
Eccléſiaſtiques , & remplit avec distinction durant
pluſieurs années les devoirs de cette place délicare
& importante. M. de Beaumont , dont le
coup-d'oeil juſte & exercé ſavoit ſi bien apprécier
le mérite , lui confia là conduite d'une Maifon
célebre par les ſervices qu'elle a rendus à
TEgliſe de France , & par le nombre des ſujets
qui ont été élevés dans ſon ſein , & qui ſont
maintenant la lumiere des Dioceſes . M. Garrel
s'empreſſa de justifier le choix de Mgr. l'Archevêque
; on le vit porter avec un zele courageux
le fardeau qui lui avoit été impofé , exciter dans
ſa maiſon la noble émulation du bien , donner
àtous l'exemple de la piété , de la modeſtie ,de
( 133 )
la charité , du déſintéreſſement , de l'amour des
devoirs ; de-là cette réputation éclatante dont
jouit le Séminaire de S. Louis & dont il jouira
long-tems , puiſque le ſucceſſeur de M. Garrel
eſt l'héritier de toutes ſes vertus. Il ne tarda point
àmériter la confiance de nos Evêques ; & pour
achever cette partie de ſon éloge , il fut eſtimé
de M. de Juigné , qui lui donna pluſieurs fois des
marques de bienveillance & de conſidération .
Tous les jeunes Eleves qui furent confiés à ſes
ſoins , le chériſſoient comme un pere ; ils voulurent
que le pinceau d'un Artiſte célébre confervât
à la poſtérité les traits précieux d'un homme
ſi cher à la religion . Sa vieilleſſe fut fans nuages;
fi on en excepte la derniere année de ſa
vie. Dans l'âge le plus avancé , ſon ze'e ne ſe
ralentit point; il bravoit la rigueur des ſaiſons ,
&préſidoit à tous les exercices ; en un mot , il
fit le bien juſqu'à ſa mort. Il s'eſt montré pendant
toute ſa vie généreux & défintéreſlé . Le
tableau des miferes humaines pénétroit ſon ame
de la plus vive douleur ; il s'eſt plu à verſer des
ſecours ſur les familles indigentes ; & malgré
la modicité de ſa fortune , il a exercé pluſieurs
actes de bienfaisance , que les bornes d'une lettre
ne me permettent pas de rapporter ; & après
avoir fourni une carriere longue & pleine de
bonnes oeuvres , il mourut dans la paix du Seigneur.
Je ſuis , &c . Signé , L'ABBÉ BONNERIE .
Nous venons de lire dans un Papier public
un avis qui intéreſſe les Cultivateurs , &
auquel nous nous empreſſons de donner de
la publicité.
MM. les Commiſſaires des Etats de Bretagne ,
de l'Evêché de Nantes , donnent avis aux Cultivateurs
que le ſieur Guillaumé le Quellec , labou
reur dans la Paroiſſe de Pleubian,Evêché de Tre,
( 134)
guyer, emploie conftamment ,depuis 35 ans , la
graine de lin qu'il recueille ſur la terre , qu'illa
Jaiſſe múrir fur pied , & que la portion de lin,
qu'il ſacrifie pour la graine peut etre encore employée
, quoique d'une qualité inférieure : qu'il
trouve dans cette méthode l'avantage de r'avoirjamais
fémé fans ſuccès , & fans une bonne récolte
, ſuivant l'année;& une très grande économie ,
en ce que le baril de graine de lin , que la Com
pagnie danoiſe vend 60 livres , & qui demande
une terre préparée par une culture diſpendieu .
Ye , ne lui revient qu'à onze , en la recueillant luimême
, & n'eſt point d'une qualité auſſi ſuſpecte
que celle du Nord. MM. les CommiſſairesdesEtats
invitent des Cultivateurs à faire l'expérience
d'un procédé dont il réſulteroit un
très grand bien pour la Province ;& ils les prient
de leur donner avis du ſuccès de leurs premiers
effais.
-
Une lettre de Rouen nous apprend que
M. Blanchard ſe propoſe d'y répéter l'expérience
qu'il a faite à Paris au champ de Mars ,
avec ſon vaiſſeau volant, le 2 du mois de
Mars dernier. Il y annonce , comme il l'avoit
fait à Paris , qu'il montera & defcendra
à volonté , au moyen d'aîles &de machines
qu'il a inventées, qu'il planera long-temps ,
&fera diverſes évolutions dans le lieu fermé
qu'il a choiſi , & qu'il ne déſignera que quelques
jours avant l'expérience ; il ne dit pas
qu'il fe dirigera à volonté , mais il eſpere
qu'il le pourra. On ne peut que lui ſouhaiter
plusde ſuccès qu'il n'en a eu à Paris fur
ce dernier objet , & qu'il n'éprouve pas du
moins les inconvéniens qui l'avoient privé
( 135 )
des machines qu'il avoit préparées. Comme
àParis il a ouvert une ſouſcription; le jour
fixé pour fon expérience ; eſt le 23 de ce
mois.
L'Académie Royale des Inſcriptions & Belles-
Lettres tint le 20 du mois dernier ſa ſéance publique
d'après Pâques. Elle adjugea au Baron
deMeerman le prix extraordinaire deſtiné à un
mémoire dans lequel on comparoît entr'elles la
Igue des Achéens , 280 ans avant J. C. , celle
des Suiffes en 1307 de l'ere chrétienne , celle des
Provinces Unies en 1589 , & où l'on développe les
causes , l'origine , la nature & l'objet de ces affociations.
Le prix ordinairefur l'influence des loix
maruimes des Rhodiens , fur la marine des Grecs
& des Romains , & l'influence de la marinefur
la puiſſance de ces peuples , fut donné à M. de
Paftoret , Conſeiller de la Cour des Aides. =
Le ſujet du prix qui ſera décerné à la S. Martin
1785 , eſt de rechercher quelfut l'état de l'Architecture
chez les Egyptiens , & ce que lesGrecsparoiffent
en avoir emprunté. Les mémoires doivent
être remis, francs de port , à M. Daeier , Se-
-cretaire perpétuel , avant le premier Juillet
1785.-M. Duteil lut enſuite un exposé des
recherches relatives à l'Hiſtoire de France ,
faites à Rome depuis 1777 juſqu'en 1784. M. de
Kéralio , le précis d'un mémoire ſur la milice
grecque & romaine . M. Boukaud , un mémoire
fur un fragment de la lei des douze tables ,
concernant la perquifition du vol qui ſe faiſoit
cum lance& licio. M. de Rochefort , un mémoire
fur Ménandre. L'objet de l'Auteur eſt de faire
connoître par les révolutions que la comédie
éprouva chez les Grecs , par l'analogie tirée
des principes d'Ariftote , & par des extraits
raiſonnés des comédies de Térence qui a copié
( 136 )
Ménandre , quel étoit l'Art de ce Poëte , qui
fit pendant trente ans les délices des Athé
niens.
,
L'Académie Royale des Sciences , toujours attentive
à ce qui peut contribuer à la fûreté & aux
avantages du Public , tant par les productions
nouvelles qu'elle met au jour , qu'en encourageant
les Artiſtes qui font leurs efforts pour mériter
ſon fuffrage , a approuvé , dans la ſéance du
13 Mars dernier , une machine qui a pour objet
d'empêcher le verſement d'une charrette lorſque
l'eſſieu caſſe ; elle en a fait un examen d'autant
plus exact & plus prompt , que le moyen lui
a paru très - ſimple , peu diſpendieux , commode
vu qu'il ne change en rien la conftruction
des charettes , & qu'on en retirera de
grands avantages ; ce qui l'a engagé à accompagner
ſon approbation d'éloges qu'elle donne
au fieur Gouault de Monchaux , inventeur du
moyen. Il ſeroit à defirer que tous les particuliers
qui font ulage de ces voitures , s'en ſervilſent
, fur-tout pour celles qui menent des fardeaux
conſidérables , comme des grès ou des
moëllons ( le modele qui a été préſenté à l'Académie
par le ſieur Gouault de Monchaux , étoit
dans les proportions de cette derniere eſpece de
charrette) . Mais il ſera po Aible d'adapter ceste machine
à toute autre , de la faire reſſervir àune neu .
ve , comme de la remettre àune ancienne. Avant
de faire connoître tous les avantages qu'on en
peut retirer , il eſt bon de donner une idée de
ſa construction , qui mettra à portée de les mieux
fentir, & engagera à en faire uſage. La principale
piece eſt en bois , & appellée jante deſupport ,
de la grandeur & de la forme d'une jante de
roue foutenue ſupérieurement à la roue , audeſſus
de laquelle elle s'éleve de deux pouces , &
y forme comme un petit chapiteau , par les cora
( 137
nes de rancher du male , auxquelles elle tient
par un fort affemblage ; ceſdites cornes font tenues
auffi beaucoup plus ſolidement qu'à l'ordinaire
à l'échantignole & au brancard de la charrette.
Les ranchers de bois ſont mis preſque auprès
de la circonférence de la roue , & affez alongés
de côté & d'autre pour cutrepaffer cette circonférence.
De plus , il y a des plaques de fer ,
dits crochets , aſſujétis par des boulons à vis ou
écrou , dans lesquels elles tournent ; les unes
font au centre de la jante de ſupport , tombent
verticalement au- devant de la roue ,& font maintenues
dans cette poſition par une ferrure trèsſimple
, de même que celles qui ſont au bout
des ranchers le ſont dans une ftuation horifontale
par une ferrure pareille. Le tout eft cependant
affez diſtant de la roue pour n'en gêner en
aucune façon le roulement. Il réſulte de cette
Aructure que la roue étant renfermée entre la
jante de ſupport , les ranchers de bois & les crochets
de fer , ne peut , lorſque l'eſſien caſſe , ni
jetter en-dehors , ſoit par en-bas ou par en-haut,
ni couler, foit en avant , ſoit en arriere ; que la
jante de ſupport tombant ſur la partie ſupérieure
de la roue au moment de la rupture , porte la
charge de la voiture à la place de l'effieu ; en
conféquence la voiture ne verſe que de la diftance
qu'il y a de la jante de ſupport à la roue ;
cette diſtance n'étant, comme il eſt dit ci-deſſus ,
que de deux pouces , ce verſement eſt imperceptible
, ce qui procure entr'autres avantages ceux
qui ſuivent. La roue ne tombe pas ſur les per-
Tonnes qui paſſent malheureuſement auprès d'elle
lorſque l'effieu vient à caffer, & par conséquent
ne les mutile ni ne les tue . La voiture ne verfant
pas , les pierres ne s'écroulent point , & ne
vont eſtropier perſenne. En ſuppoſant qu'elle
ſoit chargée de verrerie ou de porcelaine , la
( 138 )
marchandiſe ne court point le riſque d'être toute
fracaffée ; le cheval de brancard n'eſt point expofé
à être tué ou à avoir les reims caffés , ce qui
arrive preſque toujoursdans ces ſortes d'accidens.
Ce moyen rendra la caſſure de l'eſſieu moins
fréquente , en ce qu'il ne permet point d'employer
indiſtinctement des effieux trop longs , ou
*des moyeux trop courts. Le ſieur de Gouault de
Monchaux a rendu les plaques qui forment les
crochets , fixes ou mobiles , à volonté , pour que
les Voituriers aient la facilité de graiffer les
roues.
Il y a erreur dans l'article du Journal du premierde
ce mois , où l'introduction des procédés
Hollandois dans l'Art de la papeterie , & celle
de la fabrication du papier vélin ſont attribuées
à M. Johannot ; cet Artifte recommandable
par la perfection des ouvrages qui fortentde ſa
fabrique , aété récompenſé par la médaille qui
lui a été accordée , mais il a été conſtaté que
c'eſt M. Mongolfier qui a le premier monté ſa
papeterie ſur les principes adoptés en Hollande ,
&qui a le premier fabriqué du papier vélin en
France; enconféquence ,M.Mongolfier a obtenu
par Arrêt du Conseil le titre de Manufacture
Royale , pour l'établiſſement qu'il a formé à
Annonay , & il a reçu , ainſi que M. Johannot ,
la médaille d'or deſtinée à ceux qui ont frayé
de nouvelles routes à l'induſtrie , ou perfectionné
une fabricationdéja connue.
Nous tenions d'une main étrangere les
détailsque nous avons donnés ilya quelque
temps , d'une expérience intéreſſante , faite
au caffé du Caveau : nous n'en avions pas
été témoins nous-mêmes , & le merve lleux
qu'elle offroit , nous avoit inſpiré une défiance
que nous ne pûmes nous empêcher de
( 139 )
manifeſter. La lettre ſuivante prouvera que
ce merveilleux n'étoit point exagéré; la ſeule
erreur importante qui ſe trouve dans nos détails
, regarde l'Auteur de cette découverte
précieuſe. C'eſt un Citoyen également diftingué
par ſon état, par ſes connoiſſances &
par ſes qualités perſonnelles , qui n'ajamais
fongé à en faire un ſecret , & qui l'auroit
déja publié , ſi ſon honnêteté , ſon amour
pour l'humanité ne lui faisoient craindre les
abas que ne manqueroient pas d'en faire le
Charlataniſme& la cupidité, en l'employant
dans toutes fortes de maladies. Il ſe fait un
plaifirde la communiquer aux gens de l'Art ,
qui peuvent feuls en preſcrire & en diriger
l'uſage. Nous lui devions cette réparation ,
dictée par la justice & la vérité , & nous faiſiſſons
avec empreſlement l'occafion que
nous en a fourni cette lettre.
M. Vous avez inféré dans votre Journal du
6 Mars dernier , n. to , un article relatifà l'expérience
faite au Café du Caveau , pour l'épreuve
d'une liqueur vulnéraire nouvellement découverte.
Le propriétaire y eſt annoncé comme un
homme qui court le monde pour débiter ſon
remede. Ce ne peut être , M. que ſur le rapport
de quelqu'un qui ſans doute ne le connoif-
Toit pas , que vous l'avez préſenté au public ſous
un jour qui ne fauroit lui être agréable. Les
liaiſons que nous avons avec lui nous impoſent
le devoir de vous informer qu'il ne reſſemble
en rien à l'homme de votre Journal ; c'eſt un
Citoyen diftingué par ſa profeſſion & par fon
mérite , eſtimé & aimé de pluſieurs perſonnes
( 140 )
,
du plus haut rang , qui n'a jamais fondé au
cuneſpoir de fortune ſur l'utile liqueur dont le
hafard qui a fait trouver la compoſition , &
qui ne defire en tirer d'autre avantage que le
bien de l'humanité. Pluſieurs grands Seigneurs
de notre Cour voulant ſeconder ſes vues , ont
fait , de concert avec loi , ſur différens animaux ,
des expériences variées , deſquelles nous avons
été témoins , & qui ont toutes réuſſi à ſouhait .
Les plus ſurprenantes ſont celles qui ont été
tentées ſur un veau. Des Chirurgiens d'un habileté
reconnue , ont fait dans la cuiſſe de cer
animal , une ouverture d'environ deux pouces
de longueur , & coupé un artere , la bleſſure
a été parfaitement guérie en deux jours par l'application
de cette liqueur, fans qu'il y ait eu
hémorragie , ſuppuration ni épanchement ;
l'autre dans la capacité de la poitrine , où on
a plongé un ingrument , de maniere que l'air
des poumons ſortoit vivement par l'ouverture
faite ; on introduiſit de la liqueur avec un petit
entonnoirde verre , & ce ſeul panſement a guéri
la plaie , & préſervé de tous les accidens ordinaires
à cette forte de bleſſure. C'eſt , M. ,
d'après le deſir que ces mêmes Seigneurs nous
ont témoigné , que nous avons l'honneur de
vous écrire ; pour vous faire appercevoir d'une
erreur que vous avez innocemment commiſe ,
ſur la foi d'autrui. Vous êtes trop honnête ,
M. , pour ne pas rendre cette lettre publique ,
& nous ſavoir gré de vous avoir mis à même
de rendre juſtice àun Citoyen qui , par ſon état
& ſes qualités perſonnelles , ſon défintéreſſcment
& l'utilité de ſa découverte , mérite les
égards & la reconnoiffance de ſes concitoyens.
Nous avons l'honneur d'être , &c. Signés , le
Baron D'HAUGWITZ , ancien Lieutenant de Roi de
)
( 141 )、
Ia partiedu nordde la Guyane Françoise; le Che
valier DE LA FAGE ; ancien Capitaine de Grenadiers
au Regiment d'Hainault ; PEISSONNEL , an
cien Conful général de France à Smyrne.
DE BRUXELLES , le 11 Mai.
Deslettres de Paris portent que, leMinistere
Anglois a fait ſavoir aux Ambaſſadeurs des
Etats-Généraux , que , felon le defir de la
Hollande , ſa Cour confentoit à ce que le
Traité de paix fût ſigné à Paris : en conféquence
ce Traité , qui ne ſera autre chofe ,
que les Préliminaires , convertis en Traité
définitif , a dû être ſigné à préſent.
Nous nous flattons , écrit- on de la Haye , que
cette grande affaire eſt enfin terminée , que le
parti qui avoit agi pour faire tranſporter les négociations
ici , ou du moins à Londres , n'a pas
réuffi , quoiqu'on ait pris toutes les meſures
poffibles pour l'intimider. On ne croit pas que
ce que l'on a fait juſqu'ici pour retarder l'alliance
des Etats Généraux avec la France ait plus de
ſuccès ; il ne paroît pas du moins que de longtemps
laHollande reprenne les anciens fers dont
on l'avoit chargée , ſous prétexte de la foutenir.
- Le Duc de la Vauguyon eſt ici ; ſon ſéjour
ne doit pas y être long ; mais on ne doute
pas qu'il ne convienne des principaux articles
d'un traité avec les Etats généraux. -M. de
Thulemeyer , après avoir remis à L. H. P. la
Lettre du Roi , relative au Stadhouder , en a
envoyé copie à la régence d'Amſterdam , & l'a
exhortée à remplir l'attente du Roi, ſon maî
tre , en favoriſant les vues de conciliation qu'il
a propoſées. La réponſe de MM. d'Amſterdam
( 142 )
contient l'afſurance qu'ils n'ont rien de plus
à coeur que le rétabliſſement de la tranquillité
, & ils s'excuſent d'entrer dans un examen
du contenu de la Lettre du Roi , ſur ce que
faiſant corps avec les membres qui compoſent
la ſouveraineté de cette Province , ils ne peuvent
s'occuper de ce travail ſans leur concurrence.
Les mêmes leatres portent que l'on y a
appris de l'Ecluſe en Flandres, que les troupes
Autrichiennes ſembloient avoir le defſeinde
s'emparer des écluſes , dans la crainte
que le Commandant de Lillo ne fût dans
l'intention d'inonder les Polders , intention ,
que, ſelon ces lettres , il ne peut avoir. Le
petit fort du vieux Lillo eſt entierement démoli;
& il ne paroît pas que le détachement
qui en a été chargé , ait ordre de rien entreprendre
contre les autres forts.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
On parle d'un mariage entre le Prince Evêque
d'Osnabrug , fecond fils du Roi , & la Princeffe
Frédérique- Louiſe, fille aînée du Stathouder de
Hollande. Cette Princeſſe eſtdans ſa quatorzieme
année , & le Prince dans ſa vingt - unieme. Ce
dernier , comme Evêque d'Oſnabrug & Souverainindépendant
enAllemagne , peut ſe marier
à ſon gré ; mais comme héritier ſecondaire de
la Couronne de la Grande Bretagne , il ne peut
contracter aucun mariage avant d'avoir atteint
l'âge de 24 ans ſans le conſentement du Roi ſon
pere , qui a déja déclaré , dit- on , qu'il n'y avoit
aucune objection contre cette alliance , lamai(
143 )
fond'Orange étant déja alliée à celle de Brunfwick
, par le mariage du grand-pere du Stathouder
actuel avec une Princeſſe de la Grande Bre
tagne.
Des lettres de Kingſton , de la Jamaïque, portent
que le Gouverneur de la Floride orientale
a annoncé aux habitans , par une proclamation ,
qu'après l'expiration du terme fixé dans le cinquieme
article du Traité de paix entre l'Eſpagne
& laGrande Bretagne , ils doivent quitter cette
Province , à moins qu'ils ne profeſſent la religion
catholique , & qu'à la même époque les ports
ſeront fermés aux vaiſſeaux Britanniques.
Selon quelques nouvelles de l'Inde datées d'Anjengo,
l'armée de Madras , du côté de Cuddalor ,
étoit dans une poſition très-critique , & même
ſa retraite étoit fort douteuſe, ſi la nouvelle de
la fignature des préliminaires de la paix , arrivée
par Baffora , & envoyée non par le Gouvernement
, mais par M. Wraxall , n'eût pas donné
lieu a une ceſſation d'hoſtilités .
On ajoute que le Conſeil Suprême a ordonné
péremptoirement au Lord Macartney de rompre
la convention faite avec le Nabab d'Arcate, pour
abandonner à la Compagnie la perception des
revenus du Canate ; mais que le Lord a refuſé
d'obéir à cet ordre , qu'on s'attendoit que le
Conſeil Suprême interdiroit le Lord Macartney
pour ſa dérobéifſance; mais qu'on ne ſavoit pas
file Lordſe ſoumettroit à cette interdiction .
Nos papiers , en annonçant la perte du Severe
, vaiſſeau François de 64 eanons , qui a péri
au Cap de Bonne-Eſpérance , diſent que c'eſt le
dix-huitieme que cette Nation a perdu par divers
accidens depuis le commencement de la ,
guerre.
( 144 )
GAZETTE ABRÉGEE DES TRIBUNAUX.
Parlement de Paris , Grand Chambre .
des Bénéfices.
Union
Les opérations les plus utilés éprouventquelquefois
des obſtacles de la part de ceux même
pour le bien deſquels elles ſont dirigées. La.
Cure de S. Pierre- le- Moutier , dans le dioceſe
de Luçon , étoit du revenu modique de 800 liv.
Cette Paroiffe néanmoins affez conſidérable ,
avoit beſoin d'un Vicaire , & la modicité de la
Cure ôtcit cette facilité au Curé .- Il y avoit
dans la même Egliſe un titre de Bénéfice ſimple ,
fons lenomdu Prieuré de S. Pierre-le-Moutier ,
dont le revenu étoit auffi de 800 liv . Ce Prieur
n'étoit aſſujetti qu'à dire une Meſſe baſſe tous
les Dimanches : il n'étoit pas même obligé ,
en cas d'abſence , ou autre empêchement , de
la faire dire par un autre Prêtre , de maniere
que les habitans ne profitoient que très rarement
de l'avantage de cette Meſſe. - L'Evêque
de Luçon , pour le plus grand bien des fideles ,
& d'après les formalités requiſes & néceſſaires en
pareil cas , a rendu un décret d'union & incorporation
de ce Prieuré & de ſes revenus à la
Cure de S. Pierre- le- Moutier , à la charge par
le Curé d'avoir un Vicaire , à qui il donneroit
4001. lequel feroit tenu de dire tous les jours une
Meſſe , & en cas d'empêchement , de la faire
dire à ſes frais , & d'aider le Curé dans les
fonctions de ſon Miniftere. Sur ce décret , le
Roi a accordé des Lettres- Patentes confirmatives .
-Quelques Paroiffiens ont néanmoins formé
opoſition à l'enregistrement de ces Lettres-
Patentes. Arrêt du 23 Juillet 1783 , qui , fans
avoir égard à l'oppoſition des habitans dont ils
ſont déboutés , a ordonné qu'il feroit paffé outre
à l'enregiſtrement des Lettres-Patentes , & con
damné les oppoſans aux dépens .
:
:
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 22 MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
Madame DE MEULAN , pour la
remercier d'un Ruban de Guittare.
DEvotre main , belle Meulan ,
Vous daignez donc orner ma lyre ?
Pour fixer le Dieu qui m'inſpire ,
CeDieu qui près de vous inceſſamment ſoupire ,
Vous n'employez , ainſi que ſa mainan ,
Ni d'autres armes qu'un ſourire ,
Ni d'autres chaînes qu'un ruban.
(Par M. le Vicomte de Br.... deVérac. )
Nº. 21 , 22 Mai 1784. G
146 MERCURE
A M. Pujos , qui m'avoit dejné.
e
C'EST
م
'EST moi , mais il eftmieux que moi.
Tu rends la Nature plus belle ;
Pujos , il n'appartient qu'à toi
**De tromper & d'être fidèle.
:
(ParM. H.... de Sech .... )
A Madame ***
AIR : Daigne écouter l'Amant fidèle & tendre,
DBEvous chanter je n'ai pas le génie ,
Et tous mes vers ſont peu dignes de vous :
Je ne ſuis point parent de Polymnie ;
Je ſuis le vôtre , & j'en ſuis plus jaloux.
:
Ce titre heureux eſt le ſeul qui m'inſpire;
Lui feul ſaura ſans effort exprimer
Ce que l'eſprit eût eu peine à mieux dire ,
Combien mon coeur ſe plaît à vous aimer,
Our , ma coufine , & vous , ſa digne fille ,
Sans les doux noeuds dont je vous fuis lié,
Mon coeur encor feroit de la famille
Par les liens d'une tendre amitié.
(Par M. de Saint-Ange. )
DE FRANCE.
147
.e
"
REGRETS d'une Mère obligée de
renoncer à nourrirſon premier Enfant.
PARS, ARS , mon enfant, le deſtin trop févère
N'a point d'égard à ma douleur ;
En vain j'éloigne un départ néceſſaire ,
Il faut y réfoudre mon coeur.
RIGUEURS ! Ô mon fils! ô regrets ſuperfias !
Il est donc vrai , je ne te verrai plus
Preffer mon"fein de ta main careffante ;
Je ne cueillerai plus fur tabouche riante
Cebaifer pur , ce baifer de l'Amour ,
Ce baiſer qu'un époux , par un tendre retour ,
Payoit avec ufure à mon âme contente.
On ne nous verra plus eſſayer tour à tour
De tes pieds délicats la marche chancelante ,
Ou par un léger mouvement ,
Balançant à
à l'envi la couche ou tu repoſes ,
Inviter le fommeil à répandre des rofes
Surton front innocent.
7 .
Pars, mon enfant, & c .
D'UNE Nourrice mercenaire ,
Omon fils , mon cher fils , tu ſuceras le lait !
Elle entendra d'un air diftrait .
Bégayer le faint nom de mère
Sans en éprouver les douceurs ,
Gij
F4S MERCURE
Pendant qu'en proie à ſes douleurs
Tamère , hélas ! ta mère véritable ,
De ton abſence inconfolable
Verſera d'inutiles pleurs.
Pars , mon enfant , &c.
-e
J'ESPÉROIS ſous mes yeux élever ton enfance ,
J'eſpéroisde ma main guider tes premiers pas ;
Ivreſſe du bonheur, trop flatteuſe eſpérance,
Pour mon coeur prévenu que vous aviez d'appas!
Mais votre lueur paſſagère
Pour moi n'a brillé qu'un matin.
Suis -je affez malheureuſe ! .... ô ſort , fort inhumain!
Les Dieux que j'invoquois exaucent ma prière ,
Ils accordent un fils aux larmes d'une mère.....
Étoit-ce donc pour le ravir ſoudain ?
Pars , mon enfant ,&c.
AH! daigne au moins , daigne le ciel propice
Veiller ſur un dépôt qui n'eſt ſi précieux ;
Et toi , que j'implorai dans des jours plus heureux ,
Étends , chafte Lucine , une main protectrice
Sur cet infortuné , l'objet de tous mes voeux.
Miniſtres de Morphée , officieux menfonges,
Accourez , agréables ſonges ,
Venez- le careffer quand le doigt du ſommeil
Preſſera ſa foible paupière ,
1
Et quand ſes yeux feront ouverts à la lumière ,
Dans un séduisant apparcil ,
DE FRANCE.
149
Volez , Amours , volez , troupe aimable & légère ,
Volez en foule à ſon réveil
Le récréer encor d'une douce chimère.
PARS, mon enfant , le deſtintrop ſévère
N'a point d'égard à ma douleur ;
En vain j'éloigne un départ néceſſaire ,
Il faut y réſoudre mon coeur.
(Par M. Gorfas. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
duLogogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Vertige ; celui
de l'Enigme eſt Madame; celui du Logogryphe
eſt Louis, où l'on trouve ou lui ,
lis,oui.
M
CHARADE.
ON premier, mon ſecond, quoique deux , ne
fontqu'un ; :
Demême que mon tout de deux pieds en fait quatre.
Voilà pour les Savans un calcul à débattre ,
Et pour les curieux un fruitbien peu commun.
(Par M. Micro-Mégas. )
Giij
150 MERCURE
:
ÉNIGM E.
Au milieu d'un brafier je reçus l'existence ;
Etmalgré le grand feu qui me donna nanfance,
Je ſuis la glace même , & crains fort la chaleur ;
Je ſuis franc& fincère",
Complaifant& poli ſans être adulateur ;
A la ſimple Bergère ,
Comme au plus puiffant Roi , j'offre la vérité;
Je ne parle jamais & réfléchis fans ceffe ;
Q
Je plais toujours à la beauté ,
Et fuis aimé de la jeuneſſe .
LOGOGRYPHE.
1
UE de maux , cher Lecteur , je procure à la terre !
Où que vous vous cachiez je vous trouve toujours ;
I'lus cruelle cent fois que la parte de l'ours ,
Je déchire , je mords & je ſouffle la guerre.
Par le mauvais côté c'eſt affez me montrer: 012
Si tu n'as pu , Lecteur , encor me pénétrer ,
A toije vais m'offrir dans mes métamorphofes.
Etd'abord j'ai fix pieds : ſi tu les décompoſes , ....
Sans effort tu pourras découvrir à l'inftant
Un ſtupide animal ; du ciel un habitant ;
Ce que cache un fille; un ton de la muſique;
Un fel ; un élément; un terme numériques
DE
٢٢٤
FRANCE.
Cequi, bien compofé, ſert de piège aux diſeaux;
Ceque le poiſſon fait ſans ceſſe dans les eaux ;
Pour le Marchand Drapier un meuble fort utile ;
Une négation ; en Guyenne une ville.
Enfin , fi tu t'entends , Lecteur , à tranſpoſer ,
Je peux t'offrir encor une des ſept planètes ;
Ce qui nous l'intercepte & porte les tempêtes .
Bref..... maintenant chez toi je dois me repofer.
(Par M. M..ge , à T....... )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
:
GALATÉE , Roman Pastoral , imité de
Cervantes , par M. de Florian , Capitaine
de Dragons , & Gentilhomme de S. A. S.
Mgr. le Duc de Penthièvre , avec cette
épigraphe :
On peut donner du luſtre à leurs inventions ;
On le peut, je l'eſſaie; un plus ſavant le faffe.
:
LA FONTAINE
יי
A Paris, de l'Imprimerie de Didot l'aîné,
rue Pavée , 1783 .
UNE des choſes qui importe le plus au
progrès de la raiſon , du goût & des talens ,
c'eſt de pouvoir comparer les différentes productions
des Arts chez toutes les Nations.
C'eſt par là que chaque Écrivain peut agran ,
1
Gi
152
MERCURE
dir ou épurer ſa manière , s'approprier de
nouvelles beautés , & ſouvent les tirer des
défauts même que lui ont offert des ouvrages
brutes& originaux. Il eſt done très- précieux
aux hommes de talent d'aller puiſer dans le
tréſor des langues étrangères. On fait tout ce
que Corneille a dû au Théâtre Eſpagnol ; &
l'on peut concevoir tout ce que le génie bar
bare de Shakespeare auroit pu lui inſpirer
par toutes les beautés que Voltaire lui a empruntées.
Il n'eſt pas moins utile au Public
de connoître les Ouvrages étrangers. Son
goût en devient moins exclufif, il fort davantage
de ces petites règles que lui ont ſouvent
impoſées la pédanterie & les routines , pour
ſaiſir les règles éternelles du beau&du grand.
Si le ſyſtême monstrueux & hardi du Théâtre
Anglois avoit été plus connu de la Nation
Françoiſe , lorſque Voltaire a commencé à
en tranſporter dans ſes Tragédies quelques
grands effets , ils euſſent moins excité de clameurs
parmi les prétendus gens de goût , &
Voltaire eût plus ofé. Malheureuſement le
ſervice de nous faire connoître les Littératures
étrangères nous a preſque toujours été
rendu par des hommes très médiocres . Tous
ceux qui ſe ſentoient incapables de rien produire
par eux-mêmes , ſe ſont voués à la
traduction , tandis qu'eux-feuls auroient dû
s'en exclure. Un Traducteur ne ſe montre
digue de la fonction qu'il remplit, qu'autant
qu'il ſe montre fait pour rivaliſer au moins
avec le ſtyle de fon original. Mais comment
DE FRANCE. 153
:
impoſer aux hommes ſupérieurs ce travail
qui doit moins piquer leur genie , & qui
leur offre une moindre gloire ? Si vous traduisez
toujours , on ne vous traduirajamais ,
difoitMontesquieu. Sans doute. Aufli l'on ne
vous propoſe pas de laiſſer la l'Eſprit des
Loix pour vous mettre à traduire Tacite ou
Gravina. Mais eût il été indigne de vous de
choitir dans les langues anciennes ou étrangères
, l'Ouvrage ou les morceaux qui plaifoient
le plus à votre goût , qui avoient le
plus d'analogie avec votre talent ? Il ſemble
qu'on devroit cette marque de reconnoifſance
à une langue nouvelle dont on vient
de s'enrichir , d'exercer ſon talent ſur quelques-
unes de ſes plus belles productions ,
en les faiſant connoître à ſa patrie. Si cette
règle eût éré ſuivie , nous aurions aujourd'hui
de belles copies des plus beaux originaux
anciens ou étrangers.
M. le Chevalier de Florian , qui , tout
jeune encore , a déjà obtenu une réputation
flatteuſe par pluſieurs Comédies qui ont un
caractère particulier , & par un affez grand
nombre de Pièces fugitives charmantes , n'a
pas cru faire de ſon talent un emploi inutile
à ſa gloire , en le portant ſur un Ouvrage
étranger. Il pouvoit d'autant moins ſe tromper
dans cette idee, que l'Ouvrage qu'il a
traduit convient particulièrement au genre
de talent qu'il a le plus montré , & on lui
a une plus grande obligation pour l'avoir
G
154
MERCURE
4
choiſi dans une langue fort négligée mainte
nant dans toute l'Europe.
Toutes les Nations ont chanté la vie paftorale;
les Eſpagnols ont pluſieurs Ouvrages
de ce genre , & leur Écrivain le plus connu ,
l'Auteur de Don- Quichotte , s'y eft exercé.
Il a fait une eſpèce de Roman paftoral intitulé
Galatée, c'eſt ce Roman paſtoral que
M. de Florian a imité plutôt que traduit.
M. de Florian a mis à la tête de ſon Ouvrage
une Vie de Michel Cervantes , trop intéreſſante,
par les faits & le ſtyle , & trop
glorieuſe aux Gens de Lettres pour ne pas
sen offrirpluſieurs citations. Peu de Gens de
-Lettres ont eu une vie plus malheureuſe &
plus traverſée que Michel Cervantes . Né
Gentilhomme & Poëte, il fut obligé , pour
vivre , de ſe faire Laquais & Soldat , & il
fut fait eſclave par les Algériens. L'hiſtoire
de ſes malheurs , dans cette époque de ſa
vie , eſt pleine de courage & de grandeur.
! " La fortune , qui épuiſoit ſes rigueurs fur
le malheureux Cervantes , ne put laffer fon
>> courage. Efclave d'un maître cruel , sûr de
>>> mourir dans les tourmens s'il oſoit faire la
moindre tentative pour ſe remettre en li-
>> berté, il concerta ſa fuite avec quatorze
->> captifs Eſpagnols. On convint de rache-
>> ter un d'entre eux qui retourneroit dans
*>> ſa patrie, & reviendroit avec une barque
i» enlever, les autres pendant la nuit. L'exé-
>>> cution de ce projet n'étoit pas facile; il fal-
>> loit d'abord amaffer la rançon d'un priDE
FRANCE.
155
ود
ود
ſonnier , enfuitę s'échapper tous de chez
leurs différens maîtres , & pouvoir reſter
>> affemblés , fans être decouverts , juſqu'au
>> momentoùla barque viendroit les prendre .
ود
ود
>> Tant de difficultés paroiffoient infurmontables
: l'amour de la liberté vint à
bout de tout. Un captif Navarrois , em-
>> ployé par ſon maître à cultiver un grand
>>jardin fur le bord de la mer, ſe chargea
>> d'y creuſer , dans l'endroit le plus caché,
>> un fouterrain capable de contenir les
>>quinze Eſpagnols, Le Navarrois mit deux
ود
ود
ود
ود
ans à cet ouvrage. Pendant ce temps , on
gagna , foit par des aumônes, ſoit à force
de travail , la rançon d'un Maïorquin ,
>> nommé Viane , dont on étoit sûr , & qui
connoiffoit parfaitement toute la côte de
Barbarie. L'argent pret , & le fouterrain
achevé , il fallut encore fix mois pour que
tout le monde pût s'y rendre : alors Viane
>> ſe racheta, & partit , après avoir jure de
revenir dans peu de temps.
ود
ود
1
1
44
Cervantes avoit été l'âme de l'entrepriſe;
ce fut lui qui s'expoſa toutes les
>> nuits pour aller chercher des vivres à les
>> compagnons . Des que le jour patoiffoit ,
>> il rentroît dansle fouterrain avec la provifion
de la journée . Le Jardibier , qui
>> n'étoit pas obligé de ſe cacher ,
ود
३
avoitfars
ceffe les yeux fur la mer pour découvrir fi
la bar que ne venoit point.
ود
ود
ود
11
{ Viane tint parole, Arrivé à Maïorque ,
> il va trouver le Vice-Roi, lui expole fa ود
Gvj
115 MERCURE
- commiſſion , & lui demande de l'aider
" dans ſon entrepriſe. Le Vice-Roi lui donne
>> un brigantin: Viane , le coeur rempli d'ef-
>> poir , vole à la délivrance de ſes frères.
ود
>> Il arriva fur la côte d'Alger le 28 Septembre
de cette même année 1577 , un
>> mois après en être parti. Viane avoit bien
» obſervé les lieux; il les reconnut , quoi-
>> qu'il fit nuit; il dirige fon petit bâtiment
>>> vers le jardin où on l'attendoit avec tant
>> d'impatience. Le Jardinier , qui étoit en
>> ſentinelle, l'apperçoit , & court avertir les
>> treize Eſpagnols. Tous leurs maux font
>> oubliés à cette heureuſe nouvelle ; ils s'em-
>>braffent; ils ſe preffent de ſortir du ſou-
>> terrain ; ils regardent avec des larmes de
>> joie la barque du libérateur. Mais , hélas !
>> comme la proue touchoit la terre , plu-
>> ſieurs Maures paffent, & reconnoiſſent les
>> Chrétiens ; ils crient aux armes. Viane
> tremblant reprend le large , gagne la haute
» mer , diſparoît;& les malheureux caprifs ,
>> retombés dans les fers , vont pleurer au
>> fondde leur fouterrain.
>>Cervantes les ranima : il leur fit eſpérer,
» il ſe flatta lui-même que Viane revien-
>> droit; mais on ne vit plus reparoître Viane.
Le chagrin & l'humidité de leur demeure
>> étroite&mal faine , causèrent d'affreuſes
maladies à pluſieurs de ces malheureux.
>>Cervantes ne pouvoit plus ſuffire à nourrir
> les uns, à foigner les autres , à les encou-
رد
rager tous.
DE FRANCE.
157
"
ود
>>Il ſe fit aider par un de ſes compagnons ,
& le chargea d'aller chercher des vivres à
fa place. Celui qu'il choiſit etoit un traitre ;
il va trouver le Roi d'Alger, ſe fait Mufulman
, & conduit lui-même au fouterrain
>> une troupe de Soldats , qui enchaînent
les treize Eſpagnols.
ود
>>Traînés devant le Roi , ce Prince leur
... promit la vie s'ils vouloient déclarer quel
étoit l'auteur de l'entrepriſe. C'est moi
lui dit Cervantes; ſauve mes frères , &
>> fais moi mourir. Le Roi reſpecta ſon in-
> trépidité. »
: Peu de temps après , la famille de Cervantes
parvint à ratſembler la ſomme nécefſaire
pour ſa rançon.
De retour enEſpagne , il ſe donna tout
entier aux Lettres ,& fut toujours perſécuté
par la fortune & l'envie. Il eut cependant
des protecteurs généreux , puiſqu'ils excitèrent
en lui une vive reconnoiffance. On ne
peut rien lire de plus noble & de plus touchant
que cette Lettre qu'il écrivit au Comte
de Lemos ſur ſon lit de mort , & quatre
jours avant d'expirer.
A Don Pedro Fernandès de Castro ,
Comte de Lemos , &c.
« Nous avons une vieille Romance Eſpa-
>> gnole qui ne me va que trop bien ; celle
» qui commence par ces mots :
La mort me preſſe de partir ,
Etje veux pourtant vous écrire ,&a
158 MERCURE
>>Voilà précisément l'état où je ſuis. Ils
>> m'ont donné hier l'extrême - onction ; jе
me meurs , & je ſuis bien fâché de ne
>> pouvoir pas vous dire combien votre ar-
>> rivée en Eſpagne me cauſe de plaiſir. La
>>joie que j'en ai auroit dû me ſauver la vie ;
ود mais la volonté de Dieu ſoit faite! Votre
>>Excellence ſaura du moins que ma recon-
>> noiffance a duré autant que mes jours.
ود J'ai bien du regret de ne pouvoir pas finir
» certains Ouvrages que je vous deſtinois,
>> comme les Semaines du Jardin , le Grand
» Bernard , & les derniers Livres de Galatée,
*>> pour laquelle je fais que vous avez de
>> l'amitié; mais il faudroit pour cela un mi- -
20 racle duTout-puiflant,&jennee luidemande
>> que d'avoir foin de Votre Excellence. >>
AMadrid , ce 19 Avril 1616 .
1.MICHEL CERVANTES.
Ala ſuite de la Vie de Cervantes , on lit
dans l'Ouvrage deM. le Chevalier de Florian
un morceau plein de goût dans les idées
&dans le ſtyle, ſur les Ouvrages de cet
Ecrivain. Je me contenterai de rapporter ce
qu'il dit fur le Roman de Galatée.
" Il me reſte à parler de Galatée, qui fut
>> fon premier Ouvrage. Dans le temps qu'il
- l'écrivit , l'Eſpagne étoit la Nation du
monde la plus galante : l'Amour faifoit
Tunique ocupation des Eſpagnols , le
fujet de tous leurs Livres. Montemayor ,
célèbre Poëtes, venoit de donner un Ro-
>>man deDiane, que l'on a traduit en Fran
ود
ود
DE FRANCE .
159
» çois . Cet Ouvrage eut un grand fuccès ,
*>> & le méritoit à quelques égards : un ftyle
>> pur , beaucoup d'eſprit , de la douceur ,
ود
du ſentiment , une poéſie ſouvent enchan-
" tereffe , & la naïveté touchante qui règne
fur- tour dans la Nouvelle du Maure Abin-
-> darraès , rachettent aux yeux des connoiſ.
feurs le fonds d'invraiſemblance , les hiftoires
de magie , & le manque d'action
que l'on reproche à la Diane de Mon-
>> temayor.
ود
:
4
» Cervantes , qui connoiſſoit tous ces dé-
>> fauts , comme on peut le voir dans l'exa-
» men de la Bibliothèque de Don Quichotte ,
>> en évita quelques- uns dans Galatéc , mais
>> ne lési évita pas tous. Ses aventures ſont
-> plus naturelles, ſes perſonnages plus in-
>> tereffans; mais ſon ſtyle , & fur tout fes
>> vers,le mettent au deffous deMontemayor.
-> Gâté par le malheureux goût de ſcholaſtique
qui régnoit alors , Cervantes fait
diffefter fes Bergers comme s'ils étoient
>> fur les bancs. Ils prononcent de longs.
traités pour ou contre l'Amour ; ilsy citent
>>Minos , Ixion,Marc-Antoine , Rodrigue ,
tous les Héros de la Fable& de l'histoire.
ود
ود Si Tircis veut conſoler ſon ami de ce qu'il
* nepeut rien'obtenir de fa Bergère , il lui
parle ainfi: On ditpar tout que Galatée est
encare plus belle qu'elle n'est crustle ; mais
>> on ajoute quefur toutes choses elte eftfpiri-
>> tuelle. Or , fi'c'est la vérité, comme cela
doit l'être , il s'enfuit de fon esprit qu'elle
160 MERCURE
>> doit se connoître elle- même; de cette con-
» noiffance , qu'elle doit s'estimer; de cette
» eſtime , qu'elle ne veut pas ſe perdre ; & de
» cette volonté , qu'elle ne veut pas céder à
» tes defirs.
>>Dans un autre endroit , un amant éloi-
» gné de ſa maîtreſſe dit en vers : Quoique
* je paroiſſe voir, entendre &fentir,je ne
ſuis qu'un fantômeformé par l'Amour &
>>foutenu par l'Espérance.
>>Dans tout l'Ouvrage , le ſoleil n'éclaire
le monde qu'avec la lumière qu'il reçoit
>> des yeux de Galatée.
>>En voilà bien affez pour donner une idee
du mauvais goût qui régnoit alors , &
>> auquel Cervantes lui-même n'a pas échap-
» pé. Mais au milieu de toutes ces folies ,
on trouve des idées charmantes , des ſen-
> timens vrais, bien exprimés , des ſituations
attachantes , les mouvemens & les com-
> bars du coeur. Voilà ce qui m'a fait choiſir
>> la Galasée de Cervantes , pour en donner
>> une imitation. Juſqu'à préſent ,perſonne
>> ne l'a traduite; & ce Roman eſt abſolu-
> ment inconnu aux François.
>>Comme il est très- poſſible que mon
>> travail ne réuſſiſſe point ,je dois , pour la
>> gloire de Cervantes , convenir ici de tous
>> les changemens que j'ai faits à ſon Ouvrage.
Galatée , dans l'original , a fix
>> Livres , & n'eſt point achevée : j'ai réduit
>> ces fix Livres à trois ,& je l'ai finie dans
» un quatrième. Preſque nulle part je n'ai
DE FRANCE. 161
* traduit; les vers ſur tout ne reſſemblent
>> à l'Eſpagnol que dans les endroits cités. Je
ود n'ai pris que le fonds des aventures , j'y ai
>>même changé des circonstances quand je
l'ai cru néceſſaire; j'ai ajouté des Scènes
> entières , comme le troc des houlettes
> dans le premier Livre ; la fête champêtre
•& l'hiſtoire des tourterelles dans le ſe-
>> cond; les adieux au chien d'Élicio dans
>> le troiſième ; le quatrième en entier eft
>> demon invention.
»On me reprochera ſans doute le trop
>> grand nombre d'épiſodes & le peu d'évé-
> nemens qui arrivent à Galatée : dans Cer-
>> vantes , il y a deux fois plus d'épiſodes ,
»&Galatée paroît beaucoup moins. Mon
>> temayor a fait la même faute dans ſa
>> Diane, qui n'eſt proprement qu'en Re-
>>>cueil d'Hiftoires différentes. Tel étoit le
>> goût du ſiècle , tels ont été nos grands Ro-
- mans François , ſi long- temps à la mode ,
>> & dont les Auteurs avoient pris les Eſpagnols
pour modèles. Quant aux batailles ,
رد aux duels , qu'on fera peut-être étonnéde
→ trouver dans un Ouvrage paftoral , c'eſt
>> un tribut queCervantes payoitàſa Nation .
>> Je ne connois point de Roman , point de
>> Comédie Eſpagnole fans combats. Ce
> peuple , un des plus vaillans de l'Europe ,
ود &fans contredit le plus paffionné , a be-
>> ſoin , pour qu'un Livre l'amuſe , d'y trou-
>> ver des récits de guerre & d'amour. D'ail-
> leurs on doit pardonner à Cervantes , qui
162 MERCURE
:
>> avoit eu lui même des aventures extraordinaires
, d'avoir imaginé qu'elles ſeroient
>> vraiſemblables dans un Roman. ”
L'analyſe d'un Ouvrage comme celui ci
feroit un morceau bien froid; il ne vit que
par le charme des détails. Toutes les critiques
que l'on en pourroit faire reviendroient
à celles que M. de Florian en a fait lui même
dans le morceau qu'on vient de lire ; & pour
le bien louer , il ſuffit de beaucoup citer.
J'obſerverai ſeulement que le ſtyle de cet
Ouvrage , qui en eſt peut être le principal
mérite , eft toujours plein de grâces & de
fimplicité , & qu'il n'offre pas la moindre
trace d'affectation ni de mauvais goût ; &
l'on reconnoît ſouvent que les meilleurs
morceaux conviennent trop au talent particulier
du Traducteur pour ne pas lui appartenir.
Parmi toutes les ſcènes gracieuſes qu'offre
la vie des Bergers , je ne fais s'il en eſt de
plus agréables que celle qui ouvre l'action
de ce Roman .
ود
" Les deux rivaux , devenus amis , alloient
accorder leurs muſettes , quand Galatée ,
>> avec ſon troupeau , parut ſur la colline.
Un fimple corſet , un jupon d'étoffe com-
> mune compoſoient toute ſa parure; fa
taille ſeule rendoit cet habit charmant :
fes longs cheveux blonds flottoient fur
ſes épaules ; un chapeau de paille garan-
>> tilfoit fon viſage de l'ardeur du ſoleil. Sim-
ود
ود
DEFRANCE. 16.3
>> ple comme la fleur des champs , elle étoit
>> belle , & ne le ſavoit pasa
ود Élicio s'avance pour lui parler ; mais
>> les chiens de Galatée , qui ne laiffoient
>> approcher perſonne du troupeau , courent
>> en grondant ſur le Berger. A peine l'ont-
>> ils reconnu que , honteux de leur mé
"
priſe , ils baiſſent le cou , le flattent de
>> leurs queues , & vont cacher leurs têtes
ſous fes mains careffantes. Le bélier conducteur
, qu'Élicio avoit ſouvent nourri
>> de ſon pain , l'apperçoit , & vient à lui ,
la tête haute, en agitantfa fonnette ; toutes
ود
" les brebis le ſuivent. Élicio leur ouvre fa
>> panetière , il diftribue aux chiens & au
>> troupeau tout ce qu'elle contenoit; des
ود larmes de joie coulent de ſes yeux ; & la
Bergère , embarraffée de voir ſes moutons
reconnoître ſi bien ſon amant , fe
hâte d'arriver au bélier, le frappe de ſa
shoulette , en rougiffant , & le force de
s'éloigner d'Élicio.
ود
>>>Le Berger lui reproche ce mouvement
de colère : pourquoi , dit il , punir vos
>> brebis,quand c'est moi que vous voulez
> punir ? » T
Voici une autre Scène: Pastorale non
*moins agréable.
" Le foleil s'étoit couché , & les trois Ber-
* gères raffemblèrent le troupeau pour le
> ramener au village. Elles n'étoient pas en
>>core à la moitié du chemin , quand Ga-
ود latée s'apperçut qu'elle avoit oublié fa
-
164 MERCURE
>> houlette : elle pria Floriſe & l'étrangère
>> de veiller à ſes brebis , & retourna ſeule
>> pour la chercher. Elle découvrit bientôt
→ à travers les arbres un vieux Berger ,
nommé Lenio , affis à la place qu'elle avoit
> occupée : il tenoit dans ſes mains la hou-
> lette qu'elle venoit reprendre.
ود >>Dans le même intant Élicio , qui re-
>> tournoit à ſa cabane avec ſon petit trou-
>>peau de chèvres , vint à paſſer ; & recon-
>> noiffant la houlette de Galatée, il s'arrête
> en regardant Lenio d'un air étonné. Ga-
>> latée , attentive an mouvement d'Élicio ,
>> ſe cache derrière un buiffon pour écouter
>> ce qu'il alloit dire.
ود
" De qui tiens-tu cette houlette? demande
Élicio d'une voix animée. Je viens de la
trouver ici , lui répond le vieux Berger ,
» & je la deftine à Béliſe , qui ne refuſera
pas un fi beau préſent.-Je ſouhaite que
*tu puiſſes attendrir Béliſe par le don de
>> cette houlette; mais la mienne eft encore
>> plus belle : regarde comme l'écorce,adroi-
>> tement enlevée ſemble former tout au tour
» une branche de lierre. Que veux- ra , que
>> je te donne pour la changer contre celle
>> que tu tiens ?-Je veux la plus belle de
>> tes chèvres. Ah! j'y conſens ; je n'en
>> ai que fix , les voilà; tu peux choiſir . Le
» vieux Lenio n'eut pas de peine à fe déci-
ود
-
der : des fix chèvres d'Élicio , une ſeule
>> étoit près de mettre bas; ce fut celle là
» qu'il choiſir. Élicio tranſporté lui donna
DEFRANCE.
165
la chèvre , changea de houlette , & l'em-
>> braſſa de tout ſon coeur. Les deux Ber-
>> gers , également ſatisfaits, ſe ſéparèrent ;
» & Galatée, toute penſive , rejoignit Flo
>> riſe&Téolinde , qui lui demandèrent des
>> nouvelles de ſa houlette. Quelqu'un l'a
>> priſe , répondit la Bergère ; mais je n'y ai
» pas de regret. "
De tous les épiſodes qui compoſent cer
Ouvrage , aucun nem'a paru aufli bien approprié
au ſujet &auffi heureuſement traité
que celui de Teolinde. Le ſtyle & les aventures
joignent à une aimable ſimplicité une
doucemélancolie.On lira sûrement avec un
grand plaiſir un morceau un peu étendu de
cet épiſode. C'eſt une Bergère qui raconte à
d'autres Bergères fon malheur & celui de
fonamanr.
" J'étois certaine d'être aimée,& je n'a-
» vois pu cacher à mon amant que mon
» coeur étoit à lui. Nous étions convenus
» qu'il retourneroit à ſon village , comme
>> il l'avoit annoncé , & que peu de jours
>> après il enverroit un ami de ſa famille me
ود demander à mon père. Nous étions sûrs
→ rous deux que nos parens conſentiroient
>> à ce mariage : tout ſembloit d'accord avec
>> nos projets; quand , deux jours avant le
›› départ d'Artidore, mon malheur fit re-
>> venir ma foeur jumelle d'un village voifin
où elle étoit allée voir une de mes tantes.
>> Cette foeur, par une fatalité bien rare ,
>> eft mon portrait vivant. Son viſage , ſa
t
166 MERCURE
32
"
taille, ſa voix , tout eſt ſi ſemblable entre
>> nous deux , que nos parens nous donnoient
des habits differens pour nous reconnoître.
Mais nos caractères, font bien
loin de cette reffemblance; & fi nos coeurs
> avoient été jumeaux , je ne verferois pas
tantde larmes.
ود
"
ود Dès le lendemain de fon retour , ma
" foeur fit fortir le troupeau , & le conduifit
au pâturage avant que je fuffe éveillée. Je
>>>voulus aller la rejoindre ; mais mon père
me retint toute la journée : il fallut re-
>> noncer à l'eſpérance de voir Artidore. Le
>> ſoir ma ſoeur revint , & me dit avec myf.
>> tère qu'elle avoit à me parler de quelque
در choſed'important. Le coeur me battit ;je
devinai mon malheur . J'allai n'enfermer
» avec elle : jugez de ce que je devins en
> entendant ces paroles.
» Ce matin , una ſoeur , je conduifois le
>>troupeau ſur les rives de l'Hénarès , lorf-
» que j'ai vu venir à moi un jeune Berger
» qui m'eſt inconnu : il m'a faluée , & m'a
ود
pris la main avec une familiarité qui m'a
>>ſurpriſe & offenſée. Mon filence , & l'altération
qu'il a dû remarquer fur mon
>> viſage , n'ont pas été capables d'arrêter
fes tranſports. Eh quoi ! ma belle Téolinde
,m'a-t'il dit ne reconnoiffez- vous
38
99
>> pas celui qui vous aime plus que lui-même ?
ود J'ai bien vû, ma foeur , que j'étois priſe
» pour vous ; mais comme votre répu-
>> tation m'eſt chère , & qu'un Berger aufli
DE FRANCE. 167
"
ود
hardi pourroit lui faire grand tort , j'ai
voulu vous débaraſſer pour jamais de cet
>> importun. Je me ſuis gardée de lui dire
» qu'il ſe trompoit; &, prenant le ton que
رد Téolinde auroit dû toujours avoir , j'ai ré-
>> pondu à ſes diſcours avec une fierté , avec
>> un dédain qui l'ont fort étonné ; ce qui
>> ne vous juſtifie pas trop , ma ſoeur. Mais ,
heureuſement pour vous, mes paroles lui ود
ود ont fait impreſſion ; il m'a quittée en me
>> nommant perfide , ingrate ; & je crois
» pouvoir vous répondre que vous ne le
>> reverrez plus .
ود
ود
ود
ود
ود
ود
ود
ود
>>Vous comprenez , aimables Bergères ,
>> combien je ſouffrois pendant ce récit.
J'aurois donné la moitié de ma vie pour
être au lendemain , pour aller à l'inftant
même détromper mon malheureux amant.
Ah ! que la nuit me parut longue ! les
étoiles brilloient encore , que j'étois déjà
dans les champs. Jamais mes pauvres
brebis n'avoient marché ſi vite. J'arrive à
l'endroit où j'avois coutume de trouver
Artidore, je le cherche , je l'appelle , je
parcours le rivage , le bois , la campagne ;
>> je ne trouve point Artidore. Reviens ,
m'écriai - je ; reviens , mon bien aimé:
>> voici la véritable Téolinde , celle qui ne
وو
"
ود
ود vit que pour t'aimer. L'échos répète mes
>> paroles; & Artidorene vientpoint. Enfin,
laffée de tant de recherches je vais m'alfeoir
au pied d'un ſaule , & j'attends que
>> le jour foit plus grand pour parcourir de
ود
168 MERCURE
- nouveau tous les lieux que j'avois pár-
" courus.
ود
>> A peine l'aube du matin laiſſoit diftin-
» guer les objets , que j'apperçois des caractères
tracés ſur l'écorce d'un peuplier
blanc. Je regarde , je reconnois la main
d'Artidore , & je ne fais comment je pus
lire ſans mourir les vers que voici :
"
ود
ود
• O vous , dont l'inconſtance égale la beauté,
>> Vous qui comptez pour rien vos ſermens&ma vie,
>> Vous ordonnez qu'elle me ſoit ravie :
>> Elle eſt à vous , comme ma liberté.
>>>J'obéirai , cruelle , à votre ordre terrible ;
* Vous ne me verrez plus; mais , àmondernier jour,
>> Je veux parler de mon amour;
» Oui , je veux répéter à votre âme inſenſible
>> Le ſerment que je fis , hélas ! pour mon malheur :
>> En l'écrivant ſur l'écorce flexible ,
> Il reſtera gravé mieux que dans votre coeur.
30 Adieu; juſqu'au tombeau le mienvous a chérie;
>> Pour' ne plus vous le dire , ita fallu mourir,
"و
>> Si mon trépas vous arrache un ſoupir ,
>> Ma mort ſera plus douce que ma vie.
« Je lûs deux fois ſans pleurer ces triſtes
>> adieux : je voulus les relire encore ; mais
les larmes m'en empêchèrent ; & fi ces
larmes n'étoient venues , je ſerois morte
ſur le champ. La douleur m'ôta dès ce
moment le peu de raiſon que l'amour
"
"
>> m'avoit laiſſe .
4 :
Il
DEFRANCE. 169
Il me ſemble qu'il y a dans ces vers une
douceur , une grâce , une mélancolie qui
yont au coeur.
M. de Florian excelle dans ce ton fimple
& naïf. Je citerai en preuve de cet éloge la
Romance de Nelzir , qui me paroît un des
chef-d'oeuvrés de ce genre.
Le beau Nelzir aimoit Sémire ,
Sémire aimoit le beau Nelzir :
Se voir , s'aimer & ſe le dire ,
Étoit leur vie& leur plaifir .
Le bonheur tient à peu de choſe ,
Un rien le fait évanouir :
Hélas! d'une feuille de roſe
Dépendoit le ſort de Nelzir.
TANT que fur ſa tige fleurie
La feuille fatale tiendra ,
Nelzir doit conſerver la vie ;
Si la feuille tombe , il mourra.
Sémire , toujours attentive ,
Ses beaux yeux fixés ſur la fleur ,
D'une main timide cultive
Le rofier qui fait ſon bonheur.
Un jour ſur ſa bouche mi-cloſe ,
Nelzir imprime un doux baiſer :
Séanire veut le rendre & n'oſe ;
En vain l'Amour lui dit d'ofer.
C'eſt à la fleur à peine écloſe
Nº. 21 , 22 Mai 1784.
1
H
170 MERCURE
Qu'elle rend ce baifer charmant.
Mais ſa bouche effeuille la roſe ,
Sémire a tué ſon amant.
NELZIR tombe aux pieds de Sémire ,
Sans ſentiment & fans couleur :
Il preſſe ſa main , il expire ;
L'Amour quitte à regret ſon coeur.
Sémire , interdire & tremblante ,
Sur ſes lèvres cherche la mort ,
Et preſſant ſa bouche expirante,
Par un baifer finit ſon ſort .
Je ne finirois pas ſi je voulois citer tous les
morceaux fur lesquels on s'arrête avec un
intérêt particulier. Mais je ne puis me refufer
au plaifir de tranſcrire encore le début
du ſecond Livre , qui n'a d'autre défaut que
d'être trop court.
ود
"Quand pourrai- je vivre au village ! quand
>>ſerai-je le poſſeſſeur d'une petite maiſon
entouréede cerifiers ! Tout auprès ſeroient
>> un jardin , un verger , une prairie , &des
ruches : un ruiſſeau bordé de noifetiers
environneroit mon empire ; & mes defirs
» ne paſſeroient jamais ce ruiſſeau. Là , je
coulerois des jours heureux; le travail ,
ود
ود
ود
وم la promenade , la lecture , occuperoient
>> tous mes momens. J'aurois de quoi vivre ;
- j'aurois encore de quoi donner ; car fans
ود cela point de richeſſe; c'eſt n'avoir rien
>> que de n'avoir que pour ſoi. Si je pou
DE FRANCE.
171
> vois jouir de tous ces biens avec une
>>> épouſe ſage & douce , & voir nos enfans ,
>> jouant ſur le gazon , ſe diſputer à qui
>> courra le mieux pour venir embraſſer leur
» mère , je croirois devoir exciter l'envie de
> tous les Rois de l'Univers .
Ce petit Ouvrage ne laiſſe d'autre regret
que celui de ne pas voir un ſujet plus heureux
entre les mains du Traducteur; il eſt
aiſé de diftinguer que les parties de l'Ouvrage
dont on eſt le moins content , font
celles où il a fait peu de changemens. Au
refte , il a toujours rendu ſervice à notre
Littérature en l'enrichiſſant de l'Ouvrage d'un
étranger qui a eu du génie ; & le goût & la
grâce que l'on retrouve par tout dans cette
imitation , rendent ce petit Roman digne
des preſſes élégantes de M. Didot , qui devroient
être réſervées excluſivement pour
les bons Ouvrages.
( CetArticle est de M. de L. C. )
Hij
172 MERCURE
GÉOMÉTRIE Nouvelle , établie fur des
principes inconnus à tous les Géomètres ;
par Meffire Simon Couder , Prêtre de la
Ville de Saint Ambroise , Diocèſe d'Uzès ,
ancien Curé de la Paroiffe de Saint Jean-
Baptiſte de Vic le Feſq , même Diocèſe ,
Directeur des Dames Religieuſes de Saint-
Mandé , Banlieue de Paris. Brochure de
2 pages. A Avignon , chez Niel ; & fe
trouve à Paris , chez Onfroy , Libraire ,
Quai des Auguſtins .
CINQ règles ſimples , dont la première eſt
le fondement des quatres autres , font les
ſeules fources d'où découlent tous les effets
naturels & fans exemples contenus dans
cette Brochure. Ces règles font priſes dans
le fond même des lignes & furfaces , & par
conféquent naturelles. Leur petit nombre
ſuffit pour toutes les opérations à faire dans
la Géométrie , même celles que les Algébriſtes
prétendent avoir démontrées impoffibles
, telles que l'analyſe des arcs & circonférences
en leurs vraies & naturelles parties
élémentaires , leurs rapports exacts & abfolus
avec leurs rayons & lignes droites , ſur
quoi l'on y donne bon nombre d'exemples ;
moyennant ces règles , on ſe paſſe de calculs
algébriques , de tables de ſinus & de logarithmes
, de formules , de ſignes radicaux ,
d'inconnues , & généralement de tous les
fignes vagues qui laiſſent ignorer la préciſion
DE FRANCE. 173
& la vérité des réſultats des calculs , ou
plutôt qui ne fervent qu'à couvrir leurs
fauffetés.
Quoique dans cet eſſai on ne donne que
la règle de calcul des lignes par leurs parties
élémentaires , & un ſeul principe pour exprimer
la valeur des élémens des ſurfaces ,
cela ſuffit pour démontrer , dans des règles
de proportions , la vérité du nombre des
parties élémentaires , attribuées aux droites
& courbes , de même qu'aux ſurfaces , &
cela dans toute l'exactitude géométrique .
On peut , avec ce ſeul éclairciſſement ,
parvenir , par la méditation , à la découverte
des quatres autres règles que l'Auteur
ne fait qu'annoncer , n'ayant eu deſſein que
de donner des effets ſenſibles de ces règles,
effets qu'il ſera toujours impoſſible aux
Géomètres de produire avec leurs principes
de convention.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Les repréſentations des Danaides continuent
d'attirer beaucoup de monde ; mais il
feroit difficile de déterminer l'opinion du
Public fur le degré de mérite de la muſique.
Nous nous contenterons d'expoſer la nôtre
d'après les impreſſions que nous avons re
Hij
174 MERCURE
çues , & nous la ſoumettons au jugement des
perſonnes éclairées & impartiales.
L'ouverture nous a paru d'une belle intention.
Le début en eſt noble & grave. Il
eſt ſuivi d'un morceau d'un mouvement vif
& d'un chant gai , qui donne une idée de
fêtes ; ce morceau eſt coupé par d'autres
traits dont les expreſſions fortes & les accens
pathétiques ramènent à des idées ſom-,
bres & tragiques; ces différens caractères
ſont contraſtés & fondus avec art , & foutenus
par un bel effet d'orcheſtre ; peut- être
que le premier morceau grave n'eſt pas affez
développé , & que l'impreſſion en eſt troptôt
effacée par le mouvement gai qui y fuc
cède , & qui nous paroît dominer un peu
trop dans le morceau. En total on y reconnoît
le véritable eſprit de ce genre de compoſition
, dont M. Gluck a donné fur notre
Théâtre le premier modèle , dans la ſublime
ouverture d'Iphigénie en Aulile. Celle des
Danaïdes , fans pouvoir être comparée à
celte là , eſt fort au deſſus de ces ſymphonies
infignifiantes , qui ne peignent rien ,
n'annoncent rien; qui , jetées dans le moule
commun des fonates , ſont toutes compoſées
de trois ou quatre morceaux , de caractères
& de mouvemens différens , ſans unité
comme ſans intention,& que cependant d'habiles
Compoſiteurs appellent des ouvertures.
Le récitatif nous a paru en général bien
accentué , rapide , expreffif & vrai ; mais
DE FRANCE.
175
quelquefois un peu trop chantant , c'est-àdire
, marchant par de trop grands intervalles
, & fur tout par les intervalles conſonans.
Nousy trouvons aufli certaines finales
de phraſes qui reviennent ſouvent & qui
ſemblent appartenir à la marche du récitatif
Italien . Dans les endroits paſſionnés ,
les mouvemens & les nuances des pathons y
font exprimés par des modulations fortes &
fenfibles. Il est preſque toujours accompagné
, & toujours avec intention ; les traits
d'orcheſtre qui le coupent ou le renforcent ,
ont plus ou moins de développement &
d'expreſſion ſuivant que les paroles & la
fituation l'exigent. Le Compofiteur n'a eu
garde de s'aſſervir à cette diſtinction fi gratuite
du récitatif ſimple & du récitatif appelé
improprement obligé; l'un monotone
pour le chant & dénué d'harmonie , faiſant
la baſe de la Scène; l'autre coupé par des
phraſesd'accompagnement expreſſives , mais
qu'on réſervoit pour quelques monologues
paffionnés , & qui préparoient toujours un
air. M. Gluck a fait ſentir la puérilité de ces
procédés de la routine , érigés en règle dans
l'enfance de l'art , abandonnés aujourd'hui
par les Compoſiteurs même les plus attachés
à l'ancienne méthode. L'Auteur des
Danaïdes a mêlé enſemble , avec beaucoup
d'art & d'intelligence , le récitatif
ſimple & le récitatif prétendu obligé ;
il les a coupés quelquefois par des phrases
meſurées qui ne font pas des airs ; & il n'a
Hiv
176 MERCURE
confulté pour cela que le ſens des paroles ,
la fituation & le ſentiment des perſonnages .
Cet éloge n'eſt cependant pas fans exceptions
; & nous conviendrons qu'il y a pluſieurs
endroits du récitatif, même des plus
intéreſſans , où les accens ne nous paroifſent
pas heureuſement placés , & où la
déclamation n'eſt pas auſſi juſte que nous
l'aurions defiré. Nous ſommes fâchés que
les bornes de ce Journal nous forcent de
nous renfermer dans une critique ſi générale
, & ne nous permettent pas de citer des
exemples qui en expliquant notre penſée ,
mettroient nos Lecteurs à portée d'apprécier
la juſteſſe de cette obſervation .
Les airs nous paroiſſent avoir en général
les caractères & le mouvement qui conviennent
aux perſonnages qui chantent & aux
ſentimens qu'ils expriment. Le Compoſiteur
ya fu unir ladéclamation au chant fans alrérer
le développement de les motifs , ni
l'unité du tout. Il fait employer avec
goût ces répétitions , néceſſaires dans la
muſique , & qui fervent à donner de la
rondeur à l'air , mais qui , étant prodiguées ,
ne font que l'énerver en arrêtant le mouvement
de la Scène. Les accompagnemens.
concourent toujours à foutenir le caractère
général de l'air , & à en fortifier les expreſſions
particulières. Nous citerons pour exemple
les trois airs pathétiques d'Hypermneſtre :
Par les larmes dont votrefille, an fecond
Acte : Ne voyez vous pas que j'expire ,
V
DE FRANCE
177
au troiſième : Père barbare , arrache moi la
vie , au cinquièine. La première partie
fur- tout du premier de ces airs , eſt du chant
le plus fimple , avec la déclamation la plus
vraie; la repetition des mots mon père ! porte
l'accent le plus ſenſible dans le chant , fortifie
d'une manière admirable par le crefcendo
des inftrumens , qui ſemblent umr
leurs voix à celle d'Hypermnestre , pour
flechir le coeur de Danaüs. On pourroit
peut être citer ce même air comme un modèle
de l'etendue & de la juſte meſure que
comporte un air paffionné placé au milieu
d'une Scène intéreſſante. On n'a peut étre
jamais uni plus heureuſement l'accent de
la déclamation à la beauté du chant que dans
le troiſième air : Père barbare , & c . la richeffe
& la vérité de l'accompagnement
complettent le grand effet de ce morceau .
Lincée n'a que deux airs dans ſon rôle ; le
premier , Rends moi ton coeur la confiance ,
eſt d'un chant facile & fentible , mais d'un
effet peu marqué ; le ſecond , Des tourmens
de la jalousie , eſt d'un caractère plus Lenf,
&d'une expreffion plus animée, l'accompagnement
en eſt riche & intereffant , & il a
toujours produit un grand effet. Le premier
air de Danaüs : Jouiſſez du deftin propice,
nous paroît fait de main de maître ,
&pour la conception & pour l'execution.
Le ſujet de l'air eſt dans le goût antique , &
rappelle ces couplets d'Anacreon & de Ca-,
tulle , où l'idee de la mort eſt miſe à côté des
Hv
178 MERCURE
images de la volupté. Cette intention nous
paroît parfaitement remplie par le Compofiteur.
Le motifde l'air eſt d'un chant agréa
ble & facile , auquel vient s'unir d'une manière
adroite & naturelle l'expreffion fombre
de la ſeconde idée. L'accompagnement
eſt plein d'eſprit & de chaleur.
Les deux caractères ſi oppoſés font fondus
dans l'air avec un art & un bonheur qui
nous paroiffent mériter l'attention des gens
de goût ; mais nous convenons en mêmeremps
que cet air n'a jamais produit à la repréſentation
l'effet que nous aurions cru pouvoir
en attendre. Le ſecond air de Danaüs ,
au ſecond Acte , Je vous vois frémir de colère
, eſt un air de ſituation , dont l'effet eſt
preſque tout entier dans l'accompagnement.
Le chant n'a rien de remarquable ; mais le
mouvementde l'orcheftre, femblable en quelque
forte à celuid'une mer agitée,peint le trouble&
le ſentiment féroce qui agite en ce moment
l'âme des Danaïdes autour de Danaüs,
&il s'exprime avec une progreſſion de force
& de chaleur dont l'effet eſt bien frappant.
On a defiré qu'il y eût dans cet Opéra un
plus grand nombre d'airs ; & ſur tour , commenousl'avonsditprécédemment
, de ces airs
d'une mélodie douce & regulière qui repoſe
l'âmedes énotions trop fortes ,& qui laiſſent
dansl'oreilledes impreffions qu'on aimeàconferver.
Nous croyonsce reproche fondé; nous
croyons de plus qu'on pourroit reprocher
au Compoliteur des morceaux d'un chant
DE FRANCE.
179
auſſi commun que l'air de Danaus au troiſième
Acte : Aux Dieux qui fuivent l'hymenée.
Nous trouvons aufli dans quelques
airs d Hypermneſtre que le chant en eſt,
vague & decoufu & que a melodie
y eft gratatement facrifice a lexpreffion
declamatoire , ce qu'il ne faut faire qu'avec
fooriere , & lorſqu'il en retuite un grand
effet pour la Scène. En admirantla richtiſe
des accompagnemens de la plupart des airs,
nous ajourerons que cette fichetſe va quelquefois
juſqu'au luxe , & qu'en multipliant
les parties intereſſantes de l'orcheſte, l'orenle
eſt ſouvent diſtnite du chant , ce qui nous
a paru nuire à l'effet des plus beaux airs.
Nous croyons auſſi que le Compofiteur
fait un trop fréquent uſage des inftrumens
à vent , l'effet en eſt très piquant lorſqu'ils
ſout adaptés aux caractères & aux expreffions
qui leur font propres, mais on affoiblit neceffairement
cet effet , lorſqu'on les applique
à tout , & qu'on les confond indistincte :
ment avec les autres inſtrumens. C'eſt un
abus qui devient tous les jours p'us commun
, qui a privé la muſique theâtrale d'une
ſource feconde de beaux effets , & qu'il faut
attribuer aux progrès mêmes de la inufique
inftrumentale.
Les choeurs font de toutes les parties de
cet Opéra celle qui nous paroît fur tout
diftinguer le grand Maître; ils ont preſque
tous du caractère , de la mélodie & de
beaux effets d'harmonie; quelques uns fa
Hvj
180 MERCURE
pleins d'imagination , de grâce & de ſenſibilité.
Le choeur du premier Acte : Descends
des Cieux doux Hymenée, eſt un modèle
dans ce genre ; celui du troiſième Acte :
Descends dans leſein d' Amphitrite , joint à
une expreffion pleine de volupté l'harmonie
la plus pure & la plus ſuave. Le choeur
fuivant : L'Amourfourit au doux Vainqueur
duGange, plus brillant&plus piquant encore
que les deux autres , nous paroît d'un charme
inexprimable . Le petit choeur des Danaïdes
au ſecond Acte : A quels maux nous livra fa
cruelle poursuite? eſt d'un tout autre caracrère;
le chant en eſt doux & fimple , mais
l'expreſſion de la douleur & de la plainte y
eft rendue par des accens aufli vrais que touchans.
Les airs de danſe ont en général du
caractère , & fur- tout de la variété.
:
Les Ballets de cet Ouvrage font honneur
à M. Gardel , qui a pu y déployer des
talens & des reſſources dont les Opéras ordinaires
ne font guères fufceptibles. Les
Ballers du premier & du troiſième Acte préfentent
une grande multitude de tableaux&
de figures très bien compoſés , très bien
deffines , & toujours conformes à l'intention
de l'Ouvrage. Le pas de quatre par
Miles Guimard & Dorlay , & les Sieurs
Gardel & Nivelon , est très bien conçu
& parfaitement exécuté. La pantomime
qui termine le troiſième Acte , préfenrant
le tableaudes Hymens qui conduiſent
les époux au lit nuptial eſt une idée
د
DEFRANCE. 181
heureuſe , dont l'exécution eſt très agréable.
La pantomime des Bacchantes au cinquième
Acte a de beaux mouvemens , mais nous
paroît manquer de la variete & de la progreffion
néceflaires pour donner à la Scène
tout fon effer. Le tableau fi hardi des Danaïdes
dans le Tartare , animé par un choeur
du plus grand caractère & par une décoration
ſuperbe , eſt d'un trop grand effet pour
nous permettre de rechercher ce qu'on pour
roit y defirer encore pour la pantomime.
P. S. Depuis que cet article a été livré à
l'impreffion , on a vu dans le Journal de
Paris une Lettre de M. Gluck , qui déclare
que la muſique des Danaïdes est entièrement
de M. Salieri , & qu'il n'y a eu d'autre part
que cellesdes conſeils qu'il a donnés à ce
nouveau Compoſiteur. Cette déclaration ne
peut que faire honneur aux talens dejà bien
connus de M. Salieri. Les grandes & vraies
beautés qui abondent dans cet Opéra , & les
réflexions que lui aura fait faire une connoiffance
plus préciſe de notre Theatre , doivent
nous donner les plus grandes eſpérances
pour les productions que nous avons droit
d'attendre de lui.
182 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 4 de ce mois , on a donné la
première repréſentation de la ConfianceDan
gereuse, Comedie en deux Actes & en vers ,
par M. de la Chabeaufſière.
Belmont , un de ces fats qu'on eſt convenu
d'appeler des roues , aime la temme
d'un Financier nommé Dorimon. Dans l'intention
de parvenir à inſpirer quelque tendreſſe
à la victime qu'il ſe propoſe d'immoler
à ſon goût , il perfuade au Financier ,
dont il a tout- à-fait fubjugué leſprit , qu'il
eſt abſolument ridicule d'aimer ſa femme ,
& qu'un pareil travers ſuffit pour rendre un
hounme odieux à la ſociété. Le très- facile
Dorimon , qui a la manze d'imirer le ton &
les manières de ce qu'on appelle le grand
monde , ſe garde bien de laitſer éclarer la
tendreſſe que ſa femme lui a inſpirée ; au
contraire , il affecte l'indifférence , ſouvent
même une humeur brutale. La ſituation de
la Financière eſt très douloureuſe ; dans un
des accès du chagrin qui la dévore , le perfide
Belmont lui confeille de chercher à ramener
ſon époux , en l'effrayant par les menaces
d'une féparation. Simple & credule ,
elle alopte ce moyen ; en conféquence elle
écrit à fon mari , dont le coeur épouvanté,
&bientôt rendu à ſes véritables fentimens ,
éprouve toutes les angoiſſes que peut faire
DE FRANCE. 18;
naître la crainte de perdre un objet qu'on
adore. Il répond à ſa femme , & fa réponſe
eſt fort tendre. Il a l'imprudence de communiquer
fon billet à Belmont , & de le
prieć de le faire remettre à ſa femme. Le
Roué ſubſtitue au billet de Dorimon une
lettre , dans laquelle il hafarde une déclaration
, & il engage le bonhomme à être le
témoin de l'effet que produira la lecture de
ſa réponſe. On croit bien que la Financière ,
auſſi vertueuſe que belle & intéreſſante , ne
peut lire ſans in lignation la declaration du
Fat , & qu'elle laiſſe éclater toute la colère
qu'elle lui inſpire. Belmont ne manque pas
de perfuader à l'époux abuſé que ſa femme
a pour lui le plus profond mépris , ce qui
déchire l'âme& allume la fureur du Financier.
Heureuſement une explication éclaire
toute cette intrigue , démafque le Roué , &
fait connoître la foibleſſe de Dorimon , qui ,
après en avoir rougi , renonce pour jamais
à Belmont , comme à tous les amis de fon
eſpèce , & rend tout haut à ſa femme un
coeur qui n'a jamais foupiré que pour elle.
Cette Comédie eſt imitée d'un Ouvrage
Anglois , dont Madame Riccoboni nous a
donné la traduction dans ſon Théâtre Anglois
, & qui a pour titre : Le moyen de le
fixer. M. de la Chabeauffière a banni de fon
imitation tous les développemens du Drame
Anglois , qui lui ont paru faits pour donner
à l'action de la langueur , & pour lui ôter de
l'intérêt ; maispeut être a-t'il oublié que ces
184 MERCURE
développemens ſervoient à déguiſer la refſemblance
qui exiſte entre le Moyen de le
fixer & le Préjugé à la Mode , de la Chauf
ſée. La marche des deux Comédies n'eſt pas
la même , mais c'eſt le même fonds , c'eſt le
même ridicule ; & quoique ce ridicule ſoit
place chez deux perſonnages d'un caractère
très différent , on ne fauroit ſe diſſimuler
que l'un de ces Ouvrages n'eſt guères que
l'imitation de l'autre . Au reſte , le ſujet eſt
fort adroitement accommodé à nos moeurs ,
& cette petite Comédie n'eſt pas indigne des
applaudiſſemens qu'elle a reçus. Le ſtyle en
eſt plus brillant que facile; c'eſt un reproche
que tous les bons juges feront à M. de
la Chabeauffière. Sa manière d'écrire annon
ce beaucoup d'eſprit ; mais on y remarque
trop ſouvent une coquetterie qui devroit
être bannie de tous les Ouvrages qui tendent
à peindre , dans leur exacte vérité, les moeurs
domeſtiques de la ſociété. Molière n'a jamais
cherché à éblouïr par le luxe des mots ni par
le clinquant des formes; il a voulu plaire
par les choſes , frapper les efſprits par un
comique imple & vrai , & parler à la raifon
par la vérité & la force des idées. M. de
la Chabeauſſière nous paroît fait pour afpirer
à une réputation plus qu'éphémère ; s'il
y veut atteindre , comme il le peut , ceux
qui s'intéreſſent à ſes ſuccès doivent l'engager
à chercher des modèles près de lui , à
ceffer d'être imrateur , & à donner à ſon
ftyle un ton plus naturel , plus facile , & qui
DE FRANCE. 185
foit tout-à la fois capable d'être goûté , &
par les Spectateurs du moment, & par leurs
fucceffeurs.
L'abondance des matières nous force de
renvoyer au Mercure prochain l'analyſe de
la Comédie des Deux Tuteurs , donnée pour
la première fois le Samedi & de ce mois.
ANNONCES ET NOTICES.
P
ETITE Bibliothèque des Théâtres , contenant un
Recueil des meilleures Pièces du Théâtre François ,
Tragique , Comique , Lyrique & Bouffon , depuis
l'origine des Spectacles en France jusqu'à nos jours.
Numéros VI & VII . A Paris , au Bureau de la Petite
Bibliothèque des Théâtres , rue des Moulins , butte
S. Roch.
Cette Collection a toujours le même ſuccès . Le
premier des deux Volumes qui viennent de paroître ,
contient le Port à l'Anglois , Comédie en trois
Actes; Danaüs, Tragi- Comédie , & le Valet Auteur
, Comédie en trois Actes & en vers libres . Le
Port à l'Anglois eſt d'Autreau ; c'eſt la première
Pièce Françoiſe jouée ſur le Théâtre Italien ; Delifie
eſt Auteur de la Tragi-Comédie de Danaüs , Pièce
qu'on ne fera peut- être pas fâché de comparer à
l'Opéra des Danaïdes. Outre le mérite de l'à- propos ,
cette Tragi- Comédie offre aux Souſcripteurs un
avantage dont ils doivent tenir compte aux Éditeurs ,
c'eſt qu'elle n'avoit jamais été imprimée , & qu'on
la donne auſſi d'après un manufcrit qu'on a découvert.
C'eſt à Deliste auſſi qu'appartient le Valet
Auteur.
L'autre Volume contient trois Tragédies : laMé
186 MERCURE
dée, de Longe-Pierre ; l'Iphigénie en Tauride , de
Guimond de la Touche , & la Mort de Solon . Les
deux premières font fort connues ; la troiſième a été
envoyée manufcrite aux Éditeurs , qui , comme on
voit ne négligent rien pour donner à leur Collection
tout l'intérêt dont elle eſt ſuſceptible .
L'ENFANT Géographe , Etrennes Intéreſſantes ,
petite Introduction à la Géographie & à la Géométrie
, divisée par Leçons , Demandes & Réponses.
AParis , chez Deſnos , Ingénieur-Géographe & Libraire
de Sa Majesté Danoiſe , rue S. Jacques , au
Globe. Prix , 31 .
Cette méthode eſt ſi ſimplifiée, que l'on pourra apprendre
en peu de temps la Géographie & les différentes
poſitions de la ſphère, ſans le ſecours d'aucun
Maître. On y a joint une explication de quelques
termes de Géométrie , dont l'intelligence et
néceſſaire à tout le monde ; c'eſt un préliminaire à
l'érude du globe . Il y a des figures , & à la fin des
tabletres économiques , pour que chacun puiffe
écrire ce qu'il deſirera.
DEUX Anagrammes de Louis XVI , par la
grâce de Dieu , Roi de France & de Navarre ;
l'une en François , l'autre en Latin , avec des ornemens
en gravure ; le portrait du Roi en haut , & au
bas ſon écuſſon; préſentées au Roi par Madame
Louiſe; deſſinées &gravées par F. M. Queverde. A
Paris , chez Laurent , rue de Tournon
Les Anagrammes ſont de M. le Gay; les ornemens
de gravure ſont faits avec ſoin.
THEATRE & OEuvres Complets de M. Danchet ,
de l'Académie Françoise. 4 vol. in- 12. A Paris ,
au Cabinet Littéraire , Quai & près des Auguſtins.
Danchet a partagé ſon temps & fon talent entre
DE FRANCE. 187
la Tragédie & l'Opéra ; il a obtenu & mérité des
ſuccès dans ce dernier genre. La Mothe le regardoit
comme le premier de nos Poëtes Lyriques après
Quinault.
TRAITE des Deviſes Héraldiques , de leur
origine & de leur usage , avec un Recueil des Armes
de toutes les Maiſons qui en portent , ensemble un
-Précis fur leur origine , & un Recueil des faits qui
leur font particuliers , & qui ne font point encore
connus , enrichi de, Gravures , le tout pour fervir
d'Introduction à l'État de la France, ſeconde Partie;
par M. de Combles , Officier d'Infanterie. A
Paris , chez l'Auteur , hôtel Saint Pierre , rue des
Cordiers , près la Place de Sorbonne ; la Veuve
Ducheſne & Belin , Libraires , rue Saint Jacques ;
Nyon l'aîné , Libraire , rue du Jardinet ; Mérigot
& Royez , quai des Auguſtins; la Veuve Eſprit ,
Libraire , au Palais Royal , & Blaizot , Libraire , à
Verſailles . Prix , 4 liv. 12 fols broché, & 2 liv.
12 fols chaque Partie ſéparée.
Ceux qui ont acquis la première peuvent repréſenter
leurs quittances .
MENTOR UNIVERSEL Ouvrage deſtiné à
PÉducation , & dont il paroîtra un Volume le premier
de chaque mois. Le prix de la ſouſcription pour
l'année entière , compoſée de douze Volumes , format
in- 18 , pareil à l'Ami des Enfans , brochés ,
ſera de 13 liv. 4 ſols pour Paris, & de 16 livres
4 fols pour la Province , port franc.
On ſouſcrit à Paris , chez l'Auteur , rue Guénégaud,
n°. 20 , au Bureau du Mentor Universel , &
chez les principaux Libraires du Royaume.
SUPPLÉMENT à mes Expériences auprès de
Paris, contenant un Expoſe ſommaire de la cauſe
188 MERCURE
générale de la pauvreté & de la mendicité, & des
moyens d'y remédier ; par M. Maupin. A Paris ,
chez Mufier & Gobreau , Libraires , quai des Au
guftins.
- Nou-
Il ne nous appartient pas de prononcer ſur le
fonds des Ouvrages de M. Maupin ; mais un préjugé
favorable , c'eſt ſon application conftante aux
matières dont il traite. Ilnous ſemble auſſi qu'on a
reconnu l'utilité de ſa manipulation pour les vins
rouges. Nous invitons les Amateurs & les Connoifſeurs
dans le genre dont il s'occupe , à le lire & à le
juger. L'importance des matières mérite leur atten
tion. Voici les titres des Ouvrages qu'il a donnés
ſucceſſivement : La Richeſſe des Vignobles , ou
nouvelle Manipulation générale des Vins , avec les
principales Expériences qui en ont été faites en
France & dans les Pays étrangers , & la Description
d'une nouvelle Fouloire , &c. Prix , 3 livres
12 fols , avec le reçu ſigné de l'Auteur.
velle Méthode pour planter & cultiver la Vigne à
beaucoup moins de frais , jointe à la théorie ſur le
temps de la vendange. Prix , 3 livres 6 fols avec le
reçu ſigné de l'Auteur. Nouveaux procédés pour
la fermentation & l'amélioration de tous les Vins
blancs & des cidres , joints à l'Avis & Leçons aux
Laboureurs & aux principales bévues des Vignerons.
Prix , 3 liv. 12 fols avec le reçu ſigné de l'Auteur.
MesExpériences à Sève , près Paris , &
en dernier lieu à Belle- Ville , banlieue de Paris ,
pour prouver que l'on peut faire des Vins d'une trèsbonne
qualité dans les environs de Paris & dans
celles des Provinces de France qui ne cultivent point
la Vigne , avec quelques nouveaux Principes fur la
fermentation & le décuvage des Vins. Prix , I livre
avec le reçu ſigné de l'Auteur.
-
M. Maupin , pour en faciliter la circulation dans
toutes les Provinces, y fait paſſer ſes livres francs de
DE FRANCE 189
portpar la poſte en lui en faiſant tenir le prix portfranc
par la poſte , & non autrement , &en affranchiffant
les lettres de demande , qui lui feront adrefſées
rue du Pont- aux-Choux , au petit hôtel de Poitou
, à Paris .
GRAMMAIRE de l'Académie des Enfans ,
Seconde Partie du Recueil de leurs Etudes , par
Pierre Frefneau , Inftituteur de ladite Académie. A
Verſailles , nouvelle Édition . Prix , 1 livre 16 fols
broché. A Paris , chez l'Auteur , Place de l'École ,
près Saint Germain l'Auxerrois ; la Veuve Hériffant
, Imprimeur - Libraire , rue Saint Jacques ;
Savoye , Libraire , rue S. Jacques ; à Versailles , à
l'Académie des Enfans , aux quatre Bornes , &
chez Blaizot , Libraire.
Nous avons annoncé la première Partie de cet
Ouvrage; la ſeconde contient les Tableaux élémentaires
de la Langue Françoiſe , avec des Explications
fuccinctes, mais fuffifantes, pour conduire trèsméthodiquement
à la connoiffance des Élémens de
cette Langue , & des Principes de ſa prononciation
&de fon orthographe , terminés par un petit Abrégé
de la Proſodie , d'un Vocabulaire d'Homonymes , &
de quatre petits Traités particuliers ſur l'Orthographe
, la Syntaxe , la Poétique & la Rhétorique
Françoiſes.
HISTOIRE d'Ab- dal- mazour , ſuite des Contes
Orientaux , troiſième récit du ſage Caleb , Voyageur
Perfan, in- 12 , par Mime Mon.... A Conftantinople;
& le trouve à Paris , chez P. Fr. Gueffier , Imprimeur-
Libraire , rue de la Harpe.
L'Auteur de cet Ouvrage a fait une nouvelle
Édition de ſes deux premiers Contes Orientaux , la
Bienfaisance & la Femme bien corrigée , auſſi in
190 MERCURE
12 , qui ſe vend ſéparément à la même Adreſſe , &
chez tous les Marchands de Nouveautés.
La première Édition de ces deux Contes a cu
beaucoup de ſuccès ; ils ont acquis de nouveaux
droits à l'empreſſement du Public par les correc
tions que l'Auteur vient d'y faire. Nous parlerons
plus particulièrement de la ſeconde Partie , qui paroît
pour la première fois , & qui eſt digne de la
première.
REMARQUES fur la Langue Françoise , contenant
la Profodie Françoise , les Effais de Grammaire
, les Remarques fur Racine , nouvelle Édition ,
volume in- 12. relié. Prix , 2 liv. 10 ſols. A Paris ,
chez Barbou , Imprimeur Libraire , rue des Mathurins
; à Limoges , chez Barbou , Imprimeur du Roi.
La réputation de cet Ouvrage eſt depuis longtemps
& folidement établie.
On trouve chez les mêmes , Étrennes du Chrétien ,
in-32. en maroquin , 2 liv. ; les mêmes en veau doré,
1 liv. 4 fols. Carte de Limoges , 3 liv.
duDiocèse de Limoges, 3 liv.- Carte Itinéraire &
Minéralogique du Diocèse di Limoges , 3 liv.
- -Carte
Le même vend auſſi une nouvelle Édition de
l'Abrégé de l'Histoire Romaine par Eutrope. Cette
Édition eſt ſupérieure aux précédentes , par le ſoin
qu'on a mis à la retoucher. On a mis à côté le texte
Latin.
De la Tragédie, pour fervir de fuite aux Lettres
à Voltaire par M. Clément ; première Partic.
Prix , 2 liv. 8 fols. A Paris , chez Moutard , Emprimeur
- Libraire , rue des Mathurins , hôtel de
Cluni. - Le Cri du Citoyen , Satyre , par M. Clément
, Broch. 12 ſols , Cisez le même .
Nous rendrons compte inceſſamment de ces deux
Ouvrages.
DE FRANCE.
191
La Caravane du Caire , Opéra en trois Aites ,
repreſenté à Fontainebleau le 30 Octobre 1783 ,
à Paris , le 12 Janvier 1784 , par M. Grétry ,
Conſeiller Intime du Prince de Liège , de pluſieurs
Académies , &c. OEuvre vingt-deuxieme. Prix , 24 liv.
AParis , aux Adreſſes ordinaires .
On ne peut voir qu'avec grand plaiſir la Partition
d'un Ouvrage dont le ſuccès a été ſi ſoutenu. Nous
allons , felon notre coutume , remarquer les morceaux
qui peuvent figurer avec le plus d'avantage
dans les Concerts. De ce nombre on trouve au
premier Acte un fort joli petit Air: Ne fuis-je pas
auſſi captive ; un duo entre Zélime & Saint-Phar , un
air d'Hufcar ( baffe taille )& fur-tout le final, depuis
ce vers : Que me demandes-tu ? Ce morceau entier
eft fait avec tout l'eſprit &toute la grâce dont M.
Gréry a donné tant de preuves. Au ſecond Acte , on
remarque ſur- tout un charmant duo : J'ai des beantés
piquantes , & le trio plus ſpirituel encore : Il
amène des Hollandoiſes . N'oublions pas un fort joli
air : C'est la triste monotonie , que M. Roufſeau
(Haute - Contre ) chante avec beaucoup de goût &
de légèreté. Le Divertiſſement offre auffi pluſieurs
airs qui méritent d'être diſtingués. Celui de Saint-
Phar , qui termine l'Acte , eſt d'un grand effet L'air
qui ouvre le troifième : Ah ! fi pour la Patatrriiee , a
réuni tous les ſuffrages , & eſt en effet d'une ſuperbe
expreffion. Les deux ais d'Almaïde : Je fouffrirois
qu'une rivale , & Jabjure la haine cruelle ,
fur-toutcelui du Pacha ( baſſe ) Vainement Almaide
encorree ,, dont l'accompagnemmeenntt eſt délicieux , feront
enrendus avec le plus grand plaifir. Le final de cet
Acte , commençant au trio : Prends pitié de fon
triftefort , doit faire , au Concert comme au Théâtre ,
un excellent effet. En général , cet Ouvrage eſt fait
pour foutenir avantageuſement la réputation de
M. Grétry.
192
MERCURE
TROIS Sonates pour le Clavecin , Flûte on Violon
obligé, dédiées à Mgr. le Comte d'Artois , & trois
autres à Madame Elifabeth de France , par Ch.
Hartman de Saxe. Prix , 4 liv. 16 fols chaque OEuvre.
A Paris , chez Baillon , Marchand de Muſique , rue
Neuve des Petits Champs, au coin de celle de Richelieu
, à la Muse Lyrique.
DOUZE Numéros du Journal de Guittare , compoſé
des plus jolis Airs , avec accompagnement de
différens Maîtres. On ſouſcrit pour ce Journal , chez
M. Baillon , même Adreſſe que ci deſſus.
NUMÉRO III du Journal de Violon , ou Recueil
d'Ains arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Le prix de l'année entière 18 liv. à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque cahier , 2 liv. 8 fols.
A Paris , chez M. Baillon , même Adreſſe que
ci-deffus.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TABLE..
AMadame de Meulan , 145 Galarée ,
AM. Pujos ,
AMadame ***
,
Regrets d'uneMère ,
Charade , Enigme &
151
192
ib. Académ. Royale de Musiq. 173
146 Géométrie nouvelle ,
147 Comédie Italienne ,
Logo Annonces &Notices ,
182
185
gryphe , 1491
AAIL lu
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Mai. Je
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. А
Paris, le 21 Mai 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
L
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 6 Avril..
Eplan de la nouvelle répartition de l'armée
Impériale , tant dans les anciennes
poſſeſſions que dans les nouvelles acquiſitions
de l'Impératrice a été arrêté ; elle ſerá
déformais partagée en 12 diviſions , commandées
chacune par un Feld- Maréchal , un
Général en chef, ou un Lieutenant Général.
Le Prince Potemkin eſt parti pour la
Tauride. Il a pris ſa route par Mofcou & la
Ruſſie Blanche ; il est accompagné par l'Archevêque
de Mohilow , & par fon Coadjuteur
l'Abbé Beniflawki.
Une nouvelle Ordonnance de l'Impératrice
permet aux Eccléſiaſtiques de l'Egliſe
Catholique Romaine , de s'établir librement
dans toutes les parties de ſes Etats , & d'en
fortir lorſqu'ils le jugeront à propos; elle ne
No. 21 , 22 Mai 1784. g
(146).
les aftreint dans l'un& l'autre cas, qu'à ob
renir la permiflion de l'Archevêque de Mohilow.
Nous avons indiqué précédemment l'ukaſede
l'Impératrice , qui accorde à toutes
les nations le droit de commercer dans les
poffeffions réunies nouvellement à ſon Empire:
cette loi mérite des détails, & nous la
placerons ici.
Par la grace de Dieu , Nous Catherine II ,
Impératrice & Autocratrice de toutes les Ruflies ,
de Mofcovie , Kiovre , Władimirie , Novogorod ,
Czarine de Cazan , d'Aſtracan , de S.bérie , dela
Cherfonète Taurique , &c. Nos foins pour
étendrede plus en plus le commerce de nos Sujets
&avec eux celui des autres Nations dans la mer
Noire & la Méditerranée , ont été ſuivis d'un
ſuccès décidé, depuis que par le Traité conclu
avec la Porte le 19 Juin 1783 , nous sommes
parvenues à lever toutes les difficultés , que la
forme du Gouvernement Turclui avoit conftamment
oppofées, Ce commerce en général ne ſauroit
avoir lieu ni fleurir que là où il eſt protégé
par les Loix & guidé dans toutes ſes opérations
par une parfaite liberté ; nous nous ſommes tou.
jours conformées à ces principes d'une liberté
illimitée dès le commencement de notre règne ,
ainſi que leprouvent quantité d'Ordonnances &de
Réglemens émanés de notre Trone. Maintenant
nous les appliquons ,& nous les approprions au
commerce de la mer Noire , dont les avantages
&la sûreté ſe trouve conſolidés , depuis que la
réunionà notre Empire , de l'État Taurique &
des pays qui en dépendent , ya ouvert pluſieurs
portsde mer àtous ceux qui voudront en exporter
des productions ou yporter le ſuperflu de celles
:
( 147 )
dufol des Ruſſes & de leurs Manufactures. Il eſt
notoire qu'à peine nous avions terminé par une
paix utile & glorieuſe notre derniere guerre de
fix années avec la Porte Ottomane , que nous
avons fondé dans le Gouvernement de Catharinoflaw
, fur les bords du Dnieper& près de fon
embouchure , la ville de Cherſon , qui , par fon
fite , eſt également favorable pour exporter les
productions Ruſſes , & importer en échange les
étrangeres qui peuvent nous êtredequelqu'utilité.
Outre la sûreté que nous avons procurée à ce
commerce par une puiſſante protection & d'autres
moyens efficaces , nous lui avons accordé encore
tous les encouragemens poſſibles. Nous ordonnons
que cette ville , avec nos deux autres
places maritimes ſituées dans la Taurique , ſavoir
Sevastopol , connu autrefois ſous le nom d'Achtlar
, pourvue d'un très bon port, ainſi que Théodofie
, autrement Kafa , foient ouvertes à toutes
les Nations amies de notre Empire , pour l'avantagede
leur commerce avec nos fidèles Sujets.
Leſdites Nations pourront en conféquence arriver
dans ces villes sûrement & librement , fans
aucun empêchement , ſoit par terre foit ſur des
Vaiſſeaux portant leur pavillon & leur appartenant
en propre ou frétés ; les charger & s'en
retourner de même par terre , ou par mer ,
ſelen leur bon plaifir , en ſe conformant quant
à l'aquit des droits d'importation , & d'exportation
pour toutes les productions & marchandiſfes
, aux Tarifs & Règlemens de Douane érablis.
Chaque individu de telle Nation qu'il
puiſſe être , auſſi long-temps qu'il s'arrêtera dans
ceſdites villes pour ſes affaires , ou parce qu'il
enaura envie , jouira du libre exercice de fa'
Religion , felon le louable principe qui nous a
été trapſmispar les Souverains nos prédéceſſeurs,
82
( 148 )
&que nous avons encore étendu & affermi ;
en accordant à toutes les Nations établies en
Ruffie la liberté de louer le Dieu tout-puiſſant;
chacune conformément au culte & à la religion
de fes ancêtres , en lui adreſſant conjointement
ayee nos sujets , des prieres pour l'augmentazion
du Lien- etre & l'affermiſſement de la puiſſance
de notre Empire. Nous permettons à tous & un
chacun d'exercer le commerce ſans la moindre
contrainte ſoit par compagnie ou ſéparément ,
& nous promettons fur notre parole impériale ,
d'accorder à tous les Étrangers dans ces trois,
villes les mêmes avantages dont ils jouiffent
déjà dans notre capitale de Saint- Pétersbourg &
dans la ville provinciale & maritime d'Archangel.
En cas de guerre . chacun trouvera fa
fureté dans les principes du ſyſteme de neutralité
que nous avons établi & dont nous sommes
rélolues de ne nous écarter jamais .- Si un étranger
vouloit s'établir dans ces villes ou dans toute
autre de notre Empire , & paſſer au nombre de
nos Sujets , nous le recevrons très-gracieuſement
, en promettant de lui accorder , outre le
liore exercice de la religion , une pleine jouiffance
des mêmes droits & préférences dans le
commerce & la navigation dont jouiflent nes
Sujets, avec la liberté illimitée d'établir des
fabriques , manufactures , &c. pour ſon profit &
le bien général , & ainſi que tous les avantages
& priviléges particuliers à nos Sujets du même
état que le ſien , de façon pourtant qu'il aquit-,
tera les droits que ceux-ci font tenus de payer.
Pareillement il fera libre à chaque Étranger reçu
comme Sujet , ainſi qu'à ſes deſcendans , de vivre.
en cette qu'alité dans nos États auffi long-temps.
qu'il le jugera de ſon avantage ; & lorſqu'il
voudra y renoncer , il en aura la liberté Lans,
- 3
149 )
aucun empêchement quelconque , en payant
cependant pour trois années encore les droits
qui ont été à ſa charge. Ces fortes de droits de
Bourgeoiſie ſeront expliqués avec plus de détails
dans les Règlemens & les Patentes dont nous
munirons nos villes & qui feront publiés dans
peu. Donné à Saint-Pétersbourg le 22 Février ,
1784 , & de notre règne le vingt-deuxieme.
DANNEMARC К.
DE COPENHAGUE , le 27 Avrils
Le Prince Royal , accompagné de M. de
Bulow , fon Maréchal, a honoré de ſa viſite
Jes nouveaux membres du Conſeil d'Etar ;
il a fait le même honneur au Comte de
Thott , retiré depuis long-temps des affaires
, & que fon grand âge n'a pas permis
d'y rappeller , en formant une nouvelleAdminiſtration,
Journellement il viſite les différens
départemens ; & ces jours derniers il
a examiné l'arſenal& le chantier. S. M. lui
a accordé un diſtrict étendu dans l'iſle de
Séeland , où les revenus feront perçus pour
lui& en fon nom, & l'adminiftration dirigée
par ſes ordres .
C'eſt dans le duché de Holſtein que font
ſitués le château de Fredericſruhe , & la terre
de Hanerau , que le Roi a également donnés
, l'un à la Reine-Douairiere , & l'autre
au Prince Fréderic , avec le droit d'en difpoſer
à leur volonté , de les conferver , vendre,
ou donner.
83
(150)
Le froid continue d'être très- vifdans l'ifle
de Fionie, dont les ports font toujours embarraffés
par les glaces , au point que le s
de ce mois , on pouvoit aker encore en trafneau
juſqu'à Faabourg.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 1 Mai.
Le bruit ſe répand qu'un corps de troupes
Ruffes entrera dans la Lithuanie , &
campera aux environs de Grodno , pendant
la durée de la Diere prochaine , & qu'un .
Miniſtre de la Cour de Vienne aliſtera à
certe affemblée.
On s'occupe ici , écrit-on de Conſtantinople,
de la réforme des abus qui ſe ſont introduits dans
legouvernement de cerEmpire : le Capitan Bachas'eft
joint au Grand Vifir , pour engager le
Sultan à donner le premier l'exemple de cette
réforme falutaire. On fait des efforts pour plier
les Jarriffaires , & les autres corps de troupes à la
diſcipline Européenne ; & l'on travaille à un
plan politique , dans lequel on fera entrer tout
ce qui fera jugé néceſſaire au bien de cet Empire.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 3 Mai.
L'établiſſement formé en cette Capitale ,
au mois de Septembre dernier , pour fournir
à la ſubſiſtance des pauvres , qui vivent
( 151 )
d'aumônes publiques , a fait depuis cette
époque des progrès fi conſidérables , qu'au
moyen des ſecours obtenus de la bienfaiſance
de nos concitoyens , il ſe trouvoit en état
à la fin du mois de Mars , de nourrir 6507
pauvres; la recette générale à cette date étoit
de 70831 florins; la ſomme des aumônes
diftribuées eſt montée à 74599 ; cet excédent
montre que , grace à un bienfaiteur inconnu ,
la caiſſe n'eſt pas bornée dans ſes diftributions.
Sur des indices certains que la Société
des Entrepreneurs de la Loterie Impériale &
Royale , avoit fait un préſent conſidérable
en argent à un des Employés au département
des Finances , l'Empereur a ordonné
que, pour récompenfer le zele du dénonciatear
, qui le premier avoit donné connoif
fance de cette malverſation , la Société fera
obligée de lui remettre 600 ducats , ce qui
a été exécuté tout de ſuite.
Le Comte de Flangallas , Gentilhomme de
Bohente, écrit-on de Prague , âgé de 32 ans
riche & aimable , s'eſt coupé la gorge avec un
rafoir . On attribue la cauſe de cet acte de déſeſ
poir , à la mélancolie affreuſe qu'il avoit contractée
immédiatement après la mort de ſa fem .
me, qu'il s'eſt toujours reprochée , & dont il ſe
regardoit comme l'auteur , parce qu'il l'avoit
empêchée d'aller prendre les bains de Pite qu'elle
croyoit devoir lui faire du bien.
On croit que l'Archiduc Maximilien ,
après avoir pris poſſeſſion de ſon Electorat
de Cologne, &de ſa Principauté de Munf
4
( 152 )
ter , reviendra ici pour ſe trouver à l'arrivée
des Archiducs , qu'on attend de Toſcane
dans le mois de Juin prochain. i
L'uſage du Rouge eſt devenu tellement
commun ici , que depuis un an , il n'y a pas
de filles du peuple , & même de domeſtiques
qui n'en employent; il en eſt réſulté
beaucoup de troubles dans quantité de ménages
, dont les peres & les maris ont vu
avec peine leurs femmes &leurs filles ſe parer
de couleurs artificielles. Pluſieurs n'étant
pas affez riches , pour acheter le beau rouge ,
qui est très-cher , en achettent de mauvais &
de dangereux pour la peau , que l'on leur
vend en fecret ; & on parle d'une loi qui va
défendre le rouge à tout le monde , à l'exception
des Dames d'un haut rang , & des
femmes de théâtre .
DE HAMBOURG , le 4 Mai. 2
Le 24du mois dernier àmidi, ona eſſuyéici
Porage le plus violent qu'on ſe ſouvienne
d'avoir éprouvé ; il a duré juſqu'au lendemain
matin. Quantité d'arbres ont été déracinés,
les toîts emportés , les édifices publics
& les maiſons particulieres confidérablement
endommagés. Les clochers des Egliſes
ont été ſi fort ébranlés, que dans plu
fieurs les cloches ſe ſont fait entendre. Trois
navires ont péri dans l'Elbe , & l'un avec
tout fon équipage; un bâtiment a été rene
)
( 153 )
verſe ſur l'Oſter , & tous ceux qui s'y trouvoient
ont été noyés. La partie baſſe des
Lucha a été inondée, & les diſtricts des environs
ont beaucoup fouffert.
Le bruit eſt aſſez généralement répandu
lit on dans quelques feuilles publiques , que
dans le courant de l'Eté prochain , il fera
procédé à la création d'un neuvieme Electorat
; les deux principaux concurrens pour
sette dignité éminente , font , ajoute-t- on ,
le duc de Wurtemberg , & le Landgrave de
Heffe Caffel.
Les négociations pour l'arrangement des différends
ſurvenus entre la République des Provinces
Unies & celle de Venise , lit on dans une
lettre de Vienne , ont fouffert quelque interruption
ces jours derniers , à caufe du Manifeſte qui
aparu de la part de la derniere de ces Puiflances
, dans divers papiers publics . Il paroît que ce
ſujet de mécontentement n'aura pas de ſuite .
L'ordre de dépouiller les images confervéess
dans lesEgliſesde l'or , de l'argent & des pierres
précieuſes dont on les a parées avec une profufion
qui ſurcharge , maſque & fait diſparoître
ſouvent les chef-d'oeuvres de la peinture &de la
ſculpture , s'exécute non-feulement ici , ajoutent
ces mêmes lettres , mais dans toutes les Provinces
où il a été expédié aux Gouverneurs . La
caiſſe de relgion , & conféquemment les lieux
pies & les hôpitaux auxquels on deſtine toutes
cesricheſſesvont recevoir uneaugmentation confiderable.
On peut en juger par ce que fournit la
feuleMadone des Francifcains; on n'en évalue pas
Jes bijoux à moins de 600 Aorins ..
Une lettre de Peterſbourg contient les
détails ſuivans.. g
(154)
Far l'art . 16 duTraité de commerce conclu
l'année derniere par la Cour de Madrid , avee
la Porte , il a été ſtipulé , que dans le cas où l'une
ou l'autre des Parties contractantes feroient en
guerre , elles ne permettroient point que leurs
navires fuffent inquiétés par ceux des autres
Poiffances ſur leurs côtes ; que S. M. C. donneroit
connoiffance de cet engagement aux autres
Puiſſances , s'informeroientde leurs sentimens à
cet égard,& en inſtruiroit le Divan. -- Cette communication
a été faite par le Ministre d'Eſpagne.
L'Impératrice ne s'eſt point expliquée définitivement
; elle a répondu ſeulement qu'elle ne
vouloit point décider ſeule l'objet en queſtion ;
qu'elle prendroit l'avis des autres Puiflances avec
leſquelles eile avoit une convention touchant
la libre navigation& le commerce , & avec qui
elle avoit conclu le Traité de la Neutralité armée
; c'eſt après cela qu'elle répondra à S. M. C.
Le vice Chancelier , Comte d'Oſtermann a
donné connoiffance de cette propoſition à tous les
Minifires étrangers , avec priere d'en écrire à
leurs Cours , pour être inſtruits de leurs ſentimens
; on affure en attendant , que la Cour de
Petersbourg ne croit pas devoir admettre l'engagement
de l'Espagne , dans toute ſon étendue ,
mais ſe borner ſimplement à ne point attaquer ,
ni inquiéter les navires ennemis , lorſqu'ils fo
trouveront à la portée du canon des côtes neutres.
Acettte lettre nous joindrons l'extrait de
la ſuivante , en date de Conſtantinople , le
30 Mars dernier.
>> Nous avons eu ici le ſpectacle de l'entrée
pompeuſe de l'Ambaſſadeur de Suede dans
cette ville. Elle commença à la pointe du jour.
( 155 )
L'Ambaſſadeur& les gens de ſa ſuite arriverent
dans des bateaux , magnifiquement ornés & illuminés
; ils furent reçus au port par le Gouverneur
, qui leur fit donner des chevaux du Sultanmagnifiquement
caparaçonnés. La Cavalcade
ſe forma & te rendit chez le Grand- Vifir , qui
monta à cheval avec ſon cortege , & marcha à
la tête. On alla au Serrail , on entra dans l'avantcour
, d'où le Grand-Viſir fit parvenir au Grand-
Seigneur une lettre , par laquelle il lui notifioit
l'arrivée de l'Ambaſſadeur de Suede , & lui de
mandoit l'heure de ſon Audience. S. H. l'indiqua
pour l'après dîner : alors le Grand-Viſir ,
P'Ambaſſadeur & tout le Cortege deſcendirent
de cheval , & entrerent dans les Salles d'un
quartier ſéparé du Serrail ; il leur fut ſervi un
diner ſplendide à la mode Turque On apporta
fur des tables d'un bois précieux & très-propre
de grandes jattes & terrines d'argent , pleines de
viandes préparées de différentes manieres. Il n'y
avoit ni napes , ni fourchettes , ni couteaux. La
furpriſe étoit peinte ſur les viſages des Suédois ;
mais le moment où les Muſulmans ſpectateursjoui
rendeplus deleur embarras , fut celuioù àl'exemple
du Grand-Vifir & du Cadi , les Suédois furent
obligés de mettre la main dans les terrines
pour en retirer les viandes. L'après-diner l'Ambaſſadeur
de Suede fut admis à l'Audience du
Grand-Seigneur , qui le reçut aſſis fur un trône
reſplendiffant d'or & de pierreries ; il préſenta
àS. H. ſes Lettres de créance , & ſe retira à ſon
hôtel , dans le même ordre qu'il étoit venu ,
accompagné par le Grand-Vifir.
ITALIE.
DE ROME, le 22 Avril.
Le Roi de Suede eſt parti de cette ville,
g
( 156 )
le 19 de ce mois , emportant les regrets généraux
: il a laiſſé de riches préfens à plufieurs
perſonnes ; il a voulu entre autres que
le Cardinal de Bernis acceptât ſon portrait ,
garni de diamans , & que le Chevalier de
Bernis , neveu de cette Eminence , acceptât
auſſi une ſuperbe tabatiere enrichie de diamans.
S. M. avoit envoyé à D. Romualdo Oneſti ,
Majordome , trois caiſſes d'un bois particulier
du Brefii , pour être remis à S. S. Ces caiffes
font richement travaillées & garnies de divers
métaux dorés. Dans la premiere il y a 89 mé
dailles d'or , dans la ſeconde 71 médailles d'argent,
leſquelles forment la collection totale des
médailles qui repréſentent les Rois de Suede.
Parmi les médailles d'or , il y en a une plus
grande que les autres , dont le ſujet fait alluſion
à la liberté que S. M. a accordée aux Catholiques
de conſtruire des Egliſes , & d'y exercer leur
culte. La troiſieme caiſſe renferme 62 médailles ,
formant la collection de celles frappées pour les
hommes illuftres duRoyaume de Suede. S. S. a
témoigné combien ce préſent lui étoit agréable.
Cematin le Pape eſt parti pour les marais
Pontins , où ſon ſéjour ſera , dit-on , de 12
jours. Des galeres ont eu ordre de fortir de
Civita Vecchia , & de ranger la côte pour
en éloigner les corſaires Barbareſques..
DE NAPLES , le 15 Avril.
On dit que l'efcadre , deſtinée à ſe réunir
àcelle d'Eſpagne contreAlger , partira d'ici
1
( 157 )
le 4 du mois prochain ; on y embarquera
280 Liparotes , qui s'occupent déja à préparer
leurs équipages , & qui ont reçu pour
cet effet 30 ducats chacun.
Lefameux chefde brigands , Angioletto , qui
infeſte la Pouille , a été attaqué il y a quelques
jours par les Miniſtres de la Juſtice; le combat
a été , dit-on , très -vif; il a été bleſſé dangereuſement
: mais il a réuſſi à s'échapper , & il s'eſt
réfugié avec une partie de ſa troupe fur le mont
Altafade , voiſin de la Pouille. On a arrêté deux.
de ſes compagnons , qui ont déja offert de le lis
vrer au Gouvernement , ſi l'on vouloit leur accorder
la vie & la liberté.
Le P. Bertola , jeune Religieux Olivetan ,
qui a publié pluſieurs ouvrages , qui ont eu
le plus grand ſuccès , vient d'obtenir de
l'Empereur une Chaire dans l'Univerſité de
Pavie, avec 150 ſequins d'appointemens , &
la liberté de ſe ſéculariſer.
On apprend de la Calabre , que le 1 de ce
mois , à la fuite d'un orage terrible , accompagné
de grêle & d'éclairs , on a éprouvé
encore une forte ſecouſſe de tremblement
de terre , qui a répandu beaucoup d'effroi.
ETATS- UNIS DE L'AMÉRIQUE .
1
DePhiladelphie , le 8 Mars. La plupart des Etats
ontprisdes réſolutions relative à la proclamation
du Roi d'Angleterre , du 2 Juillet dernier, qui
defend à tout vaiſſeau qui n'eſt pas anglois de
porter des marchandiſes aux les. L'aſſemblée
générale de cet état a paffé un bill pour mettre
1
( 158 )
undroit &un impôt ſur les marchandiſes &les
vaiſſeaux anglois. Ce droit ſera des ſchelings
par tonneau , & l'impôt ſur les marchandiſes
angloiſes ſera de deux & demi pour cent en ſus
de ceque paient , &de ce que paieront à l'avenir
les citoyens de l'Etat.
Au milieu de ces actes politiques d'adminiſtration,
il s'en trouve un en faveur des ſciences , qui
a été paſſé le 2 Décembre dernier & qui mérite
d'être tranſcrit. : :
La culture du génie & l'encouragement des
arts libéraux & des Sciences , ſur- tout de celles
qui tendent à développer le ſyſtème de la nature
&à faire connoître la ſageſſe adorable , la bonté
& le pouvoir du créateur, ont toujours été regardés
comme un objet digne de fixer l'attention
de tous les peuples civilités , en ce que non ſeulement
les études perfectionnent le jugement &
adouciſſent , les moeurs , mais qu'elles contribuent
conſidérablement à pourvoir aux besoins , au
bonheur & même à la ſûreté de l'homme.- La
ſcience de l'Aſtronomie eſt ſur tout recomman
dable par les avantages qu'elle a procurés au
genre humain ; c'eſt elle qui a rapproché & uni
en quelque forte , par les relations & les moeurs
du commerce , les nations les plus éloignées les
unes des autres ; elle a fait découvrir les nouvelles
régions de la terre , c'eſt à elle fur-tout
que lavaſte contrée où nous ſommes établis , doit
ſa culture , ſes loix, ſes cités & tous les autres
bienfaitsde la civiliſation ; enfin , c'eſt par elle
que les loix du ſyſtême planétaire ont été déterminées
avec une précision mathématique & que
le ſpectacle ſuperbe du ciel s'est découvert tout
entier aux regards avides de l'homme plus
inttroit. Ces importantes découvertes , faites
& ſuivies par des ſavans que ces études détour
( 159 )
noient de toute autre objet , ayantété très raco
ment utiles à leur fortune , malgré les avantages
inappréciables que le genre humain en retiroit ,
il a été repréſenté par un nombre conſidérable
de citoyens de Philadelphie , que vû la ſituation
favorable de ladite ville pour des obſervations
aſtronomiques , il ſeroit honorable & avanrageux
à cet état , d'établir une place d'Aftronome
pour l'état de Penſilvanie , & d'atrasher
à ladite place un traitement , au moyen duquel ;
celui qui en ſeroit pourvû , fut en état de continuer
ſes travaux d'une maniere utile, non ſeulement
à ce pays , mais à la république des Lettres
en général. En conféquence il eft ordonné ,
qu'il foit établi & créé un officier , ſous la dénomination
& le titre d'Aſtronome de l'état de
Penſylvanie , auquel ſera faittraitement de sooliv.
ſterl par an , payable de trois en trois mois.
Ordonné de plus que le dit Aftronome occupe,
& exerce ledit office , conformément aux réglemens
qui feront faits à cet effet , & approuvéς
par la légiflature de cet état , pour s'occuper de
toutes les obſervations néceſſaires relativement
aux mouvemens , changemens , éclipſes , pafſages
& autres phénomenes des corps célestes ,
& pour faire fur la Philoſophie naturelle les
expériences avec les remarques & les réſultats
qui pourront tendre au progrès de ces ſciences
& à l'avantage du genre humain , leſquelles
obſervations , remarques & réſultats , il publiera
de temps en temps ſous l'inſpection de la ſociésé
Philofophique Américaine pour l'avancement
des connoiſſances. - Ledit Astronome cherchera
à établir une correſpondance avec ceux
des ſavans de l'europe qui s'appliquent particulierement
à l'Aſtronomie & à la Philoſophie
naturelle ; cette correfpondance ne pouvant
:
( 160 )
manquer de fournir des avantages réciproques.
Le bruit qui s'étoit répandu que l'Etat de Maffachuſet
avoit rejetté l'acte de commutation étoit
fans fondement: non ſeulement cet Erat a adopté
L'impôt de cinq pour cent , mais il a pris la réſolution
d'aquiefcer à cet acte dans toute ſon étendue.
Le 24Décembre dernier , il a décidé que
les Etats Unis aſſemblés en Congrés doivent être
revêtus du pouvoir excluſif de faire des réglemens
de commerce dans les Etats Unis d'Amérique
, qu'ils doivent être autoriſés en conféquence
à empêcher les vaiſſeaux anglois d'apporter
aucune des productions des Iſſes dans les Etars
Unis tant que ſubſiſtera la proclamation qui
défend aux Américains d'y porter les leurs .
1
Nous apprenons , écrit-on de Neuhaven par
un vaiſſeau arrivé des Indes occidentales , que les
Négocians Anglois cherchent à obtenir en ſecret
des certificats de l'étranger , afin de faire le
commerce avec nous , ce qu'ils ſavent fort bien
qui ſeroit déplacé ſous pavillon britannique ,
rant que leurs ports nous feront fermés. Un fenau&
un brigantin appartenantàAntigues ſe ſont
donc procuré entre autres des certificats , fran--
çois , & ont chargé pour quelques ports du continent.
Si Nous avions à commercer avec une na--
tion fur un autre pied que celui d'une égalité parfaite,
lors fur-tout que cette inégalité ſeroit à notre
déſavantage , ce ne feroit certainement pas à
l'Angleterre que nous devrions accorder cette:
préférence.
Toute anecdote ſur un grand homme eſt
intéreſſante . En voici une fur le Général Was-
Hington. Pendant ſon ſéjour en cette ville , il
remit au Contrôleur le regiſtre de ſes comptes..
Ce regiſtre et écrit en entier de fa main &
comprend une période de huit années, Chaque
( 161 )
article de dépenſe y eſt détaillé , motivé de la
maniere la plus claire , de forte que la verification
de ces comptes ſe peut faire avec la plus
grande facilité. Le Général Washington étoit
né pour ſervir en tout de modele. Les états
unis ſeroient trop heureux fi tous ceux qui ont
le maniement des deniers publics rendoient
leurs compres avec autant d'exactitude & de
ponctualité.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 11 Mai.
La grande affaire des Elections eſt maintenant
la ſeule qui occupe dans ce Royaume,
la chance qui avoit été d'abord ſi défavorable
à M. Fox , paroît maintenant tournée
à ſon avantage; chaque jour il a foutenu
ſa majorité ; &dans le moment actuel elle
eſt de 194 voix : il en a 6165 , & fir Cecil
Wray 5971. Ce ſuccès doit fans doute dé
plaire à ſes ennemis; ils l'ont témoigné hier
d'une maniere aſſez vive, pour mécontenter
ſes partiſans qui ont pris de l'humeur : il s'en
eſt enſuivi une rixe. Pour la faire ceſſer , if
a fallu faire venir des Connétables qui ont
été maltraités eux- mêmes , & qu'on a cru
devoir faire foutenir par un détachement
des Gardes du Roi : quelques hommes ont
été arrêtés ; comme ils ſe trouvent du nombre
de ceux qui ſe réjouiſſoient du ſuccès de
M. Fox , & qui ſe battoient pour lui , les
papiers qui le ſoutiennent , n'ont pas man(
162)
quéd'annoncer cet évenement fimple com
me une choſe très-grave ; nous les laiſſons
parler eux mêmes , parce que leurs plaintes
fondées ou non , rappellent quelquesprincipes
de la conſtitution, relatifs aux Elections.
On peut juger de la maniere dont le nouveau
Miniſtere a appellé de la Chambredes Communes
au peuple , par le fait ſuivant.-Toutes les circondances
de l'élection de Weſtminster , depuis
qu'elle eſt commencée , prouvent-elles un defſein
de protéger les droits ſacrés des Anglois ?
On a vu une troupe de matelots , avec les couleurs
de la couronne , & les Officiers du Roi à leur
tête , eſſayer d'engager les Electeurs à voter pour
les favoris de la Cour. Le to cette prétention
a été entiérement démontrée. On a vu les ſoldats
du Roi environner le lieu de l'élection , avec la
bayonnette au bout du fufil , ſaiſir les paiſibles
habitans de laCité , & les menacer de la mort.
On ſe rappelle qu'hier to eſt précisément l'ani
verfaire de la mort du jeune Allen, afſaſſiné le
10 Mai 1768 , dans S. Georgefield, par letroifieme
Régiment des Gardes. La même ſcene
s'eſt renouvellée ; un coup de fufil a été tiré ſue
le peuple ; heureuſement il n'y a pas eu de victimes.
Un des principes ſacrés de la conſtitu
tion , ſi nous pouvons nous vanter encore d'en
avoir une , défend qu'aucune troupe nedemeure
dans uneVille , ni un bourg , pendant le tems
de l'élection. La Cité de Westminster eſt la ſeule
exception à cette regle , parce qu'elle eſt la réfidence
du Roi , & que ſa garde doit reſter auprès
de la perſonne; mais cette exception autoriſet-
elle une infraction ſi palpable & fi odieuſe à la
liberté des élections ?
Au reſte cette élection de Westminster
( 163 )
n'eſt pas encore près de finir. On aura bientôt
achevé de recueillir les voix : mais le
fcrutin qui ſera infailliblenient demandé , va
prolonger cette affaire ; & on s'attend à voir
réformer bien des voix , lorſqu'on les examinera.
Quelle que foit l'iſſue desélections, ditun de
nos papiers , M. Fox eſt für d'une place au Parlement;
la Ville de Kirkwal en Ecofle l'a élu
pour ſon repréſentant ; & fi elle ne lui donис
pas lamême confiftance que donne le titre de repréſentant
de Westminster , il en prenira une
par lui-même. Preſque tous les partitans du Mi-
Biſtere ont échoué dans les efforts qu'ils ont faits
pour ſe faire élire en Ecoſſe; en général , ils y
ont été moins heureux qu'en Angleterre , où ils
ont obtenu la préférence. LeGouverneur Johnſtone
que l'on a vu dans le dernier Parlement
s'élever avec tant de force contre les opérations
de M. Fox , s'eſt préſenté dans divers endroits ,
& a eu le chagrin de ſe voir rejetter par tout.
Ceux qui avoient parié que M. Fox ſeroit élu ,
regardent déja leur pari comme gagné , & ils
en font maintenant un nouveau , c'eſt que l'oppofition
aura la majorité. C'eſt au tems à nous
apprendre ce qui en fera : en attendant les Miniltresdonnentdes
Pairies; le chevalier Lowther , le
lord Bulkeley & pluſieurs autres Seigneurs ont
été revêtus de cette dignité.
Il n'y a rien encore de décidé , relativement
au Sceau privé : il y a lieu de croire
qu'il ſera donné avant la premiere Affemblée
du nouveau Parlement, mais on ignore
ſi ce ſera au Duc de Grafton , au Lord Shelburne
, ou à quelque autre.
( 164 )
On ne fait pas non plus quel doit être le nouveau
ſyſteme pour l'Inde. Le Miniſtre a eu diverſes
conférences avec un comité choisi des
Directeurs , & ſes propoſitions ont été miſes ſous
les yeux de la Compagnie M. Atkinfon eſt celui
que M. Pitt confulte le plus dans tous les projets
de commerce , & perſonne ne doute de ſa capacité.
Nous aurons donc un ſyſtème de Gouvernement
pour l'Inde , formé à l'Hôtel de
la Compagnie , & on prendra tout le ſoin poffible
pour que le nouveau plan ne conſerve rien
de l'eſpece de péculat qui régnoitdans l'ancien.
La Chambre des Communes adoptera cette
opération , & les Gentilshommes de la Chambre
n'ymettent point oppoſition. Tout promet d'aller
bien , ſi les Miniſtres ont le defir & le talent
de bien faire.
Lanéceffité d'un changement dans l'adminiſtration
de l'Inde, & del'établiſſement d'un
plan vigoureux , eſt généralement reconnue ;
les derniers avis reçus de ces contrées , s'il
faut en croire nos papiers , la font ſentirplus
vivement encore : nous les laiſſerons parler
fur cet objet.
On s'eſt bien gardé , diſent- ils , de publier
les dernieres dépêches arrivées de l'Inde ; mais
malgré le ſoin qu'on prend pour dérober au
public l'état alarmant des affaires dans ces contrées
il en a tranſpiré quelque choſe; & ilne
peut être plus effrayant. -Un ordre du Confeil
a ſuſpendu tous les paiemens pour le ſervice
civil. Les billets de la Compagnie perdent à
l'eſcompte 18 pour 100. Les ordres du tréſorier
ſont refuſés & on ne les vend qu'à 4 pour
100 de perte. Il eſt dû plus de 6 mois d'arrérages
à l'armée du Bengale. Les balances de
( 165 )
la recette des revenus pendant les troisdernieres
années , finiſfant en Mai 1783 , montoient à
7,223,319 roupies ficca ou au- dela de 900,000
liv. fterl . Ce qui eſt plus terrible que le reste c'eff
que tout le pays depuis Patna juſqu'à Delhi eft
défolé par une famine univerſelle, dont les effers
ſe ſont répandus dans toutes nos Provinces &
ſe font ſentir à Calcutta. Les diviſions du Conteil
, portées au plus haut degré , ajoutent à
cet état de détreſſe générale. M. Haftings a ſeul
àcombattre Wheeler , Macpherson , & Stables
qui ont réuni leurs efforts contre lui. Il accufe
le premier de manquer de candeur , le ſecond
d'être un traitre , & le troiſieme d'une imbéci
lité qui ne permet de faire aucune réponſe à
tout ce qu'il dit. M. Haſtings déclare hautement
qu'il regrette le temps où il trouvoit dans ceux
qui lui étoient oppoſés des hommes d'honneur
& de talens qui l'attaquoient ouvertement & noblement
, & qui , s'ils l'empêchoient d'agir ,
Lavoient agir eux- mêmes & empêcher que le fervice
public en ſouffrit ; il ne parle qu'avec mépris
du nouveau trio d'oppoſans .
Le Parlement d'Irlande apaſſéunBill pour
Ôter au Lord Scrangfort la faculté de don
ner ſa voix en perfonne , ou par Procureur ,
à la Chambre haute. C'eſt ainſi que nos papiers
rendent compte du motifde ce Bill. 1
La grande cauſe d'Ely , fur laquelle les opi
nions étoient partagées , parut fournir à ce Pair
une occaſion d'utilité pour lui , fans faire vio
lence à ſa propre opinion. Il écrivit imprudem
mens àune des parties , que ſi elle vouloit lui
envoyer une certaine fomme , il voteroit en ſa
faveur. La lettre fut miſe ſous les yeux des
Pairs , & il eſt tout fimple qu'elle ait amené le
( 166 )
Bill contre le Lord Strangfort. Il eſt fort agé, fa
fortune eſt médiocre , & ſa famille nombreuſe.
11_rfide à Palmerſton , à quelques milles de
Dublin.
Une aſſemblée nombreuſe, tenue à Shamrock
, & préſidée parM. JamesByrne, a pris
les réſolutions ſuivantes :
Arrêté que nous ne faiſons point de voeux
pour la liberté , ſi toutes les claſſes du peuple
Irlandois ne partagent pas ſes douceurs. Arrêté que
nous croyons qu'il eſt de notre devoir de faire
connoître combien nous ſommes fâchés que les
ſages & bonnes diſpoſitions des premiers auteurs
de la réforme parlementaire , les illuftres patriotes
deDungannon , aient été malicieuſement
détruites par les manoeuvres de gens mal intentionnés
, &de déclarer qu'en qualité de citoyens
&de volomaires nous ferons tous nos efforts
pourdéfendre nos vies & nos fortunes & pour
obtenir une réforme dans les Communes du Parlement
ſur la grande & indiſpenſable baſe de la
Juſtice& de la libéralité. Arrêté que comme
lesplus précieux intérêts de ce pays ont été conftament
ſacrifiés à ceux de la Grande-Bretagne
nous nous engageons de la maniere la plus ſolemnelle
à ne porter ſur nous aucun article de
manufacture angloiſe & à ne faire aucune confommationdedreche
ou d'autre liqueur angloiſe
que lorſque nous aurons obtenu des droits de
protection& que nous n'acheterons rien d'aucun
marchand tenant boutique qu'après qu'il nous
aura donné une atteſtation ſous ferment que jamais
il ne cherchera à trømper le public en
vendant des manufactures angloiſes pour des
manufactures Irlandoiſes .Arrêté qu'à l'affemblée
généralequi ſe tiendra le 17 Juin chaque membre
( 167)
y paroîtra avec un habit neufde manufacture
Irlandoite.
Une autre aſſemblée tenue à Dublin , ſous
la présidence du grand Sheriff , a aufli tait
les arrêtés ſuivans , le 28 du mois dean.er.
Arreté unanimement qu'un comiteteran mmé
pour réd ger une pétition à S. M. contre le vill
intitulé , Bill pour aſſurer la siberté de la preffe.
1
Arrêté unanimement que la liberté de la
prefle & la liberté du ſujet font fi étroitement
liées enſemble , qu'elles ne peuvent ni ſubiſter
ni être détruites Pune ſans l'autre.-Que le
bill porté au Parlement tous le titre abfurde mais
ſpécieux de Bill pour affurer la liberté de la preſſe
ne contient rien qui ne ſoit directement contraire
aux principes & à l'eſprit de notre conſtitution
, & abſolument incompatible avec la liberté
& la fûreté du ſujet . -Que nous ferons
toujours diſpoſés à coopérer de tout notre pouvoir
avec nos concitoyens dans toutes les mefures
légales & conftitutionelles , tendantes à
obtenir un redreſſement de griefs & un rétabliſ-
Lementde nosdroits & priviléges.
Tous ces arrêtés prouvent combien ceBill
acaufé de mécontentement , &à quel degré
eſt portée la fermentation. La lettre ſuivante
de Dublin ajoute encore à l'idée qu'on
doit s'en former.
Le moyen d'une aſſemblée de Commiſſaires
tirés des Parlemens de la G. B. & de l'Irlande
pour arranger pendant les vacances tous les
points en litige, relativement au commerce des
deux.Royaumes , eſt une imagination d'un ancien
Miniſtre pour amuſer les Irlandois & les
empêcher d'adopter aucuns plans de commerce
qui n'aient été approuvés par la Cour de Long
( 168 )
dres. M. Orde , Secrétaire du Lord Lieute
nant , a engagé les affidés du Gouvernement à
ſonder la nation ou plutôt à chercher les moyens
de procurer une conte-adreſſe au Trône pour affoiblir
l'impreſſion que les adreſſes du corps
réuni des citoyens de Dublin & de toutes les
communautés de cette ville peuvent faire fur
l'eſprit du Roi. Il faut être juſte ; les agens miniſtériels
n'ont rien négligé de ce qui étoit en
leur pouvoir pour réuffir. On fait qu'il y avoit
autrefois parmi les principaux habitans de cette
ville un affez grand nombre de perſonnes qui
contents de leur fortune & de tous les agrémens
qu'elle leur procuroit , ne defirant, comme on dit,
que paix & aiſe , trouvoient les choſes trèsbien
comme elles étoient , abhorroient tout ce
qui avoit la moindre apparence de changement ,
&ne pouvoient manquer par cette raiſon d'être
les amis déclarés du Gouvernement,de défendre
toutes les meſures & d'être conſtamment àLondres;
foit pour lui donner ſa voix , ou lui procurer une
adreſſe , ſelon que les circonfiances le requéroient.
En conféquence , cette claſſe a dû être &
a été en effet la premiere ſollicitée ; mais hélas !
les choſes ſont bien changées. Une froideur immobile
a ſuccédé à ce zele , jadis ſi ardent pour
tout ce qui concernoit les intérêts de la Cour.
Le changement continuel , non ſeulement d'Adminiſtrateurs
, mais de ſyſtême , leur a fait perdre
toute confiance dans un Gouvernement ſi incon- .
féquent , & la miſere de leurs malheureux com
patriotes mourans de faim à leur porte , eſt une
preuve ſi forte de l'ineptie miniſtérielle , qu'elle
n'a pas beſoin d'être étayée par d'autres argumens.
Quant au gros du peuple en général , les
émiſſaires de la Cour ſe donneront bien de garde
d'aller demander ſon appui. Les principes de la
nation
( 169 )
nation font trop connus pour attendre aucun ſuccès
de ce côté-là. Les Officiers de l'Accife & tous les
valets de la vice- royauté ſont les ſeuls gens
fur leſquels on puiſſe compter ; mais M. Orde
lui-même n'eſt pas aſſez dépourvu de bon fens
pour vouloir d'une adreſſe ſignée par de tels
hommes.
Le Commandant Anglois dans la Méditerranée
a , dit- on, écrit au Gouvernement
pour demander qu'on renforçât Peſcadre
Britannique dans cette ſtation. Les François
, les Eſpagnols , les Hollandois , les
Napolitains & les Vénitiens ont dans cette
mer des eſcadres plus fortes que celle que
commande le Commodore Lindſey , qui ,
s'il devenoit néceſſaire d'agir , feroit dans
l'impoſſibilité abſolue de le faire.
La Cour des plaids communs a jugé, il y a
quelque temps, un procès d'une nature affez curieuſe;
miſtriſf Yartes , actrice du théâtre de
Covent-garden , avoit porté une plainte contre
le Directeur qui lui refuſoit ſon ſalaire ; elle
Teclamoit 850 liv. fterl. en conféquence d'un
'engagement verbal dont elle prouva la certitude
par témoins. Le directeur prétendoit ne lui
en devoir que 150 ; il convenoit qu'en effet
il lui avoit promis une plus groſſe ſomme ; mais
qu'elle avoit toujours été malade , & qu'elle
n'étoit autorisée à réclamer que ce qui lui revenoit
pour le temps pendant lequel elle s'étoit
bien portée. Le Lord Loughorough qui préfidoit
ce tribunal , obſerva que dès que l'engagement
exiſtoit il croyoit que l'autre étoit en droit de
reclamer la ſomme entiere fixée pour les douze
mois, eût- elle été malade pendant onze. Le juré
Nº. 21 , 22 Mai 1784 . h
( 170 )
prononça conformément a fon opinion , parce
que ſi miſtriſf Yartes n'avoit pas joué autant que
le Directeur l'auroit déſiré , ce n'étoit ni par
négligence ni par mauvaiſe volonté.
Une aventure affez plaiſante , arrivée ici
ces jours paſſés , a attiré l'attention de cette
ville, &fourni matiere à bien des Epigrammes.
1
Une jeune & jolie Demoiſelle avoit contracté
la mauvaiſe habitude d'eſcamoter tout ce qu'elle
pouvoit, par-tout où elle ſe trouvoit, lorſqu'elle
étoit aſſuréede n'être pas apperçue. Elle n'étoit
nullement forcée par la néceſſité; la fortune étoit
conſidérable. Toutes les fois qu'elle entroit dans
une boutique, elle s'emparoit des marchandises
qui étoient à ſa bienséance. Mais ayant fait un
jourcepetit manege , elle ne fut pas affez adroite
pour empêcher que le garçon de boutique ne s'en
apperçût ; celui-ci imagina d'en faire ſon profit.
Peu après , ſachant que la Demoiſelle devoit revenir
, il étala devant elle pluſieurs étoffes de
prix, en faiſant ſemblant de ne prendre aucune
garde à ſes actions : ſuivant ſon anciennecoutume,
lavoleuſe ne manqua pas de profiter de l'occaſion ,
elles'appropria tout ce qui lui convint. Mais le
garçon adroit , ſous prétexte de lui montrer quelque
choſe d'extraordinaire , l'attira dans une
chambre écartée , & là il lui déclara qu'il avoit
ſouvent obſervé ſes vols réitérés & qu'il alloit la
dénoncer à la Juſtice. La Demoiſelle effrayée ,
honteuſe & tremblante , avoua le fait , & implora
grace; le garçon lui dit qu'il ſe tairoit , mais à
condition qu'elle lui feroit ſur le champ une promeſſe
de mariage , ſans cela il l'aſſura qu'il alloit
chercher un Connétable pour la faire arrêter &
conduire en priſon, Après quelques momens de
( 171 )
reflexions , la Demoiſelle préféra le mariage a
l'échafaut ; elle fit la promeſſe , & le garçon , par
le mariage qui a été conclu , a acquis une fortune
de 15000 liv. ſterlings .
Les vols ſont toujours très fréquens dans
cette ville & fur les grands chemins. Dernierement
deux Officiers , l'un Capitaine des
Gardes Dragons , & l'autre des Gardes à
cheval, ſe rendant à Cantorbery , furent arrêtés
par 2 voleurs qui leur prirent so guinées,
leurs bijoux &leurs meilleures hardes ,
&les mirent dans un tel état , qu'en arrivant
à Darford , ils furent obligés d'emprunter,
del'Aubergiſte l'argent néceſſaire pour payer
la voiture qui les avoit amenés de Londres,
&pour continuer leur route.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 18 Mai.
Les de ce mois , L. M. ont tenu ſur les
fonts de baptême la fille de M. Augué, Receveur-
Général des Finances. Les cérémonies
du baptême furent ſupplées par l'Abbé
de Caſtellane , maître de l'Oratoire du Roi ,
enpréſencede M. Brocquevielle , Curé de la
paroiſſe Notre-Dame.
:
Le , les Chevaliers , Commandeurs &
Officiers de l'Ordre du S. Eſprit s'étant afſemblés
dans le cabinetdu Roi , S. M. tint
un chapitre extraordinaire, dans lequel elle
nomma Chevalier de l'Ordre du S. Eſprit , -
le Bailli de Suffren.
h2
( 172 )
M. de laCorée , ci-devant Intendant de
Besançon , que le Roi a nommé à la place
de Conſeiller d'Etat , vacante par la mort de
M. Bignon , & M. le Pileur de Brevannes ,
Préſident de la Chambre des Comptes de
Paris , nommé à la place de Confeiller
d'honneur du Parlement de Paris , vacante
également par la mort de M. Bignon , ont
eu l'honneur d'être préſentés à S. M. par le
Garde des Sceaux , & de lui faire leurs remercîmens.
Le même jour 9, la Maréchale de Levis a
pris le Tabouret ; la Marquiſe de Laval , la
Comtefle Jofeph de la Ferronays , la Comtelſe
de S. Tropez , la Comteile de Valon
d'Ambrugeac , & la Vicomteſſe de Vibraye
ont eu l'honneur d'être préſentées à L. M.&
à la Famille Royat , la premiere par la Ducheſſe
de Laval , la ſeconde par la Ducheffe
de la Rochefoucault , la troiſieme par la
Princeſſe de Berghes , la quatrieme par la
Marquiſe de Roquelaure , & la cinquieme
par la Marquiſe de Vibraye.
Le 10 , on a célébré à Versailles l'anniverfaire
de la mort du feu Roi ; le Roi , la Reine
, Madame , Madame Comteſſe d'Artois ,
Madame Elifabeth , & Mesdames Adelaïde
& Victoire de France y ont aſſiſté ; ce jour
Monfieur & Monſeigneur Comte d'Artois
s'étoient rendu à S. Denis , où l'on célébra
le même anniverſaire , & le 11 , le Servic
fondé pour le repos de l'ame de Louis XV ,
( 173 )
fut célébré dans l'Egliſe de la paroiſſe de
S. Louis , toute la Cour y aſſiſta .
Le Roi , en confidération des ſervices de
M. Dufraiſſe Duchey , dans la charge de
Procureur du Roi , en la Sénéchauffée d'Auvergne
& Siege préſidial de laville de Riom,
lui a accordé le 12 Janvier dernier un Brevet
de Conſeiller d'Etat.
DE PARIS , le 18 Mai.
:
I.es vaiſſeaux du Roi le Fendant, l'Argonaute
, le Brillant, le S. Michel & l'Annibal ,
Anglois , font reſtés dans l'Inde , fous le
commandement de M. de Peynier. L'Illuftre
eſt arrivé à Breſt , le Sphynx & l'Artéſien
à Rochefort, le Héros àToulon , où le Hardi
doit auffi être actuellement. On attend encore
à Rochefort le Vengeur , l'Ajax & le
Flamand , & à Breſt l'Annibal , François .
L'Orient , le Bifarre & le Sévere ont fait
naufrage dans l'Inde .
On a reçu une lettre particuliere , écrite à
bord d'un de nos vaiſſeaux , à la rade de
Trinquemale , le 20 Novembre de l'année
derniere , dans laquelle on lit les détails
ſuivans.
>>>Demain ſi les vents font bons , nous partirons
pour la côte de Malabar , au nombre de 3
vaiſſeaux , une frégate & une flute. Voici la liſte
de cette petite eſcadre. Le Fendant, de 74 ca
nons , M. de Peynier , Commandant ; l'Argenaute
de même force , M. de Cleviere ; le faint
Michel , de de , M. de Beaumont-le. Maitreう
h3
( 174 )
JaBellonede40 , M. de Coſtebelle ; & la Ante
les Bons-Amis. Nous viſiterons ſucceſſivement
Colombo , chef-lieu des poſſeſſions Hollandoiſes
fur l'ifle de Ceylan , Cochin , autre comptoir
Hollandois ; Mahe , d'où nous irons àGoa , fameux
établiſſement Portugais , qui ſera ſans
doute le terme de notre voyage..
Nous avons donné dernierement un relevé
des Regiſties des Paroiſſes de Mont.
pellier ; la petite vérole qui y regna l'année
derniere , augmenta conſidérablement la
lifte des morts. Aujourd'hui nous placerons
ici quelques obſervations ſur cette épidémies
elles font l'ouvrage d'un Médecin de cette
ville , & méritent de l'attention .
On fit environ 40 inoculations pendant les
mois de Mars & d'Avril 1783 : elles réuſſirent
routes. Dans letemps qu'on cherchoit du germe
variolique pour faire la premiere inoculation , on
trouva deux petites véroles naturelles & ſpontanées
dans le quartier des Carmes de S. Pierre.
Peu contentde la matiere variolique que préſenfoient
ces deux petites veroles naturelles , on en
fut chercherde choix àAigues-mortes , où cette
maladie étoit répandue , & c'eſt de ce germe venu
d'Aigues -mortes , qu'ont été ſucceſſivement
faites les40 inoculations. - Pendant le traitement
des premieres , vers le mois d'Avril , la
petite vérole naturelle commença à ſe répandre
au point qu'elle fut propagée dans tous les
quartiers de la ville vers la finde Mai. Cette
maladie fut d'abord affez bénigne ; mais elle
devint meurtriere dès le mois de Juillet , &
continua àl'être juſqu'à la fin de l'année , quoiqu'un
peu moins en Décembre , elle n'avoit
cependant aucun caractere particulier de mati.
( 175 )
1
gnité. Il eſt mort proportionnellement beau
coup moins d'enfans parmi les perſonnes aiſées
& inſtruites , qu'il n'en eſt mort parmi le peuple.
Les inoculations qu'on avoit pratiquées avoient
faittenir ſur leursgardes les perſonnes inſtruitesdu
traitement qui convient à cette maladie ; on
avoit tenu les enfans à un régime préparatoire
dont on a reſſenti les heureux effets . On a obſervé
de plus que , foit Parens , ſoit Médecins & Chirurgiens
, on s'étoit généralement plus conformé
au traitement rafraîchiſſant ou aéré uſité dans la
petite vérole artificielle . Le peuple qui raiſonne
peu en général , qui ne connoît & ne prend
aucune précaution , qui ne peut, lors même qu'il
le voudroit , tenir ſes logemens auſſi aérés qu'il
faudroit , a preſque ſeul ſupporté la mortalité
que cettte cruelle maladie a occaſionnée . - Il y
a eu beaucoup d'adultes attaqués de la petite
vérole, tous s'en font heureuſement tirés. -
Cette maladie s'eſt communiquée à preſque
tous les enfans de l'Hôpital général qui étoient
dans le cas de la prendre : il n'en eft mort aucun.
Onobſerve que cette Maiſon a preſque le même
bonheur dans toutes les épidémies varioliques .
Ladiverſité des ſujets bâtards , enfans trouvés ,
ſcrophuleux , &c. que cette Maiſon reçoit , indique
affez que tous ces enfans ne ſont pas à la
même époque dans l'état de ſanté le plus favorable
pour recevoir cette maladie : il doit donc
y avoir quelque cauſe générale qui rende bénignes
dans cette Maiſon les épidémies qui ſont
meurtrieres dans le reſte de la Ville. L'auteur
penſe qu'on peut attribuer cet effet fingulier
àdeux cauſes, 1º, à la maniere vaſte & aérte
avéc laquelle les enfans y font logés ; 2°. au
régime perpétuel auquel ils font foumis par le
bon ordre & l'économie qui regnent dans cette
h4
( 176 )
-
,
Maiſon, Cette ſeconde raiſon pourra être de
quelque poids dans la queſtion fi ſouvent agitée,
pour ſavoir s'il faut ou s'il ne faut pas des préparations
avant de ſoumettre les ſujets à la petite
vérole artificielle . Comme on ne fauroit
trop prémunirles parens & les gens de l'art con.
tre les ravages occaſionnés par les épidémies de
la petite vérole naturelle , il eſt à propos de
leur rappeller qu'elle reviennent à Montpellier
tous les quatre ans , que rarement elles
retardent juſqu'à la cinquieme année. On en a
la preuve en confidérant que cette cruelle maladie
a régné dans cette Ville en 1766 , 1770 ,
1774 , 1778 , & que pour cette fois ſeulement
depuis plus de vingt ans elle n'a paru qu'à la
cinquieme année , qui a été l'année 1783 que
nous venons de parcourir . - Des calculs faits
avec ſoin ſur les trois dernieres épidémies , démontrent
que celle de 1774 a enlevé 441 enfans
au deſſous de dix ans . - Que celle de 1778
en a enlevé 509 du même age. - Que celle de
1783 en a enlevé 542. Par un autre calcul
affez exact , on peut eſtimer que la petite
vérole naturelle enleve à Montpellier environ
la huitieme partie des enfans qu'elle attaque .
Que l'on apprécie la perte que cette ville ſeule
préſentedans l'eſpace d'un fiecle ! Qu'on ſe forme
une idée de la progreſſion que cela auroit
pu produire pour la popularion ! En verfant une
larme fur le fort de tant de victimes de l'aveu -
glement & du préjugé , continuons nos voeux &
nos efforts pour voir propager la méthode ſalutaire
de l'inoculation , & répétons ſans ceſſe que
le nombre de perſonnes mortes pendant ou à
la ſuitede cette opération depuis qu'on inocule ,
eſt fi peu conſidérable , qu'on n'a pu le réduire
encore en calcul proportionnel , tandis qu'il en
( 177 )
meurt au moins un ſur huit de ceux qui font
attaqués par la petite vérole naturelle.
La lettre ſuivante n'a pas beſoin de commentaire,
ſi le remede qu'on y indique contre
les effets funeſtes de l'arſenic, que l'imprudence
a ſouvent multipliés , eſt sûr , on
ne fauroit trop lui donner de publicité.
M. Vous avez inféré dans un de vos Journaux
que toute une famille diftinguée avoit péri des
ſuites d'une mépriſe cruelle,de l'arſenic pris pour
de la farine. Je vous prie de publier ce remede ,
auſſi efficace que facile,qui eſt le plus prompt que
j'aie jamais éprouvé , tant pour l'arſenic que
pour le vert-de-gris qui quelquefois ſe mêle
aux alimens que nous prenons. Il s'agit d'exprimertrois
citrons dans un grand verre à bierre ,
&d'en couler le ſuc ; après la colature , prendre
deux gros d'yeux d'écreviſſes préparés & réduits
en poudre très-fine ; jeter dans le ſuc de citron
cette poudre au moment de la donner au malade
, ayant ſoin auparavant de la bien mêler
avec une cuiller d'argent , ou de bois , ou même
la lame d'un coûteau , la faire prendre de faite
la fermentation , &dès l'inſtant le malade eſt ſoulagé
: & fi les douleurs ſe renouvelloient , on
réitéreroit le remede. Deux fois j'ai dû la vie à
ce moyen , qui n'agit qu'en neutralifant l'acide
corrofif , parce qu'il a plus de force que celui
du citron , pour s'emparer fur le champ des yeux
d'écreviſſes , par ſa grande affinité avec les terres
abſorbantes & a'kalines . J'ai ſauvé pluſieurs
perſonnes par ce remede , & récemment deux
femmes qui s'étoient empoiſonnées en faiſant
bouillir leur lait pour leur café dans un poëlon
de cuivre boſſelé , & qui avoit été mal récuré.
L'effet de ce remede eſt ſi prompt que les douleurs
hs
( 178)
1
ceffent auſſi-tot après l'avoir pris ; & fi on foupçonne
une grande quantité de poiſon, on le répere
deux à trois fois dans les vingt-quatre heures. Je
le donne auffi avec ſuccèsdans les coliques bilieuſes
: mais quoiqu'il enleve les douteurs , dans
ce cas là il agit différemment , puiſqu'il fait
très-ſouvent vomir , au lieu qu'en cas de poiſon
il purge. Il faut , après les douleurs ceſſées ,
purger les malades avec de la manne fondue
dans debonne huile d'olive , ou d'amande douce
récente, &pour plus de fûreté , réitérer ce purgatif
deux à trois fois , & faire boire du lait au
malade ; mais pour les coliques , il ne faut pas
purger avec cette potion huileuſe , maisdes minoratifs
quelconques. Je croirois manquer à
l'humanité ſi je laiſſois ignorer un moyen fi facile
de ſe guérir. La plus grande difficulté eft
de trouver des citrons; mais on peut facilement
les conſerver des années entieres , en les metzant
dans des boîtes ou des flacons bien bouchés ,
&les couvrant par couches de fable fin paſſé au
four & au tamis. J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé,GRÉGOIRE FROMY , Religieux Chirurgien
de l'hôpital de la Charité à Cadillac.
Page
P. Š. Ce qui m'a décidé à faire mettre ce remede
dans votre Journal , c'eſt la mort de ceux
qu'on a traités , &je ſuis certain que même du
fublimé corrofifne feroit pas périr , ſi ondonnoit
defuite le remede ci-deſſus .
Une lettre d'Abbeville contient les détails
ſuivans.
11 a été trouvé , dans le courant du mois dernier
, fur le terrois d'Ailly-le-haut-Clocher ,
diſtant de trois lieues de la ville d'Abbeville , une
Urne ou Potiche de pierre de taille groffiérement
creufée & couverte d'un plateau de même
matiere , dans laquelle étoit renfermée une quan
( 179 )
tité conſidérable de monnoies de cuivre. Doux
Particuliers , en recherchant une borne dans les
champs , fentirent de la réſiſtance à la profone
deur de la beche ; mais au lieu de la borne ,
c'étoit le dépôt dont il s'agit. Ils crurent leur
fortune faite. A force de travail ils vinrent à
bout de lever cetteUrne dans laquelle ils trouverent
environ 120 liv. peſant de monnoies de
cuivre ; il en faut dix pour le poids de demionce
, & par conséquent les 120 livres , au poids
de 15 onces , donnent la quantité de 18,000
pieces; elles ſont toutes de la même grandeur ;
elles ont été vendues au poids à un Chaudronnier
d'Abbeville. Il faudroit un grand amour
de l'antiquité & une grande patience pour nettoyer
toutes ces pieces de la terre & du vert de
grisqui les couvre ; un grand nombre font collées
les unes contre les autres , pluſieurs font
corrodées & totalement effacées : quelques-unes
priſes au haſard & nettoyées , ont laiffé lire les
noms de Gordien , de Galien , de Carinus. A en
juger par- là , elles ſont toutes du Bas-Empire.
Les Inventeurs ſoutiennent quils n'ont rien trouvé
autre choſe , & qu'il n'y avoit point de monnoiss
d'or ni d'argent. Eft- il poſſible qu'une auffi
prodigieuſe quantité de petites monnoies ait
formé le tréſor d'un particulier , ſans qu'il y ait
joint des piecesd'une plus grande valeur ?
Dans un moment où l'on ne s'occupe
que du Magnétiſme animal , où l'enthoufiaſme
eſt ſi vif, où il parle avec tant d'éclat
& de hauteur , que l'incrédulité n'oſe élever
ſes doutes , & paroît contrainte de ſe taire ,
on ne peut être fâché de trouver ici la lettre
ſuivante ; elle offre un nouveau Magnétifme
, ce qui doit la bien faire recevoir des
h6
( 180 )
partiſans de la doctrine ; & ſes détracteurs
conviendront, que ce n'eſt pas ſérieuſement
que certains objets doivent être attaqués ,
& que l'on a raifon , lorſqu'on eſt plaifant.
>
M. Au milieu des jouiſſances ſans nombre de
cette Capitale , par l'adoption du magnétisme ,
ou plutôt des magnétiſmes , permettez-vous àun
nouvel adepte , bien &duement initié , d'élever,
la voix ? C'eſt pour vous propoſer , Monfieur
& par vous , à tout Paris , un moyen nouveau
d'étendre ces mêmesjouiſſances , en répandant,
à la fois ſur tous ſes habitans le véritable magnétiſme.
N'est- ce pas accomplir les voeux que
P'on fait par tout en faveur de la médecine magnétique
, en faifant en même tems , avec raifon
des épigrammes contre celle qui ne l'eſt
pas. Ne croyez pas , Monfieur , qu'il ſoit
ici queſtion de faire revivre l'eſpece de magné
tifine qui s'exerçoit , il y a juſtement quarante
ans , au milieu de Paris , avec des ſuccès au
moins comparables à ceux du magnétifime de
nos jours. Le rappro hement facile à faire de
cequi ſe paſſoit alors avec ce qui ſe paſſe au
jourd'hui , la parfaite identité des effets &des
cures du baquet bienfaiſant , &de la bienfaifante
tombe , appartiennent à une Science phyficomorale
que je développerai une autre fois. La
partie curative & 1 partie divertiſſante ou fanraftique
de l'un & l'autre magnétiſme feront
traités ſéparément , & d'une maniere neuve ,
dans un Ouvrage qui , j'eſpere , ſera digne d'être
mis à côté du Livre bleu -Quant à préſent ,
M. , mon ſeul but eſt d'étab'ir pour Paris excluſivement
, un magnétiſme plus grand& in
finiment plus puiffant que tous ceux dont on a
parlé juſqu'ici : le Mesmerisme , le Delonisme ,le
( 181 )
:
- Des
Martinisme , &c. qui , de l'aveu des fondateurs ,
font très-différens , mais qui pourtant , au rap
port des ſectaires de chacun , produiſent tous les
mêmes miracles , ne font que de foibles eſſais
magnétiques en comparaiſon du mien. Le magnétiſme
d'Alfort , celui d'Amins , celui de
Mâcon , celui memede Portugal , que l'on a voulu
gauchement affimiler aux autres , ne font non
plus que des jeux deufans auprès du magnétiſme
de Chailot ; c'eſtainfi , M. , que j'appelle
le mien , & vous allez voir pourquoi.
trois ou quatre gran is baquets qui font établis
ſur la montagne de Chaillot , pour la diftribution
des eaux de Seine à Paris , partant des canaux
qui vont aboutir dans tous les quartiers & à
toutes les maiſons de cette immenfe vlle ; on
ne me conteſtera pas fins doute ( & j'en ai acquis
la preuve certaine moyennant cent louis)
qu'il ne ſoit très-conforme aux loix de la ſaine
phyſique , & plus encore aux principes reçus du
magnétiſme , que les grands baquets de Chaillot
font de vrais réceptacles , & les canaux qui en
fortent les meilleurs conducteurs de ce fluide
univerſel . Cela poſé , le reſte va de lui même.
-
Il ne s'agit plus que d'ajouter à la ſouſcription
annuelle de so liv. de MM. Perrier ,
pareille ſomme de 50 liv une fois payée , pour
chaque maison , & on y recevra tous les matins,
avec le muid d'eau , la quantité de magnétifme
que l'on voudra pour la journée. Vous faurez ,
M. , qu'il eſt tout auffi facile de magnétiſer
deux ou trois cents mille muids d'eau que celle
d'une fimple bouteille, ou d'un petit baquet :
tout comme de magnét fer à la fois une forêr
entiere ne coûteroit pas plus que de magnétiſer
un ſeularbre du Luxembourg. Perſonne n'ignore
que ces petits tours de phyſique ſe font déja ré
182
pétés pluſieurs fois ſur les baſſins & fur les atbres
dans quelques jardins de cette Capitale. -
Ainfi nul doure , M. , dans la réuſſite du projet
que je propoſe , & l'on conviendra que c'eſt projetteren
grand. Quant au détail , il y aura déformais
dans chaque maiſon , pour y recevoir
les écoulemens du magnétiſme , des cabinets de
ſanté , garnis de pointes , de chaînes , &c. préparées
pour les criſes , comme il y a des cabinets
debains avec des tuyaux , des robinets , &c.
On établira pour le peuple des hoſpices &des
hôpitaux magnétiques , qui feront fans ceſſe
alimentés de ce fluide falutaire , comme enRuffie
, par exemple , on établit des falles publiques
de bains vaporaux , toujours entretenus au même
degré de chaleur. -Si ce plan eſt adopté ,
M. , on n'entendra plus murmurer que les avantagesde
la ſublime découverte du magnétiſme re
font encore profitables qu'à un petit nombre
d'individus privilégiés , faiſant loges , cercles ou
cotteries. Un autre bienfait qui réſultera de la
propagation de mon magnétiſme aqueux , ce ſera
de me fournir les moyens d'établir gratis un
autre magnétiſme que j'appellerai aérien ,&dont
le foyer ou baquet ſera diſpoſe dans les tours de
Sainte Genevieve. Par ce dernier établiſſement ,
dont la gravure va paroître , je ne pourrai , à
la vérité, magnétiſer que le quart de Paris à
la fois ; mais chaque quart aura ſon tour dans
l'eſpace de vingt-quatre heures , en ſuivant alternativement
les quatre points cardinaux du
globe , & en obſervant , comme de raiſon , le
cours des aſtres & des planetes . Je dirai , M. ,
pourquoi je préfere Sainte Genevieve à tout
autre lieu , même à une eſpece de patache que l'on
pourroit établir au-deſſus de Paris par le moyen
des balons. La pluie & le beau tems ne font
( 183 )
nullement indifférents à mes opérations magné
tiques , pas plus qu'ils ne le ſont aux nombreux
baquets déja établis dans la ville & fauxbourgs
deParis ; chétifs baquets ,je le répete , qui vont
par ma découverte , devenir , comme on l'a déja
dit , le jouet des écoliers de physique. J'ai l'honneur
d'être , &c. Le premierApôtre du maznétisme.
On a fait les 19 ,20, 21 & 22 du mois d'Avril
dernier , à l'Hôtel-de-Ville , en préſence deMM.
les Prévôt des Marchands & Echevins de la ville
de Paris , le premier tirage de la Loterie royale
établie par Arrêt du Conſeil du 4 Octobre 1783 .
Nous ne pouvons placer ici la liſte des 4000billets
ſortis ,dontles lots réunis forment un total
de 1,961,000 liv.: nous nous contenterons de
faire connoître les principaux. Le lot de 80,000 1.
eſt échu au nº. 56,226 , celui de 30.000 liv. au
n°. 46,570 , celui de 12,000 li. au no.5102 , celuide
8000 liv. au nº. 34,460. Les autres lots conſiſtent
endeux de 6000 liv. , quatorze de 3000 1. ,
tremede 1500 1. , cinquante de 800l. , troiscents
de 600 liv. Les autres lots de 420 liv. chacun
font au nombre de 3600 1. Conformément à
P'Arrêt du Conſeil portant établiſſement de cette
Loterie , les lots fortis feront payés dans le mois
d'Octobre prochain au Tréſor royal .
DE BRUXELLES, le 18 Mai.
Les Commiſſaires envoiés ici par la République
des Provinces-Unies , pour conférer
avec le Gouvernement - Général des
PaysBas; fur les différends qui ſe ſont élevés
, ſont arrivés ici depuis quelque temps ,
& ont préſenté leurs lettres de créance à
L. A. R. Depuis cette époque les conférences
ont commencé.
( 184 )
On apprend de la Haye, que l'Enſeigne
de Witte, quoique reconnu coupable , mais
en même temps plus malheureux encore ,
tie fubira point la mort , & qu'il lui fera fait
même grace de toute peine infamante.
Les demandes de l'Empereur aux Etats-
Généraux font maintenant connues : elles
conſiſtent en 14 articles que nous placerons
ici.
1°. Les marcations des frontieres de Flandre
doivent , conformément aux déclarations répétées
de feue l'Impératrice Reine &de S. M. l'Empereur
, actuellement regnant glorieuſement , refter
d'après la teneur de la convention de l'an
1664 ; & fi par le cours du tems , il s'y eſt élevé
quelques nuages , S. M. s'attend que L. H. P.
nommeront des Commiſſaires pour , de concert
avec ceux qu'il y deſtinera , rétablir les cho
ſes ſur le pied où elles doivent être d'après la
dite convention , comme l'unique baſe que S.
M. reconnoît . 2°. S. M. s'atrend en même
temps , que L. H. P. feront démolir cette partie
des fortifications du Fort de Liefskenshok , qui
s'étend plus loin qu'il n'eſt aſſigné à la République
par le VI . Art. de la convention de 1664 ,'&
qu'en même tems elles feront ceſſer toutes les
ufurpations qu'on a laiſſées , particulierement fur
le pays avancé du Polder de Doel . 3 ° S. M. demande
que les forts Kruis-Schans & Fréderic-
Henri fovent inceſſamment démolis & évacués ,
vu que le Traité de 1648 eſt très clair là- deſſus.
4°. S. M. demande que le fort de Lillo , dont les
fortifications s'étendent fur le territoire pris çà
&là for fon territoire , ſera à tous égards porté à
Pétat où il étoit auparavant , lorſque la poffeflion
en eſt reſtée aux Etats-Généraux par le Traité
( 185 )
mentionné. 5º . S. M. qui , conformément aux
traités , penſe avoir la ſouveraineté pleine & indépendante
de toutes les parties de l'E caut , depuis
Anvers juſqu'à Safungep , demande que le
vaiſſeau de garde , placé devant le fort Lillo , &
que L. H. P. ont fait retirer proviſionnellement ,
fera pour toujours fupprimé , S M. ne pouvant
fouffrir dans toute l'étendue de ſa Souveraineté
fur l'Escaut aucun navire , ou quelque autre pouvoir
ou inſpection étrangere. 6°, S. M. demande
que la République rende les villages de Bladel &
de Reufel, dont la République s'eſt rendue maitreſſe
, ſous prétexte qu'ils auroient fait autrefois
partie de la mairie de Bois-le-Duc , quoique cependant
il foit avéré , que le Roi d'Eſpagne les
poſſédoit lors du traité de Munter , & qu'ils ont
toujours a partenu au quartier d'Anvers. 7 ° . S.
M. demande , que les Etats Généraux faifant cef,
fion de leur prétention ſur le village de Poſtel ,
qu'ils ont en poffeffion , rendent à l'Abbaye de ce
nom les biens qu'ils poſſedent fur ce territoire &
dont ils ſe ſont rendus maîtres en contravention
au 43 art. du traité de Munſter. 8°. S. M. demande
que les Etats-Généraux ceſſent toutes les
ufurpations contre la Souveraineté marquée , à
l'égard des pays de Koningsheim , Telogne ou
Voelen , Grootloon , Heeren Keer, Hoppertin
gen , Moppertingen , Nederen , Paur , Ruffen ou
Rutten , Sluyſen , Sepperen , Falais , Argen
teau & Hermaal , & que de la part de L. H. P.
on s'abſtienne de toutes levées , ſoit ſous le titre
de ſubſide , ſoit autrement, qu'on s'eſt arrogé de
tirer de ces pays , contre le droit & la justice , &
au préjudice du droit & de la ſouveraineté de
l'Empereur , S. M. demande que les Etats Génér
raux fatisfaifant aux engagemens qu'ils ont con
tractés par le Traité du 30 Août 1673 , lui.res
( 186 )
mettront enfin la ville de Maeftricht & le comte
de Vroenhove , avec toutes ſes dépendances dans
le pays d'Outre-Meuſe , leſquels ils retiennent
injuſtement&contre la teneur dudit traité. 10°.
S. M. demande indemniſation & reſtitution des
revenus, productions , fruits , &c . quelconques
perçus par la République ou ſes receveurs , ſous
quelque nom ou titre que ce ſoit, de tous lesarticles
contenus dans cette Note. I. S. M. demande
que les Etats Généraux lui faſſent indemniſationpour
les pertes énormes qu'il a eſſuyées
dans le produit des droits d'entrée&de fertie ,
pour ( en ajoutant foi àla promeſſe poſitive d'un
Traité de commerce , faite par la République,
mais toutefois éludée & jamais miſe en exécution
) avoir maintenu pendant quelques années
Fimpofition de ce droit, ſur un pied défavorable
&défavantageux à tous égards. 12º. S. M. exige
que lesEtats-Généraux lui reſtituent le montant
de tout ce qui lui revientde la partde la ville&
duMarquifatdeBergen-op Zoom , de la ville &
de la baronnie de Breda & d'autres parties du
Brabant-Hollandois : que lesEtat-sGénéraux reftituent
à S. M. I. leur portion dans les rentes affectées
ſur l'ancien ſubſide de la province de
Brabant, & qu'outre la reſtitution entieres du capital,
à compter du moment que, ces poffeffions
font paffées ſous la ſouveraineté de la République,
les Etats-Généraux , pour l'avenir fatisfafſent
régulierement au contingent , ſur le pied
dont on conviendra. 13 °. S. M. réclame la reſftitution
ou le paiement de toute l'artillerie & de
toutes les munitions de guerre, laiſſées ſous leur
garde& leur direction , lorſque les troupes de
'Etat ſont venues en garniſon dans quelquesunesdes
places de ce pays ; & S. M. exige en
même tems le remboursement de deux millions
( 187 )
de livres , qu'en vertu du Traité de pain conclu
àAix- la-Chapelle , la France doit avoir payés à
la République pour l'artillerie & les munitions
de guerre enlevées de ces places durant les heftilités.
14°. S. M. demande que les Etats-Généraux
fatfent payer aux corps & aux particuliers
nommés dans la Note ci-jointe, les capitaux qui
s'y trouvent ſpécifiés , avec les intérêts en réſultans
. NOTE. 1°. Les Etats de Namur
ont, en vertu d'un Arrangement avec le Gouverneur
Hollandais de Namur , & du confentement
de L. H. P. , le 12 Juillet 1745 , fourni
pour 8236 flor. 1 ſols de Bétail , pour la fubſiſtance
de la Garniſon , & dont le payement à
été reclamé en vain juſqu'à ce jour. 2°. Le Magiftratde
Namur a de même , en 1746 , livré
du bétail pour la Garniſon , ſans en avoir pu
toucher juſqu'à ce jour le Payement de 5268
florins 6 fols. 3°. Les Perſonnes Hannouſt ,Gabriel
, d'Outrebande &Maneffe ont , par ordre
du Gouverneur deNamur,pour le ſervice de
Garniſon pendant le Siege en 1746 , fourni des
lits avec ce qui en dépend , dont le sotal monte
à 36862 flor . 2 ſols, ſans en avoir pu juſqu'à
ce jour obtenir le payement , quoiqu'après la
priſe de Namur , cette fourniture ait été taxée
fur le même pied par les Otages Hollandois
reftés à Namur. 4°. Il faut qu'on rembourſe à
la régence de Tournai, le total des dettes ,
qui de lapartdes Etats-Générauxy ont été contractées
par le Général de Dorth pendant le
Siège en 1745 , formant ſomme de 8224 florins
ſept fols un denier ; auſſi bien qu'à différens Particuliers
du même diſtrict , la ſomme de 14689
florins neuf ſols; ce dont le Général de Dorth
paſſa dans la même année une Obligation formelle
de la part de L. H. P. , quoique juſqu'à
préſenttoutes les ſolicitations pour en obtenir le
la
( 188 )
remboursement , aient été infructueuſes. 5º. Les
Particuliers Marten Robyns , Pierre Langord ,
Henry Heyman & F. Caſtro ont dans les années
1709, 1712 & 1713 livré aux Troupes de la
République des Vivres & du Fourrage pour la
ſomme de 263392 flor. 15 lols , Argent d'Hol +
lande , ſans que, nonobſtant divertesOrdonnan
ces du Conſeil d'Etat , expédiées en leur faveur ,
particulièrement en 1721 & 1729 , & malgré
- leurs follicitations continuelles , ils en aient pu
être payés juſqu'à préſent.
Une lettre particuliere contient les détails
ſuivans , fur ce qui s'eſt paſſé de la part des
Portugais fur la côte d'Angola , & dont
tous les papiers publics ont parlé juſqu'ici
d'une maniere fort vague , & fur-tout avec
beaucoup d'exagération.
Voici , affure t-on , à quoi ſe réduiſent tous
les griefs élevés contre les Portugais. Leur Reine
leur avoit ordonné de bâtir un fort à Cabinde. Ce
fort , ou pour mieux dire , cette redoute de trois
à quatre canons , n'étoit élevée que pour mettre
les Portugais à l'abri des incurſions des peuplades
barbares voiſines , qui venoient ſouvent les inquiéter
& enlever leurs eſclaves , qu'elles vendoient
enſeite aux autres Puiſſances européennes,
Pendant qu'on travailloit à ce fort , leGouver
neur mourut ; un jeune Officier lui ſuccéda par
interim ; & les Negres ayant choifi ce moment
pour tenter de détruire l'ouvrage qu'ils voyoient
s'élever, le jeune Gouverneur accuſa le Capitaine
d'un bâtiment françois qui étoit ſur la côte,
d'avoir provoqué& favorisé cette agreſſion , &
fans forme de procès , il s'empara du bâtiment
&confiſqua la cargaison , conſiſtanteenbeaucoup
( 189 )
de Negres , parmi lesquels il y avoir entr'autres
un Prince d'une peuplade voifn
pas davantage pour éloigner de acti
autres bâtimens qui ve orent
répandit en Europe que les Porn
1.
中
roient pas qu'on y fit , comme peris
traite des Negres . Cette Cour a done les p'us
fortes affurances que jamais ce n'avoit été fonintention
, que les Puifiances Européennes feront
libres d'y commercer à l'ordinaire , & qu'elle
avoit envoyé des ordres pour punir l'Officier qui,
fans des preuves ſuffifantes , avoit confiique la
cargaiſon d'un bâtiment appartenant à une Puif
ſance amie.
• Des lettres de Veniſe apprennent que l'on
a enfin retrouvé le bâtiment Anglois la
Grande-Ducheſſe de Tofcane . C'eſt à Zante
qu'il a été arrêté , par les ſoins du Conful
d'Angleterre.
Les ſcélérats qui s'en étoient emparé l'avoient
conduit dans un havre , à l'oppoſite de la ville de
Zante ,& député l'un d'eux pour engager des matelots.
Le Conful anglois en ayant été informé , &
ayant des foupçons , employa trois habitans &
deux foldats déguiſés en matelots. Ceux- ci parurent
vouloir prendre parti , & ferent conduits
à bord du bâtiment , & ils ſe rendirent maîtres
des ícélérats avant qu'ils puſſent mettre le feu
au vaiſſeau , comme ils ſe l'étoient propoſé. La
femme du Capitaine , deux enfans & un ſeul paf
ſager qui étoient reftés à bord te portent bien .
Les coupables ont été exécutés ſur le champ ,
leurs têtes coupées & expoſées. Le Provéditeur
de Zante a expédié un paquebot à Livourne pour
yporter cette nouvelle au Capitaine Blacket , qui
fans doute aura mis à la voile pour aller repren
dre poffeffion de ſon vaiſſeau.
:
( 192 )
Le3 du mois dernier , on a fait à Lisbonne,
comme par-tout , des épreuves de la
Machine aéroſtatique de MM. de Montgel
fier; elles n'y ont pas eu moins de ſuccès :
mais elles ont donné lieu à des recherches
de la part des Erudits ; on prétend qu'ils ont
découvert , que l'honneur de l'invention eſt
due au Portugal; & voici ce que l'on écrit.
<<<En 1720, il ſe trouvoit à Lisbonne un certainBarthelemi
de Gusmao , qui avoit été Jéſuite
dans le Bréſil ; il avoit du talent , beaucoupd'imagination&
d'adreſſe; avec la permiſſion du Roi
Jean V, il fabriqua un balon aéroſtatique , dans
la place contigue au Palais Royal ; & à un jour
fixé, en préſencede L. M. &d'une foule immenſe,
il s'éleva en l'air , au moyen d'un feu allumé
dans la machine , juſqu'à la hauteur de la corniche
du faîte du palais ; mais par la négligence
& le peu d'habitude de ceux qui tenoient les
cordes , la machine pritune direction oblique&
toucha cette corniche où elle ſe rompit& tomba;
elle avoit la forme d'un oiſeau , avec la queue &
les aîles. L'Inventeur ſe propoſoit de faire de nou
velles expériences; mais affligé des railleries du
peuple , qui l'appelloient ſorcier , effrayé par
l'Inquifition , qu'il apprit diſpoſée à ſe ſaiſir de
lui , il profita des conſeils de ſes protecteurs , il
brûla ſes manuſcrits , ſe traveſtit , prit la fuite&
ſe ſauva enEſpagne , où , peu detems après , il
mourut dans unHôpital.On ajoute à préſent que
des Savans françois & anglois qui avoient été à
Lisbonne pour vérifier ce fait , ont fait des recherches
dans le Couvent des Carmes , où le P.
de Guſmao avoit un frere qui a conſervé quelques-
uns de ſes manuscrits ſur la maniere de
conſtruire les machines aéroſtatiques . Pluſieurs
perſonnes affurent qu'elles ont aſſiſté à l'expé
( 191 )
riencedu Jésuite , & qu'il en avoit reçu le ſebriquer
de Voador ou l'homme volant.
Acôté de ces détails , que nous préſentons
, comme nous les traduiſons , nous
joindrons ce paragraphe , que nous traduifons
des papiers Anglois.
ce On dit ici , comme un fait poſitif, que le
principe d'aſcenſiondes ballens aéroſtatiques étoit
connu des Anciens ilya environ deux mille ans.
Le Lecteur trouvera dans le dixieme livre d'Aulugelle
, chapitre 12 , le paſſage ſuivant : -Archytas
, diſciple de Pythagore , fit un pigeon de
bois , qui s'élevoit au moyende l'air enfermé dans
ſon intérieur , & raréfié par le mouvement de
quelques reſſorts qui le faiſoient mouvoir herizon,
talement,
Preſſé par le temps , nous ne pouvons vérifier
ce paſſage , mais on fait qu'en effet
Archytas , qui vivoit l'an 408 avant J. C.
fut un grand Mechanicien , qu'il inventa la
vis & la poulie , & trouva la duplication du
cube , découvertes citées par pluſieurs Auteurs
, comme plus utiles que celle de fon
pigeon volant , dont on n'auroit pas eu une
plus grande idée, il y a un an ou 18 mois ,
avant celle de M. de Montgolfier.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL .
Le tems préſent a amené les révolutions les
plus favorables à M. Wilkes , & auxquelles on ne
ſe ſeroit pas attendu il ya quelques années. Le
Docteur Wilſon de Bath lui a laiſſé un legs de
20,000 liv. ft. Sa femme , qui vient de mourir,
lui a abandonné pendant ſa vie la jouiſſance du
bien qu'elle lui avoit apporté ; il eſt réélu
Membre du Parlement pour le Comté de Middlefex
, & parune coalition honorable à laquelle
(192 )
ilis'eſt prêté , il eſt bien venu maintenant au
Palais Royal , qui luiavoit été autrefois fermé .
Il y a un contraſte affez fingulier entre les
commencemens de l'administration de M. Pitt &
de celle de M. Fox , lorſque ce dernier arriva
au pouvoir , le propriétaire d'un papier du matin
manqua & fir perdre au Bureau du timbre une
fomme confidérable qu'il devoit. Le Miniſtre
propoſa d'obliger , en accordant le privilege à
d'un papier quelconque , de dépoſer , pour la ſůreté
du Gouvernement , une ſomme qui pourroit
répondre du crédit qu'on lui feroit pour le droit
datimbre. Quoique cela parût favorable pour
le tréſor , l'expédient parut auffi mettre quelque
restriction à la liberré de la preſſe , & M. Fox
Pabandonna auſſi- tôt. On affure formellement
ce fat ; cela n'empêche pas qu'un papier d'hier
n'aie dit qu'aucun homme n'avoit plus de diſpofition
que M. Fox , s'il rentroit en place , à porter
un coup funeſte à la liberté de la preſſe.
Celui qu'on lui a porté en Irlande eſt un eſſal
qu'ona tenté pour préparer à celui qu'on veut
lui porter en Angleterre ; mais ce dernier n'aura
lieu que dans un an. Les mécontentemens qui
ont éclaté en Irlande montrent ceux qui auroient
Heu ici , & on veut marcher avec circonſpection.
Les Officiers François dans l'Inde ont , dit-on ,
reçu dernièrement Typo- Saib Franc-Maçon
les lettres qui nous l'apprennent aſſurent que
c'eſt un fait. Il y avoit quelques années que fir
John Duy avoit donné le titre de cette fraternité
au Nabab d'Arcate , qui en conféquence decette
initiation , écrivit en langue perſane une lettre
curieuſe de remerciemens au Grand-Maître de
la loge d'Angleterre ; elle étoit accompagnée
•d'un riche préſent , & elle eſt conſervée dans les
archives de la loge fuprême.
3
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 MAI 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE
Au Prince FERDINAND D'AUTRICHE ,
pendantfon séjour à Aix.
T.On air affable & gracieux,
Prince , nous a tourné la tête ;
Anos tranſports , à l'air de fête
Étincelantdans tous les yeux,
Qui ne dirait pas qu'en ces lieux
Louis eſt avec Antoinette ?
Tu nous peins leur aménité,
Etfur ton front éclate & brille
Ladouceur &la majesté!
Il paroît bien en vérité
Quemon Prince eſt de la famille.
C'eſt vainement que déſormais
N°. 22 , 29 Mai 1784.
)
I
194
MERCURE
Ta grandeur , craignant de paroître,
Voudra diffimuler ſes traits ;
Ton art de plaire & tes bienfaits
Te feront par -tout reconnoître .
Tel quand d'un nuage à nos yeux
Phébus cache ſon diſque immenſe ,
L'azur & la clarté des cieux
Ayertiſſent de ſa préſence.
Jalouſe de combler leurs veoeux ,
Ton inquiète bienfaiſance
Cherche par- tout les malheureux ,
Et ta bonté devient pour eux
Une nouvelle providence.
Au premier cri de l'indigence ,
C'eſt toi que l'on voit accourir ;
Dans l'âge de l'effervefcence ,
Et dans la ſaiſon du plaifir ,
Semer avec intelligence
Les tréſors de ton opulence ,
Voilà pour toi l'art de jouir.
CE ROI que la vertu couronne ,
Ce Frère auguſte & reſpecté ,
Qui , pour confeil , prit ſur le trône
La justice & la vérité ;
Joſeph , qu'admira ce rivage ,
Voyageoit avec la raiſon ;
Son eſprit , ſublime & profond ,
Obſervoit tout fur ſon paſſage.
DE FRANCE. تور
L
Fidelle compagne du ſage ,
Elle t'a ſuivi dans ces lieux ;
Mais pour égayer fon langage ,
Et ſon ton , par fois ennuyeux ,
Tu fus d'avis que , pour le mieux ,
Ton Épouſe fût du voyage.
Dieux ! que de charmes confondus
Dans celle que ton coeur adore !
Plus que du rang les attributs ,
L'affabilité la décore.
De faire adorer les vertus ,
Qui poſsède mieux l'art ſuprême ?
En elle la Sageſſe même
Devient une Grâce de plus.
MAIS inflexible Souveraine ,
Une cruclle & dure loi ,
Loin de ces bords heureux par toi ,
Couple adoré , déjà t'entraîne .
D'un Frère remplis les ſouhaits ;
Dans nos coeurs , mieux que dans l'hiſtoire ,
L'amour conſervera tes traits.
Que ton bonheur ſoit déſormais
Durable comme ta mémoire ,
Et vif autant que nos regrets .
(ParM. Morel , Doctrinaire , l'un des Profeſſeur
de Rhétorique au College Royal- Bourbon- d'Aix .)
Lij
196 MERCURE
:
LA FAUSSE RIVALITÉ , Anecdote.
MÉRIVAL vivoit dans une aiſance qu'il ne
devoit qu'à lui -même , c'eſt à dire , que la
jouiſſance lui en étoit bien plus douce ; car
la richeſſe dans laquelle on eſt né , devient
une habitude ſouvent infipide ; au lieu
qu'une fortune acquiſe eſt une eſpèce de régénération
dont on jouit avec volupté ; ce
bonheur eſt d'autant plus vif qu'il s'accroît
par le ſouvenir du paffe. Si Mérival étoit
heureux par la nature même de ſa fortune ,
il ſavoit l'être auſſi par l'emploi qu'il en
faiſoit. Il n'avoit ni cet orgueil trop ordinaire
aux parvenus , qui fait de leur naiffance
une occafion de reproche , quand elle
devroit être un motif d'éloge , ni cette triſte
& aveugle parcimonie , qui , ſentant trop
bien encore ce qu'il en coûte pour amaffer ,
n'oſe toucher au fruit de ſes travaux; qui ,
dupe enfin de ſes calculs , après avoir eu la
peine d'acquérir des richeſſes , ſe défend la
confolation d'en jouir. Mérival aimoit à
faire des heureux ; mais il y regardoit de
près auparavant. Avant d'exercer ſa bienfaiſance,
il examinoit très ſcrupuleuſement
fi l'on en étoit digne. Il pouſſoit même cette
recherche un peu trop loin ; quand il s'agit
de faire du bien , trop de prudence devient
un défaut; car il vaut encore mieux riſquer
d'obliger un ingrat que de refuſer ſes bien
DE FRANCE.
197
faits à celui qui les mérite. Auffi entroit il
un peu d'égoïſme dans la bienfaiſance de
Mérival; il aimoit à être utile , mais il craignoit
trop d'être dupe. Il vouloit être sûr
des malheurs qu'il foulageoit , comme du
mérite qu'il récompenfoit; & il lui falloit
un peu trop d'évidence pour s'en aſſurer.
Ajoutons néanmoins que cette exigeance
provenoit moins chez lui d'un défaut de
ſenſibiliré que d'un excès de raiſon. Un fervice
qu'il refuſoit étoit une privation pour
lui ; en un mot , quiconque ſait combien les
vertus humaines perdent à être examinées
de trop près , auroit été content du coeur de
Mérival ; & il faut convenir qu'il eſt encore
peu d'hommes auſſi dignes que lui du titre
de bienfaiteur.
Mérival avoit élevé auprès de lui la fille
d'un de ſes amis mort dans la pauvreté. Il
avoit cru qu'il étoit de ſon devoir de le remplacer
auprès d'Agathe; ( c'eſt le nom de la
jeune perſonne. ) Il avoit cherché à ſe confoler
de la perte de ſon ami , en ſervant de
père à ſa fille; & en effet , Agathe avoit
trouvé chez lui le coeur de ſon père avec la
fortune de plus. C'étoit le bienfait le plus
ſignalé de Mérival ; c'étoit auffi le plus mérité
Ce qu'il avoit dépenſé pour l'éducation
d'Agathe n'étoit rien moins que perdu ; car
elle avoit acquis tous les talens qui ajoutent
à la ſéduction de la beauté; & fa tendreffe
étoit bien payée par la reconnoiffance
qu'elle avoit pour lui. Quand la Nature l'eût
I iij
198 MERCUREI
condamnée à la laideur , Agathe auroit charmé
par fon eſprit ,& intéreſſé par ſon coeur;
mais à ces dons précieux elle joignoit encore
une figure charmante & la plus piquante
phyſionomie. Deux grands yeux bleus
armés de longues paupières , & couronnés
de ſourcils noirs des mieux deſſinés , complétoient
la ſéduction ; & fes regards , fes
moindres geftes , reſpiroient cette pudeur
intéreſſante , qui , faite pour écarter le defir ,
ne réuffit que mieux à l'allumer .
Le ciel avoit voulu combler le bonheur
de Mérival ; il lui avoit donné un fils qu'il
chériſſoit tendrement , & qui répondoit par
fes talens & fes vertus à tous les ſoins qu'on
avoit donnés à ſon enfance. On le nommoit
Servily. Mérival ne pouvoit conſidérer ſes
traits fansy voir ſon portrait vivant; & cette
reflemblance , malgré qu'on en ait , ne laiffe
pas d'entrer pour quelque choſe dans les
motifs de la tendreſſe paternelle. C'étoit
peu de lui reſſembler par la figure , il lui
reſſembloit encore par les qualités du coeur.
Mais pardeſſus tout , Servily ſe diftinguoit
par l'amour filial ; c'étoit le fi's le plus tendre
& le plus reſpectueux. Il étoit loin de
calculer , comme tant d'autres , par quel
motif Mérival étoit devenu ſon père ; il ne
comptoit pas avec la Nature ; il lui payoit
fon tribut fans reftriction ; fes ſentimens
étoient purs , ſans mêlange , comme ſa reconnoiffance
ſans bornes ; perfuadé qu'un
fils qui raiſonne ſur ſon devoir l'a déjà trahi.
DE FRANCE.
199
Servily étoit dans ſa dix huitième année ,
& Agathe venoit de voir commencer fon
quinzième printemps. Mérival leur avoit
ordonné de s'aimer comme frère & foeur ;
ils s'aimèrent aufli , mais autrement ; &
long- temps ils crurent l'un & l'autre n'avoir
fait qu'obéir. Quand le jeune homme eut
démêlé la nature de ſes ſentimens , fa tendreffe
filiale en fut alarmée ; il craignit d'être
coupable , ou du moins de le devenir par
fon filence. Il réſolut donc de s'ouvrir à fon
père , afin d'é ouffer ſon amour dans ſa naifſance
, s'il avoit le malheur de ne pas obtenir
ſon aveu. Il ſentoit combien cet effort
feroit pénible & douloureux ; mais , dupe
de ſa candeur , il eſpéroit y réuffir. Hélas !
il ignoroit qu'en amour on ne s'apperçoit
guères de la maladie que lorſqu'il n'y a plus
de guériſon à eſpérer.
Cet amour étoit déjà ſi avancé , qu'il n'avoit
pu échapper aux yeux de Mérival. Il
n'en fut pas effrayé ; mais il réſolut de s'en
ſervir pour éprouver à la fois Agathe & fon
fils . Il les aimoit tous deux tendrement. Il
voulut voir juſqu'à quel point il régnoit
dans le coeur de fon fils , & découvrir en
même temps quel pouvoir il avoit fur celui
d'Agathe. Dès que Servily ouvrit la bouche
pour lui dire qu'il avoit un ſecret à lui révéler
, Mérival devina ce ſecret : un pareil
aveu ne ſe fait jamais avec préciſion ; il y a
toujours nombre de mots inutiles avant d'en
venir à l'effentiel ; Mérival , qui avoit ſes
I iv
100 MERCURE
vûes , eut donc le temps & la facilité d'éluder
cette confidence. Il prétexta une affaire
très preffée , & donna un rendez-vous à ſon
fils pour le lendemain.
"
Le lendemain Servily étant venu le retrouver
dans ſon cabinet : " Mon fils , lui
> dit Mérival , je veux encourager votre
confiance & votre franchiſe. J'ai moimême
une confidence à vous faire. C'eſt
>>un aveu qui vous ſurprendra ; il coûte
>> même à mon amour propre; mais votre
>> amitié pour moi me répond de votre in-
>> dulgence. Vous ne connoiſſez pas encore
>> l'amour par votre propre expérience ;
>> mais vous ſavez qu'aucun âge n'eſt à l'abri
ود de cette foibleffe. J'aime , non fils ; voilà
» mon ſecret. » Servily n'entendit pas ce
mot ſans un mouvement de plaifir ; il ſe
flattoit que ſon père lui pardonneroit un
ſentiment dont il n'avoit pu ſe garantir , &
qu'il auroit pour ſon fils une indulgence
dont il avoit beſoin lui-même. Enfin il ſe
réjouiffoit au fond du coeur , quand Mérival
reprit ainſi : " J'aime; & ce qui vous fur-
>> prendra fur- tout , c'eſt que l'objet de mon
> amour n'est pas encore au tiers de mon
» âge. ( Cette circonſtance ajoutoit encore
ود à l'eſpoir de Servily. ) Enfin , continua
>>Mérival , celle qui a ſu toucher le coeur
ود de votre père; c'eſt , le croirez- vous , la
» jeune Agathe. » Ce mot fut un coup de
foudre pour ſon fils , qui paya bien par fa
douleur l'illufion d'un ſeul inſtant. Aufſi
DE FRANCE. 201
quand ſon père , après cette confidence , lui
dit de parler à ſon tour : Je n'ai plus rien
à vous dire , répond Servily , qui n'avoit ni
affez de courage pour déclarer ſes ſentimens ,
ni allez d'adreſſe pour les cacher tout- à- fait.
Mérival feignit de ne ſe douter de rien , lui
dit qu'il apprendroit ſes ſecrets quand il
voudroit les lui communiquer ; & en attendant
il le pria de ne pas trahir le ſien.
Le même jour il le fit appeler , & lui
dit : " Mon fils , ce n'eſt pas tout- à- fait pour
>> rien que je t'ai dit mon fecret. Il faut
>> m'aider à faire connoître mon amour; il
-
faut m'aider à toucher , s'il ſe peut , le
>> coeur d'Agathe . - Moi , mon père ?
• Qui , toi - même. Voici pour le moment
>> ce que j'attends , ce que j'exige de ton
>> amitié. Prends ce bouquet; il faut le lui
ود
ود
porter de ma part , ſonder ſon coeur , &
ſans lui déclarer mon amour pour elle , la
>> préparer du moins à en entendre l'aveu. »
A ce diſcours , Servily avoit trop à dire
pour entreprendre de parler. Il ſe tait , & fe
diſpoſe à obéir. Quelque douloureux que
fût un pareil emploi , il s'y méloit une forte
de plaiſir : c'eſt à Agathe qu'il alloit parler ;
c'eſt à Agathe qu'il devoit offrir un bouquet;
Agathe alloit le recevoir de ſa main.
Il n'avoit pas encore ofé lui parler de fon
amour; mais elle le partageoit trop bien
pour ne pas le deviner. Quand elle eut apperçu
le bouquet dans les mains de Servily ,
qui ſe diſpoſoit à le lui préſenter , elle éprou-
Iv
202 MERCURE
)
va , malgré elle , un mouvement de joie qui
la fit rougirde plaifir & de pudeur tout àla
fois. Mais quand elle eut appris de la:
bouche tremblante de Servily que ce bou-:
quet étoit un préſent de ſon père , elle expia
bien le plaiſir qu'elle avoit eu ; fon viſage
s'attriſta , non qu'elle ne fût ſenſible à l'atrention
de fon bienfaiteur ; mais fon coeur
s'attendoit à un bienfait de l'amour ; &
quand on eſpère une grande jouiffance , un
moindre plaifir devient chagrin. Pour Servily,
il n'eut pas la force de pouffer plus
loin fon obéiſſance. Il donna le préſent de
fon père; mais il ne put ſe rendre l'organe
de ſes ſentimens. D'ailleurs , il avoit beſoin
de quitter Agathe pour cacher ſes larmes
qu'il ſentoit prêtes à couler; & il ſe retira
auſſi fatigué que s'il eût épuiſé ſes forces par
un travail exceffif.
Dès qu'il fut rentré chez lui , Mérival vint
le trouver , & lui demanda compte de ſa
négociation . Servily , en le voyant, rougit ,
balbutia, quelques mots d'excuſe. « Je vous
>> entends , mon fils , dit Mérival ; vous
» avez craint d'embarraffer la pudeur d'A-
>> gathe. Eh bien , il faut la ménager. Écri-
» vez lui ; car je veux que ce ſoit par vous
>>> qu'elle apprenne mes fentimens ; & je me
flatte que vous n'épargnerez rien pour les
faire approuver. » Il fallut encore obéir.
ود
ود
Servilv prit la plume , écrivit deux pages
mais ſon ſtyle ſe reſſentoit trop du trouble
de ſon coeur ; la lettre étoit pleine de fautes
DE FRANCE. 203
de ratures; il fallut la recommencer. " Mon
>> père , dit Servily , fi vous dictiez vous-
» même , la lettre ſeroit mieux. En effet ,
>> dit Mérival , on exprime mieux ce qu'on
>> fent , & l'amour est encore étranger à ton.
» coeur. » Servily rougit de nouveau , &
Mérival dicta la lettre. L'écriture n'en fut
pas bien bonne , car Servily étoit trop agité
pour que fa main fût tranquille ; mais le
ſtyle en étoit plus correct , plus clair. Mérival
demanda à la lire ; & quand il en fut au
milieu : Servily , dit- il , voici encore une
ود faute. J'avois dicté , il vous aime ; vous
» avez écrit , je au lieu d'il ; voyez , il y a ,
» je vous aime. » A cette vûe Servily eſt
déconcerté , ſtupéfait; il ſe confond en excuſes
ſur cette diſtraction , tombe preſque
aux pieds de ſon père pour lui en demander
pardon. " Mais en voilà trop , interrompt
Mérival avec douceur. Pourquoi tant d'excuſes
& de regrets ſi exagérés ? Ce n'eſt
pas une faute ſi grave d'avoir écrit un
>> mot pour un autre. Mettez il , & effacez
» je ; tout fera dit. >> Servily fit la correction
fans rien dire ; la lettre partit ; & Mérival
rentra dans ſon appartement.
ود
ود
Cette ſcène avoit été bien longue pour
Servily. Agathe , de fon côté , ne fut pas
moins embarraffée en lifant la lettre qu'il
avoit écrite. Il y avoit de quoi s'étonner que
Mérival eût emprunté pour cela la main de
fon fils ; mais ce n'étoit pas là le ſentiment
qui eccupoit alors le coeur d'Agathe. L'amour
I vj
204 MERCURE
que Mérival lui déclare , celui qu'elle ſent
pour Servily : voilà l'objet de ſa ſurpriſe&
la cauſe du chagrin qui vient l'accabler.
Quelle douloureuſe ſituation pour la
fenfible Agathe , pour un coeur auſſi délicat
que le fien ! Elle ne peut rejeter les voeux de
Mérival ſans s'accuſer d'ingratitude. Renoncer
à Servily , c'eſt vouloir mourir ; mais
elle aime mieux la mort que d'être ingrate
envers fon bienfaiteur. Enfin elle est encore
maîtreffe de ſon ſecret , elle ſe promet de
ne pas le trahir ; & le filence que Servily s'eſt
preſcrit par reſpect pour ſon père , elle ſe
l'impoſe à fon tour par reconnoiſſance. Pauvre
Agathe ! à peine a- t'elle formé cette réſolution,
qu'elle ſe trouve le viſage & le
ſein baignés de larmes. Cependant elle y
perſiſte , & ſe met à écrire une lettre , dans
laquelle la reconnoiſſance tâche de remplaeer
l'amour ; malgré ſes efforts , il eſt à préſumer
que Mérival en auroit été peu ſatisfait
, s'il eût éré réellement amoureux ; mais
il feignit d'être content , & il la remercia
fans renoncer à ſon projet un peu cruel.
د
Le malheur d'Agathe & de Servily étoit
d'autant plus déchirant , qu'ils ne pouvoient
le pleurer enſemble. Que dis je ? Ils étoient
forcés de ſe fuir , de peur de trahir leur ſecret
par des larmes , par un regard. Le tendre
Servily cherchoit au moins à tromper ſa
douleur par ces détails , ſi minutieux aux
yeux de l'homme indifférent , & qu'on fent
fi vivement quand on aime. Dès qu'il pou
DE FRANCE. 205
voit regarder Agathe ſans en étre apperçu ,
ſes yeux ne pouvoient plus la quitter; fon
coeur treſſailloit ; il oublioit juſqu'à ſes chagrins.
Il recueilloit , il preſſoit contre fon
coeur tout ce qu'Agathe avoit touché. Sil
l'avoit vûe ſe promener au jardin , il y couroit
quand elle en étoit fortie; il parcouroit
les mêmes allées ; il poſoit , en marchant
, ſon pied dans l'empreinte qu'avoit
laiſſée celui d'Agathe; & il avoit enſuite du
regret d'en avoir effacé la trace. Un jour
qu'il avoit trouvé un ruban qu'elle avoit
laiffe tomber, & qui avoit fervi à ſa parure ,
ſon père le ſurprit comme il le baifoit &
rebaiſoit de tout fon coeur& fans s'arrêter :
• Que faites vous là, lui dit Mérival , en
>> feignant d'être fâché ? Vous faites éclater
>> un tranſport bien propre à confirmer un
>> ſoupçon que j'ai depuis long- temps. Ai-
» mez-vous Agathe ? Voulez vous affliger
>> votre père par une coupable rivalité ?
ود Êtes vous unfils ingrae ? » Servily paroît
accablé de ce reproche ; il veut répondre ;
l'agitation de ſon coeur intercepte ſa voix. Le
haſard fait entrerAgathe au même inſtant ;
Servily , le coeur déchiré , la tête troublée ,
ſe tourne vers elle , & lui dit avec des ſons
mal articulés : " Non..... Mademoiselle.......
» non...... je ne vous aime pas ...... je pleure ;
ود mais..... non , je ne vous aime point......
» Aimez , rendez heureux..... » Il veut pourfuivre
; ſes ſoupirs , ſes ſanglots étouffent ſa
voix; il fort , laiſſe Agathe fort étonnée , &
206 MERCURE
Merival lui même attendri ; il fait néanmoins
un effort pour donner une explication telle
quelle à Agathe. " Belle Agathe dit- il , par
ود ſa juftification vous devinez mes repro-
>> ches. J'avois cru que mon fils vous ai-
ود moit. Lui , répond Agathe , qui n'étoit
>> guères moins troublée que Servily ! Et
>> quand il aucoit le malheur de m'aimer ,
> croyez vous que la Nature ne l'empor-
>> teroit pas ſur ſon amour ; qu'il ne s'im-
>> moleroit pas à ſon devoir ? » Elle prononça
ces paroles d'un ton qui prouvoit
qu'elle faifoit l'hiſtoire de ſon propte coeur..
" Agathe , interrompt Mérival , dont le coeur
ود
رد
étoit touché , mais dont l'eſprit ne ſe laifſoit
convaincre que par l'évidence , vous
» avez bonne opinion de Servily. Et vous
>> auriez fans doute le même courage ? Oui ,
>> j'aurois..... le même courage , reprit- elle ,
» avec un ton de frayeur. Je n'exigerois pas
>> de vous , continua Mérival, un auſſi grand
ود ſacrifice ; mais puiſque vous n'avez mis
>> aucun obſtacle à mes prétentions , je crois
>> pouvoir pourſuivre mon projet. » Alors
il fait entrer un Notaire qui étoit dans une
pièce voifine , & préſentant à Agathe un
contrat de mariage : " Voulez- vous , lui
>>dit il , figner cet écrit qui vous unit àmoi ?
>> Oui , je le ſignerai , dit - elle en ſouriant
>> de peur de pleurer; " & elle écrit ſon nom
d'une main toute tremblante. Comme elle
finiſſoit , une larme tomba ſur la page où
elle écrivoit ; elle l'eſſuya bien vite avec ſes
DE FRANCE. 207
doigts , ſans avoir pu la cacher; mais Merrval
feignit de n'en rien voir , & il appela
Servily. " Mon fils , lui dit il , voulez vous
>> figner ce contrat de mariage ? Oui , mon
>> père , répondit- il le coeur gros de foupirs. »
Comme il prend la plume, ſon père l'auête
&lui dit : " Servily , afin que vous le fafliez
"
ود
de meilleur coeur , apprenez un ſecret que
>> vous.ignorez encore. Mes enfans, vous avez
fatisfait à la Nature, à la reconnoiffance ; il
>> eſt temps que je cède à l'équité & au voeu
de mon coeur. Je fais que vous êtes amans ;
que ce contrat faffe de vous des époux
heureux ; pardonnez moi cette épreuve ,
ود
ود
ود &aimez moi comme je vous aime. » La
joie des deux amans fut égale à leur furpriſe
; & Mérival n'ayant plus de doute fur
leurs fentimens , ne mit plus de bornes à ſa
tendreſſe & à ſes bienfaits.
( Par M. Imbert. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent .
LE mot de la Charade eſt Coco ; celui de
l'Enigme eſt Miroir; celui du Logogtyphe
eft Langue , où l'on trouve ane, Ange , age
la , alun , eau , un , glu , nage, aune , ne
Agen ,lune , nuage..
208 MERCURE
MON
CHARADE.
ON premier de l'hiver eſt le plaifir fidèle;
Au nom d'un Saint mon fecond eſt uni ;
Mon tout pour un amant eſt un toit fort joli
Apartager avec ſa Belle.
SANS
( Par M. le Marquis de Fulvy. )
ÉNIGME.
ANS Architecte ni Maçon ,
Voulez-vous élever un logis magnifique ?
EN
Sans uſer d'un pouvoir magique ,
Thémire , en voici la façon.
D'un châtaigner prenez la tête ,
Joignez-y le pied d'un ormeau ,
Auffitôt la beſogne est faite.
Mon ſecret n'eft - il pas nouveau ?
(Par M. Lagache fils , à Amiens. )
LOGOGRYPΗ Ε.
N quatre pieds , Lecteur , j'offre un titre éminent;
Tranches ma tête , alors je ſuis un élément.
(ParM. M..ge , à ......... ) .
DE FRANCE. 209
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE Naturelle des Oiseaux. Tome
IX . in- 4° . De l'Imprimerie Royale. A
Paris , chez Panckoucke , hôtel de Thou ,
rue des Poitevins.
En terminant l'Histoire des Oiseaux aquatiques
, ce neuvième Volume complette
auſſi l'Ornithologie dans ce ſuperbe Recueil.
Comme les précédentes , cette partie offre
toujours la réunion des richeſſes de la nature
& de celles du ſtyle; c'eſt une nouvelle
trace du géant ſur le ſable; elle n'a plus de
meſure dans les temps actuels ; ajoutons
même qu'elle n'eut jamais de modèle.
Non , perſonne n'avoit encore raſſemblé
une pareille ſuite de deſcriptions , dont l'univerſalité
& l'exactitude ne ſont qu'un mérite
ſecondaire. Perſonne n'avoit conçu cette
galerie immenſe de tableaux de tout genre ,
où , vivans & inanimés , tous ces êtres font
repréſentés avec leurs formes , leurs attributs
, leurs inclinations , leurs rapports , &
où le Peintre , ſemblable à la Nature ellemême
, en imite l'ordonnance , la grandeur
&la variété.
Pline eſt loin de mériter le même éloge.
Son érudition eſt immenſe ; M. de Buffon
210 MERCURE
ſeul a poſſédé le talent de mettre la ſienne
en oeuvre; il a épuré les connoiſſances naturelles
, agrandies des recherches , des faits
de toutes les découvertes de la ſcience depuis
dix ſept ſiècles. Trop ſouvent Hiſtorien
des préjugés & des erreurs du temps ,
Pline leur a payé ſon tribut de crédulité ; le
Naturalifte François diſcerne les effets avant
de les décrire ; & lorſqu'il a cherché les
cauſes , ſi ſes ſyſtemes n'ont pas toujours
convaincu l'opinion , ils l'ont étonnée ; ils
ont exercé la ſagacité & excité les recherches
de Phyſiciens célèbres : émulation qui a produit
de nouvelles approximations vers la
vérité.
Et la méthode , la manière , l'élocution ,
l'art des deux Hiſtoriens n'ont - ils pas fixé
la diſtance qui les ſépare ? N'eſt elle pas la
même qu'entre la galerie de Rubens & le
froid récit des événemens conſacrés par le
Peintre ? Pline dit les chofes , M. de Buffon
les anime ; le Romain , dans ſon ſtyle élevé
avec meſure , & fouvent noble avec ſimplicité,
a dédaigné ces formes variées , certe:
force d'expreffions pittoreſques , cette harmonie
du ſujet avec l'élocution qui donnent
an ſtyle & la grace & la vie. Pline enfin eſt
ſouvent obfcur , même pour ſes Commentateurs
.
Atoutesles qualités eſſentielles & primitives
du ſtyle , M. de Buffon a joint celles
qui en font le charme & la magnificence.
Son Hiftoire Naturelle eſt le ſeul Livre qu'on
DE FRANCE. 211
1
puiſſe propoſer à la fois comme le dépôt de
tous les faits qui forment le ſpectacle de la
Nature,& comme un modèle aux Écrivains,
aux Orateurs & aux Poëtes. S'il étoit vrai que
la culture des Sciences pût influer heureufement
fur les Arts d'imagination ; fi de ce
concours hétérogène des connoiffances exactes
& des talens , il réſultoit autre choſe
qu'une dégénération réelle ; fi ce paradoxe
enfin , né de nos jours , & dementi par
l'exemple même de ſes Apologiſtes , avoit
quelque fondement, ſa plus forte autorité
feroit le Livre de 1 Hiſtoire Naturelle; malheureuſement
, il eſt une exception à la règle
générale; en deux mots , c'eſt caractériſer le
génie de l'Auteur.
Il s'eſt reproduit dans ce nouveau Volume
avec tous les avantages qu'on lui connoît.
L'Hiſtorien avoit à peindre des êtres , des
conformations, des fingularités & des inftints
très- différens de ceux embellis juſqu'à
ce jour par ſa plume éloquente. Elle n'a pas
moins paré ces deſcriptions d'une Eſpèce
plus fugitive , qui ſe dérobe ſouvent à l'examen
, & dont nous ne connoiſſons bien les
moeurs que dans un état qui fletrit & dégrade
toutes les races , à commencer par la
race humaine , ſavoir dans la ſervitude.
M. de Buffon a rendu à ces eſclaves leur
dignité première en les peignant tels que la
Nature nous a fait tous , égaux & libres. A
la tête de la hiérarchie aquatique , l'Hiftorien
a placé cet oiſeau célèbre , dont les ace
212 MERCURE
cens, la mort , les amours & les fonctions
furent ornées par les fables de la Mythologie.
Elles n'ont rien de plus beau ni de plus
riant que la deſcription du cigne , qui commence
le Volume.
ود
ود
ود
• Dans toute ſociété , dit M. de Buffon ,
foit des animaux , ſoit des hommes , la
violence fit les tyrans , la douce autorité .
fait les Rois; le lion &le tigre ſur la terre ,
>>l'aigle & le vautour dans les airs , ne règnentque
par la guerre, ne dominent que ود
" par l'abus de la force & de la cruauté : au
>> lieu que le cigne règne ſur les eaux à tous
>>les titres qui fondent un empire de paix ,
ود
ود
la grandeur , la majeſté , la douceur..... Il
fait combattre & vaincre fans jamais atta-
» quer : Roi paiſible des oiſeaux d'eau , il
brave les tyrans de l'air ; il attend l'aigle
دد ſans le provoquer , ſans le craindre ; il
» repoufſe ſes aſſauts en oppoſant à ſes ar-
>> mes la réſiſtance de ſes plumes,&les coups
>>précipités d'une aîle vigoureuſe qui lui
>> ſert d'égide , & ſouvent la victoire cou-
>> ronne ſes efforts . Au reſte , il n'a que ce
fier ennemi , tous les autres oiſeaux de
> guerre le reſpectent , & il eſt en paix avec
- toute la Nature ; il n'eſt que le chef, le
>> premier habitant d'une république tran-
» quille , où les citoyens n'ont rien à crain-
» dre d'un maître qui ne demande qu'autant
» qu'il leur accorde , & ne veut que calme
19 &liberté. ...
....
• Aſa noble aiſance , à la facilité , la liberté
DE FRANCE.
213
- de ſes mouvemens ſur l'eau , on doit le
>> reconnoître , non ſeulement comme le
>> premier des Navigateurs aîles , mais com-
وو me le plus beau modèle que la Nature
>> nous ait offert pour l'art de la navigation.
ود Son cou élevé & ſa poitrine relevee &
>>> arrondie,ſemblent en effet figurer la proue
da navire fendant l'onde , fon large eſto-
>> mac en repréſente la carène ; fon corps ,
>> penché en avant pour cingler , ſe redreſſe
20 à l'arrière & ſe relève en poupe ; fa queue
>> eſt un vrai gouvernail; les pieds ſont de
>> larges rames , & ſes grandes aîles demiouvertes
au vent , & doucement enflées ,
font les voiles qui pouffent le vaiſſeau
vivant , navire & pilote à la fois. »
ود
رد
ود
En tranſcrivant le préambule entier de
cet article du cygne, nous ne ferions que
multiplier les exemples de cette éloquence
imitative qui ennoblit les moindres détails ,
fans autre luxe que celui même de la Nature
fortement ſentie & obſervée ; on peut , à
juſte titre , lui appliquer ce qu'on a dit de la
poéſie , & ce qui est vrai d'un ſi petit nombre
de Poëtes , que ſous ſon pinceau tout prend
une âme , une couleur & un viſage.
M. de Buffon paroît laiſſer indéciſe la
queſtion du chant du cygne , queſtion ,
comme tant d'autres , décidée par les modernes
contre les anciens , & qu'on eſt enfin
venu à examiner après l'avoir tranchée. Empruntons
ici les obſervations & le coloris
enchanteur de l'Hiſtorien. " Il paroît que le
214 MERCURE
" cygne ſauvage a mieux conſervé ſes pré-
>> rogatives , & qu'avec le ſentiment de la
>> pleine liberté , il en a auffi les accens.
"
L'on diftingue en effet dans ſes cris , ou
>>plutôt dans les éclats de ſa veix , une forte
de chant meſuré, nodulé, des fons bruyans
de clairon , mais dont les tons aigus &
peu diverfifiés , font néanmoins très- éloi-
>> gnés de la tendre mélodie & de la variété
douce & brillante de nos oiſeaux chan-
"
"
وو
teurs . ”
Aucun chant élégiaque dans notre langue
n'offre une expreffion plus touchante & une
peinture d'une plus douce mélancolie que
celle des adieux funèbres du cygne , tels que
les anciens les avoient imaginés. Selon eux ,
66 cet oiſeau chantoit encore au moment de
>> ſon agonie , & préludoit par des fons har-
>> monieux à ſon dernier ſoupir ; c'étoit près
>> d'expirer & faiſant à la vie un adieu
ود
3
triſte & tendre , que le cygne rendoit ces
>> accens ſi doux & fi touchans , & qui , pareils
à un léger & douloureux murmure ,
d'une voix baſſe , plaintive & lugubre ,
formoient fon chant funèbre : on entendoit
ce chant juſqu'au lever de l'aurore ,
les vents & les flots étoient calmés ; on
avoit mêine vû des cygnes expirans en
>> muſique & chantant leurs hymnes funéraires.
Nulle fiction en Hiſtoire Natu-
>> relle , nulle fable chez les anciens n'a été
>> plus célébrée , plus répétée , plus accré-
>> ditée ; elle s'étoit emparée de l'imagina
ود
50
DE FRANCE.
215
2
"
"
• tion vive & ſenſible des Grecs ; Poëtes ,
Orateurs , Philoſophes même l'ont adoptée
comme une vérité trop agréable pour
vouloir en douter. Il faut bien leur pardonner
leurs fables ; elles étoient aimables
&,touchantes ; elles valoient bien de
triſtes vérités . Les cygnes ſans doute ne
chantent pas leur mort ; mais toujours en
» parlant du dernier effor & des derniers
"
ود
ود
" élans d'un beau génie prêt à s'éteindre , on
>> rappellera avec ſentiment cette expreſſion
>> touchante : c'est le chant du cygne !
Ce que La Fontaine a été dans la fable ,
M. de Buffon l'eſt dans le genre élevé. Quadrupedes
ou volatiles , chacun de ſes perfonnages
intéreſſe , attache par ſes affections
& par ſes attributs. Perſonne n'a mieux
connu l'art d'en relever le mérite , de les
annəblir lorſqu'ils paroiſſent ignobles , &
fur tout de ramener toujours le Lecteur vers
les rapports de ſentiment ou d'utilité qui
lient les animaux à l'eſpèce humaine. L'Hiftorien
a t'il à peindre l'oie , ce ſerviteur de
baffe- cour , avili par la chaîne domeſtique
& par le dédain que les tyrans ont pour les
ſujets qu'ils ont dégradés ? " Dans chaque
ود genre , dit il , les eſpèces premières ont
>> emporté tous nos éloges , & n'ont laiſſé
» aux eſpèces ſecondes que le mépris tiré
>>de leur comparaiſon . L'oie , par rapport
» au cygne , eſt dans le même cas que l'âne
>> vis à- vis du cheval ; tous deux ne font pas
» priſés à leur juſte valeur........ Éloignant
216 MERCURE
>> donc pour un moment la trop noble
>>image du cygne , nous trouverons que
ود l'oie eſt encore dans le peuple de la baffe-
>> cour un habitant de distinction : ſa cor-
>> pulence , ſon port droit , ſa démarche
>>grave , ſon plumage net & luftré , & fon
naturel ſocial qui la rend ſuſceptible d'un
fort attachement & d'une longue reconnoiffance
; enfin ſa vigilance très ancien-
>> nement célebrée , tout concourt à nous
>> preſenter l'oie comme l'un des plus inté
20
ود
ود
ود reffans & même des plus utiles oiſeaux
> domeſtiques ; car , indépendamment de
ود la bonne qualité de ſa chair & de ſa
>> graiffe , dont aucun autre oiſeau n'eſt plus
>> abondamment pourvu , l'oie nous fournit
> cette plume délicate ſur laquelle la mol-
" leſſe ſe plaît à repoſer , & cette autre
>> plume , inſtrument de nos penſées , &
>> avec laquelle nous écrivons ici ſon éloge. >>
Le parallèle de divers oiſeaux aquatiques ,
libres encore fur les mers & fur les rivières ,
avec leurs eſpèces dégénérées en ſervant à
notre uſage , les caractères qui les diſtinguent
& ceux qui ſont propres à l'eſpèce entière
, leurs demeures , leurs retraites automnales
, leur vie privée & leurs loix de
ſociété , leurs variétés & les guerres dont les
hommes les perfecutent au tiſque même de
leur ſanté , en atteſtant la fécondité de la
Nature , atteſtent également celle des connoiſſances
& de l'imagination vive &
grande de l'Hiſtorien.
Sa
DE FRANCE. 217
Sa philoſophie n'eſt pas moins remarquable
ici que ſes lumières & fon éloquence.
Tout eſt lié dans cet Ouvrage par les vûes
générales qui reſultent des détails particuliers
: l'Écrivain ne manque jamais de ſaiſir
& de préſenter ces loix univerſelles; elles
font reffortir des parties de ce vaſte tableau
le plan & l'unité des deſſeins du grand Architecte.
En décrivant les manchots ou oiſeaux
fans aîles , M. le Comte de Buffon fait
obſerver la gradation & les points de prolongement
qui , en diftinguant les grandes
familles des quadrupèdes , des oiſeaux & des
poiffons , les rapprochent néanmoins , &
les lient à l'échelle générale; des morceaux
de ce genre , peu ſont aufli piquans que l'introduction
à l'article des Macareux.
" Le bec , dit l'hiſtorien , cet organe
>>principal des oiſeaux , & duquel dépend
l'exercice de leurs forces, de leur induſtrie
&de la plupart de leurs facultés ; le bec
» qui eſt à la fois pour eux la bouche &
ود
ود
ود
ود
la main , l'arme pour attaquer , l'inftru-
>> ment pour ſaifir , doit par conféquent être
la partie de leur corps dont la conformation
influe le plus ſur leur inſtinct , &
décide la néceſſité de la plupart de leurs
» habitudes ; & fi ces habitudes font infini-
"
ود
ور ment variées dans les innombrables peu-
>> plades du genre volatile ; ſi leurs différentes
inclinations les diſperſent dans l'air ,
fur la terre & les eaux , c'eſt que la Na-
» ture a de même varié à l'infini , & deſſiné
Nº. 22 , 29 Mai 17541
ود
ود
K
218 MERCURE
ود
"
ود
23
fous tous les contours poflibles le traindu
bec. Un croc aigu & dechirant arme la
tête des fiets oiſeaux de proie ; l'appétit de
la chair & la foif du fang , joints aux
> moyens d'y fatisfaire , font qu'ils ſe pré-
>> cipitent du haut des aits for tous les au-
>>> tres oiſeaux , & même fur tous les ani-
>> maux foibles ou craintifs dont ils font
>> également des victimes. Un bec en forme
ود
ود
20
2
"
de cuiller large & platte , détermine l'inftinct
d'un autre genre d'oiſeaux , & les
>> obligent à chercher & ramaffer leur fubſiſtance
au fond des eaux ; tandis qu'un
bec en cône , court & tronqué , en don-
>> nant à nos oiſeaux gallinacées la facilité
de ramaffer les graines ſur la terre, les
>> difpofoit de loin à ſe raſſembler autour
de nous , & fembloit les inviter à recevoir
cette nourriture de notre main . Le
>> bec en forme de fonde grêle & ployante
>> qui allonge la face du courlis , de la bé-
>> caffe , de la barge , & de la plupart des
>> autres oiſeaux de rivage & de marais , les
>> oblige à ſe porter ſur les terres maréca-
>> geuſes pour y fouiller la vaſe molle & le
ود
limon humide ; le bec tranchant & acéré
>>> des pics , fait qu'ils s'attachent au tronc
des arbres pour en percer le bois ; &
enfin ,le petitbec en alène de la plupart des
oiſeaux des champs , ne leur permet que
de,faifir les moucherons ou d'autres menus
infectes , & leur interdit toute autre
• nourriture; ainsi , la différente forme du
DE FRANCE 291
"
ود
ود
ود
"
ود
ود
ود
ود
......
bec modifie l'inflinct &néceflite la plupart
des habitudes de l'oiſeau .
L'énorme grandeur du bec du toucan , la
monstrueule enflure de celui du calao,a
difformité de celui du flammant , la figure
bizarre du bec de la ſpehèle, la courbure
à contre fens de celui de l'avocette , &c.
* nous démontrent affez que toutes les figu-
>> res poffibles ont été tracées , & toutes les
formes remplies ; & pour que dans certe
fuite il ne reſte rien à delirer ni même à
>> imaginer , l'extrême de toutes ces formes
s'offre dans le bec en lame verticale de
Poiſeau dont il eſt ici queſtion. Qu'on ſe
figure deux lames de couteaux très courtes,
>> appliquées l'une contre l'autre par le tranchant
, c'eſt le bec du macareux , &c.
&c. &c. »
ود
"
ود
Qu'on feroit heureux, fi tant d'Ecrivains
qui ont tranſportéjuſques dans les Sciences!,
&fur tout dans la Phyſique, les convulfions
d'un ſtyle emphatique,& inintelligible , ou
l'entortillage d'une mauvaiſe métaphyfique,
confultoient un peu davantage ces grandes
études d'un Maître , le dernier refte de ce
demi ſiècle qui a augmenté la gloire de la
France dans les Lettres, lui a permis de ſe
comparer aux Anglois dans la Philofophie',
& dont le ſouvenir eſt peut être encore
trop voiſin de nous pour inſpirer les regrets
que lui donnera la génération fuivante.
(Cet Article est de M. Mallet du Pan.)
Kij
220 MERCURE
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
Le nouveau Motet de M. l'Abbé le Sueur ,
Maître de Muſique des Innocens , fur lequel
on comptoit, n'a pu être exécuté au Concert
du Jeudi jour de l'Afcenfion. M. Gervais ,
qui mérite chaque jour de nouveaux éloges ,
a joué à ce Concert un charmant Concerto
de Lamothe , de manière à faire croire que
ſon talent s'eſt encore perfectionné depuis
la quinzaine ; il ſurpaſſe même les grandes
eſpérances qu'il avoit données. Mlle Candeille
, qui , à une figure & une taille trèsagréables
, joint un talent précieux pour le
forté-piano , acquiert comme Compofiteur
de nouveaux droits aux applaudiſſemens . Le
Concerto qu'elle a très - bien exécuté eſt d'une
tournure charmante;& on ne fauroit trop
l'encourager à cultiver un Art dans lequel
elle s'annonce ſi bien, Tous les autres morceaux
de ce Concert ont été entendus avec
plaifir.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Samedi 8 de ce mois , on a joué , pour
la première fois , les Deux Tuteurs , CoDE
FRANCE. 221
médie en deux Actes & en proſe , mêlee
d'ariettes .
Cette Comédie a été repréſentée à la Cour
fousletitre des Deux Soupers. Elle étoit alors
en trois Actes. Depuis , elle a été preſqu'entièrement
refondue. Nous allons faire connoître
la marche de ceDrame vraiment bouf.
fon , en donnant un extrait rapide mais exact
des deux Actes qui le compoſent aujourd'hui.
ACTE PREMIER. Jacquinet , Valet de M.
Mathieu , aime Madelon , Servante du même
Maître. Il ſe plaint de ſes rigueurs , & fe
propoſe de la rendre amoureuſe en feignant
d'en aimer une autre; mais il eſt rudement
perfifflé par Madelon , qui , fous fes
yeux , répond très tendrement aux chofes
agréables que vient lui debiter un certain
Georget qu'elle aime , & dont elle veut faire
ſon époux. L'arrivée de M. Mathicu fair efpérer
à Jacquinct qu'il trouvera le moyen
de ſe venger de ſa cruelle ; mais il eſt encore
trompé ; car Madelon fait pafferGeorget pour
un homme qui vient confulter M. Mathieu
fur une affaire intereffante. Comme M. Mathieu
eſt preſſe de fortir , il prie fon client
de repaffer dans un autre inftant , & il envoie
Jacquinet au devant de Mme Doro ,
thée. Cette Mme Dorothée est une femme
d'un certain âge , amie de M. Mathieu.
Celui ci l'a chargée d'endoctriner ſa Pupille
Pauline, dont il a le deſſein de faire ſa fem .
me. Pour laiffer toute liberté à ſon agente ,
il a projeté de la laiffer fouper tête- à- tête
K iij
222 MERCURE
avec Pauline , & d'aller fouper chez un M.
Boudart , ſon ami , qui , comme lui , a une
jeune Pupille qu'il veut époufer auffi. Ce
M. Boudart, homme bon , fimple , fans
prétention , & très éloigné de reffembler à
M. Mathieu , qui a de grandes prétentions,à
plaire , vient prendre fon ami en paifant;&
lorſque Mme Dorothée est arrivée , les deux
Tuteurs fortent. Les projets amoureux des
Tuteurs de Comédie ne font guères fuivis
du fuccès, MmeDorothée n'eſt rien moins
que ce que la croient & le vieillard crednie
& la fimple Pauline. Elle n'ignore pas que
celle ci a un amant aimé ; cet amant , qu'on
nommeDupre, eſt ſon neveu. Il étoit abfent,
il eft de retour. Elle furprend adroitement le
fecret de la jeune perfonne , lui apprend le
deffein qu'elle a formé de protéger la tendrelle
de Dupré , qui n'attend que la permufion
de s'introduire, l'obtient, entre , parle
d'amour , eſt écouté ,& pour lequel on forme,
avec Madelon qui arrive , les projets les
plus déſaſtreux coutre les intentions amoureuſes
de M. Mathieu.
1
ACTE SECOND. Georget a reçu un rendez-
vous de Madelon; il s'y rend ; Madelon
ne vient point , il chante en l'attendant. Madelon
arrive, Scène amoureuſe & plaifante ,
pendant laquelle on voit dans un cabinet à
gauche Pauline , Dupré & Mme Dorothée ,
foupant en trio. M. Mathieu revient plus tôt
qu'on ne l'attendoit. Les éclats de rire auxquels
il s'abandonne le font, entendre de
DE FRANCE. 223
,
loin. On éteint les lumières dans le cabinet
où ſoupoient les conjures , & Georget eft
caché dans une ſerre qui ſe trouve à la gauche
du théâtre. M. Mathieu ne tarde point à
expliquer à l'inquiette Madelon la caufe de
fon retour &de ſa gaîté. Son ami Boudart
a découvert que fa Pupille avoit un amant.
A l'inftant où ils font arrivés chez lui pour
fouper ,les deux jeunes gens étoient enfemble;
mais une Servante adroite a fait evader
l'amoureux fans qu'on ait pu ſavoirce
qu'il est devenu. Il entre dans le détail
des moyeins que l'adroite Servante a pris
pour faire difparoître le rival de Boudart
& Madelon profite de ces mêmes moyens
pour faire fortir Dupré du cabinet dans
lequel il étoit avec Pauline , & le faire
paſſer dans la ferre où Georget eft cache.
Après que M. Mathieu a raconté l'infortune
de fon ami , il rentre pour divertic
Pauline' du récit de ce qu'il a vû ; Madedelon
veut profiter du moment pour faire
fortir Dupré & Georget; mais Mathieu reparoît
avec Mme Dorothée & Pauline. Coatme
il eſt tard,Mme Dorothée ſe prépare à retourner
chez elle, &M. Mathieuſe propofe,
en la reconduifant , d'apprendre ce qu'elle a
fait pour lui; quand l'ami Boudart vient raconter
la fin de fon aventure , dont au reſte
il eſt tout confolé. En pouffant la porte
d'une eſpèce de remiſe , il a découvert l'amant
de ſa Pupille ; pour peindre par la pantomime
la façon dont il a fait cette décon
Kiv
224 MERCURE
verte , il pouſſe la porte de la ferre de M.
Mathieu, &expoſe ainſi aux yeux du vieillard
confondu Georget & Dupré , qui y font
cachés. Boudart , aux dépens duquel a ri Mathieu
, rit à ſon tour aux dépens de fon vieil
ami , qui , furieux d'avoir été trompé , refuſe
d'abord , & confent enſuite à unir les
deux amans.
Le premier Acte de cette Pièce n'eſt guères
qu'une expoſition prolongée , & les deux
premières Scènes du ſecond Acte font abfolument
oifeuſes; mais tout ce qui fuit eſt
d'un effer vraiment agréable & plaiſant ,
quoique le ton en ſoit plus bouffon que
comique. La Scène où M. Mathieu fait le
récit de la déconvenue de ſon ami Boudart ,
pendant laquelle Madelon met en oeuvre
les reffources que le vieillard lui indique ,
fans le ſavoir , pour faire échapper Dupré ,
eſtd'un effet très piquant , & a été généralement
goûtée. Le dialogue eſt naturel &
vrai,& au toral, l'Ouvrage, conſidéré comme
une débauche d'eſprit , a mérité du ſuccès.
La muſique eſt de M. d'Aleyrac , déjà
connu par l'Eclipse Totale & par le Corfaire.
Son ſtyle eſt proportionné à la nature de
l'Ouvrage ſur lequel il a travaillé. Simple ,
facile & gai , il eſt toujours ce qu'il doit
être. Les airs placés dans la bouche de Jacquinet
, de Madelon , de Georget , de M.
Mathieu , de M. Boudard , ont tous le caractère
qui leur convient. Le finalé du pre
mier Acte eſt coupé avec grâce , il eſt dia
DE FRANCE. 225
logué avec une vérité frappante. Les accom.
pagnemens clairs & peu chargés répondent
parfaitement aux motifs de chant & aux
intentions qu'exigent les fituations. En un
mot , quoique cette production muſicale ne
foit en elle même qu'une bagarelle bouffonne
, l'eſprit qui y règne , & qu'on y remarque
d'un bour à l'autre , fait beaucoup
d'honneur à M. d'Aleyrac Cet agréable Compoſiteur
eſt Élève de M. Langle; il eſt rare de
voir un Amateur écrire avec autant de pureté
, & meriter , par un talent auffi diftingué,
des ſuffrages qui ſenableroient ne devoir
appartenir qu'aux Maîtres & aux Compofiteurs
en titre.
VARIÉTÉS. :
LE Public, toujours avide de nouveautés , voudroit
que chaque Numéro d'un Journal lui annonçât
plufieurs beaux Ouvrages. S'il s'écoule un ou
deux mois fans donner le jour à quelque production
diftinguée , on crie à la décadence des Lertres
, & l'on déplore la perte des talens ; mais la
médiocrité ſeule a ce beſoin de paroître tous les
jours ſous les yeux du Public; elle ſeule achève
prompiement des Ouvrages qui n'ont beſoin ni de
temps ni de méditation pour être conçus & exécutés ;
elle ſeule peut être flattée d'amuser un inftant l'oifivete,&
peutprendre pour la gloire un renom qui
ne va pas juſqu'à la fin de la ſemaine. Les véritables
talens aiment mieux ſe laiſſer accuſer de pareffe ,
tandis qu'ils travaillent en filerce pour les fiècles ;
ils réſiſtent aux follicitations de ce Public qui les
Kv
225 MERCURE
preſſe de ſe faire imprimer , & qui enſuite ſe plaît
tant à prononcer que l'Ouvrage a été donné trop
tôt à l'impreſſion. Avec un peu de malignité dans
l'eſprit, on pourroit le ſoupçonner de craindre qu'on
ne lui donne des Ouvrages qui le forcent à trop
d'eſtime & d'admiration. Tacite auroit trouvé peutêtre
ce ſoupçon affez fondé s'il lui avoit paru affez
profond pour fon génie.
,
:
Entre les eſprits médiocres , fi impatiens de voir
leurs petites idées moulées en caractères d'imprimerie
, & les talens d'un goût difficile & craintif qui
renferment dans leur porte-feuille les Écrits dont ils
eſpèrent le plus de gloire , il eſt une claffe'de Savans
& d'Hommes de Lettres , dont les productions
ne paroiffent qu'aux yeux d'une petite portion du
Public, qui communiquent leurs lumières fans donner
leurs Ouvrages , & acquièrent ſouvent de la réputation
dans toute la France par des Écrits qui ne
font connus que de quelques perſonnes de la Capitale.
Ce font ceux qui ouvrent des Cours foit de
Chimie ſoit de Littérature , ſoit de quelque
branche des Sciences exactes. D'excellens morceaux
de Littérature & de Philofophie ſont prononcés fouvent
dans ces Affemblées , qui tous les jours deviennent
plus nombreuſes & plus multipliées , & qui
rappellent en partie ces Académies de l'antiquité ,
ees Lycées où desRépubliques entières s'affembloient
aux leçons d'un Philofophe. On peut remarquer
ſeulement une différence bien honorable pour les
Modernes. Dans les Cours anciens , chaque Philoſophe
avoit un ſyſtême qui sombattoit les ſyſtêmes de
tous les autres Philoſophes; la Nature , que tous fe
vantoient de faire connoître ,n'étoit pas la même
dans denx Écoles , & l'on eût dit que Platon & Arif
tote avoient vû Jeux Univers différens, Parmi nous
ce font les mêmes faits qu'on démontre, dans Ningt
Cours différens ; des talens jaloux les uns des gutics
DE 227
FRANCE
peuvent différer de méthode, mais font forcés d'enſeigner
les mêmes chofes , & vingt rivaux établiſ
fent à-la-fois les mêmes vérités. C'eſt la meilleure
preuve peut - être des progrès du véritable eſpric
philofophique.
On peut être étonné que les Hommes de Lettres
qui travaillent ſouvent à des Journaux , ne tâchent
pas de ſe procurer des fragmens au moins des Diff
cours qu'on prononce quelquefois avectart de fuccès
dans ces Cours publics ; cela vaudroit bien l'extrait
d'un Ronan infipide ou d'une Tragédie tombée .
On nous en a communiqué un qui a été très-applaudi
lorſqu'il a été prononcé , & nous croyons
faire quelque plaifir aux Lecteurs du Mercure en
leur faiſant connoître des morceaux de cet excellent
Difcours . C'est l'Ouvrage d'un Mathématicien; l'éloge
des Mathématiques en eſt le ſujet ; mais on
verra , ce me ſemble , qu'une belle imagination ne
ſe laiſſe point deſſécher par les Sciences exactes , &
que la même plume peut tracer de favans calculs ,
& écrire avec énergie & avec élégance.
M. Prudhomme, qui l'aprononcé , confidère les
Mathématiques ſous deux points de vue ; il peint
d'abord les avantages qu'elles procurent à ceux qui
les cultivent , & retrace enfuite les avantages infinis
qu'en retirent toutes les autres Sciences , les Arts , la
Morale même & la Politique .
Le début ſeul annonce que ce n'eſt pas l'Ouvrage
d'un ſimple Calculateur .
EC Parmi les Sciences que les longs efforts de
>> l'eſprit humain ont créées , & qui , perfectionnées
de ſiècle en fiècle, ſe ſont tranſmiſes juſqu'à nous ,
> il en eſt peu, & peut être il n'en eft aucune qui
>>> renferme grands avantages que les Mathémanées
des premiers beſoins de l'homme , du
beſoin de meſurer & de calculer , bornées d'abord
* àun perit nombre de notions ſimples & de prin-
30
יכ
tiques :
de fi
avantages
Kvj
228 MERCURE
» cipes peu abſtraits , elles ont peu-à-peu agrandi
> leur domaine , ont embraſſé toutes les Sciences ,
>> à qui elles ſe ſont rendues utiles & néceffaires , &
>> ont fini par étendre leur influence fur preſque
> tous les Arts & le bien général de la Société. גכ
Voici comme il rend ſenſible leur heureuſe influence
ſur leseſprits ..
« La qualité la plus précieuſe peut-être de l'ef-
>> prithumain eſt la juſteſſe, ſans celle là toutes les
>> autres deviennent inutiles & ſouvent dange-
33 reuſes. A quoi ſervent l'activité , l'étendue , la
>> pénétration même de l'eſprit, fî elles ne ſont bien
>> dirigées , & fi dans leur marche prompte & ra-
>> pide elles n'ont un fil qui les conduiſe & les mène
>> à la vérité ? Ce fil c'eſt la juſteſſe; c'eſt elle qui
» empêche l'eſprit de s'égarer dans ſes mouvemens
» & d'abuſer de ſes forces. Or les Mathématiques
>> ou lui donnent cette juſteſſe ſi néceſſaire , en l'ac-
>> coutumant à ne ſe rendre qu'à l'évidence , à ne
» marcher jamais qu'appuyé ſur la démonstration ;
>> ou fi elles ne redreſſent pas tout-à-fait un eſprit
> faux elles lui donnent du moins des moyens sûrs
>> de reconnoître & de corriger ſes erreurs. Chez
>>> toutes les Nations & dans tous les ſiècles où l'é-
>> tude des Mathématiques ſera généralement ré-
" pandue , on peut afſurer d'avance qu'il y aura
5 moins de préjugés , de fauſſes opinions ; que
» l'impoſture aura moins de priſe pour égarer les
» hommes , & qu'on y verra peu-à-peu ſe détruire
>> ces grandes erreurs nationales qui , nées dans des
temps barbares , ſont devenues enfuire l'héritage
> de Peuples même les plus policés. L'étude des
Mathématiques eſt pour les erreurs ce qu'eſt pour
un pays nouveau & long-temps inculte la cultare
➡ des plantes ſalutaires; elle y étouffe & fait mourir
les poiſons.
• Un autre avantage de cette Science c'eſt de
DE FRANCE. 229
> donner à l'eſprit qui la cultive une forte de con-
> ſiſtance & de ſolidité qui le dégoûte de tout ce
> qui eft inutile ou frivole , & ne lui permet plus
> de s'occuper que d'objets intéreſſans & qui pré-
>> fentent une utilité réelle pour lui-même & pour
30 les autres. C'eſt peut être un des remèdes les plus
>> sûrs contre cetre frivolité , maladie générale de
>> la Nation , & fur- tout de la première jeuneſſe.
>> L'eſprit accoutumé à chercher , à faifir la vérité ,
>> à ſe paſſionner pour elle , à lier enſemble une
>> foule de vérités qui ſe touchent & qui ſe dédui-
>> fent les unes des autres , ne verra plus qu'avec
>> mépris ces ſciences de mots dont on amuſe notre
enfance & qui perpétuent l'enfance des Peuples ;
>> tous ces vains Écrits ſans idées , que l'oiſiveté fait
>> naître pour charmer l'ennui , & dont le moindre
>> défaut eſt de conſumer ſans fruit pour la Société
>> le temps de ceux qui la compoſent & le temps
وو
לכ de ceux qui les liſent.>>>
Les avantages des Mathématiques ont été relevés
très fonvent , mais non pas , ce me ſemble , avec cet
intérêt de détails & de ſtyle. Les Géomètres communément
ſont trop renfermés dans les Mathématiques
pour en voir ſi bien l'induence ſur les eſprits de tous
les genres.
L'Auteur s'anime encore davantage en peignant
la gloire que les Mathématiques répandent fur ceux
qui les cultivent avec ſuccès. C'eſt la gloire la plus
folide; celle des ſyſtemes eſt bientôt effacée par des
ſyſtêmes nouveaux qui , par leur nouveauté même,
font plus propres à ſéduire l'imagination ; celle des
Arts ne réſiſte pas toujours à ces révolutions du
goût amenées par les révolutions des moeurs , des
opinions , des cultes & des Gouvernemens ; celle des
Mathématiques , fondée ſur la vérité & ſur l'évidence,
eſt immuable comme l'évidence & la vérité.
Tous ces ſyſtêmes vains, par leſquels les Philoſo230
MERCURE
phes de l'antiquité expliquoient d'Univers ont péri ;
les propoſitions mathématiques , démontrées par les
Thalès , les Pythagore , les Euclide , les Archimède,
font devenues plus évidentes encore depuis qu'on a
trouvé des méthodes plus faciles & plus étendues.
« Ce grand & immortel Deſcartes lui-même, qui
>> dans ſon fiècle a renouvelé la marche de la Phi-
>> lofophie, qui a détruit les erreurs des ſiècles paffés,&,
par l'effort le plus hardi, a tenté de recréer
>> les connoiffances humaines ſur un nouveau plan;
>> preſque tous ſes autres Ouvrages font à peine lus
>> aujourd'hui , ſoit à cauſe des erreurs qui y font
>> mêlées, foit parce qu'ils n'étoient pour ainſi dire
>> que les échafauds élevés pour reconſtruire un
>> grand édifice , & qu'à mesure que l'édifice s'é-
>> lève les échafauds devenus inutiles font abandon-
> nés & tombent en ruine ; parmi tous ces débris ,
ſa Géométrie reſte , & ſeule ſoutient toute fa
>> gloire pallée ; c'eſt le monument le plus durable
>> de ſa réputation , & qui n'a rien à craindre ni
» des rivalités nationales , ni du changement des
>> opinions qui ſe ſuccèdent , ſe choquent & ſe
>> détruiſent ſans ceſſe dans,l'empire de la Philoſo-
>> phie, preſque autant ſujet aux révolutions que les
>> Empires politiques. Si dans le dernier ſiècle &
>>> même dans le nôtre il falloit vous montrer la
>>>gloire que les Mathématiques ont procurée aux
>> hommes de génie qui s'y ſont diftingués , vous
>>>verriez Huighens attiré de la Hollande & fixé en
France par les bienfaits de Louis XIV. L'Allema-
>> gne & l'Angleterre ſe difputant la méthode du
>> calcul de l'infini , que Leibnitz & Newton paroif-
>> foient avoir découverte chacun de leur côté , &
>> toute l'Europe ſavante prenant parti dans cette
>> querelle partagée entre deux grands Hommes ;
ce même Newton comblé de gloire en Angle-
>> terre pendant la vie , comblé d'hommages par
DE FRANCE. 221
tous les Peuples éclairés après ſa mort; fon tom-
>> beau placé par ſa nation entre les tombeaux des
>>>Rois. La famille de Bernoulli, où le génie des
Mathématiques paroît avoir été comme hérédi-
>> taire , devenue un des ornemens & pour ainfi
direun des titres de gloire de la Suiffe. Le fameux
Euler , l'honneur du Nord , appelé par les Souverains
de la Ruſſie, fixé à Pétersbourg par des
>> bienfaits dignes de ſes talens , & qui long - temps
> privé de la vûs , mais infatigable dans ſes tra-
>> vaux, après avoir confervé ſa gloire & fon génie
> dans la vieilleſfe la plus avancée, vient de termi-
>> ner ſa carrière honoré des regrets de toute l'Eu-
১১ rope , & pour qui l'Académie entière de Pétersbourg
a pris le deuil comme dans un malheur
>>>public pour les Sciences & pour elle-même. M.
>>>de la Grange attiré à. Berlin , & que le Roi de
>> Pruffe, fi connu par ſes conquêtes guerrièros , ſe
>> glorifie d'avoir conquis fur le Piémont par ſes
>> bienfaits. Enfin M. d'Alembert fi juſtement célè-
>> bre par fes grands travaux dans le même genre ,
→ le rival des Bernoulli comme des Euler , recher-
>> ché par deux Souverains , dont l'un vouloit le
fixer auprès de fa Perſonne , l'autre lui confier
>>>l'Éducationidę fon Fils deſtiné à régner fur un
vafte Empires, qui s'eſt honoré par ſes refus ,
>> comme eux par l'hommage qu'ils ont rendu à
fes talens. La mort vient de l'enlever à la France
>> preſque dans le même temps qu'Euler a été en-
>>> levéà la Ruffie , & l'Europe entière qu'ils avoient
❤éclairée s'eſt unie dans ſes regrets pour la perte de
22 ces deux Hommes célèbres .>>>
ce
Ce tableau, tracé d'un pinceau noble & hardi ,
méritost d'êve, ciré quand n'eût été que pour
offrir ce beau, fpectacle des hommages rendus par
touslesPeuples aux Savans d'un bout de l'Europe à
l'antre; mais nous Javonons , nous avons fur-tout
22 MERCURE
copié le morceau entier pour amener ces dernières
lignes où se trouve le nom de M. d'Alembert. Il est
des âmes qui ne ſavent admirer les grands Hommes
que de loin ,& qui de près n'ouvrent les yeux que
fur leurs foibleſles , mais il en eſt auſſi que la préſence
d un homme célèbre attache davantage à fa
gloire, qui eſtiment plus ſes talens lorſqu'ils ont
été témoins de la fimplicitéde ſon caractère , & qui ,
Jorſque la Renommée prononce fon nom , ſe trouvent
heureux de pouvoir dire , je l'ai vû , je l'ai
connu.
Mais il faut entendre ſur tout l'Auteur de ce
Diſcours, lorſque conſidérant ſon ſujet ſous des rapports
plus étendus & plus importans encore , il fait
voircommentles Mathématiques, par leur influence
&leurs fecours, ſe trouvent mêlées preſque à toutes
les Sciences & à tous les Arts , qui eux - mêmes fone
devenus néceſſaires àl'économie générale de la Société,
à tout ce qui peut concourir à la félicité des
Peuples , à la fûreté comme à la gloire des États.
« L'étude des Aſtres eſt un des plus grands objets
de l'eſprit humain; mais ce n'eſt que ſur les
> aîles des Mathématiques que l'Aftronomie peut
>> s'élever dans les cieux , peut les parcourir , peut
affigner la marche, les diftances , les retours pé-
>> riodiques , les irrégularités ou apparentes ou
> réelles de ces grands corps qui , pour être relé-
>>gués dans les cieux , n'en communiquent pas
,
moins avec la terre & n'en font pas moins
> afſociés par l'homme à ſes différens beſoins ;
>> c'eſt par les Mathématiques que les Aftronomes
marquent la diviſion des temps & l'ordre des ca-
>> lendriers , fixent les grandes époques de la chronologie,
& tracent à l'Histoire une route fare
> dans les temps qui ne font plus, trouvent des
> points fixes pour la diviſion & la connoiffance
>> du Globe, & créant la Science auffi utile que néDE
FRANCE. 233
>> ceffaire de la Géographie , aflignent la meſure de
>> la terre, de l'Équateur au Pole, & des différens cer-
>> cles qui compoſent ſa circonférence , guident
>> enfin le Navigateur ſur les mers par la connoif-
>> ſance des longitudes , ſecret que le génie des Ma-
> thématiques s'applique à perfectionner de plus
» en plus , & auquel il a forcé les ſatellites de Jupi-
>> ter de concourir. Ainſi les Mathématiques ont ,
» pour ainſi dire , lié les cieux avec la terre , &
> la connoiſſance des Aftres avec l'Agriculture , la
• Géographie , l'Hiſtoire , la Chronologie & la
>> Navigation. Si nous nous arrêtons ſur la terre ,
> nous y trouverons par-tout également les traces
> des ſervices que les Mathématiques ont rendus à
>> l'homme C'eſt par l'Arpentage qu'elles apprirent
→la première diviſion des terres,&qu'elles fixent
>> encore tous les jours les bornes indéciſes de la
>> propriété, c'eſt par la Trigonométrie qu'elles en-
>> ſeignent à lever des plans , à marquer les diftances
, à meſurer ou l'étendue des eſpaces ou
>> la hauteur des objets dont l'homme ne peut ap-
>> procher; c'eſt par les Mechaniques qu'elles ont
>> créé cette multitude innombrable d'inftrumens
>> qui ſuppléent à la foibleſle de l'homme en lui
>> donnant, pour ainſi dire , de nouveaux bras , en
3כ faiſant fervir l'eau, l'air &le feu à remuer des
>> fardeaux immenfes , en multipliant ſon induſtrie
>> par toutes les forces de la Nature , & faiſant ,
* pour ainſi dire , du mouvement , de la peſanteur ,
>> de la vireſſe les exécuteurs de ſes ordres & les
>> inſtrumens de toutes ſes volontés ; c'eſt par la
১১ ſcience &les principes du Génie que les Mathé-
>> matiques élèvent & fortifient les Places de
> guerre , apprennent l'Art de les défendre , diri-
>> gent ces machines formidables qui , en imitant le
>> tonnerre , ont changé chez les hommes l'art de la
>> deſtruction , leur marque le point sûr où elles
234 MERCURE
20
20
doivent atteindre , tracent dans l'air la courbe
que les bombes doivent décrire , & ont créé une
>> nouvelle Tactique auſſi ſavante que profonde ,
> qui avec un appareil plus terrib'e que l'ancienne ,
>> diminue cependant le nombre des meurtres , &
* épargne du moins le fang des hommes. Si des
>> champs de bataille nous paffons dans les ports ,
nous y admirerons de nouveaux prodiges créés
par les Mathématiques. Nous les verrons, le compas
à la main, fixer les proportions de l'Archite : -
>> ture navals , marquer les dimenfions & les cour-
>> bes les plus favorables à ces corps immenfes qui
> doivent flotter fur les mers , pour qu'ils éprouvent
> la moindre réſiſtance de la part des flots , fecon-
>> dent le mieux la vîteſſe des vents , & que cepen-
20
30
dant ils ayent la plus grande force poſſible pour
> ſe maintenir contre les attaques & l'action conti-
*nuelle des vagues & des tempêtes ; double pro-
> blême qui eſt ſi difficile à réfoudre, & dou
- dépend néanmoins la fûreté comme l'agilité des
>> vaiſſeaux ; mais ces vaſtes machines une fois
> créées& lancées dans leur élément , nous ver-
>> rons encore les Mathématiques , comme l'âme
>> d'un corps organisé , préſider à tous les mouve
>> mens par la manoeuvre & le pilotage , lutter ſans
* cefle contre l'air & l'eau qui les foutiennent ,
> les guident & peuvent les détruire , & leur affi-
❤gner dans les cieux la route qu'ils doivent fuivre
fur les mers. C'est ainſi que les Mathémati
> ques rendent l'homme ſouverain de tous les élé-
> mens , && maître abſolu de tous les corps que la
>> Nature a diſpoſés autour de lui , & qu'il plie ou
à ſes uſages ou à ſes beſoins. Par elles , domina-
>> teur des mers il exerce le même empire ſur les
> caux , les Aeuves & les rivières que la Nature a
>> diftribués de toutes parts autour de lui comme
* pour atrofer ſon domaine & fervir à la féconDE
FRANCE. 235
OC
و د
29
ככ
ود
.ל פ
dité comme au commerce, mais qui auſſi ſouvent
peuvent porter le ravage & la deftruction.
>> Les Mathématiques viennent à fon fecours pour
calculer la vicefle & la pefantear des eaux , la
force de leur action , la lenteur ou l'impétuofité
avec laquelle elles frappent contre leurs rives ou
pèſent ſur leur fonds; le degré de réſiſtance qu'il
faut oppofer à leur courant ou à leur chûte , foit
oblique , foit perpendiculaire , la différence des
niveaux que parcourent les différens fleuves , l'art
de les rapprocher par des canaux & de multiplier
ainſi les liens de communication entre les
Provinces & les Pays; l'art de ſuſpendre les eaux
→→ dans leurs chûtes pour faire deſcendre les vaitſeaux
du fommet des montagnes dans les vallons
, ou du bas des plaines , de faire , pour ainfi
→→→ dire , gravir d'énormes bateaux fur la cime des
montagnes , prodiges qui s'opèrent par le moyen
des écluſes. Toutes ces admirables inventions ,
fruits des Mathématiques , ne ſont que le tableau
varié des différens ſervices qu'elles rendent à
l'homme dans la paix, dans la guerre, dans les
>> villes , dans les campagnes , dans le continent ,
fur les mers qu'il occupe & habite tour- à- tour.>>>
L'Auteur pourfuit ce riche dénombrement des
ſervices rendus aux Nations par les Mathématiques
, & finit par faire voir que preſque toute la
politique des Etats eft fondée aujourd'hui ſur des
-problêmes d'algèbre. Mais il faudroit copier tout
le Difcours , & nous avons préféré le tableau des
prodiges que les Mathématiques ont opérés dans les
Sciences naturelles, comme d'un plus grand intérêt
dans ce moment où ces Sciences ſemblent prendre
la première place dans les études de l'eſprit humain;
où , par des miracles dont la folie ſeule avoit
eu l'eſpérance , elles tranfportent les hommes dans
les airs , & leur ouvient dans les cieux des routes
235 MERCURE
où les Mathématiques leur ſerviront encore de
guide.
Fontenelle diſoit qu'à égal mérite d'ailleurs ,
1'Homme de Lettres qui feroit Géomètre feroit un
plus bel Ouvrage de Morale , d'Eloquence , de
Poésie même ; it ſeroit peut- être oncore plus vrai de
dire qu'à mérite égal d'ailleurs , de Géomètre qui
écrit avec cette juftelle & cette élévation d'idées &
d'expreffion doit être plus propre aux ſuccès des
Mathématiques.
M. Prudhomme prouve en effet qu'il ne laiſſe
pas les connoiſſances comme il les a priſes , qu'il ne
ſe borne pas à enſeigner à ſes Diſciples ce qu'il a
apprisde ſesMaîtres. Juſqu'àpréſent tous les Geomètres
ont ſéparédans leurs leçons le calcul arithmétique
du calcul algébrique , & en diviſant ainſi le
travail ils croyoient le rendre plus facile. M. Prudhomme
s'eſt apperçu que les Elèves accoutumés aux
formes du premier calcul , avoient infiniment de
peine à paſſer au ſecond, & que leur étude en
étoit plus pénible par cela même qu'elle étoit
partagée. Il a imaginé de les réunir
faire marcher de front ces deux calculs , qui ne
ſont que le même calcul ſous deux formes diffé
rentes, & il a vû par l'expérience que leur étude
réunie en eſt en effet plus facile : c'eſt ainſi que la
vraie Philofophie facilite les opérations de l'eſprit ,
tantôt en les ſéparant & tantôt en les réuniſſant , &
obtient les mêmes avantages par des méthodes oppoſées
*.
de
* M. Prudhomme donne ſes leçons de Mathématiques,
rue Thibautaudé , vis-à- vis le Magafin de Cire d'Eſpagne,
Ellescontiennent des leçons d'Arithmetique , d'Algèbre ,
deGéométrie & de Mécanique.
DE FRANCE.
237
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
MANUEL des Gardes des Eaux & Forêts , ou
Instruction à l'usage des Gardes de Bois , Chaffe &
Pêche , tant du Roi que des Seigneurs & Gens de
Main-morte , par un Officier des Eaux & Forêts.
A Paris , chez Delalain le jeune , Libraire
S. Jacques.
,
rue
L'Ouvrage eſtimable que M. de Froidour a publié
pour les Gardes des Eaux & Forêts , leur devient
à peu près inutile , parce qu'il est trop ſavant
pour eux. L'Auteur de celui- ci s'eſt mis à leur portée ;
La lecture peut leur donner des lumières , & remedier
par là à des abus ſans nombre dont on ſe plaint
tous les jours.
ANTIQUITÉS d'Herculanum , gravées par F. A.
David, avec leurs explications , par P. Sylvain Ma
réchal . Numéros 1 , 2 , 3 , 4 & 5. A Paris , chez
David , Graveur , rue des Noyers , en face de celle
desAnglois.
Ces cinq Numéros font partie du Tome fixième ,
qui eſt le premier des bronzes de cet important
Ouvrage.
ESSAIS fur les eaux auxjambes des chevaux ,
avec un Rapport fait au Confeil du Roi fur le cornage&
fifflage des chevaux , par M. Huzard , Vétérinaire
à Paris. A Paris , chez la Veuve Vallat- la-
Chapelle , Libraire , grande Salle du Palais .
Cet eſtimable Ouvrage a remporté le prix d'encouragement
que la Société Royale de Médecine a
donné fur les maladies des animaux dans ſa Séance
publique tenue au Louvre le 26 Août 1783 .
238 MERCURE
HISTOIRE du grand Duché de Toscane fous le
Gouvernement des Médicis , traduite de l'Italien de
M. Riguccio Galluzzi , Tomes VII , VIII & IX. A
Paris , que & hôtel Serpente.
Ces trois Volumes terminent cet intéreſſant Ou--
vrage, qui ſe vend 22 livres 10 fols broché , &
27 liv . relié.
COUTUME de Bar-le Duc , commentée par feu
Mle Paige , Maitre des Comptes du Barrois
alliée à cele de Saint Mihel, troifitme Edition ,
augmentée d'une Notion des Loix Civiles & Romaines
, &c.; par M. de Maillet , Doyen honoraire
, avec emolumens , de la même Chambre du
Confeil, Cour des Comptes , Domaines , Aides , &c .
2 Parties in - 12 Prix , livres reliées. A Toul, chez
Jofeph Carez , Imprimeur- Libraire , & chez Choppin
, Libraire , à Bar. A Paris, chez Durand neveu ,
Libraire , rue Galande , nº . 74 .
Les Notes de M. de Maillet donnent un nouveau
prix à cette Édition.
L'ART des Expériences , ou Avis aux Amateurs
de la Physiquefur le choix , la construction & l'usage
des Instrumens , fur la préparation & l'emploi des
drogues qui fervent aux Expériences , par M. l'Abbé
Nollet , de l'Académie Royale des Sciences , de la
Société des Sciences , & c. troiſième Édition , 3 Vol.
in- 12 . A Paris , chez Durand neveu , Libraire , rue
Galande.
Le nom de l'Abbé Nollet vivra toujours dans les
Annales de la Phyſique, lors même que de nouvelles
Découvertes auront rendu les fiennes inutiles .
ENVIRONS de Rome, deux Estampes faisant
pendant , gravées en couleur par C. Defcourtis ,
d'après M. de Machy, Peintre du Roi. Prix , 9 liv.
DE FRANCE. 2:9
les deux. A Paris , chez Deſcourtis , Graveur , rue
des grands D. grés , près la Place Maubert , en face
de la rue Perdue.
Ces deux Estampes ſont d'un effet agréable &
piquant.
Vue perspective du Palais de Justice élevé fous
leRegne de Louis XVI. A Paris , chez les frè es
Campion , rue Saint Jacques , à la Ville de Rouen.
Prix, 2 liv.
Ce Plan levé avec exactitude eſt gravé avec
netteté.
THEATRE Italien de M. de Florian , Capitaine
de Dragons & Gentilhomme de S. A. S. Mgr le
Duc de Penthièvre , des Académies de Madrid &
de Lyon , 2 Vol. in- 12 . A Paris , de l'Imprimerie de
Didot l'aîné , rue Pavée- Saint - André .
Toutes les Pièces que renferment ces deux Volumes
font recommandées par des ſuccès obtenus au
Théâtre . Le bon Père ou la ſuite du bon Ménage ,
& Héro & Léandre , Monologue Lyrique n'avoient
jamais paru. Nous parlerons de cette Colection ,
qui ne peut qu'être accueillie favorablement da
Public.
LE Plaisir des bonnes Gens , deſſfiné par C. D.
Cochin , gravé par Mme Lingée. Prix , I livre
10 fols. A Paris , chez l'Auteur , rue S. Thomasd'Enfer.
Cette Eſtampe dans le genre du Deſſin eft d'un
effet agréable , & doit faire honneur au burin de fon
Auteur.
NUMÉRO IV du Journal de Pièces de Clavecin
par différens Auteurs , contenant une Sonate de M.
Clementi. Prix de l'abonnement , 24 liv. à Paris ,
:
240
MERCURE
30 liv, en Province ; chaque Cahier , 2 liv. 8 fols.
A Paris , chez M. Boyer , Marchand de Muſique , rue
Neuve des Petits Champs , près celle S. Roch ,
N°. 83 , & Mme Lemenu, rue du Roule , à la
Clefd'Or.
NUMÉROS III & IV, Air de la Caravane :
J'ai des beautés piquantes , & celui : Il amène des
Hollandoifes , arrangés pour le Piano- forte , Violon
obligé , parM Pouteau, Prix , I liv. 4 fols chaque.
A Paris , chez M. Bouin , Marchand de Muſique ,
rue S. Honoré , près S. Roch , & Mlle Caftagnery ,
rue des Prouvaires. - Quatre Sonates pour Altoviola
, accompagnement de Baffe , par M. Kotzwara ,
OEuvre deuxième. Prix , 4 liv. 16 fols. A Paris ,
memes Adreſſes , & à Versailles , chez Blaiſor ,
rue Satory.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique& des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
EPPIITTRREE au Prince Ferdi- Hiſtoire Naturelle des Oinand
d'Autriche ,
La Fouſſe Rivalité , Anec Concert Spirituel ,
dote ,
193 seaux , 209
220
196 Comédie Italienne , ibid.
225
208 Annonces & Notices , 237
Charade , Enigme& Logogry- Variétés ,
phe ,
APPROBATIΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 29 Mai. Je n'y ai
rien tronvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion .AParis ,
le 28 Mai 1784. GUIDL
JOURNAL Politique
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Mars.
0
N équipe ici une eſcadre qui , ſous les
ordres du Capitan-Bacha, doit ſe rendre
en Egypte, pour mettre un frein aux diſſenſions
des Beys. On ſent plus que jamais la
néceſſité de les ramener à l'obéiflance & au
reſpect qu'ils doivent à la Porte ; juſqu'à préſent
ils ont oppoſé des obſtacles infurmontables
aux projets du Gouvernement , qui
n'apu tirer de ce Royaume aucun des avantages
qu'il auroit pu , & qu'il pourroit lui
procurer dans bien des circonstances ; on
prétend que le produit ſeul des Douanes
d'Egypte fuffiroit pour fournir à l'entretien
d'une armée de 100,000 hommes.
Le Grand- Vifir ſuit , dit-on , avec beaucoup
de conſtance & de fermeté le projet ,
dont l'exécution eſt ſi difficile , d'introduire
ladiſcipline militaire parmi les troupes. Deux
No. 22 , 29 Mai 1784.
i
( 194 )
fois par ſemaine on exerce régulierement les
Canoniers.
Les Catholiques Arméniens craignent de
ne pas jouir long temps de la protection
qu'ils ont obtenue; un ordre du Grand-
Seigneur vient de régler qu'à l'avenir , pour
les diftinguer des Grecs, ceux- ci porteront
le Calpak à la Grecque, & ceux-là à l'Arménienne
; ils regardent cette diſpoſition comme
l'annonce de nouvelles perſécutions.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 4 Mai.
Le 2 de ce mois , à 6 heures & demie du
matin , la Princeſſe Sophie - Frédérique ,
épouse du Prince héréditaire , eſt accouchée
heureuſement d'une Princeſſe. La veille le
Comte de Bernſtoff étoit arrivé ici , & a été
honoré le lendemain d'une viſite du Prince-
Royal,
On aſlure qu'il vient d'être expédié des
ordres , pour équiper avec toute la diligence
poſſible une eſcadre de 6 vaiſſeaux de guerre&
de 8 frégates.
4000 hommes , tant de la garniſon de
cette Capitale , que des Régimens nationaux
des environs , qui conformément à
l'ordre qu'ils en avoient reçu précédemment,
étoient déja en route pour le Seeland,
*où ils doivent travailler aux grandes routes ,
ont reçu un contr'ordre qui leur enjoint de
revenir ſans délai à leurs corps reſpectifs.
( 195 )
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 9 Mai.
Le tranſport de la Couronne Royale de
Hongrie ici , a donné lieu à différentes repréſentations
de la part de la Chambre
Royale de ce Royaunte ; cette Couronne a
toujours été gardée par 300 hommes & 3
Magnats , aux frais du pays; ils devoient en
répondre fur leur tête. L'Empereur a réponduque
la nouvelle deſtination du château de
Bude, rendant le tranſport de cette Couronne
néceſſaire , il avoit jugé qu'elle ne pouvoit
être mieux placée juſqu'à nouvel ordre ,
que dans le tréfor Impérial , avec les autres
bijoux qui y ſont confervés. Lorſqu'on l'a
envoyé chercher, S. M. I. en a chargé un
Magnat du département de Hongrie , avec
quelqdes autres Officiers & une elcorte de
Gardes-Nobles.
Cotte Couronne eſt d'or , & peſe 9 mars & 3
ences . Le Pape Sylvefſtre II en fit préfent l'an
1000 à S. Etianne , Roi de Hongrie ; elte étoit
faite ſur le modele de la Couronne des Empereurs
Grecs , ornée de 53 ſaphirs , de so rubis ,
d'une grande émeraude , & de 338 perles ; toutes
ces pierres ne ſont ni polies , ni taillées élégamment
; outre cela on y voit les images des
Apôtres & de pluſieurs Patriarches . A cette Couronne
le Pape Sylveſtre ajouta une croix patriarchale
d'argent , qui paſſa enſuite dans les armes
deHongrie : c'estd'elle que vient le titre deRai
i 2
( 196 )
Apoftolique , que prirent les Rois de Hongrie,
qui fut négligé enſuite, & que feue l'Impératrice
Reine , Marie Théreſe a renouvellé ; au couronnement
des Rois de Hongrie , elle eſt portée devant
le Monarque par un Evêque. Le manteau
&les fouliers royaux ſont ceux de S. Etienne :
le premier eſt l'ouvrage de Giſele , ſa femme ;
il eſt de toile fine , ſur laquelle ſont brodés en
or , un Chriſt , pluſieurs Patriarches , les Apdtres
, & quantité d'Inſcriptions. Le glaive de S.
Etienne eſt à deux tranchans , & arrondi à la
pointe.
Oncontinue d'enlever des Egliſes les ornemens
inutiles & les ex- voto de métaux
précieux , dont les murs de pluſieurs étoient
ſurchargés ; on les vend , &le prix qu'on en
tire , eſt deſtiné à la caiſſe de Religion. Les
Augaſtins de cette ville ont ſupplie l'Empereur
de permettre qu'on leur remette le produit
de la vente de ceux de ces bijoux qu'on
a enlevés de leurs Eglifes , pour être employé
à la conſtruction d'un grand Autel de
marbre, à la place de celui qu'ils ont , & qui
eſt en bois . S. M. I. y a non- feulement conſenti
, mais en applaudiſſant à cet emploi ,
elle a déclaré qu'elle feroit fournir elle-même
lemarbre néceſſaire qu'on tirera de la carriere
, voiſine de Schombrun.
DE HAMBOURG , le 10 Mai.
Maintenant que les nuages qui menaçoient
d'éclater dans le Nord de l'Europe
font diſſipés , quelques papiers prétendent
( 197 )
qu'il s'en éleve inſenſiblement dans d'autres
endroits . Nous nous bornerons à tranſcrire
leurs doutes & leurs conjectures.
Diverſes circonstances , qui peuvent être indifférentes
, méritent d'être remarquées par la
liaiſon qu'elles ont ſouvent avec les plus grands
événemens. Tels font les achats conſidérables
de grains que la Cour de Berlin a fait faire en
Pologne ; ſon exemple a été ſuivi par celle de
Vienne , & l'on tranſporte cette quantité immenſe
de bled dans les magaſins de la Bohéme.
Cette concurrence en a augmenté confidérablementle
prix. La longueurde l'hiver , fa rigueur
exceſſive , qui ont épuisé la plupart des greniers ,
& la crainte qu'on a que la récolte prochaine ne
ſoit pas abondante , peuvent contribuer àcette
multitude d'achats ; mais la conjoncture critique
des affaires en Europe fait ſuppoſer que les principales
Puiſſances ont cru que la prudence exigeoit
qu'elles ſe pourvuſſent à tout événement.
En effet , on ne fauroit ſe diſſimuler qu'il exiſte
préſentement plus d'un germe de diſcorde . L'affaire
deDantzick eſtdu nnoommbbre , &l'on n'en
prévoit pas encore l'iſſue. A la fin des conférences
ſuſpendues depuis les Fêtes de Pâques ,
la Ville de Dantzick a réclamé la protection de
la Ruſſie . M. de Buchholtz , Réſident de S. M.
Pruffienne , a déclaré que fi les Dantzickois
s'obſtinoient à refuſer les dernieres propofitions
du Roi ſon maître , il ſeroit inutile de continuer
les conférences , puiſque S. M. étoit fermement
réſolue de ne point faire de conceffions ultérieures.
Comme de part & d'autre on paroît décidé
àne pas reculer , & que la Cour de Pétersbourg
-n'a pas témoigné juſqu'ici qu'elle déſapprouve
la conduite des Dantzikois , l'iſſue de cette afi
3
(198 )
faire ne peut qu'intéreſſer la curiofité du public.
Les démêlés entre la Ruffie & la Porte
ont donné lieu à quantité de ſpéculations
pendant qu'ils étoient en pleine activité ; il
eſt tout fimple que l'accommodement & ſes
fuites en fourniſſent de nouvelles: nous placerons
ici celles-ci que nous tirons des mêmes
fources où nous avons puiſé celles que
nous avons déja données ; on les attribue à un
homme établi à Conſtantinople depuis longtemps
, où l'on ſuppoſe qu'il a autant obfervé
que commercé.
Le grand événement de la confirmation & de
la prolongation de la paix a été publié ici dans
le mois de Janvier. Par le traité , l'Impératrice
de Ruffie a obtenu se qu'on dit que ſes prédécefſeurs
, ainſi qu'elle-même , defiroient depuis fi
long-tems , & qui avoit échappé juſqu'ici à leurs
efforts , l'acquifition de la Crimée , & elle l'a
faire ſans qu'il en ait coûté une goutte de ſang .
L'Empereur n'étant point partie principale dans
ces démêlés , mais ſimple auxiliaire de la Ruſſie
en cas d'host.lités , n'a point obtenu de nouveaux
territoires ; mais les limites des deux Empires
ont été fixéesd'une maniere plus diſtincte qu'elles!
ne l'étoient auparavant , & cet avantage n'eſt
pas médinere . On peut demander ſi cette derniere
anquifition de la Ruſſie eſt la conféquence
naturelle de ſes vues politiques ? Et ceux qui
aiment les ſyſtemes & les plans, dont l'imagination
en fabrique ſouvent qu'ils prêtent enfuite
aux cabinets , ceux qui veulent toujours voir
dans les révolutions des cauſes égales aux effets ,
ne manquent pas de répondre affirmativement ;
( 199 )
mais le fait répond le contraire. La Ruffie
apu avoir des vues ſur la Péninſule ; mais elle n'a
eu que trés tard & depuis peu l'idée & l'eſpérance
d'en obtenir la poſſeſſion. C'est le caractere
& la foibleſſe de Sahim-Guérai qui ont fait
naître l'une & l'autre ; un Prince plus ferme
&plus éclairé ne le leur auroit pas permis .
Sahim , dont l'ame a peu d'énergie , & dont le
corps eſt également affoibli par les maladies ,
fut épouvanté par l'opinion qu'on lui ſuggéra
d'un rival formidable que la Porte foutenoit
hautement , & la terreur qu'on lui inſpira de
ce rival fut le premier moyen qu'on employa
pour le déterminer à abdiquer ſon autorité. C'eſt
un fait que les Rufſſes qui l'entouroient ne négligeoient
rien pour lui perfuader de prendre ce
parti. Le tems ſeul peut nous apprendre quelles
en ſeront les conféquences ; mais en attendant ,
il ouvre un vaſte champ aux ſpéculations politiques.
La Ruffie a maintenant de fait & de droit
la liberté de la navigation ſur la mer noire ;
maîtreffe d'un territoire auſſi conſidérable que les
bords de cette mer , qui lui offre tant de maté
riaux pour la conſtruction des vaiſſeaux , & des
ports également importans & fürs , elle peut
former une marine proportionnée à fon ambition
&à ſes moyens ; elle peut lancer ſes Bottes au
Sud & au Nord , embraffer PEurope , & former
des prétentions far une part à l'empire de
l'Océan. Du côté du commerce , que ne doitelle
pas attendre ? Les provinces immenfes &
fertiles , baignées par les grandes rivieres qui
aboutiſſent à la mer noire , & qui font encore
peu connues , ſont ouvertes à tous les Marchands
qui voudront y aller trafiquer , & qui recevront
tous les encouragemens propres à les attirer ,
de la part d'une Cour déja bien convaincue que
i 4
( 200 )
la force& la grandeur d'un Gouvernement dependent
des efforts de l'induſtrie & du commerce.
Le canal projeté pour ouvrir une communication
entre leDon & Wolga , qui n'aura que 20
milles d'étendue , ſera bientôt exécuté. Le commerce
que quelques nations faifoient ſur la mer
Cafpienne, & que divers obſtacles ont interrompu
, pourra être rétabli ; les obſtacles n'exiſtent
plus , & on ne doit plus craindre la répétition
des premieres infortunes qu'on a éprouvées .
Une circonftance qui favorite eet eſpoir , c'eſt
le traité conclu cette année entre la Ruffie &
Ja Cour de Perfe ; il renouvelle tous les ar icles
du traité précédent , & accorde aux Ruſſes ja
liberté de conftruire plufieurs forts pour proseger
leur navigation fur la mer Cafpienne.-
Juſqu'à préſent le Mahométiſme avoit joui d'un
avantage qu'on peut regarder comme une bonne
fortune ; il n'avoit jamais été ſubordonné à aucun
autre culte. La derniere révolution amene
un phénomene abſolument nouveau. L'Eglife
Grecque , tenue dans un état d'abaiſſement &
d'abjectiondans tout l'Empire Ottoman , prend
la ſupériorité ſur le Mahométiſme dans un diftrict;
& les fectaires y obtiennent la permiffion
de ſuivre leur croyance. Quoique pluſieurs dévots
aient déja quitté les lieux , qu'il ſoit eertain
qu'un grand nombre ſuivra encore leur
exemple , il n'en eſtpas moins vrai que leGouvernement
Ruſſe ne négligera rien pour les engager
àdemeurer. Dans cet érat fubordonné où ils ſe
trouveront , ils perdront cette obſtination qui les
attache à leurs anciennes habitudes , &deviendront
pardegrés plus ſuſceptibles d'être policés
par les arts & les connoiſſances. Plus éclairés
que leurs freres en culte dans la Turquie , ils
pourront leur communiquer inſenſiblement les
(201 )
lumieres qu'ils auront acquiſes . La liberté & la
Lûrété dont ils jouiront , pourront attirer dans
leurs Vil'es les perſonnes riches , les Gouverneurs
même de Provinces , qui , s'étant enrichis
par des extorfions , & qui , craignant la vengeance
ou le crédit de leurs ſupérieurs , ne manqueront
d'aſſurer leur vie & leur fortuné par la
fuite ; & cette derniere perſpective eſt très-avantageuſe
pour le Gouvernement Ruſſe. -Cette
paix a été faite au moment où les hoftilités alloient
commencer ; le ſeul délai d'une ſemaine de
la part de la Porte auroit amené la guerre. La
diſpoſition pacifique du Sultan , & plus que
cela l'état de l'Empire , ont levé tous les obſtacles.
Les circonstances particulieres qui ont accompagné
la concluſion du traité , montrent que
cette paix ſi néceſſaire n'a été obtenue qu'à des
conditions humiliantes. Le Grand Viſir confidérant
que le Sultan eſt âgé , & que son fuccefſeur
pouvoit le rendre reſponſable d'une paixde
cette eſpece , a refuſe de ſigner le traité , &
l'affaire a été réglée ſans ſa concurrence. En ſe
mettant à l'abri du reproche d'avoir en part à
cette tranſaction , il a procuré à ceux qui s'en
ſont mêlés toute la ſûreté poſſible. Dabord il a
engagé le Sultan à confulter le Muphti , & à
en obtenir un fetfa d'approbation , en conféquence
duquel S, H. a ſigné de ſa propre main
l'ordre de conclure & de ſigner le traité. Ces
ordre eſt un acte authentique qui ſera conſervé
&tranſmis à la poſtérité , pour juſtifier lesMiniſtres
de la Porte. Ces meſures préalables priſes ,
le traité a été ſigné par le Capitan-Pacha , repréfentant
les Militaires ; le Reis-Effendi , repréſentant
le département civil , & par un des Ulemas
, repréſentant la loi & l'Eglife . On efpere
que cette nouvelle paix fera durable. La
is
( 202 )
Ruffie n'a point en vuede conquête ultérieure,
ſon intention actuelle eſt de cultiver & de perfectionner
les immenſes territoires qu'elle poſſede
déja; & il est vraiſemblable que les Nations étrangeres
ne lui verroient pas volontiers faire de nouveaux
progrès dans leur voiſinage.
CC Le Jeudi Saint , écrit-on de Vienne , on
arrêta fur une place publique deux domeſtiques ,
l'un ſans livrée , & l'autre avec celle d'un Miniſtre
étranger , qui portoient du tabac de contrebande ;
le Secretaire de l'Ambaſſade à laquelle ils appartenoient
ſe rendit fur le champ au Bureau de
la ferme , reclama les deux ſujets , qui furent délivrés
incontinent , moyennant l'amende de 418
florins qu'ils avoient encourue. Le Miniſtre joint
à quelques autres , prétend une fatisfaction
pour la détention de ces deux hommes ; mais on
croitque cette demande n'aura aucun effer. On
rapporte à cette occaſion que ,pour une ſemblable
cauſe, un domestique de l'Ambaſſadeur de Veniſe
fut arrêté à Madrid , il y a deux ans , & reſta fix
jours en prifon , & qu'il ne fut donné enſuite
aucune fatisfaction .
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 26 Avril.
C6
Une troupe de Comédiens, raſſemblés ici
par l'Entrepreneur du Theârre de Cagliari ,
s'étant embarquée le 19 de ce mois fur le
bâtiment courrier , chargé des lettres d'Italie
pour la Sardaigne, a failli de manquer fa
deftination, & de faire un voyage à Tunis.
Le 20 au foir , ce bâtiment fut attaqué par
un Corſaire , portant le pavillon de cette
3
( 203 )
Régence; le combat qui fut long& opinia
tre , dura 3 heures , pendant leſquelles les
Barbareſques tenterent à diverſes repriſes l'abordage
le fabre à la main. Ils furent fi bien
reçus , qu'ils quitterent la partie ; & le bâtiment-
courrier , enchanté d'en être débarraffé
, s'eft réfugié à Baſtia , dans l'ifle de
Corſe , d'où il a dû continuer ſa route pour
Cagliari.
On vient d'éprouver à Celle , village du dif
tria de S. Caſciano de Cotrone , qui appartient à
cette République , écrit on de Lucques , un évé
nement également extraordinaire & funeſte. Après
un orage violent , accompagné de pluie qui regna
pendant toute lajournée du 29 Mars , c.1 s'apperçut
le lendemain à midi que la terre trembloit
fenſiblement ; les habitans effrayés par le ſouvenir
de ce qui s'étoit paſſé à Meſſine & dans les deux
Calabres, fortirent promptement de leurs habitations
, emportant ce qu'ils purent de leurs effets ,
&chaſſant devant eux leurs troupeaux. Cette précaution
étoit prudente ; car le ſoir tout le terrein
du village & autour à 3 milles d'étendue fut
bouleverſé ; toutes les maiſons diſparurent , &
cette partie de campagne qui étoit belle , bien
cultivée , ne parut plus qu'un déſert. Les maiſons
étoient au nombre de 50 , y compris 3 moulins;
elles ſervoient de demeures à 200 habitans , qui
campent aujourd'hui LeGouvernement s'eft haté
d'aller à leur ſecours , & 6 Sénateurs ont été en-.
voyés pour examiner le dommage & y remédier.
Une lettre de Bologne contient l'anecdote,
fuivante.
Le 22 de ce mois , en faiſant le matin la viſite
des priſons, onyatrouvé unpriſonnier qui s'étoit
16
( 204 )
empoisonné. C'étoit un Vénitien , accuſé d'avoir.
faitde faufles lettres-de-change à Vienne , & d'y
avoir eſcroqué des ſommes conſidérables. Il avoit
été reclamé par laCour Impériale auprès de la République
de Venise , qui l'avoit reclamé à ſon tour
de ceGouvernement. Il étoit ici depuis quelque
rems , où il faifoit de grandes dépenſes. En le
cherchant d'auberges en auberges on fit une méprife
qui ne fut pas agréable à un autre étranger
françois de nation qui voyage ; les Sbires ſe porterent
pendant la nuit dans la maiſon où il logeoit,&
entrerentde force dans fa chambre ; furpris
de cette viſite imprévue ,& les prenant pour
des voleurs, il ſauta ſur ſes piſtolets qu'il tira, mais
qui heureuſement ne prirent pas few. Les Sbirres
irrités le maltraiterent , le garroterent & le conduiſirent
à leur corps-de-garde.L'étranger envoya
fur le champ chercher un marchand , ſur lequel il
avoit des lettres de crédis , & celui- ci ayant été
trouver le Cardinal Légar pour l'inſtruire de la
mépriſe , & lui répondre de la perſonne qu'on
avoit arrêtée , l'ordre de le mettre en liberté fut
expédié enmême tems que celui d'empriſonner
les Sbirres ; ce dernier n'a pu être exécuté que
fur leur chef ; les autres s'étant réfugiés dans des
afyles.
Les lettres de Naples annoncent la priſe
du Chefde bandits , Angioletto del Duca;
c'eſtunde ſes compagnons , arrêté dans le
dernier combat où il avoit été bleſfé , qui a
acheté fa grace , en défignant ſa retraite; ils
s'étoit réfugié dans le Couvent de Muro ,
dans la province de Salerne : c'eſt là qu'il a
été arrêté.
D. Dominique Potenza, Fifcal de la Junte
Royale des abus, continuent ees lettres , a propoſé
( 205 )
de fouſtraire tous les Religieux du Royaume à la
dépendance de leurs Généraux réſidans à Rome ,
&de forcer chaque Ordre à élire un Vicaire-
Général pour les États de S. M. Cette affaire avoit
été généralement approuvée , & elle alloit paffer,
lorſque quelques voix s'y oppoſerent , en diſant
que les Vicaires Généraux n'auront pas les pouvoirs
ſpirituels ; il fut en conſequence réfolu de
fuſpendre toute déciſion , juſqu'à ce que l'on fut
de quelle maniere ce point avoit été réglé dans les
Etats Autrichiens & dans ceux de la République
de Venise.
En conséquence de l'ordre du Roi , en date du
14 Février dernier , ajoutent les autres lettres ,
pour ramener à la décence & à la diſcipline les
Religieux vagabonds , hors de leurs Couvens , on
prend toutes les précautions pour cet effet. Le 12
de ce mois , une patrouille extraordinaire a parcouru
la ville pendant la nuit & viſité les mauva
lieux , où l'on dit qu'elle en a trouvé pluſieurs ,
qui ont été conduits en priſon.
:
ESPAGNE.
DE MADRID , le 23 Avril.
Le Roi a diſpoſé de la charge d'Inquifiteur-
Général de ſes Royaumes , vacante par
la mort de D. Philippe Bertran , évêque de
Salamanque , en faveur de D. Auguſtin Rubinde
Cevallos.
Les regrets que cauſe la perte du Chef
d'eſcadreMoreno, ramenent fréquemment à
la malheureuſe affaire qui lui a coûté la vie.
Son adverfaire étoit un Gentilhomme de Salamanque
, appellé D. Antonio Manzano ; i
( 206 )
۱
s'eſt conftitué volontairement priſonnier pour
ſe juſtifier ; on croit que ſon affaire s'arrangera
&qu'il fera remis en liberté. Il a dit & prouvé
par des témoins qu'il n'a fait que le défendre ,
& qu'il n'a point été l'agreſſeur. Le domeſtique
même de M. Moreno, qui ſuiveit ſon naître
& qui étoit avec lui dans ce funeſte moment ,
a confirmé ce témoignage. Le Roi a bien voulu
accorder une penſion de soo écus à la mere
de cet Officier , & une de 150 à un de ſes neveux
qui ſert actuellement dans les gardes roya.
les.
L'échange de toutes les iſles & poſſeſſions
qui , conformément au Traité de Verſailles ,
doivent reſter aux Puiſſances reſpectives par
la Paix, étant terminé , S. M. a nommé pour
fon Ambaſſadeur à la Cour de Londres , le
Marquis d'Almodovar , qui réfidoit en Angleterre
en la même qua'ité avant la rupture.
Pour détruire les préugés trop généralement
répandus contre le travail des mines de vif argent
, que bien des gens regardent comme contraire
à l'humanité & funeſte à la ſanté des ouvriers
qui y font employés , le Gouvernement
a fait publier le relevé ſuivant des regiſtres de
P'hôpital royal , certifié par les Directeurs de cet
hópiral & par le départ ment des mines. De 835
malades qui entrerent l'année derniere dans cet
hospice , & du nombre deſquels il y en avoit
38 qui y avoient paſſé à la fin de la précédente
, on en a guéri 756 , il en eſt mort 48 , &
31 étoient encore malades à la fin du mois de
Décembre.
Un paquebot arrivé à Cadix, a apporté
des lettres du Chili , en date des derniers
( 207 )
jouss de Novembre, dans lesquelles on lit
les détails ſuivans .
On croyoit avoir éteint les révoltes dans le
Pérou par la mort du fameux chef Tupal Amer
&par le fupplice exemplaire auquel il avoit
été livré ; il avoit été tiré à 4 chevaux. Elles
parurent en effet aſſoupies pendant quelquetems ;
mais la terreur , qu'on avoit inſpirée , s'étant
un peu calmée , de nouveaux troubles ſe ſont
élevés. Un frere du chef puni , appellé Diego
Tupal Amer s'eſt déclaré chef des rebelles , &
a juré de le venger. Il paſſe pour être d'un ca.
ractere plus fier & plus hardi : cependant il
n'a fait encore aucune entrepriſe contre les
eſpagnols ; il ſe contente juſqu'à préſent
de faire maſſacrer inhumainement tous les ennemis
qui tombent entre ſes mains , & il ne
s'occupe qu'à exciter à la révolte toutes les peuplades
indiennes voiſines . Le Gouvernement a
pris les meſures néceſſaires pour lui faire ſubir
le fort de ſon frere. Dans le Chili au contraire
tout a été paiſible pendant la guerre , &
la même tranquillité regne. On a mis fans oppofition
en ferme , conformément aux Ordres du
Roi , les jeux de cartes , le papier timbré , &
lapoudre. Depuis le commencement des hoftilités
juſqu'à préſent , nous avons eu ici 7 bâtimens
de guerre & un brigantin pour s'oppoſer
â toute entrepriſe que les Anglois auroient pu
tenter. de ce côté. Leur ſtation aété le porrde la
Conception, qui eſt celui de nos côtes le plus abondant
entout genre de provifions Un particulier
de ce dernier endroit , nommé D. Antonio Lorca
, a formé à ſes dépens , à la rade de S. Vin-
-cent , à 3 lieues de la Conception , un grand
Arſenal qu'il a pourvu de tout ce qui est né
-
( 208 )
,
ceſſaire peur la conſtruction de toutes fortes de
vaiſſeaux. Les Ouvriers qu'il a employés étoient
venus de Panama & de Calao ; ils ont trouvé
le pay's fi fertile qu'ils ont abandonné leurs
anciennes demeures,&ſe ſont établis ici pour toujours.
Le bois , objet principal pour la conftruction,
ſe trouve ſur les Andes en grande quantité
& de qualité excellente. Les pins furpaſſent
en beaurt ceux de Hollande , leur hauteur eft
de 30braſſes caſtillanes , & leur diametre dedeux.
Les autres matériaux ſont foursis par le pays en
abondance& à bonprix.D.'Antonio Lorcaa conftruit
pour ſon compte un vaiſſeau de 60 canons
, une frégate & quelques barques , dont la
plus foible peut porter 11,000 quintaux , & fa
dépenſe ne paſſe pas 250,000 écus. L'efcadre
du Roi , qui a fait un long séjour ici ,
a mis à la voile ces jours derniers pour Calao
d'où elle retournera en Europe ; elle a ſous
fon eſcorte pluſieurs vaiſſeaux appartenant àM.
Lorca & à divers particuliers . Elle s'arrêtera
àCa'ao juſqu'au commencement de 1784 , pour
faifir la taiſon la plus favorable pour doubler le
Cap Horn ; on croit qu'elle pourra arriver
àCadix dans le mois de Mai 1785. La cargaifon
des bâtimens de commerce confiſte en cuirs
chairs falées , fuif ,&c.
-
ANGLETERREDE
LONDRES , le 18 Mai.
Une lettre du Commodore ſir Charles
Douglas , en date du 15 du mois dernier ,
contient les détails ſuivans du malheur arrivé
àquelques Officiers , que le froid a fait
( 209 )
perir , & dont on a parlé vaguement dans
des lettres particulieres .
La déſertion des Matelots Anglois pour paſſer
fur le territoire des Etats-Unis , n'a pas moins
diminué mon équipage que celui des autres vaiffeaux
de S. M.; mais elle y a occafionné un malheur
plus terrible. Le 31 Décembre dernier , 6 de
ces transfuges s'emparerent du canot , tandis que
nous étions à Sandyhook , & firent route pour la
côte du Jerſey. 13 perſonnes , tant Officiers que
Volontaires , inirent en mer la grande chaloupe
pour aller à la pourſuite des fugitifs. Mais une
demie-heure après qu'ils eurent quitté le vaiſſeau,
il s'éleva une brume épaiſſe , occafionnée par la
neigé qui tomboit en grande abondance , & étoit
accompagnée d'un grand vent. L'apparenced'une
tempête me détermina à faire tirer un coup de
canon pour les faire revenir; mais après avoir trèslorg-
tems répété ce ſignal , ſans qu'il produifit
aucun effet, je penſai que la chaloupe avoit gagné
lacore , & que les Officiers voyant le grostems ,
avoient prudemment différé leur retour juſqu'au
lendemainmatin. Le matin arriva ; mais la chaloupe
ne parut point. Je paſſai toute la journée
dans l'anxiété la plus cruelle. Enfin le lendemain
matin , c'est- à-dire , le troiſieme jour après le
départ du canot& de la chaloupe , le tems s'étant
éclairci , nous découvrimes ces deux bâtimens fur
la côte de Jerſey. Nous nous en approchâmes
auſſi-tôt ; mais quelle fut ma douleur , lorſque
je vis tous nos braves gens gelés & exactement
morts de froid. Il y en avoit dix dans la chaloupe ,
étroitement ſerrés l'un contre l'autre ; trois autres
qui étoient deſcendus à terre pour chercher l'abri
d'une maiſon , ont péri dans la neige.
Les lettres de la Jamaïque annoncent que
( 210 )
tout eſt tranquille dans cette ifle , que lesplan--
teurs attendentavec impatience quelques vaifſeaux
de la côte d'Afrique avecdes negres qui
leur manquent , pour faire valoir leurs plantations
; if en arriva 4 vaiſſeaux vers Noël :
mais ils n'en ont pas fourni la quantité dont
on auroit beſoin ; quelques bâtimens étran -
gers font quelquefois des deſcentes dans des
endroits écartés des côtes , pour en enlever ,
cequi fait un tort conſidérable aux plantations.
L'Amiral Gambier a établi quelquesuns
de ſes vaiſſeaux pour croifer dans les
endroits menacés , &mettre un frein à ces
pillages qui ſe ſont fort multipliés .
La frégate le Crocodile a fait naufrage fur.
la pointe de Start , le 9 de ce mois , en revenant
de l'Inde. Elle apportoit des dépêches
de Bombay , en date du 30 Décembre,
&des 9 & 10 Janvier dernier. Elles ont
été fauvées , & on en a publié les détails fuivans.
Quelques chaloupes chargées de Cipayes s'étant
per dues auprès de Cananor , environ 200 de
ces malheureux ont été pris & retenus par le
Bibby , la Princeſſe , malgré les inſtances répétées
qui ont été faites pour demander leur élargiffement.
Comme le Gouvernement de Camanor a
été de tous tems ennemi de la Compagnie, le Général
Macleod , pour obtenir fatisfaction de ces
injures , s'eſt emparé de la Place , & ſuivant le
compte rendu par ce Commandant , les troupes
du Roi & de la Compagnie méritent les plus
grands éloges par la maniere dont elles ſe ſont
conduites dans l'attaque & la réduction de cette
( 211 )
Place & de fes dépendances. -Le Comité
ſecret de Bombay venoit de recevoir une lettre
du Peshwa ou Chef des Marates , pour annoncer
à la Compagnie qu'il accede au Traité dans toute
ſa teneur , & qu'il eſt prêt à ſe joindre aux Anglois
& à ſeconder toutes les metures offonſives
qu'ils pourront prendre contre Tippo- Saib , dans
le cas où ce dernier n'exécuteroit pas les conditions
du Traité propoſé. Cependant , ſelon ces
mêmes avis , le Général de l'armée de Tippo-
Saib dans le Carnate , étoit en pleine marche pour
Changama - Paff, accompagné de MM. Sadlier
&Staunton , nommés par le Lord Macartney ,
pour conclure le Traité avec Tippo ; & ce Prince
lui-même , dans ſa lettre an Général Macleod ,
cite leur arrivée comme un événement qui ne
doit laifler aucun doute ſur la Paix. Mème après
Ja, priſe de Cananore , dont Tippo reclamoit la
Bibury , comme ſon alliée , le Général Macleod
apprend que Tippo ne s'eſt nullement oppoſé à
ce qu'il ravitaillât de nouveau Mangalore &
Onore. Sur une des lettres reçues à Bombay ,
il paroît que Ragonaut Row , ou Ragobah , oncle
du Peshwa , eſt mort le 11 Décembre .
Parmi les lettres particulieres , arrivées en
même temps , quelques-unes offrent le paragraphe
ſuivant.
"Notre voyage de Madraff ici, écrit-on de
Bombay en date du 26 Janvier , a été très-agréable ;
nous eûmes les meilleurs vents du monde ; nous
touchâmes à Colombo & à Cochin , où nous
apprimes que les partis du pays étoient tombés
fur les Hollandois , & avoient pafé au fil de
l'épée la garniſon d'un fort à dix lieues de Cochin,
dans l'intérieur, Le Gouverneur de Batavia
avoit envoyé 600 foldats au ſecours de Cochin :
(212 )
tout portoit l'apparence de la guerre Les
difputes entre les Anglois& les Hollandois , dans
ces quartiers , n'étoient pas prêtes à ceſſer ; ceuxcicraignant
qu'on ne leur remboursât pas toutesles
dépentes qu'ils ont faites dans la derniere guerre
fur l'Ifle de Ceylan. - Les fortifications de
Cochin ſont très-vieilles & très irrégulieres ; mais
elles ont 50 pieces de canons qui font face à la
mer , & 60 qui ſont du côté de la terre . Il y a
pluſieurs familles de juifs qui y ſont établies ; &
ce qui eſt remarquable , c'eſt que les Portugais
ytrouverent leurs ancêtres lorſqu'ils yaborderent
la premiere fois . L'opinion générale eſt qu'ils
deſcendent de quelques juifs qui y voyagerent
peu après la deſtruction finale du temple ; ils
font très Hoſpitaliers envers les étrangers , & font
eſtimés des naturels du pays ».
Un Officier de Madraffécrit ainſi à un de
ſes amis à Edimbourg , ſur la ſituation des
affaires de l'Inde.
>> Notre ſituation ne pouvoit être plus critique
lorſque nous avons reçu la nouvelle de la paix ;
elleaſauvé notre armée , qui vraiſemblablement
oût été perdue. Mais nous ſommes bien éloignés
de jouir de cette paix nous-mêmes. Les plus
grandes diſſenfions prévalent entre les Officiers
dela Compagnie ; le ſujetde diſpute n'eſt pas de
ſavoir quel ſera le plus grand avantage de la
Compagnie , mais ce qui produira plus de profit
àſes employés. Il eſt vrai que Type- Saïb a offert
de bonnes conditions de paix; mais en même
temps il recrute ſes troupes , augmente ſes finances
, & ſemble faire des préparatifs pour ſe
mettre en état de profiter de l'occaſion de tirer
avantage de nos querelles. Les François ſous main
Pencouragent; en un mot, i l'on ne prend pas
( 213 )
quelque meſure générale en Angleterre , pour
réprimer cet eſprit d'ambition , d'avarice & de
tyrannie, la Grande-Bretagne peut renoncer à
tout pouvoir dans l'Orient».
Dans l'intérieur il y a toujours des troubles
: les mécontentemens des Irlandois ont
augmenté. Les divers bills qui avoient été
envoiés à Londres , y ont été renvoiés avec
l'approbation Royale ; celui relatif à la liberté
de la Preſſe, n'a point ſubi de changement,
& ajoute aux plaintes. Les Volontaitaires
s'exercent journellement , & il fe forme
un nouveau Corps , qui prend le titre de
Volontaires de Dublin , & pour deviſe : la
Liberté ou la Mort; il n'eſt encore que de
100 hommes , mais on croit qu'avant la fin
du mois il ſera de 300 .
Aujourd'hui , écrit-on de Cork , un très-grand
nombredepauvres manufacturiers, armés d'épées &
depiſtolets, ſe ſont afſemblés auprès des magaſins ,
où étoitdéposée une quantité conſidérablede laineries
& autres marchandiſes originairement embarquées
à Amſterdam pour un marché étranger ,
mais admiſes depuis dans ce port en vertu d'un acte
de notre Parlement ,& qui devoient être vendues
à l'enchere ce jour même. D'après les remontrances
qui leur ont été faites ſur l'irrégularité
de leur conduite , ils ſe ſont diſperſes ſans commettre
aucun excès; mais les propriétaires &
intéreſfés ont déclaré qu'aucun article de lainerje
faiſant partie de cette cargaiſon , ne ſeroit vendu
en Irlande.
La convention de ne faire aucun uſage
de manufactures étrangeres, paroît maintenant
générale en Irlande; cette meſure &
( 214 )
pluſieurs autres , priſes en divers endroits ,
viennent à l'appui de la déclaration qui ya
été faite , que l'on ne regardoit pas la Chambre
des Communes actuelles , comme repréſentant
véritablement la Nation.
M. Bingley , écrit-on de Dublin , arrêté à
l'occaſion des papiers publics qui ont occafionné
le bill , qui retraint plus qu'il n'aſſure la liberté
de la preſſe , & remis enſuite en liberté , a intenté
une action contre François Graham pour
outrage & emprisonnement illegal , en venant
horsde ſon diſtrict , & en l'arrêtant dans la cité de
Dublin , en le conduiſant au corps de garde du
Château où il fut enfermé , & où on ne permit à
perſonne de le voir ; circonstances toutes déſagréables
, & faiſant injure au caractere dudit
Bingley qui étoit toujours prêt à obéir volontairement
la loi , à ſe préſenter lorſqu'il ſeroit
mandé , & qui n'a fait aucune réſiſtance ;
cette conduite à ſon égard eſt une violation manifeſte
des loix & de la conſtitution du royaume ,
&un abus du pouvoir militaire ſubſtitué au pouvoir
civil. Bingley a auſſi intenté une action
- contre Thomas l'Etrange , député Sergent d'Armes
, & Henri Holmes , un des portiers de la
Chambre des Communes , pour outrage& empriſonnement
injuſte , en l'arrêtant quand il étoit
ſous la garde des Officiers de la loi commune , les
Scherifs, & lorſqu'il alloit donner caution devant
un juge , & après l'avoir donnée dans la maiſon
du Juge Robertſon qui étoit un fanctuaire in
violable pour lui lorſqu'il y étoit.
:
Le moment de l'aſſemblée du nouveau
Parlement eſt arrivé ; l'élection ſi longue de
Weſtminster a été enfin terminée hier ; М.
Fox l'a emporté par une majorité de 234
( 215 )
voix: mais comme il n'eſt pas douteux qu'il
n'y en ait beaucoup de faufies , tant pour lui
que pour fon concurrent, ce dernier a dermandé
le ſcrutin; & le Grand-Bailli la accordé
malgré l'oppoſition des amis de M. Fox , &
les repréſentations qu'il a faites lui-même ,
en obſervant que l'autorité du Grand- Bailli
ceffe , & que la vérification qu'il ordonnoit ,
auroit dû être ordonnée 8 jours auparavant.
Le Bailli a jugé que le cas actuel fortoit des
regles ; & ce ſera le 8 de ce mois que commencera
cette vérification.
Conformément à la proclamation du Roi
pour la diffolusion de l'ancien Parlement &
la création d'un nouveau , c'eſt aujourd'hui
qu'il devoit étre ouvert; S. M. s'eft rendue
eneffet à la Chambre des Pairs : mais elle
s'eſt bornée à faire dire aux Communes par
fon Chancelier , qu'elle vouloit qu'auparavant
elles choiſiſſent leur Orateur. Ce choix
eſt tombé ſur M. Charles Wolfran Cornwall,
qui étoit Orateur dans le dernier Parlement;
il ſerapréſenté demain àS. M., & on
ne croit pas qu'il eſſuye aucune objection de
la part des Miniftres .
On a déja le diſcours que le Roi doit prononcer.
M. Pitt a dû en faire la lecture hier ,
dans une très-grande aſſemblée , compoſée
de membres des deux Chambres ; c'eſt ainſi
que l'on le trouve dans nos papiers.
Milords & Meſſieurs. J'éprouve la plus haute
fatisfaction de voir le Parlement aſſembé après
avoir été forcé de recourir aux ſentimens de mon
( 216 )
tout
peuple ; la loyauté & l'attachement à la conftitution
, qui ſe ſont manifeſtés par
m'ont cauſé beaucoup de joie , & je ne doute
point que ces ſentimens ninfluent ſur votre conduite
, & ne produiſent la modération convenable
dans tous vos procédés.
Meffieursde la Chambre des Communes. J'ai ordonné
qu'on mette les eſtimations ſous vos yeux .
Je déplore la néceſité où je ſuis , de demander,
des ſubſides qui peuvent accroître les charges
de mon peuple. Mais je me flatte que les beſoins
de la nation , à la fin d'une guerre longue &
diſpendieuſe , en montrent la néceſſité.
Milords & Meſſieurs. Les fraudes commiſes
journellement contre le revenu public méritent
votre plus férieuſe attention. J'eſpere que votre
ſageſſe vous fera adopter les meſures les plus
propres à y remédier. Les intérêts du commerce
ne méritent pas moins votre confidération. Les
affaires de l'Inde, liées avec celles de ce Royaume
, demandent une réforme , & je me flate
que vos délibérations ſur ce point feront dirigées
par l'eſprit de la conſtitution . Je n'ai pas
d'autre but que le bien de mon peuple & la conſervation
de ces droits qui font à la fois liés avec
les intérêts de ma couronne & la proſpérité de
mon royaume.
On attend à préſent avec impatience comment
les affaires tourneront au Parlement :
on a dit dans pluſieurs papiers, que l'Election
générale n'avoit pas répondu à l'attente
des Miniftres , & que leur majorité ſera foible.
L'on entre à ce ſujet dans les détails ſuivans.
D'après les liſtes que l'on a reçues des membres
élus juſqu'à préſent pour le nouveau Parlement
( 217 )
ment&le tableau des endroits où il n'y aura
point de conteſtation , il paroît que les partifans
de la coalition ſeront au nombre de 220
au moins . Ainſi les amis du Miniſtre ſeront au
nombre de 330 ou 338. Mais comme il arrive rarement
qu'il y ait plus de 400 ou de 450 membres
préſens , on compte que lorſqu'il y aura diviſion
l'oppoſition ſera de 150 ; les Miniftres en au
ront 220 , c'est -à-dire , une majorité de 70 à
l'ouverture du Parlement , qui eſt la plus petite ,
avec laquelle un Miniſtre populaire ait ouvert
fon adminiſtration . Au commencement de la
guerre d'Amérique , le Lord North eut conf.
tamment dans toutes les grandes occafions une
majorité de près de 300 ; l'oppofition réunif
foit rarement plus de 70 voix.
:
Le tems approche où l'on fera inſtruit de
ce qu'il faut en croire ; en attendant on revient
aux anciens démêlés entre les Miniſtres
& la Chambre des Communes , qui ont
donné lieu à tant d'adreſſes en faveurde la
Couronne contre le Parlement. Un Ecrivain
vient de préſenter les obſervations ſuivantes
aux Auteurs & fauteurs de ces Requêtes.
La derniere diſpute nationale a été entre la
prérogative & les privileges des Communes , qui
repréſentent le peuple; une controverſe exacte
ment ſemblable s'éleva ſous les regnes de Charles
I, Charles II & Jacques II ; l'événement prononça
contre les Rois de la Maiſon de Stuart.
Depuis ce tems, la Chambre des Communes a
été dans l'uſage conſtant de controler chacune
des prérogatives ; &juſqu'à la fin de 1783 , il
n'avoit pas étémis en queſtion ſi elle en avoit le
droit. Auſſi-tôt qu'un Miniſtre perdoit la majorité
, on n'imaginoit pas de demander comment
Nº. 22 , 29 Mai 1784.
k
( 218 )
il reſſoit à S. James. La prérogative de la Couronne
eſtune partie eſtimable de la conſtitution;
mais elle ne fait rien aux droits du peuple ,
quoiqu'elle foit néceſſaire à l'exiſtence de notre
Gouvernement. Il n'en eſt pas de même des privileges
des Communes : fans eux le peuple ne
peut conſerver ſa liberté . S'il conſent à les ſacri.
fier à la prérogative , il fortifie la Couronne à
fon préjudice. Mais s'il ſoutient les Communes ,
quand même il ſe tromperoit ainſi qu'elles , l'erreur
feroit du côté de la liberté . On fait que dans
une dispute avec la Couronne , les Communes
ne peuvent exiſter que par l'appui du peuple ,
Jeur force fait fa force : fi les Communes ont tort,
P'erreur eſt paffagere , parce que ce corps eſt paſfager
auffi . Mais ce qu'obtient la Couronne eſt
durable , on ne peut pas le lui ôter. Quel avantage
peut- il revenir au peuple de priver la Chambre
des Communes du poids qu'elle a eu juſqu'ici
dans leGouvernement , par la jouiffance dudroit
de n'accorder ſa confiance qu'à ceux qu'elle juge
cui la méritent ? Aucun. Mais celui de la Couronne
eſt évident. La raiſon publiquement alléguée
pour le renvoi des anciens Miniſtres , eſt
queS. M. étoit irritée de l'appui qu'ils donnoient
au bill de l'Inde , mais ils l'appuyoient en qualité
de membres du Parlement , & avec l'approbation
d'une majorité de cent perſonnes. Quelle
feradonc la liberté du Parlement , fi la Couronne
renvoie & diſgracie des membres qui n'ont d'autre
tort que d'avoir foutenu une meſure qu'elle
délapprouve ; & qui ofera le faire à l'avenir ?
C'eſt ce qui vient d'être établi , ce dont le Roi
a été remercié dans toutes les adreſſes . Si ceux
qui les ont rédigées & préſentées avoient raiſonné
ſagement , il ſe ſeroient adreſſés d'une ma-
-niere conforme à la conftitution , à la Chambre
( 219 )
-
des Communes contre le bill , ils n'auroient pas
comme ils l'ont fait, oublié cetteChambre comme
fi elle n'exiſtoit pas , & anéanti de tout leur pouvoir
leurs propres délégués , en recourant à la
Couronne ſeule. Ils ontdonné cette leçon dangereuſe
, que le pouvoir de forcer les Communes
n'appartient pas au peuple , mais au Roi.
Lorſque le bill de l'Inde eur paffé à la Chambre
baſſe , il auroit paſſe de meme à la Chambre
haute avec une grande majorité , ſans les prieres
& les menaces d'un noble Lord , proche parent
de M. P. qui , au nom du Roi , obtint de plufieurs
Gentilshommes de la Chambre & autres
perſonnes en place, de ne point lui donner leurs
voix. Le bill fut rejetté pat une majorité de 8 ;
mais peut- on dire qu'il le fut conſtitutionnellement?
-De ces conſidérations déduites des
faits ,j'infere que la conduite de l'Adminiſtration
actuelle dans cette affaire a été une entrepriſe
contre la conſtitution , pour rendre la Couronne
l'agent du peuple ,& établir le Roi comme le
repréſentant de la Nation , de maniere qu'à
l'avenir par ſon autorité perſonnelle , il pourra
dicter aux deux Chambres la conduite qu'elles
doivent tenir .- Les rédacteurs des adreſſes
ont imité & foutenu les conſeillers ſecrets . Nonſeulement
ils n'ont donné aucune connoiſſance
de leur contenu ni à l'une ni à l'autre des deux
Chambres , mais lorſque l'acte d'autorité fait au
nom de la Couronne aété confirmé , au lieu de
le réprouver , on s'eſt empreſſé d'y applaudir ,
&d'encourager la Couronne à violer ainſi les
droits & la conſtitution. En vérité , il y a eu
une grande révolution dans ce pays .
parle depuis long- tems de l'influence de la Couronne
pour corrompre le Parlement , on en a
eu quelques exemples ; mais elle n'avoit jamais
- On
k 2
( 220 )
-
,
été reconnue ni avouée jusqu'à préſent. Maintenant
qu'elle l'eſt , que la Nation l'approuve
quel droit aurions-nous de nous plaindre d'un
Miniſtre ni d'un membre du Parlement qui emplo
era la ſéduction ou la terreur de la Couronne ?
N'avons-nous pas donné à cet uſage une ſanctionauſſi
ouverte , auſſi avouée que la corruption
que nous autoriſons, J'ajouterai que quelle
que ſoit une maxime parlementaire , il n'eſt pas
néceſſaire de détruire pour jamais la liberté du
Parlement , parce que le Parlement aura paflé
un mauvais acte . Le fond de ces mêmes
adreſſes qui ont attaqué cette liberté , pouvoit ,
en en faiſant l'emploi convenable , c'est- à-dire
en en faiſant la baſe de requêtes à la Chambre
des Communes , obtenir qu'on retirât le bill ,
s'il avoit paffé ; & pourquoi n'a-t-on pas ſuivi
cette marche ? elle étoit ſi naturelle. C'eſt parce
qu'elle n'auroit pas répondu aux vues de la cabale
ſecrete , qui vouloit changer la partie de
la légifſlation favorable au peuple , y fubftituer
l'usage direct du nom du Roi , pour influer ſur
les membres du Parlement. Je ne dispute ici ni
pour M. Pitt , ni pour M. Fox; je ne ſuis le
champion ni de l'habileté & de l'honnêteté de
celui- ci , ni des vertus de celui- là ; je déplore
ſeulement la promptitude avec laquelle le peuple
s'eſt empreſſé de décider un point qui intéreſſe
ſes droits les plus eſſentiels & ceux de ſa
poſtérité.
Parmi les plans pour mettre un frein à
la contrebande , en voici un dont , felon nos
papiers le Gouvernement s'occupe.
Il eſt queſtion de ret irer l'impôt ſur le thé , &
d'y ſubſtituer un droit qui fera payé par toutes
( 221 )
les familles , proportionnellementau nombre d'in
dividus dont elles ſont compoſées pour le thé
qu'elles conſomment. Ce moyen eſt le ſeul qu'on
puiſſe employer avec ſuccès pour empêcher la
contrebande exceſſive qu'on fait de cette plante.
On fait que les François, les Danois , les Suédois
, & depuis peu les Autrichiens , envoient
annuellement so vaiſſaux à la Chine , où ils char
gent principalement du thé , qui eſt preſque tout
entier conſommé ici , cù il eſt porté en contrebande.
On en évalue le total à pluſieurs quintaux
par ſemaine. En levant l'impós établi fue
le thé même , les contrebandiers n'auront pas
lemoyen d'en vendre au prix auquel le délivrera
la Compagnie ; & cette Compagme qui n'envoie
que 6 ou 7 vaiſſeaux à la Chine , y en pourra
faire paffer 50 , parce que les étrangers ne trouvant
plus de débit de leur thé , ceſſeront d'en
aller chercher fi loin.
Les lettres de Dublin donnent les dérails
ſuivans ſur un couple centenaire qui y eſt
mort dans le mois d'Avril dernier.
M. & Mde, Sharp , qui viennent de mourir
âgés de III ans, le même jour , à peu d'heures
dedistance l'un de l'autre , étoient nés le 1 Avril
1673. Ils furent mariés à 20 ans le 1 Avril 16935
ils ont eu 4 enfans , dont le premier, qui eſt une
fille , naquit le 1 Avril 1694; le ſecond , le r
Avril 1695 ; le troiſieme , le 2 Avril 1696 , &
le quatrieme , le 1 Avril 1723 ; tous les quatre
vivent encore, & font établis à Londondery , en
Irlande. La fille aînée , qui fut mariée à 18 ans ,
le fut également le 1 Avril ; le premier du même
mois de l'année ſuivante, elle accoucha d'un fils ,
qui eſt M. Witham-Montgomeri , qui occupe actuellement
un poſte diftingué en Amérique,
k3
( 222 )
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 25 Mai.
L. M. & la Famille Royale fignerent le
16le contratde mariage du Vicomte Preiſfac-
Fezenſac , Capitaine au Régiment Royal
Dragons, avec Mademoiſelle d'Uiſon , celui
du Marquis de Puivert , Capitaine-Commandant
au Régiment Royal , Picardie Cavalerie
, avec Mademoiselle de Langeron ,
& celui du Comte de Rency , Meſtre de
Camp , Commandant du Régiment de la
Reine , avec Mademoiselle de Scepeau.
Le même jour , la Comteſſe de Lons eut
l'honneur d'être préſentée à L. M. & à la
Famille Royale , par la Comteſſe d'Oſſun ,
Dame d'Atours de la Reine.
DE PARIS , le 25 Mai.
Le Roi de Suede eſt attendu ici du 4 au
10 du mois prochain ; M. le Marquis de
Gouvernet,Commandant en Bourgogne , a
reçu ordre d'aller le recevoir aux frontieres
de la Province , & de l'accompagner juſqu'à
Paris.
Après unhyver auſſi long & auſſi rigoureux
, nous éprouvons actuellement des chaleurs
exceſſives; elles font venues , pour ainſi
dire, fans gradations ; & fi elles ſe ſoutiennent,
comme elles font actuellement , nous
n'aurons point eu de Printemps, &nous aurons
paffé preſque ſubitement du froid le
plus vif aux plus grandes chaleurs ; le thermometre
, depuis quelques jours, eſt monté
conſtanament à 21 , 22 & 23 degrés.
( 223 )
Le 8 de ce mois il s'eſt tenu aux Cordeliers
un Chapitre des Chevaliers de l'Ordre
de S. Michel, auquel a préſidé , au nom de
S. M. , le Vicomte de laRochefoucault. M.
Pourfin de Grand - champ , Secrétaire du
Roi , Chevalier de cet Ordre , nommé par
le Roi pour ſuppléer M. Collet , Chevalier
& Secrétaire de l'Ordre , a prononcé un difcours
, après lequel le Vicomte de la Roche
foucault a reçu Chevaliers MM. Montgolfier
, Desvaux de x S. Maurice & Pelé. Tous
les Chevaliers ſe ſont enſuite rendus procefſionnellement
en l'Egliſe du Couvent , &y
ont aſſiſté à la Meſſe ſolemnelle qui ſe célebre
tous les ans , le jour de l'apparition de
faint Michel.
L'enthouſiaſme qu'a excité la découverte
de MM. Montgolfier a été générale ; partout
on a répété ſon expérience avec plus ou
moins de fuccès, mais preſque toujours à la
fatisfaction des curieux. Nous n'avons pu ,
& nous n'avons pas dû parler de toutes ; elles
n'ont offertque les mêmes détails &les mêmes
réſultats. Celles qui ont été faites à Narbonne
dans le mois dernier , méritent d'être
diftinguées.
M. Figeac , Ingénieur des ponts & chauffées
du Languedoc , aidé de quelques collaborateurs
adroits , lança le 4 Avril un ballon ſphérique en
papier , fortifié en toile dans le haut & dans le
bas , & de 20 pieds de diametre. Cette machine ,
lancée avec ſuccès , tomba deux heures après à
Fonjoncouſe , à cinq grandes lieues au fud- oueſt
k4
( 224 )
,
de Narbonne. Cette expérience ayant fi bien
réufli , M. Figeac s'occupa d'un autre ballon
conſtruit comme le précédent , mais d'un plus
grand volume , puiſqu'il avoit 30 pieds de diametre.
Les fuſeaux , au nombre de vingt , étoient
garnis de rubans de fil dans leurs joints. Il fut
lancé le 28 Avril , à 2 heures 50 minutes après
midi , & s'éleva malgré divers accidens qui furvinrent
dans l'exécution de l'expérience , dont
l'un perça la machine d'une déchirure verticale
d'environ 18 pouces de longeur , au - deſſus de
ſon équateur. D'abord le globe ſe dirigea vers
l'oueft ; mais un vent contraire l'ayant repouffé ,
il revint un peu obliquement ſur lui - même ,
s'achemina par le fud-oneſt avec des variations
fucceffives , & fut perdu de vue dans l'atmosphere
, qui étoit alors fans nuages , après 55 minutes.
Le même ſoir à fix heures &demie , il defcendit
dans le terroir de Sorgues , au-delà d'Avignon
, c'est-à-dire , à 32 grandes lieues du point
de ſon départ ; ce qui eft prouvé par la lettre
ſuivante , qui a été adreſſée à l'un des Auteurs ,
dont le nom avoit été gravé ſur une plaque adhérente
au réchaud. - De Sorgues , à une lieue
d'Avignon , le 2) Avril. Me trouvant , Monfieur ,
occupé hier à travailler à une de mes terres ,
dans le terroir de ce lieu , j'apperçus ſur les fix
heures & demie da ſoir un globe qui voyageoit
dans l'air , & qui tomba tout enflammé dans une
vigne proche ma terre, ſur deux oliviers , où il
auroit mis le feu , ſi je n'y avois pas accouru. Le
globe futbrûlé totalement; j'en ai retiré le chau
dron , que jeremettrai à qui vous m'indiquerez
parvotre lettre , que je vous prie d'affranchir , fi
vous m'écrivez par la poſte. Mon adreſſe eſt à
Pierre Giry , ouvrier en laine , à Sorgues , par Avignon
.
( 225 )
Cettemachine eſt de toutes celles qui ont
été lancées , celle qui afait le plus de chemin.
La circonſtance de ſa chûte , en tombant
enflammée ſur un Olivier , auquel elle
auroit mis le feu , s'il n'y avoit eu quelqu'un
à portée de l'éteindre , eſt une nouvelle
preuve de la néceſlité du Réglement qui a
paru en dernier lieu , pour défendre les effets
de l'imprudence&de la curioſité, qui s'empreſſent
par-toat de multiplier les ballons ,
&pour ne pas permettre indifféremment à
tout le monde d'en fabriquer & d'en lancer.
Le fait ſuivant qu'on mande de Strasbourg ,
en fournit une autre.
>>>Le ſieur Adorne , Opticien & Phyficien Italien
, établi dans cette villes ayant conſtruit dans
la Citadelle un ballon ſelon la méthode Montgolfier
, s'éleva avec lui le 15 de ce mois , accompagné
d'un de ſes coopérateurs ; ils ne reſterent
que quatre minutes en l'air , & furent tomber
dans le magaſin des paliſſades , qui eſt ſitué entre
Ja citadelle & la ville. Le foyer du feu , attaché
au ballon , mit le feu aux paliſſades. Sur le champ
la générale ſe fit entendre , les troupes accoururent
, les pompiers arriverent ; on fut affez
heureux pour éteindre le feu , qui n'embraſa
qu'un ſeul tücher , graces au bon ordre & à la
promptitude des ſecours apportés par le Commandant
de la province. Les deux navigateurs
penſerent être étouffes ,& ſe ſauverent comme
ils purent. Si le vent avoit été à l'ouest , cet
accident pouvoit avoir les ſuites les plus facheuſes
, & caufer les plus grands dommages aux
magaſins du Roi » .
Les incendies ne ſont pas les ſeuls inconks
( 226 )
véniens àcraindre ; il eſt arrivé malheureuſement
des accidens plus funeſtes &plus terribles
encore , comme on en peut juger par la
lettre ſuivante de Bordeaux , en date du 8
de ce mois : nous ignorons ſi elle contient
des exagérations , & nous le defirerions.
« Le 3 de ce mois , on a voulu procéder , dans
le jardin public , à l'expérience d'un aéroſtat de
ſoixante pieds de diametre qui devoit enlever
trois hommes ; mais le vent s'étant élevé & devenu
un peu trop violent , on fut obligé de renvoyer
l'expérience à un autre jour. Auffi- tôt que
la populace vit deſcendre le pavillon , ſignal
indiquant que l'expérience n'auroit pas lieu , elle
s'ameuta , & la révolte fut ſi vive que deux hommes
furent tués , & pluſieurs autres bleſſés. Ce
furentquelques ouvriers mécontens d'avoir perdu
leur journée & de n'avoir rien vu , qui l'exciterent.
Ils détruiſirent d'abord la barraque où étoit
le bureau des billets d'entrée ; ils caſſerent les
vîtres de la maiſon à côté , & enfoncerent les
portes du jardin ; le guet àcheval qu'ils repoufferent
deux fois à coups de pierres , ne vint à
bout d'écarter les ſeditieux qu'après avoir barricadé
la porte qu'ils avoient enfoncée , & faifi
quelques mutins qui étoient entrés pour mettre
la machine en pieces. Onze de ces boute-feux
furent conduits en priſon; deux ont été pendus:
hier , deux autres ont été condamnés à ſuivre le
tombereau , & à affiſter à l'exécution , qui s'eſt
faite au devant de la premiere porte du jardin
public. Une foule prodigieuſe s'y eft portée ;
mais cette ſuite funeſte de l'émeute du 3 avoit
imprimé une telle terreur dans les eſprits , qu'au
moment où le premier criminel montoit ſur l'echaffaut
, la garde ayant fait demi-tour à droite
( 227 )
,
une peur panique s'empara du peuple ; il crut
qu'on alloit tirer ſur lui; des cris affreux ſe
firent entendre , & chacun prit la fuite. Dans
cette déroute , les uns perdirent leurs fouliers
les autres leurs boucles , preſque tous leurs chapeaux.
Une femme ayant voulu ramaffer une
boucle d'argent , ſe laiſſa tomber ; fa chûte
en entraîna bien d'autres ; par bonheur la foule
pritune autre route , & ceux qui riſquoient d'être
étouffés en furent quittes pour quelques meurtriſſures
» .
,
On écrit de Besançon que la nommée
Pierrette Pillot, Laitiere & nourrice , vient
d'y donner un exemple auſſi touchant que
rare de déſintéreſſement & de tendreſſe
pourun enfant étranger .
Elle avoit été chargée d'allaiter cet enfant ,
dont les parens la payerent mal , parce qu'ils ne
pouvoient faire autrement Le nourriſſon , après
avoir été ſevré , étoit retourné dans la maiſon
paternelle, dont les affaires ſe dérangerent de
plus en plus , & forcerent enfin le pere à diſparoître
, & à quitter ſa famille. La laitiere inftruite
de ce déſaſtre , & alarmée pour le fort de
fon nourriffon , courut à la ville, le trouva dans
l'état le plus déplorable , l'enleva auſſi-tôt dans
ſes bras , & l'emporta dans ſa chaumiere , où depuis
ce tems elle & fon mari partagent leur fortune,
ou plutôt leur ſubſiſtance , avec cet enfant.
A ce trait nous joindrons celui- ci , qui
mérite d'être cité , & que l'on nous mande
de Marſeille.
>>>La Loge des Francs Maçons de cette ville
voulant célébrer la paix d'une maniere conforme
auxfentimens de chacun de ſes membres , réfoluc
d'employer à des actes de bienfaiſance les fommes
k 6
( 228 )
que l'uſage ordinaire eſt d'employer à des fêtes
particulieres. Ils arrêterent de marier une fille
fur chaque paroiffe de la ville , ce qui devoit
former cinq mariages ; de donner à chacune
300 liv. de dot , une gratification pour la noce ,
&une addition pour les frais ; pour prévenir l'inconvénient
& l'abus des ſollicitations , qui auroient
pu influer fur le choix des filles , il fut
décidé qu'on prieroit les Curés de choiſir euxmêmes
les ſujets , & de donner la préférence aux
filles qui ont eu des parens tués dans la derniere
guerre. Les cinq mariages ont été célébrés ; les
Curés qui les ont bénis , les Notaires qui ont
paffé les contrats , ſe ſont empreffés de contribuer
à cet acte de bienfaiſance , en renonçant à
leurs droits Trois des mariés ont employé la
dot à ſe faire un état , que la modicité de leurs
moyens ne leur permettoit pas de ſe procurer.
Le trait ſuivant , qu'on mande de Marceillan
, dans le Bas-Languedoc , trouve naturellement
ſa place à la ſuite de ceux-ci ; ſi
fa dare n'eſt pas récente , il n'en eſt pas
moins intéreſſant : il eſt ſur-tout peu connu ,
&mérite de l'être .
Le 25 Avril 1752 , à une heure après midi ,
trois marelors de cette petite ville traverſoient
l'étang de Thau dans ure nacelle ; à un quart
de lieue da rivage , ils furent accueillis d'un coup
de vent terrible qui dura pluſieurs heures. La
nacelle chavire, les trois matelors luttent contre
les flots; ils s'accrochent à cette petite barque ,
mais la violence des vagumeess les ſubmerge &leur
fait lâcher prife ; ils nagent & raccrochent la
nacelle ; ils font de nouveau ſubmergés ; ils ſe
relevent : & ce travail pénible dura plus de deux
heures , fans qu'il arriva le moindre fecourse
( 229 )
L'un d'eux ne pouvant plus réſiſter , ſe laiſſa
aller de foibleffe , & ſe mit à côté de ſes camarades
; les deux autres ſoutiennent encore cette
fatigue pendant près de deux rouvelles heures.
Un fecond eſt au moment de périr lorſqu'un bateau
qui paſſe , témoin de ce malheur , s'avance
pour les fecourir tous deux . Il arrive ſur un matelot;
celui- ci ſe ſentant encore un peu de force ,
&vojant ſon compagnon prêt à fuccomber ,
s'écrie : Allez vite à mon camarade qui ſe noie ,
& vous viendrez enſuite à moi . On vola en effet
à ce marin ; on le tira de l'eau dans l'inſtant qu'il
alloit plonger : on le ſauva ; & on revient enfuiteau
premier , qu'on a également eu le bonheur
de ſauver. Il ne périt aucun des deux derniers .
L'auteur de cette action héroïque ſe nomme
Sargues; il vit encore , & il lui reſte , de cette
funeſte journée , des douleurs dans tout le corps.
On lit dans un papier étranger,un moyen
pour préſerver les plantes des jardins potagers
des chenilles & des autres inſectes ; voici
le tems de l'employer , s'il eſt efficace , & fi
la rigueur de l'hiver dernier n'en a pas détruit
les oeufs; l'eſſai après tout en eſt facile.
Il ne s'agit que de femer du chanvre ſur toutes
les bordures du terrein où l'on veut planter
des légumes. Quoique tout le voifinage
puiſſe être infeſté de chenilles , l'eſpace renfermé
par le chanvre , en fera parfaitement
garanti , aucune vermine n'en approchera ;
ce qui vient ou de l'averſion des chenilles
pour cette plante , ou , ce qui eft plus vraiſemblable,
de ce que les oiſeaux , qui en font
ſi friands, en ſe jettant ſur le chanvre , détruiſent
en même tems les chenilles , qui ſervent
auffi à leur pâture.
( 230 )
L'Académie Royale de Chirurgie a tenu le
Jeudi 22 Avril 1784 ſa ſéance publique. Le prix
ſur la queſtion ſuivante : Déterminer les différentes
constructions des ſtylets ou fondes folides , & des
Sondes canelées ; quels font les cas où elles doivent
être admiſes ſuivant leur formes particulieres , &
qu'elle est la méthode d'en faire usage , a été adjugé
à un mémoire n. 7 , dont l'auteur eſt м-
Teffier , Eleve en Chirurgie de l'Ecole- pratique.
&des Hôpitaux de Paris , Docteur en médecine
de la Faculté de Caen. Dans l'intention de favorifer
les concurrens aux prix propoſés ſur la
matiere inſtrumentale , l'Académie a jugé à propos
de publier cette diſſertation ( 1) L'Acceffit
a été accordé à un mémoire de M. Icart , Lieutenant
du premier Chirurgien du Roi à Caftres.
-Le prix de l'émulation a été obtenu parM.
Bonnet , Chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu , à
Clermont en Auvergne. Les cinq petites médailles
ont été accordées à MM. Thomaffin , Chirurgien-
major du premier régiment de Chaſſeurs
(1) On trouve cette Differtation chez M. Lambert ,
Imprimeur - Libraire , rue de la Harpe , près S. Côme.
Nous nous empreſſerons de joindre iei l'annonce d'un
ouvrage intéreſſant pour tous les amateurs de la poéfie
ita'ienne qui vient de fortir de ſes preſſes . C'eſt le Recueil
complet des plus beaux morceaux de poéfies italiennes
lyriques , érotiques & fugitives , avec des remarques
critiques ſur le génie de la poéſie italienne , par
M. Baffi , membre de pluſieurs Académies. Ce Recueil
neuf & piquant manquoit encore , & l'exécution ne
laiſſe rien àdefirer , tant pour le choix des ouvrages que
par lamaniere dont l'édition eſt ſoignée. Les 2 premiers
volumes paroiſſent ; leur prix in - 8 ° , grand format , eft
de 12 liv. brochés ; in 4º, grand papier d'Angoulême , 30
liv.; in-4º, papier d'Hollande , 48 liv . On n'exige aucune
avance des Soufcripteurs ; ils doivent ſeulement ſe faire infcrire
chez M. Lambert pour prendre les volumes à meſure
qu'ils paroîtront ; ils doivent remplir cette formalité pour
les volumes ſuivans,
(231 )
acheval ; Rigal , Chirurgien en chefde l'Hôtel-
Dieu à Gaillac ; Mortreuil , Chirurgien à Darnezal
, près Rouen ; Enjourbault , Maître en chirurgie
à Avranches , & Coffinieres , Maître en chirur
gie à Castelnaudari .-Après la diſtribution des
prix& l'annonce d'un nouveau fondé par M. de-
Vermont , Conſeiller d'état & accoucheur de la
Reine , qui conſiſtera en une médaille d'or de 300
liv. pour le meilleur mémoire ſur les obſervations
les plus utiles au progrès de l'art des accouchemens
, envoyé dans le courant de l'année ,
M. Louis , Secrétaire perpétuel , a prononcé l'éloge
de Mr Houſtet.-M. Pallerau a lu l'expoſition
anatomique des parties à la ſuite d'un
anevriſme de l'artere poplitée opéré avec ſuccès
par la ligature ; M. Lou's a fait la lecture d'un
mémoire ſur les corps étrangers , portés par la
déglutition dans les voies alimentaires ; M. L'He
ritier a lu une obſervation ſur les accidens confécutifs
d'une plaie tranſverſale à la trachée-artere ,
& M. Louis a terminé la ſéance par l'éloge de
M. de la Martini re , premier Chirurgien du Roi ,
&Préſident perpétuel de l'Académie Royale de
Chirurgie.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 7,11,87 ,
20 , & 8 .
DE BRUXELLES , le 25 Mai.
Les demandes faites aux Hollandois , au
nom de l'Empereur, par le Gouvernementgénéral
des Pays Bas , fait beaucoup de fenfation
dans les Provinces-Unies. On peut en
juger par les obfervations ſuivantes qui fe
liſent dans tous les papiers publics de ce
pays.
( 232 )
Perſonne n'ignore que lors du ſoulevement
contre les Eſpagnols , qui donna naiſſance à cette
République , les 17 Provinces des Pays-bas formerent
une confédératipn générale. Cette confédération
conſacrée par la pacification deGand ,
ayant depuis perdu des Membres par la défectiondes
Provinces Wallonnes , & par le progrès
ultérieur des armées eſpagnoles , il s'en forma
une autre à Utrecht , ſous le nom d'union , qui
eſt encore le fondement de la République belgique.
Non - ſeulement les 7 Provinces qui la
compoſent actuellement , mais encore une partie
conſidérable du Brabant & de la Flandre entrerent
dans cette ſeconde confédération. Philippe
II fut abjuré en 1581 , & Anvers ne revint ſous
l'ancienne domination qu'en 1585. Les Etats-
Généraux des Pays -bas ſe trouverent alors à -peuprès
en poffeffion de ce qu'ils conſervent encore
aujourd'hui. Leurs droits furent reconnus proviſionnellement
à la trêve d'Anvers en 1609 ,
& enfin confirmés formellement à la paix de
Munster en 16.48 . Cette derniere paix fut même
conclue entre l'Eſpagne & les Etats avec tant
bonne- foi de la part de la République , qu'elle
a mis le plus grand intérêt à conſerver les Paysbas
à l'Auguſte Maiſon d'Autriche . On peut
même ajouter que toutes les guerres dans lef
quelles elle s'eſt engagée depuis contre la France ,
ont eu pour cauſe unique ou principale la conſervation
des Pays - bas Autrichiens. Le parti
républicain , non content d'avoir fait échouer
l'exécution du partage fait avec la France en
1636 , ainſi que la réuſſite du ſiege d'Anvers
en 1647 , abandonna formellement pour l'intérêt
des mêmes Pays-bas , la France , ancienne &
fidele Protectrice de la République. La triplealliance
fut formée en 1666 pour arrêter les pro(
233 )
grès de Louis XIV dans les Pays-Bas ; ce qui
donna Keu à la guerre de 1672 , qui mit la République
à deux doigts de ſa perte. On ne peut
conteſter non plus que ce fut également pour
conſerver le même pays à l'Auguſte Maiſon d'Autriche
, que la République s'engagea dans la
guerre ſi longue & fi ruineuſe de la ſucceſſion.
On fait avec quel défintéreſſement elle refuſa
les occafions de les réunir ſous ſa domination ,
notamment aux conférences de Gertruidenberg.
Les Hollandois ne s'engagerent également dans
la guerre terminée par la paix d'Aix-la-Chapelle
, que pour les intérêts de la Maiſon d'Autriche.
Celle- ci mettoit tant de prix à l'amitié
de la République , qu'elle ne ſe croyoit en fûreté
dans les Pays-bas qu'au moyen des garnifons,
toutes entretenues par la République. Les
Hollandois ne pouvoient pas même retirer les
ſommes qui avoient été aſſignées pour les indeme
niſer de cette charge onéreuse.
Les Etats-Généraux prirent, le 7 de ce
mois , une réſolution tendante à pourvoir
de toutes les chofes dont elles pouvoient
avoir beſoin , les places les plus expoſées de
la Flandre& du Brabant.
: Le Stadhouder , en qualité de Capit. Gn. , a ex
pédié , en conféquence des ordres au régiment de
cavalerie du Gén. Hoop , en garniſon à Nimegue
& à Arsheim , à la Compagnie d' Artilleurs
duGénéralMajor Martfeld ,& au régiment ſuiſſe
duGénéral-Major Mayren , en garniton à Breda ,
pour ſe rendre fur-le-champ à Maſtricht , & on
renforcer la garniſon ; les régimens de Noſtitz
& de Munſter ont reçu celui de ſe rendre l'un
au Sas de Gand , & l'autre à Hultz ; celui de
Holſtein Gottorff , & celui de Bentinck Ma
( 234 )
riniers , iront à Berg-Op- Zoom , où ils tien
dront garniſon juſqu'à nouvel ordre. Le premier
bataillon du régiment d'Orange-Naſſau , le régiment
du Prince héréditaire , celui du Comte
de Byland , iront auſſi dans la même ville , où
ils attendront des ordres pour leur deſtination
ultérieure . Les ſeconds bataillons des Gardes
Hollandoiſes à pied , & des Gardes Suiſſes , iront
remplacer à Breda les troupes qui en ſont parties
pour Maſtricht.
A ces ordres le Stadhouder en a joint
d'autres, qui enjoignent aux Gouverneurs ,
Commandans & grands Majors des places
& frontieres , tant en Brabant qu'en Flandres
, de ſe rendre au plutôt à leurs poftes ,&
à tous les Capitaines & Officiers ſubalternes
abfens par congé , de rejoindre leurs corps
reſpectifs .
Ces mouvemens , lit - on dans des lettres de
la Haye , annoncent les ſentimens qui agitent
généralement les eſprits. L'Envoyé extraordinaire
de la Cour de Vienne , ayant appris les ordres
qui avoient été donnés , ſe rendit le 9 chez le
Conſeiller Penſionnaire de Hollande; il lui témoigna
combien il étoit ſurpris de ces mouvemens
, après qu'il avoit déclaré pluſieurs fois ,
cemme il le faisoit encore , que l'intention de
l'Empereur n'avoit jamais été d'attaquer hoftilement
cette République ; mais que S. M. I. n'étoit
pas moins en droit de faire valoir auprés de
L. H. P. les prétentions qu'elle regardoit comme
légitimes ; prétentions que les Etats Généraux
pouvoient examiner à l'amiable de leur côté
&diſcuter enſuite dansles conférences qui ſe tiennent
à Bruxelles. Le bruit s'étoit répandu qu'après
Cette viſite , il avoit été donné un contr'ordre
د
( 235 )
pour le rappel des troupes ; mais il ne s'eſt pas
foutenu, & les bataillonsdes Gardes Hollandoiſes
& Suiſſes ſont partis le 14 de ce mois pour
Breda.
Les Etats de Hollande & de West Friſe
ont pris , le 12 de ce mois , une réfolution
ſur la communication faite par MM. les
Députés de la ville de Dort , que le Feld-
Maréchal , Duc de Brunswick , auroit interrompu
S. A. comme Capitaine - Général ,
dans ſes diſpoſitions pour donner des ordres
précis& louables qui auroient pu tendre à
aſſurer contre toute aggreffion, ils ont nommé
en conféquence une commiffion pour
faire auprès du Stadhouder des recherches
ſur cet objet important. Cette députation
s'eſt rendue le 14 chez ce Prince.
Des lettres d'Allemagne ſemblent annoncer
que l'election du ſucceſſeur du prince , Evêque
de Liege ſera moins retardée qu'on ne l'avoit
d'abord auguré ; on aſſure que l'Electeur de
Cologne ne ſe met point au nombre des prétendans
; mais on infinue qu'on ne ſereit pas
étonné dans le cas où l'on éliroit quelqu'un qui
fut dans les intérêts de ce Prince , fi le nouveau
Prince lui tranſmettoit ſes droits . Un
papier étranger porte à 200,000 le nombre des
habitans de la principauté , & le revenu à 800,,
ooo liv. Les voyageurs ont depuis long - temps
nommé ce pays l'enfer des femmes , parce que
dans la claſſe du peuple , ce ſont elles qui font
chargées des travaux les plus pénibles , le pur.
gatoire des hommes parce qu'ils font en général
gouvernés par leurs femmes , & le Paradis
des Moines à cauſe des riches bénéfices.
( 236 )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL.
M. Dundasa , dit - on , eu déjà l'adreſſe de
de ſe faire nommer Secréteire d'Etat à la place
du Lord Sidney; peut- être n'en fera-t- il pas
les fonctions avant trois ſemaines ; mais la choſe
eft abſolument décidée. Cedépartement met ſous
ſon autorité toutes les poſſeſſions angloiſes , &
par conséquent celles de l'Eſt , qu'il convoitoit
depuis long-tems. Ainfi , au moyen de cette nouvelle
place & d'une autre de 4000 liv. ſterlings
dont il jouiſſoit déjà ; il faut croire que l'ambition
de M. Dundas peut être fatisfaite pour le
moment préſent.
Il a été créé tant de Pairs , & il s'en crée journellement
un ſi grand nombre , que pour peu
que cela dure , la Chambre de Communes ne
pourra plus porter ce nom , & qu'il faudra l'appeller
la Chambre des Pairs.
Un Ecrivain politique dit qu'il étoit plus honorable
autrefois d'être Membre du Parlement ,
qu'il ne l'eſt aujourd'hui ; mais il avoue auſſi que
cela eſt plus profitable. Y a-t-il un homme qui
achette ſans avoir au moins une diſpoſition prochaine
de vendre ? & comment les marchands
de places du Parlement peuvent-ils s'indemnifer
de leurs frais ſans trahir leurs conſtituans? On
ſe rappelle la réponſe d'un digne membre du
Parlement aux inſtructions que lui avoient envoyées
ceux qu'il repréſentoit : Allez - vousen
au diable , avec vos inſtructions , je vous ai
achetés , & pardieu je vous vendrai.
La fureur des partis étouffe la voix de la raiſon,
ſans cela le peuple n'auroit pas confondu
des chotes auſſi différeenntteess que les Ministres &
les domestiques du Roi. Les premiers appartiennent
au public , les autres ne dépendent que du
choix de S. M. Le Parlement , ſous Edouard I ,
prétendit au droit de choiſir le Chancelier , le
( 237 )
1
chef deJuſtice , & les autres grands Officiers de
l'Etat . Le Roi répondit : pourquoi ne me demandez-
vous pas ma Couronne ? Vous choiſiſſez
vos propres domeſtiques , & vous voulez m'ôter
le choix des miens ! Le Parlement ne repliqua
pas , & l'affaire en reſta là. L'honnête Fletcher
obſerve que quand un particulier privé obtient
un avantage en trahiffant la confiance dont on
l'a honoré ; il n'y a qu'une ou peu de perſonnes
qui en ſouffrent : fi un Juge eſt corrompu ,l'oppreſſion
s'étend à un plus grand nombre. Mais
quand les Légiflateurs le font , alors toute la
Nation en éprouve les effets.
Le Docteur Wilſon , qui eſt mort il y a peu
de tems , a laiſſé par ſon teſtament 18,0001 . ft.
pour dix-huit jeunes femmes qu'il défigne : on
raconte qu'une veuve riche & âgée , qui étoit
bien avec lui , allant le voir , & inſtruite de
cette partie de ſon teſtament , lui dit qu'il lui
auroit été facile de mettre 20,000 livres au lieu
de 18,000 liv. , & de comprendre ſes deux nieces
. Madame , lui répondit le Docteur , je
n'entends rien laiſſer à de jeunes femmes qui ont
de riches tantes .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
Cause entre lefieur de Lalouste , Ecuyer , Docteur-
Régent de la Faculté de Médecine de Paris ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , la Dame de La-
Louete fon épouse, & le ſieur Taitbout de Marigny,
Corful de France en Morée , leur gendre.-
Question d'interprétation de l'article 283 de la
Coutume de Paris , fur la validité des donations
faites par l'un des conjointsfans enfans , au profit
des enfans de l'autre conjoint .
L'Arrët rendu ſur cette queſtion les Avril
dernier , ſera mémorable par la révolution qu'il
operedans notre Jurisprudence ; il interprête un
article de la Coutume qui intéreſſe l'ordre des
( 238 )
fucceffions; il en détermine le véritable ſens;
mal-entendu preſque depuis la réformation de
la Coutume juſqu'à nos jours ,& ſemble devoir
fixer invariablement l'opinion des Juriſconſultes
ſur les avantages faits par l'un des conjoints ,
aux enfans du premier lit de l'autre.- On étoit
perſuadé depuis près de 200 ans , au Palais , que
ces avantages étoient permis quand le donateur
n'avoit pas d'enfans . Cette opinion étoit fondée
fur deux Arrêts célebres qu'on qualifioit d'Arrêts
de réglement , l'un du 4Juillet 1587 , par lequel
la Cour , interprétant & déclarant l'article 283
de la Coutume , avoit jugé ces donations valables
, & ordonné que l'Arrêt ſeroit lu & publié
au Châtelet ; l'autre du 6 Avril 1610 , rendu en
robes rouges , confultis claſſibus , lors duquel
M. le Préſident déclara que la Cour , après avoir
fait apporter ſur le Bureau tous les Arrêts rendus
avant & depuis la réformation de la Coutume ,
même celui de 1587 , en jugeant valable la donation
dont il s'agiſſoit , avoit jugé la queſtion
générale de maniere à ne laiſſer aucun doute.-
L'autorité de ces Arrêts en avoit tellement impoſé
, que ceux qui étoient les plus portés à croirequeces
donations auroient dû être déclarées
nulles , convenoient néanmoins qu'elles étoient
valables dans la Coutume de Paris ; & preſque
tout le Barreau regardoit cette opinion comme
un principe conſtant & incontestable ! c'étoit donc
une entrepriſe , au moins téméraire , que d'oſer
la combattre. Aufſi cette Cauſe , toute favorable
qu'elle eſt par les faits , a t-elle été regardée
comme infoutenable par pluſieurs Juriſconſultes
d'une réputation décidée. M. Sabarot s'eſt
chargé d'approfondirde nouveau ce point dedroit;
il a ofé s'élever contre le torrent de l'opinion générale.
Dans une Conſultation ſavante , qui paroît
moins l'ouvrage d'un jeune débutant que celui
( 239 )
d'un Jurifconfulte consommé , il a prouvé , avec
autant de préciſion que de ſolidité , que l'article
283 de la Coutume de Paris avoit été mal entendu
juſqu'à préient , & que les donations des
conjoints aux enfans l'un del'autre étoient abſolument
prohibées par cet article. Il eſt heureux
pour ce jeune Athlete qu'un début auſſi hardi ait
été pour lui la matiere d'un triomphe éclatant.
Ses moyens préſentés à l'audience par M. de
Bonnieres ,déjà fi connu par ſon élocution faci e
& rapide , ont été adoptés par l'Arrêt .-Voici
les circonstances de la Cauſe. - Le ſieur Taitbout
de Marigny, Conſul général de France en
Morée , reſté veuf avec deux enfans au berceau ,
épouſa en ſecondes noces la Demoiselle de Lalouette
, filledu ſieur de Lalouette , Médecin de
la Faculté de Paris , & de la Demoiselle Ledran,
ſon épouſe. Par le contrat de mariage du 29 Décembre
1766 , les pere & mere lui conſtituent en
dotune ſomme de 62500 livres , pour les intérês
de laquelle ils s'obligent de lui payer une rente
annuelle & perpétuelle de 2500 livres ; l'ayeul &
le grand-oncle maternel de la Dlle y ajoutent ,
l'un 10000 1 ,, l'autre 3000 l . , ce qui forme une
dot de 75500 liv. Lecontrat de mariage contenoit
une mise en communauté de 15000 1. de la
part de chacun des conjoints , avec ſtipulation
qu'en cas de mortde la future ſans enfans , le futur
demeureroit propriétaire de l'univerſalité de
la communauté , ſans être tenu de faire inventaire
,& fur la mise en communauté retiendroit
8000 pour l'indemniter des frais de noces. -
De ce mariage font nés quatre enfans, dont aucun .
n'a vécu. Le 10 Juillet 1777 la Dame Taitbout
de Marigny , fur le point de partir pour accompagner
fon mari à Alexandrie en Egypte , où le
Roi venoit de le nommer Conful , fit ſon teſtament
olographe,par lequelelle légue à fon beau(
240 )
fls 25000 liv. , & à fa belle-fille l'univerſalitédu
furplus de ſes biens , ſubſtituant ſes beaux-enfans
l'un à l'autre , & inſtituant , en tant que de befoin,
le furvivant des deux ſon légataire univerſel,
pour n'avoir leſdites diſpofitions lieu qu'en
cas de décès d'elle ſans enfans , ou deſdits enfans
enminorité , ſans poſtérit-é. Par une clauſe
ſubſéquente , la teſtatrice veut , qu'en cas qu'elle
vienne à décéder avant ſon pere , il jouitſe , ſa
vie durant , de 2000 liv. de rente , à prendre ſur
celle qui lui avoit été conſtituée en dot , & que
le ſurplus de lad. rente&de ſes autres biens ſoit
partagé annuellement & par moitié entre ſes
beaux-enfans juſqu'au décès de ſon pere , après
lequel les premieres diſpoſitions de ſon teſtament
auront leur entier effet-. La Dame Taitbout
eſt morte à Tripoly en Syrie le 3 Août 1780.
Les ſieur & Dame de Lalouette n'ont connu le
teſtament qu'en apprenant le décès de leur fille.
Le ſieur Taitbout de retour en France en 1782 , a
formé ſa demande en délivrance des legs portés
au teftament , au nom & comme tuteur de ſes
enfans mineurs. Les pere & mere de la Dame
Taitbout ont conteſté l'exécution du teſtament ;
uneSentence par défaut du 26 Août 1783 a ordonné
ladite exécution , & prononcé la délivrance
des legs. Les Sr & Dame de Lalouette en ont interjetté
appel. L'Arrêt , après un délibéré
ſur le champ , rendu les Avril 1784 , a mis
l'appellation & ce au néant ; émandant , a déclaré
nuls les legs univerſels& particuliers portés
au teſtament de la Dame Taitboutde Marigny,
auprofit des enfans du premier lit de ſon mari ,
envoyéles Sr & Dame de Lalouette en poffeffion
de la fucceffion mobiliaire de leur fille , dont le
mari ſera tenu de compter , & de reſtituer ce qui
peut être entre ſes mains ,& condamné le ſieur
Taitbout aux dépens.
4
MERCURE
ةم
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Déconvertes
dans les Sciences & les Arts; les Spectacles ,
les Cauſes célebres ; les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Edits, Arrêts; lesAvis
particuliers , &c. &c.
に
SAMEDIS JUIN 1784
I
i
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation && Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Mai 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
Madr gal,
Quatrain ,
Eroge des Brunes ,
APauline,
Romance ,
3
des Tribunaux ,
Sermons JuraAumône,
8
18
4Fragment de Xénophon , 19
ib. Etrennes Lyriques , 55
49 Cécilia, Troisième Extrait, 102
so Doutes fur differentes Opt-
LeRoi,fon Fils&l'Esclave ,
nions , 120
Fable , $2 Etrennes du Parnaſſe , 124
Epitrefur l'Ambition , 97 Galarée, 151
Couplets àMile Warefcot, 99
Histoire Naturelle des Oi-
AMadame de Meulan , 145
Seaux , 209
AM. Pujos,
146 Nécrologie, 68
AMadame *** ib. SPECTACLE
Regretsd'uneMère, 147 Concert Spirituel , 21 , 220
Epure au Prince Ferdinand Acad. Roy. deMusique , 23 ,
d'Autriche , 193 73 , 131 , 171
La Fausse Rivalité , Anec Comédie Françoise , 33 , 78,
dote, 196
179
Charades , Enigmes & Logo-Comédie Italienne , 36, 182 ,
gryphes , 6 , 54 , 101 , 149 ,
208 Variétés ,
200
39.2:5
NOUVELLES LITTÉR . Annonces &Notices , 40 , 94 ,
136 , 185,257
Effaisfur l'Histoire Générale
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDIS JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à M.
Nous
**
ous voici , cher M *** , dans des tranfes
cruelles,
Je frémis d'y penſer ; nous allons déſormais
Reſſentir les dégoûts, les langueurs de la paix,
Et nousfommes réduits à vivre fans nouveles.
Onvoitdans tous les ports déſarmer les vaiſſcaux ,
Le commerce reprend ſa bénigne influence ;
L'heureux Américain , fier de l'indépendance ,
Aſe donner des Loix conſacre ſon repos;
Bouillé cède aux Anglois ſa plus belle conquête;
Ade haſards plus doux la Fayette s'apprête ,
Rochambeau , Saint-Simon,Viomefuil , Baffy ,
Le ſavant Chatellux , du Portail & Fleury ,
Dès long temsd'Yorck-Townont quittéles murailles,
Et ces Chefs renommés paroiffent à Verſailles.
Aij
4. MERCURE
Hood , Lord Howe & Rodney , ſi ſouvent envies,
De leurs concitoyens vivent preſqu'oubliés ;
Franklin , dont les ſuccès ont couronné l'ouvrage ,
Voit à ſes grands talens l'Europe rendre hommage ;
L'immortel Wafington , rendu dans ſes foyers ,
Aux champs qu'il a ſauvés voit croître ſes lauriers.
Tant de fois couronné des mains de la Victoire ,
Suffren, près de fon Roi , vient jouir de fa gloire,
DANS ce calme , où chercher un remède à l'ennui ?
Dans nos nombreux Papiers que trouver aujourd'hui ?
Leur longueur triſtement ſe borne à nous apprendre
Que Catane a péri, que Meſſine eſt en cendre ,
Qu'on voit renouveler les fureurs de l'Ethra ,
Que l'a'r eft obfcurci des vapeurs de l'Hécla ,
Qu'une Ifle fort des eaux par les feux dévorée ,
Que Bizance à la pefte eſt ſans ceſſe livrée ,
Que la grêle détruit l'eſpoir de nos moiſſons ,
Que des torrens affreux ravagent nos vallons ,
Quela flamme déſole ou nos bourgs ou nos villes ;
Enfin , pour achever ſes articles ſtériles ,
Le Courier de l'Europe oſe nous raconter
Qu'à Londres on veut prouver qu'àpréſent ſans obf.
tacle
Avolonté ſous l'eau nous pouvons habiter ,
Tandis que tout Paris voit un autre ſpectacle.
Un Dédale nouveau part &monte à ſon gré,
Fait fans riſque dans l'air une courſe rapide ,
Y fuit avec ſon char un chemin ignoré,
DE
5
FRANCE.
Reparoît & détruit le préjugé timide.
Jugeant qu'on ne croit guère à ces beaux rêves-là ,
Le Gazetier recourt à Francfort , à Cologne ,
Aux débats éternels des Diètes de Pologue ,
Et nous inftruit des deuils & des Cours en gala.
Ou SONT ces temps heureux où l'Europe alarmée
Vous mettoit en commerce avec la Renommée ?
Pour publier au loin les plus rares exploits ,
Cette agile Déeffe empruntoit votre voix ;
On voyoit fur vos pas même les élégantes ,
Lorſqu'ouvrant les billets du ſage d'Ar .... ,
Vous répandiez le bruit des conquêtes brillantes
D'Hayder-Kan , de Crillon , Galvès & Cordova .
Vous échappiez à peine à la gloire importune ,
Et votre gloire enfin nous devenoit commune .
Auprès de vous grouppés , marchans, à l'ombre affis,
Nous artitions fur nous les regards de Paris .
Que les temps fontchangés! quelle eſt notre exiſtence!
Nousgémi ſons en vain de notre oiſiveté ,
Nous rentrons à jamais dans notre obſcurité ,
Et la paix nous ravit toute notre importance.
Quand l'injufte fortune acharnée envers nous ,
D'un revers accablant nous fait fentir les coups ,
Il nous importe bien qu'avec ſon miniſtère
Louis ſoit occupé des deſtins de la terre ,
Que ſes bienfaits verfés en mille endroits divers ,
Éterniſent ſon nom cher à tout l'Univers ;
De ſes heureux Sujets que la reconnoiffance
Anj
6 MERCURE
Soit le plus beau tribut qui flatte ſa puiſſance.
Son Royaume à ſes ſoins doit ſa proſpérité,
Cela nous ſauve-t'il de notre nullité?
Pouvons- nous échapper à cette indifférence
Que le Public ingrat marque à notre exiſtence ?
Pour obtenir encor part à ſon entretien ,
Coarons voir le ſoteil ſur le Méridien ,
Au jardin donner l'heure , agacer S *** ;
Après l'habit d'été montrer l'habit d'automne ,
Annoncer fi le temps eſt chaud, froid , laid ou beau ,
.... Combiner au café les dez d'un domino
Mais déjà l'on entend la Diſcorde fatale ,
S'élançant à grands cris de la voûte infernale,
Donner dans l'Orient le ſignal des combats,
EtBellone en fureur va marcher ſur ſes pas.
Quel plaifir , cher M***, cet eſpoir nous inſpire!
Quel ſpectacle frappant! la chute d'un Empire ,
Desfiéges, des afſauts , quels grands événemens
Vont ſervir de matière à nos amuſemens ?
Sur les bords da Danube , aux champs de la Crimée,
On ne verra bientôt que ſang & que fumée.
Etle Nord ébranlé va choquer le Midi ;
Achmet dans ſon Serail de frayeur eſt ſaiſi .
Trop vaine illuſion ! aux rives du Boſphore
Louis prend ſa défenſe & négocie encore.
Ah ! que deviendrons-nous , fi ce Roi tout-puiſſant
Pacifie à ſon tour 1 Empire du Croiſſant ?
(Par une Société de Nouvelliftes. )
DE FRANCE. 7
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE
mot de la Charade et Baldaquin ;
celui de l'Enigme eſt Chateau; celui du Logogryphe
eſt Pair, dont , en otant le p,
refte air.
LORSQUE
CHARADE.
ORSQUE l'Hymen , en caprices fécond ,
Joint l'épouſe méchante àl'époux trop bonhomme ;
La femme eſt mon premier , le mari mon ſecond ;
Mon tout dans vos vergers eſt moins gros qu'une
pomme.
MON
(ParM. le Marquis de Fulvy. )
ÉNIGME.
ON nom doit t'être fort connu.
Vois,cherche un peu dans ta cervelle ;
Jecontiens quand je ſuis femelle ;
Mais mâle , je ſuis contena.
(Par M. Sam... )
Aiv
8 MERCURE
LOGOGRYPΗΕ.
LECETCTEEUURR,, tu la connois; elle eſt grande, elle eft
belle,
Elle eut beaucoup d'éclat aux jours de fon printemps ;
Et , quoiqu'elle ſoit vieille , on fait que ſes amans ,
Toujours plus empreſſes , voudroient régner fur elle.
Dans fes quatorze pieds tout Amateur verva
Le fruit cher & tardifdes amours de Sara ;
Une fête charmante où l'Hymen nous raſſemble ,
Où Plutus & l'Amour vent rarement enſemble;
D'un jeune infortuné le frère criminel ;
D'un Poëte fublime un Ouvrage immortel;
Un grand Saint qui toujours dechafteté fit preuve
Dont la vertu pourtant fatmife àrude épreuve;
Un corps de Citoyens , qui dans Kome autrefois
Fut le ſoutien du peuple &l'ennemi des Rois; -
Un nom chez nous célèbre; un fleuve, ce grand
Homme ,
Qui d'un joug odieux voulut préſerver Rome,
Et dans l'adverſité , plus grand que ſon vainqueur ,
S'eſt acquis , en mourant, un immortel honneur ;
Un Empereur fameux par fa bonté propice ;
L'Écrit du Citoyen qui demande juſtice ;
De l'art des Vignerons le célèbre inventeur ;
D'un peuple aimable & gai l'heureux Législateur ;
Cet Anglois vertueux ,qui fut dans l'Amérique
DE 9 FRANCE .
Fixer par ſes bienfaits ſa ſecte pacifique ;
Des plaiſirs les plus doux , ce fortuné féjour
D'où l'Hymen trop ſouvent chaſſa le tendre Amour ;
Une plaine fatale aux vainqueurs de la terre ;
L'amant trop curieux d'une beauté trop fière ;
Ce prodige d'efprit , de grâces , de beauté ,
Que fon fiècle admira , que Voltaire a chanté;
Ce que j'ai vu ſouvent ſur le ſein de Thémite.
Je ne finirois pas fije voulois tout dire.
(Par M. Louvet. )
/
NOUVELLES LITTERAIRES.
RECUEIL de quelques Ouvrages de
M. Watelet , de l'Académie Françoise &
de celle de Peinture A Paris , chez Pranit ,
Imprimeur du Roi , Quai des Auguftins ,
1784. in 8 ° .
LES Ouvrages qui compofent ce Recueil
font principalement dans le genre anacréontique
; la grâce & la delicateſſe en font le
premier mérite ; on y trouve par- tout e
molle atque facetum, qu'Horace attribue à
Virgile dans ſes Églogues ; & on peut dire
de la plupart des détails :
Componitfurtim ſubſequiturque decor.
Sylvie , petit Roman Pastoral , eſt tirée de
A
1
10 MERCURE
l'Aminte du Talle , & on en a tiré un Opéra
qui a reuſſi. La modeftie a ſans doute dicté
le jugement un peu ſevère que M. Warelet
porre fur laproſe poétique qu'il a employee
dans cet Ouvrage , & qui , felon lui , a prefque
toujours l'inconvénient de faire regretter
la poélie , fans en dedomraager par les ornemens
dont on cherche à parer la proſe. Télémaque
& le Poëme d'Abel , cités par M.
Watelet, demandent grâce pour ce genre ;
on en peut dire autant de la Traduction de
Milton& de celle de quelques autres Poëtes.
Le Temple de Gnide, bien plus rapproché
du genre de Sylvie , forme un titre bien
puiffant en faveur de la proſe poétique. On
ne peut pas dire de ce charmant petit Poëme
en proſe , qu'il faſſe regretter le moins du
monde la poéfie ; des Poëtes , même bons ,
ontvainement eſſayé de l'embellir ; ils n'ont
fait que prouver que c'eſt , pour ainſi dire ,
une profe facrée , dont la poéhe même doit
reſpecter les beautés originales. Sylvie , deja
imprimée en & qui reparoît aujourd'hui
, fera un titre de plus en faveur
de ce genre; elle offre des tableaux rians ,
d'une galanterie aimable , d'une voluptédou
ce&décente , & c'eſt un fort beau ſtyle que
celui ci :
17+3 ,
>>Les oiſeaux ne chantoient point encore
leurs plaiſirs , les mortels ne recoinmen-
>> coient point à ſe plaindre de leurs peines;
>> rien n'annor çoit le lever de l'aurore : il
* étoit l'heure où tout repoſe , juſqu'aux
DE FRANCE.
>>>amans malheureux , lorſque , dans un ha-
>> meau de l'Arcadie , la Bergère Sylvie s'é-
>> veilla; les Amours s'éveillèrent avec elle...
>> Eile rempliffoit l'Arcadie d'amans & de
>> malheureux...... Elle fort , & les Grâces
>>>qu'elle n'a point appelées , s'empreſſent &
volent ſur ſes pas. » ود
Componitfurtimſubſequiturque decor.
C'eſt un joli tableau , & bien dans la nature
innocente & paftorale , que celui du tumide
Aminte, qui aime Sylvie , qui veut parler &
entreprendre , qui s'anime en fon abſence,
tremble& ſe cache auſſitôt qu'elle paroit.
" Eh ! comment aurois -je pu obtenir ce
» que je ne lui ai jamais demande ? .... J'ai
>> toujours tremble devant elle.... Pourquoi
>> redouterune jeune& craintive Bergère ? ...
» Non , non.... roure ma crainte a diſparu.
• Sylvie , lui dirois je.....
» Dans ce moment il l'apperçoit... Dieux !
> nem'a t'elle pas entendu ? Il ſe cacha auffi-
» tôt.... Tous ſes projets ſe bornèrent à l'ad-
>> mirer & à ſe taire.>>
L'Oracle & Zénéïde font les deux chefd'oeuvres
de la féerie à la Comedie Françoiſe
, & c'étoient pour Mlle Gauffin les
deux chef-d'oeuvres du jeu thuâtral. L'Auteur
de l'Oracle eſt connu , celui de Zénéïde
ne l'étoit pas , du moins il ne l'étoit pas du
Public. Cet Auteur eft M. Watelet. Sa Pièce
eftenproſe comme l'Oracle. M. de Cahuſac ,
àqui elle a été attribuée , n'a fait qu'en chan
A vj
12 MERCUREC
ger la forme & la mettre en vers , chan
gement très indifferent pour le ſuccès , quoi
qu'en ait penſé Caluſac.Le fuceès eſt dû au
charme de la naïveté de Zeneïde , à la vivacité
d'Olin le , aux illufions de l'Amour , au
piquant des fituations , à tous ces traits de
ſentiment , d'eſprit & de délicateſſe dont la
Pièce eft remplie , & tout cela eſt l'Ouvrage
de M. Watelet .
Mais quelle est l'hiſtoire de ce plagiat , s'il
faut lenommer ainſi ? Lá voici.
M. Watelet avoit abandonné cette Pièce à
M. de Cahufac , qui , après en avoir entendu
la lecture , la lui avoit demandée avec inf
rance. J'avois , dit Tanteur, des raiſons
pour ne pas montrer publiquement le
>> goût qui me portoit dans mes premières
>> années à des amuſemens Littéraires ; ( &
ces raiſons , connues de M. de Cahufac , furent
fans doute le fondement de ſa demande)
j'avoue , continue l'Auteur , que je fentis
auffi la curioſité d'éprouver , ſans riſque ,
les hafards de la repréſentation. Je fis ce-
» pendant mes conditions. J'exigeai qu'on
me montreroit Scène à Scène la traduc-
» tion; je demandai qu'on ne changeât point
ود
ma fable , & fur tout que l'Ouvrage , heu-
>>> reux ou malheureux , reftât anonyme. Ce
» paste , ainſi que tant d'autres plus im-
* portans , ne fut pas trop bien obſervé. On
>> ne me montra que la première Scène ver-
1.
ifiée. On l'avoit furchargée du récit d'une
apparition de la Fée Urgande , que je
DE FRANCE. 13
ود
ود
ود
ود
rayai impiroyablement . On ne me demanda
plus d'avis .... En dépit de toute délicateffe
d'Auteur , le père adoptif de Zé
neïde la prit ſur ſon compte , ſans reſtrietion
; mais les amis qui é oient dans la
confidence , futent indiferers ..... & les
Almanachs des Theatres apprirent au Public
que j'avois eu part à cet Ouvrage ....
» Aujourd'hui je rends les vers à celui qui
les a faits , &je donne la Pièce telle que
» je l'ai écrite.... Je ne réclame que le perit
mérite de l'invention , & cela , parce que
bien certainement il m'appartient. "
ود
"
ود
Ce métite de l'invention n'est pas le ſeul.
Le dialogue a bien plus de naturel & de
vérité ; les détails , les développemens , bien
plus de richeſſe dans l'original que dans la
copie. Les mots même les plus précieux que
le verfificateur a confervés , ne viennent pas
aufli à propos , ne font pas auſſi bien placés ,
n'ont pas le même degré de convenance , de
jufteſſe , de preſteffe. L'avantage des vers',
avantage qu'ils doivent à la contrainte même
de la meſure & de la tine , doit être de donner
plus d'éclat aux penſées, de les graver
dans la mémoire , d'obliger à mettre plus de
choix &plus de goût dans l'expreffion. L'avantage
de la proſe eſt d'avoir plus de ſimplicité
, de naturel , d'abandon , de reſſembler
davantage à ce qu'elle imite , de ſuivre de
plus près la Nature dans tous ſes mouvemens
, dans la marche des idées & des ſemtimens
, mérite bien précieux dans l'Art
14 MERCURE
Dramatique , fur- tout dans la Comédie.
Or , les vers de M. de Cahuſac , quoiqu'en
général affez bien faits , ne nous paroiffent pas
avoir le mérite propre aux vers,dans le méme
degré où la proſe de M. Watelet a le mérite
dont la proſe eſt ſuſceptible. Lorſque les
deux Auteurs emploient les mêmes idées ,
l'avantage même de l'expreſſion eſt preſque
toujours du côté de la proſe, l'imitateur n'emploie
pas , à beaucoup près , tous les traits
heureux que fon modèle lui fournit ; & ceux
qu'il ajoute quelquefois de ſon chef, ſont
moins effentiels à l'action , moins adaptés
au caractère du perſonnage , que tendans à
montrer le Poëte & à provoquer les applaudiffemens.
Dès la première Scène de la Pièce en
proſe, Zentide peint plus naïvement ſon
aimable caractère. Dans les vers , elle parle
à la Fée de ſes bienfaits , mais il ſemble
qu'elle ne veuille qu'en avoir parlé; le trait
n'eſt point placé ; il vient quand il peut &
comme il peut; dans la proſe il fort naïvement
du dialogue , comme du coeur de Zénéïde.
La Fée lui reproche d'avoir conté
toure ſon hiſtoire , d'avoir tout dit au jeune
inconnu qu'elle a trouvé au bal.
ZÉNÉÏDE.
-Mais.... mon hiſtoire , n'est- ce pas vos
→bienfaits ? Ah ! je me ſerois reproché d'a-
>> voir rien oublié. »
Dans la grande Scène entre Olinde & Zé
DE FRANCE .
15
neïde , où il s'agit d'établir l'opinion de la
pretendue laideur de celle ci , Olinde dans
la proſe eſt bien plus galant , plus doux , plus
pallionné que dans les vers ; il n'a pas cette
teinte de Perit- Maître que Cahutac lui donne
quelquefois ; il ne dit point bruſquement ,
&d un ton piqué :
Puiſque je ſuis forcé d'être ſincère.......
On ne ſe cache point quand on a de quoi plaire.
Il préſente la même idée ; mais avec quelles
precautions , avec quelles reſtrictions , avec
quels correctifs ! comme on voit toujours
un amant qui craint d'offenſer ce qu'il aime !
Zéneïde ſe fache de ce qu'Olinde s'obſtine
à la croire belle ; & certe colère , où Olinde
n'entend rien , eſt bien dans la ſituation de
Zeneïde , à cauſe de la menace d'Urgande ,
dont elle eſt inſtruite , & qu'Olinde ne peut
favoir.
Votre obſtination m'excède.
Je me connois , apparemment ,
Et je vous dis que je ſuis laide.
Plus de dispute , ou.... je me fâcherai.
Ce ton d'humeur & d'autorité , ce ton d'enfant
gâté n'eſt point du tout ce qui convient ;
l'obſtination d'Olinde n'a rien d'excédent ,
elle eft obligeante; il y a bien plus de fineſſe
& de taiſon dans cette autre expreſſion de
la même impatience.
" Ne voilà t'il pas qu'il me croit la plus
16 MERCURE
ود
ود
ود
belle perſonne du monde ! Et point du
tout. Vous ne ſavez tien de tout ce que
vous dites. Pourquoi parler comme un
>> étourdi fans connoître , fans.....
OLINDE.
>>Mais que voulez vous , vous même , me
faire entendre ? Aimable Zéneïde , oh ! li
> vous ſentiez tout ce que je ſens , vous fau-
"
" riez que le coeur devine , & devine bien
>>plus sûrement , bien plus promptement
» que les yeux ne peuvent appercevoir. Eft-
>> ce que vous ne vous êtes pas apperçue à
» mes regards qu'on s'entend fans ſe parler ,
» qu'on répond à ce qui n'a pas encore été
> prononcé , & qu'on ne ſe trompe jamais
>> quand les ſentimens ſont d'accord ? Hélas !
» pourquoi ne nous comprenons- nous plus
>>depuis quelques momens ?
Au lieu de cette éloquence amoureuſe , de
ce langage paflionné , on ne trouve dans la
copie que cette petite phraſe sèche & commune
en comparaiſon de l'autre.
Non , je ne vous, crois pas.
Mon coeur me parle , il me peint vos appas ;
Et c'eſt lui ſeul que j'en veux croire.
Mais c'eſt ſur- tout dans le monologue d'Olinde
que les deux Auteurs ſont le plus différens
, & que le Traducteur n'a pas même
eu le mérite de ſentir celui de l'original .
Olinde croit Zénéïde laide , & il s'arrange
ſur ce pied-là.
DE FRANCE. 17
" Eh bien! elle aura quelque petite dif.
• formité , à la bonne heure..... D'abord ,
ود ſes yeux font très-beaux , je ne puis en
>> douter ; je les ai bien vûs , & le maſque
>> ne les cache point du tout.... Le tour du
>> viſage eſt encore le plus agréable du
>> monde..... Pour la bouche.... Ah! je n'en
N fais rien; mais elle ne fauroit être diffor-
>> me , à en juger par les fons fi doux & fi
intéreſfans de ſa voix. Le refte .... Oh ! le ود
ود
ود
reſte eft fi peu de choſe ! & puis , dans ce
reſte encore , ne faut il pas compter tour
> ce qui plaît dans fon maintien ce qui
> enchante dans ce qu'elle dit; fa taille , fa
>> démarche , ſes jolies maius , ſes jolis
> pieds... Oh! la part de la laideur doit être
> bien perite. "
Voilà , s'il et permis de s'exprimer ainfi ,
du vraj comique de fentimet: voits ce que
Térence appelle com retione infonire. Rien
n'eſt plus dans la nature de l'amour & dans
le ron de la Comédie noble & delicate. Cela
eſt d'un goûr exquis. Comment ſe prives
t'on d'un pareil morceau , quand on a le bon
heur de le trouver dans l'original ? C'eſt
pourtant ce qu'a fait le Traducteur. Voici à
quoi il réduit le tout.
Eſt- il bien vrai qu'elle ait dit ſon fecret ?
Sereit elle laide en effet ?
Qu'importe après tout je l'adore.
1
1
Ikimportoit beaucour de ne pas rejerer avec
18 MERCURE
ſi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce.
Lefond en étoit ſi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réuſsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien fait
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie, malgré le petit fard de la verſification;
car pour la poetie , elle eft ici du côté
de la profe.
Cette Pièce a été composée en 174301
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en proſe , a eté compoſee en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle ſeulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ſtatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de-là à la fiction
hardie& intéreſſante que l'Auteur emploie,
Oracrires & Alcamène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , fe diſputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
afſſemblésdans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête; l'un prépare un Adonis, l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eſt content
de fonOuvrage; & chacun de ſon côté , pour
s'affurer la victoire , imagine le même ſtratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hafard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont beſoin. Un fils de
famille , échappé de la maiſon paternelle ,
s'eſt fait vendre à Oracrites , par Dave, fon
DE FRANCE. 19-
Valet , déguisé en Marchand d'Eſclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eſt devenu
amoureux de Doride, qu'il n'a vue qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauſſes apparences lui font conjecturer
qu'elle eſt chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'eſclave & de modèle. C'est dans l'eſpé
rance de ſe rejoindre à elle qu'il te fait vendre
à Oracrites ; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à ſes parens , elle lui a été vendue
comme eſclave. Ce font ces deux jeunes
amans (car en ſe revoyant ils ledeviennent)
que les deux Artiſtes , fars s'être concertes ,
& en voulant ſe ſupplanter l'un l'autre ,
placentdans le temple de Vénus. Le peuple
s'aſſemble , & regarde les ſtatues d'une diſ
tance qui ne lui permet pas d'appercevoir la
ſupercherie. Tous les Atheniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Atheniennes
: Rien de fi perfait qu' Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne ? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné, diſent les Atheniennes. Tous enſemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés. Le ſort avoit nommé pour préſider
à la fêre , deux vieillards , Naucrates , qui
pleuroit fon fils , lequel avoit diſparu , Démophon
, qui pleuroit auſſi ſa fille qu'on lui
avoit enlevée ; ces deux matheureux pères ,
en s'approchant, font frappés de la reſſemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans; chacun ſe dirige vers celle
18 MERCURE
ſi peu de difcernement le plus joli trait de
cette jolie Pièce.
Lefond en étoit ſi charmant , qu'il a bien
fallu qu'elle réuſsit , malgré les mal adreſſes
du Traducteur. Mais l'inventeur a bien fait
de nous la donner telle qu'il l'a faite , & les
gens de goût la préféreront hautement à la
copie , malgré le petit fard de la verſification;
car pour la poetie , elle eſt ici du côté
dela profe.
Cette Pièce a été compoſée en 17430
Les Statuaires d'Athènes , Comédie en
trois Actes & en proſe , a eté compoſee en
1766 , d'après un paffage de Paufanias , qui
parle ſeulement d'un concours entre deux
Sculpteurs , pour un prix que le peuple doit
donner à la ſtatue de Vénus qu'il jugera la
meilleure. Il y a bien loin de-là à la fiction
hardie& intéreſſante que l'Auteur emploie.
Oracrires & Alcamène , élèves de Phidias
Sculpteurs rivaux & jaloux , ſe difputent un
prix qui doit être donné par les Athéniens
aſſemblés dans le temple de Vénus , dont on
célèbre la fête; l'un prépare un Adonis, l'autre
une Vénus ; ni l'un ni l'autre n'eſt content
de fonOuvrage;& chacun de ſon côté , pour
s'affurer la victoire , imagine le même ſtratagême
, celui de placer dans le temple , l'un
un Adonis vivant , l'autre une Vénus vivante.
Le hafard fait qu'ils ont chacun chez
eux l'objet dont ils ont beſoin. Un fils de
famille , échappé de la maiſon paternelle,
s'eſt fait vendre à Oracrites , par Dave, fon
DE FRANCE. 19-
Valet , déguiſé en Marchand d'Eſclaves. Ce
fils de famille , nommé Léonide , eſt devenu
amoureux de Doride, qu'il n'a vue qu'un
moment en paffant , & qu'il brûle de revoir.
De fauſſes apparences lui font conjecturer
qu'elle eft chez Oracrites , & qu'elle lui fert
d'eſclave & de modèle. C'eſt dans l'eſpérance
de ſe rejoindre à elle qu'il te fait vendre
à Oracrites; elle eft chez Alcamène ; enlevée
à ſes parens , elle lui a été vendue
comme eſclave. Ce font ces deux jeunes
amans (car en ſe revoyant ils ledeviennent)
que les deux Artiſtes , ſans s'être concertes ,
& en voulant ſe ſupplanter l'un l'autre ,
placentdans le temple de Vénus. Le peuple
s'aſſemble , & regarde les ſtatues d'une diſtance
qui ne lui permet pas d'appercevoir la
ſupercherie. Tous les Atheniens s'écrient :
Rien defi beau que Vénus ; toutes les Atheniennes
: Rien de fi perſait qu' Adonis ; les
deux Statuaires demandent , à qui donc donnez
vous la couronne? Vénus mérite le prix ,
difent les Athéniens ; Adonis mérite d'être
couronné, diſent les Atheniennes. Tous enſemble
ordonnent que tous deux foient cou
ronnés. Le ſort avoit nommé pour préſider
à la fêre , deux vieillards , Naucrates , qui
pleuroit fon fils , lequel avoit diſparu , Démophon
, qui pleuroit auſſi ſa fille qu'on lui
avoit enlevée ; ces deux matheureux pères,
en s'approchant, font frappés de la reſſemblance
qu'ils apperçoivent entre ces ſtatues
& leurs enfans; chacun ſe dirige vers celle
20 MERCURE
des ſtatues qui l'intéreſſe; les ſtatues s'animent
, les enfans tombent aux pieds de leurs
pères. Le peuple demande l'explication d'un
tel prodige , les deux Artiſtes avouent leur
heureux arrifice , demandent grâce & l'obtiennenr
; les deux amans ſont unis.
On ne pouvoit imaginer un ſujet plus
anacreontique , une fiction plus intéreſſante ;
la Pièce eſt parfaitement dans le goût de Térence
& dans le coſtume antique. Tout y
refpire la fimplicité grecque. & l'amour des
Arts. La jalousie des Artiſtes & leur enthouſiaſme
font de main de Maître ; le tableau
du dénouement eſt impofant & agréable ,
plein de charme & d'intérêt ; il ne pourroit
qu'avoir un très grand ſuccès à la repréfentation.
: Les Vouves , ou la Matrone, d'Éphèſe ,
Comédie en trois Actes & en vers , en a eu
dans des, repréſentations particulières. Ce
fujét eſt connu , il a ſouvent été traité ſous
toutes les forines .
S'il eſt un conte ufé , commun & rebattu ,
C'eſt celui qu'en ces vers j'accommode à ma guiſe ;
Pourquoi le choiſir , diras-tu ?
Qui t'engage à cette entrepriſe?
: Cetre queſtion n'embarraſſeroit point M.
Watelet , il pourroit répondre : C'est pour
rendre ce sujet moral , ce qu'on a trop négligé
defaire.
Zélotidès , vieux mari jaloux , pour éprou
DE FRANCE. 2
ver ſa jeane & fenfible épouse, fait répandre
le bruit qu'il eſt mort dans le cours d'un
voyage qu'il faifoit alors , & il revient fecrètement
pour ſurprendre ſa femine ; il apprend
en arrivant qu'inconfolable de fa
mort , elle lui a élevé un tombeau dans lequel
elle s'eſt enfermée , réfolue de ne lui
pas ſurvivre. Il veut jouir d'un ſpectacle ti
doux , il s'approche en ſe cachant , mais
c'eſt pour être témoin du moment où la
veuve, cédant aux voeux d'un nouvel amant ,
fort de fa triſte retraite pour le ſuivre dans
un ſejour plus riant. L'indiffolubilité de nos
mariages laiſſoit d'abord quelque embarras
fur ce dénouement; l'Auteur l'a corrigé d'une
manière très heureuſe, par les moeurs mêmes
d'Athènes , qui admettoient le divorce de
part & d'autre. Zelotides , & fon Valet qu'il
avoir entraîné dans la même faute , s'empreſſent
de la réparer en allant chez l'Archonte
faire leur déclaration de divorce ,
fuivant le confeil de Straton , vieillard , ami
de Zélotidès .
Eſtérie eſt -elle coupable ?
Vous êtes tout ſeul condamnable.
Vous l'avez expoſée au plus preſſant danger ,
Vous lui devez de la rendre innocente.
Voici la moralité de la Pièce :
Pour vous , Meſſieurs , de votre mieux
Tirez profit de notre extravagance :
Pour l'Auteur du conſeil ayez quelque indulgence ,
22 MERCURE
Dans vos femmes Car-tout entière confiance;
Et ſur certains objets , ſouvenez- vous-en bien,
Contentez-vous de l'apparence ,
N'approfondiſſez jamais rien.
Cette Pièce , composée en 1757 & 1758 ,
eſt verſifice avec facilité , avec grâce. Il y a
sûrement une faute d'impreſſion à la page
229 , où on trouve ce vers , qui n'en eſt
pas un :
Ouje me trompedans ma conjecture.
La Maison de Campagne à la Mode , ou
la Comédie d'après nature , Comédie en
deux Actes & en profe, compoſée en 777
Cetre Maiſon de Campagne , où des circonſtances
particulières attirèrent pendant
quelque temps un concours nombreux de
gens qui fe croyoient curieux ,&qui n'étoient
qu'imirateurs & qu'entraînés par la mode ,
eſt celle dont M. l'Abbé de Lille a fair cette
charmante deſcription.
Tel eſt , cher Watelet , mon coeur me le rappelle,
Tel eſt le ſimple aſyle où, fufpendant ſon cours,
Pure comme res morurs , libre comme tesjours ,
En canaux ombragés la Seine ſe partage ,
Etviſite en ſecret la retraite d'un ſage.
Ton art la ſeconda , non cet art impoſteur ,
Des lieux qu'il croit orner hardi profanateur.
Digne de voir , d'aimer, de ſentir la Nature,
Tu traitas ſabeauté comme une Vierge pure
D'E FRANCE.
23
Qui rougitd'être nue &craint les ornemens.
Je crois voir le faux-goût gâter ces lieux charmans,
Ce moulin , dont le bruit nourrit la rêverie ,
N'eſt qu'un ſon importun, qu'une meule qui crie;
On1 écarte. Ces bords doucement contournés ,
Par le fleuve lui-même en roulant façonnés ,
S'alignent triſtement. Au lieu de la verdure
Qui renferme le fleuve en fa molle ceinture ,
L'eau dans des quais de pierre accuſe ſa priſon ,
Le marbre faſtueux outrage le gazon ,
Etdes arbres tondus la famille captive
Sur ces faules vieillis oſe uſurper la rive.
Barbares, arrêtez & reſpectez ces lieux ;
Etvous , fleuve charmant , vous , bois délicieux,
Si j'ai peint vos beautés , ſi dès mon premier âge
Je me plus à chanter les prés , l'onde & l'ombrage ,
Beaux lieux , offrez long-temps à votre poffefſeur
L'image de la paix qui règne dans fon coeur.
que
La Pièce de M. Watelet est compoſée de
ce qu'on appelle Scènes à tiroir, dont l'avantage
eſt d'offrir une grande variété de caractères
, ſans qu'on ſoit obligé de mettre entreeux
les mêmes rapports & les mêmes contraftes
dans les Pièces ou d'intrigue ou
de caractère ; elle est animée par un intérêt
d'amour affez piquant , & par un grand danger
que court la perſonne aimée: elle en eſt
préſervée par l'amour; & ſon amant , qui
n'oſoit aſpirer à elle , acquiert par la des
droits qui le font triomphet de ſes rivaux.
24 MERCURE
La Scène où cet amant timile &-intéreſſant,
pour s'introduire dans le jardin où il eſpère
veir Lucinde , ſe donne pour un Botaniſte ,
&parle fans ceſſe de Lucinde , en voulant
décrire une fleur qui l'attire , dit il , dans ce
jardin', eſt d'un agrément &d'un goût infini ,
&les mots amoureux qui lui échappent &
le trahiffent , font d'un comi que noble& fin.
Dorival , c'eſt le nom de cet amant , enſeigne
la Botanique à Lucinde , & ſous ce prétexte
lui parle ſans ceſſe d'amour , en lui
promettant toujours de n'en plus parler. Elle
s'en plaint avec douceur. " Ah ! charmante
ود Lucinde ! s'écrie Dorival, quand je ne vous
>> parlerois même , s'il m'étoit poflible , que
des plantes & des fleurs , pourrois je ne
pas vous parler de ce qui anime toute la
>> Nature , de ce qui eſt la baſe du ſyſtême
ود
رد
20 de l'Univers , de ce qui fait vivre tout ce
» qui exiſte.... Et qui me fera mourir ?
LUCINDE.
>>Mais votre promeffe.....
DORIVAL .
:
• Et ma promeffe , Lucinde , & vos ordres
ſi puiſſans peuvent- ils empêcher que
l'Amour ne ſoit le moyen univerſel qui
>>ſoutient , qui anime , qui vivifie tout ce
» qui reſpire...... tout......
وو
LUCINDE.
>> Cela peut- être , Dorival; mais ce n'eſt
:
"que
DE FRANCE.
25.
que les fleurs dont il doit être queſtion
en ce moment.
ود
DORIVAL.
Eh bien ! ces fleurs , Mademoiselle ;
>> oui , ces fleurs , divine Lusinde , en eprou-
ود vent les mouvemens , en pratiquent les
>> myſtères ; elles ne ſubiſtent que par un
>> penchant qui les dirige les unes vers les
>>autres : elles ſe denrent , ſe cherchent ,
>> s'approchent , s'épanouiffent , s'épanshent
ود
ود
&meurent heureutes. Le ſoleil verſe fur
elles cette âme , cet amour à qui elles
doivent l'éclat qui les embellit ; elles lui
doivent ces développemens qui les font
renaître. Lorſque ce feu leur manque par
l'absence de l'aftre du jour , l'affoupiffe-
> ment qu'elles eprouvent , c'eſt le regret
>> d'être privées du bien qu'elles goûtorent.
ود
و د
ود
ود
ود
Oui , Lucinde , ce font les peines de l'abfence.
Eh bien ! vous allez m'accufer en-
>> core de ne parler que de ce que j'eprouve ,
"
ود
de ce que je lens ......
LUCINDE.
>> Vous en convenez..... & je le devrois.
DORIVAL.
" Oui , je l'avoue. Rien de ce que je vois
> dans l'Univers ne touche mes fons & mon
âme ſans ſe rapporter à Lucinde. Ce qui
m'offre quelque perfection , c'eſt Lucinde ;
>> ce qui peint des affections , des deſirs ,
N°. 23 , Juin 1784.
ود
B
26 MERCURE
39
ود
ود
c'eſt l'image d'un coeur où Lucinde fait
naître tous les fentimens & tous les defirs.
S'eloigne t'elle? Il languit , il ſe fane ,
il ſe ferme à toute eſpèce de bonheur. Il
>> périra comme une plante que frappe un
fouffle funeſte , & qui eft privée de l'aſtre
» qui la faifoit vivre. >>>
ود
ود
Cet art de rajeunir le langage de l'amour ,
de lui donner une éloquence nouvelle & une
forme piquare , en l'affociant à des idées
étrangères , eſt certainement d'un grand
prix.
Un autre mérite de cette Pièce , eſt le ridicule
répandu ſur les exagérations des faux
admirateurs : " le Public , dit M. Watelet ,
>> pourra ne pas dédaigner quelques traits
>> qui peut- être le feront fourire en lui rap-
>> pelant des exaltations de ſentimens fac-
>> tices , & des exagérations de termes qu'il
feroit utile qu'on ridiculisât de nos jours
> avec autant de talent &de ſuccès , que
>>Molière ridiculiſa dans ſon temps le précieux
& le faux ſavoir. »
Réflexion importante. En effet, notre jargon
ſuperlatif ne ſert plus qu'à prouver
qu'on n'a pas les idées , qu'on n'éprouve pas
les ſentimens qu'on prétend exprimer avec
cette fauffe énergie. Lorſqu'on veut donner
de la valeur aux mots , & de la ſignification
aux choſes , on eft obligé d'en revenir aux
expreffions ſimples. Je fuis faché, dit plus
aujourd'hui que je fuis désespéré, je fuis bien
wife , que je fuis enchanté. Cet afpect eft
८
DE FRANCE.
27
riant , ceséjour est beau ; que cela est divin ,
délicieux.
Tels font les Ouvrages les plus confidérables
que contient ce Recueil. Les autres
ſont des Poëmes Lyriques ; c'eſt Milen , Intermède
Paftorale en un Acte , en vers , tiré
d'une Idylle de Gefner. L'Auteur , qui , ditil
, à trouvé deux jeunes amans
S'aimant comme on s'aimoit quand on me laiſſoit
faire,
Fait à la Bergère Chloé
Un conte bien calomnieux,
Bien bon , comme les fait la bonne compagnie.
Ce conte la rend jalouſe , Milon l'appaiſe;
voilà tout , mais les détails font trèsjolis
.
Deucalion & Pyrrha , Opéra à grand ſpectacle
, en quatre Actes , en vers , compoſé
en 1765 .
Le ſpectacle en effet en doit être magnifique
, en ſuppoſant le mérite de l'exécution
égalà celui de l'intention.
Délie , Drame Lyrique , en un Acte & en
vers , compoſé en 1765. Une Ode d'Anacréon
a donné l'idée de ce Poëme , dont
Anacreon eſt le Héros , & qui eſt en effet
très- Anacreontique dans l'idée principale &
dans les détails.
Phaon , Drame Lyrique , en deux Actes ,
en vers , mêlé d'ariettes , repréſenté devant
Leurs Majeftés à Choiſy en Septembre
1778.
د
Bij
28 MERCURE
Un paſſage de Lucien a fourni l'idée de ce
Drame , qui n'eſt pas moins Anacreontique
que le précédent.
Nous regrettons que la longueur de cet
extrait , & la néceſſité de le terminer , ne
nous permettent pas de tirer de ces Poëmes
Lyriques une foule de traits charmans ; on
y trouve par tout de la délicateſſe & de la
grâce , une poéſie facile , & d'une harmonie
douce.
SCELTA di Poefie Italiane , de' più celebri
Autori d' ogni Secolo , raccolte , e con
opportune Note illuſtrate da Anton Benedetto
Baffi, ou Recueil complet des plus
beaux morceaux de Poéfies Italiennes, Lyriques
, Érotiques & Fugitives , avec des
Remarques critiques fur le génie de la
Poésie Italienne , par M. Batli , Membre
depluſieurs Academies. 2 vol. grand in 0 .
AParis , de l'Imprimerie de M. Lambert ,
rue de la Harpe , près S. Côme. Le prix
des deux vol . in 8. brochés eſt de 12 liv.;
celui de l'Édition in 4. , papier d'Angoulême
, eſt de 30 liv. les deux vol. , &
48 liv. pour les mêmes deux vol . in-4°.
papier d'Hollande.
IL ſeroit intéreſſant pour la Littérature
engénéral, qu'on eût un Recueil raiſonné des
meilleures poéſies de chaque Nation , &
que ce Recueil fût fait par un homme de
goût , connoiſſant la Littérature univerſelle ,
DE FRANCE. 29
& capable de juger la fienne avec impartialite.
C'eſt ce que Voltaire ſouhaitoit particulièrement
pour les Italiens , dont la langue
eſt la plus poétique de toutes les langues
vivantes ; & c'eſt ce que vient d'exécuter
M. Baffi . Nous allons donner une idée
du plan qu'il a fuivi , pour mettre le Lecteur
à portée de juger du mérite de ſon travail
& de l'utilité de ſon Ouvrage. Il a renfermé
dans huit Volumes les plus belles
Pièces poétiques de ſa Nation depuis l'origine
de la Poéfie Italienne juſqu'à nos jours .
Des obſervations critiques , des remarques
hiſtoriques , des notes ſur l'idiome poétique
& fur la ſyntaxe grammaticale, accom
pagnent les morceaux qui en font fufceptibles
. Les Pièces ſont diſtribuées de manière
à faire connoître l'Hiſtoire de la Poésie Italienne
, ſes progrès , ſes viciffitudes , fa décadence
, & la renaiſſance du bon goût à
différentes époques. Pour remplir cet objet,
il a fallu que le Rédacteur commencât par des
poéſies des plus anciens Auteurs , comme à
l'époque deladécadence des Lettres en Italie,
il lui a fallu puiſer chez des Poëtes peu eſtimés;
mais ces morceaux qui fuffiſent pour faire
connoître ce qu'étoit la poéſie à ces diverſes
époques , ne font pas affez nombreux pour
rebutter les Lecteurs qui , contens de lire
des Ouvrages qui amuſent leur goût & leur
imagination , ne ſont pas jaloux d'acheter ,
par la lecture de quelques morceaux infi
Biij
30
MERCURE
pides , la connoiſſance de l'hiſtoire poérique
d'une Nation .
Les poéfies des Auteurs modernes ſont
en grand nombre; & il y en a beaucoup qui
n'avoient pas encore vû le jour. On trouve à
la tête du premier Volume un eſſai critique
&hiftorique ſur la Poéſie Italienne ; & au
commencement du ſecond , une differtation
dans laquel'e on développe une théorie nou.
velle ſur l'harmonie maticale & poétique ,
& fur le technique de la verſification Italienne.
M. Bafli , en commençant fon eſſai , remonte
à l'etat de la Littérature Italienne ,
lorſque le fiège de l'Empire fut tranſporté à
Conſtantinople . Dela il paſſe à l'époque où
Charlemagne fonda en Italie l'Académie
dite Palatine. Il entreprend de prouver que
depuis l'arrivée de Charlemagne , juſqu'à
celle de Charles d'Anjou , Comte de Provence
, le goût des Lettres s'eſt toujours
confervé plus ou moins en Italie ; ce qui le
conduit à combattre l'opinion de M. l'Abbé
Millot & du Père Papon, qui s'accordent à
dire qu'à l'arrivée de Charles d'Anjou , les
Italiens étoient plongés dans la plus profonde
ignorance , & qu'ils durent aux Troubadours
l'origine de leur poéſie. Nous n'efſayerons
pas de confirmer ni de réfuter à
cet égard l'opinion de M. Baffi ; nous obferwerons
ſeulement qu'il eſt preſque impoffible
qu'un Écrivain ſe dépouille entièrement
de tout préjugé national. Quoi qu'il en ſoit ,
DE FRANCE.
31
le Dante fut le créateur de la poéſie , qui
acquit ſous la plume de Pérrarque toute
l'harmonie & l'élégance dont elle étoit fufceptible.
Nous invitons nos Lecteurs à lite
l'article de ce dernier , après lequel M. Baffi
jette un coup d'oeil rapide ſur les Poëtes qui
l'ont ſuivi , pour arriver à l'époque de la renaiſſance
des Lettres ſous Laurent de Médicis.
Notre Hiſtorien s'arrête à Bembo, le ref.
taurateur de la langue Italienne ; & le portrait
qu'il en fait eſt accompagné d'obfervations
critiques ſur les travaux de ce célèbre
Littérateur. Parvenu à cette époque , où
le goût & la ſaine critique ont recommencé
à inſpiter les Muſes Italiennes , M. Baili
abandonne le projet de ſuivre par ordre des
temps l'hiſtoire de la poéfie; & s'ouvrant
alors une plus vaſte carrière , il la confidère
dans ſes différens genres. Il examine tour- àtour
l'épique , le dramatique , le lyrique , le
paftoral , le ſatyrique , &c. Il diviſe l'épopée
en trois genres; ſavoir , le Roman épique ,
le Poëme héroïque , & le Poëme héroï- comique.
Dans le premier genre , il place l'Orlando
Furioso , de l'Arioſte ; à la tête des
Poëmes héroïques , il met la Jerufalem Délivrée
; & il regarde la Secchia rapita ,
commele meilleur Poëme héroï comique qui
exiſte dans la moderne Littérature .
En lifant cette diviſion, il nous eſt venu
deux idées , que nous croyons pouvoir communiquer
à M. Baffi. 1º. Nous ne voyons
pas bien clairement pourquoi il donne à la
B_iv
3.2
MERCURE
Jerufalem le titre de Poëme , & celui de
Roman à l'Orlando . Il nous ſemble qu'en
voulant conſerver cette distinction , dont à
la rigueur on pourroit fort bien ſe paffer , il
feroit tout auffi poffible , fans diſputer à la
Jerufalemle titre de Poëme , de lui décerner
celui de Roman; comine on pourroit , fans
ôter à l'Orlando le titre de Roman , lui conſerver
celui de Poëme. Le Toffe a mis dans
fon Ouvrage l'intérêt du Roman comme
Ariofle; & Arioſte a mis dans le fien
toure la ticheffe poetique comme le Taffe.
2º. M. Baffi ne s'eſt pas attendu fans doute
à voir adopter ſans contradiction , par ſes
Lecteurs François , l'éloge qu'il fait de la
Secchia rapita du Taffoni , comme du meilleur
Poëme héroï- comique dans la moderne
Littérature. Il lui fera difficile de perfuader
àune Nation qui poſsède le Lutrin de Boileau
, qu'elle doit décer er la palme du Poëme
héroï comique au Taffoni.
Delà M. Batli paſſe au genre dramatique.
Il cherche bien à la vérité des raiſons pour
excufer les Iraliens de n'avoir pas excellé
dans cette partie de la Littérature ; mais il
convient qu'ils n'y ont pas excellé ; & c'eſt
quelque choſe que d'en convenir. On ne
fera pas fâché de lire ce qu'il dit du célèbre
Métaſtaſe.
Après avoir parlé du genre lyrique , M.
Bafli fait une differtation ſur l'idiome poétique
des Italiens , & tâche de justifier ſa Nation
ſur les Concetti. Il blâme les étrangers ,
DE FRANCE.
33
qui croyent que les pointes & les faux brillans
font les qualites de cet idiôme. Nous
conviendrons avec lui que la manie des
Concetti n'eſt pas la qualité de la langue Italienne
; mais il faudra qu'il convienne avec
nous que c'eſt un peu le défaut de ceux qui
l'écrivent.
M. Batli fait pourtant le procès à Marini ;
& il le dénonce comme un corrupteur du
goût , en lui accordant pluſieurs des qualités
qui conſtituent le grand Poëte ; & fa differtation
finit à la renaiſſance du goût dans le
ſiècle préſent.
Sans parler de pluſieurs autres Poëtes d'un
moindre mérite , ces premiers Volumes renferment
les Poéſies de Dante , de Pétrarque ,
de Sannazzaro , de Bembo , de l'Arioste ,
de Berni , &c. Il a eu ſoin de choiſir de
beaux morceaux de poéſie dans les quatorze
mille vers du Poëme du Dante ; & le tout
eſt accompagné de notes critiques & grammaticales.
Dans cette Collection , tout ce qui eft
note , critique , préliminaire , annonce que
M. Baſſi n'a pas voulu faire un Recueil informe;
il connoît l'art dont il a raſſemblé
les chef d'oeuvres ; il en a ſenti les beautés ;
en un mot , il a fait un choix raiſonné , qui
peut tenir dans nos bibliothèques la place
d'une foule de Volumes , & qui doit être
non ſeulement cher aux partiſans nombreux
de la langue Italienne , mais encore très utile
à ceux qui courent la carrière poétique .
By
34
MERCURE
ABRÉGÉ Latin de Philofophie , avec une
Introduction & des Notes Francoises ,
par M. l'Abbé Hauchecorne , de la Maiſon
& Société de Sorbonne , Profeffeur de
Philofophie au College des Quatre - Nations.
2 vol. in 12. AParis , chez l'Auteur;
Quillau , rue Chriſtine; Nyon le jeune ,
Quaides Quatre Nations.
La première Partie de cet Ouvrage contient
la Logique , la Metaphyfique & la
Morale , avec les préceptes de la Rhétorique
; le ſecond eſt tout entier ſur la Phyſique
, & l'an & l'autre eſt enrichi de notes
faites pour développer les queſtions Latines ,
&tout ce qui , p'us curieux que néceſſaire ,
paroîr étranger à la nature d'un Abrégé. On
voit que l'intention principale de l'Auteur
a été de ſe rendre utile aux jeunes gens qui
veulent être Maitres Es Arts ; mais ce but
n'a point été le ſeul qu'il ait eu en vûe ; il
avoulu de plus offrir aux Penſions un Livre
élémentaire qui les préparât à la longue étude
de la philofophie des Claſſes , ou leur fervit
de ſupplément dans le cas que les Élèves ne
vinflent point au College. Outre l'introduction,
dans laquelle il ſuit la marche de la philofophie
, & l'analyſe qu'il donne de ce que
l'on enſeigne dans les Claſſes , il expoſe en
François , pour être plus clair , tout ce qui
n'eſt fufceptible que d'un Latin difficile &
obfcur. Par exemple , les machines , les obDE
FRANCE 35
ſervations Aftronomiques qui précèdent les
ſyſtemes de Prolomee , de Copernic , de
Tycho Brahé , les Éclipſes , les Météores ,
les Tubes capillaires , les Notions fur le gaz
inflammable & les globes aëroftatiques ; ce
mêlange ne paroîtra point une bigarrure
choquante , & la clarté en ſera le fruir. Il eſt
à préſumer que l'ordre & la méthode qui
règnent dans cet Abrégé le feront goûter ,
& peuvent même en faire un Livre d'uſage.
COLLECTION des Moralistes Modernes ,
L'Ami des Vieillards , préſenté au Roi ,
par M. l'Abbé Roy , Cenſeur Royal ,
Membre de pluſieurs Académies , &c .
2 vol. in 18. Avec cette Épigraphe : Sur
lefront des Vieillards lis tes devoirs écrits .
A Paris , de l'Imprimerie de MONSIEUR ,
1784.
CET Ouvrage eſt du petit nombre de ceux
qu'il importera toujours de mettre entre les
mains de la jeuneſſe. On pourroit le ranger
dans la claſſe des bons Livres Claſſiques de
morale; il porte l'empreinte d'un coeur honnête
, & annonce un eſprit ſain & cultivé.
L'Aureur , dans ſon Avertiſſement ſimple &
modeſte , dit qu'il a travaillé comme un bon
Citoyen , qui n'écrit pas pour être admiré ,
ma's pour être entendu ; il n'entre dans la
lice avec les gens de l'art , ni pour y rompre
des lances honorab'es , ni pour y diſputer de
mérite , mais pour y faire preuve de zèle.
Bvj
36 MERCURE
L'Académie de Montauban avoit propoſé ,
il y a quelques années , cette queſtion importante
à développer : Combien le respect
pour la vieilleſſe contribue au maintien des
moeurs publiques ?
د
nous
M. l'Abbé Roy la traita , ſelon l'uſage , en
forme de diſcours ; il eſt dommage qu'il n'ait
pas tenté l'épreuve du concours
croyons qu'elle n'auroit pu que lui être trèshonorable.
Il a préféré dans la fuite de diftribuer
ſon travail par Chapitres. Les ſeuls
reproches qui pourroient lui être faits, ſans
altérer toutefois le mérite réel de l'Ouvrage ,
il les a fentis & avoués ; ainſi nous n'en parlerons
point. Ce n'est pas une differtation
Académique ſur cette queſtion : combien le
reſpect pour la vieilleſſe contribue an maintien
des moeurs publiques ? Ce n'est qu'un
choix de réflexions ſages & utiles fur cette
matière. Pluſieurs articles ſont écrits avec
foree , d'autres ont lemérite du ſentiment ;
tous généralement ſont marqués au coin du
jugement &de l'érudition.
Ala fin du premier Chapitre , l'Auteur
oppoſe la conduite du jeune homme de la
ville à celle des jeunes gens de la campagne ;
ee Chapitre finit ingénieuſement par un
bel éloge de la Nature ; celui du vieillard
eſt également bien fait. Chapitre
fixième , ce que c'eſt que la vieilleſſe , nous a
paru réunir le double intérêt du folide & de
la gaîté; nous regrettons de ne pouvoir rapDE
FRANCE.
37
porter ces morceaux tout au long. Le Chapitre
huitième est encore un des meilleurs;
M. l'Abbe Roy y prouve d'une manière claire
&préciſe l'obligation commune à tous les
hommes , de travailler , & le pouvoir que
les vieillards eux-mêmes ont de le faire à
leur manière.
Il dit , Chapitre IX, en parlant des moeurs
publiques & particulières : " Les moeurs des
>> particuliers ne font autre choſe que les
>> parties homogènes qui forment le tout
د. moral de même nature , appelé moeurs
>>publiques ; identifie avec elles , ce tout ne
>> peut fubfifter fans ces parties , ni ne pas
ود fubfifter avec elles..... » Quant aux moeurs
publiques , il continue ainſi: " Repréſentez-
> vous les Sujets d'un même État , unis
" enchaînés par le même lien aux mêmes
>> règles de bien, ſoit dans l'ordre politique ,
20
"
ſoit dans l'ordre ſocial , foit dans l'ordre
>> religieux , vous aurez alors l'idée d'un clavecin
organique , incapable d'harmonie ,
fans le fecours puiſſant de ces trois cordes;
la touche male & meſurée du vieillard
n'en tirera que des ſons juſtes &
>>précis , &c. -
"
"
20
Tous les traits cités de l'Hiſtoire ancienne
y ſont expofés avec tout l'intérêt & le charme
qui convenoit au fujer.
Le ſecond Volume ſemble offrir quelque
choſe de plus légèrement tracé. Nous avons
remarqué les dix ſeptième & dix huitième
Chapitres; le dix ſeptième commence par
38 MERCURE
une tirade heureuſe & vraie fur la mode ; il
continue par de ſages avis donnés adroitement
au beau ſexe ; il roule enſuite ſur le
danger de l'union de deux jeunes époux , &
fur l'ufage du bon vieux temps que l'Auteur
regrette , & il établit l'âge convenable au
mariage pour les deux ſexes. Vient après ,
dans le Chapitre dix-neuvième , l'éloge de
Louis XVI , d'autant plus heureuſement
amené , qu'il femble plus éloigné d'abord.
Mais un Chapitre remarquable par une noble
éloquence , c'eſt celui où M. l'Abbé Roy
prouve que le reſpect pour la vieilleſſe eſt
avantageux pour le maintien de la religion ;
nous croyons faire plaisir à nos Lecteurs
en le citant en entier. L'apostrophe au Tems
eſt belle , & n'en relève que mieux celle
qu'il adreſſe enſuite à la Religion. " O toi ,
>>cauſe première & pure de l'harmonie
>>publique , égide des bons Princes contre
>> les méchans , & des Sujets vertueux contre
ود
ود
"
20
ود
les tyrans , fouffle divin , être puffant ,
né pour la gloire du Créateur & le bonheur
de l'homme, Religion fainte , âme de
lUnivers , le premier des vieillards te
ſoutient ! L'Eternel lui dit au moment
>> de la première heure du monde : je te
donne l'empire ſur l'Univers; ouvrage de
» mes mains toutes mes créatures difparoîtront
fucceſſivement devant toi. Les
houlettes , les ſceptres , les monumens ,
les Empires , rien de tout ce qui exiſte ne
> pourra te réſiſter Ma Religion ſeule re-
"
"
"
د
DE FRANCE. 39
>> poſera triomphante ſur tes ailes , & cette
ود faulx énorme dont tu ſeras toujours armé
>> ne reſpectera qu'elle .
ود
ود
"Mais quel feroit ton fort, que deviendroient
tes autels ſans la main du vicil.
lard? Profcrite , abandonnée , importune
» & odieuſe à la jeuneſſe , la vieilleſſe ſe
>> chargera du poids des ignominies dont le
ſiècle s'efforce en vain de te couvrir ; elle
t'offrira dans ſon ſein un port afſuré contre
la malignité de tes ennemis . "
ود
ود
Citons encore cette belle tirade ſur l'Hôtel
des Invalides . Que j'aimerois à te con-
>> templer ſouvent , s'écrie l'Auteur , ſous
>> ces voûtes ſuperbes , monumens inappréciables
de la noble piété d'un grand
• Roi ; ſous ce dôme ſacré , plus précieux
>> encore par l'encens pur dont il eſt ſans
>> ceffe parfumé , que par l'art merveilleux
» des Grands Maîtres dont il eſt l'ouvrage !
>> Là , comme ſous l'ombrage des ailes du
>>> Très- Haut , je verrois ſe raffembler plu-
" ſieurs fois dans la journée, pour lui adrefſer
leurs voeux & leurs prières , ces hom-
» mes du dernier fiècle , qu'il ſuffit d'entre-
ود
ود voir pour être ſaiſi de la plus profonde
>> vénération. Ceux- là , remuant à peine un
" corps mutilé , plus qu'à demi confumé ;
>> ceux- ci , couverts de cicatrices , écrâfes
ſous le poids d'un corps chancelant , &
ſe foutenant à peine , les yeux fermés à la
lumière ; tous uniquement occupés de la
>> grandeur de leur Dieu , oubliant leurs
ود
ود
20
40
MERCURE
> triomphes paſſes , achetés au prix du ſang
>> de leurs frères ; Héros autrefois profanes ,
>> prodigues de leur ſang pour la patrie ; &
maintenant Heros Chrétiens , regrettant
de n'en avoir plus à
ود
ود
ود
répandre par lacaufe
de Jésus- Chriſt. C'eſt ainſi que la Religion
conſacre le nouvel héroïſme qui les
>> distingue; c'eſt ainſi qu'au lieu de ces lau-
ود
ود
riers qui ſe fanent , on les voit ſe préparer
la couronne de l'immortalité , récom-
> penſe de l'homme juſte. Jeune homme,
ود lis tes devoirs écrits ſur le front de ces
» vieillards , & mets ſur ta bouche le doigt
>> reſpectueux du filence. Malheur à quiconque
oſe porter ſes pas dans cet aſyle
ſans en devenir meilleur .
وو
"
Le morceau ſur l'utilité des bénédictions
paternelles eſt touchant , naturel & bien
penſé. Nous ne ſavons de quelle mère l'Auteur
a voulu parler au ſujet de l'habitude
qu'elle a fait contracter à ſa fille de lui demander
tous les jours à ſon lever ſa bénédiction.
On ne peut faire mieux , & plus à
propos , l'éloge de la vertu & de la beauté.
Nous exhortons l'Auteur à continuer l'exécution
du plan qu'il s'eſt propoſé dans la
Collection des Moralistes Modernes ,& nous
ofons promettre d'avance à ſes travaux Littéraires
tout le ſuccès qu'il a droit d'en attendre.
DE FRANCE
41
:
ΑΝΝΟΝCES ET NOTICES.
MÉMOIRE ÉMOIRE fur les Acides natifs du VVeejus, de
l'Orang , du Citron , &c. par M. Dubuiffon , ancien
Maître Diftillateur .
Nous avons dit, dans le Mercure du 20 Novembre
1779 , que l'Art du Distillateur , par M. Dubuiſſon,
étoit le meilleur Ouvrage qui ait paru dans
ce genre; celui que rous annorçons en eſt une
fuite d'autant plus intéreſfante , que l'Auteur y rend
compte de ſes expériences fur les ſucs acides les plus
néceſſaires , tant dans la pratique de la Médecine que
dans les uſages économiques. Il a trouvé l'art de purifier
ces fucs de maniere à les conſerver pluſieurs
années avec leur faveur naturelle , & à pouvoir
ſupporter les voyages de lorg cours , où ces acides
deviendront alors d'une reſſource précieuſe ; réduits
d'ailleurs à un moindre volume , ils ſeront d'un tranfport
plus facile pour les Voyageurs , & moins coûteux
pour les Provinces éloignées. Nous n'irfifterons
point fur l'utilité de cette découverte ; l'Auteur
l'a foumiſe au jugement de la Faculté&de la Société
Royale de Médecine , qui ont prononcé que les fucs
préparés ainſi feront très wiles, tant en ſanté que
dans le traisement des maladies.
Ce Mémoire ſe diftribue gratis chez l'Auteur ,
boulevard du Mont- Parraffe , à ceux qui ont acquis
& qui repréſenteront l'Art du Distillateur , & aux
adreſſes qui feront indiquées pour les exemplaires
qui ont paflé en Province , en affranchiſſant les
lettres .
ESTAMPE repréſentant Latone vengée , d'après
le Tableau original de Philippe Laury , commencée
42 MERCURE
par Balechou , & confiée aux foins de M. Beauvarlet
pour être achevée. Propoſée par ſouſcription .
Nous invitons à lire leProſpectus fort bien fait
de cette Eſtampe , qui doit intéreſſer tous les Amateurs
de la Gravure. La Mythologie , pour nous
ſervir des expreſſions de l'Auteur de ce Proſpectus ,
fi riche en fictions , fi libérale envers les Arts , n'avoit
jamais exercé ſon burin ; il trouva dans le
cabinet de M. le Comte de Forbin un Tableau de
Philippe Lauri , repréſentant Latone vengée , & il le
choifit pour fervir de pendant aux Baigneuſes qu'il
venoit de publier ; il en étoit occupé lorſqu'il mourut
en 1765. La Planche , alors fort avancée , vient
d'être confiée à M. Beauvarlet pour être terminée
fous fa direction. Les Ouvrages connus de cet Artiſte
l'ont déſigné aux Propriétaires de cette Planche,
comme un de ceux qui pouvoient le mieux faifir
l'eſprit de l'Auteur original. Cette Eſtampe, qu'on
propoſe au Public par ſouſcription , aura 26 pouces
6 lignes de large , fur 18 pouces de hauteur , &
ſera livrée dans le mois de Janvier 1785. On payeta
6 livres en ſouſcrivant , & 6 livres en recevant l'Eftampe.
On n'en tirera qu'un petit nombre d'Exem .
plaires au - delà de celui de la ſouſcription , & ceux
qui n'auront pas ſouſcrit les payeront 18 liv. Cette
ſouſcription ſera ouverte juſqu'au premier Septembre
chez Chereau fils , Graveur, rue des Mathurins,
au coin de la rue de Sorbonne ; Dulac , Marchand
d'Estampes , rue Saint Honoré , près de l'Oratoire
; Iſabey , Marchand d'Eſtampes , rue de
Gêvres ; Couturier , Libraire , quai des Auguſtins ,
& chez tous les Marchands d'Estampes des Provinces.
On pourra voir dès à préſent chez les Perſonnes
indiquées une épreuve de l'Eſtampe telle que
Balechou l'a laiffée. On jugera par-là de ce que
l'Artiſte qui la finit a encore à y travailler pour la
rendre digne de l'un & de l'autre. Ceux qui vouDE
FRANCE. 43
dront avoir des épreuves avant la lettre , ſe feront
infcrire chez les Marchands déſignés , & payeront
le doublede la ſouſcription ordinaire. Les Perſonnes
qui feront des demandes ſont priées d'affranchir les
lettres.
PORTRAIT de M. le Bailli de Suffren, d.Finé
d'après nature par Fontaine , Peintre en miniature ,
& gravé par Goulet. A Paris , chez Fontaine , rue de
la Vieille Draperie , près S. Pierre des Arcis , maifon
de l'Épicier. Prix , I liv. 4 fols.
Il eſt doux de voir les Arts concourir au triomphe
des Bienfaiteurs de la Patrie .
FANNY , Comédie en un Aite & en profe , repréſentée
pour la première fois , à Paris , fur le Théâtre
de l'Ambigu-Comique, le 15 Décembre 1783. t'rix ,
I liv. 4 fols. A Paris , chez Cailleau , Imprimeur-
Libraire , rue Galande.
Un homme qui , dans un naufrage a été recueilli
&ſauvé par une jeune Indienne , dont il a été aimé ,
& qui l'a rendu père ; un homme qui enſuite vend
pour de l'argent , comme un vil bérail , ſa Libéra .
trice , celle à qui il doit la vie ; c'eſt un ſujet trèsdifficile
, preſque impoſſible à mettre au Théâtre .
Peut être l'Auteur de cette Comédie auroit - il dû
placer Jacſon dans l'alternative au moins de ne pouvoir
retourner dans ſa Patrie qu'il aime , faute d'argent,
ou de vendre ſa maîtreffe. Mais un Capitaine
de Vaiſſeau s'offre à le ramener pour rien dans fon
pays ; cette circonstance le laiſſe ſans excuſe.
On trouve à la même adreſſe , l'Angloise Déguisée
, Comédie en un Acte & en profe , par M.
Regnier de la B** , repréſentée pour la première
fois , à Paris , far le Théâtre des Variétés Amufantes
, le 19 Juillet 1783 .
44
MERCURE
ESSAT fur la Topographie d'Olivet , publié par
la Société Koyale de Phyſique , d'Histoire Naturele
& des Arts d'Orléans. A Orléans , chez Couret
de Villeneuve , Imprimeur du Roi , rue Vieille Poterie
; & à Paris , rue &hôtel Serpente.
Cet Ouvrage eſt detiné à ſervir de modèle aux
travaux de ce genre , que la Compagnie demande
à ſes Correspondans ſur les différens Cantons de la
Province de l'Orléanois .
SAINTE BIBLE , traduite en François. Nouve'le
Édition. Tome ſeptième. A Niſmes , chez
Pierre Beaume , Imprimeur- Libraire ; & ſe trouve à
Paris , chez Guillaume De prez , Imprimeur ordinaire
du Roi & du Clergé de France , rue S. Jacques .
La rapidité des Livraiſons de ce grand Ouvrage ,
fait eſpérer qu'il ſera bientôt achevé.
PORTRAIT d'A. Court de Gebelin , Auteur du
Monde Primitif, de diverfes Académies , Préficient
duMusée de Paris , Cenfeur Royal, &c. deſſiné par
A Pujos , gravé par F Huot. A Paris , chez M de
Launay , Graveur du Roi , rue de la Bucherie ,
N°. 26 .
Ce Portrait nous a paru aufſi bien gravé que refſemblant.
TABLEAU Hiftorique de la Noblefſſe Militaire ,
contenant les noms , furnoins & qualités , enſemble
la date de tous les grades , actions , fièges , campagnes
, bleſſures de MM. les Orficiers au Service de
Sa Majefté , & retirés ou employés à la ſuite des
Corps , & dans les différens Etats Majors des villes ,
tant au- dedans qu'au dehors du Royaume , &c. Ouvrage
enrichi d'un Recueil d'Ordonnances Militaires
, pour lequel la Souſcription ſe paye d'avance
DE FRANCE.
45
à raiſon de 6 liv. le vol. br. & 7 liv. franc de port
dans tout le Royaume ; par M. de Combles , Officier
d'Infanterie. A Paris , hôtel S. Pierre , rue des
Cordiers , près la place Sorbonne.
Nous avons tranfcrit le titre entier de cet Ouvrage
pour en faire connoître le plan & l'utilité.
NOUVELLE Carte d'Allemagne , en reuffeuilles ,
grand aigle , par M. Chauchart , Capitaire d'Infanterie
, & Ingénieur Géographe Milta re de Mgr. le
Comte d'Artois. Prix , 4liv. la feuille. A Paris , chez
Dezauche , Géographe , rue des Noyers , & chez le
Suiffe de l'hôtel de Noailles , rue S. Honoré.
Il manquoit à l'étude de la Politique & des Guerres
de l'Allemagne une Carte détaillée de cot Empire.
Il en paroît trois Feures actuellement. Les trois
Feuilles Méridionales paroîtront dans les trois pre-
* miers mois de 1785 , & les dernières vers Septembre
de la même année On publie en même temps une
Carte Générale de cet Empire en une Feu lle.
HERBIER de la France , Numéros 41 , 42 &
43. A Paris , chez l'Auteur , rue des Poftes.
Cet Ouvrage a toujours le même ſuccès , & il le
mérite par l'exactitude & la beauté de l'exécution.
DROIT Public d'Allemagne , contenant la forme
de ſon Gouvernement , les différentes Loix , &c. par
M Jacquet , Licentié ès Loix . 6 Volumes in - 88 .
petit formar. Prix , to liv en Feuilles . A Strasbourg ,
& ſe trouve à Paris , chez G. Deſprez , Imprim ur
du Roi & du Clergé de France , rue Saint Jacques ,
près la rue des Noyers .
Cet Ouvrage peut être fur-tout utile à ceux qui
ſuivent la carrière des négociations publiques dans
les Cours d'Allemagne.
46 MERCURE
LA Dame JOSSE, Marchande de Rougede la Cour,
vient de tranſporter ſon Magaſin à Paris , de la rue
du Mail dans la rue Coquillière, au premier étage audeſſus
de l'entreſol , dans une maiſon qui fait face
au Roulage de France , entre une Marchande de
Modes & un Ferblantier. Elle est parvenue à rendre
le Rouge Végétal & le Blanc qu'elle compoſe
aufli beaux & auſſi agréables à l'oeil que les couleurs
naturelles; au moyen d'un corps gras légèrement
aromatiſé, ce Rouge , quoique plus fin , n'eſt pas
fujetà tomber comme les autres ; il a même l'avanrage
de nourrir & conſerver la peau, ainſi qu'il eft
conftaté par l'Approbation de la Société Royale de
Médecine.
Il y a des pots de Rouge à 6 livres , 9 livres ,
12 livres & 24 livres ; celui du Blanc eſt de 4 livres
le pot. Malgréles différens prix , le Rouge eſt toujours
de même nature , ainſi que les nuances ; mais la
fineſſe diffère à raiſon du prix , & les pots ſont plus
ou moins riches , c'est-à-dire , que ceux de 24 liv.
font de porcelaine de Sève dorés & peints en miniature
; ceux de 12 liv. en porcelaine dorés ſeulement
fur les bords ; ceux de 9 livres en porcelaine ſans
dorure , & ceux de 6 liv. en belle fayence.
Quant aux degrés des nuances , le plus tendre eſt
du numéro premier , ce qui va en augmentant jufqu'au
numéro 12 , qui eſt le plus vif , & dont on ſe
fert au Théâtre.
On prie les Dames qui demeurent en Province de
remettre à la poſte le prix du Rouge qu'elles defireront
, &d'affranchir le port de leurs lettres.
PARTITION du Droit du Seigneur , Comédie en
trois Actes , dédiée à Mme la Ducheſſe de Fronſac ,
miſe en muſique par M. Martini , Amateur , repréſentée
à Fontainebleau le 17 Octobre , & à Faris
le 29 Décembre 1783. Prix , 24 liv. A Paris , chez
,
DE FRANCE.
47
Brunet , Libraire , place du Théâtre Italien , & chez
le Portier de M. le Normant d'Étioles rue du
Sentier , N ° . 34 .
Les parties ſéparées de cet Opéra , prix , 12 liv.;
&les Airs détachés , arrangés pour la Harpe ou le
Forté l'iano , par l'Auteur même. Prix , 7 liv. 4 fols .
Se vendent aux mêmes Adreſſes .
Le premier Acte du Droit du Seigneur contient les
préparatifs de la noce de Julien & de Babet; la
Scene eft remplie de perſonnages , & les Auteurs ont
eu le bon eſprit de n'y pas mettre de morceaux ſeuls
qui auroient laiſſé les Interlocuteurs dans l'inaction .
Ce font donc tous morceaux d'enſemble fort bien
faits , remplis de chant & d'expreſſion , & qui font
très-bien en Scène. On en peut cependant détacher
pluſieurs couplets agréables , entre-autres une ronde
d'un caractère fort original. Le ſecond offre un Air
d'effet chanté par le Comte ( haute- contre ) & un
morceau charmant: Dans la prairie & ſous l'ormeau.
Cet air , déjà connu avantageuſement dans les Sociétés
, avoit été fait fur d'autres paroles que la
muſique exprimoit très-bien. Il eſt ici en trio , &
dans une ſituation différente; mais l'Auteur , dans
fon Recueil d'airs détachés , a rétabli les anciennes
paroles , qui nous ſemblent y convenir beaucoup
mieux. Cet Acte contient encore de fort beaux
morceaux d'enſemble , particulièrement le final qui
doit faire grand plaiſir , même dans les Concerts où
on pourra l'exécuter. Le troiſième Acte commence
par un duo fort plaiſant pour les paroles , & rendu
par le Muſicien avec beaucoup d'eſprit. Le Vaudeville
&d'autres petits airs font auſſi très- agréables .
En général cette muſique , qui a contribué au ſuccès
del'Ouvrage , fait beaucoupd'honneur à M. Martini.
Il a lui-même arrangé ſes petits aits pour la Harpe
ou le Forté-piano. Il ſeroit à ſouhaiter que tous les
Compoſiteurs ſe donnaſſent cette peine, & délivraf
48 MERCURE
fent le Public des productions fautives de ces malheureux
arrangeurs , qui ne vivent qu'en défigurant
le talent des autres .
SIX Duos à deux Violons & un Violoncelle ,
dans lesqueis l'Auteur a inféré des meilleurs morceaux
des Opéras- Comiques les plus nouveaux , &
traités avec le plus grand foin , pour la facilité &
l'agrement des Amateurs , & avec lesquels ils pourron
se faire entendre & paroitre des Virtuoses , par
M. Hullot ,de la Comédie Italienne , Profeffeur de
Violoncelle , & Maître de Muſique Vocale OEuvre
troifième. Prix 7 tiv. 4 fois. A Paris, chez l'Auteur
, rue de Bourbon- Villeneuve , chez M. Poiré ,
Tapiflier.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Musique & des Estampes , le Journal de la Libraiviefur
la Couverture .
TABLE.
EPITREàM.***
Charade, Enigme & Logo
gryphe,
3 morceaux de Poésies Italien
es , 28
34
7 Abrégé Latin de Philofophie ,
Recueil de quelques Cuvrages
de M. Watelet , de l'Aca- Collection des Moraliftcs Modémie
Fran oife , 9 dernes ,
Recueil complet des plus beaux Annonces & Notices ,
35
41
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI In par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedis Juin . Je n'y
ai rien trouvé cui puiſſe en empêcher Fimpreſſion. A
Paris , le 4 Juin 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 8 Mai.
Ns'occupe dans cet Arſenal de l'exécu-
Οtion de l'ordre du Roi pour équiper l'efcadre
de 6 vaiſſeaux de ligne &de 8 frégates,
qui doivent être mis en état de partir au
premier ordre ; on enrole des matelots dans
toutes les Provinces de ce Royaume ; & de
pareilles levées ſe font dans la Norwege.
Les Officiers de cette eſcadre ſont déja nommés;
elle ſera ſous les ordres de l'Amiral de
Fontenay. Lorſqu'elle fera prête , on équippera
4autres vaiſſeaux de ligne , & un cutter
qui refteront armés en rade.
Le Régiment du Corps fait ſes diſpoſitions
pour ſe rendre à Helſingor , où il a
reçu ordre de ſe porter.
Le ſenaut la Fama, Capitaine Brig , eſt en
rade: il eſt deſtiné à ſervir de vaiſſeau de
garde dans le Belt.
No. 23 , 5 Juin 1784. a
( 2.)
Les Ordonnances contre les émigrations
ont été renouvellées dernierement , & les
peines ont été aggravées .
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 20 Avril.
La Religion Catholique Romaine n'a
point eu d'exercice public dans ce Royaume,
depuis le regne de Gustave Waza , c'eſta-
dire , depuis plus de 250 ans ; ceux qui la
profeffent , n'avoient d'autres Egliſes que les
Chapelles des Miniftres des Cours Catholiques.
En 1779 les Etats du Royaume accorderent
une entiere liberté de conſcience :
& en 1781 le Roi accorda aux Catholiques
Ie libre exercice de leur Religion .
Le Pape ayant été informé de cet événement
envoya en Suède M. Paſchal Oſter , Docteur
en Théologie , du diocèſe de Metz , en qualité
de Vicaire Apoftolique , pour régler les affaires
desCatholiques de ce Royaume. Arrivé dans cette
Capitale au mois de Juillet de l'année derniere ,
préſenté au Roi auquel il remit une lettre du
Souverain Pontife , il en obtint des lettres patentesqui
l'autoriſoientàremplir les fonctions dont
il étoit chargé. A une aſſemblée des Catholiques
de cette Capitale qu'il convoqua le 8 Février
dernier l'on a nommé pour l'aider dans ſes travaux
quatre Sur - Intendants qui ſont MM. le
Fevre,Gouverneur des Pages des Princes , freres
du Roi , Capitaine au ſervice de France , Uttini ,
Sur- Intendant de la Muſique du Roi , Schurer &
Heffe , Négocians. En attendant que l'Egliſe
( 3 )
que le Roi leur a permis de bâtir ſoit conftruite
, S. M. leur a bien voulu céder une grande
ſalle de la maiſon de Ville. L'inauguration de
cette chapelle s'eſt faite le jour de Pâque par
le Vicaire Apoftolique , ſecondé par MM. Dahmin
& d'Ibarraram , Ecléſiaſtiques attachés à la
légation de Vi nne & à celle d'Eſpagne , les ſeuls
Pretres catholiques qu'il y ait ici . La meſſe qui y
a été célébrée pour la premiere fois , a été
chantée par la muſique du Roi , ainſi que le Te
Deum qui l'a été après les vêpres. Le Duc de
Sudermanie , frere du Roi , a aſſiſté à cette ſolemnité
, ainſi qu'un grand nombre de perſonnes
de diſtinction ; & la Comteſſe de Wrede , Dame
d'honneur de la Reine , a diſtribué le pain béni.
M. Ofter prononça à cette occaſion un
diſcours , dans lequel il expliqua d'une maniere
très ſuccincte , toutes les prieres, les
cérémonies & les rits adoptés pour le Service
divin des Catholiques; il ſaiſit cette occafion
de rappeller les vues bienfaiſantesdu
feu Roi , auxquelles ondoitdans le principe
ceteſpritde tolérance, qui depuis eſt devenu
général en Suede.
>>>La réſolution des Etats en 1779 , ajouta
M. Oſter , eſt une preuve non équivoque de ſes
progrès. J'ai eu moi-même plus d'une fo's occaſion
de m'en convaincre. Je me fais un devoir
de rendre un hommage public aux diſpoſitions
qui caractériſent ſi bien les lumieres & les vertus
ſociales de cette Nation - Nos neveux béniront
dans le nouveau temple les cendres de
ceux qui ont contribué à leur procurer le bienfait
de ce rétabliſſement ; l'hiſtoire tranſmettra
leurs noms à la Poſtérité ; elle ne les prononcera
22
( 4 )
qu'avec attendriſſement ; elle aimera autant que
nous les qualités bienfaiſantes de Guſtave III ,
qui n'eſt pas moins chéri de l'étranger que du
Suédois ; il ravira les ſuffrages de nos deſcendans
comme il ravit les ſentimens & les coeurs de ſes
contemporains; ils n'entendront jamais fon nom
ſans verſer des larmes que la joie & la gratitude
feront couler.... La conduite du digne Chef,
qui dirige la barque de J. C. avec autant de
ſageſſe que de piété , qui eſt occupé à conferver
les dogmes dans leur pureté originelle , à
maintenir les pieuſes ſolemnités du culte &
l'exactitude de la diſcipline , à procurer par là
la ſanctification des ames , nous avertit bien hautement
qu'il faut rendre à Céſar ce qui appartient
à Céſar ».
:
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 18 Mai.
L'opinion générale ici , eſt que l'Empereur
fera rétablir le port d'Anvers , & aſſurera
àſes ſujets la libre navigationde l'Eſcaut;
l'exécution de ce plan ſemble être le butde
tout ce qui s'eſt paſſé, &de ce qui ſe paſſe
encore dans la Flandre Autrichienne.
S. M. I. , par un Réglement qui vient de
paroître , a aſſujetti les ſucceſſions ouvertes
àdes parens collatéraux dans leTyrol, à un
droitde to pour cent , payable au Fifc. Ce
Réglement , dit-on , aura auſſi lieu dans
l'Autriche. 1
Les droits d'entrée impoſés ci devant fur
:
( 5)
la farine & les boeufs de Hongrie , viennent
d'être retirés .
و
La Commiſſion , chargée de la cenfure
des livres pour remédier à l'abus que
l'on n'a pas manqué de faire de la liberté
de la preſſe , vient d'arrêter que les Auteurs
, ou les libraires , en remettant à la
Commiſſion les Manufcrits qu'ils ſe propoſent
de faire imprimer, dépoſeront en même
temps 6 ducats. Si le Manufcrit enſuite n'eſt
point approuvé , cette fomme ſera perdue
pour eux , & confiſquée au profit des pauvres.
Les émigrations qui ſe font de différentes
parties de l'Empire , au profit des EtatsAutrichiens
, où ſe rendent preſque tous les infortunés
, que la miſere force de s'expatrier ,
ontbeaucoup augmenté depuis les dernieres
inondations qui ont cauſé par-tout tant de
dégats. On voit arriver preſque journellement
ici des familles qu'on partage en trois
diviſions , qu'on envoye les unes en Hongrie
, les autres dans la Bohême , & pluſieurs
dans la Pologne Autrichienne ; l'Empereur
fait donner à chacun de ces émigrans 2 florins
par jour ; & ils trouvent quand ils font
rendus au lieu de leur deſtination , des maiſons
, des terres , des matieres , & des inftrumens
de labourage.
Il circule ici un Etat imprimé de la population
de cette Capitale ; il differe de quelques
autres qui ont déja paru ; celui- ci a été
a 3
( 6 )
,
fait à la fin du mois de Février; en voici le
réſultat. 5378 maisons , 45928 familles
compoſant 254181 individus , au nombre
deſquels on compte 2139 Eccléſiaſtiques ,
12530 Militaires avec leurs familles , &
30550 Etrangers , Grecs-unis & Juifs .
1
DE HAMBOURG , le 18 Mai.
La plupart de nos papiers continuent à
préſenter des apparences de troubles & de
diviſions. Selon eux, les derniers arrangemens
pris avec les Turcs , n'écartent pas encore
les ſujets d'inquiétude ; toutes les Puiſſances
intéreſſées ne font pas également fatisfaites :
ils obfervent , que l'armée Autrichienne ,
affemblée ſur les frontieres , n'eſt pas encore
ſéparée , & qu'il n'y a que quelques Régimens
qui aient été renvoiés dans leurs quartiers
de cantonnement. D'un autre côté on
prétend que la Porte n'eſt pas fans défiance,
&on ſcait qu'elle continue ſes préparatifs
deguerre.
C'eſt à une influence particuliere , lit- on dans
une lettre de Berlin , qu'en attribue la lenteur
des négociations avec les députés de Dantzick :
oneſpere peut- être par là d'occuper le Roi de
cette affaire , & de détourner ſon attention de
quantité d'autres qu'on craint qu'il ne ſurveille
de trop près ; on ne croit pas que ce plan ,
s'il a été formé , ait quelque ſuccès. Quoique
tout ſoit tranquille en apparence , il y a des
mouvemens dans les cabiners , & certainement le
Roi ne perd pas de vue les grandes affaires qui
( 1 )
s'y traitent relativement à toute l'Europe en gé
néral , & à l'Allemagne en particulier.
Les lettres de Conſtantinople n'offrent
que les détails ſuivans à la curiofité.
Le Confulde Ruſſie qui réſide à Buccharest ,
une de principales Villes de la Wallachie , a
porté des plaintes au Grand Seigneur contre
Hoſpodar , qu'il accuſe de vexer les peuples
qu'il gouverne par des extorfions . S. H. a trouvé
fingulier qu'un étranger prit la défenſe de ſes
propres ſujets , & ſe mélât des affaires intérieures
duGouvernement d'une province Ottomane ;
elle avoit quelque répugnance à faire attention
à ſes repréſentations. Cependant les
circonstances exigeoient des ménagemens : il a
été tenu une aſſemblée du Divan ſur ce ſujet.
On ignore les détails de ce qui s'y eſt paſſé ;
mais on en ſait le réſultat : il a été envoyé à
I'Hoſpodar défenſe de paſſer les limites dans
la perception des droits. Cependant les politiques
ottomans voient avec inquiétude une pareille
démarche de la part d'un Conſul Ruffe :
elle leur fait craindre de la part de cette Puif
ſance des vues ſur la Wallachie , & que la protection
accordée à ſes habitans ne tendent àpréparer
les eſprits à quelque révolution ſemblable
celle qui vient de ſe paſſer dans la Crimée &dans
leCuban. -On parle de mouvemens qui ſe
font du côté des frontieres d'Arménie par le
Prince Héraclius : c'eſt après des nouvelles reçues
de ce côté , que l'on a expédié les ordres
pour faire fortifier les deux villes arméniennes
de Kars & d'Akatiſique , qu'il en a été envoyé
d'autres au Bacha d'Erzerum de raſſembler des
troupes , de les employer à leur défenſe. Ces
mouvemens du côtéde l'Afie ont rallenti les arme
a 4
( $ )
mens maritimes , & donné lieuà des recrues en
Europe pour les faire paſſer en Afie. -- Legrand
Vifir , toujous occupé de ce qui intéreſſe lebien
de l'Empire , s'occupe des moyens de mettre en
état de défenſe les provinces européennes. La
fortereffe d'Oczacow doit être ceinte de nouvelles
fortifications , & avoir toujours une garniſon
plus nombreufe que ci-devant. On doit faire les
mêmes travaux à toutes les autres places frontieres.
Les forts qu'ona commencés à l'embouchure
du canal dans la mer Noire ſont déja
bien avancés ; lorſqu'ils feront finis , ils défendront
l'entrée de ce canal , où il ne ſera plus
poſſible à aucun vaiſſeau , en tems de guerre , de
paſſer ſans permiffion .
On a parlé précédemment de la révolution
dans l'adminiſtration Danoiſe ; une lettre
de Copenhague qui paroît dans tous les
Papiers publics , en préſente ainſi les détails.
Les circonstances relatives à la révolution nagueres
arrivée dans cette Cour ſe développent
de plus en plus. L'on croit même que les ſuites,
de cet événement important ne feront gueres
moins intéreſſantes que celles de la révolution
de 1772 : c'eſt le Prince-Royal ſeul qui l'a ter
miné . Touché de la ſituation où se trouvoit le
Roi , irrité de la contrainte où lui-même étoit
afſujetti par la Reine Douairiere & ſon fils , il
forma la réſolution debriſer ſes propres entraves
&celles de ſon illuſtre Pere , qui , à cet effet ,
adopta S. A. R. pour Co-Régent. Cejeune Prince
pritdes meſures ſi juſtes , garda ſi bien le ſecret,
que perſonne n'en ſoupçonna rien , qu'au moment
où il exécuta heureuſement le plan qu'il
avoit conçu. Le 14 du mois paſſé vers le
foir, le Conſeil d'Etat étant , comme à l'ordi
(و )
naire , aſſemblé chez S. M. le Prince Royal en
ouvrit la féance par cette Déclaration : Que la
mauvaiſe ſanté du Roi empêchant ſouvent S. M.
dedévelopper toute ſon activité: S. A. R. , en
ſa qualité d'héritier , croyoit être le premier
qui dût affiſter le Roi , ſon Pere , dans le gouvernement
de ſes Etats. Il produifit enfuite un
écrit , & le préſenta au Roi pour le ſigner :
S. M. déclare dans cet écrit , le Prince Royal
pour Co - Régent , avec cette clauſe exprefle :
Que tous les Ordres du Cabinet , pour étre
valables , ſeroient à l'avenir auſſi ſignés par
S. A. R. Le Prince Frederic, frere uterin de S.M.,
ſe donna , il est vrai, bien des mouvemens pour
engager le Roi à ne pas ratifier cet écrit. Mais
fur les inſtances preſſantes du Prince Royal ,
S. M. le figna & le rendit à S. A. R. , qui , après
s'être profondement incliné , baifa la main de
fon Auguſte Pere , & retourna à ſa place. Ce
Prince donna fur-le- champ une preuve du pouvoir
ſuprême que le Roi venoit de lui conférer ,
enremerciant tout le Conſeil d'Etat-Privé , à
l'exception de deux Membres , le Comte Thost
&M. Schack Rathlovv . - On enviſage en général
cette révolution importante comme l'avantcoureur
d'événemens beaucoup plus confidérables
encore ,& prêts à éclore. Le Prince promet
infinimentpar ſon élévation d'eſprit , ſa conduite
prudente,& en particulier par une connoiſſance
peu commune des hommes , & il vient d'en
donner une preuve non équivoque dans le choix
des Miniſtres d'Etat & des Conſeillers qu'il a
nommés. Tous font avantageuſement connus par
leur patriotiſme , par leurs qualités excellentes ;
& c'étoit , avec regret , que le Public éclairé
les avoit vu diſgraciés par l'adminiſtration précédente
, & éloignés de la Cour. On ob
as
( 10 )
ferve avec beaucoup de fatisfaction , chaque fois
que le Prince Royal paroît en public , que les
habitans l'entourent de tous côtés , fontdes voeux
finceres pour ſa conſervation , & le comblent de
bénédictions .
On a préſenté des tableaux de la population
de divers Etats de l'Empire ; un papier
public offre les détails ſuivans ſur celle d'une
partie des Etats de l'Electeur Palatin , Duc
deBaviere.
#Il porte la population des Duchés de Juliers
&de Berg , & du Comté de Ravenſtein , à
400,000 ames , celle du Palatinat Electoral à
300,000 , du Duché de Neubourg à 100,000 , &
du Duché de Baviere à 879,898 . Dans ce total
qui est de 1,679,898 , on ne comprend pas la population
du haut Palatinat , du Landgraviat de
Leuchtenberg , du Duché de Sulzbach , de la
Seigneurie de Mindelheim , du Margraviat de
Bergopzoom , des Seigneuries & Comtés dans
les cercles de Baviere , de Franconie & de Souabe,
& du grand Bailliage d'Uneſtadt qui eſt
encore confidérable. Mais les liſtes qu'on en a
données juſqu'à préſent ſont peu exactes . Les
revenus de l'Electeur pour les Duchés de Juliers
& de Berg , & le Comté de Ravenſtein ,
montentàdeux millions & demi de florins ; ceux
du Palatinat, du Duché de Sulzbach & de Neubourg
, a deux millions , & ceux de la Baviere à
cing , ce qui fait en tout neuf millions &deri
*de florins , qui font plus de vingt millions &
demi de livres tournois. Le même papier aſſure
que les dettes dela Baviere ſeront toutes payées.
àla fin de 1791 , en conféquence des arrangemens
pris pour leur extinction.
٤٠
-
( 1 )
ITALIE.
DE FLORENCE , le 30 Avril.
Le nouveau Cimetiere conſtruit hors de
cette ville eſt terminé ; le 27 il a été béni par
l'Archevêque de cette ville , & c'eſt demain
qu'on commencera à en faire uſage; le Réglement
publié à cette occafion par le
Grand-Duc , contient les diſpoſitions fuivantes
.
Acompter du 1 Mai prochain on ne fera plus
aucune inhumation dans Florence ; on n'excepte
aucun habitant , quelque ſoit ſon rang , fi ce
n'eſtiles Religieuſes qui continueront d'être enterrées
dans les ſépultures qu'elles ont dans l'enceinte
de leurs cloitres. Toutes celles qui exiſtent
dans les Egliſes tant dans la ville que dehors
feront fermées. Les cadavres ſeront tranſportés
par les compagnies qui en ont pris l'engagement
dans le dépôt de Sainte- Catherine chaque
ſoir , &dela on les portera avant le jour au cimetiere
; ceux de l'Hôpital de Sainte-Marie-neuve
ne paſſeront point au dépôt & feront portésdi
rectement au cimetiere. Lorſque lajuſtice ordinaire
ou les parens défireront l'ouverture
d'un cadavre , elle ne ſera faite que dans ledit
hôpital où il ſera tranſporté pour être porté enſuite
directement, dela au cimetiere. Toutes les cérémonies
religieuſes des funérailles ſe feront au
dépôt ; un chapelain avant leur départ pour
le cimetiere les bénira , & perſonne ne les accompagnera.
Comme l'heure du tranſport des
cadavres au dépôt eſt fixée , on ne pourra pas
a 6
( 12 )
ſuivre ftrictement la regle qui preſcrit de les garder
pendant 24 heures dans les maiſons ; on
comprendra dans le nombre de 24 celles qu'ils
paſſeront dans le dépôt. Lorſque la corruption du
corps ſera prompte & ne permettra pas d'attendre
l'heure réglée pour le porter au dépôt , on aura
recours au commiffaire du quartier qui après
avoir vérifié la néceſſité de procéder ſur le
champ à l'enterrement le fera tranſporter au
dépôt & porter ſur le champ au cimetiere le plus
voiſin , mais hors de la ville , avec l'attention
de faire faire ce tranſport dans le temappss où il
y aura le moins de concours dans les rues. Le
Préſident du bas gouvernement , les Commiffaires
de quartier veilleront à l'obſervation de ce
réglement. Lestranfgreffions feront punies parune
amende de so écus , applicable , moitié au délateur
, moitié à l'hôpital , & à de plus grandes
peines s'il y écheoit.
Les lettres de Milan contiennent les détails
ſuivans.
On continue de ſupprimer ici différens couvens
, & les Religieuſes paſſent du centre de la
villedans les fauxbourgs pour y occuper les maifons
de celles qui, conformément aux ordres du
Gouvernement , ont été obligées de les abandonner.
-Le Comte de Colloredo qui vient
d'être nommé à la place de Préſident de la Cham.
bre des Comptes de Mantoue, eſt arrivé ici pour
prêter ferment en cette qualiré. On avoit dit
que le Mantouan devoit être réuni au Milanois.
Cette nomination donne lieu de croire qu'un
pareil bruit eſt deſtitué de tout fondement.
ESPAGNE.
DE MADRID , le 1 Mai.
Le Confeil de guerre , chargé d'examiner
( 13 )
les plaintes & les charges portées contreD.
Joſeph Solano , Lieutenant-Général des Armées
navales , n'a prononcé que depuis peu ,
& a déclaré que la conduite de ce Général
étoit irréprochable : il lui a été écrit en conſéquence
que ſes arrêts étoient levés , & qu'il
pouvoit paroître à la Cour.
Les préparatifs de l'expédition contreAlger
ſe continuent avec beaucoup d'activité
à Carthagene , D. Antonio Barcelo preſſe
lui-même à Majorque ceux que l'on fait auffi
dans cette ifle.
Cet Officier Général , lit - on dans quelques
lettres , y a éprouvé des contrariétés.
Ayant demandé au Commandant de
Majorque divers matériaux néceſſaires à la
conſtruction des bâtimens de guerre qu'il
fait bâtir ſous ſes yeux , pour ſervir à l'expédition
dont il eſt chargé , ils lui ont été d'abord
refuſés , quoiqu'il eut des ordres précis
du Roi qu'il avoit communiqués à ce
Commandant, & en vertu deſquels tout ce
qu'il demanderoit , devoit lui être fourni.
D. Antonio Barcelo , mécontent des motifs
fur leſquels on fondoit ce refus , en a porté
des plaintes à la Cour , qui a renouvelé ſes
ordres à cet effet,& ils ont été exécutés.
La Caiſſe des penſions des ex-Jéfuires
s'affoibliſſant de jour en jour par ſes charges,
leGouvernement s'occupe des moyens
de diminuer la fortie des eſpeces de laMonarchie
; le bruit s'étoit répandu en confé
( 14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Commiſſaires
Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiſſe , mais depuis quelque
temps on n'en parle plus.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin: nous faiſirons celle- ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occaſion de donner , & qui peu-
-vent piquer la curioſité de nos lecteurs .
* Dans ces occaſions , ily a des Officiers nommés
pour faire la vifite des voûtes inférieures du
Palais de Westminster , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir ſi tout eſt en ordre, s'il n'y a
point de poudre à canon , ni de matieres combuſtibles
qui y foient cachées. Cet uſage qui rappelle
la fameuſe conſpiration des poudres , eft
toujours ſuivi , & on s'y eſt conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi ſe ſoit rendu auParlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leur Orateur , pour le préſenter le lendemain à
S. M. Cette élection , comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro(
15 )
1
poſade l'élirede nouveau. Sir GeorgeHoward
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune objection.
M. Fox qui ſe leva pour témoigner la
fatisfaction qu'il avoit de donner ſa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la ſeſſion qui alloit s'ouvrir ,
ſaiſit cette occafion de jeter un coup d'oeil ſur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceſſité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puiſque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'étoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
ſur ce qui s'étoit paſſé à Westminster , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , ſur la vérification du
ſcrutin arrêtée par le grand Bailli. M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obſervant
que tout ceci étoit étrangerau choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intéreſſoit que
lui , auroit ſon tour quand celle des élections ſeroit
portée à la Chambre. M. Fox ne reſta
pas ſans replique : il obſerva que ce qu'il diſoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit. Suppoſons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on ſe
fut conduit comme le Bailli de Westminster ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye (c'eſt le lieu que repréſenteM.
Cornwal ) n'eut point été fait , la chambre qui a
tant de raiſons de deſirer de nommer ce digne
membre pour ſon Orateur , le pourroit-elle ?
M. Pitt parla à ſon tour , tout ſe paſſad'une mamiere
paiſible , & M. Cornwall fut élu.
-
Le 19 le Roi ſe rendit à la Chambre haute
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
ſe préſenta à la barre , & adreſſa un difcours
( 14 )
quence qu'on rappelleroit d'Italie les Commiſſaires
Royaux , dont les émolumens font
à la charge de cette Caiſſe, mais depuis quelque
temps on n'en parle plus .
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 25 Mai.
L'ouverture d'un nouveau Parlement eſt
une circonftance qui ne s'offre que de loin
à loin : nous ſaiſirons celle-ci , pour entrer
dans quelques détails que nous n'avons pas
encore eu l'occaſion de donner , & qui peuvent
piquer la curioſité de nos lecteurs.
* Dans ces occafions , il y a des Officiers nommés
pour faire la viſite des voûtes inférieures du
Palais de Weſtminster , où s'aſſemble le Parlement
, pour voir ſi tout eſt en ordre , s'il n'y a
pointde poudre à canon , ni de matieres combuſtibles
qui y ſoient cachées. Cet uſage qui rappelle
la fameuſe conſpiration des poudres , eft
toujours ſuivi , & on s'y eſt conformé le 18 de
ce mois , avant que le Roi ſe ſoit rendu auParlement.
S. M. y arriva dans toute la pompe &
l'appareil de la royauté ; les Communes furent
mandées , comme on l'a dit , pour recevoir , par
la bouche du Chancelier , l'ordre de retourner
dans leur Chambre , de procéder à l'élection de
leurOrateur , pour le préſenter le lendemain à
S. M. Cette élection , comme nous l'avons dit ,
n'éprouva point de difficulté ; ce fut le Marquis
de Graham qui , après un éloge des qualités &
des talens de celui qui avoitrempli cette fonction
importante dans le Parlement précédent , pro(
15 )
1
poſa de l'élire de nouveau. Sir George Howard
appuya cette motion , qui n'éprouva aucune objection.
M. Fox qui ſe leva pour témoigner la
fatisfaction qu'il avoit de donner ſa voix à l'élection
, & pour déclarer qu'il en tiroit le meilleur
augure pour la feffion qui alloit s'ouvrir ,
ſaiſit cette occafion de jeter un coup d'oeil ſur la
fituation où se trouvoit la Chambre au moment
où elle étoit dans la néceſſité de choisir un Orateur
; elle n'étoit point encore pleine ; tous les
membres n'avoient pas encore l'exercice de leur
droit indubitable de voter pour cette élection ,
puiſque le renvoi de tous les ordres expédiés
pour celle des membres n'étoient pas encore
renvoyés. Cela amena naturellement des plaintes
ſur ce qui s'étoit paſſé à Westminster , ſur le
refus qu'il avoit éprouvé , ſur la vérification du
ſcrutin arrêtée par le grand Bailli. M. Whitbread
l'interrompit pour l'appeller à l'ordre , en obſervant
que tout ceci étoit étrangerau choix d'un
Orateur ; que cette affaire qui n'intéreſſoit que
lui, auroit ſon tour quand celle des élections ſeroit
portée à la Chambre. -M. Fox ne reſta
pas ſans replique : il obſerva que ce qu'il diſoit
revenoit à l'affaire dont on s'occupoit. Suppoſons
, dit- il , que dans d'autres comtés , on ſe
fut conduit comme le Bailli de Westminster ,
que , par exemple le renvoi de l'ordre pour l'élection
de Rye (c'eſt le lieu que repréſenteM.
Cornwal ) n'eut pointété fait, la chambre qui a
tant de raiſons de deſirer de nommer ce digne
membre pour ſonOrateur, le pourroit-elle ?
M. Pitt parla à son tour , tout ſe paſſad'une mamiere
paiſible , & M. Cornwall fut élu.
Le 19 le Roi ſe rendit à la Chambre haute
où les Communes ayant été mandées , leur Orateur
ſe préſenta à la barre , & adreſſa un difcours
( 16 )
auRoi pour lui annoncer ſon élection, témoigner
une défiance modeſte de ſes propres forces , &
ſupplier S. M. d'ordonnerun autre choix. Le
Chancelier lui répondit , que le Roi approuvoit
ſon élection & la voyoit avec plaifit . M. Cornwal
adreſſa un remerciement à S. M. dans lequel
, en follicitantde l'indulgence pour lui, il
reclama la confirmation des privileges des Communes
, & fur-tout celuid'avoir toujours un libre
accès au pied du Trône. Lorſque le Chancelier
eneut donné l'aſſurance au nom du Souverain ,
S. M. adreſſa le diſcours ſuivant au Parlement :
Milords & Meſſieurs , j'ai la plus grande fatisfaction
de vous voir réunis aujourd'hui , après
avoir eu recours , dans un moment aui important,
à l'opinion de mon peuple; j'ai la plus juſte
& la plus entiere confiance que vous êtes animés
des mêmes ſentimens de loyauté & d'attachement
à notre excellente conſtitution , que j'ał
eu le plaifir de voir û pleinement manifeſtés dans
toutes les parties de mon Royaume. Les heureux
effets d'une pareille diſpoſition paroîtront , je n'en
doutepas , dans la modération&la ſageffe de vos
délibérations , & dans la prompte expéditiondes
objets importans des affaires publiques qui de
madent votre attention : ils me procureront la
fatisfaction particuliere detrouver que l'exercice
du pouvoir que la conftitution m'a confié a produit
des avantages ſi utiles à mes ſujets , dont
les intérêts &lebonheur feront toujours ce que j'ai
deplus cher.
MM. de la Chambre des Communes , j'ai ordonné
qu'on mette lous vos yeux les eſtimations pour
l'année courante : je m'en rapporte à votre zele
&à votre affection ponr parvenir aux moyens
de les remplir , & pour employer les fommes
accordées par le dernier Parlement comme il ſera
( 17 )
jugé néceſſaire. Je regrette ſincérement tout ce
qui ajoute aux charges de mon peuple ; mais il
reconnoîtra , j'en ſuis perfuadé , la néceffité de
pourvoir, après une guerre longue&diſpendieuſe,
au maintiende la foi nationale , & de notre cré
dit, qui intéreſſent ſi eſſentiellement la puiſſance
&laproſpérité de l'Etat .
Milords & Meſſieurs , les progrès alarmans des
fraudes dans lesrevenus , accompagnées dans plufieurs
occafions de violences , ne manqueront
pas d'exciter votre attention . Je recommande en
même tems àvos plus ſérieuſes conſidérations , les
réglemens de commerce qui peuvent être néceffairesdans
lemomentpréſent. Les affaires de la
Compagniedes Indes font intimément liées avec
les intérêts généraux de ce pays : pendant que
vous éprouvez une juſte anxiété de pourvoir à
l'adminiſtration de nos poſſeſſions dans cette partiedu
monde, vous ne perdrez , je crois , jamais
de vue l'effet que les meſures que vous adopterez
peuvent avoir fur notre conſtitution & nos plus
chers intérêts ici. Vous me trouverez toujours
empreffé de concourir avec vous dans toutes les
mefures qui pourront être d'un avantage durable
pourmonpeuple. Mon unique voeu eſt de produire
ſa proſpérité par une attention conſtante à
l'intérêt national , un attachement inviolable aux
vrais principes de notre libre conſtitution , à ſoutenir
, à conſerver dans un juſte équilibre les
droits & les principes de chaque branche de la
légiflarion.
Le Roi s'étant retiré enſuite , &les Communes
étant retournées à leur Chambre , le Comte de
Macclesfield fit dans celle des Pairs la motion
pour l'Adreſſe en réponſe au Diſcours de S. M.
Cette piece, comme toutes les autres de cette
elpece , eſt la répétition du Diſcours ; elle offre
( 18 )
enparticulier des remercimens au Roi de l'exer
cice qu'il a fait de la prérogative dans la difſolution
du dernier Parlement , & quelques réflexions
ſur les efforts de la faction qui étoit parvenue
à attirer a fon parti une branche de la
Légiflation. Le Lord Fitz-William témoigna
qu'il déſapprouvoit ces réflexions ; mais l'Adreſſe
n'éprouva aucune objection & fut préſentée le 20.
Les Communes occupées du ſoin de ſe former,
de recevoir les ſermens des membres qui les compoſent
, ne ſe ſont occupées d'affaires qu'hier ,
encore l'adreſſe n'a-t-elle pas été la premiere
affaire ; celle de l'élection de Westminster a eu
la préférence. M. Lée , après s'être élevé contre
la conduite du Grand- Bailly en ordonnant le
ſcrutin , l'avoir repréſentée comme une ufurpation
contraire à toutes les loix , termina en
tournant en motion la propoſition ſuivante ,
qu'ayant reçu l'ordre de procéder à l'élection de
Westminster& de recueillir les voix , il devoit
en envoyer le réſultat dans le terme prefcrit par
f'ordre qu'il avoit reçu . M. Sheridan approuva
cette motion , contre laquelle s'éleverent le Lord
Mahon , M. Kennyon , qui justifierent le Bailly
qu'on ne devoit pas condamner ſans l'entendre,
&qui citerent ungrand nombre de cas qui prouvoient
la néceſſité de prolonger l'élection pour
la vérification d'un ſcrutin , lorſqu'elle étoit jugée
néceſſaire Le Lord North parla aufſi , mais en
faveur de la motion ; on s'attend bien que M.
Fox ne garda pas le filence ; mais dans le premier
efſai des forces des deux partis , le Ministere a
eu l'avantage ; il a eu 283 voix , & l'oppofition
136 , ce qui fait 147 de majorité pour le Miniſtere.
Il fut ſimplement ordonné que le Bailly
feroit mandé aujourd'hui à la barre de la Chambre
,& que le fous-Bailly l'accompagneroit. -
( 19 )
Ce point réglé , on en vint à l'adreſſe en réponſe
au diſcours du Roi, M. Hamilton rit la parolle ,
il s'étendit fur chaque partie du diſcours qui
doit entrer dans la réponte , & il n'oublia pas
celle où le Roi parle de la néceſſité où il a été de
recourir à l'opinion de ſon peuple. Ilne s'agitrien.
moins , quant à ce point , que de remercier S. M.
d'avoirdiſſous le Parlement , & d'annoncer qu'en
effet l'opinionde la nation étoit contraire à celle
de la Chambre des Communes. Le Lord Surrey ,
en approuvant l'adreſſe , déſapprouva cette partie
dela motion pour en demander la fuppreffion ;
mais cette derniere motion ne fut pas plus
heureuſe ; la majorité pour le Ministere fut de
168 voix. -Dans le cours des débats , l'apologie
dudernier Parlement fut faite par M. Fox; il
en réſulta la critique de l'Adminiſtration actuelle.
Parmi les reproches qu'il lui fit, ilrappela que la fignaturedu
traité de paix avec la Hollande avoit
été faite ; mais il déſapprouva qu'elle eût eu
lieu à Paris , ce qui étoit une conceffion faite à
l'ennemi , qui pouvoitdonner plus de hauteur
à la France. M. Pitt répondit légerement à ce reproche
, il parla auſſi légérement de leur nature ;
&bien certainde la majorité ,&queles ſentimens
du peuple étoient pour le Gouvernement actuel ,
il traita avec un peu de ſévérité M. Fox qui tembloit
n'avoir inſpiré de pitié qu'à un Bourg éloigné
d'Ecoffe , qui lui avoit aſſuré un fiege au
Parlement , lorſque ſon élection pour Weſtminster
étoit encore incertaine.
C'eſt le 28 que doit commencer la vérification
du ſcrutin, qui décidera de l'Election
de M. Fox , & de celle de fir Cecil Wray ;
le premier n'est pas content du parti qu'a
pris le Bailli dans cette occafion. On prétend
( 20 )
qu'il lui intentera un procès , pour le dédommagement
des dépenſes que lui coûtera le
ſcrutin , s'il a lieu; car il n'eſt pas encore décidé
s'il avoit le droit de l'ordonner.
, La queſtion ſuivante toute fimple qu'elle
eft , décidera peut- être , vis- à-vis du Public impartial
, combien la conduite du grand Bailli
eftpeu conformeauxprincipes du droit ou de la
conftitution. Le grand Bailli auroit-il pu , par
fon autoriré privée , procéder à l'Election de
Weſtminster , avant le moment fixé par la Loi ,
pour ſon ouverture ? Tout homme un peu verſé
dans les loix & les uſages de ſon pays , répondra
certainement qu'il ne l'auroit pas pu Si donc
leBailli ne pouvoit pas commencer l'Election
avant le jour fixé par la Loi , comment ſe peutil
faire qu'il ait la faculté de la continuer audelà
du terme fixé pour ſa clôture par la même
autorité ? La Loi détermine également les bornes
des pouvoirs de cet Officier à cet égard ; & tout
homme qui ne conteſte pas que le Bailli ne pouvoit
pas procéder à l'Election , immédiatement
après la diffolution du Parlement , ſans attendre
Ja communication officielle de ſes pouvoirs , de
Ja part des Sheriffs , ne peut pas avancer avec
raiſon ni avec bon ſens , que cet Officier jouit
d'une puiſſance officielle , lorſque les pouvoirs
quelui accorde la Loi , ont ceffé,
En attendant que cette difcuffion foit finie
, les partiſans de M. Fox ont fait des réjouiſſances
à l'occaſion de fon élection .
Le Prince de Galles a donné lui-même une
Fête dans ſes jardins , le 14 de ce mois; plus
de fix cents perſonnes y ont aſſiſté , il y avoit
des tables dreſſées ſous neuftentes , avec toutes
fortes de rafraichiſſemens une muſique déli(
21 )
cieuſe , & on a danſé depuis neuf heures du
matin juſqu'à fix heures du ſoir ; une ſociété
choiſiede trente perſonnes , au nombre deſquelles
étoitM. Fox, eut l'honneur de dîner avec S. A.R.
M. Fox la remercia de ſes bontés & de l'intérêt
qu'elle avoit bien voulu prendre à ſon Election ;
& ce Prince lui répondit qu'il n'avoit été que
guidé par la conviction où il étoit de la ſupériorité
de ſes talens , de la jußice & du déſinté
reſſement de ſes morifs . Cette Fête a été répétée
hier.
S'il faut en croire nos papiers, la nouvelle
Chambre des Communes est compoſée de
558 membres ; on compte 214 anciens amis
de M. Pitt , 167 de M. Fox, 153 nouveaux
membres , 16 qui n'étoient pas prétens aux
derniers troubles , 6 doubles élections con--
teftées , & les 2 membres de Weſtminster
qui ne font pas encore décidés. On prétend
que parmi les nouveaux , M. Fox a beaucoup
de partiſans ; & on doute que la majozité
du Miniftere ſoit de plus de 100. Les
5 ou 6 premieres ſemaines après l'ouverture
feront ſuviies ; cela ira enſuite en décroiffant;
& vers la fin de Juillet , fi les affaires
prolongent la ſeſſion juſques -là , à peine
croit-on pouvoir raſſembler aſſez de membres
pour tenir aſſemblée.
Les mécontentemens en Irlande ne ſont
pas près de finir. L'Adminiſtration de ce
Royaume , embarraſſée des plaintes qui s'élevent
de tous côtés , ne néglige rien pour
ſe procurer des témoignages de ſatisfaction
qu'elle puiſſe leur oppoler ; & on dit qu'elle
1
( 22 )
follicite en conféquence des adreſſes de dif
férens corps.
Il y a quelques jours , écrit-on de Dublin , que
le Comité choiſi des Catholiques de cette ville
s'aſſembla à la requête du LordK... qui , diſoit-il,
avoit à ſoumettre à ſa conſidération des matieres
de la plus haute importance , & qui intéreſſoient
eſſentiellement les Catholiques . Laſſemblée fut
très-nombreuſe; auffitôt que le Lord arriva , on
le pria de dire quelle étoit la nature de l'affaire
pour laquelle il l'avoit convoquée ; il demanda
qu'on nomma un Préſident ; mais on ne youlut
pas le faire , avant de ſavoir fi en effet l'objet de
l'aſſemblée méritoit une diſcuſſion. Le Lord alors
ditque le Gouvernement étoit très - mécontent de
pluſieurs pamphlets qui avoient été publiés dernierement.
Pluſieurs étoient propresà répandre l'alarme
& la révolte ; quelques uns contiennent
même des invitations aux ennemis du pays , à
tenter une invaſion. Il conclut qu'il lui paroiſfoit
néceſſaire que les Catholiques déſavouaſſent tous
ces pamphlets, dans uneAdreſſe préſentée en leur
nom au Viceroi , parce que dans ce tems de trou
ble & de fermentation , ils étoient ſoupçonnés
d'avoir une part ſecrette à ces infinuations. L'afſemblée
fut très- ſurpriſe de cette derniere réflexion
qui attaquoit la loyauté des Catholiques , &
cetamour que tous les Irlandois s'honorent d'avoir
pour leur pays . On demanda au Lord s'il avoit -
quelque meſſage par écrit du Gouvernement ,
il répondit qu'il n'avoit eu fur ce ſujet qu'une
converſation avec M. Orde . Il employa tous ſes
efforts pour décider l'aſſemblée à faire ce qu'il
lui propoſoit , & à tranquilliſer le Gouvernement
dont les alarmes , ajouta t- il , étoient fondées ;
mais il ne réuffit point ; l'aſſemblée regarda le
( 23 )
prétexte de ſa convocation comme une injure ;
elle crut que des accuſations auſſi vagues , auffi
injuſtes ne méritoient pas ſon attention , & elle
ſe ſépara ſans vouloir s'en occuper.
On parle de pluſieurs autres démarches
ſemblables qui ont été faites avec auſſi peu
de ſuccès. On en a eu davantage dans la
grande aſſemblée des repréſentans de la Nation,
qui prétend cependant n'être pas repréfentée.
Le Parlement d'Irlande , conformément à ſon
ajournement , s'eſt raſſemblé le 11 de ce mois ; à
trois heures quarante minutes , l'Orateur ayant
prisſaplace,on lut un meſſage des Pairs quiannon.
çoit leur aveu aux amendemens du bill pour
priver le Lord Strangford du droit de voter. II
yeut enſuite un ajournement d'une demie-heure
qui fut occaſionné parce qu'on attendoit une
perſonne. Après cela on reprit les délibérations.
Le Lord Kilwarlin propoſa une adreſſe au Vice-
Roi pour le remercier de la ſageſſe & de la prudence
qu'il montroit dans ſon administration ;
l'adreſſe étoit prête & fut lue par M. Hattan .
File contenoit l'éloge du Duc de Rutland.
M. Jones ſe leva auſſitot. » C'eſt avec regret ,
dit- il , que je ſuis obligé de m'oppoſer à une
adreſſe de compliment que je ne crois pas que
l'uſage justifie. Je ne puis donner mon aveu à
des actions de grace , quand ma conſcience ne
memontrede tous côtés que des ſujets de plaintes
&de reproches. De quoi , je vous prie , avonsnous
à remercier le Duc de Rutland ? Est - ce de
fon oppofition au voeu de la Nation pour une
réforme parlementaire ? de l'abandon qu'il a fait
du plan de mettre de l'égalité dans le commerce ?
du bill pour un bureau de poſte qui nous prive
( 24 )
de nos privileges& charge le peuple avec excès ?
de ſon oppoſition à la taxe ſur ceux qui s'abſentent
du Royaume ? de ce qu'il a rempli nos
rues d'une foule de mandians ? des indultes répétées
qu'il nous a faites ? d'avoir transformé
Ja Chambre des Communes en une Chambre de
l'Etoile , & le Château de Du lin en une Baftille
? Comme repréſentant du peuple , comme
homme , je dois déſapprouver une adreſſe qui
ne contient pas la cenfure de l'adminiſtration du
Duc de Rutland . -M. Molyneux appuya l'oppoſition
de M. Jones , & dit que fi une adminiſtration
avoit été jamais calculée pour ſemer
la diffention entre ce Royaume & l'Angleterre ,
c'étoit celle du Vice- Roi. » Quand au chef de
cette adminiſtration , ajouta t- il , je pense que
c'eſt un homme honnête & qui veut le bien ;
mais il a confié les affaires de ce Royaume à un
homme qui a une mauvaiſe tête & un coeur pire.
Le Sécretaire d'Etat eſt reſponſable de ce qui eſt
arrivé , & fur-tout d'avoir conféré des honneurs
à un homme marqué du reproche public ; il
ſemble que ſon motif, en agiſſant ainſi , a été de
montrer au peuple qu'il n'eſt pas content de l'opprimer
, mais qu'il le mépriſe. Je lui ferai ſeulement
quelques queſtions ; fa réponſe fixera mon
opinion ſur l'adreſſe, ſon filence dira plus que la
loquacité de ſes prédéceſſeurs. Je l'interpelle
dire à la Chambre, aux dépens de qui a été acheté
la Chancellerie, pour un homme qui a mis à peine
le pied dans ce Royaume. L'office de Maître des
rôles doit-il être acheté auſſi ? un Préſident du
Conſeil doit - il être établi avec un gros ſalaire ?
-Perſonne n'ayant répondu, M. Molyneux conclut
endiſant : Je vois que nous n'avons à chercher
de ſecours qu'en nous-même, j'aime le peuple à
cauſede la meſure qu'il a adoptée , j'admire ſurde
tout
-
( 25 )
tout celle... ici, il fut interrompu par des voix
qui s'éleverent du banc de la Trésorerie pour
l'appeller à l'ordre , & il continua en diſart
j'admire le peuple pour la réſolution qu'il a priſe
de ne faire uſage que des produits de nos Manufactures.
M. Griffith , qui parla enſuite , ne s'oppoſa
point à l'adreſſe qu'il ne regardoit que comme
une formalité ; il voulut qu'on y ajoutat quelques
mots fur la fituation du Royaurie , une priere
au Viceroi de confidérer l'état des manufacturiers
, de repréſenter au Roi la réceſité de l'égalité
& de la réciprocité dans le commerce des
deux Royaumes . Cet amendement fut rejeté à.
une pluralité de ſoixante-deux voix , & l'adreſſe
fut ordonnée . La même motion fut faite le iz
dans la Chambre haute , où elle paſſa également
après avoir donné lieu à quelques obfervations
ſans ſuccès : l'une & l'autre de ces adreſſes furent
préſentées le 13. Le lendemain , le Duc
de Rutland ſe rendit au Parlement pour donner
Ja fanction royale à quarante-un Balls pulics ,
& quinze particuliers : à la tête des premiers eft
celui qui reſtraint la liberté de la Preffe , qu'on
croyoit ne devoir paspaſſer au Confeil.Après cela,
il prorogea le Parlement au 29Juin prochain.
On a fait dans un de nos papiers la liſte
fuivante des places priſes pendant la derniere
guerre , & reftituées ou cédées à la paix.
Conquis par la Grande Bretagne , & rendu d
la France , les ifles de S. Pierre & de Miquelon ,
près de Terre-Neuve , Sainte -Lucie , dans les
Indes occidentales , les ifles de Gorée en Afri
que,Pondichéry dans les Indes orientales .
Conquis par la France fur la Grande. Bretagne,
& rendu à ce le ci , les ifles de Grenades , Grenadines
, S Vincent , la Dominique , S. Chrif
Nº. 23,5 Juin 1784. b
( 26 )
tophe , Nevis , & Montserrat aux Indes occidencales.
Conquis par l'Espagnefur la Grande-Bretagne,
& rendu , les iles de Bahama & de Providence
dans l'Atlantique.
Conquis par la France , & cédé à elle à perpétuité,
l'ifle fertile de Tabago , aux Indes occi
dentales , la riviere de Sénégal en Afrique ; tous
les forts bâtis ſur elle,le commerce exclufif ſur
cette riviere.
Conquis par l'Espagne , & cédé à S. M. C. ,
Minorque dans la Méditerranée , la Province
entiere de la Floride occidentale , dans laquelle
il y a plus de 8000 planteurs anglois.
Non conquis mais cédé à l'Espagne comme le
prix de la paix , la Florideorientale dans un état
plus floriſſant que l'occidentale.
Parmi les dernieres dépêches de l'Inde , il
y en a une qui , felon tous nos papiers, conrient
l'article ſuivant qu'ils ont copié.
Typpoſaib éleve toujours des difficultés fur la
paix , & le traité définitif n'eſt pas prês d'être
rerminé. Ce Prince dit au Général Macleod :
Anglois & François , vous n'avez qu'un ſeul
objet qui vous diviſe , l'intérêt de votre commerce
: c'eſt pour nos dépouilles que vous vous
battez ; elles yous attirent & vous enflamment
parce qu'elles vous enrichiſſent. Vous n'avez
fait la paix , que parce que vous n'aviez płus
d'argent . Vous allez retourner en Europe , économiſer
le produit de vos ſubſides , & vous re
viendrez enfuite vous égorger les uns & les autres
parmi nous , & vous diſputer nos richeſſes .
- Cela montre affez que les Européens com
mencent à être connus ſur les trois côtes,
On déſeſpere depuis long-temps d'avoir
( 27 )
jamais des nouvelles du Caton & de l'Amiral
Hyde Parker; on conjecture que ce vaiſſeau
a péri ſur les côtes de Malabar ; l'équipage.
d'unbâtiment Indien des Ifles de Lacquedives
, arrivé à Bombay , rapporte qu'il a vu
un vaiſſeau brûlant auprès de ces côtes , à
une époque où l'on ſuppoſe que l'Amiral
Parker étoit en route pour aller fe réparer
àBombay des dommages qu'il avoit eſſuiés
dans une tempête durant les mouſſons. Cet
Amiral eſt très - regretté. Ce n'étoit point
des motifs d'ambition , mais l'état de ſa
ſanté qui lui avoit fait accepter le commandement
dans l'Inde. Attaqué depuis longtemps
d'un aſthme , il n'avoit éprouvé de
foulagement que dans les climats chauds.
1
Des lettres de Bombay , arrivées par le dernier
Courier , nous apprennent qu'en Novembre dernier
, cette Ile avoit été infectée de grenouilles
qui ont dévoré les herbes & le petit poiffon :
elles ſe ſont répandues dans tous les étangs , par
quantité incroyable . Quelques unes peſoient de
quatre à cinq livres , & avoient deux pieds de
longueur depuis l'extrémité des bras juſqu'à celle
des pattes , dans toute leur extenfion. Quelque
extraordinaireque paroiſſe cet événement, on peut
compter ſur ſon authenticité.
Selondes lettres du Bengale , les Danois ont
formé dernierement un nouvel établiſſement ſur
larive orientale du Molveira , quieſt une des branches
duGange; ils ont obtenu pour cet effet une
permiſſion du Grand-Mogol auquel le Roi de
Dannemark avoit envoyé un-Ambaſfadeur qui
eft encore à Dehli. Le nouveau fort qu'ils ont
b2
( 28 )
bâti s'appelle Fridericksbourg ; il eſt peuplé par
des Colons qui ont été envoyés d'Elseneur &
du Duché de Holſtein. On a formé la garniſon
de quelques troupes européennes qu'on a tirées
de Tranquebar fur la côte de Coromandel. Ce
nouvel établiſſement , ſitué dans cet endroit ,
eſt à 200 mille de Calcutta , ce qui n'eſt peut-être
pas ſans inconvénient. Mais ils ſont compenfés
par les grandes apparences de profit qu'il préſente
& qu'il doit avoir naturellement par la poſition
dans le coeur du pays où le trafic avec les naturels
elt plus confidérable & plus avantageux que fur
les côtes ,
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 1 Juin.
Le 22 du mois dernier , la Comteffe Jofeph de
la Ferronnays, eut l'honneur d'être préſentée au
Roi & à la Reine par Madame Adélaïde de France,
en qualité de Dame pour accompagner cette Princeife.
Le 23 la Ducheffe de Caylus eut l'honneur
d'être préſentée à L. M. & à la Famille Royale,
par la Ducheffe de Caylus douairiere , & de prendre
le tabouret. La Vicomteſſe de Béthiſy fut
auſſi présentée par la Comteffe de Béthiſy.
Le même jour L. M. & la Famille Royale 6-
gnerent les contrats de mariage du Vicomte de
Lons , Capitaine des Gardes-du Corps de Mon-
Geur , en furvivance , avec Mademoiselle d'Ennery;
du Comte de Langeron ,Capitaine au Régimentde
Condé , avec Mademoiselle de la Vaupaliere
; du Marquisde Baleroy, Capitaine au Régiment
d'Orléans , avec Mademoiselle de la Vaupaliere
, & du Comte de Clermont- Tonnerre de
Thoury, Sous- Lieutenant des Gardes-du- Corps
du Roi, avec Mademoiſelle de Froget.
( 29 )
Les Etats d'Artois furent admis le même jour
àl'Audience du Roi, préſentés par le Maréchal
Ducde Lévis , Gouverneur général de la Province,
& le Maréchalde Ségur , Miniſtre de la Guerre .
La députation conduite par MM. de Nantouillet
& de Vatronville , Maître & Aide des Cérémonies
, étoit compote , pour le Clergé , de l'Abbé
de Bart , Prévôt de l'Egliſe Cathédrale , Vicaire
général du Dioceſe d'Arras , qui porta la parole
; pour la Nobleſſe du Comte de Cunchy de
Fleury , Major du Régiment Provincial d'Artillerie
de Besançon ; & pour le Tiers-Etat , de M.
Brunel , Avocat , ancien Perfionnaire de la Ville
d'Arras , ancien Député général ordinaire des
Etats.
DE PARIS , le 1 Juin .
Toutes les lettres de l'Inde apportées par
les vaiſſeaux nouvellement arrivés , font un
tableau effrayant de la famine horrible qui
a dévaſté la côte , & de la maladie épidémique
auffi cruelle que la peſte qui en a été
la fuite.
Les Européens , diſent ces lettres, ont échappé
à la premiere , parce qu'eux ſeuls ont les moyens
de faire des proviſions & des amas de riz ; mais
la derniere les a frappés , ainſi que los naturels , &
Pondichery fur-tout a fouffert prodigieuſement.
Les Anglois ont profité de ce tems de calamité
pour débaucher le petit nombre de Tifferands
qu'on avoit conſervés dans les Allées voitines.
Ces malheureux , privés de ſubſiſtance , ont
Yuivi la main qui leur préfentoit une nourriture
afſurée. Lafamine à été cautée d'un côté par les
monopoleurs , & de l'autre principalement par
b3
( 30 )
lesgrandes fournitures faites auxarmées desdifférentes
Puiſſances en guerre , &encore plus par
les dévaſtations des Marattes & de Tippo-Sarb.
Ce dernier , depuis que l'armée françoiſe s'eſt
ſéparée de lui , n'a pas laiſſé de tenir la campagne
, & les diviſions des Anglois lui ont donné
tout le temps qu'il lui falloit pour faire beaucoup
de mal à ſes ennemis : il a ruiné & brûlé
Arcate , ainſi que Paliacate ; il a été juſqu'aux
portes de Madras , & n'a pas laiffé pierre fur
pierre dans ſes fauxbourgs , appellés la ville
noire. Ainfi le plus beau pays du monde & le
plus fertile eſt le plus malheureux, graces à l'ambition
& à l'avarice des Européens.
C'eſt le 26 du mois dernier , que M. le
Comte d'Aranda , Ambaſſadeur de S. M. C.
elt arrivé ici de retour du voyage qu'il avoit
tait en Eſpagne.
Le Roi de Suede eſt attendu le 9 de ce
mois. L'Académie Françoiſe a renvoié jufqu'au
23 la réception de vi. ie Marquis de
Monteſquiou , afin que ce Prince puiſſe être
témoin d'une de fes Séances publiques. Les
Comédiens François lui réſervent de leur
côté la premiere Repréſentation de Semiris
Tragédie nouvelle de M. le Mierre.
Lanouvellemachine aéroſtatique que M. Montgolfier
a conſtruite pour le Roi eſt entiérement
finie. Elle est d'une capacité , & par conséquent
d'un diametre beaucoup plus conſidérable que
l'ancienne : il fait avec elle deux ou trois fois par
ſemaine , des expériencesdans le jardin Réveillon.
Ces jours derniers , tro's dames & quelques autres
perſonnes , accompagnées de M. Pilatre du Rbfier
,monterent dans la galerie : on les éleva
( 31 )
juſqu'à deux cens pieds , le ballon étant retenu
par des cordes. On croit qu'il ſervira aux expériences
que le Roi de Suede defire voir. Le
globe des freres Robert paroît être réſervé pour
le même objer.
Al'occaſion des ballons , nous placerons
ici la lettre ſuivante de S. Savin. Nous ne
garantirons point le fait fingulier dont il y
eſt queſtion.
Deux Ballons partis le même jour & à la
même heure ; l'un de Saint-Savin , & l'autre de
Montmorillon , petites villes du Poitou, diſtantes
•de quatre lieues , ſe ſont rencontrés à peu près
à moitié chemin, ils ſe ſont heurtés violemment;
celui de Saint-Savin , plus robuſte , a culbuté
l'autre qui eſt tombé auprès d'un Château du
voiſinage : le Seigneur a fait dreſſer un procèsverbal
de ce Phenomene. Le Ballon vainqueur
a continué ſa route: on ignore encore l'endroit
de ſa chûte ; mais on préſume que s'il n'a pas
rencontré de nouveaux adverſaires , il doit avoir
'été fort loin. Cet événement auſſi piquant par
ſa curiofité , qu'intéreſſant pour l'Aréoftat , peut
jetter quelques lumieres ſur cette découverte :
les deux Ballons étoient de forme Sphéroïde ,
le temps étoit calme. J'ignore le Phlegiſtique
qu'on avoit employé , qui vraiſemblablement
étoit différent. Je laiſſe aux Phyſiciens à raiſonner
fur cet événement.
Le 23 du mois dernier , M. Blanchard a
fait à Rouenl'expérience de ſon bateau volant
; c'eſt ainſi qu'on en rend compte dans
une lettre de cette ville.
Ji eſt parti des anciennes caſernes à 7 heures
20 minutes , fon barometre étant à 28 pouces
4 lignes , & s'eſt élevé majestueuſement dans
b4
( 32 )
l'air. Il a plané long tempsſur le Ville; après
quoi un vent violent contre lequel il a lutté ,
abriſe ſon gouvernail. Alors il ne s'eſt plus occupé
que de faire des obſervations & de monter &
defcendre au moyen de ſes aîtes . A 7 heures 35
minutes to ſecondes , il a remarqué que fon
barometre étoit deſcendu à 19 pouces 8 lignes .
Au même moment il a traverſé un petit nuage
blanchâtre , enſuite un autre très-épais , qui l'a
confidérablement mouillé , puis il s'eſt élevé à
une hauteur qui lui a fait éprouver les effets de
la glace. Son habit humide par la traverſee du
nuage , eſt devenu roide ; dans cette température ,
il a fait 2 lieues en 2 minutes; & dans un petit
calme qu'il a éprouvé , il a bu & mangé. Il ne
s'eſt décidé à defcendre, que parce qu'il appercevoit
un nuage orageux , & qu'il voyoit la mer .
Il eſt deſcendu fans ouvrir la ſoupape de ſon
Globe , mais ſeulement en faiſant agir ſes aîles
en ſens contraire , dans la plaine de Glaville-
Motteville , às lieues de l'endroit de ſon départ.
Al'inſtant où il deſcendit , vinrent deux paysans
auxquels il propoſa d'arrêter ſon Globe , moyennant
une corde qu'il leur jetta : l'un accepta la
propofition ; mais l'autre ne ſachant à qui il
avoit affaire , & craignant de ſe compromettre ,
ne voulut pas mettre la main à une choſe qui lui
paroiffoit ſuſpecte . La frayeur des habitants fut
égale à celle des payians de Goneſſe , avec cette
différence que ceux de Claville ſe ſont armés
pourguerroier contre le phénomene.
On a beaucoup parlé d'un Suicide, commis
dernierement par un jeune homme âgé
de 25 ans , après avoir dîné au Palais-Royal
chez un reſtaurateur. On dit que c'eſt l'amour
qui a inſpiré ce coup déſeſpéré ; & en
( 33 )
effet les excès funeſtes de cette eſpece ont
prelque toujours leur fource dans la foibleſſe
de l'esprit , dans un état de maladie ,
ou dans une palion extrême. Le testament
de cet infortuné en founit la preuve. En
nous la communiquant , on y a joint les réflexions
ſuivantes .
On peut ſe ſouvenir que J. J. Roufſeau daigna
approuver & même louer la réſolution de
ces deux amans de Lyon qui ſe tuerent au pied
d'un autel. Mais dans ce dévouement il n'y eut
que celui de la fille qui fut méritoire : l'amant
étoit malade & ſouffrant , ce qui ſeul pouvoit
le porter à ſe donner la mort. Il n'en eſt pas de
méme du jeune homme qui vient d'en donner un
exemple récent ; ton dévouement a bien un
autre caractere , & fon ame devoit étre d'une
trempe extraordinaire : ſon action eût été bien
plus admirée de J. J. Rouſſeau , puisqu'il prodiguoit
ſon admiration à ces fortes d'action . II
n'auroit pasmanqué de faire valoir la ſimplicité ,
l'énergie de ſon teftament de mort , & la délicateſſe
de ce malheureux jeune homme à ne pas
nommer l'objet de ſa paſſion. Voici cette piece
très -certainement véritable & remarquable , &
telle qu'elle a été trouvée ſur la table où elle
avoit été écrite , lorſque le Commiſſaire vint dref
ſer ſon procès- verbal. -« Le contrafte inconcevable
qui se trouve entre la mobleſſe de mes
fentimens & la baſſeſſede ma naillance , un amour
auſſi violent qu'inſurmontable pour une fille
adorable , la crainte de cauſer ſon deshonneur ,
: la néceſſité de choiſir entre le crime & la mort ,
tout m'a déterminé à abandonner la vie. J'étois
⚫né pour la vertu ,j'allois être criminel , j'ai préféré
mourir .
bs
( 34)
Ona arrêté ces jours derniers un Fauſfaire
, qui faifoit non-feulement de fauſſes lettres
de change , mais auſſi les lettres d'avis.
Il en avoit envoyé une d'Amiens , dont la
fauſſeté fut reconnue : on ſuivit le Commiffionnaire
qui vint chercher l'argent , & on
découvrit l'Auteur, par le plus grand hafar !,
dans un Caffé vojſin de l'endroit que fon .
camarade , car ils étoient deux , avoit indiqué
au Commiffionnaire , pour y apporter
l'argent. Son complice s'eſt ſauvé.
M. le Chevalier d'Angos , Directeur de l'Obfervatoire
de Malte , a découvertune comete le
11 Avril dans la conftellation du renard , elle
étoit fort petite fans queue , & ne paroiffoit que
comme une légere nébulotité. Le 15 à trois heures
dix-huit minutes du matin, elle avoit 307
degrés d'aſcenſion droite . & 15 degrés 28 minutes
de déclinaiſon boréale. Elle fai oit par
jour près de 2 degrés vers l'occident & vers le
midi. La comete que l'on avoit obſervée à Paris
au mois de Janvier , a été vue après la conjonction
, par M. Méchain de l'Académie Royale
des Sciences.
M. Houel continue la publicationde fon
voyage intéreſſant de Sicile; les livraiſons ſe
fuccédent avec beaucoup de rapidité : la
116. & la 12e. ne ſe ſont pas fait attendre.
L'Auteur continue , dans la derniere qu'il vient
de publier , de faire connoître complettement le
reſte des iſles & des écueils de Lipari dont il avoit
commencé de traiter dans le chapitre précédent ;
foit qu'il les confidere comme volcans , ou fimplement
comme productions de volcan , il dif-
Lingue en Naturaliſte éclairé les matieres dont
( 35 )
ils font compofés , explique les changemens qu'ils
ont éprouvés dans le tems & depuis leur formation
; & par des planches auſſi exactes que foignées
, préſente à l'oeil du Lecteur les aſpects
divers de ces ifles , les particularités qui marquent
les époques eſſentielles des grandes révolutions
que leur ont fait éprouver des exploſions ou
des commotions conſidérables. La derniere planche
du 12e chapitre offre la bouche du volcan
Stromboli , lançant une gerbe de pierre dans
l'état de charbons ardens , repréſentation auſſi rare
qu'intéreſſante. La premiere repréfente un bain
d'eau chaude à Lipari , avec les Scenes qui ſe
paſſentdans ces lieux de ſanté , pendant que les
malades les fréquentent. La 26. , l'aspect d'une
faline ,du ſommet de laquelle on découvre quantitéd'objets
intéreſſans , & entre autres le mont
Etra , qui eſt à plus de 25 lieues de diſtance,
ce qui peut faire jeger de la hauteur de cette
faline quidomine les montagnes les plus élevées
de la Sicile. Dans le texte de ce chapitre , l'Auteur
traite avec intérêt d'autres détails , quelques
objets du commerce de ces ifles , de leurs uſages
domeſtiques & des religions ; il obferve & fait
connoîtte tout ce que ces lieux , anciennement
habités , offrent encore de débris & de monumens
antiques , qui font placés dans les Eſtampes ,
& qui marquent les époques où differentes
nations ont habité ces ifles ( 1 ) .
Nous avons annoncé la premiere livraiſon
des eſtampes repréſentantles conquêtes de l'Empereur
de la Chine , réduites & gravées par M.
Helman; on fait que les deſſins en furent faits
à Pekin , & envoyés en France en 1765 , pour
y être gravés par nos meilleurs Artiftes , & ren-
(1) Ce voyage ſe trouve chez l'Auteur , rue du Coq faing
Honoré,
b6
ン
( 36 )
voyés avec les cuivres en 1774. Il n'en reſta
qu'un petit nombre d'exemplaires deſtinés pour
1. Famille royale & la Bibliotheque du Roi ;
elles ont fi rares , que le prix , quand le hafard
1-s fait rencontrer , en eſt porté à 8001.
M. Helman offre la collection entiere à 48 1 .
La premierelivraiſon en a paru au mois d'Octobre
dernier ; la ſeconde paroît aujourd'hui ;
la troiſieme paroîtra dans quatre mois , & après
un pareil efpace , la quatrieme & derniere ſera
diſtribuée (1) .
Le ſieur Belon , Peintre à Rouen , a imaginé
de concilier les deux ſyſtêmes aſtronomiques de
Ptolomée & de Copernic. Sans entrer ici dans
les détails du ſyſtéme qu'il a compoſé de ces
deux , ce qui eſt au moins inutile , nous nous
bornerons à donner une idée des machines qu'il
a inventées pour l'expliquer autant à l'oeil qu'à
l'eſprit , & qui ſont réellement ingénieuſes. La
premiere eft compoſée d'une table ou planiſphere
de quatre pieds de diametre. Les degrés & les
fignes du Zodiaque , les mois , les ſolſtices , les
équinoxes , le rapport de chaque figne à chaque
mois , &c. tout ſe trouve réglé ſuivant les principes
reçus en Astronomie. Le ſoleil roule ſur
fon char & fait fa courſe & les révolutions au-
( 1) Le prix de chaque livraiſon eſt de 12 liv. Elles ſe
trouvent chez M. Helman , rue S. Honoré . vis-à- vis
Phôtel de Noailles, Cet Artiſte a acquis pluſieurs Planches
du fond de M. le Bas, qu'il propoſe aux Amateurs
àun rabais de moitié de leur ancien prix , pendant
cette année ſeulement , paffe laquelle il n'en donnera plus
qu'au prix ordinaire. D'après Vonfalces, la Priſe duHéron,
3 liv. au lieu de 6 liv . Le Départ de chaffe , idem ,
D'après Chudin, le Bon-homme , 16 fols , au lieu de 30 .
Le Négligé , idem: De Bouchardon , Sculpteur du Roi ,
livre d'après l'antique , de 12 feuilles , 2 liv . au lieu de4.
La réputatio,n de toutes ces Eſtampes eſt faite depuis 30
ans.
( 37 )
✓
tour des planettes qu'il éclaire de ſes feux'; la
terre paroît conduire le char , la lune l'accompagne
& ne le quitte point , faiſant autour d'elle
ſa révolution en vingt-neuf jours & demi ; ces
deux planettes forment des ellipſes très variées ;
le centre commun les retient , le ſoleil les attire ;
cette attraction étant réciproque , le foleil ne
quitte pas la terre , mais il la force de s'incliner un
peu à cauſe du changement de ſes orbites. La
terre tourne før elle-même en 24 heures , accompagnée
de la lune & du ſoleil tournant avec elle ,
&n'a qu'un centre commun à toutesles planetes ;
la lune montre toujours la même face à la terre ,
& démontred'une façon très-juſte ſes différentes
éclipſes , ainſi que celles du ſoleil dans les noeuds
qui arrivent deux fois l'année. Une ſeule aiguille
marque les heures du jour & de la nuit, les
femaines , le quantieme du mois , &c . Toutes
les pieces ſe meuvent en méme- tems , par le
moyen d'une manivelle & d'une corde de ſparterie.
La ſeconde machine fert de ſupplément à
la premiere , attendu que le mouvement des
autres planetes , leur rotation , autour du centre
commun , le corre'pondent toujours entr'elles
en raiſon de leur viteſſe & de l'étendue de leurs
orbits , à l'exception toutefois du ſoleil , qui
éclaire de tous côtés les différens globes .
On connoît la magie du pinceau de M. Fragonard
, les graces & la vérité qu'il a répandues
dans ſes tableaux ; la gravure en a multiplié plufieurs
que les amateurs ſe ſont empreilés d'accueillir.
M. Biot vient d'en graver un qui offre
une estampe charmante , intitulée le verroux; le
ſujet eſt galant & rendu de maniere à produire
l'effet le plus agréable (1).
(1) Le prix de cette eſtampe eft de o liv. Elle se trouve
chez M. Blot , rue S, Ecienne- des-Grez , maiſon du College
de Momaigu.
(-38 )
A cette eſtampe nous enjoindrons une autre
qui eſt le coup d'ellai d'un jeune Artiſte , &
qui annonce un talent diftingué & de grandes efpérances
pour l'avenir. Le ſujet eſt tiré de l'Hitoire
Romaine; c'eſt Mutius Scevola , ſurpris
dans le camp de Porſenna , où il avoit paflé
pour l'affaffiner , défiant les tourmens , & lui
donnant une preuve de ſon courage & de fa
fermeté , en mettant ſa main dans un brafier
ardent. Le tableau eſtde Rubens ( 1) .
Parmi les inventions utiles on diftinguera
celle-ci.
Le Geur Regnier , Mechanicien de S. A. S.
Mgr. le Duc de Chartres , vient de perfectionner
un appareil de filature , qu'il avoit inventé précédemment
, & avec lequel il peut aujourd'hui
filer des cordes de fer, ſolidement treffées & cablées
, & preſqu'auſſi ſouples que certaines cordes
de chanvre. C'eſt avec ces cordes de fer , que
cetArtiſte forme des conducteurs pour les Paratonnerres.
La ville de Semur , ſa patrie , en eft
déja preſqu'entiérement armée ; pluſieurs Chateaux
de laBourgogne en ſont également munis,
& notamment celui deM. leComte de Buffon ,
àMontbard. Les prix de ces cordes ſont de
10à 12fols le pied , felon leur groſſeur. Il faut
s'adreſſer à Semur en Auxois , où le ſieur Regnier
réſide , il les fera paſſer aux Adreſſes qui lui
feront indiquées ; mais on eſt prié d'affranchir
le port de l'argent & de la lettre. Ledit ſieur
Reynier vient auſſi d'inventer un fufil ou briquet
de défente , utile aux perſonnes qui habitent des
maiſons iſolées , pour ſe mettre en fureté contre
les malfaiteurs. Ce briquet de défenſe eſt com-
(1) Certe Estampe de 18 pouces de hau. fur 15 de
large , a été gravée par M. Marchhaanndd,, & ſe vend aliv.
chez M. Voyſard , rue de la Harpe , nº. 18 , vis à vis la
rue Serpente,
( 39 )
poféd'uneLanterne légere,dont la bougie s'allume
, au moyen d'une méche , par la ſeule détente
d'une baterie de piſtolet , il eſt armé en
avantd'une bayonnette.
:
L'Académie des Belles- Lettres , Sciences &
Arts, propoſa , T'année derniere , à l'invitacion
deMM. les Maire , Echevins &Affefleur,,unPrix
de1200 liv . & une Médaille d'or de 300 , pour le
meilleur Plan d'Education , propre à la ville de
Marseille , confidérée comme maritime & commorante.
Elle a reçu divers Mémoires , dont elle
en a diftingué troisqui contiennent d'excellentes
vues ; mais l'Académie devant le conformer forupuleuſement
aux vues patriotiques des Officiers
Municipaux , elle a trouvé que lesAuteurs n'ont
pas affez étendu le plan des Etudes relatives au
Commerce & à la Navigation ; elle a en conféquence
cru devoir réſerver le Prix , & prévenir
les Auteurs qu'ils doivent s'attacher. 1º. A expoſer
avec préciſion les diverſes eſpèces de Commerce
que l'on fuit à Marseille, foit d'importation,
ſoitd'exportation , d'entrepôt , d'économie , &des
diverſes Manufactures de la ville. 2º. A indiquer
le genre d'étude &de connoiſſances le plus propre
àfaciliter , diriger & étendre , toutes les diverſes
branches de Commerce extérieur & intérieur .
3 °.A propoſer les études néceſſaires pour acquérir
unebonne théorie du Commerce en général , cette
profeffion étant la ſeule peut être où l'on ſe livre
fans préparation à la pratique ,&dans laquelle on
fait dépendre la théorie des leçons tardives de
l'expérience. 4 °. L'étude des Langues vivantes ,
fur tout de celles des Peuples avec qui Marſeille
a& peut avoir à l'avenir les relations les plus ſuivies&
les plus intéreſſantes ,doit entrer dans le
Plan d'Education que l'on defire ; on n'oubliera
point l'étude de la Géographie , de la Navigation
, de l'Architecture navale , des Méchaniques,
( 40 )
de l'Hiſtoire Naturelle , & de la Chymie. 5°. Le
mouvement continuel d'un grand Commerce , le
choc varié des intérêts qu'il réunit & qu'il divife ,
produisant chaque jour des prétentions oppoſées ,
des différends & des procès , il paroît eſſentiel que
le Négociant apprenne de bonne heure ces Loix
fimples qui, en le ramenant aux regles ſeules de la
probité , & lui apprenant à éviter les ſurpriſes &
les fraudes , le préparent à devenir le juge de
ſes égaux ; il faut donc indiquer une eſpèce d'Ecole
de Jurisprudence mercantile: 6°. Il paroît
utile de donner aux jeunes Gens quelques notions
d'Adminiſtration publique : les Négocians ſont
quelquefois app- llés à éclairer le Légifl teur ſur
les beſoins du Commerce , ſur les Ordonnances
qui le lient au bien & à l'intérêt public , fur la
protection qui le ſoutient ; enfin ſur les diverſes
circonstances générales par rapport à l'Etat , &
particulieres par rapport à la Province & à la
Ville qu'ils habitent , ſoit relativement à leur
climat , à la fertilité du ſol , à leur population ,
au génie & au beſoin des Peuples environnans.
7°. Pour ſe diftinguer dans la profeſſion qu'on
'embraſſe on ne doit pas ſe reſtreindre aux ſeules
connoiffances qui font propres à cette profeſſion ;
il faut donc que le Négociant qui ſe deſtine aux
grandes entrepriſes de Commerce , ait quelque
connoiffance de la Politique des Nations ,& qu'il
ſoit inſtruit des Traités qui , depuis un fiecle ,
'n'ont eu que le Commerce pour objet. - Les
Ouvrages ne feront reçus que juſqu'au rer de
Mars 1785 , & doivent être adreſſés , franc de
port , à M. l'Abbé de Robineau , Secretaire perpétuel.
: Les Numéros ſortis au Tirage de la Lorerie
Royale de France, font : 58,41,75 ,
34 , & 31 .
( 41 )
DE BRUXELLES , le I Mai.
Les lettres de Liege portent que l'élection
d'un Prince-Evêque étoit décidemment arrêsée
il y a quelques jours , & on croit qu'elle
eft actuellement faite en faveur du Comte de
Hoensbroech , Trefoncier. Les concurrens
étoient l'Archevêque de Cambray , & l'Evêque
de Tournay ; le premier voyant le dernier
réſolu de ne point céder , n'a pas voulu
faire durer la conteſtation ; & comme il
étoit maître de l'élection , en ſe décidant
pour le prétendant qu'il voudroit , à cauſe
du grand nombre de voix dont il pouvoit
diſpoſer , il les a toutes données à M. le
Comte de Hoensbroech .
On mande de la Haye, que la députation
des Etats de Hollande&de Wes-t Friſe, qui
s'eſt rendue le 14 du mois dernier auprès du
Stadhouder , pour avoir des éclairciſſemens
ſur un acte , par lequel , felon le bruit général
, il s'étoit engagé ſous ferment , lors de ſa
majorité , à ſe ſervir conſtamment des conſeils
du Feld - Maréchal PrincedeBrunswick ,
en a reçu la réponſe ſuivante.
« Je ne fais point difficulté de répondre àMM.
les Députés de L. N. & G. P. les Seigneurs Etats
de Hollande &de Westfriſe , en les priant de
communiquer cette préſente réponſe auxdits
Seigneurs Etats , que je ne ſuis pas interrompu
par S A. le Feld- Maréchal Duc deBrunswick ,
à expédier les ordres qui auroient pu ſervir à
prémunir contre toute agreſſion les frontieres
de l'Etat : mais quoique je ne fois pas tenu de
(42 )
rendre compte de mes geftions en qualité deCapitaine
général de l'Union , à perſonne qu'à
L. H. P. , je ſuis prêt , pour marque de ma déférence
aux volontés de L. N. & G. P. , de leur
donner, fi elles le defirent , ouverture des raiſons
& motifs qui m'ont engagé à ne point envoyer.
un grand nombre detroupes vers les frontieres ,
avant la priſe de la réſolution du 7 du courant
-Quant à l'acte paſſé entre le ſuſdit Seigneur
-Duc& moi le 3 Mai 1766 , mais que je n'ai
jamais atteſté par ferment , je m'étois déja propofé
par moi-même , en apprenant les bruitsdéfavantageux
& deſtitués de tout fondement qui ſe
répandoient , de ne le plus tenir ſecret , & je ne
manquerai point de communiquer ſous peu de
jours , une copie authentique dudit acte à L. N.
&G. P.
Les lettres de laHaye rendent ainſi compte
du Jugement rendu dans l'affaire de l'Enſeigne
de Witte, du jardinier van-Brackel , &
de fon exécution.
Le premier , qui étoit en priſon depuis le 27
Septembre 1782 , a été déclaré déchu de ſa
'charge militaire , condamné à être enfermé dans
une place de fûreté pendant fix ans , au bout
deſquels il ſera banni pour toujours de Hollande,
Zélande , Friſe & Utrecht. Quant au Jardinier
, priſonnier depuis le 15 Octobre de la
même année , il a été condamné à être conduit
la corde au cou ſous la potence , à y être
fouetté & marqué , à être enfermé enſuite dans
une maison de correction pendant vingt-cinq
ans , pour y gagner ſa vie & ſon entretien par
le travail de ſes mains. Après ce terme , il eſt
banni des quatre Provinces ſuſdites ſous peine
de mort. Le malheureux a ſubi ſa Sentence le z
du mois dernier.
( 43 )
Des lettres poſtérieures de la Haye portent,
que le 20 du mois dernier au foir ,
l'Ambaſſadeur de France ſe rendit chez des
Membres du Gouvernement , pour leur annoncer
que ſa Cour n'avoit aucune répugnance
à intervenir par ſes bons offices
entre l'Empereur & L. H. P. , pour l'applaniffement
des différends élevés entre
ces deux Etats. Sur cetre communication
intéreſſante , une députation de L. H. P. , à
la tête de laquelle étoit le Préſident de ſemaine
, ſe rendit chez l'Ambaſſadeur pour
lui porter les témoignages de la reconnoifſancede
l'Etat.
Le 11 de ce mois , écrit- on de Berlin , le Roi
vint icide Charlottembourg pour faire un vifite
àla Princeſſe Amélie ; il a donné le même jour
audience à Charlottembourg , à MM. les Princes
de Lambefc & de Vaudemont , ainſi qu'aux autresOfficiers
François qui s'y étoieni rendus. Le
12 , à cinq heures du matin , S. M. paſſa en revue
tous les régimens en garniſon dans cette Ville, &
retourna à Potsdam : la ſanté s'eſt rétablie , & elle
ira fairela revue des troupes aſſemblées àMagdebourg
, à Cuſtrin &dans la Pomeranie. Elle partira
le 25 Mai , & reviendra le 12 Juin.
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
)
Au milieu des troubles & des mécontentemens
de l'Irlande, on ne néglige pas les plaifirs
àDublin ; le Directeur du théâtre de cette ville
a engagé M.ftriff Siddon à y faire un voyage ;
&le traité qu'il a fait avec elle , eft de lui donner
24000 liv. fterl. pour 22 repréſentations. Mif.
( 44 )
triffSiddon en ſe rendant à Dublin , paſſera à
Edimbourg, où elle donnera 12 repréſentations ,
dont la derniere ſera à ſon profit.
On s'attend à quelques mouvemens dans les
places de l'adminiſtration. On prétend que le
comte de Shelburne ſera fait premier Lord de
la Tréforerie , & que M. Henri Dundas aura
une place de Secrétaire d'Etat .
Quelques lettres de Madras portent que l'avarice
a fait un tel progrès , qu'à peine leGouverneur
donne- t- il , & rarement , une poignée de
riz à un deſcendant de Tamerlan , qui vient
mendier à ſa porte. Vingt Zemindars demandent
ſur les grands chemins ; & leurs femmes
, abandonnées aux horreur de la pauvreté ,
font forcées , pour vivre , de faire le métier de
courtiſannes.
Nos papiers prétendent qu'il y a une négociation
entre l'Impératrice de Ruffie & les Etats-
Généraux pour une ceſſion à faire par ces derniers
au moyen d'un équivalent d'une Ifle dans les
Indes Occidentales.On dit que ce ſera celle de
S. Martin , & on ignore comment les autres
puiſſances regarderont ces arrangemens. Les
Ruffes s'occupent àdonner à leur commerce toute
l'extenfion dont il eſt ſuſceptible ; ils ont toujours
déſiré des poffeffions en Amérique & en Aſe , &
dans la Méditerranée ; ſi Minorque n'avoit pas
été pris par les Eſpagnols , peut-être en ſeroitelle
maîtreffe à préſent ; & on eſt perfuadé que
lorſque cette ifle nous a été enlevée , il y avoit
une négociation ouverte qui en auroit donné la
propriété à la Ruffie .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX.
PARLEMENT DE PARIS, GRAND CHAMBRE.
Cause entre la dame T .... & le ſieur T ... fon
mari. Séparation de corps .
La ſéparation de corps eſt un moyen que la
( 45 )
Juſtice n'emploie qu'avee ménagement ; par
exemple lorſque la patience d'une femme a éré
mi'e à l'épreuve pendant un certain tems , qu'elle
n'a plus aucun eſpoir de ramener ſon mari à des
ſentimens plusdoux ; qu'il y a méme un danger
immient de la laiſſer au pouvoir d'un homme
qui ne ceſſe de la maltraiter. D'après ces principes
, il eſt difficile d'accueillir favorablement
une demande en ſéparation , formée après fix
mois de mariage ; & il faudroit que le caractere
d'un mari futbien violent &bien intraitable
pour donner lieu . das un fi court eſpace , à un
éclat auſſi funefte . Si les femmes étoient de bonne
foi , elles avoueroient que ce ſout preſque toujours
des confeils étrangers qui préparent ces
diviſions . & qui menent par degré à la perverfité
, un coeur pur , une ame innocente , faire pour
ſuivre fans contrainte le chemin de la vertu :
dans une ſemblable occurrence , quel parti doit
prendre la Juſtice ? C'eſt, avant faire droit définitivement
ſur la demande en ſéparation , d'autoriter
la femme à demeurer pendant un délai fixé dans
une maiſon décente , où le mari , en préſence
de témoins , ait la liberté de voir ſa femme , de
lui prouver qu'il n'eſt pas indigne de ſon amitié.
C'eſt le parti que la Cour vient de prendre dans
la cauſe de la dame T ... mariée au mois de
Janvier 1783 , & qui avoit formé ſa demande en
ſéparation des les premiers jours de Juillet , fur
des motifs de ſévices, d'injures & de mauvais
traitemens , &de diffamation. -La cauſe plai- .
dée au Châtelet , Sentence y est intervenue le 20
Décembre 1783 , qui a admis les Parties à la
preuve des faits reſpectifs , a appointé en droit
fur le fonds , & a joint à l'appointement les enquêtes
à faire. Sur l'appel en la Cour , Arret
du 20 Mars 1784 , qui ſurſeoit à faire droit
46 )
pendantun an , pendant lequel tems la dameT...
feratenue de ſeretirer dans une maiſon indiquée
par une aſſemblée de parens , tenue enpréſence
d'un Commiſſaire de la Cour . Perinet au mari de
la voir en préſence deſdits parents : ordonne
qu'elle ſera payée pendant ladite année d'une
penſion , tant pour elle que pour fon enfant ,
qu'elle eſt autorisée à conferver : dépens compenſés.
Cause extraite du Journal des causes célébres.
PARRICIDE exécuté en Flandres.
Les philoſophes qui ont obſervé avec plus
d'attention la marche des paſſions ; ceux qui ont
pénetré , pour ainſi dire , dans l'abîme du coeur
humain, s'accordent tous à regarder comme un
phénomène , qu'un homme vertueux devienne
tout à coup un ſcélérat. Cette opinion honorable
pour le genre humain , a été adoptée dans
tous les temps. Il faut avouer cependant que
cette règle , admiſe en morale , n'eſt pas , malheureusement
, fans exception. - La Flandre
vientde voir expirer , dans les tourmens du plus
cruel fupplice , un monſtre qui paroît avoir franchi
bruſquement la ligne qui ſépare la vertu du
crime. Quelques inſtans avant ſon forfait , c'ésoit,
dit-on,uncitoyen irréprochable.-Jean-Baptiſte
Lacquemant demeuroit àBeuvry, dépendance
de Marchienne. Si l'on en croit tous les habitans
du canton , il étoit l'exemple du village. Ennemi
de toute eſpece de diſſipation , & fur tout de ces
fêtes de cabaret auxquelles les gens du peuple
ne ſe livrentque trop ſouvent , il n'étoit occupé
quede travaux ruſtiques , des pratiques religieutes
&du bonheur de ſa famille (car il joignoit à la
qualité d'homme réputé vertueux , le mérite
d'être époux &pere); il jouiſſoit enfin de la paix
( 47 )
domeſtique , de l'eſtime de lui -même , &de celle
desautres, lorſqu'un ſordide intérêt cauſatout-àcoup
, en lui , la révolution la plus étrange & la
plus affreuſe . Son pere étoit veuf : las , ap .
paramment de cet état , il conçut le projet
de ſe remarier , & jetta ſes vues ſur une veuve
du canton. Le fils , qui , avant cette
époque étoit cité comme un modèle de ſageſſe
&de modération , devint furieux , lorſqu'il vit
que ledeſſeinde ſon pere alloit le traverſer dans
ſes petits projets économiques. Il réſolut, à quelque
prix que ce fût , de mettre obstacle au
mariage projetté. Travefti & armé d'un bâton ,
il alloit , la nuit , chercher & attendre ſon pere ,
àdeſſein de le détourner , par des terreurs , du
deſſein qu'il avoit conçu, Soit que ce moyen eut
réuffi , foit par tout autre motif, le pere promit
de neplus aller voir la veuve.-La veille de
l'Epiphanie , les gens de la campagne ſe réunifſent
en famille pour célébrer la fête des Rois ;
Lacquemant , qui croyoit avoir fait perdre à fon
pere tout penchant pour le mariage , l'invita à
fouper le 5 janvier 1784. Dans la gaieté du
repas , le bon vieillard par quelque propos déclara
ía perſévérance pour la veuve. Lorſqu'ils ſe
furent ſéparés (vers dix heures & demie ) , le
fils inquiet , voulut s'aſſurer ſi ſon pere étoit
rentrédans ſa maifon : il s'y tranſporta , & ne
l'y ayant point trouvé , il prévit qu'il étoit chez
laveuve; & auffi-tot de ſe livrer à tous les exès
de la fureur. Il court chez lui , ſe déguiſe ,
s'arme d'un gros bâtonde cerifier , va ſe poſter
fur le paſſage de ſon pere, l'attend pendant une
heure &demie , & l'ayant enfin apperçu , s'élance
, lui porte , avec violence , pluſieurs coups
debâton fur les jambes ; elles ſont rompues
; .... le malheureux vieillard ſe releve ſur
....
( 48 )
reur , ....
les genoux , reconnoît ſon fils , frémit d'horla
douleur l'effroi d'une mort violente
, le ſpectacle affreux d'un fils afſaſſinant
ſon pere , tout l'enfer déchirant fon coeur. La
terreur fur le front , les joues livides & creuſées ,
des cheveux blancs hériflés , les bras tremblans
tendus vers fon parricide,il s'exhale en gémiſſemens,
il implore ſa pitié; .... le monſtre , d'une
main horriblement fûre, lui porte ſur la tête le
coup de la mort ...- Le lendemain [ 6 Janvier
le cadavre de cet infortuné vieillard fut
trouvé dans l'endroit même ou il avoit été
affaffiné. Jamais les ſoupçons n'euffent tombé
fur J. B. Lacquemant , fi ce malheureux n'avoit
lui-même été au-devant par ſes inquiétudes &
ſes remords. Bientôt il fut décrété , arrêté ; les
hommes de fief de la cour feodale de la ville de
Marchiennes inftruifirent la procédure , & fur
les preuves qui en réſulterent , ils condamnerent
le parricide à être rompu & brulé. Leur
fentence a été confirmée par le parlement de
Douay , le 29 Janvier 1784. Deux jours après
Jean -Baptiste Lacquemant, ſubitſon fupplicedans
toute fa rigueur , mais avec une réſignation que
la religion ſeule peut inſpirer. Moins effrayé
des tourmens dont ilvoyoit l'affreux appareil, que
de l'horreurde ſon crime, ce malheureux, en montint
à l'échafaud, dit aux religieux qui l'accompagnoient
, que les tranſes qui le bouleverſoient , n'avoient
point pour cauſe l'approche du fupplice qui lui
étoit préparé , mais la crainte que cefupplice neſuffit
paspour expierfon forfait devant Dieu ; qu'une autre
allarme , non moins déchirante pour lui , étoit ſon
incertitude ſur les diſpoſitions de l'ame de fon pere ,
lorſqu'il expira. -Ce fut dans des ſentimens
auffi touchans , que mourut celui qui s'étoit
fouillé du plus abominable de tous les crimes.
MERCURE
DEFRANCE .
SAMEDI 26 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
Au Comte DE HAGA.
IL te revoir enfin, ce Peuple aimable & brave ,
Qui , dès tes jeunes ans, jugea ſi bien de toi !
Tu n'as point démenti le grand nom de Guſtave;
On eſtima le Prince , on admire le Roi.
Combien de ta préſence auguſte
Nos Citoyens ſant réjouis !
C'eſt complaire à leur maître.... Ils favent qu'un Roi
juſte
Doit être l'ami de Louis.
Dans cet accueil touchant vois l'honorable marque
De nos voeux & de ton ſuccès ;
Faut- il plus dire encor ?.... Sois sûr que le François ,
S'il n'avoit ſes Bourbons, te voudroit pour Monarque ,
Tant fur lui les vertus ont un attrait puiſſant !
Il n'eſt point , tu le ſais , d'État ſi florifſfant ,
N³. 26 , 26 Juin 1784.
G
146 MERCURE
Et point de fi beau diadême.
Quel est donc en effet le ſort des Souverains !
Beaucoup font reſpectés , d'autres , hélas! ſont craints.
Ce n'est qu'en France qu'on les aime.
( Par M. D.... t. )
:
VERS contre les Vieillards , consacrés à la
gloire de leur plus brillant Doyen.
CROROIIKREE encor écrire enbeauxvers,
Se marier , livrer bataille
Quand on a quatre- vingt hivers ,
C'eſt s'expoſer à trois revers ,
Dont fans pitié chacun ſe raille.
Idolâtrer , ſervir dans un âge auſſi vieux
Les Amours, les Muſes , laGloire ,
N'eft qu'un ridicule odieux.
Tous les vieillards ſont faits pour rater la Victoire.
L'homme au bord du tombeau , traînant ſon corps
perclus ,
Même avant d'expirer ſouvent n'exiſte plus .
Ainfi , Guerriers, Amans , Riments octogénaires ,
Jouiſſez du paflé , bornez-y vos chimères ,
Racontez vos exploits , liſez vos vers heureux ,
Sans eſſayerd'en faire d'autres ;
L'eſprit baiffe & s'éteint dans un corps catarreux .
Mars , Phébus & l'Amour ne lancent plus leurs feux
Sur des coeurs vieux , uſes , glacés comme les vôtres.
'DE 147 FRANCE.
Ces vers , où je m'égaie aux dépens des vieillards ,
Furent lûs l'autre jour d'un ami des Beaux-Arts ,
Qui me dit : « N'en déplaiſe à votre poćke ,
>>>Le modèle brillant de la galanterie ,
>>>Qui pilla de Vénus des grâces le tréſor ,
>>Qui prit Chypre & Mahon en dépit de l'envie ,
>> Qui reçut tour--à tour une couronne d'or ,
• Des trois Dieux que vos vers veulent qu'un vieil-
R
>> lard fuie :
...... qui des Grands piqua la jalouſie ,
>> A quatre vingt-huit ans eſt bien vivace encor.
>> L'âge n'a pas éteint ſa force&ſon génie.
J'en conviens , ce Héros vanté ,
Non moins ſavant dans l'art de Follard , de Polybe,
Que dans l'art plus charinant de dompter la beauté ,
Siffle par ſa bonne ſanté
Ma morale & ma diatribe.
En Grèce , les vieillards à leurs petits enfans
Difcient: « Ce bon Neftor qu'on révère & qu'on
>> aime ,
>> Qui raconte des faits auſſi vieux qu'étonnans ,
>> Qui vit Troye embrâfée& ſes remparts croulans ,
>> Nos pèrescommenous l'ont toujours vù de même..
Je veux que R...... , par un bonheur extrême ,
Conſerve comme lui ſa vigueur & ſes ſens.
Que Bellone & Vénus l'adorent à cent ans .
Ces deux Belles encor , fans nuire àmon ſyſtème ,
Peuvent le couronner de leurs lauriers brillans.
G
1
1
148 MERCURE
Commeonvoitdans l'hiverun beaujourde printems,
Par miracle une fois la ſageſſe ſuprême
Sufpend l'ordre& le cours de fes décrets conftans ,
Garantit unHéros des outrages du temps ,
Et le dérobe aux coups de la parque au teint blême.
Mais comme tout finit , quand ce Neſtor nouveau
Aura dans un eſquif traverſé l'onde noire ,
Voici ce que ſur ſon tombeau :
Gravera le burin des Filles de Mémoire :
« Paffant , qui que tu fois , apprends que dans ce lieu,
>> Sous ce marbre ſacré, repoſe un demi-Dieu ,
>> Qui fixa ſur ſes pas l'Amour & la Victoire ,
• Qui vit bien peu changer les deſtins inconſtans ,
>> Qui joignit de Vénus les mýrtes éclatans
> Aux brillans lauriers de la gloire.
>>> Le plus aimable des François ,
>> Le plus grand aux yeux de Bellone ,
>> Le ſauveur du Génois, la terreur de l'Anglois ;
L'ami de ſon Monarque & l'appui de ſon trône ;
>> Qui réunit tous les honneurs ,
» Qui de Minerve eut les faveurs ,
>> Qui ſubjugua toutes les Belles;
Qui , ſans languir jamais dans un obfcur repos,
>> Se montra près d'un ſiècle un grand Homme, un
לכ Héros;
>>> Il cueillit en tout temps des palmes immortelles. »
Stdu Seigneur vanté, dont je peias les hauts faits ,
DE FRANCE.
149
Dans des vers moins beaux que fidèles ,
Je te tais le grand nom. Tu m'as lû..... Tu le fais.
(ParM. leFrançois , Ancien Officierde Cavalerie.)
IMITATION d'une Épigramme de
l'Anthologie.
APRÈS PRÈS les faveurs d'une Belle ,
Sais-tu ce que j'aime le mieux ?
Ami , c'eſt le vin le plus vieux
Et la chanſon la plus nouvelle.
( Par M. le Vicomte de Br... de Vérac. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercureprécédent.
LE mot de la Charade eſt Voltaire; celui
de l'Enigme eſt Jus ( fuc, jus ) , Jus (Droitde
Justice) ; celui du Logogryphe eſt Figaro ,
où l'on trouve Io , Roi , air , or , if, fa ,
Riga , Goa , foi , fi , gai.
CHARADE.
L'un de l'autre eſt frère ,
Et le tout eſt père.
(Par M. D***** D. )
Giij
150
MERCURE
ÉNIGME.
JEEne péris point par la corde
T
Et cependant il eſt bien clair
Qu'on me pend ſans miféricorde,
Et queje ſuis pendu même avant d'être en l'air...
Par M. de la Roque , Capitaine en Secona au
Régiment de Baffigny. )
LOGOGRYPΗ Ε.
J'APPARTIENS 'APPARTIENS par droit de conquête ;
Duplus fort jedeviens la part.
J'ai cinq piés. Au pays Picard
Je ſuis ville , en perdant ma tête.
Mes deux premiers à bas , ſans être un Orateur ,
Je fus célèbre au Capitole.
Otes-moi tête& queue ,& parlant à ton coeur ,
François , je nomme ſon idole.
(Par M. le Marquisde Fulvy. )
DE FRANCE : 151
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
LES Veillées du Château , ou Cours de
Morale à l'usage des Enfans , par l'Auteur
d'Adèle & Théodore. A Paris , de l'Imprimerie
de Lambert , rue de la Harpe ,
près S. Come ; 1784.3 vol . in- 8 ° . Prix ,
15 liv. brochés .
Je ſuis ,dit Madame de Geulis , le pre-
- mier Auteur qui ſe ſoit occupé de l'Édu-
> cation du Peuple. "
Elle auroit pu ajouter :
Et j'ai pris pour l'inſtruire , la forme la
plus agréable , laplus intéreſſante , là plus à
la portée comme au goût de tout le monde ,
la plus favorable à l'inftruction , la forme
dramatique.
Cet avantage méritoit ſans doute d'être
réclamé. Mme de Genlis , en le réclamant ,
n'en rend pas moins à l'Auteur des Vûes Patriotiques
ſur l'Éducation du Peuple , & c. une
juftice que tout le monde ne luia pas rendue;
mais comment pouvoit on avoir oublié ce
quatrième Volume du Théâtre d'Éducation ,
uniquement deſtiné aux enfans de Marchands
, d'Artiſans , de perſonnes même audeffous
de cette claſſe ? Comment pouvoiton
fur- tout avoir oublié cette Rofière de
Giv
152 MERCURE
Salency, l'un des plus touchans Ouvrages
qui exiftent dans notre langue , & le plus
touchant peut être de tous ceux de Mme de
Genli?s
Quant à la queſtion ſi l'Auteur a voulu ſe
peindre ſous le nom de Mme d'Almane ,
dans Adèle & Théodore , il n'en fut jamais
de plus oiſeuſe. Quel Auteur d'Ouvrage en
forme , ſoit épique, ſoit dramatique , ne
donne pas ſes opinions& ſes ſentimens au
principal perſonnage , au perſonnage le plus
vertueux ? Est- ce s'attribuer les vertus de ce
perſonnage , que d'annoncer qu'on penſe
comme on le fait agit ? Laiffons ces chicanes
nées de la grande célebrité du Livre
d'Adèle & de fon éclatant ſuccès. Les Veillées
du Château vont bien exciter d'autres orages.
Premièrement , quelques Auteurs vivans y
font beaucoup loués , ce qui déplaît toujours
un peu à d'autres Auteurs vivans. Secondement
, des Auteurs illuftres , on encore
vivans ou morts depuis peu , y font beaucoup
critiqués , ce qui eſt encore plus amer ;
& l'Auteur qui vivra éternellement , M. de
Voltaire , y eſt ugé avec une ſévérité qui ne
paroîtra pas juſte à tout le monde. Marchons
d'un pas ferme & libre à travers toutes ces
opinions , en ne les confidérant que comme
des opinions qui ne font loi pour perfonne
, mais qui ne doivent être interdites à
perfonne. Reſpect & admiration pour tout
ce qui en mérite; mais point de culte d'hom
me à homme , point de ſuperſtition. L'OuDE
FRANCE.
193
vrage le plus utile à faire , ſeroit peut être
un examen impartial , à charge & à decharge
des OEuvres de M. de Voltaire , parce que
c'eſt l'Écrivain dont l'influence fur fon fiècle
a éré la plus grande , tant en bien qu'en mal.
S'il y a un genre d'Ouvrage où l'on puiffe
s'attendreàtrouver cet illuftre Écrivain traité
avec quelque rigueur , c'eſt ſans doute an
Livre conſacré à l'éducation de la jeuneſſe ;
& il faut permettre, quand même on ne
ſeroit pas de cet avis , de dire qu'il ne peut
être mis qu'avec précaution & avec choix
entre les mains des enfans,&des jeunes gens .
La Préface des Veillées nous offre d'abord
une grande vérité à laquelle on ne fauroit
faire trop d'attention, c'eſt qu'il n'y a d'utiles
que les Livres agréables; c'eſt que la morale
miſe en action eſt la ſeule qui agiſſe ſur
les âmes; & que les Ouvrages qui ont le
plus influé ſur les moeurs , ont tous une forme
agréable & intéreſſante. Il en eſt de
même detous les genres d'inſtruction : pour
inſtraire , il faut plaire. Combien d'Ouvrages
admirables pour la profondeur des recherches
& l'immenſité des connoiffances , n'ont
rien appris à perſonne , parce que leurs Auteurs
ont négligé de ſacrifier aux Grâces , ou
de prendreune forme attirante & attachante;
car ce que nous diſons ici en général de l'agrément
, tient d'une manière particulière à
La forme , malgré les défauts même de l'exécution.
Un exemple rendra ceci ſenſible.
Tout le monde lit le Spectacle de la Nature ,
Gv
154
MERCURE
&tout le monde convient que , ſans parler
du fond , la forme dialogique n'en yaut rien.
L'Écolier eſt déjà un petit pédant; Madame
la Comteffe , à qui on a voulu donner les
grâces d'une femme du grand monde , n'eſt
qu'une Bourgeoiſe qui a des airs ; M. le
Comte eſt un gentillâtre affez épais ; M. le
Prieur est un homme de College. Tel eſt
cependant le charme de cette forme dramatique
, toute défectueuſe qu'elle eſt , qu'on
s'amuſe en s'inſtruiſant dans le Spectacle de
la Nature , & que l'Histoire du Ciel , du
même Auteur , où c'eſt l'Auteur même qui
parle & enſeigne d'un ton raiſonnable &
ſenſé , ennuie & n'apprend rien.
De toutes les formes qu'on peut donner
' à un Ouvrage d'inſtruction , à toute forte
d'Ouvrages , la forme dramatique est toujours
la plus intéreſſante; l'épopée même eſt
obligée d'y recourir pour produire ſes plus
grands effets ; auſſi eſt- ce la forme que Mme
de Genlis a cru devoir donner à preſque
tous ſes Ouvrages. C'est le Théatre d'Éducation
, c'eſt le Théâtre de Société , toujours
fait dans un eſprit relatif à l'éducation ; le
Roman moral & inſtructif d'Adèle eft en
Lettres , par conféquent dramatique ; dans
les Veillées , tout prend la même forme ,
rout parle & agit ſous les yeux du Lecteur.
La Baronne , & Mme de Clémire ſa fille ,
qui racontent à leurs enfans , dans un vieux
château , les hiſtoires de la veillée , ou qui
les font raconter par des perſonnages inté-
:
DE FRANCE. 155
reſſés à l'action , font agiſſantes comme les
filles de Minée , dans les Métamorphofes ,
quand elles racontent la malheureuſe aventure
de Pyrame & Thisbé , & d'autres hiftoires
ſemblables ; ou , comme Philoctère ,
lorſque d'après Sophocle il peint ſi énergi-
- quement à Télémaque ſes longues fouffrances
dans l'Ifle de Lemnos , ſes touchantes
fupplications à Pyrrhus , ſes fureurs contre
Ulyffe, enfin ſa réconciliation avec ce même
Ulyffe& les Atrides , par l'entremiſe de Pyr
rhus & par l'ordre d'Hercule.
Les Hiſtoires des Freillées , priſes toutes
enſemble , ont un grand objet moral , qui eſt
le même que celuid'Adèle & des deux Théủ-
tres; c'eſt celui d'inſpirer aux enfans les
goûts ſimples & vertueux qui rapprochent
de la Nature , & qui font aimer la vie champêtre;
chaque hiſtoire en particulier a aufli
fon but moral, ſa vérité particulière à établir
& à inſpirer ; & ici le plan romaneſque &
dramatique eſt poſtérieur & fubordonné a
plan des idées: le conte eſt fait pour la mor
ralité , non la moralité pour le conte. Quand
La Fontaine veut prouver qu'il faut avoir le
courage de ſuivre ſa vocation dans le choix
d'un état , ou fon goût dans les choſes indifférentes
, fans donner trop d'importance aux
jugemens frivoles , inconfequens & contradictoires
du valgaire, la fable du Meûnier ,
fon Fils & l'Ane , établit très bien cette vérité;
tous les incidens s'y rapportent parfaitement;
on ſent que le conte a été fait pour
Gvj
156 MERCURE
la moralité ; quand , au contraire , dans une
fable ou prologue contre ceux qui ont le goût
difficile, il eſſaye groteſquement divers tons
fans ceffer de donner priſe à la critique , &
qu'il finit par dire :
Les délicats ſont malheureux ,
Rien ne fauroit les ſatisfaire .
Cette prétendue moralité n'est qu'une défaite
par laquelle le Poëte ſe joue de ſon
Lecteur en finiffant , comine il s'en eſt joué
dans tout le cours de l'Ouvrage : cette moralité
n'eſt nullement établie. Eſt on malheureux
de ne pas trouver que priant &
amant forment une rime bien riche ? Ici la
moralité a été faite pour la pièce , & non la
pièce pour la moralité , c'eſt ce qui fait que
la moralité porte à faux. L'Auteur des Veillées
évite toujours cet inconvenient. Faits ,
incidens , caractères , jeu des paſſions , tout
ſe rapporte a la moralité , tout la développe
& la rend ſenſible. L'enfant ne peut plus la
méconnoître ni l'oublier; il a été amuſé ,
ému , intéreſſé en apprenant ſon devoir ; il
fent la raiſon , il aime la vertu .
Ce n'eft pas tout de prouver à part , &
d'une manière iſolée , chaque vérité ; il faut
qu'en s'enchaînant , elles ſe fortifient & fe
prêtent un ſecours mutuel; ce n'eſt point an
haſard que les diverſes Hiſtoires qui compofent
ce Recueil ſe trouvent placées à la ſuire
les unes des autres; la ſuivante naît toujours
de la précédente, &des réflexions auxquelles
DE FRANCE.
157
elle a donné lieu ; ces hiſtoires ſont difpoſées
dans un ordre graduel , favorable &
adapté aux progrès de l'eſprit des enfans,&
au développement de leur raiſon.
Par exemple, Mine de Clémire s'apperçoit
que des propos de Femmes de chambre&de
Domeſtiques intéreſſes à regretter Paris , ont
jeté dans l'eſprit des enfans des préventions
contre le ſejour de la campagne ; elle reconnoît
d'abord la ſource de ces préventions,
&elle avertit ſes enfans du danger de ces
converſations avec des Domeſtiques , à qui
le défaut d'éducation donne des idées & fuggère
des diſcouts qui ne peuvent que nuire
aux progrès de l'éducation. Cependant cette
règle de ne point caufer familièrement avec
les Domeſtiques, reçoit d'abord toutes les
restrictions dictées par l'humanité , par la
raiſon , par l'élévation înême, ſi différente de
l'orgueil, elle reçoit auffi des exceptions ab
folues; par exemple, lorſqu'un caractère diftingué
, des vertus rares , ou le haſard d'une
éducation heureuſe ſe rencontrent dans ceux
qui ont le malheur d'être réduits à l'état de
Domestiques , ces exceptions ſont autant de
nouvelles vérités à démontrer , & c'eft ce qui
amène la touchante hiſtoire d'Ambroife &
celle de Marianne Rambour , dont l'action ,
difcutée dans un entretien intéreſſant , qui
n'eſt point au deſſus de la portée d'un enfant
bien élevé , eſt jugée ſupérieure à celle d'Ambroiſe,
laquelle fait peut être d'abord plus
d'effet. C'est ainſi que chaque hiſtoire eſt un
158 MERCURE
petit Drame complet , faiſant partie d'un
grand Drame , qui eſt l'ouvrage entier. Ce
mélange de récits , & de réflexions ſur ces
récits , eſt une méthode pleine d'intelligence
& de goût , qui double le mérite des uns&
des autres ; les récits font valoir les réflexions
en les appliquant à quelque choſe de ſenſible
, en leur ôtant cette généralité vague ,
cette ſéchereffe qu'elles ont dans les traits de
morale purement dogmatiques ; les réflexions
à leur tour donnent du prix aux récits ,
elles en prolongentl'effet , elles en font fortir
les détails; quelquefois même , en corrigeant&
modifiant certaines impreffions trop
fortes & trop promptes , elles rectifient ce
que les jugemens peuvent avoir eu , en con
ſéquence, de défectueux . Par exemple, dans
l'hiſtoire de M. de la Palinière , Julie paroît
un exemple de la vertu opprimée & malheureuſe
, & les enfans doivent en juger
ainfi ; un examen plus ſévère , une difcuflion
plus fine fait appercevoir dans ſa conduite
des fautes qui font la véritable cauſe de ſes
malheurs.
C'eſt ainſi que la Baronne & Mme de
Clémire examinent tout , diſcutent tout, pèſent
tout, jugent tout avec leurs enfans , &
leur font faire de leur raiſon naiſſante un
uſage toujours progreſſif; elles deſcendent
noblement, ſans petiteſſe , ſans minutie, jufqu'à
leurs enfans pour les élever juſqu'à
elles; elles obfervent en grand ce beau précepte
de Juvenal : Respectez l'enfance , ne
DE FRANCE. 199
dédaignezpoint lafoibleſſe desjeunes années.
Maximadebetur puero reverentia.......
• . Ne tu vueri contempleris annos .
Voilà pour ce qui concerne le plan général
& le ſyſtemo d'après lequel l'Ouvrage eſt
compofé.
Parcourons quelques détails.
La première & la plus importante leçon à
donner àdes enfans, étoitde leur faire fentir
tout le prix de l'éducation , tout le malheur
d'en être privé , tout l'intérêt qu'ils ont de
ſeconder par leur docilité les foins de leurs
parens,tout le beſoin qu'ils ont de s'inſtruire
&de prendre la raiſon pourjuge de toutes
leurs actions , de leur faire ſentir enfin combien
la deſtinée de ce qu'on appelle un enfantgâté,
peut être malheureuſe.
C'eſt l'objet de la première Hiſtoire , qui
a pour titre: Delphine , ou l'heureuse guérifon.
Nous ne parlons plus ici du rapport
ſenſible des faits & des caractères avec la
leçonqu'on veut donner ; ce mérite de convenance
, qui ſe retrouve dans tout l'ouvrage
, a été ſuffifamment relevé: ce que
nous remarquons plus particulièrement ici ,
c'eſt le talentde peindre & de graver les objets
dans l'imagination en traits ineffaçables ;
c'eſt le jeu des petites paſſions de Delphine ,
de ſes caprices, de ſes hauteurs , de ſes fureurs
, de ſes petites révoltes impuiſſantes
contre la raiſon ferme & calme qui a entrepris
de les dompter , & qui en triomphe;
1.60 MERCURE 1
c'eſt la variété , c'eſt le contraſte des caractères
& de la conduite ; ce ſont ces nuances
fines qui differencient les caractères du
même genre : M. & Mime Steinhauffe , Hen
riette , leur fille , Catau , leur Servante , font
tous caractères du même genre , toujours
guidés par la raiſon; ils font dans la même
cauſe&dans les mêmes intérêts; ils tendent
au même but , ils concourent au même ouvrage
, & cependant ils font tous différens.
Le mari eſt réſervé pour les grandes occafions
: c'eſt un Dieu ſauveur qui ne paroît
que pour rendre la vie& la ſanté; on ne le
voit , pour ainſi dire , que dans le lointain.
C'eſt ſa femme qui eſt chargée des détails da
régime & de la conduite; elle oppoſe aux
contradictions , aux révoltes , aux tempêtes ,
le calme d'une taiſon inaltérable; l'autorité
dont elle est dépositaire , joint à ſadouceur
une petite teinte de ſévérités par la raifon
contraire , on ne voit rien de ſemblable chez
Henriette , ſa raiſon est toujours douce , enjouée
, indulgente , aimable; elle a , pour
ainſi dire, la fraîcheur & les grâces de la jeuneffe;
fa bonté, ſa bienfaiſance en ont toute
l'ardeur . Catau eft , comme le dit Madame
Steinhauſſe , une excellente fille , très patiente
, très douce; la ſeule circonſtance
d'être Allemande & de ne pas entendre un
mot de François , la diftingue fuffisamment
des autres , & contraſte plaiſamment avec
les emportemens& les fureurs de Delphine.
Au milieu de cette tempête, Catau eft in
DE FRANCE. 161
ſenſible & immobile comme un rocher ,
elle n'a d'action que contre les actions ; les
diſcours ne lui ſont abſolument rien. Mais
ce qui eft fur tout ménagé avec un art infini ,
c'eſt le retour de Delphine à la raifon & à
la vertu ; il ſe fait par une gradation patfaitement
proportionnée au caractère de la
jeune fille, qui est très- imparfaite , mais qui
n'eſt point perverfe , & à l'influence que
doivent avoir ſur elle les événemens & les
exemples dont elle eſt entourée. La réparation
qu'elle fait à Catan eſt attendriflante ;
Delphine devient non- feulement bienfaiſante,
mais delicate; car la délicateffe , qui
ménage l'amour- propre ,devient une partie
effentielle de la bienfaiſance .
C'eſt par les plus douces & les plus tendres
larmes que le Lecteur fait l'éloge de
l'Eſtoire qui a pour titre: Le Chaudronnier,
ou la Reconnoiſſance réciproque , & qui eft
déjà célèbre ſous le nom d'Histoire d'Ambroife.
Cet Ambroiſe eſt un Laquais qui
nourrit ſa Maîtreffe , tombée dans la pauvreté.
Obligée de renvoyer tous ſes Domeftiques
, elle avertit Ambroise de chercher
une autre maiſon. "-Non , je mourrai en
>> vous fervant.-Ambroise , vous ne con-
>> noiffez pas ma fituation. - Madante ,
vous ne connoiſſez pas Ambrøife. » Mot
fublime , dont toute la conduire d Ambroiſe
eſt le développement. La reconnoiffance de
fa Maîtreſſe n'eſt pas moins touchante , &
le plaifir de voir leur vertu récompensée est
142 MERCURE
un bonheur dont le Lecteur a beſoin .
L'Hiſtoire des deux petits Payſans , Auguſtin
& Colas , établit une eſpèce de paradoxebien
piquant en morale , & qui pourroit
être bien utile au genre humain ; c'eſt
qu'il n'est pas auffi naturel qu'on le croit
communément , de ſe préférer aux autres.
Auguſtin s'est dépouillé de tous ſes habits ,
>> parce qu'il fouffroit moins de la douleur
➤ qu'il éprouvoit que de celle qu'enduroit
» fon frère ...... O quel ſentiment fublime
>> que la pitié , puiſqu'il peut donner de
ود ſemblables vertus ! Loin d'amollir l'âme ,
>> il l'élève , il fait oublier les dangers , bra-
>> ver la mort & la douleur !..... Ne vous dé-
د fendez donc jamais d'un mouvement fi
>> beau. Conſervez avec ſoin cette paffion
* active & tendre , ſi naturelle au coeur de
> l'homme , & qu'il ne peut perdre qu'en
>> ſe corrompant. "
Nous avons parlé de l'Hiſtoire de Marianne
Rambour, qui remplit, à ſes dépens
&ſur ſes épargnes, les derniers voeux de ſa
Maîtreffe, en fondant une école de charité
que ſa Maîtreſſe , en mourant , regrettoit de
n'avoir pu fonder. Elle en eſt auſſi récompenſée.
Ce qui donne lieu à l'Auteur d'établir
une autre maxime en morale , qui mériteroit
d'être toujours vraie , c'eſt quejamais.
une action héroïque ne reſte ſans récompense,
même dès ce monde.
La mauvaiſe éducation avoit donné des
vices à Delphine ; on ſent aisément l'horreur
DE FRANCE. 163
du vice , on s'effraye moins des ſimples défauts;
la négligence , par exemple , le défaut
de foin& d'ordre ſont affez ordinaires aux
enfans ; on ſe les pardonne d'autant plus aifément,
que la morale n'y paroît pas d'abord
intéreſſée ; l'Auteur fait voir à quel pointils
peuvent être nuiſibles ; c'eſt l'objet de l'Hiftoire
qui a pour titre : Eglantine , ou l'Indolente
corrigée. Le courage maternel de Doralice
( fait véritablé) eſt un ſuperbe incident>
dans cette Hiſtoire. Celle de M. de la Palinière
offre des ſcènes tragiques , & montre
le danger des paffions. Bugénie & Léonce ,
ou l'Habit de Bal. Cette Hiſtoire eſt une
des plus jolies Paftorales Dramatiques , &
nous ne ſerions pas étonnés que ce fût celle
detoutes ces Hiſtoires qui fît le plus de plaifir
à beaucoup de Lecteurs. La ſcène eſt à la
campagne. Eugénie , femme de Léonce ,
jeune, ſenſible & bien élevée , a reçu de fon
beau père une bourſe de ſoixante louis pour
ſe faire faire un habit de bal. Cet uſage de
l'argent lui avoit été indiqué par ſon beaupère.
Il s'agiſſoit d'une grande fête où elle
devoit ſe trouver à Paris dans quelque tems.
Eugénie avoit vû dans la campagne un vieillard
à cheveux blancs , pauvre , chargé d'une
foeur paralytique & de cinq petits enfans
orphelins. Avec cinquante louis , dit-elle ,
j'aurai un habit affez beau; ainfi , je vais
prendre dix louis ſur cette fomme pour les
donner au pauvre Jérôme ( c'eſt le nom du
vieillard ): elle le trouve endormi au bord
164 . MERCURE
d'un ruiſſeau ; ſa petite famille raſſemblée
autour de lui ,& protégeant ſon ſommeil ;
les uns chaſfant les mouches & les coufins
avec des branches de faule , une autre éten
dant an deffus de la tête un tablier pour lui
donner de l'ombre , la naïveté de la petite
fille faiſant ſigne du doigt à Eugénie de ne
pas faire du bruit , & ne conſentant à lui
céder la place , ainſi que ſes perits frères ,
qu'après qu'elle a promis de bien chaffer les
mouches ; tout cela forme un tableau, enchanteur..
Comme il dort paiſiblement , dit Eugé-
> nie en le conſidérant ! pauvre& refpes-
>> table vieillard ! à ſoixante & quinze ans
>> encore obligé de travailler ſans relâche ! ...
>>O qu'il feroit doux d'affarer la tranquillité
de ſes vieux jours !..... Dix lopis ne ſe-
>>, ront qu'un foulagement à ſa misère; mais
>>cinquante le mettroient dans l'aiſance......
>>Valentine, (c'eſt la fille deſaGouvernante)
>>>regarde ce vieillard..... Avec quelle gaîté
>>il fouperoit ce foir, entouré de ſes petits
enfans ! avec quelle joie pure il les embeafferoit&
recevroit leurs careſſes !.... &
» moi , demain matin, je pourrois écrire
tout ce détail à ma mère ...... O ma mère !
combien elle feroir heureuſe en lifant
>>certe lettre ! Elle convient avec Valentine
>> qu'elledoit conſulterLéonce;mais , ajoute-
>>t'elle , éloignons-nous d'ici , car la vue de
ce vieillard me cauſe une rentation à la-
» quelle je ne pourrois réſiſter. Elle fe
DE FRANCE. 165
,
lève pour aller confulter Léonce , elle le voit
àſes pieds: caché derrière une haie , il avoit
tout vû , tout entendu , tout approuvé avec
tranſport.On peut ſe figurer l'etonnement
l'attendriffement , la joie , la reconnoiſſance
du vieillard à fon réveil. A travers tout ce
charme de vertu & de bienfaiſance dont on
eſt pénétré juſqu'au fond du coeur , Cefar ,
fils de Mme de Clémire , remarque la circonſtance
de Léonce , caché derrière une haie
pour ſurprendre ;& malgré toutes les raiſons
qui l'excufoient , on le blâme de s'être caché,
on établit pour principe que dès qu'une
action eft condamnable par elle-même , on
ne doit jamais ſe la permettre , quel que foit
le motif qui nous guide , & cette perite faute
n'a été mêlée parmi tant de bons ſentimens ,
que pour éprouver la raiſon des enfans , en
leur faiſant démêler cette faute comme une
diffonnance ouune couleur trop tranchante .
L'Hiſtoire qui a pour titre : Alphonse &
Dalinde, ou la Féerie de l'Art& de la Nature,
eſt le réfultat de lectures immenfes ;
c'eſtun cours complet d'hiſtoire naturelle &
de géographie : il ſeroit difficile d'inftruire
d'une manière plus agréable &
plus intéreſſante ; mais nous devons peutêtre
avertir les Lecteurs frivoles , les Lecteurs
gens du monde , qu'ils feroient un
étrange contre ſens s'ils prenoient ici le roman
pour l'objet principal , & l'inftruction
pour Pacceſſoire. La manière la plus utile de
lire cette hiſtoire , eſt d'avoir toujours les
166 MERCURE
notes & des cartes ſous les yeux ; en un mot,
c'eſt une étude qu'il faut ſe réſoudre à faire ,
mais une étude dans laquelle l'Auteur a pris
fur elle toute la peine , & n'a laiſſé au Lecteur
que l'agrément .
Il y a dans les converſations de Mme de
Clémire avec ſes enfans , beaucoup d'autres
inſtructions ſemblables ſur les Arts , fur
l'Hiſtoire , fur la Morale , ſur la Phyſique ,
fur tous les objets .
L'Hiſtoire qui a pour titre: Pamela , ou
l'Heureuſe Adoption , offre dans Paméla le
caractère le plus aimable qu'il ſoit poffible
de concevoir , & rien n'eſt plus naturel ni
plus vrai que l'enthouſiaſme de cet Anglois ,
qui s'écrie : Grâce au ciel, cet Ange est une
compatriote.
Voici quelques traits de ſon portrait.
• Son âme l'élevoit ſans ceſſe au deſſus de
ود ſon âge. Lorſqu'elle parloit de ſes ſentimens
, elle n'avoit plus le langage ni les
> expreſſions de l'enfance. On pouvoit citer
>> d'elle mille traits charmans , des réponſes
fines & délicates , & une foule de mots
» heureux & touchans que le coeur ſeul peut
>> inſpirer. Cette ſenſibilité vive & profonde
> répandoit une grâce inexprimable fur
>> toutes les actions de Pamela ; elle donnoit
ود à ſa douceur un charme qui pénétroit
l'âme ,elle embelliſſoit ſa figure .On voyoit
mille fois Pamela avant de ſavoir fi fes
traits étoient réguliers , ſi elle étoit belle
» ou jolie. On n'étoit frappé que de ſa phy-
"
DE FRANCE. 167
وو fionomie intéreſſante , ingenue; on ne re-
>>marquoit que l'expreſſion céleste de ſon
» viſage. On ne pouvoit ni l'examiner ni la
" louercomme une autre.Elle avoit de grands
» yeux bruns , de longues paupières noires.
Onne diſoit rien de ſes yeux; on ne parloit
que de ſon regard.
ود
Olympe & Théophile , ou les Herneutes.
Cette hiſtoire donne de grandes leçons aux
pères ambitieux qui forcent l'inclination de
leurs enfans. Un père qui a voulu ſacrifier
ainſi ſon fils , & qui l'a réduit à la fuite ,
voyage , ou pour le retrouver ou pour diffiper
ſes chagrins. A l'Ange- Sund , en Hollande,
il eſt frappé d'un tableau contraſtant ,
quilui montre la récompenſe de l'indulgence
des parens , dans le bonheur d'une famille
nombreuſe & vertueuſe , qui , ce jour- là ,
célèbre avec reſpect & avec amour la naifſance
d'une vieille grand'mère , âgée de
quatre vingt quinze ans. Elle les bénit tous.
• O mon Dieu , dit- elle , accordez à mon
ود
20
"
fils , juſqu'à ſon dernier moment , la félicité
dont vous m'avez fait jouir ! que ſes
enfans ſoient toujours pour lui ce qu'il a
été conſtamment pour moi ! mon Dieu ,
béniffez-les , tous ces enfans , qui font le
> charme de mes vieux jours , & payez à
>> mon fils ſoixante & douze ans de bonheur
"
20
" que je dois à ſa ten freſſe &àſes vertus.>>
Les Solitaires de Normandie font une hiftoire
véritable , & c'eſt un intérêt de plus ;
163 MERCUREil
est bien doux de ne pas regarder le fait
comme douteux.
Les trois Contes Moraux que renferme le
troiſième volume , n'appartiennent plus aux
Veillées du Château , & ne pourront être à
laportée des enfans de Mme de Clémire que
quand ils feront plus avancés en âge. Daphnis
& Pandroſe eſt un beau morceau de profe
poétique. Le Palais du Silence fourmt des
contraſtes plaifans entre ce que les perfonnages
diſent & ce qu'ils veulent dire; il en
réſulte des ſituations piquantes. Mais le premier
de ces trois Contes , les Deux Réputations
, eſt celui qui excite le plus la curioſité
, & qui , ſans l'aveu de l'Auteur , flatte
le plus la malignité du Public. C'eſt là que
les grands coups ſont frappés. Des Écrivains
illuſtres y font critiqués avec politelle &
avec réſerve , mais avec ſévérité. Les uns
morts depuis peu , laiſſent des amis zélés ;
les autres encore vivans ne ſont que trop
bons pour ſe défendre. Nous n'aurons pas le
ridicule de leur offrir un fecours dont ils
n'ont pas beſoin ; nous aurons encore moins
latémérité de paffer condamnation pour eux.
Un Corps reſpectable eſt auſſi attaqué dans
cet Écrit , mais le trait qu'on lui lance ne
peut porter coup , puiſque pour le trouver
en faute, il a fallu avoir recours à la fiction.
En général on peut toujours attaquer impunément
ce Corps ; le principe de ſon ſilence
eſt le même que celui de la patience d'un
des
DEFRANCE. 169
1
des perſonnages des Veillées : Je nepeuxpas
le lui rendre,jesuis leplusfort. Mais les particuliers
ne font pas ſi endurans. Forts ou
foibles , ils aiment la guerre , & ne ſe perfuadent
pas aisément qu'on ait pu avoir un
motif pur pour les critiquer. Malgré toutes
les proteſtations de l'Auteur , on attribuera
cettehoftilité au reſſentiment qu'elle a conçu
d'un jugement qui a dû lui paroître en contradiction
avec celui du Public. C'eſt le cas
de ces deux vers du Cid :
Dès que j'ai ſu l'affront , j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
1
Le mal eſt que la vengeance appelle la
vengeance , & que les hoftilités entraînent
des hoftilités. Ceci n'eſt encore qu'un badinage;
mais il pourroit aller trop loin.
Ludus enim genuit trepidum certamen & iram
Ira trucés inimicitias & funebre bellum.
Le ciel préſerve la Littérature du ſchiſme
dont ces mouvemens ſemblent la menacer ,
&les Gens de Lettres les plus diftingués du
malheur d'avoir pour ennemie une femme
qui fait écrire avec tant d'eſprit , de grâce ,
de ſenſibilité , d'intérêt , d'éloquence , de
raifon , de goût , de politeſſe , &mettre également
dans ſes intérêts ceux qui rient &
ceux qui pleurent.
Nº. 26 , 26 Juin 1784 H
170 MERCURE
ACADÉMIE FRANÇOISE.
MARDI 16 de ce mois , M. le Marquis
de Montesquiou a prononcé ſon Diſcours
de Réception à la place de M. de Coëtlofquet
, Précepteur de la Famille Royale , &
ancien Évêque de Limoges. Les vertus de
ce digne Prélat & les bienfaits de cette
éducation dont la Nation recueille les fruits
de jour en jour , ont été dignement loués
& vivement applaudis. M. Suard, en qualité
de Directeur , a répondu par un Dif
cours qui ne pouvoit être plus heureuſement
adapté à la circonſtance ; il a parlé de
l'éclat auſſi utile que glorieux que les Grands
peuvent répandre ſur les Lettres , ſoit en
encourageant leurs travaux , ſoit en y coopérant
eux-mêmes. On ſait avec quelle clarté
élégante cet Académicien s'eſt accoutumé à
exprimer ſes idées; on a retrouvé dans ſon
Diſcours ſa raiſon aimable& ſon ſtyle ingénieux
&piquant, Il a été d'autant plus ap
plaudi , que la préſence de M. le Comtede
Haga, en augmentant l'éclat de cette brillante
Affemblée , ajoutoit au Difcours un
nouveau degré d'intérêt. Ce Prince a reçu
des deux Académiciens un tribut d'hommages
qui a été confirmé par les applaudiffe
mens lesplus vifs&les plus réitérés .
M. de la Harpe a lû enſuite un Chant
d'un Poeme ſur les Femmes , ſujet riche
DE FRANCE. 171
:
ſans doute , mais par-là peut-être plus dangereux
à traiter. Souvent l'imagination du
Lecteur on de l'Auditeur , exaltée par un
titre qui la ſéduit, en voyant au- delà de ce
que promet le ſujet, exige au delà de ce qu'il
peut tenir. Voilà peut- être ce qui a dérobé
à M. de la Harpe une partie des applaudisſemens
qu'il auroit pu prétendre ſous un
titre qui eût moins promis à l'imagination.
La Séance a été terminée par la lecture de
quelques Fables charmantes de M. le Duc
de Nivernois , qui ont excité le plus vif enthouſiaſme.
La fineſſe des penſées , la vérité
du ſtyle & la beauté de la morale
y brillent par tout ; par tout les grâces
de l'eſprit y font aimer les leçons de la
faine Philofophie. *
VARIÉTÉS.
:
SUITE des Sermons de l'Abbé Poule ,
comparés à ceux de Bourdaloue & de
Maffillon.
JE
E n'ai comparé Maſſillon à Bourdaloue , que
parce qu'il m'a paru juſte & utile de mettre ces deux
hommes à leur place. Je n'établirai pas de parallèle
entre Bourdaloue & l'Abbé Poule; je n'aurois à
développer qu'une vérité qui me paroît toute évi-
* Les Diſcours ſe vendent chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie , rue Chriſtine. Prix, 24 fols.
Hij
192 MERCURE
dente&toute ſenſible, c'eſt que l'un manque abſo
Jument des grandes qualités de l'Orateur , & que
l'autre les poſsède éininemment; mais Maffillon &
l'Abbé Ponle font de véritables objets de comparaifon
l'un pour l'autre , par la différence même de
leurs talens. Cependant , en embraſſant toutes les
conſidérations , il me semble que Maſſillon mérite à
pluſieurs égards cette plus grande eſtime qu'on lui
accorde.
D'abord , il a répandu ſon talent dans un plus
grand nombre de travaux. Il y a peut-être dans ſa
Collection une vingtaine de Diſcours qu'on relit
toujours avec une nouvelle fatisfaction. Peu d'Écrivains
font auſſi riches en excellens Ouvrages. L'Abbé
Poule fur-tout l'eſt bien moins. Il faut ſe rappeler
pluſieurs faits ſur ſon caractère perfonnel , que j'ai
rapportés dans un précédent Extrait. Il étoit trèspareſſeux
, foit par l'empire de ſes goûts , ſoit par
une certaine difficulté dans ſon eſprit a ſe ſaifir
de toutes ſes forces. Il a prêché pendant trente ans ,
& n'a jamais fait que douze Diſcours , parmi lefquels
il en a un tiers qui ne peuvent rien faire
y
pour ſa réputation.
Il étoit auſſi peu inſtruit qu'il étoit pareſſeux. On
fait que toutes ſes lectures ſe réduiſoient aux Livres
faints, dont il étoit rempli , & à un petit nombre de
Poëtes & d'Orateurs. Il n'en a pas été moins éloquent
, parce qu'on l'eſt par ſon âme & fon imagi
nation,& non par ſes connoiſſances ; mais aufli ,
lorſqu'il ceſſe d'être éloquent , il ne ſe ſoutient pas
par d'autres fortes de mérite. Il tiroit ſouvent de cet
enthouſiaſimequi le dominoit , de grandes vûes ſur
ſes ſujets ; mais en général il cherchoit plutôt dans
ſesplans un cadre à tous les beaux morceaux vers
leſquels il ſe ſentoit entraîné , qu'un développement
complet &précisde ſes ſujets. Si on dépouilloit fes
plans de toute l'éloquence qui les féconde & les
DE FRANCE. 173
anime, ils montreroient trop les bornes de ſon ef
prit ; j'en excepte le Sermonfur le Ciel, dont je par-
Jerai tout-à-l'heure. Il procède dans ſes plans d'une
manière bien moins grande encore ; on eſt ſouvent
déſagréablement ſurpris de voirdes morceaux admirables
en eux-mêmes , amenés par ces formules uſées
qu'il empruntedes plus médiocres Prédicateurs , ou
qu'il partage avec eux ; mais il faut dire auſſi que ces
beauxmorceaux ſont communément de ſi grandes
maſſes dans le Diſcours , qu'ils étendent leur impreffion
ſur tout le Diſcours. Maffillon avoit plus
d'étendue , de ſoupleſſe dans l'eſprit , & un att
plus ſavant & plus heureux.
Je ne puis m'empêcher de reconnoître encore à
Maffillon un avantage bien précieux & bien honorable
, celui de mieux remplir l'objet d'un Prédicateur
, de mieux gagner les coeurs aux vertus qu'il énfeigne.
Je ſuis loinde dire que l'Abbé Poule eût un
coeur moins touché des vérités morales , & un zèle
moinspur &moins vif; mais je crois qu'il fut donné
àMaſſillon d'aimer davantage la vertu de la manière
qui fait le mieux en répandre le goût ; peut être
auſſi la nature de ſon talent le favoriſoit-elle dans
ce point ſi intéreſſant. Il entre mieux dans les replis
intimes de la confcience ; il s'appuie de raiſons
plus perfuafives; il accorde mieux la morale avec le
fond de nos ſentimens. Il est l'Orateur du coeur.
L'Abbé Poule eſt celui de l'imagination. Celui - ci
étonne , ébranle , tranſporte ; mais ces grands .
effets tournent plutôt à la gloire de ſon éloquence
qu'à l'efficacité de ſes exhortations. Maſſillon ſemble
choiſir à deſſein des impreſſions moins vives , mais
plus durables. Rapprochez les Sermons fur l'Aumône
de' ces deux Orateurs. Dans celui de Maffillon
, vous puiſez ou des leçons ou des ſentimens
qui trouvent fans ceſſe où s'appliquer ; c'eſt un
code de loix touchantes que vous emportez avec
Η
174 MERCURE
vous.Dans celui de l'Abbé Poule, vous trouvez des
figures ſublimes, des nouvemens du plus grand
pathétique ; vous êtes plus frappé qu'inſtruit , plus
ému que changé. Il me ſemble qu'il y a entre ces
deuxOrateurs cette différence, qu'on ne peut guères
entendre l'un fans abandonner fon âme à la fincé
rité& à l'onction de ſes diſcours; au lieu qu'on
peut beaucoup admiser l'autre ſans ſe ſoumettre à
ſes leçons; &, je le répète , cela tient eſſentiellement
à leur manière de ſentir la vertu.
C'eſt en citant beaucoup Maffillon , que j'ai
tâché d'expliquer les caractères propres de ſon éloquence.
J'appuyerai auſſi de nombreuſes cications
mon jugement ſur le talent de l'Abbé Poule. Ce
qui me paroît le diftinguer & le placer dans la claffe
des plus grands Orateurs , c'eſt un profond enthoufiaſme&
une vive imagination. Tantque ſon âme ou
fon imagination ne font pas émues, ilrefte dans des
vûes& une manière communes; mais dès qu'il s'échauffe&
s'anime, cen'eſt plus le même homme, c'eſt
um véritableOrateur, c'eſt très-ſouvent un Prophète. Il
Jui vient de ſublimes idées; il ſe place dans des attitudes
où tout ſon ſujet obéit aux impreſſions de fon
âme. Alors ſon diſcours devient une ſcène , où lon,
voit commencer , ſe développer & finir une grande
action. C'eſt tantôt un événement au milieu duquel
il ſe tranſporte , tantôt une viſion à laquelle il ſe
livre, tantôt un ordre du Ciel qu'il reçoit & qu'il
exécute Alors ce ne ſont plus des idées qui s'enchaînent
à des idées , &des ſentimens qui s'y mê ,
lent; tout eſt image & mouvement; & vous le voyez
ſouvent atteindre fans ceffe de nouveaux degrés ſur
ces hauteurs où ſon génie l'a tranſporté.
Commetous les grands talens, il offre un heureux
mêlange de grâce & d'énergie, d'abondance & de précifion,
On croiroit quelquefois que lefondde ſon ſtyle
eſtl'onction la plus aimable; mais plus ſouventencore
1
4
DE FRANCE.
175
il s'élève au ton le plus fublime. Il eſt aiſe cependant
d'appercevoir que la force domine toujours
dans ſon élégance. J'en donnerai pour exemple la
peroraiſonde ſon Discoursfur les Afflictions.
<< Et où en ſerois-je, Seigneur , ſans ce coup de
>> votre miféricorde qui m'a jeté entre vos bras ? Je
>> ledéclare à la face du ciel & de la terre , & pour
ec
l'intérêt de votre gloire ; il m'eſt avantageux que .
> vous m'ayez humilié : Bonum mihi quia humi-
>> liafti me. Je n'aurois jamais eu le courage de bri-
>> ſer tant de liens , de faire tant de ſacrifices , de
> me ſoumettre à cette pénitence rigoureuſe. Vous
> m'y avez forcé malgré moi. Comment reconnoî-
> trai-je un ſi grand bienfait ? Quid retribuam
» Domino pro omnibus que retribuit mihi ? Vous
m'en fourniſſez le moyen. Je prendrai le Calice
> d'amertume que vous me préſentez , & que vous
avez conſacré vous- même én yportant le pre-
>> mier vos lèvres divines : je le boirai juſqu'à la
lie. Il renferme un breuvage de ſalut pour moi;
il eft le gage de votre amour , mon efpérance,
>> ma force, ma pénitence , ma religion : Calicem
falutaris accipiam. Je mêlerai mes afflictions.
avec vos humiliations & vos ſouffrances. Vous
>> mêlerez vos mérites infinis avec mon indignité &
>> ma foibleſſe , & par cette union ineffable , je
>> fouffrirai en homme, je mériterai en Dieu : Et
nomen Domini invocabo Si je vous demande ,
Seigneur , d'éloigner de moi ce Calice de douleur
& d'opprobre , ne m'exaucez pas ; il y va de mon
> falut. Défiez-vous de ma malice; tenez-moi tou-
>> jours dans cette eſpèce d'impoſſibilité de vous
> offenfer. Frappez , il m'échappera peut- être quelques
ſoupirs ; je les déſavoue par avance. Ce
>> font les cris d'une nature aveugle qui veue ſe
perdre. Je ſuis un furieux ; arrachez - moi ces
>> armes meurtrières dont je ne me ſervirois que
H iv
176 MERCURE
» pour me percer. Frappez ; périſſent pour moi
>> le ſiècle & fes enchantemens , & ſes plaiſirs &
> ſes richefſfes ; donnez-moi ſeulement la patience,
>> & vous me rendrez plus que vous ne m'ôterez.
> Frappez , & fortifiez-moi , n'ayez point d'égard à
• ma délicateſſe; employez le fer & le feu ; ap-
>> pliquez par- tout une opération de mort. Que le
» vieil homme, avec ſes inclinations corrompues ,
>> s'anéantiſſe ſous vos coups. Frappez , & ne vous
> arrêtez pas. Ne vous contentez pas d'avoir com-
>> mencé , ô mon Dieu ; achevez votre ouvrage ; il
>> ne peut avancer que ſous vos mains ; il péri-
> roit dans les miennes, "
La Religion n'a pas de ſentimens plus doux , ni
Eloquence d'expreſſions plus vives. Ce n'eſt
cependant pas là l'onction de Maffillon. Voyez
comme il eſt rapide dans la phrafe & dans l'idée ,
comme il paffionne ſa réfignation même , comme il
ymêle une vigueur inattendue : Frappez; il m'échappera
peut-être quelquesfoupirs ; je les défavoue
par avance. - Cefont les cris d'une nature aveugle
qui veutseperdre.-Appliquez par-tout une opération
de mort. Remarquez encore comme il ſait tirer
des effets des plus petits moyens. Périſſent pour moi le
fiècle&fes enchantemens , &fes plaisirs &fes richeffes.
En sedoublant la particule & avec chaque objet , il
ſemble tirer de ſon âme un nouveau détachement ,
& c'eſt ainſi que l'on peut agrandir les impreffions
de l'Eloquence avec la ſeule coupe des mots. On
reconnoît bien ici que chaque Ecrivain conſerve
toujours le caractère principal de fon talent , même
dans les choſes où il paroît entrer dans le goût & la
manière d'un autre Ecrivain.
L'Abbé Poule ſe plaiſoit auſſi à peindre la beauté,
& le bonheur de la vertu ; mais l'amour de la
vertu dans cette imagination paſſionnée, devenois
DE FRANCE. 177
une igreffe & fon bonheur une extafe. Ouvrons
fon Sermon fur le Ciel , dont voici l'Exorde .
« Ecce merces vestra copiosa est in Cælis.- Une
>> grande récompente vous eſt préparée au Ciel.
Que faites vous cependant , mes très-chers
>> Freres , dans cette vallée de larmes ? Inſenſibles
» aux voeux des premiers nés de l'Egliſe qui vous
> appellent, vous vous laiſfez enchanter à la figure
>du monde; vous vous plaiſez dans votre exil.
Que dis -je ? Vous voudriez pouvoir le perpétuer.
>> Vous ne ſongez ſeulement pas que vous avez
>> une autre patrie , ou vous n'y penſez qu'avec cha-
>> grin. Eh! comment pratiqueriez-vous les devoirs
>> pénible du chriſtianitme, fi vous en craignez juf-
» qu'aux récompenfes ? C'eſt dans le defir du Ciel
> queles Martyrs ont puiſé cette intrépidité qui leur
faifoit braver la cruauté des tyrans. C'eſt dans
>> leſpérance du Ciel que des Vierges généreuſes &
>> des Solitaires fervens ont quitté le monde , & fe
font quittés eux-mêmes pour s'enſevelir dans la
retraite. C'eſt pour s'affurer la conquête du Ciel
>> que tant de Saints ont embraffé les travaux rigonreux
de la pénitence. Vous auriez les mêmes
>> vertus , fi vous avez la même foi. Enfans des
hommes , juſqu'à quand aimerez- vous la vanité ,
• & poerfuivrez vous le menfonge ? Cette félicité,
>>>après laquelle vous ſoupírez , n'eſt pas où vousla
cherchez. Elevez vos coeurs appelantis ; entrez
avec nous en eſprit dans ce Royaume de la cha-
>> rité , où tout eſt ſaint , ou tout eft pur , où tout
* eſt éternel Nous allons , à la faveur des divines-
Ecritures , vous découvrir une partie des ſecrets
de l'Eternité , & foulever un coin du voile myftérieux
qui vous dérobe tant demerveilles. Que.ce
fpectacle doit être intéreſſant pourdes Chrétiens!
Je ne sais fi on eſt jamais entré dans fon Lujat
1 H
178 MERCURE
d'une manière plus heureuſe. Il va vous parler du
Ciel, & déja la douce paix , les délices éternelles de
ceſéjour ſe ſont communiquées à ſes idées , à ſes
fentimens, à ſes paroles.A la manière dont il nous
appelle vers le Ciel, on croiroit qu'il en deſcend luimême.
Que faites- vous cependant, mes très - chers
Frères, dans cette vallée de larmes ? Le charme de
ce début pouvoit préparer un écueil à l'Orateur
par ladifficulté de le ſoutenir pendant tout un dif
cours. Eh bien! ce charme ne fait que s'augmenter.
Tout ce que l'âme la plus aimante , tout ce que
l'imagination la plus heureuſe peuvent voir & fen
tirdans un tel ſujet , ſe développe & ſe communique
dans ſes tableaux. Ce que les ſens ont de plus
vifdans leurs impreffions , lui fert pour décrire des
objets qu'ils ne peuvent atteindre. Les Cieux lui
font ouverts ,& il vous y tranſporte avec lui. Ce
qu'il y a encore d'extraordinaire dans ce Diſcours ,
où l'intérêt , ou plutôt l'enchantement s'accroît ſans
ceffe, c'est qu'il eſt preſque entièrement compofé
depafſages tirés des textes ſacrés ; mais ils y font f
Keureuſement fondus , fi heureuſement ſupplées ,
qu'ils forment un tout parfait , &qu'ils reçoivent de
cet emploi une grâce &une beauté nouvelles. On
parle volontiers de ce qu'on aime vivement. J'ai
interrogé pluſieurs perſonnes fur ce Diſcours , qui
me paroît l'Ouvrage le plus accompli de l'Abbé
Poule , & une des plus délicieuſes lectures qu'une
âme tendre & religieuſe puiſſe faire. Peu l'ont lû ,
peu l'ont affez goûté. Peut- être cette indifférence
rient-elle à une prévention affez juſte contre le
ſujet; on peut craindre de n'y trouver qu'une imagination
en délire; mais jamais l'Abbé Poule n'a
réuni à tout fon talent tant de goût dans le ſtyle &
tantde ſageile dans l'eſprit.
J'ai dit que l'Abbé Poule s'élevoit ſouvent aux
plus fublimes idées , & qu'il faiſiſſoit dans ſon ſujet
DE FRANCE.
1/9
des vûes toutes nouvelles. Le Sermon fur le Ciel eſt
pleinde beautés de ce genre ; mais une des plus
frappantes eſt ce morceau du Sermon fur la Foi.
« Le Chrétien , conſidéré ſous ce point de vûe ,
>> eſt un être d'une eſpèce toute fingulière , qu'il eſt
> difficile de définir. Il n'appartient ni au temps,
> puiſqu'il travaille ſans ceſſe à s'en détacher , ni à
> l'Eternité , puiſqu'il n'en jouit pas encore , & il
> participe cependant de tous les deux.
>> Homme du temps, il remplit exactement tous
> ſes devoirs : Monarque bienfaiſant , il veille fans
>> relâche à la félicité des Peuples ſoumis à ſon em-
> pire ; en rendant ſes Sujets heureux , il a trouvé le
>> vrai , l'unique moyende les multiplier : Citoyen
>> zélé , il confacre ſes travaux , ſes talens , & , s'il
>> le faut, ſes jours même à l'avantage de la patrie :
>> époux fidèle , il reſpecte religicuſement les faints
> noeuds qui l'enchaînent: père doublement père ,
s'il ne gravott de bonne heure ſes vertus dans le
» coeur de ſes enfans , il regarderoit le jour qu'il
> leur a donné comme le préſent le plus funeſte 3
>> ainſi paſſe d'âge en âge l'héritage précieux de ſa
>> juftice : protecteur généreux , il eſt le défenſeur
> de l'innocent , l'appui du foible , le refuge de la
>> veuve & de l'orphelin , l'arbitre des différends , le
>> rémunérateur du mérite. Riche , compatiffant &
>> libéral , il répare les malheurs des temps ; il fous
>> lage l'indigence; il borne la mendicité; il aide le
>> travail ; il vivifie les aſyles de miféricorde.Homme
>> de l'Eternité , il relève toutes ſes actions par la
>> ſublimité des motifs qui l'animent & de la fin
» qu'il ſe propoſe; il voit Dieu dans tour & par
>> tout, & il ne voit que Dieu. Homme du temps ,
des tentations ſans nombre l'aſſiègent; les ſcandales
offenſent la pureté de ſes regards ; des
>> exemples éclatans alarment ſa vertu ; limpiété
lui fait entendre ſes blafphemes'; mille objets
Hvj
180 MERCURE
L
ſéducteurs dreſſent ſous ſes pas des embliches
>>>ſecrètes ; l'ange des ténèbres , ce lion rugiffant, le
>>>pourſuit comme une proie qu'il eſt avide de dévorer
, & fans fortir de lui-même , ſes paffions lui
déclarent une guerre inteſtine & perſévérante.
» Homme de l'Eternité, il lève les yeux vers la
>> montagne ſainte , d'où lui viennent les grâces &
১১
בכ
les ſecours; il ſe couvre du bouclier impénétrable
de la Foi ; il ſe ſoutient , il ſe défend par ſes
>> prières & par ſes eſpérances. Homme du temps ,
des perſécutions troublent la ſérénité de ſes jours ;
>> lacalomnie ſe fait un jeu cruel de noircir ſa répu -
tation; l'injustice lui diſpute ſes biens , & quel-
>> quefois l'en dépouille ; des diſgrâces inattendues
>> renverſent de fond en comble l'édifice de ſa fortune
heureux , il avoit des envieux ; malheu-
>> reux , il n'a plus d'amis. Il languiroit abandonné
dans le creuſet des tribulations, s'il n'étoit accom-
>> pagné de ſa vertu. Homme de l'Eternité , qu'au-
> roit-il à redouter de cette confpiration générale!
> Ses ennemis ſont ſur la terre ; il eſt preſque dans
le Ciel. Il voit fans émotion ſe former ſous ſes
pieds ces orages impuiſſans. Il fait d'ailleurs que
→ les épreuves ſont néceffaires; il contemple la couronne
de justice qui l'attend après le ſaint combat
de la Foi , ce grand combat de toute la vie,
>> Homme du temps , il paſſe triſtement à travers
l'inépuiſable menſonge du monde , ce féjour fabuleux&
variable où tout eſt inconſtant ou faux :
promeſſes , engagemens , biens , gloire , titres ,
>> paroles . fermens , joies , larmes , vertus même ,
où l'on ne trouve de réel , de ſtable que la haine,
l'intérêt , l'ambition, la volupté , l'orgueil , palfions
perpétuelles & fouveraines , qui , ſe reproduiſant
ſous toutes fortes de formes, hormis leur
forme naturelle, varient à l'infini la ſcène changeante
du monde, réſiſtent à l'effort des loix hu
DE FRANCE. 1St
maines , des ſiècles , de la Religion , réuniffent &
diviſent les hommes , & font de la Société un
>> compoſé monstrueux de Palais & de priſons ,
» d'Égliſes & de théâtres , de réjouiflances & de
>> calamités , de politeſſes & de perfidies , de ma-
>> riages & de divorces, de luxe & d'indigence ,
>> d'une enveloppe d'agrémens ſuperficiels & d'un
>> abyme d'horreurs profondes.. Quelle demeure
>> pour un citoyen du Ciel ! Homme de l'Eternité ,
>> il ſoupire , avec ſaint Paul , après la deſtruction
১০ de ce vaſe d'argile qui l'attache à tant de vanités
>> & de misères. Ildit avec le Prophète : Qui me
>> donnera les aîles de la colombe ? Ah ! comme je
>> ſortirois de cette terre de malédiction , de ce
>> pays des apparences ! J'irois , je m'éleverois & je
> me repoſerois dans le ſein de la paix & de la vé-
>> rité. Homme du temps & de l'Eternité tout en-
>> ſemble , comme ces Anges que Jacob vit en
fonge, leſquels montoient fans ceſſe ſur l'échelle
mystérieuse , & fans ceffe en deſcendoient ; il
vole au Ciel pour jouir ; il revient ſur la terre
pour mériter ; il revole au Ciel par toute fon
âme; il retourne ſur la terre lentement, à regret ,
» & entraîné par le fardeau des beſoins & des né-
• celſités.
Il y a peut-être quelques longueurs , quelques
idées & quelques tournures communes dans le commencement
de ce morceau. Mais dans un morceau
grandement conçu , fi fortement exécuté , les
beautés de l'enſemble couvrent toutes les imperfec ..
tions de détail , & il feroit petit de s'en offenſer
affez pour avoir le beſoin de les critiquer .
J'ai encore un autre mérite à développer dans
Abbé Poule, celui de ces belles attitudes ouil fait ſe
placer pourdéployer toute la véhémenced'unvéritable
Orateur, & toute l'autorité d'un Miniftre de l'Evangite.
La ſeconde Partie du Sermon fur la Parole de
182 MERCURE
Dieu eſt admirable par cette eſpèce de beautés s
j'enciterai la fin toute entière. Ce qui eſt auſſi beau
ne peut être trop long.
<<Après le retour de la captivité , Eſdras monta
>> ſur un lieu élevé pour y faire la ſimple lecture de
> la loi aux Ifraélites aſſemblés. Tous les mors qu'il
> prononçoit leur rappeloient les bienfaits de Dieu;
>> ces bienfaits leur reprochoient leurs prévarica-
>> tions ; leurs prévarications leur préſentoient les
> menaces des châtimens mérités ; l'image de ces
>> châtimens excitoit leur terreur. Confus de leur
> ingratitude , épouvantés du poids de la colère du
>>Seigneur dont ils étoient menacés , ils ne répon-
>> doient à tous les articles de la loi que par leurs
> larmes & par leurs fanglots. Et les Lévites ! ....
» Les Lévites étoient obligés d'aller de rang en
>> rang, & de leur dire: Faites filence , & ceſſez de
vous affliger: Tacete & nolite dolere. Des foins
>> bien différens occupent à préſent les Miniſtres
> évangéliques. Une loi plus parfaite vous eft an-
>> noncée; des infractions plus énormes vous font
> reprochées ; des châtimens plus affreux vous
> ſont préparés. Verſez - vous une feule larme ?
>> Pouſſez-vous le moindre ſoupir ? Faifons- nous
* ſur vous la plus légère impreffion ? Eh quoi !
>> Nous prononçons à des criminels leur ſentence
• de mort, & de mort éternelle ; nous leur mon-
>> trons le glaive du Seigneur fufpendu ſur leur
>> tête ; nous ouvrons aux yeux de leur foi les
>> abymes de l'enfer prêts à les engloutir ; nous
> menaçons , nous éclatons, nous tonnons. Ah !
>> nous nous attendons d'être interrompus par leurs
>> gemiffemens & par leurs cris ; nous nous prépa-
>> rons à modérer les mouvemens trop impétueux
>> de leur crainte & de leur déſeſpoir excités par des
images fi terribles. Et que voyons - nous ? Des
•Auditeurs inſenſibles, que les objets les plus inté
DE FRANCE. 183
i reſſans de la Religion n'attachent pas , & qui
> s'endorment au bruit de nos anathemes ; des Au-
>> diteurs volages & légers , que tout diffipe , dont
>> l'attention nous échappe à tout moment , & que
>> nous ne faurions fixer ; des Auditeurs inquiets, à
>> qui notre ministère pèſe, qui nous écoutent im-
>> patiemment, & ne ſoupirent qu'après la fin de
>>>nos Diſcours ; des Auditeurs prévenus,déterminés
>> par avance à ne nous pas croire , qui font un
>> pacte avec eux mêmes de ne ſe pas laiſſer tou-
>> cher , encore moins convertir , & qui ne pren-
» nent de nos inſtructions que l'amusement ; des
>> Auditeurs ſacrilèges, qui font une eſpèce d'aſſaut
>> avec nous , qui bravent avec intrépidité les traits
>> de notre cenfure, qui ne rougiffent pas d'étaler en
> ces ſaints lieux toutes les mondanités du ſiècle que
>> nous anathématiſons, qui , par l'indécence de leur
>>>maintien, raffurent les confciences timorées contre
>> les terreurs de notre ministère , & juſques ſous
>>>nos yeux , nous diſputent effrontément la con-
> quête des âmes ; des Auditeurs , ou plutôt des
• Spectateurs , qui aſſiſtent ſeulementànos inftruc-
>> tions , & ne les écoutent pas ; des Anditeurs ſuper-
>> ficiels , peu frappés de la rigueur de nos arrêts ,
> uniquement occupés de la manière dont nous les
>> exprimons; des Auditeurs critiques , obfervateurs
* ſévères de nos défauts , qui examinent avec ſoin
>> tous nos geſtes , diſcutent avec rigueur tous nos
>> raiſonnemens , peſent avec ſcrupule toutes nos
- expreffions , & fongent moins à profiter de nos
>> exhortations qu'à les blâmer. A quoi étions-nous
> donc deſtinés ? Et qui le croiroit ? Du milieu de
- ces diſciples que nous inſtruiſons & de ces crimi-
» nels que nous condamnons,s'élève un tribunal re-
>> doutable, devant lequel on nous traduit. Et tan-
>> dis que de la part de Dieu nous jugeons les autres
entremblant , à regret , & peut- être pour l'éter-
:
184 MERCURE
>> nité , on nous juge impicoyablement nous-mêmes.
• Etquel droit avez - vous fur nous ? Sommes - nous
>> des Orateurs baſſement orgueilleux qui venons
> mendier vos applauditſemens ? Vos applaudiffemens
! Commé Chrétiens , nous devons les craindre;
ils pourroient nous féduire comme Minif-
>> tres de Jésus Chrift , nous les mépriſons; ils nous
>> dégraderoient. Vos applaudiſſemens ! Pour payer
> nos veilles nos travaux, nos ſueurs ! nous les met-
>> tons àun plus haut prix . Ilnous faut les plus grands
> ſacrifices , des larmes amères , des ſentimens de
>> componction , des coeurs humiliés , briſés de
- douleur & de repentir. Vos applaudiſſemens ! A
" vous , Seigneur , l'honneur & la gloire : à nous ,
• dirons nous, le mépris ? Non , norre ministère en
>> fouffriroit mais à nous l'oubli. Eh ! que ſom-
>> mes-nous fans votre grâce ? Un airain ſon-
>> nant, des cymbales retentiſſantes , la voix qui
crie au déſert : Nous pouvons tout au plus amu-
>> fer l'efprit, flatter les oreilles; vous ſeul parlez au
coeur.
ככ Tels font cependant les fruits ordinaires de
notre miffion , ou l'ennui , ou le dégoût , ou des
cenſures , on des éloges. Et quoi, mes très - chers
>>> Frères , jamais de converfon , jamais de converfion
! Devons- nous renoncer à certe douce
>> eſpérance , la ſeule récompenſe digne du miniltère
que nous exerçons ?
>> Si un infidèle à qui notre ſainte Religion & la
>> langue que nous parlons feroien inconnues, entroit
tout à-cous dans cette égliſe & qu'il nous
vit , nous , emus , enflammés , tantôt nous livrer à
>> toute l'impétuofité de nowe zèle , tantôt érendre
les bras vers vous dans une poſture de ſuppliant
, tantôt élever nos regards vers le Ciel,
tantôt accompagner nos inſtances de ſanglots &
de larmes,& qu'il vous vit, vous, tranquilles ,
30
1
DE FRANCE. 185
> indifférens , peut- être diſtraits , prêter à peine
>> l'oreille à nos fupplications preffantes & redou-
>> blées , ne s'imagineroit-il pas que c'eſt un crimi-
>> nel déjà condamné, qui tâche par toutes fortes de
moyens d'attendrir , de fléchir une multitude de
>> juges inſenſibles à ſon infortunc ? Cet infidèle ne
>> ſe tromperoit qu'en partie , mes très-chers Frères.
>> Qui , nous voulons vous fléchir , mais pour
» vous-mêmes. Oui , il s'agit ici de votre intérêt, &
>> de votre intérêt le plus cher , puiſqu'il s'agit de
>> votre ſalut éternel &de la gloire de Dieu.
>> Levez-vous , grand Dieu , votre gloire l'exige ;
> nous vous remettons notre miniſtère ; il eſt pref-
>> que fans force ſur nos lèvres. Nous annonçons
>> votre parole; mais nous n'avons pas votre voix.
>> Faites vous-même ce que nous ne pourrions ac-
>> complir. Voilà les prévaricateursde votre loi ; ils
>> font enfin ſortis de leurs retranchemens & de
leurs forts : attirés par la curiofité, ils font en-
>> trés dans votre Temple; ils y font enfermés.
>> Nous ne demandons pas que vous envoyiez un
>>Ange exterminateur pour les détruire ; ils ſont
>> nos Frères. Nous ne demandons pas que vous
>>> armiez contre eux les mains ſacrées de vos Lévites,
comme vous fites autrefois contre l'impie
>> & barbare Athalie ; vous êtes un Dieu de paix ,
>> la miféricorde même ; vous avez des vengeances
> ſi douces, des vengeances qui font des bien-
>> faits. Convertiſſez & n'exterminez pas. Votre
>> parole a-t-elle donc perdu toute fa force ? Elle
> a tiré le monde du néant ; elle a pu des pierres
ود mêmes ſuſciter des enfans à Abraham ; elle a
* rappelé Lazare à la vie; d'un perfécuteur elle en
a fait un Apôtre ; ne pourroit- elle pas de vos.
>> ennemis (ils ſont déjà Chrétiens) en faire au-
• tant d'adorateurs en eſprit & en vérité ? Vous
> devez ce prodige au crédit de notre ministère, qui
186 MERCURE
>> s'affoiblit de plus en plus ; mais ne différez pas.
>> Nous ne retenons encore ces pécheurs que par
>> effort; dans quelques mounens ils vont nous échapper
; peut - être..... ne leur en donnez pas le.
>> temps. Que votre voix les terraſſe ſur le chemin
de Damas , & qu'ils ne ſe relèvent avec Paul, que
>> pour aller trouver un autre Ananie qui les con
>> duiſe dans les voies de la pénitence. »
Quelle élévation , quelle majeſté ! Voyez d'abord
ce beau contraſte entre la conſternation des Juifs au
récit de leurs prévarications,& l'endurciſſement des
Chrétiens actuels , & quelle vigueur dans le tableau
de leur inſenſibilité à la parole divine ! Comme
tous les traits les plus frappans en ſont ſaiſis & préſentés:
Des Auditeurs qui s'endorment au bruit de
nos anathêmes ... qui nous disputent effrontément la
conquête des âmes.... obfervateurs févères de nos.
défauts , &c. Comme il s'arrête à ce dernier trait !
Comme il s'indigne de n'être qu'admiré ! Enſuite il
vous repréſente un infidèle entrant dans un de nos
Temples , & c'eſt avec cette image de la plus heu
reuſe invention, qu'il achève de confondre ſesAudi
teurs. Mais bientôt du fond de cette cenſure même,
il tire un retour de charité vers eux : Vous ne vous
trompexpas , nous voulons vous fléchir, mais pour
vous-même. Enfin , il fait une invocation à Dieu ,
&voyez ſur quoi il la motive : Vos ennemis font
enfin fortis de leurs retranchemens ; ils font entrés
dans votre Temple .... convertiſſez- les ....
devez ce prodige au crédit de notre ministère ....
mais ne différezpas ; nous ne retenons ces pécheurs
que par effort .... ils vont rentrer dans la corruption
du siècle.... peut- être.... ne leur en donnez pas le
temps ....... Voilà, ce me ſeinble , de la plus fublime
Éloquence. Il n'y a peut-être que Bofluet qui s'élève
à une plus grande hauteur , & qui s'y ſoutient
plus long-temps.
vous
1.
DEFRANCE. 187
Quand on ſe recueille dans le ſentiment de
tant de beautés , on reconnoît avec plaiſir que
l'Abbé Poule nous fournit un grand Homme de
plus à compter dans notre ſiècle. Quoiqu'il ait peu
travaillé , quoiqu'il n'ait pas donné à ſes Ouvrages
toute la perfection dont il étoit capable, on peut
dire néanmoins qu'il a honoré la Littérature de ſa
Nation. Loin d'être aſſez admiré , il n'eſt pas même
aſſez connu. S'il eſt doux de rendre juſtice à un
grand talent , il l'eſt encore davantage de la lui
faire rendre , & j'avouerai que c'eſt la ſatisfaction
que j'ai ofé me propoſer dans cet Ecrit. Malgré un
Extrait de M. de la Harpe ſur les Sermons de
l'Abbé Poule , plein de goût & d'une jufte admiration
, j'ai cru qu'il pouvois encore être utile d'offrir
denouveau ce ſujet à l'attention de ceux qui aiment
&fentent encore la véritable Eloquence.
Quelques Réflexionsfurl'Eloquence de la Chairt
dansun autre Mercure.
ANNONCES ET NOTICES.
ON vient de mettre envente à l'Hôtel deThou ,
rue des Poitevins , à Paris , l'Histoire Naturelle des
Minéraux, parM. de Buffon.Teme Deuxième in-4 °.
Prix, 15 liv. en feuilles , If liv. 10 fols broché ,
17 liv. relié.
Le Vingt-quatrième Cahier des Quadrupèdesenluminés
, prix , 7 liv. 4 ſols.
HISTOIRE générale de la Chine, ou Annales de
cet Empire, traduites du Tong-Kien-Kang-Mou ,
par le feu Père Joſeph Anne- Marie de Moyriac de
Mailla , Jéſuite François , Miſſionnaire à Pékin ,
revues & publiées par M. le Roux des Hautes
188 MERCURE
Rayes , Confeiller , Lecteur du Roi , Profeſſeur
d'Arabe au Collége Royal de France , Interprête de
Sa Majesté pour les Langues Orientales ; Ouvrage
enrichi de Figures & de nouvelles Cartes Géographiques
de la Chine ancienne & moderne levées par
ordre du fen Empereur Kang Hi , & gravées pour
la première fois , Tomes XI & XII. A Paris, chez
Ph . D. Pierres , Imprimeur ordinaire du Koi , rue
Saint Jacques.
Les deux Volumes que nous annonçons terminent
ce grand Ouvrage. Il eſt traduit du Chinois;
&lamanière dont on fait que l'Hiſtoire s'écrit dans_
laChine, en nous garantiſſant la vérité des événemens
, nous metà portée de connoître ce Peuple ſi
extraordinaire , & dont on a parlé fi diverſement.
Ledernier Volume contient la Table alphabétique ,
précédée des Nien-Hao, ou noms que lesEmpereurs
ontdonnés aux années de leurs règnes , d'une Nomenclature
Géographique , & de trois Mémoires ou
Notices Hiſtoriques ſur la Cochinchine, ſur le
Tong-King & fur les premières entrepriſes contre
lesChinois.
PROSPECTUS de la parfaite Intelligence du
Commerce , ou Traité complet & portatif de la
Science des Négocians , 2 Vol. in-8º , de plus de
800 pages chacun. Prix , 18 livres , & pour les Soufcripteurs
12 livres , dont 6 liv. en ſe faiſant infcrire,
3 liv. en retirant le Tome I , & 3 liv. en retirant le
Tome II. A Paris , chez Lamy , Libraire , quai des
Auguſtins , & chez les principaux Libraires de France
&des Pays étrangers.
Si cet Ouvrage, qu'on propoſe par ſouſcription, eit
bienexécuté , comme on l'affure , il ſera de la plus
grande utilité aux Banquiers , Agens de Change ,
Notaires , Gens d'Affaires , &c. Il ſera diviſé en
quatre Parties;la première contiendra un précis de
DE FRANCE. 189
laGéographie moderne; le ſecond un Dictionnaire
contenant des renſeignemens ſur plus de dix mille
Villes , Lieux & Contrées commerçantes des quatre
parties du Globe ; le troiſième un Dictionnaire pour
les termes généraux de commerce , & pour les ré
glemens , ſtatuts , &c. qui y ſont analogues ; la
quatrième enfin traitera des poids , meſures , &c. ,
foires , marchés , productions locales , droits à percevoir
, tarifs , Jurisdictions Conſulaires , ordre des
Courriers , tableau des voitures publiques , indication
desdécouvertes modernes , &c. , & l'on ſe pro
poſe de profiter encore , pour la perfection de l'Ouvrage
, de tous les avis qu'on pourra donner
l'Éditeur.
:
PETITE Bibliothèque des Théâtres , nº. 8. A
Paris , au Bureau , rue des Moulins , Butte Saint
Roch , où l'on ſouſcrit, comme chez Belin , Libraire,
rue Saint Jacques , & Brunet , Libraire , rue
de Marivaux , Place du Théâtre Italien.
Le huitième Volume de cette intéreſſante Collection
renferme une Pièce en cing Actes, les Amis
démasqués , d'Autreau , Pièce qui n'a jamais été
jouée , qui n'a même été imprimée qu'après la mort
de l'Auteur ; avec trois petites Pièces , la Magie de
l'Amour, agréable Paſtorale du même , Ouvrage
de ſa vieilleſſe , qui eut du ſuccès à la repréfentation;
les deux autres petites Pièces , le Cercle & le
Somnambule font auſſi jolies qu'elles ſont connues,
Le Cercle eft de Poinſinet , cet Auteur ſi mystifié de
ſon vivant; le Somnambule eſt attribué à M. le
Comte de Pont-de-Veyle.
Les nouveaux Rudimens de la Langue Latine;
par M. Mathieu , Profeſſeur du Collège de Gy. A
Paris , de l'Imprimerie de Cailleau , rue Galande.
La clarté & la précision que le Cenſeur de cet
190 MERCURE
Ouvragey reconnoît , peuvent le rendre utile dans
lesColléges.
DEUX Médaillons d'un plâtre très -fin , du Roi
de Suède, &fon revers de Médaille à cheval. Prix ,
15 ſols la pièce ſans glace. AParis , chez Lauraire ,
de l'ancienne Académie de S. Luc , rue des Prêtres
S. Germain l'Auxerrois .
Le Vignole moderne , ou Traité élémentaire
d'Architecture , troisième Partie , par J. R. Lucotte ,
Architecte. A Paris , chez les Frères Campion ,
Marchands d'Estampes , rue Saint Jacques,
Ville de Rouen.
la
Dans cette troiſième Partie ſont expliqués les
principes& la manière d'appliquer aux édifices les
cinq ordres de J. B. de Vignole.
L'AMOUR Phyſicien , ou l'origine des Ballons,
Comédie en un Acte & en profe , repréſentée pour la
première fois à Paris , ſur le Théâtre de l'Ambigu-
Comique , le premier Janvier 1784. Prix , 1 liv.
4fols. AParis , chez Cailleau , Imprimeur-Libraire ,
rueGalande,
: Ce que nous venons de voir inventé par la connoiſſance
de la Phyſique , ſe fait par amour dans
cetteComédie; c'eſt un amant qui imagine un ballon ,
&qui s'en fert pour enlever ſa maîtreffe.
On trouve à la même adreſſe l'Avocat Chanfonnier
, ou qui comptefans ſon Hôte compte deux
fois, ComédieProverbe , par M. d'Orvigny , repréſentée
ſur le même Théâtre. C'eſt une eſpèce d'Avocat
Petit-Maître , qui compte ſur plufieurs foupers ,
&qui finit par n'en pas trouver un. Il y a dans
cette bagatelle de la gaîté & un dialogne vraiment
comique. :
DE FRANCE. 191
NUMERO'S du Journal de Violon , dédié aux
Amateurs. Prix , 2 liv. ſéparément. L'Abonnement
eſt de 15 livres , & 18 livres pour la Province. A
Paris , chez le fieur Bornet l'aîné , Marchand de
Muſique, au Bureau de Loterie , rue des Prouvaires.
Ce Journal contient des Airs de toute eſpèce arrangés
pour deux Violons ou un Violon & un
Violoncelle; il paroît régulièrement le premier de
chaque mois .
SIX Trios concertans pour Flûte , Alto &
Baffe, par M. de Vienne le jeune, Muſicien de la
Chambre de Mgr. le Cardinal de Rohan. Prix ,
7 liv. 4 fols pour Paris & la Province franc de port
par la poſte. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverfiere-
Saint-Honoré.
NUMÉRO 3 du Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
Abonnement , 15 liv, port franc par la poſte. Même
Adreſſe.
Ce Numéro contient un Air & un Menuet de la
Caravane. Le petit Air, mon cher André, de
Théodore & Paulin , & un Air du Droit du Seigneur.
GALATHÉE , ou Recueil de douzepetitsAirs
pour un Deffus , avec Accompagnement de Forte-
Piano , tirés du Roman de Galathée , & mis en
muſique par M. G. Prix , 7 livres 4 fols. A Paris ,
chez M. Leduc , rue Traverfière-Saint-Honoré , au
Magaſin de Muſique.
Ces petits Airs ont une grâce naïve qui les rend
très-dignes des paroles. Ils font précédés de ſtances
dédicatoires remplies d'une délicateſſe qui faft reconnoître
l'Auteur de la Confeffion de Zulmé,
QUVERTURE de Didon, arrangéepour le Forte
192
MERCURE
-
Piano , Violon ad libitum , par M. Mezguer. Prix ,
3 liv. Ouverture de la Caravane , idem , arrangée
par M. Célar. Prix , 2 liv. 8 fols. A Paris , chez
M. Boyer , rue Neuve des Petits-Champs , près celle
Saint Roch , nº. 83 , & Mme Lemenu , rue du
Roule , à la Clé d'or .
HUIT Numéros du Journal de Guittare , contenant
différens morceaux , avec Accompagnemens ,
la plupart de M. Porro. On ſouſcrit pour ce Journal
, qui paroît très- exactement , chez M. Baillon ,
rue Neuve des Petits-Champs , au coin de celle de
Richelieu.
JOURNAL de Violon , ou Recueil d'Airs nouveaux
arrangés pour le Violon , l'Alto , la Flûte &
la Baffe. Prix de l'année entière 18 livres à Paris ,
21 liv. en Province. Chaque Cahier 2 livres 8 fols.
A Paris , chez M. Baillon. Même Adreffe.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
AuComte deHaga, 145 Académie Françoise , 170
Vers contre les Vieillards, 146 Suite des Sermons de l'Abbé
Charade , Enigme& Logogry- Poule ,
phe, 149 Annonces & Notices ,
Les Veillées du Chateau , 151
APPROBATIΟΝ.
171
187
T
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 26 Juin. Je n'y ai
rien trouvé qui puiſſe enempêcher l'impreſſion . AParis >
le25 Juin 1784. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 5 Juin.
E Duc de Brunswick Bevern , ancien
LGouverneur de cette Capitale, &qui a
réſigné ſes emplois, comme on l'a rapporté,
vient de quitter ce Royaume : il eſt parti
M. de Fontanelle qui , pendant huit ans entiers a rédigé
ce Journal avec ſuccès , étant actuellement chargé de la
compoſition de la Gazete de France , a été obligé d'as
bandonner le travail de ce Journal , qui à compter des
deux derniers Numéros , a été, & fera à l'avenir l'ouvrage
de M. Mallet Dupan , qui a rédigé deux années , à
Geneve fa patrie , les Mémoires Historiques , Politiques&
Littéraires fur l'état préſent de l'Europe. C'eſt à M. Mallet
Paris, tue deTournon , No. 5 , que l'on doit déſormais
envoyer tout ce qui concerne la rédaction de ce Jours
nal , en affranchiſſant les lettres & tous les envois, Pour
tout ce qui regarde les Abonnemens & l'expédition , il faut
coujours s'adreſſer au Directeur du Mercure , hôtel de
Thou , rue des Poitevins.
Le Propriétairede ce Journal s'étant procuré de nouvelles&
les plus sûres Correfpondances, on ſe flatte que
cerOuvrage aura de plus en plus le mérite de la nous
veauté , du choix &de la variété.
N°. 26, 26 Juin 1784. g
( 146 )
pour l'Allemagne avec la Ducheſſe ſon
épouſe,
৮ La Cour eſt au château de Frédérichsberg
où elle doit paſſer l'Eté , & la Reine- Douairiere
ne tardera pas à ſe rendre à Friedenfbourg.
Les vaiſſeaux de guerre l'Oldenbourg , la
Sophie- Frédérique , le Ditmarschen , & la
Wagrie font actuellement en rade , ainſi que
les Frégates le Cronenbourg & le Kiel .
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le I Juin..
La Miſlive de l'Empereur à ſes Conſeillers
, concernantle nouveau projet de contribution
, vient d'être imprimé. Avant de
mettre ce projet à exécution dans les Etats
Autrichiens , S. M. I. a ordonné , à ce qu'on
affure , des eſſais préliminaires, pour vérifier
fi chaque propriétaire de terres peut fournir
aux beſoins publics le 40 pour cent du produitnetde
fon revenu . Cette taxe reffembleroit
beaucoup à l'impôt unique , dont il a été
queſtion ily aquelques années dans les écrits
desEconomiſtes en France .
Preſbourg , Peft & d'autres villes de Hongrie
ont transféré les cimetieres hors de leur
enceinte , a l'imitation de la Capitale.
Des lettres de Szegedin rapportent que
hs champs y font couverts de fauterelles
( 147 )
qui dévorent les récoltes. Le même fléau
affligea l'Andalouſie l'année derniere ; heureuſement
il n'est pas épidémique.
DE BERLIN , le 7 Juin .
LeRoi continue ſes revues avec une ac
tivité infatigable. De Magdebourg S. M.
étoit revenue à Potzdam , d'où elle eſt re
partie le i de ce mois, pour faire la revue
des troupes raſſemblées dans la Pomeranie.
Le Roi a témoigné ſa fatisfaction à divers
de ſes Généraux , par des préſens plus ou
moins confidérables , & en particulier àM.
de Mollendorf, Gouverneur de cette ville ,
Officier d'un mérite diftingué , également
aimé & eſtimé du Souverain & du Public ;
&qui réunit les qualités d'un homme juſte ,
éclairé , aimable , à la capacité la plus émi
nente dans ſon état , capacité dont il a donné
des preuves éclatantes dans la derniere
guerre deBaviere. こ
Lejourde l'Anniverſaire de l'avénement
du Roi au trône , l'Académie a tenú une
ſéance publique , dont M. Formey , felon
l'uſage , a fait l'ouverture par le panégyri
que de S. M. Il annonça enſuite que la claſſe
de Belles- Lettres avoit jugé les difcours ſur
l'univerſalité de la langue Françoiſe. Le prix
a étépartagé entre la diſſertation Allemande
de M. Schwab , Profeſſeur à Stuttgard , &
celle en François du Comte de Rivarol
:
r
( 148 )
L'Acceflit a été donné à un troiſiemeDif
cours auffi en François , portant pour épigraphe:
François! de la raison , des graces&
du goût , votre langue en tous lieux devient
T'heureux langage. On a obſervé avec raiſon ,
qu'un Diſcours ſur les avantages de la langue
Françoiſe , où l'on liſoit en tête que
cette langue devenoit un heureux langage,
ne prévenoit pas en faveur de cette langue.
DE FRANCFORT , le 15 Juin.
Le mois dernier quatre mille hommes ,
formant laderniere divifion des troupesHef
ſoiſes paffées en Amérique, font débarqués
àCarlshaven; trois régimens de cette divi
fion étant arrivés à Caſſel, le Landgrave les
a paffé en revue , après quoi ils ont été
repartis en différentes garnifons.
On écrit de Pologne deux anecdotes
qu'il fuffit de rapporter pour en apprécier
L'authenticité.
LeHoſpodar de Moldavie a affermé à un vieux
& riche Boyard la vente excluſive du tabac : un
Grec , qui peut- être n'avoit pas connoiſſance de
ce privilege , & qui avoit apporté quantité de tabae
à la derniere foire , reçut les défenſes les
plus ſéveres de vendre cette marchandise. Le
Conful Ruſſe ayant fait demander de ce cabac ,
leGrec s'excuſa de lui en vendre , alléguant les
ordres qu'il venoit de recevoir. Bon ! dit le Conful
, vends ta marchandite &repoſe-toi ſur moi,
fi l'on veut t'inquiéter. Sur cette afſurance le
Grecvendit ton tabac;Hoſpodar en ayant été
149 )
inftruit , envoya un bas-Officier pour faifir cet
homme& le lui amener. Le Grec fut affez heuteux
pour échapper au fatellite & se réfugia
dans la maiſon du Conful : le bas-Officier la
ſuivit & le réclama, Le Conful arrive , donne
des coups de canne an bas-Officier , & ordonne
au Grec d'aller achever de vendre tranquillement
fon tabac.
Un Boyard ne pouvant paſſer avec ſon car
roſſe dans une rue embarraffée par des voitures
&charettes de payſan , avoit inutilement demandé
qu'on lui fit place. Voyant que les parotes
ne produiſoient aucun effet , il fit donner par un
de les domeſtiques des coups de bâton à un payfan
qui lui paroiſſoit plus intraitable que les autres
, & continua ſon chemin. Celui- ci fut ſe
plaindre au Conſul Ruſſe qui , fachant que le
Boyard devoit repaſſer , le fit attendre , l'obligea
de fortir de ſa voiture & de recevoir la baſtonade.
Le Bayard ſe plaignit au Hoſpodar , qui
lui déclara qu'il ne pouvoit rien dans ceneaft
On prétend qu'il a porté ſes plaintes à la Cour
de Ruffie , & l'on attend avec impatience le dénouement
de cette finguliere aventure.
Quand ces traits ſeroient auffi exacts qu'ils
font peu vraiſemblables , il ſuffit d'un peu
de bon ſens pour ſentir qu'aucun Souverain
n'autoriſe ſes Confuls à de pareilles violences
; qu'à moins qu'il ne ſoit ivre , un Conful
ne ſe les permet pas , & qu'elles ſuffiroient
pour aliéner les Grecs de la Moldavie , bien
loin d'étendre l'influence de la Czarine fur
ees contrées, comme on le prétend.
L'hiver dernier l'Electeur de Treves prof-
)
83
( 150 )
:
crivit dans ſes Etats la Loterie Génoiſe ,
connue ſous le nom de Lotto. Ces établiſſemens
viennent également d'être ſupprimés
à Liege. La ville de Vervier avoit déja fait
des repréſentations au Prince défunt à ce
fujet: elles furent écoutées , & les Lottos
anéantis. Durant l'interregne , le Chapitre
de Liege a généraliſé cette défenſe , qui a
été applaudie de tous les Citoyens .
Nous pouvons donner le réfumé ſuivant,
comme parfaitement authentique. Depuis
1750 , date de ſon établiſſement à Vienne ,
juſqu'en 1769 , le Lotto a requ 21,000,000
de florins ( plus de deux millions de France
une année dans l'autre ). Le Gouvernement
qui avoit affermé cette loterie , a reçu dans
le même eſpace 3,460,000 forins: l'entretien
des Emploiés a abſorbé 2,080,00€ flor.
ies ga'ns payés par le Lorto font montés à
7,000,000 florins : le profit des fermiers a
été par conféquent de 8,000,000 de florins.
DE VENISE , le 22 Mai.
La cérémonie des épouſailles de la mer
s'est faite le 20 avec toute la pompe imaginable,
Les vaiſſeaux de l'efcadre deſtinée
contre Tunis , étoient rangés en ligne dans
le grand canal . Le départ de cette eſcadre
eſt très -prochain ; elle fera compoſée d'environ
60 voiles , ycompris les bâtimens de
tranſport.
( 1ST )
:
ITALI E.
DE GENES , le 25 Mai.
Le is de ce mois un petit bâtiment Amé-
Yicain arriva dans ce port ; c'eſt le premier
quiy foit venu avec le Pavillon du Congrès.
Il étoit parti de Terre Neuve le 4 Décembre
, & en dernier lieu de la Martinique vers
la fin de Février. Sa cargaiſon confifte en
500 cuirs . Ce bâtiment eſt commandé par
un Capitaine Américain..
:
Les Barbareſques inteſtent tous les parages
de la Méditerranée. Jamais leurs pirateries
n'ont été plus audacicaſes & plus multipliées.
De toutes parts on reçoit des avis
de leurs priſes ou des ſignalemens. Deux
de nos galeres ont mis à la voile, pour aller
àla pourſuite dlee cceess Corſaires.
De Civita Vecchia on apprend que 3 galeres
deS. S. ont donné chaſſe à trois batimens
Algériens qui croifolent près de Monte
Chrifto, l'un de ces bâtimens a été pris , à
ce qu'on ajoute.
DE LIVOURNE, le 26 Mai...
Le 20, l'efcadre Ruſſe fit le premier fignal
departance , mais elle n'a appareillé que le
23 , vers les 6 heures du ſoir.
Un calme étant ſurvenu , on a pu voir
encore aujourd'hui du rivage les vaiſſeaux
obligés de mouiller ſur la côte.
84
( 152)
L'efcadre Napolitaine, deſtinée pour la
Méditerranée, a été auſſi priſede calme : elle
étoit le 18 à la vue de ce port.
Les lettres de Veniſe portent que deux
chebecs de cette République, qui étoient en
croifiere dans l'Archipel , pour y protéger
les bâtimens Vénitiens contre les Corfaires
de Tunis , avoient rencontré une galéaſſe
Vénitienne qui avoit voulu leur échapper en
prenant la fuite , que l'un de ces chebecs
étant parvenu à les joindre , s'en étoit emparé
, & l'avoit mené àCorfou. Les gens de
Téquipage ayant été interrogés par les Juges
de l'endroit , quelques-uns d'eux avouerent
qu'ils étoient allés en courſe & qu'ils
avoient pris 12 ou 13 bâtimens de diverſes
nations , mettant à mort tous les gens de
leurs équipages , & qu'après avoir fait choix
des marchandises les plus précieuſes , ils
avoient jetté les autres à la mer ; ils dépoferent
en outre , que leſdites marchandises
avoient été déchargées à différentes fois dans
une iflede l'Archipel , où avoient débarqué
ceux qui étoient intéreſſés dans cette entrepriſe
, abandonnant l'armement au reſte de
l'équipage , pour faire de nouvelles priſes.
,
Deux bâtimens Vénitiens ayant été pris
par des corſaires de Tunis dans les parages
de Tripoli , cette derniere Régence , indignée
d'une telle infulte, en a fait porter des
plaintes à la Régence de Tunis , & l'a fommée
de reftituer leſdits bâtimens , avec me(
153 )
nace d'entiter vengeance,ſi elless''yyrreeffuſott
DE NAPLES , le 21 Mai.
Maintenant que notre eſcadre eſt partie ,
on va s'occuper , dit- on , à perfectionner le
plan relatifà l'armée de terre. On prétend
que le Miniſtre l'a déja communiqué att
Prince de Stigliano , Capitaine des Gardes
du Corps , & à divers autres Officiers en
chef.
L'Ordonnance du Roi qu'a publié le Général
Pignatelli , dans ſon gouvernement
des deux Calabres , aura ſans doute une influence
ſur le ſortde cette malheureuſe Province:
on peut l'eſpérer d'après les difpofitions
ſuivantes de ce Refcrit.
כנ Le coeur compatiſſant du Roi , toujours
attentif à chercher les moyens les plus propres
&les plus convenables pour ſoulager ſes ſujets ,
&particulièrement ceux qui font encore campés
fur les ruines occaſionnées par le tremblement
de terre dans la Calabre ultérieure , a ordonné
que les pentes de tous les monaſteres , couvens
& autres communautés religieuſes de l'un &
l'autre ſexe dans la ſuſdite province , ſoient converties
& employées au rétabliſſement des maifons
détruites & au ſoulagement des pauvres. Le
St Pontife ayant voulu concourir avec ſa bénédiction
à ce deſſein pieux de S. M. , le Roi veut
& ordonne que tous les Religieux de ces maiſons
foient répartis dans d'autres monafteres ou couvens
de leurs ordres reſpectifs qui ſubſiſtentdans
Je Royaume , excepté ſeulement les ſupérieurs
&procureurs qui doivent donner les renfeigne
g
( 154 )
les
mens néceſſaires , & rendre compte de leurad
miniftration ; & que les Religieuſes ſolent remiſes
entre les mains de leurs plus proches parens ,
ou autres perſonnes d'une honnêteté & probité
reconnue , qui leurfourniront moyens de fubſiſtance
convenables : veut en outre S. M. que
tous les novices ſoient féculariſés ; & quant aux
Freres lais& Clercs qui voudront ſe faire ſéculariſer
, qu'ils demandent l'agrément de l'Ordinaire
du lieu , ſans que toutefois ils ſoient déliés
in fubftantialibus des voeux contenus dans
Pacte de lear profeſſion ſolemnelle : S. M. ſe
réſervant de prendre ſoin de leur ſubſiſtance &
de leur fort. Quant à la maniere dont tous les
Religieux doivent être traités tant dans leurs
voyages que dans les autres conjonctures où ils
pourroientletrouver, la volontédu Roi eſt qu'on
uſe envers eux de toutes les attentions qui conviennent
à des perſonnes diftingués par leur caractere
, & que le Roi veut regarder comme ſes
ſujets les plus obéiffans & les plus pénétrés de la
juſte néceffité où ils font de concourir au foulagement
des pauvres d'une province auſſi malheu.
reufe » .
DE MILAN , le 26 Mai.
L'Empereur voulant ſeconder les vues de
notre Gouvernement , qui lui avoit propoſé
de fonder un Couvent de Chanoineſſes
fur le modele de ceux qui exiftent dans les
Pays-bas Autrichiens , S. M. a rendu un
Edit en date du 5 décembre , par lequel il
autoriſe notre Gouvernement à choiſir dans
l'une des villes de ce Duché , un édifice propre
à recevoir ces Chanoineſſes qui feront
( 155 )
tenues de faire des preuves de Nobleſſe ,
& qui ne feront admiſes que du conſentement
de S. M. I.
On apprend de Florence , que le départ
del'Archiduc François pour Vienne eſt trèsprochain.
Le Comte de Colloredo l'accompagnera
, en ſa qualité de Gouverneur de
S. A. R. Ce Seigneur eſt remplacé dans
l'éducation des jeunes Princes par le Marquis
Frédéric , Colonel du Régiment de
Stein.
:
ESPAGNE. :
DE MADRID , le 25 Mai.
Le Comte de Bournonville , Capitaine de
la Compagnie Flamande des Gardes du
Corps , eft mort ici le 29 du mois dernier ,
âgé de 68 ans. Il ſervoit depuis 1736. On
affure que le Roi a diſpoſé de cette Compagnie
vacante , en faveur du Prince Maflerano
, Brigadier de ſes armées.
On a tenté ici d'enlever un Globe ; après
des eſſais réitérés & infructeux , on eſt parvenu
à en élever un , monté par un François:
mais il avoit apparamment mal pris ſes
précautions ; à la deſcente de la Machine il
aculburé , & eſt tombé d'environ cent pieds
de haut. L'Infant Dom Gabriel , qui favoriſoit
ſon entrepriſe , lui a donné beaucoup
de marques de ſenſibilité , & y joindra ,
on, de grands bienfaits , s'il en réchappe
comme on l'efpere. En attendant , la cour
dit
g 6
(156 )
lui a aſſigné 2500 liv. de penfion , dont on
a payé fix mois d'avance.
DE VALENCE, le 18 Mai.
Cette ville a vu ſe renouveller une cataftrophe
malheureuſement trop ordinaire dans
les fêtes publiques.
Celle qu'on a célébrée ici avoit pour objet la
naiſſance des deux Jumeaux dont la Princeſſe des
Afturies eft accouchée.
« La Proceffion , qui fit l'ouverture de la fête,
fut très-magnifique & très nombreuſe , ornée de
chars de triomphes , d'emblêmes , &c. Les rues
par leſquelles elle paſſa , & les maiſons étoient
tapiffées &ornées de la maniere la plus ſomptueuſe
: d'ailleurs ily régna le plus grand ordre ;
mais il n'en fut pas de même le foir , P'allégreſſe
publique ſe changea en deuil. Parmi ces réjouifſances
l'on avoit projetté trois feux d'artifice ,
l'un repréſentant un château ſur la Place- Royale,
vis- à-vis lePalais , & deux autres ſur la place de
S. Dominique : ondevoit les tirer fucceffivement,
en commençant par celui de la Place Royale ;
celui- ci s'exécuta fans accident , mais au moment
qu'on venoit de le tirer , la foule curieuſe ſe
preffa fi inconſidérément pour aller voir tirer auffi
les autres , qu'il en arriva un très grand malheur.
Pourgagner la place de S. Dominique , en venant
de la Place-Royale , il falloit paffer un pont. La
multitude , ſe heurtant & ſe pouffant de tous
côtés , ne put le déboucher auffi promptement
qu'il le falloit , il y eut un engorgement ,&bien.
tôt nombre de gens furent non-feulement meure
tris& bleſſés , mais renverſés à terre , foulés aux
pieds , ſuffoqués ou écrasés : d'autres , cédant à
une preſſe irréſiſtible , tomberent du pont dans
( 157 )
l'eau & fe noyerent. On ignore le nombre de
ceux qui ont péri dans cette confufion d'une ou
d'autre maniere , ceux qui ont été reconnus ayant
été emportés par leurs parens ou leur famille :
les inconnus , qui n'ont été réclamés par perſonne
, & qu'on a transférés à l'hôpital , ſont au
nombte de 21 , la plupart ( à ce qu'ii paroît )
artifans ou journaliers. Celui des bleſſés est bien
plus confidérable encore ; il n'y acu preſque per-
Tonne dans cette foule qui n'ait été fro.flé ou
n'enait emporté quelque meurtriſſure ».
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 15 Juin. I
Le 8 de ce mois , la Chambre des Communes
a prononcé ſur la difpute relative à
Westminster. Cette déciſion a été précédée
des débats attendus : en voici la ſuccinte
analyſe.
M. Walbore Ellis , pendant quarante ans
l'homme de la Cour & fur - tout des Miniſtres
, accablé de toutes les calomnies qui
ont ſuivi la retraite du Comte Bute , auquel
il étoit attaché , ce Sénateur vétéran , en un
mot , à qui dans ſa longue carriere il n'étoit
jamais échappé une motion contraire au voeu
du pouvoir exécutif, a préféré de lui manquer
de fidélité, plutôt qu'à lord North ,
dont il eſt depuis 15 ans l'acolyte le plus
zélé. Il a ouvert la féance du 8 par la motion
ſuivante :
« Qu'il paroît à cette Chambre que Thomas
( 158 )
Corbett , baillif des libertés de la Cité de
>>>Westminster , ayant reçu ordre du Schériff de
>>Midleſex , d'élire deux citoyens pour ſervir
>> ladite cité en Parlement , &ayant terminé le
>> 17 Mai dernier l'opération de recevoir les ſuf.
>>>frages , pour nommer le lendemain les deux
>>>membres élus , felon la teneur du writ , il foit
>> tenu de ſe conformer à ce writ , & de procla-
*>> mer les deux membres choiſis .
Lord Mulgrave , M. Campbell , Lord
Avocat d'Ecoffe , M. Powis , le chevalier
Erskine , ayant ſucceſſivement rappellé de
part & d'autre les argumens pour & contre
la queſtion , M. Fox s'en empara ; ce qui eft
incroyable pour les étrangers , & qui ne l'eſt
point pour ceux qui ont entendu cet ancien
Miniftre , il parla trois heures conſécutives
avec une force & une facilité dont l'éloquence
politique, même en Angleterre, offre
peu d'exemples .
Selon fa méthode , M. Fox commença
par ſéparer ſon intérêt de celui de la queſtion.
« L'élection de Westminster , dit- il dans ſon
>> exorde , n'est point ma cauſe propre , mais
celle de tous les Electeurs de la Grande- Bre-
>> tagne , & de mes conſtituans en particulier.
Quant à ce qui me regarde perſonnellement ,
dans ce débat , il a été futiſamment diſcuté à
>> la Barre par mes ſavans Conſeils , & éclairci
>> par les illuftres membres qui ont démontré
>> que , fans manquer à ſa propre dignité , à la
décence , à l'impartialité à la Juſtice , la
Chambre ne pouvoit de refuſer à la motion
de mon honorable ami . C'eſt ici la cauſe de la
patrie & de la conſtitution : j'aurois perdu
( 159 )
1
toute ſenſibilité, toute reconnoiffance pour le
>>> Peuple Anglois , fi je n'employois tous les
>>>efforts poſſibles à mes foibles talens , pour
>> ramener les eſprits de la Chambre au véritable
>> état de la queſtion .
Après cet exorde , M. Fox récapitula ſa
défenſe avec la plus grande étendue. Le
Bailli de Westminster , ſon Député , les Miniſtres
, les Membres oppoſés à la motion ,
furent tour-à-tour l'objet de ſes plaintes , de
ſes argumens , de ſes ſarcafmes.
Lorſque je confidere , dit- il en concluant , les
manoeuvres ſcandaleuſes employées durant l'élection
& à ſa clôture , pour me diffamer moi &
mes amis , ainfi que la conduite du Grand Baili ,
le 17 & le 18 du mois de Mai, je n'ai aucun lieu
de douter que le Gouvernement ne foit intervenu
pour ôter aux électeurs de Weſtminster l'exer
cice de leurs droits , & pour me priver de l'honneur
de fiéger ici comme leur repréſentant.
Lorſque je vois , de plus , les troupes miſes ſur
pied dans la forme la plus oppoſée à la conftitution
, la puiſſance civile employée ſous un Magiſtrat
de Westminster , dont le devoir & l'office
immédiats ſont de maintenir la paix & de prévenir
le deſordre , devenir non-feulement la premiere
cauſe du tumulte , mais encore l'instrument
du meurtre ; enfin , après avoir confidéré
qu'en conféquence de ce meurtre , les hommes
les plus honnêtes , les plus innocens ont été mis
à la barre de l'Old Bailey , & que mes amis ,
chers à mon coeur par leurs éminentes qualités ,
refpectables par leurs caracteres, jouiflant au plus
haut degré de l'eſtime publique , ont été impliqués
dans une affaire qui expoſoit leur honneur
&leur vie , s'ils ne ſe fuffent pleinement juſti(
160 )
fiés; toutes ces circonstances raſſemblées me dé
montrent que toute la force du Gouvernement
eſt dirigée contre moi , que mes ennemis ne fe
laſſeront jamais de me perfécuter, & qu'ils ne ſe
laſſeront que lorſqu'ils auront détruit mon exiftence
politique. Que ceux qui ontle pouvoir en
maintriomphent avec plus de modération ; qu'ils
agiſſent avec plus de prudence ; leurs efforts pour
tourmenter un individu ne ſervent qu'à ouvric
les yeux de la nation & à démontrer la fauſſeté
des bruits répandus contre cet individu avec un
artifice & une cruauté ſans exemple. Au furplus ,
je ne mets point l'honorable membre , qui eſt en
face de moi , M. Pitt , au nombre de mes per
fécuteurs de deſſein prémédité. Je lui rends la
juſtice de déclarer que je ne le crois pas le vil
inſtrument d'une atrocité ſi infame , je ſuis perfuadé
qu'il ne s'eſt engagé dans cette affaire que
par une trop foible condeſcendance pour ceux
dont le caractere eſt de hair avec tenacité & de
faire le mal fans remords. Je lui conſeille cependantdeconſidérer
le danger de pouffer trop loin
le reſſentiment & l'oppreffion , de réfléchir furtout
à l'effet que la déciſion de la Chambre doit
produire ſur les droits des électeurs en général ,
&par conséquent ſur la conſtitution du pays ;
s'il veut enviſager de ſang-froid les funeſtes conſéquences
qui en réſulteront infailliblement , je
ne doute point qu'il ne ſoit d'avis que la Chambre
doit ou adopter la motion préſente ,ou arrêter
qu'il ſoit donné un nouveau writ d'élection.
M. Pitt , qui juſqu'à ce moment avoit
gardé le filence, prit la parole &dit:
Je crois devoir faire quelques remarques fur
les affertions haſardées dont il a plu à M. Fox
de ſemer ſon diſcours , & je commencerai par
rappeller à la Chambre que l'ordre actuel porte
( 161 )
que tout Membre , contre lequel il aura été présenté
une pétition , portant plainte d'élection illégale ,fera
obligé de s'absenter toutes les fois que la Chambre
agitera le fujet de la pétition qui le concerne. Au
lieu de ſe conformer à cet ordre , l'honorable
Membre s'eſt levé pluſieurs fois pour parler de
l'élection de Westminster , en profitant du droit
accidentel qu'il a de fiéger comme repréſentant
de-Kvikwall . J'eſpere qu'avant que la Chambre
ajoute foi aux accufations violentes que
M. Fox a ofé avancer directement contre le
Ministere , il faudra qu'il en apporte des preu
ves inconteflables , fans lesquelles je crois qu'il
lui ſera difficile de ſe libérer de l'imputation
de calomnie. Ce ne ſont point ſes accufations
quinoircirontle Miniftere. Ces efforts pour exciter
l'intérêt & la compaffion du Public , en ſe
repréſentant comme l'objet de la perſécution la
p'us inexorable de la part des Miniſtres , n'auront
point leur effet tant que les afſertions ne
feront point completterment juftifiées. Des accufations
du genre de celles que M. Fox a jetté
négligemment & avec une légereté répréhenſible
, ne font point d'une nature indifférente,
&elles ſont auſſi malignes que calomnieuſes.
Leur importance fera pleinement ſentie ſi l'on
confidere qu'elles avoient pour but , fans cependant
apporter de preuves , que le Miniſtere avoit
employé le Magiſtrat de Westminster , & les Officiers
ſous ſes ordres ; 1º , pour troubler la
paix publique en encourageant le tumulte &
Jes émeutes ; 2° , pour commettre le crime de
, pour ſuborner de faux témoins.
( Ici , M. Fox s'écriatout haut ,jen'aipas dit cela.)
Il a ajouté , continua M. Pitt, que la main puif
ſante du Gouvernement étoit marquée viſible.
ment dans tout se qui s'étoit paflé. Si ce fait
meurtre :
3
( 162 )
'eſt vrai , c'eſt à M. Fox à ſuivre ſon accufation
, & à la prouver. La main du Gouvernement
n'eſt point aſſez puiſſante pour détourner des accufations
formelles , ni pour éviter la haîne &
ladiſgrace publique qui en ſeroient le châtiment.
Je prétume d'ailleurs que le Miniftere ne ſera
jamais allez foible pour être atteint par des afſertions
fans preuves. M. Fox s'eſt plû àinvoquer
pluſieurs fois le Ministere pour le prier de l'épargner
, & de ceſſer de le perſécuter. Ses inſtances
au Miniſſere n'étoient point néceſſaires , & la
la Chambre ne les demandoit point. Les Miniſtres
favent trop bien que le feul moyen de
flétrir lear réputation , d'affermir & d'exalter
celle de M. Fox , eſt de faire de cet Orateur
l'objet de leurs perfécutions. Au reſte , on ne
doit pas être ſurpris de fon zele & de fon ardeur
pour acquérir dans le monde le titre
de victime du Miniſtere ; perſonne ne doit le
defirer plus que M. Fox ; peut-être même ſouffriroit-
il le martyre pour obtenir ce qui ſeroit
Je prix de ſa canoniſation , c'est-à-dire , de recouvrer
l'estime publique & la confiance du peuple..
qu'il a perdues par sa conduite détestable en politique.
M. Pitt fit enſuite quelques obſervations fur
l'affaire qui occupoit la Chambre dans ce moment.
Il examina les diverſes dépoſitions qu'avoient
faites les témoins à la barre , dont pluſieurs
avoient été interrogés par M. Fox lui-même,
&conclut que le Grand-Bailli avoit agi avec
toute la droiture qu'exigeoient les devoirs de ſa
place , & la folemnité de ſon ſerment
Suppoſons pour un moment , dit M. Pitt en
terminant , qu'un des Candidats pour Westminfter
fût un homme de mauvaiſe foi , que , dans
les premiers jours , il chargeât précipitamment
( 163 )
l'élection d'une fi grande quantité de votes qu'il
fût impoffible au Grand-Bailli de les examiner
pendant le cours de l'élection ; qu'après avoir fait
ce manége au point de s'aſſurer de la majorité , il
prit la voix toute contraire du délai , pour traîner
l'élection en longueur, en n'apportant qu'un
-ou deux fuffrages par heure , juſqu'a la veille du
jour fixé pourdéclarer les Candidars élus ; qu'au
moyen de ces menées il prévînt la poſſibilité
d'une vérification ; alors ce Candidat ſeroit un
ufurpateur. Dans l'hypotheſe que je viens de
ſuppoſer , il y auroit un abus manifeſte du droit
d'élection , & comme ce cas eſt certainement
poſſible , il fa fanctionner une nouvelle loi
pour régler les élections & limiter leur durée, de
maniere que le Bailli ait le tems de faire la
vérification , s'il étoit néceſſaire , avant le terme
fixé pour le rapport qu'il en doit faire. Croire
que la formation d'un bill à ce ſujet ſeroit une
injuſtice envers les Electeurs de Westminster" ,
:c'eſt une doctrine à laquelle je ne faurois foufcrire.
Quand doivent ſe faire les loix nouvelles ,
fi ce n'eſt au moment où leur néceſſité eſt prouvée
pardes inconvéniens & des abus ?
4
La Chambre ayant paflé aux fuffrages ,
la motion fut rejetée à la pluralité de 78 voix.
Lord Mulgrave en fit immédiatement une
ſeconde pour ordonner au grand Bailli de
procéder ſans délai à la vérification ; après
quelques débats , cette motion fut agréée.
par une majorité de 88 voix. Il eſt à remarquer
que onze des partiſans du Ministère ,
ſoit à deſſein , ſoit ſincérement , votèrent
avec impartialité en faveur de la motion de
M. Welbore Ellis .
(164)
Le to, le grand Bailli & fon député, lord
Hood, fir Cecil Wray & ſes conſeils , s'étant
rendus à l'abbaye de Westminster pour procéder
à la vérification , ni M. Fox ni aucun
de ſes amis ne parurent à cette aſſemblée. On
ylutunelettre de M. Sheridan , qui annonçoit
dans la journée une réponſe finale de
M. Fox. La Cour s'ajourna au lendemain
pour commencer la reviſion , ſans ultérieur
renvoi.
Nous l'avons remarqué, la crainte de voir
mettre au jour les prévarications commifes
dans l'élection , a ſeule déterminé une aufſi
forteoppoſitionà cet examen légal . Si M. Fox
n'a réellement dû ſa majorité qu'à des ſuffrages
illégitimes , ſon élection est une évidente
injuftice envers ſon concurrent & envers
les électeurs. La conſtitution ne peut
P'avoir autoriſée ; & en pareil cas , c'eſt une
défenſe bien ſuſpecte , que des fubtilités fur
un point de forme , pour couvrir une illégalité
réelle.
Il s'eſt élevé une queſtion très-importante,
dans l'élection pour Asburthton , c'eſt de favoir
ſi un eccléſiaſtique Anglican eſt éligible
pour une place au Parlement : un uſage non
interrompu adécidé le problême, maisla loi ,
àce qu'il paroît, le laiſſe irréſolu. Si leClergé
acquiert ce droit précieux, on ne tardera pas
àvoir en Parlement ſes membres les plus dif--
tingués par leurs connoiſſances politiques ,
commeM. Tucker , doyen de Gloceſter ,
( 165 )
ledocteur Jebb &d'autres. Ce privilege jetteroit
dans l'ordre entier une émulation utile,
&décideroit pluſieurs ſujets de mérite à embraſſer
un état dont l'illuſtration eſt aujourd'hui
affez limitée.
A la formation du précédent Parlement,
il y eut quarante élections conteſtées : aujourd'hui
leur nombre eſt de cinquante-une. Six
mois,une année même ſepaſſeront avant que
toutes ces pétitions ayent été jugées; circonf
tance inévitable qui ſuffit pour renverſer la
chimere des Parlemens annuels , renouvellée
detems à autre par l'oppoſition.
Dans la féance du II , la Chambre s'occupa
de l'eftimation des dépenſes de l'artillerie.
L'état en fut préſenté par leCapitaine James-
Luttrell , Intendant-Général de ce dé
partement, & porté à 810,699 1. ft.
M. Luttrell justifia cette demande par les
frais néceſſaires des réparations aux ouvrages
de Gibraltar , des fortifications à ajouter aux
ifles rendues dans les Indes-Occidentales , &
des poſtes à établir dans les poſſeſſions que
conſerve l'Angleterre ſur le continent de l'Amérique.
Il comprit auſſi dans ſon eſtimation
les dettes à payer, qui réſultent en partie des
avances d'argent faites au bureau ſur des contrats
où les prêteurs eſcomptoient 28 pour
100, Malgrél'énormité de cette dépenſe en
tems de paix, la Chambre accorda ce ſubſide
après quelques difcuffions .
Dans le détail des dépenſes d'artillerie, il s'eft
trouvéun articlede 500,000 liv. ft. pour les forg
( 166 )
tifications de Portsmouth & de Plymouth , fur lequel
M. Huffey & le Capitaine MBride ſe ſont
récriés en obſervant que la défenſe de l'Angleterre
ne devoit réſider que dans ſa Marine , & que
tant que ce Royaume auroit des vaiſſeaux , les
places fortes ne lui ſerviroient point ;maisleColonel
Luttrel répondit à ces deux Membres qu'ils
avoient apparemment oublié le tems où M. d'Orvilliers
croiſoit dans la Manche , & où le Cabinet,
de S. -James lui même trembloit que ceGénéral
François ne détruifit tous les Chantiers & tous les
Arſenaux de la Marine Britannique , à l'aide ſeulement
d'une ou deux frégates & de quelques
Volontaires tirés des garniſons de ſes vaiſſeaux.
M. Burke a produit ſes motions fur le Diſcours
duRoi , mais elles n'ont point été admiſes.
La motion de M. Sawbridge a été remiſe.
Le 14, le Secrétaire de la guerre demanda
àla Chambre un ſubſide de 928,662 liv. ſterl.
pour la paie&l'entretiende l'armée en 1784 ,
ſoit de 17,483'hommes effectifs , y compris
2036 invalides & officiers fans commiffion ,
pour les troupes employées aux Colonies &
Gibraltrar , ainſi que pour un régiment de
Dragons légers , & cinq bataillons d'infanterie
employés aux Indes-Orientales.
Le célebre lord Mansfield dont on avoit
tauſſement annoncé la retraite , a repris ſes
fonctions au banc du Roi où il a préſidé. Il
a pris pendant quelque tems des bains de
mer , qui paroiſſent avoir achevé ſon rétabliſſement.
Le Roi a remis au Tréſorier de la Société
qui a célébré le Jubilé d'Handel, une ſomme
de soo liv. fterl., à joindre aux charités aux
( 167 )
1
quelles ſera employée la recette des concerts
qui ont eu lieu derniérement. On a confacré
cette cérémonie par une inſcription en marbre
qui a été placée au-deſſous du monument
d'Handel dans l'abbaye de Weſtminster.
Des ouvriers creufant, il y a quelques jours
un canal dans les jardins du Palais Archiepifcopal
de. Lambeth , trouverent une piece
de métal qui les engagea à étendre leur fouille.
A trois pieds de profondeur, ils découvrirent
101 larges pieces d'or ( des Jacobus ) 36 plus
petites , & 40 dont chacune environ de la
valeur d'une demi-guinée. Ce tréſor ayant
été vendu à un orfevre , la part de chaque
ouvrier a été de 23 liv. ſterl, Malgré le ſecret
qu'ils s'étoientpromis , l'un d'eux l'a divulgué
enachetant une montre. On préſume que
ces monnoies furent enterrées au moment de
Pinfortune de l'Archevêque Laud.
Dans le nombre des ſatyres de tout genre
que produiſent ici la liberté & l'efprit de
parti , il en paroît une dont l'idée eſt aſſez
plaiſante; c'eſt le codicile d'un chef de cabale
; con lui fait léguer fon éloquence aux
» Empyriques , ſa modeſtie Irlandoiſe àM.
>> Courtney , fon intégrité à M. Welbors
>> Ellis , fon patriotiſme au Colonel North ,
>> fon eſprit conféquent au Général Con-
ככ way, fon courage à lord Keppel, ſa chaf-
>>>teté au Duc de Queenſberry , ſa piété à
>> lord Sandwick , ſes fleurs de rhétorique à
>> la chaire, fa battologie au Barreau , & fa
>> réputation au fleuve d'oubli.
( 168 )
3
IRLANDE.
DE DUBLIN , le Juin.
:D'après le rapport du Comité de notre
Chambre des Communes , il paroît que l'importation
des laineries angloiſes dans ce
Royaume, a été
de 1779 à 1780 de la ſomme 64970 1. ſteris
de 1780 à 1781
de 1781 à 1782
de1782 à1783
:
308126
322393
311445
La diſtribution de 15000 liv. ſtr accordées en
gratification par le Parlement d'Irlande , pour
encourager les manufactures nationales , ſe fait
de la maniere ſuivante , ſavoir 7500 liv. ft. en
gratifications de cinq pour cent de la valeur des
marchandiſes aux premiers acheteurs , après le
premier Juin 1784 ; cinq pour cent ſur toutes
Jes laineries exportées après la même date ;
1500 liv. ft. en gratifications de cinq pour cent
fur les cotons ou cotons mêlés; 3 liv. 6 f. 3 d.
fur toutes les toiles de coton fabriquées en Irlande,
& imprimées enſuite ; 1500 liv. engratification
aux fabriques de fer , de cuivre, de
caracteres d'imprimerie& de quincaillerie.
こ
Le 31 du mois dernier , les Volontaires
deDublin ont paſſé en revue à Phenix-Park
devant leur General, le Comte de Charle
mont. Ils étoient au nombre de 1000. Pat
complaifance pour eux la revue de la garniété
renvoiée de deux jours.
Avant-hier 7, les habitans & Francs,Tenanciers
fon a
( 169 )
nanciers de la ville &Comté de Dublin ſe
font aſſemblés pour délibérer ſur la réforme
de la repréſentation Parlementaire. Il eſt
forti de ces Comices une ſuite de réſolutions
qui préparent des ſcenes ſi étranges, qu'on
ne peut ſe diſpenſer de les faire connoître
dans leur entier.
Arrêté unanimement , que la repréſentation
imparfaite , actuellement ſubſiſtante , &la longue
durée des Parlemens , ſont des griefs inconftitu
tionnels & intolérables .
Arrêtéunanimement , que le ſuffrage des Communesd'Irlande
n'eſt pas moins néceſſaire à chaque
objet législatif que le ſuffrage du Souverain oudes
Pairs , &que par conſequent le peuple réclame ce
privilége comme juſte , inhérent à lui & inalienable
, afin que ce peuple puiſſe corriger les abus
danslarepréſentation , toutes les fois que ces abus
ſe ſeront multipliés au point de le priver de la part
queluidonne laConſtitution dans fonGouvernement.
Arrêté unanimement que le peuple jouit & a toujoursjoui
d'un droit évident , inaliénable & irrévocable
, à une fréquence d'Elections , auſſi bien qu'à
une repréſentation proportionnelle & égale , droit
établi ſurune baſe plus forte qu'aucun des actes du
Parlement,&quel'obtentiondeces objets impor-
-tans&conſtitutionnels, eſt le moyen le plus sûr de
rétablir& d'affermir l'indépendance du Parlement.
Arrêté unanimement,que la repréſentation inégale,
exiſtante aujourd'hui,&la longue durée des
Parlemensdétruiſent l'équilibre qui par notre conſtitution
devroit ſubſiſter entre les trois branches
de la Légiflature , rendent indépendans du peuple
JesMembresde la Chambre des Communes , procurent
des majorités décidées en faveur de chaque
No. 26 , 26 Juin 1784. h
( 170 )
Adminiſtrateur , & nous menacent d'une Monarchie
abfolue , ou , ce qui eſt encore beaucoup plus
odieux , d'une Aristocratie tyrannique.
Arrêtéunanimement, que la plus grande partie
de laChambre des Communesn'eſt pas élue par le
peuple , mais par les intriguesdes Pairs du Royaume
& autres , ſoit pour de pauvres bourgs , où à
peine il exiſte quelques habitans , ſoit pour des
villes & cités conſidérables , ou peu de perſonnes
font revêtuesdu pouvoir électif.
Résolu unanimement , que la vénalité & la corruption
de la Chambre des Communes actuelle ,
démontrée par les différens actes arbitraires qu'elle
apaffés dans la derniere ſeſſion , & le mépris &
l'indignité avec leſquels elle a traité les demandes
& les pétitions du corps conſtituant , nous
obligent de ſolliciter le peuple pour qu'il s'uniſſe
à nous , afin d'obtenir une plus juſte repréſentation,
& afin de préſenter une pétition au
Trône , pour hater la diffolution du Parlement
actuel.
Reſoluunanimement , que la forced'une nation
ſe fonde ſur l'union de ſes individus .
Résolu unanimement (une ſeule voix s'y étant
oppoſée ) ; que la participation aux droits généraux
dont jouiſſent tous les individus de la nation
, doit les engager à opérer efficacement les
uns pour les autres.
Résolu en conféquence (une ſeule voix s'y
étant oppoſée) , que de faire participer nos freres
Catholiques Romains au droit de fuffrage, toujours
enpréſervant dans toute fon étendue le gouvernement
protestant actuelde ce pays, ce ſeroit une meſure
d'où réſulteroient les plus heureuſes conféquences
,& qui eſt très-propre àaſſurer de plus en
plus la liberté civile.
Résolu unanimement qu'un comité de vingt &
(( 1711 )
un membres ſera auffi tot nommé pour la rédaction
d'une adreſſe au peuple , pour lui demanderfa
coopération , & d'une pétition au Roi dans laquelle
on lui rendra compre de nos calamités , & par
laquelle on lui demandera la difſſolution du Parlement
actuel , dont la corruption nous force à lui
retirer notre confiance; & que ledit comité nous
préſentera ces deux pieces dreſſées , le Lundi zr
Juin.
Résolu unanimement que nous rendrons les plus
vifs remerciemens à l'Ecuyer John Talbot Ashenhurſt,
des foins particuliers qu'il s'est donné pour
remplir l'office de Secretaire, tant en cette affemblée
que dans les précédentes.
Résolu unanimement que les réſolutions préſentes
feront publiées dans les papiers publics.
Alexandre Kirkpatrick junior , Benjamin Smith ,
Sheriffs ...
ETATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE.
BOSTON , le 27 Avril.
Uncomité des deux chambres de la législature
de Maſſachuſſeſt , a arrêté que la ſociété
de Cincinnatus ne peut point être tolérée
, & que ſi elle n'eſt point détruite , elle
troublera la paix & la liberté des Etats-Unis
en général , & fur-tout de Maſſachuſſeſt .
Cet arrêté a été lu aux deux chambres aſſemblées
, & approuvé par elles après mûre délibération.
L'hérédité attachée à cet ordre eſt une :
eſpèce de nobleſſe que les Etats-Unis aſſemh2
(( 1721 ) )
2
blés en Congrès n'auroient point eux-mêmes
le droit de donner , conformément à
P'article VI de la confédération ; & cette
conſidération a contribué le plus fans
doute à faire profcrire l'aſſociation de Cincinnatus
du Maſſachuſſeſt. On ignore ce que
feront les autres Etats à cet égard.
Nous apprenons de la Havanne que le
Gouvernement efſpagnol exécute avec la plus
grande rigueur ſes édits ſur le commerce.
Pluſieurs particuliers , du nombre deſquels
font un ou deux Américains , ayant été pris
en contravention , ont été condamnés à trois
ans d'eſclavage à la Vera-Crux . :
UnNégociant de Kingſton , dans la Jamaïque
, ayant été foupçonné ou convaincu
de la même contrebande , a été auſſi condamné
à huit ans de prifon à la Vera-Crux ,
&à une amende de 130,000 piaſtres,
On écrit d'Annapolis que le Congrès a pris les
arrangemens relatifs au territoire de l'Oueſt. Des
Commiſſaires font nommés pour traiter avec les
Sauvages , à l'effet d'établir une paix générale ,
&de ſeprocurer , par vente ou autrement , une
étendue de terreindont la limite n'eſt pas préciſément
déterminée , mais qui s'étendra à l'Ouest
juſqu'à la riviere Miami , & qui pourra compoferpluſieursEtats.
Cette négociation aura lieu
dans le cours de l'été prochain. Les Commiffaires
ont ordre de ſe trouver à New Yorc le
10dumois préſent , &d'y prendre les meſures
néceffaires àla conclufion du traité. Il eſt à defirer
qu'on agiſſe avec modération par rapport à
( 173 )
l'argent qu'il faudra tirerde ce pays. Quoi qu'il
en ſoit, comme le ſol eſt fertile & que ſes eaux
font navigables , on ne doute point qu'il ne devienne
une ſource immenſe de force & de proſpétité
pour ces Etats , lorſqu'il ſera cultivé& peuplé
convenablement ; & même, dès à préſent il
peut, au moyen d'une fage adminiftration , diminuer
confidérablement la dette publique.
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 20 Juin.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de la Couture,
Ordre de S. Benoît, dioceſe du Mans ,
l'Abbé de la Châtre, Vicaire général de Nevers
, ſur la nomination&préſentation de
Monfieur , en vertu de ſon apanage ; à celle
de Preuilly , même Ordre , dioceſedeTours
l'Abbé de la Mire Mory, Vicaire général de
Carcaflonne ; à celle de la Vieuville , Ordre
de Citeaux , dioceſe de Dol , l'Abbé de la
Bintinaye, Vicaire général de Paris ; à celle
de Gondon, même Ordre, dioceſe d'Agen,
l'Abbé de Villeneuve Eſclapon ; & à celle
d'Hérivaux, Ordre de S. Augustin , dioceſe
de Paris , l'Abbé de Damas d'Autigny...
Le Comte de Mouſtier , Miniſtre pléniporentiaire
du Roi près l'Electeur de Treves
a eu l'honneur de prendre congé de S. M.
pour retourner à ſa deſtination , étant préſenté
par le Comte de Vergennes , Chefdu
Confeil royal des finances , Miniftre & Seh
( 174 )
crétaire d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres. 3
Le 13 de ce mois , la Baronne d'Obbakirch
& la Vicomteſſe de la Bédoyere ont
eu l'honneur d'être préſentées à Leurs Majeftés
& à la Famile Royale; l'une par la
Marquise de Bombelles , Dame pour accompagner
Madame Elifabeth de France ;
& l'autre par la Comteffe de Clermont-
Tonnerre.
DE PARIS, le 22 Juin.
M. le Comte de Haga prolongera fon ſejour
juſqu'au 26 dans cette Capitale. Tous
les amufemens qui peuvent flatter lon goût ,
lui ont été ménagés ſoit à la ville, foit à la
Cour. La repréfentation d'Armide , qui a eu
lieu fur le grand Théâtre de la Cour à Verfailles
, a eu le plus grand ſuccès. La décoration
du bodage où Renaud fesrepoſe ,
celle de l'embrâfement du Palais de la Magicienne,
ont été ſur tout remarquées : l'exé
cution entiere de cet Opéra a répondu à
l'intérêt du fujet , & au brillant caractere de
la Muſique
Le 16 , la Reine, après avoir dîné à Bellevue
avec M. le Comte de Haga , vint aux
Italiens où l'on jouoit Blaise & Babet.
T
Les ballons font du nombre des ſpectacles
dontjouira M. le Comte de Haga. Les
freres Robert partiront de S. Cloud avant
( 175 )
huit jours dans leur Aeroſtat. La grande
Montgolfiere eft commandée pour le 22. Elle
fera conduite par M. Pilaftre de Rozier qui
ſe promet de faire beaucoup de chemin ;
cette immenſe machine étant reſtée l'autre
jour près des heures en l'air , dans la der
niere expérience faite à huis clos , & quoiqu'elle
fut retenue par des cordes.
رق
L'enthouſiaſme pour ces aëroſtats , très -i
afſoupi depuis quelque temps , reçoit une
nouvelle ſecouſſe en ce moment. Voici ce
qu'on écrit de Dijon le 12 Juin.
Je me hâte de vous annoncer la réuffite de
notre ſeconde expérience aéroſtatique : le ballon
eſt parti aujourd'hui à fept heures un quart , par
le plus beau tems du monde , dirigé par M. de
Morveau & de Virely ( Préfident à notre Chambre
des Comptes : je dis dirigé, parce que malgré la
foibleſſe des moyens qu'on accuſoit M. de
Morveau d'employer, & maleré tousles farcasmes
des incrédules , ces Messieurs ont réellement dirigé ;
ils ont plané très-long-tems fur la Ville & fur ,
les environs , à une très petite élévation , contre
le courant du vent; ils ſe ſont abaiſſes deux fois
à :erre à volonté , ils ſont remontés aux aſtres où
nous les avons perdus de vue.
Nous venons d'apprendre que ces Meſſieurs
fontdeſcendus à dix heures environ à trois lieues
d'ici , aptès avoir fait toutes leurs évolutions.
Voilà certainement une grande oeuvre , fi
tant eſt que ces Meſſieurs aient avancé hori-
Sontalement contre le vent. Les incrédules en
doutent beaucoup : quant au moyen de
s'abaiſſer & de monter à volonté , il n'eft.
1
h4
( 176 )
1
pas contefté. Au reſte nous aurons de plus
grandes certitudes dans 3 ou 4 jours , forfque
le rapport de M. de Morveau , qu'on
nous promet , nous ſera parvenu .
Juſqu'alors les douteurs demanderont à
Melfieurs de Dijon , pourquoi avec leur
moyen de direction , ils ne font pas venus
dîner à Dijon , au lieu de deſcendre à trois
lieues, dans un mauvais village.
Puiſque nous en ſommes aux Ballons , on
nous accuferoit de trop d'indifférence , fi
nous ne parlions pas de celui de Lyon, lancé
enpréſence du Roi de Suede. Il enleva
le Conſtructeur & Madame Tible Lyonoiſe;
au moment que la derniere corde fut coupée
par le Comte de Haga, cette femme
hardie déploya , en s'envolant, un Drapeau
aux Armes de France & de Suede : elle ne
reſta que 4minutes en l'air , traverſa les deux
rivieres , & fut tomber à 3 lieues de fon
départ.
On nous permettra quelques doutes fur
la velocité de cetrajet. 3 lieues en 4minutes
c'eſt une diligence bien extraordinaire. Les
rapports au ſujet de quelques expériences
récentes , ont appris à ſe défier des récits des
entrepreneurs & & des témoins eux-mêmes.
Ces jours derniers , on arrêta aux Italiens un
homme qui s'amuſoit à voler les dragonnes , au
moment qu'il coupoit celle de M. Changran . II
avoit un habit bleu , avec un bouton blanc ,
chargé d'une fleur-de- lys ,&un ruban noir àla
boutonniere.
( 177 )
Quelques accidens arrivés récemment
ont donné lieu à un diſcours ſur la
vente libre des poitons , prononcé par M.
Macors , Apothicaire de Lyon, en préſence
du Corps Municipal. Dans l'examen d'une
cauſe affreuſe , où une doſe d'arfenic , imprudemment
vendue avec de la caſſonade ,
avoit failli conduire un pere de famille à
l'échaffaud, l'un de nos écrivains les plus éloquens
, M. Servan , préſenta des obfervations
énergiques fur l'inſuſtiſance des réglemens
relatifs à la vente des poiſons. Les
Marchands ,dit- il, n'en vendront pas moins
leurs drogues impunément , & les plieront au
besoin dans une feuille de l'Edit. M. Macors
a développé ces inconvéniens en citoyen
pleind'humanité & de fageffe. Comme on
ne fauroit trop ramener l'attention fugitive
du public fur un objet auffi eſſentiel , nous
confignons ici un précis de ce diſcours intéreiſant.
De toutes les marchandiſes qui ſe vendent dans
le commerce , il n'en eſt ſans doute aucune à
laquelle on dût preſcrire plus de bornes qu'à la
vente des poiſons.
Le danger journalier auquel on eſt expoſé nonſeulement
par la facilité qu'on a de ſe les procurer
, mais encore par le déſordre qui regne dans
les magaſins des Marchands auxquels ils font
confiés , par leur impéritie ou leur inadvertance ,
n'a pu être détourné par les réglemens les plus
févéres & les plus ſages. Les abus les plus dangereux
ſe ſont maintenus , multipliés méme ,
h
1
( 178 )
malgré une infinité d'Ordonnances dont le but
étoit cependantde les prévenir.
Dans tous les tems , dans tous les fiecles la
Jiberté abſolue de la vente des poiſons a été funeſteà
des milliers de familles ; dans tous les tems
auſſi le Gouvernement s'eſt occupé du ſoin d'y
remédier; mais malgré les efforts , les effets les
plus terribles n'ont été que trop malheureuſement
la ſuite de ſa confiance à penſer que ſa
furveillance ſuffiſoit pour les prévenir.
Comme les ſubſtances minérales qui conſtituent
les poiſons dont il eſt queſtion ſont d'une
néceſſité indiſpenſable dans les arts , il n'eſt pas
poffible de les proſcrire entiérement. Si la choſe
eût pu fe faire , il eût été bien facile fans doute
d'arrêter tous les défordres qu'ils peuvent jeter
dans la ſociété ; mais nos connoiffances ne nous
ayant pas encore montré qu'il nous fût poſſible
de les remplacer pardes objets moins dangereux ,
cemoyen n'a donc pu ni ne peut être employé , &
conféquemment la vente de ces minéraux eff
devenue & eſt encore néceſſaire & indiſpenfable.
Sous le Regne de Louis XIV , il etoit permis,
comme il l'eſt encore denos jours , aux MarchandsEpiciers
Droguiftes de temir & vendre ces
vénéfices; mais avec des réſerves qui jettent
les débitans dans des entraves trop pénibles pour
que la loi ne ſoit pas bientôt oubliée. V. l'Ordonnancede
1682 , art. 7&8.
Je ne fuis pas le premier à fentir tous les dangers
attachés à lavente des poiſons ; mais peu
ont ofé élever la voix pour démontrer que la
vente libre de toute ſubſtance veneneuſe eſt
l'un des plus terribles maux qui accablent
l'humanité. On ne peut , fans friffonner , for(
179 )
ger àtous les crimes auxquels elle a dans tous
les tems donné lieu. En effet, les malfaiteurs
avec un peu d'argent , peuvent fans entraves fe
munir des moyens d'exécuter leur abominable
complot. Le poiſon eſt indiſtinctement dans toutes
les mains , & rien n'eſt plus facile que de s'en
procurer de toute eſpece.
Cet objet n'eſt point encore le moins effrayant
des dangers qui réſultent de la liberté de la vente
des poiſons ; mon deſſein n'eſt point de porter la
terreur dans l'eſprit de perſonne ; mais combien
de coupables qui ſeroient reſtés integres fans la
dangereuſe facilité avec laquelle un homme ,
dans un inſtant de délire , peut ſe procurer ce
qu'il lui faut pour aſſouvir une paffion dont il
eût pu ſe rendre maître , fi le moindre obſtacle
lui eût donné le tems de rentrer en luimême.
Je ne craindrois pas de mettre dans le plus
grand jour lesjuſtes conféquences que l'on doit
tirer du dépôt qu'on laiſſe indiſtinctement chez
tous les Epiciers : comment ſeroit-il poſſible que
les Réglemens ſoient obſervés par des Marchands
qui ne font guidés que par le defir du gain ;
je parle ici du général , & je ſuis fort éloigné
de douter qu'il n'y en ait parmi eux d'aſſez
inftruits &d'aſſez honnêtes pour ſavoir apprécier
ce qu'ils doivent à leur confcience & à l'Etat .
Cependant , j'oſe le dire , le plus grand nombre
de ces Marchands, ceux qui vendent fur-tout au
détail , ſemblent ignorer qu'il exiſte des Réglomens
ſur la vente des poiſons, un coup-d'oeil
ſuffit pour s'en convaincre , & porter l'effroi
dans le coeur de toute perſonne capable de fentir
la conféquence du déſordre qui regne chez
eux : le verd-de-gris eſt expoſe ſur leurs bouti
h6
( 180 ) ques , en vente à côté du fromage; ſouvent même ſur la même place , la cafſonade eſt à côté
de la céruſe , &c. : Si l'oeil des magiſtrats pouvoit pénétrer dans ces magaſins , où les poiſons font indißinctement mêlés avec les épiceries qui entrent dans nos alimens , dans ces magaſins où prefque tout eft à découvert , où ſans la moindre précaution , ces mêmes peiſons ſont pilés & tamiſés ; fans faire attention à la vapeur meurtriere qui s'en éleve , &va ſe dépoſer ſurles choſes dont nous faiſonsun ufage journalier. Si , dis-je , les Magiftrats pou- voient ſeulement ſoupçonner que l'on portat fi peu d'attention à des objets d'auſſi grande con- ſéquence , il y a long-tems ſans doute que l'on auroit banni de ces magaſins toutes cesſubſtan- ces meurtrieres , & qu'on auroit fait dans chaque
Ville un dépôt particulier. On fait que leGouvernement
a fupprimé les balances de cuivre chez lesdébitans de tabac , à cauſe du verd-de-gris qui pourroit s'y former : pourquoi n'eſpérerions-nous pas que le Miniftre qui ne ceſſe de nous donner des preuves de ſa bienveillance , ne ſupprimât le verd de-gris en ſubſtancedes magaſins où il eſt pelédans la même balance que le poivre , le ſucre , le café , &c. Cette fuppreffion quineceffiteroit cellede toutes les ſubſtancesminerales qui , comme le verd-de- gris , portent avec elles la fatalité de nuireà la viedes hommes , ne peut donc fe faire qu'en faveur d'un entrepôt général de tous ces objets dans un même lieu pour chaque ville, &dans
lequel on ne tiendroitque des marchandises de
centequalité. Perfonne n'ignore encore que la plupart des Epiciers , fans en connoître toute la conféquen
( 181 )
1
ce, préparent & vendent , pour raccommoder
les vins gâtés ,des poudres qui contiennent ſou
ventde la litharge &d'autres matieres auffi nuifibles
,c'eſt dansles grandes villes ſur-tout qu'on
s'apperçoit le plus des funeſtes effets de cette
fraude , qu'on ne doit cependant attribuer qu'à
l'impéritie des Marchands qui les débitent. On
fait encore que pour prévenir les effets dange
reux de ces fortes de mixtions , tous les Parlemens
ont rendu différens Arrêts ; celui de Nancy
particulièrement en a rendu un le 3 Août 1782 ,
qui ordonne que toutes mixtions de plomb , litharge
, &c. dans le vin , à quelques fins que ce
puifle être , ſeront réputées au nombre des poiſons
capablesde procurer la mort précipitée ou
lente , & que ceux qui auront pratiqué telles
mixtions , leurs complices , participants ou adhérants
, ceux même qui auront diſtribué au public
des vins ou vinaigres ainſi préparés , feront réputés
empoiſonneurs , oucomme tels pourſuivis
extraordinairement , &punis ſelon la rigueurdes
loix.
Comme il ne ſuffit pas ſeulement d'éloigner les
effets qui proviennent du déſordre dans la vente
des poiſons , l'inſtitution de cet entrepôt que je
propoſe doit être telle que les malfaiteurs qui
voudroient ſeprocurer des vénéfices , ne le puiffent
en aucune maniere : en conféquence nous
établirions , je ſuppoſe ,
Que l'entrepôt général des poiſons utiles aux
arts& au commerce ſeroit fait dans un endroit
aéré , & dirigé par un Inſpecteur qui füt apprécier
la qualité des marchandises qui y ſeroient
enfermées;
Qu'il y feroit tenu un regiſtre ouvert où ſe
roient écrits , par date de jour , la qualité & la
quantité des marchandises vendues , ainſi que du
nom de l'acheteur ,
( 182
1
Que l'Inſpecteur ſeroit tenu , à la fermeture
de fon magaſin , qui ſe feroit à fix heures du ſoir
en hiver , & à huit heures en été , de faire
porter chez M.le Lieutenant Criminel & chez
M. le Lieutenant de Police , une copie journa-
Herede ſa vente , ainſi que du nom & de la demeure
de l'acheteur ;
Que les Apothicaires ſeroient ſeulschargés de
la compoſition , vente & diſtribution des émétiques
,& de toutes les préparations antimoniales;
Qu'il ſeroit défendu àtout Apothicaire de donner
aucune préparation ou plante vénéneuſe ,
telles que la ciguë , l'opium brut , l'opium préparé
, le laudanum, l'aconit & fon extrait , le
ftramonium , &c. fans une ordonnance du Médecin
du lieu , &c . & c . &c .
Aſes nombreuſes expériences ſur l'électriciré
, M. l'Abbé Bertholon , Profeſſeur de
Phyſique expérimentale , en a joint une nouvelle
digne d'être rapportée.
Ayant fait un petit aéroſtat en baudruche ,
rempli d'air atmosphérique , il l'a fixé à l'extrémité
d'un fil qu'il retenoit avec la main par
l'autre bout. Dans cet état , le petit globe aéroſtatique
, préſenté à une certaine diſtance audeſſous
du conducteur d'une machine électrique ,
s'eſt élevé vers le conducteur par un effet de l'attraction
électrique. Lorſqu'on retenoit le fil ,
l'aéroſtat reſtoit ſuſpendu en l'air , en proie à
deux forces oppoſées qui ſe contrebalançoient ;
ſi on lâchoit le fil , il montoit , & fon élévation
étoit proportionnelle à la longueur du fil
qu'on déployoit , juſqu'à ce qu'enfin il fût en
contact avec le conducteur. En rentrant le fil ,
on éprouvoit bien ſenſiblement la force attrac
t
( 183 )
tive de l'électricité ſur l'aéroſtat , qui de nouveau
reſtoit en Aation , ou s'élevoit ſucceſſivement
, comme dans les premieres expériences.
Notre Phyſicien en conclut avec raiſon , comme
il l'a prouvé dans pluſieurs ouvrages , que
l'électricité qui regne dans l'atmosphere exerce
ſon attraction ſur tous les corps légers , tels que
les vapeurs & les exhalaiſons qui s'échappent de
la terre ; & ſpécialement ſur les globes aéroſtatiques
, qu'elle eſt ſeule capable de produire
cet effet , ainſi qu'il paroît par l'expérience précédente
, où nulle autre cauſe ne concourt ,
puiſque le petit globe aéroſtatique n'eſt point
rempli d'air infiammable ni d'air raréfié par
chaleur; mais d'air atmosphérique. Dans l'élévation
ordinaire des aréoſtats , où l'on a recours
à l'une de ces deux cauſes , l'élévation eſt un
effet composé de l'attraction électrique & de la
différence des gravités ſpécifiques du fluide
contenu , &de celui qui eſt ambiant.
la
: Table des Matières , ou Précis par ordre alphabétique
de la Gazette de France de l'année 1782 .
Cette Table , qui a paru pour la première fois en
1762 , & qui ſe donne tous les ans , eſt trèsutile
, même pour les perfonnes qui ne font
point de Collection des volumes de la Gazette
de France. En 1776, on y a joint un Indexde
tous les noms françois mentionnés dans laGazette
de l'année , au moyen duquel il n'eſt point
d'évènemens rapportés ſur quelque particulier
du Royaume , que l'on ne puiffe facilement retrouver.
La Table & l'Index ſe trouvent chez
les Directeurs des deux Bureaux de la Gazette ,
qui débitent auſſi l'Abrégé des cent trente-cing
premiers volumes in-4 .
DE BRUXELLES , le 22 Juin.
Juſqu'ici on n'avoit pas eu connoiffance,
( 184 )
ni même parlé d'aucun Mémoire , qui eût
accompagné lesdemandesde l'Empereur aux
Etats Généraux . Ce Mémoire cependant a
été remis fimultanément aux Plénpotentiaijes
de la République par M. le Comte
de Belgiojoſo , ci- devant Ambaſſadeur
Impérial à Londres , aujourd'hui Miniftre
Plénipotentiaire de Sa Majeſté dans nos
Provinces. Cet Ecrit jettant un grand jour
fur la naturedes négociations qui vont ſurvre
, il eſt important de le connoître. Il eft
conçu dans les termes ſuivans :
Le Plénipotentiaire de l'Empereur entame ,
avec autant de plaiſir que de confiance , une négociation
, dont conformément aux intentions de
S. M. , conſignées dans un Mémoire que leGouvernement
- général a remis à M. le Baron de
Hop le 12 Novembre 1783 , & confirmées encore
par la teneurduplein-pouvoir de S. M. , l'objet
porte ſur l'établiſſement & le raffermiſſement
d'une amitié ſincere , durable & inviolable entre
l'Empereur & la République. S. M. étant véritablement
animée de ce defir , il fera la baſe &
l'objetde la conduite && des procédés de fon Plénipotentiaire
dans cette négociation ; & il ne fair
point de doute , que L. H. P. ayant , comme elles
l'ont exprimé en tant d'occaſions , l'intention de
marquer leur attachement à S. M. ,le prix qu'elles
mettent àfon amitié , à ſa bienveillance , & le
defir fincere de vivre en bonne intelligence avec
elle, ce ne ſoit-là auffi la baſe des inſtructions de
leurs Plénipotentiaires;&que ces MM. ne répondentd'ailleurs
par leur inclination& leur concours
perſonnel , àla franchiſe , & aux facilités qu'apportera
le Plénipotentiaire de l'Empereur dans
1
:
1
( 185 )
tout cequi pourra concerner un ouvrage , qui
fera aufli agréable à S. M. , qu'intéreſſant pour la
République , & qui fera exiſter un nouvel état
plein d'agrémens & de fatisfaction réciproque ,
affis fur le fondement ſolide d'une confiance inébranlable
& mutuellement fans bornes. Dans
cette vue , le Plénipotentiairede l'Empereur regardera
comme conforme aux intentions & aux
ſentimens des Souverains reſpectifs , d'abréger
autant que poffible les formes & les détails ; de
dégager la négociation du ton de difcuffion , qui
n'eſt pas convenable , ni fait pour un ouvrage
deconciliation entre deux Etats , qui de bonne
foi ont réſolu de s'entendre pour toujours ; &de
conduire la marche & la forme de négociation
d'après ce que dicte le defir réciproque & les
vues qui y ont donné lieu. Il eſt dans la con,
fiance que MM. les Plénipotentiaires agiront de
leur côté dans le même eſprit & d'après les mêmes
principes ; & il ſe félicitera avec eux d'avoir pu
concourir à donner à cette négociation une fin
heureuſe , en employant à cet effet les ſeules
voies qui ſoient faites pour réuffir , & qui conviennent
autant aux ſentimens & à l'intérêt de
la République , qu'à la dignité & aux principes
de S. M.
t
Pour ne pas différer de donner à MM. les Plénipotentiaires
de L. H. P. connoiffance des droits
&prétentions que l'Empereur réclame, ſon Plénipotentiaire
a 1 honneur de leur remettre ci-joint
un Ecrit , ayant pour titre : Tableau Sommaire ,
&qui indique ces mêmes droits & prétentions :
On ſe promet du côté de S. M. , que la réponſe
quiy ſera faite , confirmera la confiance où elle
eſt ſur l'équité & la justice de L. H. P. Fait
Bruxelles , le4 Mai 1784 .
Il s'eſt répandu qu'à l'exemple des Hollan
( 186 )
dois, notre Gouvernement alloit faire marcher
des troupes fur les frontieres : juſqu'ici
ce rapport eſt dénué d'authenticité. Au reſte
les inconvéniens de cette diligence des Hollandois
à renforcer les garnisons de leurs
frontieres , nont point échapé au Prince
Stathouder. On lui a reproché d'avoir attendu
une réſolution des Etats de Hollande,
pour mettre les troupes en mouvement ,
vient de ſe juſtifier de ce déiai dans une Lettre
aux Etats , où il expoſe les conſidérations
&les démarches ſuivantes. : 1
il
Nous avons cru devoir préſumer que l'intention
de L. H. P. étoit de prévenir tout ce qui
pourroit donner quelque mécontentement au
Gouvernement de Bruxelles , & qu'ainſi l'ordre
de faire marcher beaucoup de troupes vers les
frontieres pourroit donner ombrage ; que fi , fans
avoir reçu d'ordre ultérieur nous y faifions beaucoup
de mouvemens , nous pourrions être confidérés
comme avoir provoqué la guerre avec
S. M I. , n'ignorant pas fur tout les bruirs défavantageux
qui couroient à notre égard fur ce
fujet , &que l'on mettoit à notre charge d'avoir
envoyé un ordre ſecret au Lieutenant- Colonel
de Schweinirz de chercher occaſion à quelque
différend avec le Gouvernement de Bruxelles ,
en faiſant enterrer quelqu'un de la garniſon de
Liefkenshock dans le village de Doel , avec les
honneurs militaires : ce qui nous rendoit d'autant
plus circonſpect àrien prendre en ceci fur nous ,
ou à faire quelque démarche qui pût donner lieu
àdesmal-intentionnés de renouveller les bruits ,
&de répandre que nous tâchions d'engager la
République dans une guerre , par des vues qui
( 187 )
ne s'accordent point avec les intérêts de l'Etats
Nous avons principalement craint d'envoyer
ungrand nombre de troupes dans la Fiandre Hollandoite,
fans une réquisition expreſſe de L. H. P.
vû que les troupes qu'on y envoie , peuvent être
confidérées comme coupées ouJéparées , ne pouvanty
être tranſportées autrement que par ear,
parle manque de communication entre la Flandre
&le Brabant Hollandois par terre , fans paſſer fur
leterritoire de S. M. I.; & notre crainte a encore
augmenté , lorſque nous avons réfléchi à l'intalubritéde
ces places de garnison , d'autant qu'on a
peude ſervices à attendre des troupes qui ſejournent
pendant l'été & l'arriere-ſaiſon dans lesdites
places, fur tout lorſque l'été eſt ſec & chaud ,
Jayant beſoin d'un long temps pour ſe remettre
des maladies auxquelles elles font expofces .
Telles font les raiſons qui nous ont engagés à
ne pas faire marcher plus de troupes , & en particulier
dans la Flandre Hollandoife , avant la
Rétolution ultérieure de L. H. P. , dù 7 dù préfent:
àquoi nous pouvons encore ajouter , que
nous avons conſidéré que fi les navires de tranfport
ſe trouvoient prêts , les troupes que l'on
trouveroit bon d'y envoyer pourroient être
promptement tranſportées ; que les forces de
P'Etat ont déja été augmentées dans la Flandre
Hollandoiſe de 4 Bataillons dont i à Hulst , 1 au
Sas de Gand , 1 à Axel & 1 à Philippine , &
que dès que tous les arrangemens néceſſaires auront
été pris , quelques autres Bataillons s'y rendront
encore , s'il arrive que les circonstances
J'exigent.dong
Aumilieude ces dangereuſes diſcuſſions ,
celle qui concerne le Duc de Brunswick
agite de nouveau les différens partis, Le
( 188 )
Feld-Maréchal s'eſt vu dans la néceſſité de
publier un expoſé hiſtorique & juftificatif,
au ſujet de l'acte entre le Prince ſon neveu
& lui , dont nous avons rendu compte. Le
Duc de Brunswick écrit au Stathouder à ce
ſujet dans les termes ſuivans :
J'ai été , comme de raiſon, très-ſenſible aux
attaques publiques qu'on a fait depuis long tems
àmonhonneur & à ma réputation , &d'avoir été
depuis quelque tems continuellement expoſé
aux plus atroces calomnies , auſſi long-tems
qu'on ne produiſit rien de ſpécifique à ma
charge. 1
J'aurois tranquillement perſiſté dans cette réſolution
, fi depuis quelques ſemaines on n'avoic
pas trouvé à propos de m'attaquer particuliérement
ſur lecontenu & l'exiſtence d'un acte qui a
été paſſé entre Votre Alteſſe & moi le 3 Mai
1766.
Erant d'une notoriété publique juſqu'à quel
point on pouſſe lesinenuations malicieuſes contre
moi , tant par rapport à l'exiſtence de cet acte,
que par rapport à ſon contenu , & combien on
tâche deme rendre ſuſpect aux yeux du public ,
en m'attribuant les deſſeins les plus finiftres , il
m'a paru que pour la conſervation & pour la défenſe
de mon honneur & réputation , j'étois indiſpenſablement
obligé de produire & de publier
aux yeux de l'univers entier cet acte; & je ſer
rois par conséquent d'intention de le donner en
fon entier aux yeux de public , en yajoutant un
court expoſe , tel que je prends la liberté de le
préſenter ci -joint à V. A.
Mais conſidérant que cetacte eſt un inftrument
dans lequel V. A. paroît comme haut contrac
tant, & que par conſequenttil dépend de labon
( 189 )
1
ne volonté de V. A. , fi joſe rendre public cet
acte , je prends la libertéde ſolliciter pour ceteffet
la haute approbation & le gracieux conſentementde
V. A. , en la ſupplianttrès - humblement
de vouloir avoirla grace de me faire ſavoir ſes intentions
à cet égard.
Le parti Aristocratique vient de perdre un
de ſes plus ardens défenſeurs , le Baron de
Capelle de Poll. Il eſt mort à Zwoll , d'une
fievre rhumatiſmale , à l'âge de 48 ans. Les
écrits & les diſcours de ce Seigneur ſont
connus de tous ceux qui ont donné quelqu'attention
aux affaires de la Hollande. Les
uns le regrettent comme le plus ferme appui
de la liberté nationale ; les autres le regardent
comme un diſcoureur incendiaire ,
infiniment dangereux pour le repos public.
Tels font les jugemens ordinaires des factions:
ce n'eſt pas d'après leur organe qu'on
peut apprécier le mérite ou le démérite réels
des Acteurs qui les ont ſervies ou contrariées.
Le Baron de Capelle avoit été
Chambellan du Stathouder , & introduit
par les recommandations de ce Prince dans
le corps des Nobles d'Overyſſel.
On n'apoint perdu le ſouvenir des ſcenes
populaires qui précéderent en 1747 le rétabliſſement
du Stathouderat. On fait encore
qu'en pluſieurs villes de la Hollande & des
autres Provinces , il s'eſt formé des Compagnies
de Volontaires armés ſous l'autorité
des Régences. A Rotterdam,le Peuple & le
Gouvernement ayant vu cette inſtitution de
( 19 )
mauvais oeil , il a faliy renoncer. Elle vient
d'occaſionner à Leyde une fermentation encore
plus violente. Le peuple s'y eſt attroupé,
& a marqué la plus grande fureur contre
ces Volontaires, appellés du nom de Corps-
Franc. Les ſéditieux ont arboré les cocardes
Orange, & ont commis diverſes violences.
La ganiſon & la bourgeoiſie ont été obligées
de ſe mettre ſous les armes , de faire
des patrouilles , & l'on a demandé main.
forte à la Haye , d'où il eſt arrive trois compagnies
des Gardes à cheval. Trois perſonnes
ont été arrêtées , & la tranquillité a paru
rétablie pour le moment. Les Magiſtrats de
Leyde ont en conféquence rendu la publication
fuivante :
Le vénérable Magiſtrat de la Ville de Leyde
ayant appris avec une extrême peine les mouvemens
& attroupesiens , ainſi que les violences
commifes par quelques perſonnes malicieuſes
dans les rues de cette ville , & remarquant
que ces mouvemens tumultueux continuoient
encore , ont , après délibération préalable , confidérant
tout cela non- ſeulement comme tendant
à troubler la tranquillité publique , mais auſſi
comme nuiſible pour la fûreté des bons habitans
de cette Ville ) ce qui par cette raiſon doit être
ſérieuſement réprimé : trouvé bon & entendu
d'interdire à un chacun ) ,de la maniere la plus
forte comme Leurs Nobles Vénérables interdiſent
par la préſente , tout mouvement tumulrueux
, foit par des paroles ou des faits , dans
les rues &voies publiques , par menaces , inſultes
ou violences contre qui que ce ſoit des habitans
, en les forçant à porter quelque marque
,
( 191 )
extérieure ou autrement ; interdiſant tout attroupenientquelconque
dans les rues , devant les maifons
, &c. à peine que ceux qui ſeront pris fur
le fait , ou convaincus d'avoir contrevenu à la
préſente publication , feront punis comme perturbateurs
du repos public& ſéditieux,ſelon les
loix & placards du pays , comme il ſera trouvé
convenir.
Et comme le vénérable Magiſtrat ſeroit ext rêmement
mortifié qu'il arrivat aux bons habitans
& bourgeois de cette Ville aucuns dommages &
malheurs , il engage & confeille à tous ceux
qui par état ne fontpoint obligés de ſe mêler de
ces mouvemens tumultueux de ſe tenir chez eux
avec leur famille , afin d'éviter tous accidens qui
pourroient leur arriver.
Mais comme il importe à la justice , pour le
maintien du bon ordre , que les chefs & auteurs
de ces troubles foient découverts , la Régence de
cette Ville promet une prime de rooo Horins à
quiconque pourra les dénoncer de maniere à ce
qu'ils toient mis entre les mains de la juſtice , &
convaincus du fait, le nom dudénonciateur reftant
ſous le ſecret s'il l'exige. Ainsi arrêté à
Leyde le 10 Juin 1784 , lu& affiché ledit jour , &c.
&c. c.
Le contre -Amiral de Kingsbergen eft
chargé du conımandement de l'eſcadre deftinéeà
relever dans la Méditerranée celle du
Vice-Amiral Reynft , miſe hors de ſervice
parles tempêtes.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL .
,
Les réſolutions priſes àDublin ont donné lieu,
dit-on , à un comité chez M. Pitt & à l'iſſue
duquel on a expédié un courier au Duc de Rutland.
( 192 )
Miſtreſs Siddons , à ce qu'on mande d'Edimbourg
, a exalté les têtes écoſſoiſes comme les
nôtres. La fureur d'entendre cette célebre Actrice
a été au point qu'à une heure les dames
attendoient en ſe promenant l'ouverture de la
falle , quoique le ſpectacle ne dût commencer
qu'à fix heures &demie. La perte des chapeaux;
des cannes , des ſouliers même a étéle moindre
accident. En un mot , le public d'Edimbourg a
été complettementfiddonisé.
Miſtreſs Farmer de New-Yorc a préſenté à
l'aſſemblée de cette province un excellent portrait
originalde Christophe Colomb. Ce Corps a
reçu cet eſtimable préſent avec reconnoiſſance,
&l'a fait placer dans la ſalle d'aſſemblée.
UnOfficier François qui avoit fait la guerre
d'Amérique , ſorti de ſa patrie pour une affaire
d'honneur ,d'une heureuſe phyſionomie , jeune ,
&ayant des talens pour leGénie , ſe trouvoit à
Amſterdam , ſans refſource , & projettoit de paf
fer en Pruſſe. Ne recevant de ſeceurs ni de fa
famille, ni de perſonne , il s'eſt caffé la tête le
9 de ce mois , dans l'auberge qu'il habitoit à
Amſterdam. Sur le dos d'un paquet cacheté à
l'adreſſe d'une de ſes parentes , il avoit écrit ces
deuxvers de Mérope :
Quand on a tout perdu , quand on n'a plus d'eſpeir ,
La vie eſt un opprobre , & la mort un devoir.
Dans une ſituation pareille, ces citations de versi
communesdans les ſuicides françois ſonttellement
forcées qu'elles font ſoupçonner plus d'exaltation
dans la têtedu mort que de déſeſpoirdans ſoname.
CetOfficier , dit- on , eſt Lorrain , &ſe nomme
de Montluifant .
ERRATApour le dernier Nº. , Pag. 114 , 100fuffrages
de donnés , en tout plus de 120000 ; lifez ,
1000fuffrages , & en tout plus de 12000.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 JUIN 1784.
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ETEN PROSE,
ÉPITRE à MM. de la Société Patriotique
Bretonne pour les remercier de l'honneur
qu'ils m'ont fait en me proclamant Ci
toyenne.
JADIS
*
ADIS Ce Peuplebelliqueux ,
L'orgueil & l'effroi de la terre ,
* La Société Patriotique Bretonne doit ſon origine &
fon inſtitution à M. le Comte de Sérent, Gouverneur de
la preſqu'Iſle de Ruis , Commiſſaire Général des États de
Bretagne au Bureau de l'Adminiſtration , Membre de plufleurs
Académies. C'eſtdans la grande ſalle de ſon château
de Kéralier que ſe tiennent les Aſſemblées.Ony voit une
tribune , portant cette inſcription : « Ici on ſert fonDieu
>> fans hypocrifie , ſon Roi ſans intérêt , & ſa Patrie ſans
ambition. >> On a donné au lieu des Affemblées le nora
très-méritéde Temple de la Patrie. Les Patriotes Bretons ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784. E
99 MERCURE
1
Les Romains regnoient par la guerre;
Vous êtes aufli braves qu'eux ;
Mais à la valeur , au courage ,
Vous réuniflez des vertus
Que n'avoient Caton ni Brutus ,
Héros d'humeur un peu fauvage,'
Les Romains détestoient les Rois :
Souvent dans leur fureur extrême
Ils leur ôtoient le diademe
Et les égorgeoient quelquefois.
Cet uſage n'est point le vôtre.
Vous penſez qu'un Roi vertueux ,
Qu'un Monarque tel que le nôtre ,
Eft le plus beau préſent des cieux,
A fes loix votre coeur fidèle ,
De l'aimer fait tout ſon plaifir ,
Et ne brûle que du defir
De lui montrer un noble zèle.
Citoyens vraimentgénéreux ,
En France on eſt un peu moins libre ;
Mais on eſt cent fois plus heureux
Qu'on ne l'étoit aux bords du Tibre.
Vous le prouvez : chez les Romains
pour augmenter l'éclat de leurs folemnités, ſe ſont afſociés
pluſieurs Femmes célèbres par leurs vertus & leurs talens ;
eutre-autres Mme la Comteſſe de Genlis , Mme la Baronne
de Bourdic , l'Auteur de cette Épître , & Mme la
Comteſſe de Nantais , qui , reçue la première , a étél'introductrice
de ces Dames ,
DE FRANCE. 99
Mon ſexe avoit peu d'avantages :
Plus ſenſibles & plus humains ,
Vous nous adreſſez vos hommages.
Les Romains avoient- ils un coeur ?
Non : épris d'une fauſſe gloire ,
Ils ne vouloient avec ardeur.
Qu'atteindre au temple de mémoire.
Mais ſans nous est- il de bonheur ?
Grâces à la philofophie ,
Qui , chez vous , nous ouvre un accès
Dans le temple de la Patrie ,
Vous le fixerez à jamais.
Que déjà mon regard avide
Ycontemple avec volupté
Cette NANTAIS , nouvelle Armide ,
Dont votre coeur eſt enchanté :
Qui , mère tendre & courageuſe ,
Ales vertus du bon vieux tems ,
Et confacre tous ſes inſtans
A rendre fa famille heureuſes
A ſes côtés devoit s'aſſeoir
L'Auteur d'Adèle & Théodore .
Combien il m'eſt doux de l'y voir !
Accourez , ô vous qui , de Flore ,
Compoſez la riante Cour.
Que toutes vos fleurs en ce jour
Sous ma main s'empreffent d'éclore.
15
Je veux couronner à mon tour
Eij
100 MERCURE
Cette Minerve qu'on adore.
Muſe , ne vas point oublier ,
Dans ton délire pindarique .
Le Héros de Kéralier ,
Notre fondateur pacifique.
Vois-tu ſon frout patriotique
Sur tous les autres dominer ?
C'eſt une couronne civique
Qui ſeule eft faite pour l'orner.
Voudra-t'il bien me pardonner
Mon indigence poétique ?
Ma Muſe , au lieu du chêne antique ,
N'a qu'une roſe à lui donner.
O POURQUOI l'Arbitre ſuprême
N'exauce-t'il pas tous mes voeux !
J'irois dans le temple que j'aime
Voir ces Patriotes heureux
Qu'uniſſent les plus tendres noeuds ,
Etdont la ſageſſe eſt extrême.
J'irois..... Mais quel rayon d'eſpoir
Éclaire tout-à- coup mon âme !
Ignorai-je donc le pouvoir
De la fumée &de la flamme ?
Ignorai -je qu'au ſein de l'air ,
Oùnos Icares intrépides
Ont ſouvent affronté l'éclair ,
Un char peut voler dans l'Éther
Traîné par des oiſeaux rapides ?
DE FRANCE. 101
Puiſque nous ſommes au printems ,
J'eſpère , ou plutôt je prétends
Que de légères hirondelles
Me conduiſent en peu de temps
Chezmes patriotes fidèles.
Oui , tôt ou tard je m'y rendrai ;
Et c'eſt- là que je trouverai
Des aigles &des tourterelles.
(ParMmela Comteffe de Beauharnais. )
VERS fur l'Homme ; Abrégé de la
Philofophie.
IL
1
L faut rire de l'homme , hélas ! auſſi leplaindre ,
Ne voir dans ſes forfaits que d'aveugles erreurs ,
Soulager ſa misère, adoucir ſes fureurs ,
Enfin lui pardonner , mais apprendre à le craindre.
(Par M. de la Roque , Capitaine en Second
au Régiment de Baffigny. )
IMPROMPTU à Madame DE ..... après
l'avoir entendu chanter.
Vous entendre & vous voir ſont deux plaiſirs bien
doux ;
Par deux ſens à la fois vous nous donnez des chaînes.
Si jadis on cût vu des Belles comme vous ,
On n'eût pas diftingué les Grâces des Sirênes.
( Par le même. ) S
Eiij
192 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
Le mot de la Charade eſt Paſſage; celui
de l'Enigme eſt Malle ( du Courier ) ; celui
du Logogryphe eſt Loterie , où l'on trouve
hot, love , tor, tri , ire , live , Loire , loir
rote & Loi.
CHARADE.
DEs habitans des airs mon chef eſt l'apanage ;
Pour obtenir ma queue un Huiffier fait tapage;
Mon tout chez les Savans brillera d'âge en âge .
( Par un Abonné de Châlons-fur- Saône. )
FRANÇOIS
ÉNIGME.
RANÇOIS comme Latin , je fers àla cuiſine;
Mais Latin ſeulement , au Barreau je domine.
J'ai trois pieds , cher Lecteur. Me tiens-tu ? Non ?
devine.
( Par M. Micro-Mégas. )
DE FRANCE. 103
LOGOGRYP ΗΕ.
P
OUR un Rimeur , mes fix pieds en font trois ;
Abien des gensje donne ſur les doigts;
Ame décompoſer , ſi votre eſprit s'attache ,
Vous verrez fans peine , je crois ,
Une Beauté qui devint vache ;
Celui dont nous ſuivons les Loix;
Un océan nouveau, dompté par le génie ;
Un métal précieux ; un arbre toujours verd ;
En muſique une note; une ville en Ruffie ;
Une aux bords Indiens; ce que n'a point l'impie ;
Las! ce que dit de moi .... le vice découverts
Mais en revanche on trouve l'épithète
Qui me convient& que je vous ſouhaite.
E iv
104 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
THEATRE d'Aristophane , traduit en François,
partie en vers , partie en profe , avec
les Fragmens de Ménandre & de Philémon ,
par M. Poinfiner de Sivry , Penſionnaire
de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans , &
Membre de la Société Royale des Sciences
& Belles - Lettres de Lorraine. A Paris ,
chez Didot le jeune, Imprimeur Libraire ,
Quai des Auguſtins; Barrois l'aîné , Mérigot
le jeune , Onfroy , Barrois jeune ,
Libraires , Quaides Auguſtins ,&Durand,
rueGalande.
On n'avoit pas encore en François de Traduction
complette du Théâtre d'Aristophane.
M. Poinfinet de Sivry étoit appelé à cette
entrepriſe par une profonde connoiffance
de la langue Grecque,&par pluſieurs ſuccès
dans cegenre de Littérature. Il a faitpluſieurs
découvertes qui éclairciſſent des détails jufqu'à
préſent inintelligibles ; il a redreffé plufieurs
fauſſes interprétations ; & quand il
s'agit d'Auteurs aufli anciens & d'un auſſi
grand mérite qu'Aristophane , rectifier une
erreur , c'eſt ſouvent rétablir une foule de
beautés.
Il faut avouer que pent- être aucun Auteur
Dramatiquen'étoit plusdigne qu'Ariftophane
DE FRANCE.
105
de trouver un Interprète qui sût connoître ,
apprécier & faire ſentir fes beautés. Il
fuffiroit de jeter un coup d'oeil rapide fur
les Pièces que renferment ces quatre Volumes
, pour faire l'éloge tout à- la-fois du
Poëte & du Traducteur. Ce qui frappe furtout
dans la lecture de ce Théâtre , c'eſt le
fel de plaiſanterie , la verve ſatyrique , &
une liberté qui n'eſt permiſe & ne peut convenir
qu'à un génie Républicain. La Comédie
dans Athènes étoit une eſpèce de cenfure pu
blique : quelle arme entre les mains d'un
Poëte auffi mordant , auſſi hardi qu'Ariftophane,
& dans une ville où le moindre
Citoyen avoit le droit de demander compte
de ſa conduite à l'homme puiffant & honoré
!
- Un exemple bien mémorable de cette liberté,
de ce cyniſme utile à la patrie , mais
dangereux , même pour la vertu , c'eſt la fameuſe
Comédie des Nuées. On fait que le
divin Socrate , le plusfage des hommes , est
le ridicule Héros de cetre Pièce ; & qu'Ariftophane
eut la hardieſſe de vouer à la riſée
publique , un Sage qui a mérité le reſpect
de ſes contemporains & l'admiration
des ſiècles. M. de Sivty s'efforce de juftifier
ce procédé , & n'y voit qu'un acte
de courage & de patriotiſme. Il regarde
ce Philofophe comme convaincu d'une
doctrine dangereuſe & d'un fanatiſme
puniffable ; mais même en adhérant à cette
inculpation , fi M. Poinfinet de Sivry n'eft
Ev
106 MERCURE
pas accuſé d'injustice envers Socrate , on lui
reprochera toujours un excès d'indulgence
envers Ariftophane ; car en ſuppoſant que
ce dernier ait fait l'office d'un citoyen zelé
& courageux en attaquant la doctrine de
Socrate , n'a t'il pas paſſe lesbornes lorſqu'il
Ini a fait dire de ce Philoſophe :
Al'aided'un long croc ( fans qu'on l'ait pu farprendre)
Du mur de la Paleſtre il détaché un manteau.
Donner à Socrate le talent de décrocher des
manteaux , c'eſt pouſſerun peu loin le zèle
& le patriotiſme.
Au reſte , cette Comédie eut le ſuccès
qu'elle,devoit avoir chez un peuple aufli malin
& auffi railleur que celui d'Athènes.
On y trouve des traits bien étrangers à nos
moeurs , & même à notre goût dramatique
: Socrate qui s'enlève dans des nuées ;
un choeur de Nuées qu'on entend ſur la
Scène ; tout cela fur nos Théâtres nous paroîtroit
au moins bien étrange ; mais il y
a nombre de traits malins & plaifans , tels
que celui ci , qu'on a imité depuis : As tu de
la mémoire, demande Socrate à un de ſes
Élèves ; & l'Élève lui répond:
Oui , de par Proferpine!
Si quelqu'un m'a fait un billet ,
:
Je m'en fouviens très bien; mais le voudrez - vous
1
croire ?
90-509
Cette excellente & sûre & rapide mémoire ,
Lorſque c'est moi qui dois , m'abandonne tout net.
DEFRANCE. 107
On voit que cette Comédie eſt traduite
en vers; elle le méritoit , ne fût ce que par
ſa célébrité. Nous n'omettrons pas ici un
détail qui prouve la ſagacité du Traducteur :
dans un endroit le choeur eſt pieux ; il
eſt impie dans un autre. M. Poinfiner
de Sivry explique cette contradiction en dittinguant
deux fortes de choeurs ; l'ordinaire ,
&celui que le Poëte adaptoit au fujet. Cette
explication eft claire & vraisemblable.
M. de Sivry a mérité le même éloge
pour la Comédie des Grenouilles , dans
laquelle l'Auteur fait diſcuter lequel doit
avoir la préférence , comme Poëte Tragique
, d'Efchyle ou d'Euripide. La question
ne ſe décide pas à l'avantage de ce dernier ,
qui , là , comme dans d'autres Pièces d' Ariftophane,
eſt traité de la manière la plus injurieuſe.
Ces deux Poëtes y font fuppofés
morts ; mais le Traducteur croit, avec raiſon,
contre l'opinion reçue juſqu'ici , qu'Eu
ripide étoit encore vivant ; & il prouve
CI
que le ſel de cette ſuppoſition eſt de faire
>> entendre qu'Euripide n'a plus aucun ta-
>>lent pour la Scène; que ſa verve eſt étein-
» te ; qu'en un mot , il eſt mort de ſon
» vivant.
Le titre de cette Pièce n'eſt tiré que d'un
incident qui eſt vers la fin du premier Acte ,
&dont il n'eſt plus queſtion dans le reſte
de l'Ouvrage ; d'un concert de grenouilles ,
dont Bacchus eft régalé en paſſant la barque
de Caron. Cela prouve qu'Ariftophane n'y
E vj
108 MERCURE
regardoit pas de bien près pour intituler ſes
Comédies.
Ily a plus de juſteſſe dans le titre des Chevaliers.
( Les Chevaliers formoient à Athènes
la ſeconde claſſe de l'État. ) Le perſonnage
joué dans cette Comédie , n'étoit rien moins
que Cléon, Général de l'Armée , & Tréſorier
de l'Epargne , jouiſſant alors de tout
fon crédit , malgré la haine des Chevaliers ,
qui n'avoient pas vû ſans chagrin le fils d'un
Corroyeur s'elever par la brigue aux premiers
grades de l'Etat. Aucun Comédien
n'ayant été affez hardi pour jouer le rôle de
Cleon , ni aucun Ouvrier pour faire ſon
mafque * , le Poëte le fut affez pour s'en
charger lui- même , en ſe barbouillant le
viſage de lie .
Ariftophane perſonnifie le peuple Athénien
, & en fait un vieillard imbecille , &
dupé par fon eſclave de confiance , qui eſt
Cléon , & qu'il appelle Paphlagon , c'est-àdire
, eſclave correcteur. Deux autres efclaves
, Nicias & Démosthène , ſont ſoumis
à celui- ci , qui abuſe de ſon pouvoir ; ils
cherchent à le perdre auprès du maître , &
ils y réuffiffent. On ne ſera pas fâché de voir
ici dans quels termes on parle de Cléon , ce
perſonnage ſi important. L'Auteur ſuppoſe
un Oracle qu'il fait tomber dans les mains
de Démosthène , qui le lit ainſi:
* Nota. Les Acteurs en Scène avoient un maſque
refſſemblant à la perſonne qu'ils vouloient jouer.
DE FRANCE. 109
DÉMOSTHÈNE .
« L'Oracle s'explique là-deſſus ſans am-
>> biguités. Voici ſes paroles : D'abord un
Vendeur de toile gouvernera l'État..
a
NICIA S. 1
>>Nous connoiffons ce premier Vendeur,
( ** ) Ensuite ?
"
DÉMOSTHENE.
A ce premierfuccédera un Vendeur de
Moutons. ( ***)
NICIAS.
» Et de deux. Mais ſachons ce que ce ſecond
Vendeur devient.
DÉMOSTHÈNE.
→Après une courte domination , il meurt :
» & eft remplacépar un homme beaucoup plus
>>pervers , par le Vendeur de Cuirs , par le
» Paphlagon , homme rapace , grand brail-
>> leur,&dont la voix couvriroit le bruit du
? cyclobore en courroux. ( **** )
NICIA S.
>> Il étoit done écrit au livre des deſtins
» que le Vendeur de moutons ſeroit rem-
>> placé par le Corroyeur !
(** ) Eucrates, ( *** ) Lyficles. ( **** ) Fleuve
del'Attique.
ΙΙΟ MERCURE
DEMOSTHENE.
» Oui , par Jupiter !
NICIAS.
>>Quoi ! un Vendeur , un autre Vendeur,
» & toujours un Vendeur ! & c. »
Comme ce mot Vendeur fert bien la malignité
du Poëte ! L'Oracle déſigne pour ſucceffeur
à ce dernier un homme paítri de
malice& de rufes. C'eſt un Chaircuitier. Dans
ce moment paffe un Chaircuitier en effet ;
(Agoracrite) les deux eſclaves ſe mettent àlui
prouver , à ſon grand étonnement , & d'une
manière fort comique, que c'eſt lui qui doit
gouverner l'Etat à la place de Cléon; cette
fituation très- théâtrale a été imitée par Molière
, dans fon Médecin malgré lui. On lui
fait voir les quatre Ordres de l'Etat , en lui
difant , tout cela eſt à vous; & l'autre en eſt
tout étonné. On lui montre des ports , des
vaiſſeaux , & , tout cela est à vous, fert
de refrein. Enfin , lui dit on , vous voyez
ces deux Provinces ? Eh bien , ce ſera vous
qui les vendrez comme bon vous ſemblera.
Agoracrite ne revient pas de ſa ſurpriſe , &
objecte le peu qu'il eſt. Démosthène lui répond
que c'eſt juſtement parce qu'il eſt un
homme méchant & audacieux.
21
ود
AGORACRITE.
>> En confcience , je ne ſuis pas digne des
honneurs dont vous me flattez.
DE FRANCE
DÉMOSTHENE.
>>Il s'agit bien de ſe croire digne ou in-
>> digne. Ne diroit- on pas à l'entendre , que
ود c'eſt un homme de probité ? Parlez net ;
>> de quelle claſſe d'hommes êtes vous ? Des
bons ou des pervers ? ১১
AGORACRITE.
» Je ſuis un de ces derniers , par tous les
» Dieux !
DÉMOSTHENE.
>>Mortel trop fortuné! vous avez donc
>> tout ce qui conſtitue un homme d'Erat.>>
Voilà bien le ton de la fatyre & le talent
de la Comédie tout à la fois ! A la fin Agoracrite
ſe laiſſe perfuader ; il dénonceCléon ,
&fa prétention ſe realife.
La Comédie des Oiseaux offre un titre fingulier
, & le ſujet en eſt bien plus bizarre en
core. Des hommes habillés en oifeaux , une
ville qu'on bâtit au haut des airs; c'eft une
imagination dont le ſel eſt bien peu fenfible,
s'il n'y a pas quelque alluſion ſecrette. Ce
n'eſt pas qu'il n'y ait des traits ingénieux &
plaifans. Un Député vient complimenter le
fondateur de la ville Aérienne,& lui dit que
depuis cet établiſſement , tout le monde a
adopté les moeurs des oiſeaux , & qu'ils in
fluent niême fur toutes les expreflions qu'a
dopte la mode:
On déniche de grand matin; 9:
472 MERCURE
Onplume , autant qu'on peut, ſon plus proche voiſin;
On va graiffer lapatte à quelque Commiſſaire ;
On fait lepied de grue au lieu de s'ennuyer ;
On tire l'alle pour payer ,
Et l'on fait leplongeon lorſqu'il eſt néceffaire , &c.
Cette Comédie deviendroit même aujourd'hui
. Pièce de circonſtance. Tout le
monde n'y aſpire qu'à voyager dans l'air , &
chacun cherche à ſe pourvoir de bonnes
aîles. Le fondateur de la ville aérienne donne
des ordres pour qu'on rempliſſe d'aîles des
corbeilles &des mannequins. Après quoi , le
choeur fait entendre ces mots :
Arrangez àpréſent ces différens plumages
Selon leurs différens uſages ;
Mettez-moi chaque eſpèce àpart :
Ici , les aîles poétiques;
Auprès d'elles les prophétiques ;
Que tout foit en ſa place. Enfin ayez égard
Aux deſirs des humains ; & , felon leurs demandes ,
Sur l'une& l'autre épaule , ajuſtez avec art
Des aîles petites ou grandes.
Le fonds de la Comédie des Harangueufes
, c'eſt la réſolution que prennent les
femmes de s'emparer du Gouvernement
d'Athènes ; ce qui donne lieu à des tableaux
&à des détails plaiſans & comiques .
:
Les femmes jouent encore un très-grand
rôle dans la Comédie de Lyfiftrate. LesLacédémoniennes
& les Athéniennes, laffées de la
:
DE FRANCE. 1
113
guerre que ſe font Athènes & Sparte , parce
qu'elle les prive trop long tems de la compagnie
de leurs maris ,prennent un parti ſingulier
pour la faire ceffer. Elless'aſſemblent ſecrètement
, &jurent de ſe parer , d'ajouter à
leur beauté naturelle la ſéduction de la toilette
, pour exciter les deſirs de leurs époux ,
& enfuite de ne leur rien accorder qu'ils
n'ayent figné la paix. Le traité s'effectue , à
quelques infractions près de la part de pluſieurs
jeunes femmes; le projet réuffit , &
la paix ſe fait. Il y a beaucoup d'obſcénités
dans cette Comédie.
Celle de Plutus eſt traduite en vers , comme
les Nuées. L'aveugle Plutus tombe
dans les mains de Chrémyle , qui , par le fecours
d'Esculape, lui fait recouvrer la vûe.
Cet incident bouleverſe toutes les fortunes ,
parce que Plutus , voyant clair , retire les
bienfaits qu'il avoit diſpenſés aveuglément.
Les Dieux font abandonnés; on n'a plus de
voeux à leur offrir. Le Grand Prêtre n'a pas
même de quoi vivre , & vient s'en plaindre
à Chrémyle. Comment, s'écrie Carie, l'efclavede
ce dernier :
Mourir de faim étant Grand Prêtre !
Apprenez-moi comment ?
LE GRAND PRÊTRE
Hélas! il le faut bien :
Je vivois de l'autel , l'autel ne rend plus rien..
;
114 MERCURE
Etdepuis quand ?
CARIE .
LE GRAND PRÊTRE.
Depuis que tout le monde,
Grâce à votre Plutus , en richeſſes abonde.
Autrefois un Marchand qui rentroit dans le port ,
Offroit des dons aux Dieux protecteurs de ſon ſort ;
Cet autre , appréhendant les yeux de la juſtice ,
A Jupiter Sauveur faiſoit un ſacrifice ;
On me fêroit auffi , &c .
On fait bien pis , on finit par mettre fur
l'autel Plutus à la place de Jupiter :
Et plaçons ſur l'autel le Dieu de la richeſſe.
Termine cette Pièce ingénieuſe.
Les Fêtes de Cérès font prefque d'un bout
à l'autre une ſatyre contre Euripide , à qui
il paroît qu'Ariftophane en vouloit beaucoup.
Les femmes s'aſſemblent pour délibé.
rer ſur le moyen de punir Euripide du mal
qu'ildit ſans ceſſe de leur ſexe dans ſes Tragédies.
Son beau père conſent à s'habiller en
femme, pour s'introduire parmi elles , &
plaider la caufe de l'accuſé. Il eſt reconnu ;
mais après pluſieurs incidens , Euripide luimême
ſe préſente , & fait fa paix avec fes
juges , en les menaçant de raconter leur con.
duite à leurs maris au retour de l'armée .
Cetre Pièce n'eſt ni bien bonne ni décente.
Les Karniens , qui réuſſirent beaucoup,
DE FRANCE.
115
furent donnés par Ariftophane , pour engager
les Athéniens à faire la paix. Les Arhé
niens couronnèrent le Poëte , & firent la
guerre.
Euripide revient encore dans cette Comédie
, & fournit même une Scène fort
plaifante.
La Paix eſt une autre Comédie qui a le
même but , avec des moyens différens. Ariftophane
avoit fait encore une autre Pièce du
même ſujet , & ſous le même titre , qui ne
nous eſt point parvenue. Dans celle qui nous
eft restée , Trygée monte ſur un eſcarbot
pour arriver au ciel ; il y réuffit , ainſi qu'à
délivrer la Paix , que la Guerre avoit miſe
enprifon. Après l'avoir affranchie , Trygée
épouſe la Paix , & la préſente aux Athéniens ,
qui lui font un doux accueil.
Ce n'eſt pas ſan's intérêt qu'on rencontre
dans cetre Collection la Comédie des
Guêpes, qui a fourni celle des Plaideurs.
M. de Sivry n'a traduit que ce qu'a imité,
l'immortel Racine , c'eſt à- dire , les trois
premiers Actes , les deux derniers font inutiles
à l'action , & fort étrangers à nos
moeurs. L'Aureur des Plaideurs a ſu ajouter
à fon original une foule de traits charmans,
comme il y en a qui lui ont échappé , ou
qui n'ont pu entrer dans ſon plan. Il eſt
plaiſant de voir Philocléon , le Dandin
d'Ariftophane , exhaler en hyperboles le
chagrin qu'il a de fe voir enfermé par fon
fils , qui l'empêche d'aller juger . Après mille
116 MERCURE
ſouhaits extravagans adreffés à Jupiter , il
ajoute: " ou tout au moins métamorphoſe-
>> moi en petite pierre à fuffrages , afin que
» quelque Juge ſe ſerve de moi pour con-
> damner quelqu'un en jugement. » Déterminé
à ſe ſauver par la fenêtre , il dit à
ceux qui l'attendent en bas: " s'il m'arri
> voit de me rompre le cou, ne pouſſez ,
> je vous prie , aucun gémiſſement , &
> daignez , ſans bruit , m'enterrer ſous le
>>banc où j'ai coutume de juger. » Plus
loin , après avoir eu l'air & même le defir
d'entendre raiſon & d'écouter ſon fils , qui
veut le guérir de ſa manie , il s'écrie avec
enthouſiaſme : " emporte , emporte toutes
>> tes promeſſes; je ne reſpire que le Barreau.
Faites- moi , mes amis , entendre
le cri de l'Appariteur , faites- moi voir la
> corbeille aux fuffrages. Quoi ! voudriezvons
que je donnaſſe mon fuffrage le
> dernier ? O mon âme, quitte mon corps ,
» & vas juger ſans lui. Simple ombre , tu
» échapperas à mes geoliers! &, par Her-
>>cules! tu ne ſouffriras pas que mon nom
> foit pointé en qualité d'abſent ſur le
>tableaudes Juges. Non , non , il ne fera
>> pas dit que Cléon vole la République ,
» & que je ne l'aurai pas décrété. »
20
Telles font les Pièces que renferment ces
quatre volumes , les ſeules que nous ayons
d'Aristophane , qui en avoit fait plus de
cinquante. Ce Poëte joignoit les grâces du
ſtyle aux charmes d'une imagination vive&
DE FRANCE 117
brillante. Sa plume répand à grands flots dans
fes vers ce qu'onappelle leſel attique;&l'épi
gramme& le ſarcaſme y jailliſſent de toutes
-parts. Rien ne peut épuiſer ſa verve , encore
moins l'intimider. Ce génie Républicain frappe,
en les nommant , ſur les tyrans de fon
pays ; il ne pardonne pas même à ſes Dieux.
Sans défendre le rire à Thalie, il lui a mis dans
lesmainslefouet ſanglant de la fatyre.
Celui de nos Auteurs Comiques , qui , par
te ſarcaſme , ſe rapproche le plus d'Ariftophane
, c'eſt l'Auteur de Crifpin Rival&de
Turearet; le Sage a ſuivi parmi nous ce
qu'on peut appeler à bon droit la Comédie
Satyrique.
Une remarque aſſez fingulière , c'eſt que
dans les onze Pièces d'Aristophane , il n'y
en a pas une qui ait une intrigue amoureuſe;
au lieu qu'on reproche aux nêtres de finir
routes par le mariage; différence qui tient
bienmoins au goût qu'aux moeurs. De tous
lesOuvrages Littéraires , le Poëme Dramatique
eſtle plus fubordonné à l'influence des
moeurs & du Gouvernement : delà un principe
bien ſimple , c'eſt que jamais le Théâtre
d'une Nation ne peut reſſembler parfaitement
à celui d'une autre ; même avec les
mêmes principes de goût , les formes doivent
varier.
Voilà qui explique l'extrême liberté avec
laquelle écrivoit Ariftophane ; c'eſt qu'il
écrivoit dans un pays Républicain , & ,
comme nous l'avons déjà dit , dans un pays
11S MERCURE
où la Muſe de la Comédie exerçoit , pour
ainſi dire , une cenfure publique ; elle
s'immiſçoit dans les affaires du Gouvernement
; aufli tous les ſujets des Comédies
d'Ariftophane ſont pris ſur les lieux même ,
& font même toujours analogues aux affaires
du moment.
Voilà qui explique encore pourquoi dans
les Comedies d'Ariftophane , on trouve ſi
ſouvent le langage figuré. Qu'on y trouve de
la Mythologie , rien de plus naturel , Athe-
Hes étoit le pays de la Mythologie ; mais on
y voit ſouvent du merveilleux. C'eſt qu'il
écrivoit chez un peuple dont les organes
étoient fi mobiles , ſi ſenſibles; & naturellement
ami de la fiction. Les Grecs mettoient
ſouvent l'imagination à la place de la raiſon;
ou , ſi l'on aime mieux , la raiſon chez eux
n'étoit jamais dépouillée des grâces de l'imagination.
Peut- être avons nous donné dans
un excès contraire ; peut être notre raiſon
eſt elle ſouvent froide , sèche & trop ſévère.
Cependant , ſi l'on peut , ſans impiété ,
diſcuter le înérite des anciens , il ſera
permis de dire , & il faut l'ofer , que notre
Théâtre l'emporte ſur celui des Grecs pour
la perfection de l'art. On s'apperçoit , en lifant
Ariftophane , que la réflexion n'avoit
pas encore développé tous les ſecrets de l'il
luſion dramatique. Les entrées de fes perſonnages
ſont peu motivées; c'eſt tel ou rel
choeur d'une Comédie , ſouvent très étranger
à l'action , qui en détermine le titre ; il
DE FRANCE.
119
néglige quelquefois les moyens d'illuſion les
plus fimples & les plus faciles ; par exem
ple , page 352 & ſuivantes du Tome Ier ,
Nicias quitte la Scène pour aller chercher du
vin ; il revient , & en rapporte ſans que l'Acteur
qui est reſté, ait dit un mot. Il eſt
clair que , ou ce dernier a eu le temps de
parler , ou l'autre n'a pas eu le temps d'aller
chercher du vin. Cependant , pour faire dif.
paroître cette négligence , il n'en eût coûté.
àl'Auteur qu'un monologue.
Mais ce qui frappe bien davantage , c'eſt
de voir très ſouvent les Acteurs en pourparler
avec les Spectateurs . On est tout étonné
d'entendre le choeur , vers la fin du premier
Aste des Nuées , dire au Public :
Spectateurs éclairés , que ce grand jour raſſemble,&c,
Etplus loin :
Nous voulons vous apprendre , honorable aſſemblée ,
&c.
Molière n'a fait cette faute , ou ne s'eſt
donné cette liberté qu'une fois , dans fon
Avare , où Harpagon deinande au Parterre
des nouvelles de ſon voleur. Ces irrégularités
, qui ſembleroient ne devoir appartenir
qu'à l'enfance de l'art , détruiſent toute illufion.
Une action dramatique eſt cenſée n'a
voir aucun témoin, ce qui fait ſentir le ridi
cule (ſi commun encore aujourd'hui) des Acteurs
qui adreſſent au Public leurs àparte ,
c'eſt à dire , ce qui eſt cenfé n'être entendu
de perſonne,
120 : 1
MERCURE
D'après ces réflexions , que nous pour
rions étendre davantage , ayons l'orgueil &
la juſtice de convenir que c'eſt la France , que
c'eſt Molière qui a perfectionné l'Art de la
Comédie; que la Comédie par excellence ,
celle de caractère , nous appartient ; mais
convenons auſſi que la belle Nature a préfidé
aux Ouvrages de l'antiquité; que les
Grecs ſont des modèles auxquels il faut tou
jours revenir ; & que c'eſt d'eux mêmes qu'il
nous a fallu apprendre à les ſurpaſſer.
M. Poinfinet de Sivry a joint au Théâtre
d'Aristophane des Fragmens de Ménandre &
de Philémon. Quoiqu'il nous ſoit reſté trop
peu de ces deux Poëtes , pour pouvoir les
juger comme Auteurs Comiques , ces Fragmens
ſontde beaux & précieux débris dignes
d'être conſervés. Ils donnent un nouveau
prix à cette Edition , qui doit occuper une
place honorable dans nos Bibliothèques ,&
ajouter à nos richeſſes Dramatiques.
VARIÉTÉS.
MONSIEUR ,
Le Public a paru voir avec intérêt le Portrait du
Général Washington tracé par un des Chefs qui
out commandé nos Troupes dans le Nouveau
Monde. Voici un morceau de la même main , extrait
du même Ouvrage, mais d'un antre genre. On
croit lire Homère ou Plutarque quand on confidère
les moeurs & le caractère de M. Nelſon , qu'on va
connoître
DE FRANCE. 121
connoître en liſant le morceau ſuivant. C'eſt la
même ſimplicité de meoeurs & la même élévation ;
c'eſt une de ces âmes qui ne peuvent naître & fe
former que dans les Sociétés libres & naiſſantes. A
côtéde ces vertus ſociales on verra auſſi ſans doute
avec plaifir le caractère ſauvage , mais fenfible &
touchant de la jeune Pocahunta. Pocahunta &
Nelfon honorent infiniment la Société & la Nature ;
& il eſt doux de connaître les vertus quelles peuvent
nous donner. On a dit tant de mal & de la Nature&
de la Société !
J'ai l'honneur d'être , Monfieur , GARAT.
EXTRAIT du Journal d'un Voyage fait de
Williamsburg,en Virginie, àPetersburg ,
&c.
Après cette petite digreffion , pour laquelle on
aura ſans doute quelque indulgence , il eſt difficile de
trouver une tranfition qui me condoiſe à parler d'un
vieux Magiftrat , dont les cheveux blancs , la taille
élevée& la figure noble , commandent le reſpect &
la vénération; le Secrétaire Nelſon , dont il s'agit
maintenant, doit ce titre à la place qu'il occupoit
ſous leGouvernement Anglois , en Virginie. Le Secrétaire
, chargé de conſerver les regiſtres de tous
les actes publics , étoit membre néceſſaire du Confeil
dont le Gouverneur étoit le Chef. M. Nelſon a oc
cupé cette place pendant 30 ans. Il a vû l'aurere du
beau jour qui commençoit à ſe lever ſur ſon pays;
il avû ſe former les orages qui l'ont trouble; il n'a
cherché ni à les raſſembler ni à les conjurer : trop
avancé en âge pour defirer une révolution , trop
prudent pour l'arrêter ſi elle étoit néceſſaire , &
trop fidèle à ſes Concitoyens pour ſéparer ſes intérêts
des leurs , il a choiſi pour ſe retirer des affaires
l'époque même de leur changement. Aini ,
Nº. 25 , 19 Juin 1784.
122 MERCURE
1
defcendant du Théâtre lorſque de nouveaux Drames
demandoient de nouveaux Acteurs , il a pris fa
place parmi les Spectateurs , content de faire des
voeux pour le ſuccès de la Pièce , & d'applaudir à
coux qui joueroient bien leur rôle. Mais dans la dernière
campagne le haſard l'a remis ſur la ſcène , &
lui a donné une funefte célébrité. Il habitoit à Yorck ,
où il s'étoit fait bâtir une très belle maiſon, Le
goût , & même le luxe Européen n'en avoient pas
été exclus ; on admiroit fur tout une cheminée &
quelques bas reliefs , de très beaux marbres & trèsbien
travaillés , lorſque la deſtinée conduisit Lord
Cornwalis dans cette ville pour le défarmer , ainfi
que ſes Troupes , juſques la victorieuſes. Le Secrétaire
Nelſon ne crut pas devoir fuir les Anglois , à
qui il ne pouvoit être odieux , ni inſpirer aucun ombrage.
Il fut bien traité par le Général , qui choifit
fa maiſon pour y établir ſon logement ; mais cette
maiſon , placée ſur une hauteur dans la fituation de
la ville la plus agréable , étoit auſſi placée près des
'fortifications les plus importantes ; c'étoit le premier
objet qui frappât les regards lorſqu'on approchoit
d'Yorck. Bientôt au lieu de l'attention des
Voyageurs , elle attira celle des Canoniers & des
Bombardiers ; bientôt elle fut preſqu'entièrement
détruite. M. Nelſon l'occupoit encore au moment
où nos batteries elfayant leurs premiers coups ,
tuèrent un de ſes Negres à très-peu de diftance de
lui . Lord Cornwalis lui même fut obligé de chercher
un autre afyle ; mais quel aſyle auroit pu convenir
à un vieillard que la goutte privoit pour lors
'de l'uſage de ſes jambes ? Quel aſyle fur- tout au
roit pu le défendre contre les angoiſſes horribles
qu'éprouvoit un père aſſiégé par ſes propres enfans ;
car il en avoit deux dans l'Armée Américaine ; de
Torte que chaque boulet qui étoit tiré pouvoit porter
la mort dans ſon fein , ſoit qu'il partit de la ville,
DE FRANCE. 121
foit qu'il vint de la tranchée. J'ai été témoin de
l'anxiété cruelle d'un de ces malheureux jeunes gens ,
lorſqu'après avoir envoyé un Flag * pour redemander
fon père , il tenoit les yeux fixés ſur la porte
de la ville par laquelle ce Flag devoit fortir , &
ſembloit attendre fa propre ſentence de la réponſe
qu'il recevroit. Lord Cornwalis n'eut pas l'inhumanité
de ſe refuſer à une demande ſi juſte. Je ne pu's
me rappeler ſans émotion d'avoir vu ce vieillard ,
au moment où il venoit de deſcendre chez le Général
Washington ; il étoit affis , parce que fon
attaque de goutte continuoit encore ; & tandis que
nous étions debout autour de lui , il rous racontoir ,
avec un vilage ſerein , quel avoit été l'effet de nos
batteries , dont ſa maiſon avoit éprouvé les premiers
coups.
La tranquillité qui a ſuccédé à ces temps malheureux
, en lui donnant le loiſir de compter ſes
pertes , ne lui en a pas rendu le ſouvenir plus amer.
Il vit heureux dans une de ſes plantations , où il ne
lui faut pas fix heures d'avertiſſement pour raffemblerune
trentaine de ſes enfans ou petits enfans ,
neveux ou petits neveux , qui font au nombre de
Coixante- dix , tous habitans la Virginie. Le rapide
accroiſſement de ſa propre famille justifie ce qu'il
me diſoit de la population générale. Les emplois
qu'il a occupés toute ſa vie l'ont mis à portée d'en
avoir des notions exactes . En 1742 , les perſonnes
taillables de I État de Virginie , c'eſt-à-dire , les males
blancs au- deſſus de 16 ans , & les males & femelles
noires au- deſſus du même âge , étoient au nombre
* Flag ſignifie proprement un Pavillon ; a Flag of
truce, eſt un pavillon de trêve . Envoyer un Flag , c'eſt envoyer
à l'ennemi un pavillon neutre ou Parlementaire.
Cette expreffion eft paffée du ſervice de mer à celui de
rerre. ToutOfficier qui eft chargé d'une commiffion pour
'ennemi reçoit métaphysiquement le nom de Flag.
Fij
124 MERCURE
de 63,000 , maintenant ils'excèdent 160 mille...
Je partis de Powhatan le 24 d'aſſez bonne heure ,
&après m'être arrêté deux fois, la première pour
déjeuner dans une petite maiſon affez pauvre à huic
milles de Powhatan , & la feconde à 24 milles plus
loindans un lieu appelé Chefter Field court house ,
où je vis les reſtes des caſernes occupées autrefois
par le Baron de Stubens , & brûlée depuis par les
Anglois , j'arrivai à Pétersburg à l'entrée de la nuit.
Cettejournée fut encore de 44 milles. La villede
Pétersburg eſt ſituée ſur la rive droite de l'Apamatock.
Il y a bien quelques maiſons ſur la rive gauche;
mais cette espèce de Fauxbourg eſt un chef
Lieu qui envoie des Députés à l'Affemblée , & qui
s'appelle Pocahunta. Je paſſai la rivière ſur un
Ferrybout , * &je fus conduit dans une petite auberge
, à 30 pas dolà , qui n'avoit pas grande appa
rence. Cependant , quand j'y entrai , je vis un appartement
très- proprement meublé , une grande
foamme bienhabillée & de très-bonair , qui donnoit
tous les ordres néceffaires pour notre réception , &
une jeune Demoiselle non moins grande & trèsélégante
, qui étoit occupée à travailler. fe m'informai
de leurs noms & je trouvai qu'ils n'étoient
pas moins impofans que leur extérieur. La maîtreffe
de la maiſon, déjà veuve pour la ſeconde fois , s'appeloio
Miftriff Spemer, & la fille , qui étoit du
prernier Iit , Miff Saunders. On me fit voir ma
chambre à coucher ;& la première choſe qui frappa
mes regards , fut un grand & magnifique clavecin ,
fur lequel il y avoit encore une guittare. Ces inftrumens
de muſique appartenoient à Miff Saunders
qui ſavoit très bien en faire uſage; mais comme
javois plus beſoin d'un fouper que d'un concert
*Elgèce de Baq.
१
DE FRANCE. 125
:
ma première impreffion fut de trouver mes Hôteſſes
de trop bonne compagnie , & de craindre d'avoir
moins d'ordre à donner que de complimens à faire.
Cependant il ſetrouva que Mme Spemer étoit la
meilleure femme du monde , gaie , & même rieuſe ,
diſpoſition très-rare en Amérique , & que ſa fille ,
toute élégante qu'elle paroiſſoit , étoit douce , honnête
& de bonne conversation ; mais pour des
Voyageurs affamés , tout cela ne pouvoit encore
être confidéré que ſous un ſeul point de vûe , c'eſtà-
dire, comme un bon augure pour le ſouper. Ce
fouper ne ſe fit pas attendre. A peine avions- nous
admiré la propreté&la beauté de la nappe , que la
table fut couverte de très-bons plats , & fur-tout de
poiffons monftrueux & excellens. Nous allâmes
nous coucher, déjà très- bien avec nos Hôteſſes ,& le
lendemain matin nous déjeunâmes avec elles. J'étois
prêt à fortir pour me promener lorſque je reçus la
viſite d'un étranger appelé M. Victor , que j'avois
déjà vu à Williamburg. C'est un Pruffien qui a ſervi
autrefois , & qui , après avoir beaucoup voyagé en
Europe , eſt venu s'établir dans ce pays ci , où il a
d'abord fait fortune par ſes talens , & a fini par devenir
Planteur comme les autres. Il eſt excellent
Muficien , & joue de toutes fortes d'inſtrumens , ce
qui le fait rechercher dans tous les environs. Il me
ditqu'il étoit venu paffer quelques jours chez Mme
Bowling , une des plus riches propriétaires de la
Virginie , & à qui la moitié de la ville de Pétersburg
appartient. Il ajouta qu'elle avoit appris mon
arrivée, & qu'elle comptoit que je viendrois diner
chez elle. J'acceptai la propoſition , & je me mis
fous la conduite de M. Victor , qui me mena d'abord
voir les Ware-Houſes , ou magaſins de Tabac. Ces
magaſins , dont on a conftruit une grande quantité
en Virginie, mais dont malheureuſement une
partie a étébrûlée par lesAnglois , ſont ſous la die
Fiij
126 MERCURE
1
rection de l'autorité publique. Ily a des Inſpecteurs ,
nommés pour vérifier la qualité du tabac que les
Planteurs y font porter ; & s'ils la trouvent bonne ,
ils donnent un reçu de la quantité. Alors le tabac
peut être conſidéré comme vendu; car les récépiffés
font monnoie dans le pays. Je ſuppoſe , par exemple
, que j'aie déposé à Pétersburg vingt hogs head,
ou boucauts de tabac , je puis m'en aller à so lieues
delà , comme à Alexandrie ou à Frédéricksburg ; &
ſt j'ai besoin d'acheter des chevaux , des draps on
route autre choſe , je les paye avec mes reçus , lefquels
circuleront peut-être encore dans nombre de
mains avant de parvenir dans celles des Négocians
qui viennent enlever des tabacs pour les exporter. Il
réſulte delà que le tabac eſt non-feulement valear
de banque , mais monnoie de commerce. On entend
dire ſouvent : J'ai payé ma montre dix hogs heads
de tabac, ce cheval me coûté 15 hogs heads , on
m'en a offert , vingt , &c. Il est vrai que le prix de
cette denrée , qui eft preſque toujours le même en
temps de paix , peut varier en temps de guerre ; mais
alors celui qui le reçoit en payement , faifant un
marché libre , calcule ſes riſques & fes efpérances,
Enfin on doit regarder cet établiſſeinent comme
très- utile , puiſqu'il met les denrées en valeur & en
circulation dès qu'elles font recueillies , & qu'il rend
en queique forte le Cultivateur indépendant du
Marchand.
Les magaſins de Pétersburg appartiennent à Mme
Bowling. Ils ont été épargnés par les Anglois , foit
parce que les Généraux Phillips & Arnold , qui ont
logé chez elle , ont eu quelque égard pour fa propriété
, ſoit parce qu'ils vouleient conferver le tabac
qu'ils comptoient vendre à leur profit . Phillips mou-
Fut dans la maison de Mme Bowling , & alors le
cmmandement ſe trouva dévolu à Arnold. S'ai oui
dire à Lord Cornwalis qu'à fon arrivée il le trouva
DE FRANCE.
127
en grande diſpute avec la Marine , qui prétendoit
que tout le butin devoit lui appartenir. Lord Coinwalis
termina la querelle en faiſant brûler le tabac.
Mais Mme Bowling avoit eu le crédit & le temps
de le faire tranſporter hors de ſes magaſins. Elle n'a
pas été moins heureuſe de ſauver un ſuperbe établiſſement
qu'elle poſsède dans la même ville: c'eſt
un moulin qui fait mouvoir un fi grand nombre de
meules , de blutoirs , de vans , &c. & d'une manière
fi fimple & fi facile qu'il lui rapporte plus de
vingt mille livres de rente. Je paſſai près d'une heure
àen examiner toutes les parties & à en admirer la
charpente & la conſtruction. Ce font les eaux de
l'Apamatock qui le font mouvoir.On les a détournées
au moyen d'un canal creusé dans le roc.
Après avoir continué ma promenade dans la ville
oùje vis nombre de boutiques , dont pluſieurs affez
bien fournies, je jugeai que le moment étoit venu
de faire une viſite à Mme Bowling , & je priai M.
Victor de me mener chez,elle. Sa maiſon , ou pluct
fes maifons , car elle en a deux ſymmétriques & for
la même ligne , qu'elle ſe propoſe de joindre en
ſemble par un corps de logis; ces maisons , dis-je. ,
ſont ſituées au haut d'un talus affez confidérable qui
s'élève du terrein où eſt bâtie la ville de Pétersburg ,
&qui correſpond fi parfaitement au cours de la rí
vière, qu'il n'y a pas licu de douter que ce ne fût
Lautrefois la rive même de l'Apamatock. Ce talus,,
& le plateau immenſe ſur lequel la maison de Mme
Bowling oft bâtie , ſont couverts d'herbes , & forment
un excellent pâturage qui appartient encore à
Mme Bowling. Il étoit autrefois entouré de barrières
, & elie y nourrifſoit de très beaux chevaux ;
mais les Anglois ont brûlé les barrières & eminené
une grande partie des chevaux. A mon arrivée je
fus d'abord reçu par Mile Bowling , jeune fille de
15 ans, la mère , fon frère & fa belle four vinrent
۱
Fiv
123 MERCURE
enfuite. La première reſſemble peu à ſes compatriotes
, c'eft une femme de plus de so ans , vive ,
active , intelligente , qui fait bien gouverner fon
immenſe fortune , &, ce qui eſt plus rare encore ,
qui fait en ufer Pour fon fils & ſa belle-fille, je les
avois déjà vûs à Williamsburg. Le premier eſt un
jeune honime qui paroît doux & honnête ; mais fa
femme , âgée ſeulement de 17 ans , eſt intéreſſante
à connoître, non parce qu'elle a une figure & une
taille extrêmement délicates , & une tournure toutà-
fait Européenne , mais parce qu'avec cette taille &
cette figure délicate , elle eſt defcendante de la Princeffe
Sauvage Pocahunta , fille du Roi Pewhatan ,
dont j'ai déjà parlé. Il faut croire que c'eſt plutôt
du caractère de cette aimable Américaine que de fes
formes extérieures que Mme Bowling a hérité. Peut
être ceux qui n'ont pas lû l'Histoire particulière de
la Virginie ignorent- ils que Pocahunta fut la Protectrice
des Anglois , & les déroba ſouvent de la
cruauté de ſon père. Elle n'avoit que 12 ans lorf
que le Capitaine Smith, le plus brave, le plus intelligent
& le plus humain des premiers Colons ,
tomba entre les mains des Sauvages. Il étoit déjà
parvenu à entendre leur langages pluſieurs fois il
avoit appaiſe les querelles qui naiffoient entre-eux &
les Européens; pluſieurs fois auffi il avoit été obligé
de les combattre &de punir leur perfidie . Un jour ,
fous prétexte de commerce, il fut attiré dans une
embuftade ; il vit tomber les deux feuls compagnons
qu'il avoit ; mais il fut fe débarraffer à lui ſeul de
la troupe dont il étoit environné. Malheureuſement
pour lui , il crut pouvoir ſe ſauver en traverſant un
marais , && il y reſta embourbé de manière que les
Sauvages contre leſquels il ne lui reſtoit plus aucuns
moyens de défenſe, purent enfin le prendre , le
lier & le conduire à Powhatan. Celui- ci fut fi fier
d'avoir en ſa puiſſance le Capitaine Smith , qu'il le
DE FRANCE. 129
fit promener en triomphe chez tous les Princes ſes
Tributaires, ordonnant qu'on le ſervit ſplendidement
juſqu'à ce qu'il revînt ſubir le ſort qu'on lui prépa
roit. Le moment fatal étoit enfin arrivé. Le Capi
taine Smith étoit déjà couché devant le foyer du
Roi Sauvage , la tête placée ſur une large pierre
pour recevoir le coup de la mort, lorſque Pocahuuta ,
la plus jeune , la plus chérie des filles de Powhatan ,
ſe jeta les bras étendus ſur le corps du Capitaine
Smith , & déclara que ſi la ſentence cruelle étoit
exécutée , elle recevroit les premiers coups dont on
voudroit le frapper. Tous les Sauvages , y compris
les deſpotes & les tyrans , font plus ſenſibles aux
pleurs d'un enfant qu'à la voix de l'humanité :
Powhatan ne put réſifter aux larmes , aux prières de
ſa fille. Le Capitaine Smith obtint donc la vie, à
condition qu'il payeroit ſa rançon; mais cominent
pouvoit-il ſe procurer la quantité de mouſquets , de
poudre & d'uſtenſiles de fer qu'on lui demandoit ?
On ne vouloit pas le laiſſer retourner à James-
Town; on ne vouloit pas non plus que les Anglois
fuſſent où il étoit , de crainte qu'ils ne le redemandaſſent
les armes à la main. Le Capitaine Smith ,
qui n'avoit pas moins de tête que de courage , dit -au
Roi que s'il vouloit ſeulement ordonner à un de fes
fujets de porter à James-Town une petite planche
qu'il lui remettroit , Il feroit trouver ſous un arbre à
jour&à heure nommés tout ce qu'on exigeoit pour
ſa rançon Powhatan y confentit ſans ajouter foi à
ces promeſſes , & croyant que c'étoit un artifice du
Capitaine pour prolonger ſa vie ; mais celui- ci avoit
gravé ſur la planche quelques lignes qui fuffifoient
pour rendre compte de ſa ſituation. Le meſſager
revint, on envoya au lieu indiqué , & on fut bien
furpris d'y trouver tout ce qu'on avoit demandé.
Powharan ne pouvoit concevoir qu'ilyeût un moyen
de tranſmettre ainſi ſa pensée , & le Capitaine Smith
Fv
110 MERCURE
fur déſormais regardé comme un grand Magicien , à
qui on ne pouvoit trop témoigner de reſpect Il laiſſa
les Sauvages dans cette opinion , & ſe hata de les
quitter. Mais deux ou trois ans après , quelques dif
férends étant encore ſurvenus entre-eux & les Anglois
, Powhatan , qui ne les croyoit plus forciers ,
mais qui ne les en redoutoit pas moins , trama un
affreux complot pour ſe débarraffer d'eux. Il devoit
les attaquer au sein de la paix , & les égorger tous.
La nuit même que ce complot devoit s'exécuter ,
Pocahunta profita de l'obscurité & d'un orage af,
freux qui retenoit les Sauvages dans leurs cabanes ,
elle s'échappa de la maiſon de ſon père , avertit les
Anglois de ſe tenir fur lents gardes , mais les conjura
d'épargner ſa famille , de paroître ignorer će
qu'el'e leur avoit appris , & de terminer toute querelle
par un nouvel accommodement. Il feroit trop
long de raconter tous les ſervices que cet Ange de
paix rendit aux deux Nations. Je dirai ſeulement que
les Anglois, je ne fais par quel motif, mais affuré
meut contre toute bonne- foi & contre toute équité ,
s'avisèrent de l'enlever à ſon père Elle pleura beaucoup
& long-temps ; mais ce fut une confolation
pour elle de retrouver le Capitaine Smith , qui lui tint
lieu de père: on la traica avec beaucoup de reſpect ,
& on la maria à un Colon appelé Roff, qui bientôt
après l'amena en Angleterre . C'étoit ſous le règne
de Jacques Premier. On prétend que ce Monarque
pédant & ridicule en tous points , étoit fi infarué des
prérogatives de la Royauté , qu'il trouva mauvais
qu'un de ſes Sujets eût ofé épouſer la fille d'un Roi
Sauvage. Il ne ſera peut être pas difficile de décider
ſi dans cette occaſion c'étoit le Roi Sauvage qui étoit
honoré de ſe trouver placé fur une même ligne avec
le Prince Européen , où le Monarque Anglois, qui ,
par fon orgueil & ſes préjugés ſe metroit au niveau
d'un Chef de Sauvage. Quci qu'il en ſoit , le CapiDEFRANCE
131
⚫taine Smith , qui étoit retourné à Londres avant l'ar
rivée de Pocahunta, fut ompreſſé de la revoir , rais
n'ofa pas la traiter avec la même familiarité qu'a
James-Town . Dès qu'elle l'avoit apperçu , elle s'étoit
jetée dans ſes bras en l'appelant ſon père; mais
voyant qu'il ne répondoit pas affez à ſes careſſes ,
& qu'il ne l'appeloit pas ſa fille, elle détourna la
tête , pleura amèrement , & fut long- temps ſans
qu'on pur obtenir d'elle une ſeule parole. Le Capitaine
Smith lui demanda pluſieurs fois ce qui pouvoit
l'affliger. Quoi , lui dit- elle enfin , n'aijepas
Sauvé tesjours en Amérique ? Lorsque j'ai été arrachée
du fein de ma famille & conduite parmi tes
frères , ne m'as tu pas promis de me tenir lieu de
père? Ne m'as tu pas dit que fij'allois dans ton pays
tu ferois mon père & que je ferois ta file ? Tu m'as
trompé , & je me trouve ici étrangère & orpheline.
Onconçoit aifément qu'il ne fut pas difficile au Capitaine
de faire ſa paix avec cette charmante créature
, qu'il aimoit tendrement Il la préſenta aux
perfonnes les plus confidérables des deux ſexes ; mais
il n'ofa la mener à la Cour , dont elle reçut pourtant
des bienfaits . Enfin , après avoir paflé pluſieurs années
en Angleterre , où elle donna des preuves con
tinuelles de vertu , de piété & d'attachement à fon
mari , elle mourut comme elle étoit prête à s'embarquer
pour retourner en Amérique. Elle n'avoit
eu qu'un fils; ce fils s'eſt marié , & n'a laiſſé que des
filles , celles- là que d'autres filles ; & c'eſt ainfi , par
une deſcendance féminine , que le fang de l'aimable
Pocahunta coule maintenant dans les veines de la
Jeune & aimable Mme Bowling.
11
4
Fvj
131 MERCURE
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL.
LA Symphonie de M. Candeille , qui a
commencé le Concert du Jeudi 10 Juin , a
paru d'un bon effet; on ne peut que l'inviter
à cultiver ce genre de compofition. M.
l'Abbé le Sueur , nouvellement nommé
Maître de Muſique des Saints Innocens , a
fait entendre un Motet qui juftifie le choix
qu'on a fait de ſes talens : un chant aimable,
une harmonie pure, un ſtyle clair &
concis , font les qualités qu'on y a diftinguées,
chacun des morceaux a été fort applaudi.
Ce Moter a été très bien exécuté
parM. Rouſſeau, dont les progrès ſe font
de plus en plus admirer ; par M. Chéron ,
dont la fuperbe voix fait toujours un nouveau
plaifir , & par M. Murgeon , qui gagne
chaque jour ſur l'opinion du Public à me
fure qu'il ſe fait connoître. M. Zandonati a
exécuté un Concerto de Violoncelle. La manière
dont il tient ſon archet nuit extrêmement
à la beauté , à la netteté du ſon qu'il
tire de cet inſtrument; mais on a pu diftinguer
qu'il avoit beaucoup de préciſion &
de juſteſſe. Les autres morceaux que nous
ne détaillons pas, parce qu'ils n'offrent aucune
nouveauté,ont cependant été applaus
DE FRANCE .
133
dis avec plus de vivacité qu'à l'ordinairers
mais nous ne devons pas oublier une charmante
Symphonie concertante de M. Davaux
, rendue avec la plus grande perfection
par M. de Vienne pour la Flûte , & par
MM. Guerillot & Gervais pour le Violon .
L'Ouvrage & l'exécution ont eu le ſuccès le
plus brillant & le mieux mérité.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi s de ce mois , on a donné ,
pour la première fois, le Temple de l'Hymen ,
Comedie Epifodique en trois Actes & en vers
libres , par M. Desforges.
Acte Ir. Le Théâtre repréſente une avenue
qui conduit au Temple de l'Hymen . L'A.
mour & Moinus ouvrent la Scène. Celui ci
porte un habit taillé en découpures , dans la
manière des Arlequins. Jupiter l'a envoyé
près de l'Hymen , dans le deſſein de l'égayer ;
mais juſqu'ici ſes efforts ont été inutiles , &
leDien, toujours trifte & chagrin , toujours
plus affecte des maux qu'on lui reproche ,
s'eſt proposé d'interdire aux humains l'approche
de fon Temple. Momus engage l'Amour
à guérir l'Hymen de fa mélancolie , en
ſe reuniffant àlui. Le fonds du Théâtre s'ou
vre. L'Hymen fort de ſon Temple; il s'avance
lentement , les yeux tournés vers la terre ,
&fans appercevoir Momus & l'Amour qui
l'écoutent. Il parle tout haut du projet qu'il
134 MERCURE
a formé ,& qu'il voudroit voir adopter par
l'Amour; dela une Scène , dont le réſultat eft
que l'Hymen rentrera dans fon Temple , que
l'Amour s'occupera de chercher des amans
fidèles , & que Momus veillera à la porte
du Temple de l'Hymen , pour n'introduire
que ceux qu'y conduira l'Amour. Dès que
Momus eft teul , il apperçoit unGaſcon petit
Maître , qui le prend pour le Dieud Hymen ,
&qui le prie de le marier. Ce perſonnage
avoue tout naturellement qu'il aime une
femme qui eſt déjà ſur le retour de l'âge ;
mais qu'elle eſt riche , & qu'il veut l'époufer
à cauſe de ſes grands biens. Momus ca
che fon indignation, perfiffle le fat , lui confeille
d'aller chercher l'objet de fon amour ,
& de l'amener au Temple. Tandis qu'il fort
pour obéir à Mamus , une vieille coquette
arrive en minaudant : c'eſt l'amante du Galcon.
Momus cherche à la détromper , & l'engage
à éprouver la tendreſſe de celui qu'elle
veut époufer. En effet, lorſque le fat reparoît,
elle lui propoſe de ſe retirer à la campagne
, en ne confervant de fon bien , qu'elle
diſtribuera à ſa famille , que ce qu'il faur
pour vivre dans une médiocre aifance. Le
Gaſcon , après avoir tenté de lui faire rejeter
ce projet , renonce à épouſer. L'amante
détrompée lui reproche la baff ffe de ſes
fentimens , le fat, infolent plaifante fur fon
aventure , & Momus étonné de tant d'audace
, rentre dans le Temple de l'Hymen.
Acte II . Un célibataire arrive avec fon
DE FRANCE
135
a neveu . Après avoir long temps balancé à
"prendre les chaînes de l'Hymen, il s'y eft
déterminé ; & il déclare à Momus qu'il va
donner fon coeur & fa main à la Pupille Hortenfe.
L'air trifte & taciturne du neveu in
quiète Momus , qui le ſoupçonne de ne voir
qu'avec chagrin les projets de fon oncle.
Momus ne fe trompe pas. Lorsqu'Hortenſe
paroît, elle déclare qu'elle a aimé fon Tu
teur , qu'elle a même été diſpoſée a devenir
ſa femme; mais que ſe voyant négligée par
celui dont elle defiroit l'amour , elle a donné
fon coeur , en un mot, qu'elle eft mariée. Le
Tuteur éclate , reproche à Hortenſe ſon in.
gratitude : Momus le raille un peu fut fon
injustice. Enfin l'époux qu'a choift Hortenfe
paroît. Cet époux , c'eſt le neven lui même ;
il amène un jeune enfant , doux gage de
l'Amour d'Hortenfe. Le célibataire eſt ému,
avoue ſes torts , & donne fon confentement
au mariage de fon neveu & de ſa Pupillet
Là deſſus arrive un Empyrique Italien , qui
vient propoſer de donner à l'Hymen les ailes
de l'Amour , afin d'empêcher celui ci d'être
volage. Momus lui répond qu'alors l'Hymen
deviendroit tout fimplement l'Amour , &
que le mal pourroit être toujours le même.
Autre propofition de l'Empyrique : de laiffer
une aile à l'Amour & de donner l'autre à
l'Hymen . Ah ! dit Momus ,
Fi donc , fi jamais ce partage avoit lieu ,
Les railleurs auroient trop beau jeu ,
:
136 MERCURE
Déjà l'on dit aſſez , j'en ſuis témoin fidèle
Que l'Hymen & l'Amour ne battent que d'une aîle ,
Et l'on dit vrai.
L'Empyrique est écondui par Momus , les
amans entrent au Temple , ſous la proteetion
du Dieu , & de l'aveu de leur oncle.
Acte III . L'Amour reparoît avec Momus.
Il eſt chagrin. Plutus lui enlève tous
ſes ſujets; & depuis ſon départ , il n'a trouvé
que deux vrais amans. Ces deux amans parouffent
, & les Dieux ſe rendent invitibles
pour les écouter. Felix & Hyacinthe s'aiment
de l'amour le plus tendre ; mais le père de
Félix ne veur point confentir à leur mariage ,
parce qu'Hyacinthe n'eſt pas riche , il a
même chatſe ſon fils de ſa maiſon. Félix , au
deſeſpoir , veut engager Hyacinthe à le ſuivre
, à devenir ſa femme malgré la volonté
de ſon père. La tendre &vertueuſe Hyacin
the le rappelle à des ſentimens plus delicats ,
&le force à immoler l'amour à la vertu.
Les deux amans vontſedire un étérnel adieu.
Momus & l'Amour touchés paroiffent à leurs
yeux , ſe déclarent leurs protecteurs , &
l'Amour les introduit dans le parvis du Tem
ple de l'Hymen , tandis que Momus ſe prépare
à entendre le père Gillet , Nicodéme
fon fi's , la mère Vincent , & Roſe ſa fille ,
qui arrivent tous enſemble. Le père Gillet
veut que fon fils épouſe Roſe, & Nicodême
ne le veut point , parce qu'il ne l'aime pas.
Momus les intéroge les uns après les autres.
DE FRANCE. 137
-
De ces differentes Scènes il réſulte que le
père Gillet eſt un homme foible , qui ſe
laiſſe gouverner par la mère Vincent , femme
méchante& bavarde ; qu'il veut que fon
fils épouſe Roſe , parce qu'elle doit être
riche ; que guidé par les conſeils de la mère
Vincent , il a déjà banni de chez lui un fils
aîné , qui n'a point voulu épouſer Rofe ; &
que cette Roſe eſt une petite perſonne
très diſpoſée àdevenit femme , dansl'unique
intention d'être ſa maîtreſſe , mais très peu
à faire le bonheur d'un époux. Cependant
le père Gillet veut être obéi . Nicodême
refuſe; fon père le chaſſe. Avant de fortir ,
Nicodême lui reproche , les larmes aux
yeux , de ſe priverde tous ſes enfans , & il
lui demande quelles confolations reſteront
à ſa vieilleſſe. Le père Gillet s'attendrit ; la
mère Vincent veut ranimer fon courage.
Momus indigné lui ordonne de fortir après lui
avoir reproché fon inhumanité. Elle fort avec
ſa fille. Dès que Nicodême eſt ſeul ayes
ſon père, il lui parle de ſon frère. Momus
lui apprend la généreuſe réſolution qu'Hyacinthe
& Felix ont voulu prendre pour
lui facrifier leur amour. Nicodême toujours
ſenſible propoſeà fon père de donner une
dorà Hyacinthe, en lui cédant la part du bien
qui doit lui revenir un jour. Tout ce qu'il
entend, tout ce qu'il voit défarme le père
Gillet; il confent au bonheur de ſon fils; le
temples'ouvre, l'Hymen & l'Amour ſe réunif.
fent pour ferrer les noeuds des deux amans.
138 MERCURET
un
Une Comédie épiſodique eſt un Ou
vrage peu fufcepuble de produire
grand intérêt au Theâtre. Si les épiſodes font
attachés à une première intrigue , ſouvent
les néceſſaires écraſent le principal. S'il n'y a
point d'intrigue , il n'y a point d'action ; &
fans action , qu'est- ce que la Comédie ? Une
production de ce genre peut néaninoins
plaire par la gaité , par le contraſte & la
variété des caractères & des tableaux ; mais
quand elle eſt denuée de ces refforts , elle
ne produit qu'un effet très médiocre , quelqu'eſprit
d'ailleurs qu'on ait cherché à y répandre.
Le Temple de l'Hymen divisé en
trois Actes préſente trois petites actions
qui ne font point affez oppofées entre
elles, & qui relativement à la nature du
fujet ne pouvoient fans doute pas l'être.
Pour oter à fon Ouvrage la couleur nono
tone & ifte que ces trois actions devoient
lui donner , l'Auteur a fait un gaſcon de
fon petit maître; caricature uſée au Théâtre,
&qui eſt devenue faftidieuſe à force d'avoir
été employée. Il a introduit un empyrique
dont le caractère n'a rien de ſaillant , & qui
ne vient là que dans l'intention d'eveiller un
rire paflager. Le choix de ces moyens plutôt
bouffons que comiques, n'annonce pas
un goût bien délicat , & pourroit faire tort
à l'Auteur dans l'eſprit des bous juges ti fon
Ouvrage n'étoit pas ſeme de traits de fenti
ment, d'efprit && de raiſon faits pour capti
ver tous les fuffrages. Il y a de la philofo
DE FRANCE
139
phiedans la Scène du Célibataite , beaucoup
de ſenſibilité dans celle du père Gillet & de
fon fils. Au total, malgré les défauts que
nous avons indiqués & la négligence qu'on
peut reprocher au ſtyle, cet Ouvrage a mé-
Fité les applaudiſſemens qu'il a reçus .
ANNONCES ET NOTICES.
UVRES choifies de l'Abbé Prévôt , avec figures.
Cinquième Livraiſon , contenant, Voyages de Ro
bert Lode , I vol . , Histoire de Guillaume-le- Conquérant
, 1 vol. , Pamela, 2 vol.
1 Cette intéreſſante Collection va auffi vite qu'elle
peut aller. On Couſcrit pour les oeuvres de l'Abbé
Prévôt , conjointement avec celles de le Sage , à
Paris , rue & bôtel Serpente , & chez les principaux
Libraires de l'Eurorc.
La Collection des deux Auteurs formera 53 vol.
in 8. ornés de figures , faites ſous la direction de
MM. Delaunay & Marillier ; ſavoir 18 vol. des
OEuvres de l'Abbé Prévôt , y compris l'Histoire de la
Vie de Cicéron , dont on n'avoit pas fait mention ,
mais qui a été demandée par MM . les Soulsripteurs ,
& 15 vol . des Pueres de le sage , qui tout actuelicment
finies. Le prix de la Souſcription eſt de 3 liv.
12 fols le vel broché. On a tiré 24 exemplaires
fur papier de Hollande à 12 liv. le vol. broché.
LE Dictionnaire des Jardiniers , huitième Édition
, revue & corrigée ſuivant les meilleurs fyftêmes
de Botanique , & ornée de plusieurs Planches
qui n'étoient point dans les Editions précédentes ,
publiée par Philippe Miller , F. R. S. Jardinier de la
140 MERCURE
Compagnie des Apoticaires à Chelſea , & Membre
de l'Académie Botanique de Florence , Ouvrage
traduit de l'anglois , auquel on a ajouté un grand
nombre de Plantes inconnues a Miller , ainſi que
des Nores relatives à la Phyſique & à la Matière
Médicale , & dans lequel on a retranché toutes les
dénominations Angloiſes pour y ſubſtituer les noms
François; par une Société de Gens de Lettres. A
Paris , chez Guillot, Libraire de MONSIEUR , rue
Saint Jacques , vis-à-vis celle des Mathurins.
Detous les Arts l'Agriculture a toujours été le
plus utile , & c'eſt une vérité qui n'a jamais été
mieux fentie qu'aujourd'hui. D'après cela on doit
très bien augurer du ſuccès de ce Dictionnaire
qu'on propoſe par ſouſcription. L'Ouvrage original
atoujours joni de la plus grande eſtime ; & en
lifant le titre que nous venons de tranfcrire , on
fent qu'il a dû gagner encore par la traduction , &
qu'il a acquis par conséquent un nouveau degré
d'utilité.
On a choifi le format in-4°. comme le plus
commode: la compoſition en caractère Cicéro neuf
pourra fournirs Volumes de 6 à 700 pages chacun.
Le premier Volume ſera orné de pluſieurs
Planches , où feront gravées les différentes parties
des Plantes dont on fait uſage pour établir les
claſſes de la Botanique. Le prix de chaque Volume
pour les Souſcripteurs ſera de 12 livres , & pour
ceux qui n'auront pas ſouſcrit de 1s liv. Les Soufcripteurs
payeront 12 liv. en ſouſcrivant, ils continueront
à payer la même ſomme à chaque Livrai
ſon des quatre premiers Volumes , & ſe trouveront
avoir payé d'avance le dernier , qui leur ſera
délivré gratuitement. La ſouſcription eſt actuellement
ouverte , & fera fermée lorſque le premier
Volume paroîtra , c'est-à- dire , dans le courant da
mois de Juin,
DE FRANCE 141
SOLUTION des trois Problêmes de Géométrie ,
par M. Papion de Tours , Brochure de 42 pages.
Prix , 1 liv. 4 ſols . A Paris , chez L. Cellot, Imprimeur-
Libraire , rue des grands Auguftins.
M. Papion de Tours s'étant occupé avec une efpèce
d'opiniâtreté de la Solution des trois fameux
Problêmes que nous a propoſés l'Antiquité; favoir ,
la Triſection de l'Angle, la Quadrature du Cercle
& la Duplication du Cube , croit avoir enfin trouvé
ce qu'on a cherché ft long-temps en vain , & il
vient de donner ſa Démonftration au Public. Bien
des Savans , qui marchent plus fûrement aujourd'hui
dans la carrière des Sciences , parce qu'ils y
marchent au flambeau de l'Algèbre , ont déclaré
ce Solution impoffible; mais M. Papion prétend
qu'ils n'ont ſans doute prononcé ainſi que parce
qu'ils n'ont pu réſoudre les équations qui réſultoient
deleurs recherches ; il dit que l'Algèbre n'est qu'une
arithmétique compoſée; qu'elle calcule il eſt vrai
les connues & les inconnues; mais que l'application
qu'on a faite de l'Algèbre à la Géométrie ne
lui adonné le droit que de calculer les commenſurables,
& qu'elle ne peut rien ſur les incommenſurables
, au lieu que la Géométrie appliquée à l'Algè
bre rendra& réfoudra tous les Problêmes que cette
dernière lui propoſera ; qu'enfin cetteGéométrie eft
la ſynthèſe que l'on a eu tort d'abandonner , & qu'il
apriſe port guide dans ſes recherches .
En refuſart de prononcer pour ou contre cette
découverte , nous ne ferons qu'imiter la ſageſſe de
l'Aureur lui-même , qui avoue que bien que les Mathématiques
ne foient pas une ſcience arbitraire , les
démonstrations peuvent pécher , & qui , s'il ſe trouve
dans ce cas , remercie d'avance ceux qui ſe chargeront
de l'en faire appercevoir,
Expositiondu Calcul,fes quantités πέρατίνες.
142 MERCURE
AAvignon ; & à Paris , chez Cellot , Imprimeur-Libraire,
rue des grands Auguftins , in - 8 °. Prix ,
3 liv. 12 fols.
Le projet de l'Auteur eſt de prouver qu'en Algèbre
il n'y a ni multiplicateur , ni quotient , ni expofant,
ni logarithme négatif, ni racine imaginaire ,
ni cas irréductible , ni interruption dans la defcription
des lignes courbes , ni progreſſion géométrique
alternative , ni figne moins dans la formule du
ſecond degré, ni fraction : = 2 a ; que les ordons
nées négatives doivent répondre à des axes négatifs ;
que tour produit , toute équation d'un degré quelconque
n'eit compofé que d'une foule racine & de
fes répliques. Nous invitons les Savans en Algèbre
a lite tes preuves, ſur leſquelles nous nous abirendrons
de prononcer.
:
METHODE d'Instruction pour ramener les prétendus
Réformés à l'Eglise Romaine , & confirmer
les Catholiques dans leur croyance, par M. de la
Foreft , Cuftode Curé de Sainte Croix de Lyon ,
Docteur de la Faculté de Théologie de Paris , &c. ,
in - 12. Prix , 2. liv. broché , 2 liv. 10 ſols relié. A
Paris , rue & hôtel Serpente ; à Lyon , chez Aimé de
la Roche , Imprimeur de la Ville , aux Halles de la
Grenette.
Quarante ans d'expériences & d'inſtructions
données aux Proteftans par l'Auteur de cet Ouvrage
doivent prévenir en faveur de la Méthode
qu'il a adoptée. Il a de la préciſion & de la clarté
dans ſa marche , & réunit pluſieurs avantages qui
manquent aux Ouvrages qu'on a écrits fur la vérité
du Catholicifme, quoique nous en ayons d'excellens
fur cette matière .
MOYEN de Direction que M. le Comte d'Albon
ainventé & adopté à fon Ballon , parti defa maison
DEFRANCE
143
de Campagne de Franconville , Gravure d'environ un
pied. A Paris , chez Pagelet,Graveur , rue S. Julienle-
Pauvre.
RECUEIL des Airs du Droit du Seigneur &
'autres petits Airs & Romances , avec Accompagnement
de Harpe , compofés par M. Grenier , Organiſte
& Maître de Harpe , OEuvre V. Prix , 7 livres
4 fols. A Paris , chez Couſineau , Luthier de la
Reine , rue des Poulies , & Salomon , Luthier , Place
de l'École .
Ces Accompagnemens nous ont paru faits avec
goût,&les petits Airs de M. Grenier prouvent qu'il
a' tort d'arranger la Mufique des autres.
4.
PROSPECTUS . M. Krumpholtz à la follicitation
de pluſieurs Amateurs propoſe une ſouſcription de
deux Symphonies pour la Harpe exécutées par
Mme Krumpholtz au Concert Spirituel. Elles font
principalement compoſées pour la nouvelle Harpe
àfourdine de M. Naderman , & peuvent asili s'exécuter
fans accompagnement. On fouferit juſqu'au
premier Août chezl'Auteur , rue d'Argenteuil , ancien
hôtel de la Prévôté , n° . 14. Prix , 9 livres pour
Paris , & 10 liv. 10 fols pour la Province, paflé ce
terme l'Exemplaire coûtera 12 livres , & l'on n'en
trouvera que chez l'Auteur & chez le fieur Naderman
, Luthier de la Reine , rue d'Argenteuil, L'AUteur
prévient qu'il défavoue & déclare contrefaits
tous les Exemplaires qui le vendroient ailleurs , à
moins qu'ils ne foient fignés de lui .
* QUATRE Ouvertures par MM. Guglielmi , Wanhall,
Ditters & Hayden , arrangées pour le Cla
vecin & deux Sonates , par MM. Clémenti & Scarlati
. Prix , 7 liv. 4 fols A Paris , chez Bailleux , à
la Clefd'or , rue S. Honoré , près celle de la Lingerie.
144
MERCURE
Cette Collection est très - agréable pour le bon
choix des Pièces & la manière dont elles ſont arrangées
, mais ce qui fur- tout la rend infiniment précieuſe
, c'eſt la Sonate de Scarlati que M. Clémenti
exécutoit avec tant de ſuccès après les ſiennes. Les
Ainateurs fauront beaucoup de gré à l'éditeur de
l'avoir miſe au jour.
SEPTIEME Recueil d'Airs d'Opéras , contenant
P'Ouverture de Renaud , par M. Sacchini , & celle
d'Iphigénie en Aulide , par M. Gluck , arrangée pour
deux Flûtes on Violons , par M. Muſſard , Maître
de Flûte. Prix , 6 liv. A Paris , chez M. Muſſard ,
rue Aubri- le-Boucher , maiſon du Marchand de Vin.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Estampes , le Journal de la Librairiefur
la Couverture.
TABLE.
:
EPITRE à MM. delaSo- gryphe,
Versfurl'Homme,
ciété Patriotique Bretonne, Théâtre d'Ariftophanc, 109
97 Variétés ,
ImpromptuàMme de.... ib. Comédie Italienne,
120
101 Concert Spirituel , 132
13
Charade, Enigme & Logo- Annonces &Notices 139
APPROBATION.
JAT lu
par ordre de Mgt le Garde des Sceaux, le
Mercure de France , pour le Samedi 19 Juin. Je n'y
ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreffion. A
Paris , le 18 Juin 1784. GUIDI
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLE S.
TURQUIE.
DE CONSTANTINOPLE , le 26 Avril.
EPUIS un mois la peſte s'eſt déclarée à
DSmyrne avec affez de violence , pour
écarter de cette ville une grande partie de
fes habitans. Le commerce languit , d'autant
plus que les cantons voiſins ſont également
infectés de la contagion.
On affure que les Monténégrins ſe ſont
révoltés contre le Pacha , & qu'ils ont forcé
ſes troupes à ſe retirer avec perte. Cette affaire
, dit on , a eu lieu le 7 Avril , entre
Linda& le mont Hatter.
<«<L'échange de la ratification de laconventionconclue
entre la Cour de Ruffie & la Porte ,
au ſujet des provinces Tartares , s'eft fait ſans
beaucoup de cérémonies dans une des maiſons
de plaiſance du Grand- Seigneur , nommée Ainelikavat
, & fituée au nord du port de Constantinople,
la même où ſe ſont tenues la plupart des
conférences entre le Miniſtre de Ruffie & ceux
No. 25 , 19 Juin 1784. e
( 98 )
de la Porte. Le lendemain de cette aſſemblée;
compoſée , d'une part , du Capitur Pachı , du
Reis-Effendi , & de Oricu- Cadiffi , ou Juge de
l'armée , & de M. de Bulhakow , de l'autre ,
ce dernier a envoyé ſon Secretaire chez les Miniſtres
Turcs , avec les prétens qui leur étoient
deſtinés , & qui leur ont été offerts , non comme
venant de la part de l'Impératrice , parce
qu'alors ils n'auroient pu les accepter , mais de
celle de M. de Bulhakow. Ce font les mêmes
préiens qui avoient été envoyés l'année derniere
par la Cour de Rufie , à l'occaſion de la
conclufion du traité de commerce , pour être
diſtribués entre les Miniſtres de la Porte , &
qui alors avoient été refuſés : ils confiftent dans
les pieces ſuivantes : au Grand- Visir, un miroir
entouré de brillans , une bague de diamans , une
montre , & un étui richement garni de brillans ,
outre une pelifle dela plus beide martre , quarante
autres peaux de martre , & un peliſſe de
renard noir : au Capitan- Pacha , un pommeau
garni de brillans , propre pour un bâton de commandement
, & pluſieurs pelleteries de grande
valeur : à l'Ordou- Cadiſſi , une tabatiere enrichie
de brillans , & quarante pieces de la plus
belle martre ; au Reis Effendi , une boite d'or ,
une peliſſe de martre , & quarante pieces de même
pelleterie ; au Breiliski- Effendi , ou premier
Commis de la Chancellerie Turque , une boîte
d'or , & quarante pieces de martre : au Dragoman
de la Porte , une riche tabatiere , une bague de
la valeur de 2500 piastres , quarante peaux de
marrre , & deux très-belles peliſſes. Le lendemain
le même Dragoman , apportant en reanche
les préſens du Grand Vifir au Minift e
VeRufie , qui conſiſtent pour la plupart en riches
droffes des Indes , en reçut encore des mains de
( وو (
M. de Bulhakow une très belle montre avec ſa
chaine ».
Par le dernier Traité arrêté entre la Sublime
Porte & la Ruſſie , on prétend que la
dignité d'Hoſpodar en Moldavie & en Valachie
a été rendue inamovible , ſaufpour raiſon
de plaintes graves portées à Sa Hauteffe
contre l'un ou l'autre des deux Hoſpodars.
DANEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 20 Mai.
L'Ordonnance contre les émigrations afſujettit
toutes les perſonnes , allant à nos colonies
des Antilles , à donner une caution
avant leur départ. Si un navire ſe charge de
paſſagers non munis de paſſe-ports, il ſera
ſaiſi comme contrebandier.
Voici le précis fur la Norwege , qui fait
ſuite à celui ſur le Danemarck , que nous
avons donné dans le Nº. précédent.
La ſurface de la Norwege eſt de 7000 milles
quarrés. La partie du ſud eſt aſſez bien cultivée,
celle du nord l'eſt très peu D'après un calcul
moyen de dix ans , il naîten Norwege annuellement
23,100 enfans : en comptant la proportion
des naiſſances à la population totale , dans
le rapport de 1 à 31 , la Norwege auroit
720,000 habitans .
L'un dans l'autre , chaque mille contient
donc 103 habitans; mais dans la partie la plus
cultivée du pays ,& dans le voiſinage des villes ,
il faut porter ce nombre à 153 ; il eſt réduit à
e2
( 100 )
23 par mille dans les diſtricts du nord. Bergen ,
la ville la plus conſidérable du Royaume , a
16000 habitans. Dans le nord , aucune ville , excepté
la fortereſſe de Vardhus , gardée par 40
hommes.
Le produit territorial en bled ne ſuffit pas à
la nourriture des Norwégiens , il faut importer
decette denrée pour 700,000 rixdalers par année
, pour un million même , la récolte n'a pas
été favorable .
Ls produit de la pêche eſt évalué à 2,400,000
rixdalers : il ſeroit quadruple ſi les nations étrangeres
pouvoient être entiérement exclues de ce
commerce.
L'armée de la Norwege eſt diſtincte de celle
de Danemarck. D'après l'état de 1763 , elle confifte
en 29,038 hommes. Un Colonel reçoit annuellement
800 rixdalers , un Capitaine 200 , le
fimple ſoldat rien du tout. L'entretien de la
cavalerie , qui n'eſt habillée que tous les douze
ans , coûte à-peu- près 30,000 rixdalers , &
celui de l'armée entiere 183,000 rixd. annuellement.
Si l'on ajoute à cette armée 14,600 matelots
que porte l'état militaire , & 8000 mineurs qu'on
emploië en tems de guerre , on verra que la
Norwege peut oppoſer près de 60,000 hommes à
une invasion.
La Couronne devroit percevoir ſur la Norwege
un revenu de 1,600,000-rixdales. Cette eſtimation
eſt calculée ſur le produit naturel de l'impôtſur
les métairies , de la dixme du cuivre exploité
, des mines de fer , du commerce des
bois , des péages , des droits ſur les conſommations
, & des contributions extraordinaires ;
mais le revenu effectif est au-deſſous de cette
eftimation , & ne paſſe pas 1,200,000 rixdalers.
( 101 )
Une grande partie de l'armée n'étant point
payée en argent , la défenſe du pays n'eſt nullement
diſpendieuſe , & les montagnes élevées
qui couvrent la Norwege du côté de la Suede ,
font des frontieres autant de fortereſſes natus
relles.
Adéfaut de Lled , les habitans pauvres ſe nourriffent
d'un pain d'écorce de ſapin , dont l'uſage
eſt très dangereux . On a propofé ſouvent
d'imiter pour la pêche de la Norwege l'acte de
navigation des Anglois; mais ce projet eſt reſté
fans exécution.
Le Roi a nommé le Conſeiller privé de
Guldencrons , fon Miniftre Plénipotentiaire
près la Cour de Péterfbourg.
Le 19 , le vaiſſeau de guerre l'Oldenbourg
Capitaine Buddé , eſt allé en rade. Le même
jour il eſt arrivé ici un eſtafette de Peterſbourg.
Le prix des dernieres actions de la Com
pagnie d'Afie , a été de 928 & 929 rixdalers ;
celui des actions de la Compagnie de la
Baltique 94 & 95 rixdalers , & celui des actions
de la Compagnie d'afſurance maritime
230 rixdalers.
ALLEMAGNE
DE HAMBOURG , le 22 Mai.
On écrit de Dantzick , que la navigation
ſuſpendue par la longueur du dernier hyver ,
n'a recommencé qu'à la fin d'Avril. Il y eſt
arrivé peu de bâtimens Polonois , mais un
e 3
( 102 )
1
grand nombre d'Anglois & de la Baltique ,
pour les emplettes de grains. Le bled commence
à devenir rare à Dantzick , mais les
tranſports attendus de Pologne rameneront
l'abondance. L'étendue des commitlions a
fait hauffer le prix de cette denrée.
On trouve dans un Recueil Allemand les
détails ſuivans , au fujet du commerce de
Dantzick.
Les productions de Pologne font le principal
objet de commerce d'exportation de cette ville .
Elle en reçoit , une année portant l'autre , 50 à
60,000 laſt de bled , dont le prix varie teaucoup
, & fe regle annuellement ſur les prix de
Hollande. En comparant enſemble les divers
prix de pluſieurs années , les Dantzickois paient
le laſtde bled à raiſon de dix-huit ducats , ce
qui , pour 60,000 laſts , produit une ſomme de
2,080,000 ducats. Les autres productions , commebois
, cendre, potaſſe , toile , cuir , miel, &c.
que les Négocians de Dantzick reçoivent de la
Pologne montent environ à la même ſomme.
Ainfi cette ville met dans ce commerce un capital
annuel de fix millions de rixdalers . Elle
gagne là-deſſus 20 pour 100 ,& fait parconféquent
un bénéfice de 1,200,000 rixdalers ; mais
elle en paie au Roi de Pologne , à titre d'impoſitions.&
d'autres droits , une fomme annuelle de
150,000 rixdalers , & environ autant pour les intérêts
des ſommes dues à l'Angleterre & à la
Hollande. Certe réduction faite , il reſte aux
Dantzickois un bénéfice net de 900,000 rixdalers ,
qui , faute de fabriques & de manufactures dans
la ville , paſſent à l'étranger pour en faire venir
ce dont ils ont beſoin dans ce genre. Malheureufoment
la plus grande partie de cet argent eſt
( 103 )
employépour des objets de luxe qui va toujours en
croiffant dans cette petite République. D'après
cela on peut aſſurer avec vérité que puiſque la
Ville de Dantzick dépen'e autant qu'elle gagne,
la balance de fon commerce eſt en équilibreaujourd'hui
, & que dans peu , ſi elle ne prend pas
d'autres meſures , ſon commerce ne ſuffira plus
pour fournir à les dépenses. Il n'y a aujourd'hui
que les anciennes maiſons de commerce qui ſe
ſoutiennent encore , les nouvelles qui s'y étoient
formées ſont preſque toutes tombées peu de tems
après leur établiſement. La maison de Rothemboung
eſt la teule qui ait fait fortune , &dont les
affaires font en très-bon état; c'eſt cette maiſon
qui fait preſque toutes les commiſſions pour la
France.
Le nombre des bâtimens arrivés à Dant
zick en 1783 , étoit 681 , & celui des bâtimens
fortis 694.
Le tableau ſuivant des revenus que perçoivent
pluſieurs Couronnes du commerce
du Tabac , peut donner une idée affez
exacte de l'étendue de ce commerce.
En 1753 , le Roi de Portugal a affermé le tabac
pour la fomme annuelle de 2,500,000 rixd
LeRoi d'Efpagne en tire
Le Roi de France
Le Roi des Deux- Siciles
Le Roi de Danemarck
L'Empereur • •
•
8,158,400
3,802,400
370,125
40,000
• 1,800,000
16,670,808 rixd.
M. Buſching porte les revenus que le Roi de
Pruſſe tire de cette branche de commerce plus
haut que ceux que ce Souverain perçoit de ſes
Domaines conndérables dans la Marche Eleatorale.
( 104 )
DE
FRANCFORT , le 4 Juin.
Les
pronoſtics , ou plutôt les rêveries ſur
l'emploi futur des
Aëroſtats , ayant menacé
les places de guerre & les armées de cette
artillerie
aërienne , on prétend qu'un Docteur
Allemand s'eſt occupé
férieuſement des
moyens d'en prévenir les effets. A ce qu'on
rapporte , il a inventé une lentille ou miroir
ardent , capable
d'incendier les ballons &
leur
équipage à la hauteur de 2 ou 3 lieues.
M. le
Conſeiller Eybel, à qui l'on a attribué
l'ouvrage fameux , Qu'est-ce que le Pape ;
eſt chefde l'une des
Commiſſions
nommées
par
l'Empereur pour la viſite des Eglifes &
des
Couvens. On raconte
qu'étant arrivé
dans
l'Egliſe de
Braunau en
Autriche , à
l'inſtant où le
Prédicateur
s'échauffoit contre
les
innovations
récentes , il le laiſſa continuer
fans fortir de
l'incognito. Après le fermon
, le Moine averti vint ſe jetter aux genoux
de M. Eybel, en le priant
d'oublier
fon
éloquence. Mon Pere , lui
répondit le
Viſiteur,j'aurai ſoin de faire
examiner attentivement
votre affaire.
Le 17 le mariage futur du Duc
Charles-
Louis
Fréderic de
Mecklenbourg- Strelitz ,
avec la
Princeſſe
Charlotte-
Chriſtiane-Marie
fille du feu Prince
George
Guillaume de
Heſſe
Darmſtad , a été déclaré
publiquement
à la Cour du
Landgrave.
( 105 )
On mande de Vienne que l'Empereur
vient de ſupprimer les Couvens des Carmes ,
des Peres de l'Ordre de S. François de
Paule , des Servites , des Dominicains & des
Urſulines. La garniſon de Vienne , ajoute-ton
, fera renforcée & portée à l'avenir à
25 à 30 mille hommes.
L'affaire de l'Evêché de Paſſau avec la Cour
Impériale a été , dit- on , arrangée de la maniere
ſuivante : l'Evêché renonce à perpétuité à la Jurisdiction
eccléſiaſtique dans la haute & baſſe Autriche,
& à celle dans le quartier del' Inn cédé à la
Maiſon d'Autriche par la paix de Teſchen , &
s'engage à payer annuellement 25,000 florins au
nouvel Evêché de Linz ; cette ſomme ſera acquittéepartie
en argent comptant , & partie en
Bénéfices cédés pourcet objet. La Cour Impériale
, de ſon côté , reßitue à l'Evêché les diftricts
, dimes , maiſons , &c. qu'elle avoit mis en
ſequeftre. -- La haute Autriche , d'après cet
arrangement , & le quartier del' Inn , feront attribués
au Diocèſe de Linz , deux quarts de la baſſe
Autriche à l'Evêque de S. Poltin , & le reſte à
l'Archevêque de Vienne.
Les conſcriptions militaires font recommencées
pour cette année , & on preſſe même la levée des
troupes.
ITALI E.
DE VENISE , le 23 Mai.
On a répandu que la peſte s'éroit manifeftée
dans la Dalmatie , & notamment à Spalatro.
En conféquence les ports da golfe
Adriatique ſont munis des précautions
es
( 106 ),
d'uſage: Sa Sainteté a même fait fermer le
port de Finigaglia aux navires venant de
nos côtes, & interdit la foire célebre qui a
lieu toutes les années dans cette ville.
Cependant la nature de cette maladie contagieuſe
eſt encore très-équivoque. Elle regna
déja l'année derniere , & on l'attribua
au retour d'un nombre d'émigrans paſſés en
Turquie , & rentrés dans la Province par
les montagnes. On croit d'autant moins
cette épidémie peſtilentielle , que divers malades
ayant été traités dans l'Hôpital de Spa-
Jatro, ils ont été bientôt rétablis.
Le Gouvernement vient d'envoyer ſur
les lieux le Sénateur Diedo , pour vérifier
ces craintes , & pour porter remede à la contagion
quelconque radicalement.
DE NAPLES , le 13 Mai.
L'eſcadre deſtinée à joindre les Eſpagnols
dans leur nouvelle expédition contre Alger ,
doit appareiller le 16. Elle eft compoſée de
deux vaiſſeaux de ligne , de deux frégates ,
&de deux chebecs, fans compter les bâtimens
munitionnaires , & un vaſſeau d'hôpital.
L'état déplorable de la Calabre occupe
toujours le Gouvernement. Il s'eſt tenu à ce
fujet , un Conſeil des Miniſtres d'Etat , auquel
S ..M. a aſſiſté , ainſi que le Maréchal
Pignatelli , chargé l'année derniere du com(
107 )
mandement de cette Province. Ce Général,
à ce qu'on dit , ſe prépare à y retourner ,
poury faire exécuter un Bref de S. S. relatif
à la ſéculariſation des Religieux , Novices
encore , lors de la deſtruction des Monaſteres
ſupprimés.
1
:
ESPAGNE.
DE MADRID , le 2 Mai.
La flotille qu'on équippe pour l'expédition
d'Alger , ſera compoſée de 80 bâtimens,
chaloupes canonnieres ou bombardes;
ſous la protection d'un vaiſſeau de ligne&
de quelques frégates , &de 10 chebecs.
Vu le nombre de troupes qui paroifſent
deſtinées à s'embarquer ſur cette eſcadre
, on préſume qu'il ſera queſtion d'un
débarquement , & non pas ſeulement de
bombarder Alger. Les travaux ſe pouffent
àCarthagene avec la plus grande activité :
de leur côté, les Maures ne font pas oifits.
On annonce qu'indépendamment de leurs
anciennes batteries , ils en ont conſtruit ſept
autres ſur des ouvrages avancés , d'où ils ſe
propoſent d'incendier à boulets rouges, les
bâtimens qui ſe mettront à portée de bombarder
la ville.
7
c6
( 108 )
PORTUGAL.
DE LISBONNE , le 2 Mai.
Le mariage prochain de l'Infante Marie-
Anne Victoire avec l'Infant d'Eſpagne Dom
Gabriel a été déclaré à la Cour. On parle
auſſi d'unir l'Infante Charlotte , fille aînée
du Prince des Afturies avec l'Infant Dom
Juan , fils puîné de LL . MM. Le premier de
ce mariage paroît devoir ſe conclure au
mois d'Octobre prochain.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 8 Juin.
Les dernieres nouvelles reçues de l'Amérique
Septentrionale font mention des ravages
qu'a occaſionné le dégel des rivieres en
divers endroits. Une lettre de Wyoming
dit:
>Dans la nuit du 15 de ce mois , ( Mars) la
riviere qui arroſe cette Ville , en moins de 26
minutes a éprouvé un débordement ſi confidérable
, qu'elle a inondé toutes les terres baffes
de notre Colonie. Elle a emporté des maitons
entieres , des beftiaux , des grains , &c . & plufieurs
familles qui n'ont pas eu le temps de fortir
de leurs foyers , ont été entraînées dans les bâtimens
à cinq mille d. diſtance . On a vû des
maiſons flotter au milieu des courants avec du
( 109 )
monde & des lumières dedans. Enfin jamais on
n'a vû de déſaſtre ſemblable. La Garniſon qui
étoit logée dans le lieu le plus élevé du pays
étoit noyée de quatre pieds d'eau. Les troupes
ont été obligées de ſe refugier dans les montagnes
& de laiſſer armes & bagages. Les terres
font dans ce moment ci couvertes de glaces
épaiſſes de quatre & cinq pieds . Nous devons
à l'extrême ſolidité du Fort de n'avoir pas vû
nos caſernes détruites. Mais ce qui nous arrache
des larmes c'eſt la ſituation malheureuſe d'une,
foulede femmes & d'enfans deſtitués de vêtemens
& même de vivres par cette déſaſtrueuſe inondation.
Les accidens ont été auſſi fâcheux fur la
Delaware.
>> La navigation de la riviere , écrit-on , qui
avoit été interrompue par les glaces depuis le
26 Décembre dernier , vient enfin d'être ouverte
; un nombre de bâtimens après avoir été
obligés d'errer dans la baye &dans la riviere,
en éprouvant beaucoup d'incommodité , eſt entré
ces jours- ci dans le port. -Pendant la
rude ſaiſon , la glace , en formant ſur la riviere
une route sûre pour la communication de cette
Ville avec les rives oppoſées , nous a du moins
procuré de grands foulagemens pour l'article important
du bois à brûler , qu'on apportoit en
quantité du nouveau Jerſey. Le dégel a malheureuſement
caulé, dit- on , bien du dégat dans
les établiſſemens de la riviere de Schusikill .
-Aux Falls , à environ 5 mille de cette Ville ,
les eaux ſe ſont accrues proligieuſement , & les
glaces qu'elles ont entraînées , ont décruit beaucoup
de bâtimens , tels que des granges , des
écuries , des pécheries , des enceintes , & des
( 110 )
habitations. Un moulin àpapier a été entiérement
renversé & pluſieurs autres fort endommagés .
Ces malheurs joints à la détreffe qu'a néceſſairement
occaſionné un hiver , ſans exemple depuis
40ans, ont bien vexé les pauvres Bien des particuliers
qu'on croyoit être au-deſſus du beſoin ,
ont eu de la peine à paſſer l'hiver .
Enfin l'on mande de Baltimore lesdétails
ſuivans.
Hier , à force de travail & de perſévérance ,
on a achevé au milieu des glaces un canal qu'on
avoit commencé á ouvrir il y a quelques jours
depuis la pointe de Fell ,juſqu'á celle de Whetſtone.
Parce moyen une vingtaine de Bâtimens
&une foule de petites Barques de la Baye qui
avoient éprouvés de la part des glaces un long
& penible retard , font entrées dans le port á la
fois. Ils ont formé un ſpectacle très- agréable aux
labitans qui les ont ſalués de trois acclamations
, auxquelles les équipages ont répondu
avec le même plaifir & la même cordialité.
Le 19 Avril , l'Etat de Maſſachuſett Bay
a fait l'élection annuelle des Chefs de fon
gouvernement : M. Jean Hancock a été réélu
Gouverneur , & dans le nombre des fix nou- .
veaux Sénateurs , ſe trouve M. Samuël
Adams.
L'Aſſemblée générale de Penſylvanie a
reçu le rapport du Comité , chargé d'examiner
les intérêts commerciaux de cet Etat.
Le Comité ayant examiné la lettre du Gouverneur
Harriſon , en date du 21 Décembre , &
les mémoires des Marchands de la Penſylvanie
qu'on voudroit établir ſur les bâtimens britanniques,
a repréſenté dans ſon rapport :
( III )
>>Que le Comité regarde le ſoin de rédiger
des réglemens de commerce comme une entrepriſe
très étendue ; & que , d'après ſes principes de
politique les plus ſains , il penſe que rien ne mérite
davantage l'attention de la Légiflation que
lesmeſures qui ont rapport aux intérêts commer
eiaux de l'Etat .
Que la proclamation du Roi de la G. B. qui,
enreſtreignant le commerce entre ces Etats& les
Coloniesà fucre d'Angleterre , tend à décourager
notre navigation & notre commerce , doit trouver
la plus conſtante oppofitionde la part des Etats
Unis .
Que d'après le mémoire préſenté par le Commerce
de ces Etats, il paroît que les Marchands
s'occupent , de concert avec ceux des autres
Etats ,de la rédaction d'un plan général de commerce
pour les Etats Unis.
Que l'efficacité de ces efforts combinés , jointe
aux démarches particulieres dont nous ſommes
capables , engage le Comité à propoſer la réſo
lution ſuivante.
Résolu que l'on nommera un Comité pour former
un bill qui autoriſe les Etats Unis aſſemblés
en Congrés à défendre l'importation de toutes
denrées ou marchandiſes du crû ou du produit
d'aucune des Colonies à ſucre de l'Angleterre,
dans ces Etats - Unis , ou à adopter tels autres
actes de réciprocité vis-à-vis de la G. B. relativement
au commerce des Etats-Unis , tant que les
restrictions en queſtion auront lieu de la part de
l'Angleterre.
Pourvu toute-fois que cet acte ne puiffe fortir
ſon plein effet que lorſqu'il aura été approuvé par
les autres Etats de l'union .
On écrit d'Hallifax , dans la Caroline Sep
( 112 )
tentrionale , que le Général Rutherford , qui
avoit fait une excurſion du côté du Miſſiſipi ,
avec un corps nombreux de Volontaires ,
dans la vue de faire quelques découvertes
dans les parties occidentales , a été ſurpris
par les ſauvages , & entiérement défait. On
prétend que le Général lui-même a perdu la
vie avec ſes infortunés compagnons, qui ne
penſoient nullement à faire la guerre ; mais
dont l'objet au contraire étoit d'acquérir ,
fans effuſion de ſang , un très-vaſte territoire.
Les ſéances du Par'ement ſont toujours
auſſi vives , ſans en être plus inſtructives , au
moins pour tout ce qui n'eſt pas Anglois.
Les débats ont pris un caracteredd''aaigreur&
de ſévérité qu'on a rarement remarqué dans
les diſcuſſions les plus importantes. Celle
qui continue d'agiter la Chambre , eſt toujours
relative à la queſtion , ſi le Grand Baillif
de Weltminſter ſera admis , ou non , à
procéder à la vérification des ſuffrages , L'un
& l'autre parti mettent à cette querelle une
chaleur qui leur fait oublier non-ſeulement
Les bienféances , mais ce qui eſt encore pis ,
les regles de la Chambre.
On ne ſera pas ſurpris de cet échauffement,
fi l'on confidere que le crédit de M.
Fox tient en gran le parte au ſiege qu'il occupe
par interim ; que s'il en eſt dé offédé ,
il acheve de perdre l'avantage de l'opinion
qui le croit maître de la confiance du peu
( 113 )
ple , opinion auſſi utile que cette confiance
même ; enfin , que Dictateur il y a deux
jours d'un parti prépondérant dans les Communes
, il court le riſque d'être exclus de
ces Communes mêmes.
Ily a auffi une réclamation , comme nous
l'avons dit l'Ordinaire précédent , contre
ſon élection dans un bourg d'Ecoffe. Son
concurrent , fortement foutenu à n'en pas
douter , lui oppoſe des illégalités de toute
efpece. M. Fox n'eſt ni bourgeois , ni habitant
, ni propriétaire , ni ne paye les
taxes dans aucun des bourgs qu'il doit repréſenter
, ce qui eſt formellement contraire
aux actes du Parlement d'Ecofle, relatifs
à l'élection des 16 Pairs & des 45 Députés
qui l'ont remplacé. Cependant ces objections
n'ayant pas paru infurmontables , le
Candidat plaignant s'eft retranché fur les
prévarications commiſes durant l'élection .
Lord Surrey , il eſt vrai , ami zélé de M.
Fox , ayant été élu pour trois bourgs différens
, lui ménage une refſource ; mais il eſt
dur,après tant de ſupériorité , d'en être réduit
là..
Quoiqu'ilen ſoit , il paroît certain que la
verification des Votes ſera ordonnée par la
Chambre des Communes. M. Fox d'une
part, & le grand Baillif Corbett de l'autre
ont plaidé leur cauſe devant l'Aſſemblée ,
par le miniſtere d'Avocats reſpectifs. Certe
plaidoyerie a entraîné pluſieurs ſéances fort
( IT4 )
avant dans la nuit ; elles ſe ſont prolongées,
par débats incidentels qui ſe ſont élevés
entre les membres eux- mêmes. Le plus
important de ces débats a eu pour objet de
décider , ſi l'on devoit entendre ou non , les
témoins amenés par le grand Baillif pour
certifier l'authenticité réelle ou ſuppoſée des
fuffrages frauduleux reprochés à M. Fox.
Malgré la force des expreſſions de cet Orateur
, & les argumens de ſes Avocats , la
motion affirmative a paſſé à la pluralité de
85 voix.
Aujourd'hui , 8 , cette plaidoyerie a été
terminée , & fera jugée demain : il eſt ſuperflu
d'en faire preſſentir la déciſion.
Dans la défenſe qu'a produit le Grand-
Bailli , ou plutôt l'expoſe de ſes motifs en
accordant la vérification , cet officier a af
firméque,dans les dix premiersjoursde l'Elec
tion, qu'ily avoit eu 100 fuffrages dedonnés,
en tout plus de 1200000 , tandis qu'à
l'élection conteſtée entre Lord Trentham
& M. Vandeput , le nombre des votans ne
paſſa pas 9200. >> Tant que M. Fox , ajouta
>> M. Corbett , a eu la minorité , il a me-
>>n>acéouvertenientdedemander la reviſion;
>>>aujourd'hui , il la trouve illégale; mais le
>>changement de ſes intérêts, peut-il avoir
>>fait changer la nature de l'opération ?
Les petitions au ſujet d'élection illégale
ſe multiplient chaque jour ; encore quelquesunes
, & le Parlement entier ſera bientôt en
( 115 )
conteſtation. Le temps perdu à l'examen
de ces demandes , & de la grande affaire
de Westminster , n'a cependant point interrompu
le cours des objets eſſentiels. Les
affaires de l'Inde, l'acte pour règler le commerce
d'Amérique , & les ſubſides ont fixé
l'attention de la Chambre.
Quant au premier objet , on parle encore
trop vaguement du plan du Miniftere pour
en hafarder quelque choſe ici; mais il paroit
sûr que Lord Cornwallis a accepté le
commandement général dans cette partie du
monde.
Pour le ſervice de la Marine en 1784 ,
la Chambre a accordé 26000 matelots ,
y compris 4445 ſoldats de marine. Chaque
homme étant paſſe ſur le pied de 4 liv,
ſterl. par mois , en ajoutant à cette ſomme ,
celle qu'exige l'artillerie de la marine, c'eſt
une dépenſe de 12,53000 liv. ſterl. pour
l'année.
Cet état eſt plus fort de 10,000 matelots
que celui arrêté en 1764 , après la paix ,
ſous le Ministere de M. Grenville ; la dépenſe
ne fut alors que de 832,000. Sous
George II on ne vota jamais plus de 10000
matelots en temps de paix. Un plus grand
nombre de bâtimens employés à courir fur
les contrebandiers explique en partie cette
différence.
M. Sawbridge a déjà réparu deux fois avec ſa
mosion pour la réforme conſtitutive du Parle
( 116 )
ment. Cette motion a été encore éludée , ou
plutôt écartée pour le moment. Il eſt à croire
que le miniſtère actuel prendra un biais afin de ne
pas la rejetter ni l'admettre entierement. La
néceffité de cette réforme , conſidérée abſtraitement
, a été fentie par tous les partis , excepté
par celui du Lord North ; mais en quoi confittera-
t- elle ? Voilà ce qui diviſe les opinions à
l'infini. Les uns veulent abréger la durée du
Parlement , d' utres une élection plus générale,
Les premiers ont contr'eux la plupart des objections
formées par le dernier Parlement contre
ſa diſſolution : les meilleurs écrivains de la
nation ont fait obſerver aux ſeconds que la populace
, très -différente du peuple , feroit peu de
ca d'unpouvoiirr qui ne lui rendroit aucun émo-
Jument , qu'un chaudronnier préféreroit de rajuf
ter une chaudière pour fix fols , à réformer la
conftitution pour rien , qu'un bucheron ne laifferaitpas
ſes fagots pour faire des loix , & qu'un
filou aimeroit toujours mieux voler dans les
poches durant les élections , que d'y donner ſon
uffrage.
Il paſſe pour certain que M. de Saint-Saphorin
, Envoyé de Dannemarc à la Haye ,
a fait ici la demande d'une de nos Princeſſes
pour le Prince Royal de Dannemarc.
Le choix tombera , à ce qu'on aſſure fur
la Princeſſe Auguſte Sophie, fille puinée de
leurs Majestés : elle aura 16 ans au mois
de Novembre prochain ,& le Prince Royal
en a 17 .
Les partiſans modérés du Miniſtere
ont obſervé avec peine , l'eſpece d'emportementaveclequel
ilparoitpourſuivre M. Fox
( 117 )
& ſes adhérens . Si M. Pit: garde plus de
réſerve & de décence dans cette guerre
de paroles ; il n'en eſt pas de même de
divers autres membres de l'adminiſtration .
Les gens de loi ſurtout, ſe font remarquerpar
leurdureté. Si les circonstances ne permettent
pas de mettre de la meſure dans les hoftilités
légales , du moins devra t- on la conſerver
dans les procédés. M. Fox , il eſt vrai , ne
s'en eſt jamais piqué ; il n'a jamais cru
que les ménagemens entraſſent dans les devoirs
d'un Homme d'état; mais fon impétuoſité
naturelle rendoit plus excuſables ces
écarts de l'éloquence. Les Papiers publics
dévoués au Miniſtere , ſont remplis d'horreurs
dégoûtantes contre cet Orateur.
Ils ne ceffent de le comparer à Cromwell ;
mais celui- ci , ont dit les écrivains attachés à
M. Fox , fut- il un Orateur facile , élégant , univerſel?
Non; fut-il d'un caractere ouvert & mâle ?
plaiſant & fpirituel dans la converſation ? Non ;
inſenſible åſes proopprreess intérêts juſqu'à ſervir le
peuple au riſque de ſa ſanté,de ſon crédit&de ſon
pouvoir ? Sûrement non. Les adverſaires de M.
Fox , prenant le revers de cé parallele , conviennent
qu'il manque de juſteſſe; car , diſentils
, M. Fox est-il connu pour un brave & heureuxGénéral
eſt il la terreur de toute l'Europe ?
l'a - t -on jamais trouvé en prieres ? Ses cheveux
font- ils flottans ſans poudre ſur ſes épuales ? eſt-il
remarquable par latempérance ? eſt- ce un homme
d'une propriété parfaitement libre ? Non. En
quoi donc reſſembleroit il à Olivier Cromwell ?
Quoique les variations d'idés &de par(
118 )
tis, à force de ſe multiplier , ne ſe faffent
plus remarquer dans le Parlement , celles
de M. Fox paroiſſent l'emporter fur tous les
exemples de ce genre. On l'a vu pour &
contre la guerre d'Amérique; contre les intérêts
du peuple dans l'affaire de l'élection de
Midlefex , & revenir à ce même peuple
après avoir été diſgracié ; tour-à tour ami
chaud & ennemi déclaré de I.ord North ,
de Lord Shelburne , de M. Pitt ; foutenir
que la voix du peuple n'exiſtoit pas dans
l'enceinte des communes, & fixer enſuite
cette voix dans cette même enceinte, &c.
&c. &c.
Le Chevalier Elijah Empey, ci devant
chet de Juſtice dans le Bengale , eſt revenu
de l'Inde par ordre du Gouvernement, pour
rendre compte de ſa conduite , & M. Pitt
en a donné connoiſſance à la Chambre des
Communes.
Lord Chesterfield eſt reparti ſubitement
pour l'Eſpagne, départ auſſi inattendu que
fon retour , & dont on connoît auſſi peu
les motifs. C'eſt le Chevalier Harris , cidevant
Miniſtre de notre Cour à Petersbourg
, qui paſſe à la Haie; il ena fait ſes
remerciemens à S. M.
DE DUBLIN , le 30 Mai.
La Réponſe du Viceroi au diſcours du
Parlement étoitdans les termes ſuivans :
( 119 )
Milords& Meſſieurs ,je ſaiſis avec plaifir cette
occafion de vous témoigner ma reconnoiſſance
de la réception cordiale que vous m'avez faite ,
& de la confiance que vous m'avez accordée. Je
me félicite en méme- tems d'avoir à vous communiquer
de la part de S. M. ſa parfaite fatisfactiondevotre
conduite ſur tout ce qui concerne
le bien public.
Meſſieurs de la Chambre des Communes,
J'obéis avec joie aux ordres de S. M. qui me
commande de vous remercier du zele avec lequel
vous avez pourvu aux besoins de l'Etat ,
&coopéré à la gloire de ſon gouvernement. Qu'il
me ſoit permis , de mon côté , de vous aſſurer de
la plus grande attention de ma part , à ce que
l'économie & laprudence préſident à la perception
& à l'emploi des ſubſides que vous avez accordés
avec tant de loyauté.
Milords & Meſſieurs , vous ne pouvez qu'éprouver
la plus vive fatisfaction , en réfléchiſſant
que les différens objets ſoumis à votre conſeil
dès l'ouverture de cette ſeſſion , ſuivant le droit
d'un peuple libre, & qui fait ſes propres leix ,
ont été diſcutés , ſuivis & arrêtés avec la diligence
& l'attention qu'ils méritoient.
Vous avez fagementdonné votre ſanction aux
moyens extraordinaires que les circonstances exigeoient
, pour garantir ceRoyaume de la famine.
C'eſt avec un vifplaifir que j'enviſage que ce
fléau eſt éloigné pour l'avenir de cette contrée ,
& que c'eſt par la ſageſſe de vos nouveaux réglemens!
ſur les grains & les améliorations nombreuſes
que vous avez faites à votre agriculture ,
que vous êtes parvenus à le faire,
Je reſſens une vraie joie en voyant les effets de
ce principe hurmain & généreux , qui vous a
portés à encourager l'induſtrie nationale par les
( 120 ) :
réglemens les plus favorables & les reſtritions
les plus ſages. Je m'ai rien de plus à coeur que
l'augmentation de votre commerce , & le fuccés
de vos manufactures; je ne manquerai pas
de donner par la ſuite la plus grande attention
aux objets que les circonstances particulieres de
l'Etat n'ont point permis de rechercher ou d'approfondir
encore , & j'aurai le plus grand foin
qu'ils foient foumis à votre ſage diſcuſſion , avant
de faire aucun réglement .
Les réglemens utiles qu'on a propoſé d'introduire
dans la perception & l'emploi des revenus
publics; la sûreté des propriétés , & l'extenfion
da crédit national , en dépoſant dans la banque
d'Irlande les fonds en litige dans les Cours de la
Chancellerie ou de l'Echiquier ; les projets pour
l'embelliſſement de la Capitale ; votre réſolution
unanime de défendre la liberté de la conſtitution
contre les attaques de la licence , & vetre
zele à foutenir les inſtitutions charitables , font
des témoignages non équivoques de votre fa
geffe , de votre humanité &de votre juſtice.
Je n'ai pas manqué de porter au pied du
Trône la fatisfaction que vous avez hautement
annoncé des avantages dont vous jouiſſez ſous
le gouvernement de Sa Majeſté. Senfibles , comme
vous l'êtes . à ces avantages , jen'ai pas beſoinde
ſouhaiter que vous faffiez vos efforts pour
communiquer aux autres les ſentimens qui vous
animent. La ſupériorité de vos lumieres & de
votre rang ne peut manquer de vous donner
l'influence la plus étendue & la mieux méritée.
J'ai une ferme confiance que , pendant votre
ſéjour dans les provinces , vous n'oublierez rien
pour encourager l'induſtrie deYOS voiſins , &la
diriger fur les objets qui conviennent le mieux à
leur fituation & au bien général de l'Irlande ;
VOUS
( 121 )
Vous mettrez à leur portée toutes les reſſources
d'un pays libre& fertile , favorisé des avantages
de la paix , & protégé par les loix les plus douces;
vous ne fouffrirez pas que des craintes mal
fondées les arrêtent , ou que de mauvais conſeils
Les égarent.
- Je mets menbonheur à penſer , & je m'enorgueillis
en réfléchiſſant que nos efforts communs
ont été & ſont dirigés vers les mêmes
objets : le maintien & l'avancement de vos droits ,
la dignité 5 la prospérité de l'Irlande , & le bien
général de l'Empire Britannique.
. Cette femaine , doit avoir lieu une aſſemblée
générale des Nobles , du Clergé & des
Bourgeois & Francs-Tenanciers de cette
Ville. On y dreſſera une requête au Roi ,
pour demander à S. M. une réforme qui
répartiſſe avec plus d'égalité les repréſentans
du Peuple en Parlement. Cette pétition ,
dit-on , ſera ſuivie de celles de toutes les
autres Villes du Royaume. Tout le monde,
ajoutent les Feuilles publiques , excepté les
monopoliſtes , corrupteurs des Bourgs &
leurs vils partiſans , ne fait qu'un voeu pour
cette réforme. Si les Miniſtres de laGrande-
Bretagne perfuadent au Roi de rejetter les
repréſentations de la Nation Irlandoiſe , le
peuple de ce Royaume ne devra plus avoir
de confiance en aucun des Membres de
l'Administration Britannique , & fera luimême
la justice que le Roi & ſes Miniſtres
lui refuſent.
Samedi dernier , M. Andreas , qui a été long
temps détenu en priſon , ſur l'accuſation dont
Nº. 25 , 19 Juin 1784. f
( 122 )
on l'a chargé , d'avoir conſpiré l'aſſaſſinat de
pluſieurs Membres du Parlement , a été amené
devant la Cour du banc du Roi (Kinsbench) ,
où l'on a pleinement délibéré des deux parts fa
décharge . Le Lord Earlsfort & une majorité de
ſes confreres , ont conclu en faveur des privileges
conftitutionnels dont il appartenoit à Mardren
de jouit , & en conféquence l'on a admis
lacaution,
Un vaiſſeau arrivé à Corck de Gibraltar , a
rapporté les dérails ſuivans :
La frégate la Thétis , de 38 canons , eſt arrivée
d'une croifiere le 2 de ce mois. Le Thrusty ,
monté par le Commodore , eſt toujours mouillé
dans la Baye. Le Orpheus & le Kingo-Fisher ont
mis à la voile pour différentes croifieres. Le
San - Sarmento , frégate eſpagnole de vingtquatre
canons , venant de Barcelonne à Cad.x ,
&commandée par Don Juan Sauride , a été atraquée
par deux corſaires de 16 canons , qui ont
hiffé pavillon maroquin , quoiqu'on les ſoupçonne
d'être algériens. Pendant l'action , qui
dura une heure de tems , les pirates tenterent
deux fois l'abordage ſur les frégates. Mais l'un
d'eux ayant perdu ſon grand mát , & le vent
étant devenu favorable , la frégate parvint à ſe
dégager , & fit voile pour cette Baye , toujours
pourſuivie par les corſaires , juſqu'à la Baye de
Rozia , où le canon du fort les obligea de l'abandonner.
Les Eſpagnols ont eu 14 hommes de
tues , & 15 dangereuſement bleſſés , qu'on a dé
barquês à terre pour être mis à l'hôpital de cetre
ville. On a donné avis á Cadix de cette action
par la voie d'Algéfire , & le San-Sarmento eft
en radoub à la Baye de Rozią.
T
( 123 )
FRANCE.
DE VERSAILLES , le 13 Juin.
Le 6 de ce mois , le Comte de Choiſeul-
Gouffier , que le Roi avoit précédemment
nommé fon Ambaſſadeur à la Porte , a eu
l'honneur de prendre congé de Sa Majeſté ,
pour ſe rendre à ſa deſtination , lui étant
préſenté par le Comte de Vergennes , Chef
du Conſeil royal des finances , Miniſtre &
Secrétaire d'Etat ayant le département des
Affaires étrangeres.
Ce jour , la Comteſſe d'Aranda , Ambafſadrice
d'Eſpagne , fut préſentée à Leurs
Majeſtés & à la Famille Royale avec les
formalités accoutumées.
Le Comte de Vergennes , Chef du
Confeil royal des finances , Miniſtre & Secrétaire
d'Etat ayant le département des Affaires
étrangeres , & Grand Tréſorier des Ordres
duRoi , ayant prié Sa Majefſté d'agréer
ſa démiſion de cette derniere charge , le
Roi en a difpofé en faveur du ſieur de Calonne
, Miniſtre d'Etat , Contrôleur général
des finances , qui, en cette qualité , a prête,
le 13 de ce mois , ferment entre les mains
de Sa Majeſté.
DE PARIS , le 15 Juin .
M. le Comte de Haga eſt arrivé le 7 à
Verſailles. De Gênes ce Prince eſt venu par
mer en Provence , & fans s'arrêter à Tou
f 2
( 124 )
Ion , ni à Marseille , il s'eſt rendu dans cette
Capitale , où il étoit attendu quelques jours
plus tard. Le Roi qui étoit à la chaſſe à Rambouillet
, & qui devoit y ſouper , revint à
Verſailles , où il précéda d'une demie heure
M. le Comte de Haga. Ce Prince a aſſiſté
aux trois grands Spectacles de la Capitale ,
&ne prolongera pas ſon ſéjour ici , felon le
bruit public , au delà du 22 .
La Méduse , ancienne frégate du Roi ,
donnée à M. de Grand Clos Melé pour le
commerce de l'Inde , & la Driade font revenues
de la Chine. Elles ont laiſſé àCanton
41 bâtimens tant François , qu'Anglois ,
Hollandois , Danois , &c. &c . Cette concurrence
avoit fait renchérir le thé au-deſſus du
prix commun des marchés de l'Orient. On
craint que les Actionnaires ne perdent 40
pour cent de leur miſe dans cette entrepriſe,
excepté ceux qui ont placé à la groſſe. L'énorme
quantité de thé dont l'Europe va être
furchargée, fera ouvrir les magaſins Hollandois
&Danois , & baiſſer la valeur de cette
feuille.
- M. le Comte d'Estaing a fait préſent à
M. le Bailli de Suffren d'un trophée en
bronze doré d'or moulu , dont la pendule
n'eſt que l'acceſſoire. Le Trophée eſt analogue
aux belles actions de M. de Suffren
dans l'Inde. On lui a fait ce beau préſent à
Verſailles , au moment où il fut reçu Chevalier
des Ordres. On afſſure que le Landgrave
de Heffe-Caffel , qui a quitté ſa réſi(
125 )
ce mois , ne tardera pas à arri- dence le 2de
ver dans cette Capitale.
On a affecté d'inférer dans différentes Ga
zettes & Papiers publics , des articles tendans
à perfuader que pluſieurs perfonnes avoient
péri dans le traitement électrique des ſieurs
Ledru , & que d'autres y avoient éprouvé
des accidens graves. On peut aſſurer , d'après
la vérification la plus exacte , que tout
ce qui a été dit à cet égard dans ces Ecrits
périodiques , eſt entierement ſuppoſée
Il paroît des Lettres-Patentes enregiſtrées
au Parlement le 27 du mois de Mai , por
tant fuppreffion des Echoppes de cette ville.
Depuis long temps , le Public defiroit cette
fuppreffion on ne peut qu'applaudir à la
ſageſſe de la Police à cet égard , d'autant
plus qu'en remédiant aux inconvéniens de
ces conſtructions , elle a ménagé, autant que
cela ſe pouvoit , les intérêts des propriécaires.
Dans un inſtant où les ſyſtêmes de la
Phyſique du jour , occupent tous les eſprits ,
on ne verra pas avec indifférence la Lettre
ſuivante , au ſujet des phénomenes météorologiques
de l'année derniere , expliqués f
diverſement .
L'uſage de propoſer des ſyſtêmes nouveaux ,
fans qu'un nombre d'expériences & de faits en
établiſſent l'évidence , ſemble prévaloir aujourd'hui
le goût de la nouveauté, qui eſt devenu
la manie de notre fiecle , a paffé des atteliers
dés artiſans dans les cabinets des ſçavans ; &
f3
( 126 )
cas derniers s'enflamment pour tout ce qui en
porte l'empreinte , jusqu'à vouloir faire plier
ſous l'empire dangereux de leurs opinions nouvelles
les faits les plus propres àles détruire .
Pour justifier mon aſſertion, voici un abrégé
du ſyſteme nouveau annoncé dans le Journal de
Paris , du 6 Avril; au ſujet des chaleurs , du
brouillard , des orages de l'année derniere , &
du froid exceffif quileur a fuccédé.
«L'harmonie de toutes les parties du globe ,
>> ſuivant les Auteurs du Journal , confiſte dans
>> une égale répartition du fluide électrique ,
entre les couches inférieures de l'Atmosphere
>& les couches fupérieures de la Terre.... La
>> conſtitution des années qui ont précédé 1783,
>> n'a pas peu contribué àdéranger cette égale
répartition. Ces années ont été remarquables
>> ou par une féchereffe extrême , ou par un
partage très-inégal dans la chute des pluies....
Les vents du Nord ont produit une évapo-
>> ration forcée ; en épuiſant ainſi la terre de
>>> ſon humidité , ils ont ſupprimé la cauſe des
>> météores aqueux; & plus de météores aqueux,
plus de conducteurs du fluide électrique ,
>> plus de moyens par conféquent de l'éparpiller
>> & de le répandre.... La voie de circulation
>> de ce fluide , ainſi interceptée entre laTerre
>> & l'Atmosphere , il a été forcé de ſe refugier
>> aux extrémités ,& y a préparé la convulfion
>> du globe .... Sa premiere criſe s'eſt manifeſtée
>> par le bouleverſement de la malheureuſe Calabre.
La ſeconde criſe aſuivi de près la pre-
>> miere , elle s'eſt annoncée par un brouillard
>> électrique qui a couvert l'Europe entiere , &
>> ne s'eſt conſumé que parune ſucceſſion rapide
>> des orages incendiés qui ſe ſont formés dans
>> ſon ſein,& ont duré depuis le mois de Juilles
( 127 )
> juſqu'à la fin d'Octobre... ; alors a commencé
>> la troiſiente criſe qui n'eſt pas encore finie ....
>> Cette criſe eſt un état de congélation ex-
>> traordinaire pour les endroits où il ne s'eſt
>> point fait d'accumulation de ce fluide ; &
>> de-là font venus les neiges , les frimats , &
>> enfin le froid rigoureux & conſtant que nous
>> venons d'éprouver » ....
Voilà donc l'électricité devenue tout- à- la- fois.
la cauſe de deux effets contraires , le froid & le
chaud. Déſormais , l'électricité ainſi que l'air
inflammable & le magnétiſme animal , ſera le
ſeul pivot, fur lequel rouleront tous les Phénomenes
de phyſique & d'économie animale. Ces
trois principes circonfcriront à l'avenir le cercle
de toutes nos idées , au point qu'il ne nous fera
plus permis d'aller chercher ailleurs les caufes
des nouvelles révolutions du Globe.
Je ſçais que l'électricité eſt un des anneaux
importans de la chaîne des cauſes; mais je fçais
auſſi que prétendre tout expliquer par ce principe
, c'eſt reſſembler à un malade attaqué de la
jauniffe, & qui tranſporte à tout ce qu'il voit
Ja couleur dont ſon organe eſt teinte.
La nature eſt conſtante & uniforme dans ſa
marche , elle produit toujours les mêmes effets
par les mêmes cauſes. C'eſt là un principe contre
lequel , malgré le goût dominant de la nouveauté
, on n'a pas encore ofé former aucun
doute. C'eſt donc ce principe qui doit ſervir de
baſe à la réfutation du ſyſtème dont il s'agit.
1º. Les conſtitutions des années qui ont pré
cédé celle de 1783 , ont été fréquemment les
mêmes dans des temps antérieurs . Souvent &
très-ſouvent il y a eu des années de ſéchereſſe
extrême , un partage très-inégal dans la chute
des pluies; ſouvent une évaporation forcée de
f 4
( 128 )
J'humidité de la terre , a occaſionné le defféchement
des puits , le tariſſement des ſources &
un abaiffement prodigieux des rivieres ; ſouvent
des vents du Nord ont defféché la rerre , lui
ont ôté fon état d'aggrégation , & ſe ſont oppoſé
par-là à la formation des météores aqueux.
Le fluide électrique, alors privé de ſes conduczeurs
, auroit donc dû , dans ces temps qui nous
ont précédés , comme dans celui dont on parle ,
ſe retirer aux extrêmités du Globe , s'enfoncer
dans les entralles de la Terre , y préparer des
révolutions ſemblables à celles du déſaſtre de la
Calabre , y former des iſtes volcaniques pareilles
celles nouvellement forties du ſein des mers
de l'Iſlande. Cependant aucun de ces effets ,
malgré la coexiſtence de leurs cauſes génératrices
,n'a été produit. On n'a point vu la mer
s'élever alors de ſon lit immenſe , des villes
renverſées , des montagnes fendues , cranſportées,
des Provinces entieres englouties , des Contrées
immenfes arrachées du Continent , de vaſtes pays
abymés , d'autres découverts & mis à fec. Le
fluide électrique auroit il donc eu alors moius
d'énergie qu'aujourd'hui , lorſque les caufes qui
durent le concentrer dans les entrailtes de la
terre , étoient alors elles- mêmes plus efficaces &
plus abondantes ?
2°. On fait que les hivers de 1709 , 1740 ,
1776, ont été plus rigoureux , quoique moins
longs que celui que nous venons d'éprouver. La
congélation extraordinaire arrivée à ces trois
différentes époques , dut alors être l'effet , comme
aujourd'hui , d'une accumulation du fluide électrique,
de ſa répartition inégale dans l'air & fur
la terre ; il auroit donc dû alors , comme aujourd'hui
. préparer les mêmes convulfions , produire
les mêmes criſes ,renverſer des royaumes ,
( 129 )
en faire paroître de nouveaux. Rien de tout
cela cependant n'a précédé les hivers dont nous
parlons ; le Globe & l'Atmosphere n'eurent
aucun de ces accès qu'il plaît aux Auteurs du
ſyſtème d'appeller des crifes falutaires .
3°. L'Europe eſt à peine revenue de la frayeur
que lui a cauſée l'affreuſe catastrophe de la Capitale
du Portugal , le rer. Novembre 1755 ,
Lisbonne fut preſque totalement renverfée par
un tremblement de terre , qui ſe fit ſentir le
mêmejour juſqu'aux extrémités de l'Europe. Ce
déſaſtre affreux fut accompagné d'un ſoulevement
prodigieux des eauxde la mer , qui furent portées
avec violence ſur toutes les côtes occidentales
de notre Continent.
L'Amérique même ne fut point exempte de
ees triſtes ravages ; puiſque , vers ce temps là ,
la ville de Quito fut renverſée.
Juſqu'ici on avoit attribué ces commotions
aux commotions inteſtines duGlobe , produites
par l'action de l'air , de l'eau & du feu , ſur les
matieres inflammables accumulées dans le fein
de la terre. Aujourd'hui de nouveaux Phyficiens
viennent nous dire Apprenez que ces révolutions
qui vous étonnent , font l'effet ſimple ,
naturel & même falutaire d'un fluide électrique
qui , ayant perdu ſes conducteurs , ſes voies de
communication entre la ſurface de la Terre &
Atmosphere , s'eſt refugié aux Pôles & y a
opéré ces convulfions qui jettent dans vos ames
la terreur & l'épouvante ..
,
Si la catastrophe de Lisbonne fut. l'effet du
fluide électrique refugié aux extrêmités du Pôle ,
au moins ne peut - on pas dire qu'en 1755
ce fluide ſe concentra dans les entrailles de la
serre, pour avoir perdu ſcs conducteurs. Il y eur
fs
(130 )
dans les années qui précéderent la révolution
du Portugal , plus de météores aqueux qu'on
n'en vit jamais. Les conſtitutions de ces années
furent abtolument différentes de celles qui ont
précédé 1783 ; il n'y eut , dans ce temps- là , ni
féchereſſe extrême , ni partage inégal dans la
chute des pluies Le refoulement du fluide électrique
aux Pôles auroit donc eu , en 1755 , une
cauſe contraire à celle de 1783. Cette contradiction
dans les caufes n'établit pas un préjugé
favorable pour la nouvelle opinion.
Les bornes d'une lettre ne me permettent pas ,
Meſſieurs , de m'étendre ici ſur toutes les autres
raiſons qui doivent faire refuſer au fluide électrique
la puiſſance qu'on lui ſuppoſe, de produire
les événemens extraordinaires dont nous
avons été les témoins : les météores aqueux ſe.
rent, ff on le veut , les conducteurs qui feront
alternativement paſſer ce fluide de la ſurface du
Globe aux couches inférieures de l'Atmoſphere ;
mais cettevoie de communication nepeutjamais
être interceptée par la ſuppreſſion des météores ;
au point de forcer ce fluide àſe concentrer dans
les entrailles de la Terre , ou dans les Régions
les plus élevées de l'Atmosphere. Si toure cette
théorie lumineuse est en effet d'un Auteur habitué
à confidérer la nature en grand , comme le diſent
lesAuteurs du Journal, on doit donnerle confeil
au Phyficien , Obfervateur en grand, de ſe défier
des illufions d'optique , qui ſont d'autant plus
fréquentes , que l'angle , ſous lequel on voit les
objets , eſt plus ouvert.
Tout en avouant mon ignorance , Meffieurs ,
fur les véritables cauſes des événemens qu'on a
prétendu expliquer par le fluide électrique , on
n'enpourroit rien conclure en faveurde l'opinion
que je viens de combattre ; cependant après
( 131 )
avoir détruit , il faut élever. Voici donc mon
opinion , dont je ſoumets la juſteſſe au jugement
même de ceux qui ont un ſentiment différent .
Le bouleverſement de la Calabre me paroît
être la ſeule cauſe ſimple & naturelle , 1º. de
ce brouillard qu'on appelle électrique , qui pen
dant trois mois aſervi de rideau à toute l'Europe;
2°. de ces chaleurs exceſſives qui l'ont
accompagné ; 3. des orages affreux qui ſuivirent
ſa diſſolution ; 4°. enfin du froid exceffif qui a
terminé la ſuite de cette criſe. Voici les raiſons
qui ſemblentdonner du poids à cette opinion.
On fait que le feu , l'air & l'eau , ces agens
les plus puiſſans de la nature, exercent particuliérement
leur action dans l'intérieur de notre
globe ; que ces couches immenfes de charbon
de terre , d'amas de bitume , de ſoufre , d'alun ,
de pyrites , font des matieres ſur leſquelles ces
agens univerſels exercent leurs forces ; que ces
matieres combustibles , réunies en un même
foyer & diſpoſées à l'inflammation , cherchent
alors une iſſue , & font effort en tous ſens pour
s'ouvrir un paſſage; que toutes les fois que ces
embraſemens s'operent , la face du globe éprouveroit
les changemens les plus faneſtes , ſi la
nature , qui met toujours le bien à côté du mal ,
n'eût donné à ces matieres embraſées un paſſage
propre à rallentir les fermentations intérieures .
Ces iſſues ſont les volcans placés dans toutes
les parties du globle , mais particulièrement
dans les climats les plus chauds , où ces fermentations
ſont plus fréquentes. Ces volcans
font les ſoupiraux de la terre , les cheminées.
par leſquelles elle ſe débarraſſe des matieres
embraſées qui dévorent ſon ſein . Ces cheminées
fourniſlent un libre paſſage à l'air & à l'eau qui
ont été mis en expansion par les fourneaux qui
f6
(132 )
font à leurbaſe. Ces volcans , loin d'être envifagés
comme un malheurde la nature , fontdonc
un de ſes bienfaits , puiſqu'ils fourniffent au
feu & à l'air un libre paſſage qui les empêche de
porter leurs ravages au-delàde certaines bornes ,
&de bouleverſer totalement la furface duglobe.
Plus ces fermentations tardent à ſe manifefzer,
plus alors les pays qu'elles avoiſinent font
menacésd'une ſecouſſe violente. Les matieres enflammées
s'accumulent avec d'autant plusd'abondance
que ces éruptions ſont moins fréquentes ;
& lorſqu'enfin l'air , l'eau & le feu viennent à
agir puiſſamment , le volcan ne devient plus
te ſeul ſoupirailde ces fermentations ; les terres
voiſines contre leſquelles l'embraſement fait
effort, en deviennent avec le volcan lesbouches
communes. Telle a été la cauſe de l'éruption qui
a englouti la Calabre.
Depuis long-tems les éruptions de l'Etna &
du Véſuve avoient été foibles & lentes , les
ifſues ordinaires devenues inſuffiſantes pour les
exploſions , les pays voiſins ont dû y ſuppléer
&participer dès-lors à la ſubverſion. Voilà la
premiere époque de cet événement mémorable..
Cette explofion n'a pu ſe faire fans que de
toutes ces matieres enflammées , les parties les
plus déliées ne ſe ſoient répandues dans l'atmofphere,
& n'aient perdu de leur denſité à meſure
qu'elles ont acquis de l'expanfion. Ces matieres
ainſi volatiliſées , mêlées avec celles que le volcan
a continué de vomir après få premiere explofſion,
ont dû ſuffire pour répandre ſur toute
'Europe un nuage de ſoufre qui a dû donner au
foleil & à l'atmoſphere une teinte rouge. Ce
nuage , devenu cauſe ſurabondante de chaleur
dans l'air , adû y augmenter l'action du feu élec
(133 )
trique , & occaſionner des- lors des chaleurs ex
ceffives , des orages violens ; c'eſt là la cauſedu
ſecond état du ciel, depuis le mois de Juillet
juſqu'en Octobre 1783 .
Enfin les vents du nord , éminemment doués
en effet d'une vertu diſſolvante , ſont venus purger
l'atmosphere de ce nuage malfaiſant , mais
c'eſt en y opérant une congélation exceſſive ,
c'eſt en y diminuant le fluide électrique , c'eſt
enyapportant les principes propres à opérer une
congelation. Voilà la cauſe du rigoureux hiver
qui , au tems où j'écris , ne paroît pas encore à
fon terme.
Si le témoignage de l'hiſtoire peut donner
un nouveau poids à mon opinion , je puis invo
quer ſon autorité avec avantage.
Tite Live nous rapporte que ſous les Confulats
de C. Martius & de T. Manlius Torquatus , il y :
eut des embraſemens du Véſuve dont les exhalaiſons
furent affez épaiſſes pour dérober la lumiere
pendant le jour aux habitans de Rome ,
& nox vifa eft interdiu in urbe Roma .... Dion
rapporte que lors d'un autre fameux embraſement
du Véſuve , arrivé ſous l'Empereur Verpafien
, le vent porta les cendres & la fumée que
vomiſſoit cette montagne , non-feulement jufqu'à
Rome , mais même juſqu'en Egypte .....
La chronique du C. Marcellin obſerve que ſous
le Conſulat de Marius &de Feſtus , cette même
montagne s'étant embraſée , les cendres qui en
ſortirent ſe répandirent par toute l Europe ...
Dans l'embraſement du mont Etna , arrivé en
1537 , la cendre fut portée à plus de 200 licues
de la Sicile , ſuivant l'hiſtoire de ce Royaume,&c.
L'Abbé TABOUET, Avocat,
Le 8 de Mai dernier , l'Académie Royale
des Sciences a élu M. Quatremere d'Isjon(
134 )
val , pour la place de Chymiſte , vacante
par la mort de M. Macquer.
On écrit d'Aix qu'une Demoiselle du nom
de *** , mariée à M. *** le fils , Préſident au
Parlement , a été trouvée égorgée dans ſon lit :
elle étoit fort jolie , & n'avoit pas 24 ans. Comme
il n'a manqué que fa bourſe , & qu'on n'a
point touché à ſes bijoux , ni à ſes diamans
ſoupçonne que des voleurs n'ont pas commis cet
attentat. Les domeſtiques & ſa femme de chanbre
ſe ſont rendus d'eux-mêmes en priſon.
,
on
Les Juin', vers midi & demie , le village de
Belloy-fur-Somme, firué ſur la route d'Amiens
à Abbeville , a eſſuyé le plus terrible incendie.
En moins des quarts d'heure , le Presbytere ,
l'Egliſe avec tous les effets qu'ils renfermoient ,
& 158 maiſons , avec tous les bâtimens en dépendans
, ont été dévorés par les flammes. II
n'eſt reſté que quinze maiſons aux différentes
extrémités du village , diſpoſées de maniere
qu'elles paroiffoient n'y être placées que pour
marquer la circonſcription. Le village entier eft
un champ : les habitans , au nombre de 8 à
900 , n'ont pu fauver qu'une partie de leurs
beftiaux , & ſe ſont diſperſés dans les villages
circonvoiſins. Ils font d'autant plus dignes de
compaffion & de ſecours , qu'ils ont effuyé dans
les premiers mois de cette année des ravages de
volcans , une maladie épidémique , qui a enlevé
uu très grand nombre de chefs de famille , &
qui avoient déja dévaſté ce malheureux pays en
1776.
Les Numéros fortis au Tirage de la Loterie
Royale de France, font : 31 , 11 , 16 ,
17 , & 2 .
( 135 )
DE BRUXELLES , le 10 Juin:
On ne fait ſur quel fondement on avoit
publié que la France alloit ouvrir un emprunt
de quatre - vingt millions en Hollande.
Il y a d'autant plus lieu de s'étonner
qu'on en ait répandu le bruit, que le cours
des effets publics de ce Royaume , l'abondance
du Numéraire , & la grande exactitude
des paiemens n'y annoncent aucun
beſoin.
Dans le Nº. précédent , nous avions parlé
des projets de liberté , & des démarches
de la Bourgeoiſie d'Utrecht. Cette effervefcence
paroît avoir allarmé les Etats de la
Province , qui en conféquence ont rendu la
publication ſuivante le 30 Mai.
Les Députés des Etats du pays d'Utrecht ,
ayant appris avec autant de regret que de mécontentement
, que l'eſprit de diviſion parmi les
habitant de cette Ville & du plat pays augmente
deplus en plus , &qu'il eſt à craindre que ſi la
licencequi commence àſe manifeſter à cet égard
n'eſt réprimée par l'exercice d'une juſtice rigoureuſe
, il en pourroit réſulter les ſuites les
plus pernicieuſes pour le repos public ; afin d'y
pourvoir , trouvent bon d'avertir un chacun de
ſe conduire comme il convient à de paiſibles
&tranquilles habitans avec déférence & refpect
pour la Régence légitime de ce pays , &
de ſe garder de donner quelque occafion au dérangement
du repos & union parmi les habitans
.
,
( 136 )
Défendant à cette fin , de la maniere la plus
férieuſe , à un chacun , de s'inſulter ou attaquer
par des paroles ou des faits , foit en ſe donnant
des noms injurieux , leſquels démontrent quelque
eſprit de parti : défendant auſſi ſans aucune acception,
les cris ſéditieux ou offenfans , lesprovocations
, les menaces ; comme auffi de tirer ou
montrer des armes ſur les chemins , rues , places
publiques ou ailleurs ; enfin toute contrainte ,
infulte , ou voie de fait envers qui que ce ſoit.
-Défendant également les affemblées non
convenables , les conciliabules , & en général
tout difcours offenfant pour la Régence légitime
du pays . Et afin de prévenir toutes diftinctions
lesquelles donnent lieu à des inſultes , nous
défendons de même à tous les habitans du plat
pays de cette Province de porter aucune marque.
distinctive de couleur quelconque qui puiſſe les
diftinguer des autres habitans , ou à démontrer
quelque parti : le tout fous peine de punition arbitraire
ſuivant l'exigence des cas , & même de
punition corporelle. Et afin que perſonne n'en
puiſſe prétendre cauſe d'ignorance , la préſente
fera affichée & publiée par- tout où beſoin ſera ,
&c. & c. &c.
Le 28 de Mai , M. le Duc de laVauguyon
prit congé des Erats - Généraux , en leur
adreſſant le Difcours ſuivant.
Hauts & Puiffans Seigneurs. Je viens m'acquitterdu
devoir , qui me reſte à remplir auprès
deVos Hautes Puiſſance. La Lettre de S. M. , que
Jai Phonneur de leur remettre, leur fera connoitre
la fatisfaction , qu'elle a daigné avoir de
l'ambaffade , qu'elle a bien voulu me confier ;
&elle leur offrira en même temps une nouvelle
preuve des ſentimens , dont j'ai eu le bonheur
(137 )
d'être ſi ſouvent l'organe. S. M. m'ordonne ,
en terminant ma carriere auprès de V. H. P. ,
de leur témoigner , de la maniere la plus expref.
five, la perſévérance de ſon Amitié & de fon
intérêt pour elles. Je me féliciterai toute
ma vie , HH. & PP. SS. , d'avoir vu , pendant
la durée de ma Miſſion , ſe former ,
s'étendre , & fe cimenter le ſyſtème d'une confiance
mutuelle entre S. M. & V. H. P. , qui
doit devenir la fource de la proſpérité de la
république , & la baſe de l'union de tous ſes
membres . J'éprouvai de tous les temps la plus
ſenſible fatisfaction , en apprenant que Vos
Hautes Puiſſances recueillent ces fruits précieux
dela ſageſſede leurs délibérations ; &je me flatte ,
qu'elles voudront bien être perfuadées , que ma
nouvelle deſtination , en donnant un terme à
mes fonctions auprès d'elles , ne fauroit mettre
de bornes aux voeux ardents , que je ne cefferai
de faire pour leur bonheur & leur gloire ,
ni au ſouvenir des témoignages d'eſtime , qu'elles
m'ont accordés , & dont je conſerverai à jamais
la plus vive reconnoiſſance,
A ce diſcours le Baron de Lynden , Seigneurde
Hemmen, qui préſidoit à l'Affemblée
de Leurs Hautes Puiſſances de la part
de la Province de Gueldre , répondit en ces
termes :
Monſeigneur l'Ambaſſadeur , LL. HH. PP. ,
ſenſibles à toutes les bontés du Roi , dont vous
avez bien voulu renouveller les aſſurances , m'ont
chargé de témoigner à Votre Excellence leur
fincere regret de ſon depart . Elles auroient fouhaité
( & permettez que j'oſe y ajouter mes
propres voeux ) qu'elle eût pu continuer encore
pourquelque temps les fonctions de ſon minif
( 138 )
tere auprès d'elles: Mais, le ſervice , de S. M.
exigeant vos foins ailleurs, elles vous ſouhaitent
unbon & heureux voyage , en vous priant de
vouloir donner de leur part à S. M. les affurances
les plus poſitives de leur déſir conſtantà donner
des preuves non équivoques de leur reconnoif
ſance pour les bienfaits du Roi , qui ſe ſont cant
manifeſté dans le besoin , & dont un traité,
fondé ſur le bonheur des deux Nations va
être la baſe. Elle ſe flattent , que vous voudrez
bien , quoiqu'abſent d'ici , continuer vos bons
offices pour conſolider une union , qui eft votre
ouvrage , & qui , ſelon les defirs de LL. Hн.
PP., fera la fource de la prospérité des deux
Nations.
,
Leurs Hautes puiſſances avoient chargé
leurs Miniſtres à Bruxelles d'une déclaration
proviſionnelle auprès du Gouvernement des
Pays-Bas. Ellesy témoignoient leur ſurpriſe
des nouvelles demandes de S. M. I. en annonçant
qu'elles alloient travailler à en examiner
l'objet. Il s'eſt répandu , mais fans fondement
encore , que cette démarche n'a pas
eu l'effet defiré, & qu'au préalable la Courde
Bruxelles a perſiſté dans ſes prétentions .
Le projet de l'affranchiſſement de l'Eſcaut
a allarmé tous les corps de l'Etat. Les Amirautés
, à ce qu'on dit , ont remis des Mémoires
à L. H. P. , pour leur repréſenter le
tort infini qui en réſulteroit pour la République.
Il eſt certain qu'elle fera croifer quelques
vaiſſeaux de guerre à l'embouchure de
l'Efcaut, pendant toute la durée des Conférences,
( 139 )
PRECIS DES GAZETTES ANGL.
Mademoiselle Macaulay , connue par une hiftoire
d'Angleterre aſſez eſtimée , malgré l'eſprit
de parti & l'emportement qui y dominent , va
partir pour les Etats-Unis : elle ſe flatte , diton
, d'y être Légiflatrice de ces contrées , &d'y
trouver plus de foi à ſes rêveries démocratiques
qu'on n'a voulu lui en accorder en Angleterre.
Tous les papiers Irlandois ont rapporté le fait
ſuivant : « Le Rouffeau , Capitaine Simpfon ,
chargé d'hommes , femmes & enfans émigrans
3> de ce pays - ci , eſt arrivé à Charlestown ; ſa
>> cargaiſon a été miſe envente. Une très-jolie
>> fille , nommée Nancy , a été achetée , dès la
>> premiere heure , à très bon prix. Son pere ,
>> fa mere & fa soeur furent vendus peu de temps
après : le frere , âgé de 12 ans , a eu lemême ככ
fort ».
L'intérêt que notre Monarque , écrit-on de
Naples , prend au ſuccès de l'expédition de notre
Eſcadre , ne fauroit ſe rendre. Pendant quatre
jours confécutifs , il s'eſt tranſporté à bord de
tous les vaiſſeaux où il a paffé la journée entiere
, dînant avec les premiers Officiers & encourageant
tous les Soldats. Avant- hier il ſe
tranſporta de nouveau à bord , accompagné de
la Reine. Leurs Majeſtés furent reçues au bruit
d'une double ſalve d'Artillerie; le Roi ſe rendit
enſuite à la maison de plaiſance du Feu Prince
de Francavilla , où il dina avec les Officiers de
l'Eſcadre ; & après le diner , il retourna à bord
avec le Prince héréditaire. Hier au foir , ΓΕΩ
cadre , après avoir fait les ſignaux accoutumés ,
appareilla : elle eſt commandée , comme on l'a
( 140 )
dit , par le Capitaine Bologna , qui a reçu ordre
de n'ouvrir ſes inftructions qu'à une certaine
diſtance en mer . On prétend que l'Eſcadre va
à Cartagene , pour s'y joindre à l'Eſcadre Efpagnole.
Les troupes embarquées fur cette Ef
cadre , confiftent, en un bataillon de troupes de
la marine , deux cens Grenadiers , Liparotes &
autres troupes . Les côtes de la Sicile feront protégées
contre les Barbareſques par les quatre
galeres de S M. , leſquelles ſont reſtées ici ,
& qui ſont prêtes à mettre à la voile au premier
ordre.
C
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ).
PARLEMENT DE PARIS.
Cause entre la Dame le Rafle de Vileneuvre &la
SieurB.... Curé de V
5
V.... S.... B....
Le Juge de Glize eft compétent pour connoître
des délits communs , commis par les Ecclefiaftiques
; & prononcer les réparations qu'ils exigent.
Le fieur B.... Curé de V.... .... ....
avoit ſuſcité différens procès aux ſieur & Dame
le Rafle de Villeneuve , qui avoient tourné à
fon déſavantage.-Ce mauvais ſuccès l'irrita de
plus en plus , & charitablement il chercha à
s'en venger. La Dame de Villeneuve avoit cou
tume de ſe placer dans la nef de l'égliſe , au bas
de la balustrade , près l'autel dédié à la fainte
Vierge , la baluſtrade lui ſervoit à s'appuyer , &
à poſer ſes livres.= Le Curé, en faiſant la cét
(1) On foufcrit pour l'Ouvrage entier , dont l'abonnement
eſt de 15 liv. par an , chez M. Mars , Avocat, rue
& Hôtel de Serpente,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères