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1783, 11, n. 44-48 (1, 8, 15, 22, 29 novembre)
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21.60 Mo
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497
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Texte
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Be Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe ; l'Annonce & Analyfe des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décou
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres , les Académies de Paris & de
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts; les Avis
particuliers, &c. &c.
SAMEDI I NOVEMBRE 1783 .
TH
CHATEAT
"
ROYAL
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue, des Poitevins .,
Avec Approbation & Brevet du Ro
OL
BRY
T. A BLE
PIÈCES
Du mois d'Octobre 1783 .
IECES FUGITIVES .
Vers faits pendant mor fèjour
à Anet ,
AM. Dupré de Saint-Maur,
Invitation à dîner à Albine ,
Chienne de Mme Ad**. ib.
L'Electricité , Ode, 49
30
Hiftoire Littéraire de la Ville
d'Amiens ,
Edipe , Trag de Sénèque , s
Hiftoire de la Ruffie, 56
Effais fur l'Hift ire de la Société
Civile ,
Eloge de Fontenelle ,
Réponse aux Vers de Mllede Les Euvres d'Horace ,
Gaudin ,
Chacun afes goûts,
La Mort du Pauvre ,
A Mile Ch ***
53
Les Deux Saurs ,
68
104
114
119
ib. Voyage aux Ifies de lipari , 127
Memoire furla Colique, 167
Differtation fur les Brouil
lards fecs ,
97
99
100
Chanfon fur le Globe Aëoroftatique
,
Nice , ou la parfaite indif
férence ,
19
SPECTACLES,
145 Comédie Italienne ,
A Madame la Marquife de
Montchal ,
Chanfon ,
172
3
39
1481
147 VARIÉTÁS. *
Le Modèle des Frères , Conte , Reponfes au premier Extrait
82 151 des Doutes ,
Lettre aux Auteurs du Mer- Charades , Enigmes & Logo
gryphes , 7 , 55 , 102 , 165
NOUVELLES ITTER.
cure ,
Nécrologie ,
174
134
Erreurs Populaires fur la Mé - Annonces & Notices , 43 , 91 ,
decine , 139,186
A Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. JA
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Côme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI I NOVEMBRE 1783 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
STANCES
Sur la Mort de M. l'Intendant de Tours.
Qu'A des yeux afflicés tout change de couleurs !
Hélas ! ces bords rians du Cher & de la Loire ,
Qui n'aguères m'offroienr tant d objets enchanteurs ,
Ne fe retracent plus à ma trifte mémoire
Que pour faire couler mes pleurs!
OLE plus douloureux de tous les facrifices !
Que de regrets amer‹ répandus fur nos jours !
Il n'est donc que trop vrai ' nous perdons pour toujours
Cet Etre bienfaisant qui faifoit nos délices ,
La gloire & le bonheur de Tours.
Il ne fongea jamais qu'au bien, qu'il pouvoit faire.
Il tira l'indigent de ſon oifiveté;
A ij
4 MERCURE
C'est lui qui , le premier , guidé par la bonté ,
Sut aux travaux publics le rendre néceſſaire
Par des fecours de charité. *
SAGE Adminiſtrateur d'une grande Province ,
Le pouvoir en fes mains fut le bonheur de Tours ;
De l'aifance du Peuple il prit un foin jaloux ,
Et fit bénir par-tout l'augufte nom du Prince
Qui veut être un Père pour nous.
1
S'IL aimoit à répandre au ſein de l'indigence ,
Dans le tréfor public il ne puifa jamais ;
Ses dons reftoient cachés dans l'ombre du filence ;
Şans le cri douloureux de la reconnoiffance ,
On cût ignoré fes bienfaits.
O vous! dont il rendit le féjour plein de charmes,
Vous , qu'il cut dans fon coeur jufqu'aux derniers
momens ,
A l'afpect de vos quais , de vos beaux monumens,
Senfibles Tourangeaux , vous direz avec larmes
Son nom à vos heureux enfans .
* C'eſt à M. du Cluzel qu'eft dûe la première idée des atteliers
de charité , adoptés aujourd'hui par le Gouvernement,
& établis dans toutes les Généralités du Royaume.
DE FRANCE.
VERS à Mademoiselle ALEXANDRINE,
âgée de 13 ans , à Bruxelles.
TROIS luftres à peine complets
Ont ouvert le bouton des fleurs de ton enfance ,
Et déjà tes brillans progrès
Des auteurs de tes jours ont paffé l'efpérance.
Sans t'éloigner du paisible réduit
Où tu vis fous les loix d'une agréable mère ,
Ton précoce génie , à l'aide de la ſphère ,
Dans de plus vaſtes champs par ton père conduit ,
Parcourt agilement l'un & l'autre hémisphère.
Mais quand , choifi par ton fenfible père ,
Je dois de tes talens favorifer l'effor ,
Et des aimables Arts t'entrouvrir la carrière ,
Ne t'effarouches point de ten nouveau Mentor.
Oui , les jeux font faits pour ton âge ,
Et de ton fexe , en tous les temps ,
Les Grâces furent l'apanage..
Va , je n'effrayerai point leurs charmes innocens ;
Ton précepteur nouveau , fur ton joli vilage ,
Ne transportera point l'ennui des noirs pédans
Et n'ira point méler le houx trifte & fauvage ,
Aux tendres rofes du printemps.
Oui , bel enfant , foit que tes doigts agiles ,
Courant légèrement fur des touches mobiles ,
Forment des fons mélodieux ;
if
A iij
MERCURE
Soir que ta voix agréable & fonore ,
Mariée aux accords d'un luth harmonieux ,
Chante le vieux Titon près de la jeune Aurore ,
Les baifers parfumés de Zéphyre & d: Flore ,
Ou le foudre bruyant du fouverain des Dieux ;
Soit qu'aux accords puiffans d'une vive mufique
Tes pieds jolis en mefure exercés ,
Dans un ordre à la fois joyeux & fymétrique ,
Avec grâce effleurant le parquet élaftique ,
Expriment des pas cadencés ;
Soit qu'une favante magie
Sous ta main , par l'accord des ombres & des jours ,
Des objets applatis bombe aux yeux
les contours,
Fixe fous tes pinceaux la Nature affervie ,
Et des couleurs empruntant ' e fecours ,
Lui donne fur la toile une feconde vie ,
Et retrace à nos yeux fes plus brillans atours ;
Phiftoire offre à ra vûe
Soit que
Des travers des humains l'effrayante étendue ,
L'oppreffion du Peuple & les forfaits des Grands ,
Pour un Roi bienfaiteur mille infâmes tyrans ,
Le foible des loix la victime ,
Et les loix cédant au plus fort ,
Et l'innocence fans fupport,
Et l'impunité pour le crime ;
Soit que la poéfié étalant fes trésors ,
Porte au fond de ton coeur ces céleftes accords
Que le génie échauffe de fes flammes ,
DE FRANCE.
7
Mépris des fots , plaifir des grandes âmes ;
Ces tableaux enfantés d'un fouffle créateur ,
Ou tout fe féconde , s'anime ,
Refpire , fe colore , agit , penfe & s'exprime ,
Qui divertiffent l'homme en le rendant meilleur ,
Où toujours entraîné par un charme enchanteur ,
De jouiffance en jouiffance
L'honnête homme avec complaifance "
Aime à le reconnoître & retrouver fon coeur ;
Soit qu'enfin la morale au févère vifage
Se déridant pour toi t'étale fes leçons ,
Et; fur un océan en bute aux Aquilons ,
Vienne , Pilote adroit , te fauvèrent de l'orage ,
Et fans les extirper , régler tes paffions.
Ah ! calme ta follicitude ,
J'enlacerai de fleurs les travaux de l'étude ;
En quel genre peut- on manquer de réuffir ,
Quand il eft infpiré par la voix du plaifir ?
Moi- même , en cultivant ta jeuneffe charmante ,
Je verrai cette fleur naiffante
Sous mes yeux chaque jour s'accroître & s'embellir
Lorfque ton printemps va fleurir ,
Mes jours feront à leur automne :
Quelque fleuron de ta couronne
Jufqu'à moi pourra rejaillir,
J'y verrai mon ouvrage , & c'eft encor jouir.
Par M. de Saint-Péravi. )
A iv
8 MERCURE
ROGER SORTANT DE L'ISLE D'ALCINE ,
Romancefur un Airfait par Mme DE ***.
SOMBRE Forêt , ou - vre-
3
moi ta re - trai · te ; Je cherche en
vain le re Pos & la paix.
DE FRANCE.
9
De mes douleurs , con- fi - den te fe-

cret- te Ca che ma
honte & re- çois mes
-ere-
grets.
Je ne fuis plus ce Guerrier redoutable ,
Par la Vertu , par l'Amour couronné ;
En trahiffant l'objet le plus aimable ,
Devoir , honneur , tout fut abandonné.
u
A v
10
MERCURE
D'UN oeil trompeur déplorable victime ,
Il eft trop vrai , je n'ai pu l'éviter.
Mais Bradamante eût prévenu le crime ,
Et je devois ne jamais la quitter.
QUAND je croyois défendre l'innocence ,
Au piège affreux je courois me livrer.
Funefte erreur ! hélas ! fans la conftance ,
Quel homme eft sûr de ne pas s'égarer ?
PERFIDE Fée , en vain tu veux prétendre
Au foible honneur de m'avoir fu charmer ;
A mes remords ne vas pas te méprendre :
Non , non , jamais Roger n'a pu t'aimer.
LORSQU'A l'enfer tu demandas des armes ,
Ce qu'il t'offrit ce fut la volupté ;
Mais ce bonheur d'un amour plein de charmes ,
Far les enfers ne peut être imité.
QUE dis-je ? fourde à ta vaine prière ,
La Volupté n'a pas dû t'exaucer :
Fille du Ciel , on la voit à Cythère
Suivre l'Amour , & non le devancer.
QUEL eft le fruit de tant de perfidie ?
A tes liens échappé pour jamais
J'en aime plus celle que j'ai trahie :
Ton fouvenir ajoute à fes attraits.
O DE mon coeur unique fouveraine !
DE 11 FRANCE.
Rends à Roger tout ce qu'il a perdu s
Par fon amour , ainfi que par fa baine ,
Ne dois tu pas juger de ſa vertu ?
VEILLES fur lui comme un Dieu tutélaire ,
Son repentir t'affure de ſa foi ; 贳
C'eſt en t'aimant , c'eſt en voulant te plaire
Qu'il peut encore être digne de toi.
}
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eſt Banqueroute ;
celui de l'Enigme eft Orage ; celui du Logogryphe
et Encyclopédie , où l'on trouve
Edipe , Ciel , Io , cil , Pole , Enée , Cyclope
, pied , Penée , Pó , Nil , Pinde , pic ,
Pie , pin , Lyon , Dièpe , Dôle , Clio.
CHARADE.
Mon premier eft un jeu très-commun au village ; ON
Le Juif de mon fecond ne fait jamais ufage ;
Mon tout de Polymaie eft la plus belle image.
ENIG ME.
SANS te
ANS terme ni repos , d'un cours sûr & certain ,
Ami , je vais d'un fi grand train ,
A vj
12 MERCURE
Que l'aigle , auprès de moi , n'eft qu'un vrai cul-dejatte.
Le froid , le chaud , le jour , la nuit , tout m'eft égal.
Je fuis femme pourtant , mais fort pen délicate.
Ceci va t'étonner ; j'aime mon air natal ,
Et bien qu'à voyager je fois toujours forcée ,
Je n'en fortirai point , ou l'on dira pourquoi.
Sur tout ceci , Lecteur , exerce ta penſée ; .
Si tu bronches , morbleu , tu peux compter ſur moi.
( Par M. San..... )
LOGO GRYPH E.
JE réunis chez moi , par un rare affumblage ,
Le Bel- efprit , le Sot , le Riche , l'Indigent ,
Le Fou , l'Homme fenfé , l'Ambitieux , le Sage ,
Le Prince & le Soldat , le Juge & le Client.
Les Talens & les Arts , jadis à leur aurore ,
Jouiffent aujourd'hui du fort le plus brillant,
Et dans mon fein enfin chaque jour voit éclore ,
Par un charme nouveau , quelque nouveau talent.
J'ai rajeuni l'Amour; autrefois trop conftant ,
Il étoit loin d'avoir les grâces du bel âge ;
J'ai confulté les goûts d'un fexe intéreffant,
Et , grâce à fes talens , je l'ai rendu volage.
Sous un pareil afpect il paroît plus riant.
Mais cleft affez , tâchons de nous faire connoître,
Je vais me défunir . Courage , écoute mor :
DE FRANCE
13
Cinq pieds , ami Lecteur , compofent tout mon être.
Tu trouveras d'abord un des fils d'un vieux Roi ,
Guerrier, qu'on nous a peint plus amoureux quefage ;
Une production qui vient de l'étranger ,
Et qui fert à nourrir le Nègre en efclavage ;
Ce qu'on fait chaque fois qu'on veut fe remuer ;
Ce qu'on fait très-fouvent en regardant jouer ;
Ce dont le Matelot doit favoir faire uſage
Pour régler à fon gré la marche du vaiſſeau ;
Un titre très- ancien , auffi rare que beau.
Eft- ce tout ? Non , ma foi. Faut-il que je m'explique ?
Je ne faurois finir fans note de mufique.
(Par M. le Ch. de Saint - Gervais , Officier
au Régiment de Picardie. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
D'OLBREUSE , ou l'Homme du Siècle
ramené à la vérité par le fentiment & la
raifon , Hiftoire Philofophique , par M.
Loaifel de Tréogate. in - 8 ° . deux Parties.
Nous ne vivons que deux momens >
Qu'il en foit un pour la fageffe.
A Paris , chez Belin , Libraire , rue Saint
Jacques , près S. Yves.
ON
comme a
Na long- temps regardé les Romans
genre de Littérature frivole , &
14 MERCURE
quelquefois dangereux. Il faut convenir
qu'en France ils ont été trop fouvent , ou
des productions dénuées d'imagination & de
raifon , ou des Ouvrages propres à gâter le
goût , ou , ce qui eft encore pis , des peintures
dont les honnêtes gens font révoltés .
Heureuſement les Anglois ont imaginé de
tourner ces fortes de fictions à des chofes
utiles , & de les employer pour inspirer
l'amour des bonnes moeurs. Les Romans
de ce genre font peut être la meilleure
inftruction qui reste à donner à une Nation
prefque indifférente fur ce qu'on appelle le
beau & le bon , & aff: z corrompue dans fa
frivolité pour que tout autre lui foit inutile.
Tel eft le but qu'on s'eft propoſé dans l'Ouvrage
que nous annonçons. « La raiſon
» froide , dit on dans la Préface , qui , à le
» bien prendre , eft cependant la raison ,
" n'eft pas du reffort de tout le monde. Sa
" marche eft infenfible ; la voix n'eft enten-
» due que du petit nombre , & les hommes
qu'elle fédait font toujours ceux qui ont
le moins befoin qu'on les éclaire . » Rien
n'eft plus vrai que cette obfervation . Le
chirme du ftyle & l'intérêt des fituations ,
dans un Livre qui nous montre l'homme en
action fur la scène changeante de la Société ,
rendent les leçons de la philofophie plus féduifares,
& la morale plus utile . Il faut nous
remuer pour nous convaincre. L'Auteur pa
roît , à beaucoup d'égards , avoir bien rempli
ce but. Voici le plan de fon Ouvrage.in 4
"
DE *
I'S
FRANCE.
D'Olbreuſe & Ernance naiffent en Bretagne
de parens diftingués , tant par la naiffance
qué par d'anciens fervices militaires . Tous
deux en naiflant ont déjà une conformité de
malheurs , puifqu'ils coûtent le jour à leur
mère. Le Marquis d'Olbreufe & le Baron de
Nicéphore , père d'Ernance , d'amis qu'ils
étoient auparavant , fe rapprochent encore
par cette triste conformité de deftinée . Les
deux enfans font mis dans un berceau commun;
le mêine fein les allaite ; & ils fucent
avec le lait l'inftinct de la fympathie.
Dès l'âge le plus tendre d'Olbreuſe en
reffentit les effets invincibles : il ne pouvoit
quitter Ernance ; mais lorfque l'adoleſcence
accomplit les charmes de l'une , & donna à
l'autre une faculté de plus , les feux de l'amour
le plus pur , & en même- temps le plus
violent , coulèrent dans toutes leurs veines.
Dans la fécurité de l'innocence ils fe laiffoient
aller à la loi de la Nature , qui les obligeoit
de s'aimer. Pour alimenter le feu qui les
dévoroit , le Roman d'Héloïfe leur tomba
entre les mains ; & c'eft dans ce Livre tout
de flamme qu'ils puisèrent des modèles .
-Cependant on deftine d'Olbreuſe au métier
des armes , & l'on conçoit l'idée af
freufe qu'il fe fait d'une féparation . Ernance
le confole , lui peint la nobleffe de l'état
qu'il va embraffer. Il faut lire avec attenrion
les fentimens héroïques que M. de
Tréogate lui fait définir . Dans tout l'Ouvrage ;
c'eft la plus parfaite des femmes , c'eft un
16 MERCURE
Ange qu'il ne ceffe de peindre . D'Olbreufe
obtient de l'emploi dans un Regiment , &
erre , comme c'eft l'ufage , de garnison en
garnifon. L'Auteur profite de la profeflion.
qu'il donne à fon Heros , pour faire des réflexions
très-faines fur l'oifiveré de nos Soldats
dans leurs garnifons , fur la tactique
fauffe & inutile à laquelle on les exerce ; il
annonce même à ce sujet un projet de difcipline
militaire , qu'il doit publier dans la
fuite. D'Olbreufe eft perfifflé par les camarades
, qui le regardent comme un homme
d'un autre fiècle , parce qu'il ne s'affocie pas
à leurs travers : bientôt ils s'accoutument à
ce qu'ils appellent fa bizarrerie , & lui témoignent
de l'indifférence . Il eft piqué à fon
tour de cette espèce d'abandon : fon amourpropre
lui dicte le jargon des cercles à la
mode. Tout change alors pour lui : il eft
prôné , fêté dans toutes les Sociétés , & fe
perfuade enfin que la réputation d'un hom-.
me aimable vaut bien le titre d'homme
utile. Au bout de trois années d'abſence , il
reparoît dans la maifon paternelle ; & c'eft
pour voir mourir , dans l'efpace de quelques
mois , fon père & celui de fa chère Ernance .
Reftés feuls dans l'Univers , ils ne pensent
plus qu'à s'unir . La cérémonie ſe fait dans
le château d'un oncle d'Ernance ; & les gens
fenfibles ne liront pas , fans l'intérêt le plus
touchant , les préparatifs & les plaifirs de
leur hymenée .
Les devoirs de d'Olbreuſe l'éloignent de
DE FRANCE. 17
fa nouvelle époufe ; il paroît à la Cour pour
folliciter des grâces , que fon mérite pouvoit
lui faire obtenir. Il fe trouve barré par des
gens plus intrigans , & par conféquent plus
habiles. Il fe dégoûte bientôt des follicitations
, & va chez un vieux Seigneur oùblier
les refus des Miniftres , & les démarches
inutiles. ...
C'est ici que commencent les égaremens
de d'Olbreufe. Il fe trouve à la campagne
avec une veuve , jeune & féduifante. Il fait
une fi vive impreffion fur elle , qu'elle l'en
avertit par mille avances que leur délicateffe
& le grand ufage du monde font paffer.
Il eft foutenu long temps par l'image de fon
époufe; il fuit & cherche le danger , & finit
par fe rendre coupable. Quitté bientôt par
l'objet de fon parjure , il vient à Paris pour
fe diftraire; & c'eft dans ce gouffre de vices
& d'erreurs qu'il oublie tout - à fait Ernance .
Pour s'étourdir fur les remords qui s'élèvent
encore dans fon coeur , il paffe en revue les
Laïs du jour ; il ne refpire plus que le fouffle
empoisonné des voluptés qu'elles infpirent ;
il a même la baffeffe d'en afficher une publiquement
, de l'entretenir ſcandaleufement
avec un bien que réclamoient les gémillemens
de la vertu fouffrante. Cependant fa
fortune ne lui permet plus de continuer fur
le même pied fon défordre ruineux . Forcé de
diminuer les préfens , fa maîtreffe eft , comme
de raifon , forcée de le quitter.
D'Olbreufe , ennuyé des courtifannes ,
18 MERCURE ?

complette fes crimes en portant la féduction
dans les premières claffes de la Société. Il
devient homme à la mode à force de ridi
cules , & home adoré à force de perfi
dies. Il ajoute tous les jours des victimes à
la lifte de fes trophées aviliffans. Il lui mans
quoit un triomphe plus diftingué , ou , pour
mieux dire , plus odieux , c'étoit la Comreffe
de *** , nouvellement arrivée dans la capitale ,
prodige d'innocence & de candeur, qui faifoit
les délices d'un époux refpectable. D'Olbreufe
ne s'occupe plus qu'à porter l'incendie dans un
coeur neuf , qui ne s'étoit point encore ou
vert à l'impreffion du defir. Il eft fervi dans
fes projets par une vieille Baronne , qui lui
fournit les occafions de commettre de nous
veaux attentats. Les progrès de la défaite de
la Comteffe font nuancés avec beaucoup
d'efprit. C'étoit une femme vertueufe , dont
il avoit faifi le premier moment d'erreur :
effrayée de l'abyme où elle vient de fe jeter ,
elle fe fait horreur à elle-même ; elle s'ar
rache des bras de fon féducteur, & va aux ge
noux de fon mari lui avouer fon déshonneur.
D'Olbreuſe ne connoiffoit point la frénéfie
du jeu. Le rôle éclatant qu'il avoit joué
dans le monde, l'avoit engagé à des dépenſes
au deffus de fa fortune. Hors d'état de rem
plir fes obligations , il fe trouve entraîné
dans une de ces maiſons où tant de fortunes
s'engloutiffent. I joue machinalement , &
gagne des fommes confidérables . Amorcé
par le bonheur , il y retourne les jours fuiDE
FRANCE. 19
vans . La chance lui tourne le dos . Il achève de
fe runner, de perdre toutes les reffources, & engage
fur la parole jufqu'à l'héritage de fes pères.
Ceft dans cet etat qu'il rentre chez lui ,
prefque depourvu de la faculté de fentir.
Après avoir paffe une nuit affreufe , le fomi
neil fur le matin fufpendoit fes chagrins ,
loifqu'il eft réveillé en fu faut par un hom
me d'environ cinquante ans . C'étoit l'époux
de la Comteffe , qui venoit demander raifon
à fon fuborneur . Tout ce morceau est un des
plus frappans du Roman. Il le fuit ; ils fe
battent ; le Comte eft défarmé & bleffé.
D'Olbreufe veut le fecourir, il en eft repouffé
avec le dernier mépris. Il entend de fa bou
che, pour la première fois , les vérités dûes à
fes égaremens. Le voile fe déchire : il éprou
ve toute la torture des remords. Une lettre
qu'il reçoit du Comte , qui lui annonce que
fon époule va mourir du malheur de l'avoir
connu , les outrages mérités qui y font
joints , le portent au dernier excès de trouble.
Il fort de chez lui , parcourt les rues en
démence , ne fait où il va , ni ce qu'il va
devenir ; c'est dans ce moment qu'il eft enveloppé
, faifi , défarmé , chargé de chaînes ,
& conduit dans les prifons à travers toute
une populace.
Ses créanciers avoient obtenu arrêt contre
lui. Le voilà dans un cachot , s'abreuvant de
l'amertume de fon fort ; il étoit perdu dans
le chaos de l'abyme , lorfqu'il reçut le billet
du Comte.
20 MERCURE
ور
"
"
"
« Ma femine recouvre le repos avec la
fanté. Elle eft enfin perfuadée que les re-
" grets ont expié fes offenfes , & que les
pouffer trop loin , ce feroit mettre des
≫ bornes à la clémence d'un Dieu. Ses terrears
s'évanouiffent , elle fe jette dans mes
bras ; fes laries coulent fur mon fein.
Elle commence à croire qu'elle fera ref-
» pectable encore , puifqu'elle est toujours
refpectée. Nous partons pour nos Terres ;
» nous fuyons pour jamais cette ville maudire
, qui te rendit le profélyte & l'égal du
» méchant ; mais le ciel me venge ; je fuis
» inftruit de ton fort affreux. Hélas ! il me
» touche encore ; & je t'écris pour t'apprendre
que ma femme & moi nous te
pardonnons , que les maux que tu nous as
" faits fe font moins fentir. Puiffe cette nou-
» velle adoucir tes remords , & te rendre
moins malheureux . »
29
"
90
ן נ
Le Comte de ***.
On va voir avec quelle éloquence énergique
M. de Tréogate peint ce changement de
fituation .
" Qu'on le figure un homme arraché avant
» d'être étouffé de deffous les décombres
» d'un édifice où il étoit enfeveli , on aura
" une idée de l'effet que produifit fur moi.
» cette nouvelle. Un poids énorme ceffa
» d'accabler mon coeur , un nuage épais
d'obfcurcir ma vûe. C'étoit le crépuscule
" d'un beau matin après une nuit paffée dans
» des rêves épouvantables , ou plutôt c'étoit
ود
DE FRANCE. 21
le retour de la mort à la vie. Quand de
» deux grandes douleurs une s'efface , l'autre
» devient auffi moins poignante . Ce mo-
» ment lucide me délivra de mon refte de
ور
""
32
""
frénéfie , rue rendit aux fentimens doux ,
» aux paffions aimantes , au trifte plaifir de
réfléchir & de raifonner fur mon fort.
Mon époufe devient l'unique objet de
" mes tendres fouvenirs , & là feule caufe
de mes pleurs. Les regrets , les penfers
» touchans de l'amour revivent dans mon
fein , & j'ofe m'y abandonner avec une
volupté dont je n'étois pas digne. Ma fen-
» fibilité renaît plus véhémente que jamais ;
» je me retrouve capable d'aimer. Douleur
" aiguës , tourmens intérieurs , c'eft alors
» que vous vous tournez pour ainfi dire en
plaifirs dans le coeur du coupable , & que
» le ciel le puniroit s'il le privoit de fes re→
» mords. »
""
-
C'est dans un de ces inftans que la porte
de fa prifon s'ouvre , & que fa femme fe
jerre évanouie dans fes bras. Elle avoit tout
appris , tout arrangé. A fa vûe les coeurs
d'airain s'étoient rendus ; elle venoit faire
tomber les fers ; une fucceffion qu'elle avoit
reçue lui en donnoit le pouvoir. Ils partent
enfemble ; ils quittent Paris pour jamais . En
chemin , d'Olbreufe forme le projet d'une
retraite dans un Monaftère , où il expie pendant
trois mois fes erreurs. La vie exem
plaire du Prieur & des bons Religieux porte"
le baume & la confolation dans fon coeur
22 MERCURE
fenfible. Il revient aux pieds d'Ernance avec
toutes les vertus primitives.
Le Roman continue par le récit charmant
de leurs occupations & de leurs plaifirs.
Une fille vient combler leur felicité . Ils employent
leur temps & leurs foins à l'elever
à la rendre digne deux ; ils lifent les Ouvra
ges de Voltaire , de J. J. nouffeau , de M. le
Comte de Buffon . Ils apprennent la mort du
Philofophe Genevois ; & , comme de concert,
ils fe propofent d'aller en pélerinage à
fon tombeau. Ils vititent cet afyle pailible.
C'eft dans l'ifle des peupliers qu'ils verfent
kurs larmes les plus douces , & ils les offrent
en libations aux mânes de ce grand
Homme.
L'Ouvrage fe termine par la mort de l'incomparable
Ernance . Sa fille meurt enfuite
du chagrin d'avoir perdu ſa bonne mère ; &
d'Olbreuſe , ifole fur la terre , fe courbe fans
murmure fous le bras vengeur d'un Dieu
jufte. Il n'eft plus ému que du defir de fe
réunir , & de revoir dans un monde plus
heureux fon Ernance & le fruit de leurs
amours.
Ce Livre refpire d'un bout à l'autre l'amour
folide de la vertu , & décèle dans fon
Aureur des qualités bien eftímables . Dans le
nombre de Brochures futiles dont nous fommes
inon lés , il eft flatteur de fe diftinguer
d'une manière auffi utile . M. Loaizel de
Treogate paroît s'être noutti des Ouvrages de
J. J. Rouſſeau ; il femble être le héros de
DE FRANCE 23
que
fon coeur. Nous n'admettrons pas cepen
dant entièrement fes fentimens fur lui , ainfi
fur M. de Voltaire. Ce que nous pourrions
ajouter ou retrancher à l'efpèce de parallèle
qu'il en fait , nous meneroit trop lein.
Une tâche pareille n'eft pas faite pour être
l'acceffoire d'un Roman.
On voit que le plan de cet Ouvrage eft
fimple. L'intérêt n'en eft point divife ; feule .
ment il ne fe développe pas affez vîte dans
la première Partie , & l'Auteur s'abandonne
trop fouvent à des réflexions très belles ,
mais qui font longueur. Quant au ftyle , nous
avons fait une citation qui doit le faire juger
de nos Lecteurs . Il est toujours paffionné ,
fouvent élégant , & préfente quelquefois des
images délicieufes. Les heureux jours que
coulent les deux époux dans leur retraire ,font
tracés avec une philofophie attendriffante.
Le tableau des derniers momens d Einance ,
eft d'un coloris rouchant & pur.
Nous regrettons de ne pouvoir ajouter à
cet article quelques citations. L'endroit où le
Comte de *** vient demander raiſon à d'Olbreufe
de l'outrage qu'il en a reçu , eft admirable.
Nous aurions voulu tranfcrire rout
le Difcours que M. de Tréogate met dans
la bouche des courrifannes , pour faire du
moins gémir fur leurs malheurs. Son but eft
de prouver qu'elles ne doivent le plus fouvent
leur ignominie qu'à la cruauté des hommes.
Il eſt en total auſſi bien penſé que bien
écrit . Le tableau que l'Auteur fait des feing
24
MERCURE
mes galantes de la Société , de ces êtres foibles
qui font excufer leurs folies par leurs
charmes , & fouvent par les qualités de leur
âme , annonce un Philofophe indulgent ,
qui connoît à fond les travers aimables de
notre bonne compagnie.ntnu .
* Nous ne diffimulerons pas néanmoins que
l'Auteur, pour vouloir donner trop d'énergie.
à fon ftyle , ceffe quelquefois d'être naturel
& lumineux. Plufieurs endroits font revêtus
d'une logique abftraite qui ne fera point à
la portée de tous les Lecteurs , & M. de
Tréogate mérite d'en avoir beaucoup . Au
refte , ce font des taches aifées à faire difparoître
dans une nouvelle Édition , & qui
n'influent point fur le but moral de l'Ouvrage.
VOYAGE en Provence , ou Lettres des
M. B *** , de plufieurs Académies , Cenfeur
Royal, écrites à fes Amis d'Orléans ;
Recueillies par M. C. de V. A Marſeille.
M. Bérenger ( car nous croyons pouvoir
fupprimer les trois étoiles qui le cachent )
cft connu par plufieurs Ouvrages de Poéfie
où l'on trouve une verfification aifée , dest
tours heureux , de l'harmonie , un ton poéti
que , l'amour des bonnes inceurs & de la
vie champêtre , & le talent de les peindre
avec intérêt. Il publie aujourd'hui un Recueil
en profe , qui doit lui donner un nouveau
titre à la célébrité littéraire. Cette corref
pondance ,
13
DE FRANCE. 25
pendance , pendant un voyage qu'il a fait
en-Provence , fa patrie , eft écrire avec élégance
& pureté. Elle forme un Recueil varié
& femé de détails piquans . On fent bien
que toutes les Lettres ne font pas fufceptibles
du même intérêt ; mais toutes ont le
mérite du ſtyle , & plufieurs y joignent celui
dy fonds & des détails. Nous allons en détacher
quelques fragmens qui juftifieront ces
éloges.
Le Volume commence par une Épître ,
déjà imprimée , au Père Papon . Les premières
Lettres ont plus de légèreté que de fonds.
On lira avec plus de plaifir la cinquième ,
qui renferme une defcription intéreffante ,
quoique fuccincte , de la ville de Toulon.
Mais nous ne réfifterons pas à l'envie de
tranfcrire une partie de la treizième , en regrettant
ce que nous ferons obligés d'en
fupprimer. On y trouvera des détails qui
prouvent qu'un Ecrivain , qui parle de ce qu'il
a vû , a un énorme avantage fur celui qui n'a
fait que lire; ils feront prefque neufs , même
pour un très grand nombre de Lecteurs
qu'on a fouvent entretenus des mêmes objets
. Les trois tableaux qu'on y trouve forment
un contrafte piquant.
" Pendant mon féjour à Saint - M... , chez
M. J. , le hafard a rapproché en ma faveur
trois fcènes en trois jours , dont je conferverai
éternellement la mémoire. »
" J'ai vu le départ d'une Flotte Royale ;
j'ai vu l'arrivée d'un Convoi du Levant ; j'ai
No. 44 , 1 Novembre 1783 .
B
26 MERCURE
vû le retour de plufieurs vaiffeaux de Ligne
délâbrés , rafés , dépeuplés . Que de réflexions
philofophiques ! que de fentimens
agréables ou douloureux ces contraſtes font
naitre ! mon coeur ni mon efprit n'y peuvent
fuffire ..... »
C'étoit vers les trois heures après midi :
un coup de canon fit appareiller ; un fecond,
déployer toutes les voiles ; & le vaiffeau Amiral
ayant le premier pris le vent , vira de
bord , & enfila le canal qui jette en haute
mer. Le rivage fut incontinent bordé d'une
foule innombrable : on y accouroit de la ville ,
des villages & de toutes les campagnes voifines.
Les vaiffeaux de partance , pompeufement
décorés de pavois fleurdelifés , & de
flammes de toutes couleurs , paffoient à notre
vûe , en faluant les forts , qui leur rendoient
la même décharge. Les tillacs étoient
couverts de monde : chacun braquoit fa lorgnette
; on s'appeloit , on fe répondoit , &
les échos étoient fatigués de ce vacarme. Au
milieu de ce vafte appareil , la mufique militaire
retentiffoit au loin , comme un concert
fur l'eau. Ailleurs les cris d'une joie infenfée
fe méloient dans l'air aux accens
étouffes des plus lamentables adieux ; de malheureux
enfans , des femmes éplorées , agitées
de finiftres preffentimens , tendoient
leurs bras , & s'inclinoient mille fois , lorfqu'ils
voyoient paffer devant eux la frégate qui
leur enlevoit, peut être , hélas ! pour toujours ,.
un père , un époux , un ami. Cependa" les
DE FRANCE. 27
ود
vaiffeaux , riches d'agrêts & de décorations ,
fe fuivoient majestueufement au nombre de
plus de vingt ils paroiffoient fe toucher,
& marchoient pourtant à la diftance d'un
quart de lieue les uns des autres. Tandis que
les premiers fe trouvoient déjà loin de nous ,
& paroiffoient comme peints au fond de
l'horizon , les derniers débouquoient le canal
, & forçoient de voiles pour atteindre les
Amiraux , & fe former en conferve. En moins
de deux heures , toute la Flotte fut ralliée ,
& difparut comme enveloppée de vapeurs ."
Changement de fcène : le lendemain ,
la même heure , on fignale une Flotte ; -le
canon tire. Elle eft Françoife. Grand houlvari
! elle approche rapidement ; la voilà
dans le détroit. Quelques vaiffeaux de 74 ,
environ trente petits navires fur leur left ,
& nombre de frégates compofoient cette
malheureuſe Efcadre. Ce n'étoit plus ces
proues richement peintes , ces banderolles
flottantes , ces équipages frais & complets ,
& cette alégreffe univerfelle dont les éclats
m'avoient frappé la veille. Non , mon trèscher
ami , non ; je ne voyois que des vaif--
feaux défagréés , louvoyant filencieuſement !
du Midi au Nord , & du Nord au Midi ,
pour avancer vers la rade en zigzaguant. A
mefure qu'ils le rapprochoient de la côte ,
à droite ou à gauche , la foule accouroit
demandant avec d'horribles palpitations de
coeur : Mon père , mon fils , mon mari
vit-il ? Eft il là ? Où eft il ? Er les vaif-
-
Bij
28 MERCURE
feaux d'aller , & mille cris de redou
bler. Appercevoit on , ou croyoit - on
appercevoir celui que d'avides regards cherchoient
, une joie folle dans fes démonftrations
, mais fublime en fon énergie , écla
toit foudainement.... Un affreux porte voix
faifoit il retentir ces mots tragiques : Il eft
mort? Les cris du defefpoir , le faififfement
de la terreur , & la pâleur de la mort ellemême
, offroient fur ce même rivage , des
fcènes fatigantes à l'excès pour l'homme
trop fenfible qui en étoit le témoin....
Une multitude infinie de Soldats , de
Matelots , d'Officiers eftropiés , tronqués ,
éborgnés , qu'on débarquoit fur le rivage ; le
nom de ceux qui avoient péri pendant la
campagne ; le récit des misères attachées à
tous les voyages de long cours , que de
chofes que le pauvre genre humain doit oublier!...
& qu'il feroit néceffaire de rappeler
aux Rois , lorfqu'ils font prês de figner
une Déclaration de Guerre ! ....... Plectuntur
Achivi,
Mais détournons nos regards de ces fcènes
fangiantes , pour les repofer fur un tableau
plus agréable & plus confolant.
On fignale encore une Flotte , non de
celles qui font l'image impofante de la gran
deur des Monarques , & qui partent pour
les extrêmités du globe , chargées de minif
tres de leurs vengeances , mais une Flotte
Marchande de plus de 60 voiles. Quatre Frégates
lala convoyent , rôdent à l'entour , prefDE
FRANCE
fent les traîneurs , ramènent les dérivans ,
rallentiffent les oifeaux. Je crois voir , fi les
petits objets peuvent fe comparer aux grands ,
des mères- poules veillant fur leurs pouffins ,
les raffemblant fous leurs aîles , les conduifant
, les protégeant par - tout avec de tendres
inquiétudes.
" Les Marins , dont le coup d'ail eft fi
exercé , reconnoiffent déjà les vaiffeaux ; ils
Les comptent , ils les nomment tous . Les Négocians
, les Armateurs , tous les Citoyens'
accourent , tranfportés d'alegreffe. Là , font
les meilleurs vins de Chio , les fruits mûris
par le foleil d'Afie & d'Afrique , les moiffons
de Mocka , les gommes précieufes d'Arabie
, les cotons de Salonique , les foies de
Smyrne , les effences de Chypre & de Malte
, les perles de l'Inde , les productions de
tous les climats . »
"
Quel fpectacle merveilleux ! les vents
frémiffant dans les cordages ; les cris des
Matelots travaillans à la manoeuvre au fon
d'un fifflet aigu ; le fourd bruiffement des
Aots écumeux que fend un rapide fillage ;
des coups de canon de loin en loin ; tout cet
enfemble tumultueux , mais ordonné , eft
l'âme du plus beau concert qui puiffe remplir
les oreilles , & du plus magnifique opéra
qu'ait jamais inventé l'homme , pour don
ner à l'homme une preuve de fa puiffance
& de fon génie. -"
Nous regrertons auffi de ne pouvoir citèr
la quinzième Lettre. On y lira une defcrip-
Buj
30 MER OURE
64
>
tion des jeux publics , particuliers à nos
Provinces Méridionales. Nous citerons , le
plus plaifant. On lie les jambes des athlètes :
ils fautent , bondiffent , tombent & fe relèvent
, avancent vers le but comme des pies
fautillantes , & font tout en nage loriqu'ils
y touchent : vous ririez de les voir obligés
de tirer toutes leurs forces de leurs reins
lever les bras en l'air à chaque bond , fermer
leurs deux poings , fe laiffer checir ,
fe redreffer foudain ...... Leurs regards inquiers
, ardens , pleins de feu , tantôt jetés
fur leurs concurrens , tantôt fixés vers le but ,
prefque jamais arrêtés fur les fpectateurs
font éprouver à ceux- ci , & l'agitation qu'inf
pire un fort intérêt , & les tranfports qu'arrache
une fubite admiration. >>
Nous terminerons cet article par un trait
tiré d'un exercice Littéraire , dont l'Auteur
avoit été témoin dans un Collège . Ce n'étoit
pas une de ces Séances Académiques , auffi atiles
qu'intéreffantes, dirigées par le goût , & pro
pres à éveiller & nourrir l'émulation: " C'étoit,
dit M. Bérenger , an hiftrionage révoltant ,
où les Écoliers , déguifés & fardés , après
avoir joué des Scènes détachées des Fourberies
de Scapin , du Légataire , de l'Avocat .
Patelin & du Médecin malgré lui , finirent
par fe traveftir en Saltimbanques , pour exécurer
un éternel Ballet. L'orcheftre étoit
affez bon ; l'affemblée brillante , emplumée ,
empanachée , ambrée , mais confule &
bruyante à l'excès . Un coup d'archet fit avanDE
FRANCE.
31
cer les Figurans , qui n'exécutèrent pas mal
les premières entrées ; mais un jeune étourdi
ayant perdu le deffin de fa figure , un autre
en fit autant ; quatre Danfeuts brouillèrent ;
& tout alloit manquer , fi deux RR. PP . en
froc & en cuculle , ne fuflent preftement
fortis des couliffes pour renouer le fil du
labyrinthe. En vérité , ils prirent ces jolis
enfans par la main , exécutèrent un pas de
deux , & fe retirèrent tout doucement de
côté , en dirigeant habilement les Acteurs ,
& du doigt & de l'oeil . »
ESSAIS fur la Vie & fur les Tableaux du
Pouffin. A Rome , & fe trouve à Paris ,
chez Lejay , Libraire , rue Neuve des
Petits Champs , près celle de Richelieu .
IL eft facile , à certains égards , d'écrire la
Vie , c'est à dire , les faits hiftoriques d'un
grand Peintre , d'un Sculpteur , d'un Homme
de Lettres célèbre ; fouvent leur vie ne pré-
- fente que très- peu de faits à raconter. Mais
pour être leur digne Hiftorien , il faut plufieurs
qualités dont la réunion eft auffi difficile
qu'eftimable. Il faut parler de leur ta-
·lent , non pas en homme qui l'a entendu
juger , mais en homme qui fait l'apprécier
lui-même ; il faut faire connoître leurs monumens
, leurs ouvrages , avec le fentiment
du génie qui les a produits ; en faifant Philtoire
de leurs travaux , il faut préfenter la
gradation de leurs progrès , c'eft- à- dire , pé-
B iv
32 MERCURE
nétrer le fecret de leur Art ; il faut , en déployant
la critique que l'intérêt des Arts
exige , ne pas oublier le refpect qu'on doit à
la mémoire de fon Héros ; il faut fe garder
de meure le fanatifme aveugle à la place
d'une jufte admiration ; il faut rendre hommage
au génie , fans être injufte envers fes
rivaux ; il faut enfin , ce qui n'eft pas facile ,
joindre Penthouſiaſme des Arts & des talens
au langage de la raiſon.
Parini les vies eftimables de nos Artiſtes ,
qui , à la vérité , font en petit nombre , il faut
compter celle dont nous avons à parler , &
qui paroît fous le titre modefte d'Effaisfur
la vie & les tableaux du Pouffin.
1
Ce Peintre celèbre , comme le dit fon
Hiftorien , eut la même patrie que Corneille
, il naquit en Normandie , à Andely ,
l'an
594. Ses parens , nnééss nnoobblleess ,, étoient
honnêtes , mais pauvres. Comme la plupart
des grands Hommes , avant de parvenir à la
gloire , il eut à combattre la misère , qui eft
fi difficile à vaincre , & l'obſcurité qu'elle
rend plus difficile à percer ; & après y être
parvenu , il ſe vit en butte aux perfécutions.
Que cette lutte avec le malheur a caufé de
tourmens au génie ! Elle a retardé les progrès
, & dévoré le temps qu'il auroit donné
à fes premiers chef- d'oeuvres ; elle lui a laiffé
le fentiment de fes forces , en lui ôtant la
faculté de les employer.
Le Pouffin , dès fon enfance , annonça un
goût ,irrésistible pour le deflin ; il deflinait
DE FRANCE.
13.3
fur fes livres tous les objets qui frappoient
fon imagination . Il en fut grondé fouvent ,
parce qu'on appeloit cela gâter fes livres
mais Quentin Varin , qui preffentit fans
doute fon talent , engagea fes parens à le lui
pardonner. A dix huit ans il vint à Paris , où
un jeune Seigneur du Poitou lui fournit un
afyle , & les moyens de fe livrer à l'étude.
« La Peinture , dit fon Hiftorien , étoit
» alors an bercean. Avant François Premier ,
» la profeffion de Peintre n'étoit pas féparée
de celle de Vitrier. On faifoit de mauvais
portraits , on peignoit des vitraux
d'Églife. » Il parut enfin quelques Peintres ,
que le Pouffin ne jugea pas dignes d'être fes
modèles ; & il ſe mit à copier des deffins &
des eftampes de Raphaël & de Jules Ro
"
main.
1
Le Pouffin ayant été obligé d'accompa
gner fon Mécène , les mépris qu'il effuya de
la mère de ce jeune Gentilhomme , le firent
retourner à Paris. " Il fallut travailler fur la
" route , peindre pour vivre. » Il fit pour les
Capucins de Blois deux tableaux médiocres ;
fans fa fâcheule pofition , il n'en eût fait
qu'un , & il l'eût bien fait.
Depuis ce moment , il perdit plufieurs
années à combattre l'infortune. Il tenta plus
d'une fois le voyage de Rome ; & il fur toujours
obligé de revenir far fes pas . Ce fut en
1623 qu'il réuffit à voir cetre Capitale des
Arts. Il y trouva & perdit prefque en même
temps plufieurs protecteurs ; & il fe vit fans
By
34 MERCURE
reffource dans une ville où fon ftyle n'étoit
pas le ftyle préféré à peine trouva - t’il. 14
écus de deux tableaux de bataille , dignes du
talent qu'il a montré depuis.
Après avoir encore lutté contre l'indigence
, il parvint enfin à vaincre le préjugé
établi contre fes Ouvrages ; & la fupériorité
de fon talent fut reconnue . Sa réputation
s'étant répandue en France , M. des Noyers ,
alors Secrétaire d'État , & Surintendant des
Bâtimens du Roi , lui offrit mille écus d'appointement
, avec un logement au Louvre ,
qu'il refufa d'abord , qu'il accepta enfuite ;
& le Roi , auquel il fut préſenté à Saint- Germain
, le nomma fon premier Peintre , lui
donna mille écus d'appointement , & lui
commanda deux grands tableaux , l'un pour
la Chapelle de Saint- Germain , l'autre pour
celle de Fontainebleau . Ces faveurs éveillèrent
l'envie qui appela la perfécution ; &
le Poulin ayant trouvé des prétextes pour
fon départ , retourna à Rome , où il fe fixa
pour toujours. Ce fut là l'époque de fon repos.
Louis XIV lui fit payer exactement la
penfion que Louis XIII lui avoit accordée ;
& enfin le Pouffin n'étant plus forcé de courir
après la fortune , enfanta un fi grand nom
bre de chef d'oeuvres , qu'il parvint au faîte
de la gloire. Il - mourut en 1665 , âgé de
71 ans. )

T09:5 :
Il étoit fier & modefte , défintéreffé ,
franc , fenfible , & vécut dans la plus grande
fimplicité. Le Cardinal Mancini , qu'il recon
DE FRANCE.
3f
#
ور
"

lui
sduifoit une lampe à la main , le blâma de
n'avoir pas un Valet pour le fervir : « Je vous
plains bien davantage d'en avoir tant ,
répondit il . » Les Grands le recherchèrent ,
dit fon Hiftorien ; il les vit fans tranfport
& fans trouble ; il les étonnoit par la force
de fes difcours , par la beauté de fes penſées ,
& fon génie recevoit d'eux l'hommage qu'il
rendoit à l'éclat de leur rang .
*
و د
"
ود
39
*
Le Pouffin et un des Peintres qui ont le
mieux connu le beau Idéal ; ce qui le remplit
de vénération pour les anciens , chez lefquels
feuls on peut le trouver . Cette idée
fournit à l'Auteur de la vie une fage obſervation
fur l'École Flatnande , qui , comme
on fait , n'eft pas pour le beau Idéal. « Ils le
dédaignent , vous dit- on ; c'eft la Nature
» qu'ils aiment , c'eft la Nature qu'ils copient
, c'eſt la Nature qu'on voit dans leurs
Ouvrages. Eh ! que m'importe dans un
tableau la réunion de vingt têtes com-
» munes , dont je ne connois pas les origi-
» naux ? C'eſt un beau caractère , une grande
expreffion que je defire ; c'eft la fineffe ,
» la gravité , la majefté d'une tête que je recherche
. Je n'aime point la lance d'Achille
dans la main d'un nain décharné , quoique
fouvent la force s'uniffe à la maigreur ,
à la petiteffe de la taille. Je ne veux point
» que Laure foit laide , fi l'on me peint
Pétrarque foupirant à fes pieds , quoiqu'elle
le fût en effet. La poftérité , qui
» ne connoît les grands Hommes que par
"
ود
"
* 33
93
B vj
3.6
MERCURE
و د
לכ
les faits qui font dignes d'elle , dont l'imagination
s'exalte , s'agrandit , s'embellit ,
en fongeant aux Scipion , aux Céfar` , aux
Brutus , eft bleffée de leur voir des formes
» Flamandes , & choquée quand on leur
piête l'attitude & l'action d'un pelant
Bourguemeftre Hollandois. On ne doit
» rendre certaines difformités que quand
elles font confacrées par l'Hiftoire ou par
» la Sculpture.
"
39-
""
Le Pouffin avoit étudié tous les Arts qui
peuvent fervir à la peinture. Malgré fa fécondité
, dit fon Hiftorien , & la profonde
connoiffance qu'il avoit de l'Anatomie , il
ne prête pas à fes figures des attitudes forcées
comme Michel Ange & le Carrache : fécond
comme Rubens , il évite les incorrections
de fes defins & de fes compofitions ; favant
comme Lebrun , il n'eft pas froid comme
ce Peintre. Au refte , notre Auteur ne diffimule
pas qu'on a eu raifon d'accufer le
Pouffin de manquer quelquefois de coloris ,
& d'avoir des contours durs & fecs. Il lui
reproche lui même d'avoir peint la Sainte-
Vierge recevant des linges mouillés des mains
d'un Ange , pour effuyer l'Enfant Jéfus ; il
regarde comme une plaifanterie déplacée
cet Enfant qui témoigne qu'il a trop bu de
l'eau que Moïfe fait fortir du rocher , &c.
&c. Ce qui prouve qu'il a fu ſe garantir
d'un aveugle fanatifme. Nous invitons nos
Lecteurs à lire les defcriptions qu'il fait des
DE FRANCE. 17
Ouvrages du Pouflin. Nous n'en citerons
qu'une au hafard .
ל כ
61
""
Lifez Anacréon , & Catulle & Chaulieu ,
» tous les Poëtes Érotiques , ils ont fenti
» que l'idée d'une mort éloignée comma-
» nique à l'âme , au milieu des plaifirs , une
» douce mélancolie , un fentiment d'in-
» quiétude qui donne plus de prix aux doux
objets dont nous craignons la perte. Leurs
OEuvres fout remplies de ces rapproche-
» mens. Où les voit on plus délicatement
placés , plus ingénieufement imaginés
plus fimplement exprimés que dans l'Arcadie
du Pouffin ?
ود
و د
33
Auprès d'un vieux tombeau , dans un
» bois folitaire , deux jeunes amans écoutent
» la lecture d'une infcription que déchiffre
» avecpeine un vieillard ; il lit : Erin arcadia
» ego. Ah! je vécus auffi dans l' Arcadie. Ces
» mots donnent aux vifages du Berger & de
fa maîtreffe une teinte de langueur , que
le Pouffin feul pouvoir failir , & prête à
l'imagination ce que la poéfie la plus fubtile
ne pourroit peut être pas décrire. »
93
22.
33.
Nous croyons que ces Effais feront lús
avec plaifir. L'Auteur , pénétré du charme
des Beaux- Arts , en parle avec fentiment
avec un fage enthoufiafme ; & il raifonne
fur l'Art en juge éclairé,
*38
MERCURE
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE féjour de la Cour à Fontainebleau n'a
permis de donner aucune nouveauté fur će
-Théâtre , on y a continué alternativement
les repréfentations d'Orphée , d'Atys & de
Renaud. Mlle Saint- Huberty , de retour d'un
voyage qu'elle a fait dans les Provinces Méridionales
, où fes talens ont été couronnés par
les fuccès qu'elle avoit droit d'attendre , a
reparu dans le rôle de Sangaride , de l'Opéta
2
Atys ; elle a été revue & accusillie par ·le
Public de la manière la plus flatteufe , &
que mérite un talent auffi diftingué . Mlle
Maillard continue dans le rôle d'Armide , de
l'Opéra de Renaud , de juftifier les encoura
gemens que le Public lui accorde , & les efpérances
que donnent fon âge , fa voix pure
& fenfible, & un jeu naturel & animé , que
le travail perfectionne chaque jour . M. Rouffeau
, qui chante depuis quelques repréſentations
le rôle d'Orphée , y a obtenu & mérité
-un fuccès décidé , il y a montré de la fenfibilité
, un goût de chant , un art à ménager
fes moyens , qui lui ont valu les plus grands
applaudiffemens.
DE FRANCE.
39
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Dimanche 19 Octobre , on a remis le
Cabriolet Volant , on Arlequin Mahomet ,
Drame en quatre Actes , par M. de Cailhava.
Cet Ouvrage , donné pour la première
fois en 1770 , n'étoit d'abord qu'un canevas
fur lequel les Comédiens Italiens improvifoient
, en fuivant la route tracée par l'Auteur.
Il eut du fuccès , c'eft à dire , qu'il fut
goûté par les Amateurs des Arlequinades..
Depuis , M. de Cailhava l'a fait imprimer
dans le fecond Volume de fes OEuvres Dramatiques
, après s'être donné la peine d'en
remplir les Scènes. Quelques uns de ces Critiques
, dont l'oeil s'attache avec févérité far
les productions des Auteurs Comiques , ont
été furpris que l'Auteur du Tuteur Dupé attachât
quelque prétention à une folie , ingénieufe
à la vérité , mais d'un genre trop
burlefque, on pourroit même dire trop trivial,
pour être placée dans une collection de Pièces
écrites , penfées & conduites dans les principes
de la faine raifon & de la bonne Comédie.
La fenfation qu'a produite dans les efprits
de la Capitale , la découverte des
moyens qui peuvent faire mouvoir , donner
Feffor , & même guider en quelque façon
les machines aujourd'hui nommées aéroftatiques
, a engagé M. de Cailhava à faire reparoître
fon Drame , en y ajoutant quelques
40 MERCURE
détails relatifs aux circonftances. Mais ces
détails n'ont rien changé au fonds de l'Ouvrage
dans lequel l'Auteur paroît n'avoir
eu qu'un feul but : celui de ridiculifer les
Drames proprement dits. Voici une trèscourte
analyſe d'Arlequin Mahomet. l

> Un Méchanicien a fait préfent à Arlequin
d'un cabriolet volant , dont il fe fert
pour échapper à la pourfuite de fes créanciers.
Arrivé dans un pays étranger , il apprend
qu'une Princeffe ayant refufé d'épou
fer an Roi qui demandoit fa main , s'eft
enfermée dans une tour pour ſe ſouftraire
à la fureur de l'amant dédaigné qui vient la
chercher à main armée. Arlequin prend le
coftume de Mahomet , entre dans la tour à
Paide de fa machine , s'y annonce comme le
Prophète , y eft révéré , adoré , & finit par
tuer le Prince affiégeant , en lui caffant la
tête avec une marmité .
Ceux qui connoiffent les Mille & un Jours
verront fans peine qu'un des Contes à dormir.
debout , renfermés dans cette bizarre Collection
, a fourni en partie l'idée du Drame de
M. de Cailhava. Quoique la remife qu'on
vient de faire de ce Drame ait eu quelques
fuccès , il faut pourtant convenir qu'elle n'a
pas produit un effet auffi général qu'en 1770 .
La raifon en eft fimple. Nous rendons volontiers
juftice au zèle , au travail , anx efforts
de M. Corali dans le rôle d'Arlequin ;
mais il y a loin de ce zèle , de ce travail &
de ces efforts au talent du célèbre Carlin.
DE FRANCE. 41
Cet Acteur , inimitable dans fon genre , donnoit
au rôle , aux plaifanteries , aux fitua
tions du faux Mahomet , une valeur qui eſt
morte avec lui. Il y a long temps que le perfonnage
fantaftique d'Arlequin n'eft regardé
par les bons efprits que comme une caricature
du plus mauvais goût , & faite plutôt
pour être admife fur un Théâtre encore
dans fon enfance , que pour être tolérée fur
une Scène raiſonnable , & dans un fiècle de
philofophie. L'ingénuité , les grâces , le naturel
, les mouvemens fouples & moëlleux ,
la gefticulation intéreffante , & pour ainfi
dire enfantine ; en un mot , tous les moyens
propres au comique conventionnel qui appartient
à ce perfonnage, & dont la Nature &
l'Art avoient entouré le célèbre Bertinazzi ,
faifoient oublier les réflexions les plus faines
& les mieux fondées . La raifon & le goût par
loient en vain ; le plaifir leur impofoit filence ,
& le Critique le plus fourcilleux, après avoir
apperçu Carlin , fe trouvoit forcé de dire ,
comme le Balive u de la Métromanie :
J'ai ri , me voilà défarmé.
Il n'en n'est plus de même aujourd'hui. Le
perfonnage eft à nud ; ce qu'il a de choquant
& d'invraisemblable , n'eft plus déguifé ou
caché par les reffources inépuifables d'un talent
auffi agréable qu'extraordinaire , & fon
règne eft paffé. Nous n'ignorons pas qu'il lui
refte encore des partifans , mais ils font en
petit nombre ; & , quelques efforts que l'on
42 MERCURE
*
faffe , il eft à préfumer qu'on ne verra bientôt
plus fur la Scène Françoiſe un perſonnage
emprunté des bouffonneries Italiennes , &
digne en effet d'un Théâtre dégénéré. On
prefume que les Arlequins que Italie appelle
encore Zanni , font une imitation des
Mimes , que les Latins appeloient Sanniones.
Si cela eft , on doit penfer que cette
efpèce de bouffons étoit fort goûtée à Rome ,
puifque Cicéron a dit : Quid enim poteft
tam ridiculum quàm fannio eſſe , qui , ore ,
vultu , imitandis motibus , voce , denique corpore
ridet in ipfo ? Mais , malgré le refpect
qu'on doit à Cicéron , on peut croire qu'il
a cédé au goût de fon temps & de fon pays ;
& que fi le Théâtre Romain avoit acquis
une certaine perfection , & s'étoit rapproché
de la vérité , Rome auroit méprifé ces Mimes ,
comme les Grecs ont dédaigné les tréteaux
de Thefpis.
ANNONCES ET NOTICES.
HISTOIRE Phyfique , Morale , Civile & Politique
de la Ruffie ancienne , par M. Leclerc , Écuyer ,
Chevalier de l'Ordre du Roi , & Membre de plufieurs
Académies . Tome II . A Paris , chez Froullé ,
Libraire , Pont Notre- Dame , vis - à - vis le quai de
Gévres ; à Versailles , chez Blaizot , Libraire du
Roi & de la Famille Royale , rue Satory .
Nous avons rendu compte de deux Volumes de
cet Ouvrage important par les recherches qu'il fuppofe
, & par les richeſſes biftoriques qu'il renferme.
DE FRANCE. 143
22
21
Nous attendrons une autre Livraiſon p
notre Analyſe.
·
pour continuer
DISCOURS de Lycurgue , d'Androcide , d'Ifée ,
de Dinarque , avec un Fragment fous le nom de
Démade , traduits en François par M. l'Abbé Auger,
Vicaire Général du Diocèfe de Lefcar , de l'Académie
des Infcriptions & Belles Lettres de Paris & de
celle de Rouen, Prix , 4 liv . broché. A Paris , chez
Alexandre Jombert jeune , fucceffeur de Charles-
Antoine Jombert fon père , Libraire du Roi pour
l'Artillerie & le Génie , rue Dauphine , à l'entrée à
droite par le Pont- Neuf; Debure fils aîné ; Théophile
Barrois , Libraires , quai des Auguftins .
Voilà déjà nombre de Traductions que nous
devons à cet eftimable & laborieux Écrivain . Nous
rendrons compte de celle- ci quand l'abondance des
matières nous le permettra.

Les Après- Soupers de la Société , petit Théâtre
Lyrique & Moral fur les Aventures du jour ,
dix- neuvième Cahier , Fome V, & vingtième Cahier.
A Paris , chez l'Auteur , rue des Bons- Enfans , la
1. porte - cochère vis- à - vis la cour des Fontaines du
Palais- Royal.
1
1
Le premier de ces deux Cahiers contient Agrippa
d'Auvigné , Comédie en un Acte & en vers , avec
deux Pièces Fugitives ; & le fecond renferme les
Negres , Comédie en un Acte & en profe , à l'occafion
de la Paix . Nous en rendrons compte inceffamment.
Nous nous contenterons de dire ici que le
fuccès de cet Ouvrage fe foutient toujours .
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Polfie Françoife , Tome XXVII A Paris , chez les
Editeurs , rue de la Juffienne , vis - à- vis le Corps- de44
MERCURE
garde , & chez Mérigot le jeune , Libraire , quai des
Auguftins , au coin de la rue Favée.
Les Volumes de cette intéreffaute Collection fé
fuccèdent avec beaucoup plus de rapidité ; ils nous
ont mis en retard ; nous parlerons au plus tôt des
derniers , qui font encore plus intéreffans que ceux
qui ont précédé.
SPARTACUS , Tragédie. Prix , 1 livre 10 fols. A
Amſterdam ; & fe trouve à Paris , au Cabinet Littétaire
, Pont Notre Dame ; la Veuve Duchefne , Libraire
, rue S. Jacques du Tmple du Goût
Vente , Libraire , rue des Anglois & à la Comédie
Françoife ; Ménigot l'aîné , Libraire , Boulevard S.
Martin, vis-à- vis de l'Opéra ; Legras , Libraire ,
quai de Conti , en face du Pont-Neuf ; Brunet , Libraire
, rue de Marivaux & à la Comédie Italienne.
Cette Pièce n'eft pas la Tragédie de M. Saurin
qu'on a revue dernièrement au Théâtre ; mais c'eft
le même Héros qui en a fourni le fujet. Celle- ci
avoit été lue aux Comédiens , qui avoient demande
à l'Auteur des corrections avant que celle de M.ª
Saurin fùt connue. L'Auteur ne cherche point à
accufer cet eftimable Académicien de Plagiat ; il
ne veut que s'en laver lui- même.
DESCRIPTION des Eaux de Chantilly & du
Hameau , par M. le Camus de Mezières , Architecte.
A Paris , chez l'Auteur , rue du Foin S. Jacques ,
au Collège de Me Gervais ; Morin , Libraire , rue
S. Jacques , à la Vérité ; Belin , Libraire , rue Saint
Jacques. 1 vol . in- 8 ° . de 125 pag. Prix , 2 liv. 8 f.
Les Jardins de Chantilly font connus & admirés
des François & des Étrangers , & les détails allégoriques
qu'en donne M. le Camus , peignent
d'une manière un peu trop allégorique les beautés
de ce lieu enchanteur , qu'on voit & revoir
DE FRANCE.
45.
i
toujours avec un nouveau plaifir, Ceux qui n'ont pas
vu la partie du Jardin , qui n'existe que depuis 1780 ,
& qu'on appelle le Hameau , liront avec plaifir la
defcription qu'en fait l'auteur,
PORTRAIT d'Étienne & Jofeph Montgolfierfrères,
nés à Annonay , en Vivarais , deffiné & gravé par
Delaunay le jeune , d'après le bas relief de M.
Houdon , Sculpteur du Roi , fait en 1783 , pour
fervir de modèle à la Médande qui a été frappée en
leur honneur . Prix , a liv. 4 fols. A Paris , chez l'Auteur
, rue & porte S. Jacques , No. 112 .
On lit ces vers au bas de ce portrait :
Montgolfier ,', que l'Europe entière
Ne fauroit affez révérer ,
A des airs franchi la carrière ,
Quand l'oeil de fes rivaux cherche à la meſurer.
CONSIDERATIONS fur le Globe Aéroßatiques!
par M. D. **** . Prix , 12 Cols avec la figure.
A Paris , chez Lejay , Libraire , rue Neuve des Petits-
Champs , près celle de Richelieu , au grand Corneille£
& chez les Marchands de Nouveautés. S
L'Auteur de cette Brochure , après avoir expliqué
comment le Globe Aéroftatique s'eft élevé dans
l'air , entreprend de prouver comment on pourroit
le conduire à volonté. Si l'on a pu , dit- il par de
fecours de l'Art , donner au balon une déterminas
tion directe dins l'atmosphère on pourroit de les
ment/utengdonner une horizontale. Nous revoyons
à la Brochure même pour les moyens qu'il propsfe.
Nous ne ferons point l'analyse de certe " ResicBure
parce qu'elle feroit à la portée de peu de Lecteurs.-
2192
TRAITE de la Ponctuation , extrait de divers
462 MERCURE
Auteurs, avec un Effai fur l'ufage des Lettres Capitales
, & un modèle de la Ponituation . Troisième
Édition conforme à la feconde . Prix , Lliv. 4 fols.
A Paris , quai & près de l'Églife des Théatins.
La multiplicité des Éditions de cet Ouvrage prouve
qu'il a été accueilli. Il eft terminé par une Géographie
en vers , ou Méthode pour apprendre facilement,
& en peu de temps , la Géographie aux
jeunes perfonnes.
OBSERVATIONS fur les Ombres colorées , consenant
une fuite d'Expériences fur les différentes coueurs
des Ombres, fur les moyens de rendre les Ombres
colorées , & fur les caufes de la différence de
leurs couleurs par H. F. T. Prix , 2 livres . A Paris ,
chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue S. Jacques ;
& fe trouve à Bruxelles , chez H. Dujardin , Libraire
, Montagne de la Cour.
On favoit déjà ( & M. de Buffon en parle dans
un de fes Mémoires lus à l'Académie des Sciences )
que les Ombres qui ne devroient être que noires ,
puifqu'elles ne font que la privation de la lumière ,
font toujours colorées au lever & au coucher du
Soleil ; mais perfonne n'avoit encore approfondi
cette matière, C'eft ce qu'a voulu faire l'Auteur dé
cet Ouvrage curieux & utile . Par le réſultat de fes
Expériences il a trouvé qu'on pouvoit même ſe
paffer de la lumière du Soleil pour avoir des Ombres
colorées , & que pendant la nuit on pouvoit
leur donner différentes couleurs. Dans fa première
Partie il traite de ce qui eft néceflaire pour avoir
des Ombres colorées ; dans la feconde , des différens
moyens de fe les procurer, & des diverfes cou-,
leurs qu'elles ont dans divers cas ; dans la troifième
Partie l'Auteur examine d'où peut provenir ce phé
nomène.
DE FRANCE. 27
TROIS Sonates pour le Clavecin , avec Accompagnement
de Violon ad libitum , par M. le Baron
de Rumling , Chambellan & Intendant de la Mufique
de S. A. S. Mgr. le Duc régnant des Deux-
Ponts , OEuvres I & II . Prix , 6 liv. chacun port franc
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc , rue Traverfière
- Saint-Honoré , au Magafin de Mufique.
SIX Duos pour Violon & Alto , par M.
Lebrun , OEuvre IV. Prix , 7 liv. 4 fols port franc
par la pofte. A Paris , chez M. Leduc, à l'Adreffe
ci -defTus.
TROIS Sonates pour le Clavecin ou Forté- Piano ,
avec Accompagnement de Violon , par Valentino
Nicolaï , OEuvre VII . Prix , 6 liv. port franc
pofte. Même Adreffe.
par
la
NUMERO 9 du Journal de Clavecin , par les meilleurs
Maîtres. Violon ad libitum , Andante de M.
Piozzi . Eh ! comment veux - tu que je vive? De
Renaud , arrangé par M. Charpentier père , Allegro
, de M. Elin de la Cadre .
Rondeau , par
C Mme Lebrun Air varié , par M. Charpentier
fils Prix , 2 livres 8 fols. A Paris , chez M. Leduc ,
tue Traverfière-Saint Honoré. Abonnement 15 liv.
pour douze Cahiers.
Le nom de Mme Lebrun qu'on rencontre fouvent
dans ce Journal y donne un nouveau prix.
NUMÉRO 10 da Journal de Harpe , par les
meilleurs Maîtres . Violon ad libitum . Un Andante
& un Menuet , de M. Meyer. Le Duo de
Blaife & Babet & la Romance , de M Léonard ,
Mufique de M. Legal de Furcy , Accompagnement ,
par M. X ***. Même prix & même Adreffe que
ci-deflus.
MERCURE
4
CHIMENE & Rodrigue, ou le Cid , Opéra en
trois Actes , par M. de Rochefort , de l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles - Lettres. Prix ,
I-liv . fol. A Paris , chez Michel Lambert & F. J.
Baudouin , Imprimeurs- Libraires , rue de la Harpe ,
1783 .
LES deux Portraits , Comédie en un Acte ,
en vers libres ; repréſentée pour la première fois par
les Comédiens Italiens ordinaires du Roi , le 24
Octobre 1783 , par M. Desforges . › Prix , 1 livre
fols. A Paris , chez les Libraires ci - deffus ,
GALERIE Philofophique du feizième fiècle , par
M. de Mayer , 2 Vol. in- 8 °. Prix , 10 liv. A Londres
; & fe trouve à Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , rue des Mathurins , hôtel de Ciuny .
Nous rendrons compte de cet Ouvrage qui a
fait honneur à fon Auteur , & dont nous n'avons
différé l'annonce qu'avec regret.
·les
Pour les Annonces des Titres de la Gravurë ,
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez
Couvertures.
STAN
TABLE .
TANCES fur la Mort de fophique ,
M. P'Interdant de Tours, 3oyage en Provence ,
Vers à Mlle Alexandrine ,
13
24
Efais fur la Vie & fur les
Roper fortant de l'Iflc d'Al Tableaux du Pouffin , 31
cine ,
8
Charade , Enigme & Logo
gryphe ,
Acad. R. de Mufique ,
Comédie Italienne , 39
11 Annonces & Notices , 42
D'Olbreufe , Hiftoire Philo-
APPROBATION.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 1 Novembre . Je n'y ai
rien er anvé qu: puifc en empêcher l'irupteilion. A Pants ,
le 31 Cctobre 1783 GUIDL. 1 24
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 8 NOVEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PRose.
STANCES A SILV I E.
LE retour du Printemps embellit nos climats
Le Printemps difparoît , & l'Été prend ſa place ;
Autli rapidement l'Automne arrive , paffe ;
L'Hiver ramène les frimats.
TEL eft l'arrêt des deftinées ;
Ce paffage continuel
Et des faifons & des années ,
Tout parle , tout nous dit que rien n'eft immortel.
LE Dieu du jour au fein de l'onde
Éteint l'éclat mourant de fes feux amortis ;
Mais bientôt des bras de Thétis
Il s'élance , & la nuit profonde ,
No. 45 , 8 Novembre 1783 .
C
50 MERCURE
Qui d'un crêpe lugubre avoit voilé les cieux,
Recule & fuit devant l'aurore ;
Le jour renaît plus pur encore ,
L'air s'enflamine de nouveaux feux.
Pour nous , Ô ma chère Silvie ,
Aujétis aux loix d'un févère deſtin ,
Quand le cifeau de la parque ennemie
A coupé le fil de la vie ,
Pour retourner au jour il n'eft plus de chemin .
IL en eft encor temps , ô ma belle maîtreſſe ,
Le foleil de nos jours eft prêt à s'éclipfer ;
Jouiffons des momens que la parque nous laiffe :
Jouir du temps c'eft le fixer.
PUISQU'UN arrêt cruel fur l'infernale rive
Me condamne à defcendre un jour ;
Je veux fur ta bouche naïve ,
Exhalant fans regret mon âme fugitive ,
Que mon dernier foupir appartienne à l'Amour.
( Par M. Latour de la Montagne. )
ر ÉPITREàMadame***quim'avoitfait
préfent d'un Anneau de prix.
QU'ILS U'ILS vont couler facilement ,.
Aimable & généreufe Hortence
Ces vers , enfans du fentiment ,
DE
JE
FRANCE.
3
3
Offerts par la reconnoiffance
Au goût , au mérite , aù talent !
Tu n'y trouveras point d'emphaſe ,
De clinquant , de faux bel- efprit ;
Mon coeur feul arrange ma phrafe ,
Et ma main docile l'écrit.
Voilà mon fecret , mes preftiges
Dans cet Art chéri des Neuf Soeurs ;
Voltaire enfantoit des prodiges
Où je ne cueille que des fleurs.
L'aigle , en planant fur les nuages ,
Du foleil brave les rayons ;
Paifible amante des bocages ,
La fauvette fous leurs ombrages
Fredonne fes douces chanfons .
Humble & modefte en mon élan ,
Je n'alpire en ce jour , Hortence ,
Qu'à célébrer le taliſman
Que je dois à ta bienfaiſance.
Oh! combien il m'eft précieux !
L'anneau du Berger de Lydie
N'eût point excité mon envie ;
Ton joli don comble mes voeux.
Gygès à fa bague magique
Dut fa couronne & la grandeur ;
Mon fort fera moins magnifique ,
Mais il fuffit à mon bonheur. a
( Par M. l'Abbé Dourneau. )
Cij
52
MERCURE
LA BREBIS ET LE LOUVETEAU,
Fable tirée de l'Anthologie.
Loin de l'oeil du Berger , près d'une grotte obſcure, OIN
Une Brebis paiffoit à l'aventure ;
Elle apperçut un Louveteau
Délaiffé par fa mère , & feul dans la Nature ;
Sa foibleffe & la faim lui creufoient un tombeau.
1
DAME Brebis , bonne perfonne ,
D'un inftinct bienfaifant fuivit l'impreffion.
Sans doute elle eût mieux fait d'écouter la raiſon ;
Mais l'aveugle pitié bien rarement raifonne.
Elle accueille avec feu le Louveteau mourant
L'échauffe , le ranime avec ſa tiède haleine ,
Lui prépare un lit doux , fait de fa propre laine ;
Lui prodigue fes foins , & le lait abondant
De fa généreuſe mamelle .
Souple , vil , bas & faux , dans le malheur rampant ,
En proteſtations le fourbe ſe répand ,
Et jure à la nourrice un amour éternelle..
Il devint Loup bientôt .... Son premier mouvement
Fut d'étrangler ſa bienfaitrice.....
COEURS trop prompts à rendre ſervice ,
Connoiffez le danger d'obliger un méchant !
(Par M. Nicolas Pinel, Avocat au
Hayre-de-Grâce, )
DE FRANCE. $3
COUPLETS envoyés à Mlle R.....
à Versailles.
AIR : J'ai vu Life hier au foir.
Au premier defir , Amour ,
Que mon coeur enfante ,
Fais qu'Amable dans ce jour
Se montre indulgente !
Depuis que le fentiment
Porte en moi fon trouble ardent ,
Lui plaire eft à chaque inftant
Ce qui me tourmente.
SON efprit plein de douceur ,
Sa gaîté charmante ,
Sa jeuneffe , la fraîcheur ,
Tout en elle enchante ;
Ses yeux pour nous vaincre armés
D'un fouris tendre animés ,
Portent dans nos fens charmés ,
Un feu qui tourmente.
QUOIQU'A mes yeux fon portrait
La rende préfente :
Mon coeur s'afflige en fecret;
Il la fait abfente ;
Cependant , quand je la voi ,
C iij
$4 MERCURE
J'éprouve un cruel émoi ;
Dieu des coeurs , explique- moi
Ce qui me tourmente !
LISE par- tout fuit mes pas ;
On la dit charmante.
Glycère , avec moins d'appas ,
Eft plus féduifante.
Chaque jour , je les entends
Me parler de leurs quinze ans ;
Mais près d'elles je ne lens ,
Rien qui me tourmente,
Ca mal- aife d'un amant
Près de fon amante ,
Eit toujours du fentiment.
La preuve éloquente………..
Omon Amable applaudis
Au troublé de mes efprits !
C'est toi feule qui produis ,
Ce qui me tourmente.
2
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Maillard , (A &trice
de l'Opéra ) ; celui de l'Enigmae eft la Terra ;
celui du Logogryphe eft Paris , où l'on trouve
Pâris , ( fils de Priam ) , ris , pas , pari , ris ',
( terme de Marine ) , Pair , fi.
DE FRANCE. 55
POUR tr
CHARADE.
trouver
OUR trouveron premier , courez dans les forêts ;
Mon fecond d'ordinaire eft dans les cabinets ;
Mais quoique j'aie un tout, il n'exifta jamais.
ÉNIGME - CHARADE.
EL bien fouvent qui ne s'en doute point ,
Et qui de fon voifin fe raille fans mefare ,
Éprouve pareille aventure ,.
Et forte ma première..... Où ? N'importe ce point :
Malheureux qui le fait , bien heureux qui l'ignore ,
Et plus heureux encore
Qui s'en moque en fecret ; car ce malheur , dit- on ,
Ne git que dans l'opinion.
Pour moi , qu'il foit réel ou non ,
Je vous dirai , s'il faut être fincère ,
Que je dé tefte cet affront ;
De voir & de penfer chacun a fa manière.
Quoi qu'il en foit , Lecteur , fur femblable matière
C'en eft affez ; & la chofe eft fi claire ,
Que tu n'as pas befoin de te gratter le front
Pour trouver ma première ;
Ma feconde eft le nom d'un être refpecté ,
C'est une femme aimable , jeune , belle ,
Savante , & , qui plus eft , putelle.
Cij
56 MERCURE
Pucelle ! Oui , c'est une vérité ;
Et cependant explique ce mystère :
La belle quelquefois prodigue fes faveurs ,
Et le mortel qui fait lui plaire
N'effuya jamais de rigueurs....
Un mont eft le féjour de cette femme étrange ,
Ses favoris font à fes pieds ,
Et plus bas rampent dans la fange
Les malheureux qu'elle a difgraciés .
Je fuis en fomme un inftrument champêtre ,
De Tircis je fais les plaifirs ,
Quand, affis à l'ombre d'nu hêtre ,
A l'aide de mes fons je charme fes loisirs,
MON
LOGO GRYPH E.
ON afpect eft hideux , Lecteur , & ton miroir
Peut-être bien fouvent à tes yeux me fait voir.
Mes fept pieds combinés t'offriront un paffage ;
Ce qui gâte le front au déclin du bel âge ;
Un lieu voifin des ports ; un mont ; deux élémens ;
Deux villes ; un efprit ; un poiffon de tous tems ;
Chez la Nation Juive une viande proferite ;
Ce
que fouvent aux gens on dit quand on les quitte ;
Un péché.... Mais pourquoi fi long-temps m'afficher ?
Un être tel que moi doit plutôt fe cacher.
( Par M. D. A. C. R. V. , à Arras . )
DE FRANCE. 57
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
ACADÉMIE de Lectures ou Recherches
curieufes , Hiftoriques , Littéraires , Morales
, Philofophiques & Anecdotes , par
une Société de Lecteurs . in : 12. premier
Volume. AParis , chez la Veuve Duchesne ,
Libraire , rue S. Jacques ; & Cloufier ,
Imprimeur- Libraire , rue de Sorbonne.
Las Recueils , les Choix , les Bibliothèques
, les Variétés , & c. fe multiplient tous
les jours à l'infini . Il eft certain que la foule
immenfe de Livres dont nous fommes furchargés
, rend aujourd'hui les choix , les
abrégés prefque indifpenfables . Mais un autre
inconvénient eft attaché à ces fortes de
réductions ; c'eft que fous des dénominations
différentes , on nous reporte fans ceffe fous
les yeux les mêmes objers ; c'eft qu'on nous
fait relire ce que nous avons déjà lû tant de
fois . Qu'en arrivera t'il ? Bientôt le remède
deviendra un mal véritable ; les extraits
qu'on nous aura donnés feront auffi volumineux
que les Ouvrages mêmes ; & nos
abrégés formeront des bibliothèques auffi
immenfes que celles qu'on aura voulu réduire.
C'est ainsi qu'en voulant nous épargner
du temps & de la peine , on n'aura
Cy
38 MERCURE
réuffi qu'à faire fuccéder un embarras à un
autre.
Parmi les Ouvrages . de ce genre , on lira
avec plaifir , & même avec utilité , cette
Académie de Lectures , dont on nous promet
une fuite. Le choix , à peu de chofe
près , nous a paru fait avec goût ; il eft varié ;
& à quelques articles de pur agrément , on
a joint de très- bons morceaux de morale ,
parmi lefquels on diftinguera tous ceux qui
concernent l'éducation . Les Rédacteurs ont
cherché à former leur Collection de chofes
peu connues ; & c'est ce qui compofe en
effet la plus grande partie du Volume . Nous
allons en choitir quelques fragmens pour les
mettre fous les yeux de nos Lecteurs .

Dans l'article des traits d'Hiftoire , en
voici un qui prouve qu'Annibal étoit un peu
irréligieux. Il confeilloit à Prufias de ha-
» farder un combat , dont le fuccès ne pou-
» voit être qu'à fon avantage. Ce Prince
» n'eut rien à oppofer à fes raifons que les
» entrailles des victimes qui ne lui pro-
» mettoient rien de favorable : Quoi donc ,
lui répliqua le Général Africain , vous
ajoutezplus defoi à ces bêtes mortes qu'aux
avis d'un vieux Capitaine ! »
و د
23.
Voici un autre trait affez curieux . François
d'Eftampes , Marquis de Mauny
entrant dans le cabinet de Louis XIII , qui
» donnoit audience au Cardinal de Richelieu
, le Roi lui demanda , en bégayant :
» que que voulez- vous , Mar Marquis de
29
DE FRANCE
19
20
Mauny ? Le Marquis qui bey
» plus que lui , repondit : Sine ,
» di dire , &c. Le Roi croyant
"
ود
" د
le contrefaifoit , le put rudement
bras , & le vouloit faire tuer paries Gard 95
» mais le Cardinal appaifa le Roi , en di
fant : Sire , Votre Majefté ne faut donc
» pas que Mauny eft ne begue ? De grâce
pardonnez lui un défaut dont il n'eft pas
même refponfable à Dieu . Le Roi , hon-
» teux de la promptitude , embraffa Mauny,
» & l'aima toujours depuis.
ود
33
97
Le mot du Cardinal , pardonnez lui un
défaut dont il n'eft pas même refponfible à
Dieu , eft ingénieux & fin.
On ne peut que lire avec plaifir des Réflexions
Philofophiques fur le moment de la
mert , dont voici le commencement , qui
donnera une idée du refte. On trouve dans
ce morceau un grand ton de vérité , & une
philofophie douce & facile.
n
"9
" La mort , ce changement d'état fi marqué
, fi redouté , n'eft dans la Nature que
la dernière nuance d'un état précédent ;
la fucceffion néceffaire du dépériffement
de notre corps amène ce degré , comme
» tous les autres qui ont précédé ; la vie
» commence à s'éteindre long temps avant
qu'elle s'éteigne entièrement ; & dans le
» réel , il y a peut - être plus loin de la ca-
» ducité à la jeuneffe , que de la décrépi-
» tude à la mort ; car on ne doit pas ici
confidérer la vie comme une choſe ablo
Cvj
სა MERCURE
و د
n
lue , mais comme une quantité fufceptible
d'augmentation & de diminution .
" Dans l'inftant de la formation du foetus ,
» cette vie corporelle n'eft encore rien , ou
» preſque rien ; peu- à peu elle augmente ,
elle acquiert de la confiftance à mefure
» que le corps croît , fe developpe & fe
fortifie ; dès qu'il commence à dépérir ,
» la quantité de vie diminue ; enfin lorfqu'il
fe courbe , fe defsèche & s'affaiffe ,
elle décroît , elle fe refferre, elle fe ré-
» duit à rien : nous commençons de vivre
» par degrés , & nous finiffons de mourir
» comme nous commençons à vivre. »
و ر
ود
و ر
Il réfulte de cette vérité , qui devient en- .
core plus fenfible par le développement ,
que la mort n'eft pas fi à craindre , ou du
moins qu'elle eft bien plus formidable de
loin que de près. Et en effet , qu'on y falle
attention , & l'on verra qu'une infinité de
perfonnes , après avoir paffé , pour ainfi
dire , leur vie à craindre la mort , meurent
avec beaucoup de fermeté & une forte d'indifférence.
On pourroit objecter contre ce
qu'on vient de lire , qu'il fembleroit d'après
cela que cette facilité de mourir doit appartenir
exclufivement à la vieilleffe , & qu'elle
eft étrangère aux jeunes gens , qui n'ont pas en
core fenti ce dépériffement gradué des organes.
Mais il faut obferver que la maladie produit
le même effet que la caducité; & que
le vieillard affoibli par l'âge , & le jeune
homme accablé par la douleur , fe trouDE
FRANCE. 6r
vent l'un & l'autre dans la même pofition.
ود
"
Ces Réflexions , qui ne pouvoient qu'être
férienfes , font précédées d'une anecdote bien
plus trifte encore. La voici : « Un homme fut
» condamné à être rompu vif& à expirer fur
» la roue. L'exécution faite , & la nuit avancée
, le Guet le croyant mort , fe retira .
» Un Chirurgien enleva le corps , & l'emporta
chez lui pour le difféquer. En l'exami-
" nant , il lui trouva encore quelques fignes
» de vie , & charitablement il employa pour
» le fauver toutes les reffources de fon
Art ; il y réuffit , & l'homme, au bout d'un
" fort long traitement , recouvra enfin l'ufage
de fes membres. Cependant le Magiftrat
» avoit fait publier contre la perfonne qui
avoit fait enlever le patient , une févère
proclamation , & promis au dénonciateur
» une fomme confidérable. Le Chirurgien
» le dit au criminel dès qu'il fut en état de
» marcher , & le preffa de s'enfuir , pour
fauver à la fois la vie & celle de fon bienfaiteur
; mais le fcélérat , frappé de la récompenfe
promife , alla fur le champ dé-
» noncer celui qui l'avoit arraché des bras
» de la mort. Les Magiftrats , faifis d'hor-
"
و ر
ور
ود
و د
reur, à la vue d'une fi monftrueufe ingra-
» titude , firent dire fous main au charitable
Chirurgien qu'il feroit bien de quitter
la ville . L'exécrable délateur fut con-
» damné à fubir de nouveau fon exécu-
» tion . »
Les Rédacteurs citent ce trait comme s'é62
MERCURE
tant paffé à Amfterdam . Il eft à préfumer
que le Chirurgien fut guéri pour toujours
de l'envie de rendre le jour à de pareils perfonnages
; c'en fut allez fans doute pour le
convaincre que c'étoit mal placer fes bienfaits
, & qu'il eft des coeurs que rien ne ra
mène à la vertu . En effet , fi la punition que
ce fcélérat avoit fubie n'étoit pas capable de
corriger , quelle plus forte leçon peut- on
imaginer pour cela ?
Effaçons l'horreur de cette anecdote par
quelques traits plus agréables. L'article caufes
& effets de l'ignorance en fournit plus d'un.

Un Évêque avoit foutenu , dans un Concile
, que les femmes n'étoient pas des créa
tures humaines. Il fallut plufieurs féances
pour difcuter cette queftion peu galante ; &
à la fin on décida que les femmes faifoient
partie du genre humain .
Les Moines étoient fi ignorans , fi peu
verfés même dans la langue latine , qu'un
d'eux baptifa un jour un enfant , in nomine
potria & filia & fpiritua fancta. Un autre
Fiêtre , en procès avec les Paroiffiens , qui
ne vouloient point paver fon Églife , étayoit
fon bon droit fur ce paffage de Jérémie :
Paveant illi , non paveam ego.
Dans le quatorzième fiècle , le Clergé joignoit
à l'ignorance & à la corruption , un luxe
des plus fcandaleux. Les Évêques y marchoient
avec une fuite de So chevaux , &
accompagnés de plufieurs Gentilshommes ;
& ils juroient par le coeur , par les os , parDE
FRANCE. 63
les angles , & par les autres parties du corps
de Jéfus Chriſt .
Voici un trait qui rappelle celui fi connu
de l'excommunication des Sauterelles. C'eft
Gui Pape , qui l'a raconté comme témoin
oculaire. En Bourgogne un cochon ayant tué
un enfant , fut condamné à être pendu , &
il fut très férieufement exécuté en préfence
de fes Juges . Prefque en même temps , à
Saint- Omer , un cochon ayant commis le
même crime , les Échevins le condamnèrent
à la même peine. Mais ce que les Rédacteurs
regardent comme fingulier , & ce qui l'est
bien en effet , c'eft que les Échevins de cette
même ville , il y a trois ans , ayant contre
les Officiers du Bailliage un procès pendant
au Parlement , citèrent cette Sentence comme
une pièce juftificative de leur droit à là
haute-juftice.
Nous n'avons pu rapporter que des traits
rapides & découfus ; il y a dans le Volume des
morceaux d'affez longue haleine , qui offrent
une lecture des plus fatisfaifantes.
ÉLOGE de M. de Reyrac. A Orléans , de
I'Imprimerie de L. P. Couret de Villeneuve,
& fe trouve à Paris , chez Efprit ,
au Palais Royal. in 8º. Prix , 1 liv . 4 fols .
M. Bérenger avoit déjà donné une notice
fur M. de Reyrac dans le Journal de Paris.
C'étoit le premier mouvement de l'amitié
gémiffante. Sa douleur , maintenant plus
64
MERCURE
calme , lui a permis d'achèver l'Éloge de fon
ami. Cet Éloge laiffera une imprellion touchante
dans l'âme des Lecteurs ; ils en aimeront
cette couleur douce qui en caractérife
le ftyle . On fent que M. Berenger n'a
pas fait des efforts pour donner à fon Ouvrage
cette teinte fentimentale , qui marie
le ton de la fimplicité avec les nuances du
genre oratoire. M. Bérenger eft né fenfible
& il fait aimer & célébrer fes amis.
Il commence fon Éloge par une juftification
à l'occafion du manufcrit de J. J.
Rouffeau. Il abandonne l'affertion qu'il
avoit avancée dans le Journal de Paris.
S'il eft vrai que M. l'Abbé de Condillac a
été dépofitaire de ce manufcrit , le Public
n'a rien à craindre. Le Philofophe , qui fut
toujours & prudent & fi fage , n'a pas rendu
le dernier fonpir fans avoir brûlé un ouvrage
qui importoit au repos de tant de
perfonnes.
و ر
ور
و د
" L'amour confolant des Lettres , & le
» befoin de s'attacher à des amis vrais &
folides , ( dit M. Bérenger ) fembloient
» avoir formé le caractère heureux de M. de
Reyrac. Sa converfation dans un tête- àtête
s'abandonnoit , pour ainfi dire , avec
l'indifcrétion d'un coeur doucement échauf
fé par le fentiment , & qui croyoit à la
vertu . Alors il s'exprimoit avec une forte
» de bonhommie touchante , de piquante
naïveté qui faifoit admirer fa candeur &
">
و ر
»
33
DE FRANCE.
و د
ور
chérir fa perfonne. Il parut avec diftinction
dans la carrière de l'éloquence facrée .
Eh ! comment un génie né pour la poéfie
ne feroit il pas eloquent ? Son ſtyle doux
" & perfuafif, fimple avec élégance , fleuri ,
" mais fans faux brillans , formé fur celui
» de Cheminais & de Maffillon , fut émou-
» voir , toucher & fe rendre maître de tous
les coeurs. Que la vérité eft puiſſante dans
» la bouche d'un homme de bien ! qu'ils
font au deffous d'un pareil orateur , &
» ces arides Théologiens , efclaves des for-
» mes de l'école , & ces Rhéteurs puérilement
occupés à féduire par les artifices
d'une diction furchargée d'ornemens , &
» cette foule de Difcoureurs plagiaires , qui
» ne favent que tourmenter les plans & les-
» idées des grands Maîtres , & qui , con-
»
ود
33
fondant tous les genres , alliant tous les
ftyles , s'applaudiffent de tranfporter dans
» nos chaires indignées , le langage du Lycée
» & les principes d'une fageffe toute humaine.
M. de Reyrac fut cet homme de
bien , doué du talent de la parole ; la no-
» bleffe de fon éloquence , & la pureté de
» fa doctrine réunirent tous les fuffrages ;
» & après avoir prononcé deux fois un Pa-
» négyrique de S. Louis , très applaudi , il
» fut reçu avec empreffement dans les Aca-
» démies de Toulouſe & de Bordeaux , qui
» avoient defiré de l'entendre. »
و د
M. Bérenger donne de juftes louanges à
l'Hymne au Soleil .
1
68 MERCURE
Et après avoir peint les talens de M. de
Reyrac , M. Berenger finit l'Éloge en faifant
celui de fon âme. Il paroît que M. de
Reyrac étoit un homme de bien , & que la
fonction la plus chère de fa Cure étoit celle
qui le rapprochoit des malheureux dont il
allégeoit les fouffrances. M. Bérenger termine
ainfi fon Difcours. "O men ami ! fi
» ton ombre erre autour de moi , fans doute
elle s'afflige de ma douleur. Prends pitié
de moi ; jette un regard fur ton ancien
Élève ; rappelle - moi , tu le peux à préfent
, rappelle moi à la contemplation de
» res douces vertus . C'eft peu de les immor-
» talifer par des chants funèbres & par des
Éloges ; je veux , je dois me les approprier
en les imitant. Voila le feul tribut
digne de ta belle âme ; voilà le feul hommage
qui peut m'acquitter envers toi , &
le feul qui juftifiera déformais l'amitié
dont tu me fis connoître les avantages &
» fentir tous les charmes . »
33
"
98
90
Ce Difcours eft imprimé avec foin ; il
fort des prelles de M. Couret de Villeneuve ,
que ceux qui le connoiflent placent dans la
claffe peu nombreufe des Libraires inftruits
& veifes dans la bonne latinité: L'Édition
des Fables de Phèdre lui a fait honneur.On
fait dans la ville qu'il habite jufqu'à quel
point M. Couret porte fon respect pour l'antiquité
, & avec quelle attention il recueille
les infcriptions & autres monumens qui peu
vent fervir à l'Hiftoire de fa Ville , & à .
DE FRANCE. 67
fournir des notes favantes à l'Auteur des
Effais Hiftoriques fur Orléans.
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Recueil
des P'èces qui ont paru avec fuccès fur les
Theatres des Capitales de l'Allemagne.
A Paris , au Bureau de l'Ami des Enfans ,
rue de l'Univerfite ; ( s'adreffer à M. le
Prince ) ; fe tronve an Bureau de Littéra
ture Allemande , rue S. Honoré , au coin
de celle de Richelieu; chez la Veuve Ducheine
, rue S. Jacques ; Couturier fils ,
Imprimeur- Libraire quai des Auguftins ;
Nyon l'aîné , rue du Jardinet.
CEUX qui ont la les extraits que nous
avons donnés des premiers Volumes de cet
Ouvrage , dowent s'être apperçus des défauts
dont le Theatre Allemand auroit encore
befoin d'ére purgé . Ils ont vu qu'à de
grands traits de vérité fes Auteurs mêlent
toujours des détails minutieux ; que leur
goût admet tous les fujets poffibles ; qu'ils
n'ont pas encore tracé de ligne de démarcation
entre la Comédie & la Tragedie ; qu'on
trouve dans prefque toutes leurs Pièces ce
mélange de tons qu'on remarque dans nos
Ouvrages Dramatiques antérieurs à Corneille
, & dans les premières Pièces de Corneille
. Ces défauts n'empêchent pas que les
progrès Littéraires de cette Nation ne foyent
très fenfibles depuis quelques années ; les
beautés que nous avons relevées , dans les
68 MERCURE
Pièces dont nous avons rendu compte , n'en
exiftent pas moins ; & nous perfiftons à
croire que cette intéreffante Traduction
offre à notre Nation un objet d'étude , étude
d'autant plus agréable qu'elle peur l'éclairer
fans humilier fon amour propre.
Ce cinquième Volume renferme une Tragédie
& une Comédie , que nous allons faire
connoître.
Le fujet de la Tragédie , qui a pour titre ,
Diego & Léonor , eft des plus finguliers ;
c'eft une aventure d'Inquifition . Diego &
Leonor s'aiment tendrement. Diego affifte
un ami mourant d'une bleffure qu'il a reçue
dans un duel. Des Moines fe préfentent ; &
Diego leur dit que fon ami & lui font Allemands
& Proteftans . On appelle les Officiers
de la Sainte Hermendad , qui s'emparent de
Diego , & le conduifent à la Santa Cafa.
Malheureufement pour lui , il a pour ennemi
le Père Timothée , l'un des principaux Inqui-'
fiteurs ; & on l'accufe d'être Juif, d'avoir
affaffiné fon ami , qui étoit bon Catholique ,
& de l'avoir empêché de recevoir les Sacre-
Inens en mourant.
Voilà le fonds , bien étrange pour nous ,
fur lequel eft bâtie cette Tragédie. Léonor
fe trouve la nièce de Don Duarte Gonzaga ,
Patriarche & Grand Inquifiteur , qui modère
d'abord la haine active du Père Timothée
contre Diego , mais qui , apprenant enfuite
que fa nièce , malgré la fupériorité de fon
rang , s'eft attachée à Diego , dont la naifDE
FRANCE 69
il
fance même eft inconnue , fe refroidit pour
ce dernier ; cependant , comme ce Patriarche
eft un homme honnête & vertueux ,
leur pardonne; & il découvre au dénouement
que Diego eft fon propre fils . Il avoit
eu ce fils d'une femme qu'il avoit aimée avant
d'entrer dans les Ordres ; & fon changement
de nom , caufé par les nombreufes dignités ,
l'avoit fait méconnoître. Mais le pardon &
la reconnoiffance arrivent trop tard ; les
deux amans , fe croyant perdus , fe font
donné la mort par le poifon.
Le fujet de cette Pièce y répand une forte
de monotonie. La marche en eft un peu
lente ; mais la conduire en eft affez regulière .
L'Auteur a auffi payé de temps en temps fon
tribut au mauvais goût par un mêlange de
comique : comme lorfqu'il fait dire à Léonor,
qui a conçu le projet de s'empoifonner
avec fon amant : « Mais fi cela devoit arri-
» ver , Diego , tu penſes peut - être que je
» t'offrirois un poignard ? Non , une potion "
"
agréable dont je remplirai ce joli flacon
» que tu m'as donné , nous réuniroit à ja-
» mais . » Il faut pourtant convenir que ce
défaut revient moins fouvent dans cette
Pièce que dans beaucoup d'autres Tragédies
Allemandes.
Le caractère de l'odieux Père Timothée
eft tres foutenu. Voici comme il s'annonce.
C'est au troisième Acte qu'il arrive dans la
mailon de Violanta , amie de Léonor , perfuadé
que Diego , qui s'eft échappé des pri70
MERCURE ?
-
fons de la Santa Caja , s'eft réfugié chez
elle. Il y rencontre un Alguazil , qui lui dit
que l'ayant vû venir vers cette maiton , il a
cru devoir fuivre les pas. • Si vous avez , lui
»
و د
comme
134
dit le Père Timothée , quelques nouvelles
» à m'apprendre , vous avez bien fait ; mais
» autrement , vous pourriez nuire à mes
projets. Pour moi je fuis venu
ami de la maifon , pour efpionner. "
Un peu plus loin , pour faire jafer la
Femme de - Chambre , il lui dit : « J'aurois
» quelque chofe à vous demander , & vous
» me ferez plaifir de me répondre fincère-
» ment . Auffi je commence par vous donner
des Indulgences plénières pour deux ans. »
Dans la Scène d'après , il ordonne d'arrêter
un Domeftique de la maifon , qui refufe
de l'inftruire de ce qui fe paffe , « Arrêtez-
le , s'écrie t'il avec une forte d'im
piété amalgamée avec le fanatifme :
qu'on l'enchaîne & qu'on le jette au fond
d'un cachot fi affreux , que Dieu même ne
puiffe pas l'entendre.
"
39
و د
3
»
Dans un monologue qui fuit cette mê
me Scène , il dit : « Mon frère , il faut
» l'avouer , entend bien mal à fe conduire ;
il faut que ce foit moi qui veille à fes.
intérêts . C'étoit à toi de te cacher dans un
Cloître , & à moi , de figurer dans le
» monde. Il y auroit déjà long temps que
" l'on m'auroit vû dans le Ministère.... ou fur
» la roue . >>
39
On voit que les difcours du Père TimoDE
FRANCE. 71
thée répondent au rôle qu'il joue dans la
Pièce , à cela près qu'il devroit moins affronter
le Patriarche qui peut le perdre. Le
caractère de ce dernier forme une heureufe
oppofition avec celui du Père Timothee. ,
Je vois , lui dit- il , mon Père , que vous
» êtes un peu trop prompt , trop inconféquent
pour un Juge du Saint Tribunal.
» Le zèle aveugle d'un Prêtre nous le fait
» hair. Ce qui nous force à l'aimer , c'est le
zèle de la bienveillance & de la douceur.
Si le premier effraie les hommes , l'autre
les attire à lui. Le fage même fe laiffe em-
" porter quelquefois au- delà des bornes de
" fon devoir , je le fais ; mais celui qui
» brûle toujours d'en faire plus que ne
l'exige une loi rigoureufe , manque ou de
raifon ou de fenfibilité. »
و د
22
"J
Ce Grand Inquifiteur pouffe même la tolérance
jufqu'à s'expoſer à être accufé de manquer
un peu d'orthodoxie. Après avoir parlé
à Diego d'une vie heureuſe qui nous attend ,
il lui dit : « C'eft là que les âmes généreufes
» & fenfibles fe reverront un jour. » Et
il ajoute à part : « Les hérétiques & les
» croyans. »
-
Le caractère de Léonor eft intéreſſant par
fa paffion , qui eft peinte avec force & vérité.
Quand fon oncle , le Grand Inquifiteur
, lui défend, de fonger à fon amour ,
elle lui repond : Ne plus y fonger ? Ma
» dernière penfée , je la donnerai toute en-
» tière à l'Amour. Hélas ! je ne le vois que
72 MERCURE
و د
» trop en ce moment . Ils fe reffemblent
tous. Ce n'eft pas un coeur qu'ils ont là ,
c'eft une pierre...... O ma mère ! ma mère !
» fi tu vivois encore ! fi du haut du ciel.ru
» peux laiffer tomber tes regards fur mon
» coeur , vois comme ils l'ont brifé ! des
» hommes infenfibles veulent juger des ſen-
» timens de ta fille.
"
LE
» Léonor !
PATRIARCHE .
Dona LÉONOR.
» Et pour juger de mes douleurs , favez-
» vous feulement ce que c'est que d'aimer
voys tous qui fites voeu de n'être jamaist
» hommes ? Et vous , mon Père , ´n'avezvous
pas étouffe le plus heureux inftinct de
» l'humanité ? Allez dans vos retraites , au
» fond de ces tombeaux , où l'on appelle
» l'amour un crime , & l'infenfibilité un
» devoir ; mais ici , parmi des hommes , c'eſt
l'amour feul qui nous fait agir , & tout
" eft gouverné par l'amour. »
و ر
"
Le cinquième Acte donne lieu à quelques
obfervations critiques . Le projet de la mort
des deux amaus n'eft pas motivé. Le Patriarche
peut tout; & l'on a promis de lui
dire un mot , qui feul peut l'inftruire , &
par confequent le defarmer : les deux amans :
ont donc tout à efpérer . On ne doit pas faire
mourir des perfonnages de Tragédie , par
cela feul qu'on fait une Tragédie. Avant
d'être
DE FRANCE. 73%
d'être Tragique , il faut être raisonnable.
Une fingularité qu'on ne peut guères ne
pas remarquer , c'eft que Léonor veut , en
mourant avec fon amant , lui faire embraffer
la foi catholique , c'est- à - dire , qu'elle veut
lui faire adopter une religion qu'elle tranfgreffe
en même temps , puifqu'elle veut , en
lui faifant commettre un fuicide , le con--
vertir à une religion qui défend le fuicide.
Cela ne pent guères s'excufer que par le
delire des paffions , qui admet les actions
contradictoires .
On eft étonné auffi , qu'en apprenant que
la grâce de fon amant eft accordée au moment
qu'il vient de s'empo fonner , on eft
étonné, difons nous , que fon premi r mouvement
ne foit pas de secrier que Diego
vient de s'empoifonner , & fa première
penfee , d'implorer du fecours. Mais elle ne
témoigne pas le moindre regret , & s'empoifonne
à fon tour .
Tout le monde connoît l'aventure d'Fmma
, qui perta fon amant fur fes épaules à
travers la neige , de peur que des pas d'hommes
imprimés ne fiffent découvrir les amours.
C'eft le fujet de la Comédie qui termine ce
Volume , & à laquelle nous fommes fachés
d'avoir moins d'éloges à donner qu'à la Tragédie
; l'une & l'autre eft du même Auteur ,
M. J. C. Unzer. L'Auteur a cou'u l'ancien
Conte d'Emuna à une intrigue qui n'a rien
de remarquable. Mais ce qui l'eft beaucoup ,
c'eſt le ton dont l'Auteur fait parler le Duc,
N°. 45 , 8 Novembre 1783 .
D
74 MERCURE


c'eft à- dire , un Prince Souverain . Après
avoir dit à fon Écuyer : Monfieur le premier
Écuyer , c'eft à vous que je confie
ma fille; j'espère que vous ne la verferez
» pas. Il ajoute un moment après : Je
» n'ai que cette enfant , & je ferois fâché
que le premier Écuyer vint à lui rompre le
و د
9 сои. 19
2
Plus loin , la Baronne de Rixleben , Dame.
d'Honneur de fa fille , lui fait demander une
grâce pour fon parent. Voici la digne réponſe
que fait le Prince : Dis à la vieille forcière
de me laiffer tranquille. S'il avoit eu envie de
travailler , ce fainéant , ilferoit placé. Non ,
je ne donnerai point d'emploi à ce vaurien, &c.
Dans un autre endroit , fa fille tombe à
fes pieds pour le fléchir en faveur de fon
amant. Le Prince lui dit: « Vous favez que
je n'aime point à voir perfonne dans cette
pofture, Plantez- vous fur vos jambes , &
» dites ce que vous avez à dire . »
39

Voici qui donnera une idée du genre de
comique qui règne dans cette Pièce un
Payfan vient préſenter au Prince un mémoire,
Le Prince lui demande fi tout y eft
bien détaillé. Oui , Monfeigneur , lui répond
le Payfan. Le Prince l'ouvre , & y trouve un
morceau de pain d'épices . ( Le Payfan a pris
un papier pour l'autre. ) L'Auteur n'a pas
voulu perdre le fruit de cette mépriſe. Il fait
plaifanter là deffus le Prince , qui dit au
Payfan: Je parie que tu es venu pour me corrompre,
DE FRANCE. 75
Ce Payfan amène un détail purement épifodique
, qui occupe une partie de la Pièce .
Il vient fe plaindre de fes Juges , qui , fous
divers prétextes lui refuſent la fentence d'un
procès qu'il a gagné. On ne devineroit jamais
la réponſe du Prince. Il lui dit de fe
préfenter à l'affemblée des Juges , de leur
faire encore fa demande ; & s'ils la rejettent ,
de les envoyer promener. Vous croiriez du
moins que le Prince , content d'avoir fait
une mauvaiſe plaifanterie , s'en tient - là ?
Point du tour. Il ordonne au Payfan d'exécuter
ce qu'il vient de lui dire. Le Payfan
obéit , il fe préfente à fes Juges , qui le reçoivent
comme à leur ordinaire , & il les
envoye promener . Les Juges irrités , courent
après lui pour l'arrêter & le faire punir,
mais le Prince , qui s'eſt appofté- là , ſe préfente
à propos , fe fait expliquer ce qu'il fait
fort bien , & condamine les Juges à une
amende au profit du Payfan.
Cet épiſode , fi peu digne du perfonnage ,
& de la Comédie noble , eft fuivi d'une
Scène qui mérite des éloges. Le Prince y
propofe à fon Confeil l'hiftoire de fa fille ,
qui a porté fon amant à travers la neige ,
action dont le hafard l'a rendu témoin. Il la
raconte comme s'étant paffée dans une Cour
étrangère ; & demande fi le coupable , qui a
ofe attenter à l'honneur de fon Souverain ,
doit être puni de mort. Il a eu foin de placer
auparavant au nombre des Juges l'amant
même de fa fille . Ce dernier fe reconnoît
Dij
76 MERCURE
bien pour le Heros de l'Hiftoire , & il prononce
comme les autres Juges , la peine de
mort. Heureufement le Prince pardonne enfuite.
Cette Scène eft piquante & intéreffante .
Mais fi l'on en juge d'après ces deux Pièces ,
l'Auteur a plus de talent pour la Comédie
que pour la Tragédie .
( Cet Article , ainfi que celui de Nécrologie ,
font de M. Imbert. )
DÉLASSEMENS de l'Homme Senfible ou
Anecdotes diverfes , Tome Ier , deuxième
Partie. A Paris , chez l'Auteur , rue des
Poftes , près l'Eftrapade , maifon de M. de
Fouchy, & la Veuve Ballard & fils , Impr.
du Roi , rue des Mathurins .
CETTE feconde Partie complette le premier
Volume de cette intéreffante Collection
, qui nous paroît jouir de tout le faccès
qu'elle mérite. Tour ce qui parle à l'âme ,
tout ce qui intéreffe le coeur , trouve des
Lecteurs dans toutes les claffes des Citoyens.
Voilà ce qui affare le fuccès de tous les Ouvrages
qui refpirent une véritable fenfibilité
. M. d'Arnaud s'eft fait diftinguer depuis
long temps dans cette carrière . Mais cette
nouvelle Collection porte un nouveau degré
de moralité. L'attendriffement qu'excitent
les anecdotes qui la compofent , tourne toujours
au profit des moeurs & de l'honnêteté.
C'eft une des productions modernes les
DE FRANCE. 77
plus propres à mettre dans les mains des
jeunes gens qui entrent dans le monde : on
eft sûr que leurs coeurs y gagneront , & on
n'a pas à craindre de les expofer à lennui ;
ces Ouvrages auront pour eux les mêmes
agremens que des Romans pernicieux , fans
offrir les mêmes dangers.
La première anecdote de cette feconde
Partie eft intereffante , & honore les Lettres.
Elle regarde la difgrace du fameux Fouquet ,
abandonné par tous fes courrifans , & fidèlement
défendu par deux Hommes de Lettres
, La Fontaine & Peliffon . C'eft ce dernier
qui a fourni l'anecdote dont il s'agit.
Quand le Surintendant le vit arrêté , fa plus
grande crainte fut fondée fur fes papiers ,
qu'il favoit bien devoir être examines avec
le defir de le trouver coupable. Au milieu
de fes alarmes , il apprend que Péliſſon , ſon
Secrétaire & fon ami , s'eft déclaré fon accufateur.
Autant eft- il accablé par cette nouvelle
, autant le procédé de Péliffon paroît
odieux. Celui ci femble braver l'infamie ;
il eft confronté à fon bienfaiteur , qui , en
le voyant , s'écrie avec un coeur déchiré : eh
quoi , Péliffon ! vous auffi contre moi ! Péliffon
l'écoute fans lui répondre & fans paroître
ébranlé. A la première inculpation ,
Fouquet crie à l'impofture. Vous ne me dementitiez
pas fi hardiment , répond l'adroit
& fidèle Secrétaire , fi vous ne saviez que
tous vos papiers ont été brûlés .
Ce peu de mots ouvre foudain les yeux
7
D iij
78
MERCURE
. du Surintendant ; & porte à fon coeur une
double fatisfa&ion , celle d'apprendre que
fes papiers font fouftraits , & celle de voir
qu'il n'a pas perdu fon ami.
L'efprit de Chevalerie offre aux Lecteurs
le châtiment de la tyrannie , & l'innocence
protégée & vengée.
Dom Alonze & Nuguez , nous préfente
l'exemple rare d'un Domeftique fidèle jufqu'à
l'héroïfme. Le premier mouvement de
fon zèle le porte jufqu'à ôter la vie à un ennemi
de fon Maître , qu'il étoit obligé de quitter
pour quelques jours. Le Maître eft fauffement
accufé , condamné & conduit au fupplice.
Le Domestique l'apprend , accourt , s'oppofe
à l'exécution , & fe déclare coupable
du meurtre. Il est mis à mort à la place de
fon Maître.
Sally , paffionnément épriſe d'un jeune
homme , qui trahit fon amour , s'en punit
elle même , & offre un exemple effrayant de
l'effet du délire des paffions.
Jacques , malheureux Ouvrier , n'ayant
pas de quoi donner du pain à une nombreufe
famille dont il eft chargé , apprend
qu'il y a un apprenti Chirurgien qui donne
quelque argent à celui qui veut fe laiffer
faigner. Il y court , fe fait faigner , reçoit
fon payement , apprend qu'il y a un autre
endroit où l'on en fait autant ; il s'y préfente
encore , fe fait faigner de l'autre bras ,
court acheter du pain , & retourné chez
DE FRANCE.
79
lui , expire en le préfentant à fa femme & á
Les enfans.
Stradella , eft un célèbre Muficien , qui fe
fait aimer d'une Demoiſelle bien au- deffus
de lui pour la fortune & pour la naiffance.
Il la détermine à s'enfuir avec lui . On le
pourfuit avec acharnement ; & les deux
amans font affaffinés par le père & par celui
qu'il avoit choifi pour gendre.
Cette fimple énumération fuffit pour
prouver que M. d'Arnaud fait mettre de la
variété dans le choix de fes anecdotes. Une
de celles qui nous ont fait le plus de plaifir ,
c'eft Émilie , dont le fonds n'eft preſque
rien , & qui par là même nous paroît plus
digne d'éloge , parce qu'elle prouve que la
fenfibilité de l'Auteur fait jeter de l'intérêt
fur le moindre fujet. Celui de cette anecdote
eft une de ces femmes qui , ayant
couru après le plaifir , n'ont trouvé que le
malheur & la honte. Elle devient mère ; &
le nouveau fentiment qu'elle éprouve femble
lui donner un coeur nouveau. On lui enlève
fa fille ; & peu de temps après on lui apprend
qu'elle eft morte. Mais Émilie ne
peut plus fe complaire dans la vie licentieufe
qu'elle fembloit avoir adoptée . Le remords
vient s'emparer de fon coeur , & la
porte à le dérober au monde . Elle fe retire
dans un couvent , dont la règle aptère défend
à ceux qui s'y foumettent , de parler
même aux Penfionnaires & à leurs compagnes.
Une jeune Penfionnaire excite d'abord
Div
80 MERCURE
* ༩
fon attention , enfuite fon intérêt ; bientôt
Émilie fent que la voir eft devenu un befoin
pour elle. De fon côté , la jeu, e perfonne
paroît la chercher avec l'attention la
plus affectueule. Émilie decouvre enfin que
c'eft fa propre fille , dont on lui avoit fauffement
annoncé la mort. Tranfportée de joie ,
elle voudroit fe jeter dans les bras de fa
fille , qui , dans ce moment même , va être
retirée du convent. Mais le voeu qui l'en- ·
chaîne lui défend même de lui parler. L'Auteur
peint les combats qui déchirent fon
coeur maternel avec autant de vérité que de
fentiment. " Quels orages dans l'âme de cette
» infortunée ! Manquera- t'elle à fon væu ,
» peut être le plus folemnel ? De quel fcandale
elle fe rendroit coupable ! Et d'ail
55
"
leurs , que lui importe de decouvrir à la
» jeune perfonne qu'elle eft fa fille , quand
elle va lui être enlevée pour jamais , quand
elle fera peut - être forcée de rougir en
connoiffant fa mère !.... Ah ! plutôt mou-
» rons avec mon fecret .... avec ce fecret qui
» fait mon fupplice , ma honte. Une femme
deshonorée peut-elle defirer de voir fon
enfant ? Et fon enfant peut- il l'avouer
pour la mère ? Qu'elle ignore qui je fuis !
» que je m'enfeveliffe ici au centre de la
terre ! ce n'eft pas à moi de prononcer ce
» nom cher & facré de fille qu'elle me
laiffe expirer en ce trifte féjour , fans
qu'elle foit informée d'une vérité qui
» m'humilieroit trop à fes yeux , aux miens
»
29
DE FRANCE.
39» mêmes ! Eh ! je perdrois fans doute cet
» intérêt que je puis avoir fait naître ! eft- ce
» à des mères telles que moi à réclamer leurs
» droits ? Je n'en ai aucun ! N'enviſageons
plus le monde : tout doit nous y être étran
ger. Jerons nous dans les bras de Dien , il
» nous tiendra lieu de tout. »
ود
Cependant , au moment où fa fille va
fortir du couvent , elle ne peut contenir fes
tranfports ; elle fe jette dans fes bras , en
criant : c'eft ma fille. C'eft ainſi qu'aucun
pouvoir , qu'aucun voeu ne peut enchaîner
l'amour maternel.
Cette feconde Partie renferme d'autres
Anecdotes qui font écrites avec le même
intérêt.
LES Quatre Parties du Jour à la Mer. A
Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
P. F. Gueffier , Imprimeur - Libraire , au
bas de la rue de la Harpe.
Il y a , parmi les Auteurs de notre temps ,
une manie affez commune , celle de donner
aux productions qu'ils publient , des titres
finguliers & remarquables. Il eft vrai qu'on
a tant écrit , qu'il eft certains genres d'Ouvrages
pour lesquels on a épuifé les dénominations
; mais eft- ce une raifon pour être
bizarre dans les titres que l'on choifit ? Les
uns donnent dans une affêterie ridicule , les
autres dans une morgue philofophique , au
moins auffi riſible , fur tout après la lecture
D v
S2 MERCURE
de l'Ouvrage . On fent que nous pourrions
remplir ici plufieurs pages de titres burlefques
appliqués à des Ouvrages modernes ,
foit en profe , foit en vers.
L'Ouvrage dont nous avons à parler , &
dont l'Auteur nous eft inconnu , a fait
naitre cette obfervation. Ce n'eſt pas que
fon titre ait trop d'affection ; c'eft au contraire
parce qu'il eft trop negligé. Il préfente
, finon une faute de François , au
moins une equivoque & de l'obfcurité.
L'Auteur appele fon Ouvrage les Quatre
Parties du Jour à la Mer. Il nous femble
fur la Mer , au lieu de à la Mer
étoit aufli facile à trouver , & auroit été
plus facilement entendu . Nous nous arrêtons
à ce detail un peu minutieux , parce qu'il y
a des Lecteurs qu'un pareil titre peut effatoucher,
& cela eft fi vrai , que nous avons
vû plufieurs perfonnes , ayant pris cette Brochure
dans leurs mains ; la rejeter fur le champ,
en demandant ce que ce titre fignifioit,
Cependant nous , qui avons été plus loin ,
nous venons de nous convaincre que cet
Ouvrage merite d'être lû. Il y a du ftyle &
des peint es viits , de grandes idées &
de bells images. L'Auteur de cette efpèce
d P. ëme , divifé en quatre Parties ,
comme fon ti re l'exigeot , fe trouve fur la
mer ; & il mer en parallèle ce qui fe paffe
fur ' ce élen ent & ce qui fe paffe fur la
terie. Ce plan lui fournit des rapprochemens
très heureux. Nous allons en citer
DE FRANCE. Sz
un exemple , qui fera connoître en êmetenaps
la manière de l'Auteur. Il a voulu
peindre le moment de la prière fur le vaiffeau;
mais comme il n'y a là ni temple ni
autel , cette idée lui a fourni le beau morceau
de profe qu'on va lire."
10
« Mais l'airain ſonore s'eft fait entendre ;
» que celui qui travaille , & celui qui repofe
, volent fur le tillac ; on va rendre
au fouverain Maître des Élémens l'hom-
» mage qui lui eft dû. L'enceinte de nos
» temples borne trop à nos yeux fa gran-
» deur infinie. O vous ! qui errez fur le vafte
» fein des mers , profternez vous au pied de
fon trône redoutable , il eft fufpendu fur
» vos têtes ; publiez fes merveilles , vous en
» êtes entourés ; célébrez fes bienfaits , il re-
» nouvelle pour vous la colonne de feu qui
» conduisit les Ifraëlites dans le défert ; il
» recommande aux cieux de tourner fur leur
ور
99
axe , & de vous préfenter dans un ordre
» immuable les révolutions des aftres. Il
» trace fur un cercle les fignes auxquels
» vous devez reconnoître la marche du foleil
; il lui prefcrit des limites , afin que
" vous diftinguiez la région qu'il habite ; il
chaffe du centre de la terre les tourbillons
de matière magnétique , & les faiſant cir-
» culer d'un pole à l'autre , il ordonne à
l'aimant de vous marquer leurs traces in-
" vifibles ; il affujétit le temps , l'efpace à
» vos calculs ; il diftribue les vents fur
les points de l horizon , & décrit à chacun
"
ود

tous
D vj
84
MERCURE
» d'eux la ligne qu'ils doivent parcourir......
Que fon bras tout puiffant les enchaîne.
» ou les déploie fur les flots irrités , l'océan
fera votre tombeau. Adorons le Dieu de
» l'Univers , que nos fronts s'humilient de-
» vant ſa majeſté fainte.
NECROLOGIE,
L'EUROPE favante & littéraire a effuyé ,
depuis quelques années , des pertes aufli
nombreufes qu'irréparables : les Voltaire ,
les Haller , les Jean Jacques , les Hume
& c. &c. & c. ont répandu un deuil univerſel
dans le domaine des Sciences & des Talens.
Parmi ces Hommes célèbres qui ne vivent
plus que dans leurs Ouvrages & dans la mémoire
des hommes , il faut compter le favant
Euler , que la mort vient d'enlever à l'âge
de 76 ans , le 18 Septembre dernier. Cette
vie , quoiqu'allez longue , paroîtra bien
courte encore , fi l'on confidère le nombre
de fes Ouvrages. Jamais vie de Savant n'a
été plus utilement remplie . M. Euler a , pendant
56 ans , enrichi de bons Ouvrages les
Mémoires de l'Académie de Pétersbourg &
ceux de l'Académie de Berlin , pendant 25
ans environ. Il a encore contribué aux Alla
eruditorum , aux Mémoires de Turin & de
l'Académie de Paris , & au Recueil des Sa- .
vans Etrangers ; outre plufieurs Pièces qui
ont remporté des Prix , il a donné fur les
DE FRANCE. 85
Mathématiques de quoi compofer près de
20 Volumes in 4° . Enfin , il laiffe , dit on
de quoi fournir pendant is ans encore à
l'Acadérnie de Petersbourg.
Quelle immenfe carrière ! & elle a été
fournie avec autant de fuccès que de mérite
réel. A l'avantage d'une vie glorieufe , il a
joint celui d'une mort tranquillé & fans douleur.
Une Lettre de Saint Petersbourg nous
apprend qu'il avoit eprouvé de légers vertiges
à diverfes repriſes ; mais cette incommodité
étoit fi légère , qu'elle n'avoit pas
même interrompu fes occupations. Il préparoit
un travail géométrique fur la machine
de M. de Montgolfier; il y trouvoit la matière
d'un Mémoire intére ffant. Le jour même
de fa mort , il dîña fort bien , & s'entretint
avec M. Lexel de la planète de M. Herfchel .
Après avoir repofé un inftant , fuivant fa
coutume , il demanda un de fes petits- fils ,
âgé de douze ans , qu'il aimoit beaucoup , &
à qui il fe plaifoit à montrer les mathématiques.
S'étant fait apporter une pipe & du
thé , à quatre heures après midi , tout- àcoup
fa pipe lui échappa de la bouche , &
il s'écria avec un regret ingénu : ah ! ma belle
pipe ! quelques fecondes après il porta fa
main à fon front en difant , je fuis mort ; &
en effet , il tomba fur fon canapé , ne donna
plus aucun figne de vie , & il expira le foir à
onze heures . L'Académie de Pétersbourg a
pris le deuil , détail également honorable &
pour lui & pour l'Académie , qui a cru de
86 MERCURE
voir payer ce tribut de reconnoiffance à la
mémoire d'un homme à qui elle doit la plus
grande partie de fa célébrité.
VARIÉTÉ S.
SUR les Sermons de l'Abbé Poule comparés
à ceux de Bourdaloue & de Maf
fillon *.
PARMI
ARMI les grands changemens qui fe font
opérés chez les Nations modernes , on peut compter
la deftinée nouvelle qui y a reçue l'Eloquence. Je
parle fur- tout de cette Eloquence qui agit fur les
hommes affemblés , qui confifte autant dans l'ac
tion que dans le difcours , & à laquelle appartiennent
prefqu'exclufivement les grands triomphes de
l'Art.
Il n'y a plus rien de public , rien de national dans
notre ordre politique & civil . L'Eloquence a perdu
fon empire , fa voix même s'eft éteinte dans ce calme
& ce fecret des confeils où s'agitent les grands inté
rêts , où le préparent les grands événemens. La Loi
en fort filencieuſement pour être infcrite dans nos
Cours de Magiftrature , d'où elle règne fur les
Citoyens fans la majefté de la proclamation publique.
Il n'y a plus que l'administration de la juf
tice qui admette la préfence des Citoyens ; mais
les Loix n'y ont plus affez de fimplicité ni même
d'équité pour s'y montrer toujours fous un afpect
* Cet Article fait fuite à un autre fur un Éloge hiſtorique
de l'Abbé Poule , qui a paru dans le Mercure
uz Août dernier.
DE FRANCE 87
vénérable. Les chofes qu'on y difcute , pleines de la
pétitefle de nos âmes & de la fubtilité de nos efprits
, appellent plus fouvent le ton de la chicane
que celui de l'Eloquence Le Barreau offre encore .
quelquefois de grands objets , & il a fouvent poffédé
de beaux talens ; mais fes grands Hommes &
fes plus belles productions font trop inférieurs aux
hommes & aux ouvrages qui ont illuftré d'autres
carrières pour pouvoir en être rapprochés.
C'en étoit fait parmi nous de l'Eloquence , fi elle
n'avoit été adoptée par la Religion dans le temps.
qu'elle étoit bannie de l'adminiftration publique.
Les Religions anciennes n'étoient proprement que
des fpectacles inftitués en l'honneur de la Divinités
elles n'impofoient aucun devoir ; elles ne demandoient
que des refpects extérieurs ; elles ne fervoient
à la morale qu'en ce qu'elles recevoient les
fermens des hommes. Comme il leur fuffifoit en
général que l'homme pliât fous la crainte des puiffances
céleftes , elles n'étoient point jaloufes de régner
excluívement fur ton efprit , & elles vivoient
entre- elles dans toute la paix de l'indifférence . Leurs
Miniftres qui ne s'occupoient pas de gagner les
coeurs , qui n'entroient pas dans l'examen des actions
& des fentimens , fe taifoient dans leurs Temples
, fatisfaits de fubjuguer l'imagination par la
pompe de leurs cérémonies
Il ne pouvoit pas en être de même d'une Religion
donnée par le Dieu unique pour le falut de
l'humanité Contenant des objets de foi qui ne
demandent pas feulement la foumiffion du coeur ,
mais encore l'anéantiflement de la railon , révélant
toute la deftinée de l'hon me , lui apportant
une morale aufli inflexible que fublime , le déta
chant de la terre pour le placer entre les espérances
& les menaces éternelles d'une autre vie ; elle étoit
appelée par la charité , qui fait fon effence, à la
$8 MERCURE

conquête de l'Univers , dont elle portoit la promelle
dans les loix . A peine les Myftères qui devoient
la former font- ils confommés ,qu'elle s'arme de l'inf
truction pour marcher à fa fin, & fon plus folemnel
miracle eft le don de la parole communiqué aux
hommes choifis pour la répandre. Aufli on les voit
bientôt fe difperfer dans toutes les Nations , & tantôt
embrâfer une affemblée immenfe de l'efprit qui
les animoit , fortifier jufqu'au martyre ces hommes
à peine initiés dans des vérités fi grandes & fi nouvelles
tantôt les affembler dans des cavernes malgré
les menaces & la vigilance des tyrans , & trahir
le fecret des ténèbres qu'ils venoient chercher par
les faints tranfports de la prédication . Soit qu'elle
cherche de nouveaux profelytes , foit qu'elle n'ait
plus qu'à retenir dans la fidélité les âmes déjà foumifes
, cette Religion s'appuie toujours fur le fecours
de la parole; elle la repréfente fous les images les
plus impofantes ; elle la nomme le pain qu'elle diftribue
, le glaive qui la défend . Ainfi l'Éloquence , en
paffant de la Tribune à la Chaire , a trouvé un em.
ploi plus faint, & n'a pas recueilli une moindre
gloire.
On pourroit rapprocher ces deux Eloquences en
plufieurs points. On pourroit demander i les vérités
terribles ou confolantes de la Religion ne font pas
auffi puiffantes fur les cours que les généreux mouvemens
d'une âme libre qui jette des cris d'alarme fur
la chofe publique , ou qui appelle fa patrie à de
grandes réfolutions; s'il eft plus beau & plus difficile
d'arracher un peuple à fa dangereufe fécurité pour
l'entraîner aux combats , que d'enlever les hommes à
toutes les voluptés de la vie , pour leur faire embraffer
toutes les rigueurs de la pénitence , fi nous
ne pouvone pas oppofer nos Orateurs Chrétiens aux
Orateurs des Républiques anciennes , mettre en balance
le génie de Boffuet & celui de Démofthène ,
DE FRANCE &
comparer le pathétique de Maffillon avec celui de
Cicéron , le charme & l'élégance de leurs ftyles
feront plus aifé de pouffer bien loin ce parallèle que
de bien décider les queftions qu'il offriroit.
&
Un autre rapport entre l'Eloquence Républicaine
& l'Eloquence Religieufe me frappe & m'attire . Il faut
l'avouer , l'époque de leurs meilleurs fuccès n'a pas
été celle de leur plus grande gloire. L'hiftoire des
talens comme celle des gouvernemens parle beaucoup
plus du bruit que du bien qu'ils ont fait L'Éloquence
chez les Anciens étoit la compagne nécef.
faire de la liberté . Elle a préfidé dans Athènes &
dans Rome à ces beaux temps où ces peuples ne
tiroient encore leur grandeur que de leurs vertus.
C'étoit alors qu'elle opéroit d'heureufes révolutions
avec des talens encore bien imparfaits . A mefure
qu'elle s'eft élevée & embellie , les fiècles fe font
corrompus , & en fe faifant admirer davantage , elle
eft devenue moins utile . Cependant , tant que la
liberré dure , l'Eloquence conferve fa puiffance dans
une République. Démosthène & Cicéron virent finir
la liberté dans leur patrie ; mais auparavant leur
Eloquence lui avoit encore rendu de grands fervices.
L'Eloquence chrétienne à ces deux égards eft
plus heureufe & plus malheureufe tout enfemble . Elle
peut encore conferver toute fa gloire au ſein de la corruption
; mais elle perd prefque tous les bons effets.
Suivez fon hiftoire ; vous verrez qu'il lui en coûtoit
moins autrefois pour faire vivre de nombreuſes Sociétés
d'hommes dans la pureté des Anges & l'austérité
des Anachorètes , ou pour entraîner toute l'Europe à
la conquête des Lieux faints , qu'il ne lui en coûteroit
aujourd'hui pour influer d'une manière fenfible
& foutenue fur les moeurs d'une petite Ville. Ainfi
donc les talens les plus nobles finiffent par être fans
utilité ; heureux encore s'ils ne deviennent pas des
inftrumens de malheur & de corruption ! Nous ne
90
MERCURE
pouvons plus être des Apôtres , s'écrioit éloquemment
l'homme dont les Difcours vont m'occupers
on nous force d'être des Orateurs. Nous en fommes
venus à ce point, que les beaux génies que la Chaire
a connus & qu'elle fait entendre encore , fervent
davantage à l'Art oratoire , qu'ils enrichiffent de nouvelles
beautés , qu'à la Religion & à la Morale. Gémiffons
de ne plus trouver que la gloire des talens
dans des hommes qui devroient inſpirer des vertus
& réformer les moeurs ; mais profitons de ce der
nier avantage qu'ils nous offrent ; étudions au moins
leur ftyle dans un tems où leurs Leçons font devenues
fi impuiffantes. Soavenons nous cependant du refpect
& de l'amour qu'elles méritent. On ne cherche plus
aujourd'hui que les fuccès littéraires dans ce qu'on
éerit ; on ne fe frappe que du talent dans ce qu'on
lit ; les intérêts de la vertu font fouvent indifférens
à ceux même qui la peignent & la chantent. Portons
d'autres ves dans l'exercice des Arts fi nous ne
voulons pas précipiter leur chûte par leur aviliffement.
L'art d'écrire n'eft point une étudefrivole dans
celui qui veut le rendre utile au genre-humain, diſoit
l'Auteur d'Émile ; avec ce fentiment , on uniroit fans
ceffe les penfées de homme de Lettres à celles de
l'homme de bien. Malheureux celui qui pe peur
au moins le rendre témoignage de les bonnes
intentions , lors même qu'il n'ofe fe promettre de
bons effets , qui ne fent pas fon âme s'élever & s'épurer
par les travaux , qui ne fe juge jamais fur les
maximes & les exemples que lui offrent fes études ,'
& dans qui l'amour de la vertu ne fe nourrit pas de
la jouiffance des talens !
L'Eloquence Chrétienne renferme plufieurs genres
qui offrent chacun un grand nombre de noms
illuftres ; je ne parlerai ici ni des Oraifons funèbres
ni des Mandemens des Évêques ; je me bornerai à
DE FRANCE. 91
parler des beaux monumens de cette éloquence dans
la prédication.
On trouve parmi les Prédicateurs , le premier des
Orateurs chez les peuples modernes , le fublime
Boffuet. Ses Sermons , qui n'ont été publiés que
depuis peu de temps , ne portent pas l'empreinte entière
de fon génie , foit que fon génie n'eût pas encore
reçu tout fon développement dans le temps
qu'il les écrivit , ou plutôt qu'il les médita ; car ils
ne paroiffent que des exquiffes de Difcours ; foit
qu'il n'eût pas raffemblé toutes les forces dans ce
travail ; on y apperçoit cependant que Boffuet étoit
fait pour régner dans tous les genres. Sa réputation
étoit déjà fi grande , que la publication de fes Sermons
n'y a pas ajouté; ils ont été peu lus ; ils n'ont
pu détrôner Bourdaloue ni dans leur fiècle ni dans
le nôtre * .
(La continuation de cet Article au Mercureprochain.)
ANNONCES ET NOTICES.
TRAITE des Affurances & des Contrats à la
groffe , par M. Balthazard-Marie Emerigon , Avocat
au Parlement de Provence , ancien Confeiller au
Siège de l'Amirauté de Marſeille. Tome II . A
Marfeille , chez Jean Moffy , Imprimeur du Roi ,
de la Marine , & Libraire , à la Canabière ; & à
Paris , chez Delalain le jeune , Libraire , rue Saint
Jacques.
Voilà la fin de ce grand Ouvrage, qu'on peut
* M. l'Abbé Maury a écrit fur les Sermons de Boffuet
un morceau plein de goût & de talent , après le
quel feroit inutile & difficile de traiter le même fujet ,
& auquel je renvoye.
92 MERCURE
mettre au rang des productions les plus utiles , &
qui a recu du Public l'accueil qu'il méritoit , c'està-
dire , qu ' jour l'une eftine non conteſtée . C'eſt
le premier Ouvrage qui ait paru fur cette matière ,
ou du moins le premier où elle foit approfondie. Il
fera de la plus grande utilité pour le négoce maritim
, & prêt ra de grandes lumières aux Jurifconfultes
qui auront à prononcer fur cette partie du
Droit.
LES Agrémens des Campagnards dans la chaffe
des oifeaux , & le plaifir des grands Seigneurs dans
les oifeaux de Fauconnerie , par M. Boc'hoz , Au •
teur de différens Ouvrages économiques Volume
in 12 A Paris chez l'Aureur , rue de la Harpe , la
première porte - co - hère après le Collège d'Harcour.
Cet Ouvrage , qui eft le quatorzième des Ouvrages
économiques de M. Buc'hoz , & qui fait
fuire au Tréfor des Laboureurs dans les oifeaux de
baſſe cour , & aux Anuſemens des Dames dans les
oifeaux de volière , eſt divifé en deux Parties ; la
première taite des agrémens que procure à la campagne
la chaffe des oifeaux , & dans la feconde il
traite des plaifirs que donne aux grands Seigneurs
l'ufage des oifeaux de fauconnerie.
ÉLEMINS de Géographie , contenant , I. les
principales divifions des quatre Parties du Monde ,
avec de courtes Explications. fur chacune d'elles ;
2º. une Defc iption abrégée de la France à l'uſage
des Commençans , avec des Cartes par M. Mentelle
, Hiftoriographe de Mgr. le Comte d'Artois ,
Cenfeur Royal , & c . in - 8 ° . Prix , 2 livres broché ,
avec les Cartes enluminées , 2 liv. 8 fols. A Paris ,
chez l'Auteur , hôtel de Mayence , près le Notaire ,
rue de Seine , Fauxbourg S. Germain.
Le pom de M. Mentelle à la tête d'un Ouvrage
DF FRANCE. 93
Géographique eft une puiffante recommandation
qui vaut tous les éloges. Ces Elémens fe trouvent
dans la feconde Partie de fa Cofmographie ; mais
comme ils augmentoient le prix de ce Livre , & que
d'ailleurs la partie Aftronomique eft inutile aux
jeunes enfans , il a cru avec raison qu'on lui fauroit
gré de les faire imprimer à part.
On trouve chez le même Auteur , outre la Géographie
comparée & l'Atlas nouveau en cent trentehuit
Cartes , les Lectures Géographiques & Hiftoriques
en plusieurs Volumes in - 8 °. brochés , avec des
Cartes enluminées . Prix , 4 liv . 10 fols .
• 4
L'AMI des Enfans , par M. Berquin , Odobre
1783 , nº . 10. A Paris , au Bureau de l'Ami des nfans
, rue de l'Univerfité , au coin de celle du Bac ,
1º . 28. S'adrefler à M. Leprince , Directeur.
Ce Volume renferme nombre de petits Dialogues,
la Montre , Caroline , un pe it Plaifir changé contre
un grand, Matilde & la fuite de l'Ecole Militaire.
REFLEXIONS Chrétiennes fur les huit Béatitudes
, ou les huit Moyens enfeignés par Jéfus - Chrift
pour parvenir au véritable Bonheur , in - 12 , nouvelle
Edition corrigée. A Paris , chez Méquignon
Junior, Libraire , rue de la Juiverie.
C'eft à l'Auteur de cet Ouvrage qu'on doit
l'Explication des O de l'Avent , un Traité contre
les Parures , & un Traité contre les Danfes
Le petit Chanfonnier François , Tome III ,
in- 12. A Paris , chez la Veuve Duchefie , Libraire ,
rue S. Jacques .
Les deux premiers Volumnes de cet Ouvrage ont
eu beaucoup de ficces & un débit rapide. Le goût
qui a guidé le Rédacteur , en a fait un choix très94
MERCURE
agréable. Nous en rendrons compte dans les Nouvelles
Littéraires.
PORTRAIT du vertueux Jacqués Velfie, Commiffionnaire
âgé de quatorze ans , né en Auvergne,
Paroiffe de Neve Eglife , deffiné d'après nature.
Prix , r2 fols . A Paris , chez Legrand , rue Saint
Jacques , vis-à- vis celle des Mathurins , nº . 41 .
Ce Portrait eft celui du jeune Commiffionnaire
qui a tant fourni aux converfations de la Capitale
il y a quelque temps. Il eft fait dans la manière
rouge ; il a une expreffion agréable & beaucoup de
vérité.
EUVRES choifies de le Sage & de l'Abbé Prevoft
, avec figures , quatrième Livraiſon . A Paris ,
chez Cuchet , Libraire , rue & hôtel Serpente.
Les quatre Volumes qui viennent de paroître renferment
le Théâtre de la Foire de le Sage. Cette
Livraiſon eft la dernière des OEuvres de le Sage ,
dont la Collection eft de quinze Volumes. La Livraison
qui va fuivre fera la première des OEuvres
de l'Abbé Prevoft. La Collection des deux Auteurs
formera quarante-neuf Volumes in - 8 ° . ornés de
figures. Les gravures en font très - foignées ; elles
font faites fous la direction de deux Artiftes avantageufement
connus , MM. Marillier & Delaunay.
ALMANACH des Variétés amuſantes , Étrennes
aux Gens de bon goût pour l'année 1784 .. A Paris ,
chez Crepy , rue S. Jacques , nº . 252. Prix , 1 livre
fols broché , en étui , 1 livre 10 fols , en coffret
avec ſurpriſe , 1 livre 16 fols.
4
C'eft un Calendrier orné de gravures , qui font
plus foignées que ne le fout ordinairement celles
qui décorent ces fortes d'Ouvrages.
DE FRANCE. 95
SUPPLEMENT à l'Optique de Smith , contenant
une théorie générale des Inftrumens de Dioptrique.
A Breft , chez Romain Malaffis. A Paris ,
chez Jombert le jeune , Libraire , rue Dauphine.
Cet Ouvrage peut être regardé commee conve
pant autant à l'Edition de l'Optique de Smith par le
Père Pezenas qu'à celle que l'on doit à M. Duval
Leroy.
Avis à MM. les Supérieurs & Profeffeurs des
Séminaires & Colleges , & aux Pafteurs ayant
charge d'âmes.
Bidault , Libraire à Dijon , vient de mettre en
vente la cinquième Édition revue & corrigée du
Tractatus de vera Religione ad ufum Seminariorum
&facra Theologia alumnorum , in quo , Paftoribus
animarum , caterifque altarium miniftris , obvia
erit , certa facilifque deift rum ac judæorum commenta
confutandi methodus & objecta eorum quacumque
divellendi , & la troisième Edition du Tractatus
de Ecclefia Chrifti , ad ufum Seminariorum
&facra Theologia alumnorum in quo Paftoribus
animarum caterifque altarium minifiris obvia erit
certa, brevis facilifque heterodoxorum hominum commenta
confutandi methodus & objecta quacumque
eorum divellendi. Ces deux Ouvrages, par M. l'Abbé
Bailly , Bachelier de Sorbonne & Profeffeur en
Théologie , ont été univerfellement adoptés dans la
majeure partie des Univerfités , dans les Séminaires
& Colléges, tant en France que dans les Pays Étrangers.
Mgr. l'Evêque de Dijon ( M. de Vogué)
ayant reconnu le mérite de ces deux Ouvrages, a
nommé l'Auteur Chanoine de fon Églife Cathédrale
, & Promoteur de fon Diocèfe.
Le prix du détail eft de 5 liv. 10 fols l'Églife &
s liv. la Religion brochés. Néanmoins le Libraire
96 MERCURE I
prévient les Perfonnes qui font à la tête des Univerfités
, Séminaires & Coléges , qu'en prenant trente
Exemplaires à la fois , foit de l'un ou de l'autre de
ces Traités ou des deux enfemble , il leur fera une
remife ou un elcompte honnête fi on lui écrit directement
à Dijon , & il les leur rendra francs de port
dans tous les pays où ils les defireront
Le Libraire Bidault en ayant un dépôt à Paris , il
prévient les Perfonnes preflées ou plus à portée de
tirer de cette Capitale , qu'ils pourront s'adreffer a
Creffonnier , Libraire , quai des Auguftins , près la
rue du Hurepoix , au piemier , l'allée de la Marchande
de Modes .
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librai
rie fur la Couverture.
TABLE.
STANCES à Silvie , solDélaffement de l'Homme Senfible
50
76
Les QuatreParties duJour à la
52 Mer ,
Epitre à Madame ***
La Brebis & le Louveteau ,
Fable ,
Couplers à Mlle R... ,
Charade , Enigme & Logogry
phe
Académie de Le "ures ,
Eloge de M. de Reyras ,
81 .
84
53 Nécrologie,
Sur les Sermons de l'Abbé
55 Poule , comparés à ceux de
7 Bourdaloue & de Majjil
63
lon ,
Nouveau Théâtre Allemand , 67 Annonces & Notices ,
APPROBATION.


86
91
JAI lu , par ordre de Mgr . le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samed & Novembre , Je n'y ai
rien nousé qui effe en empêcher l'unpreftion A Paris ,
le 7 Novembre 1783. GUIDL

-P
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 15 NOVEMBRE 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
HARANGUE d'Ajax , difputant contre
Ulyffe les Armes d'Achille , tirée du
XIIIe Livre des Métamorphofes d'Ovide ,
Les Chefs fe font aflis : le Soldat en filence
Les entoure debout , appuyé ſur la lance,
Soudain , le bras armé d'un triple bouclier ,
Ajax au milieu d'eux s'avance le premier.
L'orgueil & le mépris font empreints fur fa bouche !
Vers le port de Sigée il tourne un ceil farouche ;
Il s'indigne , & les bras étendus vers les flots :
Dieux puiffans ! on diſpute à l'afpect des vaiſſeaux
Dit-il , & c'eſt à moi que l'on compare Ulyſſe ?
Avec moi , fans rougir , il ofe entrer en lice ?
Le lâche ! qu'ont vû fuir nos vaiffeaux menacés ,
Devant les feux d'Hector que j'ai feul repouffés.
20 wa№º . 46 , ons Novembre 1783. E
2
2.67
98
MERCURE
Je fais peu difcourir ; & jamais mon courage
D'un talent peu guerrier n'a fait l'apprentiffage.
Cet art de mon rival m'eft un art étranger.
Il eft brave au confeil , & noi dans le danger.
Mon épée & mon bras , voilà mon éloquence .
En ces lieux , eft ce à moi de prendre ma défenſe ,
De conter devant vous mes combats , mes exploits ?
Chacun de vous , ô Grecs ! les a pu voir cent fois.
Ces rivages , ces mers en gardent la mémoire ;
L'ennemi mieux que moi parlera de ma gloire.
Qu'Ulyffe vante ici des exploits moins connus ,
Dont lui feul fut témoin ; que la nuit ſeule a vus.
Je demande fans doute un trophée honorable ;
Mais le rival d'Ajax le rendroit méprifable ;
Et le plus noble prix qu'Ulyffe a diſputé ,
Devient un prix honteux vainement remporté.
Quel honneur d'obtenir ce qu'Ulyffe demande ?
Mais fon triomphe cft sûr, quelque fort qui l'attende ;
Il pourra dire au moins , fi je ſuis préféré ,
Qu'au valeureux Ajax il s'eft vû comparé.
Je peux
borner mes droits à ceux de mon courage ;
Mais ma naiffance
encor plaide à mon avantage
.
Mon père Thélamon
, qui des rives d'Argos
Accompagna
Typhys
aux rives de Colchos
,
Lui qui , des demi- dieux le vengeur
& l'émule
,
Servit contre Ilion la colère d'Hercule
,
Eft le fils d'Éacus
, fils du maître des Dieux ,
Et Jupiter
ainfi commençe
mes aïeux .
DE FRANCE. 79
Mais non : qu'an tel honneur me devienne inutile ;
Ne voyez dans mon fang que le pur fang d'Achille.
Du frère de mon père Achille étoit le fils :
A titre d'héritier j'oſe aſpirer au prix.
Toi , neveu de Syfiphe , & bien digne de l'être ,
Qui l'égales en fraude , & l'as vaincu peut - être ,
Tes droits avec les miens feroient- ils confondus ?
Veux-tu mêler ton nom aux noms des Eacus ?
Quoi ! l'on refuferoit l'armure renommée
A moi , qui le premier parus la main armée ;
Moi , qui dans les combats accourus le premier ?
Mon indigne rival , qui s'arma le dernier ,
Auroit ce bouclier , ce cafque , cette épée ,
Cette lance d'Achille au fang d'Hector trempée !
Le plus lâche feroit le plus récompenfé ?
Mais n'eft- ce donc pas lui qui , feignant l'inſenſé ,
Traçoit de vains filions fur un fable ſtérile ,
Quand démêlant enfin cette rufe inutile,
Et trop habile , hélas ! pour fon propre malheur ,
Palamède aux combats entraîna l'impofteur ?
Pourquoi l'y menoir-il ? Ah ! fi jamais Ulyffe.
N'eût d'un lâche confeil employé l'artifice ,
Philoctete ! aujourd'hui les déferts de Lemnos ,
Nous accuferoient- ils d'avoir caufé tes maux ?
Seul , preffé de beſoins , dans des antres fauvages ,
>Aux rochers , aux forêts , tu contes tes outrages ;
Tu fouhaites qu'Ulyffe en foit récompenfé ;
Et , puifqu'il eft des Dieux , tu feras exaucé.
E ij
100 MERCURE
Oui , Grecs , voilà l'effet des confeils d'un perfide.
L'héritier du courage & des flèches d'Alcide ,
Sur un fol ennemi rampant avec effort ,
Cherche an vil aliment pour repouffer la mort ;
Et contre des oiſeaux , foible & chétive proie ,
Ses mains perdent des traits maîtres du fort de Troye.
Il vit du moins , heureux d'être éloigné de lui ;
Mais Palamède , hélas ! que l'on pleure aujourd'hui ,
Prince trop malheureux , expira fa victime.
Sa haine ingénieuſe à lui forger un crime ,
A fait , fur l'innocent fauffement accufé ,
Tomber le châtiment d'un forfait fuppofé.
C'eſt ainſi qu'il nous fert. Sa criminelle adreſſe
Exile ou fait périr les foutiens de la Grèce :
C'eſt ainfi qu'il combat , qu'il ſe fait redouter.
Voilà les grands exploits dont il peut fe vanter.
Mais dût- il de Neftor furpaffer l'éloquence ,
Fera- t'il oublier qu'il laiffa fans défenſe ,
Sous un courfier fanglant , ce vieillard renversé ?
Vainement ce Héros , par les ans affaiſſé ,
Sous l'animal guerrier fe débat & s'agite :
Il crie , appelle Ulyffe , Ulyffe prend la fuite.
Non , ce récit n'eft pas un récit inventé ,
Wa crime injurieux par la haine imputé;
Ce n'eft point avec lui qu'un crime fe fuppoſe.
Croyez-en Diomède ; il fait fi j'en impofe ;
Diomède , qui , las de l'appeler en vain ,
Honteux de le voir fuir , l'arrêta de fa main.
DE FRANCE. ICI
"
Mais il eft dans le ciel , il eft une juftice .
Aux cris du vieux Neftor on a vû fuir Ulyffe ;
Et voilà que lui-même , à périr expoſé ,
Implore le fecours qu'il avoit refufé.
Neftor abandonné le condamnoit à l'être :
Si c'étoit le trahir , on peut trabir un traître :
Il ne pouvoit le plaindre ; il avoit fait la loi.
Je l'entends s'écrier : j'arrive , je le voi
Bleffé , demi -vaincu , renverfé fui la terre:
Mon bouclier s'oppofe aux efforts de la guerre ;
Mon bras le protégea fous ce rempart d'airain 5
Mais conferver un lâche , eft- ce un honneur enfin ?
Au prix de la valeur , puifque tu veux prétendre ,
Reviens aux mêmes lieux où je t'ai ſu défendre ;
Et, frémiffant d'horreur , viens-y dans ton effroi ,
Al'ombre de mon bras difputer contre moi.
Le lâche , qui fembloit ne refpirer qu'à peine ,
A foudain retrouvé fa force & fon haleine ;
Il fuit : Hector paroît ; la foudre eft dans fes yeux ;
Sur fes pas au combat il entraîne les Dieux.
Ulyffe en ce moment n'eſt pas le feul qui tremble :
Tout s'alarme, & les Chefs & tous les Grecs enfemble.
De ce fougueux vainqueur j'ofai feul m'approcher ,
Et mon bras lui lançant un énorme rocher ,
Arrêta dans fon cours fa fureur meurtrière.
Je le vis loin de moi rouler fur la pouffière.
Il ofa provoquer le plus brave de nous ;
Le fort qui me nomma fut d'accord avec vous.
E iij
102 MERCURE
Je combattis Hector , & peut-être avec gloire ;
Hector n'a pas du moins remporté la victoire.
Mais les Troyens , armés de haches , de flambeaux ,
Conduits par Jupiter , fondent fur nos vaiffeaux.
Que faifoit mon rival avec fon éloquence ?
Seul , de mille vaiſſeaux j'embraſfai la défenſe .
Prodigue de ma vie en cet affreux hafard ,
De mon corps tout fanglant je leur fis un rempart :
Plus d'efpoir de retour fans moi , fans ma vaillance .
Voilà ce que j'ai fait. Voici ma récompenfe.
Si je fuis digne d'elle , elle eft digne de moi.
Je lui rends tout l'honneur que d'elle je reçoi.
J'ofe le dire ici : ces armes immortelles
Ont plus befoin d'Ajax , qu'Ajax n'a beſoin d'elles .
Viens m'oppofer encor les chevaux de Rhéfus ,
L'image de Pallas , & le Prêtre Hélénus.
Qu'as tu fait dans le jour , ou qu'as-tu fait fans aide ?
Tu dois tout à la nuit , & tout à Diomède.
Tes exploits font les fiens ; & plus que toi cent fois
Au prix de la valeur Diomède a des droits ,
Des armes d'un Héros que prétend faire Ulyffe ?
En connut il jamais d'autres que l'artifice ,
La trahifon , la rufe & les pièges fecrets ?
Infenfé ! connois mieux quels font tes intérêts.
De cette armure d'or la lueur dangereuſe
Trahiroit dans la nuit ta marche ténébreuſe .
Ce bouclier immenfe , aux contours spacieux ,
Accableroit ton bras fous fon faix glorieux.
DE FRANCE. 103
Ce cafque trop pefant furchargeroit ta tête ;
Et fortant d'une main aux combats toujours prête ,
La lance d'un Héros , le plus grand des humains ,
N'eft pas propre à paffer dans tes débiles mains .
Quelle eft donc ton audace , ou plutôt ta folie ?
Frémis de ton deffein , fi tu chéris la vie.
Crains l'honneur dangereux que tu veux me ravir ;
Un tel prix te nuiroit bien loin de te fervir
Chacun pour l'enlever fera ton adverſaire.
En vain employeras - tu ta reffource ordinaire.
Chargé de ce fardeau , n'efpères plus de fuir ;
Ta dépouille eft aux mains qui voudront l'envahir.
Au prix du bouclier , qui te force à prétendre ?-
Le tien encore entier fuffit pour te défendre ;
Et le mien , de cent coups percé dans les combats ,
Demande un fucceffeur plus digne de mon bras.
Mais c'est trop difcourir; vainement conteſtée ,
Que parmi les Troyens cette armure jetée
Soit le prix du Guerrier qui , dans un choc affreux ,
Malgré tous leurs efforts , la reprendra ſur eux.
AINSI finit Ajax ; & l'on vit l'Affemblée
D'un murmure flatteur confufément troublée.
Ulyffe enfin paroît ; fes yeux demi- baillés
Se tournent fur les Chefs autour de lui placés.
Il garde quelque temps un modefte filence ;
Et le gefte répond à fa douce éloquence.
( Par M. de Saint-Ange. }
E iv
104 MERCURE
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Fantôme celui
de l'Enigme eft Corne- Mufe ; celui du Logogryphe
eft Laideur , où l'on trouve rue ,
Aire, Deli, ride , rade , Ida, air , eau , Dieu,
raie , lard , adieu & ire.
CHARADE.
Avos pieds quelquefois vous foulez mon premier ;
J'offre dans mon ſecond un terme familier ;
Daus le coeur de Penthièvre habite mon dernier.
ENIGM E.
LECTEUR , il faut dans un feul mot
Trouver pic , repic & capot.
LOGO GRYPHE.
NON , il n'eft rien de plus dur què mon coeur ;
Si vous m'ôtez deux pieds , il n'eft rien de plus tendre.
Rendez- les moi , je m'adreffe au Seigneur ;
Lois il m'entend. Ne peux-tu me comprendre ?
DE FRANCE. 105
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
GALERIE Philofophique du feizièmesiècle ,
par M. de Mayer. 2 Vol. in 8 ° . A Londres ,
& le trouve à Paris , chez Moutard , Imprimeur
Libraire de la Reine , rue des
Mathurins , hôtel de Cluny .
IL faut convenir que le feizième ſiècle a
tous les caractères qui peuvent tenter un
Hiftorien. Les couleurs fe préfentent d'ellesmêmes
fous fon pinceau. Les attitudes des
perfonnages de ce fiècle font fi prononcées ,
fi variées ! tant de grands intérêts te heurtoient
entre eux ! jamais l'Europe ne fut li
violemment agitée . La France , depuis Charles
VII , ne s'étoir jamais trouvée dans ces
grandes crifes qui décident prefque toujours
le fort d'un État. Ménacée d'une révolution ,
ou plutôt d'une fubverfion entière , elle a
repris fon équilibre après un fiècle de guerres
civiles ; heureufe de n'avoir eu à foutenir
pendant ces époques défaftreuſes , aucune
guerre étrangère ; plus heureufe encore
d'avoir fu conferver une forte d'afcendant
parmi fes ennemis , par le fouvenir de
fon ancienne prépondérance , par ce même
luxe , ces mêmes arts , & même , fi on
peut le dire , par fes vices brillans , par les
caufes de fa corruption , & par l'intérêt que
Ev
106
MERCURE
chaque Cour , ou , pour mieux dire , les
traitans , les gens de qualité , & la foldatefque
de tous les pays , avoient à la ruine
de la France , plutôt qu'à la conquête de cer
État !
C'eft delà que M. de Mayer eft parti ; il a
peint ces caufes des guerres & l'état de l'Eu
rope , avec chaleur , fouvent avec éloquence ;
& l'on trouve dans fon Ouvrage des apperçus
qui n'appartiennent qu'à lui .
François Ier fe préfentoit naturellement
fous fa plume ; il en a tracé le caractère ,
fans doute avec impartialité , mais avec des
couleurs différentes des autres Hiftoriens. Il
avoit , il eft vrai , une plus grande étude , &
il s'étoit procuré de plus grandes refſources ;
on lui avoit permis de fouiller dans des manufcrits
qu'on n'avoit encore communiqués
à perfonne . En permettant à un Roi l'amour
du luxe , en lui faifant un devoir de protéger
les Sciences & les Arts , M. de Mayer exige
de lui un projet & un plan d'amélioration
pour fes États. Or , il faut avouer que fous .
ce point de vue , François Ier ne pouvoit
guère obtenir de lui des éloges fans reftric- ,
tion. Ce Monarque , trop chevalerefque , "
trop inconfidéré , entreprit de grandes chofes,
occupa la rénommée , mais n'eut jamais .
en vue le bonheur de l'État avant d'entreprendre
la guerre. Il ne fongeoit qu'à lui ; fa .
prétention à l'Empire ne pouvoit en rien
contribuer à la fplendeur de la France cette
dignité Impériale lui étoit perfonnelle. Les
DE FRANCE. 107
guerres d'Italie , dont les malheurs de Charles
VIII auroient dû le détourner , ne firent
qu'irriter fon ambition , & ne fervirent qu'à
affoiblir fes États , fans donner des jouiffances
à fon amour propre.
Charles Quint eft mieux traité , parce
qu'il avoit plus de fuite dans fes idées , parce
que s'il avoit moins de vertu comme hom
me , il avoit plus de talens comme Roi , &
que fes entreprifes étoient plus relatives aux
Etats qu'ils gouvernoit. Viennent enfuite les
troubles occafionnés par l'héréfie. François
Ier eft l'auteur , fuivant M. de Mayer , des
malheurs de la Saint Barthélemi , par les perfécutions
qu'il ordonna contre les Proteftans ,
& qui jetèrent entre les Catholiques & les
Huguenots des femences de divifion ; parce
qu'il alluma parmi eux une haine que rien
ne put éteindre.
C'eft fous Henri II que l'abaiffement de
la puiffance des grands Seigneurs a commencé.
L'Auteur en a bien faifi & développé les
caufes & les effets .
Charles IX étoit difficile à juftifier . Il eſt
pourtant certain que ce jeune Roi avoit des
qualités , qu'il a été trompé ; & qu'après le
malheur d'avoir permis une action déshonorante
, if a eu celui de mourir trop jeune
pour en effacer la tache.
Ce qui étoit bien plus difficile encore
c'étoit de faire excufer Catherine de Médicis.
C'est encore ce que M. de Mayer a entrepris
; mais nous avouerons qu'il ne nous a
E vj
10$ MERCURE
pas convaincus. Il préfente fouvent comme
des foibleffes ce qui étoit des crimes.
prémédités ; & fa prévention pour fon heroïne
lui fait prendre des vices pour des erreurs.
Il nous femble qu'elle étoit bien plus
commandée par fon mauvais naturel que
par les Guifes , le Cardinal de Lorraine , & c .
Henri III eft peint tel qu'on l'a repréſenté ;
mais l'Auteur rapporte à fon occafion beaucoup
d'anecdotes & de détails inconnus..
Henri III gagne un peu fous la plume de M.
d : Mayer du côté de l'intention ; mais il y
perd par fes impudicités inconcevables. Il
faut lire les détails dans l'Ouvrage même .
M. de Mayer donne un tableau de l'état
général du commerce de l'Europe & de la
France dans le feizième fiècle . Il a eu la difcrétion
de s'arrêter toujours , quand fon plan
le conduifoit jufqu'à l'Ouvrage de l'Abbé
Raynal..
La récapitulation ou le réfultat de l'efprit
dominant & des caufes des troubles du règne
d'Henri III , lui ont fourni un Chapitre neuf.
Il faudroit que tous les Hiftoriens , après
avoir recueilli à leur manière tous les fairs
fiffent , comme M. de Mayer , une récapitulation
des maximes courantes qui forment
la maffe de l'opinion populaire , fouvent
affez forte pour entraîner la volonté du Monarque
& enchaîner l'autorité. Charles IX
& Henri III en ont fait la trop cruelle expérience.
La manière de M. de Mayer eft en général
DE FRANCE. 109
très -philofophique ; fon opinion n'eft jamais
efclave des préjugés ; & les réputations n'en
impofent point à fa critique. Nous allons
citer quelques fragmens pour donner une
idée de fa manière. « Elle ( Marie de Médicis
) aimoit la vengeance , & dédaignoit
les libelles qu'on écrivoit contre elle . Souvent
elle difoit : Ils ne favent pas tout ; &
quelquefois : Oh ! pour cela j'en ai l'âme
nette , je ne m'en vengerai point. Courageufe
jufqu'à la témérité , elle fe montra au fiège
du Havre dans les endroits les plus périlleux.
Elle haïffoit le Prince de Condé , qui
avoit livré ce port aux Anglois . On la vit
donner des marques de la plus grande colère
, en apprenant qu'un fecours d'Anglois
étoit arrivé à Rouen , qu'elle affiégeoit . Elle
demeuroit au fort Sainte Catherine toutes
les matinées. Autour d'elle pleuvoient bombes
& canonades . J'ai autant de courage que
vous , répondoit elle à Guiſe , qui la prioit
de fe retirer.
" Du camp au bal , du bal au Confeil
ce paffage ne lui coûtoit rien ; elle favoit
s'enfermer les journées entières dans le cabinet
avec fes Miniftres. Il eft encore douteux
fi l'amour du travail ne l'emportoit pas dans
elle fur l'amour des plaifirs. Mais cette
Reine , active , aimable & hardie , devenoit
quelquefois une colombe timide , une femme
craintive & fuperftitieufe . Elle invoquoit
de bonne-foi la magie au fecours de
fa foibleffe , & prétendoit difperfer , par
110
MERCURE
des fortilèges , les , forces ennemies qu'elle ne
pouvoit combattre. On la voit repréſentée
dans une médaille , à deux genoux , avec fes
enfans , faifant un pacte avec le diable ,
qui , comme on s'en doute bien , ne venoit
jamais à fon fecours . Elle ne manquoit jamais
d'entendre la Meffe & defaire fes Pâques
, & rendoit fes Offices Divins fort
agréables , par les plus habiles Chanteurs &
Muficiens. Sa Maifon & fa Cour étoient un
vrai Paradis de ce monde. Elle parloit &
écrivoit avec facilité. Nous avons tenu
dans nos mains de longues lettres , dans lefquelles
elle difcutoit , avec autant d'ordre
que de profondeur , des affaires de la plus
grande importance . »
L'indulgence de l'Auteur pour Catherine
de Médicis , perce dans le morceau qu'on
vient de lire ; mais on y reconnoît le talent
de l'Hiftorien , qui confifte fur-tout en deux
points , bien voir & bien peindre. Paffons
au portrait d'Henri III.
" Les premiers pas que ce Prince fit dans
le Royaume , furent marqués par des actes
de débauche & de religion . Se trouvant à
Avignon le mois fuivant , il voulut affifter
à la Proceffion des Battus , & fe fit recevoir
dans une Confrérie de Pénitens . La Reine ,
qui defiroit lui complaire , voulut en être,
auffi . Le Roi de Navarre poftula la même
faveur , quoiqu'il ne fût guère propre.
à
cela ( c'étoient les expreffions du Roi. ), Il y
avoit trois fortes de Pénitens à Avignon : les
DE FRANCE. IIL
blancs , qui étoient ceux du Roi ; les noirs ,
qui étoient ceux de la Reine ; & les bleus ,
qui étoient ceux du Cardinal d'Armagnac. »ر د
"Ce n'étoit plus ce brillant Duc d'Anjou ,
qui promettoit un Roi guerrier & maître de
lui- même ; c'étoit un Prince bon & effé--
miné le fceptre échappoit de fes mains , &
il fe plaifoit à le confier à des Mignons , qui
gouvernoient le Royaume au gré de leurs
vices & de leurs paffions. Il fermoit les yeux
fur les démarches des Princes Lorrains , qui ,
fuivant avec opiniâtreté le plan de leur élévation
, mettoient à profit les vices des Mignons
, les foibleffée du Roi & les impatiences
de Catherine . Habiles à les dévouer au
mépris public , & à cacher la main qui les
dénonçoit , adroits dans leur conduite , jouant
la vertu à la ville & le vice à la Cour ; ici ,-
cenfeurs rigides ; là , complaifans vils de
Henri & de la Reine Mère , les Guife fe
ménageoient la faveur à la Cour , des vengeurs
dans le Peuple , & des factieux dans
le Clergé. Henri , averti par des efpions , refufoit
de croire à des avis certains ; fa langueur
ne lui permettoit pas de prendre des
mefures vigoureuſes.
" C'étoit la main des plaifirs qui avoit
défiguré Henri III ; il avoit trouvé à côté de
la beauté des poiſons cachés . Déjà un venin
corrupteur circuloit dans fes veines , &
c'étoit une reffemblance au moins qu'il avoit
avec François Ier ; mais comme fon aïeul ,
il fut une victime de cette maladie étran-
*
112 . MERCURE
gère , qui , pai
l'intempérance des deux Monarques
François , avoit attaqué le trône , en
même temps qu'elle frappoit la nation .... »
66
L'alliage continuel , qu'il ne ceffa de
faire pendant le refte de fa vie , des plaifirs
& des pratiques de dévotion , avoient une
caufe autre que la
fuperftition. Louiſe de
Vaudemont , fon épouſe , donnoit à la Cour
un exemple bien différent du fien. Certe
Reine étoit vertacufe & dévote ; elle avoit
fur le Roi cet empire qu'on prend tôt ou
tard fur une âme foible. Henri , dans des
accès de rendreffe , venoit apporter aux pieds
de la Reine & fon amor & fes regrets .
Alors la Reine fe permettoit fur fa conduite
un long examen . Plus éclairée , elle auroit
confeillé au Roi de veiller davantage à l'a
venir fur les befoins de l'État ; elle fe bornoit
à lui ordonner des bigoteries qui le rendoient
ridicule aux yeux de l'Europe entière.
La ftérilité de la Reine entretenoit les troubles
en France , & flattoit les Guifes de l'efpérance
de parvenir au trône. Henri fentoit
le befoin qu'il avoit d'un héritier . Delà ces
ex voto , ces pèlerinages , ces proceffions
qui l'occupèrent la moitié de fon règne. Il
alloit , vêtu d'un froc de toile , à Chartres ,
à Meaux , à Notre - Dame de Lieffe , près
de Laon ; promettoit ici une Vierge d'argent;
là , fondoit des Chapelles. Il y alloit avec la
Reine ; ils faifoient toucher lears chemifes
à cette Notre- Dame ; & au défaut d'un miracle
, il faifoit venir à grands frais Laurent
>
DE FRANCE. 113
Jombert , Médecin à Montpellier , pour
effayer fi , par les fecrets de l'Art , ce Méde
cin pourroit lever les obftacles qui rendoient
fon mariage ftérile. Les moyens humains
étant nuls , il recommençoit les proceffions.
Elles ne fe terminoient pas toujours
aufli pieulement qu'elles avoient été commencées
. La débauche fe mêloit avec les
actes de religion ; & Poncet , fameux Prédicateur
, leur en faifoit en chaire de fanglans
reproches. J'ai été averti ( difoit il en parlant
de ces Pénitens ) de bon lieu , qu'hier aufoir,
qui étoit le Vendredi de leur proceffion , la
broche tournoit pour le fouper de ces gros Pénitens
; & qu'après avoir mangé le gras chapon
, ils eurent pour collation de nuit le petit
tendron qu'on leur tenoit tout prêt . Ah ! malheureux
hypocrites , vous vous moquez donc
de Dieu fous le mafque , & portez par contenance
unfouet à votre ceinture ? Ce n'eft pas
là , de par Dieu , où il faudroit le porter ,
c'eft fur votre dos & fur vos épaules , & vous
en étriller très bien ; il n'y a pas un de vous
qui ne l'ait bien gagné. A ces déclamations
véhémentes , le Roi ne répondoit rien ; il fe
contentoit de parler avec douceur aux déclamateurs
, ou de les punir de quelques mois
de prifon ; punition trop légère , qui enhar
diffoit à la défobéiffance , & familiarifoit
le peuple avec ces accufations indécentes . »
Un troisième Volume doit fuivre ces deux
premiers. Sans doute on y parlera de la
Maifon de Lorraine , qui joua un fi grand
114
MERCURE
rôle dans les troubles de ces temps , & qui
doit completter le tableau du fiècle que l'Auteur
a voulu peindre .
M. de Mayer annonce l'Hiftoire de la
Conjuration d'Amboife , qui va paroître inceflamment
, & nous ne pouvons que la defirer
, s'il remplit la tâche qu'il s'eft impofée
dans la notice qu'il en a donnée à la tête du
premier Volume.
On trouve dans ceux dont nous venons de
rendre compte beaucoup de pièces justificatives
importantes , neuves & curieufes.
ORAISON Funèbre de Très haut & Trèspuffant
Prince Louis - Camille de Lorraine ,
Prince de Marfan , Chevalier des Ordres
du Roi, Lieutenant- Général de fes Armées ,
Gouverneur du Pays & Comté de Provence,
des Villes , d'Arles , Marseille , Toulon
& Teres adjacentes , &c. prononcée dans
Péglife Paroiffiale de Lambefc , devant
l'Alfemblée Générale de la Province , le
20 Novembre 1782 , par M. l'Abbé de
Thorance , Chanoine de l'Églife Métropolitaine
d'Arles , imprimée par ordre de
la même Affemblée. A Aix , chez Jofeph
David , Imprimeur du Roi .
L'Oraifon Funèbre d'un Prince , à qui il
ne fut pas donné d'occuper une grande place
dans l'Hiftoire de fa Nation & de ſon ſiècle ,
quoiqu'il ait d'ailleurs fignalé fa vie par des
vertus & des talens , peut fort bien ne pas
DE FRANCE. 115
obtenir un intérêt général , mais elle peut
avoir un véritable intérêt dans les lieux où
l'on devoit au Prince des hommages & une
reconnoiffance fondée fur des bienfaits particuliers
& une épreuve continuelle de fes
qualités utiles & aimables. Le Prince de
Marfan s'étoit fait chérir dans la Provence
par tous les fervices qu'une Province pou-.
voit recevoir de fon Gouverneur . Il étoit
bien jufte que cette Province lui décernat un
éloge public , & M. l'Abbé de Thorance a
dignement rempli le voeu de fes Concitoyens.
Son Difcours eft écrit avec nobleffe . & elegance
; rien n'y eft outré , pas même la louange
; il réunit le goût & le talent.
On en jugera par ce morceau fur les
Guife , dont defcendoit le Prince de Marfan .
و د
Je ne fais , Meffieurs , fi je m'abufe ,
» mais je ne puis me perfuader que l'intérêt
de nos louanges languiffe an milieu de ces
" douces images. Je ne puis croire que le
» defcendant des Guife donnant , dans fa
» retraite , l'exemple d'une probité fans
tache , d'une exactitude parfaite à tous les
» devoirs du fang & de la fociété , vous pa
roiffe moins grand , entouré de fes paifibles
vertus , que fes ancêtres célèbres , à
la tête des armées tumultueules , qui ,
liguées pour la défenſe du trône , en devin-
» rent l'effroi. N'accufons point ici desnoms
illuftres ; & n'imputons qu'à l'ignorance
» des temps ces travers malheureux que .
» notre génération défavoue . Mais , s'il eſt
ود
"
و ر
ע
"
و ر
و د
116 MERCURE
""
"
permis de rappeler pendant le calme le
" fouvenir des tempêtes , puis je m'empê-
" cher de tourner un moment vos regards
» fur l'abus déplorable des armes, pour vous
» faire mieux fentir le prix des vertus pacifiques
? Ah ! fi le monde ne fe plaît que
» dans les horreurs de la guerre ; s'il ne veut
» reconnoître que cette gloire funefte qui
" naît de la deftruction de nos femblables ,
qu'il ne demande pour fes Héros que des
éloges profanes , & qu'il cherche des apologiftes
capables d'encenfer toutes les er-
» reurs qui le féduifent. Pour nous , Miniltres
d'une Religion fainte & amie de l'humanité
, nous nous réfervons de celebrer
» la juftice , la bonne foi , la charité , la clé-
» mence , toutes les vertus qui font le bonheur
du monde . »

39
30
"
i n'y a qu'un fanatifme imbécille , ou la
fureur de faire de l'effet par des chofes extraordinaires
qui puiffent faire regretter des
temps fouillés de tous les crimes des guerres
de Religion. Mais ces temps peuvent avoir en
morale & en politique des avantages qu'il
eft permis d'oppoſer aux maux du fiècle actuel;
c'eft ce que l'Orateur a fait avec un efprit
fage & un ftyle énergique.
30
"Mais , hélas ! ces jours de férénité poar
l'État , font pour la Religion des jours de
» tribulation & de guerre. Au zèle aveugle
qui abufa de fes loix , a fuccédé une haine
» farouche qui les renverfe. Des hommes
audacieux ont levé l'étendard de la révolte.
""
DE FRANCE. 117
"9
99
La vanité leur a donné des protecteurs
dangereux , & les efprits font entraînés
» dans le tourbillon de l'incrédulité , comme
" autrefois dans le défordre des factions.
" Ah ! du moins la Nation s'aguériffoit au
milieu de ces diffentions meurtrières ; les
» talens fe développoient ; les caractères
devenoient plus fiers , les vertus plus
» mâles ; & c'est peut- être ce long enchaî-
>> nement de troubles & de guerres civiles
93
39
93
qui prépara le règne immortel de Louis-
" le Grand. Mais nous , quel fruit retire-
" rons- nous de nos excès ? Tout s'écroule
» avec la Religion . Les moeurs fe corrom-
» pent ; les vertus s'altèrent ; le patriotifme
s'éteint ; les âmes s'énervent ; les généra-
» tions le dépravent : infenfés ! nous gémiſfons
fur les travers de la fuperftition de
nos pères ; mais l'impiété de notre fiècle
» va laiffer aux races futures bien d'autres
fujets de larmes ! >>
ss.
"
3D
33
CHOIX des meilleures Pièces du Théâtre
Italien moderne , traduites en François ,
avec des Differtations & des Notes , par
M. Béguiller , Avocat , Correſpondant
de l'Académie des Sciences & de celle
des Infcriptions. A Paris , chez l'Auteur ,
rue S. Jacques , près celle de la Parcheminerie
; Morin , Imprimeur - Libraire ,
même maifon.
Le Difcours Préliminaire développe le
118 MERCURE
+
but , les motifs & les avantages d'une Collection
des meilleures Pièces de caractère
littéralement traduites du Theatre Italien
moderne , prefque inconnu en France , où
l'on croit affez communément , d'après le témoignage
de quelques Gens de Lettres , que
les Italiens n'ont pas une feule bonne Comédie
, & qu'ils en font réduits à des farces
de place , à des bouffonneries dignes des
tréteaux , enfin des espèces de canevas dont
le Ghérardi nous a donné une idée par fon
ancien Théâtre Italien. L'Auteur fait voir
que l'Italie , déjà fameule par les beaux
fiècles des Plaute , des Térence , des Virgile
, & c. eut encore le bonheur de recueillir
dans fon fein les précieux reftes des bonnes
Lettres chaffées de la Grèce après la prife de
Conftantinople par les Turcs , qu'alors cette
contrée , remplie de petits États Républicains
, devint une feconde fois le berceau
des Arts & des Sciences après tant de fiècles
de barbarie , & qu'elle eut la gloire de les
cultiver feule & fans altération pendant plus
de deux cent ans , tandis que le refte de
l'Europe , entièrement plongée dans les bour
biers fangeux de l'ignorance la plus craffe ,
& de l'anarchie féodale qui tenoit fes efclaves
enchaînés fous le poids d'une Légiflation
atroce , abfurde & defpotique ; que
le fiècle des Médicis , à jamais célèbre par
les hommes immortels qu'il a produits en
tout genre , avoit précédé la renaiffance des
Lettres en France ; que François Ier , à l'eDE
FRANCE. 119
xemple de Charlemagne , fit venir de
l'Italie les Savans , les Littérateurs , les Artiftes
; que notre langue ruftique & groffière
, nos Spectacles & nos Arts encore
au berceau , ne ſe ſont perfectionnés depuis
François Ier que par ce que nous avons emprunté
, fous ce règne & les fuivans , du
commerce avec les Italiens , qui ont toujours
eu jufqu'à nos jours tantôt plus , tantôt moins
d'excellens Poëtes Dramatiques ; que la langue
Italienne difpute avec raifon la prééminence
fur toutes les langues modernes de
l'Europe , fans même en excepter la Françoife
, dont elle n'a ni la marche pédefte &
gênée , ni la fourde monotonie , ni la pauvreté
difetteufe de mots propres , ni les ancmalies
perpétuelles, ni la timidité & la fauffe
délicateffe ; qu'étant analogue comme la
Françoife à l'ordre des idées , elle a la même
clarté , mais qu'elle devient tranfpofitive
comme les langues anciennes , lorfque les
paffions exigent de la chaleur , de l'éloquence
, de l'énergie ; que c'eſt en mêmetemps
la langue des Dames , des Philofophes
, des Poëtes & des Muficiens , que c'eft
la feule langue lyrique & muficale de l'Europe
; la feule propre à tous les genres Dramatiques
, même aux Poëmes Épiques qu'on
chante dans les carrefours , comme l'Iliade
& l'Odvffée du temps des Grecs .
Après ce Difcours Préliminaire , dont il
faut lire les preuves dans l'Ouvrage , l'Auteur
donne l'Hiftoire & la Poétique du
120 MERCURE
Théâtre Italien , qu'il repréfente comme un
des plus riches & des plus féconds de l'Europe.
Sans parler du Théâtre ancien ni de
celui des Métaftale , des Apoftolo- zeno , & c.
qu'il réſerve pour un autre volume , il s'en
tient aux Comiques modernes inconnus en
France , tels que le Fagivoli , reftaurateur du
Théâtre Tofcan ; l'Abbé Chiari , Poëte Impérial
à Milan ; le Goldoni , actuellement
vivant à Paris. C'eft de ces excellens Auteurs
Comiques que le Traducteur fera un choix
des meilleures Pièces de caractère auxquelles
il joindra des obfervations & des notes , où
il les compare à nos Scènes Françoifes.
Ce Ier Vol. eft terminé par la Traduction
de la Dom dei Garbo , du célèbre Goldoni
fous le titre de la Docte intrigante , ou de
la Femme accorte & de bon fens. M. Béguillet
a dans fon porte- feuille une vingtaine de
Pièces traduites des Auteurs dont on vient
de parler. Il continuera fi fon entrepriſe eft
accueillie. On y trouvera le double avantage
de bien connoître le Théâtre Italien ,
& de pouvoir apprendre cette langue fans
maître.
N. B. On donnera dans un autre N° . la
fuite de cet article , dans laquelle on fera des
citations & quelques obfervations critiques .
PROJETS
DE FRANCE. 121
PROJETS de Bienfaifance & de Patriotifme
pour la Ville de Bordeaux , & pour toutes
£ les Villes & gros Bourgs du Royaume ,
par M. L.F. D. B. Avocat en Parlement ,
de l'Académie des Arcades de Rome ,
vendu au profit des Pauvres du Diocèfe de
Bordeaux. Prix , liv. 4 fols . A Paris ,
chez Froullé , Libraire , Pont Notre- Dame ,
es & Colombier , rue des Mathurins ; à Bordeaux
, chez Gentrac , rue Saint Pierre ;
Chappuis , à la Bourfe ; & les Frères
Labottière , Place du Palais.
J
3 1
> i CETTE Brochure répond completrement à
fon titre & aux intentions de fon Auteur ;
elle refpire par-tout le patriotifme & l'humanité.
On y trouve plufieurs projets que M. de
Beaufleury propofe en homme auffi defintéreffé
que zélé pour le bien public. Le premier,
qui concerne la mendicité , eft divifé en
trois Chapitres. Il prouve dans le premier
Chapitre que la mendicité eft la fource d'une
foule de maux ; & parmi plufieurs traits , il
s'en trouve un bien remarquable que nous
allons tranfcrire . La Beauce eft la Province
où les mendians vagabonds font plus nombreux.
Les Fermiers de cette Province ,
» dont la plupart font riches , fe diftinguent
» fur-tout par des charités abondantes . L'un
» d'eux , nommé B. *** , Fermier de la B. * ,
» diftribuoit tous les jours aux pauvres une
fournée de pain ; ils fe mult plièrent tel
No. 46 , 15 Novembre 1753. F
39
39
122 MERCURE
"
» lement dans le courant de l'hiver de 1761
» où 1762 , qu'il fut obligé d'en donner
» deux fournées . Un jour que la diftribution
» avoit été faite de bonne heure , une troupe
» de mendians fe préfenta à la porte ; ils de-
» mandèrent du pain , on leur dit qu'il n'y
» en avoit plus ; ils infiftèrent , on les re-
» fufa. Ils fe retirèrent de mauvaife hu-
» meur ; & dans la nuit , la ferme , dont
les granges étoient pleines , fut dévorée
" par les flammes. »
"
"
La réflexion que fait naître cette Anecdote
, eft bien terrible. Il s'enfuit que ce
Fermier fut puni de fa bienfaiſance comme
d'un crime ; & qu'il n'auroit pas été ruiné
s'il n'eût été auparavant généreux & humain.
L'Auteur , dans le fecond Chapitre , fait
voir l'infuffifance des moyens employés en
différens temps pour détruire la mendicité ;
& dans le troisième , il démontre l'utilité
des établiffemens qui tendent à rendre les
mendians utiles à l'État , fans les rendre malheureux.
Dans ce dernier Chapitre , il cite l'exemple
de plufieurs Villes de la Flandre Françoife
, où l'on a trouvé un moyen fort fimple
pour arrêter la mendicité , en obligean
chaque Paroiffe de nourrir fes pauvres. « Le
» jour de la S. Jean , on affemble dans l'Églife
tous les pauvres qui font à la charge
de la Paroiffe ; hommes , femmes , enfans ,
» vieillards ; on les appelle tous , on les
» fait monter l'un après l'autre fur une
"

DE FRANCE. 123
"
*
pierre deftinée à cet ufage , & qui fe
trouve placée dans le cimetière ; on fait
alors une espèce de vente au rabais , c'eſt-
» à- dire , que celui qui demande le moins
» pour la penfion de pauvre expofé à
l'encan , le charge de le loger , de le
» hourrir & de l'entretenir pour le prix
» convenu. On prend ordinairement un ene
» fant à 7 liv. , un vieillard à 20 liv. Les
jeunes gens de 17 à 18 ans ,
à 18 ans , bien conftitués
, font quelquefois pris pour très peu
» de choſe , on évalue le travail qu'ils peu-
» vent faire. Pour trouver les fonds nécef-
» faires à la fubfiftance des pauvres , indépendamment
des quêtes , tous les propriétaires
fe cottifent ; on paye environ
» trente fols par arpent de terre : perfonne
» n'eft exempt. »
"
"
93
33
"
Cette matière a été trop fouvent difcutée
depuis quelque temps , pour que nous entrions
ici dans de longs détails à cette occafion.
M. de Beaufleury , avant de la traiter ,
a fait les recherches les plus étendues & les
plus exactes. Il a pris dans la plupart des
villes des informations fur les moyens qu'on
employoit contre la mendicité . Nous renvoyons
à l'Ouvrage même pour les bureaux
de charité dont il propofe l'établiffement.
L'Auteur y joint une école de filature pour
les petits garçons , les petites filles & les vieillards
, avec la fondation d'un Mont de Piété
ou prêt gratuit fur gages . Cette Brochure eft
terminée par un Mémoire fur l'établiffement
Fij
124
MERCURE
de plufieurs bureaux d'affurance contre les
incendies des maifons .
M. de Beaufleury invite ceux qui voudront
concourir au fuccès de ces établiffemens
, à remettre ce qu'ils auront à donner
chez M. Monnot , Notaire , rue de l'Arbre-
Sec , à Paris ; & chez M. Rauzan , Notaire ,
rue Neuve , à Bordeaux . Son Ouvrage lui
doune des droits à l'eftime des amis de l'humanité.
LES Après - Soupers de la Société, petit
Théâtre Lyrique & Moral , fur les aventures
dujour. 19me Cahier , & 20me Cahier
, Tome V. A Patis , chez l'Auteur
rue des Bons - Enfans , la porte - cochère
vis- à vis la Cour des Fontaines du Palais
Royal.
Le dix neuvième Cahier de cette intéreffante
Collection renferme Agrippa , Comédie
en un Acte , en vers , dont nous allons
donner une idée.
Agrippa d'Aubigné , neveu de M. de
Thermis , Gouverneur de Pezenas , eft
amoureux de Florife , fille de M. de Salvion ,
Commandant du Château . Salvion eft un
homme foible , qui a donné fa parole à
d'Olnu , rival de d'Aubigné , qui en eſt averti
par la Soubrette . Celui ci en parle à Salvion ,
qui lui dit en effet qu'il a un engagement
avec d'Olnu . Mais enfin , lui dit d'Aubigné ,
vous connoiſſez mon attachement pour vous ;
DE FRANCE. 125
que falloit- il faire pour gagner votre confiance
? Et Salvion lui répond :
Avoir un caractère ;
Des amis de votre oncle adopter les projets ;
Vous lier fans réſerve à leurs feuls intérêts ;
De tous nos ennemis vous montrer l'adverfaire ,
Et les poursuivre avec chaleur ;
Enfin , comme d'Olnu , dont le zèle eft fincère ,
Les hair de tout votre coeur.
D'Aubigné , pour vaincre la réfiftance de
Salvion , promet tout ; Salvion revient fur
fon compte , & s'engage à lui donner Florife.
D'Olnu , à qui Salvion déclare qu'il a
choifi d'Aubigné pour gendre , & qui avoit
toujours feint de ne fupplanter qu'à regret
d'Aubigné à caufe de fon amitié pour lui ,
continue d'ufer de rufe , fait femblant de
donner les mains à ce mariage , & demande
à Salvion un entretien fecret pour tendre
un nouveau piège à fon rival. Dans cet entretien
il engage Salvien à demander à d'Aubigné
des papiers qui renferment des fecrets
d'Etat , perfuadé que d'Aubigné , qui les a
reçus autrefois en dépôt , ne voudra pas les
livrer , les ayant déjà refufés à fon oncle
qui les avoit demandés auparavant. D'Aubigné
, que cette demande ne laiffe pas que
d'embarraffer, finit par fe rendre , & trompe
par là les projets de d'Olnu. Cependant , fon
oncle , le Gouverneur , M. de Thermis , arrive
inopinément ; & Salvion lui annonce
Fil
126
MERCURE
qu'il a promis fa fille à d'Aubigné , à condition
qu'il lui remettra des papiers qu'il lui
a demandés . M. de Thermis , piqué de ce
que fon neveu va donner à Salvion des papiers
qu'il lui a refufés à lui- même , fe cache
pour voir les chofes jufques au bout.
D'Aubigné arrive ; mais il a rougi de ſa foibleffe
; & il dit à Florife , qui lui parle de
fon mariage :
Il n'eft rien qu'à ce prix mon coeur ne facrifie :
Croyez que votre amant vous aime avec excès ;
Je donnerois pour vous mon bien , mon ſang , ma vie ;
Vous déplaire eft pour moi l'arrêt de ma mort... mais
Par une trahifon infigne
Je ne ferai point votre époux ;
Et j'aime mieux vous perdre étant digne de vous ,
Que fipour vous avoir je m'en rendois indigne.
( Il déchire les papiers , & les jette au feu devant
Salvion lui-même. )
Floriſe , c'eſt ainfi qu'on doit vous mériter.
M. de Thermis , qui a tout entendu , paroît
& embraffe fon neveu. Salvion veut retirer
fa parole ; mais M. de Therinis le ramène
en lui difant :
Mais vous , l'ami conftant du juſte qu'on opprime ,
Yous taxez mon neveu d'opiniâtreté :
Savez-vous que fa fermeté
Eft l'élan d'un coeur magnanime
Ila fu résister à l'amour qui l'anime
DE FRANCE. 127
Pour fervir l'ennemi qui l'a perfécuté ,
Et qui l'a fait languir héroïque victime
Au fein de l'esclavage & de la pauvreté :
Il pouvoit écouter l'intérêt , la vengeance ;
Je le craignois , & par prudence
J'ai voulu le réfoudre à me facrifier
Un dépôt dont fon coeur peut fe glorifier.
Ne les regrettons point , ces papiers inutiles ,
Malheureux alimens des difcordes civiles ,
Et qu'aujourd'hui la paix doit nous faire oublier.
Eft-il beau d'exercer des vengeances faciles ?
Sur l'ennemi vaincu faut- il nous acharner?
Songez qu'en ce moment la France nous contemple ;
Le Monarque a fait grâce , imitons fon exemple :
Il eft fi doux de pardonner !
Salvion pardonne auffi ; & on comble les
voeux des deux amans .
Deux ou trois Pièces Fugitives terminent
ce Volume. Nous allons en citer un impromptu
:
A cet ordre abfolu je fens qu'il faut céder ;
Je vous jure à jamais l'amitié la plus tendre,
Si l'ami peut vous demander
Tout ce que l'amant peut prétendre.
Dans le vingtième Cahier , on lira avec
plaifir les Nègres ; Comédie en un Acte Se
en profe , à l'occafion de la Paix.
Thompfon aime Camille , fille d'un Colon
établi au Cap , mais le père de Camille veut
13
• Fiv
128. MERCURE
la donner à M. Calinville , fon Régiffeur ,
parce que celui ci doit avoir à l'Armée une
place qui affure fa fortune . Thompfon pratique
des intelligences dans l'habitation de fa
maîtreffe , & parvient à lui faire donner uni
rendez vous , dans le projet de l'enlever.
Mais Calinville traverſe fes projets ; il furprend
les deux amans , comme ils font prêts
de prendre la fuite . Cependant les deux
pères , qui ne s'éloignoient l'un de l'autre,
que parce que l'un eft François , l'autre Anglois
, & que la guerre exifte entre les deux
Nations , fe rapprochent à l'occaſion de la
paix . Le père de Camille fe décide d'autant
plus volontiers , que cette Paix renverfe les
projets de fortune du Régiffeur qu'il avoit
choifi pour genre ; & Camille & Thompſon
s'uniffent par un heureux hyménée .
Tel eft le fonds de cette petite Pièce. On'
verra avec plaifir la peinture des Nègres ,'
leurs travaux , leurs converfations. La Soubrette
Négreffe eft d'un caractère piquant ;'
& le Régiffeur eft comique & théâtral. Nous
nous fommes trop étendus fur la première
Pièce pour pouvoir entrer dans de longs détails
en parlant de celle ci . Nous nous contenterons
de citer deux Couplers du Vaudeville
qui la termine :
Lours vouloit à l'Univers
Rendre la liberté des mers;
Boſton trembloit pour les murailles ;
Yorck éprouvoit des revers :
DE FRANCE. 129
*
T 30
Louis a dit : « Brifons leurs fers ,
Et la Paix fe fait à Verſailles .
Les plus beaux exploits de Louis.
Sont tous les coeurs qu'il a conquis.
NON , jamais dans un jour plus beau
L'Hymen n'alluma fon flambeau ;
Un bon règne eft ce qu'on fouhaite ,
Et nos voeux étoient fatisfaits .
Il nous manquoit encor la Paix ;
Vive le Roi ! la Paix eft faite .
Les plus beaux exploits de Louis
Sont tous les coeurs qu'il a conquis.
LE Décaméron Anglois , ou Recueil des
plus jolis Contes , traduits de l'Anglois
par Miff Mary Wouters . Seconde Partie.
A Londres , & fe trouve à Paris , chez la
Veuve Ballard & fils , Impr . du Roi , rue
des Mathurins ; la Veuve Duchefne
Libraire , rue S. Jacques ; Mérigot l'aîné ,
vis à vis l'Opéra ; & Renault , rue Saint-
Jacques.
:
Nous avons annoncé avec plaifir , comme
nous l'avions lûe , la première partie de cet
Ouvrage. Il eft d'une femme , & d'une étrangère
; c'eft un double titre à l'indulgence , ſi
l'Auteur en avoit befoin. Cette feconde Parthe
renferme cinq Contes. Le premier eft
intitulé le Chêne au prodigue. Le fujet eft
Fy
110
MERCURE
un jeune homme diffipateur , qui fe voit
toujours réduit à manquer d'argent. Dans un
de fes befoins toujours renailfans , il fait
couper des bois ; & il recommande furtout
à la coignée les plus beaux arbres. Une
Hamadryade , habitante d'un vieux chêne ,
lui fait une belle harangue , pour l'engager à
respecter ce vieux hôte de la forêt. Le jeune
homme l'écoute avec fang froid , & il y a
quelque mérite à cela , car elle parle un peu
long temps ; mais avec le même fang- froid
il fait abattre le vieux chêne .
Lefecond Conte eft intitulé : les Jumeaux,
ou la force de l'éducation. Ce font deux
freres , dont l'un eft un froid Égoïfte , &
l'autre ( Dorilas ) un être fenfible , qui n'eſt
heureux que par les bienfaits qu'il répand.
Sa conduite eft intéreffante. Voici un de fes
traits de bienfaifance. Il est amoureux de
Flavella , qui , ayant pour lui trop deftime
& d'amitié pour le tromper , lui confeffe
qu'elle aime Moniclès , & que fes parens
ont refufé de l'unir à lui , parce qu'il eft
pauvre , & qu'ils font pauvres eux- mêmes .
A cet aveu Dorilas , navré de douleur , mais
toujours ſenſible & généreux , lui fait jurer
de le traiter en ami , fe rend chez lui , convertit
en argent comptant une partie de fa
fortune ; & il en envoie le prix à Flavella avec
un billet conçu en ces termes : " Contribuer
» au bonheur d'un ami , c'eft un droit que
» je réclame auprès de vous , Madame .Vous
» l'avez permis ; fi votre amitié eft fincère ,
DE FRANCE. 134
ود
elle fera fupérieure aux préjugés ; daignez ,
chère & trop aimable Flavella , accepter
» les fervices d'un ami. Vous ne pouvez ni
» ne devez jamais faire mon bonheur ; ac-
» cordez moi la fatisfaction de m'occuper
» du vôtre ; mes jours ne s'écouleront pas
dans les regrets , fi vous êtes heureufe . »
C'eft ainfi que Dorilas lève , aux dépens
d'une moitié de fes biens , l'obstacle qui empêchoit
fon rival d'être heureux ; & qu'il fe
confole de fon malheur en voyant les deux
heureux qu'il a faits.
Le fu et du Conte allégorique qui fuit
celui là , eft un Payfan que l'ambition & la
richeffe vont féduire dans fa cabane où il
eft heureux , & qui , arrivé à la Cour , parcourt
tous les honneurs , tombe dans l'infortune
, & revient retrouver le bonheur au
milieur de fa femme & de fes enfans.
Dans le Conte fuivant , c'eft la Pauvreté
qui confole un Négociant dont la fortune
vient d'être renverfée. On fera content des
difcours qu'elle lui adreffe.
Le dernier , Rofette , ou la belle Pénitente,
que l'Auteur donne pour une Hiftoire véritable
, eft le plus intéreffant ; & nous invitons
nos Lecteurs à le lire en entier.
(Au Mercure prochain la continuation des Sermons
de M. l'Abbe Poule. )
F vj
132 MERCURE
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL...
LE Concert du premier Novembre a commencé
par une fymphonie nouvelle de M.
Hayden , digne des autres Ouvrages de cé
grand Maître. M. Nonnini , dont nous avons
déjà fait l'éloge , a chanté avec applaudiffe- .
ment une Scène de Paifiello . M. Lefevre a
joué, pour la première fois , un Concerto
de clarinette. Ce jeune Artifte prouve déjà
beaucoup de goût & d'exécution. Il a joué de
manière à faire le plus grand honneur à fon
maître ( M. Michel ) & à fes difpofitions naturelles.
Mme Krumpholtz Stecler a joué
quelques petits airs variés fur la harpe , non
pour faire connoître fes talens , dont elle a
donné fouvent de plus grandes preuves ,
mais pour détruire un préjugé répandu dans
le Public contre cet inftrument . Plufieurs
Accoucheurs interdifent la harpe aux femmes
enceintes. Mme Krumphotlz , convaincue
qu'elle n'eft nullement dangereufe dans
cet état , a voulu en donner une preuve pu
blique en en jouant elle même , quoique au
moment d'accoucher. Seulement elle a craint
qu'un grand Concerto ne la fatiguât trop ,
& elle n'a ofé fe permettre que des petits
airs qui fuffifoient à fon objet. M. Poppo a
joué , pour la première fois , un Concerto
}
DE FRANCE. 133
de violon. On lui a trouvé de la méthode &
une jolie qualité de fon . Comme il eft jeune ,
on a lieu de préfumer qu'il travaillera fon
intonation , qui manque quelquefois de juſteffe.
Le Concert a été coupé par des fragmens
du Stabat, de M. Hayden , qui méritent
toujours de nouveaux éloges.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 24 Octobre , on a donné
pour la première fois , les Deux Portraits
Comédie en un Acte & en vers libres , par
M. Desforges . "
Life & Emilie , toutes deux veuves , jeunes
& charmantes , font aimées ; la première , par
le Marquis de Clairfons , & la feconde pat
le Chevalier de Télis . Life & Clairfons s'aiment
fans ofer fe le dire . Télis connoît
l'amour d'Émilie , mais celle- ci n'a pas encore
pris la réfolution de former de nouveaux
noeuds . En attendant l'inftant de fon
bonheur , le Chevalier s'occupe des intérêts
de fon ami . Il engage Émilie à le feconder ,
& à forcer Life à être fincère , tandis qu'il
cherchera les moyens d'éclairer Clairfons .
On engage , on preffe , on oblige même la
timide Life à écrire à Clairfons un billet
affez vague en apparence , mais , au fond ,
fuffifant pour apprendre au Marquis qu'on
s'intérelle à fa perfonne. Télis fe charge de
le remettre à fon ami. Quelques mots entendus
, & mal - interprêtés par Clairfons į
134 MERCURE
éveillent fa jaloufie. Le billet eft déchiré
fans avoir été lû . Life , entre autres talens ,
a celui de peindre en miniature. Elle a fait
pour elle le portrait du Marquis , & celui
du Chevalier par complaifance pour Émilie.
Télis la futprend dans un inftant où elle retouche
celui du Marquis , en lui adreffant
les chofes les plus tendres. Il croit l'occafion
favorable , & fe hâte d'aller chercher
fon ami , afin de le rendre témoin des tranfports
de Life. Il fort. Mais Émilie , en venant
propofer à Life de venir prendre l'air
au jardin , a réveillé fa timidité. Life a caché
le portrait de Clairfons dans fa poche , après
avoir mis fur la table celui du Chevalier deTélis
. Clairfons, à l'afpect de ce portrait, devient
plus jaloux & plus furieux que jamais . Il veut
forcer fon amià fe battre,& lui indique la cauſe
de fon indignation. Le Chevalier, qui ne com
prend rien à cette aventure , le trouve pourtant
forcé de le défendre. Life revient , fé:
pare les combattans , eft preffée par Télis de
s'expliquer , le refufe ; enfin elle y eft con
trainte par Émilie. Celle ci a trouvé dans le
jardin le portrait de Clairfons ; cette décou
verte débrouille l'intrigue ; Life avoue la
défaite , le Marquis fes torts , & les quatre
amans s'uniffent par un double mariage.
Cet Ouvrage a été composé en 1766 pour
un Théâtre de Société. On a prétendu longtemps
qu'il avoit fervi de modèle à l'Auteur
des Fauffes Infidélités. On doit voir aujourd'hui
combien cette affertion étoit abDE
FRANCE. 135
furde & dénuée de fondement. Nous fommes
de l'avis de M. Desforges . On ne doit
pas juger trop févèrement un Ouvrage de
jeune homme. Celui- ci eft une des premières
productions de fa première jeuneffe , &
nous pensons que les détails fins & fpirituels
qu'on y rencontre , les apperçus comiques
qui le font diftinguer , peuvent faire
exenfer les défauts de l'intrigue , le néologifme
de certaines expreffions , & la recherche
de certaines idées plus métaphyfiques
que vraies.
Le Vendredi 31 Octobre , on a donné la
première repréſentation du Comte d'Olbourg,
Drame en cinq Actes & en profe .
Le Comte d'Olbourg eft un Miniftre vertueux
& digne de fa place , qu'un de fes concurrens
s'eft promis de perdre à force d'intrigues
& de calomnies. Le fils de ce concurrent
aime la fille du Comte d'Olbourg ,
& il a le courage de mettre fous les yeux de
fon père la honte dont il va fe couvrir , en
factinant à fon ambition & à fa haine , un
hommeintègre & utile à l'État. Le fcélérat n'eft
arrêté par aucune confidération. Il a corrompu
un des Secrétaires du Miniftre, s'eft fait remettre
les papiers du Comte,y a trouvé les moyens
'de rendre fa conduire fufpecte & de la préfen
ter comme attentatoire à la tranquillité de
l'État. Olbourg eft facrifié. Mais le Secrétaire
a des remords . Il n'a pas remis tous les pà136
MERCURE
piers de fon ancien Maître. Ces papiers prou
vent l'iniquité du calomniateur & la vertu
d'Olbourg. Le Roi , inftruit de ces détails ,
rend fa faveur au Comte , & fait fubir à
Lorenzof ( c'est le nom du traître ) la même
punition qu'il deftinoit au Comte. Le fils de
Lorenzofépouſe la fille du Miniftre rétabli.
Ce Drame n'a eu qu'un fuccès très équi
voque. Le rôle de Lorenzof père a paru
arroce ; il a généralement révolté. Celui du
fils a de l'intérêt & de la grandeur d'âme. Le
caractère du Comte d'Olbourg a été généralement
fenti. Noble, fier, généreux & fenfible,
il a réuni tous les fuffrages. L'intrigue de ce
Drame , comme celles de toutes , ou ,
pour parler plus prudemment , de prefque .
toutes les Comédies Allemandes , eft noyée
dans des détails longs & minutieux , qui ne
peuvent que nuire à l'intérêt principal , enfanter
l'ennui & même le dégoût . Chaque
Nation a fon génie , & le ſyſtême des Théâtres
de chaque Nation eft fubordonné
à la nature de ce génie. Les Auteurs
qui vont chercher fur la Scène Allemande
des fujets qu'ils croient propres à être
portés fur la nôtre , devroient les dégager
de tout ce que nous regardons comme des
inutilités. En effet , que dirions nous d'un
Peintre qui , dans un fujet hiftorique & intéreffant
, négligeroit les figures principales
pour donner tous les foins à des acceffoires ?
Voilà le défaut du plus grand nombre des pro
ductions Littéraires de l'Allemagne.
DE FRANCE. 137
SCIENCES ET ARTS.
PHYSIQU E.
IL fe répand une Lettre, datée de Calais , relative .
"
à l'invention de MM. de Montgolfier . Nos Lecteurs .
nous fauront gré de la leur avoir fait connoître , au
moins en partie. L'Auteur s'élève avec force contre
cette manie , fi commune parmi nous , de tourner
tout en ridicule ; & la manie plus funefte encore de
décrier toutes les découvertes dont l'Auteur n'eft pas
Etranger ; il combat fur-tout une Brochure de feize
pages , dont l'Auteur a voulu prouver que cette invention
étoit , non - feulement inutile , mais dange-.
reufe . « Elle ajoute , dit l'Auteur de cette Lettre ; .
quelle ferrure affureroit nos propriétés ? Comme
sofi une machine de 40 pieds de large étoit un
paffe -partout.Quelle tour garantiroit , & c . ? Comme
fi cela perçoit comme un bombe . Quelle Maréchauffée
arrêteroit les meurtres ? Comme s'il
n'étoit pas plus commode de les commettre par
terre que dans l'air. Que voilà nos villes , nos
flottes , nos chefs brûlés écrâfés :
« c'étoit un tonnerre à conduire à la main , & d'autres
extravagances qu'on auroit dû dire d'une allu
» mette , d'un piftolet ou d'une échelle toutes
» chofes bien plus à craindre. »
55
כ כ
ל כ
: comme
>
De-là l'Auteur , qui paroît pénétré de l'enthou
fiafime des Arts , paffe aux avantages qui , outre la
gloire de la Nature , réfultent de la découverte de
MM. de Montgolfier.
30
Pour la Phyfique , les expériences de l'air conf
tatées , les pefanteurs , couches , propriétés de l'at
138
MERCURE
ود »mophère,prouvées&éclairéesparlamultitude
» d'expériences qu'on y peut faire .
» Meurer les hauteurs des diverfes couches de
» vent , leur dentité & force, &c.
» Prendre de l'air des nues , Panalyſer , en tirer
» & détruire l'électricité dangereufe , achever d'en
» découvrir les caufes , &c.
» Pour l'Aftronomie , les réfractions , les obſervations
de l'horifon ; communiquer à de grands
efpaces l'heure & les momens pour vérifier les
longitudes ; quelquefois , par- deffus les brouillards
, découvrir les comètes & autres phéno
» mènes à l'horifon , &c.
» Pour la Géographie , de pouvoir prendre des
» angles fi éloignés , dans des courbes égales , que
» les chaînes de montagnes & les forêts ne nuifent
plus à la trigonométrie ; qu'en répétant fouvent &
25 prenant les inftans de ftagnation , étant fixé aux
longues cordes en temps calme , on peut lier &
placer jufte les pays les plus féparés.
' ז
ל כ
ג כ
» Faire des fignaux de toutes fortes ; & cela feul
peut avoir bien des utilités.
» Pour la Mécanique , les avantages peuvent
être
fans fin : fa fant couler le long d'une corde , ou le
conduifant fuivant le vent , voilà qu'on peut don-
→s ner du fecours aux habitations les plus élevées ;
qu'on peut leur porter des vivres , fur tout à ces
» fores , que les neiges rendent inacceffibles des mois
» entiers , &c . L'étonnante poffibilité de monter des
» matériaux aux fommets les plus inacceffibles , de
» diminuer la peine des hommes en mille ma-
» nières. ».
» Dans des tours creufes ou dans des puits de
* S à 600 pieds de profondeur , d'en remonter les
poids , les Ouvriers , avec une poulie fixée à hauteur
convenable , au milieu de l'ouverture.
ל כ
D'aider par un nouveau point d'appui , in-
J
DE FRANCE.
139
» connu auparavant , & dans le goût de celui que
» demandoit Archimède , pour l'élévation des for-
» ces , &c .
ל כ
» Par- là , de rendre utile une foule d'inventions
» où une très -petite différence d'équilibre ou de
force arrêtoit l'effet.
"
"3
» Les échouemens & renflouemens de médiocre
poids , qui ne demandent que peu d'effet , mieux
dirigés , peuvent être dans ce cas ; multipliant , s'il
» le faut alors , ces nouvelles machines , & tant
» d'autres cas femblables , dont les Mécaniciens fau-
» ront bien titer parti .
» La poffibilité de tranfporter les lettres & des
effets par-deffus une armée ennemie , de pouvoir
» demander des fecours , & c.
ל כ
"

» Peut-être , quand les neiges féparent des pays ,
profitant des vents convenables , enjamber les
plus hautes chaînes de montagnes pour ſe communiquer
les nouvelles preffées. »
L'Auteur de cette Leitre ne fe fait pas connoître ;
mais fi nos foupçons font fondés , MM . de Montgolfier
, tout comblés qu'ils font de juftes éloges ,
s'applaudiroient encore d'avoir trouvé un pareil
défenfeur.
ANNONCES ET NOTICES.
P
ETITE Bibliothèque de Théâtre , contenant un
Recueil des meilleures Pièces du Théâtre François ,
Tragique , Comique , Lyrique & Bouffon , depuis
l'origine des Spectacles en France juſqu'à nos jours .
A Paris , au Bureau , rue des Moulins , butte Saint-
Roch , No. 11 , où l'on foufcrit.
Le fecond Volume de cette charmante Édition
contient deux Pièces de Quinault , la Mère Co140
MERCURE
quette , Comédie en cinq Actes ; l'Amant Indifcret ;
au le Maître Etourdi , Comédie en cinq Actes auffi ,
avec une petite Pièce de Poiffon , le Procureur Arbitre.
La Mère Coquette paroît fouvent au Théâtre
François , & toujours avec applaudiffemens . C'eſt à
cette Comédie qu'on eft redevable de l'ufage qui
donne aux Auteurs une part pécuniaire aux repréfentations
de leurs Pièces ; les Comédiens auparavant
les achetoient au prorata de la réputation de
l'Auteur. Triftan leur ayant préfenté, comme de lui ,
Ja Mère Coquette , ils la taxèrent à 50 écus . Triſtan ,
qui ne vouloit qu'obliger Quinault , ne crut pas
devoir livrer la Pièce à ce prix-là ; & il propofa aux
Comédiens de donner à l'Auteur le neuvième de la
recette de chaque repréſentation . La condition fut
acceptée ; & le même traitement eut lieu depuis
pour tous les Auteurs Dramatiques.
Le fujet de l'Amant Indifcret eft le même que
celui de l'Étourdi de Molière ; & il y a autant de
différence entre les deux Pièces qu'entre les deux
Auteurs . Peut- être celle de Quinault n'auroit pas dû
être admife dans ce Recueil.
Les Rédacteurs voyant que le nombre de leurs
Soufcripteurs a déjà furpaffé leurs espérances , fe
font déterminés à leur donner gratis des Portraits
bien gravés des Auteurs qui entreront dans la
Collection. Ils ont cru auffi qu'il n'étoit pas jufte
de faire fupporter les frais de pofte à ceux qui ne
fortoient point de Paris. La Soufcription fera réduite
pour eux à 33 liv.; pour le papier velin ,
comme il eft tiré à très - petit nombre , il fera toujours
, pour les uns & pour les autres , de 54 liv.
On prie les Souferipteurs qui n'ont pas payé en recevant
le premier Volume , de faire parvenir , le
plus tôt poffible , franc de port , le montant de leur
Soufcription au Bureau , rue des Moulins ; on peut
foufcrire auffi chez Belin , Libraire , rue S. Jacques ,
DE FRANCE. 141
& chez Brunet, rue de Marivaux , place du Théâtre
Italien.
ATLAS Hiftorique , ou Collection de Tableaux
formant la chaine des grands événemens´ qui ont
caractérisé chaque fiècle , deffinés par les plus grands
Maîtres de l'Académie , & gravés par les meilleurs
Artiftes, à plufieurs Planches coloriées , avec des
Tablettes Hiftoriques & Politiques fur tous les Peuples
du Monde ; propofé par foufcription , avec
l'approbation du Gouvernement , & dédié au Roi ;
par M. Philippe Serane. A Paris , chez l'Auteur , rue
Mêlée , nº . 57 , vis - à- vis du Commandant dur
Guet , & M. Tronc , rue Neuve Saint Pierre , au
Marais.
Le projet de cet Ouvrage eft une grande idée ,
& comporte un Plan de la plus vafte étendue. Le
but des Auteurs eft d'offrir au Public un Recueil
de tableaux qui fixe la füite rapide des temps , les
progrès lents des Sciences & des Arts , & la chaîne
intéreffante des grands événemens ; qui offre en un
mot un fyftême fuivi du corps de l'Histoire , & où
d'un coup- d'oeil on puiffe reconnoître les hommes de
tous les fiècles , comme on découvre dans une Mappemonde
toutes les Cartes Géographiques , c'efe- àdire,
qu'ils ont pris dans chaque fiècle l'événement
le plus digne de faire époque. Par - là chaque Planche
peint un fiècle entier. Toutes les lacunes , c'eftà
- dire , les événemens intermédiaires feront décrits
par des Tablettes Hiftoriques qui doivent marcher
de front avec les Eftampes. Chacune de ces Tablettes
forme un Chapitre enrichi d'une Vignette
emblêmatique , dont on donne l'explication , ainu
que de la grande Eftampe. Comme depuis la création
il s'eft écoulé cinquante-huit fiècles , le nombre
des Eftampes fera de cinquante huit auffi . La première
Livraiſon , qui renferme deux Eſtampes ,
142 MERCURE
apvient
de paroître , avec deux Cahiers de Difcours.
L'une repréfente le premier fiècle , c'eft - à - dire , la
Création . Les figures du Tableau font Adam
puyé contre l'arbre de vie , & Eve ayant une main
fur fes épaules , qui de l'autre lui préfènte la Pomme.
La feconde repréſente le combat des Horaces &
des Curiaces. Les Auteurs en choififfant ces deux
fujets , qui ne fe fuivens point chronologiquement ,
ont voulu donner au Public une idée de leur manière
dans le facré & dans le profane . Ces deux
Estampes nous ont paru de la plus belle exécution
tant pour le Deffin que pour la Gravure ; elles
forment deux riches Tableaux ; & fi la fuite , comme
il y a lieu de le croire , répond à cette première Livraiſon
, l'Ouvrage ne peut qu'avoir le fuccès le
plus brillant. Les Deffins font de M. Lebarbier, Son
nom , qui avoit été annoncé dans le Profpectus , donnoit
un préjugé favorable que l'événement a juftifié.
Quant à l'Auteur du Texte , nous croyons qu'on
fera auffi content de fes Tablettes Hiftoriques , qu'il
a dû l'être lui même de la manière dont M. Lebarbier
a faifi & exécuté fes Programmes. Sa manière
eft philofophique , & fon ftyle a de la nobleffe & de
la chaleur . On nous pardonnera , ou , pour mieux
dire , on nous faura gré d'en citer un fragment pour
en donner une idée. « Il s'en eſt trouvé même ( des
" Politiques ) dans ces derniers fiècles , qui ont ofé
» avancer que la guerre eft un bien ; elle purge ,
» difent - ils , les États d'une infinité de libertins &
» de gens à charge à la Société. Cela eft vrai ; mais
» auffi elie les prive d'un grand nombre de Citoyens
utiles. On peut corriger le liberin , lier les bras au
méchant , forcer le pareffeux au travail ; mais
qui peut réparer la perte d'un vrai Citoyen ?
Mettez dans la balance une bataille gagnée & un
» Citoyen de perdu , & foyez jinconfolables , ou
ל כ
DE FRA CNE. 143
"
3
» avouez que vous ne connoiffez pas le prix d'un
homme vertueux. Mais que faire de tant d'hom-
» mes qui , fans la guerre , couvriroient la face da
Globe ? Politiques infenfés ! quoi ! vous ne
favez pas encore ce qu'on fait des hommes , &.
» vous ofez vous dire hommes vous -mêmes ! Vous
» ofez les juger & vous croire en droit de les gou-
» verner ! Allez , fublimes Philofophes , faire cette
"
ככ
demande dans des campagnes en fricke faute
» de Cultivateurs ; allez dans les atteliers des Arti-
» fans enfevelis dans le filence de l'inaction ; inter
rogez cent mille veuves défolées & ruinées avec
» leurs familles infortunées , elles vous répondront ;
& n'ajoutez pas que la terre fuffiroit à peine à
» nourrir cette ruineufe population. Ce n'eft pas la
quantité de bouches que la terre craint , mais le
» défaut de bras ; elle fera toujours plus féconde à
» proportion que nous ferons plus laborieux , »
30
ל כ
On paye en foufcrivant 72 liv. à imputer fur la
dernière Livraiſon , & pour chacune des autres 12
v. à chaque Épreuve que l'on recevra.
ÉTAT de la France , contenant le Clergé , la
Noblefe & le Tiers- Etat ; par M. de Combles , Officier
d'Infanterie . A Paris , rue Jacob , nº. 41 .
Cet Ouvrage , qui fervira de Supplément à celui
des grands Officiers de la Couronne du Père Anfelme
, fera divifé en trois Parties , qui formeront
chacune un Volume. Le premier contiendra l'état
actuel des Maiſons de tous les grands Officiers de la
Couronne , de ceux de la Maifon du Roi & de celle
des Officiers des Princes de fon Sang , & celui des
Ambaffadeurs. Le fecond contiendra l'état actuel
des Maiſons des Membres du Clergé , qui comprend
les Cardinaux , Archevêques , Evêques , Abbés
& Prieurs Commendataires , les Chevaliers de
(144
MERCURE
Malte & des autres Ordres , & les Membres des
Etats de Province. Le troifième contiendra létat
actuel des Maifons de tous les Membres des Parlemens
, des Cours fouveraines , ainfi que de tous
ceux qui occupent des Places & des Charges qui
donnent la Nobleffe au premier degré. Les Perfonnes
qui defireront voir leurs Armes gravées en
tête de leur article payeront 15 liv. pour un écuffon
fimple , 18 liv. pour un écuffon avec fupports , &
24 liv. avec les autres ornemens extérieurs . On foufcrit
chez l'Auteur , qui fe contente d'une foumiffion.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
"
H
TABLE.
97
Patriotifme la ville de
pour
Bordeaux ,
121
ARANGUE d'Ajax , dif- Projets de Bienfaifance & de
putant contre Ulyffe les armes
d'Achille ,
Charade , Enigme & Logo
gryphe
Galerie Philofophique du feizièmefiècle,
104
Les Après- Soupers de la Société
,
124
Le Décameron Anglois , 129
10 Concert Spirituel ,
Oraifon Funèbre du Prince de Comédie Italienne ,
114 Phyfique ,
Choix des meilleures Pièces du Annonces & Notices ,
Marfan ,
Théâtre Italien , 117!
132
133
137
139
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 15 Novembre . Je n'y ai
rien trouvé qui puike en empêcher l'impreflion. A Paris ,
le 14 Novembre 1783. GUIDL
ided t
ས་གསུམ་
MERCURE
DE FRANCE
XU131
zová zɔb no £ 15
tojanosalitoa
SAMEDI 22 NOVEMBRE 178.3 ) 251
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE,
anu se
62 20s skit
VERS fur M. le Comte DE TRESSAN. 238 43.8
TRO15 fils de Calliope ont furpris fes fecrets 251 25
Mais ce Grec qui , malgré Zoile ,
Eternifa le nom d'Achillé ,
N'eft bien traduit que chez l'Anglois.
Treffan , grâce à ta plume élégante & facile,
Le Chantre de Ferrare' eft devenu François.
Bradamante à Roger va conter tes fuccès ,
La Fontaine fourit en avouant ton ftyle ,
Et les jardins d'Alcine ont repris leurs attraits
Tandis que l'éloquent Delille , 19
*
Dans des vers dignes de Virgile ,
Prélude à l'Énéide & couronne Cérès.
9
3
* 9760
** 31 103 21097

1
( Par M. le Marquis de Ximénès,
'
No. 47 , 22 Novembre 1783. G
Ja det booster
ANCH
h p . 91:

146 MERCURE
A M. PALISSOT , fur la Comédie
du Séducteur.
EN vain tu prétends te cacher
Sous le manteau de l'Anonyhae ;
Ton ftyle élégant & fublime
Sait , malgré toi , te l'arracher.
Ton Séducteur , pour s'introduire ,"
Ufe de cent moyens divers ;
Mais , le plus sûr pour nous féduire ,
Eft de nous réciter tes vers.
(Par M. le Vicomte de ***. )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Vertu ; celui
de l'Enigme eft Apothicaire ; celui du Logogryphe
eft Pierre , où l'on trouve père ,
Prière.
CHARA D E.
ENnommant mon premier, on prononce une lettre ;
Mon dernier , un poiffon dans les rivières nés:
Et mon tout du premier couvrant le diamètre ,
Garantit du malheur de l'oncle de Borné.
( Par M. le Marquis de C...... )
DE FRANCE. 147
ÉNIGM E.
CONFIDENT de l'Amour , de rout coeur qui
s'épanche
Je reçois les tranfports , l'hommage, les aveux ;
Et pour cela , Lecteur , je fuis affez heureux ,
A qui me fait la cour , de donner carte blanche.
( Par un Abonné de Niort. )
LOGO GRYPH E.
JE prends naiffance dans les bois ;
Enfuite après avoir acquis quelque tournure ,
Perdu mon épaiffeur , & pris de la figure,
Je me faufile auprès des Rois :
Je ne les flatte en aucune manière ;
Car quoiqu'esclave & dépendant ,
Si leur conduite irrégulière
A les tancer donne matière ,
Je le leur fais voir dans l'inftant.
Mais malgré cette rectitude ,
Il faut de ma médaille expofer le revers.
J'ai contracté la maudite habitude
D'agir toujours tout de travers ;
Et qui pis eft , je m'en fais une étude.
Sur ce portrait , fi vous pouviez ,
Ami Lecteur , ne pas me reconnoître ,
Obfervez- bien dans mes huit piés
Ce que vous allez voir paroître.
Gij
148
MERCURE
En Normandie une mince Cité ;
Enfuite un Saint Évangéliſte ;
Un infecte peu redouté ;
Ce qui rend un Gourmet fort trifte ;
Avec un lieu par lui très-fréquenté ;
Un objet renommé tout auprès de Genève ;
Ce qu'il faut faire en ce moment ;
Ce qu'il faut auffi faire en buvant & mangeant ;
Enfin ce qu'ici bas n'eft , hélas ! qu'un long rêve.
( Par M. Sant. Commis de l'Extraordinaire
des Guerres. ).
5
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE d'Ayder- Ali - Khan , Nabab-
Bahader , Roi des Canariens , &c. &c.
ou nouveaux Mémoires fur l'Inde , enrichis
de notes hiftoriques , & d'une Carte de la
prefqu'Ifle de l'Inde , par M. M. D. L. T
Général de dix mille hommes de l'Empire
Mogol , & ci devant Commandant en
Chef l'Artillerie de l'Armée d'Ayder- Ali ,
& un Corps de Troupes Européennes à la
folde de ce Nabab. 2 vol. in - 12 . A Paris
chez Lerouge , rue des Grands Auguſtins.
AYDER- ALI * eft , fans contredit , un des
hommes qui ont joué le plus grand rôle dans
>
C'eft à tort que dans tous les Papiers Publics on
a écrit Hyder-Ali .
DE FRANCE. 149
l'Art Militaire. Une Hiftoire de fa Vie , furtout
dans la circonftance actuelle , ne peut
être reçue qu'avec intérêt. Cet homme ex-.
traordinaire a montré , dans le cours de fa
vie , des vertus morales que les Européens
ne foupçonneroient pas chez un homme de
ces contrées , & même des vertus que le Philofophe
n'attendroit pas d'un homme de fon
caractère , c'est- à- dire , d'un Guerrier qui
n'a jamais vécu que dans les combats.
Cette Hiftoire nous a paru écrite avec autant
d'exactitude que d'impartialité. L'Hiftorien
, qui eft un Officier François , a fervi
plufieurs années fous les drapeaux de fon
Héros ; perfonne n'étoit plus à portée d'avoir
de bons Mémoires. Il a fait précéder l'Hiftoire
Guerrière d'Ayder- Ali , de quelques particularites
de la vie privée.
Il ne portoit ni barbe ni mouftache ; ce
qui ne fuppofoit pas un dévouement bien
complettement religieux aux loix du Mahometifme.
Cet ufage d'Ayder embarraffoit fes
Courtifans , qui auroient voulu ne déplaire
ni à lui ni à Mahomet. Les Petits Maîtres
de la Cour , pour concilier ces deux intérêts
divers , gardoient un brin de barbe & de
moustache qu'on ne pouvoit appercevoir
que de près.
·
Un autre détail un peu irréligieux , c'eft qu'il
'étoit acceffible pour tout le monde , excepté
pour les Faquirs , eſpèce de Moines mendians
, qui ont l'entrée libre de toutes les
Cours de l'Inde , & qui , tout dégoûtans de
G iij
150 MERCURE
faleté , vont fe placer fans pudeur à côté du
Souverain.
Il avoit l'efprit le plus préfent & le plus
facile. On le voit , dit fon Hiftorien , interroger
, répondre , écouter la lecture d'une
lettre , dicter la réponse d'une autre , voir
jouer la Comédie , faire femblant d'entendre
chanter ou voir danfer , dans le même
inftant où il décide les chofes les plus importantes.
Notre Hiftorien prétend que la Comédie
de fa Cour eft fort bonne, La Troupe n'eft
compofée que de femmes qu'on prend dès
l'âge le plus tendre , & qu'on réforme à dixfept
ans. Il ajoute que les Danfeufes font encore
fupérieures , & qu'elles feroient plaifir
fur le théâtre même de l'Opéra de Paris.
Le génie d'Ayder Ali a été l'artifan de fa
fortune ; c'eft fon courage & fa fageffe qui
l'ont porté fur le trône. Fils de Nadimfaed ,
Général de dix mille chevaux , il naquit à
Divanelli , petite fortereffe d'un château ,
entre Colar & Ofcata , dans le pays de
Bengueloar. Il nous feroit impoffible de le
fuivre ici de victoire en victoire , de conquête
en conquête , on le voit s'élever par
degrés , & de fimple particulier devenir
enfin un des plus grands Princes de l'Inde.
Ayant fans ceffe à combattre les voilins ,
fans rien dérober aux foins de fon Empire ;
joignant la valeur d'un brave Soldat au génie
d'un grand Capitaine ; fachant vaincre &
profiter de fes victoires ; déployant toutes
DE FRANCE.
les reffources militaires dans un pays où l'on
croiroit cet art à peine forti du berceau ;
infpirant l'effroi à fes ennemis avant de les
combattre , & l'amour.après les avoir vaincus
; tel eft le tableau de fa vie , & tels font
les degrés qui l'ont conduit à la gloire dont
iljouit . On verra avec plaifir dans le cours!
de cette Hiftoire , que ce Prince a eu , dèst
fa jeuneffe , pour la Nation Françoiſe , une
amitié qui ne s'eft jamais démentie.
I
On fent qu'il eft impoffible qu'ayant paſſé
fa vie dans les combats , il n'ait pas eu quelques
revers à effuyer. Il y étoit fenfible; &
inême fa phyfionomie , naturellement ouverte
, ne favoit point les diffimuler ; mais
les reffources de fon génie ne l'abandonnoient
pas.
*
Un de ces momens défaftreux donna lieu ,
de la part de la mère , à une anecdote qui
auroit figuré dans l'Hiftoire Romaine . Le
Général Schmidt ayant remporté une vic
toire fur Ayder , en fit répandre la nouvelle
le plus rapidement qu'il lui fut poffible. La
mère de ce Prince en ayant été avertie ,
partit pour aller trouver fon fils à l'armée ,
qui étoit éloignée de cent cinquante lieues ,
& par le plus mauvais temps de l'année. Elle
marcha à grandes journées! Ayder ayant été
informé de fon approche , alla au - devant
d'elle avec fon fils , à la tête de , fon armée
en Savari , c'eft- à- dire , en parade. Quand
ils eurent rencontré la tête du cortège de
leur mère , Ayder & fon fils ſe détachèrent
Giv
151 MERCURE 252
à cheval ; ayant rejoint fon Palanquin ;
ils s'inclinèrent profondément ; & s'étant
placés , l'un à droite , l'autre à gauche ,
elle paffa au milieu de l'armée , qui lui rendit
les mêmes honneurs qu'elle rendoit à
fon Souverain .
Ayder , quand fa mère fut arrivée dans fa
rente, lui demanda quel pouvoit être le motif
d'un fi grand voyage , entrepris dans la plus
mauvaiſefaifon. J'ai voulu voir , lui répon
dit elle , comment vous fupportiez la mau
vaife fortune. Ayder lui ayant dit qu'il fe fentoit
affez de courage pour réfifter encore à
de plus grands revers : J'en rends grâce à
Dieu , reprit elle , & je m'en retourne pour ne
pas gêner vos opérations .

Ayder , après cet entretien fingulier ,
l'ayant retenue deux jours , la renvoya avec
les mêmes honneurs, c'eft à - dire , avec pompe;
car fes marches , fes entrées étoient d'un
faßte vraiment Afiatique. Nous invitons nos
I ecteurs à lire la defcription de fon entrée
dans,la Capitale du Mayffour , Tome 1 , p .
195 , defcription que nous ne pouvons tranfcrire
ici , à caufe de fa trop grande étendue ,
mais dont la lecture ne peut que faire grand
plaifir. (
Un des traits les plus intéreffans de cette
Hiftoire , c'eft fans doute celui de Mirza
Ali- Khan , beau - frère d'Ayder. Ce jeúne
homme , après quelques égaremens de jeuneffe
, qu'on doit attribuer à fon âge & à de
mauvais conſeils , craignant de paroître deDE
FRANCE. 153
yant Ayder qui l'avoit toujours chéri
tendrement , avoit mieux aimé paſſer chez
fes ennemis avec une petite armée. Cette
trahifon avoit plongé Ayder dans la plus
profonde douleur ; & Mirza n'avoit pu rentrer
en paix avec lui - même depuis fa démarche
criminelle. Nous allons rapporter
fon retour vers fon frère dans les propres
termes de l'Hiftorien.
" Ce jeune homme , que les remords ne
ceffoient d'agiter , foit par un effet de fon
» bon naturel , foit en voyant le mépris
» qu'avoient pour lui Madurao , Général des
"3
"
Marattes , & les autres Chefs de cette Na
» tion , balançoit depuis long - temps fur la
» manière dont il fe racommoderoit avec (on
" beau- frère; mais lorsqu'il le vit abandonné
» de Nizam , attaqué par le Général Schmidt
» du côté de Benguelour , & obligé d'aller
» avec fon fils au fecours du centre de fes
» États attaqués par, une autre armée An
و د
"
و د
gloife , l'état malheureux où il croyoit par
» fa faute trouver fon beau - frère , dont il
» ne ceffoit de fe faire des reproches , lui
» fit furmonter toute crainte. Il fait des
» levées de Troupes , parvient à fe met-
» tre à la tête de près de vingt mille
hommes , & traverfant les Royaumes de
» Scirra & du Meyffour , il arrive à deux
» lieues de l'Armée d'Ayder ; fe faifant
" accompagner de quelques Cavaliers , il
» s'avance jufques aux premières Gardes ,
fe nomme , & dit qu'on faffe avertir
"
j
Gv
154
MERCURE
و ر
» Moctum , qu'il l'attend & qu'il vient lui
parler. Moctum étonné d'une nouvelle
» auffi imprévue , va le joindre. Il në peut
» s'empêcher , en voyant le jeune Prince ,
de lui demander avec empreffement :
» Qu'est- ce qui t'amène ici? Le repentir
» reprit Mirza : Je viens , autant qu'il eft
poffible , réparer le mal quej'ai fait à notre
frère; je lui amène une Armée beaucoup
plus belle que celle que je lui ai enlevée,
» &je lui apporte ma tête. Mènes moi auprès
» de tui. Moctum a beau lui repréfenter de
» lui donner le temps de le prévenir. Non ,
lui dit Mirza , mènes moi vers lui. Je në
2 crains que de ne pas le voir. Mo&tum lui
» difant alors de le fuivre , ils arrivent dans
"
"
ود
la tente d'Ayder ; & lorfque Mirza veut
» fe jeter à fes pieds , Ayder l'embraffe , en
» lui difant : Tu ne me furprends pas , je
t'attendois. Les deux Armées fe joignirent ,
» & tout le monde penfa que cette démar-
» che étoit un heureux préfage de la bonne
» fortune d'Ayder. »
Il faut avouer que je t'attendois , eft un
mot fublime ; il rappelle dans un genre bien
différent celui de La Fontaine , lorsqu'à un
ami , qui , après la mort de Madanie de la
Sablière , vint lui offrir un logement , il répondit,
j'y allois . On ne fera peur être pas
faché d'apprendre quelle a été la fin de ce
jeune homme rendu intéreffant par fon repentir.
Elle eft fingulière & inattendue . Ayant
été fait prifonnier dans une bataille , perdue
DE FRANCE. 155
par fa faute contre les Marattes , leur Chef.
lui propofa fa liberté , à condition qu'il s'engageroit
par ferment à ne jamais porter les
armes contre eux. Je te lejure , lui répondit .
Mirza. Ayant été mis en liberté , il fe retira
chez lui , fit une donation entière de tous
fes biens & de fes Troupes à Ayder , ſe fit
Faquir; ( comine qui diroit parmi nous ,
Hermite & ayant mandé à fon beau frère
les motifs de cette fingulière réfolution , il
ajouta qu'il n'avoit trouvé que ce moyen
pour lui conferver ce qu'il avoit confacré à
fon fervice ; que néanmoins , à quelques périls
que ce fût , il étoit toujours à fes ordres ,
toutes les fois qu'il ne faudroit pas combattre
les Maratres. En effet , il a fouvent depuis :
repris les armes pour Ayder , & lui a été.
même utile dans cette dernière guerre contre
les Anglois.
Il eût été intéreffant que l'Hiftorien d'Ay- .
der nous l'eût repréfenté dans fes dernières
expéditions , qui ont fi fort inquiété l'Angleterre
; mais l'Auteur n'étoit plus dès lors
à fon fervice; & il eft difficile de fe procurer
encore de bons Mémoires. Il faut attendre
que la partialité foit moins intéreffée à altérer
les motifs , & à défigurer même les
faits.
Ayder laiffe un fils qui a toujours marché
fous les drapeaux . L'éloge qu'en fait l'Hiftorien
d'Ayder, nous laiffe l'efpoir de le voir
remplacer dignement fon père.
Gvj
156 MERCURE
LES Lacunes de la Philofophie. A Amfterdam
, & fe trouve à Paris , chez Cloufier ,
Imprimeur- Libraire , rue de Sorbonne, &
chez Belin , Libraire , rue S. Jacques , près
S. Yves , in- 12. de 3 12 pages. Prix , 2 liv .
Le titre de Lacunes de la Philofophie
peut , à la rigueur , convenir à ce Livre ,
foit qu'on ait entrepris d'en remplir quelques-
unes , foit qu'on n'ait voulu que les
indiquer. Cependant il nous paroît un titre
poftiche , imaginé pour couvrir & marquer
le vrai titre , qui eft : Du moi humain , ou
de l'Egoifme & de la Vertu. Nous ignorons
la raifon de ce voile. Quoi qu'il en foit , l'Auteur
prépare un Ouvrage qui portera ce dernier
titre . Avant de le publier en entier , il
en a détaché le plan général & des fragmens
pour fonder le goût du Public. C'eft ce Plan
général en deux jets différens , & fous les
noms de Difcours Préliminaire & d'idée gérérale
de l'Ouvrage , joint aux frangmens
qui compofent le Livre que nous annonçons .
Le moi humain , réduit ou affimilé à l'Egoïfme
& à la Vertu, eft un titre neuf & piquant.
C'eft l'homme préfenté fous un jour nouveau
; & , fous ce jour , l'Auteur fe propoſe
encore de le confidérer fous trois points de
vûe différens , moral , politique & métaphyfique.
Il donne des morceaux détachés de ces
trois points de vûe . Ils auroient bien plus
de mérite s'ils faifoient un enfemble . ChaDE
FRANCE. 157
que paint de vue fournira la matière d'un
Volume. Écoutons - le lui-même nous rendre
compte de fan Ouvrage. « Les deux pre-
"
"
miers points de vûe feront fceptiques &
» critiques. Je ne me ferai aucun fcrupule d'y
paffer tour à tour du ferieux à la plaifanterie.
Ce ne fera que dans le troisième
» que je donnerai la folution des problê-
» mes que j'aurai laiffé indéterminés dans les
» deux premiers... Les deux premières Par-
» ties formeront la Morale expérimentale ;
» elles feront comme une fuite d'expé-
» riences fur l'Égoïfme & la Vertu. La
troifième Partie offrira la Morale rationelle
ou fyftématique. Je fuivrai la méthode
analytique dans les deux premiers
points de vue , & la fynthétique dans le
» troisième.... Je mettrai mon Lecteur dans
» ma confidence ; je ne lui cacherai rien ;
je ne lui diffimulerai aucune des diffi-
» cultés qui fe font préfentées à mon efprit.
Je ne me placerai point feul dans
» la Tribune ; je m'y éleverai infenfible-
» ment avec lui. Je le ferai paffer par toute,
» la fuite des méditations qui m'ont con-
» duit à mes principes : fi je me trompe ,
» je ne tromperai perfonne ; j'aurai fourni
» tous les moyens de reconnoître mes er-
» reurs. Bien loin que les principes à la tête
93
de l'Ouvrage dominent fur les idées , ren-
» voyés à la fin , ils leur feront affujétis ; ils
" ne verront point les tyrans d'un fyftênie ;
ils n'en feront , s'il m'eft poffible , que les
158 MERCURE
30
ود
appuis & le foutien. » Voici comment il
parle de ces principes. " Je ne fus point
long-temps à méditer fur l'Égoïfme , que
» je m'apperçus que cette idée tenoit à tout.
" Je vis que la Morale , prife dans fon fens
le plus général, dépendoit toute entière de
la réponse à faire à cette queftion :
» qu'eft ce que l'égoïfme ? J'analyfai cette
» notion ; je la fuivis dans toutes fes ramifi-
30
و د
93
35
و ر
cations. Après d'innombrables circuits
» peut être m'abufai je , je crus entrevoir
» un principe tout neuf , une chaîne de
conféquences lumineufes qui en dépendoient
, un nouvel ordre de vérités. Ce
principe fécond , auquel je fuis remonté
par l'analyfe, eft antérieur à tous les principes
connus. Il eft de la plus grande fimplicité.
Il me donne lui feul la clef de
tout le fyftême de l'humanité. '
و د
ور
و د
و د

La méditation de ces principes a conduit
l'Auteur à de nouvelles preuves de
l'exiftence d'un 'Dieu & . de l'immortalité
de l'âme ; du moins il nous les promet
dans le grand Ouvrage qu'il annonce. Il
réferve ces nouvelles preuves pour fon troifième
Volume , dans lequel il s'eft aidé , ditil
, de la phyfiologie des nerfs & de l'analyfe
de l'infini. C'eft dans ce troiſième Vo-´
lume qu'il fe propofe de planer en Métaphyfique
fur Locke , Clarke , Condillac &
Rouffeau. Nous l'invitons cependant à fet
défier de fes forces. Les deux ailes de l'analyfe
de l'infini & de la phyfiologie des
DE FRANCE 159
و د
nerfs dont il compte fe fervir , pourroient
l'emporter loin , hors même de la portée
des vûes humaines . Qu'il craigne le fort
d'Icare ! L'Auteur fe plaint avec raifon de la
multitude de Volumes que la Morale & la
Politique ont enfantés , fans avancer à beaucoup
près ces Sciences en même proportion
. La Morale , dit - il , dont la Politique
» n'eft qu'une branche , éclairée par la Métaphyfique
, eft non- feulement la Science
» la plus intéreffante à l'homme , elle eft
» encore la fcience de lui - même. Ainfi on
peut , en réuniffant ces deux fens , l'appe-
» ler par excellence la Science de l'homme.
J'ai parcouru les Écrits des Philofophes
fur ce fujet important. J'ai vû peu
d'accord , point d'enſemble , de magnifiques
apperçus , de grandes incertitudes ,
des vérités précieufes , de fréquentes con-
» tradictions & de vaftes lacunes à remplir.
و د
"
ور
""
ود
"
L'Auteur a compté trois cens opinions
fur le Bonheur , & à peu près autant de définitions
de la Vertu. « Cette grande & fu-
» blime notion , dit il , qui remplit &
» anime elle feule toute la fcience de la
Morale, eft couverte pour nous d'un voile
que toute la fubtilité de la Philofophie
» n'a pu percer encore. La notion de Vertu
» eft exactement à la Morale ce que la no
» tion de force ou de puiffance eft à la mé
chanique. Nous avons une méchanique
» fans favoir ce que c'eft que la force ,
»
"
2
160 MERCURE
» comme nous avons une Morale fans
favoir ce que c'eft que la Vertu ; &
c'eft ici que brille éminemment l'em-
" preinte divine de l'efprit humain. Circonfcrit
de toutes parts par des limites
qu'il ne fauroit franchir , il femble que le
" point qui lui marque fa foibleffe , eft celui
dont il fe plaît à s'élancer pour montrer
» fon audace & déployer toute la vigueur
& fon activité . »
L'Auteur prétend qu'en oppofant l'idée
d'Égoïſme à celle de Vertu , on parvient à
les déterminer merveilleufement l'une par
l'autre ; & voici la définition rigoureuſe &
philofophique que cette oppofition lui a
fournie. L'Egoifme & la Vertu tendent également
à la felicité, l'une en abjurant tout intérêt
perfonnel, l'autre en s'y concentrant
tout entier. Il croit avoir ainfi donné à ces
deux idées un caractère de précifion & de
clarté , dont elles ont été bien éloignées jufqu'à
préfent.
«
On trouve dans cet Ouvrage de tous les
tons & de tous les ftyles. Voici les mêmes
idées revêtues des couleurs de la Poéfie &
de l'Éloquence. Qu'est-ce que l'Égoïſme ?
» C'eft un aspect du moi humain , dont les
» traits, jadis fortement prononcés , fe montroient
à découvert. Ces traits s'enfoncent
dans l'obfcurité à mesure qu'on s'éloigne
de l'enfance des fociétés . Des voiles
» de toutes couleurs les dérobent mainte-
» nant à la vûe , & des ombres épaiffes en
"
DE FRANCE. 161
"
» défendent au fond du coeur l'entrée à la
lumière. Cet afpect n'eft plus qu'une idée
» fugitive , un Protée qui échappe lorfqu'on
croit le faifir . Adroit dans fes déguifemens
, l'Egoifme emprunte tous les maf-
" ques. Comment le reconnoître caché fous
» l'intérêt de l'Etat ou de la Religion , fousla
gloire ou la crainte de Dieu , fous les
» voiles fpécieux de bien public , d'amour
» de la liberté , d'affection pour la Patrie ,
» & jufques fous le manteau de bienveil-
» lance univerfelle qu'il a furpris à la Philofophie
moderne ? Pour s'occuper de
» foi avec plus de fécurité , on médite aujourd'hui
fur des rapports généraux qui
n'engagent à rien ; & pour fe difpenfer de
» donner dans fon coeur une place à fon
» ami , à fes enfans , à fes concitoyens , on
y loge l'Univers.
و د
و ر
"
L'Egoïfme eft un poifon fubtil que
» l'or exalte , que le luxe & la molleffe développent
rapidement , & qui s'échap-
" pant de toutes les paffions factices , pénè
» tre dans le coeur , le déprave & le durcit.
» Tous les vices de l'humanité recèlent de
ce venin une portion plus ou moins
grande. Il répand à la fuperficie du coeur
" un froid de glace pour les malheurs d'au-
» trui , pendant qu'il en embrâfe l'intérieur
des feux terribles de la cupidité. Tels ces
» volcans recouverts de neiges & de frimats
jufqu'à leurs fommets. 19
Nous pouvons affurer que cet Ouvrage
.
162 MERCURE
n'eft copié nulle part , qu'il n'eft le double
de rien , & qu'il brille à chaque page de
quelques traits originaux. Il faudroit le tranf
crire tout entier pour en donner une idée.
La critique , l'ironie & le farcafme s'y unif-,
fent à la force & à la profondeur. C'eft le
perfifflage léger d'un homme du monde. De
ce genre font , la Harangue des jolies Fem--
ines de Paris à la Faculté , & les Notes fur
J. J. Rouffeau.
Nous tranfcrirons encore de la partie
férieufe de l'Ouvrage ce que l'Auteur dit de
la Philofophie. " La Philofophie eft l'infti-
» tuteur de la penſée ; elle eſt à l'entende-
» ment ce que les Maîtres d'exercice font
ן כ
"
"3
au corps ; elle lui apprend à faire ufage
» de fes forces , à déployer des fuites
» d'idées felon de juftes proportions ; elle
>> eft en un mot l'art de diriger les mouve-
» mens de l'intelligence humaine fur les
» rapports éternels des chofes .... A qui
doit- on, que ce qui étoit nouveau pour le
» dix- feptième fiècle , foit devenu trivial à
la fin du dix- huitième ? A la Philofophie
fans doute ; & j'ai entrepris cer Ouvrage
autant pour la venger de ſes injuftes
détracteurs , que pour élever un monu-
» ment à la Vertu . C'eft ce monument même
» que j'oppoferai à la clameur des ingrats qui
» infultent à la Philofophie moderne en lui
» devant tout ce qu'ils font , en tenant d'elle
» leur bonheur & leurs lumières .
32
93
33
و د
"
» En effet , fi un brouillard épais ne
DE FRANCE. 163
» dérobe plus à nos yeux la vraie clarté
» des objets , fi chacun de nos pas n'eft
» plus marqué par une chûte , fi l'horizon
» s'eft agrandi pour nous , à qui le devons-
"3
"
en
nous , qu'à la Philofophie , qu'à ce flam-
» beau que le génie & l'humanité ont fufpendu
fur les Nations ? Pigmées qui ,
préfence du foleil , vous énorgueilliffez
d'appercevoir fes taches , vous oubliez
» que vous ne les comptez qu'à la faveur
» de fa lumière. Votre manie eft de vous
» croire grands ; un preftige d'optique
allonge à vos yeux votre taille. Pour
elle , femblable à l'aftre radieux qui pro-
» duit votre illufion , elle reftera pour éclai-
» rer l'Univers , pour l'échauffer de fes
rayons; vous pafferez vous & vos petites
» oeuvres , comme vos ombres vaines .
30
"
13
L'Auteur s'eft peut- être trop repoſé ſur
la fagacité de fes Lecteurs ; fon Ouvrage en
plufieurs endroits auroit befoin de Notes &
de développemens , & il gagne à être relu .
Si , comme il l'annonce , il ramène & lie à
un feul principe le vafte enſemble de fon
fujet , fi l'Ouvrage eft écrit avec cette pureté
, cette grâce & cette variété de ftyle, en le
purgeant de quelques néologifmes , il fera
époque dans les Faftes de la Philofophie.
.
L'Auteur, en débutant dans la carrière , s'eft
très imprudemment permis des plaifanteries
contre les Journaliſtes ; nous n'avons
voulu nous venger de lui qu'en rendant juftice
à fon Ouvrage
164
MERCURE
ANNALES Poétiques , depuis l'origine de la
Poéfie Fronçaife . Tome XXIV. A Paris ,
chez les Éditeurs , rue de la Juffienne ,
vis - à- vis le corps - de- garde ; & chez Mérigot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins.
On voit qu'aujourd'hui cette intéreffante
Collection donne moins de difficultés à
vaincre , & fait perdre par conféquent moins
de temps aux Éditeurs ; car leurs Volumes
fe fuccèdent avec plus de rapidité. Ils ont
moins de champs ftériles à parcourir ; & les
abondantes moiffons qu'ils recueillent ne
leur laiffent prefque plus , comme ils le difent
eux- mêmes , que l'embarras du choix.
Ils conviennent dans leur Avertiffement
que leurs Livraiſons ont été quelquefois rallenties
; mais ils fe juftifient par les pénibles
& longues recherches que néceffitoit leur entreprife.
Il faut d'ailleurs avouer qu'ils ont dédommagé
leurs Soufcripteurs de leur attente ,
par un grand nombre d'Ouvrages agréables
qui n'avoient paru dans aucun Recueil .
Le Volume que nous annonçons eft en
partie compofé de Poëtes Anonymes. A mefure
que les Rédacteurs , dans leurs recherches
, ont rencontré des vers fans nom d'Auteur
, ils les ont mis à part , afin de les raf--
fembler dans un même Volume . Comme ces
poéfies , recueillies enfemble , ont été faites
à différentes époques , on y trouve des ftyles
différens ; mêlange qui trouvera fans doute
ג
165
DE FRANCE.
des partifans & des cenfeurs. Soit que les
Éditeurs ayent voulu réferver d'autres poéfies
anonymes pour d'autres Volumes , foit
qu'ils n'en ayent pas eu affez pour completter
celui- ci , ils y ont mêlé quelques autres
Poëtes , dont Montreuil & d'Henaud , ou
de Hefnaud , font les plus connus. Montreuil
s'eft diftingué dans le genre du Madrigal.
Nous en allons citer deux qui font d'un
tour agréable .
MADRIGAL.
De vous à tous momens mon frère a des bijoux , -
Des rubans , des cachets , des gants, des citrons deux;
Et par une extrême injuſtice ,
Vous ne me payez point de ce que vous favez ;
Je vous laiffe à penſer fi vous me le devez ,
Pour me récompenfer de dix mois de fervice ,
De ma foi , de mon coeur , de tout ce que je fens
Allez , vous ne favez , Iris , ce que vous faites :
Vraiment c'est bien à vous à faire des préfens ,
Vous qui ne payez pas vos dettes.
Autre.
LA Dame de ce lieu n'a pas mauvaiſe grâce ;
Elle me fait toujours quelques petits préfens ,
Me dit mille douceurs & me mène à la chaſſe :
Des foupirs que je pouſſe & des maux que je fens ,
Elle doit être cauſe & s'accufe elle-même.
En effet, elle est belle , elle a beaucoup d'appas ;
·166 MERCURE
.
Mais malgré tout cela mon chagrin eft extrême.
Qu'une femme qu'on n'aime pas
peu
Confole mal d'une qu'on aime !
Parmi quelques Poëtes dont la vie eft
connue , le trouve de Fourcroy , Auteur du
joli dialogue que nous ne tranfcritons pas ,
parce qu'il eft trop connu , & qui commence
par: Quefais tu dans nos bois , plaintive
tourterelle , & c. ; & Juſſy , qui a fait une
belle épitaphe que nous allons citer. 44
Épitaphe d'un homme qui mourut le jour
de fa noce.
CE marié paya le tribut à la mort,
Sans en payer au mariage ;
"
Et fa femme encor fille étant veuve d'abord ,
N'eut de fon amour aucun gage.
Ils couchèrent à part , tous deux près du cercueil ,
L'un au lit de la mort , l'autre au lit de fon deuil,
#
O mort qui frappes fans connoître !
C'eft trop tôt renverser fon but ;
Vivant, il t'eût payé tribut
Par les mortels qu'il eût fait naître.
Jean d'Hefnaud eft connu par le fameux
Sonnet de l'Avorton , & par la Traduction
du commencement du Poëme de Lucrèce.
Il fut le maître de Madame Deshoulières.
Une anecdote que nous allons rapporter de
lui , prouve qu'il etoit ferme & hardi.
Il avoit reçu des bienfaits du SurintenDE
FRANCE. 167
dant Fouquet. Lors de la difgrace, de ce Minifte
, il fit contre Colbert , qu'il croyoit
en être l'auteur , un Sonnet outrageant qu'il
avouoit tout haut. Colbert en ayant entendu
parler , demanda s'il n'y avoit rien contre le
Roi. Comme on lui répondit que non : En
ce cas , reprit- il , je n'en veux point de mal
à l'Auteur. Pour donner une idée du ron de
ce Sonnet , il fuffira de dire qu'il commence
par ce vers : Miniftre avare & lâche , efclave
malheureux. C'étoit pouffer la reconnoiffance
un peu loin ; mais la modération du
Miniftre eft bien aufli étonnante.
On eft fâché que d'Hefnaud n'ait pas travaillé
davantage , car il avoit un talent vraiment
poétique. Outre fon commencement
de traduction qui nous eft connu , & des
imitations de plufieurs cheurs qui méritent
de l'être , les Rédacteurs ont rapporté des
vers à Sapho , qui font en général très - bien
faits & piquans. C'eft une espèce d'Épître
fur la folie de l'amour de l'immortalité.
Rien , dit il ,
Rien ne nous affervit comme la renommée :
On perd bien du repos pour faire un peu de bruit ;
Et ce bruit ne vaut pas la peine qui le ſuit.
Pour moi , je ne fuis point la dupe de la gloire ;
Je vous quitte ma place au temple de mémoire ,
Et je ne conçois point que la loi du trépas
J..1.
Doive épargner mon nom , & ne m'épargner pas.
168
MERCURE
Suppofé , dit- il , qu'il refte de moi quelque
chofe après ina mort ,
34
Qui jouira pour moi de ces bonneurs pofthumes ,
Quandje ne ferai plus qu'un amas de volumes ?
Ce qui refte des morts refte pour·les vivans ,
Et va mourir comme eux dans les âges fuivans.
Ainfi du grand Homère , ainfi du grand Virgile ,
L'éloquence & la gloire eurent un fort fragile ;
L'une & l'autre nous touche , & ne les touche plus ;
Les grands titres pour eux font titres fuperflus......
T
Des fiècles d'ignorance , une inondation de
barbares ne peuvent- ils pas faire périr jufqu'à
leurs oeuvres ?
Le brutal Ottoman , l'ennemi du ſavoir
Ne peut- il pas du temps prévenir le pouvoir ,
Enterrer au Sérail les filles du l'ermeſſe ,
Joindre Paris & Rome aux conquêtes de Grèce ,
Et, répandant par- tout fon infolent deftin ,
Supprimer tout d'un teinps , Grec , François & Latin ?
Mais foit que le temps feul faffe ces changemens ,
Seit un peuple inconnu , foit les fiers Ottomans ,
Il est toujours certain que d'épaiffes ténèbres
Couvriront quelque jour les noms les plus célèbres ,
Et qu'Homère & Virgile , autrefois fi fameux ,
Mourront enfin pour nous , comme ils font morts
pour eux.
"
Voilà des vers ingénieux & frappés au
bon
DE FRANCE. 169
bon coin. Ce Volume , comme prefque tous
les autres , eft terminé par des notices bien
faites des principaux Auteurs qui n'ont point
fourni de poéfies au Recueil. Il y en a deux
confidérables qu'on lira avec plaifir ; celles de
du Ryer & de Rotrou . Ces notices , jointes à
celles qui précèdent l'article de chaque Poëte,
forment une Hiftoire de la Poéfie Françoife.
ANNE- ROSE TREE , Hiftoire Angloife ,
par Madame de Malarme. 2 Vol. in- 12.
Prix , 3 lv. br. A Bruxelles , & fe trouve à
Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire ,
rue S. Jacques.
Madame de Malarme eft Auteur de de x
autres Romans publiés en 1780 : les Lettres
de Milady Sindfey, ou l'Époufe Pacifique ,
& les Mémoires de Clarence Weldonne , ou
le pouvoir de la Vertu , Hiftoire Angloife.
Ces deux Ouvrages avoient reçu du Public
un accueil que l'Auteur par modeftie a regardé
comme un encouragement ; & il a cru
devoir y répondre par de nouveaux efforts
pour le mériter mieux. On avoit trouvé lé
ftyle de Madame de Malarme négligé ; elle
- l'a foigné d'avantage en écrivant ce nouveau
Roman , dans lequel elle a prouvé qu'elic
peut faire mieux encore.
On lit volontiers, & même avec avidité ,
les Romans ; mais il eft rare auffi qu'on y revienne
, à moins que l'Auteur n'ait eu le
talent d'y préſenter l'hiftoire des paffions , le
N°. 47 , 22 Novembre 1783. H
170
MERCURE
S
tableau des nceurs & la peinture du coeur
humain. Aufli paroît il tous les ans une foule
nombrable de Romans que beaucoup de
gens ont lû , & que perfonne ne connoît ,
parce qu'on les a lûs rapidement , & que
n'ayant reçu en les lifant qu'une impreflion
paffagere , on a oublié jufqu'à leurs titres.
Cette réflexion n'eft pas une menace prophé
tique pour Madame de Malarme. Nous
croyons qu'elle a affez des qualités qu'on
exige du Romancier , pour acquérir celles
qui lui manquent , ou qu'elle ne possède pas
au même degré. Il y a un malheur attaché
aux Auteurs qui font d'un fexe accoutumé
aux hommages ; c'eft qu'ils trouvent rarement
de févères cenfeurs ; & qu'ils ne font
que trop difpofés à prendre pour une juſtice
rendue à leur talent , ce qui n'eft qu'un compliment
fait à leur fexe. Mais Madame de
Malarme peut fe fervir de cenfeur à ellemême
; & ce dernier Roman annonce des
progrès fenfibles ; on le lira avec plaisir ,
parce qu'il eft conçu avec intérêt .
Nous aurions voulu en donner ici un analyfe
; mais nous nous en abftiendrons , parce
que l'intrigue étant fort compliquée , nous
n'aurions pu en préfenter qu'un extrait fort
fec, & peut être même difficile à faifir ; ce
qui feroit naire à l'Ouvrage plutôt que d'inf
pirer le defir de le lire. Au refte , l'Auteur
a développé tous ces événemens avec la
clarté dont ils étoient fufceptibles. L'action
fe partage entre Rofe Trée & Emilie Ridge ,
DE FRANCE. * 171
qui eft même plus intereffante que l'éroine
, parce qu'elle fubit plus d'épreuves .
& qu elle effuye plus de malheurs. Au dénouement
, tous les principaux personnages
fe réuniffent auprès de Rofe Trée , & ne
forment plus qu'une heureufe famille .
VARIÉTÉS..
SUITE des Sermons de l'Abbé Poule
comparés à ceux de Boardaloue & de
Maffillon.
BOURDALOUE eft compté parmi les grands
Hommes du fiècle de Louis XIV, qui ont la double
gloire d'avoir fait des chef- d'oeuvres dans une carrière
qu'ils avoient ou créée ou réformée. On le regarde en
core comme le Corneille de la Chaire.L'état où ces deux
hommes ont trouvé le genre de leurs travaux a été le
même , & c'eft out ce qu'ils ont de commun. Bourdaloge
ne s'élève ni ne tembe à la manière de Corneille.
Ils font tous deux diftingués par la puillance
de la raifon & les écarts du raifonnement , mais la
-puiffance de la raifon dans l'un confifte dans une
forte & vafte combinaiſon d'événemens & de caractères
, d'où il tire de grandes & vives fituations ,
des idées & des fentimens qui étonnent l'efprit ,
qui élèvent l'âme , qui confondent l'imagination ;
elle fe montre dans l'autre par une méditation étondue
d'un fujet où toutes les idées bien raflemblées
s'uniffent intimement & fe développent d'une manière
ferme & complette, Ce n'eft pas moins diffé
remment qu'ils abufent de leur raifon . Quand Coneile
n'elt pas porté dans tout fon , génie par un
Hij
1:72 MERCURE
heureux motif de fcène ou par les objets qui lui appartiennent
particulièrement ; minquant de foupleffe
dans l'imagination & d'élégance dans le ſtyle ,
qui font les reffources du talent pour tout élever &
tour embellir , il tombe dans les petiteffes du bel efprit
& les fubtilités de l'École. I ehoque & il impa
tiente Bourdaloue , qui raifonne toujours , même
dans les chofes où il ne faudroit que fentir , qui
prouve tout , même ce qui n'a pas befoin de preuves,
qui ne dit rien ni avec fineffe ni avec gråce , rend
fouvent plus défagréable la féchereffe didactique par
la pauvreté de fes idées & la lenteur de fa marche ;
il rebute & il ennuye. Je ne crois pas que ces deux
hommes puiffent être rapprochés par un autre endroit
que par la grande inégalité de leur talent , & il me
paroit bien injufte de leur accorder une gloire à-peuprès
égale .
Il faut être jufte envers les talens que l'on
eftime trop , comme envers ceux que l'on n'honore
pas affez. Il eft utile pour l'intérêt de la vérité
& l'honneur du goût , de revenir quelquefois
fur les réputations , de les confirmer ou de les infirmer.
Cet examen convient furtout envers des
hommes qui font trop loin de nous pour être jugés
avec des affections ou des préventions perfonnelles .
Cependant l'on doit toujours refpecter une gloire
établie, & fe défier d'une opinion qui contrarie celle
de plufieurs grands Hommes. Je demande grâce
pour la mienne , loin de prétendre la faire prédominer;
mais je fupplie qu'on ne la condamne pas fans
lui donner quelqu'attention.
Bourdaloue mérite une grande eftime pour avoir
te premier ramené l'Eloquence de la Chaire à la
vérité du ſtyle & à la févérité de la raiſon. Les Sermons
qui ont précédé immédiatement les fiens ,"
n'offioient que le ridicule & même le fcandale.
d'une érudition toute profane , & toute l'affectation
DE FRANCE. 1738
du bel - efprit, On fent avec refpect que c'eft furtout
dans un coeur tout religieux & dans un efprit
dominé par la vérité , qu'il a puifé cette heureuſe
averfion des faux ornemens. Tourné par la Nature
vers le raifonnement , qui étoit fon unique moyen
de fe faifit des chefes , il avoit contracté dans les
Écoles où il avoit long temps profeffé l'habitude
& le befoin d'un ordre méthodique , & même
de tout l'appareil didactique pour recevoir &
exprimer fes penfées les plus fimples. Nourri des
plus vaftes études théologiques , il lui falloit une
application continuelle pour établir une concordance
exacte entre toutes ces idées étrangères dort
il s'étoit chargé . Mais l'étendue & la netteté de fa
raifon fuffifoient à ce grand travail. On admire
l'enchaînement qui règne entre toutes les idées qui
compofent les Difcours. Il paroît quelquefois accumuler
à plaifir les difficultés autour de lui ; mais il
s'en démêle toujours à force d'attention & de
peine. Ses connoillances bien fondues dans fa Logi
que , lui donnent une grande fécondité de vûcs fur
les fujets qu'il traite . Il a fait jufqu'à quaire Sermors
fur les mêmes objets , fans qu'ils rentrent par
aucun endroit les uns dans les autres . Son ftyle eft
clair & ferme. Les textes facrés dont il fait un
grand ufage , & même dont il abuſe , car il les emploie
fouvent contre leur vrai fens , le pouffent
quelquefois dans des expreffions énergiques & hardies
, qui refortent davantage au milieu d'une diction
toujours nue , mais folide. En tout c'eft un efprit qui
avoit de l'abondance & de la vigueur . Peut - être
n'a-t- il pas connu fa véritable deftination ; peutêtre
ce goût du raifonnement qui le maîtrifoit , appliqué
à des objets difficiles à éclaircir, auroit obtenu
plus d'effer & d'utilité. Mais dans l'Eloquence de la
Chaire , ce talent qui s'eft trouvé déplacé me paroît
au deffous de fa réputation .
Hiij
174 MERCURE
.
Bourdalone eft dépourvu abfolument des deux
qualités principales qui conftituent l'Orateur , la
fenfibilité & l'imagination . Jamais un mouve
ment de lâme ne vient interrompré la pénible
uniformité de fon raiſonnement ; jamais fon expreffion
ne reçoit de couleur. Tout ce qui eft
un peu vif & animé dans fon ftyle eft emprunté
des Ecritures . On me dira peut- être qu'un grand
Raifonneur comme lui , toujours occupé de la
jufteffe & de l'enchaînement de fes idées , ne poa¬
voit fe livrer au foin de les embellir , & même qu'il
devoit trop fe défier de l'Eloquence pour l'employer.
Il eft encore des perfonnes qui croient que
I'Eloquence altère toujours un peu ia faine Logique,
& que l'on raiſonne moins bien à proportion
qu'on s'échauffe. C'est une vieille erreur que les
efprits froids font trop intéreffés à accréditer pour
ne pas la répéter fans ceffe . Je conviens que les
âmes où dominent la fenfibilité & l'imagination
font plus fujettes à s'égarer dans l'appréciation des
objets ; elles les voient tels qu'elles les defirents.
elles ne les laiffent pas comme ils font elles leur
créent d'autres faces , d'autres rapports ; mais elles
faififfent d'un coup d'oeil plus vafte & plus net tout
ce que leur offre le point de vûe fous lequel elles
envifagent ces objets ; elles peignent à traits plus
sûrs & plus hardis ce qui les a plus vivement frappés
; elles pèchent plutôt par la manière de voir que
par celle de raifonner . Une grande partie de l'éloquence
des paffions vient de la fupériorité de leur
logique. D'ailleurs , les paffions n'exclient pas la
raifon ; les unes peuvent s'accorder avec l'autre.
Gela fe voit fouvent même dans la conduite de la
vie. Cela eft bien plus facile encore dans la méditation
ou la rédaction des idées. Il n'eft pas rare
de délibérer dans le plus grand calme fur une
chofe qui fini par nous paffionner , & la paffion.
e
;
DE FRANCE. 175
*
fe trouve ainfi avouée par la raiſon même. Le don
de s'affecter de fes pensées n'eft point étranger à
cette attention impartiale qui ne les tire que d'un
examen exact & févère des objets . Il s'en faut donc
de beaucoup que la raifon foit moins jufte dans
l'homme éloquent , & que fon raifonnement perde
en exactitude ce qu'il gagne en force . C'est tout le
contraire. Comparez le Raifonneur fioid & le Rai
fonneur paffionné dans les qualités qui leur font ,
communes , dans l'étendue & l'enchaînement des
idées , dans la clarté & la précifion du ftyle , vous
verrez que lorfque l'un raffemble fes idées dans un
fiffu bien forme , l'autre les preffe les unes dans les
autres , & les entraîne par un mouvement com¬
mun ; qu'où celui-ci ne fait, que inettre les objets en
lumière , l'autre les anime en les éclairant ; que tandis
que l'un arrête fa phrafe où le fens eft compler,
l'autre , en abrégeant les mots , par une fuppref
fion heureufe & hardie des chofes intermédiaires ,
renforce les idées par des tours vifs & originaux.
Si vous voulez mieux fentir encore toute la dif
tance qui eft entre ces deux hommes , prenez
des exemples ; comparez deux Ecrivains qui ont
tous deux défendu la Religion & la Morale , &
qui font cités l'un & l'autre comme des modèles de
vigueur dans le raifonnement , quoiqu'à des titres
bien inégaux ; comparez enfemble Bourdaloue &
Pafcal ; voyez comme vous reflez froid dans la lecture
de l'un , combien l'autre vous anime , vous
étonne , vous fubjugue. Cependant ils ne font l'un
& l'autre que raifonner. Pafcal n'eft pas au fond
plus pathétique que Bourdaloue. Il n'est pas moins
févère dans fes maximes & dans fon ftyle. Pour
quoi donc Pafcal manie-t- il fon idée avec tant de
force? C'eft qu'elle n'eft pas feulement une perception
claire dans fon efprit ,, elle eft encore une vive
impreffion dans fon âine . On diroit qu'elle le tour-
HIV
176 MERCURE
mente , & il paroît plutôt parler pour le foulager
que pour le faire entendre. Il y a donc une éloquence
qui eft propre au raifonnement , qui fait fa
vraie puiffance , & il me femble que Bourdaloue en
eft totalernent dénué .
Mais n'a- t- il pas dans un dégré fupérieur d'autres
mérites que celui d'Orateur ? H en eft un fur lequel
il ne m'appartient pas d'avoir un avis , c'est celui
de grand Théologien , que tous les Juges compétens
lui accordent. Je demanderai feulement fi
les connoiffances & le talent du Théologien doivent
far- tout dominer dans le Prédicateur ? Elt- ce là
Leur place ? Et peuvent- ils remplacer les qualités
propres au genre ?
2. Un mérite effentiel dans le Prédicateur doit être
celui de bon Moralifte. Bourdaloue le possède- t- il ?
C'eft encore ce dont je ne puis convenir.Je propoferai
encore ici une queſtion. Les efprits froids font ils
capables de bien traiter la Morale ? Leur partage ecft
ordinairement une grande force d'attention pour
embraffer une longue chaîne d'idées, & une fagacité
d'autant plus heureufe pour déméler & claffer les
objets , qu'elle n'eft diftraite par rien. Ils font trèspropres
à analyser toutes les opérations de l'efprit ,
à réduire à des notions fimples & lumineufes des
connoiffances embrouillées par toutes les erreurs
dont on les a remplies , & par le mauvais choix des
fignes qui doivent les manifefter.. Ce font eux qui
ont rétabli l'évidence , la netteté & l'ordre dins la
Métaphyfique. Mais les objets de la Morale fout
tout différens ; pour les faifir, il faut les avoir
fentis. Comment expliquerez- vous les paffions dans
tout ce qu'elles ont de bon & de mauvais , fi Vous
êtes étranger à tous leurs mouvemens ? Comment
tracerez-vous les devoirs de l'homme, fi votre propre
coeur ne vous infpire pas les moyens de les faire aiསཱུ
1
477
ن ا م ز
DE FRANCE.
mer, de les appuyer fur nos penchans , de fe fervip
de l'un pour vaincre l'autre Sans doute il n'eft pas
néceffaire que le Moralifte ait pallé par tous les
orages des paffions pour les connoître ; cela n'eft pas
inême néceffaire au Poëte qui doit les peindre ; mais
ils ont befoin l'un & l'autre de cette fenfibilité de
l'âme qui reçoit au moins les impreffions , fi elle ne
les garde pas , & qui fuffit pour éveiller la fenfibilite
de l'imagination par laquelle on peut fe tranfporter
dans des peines , des plaifirs , des fituations de toutes
efpeces que l'on n'a jamais éprouvées , ou dont on
ne fait que fe fouvenir . Il me femble que fi
examine bien tous les Moraliftes anciens & modernes
, on verra qu'ils n'ont creufé dans le coeur
humain qu'à proportion de ce qu'ils ont eu d'âme
& d'imagination . Ce terrible ennemi des paffrous
de l'homme que j'ai déjà cité , l'auftère , je
di ai même le farouche Pafcal , lorsqu'il écrâte
notre orgueil fous le poids de nos misères , c'eft
dans un coeur violemment agité qu'il prend ces expreflions
, ces figures extraordinaires par lefquelles
il élève autant le génie de l'homme qu'il veur l'abailfer.
On fent que fon coeur étoit né pour les paffions ,
qu'il ne les a affervies que par celle de les détruire
mais il eft encore tout plein de leurs accens ; ils
animent les accufations ; elles fe peignent jufques
dans la victoire qu'il remporte fur elles . Bourdaloue ,
avec toute la pénétration de fon efprit , ne pouvoit
donc être un grand Moralifte . Auffi je ne vois dans
lui ni ces heureux développemens , ni ces vûes éievées
qui ajoutent à la connoiffance des paffions &
des devoirs de l'homme.
Il lui refte donc d'être un Dialecticien très - diftingué
, mais cependant dont la dialectique n'a
rien découvert ni en perfectionné. Il me femble
que quoique res plans foient toujours "bien for-
Hy
178 MERCURE
més & bien remplis , ils portent cependant fur un
fonds d'idées qui a été commun dans tous les
temps. Auffi on fe demande fans ceffe avec impa
tience , pourquoi tant de divifions, de fous- divifions,
de queftions , de conféquences ? Il feroit beaucoup
mieux entendu avec moins d'effort. Il détruit fouvent
toute la fimplicité des fujets qu'il traite , par
tout cet appareil de raifonnement fans lequel il ne
peut marcher. J'oferai tout dire. Non- feulement il
raifonne fans néceffité , mais fouvent il raiſonne
très - faux. Il va chercher bien loin des apports forcés
entre les objets , & il tombe fouvent dans ces
argumens fophiftiques, dont l'argumentation couvre
un moment le manque de fens , mais ne le rend enfuite
que plus choquant.
1
Je ne puis donc reconnoître dans Bourdaloue
ni un Raiſonneur éloquent , ni un grand Mora
ifte , ni même un Dialecticien du premier
dre ; car je ne puis le comparer ni à Bayle ,
qui a tant éclairci de grandes queftions en Métaphy
fique , en Phyfique , en Hiftoire , en Morale , ni à
PAbbé de Condillac, dont les Ouvrages, en étendant
& en perfectionnant les idées de Locke, peuvent fervir
à perfectionner l'efprit humain. Comme Écrivain
, il peut encore moins entrer en comparaiſon
avec les grands Hommes de fon fiècle , parmi lefquels
l'habitude, plutôt qu'une eftime fentie , le fait
encore comprendre. Si l'on me demandoit d'où lui
eft venu une gloire fi élevée & fi foutenue , je répondrois
qu'il a beaucoup furpaffé ceux qui l'avoient
précédé, qu'il eft entré dans la carrière qu'il a fournie
en réformateur , ce qui eft déjà un grand mérite
; qu'il a au fond un talent réel , & puis qu'il a
eu l'avantage d'appartenir à une Société qui aimoit
à fe couvrir des noms illuftres , & qui avoit faire
Jes réputations.
Mes Lecteurs voudront fans doute juger Bourda
DE FRANCE.
$79
loue par eux memes ; il eft long à lire ; mais quelques
citations un peu étendues peuvent donner une
idée de fa manière. Pour le faire mieux jager , je
placerai à côté des morceaux de lui que je vais rapporter
, des morceaux de Maffillon & de l'Abbé
Poule fur les mêmes objets .
Voici un des meilleurs morceaux d'un de fes
meilleurs Sermons , celui fur l'Impureté , dans fon
Carême.
32
>
Point de péché qui expofe plus le Pécheur à la
» tentation du défefpoir . C'eft Saint Paul qui nous
l'apprend Defperantes femetipfos tradiderunt,
9 impudicitia . Je vous conjure , mes Frères , difoit- il
aux Éphéfiens , de ne plus vivre comme ces Pécheurs
qui, perdant toute efpérance, s'abandonnent
» à toutes fortes de diffolutions , in operationem
» immunditia omnis . Car l'effet le plus ordinaire de
l'impureté , eft de ruiner dans une âme tout l'édi-
» fice de la grâce , & d'en renverser jufqu'au fondement,
qui eft lefpérance chrétienne. Mais encore
, demande Saint Chryfoftôme, de quoi l'Impudique
défefpère - t-il , & de qui défefpère -t- il ? Il
défefpère , reprend ce faint Docteur , de fa con-
» verfion , il défefpère de fa perfévérance , il déſeſpère
du pardon de fes crimes ; & quand on lui
promettroit le pardon de fes crimes , il défefpère
» de fa volonté propre , il défefpère de Dieu , & il
défefpère de lui même. Eft - il de plus triftes & de
plus défolantes extrémités ? Il défefpère de fa
» converfion ; car le moyen , fe dit- il à lui - même ,
nou plutôt lui fait dire l'efprit impur , le moyen ,
que je rompe mes chaînes , le moyen que je m'at,.
rache du coeur une paffion qui fait toute la dou
de ma vie , le moyen que je renonce de .
» bonne foi à ce que j'aime encore de meilleure
foi ! Si je difois que je le veux , ne mentirai-je
pas au Saint- Elprit ? Et fi je n'ai pas la force de
ود
כ כ
כ ,d%
7
ceur
Hvj
180 MERCURE
32
n'y réfoudre & de le vouloir , ne fuis - je pas le
plus infortuné des hommes & le plus délaiflé de
» Dieu ? Suppo même fa converfion , il défefpère
de fa perfeverance ; car que puis - je attendre de
» mor , pourfuit- il , après tant de légèretés & de
changemens ? Quand je dirai aujourd'hui à Dieu
» que je veux fortir de ma misère , & que la réfolu-
» tion que j'en ai formée fera - éternelle , pour le
» dire & pour le penfer , ferai - je plus en état de
» l'exécuter ? Nai - je pas dit cent fois la même
ג כ
chofe; & cent fois après l'avoir dite, ne me fuis -je
» pas trouvé le même que j'étois ? Pourquoi préten
dre que ce que je dirai maintenant fera plus
folide ? Et pourquoi me flatter que je ne ferar
plus ce rofeau agité du vent , qui cède & qui plie
» dès qu'il eft ébranlé par le moindre fouffle ? En
» le voulant ainsi , en n'y engageant , changerai - je
30 .
de naturel , aurai - je une autre trempe d'efprit,
» ferai-je pourvu de plas grands fecours , me four-
2
39
>>
nira -t- on des remèdes plus préfens & plus effica
» ces que ceux même que j'ai fi fouvent rendus
20 inutiles ? Eufin , il défefpère tout- à - la- fois & de
» Diea & de lui même : de Dieu , parce que c'eft
» un Dieu de fainteté qui ne peut approuver ui fouffrir
le mal ; de lui- même , parce qu'étant tout
charnel , & vendu , comme dit Saint Paul , au
» péché , verandatus fub peccato , il ne peut prefque
plus déformais aimer le bien : de Dieu , parce
qu'il a fi fouvent abufé de fa miféricorde & de fa
» pénitences de lui même , parce qu'il a les plus
23 fenfibles convictions de fon inftabilité & de fon
inconftance : de Dieu & de lui même , parce qu'il
» voit entre Dieu & lui des oppofitions infinies ,
qu'il ne croit pas pouvoir furmonter , & qui lui
font prendre le parti de fe livrer aux defirs de
fon coeur Defperantes , femetipfos tradiderant
impudicitia.
༢༩

G J fan, eg w
DE FRANCE 1811
3
Voilà Bourdaloue tout entier. Voyez comme il
confidère fa propofition fous plufieurs afpects ;
comme illes fuit les uns après les autres , affectant
plutôt d'étaler cette marche didactique que de la cacher.
Cependant , il anime fon Difcours par une
forme dramatique , il fait expliquer par l'impudique
lui -même ce qui fe pafle dans fon âme ; mais qu'y
gagne- t'on Ce pécheur , qui doit peindre toute la
vielence des fa paffion , tout le défefpoir où il fe
précipite ,, n'eft ni moins froid , ni moins fec , ni
moins méthodique que le Père Bourdaioue luimême.
On peut encole remarquer dans ce morceau
deux défauts plus confidérables , puifqu'ils font des
vices de logique . D'abord, il n'y a rien ici qui convienne
particulièrement à l'impudique. Tous les pécheurs
ont les mêmes raifons de défèfpérer de leur
falut ; en fecond lieu , ce n'eft point ainfi que raifonne
l'impudique , ni même le pécheur en général .
Il ne dit point: il eft inutile que je faffe des efforts
pour fortir de mes vices , je n'en viendrois jamais
about. Aus com raire , il fe fait illufion fur fes
forces à venir ; il remet fa converfiou à un autre
temps , il compte fur l'affoiblitlement de fes goûts ',
fur des fecours nouveaux. Il n'eft point de la nature
de l'homme vicieux de connoître ainfi toute la
puillance du lien qui Penchaîne. Plufieurs paffions
nous jettent encore dans un plus grand danger , len
nous jetant dans le dégoût des chofes faintes , & telle
eft particulièrement l'impureté. Voilà ce qu'il falloir
fur- tout confidérer dans ce fujet ; voilà le tableau
fidèle qu'il falloit offrir. Auffi Maffillon n'y a pas
manqué, Écoutous maintenant un bon Moralifte &
un Orateur.VAISET
Enfin cette déplorable paffion met dans le coeur
un dégoût invincible pour les chofes du ciel ; on
n'eft plus touché de rien. Laffé de fes propres
» misères , on voudroit bien quelquefois revenir à
39
182 MERCURE
Dieu , & tout nous en éloigne ; & le coeur tout
» entier fe révolte contre nous mêmes ; & un dégoût
affreux nous faifit & nous lie nos propres
*. foibleffes ; & le coeur , accoutumé à ne plus fentir
que des plaifirs vifs & injuftes , languit , & ne.
trouve en lui aucun fentiment pour la piété.
»
» Bien plus , tout ce qui n'eft pas marqué par le
caractère honteux de la volupté , n'intéreffe plus.
» Les devoirs mêmes de la Société , les fonctions
d'une charge , les bienséances d'une dignité , les
foins domeftiques ; tout laffe , tout devient infipide
, bors la paffion . Baltalar n'eft plus appliqué
❤au Gouvernement de fes peuples , & ne fait pas
» même que l'ennemi , déjà à la porte de fa capitale
, va lui enlever le lendemain la vie & la
» couronne. Salomon eft plus attentif à bâtir des
temples profanes aux Dieux des femmes étran-
» gères, qu'à foulager fon peuple, que fes profuſions
33
n .
font gémir fous le poids des charges publiques.
» Les enfans d'Héli négligent les fonctions du Sacer-
» doce. La femme de Babylone , toute plongée dans
» les délices , dit dans fon coeur : je ne veux plus
» que me faire adorer ; il n'y aura plus ni foin , ni
» embarras , ni chagrins qui m'occupent : Sedeo
regina..... nec luctum videbo. La femme dont il eſt
parlé dans les proverbes , ne peut fe fouffrir dans
» Î'enceinte d'une famille : le férieux d'un domef-
» tique lui devient infupportable : Nec valens in
» domo confiftere pedibus fuis. Delà on fe fait des
Occupations , qui toutes ne tendent qu'à nourrir
la volupté , des fpectacles profanes , des lectures
» pernicieufes , des harmonies lafcives , des peintures
obfcènes . Hérode ne trouve plus de plaifir
que dans les feftins. Salomon multiplie les concerts
, & fon palais retentit de toutes parts de
chants de volupté & de réjouiffance, Manafsès
met dans le temple même du Seigneur les images
"
,
DE FRANCE. 183
de fes infâmes plaifirs. C'est le caractère de cette
» paffion , de remplir le coeur tout entier ; on ne
peut plus s'occuper que d'elles on en eft poflédé ,
» enivré ; on la retrouve par-tout ; tout en retrace
les funeftes images ; tout en réveille les injuftes
defirs ; le monde , la folitude , la préſence , l'éloignement
, les objets les plus indifférens , les occu
pations les plus férieufes , le temple faint lui-
» même , les autels facrés , les myflères terribles en
5 rappellent le fouvenir ; & tout devient impur,
comme dit l'Apôtre , à celui qui eft déjà impur
» lui -même Peregrè profectus eft in regionem longinquam.
Regardez derrière vous , âme infidelle ;
rappelez ces premiers fentimens de pudeur & de
» vertu avec lefquels vous étiez née , & voyez tout
le chemin que vous avez fait dans la voie de
l'iniquité , depuis le jour fatal que ce vice hon
teux fouilla votre coeur ; & combien depuis vous
» vous êtes éloignée de votre Dieu : Peregrè pro-
» fectus eft in regionem longinquam. »
Voilà le coeur humain expliqué dans un ſtyle noble
& touchant. Voilà ce qui appartient particulière
ment à la paffion , dont il falloit peindre les effets.
Bourdaloue & l'Abbé Poule ont fait l'un & l'autre
un Sermon fur l'Enfer. Le fonds de leurs idées eft
très-fouvent le même ; mais quelle différence dans
l'exécution !
Le plus grand malheur de l'âme réprouvée fera
d'être encore contrainte à aimer Dieu , & de s'en'
fentir invinciblement repouffée . Voyez comme Bourdaloue
fatigue fon Lecteur & lui- même pour pré
fenter cette vérité.
" Mais je me trompe , Chrétiens ; toute réprou-
» vée qu'elle eft , elle fera encore à Dieu , & Dieu
à elle. Dieu lui fera encore inféparablement umi
& elle à Dieu. Si elle pouvoit être tous à - fait pri-
» vée, tout-à-fait féparée de Dicu , elle ne feroit
184 MERCURE
כ כ
» malheureuſe qu'à demi. Le comble de fa misère
fera d'en être privée d'une façon , & de ne l'être
» pas de l'autre , d'en être féparée d'une façon , &
» inféparable de l'autre privée de Dieu en tant que
» Dieu étoit l'objet de fa félicité , & pénétrée de
" Dieu en tant que Dieu fera le fajer éternel de fes
plus violens tranfports ; c'eft ce qui la confter-
» pera : Dieu la renoncera en qualité de père , en
qualité d'époux , ea qualité de protecteur, en qua-
» hité de dernière fin , c'eft- à-dire , dans toutes les
» qualités qui le rendent bienfaifant , doux & ai
» mable; & il s'attachera à elle en qualité de juge ,
» en qualité d'ennemi , en qualité de vengeur , en
» qualité de perfécuteur , c'eſt -à- dire , felon toutes
» les qualités qui le rendent , tout Dieu qu'il eft ,
» non- feulement févère & redoutable , mais dur &

impitoyable, Delà donc cette âme fera double-
» , ment malheureuſe : malheureuſe d'avoir encore
» un Dieu , malheureufe de n'en avoir plus ; d'avoir
25
encore un Dieu conjuré , déclaré , armé contreelle
, & de n'avoir plus de Dicu favorable , propice
& miféricordieux pour elle ; d'avoir encore
» un Dieu pour exciter fa haine & fes plus mor--
» telles averfions , & de n'en avoir plus pour con-
20 tenter fes defirs & fes plus ardentes inclinations ;
car ce fera- la fon grand fupplice , de fentir éternellement
que Dieu l'avoit créée . pour lui-même
& qu'elle ne pouvoir être heureufe , qu'en lui &
" que par lui ; & de ne recevoir éteinellement, de,
20 Dieu. que des rebuts & des mépris , de ne trouver
» éternellement entre Dieu & elle qu'une infurmon-
» table oppofition . Elle estimera Dieu malgré elle
» & elle aura une inchnation naturelle pour lui , &
» cependant elle le haira ; elle l'eftimera tel qu'elle ,
» me le poffèdera jamais , & elle le haira tel qu'elle
» l'aura toujours préfent. Or , ce conflit d'eltime
» & de haine , de defir & d'averfion , d'éloigne-
2
DE FRANCE. 184
» ment & de pourſuite à l'égard du même objets
c'eft , Chrétiens , ce que nous appelons l'enfer. »
Voyons cette vérné fous la plume de l'Abbé
Poule.
"
"
20
« Frappés de ces images épouvantables , vous ne
» concevez rien au- delà , mes très- chers frères ; &
cependant voici en un feul trait l'affemblage de
» tous les maux. Dans la privation entière des biens
» de la gloire , le réprouvé eft rendu à Dieu. Sur
» la terre, c'eft le pécheur qui fe défend , & c'eft
» Dieu qui le pourfuit , qui ne peut confentir à fa
» perte , qui beurte à la porte de fon coeur , qui l'appelle
par fa grâce. Dans l'enfer , tout rentre dans
l'ordre ; c'eft Dieu qui fe refufe , & c'eftvie réprouvé
qui le cherche ; fon âme dégagée des liens
imperceptibles qui fufpendoient la rapidité de fa
pente naturelle , eft rappelée thaigré elle à toute
fa deftination ; elle fe porte vers lui avec impé-
» tuofité. Ou vas - ru , âme criminelle ? Tu voles audevant
de ton juge ! ni cette confidération , ni fes
alarmes , ni les châtimens qu'elle fe prépare , ne
font capables d'arrêter l'impulfion vive qui l'en
» traîne ; elle s'élance par la néceffité de la naure ,
» & toutes les perfections divines qu'elle a outragées
, s'empreffent de la rejeter ; elle s'élève pat
» le befoin immenfe & preffant qu'elle a de four
» Dieu , & fon Dieu la repoulle par la haine nécef-
» faire qu'il porte au péché . Également malheu
33
و د
35
reufe , & quand elle s'efforce de s'approcher de
» cette fource de tous les biens , & quand elle en eft
arrachée avec violence ; également tourmentée ,
& lorſqu'elle fort d'elle- même , & lorfqu'elle eft
» contrainte de s'y replonger , elle trouve fon Dieu
» fans pouvoir le pofféder; elle fe fuit , fans pou-
39
voir s'éviter ; elle paffe fucceffivement des ténèbres
à la lumière , de la lumière aux ténèbres ;
» elle roule d'abymes en abymes , d'horreurs en
1
186 MERCURE
horreurs ; elle porte l'enfer jufques vers le ciel;
elle rapporte l'image du ciel jufques dans l'en-
» fer. »
Comme tout eft vrai , comme tout eft terrible
dans ce fublime tableau ! Voyez combien le développement
d'une idée morale dans une imagination
fenfible , s'élève au deffus de cette froide logique ,
qui fe perd dans de longs & pénibles raifonnemens !.
quelle heureufe oppofition que celle du pécheur tou
jours follicité par Dieu fur la terre , toujours re
pouffé de Dieu dans l'enfer ! qui peut ééccoouter fans
frémiffement cette apoftrophe : où vas ta , âme criminelle
! & comme le réfultat de cette idée eft devenu
une terrible image ! elle porte l'enferjufques vers le
ciel ; elle rapporte l'image du ciel jufques dans
l'enfer.
:
Le plaifir que l'on aura à lire un autre morceau
de l'Abbé Poule fur le même fujet , m'engage à
cher encore un paffage de Bourdalone.
291
55
« Un des fouhaits de Saint-Bernard , & ce qu'if
» demandoit avec plus d'ardeur , expliquant ces pa
» roles du Prophère : Defcendunt in infernum vis
» ventes ; c'étoit que les pécheurs defcendiffent en
» efprit & par la penfée dans l'enfer ; ne doutant
» pas que la vue de cet affreux féjour & des tourmens
qu'on y endure , ne dût faire la plus vive
impreffion fur leurs coeurs , & convaincu qu'il n'y
avoit point de moyen plus affure pour ne pas
tomber après la mort dans ce lieu de misères
» que d'y defcendre fouvent par la réflexion pendant
la vie : Defcendant in infernum viventes s
ne defcendant marientes . Mais pour l'entier ace
» comptiffement da fouhait de Saint- Bernard , il
» faudroit , Chrétiens , que nous y puiffions deſcen
» dre avec les mêmes connoillances , & , s'il étoit
poffible , avec la même expérience que les daine
nés , afin d'en pouvoir juger comme eux & d'en

DE FRANCE. 187
s tirer en même temps des conféquences qui leur
» font déformais inutiles , mais qui nous peuvent
>> être encore fi falutaires >>
Cette idée a fourni à l'Abbé Poule cet éloquent
morceau
39
35
« Si , par une fuppofition impoffible , un Ange ,
chargé des ordres du ciel , fe montroit tout d'un
coup aux réprouvés , & qu'il leur dit : victimes
» éternelles de la juftice divine & de la tyrannie dụ
péché , fufpendez , fi vous le pouvez , pour quel-
→ ques momens , vos blafphêines & vos impréca
» tions ! écoutez moi ! ouvrez les yeux à cette lumière
fubite qui vous épouvante ! je ne fuis pas
» un Ange exterminateur , je fuis un Ange de paix
» je vous apporte l'efpérance : Dieu m'a confié les
» clefs de l'abyme , je puis vous en ouvrir les por-
» tes , & rous rappeler encore une fois au monde ;
» mais à cette feule condition que vous pafferez cette
nouvelle vie dans les larmes & les travaux de la
» pénitence. Avec guels tranfports de reconnoil
» fance ces malheureux ne fe foumettroient- ils pas
so à cette loi ? Les mortifications les plus rigoureufes
leur paroîtroient des délices, & certe penitence.
qui fait la trifteffe & l'effroi des Chrétiens , fe-
» roit la joie de l'enfer. »
35
( La continuation de cet article dans un des
Mercures prochain. )
ANNONCES ET NOTICES.
CONSIDERATIONS fur les Arts & les Artiftes
-
du temps , ou des Hommes déplacés & de ceux qui
fe déplacent relativement aux Arts , fujet de deux
Lettres à un Artiſte célèbre ; par M. Dupain - Triel ,
in-8 ° . A Paris , chez L. Cellot , Imprimeur - Libraire,
rue des grands Auguſtins.
183
MERCURE
Ces deux Lettres , qui méritent d'être lues , ont
été écrites à l'occafion de quelques entretiens qu'avoit
eu l'Auteur avec M. Lebas , qui lui avoit
demandé fon avis fur la décadence des Arts . M.
Dupain-Triel divife fa réponſe en deux points : 11
y a peu d'hommes claffés dans l'ordre du goût comme
la Nature le vouloit , & il y en a peu qui ne fortent
da cercle où elle exigeoit qu'ils fe tiaffent renfermés.
Il remarque avec raifon que le talent a à vaincre
trois grands obftacles , l'éducation , les circonftances
& l'opinion.
On fait combien dans l'éducation qu'on donne
d'ordinaire aux enfans , leur vocation eft peu confultée
; la richeffe ou la pauvreté d'un père décide
prefque toujours l'état qu'il domme à fon fils. On
fent aufli combien il eft difficile que les circonftances
développent un talent contrarié , étouffé par
l'éducation . L'Auteur s'étend enfuite fur les maux
que caufe l'opinion. Il propofe deux moyens de
rendre aux Arts tout leur éclat. Il veut d'abord que
les Parens & les Instituteurs obfervent le goût que
la Nature a donné à un enfart , & qu'ils dirigent le
plan de leur éducation de manière à le feconder. Il
defiteroit enfuite que les Artiftes renommés , dût-il
lear en coûter quelques facrifices de fortune , fiffent
en faveur du bon goût une ligue offenfive & défenfive
contre les innovations prefque toujours funcites
aux Arts & aux Talens.
Il y a des vies fages dans cette Brochure , qui
peut être utile à diverfes claffes de Lecteurs.
CEREMONTES & coutumes Religieufes de tous les
Peuples du monde , en 4 Volumes in-folio , divifés
en quinze Cahiers ou Livraiſons. Prix , 10 liv. br.
Treizième Livraiſon . A Paris , chez Laporte , Li
braire , rue des Noyers.
L'Ouvrage dont nous venons de tranfcrire le titre
DF FRANCE 189
eft terminé. Cette Livraiſon eft le commercement
d'une autre qui lui fert de fuite fous ce titre nouveau
: Superftitions de tous les Peuples du Monde
ou Tableau Philofophique des erreurs & des foibleffes
dans lesquelles les fuperftitions , tant anciennes,
que modernes , ont précipité les hommes de la plupart
des Nations de la terre ; Ouvrage fuivi d'un Précis
fur la Mère Folle , fur les Bacchanales & les Orgies
, fur le Spectacle fatyrique des Grecs & des Romains
, & fur l'origine de l'affociation des Francs-
Maçons. Ces Superftitions offrent la même beauté
d'exécution que les Cérémonies ; les Planches nous
ont même paru mieux confervées. L'Ouvrage en
entier fera terminé dans le niois de Décembre.
prochain.
NOUVELLE Hiftoire du Berry, contenant fon
Origine & fes Antiquités tant gauloifes que
romaines , fa divifion en fes différentes parties , fes
Defcriptions Géographique , Hydiographique , Phyfique
& Naturelle , fes Gouvernemens , fes Souve
rains , fes Archevêques , & c. avec les Hiftoires Héraldiques
, Généalogiques des Maifons & Families
Nobles les plus connues dans le Berry ; par M.
Pallet , Avocat en Parlement, Tome I , in - 8 °.
Prix , livres broché. A 5. Paris , chez Monory, Libraire
, rue de la Comédie Françoife. A Bourges,
chez l'Auteur , rue de la Porte Neuve.
C'eft le premier, Volume d'un Ouvrage qui doit.
en avoir huit , & qu'on propofe par foufcription à
4 liv . le Volume , qu'on payera à mesure qu'on le
recevra. Ceux qui n'auront pas foufcrit , c'est-àdire
, qui n'aurour pas donné leur foumiffion , le
payeront livres . L'Auteur y a joint un Volume ou
l'on a gravé les Monumens , les Cartes , les Armoiries
, & c pour lequel on payera de la même mamière
12 livres 12 fols , & qui paroîtra avec le troi-
3
190 MERCURE
fième Volume de l'Hiftoire. Celui - ci n'eft point
fufceptible d'analyfe . Il renferme quatre Chapitres
de difcuffion fur l'origine & la dénomination du
Berry , fur fon ancienneté , fa divifion & fa defcription
géographique & hydrographique. Le reste ,
c'eft à- dire , plus des trois quarts du Volume
renferme que des généalogies de plufieurs Maiſons
de cette Province.
ne
GRAMMAIRE Angloife , traduite de l'original
Anglois du Révérend Docteur Robert Lowth ,
Évêque de Londres , avec des Notes critiques de
l'Aureur & du Traducteur ; par M. le Chevalier de
Saufeuil. A Paris , chez P. Théophile Barrois jeune ,,
Libraire , rue de Hurepoix , près le Pont Saint
Michel.
Cette Grammaire du favant Évêque de Londres
jouit de beaucoup de réputation. On doit favoir gré
à M. le Chevalier de Saufeuil d'en avoir enrichi
notre Littérature , & fes Notes feront utiles à ceux
qui étudient cette Langue.
Covas de Langue Italienne , à l'aide duquel
on peut apprendre cette Langue chez foi fans Maitre,
& en deux ou trois mois de telture
par
L'Auteur de cet Ouvrage a . fait diftribuer dans
les mois d'Août ou de Septembre quatre Cahiers de
Profe qui préfentent une Traduction interlinéaire
des Lettres Péruviennes traduites en Italien feu
M. Deodati. Les deux Cahiers qui ont été diftri
bués dans le mois d'Octobre , offrent un Ouvrage
d'un genre tout différent ; c'eft une Traduction interlinéaire
des quatre premiers Chants de la Jérufalem
délivrée , au bas de laquelle M. de Boisjermain
, Auteur de cet Ouvrage , a nis une Traduction
Francoife de ce Poëme. Il obferve avec raiſon
que tous les Traducteurs de la Jérufalem fe font
DE FRANCE. -191
fort peu fouciés de reffembler à leur original , & de
le copier trait pour trait. La Traduction qui fait
partie du Cours de Langue Italienne que nous annonçons
n'a pas ce défaut. Elle préfente à -la-fois le
plaifir de lire le Texte du Taffe & de l'expliquer
mot à mot, & de le rendre enfuite en bon François.
En voici quelques lignes qui fuffifent pour prévenir
en faveur du refte.
95
« Cette femme ( Armide ) épuiſe toutes les reffources
de l'art pour envelopper dans les filets
quelque nouvel amant. Elle n'a pas pour tout le
» monde & tous les jours le même viſage. Elle
change à de manière & de maintien. Tanpropos
tôt la pudeur tient fes regards dans le recueille-
» ment , tantôt le defir & la curiofité les portent de
» tous côtés . Selon qu'elle voit fes amans ou timides
» ou ardens elle les arrête ou elle les preffe , &c. »
30
RECUEIL de Plaidoyers & de Difcours oratoires
pour fervir de modèles aux jeunes gens , & propres à
les former à l'Eloquence en général, & à celle du
Barreau en particulier , Tome I , contenant les Plaidoyers
& Difcours du R. P. Geoffroy , de la Compagnie
de Jéfus , ancien Profeffeur de Rhétorique,
Prix , livres le Volume relié. A Paris , chez Nyon
l'aîné , Libraire , rue du Jardinet , quartier S. Andrédes
Arcs.
3
Cet Ouvrage doit avoir une foite. Les Plaidoyers.
que renferme ce premier Volume n'avoient jamais
vu le jour. Nous en parlerons à l'article des Nou
velles Littéraires.
NUMERO 4 de la nouvelle fuite de Pièces d'Harmonie
, contenant des Ouvertures & des Airs d'Opéra
férieux & comiques , arrangées pour deux
Clarinettes , deux Cors & deux Baffons , par M.
Ozy , Muficien de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans .
FOL MERCURE
Prix , 6 liv. A Paris , chez M. Boyer , au Magafin
de Mufique , rue Neuve des Petits - Champs , près
celle de S Roch , nº . 83 , & chez Mme Lemenu ,
rue du Roule , à la Clef d'or.
OUVERTURE de la Mélomanie , arrangée pour
le Clavecin , Violan ed libitum , par M. Fodor.
Prix , 3 livres. A Paris , chez M. Boyer. Même.
Adreffe.
Six Duos dialogués pour Violon & Alto , compofés
par M. Cambini , deuxième Livre , Quvre
XXXV. Prix , 7 livres 4 fols. A Paris , chez M.
Boyer. Même Adreffe .
Il paroit que l'extrême fertilité de M. Cambini
ne nuit pas à fes compofitions , qui font toujours
également bien accueillies.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture.
TA BL E.
VERS fur M. le Comte del phie ,
Trefin
156
164 145 Annales Potiques,
146 Anne-Rofe Trée , Hiftoire Angloife
,
-AM. Palifot ,
Charade , Enigme & Logogry
phe ,
169
ib. Suite des Sermons de l'Abbé
Poule , comparés à ceux de
Bourdaloue & de
Hiftoire d'Ayder Ali - Khan
Nabah Bahader , Roi des
Canariens , &c. &c. 148 lon ,
Ies Lacunes de la Philofo- Annonces & Notices ,
APPROBATION.
Maffil-
171
187

Jar tu , oar ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 22 Novembre Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion . A Paris ,
le 21 Novembre 1983. GUIDI

MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 29 NOVEMBRE 1783 .
PIECES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
Sur la Comédie du SÉDUCTEUR.
DE BIÈVRES * , ton brillant fuccès
>
Attire la foule aux François ,
Pour juger , dit hier Silvie ,
Lequel eft le plus féducteur ,
Dans ta charmante Comédie ,
Du Perfonnage ou de l'Acteur ! **
(Par M. de la Place )
* C'est en effet le véritable Auteur de la Pièce. Il s'eft
nommé lui même dans une Lettre inférée au Journal de
Paris depuis l'impreffion du dernier Numéro . On voit que
les louanges adreffées à M. Paliffot reviennent à M. le
Marquis de Bièvres.
** M. Molé.
Nº . 48 , 29 Novembre 1783 . I
194 MERCURE
VERS pour le Portrait de M. l'Archevêque
de Bordeaux.
SI ce Fortrait , comme un miroir fidèle ,
Ne t'offre pas , unis à la grandeur ,
Les heureux dons de l'efprit & du coeur ,
Blâme le Peintre , & recours au modèle .
( Par M. l'Abbé de Malecofte. )
VERS à M. DE LA HAR PË,
A vous , père de Mélanie ,
Du fier Warvick , du grand Vafa ,
Et de mainte oeuvre de génie
Que le Dieu du goût confacra
Malgré la cabale ennemie ;
De la part d'un fils de Thalie ,
Salut , honneur , & catera.
Ne faites fi de mon Épître :
La raifon , vous la fentez bien ,
Vous Auteur , moi Comédien ,
Nous fympatifons par le titre.
Sans doute un tel rapprochement
A tout autre feroit injure ;
Mais vous , vous voilà mon parent,
Quoiqu'étranger par la Nature ,
On eft frère par le talent.
Rofcius , dans l'ancienne Rome ,
DE FRANCH. 195
Vivoit l'ami de Cicéron ;
Chez nous Corneille , ce grand homme,
Soupoit fouvent avec Baron .
Moi , chétif, quelle différence !
Vous , mon parent ! à quel dégré ?
Vous êtes l'oracle de France ,
Je ne fuis qu'une Mime ignoré.
Pour exifter je cherche un père;
La Harpe , foyez mon ſoutien ;
Que de l'Empire Littéraire
Le génie enfante le mien.
Cette naiffance eſt un mystère
Dont ce fiècle a la preuve en main.
N'eft- ce pas ainfi que Lekain
Naquit de l'âme de Voltaire ?
( Par M. Dorfeuille . )
COUPLETS chantés à la Fête de M. L** ,
par Mademoiſelle fa Fille aînée.
AIR: La Fête des Bonnes Gens.
VIVE
IVE le meilleur père ,
Le père le plus aimé !
De l'ardeur de lui plaire ,
Qui ne feroit animé ?
Il fait fon bonheur du nôtre ;
Le fien rend nos coeurs plus contens .
I ij
196 MERCURE
Un fi bon père eft l'Apôtre ,
L'Apôtre de les enfans.
NOTRE main pour offrande ,
En te préfentant des fleurs ,
Figure la guirlande
Où s'entrelacent nos coeurs ,
Qu'au feul ufage fidèle
Ailleurs on donne un vain bouquet ;
A ta Fête le feul zèle ,
Le zèle toujours l'a fait.
' TE plaire eft notre envie ,
T'aimer notre premier bien ;
Je chéris moins la vie
Que celui dont je la tien,
Que la loi d'un vieil uſage
Dicte ailleurs un froid compliment ;
Le coeur t'offre ici l'hommage ,
L'hommage du fentiment.
A NOS fleurs s'entrelace
Le bouquet de ta moitié ;
L'éclat des fleurs fe paffe ,
Mais non pas fon amitié ;
Gaîté douce en fes yeux brille
A la fête de fon mari:
Le Patron de la famille
Ghez nous eft I époux chéri .
(Par M. de Saint- Ange. )
DE FRANCE. 197
A une Chanoineffe , qui n'en met pas
toujours les Ornemens.
A FAIRE des jaloux lorfque tout vous invite ,
Pourquoi de votre rang négliger les honneurs ?
Les croix & les cordons décorent le mérite,
Sans lui feroient- ils fi flatteurs ?
Quand on peut les montrer, c'eft à tort qu'on les cache ,
Il eft fi beau de les porter !
Heureuſe mille fois la main qui les attache !
Plus heureux qui fauroit vous les faire quitter !
( Par M. de la Louptière. )
DIALOGUE entre DIOCLÉTIEN ,
Empereur de Rome , & ABDOLONYME ,
Roi de Tyr.
ABDOLONY ME.
Nousfùmes tous deux Jardiniers ; moi , avant
que d'arriver au trône de Tyr ; vous , après avoir
quitté l'Empire du monde.
DIOCLETIEN.
C'eft dire que ma carrière finit plus heureuſement
que la vôtre.
ABDOLONY ME.
Le Conquérant de l'Afie , à qui les couronnes
pleuvoient dans la main ; me força d'en accepter
1 iij
198 MERCURE
une. J'eus beaucoup de peine à quitter mon rateau
pour un fceptre ; je favois qu'il eft plus facile de
gouverner les plantes que les hommes.
DIOCLETIEN.
Je l'ai fu trop tard. Vous ne dûtes qu'à votre pénétration
une découverte que je dûs ſeulement à mon
expérience , maître toujours un peu lent à nous
inftruire. Au furplus , on prétend que vous defcendiez
des anciens Rois Phéniciens .
A B DOLONY ME.
Alexandre me l'apprit ; il s'étoit plus occupé de
ma généalogie que moi même.
DIOCLÉ TIEN.
La mienne m'étoit mieux connue , & je n'eus
point fujet d'en tirer vanité. J'eus pour père un affranchi
, par conféquent un efclave. Je voulus corriger
mon extraction ; je me fis Soldat. J'étois encore
Centurion dans les Gaules, quand une Druideffe
me prédit l'Empire .
ABDOLONYM E.`
Et vous crûtes fans difficulté à fa prédiction ?
DIOCLETIEN.
Nous croyons toujours à celles qui nous flattent.
ABDOLONY ME. >
Peut-être encore plus à celles qui nous menacent.
L'homme n'eft pas moins fufceptible de crainte que
d'efpérance .
DIOCLETIEN.
J'avois l'audace & la préfemption des ambitieux.
DE FRANCE. 199
Il eft vrai que l'Oracle Gaulois étoit ambigu , felon
Pufage immémorial des Oracles. Il m'annonçoit
l'Empire lorfque j'aurois tué Aper, mot qui , dans
notre langue , défigne un fanglier . Je devins , dès
ce moment , un des plus déterminés Chaffturs . Je
tuai une foule prodigieufe de fangliers , & reftai
Centurion. Enfin , un certain Aper ayant tué l'Empereur
Numérianus , il fe mit à fa place. Je tuai cet
Aper, & me inis à la fienne .
ABDOLONYM E.
Je vois que vous aviez fortement ambitionné le
trône : eut-il pour vous d'extrêmes douceurs ?
DIOCLETIEN.
Je n'y en trouvai d'autres que de faire la guerre
en mon nom , au lieu de la faire au nom d'autrui .
L'Empire étoit menacé de toutes parts : je fus victorieux
par- tout où je pus combattre ; mais je ne
pouvois pas combattre tout- à- la fois à l'Orient , à
l'Occident , au Septentrion , au Midi. Ce prodige eft
trop au-deffus des facultés humaines. J'en fis un
pourtant prefque auf peu vraisemblable .
A B DOLONY ME.
De grâce , faites m'en part. Je fus toujours curienx
des prodiges. Leur hiftoire faifoit mon délaffement
, lorfque je travaillois de mon premier
métier.
DIOCLETIEN.
Écoutez - bien ....... Je partageai ce qu'on avoit
toujours cru indivifible , c'eft-à- dire , la fouveraine
puiffance , le trône ; la douceur de commander à
tout , fi flatteufe pour notre argueil , & celle de recueillir
tous les hommages , plus féduifante encore
I iv
200 MERCURE
ལྟ
pour notre vanité ; en un mot , je me donnai un
Collègue.
ABDOLONYM E.
Voilà en effet du merveilleux . Mais à quoi bon
ce partage , s'il vous plaît ? Lorfque mes mains ne
fuffifoient pas pour bêcher mon jardin , je prenois
des aides à la journée ; je ne partageois avec eux ni
le terrein , ni la récolte.
DIOCLÉTIEN.
Ah ! mon double confrère , c'étoit un bien énorme
jardin que l'Empire des Céfars ! Plus d'une fois le
mercénaire à gages s'étoit emparé du fol qu'i ! de
voit feulement cultiver ou défendre . Cette réflexion
nous fit prendre , à mon Collègue & à moi , le parti
de fubdivifer l'autorité déjà partagée entre nous. Le
nonde voyoit avec étonnement deux Céfars occuper
le même trône. Il en compta bientôt le double ,
ABDOLONY ME.
Bon ! voi'à le jardin coupé en quatre. Il en fera
mienz foigné, puifqu'il étoit trop étendu.
DIOCLETIEN.
Mon cher Jardinier de Sidon , mon cher Monarque
de Tyr! vous avez tâté du trône : eft- il bien
facile de contenter les hommes que l'on gouverne ?
ABDOLONY ME.
Je m'en tirai à fort ben compte. J'eus le bonheur
de ne régner que fur une petite Nation ; mais Nation
active , fobre , induftrieufe ; riche par tous ces
moyens , & d'autant plus foumife , que je lui demandois
peu ; car enfin , tout fe réduit prefque là en
matière d'adminiftration . Demandez peu d'argent
au peuple , il fe croira toujours bien gouverné.
DE FRANCE. 201
DIOCLÉTIEN.
·
Je vois que le trône dût vous plaire ?
A B DOLONY ME.
Je prenois patience.
DIOCLETIEN.
Quoi , vous regrettiez votre jardin de Sydon ?
ABDOLONY ME.
Oui; & lorfqu'après la mort d'Alexandre , Démétrius
, le preneur de ville , m'y renvoya , j'y retournai
comme on revient d'un exil.
DIO CLÉ TIEN .
Vous y fûtes renvoyé ; & moi je quittai volontairement
la capitale & le trône du monde , pour
regagner la petite métairie de mon père. J'avois
donné à la terre le premier exemple d'un Souverain
qui partage librement fon autorité . Je lui donnai
encore le premier exemple d'un Empereur abdiquant
librement l'Empire . J'eus depuis quelques imitateurs
; Amurat , chez les Turcs ; Charles - Quint ,
Chriftine & Amédée , chez les Chrétiens . Mais
Amurat reprit le fceptre qu'il avoit quitté , & le
quitta encore pour le reprendre . Charles - Quint s'ennuyoit
beaucoup. à monter & démonter des horloges
; Chriftine défoloit le facré Collége ; Amédée
s'attriftoit à Ripaille ; moi , je plantai toujours gaîment
mes choux & mes navets .
ABDOLONYM E.
ا و
Je le crois bien ; jamais Jardinier ne fut trifte
qu'après la grêle.
I v
202 MERCURE
DIOCLETIEN.
Je difois , cu maniant ma bêche & mon rateau :
la terre eft reconnoiffante , elle me rendra plus que
je ne lui donne J'ai donné beaucoup aux hommes ;
j'ai même partagé ma puiffance avec plufieurs je
n'ai trouvé que des ingrats.
ABDOLONY ME.
Il eft vrai qu'une plaute eft bien l'opposé d'un
Coultifan. Arrofez - la , elle en devient plus belle &
plus tendre ; engraiſſez - le , il n'en devient que
plus dur.
DIOCLETIEN.
On m'invita à plus d'une repriſe , & toujours
inutilement , de remonter fur le trône. Je montrai
un jour aux Députés du Sénat des choux fupérieurement
plantés de ma main . Voilà , leur dis- je , mes
nouveaux fujets : ils répondent à mes foins ; ils ne
le montrent jamais indociles. Je donnai par là
naiffance à un proverbe qui fubfifte encore. Veuton
que j'aille planter mes choux ? dit avec humeur
un Lieutenant qu'on réforme. Il peut avoir raiſon ;
mais j'avois acquitté ma dette envers la Société ;
j'avois combattu , vaincu durant vingt ans les ennemis
de l'État ; j'avois fupporté vingt ans les foins ,
le poids & les dégoûts de la toute puiffance : je méritois
bien la douce , la précieufe confolation de
planter en paix mes choux.
( Par M. de la Dixmerie. )
DE FRANCE. 203
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LEE mot de la Charade eft Culotte ( le Journal
de Paris , Nº . 276 , de cette année , rappellera
l'oncle de Borné) ; celui de l'Enigme
eft Papier; celui du Logogryphe eft Cavalier
( le ) pièce du jeu d'échecs , où l'on trouve
Vire , Luc , ver, lie , cave , lac , lire , avater
& vie.
CHARADE.
Tufors ? Mon premier t'offre un tapis de verdure .
Tu mens ? Crains mon ſecond , il trahit l'impoſture..
Tu lis? Mon tout prépare & règle ta lecture.
ÉNIGM E.
SANS être dans votre maiſon ,
Je parois dans votre antichambre ;
Et je fuis à votre balcon
Sans jamais quitter votre chambre.
Je reste au milieu du tombeau ,
Et commence le badinage ;
Et , quoique je fois au berceau ,
Je fuis dans le libertinage ,
I vj
204 MERCURE
Et pourtant je me porte au bien.
Je n'entre point chez les pucelles ,
Ne pouvant les fervir en rien ;
Mais je fuis très- utile aux Belles .
( Par M. J. B. B. )
LOGO GRYPH E.
Six pieds , Lecteur , font mon total ;
On me prend au phyfique , on me prend au moral ;
Dans l'un ou l'autre cas , je fuis lourde ou légère ,
Fatigante , agréable , ou commode , ou contraire ;
Je fuis un deshonneur ou fuis un ornement ;
Sur mon compte chacun penfe différemment ;
Mais pour te rendre encor la chofe un peu plus claire,
Coupe mon premier pié, je fuis un fentiment
Auquel tu dois avec foin te fouftraire ;
Coupe encor mon fecond , tu trouves à l'inftant ,
En t'examinant bien , une part de toi- même ;
Remets les deux premiers , & coupe le troisième ,
Je deviens un Empire , ancien & floriffant ,
De tout le inonde entier , je crois , le plus puiffant;
Je puis t'offrir encor un animal fidèle ;
Plus , un autre animal indocile & rébelle ;
Une ville Normande ; & , pour finir enfin ,
Un monftre abominable , un cruel affaflin ,
Qui , fans ceffe animé du démon de l'envie ,
De fon malheureux frère ofa trancher la vie.
DE FRANCE.
208
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
AME des Bêtes , par M. Guidi . Brochure
de 11 pages . A Paris , chez Moutard ,
Imprimeur Libraire de la Reine , rue des
Mathurins , hôtel de Cluni.
LES Philofophes de tous les fiècles ont
voulu favoir ce que c'étoit que cette intelligence
qui reffemble prefque à la penfee , cet
inftinct qu'on prendroit quelquefois pour la
raifon . Les Metaphyficiens ont écrit des
Volumes , les Théologiens ont multiplié les
argumens , on n'a rien éclairci ; & les différens
fyftêmes qui nous font connus , prouvent
qu'il eft inutile d'agiter de pareilles
queftions , parce qu'il eft impoflible de les
refoudre ; cependant , depuis Platon juſqu'à
M. l'Abbé Guidi , on a accumulé les hypothefes
& les raifonnemens , & on a pu fe
convaincre que le ciron & l'éléphant feroient
encore long temps des êtres incompréhenâbles
pour l'homme. L'Auteur de
l'Ouvrage que nous avons à faire connoître ,
a cru que cette matière devoit être une fuite
néceffaire de fes Entretiens Métaphyfiques
fur la Religion , 3 vol . in - 12 .; & il s'eft
fervi de la forme dialoguée , qui eft fi propre
à préfenter les objections , & à difcuter les
206 MERCURE
difficultés d'une queſtion abftraite . Il introduit
quatre Interlocuteurs , qui fe chargent
de foutenir entre- eux les fyftêmes les plus
connus & les moins invraisemblables fur
l'âme des bêtes. Le Chevalier veut que lest
bêtes ayent une âme , le Préfident ne veut
pas qu'elles en ayent ; la Comtelle , par
amitié pour fa chienne , leur en accorde une
fenfible & périffable avec le corps ; & le
Marquis , en bon cartélien , pretend prouver
qu'elles ne font que des machines.
Ces quatre Acteurs jouent leur rôle avec
toute l'adreffe qui eft néceffaire pour perfuader
; foutiennent leurs opinions avec
toute la chaleur qui peut leur donner l'apparence
de la veriré , & y ajoutent tout l'agrément
dont la matière eft fufceptible. Le
Chevalier trouve peu de difference entre les
bêtes & les hommes , & de grands rapports
entre leurs opérations & les nôtres ; il ne
voit rien de plus admirable dans la raifon
l'intelligence & l'induftrie de l'homme , qui
lui appiennent à fe garantir des injures de
l'air , à fe vêtir , à fe guérir lorſqu'il eft ma-
Jade , que dans les procédés géométriques
des grues lorfqu'elles veulent traverfer les
mers, dans l'économie intelligente des fourmis
, dans le raifonnement des abeilles.
" Un liuaçon fe gliffe dans leur ruche ; l'en
و د

chaffer , difent elles , cela n'eft pas pof-
» fible; l'y laiffer , cela nous infectera . Co-
» ment faire ? Il faut l'enibaumer , & le
و د
couvrir d'un maftic qui nous garantifle
DE FRANCE. 207
» de tout inconvénient. » Le protecteur des
bêtes veut bien convenir cependant de quelques
differences qu'il y a entre- elles & les
homines. Son zèle lui fait chercher dans
l'élephant , dans le chien , dans le lion reconnoiffant
, des traits qu'il ofe oppoſer aux
vertus humaines . Il cite cette connoiffance
de la juftice diftributive d'un éléphant , à qui
fon gouverneur déroboit chaque jour la
moitié de la nourriture qui lui étoit dûe ; le
maître arrive , l'éléphant partage avec fa
trompe la meſure d'orge qu'on lui préfente ,
& , par un regard de colère lancé fur le gouverneur
, fait fentir au maître le tort qu'on
lui faifoit. Avec de tels exemples , il croit
être en droit de conclure qu'on doit nommer
âme le moteur fecret qui fait agir
fi noblement les bêtes , & de leur accorder
quelques prétentions à l'immortalité. La
Comteffe , piquée de ce qu'on cherchoit à
lui donner tant de reffemblance avec fa
chienne , détruit tous les raifonnemens , en
oppofant au Chevalier les expériences de
M. du Tremblay fur les polypes ; & elle lui
demande dans quelle partie de cet animal ,
divifé en douze portions également vivantes ,
fon âme devoit le trouver.
Le Préfident prétend que l'opinion du
Chevalier n'eft pas foutenable ; que bien loin
que les bêtes raiſonnent , elles ne font que
des automates infenfibles , qu'elles ont des
yeux fans voir , des oreilles fans entendre ;
que la jolie chienne catele fans aimer , fuit
208 MERCURE
le bâton fans le craindre , obéit fans difcernement
, gémit fans fouffrir. La Comtelle ,
indignée de cette nouvelle affertion , qui ne
fait qu'une machine de fa chèle Badine
qu'elle careffe , à qui elle parle , qui paroît
l'écouter , l'entendre & lui obéir , rejette
deux opinions également extrêmes , & veut
qu'on puiffe admettre dans les animaux un
agent caché qui ne foit ni corps , ni efprit ,
une espèce d'âme fenfible qui puiffe connoître
& non pas raifonner , qui n'ait ni
l'étendue de la matière , ui l'immortalité des
âmes. Le Chevalier faifit cette idée , & croit
que comme Dien a accordé à la matière la
faculté de fe nodifier , de fe combiner à
l'infini , il peut avoir répandu la même variété
dans le monde des intelligences , & que
de ces divers efprits les uns font dégagés de
la matière , & gouvernent les fphères céleftes
; les autres , d'une claffe inférieure ,
viennent fur notre globe s'amalgamer avec
des corps ; & que c'est peut- être une de ces
intelligences de la dernière claffe qui anime
les bêtes , qui leur donne le moyen de connoître
, fans pouvoir raifonner , d'agir , mais
non de délibérer. Cette fubftance mitoyenne
entre l'efprit & le corps auroit été affez du
goût de la Comteffe ; mais elle difparoiffoit
devant l'objection tirée des infectes vivans
dans différentes parties d'eux - mêmes ; &
l'exiftence d'un polype détruifoit le plus ingénieux
fyftême. Alors le Marquis , Difciple
de Defcartes , s'occupe à démontrer que
DE FRANCE 209
le fpectacle que nous donnent les animaux ,
n'eft autre chofe qu'un fpectacle de marionnettes
, & que, tout ce qu'on fait dans la mécanique
avec les léviers , les poulies , les balanciers
, les foupapes , &c. s'exécute de
même dans le chien le plus intelligent , par
le moyen des os , des nerfs , des mufcles ,
des tendons , & c. Il trouve que la différence
qu'il y a entre le Flûteur de Vaucanfon &
un roffignol , ne vient que de la différence
des ouvriers : « Et fi les inftrumens des hom-
» mes font des ouvrages dignes de notre ad-
» miration , aura t'on de la peine à croire
» que celui qui a donné l'existence à la ma-
» tière , en puiffe former une machine dont
les mouvemens pour nous font incompréhenfibles
? Mais le font ils en effet ? Et
lans vouloir pénétrer , pour ainfi dire ,
» dans le laboratoire du Créateur , ne trou-
» vons nous pas dans nos corps la folution
» de prefque tous les problêmes que four-
» niffent les animaux ? » Ici le Marquis ,
après avoir avancé que l'âme n'eft point néceffaire
à la plupart des opérations du corps ,
qu'il y a une infinité de mouvemens dont
elle n'a pas de connoiffance , bien loin d'en
être la caufe , que l'exercice de la mémoire ,
de l'imagination des paffions , eft bien dans
l'âme , mais que l'occafion de leur exercice eft
dans le corps , déduit de ces principes toutes
les preuves favorables à fon fyftême , préfente
avec autant d'adreffe que de fubtilité.
tous les raifonnemens qui peuvent l'étayer ,
""
ود
210 MERCURE
répond aux objections fans nombre qu'on
lui oppoſe ; mais il ne peut faire difparoître
tout ce qu'il y a de foibleffe & d'obtcurité
dans cette hypothèſe ; il ne parvient point à
perfuader que la république des abeilles ,
leurs loix , leur police , leur efprit de focieté ,
leur émulation , leur amour du bien public ,
leur conftance , foient l'effet d'un mécanifine
plus ou moins parfait. Il ne détruit pas avec
fuccès cette difficulté embarraffante , tirée
de la fagacité de ces deux loups , dont l'un
paroît tendre un piège au chien & au Berger
, tandis que l'autre s'élance fur le troupeau
; & il fent la foibleffe de fa défenfe en
avouant que dans la multiplicité d'opérations
que le chien & les loups font obligés
de faire , dans la jufteffe des mouvemens
qu'elles exigent , il faut avoir recours à une
intelligence infinie , qui peut feule conduire
des combinaifons ft furprenantes , & produire
des actions fi raifonnées. Non , l'art
crééra en vain des machines auffi parfaites
que le joueur d'échecs , trompera avec autant
d'adreffe que la poupée ; il ne fera rien
d'auffi intelligent que cet éléphant qui , aidé
d'autres éléphans qu'il avoit attroupes , remplit
de pierres & de branches d'arbres un
tron dans lequel un de fes femblables s'étoit
précipité ; que ce chien qui , voulant boire
dans un vale où il y avoit de l'eau qu'il ne
pouvoit atteindre , le remplit de pierres
pour y parvenir. Tout ce que dit le Marquis
pour expliquer l'action du chien , qui va
DE FRANCE. 211
chercher & qui trouve le gant de fon maître
caché dans un jardin , ou les pantouffles
qu'on lui demande , paroîtra très ingénieux ,
mais ne convaincra pas que ce n'eft là qu'une
machine qui agit. On voit par les efforts que
fait l'Auteur du dialogue , pour expliquer
& défendre le fyftême cartéfien , qu'il avoit
médité fur les Ouvrages du père de la Philofophie
moderne , & qu'il étoit encore ſoumis
au defpotifme qu'il a exercé fi longtemps
fur les efprits . Malgré l'inutilité de
ces queftions , on lira avec plaifir ce dialogue
, parce que les divers fyftêmnes qu'on a
imaginés fur l'âme des bêtes y font difcutés
avec précifion , & analyfés avec clarté L'Auteur
a répandu , fur une matière auffi abftraite
, tout l'agrément dont elle étoit fufceptible
, fans nuire à la valeur de fes ra
fons. M. l'Abbé Guidi étoit exercé aux travaux
métaphysiques ; il avoir donné trente
ans à l'inftruction de la jeuneffe , dans la
Congrégation de l'Oratoire. Il s'occupa ,
quand il en fut forti , à défendre la Religion
, dont il étoit pénétré , & à combattre
les Écrits qui l'attaquoient . Sa réfutation du
Militaire Philofophe lui a mérité les éloges
du Pape Ganganelli ; & fon Traité de la
Tolérance l'eftime de tous les bons efprits.
212 MERCURE

DISCOURS de Lycurgue , d'Andocide ,
d'Ifée, de Dinarque , avec un Fragment
fous le nom de Demade , traduits en
François par M. l'Abbé Auger , Vicaire-
Général du Diocèfe de Lefcar , de l'Académie
des Infcriptions & Belles - Lettres
de Paris, & de celle de Rouen , in - 8 ° .
Prix , 4 liv . broché. A Paris , chez Debure
fils , Libraire , quai des Auguftins ; Théophile
Barrois , Libraire , quai des Auguftins
, & Alexandre Jombert jeune , Libraire
, rue Dauphine.
ON connoît les fervices que M. l'Abbé
Auger a rendus à la Littérature Françoiſe
par la traduction de plufieurs Auteurs grecs.
Ce Volume eft une nouvelle preuve de fon
amour pour la belle Antiquité , & fait voir
combien il s'eft rendu familière une langue
trop ignorée. Tous les Orateurs qu'il renferme
nous étoient inconnus , & leurs Difcours
n'avoient jamais été traduits en François.
Celui qui ouvre le Volume eft le célè
bre Lycurgue. On eft charmé d'entendre
comme Orateur cet homme fi connu fous
un autre titre. Le Difcours qu'a traduit M.
l'Abbé Auger eft plein d'éloquence ; auffi
Lycurgue paffoit-il pour être l'un des hommes
les plus éloquens de fon fiècle . Il étoit
de la vertu la plus auftère ; & quand il
avoit un délit à dénoncer , c'étoit l'accufateur
le plus ardent ; fon zèle alloit jufqu'à
DE FRANCE. 213

"
""
Co
la dureté. Voici ce qu'il difoit contre Lyliclès
qui avoit commandé les troupes à Chéronée.
Quoi donc , Lyficlès ! fous votre
» commandement mille Citoyens ont péri
dans le combat , deux mille ont été faits
prifonniers , un trophée a été érigé contre
Athènes , la Grèce entière est tombée
» dans la fervitude ; ces triftes événemens
» ont eu lieu lorfque vous étiez Genéral ,
lorfque vous commandiez , & vous vivez
encore ! & vous jouiffez de la lumière du
foleil & vous ofez paroître dans la
Place publique , vous montrer à votre
patrie pour lui rappeler la mémoire de
fes malheurs & de fon opprobre !
39
N
»
33
و د
L'éloquence de Lycurgue fe reffentoit de
fon caractère ; elle avoit peu de grâce ; mais
elle étoit véhémente & énergique .
Celle d'Andocide étoit plus douce , plus
tranquil'e ; elle avoit du naturel & de la
fimplicité. Au refte , s'il étoit bon Orateur ,
il paroît auffi qu'il étoit affez mauvais fujet.
Il fut banni plufieurs fois pour malverfations
& autres délits .
Ifée n'a jamais fait que des plaidoyers.
Il ne nous en eft refté que dix que M. l'Abbé
Auger a traduits. Il eft nerveux & précis
ne pérd pas de temps en vaines paroles , &
traite toujours fon fuiet. M. l'Abbé Auger,
en faifant l'éloge d'Ifée , en prend occafion
pour faire remarquer que de tels Avocats ne
reflemblent guères aux nôtres. Nous avons
obfervé une chofe qui leur eft commune ,
214
MERCURE
c'eft que les Orateurs du Batreau d'Athènes
étoient bien au moins aufli prodigues d'injures
que ceux du nôtre.
Dinarque n'a pas une phyfionomie particulière
; mais il a quelque chofe de tous
les meilleurs Orateurs , & notamment
de Demofthène. Il avoit fur tout cherché à
imiter ce dernier. Auffi l'appeloit on le
Démosthène d'orge , pour faire entendre que
Démosthène l'emportoit autant fur lui que
le pur froment fur l'orge. L'une des trois
Harangues que M. l'Abbé Auger a tra
duites eft contre Démofthène , auquel il
dit les plus groffes injures. Ce Difcours eft
à peu près fans plan. Il y a des morceaux
d'eloquence , & l'on eft fâché de les voir
dirigés contre un homme qui avoit bien
mérité de fon pays par fes fervices , & qui
Ihonoroit par fes talens . Nous allons citer
une partie de la peroraifón , qui eft le meilleur
inorceau de cette Harangue , pour faire
connoître la manière de cet Orateur ; quant
à celle du Traducteur , elle est déjà dépuis
long temps connue & appréciée. « Ne vous
» laiffez donc pas toucher de fes larmes ( de
Démosthène & de fes plaintes lamentables.
Vous devez bien plutôt avoir compaffion
de ces contrées qu'il expofe aux
périls par la conduite ; ces contrées qui
» vous fupplient , vous nés de leur fein , qui
» vous conjurent , en vous préfentant vos
femmes & vos enfans , de punir un traître
, & de les fauver elles mêmes ; ces
ود
"
"
DE FRANCE. 215.
و ر
90
و ر
ود
39
و د
2
» contrées que vous avez reçues libres de
» vos ancêtres , pour lefquelles ils ont fou-
» tenu un grand nombre de combats glorieux
, fur lesquelles ils ont laiffé une
foule d'illaftres témoignages de leur valeur.
Il eft de votre fageffe de ne prononcer
qu'après avoir jeré les yeux fur votre
pays , fur les anciens facrifices qui s'y
offrent , & fur les tombeaux de vos ancêtres
qui y font conftruits . Lorſque Dé-
» mofthène, pour vous féduire, pleurera &
» fe lamentera , repréfentez - vous Athènes
perfonifiée s'offrant à vous , & vous rappelant
fon ancienne gloire ; examinez fi
elle mérite plus de conipaffion à caufe de
» Démosthène , que Démosthène à cauſe
» d'elle. Vous verrez que lui eft devenu
illuftre depuis qu'il s'eft mêlé des affaires
publiques, & que jadis faifeur de mé-
» moires & Avocat mercénaire d'un Créfippe
& d'un Phormion , il eft à préſent
plus riche que bien d'autres Citoyens ;
vous verrez qu'inconnu auparavant , &
n'ayant reçu aucun luftre de fa famille , il
» eft devenu fameux, tandis qu'Athènes eft
dans un état indigne d'elle & de fes ancêtres
. Fermant donc l'oreille aux' difcours
artificieux de ce traître , & c. »
"
ود
n
"
30
"
"3
و د
Le Volume eft terminé par un Fragment
attribué à Demade , morceau qui , comme le
dit M. l'Abbé Auger , ne vaut pas un mor qu'on
rapporte de lui fur Alexandre. Un faux bruit
de la mort de ce conquérant étant parvenu à
216 MERCURE
Athènes , il fe faifoit déjà quelques mouvemens
parini les Athéniens , quand Demade
les arrêta en leur difant : Citoyens , fi Alexandre
étoit mort , toute la terre auroit fenti
l'odeur defon cadavre.
PHYTOGRAPHIE Univerfelle , ou Nouveau
Syftême Botanique , fondéfur une méthode
defcriptive de toutes les parties de la fleur ,
avec une nouvelle langue Antho phyllogra
phyque , par M. de Las . A Stockolm , &
fe trouve à Lyon , chez les Frères Périffe ,
Libraires , rue Mercière ; & à Paris , chez
Belin , rue S. Jacques , & chez Lamy
Quai des Auguftins .
C'EST pour faciliter à un de fes Confrères
la connoiffance des Plantes , que M. de Las
avoit compofé cette Phyrographie. Le fuffrage
de plufieurs perfonnes à qui il communiqua
fon effai , l'engagea à y donner plus d'étendue
& de perfection . Il ne fongeoit pourtant pas
à le rendre public , fi M. Bergeret n'eût publié
le Profpectus de la Phytonomatotechnie,
avec laquelle fon travail lui parut avoir
quelque rapport. M. de Las cite plufieurs
perfonnes connues qui ont eu communication
de fon Ouvrage avant la publication du
Profpectus de M. Bergeret. Il rapporte même
un extrait de l'Académie des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Lyon , du 7 Janvier 1782 ,
figné de M. de la Tourrette , Secrétaire Perpétuel.
M. de Las fe contente d'oppoſer à
fon
DE FRANCE. 217
- ""
fon concurrent ce témoignage , << contre
lequel , ajoute t'il , je doute que M. Bergeret
ofe s'élever pour me contefter la
gloire d'avoir conçu en même temps que
lui , un projet favorable aux progrès de la
Botanique.
"
Voilà le fimple expofé de cette réclamation.
Il ne nous appartient pas
Tantas componere lites.
Au refte , il nous femble que le plus grand
rapport qu'il y ait entre les deux ouvrages , c'eft
le projet qui eft commun aux deux Auteurs , de
faciliter l'étude de la Botanique , qui eft devenue
très difficile par les divers fyftêmes
qu'elle a fait naître ; leurs dénominations
étant , fuivant M. de Las , ou embarraſſantes
par leur prolixité , ou obfcures par leur précifion
. M. de Las & M. Bergéret font louables
l'un & l'autre d'avoir voulu rendre cette
Science plus facile à acquérir. Mais leurs
moyens ne nous paroiffent pas abfolument
les mêmes ; & en vérité , nous dirions prefque
que c'eft tant pis ; car c'eft un embarras
nouveau pour les pauvres Élèves en Boranique.
Nouvelles dénominations à faire entrer
dans la mémoire. Si cela continue , chaque
plante aura autant de noms qu'un Gentilhomme
Efpagnol.
No. 48 , 29 Novembre 1783. K
218
MERCURE
EUVRES de Plutarque , traduites du Grec
par Jacques Amyot , Grand Aumônier de
France , avec des Notes & des Obfervations
de M. l'Abbé Brotier de l'Académie

Royale des Infcriptions & Belles Lettres.
Tome 11. in so. A Paris , au Parnaffe
Franç is , rue du Vieux Colombier.

Évoque devant moi les grands Hommes
; je veux les voir & converfer avec eux,
difoit un jeune Prince plein d'imagination &
d'enthoufiafme , à une Pithoniffe célèbre
qui paffoit dans l'Orient pour évoquer les
morts. Un Sage qui n'eroit pas loin de là , &
qui paffoit fa vie dans la retraite , approcha
& lui di Je vais executer ce que tu demandes
. Tiens , prends ce Livre ; parcours
avec attention les caractères qui le compofent
: à mesure que tu liras , tu verras s'élever
autour de toi les ombres des grands
Hommes , & elles ne te quitteront plus.
Ce Livre étoit les Hommes Illuftres du Philofophe
de Chéronée. » C'eft avec certe éloquence
mâle , neuve & vraiment fublime ,
que M. Thomas , dans fon Effai fur les
Éloges , caractériſe les vies de Plutarque. On
ne peut en donner une idée plus grande &
plus jufte à la fois . Le plus bel éloge qui
nous reste à faire de ce Livre , c'eft qu'il
n'eft point au- deffous des louanges de l'Órateur
Académicien. C'est l'Ouvrage des an
DE FRANCE. 219
ciens le plus lû . Il renferme des faits curieux
& des maximes utiles . Plutarque ne flatte
point ceux qui n'ont pas merite de l'être , il
juge les hommes fur les chofes , & non fur
les apparences ; fur les faits , & non fur les
bruits fouvent faux de la renommée. Il donne
des éloges aux actions qui en meritent ; &
il Hetrit fans acception de perfonne le vice
& le crime. Il peint l'homme au naturel ,
& jamais moralifte ne l'a mieux faili . Nul
Auteur ne meritoit davantage d'être traduit
dans toutes les langues. Il l'a été deux fois
dans la nôtre. Dacier a donné les Vies de
Plutarque en 8 vol. in- 8 ° . La version d'Amyot
, quoique plus ancienne , eft plus recherchée.
و د
و ر
39
"
Plutarque a trouvé dans Amyot , dit le
» favant Éditeur , un Traducteur qui a faili
fon caractère , & l'a rendu avec autant de
» vérité que d'élégance . Sa Traduction ,
» commencée fous François Ier , achevée
fous Charles IX , fera toujours un des
beaux monumens de la Littérature Françoife.
Elle a formé , elle a enrichi la lan-
» gue ; & après plus de deux fiècles , on ad-
» mire encore fon coloris , fa facilité , fa
foupleffe , fes tableaux pleins de vie &
» de chaleur , un naturel qui charme , & ,
» que l'art rend de jour en jour plus inimi-
" table.
""
99
L'Éditeur convient qu'Amyot a des taches ;
mais les fautes qui lui font échappées don-
Kij
220 MERCURE
nent lieu àdes obfervations & à des notes qui
rendent catte nouvelle Édition très précieufe.
Elie eſt conforme à cette publiée par Valcofan
en 1567 & 1574 , qu'Amyot a revûe
& corrigée. L'orthographe eſt celle da
temps.
On peut affurer que les foins & l'intelligence
de M. Pierres , Imprimeur ordinaire
du Roi , rendent certe Édition ſupérieure à
celle de Vafcofan ; en un mot , l'exactitude ,
la correction & l'exécution typographiques -
répondent parfaitement au mérite reconnu
du favant Éditeur.
Il a enrichi chaque Vie de ſommaires qui
mettent les Lecteurs à portée de trouver fur
le champ le paffage qu'ils ont befoin de confulter.
Ses Notes & fes Obfervations font
précieufes. Elles concernent tant le rapport
des monnoies , poids & meſures , que des
faits hiftoriques qu'Amyot n'avoit pas affez
éclaircis .
Les figures en taille- douce ne font pas un
des moindres ornemens de cette Édition.
Elles font gravées par MM . Gaucher
Halbou , Née & Marchant , d'après les deffins
de MM. Moreau le jeune , le Barbier ,
& d'un autre Artifte des plus diftingués.
Le prix de l'exemplaire in 8 ° . fur le carré
fin d'Angoulême , fera pour les Soufcripteurs
de 132 liv . , dont 27 en foufcrivant , &
liv. 10 f. en recevant chacun des volumes
4
DE FRANCE 221
en feuilles , excepté le dernier , qui ne fera
que de i liv. 10 fols.
Le même format , en papier d'Hollande ,
tiré à so exemplaires , fera de 264 liv. , dont
54 liv. pour le premier payement , 8 liv.
I fols , ou 9 liv. broché en recevant chaque
Volume.
L'in - 4° . fur papier d'Annonay , fera de
$76 liv. , dont 144 liv. en foufcrivant , &
18 liv, en recevant chacun des Volumes en
feuilles.
L'in-4 . fur papier vélin , tiré pareillement
à douze exemplaires , 720 liv. , dont
144 liv. en foufcrivant , & 24 liv. en recevant
chacun des Volumes. Il y aura en tout
24 Volumes.
Les travaux de cette Édition & les gra
vures ont retardé de quelque temps la première
Livraifpn de cet Ouvrage ; mais actuel.
lement que l'on a pris l'avance , on peut af
furer MM. les Soufcripteurs qu'ils recevront
un Volume environ toutes les fix femaines.
La Soufcription fera irrévocablement fermée
lors de la Livraifon du fecond Volume,
Kii)
222 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE FRANÇOISE..
LE Samedi 8 de ce mois , on a donné ,
pour la première fois , le Séducteur , Comédie
en cinq Actes & en vers , par M. le
Marquis de Bièvre.
L'intrigue de cette Comédie eft beaucoup
trop compliquée pour que nous entreprenions
de la faire connoître à nos Lecteurs
dans tous les détails . Nous allons tâcher de
leur donner une analyfe capable de les mettre
én état de prononcer fur les éloges qu'oir
a prodigués à cet Ouvrage , comme fur les
critiques qu'on en a faites , dans quelques
Feuilles Periodiques , plus hâtives que ce
Journal , mais fubordonnces , comme lui ,
à l'opinion publique , & au jugement plus
refpectable des gens fans palion & des
Amateurs éclairés .
Orgon eft un vieux Militaire. Il a promis.
fa fille Rofalie à un Gentilhomme nommé
Darmance. Ce Darmance , qui reffemble
beaucoup au Valère du Méchant , s'eft laiffé
féduire par le ton , les airs , enfin par les
principes à la mode , que lui a débités un
Marquis du Bel Air : en conféquence , depuis
quelque temps , il a fort négligé Rofalie ,
DE FRANCE. 223
& l'a laiffée en proie aux féductions du ícélérat
, ou , fi le terine plaît davantage , de
l'aimable roué, qui a égaré fon coeur & fon
efprit. Le Marquis s'eft fait feconder par un
Valet , dont le caractère , devenu trivial au
Théâtre , infpire encore plus de dégoûr que
de mépris. A l'aide de cet intrigant obſcur ,
il a féduit le crédule Orgon , & même une
certaine Mélife , qui , detrompée preſque
auffitôt qu'abusée , ne cherche plus qu'a dé--
malquer le traître , & parvient à découvrir
qu'il eft l'Auteur de quelques couplets infâmes
répandus dans le monde contre le bon
Orgon . De toutes les perfonnes qui appro--
chent Rofalie , Orphife , jeune veuve , &
fon amie, eft la feule dont l'ail clairvoyant
fuive diftinctement toutes les fcelérateffes du
Marquis , auffi le perfide , qui s'en apperçoit
, ne manque t'il pas de tenter tous les
moyens de la perdre dans l'efprit de l'innocente
Rofalie. Il lui declare , avec les modifications
que l'hypocrifie employe pour en
impofer à la candeur , qu'Orphife reffent
pour lui le plus violent amour , mais que
cer amour dédaigné eft degénéré en une
haine implacable , & que les couplets dont
on le dit Auteur font l'ouvrage de la fureur
d'Orphife. Victime de l'emportement de fon
père , négligée par Darmance qu'elle aimoit
, & qu'elle aime encore , entraînée
malgré elle , par les infinuations artificieuſes
du Marquis ; enfin , fe croyant trahie par
Orphife , Rofalie eft fur le point de confentir
K iv
224 MERCURE

à fe laiffer enlever par le Séducteur . Si quelques
, motifs peuvent faire pardonner une
telle erreur dans une jeune perfonne fage &
bien élevée , on peut dire que Rofalie eft ex- ,
cufable ; car fon père , dont la foibleffe ,
pour ne pas nous fervir d'une autre expreffion
, fait tour- à- tour un homme ou crédule
ou barbare , a rejeté fur elle toute la fureur
que lui ont infpirée les couplets du Marquis.
D'un autre côté , l'ádroit fuborneur l'affure
que fa mère & fa fæur connoiffent les pro-.
jets & fes vûes , & qu'elle ne paffera dans,
leurs bras que pour recevoir la main . Il faut
encore ajouter qu'une lettre fuppofée , &
tracée de la main de l'abominable Valet , a
achevé de la convaincre. Elle cède.L'heure
du rendez vous eft arrivée , Rofalie defcend ,
elle rencontre Darmance . Tous les deffeins ,
toutes les atrocités du Marquis font dévoilés,
par le trop
coupable , mais trop malheureux
amant , éclairé fur fes erreurs . Orgon , Mélife
, Orphife viennent à l'appui du candide
Gentilhomme. L'infâme Valet eft dévoilé.
Ce qu'on peut remarquer , ce qui nous paroît
abfolument neuf , mais d'un genre de.
nouveauté qu'on n'imitera vraisemblablement
pas , c'est que le Marquis , caché dans
un coin de la Scène , écoute les confidences
que fe font les infortunés dont il a voulu
caufer l'opprobre , & qu'il confole fon miférable
complice. Enfuite il fe retire avec une
gaîté affez inattendue pour exciter le rire de
ceux qui rient de tout , mais faite en mêmeDE
FRANCE. 229
1
temps pour révolter tous les coeurs délicats
pour allarmer tous les efprits qui ont eucore
quelque refpect pour la morale
& pour ce qu'on appelle l'honnêteté publique
.
Une Comédie en cinq Actes & en vers
dans laquelle on diftingue quelque mérite ,
eft devenue , grâce à nos modernes génies ,
un Ouvrage digne d'une très haute confidération
. C'eſt une production qu'on ne fauroit
trop apprécier. Cette opinion , adoptée pref
que généralement , a fait le grand fuccès * du
Séductenr. C'eft en vain qu'on a remarqué
que les trois premiers Actes de cette Pièce
contraftent fingulièrement avec le quatrième ,
qui rentre dans le genre de ce qu'on eft convenu
de nommer Drame , & que le cin-,
quième ne diffère pas moins du quatrième,
que celui - ci ne diffère des trois premiers ;
en vain , on a obfervé que le caractère du
Marquis étoit une imitation foible du Lovelace
de Richardfon ; que les perfonnages de
Mélife , de Darmance , & d'un M. Damis ,
que nous n'avons pas eu befoin de nommer
dans notre analyſe , n'ont qu'une phyfionomie
foible & prefque nulle , & qu'un d'entre eux
* Le jeu fupérieur de M. Molé , dans le rôle du
Sédusteur , eft auffi une des principales caufes du
fuccès de cet Ouvrage. Jamais cet Acteur n'a dévéloppé
, dans le genre de la Comédie , un talent plus
vrai & plus aimable.
$
Kv
226 MERCURE
eft même abfolument inutile : en vain l'on a
blame l'atrocite prefque gratuite du Seducteur
& le ton leger avec lequel il finit fon rôle ; en
vain on s eft louvenu que l'inimitable Molière
, après avoir developpe le caractère du
Tartuffe, en a fait juftice tous les yeux du
Spectateur fatisfait . Toutes ces obfervations
fe fout evanouies devant quelques beautes de
detail répandues dans le rôle du Marinis
Seducteur , & l'Ouvrage entraine aujourd'hui
la foule des Acclamateurs. Le ftyle , quelquefois
brillant & agréable , eft compare au
ftyle du Méchant. Que faire ? que dire lorfqu'un
Ouvrage , plein de réminifcences, fondé
en partie fur de mauvaiſes moeurs , farde d'un
vernis de mode , & dans lequel l'interêt va
toujours en decroiffant , produit un engoue
ment général ? De quelles expreffions faut
t'il qu'un Cenfeur impartial te terve pour
ouvrir les yeux de l'Écrivain qui debute par
de grandes fautes , & neanmoins avec le
germe du vrai talent , lorfque le Public applaudit
à les erreurs , & que les Periodiftes
les confacrent comme des beaurés , fous les
yeux d'une Nation favante , & dans un fiècle
de lumières ? Qu'il eft pénible & delicat l'emploi
du Critique qui n'aime que le vrai ; cc
vrai qui parle à tous les temps comme à tous
les efprits ! Remettons nos obfervations au
inoment où le Séducteur fera imprimé. Libres
alors de compenferies reproches dûs aux
défauts par les éloges fouvent mérités par
DE FRANCE. 227
l'Auteur , de faire des citations exactes , &
de reclamer les principes de l'Art & les lumières
de la raiſon , nous pourrons demontrer
que li cette Comedie a mérité d'être
mife hors du rang de celles que la médiocrité
& la fureur d'écrite ont produites depuis
quelque temps , elle eft loin de pouvoir être
comparee au Méchant même quant au
ftyle.
Difons quelques mots de l'immoralité , ce
vice fi commun dans les productions de ce
fiècle , & dont nous avons fouvent parle. Dans
le grand nombre de perfonnes qui fuivent le
Theatre par goût ou par defauviement, il n'en
eft qu'une très petite portion qui s'occupe d'un
but moral. Il en eft même qui ofent avancer
que les productions Dramatiques doivent
avoir pour unique objet d'inté effer le coeur
& de plaire à l'efprit ; enfin , que le but unle
aux moeurs , peut être tout à fait étranger
à l'Art Dramatique . Sans entrer dans le detail
des citations que nous pourrions faire contre
cette étrange aff rtion, & qui nous feroit taxer
de pédantifine, n'oppofons à cette erreur que
les Comédies de Molière , qui font faites
pour perpetuer fa réputation . Les Femmes
Savantes dans leur genre , le Tartuffe dans
le fien , n'ont ils pas un but utile trèsévident
? Si la ridicule Armande , le vil
Triffotin n'étoient pas humiliés ; fi le
Tartuffe n'éprouvoit pas le châtiment que
fes crimes ont appelé fur la tête , reffentirions
nous le plaifir que nous caufent la
K vj
228
MERCUREJ
lecture & la repréſentation de ces Chefsd'
OEuvres ? Non, fans doute. L'efprit eſt ſatisfait
en proportion de ce que le coeur & la
raifon le font davantage. Si nous voulions
jeter un coup d'oeil rapide fur le Théâtre des
Grecs , nous verrions que la Politique , les
Moeurs , la Religion en formèrent les principaux
fondemens. Ce n'eft qu'aux têtes
frivoles , ou aux coeurs gâtés qu'il appartient
de foutenir un fyftême auffi abfurde
que condamnable. Nous ofons ajouter qu'une
production Dramatique qui n'a qu'un but
vague & indéterminé , n'eft digne d'aucune
eftime , & qu'elle eft digne de blâme quand
elle bleffe les moeurs , ou qu'elle femble
approuver leur relâchement. Utile dulci :
voilà le précepte d'Horace , & c'eft la raiſon
qui l'a dicté.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 18 de ce mois , on a repréſenté ,
pour la première fois , les Déguisemens
Amoureux , Comédie en un Acte & en profe ,
par M. Patrat.
Une jeune perfonne peu riche aime un
jeung Chevalier qui n'eft pas plus fortuné
qu'elle. Elle a attendu la mort d'un oncle
dont elle s'eft crue unique héritière , pour
époufer fon amant . Cet onele eft mort ;
mais , en mourant , il a reconnu un fils qu'il
a eu d'un mariage fecret , & cette recom
DE FRANCE 229
noiffance a détruit l'efpoir de la nièce . Julie ,
c'eft le nom de la jeune perfonne , aime
trop le Chevalier pour confentir à l'époufer
lorfqu'elle ne peut lui procurer les avantages
de la fortune ; en conféquence elle refufe
même de le recevoir ; & pour fe diftraire
d'une paffion qui la tourmente , elle
fe livre uniquement à l'étude des Beaux-
Arts. Toujours plein de fa tendreffe , le Chevalier
imagine de fe rapprocher de ſa Maîtreffe
, en prenant tour- à- tour divers déguifemens
relatifs à fes goûts. Succeffivement
traveſti ſous le coftume d'un Peintre , d'un
Muficien , d'un Philofophe & d'un Chanfonnier
, il parvient à lui prouver que le
bonheur d'aimer & d'être aimé eft la première
de toutes les félicités . C'eft fur tout
en qualité de Poëte qu'il vient à bout de
convaincre , & de caufer à Julie des regrets
far l'éloignement du Chevalier. Il fe démafque
, & reçoit la main de fon amante.
Cette bagatelle annonce autant d'efprit
qu'elle eft invraisemblable & dénuée du
charme de l'illufion . Qu'une femme ne reconnoiffe
pas fon amant fous un déguifement
quelconque , cela n'eft pas furprenant
; mais que de quatre traveftiffemens
aucun ne foit deviné par les yeux perçans de
l'amour , cela eft incroyable. On a juſtement
reproché à M. Patrat d'avoir donné aux
divers perfonnages que repréfente le Chevalier,
des noms qui feroient à peine entendus
fans murmure fur les tréteaux de la
230 MERCURE
Foire.Voilà le tort qu'on peut reprocher à tous
les Auteurs qui ont confacré quelques fiuits
de leurs veilles aux plaifirs de la Societé * , &
qui veulent enfuite expofer à la critique fevère
du Public affemblé , les Ouvrages pour lef
quels ils ont quelque prédilection . His oublient
qu'une bouffonnerie que l'amitié ,
la complaifance ou l'honnêtete accueillent ,
ne fauroit être admife par le goût . Au
refte , l'Ouvrage a eu un très grand fuccès.
On a appelé l'Auteur ; il a paru . Ah ! Fortune
! a dû fe dire alors M. Patrat : Que tu es
tour-à-tour & bienfaifante & barbare !
Le Samedi précédent, 15 du même mois , on
a voulu repréfenter au même Theatre la
Karmeffe , ou la Foire Flamande , Comédie
en deux Actes & en vers mêlee d'Ariettes ,
Ouvrage du même Auteur , muſique de
M. V ... Cette Pièce n'a pas été jouee en
entier. Une indifpofition de Mlle Buret, caufee
, dit on , par l'humeur & l'excelfive févé
rité du Public , n'a pas permis d'en achever
le fecond Acte. Nous nous garderons bien
d'en rendre compte ; car comment parler
de ce qu'on n'a point entendu & de ce qu'on
n'a pas pu entendre ? Nous croyons pour
* Les Déguisemens amoureux ne font autre choſe
qu'un Proverbe joué fur plufieurs Théâtres de Société
, fous ce titre : Il ne faut jamais dire , Fontaine
, je ne boirai pas de ton eau.
DE FRANCE. 2312
tant pouvoir avancer que le Muficien al
caufé en très grande partie le malheur du
Poëte , & qu'il ne feroit pas étonnant que:
l'Ouvrage de ce dernier , dégagé du deluge
de notes dans lequel on l'avoit , pour ainfi
dire , noyé , parût agréable & comique à
ceux qui aujourd'hui en font , fans trop
favoir pourquoi , la critique la plus amère.
Que de juges qui reflemblent au Marquis
de la Critique de l'École des Femmes , &
dont toute la logique confifte dans ces
mots : C'est déteftable , parce que c'est
déteftable !
ANECDOTES.
I.
CHAPELLE foupoit un ſoir tête-à- tête avec
le Maréchal de ** . Quand ils eurent un peu
bu , ils fe mirent à faire des réflexions fur
les misères de cette vie , & fur l'incertitude
de ce qui doit la fuivre. Ils convinrent que
rien au monde n'étoit fi dangereux que de
vivre fans Religion ; mais ils trouvoient en
même temps qu'il n'étoit pas poffible de
paffer en bon Chérien un grand nombre
d'années , & que les Martyrs avoient été bien
heu enx de n'avoir eu que quelques momens
à fouffrir pour gagner le ciel . Là deffus Chapelle
imagini qu'ils feroient fort bien l'un
& l'autre de s'en aller en Turquie prêcher la
232 MERCURE
و ر
Religion Chrétienne. « On nous prendra ,
» difoit- il , on nous conduira à quelque
» Bacha. Je lui répondrai avec fermeté; vous
ferez comme moi , Monfieur le Maréchal :
" on m'empalera , on vous empalera après
" moi , & nous voilà en Paradis. » Le Maréchal
trouva mauvais que Chapelle ſe mît
ainfi avant lui. « C'est moi , dit il , qui fuis
" Maréchal de France & Duc & Pair ,
33
-
à
parler au Bacha ; je veux qu'on m'empale
» le premier. Il fied bien à un petit compa-
" gnon comme vous de vouloir paffer de-
» vant moi ! — Je me moque du Maréchal
» & du Duc , " répliqua Chapelle. Sur cela
M. de ** lui iette fon affiette au viſage. Chapelle
fe jette fur le Maréchal ; ils renverfent
tables , buffets , fièges ; on accourt au bruit.
Ce qu'il y eut de plus plaifant , ce fut l'ex
plication de la querelle , qui auroit recommencé
plus vivement que jamais fi on ne les
cût féparés .
I I.
LA MOTTE prétendoit que la profe étoit
bonne à tout : il difoit un jour à M. de Voltaire
, à propos de l ' tipe de ce dernier :
C'est le plus beau fujer du monde : il faut
» que je le mette en profe . - Faites cela ,
répondit Voltaire , & je mettrai votre
"
» Inès en vers. »
و د
I I I.
UN jour que le Grand Duc de Tofcane
L
DE FRANCE. 233
fe plaifoit à voir peindre Pierre de Cortone,
qui repréfentoit un enfant pleurant à chaudes
larmes. « Je vais bientôt lui faire changer
ور
» de figure , s'écria le Peintre ; alors il
donna un coup de pinceau , & ce même
enfant parut rire de la meilleure grâce du
monde : enfuite une autre touche le remit
dans fon premier état . « Prince , dit l'Artifte ,
» vous voyez avec quelle facilité les enfans
» rient & pleurent, »
I V.
UN Prince Romain fe plaignoit à Carle
Maratte de la cherté de fes tableaux : il
répondit , que les fameux Artiftes , fes prédéceffeurs
, ayant été très - mal pavés , le
monde entier leur étoit redevable d'une
groffe fomine , & qu'il étoit venu pour en
recevoir les arrérages.
ANNONCES ET NOTICES.
ON
Nmettra en vente Lundi prochain rer Décembre,
la 6xième Livraison de l'Encyclopédie . Cette fixième
Livraiſon eft compofée du Tome premier , première
Partie, de la Botanique , par M. le Chevalier de la
Marck , de l'Académie Royale des Sciences ; du
Tome fecond , deuxième Partie , des Arts & Métiers
méchaniques , & du Tome fecond des Planches.
Cet Ouvrage fur la Botanique eft abſolument
neuf. Il en eft de même de la plupart des Parties que
nous avons déjà publiées ; le Public a pu en juger
234
MERCURE
par les Ouvrages fur la Marine & les Oifeaux , qui
formoient la cinquième Livraiſon , & il s'en convaincra
en lifant le Difcours préliminaire & l'Avertiffement
qui font à la tête de cet Ouvrage fur la
Botanique. Il trouvera auffi dans ce Volume une
nouvelle preuve de ce que nous avons avancé dans
le Profpecus , que chacun de ces Dictionnaires
forment au befoin autant de Traités généraux de
Sciences.
Nous prions MM. les Soufcripteurs de lire l'Aver
tiffement qui eft à la tête du Volume de Planches
ils fe convaincront auffi des nouveaux efforis que
l'on a faits pour les fatisfaire .
Nous espérons que la feptième Livraiſon , qui
paroîtra au mois de Janvier , comprendra plufieurs
Parties nouvelles . On mène de front toutes les Parties
de ce grand Ouvrage , & nous fommes toujours
affurés qu'il fera achevé à la fin de 1787 , ainfi que
nous nous y fommes obligés . Le prix en feuilles de
certe Livraiſon eft de 3 livres , broché , 16 livres
10 fols. Le port eft au compte des soufcripteurs . Il
y a actuellement dix - neuf Parties de ce grand Ouvrage
fous preffe . On travaille aux troifième & qua- {
trième Volumes de Planches .
VOYAGE Pittorefque de la Sicile , No. IXPrix
, 12 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue du Coq.
Saint-Honoré , à côté du Café des Arts. L'Auteur commence
par la defcription de la pêche de différens
poiflons qui le trouvent aux environs de Thermini ;
il part de cette Ville , va au lieu des ruines de l'ancienne
ville d'Himère , & s'arrête à Chefalu , où il
trouve un édifice antique fort extraordinaire qu'il
décrit & repréfente en trois Planches ; il fait connoître
les beaux reftes des conftructions antiques
qui fe trouvent encore dans cette Ville ; il paffe à
Tufa , lieu de l'ancienne ville d'Aléſa , où l'on conDE
FRANCE. 235
ferve encore une ftatue en marbre d'un Conful Rcmain
; il fait connoître
quelques ufages de cette
Ville ; enfuite il arrive à Cavonia , lieu de l'antique
ville de Calacte , où il trouve auffi les reftes
d'une figure & quelques fragmens
d'Architecture
qu'il repréfente
dans la quatrième
Planche ; de là il
va à Tindare , où il trouve plufieurs beaux édificesaffez
bien confervés . La cinquième
Planche repréfente
l'afpect de cette Ville telle qu'elle eft ; & un de
fes édifices occupe la fixième Planche ,
Nous avons beaucoup de gré à M. Houel de ne
pas s'arrêter au fyftême frivole de donner beaucoup
de Vû s de paylage dont on abuse ordinairement
, croyant que l'amulement des yeux eft le
premier mérite d'un Ouvrage de cette espèce ; il
s'attache aux détails intéreffans des édifices qu'il rencontre
; par là il fait connoître des particularités qui
inftruifent des ufages des Anciens . Ces foins & les
connoiffances qu'il y joint , donnent à fon Ouvrage
un caractère de lévérité qui le rend très recommandable.
Cet Ouvrage fe publie par foufcription.
ALMANACH pour l'année 1784. Le Sérail
à l'encan, petite Pièce Turque. A Paris , chez.
Crépy , rue S Jacques , nº . 252 ; en Province ,
chez les Marchands d'Almanachs. Prix , broché ,
1 livre 4 fols ; en étuis , 1 livre 10 fols ; en coffret
avec furprife , livre 16 fols .
Cet Almanach eft dans le genre de celui intitulé :
Les Variétés amufantes.
LA Bibliothèque b'eue entièrement refondue &
confidérablement augmentée , N° . VI. A Paris ,
chez Fournier , Libraire , rue du Hurepoix , près du
Pont S. Michel.
Ce Numéro contient l'Histoire héroïque des
236 MERCURE
quatre fils d'Aymon , en trois Parties , qui fe vendent
3 livres 12 fols brochées . Les Amateurs de la
Bibliothèque bleue ( & ils font affez nombreux )
doivent favoir gré à l'Anonymne qui veut bien fe
donner le foin de rajeunir tous ces Ouvrages. L'Hiftoire
des quatre fils d'Aymon n'eſt pas un des
moins intéreffans.
TOPOGRAPHIEв Hiftorique de la Ville & du
Diocèse de Troyes , par M. Courtalon Delaiftre ,
Curé de Sainte Savine lès Troyes , Affocié libre de
l'Académie de Châlons- fur - Marne , Tome I , in- 3 ° .
Prix , 3 tiv, 12 fols broché, A Troyes , chez la
Veuve Gobelet , Imprimeur du Roi , grande rue ; &
à Paris , chez Antoine Fournier , Libraire , rue du
Hurepoix.
L'Auteur de cet Ouvrage paroît avoir fait beau
coup de recherches ; il eft écrit avec la fimplicité &.
la clarté qui lui conviennent ; & fa patrie doit applaudir
à fon exactitude & à fon zèle.
OPARE varie di Lodovico Ari fto , 3 Vol . in-
12. Prix , 7 livres 10 fols en feuilles , & reliés en
écaille dorés fur tranche , 10 liv 10 fols. Parigi ,
appreffo giov. Gabr. Mérigot , il giovane.
Cette jolie Édition d'un Poëte, dont la réputation
auffi brillante que méritée rendroit ici nos
éloges inutiles , renferme cinq Chants de Poëme ,
dernier Ouvrage de l'Ariofte ( on ne fait fi fon intention
étoit de les ajouter à fon Roland furieux ,
ou fi c'étoit là le commencement d'un nouveau
Poëme ) , cinq Comédies , avec des Poéfies diverfes
CODE des Loix , Statuts & Reglemens des Ordres
Royaux , Militaires & Hofpitaliers de Saint
Lazare , de Jérufalem & de Notre - Dame du Mont-
Carmel, ou Recueil des Bulles des Papes dûement
DE FRA CNE. 237
autorifées dans le Royaume , des Edits , Déclarations
Lettres Patentes & Arrêts concernant les
Droits , Privilèges & Exemptions defdits Ordres
-réunis. Prix , 7 livres 10 fols broché. A Paris , chez
Didor le jeune , Imprimeur Libraire , quai des Auguftins.
Ces Statuts de deux Ordres refpectables ont été rédigés
par ordre de MONSIEUR , Frère du Roi , Grand-
Maître & Chefgénéral des deux Ordres réunis, & fous
l'infpection de M. le Marquis de Montefquiou ,
Chancelier Garde des Sceaux desdits Ordres .
DE l'Electricité des Végétaux , Ouvrage dans
lequel on traite de l'Électricité de l'atmosphère fur
les Plantes , &c. & principalement des moyens de
pratique de l'appliquer utilement à FAgriculture ,
avec l'invention d'un Électro- végétomètre , in-
8. , avec figures en taille-douce , par M. l'Abbé
Bertholot de Saint Lazare , Profeffeur de Phyfique
expérimentale des États - Généraux de la Province du
Languedoc , des Académies Royales des Sciences
de Montpellier , Béziers , Lyon , Marſeille , Nifmes,
Dijon , Rouen , Toulouſe , Bordeaux , Villefranche
, Rome , Madrid , Heffe-Hambourg , &c.
&c. A Paris , chez P. F. Didot le jeune , Imprimeur-
Libraire , quai des Auguftins.
Ce titre annonce un Ouvrage neuf & piquant ;
& le nom de fon Auteur établit en fa faveur un préjugé
très- avantageux . Nous en rendrons compte
inceffamment.
MEMOIRE fur l'Hiftoire Naturelle de l'Ile de
Corfe , avec un Catalogue Lythologique de cette
Ife , & des Réflexions Sommaires fur l'existence
phyfique de notre Globe , par M. Barral , Officier
d'Infanterie , & Inspecteur général des Ponts &
Chauffées de Corfe. A Londres , & fe trouve là
238 MERCURE
Paris chez Molini , Libraire , rue du Jardinet ; &
Onfroy , rue du Hurepoix.
Ce Mémoire annonce des obſervations faites avec
foin ; mais elles font préfentées avec une précision
qui ne permet point l'analyſe Elles font fuivies de
Réflexionsfommaires fur l'existence phyfique de notre
Globe. Peu content de tous les fyftemes qui ont
paru fur cette matière ; voyant que ce qui fe détruit
d'une part , fe reproduit de l'autre , l'Auteur
ne veut remonter ni à la création du monde , ni au
temps du Déluge. Il divife les montagues en deux
clafles ; l'une en maſſes folides , l'autre en maſſes
formées de plufieurs couches , & il donne pour princire
aux unes & aux autres le feu & l'eau . Les
montagnes de cendre volcanique devant changer
d'état , deviennent granits , & celles par couches
font formées par l'eau. L'Auteur explique enfuite
comment les granits , en s'éternifant fur le Globe
éternifent aufli les volcans ; il montre les montagnes
fe détruifant par degrés , & fe reproduifant par degrés
auffi ; & enfin il s'attache à faire voir comment
la mer a pu couvrir les plus hautes montagnes fans
inonder tout ce qui étoit à leurs pieds.

Telles font les idées de l'Auteur , qui ne reffemblent
pas à celles de tout le monde , & que nous
ne devons ni réfuter ni adopter.
HERBIER de la France , trente- huitième Cahier ,
par M. Bulliard. Chaque Cahier est composé de
quatre Plantes coloriées à l'huile au moyen de l'impreffion.
Chaque Epreuve , lorfqu'on prend tout cc
qui compofe l'Herbier , coûte 15 fois . Lor'qu'au
contraire on ne prend qu'une partie de cet Ouvrage ,
comme l'Hiftoire des Plantes vénéneufes , celle des
Champignons , & c. chaque Epreuve fe paye liv.
Les deux dernières Plantes qui doivent terminer
l'hiftoire des Plantes vérréneufes du Royaume , font
DE FRANCE 139
:
fous Preffe . Nous annoncerons le Difcours qui doit
précéder cette intéreffante Collection , lorsqu'il fera
prêt à paroître. D'après ce que nous en avons fous
les yeux , voici quel nous paroît être le plan de
M. Bulliard. En parlant d'une Plante de laquelle il
donne la figure , il dit : nous avons en France tant
d'efpèces de ce genre ; parmi celles -là il y en a de
vénéneufes , tant. Celle- ci , c'eft parce qu'on eft expofé
à la confondre avec telle ou telle autre plante.
Celle- là , c'eft parce qu'on l'a employée comme médicament
, à trop forte dofe , ou qu'on l'avoit mal
préparée ; & enfuite il dit dans tel cas il faut fe
conduire de telle & telle manière , & voilà les fignes
qui peuvent le plus fûrement faire connoître de
quelle nature eft le poifon , & s'il eft encore dans
les premières voies , ou s'il eft déjà paffé dans les
fecondes ; ce qui exige deux traitemens différens ,
que M. Bulliard a le foin d'indiquer. Enfuite , d'après
les Ouvrages les plus eftimés en Médecine &
dans les Arts , il donne les moyens de fe fervir utilement
de ces mêmes Plantes . On pourra s'adreffer
à l'Auteur , rue des Poftes , au coin de la rue du
Cheval vert , à Paris ; ou chez Didot le jeune , Théo
phyle Barois & Bélin , Libraires , à Paris.
Plan Topographique de la Ville de Toulouse &
de fes environs , levé géométriquement fur les heux ;
dédié à M. le Comte de Tilleyrand - Périgord.
Feuille grand Aigle. Prix en blanc 3 liv.; lavé en
plein , 6 liv Nouveau Plan Topographique de
<
t'Orient , du Port- Louis , de leurs Rades & des
environs ; avec les Rochers , Ecueils , &c ; le
fillage des Vaiffeaux pour l'entrée & la fortie du
Port Prix en blanc , 3 liv .; lavé en plein , 6 liv.
A Paris , chez Dezauche , fucceffeur des fieurs Delille
& Ph Buache , premiers Géographes du Roi &
de l'Académie Royale des Sciences , rue des Noyers.
240 MERCURE
PORTRAIT de Benoit - Jofeph Labre , né le ´26
Mars 1748 , du Diocèfe de Boulogne: en France,
mort à Rome en odeur de fainteté le 16 : Avril
1783 , dédié & préſenté à la Révérende Mère Thérèfe
de Saint Auguftin , Religieufe Carmelite à
Saint - Denis. Prix, livre 16 fols . A Paris , chez
Voyfard , Graveur , rue de la Harpe , nº. 18 , en
face de la rue Serpente , & chez Lefclapart , Libraire
de MONSIEUR , Frère du Roi , Pont Notre-
Dame.
Ce Portrait de huit pouces & demi de baut fur
fept de large , eft d'après le Tableau de Bley , fait
dans Rome même en 1777.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Musique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABL E.
VERS fur la Comédie du Sé- gryphe ,
du&teur , 193 Ame ues Bêtes ,
253
205
Four le Portrait de M. Difcours de Lycurgue , d'.4n-
Archevêque de Bordeaux , docide , &c.
- A M. De la Harpe ,
212
194 Phytographie Universelle , 216
ib. Euvres de Plutarque ,
Couplers chantés à M.L**, 195 Comédie Françoife ,
Aune Chanoineffe , 19- Comédie Italienne ,
Dialogue entre Diocletien & Anecdotes,
Abdolonyme, ib. Annonces & Notices,
Charade , Enigme & Logo-
APPROBATIO N.
218
222
1228
231
233
J'AI in , par ordre de Mgr le Garde des Scezar , la
Mercure de France , pour le Samedi 29 Novembre. Je n'y ai
rien trouve qui quille en empêcher l'i upretion . A Paris ,
le 28 Novembre 1783. GUIDI. ,
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 24 Septembre.
C'EST de retour de Czarsko-Zelo
EST après demain 26 , que la Cour
dans cette Capitale ; l'Impératrice eft parfaitement
rétablie d'une indifpofition qu'elle a
éprouvée .
Le fucceffeur du Duc de S. Nicolas , le
Duc de Serra Capriola , qui vient réſider ici
en qualité de Miniftre plénipotentiaire de la
Cour de Naples , eft arrivé la femaine derniere
dans cette Capitale.
Les Sciences & l'Académie Impériale viennent
de faire une perte fenfible dans le célebre
Léonard Euler , mort le 18 de ce mois .
âgé de 76 ans. Il y en avoit 56 qu'il étoit
membre de l'Académie de Pétersbourg.
D DAN NEM ARCK.
DE COPENHAGUE , le 30 Septembre;
de
Le vaiffeau de la compagnie d'Afie , le
No. 44. 1. Novembre 1783. a

( 2 )
Tranquebar , vient de mouiller dans cette
rade , où quelques jours auparavant étoient
arrivés des Indes occidentales 3 navires chargés
de café , de fucre & de tabac .
On a vendu dernierement ici cinq actions
de la Compagnie des Indes occidentales à
318 ou 321 rixdalers chacune ; on peut , en
faifant la comparaiſon du prix auquel ces actions
ont été depuis le mois de Janvier dernier
, voir combien notre commerce dans
cette partie du monde où il avoit été fi floriffant
& fi actif pendant la guerre , a diminué
fucceffivement depuis la paix. En Janvier ces
mêmes actions fe font vendues jufqu'à 560
rixdalers , en Avril elles ne le furent que
440 , & le 2 Juin elles avoient baiffé à 341
Jana SUSE DES
Bb 9
DE STOCKOLM , les Octobre.
(1633
S. M. qui étoit revenue ici de Drottninsholm
le 14 de ce mois , pour pofer la premiere
pierre de l'Eglife Luthérienne qu'on
conftruit fur l'ancien cimetierre de S. Jean ,
y retourna le lendemain ; elle y a continué
fon féjour jufqu'au 26 , qu'elle eft partie dans
la nuit pour Yftadt , d'où elle continuera fon
voyage pour l'Italie par Brunfwick & le
Tirol.
M. Vander-Bork, Envoié des Etats - Généraux
des Provinces - Unies , ayant obtenu
un congé, fe difpofe à partir pour la Hollande;
il laiffe les affaires de la République en3
tre les mains de M. Pontkam , qui en ref
tera chargé pendant fon abſence.
POLOGNE.
DI VARSOVIE , le 25 Septembre.
On a fermé fur le territoire de la République
le paffage du Dniefter, qui n'eft plus ouvert
àtout ce qui pouvoit le traverfer aupara
vant; le Hofpodar de la Moldavie en a fait au
tant de fon côté,& dernierement M. de Seidlitz
qui avoit été en Moldavie achetter des chevaux
pour la cavalerie Pruffienne , a trouvé des
obftacles au paffage de ces chevaux pour les
conduire à leur deftination . Il s'eft adreffé, au
Comte de Soltikow , qui l'arenvoié au Com
mandant Pruffien fur la frontiere.
On écrit de Cherfon , que Sahim- Ghéray
en eft parti pour Pétersbourg. Il paffe toujours
pour conftant qu'il aura , au lieu d'une
penfion annuelle , qui lui étoit d'abord deftinée
, un territoire confidérable à titre de fief.
Il y vivra peut-être plus heureux que fur le
trône de la Crimée ; l'exemple de fes prédéeurs
, dont
on
n'en
a vu
aucun
pendant
une
longue
fuite
d'années
occuper
ce
trône
au
delà
de
8 ans
, donne
quelque
poids
à
cette
conjecture
.
On vient de terminer auprès de cette ville ure :
dès machines les plus curieufes & les plus utiles
qu'on ait imaginé dans ce fiecle. Le Baron de
Gumprecht , attaché au Roi depuis deux ans ,
enequalité de méchanicien , a inventé un nou
22
( 4 )
veau moulin à poudre. L'idée d'après le modele
avoit paru très-ingénieufe , mais d'une exécution
douteuse cependant elle a réuffi au point de
remplir d'une maniere fatisfaifante le but que
s'étoit propofé l'auteur. La fabrication de la poudre
y eft regardée comme entiérement à l'abri
du feu ; & fi la négligence ou la fcélérateffe y
occafionne cet accident , la totalité de la machine
ne fauroit y être expofée : chaque cylindre étant
renfermé dans une loge particuliere fuffifament
éloignée. De longues perches avec des léviers de
diftance en diftance , communiquent le mouvement
aux différens cylindres , & quelques boeufs
feulement peuvent leur donner fans beaucoup
d'efforts , la viteffe fuffifante . Cette invention
qui fait le plus grand honneur au Baron de
Gumprecht , en fait auffi beaucoup au Comte
de Bruhl , grand maître d'Artillerie , qui , malgré
toutes les objections & les contradictions qu'a ,
éprouvées cette entreprife , a faifi la réalité de
fes avantages , reconnu les grands talens de fon
inventeur , & l'a appuyé de la protection la plus
active. ཝཱ * ཎཱ
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 17 Octobre.
Le Marquis de Noailles , Ambaffadeur de
France en cette Cour , eft attendu ici inceffamment
la plupart des gens de fa maifon
:
font déjà arrivés , & font les préparatifs nécffaires
pour la réception. Les mouvemens
des troupes continuent , & on n'a fufpendu,
aucun des préparatifs militaires que l'on fait
depuis fi long- temps ; le département de la
(4)
guerre a ordonné de faire une nouvelle levée
de 30 à 40000 hommes ; on apprend de
l'Autriche que les levées qu'on y fait, ont le
plus grand fuccès ; on fe propofe de former
3 nouveaux Régimens d'infanterie , & d'aug
menter également la cavalerie . Les Cordonniers
de cette ville fe font engagés à fournir
a la Commiffion militaire 12000 paires de
fouliers , & 400 paires de bottes ; cette livraifon
doit fe faire d'ici à Noël. On attend
auffi 2000 chevaux de remonte du Holſtein,
& autant de l'Ukraine & de la Moldavie .
Tout annonce une guerre prochaine ; ce
qui la fait juger reculée encore , c'eft la révocation
de l'ordre donné aux Officiers & foldats
abfens par congé de rejoindre , & la permiffion
d'accorder de nouveaux congés. On
en a déjà expédié quelques- uns ; & ils dureront
jufqu'à la fin du mois de Mars pro
chain .
On vient de fupprimer encore 3 couvens de
femmes. On craint que les autres ne fubiffent
le même fort ; on prétend que dans tous les Etats
Autrichiens , il n'en fera confervé qu'un feul
de chaque ordre. On n'en compte pas moins
de 1948 dans les poffeffions héréditaires de la
Maifon d'Autriche , & voici la' lifte qu'on vient
d'en publier : 40 dans l'Autriche au - deffus de
1'Ens , 118 dans l'Autriche au-deffous de l'Ens ,
106 dans l'Autriche antérieure , 89 dans le Tirol ,
20 dans la Carinthie , 140 en Boheme , 83 en
Moravie & en Silésie , 254 en Galicie , 159 en
Hongrie , 34 en Tranfylvanie , 43 en Dalmatie
, Croatie & Efclavonie , 395 dans les Pays Bas
& 467 en Italie.
(16 )
seik & tassa de
JA A TURN 1901 Foul
ƉE NA MBOURG, le 12 Octobre. »
9431
Les nouvelles du nord offrent toujours les
mêmes mouvemens & l'apparence d'un embrâfement
dont la faifon feule peut retarder
l'éclat. A la place des faits qui nous manquent
, & des détails de marches de troupes
qui fe dirigent toujours vers les mêmes points,
nous placerons ici un article qui peut inté
reffer dans les circonstances préfentes. Le
Capitan Bacha , ou le Grand Amiral des
Turcs , étant dans ce moment l'homme qui
a le plus d'influence dans le Divan , & celui ,
qui , par fa fermeté, fa bravoure & fes talens ,
a feul obtenu toute la confiance de fon maître
& celle du peuple , on ne fera pas fâché
de le connoître plus particulierement. Les
notices fuivantes de fa vie ont été recueillies
de différentes perfonnes qui l'ont connu à
Madrid , à Naples & à Conftantinople. ?
Le grand Amiral Ottoman peut avoir 66 à
68 ans , il est né en Afie , & fimple Timarior.
Il s'engagea de bonneheure au fervice d'Alger.Par
fon activité , fa prudence & fa valeur , il obtint
la confiance de fes maîtres , & parvint de grade
en grade au commandement d'un corps avec
lequel il fe diftingua dans les montagnes contre
les peuplades farouches qui les habitent & qui
refufent fouvent le tribut ordinaire à la Régence
d'Alger. Le Dey le diftinguoit des autres
Officiers , lorfque le Capitan Bacha ayant refufé
de fe défaire d'un fuperbe cheval que fon maître
avoit defiré , s'attira fon inimitié qui monta à
un tel point qu'il ne crut pas les jours en fûreté
(7)
1
7
>
en reftant à Alger. Il difpofa tout pour fa fuite ,
& un Vendredi , jour facré pour les Mufulmans
& qu'ils employent en certains tems de l'année
à infulter les places Eſpagnoles & à fe faire
dévotement fufiller , le Capitan Baclia s'avança
à cheval comme s'il pourſuivoit l'ennemi , & .
entra dans Oran. Le Commandant le reçut trèst
bien ; & fur le defir qu'il témoigna de voir
Efpagne , il le fit partir avec le premier Vailleau .
L'Officier Algerien fut à Madrid ; on ne dit
point fi le Gouvernement profita des lumieres
qu'il pouvoit lui donner fur l'adminiſtration
d'Alger , & fur le caractere des principaux Chefs
de cette Régence. On fait feulement que le Capitan
Bacha s'occupoit fans relâche à apprendre
l'Epagnol , l'Italien & les Arts des Européens.
Il demandoit qu'on le fit paffer à Conftantinople .
On ne fe rendit que fort tard à fes defirs ', puif
qu'il refta trois ans dans la Cápitale de l'Espagne ;
enfin on lui permit de fe rendre à Naples , ou
il devoit trouver plus facilement un Navire qui
le conduiroit à Conftantinople. , Cette Ville lui
plut fans doute , puifqu'étant le maître de partir
il s'y arrêta une année. Enfin il arriva dans la
Capitale de rEmpire Ottoman. Les intrigues du
Dey d'Alger l'avoient précédé ; & foit qu'il y
fût regardé comme transfuge , ou plutôt comme
un renégat à caufe de fon lang féjour dans les
Etats chrétiens , il fut arrêté & fans égards pour
fon grade & fes connoiffances , on le mit tout
bonnement à la chaîne avec les autres forçats
C'eft à l'école du malheur que les Grands hommes
fe forment , & le Capitan Bacha doit peutêtre
l'énergie de fon caractere à la trifte fituation
à laquelle il fut réduit pendant près de deux ans.
il ne le laiffa point abattre par ce revers de fortane;
il fe fit bientôt diftinguer de fes malheu
a 4
( 8 )
9
reux compagnons , par fon obéiffance , fon exactitude
& fa réfignation , comme il leur étoit fu
périeur par la force corporelle fa & la nobleffe de fa
figure. Auffi le Grand - Seigneur feu Mustapha
qui fe plaifoit étant déguifé à parcourir les rues
de Conftantinople , les Arfenaux & même les
moindre Atteliers fut frappé en entrant au
bagne de l'air de ce forçat ; il le queſtionna &
apprit que par la plus cruelle injuftice on l'avoit
confondu avec des fcélérats ; que fans connoiffanfans
amis , fans fortune , il défefperoit
que quelqu'on voulût s'intéreffer à fon fort. Ce
fera moi , lui dit l'Empereur qui te ferai fortit
de ces lieux ; en même- temps il lui remit de fa
propre main , le nom d'un Officier du Serrail
auquel il devoit s'adreffer pour faire paffer fa
juftification au Grand-Seigneur. Le malheureux
Captif envoya fa fupplique , & deux jours après
fes fers tomberent & on lui donna le commandement
d'un Navire. Dès ce moment il
marcha rapidement aux honneurs , puifqu'au
combat de Tíchené , il étoit Capitaine d'un des
Vaiffeaux Commandans . Ce fut lui qui propofa
de détruire entierement la Flotte Ruffe. Puifque
nous avons le double de Vaiffeaux , avoit - il dit
dans le Confeil , nous ne rifquons rien d'en perdre
la moitié pour brûler tous ceux de l'ennemi.
Il faut pour cela qu'un nombre égal des nôtres
s'accroche aux leurs & mettre le feu aux poudres.
Cette vigoureufe réfolution ne plut pas fansdoute
aux autres Capitaines. Le Capitan Bacha
fut le feul qui l'exécuta. Il aborda le Vailleau
Amiral Ruffe , s'y crampona , & ayant miş une
méche à fes poudres , deux minutes avant qu'elle
fit fon effet ' il fauta dans la mer tenant fon
fabre entre fes dents , & fe fauva à la nage.
On fait que les deux Vaiffeaux fautérent en
9

C 9
2007
même temps . Cette action intrépide & la vigueur
de fes confeils lui valurent le pofte de Capitan
Bacha , & la faveur du peuple qui en Turquie
á plus d'influence qu'on ne penfe fur les réfolutions
du Serrail. Auffi depuis ce temps le Capitan
Bacha gouverne l'Empire. "
Selon divers papiers , la marine Ruffe à
Azofconfifte dans ce moment en 6 vaiffeaux
de ligne , 4 frégates , & 16 galiotes. L'efcadre
de la Baltique eft compofée de 9 vaiffeaux
de ligne , 3 frégates & 5 autres bâtimens
de guerre.
On a fait l'état fuivant de l'armée Ruffe.
Trois Régimens des Gardes Infanterie, 10,000
hommes , plus un Régiment de Gardes , Ca
valerie , la Garde Noble , les Huffards & Cofaqués
du Corps , & le Corps des Cadets Gentils-
hommes ; on n'en fixe pas le nombre ; mais
on le porte au- delà des trois Régimens d'In
fanterie. Artillerie 1. Régiment de Bombardiers
de 2510 hommes , 2 de Canonniers faifant 3000
hommes , 2 de Fufiliers , autant ; le Corps d'Ingénieurs
, 1065 hommes ; une Compagnie de
Mineurs de 296 hommes ; une de Piquiers ,
245 hommes ; 798 Pontonniers , & 3823 Vale : s
d'Artillerie. Total 14737 hommes. Cavalerie
Régimens de Cuiraffiers de 6 efcadrons chacun
, un de 1125 hommes ; 9 Régimens de
Carabiniers de 6 efcadrons auffi , ou de 1125
hommes : 10 régimens de Dragons d'un pareil
nombre d'efcadrons , ou de 1072 hommes ; 19
régimens de Huffards , chacun de 1050 hommes
4 régimens de Piquiers , faifant 2472
hommes. Total de la Cavalerie , 56942 hommes,
Infanterie. 4 régimens de Grenadiers de
2070 hommes chacun ; 6 bataillons de Chaf
a s.
"
6 25 , 1,322
eurs de 990 hommes ; bataillons d'Infanterie
de 699 hommes ; 87,779 hommes de bataillons.
de garnifon. Total de l'Infanterie , 237,613
hommes. Total des troupes réglées fans les
Gardes 30939 292 hommes. La Milice confifte
en 24 régimens , partie Cavalerie , pactie
Infanterie, qui font encore 26598 hommes.-
La Cavalerie irréguliere des Cofaques en eft portée
à 48801 hommes . Il y a ajoute- t - on à Peterbourg
une école d'Artillerie , & à peu près
180 Artilleure
les Artilleurs dans les diversfes
garnions montent à 8276 hommes & ceux
employés dans les Arfenaux à 1168 , de forte
que l'on peut porter le total de l'Artillerie à
25000 hommes. L'armée qui peut être élevée
au total de 470,000 hommes fe recrute dans le
pays ; le Soldat eft robufte , brave , accoutumé
à la fubordination. L'arméeventiere coute annuellement
9 millions de roubles ; elle eft répar
tie en 12 divi6ons qui ont chacune un Géné
ral l'Artillerie à fon chef particulier .
On lit dans un papier public la maniere
dont les recrues fe font dans l'Empire Ruffe;
nous nous bornons à la traduire.
Dans tous les pays du monde , c'eſt au moindre
prix poffible qu'on achete le Soldat ; avec
an engagment modique , en entrant , il ſe charge
du foin de défendre fa Patrie , qui lui affure
en reconnoiffance environ 5 fols par jour, qui ne
font pas une fubfiftance bien étendue , puifqu'il
ya encore core des retenues pour les premiers détails
d'entretien , tel que des fouliers qu'il faut qu'il
fe fourniffe , mais en prenant cet état il a la liberté
ay entrer ou de le refufer. En Ruffie , lorfqu'un
régiment a befoin de Recrues , ou que la Cour
a ordonné des levéesea desa Officiers chargés
de ce foin , fe rendent dans les lieux qui leur
II
font défignés. Là un Trompette fomme les ha
bitans de s'affembler un jour marqué ; on fépare
tous les hommes depuis l'âge de 18 ans jufqu'à
40 ; on le examine ; on marque tous ceux qu'on
veut enrôler. Quand le Recruteur a fon nombre ,
il renvoye le refte ; les hommes qu'il a choifis
reflent avec lui ; on les fait marcher fur le
champ vers un lieu éloigné fans leur permettre
une
de voir leurs parens ou leurs amis , de leur dire
adieu , de crainte d'exciter leurs regrets ; on les
exerce
& après un mois d'inftruction on les
diftribue dans les régimens , s'il en déferte un ,
fa famille eft obligée de le retrouver ou de donner
deux hommes à faplace ; s'il eft repris , il a le
knout. »
S'il faut en croire une lettre de Vienne,
les ordres ont été donnés pour réparer , le
plutôt poffible , les fortifications de Konigsgratz
; quelques perfonnes en concluent que
la Cour de Berlin ne s'eft pas encore décla
rée pofitivement fur le parti qu'elle prendra
dans les conjonctures actuelles .
DE RATISBONNE, le 12 Octobre.
{
31 , On s'attend à voir porter inceffamment à
la dictature de la diette la grande affaire de
TEvêché de Paffau ; les Chanoines font intéreffés
à la voir terminer d'une maniere fatisfalfante
pour eux. Comme la plupart des
biens de cet Evêché font fitués dans les domaines
de la Maifon d'Autriche , ils
perdroient
près des deux tiers de leurs revenus
annuels, fi ces biens n'étoient pas reftitués.
+
Voici une lifte exacte des Troupes de Brunswick ,
suoi augscursul zot ar obnes
(( 12 )
qui ont été débarquées à Stade depuis le 24 Août
Le 24 Août , 484 & 3 officiers . Le 11 Septem ,
46 hommes & 10 officiers. Le 16 dudit , 262
hommes & officiers. Le 24 fufdit , 180 dragons ,
& 11 officiers , 382 hommes , 16 officiers & 47
bas- officiers . Du Régiment Prince Frederic , z60
hommes , & 11 officiers du Régiment de Reez
Cette divifion a été aux ordres du Major- Général .
de Riedefel. Le 26 , 16ordrheosmmes , 134 officiers
& bas- officiers du bataillon des grenadiers de
Menge ; 227 hommes , 19 officiers & 19 bas officiers
du Régiment de Specht ; 227 hommes , 20
officiers , 24 bas- officiers , du Régiment de Riedfel
; 148 hommes , 15 officiers & 23 bas- efficiers ,
y compris les chaffeurs du Régiment de Beiner.
Cette divifion étoit aux ordres du Colonel de
Specht. Le total ait 2530 hommes , dont 164
officiers & 120 bas-officiers.
On lit dans une Feuille publique , que le
Comte de S. ayant préfenté au Roi de Pruffe
une fupplique , pour le prier d'accorder à
fon fils un grade militaire dans le fervice de
S. M. , en a reçu la réponſe fuivante .
"
re
Très- Illuftre cher & fidele , J'ai vu par voare
fupplique la demande que vous me faites
pour votre fils. Il eft bon de vous prévenir que
depuis quelque temps j'ai donné l'ordre de ne
plus recevoir de Comtes dans mes armées , parce
que ces Meffieurs fe croyant après une campagne
ou deux , d'habiles gens fe retirent dans leurs
terres pour y jouir de la confidération d'avoir fervi.
Si votre fils defire prendre le parti des armes ,
fon titre de Comte doit être mis de côté : il ne
lui fervira de rien pour fon avancement , s'il
ne cherche à apprendre le métier. P. S. de
la main de S. M. Les jeunes Comtes qui pourq
13 Spb the lap
P'ordinaire n'apprennent rien , font des ignorars
dans d'autres pays . En Angleterre , le fils du Roi
youlant s'inftruire , a commencé à être fimple
matelot . Si une fois par hazard il arrivoit qu'un
d'eux devînt inftruit & utile au monde & à la
patrie , il ne devroit le glorifier ni de fa qualité
ni de fa naiffance : les titres & la naiffance ne
font que vanité & chimere ; le vrai mérite eft le
perfonnel.
ITALIE
DE LIVOURNE , le 3 Octobre.
On a reçu de Pife la nouvelle de l'accouchement
de la Grande-Duceffe , qui a donné
heureuſement le jour à un Prince , la nuit du
29 au 30 du mois dernier. Le lendemain il
fut baptifé , & il reçut les noms de Regnier-
Jofeph Jean -Michel- François-Jérôme.
Le Chevalier Curtis , chef de l'efcadre
Angloife , venant de Gibraltrar & de Genes ,
où il s'éroit arrêté, a mouillé dans ce port
avec 2 frégates & un floop.
Selon les lettres de Milan , on y a appris
de Lubiane , que cette province eft remplie
de troupes , & qu'on ne voit fur les routes
que des régimens en marche vers la Croatie .
Il n'y a rien encore de décidé , relativement
à la guerre mais elle femble inévitable , s'il
faut s'en rapporter à la lettre fuivante , écrite
des frontieres de la Turquie par un Officier
Autrichien,
Les ordres que nous recevons fe fuccédent ra
pidement , & préparent fans doute à la guerre.
( 14 ))
Les derniers portoient que le régiment entier avec
fes équipages s'avançât . Tous les bagages fuperflus
, les foldats malades ou invalides refteront
en arriere . Nous devons marcher inceflamment
dans les cantonnemens qui nous font deftinés ;
& les permiffions des congés qui avoient été d'abord
fufpendues , enfuite permifes , viennent d'etre
retirées . Nous ne ferions pas étonnés , vu la faifon
avancée , de faire une campagne d'hiver.
7151 2911
71 1900
Les lettres de Conftantinople ne parlent
que des préparatifs qu'on fait dans toutes les
parties de l'Empire Ottoman.tera
Les équipages de la flotte du Capitan Bacha
font complets . Cet Amiral n'attend que fes derniers
ordres pour mettre à la voile. La conftruc
tion des bâtimens portant 6 à 8 canons , -continue
fans relâche. Ces navires dont chacun peut contenir
80 hommes , font deſtinés à transporter les
troupes de débarquement des vaiffeaux de
guerre , fur les rives de la Crimée , où les bas
fonds empêchent les vaiffeaux d'approcher. On
affure encore que le Grand -Vifir doit marcher
inceffamment à la tête d'une armée nombreuſe
& choiffe dans la Moldavie , pour couvrir Choczim.
On dit que le Miniftre Ruffe à l'occafion
de la ratification du Traité de commerce
ayant reçu de Petersbourg plufieurs préfens d'une
grande valeur , avec ordre de les offrir dans une
audience au Grand- Seigneur : S. H. a été obli
&
gée de refufer l'audience démandée & les préfens
en meme- temps , pour que le peuple n'en prit
pas occafion de penfer que la Ruffie , conferve
ainfi la Crimée , du confentement de S. H. , ce
qui certainement eût donné lieu à une révolte —–—–
Quand l'Ambaffadeur Ruffe en confere avec le
Reiz- Effendi & les autres Miniftres de la Porte ,
( ( xs )
on évite foigneufement de faire aucune mention
de la Crimée ; mais lorfque l'Ambaffadeur s'ent
tretient avec des particuliers il fait entendre
que la ceffion du Khan en faveur de l'Impéra
trice de Ruffie , a été faite du confentement de
la fublime Porte , quoique tout le monde fache
très-bien que le Divan envifageant ces objets
fous un tout autre point de vue , ne temporife
que pour gagner du temps & fe préparer a la
guerre. Depuis ce temps quelques milliers de
Tartares font arrivés de la Crimée à Conftantinople
ceux qui ne veulent pas refter dans leur
patrie , ont la liberté de fe retirer ailleurs.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 21 Octobre.
7
Les dernieres lettres arrivées de divers endroits
de l'Amérique , nous apprennent que
tout eft actuellement tranquille fur le Continent
, que chaque Etat a enfin fait les réglemens
indifpenfables pour leverles fonds néceffaires
au paiement de fes dettes particulieres ,
& de la dette générale , ainfi que des intérêts.
Quant à l'évacuation de New - Yorck , elle
ne fauroit tarder à préfent ; dès le 10 Septembre
plus de 4000 hommes de la garni
fon avoient déjà été embarqués ; 10,000 autres
devoient l'être encore vers la fin du
mois, & le refte dans le courant d'Octobre.
Les ordres pour cet effet avoient été expédiés
depuis long-temps : on peut en juger
par la lettre fuivante du Général Carleton au
Congrès , en date du 17 Août.
« Le paquebot arrivé dernierement d'Angleterre
m'a apporté l'ordre final pour l'évacuation
de cette place. Le congrés doit le regarder comme
une preuve de la perfévérance de ma Cour dans
le fyftême pacifique exprimé dans le Traité provifionnel
, & je ne perdrai point de temps à
Fexécuter ; mais , malgré mes efforts , je prévois
de grandes difficultés qui ne me permettront pas de
le faire auffi-tôt que je le defirerois . Ma correfpondance
avec le Général Washington , le Gouverneur
Clinton , & M. Livingfton peut
vous
inftruire de la nature de ces empêchemens , je
ne la répéterai pas ici . J'ajouterai feulement que
la violence à laquelle fe font livrés les Américains
auffitôt après la ceffation des hoftilités a augmenté
confidérablement le nombre des citoyens qui fe
font refugiés dans mes lignes pour s'y dérober ,
& auxquels je dois maintenant un afyle,& du temps
pour le défaire de leurs proprietés ; cela ne me
permet plus de quitter fi -tôt cette place. Plus de
modération de la part des Etats - Unis auroit confolé
infortunés qui ont recours à moi
auro été conforme aux articles du Traité , &
m'auroit mis en état de vous rendre plutôt une place
dans laquelle vous defirez rentrer ; elle produiroit
un bon effet pour les Etats , en diminuant le
nombre des émigrans , qui , je vous affure , eft
très confidérable , & dont trop tôt peut-être ils
fentiront la perte ; je ne puis que renouveller mes
inftances auprès de vous , &c . »
1: |: ཀྱི བ 1:|: ཀྱི
Une autre lettre de New-Yorck , en date
du 13 Septembre , nous fournit la copie des
réfolutions fuivantes prifes par le Congrès ,
le Août dernier .
P
Refolu unanimement , dix des Etats étant préfens
, que l'on élevera une ftatue équeftre au Gé(
17 )
néral Washington , dans l'endroit où la réfidence
du Congrès fera fixée . Réfolu que la ftatue
fera de bronze , le Général repréſenté vétu à la
romaine , tenant un bâton de commandement dans
fa main droite , & fa tête entourée d'une branche
de laurier ; que la ftatue fera fupportée par un
piédeftal de marbre , fur lequel on représentera
en bas- reliefles événemens les plus remarquables
de la guerre dans laquelle le G. Washington a
commandé en perfonne , & qui font , l'évacuation
de Bofton , la prife des Heffois à Trenton , la
bataille de Princetown , l'action de Monmouth ,
& la reddition d'Yorck. Sur la partie fupérieure
du piédeftal , fera gravée cette infcription : Cette
ftatue a été élevée par ordre des Etats - Unis affemblés
en Congrès l'an de grace 1783 , en l'honneur de
Georges Washington , qui a commandé glorieuſement
en chef les armées des Etats- Unis de l'Amé ique
pendant laguerre qui a affuré leur liberté , leur fouve
raineté & leur indépendance. Réfolu que la ftatue
fera conforme aux inftructions ci - deffus , & exécutée
par le meilleur Artiſte d'Europe , fous ladirection
du Miniftre des Etats-Unis à la Cour de Verfailles
, & que l'argent neceffaire pour défrayer
cette dépense , fera fourni par le tréfor des Etats-
Unis. Réfolu que le Secrétaire du Congrès
fera paffer au Miniftre des Etats- Unis à la Cour
de Verfailles , la reffemblance la plus parfaite
qu'il pourra fe procurer du G. Washington , d'après
laquelle on doit exécuter la ftatue , ainfi que
la defcription la plus complette des événemens
qui doivent faire le fujet des bas- relifs .
Selon les mêmes lettres , plufieurs Etats
ont recommandé à leurs repréfentans d'engager
le Congrès à ne point envoyer de Miniftres
dans les Cours étrangeres. Il n'eft pas
( 18 )
befoin , difent -ils , de favoir ce qui fe paffe
dans les familles des Souverains de l'Europe ;
& ces Souverains ont encore moins befoin
d'être inftruits des affaires domestiques de
l'Amérique la politique de cette derniere
doit fe borner à traiter des objets de com
merce, & des Confuls font les feuls Officiers
públics, qui puiffent lui être utiles au- dehors,
Suivant le plan concerté entre le Gouver
nement & la Compagnie des Indes , les forces
de terre de cette derniere ne feront point
diminuées en Afie , tant que la paix ne fera
pas folidement établie entre elle & les puif
fances Indiennes . Mais toutes les troupes du
Roi , excepté l'Artillerie , reviendront en
Angleterre , elles confiftent dans les 78,98 ,
100 , 101 & 102es, régimens , une compagnie
du 23e. , de troupes légeres , un batail
lon du 73 , le fecond bataillon du 42 & un
d'Hanovriens.
t
Quant aux forces navales , il n'y reſtera
fous les ordres du Chevalier Hyde Parker,
que 4 vaiffeaux de ligne , & 2 de so canons;
tout le refte de l'efcadre reviendra en Europe
avec le Chevalier Hughes & fir Richard Bickerton.
m . 709. Top
Les ordres pour le retour des valffeaux que
ces deux Amiraux doivent ramener d'Afie
ont été déjà expédiés ; & fans doute on les
verra arriver dans nos ports dans le courant
de l'année prochaine.
Onprêteàla Compagnie des vues pourfor
( ( 30g ) )
mer une Colonie dans l'ifle de Balamban
gan. On ne fera pas fâché , en parlant de
ce projet , qui n'eft pas nouveau, de trouver
ici ce que dit de cette ifle un Ecrivain célébre.
ch
Depuis long - temps, les Anglois defiroient
une poffeffion qui put devenir un entrepôt où les
marchandifes, les denrées de la Chine & des Indes
orientales feroient échangées contre les denrées ,
les marchandifes de l'Indoftan & de l'Europe.
Leur plan étoit d'en faire le marché le plus confidérable
de l'Afie. L'Ile de Balambangan , fituée
à la pointe feptentrionale de Borneo , leur parut
propre à remplir leurs vues , & le Roi de Cochin
la leur abandonna en 1766 ; ils y arborerent leur
pavillon l'année fuivante , mais ce ne fut qu'en
1772 qu'ils formerent leur établiſſement , Quelques
commis , 300 foldats blancs ou noirs , un
vaiffeau & 2 petits bâtimens , tels furent les premiers
matériaux d'un édifice qui devoit , avec le
temps , s'élever à une hauteur immenſe. Malheureufement
les chefs fe brouillerent , le peu de
troupes qui avoit échappé à des maladies , deftructives,
fut trop difperfé; les navires allerent ouvrir
le commerce avec les Etats voifins ; dans ces circonftances
, le nouveau comptoir fut attaqués
pris & détruit . Les Anglois ignorent encore ou
feignent d'ignorer d'où vint un acte de violence
qui leur couta neuf millions tournois ; leurs foupfe
porter fucceffivement fur les
toujours alarmés pour les Molucques ;
fur les Efpagnols , qui pouvoient craindre pour
les Philippines ; fur les Barbares des parages
voifins , dont la liberté fembloit anéantie : quelquefois
même fur une confpiration de tous ces
ennemis , qui avoient uni leurs haines & leurs ,
intérêts ».
( 201)
C'eft cet établiffement , d'abord malheu
reux , qu'on fe propofe de former de nouveau
, & de conferver , en prenant des précautions
qui le mettent à l'abri du défaftre
qu'il a éprouvé.
Selon un de nos papiers , l'avantage
qu'a l'Irlande fur l'Angleterre , dans le commerce
de l'Amérique , eft évalué dans la proportion
de 5 à 2 ; c'eft -à-dire , que les habitans
peuvent y faire cinq voyages , pendant
que nous en ferons deux ; ce royaume a, diton
auffi , des préférences locales pour le commerce
des Indes Orientales ; elles ne font
pas , il eft vrai , au même degré : mais elles
font affez favorables , pour mettre en quef
tion , fi la Compagnie ne feroit pas bien de
porter dans fes ports quelques-unes des branches
de fon commerce.
Le 25 Septembre , écrit- on de Dublin , a offert
un fpectacle touchant. Mille ouvriers en laine réduits
à la mendicité le font promenés en procef
fion dans les rues de cette ville avec une image de
cette toifon d'or qui autrefois nourriffoit , habilloit
des milliers d'hommes , & répandoit parmi:
eux le bonheur & l'aifance . Cet emblême pittorefque
& lamentable défignoit l'état déplorable
où font réduites les Fabriques de laine en Irlan
de ; ils crioient dans tous les carrefours : donneznous
une déclaration des droits protecteurs , &
Jes moyens de vivre. Il n'y a point eu de défordre
' ; la proceffion a marché fans bruit , fans tu .
multe & fans excès ; elle n'a fait entendre que.
des plaintes juftifiées par le fpectacle de la mifere .
La campagne Parlementaire eft ouverte
84
T
( 21 )
en Irlande ; dès le 14 de ce mois les deux
Chambres fe font affemblées , & le Lord Lieutenant
a fait l'ouverture de la feffion par le
Difcours fuivant. 1
» Milords & Meffieurs , c'eft avec la plus vive
fatisfaction , que conformément aux ordres du
Roi , je vous vois en pleine poffeffion des avantages
conftitutionnels & commerciaux qui ont été
fi folidement établis dans votre dernier Parlement.
Les égards de la G. B. pour l'arrangement fait
avec l'Irlande à cette periode ont été amplement
témoignés par des preuves inconteftables de fincérité
& de bonne foi . Ce fera toujours autant mon
you que mon devoir d'entretenir la confiance
entre les deux Royaumes , & l'union de leurs
intérêts & de leurs fentimens. Cette union doit
produire les avantages les plus folides à l'un & à
l'autre , en augmenter la force & la puiffance . Je
yous félicite de l'heureux effer des efforts de S. M.
pour rendre la paix à fes fujets ; elle favorifera la
tranquillité publique , & vos entreprises de come
merce ; les deux Royaumes pourront porter
toute leur attention fur les moyens d'accroître
la prospérité & la félicité publique. J'ai la fatisfaction
en même tems de vous annoncer l'aug
mentation du bonheur domeftique de S. M.
par la naiffance d'une nouvelle Princeffe. »
Meffieurs de la Chambre des Communes , j'ai
ordonné qu'on mit les comptes nationaux , fous
vos yeux ; ils vous mettront en état de juger de
P'état du Royaume , & j'attends de votre fageffe
& de votre loyauté , tous les arragemens quis
feront néceffaires pour le foutien du Gouvernement.
Milords & Meffieurs , la Divine Providence
fécondant les plans adoptés par le Confeil privé ,
( 22 )
a écarté les horreurs de la famine ; le prix des
grains a été réduit , & les marchés font pourvus
Les loix temporaires faites pour cet effet obtiendront
fans doute la fanction duParlement. Parmi
les objets importans qui demandent votre attention
, je vous recommande les loix pour régler
les jugemens de la Cour de l'Amirauté , & le
nouvel établiffement du Bureau de Pofte. Les
manufactures de lin fi interreffantes ppoouur votre
pays n'ont pas befoin de vous être recommandées
; la pêche fur vos côtes mérite votre confidération
comme une fource de richeffe , & vous
lui accorderez fans doute des encouragemens.
Vous devez auffi vos foins à la chartre des Ecoles
Proteftantes ; je dois également demander votre
' attention fur l'afyle accordé par le Gouvernement
aux Genevois , c'eft à la générofité du peuple Irlandois
de tendre fa protection à ces hommes induftrieux
qui peuvent procurer de grands avanrages
à ce pays qu'ils préferent à leur patrie. Je ne
vous parle pas de ce que vous pouvez faire pour
les Habitans de ce Royaume ; les dernieres élections
vous ont fourni l'occafion de voir leur état
& de connoître leurs befoins , & c'en eft affez
pour éclairer votre fageffe ; je mettrai tous mes
efforts à vous feconder dans tous les objets d'uti
lité que vous pourrez avoir en vue , ce n'eft
que par là que je puis remplir les defirs & les
ordres de S. M. & c .
Les deux Chambres , après quelques dé
bats , arrêterent leur adreffe de remerciment
comme à l'ordinaire ; on attend avec impatience
les premieres féances , pour juger fi en
effet la Cour a réuffi à s'aflurer une majorité.
On a donné une fauffe allarme au commerce
& à la nation , en publiant que le Par-
44
( 23 )
lement feroit, encore prorogé jufqu'à Noël
prochain ; le 6 de ce mois , les membres des
deux Chambres qui étoient ici , s'affemblerent
, felon l'ufage , pour fe proroger au 11
Novembre prochain , qu'elles doivent ouvrir
leurs féances , pour s'occuper des affaires de
la Nation. On prévoit de longs & vifs débats
, tant fur l'Irlande, que fur les projets de
finances qui doivent leur être préfentés ; il
eft certain qu'il eft important de remettre un
grand ordre dans ces dernieres , afin de relever
les fonds qui en ont befoin, & qu'on n'a
jamais vu dans l'état où ils font, à l'époque
d'une paix. Mais les partis à prendre à cet
égard , font fans doute d'une nature très délicate
, & ne peuvent être adoptés qu'avec
beaucoup de précaution . D'un autre côté ,
les befoins de la nation font très - conſidérables
, & fes revenus font diminués par la
féparation de l'Amérique ; ce n'eft qu'avec
le temps & de grands efforts , qu'on peut fe
flatter de parvenir à guérir les plaies que la
derniere guerre a faites à la Grande-Bretagne.
Des lettres de diverſes parties de l'Angleterre
annoncent que le manque d'argent fe
fait prefqu'autant fentir en ce moment , qu'il
le faifoit ily a deux ans ; & il eft même trèsprobable
, que ce malne ceffera qu'après que
les paiemens du dernier emprunt auront été
confommés , & que l'argent aura eu le temps
de refluer à la campagne .
La perte occafionnée , dit un de nos pa(
24 )
piers , par les dernieres fontes fraudulenfes de
notre monnoie d'or , tombe principalement
fur la banque , & il eft heureux pour elle
qu'elle fe foit procurée une quantité prodigieufe
de lingots d'or avant que ce précieux
métal fût devenu auffi cher qu'il l'eſt actuel
lement.
.
L'Efcadre deftinée pour Gibraltar , fous
les ordres du Chevalier Lindſay , a mis à
la voile , les vaiffeaux de guerre le Gange
le Goliath , l'Ardent , le Diademe & le Termagant,
font partis également pour la Méditerranée
, avec les troupes qu'elles devoient
y tranfporter. La garnifon de Gibraltar eft
actuellement compofée des 12 , 25 , 36° ,
56° , 58° & 59° Régiment , de la brigade
Hanovrienne confiftant dans les Régimens
de Reden , de la Morte & de Sidon , de cinq
compagnies d'Artillerie , & d'un corps d'Artificiers
de zoo hommes.
On lit dans nos papiers l'anecdote fuivante
:
Il y a quelques jours qu'un Prince cher à la
nation & dont la bienfaifance & l'humanité donnent
les plus grandes efpérances fe promenoit
à cheval dans le voisinage de Windfor.. Son che .
val perdit un de fes fers ; il s'arrêta à la porté
d'une cabane , où il vit un jeune homme &
une jeune fille caufant enfemble ; il renvoya
fon domestique avec fon cheval , & s'approcha
du jeune couple. La petite fille , qui étoit jolie ,
avoit attiré fon attention ; eh bien ! lui dit- il ,
en la faluant , aimable enfant quelles font les
chofes que vous conte Colin dans un fi beau
jour ;
( 257
jour ; elle fourit , Colin rougit. Quand viendra
T'heureux jour , continua le Prince . Je ne fais ,
dit la fille , mon pere dit que nous n'avons
point d'argent ... & qu'il faut attendre que j'en
ale gagné , ajouta le garçon . Et que faudroitil
, demanda le Prince , pour le fatisfaire , &
yous rendre heureux. Oh beaucoup ! il nous
faut 10 livres pour acheter notre ménage, Je
n'en ai que la moitié , c'eft encore bien loin
de la fomme , & un petit
buis
il me faudroit
furplus pour payer quelque chofe que je dois.
Charmé de la modeftie de la fille & de la bonhomie
du garçon , le Prince la prit par la main ,
& lui dit fi vous voulez rendre ce bon garçon
heureux , je vous donnerai ce qui vous manque
; mais il me faut un baifer dans ce marché
; la deffus il tira les 10 livres de fa poche ,
les remit à la fille , & reçut fes remerciemens
fur fes levres .
:
Nos papiers , pendant quelque tems , ont
beaucoup parlé du mariage d'une Actrice du
theatre de Drurylane avec un jeune Irlandois
très-riche & très-diftingué ; il étoit jeune ,
l'Actrice aimable , & ayant tous les moyens
de féduction les plus puiffans ; une lettre
d'Irlande contredit la nouvelle du mariage
en expoſant ainſi les faits .
, un
M. Loftus , fils de fir Thomas Loftus
homme de rang dans ce royaume & qui tient
aux premieres familles , eft devenu amoureux de
Miff Philipps : il lui a propofé auffi de l'époufer ;
il a fait tout ce qu'il a pu pour tenir fa parole ,
mais il n'a pu trouver aucun miniftre qui ait
voulu bénir ce mariage. Il s'eft adreffé à tous ceux
qui fe trouvent dans une étendue de 30 milles...
parent du
Tous
ont dir
que
fir
Thomas
étant
No. 44 1. Novembre 1783 . b
( 26 )
Primat d'Irlande avoit affez de crédit pour
les perdre , s'ils faifoient une cérémonie à laquelle
il ne pouvoit donner fon confentement ...
Pendant ces courfes infructueufes fir Thomas ayant
découvert où fon fils fe cachoit , l'a fait enlever
par fes gens & conduire dans un château , où il
le fait garder avec beaucoup de vigilance.
On a découvert dernierement à Dublin un
vol d'une espece affez étrange. Une femme
qui tenoit un cellier dans Charles- Street ,
porta dernierement chez M. B. T. une quan
tité de plomb qu'elle vouloit lui vendre ; celui-
ci , en examinant quelques feuilles de
cette matiere У trouva fa propre marque , &
l'infcription qu'il avoit mife fur le cercueil de
fa femme qui avoit été enterrée , 7 ans auparavant
, dans le cimetiere de Ste marie. Il
fit arrêter auffi -tôt la femme , qui ayant été
interrogée répondit qu'elle tenoit ce plomb
du foffoyeur de la Paroiffe , qui depuis longtems
lui fourniffoit celui qu'elle vendoit à
différents marchands ; cet homme enlevoit
des tombeaux , pendant la nuit , les cercueils
de plomb qui s'y trouvoient.
Pendant la foire de Wimborn , écrit- on de
Salisbury , deux filoux ont fait le tour fuivant,
Un Marchand de cette ville attendant à la porte
d'un cabaret , fut abordé par un étranger propresent
mis , qui lui fit poliment plufieurs
queftions fur la foire , le prix des denrées , & en
para lui - même d'une maniere fi fatisfaifante ,
que le marchand enchanté de fa converfation
& empreffé de la prolonger lui propofa d'entrer
& de fe rafraîchir . Il y avoit peu de momens qu'ils
étoient ensemble quand un troifieme parut ,
( 27 )
parla avec vivacité de la foire , dit qu'il vouloit
acheter un cheval blanc qu'il ne pouvoit trouver,
& ajouta qu'il avoit été recueillir à Southampton"
1500 liv. fterlings , legs d'une vieille tante , &
qu'il en avoit déjà dépensé 70 guinées depuis,
deux jours. On lui demanda comment il avoit
pu dépenfer une pareille fomme en fi peu de
temps ? Il répondit qu'il étoit tombé dans la
compagnie de quelques marins qui l'avoient fait
jouer à un jeu qu'ils appelloient l'A , B , C , &,
dans lequel il avoit perdu. Il voulut montrer à
fes auditeurs comment ce jeu fe jouoit ; ils y
confentirent les mifes furent petites le Marchand
gagna. Celui qui lui donnoit leçon étaloit
fa bourfe , railloit fes compagnons , auxquels il
ne fuppofoit pas une bourſe fi bien garnie : il les
piqua , en leur difant qu'entr'eux ils ne montreroient
pas so guinées : l'un auffi- tôt en montre
25 ; le Marchand mit fur la table une bourſe qui
en contenoit 102. Le joueur auffi - tôt parut dans
une extafe de joie . Il dit que bientôt il en feroit
le maître ; & dans une accès de folie , il prit
les deux bourfes fauta dans la chambre
?
em
chantant , & gagna la porte. Le Marchand parut
interdit : fon compagnon rioit de cette folie , &
lui dit que l'homme ne tarderoit pas à rentrer.
Comme il tarda & que le temps parut long au
Marchand , qui propoſa d'aller après cet homme ,
il lui dit d'être tranquille , qu'il alloit le ramener.
Il fortit auffi ; il s'entendoit avec le premier.
Tous deux montent à cheval & ils étoient
partis lors que le Marchand penfa à courir après
eux :il les fit pourfuivre , mais ils échapperent
dans un bois , où l'on perdit leurs traces.
On a obfervé , le 4 de ce mois , un phénomene
à-peu près ſemblable à celui qu'on a
b 2
( 28 )
vu le 8 Août dernier ; une perfonne en écrit
ainſi les détails .
A 6 heures 40 minutes , je fus frappé d'une
lumiere trés-vive , & beaucoup plus brillante que
celle de la lune quand elle eft dans fon plein ;
elle venoit derriere moi ; je me retournai , &
j'apperçus un corps de feu qui fe mouvoit vers
l'Oueft- Nord- Oueft. Il fembloit venir du côté
de la planette de Mars qui était alors à 10 dé .
grés au deffus de l'horifon ; il fembloit brûler &
traîner des flammes aprèslui , qui éclairoient encore
l'efpace par lequel il avoit paffé ; il s'évanouit
enfuite graduellement ; l'angle de l'extrémité
de la queue avec l'horifon pouvait être de 30
dégrés. Je ne l'ai pas vu à fa premiere apparition
. La meilleure conjecture qu'on puiffe for
mer für la caufe de ces phénomenes , & de celui
qui eut lieu le 18 Août eft que les courans
vapeurs inflammables qui fe forment dans
l'air , s'enflamment par leur choc entre elles
& prennent au milieu de l'air qui les environne
la forme d'un globe. Dans leurs cours , ils rencontrent
quelque fois d'autres courans , qui s'enflamment
auffi , les groffiffent & font varier de
tems en tems leur direction .
de
FRANCE.
DE FONTAINEBLEAU , le 28 Octobre.
!
M. Pelletier de Beaupré , Confeiller d'Etat
ordinaire, nommé à la place de Confeiller au
Confeil royal du Commerce, vacante par
la mort de M. de la Galaifiere , & M. le Peletier
, Intendant de Soiffons , défigné Prévôt
des Marchands de la ville de Paris, nommé .
43
3
( 29 )
à la place de Confeiller d'Etat , vacante par
la mort de M. de Boynes , eurent l'honneur de
faite le 18 de ce mois leurs remercîmens à
S. M. , & d'être préfentés enfuite à la Famille
Royale.
DE PARIS , le 28 Octobre.
Nous avons parlé des travaux dé Cherbourg
, nous avons reçu quelques détails de
ceux qui ont été commencés au Havre ; il y
a déja des plans arrêtés pour 19 , 900,000
livres.
La plus grande partie de la citadelle eft démolie
; & l'on doit conftruire une nouvelle ville fur
tout le terrein que la mer laiffe entre elle & l'embouchure
de la Seine. Il y aura 2 baffins marchands
& un baffin royal. Le baffin royal actuel
formera un des deux baffins marchands , & le
nouveau baffin royal fera en partie fur l'emplacement
des Capucins. Delà partira un canal qui ira
à Harfleur , & qui aura 20 pieds de profondeur ,
c'eft -a-dire , qu'on creufera & qu'on finira un
baffin , dont une partie avoit été commencée par
M. de Vauban . Il fervira pour éviter aux bois de
conftruction & à tout ce qui viendra de Rouen ,
de faire le tour de l'entrée du Havre . Il y aura
deux éclufes de chaffe pour nétoyer l'entrée du
chenal. D'après ce plan , les 3 baffins fe trouveront
au centre de la ville ; & elle n'aura plus de
citadelle , jufqu'à ce que tout le monde foit convaincu
qu'elle eft de néceffité. Le Havre va devenir
en conféquence une belle & grande ville ;
bien des gens croient cependant qu'il n'y pourra
jamais entrer que des vaiffeaux de 50 canons au
plus.
b. 3
( 30 )
&
Selon les lettres de Dieppe , on y travaille
également ; mais les travaux y font moins
confidérables , quoique plus avancés. Il y a
une belle & grande éclufe , dont la direction
eft fur l'Eglife de l'Oratoire , & faite
pour l'ouverture qu'on doit y pratiquer ,
parce que l'entrée actuelle du port ne vaut
rien , & qu'elle eft même en partie comblée
par le galet. On prétend que l'éclufe qui operera
dans un an , nettoyera ce galet , en attendant
l'exécution du grand projet dont
elle eft le but. Alors il y aura un baffin qui
pourra recevoir des vaiffeaux de même
deur qu'au Havre.
gran-

Notre port , écrit on de Dunkerque , eft
toujours dans le même état ; & l'on ne parle pas
encore de le rétablir. Ce n'eft pas qu'il n'y ait
beaucoup de projets donnés par les Directeurs &
les 'Ingénieurs de la Province ; en général , ils
propofent tout fimplement les vues de M. de
Vauban , de rétablir le baffin , de faire curer le
port & le chenal , de rétablir l'éclufe de chaffe .
enfin de reconstruire les jettées , les forts , & c .
Ce feroit , dit-on , une dépenfe de 7 à 8 millions.
Quant aux fortifications de terre , il ne faut plus
penfer aux anciennes fondations : elles exiftent à
Ja vérité ; mais comme Dunkerque eft agrandi
d'un tiers , ces fondations font dans la ville , &
la plus grande partie a été enlevée par les propriétaires
qui ont bâti. Ainfi , & l'on veut fortifier
du côté de terre , il faudra porter la premiere
enceinte bien au delà de l'ancienne , dans
un terrein mort , où des pilots de 30 pieds fe
perdent. -Dunkerque eft fans doute la gauche
de la premiere ligne ; cependant il eft douteux
( 319 )
qu'on y travaille de fi - tot , parce qu'on ne peut
travailler à tout en même temps.
La Médaille que le Congrès a décerné à
M. de Fleury , Major du Régiment de Saintonge
, & Lieutenant- Colonel au fervice des
Etats -Unis , après la prife de Stony- Point ,
lui a été remife par M. Franklin , qui lui a
écrit en même temps la lettre fuivante .
» M. j'ai l'honneur de vous envoyer , conformément
aux ordres du Congrès , la Médaille qu'il
m'a ordonné de faire frapper , en mémoire de
votre belle action , à l'attaque du fort de Stony.
Point , pour vous la préfenter en fon nom . Je
remplis ce devoir avec plaifir , ayant moi -même
une haute opinion de votre mérite . Je defire que
vous puiffiez porter pendant une longue vie cette
marque honorable de la confidération des Etats-
Unis. Je fuis avec une grande eftime , &c . figné ,
B. FRANKLIN .
e
Cette Médaille avoit été donnée à M. de
Fleury en 1779 , & frappée à Paris par ordre
du Congrès ; fon abfence ne l'avoit pas mis
à portée de la recevoir jufqu'à préfent. Ce
fort étoit défendu par le régiment Anglois
, les Grenadiers Ecoffais du 71e , régiment
, 2 compagnies de Rangers ( Chaffeurs )
une compagnie d'artillerie ; 18 pieces de canons
, 12 obufiers , 2 mortiers ; l'efcadre
mouilloit aupied , & le protégeoit vers l'Hudfon.
Dans l'affaire , dit le Général Washington
dans fa lettre au Congrès , M. de Fleury
commandant une des attaques , fut le premier
qui fauta dans le fort , & prit le pavillon Anglois
de fa propre main. La médaille repréb4
( 3232 )
fente
d'un
côté
le fort
dé Stony
Point
, avec
cette
légende
: aggeres
, paludes
, hoftes
victi
;
& fur
l'exergue
: Stony
-Point
expug
. xv. Jul
.
1779
; & de
l'autre
, un
Guerrier
qui
prend
& foule
aux
pieds
un
drapeau
, avec
cette
légende
virtutis
& audacia
monumentum
&
præmium
; & fur
l'exergue
: D.
de
Eleury
,
Equiti
Gallo
, primo
fuper
muros
Respubl
.
Amer
. DD
.
Dans le temps des neufannées qu'a duré la guerre
Américaine , le Congrès a accordé huit Médailles ;
M. de Fleury & M. le Chevalier de Cambrai font les
feuls étrangers qui aient reçu cette marque de diftinction
. On fera bien aife, fans doute,de trouver ici
la lifte de ces Médailles , leurs occafions , & les noms
des Officiers qui en ont été honorés . -La premiere
fut accordée en 1776 , au Général Washington
après la prife de Bofton . La feconde au Général
Gates , en 1777 , à l'occafion de la prise de l'armée
du Général Burgoyne , à Saratoga. La prife
du Fort de Stonypoint fut l'action pour laquelle
il en fut accordé trois en 1779 , l'une au Général
Wayne , qui commandoit en chef l'attaque
de ce Fort , l'autre à M. de Fleury , & la derniere
au Lieutenant- Colonel S. Evrard , qui eft
mort dans la même année ; & il en fut accordé
encore une , qui fut la fixieme , au Colonel Lée ,
pour la prise de Paulus Hook . En 1780 on donna
la feptieme & la huitieme au Général Morgan & au
Lieutenant Colonel Howard , après la priſe du
Colonel Tarleton.
Le Capitaine Afgill , dont le fort a infpiré
tant d'intérêt , & dont la délivrance a caufé
une joie générale , eft arrivé ici avec ſa mere
⚫ & fes deux foeurs; il a dû fe rendre à Fontai(
33 )
bleau , pour remercier M. le Comte de Vergennes
de la puiffante interceffion à laquelle
il doit la vie.
» Ses foeurs font très-aimables , & l'aînée furtout
est belle comme un Ange. Elle n'eft , diton
, pas encore bien guérie de la cruelle attaque
de nerfs qu'elle reffentit , & qui fit craindre pour
fes jours , lorfqu'elle apprit le trifte fort dont fon
frére étoit menacé ; elle y prenoit d'autant plus
de part , que c'étoit à fa follicitation que fon pere
avoit eu la condefcendance de permettre que fon
fils entrât dans les Gardes Angloifes , & qu'il
pafsât en Amérique. --Ce jeune Officier raconte
qu'il a vu pendant 2 mois à 50 pas des fenêtres
de fa prifon , la potence à laquelle il devoit être
attaché ; il y a été conduit trois fois , & trois fois
fon bonheur a voulu que le furfis arrivât jufqu'à
celui qui lui a rendu fa liberté. Ce n'étoient pas ,
à ce qu'il dit , les approches de cette mort ignominieufe
qui le tourmentoient le plus , puifque
n'ayant aucun efpoir de l'éviter , il auroit voulu
en preffer le moment ; c'étoit la foule du peuple ,
de foldats , qui , pour quelque monnoie , avoit la
liberté de le venir voir tous les jours dans fa prifon
, & qui demandoit qu'il ne fût pas fouftrait
aux juftes repréfailles auxquelles le fort l'avoit
condamné. Il faut avoir beaucoup de courage &
de force d'efprit , pour n'avoir pas fuccombé à
uue fituation auffi violente & auffi longue , car
elle a duré 3 mois.
Un témoin oculaire des dernieres expériences
de la Machine acroftatique de M. de
Mongolfier , nous a fait paffer les détails fuivans
, qui peuvent piquer la curiofité de nos
lecteurs.
Ces expériences furent terminées le 19 de co
bs
( 34 )
mois , en préfence de plus de 200 perfonnes , &
ce jour-là , elles eurent tout le fuccès qu'on pouvoit
défirer ; la compagnie préfente à celles du
17 avoit été encore plus brillante . La machine
ne s'étoit pas élevée à une grande hauteur , ni
avec facilité ; ce qui provenoit de la contrariété
du vent , du trop grand poids de la galerie , &
peut- être de ce qu'au lieu de bouchons de paille ,
on fournit à M. Pilatře du Rozier des bottes entieres
, qui étouffoient quelquefois le feu , au lieu
de le vivifier. M. de Montgolfier fentit la néceffité
de fupprimer une grande partie de la galerie ,
& de ne conferver que deux ou trois efpeces de
guérites , capables de contenir les hommes & les
matieres qui doivent alimenter le fourneau ; il fit
auffi les farmens & la paille par poignées , & non
en tas . Ces changemens , fecondés par un temps
calme , qui permit aux cordes de ne point tirailler
Ja machine , produifirent les plus heureux effets .
A la premiere expérience , la machine s'éleva à la
hauteur de 200 pieds , & s'y foutint fix minutes ,
fans qu'il fût befoin de renouveller le feu ; à la
feconde , la machine fut fe repofer fur un quinconce
d'un jardin voifin ; mais on n'eut pas plutôt
fourni des matieres à M. du Rofier , qui avoit
confumé toutes celles enfermées dans fa guérite
, qu'elle s'éleva de nouveau. La troifieme fois,
un fecond compagnon de voyage fe joignit à M. du
Rofier; la machine s'éleva à 324 pieds , & fe foutint
à cette hauteur environ 10 minutes. Si elle
n'eût pas été retenue par des cordes , on calcule ,
par la viteffe avec laquelle elle montoit , qu'elle
fe feroit élevée au moins à 1200 toifes de hauteur.
Ces expériences prouvent donc que la machine
peut s'élever & s'abaiſfer à volonté, fans qu'il y
ait le moindre rifque pour les perfonnes qu'elle
porte. Celles qui s'éleverent le 19 , difent qu'elles
( 35 )
ne fentirent aucune espece de mouvement , &,
qu'en ne fixant rien , lorfqu'on n'a aucun objet
de comparaifon , il eft impoffible de deviner fi
la machine monte ou defcend , fi elle est en repos
ou non ; à 324 pieds ils voyoient un horifon immenfe
, & Paris ne leur paroiffoit que comme
une table , où l'on auroit dreffé un modele en
relief d'une grande ville.,
Le fuccès de ces expériences exerce beaucoup
les fpéculatifs , & tous ceux qui ont de
l'imagination , ne manquent pas d'en tirer
de grandes conféquences ; pour nous , qui
nous difpenfons de prévoir , & qui nous contentons
d'attendre patiemment les réſultats ,
& d'en rendre compte , nous recueillerons
quelques obfervations que nous placerons
ici.
Jet
Ileft difficile de penfer , puifque les expériences
n'ont été terminées que depuis peu de jours , que
la Société royale de Londres ait répondu au Roi
d'Angleterre , il y a près d'un mois , qu'elles
n'aboutiroient à rien d'intéreffant , & qu'il étoit
inutile de les répéter. Les papiers anglois paroiffent
avoir inventé cette réponse ; & ce qui
Je prouve , c'eft que M. Banks , qu'ils difent avoir
été chargé de la faire au Roi , eft depuis longtemps
en Irlande. On peut répliquer , non à la
Société royale , mais aux Journaliſtes Anglois ,
jaloux peut-être de la découverte , que cette machine
peut dès aujourd'hui fervir à élever à de
grandes hauteurs des fardeaux énormes , elle peus
fervir auffi à des fignaux , &c. &c. Si l'on parvient
à s'en rendre encore plus maître , à la diriger à
volonté , elle peut offrir bien d'autres avantages .
Quelqu'un obferye encore que fi l'on en fait ufage
à la guerre , les boulets qui pourroient l'atteindre
BG
( 36 )
-
n'y feroient qu'un trou , & que cela feroit fans.
conféquence , parce qu'il y en a plus de 30 à celle
de M. de Montgolfier , qui ont été faits par le feu ,
& qui ne l'empêchent pas de s'élever. La perfonne
qui avoit parié qu'en moins d'un an il y
auroit des hommes qui s'éleveroient avec cette
machine , offre , dit - on , de faire les frais que
pourroient couter la conftruction d'une autre machine
, & les expérieuces à faire ; elle croit qu'en
moins de fix ans , en choififfant un vent favorable ,
on paffera avec elle de Calais fur la côte d'Angleterre.
La machine , par un vent foible , parcourut
à Versailles l'efpace d'un mille & demi :
elle mettroit donc une heure dix minutes de
Calais à Douvre , & bien moins fi le vent eft
frais . La derniere expérience que M. de Montgolfier
fera cette année , aura lieu dans quelques
jours fur la grande pelouſe , vis- à- vis la Muette :
deux hommes y monteront , & la machine fera
abandonnée à elle-même.
Nous fommes en état de donner aujourd'hui
le Traité de paix , d'après le texte original
, & non d'après des traductions.
Lours par la grace de Dieu , Roi de France &
de Navarre : A tous ceux qui ces préfentes verront
; Salut. Comme notre très-cher & bien amé
le Comte de Vergennes , Conſeiller en tous nos
Confeils , Commandeur de nos Ordres , Chef de
notre Confeil Royal des Finances , Confeiller
d'Etat d'épées , Miniftre & Secrétaire d'Etat , de
nos Commandemens & Finances ,, en vertu du
plein pouvoirque nous lui en avons donné , auroit
conclu , arrêté & figné le 3 du préfent mois de
Septembre , à Verfailles , avec le fieur Duc &
Comte de Mancheſter , Confeiller privé aquel de
notre très - cher & très- amé frere le Roi, de la
Grande Bretagne , & fon Ambaſſadéu : extraor(
37 37')
dinaire & Plénipotentiaire auprès de nous , égale
ment muni de fon plein pouvoir , le Traité
définitif de Paix & les articles féparés , dont la
teneur s'enfuit.
Au nom de la très-fainte 5 indivifible Trinité , Pere,
Fils & Saint- Efprit. Ainfi foit - il.
Soit notoire à tous ceux qu'il appartiendra , ou
peut appartenir en maniere quelconque. Le
féréniffime & très- puiffant Prince Louis XVI ,
par lagrace de Dieu , Roi très - Chrétien de France
& de Navare ; & le féréniffime & très - puiffant
Prince GEORGE III , par la grace de Dieu , Roi
de la Grande- Bretagne , Duc de Brunſwick & de
Lunebourg , Archi- Tréforier & Electeur du
faint Empire Romain , defirant également de faire
ceffer la guerre qui affligeoit depuis plufieurs an- .
nées leurs Etats refpectifs , avoient agréé l'offre
que L. M. l'Empereur des Romains & l'Impératrice
de toutes les Ruffies leur avoient faite de leur
entremiſe & de leur médiation : mais L. M. T. C.
& B. , animés du defir mutuel d'accélérer le rétabliffement
de la paix , fe font communiqué leur
louable intention , & le Ciel l'a tellement bénie ,
qu'elles font parvenues à pofer les fondemens de la
paix , en fignant des articles préliminaires à Verfailles
le 20janvier de la préfente année . - L . M.
le Roi T. C. & le Roi de la G. B. , ſe faiſant un
devoir dé donner à L. M. I. une marque éclatante
de leur reconnoiffance de l'offre généreuſe
de leur médiation , les ont invités , de concert , રે
concourir à la confommation du grand & falutaire
ouvrage de la paix , en prenant part , comme Médiateurs
, au Traité définitif à conclure entre
L. M. T. C. & B .. L. M. I. ayant bien voulu
agréer cette invitation elles ont nommé pour
les repréfenter ; favoir , S. M. l'Empereur des
Romains , le très-illuftre & très excellent Seigneur
Florimond , Comte de Mercy - Argenteau , Vi-
"
( 38 )
2
comte de Loo , Baron de Crichegnée , Chevalier
de la Toifon d'or , Chambellan , Confeiller d'Etat
intime actuel de S. M. & R. A. , & fon Ambaffadeur
près S. M. T. C.: Et S. M. l'Impératrice
de toutes les Ruffies , le très - illuftre & trèsexcellent
Seigneur Prince Iwan Bariantinskoy
Lieutenant général des armées de S. M. I. de
toutes les Ruffies , fon Miniftre plénipotentiaire
près S. M. T. C., Chevalier des Ordres de Sainte
Anne & de l'épée de Suede ; & le Seigneur Arcadi
de Marcoff , Confeiller d'Etat de S. M. I. de
toutes les Ruffies , & fon Miniftre Plénipotentiaire
près S. M. T. C.- En conféquence , L. M. le
Roi T. C. & le Roi de la G. B. ont nommé &
conftitué pour leurs Plénipotentiaires ; chargés
de conclure & figner le Traité de paix définitif ;
favoir , le Roi T. C. , le très- illuftre & très - excellent
Seigneur Charles Gravier , Comte de
Vergennes , Baron de Welferdin , &c. Confeiller
du Roi en tous fes Confeils , Commandeur de fes
Ordres , Chef du Confeil Royal des Finances ,
Confeiller d'Etat d'épée , Miniftre & Secrétaire
d'Etat & de fes Commandemeus & Finances ; &
le Roi de la G. B. , le très- illuftre & très- excel-
Jent Seigneur George , Duc & Comte de Manchefter
, Vicomte de Mandeville , Baron de
Kimbolton , Lord- lieutenant & Cuftos rotulorum
de la Comité de Huntington , Confeiller actuel de
S. M. B., & fon Ambaffadeur extraordinaire &
plénipotentiaire près S. M. T. C.; lefquels , après
s'être dûment communiqué leurs pleins pouvoirs
en bonne forme , font convenus des articles dont
la teneur s'enfuit : 1. Il y aura une Paix chrétiennne
, univerſelle & perpétuelle , tant par mer
que par terre, & une amitié conftante fera rétablie
entre L. M. T. C. & B. , & entre leurs héritiers
& fucceffeurs , royaumes , états , provinces ,
N
( 39 )
pays , fujets & vaffaux de quelque qualité & condition
qu'ils foient , fans exception de lieux ni de
perfonnes : en forte que les Hautes - Parties contractantes
apporteront la plus grande attention à
maintenir entr'elles & leurfdits Etats & Sujets ,
cette amitié & correfpondance réciproques , fans
permettre dorénavant que
de part ni d'autre on
commette aucune forte d'hoftilité par mer ou par
terre , pour quelque caufe & fous quelque prétexte
que ce puiffe être ; & on évitera foigneufement
tout ce qui pourroit altérer à l'avenir l'union
heureufement rétablie , s'attachant au contraire à
fe procurer réciproquement , en toute occafion ,
tout ce qui pourroit contribuer à leur gloire , intérêts
& avantages mutuels , fans donner aucun
fecours ou protection directement ou indirectement
à ceux qui voudroient porter quelque préjudice
à l'une ou à l'autre defdites Hautes- Parties
contractantes. Il y aura un oubli ou amniftie générale
de tout ce qui aura pu être fait ou commis
avant ou depuis le commencement de la guerre
qui vient de finir. 2. Les Traités de Weftphalie de
1648 , les Traités de Nimègue de 1678 & 1679 ,
de Rifwick de 1697 , ceux de Paix & de Commerce
d'Utrect de 1713 , celui de Baden de 1714,
le Traité de la triple alliance de la Haye de
1717 , celui de la quadruple alliance de Londres
de 1718 , le Traité de paix de Vienne de 1738 ,
le Traité définif d'Aix - la - Chapelle de 1748 , &
celui de Paris de 1763 , fervent de bafe & de
fondement à la paix & au préfent Traité ; &
pour cet effet ils font tous renouvellés & confirmés
dans la meilleure forme , ainfi que tous les
Traités en général qui fubfiftoient entre les Hautes
Parties contractantes avant la guerre ,
comme s'ils étoient inférés ici met à mot ; enforte
qu'ils devront être obfervés exactement à l'avenir
-

&
( 40 )
dans toute leur teneur ; & religieufement exécutés
de part & d'autre dans tous les points auxquels
il n'eft pas dérogé par le préfent Traité de paix .
3°. Tous les prifonniers faits de part & d'autre ,
tant par terre que par mer , & les ôtages enlevés
ou donnés pendant la guerre & jufqu'à ce jour ,
feront reftitués fans rançon dans fix femaines au
plus tard , à compter du jour de l'échange de la
ratification du préfent Traité ; chaque Couronne
foldant refpectivement les avances qui auront été
faites pour la fubfiftance & l'entretien de fes prifonniers
, par le Souverain du pays où ils auront
été détenus , conformément aux reçus & états
conftatés & autres titres authentiques qui feront
fournis de part & d'autre ; & il fera donné réciproquement
des fûretés pour le paiement des
dettes que les prifonniers auroient pu contracter
dans les Etats où ils auroient été détenus jufqu'à
leur entiere liberté : Et tous les Vaiffeaux , tant
de guerre que marchands , qui auroient été pris
depuis l'expiration des termes convenus pour la
ceffation des hoftilités par mer , feront pareillement
rendus de bonne foi avec tous leurs équipages
& cargaifons ; & on procédera à cet article ,
immédiatement après l'échange des ratifications
de ce Traité. 4° . S. M. le Roi de la G. B. eſt maintenue
en la propriété de l'île de Terre- Neuve &
des îles adjacentes , ainfi que le tout lui a été affuré
par l'article XIII du Traité d'Utreht , à
l'exception des îles de Saint- Pierre & Miquelon ,
lefquelles font cédées en toute propriété , par le
préfent Traité à S. M. T. C. 5. S. M. le Roi
T. C. , pour prévenir les querelles qui ont eu lieu
jufqu'à préfent entre les deux Nations Françoiſe
& Angloife , confent à renoncer au droit de pêche
qui lui appartient , en vertu de l'article XIII
fufmsationné du Traité d'Utreht , depuis le cap
( 41 )
Bonavifta jufqu'au cap Saint-Jean , fitué fur la
côte orientale de Terre-Neuve par les 50 degrés
de latitude feptentrionale : Et S. M. le Roi de la
G. B. confent de fon côté que la pêche affignée
aux Sujets de S. M. T. C. , commençant audit
cap Saint Jean , paffant par le nord , & defcendant
par la côte occidentale de l'île de Terre- Neuve ,
s'étende jufqu'à l'endroit appellé Cap - Raye , fitué
au quarante-feptieme degré cinquante minutes de
latitude . Les Pêcheurs François jouiront de la
pêche qui leur eft affignée par le préfent article ,
comme ils ont eu droit de jouir de celle qui leur
eft affignée par le Traité d'Utrecht . 6º. A l'égard
de la pêche dans le golfe Saint -Laurent , les François
continueront à l'exercer conformémant à
l'article V. du Traité de Paris . 7° . Le Roi de la
G. B. reftitue à la France l'île de Sainte - Lucie
dans l'état où elle s'eft trouvée , lorfque les armes
britanniques en ont fait la conquête ; & S. M. B.
cede & garantit à S. M. T. C. l'île de Tabago .
La fuite à l'ordinaire prochain.
DE BRUXELLES , le 28 Octobre..
Selon les lettres de Hollande , les mesures
qu'on fe propofe de prendre dans chaque
province , relativement à la Jurifdiction militaire
, font plus avancées dans la Zélande ,
que dans quelques autres , & s'y trouvent
portées à une plus grande préciſion encore
que dans celle de Hollande.
Les Etats ont rendus une proclamation par
laquelle tous les militaires doivent fuivant les
loix fondamentales de la Zélande comparoître
devant les tribunaux civils ordinaires dans toutes
leurs affaires civiles & criminelles ; on n'excepte
1º que les délits purement militaires tels qu'un
manquement contre la difcipline militaire feule ,
& dans le cas qu'il n'y aura point d'autre délit
( 42 )
31
commun commis en même tems . 2 ° . Le cas ou
un crime ayant été commis par un militaire
contre un autre militaire de la même garnifon ,
le juge militaire auroit déja faifi le délinquant.
Il fera laiffé cependant aux Suiffes le droit
de propre juftice , autant qu'il fe trouve fondé
fur les traités faits entre cette république & le
corps helvétique. Si un militaire s'eft rendu
coupable de haute trahifon dans cette province
en voulant remettre ou en ayant remis fon pofte
à l'ennemi , le juge militaire ne pourra s'emparer
du jugement de ce cas S'il arrivoit
inopinément qu'en aucun tems & dans des cas
particuliers il s'élevât des difficultés fur l'intention
des Etats à cet égard , ils feront connoître
leurs réfolutions ultérieures .
En conféquence de cette proclamation
les Militaires en garnifon dans la Zélande ,
doivent ajouter au ferment qu'il eft d'ufage
d'exiger d'eux , qu'ils exécuteront auffi ftrictement
& feront exécuter les ordres & les réglemens
faits ou à faire par L. N. P. les Seigneurs
Etats de Zélande.
Il eft plus que probable , lit- on , dans une
lettre de Pologne , qui a été copiée dans pref.
que tous les papiers du Nord , que l'hyver fe
paffera fans hoftilités. Le Divan par fes négo-.
ciations & quelques facrifices auxquels il fe foumet
encore , eft parvenu à conjurer ou du moins
à retarder l'éclat de l'orage qui le menaçoit. On
"ne répondroit pas cependant qu'au Printems prochain
il ne cherchât à l'affronter . On fera fans doute
honneur de cet arrangement & de ce changement
dansles difpofitions des Princes intéreffés à cet événement
, à quelque médiation puiffante ; elle
n'aura furement pas peu fervi ; mais bien des
( 43 )

perfonnes prétendent que quelques circonftances
ont contribué à fufpendre , fi elles n'ont pas
étouffé l'incendie ; & que fi la Ruffie avoit eu des
fonds pour deux campagnes feulement , & que
fi l'Autriche avoit pu obtenir de la Cour de
Berlin quelques affurances pofit.ves fur le parti
quu'elle prendra , aucune négociation n'auroit empêché
le plan dont l'exécution paroiffoit arrêtée
pour cet hyver » .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL . ET AUTRES .
On travaille dans plufieurs Corderies de la Marine
à faire des cordages pour l'Impératrice de
Ruffie avec le chanvre qui eft arrivé derniérement
du Nord.
Nos Négociants s'occupent avec ardeur du
Commerce de la Méditerranée , & ils ont l'efpoir
de le voir , par la fuite , tourner à l'avantage
de l'Angleterre , & devenir peut - être
plus intéreffant que celui de l'Amérique..
Les Lettres reçues hier de Gibraltar portent
que le Dey d'Alger donne toutes fortes d'encouragemens
aux Armateurs pour armer des
Vaiffeaux contre les Espagnols. Il y a maintenant
à Alger quelques Officiers Anglois qui attendent
du commandement.
Les Marchands Américains fe plaignent de ce
que les Marchands François leur ont fouvent
envoyé de la Taillanderie à un prix très - cher
& d'une très- mauvaiſe qualité . La nôtre etant
d'une qualité bien fupérieure , il eft à préfumer
que tant que les Américains n'auront pas établi
de Manufactures de ce genre , ils préféreront
notre Taillanderie.
Il y a 1o ans qu'une grande Princeffe écrivoit
à Voltaire » Seriez-vous fâché de me voir
à Conftantinople , habillée à la Greque , &
une couronne fur la tête ? ». Si l'événement
peut juftifier que c'étoit , dès ce temps , un défir
( 44 )
effectif dont on auroit préparé , pendant 10 ans ,
le moyen de le fatisfaire , notre fiècle pourroit
fe vanter d'avoir vu , dans une espace de temps
affez bref, trois révolutions , dont les Annales
antérieures ne peuvent fournir d'exemple . La
fouftraction' d'une portion de République autre .
fois formidable , partagée en trois parts ; la fondation
d'une , plus confidérable qu'aucune de
celles exiftantes ; & l'union de deux grands Empires
contre un troifieme pour le réduire à mois
tié. Gazette de Deux -Ponts , No. 81 .
Le Roi de Suede , a , dès le 28 du mois dernier
, commencé fon Voyage pour le Midi de
l'Europe. On a fçu auffi que le plan de ce
Voyage royal eft confidérablement changé ,
& qu'au lieu de prendre fa route par Berlin ,
Vienne , & Dreſde , comme on l'avoit cru d'abord,
le Monarque Suédois fe rendra , le long
des Frontieres de France , par la Suiffe , en Italie ,
& que S. M. ne vifitera ces Cours refpectives ,
qu'à fon retour, dans 7 à 8 mois d'ici . Ce Voyage,
mais en particulier ce changement de route ,
intrigue beaucoup les Politiques de l'Empire.
Gazette d'Amfterdam , No. 83 .
Le Roi de Suede , qui , n'étant encore que
Prince héréditaire , fe trouvoit , il y a quelques
années , à Paris , lorfqu'il apprit la mort du
Roi fon pere , ce qui l'obligea de quitter en
hâte cete Ville fans avoir pu examiner ce
qu'elle renferme de plus remarquable , y eft ,
dit-on , attendu après fon Voyage en Italie . Supplément
à la nouvelle Gazette , No. 83 .
>
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND'CHAMBRE.
Le 13 Juillet 1779 , le Comte de V... vendit
la Terre de P... en Bourbonnois. L'acquereur
dépofa fon contrat au Greffe de la Sénéchauffée
de Moulins , & obtint des Lettres da
-
( 45 )·
ratification qui furent fcellées le 15 Février
1780 , à la charge de quarante-trois oppofitions.
Il étoit queftion de procéder à la diftribution
du prix ; le Comte de V... avoit entre
autres Créanciers , le fieur Delaulaigne , qui ,
ayant droit de Committimus aux Reqnêtes du
Palais , avoit fait plufieurs pourfuites fur des
Saifies- Arrêts. Le 12 Février 1780 , le fieur Delaulaigne
, en vettu de fon Committimus , & à caufe
des conteftations déjà pendantes aux Requêtes
du Palais , y fit affigner tous les Créanciers oppofans
, pour voir procéder à l'ordre ; l'acquereur
pour dépofer fon prix , & le Comte de
V... en déclaration de Sentence commune.
Plufieurs Créanciers fe réunirent pour demander
leur renvoi en la Sénéchauffé de Moulins.
Le Procureur du Roi en ce Siége a
revendiqué la cauſe . Une Sentence du 17:
Juillet 1781 rendue contradictoirement aux Requêtes
du Palais , retint la cauſe . ---- Appel
en la Cour par le Procureur du Roi en la Sénéchauffée
de Moulins , comme de deni de renvoi.
Arrêt du 26 Juillet 1783 qui a renvoyé
l'inftance d'ordre dont il s'agit , par devant
les Juges de la Sénéchauffée de Moulins.
GRAND CHAMBRE.
Teftament attaqué.
Le 26 Janvier 1757 , Etienne Rofier , Habitant,
de Vaux en Beaujolois , par un teftament
devant le fieur Meynier , Curé de ce lieu , inf
titua Etiennette Collier , fa feconde femme
fon héritiere univerfelle , à la charge de remettre
la fucceffion à Thomas - Rofier , fon fils ;
inftitua Marguerite Rofier , fa fille aînée d'un
premier lit , pour 6 liv. , outre la conftitution
de dot qu'il lui avoit payée ; enfin il donna à
Claudine Rofier 300 liv . payables à fa majorité
ou à fon mariage , & quelques meubles , vou(
46 )
-
-
lant que , jufqu'au payement , elle fut élevée &
entretenue felon fa condition . Ce teftament ,
fait en préfence de fept témoins , a été figné par
trois feulement , les autres , ( porte ce teftament)
de même que le teftateur , pour ne favoir , de
ce enquis , & fommés fuivant l'Ordonnance.
En 1764 ce teftament fut déposé chez un
Notaire. I paroît que la femme Rofier at
effectué les volontés du teftateur , en remettant
à fon fils la totalité de la fucceffion , & qu'elle
vint demeurer chez fa fille Claudine Rofier
mariée au nommé Gouillon. Après les dé
cès de la femme Rofier , arrivé en Septembre
1770 , Gouillon & fa femme formerent une demande
contre Thomas Rofier , pour être payés
des fommes léguées , tant à la femme Gouillon
qu'à fa mere dans le teftament dont il s'agit.
Les Parties fe rapprocherent bientôt , & tranfigerent
par Acte du 18 Décembre 1780 ; toutes
les répétitions de la femme Gouillon y furent
fixées à 674 liv. La femme Gouillon n'avoit
alors que 24 ans. Le 20 O&obre 1779
Gouillon & fa femme donnerent quittance à
Thomas Rofier de la fomme de 99 liv . 19 fols de
rente , & pour fin de payement , principal & in
térêts des claufes du traité paffé entre les Par- :
ties fous fa datte . -- Gouillon & fa femme
ont pris des Lettres de refcifion contre l'Acte
du 18 Décembre 1770 , & le 8 Mai 1781 , ils
en ont pourfulvi l'enthérinement au Bailliage
de Vaux , qui le prononça par une Sentence
rendue par défaut , & le partage de la fucceffion
fus ordonné. Thomas Rofier en interjetta
appel à Ville Franche. Le 27 Février 1782 ,
Sentence contradictoire & fur délibéré qui confirma
celle du premier Siége, Thomas Rofier en a interjetté
appel en la Cour, & par Arrêt du 19 Juillet
1783 la Sent, a été confirmée avec amende & dep,
( 47 )
Grand Chmbre:
Sur quelles créances impute - t- on des payemens
partiaires ? & des cautions judiciaires
obligées folidairement , peuvent - elles propofer
l'exception de difcuffion , après conteftations fur
des biens déjà vendus ? En 1744 , Nicolas
Cheny , Marchand , à Chaumont , fe rendit adjudicataire
à titre de bail , pour fix années de
la moitié des droits d'ocrois appartenans à la
Ville. A l'expiration de ce premier bail ,
Cheny devoit une fomme d'environ 5000 liv.
Le 13 Décembre 1749 il fe rendit de nouveau
adjudicataire des mêmes droits pour fix autres
années , fous le cautionnement folidaire de Pierre
Mangin & de Nicolas Maillet , certificateurs ,
moyennant 5250 liv. par année. Cheny fit
deux payemens pendant le cours du deuxieme
bail. Les Officiers municipaux veulent les imputer
fur les 5000 liv. que Cheny, devoit , de
maniere que ce dernier reftoit encore leur débi
teur de 1843 liv, 5 fols 7 den. Le 27 Oc
tobre 1756 , Cheny fe rendit encore adjudicataire
, à titre de bail , pour fix autres années.
des mêmes droits , moyennant 5400 liv. , & fol
pour livre pour chacun an , fous le même cautionnement
de Mangin & d'Etienne Parifot
qu'il donna pour certificateurs. A l'expira
tion de ces différentes adjudications , Cheny s'eft
trouvé débiteur envers la Ville de 5654 liv . s
fols , déduction faite de ce qui avoit été payé
par lui. Le 12 Septembre 1743 , il a été
décerné une contrainte par le Receveur de la
Ville , 19, contre Cheny , Nicolas Maillet &
Pierre Mangin , caution & certificateur pour la
fomme de 2842 liv. 5 fols 7 den. , pour reftant
du prix de l'adjudication du 13 Décembre
1749 , échues le 1 Janvier 1756. 20 contre lef
dits Cheny , Mangin , & Parilor , pour la fom
-
( 48 )
-
-
me de 5811 liv. , à caufe de l'adjudication du
27 Octobre 1756.. Les Officiers municipaux
de Chaumont ayant fait des Saifies- Arrêts
Tur quelques débiteurs de Cheny , & ces débiteurs
ayant fourni leurs déclarations affirmatives
en l'Election de ladite Ville , il eft intervenu
une Sentence le 13 Septembre 1763 , en vertu
de laquelle les Officiers municipaux ont reçu ,
plufieurs fommes , montantes enſemble à 2611
liv. 2 fols 4 den . , que lesdits tiers faifies ont
déclaré devoir, Mangin avoit été faifi exécuté
dans fes meubles : la vente en avoit été
faite , & le prix étoit refté entre les mains de
l'Huiffier qui y avoit procédé. Les Officiers
municipaux de Chaumont formerent oppofition
für ce prix , ce qui donnera lieu à une inftance de
préférence & de contribution , pour le jugement de
laquelle les Parties furent renvoyées devant un
Avocat , dont l'avis fut que les Officiers municipaux
devoient être colloqués au premier ordre
fur les deniers reftans du prix de la vente faite fur
Mangin . --Les Officiers municipaux ont demandé
l'homologation de cet avis . Sur cette conteftation
les Juges de Chaumont appointerent les Parties.
Appel par les Officiers municipaux . Les Parties
ont conclu à l'évocation du Principal . --Arrêt du
6 Septembre 1783 par lequel la Sentence a été infirmée
, l'avis dont il s'agit homologué , & le paie-
´ment de la créance des Officiers municipaux ordonné
par privilege & préférence.
Les quatre derniers volumes du Répertoire univerfel &
raifonné de Jurifprudence , c'est - à- dire , les Tomes 61 à
64 devant être délivrés gratis aux Soufcripteurs , font imprimés.
On prévient les perfonnes qui ont un certain nombre
de volumes du niême Ouvrage , qu'il eft néceflaire
qu'elles en retirent les fuites d'ici au 25 Décembre prochain
. A cette époque il ne fera plus livré de volumes détachés
, & l'on ne pourra fe procurer que des Exemplaires
complets , dont chacun coûtera 300 1, br . & 364 1. rel.
2
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
DE CONSTANTINOPLE , le 16 Septemb.
ES préparatifs de guerre font pouffés
avec la plus grande vivacité. Les équipages
de l'efcadre du Capitan Bacha font
complets ; on continue les conftructions des
petits bâtimens de 6 & de 8 canons , qu'on
deftine à mettre à terre les troupes qu'on enverra
dans la Crimée , fi les différends actuels
ne s'arrangent pas.
La fête du Bairam s'eft paffée fans qu'il y
ait eu aucun des changemens que l'on s'était
hâté d'annoncer dans les grandes places
de l'adminiſtration. Le Tewdschihat annuel
ou la lifte des promotions civiles a été publiée
, & toutes les perfonnes en place ont
confervé leurs emplois.
Ce fut le 29 du mois dernier que cette fête
eut lieu à l'ordinaire ; comme elle tomboit
précisément un vendredi, le Grand - Seigneur
Nº.. 45.8 Novembre 1783 . с
1:50 )
fut obligé de fe rendre deux fois à la Mofquée
pour y faire fes prieres. Le concours
inévitable dans une folemnité femblable de
gens de tout état & de toute condition , de
malades & de peftiférés mêmes envenima
tellement la contagion , que dans un feul
jour on compta prefque 800 malheureux
emportés. Maintenant ce fléau cruel paroît
rallentir fes ravages, quoique différens quartiers
, ceux même qui font occupés par les
étrangers , n'en foient pas encore tout- à-fait
exempts.
DANNEMARCK.
DE COPENHAGUE , le 8 Octobre.
Le Roi voulant être inftruit d'une ma
niere exacte des ravages que l'on a éprouvés
en Iflande dans les environs de Skaptaa , &
qu'on attribue à des éruptions volcaniques ,
a chargé le Chambellan Baron de Levezau
de fe rendre dans cette ifle , pour prendre fur
les lieux toutes les informations néceffaires.
M. de Levezau examinera auffi la nouvelle ifle
fortie de la mer , & qu'on dit avoir confidérablement
augmentée depuis les premieres
relations.
*
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 9 Octobre.
Les dernieres nouvelles reçues ici des.
frontieres de la Turquie portent que, quoi(
SI )
que tout paroiffe tranquille dans la Moldavie
& la Valachie , on remarque cependant
que les troupes Autrichiennes augmentent &
fe renforcent dans la partie de ces provinces
qui appartient à l'Empereur ; les Turcs de
leur côté prennent auffi des mesures pour
augmenter les leurs , & furtout pour les encourager
; les Officiers fupérieurs les affurent,
ajoute - t- on , que la Sublime Porte entretenant
une correfpondance étroite avec
plufieurs Cours , fe flatte d'en tirer des fecours
confidérables dans l'occafion.
On fait de bonne part que les bruits répandus
au fujet des troubles de Dantzick &
des projets qu'on prêtoit en conféquence à
la Cour de Berlin de s'emparer de cette ville ,
font deftitués de tout fondement ; elle ne
prétend que la navigation libre de fes fujets
fur la Viftule ; & cette Cour , ainfi que celle'
de Pétersbourg font perfuadés qu'elle en at
le droit.
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 18 Octobre.
On avoit fait ici des préparatifs pour recevoir
le Roi de Suede , qu'on croyoit devoir.
paffer par cette ville , en fe rendant en Italie
; mais on a appris qu'il prend une autre
route : on compte qu'à fon retour il pourra
fe diriger fur cette capitale.
Toutes les corporations de métiers vont
ceffer avec cette année; l'année prochaine , il
C 2
( 52 )
fera permis à tous les artifans & ouvriers de
s'établir & de travailler , fans être aftreints à
fe faire recevoir maîtres. Les droits qu'ils
étoient obligés de payer , & qui n'étoient
pas toujours à leur portée , empêchoient fou- .
vent un homme laborieux d'exercer fon métier
pour fon compte. Ce qu'il falloit don-.
ner pour la maîtrife , lui fervira déformais à
faire les avances de fon établiſſement ; on
croit que ce moyen rétablira la concurrence ,
que les Arts y gagneront , & que le Public
fera mieux fervi.
La vaiffelle d'or & d'argent trouvée dans
les Couvens fupprimés , a été portée aux
monnoies Impériales , où on les fond pour
les monnoyer.
On dit que dans les 3 couvens de Religieufes
fupprimées dernierement , on a trouvé
4000 tonnes de vin dans leurs caves.
pas
DE HAMBOURG , le 20 Octobre.
Les bruits de guerre diminuent ; on commence
à croire à préfent qu'elle ne fera
auffi prochaine qu'on avoit lieu de le craindre
; & la faifon , qui eft en effet trop avancée
pour qu'on puiffe s'attendre à l'ouverture
d'une campagne , nous affure du moins
que les pays menacés de l'embrâfement
pourront refpirer jufqu'à l'année prochaine ;
& d'ici à ce temps- là , les chofes peuvent:
changer de face , & les négociations avoir
un plein fuccès.
Toutes ces négociations que rien n'a interrom(
53 )
menter.
sus , qu'on a vu continuer au milieu des prépa
ratifs les plus formidables , lit - on dans quelques
papiers, ont fufpendu l'orage prêt à éclater ; on fe
flatte encore qu'elles le détourneront ; une Puiffance
qui a pris une part très - active dans les
mouvemens des cabinets pour rétablir le calme ,
a dit- on fait une nouvelle ouverture à la Cour
impériale ; elle lui a dit que fi elle vouloit pre: 4
dre confiance en elle , elle s'engageoit à lui
procurer auprès de la Porte plus d'avantage
qu'elle ne pourroit probablement en tirer à main
armée ; mais comme elle mettoit une claufe à
cette ouverture , celle de ne pas faire caufe commune
avec la Ruffie , & qu'on ignore la réponse
qui a été faite , on ne peut rien affurer de bien
certain fur ces nouvelles ; cependant le bruit
de la confervation de la paix ne laiffe pas d'aug-
L'ordre donné de nouveau par le
Bacha de Belgrade , aux Mufulmans de s'abften r
fous peine de mort de tout excès contre les
poftes Impériaux & les Sujets Autrichiens , &
de leur témoigner au contraire toute la bienveillance
poffible , fait connoître combien la
Porte craint d'irriter les efprits & de caufer
par la faute la moindre hoftilité . Cela n'empê
che pourtant pas les Turcs de fe fortifier du
côté de Belgrade & le long de la Save ; cet
Empire a déja 300 , 000 hommes fur pied ,
prêts à s'oppofer aux efforts de la Ruffie ; & il
eft affez apparent que le Grand Seigneur qui
veut lui-même le mettre à la tête de fes troupes
, oppofera une réfifiance très refpectable , fi
fa bonne étoile vient à le délivrer de toute
inquiétude du côté de l'Empereur ; on prétend
déja que dans cette fuppofition la Maifon d'Attriche
recouvrera Belgrade fans coup ferir , &
l'on ajoute qu'elle feroit fasisfaite par la poffef-
C 3
( 34 )
hon de cet ancien boulevard de la chrétienté .
Des nouvelles de divers endroits portent ,
qu'en effet la Porte a été déterminée à un
arrangement par une interpofition active &
puiffante , & qu'il fera négocié dans un congrès
qui s'affemblera à Conftantinople ;
cette nouvelle n'eft peut-être qu'un bruit ;
ceux qui prétendent qu'il y a apparence qu'il
fe réalifera , ſe fondent fur l'ordre qu'on dit
avoir été donné depuis peu de détruire les
fortifications de Bude. On mande auffi des
frontieres de la Hongrie , que plufieurs régimens
qui y étoient campés , font retournés
dans leurs cantonnemens ; mais on obſerve
que ce font les pluies continuelles qui les y
ont fait rentrer , que ces cantonnemens ne
font pas éloignés , & que quelques coups de
canon peuvent rappeller les troupes en campagne
, s'il en eft befoin. On apprend auffi
d'ailleurs , que l'on continue de faire des levées
pour compléter la cavalerie , & qu'il a
été envoié depuis peu de Vienne 150 hommes
de recrue pour le régiment de Traut
mansdorf.
DE CALSRUHE , le 4 Octobre.
On a annoncé la fuppreffion de la fervitude
& de quelques impôts , faite par S.A. S.
le Margrave de Bade dans fes Etats ; cet acte
de bienfaiſance a été célébré par des têtes
publiques , dans lefquelles le peuple a chargé
des députés de porter à fon Souverain le té(
ss))
moignage de fa reconnoiffance , & les remercîmens
de fes fujets . La réponse que leur
a fait le Prince , & dans laquelle il expofe
d'une maniere touchante les principes , de
fon adminiſtration , & leur donne des inftructions
fur leurs devoirs , comme ſujets &
comme citoyens , mérite d'être connue :
nous en placerons ici la traduction .
CC Depuis l'inftant où je me fuis accoutumé à
réfléchir fur ma deftination , je fuis convaincu
que le bonheur d'un Souverain eft tellement lié
à celui de fon peuple , que le bien ou le mal de
l'un eft néceffairement celui de l'autre . Je ne
puis donc ni attendre ni recevoir de remerciemens
, lorfque j'ai pu faire quelque chofe pour la
profpérité de mon pays ; car on ne doit point
me favoir gré d'une action qui me fait plaifir ,
qui me procure la paix de l'ame , & qui me rapproche
du but que je me fuis propofé d'atteindre ;
favoir, de régner fur un peuple libre , opulent ,
policé & religieux. Mais j'ai bien fujet de rendre
graces au Très-Haut qui me permet d'espérer
F'accompliffement de mes voeux à cet égard , &
je crois pouvoir profiter de la circonftance préfente
, pour mettre quelques réflexions & quelques
avis fous les yeux de ceux dont le coeur fera
difpofé à les recevoir. S'il eft vrai que le bienêtre
d'un Prince eft fi effentiellement lié à celui
de fes Sujets qu'ils ne faffent qu'un tout , c'eſt
fans doute parce que leurs intérêts font étroitement
réunis , ou , pour me fervir d'une autre
expreffion , parce qu'un Souverain a avec fes
Sujets les rapports réciproques les plus intimes.
Tout citoyen a des rapports intimes avec fa famille
, chaque famille avec le lieu de fon domicile
, chaque ville , bourg ou village avec le
C4
( ~56 )
diftrict qui l'entoure , foit Bailliage ou grand
Bailliage , chacun de ceux -ci avec tout le pays ,
& tout le pays lui-même avec le Prince qui , conjointement
à fa famille & ceux qui l'aident dans
fon adminiftration , a fes rapports avec tous .
Tous font donc réunis par une liaiſon étroite , &
leur intérêt principal eft le bien- être général .
De même qu'un Prince qui connoît fes devoirs
& fon intérêt , & qui par conséquent eft bien
intentionné pour les Sujets , defire régner fur un
peuple libre , opulent , policé & religieux ; de
même le bonheur de chaque individu exige qu'il
contribue autant qu'il eft en fon pouvoir , felon
les rapports dans lefquels il fe trouve , à effectuer
l'accompliffement de ce defir. Tout l'Etat n'eft
qu'une grande famille , dont les individus font
réunis , pour obtenir un but commun à tous :
chaque individu doit donc contribuer au bonheur
général en le partageant . Celui qui veut
jouir de la liberté , doit ne point troubler celle
d'autrui ; car dans toute Société la liberté n'eft
autre chofe que la jouiffance de la propriété fous
la protection des loix . Il ne peut y avoir de liberté
fans les loix qui répriment le méchant
lorfqu'il veut nuire , & par conféquent porter
atteinte à la liberté de fes concitoyens . La liberté
n'eft donc que pour les bons ; le méchant
n'en peut jouir ; car faire du mal ce n'eft pas être
libre. Quand même le méchant échappe à la rigueur
des loix , il eſt forcé d'entrevoir , du moment
qu'il fait ufage de fa raifon , qu'il fe nuit
à lui même en détruiſant ſes rapports utiles avec
La Société. Tout vice , tout crime eft un travers
ou une folie ; la vertu feule conduit à la fageffe .
Celui qui refpecte les loix , l'ordre , la vertu &
la religion , & ne les offenfe pas dans fa conduite ,
eft le vrai fage & l'homme véritablement libre.
( 57 )
Car il ne defire rien qu'on puiffe lui défendre ,
mais feulement ce qui peut contribuer à fon bonheur
& à celui des autres ; il ne rencontre jamais
d'entraves , & s'unit à fes freres par le doux lien
de l'amour & de la confiance ; il s'eftime luimême
, & fent toute fa dignité comme homme ,
comme chrétien & comme patriote . C'est dans
ce fens que l'efprit de liberté doit beaucoup
contribuer à augmenter la profpérité d'un peuple,
parce qu'il affure la jouiffance des propriétés , &
fraye à tous une route pour améliorer leur fort.
Les premiers produits de la terre , tels que les
fournit la culture des champs , des vignes , des
prairies , des bois & l'exploitation des mines
&c. font la premiere fource de toute richeffe.
Sans ces produits l'on ne peut fatisfaire aux befoins
de premiere néceffité : fans eux l'ouvrier
n'a point de matériaux , & le commerçant point
d'objet de commerce . Tous les Etats ont donc
intérêt à l'augmentation des premiers produits.
de la terre ; car alors le laboureur profpere ,
l'ouvrier , l'artifte , le fabricant ont de l'ouvrage ,
& le marchand trouve de l'occupation en procu
rant par le commerce un bon prix aux produits
avant & après la fabrication. La Société s'enrichit
& devient floriſſante : ainfi l'on voit tous
les intérêts réunis depuis le Prince jufqu'au
Pâtre tous gagnent par l'augmentation des
produits. Perfonne ne doit donc nuire à l'autre ,
mais bien plutôt tous doivent s'entr'aider ; que
le riche propriétaire ne cherche point à écrafer
fon concitoyen pauvre , qu'il ne le bleffe point
par fon orgueil , qu'il le traite avec amitié , qu'il
lui donne du travail , qu'il l'aide & qu'il tâche
d'améliorer fon fort ; que le pauvre à fon tour
n'envie point le riche & ne rougiffe point de fa
pauvreté. La pauvreté de l'homme de bien eft
ε S
58 )
૬૪ )
9.
plus à honorer que le bien mal acquis de
P'homme corrompu ; qu'ainfi l'honnête homme
pauvre n'ait point de honte de travailler pour fes
concitoyens plus riches que lui. Sa fidélité & fon
travail lui feront acquérir de l'aifance . La réunion
des forces pour l'intérêt général , conftitue:
l'harmonie. Habitans des villes , ne cherchez
point à obtenir , pour un vil prix , du laboureur ,
les produits qu'il a gagnés à la fueur de fon
front ; fon travail exige des dépenfes , ces dépenfes
font une partie de votre falaire qui eft
achevé de payer par le produit net du pays , c'eſtà
- dire , par la fomme qui reste au cultivateur ,
après avoir déduit les avances. C'eft cette fomme,
qui eft la richeffe libre , qui circule dans l'Etat ,
qui fait vivre tous les individus , chacun felon
qu'il a droit d'y prétendre ou qu'il en acquiert
par fon travail. Plus cette fomme eft confidérable
& plus l'Etat profpere , plus les métiers ,
les arts & le commerce font floriflans. Ne demandez
donc jamais à mettre des entraves à la
liberté du commerce des produits de la terre ,
car c'eft de leur bon prix que dépend le produit
net. Abondance & non valeur n'eft point richeffe ;.
difette & cherté eft mifere : abondance & bon prixe
font opulence . Habitans des villes , ou plutôt
vous tous ouvriers , fabricans , commerçans , ne
demandez jamais à mettre , par des droits exclufifs
, des entraves au commerce de vos concitoyens
; vous vous nuifez à vous mèmes , en
nuifant à l'Etat . La liberté eft l'ame du commerce
; fi vous la raviffez à d'autres , vous vous
privez de leur fecours , de leur foutien , de leur
travail ; fuyez l'envie & fur- tout cet égoïfine
qui fait refufer aux autres ce qu'on trouve utile
pour foi-même. Habitans de cet Etat , de toutes
les claffes , mes amis , mes concitoyens , pa-
·
( 59 )
triotes , libres Germains ! vous qui habitez une
des plus fertiles & des plus douces contrées de
l'Allemagne , & où depuis plus de fept cens ans
vos peres ont vécu comme vous fous la conduite
de la maison de Zoehringen dont je fors ; uniffezvous
à moi , à qui la grace divine a accordé
d'être votre chef depuis près de trente - ſept
années qui fe font écoulées non fans peines ,
fouffrances & douleurs , mais à l'ombre de la
bénédiction du Très- Haut : uniffez vos forces
aux miennes pour l'amour du bien public ; faites
que je puiffe emporter au tombeau la douce
confolation de laiffer un peuple aifé & riche ,
fur-tout en bonnes moeurs & en vertus ; foyez
laborieux & braves , aimez votre patrie , foyez
économes fans avarice ; que ceux auxquels Dieu
accorde des richeffes ne les prodiguent point pour
des jouiffances fuperflues ; ne laiffez point étendre
davantage le luxe qui s'eft déjà`gliffé parmi
vous , il nuit encore plus en ce qu'il corrompt
les moeurs que parce qu'il renverfe les fortunes.
Préférez d'être vertueux & pauvres , plutôt que
d'être riches & corrompus. Elevez vos enfans à
la vertu , apprenez - leur à être vrais , à déteſter
le menfonge , inftruifez - les fur- tout par votre
exemple , c'est un devoir facré & que Dieu
vous impofe ; vous le devez à votre pays , à vousmêmes
, à vos enfans . Ils attireront la bénédiction
fur vos têtes , ils feront les foutiens de votre
vieilleffe & la force de l'Etat , s'ils ont appris à
connoître la vertu , l'honneur , & à respecter la
religion. Que le précepte que nous a donné le
plus grand de tous les moraliftes , foit à jamais
la régle de nos meurs , de notre conduite , &
P'objet de notre imitation : faites aux hommes
tout ce que vous voulez qu'ils vous faffent , car
c'eft la loi & les Prophetes. Un refpectable Théo-
€ 6
( 60 )..
:
logien de nos jours , a dit , en parlant de ce divin
précepte princes , voilà toute votre fageffe &
la plus faine politique ; peres , voilà la meilleure
maxime pour l'éducation de vos enfans ; inftructeurs
, c'eft la plus fage méthode pour former vos
éleves Rien ne peut lier plus intimement le
coeur des freres , des amis , des époux , que ce
précepte. Mais , mes amis , notre volonté & a
force , ou pour mieux dire , la foibleffe humaine
peuvent-elles feules nous faire accomplir cette
loi ? Nous avons befoin pour cet effet d'une plus
puiffante affiftance. La religion qui dirige fi
puiffamment les coeurs , doit nous prêter fon
fecours ; toute la nature lui eft foumife , parce
qu'elle eft émanée de fon auteur. Miniftres de la
religion , vous qui êtes chargés d'annoncer au
peuple la volonté de Dieu , qu'il nous a communiquée
par l'organe de la nature & de la révélation
, c'eft à vous que je m'adreffe : fi vous
êtes convaincus de l'importance de votre miniftere
, employez toutes vos forces pour opérer le
bien ; fi vous êtes perfuadés , pénétrés , touchés
de la vérité de la religion que vous prêchez
vous trouverez le chemin des coeurs de ceux qui
font confiés à vos foins . Quand une fois la conviction
eſt dans les coeurs , alors la foi devient
agiffante , & la volonté d'accomplir les préceptes
du divin Auteur de la religion , eft fincere . Alors
le foible devient fort , & la bénédiction célefte
récompenfe notre travail & nos efforts ; c'eft
alors que nous pouvons être vraiement honorés
par la vertu & la religion ; car le véritable honneur
n'est autre chofe que le témoignage dans
notre confcience , que nos actions font auffi pures
que le motif qui les a dirigées. L'applaudiffement
du public ne peut nous honorer qu'autant
que notre confcience l'approuve ; mais comme
( 61 )
nous devons juger nos femblables de la même
maniere que nous defirons d'être jugés nousmêmes
, & que les replis des coeurs nous font inconnus
, nous devons honorer toute bonne action ,
à moins d'être convaincus que le motif qui l'a
produit n'étoit pas pur. Les titres , le rang , les
richeffes , &c. n'honorent que ceux qui les doivent
à leur mérite ; c'eft lorſque notre confcience
nous rend le témoignage que nous pensons auffi
noblement que nous agiffons ; c'est alors que
nous fentons tellement notre dignité , que nous
préférons la perte de la vie à celle de l'honneur .
Puiffions- nous donc , guidés par la vertu , l'honneur
& la religion , réunir de plus en plus nes
forces pour former un peuple libre , opulent
policé & religieux. C'eſt là le but de tous mes
efforts & de tous mes voeux .
DE BERLIN , le 10 Octobre.
Le Baron de Hertz-berg , Miniftre d'Etat ,
avoit fait annoncer dès le 19 Avril dernier ,
qu'il deftinoit cette année des prix à ceux des
fujets de S. M. qui éleveroient des vers à
foye. Ces prix confiftent en deux frédérics
d'or à chacune des 10 perfonnes qui auront
recueilli pour la premiere fois 6 livres de
foye & au-delà. Il s'eft préfenté 26 concurrens
, à chacun defquels on a donné la moitié
du prix deſtiné aux dix qui devoient
être couronnés ; 14 autres qui fe font préfentés
ayant mérité des encouragemens , il
leur a été donné des médailles d'argent que le
miniſtre avoit fait frapper , pour conftater l'époque,
& perpétuer la mémoire de la culture
du ver à foye dans les Etats du Roi. Cette médaille
repréfente le bufte du Roiavec cette légende
Fredericus inftaurator ; &fur le revers ,
+
>
( 62 )
"
l'induftrie perfonnifiée , filant des coques de
foye ; elle eft affiffe fous un murier , & on
voit à fes pieds un panier rempli de cocons .
La Légende porte induftriæ fericæ, Pruff. , &
on lit fur l'exergue 1783.
La Cour a été informée que le Général
Major d'Eglofstein eft arrivé avec fon détachement
à peu de diftance de Dantzick ; l'approche
de ces forces militaires , & la venue du Commiffaire
Polonois , ont infpiré plus de modération
aux Dantzickois. On apprend en mêmeremps
que les trois Ordres de la Ville font convenus
d'accepter la propofition ſuivante , faite
par la Cour de Warfovie , de ne point troubler
la navigation des Pruffiens fur la Viftule
pour tous les objets dont ils ont besoin pour
leur confommation , lauf les droits de chacun
provifoirement jufqu'à la fin de l'année ,
dans l'espoir que dans l'intervalle on conviendra
pour l'avenir d'un arrangement définitif avec
les Commiffaires de S. M. Pruffienne ; ces
derniers à leur tour feront ceffer toutes repréfailles
jufqu'à la même époque.
Le Roi a fait adreffer au Confiftoire de:
Breſlau un ordre conçu en fes termes :
» S. M. ne voulant point que les gens du
peuple lorfqu'ils ont quelque Requête à lui préfenter
, ni en d'autres occafions mettent le genou
en terre devant lui , honneur qu'ils ne doivent
rendre qu'à la Divinité ; mais qui n'eft
pas néceffaire lorfqu'ils ont quelque chofe à lui
remettre , ordonne par la préfente , au Confiltoire
fupérieur de Breslau , de faire publier cette
intention de S. M. dans toutes les Eglifes , afin
que chacun fache que S. M. defire que la génuflexion
pour fa perfonne n'ait plus lieu à
l'avenir,
( 63 )
ITALI E.
DE
LIVOURNE , le S Octobre.
S'il faut en croire quelques lettres de
Rome , le Nonce du S. Siege qui fe trouve
actuellement, à Petersbourg , annence dans
fes dernieres dépêches que l'Impératrice de
Ruffie a ordonné à l'Archêveque de Mohilow ,
de faire publier dans fon diocefe le bref du
Pape Clément XIV, portant abolition de la
Compagnie de Jefus ; de forte que les membres
de cette Société , qui étoient répandus
dans l'Empire Ruffe , n'y feront plus que fur
le pied d'Eccléfiaftiques féculiers.
Les mêmes Lettres de Rome parlent d'un
vol confidérable qui s'eft fait dans l'Eglife
de S. Charles des PP. Barnabites à Catinari..
Les malfaiteurs s'étant cachés le foir dans
l'Eglife , lorfqu'on en ferma les portes , enleverent
pendant la nuit l'image de la Vierge
, des perles précieuſes , des anneaux d'or ,
des ex voto d'argent & d'autres bijoux évalués
à 500 écus.
où ils fe
» On a vu dernierement à Florence deux filoux
d'un genre fingulier ; ils étoient proprement vétus
, & logoient à l'hotel du faucon
donnoient pour marchands . Ils avoient fait connoiffance
avec un citoyen aifé , auquel ils firent entendre
qu'ils étoient de grands magiciens ,
que par le moyen de leur art , ils avoient appris
qu'il y avoit dans fa maiſon un tréfor confidérable
, dont ils vouloient le mettre en poffeffion .
Pour le faire donner plus aifément dans le piege,
( 64 )
ils firent devant lui plufieurs de ces tours que font
les charlatans pour abufer le peuple ; il firent venir
même une lettre de l'efprit qui gardoit le tréfor
, & qui promettoit au crédule bourgeois de
le lui livrer , a condition qu'il remettroit en dépôt
entre les mains des deux étrangers une fomme
de 300 écus. Par bonheur pour ce particulier , la
Police inftruite de toutes ces menées frauduleufes
, a fait arrêter ces fripons qui ont été condamnés
à deux mois de prifon , & à être exilés du
grand Duché de Tofcane , fur peine d'être envoyés
aux travaux publics s'ils y rentrent. »
Les mers voifines font infeftées de nouveau
par les Corfaires Barbarefques ; ils ne
fe montrent pas moins fur celles de l'Efpagne.
Le ravage que notre armement a fait dans le
port & dans la ville d'Alger , écrit - on de Carthagene
, n'empêche pas les Algeriens de faire des
courfes. Dernierement ils ont attaqué quelques
bâtimens nationnaux , fur lefquels il a été brulé
1000 quintaux de tabac & 100 mefures de bled ,
pour que les barbares ne s'en emparaffent pas , On
n'a pû prendre leurs galiotes ; cette perte fe monte
à plus de 200 , 000 écus. Ils ont pris également
un bâtiment napolitain , fur lequel il y avoit
4000 mefures de grains. Il paroit que depuis le
bombardement de la place , les Algeriens ont
redoublé de fureur pour nous attaquer.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 28 Octobre.
Nos nouvelles de l'Amérique fe réduifent
à celles que nous fourniffent les papiers de
ce pays , les différends élevés relativement à
( 65 )
l'Etat de Vermont ne font pas encore arrangés
; il a adreffé depuis peu au Congrès une
lettre qui mettra au fait de la nature des difficultés
qui exiftent.
» La légiflation de Vermont vous prie de
communiquer au congrès les déterminations fuivantes
des citoyens de cet Etat en réponſe à la
réquifition du 5 Décembre dernier. Nous
obfervons d'abord que le congrès par les réfolutions
des 7 & 21 Août 1781 , reconnut les droits
& s'engagea à reconnoître l'indépendance de cet
Etat , à une certaine condition préliminaire qui
a été pleinement remplie , comme il eſt prouvé
par le journal de cette affemblée , & le rapport
du comité du congrès. Nous n'avions pas
lieu de craindre d'être troublés dans l'exercice
de ce droit fur ceux qui par leur ferment d'allégéance
étant devenus fujets de cet état , en ont
d'une manière odieufe violé les loix . Cependant
cette légiflation peut être difpofée à faire grace
aux coupables ; mais cette grace doit étre libre
& à fon choix. Tout acte du congrès qui
peut s'interpofer dans le gouvernement intérieur
de cet état , & tendre à empêcher l'exercice
générale de nos loix , ne peut être juſtifié dans
fa nature , & repugne à toute idée de liberté .
Il fuppofe cet état dépendant du congrès , nonfeulement
dans la jouiffance de fon droit indépendant
de jurifdiction , mais dans le droit luimême.
Si dans le fait nous avons ce droit , il dérive
de l'affociation du peuple & du contrat civil
qui l'a établi. Les états de l'union ne doivent
pas au congrès leur exiftence & leur indépendance
; chaque état a été formé par l'affociation
& la convention libres de fes habitans ; c'eft
de ces conventions que naiffent leurs droits de
( 66 )
jurifdiction féparée ; c'est d'elles encore que dérive
le pouvoir dont le congrès eft revêtu ; & il
ne peut avoir celui de faire ou d'anéantir les états
ni de contrôler leur police intérieure , fans une
délégation particuliere & nouvelle pour cet effet.
La jufteffe de ce raifonnement reconnue , & l'exiftence
du droit du peuple de cet état à une jurifdiction
indépendante étant avouée par la réfolution
du congrès du 21 Août 1781 , la réſolution
du 5 Décembre n'eft - elle pas une invaſion
fur les droits d'un peuple libre ? Les citoyens
de cet état ont la plus haute opinion de la fageffe
& de l'intégrité du congrès ; ils ont manifefté
leur confiance en ce corps , en ſuivant avec
ardeur chaque meſure qu'il a confeillée contre
l'ennemi commun , & en expofant leurs fortunes
& leur vie. Ils font encore prêts à exécuter toutes
les réfolutions raisonnables du congrès ; mais
quand il nous requiert d'abroger nos loix , d'annuller
les décifions folemnelles de nos cours de
juftice , en faveur d'infurgens & de perturbateurs
du repos public nous lommes juſtifiés devant
Dieu & les hommes , quand nous déclarons que
nous ne pouvons céder à de femblables réquifitions.
Les intérêts des états-unis qui deviennent
les nôtres , nous le défendent. Ce feroit autorifer
par l'impunité des ſujets factieux à s'opposer au
gouvernement ; nous deviendrions le refuge de
ces perturbateurs de la paix publique , & chaque
mefure pour lever des hommes ou de l'argent
quand la caufe commune l'exigeroit , deviendroit
difficile par les intrigues de ces malheureux ,
& foible & mépriſable dans l'exécution . Nous
fommes convaincus que nous ne dérogeons point
en ceci à la dignité du congrès ni à fon autorité ,
que nous ne troublons point la paix de la confédération
; nous nous bornons à expoſer nos droits ,
( 67 )

à les foutenir , & à maintenir la paix & la liberté
de cet état. Comme nous avons dès le
commencement de la guerre bravé les difficultés
& les dangers , combattu avec les états unis contre
l'oppreffion britannique ; que notre droit de
fouveraineté & de jurifdiction établi fur les
principes de la révolution , n'eſt attaqué dans les
tranfactions du congrès du 5 Décembre qu'à
l'inftance spéciale d'une perfonne infâme ce que
prouvent entr'autres chofes les pieces jointes
à cette lettre , que nous avons itérativement
follicité notre admiffion à la confédération des
états-unis , nous requérons de nouveau au nom
des citoyens de cet état & de la maniere la plus
folemnelle , l'exécution de l'efprit & de la lettre
des refolutions du congrès du 31 Août 1781 . -.-
Lu & approuvé unanimement par l'affemblée
générale , pour que copie en foit adreffée fur
le champ au congrès des états-unis ».
Selon une lettre de Chefter dans le Maryland
, le Clergé Epifcopal & Anglican de cet
Etat devoit tenir une Affemblée générale
pour nommer un de fes membres , le recommander
à l'Archevêque de Cantorbery,
avec priere de le confacrer Evêque de l'Etat
de Maryland , avec les pouvoirs ordinaires
de confécration , d'ordination , &c . On défignoit
pour cet emploi important M. Samuel
Keene , né dans le Maryland , élevé à
l'Univerfité de Philadelphie , homme recommandable
par fes qualités & fes vertus.
» Les Américains qui penfent , dit a ce fujet
un de nos papiers publics , font fort étonnés
de cette démarche du Clergé de Maryland.
Puifque toute liaifon politique eft rompue avec
( 68 )
l'Angleterre , pourquoi en conferver une relfgieufe.
Si ce refte de liaifon n'étoit pas dangereux
, il feroit au moins inconféquent . Mais quel
pouvoir doit créer l'Evêché ? Qui doit nommer
Ï'Evêque Créer un Evêque , fuivant les principes
de l'Eglife Anglicane , appartient au pouvoir
politique de l'Etat . Quant à l'Election ,
pourquoi ne pas renouveller ici l'exemple des
premiers fiecles de l'Eglife , & confulter le peuple
fur le choix de fon Paſteur ? La tolérance
civile & religieufe fe manifefte furtout
dans cet état de Maryland ;' il vient d'accorder un
droit confidérable de territoire , dont deux Evêques
Catholiques Romains ont été nommés Directeurs.
Les Puritains froncent le fourcil a cette
innovation , & les bons citoyens l'approuvent »
-
Selon la gazette de New-Yorck , il s'eft
élevé une difpute fur les frontieres du Canada
, entre les Commiffaires Anglois & les
Américains , au fujet de la ligne de démarcation
des limites refpectives. Les premiers
ont refufé de livrer certaines places , qu'ils
doivent rendre , jufqu'à ce que leur trafic de
fourrures avec les Indiens foit terminé , pour
cette année .
» On apprend , par un particulier arrivé du
Canada , ajoute cette Gazette , que la grande
Maifon du Magafin , dans le Fort Saint-Jean ,
fur le Lac-Champlain , a pris feu le 22 Août ,
au foir , par la foudre qui l'a frappé , & qu'elle
a été réduite en cendres avec tout ce qu'elle
contenoit , à l'exception de 600 barils de poudre
, qui , renfermés dans une voûte fous la Maifon
, n'avoit reçu aucun dommage . La Garnifon
craignant une exploifion qui auroit été terrible ,
prit la fuite dans les bois , à quelques milles
( 69 )
de diftance . Etant revenue le jour fuivant pour
écarter les débris , elle apperçut un nouveau
danger fe retira avec plus d'effroi encore. Il n'arriva
cependant aucun malheur. Les troupes revinrent
de nouveau , & le chef des Ingénieurs
arrivé de Montréal fit enlever les débris & remettre
tout en ordre. L'intrépidité de nos foldats
anglois mérite furtout d'être citée . La charpente
d'un petit Magafin , contenant des bombes & des
cartouches , à quelques pas de la grande Maifon
, avoit déjà pris feu ; ils eurent le courage
d'aller abattre une partie de la cloifon déjà en
feu , & de l'éteindre , & comme le vent fouffloit
dans un fens contraire cette derniere maifon
fut préfervée.
L'attention actuellement eft fixée fur l'Irlande
, où la plupart des corps des Volontaires
fe réuniffent pour demander au Parlement
la réforme de plufieurs abus , & furtout
pour empêcher le Miniftere d'avoir
trop d'influence fur les délibérations de cette
Affemblée . Un de ces corps a, dit- on , chaffé
fon Chapelain , & l'a fufillé en effigie , pour
avoir donné fa voix au Colonel d'un régiment
fenfible , qui fe préfentoit comme candidat
au Parlement.
"
«Les lettres de ce Royaume contiennent les
adreffes des deux Chambres en réponſe au difcours
prononcé par le Lord Lieutenant à l'ouverture
du Parlement ; elles ne font felon l'ufage
qu'une répétition de ce même difcours ; le 15
il fut arrêté dans l'une & dans l'autre une adreffe
de remerciement au Lord Temple , comme unè
marque du fouvenir & de la reconnoiffance de la
Nation , qui n'oubliera jamais les avantages
( 70 )
qu'elle a retirés de fon adminiftration ; cette propofition
faite par le Lord Mount Morris à la
Chambre Haute n'y éprouva point d'oppofition ;
il y en eut un peu dans la Baffe , ou elle fut
faite par M. Gardiners ; M. Adderley fit feul des
objections ; il en cita quelques- unes parmi lefquelles
il lui reprocha d'avoir follicité les adreffes
qu'il avoit reçues , d'avoir vifité les Chapelles
des Catholiques. » Le feu Lord Cheſterfield ,
dit M. Cuffe , à l'occafion de cette derniere , avoit
pris un cocher catholique , un de fes amis lui
dit un jour que cela paroiffoit fort extraordinaire.
Quoi reprit le Lord ! mes chevaux en feront - ils
plus mal foignés. Non répondit fon ami. En ce
cas que m'importe fa croyance ; c'est une affaire
qui le regarde ; je ne m'oppoſerai point à ce qu'il
en fuive les préceptes ; je veillerai même à ce
qu'il les obferve fidelement ; & tout ce qu'on
peut & ce qu'on doit attendre de moi , c'est que
je ne fouffre point qu'il me conduife à la Meffe ».
Ces objections donnerent lieu à plufieurs Membres
de rappeller les principaux traits de l'adminiftration
du Lord Temple , & amenerent fon
éloge ; après quoi la Chambre ayant été aux voix ,
de 128 dont elle étoit compofée , il n'y en eut
qu'une contre l'adreffe qui paffa ainfi unanimement
».
« Le 16 on vota dans la même Chambre deux
nouvelles adreffes , l'une pour le Général Elliot
relativement à la défenfe de Gibraltar , & l'autre
pour l'Amiral Howe qui avoit fecouru cette
Place avec tant de fuccès » .
Les divifions de ce royaume ne peuvent
qu'influer fur le commerce & l'Agriculture ;
& c'eſt une raiſon pour que la Nation s'occupe
des moyens de terminer promptement
( 71 )
les grands objets qui l'intéreffent. On dit que
le prix des terres y a baiffé de deux années du
revenu ; & comme l'argent eſt rare , on ne
s'attend pas a le voir augmenter.
Il paroit , dit un de nos papiers , que l'on s'attache
à mettre au pire tout ce qui ſe paſſe & qui
doit fe paffer encore en Irlande ; on veut que ce
Royaume afpire à fe féparer de la Grande- Bretagne
, & ceux qui le prétendent ne manquent pas
d'obferver férieuſement , que l'Irlande , dans
cette féparation , ne peut exifter fans fe foumettre
à quelqu'autre domination . Les Irlandois ; auroient-
ils perdu la raiſon , au point de préférer
le joug d'un pouvoir arbitraire , à la douceur du
gouvernement Britannique, dont le but eft de leur
en faire partager également les avantages.Lorfque
l'Amérique entreprit fe procurer l'indépendance ,
l'étendue de fes poffeffions , le nombre de fes
habitans , fa force naturelle , fes grandes reffources
lui promettoient du fuccès ; mais une femblable
tentative de la part de l'Irlande feroit le comble
de la folic .
Depuis peu de jours il eft parti du bureau
de M. Fox beaucoup de lettres circulaires ,
adreffées à tous les membres de la chambre
des Communes ; ils font au nombre de 558;
& par ces lettres on leur demande d'arriver
promptement à Londres , attendu l'importance
des affaires que le Parlement doit traiter.
Sur ces 558 membres , les Miniftres fe
flattent d'en avoir 340 à leur difpofition ; ils
fe trouveront chargés , dans la ceffion
chaine de plus de befogne que leurs partifans
n'affectent de le croire. Les Ecoffois
doivent propofer un nouveau bill de milice ,
pro(
72 )
& demander de nouveaux réglemens relativement
à leur clergé . Tandis que d'un autre
côté l'Angleterre , l'Ecoffe , & l'Irlande réuniront
leurs efforts pour obtenir une réforme
dans le Parlement.
Les miniftres , lit- on dans nos papiers , pour
éviter tout reproche de la part de la nation relativement
au traité définitif avec la Hollande ,
ont pris la réfolution de porter au Parlement
l'affaire de Négapatnam , afin qu'il décide luimême
, s'il convient d'accepter l'équivalent qui
a été offert pour la reftitution de cet établiffement.
Ainfi , comme le Parlement ne fera affemblé
qu'au milieu du mois prochain , il y a toute
apparence que le traité définitif avec la république
ne fera fpas figné avant la fin de cette
année.
,
On prétend , lit - on dans un autre, que la cour
de Lisbonne eft très-mécontente de la conduite
de notre miniftere pendant la guerre. Cette puiffance
avoit interdit aux vaiffeaux américains
l'entrée de tous les ports de Portugal , & elle
avoit donné plufieurs autres preuves de fon
attachement aux intérêts de la Grande Bretagne.
Pour témoigner notre reconnoiffance envers un
allié fi généreux à peine avons- nous ôté les
reftrictions fur le commerce d'Irlande > que
nous avons employé toutes les manoeuvres poffibles
pour empêcher le Portugal de recevoir
des manufactures irlandoifes . Ce refus de la part
des portugais a d'abord révolté l'Irlande contre
eux ; mais enfin tout a été découvert , & il en
réfultera que les liaiſons d'amitié qui unifſoient
les deux Cours ne fubfifteront peut - être pas
long - temps.
On dit qu'il y à Birmingham , à Wolverrhampton
,
( 73 )
rhampton, Shefield & c . , des agens qui cherchent
à débaucher des manufacturiers en fer
& en acier , pour leur procurer des établiſſe
mens en Amérique. Dans ce moment ci on
devroit févir contre de pareilles féductions ,
avec toute la rigueur de la loi , qui pour la
premiere fois leur impofe une amende de s
liv. ſterling , & 12 mois de priſon.
On lit dans plufieurs de nos ' papiers , la
traduction fuivante d'une lettre arabe , adref
fée par un marchand d'Alger , à fon frere qui
eft à Londres.
« Le premier jour du mois Ramadan , deux
heures avant l'aube du jour , les Espagnols commencerent
à tirer fur cette ville , ce qu'ils continuerent
pendant treize jours confécutifs , excepté
les trois derniers qu'ils ne tiretent que le
matin & le foir . Notre perte , tant en maiſons
qu'en boutiques , ne monte pas au- delà de 100 ,
qui ne font même pas entiérement ruinées. La
perte en hommes , parmi lesquels il fe trouve
plufieurs de nos principaux ingénieurs , confifte
en 35 tués & 25 bleffés . Le dix - septieme jour ,
nous fortîmes avec nos galeres & nos chaloupes
cannonieres , & nous approchâmes des ennemis à
la portée du piftolet . Nous eûmes le bonheur de
mettre le feu à deux de leurs navires , & à 17 de
leurs chaloupes cannonieres. Quelques jours.
après plufieurs cadavres des ennemis furent jettés
par le flux fur la côte . On en donna connoiſſance
au Bey , qui ordonna de leur couper la tête , & de
les lui apporter. Le nombre de celles qui lui ont
été remifes monte actuellement à 703. Il paroît
que les vaiffeaux Efpagnols ont été beaucoup endommagés.
Pendant leur retraite nous avons tiré
No. 45. 8. Novembre 1783 .
( 74 )
fur eux tous les canons qni étoient d'une portée
à pouvoir les atteindre Le Bey voulant récompenfer
les troupes de terre & de mer de la brayoure
dont elles ont fait preuve pendant tout le
cours du bombardement , leur a fait diftribuer de
groffes fommes d'argent . A Alger , le 26 du mois.
Ramadan 1197. ( cette façon de compter revient
au 26 du mois d'Août 1783. )
Il doit fe tenir une Cour martiale à Portfmouth,
pour juger la conduite du Capitaine
Sutton , ancien Commandant de l'Ifis , au
port Praya , dans l'ifle de S. Jago. Les chefs
d'accufation du Commodore Johnſtone
contre cet Officier , font contenus , dit- on ,
dans un petit nombre d'articles ; il eſt maintenant
occupé à les préparer pour les mettre
dans tout leur jour. Depuis que le Confeil
de guerre s'eft affemble pour examiner la
conduite de ce Capitaine ; il n'eſt point doureux
que l'efprit de parti du corps de la marine
fe foit développé dans toute fa force.
On apprend de Petersbourg , qu'un vaiſfeau
marchand anglois y a débarqué dans
le mois dernier , environ 5o Officiers de mer
de notre nation , & qu'on y en attend encore
un plus grand nombre , parce que l'on croit
que la Cour de Petersbourg en a engagé
140 à fon fervice.
On travaille ici dans plufieurs corderies de
la marine , à faire des cordages pour l'Impératrice
de Ruffie , avec le chanvre qui nous
eft arrivé dernierement du nord.
» Le feul motif dit un de nos politiques , qui
peut engager les Ruffes à envoyer une Elcadre
( 75 )
dans la Méditerannée dès l'inftant de leur rup
ture avec les Turcs , eft de faire une diverfion
dans l'Archipel , afin de forcer la Porte à ý
envoyer des fecours par terre & par mer , ce qui
affoiblira fes forces dans le Nord . Si quelque
Puiflance du Midi prenoit le parti de s'oppofer
à l'entrée d'une Efcadre Ruffe dans la Méditerranée
, les projets de cet Empire fur la Crimée
resteront fans effet , & il lui era impoffible de
fe procurer la liberté de la navigation dans la
mer noire , que la fituation avantageuſe des
Turcs les met fort à portée de gêner.
On lit dans un de nos papiers le fait ſuivant
, que ne peuvent trop lire & trop méditer
les perfonnes forcées de recourir aux
marchands d'argent.
Une perfonne dont les affaires lui impofo ent
la néceffité d'emprunter 500 liv . ferling , fut à
un de ces Courtiers qui publien journellement
des avis pour offrir leur généreufe affiftance à
tous ceux qui ont befoin d'argent ; il fit for
marché à 35 p. 100 , & donna deux billets à
ordre , payables , l'un dans trois mois , & l'autre
dans fix ; on lui promit l'argent l'après midi ,
elle revint à l'heure indiquée ; mais la pérfonne
à qui avoient été remis les billets pour les négocier
dans la Cité n'étoit pas revenue ; le lendemain
matin on ne l'avoit pas vue encore ; n'ayant
point de réponſe fatisfaifante , elle recourut au
Magiftrat qui ne put lui donner aucune fatisfaction
, parce qu'on ne retrouvoit pas celui à qui
elle avoit remis fes billets , & qu'il n'y avoit
point de témoin qui pût certifier qu'ils avoient
été délivrés dans la maifon où l'affaire s'étoit
paffée. Quelques jours après , le particulier eut
le bonheur de rencontrer fon Courtier ; quoique
d 2
( 76 )
fous d'autres vêtemens ; il ne fe méprenoit pas ;
mais fes billets étoient perdus . Le frippon dit
qu'il en avoit remis le montant à celui qui les
réclamoit ; & qu'il avoit deux témoins pour le
prouver; qu'il feroit inutile de publier des avis
dans les Gazettes fur ce fujet, parce que les billets
avoient été négociés , que le tireur les payeroit
aux échéances ou iroit en priſon. Voilà tout ce
qu'il a pu obtenir de fes démarches . Une affaire
femblable arriva l'été dernier à un Officier aux
Gardes ; mais il s'en tira mieux ; il prit avec
lui un de fes amis , fe rendit à la maiſon du
principal Courtier qui l'avoit dupé , & le piftolet
à la main , il le força d'envoyer après le porteur
de fes billets , & de les faire rapporter.
Le Lieutenant James Bradley eft mort, le
1 de ce mois , agé de 76 ans ; il vivoit d'une
penfion que lui avoit accordée le Gouvernement,
depuis la perte d'une jambe qu'il avoit
faite dans une bataille , entre les François &
les Alliés pendant les guerres de la fucceffion .
On vient de bénir à Corvick , dans le comté
d'Yorck , un mariage qui a attiré beaucoup de
monde par l'âge du couple ; l'homme appellé
Jean Harrifon , eft âgé de 101 ans , & la femme
en a 98 ; le premier garçon de la noce avoit
82 ans , & la femme qui accompagnoit la mariée
74. C'eft pour la quatrieme fois qu'Harriſon fe
marie depuis deux ans & demi , il fe trouve
encore fi bien portant & fi frais , qu'il efpere qu'il
fera encore veufune cinquieme fois , & il femble
qu'il ne renonce pas à fe marier encore '; lorfque
la cérémonie fut faite & qu'il alla en figner l'acte
& payer le Miniftre , il lui dit : vous voyez que
je ne fuis pas une mauvaife pratique ; vous avez
déja eu beaucoup de droits de moi ; ménagez un
( 77 )
peu ma bourfe cette fois ; elle n'eft pas bien
garnie , & au premier mariage que je ferai
encore je vous dédommagerai .
Le 4 de ce mois un Officier de marine à
été tué dans Hyde- park, par un matelot
qui le poignarda , & difparut . Sur les informations
qui ont été faites , il paroît que cet
Officier étoit dur , & que quantité de matelots
avoient juré fa perte ; ayant tiré au fort ,
pour fçavoir celui d'entr'eux qui feroit chargé
de les venger en l'affaffinant , le meurtrier
défigné par le fort , a faifi une occafion où
l'Officier fe promenoit feul , & l'a frappé par
furpriſe. On cherche le coupable , qui s'eft
échappé, & fi l'on ne le retrouve point , il eft
vraisemblable l'on s'affurera des com- que
plices qui ont médité avec lui le coup qu'il a
exécuté.
FRANCE.
DE FONTAINEBLEAU , le 4 Novembre.
Le Roi a nommé à l'Evêché de Lizieux •
l'Evêque de Bayonne ; à l'Evêché de Nantes
l'Abbé de la Laurencie , Vicaire- Général de
Poitiers ; à l'Evêché de Bayonne l'Abbé de
Villevieille , Vicaire Général d'Alby ; à l'Evêché
de Senès l'Abbé de Bonneval , Vicaire-
Général de Macon ; à l'Evêché de Vence
l'Abbé de la Gaude , Vicaire - Général de
S. Paul- Trois- Châteaux ; à l'Abbaye de
Beaupré , ordre de Citeaux , diocèfe des
Beauvais , l'ancien Evêque de Senès.
Le Roi a accordé le grade de Capitaine de
d 3
( 78 )
vaiffeau à M. de Saint- Ours , Lieutenant de
Naiffeau , qui commandoit l'Amphitrite , &
qui a , fous les ordres du Vicomte de Mortemar
, contribué par fes bonnes manoeuvres
à la prife du vaiffeau l'Argo.
Le 26 du mois dernier , L. M. & la Famille
Royale fignerent le contrat de mariage
du Vicomte de Briqueville avec Mademoifelle
de Canizy. Le même jour , le Comte
d'Andlaw , que le Roi avoit précédemment .
nommé fon Miniftre Plénipotentiaire à Bruxelles
, eut l'honneur d'être préſenté à S. M.
par le Comte de Vergennes , Chef du Confeil
Royal des Finances , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , ayant le département des af
faires étrangeres , & de prendre congé de
S. M. pour fe rendre à fa deftination.
Le Comte de Parny , Capitaine de Cavalerie
au régiment de la Reine , qui avoit eu
précédemment l'honneur d'être préſenté au
Roi , eut le 25 Octobre celui de monter
dans les carrofes de S. M. & de chaffer avec
elle.
DE PARIS , le 4 Novembre.
Selon des lettres de Bretagne , les Officiers
, qui doivent compofer le Confeil de
guerre qui s'affemble pour examiner l'affaire
du 12 Avril , font à l'Orient depuis le 20
Septembre. MM. de Guichen , de Kermadec
& de Baleroy n'y étoient pas encore arsivés
le 15 du mois dernier : mais ils étoient
attendus pour le 20. La revifion du procès
·( 79 )
du Chevalier de Vigny, qu'on vouloit terminer
, avant de commencer celui qui fixe
aujourd'hui l'attention générale , eft la feule
caufe qui a fufpendu l'ouverture de ce Confeil
de guerre. Elle ne peut tarder à préfent ;
& on affure que M. le Marquis de Vaudreuil
, M. de Bougainville & d'autres Officiers
généraux ont été mandés à l'Orient.
Le paquebot , le courier de l'Europe , écrit- on
de ce port , eft parti le 28 Septembre , c'est le
premier ; le fecond , le courier de l'Amérique , eft
pret à mettre à la voile au premier bon vent . --
Le Roi vient de donner au commerce fes vaif-
Leaux l'Expériment , le Sagittaire & la flate la
Néceffaire pour faire le commerce de la Chine ;
les deux premiers feront armés à Breft & la
flute à Toulon . Deux navires françois font
partis en dernier lieu d'ici , chargés en partie de
munitions.navales & de guerre , destinés pour le
Cap de Bonne - Efpérance. Ces navires font
frêtés pour le compte des Hollandois par leur
commiffaire , & ont dû relâcher à l'Ile de Rhé
pour y prendre 6 à 700 hommes qu'ils y avoient
en depôt . Deux autres bâtimens ne tarderont pas
à les fuivre ; mais ils ne portent que des munitions.
On embarque auffi quelques troupes &
des recrues des colonies pour les garnifons de
l'Amérique . Une petite goëlette américaine ,
arrivée ces jours derniers , a rapporté qu'on avoit
fort exageré la mutinerie d'une centaine de foldats.
Ce font des gens de nouvelle levée ,
non l'armée continentale qui ont manqué de
refpect au Congrès , & on eft perfuadé qu'il retournera
à Philadelphie , les citoyens ayant écrit
à ce corps dans les termes les plus honnêtes &
les plus affectueux.

&
d 4
( 80 )
On a porté dans ce fiecle la Marine à un
degré de perfection qui ne laiffe , pour ainfi
dire plus rien à défirer pour la conftruction ,
la légereté, la force & toutes les autres parties
de l'art nautique ; il ne reftoit plus qu'à préferver
ces vaftes édifices flotans de l'action
continuelle de l'acide marin fur le bois
acide qui par le frottement & la pénétration
le rendoit fpongieux , mouffeux , beaucoup
plus lourd , & par conféquent moins propre
à obeir à l'action des voiles. Pour y remédier
, on imagina en Angleterre de doubler
les vaiffeaux en cuivre , & cette méthode
fut adoptée en France ; mais on a bientôt
reconnu qu'elle étoit fujette à des inconvéniens
graves ; aujourd'hui on vient de faire
dans le royaume la découverte d'une nouvelle
préparation métallique , propre à doubler
les vaiffeaux & les pilotis des digues.
C'est ainsi que cette découverte eft annoncée
par fes Auteurs .
» Le fiecle éclairé où nous vivons , fait de pref
que toutes les nations un peuple fçavant , qui fait
juger & faire ufage des découvertes que lui
offrent d'habiles chymiftes & métallurgies , qui .
ayant fans ceffe les yeux fixés fur la nature , en
fuivent les développemens , cherchent à la pénétrer
, à lui arracher fes fecrets , en répétant pour
ainfi dire fes opérations , & en décompofant fes
métaux , pour en former de nouveaux plus analogues
à l'utilité générale . Le nouveau méral
qu'on offre aujourd'hui à toutes les nations maritimes
fait non-feulement honneur à fon auteur ,
en ce qu'il préserve les vaiffeaux & les pilotis de
-
( 81 )
la piquûre des vers , de l'attache des coquillages ,
madrepores , & autres plantes marines ; mais encore
en ce qu'il facilite & augmente le fillage
des vaiffeaux , qu'il eft incorruptible , qu'il réfifte
à la viciffitude des mers les plus orageufes
& qu'il n'eft pas plus pefant que le cuivre. C'eſt
une pâte molle & un enduit métallique , tant par
fa douceur que par fa flexibilité ; il eſt malléable
& n'a aucun inconvénient du cuivre ; l'acide marin
n'a point de prife fur lui , & le laps du tems
ne le détruira jamais ; il n'eft point élastique &
ne rend aucun choc ; la lame ni le tangage ne
peuvent l'arracher , faifant un corps infeparable
avec ce qu'il enveloppe . Le même auteur a trouvé
dans les favantes recherches un vernis métallique
qui pénétre jufqu'au centre les clous &
toutes les ferrures fur lefquels il eft appliqué ,
les garantit de la rouille & de l'attaque des acides
marins & nitreux ; les clous qui en font pénétrés
ne s'arrachent point du bois fans en déchirer
les fibres. Ce vernis sy incorpore fi intimement
dans les pores du fer , quil change entierement
ce métal . Le doublage & le vernis métallique
dont les clous & ferrures font enduits a réfifté à
toutes les expériences & épreuves qu'on lui a fait
fubir en préſence des plus fçavants chymiftes du
royaume. Un plus grand éloge devient inutile ,
l'ufage feul publiera bientôt les avantages précieux
de ces nouvelles découvertes . S. M. toujours
prête à proteger & à récompenfer les fciences &
les arts , vient d'accorder des Lettres patentes fur
l'Arrêt du Confeil enregistré dans tous les Parlements
du royaume , par privilege exclufif pour
l'établiffement d'une manufacture royale ; le propofant
elle-même d'en faire ufage pour fa marine.
C'eft un encouragement digne de fes vues pour
le bien de fes fujets. Les puiffances maritimes ,
ds
( 82 )
3
les villes de commerce , & les armateurs qui défireront
avoir de ce métal , des clous & ferrures
verniffés , pourront s'adreffer aux adminiſtrateurs
de la manufacture royale du doublage des vaiffeaux
de la marine , établie à Nantes , qui fourniront
le doublage & les clous à 16 fols la livre.
Ils traiteront au meilleur marché poffible avec
ceux qui voudront faire enduire les ferrures du
vernis métallique , & ils reprendront le doublage
lors de fa démolition à moitié de prix de ce qu'ils
l'auront vendu . »
Les adminiſtrateurs & les actionnaires de
la Caiffe d'efcompte fe font affemblés plufieurs
fois l'avis fuivant eft le réfultat de
leur affemblée du 24 du mois dernier.
« A l'unanimité des fuffrages , il a été arrêté
que la fomme de 33 millions de billets de la caiffe
d'efcompte , en circulation actuelle , au lieu de
celle de 43 millions environ , qui étoient dans le
public , lors du procès verbal dréffé par M. le
Noir, Commiffaire du Roi , le 3 Octobre, reftera
fixée provifoirement comme la plus confidérable
qui puiffe exifter dans le public , jufqu'à ce que
Cette affemblée ait reçu le rapport du commité
qu'elle va élire , pour travailler de concert avec
les adminiftrateurs à diminuer la maffe des
billets de caiffe en proportion de la recette jourmalière
de l'actif de ladite caifle , comme elle l'a
déjà été en effet de près de 10 millions depuis le
procès-verbal fufdaté.
9
On dit qu'on abattra les allées de Breteuil.
Ces avenues & les marais qui font visà-
vis la principale porte de l'Eglife des Invalides
, vont devenir un quartier brillant. On
y bâtit fur les deffins de M. Brongniart , Ar(
83 )
t
chitecte des Invalides & de l'Ecole Militaire,
des rues & une place publique. Les rues
aboutiront au nouveau boulevard aux Invalides
, à l'Ecole Militaire , &c. Ce quartier fe
peuplant de jour en jour , un pont devient de
plus en plus néceffaire au devant des Invalides
ou de la Place de Louis XV . On en
conftruira , dit-on , un qui ne fera d'abord
qu'en bois. Il eft queſtion d'en faire un paeil
vis -à-vis de l'Arfenal & du Jardin du
Roi , qui s'étend aujourd'hui juſqu'à la riviere
, tous les chantiers qui le mafquent étant
difparus. C'est vraiment un lieu fuperbe.
Cette prodigieufe quantité de terreins a permis
d'étendre le Jardin Royal des Plantes
& de faire même un grand baffin , une efpece
d'étang pour les plantes aquatiques. Si
jamais on tranfporte dans cet endroit la Ménagerie
de Verfailles , comme il femble que
le projet en eft formé , ce fera un des plus
beaux , un des plus curieux & des plus utiles
établiffemens de la Capitale.
"
Les Globes & Spheres ordinaires font fi mal
montés , qu'il eft très -difficile , on diroit prefq'impoffible
de donner avec ces fortes de machines
une idée claire & nette du syftême du monde.
Elles repréfentent mal le mouvement de la terre
fur fon centre & au tour du Soleil celui de
l'écliptique eft inintelligible , le rôle eft fixe ,
& il faut fans ceffe le déplacer. L'horiſon varie
pour les différens peuple , & il est toujours le
même dans toutes les Spheres & Globes. M.
l'Abbé Grenet , Auteur de l'Atlas pour les Colleges
, & Profeffeur en l'Univerfité de Paris ,
d6
( 84 )
au College de Lizieux , rue S. Jean de Bauv ais
en annonce qui n'ont aucun de ces inconvéniens.
La premiere eft exécutée d'après le fyftême
de Copernic , avec un Globe de huit pouces de
diamettre , qui tourne au tour d'une petite boule
dorée fervant de Soleil , & qui conferve parfaitement
fon parallelique ; du Soleil il part quatre
rayons à Angle droit , dont deux indiquent les
folftices , & les deux autres les équinoxes. Il y a
un horifon mobile en tout fens , un écliptique
gradué , un grand méridien également gradué ,
tous en cuivre. Prix , depuis 80 liv . jufqu'à 100
liv. & au-de - là . La deuxieme armillaire terreftre
, c'est- à- dire , avec les principaux cercles
de la terre également en cuivre , même prix .
"
La troifieme , la plus curieufe de toutes , parce
qu'elle repréfente le monde tel qu'il eft , avec
un globe fans aucun cercle , une lanterne fert de
foleil une petite platine de cuivre trace par
fon ombre l'écliptique fur le globe , prix , depuis
30 liv. jufqu'à 54 liv. On en trouvera de
moins cheres , depuis 18 liv. juſqu'à 30 liv . ,
la monture toute entiere en bois ; chacune
de ces fpheres tient lieu du globe & de la ſphere
ordinaire.
M. Jombert jeune , Libraire rue Dauphine
, vient de publier l'avis fuivant fur la nouvelle
Edition de l'Art de vérifier les Dates ,
depuis J. C. en 2 vol, in-fol.
Suivant les arrangemens énoncés dans le Profpectus
de cette nouvelle édition corrigée dans
toutes fes parties, elle eff augmentée du double . Les
Propriétaires de l'édition de 1770 , qui deviendront
acquéreurs de la nouvelle avant le premier
Décembre prochain 1783 , jouiront d'une
faveur très- importante : Les 120 dernieres
( 85 )
feuilles de cette nouvelle édition leur feront
délivrées gratis. Seulement au moment où la
cinquieme livraiſon paroîtra , ils feront obligés
de préfenter la reconnoiffance qui fe trouve
jointe à la premiere livraiſon , & leur exemplaire
de 1770 , ou fimplement le titre , qui étant paraphé
, leur fera rendu fur le champ . Pour fe
mettre à l'abri de tout reproche de la part de
ceux qui ne fe feront pas pourvu à temps , les
Editeurs croyent devoir prévenir de nouveau que
cet avantage n'aura lieu que pour les exemplaires
acquis avant le premier Décembre 1783 , & qu'ils
tiendront très- Arictement à cette claufe. - La
deuxieme livraiſon de cet Ouvrage paroîtra à
cette époque , premier décembre 1783 , ainfi
qu'elle a été promife , & , de ce moment la premiere
paffera du prix de 18 liv. à celui de 21 liv.
L'impreffion de la troifieme fe mene avec
activité , & eft déja avancée , elles fe publieront
très - exactement toutes au temps fixé . Quelques
perfonnes fe font imaginées que les 120
dernieres feuilles de la nouvelle édition , que
l'on délivrera gratis , devoit fervir de fupplément
à l'édition de 1770 ; c'eft une erreur : la nouvelle
édition eft tellement corrigée & refondue , qu'il
eut été abfolument impoffible d'en extraire un
fupplément pour l'ancienne.
La Collection intéreffante du fond de
M. Vidal augmente tous les jours ; il vient
de publier encore deux gravures très-piquantes
dans le genre pointillé Anglois & en
rouge ; elles font pendant & repréſentent ,
June, Télémaque arrivant à la Cour de Sparte
, & déplorant devant Ménélas & Hélene
les malheurs de fon pere Ulyffe. L'autre offre
Achille fous des vêtemens de femme , à
( 86 )
1
la Cour de Lycomede où fa mere l'avoit envoié
pour le dérober au fort fatal qui l'attendoit
fous les murs de Troye , reconnu
par Ulyffe , déguifé lui -même en marchand ,
& décidé par ce Prince à quitter ce féjour &
à fe rendre où la gloire l'appelle . Ces deux
Estampes quifont pendant, font d'après un tableau
de la célebre Angélique Kauffman , &
ont été gravées d'après le célebre & infortuné
Wynne Ryland , Graveur du Roi d'Angleterre
( 1 ) .
C'eſt une vérité reconnue & fentie de tous les
artiftes , que leurs idées ne fe dévelopent & n'acquierent
la perfection d'un goût pur , qu'autant
qu'ils ont médité long- temps fur les monumens
de l'antiquité . C'est là qué réfident les belles formes
, les fages proportions & cette correction
de deffin qui impriment aux productions de la
peinture & de la fculpture une beauté qui femble
leur furvivre , puifque leurs débris confervent
encore un fi grand prix . Heureux les artiftes qui ,
fixés dans cette riche contrée où font raffemblés
les chef- d'oeuvres dont la poffeffion ſemble dédommager
les romains de leur ancienne fplendeur
, peuvent ne jamais perdre de vue ces beaux
modèles. Pour peu que la nature leur ait accordé
du génie , leurs ouvrages auront toujours un caractere
de pureté , de grandeur & de vérité qui
les difinguera de tous ceux qui ont pris naiſſance
parmi nous Mais combien de jeunes artifies affez
heureufement nés pour faire honneur à leur patrie
font hors d'état d'aller fe former le goût fous
(1 ) Elles fe trouvent chez M. Vidal , rue des Noyers,
No, 29. Le prix en eſt de 3 liv. chacune.
( 87 )
le beau ciel de l'Italie . Combien d'amateurs en
entendant parler des chef-d'oeuvres que renferme
cette contrée , regrettent de ne pouvoir les admirer.
C'étoit donc un véritable fervice à rendre aux
uns & aux autres , que de leur offrir une image
fidele de ces fragmens d'architecture qui dépofent
encore de la magnificence des Grecs & des .
Romains. Mais cette enrreprife fi importante ne
pouvoit être exécutée que par un homme qui eut
long- temps réfilé en Italie , & qui en fuivant la
carriere de l'architecture et acquis dans l'art du
deffin une perfection capable de nous tranſmettre
d'auffi grands objets . M. Renard , auquel les voyages
pitorefques d'Italie publiés depuis quelques
années ont déjà donné une jufte célébrité , étoit
certainement un des artiftes les plus en état de
remplir une tâche auffi difficile . Enfin , après
bien des années il eft parvenu à compléter cette
précieuse collection qu'il offre aujourd'hui par
a voie de la foufcription. Le prix de l'ouvrage
fera de 72 livres pour les foufcripteurs & de 96
livres pour ceux qui n'auront pas foufcrit . Les
foufcripteurs payeront 26 liv . en recevant la premiere
livraiſon , 24 liv . au premier Novembre
1784 & 12 liv . au premier Novembre 1785 , en
recevant la derniere livraiſon qui fera de huit eftampes
, & qui completera le nombre des cinquante.
"
La foufcription fera ouverte le premier Novembre
de la préfente année 1783 chez le fieur
Joullain , marchand de tableaux & d'eftampes
quay de la Mégifferie , & chez le fieur Cloufier ,
Imprimeur- Libraire , rue de Sorbonne , & n'aura
lieu pour Paris . que jufqu'au premier Mai 1784
& pour la province , jufqu'au premier Août de
la méme année. Lefd . fieurs Joullain & Cloufier
delivreront l'ouvrage, L'auteur remettra aux fouf.
1
( 88 )
cripteurs le texte en même temps que les livraifons
, & cela fans en augmenter le prix .
Jean le Rond d'Alembert , Sécrétaire perpétuel
de l'Académie Françaife , des Acadéinies
des Paris , de Berlin , de Petersbourg,
de la Société Royale de Londres , de l'Inftitut
de Bologne , de l'Académie Royale des
Belles - Lettres de Suede , des Sociétés Royales
des Sciences de Turin & de Norwege ,
eit mort le 30 du mois dernier , dans la
foixante- fixieme année de fon age. La Géométrie
a fait cette année trois pertes fenfibles
dans MM . Euler , Bezout & d'Alembert.
Suite du Traité de paix.
Les habitans Proteftans de lad . île , ainfi que ceux
de la même religion , qui fe font établis à Sainte-
Lucie , pendant que cette île étoit occupée par les
armes britanniques , ne feront point troublés dan s
l'exercice de leur culte ; & les habitans britanniques
ou autres qui auroient été Sujets de la
G. B. dans les fufdites îles , conferveront leurs
propriétés aux mêmes titres & conditions auxquelles
ils les ont acquifes , ou bien ils pourront
fe retirer en toute sûreté & liberté où bon leur
femblera , & auront la faculté de vendre leurs
biens , pourvu que ce foit à des Sujets de S. M.
T. C., & de tranfporter leurs effets , ainfi que
leurperfonne , fans être gênés dans leur émigra
tion , fous quelque prétexte que ce puiffe étre ,
hors celui de dettes ou de procès criminels Le
terme limité pour cette émigration eft fixée à l'efpace
de dix-huit mois , à compter du jour de
l'échange des ratifications du préfent Traité . Et
d'autant mieux affurer les propriétés des habitans
de la fufdite île de Tabago , le Roi T. C.
pour
( 89 )
donnera des Lettres - Patentes portant abolition
du droit d'aubaine dans ladite île. 8 °. Le Roi
T. C. reftitue à la G. B. les îles de la Grenade
& les Grenadins , Saint-Vincent , la Dominique,
Saint- Chriftophe , Nevis & Mont - ferrat ; & les
Places de ces les feront rendues dans l'état où
elles étoient lorfque la conquête en a été faite :
les même ftipulations inférées dans l'article précédent
, auront lieu en faveur des fujets François
à l'égard des îles dénommées dans le préfent arti
cle. 9°. Le Roi de la G. B. cède en toute propriété
, & garantit à S. M. T. C. , la riviere de
Sénégal & fes dépendances , avec les fort Saint-
Louis , Podor , Galam , Arguin & Portendick :
Et S. M. B. reftitue à la France Fre de Gorée
laquelle fera rendue dans l'état où elle fe trouveit
lorfque la conquête en a été faite . 10° . Le Roi
T. C. garantit , de fon côté , au Roi de la G. B
la poffeffion du fort James & de la riviere de
Gambie. 11 °. Pour prévenir toute difcuffion dans
cette partie du monde , les deux Hautes-Parties
contractantes nommeront , dans trois mois après
l'échange des ratifications du préfent Traité , des
Commiffaires , lefquels feront chargés de déter-.
miner & fixer les bornes des poffeffions respectives
. Quant à la traite de la gomme , les Anglois
auront la liberté de la faire depuis l'embouchure
de la riviere de Saint-Jean , jufqu'à la baie & fort
de Portendick inclufivement : bien entendu qu'ils
ne pourront faire dans ladite riviere de Saint-
Jean , fur la côte , ainfi que dans la baie de Portendick
, aucun établiffement permanent de quel
que nature qu'il puiffe être. 12. Pour ce qui eft
du refte des côtes d'Afrique , les fujets François
& Anglois continueront à les fréquenter felon
l'ufage qui a eu lieu jufqu'à préfent, 13 °. Le
Roi de la G. B. reftitue à S. M. T. C. tous les
4
( 90 )
établiffemens qui lui appartenoient au commen
cement de la guerre préfente , fur la côte d'Orixa
& dans le Bengale , avec la liberté d'entourer
Chandernagor d'un foffé pour l'écoulement des
eaux : Et S. M. B. s'engage à prendre les mesures
qui feront en fon pouvoir , pour affurer aux fujets
de la France , dans cette partie de l'Inde , comme
fur les côtes d'Orixa , de Coromandel & de Ma-
Jabar , un commerce fûr , libre & indépendant ,
tel que le faifoit la Compagnie françoife des
Indes orientales , foit qu'ils le faffent individuellement
ou en Corps de compagnie. 14 °. Pondichéry
fera également rendu & garanti à la France,
de même que Karikal ; & S. M. B. procurera ,
pour fervir d'arrondiffement à Pondichéry , les
deux districts de Velanour & de Bahour , & à
Karikal les quatre Magans qui l'avoifinent.
15. La France rentrera en poffeffion de Mahé ,
ainfi que de fon comptoir à Surate ; & les François
feront le commerce dans cette partie de
l'Inde , conformément aux principes établis dans
l'article 13 de ce Traité. 16 ° . Les ordres ayant
été envoyés dans l'Inde par les Hautes- Parties
contractantes , en conformité de l'article 16 des
Préliminaires , il eft convenu de nouveau , que
fi dans le terme de quatre mois les Alliés refpectifs
de L. M. T. C. & B. n'ont pas accédé à la
préfente pacification , ou fait leur accommodement
féparé , L. M. ne leur donneront aucune
affiftance directe ou indirecte contre les poffeffions
Françoifes ou Britanniques , ou contre les
anciennes poffeffions de leurs Alliés refpectifs ,
telles qu'elles fe trouvoient en l'année 1776 .
La fuite à l'ordinaire prochain .
>> Le Roi s'étant fait repréfenter le Réglement
arrêté en fon Confeil le 9 Janvier 1780 , concernant
les Fermes & les Régie de fes droits,
par lequel S. M. en a divifé la perception entre
( 91 )
&
trois Compagnies , fous le nom de Ferme gènerale
, de Régie générale & d'Administration générale
, en déclarant qu'elle ceffoit de réunir la
perception de tous les droits à une feule Compagnie
, & de fe lier par un Bail rigoureux ,
pour éviter de préparer elle même des obftacles.
au deffein où elle étoit d'ordonner dans plufieurs
parties les changemens que le retour de la Paix
pourroit déterminer ; & S. M. confidérant que
les circonstances actuelles juftifient fa prévoyance ,
par les inconvéniens qui réſulteroient pour le
bien de l'Etat , d'une plus longue aliénation des
droits qui font reftés dans la main de la Ferme
générale , & par la néceffité d'apporter furtout
dans la perception des droits des Traites , &
dans l'exploitation de la Vente exclufive du
Tabac & du Sel , des modifications telles que ,
fans compromettre les revenus de la Finance ,
qui font le gage des Créanciers de l'Etat ,
fans toucher au crédit des Fermiers généreux ,
dont ils ont fait jufqu'ici un ulage fi avantageux
pour le bien du Service , on puiffe procurer
au Commerce intérieur & extérieur de
nouvelles facilités , S. M. s'eft déterminée à réfilier
le Bail de la Ferme générale au 1 Janvier
prochain , époque qui partagera , par moitié
, fa durée ; & fon équité y a d'autant moins
répugné , que fi elle fe ménage par - là un des
plus grands moyens qui foient aujourd'hui en
fa puiffance , pour faire recueillir à fes fujets
les fruits de la Paix , ce fera en rendant la plus
exacte juftice aux Fermiers généraux : S. M.
étant difpofée à leur confier la direction des
mêmes droits & à leur affurer les mêmes profits
, quoiqu'elle les décharge de la garantie à
laquelle ils étoient foumis par leur Bail . A quoi
voulant pourvoir , & c » ,
( 92 )
Les Numéros fortis au Tirage de la Lo
terie Royale de France , font : 67 , 63 , 79 ,
51 , & 76.
DE BRUXELLES , le 4 Novembre.
Les lettres du Nord nous ont appris , que
le Prince Potemkin étoit tombé dangereufement
malade ; des lettres des frontieres de
la Turquie nous apprennent aujourd'hui que
le changement d'air & les foins qu'a pris de
lui une de fes nieces , ont procuré , contre
toute efpérance , fon rétabliſſement. Il avoit
été tranſporté au delà de la ligne de Précop ,
& comme fes forces revinrent rapidement ,
on ne doute pas qu'il n'ait été bientôt en état
de retourner à fon quartier général.
&
Les lettres de Hollande annoncent tou⚫
jours beaucoup de fermentation dans plufieurs
provinces ; on prétend que les différentes
Communions religieufes qui y font
tolérées , mais dont les membres ne font pas
admis aux charges & aux dignités civiles , ne
font pas indifférentes à ces mouvemens ,
que quelques - unes , celle des Mennonites
furtout , à qui fes richeſſes donnent une grande
influence , fe flattent peut- être en fecret
de s'en ouvrir la route , à la faveur des inno
vations qui auroient pu avoir lieu ; il paroît
que le Stadhouder s'eft occupé des moyens
d'en écarter principalement cette Secte , &
d'ôter la même efpérance aux autres , dans
l'efpérance de leur infpirer à toutes plus de
tranquillité , & de diminuer le parti qui s'eft
formé , & qui femble tendre à affoiblir quel
( 93 )
ques-unes des prérogatives de fa place. Il a
propofé du moins aux Etats de Hollande de
ne difpofer d'aucun emploi politique qu'envers
des perfonnes qui foient membres de la
Religion de l'Etat , & de rendre cette loi:
générale. On ignore encore la réfolution
qui fera prife fur cette propofition , qui doit
être mife inceffamment en délibération.

» Le 20 Octobre , écrit - on d'Amfterdam , entre
onze heures & midi , le feu prit , fans qu'on
fçache par quel accident , au Vaiffeau le Rynland
, commandé par le Capitaine Mulder ; les
progrès furent fi rapides qu'il fut impoffible de
l'éteindre. Lorsque les gros cables furent brûlés ,
le Vaiffeau fut entraîné de la rade par la marée ,
ce qui obligea plufieurs Navires , tant de guerre
que marchands , a lever l'ancre pour s'en éloigner.
Différentes Chaloupes l'entourerent & parvinrent
à en diriger la courfe jufqu'au rivage
du Texel , où il acheva de brûler. Ce Vaiffeau
devant être mis hors de fervice on en
avoit tiré la groffe artillerie , enfuite la poudre ;
on avoit dit aux gens de l'équipage de balayer
la poudre répandue , & on leur avoit furtout
recommandé d'être prudens ; le Capitaine étoit
occupé , dans fa chambre , à écrire , lorfque le
Vaiffeau éprouva une fecouffe qui le renverfa
avec la table qui étoit devant lui . Il fe fauva
de fa chambre , le Navire étant déjà tout en
feu. On n'a rien pu fauver des effets , & on croit
qu'il a péri cinquante hommes. On croit que
tous les Officiers fupérieurs font fauvés ; quelques
perfonnes difent que le reste de l'équipage
a péri ; il étoit compofé de 170 hommes ».
PRECIS DES GAZETTES ANGL . ET AUTRES
Il eft aifé de voir par toutes les opérations de
( 94 )
notre Miniflete qu'il ne régle point fa dépenfe fur
l'établiffement de paix.
On dit qu'il n'y aura point d'emprunt l'année
prochaine ; que les Miniftres s'occupent des
moyens de diminuer la dette nationale & d'acheter
plutôt des capitaux que de rembourfer les billets.
On a fupputé qu'il y avoit actuellement en Europe
1247 loges de Francs- Maçons ; en Amérique ,
187 ; 76 en Afie; 13 en Afrique ; ce qui fait entout
1523 loges exiftantes dans le monde. En admettant
que chaque loge , l'une prife dans l'autre ,
foit compofée de 30 membres , cela donnera un
produit de 45,690 freres profeffans la maçonnerie
L'article inféré dans prefque tous nos papiers ,
au fujet des Volontaires d'Irlande , paroît contenir
une grande abfurdité. Les Volontaires , difentils
, doivent confulter les Juges pour favoirfi les députés
armés peuvent s'affembler légal ment pour faire
changer la conftitution du Gouvernement. Il est bien
sûr que les Juges qui font nommés par le Roi ,
affureroient , s'ils étoient contultés , qu'une pareille
affemblée eft illégale ; ce qui fait voir que
les Volontaires n'ont jamais pu agiter une pareille
question , c'eſt qu'ils ne prétendent point changer
la conftitution , mais la ramener à fa pureté primitive
, par une repréſentation libre & égale du
peuple à la Chambre des Communes . Au refte ,
comme on l'a dit de S. Denis qui ramaffa fa tête ,
après qu'on l'eut coupée , & qui la porta à deux
lieues de Paris : il n'y a que les premiers pas qui
coulent.Il pourra en arriver de méme de l'Irlande,
fi l'on s'opiniâtre à ne vouloir pas la fatisfaire.
Les derniers lettres d'Italie portent qu'on s'occupe
beaucoup dans cette partie du midi de
l'Europe des fuites que peut avoir le fuccès des
projets des deux Cours Impériales . On ne doute
pas que dans le partage qui paroît arrêté à Pé(
95 )
tersbourg & à Vienne , toute la rive orientale
de la mer Adriatique ne doive paffer fous la domination
de l'Empereur ; & les domaines de la Maifon
d'Autriche en Italie qui comprennent déjà le
Tirol , le Milanais , la Tofcane & l'Etat de Modene
, étant ainfi aggrandis & fortifiés , paroiffent
devoir donner à cette augufte maiſon une
prépondérance que certains Politiques trouvent
trop grande. Leur terreur à cet égard paroît à
d'autres également précoce & vaine . Courier d'Avignon
, n. 84 .
Onne traite plus les Anglois en Portugal avec le
même refpect & la même cordialité qu'auparavant .
Jufqu'à préfent ils avoient ici plufieurs branches exclufives
de commerce ; on fermoit les yeux fur la
contrebande qu'ils faifoient ; mais les chofes font totalement
changées . Au dernier Paquebot anglois
forti de ce Port , on remarqua qu'il étoit escorté
par un Vaiffeau de guerre Portuguais ; il fut vifité
rigoureufement à fa fortie , comme il l'avoit
été à fon entrée ; deux Bâtimens l'avoient furveillé
tout le temps de fon féjour dans le Tage,
& il n'avoit été permis à perfonne de fe rendre
à bord du Bâtiment. Ces précautions , dont on
n'avoit jamais eu d'exemple , à l'égard des Anglois
, fe continuent encore . Supplément à la Gazette
d'Amfterdam , N° . 85 .
>
» La République de Venife fe met en état
de défente , tant par mer que par terre & ne
néglige rien de ce qui peut lui procurer les
moyens d'attaquer auffi fi les circonstances l'exigent.
On renforce les Garnifons des Villes maritimes
du côté de l'Iftrie & de la Dalmatie Vénitienne
, & douze Va fleaux de ligne doivent
-être employés pour former une puiffante croifere.
Gazette universelle de Florence , Nº. 80,"
( 96 )
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
CONSEIL DU ROI,
Quels font dans les Pays- Bas François les droits
d'un Abbé commendataire fur les prieurés forains,
les colleges & les offices clauftraux defon Abbaye.
Cette queftion qui eft amplement traitée dans
le repertoire de Jurifprudence , au mot Prieuré,
par M. Merlin , avocat au parlement de Flandres
, a été agitée depuis peu au Confeil du Roi
entre M. le Cardinal de Rohan , Abbé commendataire
de S. Vaaft- d'Arras , & les grand Prieur
& religieux de la même Abbaye . Par arrêt du
5 Juillet 1783 , S. M. a ordonné , 1º. que M.
le Cardinal de Rohan adminiftreroit par provifion
, les biens des colleges , des prévôtés ou
prieurés forains & des offices clauftraux : que les
baux qu'il en avoit paffés & qu'il en pafferoit
auroient leur pleine exécution ; & que leur produit
& les autres revenus de ces établiffemens
feroient , fous fon inſpection & autorité , employés
à leur deftination , fans aucun divertif
fement. 2 °. Qu'il commettroit aux places des
principaux des colleges , à celles des prévôts des
prévôtés & aux offices clauftraux , tels d'entré
les religieux de l'Abbaye qu'il jugeroit à propos
, qu'il pourroit révoquer ou deftituer les pourvûs
de ces places & offices , quand & ainſi qu'il
aviferoit bon être , fe faire rendre compte par
eux de leur geftion & de l'emploi des revenus
en la maniere accoutumée , tant pour le paffé
que pour l'avenir , & généralement exercer à
l'égard de ces établiſſemens , fans aucune exception
ni reſerve , tous les droits dont pourroit
jouir un Abbé regulier.. Sur la question de
favoir fi M. le Cardinal , Abbé , avoit droit aux
revénus defd. colleges , prévôtés & offices clauftraux
; Sa Majefté a joint au fond les demandes
elpectives des parti es.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , 7 Octobre.
' Anniverfaire de la naiffance du Grand-
:
LDuc a été célébré ici le 1 de ce mois ;
S. A. I. reçut à midi les complimens de la
Cour & ceux des Miniftres étrangers ; elle fe
rendit enfuite à la grande Chapelle où l'on
récita les litanies , qui furent fuivies d'un
fermon prononcé par l'Archimandrite Makari
les canons des deux fortereffes furent
tirés après le fervice , & les membres du Synode
, ainfi que les principaux Eccléfiaftiques
rendirent leurs devoirs à la Famille Impériale
dans la Chapelle même. L'Impératrice
dîna enfuite avec le Grand -Duc & la
Grande-Ducheffe , à une table de so couverts
, à laquelle la Princeffe de Wurtemberg
Stutgard , les Seigneurs , les Dames
des trois premieres claffes , & plufieurs autres
perfonnes de diftinction furent invitées."
La fête fut terminée par un bal.
No. 46 15. Novembre 1783 .
( 98 )
On a découvert dernierement une grande
quantité de faux billets de banque ; on en a
trouvé à Sclow pour 150,000 roubles. Deux
Knees font accufés de les avoir fait fabriquer
& de les avoir diftribués eux-mêmes.
Des ordres ont été expédiés dans tout
l'Empire, pour lever un foldat par 200 fur
tous les hommes en état de porter les armes
on évalue à 50,000 hommes pour l'armée
de terre l'augmentation qui en réfultera.
Ce matin on a lancé à l'eau en préfence
de l'Impératrice , du Grand -Duc & de la
Grande -Ducheffe un vaiffeau de 100 canons
, appellé le Treg-Hebarchia , & un autre
de 74 , nommé le S. Jean - Chryfoftome.
SUÈDE.
DE STOCKOLM , le 10 Octobre.
S. M. avant fon départ pour l'Italie , a
nommé le Duc de Sudermanie Généraliffime
de fes troupes ; c'eft à lui que l'on adreffera
tous les détails relatifs à l'armée ; la
Chancellerie d'Etat connoîtra auffi , pendant
fon abfence , de toutes les affaires qui pourront
fe préfenter , & qui intérefferont l'adminiſtration.
Le 6 Août dernier , on éprouva à Uleabourg
un ouragan terrible , pendant lequel
les eaux ont été élevées à plus de 7 pieds audeffus
de leur lit. La plupart des bâtimens
( 99 )
qui étoient en rade , & en affez grand nombre
, ont été jetés à terre.
DANNE MARCOK .
: DE COPENHAGUE , le 12 Octobre.
Nous avons donné de tems en tems l'état
des actions Danoifes . Elles continuent à baiffer
d'une maniere fenfible ; on pourra juger
de leur véritable état par le tableau fuivant ,
qu'on dit exact , & qu'on a fait pour 2 époques
différentes .
Comp. Afiatique .
--des Indes Occid ,
--de la Baltique..
-d'Affur marit,
du Canal ..
Avril
• 1400 à 1450 Rixd.
•6430 à 440.
@ 123.
620.
107.
گر
22 Août,
.1100 1110 .
312
... 108 à 110.
330
97 à 100.
Le 1 Février dernier les actions de la Compagnie
Afiatique , & de la Compagnie des Indes
Occidentales , étoient les premieres à 1800 rixdalers
, & les fecondes à 800. 800 .
thore POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 8 Octobre.
Plufieurs papiers s'étoient empreffés d'annoncer
que le Roi de Pruffe, en faisant inveftir
la ville de Dantzick par fes troupes ,
avoit deffein de s'en emparer ; mais ce bruit
ne s'eft pas foutenu ; S. M. n'a point d'autre ,
intention , que celle de forcer le Magiftrat de
e 2
( 100.)
Dantziek à revenir de fes prétentions , & à
fe prêter à un accommodement ; en général
fa conduite n'a point l'approbation de cette
Cour : elle n'a pas non plus celle de la Ruffie
; & les deux Puiffances regardent , dit- on ,
les prétentions du Roi de Pruffe comme
juftes & inconteftables.
S'il faut en croire des lettres de l'Ukraine,
le Feld-Maréchal , Comte de Romanzow ,
eft attendu inceffamment à Niemirow ; ce
voyage , s'il a lieu en effet , fait croire que
les Ruffes fe propoſent d'agir , malgré la faifon
avancée. On penfe du moins que le
Général qu'on fait marcher , ne peut pas
avoir été chargé d'une promenade inutile .
On dit que des troupes Autrichiennes ont
défilé de la Tranfylvanie , pour ſe porter fur
les frontieres de la Moldavie & de la Valachie
; les paffages du côté de cette derniere
Province , ajoute-t- on , ont été fermés , à
caufe de la pefte qui exerce fes ravages de
l'autre côté du Danube , où ils fe font étendus
on n'efpere plus la diminution de ce
fleau , & fa ceflation entiere , que des froids
& des gélées de l'hiver, que l'on attend avec
impatience, UTTERAN
ALLEMAGNE,
DE VIENNE, le 23 Octobre. 12
On dit que les bâtimens de l'Univerfité
doivent être inceffamment vendus , & que
( 101 )
l'ordre de l'Empereur à ce fujet , ne fauroit
tarder à être publié , on en conclut que l'U
hiverfité de cette ville fera tranfportée ailleurs
, quoique quelques perfonnes préten
dent que les Profeffeurs refteront , & feront
autorifés à donner des leçons dans leurs
maiſons .
Une autre nouvelle qui eft plus pofitive ,
c'eft qu'il fera ordonné fous peu de tems
toutes les perfonnes qui ont des penfions ,
d'aller vivre hors de cette réfidence , & de
fixer leur féjour dans quelque ville de province,
& entr'autres à Presbourg.
La princeffe Elifabeth de Wurtemberg a
quitté depuis le 13 de ce mois fes appartemens
de Rennweg, pour occuper ceux du
château.
DE HAMBOURG , le 27 Octobre.
On parle toujours de la tenue d'un Cont
grès à Conftantinople , pour arranger les différends
qui fe font élevés entre la Ruffie &
la Porte : l'Internonce de la Cour de Vienne
a, dit- on, reçu fes inftructions pour cet effet;
s'il faut en croire nos papiers, il y a des mouvemens
dans la Perfe & dans la Géorgie,
qui font bien faits pour allarmer la Porte &
pour lui faire craindre une rupture qu'elle a
évité jufqu'à préſent avec la Ruffie.
Les habitans de la Georgie , difent ces papiers
, après avoir affuré toutes les avenues de
leur pays font entrés , à ce que l'on prétend,
e 3
( 102 )
au nombre de 50000 hommes en Natolie . Is
ent battu les troupes Turques qui s'y trou
voient , & fe font emparé de la ville de Kars .
Le Bacha d'Alkafike qui , quoique Mahometan
eft gendre du Prince Salomon , a trahi le grand-
Seigneur , & donné des fecours aux Georgiens
dans cette circonftance. Le Divan , ajoute-t-on ,
eft extrêmement inquiet à cette occafion & s'affemble
fouvent ; & en attendant le fameux Haggi
Ali Pacha , plus connu fous le nom de Gianikli
Ali Pacha , qui depuis quelque tems étoit
près d'Oczakow , avec une armée de 100,000
hommes , pour faire une irruption en Crimée à
la premiere occafion favorable , s'eft porté du
côté de la Natolie pour arrêter les progrès dé
ces nouveaux ennemis ».
La plupart des papiers de l'Empire copient
ces détails ; mais aucun ne peut dire
d'où ils viennent, & on ne les croit pas géavoir
dur néralement allez tondés pour y quelque
confiance : il est bien vraisemblable que
la Ruffie , qui eft maitreffe de la Crimée , &
qui defire garder cette poffeffion intéreffante
, ne néglige rien pour fufciter des embarras
à la Porte : mais il ne l'eft gueres que le
prince de Géorgie ait entrepris de déclarer la
guerre à l'Empire Turc , avant de le voir engagé
avec une Puiffance en état de lui tenir
tête , & avec laquelle il lui eft aifé de temporifer
encore , jufqu'à ce qu'il ait eu le tems
de le mettre à la raifon ; les fecours du Bacha
d'Alkafike feroient un peu étranges ; en
tout cas , ils doivent être peu confidérables ,
& furtout très-précaires , car on ne croit
( 103 )
pas que des Mufulmans , raffemblés par leur
chef pour combattre contre des Mufulmans
en faveur des Chrétiens , reftent long- tems
fous des drapeaux que leur confcience leux
défend de fuivre , & ne fauroit tarder à leur
faire quitter.
ver ›
>
On ne s'attend plus à des hoftilités avant l'hy
lit -on , dans quelques lettres des frontieres
de la Turquie. Les bruits de paix fe renouvellent
& acquierent tous les jours plus de
confiftance. On affure que la Porte fe portera
à des ceffions qui fatisferont la Cour de Vienne ,
& que déja les navires Autrichiens ont été affranchis
du droit d'un & demi pour 100 , ай
quel ils étoient ci devant affujettis pour la navigation
de la mer noire . Cependant les préparatifs
de guerre continuent & les Rufles fe
font , dit -on , raffermis dans la Crimée , au point
qu'en cas de guerre , il fera très-difficile aux
Turcs de les en expulfer . Leur camp près de
Karat Bazar où l'ancien Khan Sahim Guerai
a fait jufqu'à préfent fa réfidence , a été fortifié
avec foin ; le Général Suwarow eft poſté
avec un corps nombreux dans le Cuban ; & fur
les frontieres de ce pays , du côté de la Perfe
les troupes Ruffes ont auffi formé un cordon .
Le corps Ottoman qui avoit été raffemblé près
d'Oczakow, prendra fes quartiers d'hiver dans
la Beffarabie ; les troupes afiatiques qui en font
partie , ne retourneront point chez elles ; en
leur promettant un bon entretien pendant l'hyver
, on eft parvenu à les engager à rester à l'ar
mée contre leur ufage.
,
L'affaire de Dantzick n'eft point encore
terminée, comme on l'efpéroit ; le Magiftrat
a refufé de fe prêter aux propofitions qui lui
€ 4
( 104 )
avoient été faites par le Commiffaire du
Roi de Pologne , & le Roi de Pruffe fe voit
forcé d'employer les moyens qui font en
fon pouvoir , pour amener cette ville à un
arrangement .
L'Eftafette qu'on attendait de Berlin , écriton
de la Pruffe occidentale , en date du 17 de ce
mois , arriva avant hier ; elle apporta les dernieres
inftructions de cette Cour au Major général
d'Eglofftein ; elles contenoient l'ordre de
faire entrer les troupes du Roi fur le territoire
de Dantzick , & de refferrer étroitement la ville
de tous côtés , dans le cas où le Magiftrat perfifteroit
à refufer les propofitions d'accommodement
qui lui avoient été offertes . Le Baron
d'Eglofftein fit d'abord communiquer par le réfident
de S. M Pruffienne les intentions du
Roi à la Régence de la ville , & lui accorda
un délai de 2 fois 24 heures , pour déclarer fi
elle vouloit laiffer ou non la navigation de la Vif
tale près de Schellmuhle libre aux navires Pruffiens.
Les délibérations du troifieme ordre avec le Magiftrat
durerent toute la journée , la réponſe à la
quelle ils fe déterminerent , doit avoir été négative
, puifque M. de Lindonowski réſident de
S. M. Pruffienne , a quitté la ville hier au foir
En même tems M. d'Egloffttein donna l'ordre
à fes troupes de fe tenir prètes à marcher le
matin fuivant ; en effet ce matin à dix heures
les 48 heures étant expirées , ces troupes ont
occupé le Werder de Dantzick Leur entrée s'eft
faite avec beaucoup de régularité, & fans aucune
oppofition ni voies de fait . Aucun Dant
zickois ne s'eft fait voir dans l'endroit même ;
raffemblés fur les murs de la ville , les habitans
ont été tranquilles fpectateurs de la mar(
105 )
che des troupes Pruffiennes. Celles-ci ont ordre
d'obferver ladifcipline la plus exacte ; elles payent
tout argent comptant à l'exception du fourage
pour la cavalerie que les payfans de Dantzick
doivent livrer. Au départ de la pofte , il n'a pas
encore été fait de difpofitions ultérieures par
le Commandant Pruffien. Par le courier prochain
on faura quelles feront les mesures qu'il
prendra pour contraindre promptement la ville
à céder aux defirs de fa Cour.
-
On lit dans un papier Allemand l'Anecdote
fuivante fur l'origine de la fortune de
M. Peter Schreuzer , élevé par le Roide Pruffe
au rang d'Officier Général .
&
A la bataille de Prague dans laquelle le Général
Daun força le Roi à lever le fiege de cette
place , S. M. eut dans fa retraite fon aile gauche
mife dans une espece de défordre , qui le fit
courir au galop pour y rémédier . Son cheval
tomba auprés d'un foldat bleffé qui appercevant
le Roi , lui dit : Sire , fi vous ne placez pas
2 ou 3 pieces de canons fur cette hauteur
une embuscade dans le défilé qui eft au deffous ,
votre aîle eft perdue. Le foldat en parlant ainsi
montroit de la main les endroits qu'il défignoit
& auxquels le Roi ne fongeoit pas ; il y porta
les yeux , & après avoir gardé le filence
pendant quelques minutes , il tira une bague
de peu de valeur qu'il avoit au doigt , la donna
au foldat , en lui difant , fi tu guéris , rapporte
moi toi-même cet anneau. Il le quitta auffi - tôt
& donna les ordres en conféquence de l'avis du
foldat , & fauva ainfi fon aile ; un mois après
le foldat rétabli affez pour pouvoir marcher ,
alla trouver le Roi & lui préfenta la bague.
Le Roi lui donna une commiffion de Capitaine
es
( 106 )
3
-
le nouvel Officier fe conduifit fi bien à la bataille
de Rosbach , qu'il fut fait Major & bientôt
Lieutenant Colonel. A l'affaire de Drefde ,
le Roi héfitant fur un parti , envoya un de fes
Aides de Camp à Schreuzer pour lui ordonner
'de venir. Il lui demanda fon avis , le fuivit &
reffit. Cela valut à Schreuzer un Régiment
& le grade de Major général. Cet officier eft
d'un froid étonnant au milieu des plus grands
dangers. Le Roi l'aime beaucoup & ſe plaît à le railler
fur la force de fon efprit & de fon eftomach ;
il dit que s'il prend beaucoup de nourriture ,
elle fe volatilife auffitôt qu'elle eft dans fon
eftomach.
On reçoit de Bremen l'avis fuivant , qui
intéreffe la navigation , & que nous nous
empreffons de tranfcrire.
On avertit les Navigateurs que la Balife , cidevant
placée à l'embouchure du Wefer , à l'endroit
nommé Schmits Steert ; mais tout - à -tour
détruite par une incendie & un orage, vient
d'être rétablie à un quart de mille d'Allemagne
plus au Sud ; & qu'à partir du feptieme tonneau
noir ou mellum-tonneau marqué F. elle fe trouve
actuellement Sud-Est , un tiers Eft , une & trois
quarts de ligne de déclinaiſon .
le 24 Octobre. DE MUNICH , le 24
Le 21 de ce mois , le Roi de Suede arriva
dans cette Réfidence à 5 heures du foir, fous
le nom de Comte de Haga. Il defcendit à
T'auberge , & s'y logea. Il avoit à ſa ſuite le
Comte de Ferfen , Capitaine de fes Gardes
du Corps , le Baron d'Armfeld , premier
Gentilhomme de fa Chambre , & l'un de fes
( 107 )
Chanibellans , le Baron d'Elfen. Il parut le
même foir à la Comédie , où il trouva l'Electeur
, auquel il fit faire par fon premier
Gentilhomme un compliment que S. A. E.
lui fit rendre fur le champ par le Comte de
Daun , Commandant de cette ville , faifant
anprès d'elle les fonctions de Grand- Ecuyer.
Le fpectacle fini , ces deux Princes fe retirerent
fans s'entretenir plus particulierement
enfemble. Le lendemain S. M. Suédoife , qui
avoit témoigné defirer garder le plus parfait
incognito , & déclaré ne vouloir accepter
aucuns honneurs , vifita le château de Nymphenbourg
& fes environs. Le Comte de
Daun , & le Baron de Waldkirk , Grand-
Veneur du pays de Baviere avoient l'honneur
de l'accompagner. Ce Monarque affifta
le foir à la Comédie dans la loge de
Madame l'Electrice Douairiere . Cette Princeffe
avec Madame la Ducheffe de Baviere
& l'Electeur l'y attendoient. Après le ſpectacle
S. M. & leurs Alteffes fouperent enfemble.
Hier l'Electeur alla prendre lui- même le
Roi de Suede à fon auberge à huit heures du
matin , & le conduifit à fon château de
Schluisheim. De retour à midi , ćes Princes
trouverent fur la place de parade les déta-
´chemens des régimens des Gardes , & du
Prince Maximilien de Deux- Ponts , Infanterie
, & un eſcadron de celui de Wahl prêts
à monter la garde. Ils défilerent en préſence
de S. M. Suedoife , qui fut fort fatifaite de
leur tenue , & de leur compofition . Ce Moe
G
( 108 )
narque vit encore avant le dîner le tréfor,
les
appartemens , & la Chapelle de la Cour.
Après le dîner, il parcourut attentivement la
galerie des tableaux , qu'il jugea en connoiffeur
habile. Il y eut le foir Académie à la
Cour , & fouper, après lequel S. M. fit à
L. A. les adieux les plus tendres. Aujourd'hui
24 à fix heures moins un quart du matin
, cet augufte Voyageur eft parti pour
Infpruck , où le Comte de Sparre , Sénateur
& Gouverneur de Stockolm l'attend avec fe
reſte de ſa ſuite. Il fe propoſoit d'y coucher
le même jour , & de continuer fa route le
lendemain 25 , de façon à arriver le plutôt
poffible , & par le chemin le plus court à
Pife , dont fes Médecins lui ont confeillé les
bains , pour achever la guérifon de fon bras
gauche , fracturé par la chûte de cheval que
S. M. a faite, il y a quelques mois.
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 10 Octobre.
Trois vaiffeaux de guerre Anglois mouillent
depuis quelques jours dans notre rade ;
mais le plus fort n'eft qu'une frégate de 32
canons , nommée l'Orphée ; cette petite
efcadre eft deftinée à croifer dans la Méditerranée.
Les dernieres lettres de Meffine annoncent
que la terre commence à fe raffermir ,
& qu'il s'eft écoulé dix jours pendant lef
( 109 )
quels on n'a pas éprouvé la moindre fecouffe.
» Le 25 de ce mois , écrit -on de Naples , 75
Dames de la Cour ont donné fur le Théatre de
S. Charles , une fête en réjouiffance du rétabliffement
de la reine ; elle commença par une
Cantate compofée à cette occafion , & qui fut
exécutéé par les meilleurs Muficiens. Le célébre
Peintre Chelli avoit fait une décoration trèsbrillante
qui repréfentoit le Temple d'Apollon ,
L. M. honorerent cette fête de leur préfence. La
Cantate fut fuivie d'un bal auquel toute la
Cour s'empreffa de prendre part . Les marques
les plus élégans s'y raffemblerent en foule. Dixhuit
Cavaliers en habit de Jardiniers après avoir
exécuté une contredanfe devant la loge du Roi
& de la Reine , leur préfenterent une corbeille
de filagrames d'argent remplie de fleurs.-
Le féjour de la Cour à Caftel - à- Maré continue ;
la Reine paroît s'y plaire beaucoup , & le Roi
fe propofe d'y faire bâtir un Palais . Pendant
fon féjour dans ce beau lieu , le Roi à été
faire un tour à Sorrento , où il n'avoit point
été encore depuis qu'il eft fur le trône. Il y
a été. reçu avec les marques les plus éclatantes
de fatisfaction de la part des habitans empreffés
& fatisfaits de voir leur Souverain . Ils lui ont
donné plufieurs fètes. Une des chofes que S. M.
a remarqué avec le plus de plaifir , c'eft l'air d'aifance
& d'opulence des habitans , tous paroiffent
jouir du bien- être , & le bas peuple y eft vêtu
d'une maniere décente qui annonce qu'il ne
fouffre point comme ailleurs : Je regrettois , a- t- elle
dit à cette occafion , de ne voir jamais de requête
de la part des habitans de cette Ville ; je vois à
leur fituation qu'ils n'ont pas befoin de recourir
à mes bienfaits.
--
( 110 )
Il vient d'arriver dans ce port un vaiffeau
appartenant à la Compagnie des Indes
Orientales ; il a mouillé à Trieste , à fon retour
du port Maurice.
Les lettres de Turin portent que le Roi
de Sardaigne ſe propofe de faire inceffamment
un voyage dans fes états , pour en vifiter
& examiner par lui - même toutes les for .
tereffes.
ESPAGNE.
DE CADIX , le 18 Octobre.
Lè Lieutenant - Général de Cagigal , arrivé
avec la flotte de D. Jofeph Solano , & mis
enfuite aux arrêts dans cette ville , a été transféré
au château de fainte - Marie , avec permillion
cependant d'y avoir avec lui fa famille
, & la jouiffance de la moitié de fes
appointemens. Les accufations répandues
contre cet Officier , & répétées dans quelques
papiers publics , font affez généralement
regardées aujourd'hui comme deftituées
de tout fondement.
On prétend que fon tort confifte uniquement
en ce qu'il a manqué à l'exécution
d'un ordre du Roi , portant de faire emprifonner
un de fes Aides- de Camp , dont il connotffoit
l'innocence .On dit que cet Aide- de-Camp
dans la crainte de devenir la victime de fes
ennemis , a pris la fuite & s'eft réfugié à Philadelphie
, & que M. de Cagigal reftera prifonnier
jufqu'à ce que cet Aide-de - Camp foit revenu
ici pour fe juftifier des accufations portées contre
lui ; à la follicitation de M. de Cagigal , il
y a un confeil de guerre nommé pour examiner
cette affaire.
Le Roi a , dit-on , accordé à l'Infant Don
Louis la permiffion d'aller & de demeurer
partout où il voudra , à l'exception de Madrid
& de S. Ildephonfe , quand la Cour s'y
trouvera. On croit que ce Prince fixera fon
féjour à Goadilla , lieu agréable , peu éloigné
de la Capitale , environné de collines ,
remplies d'herbes odoriférantes. On prétend
qu'il a donné so doubles ducats au courrier
qui lui a apporté la dépêche contenant cette
permiffion.
S. M. a donné à D. Antonio Barcelo une
épée à poignée d'or , enrichie de brillans , &
l'a décoré de la Grand'Croix de l'ordre de
Charles III. Le Prince des Afturies lui a fait
préfent d'une canne à pomme d'or, & l'Infant
D. Gabriel , d'un naud de chapeau ,
orné de brillans avec le cordon.
"
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 4 Novembre
Nos nouvelles de l'Amérique feptentrionale
fe réduifent , au rapport de quelques
particuliers arrivés depuis peu , & dont ceux
mêmes de nos papiers qui fe font permis le
plus de réflexions hafardées fur les Américains
, & fur leurs difpofitions turbulentes ,
atteftent la véracité.
( 112 )
Selon ces rapports il n'y a rien de plus faux
que tout ce qu'on a débité des querelles intérieures
& de l'état de détreffe du pays. Ces
voyageurs nous affurent que ces affertions n'ont
aucun fondement , ils ont parcouru l'intérieur de
la Penfylvanie , du Maryland , de la Virginie
& de la Caroline , qu'ils ont trouvées dans un
état de paix & d'union auquel ils ne s'attendoient
pas ; les habitans étoient tranquilles , occupés
de la culture de leurs terres , & leurs habitations
auffi floriffantes auffi-bien entretenues qu'elles
l'étoient avant la guerre ; ils vivoient dans la
meilleure harmonie entre eux , & étoient tous
parfaitement d'accord dans l'opinion qu'ils ont
des Loyallftes , & fur la juftice de refufer qu'il
leur foit permis de reprendre leur rang dans la
Société Américaine . Les marchandifes d'Europe
propres au pays s'y vendoient généralementà 15
& à 20 p, 100 de profit , & fi quelques Négocians
ont perdu fur les leurs , c'eft qu'ils ont
mal fpéculé , lorfqu'ils ont confulté uniquement
leur avidité & non les befoins des Américains ;
en leur portant des marchandifes ils fe font
conduits dans leur choix comme l'auroient fait
des Négocians qui auroient porté du thé à la
Chine. Dans les principales Villes fituées fur le
bord de la mer , il s'eleve quantité de nouveaux
édifices , deftinés aux Emigrans d'Europe qui
arrivent de toutes parts , & qui font en
trèsgrand
nombre. On a remarqué que les Irlandois
qui paffent en foule en Amérique , préférent
des établiffement à la campage , tandis
que ceux qui viennent d'ailleurs , habitent de
préférence dans les Villes. On croyoit en général
que le Congrès fixeroit fa réfidence dans le
centre des Etats du Nord & du. Midi , comme
au point le plus convenable ; & on concluoit
( 113 )
qu'il fe détermineroit à retourner à Philadelphie
ou à habiter Trenton ; ces deux Villes étant en
effet placées aux lieux les plus convenables pour
fervir de Siege à la tête de la confédération.
On fe foumettoit généralement à fon autorité
quoique l'on convint cependant de la néceffité
de quelques nouveaux réglemens pour le bonheur
de l'Empire Américain.
4 Le Journal continental de Boſton , du
Septembre , contient les détails de la fête
qui eut lieu dans cette ville le jour de S.
Louis.
Cette fête fut donnée au Conful général & Vice-
Conful de France , & à toutes les perfonnes de
la premiere diftinétion . Pendant la Meffe qui fut
célébrée à cette occafion dans l'Eglife Catholique
, on tira 21 coups de canons en l'honneur
de S. M. T. C. & au dîner on porta les
fantés fuivantes. S. M. le Roi de France , la
Reine de France , la famille Royale de France,
Villuftre Maifon de Bourbon en général , le traité
de famille des Bourbons , les amis de l'Amérique
en Angleterre , le Comte de Vergenne's ,
M. Van-Berckel , Milord George Gordon, Hyder-
Aly , l'Evêque de Derry , & les Volontaires
d'Irlande.
On peut trouver fingulier dit un de nos papiers
à cette occafion , qu'on ait mis le Général
des Prefbyteriens en compagnie fi étrangere
à fes principes ; mais on obfervera qu'un
ennemi de Rome auroit pu boire à la fanté de
Catilina. Quant à la fanté portée à Hyder-
Aly , elle étoit tardive ; c'étoit une larme verfée
fur fon tombeau. La fanté portée aux Irlandois
montre l'opinion qu'on a d'eux en Amérique ; on
leur préte cette devife : ed io anche fon'uomo.
( 114 )
On compte que les premieres lettres qui
nous arriveront de New-Yorck , nous apprendront
que nos troupes ont quitté l'Amérique
feptentrionale ; on croit en effet qu'aujourd'hui
elles font en route pour revenir
en Angleterre.
On affure , dit un de nos papiers , que ces
Troupes ont ordre de débarquer en Irlande ,
ce qui feroit peut être étrange fur- tout dans
les circonstances préfentes. On fait ce qu'elles
ont été faire en Amérique , & comment elles
ont réuffi ; cela ne pourroit-il pas faire craindre
aux Irlandois qu'on auroit les mêmes vues à leur
égard , & le verroient-ils de bon oeil . Ce feroit
en quelque forte leur faire une déclaration de
guerre ; & nous fortons d'une qui a été fi malheureufe
, que nous devons être fort éloignés de
l'idée feule d'en entreprendre une pareille. Au
lieu d'aigrir ce Royaume , nous avons befoin
aya de renouer le lien qui
Ada 11
45 lavet 40
femble s'être rompu.
1
C'est en effet un des principaux objets
dont s'occupe actuellement l'adminiftration ;
elle eft réfolue , dit- on , à faire des conceffions
à l'Irlande , & elle l'en a fait affurer par
quelques perfonnes de poids ; mais elle a
de grands arrangemens à prendre relativement
au commerce , & il y en a plufieurs
qui ne feront peut-être pas aifés.
Les Patriotes Irlandois , lit-on dans un de nos
papiers , ont invectivé beaucoup au Parlement
contre les Portugais ; ils auroient mis moins d'amertume
dans leurs plaintes , ou ils leur auroient
donné un autre objet , s'ils avoient été informés
des faits véritables qui font les fuivans.
"
les
pro
Du temps de la Reine Anne , la Cour de Lif
bonne dans le deffein d'encourager l'induftrie
nationale , défendit l'entrée de toutes
ductions des manufactures de laines étrangeres .
Cette loi n'étoit pas dirigée contre l'Angleterre
en particulier mais contre toutes les nations
en général. Les Miniftres de la Reine Anne fentant
les effets de cette prohibition , engagerent
cette Princeffe à s'adreffer à Pierre II, Roi
de Portugal , pour obtenir la révocation de cette
loi en faveur des Anglais , & de lui offrir en
même temps comme une réciprocité , de réduire
les impôts fur les vins qu'on importoit de ce
Royaume. Le Roi de Portugal y confentit , &
en 1703 un traité fut conclu entre les deux
Cours ; mais l'envoyé Britannique au lieu d'exprimer
dans ce traité que tous les fujets de la
Reine Anne jouiroient de la liberté de porter
leurs laines manufacturées en Portugal ne parla
que des fujets de la Grande-Bretagne feulement
ce qui a donné lieu aux Portugais de fe croire
autorisés à exclure l'Irlande de cet avantage en
conféquence des quantités confidérable de draps
exportés des ports d'Irlande en Portugal ont
été arrêtés par ordre exprés de la Cour de Lif
bonne , qui après avoir ordonné d'en reftituer
la valeur aux propriétaires , les a fait diftribuer
aux pauvres de Lisbonne , fans permettre qu'elles
fuffent vendues. Ç'auroit été au miniftere Britannique
à faire expliquer l'ancien traité , & à
y faire inférer l'Irlande.
On faura bientôt qu'elles font les prétentions
des Irlandois , & s'ils les portent auffi
loin qu'on le fuppofe ici , lorfque le Parlement
aura tenu encore quelques féances .
» Le Gouvernement , écrit-on de Dublin , a
( 116 )
formé un plan qui peut procurer au moins pour
un tems quelque foulagement aux_malheureux
ouvriers de cette Ville & de fes Fauxbourgs
réduits à la mendicité par le manque de travail
, & dont l'afpe&t trifte & les cris douloureux
en demandant leur pain , font un reproche
tacite pour leurs concitoyens plus fortunés . Le
Lord Lieutenant & le Confeil touchés de la condition
de cette portion confidérable de la communauté
, ont fupplié le Roi de vouloir bien
adreffer aux Vice-Tréforiers d'Irlande , l'ordre
de remettre au Capitaine Brook une fomme qui
n'excédera pas 25000 liv. fterling , pour être
employée par lui au foulagement de ces infortunés
, qui avec leurs familles iront travailler
dans fes manufactures de Kildare. Le Capitaine
Broock priera un Magiftrat de cette Ville de
Finfruire de l'état & des befoins des malheurenx
, & fur un billet de fa part , il les fera
paffer à fa manufacture , où ils feront employés
convenablement & recevront toutes les (emaines
la fomme néceffaire pour leur fubfiflance .
Les Habitans de Dublin feront par ce moyen ,
débarraffés de la charge de les nourrir ..
>
>
On attend avec impatience la rentrée du
Parlement Britannique , qui eft toujours fixée
au mois prochain , & dont les féances dofvent
être fort intéreffantes. On affure qu'il y
fera queſtion de plufieurs plans avantageux à la
nation ; un des principaux fera de mettre
ordre à la contrebande , qui augmente tous
les jours , & qui nuit également au commerce
& au revenu public ; un autre qui
n'eft pas moins important , fera de relever
le crédit public & de foutenir les fonds , qui
( 117 )
continuent de baiffer on prétend même
que les Miniftres , après avoir confulté plufeurs
de nos principaux Négocians , ont
formé un plan dont on fe promet les plus
heureux effets. On annonce d'avance , dans
tous nos papiers , que fon efficacité eft inconteftable
; mais on ne dit point en quoi il
confifte , & jufqu'à préfent il ne ranime pas
la confiance. On l'a remarqué dernierement
à la bourfe , où , fans qu'on fache pourquoi ,
on vit tout-à- coup tomber les effets de z
pour 100. La plupart de ceux qui en avoient
entre les mains , & qui ne vouloient pas les
vendre avant cette baiffe , voulurent abfolument
s'en défaire après , & il en fut vendu
plufieurs cependant cette alarme n'avoit
aucun fondement , puifque perſonne ne
pouvoit en donner la raifon , & que le lendemain
les fonds remonterent d'un & demi.
Il y a long- temps qu'on fe plaint ici de la
police ; on fonge à l'établir fur un meilleur
pied , & la quantité de vols qui fe commettent
journellement prouve la néceffité de cette mefure.
La Cour des Aldermans vient d'ordonner
à un Officier chargé de ces fonctions , d'enle
ver toutes les ptoftituées , les mendians & les
vagabonds qu'ils trouveront dans les rues , afin
qu'on les envoye dans leurs paroiffes refpectives
. Les Aldermans font déterminés à ne négliger
aucun des moyens praticables pour purger
cette Capitale des malheureux de cette
claffe ; dernierement on en arrêta 20 , auxquels
il fut fignifié que s'ils fe remontroient dans les
rues , ils feroient punis févérement & envoyés
( 118 )
enfuite dans leurs paroiffes. Les Officiers de la
ville ont reçu en même temps l'ordre de vifiter
toutes les femainés deux fois les maifons du
guet , pour s'aflurer fi les connétables & les gardes
de nuit font leur devoir ; & s'ils les trou
vent en faute , ils en feront le rapport à l'Alderman
du quartier ; ils doivent auffi veil-
Jer fur toutes les maifons publiques , pour que
l'ordre y foit obfervé ; infpecter les lieux malfamés
, les Académies de jeux , & faire le rapport
de leurs obfervations. On leur a recommandé
auffi d'être toujours prêts à affifter les connétables
, lorsqu'il s'agit d'appaifer des difputes
, de courir au feu , & de faire une patrouille
exacte pendant la nuit .
On a découvert encore , il yaquelque jours
à la banque, de nouveaux, billets faux ; on
en a comptés , pour différentes fommes qui
ont été payés avant que leur fauffeté fût reconnue
ces billets font contrefaits de ma
niere à échapper à l'attention , à moins qu'elle
ne foit bien exacte.
» La banque , dit un de nos papiers , a promis
300 livres fterlings de récompenfe à celui qui
feroit découvrir le fauffaite.Il paroît qu'à préfent il
eft hors de la grande Bretagne : on affure même
que , fans le favoir , un courier du cabinet a favorifé
fa fuite . Ce courier allant à Douvres
fut abordé par un homme proprement mis , qui
lui demanda place dans fa chaife jufques - là ; il
ne le refufà point , parce qu'il lui parut un ga
lant homme. En arrivant à Douvres il s'eft embarqué
pour Calais ; & le courier à fon retour
Londres ayant lu l'avertiffement publié , a reconnu
dans le fignalement du fauffaire > tout
ce qui pouvoit le convaincre que c'étoit rééllément
fon compagnon de voyage.
On dit qu'un des commis de la banque ,
celui là même qui a payé les billets , eft parti
avec un meflager du Roi , pour fe rendre
en France , & découvrir fon homme; on a
obtenu , ajoute-t- on , du Roi de France , la
permiffion de fe faifir de fa perfonne par tout
où on le trouvera ; des fauffaires dont les
crimes attaquent le crédit public dans fa racine
ne doivent en effet jouir nulle part
du droit d'afyle.
>
Le tædium vitæ. Cette maladie terrible , qu'on
dit naturelle à notre Ifle , n'eft pas moins répandue
fur le continent ; elle ne s'y manifefte
pas , il eft vrai , de la même maniere ; elle y
eft une fuite des paffions de l'amour , de la jaloufe
& du déſeſpoir : chez nous elle eft plus
froide , plus réfléchie , & nos malades la traînent
fouvent long - temps avant d'y fuccomber . Les
Symptômes qu'elle a montrés dans un de nos
compatriotes qui vient d'en être la victime fur le
continent , font plus étranges ; il s'eft tué , dit-on ,
dans un accès religieux , & on devroit dire dans
une frénéfie de religion ; il avoit fervi avec diftinction
dans les troupes de la Compagnie des .
Indes , & étoit parvenu à une majorité ; depuis
quelque temps il étoit fujet à une efpece de maladie
qui lui faifoit chercher la folitude , & peu
de jours avant qu'il ait fini fon exiſtence , on le
voyoit paffer plufieurs heures en prieres ; il prioit
genoux , & fréquemment il fe profternoit fur
la terre qu'il baifoit dévotement par humilité ;
rien n'annonçoit moins une difpofition au fuicide
que cette conduite ; & ceux qui habitoient la
méme maiſon n'étoient qu'édifiés , & bien éloignés
de foupçonner une fin auffi tragique, Le jour
( 120 )
:
qu'il avoit choifi pour mettre fin à fa vie ;
if fe leva de grand matin ; vers les cinq heures
fon domestique qui couchoit auprès , éveillé par
un bruit qu'il entendit dans l'appartement , courut
pour en apprendre la caufe , & trouva le
Major nageant dans fon fang; il avoit placé fon
épée fur le parquet , & s'étoit précipité deffus.
L'épée s'étoit brifée en quatre pieces , & l'une
longue d'environ quatre pouces étoit restée dans
fon corps . Auffi - tôt qu'il vit fon domestique , il
lui dit de lui apporter promptement un piftolet
dont il avoit befoin pour ſe débarraffer de la douleur
que lui caufoit fa bleffure. Ne vaudroit-il pas
mieux , lui dit-il , que je faffe venir un Chirurgien?
Son maître après avoir hésité un moment ,
lui dit fais ce que tu voudras : ce malheureux
jeune homme n'étoit connu d'aucun de fes compatriotes
; il n'avoit vu que le miniftre de fa cour,
& il n'avoit été le voir qu'une fois . Ce dernier
ayant été inftruit de cet événement , lui envoya
un chirurgien ; le morceau de l'épée fut extrait
heureulement de fon corps , & on lui donna tous
les fecours poffibles. Il fupporta (es douleurs avec
beaucoup de patience & de résignation , & ne
montra qu'un regret celuide fe les être occafionnées
lui-même par fon acte infenfé : il difoit cependant
qu'il étoit convaincu qu'ayant cru agir d'après
un impulfion divine , Dieu l'auroit reçu dans
le ciel avec les anges qui fe feroient réjouis de
fon arrivée. Ce furent les propres expreffions :il
fembloit fouffrir mentalement de l'idée que, fa
conduite feroit condamnée par les hommes , &
fa mémoire en exécration . Il vécut juſqu'au troifieme
jour; le chirurgién qui vint le voir alors ne lui
trouva point de pouls au bras , & feulement quelques
battemens vers la tête. Il ne cacha point à
fon malade qu'il approchoit de fa fin. Le major
en
( iii )
en fut furpris , & ne voulut pas le croire , parce
qu'il n'éprouvoit plus les peines violences qu'il
fouffroit la veille , & qu'il fe fentoit dans un calme
parfait. C'étoit la mortification des parties précé
demment affectées , qui l'avoit privé de toute
fenfibilité le chirurgien étant forti un inftant
pour ordonner quelque chofe : trois minutes après
il le trouva fans parole , l'oeil fixe & , il expira
peu de momens après . On trouva en l'ouvrant
que l'épée avoit coupé une artere , percé le foie ,
de maniere que la bleffure dans l'origine étoit
mortelle , & qu'il y a lieu d'être étonné qu'il ait
vécu fi long- temps.
On a fait précédemment dans nos papiers
publics le tableau des revenus de tous les
principaux Etats de l'Europe ; le même calculateur
vient de donner aujourd'hui celui
des dépenfes particulieres des Souverains. On
Peut être curieux de le trouver ici , & nous
le tranfcrirons fans en garantir l'exactitude .
La dépenfe particuliere annuelle du Roi de
France eft de .
De l'Impératrice de Ruffie
800,000 1. ft.
700,000.
Du Grand-Seigneur 400,000 .
Du Roi d'Espagne-
210,000.
Du Roi d'Angleterre.. 176,000.
De la Reine de Portugal. 160,000.
De l'Empereur 136,000 .
Du Roi de Danemarck. 100,000.
Du Roi de Naples
Du Roi de Suede
Du Roi de Sardaigne
100,000.
80,000.
56,0005
Du Roi de Pruffe
Du Roi de Pologne
Total
20,000.
10,000.
2,948,000.
N°. 46. 15 Novembre 1783 .
( 122 )
Il eft arrivé fur le Caton un prifonnier qui
eft un capitaine accufé du meurtre d'un fergent
qui étoit fous fes ordres , dans un fort
de la côte d'Afrique . Ce prifonnier , pour
quelque faute qu'on dit fuppofée , fit placer
ce malheureux fergent à la bouche d'un canon
, & tint un piftolet chargé fur la poitrine
de ce malheureux , qu'il força de tenir la
meche & d'y mettre le feu . Ce barbare eft
accafé de plufieurs autres actes de cruauté ,
& d'avoir diffipé des munitions du Gouver
nement , pour une fomme confidérable.
Le 22 il s'eft tenu un Confeil pour exami
ner toutes ces charges ; & elles ont été trouvées
fi graves , que le coupable a été envoyé
à Newgate , en attendant fon jugement.
La femaine derniere , un Boucher paffant dans
un champ près de Colcheſter , apperçut un homme
pendu à un arbre ; il court auffi - tôt couper la
orde ; l'homme paroiffoit mort ; le Boucher alla
à une maison à un quart de mille avertir de ce qu'il
avoit vu , & prendre du monde pour enlever le
cadavre. En revenant auprès de ce dernier , il étoit
encore fans mouvement ; mais bientôt l'homme.
donna quelque figne de vie ; on s'empreffa de le
ranimer tout-à- fait ; mais les premieres marques
fenfibles qu'il donna du retour de les forces furent
des imprécations contre ceux qui lui rendoient ce
bon office , contre le Boucher qui l'avoit arraché
A la mort ; il fit plus , il le fit arrêter par un Conmérable
, & le traduifit devant un Magiftrat à Colchefter
, où il l'accufa de l'avoir empêché de mourir;
il fit un plaidoyer très- fingulier pour prouver
qu'il étoit en droit de s'ôter la vie ; que le Boucher
'avoit pas celui de venir le troubler dans ce qu'il
(' 123 ' ) 1
faifoit pour fon bonheur ; que fon imprudente
pitié lui avoit été cruelle , en le retenant dans un
monde qu'il vouloit quitter, & il conclut à de gros
dommages & intérêts contre l'homme qui , difoit
il , lui avoit fait le plus grand mal qu'on pouvoit
lui faire. Le Juge , après avoir entendu cet homme
, loua l'humanité du Boucher & déclara
l'ingrat qui le pourfuivoit , que s'il revenoit l'étourdir
de fes plaintes , il le feroit mettre en pri
fon. Ce fol étrange eft un vieillard qui étoit devenu
amoureux d'une jeune fille dont les dédains
avoient affoibli le peu de raifon qu'il avoit..
".
Le Sécrétaire de la poſte a reçu derniere
ment 5 guinées avec une lettre anonyme , par
laquelle on l'inftruifoit qu'on avoit fraudé
les droits du bureau pour cette fomme tant
en capital qu'en intérêts . C'eft une reftitution,
d'un genre affez fingulier , & c'eft peut-être
le premier exemple d'une de cette efpece ;
mais elle n'en eft pas moins jufte & de droit.
Il eft arrivé dernièrement dans un village veifing
écrit on de Cardiff , dans le comté de Clamorgan
, un accident qui montre que la fuperftition
regne encore , & fes effets ne font
que
pas diminués.
Un gros oifeau étranger à ce pays , &
qui y a été conduit pendant les dernieres tempê
tes , s'eft établi dans un champ voin de l'habitation
de deux vieilles femmes. L'oiſeau faifoit
beaucoup de bruit , vraisemblablement parce
qu'il étoit feul , & fembloit par fes cris appeller
fes compagnons dont il étoit féparé. Les bonnes
vieilles fe mirent dans la tête que cet oifeau inconnu
leur annonçoit des chofes avantageuſes ;
elles penferent en conféquence qu'on devoit le
ménager , & ne manquerent pas de dire que f
quelqu'un lui faifoit du mal il en arriverois
f2
( 124 )

quelque grand malheur , qui s'étendroit fur
la Paroiffe entiere dans laquelle il mourroit
beaucoup de monde. Il arriva qu'un
homme armé d'un fufil rencontra l'oiſeau & le
tira les deux vieilles accoururent au bruit , en
accablant le chaffeur d'injures , & en prévoyant
tous les maux qu'elles avoient rêvés pour elles
& pour leurs voifins. Le hafard fit que l'une
qui étoit plus effrayée de la prédiction qu'elles
avoient fait en commun , mourut le lendemain ,
& l'autre trois jours après : cela a effrayé tout le
village ; & fitôt qu'un habitant tombe malade ,
l'épouvante le faifit , & la maladie devient dangereufe.
l'Apothicaire du lieu qui fort de chez
moi , m'a dit , qu'il eft mandé à toute heure par
des gens qui font à peine indifpofés , mais fur
qui l'hiftoire des vieilles femmes a fait une telle
impreffion , qu'ils tombent férieufement malades,
qu'il ne faut pas s'étonner qu'il en meure beau
coup .
FRANCE.
DE FONTAINEBLEAU , le 11 Novembre,
Le Comte de Montmorin , Ambaſſadeur
extraordinaire & Plénipotentiaire du Roi ,
près S. M. C. , de retour en cette Cour par
congé , eut l'honneur d'être préfenté le r de
ce mois à S. M. par le Comte de Vergennes ,
Chef du Confeil Royal des Finances , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , ayant le département
des affaires étrangeres. Le Comte de
Périgord , Commandant en chef pour le
Roi, du Languedoc , eut auffi l'honneur d'etre
préſenté le même jour au Roi par le mê
( 125 )
me Miniftre , & de prendre congé de S. M.
pour aller tenir les Etats de cette Province.
Le 2 , le Duc de Luynes prêta ferment
entre les mains du Roi pour la place de Colonel
Général des Dragons , dont S. M. l'a
pourvu, fur la démiffion du Duc de Coigny..
M. D'Ormeffon ayant remis au Roi fa
démi fion de la place de Contrôleur Géné
ral des Finances , S. M. en a difpofé en faveur
de M. de Calonne , Intendant de la'
Flandres & de l'Artois , qui a eu le 4 de ce
mois l'honneur de faire en cette qualité fes
remercîmens à S. M.
Les efpérances fi bien fondées fur la groffeffe
de la Reine , parvenue au terme de plus
de 3 mois , viennent d'être détruites . Le jour
de la Toffaint , il furvint tout - à - coup à
S. M. quelques accidens qui firent craindre
une fauffe couche ; les fecours les mieux indiqués
furent employés à tems , mais inutilement.
Le lendemain au foir la Reine accoucha
fans effort & fans beaucoup de douleur
de ce qu'on appelle vulgairement un
faux germe , bien caractérifé tel par l'examen
le plus fcrupuleux & le plus authentique.
Il n'exifte aucune fuite fâcheufe.
DE PARIS , le 11 Novembre.
On lit ici une lettre de Toulon , dont les
copies fe font fort multipliées , & dans laquelle
on lit ces mots :
Nous venons de diner ici à la hâte avec
L
*
f3
( 126 )
deux Officiers Anglais qui reviennent de la core
de Coromandel , avec des dépêches qu'ils porsent
à la Cour de Londres. Ils nous ont dit qu'it
y avait eu un nouveau combat entre le Bailli
de Suffren & l'Amiral Hugues dans les parages
de Madras ; mais nous n'avons pu en obtenir
des détails plus étendus . Si l'on peut juger de
cette action par leur extrême difcrétion , il y a
lieu de préfumer que les fuites de ce combat
n'ont point été favorables à l'Amiral Anglais ,
fi elles l'avaient été , il n'eft pas douteux qu'ils
n'euffent eu l'attention de nous en inftruire
& de jouir d'avance de l'effet qu'un triomphe
comme celui - là n'auroit pas manqué de produire
fur leurs auditeurs ,
Cependant nous doutons avec raifon de cet évémement
de quelque côté qu'ait été l'avantage ;
il faudroit pour cela avoir quelque chofe de
plus pofitif & fur-tout en favoir la date. On fait
bien que les efcadres fe cherchoient & qu'elles
ont pu fe rencontrer avant l'arrivée de la nouvelle
de la paix. Au refte , fi ce que les Of
ficiers ont dit , eft vrai , s'ils n'ont pas voulu fimplement
piquer notre curiofité , les avis qu'on
recevra inceffamment d'Angleterre ne manqueront
pas de nous éclaircir ».
Le Roi a accordé au Comte de Ferfen ,
jeune Seigneur Suédois , la propriété du
Régiment Royal Suédois , à la place du
Comte de Sparre , qui a été fait Maréchal
de Camp, & qui eft retiré avec une penſion.
Cet Officier , en quittant fon Régiment
adreffé la lettre fuivante à fes Officiers.
>
a
MESSIEURS , Né parmi vous , élevé votre camarade
devenu votre chef , accoutumé à vous
aimer comme mes freres , fi quelque confolation
( 127 )
,
peat adoucir mes regrets en perdant l'honneur
de vous commander c'eft de penfer que vous
trouverez dans mon fucceffeur tous les lentimens
que je vous ai voués , & le nom de Ferſen
yous en eft garant. Sa Majefté le Roi de Suede , a
defiré qne votre corps füt commandé par un Suédois
, qui n'eût qu'une patrie ; j'en avois deux ,
par des événemens dont les bontés de la Cour de
France ne me permettront jamais de me plaindre.
J'ofe efpérer que jufqu'à mon dernier foupir
perfonne ne fervira ma nouvelle patrie avec
un zele plus pur & plus ardent. Mais la Suede
me fera éternellement chere. Comblé dans tous
les temps , & particulierement dans ce moment - ci
de bontés de fon Roi , je defire que tous les fu→
jets me regardent toujours comme leur compatriote
; que les braves Officiers qui combattront
fous les étendarts du Régiment , me regardent
toujours comme leur camarade , & que tous ceux
qui viendront à Paris , voient toujours ma maifon
comme la leur. Vous connoiffez , Meffieurs , les
fentimens d'attachement que nous vous avons
youés , Madame de Sparre & moi ; la gloire & la
faveur fuivront partout votre nouveau chef , &
mon coeur fera toujours au milieu de vous ; toujours
il jouira de vos fuccès . Aimez- moi , mes
amis , & en plaignant le bonheur de vivre avec
vous , n'oubliez jamais les fentimens que je vous
ai voués , & les droits que de tous les temps les
Sparre ont defiré d'acquérir à votre amitié.
Les Officiers ont répondu à leur ancien
Colonel par la lettre ſuivante :
M. le Comte , Chargés par le Corps des Of
ficiers du Régiment. Royal Suédois de répondre
en fon nom à la lettre que vous lui avez
fait l'honneur de lui écrire , chargés de vous adref
f4
( 128 )
fer l'expreffion générale de ſes regrets , nous des
vons vous affurer , M. le Comte , que nous avons
été tous autant défolés de vous perdre , que
touchés des témoignages obligeans d'eftime , d'amitié
& de fouvenir dont votre lettre eft pleine,
Chacun de nous en particulier , & tous en genéral
, nous vous renouvelons l'affurance "de
notre reconnoiffance pour les obligations qui
nous lient à vous ; M. le Comte , elle ne s'effacera
jamais de nos coeurs reconnoiflans & fen
fibles non plus que la mémoire d'une famille ,
dont le nom a toujours été cher & glorieux pour
le Régiment Royal Suédois.
Ne formant qu'une même famille , & nous
regardant tous comme également attachés par
le zele le plus ardent au fervice de Sa Majesté
trés-Chrétienne le Roi de France ; & par la plus
vive reconnoiffance à Sa Majefé le Roi de Suede ,
à la protection duquel fon attention continuelle
pour le régiment nous affure des droits précieux ;
nous fommes perfuadés , M. le Comte , que vous
n'avez point manqué de nous recommander également
à votre fucceffeur M. le Comte de Ferfen
, fans aucune acception de pays ni de nation
, puifque nous fommes tous animés du même
efprit , comme fi nous n'avions qu'une patrie .
Nous n'avons qu'un coeur & qu'une voix , M.`
le Comte , pour vous affurer de nos regrets , du
fouvenir éternel que nous confervons de vos
bontés , & du refpect avec lequel nous ne cefferons
d'être , M. le Comte , &c. Signé au nom du
Corps , Baron de Sparre , Capitaine ; le Chevalier
d'Everlange ; Witri , Lieutenant ; Schiomaire
l'aîné , Sous- Lieutenant.
Le Corps Municipal de Limoges , qui
avoit donné le nom de M. d'Aine à une vaſte
( 129 )
Place que ce Magiftrat venoit de faire conf
truire pour la tenue des Foires & Marchés
de cette ville , a voulu , avant fon départ
pour fa nouvelle Intendance , fignaler fes
regrets & fa reconnoiffance , en éternifant la
mémoire des bienfaits nombreux que cet
Adminiftrateur éclairé a répandu dans la
Généralité qu'il quitte . En conféquence les
Maire & Echevins ont fait placer fur deux
pil aftres qui décorent les deux côtés de l'entrée
d'une promenade, connue fous le nom
de Dorfay, & qui forme une des faces de la
place d'Aine, les deux Infcriptions fuivantes.
La premiere préfente le détail de ce qu'il a
fait pour Limoges ; la feconde , l'enumération
des ouvrages exécutés par les ordres
dans fa Généralité , pendant ſon adminiſtration.
Patriæ dile&tiffimo Patri. DD. MARIO JOAN.
BAPT. NIC. D'AINE , provinciæ præfecto , cujus
faufto fub regimine , in urbe noftra themidi forum
infigne, fontibus carcer falubris fuit ædificatus
quo civicæ invigilante felicitati , Lemo
vica excubiis munita , facibus illuftratæ , compiti
, fontibus , areis auctæ compluribus vicis .
ad amuffim directis fuerunt exornatæ . Hoc amoris
& obfervantiæ perecne pignus pofuit urbs
Lemovencis : D. LUD NAURISSARD , Prætore
Urbano : D. LUD, Jos . ESTIENNE , pro Prætore ,
dillibus , DD. Jos . Jac. Juge , Joan. Tanchon ,
Mart. Barbou, Jos. Fournier. Anno M. DCC.lxxxii;
Lemovicenfium deliciis , D. D. MARIO JOAN.
BAPT. NIC. D'AINE , provinciæ præfecto ; qui
canentelum reddidit veliferum , regias itemque
fs
( 130 )
î
vias , quibus Burdigalam , Lugdunum , Tolofam,
Parifios itur , perfici vigil curavit : quo promovente
, haud longè à nobiliaco , viaria in arte
upendum imprimis opus extru&tum ; taurioni
fpectabilis pons impofitus ; otiofæ mendicitatis.
libido planè fuit coercita ; cujus tot operibus , tot
inftitutis , apud Lemovicenfes commercium
viguit , opes erevere , boni enituere mores : hoc
grati benevolentiæ animi monimentum D. D. D.
urbs Lemovicenfis : D. LUD. NAURISSART , Præ.
tore Urbano ; D. LUD . Jos . ESTIENNE , pro-
Prætore , ædilibus , D. D. Jos. Jac. Juge , Joan.
Tanchon , Mart . Barbou , Jos. Fournier. Anno
M. DCC. LXXXII.
>
Ce monument de tendreffe & de gratitude
élevé à la mémoire d'un Intendant qui
part pour aller porter dans d'autres contrées
fes vues & fon amour pour le bien public ,
honore tout-à- la -fois & la ville qui le décerne
, & le Magiftrat qui en eft l'objet, Les
Etats de Languedoc firent graver au bas de
la Statue Equeftre de Louis le Grand à
Montpellier la belle Infcription à Louis XIV
après la mort l'Auteur des deux Infcriptions
que nous venons de lire , auroit pu les
terminer par ces mots , A M. d'Aine , après
fon départ pour l'Intendance de Tours.
On fait , écrit on de Mende , que le Roi ,
touché des plaintes des Habitans du Vivarais ,
du Gevaudan & des Cevénes , fur les vexations
qu'ils éprouvent de la part des Praticiens Notaires
ou gens d'affaires , exceffivement multipliés
dans ces cantons montagneux a bien
voulu nommer , à la follicitation de M. le Comte
de Périgord , digne Commandant du Languedoc ,
( 131 )
dont ces pays étendus font partie , une Commiffion
compofée de quatre Confeillers de fon Parlement
de Toulouſe , avec les pouvoirs les plus
étendus , pour y remédier & punir les coupables.
En conféquence MM. de Rey , d'Albis
de Saint-Felix & d'Again , Confeillers , d'un
mérite , d'un zele & d'une capacité reconnue ,
ont ouvert leurs féances à Mende , Capitale
du Gevaudan , le premier Octobre . M. l'Evêque
, rempli d'une tendreffe vraiement paternelle
pour fes Diocèfaïns , n'a rien négligé pour concourir
aux vues du Roi & des Magiftrats dans
ces circonftances favorables aux opprimés , fur
lefquels il ne ceffoit depuis long-temps de gémir
& de s'attendrir , il a envoyé au- devant de ces
Magiftrats , au de-là même des limites de fon
Diocèfe ; M. l'Abbé de Siran , un des Grands-
Vicaires, les alla prier d'accepter un logement chez
lui. Il leur à abandonné la plus grande partie
de fon Palais , pour que logés commodément ,
ils puffent vaquer librement aux fonctions importantes
de leur Commiffion . -Il en a fait
fçavoir le Dimanche fuivant dans toutes les Paroiffes
de fon Diocèfe , l'objet & l'ouverture ,
par la promulgation des Lettres-Patentes , accompagnée
d'une Lettre fort inftructive du Syndic
de fon Diocèfe , & d'une vraiment paftorale
de fa part. Celle - ci eft d'un pere tendre ,
dont la charité s'étend jufqu'aux coupables
ou tolérer les vices , l'autre préfente un tableau
d'exactions , de rapines & de crimes commis à
l'ombre des Loix dont on n'auroit pu ailleurs
fe former d'idée . Auffi le peuple de ces
contrées infortunées , va - t- il en foule au- devant
de ces Magiftrats , qu'il regarde comme fes
libérateurs. Ils ont été reçus fur leur route , au
milieu des acclamations , & les Officiers - Mus
f6
( 132 )
"
ciuipaux de Mende , efcortés de la Bourgeoisie
fous les armes , leur ont témoigné de la maniere
la plus touchante , la joie que leur caufoit
leur arrivée. -M. Seraud , Docteur en
médecine , & Maire a porté la parole avec
une éloquence bien digne de la circonftance . ==
On ne doit pas omettre que M. l'Abbé de Siran',
Grand-Vicaire ne s'eft pas borné à conduire
à l'Evêché les Commiffaires , redouté depuis
long-temps des Gens d'affaires , contre lesquels
il aide les malheureux de fes confeils & de fes
facultés , il ne cefle de remettre fous leurs yeux
des abus dont la compaffion pour ces malheureux
lui a fait rechercher les cauſes , & dévelop
per les fuites funeftes.
On lit dans une lettre de Touloufe , que
les inhumations dans les cimetieres n'éprouvent
plus aucune difficulté . Le Vicomte de
Thifan , Meftre de Camp de Cavalerie , &
Chevalier de S. Louis , a été enterré dans le
cimetierre de la Dalbade , avec toute la
pompe due à fes grades militaires , fans que
l'on ait été effarouché de voir dépofer le cadavre
de cet Officier à côté de ceux des pauvres.
Le 6 du mois dernier , écrit- on de Strasbourg ,
il y a eu une incendie terrible à Garsbourg , dans
le département de Phalsbourg . Une étincelle qui
fauta de l'enclume d'un maréchal fur un tas de
charbons y mit le feu , qui fe communiqua rapidement
au foin . Dans un inftant tout ne fut
qu'un brafier : un vent violent de Sud s'élevant
malheureufement , jetta des charbons brûlans fur
des maiſons couvertes à bandes , & en conſuma
fans qu'on pût y porter du fecours faute d'eau ,
( 133 )
vingt-deux , en quelques heures , non compris les
granges , écuries & hangards y attenans . La foule
des habitans occupés à la récolte des pommes de
terre , & dans les forêts à cueillir des faines , ne
contribua pas peu à l'embrafement total . Tout a
été la proie des flammes ; les denrées qui fe trouvoient
dans les granges , & les linges , effets &
meubles dans les maifons Cet événement a privé
fubitement 31 chefs de famille de toute nourriture
& récoltes engrangées , & réduit à la derniere
mifere 71 enfans , dont au maillot , outre
6 meres prêtes à accoucher , & les domeftiques
néceffaires pour la garde des beftiaux . L'état de
tant d'infortunés eft bien digne d'attirer la compaffion
des ames chrétiennes. Les perfonnes qui
voudront les fecourir font priées d'adreffer leurs
bienfaits à M. Ort , Curé de Palsbourg , ou à
M. Janffin , Curé de Saverne , qui les remettra à
M. Gelin , Curé de Garbury.
Le fieur le Tellier , Opticien , Quai des
Auguftins a inventé un Profopographe , nouvel
inftrument plus fimple que le pantographe avec
lequel on peut , fans fçavoir deffiner , copier
toutes fortes de deffeins , cartes , plans& les réduire
depuis la moitié jufqu'au trentieme. Il fe payera
9 livres dont cinq livres en ſouſcrivant & 4
livres en le recevant . Lorfque la foufcription
fera fermée , il fe payera 12 livres. On livrera
l'inftrument quand il y aura 100 foufcripteurs ,
il y en avoit le tiers le 18 Octobre. Le fieur
le Tellier fait voir des deffins réduits à l'aide
de cet Inftrument.
L. Cornu , Baron de Corboyer, d'une des
anciennes nobleffes de Normandie , eft mort
en fon château de Corboyer , près Langle ,
âgé de 87 ans.
1
( 134 )
-
Pierre Etienne Bourgeois de Boynes ,
Miniftre d'Etat , Confeiller d'Etat ordinaire ,
ci-devant Secrétaire d'Etat ayant le département
de la Marine , ancien premier Préfident
du Parlement de Befançon , eft mort
dans fa terre de Boynes en Gâtinois , le
19 du même mois , dans la 65 ° année de
fon âge.
Le premier tirage de la Loterie Royale , établie
par arrêt du Confeil du 5 Avril dernier , a
été fait les 20 , 21 , 22 & 23 O &obre , dans la
grande falle de l'Hôtel - de- Ville de Paris. Le
lor de 120000 liv . eft échu au numéto 22987 ;
celui de 60000 liv. au numéro 16064 : les numéros
31743 , 33166 & 35700 , ont eu chacun
un lot de 11000 livres : les numéros 1138
32773 33657 & 39506 , ont eu également
chacun un lot de 8000 liv. Il y a eu 10 lots de
3000 livres , 20 de 2000 liv. 40 de 1200 liv . ,
118 de 800 liv. 200 de 750 liv. 400 de 720 liv.
& 3202 de 600 livres , conformément à l'article
IV de l'arrêt du Confeil , du 5 Avril dernier.
Le paiement de ces lots & remboursement fe fera
comptant au Tréfor Royal , dans le mois d'Avril
prochain.
Suite du Traité de paix.
17° . Le Roi de la G. B. voulant donner à S. M.
T. C. une preuve fincere de réconciliation &
d'amitié , & contribuer à rendre folide la paix
rétablie entre L. M. , conſent à l'abrogation &
fuppreffion de tous les articles relatifs à Dunkerque
, à compter du Traité de paix conclu à
Utrecht en 1713 inclufivement , jufqu'à ce
jour. 18. Auffi - tôt après l'échange des ratificaions
, les deux Hautes - Parties contra&tantes
nommeront des Commiffaires pour travailler à
( 135 )
de nouveaux arrangemens de commerce entre
les deux nations , fur le fondement de la réciprocité
& de la convenance mutuelles ; lefquels arrangemens
devront être terminés & conclus dans
T'efpace de deux ans , à compter du 1 Janvier
1784. 19. Tous les pays & territoires qui pourroient
l'être , dans quelque partie du monde que
ce foit , par les armes de S. M. T. C., ainfi que
par celles de S. M. B. , qui ne font pas compris
dans le préfent Traité , ni à titre de ceffions , ni
à titre de reftitutions , feront rendus fans difficulté ,
& fans exiger de compenfation . 20º. Comme il
eft néceffaire d'affigner une époque fixe pour les
reftitutions & évacuations à faire par chacune des
Hautes Parties contractantes , il eft convenu què
le Roi de la G. B. , fera évacuer les îles de Saint-
Pierre & de Miquelon , trois mois après la ratification
du préfent Traité , ou plutôt , fi faire fe
peut ; Sainte- Lucie aux Antilles , & Gorée en
Afrique , trois mois après la ratification du préfent
Traité , ou plutôt , fi faire fe peut. Le Roi
de la G. B. rentrera également en poffeffion , au
bout de trois mois après la ratification du préfent
Traité , ou plutôt , fi faire ſe peut , des îles de la
Grenade , les Grenadines , Saint - Vincent , la
Dominique , Saint- Chriftophe , Nevis & Montferrat.
La France fera mife en poffeffion des Villes
& Comptoirs qui lui font reftitués aux Indes
orientales, & des territoires qui lui font procurés,
pour fervir d'arrondiffement à Pondichery & à
Karikal , fix mois après la ratification du préſent
Traité , ou plutôt , fi faire fe peut. La France
remettra au bout du même terme de fix mois ,
les Villes & Territoires dont les armes fe feroient
emparées , fur les Anglois ou fur leurs Alliés dans
les Indes orientalés . En conféquence de quoi les
erdres néceffaires feront envoyés par chacune des
Y
( 136 )
Hautes-Parties contractantes , avec des paffeports
réciproques pour les Vaiffeaux qui les porteront
immédiatement après la ratification du préfent
Traité, 21 ° . La décifion des prifes & des faifies
faites antérieurement aux hoftilités , fera remife
aux Cours de juftice refpectives ; de forte que la
validité defdites prifes & faifies fera décidée felon
le droit des Gens , & les Traités dans les Cours
de justice de la Nation qui aura fait la capture où
ordonné les faifies . 22 ° . Pour empêcher le renou--
vellement des procès qui ont été terminés dans
les îles conquifes par l'une & l'autre des Hautes-
Parties contractantes, il eft convenu que les jugemens
rendus en dernier reffort & qui ont acquis
force de chofe jugée , feront maintenus & exécutés
fuivant leur forme & teneur. 23 °. L. M.
T. C. & B. promettent d'obferver fincerement
& de bonne foi tous les articles contenus &
établis dans le préfent Traité, & Elles ne fouffriront
pas qu'il y foit fait de contravention directe
ou indirecte par leurs Sujets refpectifs : Et les
fufdites Hautes-Parties contractantes fe garantif
fent généralement & réciproquement toutes les
ftipulations du préfent Traité. 24. Les ratifications
folennelles du préfent Traité , expédiées en
bonne & dûe forme , feront échangées en cette
ville de Verſailles , entre les Hautes - Parties contractantes
, dans l'efpace d'un mois , ou plutôt
s'il eft poffible , à compter du jour de la fignature
du préfent Traité . En foi de quoi , Nous fouffignés
, leurs Ambaffadeurs extraordinaires & Miniftres
plénipotentiaires , avons figné de notre
main , en leur nom , & en vertu de nos Pleinpouvoirs
refpectifs , le préfent Traité définitif ,
& y avons fait appofer le cachet de nos armes.
Fait à Verfailles le 3 Septembre 1783. Signés
GRAVIER DE VERGENNES, L. S. MANCHESTER,
L. S.
1
(-137 )
Articles Séparés.
le's
1 ° . Quelques- uns des Titres employés par
Puiffances contractantes , foit dans les Pleinpouvoirs
& autres actes pendant le cours de la .
négociation , foit dans le préambule du préfent
ila
Traité n'étant pas généralement reconnus ,
été convenu qu'il ne pourroit jamais, en réſulter
aucun préjudice pour l'une ni l'autre defdites
Parties contractantes , & que les Titres pris ou
omis de part & d'autre , à l'occasion de ladite
négociation & du préfent Traité , ne pourront
être cités ni tirer à conféquence . 2°. Il a été
convenu & arrêté que la Langue françoite employée
dans tous les exemplaires du préfent
Traité , ne formera point un exemple qui puiffe
être allégué ni tiré à conféquence , ni porter préjudice
en aucune maniere à l'une ni à l'autre des
Puiflances contractantes ; & que l'on fe confor
mera à l'avenir à ce qui a été obfervé & doit
être obfervé à l'égard & de la part des Puiffances
qui font en ufage & en poffeffion de donner & de
recevoir des exemplaires de femblables Traités
en une autre Langue que la françoife ; le préfent
Traité ne laiffant pas d'avoir la même force &
vertu , que fi le fufit ufage y avoit été obfervé.
En foi de quoi , Nous fouffignés Ambaffadeurs
extraordinaire & Ministres plénipotentiaires de
L. M. T. C. & B. , avons igné les préfens
articles féparés , & y avons fait appofer le cachet
de nos armes . Fait à Vertailles le 3 Septembre
1783. Signés GRAVIER DE VERGENNES . L. S.
MANCHESTER . L. S.
La fuite à l'ordinaire prochain.
DE BRUXELLES , le 11 Novembre.
On mande de la Haye , que les Etats Généraux
ont reçu une lettre de M. Vanberckel
, lear Miniftre auprès des Etats - Unis
de l'Amérique ; elle eft datée du 8 Août
( 138 )
"

dernier , à bord du vaiffeau de guerre FOveryffel
, dans la rade de Saint- Michel , l'une
des Acores , où il étoit à cette époque , c'est
ainfi qu'il rend compte des contrariétés qui
ont retardé fa marche à fa deſtination.
H. & P. S. je ne puis m'abstenir de faifir
l'occafion qui fe préfente pour informer V. H. P.
qu'après avoir quitté le 26 Juin dernier à bord
du vaiffeau de guerre Covrayffel , la rade du
Texel , je fuis arrivé hier dans celle de S. Michel ,
l'une des Corcs , où M. le Capitaine Riemerſma
a été obligé de mouiller pour faire de l'eau. Un
temps brumeux prefque continuel , des vents
contraires & beaucoup de calme que nous effuyames
dans la mer du Nord , dans la Manche ,
auffi-bien que dans la mer d'Espagne , ont jufqu'à
préfent prolongé notre voyage. Dès que
mos futailles auront été remplies d'eau fraiche ,
nous remettons auffi- tôt à la voile pour diriger
notre cours vers Philadelphie.
Les dernieres lettres de la Haye contien
nent les détails fuivans :
Les Etats généraux ont pris ces jours derniers
la réfolution de requérir le Prince Stadhouder
de donner en fa qualité d'Amiral Général de la
République les ordres néceffaires pour le départ
de deux ou trois frégates qui doivent fe rendre
le plus promptement poffible à Effequibo &
Demerary , & deux autres frégates ou bâtimens
armés à la côte de Berbice , afin de protéger
ces établiſſemens , & de s'y tenir en ftation lorfqu'ils
auront été remis à la République par la
France , en conféquence de la déclaration que
le Roi leur en a fait faire . On a requis en même
temps le Prince de faire partir un vaiſſeau de 70
canons , cinq de 60 , un de cinquante & deux
ou trois frégates pour la Méditerrannée . L'in(
139 )
P
>
tention de L. H. P. eft qu'ils fe rendent encore
avant l'Hiver dans cette mer où nous avons
deja une Efcadre compofée des Vaiffeaux le
Gelderland , & le Kortenaer de 60 Canons
Alkmaer & le Trump de 50 , le Medemblick
de 36 , le Mercure de zo , & le Chaffeur de 14.
Les forces de la République dans la Méditer
ranée , feront alors d'un vaiſſeau de 70 , de 7 de
60 , & de 3 de 50 , & de 4 frégates. Il a été auffi
expédié à tous les Collèges d'Amirauté , l'ordre
de faire avitailler tous les vaiffeaux qui font dans
les Ports , jufqu'au 30 Avril de l'année pro
chaine. Suivant une lifte imprimée , il paroît
que de 186 hommes d'équipage qui fe trouverent
au bord du vaiffeau le Rhinland qui a été
incendié à la rade du Texel .
doming
Les recherches fur les motifs qui empêcherent
l'efcadre Hollandoife de fortir de
Breft , auront fans doute lieu. La province
de Hollande & de Weftfrife a arrêté qu'elles
feroient faites par forme politique & extrajudiciaire
, par deux Commiffaires de Hollande
, & par un membre du Gouvernement
de chacune des autres provinces . MM . Van
Zerberg & Van Berkel , penſionnaires des
villes d'Amfterdam & d'Harlem , ont , diton
, déjà été nommés par la Hollande.
PRECIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES
On dit quil eft queftion de livrer Gibraltar
aux Efpagnols, qui en donneront un prix exceffif
Si en effet ils fe propofent de mettre un prix à
cette Place , il feroit à fouhaiter que nous euffions
le bon efprit de l'accepter , & que la Nation fe
défit d'un vain préjugé qui fait mettre de l'importance
à une Place qui n'en a aucune réelle ,
qu'on ne garde que par honneur , & qui coûte
annuellement 100,000 liv. fterling.
( 140 )
Quand le Lord Townshend étoit Aide- de- Camp
du Duc de Cumberland dans les Guerres de
Flandres , on le vit un jour regarder très - attentivement
la tête d'un foldat qu'un boulet de canon
venoit d'emporter très-près de l'endroit où
étoit S. A. R.; elle lui demanda ce qu'il exa
minoit ; il ne répondit pas fur le champ , &
la queſtion fut répétée . Je ne puis , dit - il , revenir
de ma furprife : & qui l'occafionne , dit
le Duc ? C'est qu'un homme qui avoit tant de
cervelle , voyez cette maffe , ait fi long- temps
fervi V. A. R. pour fix fols par jour .
Le départ de l'Empereur pour la Hongrie
pourroit bien être retardé , peut- être même entiérement
abandonné ; dans ce cas le congrès
propofé auroit lieu . En attendant , plufieurs perfonnes
prétendent que les différends de l'Autriche
avec la Porte font déjà applanis , & que
S. H. , outre la ceflion de quelques Provinces ,
offre une indemniſation de ri millions de florins
pour les frais de la Guerre. Quoi qu'il en foit , de
tous ces raifonnemens politiques , les préparatifs
militaires de l'Empereur font toujours pouffés avec
la derniere vigueur. Gazette d' Amfterdam,N° . &7 .
Quoique l'on parle beaucoup du voyage d'une
perfonne de diftin &tion à Cherfon & à Moscou ,
& de celui d'une autre à Lemberg , pour y concerter
définitivement les opérations relatives à la
guerre contre les Turcs ; cela paroît encore trèsincertain
, car on fe flatte toujours de voir la paix.
confervée. On prétend même que la Sublime
Porte aujourd'hui s'eft arrangée avec les deux
Cours impériales de la maniere fuivante . 1 °, La
Ruffie confervera la Crimée ; 2°. La Maifon d'Autriche
obtiendra la Servie & la Bofnie. Quoi
qu'il en foit de ce plan conciliatoire , les négociations
continuent. Ainfi , plufieurs papiersnouvelles
ont avancé fauffement que le Grand(
141 )
Vifir fe trouvoit déjà avec une armée de 47000
hommes à la hauteur de Bender ; le 15 Septembre
, ce miniftre étoit encore à Conftantinople.
Nouvelle politique d'Allemagne , No. 172.)
N°.
L'Efcadre Ruffe eft toujours dans le port de Revel
: ce qui eft d'autant plus furprenant , qu'il y a
long- temps qu'on la difoit deſtinée à aller croifer
dans la Méditerranée. Plufieurs Matelots Danois
font entrés avec la permiffion du Roi au fervice
des Ruffes. On pense que l'Impératrice ne veut
pas pouffer les chofes plus loin , à moins qu'elle
n'y foit forcée par quelques opérations extraordinaires
de la part des Turcs. On croit que cette
Princeffe n'a eu d'autre but en raſſemblant la plupart
de fes vaiffeaux de guerre, que de faire montre
des forces de ſa marine . Nous faurons bientôt
fi cette Efcadre doit paſſer le Sund , ou fi elle re.
tournera à Cronstadt , car il n'eſt pas probable
qu'on lui faffe paffer l'hiver dans le port de Revel,
Gazette d'Utrecht , No. 87 .
Peu de jours après le Baïram , il y eut à
Conftantinople de grands mouvemens parmi les
Janiffaires & le peuple qui demandoient la guerre
à grands cris . L'occafion du tumulte fut un
difcours attribué au Grand Seigneur. On
prétendoit que S. H. avoit dit à un de fes
confidens , que fi la religion le permettoit ,
elle fe réfoudroit plus volontiers au facrifice de
fes plus belles provinces d'Europe , qu'à une
guerre néceffairement défaffreufe. Ces troubles
ont obligé les Miniftres des deux Cours Impériales
de fe renfermer dans leurs hôtels pendant
quelques jours , & au départ des derniers couriers
, la tranquillité n'étoit point, rétablie . Suivant
les lettres qui renfermoient ces avis , on
craignoit que le Sultan ne fut forcé à déclater
Ja guerre.
Depuis l'arrivée d'un courrier de Conftanti(
142 )
nople à Vienne , l'attente d'une gue-re prête
éclater contre les Ottomans , a non-feulement
beaucoup diminué , mais les curieux pallant toujours
dans leurs conjectures d'une extrémité à
l'autre , prétendent que tour eft arrangé , que
la Ruffie fe contentera de la poffeffion de la
Crimée , du Cuban , & des pays voifins , que la
Porte cédant à une dure néceffité , fe foumettra
à ces facrifices , en fera d'autres , & peut - être
celui de Belgrade même pour conferver la paix
avec l'Empereur. Dans tout cela le plus certain
paroît être que l'ouverture de la campagne du
moins differe jufqu'au printems prochain ; & que
fila Puiffance , qui par les négociations les plus
preffantes & les plus actives , a cherché à fauver
la Porte de l'orage qui la menaçoit au prix de
quelques ceffions , ne réuffiffe point , elle lui
aura rendu en tout cas le fervice de lui procuret
le befoin néceffaire pour la mettre en meilleur
état de défenſe qu'elle ne l'a été jusqu'ici.
Gazette de Leyde , N° 80.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ).
PARLEMENT De Paris , Grand'Chambre.
Entre le fieur Hurault , bailly de Nogent , & le
fieur Millonet , lieutenant- général au même bailliage.
1
Le bailliage de Nogent - fur- Seine , eft compofé
de trois officiers , d'un bailly de robe longue
, d'un lieutenant-général , & d'un lieutenant
particulier. Depuis longtemps la charge de
bailly de robe longue étoit vacante , lorfqu'en
-1781 , le fieur Hurault fe fit pourvoir de cette
charge. Le fieur Millonet avoit été pourvu de
Poffee de lieutenant-général de Nogent de l'année'
1772 ; au mois d'Octòbre 1772 , le nommé
Felizet ayant defiré de fe faire relever de l'interdiction
prononcée contre lui , obtint un arrê
( 143 )
de la Cour qui commit le lieute nant- général de
Nogent pour l'interroger & ftatuer fur la demande
jufqu'à fentence définitive. Une autre commiffion
fut encore adreffée le 19 du même mois par M.
le lieutenant - criminel au Châtelet de Paris , au
Lieutenant-général de Nogent-fur - Seine , à l'effet
de procéder à une addition d'information ; il paroît
que cette commiffion fut la caufe de la conteftation
qui a divifé les parties . Le bailly de
robe longue & le lieutenant- général prétendirent
tous deux avoir droit de la remplir. — Quoi
qu'il en foit , par un réglement du 4 Novembre
1682 , le bailly de robe longue , faiſant droit fur
le requifitoire du procureur du Roi , ordonna
qu'à l'avenir les procureurs remettroient au greffe
toutes les requêtes introductives d'inftance , excepté
celles d'inftruction , fit défenſes aux procureurs
de plus à l'avenir lui préſenter ou aux
officiers qui le fuivroient aucunes requêtés excepté
celles d'inſtruction . Appel par le fieur
Millonet de ce réglement . Le 23 Août 1773
arrêt fur les conclufions de M. l'avocat général
d'Agueffeau de Frênes , qui , en ce qui touche
l'appel du prétendu réglement , a mis l'appellation
, & ce dont eft appel au néant , émendant ,
a déclaré led, réglement nul & de nul effet . En
ce qui touche les demandes a ordonné que toutes
commiffions qui ont été , ou feront adreflées
par la Cour , ou autres fièges , auxdits officiers ,
du bailliage de Nogent , que fous celle de lieutenant-
général , feront inftruites & remplies par
le fieur Hurault , comme premier officier du
fiège , finon en cas d'exception expreffe de fa
perfonne, Le même arrêt a ordonné que fur les
objets de partage d'opinion & de diftribution.
d'inftance , l'arrêt du 11 Février 1623 feroit
exécuté felon la forme & teneur , lorfque le fieur
"

( 144 )
Millonet fe trouveroit aux audiences & aux rap
ports .
EAUX ET FORETS DE FRANCE au Souverain.
Fait de Charte , Infcription de faux contre le Procèsverbal
d'un Garde.
al
Le
-
freur
Le... eft Propriétaire
d'une
Maifon
Hameau
de
B... ,
dépendent
quarantecinq
arpens
de terres
en fief
, fur
lefquels
il
chaffe
, entourré
de Gardes
- Chaffes
& de Va-.
lets
fon territoire
devenant
trop
petit
pour
un
cortege
auffi
nombreux
, il l'érend
un peu, fur
fes
voisins
; de ce nombre
eft l'Abbé
Couet
,
Chanoine-
Honoraire
de l'Eglife
de Paris
, &
Prieur
, Seigneur
de
B...
Le fieur
Le...
étant
un jour
fur
le territoire
du Prieur
, tira,
un lievre
, & le manqua
. Deux
de fes Domeftiques
tuerent
un lievre
& une
perdrix
.
Procès-
verbal
du Garde
du Prieur
. Affignation
en
la Maitrife
de Senlis
donnée
au fieur
Le... Sentence
qui
le condamne
en l'amende
& aux
dépens
.
Sur
l'appel
, le fieur
Le... s'infcrit
en
faux
contre
le procès
- verbal
du Garde
. Treize
témoins
entendus
, Le Garde
fut décreté
. Arrêt
de renvoi
à l'audience
. Enfin
arrêt
définitif
le
13 Août
1783
qui
a déclaré
l'infcription
de
faux
, enſemble
les moyens
de faux
, nuls
, injurieux
& déraisonnables
, a fait
défentes
au fieur
,
Le... d'en
former
à l'avenir
de pareilles
; & pour
l'avoir
fait , le condamne
en 300
liv. d'amende
applicables
, les
deux
tiers
au Roi
, & le tiers
au Garde
, & en 300
liv, de dommages
& intérêts
envers
le Garde
, a permis
à celui
-ci de
faire
imprimer
l'arrêt
, & le faire
afficher
à
Picpus
, à Senlis
, à Luzarches
. & à B..., aux
frais
dudit
Le...
qui
a été
condamné
aux
dépens
.
t
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
DE CONSTANTINOPLE , le 22 Septemb.
N n'eft pas fans inquiétude fur le bruit
Oqui s'eft pas fadu ici dit foulevement des
Georgiens & de l'incurfion qu'on dit qu'ils
ont faite dans la Natolie , avec 50000 hommes
; on ajoute à ce bruit, qu'ils ont déjà
battu le peu de troupes que nous y avions ,
& qu'ils fe font emparés de la ville de Hars.
Quoi qu'il en foit de cette nouvelle , Haggi-
Ali , qui , à la tête d'une armée de 100,000
hommes , paroiffoit fe préparer à une expédition
en Crimée , va marcher contre les
Georgiens , & on prétend qu'il en a reçu
l'ordre.
On affure que le Divan a envoyé dans la
Crimée des émiffaires qui doivent fe concerter
avec les amis , que la Porte conferve
dans cette Peninfule , & qui étant plus nom-
Nº.
47. 22 Novembre 1783 .
( 146 )
breux qu'on ne le croit , peuvent former un
parti parmi les Tartares .
La pefte , qui s'eft , dit - on , manifeftée à
Befchick - Tafchi , dans l'intérieur du Palais
du Sultan , l'a ramené dans cette Capitale ,
où il eft de retour depuis le 13 de ce mois.
Le Capitan Bacha y eft toujours ; fa préfence
& fa fermeté contiennent les troubles
toujours prêts à éclater ; on dit que cet Offcier
a contre lui un parti puiffant qui cherche
à le perdre , ou du moins à l'éloigner
des affaires , mais jufqu'ici la confiance du
Grand Seigneur eft inébranlable , il la pof
fede toute entiere ; & fes fervices paffés , fes
fervices préfens qui garantiffent ceux qu'il
peut rendre encore , ne font pas douter qu'il
ne foit très-néceffaire à fon maître & à l'Empire
il n'y a qu'une voix en fa faveur parmi
le peuple , le Grand- Vifire n'excite pas
moins d'admiration ; & il y a long - tems
qu'on n'avait vu le timon des affaires Ottomanes
en des mains aufli habiles.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , Le 10 Octobre,
On porte à 48 ou soooo hommes le nombre
des troupes que pourra produire la nouvelle
levée d'un homme fur 200 , qui vient
d'être ordonnée dans l'Empire. Les dépenfes
qu'entraîne l'augmentation de l'armée de
terre , ne détournent point Pattention de
( 147 )
l'Impératrice des foins qu'exige l'augmentation
de la Marine. Deux nouveaux vaiffeaux
viennent de remplacer fur les chantiers ceux
qui ont été lancés dernierement. Celui de
100 canons porte le même nom qu'avoit le
vaiffeau , qui dans la derniere guerre fauta
en l'air avec le vaiffeau amiral au combat de
Tfchemé.
Les couriers fe fuccedent rapidement dans
cette Capitale ; il fe paffe peu de femaines , que
le Miniftre de Vienne n'en reçoive quelquesuns
de fa Cour ; la nuit du 4 au 5 de ce mois il
lui en arriva encore un ;'il en vient aufli fouvent
de Conftantinople , mais nous ne fommes
point inftruits des nouvelles qu'il apporte ;
& nous ignorons où en font les négocia
tions qui continuent toujours.
ALLEMAGNE
DEVIENNE , le Novembre.
Le 18 du mois dernier l'Empereur adroit
à fon audience les députés des États de l'Archiduché
d'Autriche au- deffus de l'Enf. Le
Comte Antoine de Pergen , Maréchal -Général
harangua S. M. I. , qui après lui avoir
fait la réponſe la plus gracieufe , lui remit les
articles fur lesquels les Etats devoient délibérer
; le zo , ces articles furent lus , publiés
& admis dans cette Affemblée
i
L'empereur vient d'ordonner , relativement
aux procédures , un nouvel arrangeg
2
( 148 )
ment , qui fera plus favorable au peuple , &
qui empêchera les abus qu'entraîne fouvent
la cupidité des gens de loi. Ces derniers
auront déformais une penfion annuelle
de la Chambre Impériale & Royale , & les
parties ne feront obligées de payer à cette
Chambre qu'une certaine fomme , en vertu
de laquelle leur Avocat leur fournira fes fervices
& le papier timbré gratuitement. On
ignore fi cet arrangement aura lieu ailleurs
que dans cette Capitale.
On attend de Bruxelles une fomme de
3 millions de florins qui y ont été négociés
pour le compte du Gouvernement par la
Maifon de commerce de MM. Frédéric
Romberg. Cette fomme doit arriver inceffamment
fous l'efcorte de 12 hommes.
L'Empereur , au milieu des affaires importantes
qui l'occupent dans le Cabinet &
dans les Camps , pourfuit avec la même ardeur
les réformes Eccléfiaftiques qu'il a commencées.
Il vient d'abolir l'ufage de payer
pour les Batêmes. La caiffe de Religion fuppléera
à la perte que fupporteront les Curés
par la fuppreffion de ce droit; on dit qu'il
eft auffi queftion de fupprimer les droits fur
les enterremens & les mariages.
L'Empereur , par un Réglement publié
dernierement , a fupprimé les impôts fur les
boiffons dans la Baffe-Autriche , & y a fubftitué
plufieurs autres droits qui fe paybient
précédemment , & qui font défignés par ce
nouveau Réglement.
( 149 )
DE HAMBOURG , le 2 Novembre.
La foumiffion du Prince Heraclius à l'Em
pire de Ruffie eft confirmée : l'Impératrice
a figné l'Acte de ratification du Traité
conclu avec ce Prince , le jour de l'Anni
vairfaire de fon couronnement. Il contient
les 13 articles fuivans.
1. Le Prince Heraclius , Czar de Cartalinie
& de Kachet , renonce , tant pour lui que
pour fes fucceffeurs , à la dépendance de fa
la
Perfe , ainfi qu'à celle de toute autre puiffance ,
& déclare pour lui & fes fucceffeurs de reconnoître
la fuzeraineté & la protection de S. M. I.
de toutes les Ruffies & de fes fucceffeurs au
Trône , auxquels il promet fidélité & toute
l'affiftance quelconque . 2 °. S. M. I. en acceptant
cet engagement , promet pour elle & fes
fucceffeurs d'etre attachée gracieufement audis
Séréniffime Czar , & de lui garantir fes poffeffions
actuelles & futures.. A la niort du
Czar régnant , fon fucceffeur héréditaire notifiera
fon avénement à la Régence par fon Envoyé
à la Cour de Ruffie , & y demandera la
confirmation dans fa dignité ; & dès qu'il aura
reçu les marques de l'inveftiture , favoir un
diplôme , un étendard portant les armes de
Ruffie , & ayant au milieu celles de Cartalinie
& de Kachet , un fabre , un bâton de commandement
& un manteau d'Irermine , prêtera ';
conformément au modele ci - attache , le ferment
de reconnoiffance de la fuzeraineté & dé
la protection de Ruffie , & de fidélité envers les
Monarques Ruffes , en préfence du Miniflre de
Ruffie. 4°. Le Séréniffime Czar s'engage à com
muniquer au Miniftre de Ruie , réfidant aupres
( 150 )

• de lui , ou aux Commandans Ruffes fur les
frontieres toutes les propofitions & lettres qui
pourroient lui être adreffées par les Princes
voifins , & à demander leur avis & leur agrément
fur l'acceptation ou le refus des propofitions
, lettres ou ambaffades. 5 ° . Le Séréniffime
Czar pourra envoyer un Miniftre ou Réfident à
la Cour Impériale , lequel y fera traité & regardé
comme les Miniftres des Princes regnans.
6. S. M. I. s'engage , pour elle & fes fucceffeurs
, à regarder les ennemis des peuples de
Cartalinie & de Kachet comme fes propres ennemis
, & comprendre ces peuples dans les trai
tés avec la Porte Ottomane , avec la Perfe , ou
avec quelqu'autre Puiffance ; à maintenir inviolablement
le Séréniffime Czar Heraclius Teimurafovitfch
, fes héritiers & fucceffeurs dans
la Régence de Cartalinie & de Kachet , & à
abandonner exclufivement audit Séréniffime
Czar l'adminiſtration du pays , l'impofition &
le recouvrement des impofitions , & c. 7 °. Le
Séréniffime Czar promet pour lui & fes fucceffeurs
de faire marcher fes troupes pour le
fervice de S. M. I. de confulter les Comman
dans de S. M. I. dans les affaires de fervice ,
de confentir à leurs demandes , de protéger les
fujets Ruffes contre toutes les offenfes & vexations
quelconques , & d'avancer en dignités
principalement ceux qui auront bien mérité de
I'Empire Ruffe , de la protection duquel dépend
la profpérité de Cartalinie & de Kachet,
8°. S. M. I. accorde au principal Archevêque
des Etats de Cartalinie & de Kachet le rang im
médiatement après l'Archevêque de Tobolsk ,
& lui confere le titre de membre du faint Synode
. 9 ° .LaNobleſſe Cartalinienne & Kachetienne
jouira en Ruffie des mêmes honneurs & préro
#
gatives que la Nobleffe Ruffe . 10. Les fujets
nés en Cartalinie & en Kachet pourront s'établir
en Ruffie , la quitter & revenir ; les prisonniers
que les Ruffes auront délivrés pourront retourner
chez eux , en remboursant les frais pour
leur délivrance ; le Séréniffime Czar promet
d'obferver le réciproque avec Jes, fujets de
Ruffie tombés en efclavage. 11. Les Marchands
de Cartalinie & de Kachet pourront aller li
brement en Ruffie avec leurs marchandiſes , &
ils y jouiront de tous les droits & avantages des
fujets Ruffes ; le Czar promet de fon côté de
prendre , conjointement avec les Commandans
Ruffes , ou avec le Miniftre de Ruffie , toutes
les mefures convenables à procurer au conmerce
de Ruffie tout l'avancement poffible.
12 %. Ce traité doit durer à perpétuité. 13. Les
ratifications feront ééhangées dans l'efpace de
fix mois ou plutôt . Dans la Fortereffe Georges
le 24 Juillet 1783. Signés , PAUL POTEMKIN,
Prince IWAN BAGRATION. Prince GARSEWAN
TSCHAWTSCHAW AD SEW.
Formule de ferment à prêter par les Cars de
Cartalinie & de Kachet. Je N. promets & jure
devant le Tout - Puiffant & le faint Evangile
d'être fidele & attaché à S. M. I. Catherine
Alexiewna , Impératrice & Autocratrice de
toutes les Ruffies , à fon très cher fils S. A, I.
le Grand Prince Paul Petrowitfch , fucceffeur
légitime au trône impérial de Ruffie , & à tous
les fucceffeurs à ce trône , reconnoiffant à perpétuité
, tant pour moi & mes héritiers & fucceffe
irs , qu'au nom de mes pays & domaines
la fuzeraineté de S. M. I. & de fes fucceffeurs
& renonçant pour cet effet à toute autre fupériorité
fur moi & mes pays , quelque nom qu'on
pourroit lui donner , ainfi qu'à la protection de
( 152 )
tout autre Souverain ou Régent , m'engageant
en outre , d'après ma confcience , à regarder
les ennemis de l'Empire Ruffe comme mes propres
ennemis , à me rendre avec fidélité au fervice
de S. M , I. & de fon Empire dès que j'en
ferai requis , & à être prêt à facrifier pour fon
ervice jufqu'à la derniere goutte de mon fang ,
promettant d'entretenir une liaiſon fincere av c
les Commandans civils & militaires , & autres
Officiers de S. M. I. & d'avertir fur le champ
dès que j'aurai connoiffance d'un complot ou
autre affaire qui pourroit être préjudiciable aux
intérêts & a l'honneur de S. M. I. & de fon
Empire ; bref , d'agir conformément aux principes
de religion commune avec la Nation
Ruffe , & a mon devoir , & de me conduire ainfi
qu'il convient , en reconnoiffance de la protection
& de la fuzeraineté de S. M. I. En foi de
ce ferment je baife l'Evangile & la croix de
mon Sauveur. Ainfi foit- il.
"
S'il faut en croire nos papiers , le Prince
Salomon a fait un pareil Acte.
Ces deux Princes , difent- ils,payoient à la Porte
un tribut peu confidérable à la vérité, mais proporzionné
à la pauvreté,ou pour mieux dire , à la mifere
du pays. Cette démarche , fi directement atten
tatoire aux droits du Grand-Seigneur , comme
Suzerain ,, ne pourroit manquer d'exciter toute
la fenfibiliré de la Cour Ortomane , fi elle ne
fuivoit invariablement le fyftême de diffimuler ,
ou plutôt de temporifer , jufqu'à ce qu'elle foit
en état de fe déclarer avec plus d'énergie. L'occupation
de la Crimée , quoique communiquée ,
dit-on , officiellement , n'a pas même provoqué
la Porte à commettre , la premiere , des hoftilités
qui mettroient la Cour de Vienne dans le
cas d'agir avec la Ruffie en vertu de fes enga7153
2
gemens ; car ces deux Cours perfiftent à regarder
& à vouloir faire regarder l'occupation de la Crimée
comme une démarche fimple & qui n'eft
point hoftile. La Porte fe contente de tenir toutes
les affaires en fufpens , & de fe préparer dans
l'intervalle .
Malgré l'incertitude qui regne toujours
dans les Nouvelles de la Turquie , la révolte
des Georgiens & l'incurfion qu'ils ont faite
dans la Natolie s'accrédite. On porte toujours
leur nombre à 50,000 hommes ; &
cette attaque inattendue eft d'autant plus dangereufe
pour la Porte , qu'elle ne fe fait
point fans doute à l'infçu de la Ruffie ; elle
paroît , dit - on , auffi concertée avec les
Perles , ou du moins ceux-ci , par les mouvemens
qu'ils font , paroiffent difpofés à en
profiter. Les embarras des Ottomans paroiffent
ainfi fe multiplier, & ils temporifent
toujours ; ils font bien certains , que s'ils
prennent un parti décidé pour la guerre , on eft
déterminé à mettre l'aggreffion de leur côté ,
& ils auroient à faire à deux ennemis trop
puiffans.
-
L'incurfion ( des Géorgiens dans la Natolie ,
lit on , dans quelques Papiers , a engagé
la Porte a ordonner au Bacha Haggi Ali
de marcher contre eux ; on fe rappelle que
la fidélité de cet Officier a été fufpecte autrefois
, & quil y a trois ans qu'il s'enfuit de la
Natolie & fe réfugia en Crimée fous la protéction
du Khan ; il n'eft revenu qu'après avoir obtenu
fon pardon du Grand- Seigneur . a cher-
On
ché fouvent à faire tomber la tête & il a fur
monté toutes ces attaqués . Il paroît ne pas crain
g S
( 354 )
Ang
dre ces ennemis nombreux , & il refte attaché à
la Porte ; on dit que fon armée de 100000
hommes eft toute entiere à fa folde . On
ajoute que les Turcs , aujourd'hui , n'ofent plus
faire le voyage de la Mecque , dans la crainte
d'être détrouffés par les Arabes , qui , depuis
quelque temps , fe raffemblent en groffes troupes
, & tombent fans quartier fur les Sujets de
la Porte, furtout à leur retour du faint voyage.
Ces caravanes muſulmanes qui ont lieu chaque
année font autant compofées de marchands que
de pélerins . Le Grand-Seigneur donne le quart
des revenus de l'Egypte pour les frais de la carayane
, qui va du Caire à la Mecque , & qui
eft quelquefois compofée de 40coo hommes ,
& de 8 à 10000 chameaux. L'ufage ordinaire eft
de refter trois jours à la Mécque , d'où l'on fe
rend enfuite à Médine pour vifiter le tombeau
de Mahomer. La caravane à fon retour fe charge
du tréfor & des revenus deſtinés au Grand - Seit
gneur.
Parmi les nouvelles hafardées , que con¹
tiennent fouvent nos papiers , celle de la
grande fermentation qui regne à Conftantinople
, & d'une cabale formée contre le
Grand- Seigneur, pour porter fur le trône
Muftapha Pacha qui a époufé une fille du
Sultan Muftapha , foeur du plus proche héritier
de l'empire , le Sultan Selim , doit être
rangée au nombre de celles qui font le plus
nvraisemblables ; on jugera comme l'on
voudra de la fuivante.
» On prétend , mais cette nouvelle demande
confirmation , que le Reis-effendi a déclaré , il
y a quelque temps , à l'Internonce de Vienne
( 155 )
Conftantinople , que vu la grande importance
que l'Empereur mettoit à la navigation du Da-
. nube , le Grand- Seigneur étoit difpofé à lui céder
tout le pays fur le rivage gauche de ce
Fleuve , jufqu'à la riviere de Séreth , ce qui comprend
la Valachie entiere , à condition que
S. M. I. , contente de ce facrifice , garantira à
la Porte toutes lesautres poffeffions Furopéennes.
Quoi qu'il en foit , il eft affez certain que le
Divan craint d'avoir affaire aux deux Cours impériales
à la fois ; mais la conduite qu'il tient en
différant toute meſure decifive , déplaît au Peuple
, & de fon mécontentement eft réfulté appa
paremment le bruit que le Reis- effendi alloit
perdre fa place, & qu'il feroit remplacé par Ifmael-
Bey, Miniftre fort aimé de la Nation , qui
a déjà rempli le même pofte pendant la derniere
guerre contre la Ruffie .
On dit que les mefures rigoureuſes, prifes
contre la ville de Dantzick , n'ont produit
encore aucun effet fur l'efprit des habitans' ;
ils font inébranlables dans leurs difpofitions ;
les enrôlemens pour lever des hommes continuent
, les portes de la ville ont été fermées
& les ponts levés ; quelque temps avant
l'inveſtiſſement on avoit fait entrer dans la
ville 600 boeufs polonois , qui joints aux ap
provifionnemens qui y étoient déjà , en écar
teront, dit-on , la difette pendant 6 mois.
On ne voit pas trop ce que fe propofent les
Dantzickois ; à moins d'une intervention
puiffante , ils n'ont gueres d'autre parti à
prendre que la foumiffion ; & il faudra peutêtre
toujours qu'ils en viennent là. La Cour
gé6
( 156 )
de Berlin a publié un expofé de la conteftation
actuelle , qui eft conçu ainfi :
S. M. le Roi de Pruffe fe trouve depuis quelque
tems engagé inopinément dans une conteſtation
avec Dantzig , qui attire l'attention de l'Europe
& peut donner lieu à de fauffes explications de la
part du public non inftruit. On eft ordinairement
porté à donner tort au plus puiffant vis -à-vis du
plus foible & à lui attribuer des deffeins cachés &
étendus; mais il fuffira d'expofer l'origine , les
progrès & l'état actuel de cette difcuffion , avec
Les circonftances & les raifons qu'on allégue des.
deux côtés , pour convaincre que de pareils deffeins
n'exiftent nullement ici ; que la ville de
Danzig n'a pas même l'ombre de la raifonde fon
côtés que par des vues d'une politique mal entendue
elle fufcite au Roi uue querelle , qu'il n'auroit
pu attendre d'un Etat beaucoup plus puiffant ;
& qu'enfin S. M. en a agi dans cette occafion.
avec cette modération & cet amour de la juftice
dont elle a de tout tems donné tant de preuves
convainquantes. Lorfque la République de
Pologne , par le Traité de Varfovie du 18 Septembre
1773 , céda à S. M. toute la Pruffe Polonoiſe
, on n'excepta que les villes de Danzig &
de Thorn avec leur territoire , & hors de-là , il
ne fut rien ftipulé en faveur de la ville de Danzig.
S. M. reçut donc les Bourgs de Langfuhr , Alt ,
Neufchottland , Schiedlitz & Stolzemberg dépendans
auparavant de la Couronne de Pologne ,
& qu'on appelle Faubourgde Danzig , à caufe de
leur proximité. Les habitans de ces Bourgs , lorfqu'ils
fe trouvoient encore avec Danzig fous la
même domination polonoife , commerçoient librement
fur la Viftule , en paffant Danzig , &
& alloient chercher leurs denrées des contrées
pruffiennes fituées de l'autre côté , lorfqu'ils ne
-
( 157 )
continué comme aupréféroient
pas de les prendre à Danzig même.
Ce commerce & cette navigation libre ont , autant
que l'on en eft inftruit
paravant , lorfque la Pruffe Polonoife & avec
elle les villes ci -deffus furent cédées à S. M. &
féparées de Danzig. Au mois d'Avril de l'année
courante , le Magiftrat de Danzig commença à
défendre aux habitans des villes pruffiennes fituées
en - deçà de Danzig de tirer directement leur
bled & autrrs dentées du territoire pruffien fitué
au-delà , exigeant que les cargaifons achetées
dans ce territoire fuffent vendues au marché
de Danzig pour le prix déterminé par les Danziquois
, & que les fufdites villes pruffiennes achetaffent
d'eux à des prix également arbitraires, les
denrées dont elles ont befoin . Tous les bâtimens
des fujets du Roi venans du territoire pruffien furent
arrêtés par la milice poftée au Blockaus , &
forcés avec des procédés même infultans , de décharger
Danzig . Par cette nouveauté on inter
rompit le commerce & la navigation libre que
les Sujets Pruffiens avoient exercés de tems immémorial
fur un fleuve qui , à fon embouchure &
dans fa plus grande étendue , appartient à leur
Souverain ; & non content de cette défenſe de
la navigation , on empêche également aux Sujets
Pruffiens féparés par la ville de Danzig toute
communication ou échange de leurs produits réci.
proqués par terre. Les Sujers du Roi abandonnés
ainfi aux procédés arbitraires & intéreffés des négocians
Danziquois , en porterent les plaintes les
plus ameres à S. M. Le Roi fe borna d'abord à
faire faire par fon Réfident à Danzig , des réprofentations
, tant verbales qu'écrites , au Magif
trat ; mais ces repréſentations demeurant fouvent
fans réponſe & toujours fans réponse fatifaifante ,
le Miniftere du Cabinet du Roi adreffa le 20 Juin
*
( 138 )
& 24 Juillet , au Magiftrat de Danzig des letttes
auffi pleines de modération que bien motivées ; il
n'en reçut que des réponſes vagues , déclinatoires
& obfcures fondées fur des prétextes vagues & qui
fe réfutoient d'eux-mêmes. Le public impartial
qui lira ces pieces telles qu'elles ont été jointes
à cet expofé publié en allemand , s'inftruíra par
leur contenu des détails de cette difcuffion , & le
convaincra de l'injuftice évidente de la prétention
de la ville de Danzig & de l'équité manifefte
de ce que S. M. exige d'elle . Le Minif
tere fit accompagner ces lettres de repréfentations
verbales du Réfident , fommant le Magiftrat
de Danzig d'indiquer les raifons de fon procédé ;
On offrit de fatisfaire à toute prétention fondée ,
demandant feulement que jufqu'à l'époque d'un
arrangement on continuât à permettre aux Sujets
du Roi l'exercice de la navigation & du commercelibre
par terre , comme ils en avoient joui auparavant.
Mais la ville de Danzig déclina toutes ces
propofitions. Il ne reftoit donc à S. M. d'autre
voie , pour foutenir fes Sujets , que celle des reprefailles
, qu'on a pourtant exécutée avec toute
Ja modération poffible , quoique jufqu'à préfent
fans effet. Le Roi ordonna d'abord, au mois d'Août
de cette année , au Colonel de Pirch de pofter
un petit détachement de troupes fur l'Ile de Holm
& territoire pruffien , de s'affurer ainfi du paffagede
la Viftule en cet endroit , & de renvoyer fans
aucune violence tous les bâtimens danziquois allant
de la ville à la mer Baltique ou de la Baltique
à la ville , laiffant néanmoins paffer fans
difficulté les vaiffeaux des nations étrangeres.
Ceci ne produifit aucun effet ; toute cette difcuffion
fembla devenir moins l'affaire d'un Magiftrat
fage & éclairé , que celle d'une populace
effrénée. Aucun Sujet ou Employé Pruffien n'o
159 )
feit plus fe montrer avec sûreté für le territoire
danziquos . Le Colonel de Pirch voulant faire
paffer fur la Viftule un bâtiment pruffien , fut
infulté , avec les foldats qui l'accompagnoient ,
par la populace , de la maniere la plus groffiere ,
fans que la gérniton de Blockhaufs , qui fe trouvoit
tout près de là , eût cherché à l'empêcher .
Le Confeiller de la Régence Meyer fut attaqué
dans la ville , avec danger de fa vie ; & le
Magiftrat s'excufa qu'il ne pouvoit retenir
la fougue du peuple . Le Magiftrat fe replie toujours
dans cette affaire fur la volonté & les réfolutions
de la bourgeoifie & de ce qu'il nomme
le troifieme Ordre , duquel il prétend être gêné,
& au point à ne pouvoir agir autrement. Une
obftination auffi décidée obligea le Roi à donner
aux repréfailles un nouveau degré de force : on
interrompit le commerce des Danziquois parterre
& on fit arrêter leurs vailleaux à Neufahrwaffer.
Ces nouvelles mesures refterent encore fans fruit.
Le Magiftrat crut le tirer d'affaire par la décla
ration plaufible , qu'il avoit abandonné toute l'af
faire à fon Souverain , le Roi de Pologne . Comme
en d'autres , occafions , où elle n'y trouvoit pas
fon compte , elle a toujours évité de reconnoître
la Souveraineté de la Pologne , p . e . en rejettant
Ja convention conclue entre la Pruffe & la Polo
gne , pour l'abolition de la traite foraine , on
auroit pu avec raifon décliner la médiation d'une
Cour éloignée par rapport à une prétention auffi
étrange. Cependant on attendit encore l'effet des
Loins du Comte d'Unruhe que le Roi de Pologne
avoit envoyé à Danzig ; mais toutes les repréfenfentations
de cet Miniftre n'opérerent que la déclaration
à laquelle la ville fe détermina enfin ,
de vouloir rendre la liberté du commerce & de
de la navigation aux Sujets du Roi , mais falvo
( 166 )
jure feulement ju qu'à la fin de cette année uniquement
pour les denrées de confommation , fous condition
que toutes les repréfa lles cefferaient auffi
tôt. Il étoit impoffible d'accepter une propofition
auffi infidieufe , puifque la ville obtenoit par - là
une reconnoiffance indirecte de fa prétention &
la ceffation entiere des repréfailles , que l'on ne
recommence pas ailément , tandis que les Sujets
du Roi n'obtenoient que pour deux mois
d'hyver , où la nature même y met obftacle ,
cette liberté de commerce & de navigation dont
ils ont joui de tout tems , & qu'on n'auroit pas
manqué de leur contefter bientôt après . Le Roi
n'efpérant plus d'obtenir par la voie des repréfentations
, de la négociation , & même de repréfailles
modérées , cette liberté naturelle qu'il
réclamoit pour les Sujets , s'eft vu avec regret
forcé de paffer à des mesures plus férieufes . S. M.
a ordonné en conféquence au Général - Major
Baron d'Eglofftein d'entrer avec quatre bataillons
d'Infanterie & quatre efcadrons de Cavallerie fur
le territoire de Danzig , que les troupes du Roi
n'avoient pas touché jufques- là ; d'enfermer cette
ville de tous côtés , par mer & par terre , quoique
dans une certaine diftance ; d'obſerver du
refte la difcipline la plus févere , & de laiffer
paffer fans difficulté tous les vaiffeaux étrangers.
Cette démarche même n'a pu encore vaincre
l'obftination de la ville de Danzig , & n'a preduit
qu'une réponſe vague au Général d'Eglofftein
du 16 de ce mois , dans laquelle le Magiftrat
renouvelle fa premiere déclaration qui porte fur
un intérémistique de deux mois , & enviſageant
comme obligatoires les premieres offres qu'on
n'avoit fait que par condefcendance , fe plaint
de ce qu'on exige maintenant une liberté entiere
& illimitée de la navigation. Il eft vrai que du(
161 )
rant toute cette conteftation , le Roi a fait propofer
plufieurs fois , tant à la Cour de Varfovie
qu'au Magiftrat de Danzig , d'accorder aux Sujets
du Roi le libre paffage , feulement falvo jure , &
jufqu'à l'époque d'un arrangement amical ; mais
fuivant la nature des chofes & l'équité la plus manifefte
, ces propofitions portoient fur un commerce
entierement libre & non reftreint à un
court efpace de tems. Or le Magiftrai les ayant
déclinées ; & ne les ayant enfin acceptées que
comme par grace , & en reftreignant fa concefceffion
d'une maniere vague & infidieufe aux
denrées de confommation des Sujets Pruffiens
& au court espace de deux mois inutiles pour
la navigation , & qu'il auroit fans doute laiffé
écouler fans arranger l'affaire , après que les
repréfailles auroient une fois été levées ; S. M. ne
peut être retenue à des offres volontaires & non
acceptées , & voyant la mauvaiſe volonté de la ville
de Danzig , & fon obftination à opprimerconftamment
les Sujets Pruffiens , elle ne peut qu'infifter
maintenant fur une définition entiere & radicale
de l'affaire & fur la conceffion illimitée du libre
paffage de fes fujets fur le territoire de Dantzick ,
& jufques- là continuer les meffures qu'elle a été
obligée d'adopter. Mais comme elle n'a amais
eu & n'a encore aucun deffein hoftile ou contraire
aux traités contre la ville de Dantzig ,
qu'elle eft plutôt difpofée à foutenir fon commerce
d'une maniere conforme aux avantagesde fes propres
Etats , ces reprefailles ne dureront auffi que
jufqu'à ce que cette ville aura remis fur l'ancien
pied le commerce libre des fujets Pruffiens
leur aura affuré folemnellement pour leurs
perfonnes & marchandifes , le libre paffage par
fon territoire & aura procuré à S. M. une fatiffaction
convenable pour les procédés infolens
( 162 )
qu'on s'eft permis envers fes officiers & fujets ; ces
points accordés, les repreffailles cefferont auffi - tôt.
ITALIE.
1
DE GENES, le 2. Octobre,
La Régence de cette ville a aboli , du
confentement du Souverain Pontife , plufieurs
fêtes dont la multiplicité faifoit un
Très-grand tort aux ouvriers & aux artistes.
L'ordonnance en a été publiée ces jours derniers
; celle qui l'a été il y a quelques jours ,
& qui défend de recevoir dans l'Etat Ecclé
fiaftique des fujets qui n'ont pas un certain
patrimoine , a excité quelques murmures :
mais la fageffe du Gouvernement & du haut
Clergé a impofé filence à ceux qui abufent
de la facilité d'entrer dans cet état refpectable,
pour le deshonorer par leur conduite
ou par leur indigence.
"
» Il est arrivé dans ce mois , lit- on dans une
Lettre de Tunis , en date du 23 du mois dernier
un Officier de la Porte venant incognito
d'Alger ; il a remis au Bey des Lettres de la
part du Grand- Vifir & du Capitan Bacha , par
lefquelles il lui eft enjoint de la part du Grand-
Seigneur , de cultiver fans contradiction comme
auparavant la Paix avec l'Empereur , & de faire
refpecter par les Commiffares de notre Régence
le Pavillon de ce Monarque. Le Bey a fait à ces
Lettres des réponses par écrit où il promet
d'obéir & de faire obéir fes corfaires aux intentions
de S. H. Cependant dans le Public on
garde encore le filence fur cette affaire , jufqu'à
ce qu'on fache les difpofitions de la régence de
( 163 )
Tripoli par rapport à cette réquifition , le même.
Officier Ottoman s'y étant rendu depuis quelques
jours , avant de venir ici , il avoit exécuté à
Alger une commiffion pareille , également à la
fatisfaction du Grand Seigneur.
On parle toujours d'une alliance offenfive
& défenfive entre la Cour de Ruffie & la
République de Venife; felon quelques lettres ,
elle eft prête à être conclue.
Le commerce de cette République , autrefois
fi floriffant & fi étendu , eft bien déchu maintenant
. Dans le mois de Juillet dernier , il n'y
avoit pas un feul Bâtiment étranger dans fes
ports ; fes Sujets paroiffent avoir perdu beau
coup de leur ancienne activité. La plupart des
marchandifes leur font apportées aujourd'hui par
les Hollandois & les Anglois ; ils négligent auffi
le commerce de terre , & il n'y a que quelques
maifons Allemandes & Grecques , quelques
Juifs & la maifon Teftori , foutenue par la famille
de Rezzonico , qui font encore des affaires
& qui foutiennent l'honneur de la Bourfe . Pour
relever le commerce , il faudroit lui accorder
plus de liberté , & diminuer les droits auxquels.
il est affujetti .
s
ESPAGNE.
DE MADRID , le 20 Novembre.
S. M. à l'occafion de la naiſſance des deux
Infans dont la Princeffe des Afturies eft accouchée
dernierement , a étendu le bienfait
de l'amniftie qu'elle avoit accordée précé
demment , aux déferteurs de fes armées de
terre & de mer ; ceux qui font dans le royau
( 164 )
me , doivent rejoindre leurs Corps refpectifs
dans 90 jours ; ceux qui en font fortis , ont
un an. On n'excepte que ceux qui fe font
rendus coupables de quelque crime grave ,
qui n'eft point fufceptible de grace , & defquels
la Société demande fatisfaction .
>
De tous les orages , qui , pendant cette année ,
écrit- on de Murcie ont défolé plufieurs contrées
de l'Europe , dont la fréquence, la violence ,
la durée , les ravages & les phenomenes acceffoires
n'ont prefque pas eu d'exemples , il n'y
en a pas eu de plus épouvantables que celui
qu'on effuya dans cette Ville la nuit du 2 de
ce mois ; le temps étoit calme , lorfque tout- àccup
une pluie des plus fortes & mêlée de grêle
d'une groffeur énorme , inonda en peu de temps
toute la Ville. La terreur s'empara d'abord de
tous les efprits , s'accrut & devint extrême à
l'aspect d'un globe igné d'une grandeur prodi
gieufe qui tomba fur le Palais épifcopal , fe'
brifa en trois parties , dont la plus grande pénétra
dans le Séminaire de S. Fulgence , & y parcourut
trois quartiers fans qu'heureufement perfonne
en ait été atteint. Alors l'horifon s'éclaira ,
& un vent commença à fouffler du Ponent . Les
trois jours fuivans , furvinrent de nouveaux ora
ges qui innonderent la Ville & ne firent qu'ajouter
à la terreur que la nuit du 2 avoit infpirée.
Quantité de perfonnes de diftinétion s'enfuirent
à travers les rues loin de la Ville , &
ce ne fut qu'avec le plus grand péril que l'Evê
que de Murcie , monté dans fa voiture parvint
à franchir les chemins inondés & embarraffés
de groffes pierres pour fe retirer au Monaftere
de S. Jérôme , à quelques milles de la Ville
perfonne n'a perdu la vie dans ce défafire ; mais
( 165 )
les dommages qu'il a caufés font très conf
dérables .
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 11 Novembre.
La frégate le Diomede vient d'arriver de
New-Yorck , d'où elle eft partie le 30 Septembre.
A cette époque on ne favoit pas encore
fi les ordres définitifs pour l'évacuation
de cette place étoient arrivés d'Angleterre.
Le Chevalier Carleton étoit en correfpondance
avec le Congrès , relativement à quelques
mefures qu'il y auroit à prendre , avant
que les garnifons Angloiſes quittaffent leurs
poftes. On ignore en quoi confiftent ces difficultés
; mais il paroît que nous cherchons
à prolonger, le plus que nous le pourrons
notre fejour à New-Yorck ; il eft dur en
effet de quitter pour toujours un comptoir
auffi commode pour le commerce des pelleteries.
Nos papiers contiennent une lettre de
Philadelphie , d'après laquelle il fembleroit
qu'il y a encore quelque efpérance pour les
loyaliftes, Elle eft du 23 Septembre, & conçue
ainfi.
« L'artifice & les intrigues des factieux démagogues
ont empêché jufqu'à préfent de confidérer
tranquillement & de fang froid les articles
du traité qui regardent les Loyalistes. Il y
en a plufieurs dont le retour dans le pays eft
jugé dangereux , & qui feront exclus ; mais le
nombre de ceux-là fera très-borné dans quel-

( 166 )
ques Etats. Nous attendons avec anxiété ce
qui fera décidé fur ce fujet par les différentes
légiflations, Le Congrès doit fixer dans le
mois prochain le lieu où il fera fa réſidence
à l'avenir. Il enverra inceffamment un Ambaffadeur
en Angleterre . Les Etats -Unis n'en aufont
que trois en Europe , un en France , un
en Hollande , & l'autre chez nous. On croit que
M. Bingham , ci - devant Agent du Congrès dans
les Indes Occidentales , & qui eft actuellement
à Londres , fera un des Commiffaires nommés
pour négocier le traité de commerce ».
Y
On ajoute que le traitement de chaque
Ambaffadeur du Congrès fera de 4000 liv.
fterlings par an.
P
Charles-Town , lit-on dans un papier de la
Caroline méridionale , portera , à l'avenir , le nom
de Charleston ; c'eſt ce qui a été décidé dans
l'affemblée du 13 Août , où l'on a établi en
même-temps les impôts fuivants. Sur le taffia
ou le rum françois un denier fterling ; fur
le rum de la Jamaique , le brandevin , l'arrack ,
l'anis , & toutes les liqueurs fortes , trois deniers
par gallon ; fur le rum des Antilles deux deniers
par gallón ; fur le vin de Portugal quatre deniers ;
fur celui d'Efpagne trois; fur ceux de France &
autres deux deniers ; fur la bierre étrangere deux
fols par trente-deux gallons ; fur la mellaffe un
denier par gallon , fur les jeux de carte quatre
deniers par paquet , for le fucre brut des Illes
britanniques deux fois par quintal ; fur le raffi
né un denier par livre; fur le fucre brut de France,
d'Espagne , de Hollande , de Danemarck & de
Suede , un fol fix deniers par cent pefant ; fur
le raffinés un demi fol par livre ; fur le cacao
& le piment cinq fols par quintal ; fur le thé boë
2
( 167 )
quatre deniers par livre ; fur tous les autres thés
un fol ; fur le caffé trois fols par quintal ; fur
les negres , importés directement d'Afrique , de
la taille de quatre pieds , trois livres sterling chacun
, & au-deffous de cette taille trente fols . Tous
les negres importés des Indes occidentales , &
qui y ont refté plus de trois mois , vingt fols .
Toutes les autres efpeces de marchandifes deux
deniers fterling ' , & un demi fol pour cent de
leur valeur ; neuf deniers par tonneau fur chaque
Vaiffeau entrant dans l'Etat.
Les débats du Parlement d'Irlande deviennent
très - intéreffans , & donnent une
idée plus jufte que nos papiers ne le font des
querelles de ce royaume avec la Grande-
Bretagne. Ils font voir avec quelle chaleur
les Irlandois s'occupent de l'extenfion de
leur commerce , & avec quel empreffement
ils cherchent à fecouer le joug du Parlement
d'Angleterre. Voici le réfumé de la
premiere affaire importante que cette affemblée
a difcutée depuis fon ouverture.
Le Chevalier Newhaven avertit la Chambre
des Communes le 27 du mois dernier que le Miniftere
anglois accéleroit la conclufion du traité
de commerce entre la Grande - Bretagne & les
Etats- Unis de l'Amérique , & que fon projet étoit
de ne point y comprendre l'Irlande : il fit fentir
combien cette exclufion feroit funefte aux intérêts
de l'Irlande , combien elle étoit contraire
aux pactes exiftans entr'elle & l'Angleterre , & il
propofa au Parlement .( fi le Miniftere, Anglois
n'écoutoit point ces juftes réclamations , ) d'envoyer
des agens à Paris , pour négocier directement
avec les Plénipotentiaires américains , afin
( 168 )
que l'Irlande fut compriſe dans un article féparé.
Il appuya fa motion des argumens les plus victo
rieux ; il fit une énumération des défavantages
qu'avoit fait éprouver à l'Irlande l'omiffion que
l'Angletetre avoit faite d'elle , dans fon dernier
traité avec le Portugal ; il rappella au Parlement
le pouvoir qu'il avoit de régler le commerce du
Royaume , & il termina fon difcours en exhortant
la nation à reconnoître & à faire valoir fes
autres droits , ceux qu'elle avoit acquis , & ceux
auxquels elle pouvoit prétendre. Un des Sécrétaires
d'Etat de l'Irlande , M. Pelham , répondit
au Chevalier Newhaven , que l'intention du
Miniftere Britannique étoit de faire participer
I'Irlande à tous les avantages que l'Angleterre retireroit
de fon commerce avec l'Amérique ; mais
il ne put rien dire à l'égard des prétentions que ce
Royaume paroiffoit avoir d'être compris dans le
traité de commerce . Le même jour le Parlement
Irlandois nomma un Commité , qui eft chargé
d'examiner l'état des manufactures & d'indiquer
les moyens d'étendre de plus en plus l'industrie.
Nos papiers fourmillent à préfent de paragraphes
fur les affaires de l'Irlande , dans
lefquels on apperçoit aifément la jaloufie
que les Anglois portent aux Irlandois , & le .
chagrin avec lequel cette nation voit les
progrès de fa rivale dans le commerce.
Quelques - uns de ces paragraphes piquent la
curiofité, & nous les citerons.
Les Volontaires Irlandois ont acquis une prépondérance
& une autorité préjudiciables à la
fûreté & au bonheur de ce Royaume . Que
pourra la Légiflation vis - à- vis d'un peuple fous
les armes & qui fe berce de l'idée chimérique
que
( 169 )
que les efforts porteront la félicité publique au
plus haut point de perfection .
>
La liberté acccordée au commerce de l'Irlande
enflamme la cupidité des Négocians de
ce Royaume ; ils font déja des fpéculations pour
partager avec les Anglois le commerce des
Indes & ils cherchent à leur enlever le commerce
du Portugal . Ils prétendent à un dreit
fur toutes les dépendances de la Grande Bretagne
, ou du moins à une part égale dans les
avantages qui en dérivent ; & ils établiffent cette
prétention , fans dire s'ils dédommageront de maniere
ou d'autre la G. B. des fommes immenfes
qu'elle a dépensées & des dettes énormes
qu'elle a contractées pour le procurer ces terri
toires & établir fon commerce; qu'ilsle foumettent
feulement à payer des taxes pour un tiers de
notre dette , & il n'y a pas d'Anglois qui
n'adhere volontiers à leurs propofitions.
>
po-
Le chargé des affaires de la Cour de Lisbonne
vient de repréfenter à nos Miniftres la néceffité
de conclure un nouveau traité de commerce
dans lequel l'Irlande puifle être comprife. On
ne croit pas que cette négociation ait eu beaucoup
dde fuccès jufqu'à préfent . En effet la nature
de cette affaire donne lieu à un Dilemme
litique auquel il eft difficile de répondre ; car
fi les refrictions fur le commerce d'Irlande
font retirées , en vertu du traité , il faut neceffairement
que le commerce d'exportation ce
la G. B. avec le Portugal foit ruiné , & fi ces
reftrictions ne font pas retirées , il en résultera
probablement une rupture avec l'Irlande .
L'Irlande fera certainement un traité de commerce
avec le Portugal , à moins que la Grande-
Bretagne ne veuille interpofer un filême de
polique ou de défence. Le premier eft de la
No. 47. 22. Novembre 1783 .
h
( 170 )
plus grande difficulté à imaginer pour les hommes
les plus confommés dans la fcience de la palitique
; & le fecond peut être très- fatal à l'Àngleterre
GP'Irlande ne veut point l'adopter.
i
Cette affaire embarraffe fingulierement les
Miniftres , qui ne favent comment répon-
-dre à l'Irlande , ni comment obtenir d'elle
un dédommagement , dans le cas où on lui
feroit quelque nouveau facrifice.
7
Il eft queftion d'établir une commiſſion ,
qui prendra connoiffance de l'état des fonds ,
des revenus & des reffources de la Nation
Britannique. Cette commiffion , après avoir
-reçu toutes les informations poffibles fur ces
objets , fera à la Chambre des Communes
le rapport de fon enquête , & donnera fon
rapport fur le meilleur moyen de faire hauffer
les fonds , & d'empêcher qu'à l'avenir les
mancevres des Agioteurs les faflent tomber.
Elle s'informera auffi de la cauſe de la
diminution des droits de Douane & d'Accife
; cette commiffion fera nommée auffi -tôt
après la rentrée du Parlement ; & l'on fe
promet de grands avantages de ce travail.
·
Le plan de M. Fox , dit un de nos papiers ,
pour liquider une partie de la dette nationale ,
eft le plus ingénieux , le mieux raifonné & le plus
praticable de tous ceux qui ont été fuggérés .
Mettre les terres de la Couronne en vente pu .
blique , dans un moment de détreffe pécuniaire
comme celui - ci , ce feroit une opération qui
he feroit pas grand bien à la nation , ou qui du
moins ne lui procureróit pas un avantage trèsimmédiat
; mais l'idée d'offrir ces terres à des
(( 171) )
propriétaires de fonds à un prix honnête , ne
peut provenir que d'un efprit plein de reffources."
Beaucoup de ces propriétaires paroiffent mécontens
de leur sûreté , mais ils ne veulent pas
vendre , parce que les fonds font très-bas actuelment.
Par une offre de cette nature , toutes ces
difficultés font tranchées : ils auront terram firmam
& leurs fonds feroient êvalués à 70 liv. , prix
honnête & avantageux . Ainfi en une année , on
pourroit liquider plufieurs millions de notre dette,
& moyennant ce qui rentreroit annuellement au
fonds d'amortiffemens , il ne faudroit pas plus de
40 ans , fuivant le calcul de M. Huffey pour rem .
bourfer toute la dette nationale.
Un des autres objets qui doit être foumis
à la confidération du Parlement , c'eſt l'affaire
de la Compagnie des Indes ; on ne fera
pas
fâché de trouver ici un court réſumé de
ce qui a déjà été fait : il doit naturellement
précéder ce qu'on fe propofe de faire.
Au mois de Mai 1781 , la chambre des communes
nomma un comité fecret pour examiner
la caufe de la guerre du Carnate , & un comité
choifi pour confidérer l'état de la justice dans
le Bengale. L'année fuivante au mois de Mai ,
ces comités firent leurs rapports , & la chambre
pafla une cenfure de la conduite des directeurs
& des employés de la compagnie ; une de les réfolutions
portoit qu'il étoit du devoir des premiers
de renvoyer M. Haftings ; elle fut envoyée
aux directeurs ; une affemblée générale fut convoquée
; on décida à une grande majorité , que
le renvoi de M. Haftings propofé par une petite
portion d'une branche de la légiflation aux directeurs
, étoit injufte & peu convenable ; que quelle
que fut la décision des directeurs à ce fujet , ils
h 2
( 172 )
devoient la foumettre à une affemblée générale qui
feroit libre de l'approuver ou de la rejetter. Cela fe
-paffa le 18 Juin 1782. Le 23 O &obre fuivant ,
13 directeurs vouloient l'éloignement de M. Haltings
, 10 s'y oppoferent , l'affemblée générale
fut tenue & le maintien de cet officier convenu
à la pluralité de 428 voix contre 75. Le
parlement trouva cette conduite des actionnaires
fort étrange. M. Pitt la défendit & fit fentir à la
chambre qu'elle n'étoit point compromife par ce
procédé , & qu'elle ne devoit pas déplacer un
homme fans preuve de délit . M. Burke s'engagea
devant Dieu , la chambre & la nation à prouver
ce délit. Les chofes en refterent-là , & les avis
reçus depuis de l'Inde , ont prononcé en faveur
des actionnaires & changé les opinions qu'on avoit
eu contre M Haftings , dont la deftitution eft regardée
à préfent du même ail que l'auroit été cel'e
du général Elliot , au moment où les batteries
efpagnoles jouerent contre Gibraltar.
Les enrôlemens pour le fervice de la
Ruffie , qui ont été tolérés jufqu'à préfent ,
viennent d'être défendus ; on trouve que
ceft s'y prendreun peu tard , maintenant que
nous avons déjà plufieurs Officiers & plufieurs
matelots à Petersbourg.
« Le parti , dit un de nos papiers , que l'Angleterre
prendra dans la querelle de la Ruffie
la Com- avec la Porte n'eft point encore arrêté ;,
pagnie des Indes , en attendant , craint les fuites
de cette querelle . La Ruffie , au moyen des.communications
qu'elle a le projet d'établir entre la
mer Cafpienne & la mer noire , peut porter un
coup funefte à fon commerce , parce que les
productions afiatiques peuvent paffer de ces mers
dans la méditérannée ; on en conclut que la
( 173 )
faine politique devroit faire defirer a l'Angle
terre que les chofes reftaflent telles qu'elles ont
toujours été ; & de là à s'oppoſer à tout changement
, il n'y a pas loin.
Les démêlés qui menaçoient d'un embrâfement
l'Empire Ruffe & l'Empire Ottoman
, n'auront peut- être pas les fâcheufes fuites
que l'on craignoit ; on l'efpere du moins.
Un de nos Officiers écrit ainfi de Petersbourg. ,
Tous nos Officiers arrivés ici dernierement
y font encore ; & nous penfons que l'Impératrice
n'aura pas befoin de nos fervices ; car il eſt
plus que probable qu'il n'y aura point de guerre
avec les Turcs ; mais l'Impératrice nous a fait
affurer par fes Miniftres , que nous ne retournerons
pas chez nous fans récompenfe , & qu'elle
regardoit nos bonnes intentions comme des fervi
ces réels ; elle nous a fait inviter à refter quelques
mois ; ainfi je préfume que nous pourrons
nous en retourner au printems prochain .
« Le bruit que la Compagnie des Indes éta
blira ici une maiſon , écrit - on de Dublin , femble
avoir quelque fondement , & c'est une mesure
de commerce & de politique , qui depuis longtems
auroit dû avoir été adoptée . Pour la conve
nance , l'Irlande eft la premiere terre où abordent
fes vaiffeaux , après avoir quitté Saint - Hélene ;
une partie de leurs cargaifons pourroit être laiffée
dans ce pays , au lieu d'être portée en An
gleterre , d'où il faut enfuite la faire revenir ici.
En politique cette démarche ne feroit
pas moins
avantageufe, parce qu'elle nous empêcheroit d'aller
nous approvifionner dans les marchés étran
gers.
Les expériences des globes aëroftatiques
faites en France , ont excité quelques cu→
13.
( 174 )
rieux à les imiter. Le premier globe qui a
été lancé dans cette ville , l'a été le 1 de ce
mois ; il a été apperçu au- deffus des nuées , ¹
prenant une direction horisontale O. S. O. ,
& paffant fur High- Gate. On n'en a pas encore
reçu de nouvelles , quoiqu'on y ait
attaché un écrit , par lequel on promet une
récompenfe à celui qui le rapportera. Quoiqu'au-
deffus des nuages , le globe paroiffoit
comme un objet opaque & de la grandeur.
de la lune.
On lit dans nos papiers que ces jours derniers
on en lança un de 9 pieds de circonférence à
Falconfquirre , dans le Comté d'Hereford. Les
habitans de Leominster , qui n'en eft qu'à deux
milles , ont été , dit - on , très - effrayés de ce lé.
ger corps flottant dans l'air. La confternation des
Ipectateurs qui ignoroient ce que c'étoit , étoit
au- delà de route expreffion , ils ne furent raflurés
qu'après la chute de la machine , dont on
approcha avec circonfpection , & dans laquelle
on trouva un avis qui indiquoit qui l'avoit lan
cé & d'ou elle étoit partie.
P. S. Le Parlement s'eft affemblé aujourd'hui
, le Roi s'y eft rendu dans la pompe
ordinaire , & en a fait l'ouverture par le difcours
fuivant .
Mylords Meffieurs. J'ai la fatisfaction de
vous informer que nous avons conclu des Trai- }
tés définitifs de Paix avec la France , l'Espagne,
& les Etats- Unis de l'Amérique des Articles
préliminaires ont été auffi ratifiés avec les Etats-
Généraux des Provinces - Unies. J'ai ordonnés
que ces différens Traités vous foient préfentés .
& j'ai la fatisfaction d'ajouter que ces Puiſſances
( 175 )
defirent auffi fincérement que moi d'éloigner
autant que faire fe pourra , les malheurs de la
guerre. Les objets fur lesquels vous aurez à délibérer
, vous feront aifément connoître les raifens
qui m'ont engagé à vous raffembler de fi
bonne heure. Des enquêtes de la plus grande
importance ont été faites avec foin , & nous
devons efpérer que ce ne fera pas fans fruit.
La fituation de la Compagnie des Indes requerra
de votre part toute l'attention & la fageffe
néceffaires à maintenir & à augmenter les
avantages que nous tirons de ce pays , auffi bien
qu'à affurer le bonheur de fes habitans . La paix
dont nous allons jouir vous mettra à même de
penfer à tout ce qui pourra rétablir la force de
la Nation , après une guerre fi longue & fi difpendieufe
. Vous aurez à confidérer d'abord la
fûreté & l'augmentation du revenu public , enforte
qu'il devienne moins gênant à mes Sujets :
ce revenu a fouffert dans bien des parties effen- .
tielles : des fraudes dangereufes ont prévalu , &
on a commis des outrages alarmans . On s'eft
efforcé par tous les moyens de prévenir cette
corruption , & d'en , rechercher la vraie caufe.
Dans tous les cas où le, pouvoir du Gouvernement
ne répondroit pas à fes foins & à fa vigilance
, j'efpere que la fageffe de mon Parlement,
pourvoira aux remedes qui pourront être néceffaires
pour faciliter l'accompliffement des
vues dont dépend fi effentiellement l'intérêt de
cette Nation..
Mefieurs de la Chambre des Communes , j'ai
ordonné que l'état des dépenfes de cette année
vous foit préfenté ; il vous fera connoître la réduction
que j'ai faite dans chacun des établiffemens
; réduction qui me paroît pouffée auffi loin
que la prudence peut le permettre , & qui fans
h 4
( 176 )
doute vous fera partager avec moi la fatisfaction
que je reffens au foulagement qu'elle commence
à procurer à mon peuple. Il cft inévitable qu'à
la fin d'une guerre on ne fe reffente pendant quelque
temps du fardeau qui en eft intéparable : Fidée
de ce fardeau me fait fouffrir ; mais je ne
doute pas que la Nation ne montre le courage
qu'elle a fait voir dans tant d'autres difficultés .
& qui eft fi néceffaire dans les circonflances préfentes
pour le fouien de l'honneur national.
Mylords & Meffieurs , nous nous trouvens , à
beaucoup d'égards , dans une fituation nouvelle ;
vos bons Confeils pourvoieront à ce qu'elle exiges
yotre fageffe donnera de la confiftance à ce que
J'expérience des Gecles a trouvé d'avantageux.
Dans vos délibérations yous conferverez ce fangfroid
& cette modération que l'importance de
Jeurs objets doit produire en vous ; & je ne doute
pas que vous ne défiriez tous que ces délibérations
endent à affurer l'honneur de ma Cou
ronne , l'étendue de mes domaines & le bonheur
de mon peuple.
Les adreffes de remercîment ont paffé
dans les deux Chambres , fans occafionner
beaucoup de débats ; on n'en attend qu'aux
féances prochaines ; & l'oppofition qu'on.
Coit très nombreufe faifira la premiere occafion
favorable pour éclater.
Le Prince de Galles a pris féance aujour
d'hui au Parlement , où il occupe la place
deftinée à l'héritier préfomptif du trône.
FRANCE.
DE PARIS , le 18 Novembre.
Le retour de la Cour de Fontainebleau à
༤༧༠ t
·
( 177 )
"
Verfailles paroît fixé au 23 &au 24 dece mois.
I.e Roi partira , dit -on , le 23 , & la Reine le len
demain . Monfeigneur Comte & Madame
Comtelle d'Artois font venus à Verfailles ,
pour y voir Mademoifelle , qui eft malade ,
& auprès de laquelle ils refteront 4 ou 5
jours.
Le 13 de ce mois , M. de Calonne prêta
à la Chambre des Comptes le Serment d'u→
fage ; s'il a donné auparavant audience , s'il ·
a difpofé de quelques places , fi même il a
été le Rapporteur de l'Arrêt du Confeil du
9 de ce mois , c'eft que tous ces objets ne
concernent que l'Adminiſtration des Finances
, & non la comptabilité , pour laquelle
feulement on reçoit le ferment du Contrôleur
Général à la Chambre des Comptes.

Le 12 , le Parlement a fait fa rentrée ; la
Meffe rouge a été célébrée par M. l'Archevêque
de Paris , qui prononça enfuite un
Difcours aux Chambres affemblées , auquel
M. le premier Préſident répondit.
M. de Bourgade qui fe retire, reçut le 29
du mois dernier , la lettre fuivante de M. le
Comte de Vergennes.
» J'ai mis fous les yeux du Roi , M. , la Lettre
que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire , le
26 de ce mois. S. M. a daigné la lire en entier
& y a vu avec fenfibllité , & même avec peine
les raifons preffantes de fanté qui vous font demander
votre retraite . Le Roi eft trop fatisfait
, M. , du zèle que vous avez montré en
toute occafion pour fon fervice , & de l'intelli-,
h
( 178 )
>
gence avec lequelle vous avez fecondér fes Mi-'
niftres , avec lefquels vous avez été employé
pour fe refufer à une demande , d'autant plus
légitime , qu'elle intéreffe votre confervation :
mais S. M. compte bien , qu'en ceffant de vous
occuper des foins actifs , vous ne cefferez pas
pour cela de contribuer à l'avantage de fes affaires,
en concourant par la communication de vos
idées , à tout ce qui peut en affurer la profpérité.
Ce voeu du Roi , M. , vous prouve tout à
la- fois l'eftime & la fatisfaction de S. M. , & doit
vous rendre bien doux le repos auquel vous allez
vous confacrer. S'il m'étoit permis , M. , de joindre
mes fentimens à l'expreffion de ceux du Roi , je
vous parlerois des regrets bien finceres que votre
réfolution me caufe . Je me flatte , que vous n'ê
tes pas en défiánce de la juftice que j'ai rendu '
dans tous les tems à la maniere diftinguée dont
yous avez fervi le Roi . Mon opinion à cet égard
eft auffi inaltérable que le fincere attachement
avec lequel je fuis , &c.
C'eſt par erreur que nous avons annoncé ,
que le Congrès des Etats- Unis de l'Améri
que feptentrionale avoit fait frapper une médaille
en mémoire des fervices du Chevalier
de Cambrai , Officier François. Ce n'est que
la Caroline du Sud , qui l'a honoré de cette
diftinction. Au reste , le Public ne peut voir
qu'avec intérêt & fatisfaction les preuves
d'activité, de bravoure & d'intelligence que
lé Chevalier de Cambray a données en différentes
occafions très- importantes où il a été
employé. Elles fe trouvent confignées de la
maniere la plus honorable & la plus flatteaſe
dans les pieces fuivantes . -
( 179 )
Avril 1778
Caroline du Nord à l'affemblée générale 30
Réfolu que cette Chambre approuve
hautement la conduite de M. de Cambray
depuis fon arrivée dans la Caroline du
Nord , & qu'elle eft pénétrée de reconnoiffance
pour le fervice important qu'il a rendu à
P'Etat en érigeant le Fort Hancock , & qu'elle.
entretient une haute opinion de fes connoiffances
& de fes talents en fait de génie & de
fortifications, Refolu que S. E. le Gouverneur
foit requis de donner au Chevalier de Cambray
des Lettres de recommandation pour le Congrès
& le Général Washington , & qu'il leur
foit tranfmis une copie de la réfolution précédente.
Caroline du Sud dans l'affemblée des Repréfentans
, le 7 Septembre. Réfolu avec la plus grande
unanimité , que les remercimens de cette
Chambre foient préfentés au Colonel de Cambray
pour le fervice éminent qu'il a rendu à
P'Etat , en défendant fa Métropole dans la conjoncture
critique de la derniere campagne ,
pour la promptitude avec laquelle il a détermi
né fon plan judicieux de défenfe , & le zele extraordinaire
avec lequel il en a conduit l'exécution.
- Réfolu que les fervices du Colonel de
Cambray ont pénétré cette Chambre de l'opinion
la plus favorable , auffi bien que de fon
génie militaire & de fon attachement à la caufe
de la liberté. ·Ordonne que M. l'Orateur
foit requis de tranfmettre les réfolutions cideffus
au Colonel de Cambray . - Réfolu qu'il
foit préfenté au Colonel de Cambray une belle
Médaille d'or , repréſentant d'un côté la ville de
Charles-town & la retraite de l'armée Angloite
avec légende Una mens fapiens plurium vincit
manus. Sur le revers cette infcription : L. de
h 6
( 180 )
Cambray urbe opportunè permunita hoftium concilia
irrita reddidit , de Republica præclare meruit. Avec
la date fur l'exergue. Réfolu que la paye
du Colonel de Cambray foit augmentée jufqu'aux
appointemens de Colonel en pied fur l'établiffement
de l'état avec un rétrograde au temps de
fon arrivée ici , & qu'il lui foit fourni aux dépens
du Public un équipage de campagne proportionné
à fon rang. Ordonné que ces ré-
Tolutions , foient envoyées à l'honorable Sénat
pour fa concurrence , & que MM. Hutfon &
Jhard en foient les porteurs. Ordonné que
le Colonel Laurens , MM. Edouard Rutdgele
Je Colonel Motte , le Major Pinckney & M.
Jhard , forment le comité qui doit procurer la
médaille & l'équipage de campagne mentionnés
dans ces réfolutions.
d
Atteftation du Secrétaire d'Etat de la Guerre.
-
Le Lieutenant - Colonel de Cambray , du
Corps des Ingénieurs dans le fervice ,des Etats
unis de l'Amérique , reçut ordre de fe porter
à Charles-Town en Février 1779 , & d'y recevoir
les ordres de l'Officier , commandant dans
Je département du Sud. A fon arrivée il
fut employé à la Sur Intendance des travaux
néceffaires à la défenfe de Charles-Town , il
remplit cet objet avec tant de zele & d'habileté
, qu'il s'attira les témoignages les plus honorables
de fon mérite , de la Législature de
la Caroline du Sud , & une approbation complette
de l'Officier , commandant le département
du Sud .. Ses fervices fubfequens pendant
les fieges de Savannah & de Charles-
Town , où il fervoit en qualité de fecond Ingénieur
, & les différentes autres occafions qui
fe font préfentées pendant que je commandois
le département du Sud, & où j'ai eu lieu de
-
( 181 )
remarquer fa conduite ine donnent lieu de
le recommander avec juftice comme un Officier
actif, brave & intelligent . Philadelphie,
au Bureau de la Guerre , le 8 Août 1782 , la
feptieme année de notre indépendance.

Signé, B. LINCOLN , Secrétaire de la Guerre.
Lettre du Général Washington , Verplanks-
Point , Octobre , 1782. Vous avez ma permiffion
, ' autant que cela dépend de moi de vous
en aller en France. Pour paffer les mers , il
faut que vous ayez celle du Congrès Je puis
feulement recommander qu'on vous l'accorde.
Je n'ai point l'autorité de vous la donner ,
vous pouvez faire ufage de ma lettre pour montrer
que j'y confens. Ci inclus vous trouverez
un Certificat de vos fervices ; je me lerois
trouvé heureux de pouvoir en parler d'après
moi- même ; mais les autres témoignages que
vous avez font fi amples & fi honorables , que
je fuis perfuadé qu'ils ne peuvent pas manquer
de vous procurer à votre Cour une réception
auffi favorable que vous méritez dans mon opinion.
Je fuis & c. GEORGE WASHINGTON.
Certificat du Général Washington . M. de
Cambray fut appointé Lieutenant-Colonel d'Ingénieur
dans le fervice des Etats Unis de l'Amérique
, en Juin 1778. Il n'a jamais fervi fous
mon commandement immédiat ; mais par les
temoignages amples & honorables qui lui ont
été accordés par les Généraux fous lefquels il a
fervi , & par les obfervations que j'ai eû occafion
de faire après avoir fait connoiffance avec
lui , je fuis perfuadé qu'il eft un Officier trèshabile
dans fa partie , d'un grand zele & d'une
grande activité dans tout ce qu'il peut être
chargé. Quartier Général le 14 Octobre 1782.
Général WASHINGTON.
( 182 )
" Lettre du Général Lincoln , Secrétaire d'Etat
de la Guerre . C'eft avec bien du plaifir que
j'obéis aux ordres du Congrès en vous tranfmettant
l'honorable réfolution de ce Corps cn
votre faveur , qui eft annexée à cette Lettre .
·
Si ma déclaration pouvoit ajouter à votre
fatisfaction dans cette occafion , ce feroit d'obferver
que ma connoiffance perfonnelle de vos
talens & de votre mérite , me donne une occafion
de joindre mon témoignage à la voix publique
J'ai l'honneur d'erre R. LINCOLN.
Par les Etats Unis de l'Amérique du Nord ,
affembles au Congrès , le 30 Octobre 178z .
Réfolu que le Secretaire de la guerre informe
le Lieutenant - Colonel de Cambray , que le
Congrès entretient une haute idée de fon mérite
& de fes talens militaires , de fon zele &
Ton activité dans le fervice des Etats - Unis , &
qu'il a la permiffion de s'abfenter pour un terme
non excédent douze mois , pour visiter fa
famille en France. CHARLES TOMPSON.
Les accidens funeftes caufés par l'impru
dence , ne fauroient être trop répandus pour
en corriger , s'il eft poffible. On mande de
Pamiers dans le Languedoc , que le 20 du
mois dernier , une famille entiere s'eft empoifonnée
, en mangeant des champignons ;
la mere , une de fes filles , & le chien qui
avoit léché les affiettes , moururent trois jours
après. Les Médecins défeſpéroient de la vie de
trois autres filles & de la domeftique , qui
étoient à toute extrémité , lorfqu'on a reçu
cette trifte nouvelle . Plufieurs exemples des
dangers des champignons devroient rendre
circonfpects ceux qui ne favent pas diftine
guer les bons d'avec les mauvais.
( 183 )
On vient de nous faire paffer la lettre fui
vante de Dole , que nous nous empreflons
dę tranfcrire.
сс
J'ai annoncé , il y a deux ans , dans votre
Journal , un projet nouveau pour la conftruction
des Ponts de bois ; mais le Public , fans
ceffe rebattu & prefque toujours abufé par des
annonces de cette efpece , n'a pas beaucoup fait
attention à la mienne ; j'ai donc pris le parti
d'emprunter la voix de l'expérience . Je
viens de faire élever , dans un jardin fitué à
Dole , près le Dieu- de - Pitié où je réfide depuis
quelque temps , une arcade de 9z pieds
d'ouverture fur le fixieme de hauteur , étendue
qui , déterminée d'ailleurs par le local , m'a
paru fuffifante pour offrir à la fois le modele
& l'épreuve de l'objet que je propofe , S'il
eft permis à l'Ouvrier de faire valoir fon Ouvrage
, j'oferai vous dire que ce projet eft d'une
exécution auffi facile que folide , & peu difpendieufe
mes matériaux font des chevrons de
fapin , & mes Ouvriers ont été les premiers que
j'ai trouvés. Cependant malgré les imperfections
d'un plan nouveau , malgré les défauts
d'une premiere exécution , j'ofe répondre de la
folidité de cette arcade , & je la foumets à¨
routes les épreuves convenables. Il y a plus :
j'offre de conftruire , fur ce modele , un Pont
de 300 pieds d'ouverture , à un prix beaucoup
au-deffous de ce que coûtent les Ponts de bois:
ordinaires , & je me foumets à la garantie.
Ajoutons à cela , M. que la légéreté & la fimplicité
de cette arcade la mettent en état d'être
tranfportée & affemblée fort aisément ; elle .
pourroit être d'une grande reffource pour les
marches d'armées , pour les Ponts provifionels
-
( 184 )
&
-
autres cas particuliers ; mais il eft inutile de
m'étendre d'avantage fur un objet dont la vue
doit offrir au premier coup d'oeil , les avantages
ainfi que les inconvén ens. Malheureulement
des circonftances particulieres ne me permettront
pas de laiffer cette charpente élevée
auffi long - temps, que je le voudrois ; je m'em-.
preffe donc de l'annoncer , non - feulement pour
ceux qui feroient dans le cas de s'en fervir , mais
plus encore pour le bien de la choſe même
perfuadé que les connoiffeurs & les gens de
l'Art voudront bien me communiquer leurs lumieres
, avec autant de plaifir que j'en aurai
d'en profiter. Je vous prie , M. de vouloir
bien concourir à ces vues , en inférant cette
lettre dans votre Journal , le plutôt qu'il vous
fera poffible , & d'être affuré de la reconnoiffance
& des fentimens diftingués avec lesquels
j'ai l'honneur d'être , & c.
SILLOMCLEVALMI , Avocat au Parlement.
Madame Marie - Anne - Gabrielle Toulon ,
veuve de M. Conftant de Boispineau , Commiffaire
de la Marine à la Guadeloupe , demeurant
en ladite Ifle , ville Baffeterre , donne avis à
Madame la veuve Semilly de Bacheler , qui s'eft
retirée depuis long- tems en Baffe - Normandie ou
au pays de Caux , qu'elle ou fes héritiers ont
à prétendre une portion héréditaire en la fucceffion
du fieur Jean - Baptifte Toulon décédé à
Saint Pierre , ifle Martinique , de laquelle portion
, ladite veuve de Boispineau eft dépofitaire.
4
Adrien de Montguyot , Chevalier de l'Ordre
royal & militaire de Saint- Louis , ancien
Capitaine d'Infanterie au régiment de Mortemar
, eft mort en fon château de Monguyot
, près Saint -Quentin en Picardie , le
( 189 )
29 Juillet dernier, dans la 88. année de fon
âge , il étoit né le 25 Nouembre 1695 , &
entré au fervice en 1710.
Victoire- Aimée de Mornay , Dame de
Ponchon & du Planquier en Beauvoifis ,
veuve de Philippe Paul , Comte de Crécy ,
Seigneur de Chaumergy & Montigny en
Franche- Comté , eft décédée en fon château
de Seillieres , le 30 du mois dernier.
Elle a eu douze enfans , dont il en refte neuf
de vivans.
4
сс
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 9 Nɔvembre
1783 , concernant le bail des Fermes
générales, « Le Roi ne s'étoit porté à réfilier &
convertir en régie le bail des Fermes générales
, à compter du 1er Janvier prochain , que
dans la vue de procurer au commerce inté
rieur & extérieur , des facilités toujours utiles
à fes peuples ; & parce que la poffibilité d'ufer
de ce moyen lui avoit été préſentée comme une
fuite de ce qui avoit été prévu & réſervé par
le Réglement arrêté en fon Confeil le 9. Janvier
1789, Mais S. M. étant informée des inquiétudes
que cette réfiliation a produites , &
s'étant fait repréfenter le bail de Fermes générales
, paffé à Nicolas Salzard , par réfultat du
Confeil du 10 Mars 1780 , Elle a reconnu qu'il
ne contient aucune clauſe ni réſerve qui le rend
moins obligatoire que les baux précédens : Elle
a vu en même temps avec fatisfaction , qu'au
moyen des offres & foumiffions que les Fermiers
généraux viennent de faire entre les mains , la
continuation de ce bail n'apporteroit aucun obftacle
à l'exécution de fes vues bienfaifantes ; en
conféquence S. M. s'eft déterminée d'autant
plus volontiers à le laiffer fubfifter , qu'Elle veut
>
( 186 )
& entend manifefter de plus en plus , en foute
occafion , que tout engagement contracté ou
reconnu par Elle eft devenu le gage de la foi
publique , fera toujours à fes yeux inviolable
& facré. A quoi voulant pourvoir : Oui le rap
port du feur Calonne , &c . Le Roi a ordonné
& ordonne que le bail paffé à Nicolas Salzard ,
par réfultat du Confeil du 19 Mars 1780 , continuera
d'être exécuté felon fa forme & teneur ,
jufqu'au terme de fa durée , fixé par ledit réfultat
; l'Arrêt du Confeil du 24 Octobre dernier
, demeurant fans effet & comme non ave
nu ; fauf que conformément aux offres , foumiffions
& confentement volontaires des cautions
dudit Nicolas Salzard , defquels S. M. leur a
donné acte , les droits de Traites feront déformais
perçus par cux au profit de S. M. & régis
pour fon compte , en faifant fur le prix dudit
bail une diminution équivalante à la partie qui
s'en trouvera diftraite : S. M. le réfervant auffi
de régler , en conféquence defdites offres & fou
million , les mesures à prendre pour affurer la
libre importation des tabacs en feuilles , venant
de l'Etranger , & en faciliter la vente , par la
préférence qu'ils doivent avoir fur ceux de moisdre
qualité. »
"
DE BRUXELLES , le 18 Novembre.
Le fort de la ville de Dantzick fixe toujours
la curiofité. Les habitans perfiftent
dans leurs refus de donner la fatisfaction que
le Roi de Pruffe exige ; fes troupes font tou
jours autour des murs , & à la portée du canon
; elles veillent exactement à ce qu'il
n'entre aucune provifion dans la ville , où
les bouches inutiles fe font multipliées par
la fuite des habitans des environs qui s'y
font réfugiés avec leurs effets .
( 187 )
18
» Ces jours ci , lit - on dans une lettre ,
petit peuple voulut aller s'emparer de la petite
ile de Holm , fituée dans la Viftule , & où les
Pruffiens ont un pofle qui arrête la navigation..
Il vouloit avoir celle ci à tout prix , & déloger
les détachemens Pruffiens qui font postés à la
portée du canon de la ville ; mais le magiftrat
s'y oppofa , & heureufement il ne s'offrit à
cette multitude échauffée , aucun chef affez
hardi pour affronter à la fois l'autorité de la régence
, & les forces de l'ennemi , en la conduifant
à l'attaque . Ce n'est pas que les Dantzickois
ne puiffent prévoir tout le danger de leur
entreprise. Dès à préfent , quoiqu'ils foient pourvus
des principaux moyens de fubfifter , ils com->
mencent à manquer de quelques objets qui font
au moins d'agrémens , tels que le lait & les lé
gunes ; il eft vrai qu'ils efpérent de l'appui (tran -l
ger ; mais quoiqu'il foit affez certain que lat
cour de Varfovie ne condamne point leurs prétentions
à tous égards , & que celle de Pétersbourg
même verroit avec regret Dantzick ruiné ,
il y a une très - grande différence entre de fimples
bons offices & un fecours capable de répouffer des
affaillans déjà à cent pas des murs,
En attendant , le commerce & la navigation
de cette ville font toujours interrompus.
Le colonel de Pirch , lit - on dans une lettre , I
le résident de Lindenowsky , le confeiller de la
régence Mayer , remirent dernierement à M.
Henning , confeiller de légation du Roi de Palogne
, une note par rapport à trois paffeperts
qu'il avoit fait expédier & qui lui ont été renvoyés
en lui répréfentant qu'il étoit vrai qu'on
avoit refpecté jufqu'ici les paffeports des réfidens
& des.confuls des cours étrangeres , pour
l'entrée & la fortie des marchandifes de la ville
( 188 )
dé Dantzick ; mais l'opiniâtreté de la ville ayant
forcé depuis le Roi de Pruffe de la traiter en end
nemi , & de décliner la médiation de la cour
royale de Pologne , il avoit fait arrêter tous les
bateaux de la ville , par lefquels on ne pourroit
plus transporter des marchandifes pour les puif
fances étrangeres , ni charger les bateanx étran →
gers de marchandifes de la ville de Dantzick
la Grande Bretagne & d'autres puiffances maritimes
ayant adopté le principe qu'on eft autorifé
à s'emparer des effets d'un ennemi , même
dans les bâtimens d'un ami , & que c'est aux
tribunaux ou commiffaires de la puiffance qui
a fait arrêter les bâtimens par conféquent à
ceux de S. M. le Roi de Pruffe à décider la
queftion pour le compte de qui les marchandifes
ont été chargées ; c'eft pourquoi les bateliers
feront obligés à prouver par des certificats authentiques
, que les bâtimens ainfi que leurs
charges appartiennent effectivement aux fujers
de S. M. I. & R. ou à ceux de Lubeck , avant
que d'être munis des paffeports qu'ils ont de-.
mandés .
On a reçu en Hollande une lettre de M.
Roff , Commiffaire de la République à
Dantzick , en date du 14 de ce mois , où
on lit les obfervations fuivantes .
Il y a deux jours que j'ai demandé le paffage
libre pour trois bâtimens Hollandois je l'ai obtenu
à l'inftant. Hier arriva le vaiffeau l'Antoine
Cornelis , venant de Terfcheling avec une cargaifon
prife à Amfterdam ; mais il a éprouvé
des difficultés ; on vouloit favoir pour le compte
de qui étoit cette cargaifon . Je n'ai pu répondre
autre chofe , fi non qu'elle appartenoit au patron
jufqu'a ce qu'elle fût portée au lieu de fa deftination
Je ne fais pas encore fi l'on a changé
d'opinion ; mais fi l'on s'écarte de la maxime

( 189 )
vaffeau franc affranchit la cargaison , il y aura un
grand défordre ; les vaiffeaux Hollandois y perdiont
beaucoup. La faifon avance & un jour
écoulé peut faire perdre un voyage entier aux
yaiffeaux retenus .
Les lettres de Hollande font mention.
d'un fait affez fingulier , nous nous bornerons
à tranfcrire la lettre qui le contient ; elle
eft datée du fort de Liefkenshæk dans la
Flandre Hollandoife , limitrophe des frontieres
Autrichiennes , le 29 du mois dernier,
Les militaires n'ayant point ici de cimetiere ,
ils enterrent leurs morts dans celui du village
autrichien nommé Den Doelen , non loin de
ce fort , & à- peu près à 10 milles de Gand. Le
nouvel édit de l'Empereur , par lequel il est défendu
à tous militaires ou foldats étrangers de
venir fur fon territoire" a donné lieu au fait
fuivant. Le 17 de ce mois , le cadavre d'un
militaire fut tran porté par un détachement de la
garnifon du fort au cimetiere de Den Doelen ,
pour y être enterré à l'ordinaire : L'officier autrichien
commandant dans ce village , arrête le
détachement comme ayant violé la lettre de
l'Edit. Néanmoins le cadavre fut enterré , & le
détachement revint au fort. Les chofes en refterent
-là jufqu'à avant hier à minuit que 400
hommes d'infanterie & un pareil nombre de cavalerie
furent mandés de Gand . Ces deux corps
étant partis fur le champ , arriverent le foir au
village de Den Doelen. L'infanterie reçut ordre
de charger à balle ; la cavalerie devoit refter
jufqu'à nouvel ordre en chemin . Le lendemain
matin , la troupe s'étant mife fous les armes
marcha au cimetiere , déterra le corps , & l'ayant
placé fur un chariot , elle l'amena au fort.
Arrivés à la barriere qui étoit fermée , les Au(
190 )
trichiens demanderent qu'on l'ouvrit. Le capitaine
du régiment de N flau Weilbourg qui commande
au fort , pria qu'on lui donnât du temps jufqu'a
ce qu'il eût confulté le confeil de guerre à Lillo
ou pendant la nuit on avoit affemblé un confeil ;
mais cette demande ayant été refuſée , on ouvrit
fa barriere ; la troupe autrichienne s'étant alors
avancée jufqu'auprès de la porte y dépofa le ca
davre , & fe retira enfuite à Gand avec la cavalerie
qui l'avoit attendue fur le chemin. Les Autrichiens
étoient commandés par un major &
deux capitaines accompagnés de M. Dierks avocat
fifcal de la ville de Gand.
PRECIS DES GAZETTES ANGL. ET AUTRES
Au nombre des bruits que la circonftance pré
fente fait naître , eft celui d'un voyage que l'Impératrice
de Ruffie accompagnée du grand Duc
& de la grande Ducheffe , feroit au printems pro
chain à Cherfon , pour s'y faire couronner fouve
raine de la Crimée , du Cuban , & des pays adjacens
;mais un pareil voyage , au cas qu'il fût réellement
projetté , dépend encore de trop de circonftances
effentielles , pour qu'on puiffe l'annoncer
comme un fait prochain. D'ailleurs , on
prétend que les Princes Héraclius & Salomon y
feront couronnés Roi de la Géorgie ; mais il n'eft
nulisment averé que le prince Salomon foit déjà
entré dans les mesures de la Ruffie ; du mains ,
c'eft avec le feul prince Héraclius que l'Impératrice
à conclu un traite . Gazette de Leyde , nº. 89.
On lit dans un de nos papiers les obfervations
fuivantes , qu'on préte à un Seigneur Ruffe , fur
la fituation actuelle des affaires. On voit dans
ce moment , lui fait -on dire , un nouvel effet de
Ja neutralité armée , elle nous a procuré la meilleure
occafion de mettre notre marine fur un pied
refpectable , fans que dans le tems on pût fe douter
de nos projets. Maintenant peu importe qu'on les
( 191 )
connoiffe , puifqu'elle peut le montrer & ſe faire
refpecter. L'influence d'une puiffance du midi fur
une certaine cour du Nord , & fur laquelle elle
comptoit beaucoup , paroît à la veille de ceffer ,
& une entrevue ménagée avec foin , a produit
Jes effets qu'on en efperoit. Un certain Miniftre a
manifefté des fentimens auxquels nous ne devions
pas nous attendre ; mais qui avoient pour objet
de nouveaux avantages pour fon pays , & qui
s'accordent parfaitement avec nos voeux. Tout pa- .
roit avoit été combiné avec fuccès pour l'exécu
tiondes projets vaftes que nous avons conçus. Gazette
de Hambourg.
Avant hier , il s'eſt paffé ici ( à Madrid ) une
rencontre qui fait beaucoup de bruit. Le comte
de Gersdorff, miniftre de la cour de Saxe , entrant
à la comédie efpagnole à quatre heures du
foir, fut attaqué à l'improvifte & de la maniere
la plus violente à coups d'épée , par le fieur
Favre , fecrétaire de la iégation pruffienne à notre
dour. Quoique M. de Gersdoff fût abfolument
fans armes , & qu'il s'écoulât un aflez long intervalle
entre l'attaque & le fecours qui lui fut
donné , il fut affez heureux pour ne recevoir
qu'une légere bleffure à la tête. Le fecrétaire d'un
caractere impétueux & bouillant , n'a eu , dit - on ,
d'autre motif pour un procédé fi atroce , que le
rapport d'un laquais fuivant lequel le miniftre
faxon avoit été l'auteur de quelques bruits in jurieux
repandus fur le compte du fieur Favre . On
ne fait quelles fuites pourra avoir cette affaire.
Gazette de Leyde , nº 89 .
GAZETTE ABRÉGÉE DES TRIBUNAUX ( 1 ) .
PARLEM EIN T DE PARIS.
Etranger Légataire , non recevable à attaquer de
fuggeftions de démence le Ieftament qui révoque
Jon Legs.
Une Domestique avantagée d'une rente via1921)
gere par fon Maître dans une premier Teftament
, révoqué enfuite par un fecond , peu de
temps avant la mort , forfqu'ayant changé de
façon de penfer fur le compte de cette fille
il avoit cru devoir la renvoyer , peut- elle attaquer
ce Teftament comme fuggéré , & accufer
fon Maître de démence ? Le teftateur en révoquant
fon premier teftament avoit rétabli
l'ordre dans la fucceffion , & laiffé tout fon
bien à fes enfans ; telle eft la queſtion que préfentoit
la caufe . Les Juges du Châtelet fans
avoir égard aux demandes de la Domeftique
daus lefquelles elle a été déclarée non recevable
& mal - fondee , ont ordonnée l'exécution
du fecond reftament . Sur l'Appel , Arrêt du
9 Août 1783 , qui a confirmé la Sentence
avec amer de & dépens .

PARLEMENT, Chambre des Vacations.
Entre & Hurault , Fermier de la Terre & Seigneuries
de Lhuify , & Philippe , Marchand de Dindons. 1
Il s'agitoit de favoir fi Philippe ,* qui faic
le commerce des Dindons , peut les mener pâturer
für un terrein , qui appartient exclufivement
à Hurault. Celui - ci avoit obtenu des
habitans de la Paroille un confentement pour
faire pâturer fès animaux , & par cette raifon
prétendoit que perfonne n'avoit droit d'y mener
les fiens : il foutenoit d'ailleurs que l'herbe
mordue par les Dindons devenoit pernicieuse
aux Moutons . Enfin il avoit en fa faveur une
Sentence qui défendoit à Philippe de continuer
de mener fes Dindons fur les terres de fon canzonnement
; auffi a- t-il obtenu en vacations le
23 Septembre 1783 , un Arrêt confirmatif.
Cette Caufe n'étoit pas grave , & les Avocats
fe font égayés en la traitant.
5
;
POLEKSÊN
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
RUSSIE.
DE PÉTERSBOURG , le 24 Octobre.
Fitz - Herbert , nouvel Envoyé de la
M.
..Cour Britannique ,& M. Fofcarini , Miniftre
de la République de Venife , arrivés
ici le 12 de ce mois , ont eu Dimanche dernier
, leurs premieres audiences de l'Impératrice.
Elles n'avoient été différées , ainfi que
celle de congé du Marquis de Verac , qui a
obtenu la permiffion de fa.cour , de faire un
voyage à Paris , que par une indifpofition
furvenue à S. M. I. , mais dont elle eft à préfent
rétablie. Cette indifpofition a fuivi de
près la nouvelle de la maladie du Prince
Potemkin , que les premieres nouvelles annonçoient
être de la nature la plus grave &
la plus dangereufe ; d'autres lettres arrivées
de la Crimée , il y a 2 jours , font craindre
moins pour les jours de ce Prince , dont on
efpere le rétabliſſement.
Les nouvelles qui viennent de ces côtés
N°. 48. 29 Novembre 1783 .
i
( 194 )
font en général affligeanres. La pefte , malgré
les précautions qu'on avoit priſes pour
empêcher la communication de ce fleau ,
s'eft déclarée à Cherfon , où elle a fait de
très-grands ravages. C'eſt un nouveau motif
qui fera différer les hoftilités contre les
Turcs , du moins pendant l'hyver.
Le 18 , on a fait la confécration de la
nouvelle Eglife Catholique , dont la conftruction
vient d'être achevée. Le Prélat Archéti
, Archevêque de Chalcédoine , &
Ambaffadeur du S. Siege , y a célébré la
Meffe , dont la Mufique , ouvrage du célébre
Paifiello , a lété exécutée par la Mufique
de la Chapelle Impériale. Le Prince Alexandre
Gallitzin , Maréchal - Général & Aide - de-
Camp Général de l'Impératrice , Sénateur-
Chambellan , & c. eft mort le 21 de ce
mois , dans la 66e . année de fon âge , généralement
regretté.
DANNE MARCK.
DE COPENHAGUE , le 15 Octobre.
La plupart des papiers publics ont rendu
compte d'une maniere très-inexacte de la
Million du contre-Amiral , Comte de Molkte
à Tunis. La Gazette de cette ville vient
de préfenter ainfi les détails de ce qui s'eft
paffé à fon audience , qui a eu lieu avec
toute la folemnité poffible , & de la maniere
la plus diftinguée.
( 195 )
Le Pacha ayant fixé le 9 Juin pour cette audience
publique , le Comte de Molkte fe rendit
ce jour-là à dix heures du matin avec la
plupart de les Officiers au Palais ; on le fit repofer
dans l'Appartement du Tréforier , pendant
que les Dragomans l'alloient annoncer
au Pacha , qui , par une diftinction extraordinaire
, fit auffi - tôt ceffer le Lit de Juftice qu'il
tenoit , & envoya des Officiers de la Cour pour
conduire le Contre - Amiral à fon audience ; le
Pacha étoit affis fur fon trône , & avoit tout
fon Divan autour de lui . On avoit placé un
fauteuil pour M. de Molkte , ce qui étoit une
autre diftinction très - particuliere . Le Pacha reçut
cette ambaffade avec tout l'accueil & tous
les égards poffibles . Le Contre - Amiral préfenta
la Lettre du Roi avec la traduction en Italien ,
& il fit à cette occafion un compliment convenable
, auquel le Pacha répondit de la maniere
la plus honnête & la plus polie. Ce Prince
qui parle très-bien la Langue Italienne , & qui
aime à s'inftruire de tout ce qui eſt relatif à
la marine , s'entretint très - long - temps avec
le Comte de Molkte , & l'invita à aller voir fon
nouveau Château de Manuba . Le Contre- Amiral
eft de retour depuis peu de ce voyage.
POLOGNE.
DE VARSOVIE , le 26 Octobre.
L'affaire de Dantzick occupe ici l'attention
générale ; on ignore encore comment
elle fe terminera ; le Magiftrat paroît avoir
pouffé les chofes trop loin ; & l'accommodement
qui doit enfin avoir lieu , après une
i 2
( 196 )
vaine & longue réfiftance , pourra lui être
moins avantageux , que sil avoit mis plus
de modération dans fes prétentions , &
moins d'opiniâtreté dans fes refus ; on parle
d'une convocation des Grands du royaume
, qui doivent, dit- on , s'affembler ici pour
délibérer fur cet objet.
La pefte qui a pénétré en Crimée , & qui
fait des ravages confidérables à Cherfon ,
s'eft communiquée fucceffivement dans plufieurs
provinces d'Europe; on apprend de la
Bofnie , qu'elle s'y eft manifeftée de nouveau
, & que les troupes Autrichiennes réparties
fur les frontieres ont reçu ordre de
ferrer leur cordon , & même de l'augmenter.
ALLEMAGNE,
DE VIENNE , le 8 Novembre.
Il eft arrivé ces jours derniers un courrier
de Pétersbourg; mais il n'a rien tranfpiré des
dépêches qu'il a apportées. Le fecret des négociations
eft impénétrable; & l'on le flatteroit
en vain de connoître la véritable fituation
des affaires politiques , fur lesquelles
l'attention de l'Europe eft fixée. Il femble
cependant que l'on compte moins dans ce
moment , que ces jours paffés , fur les difpofitions
conciliatoires du Divan ; & l'on"
craint que M. de Cobenzel , négociateur de la
Paix de Tefchen , n'éprouve de plus grandes.
difficultés à Semlin.
( 197 )
On doit conftruire un nouvel hôtel de la
Pofte fur le terrein des Laurentines. La maifon
de travail pour les pauvres & la maiſon
de correction , occuperontune partie de l'emplacement
de l'ancien . On lira cette infcription
fur la porte d'entrée de la premiere :
Toute perfonne qui cherche du travail , en
trouvera ici. On y admettra en effet tous
ceux qui s'y préfenteront ; & chacun y recevra
un falaire proportionné à fes talens .
Il vient d'être expédié en Bohême um
nouvel ordre , pour fupprimer encore 60
Couvens dans ce royaume. On évalue les
biens de ceux qui n'exiftent plus à préfent ,
en y comprenant les 60 , que ce dernier ordre
regarde , à près de 7 millions de florins
Le département de la guerre a fait publier
, que dorénavant les foldats criminels ,
condamnés à mort par des confeils de guerre
, feront livrés à la Juftice criminelle , qui
fera exécuter leurs jugemens.
Un Employé de la Douane , écrit- on de
Gratz , a été condamné ici à la chaîne & aux
travaux publics pendant huit ans , pour infidélité
dans fa manutention. Le premier jour qu'il
fut mis au travail , dans les rues , il s'étoit lié
un mouchoir fur le vifage ; mais on le lui fit
ôter Le Peuple accouroit pour le voir ; d'abord
il préfenta du tabac dans une boîte élégante à
ceux qui l'approcherent ; enfuite il parut plus
affecté de fon humiliation & du concours des
fpectateurs qui s'amafloient autour de lui. Il ef
faya de les éloigner en leur jettant de l'eau
avec une petite feringue ; malheureufement pour
13
( 198 )
lui il atteignit deux Dames qui paffoient ; elles
fe plaignirent ; vingt- cinq coups de bâton qui
lui furent adminiftrès raffermirent fa réfignation ;
& depuis ce moment il fubit tranquillement fon
fort.
L'Empereur a accordé aux Etats de Galicie
le vieux château de Lemberg , à condition
qu'ils y feront bâtir une falle de fpectacle
& une hôtellerie. La compagnie qui
entreprendra ces conftructions , jouira de
l'exemption des impôts pendant 20 ans.
DE FRANCFORT , le 12 Novembre.
On apprend de Vienne , qu'il a été notifié
de la part de l'Empereur aux Evêques Vénitiens
, que fon intention n'eft plus qu'ils
exercent à l'avenir des droits diocéfains dans
les parties des provinces Autrichiennes , qui
ont refforti jufqu'ici de leurs jurifdictions.
Déformais les Evêques étrangers n'en auront
plus dans fes Etats , où ces portions démembrées
feront réunies aux Evêchés Autrichiens
, & où il en fera créé de nouveau ,
s'ils font néceffaires. En vertu des nouveaux
réglemens de S: M. I. , relativement au
Clergé , les revenus annuels de chaque Evêque
ne feront plus ni au - deffus , ni au - deffous
de 12000 florins , & ceux de chaque Archevêque
au delà de 20000 .
On fçait , lit on dans un papier , que le Prince
Evêque de Paffau avoit quitté Vienne & s'étoit
retiré dans fon ancien Evêché de Gurck ; mais
il ne pourra pas y refter puifque l'Empereur
( 199 )
a enjoint au Gouvernement de lui propofer un
nouveau Sujet pour cet Evêché , le précédent
ne pouvant plus l'occuper depuis qu'il a été
élu Prince Evêque de Paffau. On affure que
les différends avec le Chapitre font prefque
arrangés ; il conferve 200,000 florins de revenus ,
& l'Evêque 80,000 . S. M. I. gardera la partie
des biens de cet Evêché qui le trouvent dans
fes Etats , & elle lui cédera , pour l'indemnifer ,
la Comté de Hoh. nembs .
On apprend de Greiffenberg en Siléfie ,
qu'un incendie , qui s'eft manifefté dans le
mois dernier , y a réduit en cendres près de
100 maifons.
DE HAMBOURG , le 9 Novembre. ·
I.a même incertitude regne toujours dans
les nouvelles du Nord , relativement aux démêlés
entre la Ruffie & la Porte. La faifon
avancée, la pefte , qui , loin de ceffer , étend
& multiplie fes ravages dans plufieurs endroits
, ne permettent pas de croire que les
hoftilités , fi elles ont lieu , commencent
avant le printemps prochain ; en attendant
on compte toujours fur le fuccès des négociations
qui continuent , & fur les facrifices
que fera la Porte pour conferver la paix .
On dit affez généralement ici , écrit- on de
Pologne , que l'Internonce Impérial & Royal à
Conftantinople , a reçu ordre de demander , non
feulement la reftitution de tous les pays démembrés
en 1739 , de la monarchie Autrichienne
mais encore tous les revenus qui en ont été tirés
pendant l'espace de 44 ans écoulés depuis cetto
14
( 200 )
on
époque , en laiffant d'ailleurs au choix du Divan
de faire cette reftitution en argent , ou de donner
d'autres territoires . On ajoute à ces bruits ,
qui peut-être ne font pas également bien fondés
, qu'auffitôt que tour aura été réglé à Conſtantinople
, entre les trois puiffances , on affemblera
un Congrès , où les plénipotentiaires de
S. M. Imp. figneront avec ceux de la Porte , un
traité particulier : fi la paix n'a pas lieu ,
prétend que l'Impératrice de Ruffie fera publier
un manifefle , pour juftifier fes prétentions fur
Ia Crimée , & que l'Empereur en donnera auffi
un , pour juftifier fes droits fur la Servie & fur
la Bofnie. On prétend qu'ils font fondés fur ce
que la treve qui fut conclue avec la Porte le ier.
Septembre 1739 , fut fignée par les démarches
précipitées de l'Ambaffadeur de France , M. de
Villeneuve , fans le confentement de Charles VI,
à qui elle fit perdre la Servie & la Valachie Autrichienne
.
En attendant que toutes ces difcuffioss ſe
développent , les préparatifs de guerre continuent
partout. Les tranfports de munitions
& de troupes de toutes les parties des Etats
Autrichiens , pour les frontieres de la Hongrie
, ne font point fufpendus.
Le Comte de Saint Prieſt , lit - on dans des lettres
de Conftantinople fe montre au public
deux fois par femaine : lorfqu'il va au Divan ,
il marche environné de plus de 200 gentilhommes
français , vêtus de bleu , & formant une
très-brillante cavalcade. Ce cortege attire fur
Les pas un peuple immenfe jettant des cris d'allegreffe.
L'Internonce de la Cour de Vienne a
de fréquentes conférences avec le Comte de St.
Prieft ce Miniftre & celui de Ruffie ne font
( 201 )
plus admis à Vaudience du Grand- Seigneur. Le
Grand Vifir va fouvent dîner à l'hôtel de l'Am
baffadeur de France , où fe trouvent le chevalier
Aimsley & les deux Miniftres Impériaux..
On y parle encore de paix & des moyens de la
rétablir . -On a récemment renvoyé les troupes
du Dyarbeck , de la Syrie , de la Mefopotamie
, de l'Egypte & de l'Afrique. 150 mille
foldats parmi lesquels font 30,000 cavaliers diftribués
dans des poftes & retranchemens établis
dans la Tranfilvanie , la Servie , la Moldavie , la
Valachie , la Bofnie , la Bellarabie , où cette
derniere province n'offre plus qu'un immenfe
défert. Les Turcs y ont tout détruit ; & fi les
Ruffes entrés en campagne ayant fait cinq ou
fix jours de marche fe trouvant alors éloignés
des fleuves , rencontrent les Ottomans , &
que ceux- ci aient le bonheur de s'emparer de
leurs vivres & de leur eau , ils feront victimes
de la foif & de la faim, au lieu de cette folitude
aride & dévastée .
*
Une lettre d'une date poftérieure ajoute
les détails fuivans à ceux que l'on vient de
lire.
Les Miniftres de la Ruffie fe font trouvés en
conférence avec le Reis Effendi , Miniftre des
affaires étrangeres , & ont dit que le Grand
Vifir a affifté incognito à cette entrevue. La ra
tification du traité de commerce & les préfens
ont été reçus , quoique par égard pour le peu--
ple on n'ait fait aucune mention des deniers ,
auffi de la Crimée peu que dont on n'a point parlé
du tour. Le furlendemain il y a eu confeil chez
le Mufti , où S. H. fe trouva incognito . Quant
aux Miniftres prélens , on nomme le Capitan
Bacha , le Grand Vifir , le reis Effendi , &
( 202 )
PAga des Janniffaires ; mais rien ne tranſpire
du réfultat. On affure cependant que la Porte
fera publier inceffamment un mémoire touchant
les affaires de la Crimée. La publication de ce
mémoire décidera de la guerre ou de la paix .
Au commencement de ce mois ( d'O&tobre ) un
détachement des Janniffaires eft encore parti en
fecret de cette capitale pour l'armée le bruit
d'une rupture prochaine fe renouvelle ; mais la
pefte caufe encore beaucoup de ravages ici , &
dans les provinces limitrophes.
On lit dans plufieurs papiers la defcription
fuivante des pays dont l'Impératrice de Ruffie
a pris poffeffion .
>
La Crimée , contrée de la petite Tartarie ,
connue des anciens fous le nom de Cherfonefe
Taurique ou Pontique parce qu'elle s'avance
dans le Pont Euxin ou mer Noire , eft bornée
au Nord par les Palus méotides , au midi par
la mer Noire , à l'Orient par le détroit de Caffa
qui la fépare de la Circaflie , & au Nord- Oueft
par la Tartarie précopite , à laquelle elle
tient par un ifthme affez étroit ; à l'entrée de
la Péninfule fe trouve Précop , ville peu confidérable
, il y a quelques années , mais qui par
les fortifications que l'Impératrice a ordonnée ,
& l'artillerie dont elle est déja munie eft devenue
une place importante . Dans l'intérieur font
les villes de Kofefon , de Topetarkban ; Batchi
Sarai , ancienne réfidence des Khans , Elma ,
Balik- Laghl , Manchions vieux chateau très -fort ,
Caffa , capitale de toute la Crimée , Crim ou
Crimenda qui a donné fon nom à cette prefqu'Ifle
, Tufla où font des falines très - abondantes
, Kercy & Obortet , munie d'une bonne
fortereffe ; à la vérité , la plupart de ces villes´
( 203 )
font toutes médiocres , mais leur territoire eft
excellent , & leurs environs trés - peuplés ; en
1166 les Polonois ayant conquis une partie de
la Crimée , firent de Caffa l'entrepôt de leur
commerce d'Orient ; mais en 1441 Hadgi
Kerai de la famille de Gengis Kan , profita des
guerres civiles qui eurent lieu dans ce pays
& y fonda un Royaume qu'il a laiffé à fa poftérité .
Ce font fes defcendans qui ont été connus jufqu'ici
fous le nom de Khans de la Crimée . Ils
ont été jufqu'en 1771 vaffaux & tributaires
de La Porte . Depuis ce tems les armes de la
Ruffie leur avaient procuré l'indépendance , &
cette année pour le fouftraire aux fuites facheufes
des diffenfions fomentées par les Turcs , le
Khan Salhim Gherai en a fait l'abdication en
faveur de l'Impératrice , dont le gouvernement
a rendu la tranquillité à ce pays ; les Tartares
qui l'habitent font prefque tous mahométans ,
ils font robuftes & courageux ainfi que leurs
femmes à qui la nature n'a pas donné en général
une figure agréable. Du refte cette contrée
eft fertile , & d'autant plus intéreffante , qu'elle
fert de barriere naturelle au midi de l'Empire
Ruffe.
La cour de Berlin a , dit - on rappellé fon
réſident à Dantzick , ce qui femble annoncer
qu'elle renonce à toute eſpérance de conciliation.
Cette malheureufe ville perfifte
dans fes refus , & la Bourgeoifie contrarie
furtout le Magiftrat qui feroit plus modéré ;
il s'affembla , il y a quelque tems , pour délibérer
s'il ne vaudroit pas mieux céder aux
prétentions des Pruffiens , que d'expoſer la
ville à une ruine totale. Les Bourgeois l'em-
1.6
( 204 )
pêcherent de rien décider , en menaçant de
jetter les deux premiers Bourguemeftres par
les fenêtres , fi l'on faifait aucune celfion qui
portât atteinte aux droits de la ville . Ils ont
pouffé Finconfidération jufqu'à tirer fur un
Dragon Pruffien , en faction à l'un des poftes
avancés , & dont le cheval a été bleffé.
Ils comptent fur un fecours étranger ; mais
on ne voit pas d'où il leur viendra ; ils ne
peuvent en attendre qu'une ftérile pitié ,
& une médiation , par laquelle ils n'obtiendront
vraisemblablement rien , qu'en fatis .
faifant le Roi de Prufle .
« Nous nous trouvons actuellement , lit - on
dans une lettre de cette ville , dans l'état d'une
place formellement inveftie par l'ennemi. Les
troupes Pruffiennes ont pris des quarriers autour
de nous & fe trouvent plus près qu'on ne
P'eft ordinairement d'une fortereffe affiégée ; elles
le font fournir des vivres & du fourage en
abondance ; du refte elles obfervent une difcipline
e acte ; le 17 Septembre un détachement
de dragons tenta de furprendre un pofte qui
n'étoit pas trop bien gardé pour prendre enfuite
des quartiers dans le faubourg de Kniphof ; mais
un négociant qui s'y rendoit pár hazard , les
voyant approcher , leva le pont levis & fauva
le faubourg. Quelques détachements qui occupoient
des poftes hors de la ville , furent enlevés
pendant la nuit & renvoyés ici . La nuit
du 18 au 19 , il y eut une alarme dans le quar
tier qui borde la Viftule , la plus grande partie
de la garnifon paffa la nuit au bivouac . De l'au
tre côté de Dantzick le bruit courut parmi les
Pruffiens que nous nous propofions de faire une
( 205 )
fortie ; mais il et sûr que l'on n'y penfoit pas ,
& que le Magiftrat ne veut point commencer
les hoftilités . Son plan eft de fe tenir fur la
défenfive & de gagner du teins en attendant
l'effet de les efpérances du côté de la cour de
Pologne . Le Comte d'Unrauhe commiffaire de
cette Cour y envoya le 17 un exprès ; le 22
le Magiftrat reçut une lettre de Sa Majesté polonaise
, mais on en ignore le contenu. On confidre
dans l'etranger notre conduite fous un fauxpint
de vue ; on croit que nous avons refufé
de nous prêter à des négociations. Nous ne pou
vons y entrer fans l'aveu du Roi de Pologne
& pendant que nous l'attendions , les demandes
de la Cour de Berlin fe font accrues à un point
qu'il était impoffible de les accorder. Nos portes
font toujours fermées , on ne les ouvre que
de tems en tems pour l'entrée & pour la fortie.
Depuis le 21 , 4 compagnies bourgeoifes
montent la garde ; on a armé un corps de jeunes
payfans qui ont demandé à fervir ; les Pruffiens
augmentent de leur côté , on croit qu'ils font
au nombre de 40co hommes , & on dit qu'ils
attendent encore 5 régimens ; dans ce cas là les
deffeins de la Cour de Berlin s'étendroient aude-
là d'un fimple blocus. Le Général d'Eglofstein
maintient le meilleur ordre parmi fes gens ;
dès qu'on fe plaint de quelqu'excès ou demandes
exorbitantes , il fait fur le champ juftice
exacte & impartiale . Si dès les commencemens de
la conteflation la ville avoit eu à faire à un chef
de fon caractere , peut- être les chofes ne feroient
elles pas venues à l'extrémité . Les vivres
enchériffent , les payfans ne peuvent plus apporter
de proviſions dans nos marchés. Le bétail
que nous avons raffemblé dans la ville e
difficile à nourrir. Le chariot de foin qui cou-
——
( 206 )
toit 2 thalers en coute 15 à préfent ; il en eft
de même de la paille , cependant il n'y a pas
la moindre altération dans les fentimens des babitans
, & on ne voit pas d'apparence d'une dé
livrance prochaine.
ITALIE.
DE LIVOURNE , le 22 Octobre.
M. Giovanni Calamaï , actuellement aut
fervice de l'Impératrice de Ruffie , qui l'a
nommé fon Conful général dans les mers
de Tofcane , a arboré fur fon vaiffeau le pavillon
Impérial , qui eft le premier de cette
Nation qu'on ait vu ici.
Le Meffager de Naples , écrit- on de Fermo ,
dans la Marche d'Ancone , a été affaffiné dans la
Pouille par des brigands qui lui ont volé 25000
ducats dont il étoit chargé pour S. M. Auffitôt
que la Cour de Naples a été inftruite de
cet événement , elle a envoyé des troupes à la
pourfuite de ces fcélérats ; ayant appris qu'ils
s'étoient emparés d'une barque avec laquelle ils
avoient pris la route de l'Etat Pontifical , elle a fait
embarquer vingt- quatre Miquelets déterminés
qui ont fuivi leurs traces , & qui , la nuit du
28 du mois dernier , aborderent à Fermo , fans
trouver aucune réfiftance de la part des troupes
du S. Pere , qui étoient chargées de veiller à la
défenſe de la côte. Ils pafferent dans une hôtellerie
, où ils trouverent fept des voleurs qu'ils
cherchoient , & qui étoient occupés à boire &
à fe réjouir de fe trouver en lieu de sûreté .
Ils fe jetterent auffi-tôt fur eux , & en arrêterent
cinq , les deux autres ayant trouvé le moyen
( 207 )
de s'échapper. Ils s'emparerent en même-temps
dc leurs bagages où étoient les 25000 ducats,
qui n'avoient point été entamés . Les Miquelets
retournerent à leur barque avec leur proie , fans
aucune oppofition , & reprirent la route de Naples.
Le Gouvernement Romain a envoyé ordre
de mettre en prifon les foldats à qui la garde de
cette côte avoit été confiée , & qui ont laiffé
ainfi violer le territoire.
Les lettres de Naples annoncent que l'on
conftruit fas ceffe dans les chantiers ; & que
depuis que le Chevalier Acton eft à la tête
de la Marine Royale , elle a reçu des accroiffemens
qui la portent à préfent à 2 vaiſſeaux
de ligne , 4 frégates , 8 galiottes , 8 chebecs
& un paquebot ; en tout 23. On fe propofe
de mettre encore fur les chantiers 2 vaiffeaux
de ligne , 6 frégates & 6 galiottes.
PORTUGAL,
X
DE LISBONNE , le 7 Octobre.
La Cour eft revenue ici du château de
Quelus ; le Roi qui a été long-temps malade
, paroît à préfent parfaitement rétabli .
Le Chevalier Pinto , Miniftre de cette
Cour à celle de Londres , eft arrivé dans
cette capitale , en vertu d'une permiffion
qu'il a obtenue pour faire un féjour d'une année
ici ; le paquebot qui l'a amené d'Angleterre
, n'a point effuyé le défagrement des
précautions qui ont été récemment ordonmées.
Il n'a point été vifité ; & on a appris
( 208 )
en effet que les patrons des paquebots ont
reçu à Londres les défenfes les plus féveres ,
relativement au commerce prohibé qui fe
faifoit par ces bâtimens.
Le Capitaine d'un navire arrivant de la
côte de Guinée , rapporte que les troubles
qui s'étoient élevés dans nos Erabliffemens
parmi les negres , ont été appaifés , particulierement
à Magador & à Anamabo , par les
foins inrelligens & le courage du Comman
dant de Benin.
ANGLETERRE.
DE LONDRES , le 10 Novembre. -
Nós nouvelles de l'Amérique feptentrio
nale n'offrent rien de bien intéreflant ; la famenfe
affaire de la révolte des foldats eft
terminée ; on peut voir combien elle avoit
été exagérée, par.l'iffue des procédures faites:
contre les coupables ; on s'eft conrenté de
punir 2 Chefs qui étoient des fergens : ils
avoient été condamnés à mort ; & 6 autres à
pafler par les baguettes ; mais au moment de
leur exécution , dont on fit tous les préparatifs
, ils reçurent leur grace, que leur accorda
le Congrès.
Une autre lettre de la Caroline contient
l'anecdote fuivante.
Un habitant de cet Etat , most fans autre
parent qu'un coufin au troifieme degré , ré olu
de laiffer fes biens , confiftant en trois beiles.
Plantations , à quelques perfonnes dont le mé(
209 )
rite public juftifia fon legs , a balancé quelque
temps entre le Général Washington & le Général
Gréene ; enfin il s'eft décidé pour M. Alfeby
, de la méme Province , dont l'ancêtre a
introduit la culture du ritz qui a fait la richeffe
de la Caroline ; il déclare dans fon teftament
que S'il y avoit eu une autre perfonne vivante
à qui fa Patrie fût plus redevable , il l'auroit
préférée ; que quant aux Généraux on en trouveroit
toujours parmi un Peuple brave. M. Af
feby a pris poffeffion de ce bien à la mort du
propriétaire. Cette conduite eft fans doute plus
raifonnable que de fonder des Colleges & des
Hôpitaux; dans les premiers , on paye des Profeffeurs
qui n'enfeignent que pour tirer les émolumens
, & qui n'y mettent pas affez d'intérêt
pour former des Sujets ; dans les feconds , on
croit foulager les pauvres & on enrichit des
Adminiftrateurs.
Dans ce moment ce ne font plus les affaires
de l'Amérique qui fixent le plus l'attention
; elles la rappelleront , quand on délibérera
fur le Traité de commerce à conclure
avec la nouvelle République ; en attendant ,
elle eft occupée par l'Irlande , où la fermentation
regne toujours , & où les ceffions que
nous avons faites , femblent infpirer le defir
d'en obtenir de plus grandes.
» Une remarque finguliere qu'on peut faire en
lifant notre Hiftoire , dit un de nos papiers , c'eft
que les premiers mouvemens qui ont donné lieu
chez nous à de grandes révolutions , ont prefque
toujours été dans l'origine l'ouvrage des Deffidens.
en matiere de religion . La province d'Ulfter
en Irlande , eft principalement remplie de Pref
byteriens ; & les Officiers les plus actifs des
( 210 )
volontaires armés font des Miniftres Prefbytériens
. Un d'eux a fouvent paru en chaire avec
fon uniforme ; d'autres conſervant le coftume
de leur état à l'Eglife , ont gardé leur foutane ;
& quelqufois on les a vu le même jour faire
le Service divin en robe longue & en rabat ,
& fe montrer immédiatement après fur la Place
de parades avec l'épée au côté. Ils femblent animés
du même efprit qui guida les oppofans à
Charles Ier . , les habitans de Maffachuffett &
toute l'Amérique. Si l'on ne prend pas immédiatement
des mefures fages & prudentes , l'Angleterre
& l'Irlande fe verroient expofées à des
difficultés dont il eft impoffible de prévoir la fin.
C'eft fans doute exagérer les malheurs ,
pour les prévoir. Les difpofitions de nos Miniftres
paroiffent propres à les prévenir. Les
grands objets dont ils s'occupent dans ce
moment , font , dit- on , ceux- ci.
1º . De maintenir d'une maniere inviolable
le véritable honneur de la Couronne: 2°. De réduire
le plus promptement poffible la dette nationale
& le fardeau des pauvres autant que l'on
pourra. 3. De prendre des mesures efficaces ,
dont le réfultat affure la plus grande liberté au
commerce , & protection aux commerçans . 4°.
D'entretenir un établiſſement naval , convenable
& digne de l'ancienne dignité de la Marine
Britannique. 5. De confidérer de la maniera
la plus impartiale les réclamations de l'Irlande ,
de lui accorder tout ce qui peut contribuer au
bonheur & à l'honneur d'un peuple brave &
généreux , & au ' rétabliſſement de la confiance
entre ce Royaume & l'Angleterre. 6°. D'examiner
fans préjugé les affaires de la Compagnie
des Indes , & de tirer les plus grands avantages
( 211 ).
poffibles de fes poffeffions . 7. De mettre de la
vigilance , des foins & de l'activité dans tous
les objets qui intéreffent la profpérité des peuples.
Selon les lettres d'Irlande , il s'eft élevé
une querelle très - vive entre les deux principaux
appuis des prétentions ds ce royaume,
MM. Flood & Grattan , qui ont très - bien
mérité de leur patrie , & qui font actuellement
défunis de la maniere la plus férieuſe.
Le 30 Octobre , écrit- on de Dublin , M. Flood
& M. Grattan , qui avoient eu une difpute qui
devoit fe terminer par un duel qu'on a prévenu
, ont été conduits devant le Lord Chef de
Juftice , Annaly , qui après une févere , mais
tendre réprimande , les a obligés à donner l'un &
l'autre une caution de 20000 liv . fterl . qu'ils
vivront en paix. On efpere que ces illuftres
citoyens , chers à leur patrie , fe reconcilieront
, & qu'ils oublieront toute choſe pour ne ſe
fouvenir que de ce qu'ils doivent à leur pays.
M. Flood & M. Grattan s'étoient donné rendez-
vous , & accompagnés de leurs feconds , ils
s'étoient mis en marche pour le champ de bataille ;
ils avoient tous couché hors de chez eux pour éviter
les efforts de l'autorité qui vouloit les empêcher
de fe battre , & ce fut au lieu même où
l'un ou l'autre au moins auroit perdu la vie , que
les perfonnes envoyées après eux par le Magiftrat
les féparerent. On fait des voeux pour que la
Chambre des Communes s'entremette pour les
reconcilier. Ce ne fera peut- être pas une entreprife
aifee. M. Flood a bien déclaré qu'il avoit
envoyé un ami à M. Grattan pour le prier de
renoncer comme il le faifoit à toute animofité
perſonnelle , & à ne point la porter dans la Cham(
212 )
1
bre des Communes , où ils ne devoient fonger l'ur
& l'autre qu'au bien de la patrie , & non à leurs
querelles particulieres. M. Grattan ne lui a fait
qu'une réponſe vague , & on dit que la premiere
fois qu'il a ouvert la bouche dans le nouveau Parlement
, ç'a été pour faire une attaque auffi violente
& directe für M.Flood , que celle qu'il avoit
déjà faite le 28, & qui avoit donné lieu à leur défi .
Des lettres poftérieures portent, que malgré
cette précaution d'une caution auffi confidérable
, ces deux ennemis célébres ſe font
rencontrés à Holy-Head , & fe font battus
dans le cimetiere de cet endroit. M. Grattan
tira le premier , & logea fa balle dans le
corps de fon adverfaire , qui ayant tiré à
fon tour , l'atteignit au bras droit. On affure
que la bleffure de M. Flood n'eft pas
mortelle : la nature de celle de M. Grattan
ne montre pas qu'elle foit dangereufe. Les
feconds qui s'avancerent , ne leur permirent
pas de recommencer ; mais leur haine n'eft
pas fatisfaite , & on croit que lorfqu'ils feront
rétablis , ils fe rencontreront de nou-
*
veau.

Cet événement a rappellé que ce n'eft pas
la premiere fois que M. Flood s'eft battu ; ik
y a quelques années qu'il eut un duel avec
M. Agard de Kilkenay , du tems de l'adminiftration
du Lord Townshend . M. Agard
reçur une balle au front , & mourut du
coup ; la querelle étoit venue au fujet de l'élection
de Callam ; M. Flood fut traduit en
Juftice ; mais il fut abfous par le Juré.

( 213 )
Maintenant c'est notre Parlement qui appelle
toute notre attention . Les deux adref-
Tes de remercîment ont été préfentées au
Roi , celle des Pairs le 12 , & celle des Communes
le 16 de ce mois . Ces adreffes font
comme toutes celles de cette efpece , la répétition
fidelle de chaque paragraphe du
Difcours auquel elles répondent , accompagné
d'un témoignage de reconnoiffance &
de fatisfaction, elles pafferent , comme nous
l'avons dit , l'une & l'autre fans débats. Il fe ':
fit dans les deux Chambres quelques obfervations
qui préparent à des débats intéreffans
, qui ne manqueront pas d'éveiller l'op
pofition.
M. Pitt , dans celle des communes , après avoir
témoigné fes difpofitions à confentir à l'adreffe
de remerciment , ajouta qu'il ne pouvoit s'em
pêcher de témoigner fa furpriſe , de ce qu'il
s'étoit écoulé tant de mois entre la fignature des
préliminaires & celle des traités définitifs. On
attend même encore des nouvelles du traité de
commerce avec l'Amérique ; on avoit envoyé à
Paris l'homme qui avoit le plus déclamé , de ce
que ce traité n'avoit pas fait partie des articles
préliminaires , & il étoit revenu fans l'avoir conclu
, malgré fes talens fupérieurs pour la négociation
; & le miniftere actuel paroiffoit bien plus
coupable d'avoir figné le traité définitif , fans
avoir conclu un traité de commerce. Quant
aux Indes orientales , elles demandent hautement
l'attention du Parlement. Il n'y a pas un moment
à perdre pour tirer parti des avantages de nos
établiffemens : il ne fuffifoit pas d'employer
des mefures palliatives ou temporelles. La feule
*
( 214 )
>
affaire de plus grande importance eft le crédit
public ; du crédit public & de nos finances dépendoit
notre exiftence ; & l'on devoit s'attacher
à les mettre fur un pied folide. Il n'y avoit pas
d'autre expédient pour cela que d'examiner
nos comptes , & de marquer exactement quelles
étoient les charges du pays & nos destes
fondées ou non fondées : à quoi monte le déficit
des taxes impofées pendant la guerre , & de fe
réfoudre à regarder en face notre fituation réelle ,
& d'y appliquer les remedes néceffaires. Notre
fituation neuve à plufieurs égards , demandera
plus d'une année , & l'on ne pouvoit eſpérer de
la prospérité fi l'on fe cachoit le véritable état
de la nation . Le pays étoit , il eft vrai , dans de
grands embarras ; mais il n'étoit ni ruiné , ni
fans reffources , fi des mefures propres , fages &
vigoureufes étoient propofées par les Miniftres ,
& que le Parlement eût le courage de les favo
rifer & de confentir de bon coeur aux charges
néceffaires pour foutenir le crédit national.

M. Fox en répondant à ce difcours fit plufieurs
obfervations fur les articles préliminaires , & fur
les traités définitifs . On ne conçoit pas , dit- il
comment les..conventions étant les mêmes
mériteroient aujourd'hui une approbation qu'elles
n'ont pas eu ci-devant . Je n'ai point changé ,
dit- il , je les ai blâmées , & je les blâme encore
; mais en fuppofant qu'elles fe reffemblent ,
il n'en faut pas moins remercier le Roi. Les
circonftances dans lesquelles il a fallu figner les
traités définitifs étoient telles , qu'on ne peu
voit pas s'y refufer ; la foi publique étoit engagée.
Je ne fais que fuppofer cette reffemblance ,
je n'avoue pas qu'elle exifte : on n'a qu'à jetter
les yeux fur le feptieme des traités : il pourvoit
( 215 )
à la protection des habitans proteftans Anglais
de Tabago , à laquelle il n'avoit pas été pourvu
dans les préliminaires, Ces préliminaires n'affignoient
point de limites aux contrées où nous
devons faire le commerce des gommes ; elles
l'ont été depuis . Dans le feizieme article , au
lieu des expreffions vagues , des poffeffions dans
l'Inde , on en fixe l'étendue ppar l'addition des
mots telles qu'elles étoient en 1776. On a fixé
encore dans le traité définitif le temps dans lequel
doivent être terminées les négociations pour
un traité de commerce ; & fi dans le cours de
deux ans dont on eft convenu , on ne finiffoit
pas avec la France , le traité d'Utrecht fubfiftera
dans toute la force.
M. Fox annonça pour le 18 une motion
relative à l'Inde. La Compagnie demande
qu'on lui accorde la permiffion d'emprunter
le million qui refte des 1500,000 liv. fterl .
qu'elle avoit déjà demandées l'année dernière.
Ce fut l'objet de l'affemblée des propriétaires
qui eut lieu le 7 de ce mois , & dans
laquelle il fut arrêté de remercier M. Haftings
des ferviees qu'il a rendus , & de le
prier de ne pas quitter fa place, au moins
jufqu'à ce que la tranquillité foit rétablie entierement
dans l'Inde.
On lit dans prefque tous nos papiers une
piece intéreffante , fous le titre de lettre d'un
Voyageur , que nous nous empreffons de
tranfcrire.
сс« Il a été remarqué il y a 200 ans , par un de
nos hommes d'état , que la France ne pouvoit
jamais être pauvre , ni en paix pendant 3 ans
( 216 )
de fuite. La premiere partie de cette obſervation
prouve la haute idée que ce Miniftre avoit des
reffources de la France ; & l'expérience a prouvé
que fon opinion étoit bien fondée . Aucun Royaume
dans le monde n'a plus éprouvé les revers de
la fortune . Ses armées battues , fes flottes détruites
fes provinces ruinées , fes finances en défordre
, auroient fait imaginer qu'il étoit à la veille
de fe diffoudre , mais forti tout - à - coup contre
l'attente générale de cet état d'oppreffion , on
l'a vu toujours comme le phénix renaître de fa
cendre , étonner l'univers , & porter l'Europe
tremblante à fe preffer de former des confédérations
pours'opposer au pouvoir qu'elle a toujours cru menacer
fon indépendance. Dans le dernier fiecle
Louis XIV pofa le fondement d'un pouvoir qui
quoique plus d'une fois affoibli dans fon centre
menaçoit toujours les Souverains. L'Europe combinée
contre lui dans la guerre de fucceffion
ne put l'empêcher de placer fon petit fils fur le
trône d'Espagne , quoique le feul objet de la
grande confédération fut de prévenir cet événement
. Les victoires de Malborough , les pertes
de la Francene firent que montrer les reflources immenfes
de ce pays . Au milieu de cette guerre
deftructive , pendant que Louis avoit 470,000
en campagne , force plus grande que toutes celles
que l'Empire Romain eut jamais fur pied , on
exécuta deux projets dont un feul eut fuffi pour
épuifer le tréfor en temps de paix - L'un étoit
de joindre l'océan à la méditerranée , en creufant
un canal , & en faifant monter l'eau fur
des montagnes , au deffus defquelles des vaiffeaux
flottent à préfent. Le fecond fut d'élever
un fuperbe Palais & de bâtir de magnifiques
jardins dans les marais où Verſailles éleve main.
tenant fa tête avec fierté. Il eft impoffible de
regarder
( 217 )
regarder ces ouvrages , fans concevoir une haute
idée du pouvoir de la nation qui a pu les exécuter
; mais ce qui étonnera toujours , c'est lorfqu'on
confiderera qu'ils ont été faits dans un tems
où les dépenfes militaires feules montoient à
près de 20 millions ſterling par an.
Il a été ordonné , dit un de nos Papiers ,
de mettre les forts & les établiffemens de la.
baye de d'Hudfon en état de défenfe , afin que
fi le cas arrive qu'ils foient un jour menacés
ils ne foient pas expofés au fort qu'ils ont éprouvé
il y a deux ans , & à être la victime d'une force
auffi peu confidérable que celle que les François
y envoyerent . Les habitans de cette Contrée
ont une grande vénération pour l'Officier
qui fut chargé de cette expédition . On fçait
avec quelle générosité & quelle humanité le Che
valier de la Preyou e s'eft conduit , fes égards pour
les propriétés particulieres, auxquelles il ne toucha
point ; il ne faifoit pas la guerre aux Citoyens , c'étoit
à l'Etat , & ce ne fut que la propriété publique,
les Magafins qu'il détruifit. En fe retirant,
il eut la générofité de laiffer des vivres aux ha
bitans qui s'étoient fauyés dans les bois , & qui ,
à leur retour , auroient péri de mifere & de faim
il leur laiffa auffi des armes & de la poudre pour
chaffer , & des marchandifes pour traiter avec les
Sauvages. Cette conduite finoble & fi généreufe
rappelle ce qui s'eft paffé à Saint- Euftache.
On fe flatte ici d'être dédommagé à la
baie d'Hudfon des pertes que pourra éprou
ver notre commerce des fourrures auprès du
fleuve S. Laurent ; on fe propofe d'augmenter
le nombre des vaiffeaux qu'on y er
voye ordinairement .
Parmi les anecdotes fingulieres qu'offre
N°. 48. 29 Novembre 1783. k
( 213 )
quelquefois l'intérieur de nos cachots , &
que nos papiers s'empreffent de recueilliren
voici une qui pourra paroître plaifante.
Deux foldats ont été exécutés , il y a quelques
jours à Exéter. L'un , lorfqu'il eut entendu fa fentence
, & qu'il fe fut préparé à la mort , exprimaau
Chapelain de la prifon qui l'affiftoit un defir au
moins étrange dans la circonftance , c'étoit celui
de fe marier auparavant. Il preffa inftamment le
Miniftre de lui donner cette fatifaction, & de faire
lui-même la cérémonie. L'Eccléfiaftique étonné
de cette demande , employa les exhortations pour
T'en détourner , & pour lui en faire fentir l'impropriété
& le peu de convenance ; mais le foldat
perfiftant avec plus de chaleur encore , & le Chapelain
ne fachant à quoi fe déterminer , alla confulter
quelques gens de loi , qui lui dirent qu'un
homme fous fentence de mort n'étoit plus à lui :
& ne pouvoit faire aucun acte civil ni religieux ,
à moins que ces derniers ne regardaffent uniquement
fon falut & les difpofitions néceffaires pour
paffer à Péternité. Il vint rendre cette réponſe au
pauvre foldat , qni en fut très- affecté , & qui cependant
infifta encore , parte que ce mariage
dit-il , intéreffoit fon falut & fa confcience ; il
avoit eu commerce avec la fille qu'il vouloit époufer
; elle étoit enceinte , & il fe croyoit obligé
avant la mort de donner fon nom & un état à la
mere & à l'enfant . Ce ne fut pas fans peine qu'on
lui fit comprendre que l'un & l'autre ne pouvoient
attacher beaucoup d'importance au titre de veuve
& de fils ou fille d'un pendu , que fon intention
après tout étoit bonne , & qu'elle , devoit tranquillifer
fa confcience .
On mande de Fintham , dans le Comté
de Nottingham , un événement horrible.
( 219 )
>
Robert Rushtan , piqué de quelque défobéiffance
de fa fille , âgée de 9 ans , fe mit à la
corriger avec tant de barbarie , que la pauvre
infortunée mourut fous fes coups. Il la
mit auffi - tôt dans fon lit , & fortit pour dire
à fes voifins qu'elle venoit de mourir : mais
ceux-ci avoient entendu fes cris ; ils lui reprocherent
de l'avoir tuée : on l'arrêta ; le
Chirurgien & la Juftice vinrent reconnoître
le cadavre , & le Juré le déclara coupable
de meurtre. Il fera jugé à la premiere feffion .
Il vient de mourir à Daventry , écrit- on de
Northampton , un homme dont la conduite étoit
affez étrange. Il fe nommoit Tucman , il étoit
Prêtre Recteur de plufieurs endroits , & en
particulier de Biltau , où vivoit le célébre
Addifon , & où vit actuellement fa fille . Il avoir
pour 400 liv. ft . de revenu , & il est mort avec
une fomme de 50,000 . fa maniere de vivre
étoit celle dont l'avarice la plus fordide offre
peu d'exemples. Il alloit chez les Fermiers de
Les Paroilles , ramaffoit quelques légumes , &
demandoit un morceau de lard pour les affaifonner
Si la Fermiere à laquelle il s'adreffoit
tournoit le dos , il coupoit un autre morceau
de la même piece de porc & le ferroit dans
fa poche , c'étoit fon ordinaire pour le jour
fuivant , qu'il alloit à une autre Ferme où il
demandoit des pommes de terre pour les faire
cuire avec fon lard. Quelquefois il alloit dans
des Fermes aifées , & y paffoit le jour & la nuit
fans être invité ; il y voloit du linge quand il
en avoit befoin . Une fois de fa vie fil devint
amoureux ; mais trouvant que fa maîtreffe aimoit
beaucoup les rubans , il alla chez fon
frere qui étoit Mercier à Daventry , & lui en
k 2
( 220 )
vola une pie.e don il fit préfent à la Dame
de les pensées.
FRANC E.
DE VERSAILLES , le 25 Novembre .
Hier laCour eft revenue de Fontainebleau;
le 17 Mefdames Adélaïde & Victoire de
France avoient quitté ce féjour pour fe ren
dre à leur château de Bellevue , où elles
comptent refter jufqu'au 2 du mois prochain.
M. Amelot , Secrétaire d'Etat au département
de la Maifon du Roi , ayant remis
fa démiffion de cette place , le Roi a nommé
pour le remplacer le Baron de Breteuil , Miniftre
d'état , qui eut , le 18 , l'honneur de
faire fes remerciemens à S. M. ·
Le Comte de Gruel-Gruyere , le Marquis
de Rochois , le Marquis de la Feronnaye ,
le Comte O- Gorman & le Comte de Linieres
, qui avoient précédemment eu l'honneur
d'être préfentés au Roi , ont eu celui
de monter dans les voitures de S. M.
& de chaffer avec elle , les quatre premiers le
3 de ce mois , & le Comte de Linieres le
14.
DE PARIS , le 25 Novembre.
L'ordonnance du Roi pour la publication
de la paix eft du 3 de ce mois , le 20 elle a
été lue, publiée & affichée dans tous les lieux
accoutumés de cette ville & des fauxbourgs ,
pour être exécutée felon fa forme & teneur ,
( 221 )
& afin que perfonne n'en prétende caufe d'ignorance
. La proclamation folemnelle de
la paix avec les formalités & les cérémonies
d'ufage doit avoir lieu aujourd'hui ( 1 ) .
Mademoifelle , dont l'indifpofirion avoit.
inquiété , & avoit fait revenir Monfeigneur
Comte & Madame Comteffe d'Artois de
Fontainebleau à Verſailles , eft mieux aujourd'hui.
On écrit de l'Orient , que le Confeil de guerre
a fufpendu l'inſtruction concernant le Zélé , comme
n'ayant aucun rapport à l'action du même
jour , & qu'en conféquence il a paffé fur le champ
à l'examen du Capitaine en fecond du Céfar , qui
fe rendit après que fon Capitaine , griévement
bleffé , eut quitté le commandement ; c'étoit M.
de Marigny ; & on fait que ce brave Officier ,
trop malade pour pouvoir être tranfporté , fauta
avec fon vaiffeau peu de tems après le combat.
Un Officier diftingué par fon mérite &
fes talens , & qui a navigué avec fuccès :
au fervice de la Compagnie des Indes vient
de publier un avis intéreflant aux navigateurs
, que nous nous empreffons de tranfcrire.
(1) Les artistes auxquels on doit la fuire des eftampes
fur les événemens de la guerre , viennent d'en publier`
une nouvelle , qui a pour titre le traité de paix ; elle
offre la renomée publiant le noms des principaux auteurs
de la révolution d'Amérique & des guerriers qui fe font le
plus diftingués. Des deux côtés dans 10 cartouches font
les principales actions de la guerre ; & au-deffous le préeis
des Traités ; il eft d'autant plus intéreffant qu'il en offre
le réfultat. Cette eftampe , deffinée & gravée par M , Ponce,
eft de 36 f. comme les précédentes . Elle fe trouve chez
l'auteur , rue S. Hyacinthe , nº . 19 , & M. Godefroy ,
rue des Francs Bourgeois. Il doit en paroître encores ,
qui porteront la collection entiere à 16.
Kk 3
( 222 )
M. De'chiens de Kerulvay , croit devoir prévenir
les Navigateurs qui fe propoferoient d'aller
dans l'Inde & en Chine , par le canal de Mozanchque
, qu'il a découvert deux petites Inles
rafes & ambrifées au fud de Madagascar & au
nord- ouest du Brifant , connu fous le nom de
l'étoile. De ces deux Ifles la plus fud eft fituée
par 25 degrés 12 minutes de latitude ; la plus
nord , par 24 degrés 55 minutes ; elles forment
entre elles & la côte de Madagascar , un canal de
deux lieues de largeur fur cinq lieues deux tiers
de longueur. I eft d'autant plus effentiel d'en
connoître le giffement , & de les éviter , qu'elles
font garnies de rochers à fleur d'eau à trois quarts
de lieue au large.
Lorfque M. de Calonne fe rendit à la
Chambre des Comptes , pour prêter le ferment
ordinaire , il étoit accompagné de
plufieurs Confeillers d'Etat , Maîtres des Requêtes
, Intendans de Finances , des députarions
des Fermiers - Généraux , de Régiffeurs
, &c. qui lui formoient un cortege.
nombreux. M. de Nicolaï , premier Préfident
de cette Cour , lui adreffa le Difcours
fuivant.
» Depuis long-temps , M. , l'opinion publique
vous élevoit au Miniflere des Finances : fon adoption
, toujours flatteufe , fe confirme aujourd'hui ;
fans doute vous chercherez à la juftifier. Vous
connoiffez déja l'étendae de vos obligations , &
je ne Taurois vous diffimuler ce qu'on demande
au fucceffeur d'un Magiftrat vertueux & bien
intentionné. Le Contrôleur- Général et en
France la providence de l'Etat ; il foutient la
guerre, il ramene la paix , le commerce , l'agri
( 223 )
culture , les engagemens du Souverain envers
fes
Sujets , il embraile tous ces grands intérêts : leur
fabilité repofe fur lui ; fa prévoyance doit être
univerfelle ; fa marche , tantôt précipitée , quelquefois
lente , toujours réfléchie , eft dirigée vers
le bonheur commun . Il eft des illufions bien douces
dont il faut fe défendre ; il a même à le précau
tionner contre l'amour de la célébrité , pour n'être
animé que de la feule paffion du bien public . II
doit fe perfuader que la poftérité ne confacre que
le nom des Miniftres qui fe préfentent devant elle
avec le fuffrage de leur fiécle & les bénédictions
de leurs contemporains. Enfin , M. , foit qu'il calcule
les charges de l'Etat , foit qu'il ait befoin
de reffources , foit qu'il envifage l'objet de l'Adminiftration
, fon devoir , c'eft la fidélité ; il n'eft
pour lui de moyens permis que les moyens légitimes
; le terme , la récompenfe de fes travaux ,
c'eft d'avoir été utile . Nous ne nous bornerons
pas à des voeux , nous venons M. , offrir à la
Nation des efpérances fur votre Miniftere . L'éloge
& la cenfure nous font également défendus ; nous
fommes les organes de la vérité , & nous parlons
dans fon fanctuaire . Vous avez defiré les
grandes places , mais depuis long - temps vous vous
prépariez à les remplir ; vous avez perfectionné ,
embelli les heureux dons de la nature : votre efprit
, vous l'avez cultivé , étendu par l'étude &
par l'obfervation dans les fociétés du grand monde
, comme dans les Provinces que vous avez
adminiftrées. On vous accordoit avec raifon de
penfer & de peindre ; on ne s'entretenoit que de
votre aménité , de votre pénétration , de votre
alreffe à manier les efprits & les affaires ; vous
laiffiez échapper auffi des étincelles de génie. Vos
talens deviennent donc aujourd'hui , M. , les garans
de votre Adminiftration ; ils vous foutien-
"
k 4.
( 224 )
dront dans la carriere , ils enflammeront votre :
zèle , mais ils ne feront votre bonheur & votre
gloire que lorsqu'ils auront tourné à l'avantage
de vos concitoyens.
La réponſe de M. de Calonne à ce Difcours
a été la fuivante..
MONSIEUR , Je ne cacherai pas fous le voile
d'une modestie affectée , le plaifir que me caufent
les témoignages de bonne opinion & d'eftime
dont vous venez de m'honorer , au nom de
l'auguste Compagnie que vous préfidéz fi dignement
; en même temps qu'ils excitent toute
ma fenfibilité , ils mé retracent toutes mes obligations
votre éloquence a jetté des fleurs fyr
l'entrée de la carrière épineufe où je fuis appellé
, & votre fageffe m'en a découvert l'immenfe
étendue. Si le premier de mes devoirs eft
de le bien connoître , le fecond eft de n'en être
pas trop effrayé. Ce n'eft plus le moment de
calculer mes forces lorfque c'est celui de les
employer toutes à l'importante fonction dont ja
fuis chargé. Je viens , Monfieur , d'en faire le
ferment entre vos mains , & ce n'eft point une
vaine formalité .... Je dépofe dans le fein d'un
Tribunal respectable affocié à mes travaux , l'engagement
folemnel de me dévouer tout entier
à la chofe publique , de n'avoir qu'elle en vue ,
de n'épargner ni peine ni facrifice quelconque
pour le fervice . Je protelle aux yeux de toute
la nation , qu'aucun genre de difiracion ne
m'en détournera , qu'aucune espece de difficulté
ne me rebutera , qu'aucun ménagement puffillanime
ne m'arrêtera qu'aucune confidération
particuliere ne m'empêchera d'aller droit
au bien par les moyens que je croirai les plus
efficaces. On a fans doute à defirer en moi plus.
de talens & de lunieres , mais certes , on n'aura
"
( 225 )
9.
jamais à me reprocher de manquer de volonté ,
d'activité & de nerfs : j'arrive dans un moment
difficile , on ne peut le diffimuler ; mais que les
reffources font grandes dans ce fuperbe empire !
la plus précieure de toutes , la plus chere à la
nation & la plus capable de m'inspirer la confiance
, eft dans le coeur d'un nouveau Monarque
vertueux , avec qui l'on peut tout le bien
que l'on doit vouloir , & à qui l'on est toujours
fur de plaire , en lui préfentant les moyens de
l'effectuer. Il aime la vérité , je ne la lui déguiferai
jamais ; il eft effentiellement jufte : on ne
me verra point violer la fainte obligation que
cette qualité vraiment royale prefcrit à tous :
ceux qui approchent du trône . Il veut l'ordre
& l'économie la fituation des affaires m'en
fait une loi trop impérieufe , pour qu'elle ne
foit pas la bafe de ma conduite. Il est trop fcrupuleuſement
fidele à fa parole ; j'ai déja eu occafion
de lui dire , & je lui dirai dans toutes , que
rien ne peut le mettre dans le cas d'y manquer ,'
& qu'il n'y auroit qu'une ignorance coupable
qui peut en fuppofer la néceffité : il chérit tendrement
fes peuples , & n'afpire qu'à leur fou
lagement . Comment ne ferois- je pas enflammé
du defir de faire tout ce qui fera en mon pouvoir
, pour qu'enfin fes vues bienfaifantes foient
remplies. Il eft impoffible d'avoir une autre intention
dans la place que j'occupe ; & ce n'eft
pas un mérite , mais ce fera pour moi le plus
parfait bonheur. Je le fens vivement . Auffitôt
après avoir franchi l'efpace laborieux qu'il faut.
employer à l'aquittement des dettes de la guerre,
fiie puis parvenir à l'exécution d'un plan d'amélioration
générale , qui , fondée fur la conftitution
même de la Monarchie , en embraſſe toutes
les parties , fans en ébranler aucunes , reks
( 226 )

>
génére les reffources plutôt que de les preffurer;
éloigne à jamais l'idée de ces remedes empiriques
& violens , dont il ne faut pas même rap.
peller le fouvenir , & falle trouver le vrai fecret
d'alléger les impôts dans l'égalité propor-
Lionnelle de leurs répartitions ainsi que dans
la fimplification de leurs recouvremens . Ce font
là mes espérances , mes réfolutions , mes defirs
les plus ardens : ils follicitent , ils exigent même,
j'ofe le dire , le concours unanime , nonfeulement
de la Magiftrature , dont la bienveil
lance eft acquife à quiconque travaille à la féli -
cité publique ; mais auffi de tout citoyen fur qui
le fentiment patriotique a quelqu'empire . Oui ,
j'ai droit de l'invoquer aujourd'hui pour moimême
ce fentiment fi puiffant fur les Français :
je demande qu'on ne confidére en moi qu'une
perfonne liée indiviſiblement au bien de l'Etat ,
auffi long-temps que le Roi daignera m'honorer
de fa confiance , & qu'à ce titre je puiffe attendre
de l'intérêt commun qu'on favorife mes
efforts , qu'on encourage mon zele , qu'on ait
confiance dans mes paroles ; en un mot , que
tout confpire au fuccès de mon travail ; vous
en donnez en ce moment , Monfieur , un exemple
qui me flatte autant qu'il m'anime , & je
vois avec une fatisfaction inexprimable qu'il ne
m'eft pas plus permis de douter des voeux de la
Chambre , que de négliger rien pour mériter fes
fuffrages.
On apprend de Lille en Flandres , qu'auffitôt
que l'on y a été inftruit de la nomination
de M. de Calonne au Contrôle général ,
les Magiftrats fe font affemblés , & ont nommé
une députation de 4 de leurs membres
pour aller le complimenter .
( 227 )
23 ,
Dans l'Affemblée des Adminiftrateurs &
Actionnaires de la Caffe d'Efcompte qui
a eu lieu le 14 de ce mois , M. Bourboulon
prononça un Difcours qui fembla contenter
les deux Partis , puifqu'il fut décidé
unanimement de le faire imprimer ; il
fut arrêté , à la pluralité de 52 voix contre
de créer mille Actions de 3000 livres ,
comme les anciennes , auxquelles on ajoutera
500 livres pour les rendre égales à ces
dernieres , qui valent cela aujourd'hui ; les
Actionnaires feront préférés dans l'achat de
ces Actions. Après quelques difcuffions les
Adminiftrateurs propoferent d'élire 11 Commiffaires
pour faire les changemens que le
régime de la Caiffe exige , & dreffer les
nouveaux réglemens que l'Adminiſtration
doit fuivre. De ces 11 Commiffaires , 9 ent
été pris dans le parti qui leur eft oppofé.
Leurs noms font l'Abbé de Périgord , le
Comte de Narbonne , le Comte de Choifeal
Gouffier, Muol , Martin Panchaud
Franier , Jupredhion , Rilliet , Julien , la
Noroye & Bérenger.
M. le Contrôleur-Général s'étant expliqué
fur l'utilité de la caiffe & fur les avantages
qu'elle procure au commerce , à la banque
à la finance , iln'eft pas douteux qu'elle n'obtienne
toute la protection du Gouvernement,
& que fi elle ne reprend pas vite fon
premier crédit , elle aura da moins une con .
fiftance encore plus aflurée que par le paffé
k6
( 228 )
Du refte , la caiffe n'a plus que pour 28
millions de billets dehors ; le Roi prend
toutes fes piaftres , & donne fur le champ
tout l'argent qui vient d'être frappé dans les
Monnoyes. Les billets de caiffe rentrés ont
été montrés aux actionnaires bâtonnés ou
adhirés ; ainfi 'il n'eft pas à craindre , comme
on vouloit le faire entendre , qu'on les remette
de nouveau en circulation .
On lit dans un papier public un fait bien
fingulier pour ce fiecle ; il peut faire voir que
la fuperftition & la crédulité confervent encore
leur empire dans quelques endroits , &
fervir de réponse à cette queftion propofée
par une Académie , S'il eft propos que le
peuple foit inftruit.
Il s'eft paffé le 26 du mois dernier , dans la
paroiffe de Ceriziers , fubdélégation de Sens ,
un événement bien propre à engager les habi
tans des campagnes à fe tenir en garde contre
les moyens qu'emploient de certaines gens pour
les féduire & abufer de leur crédulité . La femme
du nommé Fraudin , attaquée depuis quelque
temps d'une maladie de langueur , s'imagina que
c'étoit un fort qu'on avoit jetté fur elle . Elle
parvint , non -feulement à le faire croire à fon
mari , mais celui - ci crut reffentir lui - même
quelques effets du même fort. Ils s'en ouvrirent
à leur Curé , & lui confierent le deffein qu'ils
avoient de confulter le nommé Galiffier , vieillard
du voisinage , qui paffe pour forcier. Le
Curé s'efforça inutilement de les défabufer &
de les détourner de leur deffein . Ils allerent
trouver le prétendu forcier ; & après être convenu
qu'ils lui donneroient 10 livres , s'il les
( 229 )
délivroit ; il fe rendit chez eux le foir , & s'enferma
avec eux , leur fille cadette & le mari
de leur fille aînée , ainfi ils étoient cinq enfermés
dans la même chambre. Le lendemain mâtin
la fille ainée de Fraudin , inquiéte de ce que
fon mari n'étoit pas revenu , alla le chercher
chez fon pere ; & après avoir fait ouvrir la porte
de la maifon , le trouva étendu par terré avec
les quatre autres perfonnes , fans qu'on ait pu
en rappeller aucun à la vie. On ne doute point
qu'elles n'aient été fuffoquées par la vapeur d'un
brafier de charbon fur les reftes duquel on a
trouvé un pot de terre contenant du foie de
boeuf, & quelques autres drogues. Le haut de
cheminée de la chambre étoit bouché avec deux
bottes de foin , & le devant avec des planches ,
defforte que la vapeur du charbon n'avoit aucune
iffue. Le nommé Fraudin avoit dans fa poche
les to livres promiſes au nommé Galiffier. On
a remarqué que cette fomme étoit en dix pieces ,
condition que Galiffier avoit probablement exigée
pour le fuccès de l'opération dont il a été
lui - même la victime.
Les freres Robert & M. Charles , qui fe
font conftamment occupés de conftruire une
nouvelle machine aëroftatique , depuis l'expérience
publique qu'ils ont faite au champ
de Mars , ont annoncé qu'on verroit bientôt
le réſultat de leur travail.
Leur nouveau Globe eft de taffetas , & de 26
pieds de diametre , ( leur premier n'en avoit
que r2 ) Ils fe propofent de faire , du 26 au
30 de ce mois , avec ce ballon , des expériences
fur l'électricité , fur la chaleur de l'atmofphere ,
&c. Une perfonne s'élevera dans un char appendu
à ce Globe , qui fera retenu par des cordes.
( 230 )
Après ce premier effai , on defcendra la perfonne
qui fera montée , & les freres Robert
prendront la place. On coupera les cordes , &
ils voyageront dans l'atmosphere à Ballon perdu;
ils fe ferviront , pour monter & defcendre à
volonté , de moyens auffi fürs que fimples .
On juge bien que tout Paris voudra voir
ces expériences ; leur fuccès eft aujourd'hui
moins douteux que jamais ; l'inventeur de
la machine eft aufii le premier qui a appris à
voyager dans les airs ; & le 21 de ce mois ,
la premiere expérience en a été faite de la
maniere la plus brillante ; nous tranferirons
le procès - verbal qui en a été dreílé au Château
de la Muette , d'où la machine eft
partie.
כ כ
Aujourd'hui , 21 Novembre 1783 , au Château
de la Muette , on a procédé à une expérience
de la Machine aëroftatique de M. de
Montgolfier. Le ciel étoit couvert de nuages
dans plufieurs parties , clair dans d'autres , &
le vent N. O. A midi huit minutes on a tiré
une boîte qui a fervi de fignal pour annoncer
qu'on commençoit à remplir la Machine. En
huit minutes , malgré le vent , elle a été développée
dans tous les points & prête á partic ,
M. le Marquis d'Arlande & M. Pila're du Rozier
étant dans la galerie. La premiere intention
étoit de faire enlever la Machine , & de la retenir
avec des cordes , pour la mettre à l'épreuétudier
les poids exacts qu'elle pouvoit
porter & voir fi tout étoit convenablement
difpofé pour l'expérience importante qu'on alloit
tenter. Mais la Machine , pouffée par le
vent , loin de s'élever verticalement s'étoit
dirigée fur une des allées du jardin , & les cordes
>
( 231 )
>
qui la retenoient agiffant avec trop de force ;
ont occafionné plufieurs déchirurés , dont une
de plus de fix pieds de longueur. La Machine
ramenée fur l'eftrade a été réparée en moins
de deux heures. Ayant été remplie de nouveau ,
elle eft partie à une heure 54 minutes , portant
les mêmes perfonnes ;. on l'a vue s'élever de la
maniere la plus majestueufe , & lorfqu'elle a été
á environ 250 pieds de hauteur , les intrépides
voyageurs , baiffant leurs chapeaux , ont falué
les fpectateurs. On n'a pu s'empêcher d'éprou
ver alors un fentiment de crainte & d'admiration.
Bientôt les navigateurs aëriens ont été perdus
de vue ; mais la Machine , planant fur l'horifon ,
& étalant la plus belle forme , a monté au
moins á 3000 pieds de hauteur où elle eſt toujours
reftée vifibie ; elle à traversé la Seine audeffous
de la Barriere de la Conférence &
paffant delá entre l'Ecole Militaire & l'Hôtel des
Invalides , elle a été á portée d'être vue de tout
Paris. Les voyageurs , fatisfaits de cette expérience
, & ne voulant pas faire une plus longue
course , fe font concertés pour defcendre ; mais
s'appercevant que le vent les portoit fur les
maifons de la rue de Seve , Fauxbourg Sain
Germain , ils ont confervé leur fens froid , &
développant du gaz , ils fe font élevés de nouveau
& ont continué leur route en l'air , jufqu'à
ce qu'ils aient eu dépaffé Paris. Ils font defcendus
alors tranquillement dans la campagne , audelà
du nouveau Boulevard , vis-à - vis le Moulin
de Croule- Birbe , fans avoir éprouvé la plus
légere incommodité , ayant encore dans leur
galerie les deux tiers de leur approvifionnement ;
ils pouvoient donc , s'ils l'euffent défiré , franchir
un espace triple de celui qu'ils ont parcouru
; leur route a été de 4 à 5000 toiles , &
( 232 )
nutes.
--
le temps qu'ils y ont employé de 20 à 25 mi
Cette Machine avoit 70 pieds de hauteur
, 46 pieds de diametre ; elle contenoit 60000
pieds cubes , & le poids qu'elle a enlevé étoit
d'environ 16 à 1700 liv. Fait au Château'
de la Muette , à cinq heures du foir . Signé , le
Duc de Polignac , le Duc de Guines , le Comte
de Polaftron , le Comte de Vaudreuil , d'Hu -and ;
B. Franklin , Faujas de Saint - Fond , Delifle
le Roi , de l'Académie des Sciences.
M. le Vaffeur , Graveur du Roi & de
l'Académie Impériale & Royale de Vienne ,
dont nous avons eu fouventl'occafion d'annoncer
les productions , vient de publier ,
une nouvelle eftampe qui ne fait pas moins
d'honneur à fon burin que les précédentes.
Elle eft d'aprés M. A. de Peters , Peintre
du Roi de Danemarck , & repréfente Tarquin
furprenant Lucrece , & qui mêlant la
fureur aux tranfports de la paffion , la menace
de la mort , s'il lui échappe un cri .
La beauté de Lucrece , fon effroi , la paffion .
de Tarquin font rendus avec beaucoup d'art
& de vérité. ( 1 )
Le fieur CHAUMONT , Perruquier , honoré
de l'approbation de l'Académie Royale des Sciences
, pour des découvertes avantageufes dans fon
Art , a préſenté à cette Compagnie une nouvelle
efpece de Toupets en frifure naturelle , compofée
de longs & courts cheveux naiffants , qui font
placés fans tiffu , très- près de la peau & d'une
maniere aff z femblable à ceux qui fortent naturellement
de la tête . Ces Toupets , dont la bor-
(1 ) Cette eftampe , dont le prix eft de 9 liv. , fe trouve
chez l'auteur , rue des Maçons.
( 233 )
dure eft trés- fine , s'identifient , pour ainfi dire ,
fur le bord du front par le moyen d'une pommade
attractive qui les fait tenir fur la tête fans
aucun inconvénient , & imitent la chevelure la
mieux plantée. Le bon ufage de cette pommade
eft reconnu de tous ceux qui s'en fervent journellement.
Elle fe vend trente fols l'once . Le bâton
eft de deux onces. Il fait auffi plufieurs
fortes de Perruques dans le goût le plus nouveau ,
entr'autres celles à bourſe , où il s'applique encore
plus particulièrement à bien prendre l'air
du vifage & à imiter le naturel des cheveux. Les
perfonnes qui vou troient envoyer un modele de
leur front découpé en papier , font priées d'af
franchir leurs lettres . Il demeure rue des Poulies
, en entrant à droite pnr la rue Saint - Honoré.
Fin du Traité de paix.
-
Nous , ayant agréables les fufdits Traité définitif
de paix & articles féparés , en tous & chacuns
les points & articles qui y font contenus &
déclarés , avons iceux , tant pour nous que pour
nos héritiers , fucceffeurs , royaumes , pays ,
terres , feigneuries & fujets , acceptés & approuvés
, ratifiés & confirmés ; & par ces préfentes
fignées de notre main , acceptons , approuvons ,
ratifions & confirmons ; & le tout promettons en
foi & parole de Roi , fous l'obligation & hypotheque
de tous & un chacun nos biens , préfens
& à venir , garder & obferver inviolablement ,
fans jamais aller ni venir au contraire , directement
ou indirectement , en quelque forte &"
maniere que ce foit . En témoin de quoi nous
avons fait mettre notre fcel à ces préfentes.
Donné à Versailles le dix -huitieme jour du mɔis
de Septembre, l'an de grâce mil fept cent quatrevingt
trois , & de notre règne le dixieme . Signé
LOUIS. Et plus bas , Par le Roi , LA CROIX
( 234 )
MAL. DE CASTRIES . Scellé du grant fceau de cire
jaune, fur sacs de foie bleue , treffés d'or , le fceaut
renfermé dans une boire d'argent, fur le defus e
Laquelle font empreintes & gravées les arines de
France & de Navarre , fous un pavillon royal ,
foutenu par deux anges.
Acte de médiation de l'Empereur.
Nous Ambaffadeur plénipotentiaire dé S. M.
I. & R. A. , ayant fervi de Médiateur à l'ouvrage
de la pacification , déclarons , que le Traité de
paix figné aujourd'hui à Versailles , entre S. M.
T. C. & S. M. B. , avec les deux articles féparés ,
yannexés & qui en font partie , de même qu'avec
toutes les claufes , conditions & ftipulations qui
y font contenues , a été conclu par la médiation
de S. M. I. & R. A. En foi de quoi nous avons
figné les préfentes de notre main , & y avons fait
appofer le cachet de nos armes. Fait à Versailles
le 3 Septembre 1783. Signé LE COMTE DE
MERCY-ARGENTEAU. L. S.
L'Acte de médiation de l'Impératrice de toutes les
Ruffies eft conçu dans la même forme , & figné par le
Prince de Bariatinsky , & par M. Arcad de Marcoff.
Suivent le Plein- pouvoir du Roi à M. le
Comte de Vergennes ; celui du Roi de la Grande.
Bretagne au Duc de Manchefter ; ce dernier eft
en Latin , ainfi que le Plein- pouvoir de l'Empereur
au Conite de Mercy ; celui de l'Impératrice
de Ruffie à fes Miniftres eft en François.
Laure Dauvet , Abbeffe de S. Paul-lès-
Bauvais , eft morte le 6 Octobre dernier . -
M. Plaicard de Raigecourt, Evêqued'Aire,
Abbé Commendataire de l'Abbaye de Saint
Pierre de Chalons-fur- Marne , eft mort dans
fon diocèfe le 26 du même mois , âgé de
76 ans.
( 235 )
Les Gens de lettres & les Artiſtes s'empreffent
de faire hommage de leurs productions
au Roi de Pruffe , juge & protecteur
éclairé de tous les talens dans tous les genres
; M. Gaucher a eu l'honneur de faire
paffer fous fes yeux fon Eftampe du Couronnement
de Voltaire ; c'étoit un tribut
qu'il devoit fans doute au grand Roi , qui
honoroit de fon amitié cet Ecrivain célébre
& qui a daigné en faire l'éloge lui- même ;
S. M. a adreffé à M. Gaucher la lettre fuivante
, qui honnore également Voltaire &
l'Artiste.
#
Le Roi a fait à l'eſtampe du ſieur Gaucher , à
Paris , l'accueil qu'elle mérite . Le choix qu'il a
fait , d'un des plus beaux momens de la vie du
premier Poëte Philofophe me fauroit qu'obtenir
des applaudiffemens univerfels , & l'exécution
fera en tout tems un honneur infini à fon burin.
S. M. l'a admiré beaucoup , & remercie l'Artiste
de fon attention de la lui avoir adreffée à la fuité
de fa Lettre du 17 Juillet dernier , qui ne fait
qu'entrer aujourd'hui, Potzdam , ce i d'Octo
bre 1783. Signé , FREDERIC.
Les Numéros fortis au Tirage de la Lo
terie Royale de France , font : 66 , 74, 34 ,
36 , & 21 .
DE BRUXELLES , le 2 Novembre.
Le Gouvernement a fait publier dans la
gazette de cette ville , l'article fuivant , relatif
à un événement qui pourroit être mal
repréſenté dans les papiers étrangers.
A
cc Les Hollandois ayant enlevé par voie de
fait les filets de tous les Habitans du Village
de Weft-Capelle , qui pêchoient dans le Canal
( 236 )
de S. Paul
en les menaçant
de les conduire
en prifon , ce qu'ils n'ont évité qu'en payant
une amende
arbitraire
; & ce fait étant une violation
manifefte
du territoire
de l'Empereur
attendu
que le Canal de S. Paul eft fitué en deça
des limites
de l'an'1664
', qui font les feules
& vraies limites
qui exiftent
entre le territoire
.
de S. M. I. & celui des Etats Généraux
dans
la Flandres
, la convention
de la Haye de l'an
1711 , par laquelle
il avoit été ftipulé
quelque
changement
de ces limites
étant notoirement
démeuré
fans exécution
de part & d'autre , &
ayant dès lors été conftamment
tenue comme
nulle & non avenue
; les Officiers
Civils du
Franc de Bruges
chargés
par état de faire rigoureufement
exécuter
les Edits de S. M. I.
fur cette frontiere
, ayant trouvé quelques
Soldats
& Bas-Officiers
Hollandois
qui féjournoient
en
contravention
aux Edits du 11 Mai 1751 , &
du 12 Mai de la préfente
année , dans les petits
Forts de S. Donaes
, de S. Paul & de Job ;
fitués en deça de la ligne defdites
limites
de
1664 , & confequemment
fur le territoire
Impérial
, ils ont déclaré
à ces Soldats , que quoiqu'ils
fuffent dans le cas d'être arrêtés
en exécution
de ces Edits , ils pouvoient
néanmoins
retourner
à leur régiment
à l'Eclufe
, ce qu'ils
ont faits fans difficultés
. »
Ces événemens & celui de l'exhumation
d'un foldat enterré à Den-Doelen , annoncés
en Hollande par deux courriers fucceffifs ,
y ont donné lieu à deux affemblées des
Etats Généraux & du Grand - Confeil.
Le Baron de Reifbach , lit- on dans des lettres
de la Haye , a eu plufieurs conférences avec
le Préfident des Etats généraux ; mais c'eft verba'ement
que jufqu'ici il a appuyé le mémoire
( 237 )
de la Cour de Bruxelles. On fe flatte que cette
affaire fe terminera à l'amiable. Les trois Forts
dont les Autriciens ont pris poffeffion , font réclamés
comme étant fitués fur leur territoire ;
la République par le traité de Barriere avoit
droit d'y entretenir garnifon ; ces barrieres
n'exiftent plus. S. M. 1. rentre en poffeffion des
Forts . En attendant l'effet des négociations fur
cet objet , on fe propole de renforcer la garnifon
de l'Eclufe , & le Régiment de Pain qui devoit
fe rendre à Utrecht , commandéavec un autre Ré
giment pour fe rendre à l'Eclufe. 1
Sur les repréfentations que M. de Hop
a fait au Gouvernement des Pays-Bas , on
lui a remis le Mémoire fuivant , qui mettra
au fait des fujets de plainte contre la République,
:
Le Gouvernement - Général des Pays - Ba
toujours été foigneux , conformément aux intentions
de l'Empereur , d'obferver à l'égard
des Etats voifins fans diftinction , les regles
de l'amitié & du bon voifinage , & d'y éviter &
prévenir tout ce qui pouvoit troubler la tranquilité
& la bonne intelligence . - Mais la
réciprocité de bons procédés du côté de la
République paroit encore à defirer du moins
il s'accumule de toutes parts des circonftances &
des faits qui , fi on ne connoiffoit pas la fageffe
des Etats - Généraux , ou fi l'on ne croyoit pas
pouvoir fe repofer fur leur intention , feroient
de nature à faire envifager les entrepriſes & les
excès de leurs Officiers ou de leurs employés ,
comme la fuite & les effets d'un parti pris de
bleffer les droits & la fouveraineté de S. M.
d'une maniere publique & infultante qui viole
à la fois toutes les regles de la Juftice , comme
( 238 )
tous les principes d'égards & de ménagement
auxquels S. M. devoit s'attendre en échange de fa
modération . Un fait récent & éclatant met
le comble à ce qu'on vient de dire fur la conduite
des Officiers & employés de la République . Un
foldat de la Garnifon du Fort de Lilfkenshoek,
dont elle est en poffeffion , vient de mourir :
on prend la réfolution de l'enterrer dans le
cimetiere de Doel , territoire de S. M. Un détachement
de 50 hommes de troupes Hollandoifes
, tous armés , ayant à leur tête le Capitaine
Manteufel & le Lieutenant Hochet , commandés
par le Major du Régiment de Pabs-
Baab le préfente le 17 O&obre avec le Convoi
fur le territoire du Doel; le Lieutenant Bailli
de cet endroit s'en approche , & demande fi
ces MM. ne connoiffent pas l'Edit de S. M.
du 12 Mai dernier , & fi en conféquence le
détachement étoit muni d'une permilion particuliere
que l'Edit exige pour ſe trouver fur
le territoire de S. M. Le Major Commandant
répond qu'il connoit l'Edit ' , mais qu'il
n'eft pas pourvû de permiffion , & qu'il n'en a
pas befoin , réclamant à cet effet un prétendu
ufage , & ajoutant qu'il foutenoit au furplus
que le Doel appartenoit & étoit refté en pleine
Souveraineté aux Etats- Généraux des Provinces-
Unies . Le Lieutenant Bailli déclare alors au
nom de S. M. qu'en vertu des Edits il arréte
tous les Bas - Officiers & Soldats : mais le Major,
en témoignant qu'il regarde l'arrêt pour bon ,
déclare qu'il ne laiffera pas fes Soldats & Bas-
Officiers à Doel , & qu'il les ramenera avec
lui au Fort après que le Cadavre aura été
enterré. Enterrement auquel il a fait en effet
procéder enfuite , en faifant rendre les honneurs
militaires au défunt & après lequel il
4

( 239 )
s'en el retourné au Fort. En un mot le Com❤
mandant & le détachement en ont agi commes'ils
difpofoiest du territoire de la République même.
La fuite à l'ordinaire prochain,
2.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
OFFICIALITÉ DE PARIS.
Crufe entre Claude Rougier , dit Frere Bafi'e ,
Religieux Profès des Capucins de la rue Saint-
Jacques , réclamant contre fes voeux .
-
Les
Peres Capucins dudit Couvent , Et le fieur
Rougier pere , Arquebufier à S. Etienne- en- For.z.
Claude Rougier , connu en Religion fous le
nom de Frere Bafile , Religieux Profès des Capucins
de la rue St - Jacques , fils du fieur Rougier ,
Arquebufier de St - Etienne en - Forez , & de Marguerite
Clari , eft né en 1759 ; il fit les études juf
qu'en troifieme ; en 1775 , fi on l'en croit , fon
pere lui ayant déclaré qu'il falloit entrer en Religion
, il témoigna que fon deffein étoit bien de
prendre l'Etat Eccléfiaftique , mais non celui de
Religieux ; alors , ajoute- t- il , il éprouva de la
part de fon pere des traitemens qui le forcerent
à fe retirer , en 1775 , dans la Maifon des Bénédictins
de St-Martin-des - Champs , où il fe convainquit
de fon inaptitude à l'Etat Monaftique.
Ses Supérieurs l'envoyerent à Souxillanges en Auvergne
, pour yfaire fa Philofophie ; mais dégoûté
du Cloître , il quitta cette Maifon , pour retourner
chez fon pere , où il fut mal reçu. Dix mois de
traitemens durs le déterminerent à retourner chez
les Bénédictins , & il prétend que fon pere lui dit
de ne fe repréfenter jamais devant lui , s'il n'en
vouloit recevoir un coup de pistolet , pour baifer
paternel. Ce nouvel effai fut auffi infructueux
que le premier. Ses Supérieurs le jugeant incapable
de fuivre les regles du Cloître , l'engagerent
à fe retirer. N'ofant retourner chez fon pere , il fe
refugia fucceffivement chez deux Particuliers de
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Paris , qui le reçurent pendant quelque temps ;
comme ils ne pouvoient que lui donner une retraite
momentanée , fans l'entretenir ; que , d'un
autre côté , fon pere le menaçoit de le faire enfermer
pour le refte de fes jours ; il entra au
Couvent des Capucins de la rue St-Jacques ; mais
auparavant , il alla chez le Commaire Bourgeois
protefter contre ſon entrée ; & muni de cet acte ,
il fe préfenta aux Capucins en 1779 ; il y fut reçu,
fit fon année de Noviciat, à l'expiration duquel il
alla renouveller fes proteftations contre la profeffion
qu'il fe voyoit forcé de faire , & fit fes Voeux
le 8 Septembre 1780. Il follicita enfuite avec ardeur
fa promotion aux Ordres facrés , auxquels
il fut admis en 1781 , mais toujours avec la précaution
d'aller la veille de fon admiffion à chacun
des trois Ordres , de Sous- Diaconat , Diaconat &
Prêtrife , renouveller fes proteftations. Parvenu à
la Prêtrife , il ne tarda pas à faire tous les efforts
pour rompre des noeuds forcés , & mettre à profit
les armes qu'il s'étoit ménagées en fecret. Il
préfenta en Novembre 1782 , fa requête à l'Offi
cial de Paris , à l'effet d'être relevé de ſes voeux.
Elle fut répondue d'une Ordonnance portant permiffion
d'affigner les Supérieurs du Couvent des
Capucins de la rue St -Jacques , & le fieur Rougier
pere. La différence des faits articulés par les
parties, engagea le Promoteur à conclure qu'avant
faire droit , le réclamant fut interrogé fur faits &
articles. En conféquence , Sentence du 15.
Mars 1783. Les réponíes du réclamant à l'interrogatoire
ayant éclairci les doutes & fortifié fes
moyens de réclamation ; nouvelle Sentence du
5 Avril , qui l'admet à la preuve des faits de
contrainte par lui articulés , fauf aux Religieux
Supérieurs des Capucins , & au fieur Rougier pere,
la preuve contraire , dépens compenfes .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le