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1783, 04, n. 14-17 (5, 12, 19, 26 avril)
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17.80 Mo
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399
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Texte
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours ; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en proje ; l'Annonce & Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
SAMEDIS AVRIL 1783 .
QH
PALAIS
ROYAL
APARI
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
TABLE
Du mois de Mars 1783 .
PIÈCES FUGITIVES.
3
4
Vers d M, de Mayer,
Bouquet à M. Monnet ,
Couplets d'une Dame pourfon
Mari ,
Lettre à M. de la Cretelle ,
Calendrierpour l'année 1783
à l'ufage des Elèves quifréquentent
l'Ecole gratuite de
Deffin,
Coutumes Générales & Locales
du Bourbonnois , 103
Réponse de M. de la Cretelle , Le Danger d'aimer un étran-
13 ger ,
Yers à Mlle de Saint-Léger ,
Réponse,
Le Colin Maillard ,
Les Voyageurs , Fable ,
Le Souverain Bien ,
Vers à Mad. de Cléry,
Imitation de Claudien ,
49
So
97
98
100
110
Le Coran , traduit de l'Arabe ,
148
Euvres complettes de Flechier
ISS
La Matinée du Comédien de
Perfepolis ,
145 Les Numéros ,
165
171
222
193 Les Quatre Ages de l'Homme,
Lettre à M. Garat ,
Poëme,
194
La Réparation , Conte , 203
Nécrologie ,
l'aînée ,
Plutarque ,
SPECTACLES .
116
Couplets à Mlle de Gaudin Lettre ſur la réimpreſſion du
219
Charades , Enigmes & Logo-
120
gryphes , 24 , 52 , 101 Académie R. de Muſiq . 83 ,
"
146 , 220 124, 177
NOUVELLES LITTER . Comédie Françoife , 33 , 88 ,
Recueil de Mémoires fur la
134, 232
Méchanique & la Phyfique, Comédie Italienne , 38 , 136 ,
27
Le Négociant Philofophe , 31
182 , 234
VARIÉTÉ S.
Nouveau Voyage dans l'Amé- Avis fur l'Encyclopédie , 187
rique Septentrionale, 55 Annonces & Notices , 42 ,
Vuesfur l'Education de lapre- 94 , 139 , 190 , 237
mière Enfance, 731
Paris , de l'Imprimerie de M. LAMBERT & F. I
BAUDOUIN , rue de la Harpe , près S. Cofme .
STOR
LIBRAR
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 5 AVRIL 1783 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSÉ.
CEYX ET ALCYONE , Fable tirée du
XIe Livre des Métamorphofes d'Ovide. *
CEYx épouvanté des prodiges divers , Ε
Qui déjà de Pélée ont comblé les revers ,
Veut aller à Claros confulter les Oracles ;
Vains recours des mortels avides de miracles.
Mais l'Amour & l'Hymen , par les noeuds les plus
faints ,
A la jeune Alcyone ont uni fes deftins .
A peine a- t'elle appris ce funefte voyage,
Elle pâlit , fes pleurs inondent ſon viſage ;
Tous les fens font glacés ; & fa douleur trois fois
"
* On trouve chez Valleyre aîné , Imprimeur - Libraire,
rue de la Vieille- Bouclerie , & chez l'Auteur les trois
premiers Livres du même Ouvrage. Prix , 3 liv. 12 fols , &
chaque Livre féparément, 1 liv . 10 fols.
A j
4 MERCURE
Ne pouvant s'exprimer , femble étouffer la voix.
Ses paroles fans fuite & mal articulées ,
Expirent fur la langue en foupirs exhalées :
A peine enfin la bouche , avec de longs fanglots ,
En fons entrecoupés laiffe échapper ces mots :
CHER & cruel époux , hélas ! pour quelle offenfe
Veux-tu donc à mes yeux envier ta préfence ?
Eft ce là cet amour , ce doux prix de ma foi ?
Quoi , Ceyx , tu pourrois vivre heureux loin de moi ?
L'éloignement te plaît ; & déjà ton amante ,
Four te charmer encore a befoin d'être abfente ?
Ah ! du moins fi des flots évitant le danger ,
Tu cherchois fans péril un rivage étranger ,
Peut être à te quitter je pourrois me contraindre ,
Et pour ta vie au moins je n'aurois rien à craindre.
Mais la mer m'épouvante ; un orage , un écueil
Dans les gouffres profonds peut t'ouvrir un cerceuil.
Hélas ! hier encor les reftes d'un naufrage
Ont effrayé mes yeux d'un finiftre préfage.
Combien de vains tombeaux , fur fes bords élevés ,
Ne gardent que des noms fur le marbre gravés !
Oui , je fuis ton époufe , & la fille d'Éole :
Mais s'il eft ton eſpoir , ton espoir eft frivole.
Il voit les vents foumis inurmurer dans les fers ;
Mais font- ils une fois déchaînés fur les mers
Rien ne les retient plus ; & les cieux & la terre
Sont en proie aux fureurs de leur bruyante guerre ;
Ils ravagent les champs , les cités , les déferts ,
DE FRANCE..
Et leur choc de la nue arrache les éclairs.
Plus je les ai connus , hélas ! & plus je tremble.
Demeure ; ou fi tu pars , du moins partons enſemble ;
Et que , sûre avec toi de vivre ou de mourir ,
Mon coeur ne craigne rien qu'il ne puiffe fouffrir.
SON époux à ces mots fent ébranler fon âme.
Il foupire , il gémit; un même amour l'enflamme.
Il fent deux paffions combattre dans fon fein.
Malheureux ! il voudroit accomplir fon deffein;
Mais il ne peut vouloir qu'Alcione le fuive.
En vain , pour raffurer cette amante craintive ,
Qui par fes pleurs encor cherche à le retenir ,
Il ofe lui promettre un heureux avenir.
Tu pleures, lui dit-il , & je pleure moi - même.
Un feul moment d'abſence eſt ſi long quand on aime!
Mais avant que pour nous la courrière des mois
Recommence fon cours une feconde fois ,
Je jure par l'Hymen , par l'aſtre de mon père , *
Que fi je vis encor, fi le ciel m'eſt profpère ,
Alcyone en ces lieux me verra de retour ,
Fidèle , & déforinais tout entier à l'Amour.
CE difcours confolant , cette douce promeffe
Sufpendent quelque temps le chagrin qui la preſſe.
Mais fitôt qu'elle voit ordonner dans le port
L'appareil du départ , ou plutôt de la mort ,
Phosphore.
1
A iij
MERCURE
Une fecrette horreur redouble fes alarmes :
Elle frémit ; fes yeux s'ouvrent encore aux larmes.
Sa main retient Ceyx , qui reçoit ſes adieux :
Elle tombe ; un nuage obſcurcit fes beaux yeux.
€1YX appelle en vain fon époufe mourante :
Déjà fourde à fes cris , la rame impatiente
Obéit en cadence aux bras des Matelots ;
Le vaiffeau fuit la rive , & fait blanchir les flots.
ALCYONE rouvrant fa débile paupière ,
Pour revoir fon époux cherche encor la lumière.
Elle lui tend les bras une dernière fois .
Quelque temps ces époux , au défaut de la voix ,
Et du gefte & des yeux , fe parlent , fe répondent.
Bientôt dans l'horizon les objets fe confondent ;
Mais fon oeil fuit encor la nef au ſein des mers.
Lorfque la voile enfin s'efface dans les airs ,
Elle rentre au palais , & s'y cherche foi- même.
Là, fes regrets par - tout demandent ce qu'elle aime.
Elle baigne de pleurs , hélas ! trop fuperflus ,
Ce lit , jadis fi doux , où fon époux n'eft plus.
TANDIS qu'elle répand des larmes folitaires ,
Le vaiffeau de Ceyx fend les ondes amères;
Déjà loin d'Héraclée on découvre Claros,
L'orage avec la nuit fond foudain fur les eaux ;
L'air mugit, le mât tremble, & les vagues blanchillent :
D'un fifflement affreux les cordages frémiſſent.
L'onde gronde , & la rive au loin a répondu.
DE FRANCE 7
3
Le l'ilote commande , & n'eft pas entendu.
Mais la voix du danger , la crainte du naufrage ,
Excitent les Nochers à combattre l'orage.
On agit , on s'empreffe , on court de tous côtés.
Sans ceffe dans les flots les flots font rejetés.
On défend les haubans , on abaiffe les voiles.
Mais l'éclair a brillé fous un ciel fans étoiles
Les vents fé font la guerre en rivaux obſtinés ,
Et la foudre a grondé dans les airs indignés.
Le Pilote effrayé ne peut cacher fon trouble ;
Et , plus fort que fon art , l'orage au loin redouble.
Le navire au hasard tournoie au gré des vents.
Avec un choc affreux l'onde heurte fes flancs.
Le lourd bélier attaque avec inoins de furie
Les remparts ébranlés d'une ville ennemie.
Mille flots à l'envi l'un par l'autre portés ,
Déjà fur le tillac roulent de tous côtés.
Le navire eft vaincu par la mer qui l'obsède ;
Une vague s'y jette , une autre lui fuccède.
Et tels que des Soldats repouffans , repouffés ,
S'élancent à la fin fur des murs renversés ,
Telle au fein du vaiſſeau que tourmente fa
L'onde aptès mille affauts s'ouvre enfin un paffage,
Et bientôt avec elle introduit mille morts.
Elle attaque à la fois au-dedans , au- dehors ;
On s'agite , on s'écrie ; ainfi qu'en une ville
Où le vaincu bloqué dans fon dernier afyle ,
Voit d'un côté les maurs à l'ennemi rendus ,
Et de l'autre minés ou trop mal défendus.
rage ,
A iv
8 MERCURE
<
Chacun frémit d'horreur ; l'un , glacé par la crainte ,
Veut en vain s'écrier , & fa voix s'eft éteinte .
L'un implore les Dieux ; l'autre lève les bras
Vers ce ciel irrité que fon oeil ne voit pas ;
II porte envie à ceux dont la cendre chérie
Dans un urne du moins put être recueillie.
Chacun gémit fur foi : chacun dans ces momens
Pleure un père , une épouſe , un ami , des enfans.
Ceyx pleure Alcyone , Alcyone le touche :
Ses traits font dans fon coeur , fon nom eft fur fa
bouche.
Hélas ! dans fon malheur il fe croit trop heureux
De fe voir féparé de l'objet de ſes voeux !
Prêt à périr au ſein d'une mer inconnue ,
Vers fa patrie au moins il veut tourner ſa vâe ,
Et donner à ces lieux chers à fon fouvenir ,
Et fon dernier regard & fon dernier ſoupir ;
Mais quel ceil peut percer la nuit de la tempête ?
Un nouvel ouragan a fifflé ſur la tête .
Le måt crie & fe brife en éclats fracaffé.
Le timon fur les eaux flotte au loin diſperſé.
Fière de leurs débris , l'onde victorieufe
Élève à gros bouillons une vague orgueilleuse,
Et comme fi le mont ou de Pinde ou d'Athos ,
De fa bafe arraché s'écrouloit dans les flots ,
Roule , écume , bondit , retombe , & triomphante
Engloutit le vaiffeau fous fa chûte pefante .
Les Nochers dans l'abyme entraînés fans retour
Ne reparurent plus à la clarté du jour.
DE FRANC E. 2
A peine un petit nombre en ce moment horrible
Difpute encor fa vie à l'élément terrible ,
Et lutte quelque temps contre l'onde & la mort.
L'infortuné Ceyx , réduit au même fort ,
D'une main autrefois redoutable & puiffante,
Saifit le frêle appui d'une rame flottante .
En vain à fon fecours il appelle à grands cris
Ces Dieux dont il fe nomme & le gendre & le fils.
Mais plus que tous les Dieux il invoque Alcyone.
Il murmure fon nom à l'onde qui bouillonne.
Hélas ! dans fon amour , il croit qu'un nom fi doux
Des flots impétueux doit calmer le courroux .
Son courage s'épuife , & fa force affoiblie
Avance le moment qui va finir ſa vie.
Il defire du moins que fes reftes glacés
Vers l'objet de fes voeux par les vents forent pouffés.
Tout- à- coup un arc d'eau formé par la tempête
S'élève , & fous fon poids enfevelit fa tête.
PHOSPHORE cette nuit obfcurci dans les cieux ,
Semble éteindre fon aftre & fe cacher aux yeux ;
Et s'il ne peut quitter le féjour des étoiles ,
Enveloppe fon front fous de lugubres voiles.
Eole & Phoſphore,
( Par M. de Saint- Ange. )
Αν
10 MERCURE
MOT de la dernière Énigme.
PAUVRE Sphinx ! a dit la gloſe ,
Ah ! qu'il caufe d'embarras !
Ce qu'en vers il nous expoſe ,
Nous l'entendons dire en proſe
Par des gens de tous
états
;
Son titre feul en impoſe.
Nos enfans en la lifant ,
La devinent à l'inſtant ,
Cette Enigme qu'il propofe.
Ils s'en viennent , réjouis ,
Dire : j'ai trouvé la chofe ,
Papa ! le inot cft..... LOUIS.
( Par M. Félix -Nogaret. }
Explication du dernier Logogryphe.
LE mot eft Chameau , où fe trouve ha
meau.
Note du Rédacteur. On préférera déformais les
Enigmes & les Logogryphes qui , à mérite égal ,
auront celui de la brièveté.
DE FRANCE. 11
ÉNIGM E.
JE paffe pour Monarque au milieu de la Cour ;
Toujours un menu peuple autour de moi criaille.
Mes fujets font de plume , & mon trône eſt de paille ;
Et je fuis toutefois le Prophète du jour.
LOGO GRYPHE.
TANPIS pour toi , Lecteur , fi tu connois ma mère
Etique , laide en diable , on la prend pour Mégère ;
Elle répugne au fage , & ne plaît qu'aux méchans ;
La rufe & les détours lui fervent d'agrémens.
A ce portrait , Lecteur , que dis- tu de inon être ?
Crois-moi , fuis-je chez toi ? Vîte par la fenêtre ,
Malgré mes fix grands pieds , fais- moi faire le faut ;
Puis me décomposant , ( pour me voir il le faut )
Tu trouveras d'abord ce dont jouit le Sage ;
Cet inftrument de fer qui fert au labourage ;
Une pièce d'échecs , qu'on nomme aujourd'hui tour ,
Le nom de ce Roman qui fit bruit à la Cour ,
Et jadis à Cloppin fit baiffer la culotte ;
L'attribut d'Euphrofine ; & la feconde note ;
Ce que je fuis de toi ; ce que tu ne lis pas.
Tu me connois , Le&eur , au revoir , je m'en vas.
A vi
12 MERCURE
;
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SUPPLÉMENT à l'Effai fur l'Hiftoire
Générale des Tribunaux des Peuples ,
tant anciens que modernes , ou Dictionnaire
Hiftorique & Judiciaire , contenant
les Anecdotes piquantes & les Jugemens
fameux des Tribunaux de tous les temps &
de toutes les Nations , par M. Defeffarts ,
Avocat , Membre de plufieurs Académies .
Avec cette épigraphe : Indocti difcant &
ament meminiffe pefiti. Tome feptième. A
Paris , chez l'Auteur , rue Dauphine , à
l'hôtel de Mouy , près le Pont neuf ; chez
Mérigot le jeune , Libraire , Quai des
Auguftins ; Durand neveu , Libraire , rue
Galande , & Nyon l'aîné , Libraire , rue du
Jardinet. Prix des 7 Vol. , francs de port
dans toute l'étendue du Royaume , 28 liv.
L'OBJET de ce Livre annonce un Recueil
utile & intéreffant en littérature , en morale
& en légiflation. En le lifant , on s'appercevra
que l'Auteur a du néceffairement manquer de
bons matériaux pour fon Ouvrage . Il n'a pu les
prendre que dans des Ouvrages fans authenticité
, & qui mêlent fouvent des traditions
populaires au peu de faits certains que le
fecret des procédures n'a pas dérobé à la
connoiffance publique. L'Auteur paroît avoir
DE FRANCE. 13
fenti cet inconvénient de fon fujet ; il s'eft
plus attaché à donner une notice curieufe &
intereffante des procès criminels qu'il rapporte
, qu'à les expliquer dans ce détail des
faits & des preuves , dont le Philofophe &
le Jurifconfulte auroient befoin pour leurs
obfervations. Mais ce Recueil , quoiqu'imparfait
à bien des égards , n'en eft pas moins
un Livre d'une lecture très attachante , trèsutile
, & propre fur tout à enrichir la méditation
de ceux qui fe préparent à écrire fur
les loix criminelles.
Il offre une grande variété. On voit tourà-
tour des accufés de toutes les nations & de
tous les genres de délits ; mais ce qui étonne
& ce qui afflige particulièrement , c'eft de
voir fouvent dans ce tableau des vengeances
publiques , l'innocence , le génie & la vertu
frappés à côté du crime. Il eſt triſte , mais
il est vrai de dire que ce Recueil eft prefqu'autant
une hiftoire des malheureux que
des fcélérats.
Parmi ces derniers , il en eft deux fur
lefquels je me permettrai quelques obfervations.
L'un eft le fameux . Defrues . On fait ici
l'hiftoire de cinq ou fix crimes épouvantables
avant celui qui l'a conduit à l'échafaud. Mais
ils n'ont rien de conftaté , & il feroit imprudent
d'en tirer aucune conféquence fur le
caractère de ce monftre. Contentons nous
de le juger d'après les empoifonnemens de
Madame de la Motte & de fon fils. Bien
14 MERUCRE .
des gens fe font fait de ce Defrues l'idée
d'un des plus habiles fcélérats. Il me femble
que la marche & les circonftances de fes
crimes n'indiquent qu'un efprit très - borné
& très-mal - adroit. C'étoit d'abord l'entreprife
la plus abfurde , que celle de vouloir
refter paisible poffeffeur d'une terre , en en
empoifonnant tous les propriétaires . Un fcélérat
qui fait fon métier , ne refte pas dans
les lieux couverts des traces toujours mal
déguifées de fes crimes. Il fe faifit d'une
fomme d'argent , d'un porte feuille , & il
va en jouir fous l'abri des loix étrangères .
Mais en fecond lieu , Defrues avoit déjà
empoiſonné la mère & l'enfant , qu'il n'avoit
encore aucune quittance fur le prix de la
terre qu'il avoit achetée. Il femble cependant
qu'il auroit pu obtenir cette quittance , par
furpriſe ou par violence , pendant qu'il avoit
chez lui la Dame de la Motte.
Ce n'eft que lorsqu'il fe voit déjà foupçonné
, qu'il va à Lyon , où , deguifé en femme,
il paffe , fous le nom de Madaine de la
Motte , une procuration au mari de celleci
pour toucher un reftant de prix fur
la Terre de Buiffon - Soef. Il paroît , par les
circonftances où il étoit alors , qu'il cherchoit
autant à le procurer une preuve de l'exiftence
de Madame de la Motte , qu'à faire
croire qu'il lui avoit déjà délivré cent & tant
de mille livres. Comment un habile praticien
comme lui ( car on prétend qu'il lifoit
avec foin nos Ordonnances ) auroit il pu
DE FRANCE.
19
imaginer que cet acte opéreroit fa libération
?
Mais ce qui eft vraiment rare , c'eſt le caractère
énergique & profond que ce monftre
a conftamment foutenu. Il cachoit l'atrocité
de fon coeur fous tous les dehors , de la religion
& de la douceur. S'il ne pouvoit pas
féduire long temps par les reffources de fon
efprit , il avoit au moins , pour en impoſer ,
un fonds inépuisable d'hipocrifie. Jamais il
n'a confenti à lever ce mafque dont il avoit
pris l'habitude de fe couvrir ; jamais on n'a
pu lui arracher aucun aveu ni troubler fa
préfence d'efprit. On frémit d'horreur &
d'étonnement , lorfqu'on entend ce monftre
, prêt à marcher au fupplice , dès qu'on
lui montre le crucifix , s'écrier : Je vais donc
fouffrir comme toi ! Comment trouvoit- il ,
au fond d'une confcience noircie de tant
d'atrocités , un cri qui feroit fublime dans la
bouche d'un innocent condamné ? Et quelles
étoient fes vûes dans tous ces prodiges de
courage & de fourberie qui ont précédé &
environné fa mort ? Efpéroit il faire quelqu'illufion
au Public , car il étoit déjà convaincu
devant les Juges ? Efpéroit- il fe déro
ber à l'infamie , à l'horreur publique que fon
propre coeur lui promettoit ? Se flattoit - il
d'arracher, quelques larmes , d'obtenir quel
qu'admiration dans le terrible (pectacle qu'il
alloit offrir ? Et comment l'ambition des
belles âmes pouvoit- elle entrer dans le coeur
de Defrues ? Ou bien n'a- t'il perſévéré dans
16 MERCURE
les proteftations de fon innocence , n'a t'il
bravé la torture que dans l'efpoir de fauver
fa femme? Je ne trouve pas dans le récit que
j'ai fous les yeux , mais on affuroit dans le tems,
que lorfque fa femme lut fut amenée à
l'hôtel- de ville , il fe hâta de lui dire qu'ils
étoient innocens l'un & l'autre , & qu'il
n'avoit dit que cela dans fes interrogatoires.
Ainfi donc celui qui avoit empoisonné de
fang- froid une femme envers qui il exerçoit
l'hofpitalité , une mère & un fils , raffembloit
toutes les forces de fon âme pour conferver
l'honneur & la vie à fa femme, pour conferver
une mère à fes enfans ! On dit auffi qu'il
parla de fes enfans avec toute la tendreffe
paternelle. Il feroit donc vrai que le coeur
d'un pareil fcélérat pouvoit encore s'ouvrir
aux fentimens de la Nature , & avoir le courage
de la vertu ! Quoi qu'il en foit des fentimens
& des motifs de cette âme , qui ne
s'eft jamais laiffée pénétrer , on eft forcé
d'admirer tant d'énergie dans le vice & l'infamie
, en la déteſtant .
-Plafieurs perfonnes , qui n'entendent rien.
aux preuves qui conftituent la conviction
d'un crime , d'après cette, conftante dénégation
, ont élevé des doutes fur la légalité entière
de la condamnation de Defrues. Mais
il eft aifé de voir que jamais les preuves d'un
empoifonnement n'ont été plus formelles &
plus puiffantes. L'aveu du Criminel n'eft.
point néceffaire à fa condamnation ; il ne
forme pas non plus une preuve fuffifante
DE FRANCE. 17
contre lui. Tout le réunifoit contre Defrues.
Sur l'empoifonnement de l'enfant à
Verfailles , il y avoit l'infpection du corps
de délit , des témoins qui dépofoient de
toutes les précautions de l'empoisonneur
pour cacher le crime . Sur l'empoifonnement
de la Dame de la Motte , il y avoit la preuve
qu'il l'avoit enterrée dans une cave louée par
lui , & même fon aveu fur ce point. A ces
preuves poſitives , fe joignoient fur les deux
crimes une chaîne complette de préfomptions.
L'autre procès , qui m'a particulièrement
frappé dans ce Recueil , eft celui de ce fieur
de la Motte , condamné & exécuté à Londres
pour crime de haute trahifon . C'étoit
un Officier François qui faifoit en Angleterre
le métier d'Efpion. Sa bonne mine ,
& le caractère ferme , & même noble qu'il
a montré pendant les procédures , lui avoient
attiré la bienveillance publique. Mais ce qui
ajoutoit fur- tout à l'intérêt qu'on prenoit à
lui , c'étoit l'exécration dont on étoit rempli
pour un certain Lutterloh , fon dénonciateur.
Je ne fais fi on a jamais vu d'exemple .
d'une infamie auffi effrontée. En préfence de
la Juftice & du Public , cet homme , raffuré
par l'impunité que la loi accordoit à fa délation
, a fait lui - même , fans aucune néceffité
, toute l'hiftoire de fa vie. On conçoit
que des Criminels , nés pour les crimes atroces
, ayent ofé s'en faire gloire ; mais tous
les crimes de celui - ci n'étoient diftingués
18 MERCURE
que par l'excès de la lâcheté & de la baffeffe.
Qu'on le figure un homme qui dit , en face
de la nation Angloife : j'ai été long- temps
Efpion pour le compte de ce Gentilhomme ,
qui eft maintenant votre prifonnier ; je n'ai
point à me plaindre de lui ; je fuis riche
maintenant de tout ce qu'il m'a fait gagner ;
mais c'est pour cela même que je le trahis . II
y a trop de rifque dans le métier que je fais ,
j'eu fuis las ; mais pour le finir avec sûreté ,
je vous livre les preuves de ma complicité
avec cet homme. Il payera pour moi , je
jouirai pour lui , & c'eft une nouvelle obligation
que je lui aurai. Il me hait comme un
traître , vous me regardez tous comme un
infâme , mais cela ne me fait rien du tout .
J'ai de l'argent maintenant , & je m'en vais
dans mon pays mener une vie douce & tranquille.
Voilà le précis de la dépofition de
ce Lutterloh .
Mes Lecteurs éprouvent fans doute , ainfi
que moi , le befoin de fecouer l'impreffion
d'horreur que de pareils objets laiffent dans
l'âme ; cette hiftoire offre heureuſement des
hommes qui font pleurer fur leurs vertus
comme fur leurs malheurs..
Parmi les Héros infortunés de cette hif
toire , on s'arrête avec intérêt fur le Comte
de Sarno. Il s'étoit élevé à des richeffes immenfes
& à une grande puiffance fous Ferdinand
Ier , Roi de Naples , & dans un temps
où les Italiens eux-mêmes ne connoiffoient
encore ni l'art de la finance ni le commerce.
DE FRANCE. 19
Victime de fon induftrie , comme Jacques
Coeur le fut en France , on lui fit fon procès
, & il fut condamné à la mort. Il y a
quelque chofe de bien noble & de bien touchant
dans les dernières paroles qu'il adreffa
à fes enfans , qu'il obtint de voir avant fon
heure dernière .
"9
99
ود
"
G
Ne penfez plus à ce que vous deviez
» être ces jours paffés , proches parens du
» Roi , & que demain vous ferez réduits
avec le commun , parce que vous aurez
plus de contentement d'honorer le Roi
» avec eux , que d'être honorés avec le Roi ;
Faites , je vous fupplie , que cette affliction
» foit un chemin pour vous conduire à la
magnanimité & à la vertu , non au défefpoir
& au mal , & qu'elle vous excite à
juftement acquérir ce qu'on vous ravit
» maintenant par injuftice. Faires que la
» crainte de Dieu , non des hommes , vous
» tienne non- feulement unis en vos adverfités
, mais en vos bonnes fortunes ; car fi
» vous faites autrement , il vous en arrivera
» comme à moi ; & afin que vous vous en
fouveniez , vous , Marc , prenez cette
chaîne , au lieu de la grande Seigneurie
» que vous attendiez de moi ; & vous ,
Philippe , qui étiez deftiné aux grandes
prélatures, prenez ce livre de prières , c'eft
» peu de chofes , à la vérité , pour l'efpé-
» rance que j'avois conçue pour votre avan-
» cement & pour ce que j'ai travaillé dans
le monde , mais affez pour un homme
39
و د
و ر
39
و د
20 MERCURE
3
qui a les bourreaux à fes côtés , & beau-
" coup pour la condition miférable où vous
» ferez réduits après ma mort. »
ور
و د
La mort de Strozzi préfente auffi de
grands caractères d'héroïfme. Après la mort
de Clément VII , il entreprit de chaffer de
Florence Alexandre de Médicis. Ne pouvant
pas le chaffer , lui & les autres Conjurés s'en
défirent par le meurtre. Mais Côme de Médicis
pourfuivit la vengeance de fon frère . Il
fit la guerre à la faction de Strozzi ; celui - ci
lui livra bataille , & fut réduit à fe retirer
dans un château , d'où il fut bientôt conduit
à la citadelle de Florence : " On l'y traita de
» la manière la plus barbare ; il fut appliqué
à la queftion , & on lui donna , en
trois fois , quinze fecoutfes fi violentes,
» que tous fes membres en furent difloqués.
» Strozzi fupporta ces tourmens affreux
» avec une fermeté & un fang- froid héroï-
» ques ; mais ( dit un Hiftorien ) s'apperce-
» vant que pour le lendemain on lui refer
» voit de nouvelles tortures , il réfolut de
» les prévenir & de mourir avec toute fa
gloire. Ayant vu dans fon cachot une épée
» qu'un des Soldats qui le gardoient avoit
» oubliée , il la prend , fe fert de la pointe
» pour graver fur le manteau de la cheminée
de fa prifon , ce fameux vers de Virgile
:
"
99
Exoriare aliquis noftris ex offibus ultor.
l'enfonce dans fon fein , & expire deux
DE FRANCE. 21
» heures après . On trouva à côté de lui un
» écrit de fa main , dont on va lire la tra-
" duction.
Au Dieu Libérateur.
» Pour n'être plus expofé à la rage de mes
» cruels ennemis , & de peur d'être forcé ,
» par la violence d'injuftes tourmens , de
» dire quelque chofe de préjudiciable à mon
"
honneur , ainfi qu'à mes parens & amis
» innocens , moi Philippe Strozzi , j'ai réfolude
m'ôter la vie de mes propres mains.
" Je recommande mon âme à Dieu , & je
le prie humblement , s'il refufe de lui
faire part de fa gloire , de lui accorder du
moins ce lieu où fe trouve Caton d'Uti-
» que & les autres hommes qui ont fait une
» fin pareille à la mienne.
و د
93
» Je prie Dom Jean de Lune , Comman-
» dant de cette citadelle , de faire un mets
» de mon fang pour l'envoyer au Cardinal
"
Cibo , afin qu'il fe raffafie , après ma mort,
» de ce dont il n'a pu fe raffalier pendant
» ma vie . Je prie auffi Dom Jean de Lune
» de faire enterrer mon corps dans Sainte-
» Marie- la- neuve , près de celui de ma fem-
» me. Au furplus , l'on m'enterrera où l'on
❞ voudra. "
L'écrit eft terminé par cette apoftrophe :
" Et toi , Empereur , je te prie , avec refpect
, de veiller avec plus de foin fur la
conduite des Florentins , & plus d'égards
que tu n'en as eu jufqu'ici aux intérêts de
و د
22
MERCURE
» leur patrie , fi ton deffein n'eft pas de la
» détruire . PHILIPPUS STROZZI . Jam jam
» moriturus. »
La haine de ces factions qui défolèrent
pendant tant de fiècles l'Italie , refpire d'une
manière terrible dans cette invitation à Dom
Jean de Lune , d'envoyer au Cardinal Cibo
un mets de fon fang , afin qu'il fe raffafiát
aprèsfa mort de ce dont il n'a pu fe raffafier
pendant fa vie.
Il est encore dans ce Recueil une autre
partie infiniment précieufe , & qui ajoute
beaucoup à l'utilité de l'Ouvrage , c'eft le
tableau des Loix & de la procédure criminelle
d'un grand nombre de Nations . Je ne
connois aucun Livre où l'on fe foit occupé
de cette importante recherche .
( Cet Article eft de M. de L. C. )
INSTRUCTION fur les Bois de Marine
& autres , contenant des détails relatifs
à la Phyfique & à l'analyse du chêne , à
l'arpentage des forêts , au toife & au
tranfport des bois ; des méthodes fimples
& peu difpendieufes fur les plantations &
l'amélioration des forêts , fuivies d'un apperçu
des bois & des confommations dans
le Royaume , des moyens d'augmenter
garder les forêts , & d'économiser la charpente
pour en procurer une plus grande
quantité à la Marine , avec un abrégé des
loixfur les Bois de Marine ; le tariffait
DE FRANCE. 23
à Breft en 1765 , qui indiqué la propertion
des bois de conftruction des Vaiffeaux du
Roi , & dix Planches gravées pour perfectionner
le fciage & le rendre avantageux
ainfi qu'en Hollande ; par M. Tellès d'Acotta
, Grand- Maître des Eaux & Forêts
de France , ancien Intendant de feu
Madame la Dauphine , & Seigneur de
l'Étang , Volume in- 12 . A Paris , chez la
Veuve Duchefne , Libraire , rue S. Jacques
, & Cloufier , Imprimeur-Libraire ,
rue de Sorbonne.
UN Ouvrage propre à donner des lumières
fur l'amélioration des bois , ne pou
voit arriver plus à propos que dans la circonftance
actuelle ; mais celui de M. Tellès
d'Acofta , au mérite de l'à propos joint l'avantage
d'une exécution qui ne laiffe rien à
defirer. Éclairé par de nombreuſes obfervations
& par une longue expérience , il vient ,
en les communiquant , d'acquérir des droits
à la reconnoiffance publique . On fent qu'un
pareil Ouvrage fe refufe à l'analyſe. Après
avoir tranfcrit le titre , qui explique au
moins la marche de l'Auteur , nous allons
défigner feulement quelques articles des plus
remarquables.
L'article 54 offre des moyens de planter
avec économie. Il réfulte qu'une plantation
de 344 toifes de fuperficie , qui forme l'arpent
du Roi , peut fe faire pour 45 livres . A
ce moyen d'économie l'Auteur en ajoute un
24: MERCURE
autre encore moins difpendieux , qui réduit
les frais d'un arpent à 15 ou 20 liv . L'Auteur,
dans les articles 5 & 6 , juftifie par des
exemples la vérité des réſultats économiques
qu'il vient d'indiquer.
L'article 57 prouve le parti qu'on peut
tirer de la plantation des bruyères , & expoſe
les moyens de la faire avec fuccès.
Tout le titre 6 eft employé à des obferva
tions très intéreffantes fur les furaies & les
taillis. L'Auteur y combat tous les fyftêmes
qu'on a publiés jufqu'aujourd'hui fur
ces objets.
L'article 63 démontre que les bois réglés
ou aménagés à trente ans lorfque le fol le
permet , augmentent le revenu de plus d'un
tiers.
L'exploitation du chêne fait l'objet du
titre 9. L'articleico de ce titre fait voir
les énormes bénéfices que font les Hollandoispar
un fciage particulier , fur les bois
qu'ils achètent en France.
Nous invitons fur - tout à lire le titre
15 , qui eft des plus intéreffans pour le
moment actuel ; il donne un apperçu des
forêts ; il traite des confommations en bois
de chauffage du Royaume & de Paris ; il détaille
les économies qu'on peut faire fur les
confummations ; il traite de ce qu'il eft important
de faire pour la garde & confervation
des bois , pour empêcher le dépériffement
de cet objet de première néceffité ; & de
l'économie à obferver dans les ufines , dont
la
DE FRANCE. 25
la confomination en bois eft exorbitante ,
fur-tout celle des plâtriers & chaufourniers,
qui ont brûlé en 1778 foixante- cinq mille
voies de bois , ce qui fait moitié de la confommation
de Paris.
Ce qui eft relatif aux bois à employer
pour la Marine, ſuppoſe auffi de grandes recherches
, de l'expérience , & préfente des
obfervations très- utiles.
Nous avons regret de ne pouvoir faire
connoître qu'auffi imparfaitement cet Ouvrage
, qui eft diftribué avec ordre & clarté ,
& écrit d'un ftyle qui convient au fujer.
Il a été préſenté au Roi par l'Auteur, le 12
Mai 1782. Voyez la Gazette de France du
24 Mai de la même année.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
IL y a eu Concert Spirituel le Mardi 25
Mars. On y entendu avec un nouveau
plaifir M. Ózi fur le baffon , M. Michel fur
la clarinette , & le Motet O Salutaris de
M. Goffec. On a donné des encouragemens
à M. Aldée , jeune Virtuofe , qui annonce
du talent pour le violon , & qui peut en acquérir
encore. Le fuccès de M. Valentin ,
Auteur d'un Hyerodrame , dont les paroles
font tirées de Samfon , n'a pas été fi heureux.
Nº. 14 , 5 Avril 1783.
1
B
2.6 MERCURE
On y a trouvé fouvent plus de bruit que
d'effet , plus de recherches que d'expreffron
, & fon ftyle n'a pas toujours paru très- >
pur. On prétend qu'il a en porte - feuille des
Ouvrages beaucoup meilleurs ; il faut donc
ne pas fe preffer de juger fon talent , mais
l'avertir d'être plus févère dans le choix de
fes effais.
L'objet le plus intéreſſant du Concert a
été , fans contredit , Mme Mara , dont le
fuccès a été plus brillant encore , s'il eft poffible
, que celui de l'année dernière. Il femble
que fa voix foit devenue encore plus
nette & plus facile dans la difficulté , plus
pure & plus touchante dans l'expreffion.
L'air de bravoure de M. Piccini , qu'elle a
chanté , a paru auffi d'un meilleur ftyle que
ceux qu'elle nous avoit fait entendre dans ce
genre , & le choix de musique eft beaucoup
plus important , fur- tout pour nous , que
les Chanteurs ne fe l'imaginent.On nous flatte
que Mme Mara & Mme Todi chanteront
toutes deux à ce Concert pendant la quinzaine
. Rien , fans doute , ne fera fi piquant
pour le Public que cette lutte de talent. On
s'attend à voir l'enthouſiaſme de leurs par
tifans mutuels, renouveler à leur fujet les dif
fenfions musicales ; les plus fages , peut être,
fe contenteront de jouir de ce que l'une &
l'autre ont de parfait, fans s'embarraffer d'une
préférence qu'il n'eft pas du tout néceſſaire
d'affigner. C'eft cet espoir d'avoir à revenir
fur Mme Mara , qui nous empêche d'en dire
DE FRANCE. 27
davantage. Au refte , on ne fauroit trop applaudir
au goût , à l'intelligence , au zèle de
M. Legros , qui ne néglige ni foins ni dépenfes
pour rendre ce Concert , d'année en année
, plus intéreffant & plus agréable au
Public .
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Lundi 17 Mars , on a repréſenté , pour
la première fois , le Corfaire , Comédie en
trois Actes & en vers , par M. de la Chabeaufière
, mufique de M. d'Aleyrac.
Florville étoit fur le point d'époufer Julie,
lorfque , devenu l'efclave du Corfaire Mahamet
, il a été conduit à Alger . La générofité
de Mahamet a fu adoucir l'esclavage de
Florville : mais les foins de l'amitié n'ont pu
lui faire oublier fon amour ; & Julie eft toujours
préfente à fa penfée. Une lettre de la
jeune Françoife apprend à Florville que ,
libre par la mort de fon tuteur , elle va le
rejoindre à Tunis , où elle le croit en efclavage
. Florville voudroit voler au devant d'elle ,
il defire la liberté. Mabamet la lui rend. Pour
prix de ce bienfait & de fon amitié , le
Cotfaire lui demande un fervice . Amoureux
d'une jeune efclave nommée Florentine , arrivée
dans fon férail depuis un mois , il defire
connoître quels moyens il faut employer
pour plaire à une Françoife. Florville les lui
indique; il fe charge même de parler au nom
Bij
28
MERCURE
2
de fon ami. Quelle douleur n'éprouve t'il
pas , lorfque dans Florentine il retrouve cette
même Julie , objet de toute fa tendreffe ! Il
diflimule avec peine ; mais la jalouſie de
Zima , amante de Mahamet , lui fait efpérer
qu'il peut encore être heureux . On le propofe
de tromper le Corfaire , de favorifer la
fuite de Julie & de Florville ; & c'eft Zima
elle- même qui fe charge de ce foin. Le moinent
du départ eft arrivé , Florville eft au
lieu du rendez- vous ; une lettre interceptée
par Mahamer a découvert tout le mystère ,
le François eft chargé de chaînes, Tandis que
par les ordres du Corfaire on conduit Florville
aux lieux où il eft deftiné à travailler
comme forçat ; Julie , accompagnée de Lifette
fa Suivante & de Narfit Gardien
du Sérail , eft conduite , par l'ordre de Zima ,
fur le bord de la mer. Elle y attend fon
ainant , dont elle ignore la deſtinée. D'un
autre côté , un Corfaire Africain , ennemi
& rival de Mahamet , qui lui a ravi Zima
enlève Florville à fon efcorte ; lui propofe de
partager les projets de vengeance ; rompt fes
fers , & lui donne des armes. Mais Florville
n'a feint de fe rendre aux voeux du Corfaire
que dans l'intention de fauver les jours de
Mahamet. En effet, au fignal convenu , Florville
s'élance , met les Africains en fuite. Ce
n'eft pas feulement à lui que Mahamet doit
la vie ; il la doit encore à Zima , qui , tou-
Jours tendre & fidelle , a connu les deffeins
formés contre fon amant , & a volé à
DE FRANCE. 29
fon fecours. Tant de généralité touche Mahamet
, il confent à l'union de Julie avec
Florville , & il épouſe Zima.
L'intrigue de cette Comédie eft très-compliquée
; on peut même affurer qu'à cet égard ,
elle mérite des reproches. Il y a long- temps
qu'on a rélégué dans les Romans tous ces évé- ,
nemens extraordinaires , qui , par un concours
incroyable de circonftances, fe réuniſſent tout .
exprès, d'abord pour féparer deux amans ;
enfuite pour les rapprocher l'un de l'autre à
cinq cens lieues de leur pays , après les avoir
placés fous l'autorité d'un defpote ordinai
rement amoureux & jaloux , & qui tient
leur fort entre les mains. Encore les Romansde
cette nature ne font- ils plus guères ektimés
, parce qu'ils font prefque toujours conduits
aux dépens de la vraifemblance ; parce.
que le coeur jouit peu , lorfque l'efprit le fatigue
à chercher les développemens d'une
intrigue trop embrouillée pour être facilement
fuivie. Si nous ne nous trompens
point , de quel il verra - t'on un Ouvrage
de Théâtre dont l'action fera établie fur une
baſe auffi uſée , & fi peu propre à l'intérêt ?
On jugera fon Auteur fur le parti qu'il aura
fu tirer d'un fujet mal choifi , ſur les détails
heureux qu'il aura femés dans fon Ouvrage,
fur le plus ou moins d'adreffe & d'intelligence
qui auront filé quelques Scènes ; &
s'il a fait preuve d'efprit , de goût & de talent
; on defirera qu'à l'avenir il choififfe des
fujets plus rapprochés de la vérité , plus in-,
Biij
30 MERCURE
téreffans par le fonds , & dans lefquels il fa
che attacher , non pas par une accumulation
d'incidens romanefques , mais par le jeu des
paffions , par le contrafte des caractères, enfin
par des moyens fufceptibles de parler à l'âme
comme à l'efprit , & qui puiffent_marcher
de front fans fe nuire. Les repréſentations
du Corfaire ont , fans doute , porté quelques
uns de nos Lecteurs à faire ces réflexions
, & c'est peut être ainfi qu'on a jugé le
nouvel Ouvrage de M. de la Chabeauflière.
Cet Ouvrage eft digne, en grande partie, de fon
fuccès ; néanmoins fi l'on examine de quelle
manière la fable en eft établie , filée & dénouée,
on y remarquera des defauts très ellentiels.
Comment Julie a t'elle été féparée de
Florville ? Comment , lorfqu'elle a été chercher
fon amant à Tunis , fe trouve t'elle à
Alger au pouvoir de Mahamet ? On peut le
fuppofer , mais l'Auteur auroit dû nous en
inftruire , pour rendre fon expofition claire
& complette. Qu'est ce que ce Corfaire qui
arrive au troiíème Acte pour délivrer Florville
? Comment a - t'il eu le temps de favoir
le malheur du jeune François , & celui de
féduire à prix d'or , l'efcorre qui le conduit ?
Quel intérêt le porte à venger Florville
qu'il ne connoît point ? Comment , fans le
connoître , lui confie t'il un fecret important
, & dont dépend fon bonheur ? Quelle
eft bizarre d'ailleurs la conduite de ce même
Florville ! Il abandonne la maîtreffe, inquiette
& défolée , pour voler au fecours d'un barDE
FRANCE.
31
bare qui la lui a ravie , qui vient de le con-
-damner lui-même à des travaux odieux ! L'Africain
, qui va combattre Mahamet , a des rai-
-fons pour le hair ; c'eft Zima , c'eft fon amante
que l'Algérien lui a enlevée & qu'il veut airacher
de les mains. Qui ofera le blâmer ? Ce
nedevroit pasêtre Florville, puifqu'il éprouve
Je mêmefort, & qu'il doit gémir fur une perte
femblable à celle de l'Africain . Néanmoins ,
d'eft Florville qui non feulement le blâme ,
mais qui abufe de fa confiance , qui oublie
-ce qu'il vient de lui devoir , & qui le facrifie
à l'homme dont il a tant à fe plaindre . Mahamet
fut fon ami , oui : mais quelle preuve
-de zèle & d'intérêt ce Mahamet a t'il donnée
à Florville, qui foit au- deffus du fervice que
vient de lui rendre l'Africain ? Tous les refforts
qui amènent ce dénouement , annoncent
un Autenr embarraffé de donner à fa
fable une fin fatisfaifante , & qui a immolé la
vraisemblance à la néceffité de fortir d'embarras.
Voilà où mène un mauvais choix.
Ces obfervations , que nous croyons trèsbien
fondées , ne nous empêcheront pas de
-donner à M. de la Chabeauffière tous les éloges
qu'il mérite. Du fonds de fon fajet il a fu
faire fortir de temps en temps des fituations
agréables, mais fur tout du comique. Les Scènes
entre Narfit & Lifetre , deux perfonnages
que nous n'avons qu'indiqués , font extrêmement
plaifantes ; elles annoncent du goût &
Ide la délicateffe. Le fecond Acte eft entièrement
bien fait , le noeud eft comique & bien
BAV
32 MERCURE
établi. Le caractère de Mahamet a de la gramdeur
& de la nobleffe. Quant aux deux amantes,
elles produifent peu d'effet, parce que leurs
caractères font fubordonnés à ceux du Corfaire
& de Florville . Le ftyle a de la facilité
de la grâce , de l'élégance. On a pû auffi remarquer
de la fraîcheur dans les idées, & une
foule de vers très- piquans , tant par le fonds
des penfées que par le cadre dans lequel ils
font placés. Nous avons parlé à M. de la
Chabeauffière avec une franchiſe proportionnée
à l'intérêt que fon talent infpire , &
nous nous flattons qu'il appercevra dans nos
obfervations , non le deffein de nuire à fon
fuccès , mais le defir d'être utile à un Écrivain
qui donne les plus heureufes , efpérances.
La mafique fait infiniment d'honneur à
M. d'Aleyrac , déjà connu à ce Théâtre par
Eclipfe Totale. De cette première compofition
à celle dont nous allons parler , il a
fait un pas immenfe. Son chant eft facile ,
agréable & expreffif. Ses duos , principalement
celui du fecond Acte , entre Narfit &
Lifette , ainfi qu'un autre du même Acte ,
entre Mahamet & Florville , font auffi parfaitement
compofés relativement aux convenances
dramatiques , qu'ils méritent d'eſtime
comme compofitions muficales. La marche
des finales eft rapide & théâtrale , &
le ftyle analogue aux fituations . Nous engagerons
feulement M. d'Aleyrac à moins
travailler fes accompagnemens , parce qu'il
eft rare qu'en les travaillant trop , on p'altère
DE FRANCE. 33
pas un peu l'effet du chant principal, & qu'on
ne fatigue pas l'oreille & l'attention du Spectateur.
Nous le prierons aufli d'être moins
complaifant pour certaines Cantatrices , qui
exigent des airs de bravoure dans l'unique intention
de faire briller leur gofier. Ces mor
ceaux rallentiffent la marche de l'action , &
nefauroient rien faire pour la réputation d'un
Muficien. Outre la difficulté de leur exécution,
difficulté qui réfulte prefque toujours de la
néceffité d'en porter fouvent les traits dans
les cordes aiguës de la voix , ils font ordinairementvuides
d'expreffion , & plus faits pour
le Concert que pour la Scène. Nous ne nous
fouvenons pas d'en avoir entendu exécuter
fur le Théâtre Italien fans avoir été tentés de
répéter ce mot que tout le monde connoît :
Sonate , que me veux tu?
VARIÉTÉ S.
RÉPONSE à la Lettre du Cultivateur
Américain adreffée à l'Auteur du Mercure
le 2 Février 1783 *.
·V。ous avez inféré , Monfieur , dans votre Journal
du 4 Janvier 1783 une Lettre d'un Cultivateur
Américain. On vous en annonce d'autres fur le
même fajet fi le Public prend intérêt à celle ci. Elle
fait de grands éloges de Walter Mifflin , Quaker , &
du Prédicant Antoine Benezet , qui fe croit infpiré
Voyez le Mercure du 4 Janvier 1783 .
B
34
MERCURE
par l'Efprit de l'Univers pour procurer la liberté à
tous les Efclaves noirs. Ce n'eft point en faveur des
fujets du Foi en France que de fi belles lumières
nous font communiquées Elles font fans doute une
invitation aux habitans des Colonies de fuivre ce.
grand exemple. Il n'y a point d'apparence que cette
infpiration de l'Efprit de l'Univers fouffle dans cette
partie des Domaines du Roi. Cependant , pour tran
quillifer les partifans de l'humanité, nous croyons
important de juftifier la poffeffion de cette efpèce
de biens en prouvant qu'elle eft légitime par les
loix du Chriftianifme , qu'elle n'eft point contraire
aux droits de la Raifon , ni même à ceux de la
Nature. Vous nous avez fait part des vûes de l'Amérique
Septentrionale fur la converfion de leurs freres
du Midi ; ainfi , Monfieur , nous nous flattons que
vous voudrez bien les raffurer par la même voie fur
I'ufage que nous faifons d'une propriété que nous
croyons juftenient acquife , pourvu que cet ufage
foit réglé par les vrais principes qui régiffent toutes
Sociétés .
Nous ne prétendons point condamner l'affranchiffement
fait par Walter Mifflin dans un feul
jour de tous fes Nègres. C'eft un acte d'humanité
qui mérite des éloges lorfque les circonftances l'autorifent
; mais nous difons que la Religion chrétienne
qui a éclairci , purifié les loix de la Nature
n'exigeant point un tel renoncement à la propriété ,
le fonge de quelques rêveurs Quakers ne fauroie
en impofer l'obligation . I ! y a eu des efclaves fous
la loi de nature , fous la loi écrite & fous la loi de
grâce Les Patriarches s'en fervoient pour la culture
de leurs terres & le fervice de leurs maifons ; ils
les traitoient avec bonté . Le Législateur des Hébreux
, au moins auffi fage & auffi éclairé fur les
loix de la Nature que ceux qui prétendent nous en
donner des leçons , a permis non-feulement l'efclaDE
FRA NICE. 35
vage des étrangers , mais même des Ifraélites entreeux.
Les Apôtres de Jéfus Chrift , & fur- tout Saint
Paul , dont la doctrine ne prêche que la douceur &
une charité ( infiniment fupérieure à l'humanité que
la mode exalte avec tant d'emphafe aujourd'hui ) en
inftruifant les Maîtres de l'exercice qu'ils doivent
faire de ces vertus , trace en même temps aux efclaves
les règles qu'ils ont à fuivre , en pratiquant
F'obéiffance & la fidélité dues à leurs Maîtres. Ces
Docteurs de la vraie fageffe vont plus loin. Ils
exhortent ces esclaves à demeurer en paix dans cer
état dont le joug paroît fi dur aux amateurs de l'indépendance
. Quoi donc ! ces grands hommes qui
étoient inſpirés non par l'Efprit de l'Univers , mais
par celui du Dieu qui l'a créé & qui le gouverne
ignoroient-ils l'étendue ou les bornes des loix de la
Nature ?
Bleffoient-ils davantage les droits de la raison en
autorifant l'affujétiffement d'un homme à un autre ?
Montefquieu ne le penfe pas , puifqu'en difant que:
les hommes naiffent égaux , & que l'esclavage eft
contre la Nature , il avoue en même- temps que la
fervitude eft fondée fur une raifon naturelle en certains
pays , & qu'il faut la borner à ces pays..
( Efprit des Loix , livre 15 , chap 7 & 8 , Tome II . )
Si la raifon naturelle l'adopte pour certains pays , la
fervitude n'eſt donc pas contre la Nature , ou ditesnous
, Meffieurs les Partifans des Quakers , pourquoi
les droits de la Raifon & ceux de la Nature font fi
fort difcordans ? Le Légiflatcur philofophe reconnoît
qué le droit des gens a voulu que les prifonniers
fuffent efclaves pour qu'on ne les tuât points que le
droit civil des Romains permettoit a un débiteur de
fe vendre pour fatisfaire fon eréancier quand il nic be
pouvoit autrement ( Idem. ) Il dit que ces raifons:
des Jurifconfultes ne font point fenfées , & cependant
il avoue que le droit de la guerre donne celui
B vj
36
MERCURE
de s'affurer tellement de la perfonne des captifs qu'ils
ne puiffent plus nuire. Mais fi le vainqueur ne pear
contenir dans l'ordre les vaincus à qui il a accordé
Ja vie autrement qu'en les rendant fes efclaves ,
quelle injuftice commet-il à leur égard lorfqu'il les
traite d'ailleurs avec bonté , juftice & charité? Y at-
il donc beaucoup d'hommes qui fe conduisent
par la droite raiſon en tout temps ? Et combien ont
befoin d'être contenus par l'autorité ? Qui timore
fubjicitur, frano timoris coërceri debet. Maxime
politique de Célar qu'on voudroit pouvoir déſavouer.
M. de Montefquieu dit qu'il n'eft pas
vrai qu'un homme puiffe fe vendre . ( Idem. ) Eh !
depais quand le droit naturel ne nous prefcrit- il
plus de préférer à tout autre bien , à la perte même
de la vie , tout moyen par lequel nous ne pourrions
la conferver fans expofer la vie d'un tiers ou fans
nuire à fes droits ? Si donc il ne nous refte que
celui de vendre notre liberté , il eft non - feulement
permis , mais nous devons nous en fervir fi nous
voulons accomplir toute juftice envers ce prochain
que nous devons aimer comme nous- mêmes . Aufli
le Légiflateur des Hébreux a-t-il voulu qu'un Ifraélite
put engager fa liberté naturelle lorsqu'il ne pouvoit
s'acquitter autrement qu'en mettant fa perfonne
fous la dépendance de fon créancier,
L'état de purc natzre fuivant leqnel nous entrons
libres en ce monde pouvoit- il avoir plus de faveur
pour exclure les loix de la juftice ? Pourquoi veut- on
prefcrire contre celles - ci auffi facrées que les premières
pour exalter une liberté qui devient imaginaire
dans cet autre état d'une fociété d'hommes néceffaire
entre- eux , & qui dérive de leur nature, on
plufieurs volontés contraires entre- elles manifeftent
qu'il y en a d'injuftes qui doivent être réprimées .
Tout animal naît libre auffi . Si vous n'avez pour
vous conduire d'autres règles que l'inſtinct des ani
DE FRANCE. 37
1
maux, qui vous donne le droit de les affujátir ?
feroit-ce celui de la force ? Tous les hommes naiffent
égaux , dit- on , donc l'efclavage eft contre la
Nature. D'après ce principe je dis auffi avec le
même fondement : toute diftinction dans l'ordre
civil eft contre la Nature. Tous les hommes naiffent
égaux. Cela eft vrai ; mais en deux manières feulement.
Ils naiffent égaux par la Nature , c'est-à - dire ,
qu'il n'y a aucune différence d'homme à homme
par les fimples qualités naturelles & perfonnelles qui
les rendent fupérieurs ou dépendans les uns des autres.
Ils naiffent encore égaux dans le beſoin des
créatures que Dieu a faites. pour l'homme , tous ayant
les mêmes befoins par leur naiffance ; mais la multitude
ne pouvant fe contenir dans ces deux fortes
d'égalités , Dieu a établi des fupériorités & dés
dépendances , telles que la puiffance des pères fur
leurs enfans , des Princes fur les Peuples , des Maitres
fur ceux qui leur font foumis, Cet Etre fi fage
l'a fait pour lier & contenir la multitude par ces
dépendances qui maintiennent chaque individu dans
l'ordre. Détruifez la fultordination , les relations
qui confervent cet ordre , & vous verrez bientôt la
Société fe diffoudre . Comment les fauteurs de
J'autre égalité chimérique pourroient-ils s'en accommoder
fi elle étoit réelle & pratique , eux qui
trouvent tant de goût à le faire fervir & à dominer
fur les autres ? Les loix du chriftianiſme tendent à
refferrer les liens qui uniffent les différens états , &
celles de la Nature qu'on nous préconife fi fort aujourd'hui
en les portant au-delà de leurs bornes rai
fonnables tendent à les rompre dans toutes les conditions.
Le Législateur fi profond des Princes avoue
que la Religion Chrétienne a ramené l'âge d'or de
"Saturne, où il n'y avoit ni Maîtres ni efclaves.
( Efprit des Loix , livre 15 , chap. 8 , Tome II . ) II
reconnoît donc la fageffe de cette légiflation qui a
23 MERCURE
fi bien réglé l'ordre politique , ainfi que l'ufage des
chofes naturelles , & cependant ce code facré a autorifé
la fervitude en infpirant aux efclaves une foumiffion
qui les coutient dans l'obéillance . Interprê
tez donc , Meffieurs les Quakers , qui vous appelez
les amis de l'humanité , les loix de cette divine philofophie,
de la manière que vous devez les entendre ;
& fans vous réduire à l'état de pure nature avec vos
efclaves & les animaux , vous affurerez leur bonheur
& le vôtre lorfque vous les gouvernerez avec juf
tice , boné & fermeté. Je prouve cette affertion par
la réponfe même du Nègre Jacques à Walter Mif-
Ain. eft un efelave , & it refufe la liberté que lui
offfe fon Mattre en lui difant qu'il ne peut être heudeux
qu'avec lui en fanté & en maladie , & qu'il ne
veut point le quitter. Le bonheur en lui-même eft
donc indépendant de l'état de vie ; ainfi c'eft contre
l'abus du pouvoir qu'Antoine Benezet & fes partifans
doivent fe livrer à l'enthoufiafime , & non pas
contre le pouvoir même Si cet homme eft fimple &
doux comme on le dit , on fait bien auffi de conve→
nir qu'il n'a ni l'énergie de S. Paul , ni le feu de
S. Auguftin , ni la fcience de S. Thomas , & que
Tinfpiration de l'Efprit de l'Univers ne provenoit
que de fon cerveau échauffé ,
3.
C'eft cependant d'un tel Prédicant qu'on nous
offre encore des morceaux de doctrine. Non
Meffieurs , gardez- les pour les Quakers de la Penfylvanie
: quant à nous , nous fuivrons celle de ceax
que Dieu nous a donné pour Docteurs dans la
fcience des macurs , & qui nous prêchent une fubordination
légitime qui affure la paix des Koyaumes.
Exhortez plutôt les habitans du Nouveau - Monde
à ne point s'écarter de leur enfeignement en nous.
difant que les injuftices , les cruautés que nous exerçons
envers nos efclaves dans les Colonies font autant
d'outrages faits à l'humanité , aux loix civiles &
DE FRANCE. ༣༡
à celles de la religion . Faites-nous bien comprendre
que
le Maître ne doit pas fe rendre plus dur que la
fervitude , qu'autrement il fe fufcite à lui- même des
vengeurs qui naiffent des cendres du bûcher que fa
barbarie fait fi fréquemmest allumer. Dites à ces.
Maîtres homicides & barbares quand ils croient
être juftes que le droit de vie & de mort n'a point
été mis entre leurs mains par le Prince doux & clément
qui nous gouverne ; que l'exercice de cette
portion de fa puillance a été confié aux Magiftrats.
qui en font les feuls dépofitaires. Dites à ceux- ci
qu'ils doivent l'employer pour rendre également
juftice à tous en ne laiffant point fans châtiment le
crime des efclaves qui attentent à la vie de leurs
femblables par le poifon aujourd'hui fi répandu , &
en puniffant févèrement les Maîtres qui abufent de
leur autorité avec une impunité qui multiplie les
défordres de ce genre au point de nous en faire
craindre les fuites . Faites-nous fouvenir qu'il eft important
que la Légiflation réprime enfin dans nos
Colonies ces excès qui révoltent les efprits fans les
foumettre , & qu'elle donne en même- temps à nos
procédures criminelles contre les empoisonnemens, en
abrégeant fes délais , une exécution plus facite , plus
prompte & plus conforme à fes vûes . Mais les fujets
du Roi qui les habitent prient fire Antoine Benezet
& fes partifans de les difpenfer des documens qu'ils
nous promettent encore fur cette matière. Quoiqu'elle
foit traitée ici par des hommes libres , les c
claves en faififient avidement les principes favarables
à leurs goûts , & les font ailément adopter par
leurs femblables . En cherchant à les rapprocher de
nous par une égalité que les loix & la raison réprouvent
comme contraire à l'ordre politique & civil,
on leur met en main des armes propres ales porter à
la révolte & à l'indépendance de route autorité.
Jufqu'à ce qu'il plaife au fouverain, Modérateur de
40 MERCURE
"
l'Univers d'établir un régime différent de celui qui
a été fuivi par toutes les Nations , même les plus
policées , par les Législateurs les plus éclairés , par les
Philofophes les plus fagés , tels que Platon & Ariſtote
, par les Jurifconfultes les plus habiles dans tous
les fiècles qui nous ont précédés ; & fi je parlois à des
Chrétiens , je dirois par les plus beaux génies qui
ont éclairé l'Églife & le monde entier. Contentonsnous
de reconnoître avec le nouveau Législateur
des Princes que les raifons humaines font toujours
fubordonnées à cette caufe fuprême qui fait tout ce
qu'elle veut , fe fert de tout ce qu'elle veut , ક
comme elle le veut. ( Efprit des Loix , livre 16 ,
chap. 2 , Tome II. ) J'adore donc dans le filence
Les jugemens. Je me tais , & j'implore fa miféricorde
auffi incompréhensible que la juſtice qui
nous révolte contre lui.
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
Votre très-humble & obéiffant
Serviteur , C....
ANNONCES ET NOTICES.
PANOFLIE , ANOPLIE, Ouvrage dédié à S. A. S. Mgr. le
Prince de Condé, par M. Carré de Malberg , &
propofé par foufcription . Il préfente la Collection
complette d'armures de l'homme & du cheval , &
de tout le défenfif, mailles , écailles , boucliers , &c .
de Toffenfif, armes de pointe , de taille , avec
l'hiftorique de la progreffion des armes employées
par les premiers Francs jufqu'à nous .
On fent que cet Ouvrage ne peut être le fruit
que
de longues & pénibles recherches & de fcrupuleux
examens ; & quoique négligées jufqu'à ce jour , les
DE FRANCE. 4L
matières qui y font traitées , les deffins qui y font
préfentés , paroiffent très-néceffaires aux jeunes Militaires
, & les conduifent naturellement à la fcience de
la Tactique. Ces détails formant un Volume infolio
, beau caractère & beau papier Nom de Jéfus ,
font foutenus par des traits hiftoriques , égayés par
des Vignettes , & fuivis de quarante- deux très - grands
Deffins libres & en manière de lavis. Une Table
fort étendue , ou plutôt un Vocabulaire explique les
termes relatifs aux Armes. On fouferit dès ce moment
à Paris , chez M. Gérard de Meley , Procureur
au Parlement , rue de Sorbonne ; & à Varennes en
Argonne , chez l'Auteur , en confignant 48 livres ;
& pour retirer l'Exemplaire , on paiera 72 livres ,
avec l'attention d'affranchir les lettres & l'argent. La
date de l'engagement fixera pour chacun le rang
des épreuves. La foulcription , portée jufqu'à deux
cent , fera fermée , & le prix de l'Ouvrage deviendra
alors de 200 livres . Les Perfonnes qui defireroient
connoître le genre des Deffinis, peuvent en voir dèsà
préfent les épreuves chez le premier Soufcripteur
M. Dupré de Ballay, Docteur - Régent de la Faculté
de Médecine de Paris , rue d'Enfer , fur le Luxembourg.
Arts Hiftorique , ou Collection de Tableaux
formant la chaîne des grands événemens qui ont
caractérisé chaque fiècle , deffinés par les plus grands.
Maîtres de l'Académie , & gravés par les meilleurs
Artiftes , avec plufieurs Planches coloriées , & des
Tablettes hiftoriques & politiques fur tous les Peuples
du monde dédié au Roi , par M. Philippe
Serena.
?
L'Auteur de cette grande entrepriſe étant prêt à
délivrer les deux Planches & les deux Cahiers des
Tablettes hiftoriques , s'eft apperçu qu'on regrettoit
que le premier Deffin ne fût pas de M. Lebarbier.
42 MERCURE
Le defir de ne laiffer rien à defirer à fes Soufcripteurs
, l'a engagé à faire un nouveau facrifice . Il
a fait arrêter l'impreffion de la première Planche ,
a donné à M. Lebarbier le Programme d'un nouveau
Deffin de la Création , & a choifi pour la
gravure de ce Deffin M. Janinet , dont la réputation
pour ce genre de Gravure eft faite depuis
longtemps. Ainfi la Livraifon des premiers
Tableaux eft différée de deux mois ; mais comme
Jes Artiftes ont déjà leur travail avancé , certe Livraifon,
qui ne devoit être compofée que de deux
grands Tableaux , le fera de quatre ; favoir , la
Création & la Mort d'Abel , pour l'Hiftoire patriarchale
; la Fondation de Rome & le Combat des
Horaces & des Curiaces , pour l'Hiftoire politique.
On délivré maintenant les deux premiers Caliers
des Tablettes hiftoriques à MM. les Soufcripteurs ,
& les deux autres feront délivrés avec les Épreuves
des quatre Tableaux . Les Livraifons fuivantes fe
fuccéderont fans interruption , ainfi qu'il eft an
noncé dans le Profpectus , de trois en trois mois.
On fouferit à Paris , chez l'Auteur , rue Mêlée ,
n° . 57 , & M. Trone , rue Neuve S. Pierre a
Marais.
INSTRUCTION concernant les femmes enceintes ,
celles qui font accouchées , & de la manière d'élever
les petits enfans, avec les moyens d'éviter l'abus &
les préjugés funeftes qui les font périr trop ordinairement,
Mémoire couronné ; par M. S **** , de plafieurs
Académies , petir in -8 ° . de 99 pages . Prix ,
1 livre 4 fols. A Strasbourg , chez les frères Gay,
Libraires ; & à Paris , chez Méquignon , Libraire ,
rue des Cordeliers .
Il faut convenir avec l'Auteur de ce Mémoire que
lorfqu'on, jette un coup- d'oeil fur les progrès de l'efprit
humain , on est étouné de voir que relativement
DE FRANCE
43
à'plufieurs chofes de feconde utilité , & difficiles en
elles mêmes , il ait comme franchi les bornes qui
fembleient lui être prefcrites , tandis qu'il a négligé
beaucoup d'objets de néceffité première , &
Pune exécution facile . En effet , nous avons pénétré
tous les fecrets de la Nature pour des chofes qui
femblent n'intéreffer que notre curiofité , & nous
n'en fommes pas aux élémens de la fcience phyfique
de l'homme M. S **** a voulu au moins s'élever
contre les abus introduits dans la manière de gouverner
les femmes enceintes , abus pernicieux à
leur fanté , aux accouchemens , & par conféquent
nuifible à l'humanité entière . La couronne qu'il a
obtenue à l'Académie Royale des Sciences de Nancy,
& le fuffrage de l'Académie Royale de Chirurgie ,
imprimé à la tête de l'Ouvrage , font la preuve & la
récompenfe de fon fuccès.
VOYAGE de Sicile , par M. Houel , Peintre du
Roi. Cette fixième Livraison répond pour l'exactitude
& l'intérêt à tout ce qui a précédé. Elle commence
par une vue de la fingulière maison du
Prince Palagonia , fuivie d'une vie intérieure du
château de la Liza , vieux château farrazin aux environs
de Palerme; de là paffant à Cine il décrit
refpèce de frêne qui y croît , & qui donne la
manne. Après la defeription en deux Planches des
objets les plus intéreffans du Muséum de l'Abbaye
de S Martin près de Palerme , il termine cet intéreffant
Chapitre par deux autres , Planches qui repréfentent
les Antiquités de Monréale.
Le Chapitre feptième qui doit paroître inceffamment
traitera feulement des Antiquités de Palerme ,
des chofes curieufes que cette Ville renferme , de
quelques - uns de fes ufages, & il fera terminé par la
célèbre Fête de Sainte Rofalie. Dans les Livraiſons
qui fuivront immédiatement celles - ci , M. Houel
4+
MERCURE.
;
donnera les defcriptions des villes de Melazzo , de
Meffine , de l'Iflé de Lipari , de toute cette côte du
côté du Nord qui vient d'être bouleversée par le
plus terrible des tremblemens de terre. Il parlera de
ces Villes telles qu'il les a vûes , telles qu'elles étoient
avant cet accident. Les détails qui en arrivent fucceffivement
ôtent jufqu'à l'efpérance d'y retrouver
des débris importans , les flammes ont dévoré ce
que la terre n'a point englouti . Toutes les Antiquités
que M. Houel y avoit trouvées , & qui avoient
échappé à d'autres tremblemens de terre , à d'autres
incendies , aux ravages de la guerre , à la main def
tructive du temps , ont péri dans ce dernier déſaſtre
il n'en refte plus rien que le fouvenir & les images
que M. Houel en a tracées , & qui font encore , dans
fon porte- feuille . Ce Voyage , qui fembloit n'être
qu'un objet de curiofité , & n'avoir d'utilité que pour
les Arts , devient par cet horrible malheur un monument
hiftorique qui atteftera à la Poftérité Fexiftence
des Villes & des Monumens qui viennent de
périr. Ce qui augmente encore l'intérêt & l'utilité de
cet Ouvrage , c'eft que de tous les Voyageurs modernes
M. Houel eft le feul qui ait vifité cette côte
du nord de la Sicile , & qui foit defcendu dans l'Ifle
de Lipari . Il avoit trouvé dans cette Ifle beaucoup
de chofes curieufes en différens genres ; il les avoir
recueillies ; ainfi fon Ouvrage offrira des objets que
perfonne n'a fait connoître jufqu'à préfent , & qu'aucun
autre ne pourra repréfenter à l'avenir.
HISTOIRE de la Révolution des fept Provinces-
Unies des Pays - Bas , par M. Hilliard d'Auberteuil
, 3 Vol. in - 8°. d'environ 400 pages. Il y aura
une Édition in-4°. papier fuperfin.
M. Hilliard d'Auberteuil , qui propofe cette Hiftoire
par foufcription , eft déjà connu par un Ou
vrage fur l'Amérique feptentrionale , qui a obten
DE FRANCE.
45
le fuffrage du Public. Le prix des trois Volumes in-
8. fera de 15 livres pour les Soufcripteurs. Il n'en
fera tiré que mille Exemplaires. On paiera 9 livres
en foufcrivant , & 6 liv. en retirant l'Ouvrage. Il y
aura une Carte générale des fept Provinces , fept
autres pour chaque Province en particulier , & un
Frontifpice gravé d'après le deffin de M. Moreau le
jeune . L'Ouvrage paroîtra dès qu'il y aura cinq: cent
Soufcripteurs. Il fera tiré deux cent Exemplaires in-
4.fur du papier pareil à celui de l'Édition in -4° .
des Effais biftoriques fur les Anglo-Américains . Le
prix fera de 30 livres pour les Soufcripteurs, A l'égard
de ceux qui n'auront pas foufcrit , le prix fera
de 18 liv. pour les trois Volumes in - 8 ° . , & de 36
liv. pour l'in-4°. Il fera délivré à chaque Soufcripteur
une Reconnoiffance fignée de l'Auteur. On
foufcrit à Paris , chez l'Auteur , rue des Foffés-
Montmartre , N °. 35.
DOLBREUSE, ou l'Homme du fiecle ramené à la
vérité par le fentiment & par la raifon , Hiftoire
philofophique , par M. Loifel de Tréogate. A Paris ,
chez Belin , Libraire , rue S. Jacques , près Saint
Yves.
Ce Roman refpire la morale la plus faine & la
plus touchante. L'intérêt du ftyle ajoute à celui des
fituations. Nous en donnerons une analyſe détaillée
dans les articles Littéraires .
BIBLIOTHEQUE Orientale , ou Dictionnaire
Univerfel , contenant tout ce qui fait connoître les
Peuples de l'Orient , leurs hiftoires & traditions
tant fabuleufes que véritables , leurs religions & leurs
fectes, leurs gouvernemens , loix politiques , moeurs,
coutumes, & les révolutions de leurs Empires , & c . ;
par M. d'Herbelot, nouvelle Édition , réduite &
augmentée par M. D.... , Membre de plufieurs
45
MERCURE
Académies , 6 Vol. in - 8 ° . Prix , 24 liv . brochés , &
30 liv . reliés. A Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libr. de la Reine , rue des Mathurins , hôtel de Cluny.
Cette Bibliothèque & fon favant Auteur font
depuis long - temps connus & appréciés. Il eft à préfumer
que le Public accueillera cette nouvelle Édition
, qui doit être diftinguée de celles qui ont para
jufqu'aujourd'hui . Elle a deux avantages particuliers
; l'Éditeur l'a purgée de plufieurs détails qui
font devenus abfolument inutiles , & il l'a enrichie
de plufieurs articles puifés dans des Ouvrages plus
modernes.
Six. Quatuors dialogués pour deux Violons ,
Alto & Baffe , par M. Chartrain , Prix , 9 livres. Cet
Quvre XV eft gravé par Mile Michaud , & fe
vend à Paris , chez M. Michaud , rue des Mauvais-
Garçons , près celle de Buffy , chez l'Herborifte,
Fauxbourg Saint- Germain , & aux Adrefles ordinaires
de Mufique On y trouve auffi première Symphonie
concertante à deux violons & violoncelle
obligés , ou quinte obligée au défaut de violoncelle ,
deux viclons ripiano , deux alto & baſſe , deux hautbois
& deux cors de Chriftiano Stompff. Prix, 4 1. 4f
HISTOIRE Politique de l'Allemagne & des États
circonvoifins , dépendances anciennes ou actuelles de
l'Empire ,Spar M. le Vicomte de la Maillardière , de
plufieurs Académies . Cet Ouvrage , qui fe vendoit
chez la Veuve Duchefne & Valade , fe trouve aujourd'hui
chez Jombert, rue Dauphine , & Cellot , rue
des grands Augufties , à qui il refte encore des exemplaires
des Traités , 2 Vol. in - 12. Prix , 1 liv. 10 f.
broché , & 2 liv. relić.
L'HISTOIRE de l'Art de Winkelmann , traduit
par M. Huber. 3 Vol. in-4° . belle Édition , avec
DE FRANCE. 47 .
beaucoup de Gravures. A Paris , chez Belin , Libraire,
rue S. Jacques , près . S. Yves , qui , ayant acheté le
refte de l'Édition , peut la donner à 30 liv. brochée ,
au lieu de 48 qu'elle fe vendoit précédemment.
NOUVEAU Plan de Verfailles , par M. Contant'
de la Motte , Ingénieur- Géographe au Département
de la Guerré , attaché au Bureau des Fortifications ,
gravé par Croifey. A Verfailles , chez Blaizot , Libraire
, rue Satory & à Paris , chez Fortin & de
Lamarche , Géographes , rue de la Harpc.

Ce Plan nous a paru exact & bien gravé.
VUE de l'Abbaye du Paraclet , dont Abeilard
fut Fondateur , & Héloïfe première Abbeffe , peint ,
d'après nature , par Bruandot , & gravé par Piquenot.
Prix , 1 liv, 10 fols . A Paris , chez l'Auteur ,
rue de l'Obfervance , en face des Cordeliers.
-
On
trouve à la même adrefle , Vue de la maison qu'a.
occupée Calvin au Hameau d'Enfer , Paroiffe de
Vuie ou Joli , Village dans le Vexin François , proche
de Pontoife . Cette Eftampe fait pendant à l'Oratoire
d'Abeilard Prix , 16 fols On trouve encore à la
même adrefle , les Chaffes- Marées , gravés d'après
le tableau original de Lantara. Prix , 16 fols. Cette
Eftampe fait pendant à la Nappe d'Ecu, peinte par
Lantara .
VIE de Sainte Claire , première Religieufe du.
Second Ordre , inftitué par S. François d'Affife , &
première Abbeffe du Couvent de S. Damien , par le
P. Prudent de Faucogney , Religieux Capucin , &
Maître des Novices du Comté de Bourgogne. A
Paris , chez P. G. Simon , Imprimeur du Parlement ,
rue Mignot S. André des Arcs , & chez Guillot , Libraire
de MONSIEUR , Frère du Roi , rue de la
Harpe. Vol. in- 12.
48
MERCURE
Cet Ouvragé édifiant a été demandé à l'Auteur
par les Religieufes Clariffes de la Communauté de
Befançon. On y trouve cette fage difcuffion qui convient
à tous les genres d'Hiftoire , & cette piété
éclairée qui s'éloignetoujours d'une crédulité aveugle.
De l'Influence des affections de l'âme dans les
Maladies Nerveufes des Femmes , avec le traitement
qui convient à ces Maladies , par M. de Beaucheſne ,
Docteur en Médecine de l'Univerfité de Montpellier ,
& Médecin de MONSIEUR , Frère du Roi . Nouvelle
Édition , revac & augmentée du Traitement des
maux de Nerfs des Femmes enceintes . A Amſterdam,
& fe trouve à Paris , chez Méquignon l'aîné , Libraire
, rue des Cordeliers , în- 8 °.
Nous avons rendu compte de cet Ouvrage eftimable
lors de la première Édition. L'Auteur a fu
l'améliorer encore par des corrections ; & l'augmentation
que le titre annonce ne peut qu'y ajouter un
nouveau prix.
Voyez, pour les Annonces des Livres, de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture,
TABL E.
CEYX&Alcyone , Fable , 3 rine & autres
Enigme & Logogryphe , 10 Concert Spirituel ,
Supplément àl'Efai fur l'Hif- Comédie Italienne ,
22
25
27
toire Générale des Tri- Réponse à la Lettre du Culti-
Fbunaux des Peuples , 12 vateur Américain ,
Inftructionfur les Bois de Ma- Annonces & Notices ,
J
APPROBATION.
33
40
A lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , let
Mercure de France , pour le Samedi , Avril . Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en einpêcher l'impreffion. A Paris ,
le 4 Avril 1783. GUIDI.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 12 AVRIL 1783 .
" PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
QUATRAIN
A.M. le Comte D'ESTAING.
DE tes Aïeux , célèbres dans l'Hiftoire ,
Tu foutiens dignement la gloire & les hauts faits ;
Ton nom feul , ô d'Estaing , vaut plus qu'une victoire :
Tu parois , & foudain l'on demande la paix.
( Par M. Pigault de Beymont , Officier
au Bataillon Provincial de Flandre. )
´Nº . 15 , 12 Avril 1733, C
so MERCURE
AIR de la Nouvelle Omphale.
Je ris d'une Bel le Qui brave”
l'A- mour ; L'A-mour , à fon tour , Sou-

met la re - belle
Sous fon é-tendard
; Ce Dieu la
rap -
pel- le ,
E la plus cruelle , & la plus
cru el le ai me un jour plus - ·
་ ་ ་ ་ tard , aime un jour plus tard ,
ai-me un
jour plus tard ,
ai-me un
DE FRANCE
st
jour plus tard. Je ris d'u- ne
Bel le Qui bra ve l'A- mour ; L'A- ·
mour , fon tour , Sou-met la rebel-
le Sous foné- ten é- ten ·
dard ; dard; Ce
Dieu la rap- pelle , Et la plus
cru -
el- le , & la plus cru- el- le ,
& la plus cru- el -le
Ai- me un jour
plus tard , ai - me un jour plus tard ,
Cij
52
MERCURE

a'me un jour plus tard , ai-me un jour
plus tard , aime un jour plus tard.
(Paroles de M. ** , mufique de M. Floquet. )
SUITE de la Fable de Ceyx & Alcyone.
Mais la fille d'Éole , ignorant ces malheurs ,
ÁIS
Par l'espoir du retour amuſe fes douleurs ;
Dans fes plus courts inftans la plus courte journée
Pour les rapides voeux eft une longue année..
Sa main , par les travaux abrégeant , les momens ,
Hate pour fon époux de riches vêtemens.
Déjà dans ſon ivreffe elle ordonne une fêre ,
Et cependant pour elle un deuil affreux s'apprête.
Chaque jour elle offroit dans les temples des Dieux,
D'un cocens allumé le don religieux.
Chaque jour à Junon la ferveur de fon zèle
Redemande Ceyx , & vivant & fidèle
Hélas ! des voeux qu'au ciel elle alloit adreffer ,
Le dernier eft le feul qu'il pouvoit exaucer.
MAIS Junon , que fatigue une longue prière ,
Pour les jours d'un époux privé de la lumière,
Youlant de fon autel écarter des préfens
Deftinés aux tombeaux des mânes gémiſſans ,
DE FRANCE. 53
.
Soudain, appelle Iris : Écoute , lui dit elle ,
Pars , de mes volontés interprète fidelle :
Vas trouver le Sommeil dans fon antre écarté :
Dis- lui , que de Ceyx privé de la clarté,
Un fonge à fon époufe offre la trifte image ,
Et retrace à fes l'horreur de fon naufrage yeux
Soudain d'un vol agile , Iris aux aîles d'or
Vers le parvis du Dieu dirige fon effor.
PRÈS des Cimmeriens , aux limites du monde ,
Sous les flancs caverneux d'une roche profonde,
Repoſe le Sommeil au fond d'un antre frais ,
De ce Dieu nonchalant folitaire palais.
D'une antique forêt l'abfcurité paisible
En ombrage l'entrée , au jour inacceffible.
Une fombre clarté , crépuscule douteus ,
N'éclaire qu'à demi ce féjour nébulzuz .
Là jamais des oifeaux la troupe matinale
N'éveille par fes chants l'amante de Céphale.
L'aquilon de ces leur refpectant le repos ,
Nofe du moindre fouffle agiter les rameaux.
Un calme univerfel habite au loin la plaine;
Un reiffeau du Lethé ferpente fur l'arène ,
Er gliffant doucement fur un lit fabloncus ,
Endort au bruit naiffant de fes flots pareffcum.
De pavots odorans une moiffon féconde
S'élève autour de l'antre , & fe penche fur l'onde.
La nuit va les cueillir , & répand dans les airs
Leur baume affoupiffant , charme de l'univers.
C iij
54
MERCURE
Au feuil de ce Palais , aucun garde ne veille,
Là , nuls verroux bruyans ne font frémir l'oreille ;
Mais au fond de la grotte , en un lieu retiré ,
A l'ombre d'un vieux dais , de rideaux entouré ,
S'élève un lit d'ébène , où fur la plume oifeuſe ,
Endormi dans les bras d'une molleffe heureuſe ,
Ce Dieu filencieux , couronné de pavots ,
Savoure les douceurs d'un éternel repos.
Enfans , tout à-la- fois , & pères des menfonges
En foule , autour de lui voltigent mille fonges ,
Peuple nombreux , égal aux feuilles des forêts ,
Aux fables du rivage , aux épics des guérets.
IRIS , des fonges vains errans fous le portique ,
Écarte de fes mains la troupe fantaftique :
Elle entre ; & tout-à-coup le feu de fes rubis
Éclaire d'un jour pur l'ombre de ces lambris.
Le Sommeil ébloui d'un rayon de lumière ,
N'entr'ouvre qu'à demi fa pefante paupière.
Trois fois il fe relève , & retombe ſoudain
Et fon menton trois fois redefcend fur fon fein.
Appuyé fur un bras , & la tête penchée ,
Une main fur fon lit négligemment couchée ,
Ouvrant enfin un oeil immobile & furpris
Il s'arrache à foi-même , & reconncît Iris.
1
;
SOMMEIL , Dieu bienfaiſant , dont la pure ambroifie
Rend plus douce aux humains la coupe de la vie ,
Toi qui des fens flétris ranimant la langueur , mana
DE FRANCE. 55
Aux organes vaincus redonnes lear vigueur ;
Puiffant Dieu du repos , fais qu'un fonge finiftre ,
Des noirs preffentimens ordinaire Miniftre ,
Offre aux yeux d'Alcyone & l'ombre & les malheurs
D'un époux qui n'attend qu'une tombe & des pleurs.
Voilà , lui dit Iris , ce que je te demande ,
Ce que le Ciel permet , ce que Junon cominande .
IRIS , qui fent déjà l'effet afſoupiſſant
Des vapeurs qu'en ces lieux exhale un air pefaut,
Sort , & développant fon aîle radieuſe ,
Retrace dans les airs fa route lumineufe.
PARMI l'effaim léger de fes nombreux fujets , i
Le Dieu choifit Morphée. Aucun autre jamais
Ne fut mieux d'un mortel emprunter le vifage ,
Sa démarche , fa voix , & même ſon langage,
Un autre imite micux le cri des animaux ,
Les replis du ferpent , la plume des oifeaux.
D'un autre fonge enfin la magique impoſture,
Des corps inanimés fait prendre la figure :
Tous trois égaux entre eux dans leurs divers emplois ,
Volent également fous le rideau des Rois .
Mais des fonges rians la troupe fubalterne ,
Sous le toît folitaire , au fond d'une caverne ,
Charme l'efprit du Sage , ou le coeur du Berger.
Le Sommeil , fans troubler ce peuple menfonger,
N'éveille que Morphée ; & c'eft lui qu'il deftine
A remplir de Junon la volonté divine.
Civ
SG MERCURE
Là , ce Dien fatigué , dans les bras dorepos,
Retombe , & fait gémir fa couche de pavots.
Morphée au même inftant , d'une aile taciturne ,
Fend les airs endormis dans un calme nocturne.
Au Palais d'Alcyone il arrive fans bruit.
Là ce fantôme ailé , noir enfant de la nuit ,
Dépouillant fa figure & fon plumage fombre ,
Prend les traits de Ceyx , ou plutôt de fon ombre.
Sa barbe femble humide , & l'eau de fes cheveux
Se mêle avec les pleurs qui coulent de les yeux.
Alcyone croit voir ce fpectre qui chancelle
S'avancer vers fon lit, & fe pencher fur eile.
CHERE époufe , dit-il d'une lugubre voix,
Hélas ! reconnois-tu l'époux que tu revois ?
Reconnois- tu Ceyx ? ... Ouvre les yeux : peut- être
Pâle, défiguré , tu pourras me connoître.
Mais non : tu ne vois plus que l'ombre d'un époux.
Tes voeux n'ont pu du Ciel adoucir le courroux.
C'en eft fait, & des Dieux la cruauté jaloufe
M'arrachent pour jamais la vie & mon épouse.
Non ne te promets plus le retour de Ceyx.
On ne repaffe point l'onde affreufe du Sty
Le trépas nous fépare un orage en furie
A brifé mon vaiffeau fur la mer d'Ionie ;
Infenfible à ton nom par ma bouche invoqué,
Quand ma voix te nommoit , l'onde m'a fuffoqué.
Non , tu n'en peux douter : une fauffe nouvelle
N'abufe point tes fens par un fonge infidèle.
DE FRANCE.
$7
Tu me vois ; tu m'entends : lève-toi , prends le deuil ;
Lève- toi ; 'que tes pleuis arroſent mon cercueil.
Tes regrets defcendront fur le rivage fombre :
Un feul de tes foupirs confolera mon ombre.
A cette voix plaintive , à ces pleurs fi touchans ,
Elle croit d'un époux entendre les accens.
Elle pleure ; & fes mains embraffant les ténèbres ,
Semblent poursuivre encor ces images funèbres .
Mais rentré tout-à- coup dans la nuit du trépas ,
Le fpectre en gémiflant s'échappe de ſes bras.
Arrête , lui dit- elle , ombre chère & terrible ,
Arrête je te fuis Ses cris , ce fonge horrible
Ont arraché fes fens aux vapeurs du fommeil.
On accourt : vingt flambeaux éclairent fon réveil.
Sur les bords de fon lit elle porte fa vûe ,
Et cherche encor cette ombre à fes yeux apparue.
Mais fes cris , fes regards la demandent en vain.
Elle arrache fon voile , elle meurtrit ſon ſein.
Non, non ; ne croyez pas , dit- elle , que je vive
Non ; mon époux n'eft plus : il faut que je le fuive,
Votre pitié cruelle aigrit encor mes maux.
Laiffez-moi : mon époux a péri fous les caux.
Il eft mort , & lui-mêine eft venu me l'apprendre.
Sa voix à mon oreille ici s'eft fait entendre.
Je l'ai vû : dans mes bras j'ai voulu l'arrêter.
Mais le Ciel prend plaifir à me perfècuter :
Je n'embraffai qu'une ombres ombre hélas déplorable!
Et de mon cher Ceyx ombre trop véritable.
Cv
58 MERCURE
Hélas ! il n'avoit plus cette douce fierté ,
Ce front où fans orgueil fiégeoit la majeſté !
Ses cheveux ruiffelans , tombant fur fon viſage.
Étaloient triftement l'horreur de fon naufrage,
Je l'avois trop prévu ce deftin plein d'horreur.
Pourquoi n'avoir pas cru mna trop jufte frayeur ?
Pourquoi m'enviois- tu la douceur de te fuivre ?
Je ne me verrois pas réduite à te ſurvivre.
Ni les vents ,
N'euffent
pu féparer l'époufe de l'époux.
Hélas ! fans l'éprouver
, je ſouffre ton naufrage .
qu'envers
toi je fois complice de l'orage
ni les flots , ni le Ciel en courroux
Si je vis , fi je fonge à prolonger mes jours.
Ceïx eft aux enfers : il m'appelle ; j'y cours.
Ah ! malgré notre amour, fi ta cendre chérie
Ne peut dans la même urne à la mienne être unie ,
Puiffent du moins nos noms fur le marbre tracés ,
Se joindre , fe toucher , l'un par l'autre embraffés !
SA voix dans fes fanglots s'étouffe entrecoupée !
Le jour luit ; & toujours de ce fonge occupée ,
Elle fort du Palais , & court aux mêmes lieux
Ou Ceyx en partant a reçu les adieux.
Là , tandis que des mers parcourant l'étendue ,
Elle promène au loin une inquiète vûe ,
Un objet lentement fur les eaux balancé ,
Semble au loin à fes yeux un cadavre glacé.
O toi , qui que tu fois , que je te plains , dit- elle.
Mais , hélas ! s'il te refte une épouſe fidelle ,
CM
DE FRANCE.
19
!
Je la plains encore plus . Mais déjà de plus près
L'objet flottant permet de diftinguer les traits.
Plus le flux & reflux le pouffe vers la rive ,
Plus fes yeux font troublés , plus fa vûe eft craintive .
Elle regarde ... hélas ! elle voit fon époux.
O cris ! ô défefpoir ! ô deftins trop jaloux !
Eft-ce- là ce retour que je devois attendre ;
Eft ce ainfi qu'à mes voeux le Ciel devoit te rendre,&c.
Par M. de Saint- Ange. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercureprécédent.
>.
LE
mot de l'Enigme eft Coq ; celui du
Logogryphe eft Procès , oùle trouvent repos ,
foc, roc , la Rofe ( Roman ) , rofe ( fleur ) ,
ré près, Profe.
ENIGM E.
LA misère me fuit : j'annonce l'opulence ,
(Par M. Bonnefin. )
LOGOGRYPHE.
Avec fix piés , je fais un des mets les plus fains ;

Avec trois , je deviens ce que cache une fille ; doubl
Avec cinq , un garant de la foi des humains ;
Avec quatre , je cours à travers la Caftille.
( Par M. Bremont. )
C vj
60 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES Tragédies d'Euripide , traduites du
Grec , par M. Prevoft , Profeffeur &
Membre de l'Académie Royale des
Sciences & Belles - Lettres de Berlin , 3
Vol. A Paris , chez Piffor , père & fils ,
Libraires , quai des Auguftins. 3 Vol.
in- 1z. Prix , 7 liv. io f. br.
L'un des grands avantages des nouvelles Traductions
des Ouvrages Claffiques , c'eft de faire relire
les Anciens. On ne lit guère Homère que lorfqu'on
le traduit de nouveau , cu lorfque la difpute
fur les Anciens & les Modernes fe renouvelle . Les
difputes & les traductions dont on a dit tant de mal ,
ont donc ce grand avantage de nous ramener encore
à ces fources antiques , fi néceffaires pour entretenir
quelque, fécondité dans le génie naturellenient
ftérile des Modernes. Un homme qui a porté
dans les Sciences morales le plus grand efprit peutêtre
qu'on ait vû depuis les Anciens , a dit que la
liberté étoit perdue dans une République lorsqu'on
n'y voyoit plus de querelle fur la liberté. Peut-être
auifi eft- ce un figne que le goût de l'antiquité ſe
perd dans la Littérature lorfqu'on ceffe de difputer
fur les Anciens. On a obfervé que c'eft après les
querres, civiles que les grands caractères le montrent
dans les États , que c'eft alors que chaque homme
va le mettre à fa place ; on auroit pû obferver
également que c'eft après de grandes difputes , à la
fuire des grandes guerres littéraires , qu'on voit brilDE
FRANCE. 61
ler les efprits les plus originaux & les talens les plus
élevés. C'eſt après s'être battu de tous les côtés
contre les Proteftans , après avoir par - tout remporté
des triomphes , que Boffuet écrivoit cette Hiftoire
univerfelle , & prononçoit fes Oraifons Funèbres ,
où l'éloquence ne règne pas feulement fur un peuple
comme dans l'antiquité , mais où elle femble
commander aux Trônes , aux Empires & aux Deltinées.
Racine & Defpréaux faifoient leurs chefd'oeuvres
au plus fort de la première difpute fur les
Anciens & les Modernes , & , de nos jours , c'eft au
fortir de plufieurs combats philofophiques que Jean-
Jacques Rouffeau a écrit l'Émile & l'Héloïfe ; c'eft
au moment où les efprits étoient profondément.
émus par des queftions qu'on ofoit agiter pour la
première fois , que quatre ou cinq Philofophes de
notre fiècle ont publié des Ouvrages où l'on apperçoit
un grand progrès de la raifon humaine. Tout
le monde a vít , fans le dire auffi bien que Voltaire ,
qu'une difcuffion éclaircit la matière quí en eft l'ob
jet , que
De nos cailloux frottés il fort des étincelles .
"
Mais cette utilité plus étendue dont nous parlons ,
on ne l'a pas auffi bien apperçue , ce me femble ;
on n'a pas aufli bien vû que les difputes fertilifoient
les talens dans tous les genres , qu'elles font
des efpèces de labours profonds, qui vont chercher
les germes de fécondité jufques dans les coins les plus
reculés de nos efprits.
On a beaucoup difputé fur le Théâtre des Grecs ,
mais on l'a peu traduit. Il eſt un grand nombre de
Pièces dont le Père Brumoi n'a donné que les extraits.
Ce n'eft que depuis peu que l'Auteur de Didon a
publié une Traduction complette d'Efchyle ; nous
n'en avions pas d'Euripide, & on en promet une complette
de Sophocle. En général, on traduit beaucoup du
62 MERCURE
Latin que tout le monde entend , & trop peu du ,
Grec , dont la connoiffance devient tous les jours
plus rare , & les traductions par conséquent plus
néceffaires. i
De nouvelles traductions des Tragiques Grecs
pourroient renouveler la difpute fur les Anciens &
les Modernes ; & d'après ce que nous venons de dire ,
on pourroit le defirer ; mais on ne peut , je crois ,
ni l'efpérer ni le craindre. Les efprits ne s'échauffent
que fur ce qui les intéreffe vivement ; & une
Nation qui possède les Théâtres de Corneille , de
Racine & de Voltaire , ne doit plus prendre un grand
intérêt à ceux qui ont créé l'Art dramatique fans pouvoir
l'élever à la même perfection. La question n'eft
plus affez problématique pour qu'il y ait un grand
partage dans les opinions . Nous ne balancerons donc
point à exprimer avec franchiſe les impreffions que
nous venons de recevoir de la lecture d'Euripide :
les Anciens n'ont plus d'ennemis aujourd'hui , &
leurs admirateurs ne font plus des enthoufiaftes fanatiques.
On fait que les efprits les plus médiocres peuvent
éviter leurs défauts , & que les plus grands talens
s'élèvent avec peine à leurs beautés . Je fuis perfuadé
que le goût fe conferve mieux par l'étude des
Anciens , que par celle des Modernes même qui les
ont furpaffés. Leur génie eft plus beau & plus fain ,
fi j'ofe le dire , & infpire davantage , lors même.
que nos Ouvrages font plus parfaits.
On fait qu'Euripide eft , de tous les Auteurs Dramatiques
de l'antiquité , celui dont il nous refte le
plús d'Ouvrages ; mais de vingt de fes Pièces qui
nous font parvenues, M. Prévost n'en a donné que
huit encore. Elles font toutes traduites , & yont paroître
inceffamment. Une grande connoiffance de
la langue Grecque & une longue étude d'Euripide
en particulier, font des garans affez sûrs de la fidélité
de fa traduction . M. Prévoft a porté à cet égard
DE FRANCE 63
le fcrupule jufqu'à ajouter en marge ou en note une
feconde traduction , aine verfion littérale de plufieurs
paffages. Nous avouerons même que c'eft celle-ci qui
nous a fait fouvent le plus de plaifir . On y voit mieux
le vrai génie d'Euripide & de l'antiquité. La néceffité)
de changer les idées acceffoires pour faire d'une phrafe"
Grecque une phrafe Françoife qui ait de la correction
& de l'élégance , efface très-fouvent les couleurs
originales fous la main même des Traducteurs les
plus habiles , & on a beau dire , ce n'eft point là tra
duire. Auffi voit- on des hommes de goût qui prétendent
qu'il n'y a point de traduction , & qu'il ne
peut point y en avoir. Quant au talent de remplacer
les beautés du ftyle d'Euripide , de ce ftyle dans .
lequel Racine fe formoit à cette éloquence fi noble
& fi élevée , quoiqu'elle ne paroiffe prefque jamais
que touchante , les morceaux que nous citerons feront
voir quel eft à cet égard le degré de mérite du
Traducteur. On aimera mieux fans doute quelques
obfervations fur ce qu'étoit l'Art Dramatique dans
les Pièces d'Euripide.
Hécube eft la première Tragédie qu'on trouve
dans la nouvelle traduction. Voici quelle en eftl'action
& la marche .
Les Grecs , vainqueurs de Troie , qu'ils ont laiffé
enfevelie dans les ruines , retournent dans leur pa
trie , menant avec eux une multitude de captives ,
parmi lesquelles font l'époufe & la fille de Priam ,
Hécube & Polixène . Un calme femblable à celui qui
les avoit arrêtés en Aulide lorfqu'ils alloient à
Troie, les arrête au retour dans la Cherfonnèſe de
Thrace ; & pour obtenir des vents il faut verfer
encore le fang d'une jeune Princeffe . L'ombre d'Achille
s'eft élevée fur fon tombeau , & a demandé
le fang de Polixène. Les Grecs, affemblés pour délibérer
fur fa demande , décident bientôt , par l'avis
des plus fuges , que Neoptolème , fils d'Achille the
MERCURE
égorgera de fa propre main , fur le tombeau de for
père , la fille de Priam , l'unique confolation , des
malheurs , de la vieilleffe & de la captivité d'Hécube
. Ulyffe vient l'arracher des bras de fa mère
& le facrifice eft confommé. Bientôt Hécube a une
autre perte à pleurer , & s'occupe de la vengeance
d'un autre crime. Au moment où les Grecs avoient
formé le fiège de Troie , Priam voulut éloigner des
dangers de la guerre le plus jeune de fes fils , Polydore
, dont la main étoit trop foible pour porter
des armes. Il l'avoit envoyé , avec un tréfor , chez
Polymeftor , Roi de Thrace , qu'il avoit reçu autrefois
dans fon palais, & qu'il croyoit s'être attaché par
la reconnoiffance de l'hofpitalité , fi facrée chez les
Anciens. Tant que le fort de la guerre a été incertain
, Polymeftor n'a attenté ni à la vie ni au tréfor
de Polydore ; mais dès que Troie eft tombée , il a
affaffiné le jeune Prince , & fans daigner même lui
accorder un peu de terre , en a fait jeter le corps
dans la mer . Une Troyenne de la fuite d'Hécube .
en aliant chercher de l'eau pour faire les luftrations
funèbres fur le corps de Polixène , trouve celui de
Polydore rejeté par les flots fur le rivage. Elle le
porte dans la tente d'Hécube , que des fonges menaçoient
déjà de ce nouveau malheur , & qui ne
s'occupe plus que du foin de punir Tauteur de l'attentat.
Ne pouvant obtenir vengeance d'Agamem
non qui refpecte l'allié des Grecs dans l'affaffin du
fils de Priam , elle obtient au moins de lui qu'il ne
s'oppofera point à ce qu'elle entreprendra pour le
puni: elle- même. Sous prétexte qu'elle a d'importans
fecrets à lui confier , elle fait prier Polimeftor de fe
rendre avec fes enfans dans la tente , où elle l'attend
avec les Troyennes. Il s'y rend en effet. Hecube &
les Troyennes égorgent fes enfans , & avec leurs
agraffes lui crèvent les yeux à lui - même. Les cris
dont il fait retentir le camp attirent Agamemnon
"
2
DE FRANCE. 65
qui , après avoir écouté Polymeftor , qui demande
vengeance , & Hécube qui juftifie fon action , condamne
le Roi de Thrace comme ayant été juſtement
puni de fon crime . Voilà les faits qui compofent la
Tragédie d'Hécubè , & l'ordre dans lequel ils fe
fuccèdent.
On voit d'abord que l'action eft double , quoique
les faits foient peu compliqués. La mort de Polixène
& celle de Polydore n'ont rien de commun enfemque
le malheur d'Hecube , qui eft plus grand
après la perte de fon dernier fils , mais fans en être
plus touchant pour le Spectateur . On ne peut s'inté
reffer aucunement à Polydore , qui eft mort avant le
commencement de la Pièce , & dont on n'a vû que
l'ombre. Cette feconde action , qui feroit fans inté
rét , en fuppofant même qu'elle fût la première , eft
fur- tout d'une froideur extrême en venant après le
facrifice de Polixène . Il fuffiroit de voir l'ordre dans
lequel Euripide a fait fuccéder ces deux actions , pour
juger que de fou temps on avoir bien peu réfléchi encore
fur les moyens les plus fimples de foutenir & de
graduer l'intérêt d'un Ouvrage dramatique . Parmi
nous aujourd'hui , le Poëte le plus médiocre auroit
fenti que s'il y avoit un moyen de faire fupporter
dans la même Pièce ces deux actions fi diverſes , c'é
toit de faire demander la mort de Polixène à l'ombre
d'Achille, au moment où Hécube pleure déjà celle de
Polydore , au moment où elle en auroit demandé
vengeance aux Grecs affemblés pour écouter fes
plaintes ; ç'eût été même peut être un tableau dramatique
digne de l'antiquité , de voir Hécube couverte
à - la-fois du deuil de la mort & de la captivité ,
s'avancer au milieu des Grecs affemblés autour du
tombeau d'Achille , demander aux deftructeurs de
Troie la vengeance du meurtre d'un fils de Priam
affaffiné par un de leurs Alliés , & au moment qu'elle
attend leur réponſe , l'ombre d'Achille s'élevant de
66 MERCURE
milieu de fon tombeau entr'ouvert, demander le fang
de Polixène. Ce tableau des cruautés de la victoire
& de la deftinée des vaincus , cet excès de malheur
ajouté à tant de malheurs , auroit fait ſentir peut- être
d'une manière terrible cette main de la fatalité fous
laquelle les Poëtes grecs vouloient courber toutes
les âmes. Ce qu'il y a de plus étonnant dans la
Pièce d'Euripide , c'eft que tandis que le Spectateur ne
peut s'intéreffer qu'à Polixène , Hécube femble l'oublier
entièrement pour ne s'occuper qu'à venger la
mort de Polydore. Toutes fes larmes à la fin coulent
far ce fils auquel le Spectateur ne peut en donner
aucune. D'ailleurs , quelqu'horreur qu'on ait du
crime de Polymeftor , quelque vou que l'on forme.
de le voir puni , on n'aime point à voir Hécube avec
fes Troyennés l'attirer dans leur tente par des artifices
; & ce complot d'une troupe de femmes pour poignarder
des enfans & crever les yeux un homme
avec des agraffes n'eft pas digne de la Tragédie telle
que nous la concevons aujourd'hui; nous ne pourrions
fouffrir de voir des malheurs auffi intéreffans dégradés
& avilis par une pareille vengeance . La manière dont
Euripide expofe fon fujer , annonce bien plus encore
l'enfance de l'Art . Dans Hécube c'eft l'ombre de Poly
dore qui fait l'expofition ; elle paroît feule dans la première
Scène. Il apprend aux Spectateurs , fans chercher
plus de fineffe, qu'il eft Polydore , né d'Hécube
fille de Cillée , que Priam étoit fon père , & il raconte
enfuite comment Polymeftor l'a fait mourir ;
& comme en fa qualité d'ombre il fait tour ce qui
doit arriver , il prédit aux Spectateurs tout ce qui
arrivera dans la Pièce . C'eft à - peu- près ainfi qu'Euripide
fait toutes fes expofitions. Dans les Phéniciennes
Jocafte ouvre feule la première Scène ; &
comme il n'y a là perfonne pour l'interroger fur fa
famille & fur elle -même , elle dit tout uniment :
Cadmus époufa Hermione fille de Vénus , qui
DE FRANCE. 6.7
» donna naiffance à Polydore, père de Labdacus ;
» de celui- ci naquit Laïus , qui devint enfuite mon
époux ; Créon eft mon frère; mon père s'appeloit
Ménécée , & Jocafte eft le nom que j'ai
» reçu de lui. Après plufieurs années d'un mariage
» ftérile , Laïus confulta l'Oracle , &c. » Elle ra
conte-là toute l'hiftoire d'Edipe jufqu'au moment
où il s'eft crevé les yeux après s'être reconnu inceftueux
& parricide. Dans une autre Pièce un Perfonnage
fait de la même manière toute fon hiſtoire , &
finit par dire qu'il parle comme un fou au ciel & à
la terre ; mais il eft clair que ce n'eſt pas au ciel &
à la terre , mais aux Spectateurs qu'il parle. Euripide
ne s'en cache même pas ; dans l'Orefte,
Electre conte de même les aventures de fa famille;
& lorfqu'elle en vient aux motifs pour lesquels Clitemneftre
fit mourir fon époux , elle ajoute : « Par
» quelles raifons ? C'eft ce qui n'eft pas décent à
" une vierge de dire. Je laiffe au Public le foin
d'éclaircir cette obſcurité. »
53
Un plus grand défaut encore c'eft de ne laiffer
prefque jamais aucune incertitude aux événemens
annoncés dès la première Scène. On voit tout de
fuite qu'ils arriveront néceffairement, & qu'il n'y a
dans les refforts de la Pièce aucune force qui puiffe
les détourner. La crainte & la terreur ne font pas
un moment balancées par l'efpérance, & d'un bout de
la Pièce à l'autre l'âme refte immobile dans l'affreux
fentiment de la douleur & du défefpoir. Dans Hécube
, par exemple , à la manière dont Ulyffe vient
demander Polixène , on voit dès les premiers mots
que tout ce que pourra lui dire Hécube pour le tou
cher fera inutile ; on voit Polixène tomber fous le
glaivo , & il n'y a plus de Tragédic.
Les mêmes défauts & de plus grands encore fe .
retrouvent dans l'action de prefque toutes les Pièces
d'Euripide. Dans les Phéniciennes, dont le fujet eft le
68 MERCURE
même que celui des Frères ennemis , que celui des
Sept Chefs devant Thèbes , il s'agit d'abord de fa
voir fi Jocafte pourra réconcilier les deux frères ,
ou lequel des deux fera vainqueur , d'Étéocle
qui ne veut pas partager le trône, ou de Polinice, qui
relame fes droits en affiégeant Thèbes à la tête
des Argiens, Avant qu'ils en viennent aux mains , il
fe forme un fecond intérêt dans la Pièce , un intérêt
très - grand, qui feul fuffroit à une Tragédie, & qui a
peu de rapport à l'action principale & aux principaux
Perfonnages de la Pièce . Téréfias, le devin , pro
nonce que Thèbes fera prife fi le fils de Créon , le
jeune Ménécée , ne s'immole pas à la patrie. Créon
ne veut point facrifier fon fils ; mais le jeune homme
a la générofité de fe dévouer lui -même . Ce n'eft pas
tout; lorfque les deux frères fe font tués dans un combat
fingulier, Edipe que fes fils tenoient renfermé fort
de fa prifon , & Créon , qui eft monté fur le trône ,
veut chaffer de Thèbes ce vieillard qui femble porter
avec lui la colère des Dieux . Voilà donc un nou
vel intérêt , une nouvelle action ; il y en a trois dans
la Pièce , & qui ne fe fondent point du tout l'une
dans l'autre..
Il en eft de même dans l'Andromaque. Le fils
d'Achille , Neoptolème , qui avoit époufé Her
mione , a eu un enfant d'Andromaque , veuve
J'Hector & il paroît préférer fa captive à fon
époufe. Il est allé à Delphes ; dans fon abfence , Her
mione , aidée de Ménélas fon père , veut le venger
d'Andromaque & la faire mourir avec le fils qu'elle
a eu de Neoptoleme . La veuve d'Hector s'eft réfugiée
dans le temple de Thétis , & a caché fon fils
ailleurs. On peut être furpris de ce que fe croyant
elle -même en füreté dans le temple elle a mieux
aimé le féparer de fon fils que de lui donner le
même alyle . Mais n'examinons pas une Tragédie
d'Euripide comme une Pièce qu'on viendroit de jouer
DE FRANCE. 69
à la Comédie Françoife. Hermione & Ménélas tentent
toutes fortes de moyens de faire fortir Andromaque
du temple ; ils ont trouvé fon fils , dont ils fe
font faifis , & qu'ils menacent d'égorger fi elle ne
veut point le léparer des autels qu la défendent. Ils
lui difent qu'elle ne peut fauver les jours qu'aux
dépens de ceux de fon fils . Cette fituation eft tragique
& touchante , & l'éloquence d'Euripide la rend
plus touchante & plus tragique encore. Andromaque
ne balance point ; mais dès qu'elle eft fortie du temple
ils veulent faire mourer fon fils avec elle. Le
vieux Pelée , qui gouverne la Phtiotide dans l'abfence
de fon petit fils Neoptolème , paroît enfin ,
quoiqu'un peu tard , pour s'oppofer aux fureurs
d'Hermione . Il déploie l'autorité de fa place avec
tant de vigueur que Ménéias effrayé abandonne fa
fille & s'en retourne à Sparte. Dès ce moment Andromaque
& fon fils ne courent plus aucun rifque ;
Hermione feule eft en danger ; & fi elle pouvoit intéreffer
quelqu'un , tout l'intérêt fe réuniroit ſur elle :
elle gémit , elle tremble. Orefte arrive , parce que ,
dit-il , paffant auprès du pays il a voulu voir fa
parente. Il l'a aimée autrefois , il l'aime encore ; elle
fe fait enlever par lui pour le dérober à la colère de
Neoptoleme. Il femble que tout foit fini ; mais àpeu
près dans le moment que Pelée apprend cette
'faite, on vient lui apprendre encore la mort de Néop- .
tolème affaffiné dans le temple d'Apollon par les
citoyens de Delphes & par Orefte. Si Orefte eût été
excité à ce meurtre par les reffentimens jaloux d'Hermione
comme dans l'Andromaque de Racine ,
événement fe feroit lié aux autres événemens de
l'action . Orefte eût éré non un vil affaffin , mais un
amant égaré par fa paffion . Mais dans la Pièce d'Eu
ripide , le fils d'Agamemnon affaffine Neoptolème
pour fatisfaire une haine perfonnelle . Hermione ne
veut point fe venger de fon époux ; pourvu qu'elle
cet
70 MERCURE
s'échappe elle eft contente . On voit là des crimes , &
pas une de ces paffions intéreffantes qui , dans leur
fureur même, font gémir fur les coupables . Il faut
obferver que dans l'Andromaque comme dans l'Hécube
la première action eft la feule qui puiffe attacher
, & que les deux fuivantes ne peuvent exciter
qu'une curiofité foible & languiſſante .
Ayons le courage de fonder nos opinions fur ce
que notre âme a fenti , & avouons que ce n'eft
point là l'Art dramatique tel qu'il eft dans les chefd'oeuvres
de Corneille , de Racine & de Voltaire ,
dans ces Ouvrages où une intelligence fublime &
profonde difpofant toujours dans l'ordre le plus heureux
les événemens les plus touchans ou les plus terribles
, fait fortir d'une action unique tous les mouvemens
de l'âme , laifle toujours à la douleur le
charme de l'efpérance , fait croître l'émotion à mefure
que la Tragédie s'avance , & la porte fi avant
dans ce coeur qu'elle s'y conferve encore lors même
qu'on eft forti des illufions du Théâtre . Peut- être un
tel Art ne pouvoit- il être porté à une fi grande perfection
que dans le fiècle que les Arts ont éclairé le
dernier , dans celui qui a profité des lumières des
tous les autres . Le génie crée toujours , & fes pas
quelquefois font immenfes. Du charriot de Thelpis
au Prométhée d'Efchyle , à l'Hécube, d'Euripide ,
il y a à peine un fiècle , fi vous comptez les
temps , fi vous mefurez les progrès de l'Art vous
ferez tenté de croire que Sophocle , Euripide &
Efchyle font féparés par plus de vingt générations de
Thelpis & de fes chanfons groffières fur la vendange
. C'eft peut-être ce qu'il y a de plus étonnant
dans toute l'hiftoire de l'efprit humain ; mais telle eft
la condition de l'homme , que dans les plus grandes
merveilles il grave avec fa gloire des témoignages
de fa foibleffe. En admirant le génie de Sophocle &
DE FRANCE, 71
d'Euripide , nous y voyons aujourd'hui l'enfance de
leur Art.
Si les Anciens ont peu connu les fecrets d'une
difpofition heureufe de l'action dramatique , ils ont
dû moins connoître encore l'Art bien plus profond
& bien plus difficile de diftinguer & de peindre les
caractères. C'eft une entreprife bien hardie de l'efprit
obfervateur , que d'avoir tenté de réduire à un petit
nombre de caractères les combinaiſons infiniment
variées des paffions du coeur humain , d'avoir ofé
dire cette âme doitfentir ainfi dans telle circonftance ,
voici comment elle agira dans telle occafion , & il n'eft
pas en elle d'agir autrement ; mais peut- être la Nature
n'a-t- elle pas plus fait les caractères en morale que
les claffes en phyfique. Ces deux chofes , fur lesquelles
on a établi une partie de la théorie des Arts , toute la
morale & toute l'hiftoire naturelle , font - elles peutêtre
également des productions arbitraires de l'efprit
humain , des monumens de fon audace & de fes bornes.
On conçoit fans peine combien il eft facile de
s'éloigner de la Nature lorfque , pour la peindre , on
trace des portraits dont elle n'a point donné de modèles
, combien on eft expofé , après en avoir refferré
quelques traits dans des cadres conformes aux bornes
de notre efprit , à donner nos limites à la Natare
, qui eft infinie , & qui mêle fouvent enfemble
les traits des paffions qui nous paroiffent les
plus oppofés. L'homme de génie qui fera le plus
fortir fes Perfonnages de l'enceinte étroite ou nous
renfermons l'idée d'un caractère , fera celui qui paroîtra
bleffer le plus la Nature dont il fe rapprochera
davantage ; & comme chacun a fon modèle
particulier , les efprits même les plus étendus en auront
de différens. La Bruyère ne fera pas content du
Tartuffe de Molière , parce qu'il s'en fera fait un
autre. Rouffeau trouvera que les je ne dis pas cela
ne font pas d'un mifantrope. Prefque tout le monde
72
MERCURE
reprochera à Voltaire d'avoir fait de Clitemnestre,
meurtrière de fon époux , une mère fenfible & tendre
, ce qui eft pourtant une des plus belles idées
dramatiques de Voltaire. Mais ce n'eft pas feulement
la difficulté extrême de ne pas borner & défigurer
le coeur humain en le renfermant dans des
caractères , qui exigeoit un art & des lumières que
le génie feul ne donne pas , il falloit en avoir infiniment
pour concevoir même l'idée de tracer des
caractères. Peut-être falloit-il une plus longue expérience
du coeur humain que n'en avoient les Grecs
lorfqu'ils créèrent leurs chef- d'oeuvres dramatiques ;
d'ailleurs,dans le fyftême de leur Théâtre, ils devoient
en fentir peu le befoin : on fait que chez eux les refforts
de la Tragédie ne font pas dans le coeur humain
, mais dans la main des Dieux. Les événemens
naiffent de la fatalité & non pas des caractères . Je
n'ignore point que l'Académicien qui nous a donné
une très - bonne traduction d'Elchyle , prétend que ce
Poëte a peint les Perfes dans la Tragédie de ce nom
avec autant d'énergie que Corneille les Romains ,
mais ce qu'il cite en preuve ne le prouve guères , cc
me femble. Voyez , dit- il , au moment où l'ombre
de Darius paroît, comment les Perfes ſe profternent
devant l'ombre feule d'un Roi. C'est bien là le ca-
-ractère des efclaves. Il me paroît que M. Lefranc
prête à Efchyle des vûes qu'il n'a pu avoir . Darius
étoit chéri , adoré des Perfes ; ils en parlent toujours
dans les choeurs comme d'un Monarque fage &
bienfaisant ; ils rappellent qu'il faifoit le bonheur de
l'Empire au moment fur-tout de l'expédition malheureufe
de Xerxès. C'eft dans ce moment que paroît
l'ombre de Darius . La reconnoiffance devoit
profterner les Perfes devant lui plus que la fervitude
; & quant à cette obfervation que c'eſt devant
l'ombre feule, il me femble que les ombres font en
poffeffion de s'attirer les refpects des hommes libres ,
comme
DE FRANCE. 73
comme des efclaves. Si Darius cût été un tyran , fi
fon ombre eût paru au moment qu'on maudiffoit
fa mémoire , & que les Perfes fe fuffent profternés
ayant encore la haine & les malédictions à la bouche
, ce feroit le cas de dire , voilà bien le caractère
des efclaves ; mais on a vû que cela est tout autrement
dans la Tragédie d'Efchyle . Non . Corneille cft
le premier qui ait fenti la néceffité de peindre fortement
les caractères , parce qu'il eft le premier qui en
ait fait fortir tous les événemens de la Tragédie. "
Cette révolution , la plus grande qui foit arrivée au
Théâtre , cft un des plus beaux titres de fa gloire.
Si quelque chofe a pu lui fervir de modèle à cer
égard dans l'antiquité , ce n'eft point parmi les Auteurs
tragiques , ce feroit plutôt parmi les Hiftoriens
que Corneille avoit beaucoup étudiés , & qui
prefque tous poffédoient le même talent jufqu'au
prodige. Chez les Anciens, les caractères foutenus &
fortement prononcés étoient en foule dans l'Hiftoire
; & il y en avoit peu fur la Scène ; chez nous
c'eft le contraire : nous en avons beaucoup fur la
Scène & peu dans l'Hiftoire.
Quand on ofe faire un reproche aux Anciens ,
il faut avoir plus d'une preuve. Nous n'en prendronst
que dans Euripide , & dans le nombre des Pièces
dont la traduction eft fous nos yeux.
Ulyffe & Agamemnon paroiffent dans Hécube ,
& aucun d'eux certainement ne paroît avec le caractère
que leur а donné l'antiquité , Voici comment
parle Ulylle à Hécube au moment qu'il vient chercher
Polizène pour la conduire à l'autel , où on l'attend
pour l'immoler . « Madame , je pense que vous
3 êtes inftruite des réfolutions de l'armée & du .
décret qu'elle a porté ; cependant , je dois vous le
déclarer , les Grecs ont réfolu d'immoler votre
» fille fur le tombeau d'Achille , & c'eft mei qu'ils
» ont choifi pour l'y conduire. Le fils d'Achille eft
No. 15 , 12 Avril 1783. Ꭰ
74
MERCURE
33
celui qui doit préfider au facrifice , & qui eft
chargé de l'exécuter . Prenez donc un fage parti ;
» cédez fans violence , & ne me forcez pas d'en
» venir à de fâcheufes extrémités ; connoiffez notre
วง force & votre foibleffe. »
Quel langage ! & c'eſt à une mère dont on va
égorger la fille qu'on le tient , à une Reine captive
au milieu d'une armée victorieufe ! Eft - ce là cet
Ulyffe dont la douceur & l'éloquence adroite favoient
confoler les plus grandes infortunes , & le faire pardonner
les ordres les plus rigoureux dont il étoit
l'exécuteur ? Il faut avouer que c'eft autrement qu'il
s'y prend dans l'Iphigénie de Racine pour déterminer
Agamemnon au facrifice de fa fiile .
Hécube demande vengeance à Agamemnon du
crime de Polymeftor . Le Roi des Rois lui répond que
le crime eft affreux , mais qu'il ne peut le punir fur
un Prince allié des Grecs. A la bonne heure. Cette
politique pourroit ne pas nous paroître affez noble
pour la dignité tragique. Les Grecs imitoient plus
fidellement la Nature, Hécube le prie de ne pas
s'oppofer au moins à tout ce qu'elle entreprendra
pour le venger elle - même , & Agamemnon lui promet
de la laiffer faire. Il jage donc que l'alliance
eft plus fidellement gardée en permettant que Polymetor
foit attiré dans la tente des Troyennes pour
y avoir les yeux crevés & fes enfans égorgés. Ce
n'eft point là l'idée que l'antiquité nous a tranfmife
du caractère d'Agamemnon.
Dans l'Orefte , ce Prince , fa four Électre & fon
ami Pilade veulent fe venger de Ménélas , qui a
refufé de les défendre contre les Argiens , par lesquels
ils ont été condamnés à la mort pour le meurtre de
Clitemneftre , & voici ce qu'ils imaginent tous les
´trois ; c'est d'attirer dans un piège Hélène & fa fille
Hermione , d'égorger Hélène & de garder la fille
en ôtage, de la faire périr auffi au besoin . Ils fe
DE FRANCE. 75
partagent les rôles pour l'exécution de ces affafknats
, & tandis qu'Orefte poignarde Hélène derrière
la Scène , Électre crie fur le Théâtre : Tuez ,
maffacrez , égorgez. Ces traits , dit le Traducteur ,
ne peuvent pas le juger d'après nos moeurs. Il n'y a
point de moeurs daus lefquelles de parcils traits ne
compofent un affaffinat lâche & atroce ; il n'y en a
point où les Perfonnages qui le commettent ne foient
odieux , & ce font les Perſonnages intéreſſans de la
Pièce d'Euripide.
Je ne citerai plus qu'un exemple', & je le prendrai
dans l'Andromaque.
La tradition n'a point donné à Ménélas an caractère
remarquable par fa nobleffe . Il eft connu
fur-tout par fa foibleffe pour une femme qui fe
laifoit enlever fort aifément ; mais on n'en a point
fait un Prince vil ; & s'il a été peint ainfi , c'étoit
une raifon de lui donner un autre caractère ou de le
rejeter du Théâtre , qui , dans les vices même , exige
de la grandeur & de l'énergie Voici le rôle qu'il
joue dans la Tragédie d'Euripide. On le voit d'a
bord s'unir à fa fille Hermione pour fatisfaire une
jaloufie de femme en affaffinant une captive & un
fils du Prince abfent dont il habite le Palais . Nous
ne repréfenterions pas un Prince & un père dans
cette ignominie. Le vieux Pelée s'oppose à cet attentat.
Ménélas , après quelques difcours , où il montre
bien peu de force & de courage , cède à l'autorité
du vieillard , abandonne fa fille au milieu des dangers
où leur attentat comuun l'expoſe , & s'enfuit à
Sparte.
Des moeurs fimples peuvent fervir d'excufe à des
difcours groffiers & même à des actions atroces ,
mais elles ne peuvent excufer la baffeffe & l'aviliffement.
J'ai peine à croire que les Grecs du temps
de Socrate & de Périclès, ne fuffent pas un peu blef
fés du rôle que jou : Ménélas dans l'Andromaque.
Dij
76
MERCURE
Les choeurs , l'une des parties les plus importantes
de la Tragédie grecque , quoique compofés d'un
grand nombre de perfonnes dont l'âge , le fexe & la
condition varient dans chaque Pièce , ont pourtant
dans toutes à-peu- près le même caractère . Horace
femble même leur faire une loi de cette uniformité ,
ce qui eft très - remarquable , quoique difficile à
concevoir . On a élevé fur cette partie de la Tragédie
ancienne , où les Poëtes grecs ont répandu tant de
beautés , des difficultés que l'érudition n'a pas encore
éclaircies. Nous nous bornerons à quelques obfervations
fur les choeurs d'Euripide. Dans le fujer des
Frères ennemis , le choeur eft compofé de jeunes Phéniciennes,
que les Tyriens, defcendans d'Agénor comme
les Thébains, envoient confacrer au ſervice du temple
de Delphes , & qui ne font que paffer à Thèbes.
Un choeur compofé de Thébains , qui auroient été
témoins eux-mêmes des deftinées effrayantes de la
famille des Labdacides , qui auroient fouffert euxmêmes
tous les malheurs d'Edipe & de fes enfans ,
n'auroit-il pas appartenu davantage au fujet ? Le
Peuple entier de Thèbes ne devoit- il pas entourer un
trône d'où tant de fléaux deſcendoient fur lui ? Et
n'eft- il pas extraordinaire qu'Euripide fubftitue à ce
grand tableau dramatique , un choeur compofé de
jeunes Phéniciennes dont la deftinée doit être étrangère
à celle de Thèbes & des Labdacides ? Quelquefois
les cheurs d'Euripide peignent & déplorent des
malheurs qui ne font pas ceux des Perfonnages fur
lefquels roule l'intérêt de Faction . Dans Hécube
entr'autres , au moment cù Ulyffe conduit Polixène
fous le couteau , au moment où Hécube ſe
roule à terre dans fes vêtemens de captive , le
choeur , quoique compofé de femmes Troyennes ,
oublie le fpectacle défolant qu'il a fous les yeux ,pour
s'occuper de lui -même , pour exprimer fes inquiétudes
fur les lieux de la Grèce qu'on deſtine à ſa cap-
1
DE FRANCE. 77
tivité , & pour peindre ces lieux avec toutes les cou
·leurs de la poéfie. On comprend combien le choeur
devoit glacer l'intérêt de l'action dans ces momens
où il vouloit attirer fur lui l'attention qu'il devoit
donner lui-même aux malheurs de la Scène , & cela ,
n'eft pas rare dans Euripide . Malgré ces défauts ,
ces choeurs feront toujours un des plus beaux monumens
de la poéfie des Grecs : là , mieux que dans
Pindare même , on croit entendre les fons de cette
lyre ancienne , de cette lyre dont un Poëte difot
qu'il n'ofoit la toucher que lorsque l'enthousiasme
l'avoit fait pénétrer dans l'affemblée des Dieux.
Leurs beautés réfiftent à la traduction , qui efface
prefque toutes celles de Pindare. Tous les événemens
poétiques , toutes les images gracieufes cu
fublimes , tous ces prodiges de la mythologie grecque,
qui femblent être les délires du génie , viennent
fe placer naturellement dans les chants de ces choeurs .
Les tableaux du Poëte, deftinés à ceux du Muficien
dont l'expreffion eft indécife fans le fecours des
contraftes, oppofent à chaque inftant les images les
plus douces aux images les plus terribles & la
poéfie toute feule produit les effets qu'elle étoit ac-,
coutumée de produire dans fon alliance avec la mufique.
La lyre d'Euripide a fans doute moins de
verve & d'enthousiasme que celle d'Eſchyle ; mais
dans la traduction même , quoique dépouillée des
charmes du nombre & de la meſure , elle fait fentir
quelque chofe de cette poéfie augufte & douce des
choeurs d'Efther & d'Athalie . C'eſt dans ces beautés
de détail que confifte le grand mérite du Théâtre des
Grecs , & en particulier la véritable gloire d'Euripide.
Quoiqu'il foit très- fouvent fubtil & fophiflique
dans le dialogue , quoiqu'il approfondifle peu
en général les paffions dont il connoît ſi bien le langage
, on trouve chez lui tour-à - tour & ces traits de
vigueur qui rendent le raifonnement de Corneille.
3
D iij
-8 MERCURE
invincible , & ces traits toychans qui dans les Pièces
de Racine , vont chercher les pallions au fond du
tur. Quintilien , cet excellent juge de l'antiquité ,
l'un de ceux qui a le mieux fait voir que les principes
& les jugemens du goût pouvoient être mis à côté
des productions du talent, Quintilien reconnoît dans
Euripide ces deux mérites qu'il eft fi rare de réunir
enfemble. Euripide , dit ce Critique , eft fécond en
maximes , & prefqu'égal aux Philoſophes dans celles
qu'il a rapportées de leur commerce. Dans les luttes
du dialogue on peut le comparer aux Orateurs les
plus éloquens. Habile à exciter à fon gré toutes les
pallions , il eft fupérieur fur-tout dans le talent de
faire naître la commifération & la pitié. Ménandre
le trouvoit fi admirable à cet égard , qu'il a voulu
F'imiter fouvent dans la Comédie , quoique ce foit
-un genre bien différent.
J'ai traduit ce paffage de Quintilien , comme le
témoignage le plus honorable à la gloire d'Euripide
après l'admiration de Racine , & en mêmetemps
pour faire voir que cet excellent Critique
loin de blâmer ces fentences , ces belles maximes
dont Euripide cependant fait quelquefois un étrange
abus , en a fait le fujet d'un grand éloge. Parmi
nous les Desfontaines & d'autres Critiques de même
force n'ont pas eu la même indulgence pour les vérités
touchantes & pathétiques que Voltaire faifoit
fortir du coeur humain avec le cri des paffions , qui
eft fi fouvent le cri de la vérité. Ils n'en favoient pas
affez pour voir que c'est très-fouvent dans les momens
où l'homme eft le plus en proie aux paffions ,
que fa confcience rappelle ou invoque les grands
principes & les grandes vérités de la morale , comme
on appelle du fecours au milieu des dangers. Ne faifant
eux-mêmes aucun Ouvrage , & n'ayant aucun
befoin d'étudier le caur humain pour infulter de
grands Hommes , ils étoient loin d'avoir obſervé que
DE FRANCE
97
rien n'eft fi fententieux que les difcours des Peuples
fauvages & barbares, & que parmi nous même c'eft
dans l'ivreffe des paffions fur- tout que le Peuple prodigue
le plus les maximes de fa fageffe ; mais il n'eft
pas étonnant que des pédans fans efprit & fans
talent n'aient pas jugé comme Quintilien .
Je voudrois citer quelques uns des morceaux d'Euripide
que j'ai fous les yeux,non pour juftifier mon admiration,
qui l'eft affez par celle detous les fiècles éclai
rés , par celle de Quintilien & de Racine , mais pour
dédommager les Lecteurs qui ont pris la peine de lire
ce long Extrait, en leur offrant quelques- unes de ces
beautés antiques qui ont fait dans tous les temps les
délices des goûts les plus délicats & des plus beaux
génies. Je ne fuis embarraffé que du choix . Écoutez ,
par exemple , Andromaque au moment où elle fort
du temple de Thétis pour fauver les jours de fon fils
par le facrifice des fiens.
" Malheureuſe ! pourquoi fuis - je devenue
so mère ? pourquoi ai - je doublé mes infortunes ?...
La fortune femble effacer par des coups plus
∞ cruels le fouvenir de mes premiers malheurs . J'ai
ovu le vaillant Hector tomber percé de coups ,
» Ilion confumée par les flammes , moi - même traî-
» née par les cheveux dans les vaiffeaux des Grect.
comme une vile efclave Enfin , conduite dans la
Phtiotide , je me fuis vûe contrainte à recevoir
» les embraffemens du meurtrier de mon époux.
» Mon fils me reftoit encore , mon fils ! ... Les cruels
» le feront mourir ... Non je ne fauverai pas ma vie
» aux dépens de la fienne. Pourrois - je furvivre à
» mon fils ? Mon fils n'eft il pas ma feule efpérance
? Je quitte cet autel , & je me livre entre vos
mains. Tucz , égorgez une infortunée , chargez-
» la de fers , livrez-la au dernier fupplice . Ta mère ,
ô mon fils , defcend dans le tombeau pour rachetar
tes jours. Si les Dieux permettent que tu en
-9
-
Div
So MERCURE
ע כ
en
jouiffes , fouviens - toi de celle à qui tu das deux
fois la vie ; & lorfque ton père te tiendra dans
» fes bras , dis - lui , parmi de tendres carelles ,
» lui baifant les mains , en les arrofant de tes larmes
, dis - lai ce que j'ai fait pour toi. »
N'est-ce point dans ces morceaux d'Euripide qu'on
a trouvé le modèle de ces vers fi touchans , & qui
font verfer tant de larines :
O mon fils , que tes. jours coûtent cher à ta mère .....
Hélas ! il mourra donc ; il n'a pour la défenſe
Que les pleurs de fa mère & que fon innocence....
Et quelquefois auffi parle -lui de fa mère....-
Quelque chofe de plus touchant encore , parce que
l'attendriflement fort à chaque inftant du fein de la
terreur , c'eft la Scène de l'Orefte où Electre relève
fon infortuné frère écrâfé du poids de fes remords ,
le raffure contre les fantômes qui le pourfuivent , &
oppofe la voix la plus touchante de la Nature à la
voix menaçante des Dieux . Dans toute cette Scène
Electre ne prononce pas un mot qui n'adouciffe l'horreur
d'une fituation où l'on voit un parricide pourfuivi
par ces mêmes Dieux qui lui ont commandé de
porter le poignard dans le fein de fa mère. Mais
quoiqu'elle foit peut- être plus connue , nous aimons
niieux citer la Scène entre Ulyffe , Hécube & Polixène
, parce qu'on y voit dans des morceaux
plus étendus l'éloquence d'Euripide & le genre de
beautés propres à la Tragédie grecque.
HE CUB E.
Mais s'il eft permis à une efclave d'interroger
» fes Maîtres fans employer de paroles dures ni outrageantes
, daignez , Seigneur , répondre à mes
queftions.
ULYSSE.
» Parlez , ne craignez pas que je refuſe de vous
≫ entendre.
DE FRANCE. 81
HE CUB E.
Vous fouvient - il du jour où vous vîntes à
» Troie comme efpion , déguifé fous de mauvais
» vêtemens , le vifage baigné de larmes ?
20
310
ULYSSE.
» Il m'en fouvient ; l'impreffion en eft ineffaçable
; je fais à quel danger je me vis expofé.
לכ
HÉCUBE.
» Eft - it vrai qu'alors vous vous jetâtes à ines
pieds dans la poffure la plus humble ?
ULYSSE.
» J'embraffois vos genoux de ines mains fuppliantes.
"
HE CUBE .
Que je vous fauvai la vie en favorifant votre
* faite ?
ULYSSE .
" C'eft à vous que je dois de jouir de la lumière
du jour.
30.
HÉ CUBE .
Que me difiez - vous en ce moment que je
≫ vous avois en ma puiſſance ?
ULYSSE.
» Tout ce que la crainte de mourir pouvoit me
fuggérer .
HÉ CUBE.
» Eh ! quoi , pouvez - vous juftifier votre conduite
? Traité par moi comme vous venez de
» l'avouer , ce n'eft pas du bien que vous me faites,
mais tout le mal qui dépend de vous .... Mais encore
quel fubtil artifice a pu perfuader aux
Grecs qu'ils devoient facrifier ma fille ? Quelle
22 néceflité les oblige de faire couler le fang humaira
DV
32 MERCURE
für un monument que devroit atrofer le fang des
» Hecatombes ? Y a- t-il quelque juftice à verfer
35
celui de ma fille pour expier la mort d'Achille ?
» Jamais elle ne lui fit aucune offenfe . C'eſt Hélène-
» que fon ombre doit poursuivre ; c'eft elle qui l'a
fait périr & qui l'a conduit devant Troie . S'il lui
faut une captive , fi la beauté fixe fon choix , la
» fille de Tindare furpaffe la mienne en auraits.-
Jufqu'ici j'ai fait parler la juftice ; mais vous ,
fachez de quel prix vous devez payer mes fervices.
Vous preniez mes mains , dites- vous ; vous
» étiez à mes pieds dans la pofture d'un fappliant :
eh bien ! c'eft moi qui embraffe ici les vôtres ;
» c'est moi qui vous fupplie , c'eft moi qui implore
de vous la grâce que vous me demandies
alors. Ah ! n'arrachez pas ma fille d'entre mes
bras , n'immolez pas ma fille , c'eſt aſſez de tant
d'autres morts. Par elle je fuis heureufe , & j'ou-
» blie tous mes malheurs ; feule elle adoucit les regrets
de tant de pertes cruelles ; c'eft ma patrie ,
" ma nourrice , mon guide , l'appui de ma vicilleffe.
Il ne faut pas que les Souverains donnent
» des ordres injuftes ; qu'ils ne pensent pas que leur
profpérité foit inaltérable : moi - même j'étois´autrefois....
à préfent je ne fuis plus.... tout mon
" bonheur.... un jour l'a détruit. O vous qui rece-
≫ vez mes tendres fupplications , refpectez ma vieilleffe
, ayez pitié de mes maux ; retournez vers
l'armée des Grecs , dites- leur que c'eft un oppro
" bre de faire périr des femmes arrachées aux pieds
des autels , mais dérobées au carnage par leur
généreufe pitié....
39
55
2

ر و
Jamais le malheur & la tendreffe maternelle n'ont
parlé un langage plus touchant : voilà qui eft fait
pour émouvoir & pour attendrir toutes les âmes
dans tous les pays & dans tous les fiècles ; voilà ce
qui feroit pleurer fur tous les Théâtres du monde.
DE FRANCE. 83
Les moeurs ont beau changer , l'Art a beau faire des
progrès , ces beautés ne périront point , & feront
éternellement univerfelles. Il cft impoffible que la
réponse d'Ulyffe foit d'une grande force ; tout ce
qu'il peut faire , c'est d'oppofer la fuperftition à la
Nature , & la volonté des vainqueurs aux droits de
l'infortune . Mais un morceau qu'on peut citer encore
après le difcours d'Hécube , c'est celui de Polixène
que fa mère follicite de parler elle -même en fa
faveur.
POLIXEN E.
« Vous retirez votre main , Ulyffe ; vous vous
» détournez de peur que la mienne ne touche votre
" vifage. Ne craignez tien , je n'attirerai point fur
» vous la colère du Dieu des fupplians ; je vous
ל כ
fuivrai ; je cède à la force , je cède au defir de la
» mort ; il faudroit que je fuffe bien timide & bien
» peu généreuse pour avoir d'autres fentiens.
» Comment pourrois-je aimer la vie ? Moi , la fille
» du Roi de la Phrigie entière , qui ai paffé mon
» enfance près du trône , nourrie des plus belles
» efpérances , deftinée à devenir l'époufe d'un Mo-
» narque , & recherchée par les plus hauts partis ;
» moi , à qui obéiffoient toutes les Troyennes , &
qui érois diftinguée entre toutes les jeunes filles
» de mon âge ; égale enfin aux Déeffes en tour ,
hors l'immortalité , & qui maintenant fuis efclave.....
Efclave ! ce nom feul me fait aimer la
» mort , ce nom auquel je ne fuis pas faire . Je tom-
» berois entre les mains d'un maître cruel ! il ache.
» teroit , à prix d'argent , la foeur d'Hector & de
» tant de Héros ! Réduite aux plus viles fonctions
» du ménage , & aux ouvrages les plus abjects , je
pafferois mes jours dans l'infortune ! Et cetre
main , recherchée des Rois , il faudroit donc la
livrer au vil compagnon de ma fervitude ! Nos ,
D vj
$4
MERCURE
33
non , je renonce à cette lumière qui ne doit pas
» éclairer mon efclavage. Je cherche les ténèbres de
» la mort. Ulyle , conduifez moi au lieu de mon
fupplice ; il n'eft plus pour nous de refl'ource ni
d'efpérance. Et vous , ma mère , ceflcz de rien
dire & de rien faire
pour retarder mon départ ;
confeillez-moi plutôt de mourir avant que de me
» voir expofée à des traitemens honteux , indignes
» de ma naiflance. Lorsqu'on n'a point connu l'in-
"
fortune , on la fupporte avec peine , & l'on courbe
» difficilement fa tête fous le joug de l'adverfité.
→ Alors c'eft un bien de mourir. La vie n'eft qu'un
fardeau infupportable quand il faut la paffer dans.
» l'opprobre. »
"
On peut voir par ces morceaux
que le ftyle
du
Traducteur
eft correct
en général
, & qu'il ne manque
ni de douceur
ni de fenfibilité
, qualités
fi néceffaires
pour traduire
les Anciens
.
Les récits qui forment le dénouement de toutes
Jes Pièces , font encore une des parties dans lesquelles
Les Poëtes Grecs ont fait le plus admirer ce génie que
toutes les Nations ont voulu imiter. Ils formèrent
Jeur Art fur les Ouvrages d'Homère , & tranfpor
tèrent dans les récits de la Tragédie les beautés
de la narration épique. Euripide montre fur tout ce
talent au plus haut degré , dans le récit de la most
de Néoprolème , dans celui du combat des deux
Frères ennemis , dans le récit de la mort de Polixène ,
&c. On voit qu'ils ont fervi de modèle à Racine pour
les récits qui terminent Phèdre & Iphigénie , les
deux morceaux dans lesquels notre langue a le mieux
reçu les formes & les couleurs de l'épopée des Anciens.
En général , avec moins de génie même que
les Modernes , ils devoient pofléder le talent de la
narration à un plus haut degré. Pour faire un beau
écit , les Écrivains Modernes doivent créer une
multitude de circonftances qui manquent aux évé
DE FRANCE. 85
nemens . Parmi nous , les faits ne fe paffent guère au
milieu des cérémonies & des facrifices d'un temple ,
au milieu d'un peuple ou d'un Sénat aſſemblé avec
l'appareil augufte de la Légiflation ; mais cela étoit
ainfi chez les Anciens . Les événemens , fi j'ofe le
dire , trouvoient les hommes dans des fonctions &
des attitudes pittorefques & dramatiques. Parmi
nous , Céfar affaffiné dans un Sénat , ne feroit point
allé tomber aux pieds de la ftatue de Pompée . Chez
les Anciens , pour faire un récit dont chaque circonftance
formoit un tableau intéreffant , il fuffifoit
très-fouvent de raconter les chofes comme elles
s'étoient placées. Cette obfervation demandercit
peut- être plus de détails , mais ce n'en eft pas ici le
licu , & nous nous propofons de la développer ailleurs.
On voit que fi l'Art du Théâtre s'eft beaucoup
perfectionné parmi-nous , nous peut trouver encore
chez les Anciens de nouvelles fources de beautés &
d'intérêt. Dans des Ouvrages bien fupérieurs à tous
ce qu'ils ont fait pour l'intelligence de l'action & la
fcience des caractères , les Scènes qui produifent le
plus d'effet & d'émotion, ont été empruntées chez eux ..
Telle font l'Orefte & l'Edipe de Voltaire , & l'Edipe
chez Admète,de M. Ducis . En approfondi fant davantage
les paffions , on peut avoir négligé parmi - nous
ces premiers fentimens de la Nature , dont l'impreflion
eft moins forte , mais plus prompte & plus univerfelle.
Il faut avoir beaucoup échauffé l'âme avant de
l'attendrir par le tableau des paffions ; & fouvent
d'un feul mot , d'un feul accent , un fils & une mère
ouvrent dans nos coeurs les fources de nos larmes .
On peut apprendre encore dans l'étude des Tragiques
Grecs , à retrancher de nos Pièces je ne fais.
quelle dignité factice & cnflée qui n'ajoute rien à la
véritable majefté de la Tragédie , puifqu'elle ne rend
les paffions ni plus terribles ni plus touchantes , &
85 MERCURE
+
qu'elle empêche de repréfenter la Nature fous ces
formes fiamples & naives, avec lesquelles eile a tant
de puiffance fur nos âmes .Dans la Tragédie Grecque,
on ne voit guères que des Rois & des Princes ; mais
ils parlent comme des hommes : chez nous , l'homme
de l'état le plas fimple , parle en Prince , dès qu'il
eft monté à la dignité de la Tragédie ; & des fentimens
du coeur humain , on n'ose exprimer que ceux
qui peuvent le montrer avec orgueil dans un vers
élégant ou énergique ; c'eft-à-dire , que la plus
grande partie du coeur humain eft bannie de notre
Scène. Les trois grands Maîtres de l'Art en France ,
Corneille . Racine & Voltaire ont entrepris de
rendre la Tragédie plus fimple , pour la rendre
moins monotone & plus touchante . Corneille
dans Dom Sanche d'Arragon ; Racine , dans le
rôle de Joas ; Voltaire , dans plufieurs de fes dernières
pièces ; mais les deux premiers ne l'ont entrepris
qu'une fois chacun , & la fimplicité de quelquesunes
des dernières Tragédies de Voltaire , qui rappellent
fi fort le Théâtre des Grecs , peut être prife
trop aifément pour la vicilleffe d'un génie épuifé ,
qui ne pouvoit plus s'élever & le foutenir à la hauteur
de la Tragédie. On paroît reconnoître aujour
d'hui généralement , que pour enrichir la Tragédie,
il fant la faire defcendre de cette élévation que nous
avons ceffé d'admirer , & qui glace du moment
qu'elle n'étonne plus. Il a paru à ce fujet des opinions
qui ont un peu fcandalifé ce qu'on appelle les
Connoiffeurs; mais il faut examiner fi les paradoxes ,
comme toutes les révoltes , n'annoncent pas un befoin
preffant de changemens ; & puifque tous les grands
Maîtres ont donné de nouveaux fentimens & de nonveaux
caractères à la Tragédie , il ne faut pas fe
mettre fi fort en colère contre ceux qui veulent qu'on
imitent en cela les grands Maîtres .
M. Prévôr a joint à fa Traduction des Notes
DE FRANCE. 87
& une Vie d'Euripide . Cette Vie ne nous a pas paru
auffi bien écrite que la Traduction . C'est l'Ouvrage
d'un Erudit , beaucoup plus que d'un homme de
Lettres & de goût . Les faits raffemblés en foule n'y
font pas difpofés dans un ordre très-heureux . Il en eft
pourtant de très-curieux , & qui font d'autant plus piquans
, qu'ils peignent l'antiquité dans des chofes extrêmement
oppofées à nos moeurs & à nos ufages.
Nous en donnerons peut - être dans un des Mercures
prochains un extrait , où nous raffemblerons fous ce
point de vue les faits les plus intéreſſans de cette Vie
SPECTACLES.
ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ON a continué à ce Théâtre les repréſentations
de Renaud avec une affluence de
monde & des applaudiffemens qui affurent
à cet Ouvrage le fuccès le plus décidé.
Mile Saint-Huberti a conftamment été
applaudie , dans le rôle d'Armide , avec des
tranfports dont il y a peu d'exemples.
& 1
Le fieur Lainez a joué le rôle de Renaud
avec beaucoup d'intelligence & de feu ,
a obtenu de grands applaudiffemens.
On a donné auffi avec un fuccès également
foutenu , les dernières repréſentations de la
reprife d'Atys & du Seigneur Bienfaisant.
On a donné, pour les deux premières capitations
des Acteurs , deux repréfentations
$3 MERUCRE
du Théjée , de Quinault , remis en muſique
par M. Goffec. Nous ne pouvons pas diffimuler
que cet Ouvrage n'a pas produit
cette reprife tout l'effet que devoient faire
efpérer le mérite du Poëme , la pompe du
fpectacle , les grandes beautés dont la mufique
nouvelle eft remplie, & fur tout le fuccès
brillant qu'il avoit eu dans fa nouveauté .
On a donné, pour la troifième capitation ,
Iphigénie en Aulide, de M. le Chevalier
Gluck. L'efpèce de profufion avec laquelle
on a multiplié depuis dix ans les repréfentations
de cet Opéra , à qui l'on doit la révolution
qui s'eft faite dans la mufique Théâtrale,
n'a pu en raffafier le Public , qui s'y eft
porté avec la même affluence que dans la
nouveauté , & l'a applaudi avec le même
enthouſiaſme.
La clôture du Théâtre s'eft faite par une
repréfentation de Renaud , qui a couronné
fon brillant fuccès par la multitude des Spectateurs
& l'éclat des applaudiffemens . En réfervant
, contre l'ufage ordinaire , cet Opéra
nouveau pour la dernière capitation , c'eft
un hommage qu'on a rendu au mérite de
l'Auteur & de l'Ouvrage.

Iphigénie & Renaud ont été fuivis da
Ballet de la Chercheufe d'Efprit. Ce Ballet ,
l'une des compofitions les plus agréables de
M. Gardel , à été très bien exécuté par les
premiers Sujets de la Danfe , & on l'a reva
avec le plus grand plaifir .
Deux jeunes Débutantes dans la Danfe ont
DE FRANCE. So
mérité l'attention du Public. La première eft
la Dlle Zacharie , âgée de 12 à 13 ans , d'une
figure charmante , & qui a montré les difpofitions
les plus heureufes , perfectionnées
par les leçons d'un grand Maître . Il fuffit de
dire qu'elle eft Élève de M. Veftris le père ,
qui nous fera regretter long temps un modèle
de perfection dans la danfe noble , bien
difficile à remplacer.
La feconde et la Dlle Baffi , qui a quelques
années de plus que Mile Zacharie , &
dont le talent eft auffi plus formé. Elle joint
à une figure élégante & agréable , de la grâce
& de la variété dans les mouvemens , de la
légèreté dans les pas , & déjà cette préciſion ,
qui diftingue les Élèves de M. d'Aubervak,
à qui on doit l'éducation de cette jeune Dábutante.
Si quelque chofe peur dédommager le
Public de la perte qu'il a faite par la retraite
de MM. Veftris père & d'Auberval , ce font
les foins qu'ils prennent de reproduire dans
des Élèves les bons principes & le bon goût
d'un Art qu'ils ont profeffé avec tant de
diftinction .
COMEDIE FRANÇOISE ..
LE Lundi 24 Mars , on a remis Spartacus ,
Tragédie en cinq Actes , par feu M. Saurin.
Cet Ouvrage fut donné pour la première
fois en 1760. Il n'eut qu'un fuccès médiocre ;
༡༠
MERCURE
néanmoins il fut généralement eftiné par
cette portion de Gens de Lettres, qui ne fonde
point les opinions fur celles du parti qu'elle
a adopté , & qui n'a pas befoin , pour établir
fon jugement , de favoir fi tel Auteur
tient ou ne tient point à tel corps Littéraire.
On obferva, avec raifon , que le rôle de Spartacus
avoit un peu trop d'éclat; que la diftance
immenfe qui exifte entre fon caractère & ceux
des autres perfonnages de la Pièce , nuifoit à
l'enſemble de l'Ouvrage ; que l'attention fans
ceffe fixée fur la nobleffe , peut - être exagérée,
du gladiateur, ne fe reportoit qu'avec
peu d'intérêt & prefque fans curiofité fur les
autres figures du tableau : mais on rendit juf
tice à la marche de l'action , parce qu'elle
eft fage & bien entendue ; on diftingua plufieurs
Scènes filées avec autant de logique
que d'intelligence ; enfin , malgré les taches
qu'on apperçut dans l'Ouvrage , on convint
qu'il étoit digne , à bien des égards ,
des beaux jours de notre Littérature. Il y a
dix ou douze ans qu'un Homme de Lettres ,
connu par fes talens , a imprimé dans le Mercure
de France un extrait de Spartacus , extrait
dans lequel cette Tragédie de M. Saurin eft
appréciée avec autant de juſteſſe que de goût.
Nous ne faurions mieux faire que d'y renvoyer
nos Lecteurs .
La remife dont nous rendons compte a eu
un très grand fuccès le jour de la première
repréfentation. Les Spectateurs ont multiplié
leurs applaudiffemens de manière à
DE FRANCE. ༡༩
faire préfumer qu'ils étoient , pour ainf
dire , affamés de voir & d'entendre une
Tragédie raifonnable. Ne nous le diffimulons
point ; ofons même le dire tout haut.
On doit des éloges à quelques - uns des Dra
mes Tragiques qui ont été repréſentés fur la
Scène Françoife depuis quelques années ; ce
pendant combien ces productions méritent de
reproches , quand on les examine avec quelque
févérité ! Qu'elles font peu faires , nous
ne difons pas , pour fervir de modèles , mais
pour conferver leur petite réputation , lorf
que , revenus de leur premier engouement ,
les Spectateurs s'aviferont de les rapprocher
de quelques uns des Ouvrages de nos Maî
tres ! L'intérêt de l'Art demande que cette révolution
arrive bientôt. Le Public n'eft que
trop accoutumé à cet amas inconcevable de
tableaux , d'incidens , de fituations , d'effets
par le moyen defquels on éveille aujourd'hui
le goût ufé du plus grand nombre des Ama,
teurs du Théâtre ; & il eft à craindre que , s'il
fe
propage encore pendant quelque temps ,
le mal ne foit fans remède. La feconde repré
fentation de Spartacus , déjà moins applaudie
& moins goûtée que la première , nous a
conduits , prefque malgré nous , à ces obfervations
, qui ne feront pas du goût de tout
le monde , mais qui obtiendront peut - être
un regard favorable de la part de quelques
bons efprits.
M. la Rive a joué avec beaucoup de nobleffe
, d'intelligence & d'énergie le rôle dif
92 MERCURE
ficile de Spartacus. Si ce Comédien , dont
le zèle & l'ardeur font infatigables , continue
de faire des progrès auffi rapides que ceux
qu'il a faits depuis quelque temps , il faudra
lui donner pour devife ces mots par lesquels
un grand Poëte a caractérifé la Renommée :
Crefcit eundo.
ANNONCES ET NOTICES.
COUTUMES & Cérémonies Religieufes de tous les
Peuples du Monde , en quatre Volumes in folio ,
divités en quinze Cahiers ou Livraifons . Prix ,
8 liv. brochés , quinzième Livraiſon , A Paris , chez
Laporte , Libraire , rue des Noyers.
Le prix de chaque Cahier de cet important Ou
vrage eft fixé depuis le premier Avril à 10 livres,
pour ceux qui n'ont pas fouferit avant cette époque
& les Éditeurs prévoient qu'après ce mois- ci ils
ne pourront plus fournir , parce qu'il ne leur en refte
qu'un très - petit nombre.
BOUQUET à mon Oncle , Ariette bouffonne
d'un nouveau genre , qui eft dans le diapazon de
toutes les voix , paroles & mufique de M. le Chez
valier de Bernard de Saint-Salvy . Prix , 2 liv . 8 fols .
A Paris , chez Auvrai , rue Saint Jacques , près Saint
Yves.
DESCRIPTION Hiftorique & Géographique de
la Ville de Melfine , & c. &c . & Détails météorologiques
du défaftre que cette Ville vient d'éprouver le
s Février 1783 , avec des Notes curieufes & intéresfantes
fur la Calabre ultérieure , la Sicile & les Iftes
:
DE FRA'N CE. 93
de Lipari , &c. &c. &c . avec Cartes . A Paris , chez
Defnos , Libraire , & Ingénieur - Géographe du Roi
de Danemarck , rue S. Jacques.
L'Auteur de cette Defcription affure que fes détails
hiftoriques & météorologiques font de la plus grande
exactitude , & il prévient le Lecteur qu'on ne doit
ajouter foi qu'aux Exemplaires où fe trouvent les
Cartes.
LES Joueurs de Petit Palet , peint par J. B.
Leprince , gravé par Mlle de la Brehardière . Prix ,
2 liv . 8 fols. A Paris , chez Alibert , Marchand d'Eftampes
, au Palais Royal ,
Cette Eftampe eft d'un effet pittorefque.
ETAT de la France , ou Traité des Devifes Héraldiques.
Comme on fe propofe de donner 3 Vol .
de cet Ouvrage par année , dont le premier contiendra
l'état des Grands Officiers de la Couronne ,
des Officiers de la Maifon du Roi & des Princes
de fon Sang , le deuxième le Clergé, le troifième
les Parlemens & tous les Officiers des Cours Souveraines
; l'Auteur prie les Perfonnes qui occupent
une place dans l'un de ces trois états , de lui envoyer
des Mémoires détaillés fur leurs Maifons ,
avec toutes les dates des Naiffances , Grades , Mriages
& Morts , ainfi que les différentes Lettres
d'honneur & autres Pièces qu'elles pourront avoir ,
avec l'empreinte de lcuts Armes , pourvu que le
tout foit duement attefté par les Juges ou Subdélégué
du lieu de leur réfidence. L'Auteur ne set pas
borné aux feules Familles Françoifes . Cet Ocvrage
fe trouve à Paris , chez l'Auteur , ruc Jacob ,
Fauxbourg S. Germain, nº . 41 ; & chez Lefclapart,
Libraire de MONSIEUR , Pont Notre- Dame , à la
Sainte Famille , n ° . 23. Prix , 1 livre 16 fols br.
94
MERCURE
JOURNAL des Obfervations Minéralogiques
faites dans une partie des Vofges & de l'Alface ,
Ouvrage qui a remporté le prix au jugement de
MM . de la Société Royale des Sciences , Belles-
Lettres & Arts de Nancy , en 1782 ; par M. de
Sivry, Avocat au Parlement. A Nancy , chez H.
Haner , Imprimeur du Roi , &c.; & fe vend à
Paris , chez Durand neveu , Libraire , rue Galande.
L'Académie de Nancy s'occupe actuellement de
l'Hiftoire générale de Lorraine , & avoit defiré des
Mémoires fur la Minéralogie de cette Province . M.
de Sivry a foumis à fon jugement un Ouvrage qui
- traite cette matière , & qui fuppofe beaucoup de recherches
& un grand fonds de connoiſſances . L'Académie,
non conténte de le couronner, a cru devoir
s'affocier l'Auteur lui- même , & nous ne doutons
point que le Public n'applaudiffe à cette double couronne.
CULTURE de la groffe Afperge , dite de Hollande,
par M. Filaffier , des Académies d'Arras , de
Lyon , de Marfeille , & Correfpondant de celle de
Touloufe , nouvelle Édition . Prix , 1 livre 4 fols.
broché A Amfterdam , & fe trouve à Paris , chez
Méquignon l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers .
L'Auteur de cet Ouvrage prévient qu'il fait cultiver
du plant de la groffe Afperge à quinze livres le
millier, pris dans la pépinière à Clamart fous Meudon
, & qu'il faut adrefler de bonne heure les lettres
franches de port au Libraire qui vend fa Brochure.
LETTRE à l'Académie de Dijon , avec Répoxfe
à ce qui a paru douteux dans le Mémoire fur l'inocubution
de la pefte , par M. D. Samoilowitz , Affef.
feur des Collèges de S. M. I. de Toutes les Ruffies
, Docteur en Médecine , Chirurgien- Major du
Sénat de Mofcou , Membre de la Commiflion
DE FRANCE.
95
contre la pefte , Affocié de l'Académie des Sciences
, Arts & Belles - Lettres de Dijon , de l'Académie
Royale de Nifmes , & du Musée de Paris , Brochure
de 63 pages . Prix , 1 livre 16 fols .
L'Auteur de cet Ouvrage eft fur le point de donner
à l'impreffion fon Mémoire fur la pefte , qui ,
en 1771 , a ravagé l'Empire de Ruffie , & fur - tout
Mofcou , Volume in - 8 ° . d'environ 600 pages ,
dédié à la Souveraine Catherine- la- Grande.
L'ART de peindre à l'esprit , Ouvrage dans
lequel les préceptes font confirmés par des exemples
tirés des meilleurs Orateurs & Poëtes François ,
Édition revue & corrigée , par M. de Wailly , du
fonds de M. Lottin l'aîné . A Paris , chez Onfroy ,
Libraire , quai des Auguſtins ; & Colas , Libraire ,
Place Sorbonne, 3 Vol . in- 8 ° . Prix , 9 liv . reliés.
Cet Ouvrage utile , qui eft réimprimé pour la
troifième fois , eft de feu Dom Jean Bernard Senfaric
, Bénédictin de la Congrégation de Saint - Maur
& Prédicateur. C'eft un Livre claffique propre à
éclairer l'efprit des jeunes gens , fans mettre leurs
coeurs ni leurs moeurs en danger.
MANEUVRES Militaires de Poftdam. Le fieur
Méquignon l'aîné , Libraire à Paris , rue des Cordeliers
, a reçu diverfes lettres de plaintes du court
délai qu'il a accordé pour la foufcription de cet important
Ouvrage. Les unes font fondées fur les circonftances
de la guerre , & les autres fur l'éloignement
des lieux où l'annonce n'eft parvenue que
depuis peu de temps. Il fe croit donc obligé de prolonger
le terine de cette foufcription pour la France
jufqu'au premier Juin prochain , & en faveur des
Etrangersjufqu'au premier Juillet fuivant. Paffé ce
temps , elle fera rigoureuſement fermée pour tout le
monde. On paye 24 liv. d'arrhes en fouſcrivant.
95 MERCURE
CARTE Phyfique & Hydrographique de la
France , où l'on a figuré les chaînes de montagnes
fervant de baffins aux fleuves & rivières qui l'arrofent
, avec leurs dénominations & indications des
lieux où elles font navigables , Ouvrage complet en
fon genre. Prix , 1 liv. 10 fols .
TABLEAU de la France , divifé par Gouvernemens
& Provinces , pour fervir à l'aflemblage & à
l'intelligence des cent quatre-vingt Cartes levées
géométriquement par ordre du Roi , & publiées par
MM . de l'Académie . Prix , 1 liv. 10 fols.
. Ces Ouvrages font de feu M. Dupain - Triel fils ,
& fe trouvent à Paris , chez રે le fieur Moithey , Ingénieur
-Géographe du Roi , rue de la Harpe , la portecochère
au deffus du Collège d'Harcour , & chez
le fieur Vignon , Marchand de Cartes de Géographie
, rue Dauphine , vis -à- vis la rue d'Anjou.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Mufique & des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
QUATRAIN à M. le Comte Enigme & Logegriphe , 59
d'Ffaing , 49 Les Tragédies d'Euripide , 60
Air dela Nouvelle Omphale, so Acad. Royale de Mufiq. 87
Suite de la Fable de Ceyx & Comédie Francoife ,
52 Annonces& Notices ,
Alcyone ,
AP PRO B∙ATION.
89
92
FAI1 lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
"Mercure de France , pour le Samedi 12 Avril. Je n'y al
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreflion. A Paris ,
Je 11 Avril 1783. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 19 AVRIL 1783.'
PIECES FUGITIVES
EN VERSET EN PROSE.
ÉPITRE à Mlle DE M*** , qui m'avoit
dit plufieurs fois que le talent de faire des
vers étoit un des plus agréables dans la
Société.
CROyxz - vous donc que le talent
De la mefure & de la rime
Soit , d'un fentiment unanime ,
Un avantage fi brillant ?
CROYEZ- VOUS que la Poéfie
Doive augmenter les agrémens
De notre bonne compagnie ?
Que l'éphémère fantaifie
D'ennuyer tant foit peu les gens
Par des vers faits à contre- temps ,
Que l'on montre avec bon-hommie ,
ℼ. 16, 19 Avril 1783.
E
98 MERCURE
Soit , malgré les mauvais plaifans ,
Un titre affuré de génie ?
Ан ! j'eus trop fouvent la manie
De rimer dès mes jeunes ans
Des riens-dictés par la Folie :
J'arrangeois , trop près des méchans ,
Des bouquets pour Flore ou Sylvie;
De madrigaux très - innocens
J'égayois ma métromanie.
Qu'arriva-t'il? De tous côtés
Mufe .
On tourmenta ma pauvre
L'Envie , aux regards de Médufe ,
Par les poignards enfanglantés ,
Effraya ma frêle exiſtence ;
Je connus mon irrévérence , ›
Et remis à des temps plus doux
Mes erreurs & mes rendez -vous
Et ma poétique licence .
MAIS je fais trêve à mon ferment;
Doris , je çeffe d'être fage ;
Oui , pour mon coeur c'eft un tourment
De diffimuler fon langage.
Je puis dire , fans fade encens ,
Que votre efprit , fans perfifflage ,
Vos qualités, fans étalage ,
Ont enchanté tous les inftans
Que j'ai paffés dans l'hermitage
DE FRANCE.
و و
Dont F *** fait les honneurs
Avec tant d'eſprit & d'uſage .
Je voulois cueillir quelques fleurs
Pour cette digne & tendre amie ;
Je voulois peindre fa douceur ,
Les attraits qu'elle multiplie ,
Et fes grâces & fa candeur.
Heureufement la modeftie ,
D'un ton naïvement railleur ,
M'objecta mon infuffifance ;
Si l'on peignoit comme l'on fent,
J'en ferois capable , je penſe ;
Mais , hélas ! c'eft bien différent,
Dans ma paifible infouciance ,
A l'abri de tout important ,
J'aime mieux rêver en filence.
( Par M. le Comte de Rofieres , Officier
au Régiment d'Aunis. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de
l'Enigme eft
Prodigalité ; celui
du
Logogryphe et Potage , où le trouvent
Age, ôtage & Tage.
*
E ij
' ico MERCURE
CHARÁ DE.
REDOUTE mon premier lorſqu'il eft folitaire ;
Mon fecond a des droits , & fur mer & fur terre ,
Et mon tout a fermé le temple de la Guerre.
JE
( Par une Dame de Verfailles . )
ENIGM E.
E fais comme le Rhin , d'origine Helvétique ,
Et j'arrive avec lui chez le peuple Hollandois.
Sous le puiflant abri d'un Monarque François ,
Je vins au nouveau Monde ; & malgré les Anglois ,
J'eus treize Autels en Amérique .
( Par M. de Clavi, )
LOGOGRYPHE.
L'UN me veut bleu , l'autre blanc , un troisième
M'aime mieux rouge , & cependant ,
Tous d'accord , me demandent blanc.
Me tiens- tu ? Non. Je vais changer de thême.
Dans mes huit piés tournés diverſement ,
Se trouve un mot qu'on dit volontiers quand onaim ;
Un objet féduifant , félicité fuprême ,
Que Mahomet promet à fes bons Muſulmans .
L'infenfé ! cet objet ne convient qu'aux vivans.
DE FRANCE. IOL
Le pivot qui tourne la tête ;
Plus bas.... mais il faut être honnête,
Et ne pas nommer trop à cru
Ce qu'on voit rarement tout nu.
Enfin , pour finir le chapitre ,
Un Saint , un inſtrument , un titre.
:.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LE ROI LÉAR , Tragédie cinq en cinq Actes
par M. Ducis , de l'Académie Françoife ,
Secrétaire ordinaire de MONSIEUR , repréfentée
à Verfailles devant Leurs Majeſtés
le Jeudi 16 Janvier 178;; & à Paris , le
Lundi 20 du même mois , par les Comédiens
François . A Paris , chez P. Fr.
Gueffier , Imprimeur- Libraire , rue de la
Harpe.
AU
U moment où nous nous difpofons à
rendre compte de cette Tragédie , elle a été
jouée dix neuf fois avec la plus grande affluence
, & fes repréfentations ne font pas
encore épuifées. Nous en avons vu pluhieurs
; la Pièce nous a toujours paru accueillie
avec les mêmes applaudiffemens
• Un pareil fuccès eft bien fait pour flatter ,
pour énorgueillir le Poëte le plus ambitieux,
& pour lui donner de douces jouiffances.
Il eft fâcheux d'avoir à les troubler ! mais
E iil
102 MERCURE
l'indulgence , qui ne quitte guère les Spectateurs
auThéâtre quand de grandes malles de
beautés ferment leurs yeux aux défauts, n'entre
point dans le cabinet du critique ; & il en
fort toujours quelques triftes vérités , d'autant
plus rudes aux oreilles de l'Auteur applaudi
, qu'il n'eft encore accoutumé qu'au
doux concert de la louange. Quand on rend
compte d'un Ouvrage , on ne peut acheter le
plaifir d'en louer les beautés, que par le
trifte emploi d'en faire connoître les défauts.
Nous fommes , en un mot , les perturbateurs
nés du repos de l'amour - propre.
Heureux encore , lorfque nous avons à
parler d'un Ouvrage , tel que le Roi Léar ,
affez fort en beautés pour réfifter au choc de
la critique , & qui nous laiffe affez de bien
à dire pour nous confoler des reproches que
nous avons à lui faire.
On a déjà parlé de cette Tragédie dans
plufieurs Ouvrages Périodiques ; mais ſi c'eſt
un défavantage pour nous d'avoir été prévenus
, nous y gagnerons au moins , en ce
que la Pièce étant plus connue , nous fomnies
difpenfés de donner à l'analyse du plan
une étendue moins minutieuſe.
Le Roi Léar , qui avoit trois filles , a
donné l'une , Volnérille , au Duc d'Albanie';
l'autre , Regane , au Duc de Cornouaille ;
la troisième , Helmonde , il l'a chaffee ignominieufement
, trompé par les calomnieufes
accufations de Volnérille. Après cela , il a
dépolé la couronne en faveur de les deux
DE FRANCE. 103
gendres , le Duc de Cornouaille & le Duc
d'Albanie , qui fe font partagé entre eux
l'Angleterre. Voilà le fonds fur lequel eft
bâtie la fable de cette Tragédie . "
Ce qui en
forme
les
avoir
abdiqué ; les
le noeud
principal
, c'eft
leretraitemens
qu'il reçoit
de la cruelle
.'
le regret
de Lear , après
mauvais
Volnérille ; fa fuite de chez elle ; le trouble
de fa railon ; fon arrivée chez fa fille Regane
, qui , de concert avec fon époux , le
Duc de Cornouaille , le challe de fon palais ;
la rencontre qu'il fait par hafard d'Helmonde
, qu'on a crue morte , qu'on a cachée
dans la cabanne d'un Payfan , & qui accueille
fon père avec toute l'affection d'une
fille tendre & vertueufe , les perfécutions
tyranniques du Duc de Cornouaille , qui
arme & court après Léar , dans la crainte
qu'il ne fonge à remonter fur le trône ; enfin
la défaite de l'infame Duc , la punition de
Folnerille & de Regane ; & la couronne
rendue à la vertueule Helmonde , auprès de
qui l'infortuné Léar retrouve le bonheur &
la paix.
A ce noeud principal fe joignent d'autres
actions & d'autres intérêts acceffoires , tels
que le Comte de Kent , vieux Courtilan in
juftement dilais tonjours fidèle à
fon Roi , & fes deux fils , Edgard & Lénox ;
perfonnages qui , à la vérité , fervent à l'action
, mais qui n'ont pas d'autre titre pour
influer que la volonté peu motivée de
l'Auteur , ou le befoin qu'il en a eu ; & qui
E iv
104
MERCURE
ne produifent guères d'autre effet que d'en
furcharger l'intrigue.
L'expofition eft fi embarraffée , qu'elle
rend le premier Acte inintelligible , & jerte
de l'obfcurité dans tout le refte de la Pièce .
Que de perfonnages principaux paroiffent
dès les cinq premières Scènes , & avec des
intérêts divers ! C'eft le Duc de Cornouaille
& fa femme Regane ; c'eft le Duc d'Albanie ;
c'eft Lenox & Edgard ; les fils de Kent ; &
Kent lui-même. Et tous ces perfonnages ont
prefqu'une expofition à faire . Quelle attention
, quelle mémoire pourroit embrailer
tant de motifs divers qui les raffemblent ?
ou plutôt , comment fuppléer au fil qui doit
néceffairement manquer à l'Auteur pour lier
tant d'intérêts oppofés , ou tout au moins
différens ? Ou l'Auteur expofe longuement
& alors il fatigue fes Spectateurs ; ou il le
fait en peu de paroles , & alors le moindre
mot , qui échappé à leur attention , les laise
dans l'obfcurité.
La preuve que l'Auteur eft embarraffé 'de'
la foule de perfonnages qu'il fait fur le
champ paffer fous les yeux du Spectateur
ceft qu'il fe croit obligé de décliner leurs
noms quand ils arrivent . Dès la première
Scène , le Duc de Cornouaille dit à ſon Confident
Ofwald:
10:
On vient: pars.... C'eſt Regane & le Duc d' Albanie
Et les deuxfils de Kent qui s'offrent à ines yeux.
S
Affurément Ofwaldconnoît les perfonnages
DE FRANCE. ~105
+
qui entrent; mais il faut que le Spectateur
les connoiffe aufli . Il eft aflez ordinaire , il
eft vrai , qu'on nomme le perfonnage qui
arrive ; mais l'artifice de l'Auteur paroit bien
plus évidemment quand il eft obligé d'en
nommer quatre à la fois.
Que doit - il réfulter encore d'une trop
grande inultiplicité de perfonnages ? C'eft
qu'on ne peut ni développer , ni même mo
tiver ; c'eft que l'intérêt languit , parce que
l'action fe traîne ; c'eft que le coeur n'eft tous
ché que par accès , & que ce font des cafcades
continuelles ; c'eft que ne pouvant in
troduire des perfonnages dans une Pièce fans
les occuper , on eft au moins obligé de les
faire aller & venir , & que fe heurtant fans
celle , ils coupent l'intérêt à chaque inſtane.
Ce n'eft pas que ce ne foit là un moyen d'amener
de belles fituations , mais c'eft un
grand obftacle à faire de bonnes Tragédies.
Le fecond Acte eft plus intéreffant que le
premier , dont l'obſcurité fatigue ; mais à
mefure que l'intrigue s'éclaircit , les défauts
du plan fe manifeftent. Dans ce fecond Acte ,
on voit Léar qui s'eft enfui du palais de la
cruelle Volnérille , pour le réfugier chez fon
autre fille Regane , Ducheffe de Cornouaille .
Il eft pourfuivi du regret d'avoir cédé fon
trône , & indigné de l'ingratitude de fa fille !
Quoi ! ma fille ! mon fang ! ... couronné par ma main !
Oh! ma raifon s'enfuit à cette horrible idée !
E v
106 MERCURE
Léar, tu n'es plus rien ; ta puiffauce eft cédée ;
repens trop tard……….….
Ta te
Ces vers , celui - ci fur tout :
Oh ! ma raifon s'enfuit à cette horrible idée.
préparent & annoncent adroitement le délire
prochain de Léar. Combien il eſt encore
adroit & intereffant de lui faire dire un moment
après !
Mon ami , mon cher Kent... le dirai - je ? ... Oui , je
crois
Que déjà mon efprit s'eft troublé quelquefois.
La Scène qu'il a avec Kent eft belle , &
écrite avec intérêt. Elle peint avec beaucoup
de vérité les remords de Léar , pour avoir
chaffé l'innocente Helmonde ; les malheurs
dont il eft accablé , & fon amour pour les
enfans . Mais on eft furpris de le voir aller
trouver d'abord Kent , qu'il a autrefois difgracié
, au lieu de fe préfenter à fa fille Regane
, qu'il efpère trouver fidelle & toujours
fenfible.
C'eft à la fin de cet Acte qu'il eft chaffe
par fa fille Regane & fon époux le Duc de
Cornouaille.
Nous avons promis à nos Lecteurs de ne
pas traîner leur attention fur une analyfe
trop minutieufe , & nous tiendrons parole ,
fur tout quant aux objets qui ne tiennent
pas à l'action principale. Même avec l'inten
tion de borner nos critiques , elles n'auront
DE FRANCE. 107
encore que trop d'étendue , parce qu'il faut
T'avouer , malgré le grand talent qui règnę
dans cette Tragédie , comme dans les autres
Ouvrages de fon Auteur , le plan en eft trèsdéfectueux.
Après quelques autres obfervations
fur les détails effentiels , nous pafferons
à dés réflexions générales fur l'action & fur
les perfonnages.
Le troisième Acte , qui , comme les deux
derniers , fe paffe dans une forêt , fait beaucoup
d'effet au Théâtre , parce qu'il y a
beaucoup d'action , & fur tout du Spectacle.
Entre la quatrième & la cinquième Scène ,
le Theatre refte vuide. C'eft Helmonde &
Edgard qui fortent enſemble ; & c'eft
Léar qui entre faus les appercevoir & fans
en être apperçu. Cela n'eft plus permis
aujourd'hui, & l'on ne peut être tenté d'enfreindre
la loi qui le défend , qu'en imitant
Shakespeare, qui s'eft moqué de toutes les autres,
ou plutôt qui n'en a jamais connu aucune
On voit donc le malheureux Léar chaffe
par fa fille Regane , traverfant la forêt , &
affailli par un orage épouvantable. Mais on
T'a vu partir avec le fidèle Kent ; comment
fe trouve- t'il là tout feul ? Pourquoi Kent
s'eft il féparé de lui ? Comment l'a- t'il quitté
ou perdu ? Cela eft poffible , mais cela n'eft
pas vraisemblable en pareille fituation .
Kent , qui non feulement voit fon Roi accablé
de chagrins , mais qui voit ſa raiſon
troublée , ne doit marcher , pour ainsi dire ,
qu'en le tenant par la main , il ne doitypas
E vj
10$ MERCURE
faire un pas fans lui parler , fans le toucher.
Ce n'eft pas ici une chaffe où l'on peut s'égarer
facilement ; c'eft un voyage qu'ils font
à pied , & fans meine avoir befoin de précipiter
leur marche. En un mot , Kent n'eft
pas pardonnable d'avoir perdu Léar ; &
l'orage qu'il fait eft une excufe très- infuffifante
pour lui.


Au refte , cen orage ,
, cer orage , quoiqu'il eût pu faire erorage feul la fortune de ce troifième Acte , nous a
paru , ofons le dire , puéril , par l'impor
tance que l'Auteur femble y avoir attachée.
Un orage peut fournir au Poëte un mouvement
une fituation ; mais on ne peut
guères , fans tomber dans l'affectation
& dans l'emphafe ,, en faire un grand
reffort tragique. Chez les anciens , il eft
-vrai , le tonnerre rappeloit des idées fuperftitieufes
; mais il auroit fallu de deux
chofes l'une , ou préfenter cet objet comme
un trait rapide , fans s'y arrêter , ou difpofer
les efprits à l'illufion par une forte peinture
des mours antiques. Rien de tout cela
ne fe trouve ici ; & ce qui prouveroit prefque
que cet otage eft déplacé ou mal employé
, c'est qu'il fait dire à Léar bien des
folies , même dans fes momens de raiſon. Il
invite cieux , tonnerre , tempête à verser fur
lui tous leurs torrens & tous leurs feux ; il
leur dit qu'il n'a pas le droit de fe plaindre
d'eux : frappez , leur dit- il encore ,
Ce corps mourant , cette tête Aétrie ,
DE FRANCE. 109
Ce front mal défendu par quelques cheveux blancs ,
Qu'au gré de leurs combats fe difputent les vents.
Defcription qui eft plus comique que touchamte.
Enfin Léar ajoute :
N'y voyez plus la place où fut mon diadême.
Comme fi en effet l'orage attendoit la permiflion
de Léar pour manquer de refpect à
la place où fut fon diadême !
Et quand Léar a retrouvé Kent , il lui dit :
Cher ami , tu le vois ,
La Nature en fureur n'épargue point les Rois.
Eh ! fans doute , c'eft ce que tout le monde.
fait ; & ce font là de ces vérités qu'on ne dit
point fans s'expofer à faire rire . Nous avons
vû cent fois nos Rois à la chaffe , égarés ,
affaillis par la tempête ; & aucun de nous
n'a été furpris de voir qu'en leur faveur , il
n'ait pas ceffe de pleuvoir & de tonner. Ces
Monarques eux mêmes n'ont rien vâ là fans
'doute que de naturel. L'infortune de Léar
n'ajoute pas affez à fa fituation pour anéantir
ce reproche. Sans doute il eft fâcheux d'avoir
à effuyer un violent orage ; mais ce ne font
pas de ces malheurs pour lefquels on doive
chercher à intéreffer fur la Scène Françoiſe .
D'ailleurs , pourquoi entretenir les efprits
dans la peur du tonnerre, quand , depuis tant
d'années, on fait un crime aux Gouvernantes
& aux Nourrices de l'infpiter à nos enfans ?
Cependant l'Auteur a bien de la peine à
MERCURE
abandonner cette idée ; car il fait dire à Helmonde
, dans l'Acte fuivant :
Mon père , étois-tu fait pour incliner ta tête
Sous le poids des torrens vomis par la tempête !
Hélas ! je les ai vûs , ce front , ces cheveux blancs ,
Sois le feu des éclairs infukés par les vents .
C'eſt à dire , Mon père, étois- tu fait pour
étre expofé à la pluie, &c.
Nous ne quitterons point ce troiſième
Acte fans parler d'Helmonde, cachée dans une
caverne de la forêt , chez un Payfan nommé
Norclète. Ce Payfan n'a pas été mis dans la
confidence. Refte à favoir s'il n'étoit pas plus
prudent de lui confier l'hiftoire d'Helmonde ,
afa que par mal adreffe il ne s'exposât point
à la trahir fans le vouloir ; ce qui arrive en
effet ; car Norclète découvre à Kent & à
Léar, qui fe trouvent fur fon chemin , qu'il
a fans doute chez lui la perfonne qu'ils
cherchent , Helmonde , dont il ne fait pas le
nom ; & l'on fent qu'il auroit fort bien pu
faire à tout autre la même confidence. Mais
fi Edgard , qui a placé Helmonde chez ce
Payfan , n'a pas cru devoir la lui faire connoître
, il devoit donc lui cacher auffi fon
propre nom. Point du tout , par une inconféquence
bien fingulière , il lui a dit qu'il
s'appeloit Edgard. Cela n'empêche pas qu'il
n'y ait une belle & très belle Scène dans cet
Acte , celle où Léar retrouve Helmonde,
Dans le quatrième Acte, notamment dans
DE FRANCE.
la huitième Scène , les invraiſemblances s'entâffent
affez facilement. Ofwald parle dans
la forêr à Kent , & ne le reconnoît pas ; il
parle à Helmonde , & ne la reconnoît pas.
Hn'a donc jamais vu ni l'un ni l'autre ? Si
tout cela eft poſſible , il faudroit au moins
nous apprendre comment. Il ne fuffit pas
que l'Auteur ait évite de faire rencontrer ces
trois perfonnages dans fa Pièce ; & il eft nåturel
de penfer qu'Ofwald , l'Officier &
l'ami du Duc de Cornouaille , connoît &
Kent & Helmonde , à moins que l'Auteur ne
nous prouve le contraire. Mais dans une fi
grande multiplicité d'objets , quand on a tant
à dire , il eft difficile de dire rout . C'eft
pourtant là le plus bel Acte de la Pièce ,
parce qu'il s'y trouve la fublime Scène de la
reconnoiffance d'Helmonde, & de Léar.
Il feroit difficile de juftifier le cinquième
Acte; il feroit même inutile d'en entreprendre
la critique. On pourroit demander pourquoi
Léar , qu'on a vu emmener par les
Gardes du Duc de Cornouaille , paroît toutà
coup fur la Scène fans que perfonne en foit
étonné. L'Auteur a t'il oublié que le Duc a
dit à fes Gardes de s'en faifir ?
M
On pourroit encore demander pourquoi
le Duc d'Albanie , qu'on n'a pas vû depuis
le commencement de la Pièce , trouvant
raffemblés Helmonde , Léar , & c . n'en paroît
pas plus furpris que s'ils ne s'étoient jamais
quittés , &c. &c. Ajoutez à tout cela , le
récit de la mort d'Helmonde , qu'on ramène
112 MERCURE
un moment après ; le retour du Duc de
Cornouaille vainqueur , qui quitte la Scène
pour revenir encore vainqueur , & qui fe
laiffe debaucher fon armee fous fes yeux .
C'eft cet entàffement de faits invraifemblables
, brufques ou forcés , qui amène le
dénouement de cette Tragédie. Il y a un
malheur plus grand encore , c'eft qu'on ne
peut pas reprocher ce dénouement à M.
Ducis , fans inculper le Public en mêmetemps
; car le Public l'a toujours applaudi
avec tranfport , ainfi que l'apostrophe aux
végétaux , dont nous aurons bientôt occafion
de parler ; c'est - à- d re ( & cette réflexion eft
trifte pour les Amateurs du Théâtre ) qu'il
ne s'agit pas ici d'un Auteur qui a fait une
faute , mais prefque d'une Nation qui perd
de vûe les principes du bon goût. Nous n'arrêterons
pas long- temps fur cette fâcheufe
idee l'attention de nos Lecteurs ; paſſons à
quelques réflexions fur le ſujet & les caractères
de cette Tragédie.
Nous croyons qu'un fou peut être intéref
fant par le motif qui a dérangé la raison.
Rien de plus attendriffant que la folie de
Clémentine , dans Grandiffon . Mais fi le perfonnage
de Léar ne doit pas être exclus du
Théâtre par defaut d'intérêt , nous penfons
qu'il manque de la dignité qui convient à la
Scène Tragique . On a d'ailleurs quelques
reproches à faire à M. Ducis fur la manière
dont il l'a annoncé. Tout ce qu'on apprend
d'abord de Léar n'eft guères fait pour
DE FRANCE. 113-
intéréffer en fa faveur. Il a difgracié Kent ;
& pourquoi ? Comment cet honnête citoyen
a-t'il mérité la difgrace de Léar?
En l'ofant fupplier de refter toujours maître ,
De mourir, fur le trône où le ciel le fit naître ;
De ne point abdiquer un pouvoir fouverain
Que fa vieilleffe un jour regretteroit en vain.
it eft poffible qu'un Roi ne fe rende pas à
l'avis d'un des fiens qui lui confeille de gar
der fa couronne ; mais il est bien étrange
qu'il le puniffe de ce confeil.
Ailleurs , le Duc de Cornouaille dit , en
parlant des rigueurs que Léar a exercées
contre fa fille Helmonde :
"
Kent'ofa la défendre , & Kent fut écarté;
paya par l'exil quarante ans de fervices.
1
Léar a chaffe la plus vertueufe de fes filles ;,
il a abdiqué la couronne , & c'eft le regret.
qu'il en a qui contribue à troubler fa railon;
tout cela ne préfente pas Léar fous un afpect
bien intérellant.
L'action auroit pu fe paffer d'Edgard &
dé Lenox , qui ne font qu'embarraffer la
marche. Ils agiffent , mais c'eft aux dépens de
l'intérêt ; & ce qu'ils font , l'Auteur auroit
dû le faire faire par d'autres perfonnages.
Le Duc d'Albanie feroit l'honnête homme
le plus inutile qui foit au monde , s'il ne fervoit
à ramener Helmonde , qu'on marie affez
leftement à Edgard.
Iky a peut être peu de perfonnes qui
114 MERCURE "
ne vouluffent retrancher auffi le Duc
de Cornouaille & l'infame Regane. Nous
croyons qu'on devoit laiffer fubfifter ces
deux perfonnages , parce que le fpectacle
du crime ne nuit point à celui de la verta ,
& que de pareilles oppofitions font néceffaires
; parce qu'il eût été mal - adroit
de mettre en récit toutes les perfécutions
que fouffre Léar ; parce qu'il falloit montter
aux Spectateurs une partie au moins
des cruautés dont il fe plaint , qu'il falloit
même qu'on en vâît les Auteurs. Le défaut de
ces deux perfonnages n'eft donc pas d'être
inutiles , mais d'être mal tracés . Regane eft
d'une méchanceté toute crue , & n'eft jamais
placée dramatiquement. On peut en dire
autant du Duc de Cornouaille , qui eft aufli
fcélérat qu'aucun des Tyrans qu'on ait mis
en Scène , mais qui diffère d'eux , en ce qu'il
ne paroît pas même fe mettre en peine de
faire croire qu'il n'a pas tort. Les Tyrans ,
dans nos Tragédies , fe paffent de raifons ,
mais ils donnent au moins des prétextes ,
au lieu que ce Duc de Cornouaille a toujours ,
fur tout au cinquième Acte , non pas la
fermeté d'un grand criminel , mais l'effronterie
d'un homme mal-adroit . >
Et pourquoi eft il fi ardent à pourſuivre
Lear? Quels font les complots de cet infortuné
Monarque ? Le Duc n'a qu'à dire , qu'à
prouver que fa raifon eft troublée , c'eft la
plus sûre manière de le combattre. Mais s'il
eraint fi fort ce fantôme de Roi , il l'avoit
}
DE FRANCE. 115
en fon pouvoir , pourquoi le laiffoit - il échapper?
Il a l'air de ne le chaffer que pour le
pourfuivre après . Il eft vrai que vers la fin
de la Pièce ( pourtant après s'être emparé de
Léar) il dit que ce n'eft pas lui qui l'inquiette.
Mais c'eft juftement cette mobilité ( pour ainfi
dire ) de moyens incohérens, & fouvent contradictoires
, qui donne à certe Tragédie une
marche faccadée & un intérêt intermittent.
2 Ajoutons à cette obſervation , que fi le
Duc de Cornouaille a tort de poursuivre
Lear, dont il n'a rien à craindre, Edgard, de
fon côté, a tort également de vouloir le remettre
fur le trône après que fa raifon s'eft
égarée . Nous fommes de l'avis de fon père ,
quand il lui dit :
Mais comment dès ce jour l'emmener fur tes pas ?
Comment charger fon front du poids de la couronné
Si pour jamais , mon fils , fa raiſon l'abandonne ,
S'il traîne dans la honte un fceptre humilié ,
Vil fpectacle à la fois d'opprobre &de pitié ?
Ainfi , ce qu'on fait pour Léar eft auffi peu
raifonné que ce qu'on fait contre lui . Et c'eft
pourtant cette double entrepriſe qui forme
l'intrigue de la Pièce.
Quant au ſtyle , on fait que M. Ducis écrit
avec plus de chaleur que de correction .
Et c'eft ce fouvenir pour lui plein d'amertume ,
Qui , plus lourd que les ans , l'accable & le confume.,
Voilà , en moins de deux vers , trois métaphores
différentes & oppofées.
116 MERCURE
On y trouve auffi trop d'expreffions emphatiques.
Des monftres dévorans font entrés dans mon fein .
Je fens deux traits brûlans
S'enfoncer dans mon coeur ; mes remords , mes enfans.
Ce dernier vers a encore le défaut de n'être
qu'une répétition , auffi bien que celui ci, en
parlant de fes enfans :
Ils s'y plongent en foule , ils en fortent fanglans.
En général , M. Ducis a des idées & des expreffions
favorites qu'il répète trop fouvent.
J'ai proferit la vertu pour couronner le crime , p. 29.
J'ai donc commis le crime & détruit la vertu , p. 32.
Jecherche encor, je cherche à trouver des enfans,p.3 5.
J'ai besoin d'être père , ibid.
Je cherche des enfans , p. 36.
J'ai ceffé d'être Roi , mais non pas d'être père, ibid.
C'en eft fait , mon ami , j'ai ceffé d'être père , p. 42 .
Ce vers plaît tant à l'Auteur , qu'il l'a répété
prefque tout entier , page 111.
C'en eft donc fait , ô ciel ! j'ai ceffé d'être père .
Mais comme en le répétant il l'a affoibli !
comme le premier eft bien plus beau par la
fituation ! Il ne dit pas que Léar a ceffé d'être
père , parce qu'il vient de perdre fes enfans ,
mais parce qu'il vient de les maudire.
On ne devroit pas s'attendre à trouver
DE FRANCE. 117
"
dans les vers de M. Ducis des expreffions
maniérées. En voici pourtant :
Quelquefois au travers de fa douleur touchante
Un fouris s'égaroit fur fa bouche innocente.
Ses yeux baignés de pleurs & fon front abattu
Peignoient le désespoir de la douce vertu .
Nous mettrons dans la même claffe l'apoftrophe
aux végétaux , qu'on a toujours tant
: applaudie :
*
Admirables préfens , végétaux précieux ,
Pour guérir les mortels , nés du fouffle des Dieux ; "
Si vous pouvez in'entendre & fentir mes alarmes , '
Fleuriffez pour mon père , & croiffez fous mes larmes.
Helmonde, qui prononce ces vers- là , fait
fort bien que les végétaux ne peuvent pas
l'entendre. Ce n'eft pas- là du fentiment , c'eſt
de la poésie ; c'est le ton de l'élégie , & encore
d'une élégie d'Ovide .
Voilà des fautes fans doute , & nous avons
fait voir dans le plan bien des invraifemblances
! Pourquoi cette Tragédie produitelle
tant d'effet? C'eft que fi M. Ducis n'emploie
pas à tracer fes plans cette logique
fcrupuleufe qui motive & amène tout , il
trouve pour les remplir un talent fupérieur
qui en couvre les défauts ; c'eft que fi fon
ftyle n'eft pas toujours correct , il eft fouvent
entraînant ; c'eft qu'à l'énergie & à la
profondeur qui frappent fortement , il joint
quelquefois cette vérité , cette fimplicité
118 MERCURE
d'expreffion qui excite la plus douce fenfibilité
, c'eft qu'il n'a point de Tragédie où l'on
ne trouve plufieurs Scènes dignes de nos plus
grands Maîtres ; c'eft que prefque toujours
le fentiment l'abfout quand la raifon le condamne;
c'eft qu'il a des beautés d'un ordre
fupérieur , & qu'il ne doit qu'à lui même ;
c'est enfin qu'il ne femble tomber quelquefois
, que parce qu'il eft impoffible de le foutenir
à la hauteur où il s'eft élevé . Si un perfonnage
tel que Léar étoit difficile à mettre
au Théâtre , quel fujet d'éloge que de l'avoir
fait avec fuccès , & fur la Scène Françoife ;
c'eft à -dire , de l'avoir fait accueillir à des
Spectateurs peut être trop délicats ! Comme
ce Léar eft intéreffant , lorfqu'après avoir
maudit fes enfans , il s'écrie :
C'en eft fait , mon ami , j'ai ceffé d'être père !
Lorfqu'au Comte de Kent , qui lui dit , en
lui parlant de fes fujets , Ils ne font point ingrats
; il répond , Mes enfans l'ont été!
Comme il arrache des larmes par la touchante
fimplicité avec laquelle il dit à Norclète
:
Aurois -tu donc auffi donné tout à tes filles ?
Quel cri fublime de l'âme que ce vers prononcé
par Helmonde , qui , voyant qu'à fon
nom Léar eft prêt à fe poignarder pour fe
punir :
Je vous trompois , Seigneur , vous n'êtes point mon
père.
DE FRANCE. 119
Ce père , défavoué par un excès d'amour
filial, eft de la plus profonde fenfibilité.
Et quels dignes éloges pourroit- on donner
à la beauté de ce vers !
Avez-vous été Roi? -Roi ? non ; mais j'étois père.
Comme ici la fimplicité de l'expreffion fe
joint à la grandeur de l'idée ! & quelle fuperbe
idée que celle de faire furvivre la paternité
à tous les autres fentimens , comme fi
ce caractère étoit ineffaçable , même après
la dégradation de la Nature ! Nous oferons
le dire , nous ne connoiffons rien de plus
beau dans aucune langue.
Nous regrettons de ne pouvoir tranfcrire
ici la fublime Scène où fe trouve le vers
que nous venons de citer. Quoiqu'elle pûr.
être amenée plus naturellement , quoiqu'on
foit faché de voir porter fur le Théâtre Lear
endormi dans un lit de rofeaux , fous prétexte
de lui faire voir le foleil , mais en effet ,
pour le montrer aux Spectateurs ; elle n'en
eft pas moins un chef- d'oeuvre de pathétique
, & un modèle de naturel pour le dialogue.
Que de fautes peut racheter une pareille
Scène ! Il y en a d'autres dans les quatrième
& cinquième Actes , qui , fans avoir
le même degré de mérite , refpirent le même
talent , & offrent ce mêlange précieux de
force & de naturel ; & fi M. Ducis , dans fa
Tragédie, a donné des armes à la critique ,
combien d'abfurdités il nous a fauvées de
l'original dans lequel il a puifé. Nous ne ré120
MERCURE
péterons pas ici les bouffonneries extravagantes
de la Pièce de Shakespeare, mais nous
invitons nos Lecteurs à comparer l'une &
l'autre. En un mot , le grand fuccès du Roi
Léarne nous a point étonné , parce que nous
y trouvons , outre le talent qui caractériſe
les autres Ouvrages de fon Auteur , plùs
d'action & de fpectacle.
On ne peut fonger au fuccès de cette Tragédie
, fans fe rappeler la manière fublime
dont le rôle de Léar a été rendu. Le fieur
Brizard nous femble avoir ajouté à fa réputation
, par ce rôle fi difficile qui exigeoit la
réunion du talent & des moyens phyliques ,
les efforts de l'art & les bienfaits de la nature.
Il a fu donner de la dignité & de la nobleife
à la folie & à l'imbécillité .
Nous espérons que M. Ducis nous par
donnera des obfervations qui nous ont été
dictées par l'amour de l'arr & par l'eſtime
qu'on doit à fon talent fi précieux pour la
Scène Françoife. Elles n'ôteront rien aux
applaudiffemens qu'il a reçus ni à ceux qu'il
doit recevoir encore . Ceux qui auront lû nos
critiques, n'y fongeront plus en revoyant
fon
Roi Léar ; & nous irons les oublier nousmêmes,
en mêlant nos larmes & nos applau
diffemens à ceux du Public.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
ÉLOGE
DE FRANCE. 121
ELOGE Hiftorique d'Anne de Montmorency,
Duc & Pair , Maréchal , Grand- Maître ,
Connétable , & Premier Miniftre de François
I & de Henri II , Difcours qui a
obtenu l'Acceffit au jugement de l'Académie
de la Rochelle , par Madame de
Châteauregnault. A Genève , & fe trouve
à Paris , chez Moutard , Imprimeur-
Libraire , hôtel de Cluny , rue des Mathurins.
DANS le nombre de préjugés qui ont environné
notre éducation jufqu'à nos jours ,
& qui en retardent même encore les progrès
, celui qui excluoit les femmes de la
connoiffance des Lettres & des Arts , étoit
certainement le plus injufte & le plus abfurde.
Douées d'une grande fenfibilité , d'une
délicateffe rare , d'un tact exquis , la nature
femble leur avoir donné des inftrumens plus
faits pour porter dans les matières d'agréinent
& de goût , cette expreffion qui leur eft
propre & cette vérité de fentiment qui les
perfectionne. Cette douceur d'organiſation
les rend également dociles à tous les mouvemens
que les paffions peuvent exciter ; &
les traits d'héroïfme , de courage , de grandeur
d'âme , les affectent autant qu'un acte
de bienfaiſance & d'humanité. C'eft à l'enthoufiafme
que les vertus & le patriotifme
d'Anne de Montmorency ont excité dans
l'âme de Mme de Châteauregnault, que nous
N° . 16 , 19 Avril 1783 .
F
122 MERCURE
devons l'Éloge que nous annonçons : elle a
vû dans fon Héros , « un Citoyen qui veille
» de bonne heure fur fon âme pour n'y rien
95
33
19
*
13
laiffer entrer que de noble & de généreux ;
» un Guerrier infatigable , intrépide , &
» doué de ce courage moral qui laiſſe à la
raifon toure fa liberté; un Courtiſan qui
» ne recherche les hommes que pour don-
» ner plus d'activité à fes talens , un favori
qui aime les maîtres plus que lui - même ,
» fa patrie plus que fes maîtres ; un négo-
» ciateur habile , qui , dans un fiècle de fourberie
, fait de la droiture la bafe de la politique
; enfin , un Miniftre intègre , labo-
» rieux , zélé pour les intérêts du trône ,
» mais fans jamais trahir ceux de la Nation.
C'eft en parcourant les faits hiftoriques des
fix règues fous lefquels il a vécu , & en défignant
les principaux événemens où il a influé
, que l'Auteur trouve les preuves des
grandes qualités qu'il apperçoit dans Anne de
Montmorency. L'hiftoire de ces temps orageux,
où la rivalité de François I & de Charles
V , l'ambition des Guifes , la politique
ténébreufe & cruelle de Catherine de Médicis
agitèrent la France , eft connue de tous
les François : nous y trouvons par- tout Anne
de Montmorency au - deffus des petits inté
rêts qui multiplioient les intrigues , qui favorifoient
les abus , & qui préparoient infenfiblement
ces crimes affreux qui ont armé
la Nation contre elle- même , & ce délire
de fanatifme qui lui a fait appeler des alDE
FRANCE. 123
liés plus redoutables que des ennemis , afin
d'avoir plus de bras pour la déchirer. Le
Connétable combattit toujours pour fou
Roi & pour la religion de fes pères , ne fut
d'aucune faction , & ne s'occupa qu'à faire
ufage de l'autorité de fes places pour rétablir
l'ordre , ou du moins pour arrêter les déprédations.
L'Armée , la Cour , la Magiftrature,
toutes les parties de l'adminiftration fe reffentirent
des réformes néceffaires qu'il y
fit , & que fa fermeté à les faire exécuter
rendit utiles à l'État . Nous ne pouvons être
du même ſentiment que Mae de Châteauregnault
, lorfqu'elle croit qu'il n'y a que
le Guerrier qui réuniffe les connoiffances
» & les talens qu'exige le Gouvernement
d'un grand État ; que le Magiftrat a quel-
" quefois des vues étroites & fouvent lentes ;
» que le Financier eft difficilement bon Ci-
" toyen , que l'homme d'Églife eft en géné-
CL
ral timide & pareffeux. » Mais l'Hopital
mais Richelieu , & tel homme de Finance
que nous pourrions citer , ont montré du
courage , du défintéreffement , & fe font occupés
du bien public. On pourroit dire même
que l'éducation de l'homme du monde , du
grand Seigneur , n'eft point dirigée vers les
travaux qui forment l'homme d'État , qu'elle
eft toute militaire , parce que fa deftination
connue eft indiquée par fa naiffance , & qu'il
naît pour ainfi dire Soldat. Montmorency
lui même négligea toutes les études étran
gères à fa paffion pour les armes ; « & , com.
Fij
x24
MERCURE
» me Annibal , il parut d'abord méprifer
» toutes les Sciences , excepté celle de la
» guerre. » Et lorfqu'il parvint aux grands
emplois , il fut obligé de fe livrer aux études
qui lui étoient néceffaires pour les remplir
avec fuccès. Il employa les loisirs d'un exil ,
où fon intégrité courageufe & la foibleffe
de François I le conduisirent , pour acquérir
de nouvelles lumières .
Après la perte de la bataille de Saint-
Quentin , & la mort de Henri II , Montmorency
cft éloigné du Miniſtère par les intrigues
des Guifes , qui perfuadent à Catherine
de Médicis qu'elle ne pourra gouverner
fi elle laiffe auprès d'un Prince foible & inappliqué
, un homme que fa longue expérien
ce & fes vertus auftères rendroient le cenfeur
de fes actions & le maître de l'État. Le
Connétable fe retira à Chantilly. « Si les
» Princes de Lorraine l'emportoient dans ce
» moment par leur crédit , ils ne purent
triompher de fa vertu fupérieure aux évé-
» nemens : il étoit toujours grand , & ne
changeoit que de manière de l'être quand
» la fortune changeoit de face. Un luxe de
magnificence , ou plutôt de dignité , régnoit
dans fa maiſon. L'appareil impofant
» d'un nombreux domestique ; les hommages
d'une multitude de vaffaux , & l'empreffement
d'une famille confidérée de
toute la nation ; de vaftes appartemens
" ouverts à tous les Militaires , dont l'État
n'a pu récompenfer les fervices ; des jar-
33
99
ور
99
DE FRANCE. 125
30
"
و د
و ر
"
و ر
dins qui rappellent ceux d'Alcinous ; des
» parcs où l'art embellit la Nature fans lui
» ôter fa fimplicité. Au milieu de tous ces
objets , le Connétable de Montmorency
» partageant fon temps comme Laërte , en-
" tre la chaffe & la culture de fes jardins ,
fans fe plaindre des hommes ni de leurs
injuſtices , donnant à ceux qui l'entourent
l'exemple des vertus , ne mettant que le
refpect pour toute barrière entre lui &
les étrangers qui accourent en foule à
Chantilly pour voir celui qui a été tour-
» à tour l'épée & le bouclier de la France :
" tous ces fpectacles réunis fembloient of-
" frir quelque chofe de plus qu'humain , &
" portoient dans l'âme une douce émotion
qui l'élevoit au - deffus d'elle - même. »
Nous avons cité ce morceau pour donner
une idée du ftyle de Mme de Châteauregnault.
Son Difcours , plus hiftorique qu'oratoire
, préfente un tableau rapide des faits
principaux qui peuvent intéreffer depuis
Charles VIII jufqu'à la bataille de Saint-
Denis , où le Connétable fut bleffé mortellement
par un Écoffois , nommé Stuard ,
qui lui préfenta le piftolet , en lui criant de
fe rendre : Me rendre , répond Montmorency
, ne me connois donc pas ? C'eft
parce que je te connois que je te porte celuilà
. Il vouloit finir fur le champ de bataille ;
mais il fe rendit aux inftances de fes enfans ,
qui voulurent le faire tranfporter à Paris :
j'y confens , dit- il , non que j'aie aucune ef-
»
Fiij
126 MERCURE
par
pérance de guérir , mais pour voir encore une
fois le Roi & la Reine , & leur donner
mes bleffures les affurances de ma fidélité. Šon
âme fut toujours forte , toujours grande au
milieu des douleurs & des larmes : Penfezvous
, difoit- il à fon Confeffeur qui l'exhortoit
à la conftance, que j'aie vécu quatre- vingt
ansfans favoir mourir un quart d'heure.
Quoique l'Ouvrage de Mme de Châteauregnault
n'ait pas obtenu le Prix , il a mérité
de la part de l'Académie de la Rochelle un
éloge qui vaut bien une médaille. Nous de
vons publier à la gloire de l'Auteur , dit le
Directeur de cette Académie , « que ce Dif
» cours n'annonce pas feulement an eſprit
» cultivé & accoutumé à réfléchir & à comparer
les idées , mais encore de la force
& de la grandeur d'âme. Elle s'eft mife audeffus
de certains préjugés à la mode , qui
» auront fans doute retenu la plume de
quelques - uns de nos Écrivains Philofophes
; elle a eu le courage d'élever fa voix
» en faveur de la vertu auftère , des bons
principes & de la faine doctrine . A cet
» avantage elle réunit encore le mérite d'un
ftyle fimple & pur , beaucoup de penſées
» fines & délicates , des morceaux également
» bien vûs & bien touchés... Elle eft rout-à-
» la - fois ingénieufe , éloquente & fublime ,
pleine d'âme , d'intérêt & de fentiment.
Mme de Châteauregnault trouve ces louanges
exagérées ; nous croyons que le Lecteur
y verra plus de vérité que de galanterie.
"
לכ
ود
99 "3
DE FRANCE. 117
SPECTACLE S.
CONCERT SPIRITUEL.
ON a pu diftinguer déjà , dans les Concerts
du Dimanche 6 & du Vendredi 11 de ce
mois , l'intérêt que le Public s'apprête à
prendre à ceux de la Quinzaine. Mme Todi ,
en paroiffant, a excité en lui ce vif enthoufiafme
qu'il fe plaît à prodiguer aux talens
diftingués qui ont mérité fa faveur particulière.
Il fembloit , en témoignant à cette Vir
tuofe chérie le plaifir qu'il avoit à la revoir ,
qu'il voulût lui exprimer tout celui qu'il en
avoit reçu les années paffées , & celui qu'il
en attend encore. Mme Todi a confirmé ,
fur-tout au Concert de Vendredi , cette opinion
flatteufe. On a retrouvé en elle cette
facilité , cette grâce dans l'exécution , cet intérêt
dans le fon de la voix , cette pureté
d'articulation , ce charme répandu fur toute
fa manière, qui lui ont mérité la prédilection
dont elle jouit. Les airs qu'elle a chantés font
très-beaux. Gelui del Signor Ferrera eft un
air de Bravura , & n'a pas cependant la tournure
commune de ces fortes de morceaux ;
il est très bien écrit , & contient beaucoup
de traits neufs , brillans , d'une difficulté
affez fenfible pour ne rien dérober au mérite
de l'exécution , mais rendue néanmoins
FIV
128
MERCURE
affez agréable pour plaire à l'oreille en l'étonnant.
Le rondeau de del Signor Martini
a paru auffi rempli de grâce . Le choix de
Mme Todi pour le premier Concert n'avoit
pas été fi heureux , & fa voix même ſe reffentoit
un peu d'une mauvaiſe difpofition
& de la fatigue du voyage ; mais le jour
fuivant a détruit toutes les craintes qu'auroit
pu infpirer cette légère altération , &
fon fuccès , comme fa voix , a repris fon ancien
éclat . Nous nous permettrons une remarque
à la louange du Public. Dimanche ,
jour du premier Concert où Mine Todi devoit
chanter , Mme Mara . étoit aux premières
loges ; elle fut reçue par l'applaudif
fement le plus général & le plus vif, & cet
applaudiffement ne nuifit point à celui que
reçut Mme Todi en paroiffant au pupître ,
& qui ne fut ni moins vif ni moins général.
Seroit il poffible que les François fe détermi
naffent enfin à rendre à la fois juftice à deux
fujets du même genre ? Qu'ils aimaffent l'une
de ces deux Cantatrices fans chercher à déprimer
l'autre ? Qu'ils préféraffent le plaifir
de jouir alternativeinent de ces deux talens
à l'envie de les comparer & de les claffer ?
Ce feroit une nouveauté bien intéreffante ,.
& que nous defirons fincèrement .
Un autre objet de l'amour du Public , &
qui cette fois paroît fans concurrens , c'eſt
M. Viotti. Son fuccès a été encore plus grand
que celui de l'année paffée , & nous croyons
que fon talent eft de même augmenté. On a
DE FRANCE. 129
trouvé que fes fons étoient attaqués avec
plus de jufteile & de sûreté ; fa manière encore
plus moelleufe & mieux fondue , fa
compofition même plus agréable. Il a été
reçu avec les tranfports les plus mérités , &
il femble que les Artiftes commencent à lui
pardonner de n'être pas né en France. On a
beaucoup applaudi à ces Concerts MM . Solers
, Ozi , Bezozzi , un Motet de M. Rigel
un autre de M. Candeille , & Mlle Buret
l'aînée , dont la voix a reçu des éloges d'autant
plus flatteurs , qu'elle chantoit le même
jour que Mme Todi.
>
COMÉDIE FRANÇOISE.
LE Samedi Avril, la clôture de ce
Théâtre s'eft faite par une Repréſentation
du Cid , Tragédie de P. Corneille , & de la
jeune Indienne , Comédie de M. de Champfort
. Entre les deux Pièces M. Dorival a
prononcé le Difcours qui fuit :

MESSIEURS ,
« Il n'eft aucun de nous qui n'ait reçu particu
lièrement des marques de votre bienveillance.
Mille phrafes fouvent répétées dans des Difcours
d'ufage à la clôture & à l'ouverture des Théâtres ,
ne feront point celles que je vais employer pour
vous demander la continuation des bontés dont
» votre indulgence, fi néceffaire à nos foibles talens,
» est portée à nous honorer . J'oferai feulement ,
· Fv
130 MERCURE
33.
» pour vous déterminer à ne les pas retirer , vous
rappeler aujourd'hui que fi depuis plufieurs an-
» nées la Scène Françoiſe a perdu quelques- unes de

fes plus fortes colonnes , au moins ceux qui en
» font aujourd'hui les Membres , ont tâché de vous
rendre cette perte plus fupportable par la variété
» des Spectacles qu'ils ont eu l'honneur de vous
offrir . Vingt - deux Pièces , tant nouvelles que
» remifes pendant le cours de cette année théâtrale,
puiffent- elles vous être une preuve du defir que
» nous avons de vous plaire. La carrière que nous
» courons eft bien difficile ; vos encouragemens
feuls peuvent aider chacun de nous à la fournir.
Daignez enhardir nos travaux ; votre préſence &
vos applaudiffemens en font la récompenfe la plus
» flattenfe. Notre zèle pour les mériter ſera infatigable.
Animés par vos fuffrages , nous trouve-
» rons peut - être en nous de nouvelles forces . Nous
» les réunirons pour contribuer de plus en plus à
vos amuſemens. Quel que foit le fuccès de nos
» efforts , il ne pourra jamais ajouter , Meffieurs ,
» à nos fentimens refpectueux & à notre vive reconnoiffance.
»
ود
Quoi qu'en ait dit M. Dorival , ce Dilcours
reffemble à tous les complimens
d'ufage qui ont été prononcés à la clôture
& à l'ouverture des Théâtres. Regrets fur la
perte de certains fujets ; affurance du zèle
des nouveaux Membres ; preuve du defir
qu'on a eu de plaire au Public dans le cours
de l'année ; obſervation fur la difficulté de
l'Art ; promeffe de nouveaux efforts ; proteftations
de reconnoiffance & de refpect :
voilà tout le fonds de ce petit Difcours.
N'eft-ce pas fur les mêmes motifs qu'on a
DE FRANCE. 131
établi tous les Complimens qui ont été lus
ou entendus par nos Lecteurs à la clôture
& à la rentrée des Théâtres ? On
pourroit néanmoins en excepter ceux où
l'on a effayé de régenter le Public , & de
l'éclairer fur les moyens néceffaires pour
bien juger l'Auteur & le Comédien , Falloitil
promettre aux Spectateurs affemblés de
ne pas répéter mille phrafes rebattues , pour
ne leur dire enfuite que ce qu'on leur a déjà
dit cent fois ? Voilà ce qu'on appelle promettre
beaucoup, & ne rien donner. Nous
ne prétendons pourtant point affliger M. Dorival
par nos obfervations. Nous n'ignorons
pas que rien n'eft plus défagréable aujour
d'hui pour un Comédien , que la miffion
dont il a été chargé à cette clôture. Avoir à
choifir entre la répétition faftidieufe d'un certain
nombre de phrafes devenues communes
, & le danger de quelques réflexions
nouvelles & fufceptibles de déplaire aux
efprits pointilleux ; cela eft très - embarraffant.
Il vaudroit mieux , fans doute
renoncer à un uſage qui n'eft utile à rien.
Le grand moyen de demander & d'obtenir
des fuffrages , c'eft de travailler avec
zèle , de donner du mouvement au répertoire
, de varier les plaifirs du Public , &
d'accorder aux Gens de Lettres la confidération
qui leur est dûe. C'eſt par des faits * &
Le travail que les Comédiens François ont
fait dans le cours de la dernière année dramatique
F vj
132 MERCURE
non pas par des phrafes vagues , répétées
deux fois toutes les années, qu'on fait preuve
de refpect & d'efforts. Enfin , il n'eft pas
d'Amateur du Théâtre qui n'aimât mieux
trouver les fignes de la reconnoiffance du
Comédien dans fon ardeur & dans fon zèle,
que dans les vaines proteftations d'un compliment
de clôture ou de rentrée.
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a
ait
la
clôture
de
ce
Spectacle
par
une
Repréſentation
du
Corfaire
&
des
deux
Jumeaux
de
Bergame
. On
a joué
enfuite
une
petite
Comédie
en
profe
mêlée
de
Vaudevilles
, qui
a pour
titre
le
Déménagement
d'Arlequin
,
Marchand
de
Tableaux
, &
dont
l'Auteur
eft
M.
Favart
le
fils
. Cette
Comédie
a
tenu
lieu
de
compliment
. Nous
en
allons
donner
quelques
détails
.
Arlequin déménage. Ce qui l'occupe le
plus dans fon déménagement , c'eſt la confervation
des Tableaux , qui compoſent ſon
Mufcum. Il n'eft pas difficile d'appercevoir
Tallufion du Mufcum au Théâtre Italien ,
& des Tableaux aux Ouvrages qui forment
le Répertoire de ce Spectacle. Jacquiner
, valet d'Arlequin , entre en pleurant ;
mérite beaucoup d'éloges ; nous en donnerons la
preuve dans le prochain Mercure.
DE FRANCE. 133
on lui en demande la caufe. Il s'eft laiffé
tomber dans l'efcalier , & en tombant il a
brifé tous les vieux Tableaux d'Arlequin.
Сс
ARLEQUÍ N.
Comment , coquin ! tu as caffé tous
» mes anciens Tableaux ! ceux que j'ai ap-
» portés de Bergame , & qui m'étoient les
plus chers !
"
ود
JACQUINET , à Argentine , femme
"
d'Arlequin.
Madame , parlez pour moi , je vous
prie.
ARGENTINE.
» Ne te fâche pas , mon ami , ne te fâche
" pas ; ce pauvre garçon n'a pas fait un fi
grand mal. On peut réparer tes Ta-
" bleaux , les revernir , y mettre d'autres
» cadres ; d'ailleurs tu fais bien qu'ils ne
font plus de mode.
"
ARLEQUI N.
» Comment , plus de mode ! d'excellens
» morceaux de l'École Italienne , dont nos
» meilleurs Peintres François tirent tous
» les jours les fujets les plus comiques ! ....
je ne fais qui me tient.... je fuis d'une
» colère.... "
30
On fent aisément que M. Favart le fils a
voulu parler içi de la fuppreffion des canevas
Italiens. Il nous femble qu'il en a fait un
134
MERCURE
.
*
>
éloge bien pompeux . D'excellens morceaux
de l'Ecole Italienne ! Si l'École Italienne
étoit autli pauvre en grands Peintres qu'elle
l'eft en Poëtes comiques , elle ne jouiroit
pas d'une grande réputation . Ce n'eft pas que
dans le Théâtre de Ghérardi , & dans un
grand nombre de Comédies Italiennes , beaucoup
plus modernes , on ne trouve de temps
en temps des Scènes très -bien faites , des
fituations heureuſement apperçues , & même
de l'intérêt ; mais par combien d'ennui
quelquefois même de dégoût , ne faut-il pas
acheter un moment de jouiffance ! Un mauvais
plan , des Scènes mal attachées , des
entrées & des forties peu point ou mal
morivées , des farces dignes des tréteaux ,
des dénouemens brufqués , communs ou invraisemblables
: voilà , fi on en excepte quel
ques -unes , l'hiftoire exacte de toutes les
Comédies Italiennes. Nos Auteurs peuvent
y puifer des intentions , des Scènes ; mais
pour que les fujets qu'ils en voudroient
tirer prennent une teinte comique qui nous
convienne , ils doivent néceffairement en
changer le plan , l'ordonnance , l'intrigue ,
la marche , annoblir les caractères, & les revêtir
de couleurs faites pour plaire à des
Spectateurs délicats . Imiter ainsi , c'est régénérer
fon mdèle ; c'eſt ſe placer au - deffus
* Nous rendons à M. Goldoni la juftice qu'on
doit à fes talens , & nous fommes éloignés de confondre
fes Ouvrages avec les mauvais canevas qu'on
a fi juftement profcrits.
1
DE FRANCE. 135
de lui. Il ne faut pas parler des imitateurs
qu'Horace a fi bien peints par ces deux
mots fervum pecus. Copiftes plutôt qu'imitateurs
, ils gâtent tout qu'ils touchent , &
leurs imitations ne font honorables ni
pour eux ni pour les fources dans lefquelles
ils puifent. La véritable obligation
que les François ont au Théâtre Italien
qui s'eft établi chez eux , c'eſt de leur avoir
donné des Romagnéfi , des Riccobeni , des
Silvia , des Thomaffin *, des Colalto & des
Carlin. Revenons à M. Favart le fils , ou ,
pour mieux dire , à fon compliment.
Deux Amateurs , M. Mondor & Mme de
Floricourt , viennent voir Arlequin , & lui
donner quelques confeils fur la manière de
compoſer fon Mufæum. On leur préfente le
catalogue des Nouveautés dont on a fait
l'acquifition de là l'éloge d'Aucaffin &
Nicolette ; des Quatre - Saifons de MM. de
Piis & Barré ; de Jenneval , de l'Indigent,
du Déferteur; des deux Jumeaux , du bon
Ménage; de Tom Jones à Londres & du
Corfaire. La plupart de ces éloges ont été
confirmés par les applaudiffemens du Public
, furtout ceux des Quatre Saifons , de
Tomes Jones & du Corfaire. Après quelques
nouveaux avis fur les moyens de fixer le
Public , fuivi d'une Scène entre Arlequin &
fes enfans , le compliment ſe termine par des
* On parle ici du célèbre Arlequin.
136 MERCURE
couplets dont l'intention eft fi vague , qu'il
feroit difficile de la faifir.
Ce petit Ouvrage , qu'il ne faut pas
examiner avec bien de la févérité , a obtenu
les fuffrages du Public , parce qu'il eſt analogue
à la circonftance du départ de la Comédie
Italienne pour fon nouveau Théâtre.
On a trouvé le cadre heureux & bien choifi
; mais on auroit defiré que le Peintre
cût employé un coloris plus frais , que fon
deffin fût plus correct , & fon coup de pinceau
plus ferme. Quand on porte le nom d'un
Peintre célèbre , il faut s'en montrer digue
même dans les plus petites compofitions. ,
I.
VARIÉTÉ S.
COURTE Réponse à la Lettre de M. C...
fur l'efclavage des Nègres.
L'OPINION
' OPINION que M. C ... traite comme une
rêverie de quelques Américains de la Secte des Primitifs
, eft celle du Congrès Continental qui l'a
énoncée dans plufieurs actes publics , & qui a pris les
mefures les plus fages pour l'abolition abfolue de
l'esclavage dans l'immenfe étendue de pays occupée
par les Treize États - Unis.
Il nous femble que l'autorité des Chefs , des Libérateurs
de l'Amérique , des Kepréfentans de plufieurs
millions de Citoyens libres , méritoit quelque refpect
, même de la part de M. C ...
II. M. C ... prétend que la Morale Chrétienne
ne proferit point l'efclavage ; les défenfeurs de la
Religion qui ont écrit depuis quelques années , out
DE FRANCE. 137
tous regardé l'abolition de l'esclavage en Europe ,
comme un des bienfaits de la Religion Chrétienne .
Mais que fon influence fur cette révolution ait été
plus ou moins forte , on ne peut prétendre qu'une
Morale , dont la première bafe eft la fraternité entre
les hommes , ait été favorable à l'esclavage . L'Évangile
confeille de prêter à fes frères fon argent fans
intérêt ; & il me femble qu'il y a encore moins de
charité à tenir fon frère dans l'esclavage , qu'à lui
demander cinq pour cent de l'argent qu'on lui
prête.
:
Mais Saint- Paul donne des leçons de patience aux
efclaves fans doute ; c'eft une des maximes de la
Morale Chrétienne de fouffrir les injures avec patience.
Si vous avez reçu un foufflet , tendez l'autre
joue. Cela veut-il dire que la Religion tolère ceux qui
donnent des foufflets ?
Mais Saint-Paul donne aux Maîtres des leçons
d'humanité. Cela prouve- t-il qu'il approuve l'ecla
vage ? Un Quaker qui regarde la guerre comme un
crime , n'exhorteroit - il pas des foldats à faire la
guerre avec humanité ? Si Saint- Paul avoit dit : ayez
foin des efclaves que vous avez féduites & des enfans
que vous en avez eus , en conclueriez-vous que la
Morale Chrétienne tolère l'incontinence ?
A la vérité , on ne trouve point dans Saint- Paul
que l'efclavage foit contraire à la juftice , aux droits
des hommes. Mais il n'a parlé nulle part des droits des
hommes : fes Épîtres , les Évangiles , ne font pas des
traités de droit public . On lit feulement que les
hommes font frères , fils d'un même père , appelés au
même héritage ; & il ne faut pas un grand effort de
logique pour tirer de-là cette conféquence , que l'efclavage
ne peut être légitime .
III. Montefquieu dit qu'un homme peut fe vendre.
Oui , fans doute , il y a des circonftanees où c'eſt un
devoir , une action généreuſe de ſacrifier fa liberté ,
138 MERCURE
comme fa vie ; mais cela donne -t -il à un autre homme
le droit d'acheter ou d'affaffiner celui que les circonflances
ont condamné à ce facrifice ?
IV. On a , fuivant Montefquieu , dit M. C..., le
droit de s'affurer des captifs faits à la guerre , de manière
qu'ils ne puiffent plus nuire. Donc , conclut il ,
on peut les rendre efclaves. Mais d'abord ce principe
ne pourroit légitimer que l'efclavage perfonnel de
ces captifs , & non celui de leur poftérité. Ce droit
d'ailleurs cefferoit avec l'état de guerre , comme l'a
dit expreffément Montefquieu , ne pourroit appartenir
qu'aux individus de la Nation victorieufe , ou plutôt
à cette Nation en Corps.
V. Nous perfiftons donc à croire , d'après la
raifon , comme d'après les maximes de l'Évangile ,
que , dans aucun cas , l'Efclavage ne peut être
légitime. Nous aimons mieux être de l'avis du
Pape Alexandre III , de Montesquieu , du Congrès
Continental , que , de l'avis de M. C... nous fommes
fâchés que les Philofophes Grecs ayent été d'une
autre opinion ; mais comme c'eft auffi contre leur
opinion que nous croyons que la terre tourne ,
nous confole.
cela
VI. Pourquoi M. C.. prend- t- il avec M. Benezet ,
ou l'Auteur des Lettres d'un Fermier de Penſylvanie
le ton de fupériorité & d'ironie qui règne dans fa
Lettre & le prie-t-il de fe taire , au nom des Sujets
du Roi qui ont des Efclaves ? Quel droit M. C..
& ces Sujets du Roi ont- ils fur l'opinion des Citoyens
libres de l'Amérique Septentrionale ? Quel
droit ont- ils même fur l'opinion des autres Sujets
du Roi ? M. C... craint que la lecture des Ouvrages
du Fermier de Penfylvanie ne foulève les Nègres
de nos Ines. Eft -ce bien -là ce qu'il craint ? Si ces
Lettres ne devoient être lues qu'en Amérique , M.
C... feroit plus tranquille. Quelle eft donc la caufe
de tant de crainte , de tant de colère contre un
DE FRANCE. 139
paifible habitant des plaines du Nouveau- Monde ,
qui , heureux de fa liberté , voudroit en partager
le bonheur avec tous les Frères ? Pourquoi accufer
prefque d'être de mauvais Chrétiens & des féditieux ,
ceux qui croient l'eſclavage injuſte ?
Tout au nom de Céfar , & tout au nom des Dieux ;
C'eſt en ces noms facrés qu'on fait des Miſérables !
Ofons le dire ! Deux nations riches , éclairées ,
puiffantes , avides de toute efpèce de gloire , partagent
les pays où règne l'esclavage des Nègres .
Dans ces deux nations , beaucoup d'hommes inftruits
regardent la deftruction de cet efclavage ,
faite avec prudence, comme une opération qu'exigent
également la juſtice , l'intérêt du commerce & la
politique ; ils regardent ce changement comme une
fuite néceffaire de la révolution qui vient d'arriver
en Amérique. Voilà pourquoi l'esclavage des Nègres ,
qui n'avoit point de défenfeurs il y a vingt ans , en
trouve aujourd'hui de fi fougueux , & pourquoi
ils défendent leur caufe avec tant d'humeur & tant
d'orgeuil.
Avisfur la troisième Livraifon de l'Encyclopédie
, & la Soufcription de cet Ouvrage
, au prix de 751 liv.
LA Soufcription de cet Ouvrage , au prix de
751 liv. , fera rigoureufement fermée au 30 Avril
1783 , ainfi que nous en avons pris l'engagement
par le Profpectus ; paffé ce terme , chaque Volume
de difcours fera du prix de douze livres au lieu de
onze livres , & chaque Volume de Planches treate
livres au lieu de vingt- quatre livres , pour les Perfonnes
qui n'auront pas foufcrit.
140 MERCURE
ANNONCES ET NOTICES.
ARIETTE & Rondeau -del Signor Païfiello ,
Ariette & Rondeau del Signor Sacchini , Hymne
à l'Amour , Duo en Rondeau del Signor Traetta,
& Ariette de l'Opéra les deux Comteffes , del Signor
Paëfiello , numéres 49 , 50 , 51 , 52 , 53 & 54
du
Journal d'Ariettes , Scènes & Duos traduits , imités
ou parodiés de l'Italien , par M. de C.... Amateur
, dédié à S. A. R. Mgr. le Comte d'Artois. A
Paris , chez le fieur de Roullède , Marchand de Mufique
, actuellement rue S. Honoré , vis- à- vis l'Oratoire
, n . 135 , au premier. On foufcrit chez
lui , comme feul Éditeur de cet Ouvrage , ainfi que
chez Mme Bérault , Marchande de Mufique , rue
de l'ancienne Comédie Françoife , près celle de Buffy,
au Dieu de l'Harmonie , & aux Adreffes ordinaires
de Mufique. Le prix de l'abonnement eft de
36 liv. pour Paris & de 42 liv. pour la Province
franc de pert. Les Perfonnes qui n'auront pas
foufcrit payeront les Ariettes z liv. 8 fols , & les
Scènes & Duos 3 liv. 12 fols . C'eft par oubli que cet
excellent Journal n'a pas été annoncé il y a quelques
mois.
PARTITION d'Ariane dans l'Ile de Naxos ,
Drame Lyrique en un Acte , paroles de M. Moline ,
mufique de M. Edelmann . Prix , 15 livres . A Paris ,
chez l'Auteur , rue du Temple , près la rue Paftourelle
, & aux Adreffes ordinaire .
4
Cette Partition mérite une attention particulière
de la part des Amateurs. On fait quel fuccès cet Ouvrage
a eu fur le Théâtre de l'Opéra . Le Drame, par
la nouveauté & la fimplicité de la forme , préfentoit
au Compofiteur des difficultés que M. Edelmann a
DE FRANCE. 141
vaincues avec une habileté qui fuppofoit non- feulement
une grande fupériorité dans fon Art , mais encore
des études & des réflexions profondes fur les
piincipes & les effets de la mufique dramatique.
Cet Opéra a d'ailleurs le mérite de pouvoir être exécuté
en Province avec beaucoup de facilité , parce
qu'il n'exige que deux Acteurs , une feule décoration
& très -peu d'acceffoires.
PLAN Géométral de la Ville & Fauxbourgs
de Paris , par le fieur Robert de Vaugondi , Géographe
ordinaire du Roi , &c. corrigé & augmenté
en 1783. A Paris , chez les fieurs Fortin & Delamarche
, rue de la Harpe , près celle du Foin.
Prix , 3 liv.
Ce Plan , qui renferme toutes les nouvelles rues ,
nous a paru tracé avec exactitude , & gravé avec
netteté.
ON vient de mettre en vente à l'hôtel de
Thou , rue des Poitevins , Hiftoire Naturelle des
Minéraux , par M. le Comte de Buffon , in - 4 ° . ,
Tome I. Prix , Is liv. en feuilles, 15 liv. 10 fols
broché , 17 liv. relié. Ce Volume fert de fuite tant
à l'Édition in-4 ° . avec la partie anatomique , qu'à
celle fans cette même partie anatomique fous le
titre d'OEuvres complettes.
Hiftoire des Minéraux , in - 12 , Tomes I &
II. Prix , 7 liv. 4 fols reliés , 6 liv . brochés ou en
feuilles. Ces deux Volumes in- 12 fervent de fuite
à toutes les Éditions in - 12.
Les années 1776 , 1777 & 1778 de l'Hiftoire
& des Mémoires de l'Académie Royale des Sciences
, 6 Vol. in 12. Pax , 15 liv. en feuilles , 16 liv.
4 fols brochés , 19 liv. 10 fols reliés . Ces 6 Volumes
mettent cette Édition au pair de l'in 4º .
·
142 MERCURE
CHARLES PREMIER & fa Famille. Cette Eltam
pe , que le fieur Maffard propofe par foufcription
, repréfente Charles Premier affis dans un fauteuil
: l'aîné de fes enfans , âgé de quatre ou cinq
ans , eft appuyé fur fes genoux : la Reine for épouse,
fille d'Henri IV, eſt aſſiſe à côté de lui , & tient dans
fes bras le plus jeune de fes enfans , âgé de quinze à
dix-huit mois. Ce Tableau , peint par le célèbre
Van-Dyck , appartient à Mgr. le Duc d'Orléans, qui
a bien voulu permettre au fieur Maffard de le graver.
Le prix de l'Eftampe pour les Soufcripteurs fera
de 18 livres. On avertit que la foufcription n'aura
lieu que jufqu'au mois de Septembre prochain ,
paffé lequel temps l'Eftampe fera de 24 liv Ceux
qui auront foufcrit feront affurés d'avoir les épreu
ves choifies , & dans l'ordre de leurs numéros. On
délivrera cette Eftampe en Juin 1784. Pour foufcrire
, on s'adreffera chez M. Maffard , rue & porte
S. Jacques, maifon du Café d'Aubertin , nº . 122 .
Les vrais Principes de la Lecture , de l'Orthogra
phe & de la Prononciation françoise de feu M.
Viard , revus & augmentés par M. Luneau de
Boisjermain ; Ouvrage utile aux Enfans , qu'il conduit
par degrés de l'alphabet à la connoiffance des
règles de la prononciation , de la Grammaire , de la
Profodie Françoife , & des premiers Élémens de
-l'Hiftoire & de la Géographie , in-8 ° ., 4 Parties ,
fe vend 3 liv. port franc. A Paris , chez l'Auteur , au
Bureau de l'Abonnement Littéraire , rue S. Andrédes-
Arts.
On a compofé la première Partie des Principes de
Lecture pour cette claffe d'hommes qui s'occupe de
l'inftruction de l'enfance ; elle renferme des inftructions
qui ont pour objet de leur indiquer la manière
dont ils doivent montrer chaque Leçon.
La feconde Partie des Principes contient tous les
DE FRANCE
143
Élémens de l'articulation ; la troisième , les Principes
de l'Orthographe & de la Prononciation , & une
Profodie Françoife ; la quatrième , différentes Pièces
de lecture préparées pour accélérer les premiers progrès
de l'enfance.
EUVRES complettes de Regnard , 6 Vol. in- 12,
petit papier. Prix , 13 livres 10 fols reliés , & 10 liv.
10 fols brochés. A Paris , chez la Veuve Duchesne ,
Libraire , rue S. Jacques , au- deffus de celle des
Mathurins.
Les quatre premiers Volumes contiennent fon
Théâtre François , & les Tomes V & VI ſon Théâtre
Italien. On fépare ces deux derniers Volumes
pour compléter les Éditions précédentes. Prix , 4 liv.
10 fols reliés , & 3 liv. 10 fols brochés.
- On
trouve chez la même la Théorie des Traités .de
Commerce entre les Nations , par M. Bouchaud , de
l'Académie Royale des Infcriptions & Belles - Lettres
, &c. in- 12. Prix , 2 liv . 8 fols.
NOUVELLE Méthode de traiter les fractures &
les luxations , Ouvrage traduit de l'Anglois , par
M. Laffus , Membre du Collège de Chirurgie de
Paris , Chirurgien de Mefdames de France , ancien
Profeffeur d'Anatomie & de Chirurgie à l'École-
Pratique , &c. in- 12 . Prix , 2 liv. broché. A Paris ,
chez Méquignon l'aîné , Libraire , rue des Cordeliers.
Cet Ouvrage méritoit d'être traduit , & nous à
para l'être d'une manière fatisfaifante.
INSTITUTES Coutumières de M. Loifel, Avocat
au Parlement , avec des renvois aux Ordonnances
de nos Rois , aux Coutumes & aux Auteurs
qui les ont commentées , aux Arrêts , aux anciens
Praticiens & aux Hiftoriens dont les règles ont été
tirées; feconde Edition , revue & augmentée d'un
144
MERCURE
grand nombre de Notes nouvelles ; par Me Eusèbe
de Laurière , ancien Avocat au Parlement , avec une
Table des Matières très-fimple , z Vol. in 12. Prix ,
7 liv. 4 fols les deux Volumes reliés . A Paris , chez
Nyon l'aîné, Libraire , rue du Jardinet.
La réputation de cet Ouvrage utile eft faite depuis
long- temps . Les augmentations dont cette nouvelle
Edition eft enrichie , ne peuvent qu'y ajouter un
nouveau degré de mérite & d'utilité.
ERRATA du No. 14. Article Inftruction fur les
Bois de Marine , page 25 , ligne 4 , ce qui fait moitié
de la confommation de Paris , lifez un douzième .
ERRATA du N° . 15. Page 52. Mais Junon que
fatigue une longue prière : lifez, une vaine prière.
Page 56. Pâle , défiguré , tu pourras me connoître :
lifez pourras-tu. Page 59. Plus fes yeux font trou- >
blés : lifez, plus fes fens font troublés.
Voyez, pour les Annonces des Livres , de la
Mufique & des Eftampes , le Journal de la Librairie
fur la Couverture .
TABLE.
.
E PITRE à Mile de M*** , Concert Spirituel,
97 Comédie Françoife ,
127
129
132
100 Courte Réponse à la Lettre de
136
Charade , Enigme & Logo- Comédie Italienne ,
gryphe ,
Le Roi Lear , Tragédie , 101 M. C...
Eloge Hiftorique d'Anne de Avis fur l'Encyclopedie , 139
Montmorency, 121 Annonces & Notices .
J
APPROBATIO N.
140
AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 19 Avril . Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris ,
le 18 Avril 1783. GUIDI
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 AVRIL 1783 .
PIÈCES FUGITIVES.
EN VERS ET EN PROSE.
ÉPITRE à Mlle Rose , Danfeufe dans
le genre gratieux , âgée de 13 ans.
JEUN E UNE Élève des Arts , dès ta naiffante aurore
Combien j'aime à prévoir ton aimable deſtin !
Comme une fleur qui vient d'éclore
Des perles de la nuit fraîche & brillante encore ,
Reçoit l'encens léger des zéphyrs du matin ;
t
La jeune Cour de Therpficore *
Te falue en choeur & t'adore.
LES Grâces , t'adreffant leurs pas affectueux ,
Aatour de ton berceau balancent leurs guirlandes ;
Et les Talens voluptueux
Les Enfans qui danſent au Vaux- hall .
Nº 17 , 26 Avril 1733. " G
146
MERCURE
T'environnent
de leurs offrandes .
T'épiant de fes yeux malins ,
L'Amour caché ſous ta courtine ,
› Médite , en riant , fur ta mine
Des tours plus adroits & plus fins.
CONSERVE long - temps de ton âge-
La touchante ingénuité.
Va , fois toujours modefte & fage ,
Aux vertus c'eſt moins un hommage
Qu'us attrait pour la volupté.
Lorfqu'aux doux feux de la jeuneſſe
S'ouvrira ton coeur agité ,
S'il faut , avec délicateſſe ,
Ménager la vive tendreſſe ,
L'ombrageufe timidité
D'un coeur fenfible avec foibleſſe ;
En faveur de la gentilleſſe
De ton petit air éventé ,
Je te permets un peu d'adreſſe.
Je te défends la fauffeté.
ABANDONNE ton coeur. Malheureuſe la femme ;
Émnule de ton art brillant ,
Qui , réduite aux détours d'un manège galant ,
Le coeur fec & glacé , fe tranfporte & s'enflamine !
Sa danfe n'émeut point. La vérité de l'âme
Fait la vérité du talent.
Tu vendrois des plaifirs donnés fans jouiſſance !
DE FRANCE: 147.
A ce trafic affreux pourrois-tu confentir ?
Sans ceffe revêtant une fauffe apparence ,
Tes geftes & tes pas apprendroient à mentir.
Pour exprimer l'amour , il faut le reffentir.
Que fon feu , ſes élans , fes craintes , ſon ivreſſe ,
Que fes tendres douleurs ou fes tranſports heureux ,
De tous tes mouvemens variant la foupleſſe ,
Les frappe, les fufpende , ou les oppofe entre- eux.
Tantôt développant leur fuave molleſſe ,
Offrant dans leur accord un enfemble moelleux ,
Marquant d'un à-plomb sûr leur exacte jufteffe ,
Ou les laiffant couler , plus doux , plus onduleux ,
Précipitant l'éclair dont brille leur vîteſſe ,
Ou bien en graduant l'abandon langoureux
Enchaîne tous les coeurs à tes pas amoureux.
>
FUIS d'un gefte indécent la volupté profane.
Vois Thaïs, douairière à la Cour d'Orofmane ,
Profonde dans l'art des Phrynés ,
Du Soudan renverfé fur la molle Ottomanne ,
Aux faveurs d'une autre Sultanne
Provoquer les fens obftinés .
Les talens du Sérail la fuivent fur la Scène.
A quelques jeux mignards tous fes geftes bornés ,
Sa grâce minaudière & fes airs contournés
Font fentir de fes pas l'intention obfcène. ,
Évite , en l'imitant , fes affectations.
On fourit à Boucher , on admire l'Albanne.
Sa danfe eft d'une courtisanue
Gij
148 MERCURE
Que fuivent les féductions.
D'un Art bien moins fini , mais bien plus naturelle ,
Pourquoi Cécile charmoit -elle ?
D'où vient que d'un feul gefte elle nous enflammoit ?
D'où vient ?... du coeur ... Cécile aimoit.
Il faut fentir ton Art , un Maître fait le refte.
Que L'Amour , infpirant tes développeinens ,
Attache une image à ton gefte ,
A tous les pas des fentimens.
L'AMOUR ! .... il eft fi doux , que n'eft- il légitime ?
Du vice il eft au moins des cours qu'il défendit.
Sans moeurs , point de talent . Le ſentiment l'anime ,
La débauche l'abâtardit ;
Ce n'eft jamais fans quelque eftime
Que le bon goût nous applaudit.
AIMABLE enfant , pardonne. Ah ! pardonne fi j'ofe
Te tracer dans ces vers des leçons de tes jeux.
C'eft fans intérêt , jeune Rofe :
Quand l'Amour aura mis fon rayon dans tes yeux ,
Les miens ne pourront plus en foutenir les feux ,
Du froid des ans mon coeur éprouvera les glaces ;
Les Amours effrayés fuiront mes cheveux blancs.
Si quelques-uns encor s'égarent fur mes traces
Ils n'y marchent plus qu'à pas lents ;
Mais mon coeur à jamais faura fentir les grâces ,
Et j'idolâtre les talens .
( Par M. le Baron de T***.)
DE
FRANCE.
149
LA
DÉLICATESSE
RÉCOMPENSÉE
Anecdote.
VERMILLY avoit de la figure & de l'eſprit;
mais il étoit né pauvre ; il avoit du mérite
des vertus , & il n'étoit pas heureux . Belle
occafion pour répéter ce qu'on a dit mille
fois , que la fortune eft aveugle. Oui , fans
doute , nous voyons fouvent les biens d'un
côté, & les talens ou les vertus de l'autre.
Mais pourquoi vouloir que la Nature , cette
mère commune des hommes , fe plaife à
donner tout aux uns pour déshériter les autres?
N'eft- ce donc pas affez d'être fot fans
être pauvre ? Croyons que la Nature eſt encore
plus fage que nous ; & voyons- la fans
murmurer confoler la fottife par la richelle ,
Revenons à Vermilly , qui fut d'autant
plus
malheureux qu'il devint orphelin prefque
dès fon enfance. Un homme riche , qui
avoit été l'ami de fon père , le prit chez lui
& le fit élever comme un de fes enfans . Ces
bienfaits ne furent pas perdus pour M.
Lorvey ( c'eft le nom du bienfaiteur ) ; il en
fut payé par les progrès & la
reconnoillance
de Vermilly. Il étoit père de trois filles qu'on
élevoit fous les yeux ; mais , foit l'effet de
leur heureux naturel , foit que
l'honnêteté.
attentive & la cåndeur
défintéreflée de Vermilly
fuffent propres à écarter la jalouſie ,
il étoit regardé par eux , non comme ma
Gij
750
MERCURE
étranger , mais comme un frère. Quand for
âge & fon intelligence l'eurent rendu utile ,
il donna tous fes foins aux affaires domeftiques
; il parloit des biens de fa famille adoptive,
comme n'ayant rien à y prétendre , & il
y veilloit comme s'ils euffent dû n'appartenir
qu'à lui feul . Mme Lorvey elle même ,
qui ne l'avoit pas vû entrer dans fa maiſon
fans une espèce d'effroi , s'accoutuma bientôt
à le voir avec des yeux de mère ; & elle
eût pleuré fon départ comme on pleure la
mort d'un fils .
Vermilly étoit deftiné à perdre un fecond
père ; il vit mourir prefque fubitement
fon bienfaiteur. Il eut befoin , pour
n'en être pas accablé , de tout l'effort de fa
raifon , & de la conviction où il étoit que
cette mort le rendoit plus néceffaire à la famille
du défunt. En effet , les foins étoient
devenus d'autant plus effentiels que M.
Lorvey avoit laiffé en mourant fes affaires
fort embrouillées , par d'injuftes procès dont
il n'avoit pu voir la fin. Loin que cette circonftance
énorgucillit Vermilly , elle fembloit
augmenter à la fois fon zèle & la modeftie
; quoiqu'il ne fût guères plus âgé que
fes foeurs , fa raifon prématurée appeloit &
fixoit la confiance ; il crut devoir à la famille
qui l'avoit adopté , la tendrelle & les foins
d'un père ; mais toujours femblable à luimême
, il ne vit dans fa nouvelle pofition
que des devoirs nouveaux , & non un titre
de plus.
DE FRANCE. 151
Il est vrai qu'il ne travailloit point pour
des ingrats. Les trois foeurs étoient juftes &
fenfibles ; & elles béniffoient de plus en plus
le jour où il étoit dans leur famille. Toutes
les trois étoient jolies , mais avec des traits
& des caractères oppofés . La cadette étoit
vive , étourdie même ; mais fes fautes étoient
auffi- tôt réparées que commifes ; & un repentir
actif & prompt expioit ſon étourderie.
L'aînée , plus fenfée , plus raifonnable ,
avoit une gravité dans le maintien , qui donnoit
à fon premier abord une apparence de
froideur , & même de fierté ; mais fa froideur
n'étoit que de la décence , & fa fierté
de la fageffe. Sérieufe fans être trifte , elle
avoit acquis par l'étude , chofe affez rare ,
quelques - unes de nos qualités , fans perdre
aucune des grâces de fon fexe : lire de bons
Livres & faire de bonnes actions , amuſoient
fon efprit & fon coeur ; mais elle cachoit
également & fes bienfaits & fon ſavoir.
La plus jolie des trois étoit la troisième
qu'on nommoit Cécile. Elle tenoit de fes
deux foeurs par le caractère , fans reffembler
à aucune . Sa taille étoit ſvelte , fon teint étoit
de la plus grande blancheur ; & cette blancheur
étoit relevée par deux beaux yeux
noirs , couronnés de fourcils noirs bien deffipés
; fes yeux étoient faits pour être vifs ,
fi fon coeur ne leur eût donné l'expreffion de
la tendreffe ; elle étoit née pour ſentir fortement
les paffions ; mais elle avoit une timi
Giv
152 MERCURE
dité naturelle qui , en concentrant leurs efforts
, en modéroit les fignes extérieurs . Un
mot , un regard , la couvroit de cette rougeur
intéreflante qui embellit une femme
timide , furvit même à la pudeur , & en
prolonge l'illufion . Ajoutez à cela quinze
ans , & vous aurez le portrait de Cécile .
Les trois foeurs , après la mort de M. Lorvey
, fentir entencore mieux le prix du préfent
qu'il leur avoit fait en adoptant Vermilly.
Le titre de frère qu'elles lui avoient
donné, n'avoit été d'abord qu'un acte d'obéiffance
, il devint bientôt un befoin de leur
coeur. Cécile étoit celle qui lui témoignoit
moins d'amitié ; mais on verra que cette froideur
ne devoit pas être attribuée à l'ingratitude.
La veuve ne fut pas plus injufte que fes
filles ; bien des gens vont même trouver
qu'elle poufla la reconnoiffance un peu
trop loin. Quand Vermilly , par fon zèle &
par fon intelligence , eut remis l'ordre dans
les affaires , & terminé avantageufement
tous les procès , Mme Lorvey ne fongea plus
qu'à jouir de fa fortune , qui étoit confidérable
, & à reconnoître les foins de l'homme
honnête & fenfible qui avoit fu l'augmenter
encore. Elle n'éroit ni fans jeuneffe , ni -fans
beauté , & j'ai dit que Vermilly étoit réellement
aimable. Elle avoit encore le coeur
fenfible ; elle paffoit fa vie avec Vermilly ,
qu'elle voyoit chéri de tout le monde ; il falloit
bien qu'elle l'aimât auffi ; & comme il y
DE FRANCE.
1537
a des femmes qui n'ont qu'une manière d'aimer,
elle l'aima , après fon mari , comme
elle avoit aimé fon mari. Cet amour étoit
d'autant plus difficile à éviter , qu'il étoit
entré dans fon coeur fous les traits de la reconnoiffance
, & qu'elle n'avoit pas cru devoir
s'en mefier. Au refte , Mme Lorvey avoit
toujours merité l'eftime de fon mari & le refpect
de fa famille ; auffi ne faut il pas regarder
cette paffion comme le delire de fes fens,
mais comme l'erreur d'un coeur fenfible .
Il falloit pourtant déclarer un fentiment
que la modeftie de Vermilly n'auroit jamais
foupçonné , & que , par delicateffe , il n'eût
jamais cherché à faire naître. Dans toute autre
occafion , Mme Lorvey auroit trouvé une
pareille déclaration pénible , impoffible même.
Mais cet aveu devenoit bien plus
facile par la fituation où elle fe trouvoit.
Elle n'avoit pas même befoin d'employer le
mot d'amour. Au lieu de dire , je vous aime ,
elle pouvoit dire , je vous dois tout , au lieu
de dire , je veux fatisfaire , en vous époufant
, le goût que vous m'avez infpiré , elle
pouvoit dire , je veux payer vos bienfaits en
vous faifant partager ma fortune. Enfin eile
pouvoit paroître , en fuivant l'amour , ne
cèder qu'à la reconnoiffance ; & c'eſt une
grande reffource pour la pudeur. Peut- être
auffi que , dupe jufqu'au bout de fon propre
coeur , elle crut n'obéir qu'à un fentiment
généreux & défintéreffé .
Quoi qu'il en foit , après avoir effayé
Gv
154
MERCURE
2
vingt fois en vain d'offrir fa main à . Vermilly
, elle y réuffit un jour ; & quoiqu'elle
fe fut expliquée avec un peu de défordre,
elle étoit parvenue à fe faire entendre . Cette
propofition , que Vermilly n'avoit follicitée
par aucun moyen , n'en étoit pas moins féduifante.
Mais l'intérêt n'étoit pas l'arme la
plus propre à le vaincre ; & l'amitié de Mme
Lorvey , les titres qu'elle avoit à fa reconnoiffance
, étoient plus puiffans auprès
de lui que les richeffes qu'on lui offroit. Il
craignoit bien plus d'affliger fa bienfaitrice ,
qu'il ne defiroit de s'enrichir . Il ne mit dans
fa réponſe , ni hypocrifre , ni morgue , ni
coquetterie , il lui exprima tous les fentimens
dont il étoit pénétré , & fe borna à lui
dire que ce mariage - là pourroit être blâmé
dans le monde , & furtout dans la famille.
Mais tout modefte qu'il étoit, il ne put s'empêcher
de lire dans les difcours de Mine Lor
vey, & même dans fon filence , tout ce qui
fe pafloit dans fon coeur. Il vit qu'elle étoit
entraînée par un fentiment qu'elle n'avouoit
point , qu'elle ignoroit peut être elle -même ;
& il fut effrayé de l'idée de faire le malheur
de fa bienfaitrice. Mais fa délicateffe n'étoit
facile ni à vaincre , ni à féduire. Madame , lui
dit il , vous m'offrez un bonheur auquel je
n'ai jamais dû prétendre , que je n'aurois pas
même ofé defirer. Je fais tout ce que je
dois à cet excès de générofité ; mais fouffrez
que je donne quelque chofe à ma délicatelle.
Souffrez que je n'accepte ce bienfait
DE FRANCE. Iss
7
qu'après que le confentement volontaire de
votre familie l'aura rendu légitime. Enfin ,
j'ai besoin qu'elle m'adopte d'elle - même
pour chef , comme vous avez daigné me
choifir pour époux .
Le coeur de Mme Lorvey pouvoit avoir
à fe plaindre de cette délicateffe ; mais fon
efprit lui fourniffoit peu d'objections pour
la combattre , & il fallut fe rendre aux
defirs de Vermilly. D'ailleurs , elle comptoit
peut - être affez fur la tendreffe que fa famille
avoit pour elle & pour Vermilly , pour
ne redouter aucun obftacle.
Celui - ci ayant affemblé non - feulement
les trois foeurs , mais d'autres proches parens
, fe mit en devoir de leur annoncer les
favorables difpofitions de Mme Lorrey à fon
égard ; mais il le fit avec le ton d'honnêteté
& de ménagement qu'il devoit à fa bienfaitrice
, & qu'il fe devoit à lui - même ; il leur
dit que , trompée par un excès de générosité ,
Mme Lorrey vouloit payer fes foins par un
prix bien au deffus de fes foibles fervices ;
mais qu'il avoit cru ne devoir accepter ce
bienfait qu'après leur confentement unanime.
Il ajouta que la confidence qu'il leur
faifoit , n'étoit pas un vain compliment , ni
un moyen adroit pour écarter leur fuffrage ;
& il s'engagea par une parole d'honneur à
renoncer fur l'heure à toutes les prétentions
, fi elles déplaifoient à un feul d'entre
eux.
Dès le commencement de fon difcours .
Gvj
156 MERCURE
Pintéreffante Cecile , qui étoit placée entre
fes fours , avoit paru fe troubler ; elle rougit
, pâlit , elle s'efforça , mais en vain ,
de rappeler les forces , & au moment où un
cri unanine s'éle a pour adopter Vermilly ,
elle tomba dans les bras de fon aînée , fans
couleur & fans connoiffance. De prompts
fecours lui rendirent l'ufage de fes fens ; mais
l'affemblée fut rompue , & l'on ſe mit à interpréter
cet événement , qui ne parut point
naturel , parce que les deux autres foeurs en
avoient apperçu la naiffance & obfervé les
progrès.
Cet accident alarma la probité fcrupuleufe
de Vermilly . Il s'imagina que la nouvelle
qu'il venoit d'annoncer , pouvoit
bien être la caufe de cet évanouiffement ; &
il conclut que Cécile n'approuvoit pas fon
mariage avec Mme Lorrey. Sa conclufion
parut le rapporter à l'idée qu'en avoient les
autres parens ; on trouva feulement étrange
que le difcours de Vermilly eût fait fur elle
une aufli vive ſenſation .
On avoit raifon d'être furpris d'une auffi
forte impreffion , parce qu'on ne ſe doutoit
pas du principe qui l'avoit caufée. Il eſt vrai
que le coeur de Cécile s'oppofoit à ce mariage
; mais c'étoit par un motifplus noble &
plus intéreffant que celui qu'on foupçonnoit.
En voyant Vermilly , en lui parlant tous les
jours , elle n'avoit pu fe défendre d'un
amour qu'elle cachoit au fond de fon coeur ,
mais qui fe nourriffoit fans ceffe de la vûc
DE FRANCE. 157
& des difcours de celui qui l'avoit fait naître.
Sa timidité , d'autres motifs l'avoient
forcée à garder fon fecret ; peut être même
avoit- elle réfolu de facrifier fon amour ; mais
jufques là elle avoit vu Vermilly indifférent ,
libre de toute paflion : il eft plus facile de
renoncer à un amant qui ne ſe donne à perfonne
; mais quand on le voit prêt à paller
dans les bras d'une autre , c'est alors qu'un
pareil facrifice devient difficile , impoſlible
ou tout au moins déchirant ; & voilà ce qui
vient d'arriver à la pauvre Cécile. Perfonne
ne lui parla , on vouloit la laiffer repofer ;
mais fon coeur lui permettoit- il le repos ?
Quelle affreufe nuit elle alloit paffer ! A
peine fut elle dans fon lit , qu'elle fentit fes
larmes couler abondamment. Malheureufe
Cécile , fe difoit-elle ! tu pleures ! mais pourquoi
ces larmes & ce défefpoir ? Tu n'étois
pas aimée. Que dis - je ? On ignoroit ton
amour. Et elle reprenoit enfuite : ah ! du
moins fi je n'avois pas le coeur de Vermilly ,
perfonne ne le poffedoit. Et puifque je pouvois
vivre & lui cacher mon amour , fans
doute qu'à mon infçu l'eſpérance reftoit toujours
dans mon coeur. Quelquefois elle fe
reprochoit fon filence. Hélas ! s'écrioit- elle ,
qu'ai- je fait ! peut être fi j'avois parlé , j'aurois
prévenu mon malheur ; mais aujourd'hui
il eft fans remède. Irai je me déclarer
la rivale de ma mère ? Mon amour étoit innocent
, il est aujourd'hui criminel. Que disje
, parler ? le pouvois - je ? le puis - je encore ?
158 MERCURE
ch ! quand mon fexe ne m'en feroit pas un
crime, irois je montrer de l'amour à un coeur
indifferent ? ..... indifférent ! eft - il bien
sûr qu'il le foit ? ne confent-il pas à être
l'époux de ma mère ? qui fait s'il ne brûloit
pas en fecret pour elle , comme je brûlois
pour lui ? ou lui ? ou plutôt , qui fait fi leurs coeurs
n'eroient pas d'accord , tandis que le mien
periffoit d'un amour fans efpoir , mais fans
alarmes ? Maiheureufe ! malheureufe Cécile !
C'eft ainfi qu'au milieu des combats qui
déchitoient le coeur de la tendre Cécile , la
jalousie même trouvoit encore fa place. Cependant
tout étoit fufpendu ; Vermilly l'avoit
demandé; & Mme Lorvey elle-même
aimoit trop fes filles , pour ne pas céder aux
inquiétudes que Cécile lui donnoit ; car elle
l'avoit vue dès le matin avec fes deux foeurs ,
l'avoit trouvée mal ; & Cécile elle- même
peut-être dans la crainte d'être interrogée ,
avoit dit qu'elle avoit befoin de repos .
Quelque temps après , comme on entendit
du bruit dans fa chambre , on crut
qu'elle étoit levée , ou au moins qu'elle ne
dormoit point , & la mère pria Vermilly
d'aller la voir : voyez la , lui dit - elle . La
crainte lui ferme peut être la bouche avec
moi ; la confiance pourra la faire expliquer
devant vous. Voyez la ; fi c'eft le motifque
vous croyez , nous le faurons au moins. Elle
n'ofoit lui dire , vous pourrez diffiper fes
doutes , fes craintes ; vous pourrez vaincre
la répugnance . Mais Vermilly entendoit
DE FRANCE. 159
peut être très bien ce qu'elle ne difoit pas.
Il entre chez elle . Cécile étoit levée ,
affife auprès d'une table , fes deux coudes
pofés deffus , & fa tête dans fes deux mains.
Elle fe détourne au bruit , apperçoit Vermilly
, fent un frémiffement qu'elle ne
peut vaincre , & détourne brufquement
les yeux , non pour ne pas voir Vermilly,
mais pour cacher fon émotion. Vermilly
prend ce mouvement pour une expreffion
involontaire de haine. Ah ! Cécile , s'écriat'il
douloureufement ! quel mouvement
j'excite en vous ! il ne me laiffe plus aucun
doute fur vos fentimens. Mais fi mon
projet vous a déplu , pourquoi ne l'avoir pas
dit ? vous faviez que vous y oppofer , c'étoit
le détruire. Il eft encore temps ; dites un
mot. Mais je n'aurois jamais cru ce que je
vois ; je n'aurois pas cru vous être devenu
odieux. Vous , odieux , répond Cécile ! ....
qui vous l'a dit ? Je ne vous hais pas ( & fa
bouche étoit bien d'accord avec fon coeur. )
Non , je ne vous hais pas. Croyez le ....
Elle ne put continuer , tant le trouble de fon
coeur étoit grand.
......
Alors Vermilly fe mit à parler de fon
mariage projeté , des motifs qui l'y avoient
fait confentit , & de ceux qui le lui faifoient
rejeter déformais. Tout ceci n'étoit
pas écouté fans plaifir. Cécile voyoit que
l'amour n'avoit point décidé Vermilly ; elle
voyoit qu'il étoit prêt à renoncer à cet
hymen. Mais ce plaifir étoit bientôt détruir
160 MERCURE
par cette cruclle réflexion : Et les fentimens
que ma mère a déclarés , ne ferment- ils pas
pour jamais mon coeur à l'efpérance ? Vermilly
en ouvrant fon âme devant elle pour
la foulager , ne faifoit que l'affliger encore
plus ; les vertus , la fenfibilité qu'il lui laiffoit
voir , ne fervoient qu'à redoubler fes regrets.
Quel coeur m'eſt enlevé , fe difoit- elle
tout bas , & le fien étoit déchire !
Enfin , elle recueillit toutes les forces
pour lui dire qu'on ne devoit pas être furpris
de fon accident , qu'il ne falloit y voir
que ce qui y étoit , & que ce n'étoit pas la
première fois qu'elle étoit malade . Malade ,
répond Vermilly ! ce n'eft pas votre lanté
qui vous tourmente en ce moment. Je vous
connois , Cécile , la maladie vous feroit
fouffrir ; elle ne vous feroit pas pleurer , &
vous pleurez. Quoi ! je pleure , s'écrie la
pauvre Cécile en s'effuyant , je pleure !
Alors Vermilly crut devoir le retirer. Il
alla retrouver la mère , & lui dit que Cécile
paroiffoit un peu mieux , mais qu'elle avoit
befoin de tranquillité.
Le lendemain Cécile quitta fa chambre ,
entretint fes foeurs qui l'aimoient , & parut
plus tranquille , peut- être parce qu'on
ne lui parloit de rien , & qu'elle fe flattoir
que rien ne le renoueroit fans qu'on lui parlat
. Le père avoit voulu autrefois avoir le
portrait de Vermilly comme celui de les enfans
, & il l'avoit placé dans un cabinet où
al travailloit fouvent avec lui. En allant &
DE FRANCE. 161
venant dans la maiſon , Cécile , foit par hafard
, foit entraînée doucement par fon coeur,
entra dans ce cabinet , & fes yeux s'attachèrent
fur le portrait de Vermilly ; ils ne purent
plus le quitter. Vermilly , fe difoit- elle en le
regardant douloureufement ! tu ne feras jamais
à moi , & je fuis à toi pour la vie ! j'aurois
pu faire ton bonheur , & tu feras celui
d'une autre ! Ces idées l'attriftoient ; mais ce
qu'elle voyoit lui procuroit une jouiffance ;
elle ofoit fi peu regarder Vermilly , qu'elle
trouvoit du plaifir à lui parler , à le regarder
au moins dans fon portrait ; elle le contemploit
, & des larmes de tendreffe couloient
le long de fes joues. Cette vûe l'occupoit
tellement qu'elle n'entendit pas Vermilly ,
qui la furprit dans cette attitude . Il vit clairement
ce qu'elle regardoit ; il vit fes larmes
couler ; mais pour ne pas jouir de fon enbarras
, il revint fur fes pas bien doucement ,
& fit enfuite de loin beaucoup de bruit avant
d'entrer dans le cabinet où il avoit affaire . A
ce bruit Cécile , comme réveillée en furfaut ,
quitte la place où elle étoit , & fe range de
manière à ne pouvoir envifager le portrait ;
elle avoit trop de motifs de le regarder pour
ofer le regarder devant le monde. La rougeur
avoit couvert fon vifage ; mais Vermilly
n'eut pas l'air de s'en appercevoir , lui adreffa
quelque phrafe indifférente , fit ce qu'il
avoit à faire , & fortit du cabinet , où Cécile
ne crut pas devoir refter après lui.
On fe doute bien que l'attitude dans la162
MERCURE
quelle Vermilly avoit furpris Cécile n'avoit
pas gliffé fur fon efprit. Il ne put s'empê
cher d'y rêver , & en y rêvant il fut forcé de
croire ce qu'il ne pouvoit prefque comprendre
, qu'il étoit l'auteur de la maladie de Cécile
. En fortant de fa première furpriſe , il
tombe dans un embarras plus cruel encore.
Après avoir furpris les fentimens de Cécile
, il defcend dans fon propre coeur . Il
n'avoit pas oublié qu'il avoit déjà depuis
quelque temps fenti auprès de Cécile de
tendres impreffions. Il s'étoit armé de tout
lecourage que peuvent donner la probité & la
raifon; & il avoit combattu les premières
atteintes d'un amour qu'il n'efpéroit pas de
voir heureux , & qu'on pouvoit regarder
comme coupable. Peut- être ces impreffions
étoient moins effacées qu'il n'imaginoit ; &
ce qu'il venoit de voir n'étoit guères fait
pour guérir fon coeur. Si l'amour eft fi difficile
à éteindre tandis qu'il lui refte l'efpérance
, comment le réprimer quand il a la
certitude du retour ? Vermilly eft aimé même
fans avoir dit qu'il aime , quel attrait pour
une âme fenfible ! Il avoit bien les mêmes
raifons pour combattre fon amour ; mais
fon amour avoit acquis de nouvelles forces
pour réfifter. Il réfolut néanmoins d'être tou
jours le même; & il vit bien qu'il alloit
être d'autant plus malheureux , qu'il faifoit
le malheur de la charmante Cécile. Plus il
la voyoit, plus il lui trouvoit de charmes ;
& peut-être ( tel eft le coeur humain ) quand
DE FRANCE. 163
4
il regrettoit le bonheur qu'il laiffoit échapper
, il croyoit ne faire que plaindre les
maux qu'il caufoit fans le vouloir.
Cependant la tendre Cécile recueillit
toutes les forces. Elle réfolut de fe priver de
toute eſpérance , afin d'étouffer fon amour.
C'étoit un facrifice qu'elle crut devoir
à fa mère. Elle écrivit donc une lettre
dans laquelle elle engageoit ſa mère à fuivre
le projet qu'elle avoit conçu , à époufer Vermilly.
Qu'on juge combien une pareille lettre
étoit pénible à écrire ! Elle donnoit des
éloges à la générofité qui infpiroit fa mère ;
elle approuvoit enfin ce qu'elle croyoit
devoir lui coûter la vie. Comme elle achevoit
d'écrire, Vermilly entra chez elle. Tenez ,
lui dit elle , en profitant d'un refte de courage
qui étoit prêt à s'éteindre , voilà une
lettre que j'écris à ma mère ; elle détruira
tous vos foupçons ; je l'engage à fuivre fon
projet envers vous . Vermilly ne peut entendre
ces paroles ni prendre la lettre fans friffonner
; & peut - être ce mouvement involontaire
n'échappa point à Cécile. Il lit , &
avec une émotion qui l'empêchoit d'articuler
: Cécile , lui dit - il , votre mère ne pourra
point lire cette lettre ; elle eft écrite d'une
main.... toute tremblante ; & la plupart des
mots font effacés.... par vos larmes. Vous
croyez , reprit - elle fans favoir ce qu'elle
difoit !.... n'importe.... & un torrent de larmes
termine ces mots entrecoupés . Enfuite
revenant à elle-même , elle le prie de rendre
164
MERCURE
lui- même la lettre , la lui préfente , la retient
malgré elle , & tombe comme accablée
de laffitude fur une rable qui étoit à
côté de fon fauteuil
Vermilly ne peut plus réfifter à ce spect
tacle. Il fe jette à fes pieds , baigné lui - même
de fes larmes. Divine Cécile , s'écrie - t - il!
j'ai lu dans votre coeur. Puniffez - moi de
vos tourmens ; puniffez moi d'avoir ofé les
deviner. Je pouvois être le plus heureux
de tous les hommes ; j'en fuis le plus infortuné
, & je dois l'être.
A ces mots Cécile pouvoit jouer la colère
; mais elle avoit plus de candeur que de
fierté, & fon coeur n'avoit plus la force de
fe combattre. Elle ne répondit que par de
nouvelles larmes. Vermilly lui ouvrit alors
fon propre coeur, & entraîné par les fentimens
, il lui en fit l'aveu. Ah! Vermilly ,
s'écria- t - elle d'une voix prefque éteinte ,
qu'avez-vous fair ? que m'avez vous appris ?
n'étois je pas affez malheureufe ? Eh bien ,
continue t-elle en fe levant , mon fecret
connu ne rend mon devoir que plus rigoureux
. Elle donne à Vermilly fa lettre , avec
ordre de la rendre à fa mère , & s'enfuit
brufquement fans ofer le regarder.
Vermilly demeura en proie à mille mouvemens
divers ; il céda à celui de fon devoir.
Il alla trouver Mme Lorvey pour lui rendre
la lettre ; elle étoit fortie ; fon coeur ne
put fe défendre d'un mouvement de joie.
Mme Lorvey rentra ; Vermilly frémit de
DE FRANCE. 165
tout fon corps , & lui remit la lettre de
Cécile. Cette lettre auroit dû caufer à Mme
Lorvey plus de plaifir qu'elle ne parut lui en
faire. De nouveaux foins , que Vermilly ne
devinoit pas , fembloient occuper fon efprit.
Elle va trouver fa fille . Cécile , lui dit- elle ,
je viens de lire ta lettre . Je fens tout ce que
tu fais pour moi , je viens te demander à
montour ce que je peux faire pour toi. Cécile
crut devoir profiter de cette ouverture ,
& demanda à ſa mère la permiffion de ſe
retirer dans un couvent. Quoi , tu veux
me quitter ! Il le faut bien , reprit Cécile.
/ Et ce mot ne fut pas plutôt prononcé qu'elle
eût voulu pouvoir le retenir. Ce mot échappé
& la demande du couvent , plongea dans la
rêverie Mme Lorvey , qui fit appeler Vermilly.
Quand il fut arrivé : eh bien , lui
dit elle , ma fille confent à notre union.
Êtes-vous dans les mêmes fentimens ? Oui ,
fans doute , s'empreffa de répondre Cécile ;
& l'on fent combien ce difcours la faifoit
fouffrir. Mes enfans , continua Mme Lorvey,
vous me jurez donc de faire ce que je defire ?
comme on eat répondu oui : ch bien , ditelle
, ma fille , je veux terminer d'abord l'affaire
qui m'intéreffe ; nous fongerons après
à celle du couvent. A ces mots elle fortit.
Le foir même elle raffembla fes enfans ;
& un moment après, arriva un Notaire, qui
fit frémir Cécile & Vermilly. Vous allez donc
figner , dit Mme Lorvey, en s'adreffant à l'un
& à l'autre. Tous deux prennent la plume
166 MERCURE
ils étoient fi troublés , qu'ils auroient figné
leur ſentence de mort fans y regarder. Quoi ,
dit- elle à Vermilly, vous figuez ce papier fans
le lire il faut donc vous en dire le contenu.
Mais avant tout , Vermilly & vous , ma fille ,
fachez que j'ai lû dans vos coeurs . Je fais
quel facrifice vous me faifiez , & je fais quel
devoir il m'impoſe. Vous n'avez promis de
m'obéir ; je vous ordonne donc de figner ce
contrat , qui eft celui de votre mariage.
Après cela , Cécile , ajouta t'elle avec un
fourire aimable , tu choifiras le couvent que
tu voudras pour ta retraite. A ces mots , les
deux amans tombent aux pieds de Mme Lorvey
, fans avoir la force d'exprimer leur reconnoiffance
; & les deux foeurs remercièrent
leur mère de ce mariage , qui fut célébré avec
la joie la plus vive , & qui eut les fuites les
plus heureuſes.
( Par M. Imbert: )
Explication de la Charade , de l'Enigme &
du Logogryphe du Mercure précédent.
LE mot de la Charade eft Vergennes ; celui
de l'Enigme eft Liberté; celui du Logogryphe
eft Mouchoir , où fe trouvent oui , Houri,
la partie fur laquelle on s'affied , S. Cir ,
сон ,
cor , Roi.
DE FRANCE. 167
ÉNIGM E.
CHOSE utile ici-bas rarement ſe remarque ;
Lecteur ,
voilà mon fort : pourtant au genre humain
Je ſers jufqu'au moment où de la vie enfin
Le fil ufé fe rompt fous les doigts de la parque.
La nuit comme le jour je paffe par la main
Et du Berger & du Monarque ,
De la Nymphe & de la Nonain ;
Et fi vous exceptez quelque climat lointain ,
De moi par- tout l'on fait ufage.
Mais , foit ou raiſon , ou penchant ,
Au fexe le plus beau je plais bien davantage.
J'en appelle à fon témoignage ;
Car il me vifite fouvent.
Ami du repos , du myſtère ,
Je fuis l'éclat d'un trop grand jour ;
Sur table , vers le foir , dans un coin folitaire ,
Je vais prendre ma place au fond de ce ſéjour ,
Où l'on dit que par fois l'Amour
S'égaye aux dépens de fon frère.
A tes regards , je crois , c'eft bien affez m'offrir;
Cependant , pour me définir ,
S'il faut encor que tu batailles ,
Lecteur , tu peux me découvrir
Allant de Paris à Versailles.
( Par Mme Cafuelle , Fayencière. )
168 MERCURE
LOGO GRYPH E.
JE fers aux champs qui fait m'affervir & me battre ,
On me fert à la ville avec foins affidus .
J'ai cinq pieds , & je marche à quatre ;
Retranche mon premier , il ne m'en refte plus.
( Par un Officier au Régiment du Roi , Infant.)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES contenant le Journal d'un
Voyage fait à Rome en 1773 , 2 Vol.
in 12. A Genève ; & fe trouve à Paris ,
rue & hôtel Serpente.
QUOIQUE l'Italie nous foit auffi connue
que fi tout le monde l'avoit vifitée , le
nombre de Voyages qu'on a publiés depuis
quelque temps , ne font qu'exciter le defir
de voir un Pays que la Nature a fi bien
traité , que les Arts ont embelli , que l'Hiftoire
à rendu célèbre ; & il n'y a perfonne
qui ne regrette de n'avoir pas , comme l'Auteur
de ces Lettres , les difpofitions requifes
pour fe mettre en route ; temps , fanté &
argent , tempo , fanita e danari. Son Journal
eft d'autant plus agréable , qu'il ne parle
que de ce qui mérite d'être connu , qu'il ne
décrit
mustpuf
DE FRANCE. 145
décrit que ce qui a réuni les fuffrages des
Connoiffeurs ; point de détails minutieux ,
point d'enthoufiafme de prévention ; il ne
s'extafie pas devant un tronçon de colonne
parce qu'il eft antique ; il ne donne pas des
éloges outrés à un tableau parce qu'il eft
d'un Maître célèbre ; fes jugemens font le
réſultat de fes connoiffances , & fes louanges
font dictées par le goût. Son Ouvrage
peut être regardé comme un Extrait bien
difcuté & bien fait des Obfervations des
Voyageurs qui ont vû l'Italie avant lui : aufft
n'eft il pas toujours de leur avis ; il critiquequelquefois
, il n'adopte pas leurs opinions ;
il ne copie pas leurs éloges , & on ne pourra.
pas dire de ces deux Volumes ce qu'on a dit
de certains Voyageurs , qu'ils n'avoient fait
que répéter , vrai ou non , ce qu'on avoit
dit avant eux, ou ce que les Almanachs qu'on
trouve dans chaque Ville leur avoient appris.
On a vû tant de defcriptions des monumens
anciens & modernes qui fixent l'attention
des Amateurs , que nous croyons
inutile au moins d'en entretenir nos Lecteurs.
Bornons-nous à quelques ufages finguliers
, à quelques détails agréables , à quelques
obfervations utiles. " A Turin , ainfi
» que dans toute l'Italie , on fe reffent en-
» core , à bien des égards , des influences des
» onzième & douzième fiècles. L'ignorance
& la fuperftition ont continué de faire
» des Églifes des lieux d'affranchiffement ;
de forte que les porches font toujours
N°. 17 , 26 Avril 1783. H
146 MERCURE
"
» habités par des coquins qui font surs d'y
trouver l'impunité. Quant à la dévotion,
» elle eft route en démonftration. Les Péni-
» tens , affubles d'un grand fac , & les Péni-
" tentes en voile blanc & l'éventail à la
» main, parcourent les rues en chantant des
» Pleaumes d'un ton lugubre. Dans quel-
» que endroit que l'on aille , on fe heurte.
» toujours contre quelque Relique ou des
Images miraculeufes. On eft affailli à
chaque inftant par des quêteurs qui vous
» harcèlent , per le anime del Purgatorio....
» La dévotion envers les âmes ne ſe borne
» pas à quêter pour elles ; elle a fait élever
» des charniers dont la ftructure fouvent eft
» très agréable ; telle eft celle du village de
Sédriano & de celui de Milan , qui eft .
» bâti en portiques avec des colonnes de
granit ; les offemens y font arrangés d'une
manière pittoresque ; en forte qu'on n'é-
» prouve point en les voyant l'horreur qu'ils .
» devroient naturellement infpirer. »
On trouve quelques détails fur Venife ,
fur la fingularité de fa fituation , ſur l'agrément
de fon féjour , fur la liberté qui y
règne , qui font le plus grand plaifir à lire :
c'eft cet amour de la liberté qui a introduit
l'ufage de porter le mafque pendant une
grande partie de l'année , & celui d'avoir des
cafins , qui font comme les petites maifons
de nos grands Seigneurs ou de nos
Financiers ; ceux- ci favorifent le jeu que les
Vénitiens aiment beaucoup , le déguifeDE
FRANCE. 147
ment fert leur goût pour l'intrigue qu'ils
aiment encore davantage . Les Nobles
» feuls ont le droit de tenir la Banque
dans les Ridotti , qui font des falies publiques
où l'on joue pendant le carnaval ;
les Étrangers doivent y rifquer leurs fequins
avec précaution ; le jeu étant regardé
comme une reflource à Venife , la
» fortune eft aidée par la pratique la plus
33
"
confommée , & fouvent par d'autres
» moyens plus fimples & plus sûrs.... » Le
Voyageur a remarqué que les François paroiffoient
fort aimés à Venife ; la vivacité de
notre Nation fympathife beaucoup avec
l'humeur naturellement folâtre des Vénitiens.
« C'étoit une épidémie lorfque j'y
paffai, que la fureur de parler François
ور
"
n
20
on n'entendoit de tout côté qu'un baragouinage
continuel , & les moufoù voleient
à tort & à travers ; cette rage de
parler François avoit paffé même juſques
» fur les Theâtres , où j'entendis une Ac-.
» trice nous débiter un air François que je
ne reconnus pas plus que les paroles ; les
Baladins des places publiques s'en mê-
» loient auffi , & l'on débitoit une chanfon
dans laquelle on ſe moquoit affez bien
» des nouveaux Parleurs françois. » Je ne
connois rien qui faffe mieux connoître les
moeurs vénitiennes que le proverbe qui
fuit : Il leur faut , dit-on , la matina una
Melfetta , l'apofdinar una baffetta , e la
fera una donnetta.
»
Hij
148
MERCURE
"
En fuivant rapidement fa route , le nouveau
Voyageur ne néglige point de corriger
les erreurs de fes guides. " Je ne fais où M.
» Delal .... a pris l'air de gaieté & de liberté
qui règne parmi les habitans de Cezenna ;
» je n'ai au contraire rien vu qui n'indiquât
» la trifteffe & l'ennui. La feule chofe qui
m'ait frappé eft une espèce de coquette-
» rie qui leur eft particulière ; elle confifte à
profiter des fignes qu'ils ont fur le vifage,
pour y laiffer croître de longs poils qui
» fouvent ont trois ou quatre pouces de
longueur ; ils reffemblent affez à ces longues
& frêles mouftaches qu'on voit aux
» Chinois fur les écrans . »
30
39.
"3
On ne peut donner une idée de ce qu'il
y a d'or , d'argent , de diamans , de perles ,
&c. dans la Santacafa de Lorette & dans
fon tréfor , ni du nombre de chapelets qu'on
y diftribue , de livrets de dévotion , de cierges
pour les agonies , de fonnettes pour chaf
fer le tonnerre ; mais le plus grand débit
cft celui des paquets de poudre que l'on
fait tomber avec le balai des murs de la
Santacafa. On peut juger des nombreuſes
» Caravanes de Péleries qui s'y rendent , par
les fillons tracés dans le marbre autour de
» la Chapelle. La dévotion des vrais croyans
» eft d'en faire plufieurs fois le tour à ge-
»
"
ور
ور
39 noux, »
On ne fait pas un pas dans Rome fans
trouver des jouiffances pour la curiofité :
Temples , Arcs de Triomphe, Églifes , Palais
, Fontaines , Ruines , tout attire l'attenDE
FRANGE. 149.
"
"
و د
"
و ر
و ر
و ر
tion ; c'eft un vafte monument élevé en
l'honneur des Arts ; tout eft à citer .... Notre
Voyageur voulut parcourir les catacombes ;
il voyagea pendant une heure dans ces fouterrains
compofés « de différentes galeries
qui fe communiquent & fe croiſent , &
qui font fi baffes dans quelques endroits ,
qu'il faut s'y tenir le corps ployé. Ces ca-
» tacombes font garnies dans les parties
latérales de tombeaux. On trouve dans,
prefque tous des urnes lacrymatoires , des
" lampes fepulcrales , des phioles dans lef
quelles on s'apperçoit qu'on a renfermé
» du fang.... On peut diftinguer facilement
» ceux des chrétiens de ceux des payens par
les infcriptions. » L'air qu'on refpire dans
le quartier où elles font eft fi mal fain , que
les Religieux Feuillans qui deffervent l'Eglife
de Saint-Sébastien , auprès de laquelle
font placés ces fouterrains , abandonnent
leur maifon pendant fix mois. Quelle doit
être la nature de celui qu'on refpire dans
des lieux où il n'eft jamais renouvelé ? La
totalité de ces catacombes n'eft pas encore
connue. Par le plan, on s'imagineroit voir ce
que la fable nous raconte du labyrinthe de
Crète. Les Religieux affurent qu'il s'étend
jufqu'à dix lieues de longueur : on aime
mieux le croire que de le vérifier. « J'eus
" occafion de reconnoître combien font
fauffes & déplacées les plaifanteries des
Proteftans & des Incrédules au fujer des
Reliques. D'après leurs propos, on s'ima-
و و
"
Hiij
150 MERCURE
» gineroir qu'on prend au hafard un corps
dans ces catacombes , & qu'après l'avoir
décoré du nom d'un Martyr , on en fait
fur le champ un Saint impromptu. Cette
» calomnie n'a aucun fondement ; il eft
» défendu d'enlever même la terre qui entoure
les fépulcres ; les infcriptions ne
» fuffifent même pas pour décider les perfonnes
chargées par le Pape de les vifiter ;
» & à moins qu'il ne fe trouve une collection
de preuves qui ne laiffent aucun
doute fur l'efpèce de corps que l'on
» découvre , il refte en dépôt fans que per-
" fonne ofe y toucher. » Parmi les beautés
de tout genre qui font de Saint -Pierre la
plus belle Bafilique du monde , on remarque
deux ftatues qui ornent le tombeau de
Paul III ; l'une repréfente la Juftice , l'autre
la Vérité. « Celle- ci eft une grande & jolie
» fenime , qui jadis étoit toute nue ; mais
l'allégorie devint une réalité pour un Efpagnol
, qui la trouva fi belle , qu'il imita
l'exemple de Pigmalion . Depuis ce temps
on l'a couverte d'une draperie de bronze.
» On l'a levée lorfque l'Empereur vint à
Rome , afin qu'il pût mieux juger de la
beauté de l'ouvrage ; mais la crainte des
Efpagnols l'a fait remettre depuis . »
DO
و د
Les vignes ou maifons de campagne qu'on
trouve dans l'enceinte même de Rome, réuniffent
ce que les talens des Anciens & des
Modernes ont produit de plus beau. « On
fait remarquer fur une porte du Palais de
DE FRANCE. Ist
ر پ
86
» la vigne Médicis, un trait qui prouve bien
le caractère de la Reine Chriftine. Cette
femme , fingulière par quelques éclairs de
grandeur d'âme,fe trouvant un jour au Châ
teau Saint Ange , & voyant de loin la vigne
» Médicis , exigea qu'on effayât devant elle
jufqu'où pourroit porter le canon du Châ-
» teau ; elle le fit braquer contre la vigne ;
» le bouler alla frapper la porte principale
» du Palais ; comme elle étoit garnie de fer ,
» le boulet ne la perça pas , mais la renverfa
» avec fracas : heureufement perfonne ne
» fe trouva derrière la porte , & le plaifir de
cette Reine ne coûta pas une feconde fois
» la vie à un homme. » Comme l'Auteur de
ce Journal n'a voulu faire connoître que ce
qu'il y avoit de plus curieux & de plus eftimé
dans les lieux qu'il a parcourus , notre Extrait
feroit auffi volumineux que fon Quvrage
fi nous voulions parler de tout ce qui
intéreffe les Arts & la curiofité. La galerie
de Florence mériteroit cependant de notre
part une notice ; mais ce tréfor immenfe eft
déjà très détaillé par les Voyageurs,, & toujours
l'objet de l'attention des Étrangers ;
c'eft le plus grand & le plus riche monument
que jamais aucun Souverain ait poffédé jufqu'aux
Médicis , "« && qu'aucun depuis cux
» ait été tenté d'imiter , parce que les lumiè-
» res & le goût s'affeoient rarement fur le
Trône à côté des Rois. * » En lifant ces
* A l'époque de ce Journal , il n'étoit poirs en-
H iv
152 MERCURE
Lettres , on ne peut que favoir gré au Journaliſte
, qui n'avoit écrit que pour fon inftruction
, d'avoir cédé à l'amitié qui lai a
confeillé de les publier. S'il vouloit avoir
quelque égard à nos inftances , il donneroit
bientôt la fuite de fes Voyages à Naples , à
Londres , en Suiffe & en Hollande. Nous
fommes perfuadés que le Public la defirera
autant que nous après avoir lû les Lettres
que nous annonçons.
DICTIONNAIRE Univerfel des Sciences
Morale, Économique , Politique & Diplomatique,
ou Bibliothèque de l'Homme
d'Etat & du Citoyen , mis en ordre &
publié par M. Robinet , Cenfeur Royal.
in 4 ° . A Paris , chez l'Éditeur , rue de la
Harpe , à l'ancien Collège de Bagneux. *
Nous avons fuivi affez exactement la publication
de ce grand Ouvrage ; nous avons
tâché d'en faire connoître le mérite & l'utilité
pour toutes les claffes de Citoyens en
général , mais fur tout pour ceux qui , chargés
de l'Adminiſtration des États , doivent
core queftion du fameux Mufaum qui immortalifera
Louis XVI , & le Miniftre fous les ordres duquel il
fe conftruit.
* Cet Ouvrage eft actuellement fiui & terminé.
Le XXX & dernier Vol. fera en vente dans quinze
jours.
DE FRANCE.
153
faire une étude particulière de la Science du
Gouvernement. L'abondance des matières
contenues dans chaque Volume , nous a rarement
permis d'entrer dans des détails propres
à fatisfaire la curiofité de nos Lecteurs .
Un Livre de cette eſpèce eft plus fait pour
être lû & médité que pour être extrait &
analyfé . Tel article eft fouvent lui - même
l'extrait ou l'analyfe d'un ou de plufieurs Ouvrages.
Qu'on life le titre GouVERNEMENT :
l'Auteur y a raffemblé , en trentelpages , tout
ce que l'on a dit de plus jufte fur la nature
& les fins du Gouvernement civil , fur fes
différentes formes , leurs principes & leurs
combinaiſons , fur les fignes d'un bon Gouvernement
, fur fa pente à dégénérer ; fa
corruption & les moyens de la prévenir , &
tout cela eft traité avec une telle précifion ,
un tel enchaînement de principes & de conféquences
, que ce feroit mutiler cet article
que d'entreprendre de le faire connoître fans
le copier en entier. Nous en difons autant
des autres , tels que CODE FRÉDÉRIC , Droit
DES GENS , GUERRE , &c . &c . Mais nous ne
pouvons nous difpenfer de tranſcrire ici
quelques paragraphes du mot Gloire .
" La Gloire doit être réfervée aux Coopé-
» rateurs du bien public ; & non-feulement
» les talens , mais les vertus elles - mêmes
» n'ont droit d'y afpirer qu'à ce titre ......
و د
» Les grands facrifices de l'intérêt per-
» fonnel au bien public , deinandent un
» effort qui élève l'homme au- deffus de lui-
Hv
154
AMERU
GRE
ود
و و
» même , & la gloire eft le feul prix qui foit
digne d'y être attaché. Qu'offrir à celui
» qui immole fa vie , comme Decius ; fon
» honneur , comme Fabius ; fon reffenti-
» ment , comme Camille ; fes enfans , com-
» me Brutus & Manlius ? La vertu qui fe
fuffit , eft une vertu plus qu'humaine : il
» n'eft donc ni prudent ni jufte d'exiger que
» la vertu fe fuffite. Sa récompenfe doit
» être proportionnée au bien qu'elle opère ,
» au facrifice qui lui en coûte , aux talens
"5
perfonnels qui la fecondent ; ou fi les ta-
" lens perfonnels lui manquent , au choix
» des talens étrangers qu'elle appelle à fon
fecours ; car ce choix , dans un homme
public , renferme en lui tous les talens .
"
L'homme public , qui feroit tout par
lui -même , feroit peu de choſes . L'éloge
que donne Horace à Augufte : Cùm tot
» fuftineas & tanta negotia folus , fignifie
feulement que tout le faifoit en for nom ,
» que tout le paffoit fous les yeux. Le don
» de régner avec gloire n'exige qu'un talent
» & qu'une vertu . Ils tiennent lieu de tout ,
» & rien n'y fupplée . Cette vertu , c'eft
» d'aimer les hommes ; ce talent , c'eft de
» les placer . Qu'un Roi veuille courageufe-
» ment le bien , qu'il y emploie à propos
» les talens & les vertus analogues ; ce qu'il
» fait par infpiration n'en eft pas moins à
lui , & la gloire qui lui en revient ne fait
» que remonter à ſa ſource ........
و ر
و د
>> Voyez un Roi qui , par les liens de la
DE FRANCE.
و د
"
و ر
» confiance & de l'amour , unit toutes les
parties de fon État , en fait un corps dont
» il eft l'âme , encourage la population &
l'induftrie , fait fleurir l'agriculture & le
❞ commerce ; excite , aiguillonne les Arts ,
» rend les talens actifs & les vertus fécondes
: ce Roi , fans coûter une larme à fes
» Sujets , une goutte de fang à la terre , accumule
au fein du repos un tréfor im
» menfe de gloire , & la moiffon en appare
» tient à la main qui l'a femée.
و د
"
»Mais la gloire , comme la lumière , fe
→ communique fans s'affoiblir : celle du Sou-
» verain ſe répand fur la nation ; & chacun
» des grands Hommes qui y contribuent ,
» brille en particulier du rayon qui émane
» de lui. On a dit le grand Condé , le grand
» Colbert , le grand Corneille , comme on
" a dit Louis- le- Grand . Celui des Sujets qui
و د
ود
""
contribue & participe le plus à la gloire
» d'un règne heureux , c'eft un Miniftre
éclairé , laborieux , acceffible , également
dévoué à l'État & au Prince , qui s'oublie
" lui -même , & ne voit que le bien; mais
» la gloire même de cet homme étonnant
p remonte au Roi qui fe l'attache . En offer,
» fi l'utile & le merveilleux font la gloire ,
quoi de plus glorieux pour un Prince ,
» que la découverte & le choix d'un fi dignè
» ami ?
"
1
H vj
156 MERCURE
SPECTACLES.
COUP- D'EIL fur le travail fait aux trois
Théâtres Royaux , pendant le cours de la
dernière année Dramatique , ( 9 Avril 1782
aus Avril 1783. )
PEUT-ÊTRE ne citeroit- on que très- difficilement
une année, dans le cours de laquelle les
troisThéâtres Royaux ayent , comme à l'envi
l'un de l'autre , donné des preuves auffi conftantes
du defir de plaire au Public , en variant
fes plaifirs. L'affluence des Spectateurs a payé
les efforts qu'on y a faits , d'abord en augmentant
les recettes , par conféquent la fortune
des Comédiens ; enfuite , ce qui eft infiniment
plus flatteur pour des gens à talens,
en leur donnant les marques les plus vives
& les plus réitérées de la fatisfaction générale.
Chargés de mettre fous les yeux du
Public , à la fin de chaque année , le tableau
du travail des Comédiens du Roi , nous nous
acquittons aujourd'hui de ce devoir avec
un plaifir que nous n'avons point encore
éprouvé, & que nous voudrions goûter plus
fouvent.
t
DE FRANCE.
157
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LES Amateurs de ee Théâtre font divifés ,
depuis quelque temps , en différens partis
qui marchent , chacun fous un étendard de
fon choix , & qui crient au nom des idoles
dont ils ont adopté le culte. Pour tâcher.
autant qu'il eft poffible , de plaire à tous les
efprits , on a repréfenté des Ouvrages de
tous les genres . Allemands , François , Italiens
, chacun a eu fon moment de fuccès &
de jouiffance . Malgré ce foin , & les efforts
multipliés de l'Académie , elle a fait des
mécontens : cela ne doit pas furprendre. Il
eftun certain nombre de perfonnes qui n'ont
qu'un goût , & un goût exclufif. Tenter de
les fatisfaire , ce feroit chercher le fecret du
grand oeuvre. Quand on a obtenu , fur tout
mérité le fuffrage des gens équitables & fans
paffion , il faut favoir braver la petite humeur
& les mauvaiſes plaifanteries des déclamateurs
enthoufiaftes.
Six Ouvrages nouveaux : Électre , Tragédie
en trois Actes , par M. Guillard , mufique
de M. Lemoine ; Apollon & Daphné, en un
Acte , par M. Pitra, mufique de M. Mayer ;
l'Acte du Feu , remis en musique par M.
Edelmann ; Ariane abandonnée , en un Acte ,
imitée de l'Allemand , par M. Moline , mufique
de M. Édelmann ; l'Embarras des Richeffes
, Comédie en trois Actes , mufique
158 MERCURE
de M. Grétry ; & Renaud , Tragédie en trois
Actes , par M. Leboeuf , musique du célèbre
Sacchini. Deux Ouvrages remis avec des
changemens confiderables ; Atys , Tragédie
en trois Actes , mufique de M. Piccini ; &
le Seigneur Bienfaifant , par M. Rochon de
Chabannes , mufique de M. Flocquer. Dix
autres mis au courant du Répertoire : l'Inconnue
perfécutée , Comédie en trois Actes ,
mufique d'Anfolli ; Caftor & Pollux ; la
Reine de Golconde , par M. Sédaine , muſique
de M. Montigny ; Iphigénie en Tauride , mufique
de M. Gluck ; le Devin du Village ;
Colinette à la Cour , Comédie en trois Actes ,
mufique de M. Grétry ; Apollon & Coronis ,
mufique de MM. Rey; Théfée , Tragédie en
quatre Actes, mufique de M. Goffec; Roland;
Iphigénie en Aulide ; enfin , le joli Ballet de
la Chercheufe d'Esprit , remis avec beaucoup
de foin. En tout dix - neuf Opéra.
Voilà le tableau des opérations de l'Académie
Royale de Mufique , pendant lê
cours de la dernière année. On pourroit
encore y ajouter les répétitions de plufieurs
Ouvrages dont les Compofiteurs ont defiré
entendre & connoître l'effet , & qui feront
vraisemblablement repréſentés avant la fin
de l'année qui va commencer , foit à la Ville,
foit à la Cour. Pour bien apprécier ce travail
, il eft néceffaire de fe fouvenir de tous
les détails qu'entraîne après elle la mife &
même la remife d'un Opéra. Ceux de nos
Lecteurs qui en ont quelque idée , fentiront
combien font fondés les éloges que nous
DE FRANCE. 159
donnons au zèle des Sujets qui compoſent
le Comité de notre Théâtre Lyrique.
Ce Spectacle continuera d'être régi par les
Acteurs , ainsi qu'il l'a été cette annee. Le
Miniftre a voulu, en laiffant la direction entre
leurs mains , leur donner une preuve de la fatisfaction
que leur conduite lui a donnée. On
étoit menacé de perdre à ce Théâtre deux
Sujets chers, au Public , M. Legros & M.
Dauberval . Le premier a même demandé fon
congé; mais on efpère que les inftances des
Chefs de l'Opéra l'engageront à reprendre
fon fervice. On préfume auffi que les Sujets
ne verront pas , fans plaifir , refter parmi eux
un homme qui , par l'intelligence avec laquelle
il régit le Concert Spirituel , donne des
preuves éclatantes de fon goût , & dont les
idées ne fauroient manquer d'être utiles à un
Spectacle où les connoiffances musicales font
auffi rares que néceffaires. Quant à M. Bauberval
, fa fanté faifoit craindre qu'il ne fût
forcé de fe retirer; mais elle fe rétablit de jour
en jour , & nous jouirons encore des talens
de ce charmant Danfeur. On rendra compte
des changemens, s'il y en a , quand on en fera
exactement informé.
COMEDIE FRANÇOISE.
LES vingt deux Ouvrages , tant nouveaux
que remis , dont M. Dorival a parle dans fon
Compliment de clôture , font . ° . Ouvrages
neufs. Quatre Tragédies en cinq Actes :
160 MERCURE
Agis , par M. Laignelot ; Tibère & Sérénus
par M. Fallet ; Zoraï , par M. Marignié ; le
Roi Léar , par M. Ducis. Deux Comédies
en cinq Actes les Amans Efpagnols ; le
Vieux Garçon , par M. Dubuiffon. Trois
Comédies en trois Actes : l'Homme Dangereux
& l'Écueil des Moeurs , par M. Paliffet ;
les Journalistes Anglois , par M. Cailhava.
Une Comédie en deux Actes : le Déjeûné Interrompu.
Quatre Comédies en un Acte :
l'Inauguration du Théâtre François , par M.
Imbert ; Molière à la Nouvelle Salle , par M.
de la Harpe ; les Rivaux Amis , par M. Forgeot
, & les Aveux Difficiles , par M. Vigée.
2º. Pièces remifes. Trois Tragédies en cinq
Actes : Bérénice , Roméo & Juliette , & Spartacus.
Une Tragédie en trois Actes : la Mort
de Céfar. Une Comédie en cinq Actes : les
Deux Amis , par M. de Beaumarchais . Une
Comédie en deux Actes : les Trois Tuteurs ,
par M. Paliffot. Une Comédie en trois
Actes les Philofophes , par le même ; enfin
une Comédie en un Acte : l'Anglois à Bordeaux
, par M. Favart. Il faut joindre à ces
vingt - deux Ouvrages deux Tragédies repréfentées
à la Cour : l'une nouvelle , Électre
par M. de Rochefort ; l'autre remife , Venife
fauvée , par M. de la Place . En tout vingquatre
Pièces. On ne peut qu'inviter les Comédiens
François à travailler avec la même
ardeur. Leurs recettes, dans le cours de cette
année , ont été portées au- delà des plus fortes
qu'ils ayent jamais faites. La curiofité , exDE
FRANCE. 1 161
eitée par la nouveauté de la Salle , a été une des
principales caufes de l'affluence des Spectateurs.
Un moyen sûr de l'attirer encore
c'eft de varier le Répertoire , de foigner les
repréſentations & de donner des nouveautés.
Le travail dont nous venons de donner le
tableau a été affez avantageux au Spectacle
François , pour que l'on croie que celui de
cette année y répondra. Tout le monde y
trouvera fon compte ; le Public des plaifirs ,
& les Comédiens des applaudiffemens avec
de la fortune.
COMÉDIE ITALIENNE.
CE
Spectacle , depuis quatre ans , eft celui
quia donné les preuves les plus inconteſtables
d'un zèle infatigable. La Comédie proprement
dite , les Pièces à Ariettes , & les Comédies
Vaudevilles , offrent tour- à tour aux
Spectateurs des repréſentations
variées &
agréables ; & le Répertoire augmenté tous
les mois par une fuite rapide de nouveautés ,
pique la curiofité & amène l'affluence . Vingtneuf
Ouvrages nouveaux ; trois remis , dont
deux avec des changemens confidérables , tel
eft l'état du travail prefqu'incroyable que les
Comédiens Italiens ont fait cette année. Ouvrages
neufs : le Public Vengé, en un Acte ,
précédé d'un Prologue , intitulé : le Poiffon
d'Avril, par M. le P .... ; le Poëte Suppofé ,
Comédie en trois Actes , par M. Laujeon ,
mufique de M. Champein ; le Vaporeux ,
162 MERCURE
Comédie en deux Actes , par M. M.; la Comteffe
de Givri , Comédie en trois Actes , par
Voltaire ; le Trébuchet , Opéra-Comique en
Vaudevilles & en un Acte; le Déferteur ,
Drame en cinq Actes , par M. Mercier ; Agis,
Parodie en un Acte & en Vaudevilles ; les
Dexx Jumeaux de Bergame , Comédie en un
Acte, par M. de F.; le Mort Marié, Comédie en
deux Actes , par M. Sédaine ; les Deux Aveu
gles de Bagdad , Comédie en deux Aces ,
mufique de M. Fournier ; le Diable Boiteux,
Opéra Comique enVaudevilles & en un Acte;
Tibère , Parodie en deux Actes & en Vaudevilles;
Tom Jones à Londres , Comédie en
einq Actes , par M. Desforges ; le Mariage in
Extremis , Comédie en un Acte ; l'Oiseau
perdu & retrouvé , Opéra Comique en un
Acte & en Vaudevilles , par MM . de Piis &
Barré; l'Indigent , Drame en quatre Actes ,
par M. Mercier ; la Nouvelle Omphale, Comédie
en trois Actes , par M. de Beaunoir ,
mufique de M. Flocquet ; Anaximandre
Comédie en un Acte , par M. Andrieux ; les
Trois Inconnues , Comédie en trois Actes ,
muſique de M. H.... ; Sophie de Francour,
Comédie en cinq Actes , remife en quatre
Actes , par M. le M. de la S.; Henri d'Albret
, Comédie en un A&te ; Corali & Blandford,
Comédie en deux Actes ; le Corfaire,
Comédie en trois Actes , par M. de la
Chabeauffière , mufique de M. d'Aleyrac
; les Aveux Difficiles , Comédie en
un Acte , par M. le Baron d'Eftat , & le
DE FRANCE. 163
"R
,
Déménagement d'Arlequin Compliment
de clôture , en un Acte. Ouvrages remis :
Les Mariages Samnites , Comédie en trois
Actes , mulique de M. Grétry ; la Surpriſe
de l'Amour , Comédie de Marivanx en trois
Actes , & le Baifer , Comédie en trois
Actes , par M. de F. mufique de M. Champein.
En tout trente - deux Pièces , à quoi il
faut ajouter Blaife & Babet , ou la fuite des
Trois Fermiers , Comédie en trois Actes
par M. Monvel , mufique de M. D. Z. qui
a été repréſentée à la Cour , & qui le fera
inceffamment à Paris. A l'afpect d'un pareil
tableau , on ne doit pas être étonné de la
préference que le Public femble accorder à
la Comédie Italienne : elle eft très - bien fondée,
& nous ne doutons pas qu'elle ne con
tinue de s'en rendre digne.
L'ouverture du nouveau Théâtre Italien
élevé fur le terrein de l'ancien hôtel de Choifeul
, fe fera le Lundi 28 Avril. La Salle, d'une
forme ovale , eft décorée avec autant de goût
que de richeffe. En voici la diftribution. Un
parquet , un amphithéâtre & trois rangs de
loges couronnées par une galerie circulaire.
Le parterre refte dans fon ancienne attitude,
c'eft à - dire , que les Spectateurs n'y feront
point affis. Il eft bordé de petites loges
dans la partie qui avoifine le Parquet.
On y entre par deux portes affez larges
pour donner à la foule un libre paffage. Ce
monument , fur lequel nous laiffons à d'autres
le foin de faire des obfervations critiques
, nous a paru fait pour ajouter à la ré164
MERCURE
·
putation de fon Auteur , M. Heurtier , Ar
chitecte du Roi.
Dans le prochain Mercure , nous rendrons
compte des retraites & autres changemens
que peuvent avoir éprouvés les Théâtres
François & Italien.
S
ANNONCES ET NOTICES.
CARTE de la Calabre citérieure & altérieure , du
Phare de Meffine , où l'on voit le défaftre caufé par
le tremblement de terre qui a commencé le Mercredi
Février 1783 , d'après les détails de la relation Italienne
& de plufieurs relations particulières . Prix ,
1 livre 4 fols. A Paris , chez les fieurs Fortin &
Delamarche , Géographes , rue de la Harpe , près
celle du Foin. Tableau Aftronomique , ou Abrégé
d'Aftronomiefuivant le fyftême de Copernic , dédié
à Mgr . le Dauphin , par M. de la Ferté , Commiffaire-
Général de la Maifon du Roi. Prix, livre
10 fols. A Paris , chez les mêmes .
ALMANACH de MONSIEUR pour l'année
1783 , préfenté pour la première fois en 1780 à
MONSIEUR , par Pierre - François Didot le jeune ,
Directeur de fon Imprimerie. A Paris , chez Didot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins . Prix , 21.8 f.
On prie ceux qui n'ont pas reçu l'Almanach de
l'année dernière , de le faire prendre cette année chez
F'Imprimeur ; il leur fera délivré gratis fur leur reconnoiffance.
CovRS complet d'Agriculture théorique , pratique,
économique & de médecine rurale & vétérinaire,
fuivi d'une Méthode pour étudier l'AgriculDE
FRANCE.. 165
tureparprincipes , ou Dictionnaire univerfel d'Agrieulture
; par une Société d'Agriculteurs , & rédigé par
M. l'Abbé Rozier , Prieur- Commendataire de Nanteuil-
le -Haudouin, Seigneur de Chevreville , Membre
de plufieurs Académies , &c. Tome III . A Paris ,
rue & hôtel Serpente,
Le nom du Rédacteur de cet Ouvrage garantit le
mérite des matériaux qui le compofent : aufli fon
fuccès paroît-il fe décider & s'affermir de jour en jour.
ELEMENS de l'Hiftoire de France depuis Clovis
jufqu'à Louis XV , par M. l'Abbé Millot , de
l'Académie Françoiſe , 3 Vol . in- 12 , cinquième Édition
. Prix , 6 liv. brochés , 7 livres 10 fols reliés . À
Paris , chez P. E. G. Durand neveu , Librairę , rue
Galande , hôtel de Leffeville .
ÉLEMENS de l'Hiftoire d'Angleterre depuis la
conquête des Romains jufqu'au Règné de Georges II,
par le même & même adrefle , quatrième Édition .
Prix , 7 liv . 10 fols broché , 9 liv. relié en veau.
Le fuccès de ces deux Ouvrages n'a jamais été
équivoque. Ils feront toujours eftimés par ceux qui
recherchent dans un Ouvrage l'utilité du plan ,
l'exactitude des faits & la fageffe du ftyle.
ALMANACH Mufical. A Paris , au Bureau de
l'Abonnement Littéraire , rue S. André- des - Arcs .
Cet Ouvrage a commencé en 1775. Il a été fufpendu
un moinent après 1779 : un nouveau Rédacteur
s'eft chargé de le continuer. L'année 1783 paroît
actuellement,
OPERA Latina D. Caroli Lebeau , Regiæ Litterarum
& Infcriptionum Academiæ è Secretis , &
olim in Collegio Graffinxo nec non in Regio Eloquentiæ
Profefforis. Parifiis , apud Nyon , viâ vulgo
166 MERCURE
du Jardinet ; Morin , viâ San-Jacobea ; Colas ,
foroSorbonico; Nyon, propè CollegiumMazarinæum.
Le troisième & dernier Volume de cette Collection
paroît , & nous a femblé digne des deux précédens
. Une ardeur infatigable pour l'étude , fecondée
par une fanté vigoureuſe , avoit enrichi la mémoire
& formé le goût de ce célèbre Profeffeur , qui poffédoit
le talent de communiquer fes lumières par la
voie de l'inſtruction . On l'a placé parmi les meil
leurs Auteurs de la Latinité moderne , foit en vers ,
feit en profe.
OFFICES tirés de l'Écriture Sainte pour tous
lesjours dumois , en gros caractères , à l'ufage des
Perfonnes avancées en âge , & qui veulent fe fanctifier
par la Prière & la Méditation. A Paris , chez
Lamy , Libraire, quai des Auguftins.
Cet Ouvrage , publié par ordre de Monfeigneur
de Noailles , a été imprimé plufieurs fois . Sans
figures il fe vend en feuilles ou broché 4 liv. 16 f.
Les quatre Volumes reliés en deux , veau jaſpé , 6 1 .
avec figures en feuilles 7 liv. 4 fols. Les quatre
Volumes reliés en deux , veau jaſpé , 9 liv. , dorés
fur tranche , 10 livres , en maroquin 12 liv.
VOCABULAIRE de Guerre , ou Recueil des prin
sipaux termes de guerre , de marine , de fortification ,
dattaque & de défenfe des Places , & de la Géogra
phie; par M. Dupain de Monteffen , Capitaine d'Infanrerie
, ancien Ingénieur des Camps & Armées du
Roi , & fon Penfionnaire , 2 Volumes petit in- 8° .
Prix , 8 liv, brochés.
Cet Ouvrage ne peut qu'être utile aux Perfonnes
qui s'exercent dans les Arts dont il traite ; & les autres
Lecteurs y trouveront fans peine des explications
qu'ils ne pourroient trouver que par de pénibles recherches.
3
DE FRANCE. 167
INSTRUCTIONS pour les Perfonnes qui gardent
les Malades. A Paris , chez Didot le jeune , Libraire
, quai des Auguftins . Prix , 1 liv. 4 fols br.
Cet Ouvrage eft fait avec toute la fimplicité qui
convient au fujet qu'il traite. Il donne des renfeignemens
utiles , & il feroit à defirer que tous ceux qui
veillent autour des malades en euffent fait la lecture
& même une étude particulière.
PETIT Abrégé de l'Hiftoire Sainte , de l'Hif
toire Romaine , de la Fable & de l'Histoire de
France , par Mme Gougelet , in 12 Prix , 1 liv.
10 fols broché. A Paris , de l'Imprimerie de Couturier
, quai des Auguftins.
-
Nous fommes de l'avis du Cenfeur de cet Ouvrage
, qui n'y a rien trouvé qui ne puiffe être utile à.
l'inftruction des Enfans , auxquels il eft deftiné.
ÉTAT de la Nobleffe , année 1783 , pour fervir
de Supplément à tous les Ouvrages hiftoriques ,
chronologiques , &c. & de Suite aux Étrennes de la
Nobleffe , in- 12. Prix , 3 liv . A Paris , chez Leboucher
, Libraire , quai de Gêvres ; Onfroy & Lamy ,
Libraires, quai des Auguftins.
Ce Volume contient , 1º . l'état actuel de la Maifon
Royale de France & des Maifons Souveraines
de l'Europe ; 2 °. les Généalogies des Maison Royales
qui n'ont pas paru dans les Volumes précédens ;
3. les Généalogies des Maiſons Illuftres de France ,
leurs Arines en grande partie gravées & toutes énoncées
, les faits qui tiennent à leur hiftoire , &c.;
4°. un Répertoire des changemens furvenus depuis
l'année précédente , & une Table en trois parties plus
commode pour le Lecteur.
TROIS Sonates de Clavecin , avec accompagnement
de Violon , dédiées à Mme de Pons , par M.
168
MERCURE
Thubé , OEuvre I. Prix , 6 liv. A Paris , chez l'Auteur
, rue Poiffonnière , au coin de celle de la Lune ,
& aux Adreffes ordinaires.
CONCERTO de Flûte , avec accompagnement de
Cors , Hautbois , Violons , Aito & Baffe , par M.
Prati. Prix , 4 livres 4 fols. A Paris , chez Muffard ,
rue Aubry-le Roucher , & aux Adreffes ordinaires.

NEUVIEME & dixième Recueils de Mufique
arra gés pour le Cifire on Guittare Allemande , contenant
les plus jolies Ariettes , avec accompagnement
& des Airs variés , par M. Pollet l'aîné , Maitre
de Ciftre. Prix , 6 livres chaque . A Paris , chez
l'Auteur , Cloître S. Merry, maiſon de M. Gerbet ,
& aux Adreffes ordinaires.
I S1x Duos à deux Violons , dédiés à Mylord
Malden , par J. B. Breval , OEuvre X. Prix , 7 livres
4 fols . A Paris , chez l'Auteur , rue Feydeau , maifon
de M. Jacob , & aux Adreffes ordinaires.
Pour les Annonces des Titres de la Gravure ,
de la Mufique & ´des Livres nouveaux , voyez les
Couvertures.
TABLE.
EPITRE à Mlle Rose , 145 Dictionnaire Universel des
La Délicatefe récompenfée , Sciences Morales , &c. 152
Anecdote , 149 Acad. Boyale de Mufiq. 157-
Enigme & logogriphe , 167 Comédie Francoife ,
Lettre contenant le Journal Comédie Italienne ,
d'un Voyage fait à Rome Annonces & Notices ,
en 1773 .
J'AI
168
APPROBATION.
159
161
164
I lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 26 Avril. Je n'y ai
rien trouvé qui puide en empêcher l'impreſſion. A Paris ,
leas Avril 1783. GUIDL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 1er. Février.
To
-
OUTES les difpofitions du nouveau
Grand Vifir annoncent un gouvernement
ferme & éclairé. Il paroît s'occuper
particulièrement d'etablir la difcipline parmi
les différens Corps de troupes qui font toujours
fur pied ici ; les Janffaires ont ordre
de refter tous à portée des Chefs qui les
commandent , fous prétexte d'être plutôt
& plus facilement raffemblés au premier
ordre ; mais , en effet , pour que les Chefs
veillent fur eux , & préviennent les affemblées
, les tumultes & les défordres qui en
font ordinairement la fuite.
Ce Miniftre a fait faire auffi le dénombrement
de tous les jeunes gens en état de
porter les armes dans les Provinces d'Europe.
On en a trouvé 105,000 , auxquels il
a été enjoint de fe fournir de tout ce qui
eft néceffaire pour partir au premier ordre;
s Avril 1783.
( 2 )
la Communauté à laquelle ils appartiennent
fera refponfable de leurs désertions.
Les conftructions continuent à l'arfenal ;
il a été donné des ordres à la nouvelle
fonderie pour 300 pièces de canons.
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 15 Février.
LES actes de la ratification de l'acceffion
de la Reine de Portugal à la neutralité armée
, arrivés ici , ont été échangés le 28 du
mois dernier ; & depuis , le même échange
s'eft fait entre le Vice -Chancelier de l'Empire
& le Miniftre de S. M. Sicilienne qui
vient auffi d'accéder à la neutralité armée .
Le Baron de Klopmann , Grand Maréchal
de la Cour de Courlande , eft arrivé
dans cette Capitale ; on ne doute point
qu'il ne foit chargé de traiter relativement
aux prétentions de la Ville & du Port de
Riga.
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 1er. Mars.
L'EXPORTATION du cuivre eft un article
confidérable de notre commerce ; on peut
le porter année commune à 5000 fchifpfunds.
Le nombre des ouvriers des mines à
Konigsberg dans la Norwège fe monte à
3620. Le bénéfice qu'on a retiré l'année
dernière de l'exploitation de celle d'argent ,
( 13 )
s'eft monté à 297,985 rixdalers. Dans la
même année , le commerce Danois a employé
plus de 200 bâtimens nationaux de
plus que dans l'année précédente .
Le 22 du mois dernier eft arrivé à Helfingor
, le premier bâtiment chargé de harengs
la veille il avoit mouillé dans le même
port 2 bâtimens venant de Sainte Croix ,
chargés de café .
frais ;
On écrit de Bergen en Norwège , qu'il
y eft mort le 9 du mois dernier un Tonnelier
nommé Berend - Reimertzan . Il n'étoit
pas âgé de plus de 63 ans , ce qui n'eft
pas extraordinaire ; mais ce qui l'eft , c'eſt
qu'il a été marié quatre fois , & qu'il a cu 30
enfans de fes quatre femmes , & que la
dernière qu'il laiffe veuve , eft groffe du
trente - unième .
*
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 4 Mars.
Le bruit de la retraite prochaine du Prince
Poninski , Tréforier de la Couronne , fe
renouvelle ; on prétend qu'il ne quitte cette
place importante que de l'aveu de S. M. On
dit auffi que le Prince Staniflas Poniatowski
eft décidé à céder au Comte Potocki le
régiment des Gardes à pied , qu'il a obtenu
à la mort de fon oncle le Prince Waiwode
de Ruffie.
» Les nouvelles les plus récentes arrivées de la
Podolic , écrit- on des frontières de la Turquie , ana
2
( 4 J
noncent une révolution politique très importante ,
& qu'on ne croit pas éloignée , dans les Principau
tés de Moldavie & de Valachie. On a lieu de croire
fi elle s'exécute , qu'elle fera conforme aux arrange
mens pacifiques pris entre les Cours de Vienne &
de Pé ersbourg & la fubl me Porte. Selon quelques
lettres de Conftantinople , l'intention du Gouvernement
eft de faire quitter aux to pes Ottomanes
l'habit dont elles ont été revêtues jufqu'à
préfent , pour leur fire prendre des vêtemens
courts , plus rapprochés de ceux des Européens ,
& plus commodes pour les évolations militaires.
Les mêmes lettres ajoutent qu'une des Sultanes
eft accouchée de deux Princes jumeaux « .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 12 Mars.
L'AMBASSADEUR de Maroc affifte à prefque
tous les divertiffemens publics , &
paroît y prendre plaifir ; il fe familiarife
facilement avec tous nos ufages ; les lettres
de créance qu'il a apportées font très-polies ;
elles contiennent en fubftance :
30 Qu'aufli tôt après avoir appris le décès de l'Impératrice
Reine, l'intention du Roi de Maroc avoit été
d'envoyer un Miniftre à l'Empereur , pour lui témoi
gner fa fenfibilités qu'enfin réjoui en apprenant l'agréa
ble nouvelle que les Etats Autrichiens jouiffoientfous
l'heureux gouvernement de S. M. I. , des marques
les plus éclatantes de la protection Divine , il s'étoit
décidé à envoyer un Ambaffadeur extraordinaire ,
pour l'affurer de la fincérité de fes voeux , formés
en faveur du gouvernement heureux & permanent
de l'Empereur , & lui demander en même- tems fon
amour en retour «.
On apprend du Comtat de Liptau , dans
( 5 )
&
la Hongrie , qu'on y a découvert de nouvelles
mines très- riches en or , en argent &
d'autres mines qui feront mifes inceffamment.
en exploitation. Il y fera établi une Jurifdiction
particulière pour la direction & l'adminiftration
de ces mines.
ל כ
Le 26 du mois dernier , écrit -on de Prague
le feu ayant pris à Budin pendant un ouragan terrible
, toute cette Vile a été réduite en cendre à
l'exception de fix maiſons & d'une partie de l'Eglife .
Les Habicans voyant qu'il étoit impoffible de rien
fauver ont abandonné la Ville , & il n'a péri dans
ce funefte accident que trois enfans & un vieillard.
Les Négocians de la Ville de Hayda , dans le
cercle de Leitméritz , qui en tems de paix font de
grandes affaires avec l'Efpagne & l'Angleterre , ont
célébré d'une manière folemnelle la conclufion des
préliminaires entre les Puiffances belligérantes. Ils
ont fait chanter un Te Deum & diftribuer du pain
de la viande & de l'argent aux pauvres , La fête s'eft
terminée par un bal «.
que
De HAMBOURG , le Is Mars.
RIEN n'eft plus impénétrable aujourd'hui
le fecret des divers Cabinets politiques
de l'Europe. Les préparatifs immenfes de la
Maifon d'Autriche & ceux de la Ruflie
ont fait penfer d'abord que les Turcs étoient
menacés d'une attaque combinée , dont
l'objet ne tendoit à rien moins qu'à
les chaffer de l'Europe. Cette idée s'eft
évanouie avec la ceffation des mouvemens
qui l'avoient fait naître. La paix eft
dit- on raffermie ; l'Ambaffadeur de Ruffie
à Conftantinople a préfenté au Divan une
a 3
( 6 )

nouvelle convention , qui en a été agréée ;
on ajoute que par cette convention , l'Empereur
obtiendra pour fes fujets la libre navigation
fur tout le Danube , la Mer Noire ,
& l'Archipel , & que la Porte lui cédera en
outre une partie de la Bofnie , jufqu'à
Unna.
S'il faut en croire quelques lettres , le
Grand- Seigneur a chargé un Capigi-Bafchi de
fuivre le Grand-Vifir dépofé , & de l'étrangler
; un fort pareil menice , dit - on , le
Bacha de Bofnie , parce qu'on prétend que
ceft lui qui a favorifé les défordres coinmis
fur les frontières .
» Maintenant que tous les fujets de rupture paroifent
être arrangés da côté de la Porte , dit un
de nos papiers , les fpéculatifs font réveillés de nouveau
par des préparatif. confidérables faits à Berlin ,
On allure que 1000 fourgons font commandés pour
le commencement de Juin ; que les Directeurs du
Lazaret ont ordre de drefler un état de tous les
Chirurgiens qui fe trouvent dans la capitale. On
doit former trois nouveaux régimens d'infanterie ,
& l'on parle d'augmenter auffi la cavalerie . Eft- ce un
nouvel orage qui fe forme ? quel cft le côté qu'il
menace ? C'est ce que l'on ignore : ce qu'il y a de
certain , c'est que les couriers fe fuccèdent plus rapidement
que jamais , & que dans une feule ſemaine ,
il en eft arrivé 4 de Pétersbourg à Potfdam «.
On écrit de Linkoping qu'il y eft mort
dans le mois de Janvier dernier le nommé
John Swanberg , qui a pouffé fa carrière
jufqu'à cent ans ; il avoit fervi fous Charles
XII. , & étoit préſent au fiége de Friedericshall
; aucune maladie n'avoit altéré fa fanté ;
( 2 )
il a laiffé beaucoup d'enfans & de petits
enfans .
» Le commerce de Ruffie , fur la mer Cafpienne ,
fait des progrès confidérables . Les bâtimens d'Aftracan
vont principalement dans les endroits fuivans
; favoir à Derbent , fur la côte occidentale de
certe mer ; à Baka , fur la même côte plus au fud ;
à Sallian , fur le fleuve de Kur ; à Jofily , dans la
Province de Gilan & à Farebat . Les principaux articles
d'exportation font des draps & d'autres marchandifes
des manufactures Rutles. Jufqu'à préfent
la Ruffie a gagné dans ce commerce plus de 300,000
roubles par an . Dans l'année dernière il a été
exporté de Pétersbourg pour 12,954,444 roubles
de marchandifes , & il n'y a eu que pour 9,583,352
roubles de marchandifes importées. Dans la même
année il eft entré à Pétersbourg 789 bâtimens , dont
46 Prufliens , 13 Portugais & 3 Hollandois ,
Voici un état exact & comparé des vail
feaux qui ont paffé le Sund dans les années
3781 & 1782.
Vuiffeaux :
Suédois .
Pruffiens
Danois
1781 · • 1782 .
• 2212 • • 2114.
· 1507 • · 19120
· 1588 1633.
Ruffes
Anglois .
d'Oftende
de Brême
de Dantzic
de Lubec
du
Mecklenbourg
de
Hambourg
d'Oldenbourg
de Venife
de Courlande
2021 • 1267.

95
231
507.
· 242.
226 •
136.
116 • 145.
90 100 .

89
54
I
94.
13 .
13 .
3 .
·· - 3.
Total. • · 8228 · · 8182
a 4
( 8 )
Le Docteur Bufcling a inféré dans fa
Feuille Hebdomadaire , l'ét t fuivant de la
population du Duché de Wurtemberg en
1782.
Généralat de Bebenhauſen
de Denkendorf
de Maulbron
d'Abdelberg
Total ·

• •
....
135,057 ames;
119.955
· 160,742
· 150,126
965,880
Dans ce nombre on compte 426 Juifs . La population
de ce Diché a été plus confidérable avant
l'émigration d'un grand nombre de fujets qui fe
font établis dans la Pruffe occidentale .
ITALIE.
De NAPLES , le 1er. Mars.
LES nouvelles directes arrivées de Sicile ;
ont malheureufement confirmé les premiers
détails qu'on avoit reçus du défaftre de
Melline , & qu'on fe flattoit que la terreur
& la confternation pouvoient avoir exagé
rés ( 1 ) . Le Sénat même de cette Ville en
a rendu compte au Roi dans une relation
en date du 8 Février , & dont l'authenti-
(1 ) Nous recommanderons à ceux de nos Lecteurs qui voudront
fuivre la Carte des lieux que ce terrible fléau a dévastés
de fe procurer celles de l'Ifle ou Royaume de Sicile , par M.
de Lifle , du Royaume de Naples , de la partie Méridionale
du même Royaume , par M. Jaillot, Elles fe trouvent toutes
trois à Paris chez M. Dezauche , fucceffeur de MM de Lifle
& Buache , Géographes du Roi , rue des Noyers près celle
des Anglois,
( 9 }
cité ne permet plus de douter de l'étendue
du malheur dont elle a été la victime . Cette
relation eft conçue ainfi .
» SIRE , La fituation affreufe où le trouve cette
ville , par les effets du tremblement de terre qui a
commencé les de ce mois à midi & demi , & qui
dure encore , a fait croire au Sénat que vous pardonneriez
de vous adreffer directement la relation de ce
défaſtre , au lieu de la faire paffer , fuivant l'ufage
à V. M. par les mains de S. E. le Vice- Roi . Nous ne
doutons point que le coeur fenfible de V. M. n'éprouve
la douleur la plus profonde , au fpectacle déchirant
d'une Cité fuperbe transformée tout-à - coup en un
monceau de ruines par un évènement terrible & julqu'à
préfent fans exemple. Les fecouffes de la terre
qui fe font fuccédées de quart -d'heure en quartd'heure
, avec une violence inconcevable , on renverfé
de fond en comble tous les édifices quelconques.
Le Palais royal , celui de l'Archevêque , le Théâtre
maritime dans fon entier , les Monts- de- piété , le
grand Hopital , la Cathédrale , les Monaftères des
deux fexes , rien n'a échappé à la deftruction. C'eſt
alors qu'on a vu les Religieufes éperdues , parcourir
la ville pour y chercher , s'il étoit polfible , un lieu
de réfuge & de sûreté , avec le petit nombre des perfonnes
échappées comme elles par miracle à ce renverfement.
Ce fpectacle eft affreux fans doute , mais
il en eft encore un plus terrible ; c'eſt celui de la plus
grande partie des Citoyens morts ou mourans , enfevelis
fous les ruines de leurs habitations , fans qu'il
foit poffible de retirer de ces décombres les malheureux
qui refpirent encore , faute d'ouvriers pour
donner du fecours dans des circonftances femblables.
Les hurlemens , les cris , les gémiffemens , les foupirs
, tous les accens de la douleur fe font entendre
par-tout , & par- tout l'impuisance de dérober à la
mort ces déplorables victimes , rend encore plus déa
s
( 10 )
-
chirante l'expreffion du défeſpoir qui réclame en vain
l'affiftance de l'humanité. Un nouveau fléau fe
joint à toutes ces calamités & en augmente l'horreur,
Des ruines des édifices renversés , en voit tout-àcoup
s'élever un incendie ; malheureuſement le premier
tremblement ayant commencé vers l'heure du
dîné , le feu alors allumé dans les cuifines s étoit
communiqué aux différentes matières combuftibles
qui fe trouvoient dans les débris des maifons écroulées
. Le Lieutenant de Roi fe rendit auffitôt fur les
lieux avec la Troupe ; mais le manque abfolu d'ouvriers
& d'inftrumens néceſſaires rendit tous les ſecours
inutiles , & il fut impotfible , non -feulement
d'éteindre l'incendie , mais même de s'oppofer au progrès
des flammes qui continuent de dévorer les triftes
débris d'une ville jadis la gloire de fes Souverains
& la plus floriffante du royaume. -A tant de défaftres
réunis à la fois , il en faut ajouter mille autres
dont 1 horreur eft au- deffus de toute defcription : les
magaſins où étoit renfermé le blé s'étant écroulés ,
le pain cet aliment de première néceffité , manqua.
Le Sénat s'efforça auflitôt de remédier à ce malheur
, en retenant dans le port les bâtimens qui étoient
chargés de cette denrée ; mais comment eût- il été
poffible de faire du pain , puifque les boutiques &
les uftenfiles propres à ce travail étoient enfevelis
fous les ruines , & que les Boulangers avoient ou
péri ou pris la fuite ? Le cours des eaux ayant été
détourné , les fontaines publiques étoient taries & les
moulins ne pouvoient pls moudre les grains . Ce furcroît
de difaftres a prefque réduit au défefpeir les
habitans qui ont furvécu : its demandent à hauts cris
du pain pour fe fubftanter ; les uns pleurent leurs
biens , leurs effets ; les autres leurs parens. Malgré
le zèle & l'activité que les Magiftrats ont fait paroître
pour empêcher les vols , il s'eft encore
trouvé des gens fans humanité & fans religion ,
2
( 1 )
qui ne redoutant point cette colère divine que tout
retraçoit à leurs yeux , ont pillé , non -feulement les
maifons des particuliers , mais aufli les édifices publics
& les Monts - de -piécé . Il n'y a donc que lapuiffante
protection de V. M. , qui puille remédier à tant
de malheurs qui fe font fuccédés fi rapidement , &
donner une nouvelle exiſtence à cette ville , qui eft
en état d'être rétablie . Le Sénat ſupplie V. M. de faire
paffer promptement les fecours néceffaires d'hommes
& d'argent , afin qu'on puiffe rendre praticables les
chemins qui font couverts de ruines & de cadavres .
Le Sénat fupplie également V. M. d'envoyer en cette
ville , des vivres de roures efpeces , pour la tubfiftance
des habitans difperfés dans les plaines , & qui , faute
d'alimens , feroient réduits à prendre la fuite au détriment
confidérable de votre Tréfor royal. V. M.
permettra auffi qu'on lui repréfente qu'on devroit
fufpendre pour un tems , la perception des droits
de gabelle & de douane : il eft inutile d'expofer à
V. M. , le befoin preffant qu'a cette ville de Boulangers
, pour faire le pain , & de Mâçons , pour reconftruire
les palais & les maiſons des habitans « .
A cette relation nous joindrons la lettre
fuivante , qui contient quelques détails particuliers
, bien faits pour affecter & porter
la compaffion & l'effroi dans les coeurs les
moins fenfibles .
"
Lorfque l'on chargea les bâtimens qui devoient
porter les fecours à Meffine , les Lazarons , qui font
les portefaix du pays , s'emprefferent de tranfporrer
les effets des magafins fur les bâtimens , ainfi que
les comeftibles que l'on y embarquoit . Les Offi«
ciers du Roi leur ayant propofé de les payer , ils
répondirent unanimement qu'ils ne recevoient point
d'argent pour un travail de cette mature ; qu'ils ne
a 6
( 12 )
pouvoient fecourir leurs frères autrement , mais que
le Roi voulant bien les payer , il prioit S. M. de
diftribuer cet argent aux pauvres Meflinois dans la
peine. Je n'ai pas cru devoir laiffer ignorer un trait
de générofité & de fenfibilité qui peut caractériſer
une claffe de l'Etat que prefque tous les Voyageurs
ont peinte comme une horde à part , composée d'ef
pèce de fauvages au milieu d'un peuple policé. -
Dans les détails qui nous font venus de Meffine , on
racorte la mort cruelle de la Marquise de Spapara ,
fille de M. de Pierrefeu , Gentilhomme Provençal.
Cette dame , au moment du tremblement de
terre , s'étoi évanouie , & avoit été emportée par fon
époux , qui étoit parvenu à l'entraîner jufqu'au port ;
mais tandis qu'il faifoit les difpofitions pour s'embarquer
, cette dame , revenue à elle-même & s'apercevant
que fon fils n'étoit point avec elle , profita
pour s'échapper , du moment où fon mari étoit
trop occupé pour veiller fur elle : elle court à fa
maifon , qui n'étoit point encore tombée , elle monte
& fe faifit de fon fils au berceau ; l'efcalier croule de
vant fes pas & lui ferme la retraite ; elle fuit de
chambre en chambre toujours fuivie par les éboulemens
fucceffifs , & elle arrive fur un balcon , devenu
fon feul afyle ; elle implore da fecours en montrant
fon fils ; mais dans le défaftre public la pitié
pour autrui fe ait , & tremblant pour foi - même
chacun ne voit que fon propre danger ; le feu prend
au refte de la maiſon , & au milieu des flames & des
débris , cette malheureuſe victime de l'amour maternel
tombe écrasée tenant encore dans fes bras
l'objet de fa tendreffe & la cauſe de ſa mort «.
La petite vérole vient d'enlever l'Infant
Jofeph , troifième fils de L. M. Il étoit âgé
de 20 mois ; fon corps a été déposé dans
Eglife de Santa Chiara.
1
( 13 )
1
T
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 25 Mars.
Nous n'avons point de nouvelles de l'Amérique
feptentrionale , que quelques lettres
reçues de New - Yorck , en date du 23
Février ; tout ce qu'elles nous apprennent ,
c'est que conformément aux ordres de la
Cour , l'armée fait les préparatifs néceffaires
pour évacuer cette Province , & qu'on y a
raflemblé plufieurs bâtimens deftinés a ramener
en Angleterre la garniſon & ceux de fes
habitans qui voudront quitter l'Amérique.
Les ordres pour la rentrée des vaifleaux ſtationnés
fur les côtes n'ont pas encore été
expédiés ; auffi -tôt qu'ils feront arrivés en
Amérique , l'Amiral Digby reviendra avec
les vaiffeaux en ftation dans cette partie ,
avec le Prince William.
Quant aux vaiffeaux qui font aux Ifles on a ordonné
aux fuivans de revenir inceffamment , ce font
le Formidable , le Duke , le Barfleur de 98 ; le
London , le Prince- George , le Namur de 90 ;
'Alfred , l'Ajax , l'Arrogant , l'Alcide , le Bedford
, le Conquérant , le Fame , 112Hercule , l'Invincible
, le Lion , le Marlborough , le Magnificent
le Monarch , le Royal Oak , le Torbay , le Valiant,
le Warior , le Shrewsbury de 74 ; la Princeff de
70 ; le Nonfuch , le Prince - William , le Prudent ,
le Repulfe , Agamemnon , l'Anſon , le Polypheme ,
le Belliqueux , le St- Albans , l'Yarmouth & l'América
de 64. Ces vaiffeaux ne reviendront pas enfemble
; mais on espère qu'ils feront tous de retour vers
le milieu de l'été ; ils feront retirés de commiffion
( 14
l'Her-
& diftribués dans divers ports ; parmi enx il y en a 11
qui font très- vieux & hors d'état d'être réparés . Ce
font le London & le Namur de 90 ; l'Ajax ,
cule , le Lion , le Torbay , le Shrewsbury de 74;
la Princeffe de 70 ; Prince William , l'Yarmouth ,
& l'América de 64 .
Parmi les articles qui ont paru fur la paix
dans nos papiers publics , on diftinguera lé
fuivant , fur l'étendue des ceffions faites aux
Américains .
Peu de perfonnes font en état de fe former une
idée nette de l'étendue du territoire cédé aux Américains
. On ne connoît pas affez la pofition géogra
phique de ces ter es immenfes ; il ne fera pas hors
de propos d'en faire la comparaifon avec les pays qui font le plus connus. - La rivière de l'Ohio
eft navigable depuis le Fort Pitt jufqu'à ſon embouchure
; ce qui forme une étendue de 1164 milles
environ 400 lieues , fans compter les finuofités &
les détours. Les pays fitués fur les rives de l'Ohio ,
entre les monts d'Allegany , les lacs d'Ontario &
d'Erie , avec les rivières des Illinois & de Miffif
fipi , contiennent 233,200 milles quarrés ; ce qui
forme une étendue prefqu'auffi grande que la France
& la Grande Bretagne qui ne contiennent en-
Les pays femble que 235,237 milles quarrés.
entre les Illinois , le lac Huron & le lac Supérieur ,
ainfi que ceux du Miffiffipi jufqu'à St Antoine , contiennent
129,030 milles quariés , & forment une
étendue prefqu'égale à celle de la Grande - Bretagne
& de l'Ilande , qui contiennent enfemble 131,800 milles quarrés. Les pays de St- Antoine à la
ligne du fed du lac & des bois jufqu'à la fource
du Miffiffipi , contiennent 59.0co milles quarrés ;
ce qui fait plus que tous les Pays -Bas & l'Irlande ,
qui n'ont que $ 7,908 milles quarrés.
Floride Orientale contient 35,400 milles quarrés ;
-
La
elle égale prefque l'Irlande , qui n'en contient que
35,400. Les Etats - Unis de l'Amérique possèdent
une étendue de 207,0 ; 0 milles quarrés ; ils ne
font guère moins grands que l'Allemagne , les Pays-
Bas & la Suiffe , qui contiennent 207,483 milles.
Les nouvelles arrivées de l'Inde font venues
à propos pour détourner l'attention de la
Nation , ou la convaincre de la néceffité où
clie étoit d acheter la paix par d'auffi grands
facrifices. Les évènemens de la guerre ne
nous étoient rien moins que favorables
dans cette partie du monde. Les détails qu'on
a publié , de l'action qui a eu lieu le 3 Septembre
dernier , ne font pas faits pour raffurer ;
on dit bien que l'avantage nous eft demeuré ;
mais quel eft cet avantage , fi les François
font maîtres de Trinquemale , s'ils nous ont
enlevé cette Place , s'ils dominent dans la
Baye , fi nous ne pouvons les en chaffer ?
Cet évènement , qui n'eft malheureuſement
que trop confirmé , lève toutes les difficultés
élevées entre nous & les Hollandois ,
fur la reftitution de cette Place . Nous ne
pouvons demander à li conferver , & c'eft
aux François à la leur rendre. La feule efpérance
que nous avons eft dans la jonction de
l'Amiral Bickerston avec l'Amiral Hughes ;
mais le moin re délai aura mis M. de
Suffren en état de recevoir les renforts
que M. de Peynier lui amenoit.
L'état pofitif de nos financés dépofé fur le Bureau
de la Chambre des Communes va être inceflamment
l'objet de fes délibérations . Selon le compte qui a été
( 16 )
rendu à cette affemblée des repréfentans de la Nation;
la dette nationale fe montoit , le 31 Janvier dernier ,
à 232,354,127 liv . 13 ſch . 9 d . fterl. , ce qui fait
plus de S milliards 450 millions tournois . Les intérêts
annuels de cette dette énorme ne vont pas
à moins de . •
la lifte civile eft de
Les frais de l'Adminiftration
11,563,134 liv. ft.
1,200,000
en tems de paix font de • 4,300,000
Total. · 17,063,134
Les revenus font de 12,000,279
Deficit. 5,062,855
Nos dépenfes furpaffent donc nos revenus de plus
de 5 millions fterl . ; on pourroit demander combien
de tems le Gouvernement pourra maintenir fon crédit
, ou pour mieux dire , quand il ſera obligé de
faire une banqueroute générale.
Il n'eft pas étonnant que l'apperçu de ce
compte public ait fait élever bien des voix
contre la diffipation des revenus , & fur-tout
contre les penfions. Un de nos papiers s'exprime
ainfi fur ce fujet.
Les penfions annuelles pour les Ex- Miniftres ;
les réfugiés Américains & les Favoris de tous rangs ,
ſe montoient au commencement de l'Adminiſtration
du Lord Shelburne à une fomme affez confidérable.
Ce Miniftre trouva le moyen de les augmenter encore
annuellement de 8050 liv . fter . Parmi ces
penfons , on compte 2000 liv. que le Chevalier
Yorke reçoit tous les ans pour les grands & éclatans
fervices qu'il a rendas à l'Angleterre pendant
le tems qu'il a été en Ambaffade en Hollande. Actuellement
, il reste encore deux penfions effrayantes
à donner , favoir à Lord Rodney & au Général
( 17 )
>
pas
Elliot. M. Fox a fait , dans la Chambre baffe , des
remarques fur la libéralité des Miniftres , en accor
dant des penfions à des perfonnes qui ne les avoient
pas méritées ; i déclara cependant que cel e accordée
au Chancelier étoit légale ; qu'indépendamment
de cetre confidération il ne pouvoit qu'être flatté
particulièrement , de voir récompenfer les fervices
d'un Magiftrat , avec lequel il avoit long tems vécu ,
& avec lequel lefpéroit de continuer de vivre dans
les termes de la plus fincère amitié . Il ajouta :
Quoique je reconnoiffe que le Lord Chancelier a
de vaftes talens , ie crains bien qu'il n'en falle
ufage de la manière la plus avantageufe pour fon
pays & qu'il ne faffe abfolument le contraire.
A l'égard de Lord Grantham , que M. Fox dit aufli
être un de fes meilleurs amis , il fe récria avec
force contre la manière inconſtitutionnelle dont elle
avoit été promiſe par le Roi. Enfuite il blâma déci
dément la penfion accordée à Sir Jofeph Yorke , .
& fur-tout , celles paffées aux divers Commis . Avant
de s'afferir , il témoigna encore une fois combien il
craignoit que l'Adminiftration ne prît le meilleur parti
qu'elle auroit à prendre , celui de difloudre le Parlement
; il fonna l'alarme avec beaucoup d'affecta
tion , repréfentant à la Chambre la multitude des
affaires importantes qu'elle avoit à prendre en confidération
, & le danger qu'il y auroit de laiſſer en
l'absence du Parlement , les rênes de l'Etat entre
les mains d'hommes défefpérés & capables de tout.
Ce qu'il y a de fingulier , c'eft que M. Fox ne s'avifa
pas un inftant d'envisager l'ectroi des penfions
fous le feul point de vue qui pût rendre les objec
tions plaufibles , celui de l'économie . Jufte Ciel ,
dit auffi M. Huffey ! prodiguer ainfi les derniers
deniers de l'Etat ! accorder au premier venu des penfions
annuelles de 2000 liv. fterl. , tandis que nous
ne Commes pas certains de pouvoir payer le fol pour
livre aux créanciers honnêtes de l'Etat, Soyons juftes
( 189
avant d'être généreux ; jettons les yeux fur le rap
port que nous fait le Comité , chargé de véri
fier l'état de nos Finances . J'ai été Membre de ce
Comité , je connois les triftes détails de ce rapport
: qu'on l'examine , on y verra , en frémiſſant ,
que le fonds de la caiffe d'amortiffement qui , avant
la guerre , montoit à plus de trois millions de livres
fterling , a été totalement diffipé pendant l'admi
niftration du Lord North , & employé à mafquer
les déficits qui fe trouvoient toujours dans la per
ception de les taxes . Mais il paroît que tous ces
beaux dires ne font que des mots , & que !'Admi.
niftration ne fera pas plus éconnée .
Le Ministère n'eft pas encore formé ;
M, Coke , qui le 18 avoit annoncé à la
Chambre des Communes que s'il n'y avoit
point encore d'Adminiftration le 21 , il feroit
une motion , tendante à ce qu'il fût préfenté
une adreffe à S. M. , a renvoyé cette
motion à aujourd'hui 25.
La néceffité publique me force , dit-il , à une démarche
qui peut paroître une infraction à la prérogative
de la Couronne , mais l'état déplorable de nos
affaires intérieures la rend indifpenfable. Je propofe
done» qu'il foit prefenté une humble adreffe à S. M.
» pour qu'il lui plaife prendre dans la plus férieufe
» confidération la fituation malheureufe & incertaine
» du Royaume après une guerre longue & ruineufe ,
» & fe rendre aux defirs de la Chambre en formant
» une Adminiſtration qui mérite la confiance du peuple
, & qui puifle tendre à mettre fin aux troubles
» & aux divifions qui déchirent l'Etat «. Le Lord
Surrey appuya la motion contre laquelle s'éleva M.
Buller. La derniere coalition , dit - il , me furprend
au dernier point. Je ne conçois pas que M. Fox qui
s'est toujours montré le cenfeur le plus févère de la
conduite du Lord North devienne aujourd hui fon
ود
( 19 )
partifan le plus zèlé ? Je fuis perfuadé que fi nous
n'avons pas encore de Miniftre , c'eſt que la défunion
s'elt déjà mife entre les deux grands Chefs de la coalition
qui devoient partager toute l'autorité & dont
les amis devoient être pourvus , de forte qu'on s'eft
débattu non pas pour le bien général , mais pour
l'intérêt de quelques individus qui demandoient beaucoup
plus qu'on ne vouloit leur donner. M. Martin
s'exprima avec autant de févérité fur la coalition qu'il
appella un fcandale. M. Hill qui avoit propofé un
' amendement le 21 , déclara qu'il ne le feroit point ,
parce que la motion actuelle devoit produire le même
effer, qui étoit de demander une Adminiſtration dans
laquelle la Nation mît toute la confiance , & que cette
motion tendoit par conféquent à exclure du Miniftè-.
re les perfonnes qui ne poffèdoient pas la confiance
du peuple. Je n'ai jamais entendu , dit alors M. Fox ,
proférer le nom de S. M. dans des débats pour excufer
la conduite de qui que ce foit. La Chambre ne
connoît ni les fentimens particuliers , ni les opinions
particulieres de S. M. Si elle a quelque opinion ou
quelque fentiment qui lui foit propre , elle feule les
connoît. Elle ne peut faire le mal à moins qu'elle re
foit mal confeillée ; il faut donc chercher d'où vient
ce mauvais confeil , & cela n'eft pas difficile . La Nation
, depuis près de cinq femaines , eft dans une pofition
qu'elle n'a peut - être jamais éprouvée : on prend
des mefures fans qu'il y ait de Miniftres oftenfibles
qui répondent de leur effet. Tout démontre la né
ceffité d'une Adminiftration , & celui qui a empêché
que l'arrangement n'eût lieu , mérite d'être dénoncé.
Ce délai provient d'un Lord de la Chambre des
Pairs , ( le Lord Chancelier ) dont la phyfionomie
finiftre annonce l'opiniâtreté , le mécontentement &
l'oppofition. On ne peut entrer dans la Chambre
haute fans reconnoître l'homme ; fa conduite , fes
actions , tout le démafque. M. Hill annonce qu'il
renonce à l'amendement qu'il s'étoit propofé. Si je
( 20 )
me fus trouvé dans la Chambre le 21 , quand il en
fut queft on pour la premiere fois , je n'aurois pas
manqué de propofer un amendement à cet amendement.
J'ai lu qu'il tendoit à renouveller une propofition
débattue fans fuccès l'année derniere , our dé
clarer que le Lord North avoit perdu la confiance de
la Chambre. Le deffein vifible de M. Hill eft de faire
exclure ce tord de 1 Adminiftration , & s'il perfifloit
dans fon projet je propoferois que, S . M. foit fuppliée
de n'admettre dans l'Adminiftration aucune des per
fonnes qui ont fait une pax , en vertu de laqué le il a
été fait aux ennemi de la G B. des conceffions beaucoup
plus confidérables qu'ils ne devoient en attendre
, foit d'après la fituation actuelle de leurs poffelfions
refpectives , foit d'après leur force comparée.
Si M. Hill préten que la motion de l'année derniere
doit exclure le Lord North , il doit convenir que le
vote du 21 Février en exclut pareillement le Lord
Shelburne. Il en résultera que ces deux partis étant
exclus, il n'en eftera qu'un à l'abri de toute enquête ,
& quoique ce foit celui auquel je donnerois la préfé
rence , je voterois contre les deux amendemens , dans
la perfuafion où je fuis que le parti de Rockingham ,
quelque refpectable qu'il foit , n'eft pas affez fort
pour fe foutenir feul. Pour former une Adminiftration
qui mérite la confiance du peuple , il faudroit recou
rir aux talens les plus diftingués de la Chambre , &
la fonder fur la base la plus folide , car elle auroit à
réfilter à une oppofition formidable , prête à l'attaquer
avec la plus grande févérité. La fituation du
Royaume, les affaires actuellement pendantes & qu'il
faut abfolument terminer au plutôt , promettent peu
d'agrémens à ceux qui la formeront. La Compa
gie des Indes a beloin qu'on faffe promp ement
quelque chofe pour elle. Le Miniftre des Finances
fera forcé de charger le peuple de nouveaux impôts.
Quelque défagréable que foi: cette tâche , je ne
doute point que le Duc de Portland ne parvienne à
( 21 )
furmonter toutes les difficultés que le parti de l'op
pofition pourroit fufciter, pourvu qu'il jouile de la
confiance de fon Souverain , & qu'il puiffe écarter la
maudite & ténébreufe influence qui fe cache derriere
le trône. Tant que cet obftacle fubfifte
ra , il fera impoffible de former une Adminif
tration dont le Royaume air lieu de fe féliciter.
manquer
M. Jenkinſon le croyant défigné dans la partie
du difcours de M. Fox , où il fe plaint des mauvais
confeils donnés au Roi , & de l'influence fecrette
qui dirige les opérations du thrône , prit ainfi la
parole : la prérogative Royale n'eft pas limitée
au point d'interdire a aucun Confeiller- privé la préfence
de fon Souverain , ou d'empêcher le Souverain
de prendre l'avis d'un Confeiller - privé. Quant à
l'influence fecrette je n'en ai jamais eu aucune ; mais
lorfque le Roi m'a mandé , je n'ai point cru pou .
voir me difpenfer de me rendre auprès de fa perfonne
fans à l'obéiffance & au respect que
je lui dois. Je n'ai eu de conférence avec le Roi que
pour des affaires officielles , & d'après les ordres ,
que je n'ai jamais prévenus. Telle eft la vérité , &
je ne crains point d'invoquer le témoignage du Lord
North lui-même. L'autre , influence fecrette , ne
peut être relative qu'au Lord Chancelier ; il eft conf
tant que depuis dix jours il ne s'eft mêlé en rien de
l'arrangement pour la nouvelle Adminiftration , dont
la compofition a été entièrement abandonnée au duc
de Portland & à fes amis . Il existe une influence ,
fans doute , mais c'eſt parmi les nouveaux Membres
unis , par la coalition , & dont les chefs fe
difputent l'autorité. Quant à l'adreffe propofée , je
la regarde comme l'attentat le plus grave aux prérogatives
de la Couronne , qu'elle outrage d'une ma
niere fi fcandaleufe , & dont les annales de cet Empire
n'offrent encore aucun exemple avoué par la
conftitution. On a avancé qu'il eft fans exemple
que ce pays ait été fi long- tems fans Adminiftra-
---
( 22 )
tion , & que cet interrègne cauferoit la ruine du-
Royaume. Cela eft faux , l'Ang'e erre a été trois
mois fans Admin ftration en 1757 ; il n'y avoit
alors ni premier Lord de la Trésorerie , ni Chancelier
de l'Echiquier , & les fceaux étoient en poffeffion
des Juges de la Cour du Banc du Roi ;
cependant l'interrègue n'a point ruiné la Nation ,
quoiqu'elle fût alors engagée dans une guerre fanglante
& très difpendieufe ; en conféquence je re
donnerai jamais mon confentemeur à la motion de
M Coke.-M. Macdonald s'oppofa pareillement
à la motion ; il s'eft formé depuis peu , dit il , une
coalition d'une nature fi étrange qu'elle a caufé un
étonnement univerfel des hommes divifés par l'inimitié
, & qui par leurs principes & leurs opinions
étoient diamétralement oppo és les uns aux
autres , fe font tout- à- coup réunis . Quoique les
fentimens foient partagés fur les motifs de cette
jonction , tous les honnêtes gens s'accordent à la
réprouver comme une alliance monstrueufe & abfurde.
Il chercha auffi à défendre le Lord Chancelier.
Les membres de la nouvelle coalition ,
ajouta-t-il , femblent avoir adopté le principe des
anciens Whigs , de perdre tout homme dont les
principes ne font pas aufli verfatiles que les leurs . Ce
n'eft pas tout , ils font déja divifés entr'eux fur le
partage des places ; c'eft- là le motif qui arrête la
nomication du nouveau Miniſtère , & là ſeule cauſe
des délais dont ils ont encore l'audace de fe plaindre.
Que Milord North & M. Fox difent eux-mêmes fi
ce que j'avance eft faux , & fi ce ne font pas leurs
difcuffions qui nous laiffent fans Miniftres. On ne
veut accorder au premier qu'un dixième du pouvoir
, en conféquence il doit regarder les talens ,
fes difpofitions & fes principes comme nuls dans
une Administration de cette nature «. - M. Fox
s'éleva avec la plus grande force contre les expreffions
de M. Macdonald , qui étoient , dit - il , fi répré(
23 )
henfibles , qu'il ne pouvoit fe difpenfer d'en faire
des excufes avant la fin de cette féance , ou au plus.
tard dans celle du lendemain . Il foutint que les obfta
cles à la formation du Miftère ne viennent pas du
duc de Portland ni de fes amis , mais d'ailleurs. Quant
aux reproches d'avoir défigné indirectement le Lord
Chancelier , il convint qu'en effet il l'avoit en vue ,
voici , ajouta-t- il , mes raifons : il n'y a plus actuel
lement ni premier Lord de la Tréforerie , ni Miniftre.
oftenfible qui foit refponfable ; le Chancelier eft
donc la feule perfonne officielle dont S. M. puiffe recevoir
des confeils. Qu'il y ait une influence , qu'il
exifte un confeil fecret , c'eft , je crois , un fait que
perfonne ne révoque en doute. On a défapprouvé la
coalition , parce qu'elle a réuni des hommes autrefois
ennemis , parce que ces perfonnes qui différoient.
d'opinion fur des points qui n'exiftent plus font du
même avis fur les affaires qui occupent actuellement
la Nation. Qu'a d'extraordinaire ce procédé ? l'Empire
étoit dans un état de crife , le vaiffeau de l'Etat
fans gouvernail & le Royaume fans gouvernement.
Il falloit remédier à des maux auffi urgens , & tel a
a été l'objet de la coalition . On a prétendi que fes
Membres étoient défanis relativement au partage de
l'autorité . Cela eft auffi faux que l'idée défavantageure
que l'on voudroit donner de leurs principes ; ils
tendent à détruire les anciennes animofités , & à former
une Adminiftration fur un plan honnête , permanent
& conftitutionnel . Telle eft celle dont la G. B.
a befoin . Je prie la Chambre de penſer aux circonftances
avant de prononcer fur cette coalition. Ce
font des diflentions politiques & des intérêts oppofés
qui ont fait les malheurs de ce Royaume ;
il ne peut être heureux que par l'unanimité du
Parlement ; toute coalition tendante à opérer cette
unanimité eft donc une démarche auffi convenable
que conftitutionnelle . L'état actuel des affaires
tant au dedans qu'au dehors , prouve affez que le
( 24 )
>
-
feulefpoir de falut qui nous refte eft dans une Adminiftration
ferme , vertueufe & furveillante . Voilà
le point de vue fous lequel on doit confidérer la
coalition qu'on s'efforce de repréfenter comme l'ouvrage
de paffions & d'intérêts particuliers , déja
plus d'à-moitié ruinée par la défunion de fes Membres
. Il y a eu à la vérité quelques légères difficul
tés relativement à ſa formation , mais elles n'ont
fubfifté que pendant les dix premiers jours de la
négociation en amée depuis cinq femaines , & il y
a déja long-tems que tout eft définitivement conclu
& artêté entre les perfonnes qui la compofent. Au
furplus la motion préſentée à la Chambre me paroît
une mefore abfolument néceſſaire. Le peuple la
demande , le Royaume en a beſoin & je ne puis
me difpenfer de voter pour elle. M. Turner
dit auffi quelque chofe contre la coalition & contre
le Lord North , qui étoit l'auteur de la guerre
Américaine dans laquelle il avoit perdu 2000 liv.
fterl . par an , ce qui n'ajoutoit pas peu à fon humeur.
Le Lord North fe leva alors & dit :
Je m'étois propofé de ne point importuner la Chambre
par mes obſervations , mais puifqu'on me
femme de m'expliquer , men filence deviendroit
impardonnable. Les vues les plus juftes & les plus
hoonêtes ent formé la coalition qui n'a point eu
pour bafe , comme on a voulu l'infinuer , l'abandon
des principes de l'un ou de l'autre parti. Je n'ai
point renoncé aux miens , & je n'exige point que
ceux avec lefquels je me fuis lié , abandonnent les
leurs . Je n'ai point changé de façon de penser ,
relativement à la prérogative de la Couronne , &
je ne pris me perfuader qu'elle foit trop grande.
On vient de dire que j'aurois mérité d'être expulfé
de la Chambre à caufe de la guerre Américaine.
C'eût été une fentence bien dure ; car quelle qu'ait
été l'iffue de cette guerre , mes intentions étoient,
juſtes. J'étois alors convaincu de la fageffe de cette
mefure ,
-
( 25 )
1
efure , & il feroit cruel de me juger d'après
l'iffue qui en a été malheureufe. La fituation de
ce pays au commencement de cette guerie , juftifioit
l'entreprise & faifoit eſpérer des fuccès.
Quoiqu'il en foit c'est une affaire terminée. Je
puis n'être pas entièrement d'accord fur certains
points avec les perfonnes avec lesquelles je me
fuis lié , mais je me flatre que nous agirons tellement
de concert , que nous ferons parfaitement
d'accord fur les objets qui concernent le bien de
l'Empire. Ceux qui cenfurent la coalition oublient
qu'il eft prefqu'impoffible de réunir des Membres
quelconques de cette Chambre , qui a paravant
n'aient pas différé effentiellement d'avis fur plufieurs
queftions importantes. L'Adminiftrazion actuelle
toutefois il en exifte une ) eft compolée
de performes qui ont différé effentiellement
d'avis en fait de politique ; & fi la Chambre confidère
qu'il y a au moins trois grands partis dans
la Nation , il eft néceffaire pour former one coalition
que deux de ces partis s'uniffent . En cenfurant
la coalition , tout le monde convient qu'on
devroit former une Adminiftration fur une baſe
auffi étendue qu'il eft poffible ; fi l'on entend parlà
une Adminiſtration compofée de tous les trois
partis , je ne défapprouve point cette réunion.
Certe , les divifions & les troubles qui règnent
dans le Royaume , exigent que toutes les perfonnes
douées de talens offrent leurs fervices . Je me flatte
que l'Adminiftration qu'on formera , fera composée
de manière à répondre à l'objet qu'on fe propofe.
M. Jenkin on m'a fomm particulièrement de
déclarer fi pendant mon ministère j'ai trouvé quelque
influence fecrette qui ait fruftr mes intentions.
Je n'ai jamais reconnu qu'il exiftât une telle influence.
L'honorable Membre m'a fouvent donné
des confeils & je lui en fuis très-obligé , mais je
ne fache pas qu'il ait jamais donné au Roi aucun
confeil en fecret , qu'il ne voulût , fi cela étoit né-
´s Avril 1983. b
( 26 )
ceffaire , juftifier en Public. On m'a également
fommé de dire fi je croyois que le Lord Chance
lier ait donné auffi des coníeils en fecret. Je ne fache
pas qu'il en ait jamais donné de lemblables. J'ai eu
l'honneur de travailler pendant plufieurs années
avec ce digne Magiftrat , & j'ai toujours reconnu
en lui un homme rempli de talens , d'honneur &
de droiture , & digne de la place qu'il occupoit,
La motion foumise à l'examen de la Chambre
eft à mon avis très -convenable. Il y a déja cinq femaines
qu'il n'y a point de Miniftres oflenfibles ,
& certes ce pays n'a jamais eu plus grand befoin
d'une Administration permanente qu'à préfent . Je
me rappelle très- bien l'époque de 1757 qu'on a citée ;
notre fituation alors étoit fans doute affez critique ,
mais le Duc de Devonshire refta à la tête de la
Trésorerie , & M. Legge fe retira. On continua de
s'occuper des fubfides , des voies & moyens , &
les affaires ne furent point fufpendues ; les circonftances
étoient à peu-près femblables l'année
dernière au 27 Février. Le vote de la Chambre ,
relatif à la guerre Américaine , fut le fignal de la
chute de l'Adminiſtration dont j'étois Membre , on
s'occupa des fubfides , & le changement de Ministère
fe réalifa le 27 Mars . L'Adminiftration actuelle a
reçu affez de préfages du fort qui l'attend , & il
n'y a point de moment à perdre pour en former
M. Pitt prit alors la parole : Je ne
penfe pas que la motion actuelle donne aucune
atteinte à la prérogative conftitutionnelle de la Cou
ronne. Je dois cependant obferver à la Chambre
qu'elle doit examiner fi cette motion produira l'effet
auquel elle tend . Je ne vois pas que l'adrette puifle
lever les difficultés qui s'oppofent à la formation
d'un Miniſtère. On le borne à prier S. M. de former
ine Adminiſtration qui ait la confiance du peuple.
Quels font les Juges compétens pour défigner ceux
qui ont la confiance du peuple. Il ne paroît pas
qu'il exifle une rège d'après laquelle on puifle jeger
une autre . --
( 27 )
de la popularité des divers candidats. Je fouhaiterois
que le Lord North & fon nouvel allié déclaraffent
fur leur honneur s'ils font perfuadés intimement
que l'adreffe propofce , fi elle pafle , accélérera
l'affaire ou fera ceffer le conflit d'opinions.
C'estun très-grand malheur fur-tout pour la Nation
d'être fans Gouvernement , mais je demande fi
en faifant la motion actuelle on le propofe
fincèrement le bien de l'Etat , & fi l'on n'a
foint d'autres objets en vue . Plufieurs perfonnes
abandonnent de gaieté de coeur leurs anciens
principes , & en adoptent de nouveaux. Cette
conduite peut s'accorder avec une longue expérience
; mais je fis encore trop jeune pour changer
ainfi de façon de penfer. Je ne faurois m'affocier
avec ceux dont les principes font diamétralement
oppofés aux miens , parce q es'ils changecient
de fentimens pour adopter les miens , je ne pour
rois pas compter fur eux ; & fi j'ea changeois pour
adopter les leurs , ma confcience me reproche oit
d'avoir agi contre mon honneur. Des affociations
établies fur une telle bafe ne fauroient être de
longue durée. Il peut y avoir une coalition apparente
d'opinions & d'intérêts ; mais des gens qui
ont un peu d'expérience , & qui favent comment
fe forment ces allociations politiques , s'embarraffent
peu du ferment par lequel ils fe font liés , toutes
les fois qu'ils jugent qu'il eft de leur intérêt de
le vicler. Le Lord North a avancé que lui & M. Fox,
étoient parfaitement d'accord , & cependant ce Lord
a déclaré publiquement qu'il perfifteroit dans fes
anciennes maximes politiques , & qu'il s'opposeroit
au bil de réforme ; que doit- on efpérer d'une telle
coalition , pufqu'il eft vrai que , dans un point qui
intéreffe tant le peuple , le Lord North & fes nouveaux
amis diff rent fi effentiellement , je fouhaiterois
que la Chambre laiât encore écouler en
jeur avant de préfenter l'adrefle , parce qu'il eft
probable que l'arrangement du Miniflère fera alors
b2
( 28 )
terminé. Je fuis fondé à croire que l'Adminiftration
fera formée d'ici à un jour , ou au plus tard
dans deux ou trois . Si cependant ma propofition n'eft
point admife , je ne m'oppole pas à la motion,
-
Je déclare fur mon honneur , dit le Lord North,
que les délais n'ont été caulés par aucune difpure ou
méfintelligence entre le Duc de Portland & moi ; il
n'y a eu depuis le premier moment de la coalition
aucune différence effentielle d'opinions entre nous.
Chaque parti a fans doute déclaré les fentimens ;
mais quoique nous n'ayons pas été parfaitement
d'accord fur tous les points , nos differends n'ont
point été de nature à s'oppofer à la conclufion de
l'arrangement. Comment d'ailleurs peut- on fuppɔfer
que nous nous foyons difputés pour la diftri
bution du pouvoir avant que cette diſtribution dépendît
de nous. M. Fox appuya cette déclaration
de la fienne . Je ne crois pas , ajouta-t -il , que le
premier obftacle à l'arrangement ait encore été levé ,
par conféquent , jufqu'à ce qu'il le foit , la négocia
tion eft entièrement arrêtée. M. Pitt propofe de
différer la motion pendant deux ou trois jours &
de la renouveller alors s'il n'y a encore rien d'arrangé.
Je préfume que la Chambre n'admettra point
cette propofition , car depuis cinq femaines on a cu
affurément tout le tems néceffaire pour former
une Adminiftration L'Orateur de la Chambre
propofa alors la motion qui paffa unanimement
après quoi M. Coke eu fit une autre , tendante à
ce que cette adreffe foit préfentée à S. M. par
ceux des Membres de la Chambre qui font de
fon Confeil- privé , & cette dernière paſla également
«<,
FRANCE.
23
De VERSAILLES , le 1er. Avril.
L. M. & la Famille Royale ont figné le
du mois dernier le contrat de mariage de
M. d'Hautefort , Comte de Vandres , avec
( 29 )
Mademoiſelle Bidé de la Grandville , &
celui du Comte de Varennes , Capitaine
au Régiment du Roi , Infanterie , avec
Mademoiſelle de Rochecot.
Le même jour la Comteffe d'Agoult a eu
l'honneur d'être préfentée à L. M. & à la Famille
Royale , par la Marquife de Simiane ,
Dame pour accompagner Madame.
Le Comte de Béthencourt Noronha ,
natif de Madere , eut l'honneur d'être préfenté
le 25 au Roi , à la Reine & à la
Famille Royale par le Comte de Souza , Ambaffadeur
de Portugal (1 ).
> M. Joly de Fleury , Confeiller d'Etat
ayant fupplié le Roi de lui permettre , રે
raifon de fa fanté , de fe démettre du Ministère
des Finances dont il étoit chargé ,
S. M. a daigné y confentir , & a nommé ,
pour le remplacer , avec le titre de Contrôleur-
Général de fes Finances , M. d'Or
meffon , Confeiller d'Etat . by
De PARIS , le 1er. Avril.
C'EST par l'Angleterre que nous avions
(1) Il eft de l'ancienne maifon de Béthencourt en Normandie
, laquelle étoit connue dès le tems de Guillaume le Conquérant
, & produifit , fous Charles VI , le célèbre Jean de
Béthencourt , premier Rei des Canaries dont il fit la découverte
& la conquête. Les anciennes alliances Françoiſes du
Comte de Béthencourt- Noronha , font entre autres avec les
maifons de Braquemont , Bréanté , Touftain , Gonnor , Fayel
& Epinai- St- Luc ; & par celles que fa branche a contractées
depuis fa tranfmigration , telles que Noronha , Henriques
Dromondo , &c. Il a l'honneur d'appartenir aux anciennes
Maiſons Royales de Portugal , d'Efpagne & d'Ecoffe.
b
3
130 )
reçu les premières nouvelles du combat qui
a eu lieu dans 1 Inde entre les efcadres de
M. le Bailly de Suffien & de l'Amiral Hughes.
Les dépêches officielles du Cómmandant
François font arrivées enfuite ; & on a
publié le Journal fuivant de fes opérations.
L'efcadre du Roi n'ayant pu attaquer les Anglois
devant Ceylan , après le combat du 12 Avtil 1782 ,
fit route le 19 pour Bentacalo , au Sud & près de
Trinquemalé , où el e arriva le trente . M. de Suffren
y débarqua fes malades & fes bleffés , & envoya
ordre aux bâtimens de tranfports qui étoient à
Galles de venir le joindre , ce qu'ils firent le 16 Mai,
Tous les fecours qu'il attendoit , étant arrivés & fes
malades en partie rétablis , il fit voile de Bentaralo ,
le 3 Juin , pour la côte de Coromandel . Il moui la le
5 au foir à Tranquebar , où il trouva trois vaiffeaux
Hollandois , expédiés par la Régence de Batavia ,
avec du riz & autres provifions & reçut des lettres
d'Hyder-Ali - Kan , remplies de témoignages d'amitié
& de confiance , annonçant l'extrême defir de ce
Prince d'avoir une entrevue avec le Général François
qui alla mouiller à Goudelour , pour y prendre
400 Européens & 800 Cipayes . Le 25 , la Bellone ,
commandée par M. Beaulicu , en ſtation fur Négapatnam
, vint donner avis qu'elle avoit vu l'efcaire Angloife
qui l'avoir chaffée jusqu'à midi . Le Général
hâta l'embarcation qu'il augmenta de 300 Artil
leurs pour affiéger Négapatnam , s'il en trouvoit
l'occafion favorable. Il appareilla de Goudelour le
3 Juillet , paffa les devant Tranquebar & apperçut
les Anglois mouillés à Négapatnam. Il fe miten ligne
pour les approcher. Il en étoit encore à trois lieues
lorfqu'ils appareillèrent & prirent la bordée du large
pour le former ; le peu de vent qu'il faifoit alors fouf
floit du S. - O.; l'efcadre du Roi étoit fort fous le vent.
L'Ajax effuya un grain qui le démâta de fon - grandmar
de hune & de fon perroquet de fougue , fans que
( 31 )
fes voiles d'avant éprouvatfent la force du vent. M.
de Suffien mouilla à l'entrée de la nuit : l'efcadre
Angloife en fit autant. A la pointe du jour , toutes
deux mirent fous voiles : l'Ajax n'étoit pas encore
réparé. L'elcadre Françoife courut dans l'ordre renverfé
, les amures à bâbord ; les Anglois prirent la
bordée du Nord. La premiere revira par la contremarche
pour approcher l'Ennemi ; l'une & l'autre
pafsèrent à bord oppofé . L'Amiral Hughes fic revirer
en commençant par la queue ; & ce mouvement
fini , il arriva en dépendant fur la nôtre . Adix heures
& demie , cet Amiral à un tiers de portée de canon
de M. de Suffren , commença le combat , & les Efcadres
s'approchèrent à la diftance de 250 toifes ; le
vent étoit très - foible & la fumée très - épaiffe . Le
Brillant abfolument défemparé , dériva , & le
Héros , vaiffeau du Général , força de voiles pour.
le couvrir les vaiffeaux de l'avant du Général , paroiffoient
fort maltraités dans leur gréement. Le
-Sphinx , ferre- file du Héros , n'étoit pas en meilleur
état. La brife du large rompit les deux lignes . M. de
Saffren fir fignal de virer vent arrière , pour tâcher
de former la ligne à l'autre bord , & couvrir le Brillant
, qui , ne gouvernant plus , avoit pris les amures
à bâbord. Le Sévère , coiffé par le changement de
brife , faifoit route fur l'efcadre , ayant un vaiffeau
Anglois très - près de lui . Le Sévère étoit fort
défemparé. M. Suffren fit route deffus , & lai donna
le tems de fe ranger fous le vent de l'efcadre ; le
combat continua encore quelque tems dans cette
pofition , les Anglois qui étoient aufli tres -dégréés ,
profitèrent de l'avantage du vent pour y mettre fin.
Comme ils alloient au mouillage , M. de Suffreu
ferra la côte & mouilla à Karical ; à cinq henres &
demie , un des vaiffeaux de l'efcadre Angloife fut
obligé de mettre à l'ancre à quatre lieues des autres.
It eft difficile de connoître laquelle des deux efcadres
a le plus fouffert dans le combat ; mais il eft conf
b
4
7327
sant que l'Amiral Hughes l'a abandonné , étant Te
maître de le continuer. Le 7 , l'efcadre fit route pour
Goudelour , où elle mouilla le 8 Juillet au matin . Le
Bailii de Suffi en s'occupa fur- le- champ des réparations
de fes Vaiffeaux.
Le premier Août , l'efcadre appareilla de Goudélour
, & fit route pour Ceylan ; on en donna avis à
M. d'Aymar , arrivé à Galles , avec le Saint- Michel ,
Illuftre & les tranfports expédiés au mois de
Juin de l'Ile de France. Le 21 au foir , M. d'Aymar
rallia l'efcadre avec fon convoi. Les 22 , 23 &
24 , on ſe prépara à la defcente qu'on le propofoit
de faire à Trinquemale. Le 25 , l'efcadre mouilla à
Bak-baie. Les batteries de la côte tirèrent pluſieurs
coups de canon ; à ro heures du foir , on reconnut le
lieu du debarquement , qui fut effectué le 26
à trois heures du matin. Les Troupes aux ordres
du Biron d'Agoult , fe portèrent fur le champ
vers la place. Le Bailli de Suffren fut la recon•
noître jufqu'à portée de fufil . M. Defrois , Ingénieur
en chef , dirigea l'attaque de la place . Les 27 & 28 ,
on travailla aux batteries . Le 29 , à 7 heures du matie
, celles de la gauche ouvrirent leur feu , & firent
taire celui des ennemis . Il y eut environ 20 hommes
tués ou bleffés . On répara pendant la nuit & on
fortifia les batteries de la gauche ; celles de la droite
furent avancées ; & le 30 à la pointe du jour , le feu
recommença avec la plus grande vivacité. A 9 heures
du matin , M. de Suffren en fon nom , & en
celui du Baron d'Agoult , fomma le Gouverneur de
rendre la place : les difficultés fur les conditions furent
bientôt levées ; la capitulation fut fignée le
même foir , & les portes livrées aux troupes du Roi.
Le 31 au matin , on marcha vers le fort d'Oftem.
bourg , qui fe rendit aux mêmes conditions de Trinquemale.
Le premier Septembre , les troupes qui
n'étoient pas deftinées à fervir de garnifon à Trinquemale
& à Oftembourg , fe rembarquèrent. Le 2 ,
on découvrit l'efcadre Angloiſe. On fit auſſi- tôt k(
33 )
gnal d'appareiller & de fe préparer au combat. Le 3
à la pointe du jour , les ennemis étoient à 2 lieues
fous le vent de la baie de Triaquemale. L'efcadre du
Roi mit fous voiles en ordre de bataille. Le tems
étoit un peu brumeux ; les ennemis , au nombre de
12 vaiffeaux , arrivoient infenfiblement , & prenoient
chaffe pour éviter le combat. Ce ne fut qu'à
2 heures après-midi que M. de Suffren put les joindre
avec quelques vaiffeaux. L'Illuftre , commandé
par le Comte de Bruyeres , l'Ajax , par M. de Beaumont
le Maître , feconderent vigoureufement dans
ce combat le vaiffeau le Héros , que montoit M. de
Suffren. Cet engagement partiel dura jufqu'à 6 heures
& demie. L'Amiral Hughes profita de la nuit
pour fe retirer. M. de Suffren fit route pour Trinquemale.
Le vaiffeau l'Orient le perdit pendant la
nuit , en courant les bords pour entrer dans la baie .
On en a fauvé l'équipage & une partie des effets ;
mais on n'a pu parvenir à relever le bâtiment.
Des réparations qu'exigeoient les vaiffeaux après ce
dernier combat , ne pouvoient être achevées que le
28. M. de Suffren fe propofoit de remettre alors à la
-voile pour
la côte de Coromandel , y chercher de
nouveau l'efcadre Angloife , & la combattre pour la
fixieme fois , depuis fon départ de France . Le nombre
des morts , dans le combat du 6 Juillet , eft de 178 ,
& celui des bleffés de 601 , dont 13 officiers de mer ',
& 6 de terre. Les officiers tués dans le combat du
3 Septembre , font au nombre de 3 , & les bleffés
au nombre de 10. Les lettres de la côte de Coromandel
, en date du 15 Septembre , portent que l'armée
Angloife , compofée de 1200 blancs , de 18 bataillons
de Cipayes de 750 hommes chacun , & de
1500 Cavaliers , avec un train d'artillerie , de 2
groties pieces de canon & de so pieces de campagne ,
après avoir 'campé pendant quelques jours fur le côteau
de Perimbré , s'étoit rapprochée avec précipitation
de Madras , fur la nouvelle du retour de leur
bs .
( 34 )
efcadre devant cette place , après le combat du g
Septembre. Il paroît , par les mêmes lettres , qu'Hyder
-Ali avoit de fon côté , quitté le camp qu'il occupoit
depuis un mois , à 3 lieues de Goudelour , pour
fe rapprocher d'Arcatte , & qu'après avoir cam , é à
Harny , au fud d'Arcatte , il marchoit à petites journées
fur Tirvenon pour attirer de plus en plus les
Anglois dans le nord , & que Tipun- Saël , fon fils ,
qui commandoit un Corps détaché dans le Sud , s'étoit
rapproché de Goudelour , où étoient reftées les
troupes Françoifes , aux ordres du Comte d'Offelize ,
dont 1200 hommes avoient été detachés pour l'expédition
de Trinquemalé , & dont un autre détachement
, avec une autre partie d'artillerie , avoit marché
dans le nord avec Hyder- Ali. Ces lettres ajoutent
encore , qu'Hyder- Ali - Kan attendoit avec impatience
l'arrivée du Marquis de Buffi & les renforts
qu'il devoit amener avec lui ; que toutes négocia
tions de paix entre les Marattes & les Anglois étoient
rompues , & que la Régence de Ponnah avoit envoyé
trois Waquitz à la côte de Coromandel pour fe con.
certer avec Hyder- Ali- Kan , & y attendre l'arrivée
prochaine du Marquis de Buffi «.
--
L'on vient , écrit- on de Breft , de faire partir pour
S. Domingue 3 lougres , qui ont ordre de chaffer &
de détruire quelques Forbans qui croifent au vent
du Cap , & qui s'emparent de tous les bâtimens
marchands François ou Anglois , & les conduifeng
dans les petites Illes de Bahama , où il eft impoffible
aux gros vaiffeaux de les fuivre. Malgré l'efcadre
qu'on attend ici de Cadix , & qui eft prefque
en entier compofée de vaiffeaux à trois ponts , on
ne laille pas de mettre en mer ceux dont la conftruction
eft très - avancée , & le Téméraire eft de ce
nombre. Il paroît que l'intention de la Cour eft d'avoir
fans cefle dans ce port , comme dans celui de
Toulon , 15 à 20 vaiffeaux en état d'appareiller 15
joursaprès qu'on aura donné l'ordre de les armer.
Les efcadres auroient pu appareiller de
( 35 )
Cadix le 28 Février dernier , fi le vent eût
été bon ; mais le s Mars il n'étoit pas encore
affez favorable , & leur départ étoit fufpendu .
M. de la Motte- Piquet conduit la divifion de
Breft , & M. de la Clue celle de Toulon .
M. de Vialis ira encore aux Antilles avec le
Réfléchi de 64 , qu'il monte , une frégate ',
un catter , & quelques navires ravitailleurs.
M. le Comte d'Estaing n'eft attendu ici que
dans ce mois , parce qu'il doit s'arrêter is
ou 20 jours à la Cour de Madrid.
Les vailleaux affectés au port & au département
de Rochefort , font les fuivans le Protecteur ,
le Marfeillois , le Généreux , le Lyonnois , de 74 .
Les deux premiers font déja arrivés , & les deux
autres font en conftruction. L'Artéfien , V'Ajax , le
Bifarre , le Brillant , l'Eveillé , le Sphinx , le
Vengeur , le Réfléchi & le Vaillant de 64. Ce
dernier rafé de fa première batterie pour en faire
un ponton. Le St- Michel , de 60 ; le Flamand
de 56 , l'Amiral, de so ; la Pomone , l'Andromaque
, la Cérès , la Courageufe , la Fée , la Fleur- de-
Lys , frégates de 26 canons de 18 liv. ; l'Hermione ,
l'Iris , la Médée , la Néreïde de 26 canons de 12 ,
& la Railleuſe de 26 de 10. Les corvettes la
Guadeloupe , la Brunette , le David , la Fauvette ,
la Perdrix , le Roffignol , le bricq le Tartare , le
cutter le Triomphe, l' Aigle, le Corbeau , le Racoan,
le Ferrier ,le Lord Cornwallis , le Petit - Argus ,
ce qui fait 4 vaiffeaux de 74 , 10 de 64 , un de 60 ,
un de 56 , un de so ; total 17 vaiffeaux , 11 frégates
& 15 corvettes , brigs , cutter , ou avifos.

Les mêmes lettres ajoutent que la flûte du
Roi le Mulet , deftinée à paffer dans l'Inde
avec 3 autres bâtimens qui font à Breft ,
doit mettre à la voile au premier bon vent
b 6
( 36 )
pour les aller joindre dans ce Port , & que
l'équipage étoit déja à bord. Elles portent
auffi que les travaux pour le defsèchement
des environs de Rochefort , étoient pouffés
autant qu'il étoit poffible pour la faifon. Maisla
crue des eaux y eft venue mettre obſtacle
, en brifant les bâtardeaux , rompant les
digues , & entraînant une partie des outils .
Le 15 Mars les troupes retournèrent dans
leurs quartiers , qui font , Saintes , Saint-
Jean-d'Andely & Marenne. Ces travaux ſeront
repris auffi - tôt que le tems deviendra
plus favorable.
Les détails des dernières inondations arrivent
de tous côtés. Plufieurs ponts d'Angoulême
à Rochefort , fur la Charente , ont
été emportés. Nous réunirons ici quelques
lettres de divers endroits fur ces défaftres.
Le débordement des rivières , écrit- on de Limoges
, a caufé , les 5 & 6 de ce mois , beaucoup
de dommages dans le Limofin & l'Angoumois. La
Vienne , la Charente & de moindres rivières ont
endommagé , par la crue extraordinaire de leurs
eaux , les moulins & les papeteries , emporté des
bois de flottage , renverfé des ponts & intercepté
des communications . La ville de la Rochefoucault a ,
fur-tout , beaucoup fouffert du débordement de la
Tardoire. On y éprouva le un violent orage ,
que l'on croit avoir été accompagné d'un léger
tremblement de terre. Dans la journée du 6 , les rues
de cette ville fe trouvèrent inondées , quelques - unes
à la hauteur des pieds . Heureufement il n'y a
péri perfonne , quelques habitans ayant fecouru avec
beaucoup d'intrépidité & d'in elligence les femmes
les enfans , les vieillards & les malades . Vingt- cinq
ou trente maisons ont été renversées , plufieurs autres..
S
X 37 )
ont été endommagées. Une quantité confidérable
d'effets , de denrées & de provifions , a été perdue
ou avariée. M. d'Aine , Intendant de la province ,
a veillé d'abord au rétabliſſement des communications
, & a donné des ordres pour qu'on conftatât
les dommages fupportés par les particuliers , afin
de leur procurer les foulagemens & les fecours néceffaires
.
Des lettres de Bergerac , du 12 Mars , nous apprennent
que les campagnes ayant beaucoup fouffert
des pluies continuelles qui ont défolé ce pays pendant
fix mois , & ces pluies s'étant augmentées depuis
trois femaines par un vent violent du fudoucft
, la ville fituée dans une vafte plaine , & ayant
fes murs arrofés par la Dordogne , avoit redouté
de fe voir fubmergée , lorfque le 6 de ce mois
on apperçut des arbres , des débris , des meubles .
une immenfe quantité de merrein , & c. portés fur
les eaux qui croifoient à vue d'oeil . Les arches du
pont élevé de
so pieds du niveau ordinaire des eaux ,
long de 90 toifes , conftruit de toute ancienneté ,
le feul qui fût fur le cours de cette rivière , & conféquemment
de la plus grande importance pour le
pailage des troupes & pour la communication de
commerce des provinces voifines feptentrionales
avec les méridionales , furent bientôt engorgées ,
& le pont lui-même difparut fous les flors qui le
furmontèrent. Le 7 au foir , la moitié de la ville
fut fubmergée , & les maifons abandonnées. A neuf
heures de la même ſoirée , une ſecouſſe terrible
annonça le malheur qu'on redoutoit le plus ; le pont
fut renverfé . Vers minuit , le décroiffement s'annonça
, continua heureufement . Plufieurs maifons
qui bordcient la rivière le font éboulées , & beaucoup
d'autres auront dans peu le même fort . Ce
qui pénètre la ville de la plus forte douleur , c'eft
la crainte que les décombres immenfes du pont ne
foient un obftacle difficile à vaincre pour la navigation
des bateaux & pour le commerce . Les nou(
38 )
velles qu'on reçoit des campagnes voisines ne font
pas moins affligeantes , les villages détruits , les
terres enfablées , les beftiaux péris , les récoltes enlevées
, les ponts 1ompus ; tel elt l'effrayant tableau
qui s'offre de tous les côtés.
>
M. Vidal dont nous avons annoncé
plufieurs fois les talens & l'activité , vient
de groffir fon fond d'une nouvelle Eftampé
très-agréable. Elle repréfente quatre femmes
s'amusant à fc baigner & à fe balancer dans
un payfage folitaire , & dans un bofquet qui
dérobe leurs jeux à tous les témoins indifcrets.
La corde qui forme la balançoire eft
attachée à deux arbres qui bordent le ruiffeau
où elles prennent le bain , & defcend
fur la furface de l'eau. L'une y eft affife ,
une feconde imprime le mouvement à la
balançoire ; & les deux autres placées derrière
font prêtes à la feconder. Rien de plus
frais , de plus pittorefque que ce paysage ;
rien de plus intéreffant que les figures , &
de plus gracieux que leurs différentes attitudes.
Le tableau eft de M. Lavrinfe , Peintre
du Roi de Suède , dont le pinceau est tourjours
flatteur , agréable & galant. Le burin
de M. Vilal femble s'être furpaffé dans cette
nouvelle gravure , qui fait la dixième de
la faite des Baigneufes , & qui n'eft pas la
moins piquante & la moins précieufe de
cette jolie collection (1 ) .
( 1 ) Cette Eftampe qui a pour titre la Balançoire myfié--
ricule , fe trouve chez M. Vidal , rue des Noyers ; fon prix
eft de liv. , comme chacune de celles qui compofeat la
fuite des Baigneufes..
( 39 )
Les numeros fortis au tirage de la lo
terie royale de France du 1er. de ce mois ,
font , 33 , 66 , 88 , 28 & 62 .
De BRUXELLES le 1er. Avril.
ر
ON apprend d'Oftende que plufieurs familles
Hollandoifes qui s'y étoient établies
pour commercer , fe difpofent à retourner
dans leur patrie , ce qui va réduire le commerce
de ce port à l'état où il étoit avant
la guerre. La plupart des magaſins ſont déja
vuides , & les propriétaires ont reçu le congé
de ceux qui les avoient pris à location ; ces
propriétaires qui avoient fait les frais de leur
conftruction , vont effuyer des pertes d'autant
plus fenfibles , qu'il y avoit moins de
tems qu'ils ufoient de cette reffource . Quantité
de navires qui faifoient voile de ce port
pour les côtes d'Angleterre , ne prendront
plus cette route , & ont reçu ordre de fe
rendre dans leurs ports refpectifs en Hollande
, dont les commerçans feront déformais
leurs expéditions au grand détriment
de la rade d'Oftende.
L'affaire de la nomination aux emplois
dans la ville d'Utrecht , eft terminée d'une
manière fatisfaifante pour cette ville ; le
Stadhouder lui-même fentant la justice de
la demande qui en avoit été faite , y a déféré
par une lettre adreffée au Magiftrat le
6 du mois dernier. En conféquence les Emplois
ne feront plus donnés qu'à des per
fonnes nées dans la Ville ou dans la Province
, & qui auront payé deux ans la taille.
( 40 )
La Province d'Utrecht , ajoutent les lettres de
Hollande , femble deftinée à donner des exemples de
courage & de patriotifme. On fait actuellement que
les Etats de cette Province ont , à l'égard du dern.er
Mémoire du Roi de Pruffe , réfolu d'écrire à leurs
Commiffaires à la Généralité , & de les autorifer à
concourir avec les autres Confédérés afin que S. M.
foit le plutôt poffible défabulée d'une manière amicale
& décente , mais convenable auffi à lindépendance
de l'Etat .
On ignore encore où en font les négociations
de paix entre la République & la
Grande Bretagne ; il eft vraisemblable que
l'état du Ministère en Angleterre eft ce qui
retarde la fignature des préliminaires , &
qu'elle fera faite peu de tems après que le
nouveau Ministère fera formé. On fait que
la Hollande infifte fur la reftitution de Trinquemale
& de Negapatnam ; le premier article
ne fouffrira guère de difficultés , à préfent
que les Anglois ne font plus maîtres de cette
place , dont les François fe font emparé. On
peut juger de l'importance de ces poffeffions
par le Mémoire fuivant , préfenté aux Etats-
Généraux par les Directeurs de la Compagnie
des Indes.
» L'Aſſemblée de V. H. P. ne peut ignorer que
les Directeurs de la Compagnie orientale , chaque
fois qu'ils ont fait rapport à L. H. P. de la fituation
dés affaires aux Indes Hollandoifes , ont repréſenté
de la maniere la plus preffante l'embarras extrême
de la Compagnie pour mettre , ou pour entretenir
fes poffeffions dans l'état de défenſe , où elles devraient
être pour réfister à une attaque hoftile. L.
H. P. fe rappellent , fans doute , que les Directeurs
leur out fans ceffe donné connoifanse de la morta(
41 )
lité qui ravageoit fans relâche Batavia , malgré les
efforts actifs de l'Adminiſtration des Indes , pour
mettre des bornes à cette épidémie. Cette circonf
tance fi malheureufe pour la Compagnie s'eft encore
trouvée accompagnée d'une autre , non moins pernicieufe
dans les fuites : depuis quelques années confécutives
la Compagnie , dans fes enrôlemens de matelots
& de foldats , a été réduite à lutter contre
une difette de monde , dont les regiftres ne fourniffent
aucun autre exemple , & qu'il étoit impoffible
de furmonter , quoiqu'on n'épargnât aucuns frais ,
pour attirer , foit du fein de la République , foit de
l'Etranger , des gens à fon fervice. De cette rareté
de monde , eft néceffairement réſulté un fort grand
retard dans l'expédition des vaiffeaux de la Compagnie
, de même que dans l'envoi des ſecours fi né◄
ceffaires pour les poffeffions orientales . Ce qui , joint
aux maladies & à la mortalité qui ravagent fans ceffe
la place capitale , força les Directeurs de déclarer à
V. H. P. , que la Compagnie ne fe trouvoit plus en
état de fournir elle-même les moyens requis pour
couvrir , & mettre en sûreté toutes fes propriétés ,
fes droits & fes poffeffions contre des entreprifes
hoftiles. Lorfqu'en 1780 , L. N. & G. P. de Hollande
& de Weftfiife , jugèrent convenable de márquer
, par leur miffive du premier Juillet de la même
année , à la Chambre Préfidiale de la Compagnie
des Indes orientales , qu'elle devoit , après une communication
préalable avec les autres Chambres , expoſer
le plutôt poffible à L. N. & G. P. la fituation
des défenfes où le trouvoient alors les établiſſemens
de la Compagnie des Indes orientales ; en y ajoutant
fes propres confidérations fur la maniere dont ces
établiſſemens pourroient être mis dans un état de
défenſe convenable : ladite Chambre eut l'honneur
de faire parvenir à L. N. & G. P. une réponſe , qui
quoique conçue avec cette circonſpection que la délicateffe
des objets y contenus , & particuliérement ,
les occurrences momentanées exigeoient , faifoit
( 42 )
voir d'une maniere palpable , que les établiſſemens
de la Compagnie n'étoient pas tous dans un état à ſe
flatter de pouvoir oppofer la réfiftance nécetiaire à
une Puiffance exercée à la guerre , ayant déjà des
forces fupérieures dans l'Inde , & qui avoit précisé .
ment en fon pouvoir une fuffifante abondance de
ces moyens , dont , fuivant ce qui eft allégué cideffus
, la Compagnie étoit fi dénuée. Les follicitu
des dont les Directeurs étoient remplis fur le fort
des différe tes poffeffions de la Compagnie , monterent
au comb'e , quand peu de mois après la demande
& ' a remife de l'a is fuſmentionné , la rupture entre
la Couronne de la G. B. & l'Etat éclara ; la erfpective
devint même de plus en plus lugubre , par la nouvelle
fatale que quelques vaiffeaux de la Compagnie
avoient été pris par l'ennemi . Les affurances que M.
le Duc de la Vauguyon , Ambaſſadear de S. M. T. C.
auprès de ce te République , volur bien donner
d'une maniere très obligeante à quelques membres
de la direction , des facilités que la Compagnie pourroit
trouver en France , pour procurer l'affiſtance
néceffaire a fes poffeffions dans les Indes , décidèrent
les Directeurs à envoyer deux députés à Paris .
(La fuite l'Ordinaire prochain. )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 25 Mars.
Le Lord Howe & le Capitaine Levefon Gower *
font parvenus à appaifer l'efprit de fédition qui s'étoit
manifelté parmi les matelors à Portſmouth.
Il y a eu un foulèvement dans le Comté de Stafford
près de Newcastle , relativement à la cherté des
denrées.
Il s'eft établi en Irlande , près de Limerick , une
manufacture de falpêtre , dont on efpère tirer beau .
coup d'avantage par le moyen des Allemands qui
doivent la diriger.
La garnifon de Gibraltar doit être entiérement
renouvellée dans le cours de l'été , mais on ne fait
point encore lenom du régiment deftiné à la remplacer,
( 43 )
Une lettre de Liverpool , en date du 13 Mars
annonce la perte du Comte Belgioiofo , navise de la
Compagnie des Indes . On craint , ajoute cette lettre,
que tout l'équipage compolé de 147 hommes n'ait
péri. Ce vaiffeau , l'un des plus richement chargés
qui ait jamais appareillé de ce port , n'avoit pas
moins de 130,000 piafties à bord , outre une grande
quantité de marchandifes en balles , du gin-feng pour
une fomme conſidérable , & 300 tonnes de plomb.
On croit que la partie de la cargaiſon qui ne flottera:
point , le trouve à une trop grande profondeur pour
qu'on puifle la retirer de la mer.
L'efcadre qu'on compte envoyer en ſtation for la
côte d'Afrique , fera compofée d'un vauleau de 44
canons , d'une frégate , de deux floops & d'un cutter,
fans compter quelques íchooners pour la navigation:
des petites rivieres.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
PARLEMENT DE PARIS , GRAND CHAMBRE .
Oppofition à un mariage. Le fieur Tirel
Maître Maçon , jouit d'une fortune honnête , qui ne
fera partagée qu'entre deux enfans , dont l'aîné eft
déja marié , le fecond , âgé de 26 ans , eft Piqueur
de bâtimens avec 1200 liv. d'appointemens . Il recherche
en mariage une Demoiselle O*** , fille
d'un Commis à 800 liv. d'appcintemens , & qui m'a
( di -on ) d'autres reffources que de faire à fes heures
perdues des copies , comme Écrivain.
-
Le fieur Tirel père n'a pas trouvé ce pari avantageux
, & a refulé fon confentement au mariage.
Son fi's l'a fait affigner en main levée d'oppofition.
Sentence de main - levée prononcée au Châtelet .
Appel de la Sentence par le père.. Arrêt du 26.
Février 1783 , qui continue la Caufe à 3 mois ,
dépens réfervés .
-
--
COUR DES AIDES DE PARIS. Arrêt du 17 de
ce mois , qui infirme une Sentence du Siége des
Traites de Laval , laquelle avoit confacré la por(
44 )
ception faite au Bureau de la Gravelle , d'ane fomme
de 93 liv. 16 fols 8 den. pour les droits de forties
& de traites par terre perçus pour une harpe de Nadermann
, envoyée de Paris à Rennes à M. le Comte
de Robien , Syndic & Procureur Général des Etats
de Bretagne émendant , conformément au tarif
de 1664 , pour le droit de forție , & à celui de 163 2
pour le droit des traites par terre , réduit les droits
à 3 liv . 15 fols : ordonne la reftitution du furplus
avec intérêts & dépens.
- PARLEMENT DE BRETAGNE. Affinité du fecond
genre abrégé en ligne directe ; l'on peut épou
fer la veuve de fon beau-pere. Paul Vidal &
Jeanne Vigne fa femme eurent un fils nommé Paul
Vidal , Maître Serrurier , comme fon beau-père ,
dans la ville de Nantes. Paul Vidal père mourut :
Jeanne Vigné , la veuve , épouſa en fecondes noces
Jean - Baptifte Vaillant , qui , étant devenu veuf, cut
pour feconde famme Anaftafe Thibeuf. Celle - ci
étant morte , Jean Baptifte Vaillant , bean père de
Paul Vidal , épouía en troisièmes noces Jeanne-
Marie Dagfoui. Après la mort de Vaillant ,
Marie Daufoui , fa veuve , a été recherchée par
Paul Vidal , fils de Paul Vidal & de Jeanne Vigné
c'est -à-dire , qu'il a voulu époufer la veuve de fon
beau-père . Le Curé a refufé de bénir leur mariage.
L'Evêque de Nantes n'a pas voulu autotifer le Curé ,
& a auffi refufé les difpenfes d'affinité du fecond
genre. Requête en la Cour , répondre , d'un
viennent pour plaider. Arrêt définitif , le 17 Juil
let 1782 , qui a permis de paffer outre à la célébration
du mariage , & a enjoint au Curé d'adminiftrer
la bénédiction nuptiale.
BAILLIAGE DE.... Caufe entre un Médecin &
les fieur & dame de*** →→→→ Le premier compte
rendu de la conteftation dont il eft ici queftion ,
n'étoit pas exact celui - ci le rectifie . La demande
du Médecin étoit à fin de condamnation ,'
d'une fomme de 2456 liv. 5 fols , favoir : 600 liv.
( 45 )
pour les caufes portées dans un billet reconnu
1856 liv. S fol. pour 1666 vifites à raison de Isf
chacune , faite par lui chez les fieur & dame de ***,
depuis le mois de Juillet 1672 jufqu'en 1782 ; plus ,
3421. pour 114 vifites , à 3 liv . chacune , faites à la
inaifon de campagne defdits fieur & dame de ***
depuis 1775 jufqu'en 1782 ; plus , 36 liv. pour
2 vifites & tranfports dudit Médecin à la maifon
de campagne des feur & dame de *** , à raiſon
de 18 liv . par chaque transport ; plus , 192 livres
pour avoir accompagné fa malade à Paris pendant
huit jours , pour confulter les Médecins , à raiſon
de 24 liv. par jour ; plus , 36 liv. pour , étant luimême
à Paris pour les affaires , avoir accompagné
ladire dame chez les Médecins ; il a conclu aux
intérêts du jour de la demande & aux dépens , aux
offres de diminuer fur le prix de différens objets
que les fieur & dame de *** lui avoient cédés .
Pour défenfes à la demande du Médecin , offres
réelles de la part des fieur. & dame de *** de la
fomme de 600 liv. contenue au billet caufé pour
argent prêté. A l'égard du furplus , ils ont prétendu
qu'il étoit non- recevable dans fa demande ; que
d'après un compte fait avec le Médecin , on avoit
foldé avec lui , en lui payant 300 liv. après une
maladie grave que la dame de *** avcit eue. Que
depuis cette époque , elle n'avoit été obligée à aucun
régime ; que les vifites faites depuis n'avoient été
faites qu'à titre d'ami ; qu'on l'avoit prévenu alors
qu'on ne vouloit plus de vifites de Médecin : qu'il
avoit répondu n'entendre les faire qu'à titre d'ami :
qu'au furplus , les confeils par lui donnés par occa
fion , avoient été plus que payés par les différens
effets qui lui avoient été remis à titre de don , &
defquels il offroit la déduction. Que les voyages
par lui faits à Paris avec la dame de *** ne l'avoient
été que pour les affaires , plaifir & agrément
, & que ledit Médecin n'avoit accompagné
Ladite dame de *** que comme ami. Les fieur &
( 46 )
-
,
dame de *** offroient d'ailleurs leur affirmation
fur tous ces faits. - Dans ces circonftances , Sentence
qui condamne les feur & dame de *** à payer ,
fuivant leurs offres , 600 liv. , montant du billet ,
pour argent prêté . Sur le furpius de la demande du
Médecin , renvoie les fiear & dame de *** , de la
demande contr'eux formée , en affirmant par eux
les faits conteaus dans leur défenfe : condamne le
Médecin à la moitié des dépens & compenſe
l'autre moitié. - L'affirmation a été faite par les
fieur & dame de *** fur tous ces objets , avec cette
reftrict on cependant que le mari convenoit avoir
engagé le Médecin à accompagner la femme dans
fon voyage à Paris , pour confulter d'autres Mé-
Cette partie de l'affirmation a occafionné
une nouvelle Sentence du 6 Septembre 1782 , qui ,
d'après cet aveu a condamné les fieur & dame
de *** à payer au Médecin 70 liv . pour honoraires
arbitrés à ladite fomme , relativement aux circonltances
, & a compenfé tous les dépens . Le furplus
de la première Sentence du 23 Août précédent ,
fortiffant fon plein & entier effer.
decins .
-

N. R. La Gazette des Tribunaux paroît depuis le mois de
Décembre 1775 , & n'a jamais fouffert d'interruption. L'avis
que l'on en donne aujourd'hui eft deftiné à répondre aux infinuations
de quelques perfonnes , qui ont tâché de faire entendre
dans des catalogues de Livres qu'elles étoient proprié
taires de ladite Gazette . Cela n'eft point . M. Mars
Avocat, en a feul le privilége , & l'on ne foufcrit nulle
part ailleurs que chez lui , rue & hôtel Serpente; prix de la
foufcription pour une année 15 liv.
PARLEMENT DE PARIS , ( Cauſe extraite du Jour",
nal des Caufes Célèbres ( 1 ) ) . Femme mariée à un
(1 ) On fouferit pour ce Journal intéreffant chez M. des
Effarts , Avocat , rue Dauphine , Hôtel de Mouy , qui nous
a lui-même fourni l'extrait de cette caufe , & chez Mérigot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins . Le prix de l'abonnement
eft de 18 liv. pour Paris & de 14 liv. pour la Pro
vince.
( 47 )
fecond mari pendant l'abfence du premier cru
mort & qui reparoit au bout de vingt ans.
Les caufes célèbres préfentent fouvent des évènemens
autfi extraordinaires que les productions de
Fimagination. Quelquefois même , on accuferoit les
Romanciers d'invraisemblance , s'ils ofoient , pour
augmenter l'intérêt de la fiction , employer des incidens
auffi bifarres que ceux que l'on trouve dans
plufieurs caufes célèbres . Parmi les circonftances qui
étonnent , il n'en eft point qui furprennent davaa.
tages que la réfurrection d'un homme qu'on croyoit
mort depuis long-tems. Ua pareil évènement dérange
ordinairement bien des projets . Si c'est un
parent , fes héritiers ne fe voyent pas fans peine
obligés de lui reftituer les biens . Si c'eſt un masi dont
la femme s'eft confolée dans les bras d'un nouvel
époux , il eft peu , il faut en convenir , il n'y a pas de
fituation plus embarraffante que celle de cette femme ;
car elle n'ignore pas que fon fecond mariage eft nul
aux yeux des Loix , & qu'elle eft obligée de quitter
fon dernier mari pour partager la couche nuptiale du
premier. Quel parti peut- elle prendre ? céder a la néceffité
& fuivre l'exemple de la femme dont nous allons
raconter l'hiftoire en peu de mots . Le fieur Martinet,
fix mois après fon mariage , pallé en pays étranger
; Marguerite Marolles , fon époufe , fe retire
chez fes père & mère à Antony,
Sur la foi d'un
acte qui paroiffoit conftarer le décès du fieur Martielle
contracte , trois ans après fon départ , un
nouveau mariage avec le fieur Nollet , & fe conftitue
2000 liv . en dot . Un fits naît de leur union , & eft
bap ifé comme leur fils légitime. Leur communauté
s'entichit , ils acquièrent une maifon à Dreux moyennant
2400 liv. qu'ils paient comptant , & 45 liv . de
rente foncière. Un mobilier confidérable garnit cette
maiſon. Bientôt ils en acquièrent une autre pour
1200 liv, & 75 liv , de rente . Cette feconde acquifition
eft fuivie de celle de plufieurs pièces de vigne.
Ils deviennent fermiers de la commanderie de Dreux ,
net ,
G
--
( 48 )
dont ils rendent 30,000 liv. par année. Marguerite
Marolles voit augmenter , de jour en jour , la for
tune & fon commerce. Sa mere fe démet , en fa faveur
, d'une maiſon fituée à Antony. Elle partage ,
en 1773 , ſa ſucceffion , & recueille , pour fa portion
, 2320 liv . Après vingt ans d'abfence arrive &
paroît le fieur Martinet , fon premier mari. Il ferme
les yeux fur le paffé & reprend fon épouse . Le ficur
Nollet , prétendu mari de Marguerite Marolles ,
interjette alors appel de fon mariage avec elle , & de-
-mande que l'on rompe juridiquement des noeuds qui
n'exiftoient plus depuis le retour de Marguerite Ma
rolles avec fon véritable époux. Le fieur Martiner
adhéra à cet appel , & s'en rapporta à la prudence
de la cour d'ordonner ce qu'elle jugeroit à propos
fur le fort de l'enfant né de ce mariage fi abufif. La
bonne foi de fa mere lui procuroit un état , il demandoit
que le fieur Nollet fût tenu de le retirer
chez lui , de pourvoir à ſa ſubſiſtance & à fon entretient.
Tous ces objets ne pouvoient faire aucune dif
ficulté ni entre les parties , ni devant la Juſtice . Par
Arrêt du 24 Janvier 1777 , conforme aux conclufions
de M. Seguier , Avocat général , le fecond mariage
de Marguerite Marolles avec le fieur Nollet ,
a été déclaré nul & abufif : & néanmoins , vu, la
bonne foi des parties , l'enfant iflu de ce prétendu
mariage a été déclaré légitime & habile à fuccéder
à fes pere & mere , & parens tant parernels que maternels
, Martinet & fa femme ont été déboutés de
leur demande en entérinement des lettres de reſciſion
par eux prifes contre l'acte de partage & liquidation,
L'Arrêt en a ordonné l'exécution , & il a été ordonné
que mention feroit faite de l'Arrêt tant fur les regiftres
des actes de célébration de mariage de la Paroifle
de Ville-Juif, que fur les regiftres déposés au Greffe
du Châtelet : permis en conféquence au fieur Nollet
de fe marier avec qui il jugera à propos ; & il lui a été
donné acte de ce qu'il reprenoit fon fils Nollet ; pour
en avoir foin & l'élever fuivant fon état & fa fortune!
'JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Février:
E Sultan s'eft rendu ces jours derniers
à Tophana , où il y a une fonderie de
canons ; il y donna lui - mêine des ordres
pour en fondre le plus promptement pofli
ble 200 de différens calibres.
Les travaux de l'arfenal fufpendus pendant
quelque tems ont repris une nouvelle
activité ; leur objet eft d'équiper une flotte
deſtinée , dit- on , à réprimer les infolences
des corfaires qui infeftent les mers de la
domination Ottomane ; il y a peu de tems
qu'un bâtiment de cette efpèce , dont l'équipage
étoit compofé d'Albanois & d'Algériens
, a donné chaffe à un navire Ruffe
qui ne lui a échappé qu'en ſe réfugiant
fous le fort de Smyrne.
Le Muffelin ou Gouverneur de certe dernière
ville , a été arrêté , & conduit chargé
de fers dans cette Capitale , par ordre de
S. H. On ignore encore fon véritable crime .
12 Avril 1783*
C
}
1
( 50 )
S'il faut en croire le bruit public , il a fait
pendre un Sujet Ruffe accufé de quelques
délits , & n'en a pas donné préalablement au
Gouvernement l'avis que les circonstances
actuelles rendoient très - néceffaire.
Le Prince Alexandre-Ypfilanti , ci- devant
Hofpodar de Valachie , qui avoit été relégué
il y a cinq mois dans l'ifle de Rhodès ,
& dont on avoit annoncé enfuite fauffement
la mort , vient d'être rappellé avec fes
enfans.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 9 Mars.
LE Tribunal fuprême , que S. M. préfide
en perfonne chaque fois qu'il commence fes
féances de l'année , a été ouvert le 6 de
ce mois avec les formalités & les cérémonies
accoutumées. On a appellé une caufe ,
qui a été plaidée , & fur laquelle le Roi a
prononcé le Jugement.
Il eft forti dernièrement du Sund plufieurs
bâtimens Danois , qui font rentrés dans la
mer du Nord ; il y en a dans le nombre
cinq qui font deſtinés pour les Indes occidentales.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 16 Mars.
On parle depuis quelques jours d'un nouveau
projet de voyage de l'Empereur , mais
( 51.).
on ignore quel en eſt l'objet , ni de quel
côté il prendra fa route.
On dit qu'il fera formé au mois de Mai ,
dans les environs de Peft , un camp compofé
de 13 Régimens d'Infanterie Hongroife , 14
d'Infanterie Allemande , 8 bataillons de .
Grenadiers , 6 Régimens de Cavalerie , 4
de Dragons & 3 de Huffards.
>
On affure que le bâtiment Autrichien
le Comte de Cobentzel , qui devoit faire le
tour du monde , ne fera pas un fi long
voyage , & fe bornera à aller aux Indes
orientales & en Chine.
" Le Grand-Duc , écrit - on de Florence , a adreffé ,
le 4 du mois dernier , des lettres circulaires aux
Evêques du Grand- Duché de Tofcane par lesquelles
il leur eft enjoint de notifier aux Curés , dont la portion
congrue eft portée à 80 fcudis , qu'ils ne pourront
plus prendre aucune dixme ; mais ceux dont le
revenu eft au- deffous de cette fomme continueront
de la percevoir par des gens commis à cet effet , jufqu'à
ce qu'on ait trouvé d'autres moyens d'y fuppléer
«.
La Communauté des Luthériens de cette
Ville vient d'acheter un des Couvens de
Religieufes qui ont été fupprimés ; ils fe
propofent d'en confacrer l'Eg'ife à leur
culte ; mais comme elle eft trop petite pour
le nombre qu'ils forment , ils l'agrandiront
de partie des autres bâtimens.
L'Edit de l'Empereur concernant les mariages
dans fes Etats , eft de la teneur
fuivante.
C 2
( 52 )
Les mariages & leur influence fur le bien- être de
chaque famille & tur celui de l'Etat , étant un objet
important pour une légiſlation attentive au bonheur
des sujets , & ayant reconnu la confufion des loix qui
les règlent , nous avons jugé à propos d'établir , en
vertu de la plénitude de notre pouvoir fouverain
des principes plus exacts fur la validité & l'invalidité
du ma iage confidéré dans les effets civils , & de
fixer fous quels rapports la légitimité ou l'illégiti
mité des enfans doit être appréciée : 1 °. Le mariage
confidéré comme contrat civil , & les droits & obligations
réciproques qui en proviennent , n'obtenant
leur eilence , leur force obligatoire & leur détermination
que par les loix émanées de notre pouvoir
fouverain , la décifion des conteftations élevées à ce
fujet appartient par conféquent aux Tribunaux que
nous avons établi . 20. Tous ceux de no fujets qui
ne font pas déclarés incapables pour cet acte par les
articles fuivans , peuvent contracter des mariages :
(1) Les mineurs ne le pourront , à moins qu'ils n'en
aient obtenu le confentement de leur pere , ou à fon
défaut du grand- pere du côté paternel . Si cependant
il arrivoit que le pere ou le grand- pere refufât fon
confentement , nous permettons aux enfans , ou à la
partie avec laquelle on veut empêcher le mariage ,
ainfi qu'à fon pere ou au tuteur , lorsqu'ils auront
requis à plufieurs reprifes & inutilement ce confentement
, de fe pourvoir au Tribunal compétent. →→
Les Juges ayant entendu les Parties & trouvé les
raifons de refus folides , le ratifieront ; fi elles font
infuffifantes , ils effayeront d'abord d'engager amiablement
les oppofans à confentir au mariage , &
leur accorderont même un délai pour le décider ;
fi cela ne produifoit aucun effet , ils fuppléeront d'office
à ce confentement , & le mariage contracté dans
ces circonftances fera parfaitement valable & ne
portera aucun préjudice aux enfans qui en naîtront,
-
Mais dans le cas où des mineurs contracteroient
( 53 )
fans le confentement du pere ou du grand- pere , ou
fans s'être adreflés an Tribunal compétent ou même
fur le refus de la Juſtice , ce mariage fera abfolu
ment nul. S'il arrivoit que le Tribunal compétent
eût nommé du vivant du pere ou du grand - pere
paternel un tuteur à leurs enfans , foit que cette nomination
eût été faite à cauſe de leur refus de tutèle ,
foit qu'elle fût devenue néceffaire par d'autres circonftances
, les enfans , qui voudront fe marier , feront
tenus de requérir auffi le confentement du tuteur,
indépendamment de celui du pere ou du grand-
Fere ; fi le pere ou le grand-pere & le tuteur difféicient
d'opinion fur le confentement au mariage , le
Tribunal en connoîtra & décidera. Les mineurs
n'ayant plus ni pere ni grand- pere paternel , ne pourront
pas fe marier fans le confentement de leurs tuteurs
ou curateurs ; mais outre ce confentement , ils
feront encore obligés d'obtenir la permiffion de la
Juftice , dans le cas où le tuteur refuſeroit de confentir
au mariage & de s'adreffer à ce ſujet au Tribunal
chargé des affaires de tutèle : il féra libre aux
mineurs Ou leurs chargés de procuration de porter
leur affaire devant ce Tribunal , lequel après avoir
entendu le tuteur , décidera ce qu'il trouvera conforme
à la juftice. ( 2 ) Les mariages entre nos fujets
qui profeffent la religion chrétienne & ceux qui ne
font pas de cette religion , feront nuls & de nul effet .
( 3 ) Un homme marié ou une femme marite , ne
pourront contracter un fecond mariage , tant que le
premier fubfifte , fous peine de nullité . En conféquence
, quand des perfones déjà mariées une fois
voudront le remarier , elles feront tenues de juftifier
valablement la mort du premier conjoint , à moins
qu'elle ne foit généralement notoire dans l'endroit
où le fecond mariage fera contracté . ( 4) Le mariage
entre parens en ligne droite ou ligne afcendante &
defcendante , ne pourra jamais avoir lieu ; & en ligne
collatérale les mariages fuivans feront défendus , fa-
*
C2
( 54 )
voir , entre les freres & les foeurs , entre le frere &
la file de fon freie ou de fa foeur , ou entre la four
& le fils de fon fiere ou de fa foeur & entre coufinsgermains.
Cette défenfe s'étendra fans diftinction fut
les freres & foeurs germains , & fur les freres & foeurs
ayant feulement le
pere commun ou la meie commune
, & encore fur les mêmes degrés de parenté
provenant d'une liaiſon illé itime. ( ) Le mariage
eatre les plus proches alliés fera auffi prohibé , c'eſtà-
dire , le mari ne pourra pas fe marier avec les parentes
de fa femme défunte défignées dans l'article
précédent , & vice verfâ la feinme. Si cependant il
fe préfentoit dans l'un ou dans l'autre cas des raifons
importantes pour faire un mariage entre des perfonnes
que la parenté ou l'alliance empêche de s'unir
maritalement , le cas nous fera rapporté préalablement
, & lorfque nous aurons donné notre permiffion
, on pourra s'adreffer ultérieurement au Tribu.
nal excléfiaftique . Mais les parens ou les alliés ,
dont nous n'avons pas défend le mariage par le
préfent Edit , pourront s'adrefler fimplement pour
la conclufion de leur mariage à leur Evêque diocéfain
. ( 6 ) Celui qui aura enlevé une femme d'une
maniere violente , ne pourra pas fe marier avec elle
valablement , à moins que la femme , lorfqu'elle
fera hors des mains du rapteur , ne confente au mariage.
(La fuite l'Ordinaire prochain . )
De HAMBOURG , le 19 Mars.
LES mouvemens tantôt fufpendus , tantôt
repris dans le Nord , ramènent fans
ceffe l'attention des Spéculatifs fur l'orage
qui femble s'y former , & que l'on croyoit
diffipé .
» Les Turcs , écrit- on de Temefwar , s'occupent à
ajouter aux fortifications de Belgrade ; ils les garnif(
55 ).
fent de plufieurs rangs de paliffades ; ils font cuire
plufieurs milliers d'eka de bifcuit pour les troupes,
& le Bacha a donné ordre d'augmenter les vivres de
cette fortereffe. Le Bacha , qui eſt Gentſch Méhémed ,
a été élevé , par le Grand- Seigneur , à la dignité de
Beglierbey de Romélie . On fait qu'il y deux Beglierbeys
en Afie , & que cette dignité n'a été conférée
en Europe que lorfqu'on avoit lieu d'appréhender la
guerre «.

·
- On fe flatte cependant qu'on l'évitera ;
& cela eft vraisemblable , fi , comme on
le dit le Grand Seigneur eft décidé à
accorder aux Ruffes la liberté de la navigation
fur la Mer Noire , le tranſport libre
des grains par le détroit de Conftantinople ,
un traitement plus équitable aux Hofpodars
de Walachie , de Moldavie , & à ne plus
fe mêler des affaires de la Crimée.
3
Nous espérons, écrit - on de Vienne, qu'il n'y aura
point de rupture entre notre Cour & celle de Conftan
tinople ; mais il eft certain qu'il n'y a encore rien de
décidé , & que les négociations font toujours continuées.
Comme il eft impoffible de prévoir quelle en
fera l'iffue , la Cour Impériale continue de prendre ,
far les frontières , toutes les mefures propres à agir
avec efficacité dans le cas où fes demandes feroient
rejetées. Les dépenfes qu'on a faites dans cette vue
font très-conſidérables ; mais il faut efpérer qu'elles
nous procureront, outre la navigation libre furtout le
Danube & la mer Noire , Belgrade & les diſtricts qui
faifoient autrefois partie du Royaume de Hongrie. -
On affure que dès que le traité définitif fera figné entre
la France & l'Angleterre , il viendra ici un Envoyé
Américain, & la Cour Impériale enverra un Réfident
auprès du Congrès . On nomme déja le Baron de Kinmayer
pour cette miffion «,
C 4
( 56 )
Les mêmes lettres contiennent les détails
fuivans fur l'Ambaffadeur de Maroc.
» Ce Miniftre étant inalade il y a quelques jours ,
M. de Storck , premier Médecin de l'Empereur , alla
le voir ; il le trouva couché fur le plancher , entouré
de plufieurs de fes gens dans la même attitude , l'Iman
debout , écrivant quelques mots fur un morceau
de papier , le jettant enfuite dans un brâfier ,
& en dirigeant la fumée fur le patient ; les gens de
fa fuite pleurant autour de lui fembloient pfalmodier
quelque priète. M. de Storck fit fortir tout le
monde à l'exception du malade & de l'interprète ;
après une petite converfation avec ce dernier , il
vit que le mal de l'Ambaffadeur n'étoit qu'une indigeftion
dont il le débarraffa promptement. Le 1er.
Cuifinier de ce Miniftre vient de mourir ; on l'avoit
préparé à ce paffage d'une manière au moins étrange.
Un des fous- Cuifiniers , à l'aide d'un tuyau de pipe ,
lui fouffloit dans les oreilles , tandis que l'Iman , avec
un autre inftrument , en faifoit autant fur les yeux ,
ce fut au milieu de ces cérémonies bifarres que le
patient rendit l'eſprit « .
-
On apprend de Dantzick que les débordemens
de Conftad , du Nogat & de la Zodaun
, ont occafionné dans les environs
des dégats confidérables. Beaucoup de perfonnes
& un grand nombre de beftiaux ont
péri dans l'eau .
On mande de Felb , dans le Voigtland ,
qu'on y éprouva dans le mois dernier diverfes
fecouffes de tremblement de terre , qui
cependant n'ont caufé aucun dommage.
Les premières fecouffes fe firent fentir le
18 entre minuit & une heure ; & les dernières
le 25 , entre 7 & 8 heures du foir;
leur direction étoit du fud- oueft.
( 57 )
ITALI E.
De LIVOURNE , le 12 Mars.
EN CONSÉQUENCE d'un ordre fuprême , le
Secrétaire du Gouvernement vient d'envoyer
une lettre circulaire à tous les Evêques du
Grand Duché , portant défenfe de faire aucune
quête en argent ou en nature , pour
quelque caufe que ce foit , tant dans les Eglifes
, qu'au-dehors , à la Ville ou à la campagne.
On n'excepte que les quêtes qui fe font
pour la fubfiftance du Chapelain , là où
elles font établies , celles pour les Pauvres
& les Ordres mendians , qui ne jouiffent
d'aucun bien , & celles pour les Hopitaux .
Les lettres de Naples font du 8 de ce
mois , & contiennent les détails fuivans.
La terre ne s'efl point encore raffermie , & l'on
continue d'éprouver dans la Calabre ultérieure , des
fecouffes dont les effets fe prolongent très - avant
dans la province ultérieure . M. de Pignatelli écrit de
Monteleone , où il eft refté , que le 23 du mois paffé ,
elles avoient été fi fortes , qu'on avoit quitté ce jour
les baraques pour le loger fous des tentes. Ces
alarmes réitérées nuifent aux difpofitions que l'on
voudroit prendre pour remédier aux premiers maux.
Le Duc de Monteleone qui avoit été porter des fecours
à fes vaffaux , s'eft vu obligé de pourvoir à
fa propre fûreté , & eft revenu malgré lui à Naples ,
pourfuivi par le tremblement de terre . Cette Ville
même n'eft pas tout-à-fait exempte de commotions :
dans la nuit du 28 Février au premier de ce mois
il
y eut des fecouffes affez fenfibles pour réveiller
le quart des habitans. L'ébranlement fat beaucoup
( 58 )
plus confidérable à San Germano près du Mont-
Caffin , fur les frontieres de l'Abbruze . Le Véſuve
a fait beaucoup de bruit , & ceux qui habitent La
moyenne région ont pu remarquer , malgré les
nuages qui le couvrent depuis quelque tems , qu'il
fortoit de fon cratère , une colonne de fumée noire
& épaiffe , lancée avec une grande force. La même
chofe arriva il y a près de trois ans quelques jours
après les premiers tremblemens de terre de Mefline
& la derniere éruption de l'Etna ; ce qui femble appuyer
le fentiment de ceux qui croyent à la communication
fouterreine des volcans d'Italie. — On
a dreſſé l'état ſuivant des Villes & Villages qui ont
foufferts du tremblement de terre dans la Calabre
ultérieure & du nombre des morts.
Monteleone endommagé ,
Noa , Cafale de Monteleone , détruits ,
· Calabro ,
Paravali ,
S.- Calagero ,
Galimero ,
Idem .
· id. ·
id.
id.

-
Morts
&
· • I
• 26
S.- Pietro de Miletto id. >
Comparmi ,
id.
Rofarno ,
Drofi ,
id.
Santa Criſtina id.
Rizzocani id.
2
Cofoletta ( 1 ) , id.
id.

35
I
I
. 21

30
• 47
900
70
200
Sitizzano , ·
id. 250
Lubrico id. 100 >
Aquara di Sinopoli ,
id. 300
La Madalena di Sinopoli , id. 600
O, ido ,
id. 2500
Seminara , id. • 3600
Palmi ,
id. · •
4000
(1) Toute la famille de ce Prince a péri.
( 59 )
S. -Procopio ,
Pedicale ,
id.
id.
Palagoria,
Ciro ,
S. -Giorgio
Vanopoli
Torfilico ,
Caftelluccio ,

Serranova ,
Morts.
· • " 900
• 300
id. 600
id.
150
id. 200
id.
300
id. 900
· id. · • 130
id. 2000
TOTAL des morts • 26470
A Bagnara , Scilla , Saint Eufemia de Sinopoli
Radicina , S. Martino , Paleſtina , Cinquefrondi ,
St -Giorgio , Anoja , Laureano , Carida , Pizzo &
d'autres lieux , comme auffi Reggio & la ville de
Meffine , on ne fait pas encore le nombre des morts.
---
Dans le territoire de Cofoleto , une très -valte
plaine d'oliviers s'eft abaiffée d'environ 300 palmes ,
formant une vallée de précipices .-Dans le territoire
de Sitizzano , un autre vafte territoire s'eft uni avec
celui de Cofoleto , prenant la place du fleuve dit le
Sirizzano , de maniere qu'actuellement l'on voit audelà
des deux monts unis , une mer. Il en eft arrivé
de même dans le territoire de Sinopoli & Cofoleto
, où un autre fleuve forme aujourd'hui le
même afpect. La montagne fous Sinopoli le
vieux fe détachant de fon premier centre a écroulé
par une vallée baffe d'environ un mille & demi .
Dans le territoire de Cofolero , une maifon de Campagne
fituée dans un lieu bas , fe trouve toure entière
à deux portées de fufil fur une partie plus élevée . Milet
a été détruit . De Monteleone jufqu'à Reggio , on
voit à chaque pas des ouvertures de terre. Reggio &
d'autres lieux de fa dépendance , font auffi ruinés
mais l'on ne connoît pas encore le nombre des morts.
Soriano détruit , ainfi que Sorianello & le Moniſtero
& d'autres lieux ,
-
1
c 6
( 60 )
ANGLETERRE.
+
De LONDRES , le 1er. Avril.
Les nouvelles de l'Amérique feptentrio
nale nous manquent toujours ; comme il
ne s'y paffe rien d'intéreffant , elles excitent
moins Ittention & i curiofité du public .
Il paroit que la feule occupation du Générl
Car.eton eft actuellement de ramener nos
troupes de ces con rées ; & on prétend que
ce n'eft pas la plus fa ile On allure que les
Heff is refufent tous de revenir en Europe
& qu'ils font déterminés à refter en Amérique
, à demander des afyles & des terres
au Congrès , & à ne plus s'expofer à fe
voir vendre encore pour entreprendre des
conquers fur des peuples qui ne les ont
point offenfés. Les avis qui contiennent ces
détails , ajoutent que tous les Officiers fubalternes
ont joint les Soldats , & qu'ils ont
pris également la réfolution de s'incorporer
à la Nation qu'ils étoient venu combattre.
Les autres nouvelles que nous avons ſe réduifert
à peu de chofe ; elles annoncent
d'un côté que les bâtimens qui avoient
apparel dernièrement de Waterford pour
Terre Neuve , étoient tous arrivés heureufement
à leur deftination .
On a appris d'un autre côté par un bâtiment
venant d'Hallifax , que plufieurs
familles de Loval : ftes parties de New-Yorck
& d'autres endroits de l'Amérique , étoient
arrivées dans cette Place.
( 61 )
Elles comptent s'établir dans la nouvelle
Ecoffe , où l'on doit leur accorder des
terreins qu'elles cultiveront . Quelques- unes
font déja occupées à équiper des bâtimens
pour les pêcheries ; & on fe Aatte que
l'activité de ces nouveaux Colons fera
fleurir dans peu d'années le commerce d'Hallifax.
Il paroît que le Gouvernement a des
vues pour fortifier cette Place , & en former
un chantier , qui fera toujours tenu dans le
meilleur état poffible ; on le conjecture dumoins
depuis qu'on a vu embarquer ici
fur deux vaiffeaux , une grande quantité de
munitions navales , qui doivent y être tranf
portées .
Quant aux Ifles , nous n'en avons aucumes
nouvelles ; depuis le 26 du mois dernier
, il n'en eft point arrivé de l'Amiral
Pigot. S'il faut en croire le rapport d'un
bâtiment Danois venant des Indes occidentales
, il a rencontré l'Ardent, de 64 canons,
faifant route pour Antigues , après s'être féparé
de la flotte de la Jamaïque ; comme le
tems étoit alors très orageux , & que l'Ardent
étoit dans le plus mauvais état , le bâtiinent
Danois marcha de conferve avec lui ,
pour être à portée de lui donner quelques
fecours , fi la tempête fe calmoit ; mais
comme l'ouragan augmenta encore pendant
la nuit , que l'Ardent tira plufieurs coups
de détreffe , & que le bâtiment Dnois ne le
revit point le lendemain ; il eft bien à craindre
que ce vaiffeau n'ait péri. On ignore le
( 62 )
fort de la moitié des bâtimens de cette
flotte de la Jamaïque , à laquelle l'Ardent
fervoit d'escorte.
Malgré les clameurs qui s'élèvent fans
ceffe contre la paix , les , adreffes des différens
Corps au Roi , pour le remercier de
l'avoir conclue , fe multiplient . Celui des
Négocians intéreffés dans le commerce
d Amérique en arrêta une ces jours derniers
pour cet objet. Dans la même Affemblée
où il prit cette réfolution , il arrêta de
nommer un Comité de 24 perfonnes pour
prendre en confidération les règlemens qu'il
convient de dreffer pour le rétabliffement
du commerce entre les fujets de la Grande-
Bretagne & ceux des Etats -Unis de l'Amé .
rique.
Parmi les adreffes préfentées à cette occafion
, on doit diftinguer celle des Quakers ,
on fait que les Membres de cette fecte , reftant
dans ce qu'ils appellent la fimplicité
primitive & littérale de l'Evangile , ne font
jamais de ferment , ne vont jamais à la
guerre qu'ils regardent comme l'attentat le
plus contraire aux loix du Chriftianifme
& qu'ils ne fe fervent jamais en parlant à
qui que foit du mot vous. Leur adreffe
moins fleurie que les autres , vaut peutêtre
infiniment mieux ; elle eft elle eft conçue
ainfi :
Les principes pacifiques du Chriftianifme , qui
tendent à avancer la félicité temporelle & éternelle
de tout le genre humain , rendent l'évènement de
( 63 )
la paix fpécialement agréable pour nous , tes trèsfideles
fujets , le peuple appellé Quakers ; & nous
nous réjouitfons de ce que , comme père de ton
peuple , ton efprit eft foulagé de la douloureuſe
inquiétude qu'a dû te caufer fa deſtruction ou ſa
détreffe ; car lorfque nous réfléchiffons fur les effroyables
calamités , & la grande effufion du fang
humain , toujours inféparable de la continuation de
la guerre , nous déplorons grièvement qu'aucuns
de ceux qui profeffent la Religion Chrétienne perfévèrent
dans une pratique fi incompatible avec les
doctrines du Chrift , le Prince de la paix . Nous
efpérons néanmoins , que par les difpofitions de la
fageffe divine , il viendra un tems où une nation
ne tirera pas l'épée contre une autre , & n'apprec
dra plus à faire la guerre. L'ardent defir de nos
coeurs eft que le zèle dont l'objet eft de décourager
le vice , l'immoralité , la diffipation , & de
faire fleurir la vertu qui élève une nation , puiffe s'étendre
& s'accroître parmi les habitans de tes domaines.
Pénétrés des fentimens de reconnoiffance
à raifon des priviléges religieux dont nous jouiffons
fous ton Gouvernement , & fincèrement attachés par
devoir & affection à ta perfonne & ta famille , notre
fervente prière eft que le bras du Tout-Puiffant établiffe
ton trône fur des fondemens de vertu & de
paix.
Sams
Les révoltes fe multiplient dans différens
endroits de ce Royaume ; elles font montées
à un tel point , que le Gouvernement inftruit
que des gens mal intentionnés avoient
fait circuler le 26 des billets dans la vue
d'exciter une fédition , fit doubler la garde
à St-James , & raffembla des troupes dans
la plaine de St- George qui étoit le rendezvous
indiqué aux féditieux. Le Lord Maire
prit également des mefures pour faire avos(
64 )
ter ce complot ; mais heureufement l'émeute
dont on étoit menacé n'eut point licu . C'eft
dans diverfes provinces qu'elles ont été
très-vives.
--
Un corps de féditieux , au nombre d'environ
3000 , s'affembla près de Neucaſtle il y a quelques
jours , & y commit divers excès , pillant les marchés
& les bateaux chargés de farine , de fromage
& d'autres provifions La milice fut appellée ; mais
au lieu d'obéir à fes Commandans , elle mit bas les
armes ; les principaux habitans fe formèrent en
corps , mais ne purent parvenir à diffiper les mutins ,
dont le nombre augmentoit continuel'ement.
Dans les environs d Yorckshire , il y a eu auffi un
foulèvement. La caufe de ces émeutes eft le prix
exceffif des beds & des autres denrées de première
néceffité . Le niême mécontentement a régné auffi fur
les vaiffeaux , ce que l'on attribue au défaut du
paiement des équipages . Auffi a-t- on fait dans nos
papiers le tableau fuivant de l'état actuel de ce pays .
-Grandes difputes pour parvenir à un emploi. -
Pauvres mécontens par la difette du pain.
telots prêts à fe fonlever. Soldats mécontens .
Au- dehors aucun ami. Au - dedans de faux patriotes.
Accroiffement du luxe & des impôts .
Décadence du Commerce & de la Navigation.
La Grande- Bretagne devenue la Petite- Bretagne.
Ma-
---
Les mêmes défordres ne fe font pas bornés
à cette ile ; on les a vus fe manifefter dans
celle de Guernefey. Une lettre du 24 de ce
mois en donne les détails fuivans.
Le 104e. Régiment en garnison au fort George ,
ayant tiré à baile fur fes officiers , y a été invefti le
20 , par le Lieutenant Gouverneur Irving , à la tête
du 18e. Régiment de milice avec de l'artillerie . Après
quelques pourparlers , dans lefquels les féditieux
curent l'audace de titer fur les hommes qu'on leur
( 65 )
envoyoit , ils fe foumirent enfin , & confentirent å
mettre bas les armes . Trente- fix des plus mutins ont
été arrêtés . Le Général Irving a eu 2 foldats & un
officier bletlés.- Comme la compagnie des Grena- ---
diers étoit en quartier ailleurs
compofoient que cinq cents hommes.

les féditieux ne
Le Général Conway , Gouverneur des
Jerfey , qui fe rendit le 26 chez le Roi ,
eut un long entretien avec S. M. , relativement
aux défordres commis dernièrement
par les troupes. On prétend qu'ils ont été
caufés par le refus qui leur a été fait de
les licencier. Le lendemain le Général Conway
expédia à Jerſey un Exprès chargé d'inf
tructions pour le Commandant des troupes.
Le 26 de ce mois , le Comte de Ludlow , qui
avoit été chargé de préfenter au Roi l'adreffe de
la Chambre des Communes , arrêtée d'après la mction
de M. Coke , pour fupplier S. M. de fe hâter
de donner au peuple une Adminiftration qui înératât
fa confiance , informa la Chambre que S. M. avoit
reçu cette adreffe , & qu'elle avoit répondu que
dans tous les tems , elle feroit heureule de pouvoir
acquiefcer aux defirs de fes Communes . - Le Lord
Surrey déclara alors que fi l'Adminiſtration n'étoit
point formée avant le 30 , il feroit une motion
tendante à nommer un Comité , pour rechercher
quelle étoit la caufe d'un fi long délai , parce qu'il
étoit important que le public connût d'où provenoit
la faute. Le Lord North répliqua que , d'après
la réponse du Roi , il n'y avoit pas lieu de
douter que cette affaire ne fût arrangée avant le jour
où le Lord Surrey fe propofoit de faire la motion.
Après quelques difcours pour & contre cet
objet , le Comte Ferrers fit entendre qu'il fe propofoit
de préfenter inceffamment au Parlement un
bill , pour avoir toujours claflés 40,000 matelots
www
-
( 66 )
.
1
de bonne volonté , depuis l'âge de 16 jufqu'à 40
ans , & dont la paye fera de 18 fchelins par mois ,
tant que leurs noms feront portés fur les états.
De cette manière , le Roi pourroit équiper en z
ou 4 mois , 120 vaiſſeaux « .
- 00
-- Le
Qu'en
eût des
Le 31 le Lord Surrey avant de faire la motion qu'il
avoir annoncée , demanda au Chancelier de l'Echiquier
fi l'Adminiftration étoit formée du au moins
fur le point de l'être . M. Pitt , au lieu de répondre
directement à la queftion qui lui avoit été faite , informa
la Chambre qu'il s'étoit démis le jour même
de la place de Chancelier de l'Echiquier. Quant à la
queftion du Lord Surrey , ajouta til , il m'eft abfo.
lument impoffible de lui apprendre fi l'Adminiſtration
eft formée ou fi elle ne l'eft point ; mais je fuis perfuadé
d'après le gracieux meffage de S. M. en réponfe
à l'adrefle qui lui a été préfentée lundi dernier,
que toute motion relative à la formation du Miniftere
eft entiérement inutile en ce moment.
Lord Surrey fit alors la motion fuivante.
tems confidérable s'étant écoulé fans qu'il y
Minifties refponfables de la geftion des affaires publiques
, l'entremife de la Chambre dans cette crife
alarmante), étoit devente néceflaire « . Il allégua à
l'appui de fa motion qu'il y avoit des règlemens à
faire relatifs à l'armée , d'autres , relatifs au commerce
; qu'il y avoit d'ailleurs quelques points d'in
térêt national à arranger avec les Puiflances étrangeres
; que la Compagnie des Indes fe trouvoit dans
une pofition alarmante ; que dans peu de jours il y
auroit environ un million à verfer à la Banque , &
qu'il n'y avoit point de Chancelier de l'Echiquier
pour terminer cette affaire. Toutes ces circonftances
, dit-il , doivent faire fentir à la Chambre combien
il eft indifpenfable qu'il y ait une Adminiſtration.
Quel que foit le fort de ma motion , je déclare que
je fuis prêt à fouſcrire à la décifion de la Chambre ,
n'ayant d'autre objet en vue que le bien public. - M.
1679ད་
Pitt , le Lord North & M. Cavendish s'étant oppofés
à cette motion , fur le fondement qu'elle étoit conçue
dans des termes trop durs , le Lord Surrey la retira ,
mais il propofa auffi-tôt une adreffe portant en fubftance
: Qu'il foit préfenté une humble adreffe au Roi ,
pour lui témoigner combien fes fidèles Communes
font fenfibles aux gracieufes intentions exprimées
dans le Meffage de S. M. du 26 du préfent. Que
la Chambre pleine de confiance dans la bonté paternelle
du Roi , pénétrée de refpect pour fa fageffe
Royale repréfente de nouveau à S. M. qu'il
eft abfolument néceffaire de former au plutôt une
adminiftration ; que tout délai , dans une affaire de
cette importance , tend à affoiblir l'autorité de fon
gouvernement : autorité à laquelle la Chambre eft
fermement réfolue de donner un appui efficace & conftitutionnel
. Que la confiance des Puiflances étrangères,
peut être affoiblie par le manque des moyens , qui fervent
à entretenir une communication conftante avec
elles ; que l'exécution définitive des traités , que cet
arrangement important . & fi décifif pour le com.
merce & la politique de la G. B. , dont la dernière
révolution nous oblige de nous occuper ; que
fommes à pourvoir pour les dépenses énormes , &
les articles de fervices importants ; que la réduc
tion convenable des forces & dépenfes d'un nouvel
établiffement ; que l'établiſſement du crédit national
& l'état critique où le trouve la Compagnie des
Indes ; que tous ces objets & d'autres d'une égale
importance , requièrent chacun en particulier , &
beaucoup plus par leur réunion , qu'il foit établi
une Adminiſtration effective & refponfable formée
par des principes de force & de ftabilité , & appro
priée à l'état des affaires de S. M. , tant au - dedans
qu'au dehors. La Chambre réitère avec la plus
humble foumiffion fa demande à S. M. , pour qu'il
lui plaife de prendre à cet effet les mesures qu'elle
jngera le plus convenables , & de mettre fin à l'an-
·
les
( 68 )
xiété & aux alarmes de fes fidèles fujets. - Ilý
eut enfuite des débats très - vifs , non pas directement
au fujet de cette adreffe , mais plutôt fur la
coalition . Après de longs difcours de part & d'autres
, ou les interlocuteurs répétèrent & fouvent dans
les mêmes termes , ce qui avoit déja été dit dans
ceux auxquels la motion de M. Coke avoit donné
lieu , on revint enfin à l'adreffe propofée par le Lord
Surrey. Celui- ci à la demande de M. Fox & de
la plupart des Membres de la Chambre , confentit
à retirer la motion , mais feulement fur l'aſſurance
qu'on lui donnoit , que l'arrangement pour le nouveau
Ministère , étoit fur le peint d'être définitive
ment terminé , & il ajouta que dans le cas contraire
, il renouvelleroit certainement ſa motion le
2 ou le 3 au plus tard .
Les dividendes de la Compagnie des
Indes montant à un million & demi ſterl .
feront payables dans cinq à fix jours ; ainfi
le fecours immédiat du Parlement devient
indifpenfable pour foutenir le crédit de
cette Compagnie qui joue un fi grand rôle
dans le commerce . Ses affaires dans l'Inde
font toujous très précaires ; les nouvelles
qu'on a publiées nous apprennent qu'il y
a eu un combat le 3 Septembre ; mais pendant
qu'on nous dit que nous avons eu
l'avantage , on nous apprend en même-rems
que les ennemis font maîtres de Trinquemale
& que nous fommes chaffés de nos
conquêtes dans l'ifle de Ceylan .
Il s'eft tenu le 26 une aſſemblée générale des Actionnaires
de la Compagnie des Indes . M. Robert
Fletcher , qui préfidoit , informa les actionnaires que ,
depuis la derniere affemblée , les Directeurs evo ent
reçu quelques avis de Baffora. Ces avis annonçoient
( 69 )
que l'Eſcadre Françoife étoit arrivée à Trinquemale ,
& que le Chevalier Edouard Hughes l'a oit forcée
après un rude combat livré le 3 Septembre , de fe
réfugier dans le port de cette place . Cette lettre
ajoute qu'on avoit perdu tout efpoir de conclure la
paix avec les Marattes , & qu'un corps confidérable
de leurs troupes devoit fe rendre inceffamment dans
le Goncau. L'affemblée fe préparoit à difcuter d'autres
affaires lorfque le Major Scott fe leva , & adreflant
la parole au Préfident , lui dit : que le bruit général
à Londres étoit qu'on avoit reçu avis depuis peu que
la paix avec les Marattes avoit été ratifiée le 3 Juin ,
& il demanda fi ce bruit étoit fondé : le Préfident répondic
que les Directeurs n'avoient point reçu de
lettre de Bombay , que la lettre dont on venoit de
faire la lecture , étoit une lettre de M. de la Touche
à Baffora , mais que M. Gregori avoit envoyé aux
Directeurs l'extrait d'une lettre qu'il avoit reçue du
Chevalier Villiam Hornby , gouverneur de Bombay,
en date du 23 Septembre , & qu'il en feroit fait lecture
fi l'affemblée le jugeoit à propos . On entendit
crier de toute part , lifez , lifez. Le clerc lut cette
lettre qui annoncoit que le Chevalier R. Bickerton
étoit arrivé les Septembre , qu'après s'être approvi
fionné de munitions de toute efpece , il étoit allé
joindre , le 17 , le Chevalier Edouard Hughes. Cette
lettre contenoit en outre une relation du combat li
vré le 6 Juillet , dans lequel , au rapport de M. Horn,
by, les Anglois avoient ce une avantage décidé . Il y
eft enfuite queftion du traité de paix , figné par Madajeo
, Syndic , & M. Anderſon , lequel avoit été ratifié
à Calcutta , le 3 Juin , mais ne l'avoit pas encore
été à Poonah , parce qu'il reftoit encore quelques
points à arranger avec Hyder- Aly.
و
le L'état des affaires en Angleterre
manque de Miniftres qui dure depuis fi
long- tems a fait craindre à l'Irlande d'en
éprouver quelque influence. Ce Royaume
( 70 )
eft fort attaché au Vice- Roi actuel , le Lord
Temple ; & le Corps de Ville de Dublin
lui en a donné une nouvelle preuve par
une adreffe très flatteufe dans laquelle il lui
expofoit la crainte qu'on avoit de le perdre.
Selon toutes les lettres les fentimens des
Irlandois ne fe bornent pas à de vaines
expreffions ; ils parlent d'ériger à leur Vice-
Roi une ftatue à la bourfe ; & cet hommage
, quand il reſteroit en projet & qu'il
ne feroit point exécuté , eft toujours trèsflatteur
pour celui qui en eft l'objet .
ל כ
-
»Nous allons perdre notre Vice- Roi , lit- on dans
une lettre de Dublin. Le Lord Temple a donné déja
les ordres pour les préparatifs de fon départ qui eſt
très-prochain , & que nous voyons avec regret. Ce
Lord fera remplacé par le Duc de Richmond ou le
Duc de Leinfter. Le Parlement de ce Royaume
qui avoit été prorogé au 25 de ce mois , l'a été de
nouveau au 6 Mai prochain. Le 13 Mars , la
Charming - Betty a appareillé de ce port pour Philadelphie
, avec une riche cargaifon de marchandifes
manufacturées dans ce Royaume. Il y avoir à bord
un nombre confidérable de paffagers . En général ,
l'efprit d'émigration eft beaucoup plus répandu qu'on
ne l'avoit d'abord imaginé , & les différens ports de
ce Royaume font remplis de perfonnes prêtes à
s'embarquer pour l'Amérique.
Un nommé James Villon , Marinier , qui dit
avoir fervi fur le vaiffeau la Ville-de- Paris , a été
examiné au Bureau de Sir Thomas Pye , à Portl
mouth : il a déclaré qu'il étoit à bord de ce vaiffeau
lorfqu'il s'eft enfoncé. La relation de cet homme
de mer eft qu'il s'étoit attaché à un débris de ce
vaiffeau , fur lequel il avoit été porté juſqu'à ce
( 71 )
qu'un bâtiment marchand Danois , allant de Saint-
Thomas à Oftende , l'ait recueilli. Le Maître de ce
navire a vu comme lui ce vaiffeau périr ; mais le
nommé Vilſon a déclaré que fon effroi avoit été
fi grand au moment de fa diſparition , qu'il ne pouvoit
le rappeller aucune des circonftances de ce mal.
heur. Il fe fouvient feulement que la veille il avoit
vu le Glorieux s'enfoncer de même . Il a ajouté qu'il
étoit dans un tel état de foibleffe lorſqu'il paffa fur
le bâtiment Danois , qu'à peine étoit- il capable du
moindre mouvement , & qu'ayant été defcendu par
ce navire au Havre- de- Grace , il avoit été conduit
àl'Hopital, où il avoit été traité très- humainement ;
qu'il avoit été interrogé par le Commandant de la
Place & le principal Officier de la Police , qui avoient
fait paffer la déclaration au Roi de France ; & qu'enfin
fa fanté s'étant rétablie , il lui avoit été permis
de revenir dans fa patrie fur un vaiſſeau Ruſſe arrivé
à Spithéad.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 8 Avril.
Le 30 du mois , MM. Lullier de Château-
Vieux & de Vigier , Maréchaux-de- Camp ,
nommés aux régimens Suiffes d'Albonne &
de Waldner , vacans par la mort de leurs Colonels
, eurent l'honneur de faire leurs remerciemens
à S. M.
Le même jour LL. MM. & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Marquis de Durfort- Leobard , Sous-Lieutenant
dans les Gardes-du-Corps du Roi , avec
Mademoiſelle Guyon de Fremont.
Le Roi a nommé à l'Abbaye régulière
( 72 )
Avefnes , Ordre de St - Benoît , Diocèle
d'Arras , la Dame de Villers-au Tertre , Religieufe
Profeffe & Prieure de la mêine
Abbaye.
M. Mentelle , Hiftoriographe de Monfeigneur
le Comte d'Artois eut l'honneur
de préfenter à la Reine , le 25 du mois
dernier , la feconde livraiſon de fon Atlas
nouveau , contenant 14 Cartes ( 1 ) .
De PARIS, le 8 Avril.
LA corvette qui a apporté les dépêches
de l'Inde a mouillé à Cadix ; elle étoit
partie de Trinquemale le 24 Septembre
dernier , & avoit touché à l'ifle de France
& au Cap de Bonne Efpérance. M. de
Suffren devoit remettre en mer peu de jours
après le départ de cet avifo ; trois de fes
vaiffeaux , fur- tout , avoient eu beſoin de
réparations.
On ne peut donner trop d'éloges , à la
bonne conduite , à la fermeté & à la bra-,
voure de ce Général. Il a eu befsin de.
toutes ces qualités dans une campagne auffi
(1) On connoit les talens de M. Mentelle , les lumières
qu'il a répandues fur la Géographie , l'importance , la beauté
des cartes qui compofert fon Atlas , & les foins qu'il donne àleur
perfection. Il en a déja paru 26. La foufcription pour cet
Ouvrage n'eft point encore ferme ; il faut s'adreffer à l'Auteur
, à Paris , rue de Seine , près le Notaire , Fauxbourg St-
Germain,
longue ,
( 73 )
longue , auffi laborieuſe , auffi active que
celle qu'il fait dans l'Inde cù il a livré
quatre combats , pris 5 bâtimens appartenans
au Roi d'Angleterre , trois à la Compagnie
& beaucoup de particuliers .
· Le convoi de Syrie , écrit-on de Marſeille , attendi
par le commerce avec impatience , eft arrivé ,
fous l'efcorte de la frégate de S. M. l'Aurore. Une
partie des navires qui le compofoient mouillent actuellement
à Pomegué . Ce convoi a fait plufieurs
relâches , & quelques bâtimens s'en étoient féparés ;
un d'eux eft refte à Limafo , fafant une voie d'eau
& un autre à Corron. On fignaloit ce convoi lorfqu'on
apprit que celui de Tunis arrivoit , fous l'efcorte
de la frégate du Roi la Flore , comman dée
par M. de Montgrand , Capitaine de vailleau ; il
étoit compofé de 34 bâtimens de commerce , dont
un chargé de vivres pour le compte du Roi.
Nous avons des lettres du camp de St-
Roch en date du 11 Mars où l'on lit les
détails fuivans .
40 canons
Malgré la fignature des préliminaires de paix dont
nous étions inftruits depuis long-tems , notre fituation
devant Gibraltar étoit toujours la même ; & le Général
Anglois ne changeant rien non plus à fes difpofitions
, faifoit paroître la même vigilance que nous.
Enfin her une frégate de fa nation de
mouilla dans la baie , & fans doute elle lui apporta
l'ordre de fufpendre les hoftilités , puifque les deux
Généraux convinrent hier au foir d'avoir aujourd'hui
une entrevue en dehors des lignes près la
porte de terre. Le tems ayant été fort mauvais dans
la matinée & paroiffant devoir durer , le Duc de
Crillon a fait propofer au Général Elliot par un de
Les Aides-de- Camp , de renvoyer l'entrevue à demain.
12 Avril 1783. d
( 74
Le Général Anglois y a non- feulement confenti ;
mais afin que rien ne puffe plus y apporter obstacle ,
il a offert de venir demain dîner à St-Roch chez
notre Général , qui a reçu cette propofition avec une
fort grande joie . Ainfi la réconciliation fe fera demain
le verre à la main . Le dîner fera nombreux , le Général
Elliot devaut amener fes principaux Officiers.
Nous avons vu paffer cet après- midi la divifion
de Toulon , confiftant en 14 ou 15 gros vaiffeaux &
quantité de tranfports. As heures cette flotte étoit
en entier dans la Méditerranée. Il ventoit grand
frais & le vent étoit bon .
---
Selon des lettres de Breft , le Diadême ,
commandé par M. de Vidal , arriva dans
ce port le 30 du mois dernier avec beaucoup
de malades à bord. La petite Henriette
mouilla auffi la nuit du 30 au 31. Suivant
le rapport de ces deux bâtimens , l'efcadre
commandée par M. de la Motte- Piquet
& ayant fous fa conduite un convoi affez
confidérable , ne peut tarder d'arriver fi le
vent continue d'être favorable.
On dit que l'été prochain il y aura près
de Nancy un camp qui fera d'environ
30,000 hommes , & que Mgr. le Comte
d'Arrois qui fe propofe de faire un voyage
en Flandre & dans les Pays-Bas , prendra
cette route à fon retour & s'arrêtera à ce
camp.
Le 7 du mois dernier , écrit- on de Tulles en Limofin
, à onze heures du matin , au milieu d'une groffe
pluie, un vent impétueux s'éleva, & fut fuivi d'un coup
de tonnerre. Le Château de Montaignac , dont l'éten
dus eft confidérable, fut frappé dans prefque toutes
( 75 )
-
fes parties ; la foudre en parcourut tous les apparte
mens , brifa plufieurs poutres , renverfa les meubles ,
enfonça les planchers , tandis que l'ouragan enlevoit
les toits d'une groffe tour , d'une plus petite & d'un
grand corps de logis. Les murailles de cet ancien
bâtiment qui ont 8 à 9 pieds d'épaiffeur , ont
été renversées dans quelques parties , & ont perdu
leur à- plomb dans d'autres . Un côté d'une grande
tour carrée s'eft écroulé , & ailleurs elle s'eſt ouverte
dans un de fes angles depuis le fommet jufqu'à la
bafe ; ce château ne préfente plus qu'un monceau de
ruines. La Marquife de Gain Montaignac , fes bellesfoeurs
, la Baronne de Foufac , fa fille & fon gendre ,
qui étoient alors difperfés dans différens appartemens
, fe lont trouvés enveloppés de fumée & de
vapeurs fulphureufes , fans éprouver aucun fâcheux
accident. Il n'y a eu que l'Aumônier du Château &
trois domeftiques qui aient été légèrement bleffés.
Le 6 du mois dernier , on a éprouvé
dans l'Angoumois une fecouffe de tremblement
de terre qui dura deux fecondes , dans
P'étendue de la terre & ville de la Valette
& dans celle de la Rocheboncourt , dont'
le Château qui appartient au Comte de
Bearn , premier Ecuyer de Madame Victoire
, a perdu fon a-plomb de 3 pouces.
» Parmi les défaftres publics qui intéreſſent l'humanité
, écrit-on de Cahors , le débordement des
eaux de la rivière du Lot mérite d'occuper une
place dans l'hiftoire des catastrophes finiftres , cau .
fées par un élément fougueux , auquel rien ne
réfifte. Cette rivière , qui prend fa fource dans les
Cévenes , groffie par une fonte de neiges ramaſfées
pendant l'hiver pluvieux de cette année furles
montagnes qui la bordent , a fubmergé entiè
rement toutes les plaines qui y font contigües .
Cette inondation défaftreufe s'eft fait fentir plus
d 2
( 76 )
vivement & plus particulièrement aux environs &
dans l'enceinte de cette Ville capitale de Quercy,
par la pofition para lèle au niveau du courant de la
sivière ; c'eft dans la nuit du 6 au 7 Mars , dont
les ténèbres augmentoient encore 1 horreur de ce
fpectacle de défolation générale , que la moitié de
cette Ville a été enfévelie fous les eaux. La rapi
dité de leur crue fut fi prodigieufe que dans douze
heures de temps elles s'élevèrent à 34 pieds audeffus
du niveau de leur lit ordinaire , fans y com
prendre la furface des campagnes fubmergées. Leur
élévation a furpaffé de plufieurs pieds celles marquées
par les plus anciens monumens des calamités
publiques de cette eſpèce . Les pertes & les dégradations
en tout genre qu'une pareille fubmertion
a occafionnées font inappréciables & ne tombent
pas fous les fens du Calculateur. Une quantité de
perfonnes a été noyée , plufieurs ont été étouffées
dans les bras du fommeil , d'autres ont été écrafées
par les ruines des maifons écroulées ; & celles
qui , placées entre la vie & la mort , ayant eu le
bonheur d'échapper à la fureur des flots , ont perdu
leurs meubles , effets & denrées , & fe trouvent
réduites à la plus grande mifère & livrées au plus
affreux défelpoir exprimé par des cris de douleur.
Les Magiftrats & M. de Nicolaï , Evêque de cet e
Ville , ont donné des marques de leur bienfaifance
par des aumônes publiques. -Ce théâtre d'horreurs
d'afflictions ne préfente de toutes parts à l'ail
confterné que des traces effrayantes d'un déluge def
tructeur , & du courroux de la Nature : ici des campagnes
fertiles ravagées ; les meilleures terres enleées
, recouvertes de monceaux de fable ; prefque
tous les arbres arrachés ne laiffent au Cultivateur
aucune efpérance pour plufieurs années , de venues
pea fufceptibles d'améliorations par les profonds
illonnemens des courans : là , des Eglifes dévaf(
47 )
tées , des Autels renverfés , des maifons & des gran
ges remplies de cailloux de toute efpèce , détruites
de fond en comble ; des moulins emportés jufqu'à
leurs fondemens. La filtration des eaux fait craindre
encore d'autres éboulemens : la majeure partie
de ces ruines & de ces débris flottans , images du
naufrage , en ont caufé de nouveaux par la force &
la rapidité des chocs , entraînant tout ce qui fe ren
controit dans leur paffage.
La navigation n'a pas moins fouffert ainfi que le
commerce par ce terrible fléau ; quantité de bateaux
chargés en bled , vins & charbon de pierres , ainfi
que d'autres denrées commerciales dépofées fur les
ports , ont été la proie des ondes.
<
Ce tableau de calamités & de mifère publique
feroit bien plus défefpérant pour l'avenir , dans le
rapport en paiement des impofitions , devenu im
poffible , fi l'on n'étoit afluré que fous un règne
aufli heureux que glorieux de bienfaiſance & de
juftice , le Gouvernement , toujours attentif aux
malheurs des Provinces , viendra au fecours de la
Province du Quercy & de la Capitale , & lui allégera
le fardeau de l'impôt «.
P. S. On ne peut en finiffant paffer fous filence le
pa rioti me d'un matelot , nommé Couder , qui ,
après avoir fauvé avec une barque de pêcheur plus
de 60 perfonnes , a été la malheureufe victime de fa
générofité , il a péri après avoir long-tems combattu
contre les flots . Si à Rome un Citoyen avoit droit
à une couronne civique , pour avoir fauvé la vie
d'un autre Citoyen , que de couronnes à la fois ,
entaffées fur la tête de l'iefortuné matelot , à qui
il est dû une célébrité auffi glorieuſe , mais plus
malheureufe que celle du matelot gratifié de St-
Malo. Les paiens qui ont donné le jour au mate-
It de Calors ont donc un droit bien fenti à la
Jeconnoillance publique.
Le court délai accordé pour la foufcription
ď z
778 )
du grand Ouvrage des Manoeuvres Militaires
de Potsdam , a occafionné diverfes plaintes
adreffées aux Editeurs ; les unes font fondées
fur les circonftances de la guerre , les autres
fur l'éloignement des curieux. La connoiffance
de cet important Ouvrage n'eſt parvenue
que depuis peu de tems dans le Nord .
Ils fe trouvent donc obligés de prolonger le
terme de cette foufcription , pour la France ,
jufqu'au 1 Jain prochain , & en faveur des
Etrangers , jufqu'au 1 Juillet prochain ; paffé
ce terme elle fera rigoureufement fermée
pour tout le monde (1 .
Selon un ufage confacré dans le Diocère de Limoges
, & dont on ne s'écarte jamais , les fiançailles
entre deux époux fe célébrent en face de l'Eglife.
Le 15 Janvier dernier , au moment où l'on
alloit procéder à une cérémonie de cette eſpèce ,
à Meyffac en Limoufin , le tonnerre tomba fur l'Eglife
Faroiffiale , & produifit cet accident au moins fingulier
; il emporta le bout du nez du Curé , & fit
difparoître de les mains le cierge & le.rituel qu'il
tenoit , fans qu'on en ait pu découvrir le moindre
veftige. Une partie des affiftans fut renversée de
frayeur , les autres prirent la fuite ; heureufement ,
cet évènement n'a pas eu de fuites plus funeftes.
M. de Launay , Graveur du Roi , vient
de publier une nouvelle Eftampe fous le
titre de la Fidélité conjugale , d'après Freu
deberg. Cette Eftampe eft du même format
que l'Heureufe Fécondité , le Bonheur du
Ménage , les Beignets & Dites donc , s'il
(1 ) On fouferit à Paris chez M. Méquignon l'aîné , Libraire,
rue des Cordeliers ; on paie 24 liv . d'arrhes en foufcrivant.
( 79. )
vous plaît , qu'il a déja publiées. Elle forme
la cinquième de cette collection précieuſe
qu'il a promis de porter à fix ( 1 ) .
M. Strange , Graveur du Roi , pénétré du fuccès
honorable que vient d'obtenir en France fon Eftampe
de Charles premier , & encouragé à de nouveaux
efforts , prévient le Public qu'il va s'occuper du
pendant de cette Eftampe ; le fujet aura pour la
France plus d'intérêt encore , en lui offrant l'image
de la fille d'un de fes plus grands Rois : Henriette
, fille d'Henri IV , tenant une jeune Princelle
entre les bras , & accompagnée du Roi & du duc
d Yorck . Ce tableau appartenant au Roi d'Angleterre
, eft un original de Van fick. Les perfonnes qui
s'intérefferont à ce nouvel Ouvrage , & defireront
fe ménager le choix des épreuves , pourront fe
faire iaferire chez MM . Bazan & Poignac , à Paris ,
rue Serpente ; Blaifot , Libraire , à Verfailles . On
ne leur demande aucune avance.
On connoît l'importance & l'utilité du
grand Ouvrage de l'Art de vérifier les dates
de l'Hiftoire moderne . Le favant Bénédictin
de la Congrégation de St-Maur à qui
on en doit la feconde édition , ne s'eft pas
laiffé éblouir par le fuccès qu'elle a obtenu
; plus févère envers lui que le Public ,
il a employé 13 ans à revoir entièrement.
cet Ouvrage , à faire difparoître le petit
nombre de fautes qui s'y étoient gliffées ,
à le remanier & à l'enrichir d'un grand
nombre d'articles nouveaux qui lui ont
(1 ) Toutes ces Eftampes fe trouvent chez M, Delaunay
rue de la Bucherie , N° . 26 On trouve auffi chez lui La Chaffe
au Tigre d'après M. Boucher , & La Chasse à l'Ours d'après
M. Carle Vanlo , gravées toutes deux par M. Flipart ,
Graveur du Roi ; le prix de chacune eſt de 3 liv.
d 4
( 80 )
paru néceffaires pour ne rien laiffer à défirer
dans l'exécution du plan qu'il s'étoit propofé.
Ce travail prodigieux l'a mis en état d'en
donner une nouvelle édition beaucoup plus
exacte & plus complette que les précédentes.
-
Elle contiendra 2 vol. in-folio d'environ 1000
pages chacun , dont la publication fera partagée en
cinq livraifons. La première , compofée de go feuilles
ou 360 pages , a paru le premier de ce meis , &
coûte 18 liv. La feconde paroîtra au premier
Décembre, prochain . La troifième au premier Août
1784 , la quatrième au premier Avril 1785 ; ces
quatre livraifons coûteront chacune le même prix ;
fa cinquième , qui fera de 120 feuilles , paroîtra au
premier Dicembre 1785 , & coûtera 24 liv. Si le
manuferit donnoit quelques feuilles de plus , on en
fixera le prix d'après les divifions ci-deffus . A l'époque
où l'on mettra en vente chaque livraiſon , le
prix de la précédente fera porté à 3 liv. de plus pour
ceux qui n'auront pas encore acquis , & la dernière
fubira également cerre augmentation 6 mois après
fa publication . C'eft un bénéfice de 15 liv. pour
ceux qui fe pourvoiront à tems . — On propole un
plus grand facrifice aux propriétaires de l'Edition de
1770 , qui achetteront la nouvelle d'ici au premier
Décembre prochain ; les 120 dernières feuilles leur
feront délivrées gratis , pour les dédommager du
déprix que va inceffamment éprouver celle de 1770.
On joindra à tous les exemplaires de la première
livraifon qui feront fournis d'ici au premier Décembre
prochain , une promeffe de délivrer gratis
la dernière , à toutes les perfonnes qui repréfenteront
cette promeffe , & un exemplaire de l'Edition
de 1770 ; on le leur remettra après y avoir fait aa
frontifpice une marque diftinctive. Les perfonnes
qui demeurent en Province , pourront envoyer
( 81 )
feulement le frontifpice de leur exemplaire franc de
port, & on le leur renverra fi elles l'exigent ( 1 ) . Il
réfelte de cet engagement & de l'ordre des divifions
qu'on a adopté , 1 ° . que l'acquifition de cet ouvrage
devient très facile pour le public qui n'aura qu'une
nodique fomme à donner à la fois . 2 ° . Qu'en acquérant
avant les époques du renchériffement , il jouira
d'un bénéfice de 15 liv. réparti fur les cinq divifions
qui complettent l'ouvrage ; 3 ° . que les poffeffeurs de
Edision de 1770 pourront jouir encore d'une modi
fication de 24 liv . , qui joints aux 15 ci - deſſus , forment
une diminution totale de 39. Ces avantages , que
le public n'obtient ordinairement qu'en failant les
avances d'une entrepriſe par la voie des foufcriptions ,
joint aux améliorations & aux augmentations confidérables
qui rendent cette nouvelle Edition infiniment
précieufe , ne permettent pas de douter qu'elle ne foit
accueillie avec tout l'empreffement qu'elle mérite.
M. la Porte , Libraire à Paris , rue des
Noyers , vient de mettre en vente la cinquième
livraifon des Cérémonies & Coutumes
Religieufes de tous les Peuples du
"Monde. Cette cinquième livraifon n'eft pas
moins foignée que les précédentes , & eft
peut-être encore plus curieufe. On fait que
Ouvrage entier doit être compofé en tout
(1 )Nous obferverons ici particulièrement , que ce n'eft qu'à
la cinquième livraison que les Propriétaires de l'édition de
1770 pourront repréfenter leur exemp'aire . Il leur eft inutile
de le faire plutôt , l'Editeur feroit forcé de les remettre à cette
époque . Quelques uns de ces Propriétaires regardent cette
cinquième livraifon comme un fupplément à l'édition de
1770. Ils fe trompent encore ; c'eft , on le répète , pour les
dédommager du déprix de cette édition de 1770 qu'on leur
fait une remife de 24 liv . fur l'acquifition de la nouvelle ; elle
fe trouve à Paris chez Jombert le jeune , Libraire pour l'Ar
tillerie & le Génie , rue Dauphine , où l'on délivre dans ce
moment la première livraifon,
d s
( 82 )
de 15 parties qui formeront autant de livraifons.
Le prix de la foufcription des 15
parties ou livraisons eft actuellement de
150 liv . broché , c'eſtà dire de 10 liv. par
chaque livraifon.
M. Rigel l'aîné vient de publier trois Sonates en
fymphonie pour le clavecin ou le forté- piano , que
nous nous empreffons d'annoncer . Elles font dignes
de l'Artifte diitingaé auquel on les doit , & dont le
public a accueil'i tones les productions . Ses talens
font au-deffus de nos éloges ; nous nous contenterons
d'obferver ici que cette nouvelle publication
étoit juftement defirée depuis long- tems . Les Sonates
qui en font l'objet , étoient connues déja de plufieurs
des meilleurs Maîtres , & des connoiffeurs les plus
éclairés & les plus délicats qui les avoient entendues
exécuter par des Ecolières de l'Auteur qui les leur
avoit données manufcrites. Nous ajouterons que M.
le Chevalier de Gluck pendant fon dernier ſéjour à
Paris , les ayant entendu exécuter par une Dame ,
très -habile clavecinifte , en fut fi enchanté , qu'il
endeman da copie à M. Rigel pour les faire connoître à
Vienne. Ce font ces mêmes pièces qui ont réuni les
fuffrages les plus flatteurs & les plus diftingués que
nous annonçons ( 1 ) .
Le fieur Thoumin , autorisé par Arrêts du Confeil
d'Etat du Roi , à faciliter la recherche des actes
paffés devant les Notaires anciens du Royaume ,
defirant rendre de plus en plus cet établiffement
ntile & abréger les recherches , propofe de joindre à
cette premiere connoiffance , celle de tous les cabi-
(1 ) Elles portent pour titre trois Sonates en Symphonie
Pour le clavecin ou le forté piano , avec accompagnement
de violons , deux cors & violoncelle ad libitum , dédiées à
M. le Marquis de Clermont d'Amboife , Ambaffadeur, du
Roi à la Cour de Naples , par M. H. J. Rigel. OEuvre XVI ;
prix 7 liv . 4 f A Paris , chez M. Rigel le jeune , rue neuve
St -Roch , la feconde porte cochère à gauche par la rue neuve
des Petits- Champs , & aux adrefies ordinaires.
( 83 )
1
nets ou dépôts d'actes & renfeignemens quelconques
en ce genre, formés dans le Royaume , par différens
curieux , favans , amateurs & perfonnes en place ;
en conféquence , il invite ces MM. à lui envoyer
franc de port , l'analyse d'un travail confié à leur
garde , ou auquel ils fe font livrés par différentes
vues , pour être indiqué par lui dans l'occafion . Son
·établitlement est très- propre à réalifer leurs efpérances
; le confentement particulier des grands feudataires
qui concourent à la perfection actuelle ,
publicité qu'il offie par la protection du Gouverneiment
, l'expérience d'un avantage long-tems defiré
& déjà reconnu , les différens renfeignemens qu'on
y trouvera dans la fuite , tout engagera de plus en
plus le Public à venir puifer des connoiffances dans
ce dépôt , établi ad hoc & placé dans la Capitale ,
centre plus particulier des befoins & des reffources .
Le Bureau eft rue Sainte- Avoye , à Paris.
la
Nicolas- Philippe de Saulcourt eft mort
le is Février dernier à Vaudeville en Lorraine
, dans la 94e année de fon âge , n'ayant
jamais été malade que les quatre derniers
mois de fa vie . Il avoit été un des premiers
Cadets-Gentilshommes de Léopold , Duc de
Lorraine & de Bar . Le défir de voir deux
de fes parens Officiers en Danemarck , le
fit paffer dans ce Royaume , où il fervit II
ans Frédéric IV . Il étoit Lieutenant , & faifoit
partie de la garniſon de Friederichfall
lorfque Charles XII , Roi de Suède , en fit
le fiége en Décembre 1718. De retour en
France , il y fervit en qualité de Capitaine .
Son chagrin , dans fes derniers inftans , étoit
de ne pas mourir les armes à la main pour
fon Roi & pour fa Patrie.
Le Marquis du Guefelin , Brigadier des
8 6
( 84 )
Armées du Roi , Meftte-de-Camp d'infan
terie , eft mort en cette Ville le 20 Mars
dernier.
Henri de Geftas , Chevalier , Comte de
Betous en Armagnac , eft mort en cette Ville
le 7 du même mois , âgé d'environ 58 ans.
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi du 16 Mars , portant
modération de droits fur les charbons de terre
entrant dans la Ville de Paris ou dans la banlieue .
S. M. ordonne qu'à compter du jour de la publication
du préfent Arrêt , les droits fur les charbons de
terre deſtinés pour l'approvisionnement de Paris &
de la Banlieue , demeureront réduits , favoir : ceux
qui entreront dans la ville de Paris à la fomme de 8
liv. compris le droit de Douane & les to fols pour
liv. au lieu de 21 liv. 10 fols ; & ceux qui entreront
dans la banlieue , à la fomme de 4 liv. , compris
les fols pour livre ; fe réfervant S. M. de fixer
l'indemnité qui pourra être dûe tant à la ville de
Paris , qu'à l'Hopital général , & à l'Adjudicataire
des Fermes générales.
De BRUXELLES , le 8 Avril. '
LES fuppreffions de Couvent qui ont
eu lieu dans les Etats de l'Empereur en
Allemagne ne tarderont pas à être exécutées
auffi dans les Pays-Bas . On a publié
ici un Edit de l'Empereur en date du 17
du mois dernier qui annonce fes intentions.
Les biens des Couvens fupprimés feront
verfés dans une caiffe établie à cet
effet pour être employés au paiement des
penfions des individus , qui conformément
aux principes de la Jurifprudence Belgique
refteront , nonobftant leur fécularifation ,
,
( 85 )
demeurant privés des effets civils ; pourront
cependant acquérir par toute autre voie que'
par fucceffion ab inteftat. Les Religieux fécu
larifés feront habiles à pofféder toutes fortes
de bénéfices ou offices eccléfiaftiques.
Les Etats de Frife , écrit - on de la Haie , ont envoyé
ici une députation compofée de deux Membres de
chacun des quatre Quartiers , pour travailler à procurer
à cette Province quelque diminution dans la
quote- part qu'elle paie aux dépenfes de l'union ,
parce que celle dont elle eft chargée à préfent furpalle
fes facultés auxquelles elle n'eft pas proportionnée.
Les conférences ont été entamées , & il paroit
que l'objet de la députation fera rempli. La
Hollande n'eft pas éloignée de prendre fur elle les
trois pour cent qu'occafionnera ceue diminution ,
à condition cependant qu'aucune autre Province ne
fuivra l'exemple de celle de Frife , & ne demandera
une diminution pareille de fa quote- part ; ce qui femble
d'autant moins à craindre que les autres feroient
fort embarraffées de montrer des titres auffi clairs &
auffi folides que les Frifons pour obtenir ce foulagement.
On ignore encore où en font les négo
ciations entre l'Angleterre & les Provinces-
Unies . On dit que dans une de leurs dernières
Affemblées , les Etats de Hollande
& de Weftfrife ont arrêté un préavis au
ſujet d'un équivalent à demander à la Cour
de Londres , au cas que celle - ci perfifte
abfolument à ne point fe départir de Négapatnam
, & que ce préavis après avoir
paffé à l'Affemblée des Etats- Généraux , fera
communiqué à la Cour de France pour
qu'elle l'appuye auprès de celle d'Angleterre ,»
786 )
en attendant qu'on fache en quoi peut
confifter cet équivalent , nous continuerons
ici le mémoire des Directeurs de la Compagnie
Hollandoife adreffé aux Etats-Généraux.
Les Directeurs furent particuliérement charmés
d'apprendre de leurs députés, peu après leur arrivée à
Paris , que S. M. T. C. avoit trouvé bon d'envoyer
dans l'Inde un renfort confidérable , dont une partie
étoit deftinée à la défenſe , à la sûreté du Cap de
Bonne Efpérance ; & le fervice rendu à la Compagnie
par l'exécution réelle de ce projet , eſt ſi important
, qu'il eft plus aifé de le fentir , que de l'exprimer.
Les lettres qu'on reçut enfuite des députés de
la Compagnie en France , toutes remplies des preuves
les plus convaincantes , tant de la protection particuliere
dont S. M. T. C. continuoit à favorifer les
intérêts de la Compagnie , que de la bienveillance
diftinguée qu'on éprouvoit fans ceffe du Miniſtère
François pour les intérêts , fervirent à nourrir dans
les Directeurs un vifeſpoir que les poffethons de la
Compagnie , qui auroient pu être obligées de plier
fous les forces fupérieures de l'ennemi , lui feroient
enlevées de nouveau par l'affiftance des François . Ils
croyoient pouvoir s'attendre , en conféquence des
ordres donnés à M. de Suffren , que Trinconomale
dans l'Ife de Ceylan feroit déjà fecouru ; tandis
qu'on avoit en particulier grande raifon de penfer ,
que fur la côte de Coromandel , les troupes Françoi
fes & celles d'Hyder- Ali auroient déjà forcé les Anglois
à évacuer Négapatnam. Plus cette pofition des
affaires paroiffoit riante pour la Compagnie , plus
elle dut être frappée aux premiers bruits des prélimi
naires fignés entre les Cours d'Efpagne & de France
d'une part , & la Cour de St. James de l'autre , ainfr
que des conditions dures & infupportables , fur lef
quelles on prétendoit que l'Angleterre infiftoit par
( 87 )
ces préliminaires à l'égard de la République , & qui
pourroient entraîner la Compagnie des Indes orientales
, dans une fituation des plus grandes conféquences.
La Chambre Préfidiale convoqua une Af.
femblée extraordinaire des XVII ici à la Haye , pour
arrêter ce qu'il y auroit , à cet égard , à faire de la
part de la Compagnie . S. A. S. Directeur fuprême ,
ayant honoré l'Allemblée de fon augufte préfence
l'a informée , que , fuivant les informations qu'il
avoit reçues des deux Miniftres de la République à la
Cour de France , la Cour d'Angleterre deniandoit
pour conditions de la paix , la ville de Négapatnam
avec le territoire qui en dépend , s'il y en avcit un ,
& de plus la navigation libre dans les mers de l'Inde ,
par où l'on favoit que l'Angleterre entendoir une navigation
illimitée dans toutes les mers & les canaux
d'Orient , fpécialement le long & à travers les Ifles
Moluques ou des épiceries. Tous les membres de
I'Affemblée , touchés , ainfi que S. A. , de ces prétentions
de l'Angleterre qui ne tendoient à rien moins
qu'à enlever à la Compagnie le plus effentiel de fes
établissemens & de fes prérogatives , & à lui porter
ainfi le coup mortel , ont jugé d'une voix unanime ,
que l'on ne pourroit jamais le juftifier devant les participans
de la Compagnie , fi l'on ne tentoit tous les
efforts , pour éluder ces prétentions de la Couronne
d'Angleterre , par les voies les plus prudentes ; l'Af
femblée s'eft donc crue obligée d'expofer aux membres
de L. H. P. les raifons , fur lefquelles elle pene
devoir appuyer fes griefs contre lefdites prétentions
de la Couronne d'Angleterre.
Elle obferve d'abord , que la ville de Négapatam
étant enclavée dans le royaume de Tanjour ,
Puiffance confidérable fur la côte de Coromandel ,
les Anglois qui ont déja beaucoup d'influence fur
ce Prince , pourroient par la poffeffion de cette
Place , en exercer encore une plus étendue ; la fu(
89 )
périalité de leurs forces fur cette côte , déja trop
prépondérantes , s'accroîtroit davantage . Les Directears
ont été plufieurs fois forcés de porter à VV.
HH. PP. , leurs plaintes fur la condite des Employés
de la compagnie Angloife au Bengale , qui
abufant de la fajétion où ils ont fçu réduire le
Gouvernement du pays , caufoient un préjudice
énorme. On doit fuppofer que le germe d'actions
femblables , exifte autant parmi les Employés fur
la côte de Coromandel , que parmi ceux de Bengale ;
& à mesure que l'autorité & le pouvoir de la Compagnie
Angloife s'étendront fur ladite côte , fes
Employés en abuſeront. Si l'on réfléchit fur l'étendue
du territoire fitué au Nord de Négaparam
& foumis au Nabab du Carnatic , dont les Anglois
font maîtres abfolus . Si l'on confidere que ce Nabab
poffede les royaumes de Maduré & de Marrue ,
au Sud de Négapatam , comme Tanjour , peuton
envifager fans inquiétude la grandeur des forces
dont les Angleis peuvent , dès à préfent , fe fervir
fur cette côte ? Le pays du Maduré contient les
atreliers , d'où la Compagnie eft obligée de tirer
l'efpèce de toile , connue fous le nom de Maduréenne.
Si les Anglois obtiennent encore Négapatam
, ils peuvent fans aucune difficulté , établir
le long de toute la côte une Monarchie abfolue ;
on s'abuferoit fi l'on fuppofuit qu'en cela il n'y
auroit aucun danger pour les autres nations Européennes
fur la meme côte , quand même les Anglois
fe borneroient à la fréquenter , fans prétendre
à aucune poffeffion territoriale ; puifque le
contraire peut être démontré , par ce que l'on á
éprouvé dans le Bengale . Outre une récolte annuelle
de toiles , un débit lucratif de cuivre du Japon en
barres & d'épiceries , la Compagnie , en perdant
Négapatam , le verroit aufli privée d'une des meilleures
rades de toute la côte ; & l'acquifition de
789 Y
en
و
Cette Place feroit d'autant plus importante pour fes
Anglois , que fuivant le témoignage de gens qui
connoiffent à fond le local de Madras , la fituation
de cette capitale des poffeffions Britanniques fur la
même côte , n'eft rien moins qu'avantageufe : du
moins n'y a-t- il aucune comparafon à faire entre
la rade de Madras & celle de Nézapatam . Les
Anglois , fe fixant dans cette dernière Place , par
conféquent au Sad des poffeffions Françoiles de
Carical & de Pondichery , tandis que par Mairas
is fe trouvent déja au Nord de ces poffeffions
pourroient couper aux François & aux Hollandois ,
cas de rupture , toute occafion de fe prêter
mutuellement des fecourss ; la fimple inspection
de la carte le fair appercevoir a premier coup :
dil . Ce qui manifefte victo eufement le rapport
intime des intérêts des deux nations , c'eft
que Tanjur eft , pour ainfi dire , le grenier d'où
les établiffemens Anglois , François , Danois &
Hollandois fur ce te côte , tirent leur fubfiftance ;
files Anglois par leur fupériorité au Tanjour
peuvent empêcher l'exportation des grains de ce
royaume , ils fe trouvent en état de réduire les
poffellions des autres nations à la plus grande détreffe
; & , ils le feront dans le cas dune rupture
lés poffeffions fur la côte de Coromandel ne fau
roient être fournies de ris du Bengale , parce que
les mêmes forces s'y oppoferoient . Et cette remarque
eft de la derrière importance pour les
poffeffions de la Compagnie à Ceylan , parce que
cette Ifle voifine n'étant pas pourvue dans l'intérieur
d'une quantité fuffi ante de vivres , doit en tirer
beaucoup du Bengale , ou de la côte de Coromandel
; ce qui néanmoins n'eft pas l'unique rapport
qu'il y a entre cette Place & Negaparam : la proximité
de ce poffeffions , fi elles fe trouvent réunies ,
gêne infiniment la navigation dans ces parages
( 90 )
ces entraves font rompues , lorfqu'on fépare les
mêmes poffeffions.
( La fuite l'ordinaire prochain. )
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 2 Avril.
-
-
Il n'y a encore rien de décidé par rapport à la
formation du Ministère. Le Lord Shelburne a
fait encore les fonctions de premier Lord de la tréforerie
le 29 Mars ; il a remis enfuite la démiſſion
en forme. Le Chancelier de l'Echiquier devoit faire
les fonctions de cette place jufqu'à ce qu'on cût
nommé le fucceffeur du Lord ; mais il a réfigné
auffi le 31 .
Le Lord Temple doit arriver inceffamment
en Angleterre , & l'on affuré que la place
de premier Lord de la Tréforerie lui a été offerte ,
mais qu'il l'a refufée. La retraite de M. Pitt &
d'autres circonftances fort préfumer que le Duc de
Portland fera mis à la tête du Ministère , & que le
Roi ne pourra fe refufer à l'établiffement d'use adminiſtration
dont les principes patriotiques promettent
de mériter toute la confiance du peuple.
A la manière dont le Lord North & M. Fox fe font
exprimés le 31 dans la Chambre des Communes ,
il femble qu'ils fe croyent sûrs d'être bientôt en
place.
Le 3 de ce mois il partira trois males pour l'Ouest,
favoir une pour New-Yorck , une pour Charles-
Town & une pour les Illes d'Amérique.
En vertu d'un ordre du Confeil , tout paquebot par.
tant d'Angleterre pour France ne pourra , fous au
cun prétexte quelconque , prendre à bord des espèces
de ce Royaume pour le compte des particuliers.
Plufieurs cutters & floops ont reçu ordre de croifer
dans la Manche , pour empêcher la contrebande
de France & de Hollande qui eft en général très con
fidérable pendant la paix .
La flotte qui vient d'appareiller pour le Groenland
( 91 )
eft la plus confilérable qui , depuis 20 ans , foir partie
d'Angleterre pour la pêche de la Balcine .
Les vaiffeaux fuivans font en conftruction dans les
différens chantiers du Royaume où l'on continuera
d'y travailler malgré la paix. Le Prince de 90 , Annibal
, Audacious , Minotaur , Orion , le Swift, lur
le Tefeus , Tremendous , Glorious , Zealow , tous
de 74. L'ordre pour conftruire ces vaillaux eft poftérieur
à celui en vertu du quel plufieurs autres doivent
être fur le chantier depuis le commencement de l'année.
Le 24 du mois dernier , les troupes de terre ont
reçu 183 jours de demi paye , à compter du 25 Juin
1782 au 25 Décembre fuivant , inclufivement.
P. S. du 4 Avril. Dans ce moment le nouveau
Ministère Anglois eft formé ; le Roi paroît avoir
été obligé de céder au parti de M. Fox. On pourra
donner ce foir la lifte des Membres qui le compofent.
-On affure que le Duc de Mancheſter a été nommé
Ambaffadeur en France.
-
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE .
PARLEMENT DE PARIS , Grand Chambre . - Caufe
entre la demoiſelle L *** . mineure , penfionnaire du
Roi , Actrice de la Comédie... Et le fieur C***,
-
Demande en enthérinement de Lettres de refcifion
, contre des Engagemens foufcrits , par une
mineure attachée à un Spectacle. La demcifelle
L*** . débuta en 1780 , für le théâtre de la
Comédie... Elle avoit alors un ami qui prenoit le
plus vif intérêt à fes fuccès , cet ami jeune , élégant
jouoit un rôle à Paris : avec le ton d'un Seigneur
on en impoſe ordinairemeut aux marchands
& fourniffeurs ; il trouvoit du crédit , & il paroît
que les rifques n'étoient pas pour lui . Il étoit obligé
quelquefois d'ufer d'expédiens ; le nom de fa
protégée lui fut utile pour faire des emprunts.
Il pafla à fon profit devant Notaire , une obliga
( 92 )
tion de 15,000 liv. pour pareille fomme qu'elle
paroiffoit lui prêter , au paiement de laquelle le
fieur *** prenant le titre de haut & puiffant Seigneur
, Vicomte du *** Seigneur de la terre
du *** & autres lieux , affectoit & hypothéquoit
lefdites terres & Seigneuries. Cette obligation payable
au bout de l'année . L'opération faite , il conduifit
la demoiselle chez le fieur C *** . pour acheter
des dianans , des bijoux & des étoffes . Le fieur
C ***. lui fit une fourniture de la fomme de
15 , coo liv. pour paiement de laquelle elle lui
donna l'obligation paffée à fon profit , par le fei
difant Vicomte du *** . · Le fieur C *** . inftruir
de la faulleté des titres pris par le ficur ***, dans
cette obligation fit affigter fans attendre l'échéance ,
le fieur du *** & la demoifel'e L*** , en condamnation
de paiement des fournitures par lui faites
à la demoiſelle L*** , pour fon début à la Comédie...
, & demanda contre le fieur du *** la contrainte
par corps , ce qui fut ordonné par Sentence
du.Châtelet. La demoiſelle L*** , fe hâta d'offrir
au fieur C ***, un acte de tranfport de la fomme
de 10,000 liv. , pour le paiemeet de laquelle , elle
délégua fes appointemens de la Comédie.... jufqu'à
Concurrence de 1200 liv . par an. Ces offres furent
acceptées , l'acte paílé devant Notaire , & fignifié
au caller de la Comédie , qui le reçut , mais ne le
v.fa que pour une petite partie des appointements
qu'il eft effectivement permis aux créanciers des
Acteurs & Actrices de faifir , le furplus étant declaré
infaifiable , aux termes de différens Arrêts .
-
Enfin la demoife'le L *** , éclairée fur la nullité
des engagemens qu'elle avoit foufcrits en minorité ,
prit des lettres de refcifion , tant contre l'acte de
ceffion de l'obligation de 15,000 liv . , par elle
confentie au profit du ficur C*** , que contre l'acte
de tranfper & délégation de fes appoiatements ,
( 95 1
jufqu'à concurrence'de 10,000 liv , -Sentence qui
a enthériaé les lettres de refcifion & remis les parties
au même & lemblable état qu'elles étoient avant
les actes , Arrêt confirmatif du 19 Mars 1783 . --
:
PARLEMENT DE DAUPHINE. Laufe entre le
fieur Mazué.Et la demoiselle Garnier. Le 20
Mai 1780 , contrat de mariage du fieur G***
avec la demoiſelle Garnier , tous deux domiciliés
en Dauphiné , où le mari avoir un domaine & une
maifon qu'il habitoit le mari reçu de fa femme ,
& lui fit des avantages jufqu'à concurrence de
6200 liv . Peu de temps après , il vint s'établir à
Paris , cù il étoit appellé , par un emploi. Son
époule l'y fuivit : ils y reftèrent environt dix ans ,
& paroiffoient même y avoir fixé leur domicile .
lorfque le 26 Novembre 1771 , ils foufcrivirent
l'un & l'autre une obligation folidaire de 2070 liv.
en faveur du fieur Mazué , pour argent prêté - Le
fieur G ***, ayant dérang fes affaires , revint en
Dauphiné fa femme fit colloquer la créance fur
les biens de fon mari , & fut déclarée ciéancière
en perte d'environ 2000 liv.; mais elle fit bientôt
troublée dans ia poffeffion de fon gage. - Le
fieur Mazué , en vertu de fon obligation , de deux
jugemens du Châtelet , & d'une ordonnance de
la Cour du 31 Juillet 1782 , fit faifir les fonds
& les fruits du domaine , fur lequel la demoiſelle
Garnier étoit colloqués . Oppofition de fa part à
cette faifie. Ordonnance du 22 Août , qui li ac
corde provifoirement la main -levée. Oppofition du
fieur Mazué à cette Ordonnance. Arrêt du 25
Février 1773 , qui a jugé que l'obligation paffée en
faveur du fieur Mazué , ne pouvoit pas s'exécuter
fur les biens du fieur G *** , fitués en Dauphiné
au préjudice de la dot de fa femme. En confèquence
la faifie du fieur Mazué a été annullée avec
dépens.
( 94 )
CAUSE EXTRAITE DU JOURNAL DES CAUSES CÉ-
LEBRES ( a ). ( Affaire du Para- tonnerre de St- Omer).
Nous avons déja annoncé cette Caufe véritablement
célèbre ; mais ce que nous en avons dit n'a pu don.
ner qu'une idée imparfaite de fon importance pour
Jes progrès de la phyfique & pour l'intérêt de l'humanité.
M. des Effaits , en rendant compte de cette
caufe , lui a donné un développement qui eft fait
pour exciter & fatisfaire la curiofité. Une des
plus belles découvertes de ce fiècle , dit - il , eſt ,
fans contredit , celle du Para- tonnerre. Elle eft due
au génie d'en Phyficien dont le nom fera placé
parmi ceux des bienfaiteurs du genre - humain. Si
ce grand homme n'eût fait qu'une de ces décou
vertes ftériles qui peuvent fatisfaire la curiofité des
Savans fans être utile à l'humanité , on lui devroit ,
fans doute , moins de reconnoiffance ; mais quels
droits n'a pas acquis fur la portion de la fociété ,
faite pour apprécier & fentir les bienfaits du génie
, le Philofophe , qui eft parvenu à raffurer l'humanité
tremblante & timide contre les effets d'un
des plus terribles phénomènes qui puiffent frapper
les regards de l'homme . Tout ce qui eft grand
& fublime eft fait pour étonner aufli dans tous les
tems le fort des vérités importantes , a- t- il eté
d'être profcrites ou méconnues. L'utilité des para◄
tonnerres eft évidente ; ils fervent à expliquer plufieurs
phénomènes que le philofophe ne voyoit
auparavant qu'avec effroi. C'eft peut-être le premier
-
(1) On foufcrit pour ce Journal intéreffant chez M. des
Effarts , Avocat , rue Dauphine , Hôtel de Mouy , qui nous
a lui- même fourni l'extrait de cette caufe , & chez Mérigot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins. Le prix de l'abonnement
eft de 18 liv. pour Paris & de 24 liv. pour la Province.
( 95 )

anneau de la chaîne qui embraffe l'anivers ; & cette
chaîne peut conduire à développer les fecrets les plus
cachés de la nature : mais c'est au tems & au courage
des Phyficiens à perfectionner cette découverte,
& à en tirer tous les avantages que les homm : s
ont droit d'attendre. Dans l'état où fe trouvent
aujourd'hui les para -tonnerres , eft- il permis à un
citoyen d'en faire ufage fans que la Juftice , alarmée
par les dangers qui peuvent en réfulter , ait le
droit d'en ordonner la deftruction ? Cette question
nouvelle & importante vient d'être agitée & jugée
à St-Omer. Voici les faits qui y ont donné lieu .
M. de Villery de Bois Valé , Avocat à St- Omer ,
a toujours eu un goût décidé pour l'étude des fciences
& des arts ; fon cabinet de phyfique , d'hiftoire
naturelle &de peinture , ne laiffe pas ignorer fon penchant
aux habitans de St-Omer. Il avoit , depuis
long tems , conçu le deffein d'armer fa maifon
d'un para-tonnerre ; la lecture qu'il fit en 1779 , de
l'excellent mémoire de M. Barbier de Tinan , fur la
conſtruction & l'efficacité de cette machine , réveilla
fes idées , & il fit élever en 1780 , un conducteur
électrique fur la cheminée la plus dominante
de fon habitation . Cet appareil achevé dans
le cours du mois de Mai de la même année , étoit
à la vue de tout le public. Les uns l'examinoient
avec indifférence , d'autres avec plaifir ; & il y avoit
près d'un mois qu'il étoit érigé , lorsque le petit -Bailly
de la ville , vint lui annoncer que cette nouveauté
alarmoit le voisinage ; qu'il y avoit même une Requête
préfentée à ce fujet , par laquelle on demandoit
aux Echevins la deftruction du para- tonnerre ; que ,
quant à lui , il n'entendoit rien à la chofe , & qu'il
ne faifoit que s'acquitter de fa commiffion, M. de
Viffery , étonné de cette démarche , fit entendre au
petit Bailly que la plainte du voifinage lui paroiffoir
d'autant plus fingulière , que le nom feul de la ma(
96 )
1
chi e devoit raffurer les perfonnes craintives & les
moins éclairées ; qu'il ne l'avoir fait conftruire que
Four garantir la marfon & celles de les vo fins des
atteintes de la foudie ; & qué cette action , on de
lui attirer un procès , devoit , au contraire , exciter
la reconnoiffance . Il fut ce , endant traduit . devant
les Mayeur & Echevins de St- Omer , & malgré les
raifens qu'il employa pour raffurer les J ges &
difier les alarmes du peuple , les Echevins de
St-Omer rendirent , le 21 Octobre 1780 , une Sentence
par laquelle ils ordonnèrent que la machine
électrique feroit ôtée fur le champ , & condamnèrent
M. de Vifferi aux dépens. M. Buillart , Avocat à
Arras a fait un Mémoire très-favant , pour prou
ver que cette Sentence doit être infirmée par les
Magiftrats qui prononceront fur l'appel que M. de
V:llery en a interjette , M. de la Cretelle a auffi fait
une confultation très intéreflante. L'extrait de ces
deux Mémoires fe trouve dans le Journal des Caufes
célèbres ; & nous ne doutons pas que le volume
qui en contient l'extrait ne foit lu avec plaifir par
tous ceux qui s'intéreſſent à l'humanité & aux pro.
grès des Sciences .
>
grès
des
N. B. Defirant donner à ce Journal une exiſtence durable
& permanente , nous avons cru que la variété feule pouvoit
y contribuer & que nos Soufcripteurs verroient avet plaifir un
nouvel effort & de nouveaux facrifices de notre part pout
parvenir à ce but, Non- feulement nous avons acquis le droit
de réimprimer fur les couvertures le Journal de la Librairie ,
qui contient la Notice exacte des Livres nouveaux , de la
Mufique , des Eftampes , des Arrêts ; mais nous venons d'ac
quérir de M. Mars , Auteur de la Gazette des Tribunaux , le
'droit d'imprimer , dans ce Journal , la Notice plus ou moins
abrégée de toutes les Caufes civiles & criminelles avec leurs
Jagemens dont fon Journal fait mention . Cette Gazette desi
Tribunaux , abrégée par M Mars lui-même , ſera imprimée à
`la fin du Journal Politique , & contiendra plus ou moins da
pages , fuivant qu'il y aura plus ou moins de Cauſes & fuivanţ
leur importance. On fouferit en tout tenis pour cet Ouvrage
dont le prix eft de 15 liv. par an franc de port , chez M.
Mars , rue & hôtel Serpente. * 2. 13
WAL 14
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le Is Février.
·
Latinee LA
A Porte , en ordonnant le rappel du
Prince Ypfilanti , ci -devant Hofpodar
de Valachie , a ordonné en même tems
celui de Drako - Suzo , Dragoman de la
Porte Ottomane , qui étoit auffi relégué
dans l'Ile de Rhodes. Le Firman expédié à
cet effet , eft conçu de la manière la plus
gracieufe ; il n'y eft pas queftion de leur
exil , mais de leur abfence de cette Capitale ;
on leur laiffe la liberté de choisir à l'avenir
le lieu de leur réfidence , pourvu que
ce foit une place fituée fur le canal. On
auroit lieu de penfer que l'ancien Hofpodar
de Valachie pourroit être rétabli dens
fa dignité , fi fon fucceffeur n'en avoit pas
pris poffeffion . Quoi qu'il en foit , c'eft au
Grand Vifi actuel qu'il doit le changement
arrivé dans fon fort ; ce Minifre annonce
un gouvernement éclairé , & fur tout une
19 Avril 1783. е
( 98 )
conduite ferme. Il vient de reléguer dans
l'Ile de Rhodes , Chalill- Aga , ci - devant
Receveur - Général de la Capitation , pour
quelques vexations qu'il a exercées contre le
peuple , dans la répartition & la perception
de cet impôt.
DANEMARCK,
De COPENHAGUE , le Is Mars.
L'INDÉPENDANCE des Etats - Unis de l'Amérique
feptentrionale ayant été reconnue par
l'Angleterre , il a été donné ordre de faire
au pavillon Américain dans tous les Etats
Danois , le même honneur qu'on eft dans
l'ufage d'accorder à celui des grandes Républiques.
L'indifpofition dont la Reine douairière
paroiffoit être rétablie depuis quelque tems ,
s'eft manifeftée de nouveau ; on croit que
S. M. pourroit bien ſe déterminer pendant
cet été , à chercher dans l'ufage des bains
chauds une guériſon radicale
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Mars.
LA Commiffion chargée de veiller à la
perfection de l'éducation nationale , tint
ces jours derniers une affemblée publique ,
à laquelle le Roi affifta. Le Prince Poniatowski
, Evêque de Plocko , & Préfident
actuel , ouvrit la féance par un difcours
( 99 )
dans lequel il demanda la permiffion de rendre
un compte exact & détaillé de tout ce
qui avoit été fait dans le cours de l'année ,
relativement à cet objet important. S. M. y
ayant donné fon aveu , l'Abbé Pinarowiz ,
Secrétaire de la Commiffion rendit ce
compte , & s'en acquitta de la manière la
plus intéreffante. Le Roi en témoigna toute
fa fatisfaction.
La Direction de la Compagnie Pruffienne
de Commerce établie dans cette Capitale , a
offert de prêter fur des gages folides en or &
en argent , les fommes dont les particuliers
pourroient avoir befoin. L'intérêt qu'elle
prend eft de s pour 100 par an , & d'un
quart pour cent par mois . Cette offre a été
acceptée , & il y a un concours extraordinaire
de monde , chacun eft maître de retirer
fon gage à l'expiration du terme , ou
de prolonger l'engagement à fa volonté.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Mars.
L'AMBASSADEUR de Maroc eft remis de,
fon indifpofition. Parmi les préfens que
1'Empereur lui deftine , font deux f fils
fuperbement travaillés , & fur- tout trèsriches
, puifqu'on les évalue à 16,000 florins.
Il deftine à fon Maître la belle penddule admirée
depuis plufieurs années dans le Cabinet
Impérial . On dit que le Miniftre Africain
a préfenté le traité fuivant.
e 2
100 }
1º. Les fujets jouiront de part & d'autre de la
liberté du commerce & de la navigation dans les
deux Empires ; 2°. il leur sera permis d'en expor
ter toutes fortes de marchandiles fans exception ;
3. ilse fera payé que 3 four 100 aux Douanes refpectives
; 4° . fi des raitons importantes faifoient
augmenter ce droit , il ne pourroit jamais paffer
les S pour 100 ; 5. le pavillon Impérial fera refpecté
par les corfaires Marocains , qui , en cas de
contravention , ſeront condamnés à la reſtitution de
la prife & à tous frais & dépens ; 6º . les bâtimens
Impériaux qui pourront échouer ou faire naufrage
fur les côtes de Maroc recevront toutes fortes de
fecours de la part des habitans ; 7º. ce traité ſubſiſtera
même dans le cas où S. M. Marocaine fe trouveroit
en guerre avec les ennemis de la Maifon d'Autriche
; les fujets des deux Empires faits prifonniers
à cette occafion , ne payeroat que 30 piaftres de rançon
par tête «.
Suite de l'Edit fur les Mariages.
(7) L'homme & la femme adulteres ne pourront
pas fe marier , fi le crime eft prouvé juridiquement
avant. (8) Il en fera ainfi de ceux qui auront allailiné
ou fait aflaffiner le conjoint dont l'exiftence portoit
obftacle à leur union , que ce crime ait été commis
de commun accord ou fans le fu & le gré de l'une
ou de l'autre partie. (9) Le mariage des gens de
guerre, ne fera valable qu'autant que les Régimens
les Corps ou les Préposés d'iceux у auront confenti
par écrit. Ceux qui fe marieront fans ce confentement
feront punis , & les Curés & Paſteurs le feront
également. Quant à la défenſe du mariage du Clergé
féculier & régulier de l'Eglife Catholique Romaine
, les chofes resteront invariablement telles
qu'elles font. 30. Le mariage eft cenfé exifter lorfqu'un homme & une femme confentent
de vivre
enfemble
dans une communauté
inféparable
pour procréer des enfans & jouir des droits attachés à cet
( 101 )
état. 4°. Le confentement au mariage fera donné par
les Parties mêmes & exprimé clairement. Cependant
il fera permis auffi de conclure un mariage par un
mandataire , & le mariage fera valable , fi la procuration
défigne une certaine perfonne déterminée , &
fi elle n'eft point révoquée avant la conclufion. 5º.
Ce qui rend nul le confentement au mariage rend
auffi nul le mariage méme ; ceux qui font privés de
la raiſon ne peuvent donc en contracter un , à moins
qu'il ne foit prouvé qu'ils ont des intervalles lucides.
Les fourds & les muets le pourront , s'ils font
en état d'exprimer leur confentement par des fignes.
60. Le mariage fera nul , lorſqu'il y aura erreur dans
la perfonne avec laq elle on a concla le mariage.
Mais une erreur dans des chofes indifférentes ou
dans les qualités de la perfonne ne produira point de
nullité , à moins que la qualité ne change effentiellement
la perfonne & que le confentement n'ait été
donné que pour une certaine qualité exprimée . 70 .
La nullité aura lieu dans le cas où une femme , à
l'époque de la conclufion de fon mariage , fe trou-
'vers it enceinte d'un autre que fon futur , qui ayant
ignoré cette circonftance , en auroit fait la déclaration
auffitôt qu'il en auroit été inftruit , & qu'eafin
il auroit prouvé fon ignorance . 8 °. Elle aura lieu
également lorsque le confentement aura été la fuite
de la crainte ou de la violence . 90. La Partie qui aura
été trompée ou forcée par la crainte pourra feule
réclamer , & nullement celle du côté de laquelle il
n'y a eu ni erreur ni crainte ; & même la Partie
ab fée par l'erreur ou la crainte perdra ce droit ,
lorfqu'après la connoiffance de l'erreur ou la crainte
paffée elle aura renouvellé fon confentement , foit
expreflément , foit par la cohabitation contianée
fpontanément. 109. Le confentement exprimé ne
fuffit pas pour la conclufion du mariage ; nous prefcrivons
comme une condition indifpenfable à l'effence
du contrat & à fa validité , que ce confentee
3
( 102 )
ment refpe&if foit donné en préſence da Curé ,
Pafteur ou Pope , de la Paroifle des futurs & de
deux témoins. Permis cependant au Curé , Pasteur
ou Pope , de le faire repréſenter par un autre lors
de la conclufion d'un mariage. 110. Si le marié & la
mariée font de diverfes Paroiffes , il fuffira que le
confentement réciproque au mariage foit déclaré
devant le Ceré , Pafleur ou Pope d'un des deux.
120. Les bans feront publiés dans la Paroiffe des
futurs un dimanche ou une fête au Piône ou quand
l'affemblée du peuple fera affez nombreuſe ; les cojoints
futurs feront défignés par leur nom de baptême
& de famille , le lieu de leur naiflance & leur
état . Cette publication des bans fera renouvellée les
deux dimanches ou fêtes foivans . 13º. Cette triple
publication fera faite dans les deux Paroiffes , lcrfque
les futurs ne feront pas de la même , & dans le
cas où ils n'auroient pas demeuré fur leur Parciffe
actuelle pendant fix femaines ; la publication fe fera
auffi dans celle où ils ont demeuré précédemment.
140. Dans des cas extraordinaires comme celui de
péril en la demeure , permis de folliciter la difpenfe
de la triple publication des bans , mais on s'adreffera
à la Juftice civile , que nous autorifons par la préfente
à l'accorder dans ces cas . 150. Le Ĉuré , Pal.
teur ou Pope , qui doit bénir le mariage , fe fera
préfenter le certificat de la publication des bans faite
dans d'autres Paroiffes que la fienne. Aucun ne pourra
, fous des panitions graves , donner aux Parties
la bénédiction nuptiale avant la publication préalable
des bans , à moins qu'on ne lui en préfente la
difpenfe par écrit. Si le marié eft militaire , il repréfentera
encore par écrit le confentement du
Corps ou de fes Supérieurs. Tout mariage fait
fans ces conditions fera nul & de nul effet. 169 .
Chaque Curé , Pafteur ou Pope , fera tenu de
porter de fa main dans les registres de mariage
tous ceux faits dans fa Paroille , en nommant dif(
103 )
tinctement le marié & la mariée , & les témoins qui
ont affifté à cet acte ; il y fera auffi mention de l'endroit
où le mariage a été conclu & s'il l'a été en fa
présence ou en celle d'un autre qu'il avoit nommé àcet
effet , & il le défignera par fon nom . Cette
infertion fervira à lever entièrement les difficultés
qui pourroient naître au fujet d'un mariage , & par
rapport au tems où il a été conclu. 170. Tout mariage
conclu de la maniere preferite ci - deffus , fera
indiffoluble. 180. Dans le cas où l'un des conjoints
ne pourroit remplir le devoir le plus effentiel du
mariage , il fera permis à celui qui a droit de fe
plaindre de ce défaut , d'intenter fon action devant
la Juftice civile , afin de faire annuller le mariage.
190. Les Juges , devant lefquels de pareilles demandes
font portées , ne doivent pas s'en tenir à la
déclaration que pourra faire le conjoint accufé ,
mais fon état fera examiné & conftaté , felon la différence
du fexe , par des médecins , chirurgiens
ou fages- femmes experts, 20 ° , Si l'on découvroit
à l'examen des fignes certains d'une impuiſſance
permanente , foit qu'elle foit abfolue ou feulement
relative quant àà ll''aauuttrree ccoonnjjooiinntt ,, le mariage fera
déclaré nul. Mais dans le cas où l'on ne pourroit
décider avec certitude par les marques extérieures
fi elle eft permanente ou feulement momentanée ,
les conjoints continueront de refter enſemble pendant
trois années confécutives , & leur mariage ne
fera annullé que lorsque le défaut aura continué de
fubfifter pendant cet intervalle. 210. Mais fi l'on
que ce vice ne fût que momentané & pût
être guéri par l'ufage de remedes convenables , la
demande en caflation fera rejettée. Le mariage ne
pourra pas non plus être rompu , s'il eft conftaté
que cet état a été occafionné pendant le mariage par
maladie ou par d'autres accidens . 220. Quand des
conjoints auront élevé des doutes fur la validité de
leur mariage & fe feront féparés de leur propre
trouvoit
e 4
( 104 )
autorité , les Juges qui auront trouvé leur union
valable , leur enjoindront de demeurer & de vivre
enfemble. Et dans le cas où le mariage feroit déclaré
nul , les Tribunaux empêcheront les conjoints ainfi
féparés de demeurer enfemble. 230. Si un mariage
étoit nul à caufe d'un empêchement exiſtant entre
les conjoints qui l'auroient ignoré , ce cas fera
traité en ſecret autant que cela fe pourra. Mais files
conjoints ont eu connoiffance de cet empêchement
avant leur mariage , non-feulement il fera annullé ,
mais ils feront auffi condamnés , felon leur état , à
une prifon triennale , aux travaux ou à d'autres peines
convenables. 240. Dès qu'un mariage fera déclaré
nul , tous les droits & les obligations réciproques
, réfultans du contrat de mariage , cefferont
entre les conjoints féparés. Les enfans procréés ·
pendant leur mariage feront fous l'autorité paternelle
& entretenus & élevés aux frais du pere & de la
mere , qui y contribueront chacun de fes biens
dans une proportion déterminée. Nos Tribunaux
arrangeront tout ceci felon la juftice , & ils connoîtront
auflì du refus au fujet de la reftitution des biens
apportés en mariage , du dommage résultant d'un
mariage non valable & d'autres prétentions y relatives
& décideront tous ces points.
( La fin l'Ordinaire prochain . )
De HAMBOURG , le 25 Mars.
LES préparatifs de guerre en Autriche font
rallentis , mais non fufpendus. On va lever
encore en Croatie un corps de 300 Chaffeurs
& de 200 Ulans . De fon côté , la Ruffie continue
d'augmenter les forces navales fur la
mer Noire. 3 vaiffeaux de guerre viennent
d'être lancés dans le port de Cherfon , &
d'autres y font fur les chantiers. Il y a dans
( 105 )
le port d'Azof , 10 frégates , & 13 autres
croifant dans la mer Noire.
לכ
Il y a beaucoup de marais dans le Royaume de
Hongrie , écrit-on de Vienne , mais on a lieu de fe
fatter qu'ils ne tarderont pas à être defléchés ; les
Magnats & les autres grands propriétaires de terres ,
tournent leurs foins à les rendie à l'Agriculture ,
& ' épargnent aucunes dépenfes pour faire écouler
les eaux.
Il a paru ici des lettres circulaires que
la Régence de la Baffe Autriche a adreſſées aux Juſtices
inférieures pour veiller à leur exécution , & par
lefqaelles S. M. 1. a défendu , jufqu'à nouvel ordre ,
au Clergé fécalier & régulier de faire des emprunts
en hypothéquant des biens d'Eglife fans en avoir obtenu
la permiffion exprefle da Gouvernement «
-
On apprend que le Prince de Schwarsbourg-
Sondershaufen , vient d'affranchir les fujets
des impofitions qu'ils avoient à payer pour
l'acquittement des dettes de guerre depuis
1756 jufqu'en 1763 .
» La loi femptuaire publiée dernièrement ici
écrit-on de Danemarck , donne lieu à quelques
plaintes ; on la trouve en contradiction avec les foins
que prend le Gouvernement pour faire fleurir les
Manufactures de foie , &c . qui tomberont inceffamment
, parce qu'on ne peut pas fe fatter qu'elles
puiffent être foutenues par l'exportation feule de
ces étoffes . On la trouve auffi préjudiciable aux
intérêts de la Couronne , parce qu'elle diminue les
droits de Douane ; on peut en juger par l'article
des plumes pour la parure , qui rapporteient à la
Douane dans une année la fomme de 25,000 rixdallers
; on craint en général que cette loi ne porte un
coup fenfible au commerce & à l'échange des
marchan fifes «.
Selon des lettres de Berlin , il a été notifié
à tous les Marchands des Etats du Roi de
es
( 106 )
Pruife , de vendre d'ici au premier Novem
bre prochain , les mouffelines qu'ils cnr
tirées de l'Etranger , parce qu'ils en feront
fournis à l'avenir par les fibriques de Berlin
& de Naugard , dans la Poméranie.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 25 Mars.
L'ARCHIDUC- MAXIMILIEN eft arrivé à
Rome le 15 de ce mois , fous le nom de
Comte de Burgau , il a eu le lendemain une
audience du l'ape. Ce Prince voulant garder
un exact incognito , a refufé d'occuper
au Vatican les appartemens qu'on lui avoit
préparés.
Dans la nuit du 11 au 12 de ce mois , il y
a eu dans le Golfe de Venife une tempête qui
a fubmergé ou endommagé plus de 300 bâtimens
de différentes grandeurs . La violence
du vent chaffa avec impétuofité les eaux de
la mer dans les Lagunes , de manière que
toute la Ville de Venife fut inondée ; plufieurs
Trabacs ancrés à la vue de la place de
St Marc , furent jettés par le vent fur le quai
des Esclavons.
Le même jour une fecouffe de tremblement
de terre a renverfé à Paleſtrine , dans la
campagne de Rome , quelques maifons :
dont les ruines ont écrafé les Locataires .
>
» Nous avons éprouvé , écrit on , de Naples ,
dans la nuit du 11 au 11 de e mois un ouragan
qui mit la ville en alarme. On n'avoit point encore .
( 107 )
---
vu la mer monter à une fi grande élévation , & arriver
contre fes rives avec une telle farie ; les bâtimens
dans le port même , furent fort tourmentés ,
& coururent le plus grand danger . Le Saint- Joachim
, amarré au fond du port , rompit deux cables
, & fi le troisième eût cédé , il cût , par fa
pofition , écrasé tous les bâtimens plus petits qui
étoient fous le vent. La frégate de retour de Mefline,
étoit heureufement entrée la veille dans ce port.
-Une felouque Mellincife , portant 29 perfonnes
échappées au tremblement de terre , périt aux bouches
de Caprée ; il ne s'en eft fauvé que le Patron
& un Marinier. Une bouffole jettée fur la plage ,
fait croire qu'il y a eu un autre naufrage d'un bâtiment
plus confidérable . Des nouvelles reçues hier
14 de la Calabre , rapportent que la terre non-feulement
ne s'y raffermit point , mais que les fecoufles
qu'on y éprouva le 1er. de ce mois , furent encore
plus fortes que les précédentes , & qu'elles ont
bouleversé la furface du pays à le rendre méconnoiffable.
On a fait la remarque que , quatre mois
avant ces tremblemens , il avoit plu continuellement
, fans que les eaux euffent produit de débordement
, ni délayé la terre devenue frongieufe &
abforbante . On affure que deux lacs qui font à la
pointe du Phare en Sicile , s'étoient defféchés la
veille du premier tremblement de terre : on a remarqué
auffi que le balancement fe faifoit dans
tous les fens ; qu'il y avoit des fecouffes horizontales
, concentriques , excentriques & verticales ,
& que les effets de ces dernières étoient les plus
funeftes . Ces fecouffes , beaucoup plus fortes que
celles que l'on éprouva à Lisbonne , dont le tremblement
fe répercuta alors d'un bout de l'Europe
à l'autre , ont cependant été prefque infenfibles audelà
& en-deçà de la Calabre . Cet ébranlement
prefque local pourroit faire croire que la caufe en
eft plus fuperficielle , & par cette raison , les effets
e 6
( 108 )
plus évidens & plus fenfibles , puifque des maifons
fe font enfoncées , au lieu de s'écrafer , les montagaes
ont changé de place , des vallées le font applanies
, & qu'il s'eft formé des éminences au milieu
des plaines . A travers ces bouleverſemens ,
les eaux , jufqu'à ce qu'elles ayent repris un cours
fixe , produi est chaque jour de funeftes phénomènes
; des troupeaux entiers ont difparu dans des
fondrières , où , quelques jours avant , ils avoient
été paître chaque femaine apporre des nouveautés
, & lorfque la combuftion phyfique aura ceffé ,
il en restera une bien difficile à débrouiller dans
les intérêts des habitans , & dans le nouveau fyf
tême que l'on voudra donner au Gouvernement de
ce pays : c'est ce qui fait l'objet actuel des foins du
Confeil cc.
>
S'il faut en croire des lettres de la Sicile , le
mont Gibel lance actuellement des feux , ce
qui fait efpérer que les fecouffes meurtrières
qui ont défolé cette Ifle & la Calabre , ne fe
renouvelleront pas.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 6 Avril.
PARMI les détails particuliers qu'offrent
les papiers de l'Amérique feptentrionale ,
apportés par quelques vaiffeaux qui font revenus
de ces contrées , on diftinguera l'arrêté
fuivant du Sénat de Virginie. Son objet eft
de prémunir les efprits des fujets de l'Etat ,
contre toure eſpèce de féduction qui pourroit
être miſe en ufage pour altérer la bonne harmonie
entre cette nouvelle Puiffance & les
alliés refpectables qu'elle s'eft fait en Europé.
( 109 )
» Attendu que c'eft le devoir des représentans
d'un peuple libre , de veiller dans tous les tems à
garantir de toute entreprife pour priver de la liberté
ceux dont ils font les ferviteurs . Le Sénat de Virgi
nie , profondément affecté de cette idée , ne fau
roit négliger , dans ce tems critique , de prévenir
fes compatriotes contre les intrigues fecrètes &
infidieufes de leurs ennemis , qui , après fix ans d'une
guerre poursuivie d'une manière qui ne convient
qu'aux nations les plus fauvages , ont , par la béné
diction de Dieu toujours favorable à la bonne cauſe ,
avec la bravoure & l'habileté de nos Officiers & foldats
, & des troupes envoyées à notre fecours par
notre grand & bon allié , le Roi de France , trouvé
des obftacles invincibles à l'exécution de leur projet
diabolique d'affujettir à l'esclavage un peuple
brave & libre ; en conféquence , ils prennent la
liberté d'avertir leurs compatriotes , qu'ils foient
fur leurs gardes contre les artifices de ceux qui ont
ou peuvent avoir été fufpectés d'être émiffaires &
amis fecrets de la nation Britannique ou de leurs
adhérens , qui s'efforceront , par tous les moyens
en leur pouvoir , d'exciter des jaloufies contre
cux , contre le Congrès , contre les Etats- Confédérés
& particulièrement contre nos alliés en Europe.

Réfolu en conféquence , qu'il foit recommandé
férieufement que , dans toutes les Elections aux
Offices de confiance & d'autorité , on ufe des plus
grandes précautions , pour n'y élever perfonne que
ceux qui , dans tous les tems , ont donné des preuves
non- équivoques de lear attachement conftant
à la caufe de l'Amérique & à l'alliance contractée
avec la France & la Hollande. Réfolu unanimement
, qu'il foit enjoint à l'imprimeur du Sénat
de publier dans fa Gazette lesdites Recommandation
& Réfolution ; & qu'il en imprime cent exemplaires
immédiatement , pour être envoyés par les
Membres de cette Chambre à leurs différens dif
( 110 )
tricts , & que les Shétifs foient requis d'en faire
la lecture la plus publique , à l'ouverture de la convocation
pour la première Election générale . Lu
deux fois & accordé par le Sénat à l'humanité «.
Nous n'avons point d'autres nouvelles de
ces-contrées ; nous ignorons abfolument ce
qui s'y paffe , & où en font les difpofitions
qu'on fait à New-Yorck , pour embarquer
nos troupes & les tamener en Europe ; tout
ce que l'on fait , c'eft qu'en effet le retour
des troupes Allemandes éprouve de grandes
difficultés, & qu'il eft à préfumer qu'elles
refteront en Amérique , où elles s'établiront ,
& que le Gouvernement fera obligé de payer
le prix convenu avec leurs Souverains à tant
par homme qui ne reviendra pas dans fa
patrie. Ce fera une nouvelle furcharge pour
nos Finances , & un nouvel accroiffement
de population pour l'Amérique , aux dépens
de l'Europe.
,
Les lettres reçues fucceffivement des Ifles
font de différentes dates. Celles du 6 Février
viennent de Sainte - Lucie. A cette époque
l'efcadre de l'Amiral Hood n'étoit point encore
revenue' aux Ifles ce qui donne lieu
de croire qu'elle eft à la Jamaïque. Les
François avoient quelques vaiffeaux à la Martinique
, & l'efcadre de l'Amiral Pigot formoit
deux divifions , dont l'une étoit à Sainte-
Lucie & l'autre à Antigues . Au furplus
on ne faifoit de part & d'autre aucuns mouvemens
, ni même aucuns préparatifs . L'ennemi
fembloit fatisfait de ce qu'il avoit conquis,
( III )
& l'Amiral Pigot , faute de troupes de terre ;
étoit obligé de refter dans l'inaction .
» Nous fommes affourchés depuis quelque tems ,
ajoutent ces lettres , dans le carénage de cette Ifle ;
rous ignorons abfolument quand nous recevrons
l'ordre de fortir de cette pofition ; tout eft ici auffi
tranquille que fi nous étions dans la plus profonde
paix. Les Iles Françoifes ne montrent pas plus d'activité
que les nôtres . La Guadeloupe qu'on difoit devoir
être l'objet des forces de l'Amiral Pigot à fon
retour de l'Amérique feptentrionale , paroît être
fans alarmes & fans appréhenfions . On dit que la
garnifon de cette Iile eft très forte , & que depuis
la guerre les François l'ont confidérablement fortifiée.
Nous manquons de tous les moyens néceffaites
pour agir ; nous avons une flotte refpectable & une
fupériorité décidée fur l'ennemi dans cette partie du
monde depuis le combat du 12 Avril , & nous
n'avons rien fair ; nous pouvons ajouter même que
nous n'avons pu rien faite. Il nous auroit fallu des
troupes , & nous n'avons pas même été en état
de chercher férieufement l'efcadre ennemie malgré
notre fupériorité , parce que nous avions horriblement
fouffert. Nous fouffrons beaucoup ici par les
maladies ; la conquête de Sainte-Lucie a été trèsmeurtrière
par là , elle nous coûte , à ce qu'on affure ,
depuis qu'elle eft entre nos mains , près de 4000
hommes ".
Les dernières lettres de cette Ifle font de
beaucoup poftérieures à celles là ; elles font
du 4 Mars ; & certainement il étoit difficile
d'en avoir de plus fraîches ; mais elles ne
nous apprennent rien ; ce qui confirme qu'à
cette époque , il ne s'étoit encore rien fait
de ces côtés ; il ne faut pas s'attendre à rien.
apprendre maintenant ; la nouvelle de la
( 112 )
paix , probablement arrivée dans le courant
du mois dernier , aura mis fin à tout projet
d'hoftilités ultérieures. On affure que pendant
la paix nous aurons aux Ifles de l'Amérique
2 vailleaux de ligne & un de so
canons ; & à la Jamaïque 2 vaiffeaux de
ligne & 2 de 50.
Après bien des embarras & des difficultés
la nouvelle Adminiftration a enfin été formée
le 1er. de ce mois ; on ignore comment
la coalition eft parvenue à s'arranger ; tout
ce que l'on fait c'eft qu'elle a triomphé. Il
n'y aura point de Chancelier ; les fceaux
& les fonctions de cette place importante ,
dont celui qui en eft revêtu fait quelquefois
trembler une Adminiftration entière , vont
être mis en commiffion , fous la direction
du Lord Longboroug & des Barons Eyie &
Notham .
Le Duc de Portland qui eft à la tête de
l'Adminiſtration actuelle , en qualité de
premier Lord de la Tréforerie , avoit longtems
refufé cette place délicate & difficile
, & l'a enfin acceptée. >
» Nous obferverons en paffant ici pour les étran
gers , dit un de nos papiers , que le premier Lord de
la Trésorerie eft dans le fait ici un premier Miniftre ;
l'Adminiftration à laquelle il préfide eft toujours
appellée de fon nom , & en cette qualité de premier
Miniftre , il eft prefque généralement refponfable
de tout ce qui fe fait dans chacun des départe
mens. Il en résulte que celui qui eft appellé aux honneurs
de ce pofte périlleux doit chercher , autant
qu'il eft en fon pouvoir , à n'admettre dans fes con(
113 )
feils que des gens dont il eft für ; de-là la grande
difficulté de former des Adminiſtrations fur ce que
nous appellons dans ce pays une baſe large & compréhenfive
; toutes les coalitions de partis n'étant
véritablement que des trèves momentanées entre le
feu & l'eau. Du moment qu'il fut queſtion du Duc
de Portland fur lequel on peut fe rappeller que
M. Fox jetta les yeux à la mort du Marquis de
Rockingham , ce Seigneur demanda la faveur d'une
conférence confidentielle à S. M. qui ne jugea pas à
propos de la lui accorder ; mais qui lui fit dire qu'elle
vouloit avoir un état exact & complet de l'Adminif
tration projettée depuis le Chef jufqu'au dernier
Officier. Cette demande parut au Duc de Portland un
piége que lui tendoit le Chancelier auquel il fuppofa.
l'intention de lui nuire en le mettant dans l'impoffibilité
d'obéir , parce qu'en effet il n'eft pas d'usage
qu'un Miniftre demande à un fujet quelconque s'il
veut prendre part à fon Adminiftration , à moins
qu'il ne foit en même-tems en état de lui donner
l'affurance que le Roi l'agréera . Ce furent ces
confidérations qui forcèrent le Duc de Portland de
fe retirer alors « .
Toutes ces difficultés qui fe font renouvellées
en dernier lieu , ont dû néceffairement
retarder auffi long tems qu'on l'a vu
la formation du nouveau Miniftère . On voit
dans la lifte le Lord North & le Lord Stormont
, qui faifoient partie de celui contre
lequel la Nation s'étoit fi fort élevé ; elle
reprocheit au premier de l'avoir engagée
dans la guerre de l'Amérique , & regardoit
le fecord comme l'auteur de la rupture avec
la Hollande ; l'un & l'autre quand ils ont
vu que les évènemens ne répondoient pas
à leur attente , & qu'il falloit finir par une
( 114 )
paix qui ne pouvoit être avantageuſe , n'ont
pas dû être fâchés de n'y avoir aucune part ;
ils ont dû fe prêter volontiers à leur retraite ;
maintenant qu'elle eft faite & qu'on ne peut
leur reprocher d'avoir donné les mains à
aucune des conditions que l'on a été forcé
d'accorder , ils rentrent en place. On croit
que la retraite de M. Fox , au moment où
la conclufion des préliminaires approchoit ,
a été aufli dictée par la politique ; en n'y
ayant aucune part , il s'eft réſervé le droit
de parler felon l'impulfion qu'il recevroit de
la Nation à laquelle il veut plaire . Il avoit
déja obtenu en entrant la première fois dans
l'Adminiſtration , la faveur de conferver fa
place au Parlement en qualité de repréfentant
de la ville de Weftminfter ; pour la
garder encore cette fois , il faut une nouvelle
élection , & il n'a pas héfité de fe mettre
fur les rangs . C'eſt à demain que l'élection
eft fixée.
L'acceptation qu'a faite le Duc de Portland
de la place de premier Lord de la Tréforerie
, va laiffer en Irlande le Lord Temple
, à qui , fur fon refus , elle avoit été
offerte. Les ordres qui lui avoient été envoyés
pour fon retour cnt été contremandés
fur la demande particulière du Roi ; & cette
nouvelle fera fans doute grand plaisir à l'Irlande
, qui voyoit avec regret le départ de
fon Vice- Roi .
On n'a point encore de nouvelles officielles
de l'Inde . Tout ce que l'on fait des deux
( 115 )
combats fe réduit à un précis d'une lettre
lue dans une affemblée des Propriétaires de
la Compagnie , reçue par la voie du Caire .
Les circonstances contenues dans ce précis ,
donnent autant d'efpoir que de crainte ;
on eft même tenté de croire que la dernière
domine , puifque jufqu'à préfent la Gazette
de la Cour garde le filence fur des évènemens
aufli confidérables que les combats du
6 Juillet & du 3 Septembre , que la Compagnie
elle -même n'a fait inférer aucun article
officiel dans les autres feuilles publiques ,
comme elle eit ordinairement dans l'ufage
de le faire.
On délibéra , dans la même féance , fur
la gratification qui devoit être accordée à M.
Baldwin , Négociant au Caire , en reconnoiffance
des foins qu'il s'eft donné juſqu'à
préfent pour entrètenir la correfpondance
par terre entre la Compagnie & l'Inde. La
Direction avoit fixé cette gratification à 1200
liv. fterl. Le Gouverneur Johnftone ayant
obfervé que cette récompenfe ne paroilloit
pas proportionnée aux peines qu'avoit prifes
& aux dépenfes qu'avoit dû néceffairement
faire M. Baldwin , on remit cette
affaire à un examen ultérieur .
Dans la même affemblée générale , on remit aux
Intéreffés un Etat des affaires de la Compagnie ,
dans laquelle on prouve qu'elle le trouve dans les
plus déplorabies circonftances ; quoiqu'elle ait acincilement
un grand nombre de vailleaux à fon fervice
on en pourra juger par le rapport des comités
nommés par la Chambre des Communes 9
( 116 )
chargés d'examiner la Requête où la Compagnie
demande à négocier un million & demi de liv.
fterlings , ainfi que la décharge des anciennes fommes
qu'elle doit à la couronne. Il paroît , par ces rapports
, que le Ministère Anglois a demandé de la
Compagnie en 1781 , une fomme de 634,645 liv .
fterl. faifant le tiers du profit de la Compagnie ,
déduction faite de fes dettes & des payemens qu'elle
doit encore faire ; mais que la Compagnie s'étant
opposée à ce payement , on étoit convenu qu'elle
payeroit , au lieu du bénéfice ftipulé , une fomme
de 480 mille liv. fterlings , dont la Compagnie avoit
Fayé 300 mille , mais qu'elle fe trouvoit actuel
lement hors d'état de fatisfaire les 100 mille ref
tantes Qu'en outre , la Compagnie étoit encore
redevable à la couronne pour droits d'entrée ,
fomme de 396,466 liv . Iterlings ; mais le trouvant
hors d'état de fatisfaire cette dette , le payement
en avoit été renvoyé au premier Avril 1783 , comme
il paroît par un acte paflé dans l'Affemblée. De
plus , , que la Compagnie s'étoit vue dans la nécef
fité de renvoyer le pavement d'un grand nombre
d'autres dettes , comme frêts de navires , folde de
mois des fubreca .goes & autres dépenses pour l'é .
quipement des navires , &c. Que , fuivant le rag
port de M. John Annis , Auditeur des Comptes de
la Compagnie , il paroît qu'elle est encore chargée
des det es fuivantes. Dans le Bengale , lès dettes
fe montoient au 25 Février 1782 ,
2
à liv . fterl.
Au Fort St George , fuivant
le compte du 28 Octo-
• • bre 1781 .
Et à Bombay , le 17 Mai
1781.
--
d'une
-
2,263,616
· $39,011
1061,097
liv. fterl. • 3.773.724
( 117 )
Que la fomme dont la Compagnie auroit befoin
pour continuer fon commerce jufqu'au premier Mars
1784 , fe montoit , fuivant un calcul exact , & dans
la tuppofition où les navires qu'elle attend de retour
, arrivent a bon port , à environ 900,000 liv .
fterl. , fi du moins elle ne paye pas les 100 mille liv.
fterl. ci- deff is mentionnées. - Que , fuivant le rapport
de M. Richard Cole , premier Clerc du bureau
de tranfport , la Compagnie payoit ordinairement
en tems de paix 22 liv . fterl . 10 schel. par con
neau pour le tranfport ; mais que , pendant la guerre ,
ele avoit dû payer 35 liv. iterl. 4 fchel . par ton .
neau ; qu'ainfi , en calculant fes frais de tranſport
fur 25 navires , chacun de 758 tonneaux , que la
Compagnie met en chargement tous les ans , il paroît
clair qu'en tems de guerre , elle apayé 457,055 1 .
fterl. de plus pour le tranfport de fes marchandifes
qu'en tems de paix , fans compter les frais occafionnés
par la détention des navires , qui ont été
ob igés de refter plus lor g-tems en rade qu'en tems
de paix. Que , lorfque la vente que la Compagnie
fait dans le mois de Septembre , qui eft ordinairement
la plus confidérable , elle fe trouvoit cependant
toujours obligée en tems de paix , fi cette
vente fe faifoit régulièrement , d'emprunter de la
banque 3 à 400,000 liv. fterlings , & que cette
fomme étoit rembourfée par la Compagnie à la
banque , après la vente faite au mois de Septembre ,
d'où il est aisé de conclure dans quelle circonftance
la Compagnie doit être , fi elle eft obligée de continuer
à verfer ce profit en faveur de la Couronne
fuivant l'acte de la vingt-unième année du préfent
règne.
-
On affure que les affaires de cette Compagnie
vont être revues & examinées avec toute
la févérité poffible , & que plufieurs de fes
principaux Officiers feront rappellés auffi - tôt
après la fignature de la paix.
( 118 )
Le Chevalier Thomas Pye , qui depuis le
commencement de la guerre avec la France ,
occupoit la place de Commandant en chef
des vaiffeaux de S. M. à Portfmouth , vient
de fe démettre de ce commandement. Cette
retraite a donné lieu à l'arrangement fuivant.
Le Vice - Amiral Montague relève le
Chevalier Thomas Pye , le Vice - Amiral
Campbell a le commandement de Portf
mouth , & le contre-Amiral Hood , fur la
demande du Chancelier de l'Echiquier
avant qu'il eût donné fa démiffion , a été
nommé Gouverneur & Commandant en
chef à Terre-Neuve.
D'après les rapports faits à l'Amirauté
les vaiffeaux qui font actuellement en conftruction
dans les différens chantiers font les
fuivans.
-
A Deptfort un de 90 canons , 2 de 74 & un
yacht. A Woolwich , un de 90 , un de 74 &
un de 36. A Chatham , un de 110 , 2 de 74
& un 64. A Rocheſter & à Harwich
74 & un de 32. A Shéerneff , un de 64 8: un
de 28. A Portsmouth , un de 90 , 3
-
& un de 64.
90 ,
--
-
› z de
de
74
A Plymouth , un de 100 , un de
2 de 74 & un de so ; en tout 21 vaiffeaux
de ligne , dont un de 110 , un de 100 , 4 de 90 ,
10 de 74 , 3 de 64 , 2 de so , 3 frégates & un
yacht.
› Suivant les lettres de Portſmouth , la
Queen , la Princeffe Royale , le Gange , le
Triomphe & le Pégafe , font entrés le 30
dans ce Port , pour y être retirés de commiffion,
( 119 )
A Chatham , l'Irréfiftible de 74 , va être
équipé , pour fervir comme vaiffeau de
garde. L'Adamant & la Démone de so , vont
être retirés de commiffion , ainfi que 49
vaiffeaux , y compris les frégates , les floops
& les brûlots ; le Diademe , vaiffeau neuf
de 64 , a auffi été retiré de commiffion , mais
fera employé comme vaiffeau de garde ,
» On vole , on tue , dans cette ville , écrit- on
d'Edimbourg , tout autant qu'à Londres ; à peine fe
paffe- il un jour que dans la ville & fes environs
quelqu'un ne foit attaqué & dévalifé ; nos prifons
regorgent de malfaiteurs . Samedi dernier entre 7 &
8 heures du foir le Général Home a été terraffé à
l'entrée de fa propre maiſon , & volé : outre les con
tufions qu'il a reçues , il a es en tombant l'épaule diſloquée.
La garde ayant immédiatement donné l'alarme
, les voleurs ont été arrêtés , & l'un d'eux avoit
la montre du Général dans fa poche. On a trouvé
que ce font les matelots d'un floop qui mouille à
Leith. Il vient de fe formerici une fociété favante
qui prend le titre de Société des Antiquaires d'Ecofle .
Dans la requête qu'elle a préfentée au Roi , elle expofe
que plufieurs perfonnes diftinguées par leurs
connoiffances dans les antiquités & l'hiftoire civile de
ce pays , fe font réunies pour perfectionner l'efprit
humain & propager le goût des connoiffances utiles ;
que le fuccès a déja furpaflé leur efpoir ; que nombre
-de favans nationaux & étrangers on enrichi cette
Société de précieux Mémoires ; que des perfonnes
riches ont donné libéralement des fonds qui les ont
miles à portée d'acquérir une maifon à Edimbourg
d'y raffempler des manufcrits , des monumens d'antiquité
, mais que pour poffeder tous ces objets à
titre de propriété , elles ont befoin que la Couronne
les érige en Corps légal, & les parente juridiquement.
Le Roi avant de fe déterminer fur cet objet , a rens
( 120 )
2.
voyé la requête au Lord Avocat d'Ecofle ; mais pendant
fon examen , les Corps littéraires déjà exiftans
ont formé des oppoſitions à l'érection de cette nou
velle Société . Il en résulte un procès curieux , &des
mémoires de paft & d'autre où la rivalité & les
traits même de la jaloufie percent au travers de l'éloquence.
On eft fort impatient de voir ce qui fera
décidé à ce fujet. A l'occafion de ces débats litté
raires , quelqu'un fait obferver avec affez d'adreffe
qu'on peut comparer dans ces dernieres années
I'Irlande & l'Ecoffe. L'une s'occupe à recouvrer fes
droits politiques & civils , l'autre contefte & fe démène
pour une Société d'Antiquaires « .
FRANCE.
De VERSAILLES , le 1er. Avril.
LL, MM. & la Famille Royale fignèrent
le 30 du mois dernier le contrat de mariage
de M. de Sape , Préfi lent à Mortier du
Parlement de Touloufe , avec Mademoiſelle
-de Corberac de Saint- Morice.
De PARIS , le 1er. Avril.
LA divifion de notre efcadre partie de Cadix
, aux ordres de M. de la Motte-Piquet ,
eft arrivée à Breft , où elle a débarqué un
affez grand nombre de malades , que le féjour
à terre & une meilleure nourriture ne
tarderont pas à rétablit . La divifion qui fe
rend à Toulon , avoit été forcée par les vents
contraires de mouiller à Malaga , d'où quelques
vaiffeaux font arrivés fucceffivement
à leur deftination à la fin du mois dernier.
Le Lion de 64 canons , écrit on de ce port , faifant
( x21 )
―― Le
Cant partie de noue efcad e , eft entré ici le 25
Mars ; il a déclaré qu'il avoit laifié l'eſcadre à la hau
teur de Malaga ; ce vaiffeau avoi à bord 14 matelots
malades , qu'il a déposés à l'hopital de St. Mandrier
, & environ 30 hommes des troupes de terre
qui l'ont été a celui du fort de la Malgue.
Suffifant de 74 arriva le 27 au foir , après avoir été
féparé de l'efcadre par un gros tems qui l'avoit forcé
de mouiler aux Ifles d'Hyeres avec deux bâ imens
chargés de troupes. La frégate la Flore mouilla
auffi le 25 dans notre rale ; elle vient de Marſeille
où elle a conduit un convoi qu'elle avoit pris fous fon
cfcorte dans différens poris de la côte de Barbarie.
Le Lion & la Flore ſe diſpoſent à entrer dans le port
pour travailler a leur defarmement.
-
-
- La
corvette
la Blonde mit à la voile le 29 pour une deftination
inconnue. On attend d'un moment à l'autre le
refte de l'efcadre de Cadix , qui a été vráiſemblablement
féparée par les vents du nord qui règnent
conftamment depuis plufieurs jours .
Des lettres du 6
annoncent que cette divifion
de l'efcadre étoit fignalée.
On lit dans une lettre de Cadix les détails
fuivans de la croiſiète de M. Dupleffis Pafcaut
, fur le Cap St Vincent.
Le
lendemain de fon départ cet officier apperçut
le vaiffeau Anglois & la fregate qui avoient paru
quelques jours auparavant à l'ouvert de la baie ;
trois de fes vaiffeaux les chafferent jufqu'à la nuit &
perdirent alors tout efpoir de les joindre . Cette divifion
ne reft: que fort peu de tems ; à peine arrivée
fur le cap St- Vincent , elle fut relevée des vaifpar
feaux Efpagnols qui y refterent pour attendre le
convoi de la Havane ; elle apprit le matin du jour où
el'e rentra à Cadix par deux bateaux pêcheurs la
nouvelle de la paix On s'occupa auffi-tôt a débarquer
toutes les monitions & les troupes.
19 Avril 1783 .
-
f
- Le tems
( 122 )
toujours contraire a retardé le départ de chaque di
vifion pour fa deftination . Tous les matins le vent
tournoit un peu , mais à peine les vailleaux avoientils
levé l'ancre qu'il - retournoit au N. O. Ce ne fut
que le 4 que la divifion de Toulon profita d'un fouf
fe de vent pour partir , & à peine étoit-elle hors les
porques , qu'il retourna encore au N. O.; mais c'étoit
celui qu'il lui falloit pour failer le détroit.
La divifion de Breft ne put partir que le 18 ; &
comme il y eut le lendemain un coup de vent de
N. E. en ne doute pas qu'elle n'ait double en peu de
tems le cap St -Vincent. Le Réfléchi palle aux
ifles avec le louge le Chaffeur , 12 fùtes chargées
pour le Roi & qui doivent ramener les troupes des
colonies en Europe & une vingtaine de bâtimens
marchands.
--
Selon les lettres de Breft , le Téméraire ,
vaiffeau neuf de 74 canons , doit bientôt
appareiller de ce port , pour aller de conferve
avec un vailleau Anglois à Terre-
Neuve , établir les limites , & recevoir la
ceflion des Ifles de St-Pierre & Miquelon.
Le 9 du mois dernier , écrit-on d'Ardes en Auvergne
, fur les 9 heures du matin , il s'eft écroulé ,
fans qu'on fache par quelle caufe , une partie
de montagne prodigieufement élevée. L'écroulement
a été fi confidérable qu'il a arrêté depuis la
chute jufqu'au lendemain às heures du matin , la
riviere d'Ardes qui cft affez abondante , fans qu'il
s'en foit écoulé une goutte d'eau fur le terrain du
bas de la colline qui s'eft écroulé , & en moulin
composé de 2 bâtimens qui ont été englouris
fans qu'il en paroiffe aucun veftige. Par un hazard
heureux , un domestique de ce moulin qui le trouvoit
fur le terrein qui s'enfonço't , s'appercevant
du danger , s'eft fauvé au moment où le rocher
s'écrouloit , & avant que la terre s'entro vrît ſous
( 123 )
Les pas. Un autre
particulier
n'a pas eu le même
bonheur
; plus
éloigné
du bon
terrein
que
le premier
, il faifoit
tous
les efforts
pour
l'atteindre
,
en criant
à tout
le monde
d'en
faire
autant
; il
n'a
pas
ca malheureufement
le tems
d'y arriver
,
& il a été enféveli
. La Meûniere
a fubi
le même
fort
pour
avoir
perdu
du tems
auprès
de fes beftiaux
quelle
vouloit
faire
fortir
de l'écurie
où elle
a été
écrasée
avec
eux. Un enfant
de 5 à 6 ans
auroit
également
péri , fans
le fecours
d'un
paylan
qui
quoique
à l'abri
du danger
, a ofé s'y expofer
pour
l'aller
chercher
, l'a chargé
fur fon dos & l'a
mis
en sûreté
. Ce trait
d'humanité
eft d'autant
plus
louable
dans
ce payfan
que
l'enfant
lui étoit
étranger.
La hauteur
du rocher
écroulé
étoit
d'environ
400
toiſes
; la chauffée
qui s'eft
enfoncée
par l'éboulement
eft à -peu -près
de 1ço
de longueur
fur
80 de largeur
, la nappe
d'eau
qui
s'est
faite
en a
plus
de 400
de longueur
, fur
une
profondeur
de
100
pieds
, autant
qu'on
peut
en juger
par la hau
teur
des
arbres
qui
y étoient
plantés
& qu'on
n'ap
perçoit
plus. L'eau
fort
actuellement
par un paffage
quelle
s'eft
creusée
fur
la chauffée
d'environ
20
Fiels
de largeur
, & la quantité
n'eft
pas plus
confidérable
que celle
que la fource
forme
ordinairement
.
A côté de ce tableau affligeant , & qui
auroit offert une catastrophe plus terrible
encore , fi cet éboulement eût eu lieu dans
un endroit plus habité que la campagne ,
nous placerons des dérails que nous puifons
dans une lettre de M. le Peletier , Intendant
de Soiffons , à la Société d'Agriculture
de certe Ville .
J'ai appris , MM. , avec plaifir , que vous cherchiez
à vous occuper à améliorer l'existence phyfique
des pionniers de ma Généralité ; c'eft feconder
mes vues de bienfaiſance que d'étendre vas foins
f 2
( 124 )
>
fur la claffe la plus malheureufe de la fociété.
J'ai cherché , autant que j'ai pu , à poster la vie
dans les différentes parties de l'adminiſtration qui
m'eft confiée j'ai cru m'honorer moi- même en
honorant l'Agriculture dans une Province agricole ,
comme j'ai cru devoir honorer le commerce dans
une ville maritime. Dans tous les lieux j'ai protégé
l'indigent , mais c'eft dans mon coeur aurant
que dans les droits de ma place , que j'ai trouvé
les refources néceffaires pour opérer des changemens
avantageux . Sous un Maître dont tous les
pas font dirigés par la justice & l'ordre , les monumens
de bienfaifance font les feuls que l'on doive
dépofer au pied du trône , pour former la bafe
de la felicité publique. Il y a long- tems que l'état
des prifons de la ville de Seiffens m'affligeoit particulièrement
, mais il falloit at endre que l'oeil du
Monarque fe fût abaiffé fur ces lieux de douleurs ,
pour former des projets . Heureufement , la révo
lution eft arrivée , & j'ai profité de la circonftance
pour obtenir des fonds. Le Miniftre des Finances
a adopté les plans que je lui ai préfentés , & la ville
aura inceffamment un édifice qui atteftera que , fous
le règne de Louis XVI , tous les hommes fent éga
lement inferits dans le coeur paternel du Monarque.
On m'a mis fous les yeux le projet d'un Bureau
pour les prifonniers ; j'en adopte la forme & les
moyens. Cet établiffement , le premier qui fe fera
formé dans le Royaume ne peut être confié
MM. , en de meilleures mains que les vôtres ; j'ai
toujours renfé que les Corps font faits pour infpirer
la confiance , & je ne doute pas que votre foufcription
ne réuffifle . Rangez-moi , je vous prie , au
nombre des bienfaiteurs. J'approuve infiniment le
foin que vous avez cu d'admettre à vos affemblées
MM. les Curés & les Dames de charité. Ces ames
vertuenfes font faites , par état , pour attacher fans
ceffe quelques heures de confolation à des jours

( 825 )
affreux qui s'écoulent dans les angoiffes & le m :fheurs
on ne fauroit trop honorer leur tendre follicitude
& leur bienfai ante activité. Il est bien im
portant , MM. , que vous vous occupiez de conftater
le revenus fixes des prifonniers . Je me chargerai
vo ontiers de pé enter votre travail au Miniftre.
Je ne faureis trop vous engager à bornet
vos foins à ne fornir aux prifonriers que des fecours
charitables , & à refpecter les Lox. Je fais
que parmi les membres du Bureau d'Agriculture ,
fe trouvent M. le Lieutenant Général , M. le Lieutenant
Criminel & M. le Procureur du Ro ; ces
Officiers chercheront à vous éclairer fur les bornes
que votre zèle doit effecter , & ils fe feront un
devoir de concourir avec vous au plus grand bien.
J'ai chargé M. de Montlisot de me rendre compte
directement de vos vues & de vos progrès ; il a
des droits à ma confiance , par la manière avec la
quelle il dirige , dans la Maifon de travail , une
claffe de malheureux qui avoient befoin d'un zèle
actif & éclairé . Ne peidez pas de vuc , Meilleurs
que ces deux qualités réunies peuvent feules opé
rer le bien , & que les loix & les formes font &
doivent être la bafe de toute adminiftration .
La Société d'Agriculture a fait à cette
lettre la réponſe fuivante.

En approuvant nos vues de bienfaifance , c'eft nous
donner une preuve nouvelle de protection & un
degré d'utilité que nous chercherons à conferver
dans tous les tems . Jaloux d'obtenir la bienveillance
publique & votre confiance , nous apporterons , dans
les fonctions dont nous allons être chargés , tous
Ies tempéramens qui peuvent en aflurer l'exécution
Nous favons que vous avez toujours donné
une attention particulière à concilier le bien de la
province avec les leis & les formes : c'eft d'après
ce principe que nous dirigerons nos démarches.
f3
( 126 )
"
Comme nous vous rendrons compte de nos opérations
, nous espérons que vous voudrez bien nous
aider de vos lumières ; l'art d'un Adminiftrateur
tel que vous , n'eft pas d'employer l'autorité , mais
de fe fervir des Corps pour apprendre aux hemmes
à faire le bien & à refpecter les loix . Nous nous
fommes flattés que vous trouveriez bon que ce
nouvel acte de bienfaisance , ainfi que celui de notic
reconnoiffance , devinent publics pour notre ville
& la province , qui doivent tout à votre zèle éclairé
& paniotique.
A cette lettre nous en joindrons une autre
, qui tient d'allez près aux Arts & à
P'utilité publique , pour trouver place ici ;
tout ce qui peut contribuer à multiplier des
établillemens faits pour affurer la fubliſtance ,
mérite d'être diftingué .
J'arrive de Nantes , eù j'ai été retenu plus longtems
que je ne comprois , par l'examen que j'y ai
fait l'un nouvel établilement dont l'utilité me femb'e
intéreffer le genre homaio . C'eſt une Etuve où
l'on doit étuver ou fécher toutes fortes de grains ,
légumes ou farines , ainfi que du pain de mer , de
manière à les pouvoir conferver plufieurs années ,
même dans les voyages de long cours . Une fociété
de Négocians armateurs & autres honnêtes citoyens ,
ont fermé cet établiffement corfidérable , commencé
au mois d'Acût 1781 , & qu'on eftime être en
état de fervir au mois de janvier prochain. Je vous
connois affez curieux des chofes utiles pour ne pas
craindre de vous ennuyer par les détails dans lef
quels je fuis entré moi - même pour bien connoître
cet établiffement , qui méritera sûrement la protection
du Gouvernement , & dont il eft à defirer
que l'on fuive l'exemple dans d'autres villes , &
même en le fimplifiant dans les bourgs & villages
127
où il y ades fours banaux , puifqu'il offre le moyen
le plus sûr & le plus économique , d'empêcher
que les grains ne fe gâtent par la fermentation ,
& de détruire les infestes qui les rongent. Les culsivateurs
, alors , feroient moins preffès de vendre ,
& nous aurions toujours un approvifionnement plus
cerrain , non- feulement pour la quantité , mais encore
pour la qualité . Cet établiſſement eft fitué à
une des extrémités de la ville fur le bord de la
Loire il confifte en plufieurs magans au milieu
defquels eft piacée cette étuve ou fécherie , qui a
27 pieds de haut , fur 22 pieds de long , & 10 pieds
& .demi de large ; elle tient à une boulangerie à
deux fours qui fe joignent , & dont les voûtes fe
trouvent dans l'intérieur de l'étuve. Ces fours cuiront
du pain quatre ou cinq fois par jour , & la
chaleur qu'ils donneront , à laquelle fe joindra celle
de deux brafiers , fuffira pour fécher les grains
farines , &c. , qui feront exposés dans l'étuve , fur
hait planchers de tôle relevés en baffins , & féparés
en deux , de manière qu'il reftera un pied de
vuide autour des planchers , & deux pieds au milieu
dans toute la longueur de l'étuve , pour laif
fer monter plus librement la chaleur. Un des Affociés
, Auteur de cette entreprife , déja connu par
les bons effets qui font réfultés jufqu'à préfent de
l'écuvage qu'il a établi à Nantes en 1763 , des fêves ,
pois & lentilles pour le commerce de l'Afrique
eftime , m'a-t- on dit , qu'il fera poflible d'étuver ,
dans cette nouvelle étuve , vingt à ving- cinq milliers
de grains ou farines par 24 heures ; & ce ,
feulement par l'économie d'une chaleur qui tombe
en pure perte dans toutes les boulangeries du
Royaume.
Parmi les inventions curieufes , & qui
peuvent être utiles en les perfectionnant ,
on pourra placer la fuivante.
£f 4
( 128 )
M. Regnier , Mécanicien de S. A. S. Monfeigneur
le Duc de Chartres , a imaginé & conftruit un cadran
folaire , ou pour mieux dire , un méridien horifontal
, qui , par le moyen d'un rouage caché dans
le piédeſtal , fonne midi toutes les fois que le
ciel eft fans nuages lorfque le foleil eft au méri
dien. Le moyen qu'employe M. Regnier pour faire
échapper la détente de cette fonnerie , n'exige pas
même un tems bien clair. Il s'en eft affuré par une
faite d'expériences qu'il a faites dans le cours de cet
hiver ; il arme fon méridien d'une loupe , & l'effet
s'exécute avec moins de chaleur qu'il n'en faut pour
enflammer de la bonne poudre à canon bien condi
ionnée ; on fent qu'il faut remonter le rouage
chaque fois qu'il a fonné . Le piédeſtal de tôle
vernillée a environ huit pouces de long fur fix de
large , & fept d'épaiffeur : la totaliré de la machine
a environ 18 pouces de hauteur. La forme agréable
de ce méridien fonnant peut lui faire trouver
place dans un appartement , d'autant plus qu'il produit
fon effet en recevant les rayons du foleil à
travers les carreaux de vitre , & fur tout , lorfqu'ils
font en verre de Bohême. Le Mécanisme de ce méridien
conftruit en petit , tel qu'il eft ici propofé
à MM. les Soufcripteurs , peut fervir de modèle
pour l'exécution d'un méridien en grand , fait pour
l'afage public. M. Regnier s'occupe actuellement
à en conftruire un de ce genre pour la ville en
Auxois , où il réfide. Le prix de ce méridien pour
MM. les Soufcripteurs , eft de 96 liv. , dont 48 liv.
en retirant le méridien . On foufcrit par la voie
de la pofle , chez l'Auteur , à Semur en Auxois ;
ou à Paris , chez M. Boulanger , fils aîné , Négo.
ciant , à la Gerbe d'Or , vis-à - vis le fépulchre. L'Artifte
prévient qu'il n'expédiera de ces méridiens
fonnans que lorsqu'il aura 20 foufcriptions . Il en
a déja plufieurs de conftruits , qu'il fe fait un plaifir
de montrer aux curieux .
( 129 )

La Société Royale de Médecine , dans fa Séance
publique du 11 du mois dernier , a diftribué les
Prix qu'elle avoit propofés en différens tems . Le
premier de 1200 livres dû à la bienfaifance de
M. Lenoir , Lieutenant - Général de Police , & Mcmbre
de la Compagnie , étoit deftiné à la queſtion
fuivante : Déterminer quel eft le meilleur traitement
de la rage ? Trois Mémoires lui ont paru le mériter
. Celui de M. Leroux , Chirurgien- Major de
Hopital - général de Dijon , & Affocié de l'Aca-"
démie de la même Ville , a obtenu une médaille
d'or de la valeur de 6co liv. M. Baudot , Docteur
en Médecine à la Charité-fur- Loire , & M. Bonteille
, Docteur en Médecine à Marofque en Provence
, en ont eu chacun une de la valeur de 3co liv.
-
Le fecond Prix , de la valeur de coo livres ,
deftiné à la queftion fuivante : Déterminer quels
font les fignes qui annoncent une difpofition à la
Phryfie pulmonaire , & quels font les moyens d'en
prévenir l'invafion , ou a'en arrêter les progrès
a été remporté par M. Baumes , Docteur en Médecine
à Lunel en Languedoc. Parmi les 25.
autres Mémoires envoyés pour ce concours , deux ,
fur-tout , ont mérité d'être diftingués , & ont obtenu
l'acceffit. L'un eft de M. Bonté , Dofieur en Médecine
à Coutances en Normandie ; l'autre , de
M. Raymond , Docteur en Médecine à Marseille,
La Société a de plus diftribué huit médailles de
différente valeur aux Médecins qui ont envoyé les
Mémoires les mieux rédigés fur le traitement des
Epidémies. La Société propofe pour fujet d'on
Prix de la valeur de 600 livres , fondé par le Rei
Ja queftion fuivante : Déterminer quels font les
rapports qui exiftent entre l'état du foie & les
maladies de la peau ; dans quels cas les vices de
la bile qui accompagnent fouvent ces maladies , en
font la caufe ou l'effet ; indiquer en même- tems
Les fignes propres àfaire connoître l'influence dos
( 130 )
--
--
uns fur les autres , & le traitement particulier que
cette influence exige . Les Mémoires feront envoyés
avant le premier Mai 1784. Le Prix fera dutribué
dans la Séance publique de la fête de St - Louis de
la même année . Pour un autre Prix de la valeur
de 600 livres , dû à la bienfaiſance de M. Lenoir ,
Lieutenant-général de Police , on propofe la q eftion
fuivante : Déterminer quelles font , parmi les
maladies , foit aigües , foit chroniques , celles qu'on
doit regarder comme vraiment contagieufes ; par
quels moyens chacune de ces maladies fe communique
d'un individu à un autre ; & quels font les
progrès de ces différentes contagions ? - Les Mémoires
feront envoyés au concours avant le picmier
Janvier 1785 , le Prix fera diftribué dans la
Séance publique du Carême de la même année.
La Société propofe pour fajet d'un troisième
Prix de la même valeur : Quels font en France
les abus à réformer dans l'éducation phyfique
& quel est le régime le plus propre à fortifier le
tempérament , & à prévenir les maladies des
Enfans , eu égard aux ufages & aux différentes
températures ? Ce Prix fera diftribué dans la Séance
publique de la fête de Saint Louis en 1784. Les
Mémoires feront envoyés avant le premier Mai de
la même année. Le fujet d'un Prix d'Emulation
eft celui-ci : Si la maladie connue en Ecoffe & en
Suède fous le nom de Croups , ou Angina Membranacea
feu Polypofa , & qui a été décrite principalement
par les Docteurs Home , en 1765 , &
Michaelis , en 1778 , exifte en France ; dans quelles
Provinces elle a été obfervée ; par quels fignes
diagnostics on l'a diftinguée des autres maladies
analogues , & quelle méthode de traitement on a
employépour la combattre ? La Société diftribuera ,
dans fa Séance publique de St Louis , 1784 ,
des
Prix d'encouragement aux Auteurs des Mémoires
qui feront jugés les meilleurs parmi ceux envoyés
-
( 131 )
à ce concours. Ils feront remis avant le premier
Mai de la même aanée . Ils doivent être envoyés
francs de port , à M. Vicq - Dazyr , Secrétaire de la
Société Royale de Médecine , rue des Petits-Auguftias
, avec les formalités ordinaires .
La foufcription de l'Encyclopédie Méthodique
, au prix de 151 liv. ( 1 ) , fera rigoureufement
fermée au 30 Avril 1783 , ainfi
que les Editeurs en ont pris l'engagement pat
le Profpectus ; paffé ce terme , chaque volume
de Difcours fera du prix de 12 livres
au lieu de onze livres , & chaque volume
de Planches trente livres au lieu de vingtquatre
livres , pour les perfonnes qui n'auroar
pas fouferit.
Arrêt du Confeil d'étar du Roi , qui ordonne l'ouverture
d'un em runt , par forme de Lorerie , rembourfable
en kuit années . Du S Avril. Le Roi s'étant
fait rendre compte des désenfes de la guerre qu'il
fera néceffaire d'acquitter dans le cours de cerre an
née ; S. M. a confidéré que le plus grand bien de fon
fervice , exigeoit qu'une partie de ces dépenfes fût
payée plus promptement que ne le permettroit le
recouvrement fucceffif des fonds qu'Elle y a deſtinés ;
& comme fon intention eft d'accélérer le paiement
defdites dépenfes , fans qu'il foit fait de nouvelles
anticipations fur les revenus , & d'entretenir fon
Tréfor royal dans l'abondance , que S. M. a toujours
regardée comme le moyen le plus capable de main-
( 1 ) Cette Encyclopédie , en ne la fuppofant que de 53
volumes de Difcours , comprendra près du double de difcours
de la première édition de l'Encyclopédie in-folio , le
même nombre de Planches , & cependant elle ne coûte pas
moitié de cette édition in-folio . La troisième liyraifon eft
actuellement en vente , & compofte du Tome premier des
Planches , Tome premier du Commerce , & Tome premier
feconde Partie des Arts & Métiers méchaniques,
16
( 132 )
tenir l'ordre & l'exactitude dans l'adminiftration de
fes Finances ; Elle a réfolu de faire un Emprunt de
vingt-quatre Millions , rembourſable par fort de
Loterie en huit années. Cet Emprunt fe divifera en
quarante mille billets de fix cents livres chacun , &
préfentera à ceux qui s'y intérefferont beaucoup de
chances de fortune : & les moins favorifés par le fort,
y retrouveront leur capital , avec un intérêt annuel de
quatre pour cent. 1º. Il fera ouvert au Tiélor royal
chez le fieur Micault d'Harvelay, auffi - totaprès la pu
blication du préfent Arrêt , une Loterie , dont S. M.
a fixé le fonds à la fomme de vingt- quatre milijons
2º. Ladite Loterie fera compofée de quarante mille
billets de 600 liv. chacun , payables en deniers comtans
en un feul paiement , en levant le billet . 3 ° . Il
fera fait huit tirages de lots & de rembourfemens
d'année en année , à commencer au mois d'Octobre
1783 , jufques & compris 1790 , le tout conformément
aux tables defdits tirages annexées au préfent
Arrêt. 4 ° . Le paiement des lots & le remboursement
des capitaux , fera fait en deniers comptans , pat- ledit
fieur Micault d'Harvelay , dans le mois d'Avril
qui fuivra le tirage , à commencer du mois d'Avril
mil fept cent quatre-vingt- quatre , & ainfi de fuite
d'année en anné jufques & compris le mois d'Avril
1791. 5°. S. M. attribue vingt-quatre livres par an ,
à chacun des billets qui entreront dans la roue , pour
concourir aux tirages des lots & des rembourfemens
; laquelle attribution fera payée à la même époque
du mois d'Avril de chaque année , dans laquelle
les rembourfemens auront lieu , & ce , fans a
cune réduction des lots qui feront échus auxdits
billets; au moyen de quoi chaque billet , fera gar
ni de huit coupons de 24 livres chacun , conformément
au modèle annexé au préſent Arrêt . 7º.Les huit
airages de lots & de rembourfemens ci- deffus indiqués
, feront faits publiquement en la grande Salle
de l'Hôtel-de- ville de Paris en la maniere & avec les
133 >
-
--
formalités accoutumées , en préfence des ficurs Prévôt
des Marchands & Echevias de ladite Ville . 7º .
Tous les fujets de S. M. , de quelqu'âge & condition
qu'ils foient , pourront s'intéreffer en ladite Loterie ,
comme aufli les étrangers ; S. M. renonçant en faveur
defdits étrangers , même à l'égard de ceux qu
font fujets des Princes & Etats avec lesquels elle
pourroit être en guerre , à tous droits de marques ,
de confifcation & de repréfailles qui pourroient
lui appartenir. Le premier tirage en Octobre
1783 fera de 4000 billets qui concourront à un lot
de 120,000 liv. , un de 60,000 , trois de 12,000 ,
s de 8000 , 10 de 3000 , 20 de 2000 , 40 de 1200 ,
120 de 800 , 200 de 750 , 400 de 720 & 3 200 de 600.
-Le fecond tirage en Ottobre 1784 ,
fera de 4500
billers , qui concourront à un lot de 120,000 liv. , 1
de 60,000 , 4 de 12,000 , 4 de 6000 , 10 de 3600 ,
30 de 1500 , so de 1000 , 100 de 800 , 300 de
750 , 400 de 720 , 3600 de 600. Le troifième
tirage en Octobre 1785 , fera de 4500 billets , qui
concourront à 1 lot de 120,000 liv. I de 60,000 ,
4 de 12,000 , 4 de 6000 , 10 de 3600 , 30 de 1500 ,
so de 1000 , 100 de 800 , 300 de 750 , 400. de 720
3600 de 600 Le quatriemetirage en 1786 , fera
de 4500 billers, qui concourront à i lot de 120,000 1.
I de 60,000 , 4 de 12,000 , 4 de 6000 , 10 de 3600 ,
30 de Isco , so de 1000 , 100 de 800 , 300 de 750 ,
400 de 720 , 3600 de 600. Le cinquieme tirage
en 1787 , fera de 4500 billets qui concourront à 1
lot de 120,000 liv. I de 60,000 , 4 de 12,000 4 de
6000 , 10 de 3600 , 30 de 1500 , jode 1000 , 100
de 800 , 300 de 750 , 400 de 720 , 3600 de 600,
-Le fixieme tirage en 1788 , fera de 5000 billets
qui concourront à 1 lot de 150,000 liv . , :
I 2 de j0,000
5 de 12,000 , 12 de 6000 , 20 de zeco , 40 de 1500,
120 de 1200 , 300 de 800 , 500 de 720 , 4000.de
600. Le feptieme tirage en Octobre 1789 , fera
de 6000 billers , qui concourront à 1 lot de
-

I
"
( 134
600 . -
fera
200,000 livres , 2 de 50,000 , s de 12000 , 11
de 6000 , 20 de 3000 , 60 de 1500 , 100 de 1000 ,
200 de 900 , 300 de 800 , 500 de 720 , 4800 de
Le huitieme tirage en Octobre 1790 ,
de 7000 billets , qui concourront à 1 let de 200,000
livres , 1 de 100,000 , 2 de 5º , 000 , 6 de 12,000 ,
20 de 5000 , 30 de 3000 , 40 de 2400 , 100 de 1500 ,
200 de 1000 , 400 de 800 , 600 de 750 , 5600 de 600.
Fait & arrêté au Confeil d'Etat du Roi , renu à Verfailles
les Avril mil fept cent quatre -vingt- trois.
Signé AMELOT.
De BRUXELLES , le Is Avril.
LES réfolutions prifes par les Etats de
Hollande & par ceux de Frife , fur le Mémoire
préfenté par l'Envoyé de Pruffe aux
Erats Généraux , relativement aux droits &
prérogatives du Stadhouder ont été publiées.
Les premiers ont artêté d'envoyer le Mémoire
au Prince , avec réquifition de les
informer par qui , quand & à quels égards
il a été porté quelque atteinte effective aux
droits & prééminences de S. A. , & quels
Membres ou quelles Perfonnes ont donné
lieu à ces foupçons. Les Etats de Frife , en
déclarant qu'ils n'ont pris en délibération
aucun point qui pût tendre à diminuer les
droits du Stadhouder héréditaire & que
par conféquent le contenu de ce Mémoire
ne fauroit les concerner , font d'avis que
cette affaire doit être dirigée auprès des
Etats Généraux , de façon à faire informer
S. M. Pruffienne d'une manière délicate ,
convenable & compatible avec la Souveraineté
de la République , du peu de fondement
du fufdit Mémoire.
,
(
135 །
Il s'eft élevé encore une affaire qui ramènera l'attention
fur la Jurifdiction militaire. C'est un excès
commis dans l'Ile de Terfchellin , par des
foldats qui , à main armée , chaftèrent , dit- on , un
détachement de la Bourgeoife , poté par ordre du
Magiftrat fur un na ire marchand naufragé ; on les
accufe de l'avoir enfuite pillé . La Cour de Juftice
de Flande , Zélande & Frile , envoya fur les lieux
une Diputation le 26 Février dernier , pour prend e
des informations ; on attend inceffamment le re our
de cette Députation , & on faura mieux ce que c'eſt
que cette affane , qui peut avoir été exagérée .
-On a fait , le 21 Mars dans la rade d'Helvoet , fur
le vaiffeau de gerre le Caftor , en préſence de M.
le Vice Amiral Pichot & Mrs. les Capitaines de
Haut- Bord Comte de Byland & Honfd , nommés
Commiflaires à cet effet par S. A S. Mgr. le Prince
Stadouder , l'expérience d'une nouvelle Machine ,
dite Cheval-roulant pour tranfporter plus fûrement ,
plus promptement & avec moins de bras , de groffes
pieces d'artillerie d'un fabord oppofé . Toute la mafle
étoit , le canon y compris , de 5620 livres & elle a
été transportée fans choc , par 2 feuls hommes , M. ,
Rydelkheid , l'inventeur & fon Charpentier , dans
le court efpace d'une minute & 15 fecondes ; ils n'avoient
cependant en main qu'un afpect , fortedebarre
de bois qui fest à faire tourner le viteveau fur un
navire. L'expérience qu'on a tentée enfuite , fur un
tirage de 2 boulets de 24 , plus au loin , plus prompt ,
plus affuré que l'ordinaire , a failli d'enfanglanter la
gueule du canon s'étant briſte en mille morceaux.
Aux détails que nous avons déja donnés
de la campagne de l'Inde on ne fera pas fâché
de trouver ici l'extrait d'une lettre du Commandeur
de Suffren à un de fes amis en
date du 14 Septembre .
Après le combat du 12 Avril , M. Hughes refta
( 136 )
dans Trinquemale . Pendant ce tems-là je fus à la
côte débarquer l'artillerie , faire des vivres & de
l'eau , & raflurer notre armée . Sachant les Anglois
fortis & au vent , entre les fecours que j'attendois
& moi , je partis le 2 Juillet ; le 6 nous nous battîmes.....
Les Anglois qui étoient au vent cefferent
le combat ; je ne l'aurois pas ceffé fi le Brillant n'eût
été démâté de ſon grand mât. Je revins à Gondelour
; j'y eus une entrevue avec le Nabab Hyder-
Ali- Kan , qui me retint jufqu'au 31. Les Anglois
étoient partis le 18 de Negapatnam ; ils avoient fait
le crochet pour regagner Madras fans être vus . Je
partis le premier Aout ; je fus joint par la divifion
de M. d'Aymar le 21 au foir fur Batacalo ; il m'apporta
un bataillon de l'Ile de France , qui fournit des
garnisons à l'Illuftre & au S. Michel. Le 23 je fis
route pour Trinquemale ; j'y arrivai le 25 au foir.
Le débarquement fe fit le 26 à 3 heures ; on ouvrit
la tranchée le 27 , & on commença des batteries à
portée des fufils de la place. Le 29 au foir les batteries
tirèrent , & le 30 Trinquemale capitula ; le 31
le fort d'Oftembourg accéda à la capitulation . Le
29 nous avions perdu 20 hommes , parce que nos
batteries étoient à poriée de la mou queteric. Je dbarquai
du canon , des mortiers , plateformes , & c .
à une liene des forts ; on fit faire tous les tranfports
à force de bras d'hommes , préparer gabions , fafcines
& autres ouvrages , & tirer au bout de 48
heures ; ce n'est pas perdre du tems. Le premier Septembre
je fis rembarquer les équipages des vaificaux.
Le z l'efcadre Angloife parut; le 3 j'appareillai pour
l'aller chercher ; elle évita le combat tant qu'elle
put ; enfin à 2 heures le combat commença .... Le
Héros a perdu fon grand mât , le petit mât de hune ,
le perroquet de fougue & 100 hommes ,
dont fo
morts fur la place ou de leurs bleffures ou feront
eftropiés. L'Illuftre , commandé par M. de Bruyeres
Chalabre , a partagé tous mes périls , ne m'a point
quitté & s'eft fort diftingué ...Je fais re cau ici. A
B
2
,
( 137 )
force de travail je me fuis réparé. Dieu nous faffe
joindre bientôt avec M. de Bully . Si la réunion des
deux divifions s'effectue , avec mon cfcadre mus
pouvons entamer de grandes chofes .... Si je pouvos
tout dire , quoique je n'aie pas détruit l'efcadre Angloife
, on m'eftimeroir comme militaire , fr- tout
fl'on favoit quel courage il a fallu pour refter ici
malgré la difette de tout.... Voisi cependa t le rés
ful at depuis que je fuis dans l'Inde ; j'ai été maître
de la mer , j'ai rendu quatre combats & pris le port
de l'Inde le plus important ; j'ai pris cinq bâtimens
appartenans au Roi d'Angleterre , trois ia Compa.
gnie , & plus de foixante particuliers . J'ai fouteou
notre armée ; je lui ai fo rai & vivres & argent ;
tout ce que je defire eft de bien faire , de mériter
l'efliume du Roi , celle des Miniftres & du Public «
Fin du Mémoire des Directeurs de la Compagnie
des Indes.
Les Anglois maîtres de Nagapatnam , feroient des
voisins très dangereux por Ceylan , parce que fans
ceffe animés d'un efprit de conquête , ils n'ont pas
hélité d'envoyer , même au milieu de la paix , des
Emiffaires traveftis à la cour de Candy , dans l'inten
tion de voir fi ce Souverain , fur la fidélité duquel
la Compagnie ne doit gueres compter , pouvoit en
être détaché ; & il n'eft pas difficile de conjecturer
l'objet qu'on le propofoit enfuite . L'Empereur de
Candy prêteroit aujourd hui plus facilement l'oreille
à leur féduction par l'accroiffement des forces des
Anglois , fi proche de cette Ile . C'eft par des
moyens de cette nature que la même Nation attire
fouvent à elle les puiffances Payennes & Maures . On
pourroit développer encore davantage cette idée &
montrer que c'est là qu'on doit chercher la raison
des progrès incroyables & rapides , de la puiffance
des Anglois aux Indes ; mais il fuffit de l'indiquer ;
elle prouve la néceffité abſolue de l'accord des autres
Puiflances Européennes , pour donner du moins quel
( 138 )
qu'équilibre à cette Puiflance . Ce Principe étant évident
, la France devoit- elle voir avec ind: fférence ,
la feule prétention des Anglois à une navigation
libre dans les meis & canaux Orientaux , & en particalier
le long & à travers des Moluques ou Ifles à
épiceries , quoique dans cerre demande il ne foitparlé
que de la navigation & point du commerce : il n'eft
pa: douteux que l'exercice d'un commerce libre dans
ces mers eft le but principal & caché que cette demande
recèle . Cela étant accordé, la Compagnie
Angloise , qui chaque année ramaffe des trelors
immenfes à l'Oueft de l'inde , par les revenus ter
ritoriaux , s'ouvriroit encore à l'Eft des fources fi
abondantes pour l'a : croiflement ultérieur de les richefes
, qu'enfin ce Coloffe excéde oit toutes les
bornes & les limites imaginables . La G. B. obtien
droit par ce moyen une fuffi ante indemnifation de la
perte qu'elle fouffre par l'indépendance de l'Amé.
rique Septentrionale ; n'eft-on pas en droit de douter
fi alors on atteindroit le but que l'on le propoſoit
par la guerre dans l'Amérique- feptentrionale ?
Quoiqu'ilen foit , à cet égard , il eft incontestable
qu'il feroit infiniment dur pour la Compagnie Hollan
doife des Indes Orientales , de faire pour la balance des
négociations de paix générales , un facrifice qui en
traîneroit infailliblement fa ruine totale. L. H. P. n'ıgnerentpas
avec quelsfrais immenfes & quellespeines
elle a acquis des propriétés dans les mers orientales ,
& formé enfuite , avec différens Princes de ces régions
des contrats exclufifs pour une livraiſon privée des
productions de leurs domaines. On fait encore ,
avec quelle vigilance elle a jufqu'à ce jour veillé fans
ceffe & s'eft oppofée à toutes les infractions tentées
par la jaloufe des autres nations . La prétention des
Anglois eft énoncée de maniere qu'elle femble contenir
beaucoup moins que ne renferme effectivement
le contenu de leur demande . La liaison entre
la navigation & le commeree eft inféparable ; quand
même on fuppoferoit que l'Angleterre ne cherche
( 139 )
point en demandant cette navigation illimitée , à fupe
planter la Compagnie , elles feroient toutes très -facilement
éludées par l'avidité & la mauvaiſe foi de
ceux qui exerceroient cette navigation & illimitée ;
l'étendue énorme de ces régions empêche abfolument
d'y pourvoir d'une maniere convenable . On
croit doncavoir prouvé évidemmer t que les deux objets
des prétentions de la Cour Britannique , touchent
les intérêts les plus effentiels de la Compagnie , &
que cette Compagnie doit exifter ou tomber avec ces
intérêts.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 7 Avril.
Le Lord Chancelier n'a point encore remis les
Sceaux. On croit même qu'il attendra pour donner
La démiflion le retour des Juges actuellement en
tournée. Les premières liftes de la formaion du
nouveau Miniftere , nommoient le Colonel North
comme Tréforier de la Marine ; la derniere Gazette
de la Cour nous a prend que c'eft M. Charles
Townshend qui a été pourvu de cette place .
Suivant les dernieres lettres de New York , le Général
Guy- Carleton & le Général Washington fe font
envoyés des Parlementaires relativement à l'évacuation
de cette Place. Il a auffi été queſtion d'ouvrir
one communication entre New-York & les pays
adjacens , mais les Américains paroiffent n'avoir pas
encore déposé leur haîne contre nous , & ils n'ont
voulu avoir aucune communication avec l'armée
Angloife.
On lit l'article fuivant dans le Journal de Kingfton
de la Jamïque du 1 Février. » Le 1s du mois
dernier le Capitaine Steton a rencontré l'efcadre du
Chevalier Richard Hughes forte de quinze vaif
feaux de ligne. Ua Lieutenant qui a paffé à fon
bord la informé que la veille cette efcadre avoit
fait quelques prifes. Le Pegafus & quelques
floop faifan partie de l'e cadre de l'Amiral Hood font
arrivés ici avec les prifes fuivantes ; la Reine de
-
( 140 )
France & Allégeance transport: François ayant soo
hommes & 30 foldats à bord ; le bricq la Revenge ,
bâtim nt Anglois pris par l'efcadre de M. de Vaudreuil
& repris enfuite par le Pegafus . - Les deux
tranfports étoient partis de Botton le 24 Décembre
de conferve avec dooze vaiffeaux de ligne & quatre
ou inq autre tranfports , ayant à bord 4000
hommes de troupes . Le foir meme ces deux vaiffeaux
furent épa és de l'efcadre F ançoife qui felon
les avis reçus par le Lord Hood eſt arrivée à
Porto- Rico
Les vaiffeaux employés à la pêche de la baleine
fur la côte du Bréfi ont en tout le fuccès poffible,
& il n'y en a pas un qui ne revienne complettement
chargé.
Malgré la paix , les Volontaires d'Irlande ref
tent toujours enrégimentés , & ils ne penfent point
du tout à quitter les armes. Leur réfolution à cet
égard a beaucoup embarralé les précédens Miniftres
& felon toute apparence ne donnera pas moins
d'inquiétude aux Miniftres actuels.
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE ( 1 ) .
voimmers
-
PARLEMENT DE PARIS. Grand Chambre.
Caufe entre le fieur Tail , Marchand de Chapeaux
à Saint- Germain - en Laye. Et le fieur
Gardet , auffi fabriquant de Chapeaux dans le
même lieu.
Fabriquans de Chapeaux ne d . iveat
pas le débaucher leurs Ouvriers . - Le fieur Tail ,
fabriquant de Chapeaux , avoir un Ouvrier dont il
étoit très-fatisfait , & à qui il donna fon congé ,
qu'il avoit demandé , fous prétexte d'aller travailer
dans une autre Ville. Le même jour ce Garçon
entra chez le fear Gardet , fabriquant de Chapeaux
de la même Ville , que le premier Maître fit alligner
, demandan: le renvoi de l'Ouvrier , qui n'avoit
( 1) On fouferit pour l'Ouvrage entier , qui eft de 15 liv.par
an , chez M. Mars , Avocat , rue & hôrel Serpente ,
( 141 )
,
-
demandé fon congé que pour aller travailler dans
une autre Ville , & ne l'avoit obtenu qu'à cette
condition & de plus la condamnation du fieur
Guder à l'amande de too liv . , pour avoir contrevenu
aux Reglements concernant la Police des
Ouvriers. Uae Sentence de la Prévôté de St - Germain-
en- Laye , la ainfi ordonné . - Le fieur Gardet
a interjetté appel . Comme rien ne conftatoit cette
allégation , que le certificat ne portoit aucune condition.
Un Arrêt du 19 Mars 1783 , conforme
aux conclufions de M. l'Avocat- Général Séguier ,
a mis l'appellation & ce au néant , émandant , a déchargé
le figur Gardet des condamnations . contre
lui prononcées , & condamné l'intimé aux dépens .
----
les
GRAND CHAMBRE. Caufe entre le fieur-Bouin
Peintre Artiste. - Et la Communauté des Peintres
Marbriers Sculpteurs de Paris . — L'art de la Peinture
, comme celui de la Sculpture , font des Arts
libres , qui ne doivent être troublés par aucune
Communauté d'Arts & Métiers. Syndics & Adjoints
des Communautés ne peuvent fe tranfporter
chez des Particuliers domiciliés , fans ordonnance
du Juge ad hoc. Le 22 Novembre dernier ,
Syndics & Adjoints de la Commmunauté des Peintres
, Marbriers- Sculpteurs de Paris , accompagnés
d'an Commiffaire , en vertu d'une Ordonnance de
M. le Lieutenant-Général de Police , du 24 Novem
bre précédent , porta t felement permiflion de faifir
les contrevenants , fe font tranfportés chez le fiear
Bouin , Peintre , qui étoit abfent ; en parlant à fa
domeftique , ils ont faifi des chevalets , des tableaux
de divers fujers fur des chaffis , fans bordures
peints fur toile & fur bois ; d'autres tableaux avec
bordures dorées , des bcëtes à couleur , des pinceaux
, & c . Ils ont fait enlever ces objets , & les
ont remis à la garde du fieur Fontaine , Peintre.
>
Le fieur Bouin a interjetié appel de la ſaiſie ,
demandé le nullité du Procès -Verbal , & a conclu
en des dommages - intérêts .
Arrêt fur les con(
142 )
Un Particulier
clufions de M. l'Avocat- Genéral Séguier , du 26
Mars 1783 , qui a déclaré la faifie nulle & de nul
effet , ordonné la reftitution des chofes faifies ; faifant
droit fur les conclufions de M. le Procureur.
Général , a fait défenfes aux- Syndics & Adjoints
des Communautés de fe tranfporter chez des perfonnes
domiciliées , fans une ordonnance ſpéciale ,
& ad hoc pour le Particulier dénommé ; & a
condamné la Communauté en 1000 liv. de dommages-
intérêts envers le fieur Bouin , ordonné l'im
preffion & affiche de l'Arrêt aux frais de ladite
Communauté , qui a été condamnée aux dépens .
PARLEMENT DE FLANDRES.
ayant commis un vol dans l'Eglife de Saint- Pierre à
Douay , fut décrété & arrêté. Pendant l'inftruction
du procès , les parens préfentèrent une requête
, par laquelle ils exposèrent qu'il étoit depuis
long- tems dans une état de démence , & demandèrent
permiffion d'en faire preuve. L'inftruction
faite , les Echevins de Douay rendirent une Sentence
qui ordonnoit qu'il feroit informé de la
démence alléguée par les parens de l'accufé , &
dont celui-ci avoit dit- on paru donner dans fes
intérogatoires des fignes palpables . - M . le Procureur-
Général au parlement de Dɔway a interjetté
appel de cette Sentence. Arrêt du 20 Mars 1783 ,
en la Tournelle au rapport de M. Hennet , qui
infirme la Sentence ; & ordonne que l'information
fur la prétendue démence , fera faite en la Cour ,
pardevant le Confeiller -Rapporteur.
-
--
PARLEMENT DE ROUEN . Caufe extraite du
Journal des caufe Célebres ( 1 ). Condamnation ---
(1) On fouferit pour ce Journal intéreffant chez M. des
Effarts , Avocat , rue Dauphine , Hôtel de Mouy , qui nous
a lui- même fourni l'extrait de cette caufe , & chez Mérigot
le jeune , Libraire , quai des Auguftins. Le prix de l'abonnement
eft de 18 liv. pour Faris & de 14 liv. pour la Province.
( 143 )
de prétendus Sorciers. Cette efpèce de coupa
bles , fi mulupliés autrefois , dont un auteur , il
n'y a pas encore deux fiècles , comptoit férieufement
des millions dans le royaume, s'ett prodigieufement
diffipée à la lumière des lettres & de la raison.
Fantômes créés , pour la plupart , par l'imagination
des faibles , its ont difparu avec la nuit qui
entretenoit leurs formes menfongères & les vaines
terreurs Ils n'ofent plus habiter les villes trop peuplées
; s'il en reparoît , ce n'eft que dans le fond
des villages , ou la crédule fimplicité le prête encore
au merveilleux qui l'effraie ou qui la tente.
Le parlement de Normandie vient tout récemment
d'examiner de près les pourvoirs furnaturels de
quatre prétendus Sorciers qui s'étoient élevés dans
des villages de fon reffort. Semblables à ces adeptes
qui vous efcamotent votre or , fous prétexte
de vous enfeigner l'art d'en créer , ces quatre magiciens
de nouvelle date fe faifoient fort de faire
trouver des tréfors à de pauvres laboureurs , affez
fimples pour oublier que leur tréfor le plus für éteit
dans leurs moiffons ; & ils avoient la bonhommie
de payer des fommes d'argent à ces impofteurs ,
au lieu de les renvoyer exercer leur art pour euxmêmes
. Manoury, Etienne Lebert , François Pelron
& Mefnil , ( étoient les prétendus Sorciers ) avoient
de concert , fabriqué une Bulle du Pape , en date
du 25 Mai 1780 , ils y avoient inféré qu'il exiftoit
un poinçon d'or & autres espèces au village de
la Hurlière , paroifie de la Barroche chez un
nommé René Peccate qu'ils avoient affecté de
nommer dans cette Bulle écrite en lettres rouges ,
comme la couleur la plus propre à fafciner les yeux.
Le piége étoit fans doute groffier ; mais René
Peccate , qui peut -être ne fçavoit pas lire , ne fçut
qu'admirer & croire ; & l'avide efpérance de devenir
riche tout d'un coup , acheva de l'aveugler. Ils
firent fi bien , qu'ils lui efcroquèrent environ 5oo liv.
( 144 )
en argent , & comme on ne vit pas d'or , ils eurent
la mod fie d'accepter encore , apparemment comme
fuppliment , avec ux chemiſes , deux draps , du fil ,
un jambon & une andou ile. On creiroit qu'un pareil
ftratageme n'étoit gueres propre à réaffir deux rois,
& que c'étoi bea.coop qu'un fel homme en cûr *
été dupe. C'est trop mert e de borne à l'ignorance
& à la fimplici é . Au commencement du carême de
1781 , un nommé Pierre Potier , du village de
Viverel , parole d'Aubuflon , fut auffi le r dupe.
Ils lui efcroquèrent plus de 300 liv .; à lon fils
une bride de 12 francs ; & à fa jeune femme , deux,
bagues d'argent , deux pelotons de laine & trois fer.
viettes. L'un d'eux , plus ancien dans le métier ,
avoit en 1778 , (çu foutirer à Pierre Morieax ,
de la parole de Prouffe , 183 lv. 17. fols , un
drap & une paire de guètres . Cette fociété de Sorciers
parouflon groffit ; & deux autres , nommés
Gaillaume Manoury & André Fourni , furent foupçonnés
de s'y êtte enrôlés. Un fi beau fecret ne
pouvoit tarder à faire da brait dans le Balliage
de Domfront , dont le reffort enfermait les villa
ges qu'on a cités . La réputation des magiciens par-
Vint jufqu'aux oreilles du Subftitut du Procureurgénéral
, qui voulut les voir de près ; fur la plainte,
des décrets furent lancés. Jean Manoury & Meinl
prirent la fuite : les autres furent arrêtés , & condamnés
par le premier Jøge , & , fur l'appel , le :
Parlement en condamna quatre à faire amende ho…….
norable , avec des écriteaux porrant ces mots :
Prétendus Sorciers , efcrocs & fabricateurs d'actes
pour duper le public , fous prétexte de faire trouver
des tréfors ; & en outre , aux galères pendant ,
neuf ans . Les deux fugitifs ont été condamcés par
contumace . André Fourni & Guillaume Manoury
ont été mis hors de Cour. L'Arrêt eſt du 14 Octobre
1782.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 26 Février:
Es conférences entre le Ministère Ottoman
& l'Envoyé de Ruflie fe Las conférences evé de fè multiplient
depuis quelques jours ; un des points
qu'il s'agit à préfent d'arranger , & fur lequel
le dernier a ordre d'inlifter particulièrement
, eft le paffage libre des bâtimens
marchands de fa nation , qui viendront de
la mer Noire , fans être vilités.
Le Grand-Vifir continue de fignaler fon
adminiſtration par fa prudence & fa fermeté
; il ne néglige rien pour relever cet
Empire affoibli ; il porte la réforme dans
tous les départemens , & s'applique fur- tout
à retirer de leur état actuel de décadence ,
les forces de terre & de mer , ainfi que
les Finances de l'Empire. Les Janiffaires ,
ce corps autrefois fi refpectable & fi redouté
ont fi fort dégénéré par les abus
qui fe font introduits parmi eux depuis une
26 Avril 1783, g
( 146 )
fi longue fuite d'années , qu'on trouve à
peine des Officiers qui veuillent y fervir .
La difcipline feule peut leur rendre leur
ancien lufte ; & il a été envoyé un Chiaoux
accompagné d'un Secrétaire dans les garnifons
de la Romélie pour faire des recherches
fur tout ce qui concerne ce corps ,
& fervir à diriger les réformes qui font
indipenfables . Les Galiongis ou gens
de mer
qui étoient ci - devant difperfés à Galata &
dans les autres fauxbourgs , où ils ont fouvent
commis des défordres , vont être enfermés
& affervis à une difcipline très-févère
; on conftruit pour eux des baraques à
l'arfenal.
On a mis le mois paffé fur les chantiers
par les ordres du Grand - Vifir , deux vaif
feaux de ligne , dont l'un de la longueur
de 171 pieds , furpaffera tous ceux dont
la marine Ottomane eft actuellement
compofée depuis quelques femaines on a
interdit l'entrée de l'arfenal , & l'on travaille'
fans relâche à fondre des canons.
Plufieurs Officiers du corps des Spahis ,
chargés de l'infpection des fortifications
viennent de partir pour Belgrade & pour
Oczakow , où ils doivent ordonner tous les
rétabliffemens & toutes les réparations néceffaires
. La dernière de ces fortereffes eſt
dans le voifinage de la nouvelle ville Ruffe
de Cherfon , & on prétend qu'un Général
de cette nation pendant fon dernier féjour
dans cette dernière , s'eft rendu travesti à
? 147 )
Oczakow pour examiner le local de cette
place.
Un des plans du Grand-Vifir & dont
on dit l'exécution prochaine , eft le rétabliffement
de l'ancien port de Miffevir cu
l'on conftruira une fortereffe. Ce port mettra
en état de tenir en fûreté pendant l'hiver
une eſcadre dans la mer Noire .
:
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 28 Février.
ON dit que le Nonce Apoftolique qui
réfide à Varfovie viendra ici inceffamment.
On croit auffi que le Prince Potemkin
fe rendra fous peu de tems à l'armée qu'il
doit commander en cas d'une rupture avec
la Porte ; on fe flatte cependant que cette
rupture fera prévenue ; & la réponſe du
Divan aux dernières demandes de notre
Cour eft attendue avec impatience .
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le 20 Mars.
LE Gouvernement continue de porter
fon attention fur la réforme du luxe ; il a
paru plufieurs Supplémens à la dernière
Ordonnance ; les uns en étendent & expliquent
divers articles , & les autres en
réforment quelques-uns , tels que la vente
de toutes fortes de vins qui eft permife aux
g 2
( 148 )
Marchands Dérailleurs . On a publié auffi
une nouvelle Ordonnance relative aux
habitans de la campagne ; elle eft du 14
de ce mois & contient en fubſtance :
A l'avenir , tous les convives qui affiftent à un
feftin de noces , y compris les nouveaux mariés ,
leurs pères & mères , frères & foeurs , & c . ne divent
pas excéder le nombre de 32 perfonnes , qui fe
contenteront de quatre plats , fans faire aucun ulage
de vin ni café ; les nouveaux mariés feront allujertis
à une amende de deux marcs pour chaque
perfonne au-delà de 32 convives fixés par Fordonnance
, outre une autre amende de 8 fchelings
par tête , fi l'on avoit fervi plus de quatre plats ,
ou préfenté du vin ou du café aux gens de la
noce. Le café & le vin font de même défendus
abfolument à tous ceux qui affiftent aux accouche
mens , aux baptêmes , aux relevailles des femmes ac
couchées , aux enterremens , tous cas où il n'eft pas
même permis de donner à manger , finon à ceux
qui viennent d'endroits éloignés , fous peine d'un
rixdaler d'amende. En toute occafion , l'ufage du
café eft une fois pour toutes interdit aux gens de
la campagne.
Aucun feflin de noces ne durera
plus d'un jour , fous peine d'une amende de deux
jufqu'à vingt rixda'ers : mais il eft permis à 16
convives de s'affembler le lendemain à fix heures
du foir , pour danfer jufqu'à minuit fans fe mettre
à table. Aucun payfan ni payſanne demeurant à la
campagne , ne fera par la fuite ufage d'autres étoffes
pour s'habiller , que de celles de leurs propres fabriques
, telle , par exemple , qu'eft le vadmel. Dé.
fenfe abfolue aux femmes & aux filles de porter des
cafaquins , des tabliers , des mouchoirs de foie. On
leur permet l'ufage des bonnets , des cafaquins , des
tabliers d'une étoffe de foie très - légère , dont les
hommes peuvent auffi ſe fervir pour des veftes ou
î
( 149 )
des camifoles. Quiconque contreviendra au Règle
ment , payera chaque fois une amende de 16 fchell.
Danois .
S. M. a nommé une Commiffion pour
examiner & régler avec précifion les droits
des Planteurs & des Nègres dans fes ifles .
Cette Commiffion eft préfidée par le Comte
d'Often.
SUEDE .
De STOCKHOLM , le 26 Mars.
LE Prince Charles - Guftave de Suède
Duc de Smalande , fils puîné du Roi , eſt
mort le 23 de ce mois à fept heures du
foir d'une dentition difficile dont il avoit
été malade depuis quelques jours. Il étoit
né le 25 Août 1782. Son corps revêtu des
marques de l'Ordre du Séraphin a été expofé
publiquement hier & aujourd'hui dans
la falle des Chevaliers qui étoit tendue de
noir ; & ce foir il a été tranſporté avec
toutes les cérémonies ordinaires , & déposé
dans le tombeau royal de Ritterholm .
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 26 Mars.
L'AMBASSADEUR de l'Impératrice de
Ruffie a préfenté ces jours derniers au Confeil
-Permanent , une note par laquelle , au
nom de fa Souveraine , il requiert le Roi
& le Confeil d'expédier , conformément à
g 3
( 150 )
la prière qui leur en avoit déja été faite par
les Généraux des Diffidens , des Univerfaux
à toutes les Jurifdictions & Tribunaux du
pays , pour leur ordonner de faire exécuter
par le pouvoir civil , dès qu'ils en feront
requis , les decrets rendus par les Confiftoires
& autres Jurifdictions Eccléfiaftiques
des Diffidens . Comme cette demande
eft fondée fur les traités , on ne doute pas
que le Roi & le Confeit ne l'accordent
fans difficulté.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 30 Mars.
On dit que nous aurons cinq camps cet
été ; un en Stirie ; un entre Témefwar &
Peterwaradin ; le troifième près de Prague ;
le quatrième en Moravie , & le cinquième
à Minckendorff. Chacun de ces camps durera
10 jours.
S. M. I. a fait remettre aux habitans de
Trentfchin , qui ont beaucoup fouffert des
incendies , une fomme de sooo florins pour
les aider à reconſtruire leurs maifons.
L'Edit qui règle les mariages fait ici la
plus vive fenfation ; en moins de deux jours
il s'en eft débité plus de 2000 exemplaires.
Nous allons en donner ici la fin.
250. Quoique le lien du mariage doive durer autant
que la vie de l'un ou de l'autre des conjoints ,
notre intention n'eft pas cependant de les forcer à
remplir leurs engagemens , lorfque l'un ou l'autre
1.
( 157 )

aura des griefs importans à former. En conféquen
ce , nous avons trouvé bon de preferire pour de
pareils
cas les mesures fuivantes , dont nous ordon
nons l'obfervation ponctuelle. 269. Lorfque l'un
des conjoints fe vefra malcraké ou expofé par l'autre
à contracter des vices ou des murs corrompues ,
il fera permis à la partie léfée de fe procurer du fecours
& de la sûreté par les voies ordinaires de la
Juftice. La féparation de corps & de biens
n'aura lieu que dans le cas où les deux conjoints aurcient
confentià demeurer féparément , & qu'ils fe
fercient arrangés préalablement & fans examen ou
fans décifion judiciaires fur la part des biens que
chacun d'eux gardera ou recevra . 270. Après
avoir fait enſemble l'arrangement ci - deffus , ils fe
préfenteront en perfonne & avant leur feparation
devant le Juge ou la Juftice de leur domicile , &
fans qu'ils aient befoin de déclarer ce dont ils font
convenus enfemble , its allureront qu'ils confentent
volontairement à leur féparation , & qu'ils fe contentent
des arrangemens pris entr'eux . Cependant
pour empêcher la mukiplication de pareilles féparations
, le Juge de la Juſtice du len n'aura égard a
leur demande en féparation que lorfque les conjoints
feront munis d'un certificat du Curé , Pafteur cu
Pope. 28. Les conjoints , avant de fe préfenter devant
la Juftice , s'adrefferont donc à leur Coré
Paſteur ou Pope , & lorfque ceux-ci auront tenté
inutilement toutes les voies pour les engager à continuer
de vivre ensemble , ils leur donneront par
écrit un certificat , portant qu'après avoir fatisfait
à leur devoir pour les réunir , ils ont trouvé qu'ef
feétivement la féparation étoit jufte , ou que , malgré
leurs efforts pour opérer la réunion , ils n'ont pu
y parvenir. 290 Les conjoints aiufi féparés pourront
en tout tems le réunir en prévenant préalablement
la Juftice du lieu , & leurs pactes de mariage refte
iont toujours en vigueur . Quant à leurs enfans ,
ខ 4
( 152 )
Nous voulons que ce qui a été preferit ci- deffus à cet
égard foit obfervé. 30 ° . Tous nos ſujets fans dif
tinction fe conformeront au contenu du préfent
Edit. Cependant , nous voulons bien difpenfer de
fon obfervation dans les points fuivans ceux qui ne
profeffent pas la Religion Catholique. 319. Dans
le cas où l'un des conjoints auroit attenté à la vie de
l'autre ou fe feroit rendu coupable d'adultère , le
conjoint léfé pourra fe pourvoir en divorce , &
lorfque le fait fera prouvé , le Juge prononcera la
diffolution du mariage. 320. Le conjoint abandonné
de l'autre aura le même droit . Dans ce cas cependant
le conjoint abfent fera afligné trois fois par
des
lettres édictales , conformes à notre Ordonnance
civile , à comparoir & à fe juftifier de ſon abſence
& la diffolution du mariage ne fera prononcée qu'après
les délais accordés à l'abfent pour fa juſtifica
tion. 330. Lorfque les conjoints fe porteront une
inimitié capitale ou une averfion invincible , & qu'ils
demanderont tous les deux la diffolution de leur
mariage , nous la permettons. Dans ces cas cependant
les Tribunaux ne l'accorderont pas fur le
champ , mais ils ordonneront d'abord la ſéparation
de corps & de biens . 340. Lorfque tous les moyens
employés pour empêcher la diffolution du mariage
auront manqué leur effet , & qu'il n'y aura plus d'ef
pérance de réconciliation , nos Tribunaux pourront
prononcer la diffolutlon , fi l'on perfifte à la demander
, & s'il n'en réſulte aucun préjudice pour les
enfans. 350. On règlera en même tems les prétentions
des conjoints refpectifs ; & la diffolution da
mariage ne fera accordée qu'après qu'il aura été
pourvu à l'entretien & à l'éducation des enfans , foit
par un arrangement fait entre les conjoints & con.
firmé en Juftice , foit par une décifion judiciaire .
Il fera défendu fo is peine de caffation aux Miniſtres
ou Popes de remarier l'an ou l'autre des conjoints
, dont le mariage aura été diffous & qui ont
( 153 )
• que
eu enfemble des enfans , à moins qu'on ne leur ait
préfenté auparavant l'arrangement fait pour les enfans.
36. Après le divorce il fera libre aux deux
Parties de fe remarier . Mais dans les cas où un délic
commis par un des conjoints y auroit donné lieu ,
le coupable ne pourra jamais époufer celui ou celle
dont la complicité du même délit aura été prouvée
judiciairement. 37°. Lorsqu'une femme , dont le
mariage eft diffous , voudra fe manier en fecondes.
noces , elle ne pourra le faire qu'après un certain
terme , afin fi elle fe trouvoit groffe du premier
mari , il ne naiſſe aucun doute ou erreur fur l'enfant
qu'elle porte. 38°. Si des conjoints , dont le mariage
aura été diffous , fe ravilent & veulent renouer ›
leur premier mariage , ils ne pourront le faire qu'ea
obfervant les formalités prefcrites pour contracter
un mariage. Au refte , nous fupprimons par le
préfent Edit toutes les loix précédentes & relatives
aux mariages , & nous ordonnons que cet Edit foit
obfervé & feul ferve à l'avenir de règle pour les
décisions des affaires matrimoniales. -Donné à
Vienne , le 16 Janvier 1783 .
-
De HAMBOURG , le 3 Mars.
RIEN de plus vague & de plus contradictoire
que les nouvelles qu'on débite au ſujet des
difpofitions du Nord . Nos Spéculatifs s'égarent
en vaines conjectures. Selon eux , la
Ruffie négocie en Italie la libre entrée de
fes vailleaux de guerre dans divers ports
fi elle a befoin d'entretenir une efcadre dans
la Méditerranée . D'un autre côté , ils affurent
que le Landgrave de Helle a cédé à
une Puiffance du Nord le tranfport de recrues
de 830 hommes qui devoit être emg
S
( 154 )
barqué pour l'Amérique. Ce qu'il y a de
plus politif, c'eft que les travaux dans les
arfenaux de l'Empereur ont repris avec
vivacité , & qu'on continue auffi de faire
des chevaux de frife . D'un autre côté on
apprend que les Officiers Rules abfens par
congés , ont reçu ordre de joindre leurs Régimens
le plutôt pollible.
Les lettres de Conftantinople annoncent
également beaucoup de mouvemens dans
cette Capitale .
lit-on
Dans la fonderie de canons établie ici ,
dans ces lettres , pendant la dernière guerre par le
Chevalier de Tott , on travaille avec la plus grande
activité. Cette fonderie eft actuellement fous la
direction d'un Anglois venu ici il y a quinze ou
feize ans , de Venife , & quisa embraffé le culte
Mahométan. On n'a jamais pu découvrir ſon nom ,
La famille , ni les motifs de fa retraite d'Europe , &
de fon changement de Religion ; mais il eft certain
que par une conduite très- réglée pendant fon
féjour à Conftantinople , il a acquis également
J'eftime des Musulmans & des Chrétiens ; il eft.
revêtu de la même charge de Cambargi , Chef
des Bombardiers , que remplifloit au commencement
de ce fiècle le fameux Come de Bonneval.
On lit dans plufieurs de nos papiers les
détails fuivans , à l'occafion de la mort
du Prince Evêque de Paffau.
» Cette mort a été fuivie d'un grand changement.
dans les poffeffious de cet Evêché. La Cour Impériale
a détaché de fon Diocèfe tous les diftricts
qui lui appartiennent de ce côté , & a pris poffef
fion des Seigneuries qu'il poffédoit dans le quartier:
de l'Inn. Ces Seigneuries font le Comté de Neufbourg
, les châteaux de Starhenberg & de Pihren
·( iss. )
tein , le bourg d'Ebersberg , la ville de Mantern ,
les endroits d'Abftaties , d'Amftorien , de Grieffenftein
, & c. On lit dans la plupart de nos
papiers qu'un Garde -Noble Hongrois , qui vient de
partir pour Florence , y porte la nouvelle que les
vingt- trois Electeurs du noble Chapitre de l'Eglife
épifcopale & fouveraine de Pallau , ont élu pour
leur Prince - Evêque S. A. R. le Prince Charles-
Louis-Jean-Jofeph-Laurent de Tofcane , qui aura
douze ans le 5 Septembre de cette année . Cette nouvelle
eft fauffe. Les revenus de cette Principauté eccléfiaftique
font d'environ 80,000 écus d'Empire , &
le Prince a féance dans la Diète de Ratisbonne ,
entre les Evêques de Ratisbonne & de Trente.
ITALI E.
De LIVOURNE , le 2 Avril.
ON a appris de Parme que l'Archiducheffe
Marie- Amélie , foeur du Grand - Duc , eft
accouchée heureufement d'un Prince le
22 du mois dernier.
Les lettres de Naples nous apprennent
que l'Archiduc Maximilien arriva à Caferte
le 20 du mois derniér , & que le io du
même mois le Prince de Cimille aveit remis
, par ordre du Roi , au Marquis de
Cavalcanti , la dépêche fuivante.
" La conduite que tient la République de Ragufe
ne répond point à la confidération gracieuſe & particulière
que le Roi & fes glorieux ancêtres ont
toujours eue pour cette République , ce qui oblige
auffi S. M. d'en agir autrement , quoique malgré
elle , & de prendre les réfolutions qu'exigent fa
dignité & l'honneur de fa couronne . S. M. a donc
réfolu , & veut qu'on fufpende tous les priviléges
( 156 )
& exemptions dont jouir la nation Ragufienne dans
fes Etats , & qu'on merte en féqueftre tous les biens
qu'y pofsèdent la communauté & les particuliers.
de Ragufe. Je vous préviens , au nom du Roi ,
de cette réfolution «.
Le défaftre que viennent d'éprouver Meffine.
& la Calabre ultérieure , ont rappellé les
évènemens funeftes dont la Sicile a été la
victime autrefois . En 1693 elle en effuya
un aufli funefte , & qui fut confacré par
une médaille d'argent.
" Elle porte l'infcription fuivante : Memor. Sicilia
D. 9 & 11 Janu . ann 1693. Horr. terrä motu
convulf. Syrac. Auguft. Catan . Meffin. 14 urbib
maj. corruentibus ; 16 min. proftratis , in amnef.
mar. influent. ruptis mont. Strage 100,000 hom.
Le 9 & le 11 Janvier 1693 , les villes de Syracufe
, Agoſta , Catane, Meffine & 14 autres villes ,
furent renversées par un horrible tremblement de
terre ; 16 autres villes de moindre grandeur furent
enfévelies fous les eaux de la mer , dont les flots
s'étant prodigieufement élevées , forcèrent leurs
bornes. 100,000 perfonnes y perdirent la vie. - De
l'a tre côté de la médaille , on voit une femme qui
ève les mains vers le ciel , tenant entre fes bras
un enfant dont les regards font fixés fur la terre :
on apperçoit de loin l'Etna couvert de ruines ; la
mer eft enflée par les cadavres , les décombres des
maiſons. On it - deffous : Sicilia afflicta ; & autour
: Futatis illas fup. quos cecid. turr. in filoa ,
prater omn. hom. peccaviffe. Luc 13 .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 12 Avril.
LES nouvelles arrivées de l'Inde fixent
aujourd'hui l'attention générale ; mais juf(
159 )
qu'à préfent la Cour n'en a rien publié dans
fa Gazette , ni les Directeurs de la Compagnie
dans les autres papiers. Tout ce que
l'on fait , c'est que le paquebot le Rodney,
parti de Madras le 7 Novembre , & arrivé
le 31 du mois dernier , a emmené en Europe
deux Officiers , chargés , l'un des dépêches
du Chevalier Eyre Coote , & l'autre de
celles de l'Amiral Hughes. On ignore les
détails authentiques , & en attendant qu'on
fatisfaffe la curiofité du public à cet égard ,
on eft forcé de fe contenter de ceux que
préſentent nos papiers , que vraisemblablement
les relations officielles ne tarderont pas
à confirmer ou à rectifier.
Tout ce qui tranfpire des dépêches de Sir Eyre
Coore , c'est qu'il y a ea entre des détachemens
de l'armée d'Hyder- Ali & les troupes Britanniques
plufieurs efcarinouches , qu'on dit avoir.
été généralement à l'avantage des dernières . Le Général
- Major Sir John Burgoyne étoit arrivé dans
I'Iade avec le renfort de troupes fous les ordies , &
avoit pris le commandement de la cavalerie . Les
Lettres de Sir Edouard Hughes paroiffent être plus
intéreffantes : elles confirment d'abord les détails
qu'on avoit déja reçus du combat du 3 Septembre.
L'efcadre de M. de Suffren s'étant réparé à Goudelour
des dommages qu'elle avoit efluyés dans le
combat du 6 Juillet , fit voile pour l'Ile de Ceylan ,
où elle fut jointe par deux vaiffeaux de ligne , une
frégate & fx gros navires munitionnaires d'Europe ,
ayant à bord 1600 hommes de troupes de terre.
Vers la fin d'Août elle remit en mer de devant
Trinquemale , place qui fut obligée de capituler le
premier Septembre. Le 3 les deux efcadres vinrent à
la vue l'une de l'autre , & il fe donna un combat des
( 158 )
plus furieux , dans lequel M. de Suffren avoit la fu
périorité en nombre de vailleaux : mais il fut abandonné
par la plupart des fiens ; & il effuya fucceflivement
prefque feul le feu de toute notre eſcadre. Cependant
il réfifta jufqu'à la nuit qui mit fin au combat:
nos vaifleaux avoient ( ant fouffert , qu'ils étoient
hors d'état de le renouveller. Quand M. de Suffren
rentra à Trinquemale , l'Orient de 74 canons y
échoua & périt avec l'artillerie & les maritions
qu'il avoit à bord ; & l'on dit que le Flamand de 50
a cu le même fort. Cependant le 9 l'Amiral ne perdit
point courage ; & il paroît que , forti encore de Trinquemale,
il a livré un nouveau combat à Sir Edouard
Hghes : les uns le placent au mois de Septembre ,
d'autres vers la mi- Octobre ; mais tous conviennent
que notre efcadie n'y a point remporté d'avantage ,
& que les deux flottes ont extrêmement fouffert :
l'action s'eft donnée fur la côte de Ceylan , a été
la plus vive & la plus fanglante dont on fe fouvienne
dans les mers de l'Inde ; elle a duré , dit-on,
7 heures , pendant lefquelles la victoire a paru pancher
tantôt d'un côté , tantôt de l'autre. Un vaiffeau
de ligne François fut deux fois mis en feu par le
Superbe , qui lui étoit oppofé dans la ligne , & deux
autres abordèrent celui de M. de Suffren , Nous y
avons perdu trois Capitaines , MM. Watts , Wood
Lumley, avec onze Officiers & environ deux cents
matelots ou mariniers. Après l'action , l'efcadre
Françoife rentra à Trinquemale ; & Sir Edouard
Hughes retourna à Madrafs , où fon efcadre effuya
le 15 Octobre un violent coup de vent , qui l'obligea
de prendre brufquement le large. Le vailleau Amiral
lui-même perdit fon grand mat & fon mât d'artimon
, ayant en même tems fept pieds d'eau à fond
de cale . Deux jours après l'on y reçut avis de la
prochaine arrivée de Sir Richard Bickerton avec la
divifion . A ces détails , qui , en général , ne font
pas des plus agréables , l'on en ajoute d'autres en(
159 )
core plus fâcheux. La difcorde règne entre nos
Commandans dans l'Inde; Sir Eyre Coote & Milord
Macartney, Gouverneur de Madrafs , ne s'accordent
point avec Sir Edouard Hughes ni avec le reste du
Confeil du Fort St - George. On dit même que , fous
prétexte de fanté , le Général Coore eft retourné au
Bengale , laiffant le commandement en chef de l'armée
fur la côte de Coromandel au Général James
Stuart. Celui ci étoit dans le plus grand embarras ,
manquant d'argent pour payer les troupes , dont
la folde étoit fort arriérée , & de provifions pour
les nourrir. A Madrafs même , où Milord Macartney
étoit malade , on étoit dans la plus grande détreffe ,
la garnifon n'ayant des vivres que pour fix femaines.
Le navire le Comte de Hersford , ayant 5000 facs
de riz à bord , avoit péri par le coup de vent dont
nous venons de parler ; & le Brillant , vailleau de
la Compagnie , ayant touché fur un recher , s'eft
également perda ; mais oa a fauvé la plus grande
partie de l'équipage .
Cette fituation de nos affaires dans l'Inde
ne fauroit être plus inquiétante , la difette
qui fe fait fentir dans l'établiffement de Madrafs
, la méfintelligence qui règne entre les
Généraux , les Chefs & les Employés de la
Compagnie , ne font pas propres à raffurer.
Un de nos papiers ajoute encore à nos alarmes
par les détails fuivans.
La Compagnie des Indes a reçu de cette partie
du monde de très - mauvaises nouvelles . Au départ
des dernières dépêches , on ne favoit pas ce qu'étoit
devenu l'Amiral Hughes après le terrible & dernier
combat de Trinquemale ; la famine défoloit le
Bengale & la côte de Coromandel ; enfin les Anglois
étoient divifés entr'eux dans l'Inde. Le Gouvernement
n'a point encore ofé laiffer publier des détails
fi alarmans. La el.ûte de Madrafs paroît inévitable ,

( 166 )
& cette place réduite aux plus affreufes extrémi és
n'attend plus que l'arrivée de M. de Suffren pour fe
rend : e . Son tréfor a fes vivres font épuifés , les
troupes ne font plus payées que fur des emprunts que
certains Officiers ont faits fur leur propre crédit
dans les diſtricts voifins . Le Chevalier Eyre Coote
fut frappé d'une apopléxie en voyant fubmergerprès
de Cuddalore un convoi de vivies qui lui arrivoit ,
au moment même où il eſpéroit envelopper l'armée
Françoiſe unie à celle d'Hyder , & l'armée Angloife
après cet évènement ne tarda pas à être mise en déroute.
Les fuites du combat & de la prise de Trinquemale
donnent aux affaires de nos ennemis une
tournure encore plus favorable. On ne fait point ce
qu'eft devenu le Chevalier Hughes , & le ſeul eſpoir
qui refte fur fon fort eft que chaffé par le retour
inattendu de la Mouffon un mois avant fon époque
ordinaire , il fe fera retiré à Bombay ; mais on craint
que le Monarca , le Monmouth , le Sultan , &
l'Ifis n'aient pu réfifter à cette longue traverſée ; &
fi ces vaiffeaux , malgré leur état délabré , ont eu le
bonheur d'arriver , ils n'auront trouvé à Bombay
que des mâts jumellés & de maivais bois pour fer.
vir à leur refonte. Les maladies & les combats ont
fait perdre tant de monde au Chevalier Hughes que
la moitié de fon équipage eft compofée d'Indiens.
Le dernier combat a coûté aux Anglois plus de 600
ma: elors. La feule nouvelle qui puiffe confoler
ce pays-ci de tant de revers , eft la conclufion du
traité de paix avec les Marattes ; cependant les con
ditions en font très-défavantageufes pour ce Royau
me , & les Anglois n'acquiereat d'ailleurs dans les
Marattes que des alliés dont les principes les plus
chers ne font pas d'être fidèles à leurs engagemens .
---
Ces fâcheux évènemens vont probablement hâter
la chûte de la Compagnie des Indes , & il feroit poffible
qu'on apprit bientôt la diffolution de ce Corps
que fon adminiftration vicieufe , la corruption de
( 161 )
fes membres , la malverfation de fes employés & les
fortunes rapides de ceux que l'on appelle les Nababs ,
ont rendu odieux à toute la nation . Il n'eft prefque
point d'Anglois qui ne defire de voir le Roi s'emparer
des poffeffions que la Compagnie n'a plus la force
de conferver fans les fecours de fa nation ; le Parle
ment y paroît difpoft , & le Lord North qui a mûri
cette révolution ne laiffera sûrement pas échapper un
moment auffi favorable pour achever de mettre fous
la main du Roi & de l'Etat les vaftes territoires de
l'Inde. La grande queftion aujourd'hui eft de favoir
quelle efpece de Gouvernement on ſubſtituera à celui
de la Compagnie.
Notre pofition dans l'Inde feroit plus fâcheufe
encore , s'il eft vrai que le Lord Macartney
ait écrit que l'efcadre de M. de Suffren
eft en poffeffion de la côte , ce qui prouveroit
qu'il a moins fouffert qu'on ne l'a dit
dans le dernier combat , & qu'Hyder-Haly
avançoit rapidement pour inyeftir la place
où l'on s'attendoit à une famine générale . On
attend avec impatience la publication des
dépêches officielles qui peuvent raffurer.
La Gazette de la Cour qui garde le filence
fur ces évènemens , s'eft bornée tous ces
jours ci à annoncer les Membres de la nouvelle
Adminiſtration , dont la formation a
effuyé tant de difficultés , & a offert à
l'Europe un fpectacle qu'on ne peut trouver
que dans ce pays , & que les enthoufiaftes
de la conftitution Britannique ne feroient
peut-être pas mal deconfidérer avec un peu de
réflexion & de fang froid . La prépondérance
de la coalition actuelle a été telle , que le Roi a
été contraint d'y céder. Cette réfolution ne put
( 162 )
être prife tout d'un coup , & s'il faut en
croire nos papiers , elle fut dictée par l'impuiflance
de réfifter plus long-temps.
» Le 29 Mars , difent-ils , le Lord North fat
mandé chez le Roi ; il dîncit eu ce moment chez le
Com e Fitz- William avec M. Fox & plufieurs de
fes nouveaux affociés , jadis fes plus ardens adver
faires . Il fe rendit chez S. M. a ec laquelle il eut
un leng entretien . On en rapporte fort diverſement
la fubftance . Il y a des perfonnes qui prétendent que
le Roi fit un dernier effert pour le déta her de la coa
ition , en 1 i effrant la place de premier Miniftre
que le Lord North refufa . D'autres difent qu'après
des plafates fur les désagrémens de toute efpère que
$. M. éprouvoit dans la formation d'un Ministère ,
elle prepofa d'y admettre le pari de Portland ; mais
la propofition & fur-tour les conditions ne s'accordant
point avec les arrangemens faits par la coalition
Mylord North fit difficulté de les accepter, Ce qu'il y
a de für c'eft que la conférence finit fans que le Roi
& le Miniftre tombaffent d'accord ; il paroît qu'a la
fin c'eft le Souverain qui a pris le parti de céder.
Les deux Secrétaires , depuis qu'ils font
en place , fe font hâtés d'envoyer des exprès
aux Cours étrangères , pour y annoncer
qu'enfin le Ministère Britannique eft formé.
» Les opinions , dit à cette occafion un de nos
papiers , ont très partagées fur la durée probable
de ce Ministère : 1honorable W. Fitt va mettre au
premier jour la fameufe coalition à une épreuve
décifive , en remettant fur le tapis le grand projet
de réforme parlementaire que les Comtés défirent
généralement. M. Fox s'eft engagé folemnellement
à l'appuyer au Parlement , & le Lerd North , de fon
côté , a pris l'engagement contraire ; il fera curieux
de voir comment ces MM. fe tireront de ce fas.
En attendant on remarque que M. Fox , en plaçant
( 163 )
-
le Duc de Portland à la tête du Tréfor , pourroit
s'être trompé dans fon calcul cette fois- ci , comme
la premiere ; & au lieu de créer une Adminiſtration
Rockinghamite comme il le vouloit , il n'a peut- être
que rétabi l'ancienne Adminiſtration qu'il avoit
culbutée. Rien du moins de fi poflible ; en en jugera
en jettant les yeux fur le tableau fuivant du Cabinet ,
où le Roi a deux voix , le Vicomte de Stormont une ,
le Comte de Carliſle une , le Lord North une : total § .
Le Duc de Portland une , 1honorable Charles
Fox une , Lord John Cavendish une , le Lord Keppel
une : total 4. Majorité pour le Lord North ne voix.
Au refte , le teins feul démontrera les effets bons
ou mauvais de la coalition , fans laquelle peut - être
il n'eût pas éré facile de former un Ministère. Quoique
le Duc de Richemont foit parent de M. Fox ,
il défapprouve la jonction avec le Lord North ;
auffi a- t -il abdiqué fa charge de Grand - Maître de
l'Artillerie. On prétend cependant qu'il pourra accepter
l'Ambaffade de France «.
-
D'autres papiers parlent fur un autre ton
de la coalition , & fur-tout du Lord North
& de M. Fox. Nous devons donner également
place ici à leur apologie , qui paroîtra
allez fingulière.
Malgré toutes les déclamations des ennemis du
Lord North ou de M. Fox , contre leur réunion
politique , il eft certain que fans cette réunion , les
affaires di Royaume auroient été négligées , & l'Etat
déchiré par des divifions inteftines . Il y avoit
dans le Parlement trois partis ; & tant qu'ils ont
fubfifté , rien n'empêchoit les gens mal intentionnés
de s'opposer à toute opération fa utaire , & de
trouver des facilités pour ne s'occuper que de leurs
intérêts perfonnels. Dans ces circonftances la Puiffance
exécutrice feroit parvenue à acquérir un furcroît
prodigieux d'influence , qui à la fin auroit réduit
le Gouvernement de la G. B. à une Moxa : chie
( 164 )
abfolue. Des efprits étroits & pervers imputent foute.
vent les meilleures actions à de mauvais motifs ;
mais fi les hommes ne doivent être jugés que par
leurs oeuvres , n'y a -t-il pas de l'injuftice à les juger
d'avance ? Le Lord North & M. Fox ont formé une
coalition ; nè la condamnons pas avant de voir ce
qu'elle aura produit . Regardons-la comme l'avantcoureur
d'une unanimité générale. Ne détruifons
point les effets en femant des divifions , & n'ajoutons
aucune confiance à ces ennemis de Etat qui
voudroient nous perfuader qu'une union nationale
eft une chofe impraticable. Si en effet elle eſt impraticable
, c'eſt à ces ennemis de l'Etat qu'il faut
s'en prendre , parce qu'ils préférent toujours leur
intérêt particulier au bien public. Tout honnête Anglois
forme des voeux pour la deftruction de tour
parti ; & fi la réunion des deux Secrétaires d'Etat
actuels emble promettre certe unanimité nationale fi
defirée , tout homme qui aime fon pays doit être
porté à l'appuyer & à la foutenir de tout fon pou
voir. Mais , dira-t- on , comment eft- il poffible que
deux hommes qui ont été pendant long-tems d'une
opinion diametralement contraire puiffent agir aujourd'hui
de concert ? La réponse eft fimple . » Lorfles
caufes ceffent les effets ceffent auffi « . La
guerre d'Amérique fur laquelle ils avoient des principes
différens eft terminée ; its ne difputeront plus
fur cet objet puifqu'i n'en fera plus queftion. Et
pourquoi des citoyens dont les opinions auroient
éré oppofées relativement à cette guerre , ne fe réu
niroient-ils pas pour opérer le bien général , fur-tout
dans un tems où la fituation du Royaume demande
l'affiftance de chaque individu L'affiftance du
Lord North étoit abfolument effentielle pour appuyer
route adminiftration nouvelle On fait quels
efforts le dernier Ministère a faits pour l'attaquer.
& on ne peut difconvenir qu'il étoit moias naturel
qu'il le réunît au dernier Ministère qu'à la nouvelle
que
לכ
( 165 )
Administration . Du moins l'Etat y gagne beaucoup !
car le Lord North fe feroit joint à un parti dont les
principes font de préférer l'influence de la Couronne
aux priviléges du peuple. La guerre d'Amérique
étant terminée , le Lord North eft une excellente
acquifition pour le parti Whig. Sa longue expérience
dans les affaires , la connoiffance qu'il a des Mi
niftres & des Cabinets étrangers , fes liaiſons avec
ceux qui étoient en correfpondance avec lui , fes talens
, tout enfin fembloit indiquer qu'il étoit impof
fible de former fans lui un nouveau Ministère . Il
feroit ridicule de parler des farcalmes lancés contre
cette coalition dans le Parlement, M. Pitt s'eft fait .
moquer de la Chambre lorsqu'il a attaqué M. Fox à
cette occafion , & qu'en même tems I recherchoit
l'approbation de M. Jenkinſon avec lequel il s'étoit
joiur. Enfin il est évident que la coalition étoit indifpenfable
; car fi le Lord North cû refufé ſon appui
aux Whigs , il l'auroit donné aux Toys , ou bien
il auroit fait plus de mal encore ; il fe feroit fait chef
d'un trofieme parti dans le Parlement . Le bien de
l'Etat & même celui de la nouvelle Adminiftration
exigent que le Lord North entre à la Chambre des
Pairs. S'il n'y prend pas féance , cette Chambre
n'aura point de Pair pour foutenir la caufe.commune
. Le Duc de Portland eft un honnête homme
. Le Lord Keppel n'a qu'un crédit bien
foible lorsqu'il a pour Antagonistes les principaux
Orateurs de cette Chambre ; au lieu que le Lord,
North , en cas d'oppofition , peut y déployer cette
éloquence & cette fermeté qui l'ont fi fort diftingué
dans le long cours de fa premiere adminiſtration .
Er de fon côté M. Fox , avec le fecours de fes parti..
fans , peut mener la Chambre des Communes com,
me le Lord North celle des Pairs. >
....
Les places que quelques uns des Membres
de l'Adminiftration occupent dans la Chain(
165 )
bre des Communes , ayant été déclarées va
cantes , & les avis de procéder à une nouvelle
élection ayant été expédiés , le Lord
North & M. Fox ont fait leurs diligences
pour fe faire élire de nouveau , l'un pour
Bambury , & l'autre pour Weftavinster :
cette réélection a eu lieu ; celle du premier
étoit naturelle , parce que Bambury eft un
bourg de famille ; mais celle du fecond
qui a eu lieu le 7 , paroiffoit devoir fouffrir
quelques difficultés ; fi elle a été faite fans
oppofition , c'eft qu'il n'y avoir point de
Compétiteur ; & le Candidat n'a pas reçu
les applaudiffemens auxquels il s'attendoit.
» Il avoit, cependant, dit un de nos papiers , qui rend
ainfi compte de cette réélection , pris les précautions
néceffaires pour cet effet . Non content d'avoir humblement
follicité les fuffrages des Electeurs , en leur
promettant folemnellement de ne pas abandonner les
anciens principes , comme s'ils étoient devenus douteux
, il prépara une autre farce le jour de l'Election
. A onze heures & demie , il s'avança vets Huftings
, Covent Garden , accompagné du Loid Surry,
de M. Byng , da Docteur Jobb , de MM Sheridan
Sawbridge , Howle , & de quelques autres Meffieurs .
La Proceffion était précédée de deux hommes , portant
une bannière de foie bleue , brodée en or , le
bonnet de la Liberté déployée , avec cette Infcription
en lettres d'or , l'Homme du Peuple ; venoit enfuite
une bande de Mufique Inftrumen ale : on portair
après un étendard brodé en or , où on lifoit.ces
mots : Liberté & Indépendance ; puis le comité du
Candidat avec des bâtons bleus , denx à deux : enfin
, M. Fox lui - même dans un char , ayant à côté
de lui M. Byng ; la marche était fermée par M.
Howfe , dans un carroffe de louage. M. Fox n'eut
( 167 )
pas plutôt monté les Huftings , que ce fut un cri ,
un fracas horrible ; les filets , les touffemens , ies
clameurs fe fuccéderent ; il feroit impoffible de
retracer fur le papier une image de ce cahos . Le
Le Docteur Jebb, M. Sheridan , M. Sawbudge &
M. Byng fireot divers efforts pour calmer le tumulte ,
mais inutilement. Leur voix fut étouffée par les cris .
M. Fox s'étant préfenté lui -même pour fe faire
entendre , la clameur devint plus bruyante , & l'oppofition
plus outrageante. Enfin , ayant fait une
nouvelle tentative , on entendit diftinctivement cent
voix qui repétoient dehors , dehors , point de Fox ,
point de North , point de tourne - cafaque ; jettez
nous dehors ce Fox , & que le peuple coure à la
chaffe après ce Fox ; ( Renard en Anglais . ) M. Fox dic
quelques mois pour juftifier la coalition ; cependant
aucun autre Candidat ne s'étant préſenté , il fut élu ;
après quoi il falua , & fe retira à l'hôtel de Wood
où il dina avec une compagnie gaie & nombreuſe
de fes amis ".
La réélection de Mylord North , pour le
bourg de Bambury , fembloit détruire le
bruit qui s'étoit répandu , qu'il ſeroit créé
une nouvelle Pairie en fa faveur , afin qu'un
des Secrétaires d'Etat ait , fuivant l'ufage
féance dans la Chambre Haute. Ce qui s'eft
paffé dans cette Chambre le 8 de ce mois
renouvelle ce bruit , & lui donne plus de
force.
La Chambre étoit fur le point de s'ajourner , lorf
que le Duc de Richmond fe leva pour demander au
Duc de Portland s'il étoit vrai qu'un des Secrétaires
d'Etat alloit paffer de la Chambie des Communes à
celle des Pairs il ajouta qu'il approuvoit beaucoup
cet arrangement & qu'il le regardoit même comme
indi penfable , vu la nature des affaires qui le traitent
dans cette Chambre , & que c'étoit pour cette raiſon
( 168 )
même qu'il défiroit cet éclairciement , étant dans
l'intention de faire une motion très-intéreſſante , &
à la difcuffion de laquelle il feroit néceſſaire que ce
Secrétaire d Erat affiftât , & qu'en conféquence , il
différeroit de quelques jours , s'il étoit sûr que cet
arrangement ne fût pas trop éloigné. Le Duc de
Portland déclara que la promotion de l'un des Secré
taires d'Etat , à la Pairie , alloit en effet faire paffer
ce Miniftre d'Etat dans cettte Chambre , mais que
comme il ne pouvoit favoir précisément quand cer
évènement auroit lieu , rien n'empêchoit le Duc de
Richmond de faire fa motion , & que cette circonftance
ne devoit point retarder la difcuffion de tout
objet intéreffant pour la Nation . Le Duc de Richmond
fatisfait de cet éclairciffement , Le jugea point a propos
d'aller plus loin : il remercia le Duc de Portland
en affurant qu'il lui fuffifoit de favoir qu'un
des Secrétaires d'Etat étoit (ur le point de prendre
place dans la Chambre , & qu'en conféquence il
pouvoit fufpendre fa motion au moins jufqu'aux
Fêtes de Pâques.
La Chambre des Communes s'étant formée le 9
en Comité de fubfide , prit les arrêtés fuivans .
Qu'un nombre de troupes de terre , montant , y
compris 4155 Ievalides , à 41,755 hommes effectifs
, fera employé depuis le 25 Avril 1783 , jul
qu'au 24 Juin fuivant inclufivement . Qu'une
fomme n'excédant pas 155,8681 . 14 f. 6 d . fera octroyée
pour l'entretien des troupes & des garniſons
de S. M. dans les Colonies & en Afrique , y compris
les troupes qui font à Gibraltar , pour 61 jours , à
compter du 25 Avril 1783 jufqu'au 24 Juin fuivant.
-
Qu'une fomme n'excédant pas 180,891 l . 1 f.
6 d. fera octroyée à S. M. pour payer la dépense de
17550 hommes effectifs pour gardes , garniſons &
troupes de terre de S. M. dans la Grande- Bretagne
à Guernesey & Jerſey pour 61 jours , à compter
du 23 Avril 1783 jufqu'au 24 Juin fuivant.
Qu'une

f
t
( 169 )
-
Qu'une fomme n'excédant pas 9320 liv. 13 f. 6 d.
fera accordée à S. M. pour payer les dépenfes de l'infanterie
Hannoviienne dans la Grande- Bretagne 112
jours , à compter du 25 Décembre 1782 jufqu'au
24 Juin 1783 inclufivement. M. Fox propofa
enfuite de remettre à trois femaines l'examen du
bill du commerce avec l'Amérique. Il obferva que
les points principaux de ce bill pouvoient être réglés
par une négociation : que , felon lui , ce qui
preffoit le plus dans le moment préſent , étoit de
paffer au plutôt un bill pour révoquer l'acte prohibitoire
& les autres actes qui gênent les vaiffeaux
Américains dans leur commerce. - M. Villiam Pitt
dit qu'il ne s'oppofoit point à ce qu'on différât
l'examen de ce bill fi les Miniftres avoient lieu
d'efpérer qu'une négociation produisît les mêmes
effets que le bill , mais que pour lui , il ne fe flattoit
pas que la négociation fût auffi heureuſe que
les Miniftres pourroient fe l'imaginer. M. Fox répliqua
que fi la négociation manquoit , il feroit
toujours tems d'avoir recours au bill ; & après d'autres
légers débats fur cet objet , fa propofition de
différer l'examen du bill pour le commerce avec
l'Amérique , paffa fans aller aux voix.
-
Les Irlandois fe flattent que ce changement
de l'Aminiftration n'influera pas fur eux , &
qu'ils conferveront le Lord Temple pour
leur Vice - Roi ; ils ont témoigné tant d'affection
pour lui , & lui en ont donné des
témoignages fi honorables & fi flatteurs
qu'on a lieu de croire qu'il ne fera point
rappellé d'un pofte où il peut être utile
aux deux Royaumes.
26 Avril 178 30
*
( 170 )
FRANC E.
De VERSAILLES , le 22 Avril.
LE 13 de ce mois LL. MM. , Monfieur ,
Madame , Monfeigneur & Madame la Comteffe
d'Artois & Madame Elifabeth de
France , fe rendirent à la Chapelle du Château
, où , après avoir affifté à la bénédiction
des Palmes & à la proceffion , ils entendirent
la Grand'Meffe , chantée par la
Mufique du Roi , & célébrée par l'Abbé de
Ganderatz , Chapelain de la grande Chapelle
; Mefdames Adelaïde , Victoire &
Sophie de France y affiftèrent dans une
des travées.
Le 14 la Reine fe rendit en cérémonie à
l'Eglife de la Paroiffe de Notre- Dame , où
elle communia des mains de l'Evêque Duc
de Laon , fon Grand Aumônier. Le même
jour , Madame Elifabeth de France & Mefdames
Adelaide & Victoire de France , communièrent
dans la même Eglife ; Madame
Elifabeth , des mains de l'Evêque de Senlis ,
premier Aumônier du Roi ; Madame Adelaïde
, des mains de l'Evêque de Pergame
fon premier Aumônier ; & Madame Victoire,
des mains de l'Evêque d Evreux , fon premier
Aumônier. Le 15 , Madame fe rendit
en cérémonie dans la même Eglife , où elle
communia des mains de l'Abbé de Moftuejouls
, fon premier Aumônier , & Monfieur
communia le lendemain dans la même Egliſe
,
( 171 )
des mains de fon premier Aumônier l'Evêque
de Séez.
Le Roi voulant donner à M. Gérard de
Rayneval une preuve de la fatisfaction qu'il
a de fes fervices , & de la manière avec laquelle
il a rempli la miffion dont il a été
chargé en dernier lieu à la Cour de Londres ,
relativement à la paix , vient de lui accorder
des lettres de Confeiller d'Etat .
L'Abbé Berault Bercaftel , Chanoine de
l'Eglife de Noyon , a eu le 13 de ce mois
l'honneur de remettre au Roi les Tomes XV
& XVI de l'Hiftoire de l'Eglife , Ouvrage
dont S. M. a daigné agréer la Dédicace ( 1 ) .
De PARIS, le 22 Avril.
ON attend avec impatience le Courier
d'Angleterre qui pourra nous apporter les
dépêches officielles de l'Inde que la Cour
des Directeurs de la Compagnie , a reçues
par le paquebot le Rodney ; ce qui en a
tranfpiré & ce qu'on a dit dans tous les
papiers du combat du 13 Septembre , n'eft
pas clair & femble fe rapporter pour les
détails à celui du 3 ; l'Illuftre en effet y
fut véritablement maltraité , fon Capitaine
n'y fut pas tué comme on l'a dit , mais
bleffé grièvement ; le Sévère prit feu en
combattant le Sultan. D'ailleurs M. de
(1 ) Cer Ouvrage important & dont le fuccès attefte le
mérite , fe trouve à Faris chez M, Moutard , Imprimeur- Libraire
, rue des Mathurins , Hôtel de Cluny.
h 2
( 172 )
Suffren étant rentré à Trinquemale le s
de ce même mois , n'appareilla de nouveau
que le premier Octobre , & ceux qui veulent
un cinquième combat le placent 13
jours après la fortie de notre efcadre , &
il n'y auroit en ce cas d'erreur que dans
le nom du mois. Cela peut être ; mais on
remarquera en paffant que la mouffon
étant commencée à cette époque , il eft
bien fingulier que l'Amiral Hughes fe foit
expofé à un nouveau combat , n'ayant aucun
lieu où il pût le réfugier après l'action.
Le tems ne tardera pas à lever ces obfcurités
& à diffiper les doutes,
-
Les vaiffeaux revenus de Cadix ici , écrit- on de
Breft , font les fuivans. A trois ponts , le Royal-
Louis , le Majestueux , le Terrible , l'Invincible , la
Bretagne.De 74 le Robufte , le Bien-Aimé , le
Sceptre & le Diadême. - Frégates , l'Engageante ,
la Gentille , le Richmont , le Crescent , de 32 à 36
canons de 12 liv. de balle, Il y a encore trois gabarres
du Roi qui vont partir pour différentes milfons
; elles font commandées par MM . de Brugnon ,
de Rofily & le Chevalier de Kerhue. Quand les flottes
feront rentrées , il y aura toujours 4 enfeignes
fur ces gabarres , qui feront commandées par des
Lieutenans de vaiffeau. Les 3400 hommes des
troupes du Corps Royal de la Marine ſe font rendus
à Landernau , pour y prendre poffeffion du Couvent
des Urfulines , qui a fervi d'Hopital pendant la
guerre ; le Roi y ayant fait de grandes dépenfes , &
ce Couvent étant d'ailleurs très - vafte & très -bien
bâri , il devient un corps de cafernes & un quartier
on ne peut plus utile & plus commode pour les
troupes de Marine , qu'il eft queftion d'augmenter ;
il peut encore , en tems de guerre & en cas de ma(
173 )
-
ladie , fervir à point nommé d'hopital , & être une
décharge confidérable pour Breft. Le quartier fera
toujours commandé par un ancien Lieutenant de
veilleau. - Dans la nuit du ƒ au 6 , s'eft déclaré
l'incendie d'un des magafins de vivres , contenant
de i huile , de l'eau -de-vie , du vin , du fromage , de
la morue , des fardines . Il a été totalement brûlé ;
mais on a confervé les autres : le tems étoit heureufement
beau & calme «.
Le bâtiment l'Hercule arrivé à Bordeaux
a apporté des nouvelles du Cap François ,
ifle St - Domingue ; elles font du 24 Janvier ;
nous n'en avons pas de plus fraîches . A
cette époque M. le Marquis de Vaudreuil
étoit toujours au continent Eſpagnol.
" Le 6 de ce mois , écrit - on de Port- Louis , en
date du 9 , la frégate la Méduse , les flûtes du Roi
l'Amphitrite , l'Aventure , le Petit Coufin , & le
navire particulier le Grand Duc de Tofcane ,
ont appareillé du port de l'Orient pour l'Inde
& la Chine. -La frégate la Senfible , qui s'eft
trouvée hors d'état de faire le voyage de Chine
, a été remplacée par le navire particulier la
Comteffe de Charlus , qui a pris le nom de Sensible;
on efpère qu'elle fera en état de mettre à la voile in
ceffamment , ainfi que l'Archiduc Maximilien.
La flûte du Roi la Pintade , deftinée pour l'Amérique
, ne tardera pas à apppareiller , ainfi que le
Chancelier du Brabant , grand bâtiment de commerce
, chargé au compte du Roi pour l'Ile- de-
France. On parle beaucoup en ce pays de la franchife
de notre port & de celui de l'Orient en faveur
des treize Etats Unis . Ce feroit un grand bien pour
la Province , qui auroit un débouche de fes denrées ,
& par la fuite une grande extenfion de manufactuque
l'on pourroit former avec avantage ; mais
h ;
( 174 )
ce n'est qu'après la conclufion du traité de paix
qu'on peut s'occuper de cet objet , & ce ne fera
qu'après , qu'il fera décidé quelque chofe ".
On dit qu'il va être conftruit à Dunkerque
pour le Roi 20 cutters & lougres
du premier rang. On en fait vendre 14
à Breft ; ce font l'Hirondelle , l'Argus , le
Jeune- Henri , l'Epervier , l'Actif , le Coureur
, le Milan , l'Emerald , l'Expédition ,
le Trial , le Tartare , l'Aigle , le Triomphe ,
1'Efpiegle & quelques autres bâtimens de
tranfport ; ils font tous ufés de fervice .
Les dernières lettres de Naples font du
25 Mars & contiennent les détails fuivans
.
» Par les rapports ultérieurs les plus exacts , &
qu'on ne croit pas exagérés , on fait monter à plus
de 60.000 le nombre des morts , tant en Calabre
qu'à Metline. La terre n'étoit pas encore raffermie
au départ du dernier courier , & on craignoit une
épidémie locale , fuite trop naturelle d'un auffi
terrible défaftre. Nous n'avons pas été fans alarmes
dans la Capitale , & j'ai éprouvé moi-même
très-fenfiblement la fecouffe de la nuit du 28 Février
au premier Mare . Le Gouvernement met la plus
grande activité & le plus grand empreffement à Loulager
les malheureux habitans échappés à la deftruction
de leur pays ; il continue de leur faire parvenir
les fecours les plus prompts dans tous les genres ;
mais quelques foins qu'on puiffe donner pour réparer
les dmmages , il eft probable que ce Royaume
fe reffentira long- tems du cruel fléau qu'une de ſes
plus belles Provinces vient d'éprouver «<.
On a reffenti auffi de légères fecouffes de
tremblement de terre dans quelques endroits
du Royaume ; nous en avons donné des
( 175 )
détails ; en voici de nouveaux que nous
recevons de Sallon - de - Crau en Provence .

Le 25 Mars dernier à 3 heures du matin, on reffentit
deux fecouffes de tremblement de terre , au
village de Malemort à 3 lieues de cette ville. Elles
ont occafionné des crevaffe : au plâtre des plafonds.
La commotion avoit été précédée d'un bruit éclatant
& fuivi d'un bri. affez fort fans direction sûre &
qui n'a duré qu'une heure . Les fecoulles fe font
propagées , mais en s'atténuant jufqu'an village
d'Alleyn & au Château - bas du Vernegues . Malemort
eft fitué dans la grande vallée de la Durance , au
bord de la riviere , & à une lieue de chaque côté de
deux chaînes de montagnes qui fe prolongent juf
qu'aux Alpes , & qui font élevées l'une de 200 &
l'autre de 300 toifes au - deflus du niveau de la mer.
Il n'y a eu ce jour- là ici aucune variation extraordinaire
dans le baromètre ; mais on a obferve que
quoique le tems fût pur , la machine électrique ne
donnoit que de foibles étincelles « .
Parmi les entreprifes importantes de ce
fiècle , celles qui font le plus d'honneur à
la Typographie , & celles qui , nous le répétons
, atteftent le plus fes progrès , le
Public a diftingué les éditions que nous
devons aux prefles de M. Di tot l'aîné ; noxs
n'avons été que les échos de ce Public en
rendant compte de fes efforts pour les élever
à la fupériorité à laquelle il les a portées ;
nous croyons n'avoir été que juftes , & nous
ne répondons point aux obfervations d'un
anonyme qui s'eft empreffé de les publier
dans des papiers étrangers. M. Didot l'aîné
vient d'y faire lui même deux réponſes victorieufes,
l'une par le premier volume du Théâh
4
( 176 )
tre choisi de Pierre Corneille , imprimé avec
fes caractères ; cer ouvrage qui n'eſt tiré qu'à
200 , eft déja prefqu'épuifé. Le Profpectus
d'une nouvelle édition de la Gerufaleme liberata
duTaffe , en 2 vol. in-4°. avec figures ,
qu'il prépare fous la protection & par les
ordres de Monfieur , eft une nouvelle réponfe
, qui ranimera fans doute encore la
jaloufie , mais qui doit la forcer au filence .
Ce font les preffes de M. Didot l'aîné que
Mgr. le Comte d'Artois avoit déja choilies
pour faire imprimer les Auteurs François
qui compofent fa précieuſe collection . Ce
font les mêmes qu'un Prince éclairé , ami &
protecteur des lettres , vient également de
charger de l'édition d'un des plus grands
Poètes de l'Italie ; les motifs de cette préférence
font à la fois l'honneur & la récompenfe
de M. Didot l'aîné , & la juftification
de nos éloges ( 1 ) .
(1 ) Le prix du 1er . Volume du théâtre choifi de Corneille
eft de 36 liv.; le fecond paroîtra inceffamment & fera du
même prix. La Gerufalemme liberata fera imprimée avec les
nouveaux caractères de M. Didot l'aîné , fur le papier vélin ,
grand- raifin , dont on lui doit la fabrication qu'il a tentée en
France , dès l'année 1779 , dans la papeterie de M. Mathieu
Johannot d'Annonay. Le Profpe&us offre le modèle du caactère
& du papier , Monfieur voulant que cette édition fût
enrichie de 40 Eftampes & d'un Frontifpice , en a défigné luimême
les fujets par l'indication des textes , il a nommé M.
Cochin pour les Deffins & M. Tilliard pour en diriger la
Gravure. Après avoir retenu so exemplaires de ce fuperbe
Ouvrage , pour lui & pour la Famille Royale, il a permis qu'on
reçût des Soufcripteurs pour 150 feulement. Il réfulte de- là
que les exemplaires feront d'un prix confidérable & plus que
double de celui auquel on eût pu les donner fi l'Edition cût
été portée à 500. On ne doit pas être furpris fi chaque exemplaire
, compofé de 2 vol. in- 4º . fur papier vélin de France ,
( 177 )
Le citoyen bienfaifant qui a déjà fait les fonds
de deux Prix que diftribue l'Académie Royale des
Sciences ; l'un à des expériences dirigées vers l'objet
le plus utile aux claffes de la fociété les plus malheureufes
, & l'autre en faveur du Mémoire ou de
l'expérience qui rendra les opérations des arts mécaniques
moins néceffaires ou moins dangereufes ,"
vient de faire une nouvelle fondation . Il defire que
les procédés de ces arts mécaniques foient réduits à
la plus grande fimplicité poffible.
-
Les fimplifier , dit-il , c'eft fervir à la fois le
Consommateur & l'Artifan ; les marchandiſes étant
fabriquées avec plus d'économie , l'Artifan eft plus
afſuré du débit , & par conféquent du falaire de fen
travail ; le Pauvre feur atteindre à ce que lui interdifoit
un haut prix. La fubftitution de la charrue
à la bêche , du rouet au fufeau , du métier à l'aiguille
, font de véritables bienfaits envers l'humanité
, & nous avons , par la perfection fucceffive
des Arts , obtenu une multitude de poffeffions , de
facultés , de jouiffances , dont étoient privés nos
ancêtres. Mais on n'a fait que les premiers pas dans
cette carrière , & en ne confidérant que la formation /
& la préparation du premier des alimens , combien
on peut inventer encore de moyens de faliciter
abréger , perfectionner la culture , la femence , la
coupe , le battage , la mouture des grains & la
boulangerie , craindroit- on qu'en diminuant le nomorné
de 41 Planches , eft porté à 12 louis ; cette valeur ne
peut qu'augmenter dans la fuite par la rareté de l'’Ouvrage . '
Le long travail qu'exige cette entrepriſe a forcé M. Cochin &
M. Tilliard à partager les gravures en 4 livraiſons , dont la
première paroîtra au mois de Mars 1784 , & les autres de dix
mois en dix mois, L'impreffion du texte marchera plus rapi
dement ; M. Didot en pourra donner un Volume avec la première
livraiſon des Eftampes , & le fuivant avec la feconde.
Les Soufcripteurs payeront 4 louis en recevant chacune des
deux premières livraifons , 2 louis en recevant la troisième &
autant en receyant la dernière.
hs
( 178 )
-
bre des bras employés à ces opérations , il en reftât
d'oififs ? une telle idée ne peut être admife , ni dans
notre fiècle , ni dans un pays où il exifte des terres
incultes. - - Deux Nations rivales de notre induftrie
ont une main d'oeuvre plus chère que la nôtre , &
cependant vendent plufieurs de leurs marchandifes en
concurrence avec les nôtres , ou même obtiennent
la préférence ; une des raifons principales de ce
phénomène de commerce , eft que chez ces Nations
la fabrique eft plus fimple. A Amfterdam & à Birmingham
, un grand nombre d'inftrumens peu connus
ou peu communs en France , remplacent les
opérations manuelles , & on a obfervé qu'en Hol .
lande & en Angleterre , à mefure que la maind'oeuvre
enrichit , les Manufactures & les Artifans
inventent des machines , des inftrumens , des procédés
qui diminuent le nombre des agens , & en
faifant baffer les prix , facilitent le débit. On
ne fe permettra point de juger le génie François
dans la partie des Arts ; & fans prétendre décider
fi notre Nation crée moins qu'elle ne perfectionne ,
& a moins d'invention que d'adrefle , on obfervera
feulement que nous avons enlevé à Venife fes glaces ,
à l'Italie les étoffes de foie ; que le Languedoc pour
voit le Levant de draps nommés Londrins ; que les
étoffes commies Velours d'Utrecht le fabriquent
par nos Artifans , tandis qu'on trouve peu d'exemples
d'Arts inventés en France & perfectionnés par
l'Etranger « . Le Bienfaifant annonyme deſtine à
cette fondation une fomme de 12,000 liv . qui
fera placée de la même manière que la dernière
fomme précédemment donnée avec l'intérêt on
payera une Médaille qui formera un Prix annuel «.
-
L'Académie ayant d'une voix unanime accepté
cette donation avec la permiffion du Roi , elle a
arrêté qu'elle fera connoître chaque année quel doir
être l'objet du Mémoire auquel fera donné un Prix ;
ce Prix confiftera en une Médaille de 1080 liv. &
( 179 )
L'Acafera
adjugé dans l'Affemblée publique d'après Pâques.
Elle propofe pour le premie Prix à donner
en 1784 , le fujet fuivant : De perfectionner la
conftruction des Moulins à eau , fur-tout de leur
partie intérieure , de manière, qu'ils foient plus
fimples , s'il eft poffible ; qu'ils donnent & plus de
farines & des produits plus diftincts dans la qualité
de ces farines ; que par la réunion & le jeu
des Blutteries , à mesure que lafarine eft extraite
du grain , ils deviennent propres à la nouvelle
efpèce de mouture adoptée depuis quelques années
dans les moulins de Corbeil , & dans quelques autres
voifins de la Capitale ; enfin , qu'ils renferment .
différentes mécaniques , pour qu'ils puiffent , au
moyen de la force qui les fait mouvoir , produire
les divers effets néceffaires à leur fervice.
démie s'eft déterminée à propofer ce fujet , à caufe
de la grande importance & de la néceffité de répandre
& d'étendre plus généralement cette nouvelle
efpèce de mouture. On fait qu'elle conſiſte à tirer
du blé le produit le plus confidérable qu'on peut
en efpérer , tant en farines de la première qualité ,
qu'en farines bifes ; qu'on obtient cet avantage en
failant paffer fous les meules , à plufieurs reprises ,
les gruaux qui restent apres que les plus belles farines
en ont été féparées , & que l'art du Meûnier ,
dans cette opération , eft autant de dépouiller parfaitement
le fon des portions de farines qui s'y trouvent
adhérentes , que de n'entamer que le moins
qu'il eft poffible cette écorce du grain . Les progrès
qu'on a déja faits dans la conftruction de diffé ens
moulins destinés à cette moutere , donnent lieu à
l'Académie d'espérer que les efforts des perfonnes
qui fe propoferont de concourir pour ce Prix , ne
feront point infructueux , & que les voeux pour la
perfection de l'Art le plus urile , feront accomplis .
Les Savans & A tiftes de toutes les Nations font
invités à travailler fur ce fujet , & mêmes les Allh
6
( 180 )
:
eiés étrangers de l'Académie. Elle s'eft fait une loi
d'exclure les Académiciens regnicoles de prétendre
aux Prix. Ceux qui compoferont , font invités à
écrire en François ou en Latin , mais fans aucune
obligation ils pourront écrire en telle Langue
qu'ils voudront , l'Académie fera traduire leurs Mé
moires. On les prie que leurs Ecrits foient fort lifibles.
On fuivra d'ailleurs les formalités ordinaires ,
les Ouvrages feront adreffés à Paris , au Secrétaire.
Perpétuel de l'Académie , jufqu'au 1er . Février
1784 , exclufivement ; ce terme eft de rigueur. L'Aca
démie , à fon Affemblée publique d'après Pâques
1784 , proclamera la Pièce qui aura mériré ce
Prix ".

On vient de publier une nouvelle Eftampe
qui fait fuite à celles qu'on a déja données
& dont les fujets font tirés des principaux
évènemens de la guerre . Celle- ci repréſente
la prife de Tabago ; elle eft d'un effet auffi
piquant que les précédentes qui offrent la
reddition de l'armée du Lord Cornwallis ,
les prifes de la Grenade , de St - Chriſtophe
du fort St- Philippe & de St-Euftache , qu'on
doit aux foins de MM. Ponce & Geoffroi.
Celle- ci a été gravée par M. Ponce , Graveur
de Mgr. le Comte d'Artois , d'après le
deffin de M. William. Elle fera fuivie inceffamment
des prifes de la Dominique
du Sénégal , de Penfacola & de l'armée du
Général Burgoyne ( 1 ) .
Nous joindrons à cette annonce celle de
(1) Le prix de chacune de ces Gravures eft de I1 liv. 16 f
Elles fe trouvent à Paris chez M. Ponce , rue St-Hyacinthe ,
maifon de M. de Bure , & M. Geoffroy , rue des Francs- Bourgeois
, Porte St-Michel,
( 181 )
deux nouvelles gravures très-piquantes, dont
M. Vidal vient d'enrichir fa collection ; elles
font toutes deux d'après des tableaux de M.
P. A. Wille , & gravées par M. Voyer Paîné ;
le titre de l'une eft la Curieufe , & celui de
la feconde le Bouton de Rofe . Les fujets font
fimples ; l'idée ingénieufe & galante , eft
rendue de la manière la plus piquante &
la plus agréable ( 1 ) .
Nous nous empreffons de contribuer à
donner plus de publicité à la lettre ſuivante
, qui a déja paru dans quelques papiers ;
c'eft celle d'un Citoyen dont le malheur ,
les pertes & fur tout l'honnêteté ont les
plus juftes droits à l'intérêt & à l'indulgence
du public.
·
» Dimanche 30 Mars , à 7 heures & demie du
matin , j'ai effuyé un incendie qui a confumé une
grande partie de mes livres ; le troifieme volume du
Cours d'Agriculture , qui venoit de paroître , a
fouffert en partie ; la premiere livraiſon des Romans
de Le Sage & de l'Abbé Prevoft , le Journal de
Phyfique de cette année , plufieurs autres . Ouvrages
qui fortoient de la preffe , des planches en tailledouce
, des affortimens , enfin tout ce que trois falles
pouvoient contenir a péri dans ce malheureux évènement.
Il ne m'eft plus poffible de tenir mes engagemens
pour mes ouvrages de foufcription , particu
liérement pour les Romans de Le Sage , dont les 4
premiers volumes devoient paroître à la fin de ce
(1) Ces deux Eſtampes fe trouvent chez M, Vidal , rue des
Noyers, n°. 29.; leurprix eft de 3 1. chacune. Nous rectifierons
ici une erreur dans l'annonce de la Balançoire mystérieuse qui
fe trouve à la même adreffe ; elle fait la neuvième fuite des..
Baigneufes furprifes & non la dixième , qui ne paroîtra que
dans le courant de l'année,
( 182 )
-
mois (d'Avril ) . Il faut que je recommence à
grands frais mes opérations ; cette poſition eft dure ,
pénible , douloureufe ; mais je compte fur l'indulgence
du Public ; les regrets que l'on a daigné m'accorder
, l'intérêt particulier que l'on a pris à mon
fort, femblent me répondre de l'intérêt général , &
doivent foutenir mon courage. Je vais m'occuperà
réparer mes pertes & à fatisfaire les defirs de mes
foufcripteurs. La premiere livraifon des Romans
de Le Sage & de l'Abbé Prevoft , fera donc portée
jufqu'à la fin de Juin prochain ; j'en inftruirai le Public
plus particuliérement par un avis que je diftribuerai
bientôt ; en attendant , on peut toujours fouf
crire. Signé CUCHET , rue & hôtel Serpente , à
Paris.
Jean-Pierre Courtin , Secrétaire intime de S. A.
S. E. Palatine , ayant donné judiciairement à connoître
que l'Entrepreneur François , nommé Galabert
, pour terminer un différend furvenu entre lui
& la fille de fon Commiffionnaire , feu Thibaud
Bechin , au fujet de certains meubles & effets con.
teftés , avoit confenti d'abandonner à cette fille les
330 florins 15 creutzers , dépofés ci-devant dans un
autre procès entre les mains dudit Courtin , à l'exception
de 8 louis , dont lui , Galabert , vouloit fe
contenter. Ledit Galabert eft fommé de faire parvenir
à la Cour de Juſtice Electorale Palatine , fa décla
ration fur l'ouverture dudit Courtin , dans le cours
de fix femaines , faute de quoi fon filence ne pouvant
être regardé que comme un aveu , il fera procédé
ultérieurement par contumax.
M. Guillaume Poiffon , Marchand , rue de la
Coffonnerie , mort fans poftérité à Paris , au mois
d'Acût 1782 , a laiffé une fucceffion affez confidérable
on préfume qu'il a fait un teftament en faveur
des pauvres & de quelques uns de fes parens peu
riches. On prie les Curés , Notaires & autres perfon.
nes qui peuvent avoir connoiffance de ce teftament ,
d'en faire part à M. Mulot d'Anger , Procureur au
( 183 ད
Chârelet , rue des Foflés- St - Germain - l'Auxerrois ,
chargé de la liquidation de cette hoirie vacante.
De BRUXELLES , le 22 Avril.
LES lettres de Hollande ne nous apprennent
rien encore au fujet des préliminaires
de la paix entre la République & l'Angleterre .
On s'y flatte toujours que les obftacles feront
enfin levés , & on ne doute pas dumoins que
la formation du Miniſtère Britannique ne ranime
l'activité des négociations que les circonftances
avoient rallenties .
Ces lettres ajoutent que les Etats- Généraux
ont pris une réfolution entièrement conforme
à celle des Etats de Hollande , pour faire
des recherches fur le refus des Commandans
de l'efcadre qui avoit eu ordre de fe rendre à
Breft.
Les Etats de Hollande & de Weftfrife
s'occupent toujours de la grande affaire de la
Jurifiction Militaire. Il lui a été fait rapport
du travail des Commiffaires à cet égard , &
fon réſultat eft entièrement conforme au
Mémoire donné précédemment par les Députés
d'Amfterdam , & qui avoit été rédigé
par M. le Penfionn . ire Van Berkel.
22 Par les navires arrivés en France avec la nouvelle
de la reprise de Trinquemale , & de l'action
entre les efcadres Françoife & Argloife , écrit- on
d'Amfterdam , on a reç des lettres du Cap de
Bonne-Espérance ; elles nous apprennent que le 2
Décembre dernier , le frégates de guerre de la
République , le Pofen , & le Brunswick y étoient
arrivées , ainfi que les vaiffeaux armés de la Compagnie
des Indes , le Gange , le Zeepaard , le Hol
( 184 )
land , le Voorberg , le Zeenw , le Hoth , le Schon
derloo & le Java. Cette efcadre étoit partie du
Texel le 7 Juillet dernier. On affure que les
Etats - Généraux ont réfolu de retenir au ſervice de
la République pendant la paix 6 vaiffeaux de 60
canons , fix de so , quatre de 40 , quatre de 36 ,
quatre de 20 , & fix yachts d'avis . Ces vaiffeaux
coûteront annuellement y compris les frais pour
trois tables , à raifon de 1500 florins par mois chacune
, une fomme de 3,642,000 florins qui fera
portée fur l'état de guerre , pour être diftribuée aux
colléges refpectifs de l'Amirauté defquels effortent
les vaiffeaux .
On oppofoit à M. Lemmens , Hollandois,
le droit d'aubaine , pour le priver d'une fucceffion
qu'on dit confidérable , & que fes
neveux lui ont laiffée dans les Colonies
Françoifes. M. le Marquis de Caftries , Miniftre
& Secrétaire d'Etat au Département
de la Matine , a levé ces difficultés par la
lettre fuivante , qu'il a adreffée à l'Ambaffadeur
des Etats- Généraux à Paris .
" M. , j'ai reçu le dernier Mémoire que V. E. m'a
fait l'honneur de m'adreffer pour M. l'abbé Lemmens,
concernant la fucceffion de fes neveux , dans laquelle
on lui oppofe le droit d'Aubaine en ce qui concerne
les biens fit és aux Colonies. Il eft vrai qu'en géné
ral le droit d'Aubaine fubfifte dans nos lles , malgré
les Traités qui n'ont d'exécution que pour les biens
fitués en Europe , foit parce que la plupart des Puiffances
, n'ayant point de Colonies , ne peuvent offrir
la réciprocité , foit parce que les Traités n'en font
pas mention : mais il paroît qu'il en doit être autrement
pour les fujets de la République . Les termes
du Traité du 23 Juillet 1773 , ne préfentent aucune
limitation. Il paroît , d'un autre côté , que même
avant ce Traité & en vertu des engagements anté(
185 )
rieurs , les François ont recueilli des Succeffions à
Surinam , fans aucun obftacle. V. E. enfin annonce ,
de la part de LL. HH . PP . qu'elles ne font aucune
difficulté d'admettre les François à recueillir les Succeffions
qui leur tombent en partage dans les Etats
de la République & dans fes Colomes Orientales &
Occidentales. Il eft jufte , en conféquence , que les
Hollandois jouiffent du même avantage dans les
Colonies Françoiles ; & j'annonce avec plaisir à V.
E. , que telle eft l'intention da Roi pour les Succeffions
échues , comme pour celles à écheoir , en
attendant que S. M. prenne une détermination finale
fur ce qui concerne le droit d'Aubaine «.
a
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 13 Avril.
Un bâtiment venant de New -York & deftiné pour
Londres , a relâché à Kinfale. Il avoit mis à la voile
de New-York le premier Mars , le capitaine rappor
te que le jour de fon départ , la paix avoit été proclamée
à New-York en conféquence des avis reçus
d'Europe que les préliminaires avoient été fignés le
20 Janvier.
Le Capitaine d'un Vaiffeau marchand , venu de
Bofton en 29 jours a donné les détails fuivans . Il
'étoit à Hallifax , le 23 Février , lors de l'arrivée d un
cutter avec la nouvelle de la paix . Cette circonftance
l'a engagé à fe rendre à Boſton où il a reçu des témoignages
d'amitié , quoiqu'on ne lui ait permis de
débarquer aucun article ni de rien prendre à berd.
On y avoit reçu la nouvelle de la paix qui paroiffoit
caufer la plus grande fatisfaction .
Suivant les dernieres lettres de Philadelphie , le
Congrès a réfolo d'avoir toujours fur pied une armée
de troupes regl'es , & l'on doit confulter le Général
Washington fur le nombre des hommes qui doivent
la compofer , leur folde , leurs quartiers , & fur tout
ce qui eft relatif à fon établiſſement .
Il eft à craindre qu'il ne s'écoule encore beaucoup
( 186 )
de tems avant qu'on ait pris , avec le Congrès , des
arrangemens définitifs relativement au commerce.
Le fitur Henry Laurens , l'un des Commiffaires
chargés de négocier un traité de commerce avec
la G. B. , s'eft mis en route pour Paris où le fieur
David Harley fe rendra dans quelques jours en qua.
lité de Commiffaire pour travailler à ce traité au
nom de l'Angleterre.
On a reçu avis de Madrafs que la famine s'eſt déclarée
dans l'Inde & que plufieurs milliers d'Indiens
en ont été les victimes. On prétend que c'eft la difette
du riz qui a occafionné ce défaftre. Cette famine
fait tant de ravages à Madrafs , qu'elle y enlève
fouvent soo hommes par jour , circonftance
qui , jointe aux dernieres nouvelles , fair craindre
que ce te place ne foit entre les mains de l'ennemi.
Il n'eft queſtion ici depuis quelques jours , que
d'un Congrès de toutes les Puiffances commerçantes ,
& des Villes maritimes libres qu'on dit devoir
s'aflembler à Paris l'été prochain , pour travailler à
un Code général de Lois maritimes , & affurer les
droits & les prétentions de la neutralité armée ;
mais ce n'eft que dans le cerveau de quelques Politiques
, que cette affemblée le trouve formée ; il n'en
eft pas queftion autre part ; & on ne voit pas que
les Puiflances belligérantes , qui fe font accommo
dées fans la médiation d'aucune Couronne , ait beſoin
de l'intervention d'aucune pour les Traités de paix ,
de commerce & de navigation , qu'elles jugeront
à propos de conclure. Elles pourront bien fixer des
Loix générales ; mais qui oferoit les leur dicter ?
GAZETTE DES TRIBUNAUX ABRÉGÉE.
PARLEMENT DE PARIS.
Caufe entre le Sieur de la Variniere , Artificier ;
& MM. les Prévôt des Marchands de la Ville
de Paris.
Le Corps Municipal ayant jetté les yeux fur le
( 187 )
nues. --
fieur de la Variniere , pour exécuter un feu d'artifice
, à l'occafion de la naiffance de Monfeigneur
le Dauphin , le fieur Moreau , Architecte de la Ville
fe tranfporta dans l'attelier de l'Artificier , pour lui
donner des ordres , & convenir de la quantité de
pièces à fournir , ainfi que du prix total du feu.
Il fut dreffé un état , & paffé entre l'Artificier & la
Ville un devis & marché , par lequel , meyennant
la fomme de 17,113 liv . que la Ville s'eft engagée
à payer après le fea tiré , l'Artificier s'eft obligé ,
de fon côté , à fournir le nombre des pièces conve-
Le feu a été tiré le 21 Janvier. L'Artificier
a demandé fon paiement. On a voulu lui faire fupporter
une diminution fur le prix , à cauſe du peu
de fuccès de l'exécution . L'Artificier n'ayant point
voulu fe prêter à cet arrangement , a fait affigner
le Bureau au Châtelet , pour lui payer le montant
du prix arrêté . Sur l'affignation , Sentence du Bureau
de la Ville qui évoque par-devant lui l'affignation
donnée au Châtelet , avec défenſes de faire ailleurs
autres pourfuites , à peine de nullité . Sur l'appel en
la Cour , Arrêt du 13 Mai , qui fait défenfes d'exécuter
la Sentence du Bureau de la Ville , & au Châtelet
de connoître de la conteftation , & ordonne
que les Parties procéderont en la Cour. Sur l'oppofition
de la Ville à l'Arrêt , autre Arrêt qui a renvoyé
les parties à l'audience avec MM . les Gens du Roi.
- La
Le Bureau de la Ville a d'abord foutena fa cempétence.
L'Artificier , a prétendu que le Bureau ne
pouvoit être en même-tems Juge & Partie.
Ville , fans préjudicier à fon droit de Jurifdiction ,
a confenti à l'évocation du principal , & a conclu à
ce que , vu les faits qui font de notoriété publique ,
que toutes les pièces d'artifice n'ont point réuffi ,
il lui fût donné acte de les offres , de payer les deux
tiers du prix convenu on telle autre fomme qu'il
plairoit à la Cour arbitrer. L'Artificier a foutenu les
offres de la Ville infuffifantes , a demandé le paie-

1
( 188 )
ment des 17,113 liv. , enſemble les 940 liv. 10 f.
pour pièces ajoutées au feu , de l'ordre du fieur
Moreau , & a conclu aux intérêts du jour de fa
demande , & aux dépens . Arrêt du 12 Février
1783 , qui a condamné les Prévôt des Marchands
& Echevins de la Ville de Paris à payer au fieur de
la Variniere la fomme de 18,033 1. avec les intérêts ,
à compter du jour de la demande , a fupprimé les
termes injurieux répandus dans le Mémoire du ficur
de la Variniere , & a condamné les Prévôt des Marchands
& Echevins aux dépens.
PARLEMENT DE NORMANDIE.
Avocat qui n'eft point fur le tableau , n'eft pas
difpenfe du ftage de cléricature , pour devenir
Procureur.
L'origine de la Bazoche du Parlement de Normandie
, remonte à l'époque où l'Echiquier fut fixé
à Rouen fes Lettres- Patentes ne font point conteſtées
: elle eſt établie à l'inftar du Parlement de
Paris. Louis XII ayant mis le Parlement à la
place de l'Echiquier , lui a donné , en 1499 , une
Charte de confirmation vérifiée au Parlement &
au Bailliage de Rouen. Les Magiftrats l'ont toujours
maintenue dans fes priviléges par nombre
d'Arrêts. Les Règlemens de la Bazoche de Normandie
veulent qu'on ait été Clerc pendant cinq
ans , pour être admis à exercer les fonctions de
Procureur. - Cependant un ancien Huiflier au Parlement
qui n'avoir point fait de ftage , a été reçu
Procureur en 1777 fans réclamation de la part des
Clercs un Notaire de la Province s'eft préfenté
depuis a été reçu de même ; d'autres ont pris des
Lettres de licence dans les Univerfités , ont prêté
ferment d'Avocat & de fuite ont été reçus Procurears.
Le frear Poiffon a fuivi l'exeingle de ces
derniers après avoir été Clerc pendant plufieurs
---
;
( 189 )
années , mais dans différens Bailliages de la Pro
vince , il a été reçu Avocat en la Cour au mois
de Juillet de 1782. Au mois d'Août fuivant il a
traité d'un office de Procureur au Parlement. Au
commencement de Décembre fuivant , il s'eft préfenté
à la Communauté , qui s'eft aflemblée pour
décider fi , comme il n'avoit jamais travaillé au
Palais , il devoit être agréé étant reçu Avocat ; partage
d'opinions : la Communauté affemblée de nouveau
fur le même objet , fut encore partagée. Alors
une voix s'éleva & propofa de faire fubir au fieur
Poiffon un examen , pour juger de fa capacité . Ce
parti fut adopté ; on le fuivit : le rapport des Examinateurs
fut favorable. Alors les Clercs ont
formé oppofition au Greffe de la Cour , à la réception
du fieur Poiffon . L'action s'eft liée : les
Procureurs font intervenus pour foutenir que le
fieur Poiffon , Avocat , examiné par la Communauré
, agréé par elle , devoit être admis. Arrêt
du 14 Mars 1783 , qui , faifant droit fur l'oppofition
des Clercs , a ordonné l'exécution des Règle
mens , par rapport aux cinq années de ſtage.
-
-
PARLEMENT DE DAUPHINÉ.
Femme dont les droits n'ont point été fixés par
contrat de mariage , & qui fe trouvant pauvre ,
demande aux héritiers de fon mari le quart de
fa fucceffion.

Le ୨ Février 1779 , Laurence Bellon contracta
mariage avec Antoine Bertrand , du lieu d'Aiguille
& fe conftitua tous les droits préfens & à venir ,
fans aucune fixation . Il ne fut point ftipulé d'augmens
, ni de bagues & joyaux. Le 13 Décembre
1781 , Bertrand décéda ab inteftat , & fans
enfans , laiſſant one fucceffion que fa veuve foutenoir
valoir 30,000 livres , & qui fut recueillie par
MM. Challe , fes neveux & fes héritiers de droit .
-
Après le décès de fon mari , Laurence Bellon
Le trouvant réduite à l'indigence , reclama le quart
( 190 )
de fa fucceffion pour en jouir à titre de propriété.
Le 12 Août 1782 , les fieurs Challe lui firent
fignifier un expédient , par lequel ils offrirent de
lui payer une penfion annuelle & viagère de 72 1.
franche & exempte de toute impofition royale , à la
charge par elle de vivre en viduité . Ils offrirent encore
les dépens faits jufqu'alors. Oppofition de
cette veuve à l'homologation de l'expédition.
Arrêt du 11 Mars 1783 , qui homologue l'expédient,
condamne Laurence Bellon aux dépens .
N. B. Cet Ouvrage paroît depuis le mois de Décembre
1775 , & n'a jamais fouffert d'interruption ; l'avis que l'on
en donne aujourd'hui eſt deſtiné à répondre aux infinuations
de quelques perfonnes , qui ont tâché de faire entendre
dans un Catalogue de Livres , & c. , qu'elles étoient propriétaires
de la Gazette des Tribunaux , ce qui eft abfolument
contraire ; M. MARS , Avocat , en a feul le privilége , & l'on
ne foufcrit point ailleurs que chez lui ,
CAUSE EXTRAITe du Journ . des CAUSES CÉLEBRES ;
Innocent condamné à mort par contumace , juſtifié
trente ans après.
-
Cette affaire qui a été jugée depuis peu par le
Parlement de Provence méritoit d'obtenir une place
parmi les Caufes Célèbres . Nous ne pouvons en don
ner ici qu'un extrait , Jeanne Marie Carlon avoit
époufé Jean Vial , Boulanger de la ville de Vence
le fieur Honoré Jourdan , Procureur jurifdictionnel
de cette ville , étoit leur voifin , & leur rendoit fervice
dans l'occafion. Jean Vial difparut dans les premiers
jours du mois de Février 175 3 3 fa femme fuppofa
divers motifs à fon abfence. Le 9 Mars , des
enfans conduits par le hafari auprès d'une citerne
peu éloignée , y découvrirent un cadavre ; le fieur
Honoré Jourdan requit tour de fuite , en qualité
de Procureur jurifdictionnel , la vifite du Juge , &
l'accompagna. Le cadavre étoit dans un état de putréfaction
, qui ne permit pas d'abord de le reconnoître.
Il n'eft pas difficile de vérifier , dans une pe(
191 )
1
---
tite ville , s'il y manque récemment quelqu'un , &
il n'y avoit d'abfent que Jean Vial . Le Juge ne
fit point la clôture du procès - verbal fur les lieux ,
& repréfenta à Honoré Jourdan qui demanda à le figuer
, qu'il n'étoit point fini , & qu'il attendoit , pour
cela , le greffier. En retournant chez le Juge , le
même jour , ou le lendemain , Honoré Jourdan
rencontra le Procureur fondé d'un des Seigneurs de
Vence pour la fubrogation des Officiers de Juftice,
qui lui apprenant qu'il va fubroger un Procureur juri
dictionnel , ne lui diffimule point que les affiduités
chez Jean Vial ont fait naître des foupçons fâcheux fur
fon compte , & lui dit qu'il n'y avoit pas à balancer
& qu'il l'exhortoit à mettre fa perfonne en sûreté; que
fi ce parti eft douloureux & humiliant pour l'innocence
, les formes de notre légiflation criminelle le
rendent quelquefois néceffaire. Il le crut , & fe
fe retira au lieu de Gatieres , alors fous la domination
du roi de Sardaigne . Ses amis , & un de fes
beaux -freres allèrent l'y trouver , & l'invitèrent , de
la maniere la plus preffante , à revenir , parce que
fa fuite dépofoit contre lui . Raffuré par le témoignage
de fon coeur , il cède aux inftances de fes
amis , revient à Vence & apprend le lendemain qu'il
eft décrété de prife de corps ; il retourna donc à
Gatières pour y attendre l'évènement de la procédure
qui s'inftruifoit alors . De tous les témoins qui
furent entendus , il n'y en eut pas un qui le chargea ;
on crut pourtant trouver , dans leurs dépofitions
des indices qui pouvoient lai être défavorables . Cependant
les Juges locaux n'héfitèrent point à le mettre
unanimement hors de cour & de procès par leur Sentence
du 2 Mai 1753. Le même Jugement déclara
Jeanne - Marie Carlon , époufe de Jean Vial , & les
nommés Jacques - Gervais Baltazalgette prifonniers
& Gaspard Mars contumax , atteints & convaincus
de l'affaffinat de Vial , & les condamna au dernier
fupplice. Les prifonniers furent transférés à Aix ,
le Parlement , par fon Arrêt du 29 du même mois
&
( 192 )
réforma la Sentence à l'égard du fieur Jourdan , &
le condamna à la mort , quoique les conclufions du
Procureur - Général fuffent en fa faveur. Le voile
que l'Arrêt venoit de jetter fur fon innocence , fe
déchira bientôt ; le jour même , les deux coupables
détenus déclarerent , en allant au fupplice , que
Jourdan n'avoit participé , ni directement , ni indirectement
à l'affaffinat de Jean Vial, & qu'il n'en avoit
rien fçu ni avant ni après qu'il fut commis . L'Arrêt
fut exécuté en effigie pour ce qui concernoit Jourdan ,
& la Cour ordonna , le premier Juin fuivant , que
les deux déclarations feroient jointes à la procédure.
Jourdan n'aprit que fon Arrêt de mort , & ignorant
que les auteurs du crime euffent avoué & atteſté
fon innocence , il erra pendant quelques années
de contrée en contrée. Il avoit un fils , âgé pour lors
de quinze ans , errant fugitif comme lui , qui ſe fixa
en Efpagne , où , accueilli dans une maiſon de commerce
, il en devint l'un des principaux intéreffés . Le
defir de fecourir la vieilleffe de fon pere & l'amour
de la patrie , toujours cher à un François , lui infpiroient
le deffein de revenir en France . Plein de cette
idée , il écrit en France & apprend que les véritables
auteurs du crime ont dépofé de l'innocence de Jourdan.
Dès cet inftant , il fe met en marche pour apprendre
cette nouvelle à fon pere , & vient le con
jurer de le représenter à fes Juges. » Si la rigueur des
formes & l'accufation , lui dit -il , vous foumettent
à une détention momentanée & à une fuite de procédures
fatiguantes , j'en partagerai le poids avec
vous. Que j'aurois de plaifir à le fupporter feul , fi
l'ordre judiciaire pouvoit le permettre « ! A ces mots
le pere fe jette dans les bras de fon fils qui foutient fes
pas chancelans , & l'amène aux pieds de la Juſtice.
Après un examen réfléchi des prétendus indices qui
avoient déterminé le Jugement rigoureux de 1753 ,
les Magiftrats du Parlement d'Aix , convaincus de
l'innocence du fieur Jourdan l'ont déchargé de l'accu
fation contre lui intentée par Arrêt du 29 Mai 1782,
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le