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1782, 10, n. 40-43 (5, 12, 19, 26 octobre)
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18.315
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT 18335
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spestacles ,
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arréts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
2
SAMEDI S OCTOBRE 1782.
7
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Rois
TABLE
Du mois de
PIÈCES FUGITIVES.
LeRetouràla Ville,
Vers à M. *** ,
Septembre 1772 .
4
ibid.
-Mlle de Gaudin ,
Les deux Epis , Fable ,
Epître aux Aftronomes ,
Impromptu à M. I AbbéArnaud,
de Chevalerie ,
34
Elfais des Sermons prêchés a
l'Etel- Dieu de Paris , 38
Alexandrine , ou l'Amour est
une Vertu , 68
49 Leçons Elémentaires d'Histoire
Naturelle & de Chimie ,, 73
51 Effais Hiftoriques fur lesAn-
Quatrain pour le Portrait de
M. d'Alembert , ib.
L'Abeille & la Fourmi , fable
, 52
Couplers ſur l'Ami des En-
,
gglloo 78 Américains
Mémoires concernant l'Hiftoire
, les Sciences , &c. des
Chinois , 82
Histoire de Charlemagne ,ſefans,
53
cond Extrait , 106
LesDeux Paladins, Conte, 54
Vers écrits au bas du Por-
Manco- Capac , premier Inca
du Pérou , 124
trait de la Reine ,
Plan des Travaux Littéraires
97
Portrait de Mlle *** ib. ordonnéspar S. M. 154
Lettre àM l'Abbéde Lisle, 98 Histoire dc Charlemagne , der
Epitre au Même , 99
nier Extrait , 158
Réponse à M *** 145
Le Flatteur , Comédie , 170
Vers àMlle Fanier ,
147 SPECTACLES .
Vers récités par unejeune Dlle Académie Roy. de Musiq. 92
àM. le Curé de Saint- Comédie Françoise, 40
Sulpice , 148 Comédie Italienne , 135
Aux Auteurs du Mercure de VARIÉTÉS .
France ,
Enigmes & Logogryphes , 7 ,
149 Lettre de M. Grosley à M.
d'Alembert ,
67, 105 , 152 Lettre au Rédacteur du Mer
139
NOUVELLES LITTÉR curede France , 188
Poéfies & Pièces Fugitives diverſesdeM.
le Chevalier de
B***,
Gravures ,
Musique ,
93,141 , 189
45
Annonces Littéraires , 45 , 94 ,
Nouveau Théâtre Allemand 22 143 , 191
Corps d'Extraits de Romans
A Paris , de l'Imprimererie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , Ive de laHarpe , près S. Coſme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI JOCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
1
EN VERS ETEN PROSE.
ADI
ÉLÉGIE.
DIEU , paiſible indépendance ,
Liberté , chère infouciance ,
Adieu , délices de mon coeur !
Le temps n'eſt plus où ma jeuneſſe
Couloit dans une aimable ivreffe
Des inſtans faits pour le bonheur.
Hélas ! dans mon âme attendrie
Se peint la mémoire chéric
De ces jours de proſpérité ,
Et je bénis la rêverie
Qui m'en retrace la gaîté.
Ah ! ſi les pénibles affaires ,
Si les ſoins , les ennuis cruels ,
Sont des tributs involontaires
Aij
4
MERCURE
Que le ciel impoſe aux mortels ,
Pourquoi ne pas attendre l'âge
Où des ans le rapide outrage
Éteint en nous le ſentiment ?
Eſt- ce au jeune homme , eſt- ce à l'amant
De payer ce dur arrérage ?
Et , quand la beauté qui l'engage
Brûle avec lui des mêmes feux ,
Devroit-il ſentir d'autre peine
Que les tourmens délicieux
Qu'on a dans l'amoureuſe chaîne ?
Mais je m'égare , malheureux....
A quoi bon ce lâche murmure ,
Ces plaintes , ces ſoupirs honteux ?
Du deſtin la fatale injure
S'étend ſur toute la Nature ,
Et preſcrit à tous de gémir.
Dois-je ſeul ne jamais connoître
Que les douces loix du plaifir ?
Et celui qui me donna l'être
M'a-t'il exempté de ſouffrir ?
(ParM. Faulcon. )
DE FRANCE.
RÉPONSE aux Stances de Mile DE
GAUDIN , inférées dans le Mercure
du 27 Juillet 1782 .
JE ſavois que mon enjoûment
Exciteroit un peu votre ire ,
Et je m'attendois franchement
Qu'à celle fin de me réduire ,
Vous prendriez tout bonnement
Le martinet de la ſatyre.
MAIS hier , quand de votre part
La poéfie & l'éloquence
Me fuſtigèrent à l'écart ,
Ce fut avec tant d'élégance ,
Qu'en les embraſſant tour- à-tour ,
Je m'écriai , pendant leurs pauſes :
On me traite comme l'Amour
On me corrige avec des rofes !
AU RESTE , à parler gravement ,
Vous me jugez trop fur mon âge;
Vous croyez que je rends hommage
Au frivole exclufivement ,
Et qu'un vernis de perfifflage
Fait réſiſter mon coeur volage
A l'eau- forte du ſentiment.
A iij
6 MERCURE
DÉTROMPEZ- Vous: de Melpomène
J'aime les traits bien ordonnés ,
Et si j'oſe lui rire au nez ,
C'eſt lorſque de Belloi la mène.
J'aime auſſi nos bons devanciers ;
Mais , nonobftant vos épigrammes ,
Tout autant que ces Chevaliers
Nous cherchons ce qui plaît aux Dames.
Oui , vous régnez comme autrefois ;
L'hiver même , au milieu des danſes ,
Nous rappelons les vieux tournois
En roimpant pour vous maintes lances ;
Et fi vos fidèles amans
Aleurs genoux , de vos rubans
Ne portent plus des garnitures ,
Vous voyez , en liens charmans ,
Les treſſes de vos chevelures
Suſpendre encor à leurs ceintures
Les priſons mobiles du temps.
Mais , parlons un peu d'autre choſe.
J'aurois moi - même été ſavoir
Si vous m'en vouliez de ma gloſe ,
N'eſt que je ſuis parti le ſoir
Pour l'iſle où Jean-Jacques repoſe ;
Et c'eſt pour apprendre à pleurer
Queje fais ce pélerinage !
Que fait-on ? dans un ſeul voyage
Ververt apprit bien à jurer.
1
DE FRANCE. 7
Aux peupliers d'Hermenonville ,
Je veux donc , narguant Érato ,
Suſpendre , en guiſe d'exvoto ,
La guimbarde du vaudeville.
D'ailleurs , j'eus toujours tant de foi
A Rouſſeau , quoique taciturne ,
Que je pleurerai dans ſon urne
Mes vers & les vers de Belloi .
Puiſſai je, après cette proueſſe ,
Vous rapporter un tendre coeur
Qui ſache goûter la triſteſſe ,
Et calculer avec juſteſſe
Tout le plaifir de la douleur.
MAIS , ſi par un effet contraire
Je revenois plus enjoué ,
Plus volatil , plus engoué
Du badinage épiſtolaire ,
Il faudroit , vu mon caractère ,
Qu'on n'exposât commeun roué
Sur le grand chemin de Cythère ,
Pour y reſter à l'abandon ,
Contre vous , la face tournée,
Tant qu'il plairoit à Cupidon
Mc prolonger ma deſtinée.
ود
(ParM. de Piis. )
※
:
Aiv
S MERCURE
Si l'Eloquence eft utile ou dangereuse dans
l'Administration de la Justice ? *
UN Peuple gouverné par l'Eloquence , l'avoit
bannie du Sanctuaire des Loix : étoit - ce contradietion
, ſageſſe ou ſeulement ſévérité ?
L'Eloquence eſt le don que la Nature a accordé
àcertains hommes de parler avec l'empire de la perfuafion.
Les facultés de la Nature ſe jouent ſouvent
des vaines entraves de la Sociéré. Direz- vous à cet
homme doué de l'Eloquence : Renonce à cette puifſance
qui eſt en toi ; je te défends de m'échauffer
ou de m'attendrir. Cette nouvelle oppreſſion ne
feroit qu'ajouter à l'énergie de ſes plaintes. Ce qu'il
ne diroit pas ſous une forme, il le diroit ſous une
autre; ce qu'il ne diroit pas , on l'entendroit dans les
accens d'une âme déchirée & contrainte , on le
liroit dans ſes regards & juſques dans ſon filence.
Tout fait parler , tout fait toucher au moins dans
l'homme éloquent. Comment ſur tout enchaîner
l'Eloquence aumilieu d'un Peuple?C'eſt-là qu'elle n'apperçoit
plus qu'une ſeule autorité , & c'eſt la ſienne ;
c'eſt-là que tout l'excite , & les grands objets & les
grands triomphes. C'eût donc été une loi fans raiſon
, & par conféquent ſans force , que celle qui auroit
exclu l'Eloquence des Affemblées populaires.
On conçoit plus aisément qu'on ait pu l'écarter
de l'Adminiſtration de la Juſtice. On peut , dans les
jugemens , ne procéder que par des formes fixes &
rigoureuſes; on peut y réduire le Citoyen à ne dire
aux Juges que ce qu'ils ne pourroient apprendre par
cux- mêmes, c'est -à- dire, les faits de la cauſe ; on
* Ce Morceau eft tiré d'un Ouvrage ſur l'Éloquence.
DE FRANCE. و
:
peut enfin preſcrire des formules qui ne permettent
pas aux mouvemens de l'âme d'entrer dans cette expoſition
ſévère , ainfi , il faudroit , pour ainſi dire ,
compter aux Plaideurs leurs paroles pour leur interdire
l'Eloquence *.
Mais pour qu'un tel ordre judiciaire ne devienne
ni une injustice ni une oppreffion , il faudroit que la
loi ſe fût chargée de garder elle-même au Citoyen
ce qu'elle lui interdit de défendre avec tout ce qu'il
ade ſenſibilité dans l'âme & de force dans l'eſprit ;
il faut lui avoir rendu l'Eloquence inutile pour avoir
le droit de l'en priver.
Comment la rendre inutile? Ce ſeroit le chefd'oeuvre
des bonnes loix unies aux bonnes moeurs.
Eft-ce donc un fi grand art que la juſtice en ellemême
? Exige-t'elle tous les efforts & toute la perfectionde
l'eſprit humain ? Que le ſyſtême ſocial ſoit
bon,& les plus grandes difficultés de la justice ſont
ôtées. Suppoſonsun Peuple qui nous offre dans un
petit territoire & une conſtitution libre , la fimplicité
des moeurs primitives réunie non pas aux plus vaſtes,
mais aux plus utiles connoiſſances de la civiliſation ,
&fur-tout cette modération dans les richeſſes , dans
le progrès des Sciences & des Arts , dans tous les
genres de proſpérités ; qui , en retranchant les jouifſances
qui pourroient corrompre , préviendroitmême
l'abus des autres; ſuppoſons un Peuple où les moeurs
renforçant toujours les loix, ou les ſuppléant , cellesci
ſeroient peu nombreuſes, bien liées entre elles ,
égales pour tous , fimples comme toutes les choſes
bien conçues ou déjà perfectionnées , & dignes d'être
jetées comme les premières notions dans la mémoire
* Je ne fépare pas ici l'Eloquence purement naturelle
decellequi connoît l'Art , parce que celle-ci naît des premiers
progrès , & s'élève dans les triomphes de l'auté ,à
laquelle elle ne tarde pas à s'unir.
Av
10 MERCURE <
des hommes , &de devenir ainſi des ſentimens avant
d'être des devoirs. Chez un Peuple pareil , la ſcience
de nos Jurifconfultes , l'Eloquence de nos Orateurs
ſeroient des avantages inutiles ou funeſtes s'ils étoient
compatibles avec un état de ſociété ſi pur & fi heureux.
Tranſportons-nous ſur la Place publique , &
contemplons ici l'oeuvre de la Juftice dans la belle
fimplicité. Là , dans un jour folemnel , an milieu
des travaux ſuſpendus , en plein air , quelques
vieillards paroiſſent entre leurs Concitoyens raflemblés.
Surun Tribunal , où de longues vertus , une longue
ſageſſe les ont conduits , ils écoutent ceux qui leur
apportent ou des plaintes ou des accufations. Chacun
parle fans autre talent que le ſentiment dont il est
affecté , avec la candeur de l'innocence ou le trouble
des coupables; car on ne connoît pas encore ici
la diſſimulation dans le crime , & l'audace dans la
honte. Celui qui mettroit de l'arrifice dans ſes difcours
ne feroit qu'éveiller la défiance : les moeurs
fimples donnent un jugement ſain plutôt qu'un efprit
crédule, & la probité démêle le menſonge partout
où elle ne retrouve pas ſa franchiſe , comme
les paſſions récuſent dans les livres tous les ſentimens
où elles ne ſe reconnoiffent pas : d'ailleurs , le
plan de défenſe où l'on vous circonfcrit ici ne permet
ni de grandes impoſtures ni de grandes ſéductions,
Nulle diſcuſſion étrangère ; nuls débats fir
la loi. Après toutes les explications qu'ils ont reçues,
les Juges éprouvent- ils encore quelque doute ? Suivis
du concours du Peuple , ils vont tout vérifier de
leurs propres yeux. Sont - ils forcés de s'en rapporter
à la foi d'autres hommes ? Entre le Sanctuaire de la
Juſtice & le Temple de la Divinité , il eſt un lieu inviolable
rempli de la Majeſté du Ciel & environné
de la crainte de la terre , c'eſt le monument du ferment.
Qui oferoit mentir ici ? Un Peuple eſt le témoin
, Dieu est le garant. L'horreur publique , une
DE FRANCE.
proſcription éternelle ſont promiſes au parjure ; dès
qu'il entre dans ce lieu redoutable , il ſe ſent environné
de ces terribles menaces , & il ne trouve pas
de voix pour proférer le menſonge ſacrilège déjà
commis dans ſon coeur. Enfin , le Juge conſomme
ſon miniſtère ; il ouvre la loi , qu'il interprête avec
autant de fimplicité que de ſoumiffion , & il déclare
ce qu'elle a voulu. Alors le Peuple ſe retire , empor.
tant dans ſon coeur , avec un plus grand reſpect , une
plus grande confiance pour ſes Magiſtrats , une nouvelle
leçon fur les règles de la vie civile ; & les
jugemens, comme les loix, forment ſa morale & dirigent
ſa conduite.
Heureux les Peuples à qui il fut donné d'exercer
& de recevoir ainfi la juſtice ! Mais de cette Nation
encore affez pure dans ſes moeurs pour avoir cetre
perfection dans ſes loix , pafions chez celles qui
brillent de tant d'éclat , qui périfient de tant de
maux. Au milicu de toutes les paſſions naturelles
exaltées & de tant de paſſions factices , au milieu
de-cette perverfité dans les coeurs , de ce rafinement
dans les eſprits , tranſportons ce plan de juſtice que
nous venons de tracer , d'admirer & d'aimer. En
feroit il un plus propre à recevoir toute la corruption
qui l'environne ? Il eſt des maux qui ne trouvent
leurs remèdes que dans d'autres maux. Ici , les loix
ſont ſi multipliées, fi diverſes , ſi peu d'accord &
dans leurbut & dans leurs moyens , que ſouvent le
Juge ne peut lui ſeul ni les toutes connoître ni les
bien entendre ; ici , les intérêts ſur lesquels il faut
prononcer ſont ſi vaſtes , fi compliqués , que c'eſt
déjà un grand travail , un grand art de les déméler ;
ici , toutes ces formalités dont la juſtice a été obligée
de s'entourer , ajoutent encore à ſes lenteurs , à
ſes difficultés . Dans un état de choſe où il y a tant à
faire & tant à craindre , abandonnerez - vous le Magiſtrat
à ſa pénétration , à ſes lumières , à ſon expé
Avj
12 MERCURE
rience ? Que dis-je ? Eſt-il toujours sûr ici que le
Magiftrat joindra à l'expérience les lumières & la
pénétration ? Laiſſerez-vous le ſort des Plaidcurs à
la merci de ſon examen ? Leur défendrez-vous d'invoquer
le pouvoir des talens pour ſe concilier l'efprit
de la loi & la raiſon du Juge ? Puiſque le Juge
ne peut ni tout voir ni tout apprendre par lui -même ,
à qui confierez-vous le complément de ſon inftruction
, fi ce n'eſt à la ſagacité des intérêts contraires ?
Or , dans cette forme d'adminiſtrer la juſtice , il
faut choiſir entre deux choses ; il faut y admettre ou
l'éloquence ou la chicane: vous ne pouvez chaſſer
l'une que par l'autre. Et pourriez-vous balancer
entre ce qu'il y a de plus beau & ce qu'il y a de plus
vil ? Pourriez- vous même balancer ſur les dangers ?
L'Éloquence a je ne ſais quoi de fier qui ne peut entièrement
ſe démentir; elle conferve encore quelque
reſpect d'elle- même dans ſa proſtitution ; mais la
chicane s'applauditde ſes batſeſſes ; elle a des ruſes
dont on ne peut ſe défendre , parce qu'on n'oſe les
foupçonner. Que deviendra le Juge , lorſque la chicane
égarera fon eſprit dans ſes obfcurs détours ,
& qu'elle l'étourdira de ſonjargon infidieux ?
Que s'il faut tant de précautions , & même des
précautions ſi mêlées d'inconvéniens contre les loix
d'un tel pays , combien n'en faudroit- il pas contre
fes moeurs! Du ſein de tantde vices & de défordres
il s'élève une foule de préjugés , d'intérêts , de paffions
, d'inſtitutions même funeſtes au malheureux ,
an foible , à l'innocent. Quel opprimé dans fon
délaiſſement , ne doit s'effrayer de ſes plaintes lorfqu'il
apperçoit contre lui , ou les dignités , ou la faveur,
ou la richeſſe , ou la beauté , ou la réputation
? Et ſouvent toutes enſemble ſont conjurées
contre lui . Comme tout s'émeut à leur nom ! comnie
tour ſe glace à la vue de ſa misère ! Eh bien ! qu'il
invoque l'éloquence; elic eſt ſa protectrice natuDE
FRANCE. 13
relle; elle puiſe dans le ſentiment de ſes forces le
courage & la générofité ſeule , elle défiera tant
d'ennemis, ſeule en triomphera. Cette autorité , que
veulent uſurper les rangs & les réputations , ele la
repouffe avec les droits ſacrés de la raiſon , de la
vérité, de la justice. Aux fureurs de la tyrannie , elle
oppoſe l'aſcendant de l'opinion publique ; contre les
ſéductions du vice, elle s'arme des derniers cris de la
confcience ; elle fait pâlir devant l'effrayante image
de ſon déshonneur , ce Juge qui ouvroit fon carur à
l'iniquité ; elle l'arrache au crime par le preffentiment
du remords; elle ne ſe laiſſe pas même intimider
par la majeſté du rang ſupreme. Souvent les
Miniſtres des Autels , les Miniſtres des Loix ont
fait entendre de grandes vérités dans ce filence de
l'adoration & de la terreur ; elle a éclairé l'orgueil
& fléchi la colère ju'ques ſur le Trône. Eloignez
l'Eloquence de nos Tribunaux , il ne nous reftera
que les deux extrêmes dans la corruption de la juftice
, l'embarras & la confuſion de celle d'Europe ,
-& le deſpotiſine vénal de celle d'Afie .
J'apperçois encore une vérité qui doit nous honorer
, en nous raſſurant , c'eſt que dans notre conftitution&
dans nos moeurs, l'Eloquence eſt bien plus
puiſſante pour le bien que pour le mal. Si elle excitoit,
chez les Anciens, des ſoulèvemens , des ſéditions
; fi , parmi les révolutions qu'elle y a faites , on
peut lui en reprocher de dangereuſes & de criminelles
, c'eſt qu'elle agiffoit ſur le Peuple , dont le
jugement eft auſti foible que ſes paſſions ſont impétueuſes.
Mais parmi nous elle s'adreſſe à des Magiſtrats
, à des hommes affermis dans le ſentiment
de leurs devoirs , précautionnés , par leur propre inftruction
, contre l'Art d'un Otateur , & qui confervent
le fang-froid de la raiſon au milieu des enchantemens
de l'Eloquence. Ainsi , elle ne poft être
bien nuiſible dans notre Barreau, lors même qu'elle
14 MERCURE
\
conſent à y être coupable. Si le Juge a ſenti la
mauvaiſe foi ou apperçu l'erreur dans tes diſcours ,
elle le flatte ſans le ſéduire ni le ſubjuguer ; mais il
ſe livre au ſentiment qu'elle lui imprime lorſqu'elle
follicite fon coeur pour le parti que ſa raiſon lui indique,
& il lui doit peut- être d'apporter plus de zèle
&de courage dans la volonté du bien.
Cependant l'Eloquence ne nuit- elle pas au moins
àla juſtice par la forme prolongée qu'elle lui donne ?
Inceſſamment implorée par une foule de malheureux
, la justice préférera- t-elle dans ſes fonctions
une pompe qui la fait reſpecter davantage à cette
marche active & rapide qui la rendroit plus utile ?
Je conviens que la marche ſerrée d'une logique
rigoureuſe conduiroit plus rapidement & peut - être
plus fürement à la vérité que la diſcuſſion embellie
de l'Eloquence. Si on vouloit réduire chaque cauſe
àce qui la conſtitue uniquement pour de bons efprits
, l'expoſition en feroit courte & le jugement
plus facile. Mais prenez garde que cette manière
de rendre la juſtice exige des hommes tout-à-lafois
ſupérieurs en vertu & en lumières Il faut un
grand zèle & un grand ſens pour ne pas ſe relacher
un inftant , & pour tout faiſir dans un genre
detravail où tout un ſyſtême d'idées échappe avec
une ſeule propofition. Or , par-tout où l'on rafſemble
des hommes qui apportent , dans des fonctions
communes , des caractères & des eſprits différens
, peut-on les ſuppoſer tous pourvus d'une ſagaeité
ſi rare , & d'une attention ſi inébranlable ?
Je ne ſais fi un peu d'enthouſiaſme ne me ſéduit
pas; mais il me ſemble que , fous tous les aſpects ,
le beau ici tient toujours à l'utile. L'Éloquence , dans
nos Tribunaux , eſt particulièrement un appui accordé
aux malheureux. Eh! quel avantage pour eux
de voir les raiſons qui ſollicitent en leur faveur ,
s'annoblir par l'alliance des grandes vûes qui peu
DE FRANCE.
15
vent s'y réunir ! Ne leur importe - t - il pas d'ailleurs
que l'attention de leurs Juges , que celle du Public ,
dont l'eſtime eſt pour eux une fi noble confolation,
ſoit retenue ſur leur cauſe par l'intérêt qu'un Orateur
fait y répandre ?
Voyez combien d'avantages acceſſoires l'Éloquence
fait mêler à des ſervices effentiels ! L'exercice
des fonctions de la Magiſtrature eſt la meilleure
école du Magiftrat. Et quelle noble & heureute inftruction
ne peut- il pas puiſer dans ces difcuffions
agrandies par la philoſophie , animées par l'éloquence!
C'eſt ſon devoir de ne juger que dans le
plus rigoureux examen; mais c'eſt ſa gloire de confidérer
les objets d'un point de vûe vaſte & élevé ,
&de ſe propofer ainſi un bien général dans des
déciſions particulières. N'a-t- il pas beſoin auſſi que
l'Éloquence vienne quelquefois redreſſer fon génie
que l'amour du devoir avoit courbé ſur les petits
détails ? N'a- t- il pas beſoin même qu'elle prévienne ,
par l'admiration des talens , cet orgueil qui réſulte
de l'exercice du pouvoir , & qu'elle tempère par
l'innocente émotion qu'elle porte dans ſon coeur ,
certe fermeté , qui doit faire fon caractère , mais qui
pourroit dégénérer en une inflexibilité opiniâtre ?
L'Eloquence eſt réſervée à quelque choſe de plus
grand encore. Jugeons dans la Place publique,fi nous
voulons nefaire tort à personne , diſoit un Roi de
Macédoine. Une marche mystérieuſe en effet feroit
calomnier la justice, & fon zèle pourroit décroître
dans la folitude. Arbitre univerſel , elle doit auffi manifeſter
les règles qui la dirigent, & s'enſeigner ellemême.
Et qui mieux que l'Eloquence pourroit proclamer
ſes inftrutions & folemnifer ſes décrets ?
Seroit il indigne de la justice d'étendre ſes vûes
au-delà des objets qui lui ſont propres ? Dans une
Nation, qui attend ne parrie de ſa gloire des Arts&
des Talens , la juſtice doit-elle dédaigner de les en-
1
16 MERCURE
courager , de les annoblir en les aſſociant à ſes travaux
, en habitant au milieu d'eux ? Dans quel
autre lieu que celui où l'on règle les deſtinées des
hommes , pourroit- on mieux raſſembler tout ce qui
les éclaire & les honore ?
Telle eſt donc parmi nous la juſtice , que ſi l'Eloquence
eſt utile à ſa décoration , elle eft peut - être
néceſſaire à la ſageſſe , à la pureté de ſes décrets.
Légiflateurs & Magiſtrats , aimez-la donc , l'intérêt
de la Société vous permet ici de vous abandonner
à l'attrait des talens. C'eſt à vous de la foutenir ,
de la diriger. Elle pourroit ſe dégrader dans la
corruption générale , prévenez ce malheur , vous le
pouvez ; l'Eloquence s'en éloigne naturellement ;
elle eft née au ſein de la liberté, du beſoin de la
gloire. En perdant ſes motifs , elle perd ſa force; en
méconnoiffant ſes objets , elle ſe punit elle-même.
Ouvrez les Ecrits de tant de grands Hommes ; voyez
dans quelle cauſe & par quelle paſſion ils ont été
fublimes. Dès qu'ils adoptent des ſujets indignes
d'eux , leur génie s'éteint dans leur déshonneur. Accordez
donc à l'Eloquence une voix libre & des
hommages publics ; & toujours fidelle à ſa gloire ,
jamais elle netrahira ces nobles & chers intérêts ,
que vous pourrez en ſûreté cominettre à ſa garde. *
( Cet Article eft de M. de L. C. )
* Un Ordre d'hommes eſt établi parmi nous pour
défendre courageuſement les Citoyens . Les raiſons & les
faits ne me manqueroient pas pour prouver qu'il a réſulté
une foule de biens politiques de cette inſtitution. Si l'on
attentoit un jour à la noble indépendance que l'on a accordée
à ces hommes , on croiroit peut- être n'humilier
qu'une Profeffion ; on feroit encore un bien plus grand
mal , on leveroit une nouvelle bannière devant le deſpotiſme
privé , ce deſpotiſme ſi étendu , ſi difficile à réprimer
dans une grande Monarchie , qui foule & outrage l'homme
&le citoyende tant de manieres & dans des parties ſi ſen.
fibles .
DE FRANCE. 17
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt Cadavre ; celui du
Logogryphe eſt Corbeille , où se trouvent
cor , bill , école , col , belle , or , oeil , rôle ,
robe , oreille , ocre.
ÉNIGME.
JEE fuis un être fingulier ,
Et fans copie & fans modèle ;
Afſfez ſemblable à Sganarelle , *
Et toute fois meilleur forcier.
Je me plais dans les lieux humides ,
Et ſouvent je paroîs en feu ;
Planer dans les airs comme un Dieu ,
Nager dans les plaines liquides ,
Faire aux humains cent tours perfides ,
Tout cela pour moi n'est qu'un jeu ;
Même en condamnant mes caprices ,
Chacun fait grâce àmon humeur.
:
C'en est trop , il eſt temps , Lecteur,
Que je retourne à mes géniſſes.
( Par M. l'Abbé Dourneau. )
Dans le Médecin- malgré- lui.
18 MERCURE
LOGOGRYPH E.
JE ſuis un inſtrument agréable & fonore ,
Qui , ſous les doigts légers d'Émilie ou d'Aglaure,
T'a fait paſſer , Lecteur , mille fois tour- à- tour ,
Des cris de la douleur aux ſoupirs de l'Amour.
Tu me ſaiſis déjà , Lecteur , je veux le croire ;
Déjà dans mes huit pieds tu trouves la liqueur
Qui trahit le ſecret de maint & maint buvenr ,
Et qui pourtant chez lui fait perdre la mémoire ;
Tu vois certain courſier voyageant au moulin ;
Le chef audacieux d'une ſecte ennemie
Du Pontife Romain ;
Une ville de l'Italie ;
Et ce qu'il faut pour préparer le pain ;
Tu trouveras encore un fouterrain , ( .
Où par un indigne mêlange ,
Un Artiſan , de ſa funeste main ,
Nuit&jour à Paris va ſouillant la vendange.
Avecun pied doublé je ſuis , fi l'on m'arrange ,
Le Diſciple chéri d'un Prophète fameux ;
Un ſynonyme d'orgueilleux ;
D'un habitant des bois la femelle gloutonne ;
Enfin, certaintiſſu moëlleux ,
Non pas celui , Lecteur , qu'ici j'offre à tes yeux ,
Mais cet autre où par fois mainte grave perſonne
Pour unir un couple amoureux
Aleurs dépens , dit - on , griffonne.
DE FRANCE. 19
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Poésie Françoise. Tome XXI. A Paris , chez
lesÉditeurs, rue de la Juffienne , vis- à- vis
le corps-de garde; & chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguſtins , au
coin de la rue Pavée.
MLLE de Scudéry , d'Aceilly & le Père
le Moine , font les Poëtes les plus célèbres
que renferme ce Volume , qui eſt un des
plus intéreſſans de cetre Collection. Les autres
Poëtes moins connus ſont Floriot
François Ogier , Pierre de Lalane , Charles
Beys & Philippe Habert. On ne connoît
guère aujourd'hui de ces deux derniers que
deux Pièces fugitives; de Philippe Habert ,
un petit Poëme intitulé: le Temple de la
Mort ; & de Beys , cette Épigramme :
Au TombeaudeM. le Maréchal de Rantzau ,
Epigramme.
Ducorpsdugrand Rantzau tu n'as qu'une des parts;
L'autre moitié reſta dans les plaines de Mars ;
Il diſperſa par-tout ſes membres & fa gloire ;
Tout abattu qu'il fut , il demeura vainqueur ;
Son fang fut en cent lieux le prix de ſa victoire ;
EtMars ne lui laiſſa rien d'entier que le coeur.
:
20 MERCURE
Ce fixain eſt très - fameux ; mais, malgré
ſa réputation , nous doutons qu'il ſoit de
bien bon goût. Le coeur eſt pris ici dans un
ſens phyſique avec une induction au moral ;
n'eft-ce pas là ce qu'on appelle abufer des
mots ? Il nous ſemble qu'il y a là plus de
brillant que de naturel ; car le Dieu Mars
pourroit ne laiſſer à un poltron rien d'entier
quele coeur , & ce poltron n'en vaudroit pas
mieux pour cela.
Onfait que Mlle de Scudéry jouit de fon
temps de la plus grande célébrité , plus encore
par ſes Romans que par ſa Poéfie. Elle
compta parmi ſes amis les perſonnes de fon
temps les plus diftinguées par leur rang ou
par leur mérite. On raconte d'elle pluſieurs
anecdotes qui ſont connues ; en voici une
qui l'eſt moins. Quand le premier Dauphin
fut de retour de ſa campagne de Philisbourg
, Mlle de Scudéry préſenta à Madame
laDauphine des vers où elle lui diſoit :
1
Et lagloire & l'amour vous comblent de plaiſirs ;
Qui des deux d'ungrand coeur remplit mieux les defirs?
Comme Madame la Dauphine répondit qu'il
falloit faire cette queſtion à M. le Dauphin ,
M. de Montaufier , le lendemain , en tirant
les rideaux de Monſeigneur , lui dit : Je
viens chercher la réponse aux vers de Mille de
Scudéry.
Les vers les plus fameux de cette Demoiſelle
font ceux- ci , faits au Prince de Condé,
ſur des oeillets que ce Héros avoit cultivés
DE FRANCE. 21
lui - même. Les Éditeurs ont oublié d'en
expliquer le ſujet par le titre ou par une
note.
QUATRAIN.
:
Envoyant ces oeillets qu'un illuſtre Guerrier
Arroſa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtiſſoit des murailles ,
Et ne t'étonne point que Mars ſoit Jardinier.
Jacques de Cailly , plus connu ſous le
nom de d'Aceilly ( c'eſt celui qu'il prit pour
ſe cacher un peu en publiant ſes Ouvrages , )
cut beaucoup de naturel dans l'eſprit. Il n'a
guères fait que des Épigrammes , qui font
preſque toutes agréables. Les Éditeurs racontent
de lui une anecdote qui n'avoit
jamais été imprimée. Cailly ayant publié
ſes poéfies à ſes frais , s'en alloit fur le
pont neuf ou dans les promenades publiques
, & à chaque homme bien mis qu'il
rencontroit il en préſentoit un exemplaire ,
qu'il le privit d'accepter. C'étoit un sûr
moyen pour avoir bientôt à faire une nouvelle
Edition. Il faut pourtant avouer, comme
le diſent les Éditeurs , qu'il n'avoit pas beſoin
de ce moyen là. Ce Poëte étoit de la
famille de Jeanne d'Arc. Nous ne citerons
guères de lui que cette Épigramine contre
un Médecin Poëte :
Roch , Médecin peu docte , & Poëte ſavant ,
Fait des épitaphes ſouvent,
22 MERCURE
Où des morts il conte l'hiſtoire :
Les maux que fit un Art, l'autre Art ſait les guérir;
Roch Poëte fait vivre au temple de mémoire ,
Ceux que Roch Médecin vient de faire mourir.
Et cette autre , plus connue & fi gaie :
Aun Mari qui batsa femme.
Battre ta femme de la forte ,
Sous tes pieds la laiffer pour morte ,
Et d'un bruit ſcandaleux les voiſins alarmer !
Tu vas paſſer pour un infâme.
t
Compère , l'on fait bien qu'il faut battre ſa femme ,
Mais il ne faut pas l'aſſommer.
:
Nous nous hâtons de paffer au Père le
Moine , l'un des articles les plus intéreſſans
qu'on ait encore vus dans ces Annales. Il
n'a manqué à ce Jéſuite qu'un goût plus
épuré , pour s'affeoir au premier rang parmi
les plus grands Poëtes. Il avoit de l'enthouſiaſme,
de la verve , une imagination féconde
, de belles idées , & un ſtyle plein
d'énergie. A travers ſes négligences ,
trouve des beautés , dont les meilleurs Poëtes
s'honoreroient. C'eſt à lui qu'appartiennent
ces quatre beaux vers qu'on avoit attribués
à Voltaire :
Et ces vaſtes pays d'azur & de lumière ,
Tirés du ſein du vide & formés ſans matière ,
Arrondis ſans compas , ſuſpendus ſans pivot,
Ont à peine coûté la dépenſe d'un mot.
on
DE FRANCE.
23
Quoi de plus énergique que ces quatre
vers ſur l'inconſtance de la fortune ! Apprends
, dit le Poëte ,
Que la bonne fortune aime en femme publique ;
Que ſes aappppas font faux , & fa faveur tragique ;
Et qu'amante cruelle après ſes feux paſſés ,
Elle étouffe en ſes bras ceux qu'elle a careſſés.
Ces quatre derniers vers ſont tirés de fon
Poëme de Saint- Louis , ou la Sainte Couronne
reconquiſe. Ce Poëme , dont le plan
eſt fort bien tracé , étincelle , dansle décail ,
des plus grandes beautés poétiques. On y
trouve auſſi des tirades ingénieuſes , comme
celle-ci :
Du coup prodigieux dont le Turc fut coupé ,
Plus de fix eſcadrons eurent le coeur frappé :
Par-tout l'acier fatal , auteur de la merveille ,
Leur brille dans les yeux , leur réſonne à l'oreille;
Et par-tout l'invincible & formidable bras ,
Sur eux multiplié , lève le coutelas.
Comme la peur les ſuit , la peur auſſi les chaſſe;
Et loin même des coups , les frappe ou les menace.
En vain Forcadin crie, il les rappelle en vain ;
La frayeur eſt ſans front , &fans coeur & fans main;
Et , ſourde à la raiſon , ainſi qu'à la conduite ,
N'a de vigueur qu'aux pieds , n'eſt prompte qu'à la
fuite.
Avec ſon Poëme de Saint- Louis , le Père
le Moine a fait auſſi des Épîtres morales &
poétiques , qui rempliſſent parfaitement leur
24
!
MERCURE
titre. On y admire de grands traits de mo
rale & des beautés poétiques du premier
ordre. Combien , s'écrie t'il dans l'une de
ſes Épîtres , le luxe fait de malheureux !
Et combien de pays ont été déſolés ,
Combien de droits rompus , de devoirs violés ,
Afin qu'un roturier , mieux logé que nos Princes ,
Eûtun monde en maiſons , eût en parcs des Provinces !
Quoi de plus noble , de plus poétique &
deplus forteinent penſé que la tirade ſuivante
, malgré quelques négligences qu'il
faut pardonner en faveur du temps où le
Poëte écrivoit :
Ainſi les nations , ainſi les races roulent ,
Pareilles à ces flots qui l'un ſur l'autre coulent ,
Et font d'un vieux canal & d'une nouvelle eau ,
Un fleuve tonjours vieux comme toujours nouveau.
Mais ſi la loi du ſort veut que les villes meurent ,
Quelle loi peut vouloir que les hommes demeurent ?
Vingt fois Paris eſt mort , il eſt rené vingt fois
Depuis qu'il fut bâti par les premiers Gaulois :
Vingt fois il a changé d'eſprit , de corps , de face :
Il n'a de ce qu'il fut que le nom & la place ;
Et cette ſi ſuperbe & fi vaſte Cité
N'en eſt plus que la tombe & la poſtérité.
Sous ces murs ſomptueux , dans ces cours magnifiques,
Sont enterrés des parcs , des ſalles , des portiques ;
Et cent palais anciens , par le temps démolis ,
Sous ces palais nouveaux giffent enfevelis.
Comme
DE FRANCE.
25
Comme les vers ſuivans , ſur la néceſſité
de mourir , ſont pleins de force & d'originalité
!
Quel ſpectacle , de voir fur de funeſtes chars
Les femmes , les maris , les jeunes , les vieillards ,
Les artiſans , les Rois , les charlatans , les ſages ,
Toutes fortes d'états , de ſexes , de viſages ;
Et la mort au-deſſus , la faulx noire à la main ,
Qui traîne en gerbe , en graine , en fleur le genre-humain!
Le Père le Moine , accoutumé au ton de
l'épopée, ſait enrichir ſon ſtyle de comparaiſons
nobles ou ingénieuſes. En parlant
des proſpérités de la Régence , & pour louer
la Reine de ce que rien ( ſoit honneurs , foit
plaiſirs ) ne la diſtrait du Gouvernement des
affaires , voici la comparaiſon que lui fournit
ſon imagination poétique :
Voyez ces pompeuſes rivières
Qui roulent leurs eaux en des lits
Par le luxe & l'art embellis
De la dépouille des carrières :
Orangers , lauriers & jaſmins
S'offrent en vain ſur leurs chemins ,
Et pour les arrêter leur laiſſent leurs images ;
Envain, marbre&porphyre interrompent leurs flots,
Elles touchent à peine en paſſant leurs rivages ,
Et dans la grande mer vont chercher leur repos.
:
Les fleuves ont fourni encore au Père le
Nº. 40 , s Octobre 1782.
B
26 MERCURE 2
:
Moine une autre comparaiſon tout auffi
belle que celle que nous venons de citer.
En écrivant au Duc d'Enghien , qui fut
depuis le Grand Condé , le Poëte veut prouver
que les plus grands Héros ont erré ,
comme le Prince, hors de leur patrie.
Les eaux baſſes , qui n'ont ni lit, ni fond , ni courſe ,
Se perdent en naiſſant à deux pas de leur ſource ;
Le Pô , fleuve régnant , le Rhin , fleuve héros ,
Avecque l'équipage & le train de leurs flots ,
Traverſent les climats , arroſent les Provinces ,
Servent cent nations , ſe prêtent à cent Princes ,
Et bien loin des pays où l'on voit leurs berceaux ,
Ils étendent le règne & le bruit de leurs eaux.
Les barques des pêcheurs , baſſes , foibles , craintives ,
N'ofent quitter l'abri que leur donnent les rives ;
Mais les vaiſſeaux guerriers, hautsde bords&de mâts,
Vainqueurs de tous les temps&de tous les climats, &c.
Les aſtres en font autant :
Leur Roi même & leur père eſt en courſe à toute
heure ;
Il a douze maiſons , & pas une demeure ;
Et , toujours paſſager en ſes propres palais ,
Il roule jour & nuit ſans gîte & fans relais.
Nous bornerons nos citations , qui pourroient
nous mener trop loin. Le Père le
Moine , toujours peintre , toujours Poëte ,
eft riche dans ſes expreſſions; & fes expreffions
lui appartiennent. Nous croyons ,
:
DE 27 FRANCE.
comme les Éditeurs , que la lecture de ſes
poésies , faite avec precaution , peut être
très utile aux jeunes gens qui prétendent aux
honneurs de la haute poefie.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardi 24 Septembre , on a donné la
première repréſentationde trois Actes nouveaux
: l'Acte du Feu , du Ballet desElémens
de Roi , remis en muſique par M.
Edelmann ; Ariane dans l'Isle de Naxos ,
paroles de M. Moline, muique du niême
M. Edelmann ; & Daphne & Apollon , ou
l'invention de la Lyre, paroles de M. Pitra,
muſique de M. Mayer.
L'Acte du Feu eſt connu; & il avoit , on
ne fait pourquoi , quelque réputation. L'action
, qui étoit ſuſceptible d'un grand intérêt
, en eſt entièrement dépourvue, para
fingulière mal- adreſſe de la conduite. La
Veſtale Émilie eſt chargée pour la dernière
fois de la garde du feu ſacré; parce qu'elle ſe
marie le lendemain avec Valère. Celui- ci
s'introduit la nuit , on ne fait par quel moyen
ni par quel motif , dans le temple de Veſta.
Émilie tremblante l'engage à ſe retirer ;
mais tout en lui parlant , le feu s'éteint ; le
tonnerre gronde; la frayeur s'empare d'elle;
l'Amour alors deſcend du ciel , rallume avec
1
Bij
28 MERCURE
fon flambeau le feu de Veſta , & raffure les
deux amans. Pour peu qu'on ait réfléchi ſur
l'Art Dramatique , on ſent qu'il falloit rendre
la Veſtale un peu plus coupable pour la
rendre plus intéreſſante , & qu'il falloit
mettre ſous les yeux des Spectateurs le danger
qui la menaçoit , ſi l'on vouloit qu'ils en
fuſſent touchés; il falloit la faire condamner
, la montrer prête à ſubir ſon ſupplice
, &c. On eſt choqué aufli de voir arriver
Cupidon lui- même dans une action aufli
férieuſe , & dénuée d'ailleurs de tout merveilleux.
Les Dieux de l'ancienne Mytholo
gie ne peuvent guère être admis comme
Acteurs que dans des ſujets , tirés des temps
héroïques de la Grèce, on ne peut les mêler
aux événemens de l'hiſtoire connue fans bleffer
la vraiſemblance même poétique. Quant
au ſtyle , il manque d'imagination , d'har
monie , & fur- tout de ſenſibilité ; mais il
faut convenir en même temps qu'on y trouve
plus de préciſion & une verſification plus corzecte&
plus ſoignée que dans la plupart des
Poëmes Lyriques qu'on a vus depuis quelques
années. Non ſeulement l'art d'écrire , mais
l'étude grammaticale de la langue paroît être
abſolument étrangère à un grand nombre
d'Auteurs qui ſe vouent à faire ce que l'on
appelle juſtement des paroles d'Opéra : Sunt
verba& voces, pratereaque nihil.Lanégligence
&l'ignorance à cet égard ſont portées à un
rel point, que les Danchet , les Pellegrin, les
Cahuzac , fi décriés par les Critiques de leur
DE FRANCE. 29
temps , pourroient preſque être propoſés
pourmodèles à la plupart de leurs fuccefleurs.
M. Edelmann , déjà connu pour un habile
Compoſiteur par différentes Pièces de mufique
inſtrumentale & quelques morceaux
exécutés au Concert Spirituel , a montré
dans les deux Actes qu'il a mis en muſique ,
un talent fait pour paroître avec diſtinction
fur la Scène Lyrique .
Dans l'Acte du Feu , il paroît avoir été
égaré par l'apparence d'intérêt qu'il a apperçu
dans le ſujet, ſa muſique a du caractère&
de l'expreſſion; mais une muſique
expreſſive , attachée à des paroles ſans intérêt
, n'eſt plus que trifte , & n'a qu'une
chaleur qui ne ſe communique point. D'ailleurs
, cet Acte eſt plein de morceaux trèsbien
compofés & d'un effet heureux ; le
chant eſt en général d'une tournure agréable
&naturelle ; les choeurs ſont d'une belle
harmonie ; le premier & le ſecond choeur
des Prêtreſſes , fur- tout , ont une expreffion
noble , vraie & ſenſible. Le premier air
d'Émilie & celui de Valère : L'Amour va
combler mon attente , ſont d'un beau caractère.
Les airs de danſe ſont variés & de bon
goût; mais tout cela n'a pu réchauffer la langueur
ni ſauver l'invraiſemblance de l'action .
M. Edelmann a trouvé dans celui d'Ariane
un ſujet plus propre à exercer ſon talent & à
déployer les reſſources de fon Art.
Il n'y a guère de ſituation plus dramatique
que celle d'une femme belle & tendre,aban-
Biij
すかMERCURE
donnée dans un déſert par l'amant qu'elle
adore , & pour qui elle a tout facrifié. Soutenu
par la force du ſujet, Thomas Corneille
s'eſt élevé au-deſſus de lui-même , & nous
a laiffe dans fon Ariane une des plus touchantesTragédiede
notre Théâtre.Un Auteur
Allemand a imaginé de donner à cette action
une forme nouvelle. Al'exemple du Pigmalion
de J. J. Rouſſeau , il a fait un Draine
compoſé feulement de deux monologues ,
l'un de Théſée , qui s'échappe des bras d'Ariane
endormie , entraîné par les Grees , qui
viennent le chercher pour défendre Athènes ,
fa patrie ; l'autre d'Ariane , qui , s'éveillant
au moment du départ de fon amant , ſe
livre à tous les mouvemens de fa douleur &
de fon déſeſpoir , & finit par ſe précipiter
dans les flors. Dans ces deux monologues ,
les paroles étoient ſimplement déclamées
par les Acteurs ; mais la déclamation étoit
entre- coupée de filences , pendant leſquels
desritournelles & des traits d'orcheſtre exprimoient
les mouvemens divers & les ſentimens
contraftés qui agitent ſucceſſivement
l'âme des deux perſonnages. Il y a environ
un an que ce Drame fut traduit en François
&exécuté à la Comédie Italienne .On trouva
beaucoup d'art , d'expreffion & d'originalité
dans la muſique , ouvrage d'un ſavant &
célèbre Compofiteur ( M. Benda ); mais cé
mérite n'a pu ſauver le mêlange bizarre de la
Fécitation & de la muſique ; ce ſont deux
langages trop diſparates pour pouvoir jamais
DE FRANCE.
31
:
s'affortir heureuſement ; auſſi ce genre de
ſpectacle , malgré ſa ſingularité , n'eut-il
qu'un ſuccès équivoque.
M. Moline , en s'emparant de cette idée ,
lui a donné la véritable forme dont elle
'étoit fufceptible , celle d'un Opéra. Peutêtre
a- t- il ſuivi de trop près la marche du
Poëme Allemand. La Scène de Théſée a
paru trop longue. Il a un ſi grand intérêt à
diſparoître avant le réveil d'Ariane , qu'on
ne peut guères s'empêcher d'être choqué
des cris alternatifs de ce Guerrier & du
Choeur des Grecs qui cherchent à l'entraîner
; d'ailleurs , Theſée n'abandonnant l'Ifle
de Naxos que pour aller au ſecours de ſa
Patrie,on ne voit pas pourquoi il n'emmène
pas ſa Maîtreſſe avec lui ; & par la raiſon
même qu'il n'est pas infidèle, Ariane eſt
moins malheureuſe, & ſa ſituation paroît
-moins déchirante ; mais cette critique , fûrelle
ſans réplique , n'empêche pas que le
Drame ne ſoit d'un intérêt preffant & continu.
Il y a du ſentiment dans les détails , &
des morceaux bien coupés & bien écrits ;
mais l'Auteur a un peu trop négligé la correction
& la propriété du langage; nous n'en
citerons qu'un exemple. Théſée dit :
Non, votre cruauté ne ſera point remplie.
On ne remplit point une cruauté.
1 On conçoit combien un Drame de ce
genre étoit difficile à traiter pour le Muſicien.
La chofe dont la muſique a le plus
Biv
32 MERCURE
effentiellement beſoin c'eſt la variété , & il
en trouvoit bien peu dans deux Scènes tragiques
& paffionnées , ou deux Acteurs occupant
ſeuls le Théâtre , ne ſont interrompus
que par quelques couplets de Choeurs.
M. Edelmann a vaincu ces difficultés en
homme qui non ſeulement eſt maître de
fonArt, mais qui connoît encore tous les
devoirs & tous les moyens du ſtyle dra
matique. Son récitatif est animé par des
accens prefque toujours vrais ; l'Orcheftre
eſt toujours en mouvement , & fuppléeàtoutes
les expreſſions que la voix ne
peut pas rendre ; ſes airs , s'ils n'ont pas toujours
de l'originalité dans les motifs , ont
toujours le caractère propre au ſentiment
qu'ils expriment; & ce qui conſtitue un des
principaux ſecretsde la muſique dramatique,
c'eſt que le récitatif, les airs & les Choeurs
font fondus habilement l'un dans l'autre , &
ne préſentent qu'un enſemble de muſique
animée, ſans vuide & fans diſparate. Nous
ne diffimulerons pas que ſon accompagner
ment eſt ſouvent chargé de deffins multipliés
dans les parties; que l'harmonie paroît
auffi trop pleine , trop continuellement
bruyante , & qu'elle manque de ces clairs ,
de ces jours doux qui repoſent l'oreille , ménagent
les contraſtes , & renforcent encore
les grands effets; mais ces défauts , s'ils exiftent
réellement , ſont aiſés à éviter dans un
autre Ouvrage , & nous invitons M. Edelmann
à exercer ſes talens ſur un Poëme tra
DE FRANCE.
33
gique qui réuniffe à l'expreſſion des'grands
mouvemens de l'âme les oppoſitions douces
&les acceſſoires agréables qui font de notre
Opéra le plus riche & le plus féduiſant des
Spectacles .
Le ſujet d'Apollon& Daphné eſt , comme
on fait, tiré des Métamorphofes d'Ovide.
C'eſt aujourd'hui une entrepriſe bien hafardeuſe
que celle de rajeunir ces Fables conſacrées
par l'antique Poéfie , & qui ont
long - temps régné fur la Scène Lyrique. Le
merveilleux qui en fait la baſe amène une
foulede tableaux rians& variés qui amuſent
l'imagination , mais en même-temps il nuit
à l'intérêt , qui ne peut fortir que de l'expreffion
vraie &de la peinture fidelle des
paffions & des ſentimens , & cet intérêt
ſera toujours l'objet dominant de toutes les
productions des Arts. M. Pitra a cru pouvoir
concilier ces deux effets en ſe fervant
dumerveilleux pour produire des tableaux
&des fêres , & en donnant en même - temps
àſes Perſonnages fabuleux un langage plus
vrai & plus paſſionné que celui qu'on leur
prêtoitdans nos anciens Opéras , où l'Amour
n'a guères que le ton de la galanterie , &
d'une galanterie ſouvent infipide.
Daphné , jeune Nymphe , vient d'être
nommée Prêtreffe d'Apollon , dont elle eſt
aimée , & qu'elle aime ſans ofer ſe l'avouer.
Ce dieu arrive , lui déclare fon amour , la
preſſe d'y répondre , elle s'en défend,& veut
fuir; il la fuit; elle invoque le fleuve Penée
Bv
34 MERCURE.
fon père; & au moment où Apollon veut
la faiſir , elle difparoît , & un laurier s'élève
à ſa place. Jufques-là l'Auteur a fuivi la
"Fable;mais il s'en écarte dans le reſte. Apollon,
après avoir exprimé ſa douleur & fes
regrets, crée la lyre d'une des branches du
laurier. Enchanté lui-même des fons qu'il
entire, il s'adreſſe à fa lyre , & dit :
Pour chanter ma Daphné, pour chanter ſa mémoire,
Je te conſacre à la beauté ;
Ses mains contre fon ſein te preſſeront fans ceſſe ,
Et tu peindras l'Amour , ſes langueurs , fon ivreſſe
: Sous les doigts de la volupté..
Les accens d'Apollon ſemblent ranimer
Daphné , dont la voix ſe fait entendre à travers
l'écorce du laurier. Apollon tranſporté
veut déchirer cette écorce qui lui dérobe
l'objet de ſon amour. Penée alors paroît , &
s'oppoſe à ſes efforts. Apollon implore la
pitié de Penée. La voix de Daphne ſe joint
la fienne pour fléchir ſon père , qui , touché
de leurs plaintes , rend enfin Daphné
aux voeux d'Apollon . Ce dieu invite les
Mufes , ainſi que les Nymphes & les/Ber-.
gers , à venir embellir ce féjour , & à prendre
part à fon bonheur. Il termine l'action
par confacrer le laurier, qu'il deſtine à courommer
à jamais les Arts & la valeur.
Il feroit bien fuperflu d'inſiſter ſur l'impoffibilité
de donner à une pareilfe fiction
un intérêt dramatique ; c'eft la faute dir
fujer ; le tort de M. Pitra eſt de l'avoir
DE FRANCE.
35
choiſi , & d'avoir cru qu'il pourroit ſauver
par l'exécution cette ſuite d'invraiſemblances;
mais tous les reproches qu'on lui a faits
ne nous paroiffent pas fondes. On lui a reproché
fur - tout d'avoir fait parler Daphné
après ſa métamorphofe. Quand on trouve
bon qu'une femme ſoit changée tout- à- coup
en laurier , il faut être bien difficile en vraiſemblance
pour s'étonner que fa voix ſe
faffe encore entendre à travers l'écorce de
F'arbre. Nous croyons au contraire que ſi le
Compoſiteur s'étoit bien pénétré de ſon
fujet , & qu'il eût exprimé avec ſenſibilité les
fons doux & plaintifs qui s'élèvent du fein
de cet arbre enchanté , & viennent interrompre
le dialogue d'Apollon & de Penée ,
l'effet en auroit été intéreſſant.
• Le Poëme de M. Pitra nous a paru d'ailleurs
bien coupé ; le dialogue en eſt naturel
& animé; le ſtyle en eſt trop négligé , & préſente
même des incorrections * d'autant plus
difficiles à excuſer , que pluſieurs morceaux
font écrits avec ſenſibilité & avec élégance ;
nous en citerons pour exemple l'Hymne à la
Roſe de la Scène II. Les fautes de ſtyle que
nous relevons lui ſont communes avec la
plupart des Poëtes Lyriques modernes;
mais ce qui eſt fort rare , c'eſt qu'elles font
***On nous a fair obſerver que les fautes les plus
graves qu'on a relevées dans le Poëme imprimé
avoient été corrigées avant la repréſentation dans
les rôles des Acteurs.
Bvj
36 MERCURE
réparées par de l'invention dans les idées&
par des tableaux pleins de grâce & de fraîcheur.
L'idée de créer la lyre d'une branche
du laurier eft ingénieuſe , quoiqu'elle ſoit
plus poétique que dramatique. Les Fêtes des
Nymphes & des Bergers font naturelleinent
amenées & liées à l'action , & le tableau
qui forme le divertiſſement de la fin eſt
vraiment anacreontique.
La muſique de cet Acte n'a pas , à beaucoup
près , l'effet qu'on devoit attendre des
talens de M. Mayer. Il y a dans les premières
Scènes des morceaux très-agréables ;
I'Hymne à la Rofe & le Choeur danſant qui
vient enſpite font fur-tout d'un chant doux ,
ſenſible & piquant; mais dans la Scène pafſionnée
d'Apollon & de Daphné, la muſique
manque de caractère , de vérité & de l'expreffion
dont elle avoit beſoin . M. Mayer ,
qui eft habituellement abſent de la Capitale
, n'avoit pu mettre la dernière main à
cet Ouvrage. M. Rey , qui conduit l'Orcheftre
avec tant de zèle & d'intelligence , &
dont les talens, comme Compoſiteur , font
bien connus , a fait l'ouverture de cet Acte ,
qui a été fort applaudie. Le Choeur de la
fin ,Arbrefacré, &c. qui eſt d'un beau chant
& d'une harmonie ſimple & favante , eft
P'Ouvrage de M. Mereaux, célèbre Organiſte
, dont on a exécuté avec beaucoup de
ſuccès quelques Oratorios au Concert Spirituel,&
dont les talens ſont faits pour en
richir quand il voudra la Scène Lyrique.
DE FRANCE.
37
Il nous reſte à parler de l'exécution de ces
trois Actes. Mlle Joinville a chanté & joué
avec intérêt le rôle d'Émilie dans l'Acte du
Feu; & celui de Valère a été rendu par le
ſieur Lainez avec la chaleur & l'intelligence
qu'on lui connoît. Dans le Divertiſſement
qui termine l'Acte , Mlle Torlay a danſé
avec le ſieur Favre , un pas de deux , où elle
a déployé la correction , la décence & le bon
goût qui caractériſent ſa danſe. Le ſieur Favre
amérité auſſi des applaudiſſemens. La charmante
gavote , danſée par Mlle Dupré & le
fieur Gardel , a excité les plus vifs applaudiſſemens.
La fermeté , le fini & la légèreté
brillante des pas de Mile Dupré , la facilité
avec laquelle elle s'élève , les formes gracieuſes&
animées qu'elle met dans tous ſes
mouvemens , la rendront très- précieuſe à ce
Théâtre. Le ſieur Gardel a montré dans ce
pas un talent qui ſemble ſe perfectionner à
vûe d'oeil , & qui paroît propre à briller
dans les différens genres .
Le rôle de Thésée , dans Ariane , a été
rendu par le ſieur Laïs, qui a mis de la chaleur
&de la vérité dans ſon action , du goût
&de l'expreffion dans ſon chant. On defire-
Foit , pour donner plus de vraiſemblance à
la Scène , qu'il chantât preſque toujours ce
rôle à demi -voix , ce qui ne l'empêcheroit
pas de mettre dans ſon chant les nuances&
les oppoſitions qu'exigent le caractère des
airs. Mlle Saint Huberti , dans le rôle
d'Ariane , a ajouté encore à l'idée que l'on
avoit déjà de ſon intelligence & de fon ta
38 MERCURE
Ícnt ; elle a joué la Scène avec une action
toujours animée & intéreſſante; & elle a
chanté avec la plus grande expreſſion la mufique
continuellement forte & paffionnée
d'un rôle long & pénible. Le degre de ſupériorité
où elle eſt parvenue & celui auquel
elle eſt faite pour atteindre nous autoriſent
à lui obſerver que ſes geſtes ſont trop continus
& trop multipliés; que ce ne font pas
les grandes paffions qui en demandent davantage;
& que tout ce qui eſt déplacé ou
prodigué perd néceſſairement de fon effer.
Nous l'exhorterons encore à modérer les
éclats de ſa voix , & à ne pas oublier qu'au
Théâtre Lyrique le premier devoir eſt de
chanter,&qu'en voulant facrifier la juſteſſe
de l'intonation & la beauté des fons à la
force de l'expreſſion , l'effet qu'on obtient ne
compenſe jamais celui qu'on ſacrifie. Nous
defirerions fur tout qu'elle menageât ſa voix
dans ce qui précède le beau cantabilité : Ah!
j'étois autrefois innocente & tranquille , &c.
Il ſeroit même à ſouhaiter que le choeur qui
précède fût un peu prolongé , afin de lui
donner un peu plus de repos , & que fa voix
pût reprendre la fraîcheur & la fermeté néceffaires
pour rendre la mélodie douce, pure
&fenfible qui caractériſe ce genre d'air .
Mlle Audinot a joué avec intelligence &
ſenſibilité le rôle de Daphné, ſa voix eſt facile
& agréable , & fon chant de très-bon
goûr. Le ſieur Lainez a bien ſaiſi le caractère
d'Apollon , & a exprimé avec grâce la progreffion
de fenfibilité que le Poëte a miſe
DE FRANCE.
59
dans ce rôle. Nous ne pouvons diffimuler
que la courſe de Daphne & d'Apollon a été
très-mal exécutée aux deux premières repréſentations
, ce qui a nui à l'effet de cette
Scène importante & en effet difficile à exécuter.
Daphné , après être ſortie en fuyant
du théâtre , ne deit y rentrer que ſuivie de
près par Apollon , & ce n'eft que dans l'impoffibilité
d'échapper à ce Dieu , qu'elle doit
invoquer le ſecours de fon père.
La compoſition de la danſe de cet Acte
fait beaucoup d'honneur au ſieur Gardel
Kaîmé. Il a ſaiſi avec beaucoup de goût les
intentions du Poëme , & en a tiré le plus
grand parti. La fête paftorale qui coupe l'Acte
eſt pleine de fraîcheur. Mlle Gervais danſe
avec le ſieur Laurent un pas de deux d'un
caractère gai & piquant; on ne peut que
donner de nouveaux éloges à l'ardeur , au
talent &aux progrès de cette jeune Danſeuſe ;
on connoît depuis long-temps la force &
l'agilité qui caractériſent le Sr Laurent. Mile
Dorival , en jeune Nymphe qui vient offrir
des rofes au Dieu du Jour , danſe une jolie
gavotte avec beaucoup de grâce& d'élégance.
Il y
: yavoit longtemp que l'on n'avoit vû
fur ce theatre deT'Opéra un tableau plus galant
, plus gracieux , plus anacreontique , &
exécuté d'une manière plus ſoignée que celui
du ballet qui termine cet Acte. C'eſt le premier
de ce genre qu'ait encore compofé le
fieur Gardel; & le fuccès l'encouragera fans
doute à en produire de nouveaux. C'eit
40
MERCURE
l'Amour échappant aux Grâces , qui veulent
en vain le fixer , pour voler au devant de
Terplicore ; il reçoit de ſes mains la lyre
d'Apollon , & la fait danſer au fon de cet
inſtrument; Terpſicore reprend la lyre , & le
fait danſet à ſon tour. Les Grâces , toujours
grouppées , voltigent autour d'eux , & embelliffent
cette Scène charmante par leurs
mouvemens & leurs figures variées , tandis
que les danſes des Nymphes & des Bergers
animent le fond du tableau. On devine bien
que le rôle de Terpficore eft rendu par Mile
Guimard, & il eſt inutilede dire quel charme
elle y répand : il ne lui manque jamais qu'un
caractère nouveau pour développer des grâces
nouvelles. Le ſieur Nivelon , qui paroît ſous
la forme d'un Plaisir, met dans ſa danſe la
molleſſe , la grâce & la légèretéqui conviennent
à ce caractère. Le ſieur Gardel danſe une
entrée de Guerrier , avec une nobleſſe & un
à-plomb dans les mouvemens , une force &
une correction dans les pas qui prouvent
le talent ſupérieur. On a obfervé qu'il n'avoit
fait qu'une ſeule pirouette dans cette entrée ,
& il l'a exécutée avec la facilité & la préciſion
qu'exigent ces ſortes de pas , qui, étant peu
ſuſceptibles de grâce , & ne montrant que la
force, doivent s'exécuter ſans effort , & n'être
employés que rarement dans la danſenoble.
La jeune Nanine , qui avoit joué avec un
intérêt ſi aimable le rôle d' Aftianax , & qui
depuis avoit été employée avec le même
ſuccès dans les Caprices de Galathée & dans
DE FRANCE. 41
le Seigneur Bienfaisant , danſe & joue dans
ceballer le rôle de l'Amour avec une grâce ,
une fineſſe , une intelligence très- extraordinaires
pour ſon âge,& annonce un talent précieux
que l'Opéra ne ſauroit cultiver avec
trop de ſoin.
Nousobferverons engénéral que le coſtume
des habits, dans ces trois Actes, a été obſervé
avec plus de ſoin & plas de goût qu'on ne
l'avoit vû depuis long temps; il y auroit encore
àcet égardbeaucoup de réformes à faire,
&que nous avons lieu d'attendre du goût,
du zèle & des lumières des perſonnes qui
dirigent l'Adminiſtration de l'Opéra ; ce qui
nous paroît mériter ſur tout leur attention ,
cc font les décorations , article important à
ce théâtre , & trop négligé depuis long- tems.
Nous n'entrerons dans aucun détail à ce
ſujet ; nous obſerverons ſeulement que dans
l'Acte d'Ariane , le lever du ſoleil pourroit
être exécuté ſans beaucoup de frais , d'une
manière agréable qui ſerviroit à l'effet de la
Scène,&que la tempête devroit être rendue
par la toile du fond avec plus d'art & de
vérité. Dans l'acte de Daphné, le laurier ,
qui faitune partie eſſentielle de l'action , eſt
repréſenté d'une manière informe , & n'eſt
pas amené avec affez d'adreſſe. La toile du
fond repréſentant le Parnaſſe , manque d'effet
par le défaut de perſpective. Les ordres que
vientdedonner l'Adminiſtration , & le facrifice
qu'elle veut bien faire pour prolonger le
fond du théâtre, mettront à portée de per
42 MERCURE
fectionner cette partie intéreſſante de la
Scène Lyrique.
N. B. Nous avons oublié de dire qu'à la
fin de l'Acte du Feu , Mlle Leboeuf , jeune
Cantatrice des Choeurs , a chanté une ariette
de bravoure avec une voix agréable , légère
& très exercée , & qu'elle a été généralement
applaudie.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nos Lecteurs ſe ſouviennent , ſans doute ,
que nous nous ſommes engagés à ne leur
rendre compte que des Débuts qui annonceroient
des talens , ou au moins des eſpérances.
Tous les jours nous nous felicitons
d'avoir pris ce parti , parce qu'il leur épargne
l'ennui des répétitions, & qu'il nous difpenſe
d'employer trop ſouvent , dans ces
articles , une ſévérité toujours défagréable
pour les ſujets auxquels elle s'attache , &
preſque toujours inutile. Une grande partie
des perſonnes qui embraſſent aujourd'hui la
profeffion de Comédiens , ignore , ou affecte
d'ignorer que la Comédie eſt un Art
ingrat & difficile , qui exige un travail opiniâtre
, des études très- réfléchies , une grande
connoiffance du monde , des hommes &
des paffions. On penſe qu'avec quelques
qualités extérieures , de la figure & de l'organe
on a tout ce qu'il faut pour réuffir à
la Scène. En conféquence de ce faux prinDE
FRANCE.
43
cipe , on débute , on reçoit des encouragemens:
alors l'amour propre s'exalte, il égare,
il donne à l'Acteur une idée exagérée de ſon
talent , & de- là naît pour l'ordinaire cette
médiocrité incurable , à laquelle ſont condamnés
tous ceux qui aiment qu'on les loue
&non pas qu'on les confeille. On a déjà répété
cent fois ces réflexions & toujours en vain ,
mais il ne faut pas ſe laſſer de les remettre
ſous les yeux des jeunes Comédiens. Ala longue,
la vérité perce , elle éclaire , elle inſtruit ,
mais ce n'est qu'avec de la conſtance que
l'on parvient à la faire connoître , & à percer
le voile dont l'orgueil & l'erreur cherchent
ſans ceſſe à l'envelopper. Voilà tout
ce que nous avons à dire à quelques Acteurs
qui ont déburé depuis quelques mois , tant
au Théâtre François qu'à la Comédie Italienne
;les uns avec des défauts ſur leſquels
l'âge & l'habitude ne laiſſent plus aucun efpoir
, les autres avec une inexpérience &
une foibleſſe qui ne font pas bien augurer
deleurs diſpoſitions .
こParmi tous ces Sujets , nous avons diſtinguéM.
le Coutre. Ce Comédien a déjà débuté
deux fois à Paris. Du premier au ſecond
début , il avoit fait des progrès conſidérables;
& ce qu'il a montré de talent , lors de
celui dont nous rendons compte , annonce
un homme laborieux , intelligent , ami de
fon art & des fuffrages publics. Une belle
figure , une taille avantageuſe , de beaux
moyens , un organe fonore , une connoif
MERCURE
fance raiſonnée de la Scène , de la ſenſibilité,
du goût. Telles ſont les qualités qu'on a diftinguées
avec plaiſir dans M. le Coutre. On
lui a reproché , avec raiſon , de manquer
quelquefois d'énergie ,&de donner à ſa phyfionomie
une expreffion forcée. Nous l'engageons
às'occupertrès-ſérieuſement de corriger
ces défauts , principaiement le dernier , qui
donnedetemps en temps à fon maſque un air
de grimace pénible & fatigant pour le Spectateur
même, qui le prive d'une partie de
ſa mobilité , & qui le fait paſſer très brufquement
de l'image d'un ſentiment à celle
d'un autre: mouvement quelquefois vrai
dans la nature brute , mais preſque toujours
inadmiſſible dans la nature conventionnelle
&embellie par l'art. Nous l'exhortons encore
à ne pas preffer ſes réponſes ſur les
dernières ſyllabes des répliques de ſes interlocuteurs
; ainſi qu'à les attendre , non pas
avec l'attention d'un Comédien qui connoît
l'inſtant où il doit reprendre la ſuite de fon
rôle , mais avec celle d'un homme qui
dialogue , & auquel la circonftance indique
les temps,d'écouter , d'interrompre ou de
parler. Les autres défauts de M. le Coutre
ne font que de légères taches que ſon intelligence
doit faire promptement diſparoître.
En général , cetActeur mérite de très-grands
éloges; la Comédie Italienne a beſoin de ſes
talens , & il ſeroit difficile de trouver fut
les Théâtres de la Province un ſujet qui méritât
d'entrer avec lui en comparaiſon.
DE FRANCE.
45
GRAVURES.
COLLECTION de vingt -Sept Estampes gravées
d'après les Deffins de M. Marillier , par MM. de
Longueil , de Launay l'aîné , de Launay le jeune ,
Ingouf le jeune , Macret , de Ghendt , Ponce ,
Halbou , Trière & Dambrun. Cette ſuite eſt deftinée
à orner une Édition des OEuvres choifies de
J. J. Rouffeau , qui s'imprime à Londres. Prix ,
is liv. A Londres , chez Emflet & Thomas Hookham,
Libraires; & à Paris , chez la Veuve Ducheſne,
Libraire , rue S. Jacques , au Temple du Goût.
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Portrait de Frère Côme , Feuillant , très-reffemblant,
gravé par Ingouf , d'après un deſſin fait de
ſon vivant , avoué de ſa famille. A Paris chez le ſicur
Souberbielle , rue du Chevet-Saint - Landry , dans
la Cité , Nº. 2. Prix , I liv. 4 fols. Cahier des
Cartouches pour entretenir les titres des différentes
Cartes , comme Cartes Militaires de Marine , Géographie
& Topographie , très utile aux Ingénieurs
&Arpenteurs. A Paris , chez Panferon , Architecte ,
rue des Maçons , près la Sorbonne , maiſon de M.
Levaſſeur , Graveur du Roi. Prix , I livre 4 ſols; &
lavé, 1 liv. 16 fols.
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Plan de la Montagne , de la Ville, des Fortifications&
du Siège de Gibraltar , avecle Camp de
Saint-Roch. Prix , I liv. 4 ſols . La Baye de
Gibraltar & d'Algéſiras , avec le Camp de Saint-
Roch & les Diſpoſitions du Bombardement. Prix ,
I livre 4 fols, A Paris , chez Lattré , Graveur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , la porte-cochère visà-
vis la rue de la Parcheminerie. -On trouve chez
le même le Détroit de Gibraltar , en une feuille ,
au même prix , & tout ce qui peut intéreſſer pour la
guerre actuelle.
46 MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
0N trouve chez Lamy , Libraire , quai des Au-
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guſtins , les Livres ſuivans : La Vie de Nicolas Flamel
& de Pernelle fa femme , avec fon Portrait &
lePlan defa Maiſon , in- 12 . Prix , 3 livres broché.
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relié. Un Traité curieux des Enseignes Militaires,
& c . in - 16. Prix, I livre 10 fols broché.
Les Stratagêmes de guerre dont ſe ſont ſervis les
plus grands Capitainesjusqu'à la paix dernière , in-
16. Prix , I livre 4 ſols broché. - L'Indépendance
des Anglo - Américains , dont nous avons rendu
compte ſans indication de Libraire , in- 12 . Prix ,
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pour le prix de l'Académie Françoiſe en 1779 , par
M. de la Vicomterie de Saint-Samſon , ſuivi d'une
Lettre du Roi de Pruſſe à l'Auteur. A Hambourg , &
ſe trouve à Paris , chez Guillot , Libraire de
MONSIEUR , rue de la Harpe.
LesAprès-Soupers de la Société , petit Théâtre
lyrique & moral ſur les Aventures du jour. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Bons - Enfans , la
porte cochère vis-à vis la cour des Fontaines du
Palais Royal , quatorzième Cahier.
Traitéd'Architecture , comprenant les cinq Ordres
des Anciens établis dans une juſte proportion entreeux;
ony ajoint les Pilaſtres d'Attique de chaque
Ordre; des Tables de Proportions pour déterminer
les hauteurs des Soubaſſemens , Statues , Balustrades
&Pilaftres d'Attique , relativement à la progreſſion
des cinq Ordres d'Architecture , depuis dix pieds de
hauteur juſqu'à foixante ; un Cours de Géométrie-
Pratique, & des différentes eſpèces de Moulures à
l'uſage non-feulement des cinq Ordres , mais encore
de tous les membres d'Architecture ; plus , la manière
de les tracer au compas ; un Traité d'Arithmé
tique pour parvenir au toiſé des Figures Géométriques
; un Traité de la Meſure des Surfaces Planes
&des Solides ; un Cours de Perſpective & une Inftruction
ſur les différentes manières de deſſiner le
Payſage ; par M. Dupuis , Profeſſeur d'Architecture.
Nota. L'Auteur fera paroître à la Saint - Martin
prochaine l'Ouvrage dont on préſente ici le Titre ,
qui en fait connoître ſuffisamment les diverſes
Parties. Il s'eſt propoſé de répandre un grand jour
48 MERCURE
1
fur les Arts qui en ſont l'objet,&d'en faciliter l'étude.
Ce qu'il a déjà publié en ce genre ,& les ſuccès de
ceuxqui ont étudié ſous lui ſont de plus sûrs garants
de l'utilité & de la bonté de ſon travail que tout ce
que nous pourrions dire. Le prix pour chaque
Volumebroché ſera de 10 liv. tournois ou de 30 liv.
pour l'Ouvrage entier. Ceux qui deſfireront en faire
P'acquiſition , ſont priés d'écrire à l'Auteur , rue
Bailleul , en lui marquant le nombre d'Exemplaires
qu'il leur faudra ,& s'ils les veulent brochés ou reliés.
• Mémoires fur les Foffiles du bas Dauphiné, contenant
une Deſcription des terres , ſables , pierres ,
roches compoſées & généralement de toutes les
couches qui les renferment; par M. D. G. Officier
réformé. A Paris , rue & hôtel Serpente .
Projet de Catacombes pour la ville de Paris ,
enadaptantàcetuſage les carrières qui ſe trouvent
tant dans ſon enceinte que dans ſes environs. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
TABLE.
ELÉGIE , 3 Annales Poétiques depuis l'o-
Réponse aux Stances de Mlle rigine de la Poésie FrandeGaudin,
S foife, 19
Si l'Eloquence est utile ou AcadémieRoy. deMusiq. 27
dangereuse dans l'Adminiſ- Comédie Italienne , 42
45
17 Annonces Littéraires , 46
tration de la Justice , 8Gravures,
Enigme& Logogryphe ,
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedis Octobre. Je n'y ai
zien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.AParis ,
le 4 Octobre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Août.
LES vents & la féchereſſe qui ſont ſurvenus
, ont arrêté les progrès de la peſte qui
s'étoit manifeſtée , il y a une vingtaine de
jours , & qui avoit beaucoup alarmé les
habitans de cette Capitale ; on apprend de
Cérès & de Salonique , que la même température
y a produit les mêmes effets ; il
n'en est pas ainſi du Cuban , où la contagion
règne toujours , & enlève un grand nombre
de perſonnes.
LaPorte a réſolu d'envoyer dans la Morée
un Pacha , qui doit y fixer ſa réſidence ; elle
ſe flatte de parvenir , par ce moyen , à
étouffer l'eſprit de révolte qui domine depuis
long-tems dans cette Province. On dit
que leCapitan Bacha y ſera envoyé en cette
qualité , & qu'il ſera remplacé dans le
poſte d'Amiral par Melek Muftapha , Bacha
d'Egypte.
5 Octobre 1782 .
( 2 )
Le Patriarche ſchiſmatique Zacharie paroît
fort éloigné de tenir la promeſſe qu'il
avoit faite aux Miniſtres des Puiſſances Catholiques
, de ne point troubler les ſujets
de leur religion ; il les vexe plus que jamais ,
& on affure qu'il a ſu s'affurer par des préſens
la protection de pluſieurs Grands.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 12 Septembre.
PLUSIEURS de nos bâtimens qui avoient
fait la pêche de la baleine au détroit de
Davis , font arrivés ici avec des cargaiſons
confidérables d'huile de baleine. Cette pêche
a été très-avantageuſe certe année ; la Compagnie
n'ayant pas affez de vaiffeaux pour
faire le tranſport de l'huile , a frété un grand
nombre de bâtimens particuliers.
>>>Un cutter Anglois, écrit- on d'Elfinger , ayant
apporté au Commandant des vaiſſeaux de ſa nation
qui étoient dans ce port , des ordres cachetés , tout
le convoi s'eſt auſſi-tôt diſpoſé à partir; & le 10
il a mis à la voile avec un vent frais de ſud-ouest ,
au nombre de 220 navires marchands , ſous l'efcorte
des frégates , dont une de 44 canons , 2 cutters
& quelques lettres de marque ; 70 autres navires
marchands ont appareillé en même-tems. Mais
àpeine ce riche convoi eut- il paflé le château , qu'il
furvint un calme plat qui l'obligea de ſe remettre
àl'ancre «.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 12 Septembre.
Le Prince dont la Reine eſt accouchée
131
dernièrement , a été baptisé les de ce
mois ; après les cérémonies qui ſe firent
avec beaucoup de ſolemnité , le Roi lui
mit le cordon de l'Ordre des Séraphins.
La Compagnie des Indes Orientales de Gothenbourg,
a fait porter juſqu'à moitié chemin
de Schagen , 200 cailles de thé, tant grandes
que petites , gâtées par l'eau de la mer , &
tirées de la cargaiſon du vaiſleau la Sophie-
Magdeleine ; elles doivent être jettées à la
mer, pour empêcher toute occaſion d'en faire
un uſage pernicieux.
>> Depuis quelque tems , lit-on dans des lettres
deGothembourg , la pêche du hareng nous donne
beaucoup de profits. Il s'en trouve , comme on le
fait, une très-grande quantité qui vient du Nord
par le détroit du Sund , autour de la petite Ifle
qui avoiſine notre ville , & vis-à-vis de laquelle
la Gothelba ſe jette dans la Baltique. Depuis 1621 ,
c'est-à-dire , 14 ans après la fondation de notre
Compagnie , nous jouiſſons du privilége royal d'en
faire la pêche. En 1679 les harengs ne parurent
plus dans notre mer. Nous n'en vîmes pas beaucoup
pendant les 72 années ſuivantes . Mais à notre
grande ſurpriſe , ils affluèrent de nouveau en 1752.
Depuis cette époque , ils revinrent tous les ans ,
non ſans variation; car depuis 1770 leur retour
eft d'année en année plus tardif que les années précédentes
; ce qui ſemble préſager un abandon total.
Si nos harengs ſont plus petits que ceux qu'on
trouve à l'entrée de la Baltique , ils ont auſſi un
meilleur goût ; on doit ſuppoſer que le ſuc de nos
plantes maritimes , eſt moins acre . Pendant l'année
courante nous avons ſalé 139,000 tonneaux de
harengs; on en a fumé 13,900 , & on a fait 2845
tonneaux d'huile de ceux qui étoient gâtés «.
22
( 4)
ALLEMAGNE.
• De VIENNE , le 14 Septembre.
On ſe flatte encore de revoir ici le Grand-
Duc & la Grande-Duchoffe de Ruflie , on
dit qu'ils arriveront vers la fin de ce mois ;
mais ils ne feront pas un long séjour
dans cette Capitale; ils ſe repoferont un
peu au Château Imperial ,& ſe tendront à
Luxembourg & de-lå en Hongrie , d'où ils
retourneront directement à St Petersbourg .
Les intérêts du Bure u autoriſe à prêter de
l'argent far gage , ont été réduits. On y payoit
16 p. 100 , aujourd'hui on ne pourra prendre
que 4 p. 100 fur des effets qui ne ſont
ni or ni argent ; mais quand on en portera
de cette dernière eſpèce , qui ſuppoſent
de la fortune aux emprunteurs , le
Bureau eft autorisé à prendre 6 p. 100 jufqu'à
la ſomme de 1000 florins , & paffé
cette ſomme , les intérêts ſeront de 8 juſqu'à
10 p. 100.
On apprend par des lettres du Comté de
Zips , que le 19 Juillet dernier, il eſt tombé
une quantité prodigieuſe de neige ſur les
monts Carpathes.
M. Naco , Seigneur des terres de St-Miclos
& de Marienfeld , dans le Comté de
Torendal , y a fait l'eſſai d'une plantation
d'arbres à coton , qui tous viennent trèsbien
, & donnent l'eſpérance du plus grand
Luccès.
:
Les Savans , écrit- on de Bude, qui avoient
été envoyés en Eſclavonie pour y examiner la
terre brûlante , ſont de retour de leur voyage. Pendant
le ſéjour qu'ils y ont fait , la terre n'étoit
pas enfiammée; ils ont fait cependant pluſieurs expériences
avec cette terre , & pour les continuer ,
ils en ont apporté une certaine quantité avec eux.
L'un de ces Savans , l'Abbé Miller , a apporté de
ces environs beaucoup d'inſectes , & quelques caiſſes
de minéraux , parmi lesquels ſe trouve auſſi du
minerai , qui contient de l'or & de l'argent ".
On a encore fupprimé trois autres Couvens
de femmes à Lemberg ; ils font, dit-on ,
plus riches que ceux qui y ont été fupprimés
il y a 6 mois.
De HAMBOURG , le 15 Septembre.
LES mouvemens qui ſe font ſur les fronrières
de la Ruffie & dans pluſieurs parties
de l'Empire ; les troupes qui défilent du
côté de Kiow , de Mohilow , ainſi que vers
l'Ukraine , & dans les Gouvernemens d'Aftracan
& d'Afoph , annoncent que les troubles
de la Crimée ne ſont pas diſſipés
comme l'ont publié quelques papiers , &
que tant que la Porte ne ſe ſera point déclarée
ſur le parti qu'elle prendra dans ces
circonſtances , on n'eſt ni ſans inquietude ,
ni fans défiance , ſur la ſuite de la révolte
des Tartares. Un régiment d'infanterie & un
détachement d'artillerie font partis de Pétersbourg
; 4 autres régimens ſe ſont mis
en marche de la Livonie vers les confins de
la Tartarie ; 1100 matelots , ajoute-ton ,
23
( 6 )
1 ont été envoyés ſur les côtes de la mer
Noire.
Selon les lettres de Vienne , S. M. I. a
chargé le Comte de Kollowrat & le Baron
de Reiſchach , de recevoir , en ſon nom ,
les foi & hommage des vaſſaux de la couronne
de Bohême.
>>>Les préparatifs des fêtes qu'on doit donner
au Comte & à la Comteſſe du Nord , écrit-on de
Stuttgard , font achevés ; ces fêtes ſeront trèsbrillantes.
On a arrangé dans le château Ducal les
appartemens deſtinés aux illuftres Voyageurs ,
de manière qu'ils ſe croiront tranſportés dans ceux
qu'ils occupent ordinairement à Pétersbourg. Le
parc , voiſin de ce Château , à été peuplé de so00
bêtes noires & fauves. Surles frontières du Margraviat
de Dourlach à Ensberg , on a élevé un Arc de
Triomphe & un Palais en bois , revêtu en dehors
de toile peinte dans un goût antique , & magnifiquement
décoré & tapiſſe au-dedans. C'eſt- là que le
Comte& la Comreſſe du Nord ſeront reçus & qu'ils
dîneront à leur arrivée. On les attend ici le 17 ; il
y aura ce jour-là fête à la Cour ; le 18 , grande
table , gala & opéra ; le 19 une fête à Hohenheim ,
&Comédie ; le 20 , dîner chez la Comteſſe de Hohenheim
, & opéra ; le 21 , fête à Ludwibourg & à
la Solitude ; le 22 , grande chaffe ; le 23 , grand
opéra à Stuttgard , & le 24 un fuperbe carroufel<«.
On apprend d'Elenbourg , que depuis
quelque tems la terre s'eſt enflammée près
de Holling. Comme il y a dans les environs
beaucoup de tourbe , il eſt à craindre , ſi le
feu fait autant de progrès qu'il en a fait
juſqu'à préſent , qu'une grande étendue de
terrein ne ſoit embrâſée. Une forte pluie qui
tomba il y a quelques jours , n'a pas ſuffi
( 7 )
pour l'éteindre ; la cendre eſt déjà à 3 pieds
de haut ; on y trouve beaucoup de terre
calcaire calcinée.
>>>Les ſanterelles , écrit-on de Bude , ſont en ſi
grand nombre dans pluſieurs endroits de ce Royaume
, qu'en voulant les détruire on ne réuffit malheureuſement
qu'à les faire changer de place.
-On écrit de Boszermeny , dans le Comtat de Szaboltz
, que le 23 Août au ſoir les habitans y étoient
occupés à pourſuivre des eſſains innombrables de
fauterelles , qui viennent du grand Waradin &
d'Almofd. On les foudroya à coups de canon &
de fufil; elles tombèrent dans les plaines de Debretzin
, mais s'y voyant pourſuivies par plus de
2000 perſonnes , armées de fouets , & foutentes
par un corps de troupes qui ne ceffèrent de faire
feu, elles allèrent ſe jetterà un mille de là où el'es
ravagèrent une étendue d'une demi-lieue. En plufieurs
endroits ces inſectes font les uns ſur les autres
,& forment une maſſe de 2 à 3 empans de hauteur,&
quand on veut les chaſſer , ce qui eſt difficile
, ils vont, du côté où le vent fouffle. Il a
été ordonné de fonner les cloches dans tous les
endroits où ils ſemblent vouloir s'arrêter . Des
avísultérieurs de Debretzin , en date du 27 Août ,
portentqu'après que ce redoutable eſſain fut parti il
en parut un autre plus nombreux ; tous les environs
de la Ville en furent couverts à un mille
d'étendue & à la hauteur d'une demi-aune : elles
mangent ou rongent tout dans les prairies & dans
les champs c.
ITALI Ε.
De LIVOURNE , les Septembre.
Le Hongrois , bâtiment appartenant à la
Compagnie Autrichienne des Indes Orienta-
24
( 8 )
les , eſt parti d'ici le 27 du mois dernier pour
l'Afie .
>>> Sur l'avis des Juriſconſultes de cette Univer--
fité , lit-on dans des lettres de Padone , au ſujet
des ſéparations entre mari & femme, le Conſeil
des Dix a arrêté ce qui ſuit : 1º. les femmes qui
demanderont à être ſéparées de leurs maris , feront
tenues de ſe rendre ſur - le - champ dans un Couvent
, où elles ne pourront voir que leurs plus
proches parens & leur Avocat; 2°. les membres
du Conſeil des Dix détermineront les ſommes que
les maris paieront à leurs femmes pour leur entretien&
les frais de la procédure. Si les conjoints
font notoirement indigens , le Conſeil pourvoira
à ces objets; 3°. la procédure de ſéparation
fera très-ſommaire; 40. tous les Evêques ſeront
tenus d'informer fur-le-champ le Conſeil des demandes
en ſéparation , afin qu'il puifle enjoindre
à la femme de ſe rendre tout de ſuite dans un
Couvent. On dit que le traité d'échange entre
la Cour de Vienne & la République de Veniſe ,
approche de ſa conclufion; le commerce de Trieste
y gagnera , dit - on , des avantages très - confidérables<
«.
Le Pape a , dit- on , adreſſé des brefs à tous
les Evêques des Etats Autrichiens par lefquels
il les autoriſe à relever de leurs voeux
Ics Religieux des Couvens ſupprimés dans
ces Etats lorſqu'ils le demanderont.
Le 24 Juin , écrit-on de Tunis , il arriva ici
un Chiaou de la ſublime Porte , avec des Firmans ,
tant pour notre Régence que pour celles de Tripoly
& d'Alger. Ces Formans contenoient des propoſitions
du Grand-Seigneur pour faire la paix entre
les Régences Barbareſques & le Roi des Deux-
Siciles , à des conditions que S. H. affare devoir
être fort avantageuſes. On croit cependant que ces
) و (
propoſitions réufront dificilement , parce que les
Etats de la côte de Barbarie , preſque abſolament
deftitués de commerce , ne fauroient ſubſiſter que
da fruit de leurs pirateries , qu'ils ne peuvent exercer
aujourd'hui qu'envers les ſujets Napolitains ,
puiſqu'ils fonten paix avec les Puiſſances Chrétiennes
, hors de la Méditerranée , & avec la République
de Veniſe , qui obſerve ponctuellement
ſes engagemens avec eux; ils ſont ſur le point
d'en conclure une avec l'Empereur & la Toſcane.
Ilsn'ont en conféquence à diriger leurs courſes que
contre les Napolitains ; & malgré la Marine de
S. M. Sicilienne , elles ſont ſouvent heureuſes . On
ſent qu'il n'y a qu'un préſent aanuel proportionné
à la valeur des priſes que font leurs corfaires , qui
peuvent les déterminer à ſe prêter aux vues de
la Porte; &on ne doute pas que dans ce cas même ,
ils ne rompent avec d'autres Puiſſances Chrétien
nes , pour achever de ſe dédommager " .
:
ANGLETERRE.
De LONDRES , le ro Septembre:
DEPUIS l'arrivée du brigantin le Général
Carleton , nous n'avons point de nouvelles
de l'Amérique ſeptentrionale. Le ſeul fait
intéreſſant que contiennent celles qu'il a
apportées , c'eſt que le Prince Guillaume
Henri n'eſt point mort comme le bruit s'en
étoit répandu ; l'uſage du quinquina a fait
diſparoître en partie la fièvre occafionnée
par la luxation de ſon bras ; mais on craint
qu'il ne puiſſe plus ſe ſervir de ce bras ,
parce que l'os de l'épaule forti de la jointure
avec fraction du muscle , ne peut plus
être remboité.
S
( 10 )
Quoiquerienne confirme la lettre adreffée
à Sir William - Pepperel , nos papiers ne
ceffent de répéter que le mécontentement
eft général en Amérique contre le Congrès
& contre la France ; s'il faut les en croire
il eſt arrivé de tous côtés des avis qui ne
permettent plus d'en douter ; on en a même
reçu de France où il eſt bien für cependant
que la première nouvelle n'y a été apportée
que par nos papiers , & où elle n'a été reçue
qu'avec mépris. Quelques-uns de ces papiers
ont effſayé de l'appuyer par des extraits
d'une Gazette de Boſton imprimée, difent- ils,
chez Eades & Gill , ils ont oublié malheureuſement
que ces deux éditeurs impriment
chacun une feuille différente & très diftincte
, & les numéros qu'on en a reçus
des mêmes dates que les extraits prétendus
que l'on donne. ici , au lieu de parler des
diſſentions Américaines , n'annoncent au
contraire que la meilleure harmonie entre
les Etats-Unis & leur auguſte allié , & une
réſolution unanime de ne conclure qu'une
paix concertée de part & d'autre. Bien des
gens croient que le but viſible de tous ces
prétendus détails , eſt de retarder , s'il eſt
poſſible , la détermination du Cabinet pour
reconnoître l'indépendance de l'Amérique.
Mais aujourd'hui il paroît être décidé ; on
peut en juger du moins par la lettre ſuivante
du Général Carleton & de l'Amiral
Digby au Général Washington ; elle eſt
du a Août , & a été apportée par le pa
( 1 )
quebot le Roebuck arrivé de New-Yorck à
Portsmouth en si jours.
>>>Les diſpoſitions pacifiques du Parlement & du
peupled'Angleterre , envers les 13 Provinces-Unies ,
vous ont déja été communiquées ; on a auſſi remis à
V. E. les réſolutions de la chambre des Communes
du 27 Février dernier , & en même-tems , on vous a
donné à entendre que ſelon toutes les apparences
elles ſeroient ſuivies de négociations de Paix. Depuis
cette époque juſqu'à préſent nous n'avions reçu aucune
inſtruction directe d'Angleterre ; mais il vient
d'arriver une Malle qui nous apporte une nouvelle
très-importante. Nous ſavons de bonne part ,
qu'il y a déja des négociations entamées à Paris ,
pour une Paix générale , & que M. Grenville eft
muni de pleins pouvoirs pour traiter avec toutes les
parties Belligérantes ; il eſt actuellement à Paris pour
remplir ſa commiſſion.-De plus , nous ſommes informés
que S. M. pour éloigner tout ce qui peut
s'oppoſer à une Paix qu'elle défire ardemment de rétablir
, a ordonné à ſes Miniſtres d'enjoindre à M.
Grenville, de commencer par propoſer l'indépen
dance de l'Amérique , au lieu d'en faire une condition
d'un traité général ; bien perfuadée néanmoins
que les Royaliſtes ſeront rétablis dans leurs
poſſeſſions oudédommagés entiérement de toutes les
confiſcations qui peuvent avoir eu lieu .-A l'égard
deM. Laurens , nous devons vous faire ſavoir qu'il a
été élargi & rendu libre de tout engagement fans
conditionquelconque , après quoi il a déclaré , de ſon
propre mouvement , qu'il regardoit le Lord Cornwallis
comme dégagé de ſa parole. Sur ce point
nous défirons connoître les ſentiments de V. E. ou
du Congrès.-Nous apprenons encore , qu'on a
préparé en Angleterre des tranſports pour conduire
dans ce pays-ci tous les prifonniers Américains & les
y échanger , nous avons ordre de preffer cet échange
autant qu'il eſt en notre pouvoir ; l'humanité nousy
a 6
(12 )
engage , & d'ailleurs le bien- être & les droits des
individus y font intéreſſés. Comme tous les échanges
d'hommes du même état ſont épuisés , il a été
déja propolé d'échanger immédiatement homme
pour homme , l'un contre l'autre , ſous condition
que nos matelots auroient la liberté de ſervir dumo
sment qu'ils ſeroient échangés , & que les foldats
que nous échangerions ſeroient une année ſans pouvoir
ſervir dans les treize Provinces ou contre elles ;
& c'eſt une condition dont nous voudrions bien ne
point nous départir.
: On ignore encore la réponſe que le Général
Américain a faite à cette lettre ; il
l'a ſans doute envoyée au Congrès ; il ne
s'ouvre jamais fur les objets qui ne font
pasde fon département. On en voit un exemple
dans la lettre qu'il écrivit à l'Amiral
Digby & qui eſt conçue ainfi :
J'apprends par MM. Aborn & Bown que V. Ε.
leur a permis de venir me faire des repréſentations
fur l'é at malheureux des Matelots & autres gens
de mer Américains qui font actuellement prifonniers
à New- York . Comme les affaires maritimes.
ne ſont pas de mon reffort , ce n'eſt point à moi qu'on
s'adreſſe pour cer objet ; mais la curiofiré m'ayant
porté à prendre des informations ſur la nature &
la cauſe de l'état de détreſſe où sont ces malheureux
, j'ai ſu que le principal motifde leurs plaintes
eſt d'être entaflés en grand nombre , fur-tout
dans cetre ſaiſon , à bord des bâtimens ſales & infects
qui leur ſervent de priſon & où la maladie
&la mort font preſque inevitables . Je ſuis perſuadé
qu'il ſuffit de rapporter ce fait à V. E. pour
obtenir en leur faveur le ſoulagement que vous
feal pouvez leur procurer & que l'humanité ſolli
cite avec tant d'inſtances . Si les évènemens de la
( 13 )
gnerre ont mis entre vos mains ces malheureux,
je ſuis perfuadé que la ſenſibilité de V. E. vous
engagera ( en ſuppoſant qu'ils doivent être néceſfaitementmis
àbord des vaiſſeaux) à proportionner
dumoins le nombre de ces bâtimens à celui des prifonniers,
&àne les point laiſſer amoncelés comme ils
le font, circonſtance d'où proviennentdes maladies qui
font périr journellement fix de ces infortunes.
Si dans cette ſaiſon les foldats de S. M. B. prifonniers
parmi nous étoient pareillement entaffés
dans des priſons trop étroites ( comme cela pour
roit être) ils ſeroient expoſés à la même mortalité
& aux mêmes miferes .
Ma ſenſibilité , répondit l'Amiral Anglois , m'a
porté à accorder à MM. Aborn & Bown la permifſion
de ſe rendre auprès de V. E. pour vous faire
des repréſentations ſur la ſituation malheureuſe des
prifonniers Américains qui ſont entre mes mains.
Si les ſentimens de V. E, en cette occaſion ſont conformes
aux miens vous n'hésiterez point un inG
tant à adoucir le ſort des priſonniers tant Anglois
qu'Américains.
2
En attendant l'effet de la nouvelle négociation
qu'on eſpère d'entamer , le théâtre
de la guerre fermé aux Antilles par la ſaiſon
va ſe rouvrir ſur le continent. New-Yorck
eſt maintenant le point qui paroît menacé ,
&qui par conféquent fixe notre attention.
Le Général Carleton s'eft mis en campagne
avec toutes les troupes réglées qu'il a pu
xaffembler , & a formé un camp à Kingsbridge
dans les environs du fort Washington.
S'il faut en croire quelques lettres , il
n'a pris ce parti que fur les informations
qu'il a reçues des mouvemens du Général
( 14 )
Américain , qui après avoir fait un tour à
Albany & dans la partie ſeptentrionale de
l'Etat de New-Yorck , revenoit ſur ſes pas
& s'approchoit des plaines blanches. On
ſavoit auſſi que l'armée Françoiſe aux ordres
du Comte de Rochambeau , s'avançoit
à grandes journées pour faire ſa jonction
avec celle du Congrès.
Ces mouvemens ne permettoient pas à
Sir Guy Carleton de reſter dans New- Yorck ;
mais en fortant pour attendre l'ennemi , retarder
ſa marche & ſaiſir les circonstances
qui pourront ſe préſenter pour déconcerter
ſes meſures , il avoit beſoin de toutes fes
forces , & il a fallu qu'il dégarnît abſolument
la place de toutes les troupes réglées
qui s'y trouvoient. Il a été obligé d'en
confier la garde aux habitans , & les plus
riches , les vieillards même ne ſont pasdifpenfés
du ſervice militaire. On a remarqué
avec peine que la plupart ne rempliffoient
pas ce devoir avec le zèle & l'exactitude
qu'un véritable attachement à la cauſe
royale devroit inſpirer. Le Gouverneur
James Robertfon , qui commande dans la
ville de New-Yorck , a jugé à propos de
publier la proclamation ſuivante.
>> Le Commandant en chef ayant montré la
grande confiance qu'il mer dans les Citoyens de
New-Yorck , en ſe repoſant pour la défenſe des
intérêts de S. M. , ſur leur zèle , leur fidélité &
leur bravoure , je me perfuade que chacun d'eux
réclamera avec ardeur ſon droit à une portion de
ſervice militaire : afin que perſonne n'en ſoit pri(
15 )
vé,& que ceux que le zèle porteroit à ſe montrer
toutes les fois qu'on auroit beſoin d'eux , n'y
foient pas appellés trop fréquemment , je juge à
propos de déclarer , que toutes perſonnes ſont tenues
de remplir le ſervice militaire , excepté les
Miniftres du ſaint Evangile, les Conſeillers & principaux
Employés de S. M. , dont les occupations
dans les affaires religieuſes & civiles , les empêchent
néceſſairement de remplir ce ſervice. Toutes
les perſonnes à qui l'âge ou les infirmités ne permettent
point d'agir , pourront s'acquitter du ſervice
en ſe faifant remplacer , pourvu que ceux
qu'ils offriront à leur place foient jugés acceptables
par le Colonel du Régiment ou par l'Officier
Commandant du Corps auquel ils appartiennent. Si
quelques-uns de ceux qui ont des profeſſions ſavantes
ſe trouvent fi utilement employés qu'ils ſe
déterminent par-là à éviter l'honneur de paroître
en perſonne , on les laiſſe juges de l'importance
de leurs fonctions & ils peuvent faire leur ſervice
pardes ſubſtitués en état de le remplir. Comme
perſonne ne mérite protection dans une place à la
défenſe de laquelle il refuſe de contribuer , tout
Citoyen qui refuſera de paroître lorſqu'il ſera appellé
à ſon devoir de Milicien , ſera emprisonné
à la grande-garde par ordre du Colonel ou de
l'Officier Commandant du Corps auquel il ſera
attaché, & il y ſera gardé juſqu'à des ordres ultérieurs
. « ANew-Yorck , le 22 Juin 1782 .
;
Cette proclamation n'annonce pas des
diſpoſitions fort loyales de la part des
réfugiés de New- Yorck ; on fait que le
fentiment & le zèle ne ſe commandent
pas ; & il n'y a pas grand fond à faire für
le ſervice de gens qui ne prennent les
armes qu'avec répugnance , & que la violence
ſeule détermine à paroître ſous les
( 16)
drapeaux. On ne juge pas en conféquence
la place dans le meilleur état de défenſe
poſſible. Elle n'en peut avoir de bonne que
dans les troupes réglées , mais elles ne peuvent
y revenir que dans le cas où elles y
feront repouffées par un ennemi ſupérieur ;
fi cette ſupériorité eſt auſſi grande qu'on a
lieu de le préſumer , & fi on ne parvient
pas à obtenir une ſuſpenſion d'hoftilités , il
eſt à craindre quelles netiennent pas longtems
dans les murs.
Divers avis arrivés ſucceſſivement ne
laiffent pas douter que le Marquis de Vaudreuil
n'ait paru ſur les côtes de Virginie
à la fin du mois de Juillet; ils ajoutent
qu'ils les a quittées , & que vraiſemblablement
il a dirigé ſa marche vers Rhode- Iſland.
Nous ignorons les forces qu'il a avec lui ;
& comme il est très-poſſible que les Eſpagnols
lui aient donné quelques vaiſſeaux ,
on craint que l'Amiral Pigot qu'on fait n'être
parti de la Jamaïque que dans le courant
d'Août & qu'on ne dit point encore avoir
été apperçu vers le Continent , ne lui ſoit
trop inférieur pour pouvoir s'oppoſer à
ce qu'il peut entreprendre. C'eft à peu près
des efforts qu'il ſera en état de faire fur mer
que paroît dépendre à préſent le fort de
New-Yorck. Si cette place ſuccombe & fe
rend à l'ennemi , nous pouvons nous regarder
comme choſſés du Continent de
l'Amérique , & à quoi aboutiront toutes les
( 17 )
façons que nous avons faites pour en re
connoître l'indépendance ?
" Les auteurs de la nouvelle de la défection des
Américains , dit un de nos papiers , peuvent avoir du
zele , mais ils ſuppoſent à la Nation une foi bien
robuſte ; ils viennent de la mettre encore à une affez
fingulière épreuve. Ils débitent aujourd'hui qu'un
croiſeurAnglois , qu'ils ne nomment point à la vérité,
arrive de la mer du Sud avec deux Chefs Indiens
chargés d'offrir au Roi de la Grande Bretagne la ſouveraineté
de pluſieurs Provinces Eſpagnoles de l'Amérique
méridionale. Le préſent eſt aſſurément trop
beau pour être refuſé ; mais il paroît que cette
domination dans le Midi , ne nous dédommagera pas
de celle que nous perdons dans le Nord. Cependant
ils ajoutent qu'on prépare actuellement en toute
diligence , une eſcadre avec 4000 hommes de troupes
de débarquement aux ordres du Capitaine Macbride
qui ne fera pas difficulté d'aller prendre poffeffionde
ces régions lointaines au nom du Roi. Ainh
au moment où nous craignons d'être chaſſés de ce
vaſte Continent , nous ſerions à la veille de nous
rendre maîtres des deux Amériques «.
Cette eſcadre à équiper offriroit au moins
de l'embarras dans les circonstances préſentes
: il n'eſt pas queſtion de ſonger à
faire des conquêtes au moment où nous
avons à nous occuper de la conſervation
de nos poffeffions , & des moyens de recouvrer
celles que nous avons perdues.
On fait que , malgré tous nos efforts , nous
avons été obligés de réduire à 34 vaiſſeaux
l'eſcadre qu'on a donné à l'Amiral Howe
pour en aller combattre au moins so , &
eſſayer de fauver Gibraltar. On est trèsperfuadé
ici que ce n'eſt pas cette eſcadre qui
( 18)
garantira cette place ſi nous la conſervons ;
nous comptons davantage ſur les circonfrances
& la fortune qui peuvent favoriſer
les difpofitions du Général Elliot.
On n'a point de nouvelles de la flotte
de l'Amiral Howe depuis celles qui arrivèrent
les au foir; elle ne forme pas moins
de 300 voiles en comptant tous les convois.
Ils font au nombre de 4, le premier confiſte
en un grand nombre de bâtimens vivriers
, munitionnaires & tranſports pour
Gibraltar ; le ſecond eſt pour les Indes
orientales ; le troiſième pour les Indes occidentales
, & le dernier pour Opporto.
Le Comte d'Effingham s'eſt embarqué , en
qualité de volontaire , fur celui de Gibraltar.
Ce convoi doit être conduit dans la
baie par le Buffalo & le Panthère. On
donnera à celui des Antilles une frégate
pour l'eſcorter ; & l'Amiral Howe avec toutes
ſes forces ſe préſentera devant Cadix
poury retenir les Eſpagnols à ſuppoſer qu'ils
y foient , où il les ira chercher s'ils n'y ſont
plus , comme cela est vraiſemblable. On ne
peut trop calculer le tems qu'il mettra à
ſe rendre à ſa deſtination. Des convois aufli
nombreux ne peuvent marcher qu'avec lenteur
, & on préſume qu'au lieu de 15 jours ,
il lui faudra au moins plus de 3 ſemaines
pour arriver au Détroit ; ce n'eſt donc que
vers le commencement du mois prochain
que pourront ſe frapper les grands coups.
Encore faut- il pour cela qu'il n'éprouve au(
19 )
1
cun obſtacle ſur ſa route de la part de la
mer & des vents. Les nouvelles qu'il a données
de fa flotte ſont du 13. Alors tout étoit
en bon état ; mais depuis ce tems on a eſſuyé
des tempêtes affreuſes ; le 17 , le 18 & le 19
ont été des jours très- orageux ; & on appréhende
qu'il n'en ait éprouvé les funeſtes
effets. Les détails ſuivants , extraits de différentes
lettres de nos ports , ajoutent à ces inquiétudes.
De Portsmouth, le 28. Il vient d'arriver de 20
lieues à l'ouest de Scilly , un vaiſſeau deſtiné pour
les Indes Occidentales , démâté ; il faisoit partie du
convoi du Lord Howe, dont il a été léparé le 1 s dans
la matinée: les gens qu'il a à bord diſent que pendant
toute lajournéedu 14 on a eſſuyé der grains violens;
mais que le lendemain le Lord Howe avoit aſſemblé
ſa flotte & avoit continué ſa route avec un vent affez
favorable au N. O. - Le 19 , le Lord Holland ,
ci-devant vieux vaiſſeau de laCompagnie des Indes ,
aujourd'hui tranſport au ſervice de l'artillerie , vient
d'arriver ; il a été ſéparé de la flotte du Lord Howe
le 16 au matin ; le coup de vent du 14 lui avoit enlevé
ſes 3 mâts de hune. Quand il a quitté la flotte,
elle étoit à 3 lieues oueſt des Sorlingues , allant vent
largue, bon vent , le tout bien raſſemblé. La cargai
ſon du Lord Holland étoit précieuſe en artillerie ,
& on ſentira ſa perte «.
>> De Plymouth , le 20. Le Trowbridge , deſtiné
pour la Jamaïque , arrive ici en détreſſe ; il avoit fait
voile de Portsmouth avec le Lord Howe , dont il a
été ſéparé le 1s , ayant reçu de grands dommages
dans un gros coup de vent , dont la flotte avoit été
accueillie la veille.On craint beaucoup que les grains,
les bouraſques , qui ſe ſont ſuccédés depuis le départ
de l'Amiral , aient diſperſé ſon eſcadre & fa fløtte
3
( 20 )
On craint beaucoup d'apprendre incefſamment
cette fâcheuſe nouvelle ; on s'empreffe
de nous calmer en afſurant qu'on a
reçu des lettres de Gibraltar qui annoncent
que leGénéral Elliot déclare que ſans ſecours
il peut tenir encore fix mois. Cela nous
donneroit fans doute de la marge ; mais on
craint que ces bruits n'aient été répandus
que pour nous raffurer contre les délais
que peut éprouver l'Amiral Howe. Nos
inquiétudes ne font pas toutes pour lui ;
la flotte de la Jamaïque qui doit être près
de nos côtes , les partage.
>> Le 7 de ce mois , écrit-on de Cork , eſt arrivé
àKiafale le Montagu , de 74 canons , Capitaine
Browne ; la Flora , de 36 , & le cutter l'Alert.
L'Amiral Rodney étoit àbord du Montagu qui l'a
ramené en Europe. Il a mis à la voile le 26 Juillet&
prit le paſſage du vent de conſerve avec l'Amiral
Pigot, dont il ſe ſépara quelques jours après ; le picmier
de ce mois, ſe trouvant par le degré 40 de lat.
30de long. il s'eſt ſéparé par ſignal de la Réfolution,
de 74 , & de l'Antelope , de so. On dit que ces
vaifſeaux ont ordre de croiſer , pour rencontrer la
flotte deſtinée pour la G. B , qui a fait voile de Port.
Royal le 25 Juillet , ſous le convoi des vaiſſeaux
ſuivans , la Ville de Paris , 104 , le Ramilies ,
l'Hector , le Glorieux ,le Canada ,le Centaure , de
74; l'Ardent , le Jaſon , le Caton , de 64; la Pallas,
de 36 , l'Aimable , de 22. L'Amical Graves revient
avec le convoi «.
On a eu lieu de craindre pour celui qui
étoit parti des iſfles ſous l'eſcorte du James
de44 , du Triton & de la Surprise; il eſt henreuſement
arrivé en partie à Spithéad. H
( 21 )
étoit de so voiles à ſon départ , mais à la
hauteur de Terre Neuve , il fut ſéparé par
un coup de vent.
On est maintenant raſſuré ſur celui de
la Baltique pour lequel on craignoit à la
fois les vents & les Hollandois ; les uns &
les autres l'ont reſpecté. Un Exprès arrivé
de Hull a apporté avis à l'Amirauté qu'un
cutter arrivé dans le port , avoit laiffé le 19.
la flotte de la Baltique à la hauteur du Promontoire
de Flamborough . Si les Hollandois
ſont ſortis , on eſt étonné qu'ils n'aient
pas rencontré cette flotte ; s'ils ne le font
pas , on l'eſt qu'ils n'aient pas fait de mouvemens
pour l'intercepter ; elle n'avoit d'autre
eſcorte que le Roebuck de 44 canons ,
la Minerve & l'Iphigénie de 32 , & 2 cutters.
A préſent on s'inquiète fort peu de
l'eſcatre Hollandoiſe ; nous n'avons à craindre
que fur nos côtes , & les deſcentes ne
ſont pas aiſées ; il faudroit des troupes de
terre pour cela ; on ne croit pas que les
Hollandois en embarquent .
» Le 17 , écrit-on de Margate , le vent étant excellent
, nous vîmes paſſer le ſoir à notre hauteur ,
18 navires eſcortés par un vaiſſeau de guerre ; nous
les croyons être des tranſports venant de New-Yorck
&faitant voile pour le nord. Nous ne les avions
pas encore perdus de vue , qu'ils furent accueillis
de la plus terrible tempête qu'on ſe ſouvienne
avoir jamais vue dans ces parages. Ils furent
obligés de jetter l'ancre à la diftance d'environ
3 lieues au nord de cette place. L'ouragan fut fi
violent que la plupart des habitans épouvantés quit,
( 22 )
tèrent leurs lits , croyant que leurs maiſons alloient
écrouler ; iill y en a en effet eu pluſieurs d'endommagées.
A peine étions-nous revenus de cette premiere
frayeur , que le 19 le feu nous en a inſpiré
une nouvelle. Il a pris à des écuries , & à cauſe
de la rareté de l'eau il a fait des progrès fi rapides
que nous avons vu le moment où Margate ne ſeroit
plus qu'un monceau de cendres. Aforce de travail
& d'activité on l'a reſſerré dans une modique
enceinte; ce qu'on regrette plus que les bâtimens , de
peu de valeur , en effet , ce ſont les beaux chevaux
de courſe & de chaſſe qui ſe trouvoient dans 24
écuries qui ont brûlé. Ceux des voitures étoient heureuſement
attelés & en courſe ou devant les por.
tes , ce qui en a ſauvé beaucoup ainſi que les voitures.
On a tiré des flammes & ſauvé une vingtaine
de beaux chevaux. Les Maîtres de ceux qui ont péri
font dans la déſolation , chacun ne parle & ne s'entretient
que de la perte de ſon cheval favori. Un
pauvre homme qui a été brûlé n'a pas fait tant de
ſenſation : cela eſt fâcheux a-t-on dit ; mais les larmes
coulent pour les courſiers. On attribue cet acci
dent à l'imprudence d'un cocher , qui ayant beſoin
de quelque choſe étoit forti de l'écurie en y laiſſant
ſa chandelle «.
On trouve dans les papiers Américains
une pièce importante & que nous nous
empreffons de tranſcrire , c'eſt une lettre
circulaire de M. Robert Morris , chargé du
département des Finances des Etat-Unis ,
dans laquelle il rend ainſi compte de l'état
des Finances des Etats. Elle eſt du 15 Octobre
1781 .
>> Je m'adreſſe à vous pour une affaire de la
plus grande importance. Je vais entrer dans le détail
de quelques faits qui exigent la plus ſérieuſe attention
de toute Législation & detout Officier public
( 23 )
des Etats-Unis. Je ſuis dans la réſolution de gérer
les affaires confiées à mes ſoins , d'après un ſyſtême
fondé ſur la fincérité & ſur la bonne foi. Perfuadé
de la folie de nos ennemis , lorſqu'ils ſuppoſent
que dans les Etats-Unis il ſe trouve beaucoup de
gens qui s'oppoſent à la révolution , je crois que
pour écarter la plupart de nos difficultés , le premier
pas à faire eſt de les expoſer dans tout leur
jour à la Nation par le canal de ſes repréſentans.
Ainſi il eſt de mon devoir de mettre ſous les yeux
du Public tout ce qui ſe paſſe, de manière que
le plus petit individu ſoit informé, en tems & lieu ,
des affaires qui l'intéreſſent comme Citoyen libre.
Les divers bruits qui ont couru , les proclamations
dedifférentes Gazettes , & même les lettres de ceux
qui doivent être le mieux inſtruits , tout enfin a
contribué à nous confirmer dans l'opinion que toutes
les Puiſſances de l'Europe nous ſont favorables ,
qu'on nous a déja avancé de grandes ſommes d'argent,&
qu'on peut en obtenir encore de plus confidérables.
Quelle que puiſſe être l'iſſue de mon
adminiſtration , je veux me mettre à l'abri de tour
reproche de fauſſeté ou de diſſimulation ; c'eſt pourquoi
je profite du premier moment où je puis donner
communication de lumières qui faſſent cennoître
pleinement la véritable poſition où nous nous
trouvons. Mon deſſein n'eſt point d'entrer à préſent
dans le détail des affaires de l'Europe ; ce n'eſt
pas là mon objet , & je ne ſuis pas affez inſtruit
pour remplir dignement cette tâche , j'obſerverai
ſeulement que nous avons trop compté ſur les Puifſances
Européennes , quoique nos amies. J'en apporte
pour preuve, qu'à l'exception de la France ,
aucune de ces Puiſſances n'a reconnu l'indépendance
, quoique notre alliance avec cette refpectable
Monarchie ſubſiſte depuis 4 ans. La France eft
cependant la première Monarchie du monde. Elle
eſt étroitement liée avec l'Eſpagne. Depuis long
( 24 )
tems l'Eſpagne fait la guerre , & long-tems avant
qu'elle s'y tut engagée , elle a été follicitée de former
une union ſur la baſe du traité avec la France.
La neutralité armée qui a donné de fi brillantes efpérances
à rant de monde , n'a pas encore produit
le bien qu'on en attendoit. Je ne procéderai point
d'après des conjectures , & il eſt inutile de m'arrêter
ſur notre Etat politique à l'égard des Puifſances
étrangères ; mais comme nous devons peu
en attendre , je crois qu'il n'y a pas un ſeul Américain
qui deſirât contracter une alliance avec aucun
Etat de la terre avant de bien connoître notre
importance , ſans quoi il lut ſeroit impoffible de
traiter ſur des principes d'égalité. L'opinion publique,
quant a la conduite des autres Princes &
Etats , nous a fait un tort infini , en ce qu'elle a
donné du relâche à nos efforts. Mais Fopinion ,
quant aux ſecours pécuniaires , nous a été encore
bien plus préjudiciable. Les Américains ſe ſont
flattés d'une idée tout--fait chimerique. Ils ſe ſont
imaginés que le Congrès n'avoit autre choſe à faire
qu'a envoyer au dehors un Miniſtre , & qu'auffi-rôt
ilobtiendroit tout autant d'argent qu'il en demanderoit
, que dès qu'il auroit ouvert un emprunt , on
accourroit en foule pour ſe diſputer l'honneur d'y
ſouſcrire ; mais un moment de réflexion auroit convaincu
tout homme raisonnable , que fans l'eſpérance
bien fondée d'un remboursement , perſonne
ne veut ſe dépouiller de ſa propriété. Les efforts
que nous avons faits pour emprunter dans ce paysci
, ont- ils eu aſſez de ſuccès pour nous faire efpérer
de pouvoir emprunter au-dehors ? Devonsnous
ſuppoſer que les étrangers s'intéreſſeront plus
que nos propres Citoyens a notre proſpérité ou
à notre sûreté ? Pouvons-nous croire que nous aurons
du crédit au dehors , avant que nous ayons
chez nous des fonds ſolidement établis ? Enfin y
a-t-il lieu de préſumer que les défordres infepa
parables
1
( 25 )
rables d'une grande révolution, ſoient confidérés
comme une meilleure ſource de caution & de confiance
, que la difcipline & la folidité des anciens
établiſſemens.-Le Congrès , conformément aux
voeux publics , a nommé des Miniſtres pour ſolliciter
de l'argent & ouvrir des emprunts. Ils ont
échoué en Hollande , & n'ont prefque rien fait en
Eſpagne. On attendoit des emprunts de la part
de quelques particuliers Hollandois , mais nous
n'avons point réuſſi de ce côté - là , & probablement
nous n'en obtiendrons rien . Nous n'efpérions
rien en Eſpagne que du Roi , & nos follicitations
auprès de S. M. C. n'ont pas eu grand ſuccès .
La fituation malheureuſe de nos affaires a forcé
* le Congrès de tirer des lettres de change ſur ſes
Miniſtres. Il y en a eu de tirées ſur la France , fur
l'Eſpagne & fur la Hollande : celles ſur la France
ont été payées , celles ſur l'Eſpagne ont été acceptées;
mais finalement il a fallu avoir recours à la
Cour de France pour les acquitter ; elles furent tirées
à longue vue; les ventes furent tardives ; on
accorda du tems , & toutes les facilités poffibles
furent données , mais en vain , au Miniſtre des Etats-
Unis pour trouver l'argent néceſſaire pour payer.
Le renvoi continuel de ces lettres de change à la
Cour de France pour en obtenir le paiement , nous
a été extrêmement préjudiciable , en ce qu'il nous
a fait anticiper ſur les ſecours que la France étoit
diſpoſée à nous fournir , & en même - tems il a
juſtement alarmé & fingulièrement embarraffé le
Miniſtère François.-Voilà ce qu'il eſt néceſſaire
que vous fachiez , afin que vous puiſſiez , vous &
votre Législation , en tirer les conféquences qui ſe
préſentent nature'lement. Vous verrez combien pous
nous ſommes fait de préjudice en différant d'employer
les reſſources de notre pays , & en comptant
ſur un eſpoir chimérique plutôt que fur les fondemens
ſolides d'un revenu. Je ſuis für que vous re-
Octobre 1782, b
( 26 )
connoîtrez évidemment que toutes nos eſpérances ,
toutes nos attentes font bornées à ce que la France
peut nous donner ou nous prêter; mais fur ce point
comme ſur tous les autres , Fillufion tient lieu de
la réalité. Notre imagination enfante les plus beaux
projets , & il n'y a que la détreſſe nationale qui
puiſſe nous faire voir l'excès de notre folie. Pour
mieux vous mettre en état de connoître les ſecours
que la France nous a donnés , je joints ici un compte
tiré d'un état envoyé dernièrement au Congrès par
le Miniftre Plénipotentiaire de S. M. T. C.- Vous
obſerverez que S. M. a accordé aux Etats-Unis un
fubfide de 6,000,000 livres pour l'année courante ,
ſur la repréſentation qui lui a été faite de notre détreffe
: elle a bien voulu être caution de l'emprunt
que nous avons ouvert pour notre compte avec la
Hollarde ; & lorſqu'on a vu qu'il y avoit peu de
probabilité d'avoir ici quelque argent pour faire
honneur à cet emprunt, S. M. a permis que la ſomme
àemprunter nous ſeroit avancéede ſonTréfor Royal
à la première demande. Ainſi le don & l'emprunt
montent enſemble à ſeize millions de livres , qui ,
dans ce pays- ci , ſeroit une ſomme de 2,962,962
dollars , quoique ſur le pied de l'eſtimation des dollars
en France , elle vaudroit 3,047,619 piastres ;
mais , au plus haut prix du change, cette femme ,
fi on la tiroit , ne monteroit pas plus qu'à 2,560,000
dollars . J'entre dans ces détails relativement à cette
fomme , parce que la différence dans le cours des
eſpèces tend très- ſouvent à tromper ceux qui n'ont
pas une connoiſſance familière de leur valeur réelle.
Le compte ci-joint eſt en livres , & les deux pre
miers articles contiennent la totalité de l'octroi &
de l'emprunt montant à 16,000,000 livres , le reftant
contient les déductions à faire. Les deux premiers
articles de ce reſtant , montant à 2,300,000
livres , font pour le payement des lettres de change
tirés en France , en Eſpagne & en Hollande , dont
( 27 )
j'ai déjà parlé, le produit de leur rente a été ap
pliqué au ſervice public , longtems avant que j'entraſſe
en place. L'article ſuivant montant à 2,000,000
de livres , eſt deſtiné , au payement des interêts des
billets dont aucune partie ne peut être appliquée à
d'autres objets. Je ne dirai tien ici du quatrième
article , parce qu'il eſt ſuffisamment connu du Public
, dont les entretiens n'ont roulé pendant longtems
que ſur ce ſujet. Les cinquième & fixième
articles avoient pour objet les munitions chargées
à bord de quatre tranſports , par ordre du Colenel
Laurens. Trois de ces bâtimens ſont arrivés à
bon port , l'autre eſt revenu en mauvais état. Le
ſeptième article a été occafionné par la perte du
précieux vaiſſeau appellé le Marquis de la Fayette ,
qui contenoit un grand nombre de munitions , dont
le remplacement est indiſpenſable pour mettre l'armée
en état de pourſuivre ſes opérations , & ill
montera à cette ſomme. Le dernier article contient
le montant de l'argent déposé pour faire face aux
traites que j'ai faites de tems en tems , & le produit
eſt destiné au ſervice de l'année courante. -En
tout il reſte une balance de 3,016,499 livres . Cette
ſomme jointe à celle apportée par le Colonel Laurens
, peut être conſidérée comme formant la valeur
d'environ 1,000,000 de dollars au plus , car elle
n'excéderoir celle- ci que de 21,574 dollars , fi elle
étoit actuellement dans ce Pays.-. Vous voyez
ainfi le montant de ces ſecours pécuniaires dont
tout le Public avoit conçu de ſi grandes eſpérances
, il ſe borne à un million de dollars . Mais
d'après les meilleurs états que j'ai pu me procurer ,
la guerre actuelle a coûté juſqu'à préſent environ
20,000,000 par an. Je compte , à la vérité , que les
dépenſes ſeront par la fuite prodigieuſement diminuées.
Mais il faut ſe reſſouvenir que l'économie
la plus févère a ſes bornes , & qu'el'e ne peut
exifter fi l'on ne remplit fidèlement les engagemens
1
b 2
( 28 )
-
qu'il eſt indiſpenſable de prendre avant de faire le
premier pas vers cette économie ſi vantée& fi néceffaire.
Auffitôt que les états de dépenſe pour la
prochaine année pourront être dreflés , on établira
les demandes en conféquence , & je ferai publier
auſſitôt les avis pour les marchés , comme le moyen
leplus efficace de ménager nos reſſources . Je crois
enfin qu'il eſt de mon devoir d'obſerver que j'ai
envoyé aujourd'hui au Congrès une note de mes
principaux engagemens , montant à plus de 200,000
dollars , & que je ne ceſſe d'être tourmenté de tous
les côtés pour le payement de cet argent.
L'affaire des ſubſides étrangers & de nos espéranrances
ici , est un ſujet ſi défagréable à traiter , que
je ne demanderois pas mieux que d'en ſortir ; mais
il est néceſſaire que les Etats ſachent tout , & je
ne remplirois pas les vues du Congrès , fi je n'ajoutois
que la Cour de France met les ſecours
qu'elle nous donne , au nombre des efforts extraordinaires
qu'il lui eſt impoſſible de répéter. La déclaration
qu'on ne peut plus nous donner de ſecours
pécuniaires , a été énoncée dans les termes les plus
clairs & les plus poſitifs , & quoique notre Miniftre
à la Cour de Versailles puiſſe faire de nouvelles
inſtances à ce ſujet , & qu'il y ait même tout
lieu de croire qu'il les fera ; cependant nul homme
prudent n'attendra aucun effet de ces démarches
après des affurances ſi poſitives du contraire , &
far-tout s'il réfléchit que cette Cour peut répondre
en deux mots à chaque ſollicitation , en demandant
ce que nous avons fait pour nous-mêmes. Il eſt
certain , & je ſuis forcé d'en convenir , que tant
que nous ne nous aiderons point nous-mêmes , nous
ne devons point attendre des ſecours d'autrui. -
Il refte encore en arrière un objet très-intéreſſant ,
& tôt ou tard il faudra bien s'en occuper. Il eſt
donc de la prudence de l'examiner dès- à- préſent
& d'y pourvoir à tems, La négligence à fonder la
( 29 )
dette nationale , a introduit la pratique de délivrer
des certificats d'office de prêt pour l'intérêt dû ſur
d'autres certificats d'office de prét. C'eſt une méthode
que j'ai abſolument défendue , & à laquelle
je ne prêterai jamais les mains. Une telle accumulation
de dettes , en même tems qu'elle met la
Nation dans la détreſſe , & qu'elle ruine ſon crédit ,
n'eſt d'aucun ſecours pour le malheureux individu
qui eft créancier de la Nation. En effet , fi on ne
pourvoit pas aux revenus , l'augmentation des certificats
ne ſervira qu'à diminuer leur valeur. Une
telle fraude imprimeroit ſur notre caractère national
une tache indélébile qui nous attireroit les
reproches & le mépris de tout l'Univers. Il eſt
tems de nous laver de l'infamie à laquelle nous
avons déjà été expoſés , & de rétablir le crédit
national : mais cette réhabilitation ne peut s'opérer
que par un revenu folide. Voilà pourquoi dédaignant
ces petits & timides artifices par leſquels ,
en reculant le moment critique , on ne fait qu'accroître
le danger & rendre la ruine inévitable , je
leur préfère la déclaration ouverte & publique des
refſources qu'on doit attendre & d'où on doit les
attendre. En conséquence , je dis aux créanciers
publics que juſqu'à ce que les Etats ayent pourvu
aux revenus pour liquider le principal & les intérêts
de la dette nationale , il eſt impoſſible qu'ils
foient payés , & je dis aux Etats que les principes
les plus facrés du contrat ſocial parmi les hommes ,
leur impoſe l'obligation de pourvoir à cette liquidation.
J'ai rempli la tâche que je m'érois propoſée
en écrivant cette lettre , j'espère que le Congrès
ſera inceſſamment en état de transmettre ſes
réquifitions , & je ferai tous mes efforts pour qu'elles
foient auſſi modérées qu'il fera poſſible. Mais je
prie inſtamment toure perfonne , tant publique que
particulière , d'examiner ſerieusement combien il
eſt important de ſe conformer à ces réquisitions ,
b3
( 301
4
,
ee ne font ni de brillans fuccès à la guerre , ni
l'éclat des conquêtes , ni la pompe des trophées
qui doivent frapper un Miniſtre raiſonnable ; la
ſupériorité des reſſources nationales eſt le plus sûr
garant des vrais ſuccès , & l'emploi 'actif & conftant
de cette ſupériorité de moyens ne peut manquer
à la longue d'arriver à fon but. C'eſt pour
cette rai on que l'ennemi a mis tout ſon eſpoir
dans le dérangement de nos finances , & que d'un
autre côté , comme j'en ſuis bien informé , ce qu'il
redoute le plus , c'eſt de nous voir établir une banque
nationale , & paffer des marchés pour la fourniture
de nos armées; graces au Tour- Puiflant
`nous ſommes dans une pofition où notre conduite
actuelle décidera de notre état futar. Il dépend de
nous d'être heureux ou malheureux. Si nous faiſons
aujourd'hui notre devoir , la guerre ſera bientôt
terminée ; finon elle peut durer encore plufieurs
années , & alors il eſt au-deſſus de la prévoyance
humaine de dire quand elle finira. Intimement
perfuadé que l'ennemi ne pourra s'empêcher
de demander la paix , lorſque nous ſerens
en état de poursuivre vigoureuſement la guerre ,
& que nous ferons dans cet état , auſſi - tôt que
P'ordre ſera rétabli dans nos affaires , & que nous
aurons recouvré notre crédit ; également convaincu
que , pour remplir ces objets , il ne faut qu'un
ſyſtême convenable de taxation , je ne puis m'empêcher
de mettre dans l'expreſſion de mes ſentimens
fur cette matière , toute la chaleur avec
laquelle ils fortent de mon ame. Je ſouhaite que
les faits que j'ai établis , foient examinés avec
toute l'attention qui eſt dûe à leur importance , &
qu'ils donnent lieu à des mesures qui tournent à
T'honneur & à l'intérêt de l'Amérique. «
>> A cette lettre ſont annexées les dépenſes par
ticulières & le rôle d'impoſition des différens Etats ,
pour lever la ſomme de 8,000,000 de dollars ,
eu de 1,800,000 livres ſterling. «
( 31 )
FRANCE.
:
De PARIS , le 1er. Octobre.
Les nouvelles arrivées du camp devant
Gibraltar la ſemaine dernière , font du 14
Septembre ; c'eſt ainſi que les préſentent
quelques lettres particulières.
>>Le 8 , les Anglois voyant les ouvrages de la
ligne approcher de leur perfection , firent un dernier
effort pour les détruire. Dès le point du jour ,
ils tirèrent à boulets rouges avecune vivacitéextrême,
& le feu ſe ſoutint fur le même ton juſqu'à la nuit .
Ils réuffirent à mettre le fen aux faſcines de l'épaulement
en so endroits. Mais nous réuſſimes à l'éteindre
ſur-le-champ preſque par- tout. Iln'y eut que
la batterie de Mahon, la moins importante des nôtres
, qu'on fut obligé d'abandonner & de laiffer
brûler. L'ennemi tira plus de 6000 coups ce jour- là .
Les François, dont c'étoit le tour degarder la ligne
ont montré la valeur & l'activité les plus brillantes ;
ils ont eu 25 hommes tués & 34 bleſſés. Les Eſpagnols
ont eu dans la même journée 30 hommes
tués on bleſſés. On paſſa la nuit à réparer les dommages
& àdémaſquer les batteries des nouveaux ouvrages.
Le , à 4 heures du matin, notre ligne ouvrit
fon feu. 130 pièces de canon & 34 mortiers tirèrens
à la fois ſur la place. Les Angleis ne répondirent
que très- foiblement. Le même jour un corſaire ennemi
de 6 canons & de 4 pierriers venant de Livourne
réuſſit à s'introduire dans Gibraltar. Les Princes allèrent
encore le 9 à la ligne pour voir jouer les batteries
.- Le 10, il ne ſe paſſa rien de remarquable.
Nos batteries continuèrent à tirer comme elles tireront,
d'ici à la fin du fiége so boulets par canon
& 30 bombes par mortier toutes les 24 heures .
- Le II , on alla brûler , à 9 heures du foir , les
,
b4
( 32 )
paliſſades de la porte de terre , à la barbe de la
garniſon qui fit un feu très -vif de mouſquererie
& de mitrailles ; il ne nous en a pas coûté un ſeul
homme. Il nous vint le ſoir un déſerteur. Il rapporta
que notre feu n'avoit pas fait grand dégât , que la
garniſon ne manquoit ni de munitions de guerre , ni
de proviſions de bouche ; mais qu'elle étoit excédéede
travail. LeGénéral Elliot annonçoit l'arrivée de l'eſcadreAngloiſe
commetrès-prochaine. Le 12, l'eſcadre
combinée forte de 27 vaiſſeaux Eſpagnols & de 12
François , a mouillé dans la baie d'Algéſiras ; elle a
efſuyé des mauvais tems dans ſa route& s'eſt arrêtéc
quelquesjours ſous Rota auprès de Cadix ; il n'y a que
Invincible & le Guerrier qui ſoient entrés dans ce
port , où l'on a déposé les malades. Nous avons
déja ici 2 vaiſſeaux de ligne François , 8 Eſpagnols ,
&on en ſignale un neuvième qui vient de la Méditerrannée
ce qui fait so en tout.- Le 13 , à 7 heures
du matin , les 10 batteries flottantes ſont parties de
Puente-Mayorca , & font venues fur les 9 heures &
demie s'emboſſer à 250 toiſes de la place , entre le
vieux & le nouveau môle malgré les batteries
ennemies. C'eſt la manoeuvre la plus audacieuſe
qu'on ait jamais fait à la mer. Depuis ce moment
onne peut donner une idée du feu effroyable que
font les lignes, les prames & la montagne de Gibralzar
. Le 14 , les belles apparences que préſentoient
biernotre attaque ne ſe ſont pas foutenues. Les prames
étoient à l'abri de la bombe , mais non des boulets
rouges. Le plus grand nombre eſt en feu dans ce
moment. -A midi , toutes les batteries flottantes
ont ſauté à l'heure qu'il eſt. L'eſcadre Angloiſe eſt
ſignalée dans ce moment .
On voit par cette dernière phraſe que
ces détails exagérés ont été écrits dans le
premier moment , & avant qu'on fût bien
inſtruit de ce qui s'étoit paffé dans la matinée
du 14. L'Auteur de cette lettre ne
( 33 )
pouvoit pas voir ce jour-là Peſcadre Angloiſe
qui étoit à peine hors de la Manche
à cette époque. Le triſte ſort des batteries
flottantes avoit augmenté l'idée de la perte
qu'on a faire à cette occafion. Le Courier
du Cabinet d'Eſpagne arrivé le Mercredi
au foir , demi- heure après celui de Mgr. le
Comte d'Artois , a calmé les inquiétudes
cauſées par ce premier rapport ; celui là
n'a quitté le camp que le 17. Par le relevé
que M. de Crillon envoie , il eſt conſtaté
que l'attaque du côté de la mer a coûté
beaucoup moins de monde qu'on ne l'avoit
dit d'abord. Nous recueillerons ici
quelques détails puiſés dans diverſes lettres
particulières de la même date.
>>>Les batteries flottantes avoient fait un ravage
affreux pendant les 10 ou 12 heures qu'elles ont
pu tirer ; on voyoit des pans de murailles tomber
en entier. On ne s'attendoit pas que le Général
Elliot pourroit tirer à boulets rouges de toutes les
batteries des môles & de la montagne. Il faut qu'il
eût diſpoſé une quantité incroyable de fourneaux
pour cet objet ; car les prames ont reçu plus de
4000 boulets rouges. Elles ont réſiſté quelque tems
graces à la grande quantité d'eau que les pompes
fourniſſoient ; mais n'étant pas foutenues par aucun
vaiſſeau de ligne , ni par les chaloupes canonnières
qui auroient diviſé le feu de l'ennemi , il a bien fallu
quelles fuccombaſſent ; c'eſt la violence du vent
d'Oueſt qui a empêché les vaiſſeaux , les bombardes
& les chaloupes canonnières de prendre part à l'ar -
taque. -M. le Prince de Naſſau s'eft couvert de
gloire. Son bâtiment prenant feu de toutes parts ,
il inſtruiſit M. de Crillon du danger qu'il couroit.
Avant que le Général eût demandé à D. Louis de
bs
( 34 )
Cordova les chaloupes de l'armée combinée , &
avant qu'elles arrivaflent , il s'écoula un tems confidérable.
M. de Naſſau fut donc obligé de jetter ſes
pondres à la mer pour ne pas fauter ; & il reſta
ainfi expoſé pendant 3 heures au feu de l'ennemi ſans
pouvoir y répondre , juſqu'à ce que les chaloupes
vînfſent le délivrer. 7 batteries flottantes furent ainfi
brûlées par le feu de l'ennemi , 3 autres qui n'étoient
pas autant maltraitées , mais qui ne pouvoient être
remorquées à cauſe de la violence du vent furent
brûlées par leurs équipages au moment où ils les abandonnèrent.
- Les batteries de terre ont eu un effet
prodigieux . Le 14 au ſoir elles tiroient encore ; l'ennemi
ne répondoit que foiblement tant il avoit
fouffert . Il reſte à ſavoir ce que fera l'Amiral
Howe ; nous voilà une ſeconde fois dans la plus
grande attente ; le choc de deux armées ſemblables
ne peut manquer de décider du fort de Gibraltar ;
carmalgré la perte des prames , il refte encore affez
de forces pour l'attaque du côté de la mer. Er fi
le Général Elliot ne reçoit aucun fecours en munitions
& en vivres il faudra bien qu'il ſuccombe «.
-
On avoit fait courir le bruit que les
convois de l'ifle d'Aix avoient fouffert en
mer par le gros tems ; cela nous avoit
beaucoup furpris , parce qu'étant partis le
2 , ils devoient être fort éloignés le 15
que le vent de S. O. commença ſes ravages.
Ce bruit en effet n'avoit aucun fondement.
On a appris par un Courier qu'a
reçu M. de Monthieu , qu'un de ſes navires
venant des Indes orientales , qui a relâché
à Vigo , a rencontré ces convois le 15 à 60
lieues au-delà du cap Finistère , naviguant
par un bon tems. On a lieu de croire que
l'efcadre & les convois de l'Amiral Howe
( 35
n'ont pas ſouffert des coups de vent du 17,
du 18 & du 19 , ils auront du moins été
retardés dans leur marche. Les côtes de
Normandie & celles de Bretagne ont vu
quelques navires naufragés par ces coups
de vent. Un navire d'Oſtende venant de
Bordeaux , qui a mouillé le 21 au Havre ,
dépoſe avoir vu le 19 à 25 lieues de l'entrée
de la Manche un grand convoi diſperſé.
Si ce n'eſt pas celui de l'Amiral Howe , ce
fera la flotte attendue de la Jamaïque .
La frégate du Roi la Gentille , commandée
parM. de Tremolin , écrit- on de l'Orient , mouilla
le 18 Septembre à Port-Louis. Elle étoit de l'armée
combinée qu'elle laiſſa à la fin du mois d'Août
fur Finistère , faiſant route vers Cadix . Elle a depuis
croifé ſur nos côtes , & s'eſt acquittée de la
commiffion dont elle étoit chargée.- Le 19 , entrèrent
dans notre port 3 gros corſaires Américains
, armés en guerre & en marchandises , partis
de Philadelphie le 20 Août. Ils ont fait 3 priſes
confidérables dans leur traverſée; la plus riche qui
eſt entrée avec eux , eſt eſtimée 900,000 liv. Ils .
croyent les deux autres ſur nos attérages. Les trois
Capitaines dépoſent qu'à leur départ , le Congrès
avoit reçu avis que M. de Vaudreuil étoit devant
New-Yorck , & que les Anglois ne s'étoient pas
encore montrés dans ces parages. L'armée du Général
Washington & celle du Comte de Rochambeau,
s'avançoient pour refferrer la ville , tandis
que M. de Vandreuil devoit la bloquer par mer ".
On lit dans différentes lettres de nos ports
les détails ſuivans de la croiſière de quelques-
uns de nos corſaires , ceux de Dunkerque
continuent de ſe diftinguer .
>> Le corfaire la Comteſſe d'Avaux , parti de
b6
( 36 )
Dunkerque le 3 Septembre , eſt entré le 17 à Cher
bourg , après une croiſière ſur la côte d'Angleterre ,
dans laquelle il s'eſt emparé de 56 bâtimens ennemis
; ſavoir le briq la Polly , de 150 tonneaux ,
allant de Pool à l'Amérique ſeptentrionale , chargé
de biscuits , d'habillemens & autres articles ; le
brigantin le Draper , de 120 tonneaux , allant de
Cordiff à Londres , chargé de 39 canons de différens
calibres & de 2 obuſiers de 32 ; le brigantin
l'Unité de 100 tonneaux , allant ſur ſon leſt d'Exeter
à Milford ; l'Industrie de 60 tonneaux , allant
fur fon left de Douvres à Milford , & le briq la
Diligence de 90 tonneaux , allant de Liverpool à
Plimouth , chargé de fel , charbon , fayance , &c.
-Un autre corſaire de Dunkerque la Sophie , a
conduit à Calais un brigantin de Boſtonefl' , d'environ
200 tonneaux , dont il s'eſt emparé à la
hauteur de Corke. Ce bâtiment employé au ſervice
da Roi , alloit en Irlande; il ne ſe trouve à
fon bord qu'une centaine de lits deſtinés à coucher
les gens de mer qui devoient être preſſés.
Le corſaire le Peti-t Commandant , du même port ,
s'eſt emparé le 4 de 2 bâtimens Anglois l'Anna-
Lisa & l'Anna - Sarah , qu'il a conduits le sà
Cherbourg. Ces bâtimens qui faifoient partie d'une
flotte entrée le même jour à Portsmouth , alloient
de Londres dans ce dernier port avec un chargement
de planches pour le ſervice de la Marine
royale Britannique.-La Comtesse d'Affas , autre
corfaire du même port , s'eſt emparé d'un bâtiment
de 130 tonneaux , chargé de canons de différens
calibres & de 2 mortiers ; cette priſe eft
entrée à Breſt le 13 Septembre «.
La Compagnie Royale de l'Arquebuſe de
Paris qui a pour Colonel M. de Coffe ,
Duc de Briffac , Pair de France , Gouver
( 37 )
neur de Paris , a pris les armes en ſon Ho
tel le 19 du mois dernier , & y a reçu au
drapeau M. Guyot de Cheniſol , en qualité
de Lieutenant- Colonel de cette Compagnie
, place vacantedepuis la démiſſion deM.
Camus de Pontcarré de Viarmes. M. Guyot
de Ville , oncle de M. Guyot de Cheniſol ,
a poffédé cette place pendant 20 ans. Il y
avoit été reçu le 23 Août 1739 ; la Compagnie
ayant alors pour Chef Mgr. le Dauphin
, pere du Roi , pour Colonel M. de
Rohan, Prince de Montauban.
On lit dans l'Affiche de Sens la lettre
ſuivante qui intéreſſe les Cultivateurs , &
qu'on nous faura gré de tranfcrire.
On a indiqué en différens tems des moyens
d'empêcher la bruine des bleds , ſoit que ces
moyens aient paru trop difficiles dans l'exécution ,
ſoit qu'ils n'aient pas répondu à l'attente du cultivateur
, cette maladie continue & a caufé cette
année un deficit très- conſidérable ſur la récolte
des fromens. Je vous prie d'inférer dans votre Journal
la méthode que j'emploie : elle est sûre , elle
eſt ſimple , & depuis 20 ans que je la mets en
pratique , je n'ai pas eu un ſeul épi de bruiné. Je
ne m'en donne pas pour l'inventeur , ce n'est qu'après
biendes inſtances que je l'ai obtenue d'un ancien
laboureur de cette Ville dont les bleds
avoient toujours été à l'abri de cette contagion.
- Pour 12 bichets de froment , peſant chacun
66 liv. mis en tas , en forme de pain de ſucre,
mettez 12 pintes d'eau dans une chaudière , faites
fondre affez de chaux vive pour que l'eau devienne
un peu épaiſſe , mettez la chaudière ſur le feu , &
remuez l'eau. Lorſqu'elle ſera prête à bouillir , jettez-
y , en tournant la tête d'un autre côté , pour
,
( 38 )
deux liards d'alun de glace bien pilé , & un liard
d'arſenic par bichet , continuez à remuer , & lorfque
l'eau ſera prête à lever , portez la chaudière
vers le tas de bled : ayez auſſi un ſeau d'ean dans
un autre vaſe , arroſez votre bled avec l'eau de
chaux , & de tems à autre , fur-tout au commencement
, jettez de l'eau claire dans la chaudière
&nettoyez-labien. Lorſque le bled ſera bien mouillé,
changez-le de place 3 ou 4 fois le plus promptement
poſſible , puis couvrez-le bien ; au bout de 3 ou 4
heures on peut commencer à s'en ſervir , il n'y a
aucun danger pour celui qui sème , néanmoins il eſt
bon qu'il s'obſerve , &qu'il ne porte ſes mains ni à
ſes yeux ni à ſa bouche .-J'engage MM. les Curés
àaccorder leur attache à leurs Paroiffiens pour ſe
procurer l'arſenic , dutſent-ils eux- mêmes le fournir
& en faire faire l'emploi ſous leurs yeux ; il y va de
Jeur intérêt. J'ai l'honneur d'être , & c. Signé Cном-
BREAU DE CHANVALON , Juge , Garde- Marteau des
Eaux & Forêts du Comté de Joigny.
La lettre ſuivante qui nous a été adreſſée
eſt un hommage de la reconnoiſſance ; nous
nous empreſſons de la tranſcrire.
> M. permettez- moi de me ſervir de la voie
d'un Journal aufli juſtement répandu que le vôtre
pour rendre public un avis qui ne ſera pas indif
férent aux Chefs de famille . M. Havard , Maître
de Penſion depuis environ dix ans à St- Cloud ,
s'y eſt établi dans le lieu le plus falubre. Ses Elèves
jouiffent tous d'une ſanté robuſte dont on doit
attribuer la cauſe à la pureté de l'air , à la bonté
des alimens , à la ſage diſtribution des travaux &
des amuſemens de l'eofance. Encouragé par fes
premiers ſuccès , il a ſacrifié des ſommes confidérables
, tant à l'établiſſement de ſon ſéjour , qu'à
l'augmentation de propreté , d'aiſance , d'agrémens
&d'inſtruction pour ſes Elèves. Il eſt admirablement
ſecondé dans ces louables opérations far ine
( 39 )
Epouſe vertueuſe & très-éclairée qui ſert comme
de ſeconde mere à chacun de ces enfans. Le trait
fuivant peindra leur caractère.- Un Militaire en
grade, homme d'une naiſſance ancienne & décorée ,
avoit dans cette penſion deux de ſes fils , l'aîné defquels
y étoit depuis environ trois ans. Satisfait des
progrès phyſiques & moraux de ces tendres rejettons
, il ne fongeoit nullement à les retirer avant
T'âge convenable pour les placer quelque part. Toutà-
coup la chûte de diverſes eſpérances ou perſpectives
juſqu'alors très- apparentes , jointe aux ſuites
funeſtes d'une perfécution particulière qui a commencé
preſqu'à la naiſſance de ce Gentilhomme
pour ne le quitter peut-être qu'au tombeau , l'a
contraint de reprendre ſes enfans , malgré la crainte
qu'une multitude d'occupations & de courſes indiſpenſables
ne lui permettent pas de ſuivre leur
éducation d'auſſi près qu'il en auroit le défir &
qu'il en ſentiroit l'utilité. C'eſt alors que M. &
Madame Havard , quoiqu'en fortes avances avec
beaucoup de leurs penſionnaires ,n'ont reçu qu'avec
peine ſes derniers payemens , & lui ont fait avec
les plus cordiales instances ,la noble propoſition de
garder ſes enfans & de leur continuer les mémés
ſoins , ſans qu'il fût queſtion d'aucun compte avant
le jour où ils entreroient à l'Ecole-Militaire , aux
Pages , ou au ſervice. Pénétré d'un vif& juſte attendriffement
pour une offre auſſi gracieuſe , ſa délicatefſe
ne lui a permis , ni de l'accepter , ni de
la taire. Ainfi , M. , ce feroit peut-être à la fois
obliger particulièrement ce père reconnoiſſant , &
généralement tout lecteur ſenſible , que faire connoître
ce trait de M. & Madame Havard , au riſque
d'eſſuyer quelques reproches de leur modeftie: Je
fuis , &c. Signé C. G. T***, «
Les obſervations ſuivantes nous ont paru
dans ce moment devoir intéreſſer le Pablic;
c'eſt principalement ſur les découver(
40 )
tes nouvelles que les gens de l'art doivent
être conſultés; leurs opinions peuvent être
différentes ; & alors elles conduiſent à des
diſcuſſions qui tournent à l'avantage général,
par les lumières & la certitude qui en réfultent.
Celles- ci ſont d'un Architecte connu
& dont les Ouvrages ſont eſtimés.
>> Le grand intérêt que le Public paroît prendre
au ſuccès du ciment de M. d'Etienne , dans la perſuaſion
ſans doute que par ſon moyen il ſeroit poſſible
de ſupprimer les combles des maiſons , & d'y
ſubſtituer des terraſſes qui en augmenteroient l'agrément
, & produiroient à-la-fois beaucoup d'économie
dans leur bâtiſſe , me fait croire que l'on
verra avec plaiſir le ſentiment d'un homme de l'art
ſur le degré de confiance que peut mériter a découverte.
-Dans la plupart des bâtimens de quelque
importance , il eſt d'usage de faire porter les
dalles de pierre dont on couvre les terraſſes fur
des voûtes; & en ſuppoſant que celles-ci aient opéré
tout leur taffement avant cette opération , ſi les
dalles ſont de qualité , impénétrables à l'eau , & fi
les maftics deſtinés à les unir ſont bons , on réuffit
d'ordinaire à rendre ces fortes d'ouvrages ſolides
& durables . Mais comme les voûtes exigent des
épaiſſeurs de mur conſidérables par rapport à leur
pouffée, on ſe contente ſouvent par économie de
placer les dalles des terraſſes directement ſur des
planchers de charpente , où l'on étend un aire de
plâtre pour les recevoir , en obſervant comme cidevant
de les jointoyer avec de bon maſtic. Il n'eſt
pas bien difficile de juger qu'un pareil procédé ne
fauroit avoir de durée. Car les bois de ces planchers
étant par la ſituation des terraſſes ſujets
recevoir toutes les impreſſions de l'air , les communiquens
de néceſſité aux dalles qu'elles ſupportent;
d'où il fait que l'alternative de l'humidité
& de la séchereffe , du chaud & du froid , doit
( 41 )
déſunir de tems en tems les dalles & brifer leur
maftic , quelque excellent qu'il ſoit, tantôt à un
endroit , tantôt à l'autre; de ſorte qu'il faut fouvent
avoir recours au maſtiqueur, & que pour peu
qu'on apporte de négligence à ces rétabliſſemens ,
l'eau filtre à travers les planchers , endommage
les plafonds & pourrit les bois. Perſonne n'ignore
que ce ſont ces fortes de terraſſes qui ont occa-
Honné la ruine du Coliſée. -Quelquefois , au lieu
de dalles , on étend ſur l'aire ou le carreau d'un
plancher des tables de plomb afſemblées à bourrelets
ſuivant leur longueur ; mais ce moyen qui
eſt très-diſpendieux , & qui ne laiffe pas de furcharger
un plancher , a auſſi ſes inconvéniens; la
chaleur & la gelée font travailler les plombs , bouffer&
écarter les foudures .-On a toujours penſé
que le vrai moyen de parvenir à conſtruire des
terraſſes ſolidement & à peu de frais , dépendoit
de trouver un enduit de ciment impénétrable à
l'eau ; mais cela n'eſt pas aifé , & voici pourquoi :
comme il entre une certaine quantité d'eau dans
la préparation du mortier , & que ce n'est qu'à la
faveur de ſa liquidité qu'on parvient à l'employer ,
il s'enfuit que le mortier ne fauroit par la fuite
acquérir de corps ou de conſiſtance que par l'évaporation
de la partie aqueuſe qui y a été incorporée
: or , cette évaporation ne pouvant évidemment
avoir lieu , ſans opérer des vuides , des fentes
ou des gerſures dans le mortier , le rend conféquemment
peu propre à faire des enduits afſez
ſolides pour des terraſſes.- En Italie , on réuffit
volontiers à faire des terraſſes avec de la pozzolane,
qui eſt un ciment produit par la lave du
Véſuve & que l'on incorpore avec la chaux , au
lieu de tuileau pulvérisé. On couvre les enduits
que l'on fait avec ce mortier , d'un lit de paille
que l'on entretient mouillée pendant pluſieurs jours ,
de forte que l'évaporation de ſon humidité n'étant
( 42 )
pas trop prompte , il ne ss'y fait communément ni
fentes ni gerſures , fur-tout quand ils ſont placés
ſur des voûtes.- Il y a environ 18 ans que M.
Loriot s'appliqua à la recherche d'un ciment qui
eût la propriété de ne point opérer de retrait &
de gerſure en féchant ; & , après beaucoup d'eſſais ,
il découvrit qu'en introduiſant dans du ciment ordinaire
( c'est-à-dire , fait avec de la chaux éteinte &
mélangé avec du tuileau , du machefer , du ſable
de rivière ou de la pierre dure pulvérisée ) , de
la chaux vive nouvellement cuite & réduite en
poudre dans une proportion déterminée par la
qualité de cetre chaux vive, ſuivant qu'elle auroit
été fabriquée avec des pierres plus ou moins deres ,
ou plus récemment cuites , il découvrit, dis -je , qu'il
étoit poſſible de réuſſir à évaporer promptement
la partie aqueuſe d'un enduit , ſans former ni lézardes
, ni gerſures. Il réſulte de ſes expériences que
cette proportion de chaux vive peut varier en général
, à raiſon des diverſes qualités ſuſdites , depuis
le quart juſqu'au fixième de la quantité de ciment
ordinaire , tel'ement qu'en admettant dans le ciment
une plus grande portion de chaux vive , l'évaporation
devenant alorstrop forte , trop précipitée , il fe
trouve brûlé ou calciné ; & qu'au contraire en en
admettant une moindre , le ciment conſerve les
inconvéniens ordinaires , & reſte ſujet en ſéchant
àformer , comme de coutume , des lézardes & des
gerſures. Le ſuccès avec lequel M. Lorict a opéré
de nombreux travaux , à l'aide de fon mortier , à
la terre de Menards , aux terraſſes de l'Orangerie
du Château de Versailles , du Bureau de la Geerre ,
du Château de Vincennes , de l'Obfervatoire à Paris ,
&c. &c. ne laiſſe aucun doute fur l'efficacité de ſa
découverte , que l'on fait lui avoir mérité une récompenſe
du feu Roi. Outre le Mémoire qui a été
publié par ordre de S. M. en 1774 , à ce ſujet , j'ai
décrit particulièrement tous les détails des diverſes
( 43 )
préparations de ce mortier dans ma continuation du
Cours d'Architecture de M. Blondel , Tome V,
page 197 ( 1 ) , de manière que , fans autre ſecours ,
chacun peut être en état de l'employer au beſoin.
-M. d'Etienne vient auſſi d'annoncer la découverte
d'un ciment impénétrable à l'eau , dont il a faic
l'application à une terraſſe de ſa maiſon , rue de Ménil-
Montant. Son procédé conſiſte à érendre le plus
uniment poſſible ſur un carrelage en terre cuite ,
poſé ſur des planchers de charpente , un enduit de
ciment d'une ligne , ou même d'une demi-ligne d'épaiffeur
, composé à l'ordinaire d'une certaine quantité
de chaux éteinte , mélangée avec du tuileau ou
caillou bien broyé & paſſé au tamis , & d'ajouter
enfuitedans le cimentainſi préparé environ un fixième
de chaux vive , réduite en poudre & nouvellement
cuite ; & enfin , pour dernière opération , il s'agit
d'étendre ſur la fuperficie dudit enduit une couche
d'huile graffe.
:
Le reste à l'Ordinaire prochain.
De BRUXELLES , le rer. Octobre.
Nos lettres du Nord nous apprennent
que le 10 du mois dernier le convoi An--
glois de la Baltique avoit appareillé d'Elfingor
, & que le calme l'avoit forcé de jetter
l'ancre. On a appris qu'il a remis à la voile ,
& qu'il eſt arrivé ; les vents contraires , les
orages qui ont régné , n'ont pas permis à l'efcadre
Hollandoiſe de quitter le Texel ; on
ſuppoſe qu'elle en eſt ſortie à préſent. Les
papiers Anglois annoncent que le 15 Septem-
(1) Cet Ouvrage ſe trouve à Paris chez la veure Deſaint ,
rue du Foin St-Jacques.
( 44 )
۱
bre cette eſcadre appareilla ; mais il paroît
qu'à Londres , comme ailleurs , on a ſuppoſé
ce qui étoit vraiſemblable. Les lettres de
Hollande , du 23 du même mois , n'en parlent
point encore ; elles ne diſent même
rien de l'armée navale de la République.
Il paroît que les tems orageux qu'on a
éprouvés depuis le 16 , l'ont retenue dans
ce port.
>> Le 19 , écrit-on d'Amſterdam , on a eſſuye
ici une tempête terrible qui a causé beaucoup de
dommages aux cheminées , aux toîts & aux arbres ;
plufieurs navires qui ſe trouvoient devant la ville
ont été arrachés de leurs ancres & endommagés ;
fur les côtes elle a cauſe pluſieurs accidens fâcheux :
voici ceux dont nous avons connoiſſance . L'Aurore
a fait naufrage au nord de Zaadfort , l'équipage
a été ſauvé. La Femme Jeanne deſtinée pour
Amſterdam , a échoué près du même lieu. La
Christine-Marie , allant de Pétersbourg à Oftende ,
a fait naufrage , l'équipage a été ſauvé. Deux bâtimens
ont échoué à Benningen ; on eſpère que
la marée en remettra un à flot. Un bâtiment d'Amſterdam
pour Lisbonne , a fait naufrage vers Landerwick
; un autre a échoué ſur les ſables à Enkhuy
fen ; un de Middelbourg allant à Amſterdam , a
également échoué à Hotland ; la marée l'ayant
remis à flot , il a paru très-endommagé; ces bâtimens
marchands appartiennent à H. Brandhefchrander
; ils revenoient de Pétersbourg à Amſterdam
, un a été obligé d'entrer à Fahrſand pour
ſe réparer. Le Bricq l'Heureux , a fait naufrage
à l'endroit nommé le Coin de la Hollande ; il venoit
de Bordeaux à Amſterdam , & étoit chargé
de café , ſucre & tabac ; l'équipage a été ſauvé. «
Comme le tems a changé depuis on
2
( 45 )
croit que la flotte en aura profité ; on
ne doute pas que celle des Anglois qui
ſe trouvoit en mer , & peu éloignée lorfque
ces gros tems ont régné , n'ait beaucoup
fouffert , ou n'ait du moins été retardée.
Selon les dernières lettres de Hollande
, on croit que l'ordre de départ a été
expédié au Texel. Dans ce moment ,
ne peut avoir pour objet d'intercepter la
flotte de la Baltique , qui eſt en sûreté
dans les ports d'Angleterre.
on
On ſe flatte toujours d'une paix prochaine
; on dit même que l'iſſue du fiége
de Gibraltar , quelle qu'elle ſoit , ne la
retardera pas . On fait des voeux pour que
ces belles eſpérances ſe réaliſent. Ce qui
ſemble les fonder , c'eſt que la Cour de
Londres ne répugne plus à accorder l'indépendance
de l'Amérique , & l'a fait notifier
au Congrès par le Général Carleton.
Cette nouvelle a détruit tous les bruits
qu'on s'étoit empreſſé de répandre. L'Auteur
élégant de la Fable du Chardonneret
en liberté avoit déja répondu à ces nouvelles
vagues&abfurdes dans une autre Fable allégorique
intitulée le Chardonneret & l'Aigle.
Elle trouve naturellement ſa place dans
ce Journal. Les morceaux de ce mérite
font rares : on peut les regarder comme
une bonne fortune ,& nous nous emprefſons
d'en faire part à nos Lecteurs ,
Il vous fouvient de cette bonne Dame
Qui perdit fon Chardonneret ;
( 46 )
Pas fi bonne pourtant , puiſqu'elle l'enchaînoit ,
Et qu'un ardent courroux s'empara de fon ame :
Car je n'ai raconté que la moitié du fait.
Voici la fuite. On vint lui dire
Ce qu'avoit répondu l'Oiseau :
Que , d'un joug fi pénible échappé bien & beau ,
Il ne vouloit jamais rentrer ſous ſon empire .
Alors la Dame , hors de ſens ,
De bâtons fait armer ſes gens ,
Et des Chardonnerets jure la perte entiere.
Elle-même prend une pierre ,
Et court les affaillir dans l'épaiſſeur d'un bois ,
Où l'Oiseau , trop long- tems privé de tous les droits
De l'amour & de la nature ,
Etoit fêté des fiens , qu'avoit mis aux abois
Une captivité ſi dure.
La Dame avec ſes gens y retourna vingt fois ;
Vingt fois le peuple aîlé ſe moqua d'eux & d'elle.
Quelques nids cependant , atteints par la cruelle ,
Périrent avec les petits.
Ce dernier trait , helas ! paſſe toute croyance ;
Mais je l'ai lu dans maints écrits.
Femme dénaturée ! attaquer juſqu'aux nids ,
D'un innocent amour douce & frêle eſpérance !
Ah ! le Ciel te regarde , il faura t'en punir.
Le Ciel eut en effet horreur de cetre guerre ,
Où des milliers d'Oiseaux avoient tant à fouffrir.
L'Aigle , à qui Jupiter a remis ſon tonnerre ,
Deſcend vite les ſecourir.
L'Aigle fauve à jamais , & nids , & père , & mère ,
Enfin tout le pays , domiciles & gens ,
Que défoloit une mégere.
Et l'on oſe douter qu'ils foient reconnoiſſans !
On connoît mal leur caractère .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 10 Sept. au foir.
Le Lord Rodney eſt arrivé de Bristol en parfaite
ſanté : il appareilta de Corke à bord du Montagu
Jeudi dernier , & arriva à Kin'sgroad Samedi à midi;
il fut conduit à terre dans ſa chaloupe , & le ſoir il
yeut en fon honneur une illumination générale à
Bristol. Le Chevalier Charles Douglas n'eſt point
revenu avec lui : il a été en Amérique pour ſervir
en qualité de premier Ca itaine ſous l'Amiral Pigot.
En général tous les Officiers de l'eſcadre ſont trèscontens
que cet Amiral ait ſuccédé au Lord Rodney.
( 47 )
Au départ du Roebuck , ſorti de New-Yorck le
Io Août , on n'y avoit point encore entendu parler
de l'approche de l'Amiral Pigot : on l'attendoit journellenient.
M. de Vaudreuil étoit arrivé à la Chéſapeak
avec 13 vaiſſeaux de ligne. A cette nouvelle
on avoit affourché ſur la barre quelques tranſports
&autres petits vaiſſeaux chargés de pierres prêts à
dire coulés bas. Toute la côte de Long- Iſland , depuis
lapointe qui fait face à Sandy-Hook juſqu'au paſſage
intérieur le plus étroit, eſt bordée detroupes Hoffoites.
-Les troupes Françoiſes aux ordres du Comte de
Rochambeau ſont en marche de la Virginie pour le
nord. Le 17 Jaillet elles avoient paffé George-Town
fur la rivière de Potomack.
La lettre de Sir Guy Carleton & de l'Amiral Digby
au Général Washingthon , dans laquelle ils déclarent
que M. Grenville a été autoriſé à propoſer l'indépendance
des Etats - Unis , afin d'avancer le terme
d'une paix générale , a jetté les réfugiés dans la dernière
confufion. Ils ont auffi- tôt annoncé pour le
13 Août , à New-Yorck , une afſſemblée de deux ou
troisDéputés dans chaquejurisdiction , pour prendre
leurs affaires en conſidération ; & la Gazette Royale
de New - Yorck leur a donné le 7 l'avis ſuivant.
- Il eſt recommandé aux Loyalistes , en quelque
endroit qu'ils ſe trouvent , de ſuſpendre leur jugement
dans les circonstances importantes qui ſe préfentent
, & de reſter fermement attachés à la profeſſion
qu'ils ont faite de loyauté & de zèle pour
la réunion de l'Empire. L'indépendance des treize
Provinces , a été réellement propoſée dans une conférence
tenue à Paris pour une paix générale ; mais
juſqu'à ce que cette paix générale ſoit ratifiée , nous
ne pouvons pas ſavoir quel ſera le ſort de ce pays .
Ainſi la prudence & le devoir nous ordonnent d'attendre
avec conſtance l'iſſue des négociations , & de
compter ſur la capacité & le zèle de nos Commandans
en chef , qui ſont actuellement les meilleurs
garants de notre fûreté. Par cette conduite , nous
7:48 )
aurons un droit à la protection de l'Angleterre , &
autrement nous nous dégraderions aux yeux de nos
ennemis , fans en retirer le moindre avantage.
Le Gouverneur Franklin , qui vient d'arriver de
New-Yorck , a été proſcrit par le Congrès , qui a
promis une forte récompenſe à celui qui l'arrêtercit.
Son paſſage en Angleterre dans ce moment-ci ,
prouve que les négociations du Chevalier Carleton ,
relativement aux Loyalistes , ont été fort mal reçues
du Congrès , & que le Gouverneur Franklin ne ſe
croyoit plus en ſureté à New-Yorck. On prétend
qu'il eſt venu faire au Ministère des propoſitions
concernant les Loyaliſtes.
P. S. On apprend à l'inſtant que le tranſport le
Lively vient d'apporter des lettres de New-Yorck ,
datées du 19 Août; mais à cette époque le Congrès
-n'avoit point encore fait de réponſe aux propofitions
de paix du Chevalier Guy Carleton . - On aſſure
qu'on a envoyé à la Chancellerie pour y être ſcellée
la commiffion qui denne à ce Général le pouvoir
de traiter ſéparément avec les Colonies reſpectives.
:
:
Une petite eſcadre doit mettre à la voile pour
l'Afrique vers le milieu du mois prochain : elle fera
compoſée, dit- on , d'un vaiſſeau de so canons , d'un
de 44, & de deux ou trois frégates qui y reſteront
en ſtation pour balancer les forces que les Hollandois
ont envoyées dans cette partie du monde. -
Outre les deux régimens qui ont ordre de s'embar--
quer pour la côte d'Afrique , 150 malfaiteurs & 300
hommes de recrues ſeront envoyés à bord de l'eſcadre
qui doit appareiller pour cette partie du monde.
L'Amiral Parker doit ſe rendre dans l'Inde : il a
pris congé de S. M. , & il s'embarquera inceſ
ſamment.
Le projet qu'on avoit eu de remettre à flot le
Royal- George eſt aujourd'hui évanoui : on ſe contentera
de dépecer ſa coque ſous l'eau , pour empêcher
qu'elle ne forme un banc dans le port , &
l'on tâchera de pêcher ſes munitions.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 12 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ENVΟΙ
D'un Sabre demandé par un Ami.
VOU
:
ous plaire est mon voeu le plus doux.
Le voilà ce Sabre homicide,
Fait pour armer un fubalterne Alcide
Plutôt qu'un Sage comune vous.
** Eh ! qui donc voulez-vous pourfendre ,
Quand tous les coeurs vous font foumis ?
Pourquoi chercher à vous défendre .
Quand vous n'avez point d'ennemis ?
T
:
No. 41 , 12 Octobre 1782 .
so
MERCURE
MORALITÉ.
L'ESPRIT &labeauté ſont les Dieux qu'on encenſe,
Le coeur eſt éconduit , Plutus eſt préféré ;
Le ſentiment n'eſt plus qu'un vieux mot révéré ,
Une vertu gothique , un préjugé d'enfance.
( Par M. Boiſmorand , Officier au Régiment
du Roi Infanterie. )
LePapillon quifebrûle à la chandelle , Fable.
UNN Papillon voyant d'une chandelle
Briller le feu ,
S'approche d'elle ;
S'en éloigne , revient , puis répète ce jeu ,
Puis s'en approche davantage ,
Perd un bout d'aîle , & loin d'être plus ſage ,
Recommençant avec témérité ,
Dans la flamme enfin il s'élance ;
Et là , pour prix de ſa folle conſtance ,
Reçoit le fort qu'il avoit mérité.
Dans vos deſars toujours que la raiſon vous guide ,
C'eſt un rare talent que celui de jouir ;
Plus l'Amour est aimable &plus il eſt perfide,
Défiez-vous-en ſans le fuir.
(ParM. Knapen fils.)
DE FRANCE.
AIR de Daphné & Apollon , chanté par
Mile AUDINOT.
2
QUAND il nous peint une ro fe
naif- fan - te , Que le zé - phyr
ca ref- fe ten - dre - ment , Je
b
crains le fort de cet te jeune
A- man te , Et les dangers que
প
l'on court en ai- mant.
Sr le Zéphyr , amoureux de la roſe,
La rend ſenſible à ſes tendres ſoupirs ,
Plaignez fon fort: elle eſt à peine écloſe ,
Que l'inconſtant vole à d'autres deſirs.
( Paroles de M. Pitra , Muſique deM. Mayer.)
Cij
52 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'énigme eſt Protée ; celui du
Logogryphe eſt Clavecin , où se trouvent
vin , ane , Calvin , Nice , levain , cave ,
Elie ( le Prophète ) , vain , laie , ( femelle du
fanglier ) vélin,
M
ÉNIGME.
A foeur me doit ſon exiſtence ,
Je ſuis ſon unique ſoutien ;
Mais elle a fur mon être une égale puiſſance ,
Et fans elle je ne ſuis rien,
A notre ſeule reſſemblance
Nous devons tout notre agrément.
Malgré le noeud qui nous joint conſtamment ,
Nous nous tenons affez communément
Aquatre , cinq ou fix pieds de diſtance ;
Un eſpace plus grand ne peut nous ſéparer ,
Sinon , lorſque de nos coufines
Une ou deux s'avançant pour être nos voiſines ,
A Entre nous viennent ſe fourrer.
Tantôt je ſuis docile à la voix qui m'appelle ;
Tantôt je ſuis d'humeur diſcourtoiſe & rébelle.
Peu compatible avec la liberté ,
Par fois je permets la licence ;
:
こ
DE FRANCE. 53
Les Grecs & les Romains ignoroient ma beauté.
Autrefois un mortel très- connu dans la France,
Aqui j'avois long temps prodigué mes attraits ,
Memanqua de reconnoiſſance ,
Et voulut d'ici-bas me bannir à jamais.
Hélas ! des plus rares bienfaits
Telle eſt ſouvent la récompenfe.
(Par M. N.... d' Arras , Auteurdu Logogryphe
Piſtolet , inféré dans le Mercure du 7 Septembre. )
JE
LOGOGRYPΗ Ε.
E vaux beaucoup ou ne vaux guère ,
Selon le maître que je fers .
Le Poëte , pour l'ordinaire ,
Ne m'enrichit que de ſes vers .
Le Banquier , oh ! c'eſt autre choſe ,
Je garde volontiers ſa proſe :
Elle vaut au porteur ſouvent
Une bonne fomme d'argent.
Chez les Grands , on voit un gros Suiffe ,
Nuit & jour , en titre d'office ,
Préſider à mes cing premiers ;
A l'égard de mes ſept derniers ,
Attendez quelque temps encore ;
Auſfitôt que l'amant de Flore ,
Vainqueur des fougueux Aquilons ,
Viendra régner dans ces vallons ,
Ciij
54 MERCURE
Pour orner le frêne & le hêtre ,
Ses foupirs les feront renaître.
( Par M. M*** de V. C. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ÉCOLE des Pères , Comédie en trois Actes
& en vers , par M. de Saint- Ange ; Pièce
⚫refuſée par les Comédiens François le
30 Juillet 1782 .
Frange , mifer , calamos vigilataque pralia dele.
AParis, chez la Veuve Ducheſne, Libraire,
rue S. Jacques , 1782. in-8 .
Nous demandens d'abord la permiffion
de faire une choſe qui ne fatisfera perſonne ,
c'eſt de ne point prendre de parti entre les
Comédiens qui ont refuſé cette Pièce , &
l'Auteur qui ſe plaint de ce jugement.
Voici ce que dit l'Auteur dans un Écrit
préliminaire , intitulé : Préface très- courte
&très-néceſſaire.
" Cette Pièce a été achevée à la fin de
1779. Ce n'est qu'au mois de Juin de
>> l'année 1781 , que l'Auteur a pu parvenir
» à la faire inſcrire pour être lûe. De cette
>> époque au jour de la lecture , il s'eſt
ود écoulé un an&plus. Enfin , cette lecture
>> a eu lieu. Il n'y avoit au Comité ni MM.
>> Préville , Molé , Briſard , de la Rive , ni
DE FRANCE.
55
ود
> Mlles Sainval , Raucour , Thénard , Veſtris.
L'Auteur n'a eu pour lui que deux voix ,
celle de Mlle Fannier & celle de Mile
>> Doligny , & il croit devoir exprimer ici
> combien il a été flatté du ſuffrage de ces
>> deux Actrices célèbres. L'exactitude l'o-
>>blige de dire avec reconnoiffance qu'il a
» eu une troiſième voix , celle de M. Van-
» hove , & deux autres à correction . »
(L'Auteur attribue ces deux voix à Mlle
C. *** & à Mile la Gh . ***. )
" On n'ajoutera point ( c'eſt toujours
l'Auteur qui parle , ) de réflexions à cette
>> courte expofition des faits. On s'en rap-
>>porte à ceux qui , connoiffant les difficul-
>> tés de l'Art , & ſachant l'eſprit de parti
>> qui dirige l'opinion de quelques Gens de
>> Lettres en crédit ſur les productions des
>> jeunes Écrivains , peuvent fentir par eux-
>> mêmes combien il importoit à l'Auteur
d'être jugé immédiatement par le Public.
>> eſt bien dur à un jeune homme , qui
» n'a pour toute fortune que quelques dif-
>>poſitions aux talens de l'eſprit ,detrouver
ود à l'entrée de ſa carrière un obſtacle in-
>> vincible à tout avancement. » :
Suit un Envoi en vers à Mlle Fannier ,
dont on peut obſerver que le ſuffrage étoit
abſolument déſintéreſſé ; car il ne paroît pas
qu'il y eût de rôle pour elle dans la Pièce;
l'Auteur s'acquitte envers elle par de juftes
éloges ; mais ces complimens à des Actrices
ont toujours le tort & le malheur de rouler
Civ
56 MERCURE
دمحم
fur les mêmes idées , & le tort & le mallieur
encore plus grands de rappeler la délicicufe
Épître de Mi, de Voltaire à Mile Goffer, en
lui envoyant Zaïre.
Après la Pièce on trouve le Poft-fcriptum
fuivant.
८८
"Voilà la Pièce qui a été refuſée d'une
» voix preſque unanime. Et l'Aureur , qui
» eſt jeune , n'a d'autre reſſource que fes
" foibles talens. Et l'on a reçu , & l'on re-
» çoit , & l'on joue tous les jours...... Je
* m'arrête ! Non equidem invideo , miror
" magis. Mais vous, Lecteurs honnêtes &
» éclairés , qui prenez aux Cuvrages de
» l'eſpritun intérêt qui paſſe juſqu'à l'Au-
>> teur , pouvez- vous n'être pas révoltés , &
" ne pas gémir ſur le ſort des talens ? >>
Nous ajouterons, ſans approuver ni condamner
ces plaintes , & fans toucher le
moins du monde au fond de la queſtion ,
que M. de Saint- Ange eft , parmi nos jeunes
Poëtes , un de ceux qui méritent le plus d'encouragement
; qu'il a fait preuve d'eſprit ,
de talent & de goût, ſoit dans la Traduction
des Métamorphofes & dans les notes
qui l'accompagnent , foit dans d'autres Ouvrages
; que toutes les préventions devoient
être & étoient fans doute en ſa faveur.
* Voici quel eſt le ſujet de la Pièce. Alcipe
& Ariſte, deux amis , vivans à la campagne ,
l'un affez riche , l'autre pauvre , mais content
&heureux , ont été pères en même temps ;
Alcipe a cu un fils nommé Germeuil, Arifte
DE FRANCE. 57
une fille nommée Angélique. La femme
d'Ariſte étant morte en accouchant d'Angelique
, Ariſte jugea que ſa fille feroit mieux
élevée par Floriſe , femme d'Alcipe , que par
un homme , & il ia remit à fon ami ; mais
ce motif, qui pourroit être affez raifonnable,
n'eſt peut- être pas affez nettement expoſé,
ou du moins affez développé dans la
Pièce. Alcipe , de fon côté , confie Germeuil
à Arifte , pour le fauver , dit- il , des excès de
l'amour maternel ; mais les excès de l'amour
maternel ne peuvent- ils pas être à craindre
aufli pour une fille ?Une autre raifon d'Alcipe
, pour faire cet échange avec Arifte ,
eſt que fon fils , élevé dans l'opulence , auroit
pu prendre tous les vices du luxe , qu il
regarde apparemment encore comme plus à
craindre pour un jeune homme que pour
une jeune fille. Quoi qu'il en ſoit , les deux
pères s'applaudiſſent de leur échange , dont
ils ont fait myſtère juſqu'alors à Floriſe , qui
ſe croit mère d'Angélique , & qui croit , ainſi
que tout le monde , Germenil fils d'Ariſte.
Germeuil & Angéliqué s'aiment ; mais Florife
, qui a de la vanité , deſtine Angélique à
Damis , homme de Cour , & fils d'unhomme
puiſſant , auquel Alcipe & Floriſe ont d'ailleurs
de l'obligation . Damis , vicieux & ridicule
, eſt incapable d'aimer Angélique
mais il conſent à l'époufer pour ſa fortune;
ce n'eſt nullement le projet des deux pères,
qui ont choiſi ce jour pour révéler à Florife
le grand fecret de l'échange. On fent bien
,
Cv
$8 MERCURE
qu'Angélique , devenant fille d'Arifte , &
pauvre par conféquent , ne paroît plus à
Damis un objet digne de ſes voeux; mais
Germeuil , qui l'a toujours aimée , l'obtient
aifément d'Ariſte; & Florife , charmée d'avoir
un fils , & un fils pour qui elle s'eſt toujours
ſenti de l'inclination ſans en ſavoir la
cauſe , conſent aiſement à lui donner pour
femme une perſonne qu'elle a fi long- temps
crue ſa fille.
Tel eſt le cannevas que l'Auteur avoit à
broder. A t'il réuſſi ? Quel eſt le mérite de
ce ſujet ? Comment est-il traité ? L'Auteur
a-t'il tiré de ce ſujet , bon ou mauvais , tout
le parti qu'il en pouvoit tirer ? Les choſes
font- elles à leur place? Les événemens arrivent-
ils à temps ? Produiſent- ils tout l'effet
qu'ils doivent naturellement produire ? Les
fituations font- elles ou auſſi comiques ou
auſſi touchantes qu'elles pouvoient l'être ?
Les caractères ſont- ils vrais , développés ,
foutenus ? Les gens de la Cour retrouverontils
le ton d'un petit- maître de Cour dans
Damis ? Les gens du monde trouveront-ils
la gaîté d'Arifte d'un bon ton ? Les gens qui
connoiffent le Théâtre trouveront- ils dans
cette Pièce ce vis comica qui manquoit à
Térence , ou cette élégance , ce goût , certe
connoiſſance des hommes qu'il poſſédoit
dans un ſi haut degré ?
L'Auteur , qui certainement fait écrire en
vers , & qui a fait ſes preuves , a- t'il employé
le ftyle & les idées convenables au
DE FRANCE.
59
genre dans lequel il s'exerce pour la première
fois ? Enfin , a- t'il fait une bonne ou
une mauvaiſe Comédie ? C'eſt ſur quoi nous
avons demandé la permiffion de ne pas nous
expliquer, appel du jugement des Comédiens
eſt porte en forme au tribunal du
Public ; nous attendrons avec reſpect ſa
déciſion.
Nous nous bornerons ici à faire fur des
détails ſans conféquence , quelques obſervations
indifferentes , comme nous en ferions
fur des morceaux de la Traduction des Métamorphofes
, ſans en tirer aucune induction
pour ou contre le mérite de l'Ouvrage
total.
Les traits de poéſie trop marqués , les
comparaiſons , les allégories ou métaphores
continuées ne conviennent pas à la Comédie.
M. de Voltaire , en parlant de deux jeunes
amans , deftinés l'un pour l'autre , s'eft
permis de dire:
Plantés exprès , deux jeunes arbriſſeaux
Croiſſent ainſi pour unir leurs rameaux.
M. Marmontel , en ſe repréſentant dans
fa jeuneſſe comme l'élève de M. de Voltaire
&de M. de Vauvenargues , a dit :
Tendre arbriſſeau , planté ſur la rive féconde ,
Où ces fleuves mêloient les tréſors de leur onde,
Mon eſprit pénétré de leurs fucs nourrifſans ,
Sentoit développer ſes rejetons naiſſans.
Mais M. Marmontel écrivoit une Épitre,
Y
Cvj
601 MERCURE
il pouvoit y mettre autant de poéſie qu'il
vouloit , & certainement il en a mis beaucoup
dans ces quatre vers .
M. de Voltaire écrivoit une Comédie , il
ne lui étoit peut- être pas permis d'être ti
riche ; auſſi voyez comme cet homine de
goût paſſe légèrement fur ce léger défaut ,
comme il craint d'y peſer , comme il lance
pour ainſi dire ce trait , & s'enfuit derrière
les faules ! comme il ſemble avoir honte
d'être fi beau.
M. de Saint - Ange , en diſant les mêmes
chofes , paroît ſe complaire dans ſes beaux
vers; il infufte, il prolonge fon allégorie&
ſa comparaiſon.
Pour ces heureux enfans , quel aimable préſage !
Tels deux tilleuls , plantés ſur le même rivage ,
Careſſés du même air , baignés des mêmes eaux ,
Aiment à marier leurs dociles rameaux.
Telle à leurs jeunes coeurs , &c.
Nous ne relevons point la petite équivoque
de ces mots : du même air; mais en général
ces vers nous paroiffent avoir le beau
defaut d'être trop poétiques pour la Comédie
, ſur tout dans une ſimple expoſition .
Un petir gentillâtre .....
Qui , vieux & fans fortune en ce triſte ſéjour ,
Ofe encore être heureux plus qu'un homme de Cour.
Ce trait ne nous paroît pas d'un goût aſſez
pow . Il y a des fentimens qu'on a au fond de
DE FRANCE. 61
fon âme, mais qu'on n'exprime jamais. L'art
du Poëte dramatique dans ce cas , eſt de faire
exprimer ce ſentiment par un tiers. Amfi ,
quand M. de Voltaire dit, dans fon Epitre
fur l'égalité des Conditions :
Un fimple Colonel a ſouvent l'impudence
De paſſer en plaiſirs un Maréchal de France !
C'eſt un Poëte Philoſophe qui parle , il a
le droit de faire cette obſervation.
Mais lorſque dans Nanine , il fait dire à
la Baronne :
A qui va- ť'elle accorder la beauté ?
C'eſt un affront fait à la qualité.
il exprime un ſentiment qui eſt dans le
coeur de la Baronne , à ſon inſcu peut- être ,
& que dans aucun cas elle ne doit exprimer
elle- même ; il falloit le mettre dans la bouche
d'une Soubrette maligne ou d'un Philoſophe
pénétrant, qui l'auroit apperçu dans le
ecoeur de la Baronne. C'est ainſi que dans
Tartuffe , Dorine dit à Cleante des traits de
l'enthousiasme d'Orgon pour Tartuffe , qu'Oronte
, quoiqu'il faffe gloire de cet cathoufiafme
, n'auroit pas pu exprimer lui-même
de la même manière.
On pourra trouver encore que Florife
traite Arifte comme une autre Florife traite
un autre Arifte dans le Méchant , & qu'en
général elle roffemble à cette aure Floride
par un certain mélange de légèrere & whonnêteté.
On a jugé aufli qu'elle fembloit quel62
MERCURE
1
quefois ſe démentir. L'Auteur ne ſe rend pas
à cette objection , mais il la trouve ſpécieuſe
; ne pourroit on pas trouver auſli que
Damis , qui n'a que des airs , & qui n'eſtime
que les airs , ne doit pas dire d'Angelique :
Sa modeſte beauté charme au premier coup-d'oeil !
Il n'eſt pas digne de ſentir le prix de la
modeſtie .
D'un tas de parchemins l'orgueilleuſe chimère
N'eſt bonne qu'à nourrir ou les fots ou les rats ;
Mais un bon coffre- fort , des terres , des contrats ,
Plus précieux cent fois qu'une antique liaſſe ,
Des plus illuftres noms font proſpérer la race.
Ces vers de la Pièce ſont accompagnés de
la note ſuivante :
« Un des bulletins a objecté pour motif
>> de refus la prétendue reſſemblance de cette
>>> tirade avec ces vers du Glorieux :
Et j'ai dans mon pupitre
Des billets au porteur dont je fais plus de cas ,
Que de vieux parchemins , nourriture des rats .
وو
ود
• Ce n'eſt point-là une reſſemblance , c'eſt
>> une de ces penſées- proverbes qui appar-
>> tiennent à tout le monde, & qui n'appartiennent
à perſonne. La ſeule manière de
les exprimer en fait tout le mérite ; l'Au-
>>teur oſe croire que dans cette rencontre
Deſtouches n'a pas ſur lui l'avantage.
Deſtouches nous paroît l'avoir dans une
Comédie , où ce trait, d'ailleurs plus court
DE FRANCE. 63
:
&jeté en paſſant , devient dans la bouche
de Liſimon un trait de caractère contraſtant
avec le Glorieux. M. de Saint - Ange auroit
peut- être l'avantage dans une Satyre ou dans
une Épître. Nourrir ou les fots ou les rats ;
les parchemins ne nourriffent pas les fots
de la même manière qu'ils nourriffent les
rats. Cette faute eſt légère; mais enfin elle
n'eſt pas dans Deftouches.
On peut trouver encore à la page 39 , la
plaifanterie du tabouret & du fauteuil , empruntée
de la Comédie des Moeurs du Temps.
Peut - être Angélique , quoiqu'élevée à la
campagne, ne doit elle pas demander ſi un
Jockei & des Coureurs ſont encore des chevaux.
Mais la définition qu'en fait Damis
eſtbien,& en elle- mêine & dans le caractère
de l'homme , ce dernier vers fur-tout :
Renvoyé s'il vieillit , & remplacé s'il crêve.
eft d'une précifion énergique ; il rappelle ,
(ce qui eſt un mérite, d'un genre à un autre)
ces trois beaux vers que dit Mefſala dans
Brutus :
Nous ſommes de leur gloire un inſtrument fervile ,
Rejeté par mépris , s'il devient inutile ,
Et briſé ſans pitié s'il devient dangereux.
Les emplois ſont à ceux qui les ont mérités ,
2
eſt encore un vers plein de fens , & on en
pourroit citer pluſieurs de ſemblables ; mais,
encore un coup , nous ne voulons rien prononcer
fur le mérite général de l'Ouvrage.
64 MERCURE
:
P. S. L'Auteur nous prie d'avertir les
Lecteurs de quelques fautes d'impreffion qui
ſe font gliffees dans ſa Pièce.
Page 11 , dernier vers , Et nous aurons ,
lifez: & nous l'aurons .
Page 16 , vers , après ces mots : Il est
brave & modefte , ajoutez ce vyers entièrement
omis :
Va, va , raffare- toi , l'âge fera le reſte .
Page 31 , premier vers , En vérité ces
mots, lifez: des airs .
Page 52 , après le ſecond vers , Alcipe ,
lifez : Germeuil.
HOMMAGE Littéraire d'un Noble Citoyen
François aux Souverains du Nord. A Paris ,
chez Guillot , Libraire de MONSIEUR ,
Frère du Roi , rue de la Harpe. in-4°.
Prix , 4 liv. 10 fols.
M. l'Abbé de Luberſac , Abbé de Noirlac ,
& Prieur de Brive , eſt déjà connu par un
Ouvrage fur les Monumens publics de tous
les âges du monde, dédié au Roi Louis XVI ,
lors de ſon avenement à la Couronne , &
imprimé au Louvre par les ordres de Sa
Majefté. L'Écrit qu'il vient de publier renferme
notamment deux Diſcours adreſſes à
l'Académie Impériale des Sciences de Saint-
Pétersbourg.
Le premier Diſcours traite de l'utilité &
des avantages que les Princes peuvent retirer
de leurs voyages , en parcourant les monuDE
FRANCE. 69
:
mens publics dans tous les genres.On y trouve
un coup d'oeil fur tous les établiſſemens
qu'on doit aux foins bienfaiſans de l'Impé
ratrice Catherine II ;& à la fuite,la defcrip
tion d'un monument public , dont l'Auteur
donne le plan à la gloire de cette Souveraine
fi célèbre à tant de titres.
Lefecond Difcours offre les tableaux des
Voyages en France du Czar Pierre I, des Rois
de Suède & de Danemarck , de l'Empereur
Joſeph II , de Leurs AA. II. le Grand Duc &
la Grande- Ducheſſe des Ruffies ; enfin le
Volume eſt terminé par le récit de la récep
tion qu'on leur a faite à la Cour de Verſailles,
chez les Princes du Sang de France &dans
1a Capitale.
: Nous ne ferons point l'analyſe de ces deux
Difcours , qui nous meneroient trop loin ;
d'ailleurs , les titres ſeuls en font connoître
le plan. Il nous ſuffira de dire que l'Ouvrage
entier reſpire l'amour du patriotiſme & de
l'humanité. M. l'Abbé de Luberſac a de l'élévation
& des idées. Nous allons prendre au
haſard un morceau de ces Diſcours , pour
que nos Lecteurs puiffent juger la manière
dont ils font écrits .
ود
" Des atteliers , des manufactures en tout
>> genre & de première néceſſité , nourrifſent&
couvrent un peuple immenfe , que
les arts , l'émulation & la rivalité ont arraché
à l'oiſiveté , & par conféquent aux
crimes & aux moeurs atroces ; tout s'agite ,
>> tout s'anime dans cette vaſte partie du
"
ود
ود
66 MERCURE
ود
>> monde; chaque individu s'efforce de payer
ſon contingent à la patrie qui le nourrit ,
» & concourt à l'état floriſſant qu'elle ac-
>> quiert chaque jour .
>>D'autre part , le commercee ,, enfant de
>> l'Agriculture , ſe portant par une pente
>> naturelle , vers les lieux qui ſecondent ſes
"
ود
vûes & favoriſent ſes travaux , a déjà
>>fait les progrès les plus rapides. Tous les
» ports de mer de l'Europe ne ſont plus
étonnés de voir le Moſcovite fréquenter
>>ſes foires , rivaliſer avec les Nations commerçantes
, entrer même en concurrence
> avec les plus habiles , les plus opulens
» Négocians .
ود
ود Bientôt Pétersbourg , Riga , Revel
» Cazeau , Aſtracan , Azoph , le diſputeront
>> aux villes les plus commerçantes. Des
Chambres de Commerce ont été établies
>> dans les lieux qui en font fufceptibles.
ود L'on vient même d'en ériger juſques à
>> Tobolsk , capitale de la Sibérie. Conſtan-
>> tinople , cette orgueilleuſe ville , a été
ود
20
forcée de ſe prêter à l'établiſſement d'un
Conful Ruffe. On a fait de même dans
toutes les Échelles du Levant & fur les
côtes de la mer Noire; point d'Iſle dans
>> l'Archipel & dans la mer Adriatique qui
>>- ne ſoit en correſpondance avec l'Empire
Ruffe. Un canal deſtiné à réunir la mer
>>Baltique à la mer Noire , à la mer Caf-
>> pienne & à la mer Glaciale , fait circuler.
م les denrées&les marchandises du centre
DE FRANCE. 67
➡ à la circonférence , & de la circonférence
» au centre ; des travaux immenfes font en-
>> trepris pour détourner le cours de la
>> Dwina , qui , par ſes irruptions , ravageont
» Riga & ſes environs ; des digues font op-
• poſées à ce torrent rapide , & Riga n'en
>> devient que plus floriſſante , que plus
>> belle , & les Citoyens qui l'habitent plus
>> tranquillés. C'eſt ainſi qu'après avoir op-
> pofé des digues redoutables aux paffions
>> humaines , Catherine en élève contre les
» élémens même, qu'ils ne pourront ni fran-
>> chir ni renverſer. Une infinité d'autres
villes malheureuſes , détruites par la fou-
>> dre , ou incendiées par des caufes fecon-
2 des que l'oeil vigilant de la police ne peut
>> jamais prévenir ni arrêter , font auffitôt
> reconftruites des deniers du tréſor de l'Em-
>> pire. O Citoyens de Toula , de Cafan ,
ود de Dergebourg, de Derpt, de Stararonna ,
>> de Largopol , de Serpouchow , de Tor-
>> giok , d'Aſtracan , de Biolorod & d'une
ود infiniré d'autres Bourgades , c'eſt vous qui
>> pourriez nous dire à corabien de millions
>>- de roubles ſe moarent les bienfaits que
>> votre Auguſte Mère a verfés dans vos
Contrées pour réparer les ravages que les
» élémens ont faits fur vos habitations ! »
ود
Le ſtyle de M. l'Abbé de Luberſac eſt vif
& animé ; mais l'amour des grandes idées
le rend quelquefois emphatique. Nous ne
croyons pas que le goûr puiſſe admettre cette
phraſe qu'on va lire , & qui termine fon
68 MERCURE
premier Difcours. Après avoir dit que la
Nation Rufle érigera fans doute à ſon illuftre
Souveraine un monument , un temple après
fa mort , l'Orateur ajoute : " Mais que pour
» célébrer encore avec plus de pompe la
>> gloire de cette grande Souveraine , les
» Dieux même de l'Olympe abandonnent
» leur ſéjour céleste , qu'ils ſe rendent au
" portique de ce majestueux temple , qu'ils
>> y depoſent à ſes pieds leurs fceptres &
> toutes les marques diſtinctives de leur
» puiffance , en ſe déclarant même ſes pro-
>>pres ſujets. »ود
Les Dieux de l'Olympe n'avoient point
affaire ici . Ce n'eſt pas là l'éloquence vraie
d'un Orateur ; c'eſt l'enthouſiaſme furanné
d'un jeune Poëte.
Nous ne ſuivrons pas l'Auteur dans ladefcription
des fêtes qu'on adonnées à Monfieur
&à Madame la Comteſſe du Nord à Chantilly
, après un Divertiſſement Villageois
exécuté devant eux à la ſuite de l'Ami de
la Maison. M. Laujon leur fit chanter des
Couplets. Nous allons en citer quelquesuns
, tant parce qu'ils font agréables , que
parce qu'ils n'ont encore paru dans aucun
Recueil ni dans aucun Journal.
Air des Écoffeuſes , ouj'aimois ville du Rozier.
THÉRÈSE.
Y A CHEUX nous deux Voyageurs
Qui plaiſont à tous les coeurs ;
DE FRANCE. 69
Çan'est pas nouveau pour eux;
Ce partage heureux
S'attache à tous deux ;
Avant d'les voir j'en doutions ,
En les voyant , j'y croyons .
Le maître & l'père à nous tous
En eut l'plaifir avant nous ;
D'accord avec ſa moitié ,
Il leur a marqué
Tout plein d'amiquié.
Il l' -s-a vus , mais moi j'les voi ,
M'v'la content' comme un Roi.
?
QU'EST- C ' que l'plaifir d'les voir ,
Près ſtila d'les recevoir ?
J'pourrions citer un Seigneur
Dont ça remplit l'coeur
D'un nouveau bonheur.
Après , quand faudra s'quitter ,
Qu'à ſon coeur ça va coûter !
A CHAQUE pas ils doublont
L'nombre de ceux qui l's aimont;
Sur ça s'ils écrivont tout ,
Quoiqu ça fait beaucoup ,
Ils n'font pas au bout ;
Leurs coeurs avant la ſaiſon
Chaque jour font leur moiſſon.
:
70
MERCURE
MOI , j'croyois que les chaleurs
Formiont tout l'éclat des fleurs ;
J'crois qu'ils n'v'nont nous trouver
Que pour nous prouver
( Ça donne à rêver )
Qu'il naît au ſein des frimats
Des fleurs pour tous les climats.
EXAMEN critique du Militaire François ,
Suivides principes qui doivent déterminerfa
conflitution,fa difcipline &fon inſtruction ,
par M. le Baron de B. AGenève , & ſe
trouve à Paris , chez Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue des Grands - Auguſtins. 3
Vol. in- 8 .
Le progrès des connoiſſances, en rectifiant
les principes , influe néceſſairement ſur
le ſyſtême des Nations. Mais en vain les
cabinets politiques regardent - ils le repos
combiné comme le chef-d'oeuvre de leurs
moyens , fi les cabinets militaires n'en profitent
pas pour la perfection des leurs?
Le long repos qui a ſuivi la dernière paix ,
& qui , malgré l'état actuel , peut être regarde
comme durant encore pour les Troupes
de terre , avoit laiſſe le temps de déterminer
la conſtitution , de perfectionner la
diſcipline , & de fixer enfin les moyens trop
incertains de l'inſtruction militaire , toujours
imparfaite.
On n'a épargné cependant ni la diſcuſſion
DE FRANCE.
71
niles eſſais . La lumière n'eſt ſortie nidu choc
des opinions ni de l'épreuve des moyens ; &
le militaire s'eft vu partagé entre l'inutilité
de l'ignorance aveugle , & le danger de la
ſcience paradoxale. Mais Frédéric , terrible à
la guerre , actif dans la paix , offroit à l'Europe
, fatiguée de ſes ſuccès , ou étonnée de
ſes moyens , l'armée la plus nombreuſe & la
mieux organiſée. L'imitation ſemble facile :
il a fallu adopter ou combattre; l'eſprit de
parti s'eſt emparé de toutes les claſſes du
militaire, & l'on n'a vu éclore que des eſſais
diſparates &des ouvrages polémiques.
Dans cet état d'incertitude & de criſe , le
titre de l'Ouvrage que nous annonçons femble
promettre & le tableau des erreurs , &
l'indication des vrais principes.
Le premier Volume traite de la conſtitution.
Sa table en renferme avec ordre tous
les détails. Près des abus , ſe trouve toujours
le correctif , indiqué ſouvent d'une manière
très-fuccincte. On peut dire même que ſi
l'Auteur ne s'eſt pas réſervé d'étendre & de
démontrer un grand nombre de ſes moyens
de ſubſtitution , il n'en a regardé l'indication
que comme une tâche à remplir pour préſenter
l'ordre de la réforme. Ce reproche , ſi
c'eneſt un , ne tombe pourtant point ſur les
Chapitres eſſentiels. Ceux de l'organiſation
&de la comptabilité préſentent les réſultats
les plus fatisfaiſans ; & , quoique l'Auteur
ne donne pas le tableau comparatif de l'état
actuel de la guerre avec celui de ſa nouvelle
1
72 MERCURE
conftitution , on pourroi affurer , ce qu'il
auroit peut- être dù rendre évident , que fon
numeraire de 230,107 hommes , au lieu de
128,165 , état actuel , ſeroit entretenu ſans
augmentation de dépenſe, malgré celle des
appointemens des Officiers & de la folde de
toutes les Troupes. Cette affertion , qui
n'eſt qu'un paradoxe au premier apperçu ,
devient raifonnable & preſque demontrée
par tous les moyens quel'Auteur propoſe &
difcute. Dans ceux qui luifont le plus d'honneur
, parce qu'ils font entièrement neufs , il
faut remarquer fur- tout le projet d'une ban
que militaire , qui , déchargeant le Roi du
_poids énorme des penfions , toujours abufives
par leur excès ou par leur diftribution,
affureroit , par une retenue que l'augmen
ration des traitemens ne rendroit point onéreuſe,
un état de fortune à la longueur & à
l'activité des ſervices. L'Auteur fixe certe
retenue à un cinquième des appointemens ;
elle s'accroîtroit de l'intérêt fucceffif; & au
moment de la retraite de chaque Officier ,
la moitié de ſon capital ainſi formé lui ſeroit
payée comptant ; en cas de mort , à ſa veuve
ou à ſes enfans ; l'autre moitié lui formeroit
une rente viagère à dix pour cent. Les calculs
de l'Auteur prouvent que PfOfficier particulier
, après un fervice de 30 ans , & un
avancement progreffif d'ancienneré, recevroit
une fomme de 10,956 17. 3 fols 6 den.
& jouiroit d'une penfion de 1,095 liv. 126.
4den. Un Lieutenant-Général employé , &
parvenu
DE FRANCE.
73
parvenu à ce grade par une marche priſe
pour terme moyen , recevroit à 61 ans , un
capital de 131,201 liv. 10 fols , & une penfion
de 13,120 liv. 3 ſols ; ce qui excède le
traitement actuel d'un Maréchal de France.
Ce projet, fait pour exciter l'enthouſiaſme ,
donneroit enfin à la profeſſion des armes ,
que la conſtitution nationale affigne exclufivement
à la claſſe de l'État la plus diſtinguée
& la moins riche , une conſiſtance néceſſaire
pour la foutenir.
LeChapitre Difcipline eſt ſagement écrir.
L'Auteur cherche plutôt les cauſes des défordres
que les moyens de les punir. Le but
de la légiſlation eſt de les prévenir ; & la difficulté
de perfectionner le code pénal annonce
toujours l'infuffiance ou le vice de
la conftitution. Il en faut un pourtant ; l'Auteur
cherche à le déterminer. Ce Chapitre
tient néceſſairement à une grande diſcuſſion
morale. L'Auteur combat ouvertement les
principes actuels. Quoique les ſiens nous paroiſſent
fondés ſur de grandes vûes d'humanité
& d'harmonie générale , nous n'entreprendrons
pas de décider une queſtion auſſi
délicate.
Le premier Volume eſt terminé par le
projet d'une Académie Militaire ; établiſſement
bien deſirable s'il pouvoit faire naître
l'ordre dans les diſcuſſions , ramener par- là
aux vrais principes , développer les talens
qui ſont étouffés par le défaut d'émulation,
& fournir les moyens de difcerner
No. 41 , 12 Octobre 1782 . D
74 MERCURE
le vrai mérite pour le récompenfer en l'employant.
Les ſecond & troiſième Volumes , qui forment
la ſeconde Partie de l'Ouvrage , traitent
de la formation , des manoeuvres & de
l'inſtruction des différentes armes. L'Auteur
commence par l'Infanterie ; il adopte l'ordre
François préférablement à l'ordre Pruffien.
Il eſt certain que ni l'ordre profond ni
l'ordre mince ne peuvent être excluſifs . Que
l'un ſoit généralement préférable, il n'en eft
pas moins vrai que les circonſtances particulières
obligeront à employer l'autre. « Il
ود l'eſt done auſſi que , pour avoir le ſyſtême
>> de manoeuvre le plus complet , il faut
>> trouver les moyens de paſſer avec le plus
>> d'ordre & de célérité poſſibles de l'ordre
» mince à l'ordre profond , & de l'ordre
>> profond à l'ordre mince. »
Décidé pour l'ordre François , l'Auteur y
plie l'organiſation de l'Infanterie. Il paffe
enfuite aux détails de l'inſtruction du Soldat ;
&s'il y préſente des idées neuves qui auroient
beſoin d'être diſcutées & vérifiées avec
foin , il faut convenir qu'on y trouve beaucoup
de réflexions trop négligées , quoique
les apperçus en ſoient très juſtes.
La Cavalerie , dénomination générique
ſous laquelle l'Auteur comprend les différentes
Troupes qui compoſent cette arme ,
(car il n'entre point dans les détails particuliers
aux Troupes légères , ) y eft traitée ,
quant aux manoeuvres , avec plus de ſoin
DE FRANCE. 75
encore que l'Infanterie. Tout le troiſième
Volume eſt conſacré à développer les détails
d'inſtruction des hommes & des chevauxs
Le Chapitre douzième , qui le commence
renferme une théorie de l'équitation auffi
fatisfaiſante qu'elle est neuve. L'Auteur n'eſt
pas ſeulement Écuyer , il eſt Écuyer Militaire.
Il rejette tout- à- fait les airs elevés des
manèges , & ſe bornant aux allures naturelles
& à quelques foupleſſes néceffaires , il
dépouille le charlataniſme d'une nomenclature
recherchée , il ne veut former que
le cheval utile , & il détermine la progreffion
de fon inſtruction comme de celle du Cavalier.
Tous ces détails ne laiſſent rien à de
firer quant à l'ordre , à la préciſion & à la
juſteiſe de l'enſemble .
au
L'Ouvrage eſt terminé par la Table des
Ordonnances à faire pour ſe conformer
ſyſtême général. Si le tableau en paroît effrayant
par le nombre , qu'on fonge à toutes
celles qui ont été faites fur chacun des objets
relatifs au Militaire , pour former &
détruire , pour rétablir afin de changer encore
, & l'on concevra le beſoin d'en voir
ſortir à la fois aſſez pour établir un ordre
quelconque , mais tel au moins qu'il puiſſe
s'améliorer par la permanence.
Cet Ouvrage doit néceſſairement éprouver
des contradictions , & donner lieu à des
diſcuſſions nombreuſes. Si l'on y met le
même ordre & la même ſageſſe que nous
louons dans l'Auteur de cet Examen , il aura
D1
76 MERCURE
le mérite d'avoir produit une révolution
dans la Littérature Militaire , en éclairant
une marche ſyſtématique par embarras , &
polémique ſans fruit.
AMINTE , Pastorale du Taſſe ,ſuivie d'un
Intermède. Nouvelle Traduction en vers ,
avec le texte. A Londres , & ſe trouve à
Paris , rue de la Harpe , près de la rue
Serpente.
L'AMINTE du Taſſe eſt à peu- près auſſi
connu que il Pastor Fido. Il parut ſur le
Théâtre de Ferrare en l'année 1573. Le nouveau
Traducteur a joint à cette Paſtorale un
des Intermèdes que l'Auteur avoit compofés,
& qui n'ont paru que dans ſes OEuvres
Pofthumes. Il ne s'agit point ici d'analyſer
une Pièce qui est très - connue , qui d'ailleurs
érant dénuée d'action , brille bien plus par
les détails que par l'enſemble. Nous devons
nous borner à faire connoître la manière du
Traducteur. Sa Traduction eſt exacte& fans
paraphrafe. Nous aurions deſiré qu'il eût
foigné davantage ſon ſtyle , quoique la libe: té
du dialogue rende le Lecteur moins ſévère
ſur les négligences. On eft d'autant plus
en droit de l'exiger , qu'il prouve ſouvent à
travers fes négligences qu'il peut écrire avec
agrément.
Daphné dit à ſa compagne Silvie , qu'elle
veut attendrir en faveur d'Aminte :
Mais au moins réponds-moi , ſitout autre Berger
DEE FRANCE. 77
Sous tes loix en ce jour s'offroit à s'engager ,
Seroit- il accueilli de la même manière ?
SILVVII1E.
J'accueillerois ainfi tout Berger fuborneur ,
Jaloux de tendre un piège à la pudeur rébelle ,
Qu'il te plaît de nommer amant tendre& fidèle ,
Et que j'appelle un ennemi trompeur.
DAPHNÉ.
Crois-tu que le belier , ſous un air de candeur ,
De la douce brebis eſt l'ennemi perfide ?
Que le taureau , brûlant d'une invincible ardeur ,
De la belle géniſſe eſt le persécuteur ;
Etque le tourtereau , lorſque l'amour le guide,
De ſa tendre moitié conſpire le malheur ?
Crois-tu que la ſaiſon nouvelle ,
Qui , s'offrant chaque jour plus riante & plus belle,
Invite an doux plaifir d'aimer
:
A
Tout être qui reſpire & naît pour s'enflammer ,
Soit un temps de diſcorde & de haine cruelle ? .
Ne vois -tu pas plutôt qu'un ſentiment flatteur
Fait éclore en tous lieux la joie & le bonheur ?
Contemple ce pigeon , avec quel doux langage
Il flatte en careſſant l'objet de ſon amour;
Entends le roffignol , qui , d'ombrage en ombrage,
Va chantant fes ardeurs aux échos d'alentour ;
Ne ſais -tu pas que la froide vipère ,
Lorſqu'un ſecretpenchant l'entraîne au fonddesbois,
Dépoſe le venin de ſa dent meurtrière ?
Diij
78 MERCURE
Les tigres , de l'amour reconnoiflent les loix ,
Etle lion fuperbe eſt ſoumis à ſa voix.
Et ton farouche orgueil encor plus inflexible ,
De tous les animaux ſurpaſſant la fureur ,
Sans pitié lui refuſe un aſyle en ton coeur !
Mais , que dis-je , le tigre & le lion terrible ,
Animés pour ſentir & goûter le bonheur ?
Au doux plaifir d'aimer l'arbre même eſt ſenſible.
Vois avec quelle force & par combien de noeuds
La vigne ſe marie au pampre tortueux !
Le hêtre tendrement ſoupire pour le hêtre ,
C
L'orme s'unit à l'orme , & le ſaule champêtre
Incline ſes rameaux vers le ſaule amoureux , &c.
<
Nous allons finir par un morceau de dialogue
piquant & d'un tour heureux ,Dentre
Aminte & Tircis , ſon ami. Il faut , dit
Tircis , te conduire en hoinme de courage.
AMINTE.
Quel courage ? Et qui doit en éprouver l'effet ?
TIRCIS.
Dis-moi : fi ta Silvie, au ſein d'un vaſte ombrage,
Ceint d'énormes rochers & de lacs entouré ,
Habitoit des lions le repaire ſauvage ,
e
Vers cet affreux ſéjour irois-tu de plein gré ?
AMI NOTE
J'irois , n'en doute pas , d'un air plus afſuré,
Qu'une jeune Bergère aux danſes du village .
:
DE FRANCE. 79
TIRCI S.
Si d'un tas de brigands , armés pour l'égorger,
Elle étoit inveſtie , en dépit du danger ,
Irois-tu la ravir à leur rage homicide ?
ΑΜΙΝTE.
J'irois d'un pas plus prompt & plus léger
Que le cerf altéré vers la ſource limpide.
TIRCIS .
Il fautmontrer encor plus d'intrépidité.
AMINTE.
Eh bien , je franchirois l'impétuoſité
Des immenfes torrens , quand les neiges fondues ,
Amoncelant leurs ondes confondues ,
Précipitent leur cours au ſein des vaſtes mers ;
Atravers mille feux , j'irois juſqu'aux enfers
Rejoindre mon amante au milieu des ténèbres;
Si pourtant les enfers , dans leurs gouffres funèbres ,
Pouvoient enſevelir tant de charmes divers .
Dis-moi donc maintenant ce qu'il faut entreprendre.
TIRCIS.
Écoute , Aminte.
AMINTE.
Achève promptement.
TIRCIS.
Sans voile& fans témoin, Silvie au bain t'attend ,
Auras-tu bien la force de t'y rendre ?
:
DIV
80 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 27 Septembre , on a repréfenté
, pour la première fois , le Diable
Boiteux , ou la Choſe Impoſſible , Opéra-
Comique en un Acte , en profe & en vaudevilles.
>
Le titre de ce petit Ouvrage rappelle d'abord
le Conte plaiſant, mais un peu graveleux
, du bon Jean La Fontaine ; cependant
l'action de l'Opéra-Comique n'a aucune
reſſemblance avec celle du Conte , &
lebut en eſt abſolument différent. Chez La
Fontaine , le Diable conſent à rendre un
amant heureux , à condition que celui- ci ,
loin d'obéir au Diable , ſaura le faire obéir
en lui donnant à toute heure,& fans nul retardement
, de nouveaux ordres à exécuter ;
faute de quoi , fon corps & fon âme appartiendront
à Satan . Un ordre , dont l'exécuttion
eſt impoſſible , rompt le pact & rend
l'amant libre . Ici , c'eſt toute autre choſe. Le
Diable Boiteux eſt l'Amour déguisé. Il eſt le
protecteur d'un jeune homme qui n'a pas
encore pu obtenir la main d'une maîtreffe
qu'il idolâtre. Il lui permet de donner carrière
à ſes defirs , de former tous les voeux
qu'il lui plaira , & s'engage à les accomplir;
DE FRANCE. 81
mais il ajoute qu'il ne peut épouſer ſa maîtreffe
qu'après avoir demandé une choſe
décidément impotlible. Le jeune amant
forme pluſieurs ſouhaits ; ils font accomplis
fur le champ. Il demande pour ſa maîtreſſe
leplus beau bouquet qu'il foit poſlible d'imaginer;
tout a- coup il en paroît un , compoſe
de trois belles roſes unies à trois lys
fuperbes. Il demande un plus beau bouquet
encore: c'est la chose impoffible. Il obtient
lamain de ſa maîtreſſe.
,
Cette bagatelle eſt de M. Favart le fils.
Elle eſt recommandable par la fraîcheur& la
grâce des penfees , par l'heureux choix des
airs & par la coupe facile des vaudevilles
où la langue,toujours reſpectée , ajoute encoreun
prix au charme des madrigaux & à
la fineſſe des épigrammes qui les terminent.
L'intrigue eft peu de chofe , & l'intérêt exiſte
ſeulement dans l'allégorie des roſes & des
lys; mais un intérêt de cette nature eſt toujours
puiſſant ſur les coeurs François.
VARIÉTÉS.
SUR le paſſage de Mercure devant le
Soleil en 1782.
LES Aftronomes n'ont obfervéjuſqu'isi que trois
fois Mercure fur le diſque du Soleil. Ces obfervations
ſont curieuſes & utiles pour l'Astronomie , &
il est bon d'avertir les Aſtronomes & les Amateurs ,
fur-tout ceux qui habitent les Provinces méridionales;
car à Paris , au mois de Novembre , il eſt for
Dy
82 MERCURE
douteux que l'obfervation puiſſe réuffir à cauſe dés
imauvais temps , ſuivant les Tables de M. de la
Lande , qui ont été parfaitement d'accord avec ſes
derniers paſſages ; on verra celui- ci tout entier à Paris;
le commencement de l'entrée ſera le 2 Novembre, à
deux heures cinquante - cinq minutes du foir , & la
fin de la fortie à quatre heures vingt- huit minutes ,
c'eſt à-dire , neuf minutes avant le coucher du Soleil.
L'entrée ſe fera douze degrés à gauche du vertical
du Soleil dans fa partie ſupérieure , ou à droite en
bas dans les lunettes qui renverſent. Comme Mercure
n'a que douze ſecondes de diamètre , il ne
pourra ſe voir que dans des lunettes d'approche ; mais
il n'eſt pas néceſſaire qu'elles groffiffent beaucoup.
LETTRE de M. Allemand à M. de la
IL
Lande, de l'Académie des Sciences.
2
Left étonnant , Monfieur , que, dans l'annonce
que vous avez faite , dans le Journal des Savans du
mois d'Avril dernier, d'une Carte des rivières & d'un
Mémoire fur la même matière , de M. de Vauban
vous approuviez fi facilement la critique qu'a
faite M. de Fourcroix de la communication de la
Meurthe avec la Bruſch, dans ſes Notes à la ſuite du
Mémoire de ce célèbre Maréchal de France . J'ai indiqué
cette jonction dans mon Traité préliminaire
de la Navigation intérieure ( 1 ) d'après les probabilités
que nous donne la Carte de l'Académie, que
M. de Fourcroix invoque pour en démontrer l'impoſſibilité
, & d'après M. de Biliſtein , Auteur d'un
Effai ſur la Navigation Lorraine , d'un Mémoire
(1) Chez L. Cellot , Imprimeur-Libraire , rue des
grands Augustins ......
1
A
DE FRANCE. 83
fur les Canaux de France , & d'un Eſſai ſur les deux
Duchés , relativement à l'Agriculture , au Commerce
, &c. dont vous ne nous parlez point dans
votre Ouvrage , que vous appelez le grand Traité
des Canaux.
Voici comme s'exprime cet Auteur dans ſon Effai
fur la Navigation intérieure de ſon pays , p . 138
& ſuiv. « Le Rhin eſt la rivière la plus intérefſante
à la France pour ſes opérations militaires. Il
eſt donc infiniment à ſouhaiter de pouvoir y com
muniquer ſes rivières directement ſans quitter ſon
territoire (1 ) ; elle le peut par la Moſelle ou par la
Meurthe ; elle le peut par l'une & par l'autre ; mais
il faut premièrement ſuppoſer qu'elles font rendues
navigables , d'où l'on voit de plus en plus la chaîne
de ces établiſſemens . On n'exécutera pas néanmoins
la jonction par les deux rivières ; l'une & l'autre a
ſes grands avantages , ſur leſquels je ne décide pas ,
ne voulant qu'indiquer .
La Moſelle peut , dès ſa ſource , être jointe au
Rhin par Tannes & Enſisheim ſur l'Ill , laquelle ſe.
jette dans le Rhin à Strasbourg.
La Meurthe peut être jointe au Rhin par la Sarre
au deſſus de Salm , éloignée de la Bruſch d'une,
licue & demie (2) . La Bruſch ſe jette dans l'Ill , &.
Fill dans le Rhin ; la diſtance eſt petite , Salm n'étant
qu'à huit lieues de Strasbourg. La petite rivière de.
Veſouze qui paffe à Turckeſtein & à Blamont , & fe
, (1) Cette réflexion qui paroît des plus fages , eft
contre l'opinion de M. De la Lande , qui pense qu'on
doir opérer la jonction du Rhône avec le Rhin ſur le territoire
Genevois & Suiffe .
(2) La Carte de l'Académie donne quatre mille toiſes ,
même diſtance à-peu- près , & la Carte des rivières dont
M.de Fourcroix fait l'éloge,donne dix mille toiſes d'une
rivière à l'autre ; cette erreur ſurprend encore moins qu'une
multitude d'autres. Comment ſe peut-il qu'elles aient
outes échappé à l'oeil pénétrant du célebre Aftronome ?
Dvj
8.4 MERCURE
jette dans la Meurthe , peut aider cette communica
tion&par- là encore celle de la Sarre à la Meurthe.
Cettejonction nous eſt donc préſentée par M. de
Biliſtein non-ſeulement comme probable , mais encore
comme très - praticable , & devant être la continuité
d'une grande navigation qui intéreſſe en général
le Royaume; je n'ai pas hésité de me décider
pour ce dernier ſeuil , qui va droit au but principal ,
Strasbourg. Voici ce que j'en dis en parlant de l'Alface,
pag. 80 de mon Ouvrage , qu'il ne manqueroit
plus à cette Province, au moyen des communications
ouvertes à la Lorraine vers la Capitale & les
Ports du Royaume , que d'établir celle de la Brusch
avec laMeurthe par un canal dérivé de cette première
du côté de Salm,pour aboutir à la dernièrepar
la Vefouze au-deſſous & près de Lunéville. Cette
fimple indication d'une partie du ſeuil du côté de la
Meurthe, fans défigner précisément la partie depuis
la Bruſch juſqu'à la Vefouze , ne pouvoit pas fournir
matière à une critique raiſonnable , parce qu'il faut
néceſſairement connoître tout un plan pour le diſcuter
pertinemment; cependant M. de Fourcroix n'a
pas laiflé que de condamner le mien au fujet de
cette communication , quoiqu'il n'en connût que
très- imparfaitement une partie.
D'ailleurs , eſt ce avec des conjectures , des
affertions hafardées , des notions priſes ſur la Carte
de l'Académie,que ce Militaire dit être encore moins
exacte dans les montagnes qu'ailleurs , qu'il a prétendu
démontrer l'impoſſibilité de cette jonction par
la Veſouze , & que vous avez pu , Monfieur , affirmer
que cette critique étoit judicieuſe ? C'eſt avancer
des faits dont on n'a aucune certitude ; car vous
n'avez , non plus que M. de Fourcroix , envoyé
des gens experts dans les Mathématiques , l'Hydraulique
& les Nivellemens , le graphomètre , le com
pas, la toiſe, le jallon à la main , pour vérifier les
DE FRANC 85
points indiqués , & fixer ceux qui rendent l'exécution
praticable , la ſeule autorité avec laquelle vous
auriez pu raiſonnablement attaquer mon affertion;
c'eſt avec des faits authentiques que l'on combat
les opinions d'autrui , & non avec des conjectures
qui ne décident rien.
Je vais , Monfieur , vous démontrer la probabiité
de pouvoir opérer la jonction de la Bruſch avec
aMeurthe par la Veſouze. J'ai dit qu'on le pouoit
du côté de Salm , ſans ajouter que cela ſe pût
lirectement par la Veſouze ; ainfi , quand M. de
Fourcroix a cru en avoir reconnu l'impoſſibilité
directement par la haute Veſouze ou par ſes affluens
de la rive gauche , pourquoi ne pas daigner jeter les
yeux fur ceux de la rive droite qui avoiſinent les
eaux de la Sarre , nº . 142 de la Carte qu'il cite , &
en même - temps ſur des affluens de la Bruſch ,
n°. 162 ibid. qu'il cite auſſi ; alors il auroit certainement
vu la probabilité de pouvoir l'opérer nonſeulement
par la Sarre & la Veſouze , mais encore
par cette première & le Sanon , autre affluent de la
Meurthe, priſe du bout de l'étang de Richecourt à
celui de Ketzin, d'où fort un raiſſeau qui tombe
dans la Sarre. On le peut encore par la Seille , un
des affluens de la Moſelle , au moyen de pluſieurs
étangs ou lacs qui ſont entre Dieuze & la Sarre , à
une très petite diſtance les uns des autres ; & en
dérivant enſuite de la Seille au point de Nommeny ,
un Canal d'une licue & demie ou environ pour
aboutir à la Moſelle à Pont-à-Mouffon , on mettroit
cette grande navigation preſque en droite
ligne vers les communications projetées pour joindre
la Saône , la Marne , la Seine & l'Eſcaut; ce
feuil paroît d'autant plus avantageux , que la Seille
a été rendue navigable ( 1 ) juſqu'à Dietize ; mais
(1) On ne doit point à ce ſujet avoir égard à la Caste
86 MERCURE
fixons - nous au ſeuil critiqué de la Veſouze.
Aniderhoff eſt un vallon ſur la rive gauche de
la Sarre, par lequel il paroît facile de diriger un
Canal , foit vers le ruiſſeau d'Herbas , ſoit vers
l'étang où prend naiſſance le ruiſſeau de Richeval ,
deux des affluens de la Veſouze ; la diſtance de leurs
eaux de celles de la Sarre n'eft que de trois cent
toiſes , nº . 142 de la Carte citée par M. de Fourcroix.
Voilà certainement une très grande probabilité
de pouvoir opérer la communication par la
Vefouze de la Meurthe avec la Sarre , par laquelle
on parvient au point de partage. Il s'agit maintenant
de voir s'il y a de la probabilité à pouvoir
établir la communication de la Bruſch avec la
Sarre .
Sur les confins du comté de Salm , du pays Meffin
& de la Province d'Alface , dans les bois de
Saint-Quirin , au Sud -Oueſt des maiſons des
Gardes, nº. 162 de la Carte citée par M. de Fourcroix
, eſt un ruiſſeau affez confidérable , dont la
fource n'eſt éloignée de celles de la Sarre & de la
Zorne , affluent de cette première , que de trois
cent cinquante toiſes , & qui ſe jetre dans la Bruſch
à Netzembach , à quatre mille toiſes ſeulement de
la Sarre & de la Zorne , & à huit mil e quatre
cent toiſes de Molsheim , d'où la Bruſch eſt navigable
juſqu'à Strasbourg au moyen d'un Canal de
quatre lieues , de vingt-quatre pieds de largeur , fur
huit de profondeur, conftruit ſous Lous XIV.
Dans le même canton , nº ibid de la Carte , eſt
un ſecond ruiffeau un peu plus au Nord & plus
confidérable que le premier , qui prend ſa ſource à
l'Ouest du Château de la Muraille , à quatre cent
des rivières qui indique le contraire , & qui eſt généralement
infidelle fur ces indications , ainſi qu'il eſt facile de
s'en convaincre . }
DE FRANCE. 87
toiſes ſeulement des ſources de la Zorne , & qui ,
groſſi dans ſon cours de pluſieurs autres ruiſſeaux ,
tombe dans la Bruſch à Nider-Hatlach , à quatre
mille toiſes environ de la première , & pas plus de
quatre mille neuf cent toiſes de Molsheim , où l'on
trouve le Canal de ce nom ; de manière qu'à partir
du point de partage entre les ſources de la Zorne &
celles de ce dernier affluent de la Bruſch , il n'y auroit
que huit mille neuf cent toiſes environ de
canal a faire pour joindre celui de Molsheim , beaucoup
moins que par le premier affluent ; ainfi , on
ne peut diſconvenir qu'il n'y ait auſſi la plus grande
probabilité de pouvoir établir la communication de
la Bruſch avec la Sarre , & que ces deux ruiſſeaux ne
paroiffent plus convenables à tous égards pour opérer
entièrement la jonction de la Bruſch avec la
Meurthe , que celui qui avoiſine la plaine & qui
tombe dans la haute Bruſch à Schirmeck , dont
parle M. de Fourcroix pour cette opération. Ce ne
peut être que par l'un ou l'autre de ces deux ruiſſeaux
que M. de Bilillein a entendu établir la communication
de la Bruſch avec la Sarre , & de celle - ci communiquer
à la Veſouze. Il n'y a donc rien d'étonnant
que j'aie dit que cela ſe pouvoit du côté de
Salm, puiſque les ſources de la Sarre , de la Zorne
& des deux affluens de la Bruſch dont il s'agit ,
avoiſinent ce comté.
い
Il n'eſt plus queſtion que d'examiner la probabilité
du magaſin d'eau néceſſaire au point de partage
pour fournir au Canal des deux côtés. On vient de
voir que dans les bois de Saint-Quirin & aux environs
, nº. 162 de la Carte , les fources de la Sarre ;
celles de la Zorne & des deux affluens que nous avons
adoptés pour opérer cette importante communication,
ſe touchent preſque, ce qui annonce une abondance
d'eau à ce point de partage. Voilà donc une
88 MERCURE
très - grande probabilité de la quantité d'eau fuffifaite
pour alimenter cette navigation.
La hauteur des vauges (1 ) au point de Sainte-
Marie - les - Mines , nº. 163 de la Carte , objection
que nous fait M. de Fourcroix , on ne peut en tirer
aucune conféquence pour la hauteur que peuvent
avoir celles dans lesquelles nous indiquons la communication
de la Meurthe avec la Bruſch,
nos 142 & 162 de la Carte , qui ſont à huit lizues
&demie de diſtance des vauges de Sainte-Marieles-
Mines. Dans les chaînes de montagnes de tous
les pays, il y a des inégalités conſidérables & même
des interruptions qui ſuccèdent ſouvent aux parties
les plus élevées , laiſſant au bas de la montagne un
paſſage libre au cours des eaux , & la facilité de
pratiquer des routes peu au-deſſus du niveau du
plat pays : d'ailleurs , les rivières naiſſent - elles préciſément
aux ſommets des montagnes pour y défigner
un point de partage , & de- la fixer la pente
que l'on a à racheter dans la longueur d'un canal ?
Qu'a encore de commun avec un canal , que trois
pieds de pente aux eaux courantes en forment un
torrent , lorſqu'il n'eſt point queſtion de rendre une
rivière navigable de ſon fond , & qu'il ne s'agit que
de la conſtruction d'un canal où l'on rachette aifément
,par des écluſes , la pente qui peut s'y trouver ?
Cequi prouve toujours plus , que cette critique &
votre ſanction ne ſont étayées que de conjectures
& d'affertions haſardées , c'eſt que Murzig n'eſt
pointà-peu-près au niveau de Strasbourg , comme
ledit M. de Fourcroix , aſſertion que vous rapportez
, puiſque Molsheim , qui eſt neuf cent toiſes environ
au-deſſous de Mutzig , eſt plus de quatrevingt-
quatre pieds au - deſſus du niveau de cette
-
(1 ) Sept cent pieds au deſſus du niveau de Strasbourg
fuivant l'Abbé Chappe.
DE FRANCE. 89
!
au-
Capitale, comme le prouve le rachat de quatrevingt
quatre pieds de pente par des écluſes
canal de Molsheim. (Buſching , Tome IV, p. 439 ).
Je crois , Monfieur , que vous devez être pleinement
convaincu de votre trop d'empreſſement à dire que
la critique de M. de Fourcroix étoit judicieuſe ,
d'autant plus que fi elle l'étoit à mon égard , elle le
ſeroitde même à votre ſujet , relativement à pluſieurs
opérations que vous indiquez , dont la poſſibilité
n'eft étayée que des mêmes autorités que j'ai
employées pour faire croire praticable non-feulement
la communication de la Bruſch avec la Meurthe,
mais encore quantité d'autres opérations.
Au reſte , il est bien étonnant qu'au lieu de
daigner faire connoître au Public les objets que
vous lui avez annoncés dans cette occafion , entr'autres
, l'intéreſſant Mémoire de M. de Vauban , vous
ne vous ſoyez attaché qu'à rapporter en entier la
critique de la communication de la Bruſch avec la
Meurthe : quels que foient les motifs de cette prédilection,
ils devoient céder à l'intérêt qu'avoit le
Public dans l'Extrait de ce premier Mémoire. Si la
critique à laquelle il a donné lieu avoit pu bleffer
mon amour - propre , j'aurois été amplement dédommagé
en reconnoiſſant mes moyens pour l'extenfion
de la Navigation intérieure , dans ceux du grand
Vauban !
J'ai l'honneur d'être , &c.
ALLEMAND , de l'Académie de Marseille,
Confervateur général de la Navigation
intérieure , ancien Confervateur des
Forêts de l'Iſte de Corse.
१०
MERCURE
८
PROSPECTUS.
ESSAI fur l'Art de vérifier les Miniatures peintes
dans des Manuscrits depuis le quatorzième jufqu'au
dix -feptième fiècle incluſivement , de comparer
leurs différens ſtyles & degrés de beautés , &
dedéterminer une partie de la valeur des Manuscrits
qu'elles enrichiffent.
T.
EL eſt le titre d'un in -folio orné de vingt- fix
• Planches gravées au ſimple trait , imprimées en
>> encre foible , & peintes en or & en couleurs, de la
OD manière la plus reſſemblante à autant de minia-
» tures que M. l'Abbé Rive a choiſies dans diffé-
>> rens Manufcrits exécutés avec la plus grande magnificence
en Europe , pour divers Souverains ou
> très - hauts & très-puiſſans Seigneurs , dans les
> quatorzième , quinzième, ſeizième &dix -ſeptième
>> fiècles: >> tel eſt , diſons-nous , le titre d'un Ouvrage
effentiel & lumineux dont M. l'Abbé Rive
vient de publier le Profpectus.
Cet Ouvrage remplira certainement tout ce que
le Profpectus annonce , & tout ce que ſon titre
promet. L'érudition immenſe de ſon Auteur &
ſon exactitude ſcrupuleuſe , le choix de ſes auto-
-rités ſont des garans plus que capables de nous
donner des eſpérances . Ce Recueil , dont le genre
étoit juſqu'aujourd'hui parfaitement inconnu , nous
eſt néceſſaire. Il nous importe ſans doute de
n'être point la dupe du charlataniſme des vendeurs
de manufcrits prétendus originaux. Il nous importe
de tenir dans nos mains le cachet de chaque ſiècle ,
&de pouvoir en reconnoître l'empreinte dans tous
les manufcrits qu'on nous préſentera. On ſent que
DE FRANCE وا
fans des ſecours nombreux & une connoiſſance bibliographique
très-étendue, il eſt impoffible d'avoir
ce cacher. M. l'Abbé Rive a ſu le trouver , & vient
denous le préſenter. Ace mérite, le nouveau Recueil
enjoint un autre qui ſera aiſément apperçu. Il nous
offre la parure , le vêtement de quatre fiècles , &
nous montre quels étoient leurs goûts dominans. Sous
cepoint de vue ſon travail devient encore plus précieux;
il fournit un ſupplément aux monumens de la
Monarchie Françoiſe du Père Montfaucon. L'Au
teur répond d'avance à la queſtion qu'on pourroit
lui faire , pourquoi il n'a pas remonté plus haut ?
Les miniatures , dit-il,font affreuſesdepuis le dixième
juſqu'au quatorzième ſiècle. On peut l'en croire. Les
Savans ne pourront qu'être fatisfaits d'appercevoir
dans cette Hiſtoire abrégée,une aſſociation ſuivie de
la Peinture & la Calligraphie ( ou Art d'écrire les
manufcrits ) depuis Varron, le plus ſavant des Romainsjuſqu'à
nous. Cet abrégé eſt neuf,& doit être
aufli intéreſſant que curieux,
て
L'exécution de cet Ouvrage ſera très-ſoignée , &
réunira la beauté du papier , la beauté des caractères
à la fidélité & à la pureté des Gravures. L'Auteur a
choiſi parmi plus de douze mille miniatures les vingtfix
dont il donne les copies. Sa Collection doit l'emporter
ſur le Recueil de Montfaucon par le choix
des miniatures , la variété des ſujets , leurs oppofi
tions de ſiècles , de ſtyles & de costumes, & fur
les plus beaux manufcrits qu'on conſerve en Europe.
Ce Recueil doit contenir une balance bibliopolique
qui apprendra à estimer , dit M. l'Abbé Rive ,
lefurplus de la valeur que des miniatures ſemblables
àcelles quiy sont gravées donnent aux manuscrits
qu'elles embelliffent . Ce Livre ſera un monument de
Bibliothèque pour les Souverains & les Amateurs qui
ſe piquent de poſſféder des curioſités calligraphiques
d'ungenre unique , & un manuel pour les Libraires
92 MERCURE
qui defirent s'inſtruire de la valeur des manufcrits
ornés de miniatures qui leur tombent ſous la main.
L'Auteur promet de donner deux deſcriptions des
manuſerits dont il a emprunté ſes Planches. L'une,
qu'il appelle calligraphique , expoſera la manière
dont chacun d'eux est calligraphié; l'autre , à laquelle
il donne le nom de bibliographique , en détaillera
le contenu. Cette manière de décrire les Livres ,
foit manuscrits , ſoit imprimés , eſt neuve & de la
plus grande utilité.
Conditions de la Souſcription.
Il n'y aura que quatre-vingt Exemplaires de ce
Recueil. M. l'Abbé Rive promet à ſes Souſcripteurs
de n'en pas tirer un plus grand nombre , & de ne
jamais en faire une ſeconde Édition. La manière
avec laquelle il contracte cet engagement eſt digne
d'être rapportée. Pour conſtater , dit- il , ce qu'il n'y
>> en aura que quatre- vingt Exemplaires , &détruire
>> tout ſoupçon de fraude dans l'eſprit du Public ,
>> j'écrirai à la finde chaque Exemplaire 1 , 2 , 3
(juſqu'au quatre- vingt incluſivement ). Exem-
>> plaire délivré àM.... tel jour & tel mois. J'ac-
>> compagnerai ce certificat de ma fignature. On
> ne verra aucun Exemplaire fans ce certificat , ou
>> dont le numéro ſoit double & excède le nombre
>> auquel j'ai fixé mon tirage. Je ne ferai jamais
> aucune autre Édition du même Ouvrage ; c'eſt
>> un engagement ſacré que je contracte avec le
Public; par-là , il n'y a aucun Gouvernement qui
>> n'ait le droit de prohiber la réimpreſſion que je
→→ voudrois en faire en quelque lieu de l'Europe que
>> j'euſſe le front de l'entreprendre. >>
M. l'Abbé Rive ne parle point dans ſon Profpectus
du fort de ſes cuivres après ſa mort ; mais
nous ſavons qu'il a eu l'honneur d'en faire
hommage au Roi pour ſon Cabinet de Verſailles.
DE FRANCE.
93
4
Après le tirage des Exemplaires, ils ſeront dorés &
déposés dans ce Cabinet pour y ſervir de monument
littéraire à la Poſtérité , & de preuve authentique du
reſpect inviolable de l'Auteur pour ſes engagemens.
La ſouſcription de cet Ouvrage eſt de vingt- cinq
louis qu'on paye d'avance. Comme les cuivres ſont
gravés , &que les modèles de peinture ſont achevés
, cette avance eſt indiſpenſable pour accélérer
dans le court eſpace donné , la main des Artiſtes qu'il
faut payer comptant.
Cette ſouſcription ne ſera ouverte pour la France
quejuſqu'au premier Novembre prochain ; eile ne
ſera fermée pour les Étrangers qu'au premier Janvier
1783 .
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront ce Recueil
quarante louis,
Chaque Souſcripteur recevra dans l'eſpace d'un
an , à dater du jour de ſa ſouſcription , l'Ouvrage
en entier. Il recevra les treize premières Planches
peintes dans les frx premiers mois, & les treize autres
avec le Diſcours dans les fix ſuivans .
Apeine le Proſpectus avoit été publié, que le Roi,
la Reine , Monfieur , Madame & Madame Comteſſe
d'Artois ſe ſont empreſſés d'honorer l'Auteur de
leur ſouſcription. Ce Proſpectus forme un in - 12 de
70 pages imprimé par Didot avec les anciens type
de Garamont , qui fut un des plus habiles Fondeurs
de caractères qu'il y ait eu à Paris depuis le com.
mencement du ſeizième fiècle. Quoique ces types
foient fondus depuis plus de deux cent ſoixante
ans , ils acquièrent tous les jours une nouvelle
beauté. Le papier eſt un des plus beaux qu'on fabrique
en France. Le corps du Proſpectus eſt d'environ
23 pages ; le refte eſt en Nores , qui font toutes
eu inſtructives ou curieuſes .
Ce Proſpectus ſe vend chez l'Auteur , rue du
Cherche-Midi , vis-à-vis celle du Regard ; & chez
94 MERCURE
Eſprit, Libraire , au Palais Royal. Prix , I livre
Io fols. On n'en a tiré qu'un très-petit nombre
d'Exemplaires , & il n'en refte preſque plus. Nous
invitons nos Lecteurs à ſe procurer cette Brochure
intéreſſante , qui les mettra en état d'apprécier le travail
de M. l'Abbé Rive.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE
E Sieur Deſnos , Ingénieur - Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques,
au Globe , annonce à MM, les Libraires & autres
Commerçans du Royaume & des Pays étrangers ,
qu'il vient de mettre en vente une nombreuſe Collection
d'Almanachs nouveaux pour l'année 1783 ,
très- bien conditionnés & utiles à tous les états , ornés
de Cartes Géographiques & autres , dont la plupart
compoſés de Romances , Chanfons , Vaudevilles
des meilleurs Auteurs en ce genre , ſont ornés
de douze Eſtampes , tous reliés en maroquin avec des
tablettes économiques , perte & gain , & fermés
d'un ſtylet pour y écrire. Prix , 4 livres 10 fols , &
s liv. rendus franc de port par- tout le Royaume.
Le Sieur Deſnos en diftribue gratuitement le Catalogue,
ainſi que l'Analyſe deſdits Almanachs ,
petiteBrochure d'environ cent pages , où l'on donne
une idée de chacun pour déterminer le choix du
Public ou de l'Acheteur. Il fera une remiſe honnête
aux Perſonnes qui s'adreſſeront directement à lui
pour ſes Almanachs , ſuivant le nombre qui lui en
fera demandé , & il expédiera auffi-tôt chaque
demande par la voie qui lui ſera indiquée , pourvu
que ceux à qui il la remettra ſoient chargés d'en répondre.
Les lettres non affranchies ne feront point
reçues. -L'Anacréon en belle humeur , ou le plus
joli Chansonnier François , dont la quatrième Partic
DE FRANCE.
१८
!
vientde paroître chez le même Libraire , doit , par le
genre & le choix des Pièces , plaire à un grandnombre
de Lecteurs. Il en paroîtra une Partie tous les
troism ois.
Précis de l'Art des Accouchemens en faveur des
Sages-Femmes & des Élèves en cet Art , par M.
Chevreul , Docteur en Médecine , Maître en Chirurgie
à Angers , Démonstrateur en l'Art des Accouchemens
, & Inſpecteur général des Cours d'Accouchemens
de la Généralité de Tours. A Angers ,
de l'Imprimerie de C. P. Mame , Imprimeur de
MONSIEUR , rue S. Laud; & ſe trouve à Paris ,
chez P. F. Didot lejeune , Imprimeur de MONSIEUR,
quai des Auguſtins , in- 12 . Prix , 2 liv . broché.
Mémoire fur l'ancienne ville de Tauroentam ;
Hiftoire de la ville de la Ciotat ; Mémoire fur le
Port de Marseille ; par M. Marin , de pluſieurs
Académies , Cenſeur Royal , Lieutenant Général au
Siège de l'Amirauté de la Ciotat. A Avignon ; & fe
trouve à Paris , chez Leclerc l'aîné , Libraire , quai
des Auguſtins ; à Marseille , chez Jean Moffy , Imprimeur
du Roi , & chez Sube & Laporte , Libraires,
in- 12. Prix, 2 liv. 8 fols broché.
Médecine des animaux domestiques , renfermant
les différens remèdes qui conviennent pour les maladies
des chevaux , des vaches , des brebis , &c. &c.;
par M. Buc'hoz , Auteur de différens Ouvrages économiques
, in- 12. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Harpe , la preınière porte- cochère au-deſſus du Collège
d'Harcour . Prix , 1 liv. 16 fols.
Histoire des Campagnes de Henri de la Tour
d'Auvergne , Vicomte de "Turenne , en 1672 , 1673 ,
1674 & 1675 , écrite d'après les Dépêches du Maréchal
de Turenne ( communiquées par la Maiſonde
Bouillon) la Correſpondance de Louis XIV,de ſes Miniftres,&
beaucoup d'autres Mémoires authentiques ;
96 MERCURE
enrichie d'un grand nombrede Plans & CartesTopographiques
néceſſaires pour l'intelligence des marches
, campemens , batailles , ſièges & mouvemens
des armées , diviſée en deux Parties in -folio ,
dédiée & préſentée au Roi ; par M. le Chevalier de
Beaurain , Penſionnaire Géographe de Sa Majeſté.
On trouve cetOuvrage chez l'Auteur , rue Gît-le-
Coeur , la première porte-cochère à droite par le
quai des Auguſtins. Le Profpectus de cet Ouvrage
fera communiqué aux Perſonnes qui le defireront.
Prix , 96 liv .
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins , annonce
qu'il vient de recevoir de l'Étranger pluſieurs Exemplaires
des Livres ſuivans : Mémoires de l'Académie
de Berlin depuis fon origine juſqu'à cejour, 10 Vol.
in-4°. (on ſépare les Volumes. )- Analyses des
Coutumes de Lorraine , 1782 , in- 4° . Edits de
Lorraine , 1782 , Tome XIV, in - 4 °.- Coutumes
de Normandie , 2 Vol. in -folio.
TABLE.
ENVOI d'un Sabre . 49 taire François , 70
Moralité,
chandelle, Fable ,
Airde Daphné& Apollon , 51
50 Aminte, Pastoral du Taffe, 76
LePapillon qui ſe brûle à la Comedie Italienne ,
ib. Sur le paſſage de Mercure de-
Enigme& Logogryphe , 52 Lettre de M. Allemand à M.
80
vant le Soleil en 1782, 81
L'Ecole des Pères , Comédie de la Lande, 82
en trois Actes , 54 Prospectus, १०
Hommage Littéraire , 64 Annonces Littéraires , 94
Examen critique du Mili-
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 12 Octobre. Je n'yai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis,
ic 11.Oftobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
:
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Août.
LES incendies qui ſe multiplient depuis
quelque tems , ont porté la conſternation
dans toute cette Capitale ; on ſe rappelle les
ravages caufés par les deux qui ont eu lieu
dans le mois dernier ; quelque terribles qu'ils
aient été , ils le font encore moins que ceux
-dont nous venons d'être témoins . Le 21 de
ce mois , à 10 heures du ſoir , le feu a éclaté
dans le quartier deGiamaja , vis-à-vis l'Arfenal
; ce n'est qu'hier matin qu'on eſt parvenu
à l'éteindre. On compte que la moitié
de cette grande ville a été réduite en cendre.
Le Palais de Conſtantin- le-Grand , l'Eglife
Patriarchale , le quartier de Soliman , où ſe
trouve la magnifique Moſquée qui porte ce
nom , la rue des Arméniens , preſque tout
le quartier des Juifs & des Chrétiens , les
Synagogues , les Egliſes , &c. n'existent
12 Octobre 1782 . €
( so )
1
د
plus. Plus de deux cents mille perſonnes
font réduites à la dernière misère. On
attribue cet incendie comme ceux qui
l'ont précédé , à la méchanceté des mécontens
qui , depuis quelque tems , font
entendre des cris de révolte contre l'Adminiſtration.
Le Grand Seigneur vient de céder
à ces cris , en renvoyant le Grand- Vifir , à
qui il a redemandé les ſceaux aujourd'hui ;
ils ont été donnés à Jaghen- Ali Pacha , Béglierbey
de Romélie. Le Kiaya des Janiffaires
& le Chiaoux Baſchi ont été dépoſés
également ; comme le mécontentement du
peuple tombe principalement ſur ce dernier ,
on ne feroit pas étonné qu'il fût ſacrifié pour
l'appaiſer. L'incendie , pendant ſa violence ,
a menacé le Serrail , & le Grand Seigneur
a été au moment de ſe retirer à Pera , dans
le Palais de l'Ambaſſadeur d'Autriche. Heureuſement
on eſt parvenu à en écarter le
feu,
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 2 Septembre.
CONFORMÉMENT aux ordres de S. M. I.
pour l'augmentation de ſa marine , on s'occupeſans
relâche de nouvelles conſtructions,
tant ici , qu'à Archangel ,à Cherſon , à Kamf
tchatka & à Ockoska, On eſpère qu'avant
qu'il ſoit peu notre marine encore foible
, aura acquis des accroiſſemens affez
conſidérables , pour ne rien envier à celle
( 51 ) 1
des autres grandes Puiſſances maritimes.
:
On continue de faire marcher des troupes
vers les frontières de la Tartarie & de la
Turquie , on y fait paffer auſſi de l'artillerie.
Le retour du Courier qui a été expédié à
Conſtantinople , nous donnera , fans doute
des lumières ſur l'état des affaires de la Crimée
, & fur les diſpoſitions du Grand- Seigneur
à cet égard.
DANEMARCK.
,
De COPENHAGUE , le Is Septembre.
Le Capitaine Fuglede , dont la relâche
au Cap de Bonne-Eſpérance a été l'occaſion
de tant de plaintes de la part de notre Cour
aux Etats-Généraux des Provinces- Unies ,
vient d'arriver avec ſon vaiſſeau. On va
bientôt procéder aux examens indiſpenſables
pour éclaircir cette affaire , fur laquelle la
CompagnieHollandoiſe des Indes a répondu
pardes récriminations graves , contre le Capitaine
Danois. On dit que l'Envoyé de la
République a été invité à ſe rendre à hord
du navire , pour être préſent aux interroga
toires qu'on devoit faire à l'équipage.
>> 358 vaiſſeaux , au nombre deſquels eſt le con
voi Anglois qui s'étoir accri juſqu'à 250 navires ,
écrit- on d'Helsingor, obligés le 10 , par le calme
de revenir dans le Sund , en remirent à la voile
le 11 , avec un vent plus favorable. Le même jour
il y arriva de nouveau 36 bâtimens ; & le 12 , 34
autres de la Baltique : parmi les derniers , s Anglois
qui continuerent fur - le- champ leur route
1
1
C2
( 52)
pour tâcher d'atteindre le convoi.-Lorſque la
frégate Angloiſe le Mercure entra le 7 au ſoir dans
ce pert , ſon pavillon n'étoit pas hiffé à l'extrémité
du grand mât ; il étoit caché en partie par
la voile : le Commandant du Château la prit pour
une lettre de marque ; & fur ce qu'elle n'amenoit
point , il lui tira deux coups à balle. Le Capitaine
en porta plainte; mais il paroît que l'affaire a été
affoupie. -On travaille depuis quelque tems a
rendre ce port plus profond , & on remarque que
ce travail avance avec ſuccès «.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Septembre.
LES Diétines pour l'élection des Nonces
qui doivent aſſiſter à la Dière prochaine ,
font déjà aſſemblées par-tout ; les nouvelles
qu'on en reçoit apprennent qu'elles font
très- tumultueuſes , & qu'il y a eu déjà du
fang répandu dans quelques-unes. Tout cela
nous annonce que la Diète ne ſera pas moins
orageuſe.
Le nouveau Miniſtre de la Cour de Londres
, M. Dalrymple , arrivé depuis peu
ici , a eu la première audience du Roi.
Toutes les nouvelles des frontières de la
Turquie , ne parlent que de la fermentation
qui ſubſiſte toujours en Crimée ; les Tartares
, dit-on , ne veulent point abſolument
du Khan qu'ils ont forcé à prendre la fuite ;
ils prétendent conſerver celui qu'ils ont
élu , & ils ſe préparent à le ſoutenir les
armes à la main,
1
( 53 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 1er. Septembre.
ON croit que le Comte & la Comteſſe
du Nord arriveront inceſſamment dans cette
Capitale. La Princeſſe Elifabeth de Wurtemberg
les accompagnera , dit- on , & reftera
enfuite dans cette Réſidence.
On parle beaucoup depuis quelque tems
des évènemens qui ſe ſont paſſes ſur les
frontières de la Turquie ; la manière dont
ils ont été préſentés dans divers papiers publics
, leur donnoit une importance qu'ils
n'ont pas ; on a reçu de la Croatie une
relation qui n'eſt peut-être pas plus exacte ,
mais qui les réduit à leur juſte valeur , &
dont nous placerons ici l'extrait.
>> Quatre à cinq cens vagabonds Turcs ayant
paffé la Save , exercèrent des brigandages ſur le
territoire Autrichien, où ils pillèrent & maſſacrerent
impitoyablement une quantité de gens de campagne
& emmenèrent leurs beftiaux. On en demanda
fatisfaction au Bacha. Sur la réponſe peu
fatisfaiſante qu'on en reçut , on fit marcher 1200
Croates & 400 Huffards ſur le territoire des
Turcs , avec quelques pièces de campagne ; les
Turcs s'étant préſentés , on tira de part & d'autre.
Le feu fut vif, un Lieutenant & un Auditeur
des troupes Impériales perdirent la vie ; il y cur
quelques bleſſés , & on donna une leçon aux Ottomans
, en pillant quelques-uns de leurs villages «.
Ce ne font pas les brigands Turcs ſeulement
qui commettent des déſordres dans
quelques endroits. On lit dans une lettre
C3
( 54 )
de Bude les détails ſuivans , d'excès bien
étranges & bien horribles.
>>>La troupe des ſcélérats qui infeſtoit plufieurs
Provinces de ce Royaume , eſt en partie diſperſée
&détruite depuis que le Chef en a été pris . On
en a déja envoyé 40 au ſupplice ; 115 autres font
dans les fers . Ces monſtres avoient un repaire
fouterrain , au milieu d'un bois fombre & valte
où ils traînoient les cadavres des victimes qu'ils
avoient aflaffinées; & ce qu'on aura de la peine
à croire , c'eſt qu'ils en dévoroient enfuite les chairs
après les avoir rôties. Le Chef a été ſaiſi par un
Garde de la Prévôté de Frauenmarck , qui , accompagné
de quelques payſans , a en le courage de
s'enfoncer dans cette forêt ; peu s'en eſt fallu qu'il
n'ait été la victime de ſon zèle. On lui deſtine
une très -groffe récompenfe «.
د
Tous les Hopitaux de cette Ville doivent
être réunis à celui qu'on appelle l'Hopital
Eſpagnol ; on aggrandira ce bâtiment , qui
eſt déjà très-vaſte , pour pouvoir y placer
commodément tous les malades. Les perſonnes
qui y étoient entretenues recevront
des penſions annuelles on enverra à la
campagne avec 10 kreutzers par jour celles
qu'on gardoir dans la maiſon des pauvres.
Les enfans trouvés , les orphelins , feront
mis dans la maiſon des orphelins. On y
établira des fabriques , où tous les gens de
métier qui manqueront de travail , pourront
ſe retirer pour s'occuper. Par cet arrangement
on économiſera des ſommes conſidérables
, avec leſquelles on foulagera un plus
grand nombre de malades & d'infirmes .
Un Particulier a trouvé le ſecret de fé
( 55 )
cher le bled , & de rétablir celui qui eſt
gâté & attaqué par les vers , de manière que
la farine qu'on en tire peut ſe garder près
de so ans. Il a fait ici avec du bled gâté
pluſieurs effais qui ont fi bien réuſſi , qu'on
en a fait de très bon pain de munition .
ככ Les régimens qui devoient former ici un
camp, écrit-on de Prague , teſteront aſſemblés julqu'au
20 de ce mois; ils manoeuvre ont pendant
ce tems & retourneront enſuite dans leurs quartiers
reſpectifs. On ſe flatte toujours que l'Empereur
viendra dans cette Ville. Il fera , dit- on , vers
la fin d'Octobre , un voyage dans ce Royaume
pour voir les nouvelles fortereſſes de Therefienſtadt
& de Pleff; & on ſe flatte qu'à cette occafion ,
il honorera auſſi cette Ville de ſa préſence «.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
Le dernier incendie de Conſtantinople
rapporté dans tous nos papiers , paroît à
biendes perſonnes être fort exagéré ; on ne
porte pas à moins de 66,000 maiſons celles
qui ont été réduites en cendres ; fi l'on joint
à ce nombre les 10,000 qui avoient éré
confumées dans les deux précédens , le calcul
ſera effrayant ; mais est-il bien exact ?
Cette ville , quelque grande qu'on la ſuppoſe,
contenoit-elle en effet 152,000 maiſons
au moins qu'elle devoit avoir eues avant les
incendies , qui en ont , dit-on , brûlé la moitié
? Combien en compte-t-on dans Paris ,
qui , certainement , eſt une auſſi grande
ville ? S'il y a , comme il est vraiſemblable ,
de l'exagération dans ces calculs, il eſt à déſirer
C4
(56 )
1
qu'il y en ait auffi dans ce qu'on dit des
troubles & de l'eſprit de révolte qui règnent
parmi le peuple. Nous nous contenterons
de rapporter ici les détails que l'on en donne
, ſans les garantir ni les combattre.
Depuis fix ſemaines , cette Ville eft le théâtre du
déſordre & de la défolation. Les Incendies réitérés
qui ont eu lieu entre le 16 & le 25 Juillet ,
avoient été des marques trop certaines du mécontentement
des Janiſſaires. Les murmures de ce Corps
éclatèrent dans les premiers jours d'Août par une ſédition
ouverte ; ils ne parloient pas moins que de faire
deſcendre le Grand-Seigneur du Trône; mais la dépofition
de leur Aga qui fut faite ſur-le-champ & le paiement
de leur folde conjurèrent pour le moment l'orage;
on leur diſtribua sooobourſes (environ 2,500,000
écus , & ils ſe retirèrent ſatisfaits. Le 21 Août les
mécontens mirent de nouveau le feu à la Vil'e. L'incendie
a été terrible , il eſt impoſſible de peindre
toute l'horreur du ſpectacle qu'offrent les ruines encore
fumantes; & la détreſſe des infortunés habitans
eſt inexprimable. En attendant les ſéditieux ont rempli
leur voeu. S. H. s'eſt enfin déterminée à éloigner le
Grand- Viſir qu'il aimoit , & qui a été déposé & exilé
àDémotica. Le Tefterdar , le Chiaouxbaſchi & plafieurs
autresGrands ont partagé ſa diſgrace. Malheureuſement
l'eſprit d'Anarchie & de révolte ne règne
pas dans la ſeule Capitale , il eſt général dans les Provinces
; cependant au milieu de cette fermentation intestine
, on demande une guerre étrangère ; les Gens
de Loi ſur-tout font tous leurs efforts poury engager
le Sultan , & quoi qu'elle ne ſoit pas déclarée encore,
on la regarde comme très-prochaine ".
Suivant les lettres de Berlin , le Baron de
Hertzberg , Miniſtre d'Etat , y eſt actuellement
de retour; on dit qu'il a rapporté à
( 17 )
S. M. que moyennant une dépenſe de 60,000
écus , il étoit poſſible de mettre le port de
Schwinemunde en état de recevoir les plus
gros bâtimens . On ajoute que S. M. a propoſé
en conféquence à la Régence de Pomeranie
d'avancer cette ſomme en conſidération des
avantages que cette Province pourroit retirer
de ce port.
>>>On attend avec impatience , écrit- on de Ratis .
bonne , ce qui fera arrêté entre les Catholiques & les
Proceſtans , relativement à la grande diſcuſſion qui
règne dans les Colléges des Comtes de Weftphalie &
de Franconie. Il a paru ici , ily a quelques jours , à ce
ſujet , une brochure dont on a arrêté fur-le- champ la
circulation&dont on a confiqué tous les exemplaires ;
elle a poar titre : Encouragement à la compoſition
des contestations des Comtes , & Obfervations fur
les propofitionsfaites par les Ministres Catholiques
& les Ministres Proteftans <<.
On affure que les Cours de Vienne & de
Dreſde font en négociation pour un traité
d'amitié & de commerce.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Octobre.
La malle arrivée le 23 de New-Yorck ,
à bord de la Liberty ( & non le Lively ) ,
tranſport armé , contenoit des lettres du 20
Août , par leſquelles il paroît que l'eſcadre
Françoiſe a été vue ſur la côte , mais qu'elle
n'a pas tardé à s'en éloigner , ſoit pour aller
ſe réparer à Boſton , ſoit pour effectuer
quelque expédition ſecrette. Le premier
C5
( 8 )
objet paroît le plus vraiſemblable aux Po
litiques , qui fondent leurs conjectures ſur
ce que chacun des vaiſſeaux de M. de Vaudreuil
porte 200 foldats , & fur ce que les
troupes Françoiſes cantonnées dans la Virginie
, viennent de quitter cette province
pour ſe porter dans la partie ſeptentrionale
du continent. Si l'Amiral Pigot s'eſt mis à
la pourſuite de l'eſcadre Françoiſe , nous
ne tarderons point à recevoir des nouvelles
de la plus grande importance ; mais au départ
de la Liberty on n'avoit point encore
entendu parler à New-Yorck de cet Amiral
qui étoit attendu avec impatience. On lit
dans un papier de Philadelphie arrivé avec
la dernière înalle , les feuls détails ſuivans à
ce ſujer.
>> Les vaiſſeaux Anglois qui avoient paſlé is
jours à Wineyard, pour piller le pays , paſsèrent le
20 Juin devant New- Yorck , & avoient enlevé aux
habitans 1500 moutons & environ 200 bêtes à
corne. L'apparition d'une flotte Françoiſe a , dit- on ,
beaucoup accéléré le départ de l'ennemi. Si cela
eſt vrai , nous devons nous attendre à des nouvelles
intéreffantes . - Le premier Août. La nouvelle nous
eſt venue hier de Jerſey , que 3 vaiſſeaux de guerre
Anglois avoient été chaſſes ſur la côte , près de
Shen'sbury , par l'eſcadre Françoiſe; mais nous ne
favons encore ni la date , ni le tems de cet évènement
".
La Cour n'a rien publié des nouvelles
qu'elle a reçues de New-Yorck , à l'exception
d'une lifte des priſes faites par le
Contre-Amiral Digby , depuis le premier
Mai juſqu'au 11 Août , & la lettre.fuivante
( یو )
:
adreſſée à ce Contre-Amiral par le Capiraine
Salter , commandant la frégate la Santa-
Margarita , en date du 18 Août.
ככ J'ai l'honneur de vous informer que le 29
du mois dernier , au point du jour , je donnai chaffe
à une voile que j'apperçus dans la bande du S. E.
Le vent étoit au N. E. quart N. , & le Cap
Henry nous reſtoit alors à l'Oueſt , à la distance
d'environs lieues . M'érant approché à un mille &
demi du vaiſſeau chaffé , je reconnus par les ſignaux
&les manoeuvres qu'il fit , que c'étoit une frégate
Françoiſe , de force égale à nous ; mais m'étant
apperçu que 8 gros vaiſſeaux , dout 2 n'étoient pas
fort éloignés , arrivoient ſur nous à force de voiles
, je virai vent arrière , après avoir pris l'avis
de mes Officiers , & je m'éloignai de la frégate
Françoiſe , & portai au nord , ayant à craindre
tout-a-la-fois & l'ennemi , & d'être jetté à la côte ,
vu la direction du vent qui ſouffloit du large. La
frégate nous donna chaſſe juſqu'à 3 heures aprèsmidi
; alors elle vira de bord & porta à l'Ouest.
Comme nous ne découvrions plus les gros vaifſeaux
de la tête du mât , & que le tems étoit trèsclair
, mes Officiers & mon équipage exprimant
le vif defir qu'ils avoient de combattre la frégate ,
je fis virer de bord & porter ſur elle. Au bout d'un
quart-d'heure , elle vira auſſi de bord & porra fur
nous. As heures les 2 frégates étant à la diſtance
d'une encablure l'une de l'autre , l'ennemi ayant
ſes amures à tribord & nous à babord , il nous
envoya une bordée & vira auſſitôt vent arrière.
Nous attendîmes pour lui ripoſter que l'occaſion
ſe préſentât de l'enfiler pendant qu'il viseroit , ce
que nous exécutâmes avec ſuccès de nos canons
de tribord. Nous nous en approchâmes enſuite inſenſiblement
à la portée du piſtolet , lui préſenrant
notre côté de tribord , nous continuâmes de
c6
1601
nous battre dans cette pofition; le combat fut trèsvifde
part &d'autre & dura une heure un quart. La
frégate Françoiſe amena alors ſon pavillon. C'étoit
l'Amazone de 36 canons ( de 12 & de 6 livres
de baile ) & de 301 hommes d'équipage. Elle étoir
commandée par le Vicomte de Montguiotte , qui
fut tué au commencement de l'action . J'envoyai
un Lieutenant & un tiers de mon équipage pour
l'amariner. Nous fimes tous les efforts poſſibles
pour réparer nos dommages & faire paffer les prifonniers
à notre bord, afin de nous rendre ici le
plutôt poflible & d'éviter les autres vaiſſeaux , qui ,
fuivant le rapport des Officiers François , faiſorent
partie d'une eſcadre de 13 vaiſſeaux de ligne , ſans
compter les frégates ; mais ily eut des délais inévitables
occaſionnés par le manque de chaloupes n'en
ayant qu'une ſeule en état d'être miſe à la mer , ( laque
le tranſporta à notre bord 68 priſonniers , y
compris les Officiers ) & par l'état délabré de
l'Amazone qui avoit perdu ſon grand mât & fon
mât d'artimon auſſi-tôt après avoir amené pavillon.
Nous fûmes obligés de la prendre en remorque pendant
la nuit à cauſe des dommages qu'elle avoit reçus
pendant le combat. Nous mêmes dehors toutes les
voiles que nous pûmes & fîmes route au N. E. dans
l'eſpérance de nous éloigner des autres vaiſſeaux ;
mais au point du jour nous reconnûmes distinctement
toute l'eſcadre Françoiſe qui nous fuivoit forçant
de voile. Je fis revenir auſſi-tôt à bord mes Officiers
& la partie de l'équipage qui étoit paffée ſur
la frégate Françoiſe ; je fis couper le grelin de remorque
& laiſſai dériver ma chaloupe , n'étant pas
en état de la rembarquer , & j'abandonnai la prife
après avoir ordonné de couper le peu qui lui reſtoit
de ſon gréement de l'avant. Si le tems & les circonftances
m'euffent permis de faire paffer à mon bord
tous les prifonniers , j'aurois donné ordre qu'on
mit le feu à la frégate Françoiſe , afin d'empêcher
( 61 )
qu'elle ne fût repriſe par l'ennemi.-Je ne faurois
donner trop d'éloges à la conduite de mes Officiers &
de mon équipage , à raiſon du courage & de l'ardeur
qu'ils ont montrée pendant l'action , & auſſi à raiſon
de l'activité qu'ils ont miſe à réparer les dommages
que nous avions eſſuyés , pour être en état d'échapper
à l'ennemi. Je ne puis en même-tems paſſer ſous
filence la conduite brave & diftinguée du Vicomte
de Montguiotte , lorſqu'il mena ſa frégate au combat.
Après qu'il eut été tué , le Chevalier de l'Epine ,
Capitaine en ſecond, (auquel le commandement étoiť
dévolu ) fit tout ce qu'un Officier expérimenté pouvoit
faire dans ſa poſition ; car ſi l'on confidère qu'il
étoit bleſſé , que tous ſes Officiers , à l'exception
d'un ſeul , & environ la moitié de ſon équipage
étoient tués ou bleſſés , que ſes mats étoient fi endommagés
qu'il devoit s'attendre à chaque inſtant
à les voir tomber à la mer ; fi l'on confidère en
outre que plufieurs de ſes canons étoient démontés ,
& qu'il y avoit quatre pieds d'eau dans le fonds de
calle; j'oſe croire , dis-je , que toutes ces circonstan
ces le juſtifierent aux yeux de ſon Roi & de fa
Patrie , qui reconnoîtront la néceſſité où il étoit de
ſe rendre. Les dommages efſuyés par la frégate
de S. M. & le nombre d'hommes tués &bleflés dans
le combat ne ſont que peu de choſe en comparaiſon
des dommages effuyés par l'ennemi & de ſa perte.
Notre grand mât fat percé par les boulets en plufieurs
endroits ; le mât de miſaine, le grand & le
petit mât de hune & le mât de perroquet de fougue
furent endommagés , ainſi que pluſieurs vergues.
Quelques charges à mitraille ſe logèrent dans notre
doublage de cuivre à fleur d'eau. Nos voiles , nos
manoeuvres courantes & dormantes ( à l'exception
des haubans d'artimon ) ont été entièrement coupées
en pièces. Nous avons eu cinq tués & dix- sept bleffés
pendant le combat : parmi les premiers eſt M.
Dalrymple , jeune homme de beaucoup de mérite,
( 62 )
qui , s'il eût vécu, ſe ſerait diſtingué dans ſon état ;
& parmi les derniers eſt le ſieur Otro , qui a eu le
bras emporté par un boulet. Le nombre des tués à
bord l'Amazone , ſuivant le rapport des Officiers
François , ſe monte à 70 hommes , y compris les
Officiers , & celui des bleſſés à 70 ou 80. La Santa-
Margarita avoit 36 canons & 255 hommes d'équipage.
M. William Dalrymple , Garde-Marine , &
4 matelots ont été tués , un maître d'équipage &
16 matelots bleffés .
Parmi les autres détails qu'offrent les
papiers Américains , nous citerons ceux- ci.
De Boston le 15 Juillet. MM. Balcock , Stoddard
, Woodbury & Tibbers , Capitaines du Héro ,
du Scammel , du Hope , & du Swallow , ayant
réſolu de ſurprendre la ville de Lunebourg , ficuée à
10 lieues à l'ouest de Halifax , ont débarqué le premier
Juiller , à deux milles au-deſſous de la ville ,
avec 90 hommes , commandés par le Lieutenant
Batteman. Ces braves gens ſe rendirent à la ville
avec la plus grande célérité , & malgré les vives
décharges de l'ennemi , ils brûlèrent la maiſon du
Commandant , & le fort qui eft au Nord de la
ville. Ils enclouèrent 2 canons de 24 livres de
balles , & forcèrent l'ennemi à ſe refugier dans la
fort qui eſt au ſud de la ville. Il s'y défendit par
le feu le plus animé , paroiſſant vouloir tenir jafqu'à
la der ière extrémité ; mais quelques coups de
canon de 4 livres de balle , tirés du Héro , les forcèrent
à ſe rendre priſonniers de guerre . Les vainqueurs
commencèrent alors le pillage , vuidèrent les
magaſins , & s'emparèrent d'une quantité confidérable
de denrées & de proviſions de tout genre ,
fans compter 20 poinçons de bon rum d'Amérique,
Sachant que l'ennemi approchoit , le Lieutenant
Batteman fit enclouer 2 pièces de 18 livres de
balle , & embarquer ſur le Scammel tout ce que
1631
ہیل
fes gens avoient pris dans les magaſins du Roi.
D'ailleurs il s'eſt conduit envers les habitans avec la
plus grande honnêteté , il leur a même laiſſé tous
leurs effets . La ville a été taxée à 1000 liv. ſterl.
de rançon , & le Colonel Creighton a été conduit
avec les principaux habitans à bord du Scammel.
Du côté des vrais Enfans de la liberté , il y a
eu 3 hommes bleſſés légèrement & 1 dangereuſement.
Les Partiſans du despotisme ont eu beaucoup
de tués & de bieſſes , ſans qu'on puiſſe en
déterminer le nombre.
> De Philadelphie le premier Août , toute la milice
de la Caroline ſeptentrionale eſt partagée en
claſſes de vingt hommes; chaque claſſe doit fournir
un Soldat continental & l'équiper complettement. Un
certainnombre de claſſes est chargé de fournir des
chariots & des attelages qui doivent être propriétés
continentales. Ces règlemens peuventproduireenviron
1500 Soldats de plus & trois chariots, eu égard aux
déficit qui ne peuvent manquer d'avoir lieu dans un
pays ruiné par l'ennemi qui tout récemment encore y
portoit de toutes parts le ravage & la deſtruction . La
levée des hommes , leur équipage & la fourniture
des tentes coûteront à chaque clafſe au moins 350
dallers. Les frais pour chaque attelage & chariots
complets monteront environ à 100. La dépenſe générale
ſera au moins de 575,000 dollars . -Outre la
ſomme néceſſaire pour l'enrôlement des troupes ,
l'Aſſemblée a ordonné qu'il ſeroit levé pour la préſente
année deux taxes , dont l'une en proviſions &
l'autre en argent. Toutes les terres doivent être eftimées
en argent , ainſi que les beftiaux , eſclaves ,
fonds dans le commerce & voitures . Sur ces articles
les Propriétaires payeront pour le ſervice immédiat
de l'armée unetaxe ennature; ſavoir : bled, froment ,
ris , avoine , ſeigle , farine , ſel & viande ſalée ou
fraîche de boeuf ou de porc. Les habitans de la Caroline
ſeptentrionale payeront auſſi une taxe pécuniaire
( 64 )
,
pour l'objet général d'un revenu. Mais comme dans
un grand nombre d'endroits de cetEtat , il ſeroit impoiſible
de trouver affez d'argent comptant pour le
paiement de cette taxe, il a été réglé que les trois
quarts de la taxe pourroient être payés en tabac
rendu dans un port , en pelleteries , chanvre , cire
porc enbarils , en toile. Ces articles ſont eſtimés ſur
le pied d'environ 25 pour 100 au- deſſous de leur
prix courant , parce qu'il eſt de l'intérêt des habitans
de payer argent comptant lorſqu'ils le pourront.
Il eſt aufli à propos d'obſerver que pendant tout l'hiver&
le printems il s'eſt fait toutes les ſemaines dans
preſque toutes les parties de cet Etat des enlèvemens
conſidérables ou plutôtd'amples contributions de porc
&de gros bétail pour le ſervice de l'armée du Sud.
-Comme le bruit s'eſt répandu que la Caroline ſep.
tentrionale avoit refuſé de fournir ſon contingent
pour les dépenſes de l'armée confédérée nous pouvons
aſſurer le public , d'après la meilleure autorité ,
que cetEtat, dans ſon aſſembléedu mois de Mai dernier
, a donné les preuves les plus évidentes & les
moins équivoques de ſa réſolution à remplir juſqu'au
deraier point les demandes du Congrès autant que
peut le permettre la rareté actuelle des eſpèces dans
ce pays ".
,
Du 3 Août. Il vient d'arriver ici un Particulier
qui eſt parti depuis trois ſemaines du Quartier-Général
du Général Green. Nous apprenons par lui
qu'un Oficier du Général Vayne elt arrivé au camp
du Général Green avec l'agréable nouvelle de
l'évacuation de Savanah par les Anglois ; ſelon les
apparences ils évacueront auſſi Charles-Town ; diverſes
circonstances tendent à confirmer cette opinion
, & les voici : les Négocians de la Ville ont
prié leGénéral Leſlie de leur accorder quelque tems
pour arranger leurs affaires avant le départ de la
garniſon ; les priſonniers Américains ont en la liberté
de quitter la Ville ſur leur parole ; le Major
( 65 )
Skelley , Aide-de-camp du Général Leſlie , après
avoir été pris à bord d'un petit bâtiment de 8 canons
, avec des dépêches pour New- Yorck , a eu la
permilion de ſe rend e à Charles-Town for fa parole
, & de ſon côté M. Pendelton , Chefde Juftice
de la Caroline méridionale , a obtenu celle d'en fortir;
les troupes témoignent la plus grande ardeur dans
le camp de notre brave Général , qui ſe diſpoſoit à
prendreune nouvelle poſition à dix milles de Charles-
Town. Le terrein étoit déjà déſigné , & l'armée devoit
ſe mettre en mouvement le lendemain du départ
du Particulier de qui nous tenons ces nouvelles .
-Un bâtiment de Charles-Town ayant à bord des
prifonniers Américains deſtinés pour la Chéſapéak ,
a été arraiſonné il y a 8 jours à l'entrée de cette
baie ; les gens à bord ont donné les mêmes nouvelles
par rapport à Savanah & à Charles - Towa.
Ils ont dit auſſi que pluſieurs autres bâtimens les
ſuivroient inceſſamment ſur la même route .
Maintenant tous les regards font fixés
ſur les négociations du Chevalier Carleton ;
la poſition de ce Général doit être trèsembarraſſante
, puiſqu'il eſt ſans ceffe occupé
non-ſeulement à faire avorter les
deſſeins de l'ennemi , mais encore à appaiſer
les clameurs des Loyaliſtes. La lettre qu'il
a écrite de concert avec l'Amiral Digby ,
au Général Washington , en leur faiſant
craindre d'être abandonnés à la puiſſance
du Congrès , a répandu le déſordre & la
conſternation dans New-Yorck. Ona affiché
par-tout dans cette ville des libelles & des
paſquinades , & le portrait d'un certain
Miniſtre a été traîné dans les rues , enfuite
brûlé au milieu des clameurs d'une popu(
66 )
lace effrénée. Après tous ces excès les Loya
liſtes & les habitans de New- Yorck ont
déclaré que ſi la Grande- Bretagne les abandonnoit
, ils ſe défendroient contre les armes
du Congrès , & ne tarderoient point
à former un corps impoſant; en effet les
régimens provinciaux ſont portés , dit- on ,
à 20,000 hommes. New-Yorck renferme
10,000 réfugiés , & les 13 Provinces , à ce
qu'on prétend , font remplies de Loyaliſtes.
Mais le Gouvernement , affurent pluſieurs
de ros feuilles , loin d'évacuer New-Yorck
en abandonnant les Loyaliſtes à la puiſſance
du Congrès , eſt déterminé , ſi les Américains
refuſent nos propoſitions de paix , à
continuer la guerre , & à envoyer de nouvelles
troupes pour renforcer les garniſons.
Tous ces bruits inquiètent les vrais patriotes,
qui craignent que le terme tant déſiré
de la paix , auquel nous avons cru toucher ,
ne ſoit encore éloigné , chaque jour faiſant
naître de nouveaux obftacles.
Nos fonds hauflèrent ily a quelques jours
d'une manière affez frappante ſur le bruit
qui ſe répandit de l'arrivée d'un Négociateur
François ; mais depuis leur baiſſe a été
rapide , ſans qu'on ſache poſitivement à
quoi en attribuer la cauſe. Nos papiers fourmillent
à ce ſujet de conjectures & de
ſpéculations trop folles pour être répétées.
Cependant un d'entre eux , le Morning-
Chronicle , rapporte avec tant de confiance
( 67 )
l'article ſuivant , qu'on ne ſauroit le re
jetter.
>> On a reçu à New-Yorck les papiers Américains ,
la veille du jour que le dernier paquebot a mis à la
voile. Ils contiennent cette réponſe faite par le Congrès,
à la lettre des Commiſſaires de la G. B. -Arrêté
, que le Congrès n'a reçu de ſes Miniſtres dans
les Pays étrangers aucune intimation ſemblable à
celle qui lui a été faite & qu'il regarde comme infidieuſe.
En conféquence , il invite les Etats-Unis à
faire un nouvel effort pour chaſſer du Continent les
troupes du Roi & les Loyaliſtes . -Le Lord Shelburne
, ajoute le Morning Chronicle a déclaré
que les conditions offertes par MM. Carleton &
Digby n'étoient ni de ſa connoiſſance ni de fon
aveu. Il eſt certain qu'elles portent le cachet de
l'Adminiſtration précédente ".
Tous ceux qui ſuivent avec intérêt les
révolutions de l'Etat , attendent avec anxiété
l'ouverture de la prochaine ſéance du
Parlement ; & il eſt conſtant que ce n'eſt
qu'à cette époque qu'on pourra affeoir un
jugement certain ſur la tournure que vont
prendre nos affaires , & fur les diſpoſitions
du Gouvernement. Tout ce que diſent nos
papiers , relativement à l'Amérique , ſe réduit
à ceci.
Le Gouverneur Franklin , arrivé dernièrement de
New-Yorck , a eu hier une longue conférence avec
le Roi , au ſujet des affaires d'Amérique , & il a remis
à S. M. les adreſſes des Loyaliſtes de New-
Yorck. Il a eu auſſi divers entretiens particuliers
avec les Miniſtres du Roi , & l'on affure qu'il affiltera
à un Conſeil extraordinaire , qui ſe tiendra excluſivement
ſur les affaires de l'Amérique.
On dit que le 19 il a été décidé au Conſeil de
( 68 )
dreffer une Commiſſion ſcelléedugrand ſceau de la
G. B. , par laquelle on donnera des pleins pouvoirs
au Chevalier Carleton & à l'Amiral Digby , pour
conclure la paix avec l'Amérique , ſur le pied de
l'Indépendance , ou ſéparément avec quelques-unes
des Provinces , ou avec différentes corporations. On
ajoute que cette Commiſſion a été envoyée au Chancelier
, qui l'a renvoyée à Londres le 23 au foir.
Elle ſera expédiée pour New- Yorck avec la plus
grande diligence.
Par les inſtructions que l'on enverra en Amérique
, les Loyaliſtes ne ſeront point livrés au pouvoir
du Congrès ; & s'ils ne ſont point réintégrés
dans leurs poffeffions , ils ſeront traités comme une
corporation particulière , & foutenus dans leurs prétentions.
Un des papiers du ſoir annonce qu'on a ſcellé à
la Chancellerie , une Commiſſion ſignée par S. M. ,
qui nomme M. Oswald , Commiſſaire , pour negocier
la paix avec les Treize Etats-Unis d'Amérique.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck , le
Capitaine Aſgill étoit en très-mauvaiſe ſanté, par
les fuites d'une maladie épidémique. Cet Officier
étoit encore détenu le 18 Août.
La Nation défire généralement la paix ,
chacun la croit d'une néceſſité urgente ;
mais nos finances ſont dans un état fi
effrayant , que l'on craint que cet évènement
même ne puifle nous retirer de l'abîme
, en rendant la dette nationale moins
onéreuſe , ou en la faiſant baiffer ; car il
eſt incontestable que depuis 92 ans , nous
avons eu exactement autant d'années de
guerre que de paix.
La guerre de la révolution aduré depuis Ann.
1688 , juſqu'en 1696 , incluſivement •
و
( 69 )
La guerre de la Succeffion, depuis 1702 ,
juſqu'en 1713
La guerre cor tre l'Eſpagne & la France ,
depuis 1739 , juſqu'en 1748
1763 .
La dernière guerre , depuis 1755 , juſqu'en
La guerre actuelle , depuis 1775 , juſqu'en
1782
Total des années , depuis la première époque
,juſqu'à la préſente •
Total des années de guerre
Total des années de paix •
11
10
8
8
92
45
46
Il eſt donc évident , d'après ce calcul , que nous
avons eu ( & probablement aurons toujours) autant
d'années de guerre que de paix , & comme , dans
une ſeule année de guerre , nous empruntons plus
d'argent que nous n'en pouvons rembourſer en dix
années de paix , il eſt aſſez clair que la dette nationale
doit continuer de s'accroître. Le Lord North a acquitté
neuf millions de notre dette pendant la paix ,
&il a emprunté treize millions pour faire face aux
ſeules dépenſes de l'année actuelle. Une telle diſproportion
, entre les dettes acquittées & les destes contractées
, épuiſeroit les moyens de toutes les Puiſſances
de l'Europe réunies.
» Le Comte de Shelburne , dit à cette occafion
in autre papier , compte fort pen ſur la proximité
de la paix , c'eſt ce que l'on croit appercevoir dans
ſon activité à travailler aux moyens de ſubvenir aux
dépenſes d'une campagne vigoureuſe pour l'année
prochaine. Il ſe propoſe de lever les ſubſides néceffaires
, même avant la fin de l'année , & fans
recourir à un emprunt , en impoſant un 10e pour
cent fur tous les revenus nets , ſoit en terre , commerce
, fonds capitaux , manufactures , main-d'oeavre
, hypothèques ou penſions. En ne portant le
revenu annuel de tous ces objets qu'à sent millions
(70 )
fterling , cela fait 12 millions d'intérêt net à re
pour cent ; ce qui , avec les revenus ordonnés , formera
une mafle conſidérable , qui mettra l'Angleterre
en état de continuer encore une guerre , dont
le terme , après tout , doit être l'épuiſement de la
Nation , tant en individus qu'en richeſſes " .
Cet arrangement ne paroît avoir aucun
fondement ; d'abord il reſte encore plus
de 6 millions ſterling du dernier emprunt
dont les fonds ſont à fournir pour le 16
Novembre prochain ; & enſuite peut - on
lever une impofition ſur les fonds publics ,
lorſque le Parlement s'eſt ſolemnellement
engagé à les en exempter.
On est toujours ici dans l'attente des nouvelles
de l'expédition de l'Amiral Howe. On
n'en a de ſon eſcadre que juſqu'au 16 de ce
mois; ellesont été apportées par les vaiſſeaux
qui en ont été ſéparés ; & cela a confirmé ce
que nous craignons , qu'elle n'ait beaucoup
fouffert des mauvais tems. On fait que les
vents ont été très-contraires depuis cetre
époque , & on n'eſt pas ſans inquiétude
fur les obſtacles qu'ils ont pu apporter à
ſa marche. S'il a pu la continuer ſans que
ſes convois ſe ſoient diſperſés , il ne doit
pas à cette époque tarder à arriver à ſa
deſtination. Nos papiers ne diſent plus qu'il
ne trouvera pas l'armée combinée ; on fait
qu'elle eſt dans la baie d'Algéſiras ; mais ils
n'en annoncent pas moins de grands ſuccès
pour notre Amiral. Ils ont ſoin de diminuer
la force de l'ennemi , en peignant ſes vaif(
71 )
feaux dans un état ſi mauvais , qu'ils ne
peuvent être de grand ſervice. A ce tableau
on oppoſe celui de notre eſcadre , qu'on
dit être la plus belle & la mieux équipée qui
foit fortie de nos posts ; il n'y a pas un
vaiſſeau , diſent - ils , qui ne foit dans le
meilleur état. Mais on oublie que parmi
ces vaiſſeaux , il y en a de très- vieux , tels
que le Blenheim,de 90 canons ; le Cambridge,
le Royal William , de $ 4 , & c. Ces vaifſeaux
ne font pas meilleurs que le Royal-
George , qui vient de couler bas ; la dépoſition
de l'Amiral Barrington , au ſujet de ce
vaiſſeau , doit faire trembler pour les autres.
Lorſqu'on le répara la dernière fois à Plymouth
, il dit au Charpentier qu'il ne
croyoit pas qu'ils puſſent parvenir à le
mettre en état de ſervir. Leur réponſe fut
qu'on leur avoit ordonné de le réparer commeon
pourroit pour l'éré, après quoi il ſeroit
condamné. L'Amiral répliqua : à la bonneheure
, s'il n'en arrive point de malheur
mais le bois en eſt très - pourri. Plufieurs
Officiers prétendent que le Blenheim , le
Cambridge , & le Royal-William , ne valent
pas mieux. De pareils vaiſſeaux ne
font pas une grande force dans une eſcadre
, & cette armée combinée , qu'on dit
en ſi mauvais état , n'en a point d'auſſi
vieux.
Quant aux nouvelles de Gibraltar on
dit qu'il en eſt arrivé ; mais elles ſont encore
du commencement de ce mois , & ne
172 )
peuvent par conféquent nous informer que
des difpofitions de défenſe. Le Général
Elliot s'attendoit , dit- on , à un aflaut le
10 de ce mois , & il ſe flattoit de repouffer
l'ennemi ; mais comme il ſavoit que cetre
attaque lui coûteroit une grande partie de
ſes munitions , il craignoit d'être dans le
cas de manquer bientôt de poudre , fi le
Lord Howe ne lui en apportoit pas une
nouvelle proviſion. Cet Amiral en conduit
une grande quantité ; il s'agit maintenant
de ſavoir s'il arrivera , & s'il pourra
exécuter ſa miſſion. C'eſt de cette expédition
que paroît à préſent dépendre le
fort de cette Place , que la nature a rendue
d'une attaque difficile , & que l'art à
ſu ſeconder depuis. Nos papiers nous donnent
les meilleures eſpérances ; c'eſt au
tems à les réaliſer ; il ne fauroit être éloigné.
Ils les regardent déja comme une affaire
faite ,&ils annoncent que l'Amiral ne s'arrêtera
à Gibraltar que le tems néceſſaire pour
débarquer les troupes & décharger les bâtimens
imunitionnaires ; après cela , ila , diton
, le deffein de protéger nos flottes , d'intercepter
celles de l'ennemi , & d'exécuter
encore une expédition ſecrette. Voilà bien
de l'ouvrage ; on ſera heureux s'il en fait
ſeulement une partie.
Deux des bâtimens arrivés de la Baltique
& chargés de mats , ont ordre de ſe
rendre aux Iſles ſans débarquer leur cargai-
: fon,
( 73)
Ton ; ils appareilleront avec le prochain
convoi .
L'Anfon , de 64 canons , Capitaine Rodney,
eſt arrivé de la Jamaïque à Portsmouth.
Il étoit parti le 26 Juillet avec l'Amiral Rodney
, dont il s'eſt ſéparé à la hauteur des.
Açores. Ce vaiſſeau , de conſerve avec la
Résolution , de 74 , parti de la Jamaïque
en même-tems , a rencontré & pris trois
bâtimens. Ces priſes ne ſont point encore
arrivées ; mais on les attend d'un moment
à l'autre ſous le convoi de la Résolution.
On a reçu avis de Bristol , que la Belle
Poule , venant de Corke , étoit arrivée à
Kings- Road , avec des tranſports qui ont à
•bord trois régimens de foldats , faiſant
partie des sooo hommes accordés par l'Irlande.
Ils alloient à Portsmouth ; mais le
vent contraire les a forcés de remonter le
canal de Briſtol. Ces troupes ſeront embarquées
ſur les bâtimens Marchands qu'on
raffemble aujourd'hui à Portsmouth, pour
fortir avec le convoi des Ifles .
Un papier det foir dit que le Lord Rodney
eft entré auComeil de S. M.
:
FRANCE.
De PARIS , le 8 Octobre.
On débitoit il y a quelques jours comme
une choſe fort extraordinaire & preſqu'incroyable
, que le Rainbow qui a pris la
frégate l'Hébé , l'avoit attaquée avec des
canons de 68 livres de balles deſtinés pour
12 Octobre 1782 .
d
( 74 )
Gibraltar. Le Rainbow n'étant que de 46
canons , & un vieux vaiſſeau , on rejettoit
bien loin l'idée qu'il pût faire uſage de
pièces de ce calibre. Aujourd'hui le fait eſt
conftaté par les certificats envoyés au Miniſtre
de la Marine par le Chevalier de Vigny
, commandant l'Hébé , certificats ſignés
par fon Etat Major , ſon équipage , & par
le Capitaine Trollope , commandant le
Rainbow ; ce vaiſſeau avoit 20 canons
de 68 livres , 20 de 42 & 6 de 32. On
dit que ces canons de nouvelle invention
font fort courts , &qu'un seul homme peut
les pointer au moyen d'une méchanique
adaptée à cet effer. Ce qu'il y a de plus
extraordinaire , c'eſt que juſqu'ici ces
eſpèces de carronades ne portoient pas bien
loin , & M. de Vigny écrit que dans ſaretraite
, ſes canons de 18 n'atteignoient pas
l'ennemi , tandis que les boulets de 68
tomboient à ſon bord. Ayant eu la barre
de ſon gouvernail coupée , & ſe trouvant
entièrement déſemparé & fans aucun eſpoir
d'échapper aux forces ſupérieures auxquelles
il avoit affaire , il amena ſon pavillon. L'article
ſuivant tiré d'un papier Anglois , intitulé
: The Exeterflying post , vient à l'appui
de ces détails.
>> Dimanche 8 du courant , ( Septembre ) eft
arrivée à Portsmouth l'Hébé , frégare Françoife. de
38 canons , dont 26 de 18 livres , commandée par
le Chevalier de Vigny , priſe par le vaiſſeau de S. M.
le Rainbow , de so canons , dont 20 de 68 , &
le reſte de 42 & de 32. L'Hébé alloit de St-Malo
( 75 )
àBreſt pour ſe faire doubler en cuivre , ( étant
tonte Reave ) & avoit avec elle un convoi chargé
de munitions navales , qui s'eſt échappé fain &
Lauf«.
On est toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; les bruits qui ſe ſont répandus
à diverſes repriſes ſe renouvellent ,
& on ne doute pas qu'ils ne ſe confirinent
enfin tôt ou tard. Celui de la priſe de Madras
vient aujourd'hui de tous les côtés ;
fans qu'en fache trop qui l'a apporté ,
quoique cette nouvelle ne ſoit pas officielle ,
il paroît qu'on y ajoute foi ; & elle eſt du
moins très-vraiſemblable. Le Pérou , navire
de M. de Monthieu , arrivé comme on l'a
dit à Vigo , n'a rien apporté. Il avoit quitté
Tifle de Bourbon le 4 Avril , à cette époque
on n'y ſavoit rien des opérations de
notre flotte dans l'Inde.
>> Le vailleau la Provence & la frégate la Vénus
écrit - on de Brest , viennent de paſſer en rade.
La Provence eſt commandée par M. de la Roque.
Le commandement des autres vaiſſeaux
dont l'armement eſt bientôt fioi , a été donné
ſavoir , celui du Conquérant à M. de la Galiſionière
, la Victoire à M. de Marigny , le Diadémé
à M. de Vidal , le Destin à M. d: Flottes , & le
Réfléchi à M. le Chevalier de Ventimille..-
construction de nos vaiſſeaux ne peut être poufiée
avec plus d'activité , & avant la fin de l'année , il
en fortira de tès beaux de notre port «.
La
On écrit de Toulon que les 35 bâtimens
qu'on a frétés dans les ports voiſins de ce
département , pour être chargés de nunitions
de guerre & de bouche , étoient tous
d2
( 76 )
rendus devant l'arſenal le 22 du mois dernier
, & qu'on s'occupoit à les charger avec
célérité. Leur deſtination étoit toujours pour
Cadíx , où ils recevront ordre d'attendre les
vailleaux François qui doivent partir de
Breft pour ſe joindre à l'armée combinée ;
ils verferont ſur ces vaiſſeaux les vivres &
les munitions dont ils pourront avoir be
foin en arrivant à Cadix .
Les nouvelles apportées du camp devant
Gibraltar par les Couriers qui en ſont partis
le 17 , ont rectifié quelques-uns des dérails
reçus précédemment , & en ont confirmé
les principaux. Les trois batteries
principales auxquelles les Anglois mirent
le feu le 13 , étoient commandées par M.
le Prince de Naſſau , M. de Moreno &
M. de Langara. Les ſept autres étoient
moins atteintes; mais lorſque l'on ſe détermina
à les abandonner pendant la nuit ,
on y mit le feu , & elles ſauterent le lendemain,
Les chaloupes de l'armée combinée
ſauvèrent la plus grande partie des équipages;
la plus grande perte vient de l'activité
avec laquelle ils ſe précipitèrent. Les
Anglois en ont ſauvé pluſieurs ; l'état que
le Général Elliot envoya le 15 an Duc de
Crillon , étoit de 335 priſonniers faits à cette
occaſion; il y avoit dans ce nombre 27 bleffés
dont il promettait d'avoir ſoin comme des
fiens.
» La Gazette de Madrid du 24 a donné la relation
des journées du 13 & du 14 Septembre ,
les détails en ſont conformes à ceux que nous avons
( 77 )
déja donnés. Elle compte dans les troupes Elpas
gnoles 41 hommes tués, 102 bleſſes grièvement ,
100 légèrement, 281 prifonniers & 94 égarés ; parmi
les François 45 tués , 34 bleſſés , II priſonniers
& 11 égarés. Le Capitaine D. Leon de Haro , de
P'artilleerriiee Eſpagnole,M. de Berard , Capitaine du
régiment de Bretagne , & M. Kilies , Capitaine da
régiment de Bouillon, font les ſeals Officiers tués.
M. de Langara, commandant la batterie flottante la
Paula , est le ſeul Officier de marque bleſfé. Parmi
les égarés , pluſieurs font revenus à Algéfras «
Depuis ce Courier il en eſt arrivé un
autre parti du camp le 22. Le fiége ſe continue
, les batteries de terre font un feu
épouvantable , auquel l'ennemi ne répond
pas. Les priſonniers qui ſont revenus au
camp affurent qu'il ne inanque d'aucune
proviſion. L'armée combinée alloit mettre
à la voile pour aller au-devant de l'Amiral
Howe. En reſtant dans la baie elle n'auroit
pas pu empêcher le ravitaillement ſi le vent
avoit tourné à l'Ouest àà l'approche de l'ef
cadre Angloiſe.
C'eſt le fort qu'aura l'entrepriſe du Lord
Howe qui décidéra de celui de Gibraltar ;
nous ignorons ce que cet Amiral eſt des
venu depuis le 16. Il eſt certain que pluſieurs
de fes tranſports avoient été alors
très- maltraités ; mais c'eſt le lendemain &
les jours ſuivans juſqu'au 22 que les coups
de vent ont été terribles , & ont dû les
fatiguer encore prodigieuſement. S'il a pu
parvenir à dépaſſer le Cap Finiſtere le 25 &
le 29 qu'il eut 48 heures de bon vent , nous
1
d3
8.4 MERCURE
jette dans la Meurthe , peut aider cette communica
tion&par- là encore celle de la Sarre à la Meurthe.
Cettejonction nous eſt donc préſentée par M. de
Biliſtein non-ſeulement comme probable , mais encore
comme très - praticable , & devant être la continuité
d'une grande navigation qui intéreſſe en général
le Royaume; je n'ai pas hésité de me décider
pour ce dernier ſeuil, qui va droit au but principal ,
Strasbourg. Voici ce que j'en dis en parlant de l'Alface,
pag. 80 de mon Ouvrage , qu'il ne manqueroit
plus à cette Province, au moyen des communications
ouvertes à la Lorraine vers la Capitale & les
Ports du Royaume , que d'établir celle de la Brusch
aveclaMeurthe par un canal dérivé de cette première
du côté de Salm,pour aboutir à la dernièrepar
la Vefouze au-deſſous & près de Lunéville. Cette
fimple indication d'une partie du ſeuil du côté de la
Meurthe , fans défigner précisément la partiedepuis
la Bruſch juſqu'à la Vefouze , ne pouvoit pas fournir
matière à une critique raisonnable, parce qu'il faut
néceſſairement connoître tout un plan pour le diſcuter
pertinemment; cependant M. de Fourcroix n'a
pas laiflé que de condamner le mien au fujet de
cette communication , quoiqu'il n'en connût que
très- imparfaitement une partie.
D'ailleurs , eſt ce avec des conjectures , des
affertions hafardées , des notions priſes ſur la Carte
de l'Académie,que ce Militaire dit être encore moins
exacte dans les montagnes qu'ailleurs , qu'il a prétendu
démontrer l'impoſſibilité de cette jonction par
la Veſouze , & que vous avez pu , Monfieur , affirmer
que cette critique étoit judicieuſe ? C'eſt avancer
des faits dont on n'a aucune certitude ; car vous
n'avez , non plus que M. de Fourcroix , envoyé
des gens experts dans les Mathématiques , l'Hydraulique
& les Nivellemens , le graphomètre , le com
pas, la toiſe, le jallon à la main , pour vérifier les
DE FRANCE. 85
points indiqués , & fixer ceux qui rendent l'exécution
praticable , la ſeule autorité avec laquelle vous
auriez pu raiſonnablement attaquer mon affertion;
c'eſt avec des faits authentiques que l'on combat
les opinions d'autrui , & non avec des conjectures
qui ne décident rien.
Je vais , Monfieur , vous démontrer la probabilité
de pouvoir opérer la jonction de la Bruſch avec
la Meurthe par la Veſouze. J'ai dit qu'on le pouvoit
du côté de Salm , ſans ajouter que cela ſe pût
directement par la Veſouze ; ainfi , quand M. de
Fourcroix a cru en avoir reconnu l'impoſſibilité
directement par la haute Veſouze ou par ſes affluens
de la rive gauche , pourquoi ne pas daigner jeter les
yeux fur ceux de la rive droite qui avoiſinent les
caux de la Sarre , nº . 142 de la Carte qu'il cite , &
en même - temps ſur des affluens de la Bruſch ,
n° . 162 ibid. qu'il cite auſſi ; alors il auroit certainement
vu la probabilité de pouvoir l'opérer nonſeulement
par la Sarre & la Veſouze , mais encore
par cette première & le Sanon , autre affluent de la
Meurthe, priſe du bout de l'étang de Richecourt à
celui de Ketzin, d'où fort un raiſſeau qui tombe
dans la Sarre. On le peut encore par la Seille , un
des affluens de la Moſelle , au moyen de pluſieurs
étangs ou lacs qui ſont entre Dieuze & la Sarre , à
une très petite diſtance les uns des autres ; & en
dérivant enſuite de la Seille au point de Nommeny ,
un Canal d'une lieue & demie ou environ pour
aboutir à la Moſeile à Pont-à-Mouffon , on mettroit
cette grande navigation preſque en droite
ligne vers les communications projetées pour joindre
la Saône , la Marne , la Seine & l'Eſcaut ; ce
ſeuil paroît d'autant plus avantageux , que la Seille
a été rendue navigable (1 ) juſqu'à Dietize ; mais 11
(1) On ne doit point à ce ſujet avoir égard à la Caste
86
MERCURE
:
fixons - nous au ſeuil critiqué de la Veſouze.
Aniderhoff eſt un vallon ſur la rive gauche de
la Sarre, par lequel il paroît facile de diriger un
Canal , foit vers le ruiſſeau d'Herbas , ſoit vers
l'étang où prend naiſſance le ruiſſeau de Richeval ,
deux des affluens de la Veſouze ; la diſtance de leurs
eaux de celles de la Sarre n'eſt que de trois cent
toifes , nº . 142 de la Carte citée par M. de Fourcroix.
Voilà certainement une très grande probabilité
de pouvoir opérer la communication par la
Vefouze de la Meurthe avec la Sarre , par laquelle
on parvient au point de partage. Il s'agit mainte
nant de voir s'il y a de la probabilité à pouvoir
établir la communication de la Bruſch avec la
Sarre.
Sur les confins du comté de Salm , du pays Meffin
& de la Province d'Alface , dans les bois de
Saint-Quirin , au Sud -Oueſt des maiſons des
Gardes , nº . 162 de la Carte citée par M. de Fourcroix
, eſt un ruiſſeau affez confidérable , dont la
fource n'eſt éloignée de celles de la Sarre & de la
Zorne , affluent de cette première , que de trois
cent cinquante toiſes , & qui ſe jetre dans la Brufch
à Netzembach , à quatre mille toiſes ſeulement de
la Sarre & de la Zorne , & à huit mile quatre
cent toiſes de Molsheim , d'où la Bruſch eft navigable
juſqu'à Strasbourg au moyen d'un Canal dequatre
lieues , de vingt-quatre pieds de largeur , fur
huit de profondeur, conftruit ſous Louis XIV.
Dans le même canton , nº ibid de la Carte, eft
un ſecond ruiffeau un peu plus au Nord & plus
confidérable que le premier,qui prend ſa ſource à
l'Ouest du Château de la Muraille , à quatre cent
des rivières qui indique le contraire , & qui est généralement
infidelle ſur ces indications, ainſi qu'il eſt facile de
s'en convaincre.
DE FRANCE. 87
toiſes ſeulement des ſources de la Zorne , & qui ,
groffi dans ſon cours de pluſieurs autres ruiſſeaux
tombe dans la Bruſch à Nider- Hatlach , à quatre
mille toiſes environ de la première , & pas plus de
quatre mille neuf cent toiſes de Molsheim , où l'on
trouve le Canal de ce nom ; de manière qu'à partir
du point de partage entre les ſources de la Zorne &
celles de ce dernier affluent de la Bruſch , il n'y auroit
que huit mille neuf cent toiſes environ de
canal à faire pour joindre celui de Molsheim , beaucoup
moins que par le premier affluent ; ainfi , on
ne peut diſconvenir qu'il n'y ait auſſi la plus grande
probabilité de pouvoir établir la communication de
la Bruſch avec la Sarre , & que ces deux ruiſſeaux ne
paroiſſent plus convenables à tous égards pour opérer
entièrement la jonction de la Bruſch avec la
Meurthe , que celui qui avoiſine la plaine & qui
tombe dans la haute Bruſch à Schirmeck , dont
parle M. de Fourcroix pour cette opération. Ce ne
peut être que par l'un ou l'autre de ces deux ruiſſeaux
que M. de Biliſtein a entendu établir la communication
de la Bruſch avec la Sarre , & de celle - ci communiquer
à la Veſouze. Il n'y a donc rien d'étonnant
que j'aie dit que cela ſe pouvoit du côté de
Salm, puiſque les ſources de la Sarre , de la Zorne
&des deux affluens de la Bruſch dont il s'agit ,
avoiſinent ce comté.
Iln'eſt plus queſtion que d'examiner la probabilité
du magaſin d'eau néceſſaire au point de partage
pour fournir au Canal des deux côtés . On vient de
voir que dans les bois de Saint-Quirin & aux environs
, nº. 162 de la Carte , les fources de la Sarre,
celles de la Zorne & des deux affluens que nous avons
adoptés pour opérer cette importante communication,
ſe touchent preſque, ce qui annonce une abondance
d'eau à ce point de partage. Voilà donc une
88 MERCURE
très -grande probabilité de la quantité d'eau fuffifanite
pour alimenter cette navigation.
La hauteur des vauges (1 ) au point de Sainte-
Marie - les - Mines , n ° . 163 de la Carte , objection
que nous fait M. de Fourcroix , on ne peut en tirer
aucune conféquence pour la hauteur que peuvent
avoir celles dans leſquelles nous indiquons la communication
de la Meurthe avec la Bruſch ,
nos 142 & 162 de la Carte, qui ſont à huit lizues
&demie de diſtance des vauges de Sainte-Marieles-
Mines. Dans les chaînes de montagnes de tous
les pays, il y a des inégalités conſidérables & même
des interruptions qui ſuccèdent ſouvent aux parties
les plus élevées , laiſſant au bas de la montagne un
paſſage libre au cours des eaux , & la facilité de
pratiquer des routes peu au-deſſus du niveau du
plat pays : d'ailleurs , les rivières naiſſent-elles préciſément
aux ſommets des montagnes pour y défignerun
point de partage , & de-la fixer la pente
que l'on a à racheter dans la longueur d'un canal ?
Qu'a encore de commun avec un canal , que trois
pieds de pente aux eaux courantes en forment un
torrent , lorſqu'il n'eſt point queſtion de rendre une
rivière navigable de ſon fond ,& qu'il ne s'agit que
de la conſtruction d'un canal où l'on rachette aifément
,par des écluſes , la pente qui peut s'y trouver ?
Cequi prouve toujours plus , que cette critique &
votre ſanction ne ſont étayées que de conjectures
& d'affertions haſardées , c'eſt que Murzig n'eſt
pointà-peu-près au niveau de Strasbourg , comme
le dit M. de Fourcroix , aſſertion que vous rapportez
, puiſque Molsheim , qui eft neuf cent toiſes environ
au-deſſous de Mutzig, eſt plus de quatrevingt-
quatre pieds au - deſſus du niveau de cette
-
(1 ) Sept cent pieds au deſſus du niveau de Strasbourg
fuivant l'Abbé Chappe.
DE FRANCE. 89
Capitale, comme le prouve le rachat de quatrevingt
- quatre pieds de pente par des écluſes an
canal de Molsheim. ( Buſching , Tome IV, p. 439 ) .
Je crois , Monfieur , que vous devez être pleinement
convaincu de votretrop d'empreſſement à dire que
la critique de M. de Fourcroix étoit judicieuſe ,
d'autant plus que ſi elle l'étoit à mon égard , elle le
ſeroitde même à votre ſujet , relativement à pluſieurs
opérations que vous indiquez , dont la poſſibilité
n'eft érayée que des mêmes autorités que j'ai
employées pour faire croire praticable non-feulement
la communication de la Bruſch avec la Meurthe,
mais encore quantité d'autres opérations.
Au reſte , il est bien étonnant qu'au lieu de
daigner faire connoître au Public les objets que
vous lui avez annoncés dans cette occafion , entr'autres
, l'intéreſſant Mémoire de M. de Vauban , vous
ne vous ſoyez attaché qu'à rapporter en entier la
critique de la communication de la Bruſch avec la
Meurthe : quels que foient les motifs de cette prédilection,
ils devoient céder à l'intérêt qu'avoit le
Public dans l'Extrait de ce premier Mémoire. Si la
critique à laquelle il a donné lieu avoit pu bleffer
mon amour - propre , j'aurois été amplement dédommagé
en reconnoiſſant mes moyens pour l'extenfion
de la Navigation intérieure , dans ceux du grand
Vauban !
J'ai l'honneur d'être , &c.
ALLEMAND , de l' Académie de Marseille,
Confervateur général de la Navigation
intérieure , ancien Confervateur des
Forêts de l'Iſte de Corse.
१० MERCURE
PROSPECTUS .
ESSAI ſur l'Art de vérifier les Miniatures peintes
dans des Manuscrits depuis le quatorzième jufqu'au
dix -Septième fiècle incluſivement , de comparer
leurs différens styles & degrés de beautés , &
dedéterminer une partie de la valeur des Manuscrits
qu'elles enrichiffent.
T
EL eſt le titre d'un in -folio orné de vingt- fix
• Planches gravées au ſimple trait , imprimées en
>> encre foible , & peintes en or & en couleurs, de la
ספ manière la plus reflemblante à autant de minia-
» tures que M. l'Abbé Rive a choiſies dans diffé-
>> rens Manufcrits exécutés avec la plus grande magnificence
en Europe , pour divers Souverains ou
> très - hauts & très-puiſſans Seigneurs , dans les
> quatorzième , quinzième , ſeizième&dix - ſeptième
>> fiècles: >> tel eſt , diſons-nous , le titre d'un Ouvrage
eſſentiel & lumineux dont M. l'Abbé Rive
vient de publier le Proſpectus.
Cet Ouvrage remplira certainement tout ce que
le Profpectus annonce , & tout ce que ſon titre
promet. L'érudition immenſe de ſon Auteur &
ſon exactitude ſcrupuleuſe , le choix de ſes auto-
-rités ſont des garans plus que capables de nous
donner des eſpérances . Ce Recueil, dont le genre
étoit juſqu'aujourd'hui parfaitement inconnu , nous
eſt néceſſaire. Il nous importe ſans doute de
n'être point la dupe du charlataniſme des vendeurs
de manufcrits prétendus originaux. Il nous importe
de tenir dans nos mains le cachet de chaque ſiècle ,
&de pouvoir en reconnoître l'empreinte dans tous
les manufcrits qu'on nous préſentera. On fent que
DE FRANCE وا
fans des ſecours nombreux & une connoiſſance bibliographique
très-étendue, il eſt impoffible d'avoir
ce cacher. M. l'Abbé Rive a ſu le trouver , & vient
de nous le préſenter. Ace mérite, le nouveau Recueil
enjoint un autre qui ſera aiſément apperçu. Il nous
offre la parure , le vêtement de quatre fiècles , &
nous montre quels étoient leurs goûts dominans. Sous
ce point de vue ſon travail devient encore plus précieux;
il fournit un ſupplément aux monumens de la
Monarchie Françoiſe du Père Montfaucon. L'Auteur
répond d'avance à la queſtion qu'on pourroit
lui faire , pourquoi il n'a pas remonté plus haut ?
Les miniatures , dit-il,font affreuſesdepuis le dixième
juſqu'au quatorzième ſiècle. On peut l'en croire. Les
Savans ne pourront qu'être fatisfaits d'appercevoir
dans cette Hiſtoire abrégée,une aſſociation ſuivie de
la Peinture & la Calligraphie ( ou Art d'écrire les
manufcrits ) depuis Varron, le plus ſavant des Romains
juſqu'à nous. Cet abrégé eſt neuf,& doit être
aufli intéreſſant que curieux,
L'exécution de cet Ouvrage ſera très-ſoignée , &
réunira la beauté du papier , la beauté des caractères
à la fidélité & à la pureté des Gravures. L'Auteur a
choiſi parmi plus de douze mille miniatures les vingtfix
dont il donne les copies. Sa Collection doit l'emporter
ſur le Recueil de Montfaucon par le choix
des miniatures , la variété des ſujets , leurs oppofi
tions de ſiècles, de ſtyles & de coſtumes , & fur
les plus beaux manufcrits qu'on conſerve en Europe
. Ce Recueil doit contenir une balance bibliopolique
qui apprendra à estimer , dit M. l'Abbé Rive ,
lesurplus de lavaleur que des miniatures ſemblables
àcelles quiy sont gravées donnent aux manuscrits
qu'elles embelliffent . Ce Livre ſera un monument de
Bibliothèque pour les Souverains & les Amateurs qui
ſepiquentde pofféder des curioſités calligraphiques
d'ungenre unique , & un manuel pour les Libraires
92 MERCURE
qui defirent s'inſtruire de la valeur des manufcrits
ornés de miniatures qui leur toinbent ſous la main.
L'Auteur promet de donner deux deſcriptions des
manuſcrits dont il a emprunté ſes Planches. L'une,
qu'il appelle calligraphique , expoſera la manière
dont chacun d'eux est calligraphié ; l'autre , à laquelle
il donne le nom de bibliographique , en détaillera
le contenu . Cette manière de décrire les Livres ,
foit manuscrits , ſoit imprimés , eſt neuve & de la
plus grande utilité.
Conditions de la Souſcription.
Il n'y aura que quatre-vingt Exemplaires de ce
Recueil. M. l'Abbé Rive promet à ſes Souſcripteurs
de n'enpas tirer un plus grand nombre , & de ne
jamais en faire une ſeconde Édition. La manière
avec laquelle il contracte cet engagement eſt digne
d'être rapportée. Pour conſtater , dit - il , e qu'il n'y
>> en aura que quatre- vingt Exemplaires , &détruire
tout ſoupçon de fraude dans l'eſprit du Public ,
>> j'écrirai à la fin de chaque Exemplaire 1 , 2 , 3
(juſqu'au quatre- vingt incluſivement ) . Exem-
>> plaire délivré à M.... tel jour & tel mois. J'ac-
>> compagnerai ce certificat de ma fignature. On
* ne verra aucun Exemplaire fans ce certificat , ou
>> dont le numéro ſoit double & excède le nombre
>> auquelj'ai fixé mon tirage. Je ne ferai jamais
>> aucune autre Édition du même Ouvrage ; c'eſt
>> un engagement ſacré que je contracte avec le
Public; par-là , il n'y a aucun Gouvernement qui
>> n'ait le droit de prohiber la réimpreffion que je
→→ voudrois en faire en quelque lieu de l'Europe que
>> j'euſſe le front de l'entreprendre. >>
M. l'Abbé Rive ne parle point dans ſon Proſpectus
du fort de ſes cuivres après ſa mort ; mais
nous ſavons qu'il a eu l'honneur d'en faire
hommage au Roi pour ſon Cabinet de Verſailles.
DE FRANCE.
93
4
Après le tirage des Exemplaires , ils ſeront dorés &
déposésdans ce Cabinet pour y ſervir de monument
littéraire à la Poſtérité , & de preuve authentique du
reſpect inviolable de l'Auteur pour ſes engagemens.
La ſouſcription de cet Ouvrage eſt de vingt- cinq
louis qu'on paye d'avance. Comme les cuivres ſont
gravés , & que les modèles de peinture ſont achevés
, cette avance eſt indiſpenſable pour accélérer
dans le court eſpace donné , la main des Artiſtes qu'il
faut payer comptant.
Cette ſouſcription ne ſera ouverte pour la France
quejuſqu'au premier Novembre prochain ; eile ne
ſera ferméepour les Étrangers qu'au premier Janvier
1783 .
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront ce Recueil
quarante louis,
Chaque Souſcripteur recevra dans l'eſpace d'un
an, à dater du jour de ſa ſouſcription , l'Ouvrage
en entier. Il. recevra les treize premières Planches
peintes dans les frx premiers mois , & les treize autres
avec le Diſcours dans les fix ſuivans.
Apeine le Proſpectus avoit été publié, que le Roi,
la Reine , Monfieur , Madame &Madame Comtefle
d'Artois ſe ſont empreſſés d'honorer l'Auteur de
leur ſouſcription. Ce Proſpectus forme un in- 12 de
70 pages imprimé par Didot avec les anciens typeo
deGaramont, qui fut un des plus habiles Fondeurs
de caractères qu'il y ait eu à Paris depuis le com.
mencement du ſeizième fiècle. Quoique ces types
foient fondus depuis plus de deux cent ſoixante
ans , ils acquièrent tous les jours une nouvelle
beauté. Lepapier eſt un des plus beaux qu'on fabrique
en France. Le corps du Proſpectus eſt d'environ
23 pages ; le refte eſt en Nores , qui ſont toutes
eu inſtructives ou curieuſes .
Ce Profpectus ſe vend chez l'Auteur , rue du
Cherche-Midi , vis-à-vis celle du Regard ; & chez
94
MERCURE
Eſprit , Libraire , au Palais Royal. Prix , I livre
10 fols . On n'en a tiré qu'un très-petit nombre
d'Exemplaires , & il n'en refte preſque plus. Nous
invitons nos Lecteurs à ſe procurer cette Brochure
intéreſſante , qui les mettra en état d'apprécier le travail
de M. l'Abbé Rive.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Sieur Defnos , Ingénieur - Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques,
au Globe , annonce à MM, les Libraires & autres
Commerçans du Royaume & des Pays étrangers ,
qu'il vient de mettre en vente une nombreuſe Collection
d'Almanachs nouveaux pour l'année 1783 ,
très- bien conditionnés & utiles à tous les états , ornés
de Cartes Géographiques & autres , dont la plupart
compoſés de Romances , Chanfons , Vaudevilles
des meilleurs Auteurs en ce genre , ſont ornés
de douze Eſtampes , tous reliés en maroquin avec des
tablettes économiques , perte & gain , & fermés
d'un ſtylet pour y écrire. Prix , 4 livres 10 fols , &
sliv. rendus franc de port par- tout le Royaume.
Le Sieur Deſnos en diftribue gratuitement le Catalogue
, ainſi que l'Analyſe deſdits Almanachs ,
petite Brochure d'environ cent pages , où l'on donne
une idée de chacun pour déterminer le choix du
Public ou de l'Acheteur . Il fera une remiſe honnête
aux Perſonnes qui s'adreſſeront directement à lui
pour ſes Almanachs , ſuivant le nombre qui lui en
fera demandé , & il expédiera auſſi-tôt chaque
demande par la voie qui lui fera indiquée , pourvu
que ceux à qui il la remettra ſoient chargés d'en répondre.
Les lettres non affranchies ne feront point
reçues .- L'Anacréon en belle humeur , ou le plus
joli Chansonnier François , dont la quatrième Partic
1
DE FRANCE.
१८
vient de paroître chez le même Libraire , doit , par le
genre & le choix des Pièces , plaire à un grand nombre
de Lecteurs . Il en paroîtra une Partie tous les
troism ois.
Précis de l'Art des Accouchemens en faveur des
Sages-Femmes & des Élèves en cet Art , par M.
Chevreul , Docteur en Médecine , Maître en Chirurgie
à Angers , Démonftrateur en l'Art des Accouchemens
, & Inſpecteur général des Cours d'Accouchemens
de la Généralité de Tours. A Angers ,
de l'Imprimerie de C. P. Mame , Imprimeur de
MONSIEUR , rue S. Laud ; & ſe trouve à Paris ,
chez P. F. Didot lejeune , Imprimeur de MONSIEUR,
quai des Auguſtins , in- 12 . Prix , 2 liv . broché.
Mémoire fur l'ancienne ville de Tauroentam ;
Hiftoire de la ville de la Ciotat ; Mémoire fur le
Port de Marseille ; par M. Marin , de pluſieurs
Académies , Cenſeur Royal , Lieutenant Général au
Siège de l'Amirauté de la Ciotat. A Avignon ; & fe
trouve à Paris , chez Leclerc l'aîné , Libraire , quai
des Auguſtins ; à Marseille , chez Jean Moſſy , Imprimeur
du Roi , & chez Sube & Laporte , Libraires,
in- 12. Prix, 2 liv. 8 ſols broché.
Médecine des animaux domestiques , renfermant
les différens remèdes qui conviennent pour les maladies
des chevaux , des vaches , des brebis , &c. &c.;
par M. Buc'hoz , Auteur de différens Ouvrages économiques
, in- 12. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Harpe , la preınière porte- cochère au-deſſus du Collège
d'Harcour. Prix , I liv. 16 fols.
Hiftoire des Campagnes de Henri de la Tour
Auvergne , Vicomte de"Turenne , en 1672 , 1673 ,
1674 & 1675 , écrite d'après les Dépêches du Maréchal
de Turenne ( communiquées par laMaiſonde
Bouillon) la Correſpondance de Louis XIV,de ſes Miniftres,
& beaucoup d'autres Mémoires authentiques ;
96 MERCURE
enrichie d'ungrand nombrede Plans & CartesTopographiques
néceſſaires pour l'intelligence des marches
, campemens , batailles , ſièges & mouvemens
des armées , diviſée en deux Parties in - folio ,
dédiée & préſentée au Roi ; par M. le Chevalier de
Beaurain , Penſionnaire Géographe de Sa Majesté,
On trouve cet Ouvrage chez l'Auteur , rue Gît-le-
Coeur , la première porte-cochère à droite par le
quai des Auguſtins. Le Profpectus de cet Ouvrage
fera communiqué aux Perſonnes qui le defireront.
Prix , 96 liv .
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins , annonce
qu'il vient de recevoir de l'Étranger pluſieurs Exemplaires
des Livres ſuivans : Mémoires de l'Académie
deBerlin depuisfon origine juſqu'à cejour, 10 Vol.
in-4°. (on ſépare les Volumes. )- Analyses des
Coutumes de Lorraine , 1782 , in- 4° . Edits de
Lorraine , 1782 , Tome XIV, in - 4°.- Coutumes
de Normandie , 2 Vol. in-folio.
TABLE.
50 Aminte, Pastoral du Taffe, 76
LePapillon qui ſe brûle à la Comedie Italienne ,
ib. Sur le paſſage de Mercure de-
ENVOI d'un Sabre . 49 taire François , 70
Moralité,
80
chandelle, Fable ,
Airde Daphne& Apollon , 51 vant le Soleil en 1782, 81
L'Ecole des Pères , Comédie de la Lande, 82
54 Prospectus , १०
Hommage Littéraire , 64Annonces Littéraires , 94
Enigme& Logogryphe , 52 Lettre de M. Allemand à M.
en trois Actes ,
Examen critique du Mili-
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 12 Octobre. Je n'y ai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis,
le 11Octobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Août.
LES incendies qui ſe multiplient depuis
quelque tems , ont porté la conſternation
dans toute cette Capitale ; on ſe rappelle les
ravages caufés par les deux qui ont eu lieu
dans le mois dernier ; quelque terribles qu'ils
aient été , ils le font encore moins que ceux
-dont nous venons d'être témoins. Le 21 de
ce mois , à 10 heures du foir , le feu a éclaté
dans le quartier deGiamaja , vis-à- vis l'Arſenal
; ce n'est qu'hier matin qu'on eſt parvenu
à l'éteindre. On compte que la moitié
de cette grande ville a été réduite en cendre.
Le Palais de Conſtantin- le-Grand , l'Eglife
Patriarchale , le quartier de Soliman , où ſe
trouve la magnifique Moſquée qui porte ce
nom , la rue des Arméniens , preſque tout
le quartier des Juifs & des Chrétiens , les
Synagogues , les Eglifes , &c. n'existent
12 Octobre 1782 .
( 50 )
1
د
plus. Plus de deux cents mille perſonnes
font réduites à la dernière misère. On
attribue cet incendie comme ceux qui
l'ont précédé , à la méchanceté des mécontens
qui , depuis quelque tems , font
entendre des cris de révolte contre l'Adminiſtration.
Le Grand Seigneur vient de céder
à ces cris , en renvoyant le Grand- Vifir , à
qui il a redemandé les ſceaux aujourd'hui ;
ils ont été donnés à Jaghen- Ali Pacha , Béglierbey
de Romélie. Le Kiaya des Janiffaires
& le Chiaoux Baſchi ont été dépoſés
également ; comme le mécontentement du
peuple tombe principalement ſur ce dernier ,
on ne feroit pas étonné qu'il fût ſacrifié pour
l'appaiſer. L'incendie , pendant ſa violence ,
a menacé le Serrail , & le Grand Seigneur
a été au moment de ſe retirer à Pera , dans
le Palais de l'Ambaſſadeur d'Autriche. Heureuſement
on eſt parvenu à en écarter le
feu,
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 2 Septembre.
CONFORMÉMENT aux ordres de S. M. I.
pour l'augmentation de ſa marine , on s'occupeſans
relâche de nouvelles conſtructions,
tant ici , qu'à Archangel , à Cherſon , à Kamf.
tchatka & à Ockoska, On eſpère qu'avant
qu'il ſoit peu notre marine encore foible
, aura acquis des accroiſſemens affez
conſidérables , pour ne rien envier à celle
( 51 )
des autres grandes Puiſſances maritimes.
Oncontinue de faire marcher des troupes
vers les frontières de la Tartarie & de la
Turquie , on y fait paffer auſſi de l'artillerie.
Le retour du Courier qui a été expédié à
Conſtantinople , nous donnera , ſans doute ,
des lumières ſur l'état des affaires de la Crimée
, & fur les diſpoſitions du Grand-Seigneur
à cet égard.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le Is Septembre.
,
Le Capitaine Fuglede , dont la relâ he
au Cap de Bonne-Eſpérance a été l'occaſion
de tant de plaintes de la part de notre Cour
aux Etats-Généraux des Provinces - Unies
vient d'arriver avec ſon vaiſſeau . On va
bientôt procéder aux examens indiſpenſables
pour éclaircir cette affaire , fur laquelle la
CompagnieHollandoiſe des Indes a répondu
par des récriminations graves , contre le Capitaine
Danois. On dit que l'Envoyé de la
République a été invité à ſe rendre à hord
du navire , pour être préſent aux interroga
toires qu'on devoit faire à l'équipage.
>> 358 vaiſſeaux , au nombre deſquels eſt le con
voi Anglois qui s'étoir accru juſqu'à 250 navires ,
écrit - on d'Helſingor, obligés le 10 , par le calme
de revenir dans le Sund , en remirent à la voile
le 11 , avec un vent plus favorable. Le même jour
il y arriva de nouveau 36 bâtimens ; & le 12 , 34
autres de la Baltique : parmi les derniers , s Anglois
qui continuerent fur - le- champ leur route
C2
( 52)
pour tâcher d'atteindre le convoi.-Lorſque la
frégate Angloiſe le Mercure entra le 7 au ſoir dans
ce pert , fon pavillon n'étoit pas hiffé à l'extrémité
du grand mât; il étoit caché en partie par
la voile : le Commandant du Château la prit pour
une lettre de marque ; & fur ce qu'elle n'amenoit
point , il lui tira deux coups à balle. Le Capitaine
en porta plainte; mais il paroît que l'affaire a été
affoupie.-On travaille depuis quelque tems a
rendre ce port plus profond , & on remarque que
ce travail avance avec ſuccès «.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Septembre.
LES Diétines pour l'élection des Nonces
qui doivent aſſiſter à la Dière prochaine ,
font déjà affemblées par-tout; les nouvelles
qu'on en reçoit apprennent qu'elles font
très- tumultueuſes , & qu'il y a eu déjà du
fang répandu dans quelques-unes. Tout cela
nous annonce que la Diète ne ſera pas moins
orageuſe.
Le nouveau Miniſtre de la Cour de Londres
, M. Dalrymple , arrivé depuis peu
ici , a eu la première audience du Roi.
Toutes les nouvelles des frontières de la
Turquie , ne parlent que de la fermentation
qui ſubſiſte toujours en Crimée ; les Tartares
, dit-on , ne veulent point abſolument
du Khan qu'ils ont forcé à prendre la fuite ;
ils prétendent conſerver celui qu'ils ont
élu , & ils ſe préparent à le ſoutenir les
armes à la main,
1
( 53 )
ALLEMAGNE,
De VIENNE , le 1er. Septembre.
ON croit que le Comte & la Comteffe
du Nord arriveront inceſſamment dans cette
Capitale. La Princeſſe Elifabeth de Wurtemberg
les accompagnera , dit- on , & reftera
enſuite dans cette Réſidence .
On parle beaucoup depuis quelque tems
des évènemens qui ſe ſont paſſes ſur les
frontières de la Turquie ; la manière dont
ils ont été préſentés dans divers papiers publics
, leur donnoit une importance qu'ils
n'ont pas ; on a reçu de la Croatie une
relation qui n'eſt peut-être pas plus exacte ,
mais qui les réduit à leur juſte valeur , &
dont nous placerons ici l'extrait.
>> Quatre à cinq cens vagabonds Turcs ayant
paffé la Save, exercèrent des brigandages ſur le
territoire Autrichien, où ils pillèrent & maſſacrèrent
impitoyablement une quantité de gens de campagne
& emmenèrent leurs beftiaux. On en demanda
ſatisfaction au Bacha. Sur la réponſe peu
fatisfaiſante qu'on en reçut , on fit marcher 1200
Croates & 400 Hufſards ſur le territoire des
Turcs , avec quelques pièces de campagne ; les
Turcs s'étant préſentés , on tira de part & d'autre.
Le feu fut vif, un Lieutenant & un Auditeur
des troupes Impériales perdirent la vie ; il y cur
quelques bleſſés , & on donna une leçon aux Ottomans
, en pillant quelques-uns de leurs villages «.
Ce ne font pas les brigands Turcs ſeulement
qui commettent des déſordres dans
quelques endroits. On lit dans une lettre
C3
( 54 )
de Bude les détails ſuivans , d'excès bien
étranges & bien horribles.
>> La troupe des ſcélérats qui infeſtoit plufieurs
Provinces de ce Royaume , eſt en partie diſperſée
& détruite depuis que le Chef en a été pris . On
en a déja envoyé 40 au ſupplice; 115 autres font
dans les fers. Ces monſtres avoient un repaire
fouterrain , au milieu d'un bois ſombre & valte
où ils traînoient les cadavres des victimes qu'ils
avoient aflaffinées ; & ce qu'on aura de la peine
à croire , c'eſt qu'ils en dévoroient enfuite les chairs
après les avoir rôties . Le Chef a été ſaiſi par un
Garde de la Prévôté de Frauenmarck , qui , accompagné
de quelques payſans , a en le courage de
s'enfoncer dans cette forêt ; peu s'en eſt fallu qu'il
n'ait été la victime de ſon zèle. On lui deſtine
une très-groffe récompenfe «.
د
Tous les Hopitaux de cette Ville doivent
être réunis à celui qu'on appelle l'Hopital
Eſpagnol ; on aggrandira ce bâtiment , qui
eſt déjà très-vaſte , pour pouvoir y placer
commodément tous les malades. Les perſonnes
qui y étoient entretenues recevront
des penſions annuelles on enverra à la
campagne avec 10 kreutzers par jour celles
qu'on gardoir dans la maiſon des pauvres.
Les enfans trouvés , les orphelins , feront
mis dans la maiſon des orphelins. On y
établira des fabriques , où tous les gens de
métier qui manqueront de travail , pourront
ſe retirer pour s'occuper. Par cet arrangement
on économiſera des ſommes conſidérables
, avec leſquelles on foulagera un plus
grand nombre de malades & d'infirmes.
Un Particulier a trouvé le ſecret de fé
( 55 )
cher le bled , & de rétablir celui qui eſt
gâté & attaqué par les vers , de manière que
la farine qu'on en tire peut ſe garder près
de so ans. Il a fait ici avec du bled gâté
pluſieurs effais qui ont ſi bien réuſſi , qu'on
en a fait de très bon pain de munition.
לכ Les régimens qui devoient former ici un
camp , écrit-on de Prague , teſteront aſſemblés julqu'au
20 de ce mois; ils manoeuvre ont pendant
ce tems & retourneront enſuite dans leurs quartiers
reſpectifs . On ſe flatte toujours que l'Empereur
viendra dans cette Ville. Il fera , dit- on , vers
la fin d'Octobre , un voyage dans ce Royaume
pour voir les nouvelles fortereſſes de Therefienſtadt
& de Pleff; & on ſe flatte qu'à cette occafion ,
il honorera auſſi cette Ville de ſa préſence «.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
Le dernier incendie de Conſtantinople
rapporté dans tous nos papiers , paroît à
bien des perſonnes être fort exagéré ; on ne
porte pas à moins de 66,000 maiſons celles
qui ont été réduites en cendres ; fi l'on joint
à ce nombre les 10,000 qui avoient éré
confumées dans les deux précédens , le calcul
fera effrayant ; mais est-il bien exact ?
Cette ville , quelque grande qu'on la ſuppoſe,
contenoit-elle en effet 152,000 maiſons
au moins qu'elle devoit avoir eues avant les
incendies , qui en ont , dit-on , brûlé la moitié
? Combien en compte-t-on dans Paris ,
qui , certainement , eſt une auſſi grande
ville ? S'il y a , comme il eſt vraisemblable ,
de l'exagération dans ces calculs,il eſt à déſirer
C4
(56 )
qu'il y en ait auſſi dans ce qu'on dit des
troubles & de l'eſprit de révolte qui règnent
parmi le peuple. Nous nous contenterons
de rapporter ici les détails que l'on en donne
, ſans les garantir ni les combattre.
>Depuis fix ſemaines , cette Ville eft le théâtre du
déſordre & de la déſolation . Les Incendies réitérés
qui ont eu lieu entre le 16 & le 25 Juillet ,
avoient été des marques trop certaines du mécontentement
des Janiſſaires. Les murmures de ce Corps
éclatèrent dans les premiers jours d'Août par une fédition
ouverte ; ils ne parloient pas moins que de faire
deſcendre leGrand-Seigneur du Trône; mais la dépofition
de leurAgaqui fut faiteſur-le-champ&lepaicment
de leur folde conjurèrent pour le moment l'orage;
on leur diſtribua sooobourſes (environ 2,500,০০০
écus , & ils ſe retirerent fatisfaits. Le 21 Août les
mécontens mirent de nouveau le feu à la Ville . L'incendie
a été terrible , il eſt impoſſible de peindre
toute l'horreur du ſpectacle qu'offrent les ruines encore
fumantes; & la détreſſe des infortunés habitans
eſt inexprimable. En attendant les ſéditieux ont rempli
leur voeu. S. H. s'eſt er fin déterminée à éloigner le
Grand-Vifir qu'il aimoit , & qui a été déposé& exilé
àDémotica. Le Tefterdar , le Chiaouxbaſchi & plafieurs
autres Grands ont partagé ſa diſgrace. Malheureuſement
l'eſprit d'Anarchie & de révolte ne règne
pasdans la ſeule Capirale , il eſt général dans les Provinces
; cependant au milieu de cette fermentation intestine
, on demande une guerre étrangère ; les Gens
de Loi fur-tout font tous leurs efforts pour y engager
le Sultan, & quoi qu'elle ne ſoit pas déclarée encore,
on la regarde comme très-prochaine ".
Suivant les lettres de Berlin , le Baron de
Hertzberg , Miniſtre d'Etat , y eſt actuellement
de retour ; on dit qu'il a rapporté à
( 17 )
S. M. quemoyennant une dépenſe de 60,000
écus , il étoit poſſible de mettre le port de
Schwinemunde en état de recevoir les plus
grosbâtimens. On ajoute que S. M. a propoſé
en conféquence à la Régence de Pomeranie
d'avancer cette ſomme en conſidération des
avantages que cette Province pourroit retirer
de ce port.
>> On attend avec impatience , écrit- on de Ratis .
bonne , ce qui fera arrêtéenire les Catholiques & les
Proteftans , relativement à la grande diſcuſſion qui
règne dans les Colléges des Comtes de Westphalie &
de Franconie. Il a paru ici , il y a quelques jours , à ce
ſujet , une brochure dont on a arrêté fur-le- champ la
circulation&dont on a confiqué tous les exemplaires;
elle a poar titre : Encouragement à la compoſition
des contestations des Comtes , & Obfervations fur
les propofitionsfaites par les Miniſtres Catholiques
& les Ministres Proteftans « .
On affure que les Cours de Vienne & de
Dreſde font en négociation pour un traité
d'amitié & de commerce .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Octobre .
La malle arrivée le 23 de New-Yorck ,
à bord de la Liberty ( & non le Lively ) ,
tranſport armé , contenoit des lettres du 20
Août , par leſquelles il paroît que l'eſcadre
Françoiſe a été vue ſur la côte , mais qu'elle
n'a pas tardé à s'en éloigner , ſoit pour aller
ſe réparer à Boſton , ſoit pour effectuer
quelque expédition ſecrette. Le premier
CS
( 58 )
objet paroît le plus vraiſemblable aux Po
litiques , qui fondent leurs conjectures ſur
ce que chacun des vaiſſeaux de M. de Vaudreuil
porte 200 foldats , & fur ce que les
troupes Françoiſes cantonnées dans la Virginie
, viennent de quitter cette province
pour ſe porter dans la partie ſeptentrionale
du continent. Si l'Amiral Pigot s'eſt mis à
la pourſuite de l'eſcadre Françoiſe , nous
ne tarderons point à recevoir des nouvelles
de la plus grande importance ; mais au départ
de la Liberty on n'avoit point encore
entendu parler à New-Yorck de cet Amiral
qui étoit attendu avec impatience. On lit
dans un papier de Philadelphie arrivé avec
la dernière malle , les feuls détails ſuivans à
ce ſujer.
>> Les vaiſſeaux Anglois qui avoient paſlé 15
jours à Wineyard, pour piller le pays , paſsèrent le
20 Juin devant New- Yorck , & avoient enlevé aux
habitans 1500 moutons & environ 200 bêtes à
corne. L'apparition d'une flotte Françoiſe a , dit- on ,
beaucoup accéléré le départ de l'ennemi. Si cela
✓eſt vrai , nous devons nous attendre à des nouvelles
intéreffantes . - Le premier Août. La nouvelle nous
eſt venue hier de Jerſey, que 3 vaiſſeaux de guerre
Anglois avoient été chaſſes ſur la côte , près de
Shen'sbury , par l'eſcadre Françoiſe; mais nous ne
favons encore ni la date , ni le tems de cet évènement
".
La Cour n'a rien publié des nouvelles
qu'elle a reçues de New-Yorck , à l'exception
d'une lifte des priſes faites par le
Contre-Amiral Digby , depuis le premier
Mai juſqu'au 11 Août , & la lettre ſuivante
( رو (
adreſſée à ce Contre-Amiral par le Capitaine
Salter , commandant la frégate la Santa-
Margarita , en date du 18 Août.
ככ J'ai l'honneur de vous informer que le 29
du mois dernier , au point du jour, je donnai chaſſe
à une voile que j'apperçus dans la bande du S. E.
Le vent étoit au N. E. quart N. , & le Cap
Henry nous reſtoit alors à l'Oueſt , à la distance
d'environs lieues . M'étant approché à un mille &
demi du vaiſſeau chaffé , je reconnus par les ſignaux
& les manoeuvres qu'il fit , que c'étoit une frégate
Françoiſe , de force égale à nous ; mais m'étant
apperçu que 8 gros vaiſſeaux , dont 2 n'étoient pas
fort éloignés , arrivoient ſur nous à force de voiles
, je virai vent arrière , après avoir pris l'avis
de mes Officiers , & je m'éloignai de la frégate
Françoiſe , & portai au nord , ayant à craindre
tout-2-la-fois & l'ennemi , & d'être jetté à la côte ,
vu la direction du vent qui ſouffloit du large. La
frégate nous donna chaſſe juſqu'à 3 heures aprèsmidi
; alors elle vira de bord & porta à l'Ouest.
Comme nous ne découvrions plus les gros vaifſeaux
de la tête du mât , & que le tems étoit trèsclair
, mes Officiers & mon équipage exprimant
le vif deſir qu'ils avoient de combattre la frégate ,
je fis virer de bord & porter ſur elle. Au bout d'un
quart-d'heure , elle vira auſſi de bord & porra ſuor
nous. As heures les 2 frégates étant à la diſtance
d'une encablure l'une de l'autre , l'ennemi ayant
ſes amures à tribord & nous à babord , il nous
envoya une bordée & vira auſſitôt vent arrière.
Nous attendîmes pour lui ripoſter que l'occaſion
ſe préſentât de l'enfiler pendant qu'il viseroit , ce
que nous exécutâmes avec ſuccès de nos canons
de tribord. Nous nous en approchâmes enſuite inſenſiblement
à la portée du piſtolet , lui préſenrant
notre côté de tribord , nous continuâmes de
c6
( 60 )
nous battre dans cette pofition; le combat fut trèsvifde
part & d'autre & dura une heure un quart. La
frégate Françoiſe amena alors ſon pavillon. C'étoit
l'Amazone de 36 canons ( de 12 & de 6 livres
de baile ) & de 301 hommes d'équipage. Elle étoit
commandée par le Vicomte de Montguiotte , qui
fut tué au commencement de l'action . J'envoyai
un Lieutenant & un tiers de mon équipage pour
l'amariner . Nous fimes tous les efforts poſſibles
pour réparer nos dommages & faire paſſer les pri- .
fonniers à notre bord, afin de nous rendre ici le
plutôt poflible & d'éviter les autres vaiſſeaux , qui ,
ſuivant le rapport des Officiers François , faiforent
partie d'une eſcadre de 13 vaiſſeaux de ligne , ſans
compter les frégates ; mais il y eut des délais inévitables
occaſionnés par le manque de chaloupes n'en
ayant qu'une feule en état d'être miſe à la mer , ( laque
le tranſporta à notre bord 68 prifonniers , y
compris les Officiers ) & par l'état délabré de
l'Amazone qui avoit perdu ſon grand mât & fon
mât d'artimon auffi-tôt après avoir amené pavillon.
Nous fûmes obligés de la prendre en remorque pendant
la nuit à cauſe desdommages qu'elle avoit reçus
pendant le combat. Nous mêmes dehors toutes les
voiles que nous pûmes & fîmes route au N. E. dans
l'eſpérance de nous éloigner des autres vaiſſeaux ;
mais au point du jour nous reconnûmes distinctement
toute l'eſcadre Françoiſe qui nous ſuivoit forçant
de voile. Je fis revenir auffi-tôt à bord mes Officiers
& la partie de l'équipage qui étoit paffée ſur
la frégate Françoiſe ; je fis couper le grelin de remorque
& laiſſai dériver ma chaloupe , n'étant pas
en étatde la rembarquer , & j'abandonnai la prite
après avoir ordonné de couper le peu qui lui reſtoit
de ſon gréement de l'avant. Si le tems & les circonftances
m'euffent permis de faire paffer à mon bord
nous les prifonniers , j'aurois donné ordre qu'on
mit le feu à la frégate Françoiſe , afin d'empêcher
(61 )
qu'elle ne fût repriſe par l'ennemi.-Je ne faurois
donner tropd'éloges à la conduite de mes Officiers &
de mon équipage , à raiſon du courage & de l'ardeur
qu'ils ont montrée pendant l'action ,& aui à raifon
de l'activité qu'ils ont miſe à réparer les dommages
que nous avions eſſuyés , pour être en état d'échapper
à l'ennemi. Je ne puis en même-tems paſſer ſous
filence la conduite brave & diftinguée du Vicomte
de Montguiotte , lorſqu'il mena ſa frégate au com
bat. Après qu'il eut été tué , le Chevalier de l'Epine ,
Capitaine en ſecond,(auquel le commandement étoit
dévolu ) fit tout ce qu'un Officier expérimenté pouvoit
faire dans ſa poſition ; car ſi l'on confidère qu'il
étoit bleſſé , que tous ſes Officiers , à l'exception
d'un ſeul , & environ la moitié de ſon équipage
étoient tués ou bleſſés , que ſes mats étoient fi endommagés
qu'il devoit s'attendre à chaque inſtant
à les voir tomber à la mer ; ſi l'on confidère en
outre que plufieurs de ſes canons étoient démontés ,
&qu'il y avoit quatre pieds d'eau dans le fonds de
calle, j'oſe croire , dis -je , que toutes ces circonftances
le juſtifierent aux yeux de ſon Roi & de ſa
Patrie , qui reconnoîtront la néceffité où il étoit de
ſe rendre. Les dommages effuyés par la frégate
de S. M. & le nombre d'hommes tués &bleflés dans
le combat ne font que peude choſe en comparaiſon
des dommages effuyés par l'ennemi & de ſa perte.
Notre grand mât fat percé par les boulets en plufieurs
endroits ; le mât de miſaine, le grand & le
petit mât de hune & le mât de perroquet de fougue
furent endommagés , ainſi que pluſieurs vergues.
Quelques charges à mitraille ſe logèrent dans notre
doublage de cuivre à fleur d'eau. Nos voiles , nos
manoeuvres courantes & dormantes ( à l'exception
des haubans d'artimon ) ont été entièrement coupées
en pièces. Nous avons eu cinq tués & dix- sept bleffés
pendant le combat : parmi les premiers eſt M.
Dalrymple , jeune homme de beaucoup de mérite,
( 62 )
qui , s'il eût vécu, ſe ſerait diftingué dans ſon état ;
&parmi les derniers eſt le ſieur Otro , qui a eu le
bras emporté par un boulet. Le nombre des tués à
bord l'Amazone , ſuivant le rapport des Officiers
François , ſe monte à 70 hommes , y compris les
Officiers , & celui des bleſſés à 70 ou 80. La Santa-
Margarita avoit 36 canons & 255 hommes d'équipage.
M. William Dalrymple , Garde-Marine , &
4matelots ont été tués , un maître d'équipage &
16 matelots bleſſés .
,
Parmi les autres détails qu'offrent les
papiers Américains , nous citerons ceux- ci .
De Boston le 15 Juillet. MM. Balcock , Stoddard
, Woodbury & Tibbers , Capitaines du Héro
du Scammel , du Hope , & du Swallow , ayant
réſolu de ſurprendre la ville de Lunebourg , ficuée à
10 lieues à l'ouest de Halifax , ont débarqué le premier
Juiller , à deux milles au-deſſous de la ville
avec 90 hommes , commandés par le Lieutenant
Batteman . Ces braves gens ſe rendirent à la ville
avec la plus grande célérité , & malgré les vives
décharges de l'ennemi , ils brûlèrent la maiſon du
Commandant , & le fort qui eft au Nord de la
ville. Ils enclouèrent 2 canons de 24 livres de
balles , & forcèrent l'ennemi à ſe refugier dans la
fort qui eſt au ſud de la ville. Il s'y défendit par
le feu le plus animé , paroiſſant vouloir tenir jafqu'à
la der ière extrémité ; mais quelques coups de
canon de 4 livres de balle , tirés du Héro , les forcèrent
à ſe rendre priſonniers de guerre . Les vainqueurs
commencèrent alors le pillage , vuidèrent les
magaſins , & s'emparèrent d'une quantité confidérable
de denrées & de proviſions de tout genre ,
fans compter 20 poinçons de bon rum d'Amérique.
Sachant que l'ennemi approchoit , le Lieutenant
Batteman fit enclouer 2 pièces de 18 livres de
balle , & embarquer ſur le Scammel tout ce que
1631
fes gens avoient pris dans les magaſins du Roi,
D'ailleurs il s'eſt conduit envers les habitans avec la
plus grande honnêteté , il leur a même laiſſé tous
leurs effets . La ville a été taxée à 1000 liv. ſterl,
de rançon , & le Colonel Creighton a été conduit
avec les principaux habitans à bord du Scammel.
Du côté des vrais Enfans de la liberté , il ya
eu 3 hommes bleſſés légèrement & 1 dangereuſement.
Les Partiſans du despotisme ont eu beaucoup
de tués & de bieſſes , ſans qu'on puiſſe en
déterminer le nombre.
> De Philadelphie le premier Août , toute la milice
de la Caroline ſeptentrionale eſt partagée en
claſſes de vingt hommes ; chaque claſſe doit fournir
un Soldat continental & l'équiper complettement. Un
certain nombre de claſſes eſt chargé de fournir des
chariots & des attelages qui doivent être propriétés
continentales .Ces règlemenspeuventproduireenviron
1500 Soldats de plus & trois chariots , eu égard aux
déficit qui ne peuvent manquer d'avoir lieu dans un
pays ruiné par l'ennemi qui tout récemment encore y
portoit de toutes parts le ravage & la deſtruction . La
levée des hommes , leur équipage & la fourniture
des tentes coûteront à chaque clafſe au moins 350
dallers. Les frais pour chaque attelage & chariots
complets monteront environ à foo. La dépenſe générale
ſera au moins de 575,000 dollars.- Outre la
ſomme néceſſaire pour l'enrôlement des troupes ,
l'Aſſemblée a ordonné qu'il ſeroit levé pour la préſente
année deux taxes , dont l'une en proviſions &
l'autre en argent. Toutes les terres doivent être eftimées
en argent , ainſi que les beftiaux , eſclaves ,
fonds dans le commerce & voitures . Sur ces articles
les Propriétaires payeront pour le ſervice immédiat
de l'armée une taxe en nature; ſavoir : bled, froment ,
ris , avoine , ſeigle , farine , ſel & viande falde ou
fraîche de boeuf ou de porc. Les habitans de la Caroline
ſeptentrionale payeront auſſi une taxe pécuniaire
1641
pour l'objet général d'un revenu. Mais comme dans
un grand nombre d'endroits de cetEtat , il ſeroit impoſſible
de trouver afſez d'argent comptant pour le
paiement de cette taxe , il a été réglé que les trois
quarts de la taxe pourroient être payés en tabac
rendu dans un port , en pelleteries , chanvre , cire ,
porc en barils , en toile. Ces articles ſont efſtimés ſur
le pied d'environ 25 pour 100 an- deſſous de leur
prix courant , parce qu'il eſt de l'intérêt des habitans
de payer argent comptant lorſqu'ils le pourront.
Il eſt auſſi à propos d'obſerver que pendant tout l'hiver&
le printems il s'eſt fait toutes les ſemaines dans
preſque toutes les parties de cet Etat des enlèvemens
conſidérables ou plutôt d'amples contributions de porc
&de gros bétail pour le ſervice de l'armée du Sud.
-Comme le bruit s'eſt répandu que la Caroline ſep.
tentrionale avoit refuſé de fournir ſon contingent
pour les dépenſes de l'armée confédérée , nous pouvons
aſſurer le public , d'après la meilleure autorité ,
que cet Etat, dans ſon affemblée du mois de Mai dernier
, a donné les preuves les plus évidentes & les
moins équivoques de ſa réſolution à remplir juſqu'au
deraier point les demandes du Congrès autant que
peut le permettre la rareté actuelle des eſpèces dans
ce pays ".
و
,
Du 3 Août. Il vient d'arriver ici un Particulier
qui eſt parti depuis trois ſemaines du Quartier-Général
du Général Green. Nous apprenons par lui
qu'un Officier du Général Vayne elt arrivé au camp
du Général Green avec l'agréable nouvelle de
l'évacuation de Savanah par les Anglois ; ſelon les
apparences ils évacueront auſſi Charles-Town ; diverſes
circonstances tendent à confirmer cette opinion
, & les voici : les Négocians de la Ville ont
prié le Général Leſſie de leur accorder quelque tems
pour arranger leurs affaires avant le départ de la
garniſon ; les priſonniers Américains ont eu la liberté
de quitter la Ville ſur leur parole ; le Major
( 65 )
Skelley , Aide-de-camp da Général Leſlie , après
avoir été pris à bord d'un petit bâtiment de 8 canons
, avec des dépêches pour New- Yorck , a eu la
permiſſion de ſe rend e à Charles Town far fa parole
,& de ſon côté M. Pendelton , Chefde Juftice
de la Caroline méridionale , a obtenu celle d'en fortir;
lestroupes témoignent la plus grande ardeur dans
le camp de notre brave Général , qui ſe diſpoſoit à
prendre une nouvelle poſition à dix milles de Charles-
Town. Le terrein étoit déjà déſigné , & l'armée devoit
ſe mettre en mouvement le lendemain du départ
du Particulier de qui nous tenons ces nouvelles.
- Un bâtiment de Charles-Town ayant à bord des
prifonniers Américains deſtinés pour la Chéſapéak ,
a été arraiſonné il y a 8 jours à l'entrée de cette
baie ; les gens à bord ont donné les mêmes nouvelles
par rapport à Savanah & à Charles - Town.
Ils ont dit auſſi que pluſieurs autres bâtimens les
ſuivroient inceſſamment ſur la même route.
Maintenant tous les regards ſont fixés
fur les négociations du Chevalier Carleton ;
la poſition de ce Général doit être trèsembarraſſante
, puiſqu'il eſt ſans ceffe occupé
non-feulement à faire avorter les
deſſeins de l'ennemi , mais encore à appaifer
les clameurs des Loyaliſtes. La lettre qu'il
a écrite de concert avec l'Amiral Digby ,
au Général Washington , en leur faiſant
craindre d'être abandonnés à la puiſſance
du Congrès , a répandu le déſordre & la
conſternation dans New-Yorck. Ona affiché
par-tout dans cette ville des libelles & des
paſquinades , & le portrait d'un certain
Miniſtre a été traîné dans les rues , enfuite
brûlé au milieu des clameurs d'une popu(
66 )
lace effrénée. Après tous ces excès les Loya
liſtes & les habitans de New- Yorck ont
déclaré que ſi la Grande- Bretagne les abandonnoit
, ils ſe défendroient contre les armes
du Congrès , & ne tarderoient point
à former un corps impoſant; en effet les
régimens provinciaux ſont portés , dit- on ,
à 20,000 hommes. New-Yorck renferme
10,000 réfugiés , & les 13 Provinces , à ce
qu'on prétend , font remplies de Loyaliſtes.
Mais le Gouvernement , affurent pluſieurs
de ros feuilles , loin d'évacuer New- Yorck
en abandonnant les Loyaliſtes à la puiſſance
du Congrès , eſt déterminé , ſi les Américains
refuſent nos propoſitions de paix , à
continuer la guerre , & à envoyer de nouvelles
troupes pour renforcer les garniſons.
Tous ces bruits inquiètent les vrais patriotes,
qui craignent que le terme tant déſiré
de la paix , auquel nous avons cru toucher ,
ne ſoit encore éloigné , chaque jour faiſant
naître de nouveaux obftacles.
Nos fonds hauflèrent ily a quelques jours
d'une manière affez frappante ſur le bruit
qui ſe répandit de l'arrivée d'un Négociateur
François ; mais depuis leur baiſſe a été
rapide , ſans qu'on ſache poſitivement à
quoi en attribuer la cauſe. Nos papiers fourmillent
à ce ſujet de conjectures & de
ſpéculations trop folles pour être répétées.
Cependant un d'entre eux , le Morning-
Chronicle , rapporte avec tant de confiance
( 67 )
Particle ſuivant , qu'on ne ſauroit le re
jetter.
>> On a reçu à New-Yorck les papiers Américains ,
la veille du jour que le dernier paquebot a mis à la
voile. Ils contiennent cette réponſe faite par le Congrès,
à la lettre des Commiſſaires de laG. B. - Arrêté
, que le Congrès n'a reçu de ſes Miniſtres dans
les Pays étrangers aucune intimation ſemblable à
celle qui lui a été faite & qu'il regarde comme infidieuſe.
En conséquence , il invite les Etats-Unis à
faire un nouvel effort pour chaſſer du Continent les
troupes du Roi & les Loyaliſtes. Le Lord Shelburne
, ajoute le Morning Chronicle a déclaré
que les conditions offertes par MM. Carleton &
Digby n'étoient ni de ſa connoiſſance ni de fon
aveu. Il eſt certain qu'elles portent le cachet de
l'Adminiſtration précédente ".
Tous ceux qui ſuivent avec intérêt les
révolutions de l'Etat , attendent avec anxiété
l'ouverture de la prochaine ſéance du
Parlement ; & il eſt conſtant que ce n'eſt
qu'à cette époque qu'on pourra affeoir un
jugement certain ſur la tournure que vont
prendre nos affaires , & fur les diſpoſitions
du Gouvernement. Tout ce que diſent nos
papiers , relativement à l'Amérique , ſe réduit
à ceci.
Le Gouverneur Franklin , arrivé dernièrement de
New-Yorck , a eu hier une longue conférence avec
le Roi , au ſujet des affaires d'Amérique , & il a remis
à S. M. les adreſſes des Loyaliſtes de New-
Yorck. Il a eu auſſi divers entretiens particuliers
avec les Miniſtres du Roi , & l'on affure qu'il affil
tera à un Conſeil extraordinaire , qui ſe tiendra excluſivement
ſur les affaires de l'Amérique.
On dit que le 19 il a été décidé au Conſeil de
( 68 )
dreffer une Commifſion ſcelléedu grand ſceau de la
G. B. , par laquelle on donnera des pleins pouvoirs
au Chevalier Carleton & à l'Amiral Digby , pour
conclure la paix avec l'Amérique , ſur le pied de
l'Indépendance , ou ſéparément avec quelques-unes
des Provinces , ou avec différentes corporations. On
ajoute que cette Commiffion a été envoyée au Chancelier
, qui l'a renvoyée à Londres le 23 au foir.
Elle ſera expédiée pour New-Yorck avec la plus
grande diligence.
Par les inſtructions que l'on enverra en Amérique
, les Loyaliſtes ne ſeront point livrés an pouvoir
du Congrès ; & s'ils ne ſont point réintégrés
dans leurs poffeffions , ils feront traités comme une
corporation particulière , & foutenus dans leurs prétentions.
Un des papiers du ſoir annonce qu'on a ſcellé à
la Chancellerie , une Commiſſion ſignée par S. M. ,
qui nomme M. Oswald , Commiſſaire , pour negocier
la paix avec les Treize Etats-Unis d'Amérique.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck , le
Capitaine Aſgill étoit en très-mauvaiſe ſanté , par
les fuites d'une maladie épidémique. Cet Officier
étoit encore détenu le 18 Août.
La Nation défire généralement la paix ,
chacun la croit d'une néceffité urgente ;
mais nos finances ſont dans un état ſi
effrayant , que l'on craint que cet évènement
même ne puifle nous retirer de l'abîme
, en rendant la dette nationale moins
onéreuſe , ou en la faiſant baiffer ; car il
eſt incontestable que depuis 92 ans , nous
avons eu exactement autant d'années de
guerre que de paix.
La guerre de la révolution a duré depuis Ann.
1688 , juſqu'en 1696 , incluſivement ..
و
1
( 69 )
La guerre de la Succeffion, depuis 1702 ,
juſqu'en 1713 11
La guerre contre l'Eſpagne & la France ,
depuis 1739 , juſqu'en 1748 10
La dernière guerre , depuis 1755 ,juſqu'en
1763 . 8
•
La guerre actuelle , depuis 1775 , juſqu'en
1782 • • • 8
Total des années , depuis la première époque
, juſqu'à la préſente
Total des années de guerre •
Total des années de paix •
•
92
45
• 46
Il eſt donc évident , d'après ce calcul , que nous
avons eu ( & probablement aurons toujours) autant
d'années de guerre que de paix , & comme , dans
une ſeule année de guerre , nous empruntons plus
d'argent que nous n'en pouvons rembourſer en dix
années de paix , il eſt aſſez clair que la dette nationale
doit continuer de s'accroître. Le Lord North a acquitté
neuf millions de notre dette pendant la paix ,
& il a emprunté treize millions pour faire face aux
ſeules dépenſes de l'année actuelle. Une telle diſproportion
, entre les dettes acqntrées & les destes contractées
, épuiſeroit les moyens de toutes les Puiſſances
de l'Europe réunies.
>> Le Comte de Shelburne , dit à cette occafion
in autre papier , compte fort peu ſur la proximité
de la paix , c'eſt ce que l'on croit appercevoir dans
ſon activité à travailler aux moyens de ſubvenir aux
dépenſes d'une campagne vigoureute pour l'année
prochaine. Il ſe propoſe de lever les fubfides néceſſaires
, même avant la fin de l'année , & fans
recourir à un emprunt , en impoſant un 10e pour
cent fur tous les revenus nets , ſoit en terre , commerce
, fonds capitaux , manufactures , main-d'oeavre
, hypothèques ou penſions. En ne portant le
revenu annuel de tous ces objets qu'à sent millions
( 70 )
Iterling , cela fait 12 millions d'intérêt net à re
pour cent ; ce qui , avec les revenus ordonnés , formera
une maſle conſidérable , qui mettra l'Angleterre
en état de continuer encore une guerre , dont
le terme , après tout , doit être l'épuiſement de la
Nation , tant en individus qu'en richeſſes ".
Cet arrangement ne paroît avoir aucun
fondement ; d'abord il reſte encore plus
de 6 millions ſterling du dernier emprunt
dont les fonds font à fournir pour le 16
Novembre prochain ; & enſuite peut - on
lever une impoſition ſur les fonds publics ,
lorſque le Parlement s'eſt ſolemnellement
engagé à les en exempter .
On est toujours ici dans l'attente des nouvelles
de l'expédition de l'Amiral Howe. On
n'en a de ſon eſcadre que juſqu'au 16 de ce
mois; ellesont été apportées par lesvaiſſeaux
qui en ont été ſéparés ; & cela a confirmé ce
que nous craignons , qu'elle n'ait beaucoup
ſouffert des mauvais tems. On fait que les
vents ont été très-contraires depuis cetre
époque , & on n'eſt pas ſans inquiétude
fur les obſtacles qu'ils ont pu apporter à
ſa marche. S'il a pu la continuer ſans que
ſes convois ſe ſoient diſperſés , il ne doit
pas à cette époque tarder à arriver à ſa
deſtination. Nos papiers ne diſent plus qu'il
ne trouvera pas l'armée combinée ; on fait
qu'elle eſt dans la baie d'Algéſiras ; mais ils
n'en annoncent pas moins de grands ſuccès
pour notre Amiral. Ils ont ſoin de diminuer
la forcede l'ennemi, en peignant ſes vaif
( 71 )
feaux dans un état ſi mauvais , qu'ils ne
peuvent être de grand ſervice. A ce tableau
on oppoſe celui de notre eſcadre , qu'on
dit être la plus belle & la mieux équipée qui
foit fortie de nos ports ; il n'y a pas un
vaiſſeau , diſent - ils , qui ne foit dans le
meilleur état. Mais on oublie que parmi
ces vaiſſeaux , il y en a de très- vieux , tels
que le Blenheim ,de 90 canons ; le Cambridge,
le RoyalWilliam , de $ 4 , & c . Ces vaifſeaux
ne ſont pas meilleurs que le Royal-
George , qui vient de couler bas ; la dépoſition
de l'Amiral Barrington , au ſujet de ce
vaifſfeau , doit faire trembler pour les autres.
Lorſqu'on le répara la dernière fois à Plymouth
, il dit au Charpentier qu'il ne
croyoit pas qu'ils puſſent parvenir à le
mettre en état de ſervir. Leur réponſe fut
qu'on leur avoit ordonné de le réparer commeon
pourroit pour l'éré , après quoi il ſeroit
condamné. L'Amiral répliqua : à la bonneheure
, s'il n'en arrive point de malheur
mais le bois en eſt très - pourri. Plufieurs
Officiers prétendent que le Blenheim , le
Cambridge , & le Royal-William , ne valent
pas mieux. De pareils vaiſſeaux ne
font pas une grande force dans une eſcadre
, & cette armée combinée , qu'on dit
en ſi mauvais état , n'en a point d'auſſi
vieux.
Quant aux nouvelles de Gibraltar on
dit qu'il en eſt arrivé ; mais elles ſont encore
du commencement de ce mois , & ne
1
:
1
172 )
peuvent par conféquent nous informer que
des difpofitions de défenſe. Le Général
Elliot s'attendoit , dit- on , à un aflaut le
10 de ce mois , & il ſe flattoit de repouffer
l'ennemi ; mais comme il ſavoit que cetre
attaque lui coûteroit une grande partie de
ſes munitions , il craignoit d'être dans le
cas de manquer bientôt de poudre , fi le
Lord Howe ne lui en apportoit pas une
nouvelle proviſion. Cet Amiral en conduit
une grande quantité ; il s'agit maintenant
de ſavoir s'il arrivera , & s'il pourra
exécuter ſa miffion. C'eſt de cette expédition
que paroît à préſent dépendre le
fort de cette Place , que la nature a rendue
d'une attaque difficile , & que l'art à
ſu ſeconder depuis. Nos papiers nous donnent
les meilleures eſpérances ; c'eſt au
tems à les réaliſer ; il ne fauroit être éloigné.
Ils les regardent déja comme une affaire
faite ,&ils annoncent que l'Amiral ne s'arrêtera
à Gibraltar que le tems néceſſaire pour
débarquer les troupes & décharger les bâtimens
imunitionnaires ; après cela , il a, diton
, le deſſein de protéger nos flottes , d'intercepter
celles de l'ennemi , & d'exécuter
encore une expédition ſecrette. Voilà bien
de l'ouvrage ; on ſera heureux s'il en fait
ſeulement une partie.
Deux des bâtimens arrivés de la Baltique
& chargés de mats , ont ordre de ſe
rendre aux Ifles ſans débarquer leur cargai-
: fon ,
( 73 )
Ton ; ils appareillerent avec le prochain
convoi.
L'Anfon , de 64 canons , Capitaine Rodney,
eſt arrivé de la Jamaïque à Portsmouth .
Il étoit parti le 26 Juillet avec l'Amiral Rodney
, dont il s'eſt ſéparé à la hauteur des.
Açores. Ce vaiffeau , de conſerve avec la
Résolution , de 74 , parti de la Jamaïque
en même-tems , a rencontré & pris trois
bâtimens. Ces priſes ne font point encore
arrivées ; mais on les attend d'un moment
à l'autre ſous le convoi de la Résolution.
On a reçu avis de Briſtol , que la Belle
Poule , venant de Corke , étoit arrivée à
Kings-Road , avec des tranſports qui ont à
•bord trois régimens de ſoldats , faiſant
partie des sooo hommes accordés par l'Irlande.
Ils alloient à Portsmouth ; mais le
vent contraire les a forcés de remonter le
canal de Briſtol. Ces troupes ſeront embarquées
ſur les bâtimens Marchands qu'on
raffemble aujourd'hui à Portsmouth, pour
fortir avec le convoi des Ifles .
Un papier det foir dit que le Lord Rodney
eſt entré au Comeil de S. M.
:
FRANCE.
De PARIS , le 8 Octobre.
On débitoit il y a quelques jours comme
une choſe fort extraordinaire & preſqu'incroyable
, que le Rainbow qui a pris la
frégate l'Hébé , l'avoit attaquée avec des
canons de 68 livres de balles deſtinés pour
12 Octobre 1782 .
d
( 74 )
Gibraltar. Le Rainbow n'étant que de 46
canons , & un vieux vaiffeau , on rejettoit
bien loin l'idée qu'il pût faire uſage de
pièces de ce calibre. Aujourd'hui le fait eſt
conftaté par les certificats envoyés au Miniſtre
de la Marine par le Chevalier de Vigny
, commandant l'Hébé , certificats ſignés
par ſon Etat Major , ſon équipage , & par
le Capitaine Trollope , commandant le
Rainbow ; ce vaiſſeau avoit 20 canons
de 68 livres , 20 de 42 & 6 de 32. On
dit que ces canons de nouvelle invention
font fort courts , & qu'un seul homme peut
les pointer au moyen d'une méchanique
adaptée à cet effer. Ce qu'il y a de plus
extraordinaire , c'eſt que juſqu'ici ces
eſpèces de carronades ne portoient pas bien
loin , & M. de Vigny écrit que dans ſa retraite
, ſes canons de 18 n'atteignoient pas
l'ennemi , tandis que les boulets de 68
tomboient à ſon bord. Ayant eu la barre
de ſon gouvernail coupée , & ſe trouvant
entièrement déſemparé & fans aucun eſpoir
d'échapper aux forces ſupérieures auxquelles
il avoit affaire , il amena ſon pavillon. L'article
ſuivant tiré d'un papier Anglois , intitulé
: The Exeterflying post , vient à l'appui
de ces détails.
>> Dimanche 8 du courant , ( Septembre ) eſt
arrivée à Portsmouth l'Hébé , frégare Françoile de
38 canons , dont 26 de 18 livres , commandée par
le Chevalier de Vigoy , priſe par le vaiſſeau de S. M.
le Rainbow , de so canons , dont 20 de 68 , &
le reſte de 42 & de 32. L'Hébé alloit de St-Malo
( 75 )
àBreſt pour ſe faire doubler en cuivre , ( étant
tonte Reave) & avoit avec elle un convoi chargé
de munitions navales , qui s'eſt échappé fain &
fauf«.
On est toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; les bruits qui ſe ſont répandus
à diverſes repriſes ſe renouvellent,
&on ne doute pas qu'ils ne ſe confirinent
enfin tôt ou tard. Celui de la priſe de Madras
vient aujourd'hui de tous les côtés ;
fans qu'on fache trop qui l'a apporté ,
quoique cette nouvelle ne ſoit pas officielle ,
il paroît qu'on y ajoute foi ; & elle eſt du
moins très-vraiſemblable. Le Pérou , navire
de M. de Monthieu , arrivé comme on l'a
dit à Vigo , n'a rien apporté. Il avoit quitté
l'ifle de Bourbon le 4 Avril , à cette époque
on n'y ſavoit rien des opérations de
notre flotte dans l'Inde.
>>>Le vailleau la Provence & la frégate la Vénus ,
écrit - on de Brest , viennent de paſſer en rade.
La Provence eſt commandée par M. de la Roque.
Le commandement des autres vaiſſeaux
dont l'armement est bientôt fioi , a été donné ,
ſavoir , celui du Conquérant à M. de la Galiſionière
, la Victoire à M. de Marigny , le Diadême
à M. de Vidal ,le Destin à M. de Flottes , & le
Réfléchi à M. le Chevalier de Ventimille..- La
construction de nos vaiſſeaux ne peut être poufiée
avec plus d'activité , & avant la fin de l'année , il
en fortira de tès beaux de notre port «.
On écrit de Toulon que les 35 bâtimens
qu'on a frétés dans les ports voiſins de ce
département , pour être chargés de nunitions
de guerre &de bouche , étoient tous
d2
( 76 )
rendus devant l'arſenal le 22 du mois dernier
, & qu'on s'occupoit à les charger avec
célerité. Leur deſtination étoit toujours pour
Cadíx , où ils recevront ordre d'attendre les
vailleaux François qui doivent partir de
Breſt pour ſe joindre à l'armée combinée ;
ils verferont ſur ces vaiſſeaux les vivres &
les munitions dont ils pourront avoir be
foin en arrivant à Cadix.
Les nouvelles apportées du camp devant
Gibraltar par les Couriers qui en ſont partis
le 17 , ont rectifié quelques-uns des dérails
reçus précédemment , & en ont confirmé
les principaux. Les trois batteries
principales auxquelles les Anglois mirent
le feu le 13 , étoient commandées par M.
le Prince de Naſſau , M. de Moreno &
M. de Langara. Les ſept autres étoient
moins atteintes; mais lorſque l'on ſe détermina
à les abandonner pendant la nuit ,
on y mit le feu , & elles ſauterent le lendemain,
Les chaloupes de l'armée combinée
ſauvèrent la plus grande partie des équipages;
la plus grande perte vient de l'activité
avec laquelle ils ſe précipitèrent. Les
Anglois en ont ſauvé pluſieurs ; l'état que
le Général Elliot envoya le is an Duc de
Crillon , étoit de 335 priſonniers faits à cette
occaſion; il y avoit dans ce nombre 27 bleffés
dont il promettoit d'avoir ſoin comme des
fiens.
>> La Gazette de Madrid du 24 a donné la relation
des journées du 13 & du 14 Septembre ,
les détails en ſont conformes à ceux que nous avons
( 77 )
déja donnés. Elle compte dans les troupes Elpas
gnoles 41 hommes tués , 102 bleſſés grièvement ,
100 légèrement, 281 prifonniers & 94 égarés ; parmi
les François 45 tués , 34 bleſſés , II priſonniers
& 11 égarés. Le Capitaine D. Leon de Haro , de
P'artilleerriiee Eſpagnole,M.de Berard , Capitaine du
régiment de Bretagne , & M. Kilies , Capitaine da
régiment de Bouillon, font les ſeals Officiers tués.
M. de Langara , commandant la batterie flottante la
Paula, eſt le ſeul Officier de marque bleſſé. Parmi
les égarés , pluſieurs font revenus à Algéfiras <«.
Depuis ce Courier il en eſt arrivé un
autre parti du camp le 22. Le fiége fe continue
, les batteries de terre font un feu
épouvantable , auquel l'ennemi ne répond
pas. Les priſonniers qui ſont revenus au
camp affurent qu'il ne inanque d'aucune
proviſion. L'armée combinée alloit mettre
à la voile pour aller au-devant de l'Amiral
Howe. En reſtant dans la baie elle n'auroit
pas pu empêcher le ravitaillement ſi le vent
avoibitt tourné à l'Ouest à l'approche de l'ef
cadre Angloife.
C'eſt le fort qu'aura l'entrepriſe du Lord
Howe qui décidéra de celui de Gibraltar ;
nous ignorons ce que cet Amiral eſt des
venu depuis le 16. Il eſt certain que pluſieurs
de fes tranſports avoient été alors
très- maltraités ; mais c'eſt le lendemain &
les jours ſuivans juſqu'au 22 que les coups
de vent ont été terribles , & ont dû les
fatiguer encore prodigieuſement. S'il a pu
parvenir à dépaſſer le Cap Finiſtere le 25 &
le 29 qu'il eut 48 heures de bon vent , nous
d3
( 78 )
ne ferons pas long-tems fans apprendre ce
qu'il aura fait devant Gibraltar .
LeDégourdi , de Bordeaux , armé de 4 canons &
de31 hommes d équipage , écrit- on de la Corogne ,
eſt entrédans ce Port le 16 Août. Il venoit desCayes
St-Louis , Ifle St-Domingue , avec un chargement
de ſucre. Le Capitaine rapporte qu'à ſon départ de
St-Domingue , les Juin , les vivres y étoient en
abondance. Les gros vents l'ayant déma é de ſa
miſaine , l'obligèrent de relâcher le 11 Juin à la
Havane , d'où il remit en mer le 4 Juillet , de
conſerve avec le vaiſlean de guerre l'Eveillé , de
64 canons , qui eſcortoit une fregate Américaine ,
chargée d'eſpèces , & 4 barques de la même nation ,
destinées pourBoſton. Huit jours auparavant il étoit
forti de la Havane un convoi Eſpagnol , composé de
8 barques ou faïques Catalannes , bien armées , &
destinées pour Cadix , on pour quelqu'autre port
d'Eſpagne. A bord d'une de ces barques ſe trouve ,
comme paſſager , l'Archevêque de Guatimala , avec
Prêtres qui l'accompagnent. Depuis le 15 Juillet le
Dégourdi a été chailé par différens corfaires Anglois.
Le Miniſtre de la Marine a reçu une
lettre du Chevalier Blachon , Lieutenant
de vaiſſeau , commandant la frégate la
Friponne; elle eſt darée du Fort-Royal de
la Marrique le ro Août.
>> J'ai l'honneur de vous rendre compte de mon
arrivée ici avec les frégates la Friponne& la Réſolue,
après une croiſière de so jours , aa vent de Ifles
d'Antigues & de la Barbade , pendant laquelle je me
fuis emparédes corvettes le Spegdy & le Swift , armées
de 26 canons chacune , & environ 80 hommes
d'équipages , portant des paquets pour les Illes de la
Barbade , Sre-Lucie , Antigues & la Jamaique , du
cutter le Queen , corſaire de ro canens , & des
bâtimens de commerce le Spy , l'Aventure , la
Peggy & le Succès. J'ai conduit ici les corvettes
( 79 )
&expédié les autres priſes pour la Guadeloupe ,
où elles ſont arrivées «.
Nous nous empreſſons de publier la lettre
fuivante , qui vient de nous être adreffée
de la Rochelle; elle rappelle des faits dont
nous avons déja entretenu le public &
les rectifie ; elle détruit en même - tems
les infinuations qu'on s'eſt plu à répandre
depuis quelque temps , fur le prétendue
infalubrité de l'air de cette Ville , & que
nous regrettons d'avoir répétées . Norre devoir
, quand nous avons été induits en
erreur , eſt de revenir à la vérité , & nous
nous hâtons de le remplir.
>>>Je viens , M. , me plaindre à vous-même de la
facilité avec laquelle vous avez conſigné, dans votre
Journal , No. 38 page 131 , un fait qui n'a jamais
exiſté que dans l'imagination de celui qui vous l'a
tranfmis. Votre amour pour la vérité me perfuade
qu'il ne vous a pas été poſſible d'avoir les éclairciſſemens
que vous deſiriez , & que vous me fanrez
gré de ceux que j'ai l'honneur de vous adreffer. S'il
exiſte des préjugés qu'on doit reſpecter , il en eſt
d'autres qu'on ne fauroit trop s'empreſſer de détruire
, lorſqu'ils compromettent l'intérêt d'une Province.
Tels ſont ceux que l'on cherche à répandre
depuis quelque tems contre la ville de la Rochelle.
Les aſſertions que feu M. le Chevalier de Jaucoure
n'avoit pas craint de haſarder dans le Dictionnaire
de l'Encyclopédie , article,peſte , peuvent y avoir
donné licu. Sans le vouloir , vous paroîtriez , M. ,
accréditer ces préjugés , en laiſſant ſubſiſter lamême
erreur dans votre Journal. - M. le Comte de
Broglie , dans les différens voyages qu'il fit l'année
dernière, de Ruffec à Rochefort ,& aux environs ,
ne vint point à la Roshelle. Ayant fait pluſicurs
d4
( 80 )
veyages entrès-peu de tems ,&pendant les premiers
joursd'Août, on a ſoupçonné que la chaleur exceſſive
de lasaifon , & les émanations méphitiques des marais
qu'il avoit traverſés , pouvoient avoir occafionné
la maladie dont il mourut à St-Jear-d'Angely.-M.
de Voyer d'Argenſon , Commandant en feconddans
les Provinces de Poitou , Aunis & Saintonge , n'eft
revenu à la Rochelle qu'à la fin du mois dernier. II
étoit alors occupé des inſpections qu'il avoit commencées
dans les différentes villes & fur les côtes dé
fon Commandement. Il ſe propoſoit de les continuer.
Afon arrivée , il ſe plaignit de ſa ſanté , qui étoit
dérangée depuis un mois. Le travail qu'il vouloit
finir , quelques voyages qu'il projettoit dans les Illes
de Ré , d'Aix & d'Oleron , ne lui permitent pas de
prendre le repos dont il avoit beſoin. Il partit pour
l'Ile de Ré , quoiqu'il eût la fièvre depuis quelques
jours. Le mal ayant augmenté , il ſe fit débarquer
&tranſporter , dans ſa maiſon de campagne , aux
portes de la Rochelle. Il en partit le 8 de ce mois ,
malgré tous les ſymptômes qui annonçoient une
maladie très-férieuſe. Il crut que le mouvement de
la voiture , & le plaifir de ſe retrouver chez lui ,
aux Ormes , le ſoulageroient. Quelque repréſentations
qu'on lui fit ſur le danger auquel il s'expofoit
, il ſuivit ſa première idée ,& ſe rendit aux Ormes
en trois jours. La maladie pendant cet intervalle
fit des progrès très-rapides; elle acquit peut-être plus
de malignité par les fatigues du voyage , & le défaut
de ſecours en route : on n'a plus été à même de
l'arrêter; elle a cu toutes les ſuires fâcheuſes qu'on
craignoit. Il paroît , M. , que dans les pertes
qui nous affligent le plus , nous voulons , pour notre
confolation , fans doute, les attribuer à des cauſes
extraordinaires . La mort a toujours tort. Nous ne
pouvons pas croire , dans le premier élan de notre
douleur, que des Officiers Généraux , dont les talens
& les connoiſſances ont inſpiré à la Nation & à
( 81 )
,
-
tout le Militaire la plus grande confiance , qui ne
refpirent que pour le bonheur de Provinces , dont
le Roi leur a confié le commandement , foient foumis
aux évènemens ordinaires de cette triſte vie.
Mais en cédant au chagrin qui nous accable , devonsnous
imputer nos matheurs à nos voiſins ? Faut-il
décrier une Ville , une Province ; a'armer tous ſes
Habitans , & leur perfuader d'abandonner leur Patrie
? Tels feroient cependant l'objet & le réſultar
des propos auffi finguliers qu'inconféquents , qui ont
été tenus l'année dernière , & qui fe renouvellent
aujourd'hui , fi les témoins des évènemens qui y
ont donné lieu ne cherchoient à diminuer l'impreffion
que ces propos peuvent faire fur des eſprits
rrop crédules . Il eſt de fait , que M. le Comte
de Broglio n'est pas venu l'année dernière à la Rochelle
, & que par conféquent il n'a pu y prendre ,
comme on l'a dit , le germe de la maladie dont il
eſt mort à St-Jean-d'Angéli. Il est également vrai
que M. le Marquis de Voyer , qui avoit la plus
grande attention, comme il le diſoit lui- même , de
couper l'air , & d'être rarement huit jours de ſuite
dans le même endroit , étoit déjà malade lorſqu'il
vint à la Rochelle le 27 Août dernier ; que très-dur
à lui-même , occupé du bien de cette Province , &
des travaux que S. M. a ordonnés pour le deſsèchement
des marais d'Aunis & de Saintonge , s'en rapportant
un peu trop à la bonté de ſon tempérament ,
il a négligé les moyens de rétablir fa ſanté , & de
prévenir la maladie qui l'a enlevé à nos voeux & à
nos plus douces eſpérances . Voilà , M. , ce que
je puis vous certifier , d'après l'aveu général & parriculier
de tous ceux qui ont connu & ſuivi les deux
Lientenans-Généraux que nous avons eu le malheur
de perdre. C'eſt un hommage que je dois à la vérité.
Puiffe-t-il réparer le tort que d'aveugles préjugés &
de faux rapports ont fait à notre Ville . Veuillez,
-
M. , inférer ma lettre dans votre premier Journal
ds
782 )
je vous en aurai une véritable obligation. Mes concitoyens
vous fauront un gré infini de rétracter ainſi
une erreur , qui ne peut leur être que très-préjudiciable.
J'ai l'honneur d'être , &c. figné , le Chevalier
DE MALARTIC , Lieutenant - Colonel-Commandant
du Bataillon de Garnison de Poitou.
Le défaut de place ne nous a pas permis
de donner dans le Journal précédent la
fuite des obſervations intéreſſantes ſur la
découverte du ciment de M. d'Etienne.
Nous allons les continuer ; ce n'eſt pas nous
qui parlons ici , c'eſt l'Architecte eſtimable
qui nous les a fait paffer.
>>>Tout le ſecret de M. d'Etienne dépend donc
d'introduire dans une auge , qui contient par exemple
fix pouces cubes de ciment préparé , comme
de coutume , un pouce cube de chaux vive
nouvelle & c'eſt à l'aide de cet agent qu'il
parvient à faciliter l'évaporation de ſon eau , fans
crainte de retrait ni de gerſures . Il eſt manifefte
que cette méthode eſt précisément celle de M. Leriot
, ou plutôt n'en eſt que l'application. Il eſt vrai
que M. d'Etienne avoue dans ſon Mémoire s'être
ſervi des eſſais des Artiſtes , qui l'ont précédé dans
la même carrière ; mais fi cela eſt , & s'il n'a fait
qu'adopter le procédé de M. Loriot , d'où vient
n'en pas prévenir le public , & pourquoi lui annoncer
ſen ciment comme une découverte.-Toute
la différence entre leur emploi ne conſiſte que dans
l'épaiſſeur de l'enduit ; M. Loriot obſerve de donner
à l'enduit de ſes terraffes environ un pouce d'épaifſeur
, & de le placer toujours ſur un aire de bon
martier , avec lequel il puiffe faire corps ; au lieu
que M. d'Ericane ſe borne à donner au ſien une
ligne ou une demi-ligne d'épaiſſeur , & à le placer
fur du carreau , ce qui ne paroît pas devoir lui
procurer autant de ſolidité , vu qu'il ne fauroit s'y
( 83 )
attacher que difficilement. La raiſon qu'il allègue
pour justifier cette minceur , eſt que plus une
couche de ciment eſt épaiſſe , plus le volume d'eau
pour la former eſt conſidérable , & que toute cette
eau devant s'évaporer pour donner de la conſiſtance
au ciment , elle y laiſſe des vaides , des
crevaſſes , au lieu que le ſien n'en contenant qu'une
très-petite quantité ne pouvoit éprouver de changemeat
fenfible par la deſſication. Mais ne pourroit-
on pas lui répondre que , dès qu'il dépend d'une
certaine doſe de chaux vive d'empêcher les gerſures,
en ſappoſant l'enduit d'un pouce d'épaiſſeur ou
d'une ligne , l'évaporation de l'eau ne ſauroit qu'être
la même , & proportionnelle à ces agens ; que
la minceur du ciment devoit être regardée plutôt
comme un défaut que comme une perfection ,
en ce qu'elle peut contribuer à le trop deſſécher &
à lui ôter le gluten néceflaite pour lier toutes les
parties après l'évaporation ; & qu'enfin c'eſt ſans
doute pour lui redonner de l'onctuoſité que M.
d'Etienne ſe croit obligé d'étendre après coup une
couche d'huile graſſe ſur ſon enduit.-Au furplus
, c'eſt à l'examen de ſa terraſſe qu'il faut recourir
pour apprécier , je ne dis pas la bonté de ſon
ciment , puiſqu'il eſt reconnu être le même que le
mortier- Loriot , mais la valeur de ſon emploi. J'y
ai remarqué , ainſi que pluſieurs perſonnes , nombre
de rétabliſſemens , de repriſes , de lézardes & de
gerſures qui annoncent qu'on y a certainement fait
de fréquentes réparations . J'ai même obſervé qu'en
frappant avec le bout de ma canne en quelques endroits
de cet enduit , il ne paroiſſoit pas attaché au
carreau , & fonnait le creux , comme quand deux
corp font poſés l'un ſur l'autre & n'ont pas d'adhé.
rence. Que ces effets , au reſte , ayent été produits
par la minceur de ce ciment , ou parce qu'il
ne fait pas corps avec le caricau toujours eft-il
que le mouvement inévitable de la charpente des
,
d6
(84 )
1
planches qui ſupportent cette terraſſe , à raiſon des
diverſes impreffions de l'air , ne fauroit manquer
de ſe communiquer à ſon enduit , & d'y occafionner
quelquefois des fentes & des lézardes, ainsi que
cela arrive aux maſtics des dalles poſées ſur des
foives , dont j'ai parlé ci-devant. Après l'exécu
tion de ces fortes d'ouvrages , on apporte volontiers
dans les commencemens beaucoup de ſoins
à reparer les fentes , les gerſures ou les ruptures
des maſtics à meſure qu'elles paroiſſent; mais peuà-
peu on néglige ces réparations , l'eau parvient à
s'infinuer dans les planchers , faute d'avoir toujours
à point nommé un maſtiqueur pour faire les
rétabliſſemens convenables ; & à la fin on eft obligé
de renoncer aux terraffes qui ne font pas faites fur
des voûtes , ou de les couvrir en plomb ; & c'eſt
probablement ce qui arrivera auffi à la terraffe de
M. d'Etienne. Signé PATTE , Architecte de S. A.
S. Mgr le Duc Regnant des Deux-Ponts.
Onlit dans les Affiches de Toulouſe un
fait bien fingulier , & dont les faites ont
été des plus affreuſes.
>> Un payſan des environs de Figeac , qui n'avoit ,
comme ceux de ſon eſpèce , d'autre reſſource que le
produit de ſes journées , pour fournir à ſa fubfiftance
& à celle de ſa famille , ſe rendit dans une vigue
qu'il s'étoit chargé de tailler. Sa femme malheureuſement
voulut l'accompagnerpour alléger ſon tra
vail : elle fut obligée de porter avec elle un
jeune enfant qu'elle allaitoit. A leur arrivée leur premierſoin
fut de placer cet enfant à l'abri du ſoleil &
dans un endroit commode d'où ils puſient le voir . A
l'heure de déjeuner , ils vont s'affeoir à côté de l'enfant
pour y prendre leur repas ; mais quele fut leur
furpriſe en le voyant pâle , défiguré , & fans mouve
ment, ils s'apperçerent qu'il fortoit de fa bouche
quelque choſe qui reſſembloir à la queue d'un ſer
pent ; auffi-tôt le père s'en faifit par le bout de ſo
( 85 )
doigts ,&tirant avec précipitation,il arrache une vis
pere, qui attirée ſans doute par l'odeur du lait , έτοιε
entrée dans le corps de l'enfant & l'avoit éto ffé . Ce
père désolé devint injufte , il accuſe ſa femme d'être
la cauſe de la mort de ſon fils : it jette des cris lamentables
, & n'ecourant que ton déſeſpoir , après s'être
ſaiſi d'une ferpette , illui coupe le cou. - D'autres
Journaliers qui travailloient tout près de- là , accouru
rent au bruir , &furent témoins de ce déſaſtre. Lanouvelle
en fut aufli- tôt répandue : le meurtrier fut arrêté
, & traduit dans les priſons où il eſt détenu de
puis un mois.
L'anecdote ſuivante mérite d'être recueillie
; elle prouve que dans les accidens les
plus déſeſpérés , des ſoins actifs peuvent
encore être utiles .
> Le 30 Septembre , à Champigny, près Saint-
Maur , le nommé Breton , Compagnon Maçon ,
choiſi comme le plus brave d'un attelier , pour
vuider & réparer un puits public , reconnu en danger
, y defcendit à 5 heures , & s'occupa à l'épuiſement
avec d'autres ouvriers qui tiroient le
baquer , & leur cria peu de tems après : fecourezmoi
camarades , je péris. A ce cri les ouvriers
redoabient d'effo ts pour remonter le baquet où
s'étoit jetté le Maçon , mais à peine purent-ils le
monter à la moitié de la hauteur; un éboulis gé.
néral les arrêta; en un moment le puits fot comblé
de pierres , au ras de la rue , & le malheureux
reſta enſeveli ſous 15 pieds de décembres. Les cris
firent accourir M. l'Abbé de Champigny , Chanoine
de Notre-Dame , qui heureuſement étoit à
ſa terre; en un moment il raflembia tous les ouvriers
du pays , & les invita à ſecourir ce malheureux.
Hélas , s'écrie la multitude, il eſt mort accablé
ſous un monceau de pierres ; il faut y voir
répond M. l'Abbé , il y a mille contre un pour,
86 )
la mort, mais un ſur mille ſuffit pour me décider,
travaillons. Les ouvriers animés par ce mor ,
s'empreffent , dès que l'un eſt épuisé par le travail,
il trouve des rafraîchiſſemens préparés à côté , &
cependant un autre prend ſa place. Avec cette activité
les décombres ſe vuident , on obſerve qu'il
y a néceſſairement un porte à faux , une eſpèce
de voûte produire par la rencontre fortuite des
pierres en tombant , on en fent le danger , on
ſuſpend les ouvriers à des cordes lâches , leur zèle
s'accroît par cette précaution , à 9 heures on entend
le malheureux à travers les décombres dont
il eſt couvert, on redouble d'activité ; à 11 heures &c
demie on n'est pas encore à lui ; enfin on y parvient,
un vuide demeuré autour de ſa tête , lui avoit
conſervé la reſpiration , mais il avoit tout le corps
enveloppé de pierres & de gravats , on le dépêtre;
à peine a-t- il les bras libres qu'il s'aide luimême;
enfin à 2 heures &demie du matin il eſt
dégagé & emporté dans ſon lit, fans bleſſures graves;
le lendemain à 7 heures du matin je l'ai vu avec
M. l'Abbé de Champigny, il ne ſe plaignoit que
des contufions dont il avoit le corps couvert. Le
baquet fontenu par la corde s'étoit eugrené avec
les pierres , & avoient formé une eſpèce de voûte ,
quinze pieds environ au-deſſus du fonds du puits.
Quelle douce fatisfaction pour M. l'Abbé de Champigny,
& quel exemple à propoſer pour les oc
cafions à per-près ſemblables cc.
On nous écritde St - Amand en Berry ,
que M. Aubry , Maître en Chirurgie ,
qui y eſt établi , a fait une découverte
bien importante & bien précieule pour
l'humanité , c'eſt la compoſition d'un cauftique
qui quérit parfaitement & en peu
de tems les humeurs cancéreuſes. Il a traité
avec le plus grand ſuccès pluſieurs perfon
( 87 )
nes , & récemment M. Gabriel- Gilbert
Geoffreney , ancien Garde du- Corps du
Roi , demeurant dans la même Ville. Cer
Officier avoit fait au mois de Mai de l'année
dernière un voyage à Paris , pour y
chercher des foulagemens qu'il n'a pu ſe
procurer ; il a conſulté les Gens de l'Art
les plus habiles de cette Capitale , MM.
Louis , Petit , Jayle , &c. , mais cette humeur
cruelle a réſiſté à tous les remèdes;
elle n'a pu être diſſipée que par celui de
M. Aubry. Nous nous emprenons de contribuer
à donner de la publicité à ſa reconnoiffance
, & fur-tout à annoncer une
découverte dont l'expérience a prouvé
l'efficacité contre des maux qui juſqu'à
préſent ont preſque toujours été regardés
comme incurables , lorſqu'ils étoient parvenus
à un certain degré.
Toutes les productions nouvelles desArts ;
celles fur-tout qui ſont d'ungenre ſupérieur ,
&qui réuniffent le mérite de la plus belle
compoſition des ſujets , à la perfection de
l'exécution , ont droit d'occuper une place
dans ce Journal. C'eſt à ce titre que nous
nous empreſſons d'annoncer celles que M.
Moreau , Deſſinateur &Graveur du Cabinet
du Roi &de ſon Académie de Peinture
vient de publier. La réputation de cet Artiſte
eſt déja faite par un grand nombre d'Ouvrages
intéreſſans , tels que les Estampes des
OEuvresdeMoliere, celles de J. J. Rouffeau
in-4°. , imprimées à Bruxelles , des Incas
( 88 )
de M. de Marmantel , la ſuperbe Gravure
du ſacre de Los XVI , &c. Il a confacré
ſes crayons & fon burin à orner les édi
tions des Euvies de M. de Voltaire. La première
livraiſon des Estampes qui y ſont
deſtinées vient de paroître de format in-
4°. & in- 8 °.; elles font au nombre de
10 , & doivent être placées à la tête de
chaque Chant de la Henriade. Il n'y en a
point qui ne faſſe le plus grand honneur
à l'Artiſte habile qui les a compofées , &
aux burins qu'il a choiſis , pour rendre ſes
compoſitions le plus fidèlement poſſible.
Ce font ceux de MM. Maſquelier , Delignon
, Dambrun , Patas , Guttemberg
Helman , Simonet , Duclos & Romaner.
Les ſujets , quoiqu'ils aient été traités ſouvent
, n'en paraîtront pas d'un genre moins
neuf. On nous faura gré de les indiquer.
Le premier offre Henri IV & Mornay dans l'iſle
deJerſey, écoutant le vieux Solitaire , qui lui prédit
ſes ſuccès , ſa converfion & fon entrée triomphante
à Paris. Rien de plus noble que les 3 figures
, qui ont chacune l'expreffion qui lui eft propre.
-L'affaffinat de Coligni eſt le ſujet de la ſeconde
Eſtampe. La figure entière de l'Amiral tombant ,
mouran de coup que Befme lui porte en détournant
la tête , contraſte admirablement avec celles de ſes
affaffins.-La troiſième , qui préſente Joyeuſe expirant
& emporté par ſes foldats , eſt du plus grand
effet ; nous en dirons autant de la quatrième &de la
cinquième le ſujer de l'une eſt l'entrée des Seize ,
fous la conduite de Buſſy, dans le Parlement , &Harlay
s'avançant au- devant des fers qu'ils lui portent :
celui de l'autre eſt le ſacrifice de la Ligue , trouble
( 89 )
par l'apparition de Henri ; ce ſont deux tableaux
d'un effet impofant & majestueux. Celui du ſizième
eft Henri donnant l'affaut à Paris , & arborant fon
drapeau ſur la brèche, Dans le ſeptième , on voit le
Héros conduit par S. Louis à la porte des Enfers ,
®ardant au milieu des feux l'aſſaſſin de Henri III ,
tenant encore à la main le poignard dont il s'eſt ſervi.
L'épiſode intéreſſante du combat ded'Ailly , avec fon
fils , a fourni le ſujet de la huitième. A ce tableau
pathétique & touchant en fuscède un dans le genre
le plus gracieux; ce ſont les amours de Henri avec
la belle Gabrielle. Rien de plus frais , de plus agréable
que cette Eſtampe qui eſt la neuvième. Ladixieme
nous remontre le Héros dans tour l'éclat de ſa
grandeur & de ſa dignité ; il entre dans Paris , la
Foi marche devant lui & le guide ; & le peuple en
foule ſe proſterne à genoux , & fait retentir l'air de
ſes acclamations ( 1 ) . -La livraiſon qui va fuivre
eft compoſée en grande partie des pièces du Théâtre
On écrit de Lyon qu'il eſt mort dans la
Paroiffe de la Commanderie de St-George
de cette ville un particulier nommé Jean
Marion , âgé de 103 ans , fils d'un Laboureur
du Dauphiné , demeurant chez ſon fils ,
Maître Fabricant ; il s'étoit rendu juſqu'à
ſa mort utile à la maiſon par des travaux
qui demandoient de la force & de l'activité.
On dit d'après le rapport du défunt
&une tradition du pays , que ſon père eſt
mort dans ſon village à 121 ans .
Anne-Catherine-Laurence de Waroquier,
Baronne d'Arcriere , née à St-Affrique en
Rouergue le 2 Février 1750 , élevée à la
<(1) On foufcrit chez l'Auteur , rue du CoqSt Honoré,
près le Louvre. Il pris les Souſcripteurs de faire retirer la
ivraiſon qui vient de paroître.
( 90 )
Maiſon Royale de St-Cyr , fille de Meſſire
Jean - Baprifte de Waroquier , Chevalier ,
Seigneur & Gouverneur pour le Roi de
la Ville de St Affrique , & c. , ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de Saint-
Louis & de feue dame Catherine de
Galtier de Montagnel du Terrier , mariée
en 1775 à Meffire Amans- Charles de Vigouroux
, Ecuyer , Seigneur de Barry &
Baron d'Arviere , eſt morte en ſon Château
d'Arviere , près Rodez , le 14 Août
1782 .
Arrêt du Conſeil en date dus Juillet dernier ,
qui , en confirmant les anciennes Ordonnances &
Règlemens , ordonne que les matières & monnoies
d'or & d'argent qui ſe trouveront à bord des Priſes ,
ſeront portées aux Hôtels des Monnoies ou aux
Changes les plus prochains.
De BRUXELLES , le 8 Octobre.
Le rapport que le Stadhouder a fait aux
Etats-Généraux des ordres qu'il a donnés
au Texel , relativement à l'eſcadre Hollandoiſe
, eſt conçu ainſi.
>> Depuis la rentrée de l'eſcadre de la République
au Texel ; j'ai fait tout ce qui étoit en mon pouvoir
, pour la faire reſſortir promptement. Acet effet
je me ſuis rendu au Nouveau-Diep le 20 Août , pour
m'informer de l'état des vaiſſeaux. Le 21 Août j'ai
conféré avec les Officiers-Généraux de Marine , qui
étoient préſens , & les Conſeillers & Miniftres des
Amirautés , qui ſe trouvoient auſſi ſur les lieux y
ontaffifté. J'ai communiqué à V. N. P. les minutes de
cetteconférence; elles yverront entre autres , qu'on
vaiſſeau & 4 frigates ferojent prêts en peu de jours ,
( 91 )
8vaiſſeaux de ligne en dix jours , 4 autres quelques
jours après , randis qu'une frégate devoit être carénée
&une autre réparée . J'ai recommandé de mettre les
Vaifſeaux en état auſſi promptement que poſſible ; fur
l'avis que je reçus que plufieurs vaiſſeaux Angiois
crofoient dans la mer du Nord, javordonné de détacher
du Texel la goëlette le Dauphin , & de la
Meuſe le cutter Epervier , vers Drontheim , ainfi
que de fréter autant de bâtimens neutres qu'il ſeroit
poffible pour le même voyage , à l'effet d'avertir le
commandant des vaideaux qui eſcortent les navires
de la compagnie des Indes , de la venue de cette efcadre
Angloiſe dans la mer du Nord , pour qu'il pût
prendre les metures qu'il jugeroit les plus propres
,
metre ſon convoi en sûreté. Je joins ici copie des
lettres , que j'ai fait expédier le 22 du mois dernier
an Vice-Amnal Pichot , au Contre-Amiral Dedel , &
au capitaine van Gernip. Les dix jours étant échus
dans le délai deſquels l'on s'étoit engagé à remettre
la plupart des vaiſſeaux en état de prendre le large ,
j'ai écrit au Vice-Amiral Hartinck , une lettre en
date da i de ce mois , dont je remers copie à V. N. P.
&la réponſe originale du Vice- Amiral en date du 2
du courant , copie de ma ré,lique da 3 , & deux
lettres de Vice-Amiral du 4 Septembre. J'ai mandé
les MM.les Conſeillers-Fiſcaux Birdom , de l'Amirauté
de la Meuſe , & van der Hoop , & de celle
d'Amerdam , avec les Vice - Amiraux Reynst &
Zourman , pour les confulter ſur la réponſe à faire
au Vice-Amiral Hartſinck . Je joins ici leurs confidérarions
, ainſi que la minute de la lettre que j'ai envoyée
au Vice- Amiral Hartfiack , le 6 du mois conrant
peu après minuit , & copie de ma lettre au contre-
Amiral Dedel dus du courant. Le même jour ,
je reças de la Meuſe ure nouvelle , que je communiquai
par mesfage au Vice-Amiral Hartfinck . Je joins
ici une copie de la lettre dont j'accompagnai cet avis .
Le 7 le capitaine comte de Welderen arriva comme
1
( 92 )
exprès avec la lettre du Vice-Amiral Hartfinck du
6 du courant , où V. N. P. trouveront copie du réſultat
du Conſeil de Guerre du 4. Après avoir reçu
cette lettre , je réſolus de faire une tournée au nouveau-
Diep , afin de pouvoir faire tenir Conſeil de
Guerre en ma préſence &de prendre , ſelon les circonſtances
, telle réſolution , que le ſervice de l'Etat
l'exigeroit. J'ai envoyé le colonel Bentinck au Vice-
Amiral Hartſinck avec la lettre , dont je remets auffr
ci-joint copie à V. N. P. Le 8 je reçus la lettre cijointe
du Vice-Amiral Hartfinck du 7 du courant en
réponſe à ma ſeconde lettre du 6. Le même ſoir je
fuis parti d'ici ; & ayant fait route toute la nuit , j'ai
fait convoquer le , Septembre unConſeil de Guerre
compofé de tous les Officiers Généraux de Marine &
capitaines préſens, & auquel a aſſiſté M. le Conſeiller
Fifcal van der Hoop,de l'Amirauté d'Amſterdam. J'ai
cru devoir communiquer à V. N. P. les minutes de
ce qui s'y eſt paſſé , ainſi que de l'avis du Vice-Amiral
Zoutinan , anquel à mon retour j'ai demandé ſes com
fidérations ſur les opinions du Confeil de Guerre.
V. N. P. y verront les ſentimens unanimes de tous
les fusdits Officiers Généraux &Capitaines. J'ai fait
difficulté d'ordonner , contre ces avis unanimes , la
fortie de la flotte; mais j'ai cru devoir me contenter
d'enjoindre de tenir les vaiſſeaux approviſionnés
d'eau & de vivres , de façon qu'ils puffent fortir au
premier ordre convenablement équipés , & m'adreffer
à V. N. P. avec prière , qu'elles m'informent des
intentions de L. H. P. , au ſujet de la fortie des vaifſeaux
de la République , & m'apprennent ſi L. H P.
défirent que , malgré les avis unanimes des Officiers
deMarine , 1 Eſcadre doive mettre en mer. J'ai déja
chargéle Vice- Amiral Hartfinck , en préſence des
autres Officiers Généraux , de mettre en mer , fans
attendre des ordres ultérieurs , dès qu'il recevroit des
avis dignds de foi , concernant le départ de l'eſcadre
Angloiſe, qui avoit croisé ſur nos côtes, &de ſa ren
trée dans laManche , de façon qu'on put compter
que la flotte de Mylord Howe étoit par ie ou ſur ſon
départ pour Gibraltar , me référant aux divers ordres
, que je lui avois donnés , ſpécialement à mes
lettres des 1 , 3 , 6 & 7 Septembre.-J'eſpère avoir
rempli par ce que deſſus les intentions de L. H. P. ,
&je ſuis prêt à envoyer a l'eſcadre de la République ,
particulièrement pour ſa ſortie , tels ordres , que
L. N. P. jugeront à propos, ayant fait tenir tout prêt
pour les exécuter ſans perte de tems , dès que le vent
& la marée le permettront.
On attend encore à chaque inſtant la
nouvelle de la ſortie de cette eſcadre ;
mais celle de l'arrivée de la flotte de la
Baltique en Angleterre la fait maintenant
attendre plus patiemment.
La propoſition de la ville de Leyde pour
examiner l'adminiſtration de la marine , a
été généralement approuvée dans les dernières
ſéances des Etats de Hollande & de
Weſtfriſe par les 18 villes qui ont droit
de fuffrage à certe Aſſemblée ; elle a dû être
convertie en réſolution au commencement
de ce mois.
Le Collége d'Amirauté du département
de la Meuſe , ayant propoſé aux Etats-Généraux
la réparation des chantiers de Fleffingue
, & la conſtruction d'un baffin dans
ce port , dont les frais ont été évalués à
400,000 florins; les Commiſſaires des départemens
reſpectifs , ont remis aux Etats-
Généraux un rapport favorable à cette propoſition.
Cette affaire a été miſe en délibération
, & on a donné communication du
1
( 94)
projet à tous les Membres des Etats , afin
qu'ils prennent à ce ſujet les inſtructions
de leurs commettans .
>> Cette ville , écrit-on d'Amſterdam , ainſi que
celles de Rotterdam , de Leyde , &c. fuivent l'e.
xemple donné pour celle de Dordrecht , qui , la
première , s'eſt propoſéede rentrer dans l'exercice
de pluſieurs droits dont elles jouiſſoient précédemment
, & qui avoient été abandonnés au Stadhouder
depuis 1747 ; on croit aſſez généralement que ces
villes entraîneront les autres . - Le voeu général
ici eſt de faire vivement la guerre à l'Angleterre.
Notre Amirauté a 3 vaiſſeaux de 64 , dent un mettra
à la voile dans is jours au plus pour le Texel ;
elle en a encore 3 de 74 ſur les chantiers , ainſi
ques autres de 64; 2400 ouvriers ſont employés
journellement. - Le vaiſſeau le Tigre , conſtruit
fur le plan de M. Boux , eſt parti le 24 Septembre
pour le Texel , à l'aide des chameaux. - II
eſt certain que ſi la flotte avoit pu fortir depuis
lers , elle ſeroit dehors; mais il a fait des tems
fi affreux , que les vaiſſeaux ont eu à ſouffrir dans
la rade. La côte eſt couverte de navires naufragés.
Il faudra cependant qu'elle te mortre bientôt
au-dehors ; le peuple qui a tort fans doue , fait
retomber ces retards ſur M. Hartfink ; il s'eſt
même porté ici à des extrémités très-graves ; il a
voulu démolir ſa maiſon , & ce n'est qu'avec peine
qu'on eft parvenu à le calmer. - Il y a 3 vaifſeaux
de 64 ſur les chantiers de Rotterdam , &
un de 54. Un autre de 64 doit être es mer actuellement.
Il a été conſtruit à Hellevoetſluis ; il
eſt commandé par le brave de Hordt,le premier
Hollandois , qui ait fait abaiffer un pavillon Anglois
de guerre depuis les heſtilités «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 2 OF.
Le 28 Septembre on a appris que 30 vaiſſeaux de
ligne François , portant près de 1000 foldats , ſe
( ور (
font rendus maîtres de pluſieurs Forts dans la baie
d'Hudſon. Ces vaiſſeaux venoient de St-Domingue
&avoient appareillé avant le départ de M. de Vaudreuil.
On dit qu'un armement plus confidérable
menace les poffeffions qui nous reſtent dans le
nord de l'Amérique , & pluſieurs perſonnes croient
que les François & les treize Provinces doivent ſe
partager Terrre-Neure , d'autres imaginent que les
armes de la France vont ſe tourner vers le Canada ,
dont la conquête ne ſera point difficile.
On aſſure qu'à la dernière aſſemblée du Conſeil
du Cabinet , la déclaration de l'indépendance de
l'Amérique a été fignée par le Roi & envoyée aufli
tôt à Paris.
Les nouvelles données récemment par les gazettes
de New-Yorck ont bouleverſé toutes les têtes
politiques. L'Amérique a été certainement déclarée
indépendante par les Commiſſaires de S. M. Mais
le public ignore d'où ſont émanés les ordres qui
ont effectué cette déclaration , & il n'en ſera probablement
inſtruit qu'à la rentrée du Parlement.
-Cette déclaration eſt une des grandes queſtions
politiques qui aient été jamais agitées dans ce pays ,
fans en excepter celle qui étoit relative à l'abdication
Jors de la révolution. Le premier point qu'elle ren
ferme eſt : La Couronne peut-elle aliéner les Domaines
de l'Empire ? « Si ce premier point eſt décidé
à la négative , comme il le ſera ſans doute , on demandera
en ſecond lieu : >>>L'acte du Parlement qui
autoriſe la Couronne à faire la paix avec l'améri
que, lui donne-t-il le pouvoir dedéclarer l'Amérique
indépendante ? « Si cette queſtion eſt décidée contre
l'existence d'un tel pouvoir , alors on demandera
Quel est le Miniſtre qui a conſeillé cette démarche?
c
Malgré la diverſité des bruits qui ont couru fur
ladate de la rentrée du Parlement , il paroît certain
qu'il ne s'aſſemblera pas avant le 26 ou le 28
du mois de Novembre. -Le Parlement d'Irlande
eſt prorogé au 26 du même mois.
4
( 96 )
!
Le 28, dans la matinée , or a reçu à l'hôtel de la
Compagnie des Indes quelques dépêches des établiſſemensdu
Bengale. Elles font venues par la voie
de terre, mais on dit qu'elles ne renferment que des
duplicatas de celles qu'on a reçues précédemment.
-Vers la fin du mois de Novembre la Compagnie
des Indes fera partir une flotte pour ſes établif-
Temens , & on dit que le Gouvernement les fera convoyer
par pluſieurs deſtinés à renforcer l'eſcadre de
l'Amiral Hughes.-Le vaiſſeau l'Africa , qui arrive
de Gorée , rapporte qu'une fièvre maligne a fait
pendant quelque tems de grands ravages ſur la
côte du Sénégal , &a emporté un grand nombre
d'habitans.
Hier un particulier , arrivé de Paris , a apporte
la nouvelle ſuivante. Le 12 Septembre , les Eſpa
gnols ont commencé à attaquer Gibraltar du côté
de la mer. Le lendemain 15, leurs batteries flot
tantes ont été incendiées & totalement détruites
par le canon de la place , qui a tiré à boulets rou
ges. On préſume que les affiégeans ont perdu plus
de 2000 hommes dans cette affaire qui a durépluſieurs
heures. Leur eſcadre étoit , dit-on , dans la
baie, & n'a pu donner aucun ſecours aux batteries
flottantes. Tous nos papiers ſont remplis de détails
incroyables ſur cet heureux évènement qu'ils -
appellent tous la déconfiture totale de la Maiſon
de Bourbon.
L'Amirauté a reçu avis des Dunes que le Commodore
Elliot étoit forti avec une petite eſcadre
pour la première ſtation , afin d'empêcher les Corfaires
de St-Malo & Morlaix de mettre en mer
dans le deſſein d'intercepter quelques-ups des vaifſeaux
de la flotte de la Jamaïque , attendue en
Angleterre , en cas qu'ils fuſſent ſéparés par un
coup de vent. L'eſcadre du Commodore Elliot eft
compoſéedu Romney de so , du Mediator de44 ,
du Prudent de 36 , & de l'Eurydice de 34.
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 19 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ADÉLAIDE , ou la Raison dupe de
l'Amour , Conte.
ADELAIDE , au printemps de ſa vie ,
Penſoit en Philofophe , & mépriſoit l'Amour.
Adélaïde étoit pourtant jolie ;
Taille bien priſe & jambe faite au tour ,
Quelque peu de penchant à la coquetterie ,
Des yeux fripons , de l'eſprit , des talens ,
Et l'âge heureux de ſeize à dix- sept ans
Voilà le vrai portrait de la gente fillette.
Elle aimoit à parler , ( je m'en étonne peu ,
On dit qu'à ce défaur toute femme eſt ſujette ,
Et j'en fais de grand coeur l'aveu ,
Car je ſuis femme , & dois en ſavoir quelque choſe.)
Adélaïde, un ſoir dans un cerele nombreux ,
Nº. 42 , 19 Octobre 1782 . E
t
こ
MERCURE
Où de l'indifférence elle plaidoit la cauſe,
S'exprimoit en ces mots : >>Heureux ! cent fois heureux!
>> Celui qui de l'Amour ne reſſent point les feux !
» Pour lui , dans tous les tems , la Nature eſt riante ,
>>>Il fait jouir de tout. Une âme indifférente
→ A peu de frais peut goûter le bonheur ;
• Le vol d'un papillon , le parfum d'une fleur ,
>> Tout l'intéreſſe , tout l'enchante......
♫ Loin de l'objet aimé , rien ne plaît à l'amant.
>> Sombre , diſtrait , rêveur , impatient ,
« S'il veut parler , ſa langue s'embarraſſe ;
>> Il entend ſaus comprendre , & regarde ſans voir.
>> L'eſpérance l'enflamme , & la crainte le glace ;
>> Leplus léger ſoupçon le met au déſeſpoir.
* S'il dort , la triſte Jalouſie
•Vient troubler ſon repos par un ſonge fatal ,
>> Qui lui fait voir un amant , un rival
>> Aux pieds de ſon ingrate amie.
>> Il en frémit , il s'éveille indigné ,
> Et croit fans ceſſe entendre une voix qui lui crie :
>> Eſt- il vrai que tu ſois aimé ?
>> Ce doute affreux empoiſonne ſa vie.
- Je le répète encor , heureux ! cent fois heureux !
• >> Celui qui de l'Amour ne reſſent point les feux.
» Je jure..... >> En get endroit on interromptlabelle,
On annonce Derval. Ce Derval , cher Lecteur ,
Eſt fait pour captiver le coeur
De la Beauté la plus cruelle.
Il entre,& fa préſence interdit l'Orateur,
DEFRANCE.
وو
Qui , tour- à-tour , rougit. , pâlit , chancelle.
Adieu les beaux diſcours , les préceptes moraux ;
Un regard de Derval enflamme Adélaïde ,
Et de mon Héroïne un coup- d'oeil bien timide
A Derval ôte le repos .
J'ignore la fin de l'hiſtoire ;
Mais ſi j'en crois les médiſans ,
Après maints beaux raiſonnemens ,
La fière Adélaïde a cédé la victoire ,
Et répète depuis ce temps :
Qu'à ſon âge on eſt foible , & qu'il ne faut pas croire
Aux Philoſophes de ſeize ans .
(Par Mllede Gaudin. )
L'HIVER , Stances à Églé.
L'HHIIVVEERR deſcend dans nos
campagnes,
Les vents fifflent , l'air s'obſcurcit ,
La neige voltige , & blanchit
Le front ſourcilleux des montagnes.
Sous ce triſte fardeau les forêts ont plié ;
Dans chaque fleur , dans chaque plante ,
Par-tout l'Hiver s'offre à ma vûe errante ,
Par- tout il s'eſt multiplié.
De l'aſtre qui nous luit les rayons ſalutaires ,
Sans force & fans chaleur colorent nos coteaux ;
Et dans ſes ruches ſolitaires ,
L'abeille pareſſcuſe interrompt ſes travaux.
Eil
100 MERCURE
Les ruiſſeaux enchaînés fur leurs rives glacées ,
Repoſent en filence & preſque inanimés ,
Et ſur les neiges entaſſées ,
Mes pas tremblans ſont imprimés,
Tous les élémens ſe confondent ,
Les fougueux aquilons répondent
Aumugiſſement ſourd des flots tumultueux ;
De l'Hiver déchaîné tout nous peint les ravages ;
Et ces fleuves errans ſuſpendus dans les cieux ,
Rapides précurſeurs des foudres , des orages ,
Ceignent des monts blanchis les ſommets faſtueux.
ENTENDS-TU , chère Églé , da fracas des tempêtes
Retentir les monts foudroyés ?
Tout ſe confond, la mort eſt ſur nos têtes ,
Mais le plaifir eſt à nos pieds.
AME de tout ce qui reſpire ,
Toi , pour qui j'ai monté ma lyre ,
Divin plaifir , viens réchauffer mes ſeas;
Je laiſſe au loin gronder les vents ,
C'eſt en vain que leur rage à m'effrayer conſpire.
:
QUAND je tiensmon Églé dans mes bras amoureux,
Ai-je beſoin de Flore ou de Zéphyre ?
Au milieu des frimats mon coeur eſt plein de feux ;
Églé , par un coup-d'oeil , par un tendre ſourire ,
Me ramène au Printemps quand la Nature expire .
(ParM, Latour de Lamontagne. )
:
:
DE 101
7
FRANCE:
Que ne peut l'Amour Paternel ? Conte.
QUAND le ciel a donné à l'homme des
deſirs violens , le plus funeſte préſent qu'il
puiſſe y ajouter, c'eſt une grande étendue de
pouvoir. M. de Frémival étoit né avec
des ſens fougueux ; une ſurabondance de
ſanté & de vigueur lui donnoit des paſſions
brûlantes , & il étoit riche , c'est- à-dire , qu'il
avoit la faculté de les ſatisfaire . De bonne
heure il avoit eu la paſſion de l'amour , ou ,
pour mieux dire , l'amour des femmes ; de
bonne heure il en avoit fait non pas ſon délaffement
, mais fon occupation ; & ce goût
chez lui n'avoit fait que fe renforcer encore
par l'habitude de s'y livrer. Depuis vingt
ans , ( car Frémival en avoit déjà près de
quarante , & il croyoit toujours avoir le
même âge , parce qu'il avoit toujours la même
conduite ) depuis vingt ans, dis je , il groffiffoit
la liſte de ſes victimes. C'étoit pourtantun
ſcélérat qui n'avoit pas encore perdu le
titre d'honnête homme ; c'est-à-dire , que s'il
contraignoit au divorce deux époux autrefois
bien unis , s'il cauſoit ainſi la ruine d'une
famille entière , il payoit une dette de jeu
en moins de vingt - quatre heures ; & s'il
violoit , pour perdre une femme crédule ,
les fermens les plus ſacrés , il reſpectoit une
parole donnée pour une partie de plaifir.
Il ne faut pourtant pas s'y méprendre ;
E iij
102 MERCURE
Frémival n'étoit pas un fat. Un fat n'ambitionne
que le bruit , au lieu qu'il aimoit
moins à conquérir qu'à poffeder; il n'en reftoit
pas plus long temps en place , il changeoit
; mais ce n'étoit pas pour multiplier
ſes conquêtes , c'étoit par le deſir d'un nouvel
objet. Cette conſidération le rendoit
moins condamnable, ou du moins plus à
plaindre ; mais ſes conquêtes n'en étoient
pas moins des victimes; ſa paſſion étoit auſſi
funeſte que la vanité d'un fat ; & d'ailleurs
l'habitude l'avoit rendu ſi peu difficile fur
les moyens , que les plus criminels n'étoient
plus qu'un jeu pour lui , s'ils favoriſoient ſes
projets.
Tel étoit Frémival; tel il va ſe montrer
dans l'anecdote qu'on va lire. Il avoit vu la
jeune Miléfie , & il n'avoit pu la voir ſans
la defirer. Ce n'étoit pas un air de coquetterie
, ce n'étoit pas l'élégance de la toilette
qui l'avoit ſéduit. Si la beauté de Miléfie brilloit
, c'étoit à travers les habits les plus groffiers
; elle étoit belle ſous la livrée de l'indigence.
Ce qui auroit dû la rendre reſpectable
aux yeux de Frémival , ne ſervit qu'à ranimer
fon eſpoir ; & dès le jour même il fit jouer
les refforts de la ſéduction.
Miléſie étoit fille d'un pauvre Ouvrier qui
avoit une famille de douze enfans. Il n'a
voit d'autre revenu que le travail de ſes
bras; quelques-uns de ſes fils commençoient
à le ſeconder; mais de ſi foibles ſecours ne
pouvoient ſuffire à tant de beſoins. Ce qui
DE FRANCE.
103
ne contribuoit guère à l'enrichir , c'eſt que
Jérôme , ( tel eſt le nom du vieillard ) étoit de
la probité la plus exacte. Mais cette probité
ſervoit au moins à le conſoler dans ſes chagrins
& à l'encourager dans ſes travaux ;
Paſpect d'une famille trop nombreuſe faiſoit
quelquefois couler ſes larmes , mais au moins
il avoit vû ſa probité germer dans le coeur
de tous fes enfans; pas un ne le faifoit rougir;
& fi fon front étoit fillonné par le chagrin&
les années, le ſourire du plaiſir étoit
quelquefois ſur ſes lèvres.
Digne Élève d'un père auſſi vertueux , Miléſie
l'honoroit par ſa conduite. Quand l'honneur
ne lui auroit pas été auſſi cher que ſa
propre vie , la ſeule crainte de déplaire à
l'auteur de ſes jours l'eût retenue dans les
bornes du devoir. Son père l'avoit diftinguée
parmi ſes enfans; il les rendoit tous heureux
autant qu'il étoit en lui ; il avoit pour tous
les mêmes ſoins ; mais il avoit un degré de
tendreſſe de plus pour l'aimable Miléſie ,
&elle ſe montra toujours digne de cette prédilection.
Elle rejeta les offres brillantes
que lui fit faire Frémival , & elle n'étoit
point orgueilleuſe de ſon refus , qui lui paroiffoit
auſſi naturel, auſſi ſimple qu'indifpenſable.
Elle s'applaudiſſoit plutôt de ne
pas affliger ſon père.Hélas ! elle ignoroit que,
ſans le vouloir , elle devoit lui caufer un
jour le plus violent chagrin .
Cependant la probité du vieillard , la con.
duite irréprochable de ſa famille, avoient in,
E iv
104
MERCURE
téreſſé à ſon ſort tous les coeurs ſenſibles ;
& un beau jour il fut mandé chez un Notaire
, qui lui donna les aſſurances d'une
penſion de 800 liv . Ce bienfait ne l'arrachoit
point à la pauvreté , vu le nombre de
ſes enfans ; mais il allégeoit au moins fon
fardeau. Le bon Jérôme ne pouvoit pas recevoir
avec indifférence les moyens de rendre
ſa famille plus heureufe. Sa joie éclata
par les tranſports les plus vifs. Il brûloit de
tomber aux genoux de fon Bienfaiteur ;
mais cet homme généreux avoit voulu être
inconnu. Content du témoignage de fon propre
coeur, il auroit cru ſon action trop intéreffée
s'il eût afpiré au plus léger tribut de
reconnoiffance.
Peut- être quelque Lecteur , en apprenant
le bienfait , a cru en avoir deviné l'auteur ; il
aura nommé Frémival , & en faveur de се
procédé , il aura vu avec un peu plus d'indulgence
les travers de ſa conduite. Je ſuis
forcéde lui enlever cette douce erreur. Frémival,
loin d'être l'auteur d'un procédé auſſi
délicat , aima mieux , comme on va voir , en
faire l'inſtrument de ſes coupables projets.
La modeſtie déſintéreſſée du Bienfaiteur va
devenir dans ſes mains l'arme du menfonge
&de la plus baſſe ſéduction .
Ayant laiſſe paſſer quelque temps depuis
cette penfion , dont il avoit appris la nouvelle
tout des premiers , il ſe préſenta chez
le bon vieillard , qui avoit fait de vains
efforts pour découvrir ſon Bienfaiteur. Fré-
A
DEFRANCE. τος
mival n'étoit pas connu du père ; il n'avoit
même jamais parlé à Milefie ; le haſard
avoit voulu juſques-là qu'il ne pût expliquer
ſes deſirs que par un interprête , accoutumé
ſans doute à de pareilles négociations.
Il entre avec le coſtume de la richeſſe
qu'il n'eut pas de peine à ſe donner , & avec
le maintien de l'honnêteté qu'il ſaiſit avec
plus de peine.
১ Bon homme , lui dit- il , vous cherchez
depuis long- temps cet inconnu affez heureux
pour devenir votre Bienfaiteur , qui a ſu
ennoblir ſa fortune en la faiſant ſervir à
vos beſoins . Vous l'auriez toujours cherché
en vain, ſi le defir d'ajouter à ce foible bienfait
ne le forçoit à ſe faire connoître. Ce
Bienfaiteur , plus heureux depuis qu'il a pu
commencer votre bonheur , c'eſt moi.
La reconnoiſſance de ce ſenſible vieillard
ne s'exprime d'abord que par un cri ,
& il ſe précipite aux genoux de Frémival.
Celui ci , avec un air de modeſtie qui n'ap- ..
partenoit qu'au véritable Bienfaiteur , recule
un pas , & lui dit : Levez- vous , mon ami ; je
ferois indigne d'être votre Bienfaiteur ſi j'étois
venu lever un tribut fur votre reconnoiffance.
A ces mots , il le relève & l'embraffe
: Bon vieillard , continua- t- il , l'eftime
que vous m'avez inſpiree depuis longtemps
ne doit pas ſe borner à cette penfion
modique que vous avez bien voulu
accepter ; mais faites-moi jouir avant tout
du ſpectacle de votre famille intereſſante .
Ev
106 MERCURE
Auſſi-tôt le vieillard appelle avec emprefſement
toute ſa famille , Thérèſe , Pierre ,
Guillaume; il les appelle tous enſemble &
par leur nom , en s'écriant : le voilà ! le voilà
notre Bienfaiteur ! A ces mots toute cette famille
intereſſante ſe jetre aux pieds ou dans les
bras de Frémival. Quel tableau ! On eft indigne
de voir un ſpectacle ſitouchant étalé aux
regards d'un homme qui l'avoit fi peu mérité;
mais n'envions pas ſon ſort : malgré ſes
habitudes criminelles, malgré ſes coupables
projets, il ne dut pas le voir d'un oeil tramquille
; ſon coeur dût être tourmenté ; il
étoit vil à ſes propres yeux.
Cependant il témoigne l'intérêt le plus
vif, l'attendriffement le plus vrai. Il interroge
tour à-tour chacun des enfans , demande
leur nom au père , donne un confeil
à l'un , une leçon à l'autre , les careffe
tous , & Jérôme le remercie les larmes aux
yeux. Au milieu d'eux , Frémival a vu Miléfie
, dont la joie décente charmoit le coeur
du père , & irritoit les deſirs de Frémival.
Dès qu'il l'eut apperçue , il auroit voulu ne
voir qu'elle , ne parler qu'à elle ; mais il
crut devoir fe contraindre , & il ne lui
adreſſa la parole qu'après avoir interrogé
preſque tous fes frères & foeurs. Après cet
examen , un peu long à ſon gré , mais indifpenſable
pour l'exécution de ſon deffein
Frémival dit au vieillard : mon cher Jérôme ,
je ſuis enchanté de votre famille ; elle eft
digne de vous; elle fera la conſolation de
,
DE FRANCE. 107
votre vieilleſſe; mais un travail exceffif
épuiſe vos forces , & pourroit , en abré,
geant vos jours leur enlever trop tôt
l'exemple de vos vertus. Dès ce jour , fans
perdre aucun de vos enfans , je veux que
vous en ayez deux de moins à entretenir.
Voyons; les filles ſont les plus difficiles à
placer : J'en prends deux , & je me charge
de leur fort préſent & avenir. J'enverrai
l'une à ma mère , & l'autre je la place
auprès de ma femme. J'eſpère , ajouta t'il
d'un ton hypocrite , que leur conduite répondra
toujours à vos projets & aux miens ,
&que nous n'aurons jamais à rougir , vous ,
d'être leur père , & moi , d'être devenu leur
ami. A ces mots il choiſit Milefie , & la
plus laide de ſes ſoeurs , pour éloigner encore
mieux les ſoupçons.
Jérôme étoit bien déſolé de ſe ſéparer de
ſes deux filles ; mais il s'agiſſoit de leur bonheur,
& il étoit ſi bon père ! Mileſie eût
bien voulu ne le quitter jamais ; mais elle
connoiſſoit la triſte ſituation de ce bon vieillard,
comment ne pas ſe prêter à l'adoucir ?
Cependant elle ne put s'empêcher , ainſi
que ſa foeur , de témoigner ſes regrets par
un torrent de larmes.
: Allons, mon bon ami, reprit Frémival
en faiſant ſemblant d'eſſuyer les ſiennes ,
faites-leur un petit trouffeau pour le moment
, & je pourvoirai à tout; mais hâtezparce
que je pars pour la campagne.
Je veux qu'elles vous vifitent fouvent , que
vous
Ev
108 MERCURE
:
vous veniez les voir vous-même. Dans peu
de jours je vous donnerai de leurs nouvelles.
Il faut convenir qu'on ne pouvoit guères
ſoupçonner Frémival de mauvaife- foi. Son
ton, ſes manières , le titre qu'il ufurpoit ne
permettoient aucun doute ſur ſes ſentimens
; auſſi n'entra t'il dans le coeur des
enfans &du père que le chagrin de ſe quitter.
On oublia même , ou plutôt on ne crut pas
avoir beſoin de demander à Frémival où
il alloit. Il eſt pourtant à préfumer qu'il avoit
préparé une réponſe à cette queſtion , fi Jérôme
avoit ſongé à la faire. Les deux foeurs
ayant ramaſſe quelque peu de hardes , embraſsèrent
leur père bien tendrement ; &
après bien des larmes répandues de part &
d'autre , ils ſe dirent adieu .
Cependant , ce bon Jérôme a peine à s'arracher
des bras de Miléſie. Malheureux vieillard
! tu ne ſais pas à qui tu viens de livrer
ta fille! Tu crois ne pleurer que ſon départ ;
mais ton coeur paternel a preſſenti ſans
doute de plus grands chagrins. Après l'avoir
quittée , tes bras s'ouvrent encore pour l'embraffer
, & il ſemble que ces embraſſemens
ne foient qu'une ruſe innocente de ton coeur
pour retarder , pour empêcher fon départ.
Il fallut pourtant ſe ſéparer. Jérôme
donne de ſages conſeils à ſes deux filles; il
ne les recommande pas à Frémival ; ( il ne
croit pas en avoir beſoin ) mais il les exhorte
bien à aimer ce ſecond père : il ignoroit
combien il profanoit ce titre ſacré en l'ap
DE FRANCE. 109
pliquant à Frémival ! La tendre Miléſie ,
tenant ſa ſoeur par la main, deſcend pour
monter dans un carroſſe qui l'attendoit à la
porte. Quand ſes yeux humides ne virent
plus ſon tendre père , elle les baiffa modeſtement;
il ſembloit qu'elle n'osât les lever
vers Frémival: qu'eût-elle fait ſi elle avoit
ſu que celui qu'elle prenoit pour un Bienfaiteur
, n'étoit qu'un ſéducteur audacieux ?
Ce qu'il y a ſans doute de plus étonnant
juſqu'ici , c'eſt l'audace de Frémival. Sa démarche
, quelque puiſſant , quelque riche
qu'il fût , pouvoit avoir des ſuites facheuſes;
mais ou il n'avoit rien prévu ou il étoit décidé
à tout braver. Quoi qu'il en ſoit , après
avoir envoyé la laide ſoeur de Miléſie on
ne fait pas où, il l'emmena elle- même dans
une terre qu'il venoit d'acheter.
Il eſt temps d'avertir que Frémival
avoit été époux , & qu'il étoit père encore
d'un garçon & d'une fille, tous deux à peuprès
de l'âge de Miléfie. Ce dérail ne ſervira
guère à diminuer ſes torts: le titre de père
ne le rend que plus coupable. Mais en déclarant
ce nouveau motif de blâme , je
dois avouer auffi une qualité que ſon inconduite
ne lui avoit pas fait perdre. Malgré
le défordre de ſa vie ( & ceci paroîtra auffi
heureux qu'étonnant) ſes enfans avoient tou
jours conſervé leur place dans ſon coeur :
cet homme toujours coupable , n'avoit
jamais ceſſé d'être bon père. C'eſt un bonheur
dont il n'étoit pas digne ; mais enfin ce
110 MERCURE
ſentiment , qui influera fur le dénouement
de cette hiftoire , avoit ſurvécu aux autres
qualités de ſon coeur.
En arrivant dans ſa terre avec lui , Miléſie
fut un peu étonnée de n'y trouver perſonne.
Frémival lui dit que ſa femme arriveroit
ſous peu de jours. Il lui conta quelques douceurs
; cependant pour ne pas l'effaroucher
d'abord , il voulut différer de lui déclarer
ſes ſentimens , & lui laiſſer ſoupçonner ſes
véritables projets. Il avoit très -peu de monde
avec lui; il eſt même à préſumer qu'il n'avoit
mis près d'elle que des gens gagnés ,&
qui ne devoient lui dire que ce qu'on vouloit
lui laiffer apprendre. Il avoit défendu à
fon fils de venir le trouver à la campagne
ſans y être appelé par lui ; & fa fille vivoit
avec une très- vieille tante , dont elle devoit
hériter.
Mais quoique Frémival eût afſez d'eſprit
pour ſentir qu'il avoit beſoin de prudence &
de précautions dans cette intrigue , il étoit
trop impatient pour perdre beaucoup de
jours. Il fit bientôt taire le bienfaiteur pour
ne laiſſer parler que l'amant. Enfin , ſa con+
duite devint telle , que la pauvre Miléfie
ſentit bientôt à quel péril elle ſe trouvoit
expoſée. Elle demanda à retourner chez fon
père; & le refus qu'elle effuya , ne fit que
redoubler ſa frayeur. Elle oſa parler avec
quelque vivacité, mais plus elle marquoit de
répugnance pour écouter les offres de Frémival,
plus ſa priſon ſe refferroit; & on lui fit
-
DE FRANCE. Ind
comprendre qu'elle étoit en proie aux defirs
effrénés d'un tyrannique ſéducteur . L'eſtime
que Frémival lui avoit inſpirée , & la reconnoiffance
qu'elle avoit cru lui devoir , firent
place à la haine & même au mépris ; & cependant
elle ignoroit encore qu'il n'avoit
fait qu'uſurper auprès de ſa famille le titre de
bienfaiteur; elle ignoroit que le menſonge&
l'audace avoient été ſes ſeuls titres pour l'enlever
au ſein paternel.
Quoique la conduite de Frémival eut excité
dans le coeur de Miléſie la plus juſte indignation
, comme elle ſentoit qu'elle avoit
tout à craindre de la violence , & qu'un
homme tel que lui étoit capable d'en uſer ,
elle crut que la prudence devoit venir au
ſecours de ſa vertu. Les innocens ſtratagêmes
, ou plutôt les heureuſes inſpirations de
ſon coeur , réprimoient la fougue de ſon
tyran. Tantôt un coup-d'oeil aſſuré , interprètede
la noble fierté de ſon âme , enchaî
noit fes defirs , ou du moins arrêtoit ſes coupables
efforts ; ( tant il eſt vrai que le vice
qui oſe immoler la vertu , n'oſe pas toujours
la regarder ſans trembler) tantôt , par
un regard attendriſſant qui ſembloit lui dire
je perds la vie fi vous me raviffez l'honneur ,
elle ſembloit le défarmer au moins pour un
inſtant. Elle en venoit même quelquefois jufqu'à
lui laiffer tout eſpérer ſans tui rien promettre.
Tandis que la pauvre Miléſie paſſe les
jours& les nuits dans la crainte & dans la
712 MERCURE
?
douleur, que fait ſon père infortuné ? Il avoit
attendu quelques jours avec impatience ,
mais avec ſecurité , des nouvelles de ſes deux
enfans & de fon prétendu bienfaiteur. Un
trop long retard lui donna du chagrin , ſans
réveiller ſes ſoupçons; comment ſuſpecter un
homme dont la conduite , les diſcours & le
maintien ne reſpiroient que la bienfaiſance ?
Mais enfin quelques amis, à qui il raconta ſon
aventure, lui inſpirèrentleurjuſte frayeur; &
le malheureux Jérôme , qui avoit toujours
trouvé la fortune ſi cruelle , ſentit bien qu'il
y avoit des maux plus affreux que ceux qu'il
avoit foufferts juſques-là. La pauvreté , l'humiliation
n'approchoient point du fupplice
qu'il éprouvoit. Sa douleur étoit commune
à toute fa malheureuſe famille; & ils fe difpersèrent
tous pour découvrir Milefie & fa
foeur ; mais toutes leurs demarches furent
inutiles , comme les efforts de Milefie pour
avertir ſon père de ſon fatal empriſonnement.
Tandis que Frémival renouveloit ſes efforts
auprès d'elle , que dis je ? au moment
qu'il ſembloit ſe diſpoſer à ravir par la violence
ce qu'il ne pouvoit obtenir , le fils de
Frémival, pour une affaire de la dernière importance
, erut devoir venir le joindre à la
campagne , malgré la défenſe qui lui en
avoit été faite; il crut que l'objet de ſa viſite
le mettroit à l'abri des reproches de ſon
père. Soit imbécillité de la part des gardiens
deMiléſie , ſoit que , content de lui avoir
!
DE FRANCE.
113
'défendu d'arriver ſans en être averti , il n'eûr
pas cru devoir le conſigner , les portes lui
furent ouvertes , & ſon entrée fut fi peu
prévue , qu'il ſurprit Frémival avec Miléfie.
Après qu'il ſe fut excuſé envers fon père ſur
l'importance de l'affaire qui l'amenoit , celuici
, pour paroître moins déconcerté , ouvrit
une converſation vague avec Miléſie
& ſon fils , bien décidé à l'arrêter au premier
mot fi elle devenoit trop particulière .
Mais cet entretien ne fut pas long ; il pria
Miléſie de ſe retirer , donna ſecrètement des
ordres pour elle , & entendit ſon fils ſur
- l'objet de ſon voyage. Après lui avoir dicté
fes volonté à ce ſujet , illui dit que la jeune
perſonne qu'il venoit de voir lui avoit été
confiée par ſes parens pour des raiſons de
famille , & qu'il lui ordonnoit le filence
le plus abſolu , ſous peine de fa malédiction.
Frémival , quoique aimant ſes enfans,
avoit toujours ſu s'en faire craindre; il étoit
très- entier dans ſes opinions , & très-deſpos
tique dans ſes volontés .
Mais ſi ſon fils avoit un motif pour nepas
parler de ce qu'il avoit vu , il en avoit un très
preffant auſſi pour defirer de ſavoir ce qu'étoit
la jeune perſonne. Sa courte entrevue
avec Miléſie avoit produit un de ces événemens
qui étonnent toujours , quoiqu'ils ſe
renouvellent affez ſouvent. Il n'avoit pu la
voir quelques momens, & entendre quelquesmots
de ſa bouche , ſans lui trouver des
charmes & de l'eſprit. Miléſie étoit réelle
114 MERCURE
ment charmante , & le malheur n'avoit
fait qu'ajouter à ſa phyſionomie un nouveau
degré d'intérêt. Elle avoit pen parlé ; mais
ſouvent une ſotte & une femme d'eſprit
prononcent différemment la même phraſe ,
de manière qu'avec les mêmes mots , l'une
prouve ſon eſprit , l'autre ſa bêrife. Les
yeux de Selmour ( c'eſt le nom du jeune
homme ) avoient exprimé ſans doute ce
qu'il avoit ſenti ; & ce qu'il y a de
plus ſurprenant , c'eſt que l'infortunée Miléfie
ne fut peut être pas tout-à-fait infenfible
à l'amour qu'elle avoit inſpiré. Mais ,
quoi ! le coeur de la vertueuſe Miléſie , infortunée
par l'amour , ſe ſeroit laiſſe ſurprendre
au même ſentiment qui étoit la
ſeule cauſe de ſes malheurs ! Ces effets ,
quoique bizarres, ne font point étrangers à
l'amour ; & Milefie , pour avoir éré ſenſible,
n'auroit pas été plus coupable: fa réſiſtance
étoit l'effet de ſa vertu , & fon amour étoit
l'ouvrage du hafard.
Frémival n'avoit pas envie de garder longtemps
fon fils avec lui ; cependant il étoit
trop tard pour le renvoyer. Selmour pafla
donc la nuit à la campagne ; & l'on ſe doute
bien que cette nuit ne fut pas employée à
dormir. Miléſie qu'il voyoit , qu'il entendoit
encore , quoique abſente , ne lui permit
pas un moment de repos. Le lendemain ,
quand il eut pris congé de ſon père , il ſentit
déjà vivement le chagrin de vivre loin de Milefie
, dont il ne ſavoit pas encore le nom.
DE FRANCE.
115
Au lieu de retourner à Paris , il ſe cacha
dans quelque Hameau voiſin ; il conſerva
des intelligences dans le château qu'habitoit
fon père , & il trouva le moyen de faire
parvenir une lettre à Miléſie. Il eſt peu furprenant
que , dans la fituation où elle étoit ,
elle ait répondu favorablement , ſoit de vive
voix , foit par écrit. Quand ſon coeur
ne ſeroit entré pour rien dans ſes démarches
, l'amour ſeul de la liberté étoit un motif
ſuffifant. Selmour , encouragé , hafarda
de nouveaux efforts , & il vint à bout de parler
à Miléſie , qui lui confia ſon aventure. Il
rougit de la conduite de ſon père ; mais cette
confidence le mit dans l'embarras le plus
cruel. Ira-t'il dénoncer ſon père ? Laifferat'il
en proie à la violence ce qu'il aime déjà
plus que lui-même ? Il connoiſſoit l'emportement
de ſon père; il le ſavoit capable d'immoler
Milefie , & d'attenter même à ſes propres
jours , ſi l'on ſe préſentoit ouvertement
pour lui enlever ſa proie. La nature & l'amour
déchiroient ſon coeur & ne lui ſuggéroient aucunprojet
qu'il pût avouer. De ſon côté , Miléſie
qui , comme lui , voyoit fort bien qu'ily
avoit tout à craindre d'un homme tel que
Frémival , n'oſoie lui conſeiller une action
d'éclat , & il fut convenu qu'ils atten
droient huit jours encore ſans prendre aucun
parti. Pendant ce temps-là , Miléſie
en laiſſant à Frémival un faux eſpoir , ſe
jugeoit à l'abri de ſes entrepriſes. 1
Cependant Selmour ſe vit obligé d'aller
116 MERCURE
า
pour un jour à Paris , & il revint à la cam
pagne pour revoir ſecrètement encore ſa chère
captive; mais il parut devant elle avec tous
les fignes du déſeſpoir. Elle l'interrogea , le
preſſa vivement pour apprendre la cauſe de
ſes chagrins. Enfin Selmour lui confia que ſa
ſoeur féduite par un Prince étranger,venoit de
prendre la fuite ; & en même temps il lui fit
voir une lettre de ſa tante qui le prioit d'annoncer
cette fatale nouvelle àſon père.
La ſenſible Miléſie prit beaucoup de part
à ſon chagrin; mais tout-à- coup unenouvelle
idée vint la frapper comme une lumière imprévue.
Elle la communiqua à Selmour , le
força de lui céder la lettre , & de confentir
àl'uſage qu'elle en vouloit faire. Peu detemps
après , Frémival revint d'une campagne voifine
, où il avoit fait une viſite. En arrivant
il alla voir Miléſie , qui , tenant en main la
lettre que lui avoit donnée Selmour , lui dit :
Monfieur , vous allez revoir Monfieur votre
fils qui vient d'arriver. Il eſt allé ſe promener
en attendant votre retour , & voilà
une lettre que j'ai vu de loin tomber de ſa
poche , comine il ſortoit du jardin. J'ai
cru devoir la ramaffer , & vous prier de la
lui remettre vous-même.Frémival à la lecture
de cette lettre, fut frappé comme d'un coup
de foudre. Il tomba dans un fauteuil , accablé
du plus affreux déſeſpoir. J'ai dit qu'il
aimoit ſes enfans : avoir à pleurer en mêmetemps
fon honneur & fa fille , étoit un nouveau
genre de tourment qu'il ne connoiffoit
DE FRANCE. 117
pas encore. Ses forces ſembloient près de
l'abandonner , quand Miléſie , s'approchant
de lui ſans morgue, ſans colère &avecun ſentiment
qu'on ne ſauroit exprimer : Monfieur
de Frémival, lui dit- elle , le déſeſpoir, le tourment
affreux auquel vous ſemblez prêt à ſuccomber
, mon malheureux père le ſouffre
maintenant pour moi , & c'eſt vous qui en
êtes la cauſe,
Ces mots allèrent juſqu'au coeur de Frémival
, qui ſembla ſortir d'un ſommeil létargique.
Il ſe jeta en pleurant dans les bras de
Miléſie , lui demanda le pardon de tous ſes
torts , & lui dit qu'elle alloit revoir fonpère.
En effet , il courut ſe jeter aux pieds du malheureux
vieillard , que le chagrin avoit conduit
aux portes du tombeau , & qu'il trouva
dans ſon lit , environné de toute ſa famille
fondante en larmes. Il confeſſa tous ſes forfaits
en préſence de ceux qui en avoient été
les témoins , & preſque les victimes . Cet
aveu étoit un châtiment qu'il voulut s'impoſer
lui-même. Jérôme frémit encore d'effroi
en apprenant un péril qui étoit déjà
paffé.Mais enfin il retrouveit ſes deux filles
il les retrouvoit encore dignes de lui; il pardonna
tout à Frémival , qui lui en témoigna
la plushumble reconnoiffance. Ce n'eft pas
tout , ajouta celui - ci , qui avoit appris l'intrigue
de Salmour ; fouffrez , reſpectable
vieillard , que mon fils répare mes torts envers
la vertueuſe Miléſie. Leur mariage fut
conclu ; & Frémival , corrigé par l'amour
118 MERCURE
paternel , chercha à ſe conſoler de ſes chagrins
, en s'occupant du bonheur de ſon fils.
(ParM. Imberts )
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercureprécedent. 1
Le mot de l'énigme eſt la Rime; celui du
Logogryphe eſt Porte feuille , où se trouvent
porte &feuille.
ÉNIGME.
Nous ſommes des êtres barbus,
A l'air caffard , au maintien hypocrite ,
Allant , venant toujours pieds nus.
Lorſque la faim nous ſollicite
Nous allons humblement quêter
Ce qu'il nous faut pour ſubſiſter ,
Puis nous faiſons les bons apôtres.
Chez nous , par fois , on trouve des Chartreux;
Et quoique leurs habits ſoient différens des nôtres ,
Comme parens nous vivons avec eux.
( Par M. Benoist , Ingénieur.)
+
DE FRANCE. 119
LOGOGRYPHE.
ALCHIMISTE ignorant , qui ſoufflez vos creuſets,
Et qui cherchez en vain le ſecret des ſecrets ,
Je viens vous enſeigner la route qu'il faut ſuivre
Pour arriver au but , & tirer l'or du cuivre.
Prenez de celui-ci quelque plaque ou morceau ,
Que vous allongerez à grands coups de marteau.
Vous en ferez un tout : vous trancherez la tête ;
Etvous aurez pour lors , ſans que l'art vous l'apprête ,
Non plus du cuivre mais de l'or.
Cette leçon vaut un tréſor.
(ParM. le Barbier C. , de Bondeville , près Rouen.)
D
AUTRE.
;
E mes ſept pieds ôtez le premier , ce qui reſte
Peut produire mon tout,& devenir funeſte.
( Par M. le Chevalier de L.... M..... à Niort. )
J'OFFRE
AUTRE...
' OFFRE de la ſcience une utile moiſſon.
Lecteur , coupez inon chef, &je ſuis ſans raiſon.
(Par M. de Vaffy , à Loches.)
120 MERCURE -
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES Édifiantes & curieuses , écrites
desMiſſions Etrangères. Nouvelle Edition.
Mémoires de la Chine, Tomes XXIII &
XXIV , in- 12 . A Paris , chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguſtins.
Ces deux Volumes , qui ſoutiennent l'intérêt
des précédens , contiennent pluſieurs
Lettres qui n'avoient pas encore vû le jour.
Ils préſentent , ſelon l'aſpect général ſous
lequel on les confidère ici , 1. des Mémoires
concernant la Religion Chrétienne à la
Chine & dans quelques autres États voiſins ,
depuis 1746 juſqu'en 1778 , 2º. Une Hiſtoire
abrégée des Ifles Licou-Keou. 3. Des Mémoires
ſur le Tibet & fur deux grandes expéditions
des Chinois , l'une contre les
Eleuthes , & l'autre contre le Miaol- fé. 4°.
Divers traits ſur la Religion , les Loix & les
Coutumes Chinoiſes .
On fait que la Religion Chrétienne
à la Chine y étoit floriſſante ſous l'Empereur
Cang - hi. Il l'avoit miſe au nombre
des Religions tolérées dans l'Empire ; il
promit même aux Miſſionnaires de bâtir une
Egliſe dans l'enceinte de ſon palais à Pékin.
Iong- ching , ſon ſucceſſeur, ne lui fut pas
favorable. Il la proſcrivit , alarmé ſans
doute
DE FRANCE. 121
doute de ce qui venoit de ſe paſſer dans le
Japon , des guerres que les Européens excitoient
dans les Indes, plus encore peut-être
des progrès qu'elle faiſoit dans ſesEtats, de
l'ardeur des Miſſionnaires à la propager , &
de la ferveur des Néophytes , qu'il regardoit
comme dangereufe. 1
Les Égliſes furent abattues; les Miffionnaires
forcés de fortir dos terres de l'Empire
ſous des peines graves , & même de mort
s'ils y revenoient après en avoir été bannis.
Les choſes font reſtées dans cet état ſous
Kin- Long , fucceffeur d'long-Ching.
L'humanité de l'Empereur apporte beaucoup
d'adouciſſement à cette loi. On voit
que ce n'eſt pas par zèle pour la Religion du
pays qu'elle a été dictée , mais par politique ,
comme l'étoient ordinairement celles des -
Enipercuts Romains contre cette même Religion
, alors naiflante.
Mais une pareille loi ne laiſſe pas d'amener
des crifes fatales , quelque adouciffe
ment qu'on y apporte. La raiſon d'État l'a
dictée,la raiſon d'État ne permet pas qu'on
la laiſſe tomber entièrement en déſuérude.
On ferme quelquefois les yeux fur la viola
tionde la loi,mais on les ouvre alors qu'on
s'y attend le moins , & l'on tombe tout- àcoup
d'un calme affez doux dans une bourafque
violente , quoique le Souverain n'ait
pas l'eſprit perfécuteur. Aufſi nos Miffionnaires
ſe plaignent- ils perpétuellement de
Nº. 42 , 19 Octobre 1782 . F
ว
122 MERCURE
perſécutions tout en ſe louant de l'humanité
de l'Empereur.
On peut remarquer deux ou trois principales
perſécutions dans ces Lettres. La
première , & la plus conſidérable , eut lieu
en 1746; elle fut générale. : ";
L'accuſation qui l'occaſionne eſt curieuſe.
Elle porte qu'ils donnoient deux écus à ceux
du peuple qui embraſſoient le Chriſtianiſme ;
qu'ils établiſfoient les plus inſtruits pour catéchiſer
les autres; que les Chrétiens n'honoroient
ni leurs ancêtres ni Confucius ; qu'ils
réſervoient tous leurs hommages pour un
étranger appelé Jeſus ; qu'ils établiſfoient une
confeflion ; que les femmes Chrétiennes ne
ſe paroient pas comme les autres ; que parmi
les vierges , il y en avoit qui renonçoient pour
toujours au mariage.
Sur cette accufation , l'Évêque de Mauricaftre,
Sanz Eſpagnol , & quatre autres Miffionnaires
Dominicains furent arrêtés , ainſi
qu'un très-grand nombre de fidèles.
Un Tribunal de Mandarins condamna
l'Evêque à avoir la tête tranchée pour être
rentré à la Chine après en avoir été banni.
Cette Sentence ayant été confirmée par le
Tribunal des Crimes de Pékin & par l'Empereur
, fut exécutée. Ailleurs le Père Triftan
de Attemis , Italien , le Père Henriquez ,
Jéſuites Portugais , furent étranglés. Ainfi ,
après dix- huit fiècles, la vérité de la Religion
Chrétienne s'eſt encore ſcellée par le ſang
desMartyrs.
DE FRANCE.
123 /
Quant à la foule des Chrétiens arrêtés , on
les traîna devant les Tribunaux , les uns
furent bannis , on mit la cangue à d'autres. * )
Ceux-là furent foufflerés avec de larges plati
ques d'airain. Ceux- ci reçurent trente , foixante
, & juſqu'à cent coups de pentſe ,
(bâton ) après avoir tous éprouvé des tortures.
La ſeconde perſécution conſidérable s'éleva
en 1756. Un événement ſurvenu alors à
Manille ne laiſſa pas que d'y contribuer...
Tous les Chinois qui n'avoient pas voulu
embraffer le Chriftianiſme , venoient d'en
être bannis. Ils arrivoient en foule dans
leur ancienne patrie , en pouffant les hauts
cris contre les Européens & leur Religion.
Ils avertiſſoient en même temps le Gouver-:
nement qu'il étoit parti de nouveaux Mifſionnaires
de cette Ifle avec de l'argent pour
foutenir leur miffion. Le premier fait étoit
vrai , le ſecond paroiffoit vraiſemblable aux
Chinois. Or , que l'on juge ſi dans un pareil
moment ils ne concluoient pas que les Chrétiens
étant intolérans par principe , ne méritoient
pas d'être tolérés. Les Mahométans ,
les Juifs , les ſuperſtitions des Bonzes , toutes
les Religions étant fouffertes à la Chine, il
ſemble qu'il ne faut pas chercher ailleurs la
* Ce font deux planches qui , étant échancrées
lorſqu'elles font réunies forment comme une table
qui a un trou , où l'on renferme le cou du patient.
Fij
124 MERCURE
cauſede la profoription de la Religion Chrétienne.
•Quant aux Miſſionnaires , excepté ceux
qui ſont employés à divers ouvrages pour
l'Empereur , ils font obligés de fe cacher ,
d'aller de nuit déguiſés. S'ils font pris , ils
ſont renvoyés à Macao.
Leur conduite en général paroît répondre
à leur vocation. Ils joignent le zèle au courage
, la prudence à la fermeté. Ils font actifs,
vigilans, ils ſe font tout à tous , comme
ils le diſent eux- mêmes , à l'exemple de
S. Paul こ:
Parviendront- ils à conquérir la Chine au
Chriftianiſme ? Que d'obstacles ! l'imagina
tion en eſt effrayée ; des moeurs differentes ,
dęs principes diametralement oppoſés , nulle
affinité dans les cultes ; l'orgueil d'un peuple
qui ſe donne une prééminence univerſelle ,
qui mépriſe tout ce qui vient d'ailleurs ; des
préjuges qu'il révère depuis quatre mille ans ;
une diſcipline ſévère établie dans les familles;
le culte des ancêtres que la Religion
Chrétienne réprouve; un ordre que l'on croit
admirable , & qu'il faudroit changer ; une
politique ombrageuſe qui s'alarme des moindres
innovations , & qui , pour ſe maintenir
dans toute la vigueur, croit devoir s'y oppoſer
, tout cela préſente des barrières qui ne
peuvent être renverſées ſans prodige.
Juſqu'au Mémoire qui parle des Ifles
Licou-Keou , on n'avoit en qu'une foible
idée de ces Ifles , qui ſont ſituées entre la
:
7
4
DE FRANCE. 125
Korée, l'ifle Formofe & le Japon. Licou-
Keou n'eſt que le nom de la plus grande ;
les autres ont le leur; elles font au nombre
de trente- fix . Par leur fituation heureuſe entre
la Chine & le Japon , elles ſervent d'entrepôt
au commerce de ces deux Nations .
Les habitans de cet Archipel ont leur
fable ſur la création du Monde. Au commencement
, diſent-ils , un homme & une
femme naquirent dans le grand vuide. De
leur mariage naquirent trois fils & deux
filles. L'aîné fut appelé Tien -Jun (petit fils
du Ciel ) . Selon leur compte , il s'eſt écoulé
depuis lors juſqu'à nous , 18400 années. Ces
Ifles font tributaires des Chinois depuis le
quatorzième ſiècle de notre ère.
Ce Peuple connoît depuis peu les Arts.
Ce ne fur que vers l'époquede la ſuzeraineté
de la Chine fur ces Iſles que la langue des
Mandarins avec ſes caractères y fut intraduite.
On y fondit dans le quinzième ſiècle
de groffes cloches pour les Temples , &
c'eſt dans le dernier qu'on y fit de la porcelaine.
: 24
Le culte des eſprits y eſt établi de toute
antiquité. Celui de Fo-y domine depuis neuf
cents ans. La pluralité des femmes y eft permiſe.
Elles ſeules y font le commerce &
paroiffent dans les marchés.
3
1
Ces Inſulaires ſont affables envers les
Étrangers , adroits , laborieux , fobres , amis
de la propreté. La nobleſſe eſt ennemie.de
l'esclavage , du menfonge & de la fourbe-
Fiij
126 MERCURE
:
rie ; en un mot, ce Peuple paroît très-efimable..
Il ne faut pas oublier un trait fingulier
de l'un de ſes Rois. Son Peuple ſouffrant de
la difette , & entendant dire qu'un de ſes
ſujets étoit capable d'écarter les maux publics
, il le fit ſon Miniſtre ; & après une
épreuve affez longue de ſa capacité , il lui
refigna la Couronne , & vécut en ſimple
particulier. Ce Mémoire eſt du Père Gaubil.
C'eſt peut être ce qu'il y a de mieux
fait dans ces deux Volumes. Tout ce qu'il
contient eſt tiré d'un Mémoire plus étendu
par le Docteur Chinois Siopas - Koang , qui
avoit été envoyé dans ces Ifles par l'Empereur
, & qui en a parlé en homme intelligent.
Le Mémoire ſur le Tibet , a pour
objet fanéantiſſement du Royaume des
Éleuthes par les Chinois. En 1758 0 1759
il s'éleva des diviſions inteſtines parmi les
Éleuthes. Un ufurpateur , nommé Taoatli ,
s'empara du Trône . Amourſarma , légitime
héritier , implora le fils du Ciel ( c'eſt un des
ritres du Monarque) . Avec les ſecours d'un
pareil protecteur il vainquit ſon Concurrent;
mais fon protecteur devint fon tyran.
En l'élevant fur le Trône, il prétendit l'avoir
affujéti. On le cita à Pékin ſur des prétextes
plautibles ; il défobéit. Une armée ayant
marché contre lui , il prit la fuite , alla
mourir en Ruffie ,& fon pays eſt maintenant
ſous la domination Chinoise. Le Tibet a
plus de fix cent lieues d'Orient en Occi
DEFRANCE. 127
dent,& preſque autant du Nord au Midi.
Ce Mémoire , quoique d'ailleurs affez
pauvre, peut redreſſer quelques idées que
nous avons communément ſur les armées
Chinoifes.
Paffons à quelques traits fur la Religion,
les Loix , &c. de l'Empire de la Chine.
Il n'eſt plus queſtion d'examiner fi le
Gouvernement & les Lettres font Athées ,
comme on le foutenoit autrefois en Europe,
en niant qu'il y eût des Athées.
Les Chinois & les Ruſſes jurent l'obfervation
de leurs traités au nom du même
Dieu.. 2 L
L'Empereur préſide aux cérémonies les
plus auguſtes de la Religion , à la manière
ancienne. ٠٤
Les Chinois ont encore des Livres qui
règlent le culte , l'éducation , les moeurs ,
comme en avoient les Indiens , les Sectateurs
de Zoroastre, les Juifs; ce ſont les
cinq Kings. Le culte rendu aux eſprits des
uncêtres n'eſt que celui des Lares chez les
Grecs & les Romains ; tout cela annonce la
plus haute antiquité.
On voit par ces lettres que l'eſprit d'ordre
dominedans tous les rangs à laChine. L'Empreur
paroît dès la pointe du jour ſur ſon
Tône , en hiver comme en été, pour l'expédiion
des affaires. Il ne met jamais plus
d'un quart d'heure à prendre ſes repas , qui
for ſans recherche , ainſi que ſes ajuſtemens
, excepté les jours de cérémonie.
Fiv
128 MERCURE
Ses enfans, dans les écoles, font aſſujétis
à la même difcipline , au même reſpect
pour leurs Maîtres que les autres .
Le divorce y eft permis dans divers cas ,
tous réglés , tous determinés par la Loi.
La polygamie n'y eſt point permiſe ;
mais un homme peut avoir des concubines,
dont les enfans reſpectent la femme légitime
comme les ſiens propres , & c'eſt
d'elle ſeule qu'ils portent le denil,
Ces Lettres , comme on le voit, contiennent
des détails intéreſſans ; celles du Père
Amiot & du Père Benoît ſont celles qui
nous ont paru les mieux écrites ; mais il y
en a quelques - unes qui n'étoient guères
dignes d'entrer dans la Collection. i
On peut y remarquer des tournures vicieuſes
&des fautes de Grammaire ; cellesci
, par exemple. On parle du Père Benoit.
Il faifoit aimer & reſpecter la Religion
→ qu'il empêchoit de perfecuter. » On vert
dire d'être perſécutée.
" Certains traits marqués de Providence,
>> eſt une mauvaiſe locution. »
20
" Tous ſe plaignent doucement devan
Dieu de ce qu'il ne fufcite, pas quelqu:
>> reffufciteur de morts pour faire aller h
befogne plus vite. On nie laiſſeroit pas ce
>> bénir le Seigneur d'une quantité prod-
>> gieuſe de bienfaits qui, fans, avoir rin
» d'éclatant , fait cependant par leur toa-
>>lité, leur contraſte, un complexe bienadmirable.
» ود
4
DE FRANCE. 129
!
Tout cela eſt à la fois contre le goût &
contre la Grammaire.
" Cela fait faigner le coeur ; mais la ſai-
>> gnée eſt peut- être néceſſaire pour avan-
» cer la mort. »
Cette phrafe ne pèche que contre le goût ,
ainſi que la ſuivante. Il s'agit d'un ſouhait
pour la paix de l'ame. Quant à l'interieur ,
> puiffe-t'il chez nous tous être ſi bien fiché à
l'ancre de l'abandon , que rien ne puifle
l'ébranler. »
ود
ود
Il ſeroit fuperflu d'en citer un plus grand
nombre.
LES Après - Soupers de la Société , petit
Théâtre Lyrique & Moralfur les Aventures
dujour. Se trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue des Bons Enfans , la porte- cochère
vis-à- vis la cour des Fontaines du Palais
Royal.
Ce quatorzième Cahier , qui complète
le Tome III de cette agréable Collection ,
renferme la Marchande de Modes , Comédie
en un Acte & en profe.Le fond de cetre
petite Pièce eſt d'une gaîté qui convient au
Recueil dont elle fait partie , mais qui conviendroit
moins à notre Journal ; nous
ſommes par la privés d'en faire l'analyſe.
Cette Comédie eſt accompagnée de quelques
poéſies érotiques à peu près du même
ton. Nous ne citerons , & nous ne pouvons
citer que quelques Couplets d'une Chanfon
Fv
130
MERCURE.
Eroti- Bachique , intitulée : le Bon Convive.
Jer COUPLET.
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le charme de la vie ;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
Au ſein d'une vive Orgie ,
J'aime à chanter à la fois
Le vin & la douce amie
Qui m'a foumis à ſes loix.
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le charme de la vie;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
II COUPLET.
Le ſeul plaifir de la table
Réunit ces Dieux jaloux ;
Que leur accord ſoit durable ,
Leur empire en eſt plus doux.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Un peu d'amour & de vin
Pait le plus heureux deſtin.
III COUPLET.
L'AUTRE jour à mon martyre
Life oppoſa le dédain ;
DE FRANCE.
131
Je vis la belle ſourire
Dès qu'elle eut le verre en main.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Un peu d'amour & de vin
Fait le plus heureux deſtin .
IV COUPLET.
A L'AMOUR j'ai dû la gloire
D'être payé de retour ;
Au vin j'ai dû la Victoire
/
Que n'oſoit ravir l'Amour.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
La mufique , faite ſur ces paroles , eſt de
M. Ginguené , déjà connu par un autre talent
, celui de faire de jolis vers .
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardi 8 de ce mois , on a remis à ce
Théâtre Colinette à la Cour , paroles de
M. *** , muſique de M. Grétry , & les deux
Fvj
132 MERCURE
premières repréſentations ont eu le plus brillant
fuccès.
ce
Nous ne reviendrons pas ſur les beautés
& les defants que le Public a obſervés dans
cet Ouvrage, lorsde ſanouveaute; mais nous
répéterons qu'on doit de la reconnoiffance
à l'homme de goût qui a ouvert cetre
carrière aux talens en introduifant
genre nouveau , fufceptible non- feulement
de toutes les richeſſes muſicales , mais encore
des tableaux , des fêtes & de tous les
acceſſoires qui embelliffent le Theatre Lyrique.
C'eſt le premier Ouvrage où l'on ait vu
des Scènes& un dialogue de Comédie exprimés
par une muſique vraiment comique. Il
appartenoit au Compoſiteur ingénieux , brillant
& fecond , qui a enrichi de tant de chefd'oeuvres
le Theatre Italien , d'introduire ſur
celui de l'Opéra cette heureuſe nouveauté.
Ce n'eſt pas qu'il n'eût déjà prouvé , par une
multitude d'airs & de duos dans ſes Opéras-
Comiques , comment on peut allier la vérité
& la force comique avec le naturel & la
grâce du chant; mais dans un Opéra il falloit
tout- à-la- fois un récitatif ſimple , clair ,
rapide & accentué , dont le Devin de Village
avoit ſeul donné quelque idée ; il falloit unir
& fondre ce récitatif avec le chant meſuré ,
les duos, les choeurs , pour n'en faire qu'un
enſemble de muſique , dont les variétés ne
fuſſent déterminées que par le mouvement&
tes nuances de la Scène même: voilà ce que
M. Grétry a fait le premier.Onnefauroit trop
A
DE FRANCE. 133
louer l'art ou plutôt le goût infini avec lequel
il a fulier ,dans le premier Acte , le beau duo,
Quoi , la veille d'un Mariage, & le petit
monologue de plainte qui ſuit , avec la Scène
entière de Colinette , du Prince & du Confident
, qui termine l'Acte. C'eſt un modèle
de la manière dont on peut adapter à la
Scène ces finales, dont l'heureuſe invention
eſt dûe , comme tantd'autres au génie fécond
des Italiens; mais où ils ont plutôt cherché
en général une variété de muſique que l'effet
dramatique . Ils leur ont donné le nom de
finales , parce que les Compoſiteurs ne les
ont placées qu'à la fin des Actes , comme
dans leurs Opéras ils ne placent les airs &
les duos qu'à la fin des Scènes; mais à mefure
que la muſique dramatique ſe perfectionne
, on ſent que ces differentes combinaifons
de chant peuvent ſe placer par- tout
où l'action en fournit naturellement le ſujer.
Le ſuccès de cette repriſe de Colinette à
la Cour, doit nous faire attendre avec impatlence
un Ouvrage du même genre par les
memes Auteurs , qu'on répéte, & qui a pour
titre : l'Embarras des Richeſſes.
COMÉDIE FRANÇOISE .
E Samedi's Octobre , on a donné lala preinière
repréſentation de Zorai , ou les Infutaires
de la Nouvelle Zelande , Tragédie
en cinq Actes & en vers. >
134 MERCURE.
Les Sauvages de la Nouvelle Zélande ont
voulu ſe donner une forme d'adminiſtration.
Ils ont envoyé deux Députés en Europe.
L'un d'eux , nommé Huliſcar , après
avoir obſervé la conſtitution duGouvernement
Anglois , eſt revenu dans ſa patrie. Il
brûle du deur de lui donner des fers , de ſe
faire choiſir pour Roi , & de la gouverner
en deſpote. Amoureux d'Afiloë , fille d'un
vieillard aimé & reſpecté de toute la Peuplade
, du vénérable Tango , il a demandé
ſa main à ſon père ; mais le Sauvage qui a
lû dans l'âme d'Huliſcar , & que les projets
de cet audacieux ont prévenu contre tout
ſyſtême de Gouvernement émané de l'Europe
, fait jurer à ſa fille de ne jamais être
l'epouſe d'Huliſcar , ni même de Zoraï. Ce
Zoraï eſt l'amant aimé d'Afiloë , le ſecond
Député de la Nouvelle Zélande. Sa miffion
étoit d'étudier les moeurs des François , &
l'eſprit de leur économie politique : il eſt
attendu de jour en jour. La tendre Afiloë
jure , fans peine , que jamais Huliſcar ne,
ſera ſon époux ; mais elle ne fait , en parlant
de Zoraï , qu'un ferment conditionnel. Il eſt
parti de la Nouvelle Zélande , vertueux ,
cher à Tango , à ſes compatriotes , & digne
d'obtenir ſon coeur & fa main. Si , à fon
retour , il tente , comme Huliſcar , d'affervir
fon pays , Zoraï ne lui inſpirera plus
que le mépris & la haine que l'on doit aux
Tyrans. On apprend que Zoraï revient ,
qu'on a vu ſon vaiſſeau, que dans quelques
DE FRANCE.
135
inſtans il doit entrer dans la rade. Le perfide
Hulifear , qui craint dans Zoraï un rival de
ſa grandeur future , ainſi que de ſa tendreſſe ,
envoie à ſa rencontre des affaffins , auquel
le jeune Sauvage échappe , tant par ſa valeur
que par le ſecours de ſon ami Telafco. Zoraï
& Huliſcar ont enſemble un entretien dans
lequel ce dernier expoſe ſes vûes & ſes projets
,&propoſe à Zoraï de partager avec lui la
Puiſſance Souveraine. Lejeune hommes'étonne&
s'indigne. Peu ſenſible aux menaces du
Tyran , il lui annonce qu'il ofera tout entreprendre
pour s'oppoſer à ſes deſſeins , pour
défendre la liberté; qu'il bravera tout , même
le fer des affaffins. Cependant Zoraï doit rendre
comptede ſa miſſion devant la Peuplade
aſſemblée. Il entre dans des détails affez
longs ſur le Gouvernement François. Il vante
la felicité des Sujets du Roi de France : heureux
, dit- il , ſous le pouvoir d'un ſeul Prince,
comme le font des enfans ſous l'autorité
d'unpère ſenſible & tendre. Toujours guidé
par ſes préventions ,Tango ne voit encore
qu'un deſpote dans un Monarque ; mais
Palmore , & quelques autres Sauvages qui
ont la confiancede la Peuplade , ont apperçu ,
dans le ſyſtêine que Zoraï leur a développé ,
le Gouvernement qui convient à la Nouvelle
Zélande , celui dont dépend le bonheur des
peuples. Huliſcar ſe retire furieux à la tête
de ceux qu'il a engagés dans ſon parti , après
avoir déclaré que ſi l'on veut nommer un
Roi , il a des droits à la Royauté; qu'il a le
voeu du plus grand nombre des Sauvages , &
136 MERCURE
que c'eſt à main armée qu'il ſoutiendra ſes
pretentions. La retraite d'Huliſcat , fon audace,
legrand nombre de ſes partiſans , tout
Le réunit pour inquieter Tango , Zoraï &
Palmore . L'effroi , la fureur ſuccèdent à leur
inquietude , quand ils apprennent qu'Hulifcar
vient d'enlever Afiloë. Zorai & Telafco
volent ſur les traces des raviffeurs. Atiloë
leur eft arrachée. On la tranſporte dans le
bois ſacré , elle eſt évanouie & nouvre
l'oeil à la lumière que pour ſe retrouver
dans les bras de fon cher Zoraï , dont elle
ignoroit le retour. La converſation amoureuſe
des deux jeunes gens eſt interrompue
par l'arrivée de Tango . Le vieillard , toujours
fidèle à ſes préjugés , ne voit encore
qu'un traître dans Zorai ; qu'un ambitieux
qui a puiſé chez les Européens l'amour de
la grandeur ſuprême. Mais le moment preſſe ,
Huliſcar menace ; la peuplade va être en
proie au carnage : Zoraï veut épargner le
fang de ſes compatriotes. Il fait propoſer à
Huliſcar un combat fingulier. Télaſco eft
chargé du meſſager. Ce dévouement géné
reux ouvre les yeux de Tango , qui , pallant
tout - à- coup d'une méfiance humiliante à
admiration exagérée , unit Afiloë à Zoraï .
Huliſcar , inftruit dans une partie des Arts
deftructifs de l'Europe , a fait élever une
fortereſle; il y a raffemblé l'amas effrayant
des aarrmmeess les plus meurtrières. Pour répondre
à la propoſition que lui fait Télafco , il
le conduit dans la fortereffe , lui fait con
noitre fes arfenaux & fes reffources , &
une
DE FURDAN CE. 137
1
de renvoie , après lui avoir demandé fi ,
avec la certitude de vaincre , il doit s'expofer
au hafard d'un combat fingulier. A
peine Telaſco a-t- il explique la reponfe
d'Hulifcar , qu'on voit paroître un envoyé
tu perfide. Son Maître, dit il , propoſe la
paix à condition qu'on lui rendra la jeune
Aloë, & qu'il deviendra fon époux. A ce
prix tout rentrera dans ſon premier état. Le
bon Tango , toujours diſpoſé à ménager le
fang de ſes frères , propoſe à Zotaï & à fa
fille de faire un effort fublime , d'étouffer
leur amour , & de le ſacrifier à la Patrie.
Zoraï conſent à déchirer ſon coeur , à mourir
malheureux ; il va renoncer à fon amante.
Palmore s'y oppoſe; il a deviné les projets
d'Huliſcar. Amant d'Afiloë , le traître ne
cherche qu'à la ſouſtraite au carnage ; & sûr
alors de fa proie , il ſuivra fes premiers deffeins.
Cette idée paroît probable ; elle eft
bientôt confirmée par Telafco. Ce jeune
Sauvage a conduit l'envoyé d'Huliſcar hors
des limites du bois confacré aux Dieux de
la nouvelle Zélande , & celui- ci l'a inſtruit
de la politique artificieuſe & barbare de
fon Maître. Le déſeſpoir s'empare de
Tango; il propoſe de raſſembler la Peuplade
dans le bois ſacré,hommes , femmes ,
enfans, vieillards ; & de ne laiſſer à l'ufurpateur
que des cendres &des cadavres. Une
idée plus heureuſe ſuſcite à Zoraï un autre
projet. Il réunit les vieillards les plus refpectables
, marche à leur tête au- devant
138 MERCURE1
d'Huliſcar;, &les préſentant aux foldats du
Tyran , il leur demande s'ils feront affez
barbares pour égorger leurs frères , leurs
amis & leurs pères. Huliſcar , qui craint
toujours laſcendant de Zoraï , lève ſur le
jeune Heros une de ces, armes dont l'effet
preſqu'inévitable reſſemble à celui du tonnerre
. A cette vûe Tango fuit ; il vient trouver
Aloë. Le trepas eſt la ſeule reffource
qui leur refte. Il lui preſente un poignard.
Afiloë balance à s'en ſervir. Mourir ti fon
époux reſpire encore ! Cette idée retient fon
bras, Tango l'encourage ; elle va terminer
ſa vie , le poignard va frapper ſon ſein. Telaſco
accourt ,& lui arrache le fatal couteau .
Tout eft change. Zoraï n'a point été frappé,
L'action d'Huliſcar , l'aſpect vénérable de
tous les vieillards de la Peaplade ont réveillé
dans tous les coeurs l'amour de la
Patrie & de la liberté. Huliſcar eſt tombé
fous les coups de Zoraï; ſes troupes ont mis
bas les armes ; elles ont volé dans les bras
de leurs parens , de leurs amis. L'intrépide
Zoraï a été proclaimé Roi , & il obtient ſans
retour la main de ſa chère Afiloë.
Cette Tragédie a été retirée du Théâtre
par fon Auteur le jour de la première repréſentation;
& c'eſt un courage affez rare pour
mériter des éloges. Elle avoit été reçue avee
tranſport par l'Affemblée des Comédiens , &
confidérée comme un excellent Ouvrage. Le
Public en a jugé autrement , & l'on peut
aſſurer qu'il a mieux vû que l'Aréopage comiDE
FRANCE.
139
que.Ce Drame tragique eft entièrement d'ima
gination. Il eſt néanmoins à préſumer qu'on a
eu pour objetd'y préſenter quelques- unes des
cauſesquiont opéré ou, pour mieux dire, com
mencé une des plus grandes révolutions dont
il foit parlé dans les Faſtes de l'Univers . Une
pareille tentative nous ſemble au moins
haſardée, puiſque cette révolution n'eſt pas
encore abſolument accomplie. L'oppofition
du Gouvernement François & de la Conftitution
Angloiſe ne nous paroît pas heureufement
faifie. L'amour des François pour
leurs Rois , le bonheur dont ils jouiffent
ſous l'autorité des Loix auxquelles leur
Prince même rend hommage , tout cela
fans doute eft intéreſſant& fait pour frapper
les Peuples les plus barbares , pour leur
faire defirer une adminiſtration ſemblable à
lanôtre. Mais est-il naturel qu'un Sauvage ,
après avoir étudié le ſyſtême du Gouvernement
Anglois , ne retourne dans ſon pays
qu'avec l'amour du deſpotiſme ? Voilà certainement
une conféquence bien bizarre !
&puis le Théâtre eft il fait pour la difcuffion
de ces objets ? Laiffons ces grandes vûes
aux Cabinets politiques , aux Perſonnes
faites pour gouverner les États , ou aux
Écrivains philoſophes qui ont approfondi la
Science Diplomatique : & bornons- nous à
faire des Tragédies intéreſſantes par le jeu des
caractères & le développement des paffions
humaines . Celle dont nous venons de rendre
compte n'inſpire qu'à peine un foible intérêt.
140
MERCURE
au
Lamarche en eſt lente , le plan mal ordonné,
l'action froide, l'expofition obſcure & le
denouement invraisemblable. Quant
ſtyle, il eſt ſouvent incorrect & dur , prefque
toujours foible & négligé , & ce n'eft
que par intervalles qu'on y diftingue quelques
- uns de ces traits qui annoncent un
homme fenfible , inftruit & éclairé. On dit
que l'Auteur eft encore jeune. On peut croire
qu'il a trop préſumé de ſes forces , & que
dans un ſujet mieux choiſi , plus mûrement
approfondi, & travaillé avec plus de ſoin
que celui-ci, ci , il ſe montrera digne des encouragemens
que lui ont mérités quelques
morceaux & quelques intentions de ſa
Tragédie .
Sumite materiam veftris , qui fcribitis , aquam
Viribus.
VARIÉTÉS.
LETTRE aux Rédacteurs du Mercure.
MONSIEUR ,
J'AI lu dans le Mercure du 9 du mois de Juin
dernier , un Ouvrage en vers ſur la Navigation.
L'Auteur y parle avec le plus grand éloge des
Dugay- Trouin , des Jean Bart , des Ruyter, & il a
certainement raiſon ; mais on a lieu d'être fort
étonné de ce qu'après avoir joint à cette liſte M. le
Maréchal de Tourville , il dit : Gens vésfans ayeux,
&fortis de la Marine marchande. S'il avoit conſulté
le Public , les Dictionnaires , & notamment le
DE FRANCE. 141
Père Anfelme, il ſauroit que MM. de Cottentin , de
Tourville,ont eu des ayeux depuis plufieurs fiècles ,
&les plus grandes alliances , & que ce même Maréchal
, reçu Chevalier de Malthe au berceau , après
s'être diſtingué pendant ſa jeunefle fur les vaifſeaux
de la Religion , a mérité les grâces que
Louis XIV a bien voulu lui accorder dans ſes Armées
Navales.
2
Comme votre Ouvrage , Monfieur, eſt lû de
tout le monde, les perſonnes peu inſtruites ont
beſoin d'être diſſuadées des impreſſions qu'elles pourroient
y avoir priſes ; en confequence on vous fupplie
de vouloir bien inférer cette Letire dans le prochain
Mercure .
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
A
Votre très-humble & trèsobéifſant
Serviteur ***. *
SCIENCES ET ARTS.
INDUSTRIE.
M. DAGOTY, Peintre de la REINE de
MADAME, & Privilégié du ROI pour l'impreſſion
des étoffes , rue d'Aligre , Fauxbourg S. Antoine,
propoſepar foufcription fix garnitures de fauteuils à
40 liv. par fauteuil ; l'étoffe & la couleur du fond
feront au choix des Soufcripteurs , à l'exception du
velours de ſoie à trois poils , dont le prix ſera double.
Les talens de M. Dagoty ſont connus depuis
long-temps par les plus brillans ſuccès. L'Académie
des Sciences rendit le témoignage le plus avantageux
ſur la méthode de ſon invention d'imprimer
ſur étoffes en foie & fur velours de coton ,
142 MERCURE
& en 1775 il s'étoit déjà fait connoître par le
Portrait de la Reine , qui réunit tous les fuffrages , &
pour lequel Sa Majesté voulut bien lui témoigner ſa
fatisfaction.
Les ſuccès antérieurs de M. Dagoty ne laiſſent
aucun doute ſur la réuſſite de la ſouſcription qu'il
propoſe. Elle ſe fera dans les mains du ſieur Sollier
, Tapiffier , rue des Prouvaires , près S. Eustache,
chez qui l'on verra des fauteuils dans le même
genre. La livraiſon aura trois termes égaux , dont
lepremier ſe fera deux mois après la date de la quittance
de ſouſcription .
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 9. Ce Cahier contient
l'ouverture del Leſſandro Nelle indie , Opera
Italien , arrangée par J. S. Schroëtter , ſuivie d'un
Preſto de Ditters, arrangé par M. Camille Montaize
, & une Sonate par M. Charpentier. Prix ,
2 liv. A Paris , chez Leduc , rue Traverfière-Saint- .
Honoré , au Magaſin de Muſique. Le prix des
douze Cahiers eft de 15 liv. pour Paris & la Province,
port franc.,
Concerto pour le Violon , par M. Dautrive. Prix ,
4 liv. 4fols, port franc par la poſte. A Paris , chez
Leduc , rue Traverſière Saint-Honoré , au Magaſin
deMuſique .
P
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ISSOT , Libraire , quai des Auguſtins , vient de
recevoir de Londres : Hume's History of England,
8 Vol. in- 8 ° . Robertson's History of Charles V.
4 Vol. in- 8°. Robertson's History of America ,
:
DE FRANCE.
143
3 Vol. in -8 °. The Annual Register , or , a view
of the History , politics and Littérature , 23 Vol.
in-8°. Hooke's Roman History , 11 Vol. in- 8 ° .
Campbell's Lives of the British admirals , contairing
a new and accurate naval History from the
carliest periods to the year , 1779 , 4 Vol. in- 88 .fig.
Les Manoeuvres de Poftdam , par M ***. Ouvrage
propoſé par ſouſcription. Les Principes de
Tactique du Roi de Pruſſe ſont d'une ſupériorité
par- tout reconnue. On fait que ce grand Monarque
adonné à cette Science un degré de perfection qu'elle
n'avoit pas auparavant , & ſa pratique d'ailleurs>
dépoſe en faveur de ſa théorie. Sa Majesté ne permet
qu'aux Militaires Prufſiens d'affiſter à ſes Manoeuvres
de Poſtdam. Tous ces motifs doivent faire
accueillir favorablement cet Ouvrage , que l'Auteur ,
nous affure être le fruit de dix ſept ans d'obſerva-!
tions.. Il contiendra cinquante une Planches , avec
d'autres Planches de détail Le prix de l'Ouvrage
entier eſt de 300 livres , & l'Auteur n'exige d'abord
que 24 livres , avec une ſoumiflion pour le payement
du reſte. La ſouſcription ne ſera ouverte que
juſqu'au premier,Mars ſuivant. On recevra l'Ou
vrage entier en trois Livraiſons , dont la première fe
fera fix mois après la ſouſcription fermée , & les
deux autres à trois mois d'intervalle chaque. La
ſouſcription ſe fait chez Méquignon l'aîné , Libraire,
rue des Cordeliers une fois fermée , on payera
rOuvrage 600 liv.
2332
Mat
Lettre VII , en forme de Profpectus , fur une
nouvelle Hiftoire générale des Plantes propre à
remplacer l'Histoire universelle du Regne végétel ,
in-folio & in- 8 ° . Le Volume in -folio ſera compoſé
de cent foixante feuilles , & les in - 8 °. de trente
feuilles chacun ; il en faudra quatre Volumes pour
former l'in folio. Le prix de l'un & de l'autre ſera le
134
MERCURE
même , c'est- à dire , 16 livres ; ceux qui n'auront
pas ſouſcrit payeront 14 livres, Paffé le premier Février
prochain, la ſouſcription ſera fermée pour
Paris ,& ne ſera continuée pour la Province que,
juſqu'au premier Avril.On ſouſcrit chez M. Buc'hoz,
Médecin de MONSIEUR , rue de la Harpe..
La Nature conſidérée sous ses différens aspects ,
ou Journal des trois règnes de la Nature, contenant
tout ce qui a rapport à la ſcience phyſique der
l'homme, à l'art vétérinaire , à l'hiſtoire des différens
animaux , au règne végétal , à la connoiffance.
des Plantes , à l'Agriculture , au Jardinage , aux
Arts , au règne minéral , à l'exploitation des mines ,
aux fingularités & à l'uſage des différens foſſiles;
parM. Buc'hoz , Médecin de MONSIEUR , première..
époque, Tome IV. A Paris , chez l'Auteur , rue des
la Harpe , près celle de Richelieu - Sorbonne ; &
chez Laporte, Libraire, rue des Noyers , in- 12 de
393 pages.
ADÉLAIEE,
( TABLE
Ou la Raison Les Après-Soupers ,
dupedel'Amour, Conte, 97
L'Hiver,
Que ne
ciété
delaSo-
Stances àEgle, 99 Acad. RoyaldeeMusiq..
peut
Conte, nel,C
'Amour Paser Comédie Françoise,
129
133
101 Leture au Rédacteur duMer-
Enigme& Logogryphe , 118 cure ,
Lettres Edifiantes&curieuses, Industrie
écrites des
gères ,
Miffions Etran-
Musique ,
120 Annonces Littéraires ,
१०
APPROBATION.
د
ر
2
140
1411
143
ib.
J'AI lu , par par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France, dour le Samedi 19 Octobre. Je n'y at
zien trouvé qui puiffe en empêcher l'inipreßion.A Paris ,
le 18 Octobre 178 PL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 30 Août.
ONeſt encore fort éloigné d'être revenu de
la confternation qu'a répandue dans cette
Capitale l'incendie du 23 de ce mois; elle ſe
trouve aggravée par la diſette qui en eſt la
fuite, plus de soo moulins ont été brûlés , avec
les chevaux qui les faifoient mouvoir , & les
grains qu'ils contenoient ; pour foulager la
multitude preſque infinie de malheureux ,
qui manquent à préſent d'aſyle & de fubſiſtances
, on a élevé à la hâte des tentes &
des fours. Parmi les bâtimens détruits par
le feu , on compre le magnifique Palais du
riche Sélim Effendi , dont les dorures ſeules
ont coûté jo , 000 piſtres. A la vue du donger
qui le menacoit , il en off.it jusqu'à
300,000 aux Propriétaires des maiſons vois
fines , s'ils vouloient les abarre pour couper
le cours des flammes; mais ils ſe refusèrent
19 Octobre 1782. e
( 98 )
à ſa prière. La fermentation eſt toujours
générale ; on a trouvé dans les fauxbourgs
de Galata & de Péra , où demeurent les
Miniftres étrangers , des mèches & des matières
combustibles cachées. Ce qui prouve
que les mécontentemens n'ont point ceffé ,
malgré la dépofition du Grand-Vifir & de
quelques autres Perſonnes en place , & les
ſommes même répandues parmi les Janiffaires.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Septembre.
Le Traité de commerce qui ſe négocioit
depuis quelque tems entre cette Cour &
celle de Pétersbourg , eft actuellement conclu.
S. M. I. a conféré à cette occafion le
titre d'Envoyé extraordinaire à M. de Schumacker
, qui n'avoit eu juſqu'ici que celui
de Miniſtre réfidant à Pétersbourg. Elle a
fait préſent d'une tabatière d'or garnie de
brillans , à M. de Sacken , Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice ici.
Depuis le 13 juſqu'aus de ce mois , il
eſt arrivé dans le Sund 286 bâtimens venant
de la Baltique , & il en eſt parti 76 pour
cette mer. Le nombre de ceux qui font venus
de la mer du Nord dans le Sund ſe monte à
84 , & celui qui en a fait voile pour cette
mer à 65. Les deux frégares de guerre Hollandoiſes
ſont encore mouillées dans leSund,
( وو )
où l'on compte actuellement 160 bâtimens
deſtinés pour la mer du Nord.
Le 13 de ce mois le feu a pris dans un
bâtiment de la Manufacture royale de porcelaine.
On s'en est apperçu heureuſement
fur-le- chainp , & on eſt parvenu à l'éteindre
, fans qu'il ait caufé de grands dommages.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Septembre.
TOUTES les circonstances ſe réuniſſent
pour nous faire croire que la prochaine
Dière générale fera époque dans nos annales.
Le bruit ſe ſoutient toujours que le
Clergé y ſubira une grande réforme , &
comme on fait que ce Corps de l'Etat a
une influence prodigieuſe ſur le Peuple , il
eſt à craindre qu'il n'en réſulte des évènemens
fâcheux pour ce Royaume.
,
Les Grands , les Miniftres , les Généraux ,
les Envoyés étrangers tous les Gens en
place, ſont depuis quelque tems dans une
grande activité. Les Puiſſances voiſines ont ,
dit-on , donné des ordies pour faire avancer
des troupes fur les frontières.
د on a Selon les lettres de Pétersbourg
fait de nouvelles découvertes dans l'Archipel
de St- Lazare , auprès du Continent de
l'Amérique.
1
c2
( 100 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 22 Septembre.
IL doit paroître inceſſamment une Or
donnance de l'Empereur , portant établiſſement
d'une Commiſſion , devant laquelle
toutes les perſonnes qui ont des charges à
la Cour , & qui ſont endettées , feront obligées
de donner un état des biens, qu'elles
poſsèdent , de leurs dettes , & de la manière
dont elles ont été contractées. La Commifſion
examinera ſi elles viennent d'impradence
& de manque d'économie , ou de
quelques revers imprévus. Dans le premier
cas , il y aura ſuſpenſion d'appointemens ,
juſqu'à ce que les dettes foient entièrement
acquittées , & perte même de la charge ſi
elles étoient trop ſcandaleuſes. Dans le ſecond
cas S. M. I. donnera des facilités à
ceux qui auront eſſayé des malheurs. Cette
Ordonnance , auffi fage que falutaire , mettra
des bornes au luxe & aux dépenſes frivoles
des Gens de Cour.
,
Parmi les productions de ce royaume , éerit- on
de Presbourg , celle du tabac eft une des plus
importantes ; on en a exporté en 1776 , 1,262,995 1,
en feuilles , 47,345 en poudre; en 1777 , la quantité
exportée fut de 3,278,139 livres en feuilles
& 143,766 liv. en poudre ; en 1778 , elle fut de
3,278,136 liv. en feuilles , & 100,759 en poudre,
Depuis cette époque , l'exportation de cette denrée
a un peu diminué; la raifon en eſt que dans les
intervalles , il en eſt arrivé en Europe des charge-
,
( IOE )
mens conſidérables d'Amérique. - La culture des
vers- à- foie fait des progrès ſenſibles dans la Haute-
Hongrie , & particulièrement dans le Comté de
Neogrod : on a déjà obtenu pluſieurs quintaux de
foie. Si cette branche d'induftrie réuffit , comme ort
a lieu de l'eſpérer , elle ajoutera à la population
& aux richeffes de ce royaune .
On avoit formé depuis pluſieurs années
le projet d'établir des inagaſins de vivres
dans le royaume de Bohême , pour qu'en
tems de difette , ils puiffent fournir les fubfiſtances
néceſſaires aux habitans & à leurs
beftiaux ; on en a fait un eſſai dans le Cercle
de Czaſlau. Cet eſſai a fi bien répondu aux
vûes de S. M. I. , qu'elle vient d'ordonner
l'établiſſement de pluſieurs magaſins ſem
blables par-tout le Royaume.
De HAMBOURG , le 27 Septembre.
L'ATTENTION générale conmmence à ſo
fixer aujourd'hui fur la Ruffie & fur la Turquie
, qui , s'il faut en croire les nouvelles
de divers endroits , font à la veille d'une
rupture. Le dernier incendie qu'on a éprouvé
à Conſtantinople , n'eſt pas le plus grand
malheur qui accable cette Ville ; l'eſprit de
trouble & de révolte qui y règnent , felon
ces avis , la prépare à de plus terribles. La
néceſſité d'occuper un peuple inquiet , &
fur-tout ces Janiſſaires ,qui ſe ſont rendus fi
redoutables , peut déterminer le Divan à la
guerre. Les troubles de la Crimée , fur lefquels
la Ruffie paroît ayoir pris un parti
e3
( 102 )
déciſif, &les mouvemensdesTartares , qui
patoiffent à leur tour réſolus de ne pas céder
, ſemblent préparer à un nouvel embråſement
, qu'on craint de voir allumer. Les
Ottomans murmurent & accuſent , dit-on ,
le Sultan de trop de condeſcendance pour
les Puiſſances Chrétiennes. On attend avec
impatience des lumières plus préciſes ſur
tous ces objets. Si la guerre ſe déclare , on
croit que l'Empereur fera aſſembler une
armée d'obſervation ſur les frontières , pour
s'oppoſer aux invaſions des Turcs.
Les lettres de Vienne portent , que l'on
y travaille avec beaucoup d'activité au projet
d'échange avec la République , & que
l'on ſe flattoit que quelques ceffions territoriales
réciproques , ſeroient d'une grande
utiliré pour le commerce de Trieſte.
>> M. le Comte & Madame la Comteſſe du Nord ,
Ecrit-on de Stuttgardt , partirent de Carlſruhe ,
réſidence du Margrave de Baden , le 17 Septembre ,
pour ſe rendre ici. Ils étoient accompagnés du Prince
Frédéric de Wurtemberg , de la Princeſſe ſa femme ,
&de toute leur famille. Le Duc Régnant de Wurtemberg
alla au- devant d'eux à Ensberg , frontière
du Pays du côté de Strasbourg ; il avoit fait conftruire
dans cet endroit un Art de triomphe , & un
bâtiment très-confidérable , orné de peintures allégoriques;
il y eut un grand diné pour toute la
famille & la fuite du Comte du Nord; ce Prince
fut reçu au bruit des timbales & des trompettes ,
&d'une nombreuſe artillerie qui tira pendant près
d'une heure. Le Comte & la Comtele du Nord ſe
rendi ent ſur les huit heures du ſoir à Stuttgarde
où toute la Cour & les Etrangers étoient affemblés
( 1031
dans le Palais Ducal , on pafla tout de ſuice à la
Salle d'Opera , où on repréſenta les Fêtes Theffaliennes
, après quoi il y eut grand fouper au Château.
Le 18 , on donna l'Opéra de Callirhoë ,
avec deux Ballets pantomimes qui durèrent une
heure : il y eut ce jour-la grand diner & grand
fouper à la Cour ; mais la famille Ducale toupa
en parti-c lier & en retraite. Le 19 , les Princes de
laMaion & la faire du Grand-Duc allèrent à Hohenheim
, où les Elèves de l'Académic jouèrent une
eſpècede Paftorale intitulée la Colonie ; on y jetta
les fondemens d'un monument pour éternifer la
mémoire de l'Alliance de la Ruffie avec la Maiſon
de Wuremberg ; le Comte du Nord donna le
premier coup de marteau. Au retour de Hohenheim ,
il y eut bal particulier pour les Princes de la famille.
Le 20 , on retourna encore à Hohenheim
de même en famille , & fans inviter les Etrangers.
Le 21 , on ſe rendit vers le ſoir à Louisbourg où
il y eut grande Redoute dans la Salle d'Opéra.
Le 22 , on vifita les Fabriques & les Boſquets ,
on fe rendit vers les huit heures du foir à la Solitude,
dont le chemin étoit bordé de pots à fes ,
( il y a une lieue & demie ) tous les bâtimens de
Ja Solitude étoient illuminés , ( on estime qu'il y
avoit 40,000 lampions ). On repréſenta au Théâ
tre une petite Pièce Italienne en Muſique, enſuite
on ſoupa dans la Salle des Lauriers , ou trois tables
furent fervies pour environ 400 perfonnes. Le 25 ,
la Cour compreit voir la Chaffe préparée à un
endroit appellé le Beerzée , mais le mauvais tems
la fit remettre au lendemain; on retourna à Statsgardt
, où l'on donna l'Opéra de Didon avec deux
grands Ballets. Le 24 , on alla à la Solitude & la
Chaffe eut lieu; on avoit contruit devant l'étang
un amphithéâtre , & des galleries coupées par des
fal'ons ; huit à dix mille pièces de gros gibier
furent chaffées des remiſes dans l'étang : le Comte
&
€ 4
( 104 )
du Nord défira qu'on ne tuât qu'un cerf. Au retour
de la Chaffe on donna ſur le petit Théâtre un
Opéra Comique Allemand. Le 25 , on viſita à
Stuttgardt les Ecuries & l'Académie. Le 26 , il y
ent grand Exercice de l'Infanterie & de la Cavalerie
, café dans la Maiſon de Madame de Hohen
heim , & Concert dans le Temple de l'Immortalué
, où l'on foupa enſuite. Dans ce Temple on
voyoit la Statue de l'Impératrice de Ruffie grouppée
avec fes deux petits- fils , le Comte & la Comteffe
du Nord , Pierre premier , & Catherine première ,
& un grouppe de la Rutfie enchaînant l'Afie ; de
plus un grand baſſin & cinq jets d'eau . Le 27 , le
Comte & la Comteſſe du Nord ont quitté Stuttgardt
, où ils ont donné de nouvelles marques de
leur générofité , & où ils ont laiſſé les plus viſs
regrets , ainſi que par-tout où ils ont paſſe.c
On apprend de Berlin , que quoique la
culturede la foie ait fort fouffert du froid
cette année , comme la précédente , dans
les Etats du Roi de Pruffe , on n'a pas laiffé
d'en recueillir 11,000 1. peſant. Ily a mainte
nant 3 millions de cocons blancs , mûriers
vieux& jeunes , qui ſuffiroient pour recueillir
50,000 livres de ſoie , ſi le tems & la
manipulation en favoriſoient la récolte.
Nos papiers ont beaucoup parlé , il y a
quelque tems , d'un habile Mechanicien
Hongrois ; ils annoncent aujourd'hui aina
un nouvel ouvrage dont il s'occupe.
>> M. Kempele , ſi célèbre par ſon Joueur d'échecs
organiſé , travaille maintenant à perfectionner un
nouvel Automate parlant. La tête en eſt entièrement
achevée , & répond déjà fort distinctement à
pluſieurs queſtions qu'on lui propofe. Sa voix eft
fonore , le ton en eſt agréable; mais elle prononce
1
( 105 )
I'r en grafſſayant ; elle parle d'ailleurs Allemand,
Latin , Italien & François . M. Kempele partira
bientôt pour les Pays-Bas , la France & la Grande-
Bretagne , où il ſe propoſe de montrer cette ma-:
chine étonnante & fon Joueur d'Echecs déjà tang
admiré. «
ANGLETERRE,
De LONDRES , le 8 Octobre:
ON eſt toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Amérique ſeptentrionale ; celles
apportées par le tranſport armé , la Liberty ,
loin de fatisfaire la curiofité , n'ont fait que
l'exciter davantage , & redoubler l'impatience
; les lettres particulières qu'on a
reçues par cette voie font mention du
trouble & du mécontentement des Loyaliftes
à New-Yorck , à la publication de la
nouvelle que le Gouvernement Britannique
reconnoiffoit l'indépendance de l'Amériques
Son premier réſultat a été une grande confufion
parmi eux , & une indifférence voi
fine du mépris de la part des partiſans du
Congrès . Le Commandant de New-Yorck
paroît être très-embarraffé , & avoir moins à
compter qu'on ne le croit ici ſur ces mêmes
Loyaliſtes , dont depuis ſi long tems les
papiers miniſtériels exagèrent le nombre
& fur-tout le zèle. On peut en juger par
cette proclamation , qu'il a été obligé de
publier.
>>Pluſieurs perſonnes ,excitées par des principes
rebelles ou par d'autres motifs non moins déshoc
( 106 )
norans , ont réceinment déſerté de la milice de cette
Ville , & fe font retirées dans le King's-Countyen
l'Iſle longue , où i's ſe flatrent d'échapper à l'obligationde
faire aucun ſervice pour leur Roi & pour
leur Patrie. Les Officiers de la Milice de ce Comté
ne ſouffriront point , à ce qu'on eſpère , que ces lâches
déſerteurs reſtent ſpectateurs oififs ..
Un de nos papiers a fait les obſervations
ſuivantes fur cette proclamation , qui eſt
du 13 Juillet , & par conséquent d'une
date antérieure à la lettre du Général Carleton&
du contre-Amiral Digby au Général
Washington .
>> Il y a donc des rebelles dans New- Yorck ? on
ne fait pas de pareilles plaintes lorſqu'il n'en exifte
pas. On pourra demander pourquoi on a publié un
pareil avertiſſement , puiſque l'Iſle longue eſt dans
la poffeſſion de l'ennemi ; il ſemble qu'un détachement
de cavalerie auroit ſervi plus efficacement que
cet avis , à rappeller les fugitifs. Mais les choſes ne
fontpas tout-a- fait ſur les lieux commenous nous les
figurons ici . Il ett de fait que des trois Comités qui
compoſent l'Iſle tongue , nous n'avons des partiſans
que dans un ſeul , & que même nous n'y en aurions
aucun , ſi ces partiſans ne ſe trouvoient pas ſous la
bouche de nos canons.- Puiſque nous en ſommes
fur les proclamations de nos Commandans , nous en
indiquerons encore une qui eut lieu à New- Yorck ,
le 12 du même mois , par laquelle tous les Nègres
mâles libres âgés de plus de 14 ans , qui ne ſe trouvoient
employés dans aucun desdépartemens publics,
reçurent ordre de ſe préſenter le 15 fur laCommune
pour être enregiſtrés. Ils n'y manquètent pas ; &
nous ſommes informés qu'après qu'ils eurent été
raſſemblés de cette manière , on s'en faifit , & on les
envoya aux Indes occidentales. Il eſt fâcheux de le
dire , mais la vérité paſſe par-deſſus toutes les confi
( 107 )
dérations . Ce n'eſt pas le premier tour de cette
eſpèce que nous avons joué aux malheureux Noirs ,
depuis que S. M. les a pris fous ſa protection . Aucun
ne leur fut plus cruel que celui qu'on leur fit l'année
dernière. Les vaiſſeaux avoient un grand beſoin
d'hommes ; pour en raſſembler un bon nombre , on
mit le feu à une braſſerie à un mille deNew-Yorck ,
&lorſque les habitans & d'autres Blancs & Noirs
furent accourus en foule de ce côté pour éreindre
les flammer, un parti d'hommes armés parut touta-
coup , & en conduifit quelques centaines à bord
des vaiſſeaux «.
:
Ces actes , que ceux qui les font eſſayent
de juftifier par la néceſſité , ne ſont pas
propres à attacher les gens dont on follicite
les ſervices & l'amitié. Leur effet
naturel eſt d'augmenter le nombre des déferteurs
, & de donner au Congrès un furcroît
de forces dont notre conduite nous
prive; on peut nous en impoſer ici tant
ſur ſa ſituation , que ſur la nôtre. Il eſt à
portée d'en juger plus ſainement ; auffi
nous flattons nous peu de parvenir à traiter
avec lui en particulier ; il paroît déterminé
à ne point ſéparer ſa cauſe de
celle de ſon allié; & il doit y être confirmé
par la reconnoiſſance qu'ont faite
les Etats-Généraux de l'indépendance des
Etats-Unis. Une feuille Américaine s'exprime
ainſi fur ce ſujer.
>> Une remarque intéreſlante à faire , c'eſt que
la République de Hollande a reconnu notre indépendance
le 19 Avril , qui est précisément le ye.
anniverſaire de la bataille de Lexington. On peut
ajouter que le premier mémoire de M. Adams , auz
e 6
( 108 )
4 Etats Généraux , étoit également daté du 19 Avril
de l'année précédente. Qui eût dit alors , qui cût
même eſpéré que le ciel avoit arrêté dans ſes décrets
deborner an court période de 7 années des évènemens,
qui dans le cours ordinaire des affaires humaines
auroient rempli des ſiècles ? Qu'un pays alors
déchiré par des divifions inteftines , par des partis
aigtis l'un contre l'autre,&par une foulede faux amis,
pauvre , manquant de tout, finon de réſolution ,
s'éleveroit enfin triomphant de tous , en oppoſition
directe aux efforts fanguinaires &déſeſpérés d'une
Nation des plus opulentes , des plus guerrières ,
des plus perfévérantes & des plus puiſſantes de
l'Univers , & qu'il formereit une alliance étroite,
puiſſe- t- elle être auſſi perpétuelle , avec la maiſon
de Bourbon & la République des Provinces -Unies ?
Ces Etats ſeuls , s'ils metrent en oeuvre lears reffourees
immenfes , peuvent forcer nos ennemis à
donner les mains à cette déclaration , que la raifon
, la politique , l'humanité & le reſpect pour
les droits facrés du genre humain , devroient les
aveir portés à adopter depuis long-tems «.
Les mêmes papiers Américains contiennent
auſſi une correſpondance entre le
Général Leflie , Commandant à Charles-
Town , & le Général Gréen , que ce dernier
a envoyée au Congrès avec la lettre ſuivante
:
>> J'ai l'honneur de vous envoyer ci-incluſe copie
d'une Réſolution' de la Chambre des Communes
Britanniques & de la Réponſe du Roi , qui m'ont
été portées hier au foir , de la part da Lieutenant-
Général Leſlie , par le Major Skelly, fon Aide- de-
Camp , accompagné du Meſſage verbal ; que comme
ce changement de meſures paroiſſoit conduire directement
à la paix , il confentiroit àune ceſſation
d'hoftilités de ſa part, pourvu que nous le fiſſions
( 109 )
1
auffi de notre côté, juſqu'à ce que qu'il eût reçu des
ordres ultérieurs de New-Yorck ou de la Cour Bri
tannique. Le Major Skelly ajouta , que Sir Henri
Clinton étoit parti pour l'Angleterre; que Sir Guy
Carleton étoit arrivé à New- Yorck pour prendre le
commandement , & que ſon Secrétaire étoit actuellement
près du Congrès. Comme la propofition
pour une ceffation d'hoſtilités ne venoit point revêtue
des formes néceſſaires , je n'y ai point donné de
réponſe par écrit ; mais quand elle me feroit venue
avec toutes les folemnités requiſes dans une affaire
de cette nature , duement autoriſée par de pleins &c
amples pouvoirs , je ne me ferois pas cru libre de
confentir à quelque choſe de pareil ſans ordre du
Congrès " .
Le Général Leflie après ce Meſſage donné
& répondu verbalement écrivit le 23 Mar
la lettre ſuivante au Général Gréen.
>> Le Capitaine Skelly m'a rapporté les queſtions
qu'il avoit eu l'honneur de resevoir de vous , concernant
les papiers que j'avois ſoumis à votre confidération
, & qu'elle autorité officielle j'avois pour
propofer une cefſation d'hoftilités & pour croire
qu'un traité ſe négocieit actuellement , à l'effet de
mettre fin à la guerre. Je dois donc vous informer
que ces papiers m'ont été envoyés par Sir Henri
Clinton , accompagnés d'une lettre du très honorable
Welbore Ellis , alors un des principaux Secré
taires d'Etat de S. M. me référant généralement
à eux pour la direction de ma conduite à leur ſujet,
&que nos ſuppoſitions ſont fondées non-ſeulement
ſur le poids de leur autorité , mais auſſi ſur les
termes clairs & poſitifs , dans lesquels ils expriment
les ſentimens de S. M. & de la Chambre des Communes
Britanniques. J'attends à tout moment des
inſtructions plus amples de la part de notre préfent.
Commandant en chef, Sir Guy Carleton , dont la
( 1101
nomination & l'arrivée en Amérique ne m'ont pas
été régulièrement notifiles. Ainsi , M. , je vous ai
poſitivement expliqué comment ces papiers me font
parvenus; & comme je ne ſaurois douter , d'après
les rapports courants & la nature de ces documens ,
qu'une ſuſpenſion d'hoftilités n'ait lieu au Nord ,
&qu'il ne ſe négocie actuellement un traité pour
terminer la guerre , je crois devoir à l'humanité ,
au bien- être de ce pays , & aux ſentimens da pouvoir
législatif de ma Patrie , de propoſer qu'une
pareille ſuſpenſion ait lieu. D'après ces motifs , j'en
renouvelle la propoſition ; & j'enverrai , ſi vous
l'agréez , des Commiflaires pour en régler les conditions
, & pour garantir les intérêts , tant civils
que militaires de chaque partie, dans leur état actuel ,
vous afſurant en même tems que vous ferez informé
le plus promptament poſſible des inſtructions &
avis que je pourrai recevoir à cet égard de New-
Yorck «.
Le Général Gréen répondit ainſi le 25
du même mois à cette lettre .
>> En réponſe à votre lettre , je puis ſeulement
dire , que je n'ai point reçu d'ordres du Congrès
à ce ſujet : mais au cas qu'il y ait une négociation
ſur pied pour terminer la guerre , ou qu'une
fufpenfion hostilités ait lieu au Nord , je les recevral
indubitablement dans peu de jours. Juſqu'a ce
que je reçoive des ordres à ce ſujet , je ne me crois
pas libre de conſentir à une ceſſation d'hoſtilités . «
Le 28 Juin le Congrès fit , ſur la communication
qui lui avoit été faite de ces lettres ,
l'arrêté ſuivant.
>> Sur le rapport du Comité , compulé de Mм.
Duane , Izard & Madison , auquel avoit été renvoyée
la lestre du Général-Major Gréen , en date
du 25 Mai , réſolu : que le Secrétaire de la Guerre
informera le Général - Major Gréen , que les Etats.
( III )
Unis afſemblés en Congrès , approuvent la conduite
, en rejettant les ouvertures pourune ceflation
d'hoftilités, qui lui avoient été faites par le Lieutenant
- Général Leſlie , Commandant les troupes
Britanniques à Charles-Town ; & qu'il l'affure que
le Congrès fera tous ſes efforts pour le mettre en
état de s'oppoſer efficacement à l'ennemi .
Depuis ce tems le bruit s'eſt répandu que
Charles-Town avoit été évacué par leGénéral
Lefie , & que l'on ſe préparoit également
à évacuer New-Yorck. On dit , quant
à la première de ces places , que le bâtiment
le Hope , Capitaine M. Donegald , venant
de l'Ifle de Bermude , rapporte qu'avant
ſon départ de cette Ifle on y avoit vu
arriver pluſieurs navires de Charles - Town
avec avis que lorſqu'ils en étoient partis ,.
il y étoit venu des ordres d'évacuer la
place ſans délai , & qu'il avoit été rendu
une proclamation pour que les habitans
qui voudroient quitter la ville , ſe préparaffent
à s'embarquer , parce qu'il arriveroit
ſous peu des tranſports pour les recevoir.
>> Les premières dépêches qu'on recevra de New-
Yorck , confirmeront ou détruiront ces bruis ;
elles nous inſtruiront auſſi des mouvemens de l'ef
cadre Françoiſe aux ordres de M. de Vaudreuil.
On nous a dit d'abord qu'elle avoit pris la route
de Boſton , mais delà elle peut menacer quelque.
point , & nous donner de juſtes inquiétudes. Elles
nous apprendront auſh ce qu'est devenu l'Amiral
Pigot dont on n'a point de nouvelles à New Yorck ,
& qu'on diſoit avoir ſuivi de très- près l'Eſcadre
Françoiſe. Si les rapports que nous a faits le Canada
( arz )
arrivé de la Jamaïque , ſont vrais , cet Amiral s'eſt ar
rêté à détruire quelques Corſaires ,qui cachés dans la
baye de Matanza près de la Havane , attendoient
les traîneurs de la flotte de la Jamaïque; il ſemble
que cette expédition n'étoit pas aſſez importante
pour l'arrêter ; cette flotte avoit une eſcorte allez
reſpectable pour balayer devant elle tous les Corfaires
des deux mondes ; il autoit éré plus intérefſant
, ſans doute , qu'il ſe fût preſſé davantage de
ſe rendre à New-Yorck , d'y raſſurer nos troupes
que l'approche des troupes Françoiſes a beaucoup
allarmées, parce qu'elles étoientabſolument deftituées
de forces navales ; & que le Lion , vaiſſeau de 74 ,
le ſeul que nous avons dans ces parages , a , dit-on ,
eu le malheur de périr. Ceux qui veulent le jufti
fier de cette négligence , ne manquent pas de publier
qu'il a continue fa route , & ajoutent que
fon voyage vers le Continent ſera inutile , parce
que la ſaiſon avance , & qu'il ne paroît pas qué
les François euffent d'autre deſſein que de l'y attirer
& de l'écarter des Antilles , où pendant ſon abſence
leurs forces dominent , & s'augmentent par
les convois partis ſucceſſivement d'Europe , & qui
y arrivent ſans être inquiétés . C'est ainſi qu'après
avoir rendu inutile l'action da 12 , qui n'a eu d'autre
faite pour nous que de les empêcher de faire
de nouvelies conquêtes , nos ennemis ont trouvé le
moyen de nous les interdire auffi , de nous forcer
à l'inaction , juſqu'à ce qu'ayant été renforcés , &
en état de pourſuivre les opérations qu'ils avoient
projettées , & qui ne paroiffent que reculées , ils
viendront nous chercher eux mêmes & prendre
lear revanche dont peut-être ils profiteront mieux
que nous ne l'avons fait «.
Ces ſoins de l'Amiral Pigot pour la flotte
de la Jamaïque ne nous l'ont pas confervée.
Les tempêtes lui ont été plus fatales que ne
l'auroient été les corſaires François , Ef(
113 )
:
pagnols & Américains. Celle qui l'a
affaillie à la hauteur des bancs de Terreneuve
a , dit - on , duré trois jours entiers.
Des 7 vaiſſeaux qui l'eſcortoient en
partant de Bluefields , il n'en reſtoit alors
que 6 , l'Ardent ayant fait une voie d'eau ,
avoit été obligé de retourner à Port-Royal
de la Jamaïque ; de ces 6 vaiſſeaux ,le Canada
ſeul eſt arrivé à Porſtmouth , ayant
perdu ſon mât d'artimon & fon mât de
hune; le Caton ayant fait une voie d'eau , a
été à New Yorck ; la Ville de Paris , le
Ramillies , le Glorieux & le Centaure , qui
ont beaucoup fouffert , ne continuent pas
tous leur route ; les uns retournent à la Jamaïque
; mais la flotte qu'ils ſcortoient , &
qu'on porte à plus de iso voiles , étoit totalement
diſperſée. Les différentes lettres de
nos Ports , où il en eſt arrivé 4 ou 5 , ne
contiennent que des rapports fort allarmanis.
On peut en juger par la difficulté qu'on
trouve à affurer quelques- uns des vaiſſeaux
de cette flotte, Les affureurs ont refuſé les
40 pour 100 ..
• On n'eſt pas moins inquiet pour l'eſcadre
de l'Amiral Howe , qui , depuis ſon départ ,
a été très- contrariée par les vents. Pluſieurs
des tranſports , partis avec lui , rentrés ſucceffivement
, après l'avoir quitté le 15 & le
16 Septembre , avoient donné de juſtes allarmes
, à cauſe des coups de vent qui ont
eu lieu les jours ſuivans. Le London qui l'a
( 114 )
quitté le 28 à 95 lieues oueſt quart-fud-ouest ,
du Cap Lézard , ne nous a pas raſſurés ; il
dit que les vents ont été affreux depuis que
la flotte a quitté la Manche , il prétend cependant
que la grande eſcadre n'a pas été fi
endommagée que les convois , & il eſt naturel
que les gros vaiſſeaux aient mieux
réſiſté que les petits ; mais les gros vaifſeaux
n'ont ils point fouffert ? après des tempêtes
feront-ils bien en état de ſe meſurer contre
des yailleaux frais qui les attendent ,& dont
le nombre ſeul eſt déjà allarmant. Depuis le
28 , d'ailleurs , les vents ont continué d'être
contraires ; & fi les convois ſont diſperſés ,
que fera le Lord Howe? ſon unique parti eft
de revenit dans nos Ports; il ſeroit inutile
qu'il ſe rendît au Détroit , quand même il
auroit la certitude de battre l'armée combinée
, puiſqu'il ne pourroit donner à la
place de Gibraltar les ſecours & les approvifionnemens
dont elle a beſoin. S'il eft en
érat de continuer fa route , quand arriverat-
il, s'il n'étoit le 28 qu'à 95 lieues duCap
Lézard ? & l'on ſe flattoit lorſqu'il eft parti ,
qu'à cette époque il ſeroit déjà à ſa deſtination.
Cette lenteur ſeroit du moins déſolante , fi l'on
n'avoit pas appris que les batteries flottantes , dont
l'effet a été d'abord terrible , n'ont pu réſiſter aux
boulets rouges que le Général Elliot a été heureuſement
en état de leur tirer. D'après tous les avis du
Continent, dépouillés des exagérations ordinaires ,
il eſt certain que fi elles cuſſent pu continuer leur feu
( 115 )
deux ou trois jours , ce ſeroit fait actuellement de
cettePlace; elle auroit changéde maître, &quelque
précipitation qu'eût mis le Lord Hove à ſon voyage,
quelques vents favorables qu'il eût eus , il feroit
arrivé trop tard; mais malgré cet évènement nous
ne fommes pas plus sûrs de conſerver Gibraltar. Le
fiége continue , &cela prouve que la perte des batteries
flottantes n'a pas déconcerté les affiégeans ; le
Duc de Crillon , dit-on, avoit un plan particulier ,
qu'il n'a abandonné que parce que laCour de Madrid
en avoit adopté un autre : ily revient ; cette Cour y
reviendra ſans doute : il peut d'autant plus ailément
réuffir , que la première défenſe d'Elliot a dû lui coû
ter cher , & diminuer ſes munitions ; les pièces de
canon qui ont tiré cette quantité prodigieuſe de boulets
rouges doivent être à préſent fort endommagées
&pour la plupart hors de ſervice; il faut les changer
; il doit avoir anſſi beſoin de munitions , & s'il
ne reçoit pas celles que lui porte l'Amiral Howe , il
lui eſt impoffible de réſiſter. On a raifon de douter
qu'elles paſſent dans la Place malgré l'ennemi , qui
ſe prépare à s'y oppoſer. Si cet évènement a licu ,
nous ne pourrons pas le regarder comme un des
moindres bienfaits de la Providence , à qui nous en
devons déja tant.
Cet état des choſes ne préſente pas notre
ſituation ſous un aſpect fort brillant en Europe
& en Amérique ; il ne paroît pas l'être
non plus en Afie , dont la Compagnie des
Indes a reçu pluſieurs exprès , ſans qu'on
ait rien publié de ce qu'ils ont apporté ; il
en réſulte que le bruit de la priſe de Madraff
par Hyder- Aly , peu après que les François
ont réuni leurs armes aux ſiennes , acquiert
beaucoup de conſiſtance. Cet évènement ,
( 116 )
très - vraiſemblable , ajoute aux voeux que
l'on formoit généralement pour la paix.
On peut juger de l'état où nous nous trouverons
alors , en conſidérant la nature de nos
dettes & notre revenu. C'eſt ainſi que le peignoit
au commencement de cette année le
Comte John de Stair, dans un écrit qu'il
a publié. Le Lord North étoit alors encore
en place.
A
» Ma voix s'eſt épuiſée à prédire, ainſi que
Caffandre , les malheurs de ma patrie ; encore
quelques paroles & j'aurai fini. Ce
qu'autrefois on appelloit prophétie , ſe réduit
aujourd'hui à la démonstration ; je vais
donc donner des preuves ; & fi je déclamé
ce ne ſera qu'après avoir prouvé. Récapitulons
& préſentons un tableau , dont on
puiſſe ſaiſir l'enſemble d'un ſeul coup
d'oeil ".
L'intérêt de la dette avant la
:
guerre ſe mente annuellement
4,220,000 liv.
On évalue le montant annuel
de l'établiſſement de la lifte civile
, & c. à
:
1,200,000
La dette fondée de ta guerre
actuelle ſe monte annuellement
à : . 2,500,000
L'établiſſement de paix ſe
montera annuellement à • • 4,300,000
12,220,000 liv.
Dettes contractées en 1781 ,
7117
1
qui ne font pas encore fondées.
Derte de la Marine au 31 Décembre
1781 .... 11,000,000 1.
Billets de l'échiquier.
.
Sommes dues à
la banque. • •
:
• 3,400,000
. 2,000,000
Dette qui reftoit
non fondée en
1781.. •
Dette qui doit
être contractée en
1782 .
16,400,000
L'Emprurt ... 17,000,000
Les extraordinaires
de la Marine
& de l'armée
pour 1782 .... 10,000,000
Les arrérages
qui exiſteront a la
4
fin de la guerre..... १,०००,०००
Total de la dette
non fondée en
1781 د & de
la dette fondée
& non fondée
en 1782 non
compris les arrérages
de la liſte
civile. 52400,000 1.
Sur ces cinquante - deux millions
quatre cents mille liv. , on
ne met ( pour calculer modérément
) que cinquante millions
à la charge de publ . Cette
femme a un intérét de cinq pour
( 118 )
sent , produit annuellement.... 2,800,000
En ſuppoſant que la paix ſoit
conclue en 1782 , la charge annuelle
dont ſera grevé le public,
noncompris les frais de perception
& de régie , ſe montera net
à
15,020,000 liv.
Il faudra donc au moins 15 millions tous les
ans pour faire face aux beſoins de l'Etat en tems
de paix , & cette ſomme même ne ſeroit ſuffifante
que ſi l'on obtenoit la paix dans le cours de 1782 ,
& fi l'on ſe décidoit d'ailleurs àn'acquitter aucun denier
du principal de la dette nationale , & à ne
faire aucunes réſerves confidérables pour les dépenfes
acceſſoires d'une certaine importance. Quoi.
que les ſommes ci-deſſus ,priſes ſéparément, puifſent
n'être pas exactement juſtes , je permets hardiment
au public de me retirer le peu de confiance
qu'il m'a accordée , fi ces ſommes , priſes collectivement
, ne ſont pas évaluées beaucoup moins
qu'elles ne ſe trouveroient être à l'effectif.
-Quinze milions d'argent net par année ſent une
fomme impoſante & allarmante. Il eſt donc convenable
que le noble Lord , à la tête de la Tréſorerie ,
explique les motifs qui lui font croire qu'on peut
lever une fomme autfi confidérable ſur la Nation ,
dans un moment où le revenu des terres eſt tombé ,
& où le commerce languit & diminue de jour en
jour ; s'il ne répond point d'une manière fatisfaiſante
, il aura abuſé du public, en tirant avantage de ſa
crédulité , & ce procédé ne ſeroit ni noble , ni franc ,
ni honnête. Ces motifs , dont on demande
l'explication , doivent être fondés on ſur l'analogie
qu'ont nos revenus avec ceux des Puiſſances étrangères
, ou fur des exemples domeſtiques.- Portons
d'abord nos regards fur les revenus des Puig
( 119 )
1
fances étrangères , cet examen ne ſera pas long. Il
n'eſt point d'Etat en Europe , la France exceptée ,
qui potlède un revenu montant à la moitié de 15
millions ſterlings. Le revenu tant vanté de la
France , ſous le ministère de M. Necker , cet
homme grand & déſintéreſſé , doué de talens conſommés
, & d'une activité infatigable , animé par
l'exemple , protégé par les vertus d'un Monarque
jeune & bienfaiſant , dans lequel font réunis le
pouvoir & la volonté de rendre ſon Peuple heureux
; ce revenu , dis-je , ſemble , d'après l'état
qui en a été publié à la fin du Compte rendu au
Roi , ſe monter à plus de 19 millions ſterlings .
Mais M. Necker ne nous informe point à quoi ſe
monte la partie de cette ſomme qui eſt deſtinée aux
frais de perception &de régie , & à quoi ſe monte
celle qui eft applicable aux beſoins de l'Etat. Si cet
écrit parvient à ſa connoiffance , peut- être aura-t-il
la bonté de nous donner des éclairciſſemens ſur ce
point. Cependant la France ayant toujours été accuféede
manquer d'économie dans la perception &dans
la régie de ſes revenus , & la G. B. au contraire
étant citée généralement comme un modèle d'écono
mie , relativement à ces deux objets , ceci pofé &
reconnu , les frais de perception &de régie des revenus
de la G. B. ſe montant à huit ou dix pour
cent , on en peut conclure naturellement que la
France ne verſe pas beaucoup plus de 17 millions
ſterling dans les coffres du Roi. Il est vrai auffi ,
&généralement reconnu , qu'il n'y a point de feuple
ſur la terre qui ſoit plus opprimé , plus foulé
par les impôts que la nation Françoiſe , & qu'il
n'y en a point en même-tems de plus induſtrieuſe
& qui air un génie plus fécond & plus créateur
dans les arts de luxe. Par - là, le Gouvernement
taxe le monde entier qui s'y ſoumet , & reçoit le
riche tribut que la mode paye au goût. Il eſt éga
( 120 )
lement certain que la population de la France eſt
plus du double de celle de la Grande-Bretagne ,
& que ſon numéraire tripleroit le nôtre. Aufſi ,
en reconnoiffant la vérité de tout ce qui vient
d'être avancé , il s'en ſuit évidemment que ſi la
France , malgré tous ſes avantages , ne peut fournir
qu'un revenu de 17 millions sterling , la G. B. eft
bien éloignée de pouvoir en fournir un de 15.
-La levée des régimens appellés Fencibles ,
excite beaucoup de fermentation en Irlande ;
les Volontaires la regardent comme une défiance
qu'on leur témoigne , puiſqu'ils ſe
font chargés de défendre la patrie ; & ils
ont pris dans pluſieurs endroits des réſolutions
très- férieuſes à ce ſujer. Ils ont déclaré
qu'ils regarderoient comme indigne du nom
d'Irlandois , & facrifiant les intérêts de fon
pays à ſes vûes mercenaires , tout Membre
d'un corps Volontaire qui ſollicitera un commandement,
ou entrera dans un régiment
de Fencibles.
FRANCE.
De PARIS , le 15 Octobre.
LES nouvelles arrivées du Camp de St-
Roch par les Couriers qui en font partis
ſucceſſivement le 22 , le 25 & le 29 du
mois dernier , annoncent que le ſiège continue,
que les lignes font toujours feu , &
que la Place n'y répond que foiblement.
On ne doit pas en être ſurpris. La malheureuſe
journée du 13 & du 14 doit avoir
diminué
( 121 )
:
diminué ſes proviſions ; il a eſſuyé aufli
quelques dommages , pluſieurs de ſes batteries
ont fouffert.; & il est vraiſemblable
que les pièces qui ont tiré une fi grande
quantité de boulets rouges , ſont maintenant
en très - mauvais état , &qu'au moins
la plupart font hors de ſervice.
Les lettres apportées par les deux premiers
Couriers annonçoient que la flotte combinée
ſe diſpoſoit à quitter Algéſiras , pour aller
au-devant de l'Amiral Howe. Celles qui
font venues par le dernier annoncent qu'elle
l'attend. Nous nous contenterons de tranfcrire
les détails qu'elles contiennent ; elles
ſont du 29.
>> Les travaux & le ſervice des lignes n'offrent
encore rien de particulier ; le feu continue & de tems
en tems avec beaucoup de vivacité ; la place y répond
quelquefois de même , mais plus ſouvent
très -foiblement. L'ennemi paroît occupé principalement
à réparer ſes batteries & les dommages que
les Moles ont fouffert ; ils ont été bien confidérables.
On le voit quelquefois ſur la plage emportant
les morceaux de bois que les batteries Hottantes
en ſautant y avoient lancés. Le 17 le Général
Elliot envoya une chaloupe Parlementaire
avec 8 Officiers & II François , ſes prifonniers ,
qui furent reçus ; mais on refufa la propofition
qu'il fit d'échanger les foldats & matelots Eſpagnols
qu'il avoit dans Gibraltar. Le 21 il envoya
une autre chaloupe qui ſe dirigea vers Puente-
Majorca; une des nôtres fut à ſa rencontre; elle
portoir un Aide de-Camp de M. de Crillon , qui
reçut une lettre de l'Officier Anglois , far laquelle
on apprenoit que D. François Ambulodi , Licu
19 Octobre 1782. f
( 122)
-L'artenant
de vaiſſeau , le ſeul Officier priſonnier reſté
dans la Place , étoit mort de les bleſſures.
mée combinée est toujours dans la baie d'Algéfiras;
& on a pris toutes les précautions que la
prudence & l'exper coce peuvent dicter , pour bien
recevoir l'ennemi & s'oppoſer au ravitaillement
de la Place ; entofte qu'on peut s'attendre au combat
le plus acharné & le plus deciſif , ſi l'efcadre Ane
gloiſe oſe ſe prélenter. Les équipages font remplis
d'ardeur , & attendent avec la plus vive impatience
le moment où ils pourront joindre l'ennemi
& le combattre de près. Il n'est pas encore
queſtion du départ de Monſeigneur le Comte d'Artois
, ce qui ſemble prouver qu'on attend l'iffue
de la rencontre des flottes pour tenter un deraier
effort contre la Place «.
Toutes les lettres du Camp ſont écrites
fur ce ton; elles donnent des eſpérances
fibien fondées , que c'eſt avec regret-qu'on
a appris enſuite que la flotte Angloiſe a
tellement fouffert des tempêtes , que peutêtre
elle aura été obligée de retourner dans
fes ports. Il n'eſt pas douteux , d'après
les diſpoſitions de l'armée combinée , que
l'Amiral Howe n'eût eſſuyé , devant Gi--
braltar , un échec plus conſidérable que
celui qu'il peut avoir eſſuyé en route.
La frégate du Roi la Surveillante , écrit- on de
Brest , commandée par M. Sillart , & le lougre le
Fanfaron , venant du Sénégal , mouillèrent le 2
de ce mois dans notre rade , après 48 jours de
traverſée , érant partis de l'iſſe du Prince le 14
Août. La frégate l'Ariel étoit de la même miſſion ;
mais un coup de vent les a ſéparés.-Le 29 du
mois dernier , la Surveillante a rencontré une flotte
( 123 )
- ennemie , faiſant route pour les Iles-du-vent , ſous
l'eſcorte de quelques vaiſleaux de guerre ; elle a
pris un des bâtimens de ce convei , chargé de
bois , charbon , &c. Le lendemain , elle a reconnu
une flotte qui lui a para entièrement diſperſée. Les
vaiſſeaux de guerre marchoient par pelotons & paroiffoient
exceffivement maltraités. La frégate étoit
alors à 48 degrés 12 minutes de latirude & 12 de
longitude , environ 15 lieues au ſud d'Oueſſant.
Elle s'eft approchée d'un vaiſſeau de 74 , dématé
entièrement; elle a voulu le tâter; mais la différence
de calibre l'a obligée de s'éloigner. Cette flotte eſt
celle de l'Amiral Howe. La priſe de la Surveillante
eſt reſtée en arrière. Sur les côtes d'Afrique ,
cette petite flottille s'eſt emparé de 4 bâtimens
Négriers , dont un de 32 canons, qu'elle a envoyés
en Amérique.
Si la Surveillante ne s'eſt pas trompée ,
le Lord Howe aura repris le chemin de
ſes ports , & s'il a continué ſa route
comme on doit le defirer , il eſt au moins
douteux que le convoi entier qu'il conduiſoit
à Gibraltar ait pu le ſuivre , & il
ne l'eſt pas moins qu'il arrive à ſa deſtination
, & que lui-même rempliffe la commiffion
difficile dont il eſt chargé.
Ce n'eſt pas ſeulement ſa flotte qui a
fouffert des tempêtes ; celle que les Anglois
attendoient de la Jamaïque n'a pas
été moins maltraitée. Aux détails que nous
avons reçus de Londres , on peut joindre
ceux- ci , arrivés à l'Orient ; un bâtiment
venu d'Amérique les a apportés .
f
(124)
>> Le Dragon , cutter de l'eſcadre du Marquis
de Vaudreuil , eſt arrivé ici en 20 jours , il étoit
parti de Boſton le 11 Sep embre; felon les lettres
qu'il apporte le Magnifique a échoué en entrant àBofton
tur les roches de Nantuket. Les Anglois ont
perdu dans ces parages deux frégates qui , canonnées
à la fin de Juillet dernier par Eveillé ,
échonèrent près du Cap Henri. M. de Vaudreuil
eſpéroit pouvoir les relever. Le Lion , vaiſſeau Anglois
de 64 canons , a péri de la même manière.
C'eſt celui que montoit l'Amiral Digby & le ſeul que
les Anglois avoient dans ces parages . Ce vaiſſeau
&les deux frégates avoient empêché pendant plus
de 3 mois la fortie des navires Américains. A l'arrivée
de l'eſcadre Françoiſe qui les détruifit , les
farines augmentèrent de 20 pour 100 , & plus de 80 .
bâtimens Cortirent pour aller approvifionner la Havane
& les Antilles . M. de Vaudreuil ſe réparoit à
Boſton où il avoit conduit la plupart de ſes vaiſſeaux,
&il avoit envoyé à Portsmouth l'Auguste , lePluton
& la Bourgogne . On diſoit l'Amiral Pigot arrivé à
New- Yorck avec 23 vaiſſeaux , mais ce n'étoit encore
qu'un bruit ; d'après les lettres qu'on a reçues
à Londres il paroît que cet Amiral , à cette époque ,
croiſoit encore aux environs de la Havane , où il s'étoit
amusé à prendre des corſaires dans la baie de
Matanza & à détruire le fort qui les protégeoit ,
au lieu de ſe rendre ſur-le-champ à New - Yorck.
Quoiqu'il en ſoit , le Dragon rapporte que le 24
Septembre il a rencontré aux attérages d'Europe ,
la flotte de la Jamaïque dans un état fort délâbré &
entièrement diſperſée. Les vaiſſeaux de l'eſcorte , furtout
les priſes Françoiſes , paroiſſoient avoir beaucoup
foufferr. Il a choiſi dans le nombredes navires
qu'il a rencontrés , le plus gros & par conséquent
le plus richement chargé & l'a amené avec lui à
,
( 125 )
l'Orient. C'eſt un bâtiment de soo tonneaux eſtimé
4à 500,000 liv.
Une lettre de Dunkerque en date du s
de ce mois , donne ainſi une idée des orages
qui ont régné depuis quelque tems .
>>Depuis quatre jours il règne dans nos parages un
vent furieux , qui a mis ici la défolation. Trois
bâtimens marchands ont péri corps & biens , lans
qu'on ait pu leur porter le moindre lecours. Trois
autres ont également échoué ſur la côte , mais les
équipages ſe ſont heureuſement ſauvés. Le premier
eft un vaiſſeau à 2 mâts , chargé de planches ; le
ſecond , appellé les Trois Soeurs , eſt une frégate
Hambourgeoiſe , venant de la Grenade , chargée de
ſucre , café , indigo & cacao ; & la troiſième une
frégate Suédoile , chargée de fer en barres , de
chanvre & de planches. Ce dernier navire étoit
démâté ; la violence avec laquelle il a été battu
par les flots , jointe à la peſanteur de ſa cargaiſon ,
a fait ſéparer ſon fonds , qui a coulé bas , & tout
le fer a été perdu ; l'entrepont & les planches ont
foutenu la carcaſſe ſur l'eau . On nous mande de
Calais que le même vent y a causé des dommages
très-conſidérables. On compte déja le long de
la côte de cette Ville à Oftende 27 à 28 navires
ſubmergés , qui ſont preſque tous étrangers. Les
bords de la mer font couverts de planches & de
toutes fortes de marchandiſes , la plupar Angloiſes ,
ce qui fait préſumer qu'une grande partie de ces
navires venoit d'Angleterre.
Il s'étoit répandu à Paris qu'on avoit quelque
inquiétude à Breſt pour la petite eſcadre
qui porte M. de Bouillé. Mais les lettres
de ce port ne font pas mention de
ces inquiétudes , qui ſont tombées . Elles
f3
( 126 )
Etoient imaginaires; cette eſcadre , compo
ſée de 2 vaiſſeaux de 64 , 3 frégates & un
feul tranſport , mit à la voie le 10 Septembre
de Breft. L'Amical Howe ne partit
de Portſmonth que le II , & étoit le
13 à l'ouvert de la Manche , pas tout-àfait
à la hauteur de Breſt. Comment une
eſcadre de 34 vaiſſeaux , chargée de plus
d'un convoi immenfe , auroit- elle atteint
une eſcadre légère , qui avoit au moins 3
jours d'avance ?
La nouvelle de la priſe de Madras a été
envoyée par le Conſul de France à Alep ;
'on l'a auffi reçue par Conftantinople &
par pluſieurs autres ports du Levant ; à
préſent elle vient auſſi d'Angleterre , où il
paroît qu'elle acquiert de la confiance par
ſa très-grande probabilité.
On mande de Cadix que la frégate la
Vestale , commandée par M. de Barbazan ,
Capitaine de vaiſſeaux , y eſt entrée le 18
du mois dernier avec 22 navires pattis avec
elle de la Martinique. L'équipage de cette
frégate & les autres matelots du convoi
pourront être fort utiles à la flotte Françoiſe.
Les lettres de Brest , du 3 , annoncent
qu'on y continue les informations ſur l'affaire
du 12 Avril ; en attendant qu'elles
foient finies , les Matelots de M. de Graffe
font , dit- on , relégués dans deux Châteaux.
La frégate du Roi l'Alceste , & la Cor
( 127 )
Sette la Semillante , la première conc
mandée par le Vicointe de Grafle , & l'autre
par le Chevalier d'Arnaud , font entrées
à Malaga le 16 Septembre venant
des iſles du Vent , où elles avoient eſcorté
un convoi François & Eſpagnol ; elles ont
rencontré , le 4 du même mois , à 80 lieues
Nord-nord- ouest de l'ifle de Madère , le
Navire Anglois le Mooly , de 16 canons
& 6 obuſiers , dont la Semillante s'eſt emparé.
Ce Bâtiment , armé en courſe & en
marchandises , avoit un chargement deſtiné
pour Sainte Lucie , qui eſt évalué 200,000
livres.
On écrit de Dreux , que les Officiers
municipaux de cette ville , d'après la demande
verbale qu'ils avoient faite au Duc
-de Pentièvre , Grand- Amiral de France , de
fon portrait , le reçurent le 23 Septembre
dernier , & qu'à cette occafion tous les Officiers
de ville & les habitans ont témoigné
par des fêtes publiques , des inſcriptions ,
des illuminations , des feſtins , des bals ,
des ſalves d'artillerie , &c. leur ſenſibilité
pour le don que le Prince a bien voulu
leur faire. Ce portrait a été placé à l'Hôtel-
-de-ville.
Après so ans du ſascès le plus conſtant & le
plus afſuré , & la guériſon complette de près de
6000 perſonnes , qui , de tous les pays , ſe ſont
adreſſées à M. Daran , comme au ſeul homme qui
avoit un remède infaillible pour les maladies dont
f4
1128 )
ce
elles ſe plaignoient; il eſt beau de terminer la carrière
par la publication de ce remède ſi intéreſfant
pour l'humanité. C'eſt ce que vient de faire
ce reſpectable citoyen. Ce procédé , d'autant plus
admirable qu'il eſt très- rare , eſt digne de lui ; il
n'étonnera point ceux qui liront ſon Ouvrage ( 1 ) ,
qui annonce par-tout , dans ſon Auteur , un citoyen ,
un patriote animé des ſentimens inſéparables de
grand titre, & dignes de la reconnoiſſance univerſelle.
Ces, nobles ſentimens ne lui ont pas permis de
céder aux propofitions qui lui furent faites par plufleurs
Seigneurs de la Cour , de propoſer ſa décou
verte au feu Roi , & par M. le Duc d'Albe , dans
un voyage qu'il fit à Paris , en 1771 , de l'offrir
as Roi d'Eſpagne , auquel il ſe croyoit sûr de le
faire agréer. Le préſent qu'il a voulu faire au
public , devoit avoir les marques du plus parfait défintéreſſement
; & , comme il le dit lui-même ,
l'ayant reçu ( ſon ſecret ) gratuitement de l'Auteur
de tous les talens , il doit le donner de
même , ſans autre récompenſe que le plaifir d'être
utile à ceux qui auront le malheur d'en avoir be-
(1) Compoſition du remède de M. Daran , Ecuyer , Confeiller
, Chirurgien ordinaire du Roi , ſervant par quartier ,
&Maître en Chirurgie de Paris ; remède qu'il pratique avec
'fuccès depuis cinquante ans , pour la guériſon des difficultés
d'uriner , & des canſes qui les produiſent : publiée par luimême
; précédée d'une Préface , où l'on expoſe les raifons
qui ont fait di férer juſqu'à préfent cette publication , &
les motifs qui engagent aujourd'hui à la rendre publique ;
fuivied'un Difcours fur la théorie des maladiesde l'urèthre ,
des preuves qui conſtatent l'efficacité du remède qui les
guérit , & des moyens de faite connoître le mal même aux
perfonnes qui en font attaquées. A Paris chez Didot , Imprimeur
Libraire , Quai des Auguſtins , & chez l'Auteur rue
Montmartre , près Saint- Jofeph. Vol, in - 12. , prix 2 liv. 10 .
broché & 3 liv. relié.
( 129 )
ſoin . C'eſt aux perſonnes attaquées de cette maladie
qu'il dédie ſon Ouvrage dans une épître qu'il
leur adreſſe.
L'intérêt dont la lettre ſuivante peut
être pour les Agriculteurs , ne nous per-
*met pas d'en différer la publication.
J'ai lû , M. , dans votre Journal da Octobre , une
Recette pour empêcher la bruine des Bleds : le noir
qui ſe trouve dans les épis de Bied froment, fait un
tort confidérable au Cultivateurs il ſe trouve beaucoup
de déchet , & le pain ſe reſſent de cette mauvaiſe
qualité. Je me ſuis toujours app'iqué à l'agri- .
culture : J'ai fait valoit 300 aryens de terre , & j'ai
fait l'expérience de la première Recette que je vous
envoye , pendant plus de 20 années ; l'on n'a jamais
trouvé dans ma grange un épi noir. J'ai même
fait ſemer dans une terre que j'avois près de Chateau-
Thierry , 30 arpens en une ſeule pièce : moi-
* tié avec certe premiere Recette , & l'autre partie
ſans l'employer ; de façon qu'on voyoit à l'oeil la
différence de cetre ſemence , & un cordeau ne l'auroit
pas mieux ſéparée. J'approuve les moyens propofés
par M. Chombreau de Chanvalon ; mais je
crains pour le ſemeur , cet Arsenic dont il veut
faire uſage , & qui peut être dangereux dans d'autres
circonstances. J'ai toujours été animé pour le
bien& la sûreté des citoyens , & j'ai cru , M , devoir
vous faire ces obfervations .- La ſeconde Recette
eſt plus fimple : on l'affure certaine ; mais je
ne l'ai point expérimentée: elle ſeroit à meilleur
marché , quoique la premiere ne coûteroit quedix
fols de dépense par arpent , & on en est bien dédommagé
par la récolte , qui vaut un tierss de plus .
-J'ai fait part de cette premiere Recette à MM. de
la ſociété Royale d'Agriculture , & à celle de Soif
fons : ils l'ont approuvée , & m'ont fait Phonneur
fs
( 130 )
1
de m'almettre dans leur fociété.-Voila le tems
des ſemerces qui avance : je vous prie d'inférer ma
lettre & mes Recettes dans votre Journal , le platôt
poflible. Je ſuis Signé. DELPECH DE MONTEREAU .
Premiere Recette : il faut faire bouillir une chaudrounce
d'eau de vingt pintes , ou environ , la met.
the bouillante fur le tas de Bled qui doit être de
trois ſeptiers , dans laquelle eau vous ajouterez
promptement un bor picotin de chaux vive , trois
onces de verd-de-gris , deux onces de fang de dragon
, deux onces de ſel ammoniac , avec un quarzeron
d'alun de Rome , que vous mettrez dans ledit
chaudron , le tout enſemble bien remué avec
une poëlle : vous ajouterez enſuite autant d'eau
qu'il en faudra daus ledit chaudron , pour mouiller
vos trois ſeptiers de Bled que vous remuerez le płutôt
poffible , trois ou quatre fois de ſuite , & mettrez
votre Bled en tas.
Seconde Recette de la couperoſe verte que l'on
met dans la chaux : il en faut pour un muid de
Paris , qui contient 18 ſeptiers de notre meſure
pour vingt- quatre fols , c'eſt à-dire , 2 fol par
ſeptier. Et laiſſer leBled 8 à 10 jours dans la chaux ,
le remuer tous les jours , afin qu'il foit bien ſec :
c'eſt la précaution la plus eſſentielle.
Le volume des Cauſes célèbres ( 1) du
,
(1) La ſouſcription de cet Ouvrage intéreſſant , composé
de:2 volumes par année eſt de 18 liv. pour Paris & de 24
pour la Province ;le prix de chaque Collection compofče de
7années eſt de 126 liv ( ependant forſqu'on s'adreffera
directement à M. des Effart Avocat , rue Dauphine , hôtel
deMouhy , on ne payera que les 6 dernières années , &
J'année 1775 ſera d'ivrée gratis en payant 108 liv . , & en
outre le prix de' a fou cripcion de l'année 1782. On ſouſcrit
chez M. des Effarts à l'adr. fe ci- deſſus ,& chez Mérigor
Jeune , Quai des Augutins.
( 131 )
mois dernier , rapporte un trait de génés
rofité entre deux voleurs de grand che.
min , fi fingulier , qu'il peut être mis au
nombre des actions les plus étonnantes
qui ſe ſoient paffées dans l'obſcurité des
cachots.
» Au mois de Janvier 1773 , 2 voleurs de grand
chemin furent arrêtés & conduits dans les prifons
de Kingſton; leur crime étoit conſtaté. Ils ſe regardoient
comme 2 victimes que la juſtice alloit
immoler à la sûreté publique , lorſqu'il vint dans
la tête de l'un le projet d'en arracher une à
la Juſtice. Cette idée parut d'abord ridicule à l'autre.
Mais le premier ayant inſiſté , >>> nous ferons infailliblement
condamnés à mort ; nous avons été
arrêtés enſemble; notre crime étant commun , le
fupplice le ſera : te ſens-tu le courage de mourir
ſeul. Cette propoſition étonna celui qui l'entendoit.
Cependant après un moment de filence , il répon
dit : oui ſans doute , je me ſens ce courage, mais
je voudrois étre fûr de s'arracher au fupplice. Je
n'exige point un pareil ſacrifice , répartit le premier
avec vivacité. Ecoute-moi , & tu verras que
je ſuis digne d'avoir un ami auſſi généreux que
toi . Nous avons des cartes ; jouons une partie ;
celui qui la perdra déchargera l'autre dans ſon in.
terrogatoire , il dira aux Juges qu'il eſt ſeul coupable,
& que ſi l'autre a été trouvé avec lui , c'eſt
qu'il lui avoit proposé une promenade à cheval ,
mais qu'il n'avoit aucune connoiſſance du projet
de vol ". La propoſition fut acceptée : les 2 voleurs
ſe mettent auſſitor tout nuds , & dans cet état ,
ils jouèrent leur importante parue. L'inventeur de
l'expédient la perdit. Son camarade l'embraſſa en
pleurant , & lui dit qu'il étoit prêt à ſe charger
f6
11321
de ſon rôle & à lui céder le ſien. » Si tu ne veux pas
empoiſonner les inftans qui me reſtent à vivre ,
répondit le perdant , ne me fais plus une propofition
qui me dégraderoit à tes yeux & aux miens , fi
j'étois affez lâche pour l'accepter. Songeons , mon
ami , à nous amufer & à jouir du peu d'inftans
qui me reftent à paſſer avec toi « . Le jour où les
2 voleurs devoient être jugés étant arrivé , celui
qui devoit être facrifié remplit ſa promeſſe avec
fidélité , & la justice le condamna ſeul à la mort.
Son camarade fat renvoyé abſous ; mais il fut inconfolable
de la mort de fon complise ; une fièvre
lente s'empara de lui & le conduifit au tombeau
6 ſemaines après le fupplice de ſon camarade «.
La Comtefle de Guilliet d'Aofte , née
Comteffe de la Tour-du-Pin-Montauban
ayant été décorée de l'Ordre Impérial de
la Croix- Etoilée , le Roi lui a permis d'en
porter les marques .
>> Le 8 du mois dernier , écrit-on de la Rochelle ,
un peu après le coucher du ſoleil , le ciel étant
fort ferein , le vent au Nord- Eft , & les étoiles
commençant à paroître , on apperçut ici vers le
Sud-Ouest , une eſpèce de colonne de feu , qui
parcourut d'abord un petit efpace , en deſcendant
obliquement , elle creva enfuite par ſon extrémité ,
&laiſſa échapper un grand nombre de petites étoiles
qui s'éteignitent ſur le champ , comme celles d'une
fuſée; alors cette portion de la colonne prit l'apparence
d'un petit globe mal arrondi , qui jettoit
une lueur pas moins vive que celle de la lune ;
le reſte diminua inſenſiblement au point de ne plus
former qu'un filet preſque imperceptible , terminé
par une queue qui s'élevoit avec un mouvement
de fluctuation très-apparent , & ſemblable aux replis
d'un ferpent. Ce météore qui n'a duré qu'en(
133 )
viron dix minutes , s'éloigna peu-à-peu fans paroître
ni hauffer , ni baiſſer , après quoi il ſe dif-
Lipa. «
La lettte ſuivante , qui nous a été adreſſée
de Nevers , contient une obſervation qui
peat intéreſſer les Phyſiciens ; elle peut
en même-tems offrir un nouvel avis ſur le
danger de lire le ſoir dans ſon lir. C'eſt à
ces deux titres que nous la tranſcrivons .
>> Toutes les découvertes qui peuvent tendre à
l'utilité publique , ont quelque droit à la publicité;
& comme je connois peu de Journalplus répandu
que le vôtre , c'eſt à vous que je m'adreſſe pour
l'annonce d'on fait qui , je crois , eſt le premier de
fon eſpèce. Voici ce dont il eſt queſtion. - Il y a
quelque tems que j'entendis parler d'un Ouvrage
couronné par la Société Royale des Sciences de
Nancy , fur les moyens de préſerver les édifices des
incendies , & d'arrêter les progrès des flammes ;
comme bon citoyen , je me ha ai de me procurer
ce Mémoire , afin que , fi malheureuſement l'occaſion
ſe préſentoit d'être utile , il me fût poffible
de tirer meilleur parti de ma bonne volonté.
J'ai le malheur de m'endormir habituellement un
livre à la main , & précisément ce jour- là m'arriva
l'aventure qui motive cette lettre ; je liſois avec
beaucoup d'attention & de plaifir l'Ouvrage de
M. Piroux. Je prolongeai vraiſemblablement ma
lecture trop avant dans la nuit , car le ſommeil me
furprit , malgré les efforts que je faifois pour l'élofgner
, & je me réveillai une heure après au milieu
de la fumée , ayant à côté de mon lit une chaiſe
enflammée , dont le feu étoit prêt à ſe communiquer
aux rideaux de mon lit. Mon premier mouvement
fut de courir à un pot à eau qui étoit ſur une commode;
mais par malheur il ſe trouva vuide : j'eus
1134 )
recours à un autre vaſe qui ſe trouva également
vuide; je ne ſais par quelle fatalité tous ces moyens
manquerent ce four- la, Enfin , Monfieur , j'avoue que
je fus un moment très - embarraffé. Heureuſement
j'avois dans un coin de ma chambre deux grandes
cruches remplies de gas méphytique qui devoit ſervir
àune expérience fort intéreſſante;je me ſouvins de
la propriété qu'a le gas d'éteindre la lumière ou le
feu introduit dans ſon atmosphère , & je tentai
l'expérience ſuivante. - Je débouchai une de mes
cruches , & je verſai àgrand flots fur le bois & la
paille de la chaiſe enflammée que j'avois iſolée le
mieux poffible , le gas en queſtion. L'eau n'auroit
pas opéré l'extinction plus promptement; en moins
d'un quart d'heure , j'eus la fatisfaction de voir le
danger paffé , &je rendis auffi-tôt de très-humb'es
actions de graces a MM. le Duc de Chaulnes , de
Lafone , Macquer , Lavoifier , Prieftley , & c. , qui
nous ont éclairé fur les propriétés ſurprenantes
de ce gas intéreſſant. - J'aurai l'honneur de vous
obſerver que pendant environ dix minutes ,j'éprouvai
une difficulté de reſpirer affez ſenſible ; difficulté
probablement occaſionnée par la préſence de ce gas
que je n'avois pas économise ; mais elle diminua
par degrés , & au bout d'une demi- heure , il n'étoit
pas plus queſtion d'oppreffion que d'incendie. Voilà ,
M. , l'évènement dort j'ai cura devoir vous faire
part : ce moyen d'éteindre le feu m'a paru neuf,
&n'eft point énoncé dans l'Ouvrage de M. Piroux.
pourroit fe faire que dans certaines occafions il
devînt utile à MM. les Médecins , Chemittes &
autres Sapars qui acrifient le ſommeil à l'avancemeer
des Sciences ; & je ſerai trop heureux , fi mon
obſervation peut leur faire naître des idées capables
de la perfectionner . J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, GEORGEST , Ingénieur des Ponts & Chauffées,
àNevers .
-
( 135 )
En
35 Le 12 Décembre prochain ſe fera à Paris la
vente du cabinet de feu M. le Duc d'Aumont : il
renferme la collection la plus riche en colonnes ,
vaſes & tables des plus beaux marbres , de la plus
belle proportion & du travail le plus fini.
porcelaines anciennes du Japon , de la Chine &
de Saxe , de la plus rare qualité ; en porcelaines
de France & autres ; en meubles précieux d'ancien
laque; en meubles de marqueterie par Boule ; en
luftres, lauternes , bras , feux des plus beaux modèles.
Une grande partie des ornemens & montures
des plus beaux morceaux de chaque eſpèce , font
ciſelés & dorés en or mat , par Gourhiere , Cifelcar
& Doreur du Roi , & exécutés d'après les deffins
des plus habiles Definateurs. -- L'on diftribue le
catalogue à Paris , chez Julliot fils , tue du jour ,
au coin de la rue St-Honoré; & chez Pallet , hôtel
de Bullion , rue Plâtrière " .
>>>L'époque de la guerre actuelle a fait naître au
ſieur Longchamps , fils , Ingénieur Géographe , rue
& Collége des Chollets à Paris , l'idée d'un Atlas
Américain , petit in-folio , où en réaniſſant la netteté
à la préciſion , il donnera une deſcription détaillée
de ce Continent. Il a déja publié les Cartes de la
Martinique , de St- Domingue ; enfin celle de la Jamaïque
qui vient de paroître. Il a plofieurs autres de
ſes defins ſur le cuivre , & un plus grand nombre
dans ſon porte feuille. Guidé par des perſonnes
éclairées , il a déja réuni pluſieurs morceaux précieux
pour travailler ſur les différentes parties de
P'Amérique. St ſa fortune le lui permetioital fe-
Toit paroître cet Atlas en peu de tems ; it des
circonstances fâcheuſes pour lui ſeal s'y oppoſent ,
il auroit beſoin de ſecours & d'encouragement ; il
pourroit en trouver dans de légères avances gail
remboarfereit dans un tems limité , & dont il payczoit
l'intérêt au choix des perſonnes qui voudroient
( 136 )
bienles lui faire. Le defir d'être utile au public en
améliorant ſa fortune par des voies honnêtes ſont les
ſeuls motifs qui le guident. En s'occupant de eet
Ouvrage , il croit rendre hommage au Maître éclairé
& reſpectable ( M. Bonne , premier Hydrographe
de la marine ) auquel il doit ſes foibles talens ".
Louis Nicolas Ulyſſe de Borel , Cheva
lier de l'Ordre Militaire de St Louis , Lieutenant-
Colonel & Meſtre de Camp de la
ſecond Brigade des Carabiniers de Monfieur,
eſt mort à Montgeron , près Paris , âgé
de 62 ans. Tout le Clergé & la Nobleffe
du lieu & des Paroiffes voiſines , les Commandans
& Cavaliers de la Maréchauflée
des Chaſſes du Roi ſe ſont empreffés de
lui rendre les honneurs funèbres & Militaires.
Sa prudence & fa fermeté dans le
commandement , réunies à beaucoup de
fermeté & de douceur , laiſſent après luiles
plus vifs & les plus juftes regrets .
De BRUXELLES , le Is Octobre.
Les charbons de terre ſont devenus
pour les Pays Bas Autrichiens une branche
conſidérable de commerce , depuis que la
guerre a éclaté entre l'Angleterre & la
Holande. Avant cette époque , la dernière
tiron de la première la plus grande partie
de ce qu'elle en conſommoit ; maintenant
les Pays- Bas la fourniffent de cette
marchandise. La grande conſommation
qu'on en fait en a augmenté le prix.
( 137 )
On payoit autrefois 4 às florins de Brabant
pour cent quintaux de charbons ; la
même quantité paye maintenant 7 Hprins.
On en brûle annuellement dans cette Ville
ſeule cent millions de livres peſant. On
doit ouvrir de nouvelles carrières ſur les
deux rives de l'Efcaut , depuis Tournay
juſqu'à Oudenarde.
On apprend de Vienne , qu'on y a publié
l'Ordonnance ſuivante en date du
30 Août dernier.
> Des doutes s'étant élevés après la ſuppreſſion
des Couvens ſur la validité des acquifitions & des
teſtamens que pourroient faire les Religieux devenus
libres , & les Religieuſes qui ne feroient
point entrées dans un autre Monastère ſubſiſtant ;
nous déclarons par la préſente que les Religieux
*& Religieuſes pourront , à compter du jour de la
publication de la fuppreffion de leurs Couvens refpectifs
, acquérir des propriétés , foit par hérita
ges , foit par toute autre voie légale quelconque ;
cependant ils n'en auront que la jouiſſance & ne
pourront les aliéner en aucune manière pendant
leur vie; & à cet effet il ſera pris des meſures
pour que les capitaux qui peuvent leur écheoir
foient placés dans des fonds publics , & que les
biens immeubles qui leur écheront , foient aſſurés
légalement contre les hypothèques pour dettes &
les aliénations ; il ſera néanmoins libre aux Religieux
des Couvens ſupprimés , qui ſeront devenus
Prêtres éculiers , ainſi qu'aux Religieuſes , quand
elles ſe trouveroient encore dans les Couvens fupprimés
où il leur a été permis de reſter pendant
cinq mois , à compter du jour de la publication
de la ſuppreſſion , ou quand elles ſe ſeroient reti(
138 )
A
,
Kes dans d'autres Maiſons , ou enfin quand elles
vivroient iſolées dans le monde , de diſpoſer de
leurs biens inalienables pendant leur vie , par la voie
d'un testament , ainſi qu'ils aviſeront bien être
pourvu toutefois qu'aucun tegs , ni par conséquent
la ſucceſion entière ne foit donné à un étranger ,
ni à un ſujet des Etats-Héréditaires domicilié en
pays étranger , déclarant ces fortes de diſpoſitions
nulles & de nul effet..
Selon les lettres de la Haye , la réſolution
des Etats deHollande , conforme à la propofition
de la ville de Leyde , de nommer
une Commiſſion pour conférer avec le Stadhouder
ſur l'Adminiſtration de la marine ,
n'a pas paflé à l'unanimité. On dit que le
Corps des Nobles a proteſté. Cependant
cette réſolution a ſon effet; la Commiffion
a été nommée ; elle eſt compoſée de MM.
de Gyzelaar , Van Staveren & Vifſcher ,
Penſionnaires des villes de Dordrecht , de
Leyde & d'Amſterdam ; & de MM. Van
Nyveld & Meerens , Secrétaires des villes
de Rotterdam & de Hoorn. Le 3 de ce mois
à une heure après-midi , cette Commiffion
s'eft rendue chez le Stadhouder à ſa Maiſon
du Bois , avec le Grand Penſionnaire ; il y
avoit 3 carroffes , précédés & ſuivis de 6
Meflagers d'Erat.
>>>Cette Ville , écrit- on d'Amſterdam , à cette
occafion, a proteſté contre la proteſtation des
Nobles , & a ajouté à la propoſition de Leyde
quatre articles relatifs à des évènemens arrivés
depuis peu , à l'occaſon de la dernière croiſière de
la flotte. Nous apprenons de la Haye que
Grand Penſionnaire a remis à l'Affemblée des Etats-
- le
( 1.39 )
Généraux , un avis du Corps des Nobles fur la
propofition de la Ville d'Amſterdam , tant fur le
renouvellement du Traité de Commerce de 1739
avec la France , que fur le concert des opérations
avec cette Puiſſance. Notre Ville demande que ce
concert foit établi pour tout le tems de la guerre.
Le Miniſtre de Ruſſie à la Cour de Madrid
, a remis la note ſuivante , relativement
à la queſtion faite par cette Cour aux
Paiſſances neutres , à l'occaſion de la corvette
Danoiſe le St-Jean. Cette note a été
communiquée aux Miniſtres des autres Puiſs
fances neutres.
S. M. L. de toutes les Ruffies convaincue de l'équité
qui règle dans toutes les occafions les démar
ches de S. M. C. , attendoit que ſes repréſentations
antérieures du 29 Avril , en faveur de la corvette
Danoiſe le Saint- Jean , ne demeureroient pas ſans
effet, & que cette dernière ne tarderoit pas à être
relâchée d'une manière ſausfaisante pour la cour
deCopenhague. Mais la notequi vient d'être remiſe
par M. le chargé d'affaires , de Normandez , au
miniſtère de l'Impératrice endate du 22 Jain, ayant
fait connoître que la cour de Madrid , avant que de
prendre un parti décifif quelconque ſur l'affaire en
queſtion , defire l'avis des Puiſances maritumes for
ce qui conſtitue le véritable caractère d'un vaiſſeau
armé en guerre , & s'il faut confidérer comme vaifſeau
royal de guerre tout bâtiment portant pavillon
militaire , qui foit marchand on ne le ſoit point ,
qu'il foit ou non , entièrement armé ; S. M. I, pour
ne pas retarder trop fa réponſe , en la concertant
au préalable avec les auttes Cours auxquelles toutefois
elle en donnera part , ne balance point de conв-
fier , en attendant, ſon propre ſentiment fur cet objet
à S. M. C. , perfuadée que l'ayant puiſé dans les
( 140 )
notions primitives du droit des gens , il ſe rencon
trera probablement avec celui des autres Puiflances
, qu'ainfi S. M. C. elle-même n'aura pas de peine
ày adhérer.-En conféquence le ſouſligné Miniſtre
Plénipotentiaire eſt chargé de déclater par ordre exprès
de ſa cour.- 1. Que l'Impératrice juge être
conforme aux principes du droit des gens qu un bâtiment
, autorisé , ſelon les uſages de la couronne
de la nation à laquelle il appartient , à porter pavil
lon militaire , doit être envisagé dès-lors comme un
bâtiment armé en guerre. -2. Que ni la forme de
ce bâtiment , ni ſa deſtination antérieure , ni le nombre
d'individus qui en compoſent l'équipage , ne
peuvent plus altérer en lui cette qualité inhérente ,
pourvû que l'Officier commandant ſoit de la marine
militaire . - 3. Que tel ayant été le cas de la corvette
le St -Jean , ainſi que la commiffion du capitaine
, & ce qui plus eſt , la déclaration formelle
de la cour de Copenhague l'ont demontré , cette dernière
peut auffi appliquer à ce bâtiment les mêmes
principes , & revendiquer en (a faveur tous les droits
&les prérogatives du pavillon militaire.-Le ſoufſigné
doit ajouter que la conviction intime de ces
vérités , ne laiſſe aucun doute à S. M. I. , que S. M.
C. ne lui refuſera pas la même évidence , d'autant
plus que les droits exclufifs du pavillon militaire
font tellement reconnus & avoués par les Puiſſances
maritimes , que les bâtimens marchands mêmes
qui ſe trouvent être ſous ſa protection , ſont exempts
par-là de toute viſite quelconque , & que la conteltation
récente , qui s'eſt élevée au mois de Septembre
de l'année paſfée entre l'Angleterre & la Suède
au ſujet de ſix navires marchands de celle-ci , qu'en
dépit du convoi du vaiſſeau de guerre nommé le
Wafa , la première , ſe fondant en cela ſur un traité
de comme ce particulier avec l'autre , prétendoit
faire viſiter dans une des ſes rades ; la cour de Lon-
:
,
,
( 14г ).
,
dresà fini par laiſſer tomber la queſtion. Au reſte ,
comme d'un côté l'Impératrice eſt très éloignée de
trouver à redire à ce que la cour de Madrid prenne ,
en cas d'admiſſion des principes ſuſdits , les arrangemens
qu'elle jugera convenables dans ſes états
ports & mers , au fojet du commerce maritime des
anties nations ; elle ſe promet auſſi de l'autre de ſa
ſageſſe & justice , que ces arrangemens feront toujours
tels à ne point reſtreindre ni gêner la liberté
du commerce des autres nations , puiſqu'autrement
ces dernières feront réduites à la néceſſité d'en prendre
à leur tour des mêmes & analogues , vis-à-vis
du commerce Eſpagnol .- S. M. I. ſe flatte enfin
& vû les raiſons qui ſelon toutes les circonstances
alléguées , conſpirent en faveur de la corvette Danoiſe
le St-Jean , que S. M. C. voudra ſe rendre
aux inſtances qu'elle eſt dans le cas d'interpoſer de
rechefdans cette affaire pour la cour de Danemarck
ſon alliée , qu'en conféquence celle-ci ne tardera
plus guères à obtenir la fatisfaction qu'elle follicite.
,
Cette affaire eſt en effet terminée. LaCour
de Madrid a ordonné qu'on relâchât la corvette
Danoiſe conformément aux principes
adoptés par les confédérés neutres.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 7 Septe au foir .
On écrit de New-Yorck , qu'après une procédure
très - longue , le Capitaine Lippencot a été jugé
coupable du meurtre du Capitaine Huddy , & que
toutes les informations de cette affaire ont été envoyées
au Roi.
On dit que Sir Gay Carleton & l'Amiral Digby
demandent leur rappel immédiat , parce que les
derniers ordres qu'ils ont reçus directement, annullant
ceux avec lesquels ils avoient commencé
d'agir , les mettent dans l'impoffibilité d'aller en
avant avec le Congrès.
Onadit que le Comte de Shelburne adéſavouéd'a
( 142 )
Voireupart à la lettre queCarleton&Digby ontécrite
au Général Américain , que l'ordre de la Cour avoit
étéexpédié ,mais bien qu'à ſon arrivée au Ministère ,
il avoit envoyé un contre-ordre ; cela n'eſt point
vrai , il étoit Secrétaire d'Etat quand l'ordre eſt
parti , & c'eſt de ſes Bureaux mêmes qu'il a été
expédié.
Tous les principaux Miniſtres d'Etat ſe trouvent
actuellement à Londres , & les Conſeils font plus
fréquens qu'ils ne l'ont jamais été depuis le commencement
de la Guerre. - M. Pitt , Chancelier
de l'Ebiquier , travaille avec tout le zèle poſſible
à la réforme de la liſte des penſions. Le Duc de
Sommerſet eſt déjà rayé de cette liſte , ſa penfion
ſe montoit à 2300 liv, ſterl.
Il ſe tint , il y a quelque tems , un Conſeil au
Bureau de l'Amirauté. Pluſieurs Officiers y aſſiſtèrent
, & reçurent leurs Commiffions , avec ordre
de ſe tendre à bord de leurs vaiſſeaux respectifs .
- On a nommé le Convoi qui doit appareiller
à Port mouth , pour les iſles de l'Amérique au premier
bon vent. Pluſieurs bâtimens munitionnaires
& vivriers qui n'avoient pu partir avec la grande
Eſcadre , ont ordre de ſe rendre le plutôt poſſible
à Portsmouth , & en général tous les bâtimens en
chargement ſur la Tamiſe font la plus grande diligence
pour pouvoir profiter de ce Convot. On
affure qu'il ſera embarqué un corps de troupes con
fidérable à bord de cette flotte.
On ne conſtruira plus déſormais de vaiſſeaux de
80 canons ; lorſque les vieux de ce rang qui exif
tent actuellement ſeront hors d'état de ſervir par
vétuſté , ils ſeront remplacés par des vaiſeaux de
90 ou de 74 canons.
La flotre qu'on équipe pour les ifles appareillera
le plutôt poffible. Les troupes envoyées a bord de
cette flotre , débarqueront à la Jamaïque , & feront
aux ordres da Gouverneur qui les employera , s'il
( 143 )
1
en trouve l'occaſion , à reprendre quelques-unes des
polletlions que nous avons perdues dans les ifles .
Le Jafon de 64 eſt arrivé à Britol , venant de
la Jamaïque , dont il eſt parti le 27 Juillet. Il a
traverſe le golphe , & il n'a rien va de la flotte
de la Jamaïque , qui avoit appareillé du Port-
Royal deux jours avant lui. Vers le milieu de Septembre,
il a effuyé un coupde vent terrible qui a
duré trois jours .
On apprend de Waterford , en Irlande , qu'une
frégate & s tranſports de la flotte de l'AmiralHowe
y font arrivés en détreffe ; quelques jours auparavant
il avoit encore mouillé , dans un autre port
de ce Roya me , deux bâtimens de ceste flotte ,
qui en avoient été ſéparés le 22 & le 23. Les maîtres
de ces navires craignoient fort qu'elle n'eût été
entièrement difperfée.
Un de nos papiers obſerve que l'Amiral Howe
n'a fait que 27 lieues dans les premiers douze jours
qui ont ſuivi ſa ſortie.
a été fi
Les vents paroiffent avoir été orageux pendant le
mois de Septembre. On dit que trois des vauſeaux de
ligne de l'eſcadre de l'Amiral Piget ont fait côte
dans le goife ; le Monarca , de 70 canons ,
ført endommagé qu'il a été obligé de retourner à la
Jamaïque. Les deux autres n'ont pas fouffert affez
pour ne pouvoir pas continuer leur route.
La petite eſcadre , aux ordres du Commodore
Elliot , qui a fait voile le 30 da mois dernier , pour
aller reprendre ſa ſtation ſur les côtes deBretagne ,
eſt compoſéedes vaiſſeaux ſuivans , le Romney , de
so , le Mediator , de 44 , la Prudence & l'Euridice,
de 36.
Depuis plus d'un mois on ſoupçonnoit qu'Hyder-
Aly s'étoit emparé de Madrafi ; cetre nouvelle ſembleſe
confirmer aujourd'hui. On aſſure même que le
Gouvernement ne l'ignore pas , mais il a ſes raiſons
(144)
:
pour ne pas le divulguer. Il eſt arrivé récemmentun
aviſo de l'Inde dans un des pores de la G. B. , qui ne
fachant pas que l'Adminiſtrationen faisoit un myftère
, a répandu cette nouvelle. Si l'on combine avec
cela les avis que l'on a reçus pour la troiſième fois
de l Inde ſur le Continent , par la voie de la Turquie;
on trouvera au moins très-probable les avantages
remportés dans l'Inde , tant par les troupes
১
Françoiſes que par celles d Hyder-Aly.
On apprend par un vaiſſeau Danois que l'Annibal
de so canons , que M. de Suffien nous a pris , eft
arrivé au Cap de Benne- Eſpérance , avec 4 vaiſcaux
de la Compagnie Hollandoiſe des Indes qu'il a efcortés.
Dans une autre Afſemblée tenue à Lisburne où ſe
trouvoient les Délégués de quinze Corps volontaires
, on arrêté qu'on ne pouvoit conſidérer cette
nouvelle meſure que comme entraînant les conféquences
les plus funeſtes pour la liberté & la félicité ..
de l'Irlande ; qu'elle tend évidemment à déſunir les
Volontaires & à abattre leur courage patriotique; que
la création des Fencibles eſt un moyen certain de féduire
les Membres du Parlement , &c. qu'en toute
occafion qui ſe préſentera, on ne fera aucun ſervice
avec tout Corps ſous la dénomination de régiment
Fencible; & comme le ſieur Francis Dobbs
partiían des levées nouvelles , avoit écrit une lettre
favorable à cette inſtitution', ſur la lecture
qui en fut faite , il fut arrêté que l'epinion de
l'Aſſemblée étoit qu'un homme qui par de fauſſes ..
infinuations a pu tenter de porter atteinte à l'eſprit
public , ne mérite aucune réponſe , &c.
Des lettres du même royaume rapportent que
le fieur Flood refuſe de remplir toute place dans
l'Adminiſtration , juſqu'à ce que l'acte déclaratoire
du droit de l'Irlande ait reçu l'approbation
royale,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Chevalier DE PARNI.
PAARRNNII,, de nos Linus eft le ſeul qui
Que de ſes vers on parle bien.
Volontiers je prendrois à tâche
De prouver qu'ils ne valent rien.
Mais non , je veux être ſincère ;
Je tiens à mon premier avis.
A Parni j'aime mieux déplaire
Qué de déplaire à tout Paris.
ſe fache
20
(Par M. Félix Nogaret, )
:
؟
٤٠
Nº. 43 , 26 Octobre 1782 . G
146 MERCURE
A Mademoiselle DE GAUDI N.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
VEÉNUSs a toujours mon hommage,
Ou je la chante , ou je la ſers ;
Sans trop compter ſur ſon fuffrage ,
Je fête auſſi le Dieu des Vers :
Mais qu'il eſt rare l'affemblage
Du génie & de la beauté !
Ah ! ſans Gaudin ou Duboccage ,
On en auroit toujours douté.
a
COMMENT joindre avec tant de charmes
Un coeur fenfible & tant d'eſprit;
De Belloy fit couler vos larmes ,
Et ſon ombre s'en applaudit :
Deshoulière , votre modèle ,
Vous trauſmit ſon âme & fon goût ;
Si Deshoulière eût été belle ,
Vous lui reſſembleriez en tout.
Vous nous fixez tous ſur vos traces ;
Vous comptez au plus vingt printemps .
Pardon ; pour parler de vos grâces ,
J'oublie un moment vos talens .
L'Art vaut-il jamais la Nature ?
De ſes bienfaits ſentez le prix ;
DE
147
FRANCE.
Elle embellit votre figure
Comme elle a dicté vos Écrits.
Vous , la plus aimable des Belles ,
Reine du Pinde & de Paphos ,
Quedeviendront les Neuf Pucelles
Dont vous éclipſez les travaux ?
Au défaut d'attraits , leur génie
Ne fut que trop de fois vanté;
Mais Apollon les répudie
En faveur de votre beauté.
RÉGNEZ ſur notre âme attendrie ;
Pour vous ſont faits tous les ſuccès.
Eſt-il de femme qui n'envie ,
Et vos talens & vos attraits ?
Au vrai bonheur tout homme aſpire;
A tout âge il fait notre eſpoir :
On le ſent dès qu'on peut vous lire ,
On y croit dès qu'on peutvous voir.
( Par M. Damas . )
L'Ane , la Rose & le Chardon , Fable.
DANS
AN's un jardin , une Roſe nouvelle
Faiſoit l'ornement du printemps ,
Et le Zéphyr choqué , voyoit en même temps
Un vil Chardon croître auprès d'elle.
Certain Baudet , d'un pied leſte & badin ,
Gij
148 MERCURE
En petit maître entra dans le jardin.
C'étoit une Ane , fier de ſa race immortelle ,
Car il comptoit parmi ſes illuſtres aïeux ,
Cet Ane aîlé , qui , ſur ſon dos heureux ,
Eut l'honneur de porter Dunois& la Pucelle.
De ſes titres enflé , Monseigneur du Grifon
Foulant avec dédain l'herbe tendre & fleurie ,
Apperçut dans un coin le dégoûtant Chardon
1
A
Et la Roſe digne d'envie.
Il vint auprès. Zéphyr , ſaiſi d'horreur ,
Trembla pour ſes plaiſirs , frémit pour fon amante,
Et dit , je ſuis perdu: ſa forme, ſa fraîcheur,.
Son doux parfum & ſa beauté naiſſante ,
Sans doute renteront l'animal amateur......
Las ! il va dévorer cette fleur qui m'enchante ! .....
Zéphyr eut tort : le galant connoiffeur
Paſſa près de la Roſe avec indifférence ,
Et courut au Chardon donner la préférence.
VENONS à l'application ,
C'eſt le but que je me propoſe:
Maint époux eſt le ſot Griſon ,
Mainte épouſe eſt l'aimable Roſe ,
Mainte maîtreſſe eſt le Chardon.
(ParM. Pinelfils , Avocat ,
au Havre de Grâce. )
)
DE FRANCE. 149
:
COUPLET chanté à Madame DE
BEAUREGARD, pour le jour de fa
Fête , par Mllede Beauregard ,faBelle-
よい
Fille.
Sur l'Air : Avec les Jeux dans le Village.
COMMENT chanterai -je la Fête
De la plus tendre des mamans ?
L'Amour me rendra toujours préte
Avous peindre mes ſentimens.
Je ſens que la reconnoiſſance
Échauffe en ce moment mon coeur ;
Je ne vous dois pas l'existence ,
Mais je vous dois tout mon bonheur.
T
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
"
1
V
OTRE Journal , Monfieur, n'est pas deſtiné
ſeulement à rendre compte des Ouvrages, vous im.
primez quelquefois des morceaux de Littérature &
de Philofophie que l'on peut mettre au rang des
Ouvrages nouveaux, c'est même ſouvent la partie
la plus intéreſſante du Mercure, L'Extrait d'un Ouvrage
ne me diſpenſe point de lire l'Ouvrage même
s'il est bon ; & pour ſavoir s'il eſt mauvais, je
ferois bien imprudent,ddee m'en rapporter àa Extrait.
Il eſt des Ouvrages , comptés aujourd'hui parmi les
meilleurs de notre Littérature , qui ont paru dans le
Ganj
P
150 MERCURE
1
Mercure pour la première fois; tels font les Contes
Moraux de M. Marmontel ; je parle de ceux-là ,
parce que leur réputation eſt ſi bien établie que
l'envie même n'entreprend plus d'en conteſter le
mérite. Je crois , Monfieur , faire aujourd'hui à
votre Journal un véritable préſent , en vous offrant
la traduction de quelques Chapitres d'un Ouvrage
étranger, l'un des plus importans peut- être & des
meilleurs de notre ſiècle : L'Histoire de la Société
Civile de Ferguilon. Pluſieurs Hommes de Lettres
François ont parlé ſouvent de cet Ouvrage avec la
plusgrandeeftime; mais ils l'ont lû en Anglois , &
laNation ne le connoît pas encore . Il eſt difficile de
comprendre comment on a différé ſi iong - temps à
faire paroître la traduction d'un livre annoncé par
tant d'éloges. Ceux de nos Littérateurs qui poſsèdent
les Langues étrangères,s'empreſſent de nous traduire
des Romans infipides ou des Drames qui achèvent de
corrompre notre goût ; & les Ouvrages que les Littésateurs
étrangers oppofent avec confiance à ceux
dont la nôtre s'honore le plus , on les laiſſe renferinés
dans les Langues qui les ont vu naître , & il
exiftedes idées utiles aux hommes, que notre Langue
ne connoît point encore. Cette indifférence accuſet-
elle le goût des Traducteurs ou celui de la Nation
? Seroit-il vrai que nous n'applaudiffons plus
que letalent qui ſert à nos plaiſirs & à notre frivolité
, & que nous redoutons ceux qui n'embelliffent
la vérité que pour nous rappeler nos devoirs ? Il n'y
avoit pas fix mois encore que les Lettres Perfannes
& l'Eſprit des Loix avoient paru en France ; ils
étoient déjà traduits à Londres. Il y a plus de dix ans
que l'Histoire de la Société Civile eſt imprimée ,
&nous en demandons encore la traduction . Cette
différence eſt remarquable ; elle fort fûrement du
caractère des deux Nations , & peut fervir à les
faire mieux connoître..... 1
DE FRANCE.
131
Un Magiſtratde Province , qui a conſacré fon
talent & ſa vie aux mêmes objets , & qui ſans
doute y portera des vûes nouvelles , a traduit l'Ouvrage
de Ferguſſon dans les intervalles de ſes méditations
& de fon travail. C'eſt ainſi que Cicéron
traduiſoit Platon & Démosthènes pour ſe préparer
aux Ouvrages fublimes qui l'ont rendu le rival de
l'Orateur le plus philoſophe , & du Philoſophe le
plus éloquent de la Grèce. La traduction d'un bel
Ouvrage dans le genre de ceux auxquels nous travaillons,
eſt un entretien avec un homme de génie
qui peut faire monter notre eſprit au ton de ſes penfées
& de ſon ſtyle. Ce Magiftrat m'a confié une
grande partie du manufcrit de ſa traduction , m'a
permis d'en diſpoſer à mon gré ; & c'eſt après
l'avoir comparé à l'original , que j'ai pensé que le
Public me fauroit gré de lui en faire connoître quelques
Chapitres. Je ne doute pas même , Monfieur ,
que je ne puſſe vous communiquer la traduction entière
ſi les Lecteurs de votre Journal paroiſſoient le
defirer , & ils le defireront ſans doute.
Mais l'eſprit dans lequel elle a été faite exige
quelques réflexions , Monfieur , fur le caractère même
du talent de Ferguſſon , & fur l'extrême liberté avec
laquelle le Traducteur a rendu fes idées .
Ferguffon a enviſagé un ſujet très-philofophique
ſous le point de vue le plus général; il eſt réſulté
de là que ſes idées ſont ſouvent très- abſtraites , &
même un peu vagues. En le lifant,l'eſprit découvre à
chaque inſtant des étendues immenfes ; mais les
idées qui occupent ces eſpaces font un pen confuſes
&fugitives, comme les objets , pour ainſi dire , que
l'oeil voit flotter avec l'atmosphère aux bornes d'un
vaſte horiſon. Sa penſée eſt donc en général très métaphyfique
, & cependant ſon ſtyle eſt très-figuré.
Une idée abſtraite eſt ſouvent revêtue d'une image
pleine d'éclat. Cette eſpèce de contraſte entre l'eſprit
Giv
152 MERCURE
&l'imagination n'eſt pas rare , comme on fait , chez
les Écrivains Anglois. On le trouve même chez leurs
Poëtes , dans Pope fur-tout , qui écrit comme Boileau
, &peut- être comme Platon. Il paroît que c'eſt
à cette réunion fur-tout que les Anglois croient reconnoître
le génie.
On ſeroit porté à penſer que l'imagination de
Ferguffon doit répandre ſur ſes idées la clarté qui
leur manque , & cela arrive très- ſouvent ; mais quelquefois
aufli il me ſemble qu'il en réſuite un effet
tout contraire. L'image ne peut jamais bien embraffer
une idée qui eſt confuſe & incertaine ; elle
reſte donc ſéparée en quelque forre , & l'attention ,
partagée fur deux objets , ou plutôt entraînée toute
entière ſur l'image qu'elle ſaiſit facilement , laiſſe
Pidée dans une plus grande obſcurité encore.
Je crois , Monfieur , que tout Lecteur François
appercevra plus ou moins ces défauts dans l'Ouvrage
de Ferguffon; mais les Anglois en ont-ils
jugé de même ? ont ils vu ces défauts ? exiſtent .
ils pour eux ? On peut préſumer que non. Ce qui
est profond & abſtrait pour un Peuple eſt ſouvent
clair & fenfible pour un autre. Tous les Peuples n'ont
pas la même meſure d'attention , ni la même ſagacité
d'eſprit; & fur toutes ces qualités ils prennent
ou perdent l'avantage les uns fur les autres , ſuivant
que les objets font plus ou moins clairs & familiers
à leurs goûts & à leurs habitudes. Il eſt des hommes
qui paſſent des jours entiers, des ſemaines , des
mois à méditer une énigme ou un logogryphe , &
qui ne pourroient pas ſupporter la fatigue d'une
page de Tacite ou de Hobbes. Nous autres François,
nous demandons d'abord, ſans doute avec raiſon,
qu'un Ouvrage foit très- clair , primò perfpicuitas . Ce
que les Anglois ſemblent exiger d'abord , c'est qu'il
foit profond& neuf. S'il a dit de belles chofes &
des chofes utiles , ils font prêts à y revenir plus
DEFRANGE. ISR
d'une fois pour les bien entendre. Un Quvrage de
talent&de génie ne peut être obſcur qu'une fois ;
enfuite il est toujours auſſi facile que beau. Les Anglois
ne peuvent conſentirà mettre une qualité de
ſtyle dont le charme ne ſe fait ſentir qu'à la pre
mière lecture , au rang de ces qualités dont l'impretion
puiffante ſe répète à chaque lecture , & devient
même plus vive & plus forte pour les Lecteurs
dont l'eſprit approche le plus du génie de
l'écrivain. Nés penſeurs , & accoutumés fur-tout à
porter leurs penſées ſur les objets de gouvernement
& de législation, les Anglois faififfent fans peine les
vérités les plus générales de la politique , ſans qu'on
ait beſoin de les arrêter ſur tous les détails qui nous
font néceſſaires pour les appercevoir d'une manière
ſenſible. Nous ſommes à leur égard, dans la ſcience
de la morale & de la légiflation, ce que des gens qui
commencent à étudier les Élémens d'Euclide , ſont
auprès des Euler , des d'Alembert & des Condorcet.
Les premiers ont beſoin de tous les ſignes , de tous
les chiffres , de toutes les figures; un ſeul figne algébrique
eſt pour les autres un aſſemblage de propofitions
prouvées ; un a & un b font pour eux des
démonstrations & des vérités évidentes.
Cettemême force d'attention qui fait parcourir ſi ra .
pidement aux Anglois des idées placées à une ſigrande
diſtance les unes des autres , leur fait franchir auffi
très-vîte l'intervalle qui ſépare une penſée,d'une
image; une comparaiſon & une métaphore qui
nous paroiſſent tirées de loin, leur paroiſſent nées
avec l'idée ou trouvées à côté d'elle ; car c'eſt moius
la nature des choſes que l'habitude & la facilité que
nous avons d'aller de l'une à l'autre qui nous fait
voir des liaiſons entre-elles. Un intervalle qu'on
franchit fans qu'on s'en apperçoive eſt pour nous,
comme s'il n'exiſtoit pas.
2
7
Ces principes , Monfieur , qui me paroiffent in
Gv
154 MERCURE
conteſtables , peuvent ſervir à juftifier la manière
dont on a traduit l'Ouvrage de Ferguffon .
Fergufſon a écrit pour les Anglois ; mais c'eſt
pour les François qu'on le traduit. Le Traducteur
enrendant les idées de l'Auteur en a donc change
quelquefois la diſpoſition , parce qu'il a cru en
voir une plus conforme à la manière dont les idées
fe ſuivent & ſe lient dans nos efprits & dans notre
langue. En allant au même but , il change quelquefois
de chemin. Ce qui n'avoit beſoin que d'être indiqué
à Londres avoit beſoin de développement à
Paris. Le Traducteur développe donc ce que l'Auteur
n'a fait qu'indiquer ; en général , le Traducteur
diſpoſe des idées acceſſoires avec le même empire
que fi elles lui appartenoient; il les change , il les
étend, il les fupprime ; il fait comme les Navigateurs
qui vont par mille routes différentes dans le
Nouveau - Monde que Colomb a découvert. Ce qui
diftingue fur- tout l'eſprit & le goût de diverſes Nations,
ce font les idées acceſſoires. Pour les Anglois
telle idée réveille telle image ; pour les François la
même idée réveillera plus naturellement & plus heureuſement
une autre image , &le Traducteur la préfère
, parce que le mérite de l'Ouvrage & la gloire
del'Auteur y gagneront beaucoup dans nos eſprits
mais est- ce là traduire ? Ce fera traduire fi on veut
& imiter fi on l'aime mieux ; & fi on le veut encore
, ce ne fera ni une imitation ni une traduction ,
mais un Ouvrage nouveau élevé fur les idées principales
& fur le plan général de celui de Ferguſſon .
Cette liberté feroit trop grande ſans doute dans les
Ouvrages de pur agrément , dans ceux où le talent ſe
borne à l'ambition de flatter le goût. La grâce & la
beauté du ſtyle tiennent ſur-tout au choix & à l'ordre
des idées acceſſoires ; fi vous changez ces idées ou
leur ordre , vous avez détruit l'Ouvrage , & je ne
vois plus rien du talent de l'Auteur. Le génie & les
DE FRANCE.
155
grands Ouvrages philoſophiques qu'il produit , ré-
Liſtent mieux aux changemens qu'ils ſubiſſent en
paſſant de langue en langue , de traduction en traduction.
Souvent, lorſqu'il ne reſte plus rien du goût
& du talent d'un Ouvrage, le génie y fubſiſte encore
avec les idées principales dont il eſt le créateur.
C'eſt le diamant des fables de Golconde , ſur lequel
les Lapidaires de Paris , ceux de Londres , ceux de
Berlin&de Pétersbourg , montrent la diverſité de
leur goût & de leur talent. De quelque manière
qu'il foit enchaſſé, l'éclat & les feux du diamant font
toujours ce qui frappe le plus les yeux .
On croiroit que le Traducteur a eu le manufcrit
Anglois au moment où Ferguſſon n'avoit encore
jeté ſur le papier que ſon plan & ſes vûes. En
jetant tour-à-tour les yeux ſur l'original & la traduction
, on croit entendre la converſation de deux
amis nés à-peu-près avec le même genre d'eſprit , &
qui s'entretiennent ſur des objets qui les intéreſſent
& les occupent également ; ils quittent & reprennent
tour-à-tour la parole ; l'idée de l'un eſt ſaiſie à l'inf
tant par l'autre , qui la porte plus loin , & la lie à
d'autres idées ; mais l'eſprit de tous les deux , aſſervi
également à l'objet de leur entretien & au ton donné
par celui qui l'a ouvert , marche toujours également
au même but , & ne fait que varier la route par un
grand nombre d'accidens & de points de vue. L'Ouvrage
original ſera ineilleur pour les Anglois , la
traduction pour les François ; mais les François &
les Anglois qui liront les deux Ouvrages,y gagneront,
ceme ſemble, égalenient.
J'ai voulu , Monfieur , vous faire connoître fef
prit & le caractère de cetre traduction; mais je n'ajouterai
rien de plus ſur ſon mérite. Il eſt une forte
de pudeur & de modeſtie qui arrête les éloges que
l'ondonneàun ami'; il ſemble qu'il en revient quelque
choſe à celui qui les donne; mais quel que foit le
Gvj
136 MERCURE
jugement que l'on porte des morceaux que je vous
envoie, je ferois bien trompé, Monfieur, fi on ne
reconnoſſoit point dans les idées& dans le ſtyle un
eſprit né pour éclairer les hommes ſur leurs plus
grands intérêts.
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
:
Le mot de l'énigme eſt les Chats ; celui
du premier Logogryphe eſt Cor-de- chaffe ;
celui du ſecond eſt Terreur , qui , le premier
pied ôté , donne erreur; celui du troiſième
eft Livre , ôtez L, reſte ivre.
J
ÉNIGM E.
E ne puis flatter les yeux
Que je n'enchante l'oreille.
Tantôt ſur cinq pieds boîteux
Je vais marchant à merveille ;
Sur huit , ſur dix , je puis monter ,
Sur douze , & même ſur treize ;
Tel qui m'emploie eſt fort aiſe
De me voir ainſi trotter ;
Mais ſi quelquefois j'échappe ,
Je le fais jurer , peſter ;
Et bientôt , s'il me rattrape ,
L'on voit ſa joie éclatter.
Suis -je riche , harmonieuſe ,
Lors je plais à tout chacun ;
DE FRANCE. 157
Mais trop ſouvent , pauvre hableuſe
Jen'ai pas le ſens commun.
(Par Mme de M. ** )
LOGOGRYPΗ Ε.
JE fuis né Perſe , Afiatique ,
Mède , Arabesque , Oriental.
Souvent compris dans l'ancienne tactique
Jemontrai mon pouvoir dans la guerre punique ,
Sous Amilcar , ſous Annibal .
J'ajoute à ces hauts faits un trait original ,
Je ſuis dix & douze jours fans boire.
A qui connoît la Nature & l'Hiſtoire ,
C'eſt ſe montrer bien clairement ;
Analyſons, partageons à préſent
Mon être en deux : d'abord je ſuis un Prince ,
Le Chef de plus d'une Province ;
:
Du temps de Saint-Louis , un célèbre vainqueur ;
Des Mogols d'aujourd'hui le premier Empereur ;
Puis des quatre élémens je deviens le troiſième ,
( SelonThales , & ſon ſyſteme ,
Le principe de tous les corps. )
Voilàmon dernier ſtratagême ,
Ce font là mes derniers efforts .
(Par M. de Boufſfanelle , Brigadier des
Armées du Roi. )
158 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Recueil
des Pièces qui ont paru avecſuccèsfur les
Théâtres des Capitales de l'Allemagne ,
par M. Friedel ,Profeſſeur en Survivance
des Pages de la grande Écurie du Roi.
3 Vol. in 8 °. A Paris , chez l'Auteur , rue
S.Honoré , au coin de la rue de Richelieu ;
au Cabinet de Littérature Allenande , où
l'on peut ſe procurer les originaux; chez
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; Couturier
fils , quai des Auguftins ; à Verfailles
, chez Blaizot , rue Satory ; à Leipſic ,
chez Dyk ; à Berlin , chez Wever ; à Hambourg
, chez Virchaux ; à Gotha , chez
M. Reichard ; à Manheim , chez M.
Schwan , & à Konisberg en Frufſe , chez
M. Friedel.
CE
:
E troiſième Volume nous a paru en total
ſupérieur au précédent. Il eſt impoffible que
toutes les Pièces qui compofent cette Collection
, méritent le même degré d'eſtime.
Le devoir d'un Traducteur conſiſte en deux
points: bien traduire & bien choiſir . Ce
principe eſt incontestable; mais ( ceci aura
peut- être l'air d'un paradoxe au premier
coup-d'oeil ) nous croyons qu'on n'est pas
DE FRANCE. 159
toujours en droit de lui reprocher l'infertion
d'un Ouvrage qui déplaît , même d'un mauvais
Ouvrage , ou du moins qu'on ne doit le
faire qu'après un mur examen , parce que
✓ des conſidérations étrangères à l'Ouvrage
même, peuvent déterminer ſon choix. Parmi
les Pièces qui entrent dans un Recueil par leur
propre mérite, il en eſt quiy entrent par leur
réputation; c'eſt alors la nation qui a tort, &
le Traducteur eſt preſque forcé d'avoir tort
avec elle; quand ſon jugement ne ſeroit pas
$ entraîné par l'opinion nationale , fon choix
* eft alors décidépar une forte de reſpect qui mé
i rite,finon le ſuffrage,au moins la tolérancedes
connoiffeurs . Cette obſervation ne tend qu'à
#rendre le Lecteur moins ſévère dans ſes jugemens
; elle ne diſpenſe pas le Traducteur
d'être difficile dans fon choix.
Le Volume que nous annonçons renferme
une Tragédie , Atrée & Thieſte ; une Comédie
en deux Actes , le Voilà Pris ! le Voilà
Pris ! & un Drame en cinq , Stella.
Le ſujet de l'Atrée de Crébillon n'eft pas
celui de la Tragédie Allemande. Le Poëte
François a choifi le moment où Atrée ſe venge
de fon frère , en lui faiſant boire le ſang de
fon fils * ; l'Auteur Allemand , M. Weiffe ,
choiſit une autre époque. Thieſte , après la
* On fait que dans la Fable Atrée égorge les
deux fils de Thiefte , qu'il les lui fait ſervir à table ;
& qu'après le repas , il lui fait apporter les pieds ,es
mains&la tête de ſes enfans,
160 MERCURE
vengeance monstrueuſe de ſon frère , avoit
viole dans un bois , fans la connoître , la
fille Pelopée , qui avoit emporté fon glaive,
pour tâcher de reconnoître un jour l'auteur
de cette violence. Atrée , qui la voit à la
Cour de Theſprote , & qui la prend pour la
fiile de ce Monarque, la demande en mar
riage & l'emmène dans ſes États , tandis
qu'elle porte dans ſon ſein un fils de Thyeſte.
Cet enfant , qu'on nomme Égifte , eſt elevé
par Atréecomme ſon fils;& pluſieurs années
après , Thyeſte étant retombé dans les mains
d'Atrée , celui ci ordonne à Égiſte de l'aſſaffiner.
Thieſte ayant reconnu ſon glaive dans
les mains d'Égiſte, qui lui dit le tenir de ſa
mère Pélopée , & Pélopée ayant déclaré que
ce glaive appartient à un inconnu qui l'a
deshonorée , & qui eſt le véritable père
d'Égifte , Thicſte au déſeſpoir ſe fait connoître
à Pélopée pour fon père ; & celleci
, feignant d'examiner ce glaive de plus
près , ſe frappe & meurt. Égiſte retire le fer
tout ſanglant,&va le plonger dans le ſein d'Atrée.
Telle eſt l'action qu'a choiſie M. Weiſſe;
de manière que ſi le ſujet de Crébillon eft
la vengeance d'Atrée , celui du Poëte Allemand
peut s'appeler la vengeance deThyeſte.
Dans cedernier Ouvrage il y a de la verve ,
de l'énergie & des idées ; mais trop ſouvent
de l'exagération & de la recherche dans le
ſtyle & dans les ſentimens , comme lorf
qu'Arrée dit à la Reine: lefouffle de Thyeſte,
quand même il feroit trop foible pour élever
DE FRANCE. 161
lapoussière, est un ouragan qui peut entraîner
mon trône ; & lorſque la Reine dit dans un
monologue : toutes les horreurs funèbres de
la nuit, dont les ailes font enlacées de toiles
d'araignées ,planent toutes noires fur ma tête.
Il faut convenir que , dans une Tragédie ,
les aîles enlacées de toiles d'araignées , forment
une circonstance aſſez déplacée &
bien contraire au goût & à la vérité.
Il y a de la lenteur dans l'action . Quand
Thyefte eft retombé au pouvoir de fon frère,
Atrée ne fait plus ce qu'il veut. Il veut bien
faire mourir Thyeſte , inais il perd plufieurs
Actes pour chercher de quelle manière il ſe
vengera. Il conſulte même la Reine , &la
prie de lui indiquer un gente de ſupplice. 11
nous ſemble pourtant que l'imagination qui
a conçu l'idée du repas d'Atrée , ne doit pas
ſe trouver en défaut fur tout ce qui tient à
la cruauté , & que perſonne ne doit ſavoir
mieux que lui comme on peut ſe venger
d'un ennemi ..
Scène deuxième , Acte troiſième , il veut
qu'Égiſte aſſaſſine Thyeſte. Pourquoi plutôt
Égifte qu'un autre ? L'action eſt plus tragique
ſans doute ; mais elle n'eſt point motivée de
la part d'Atrée , qui ne fait point qu'Égiſte
eft fils deThyeſte. Il devroit au contraire en
charger quelque autre bras ; car il a vuÉgiſte,
ému de pitié , ſe déclarer preſque ouvertement
pour Thyeſte ; ou plutôt Atrée , d'après
ſon caractère atroce , doit ſe réſerver un em
ploi fi doux à ſon féroce coeur. Dans la Tra
162 MERCURE
gédie de Crébillon , Atrée , en ordonnant à
Pliſtène le meurtre de Thyeſte , ſfait fort bien
qu'il arme le fils contre le père ; il a élevé
Pliſtène fous le nom de fon propre fils ; il l'a
réſervé pour le parricide , & voilà une vengeance
digne d'Atrée .
Voici un autre détail peu important , mais
qu'il eſt néanmoins utile de relever. Quand
Égiſte va pour affaffiner Thyeſte dans ſa prifon
, l'Auteur nous avertit que la Reine , qui
l'encourage ,fe cache à l'entrée de la prifon;
que la porte s'ouvre , & que l'on voit Thiefte
endormi ; mais le Spectateur , qui veut tout
ſavoir , demande à l'Auteur : comment s'ouvre
cette porte ? Nous avons cru être d'autant
plus fondés à relever cette inadvertance ,
qu'un moment après, lorſqu'Égiſte, reconnu
pour le fils de Thieſte , vient de frapper
Atrée, l'Auteur nous dit qu'Atrée , en tombant,
ouvre les portes de la prison. En vérité
voilà des portes de priſon affez mal fermées.
Tout cela n'eſt point naturel. Du temps de
Theſpis en Grèce , & du temps des Myſtères
parmi nous , on n'y regardoit pas de ſi près ;
imais aujourd'hui l'art eſt devenu plus difficile ,
& les Spectateurs plus exigeans.
Au refte, cette Tragédie , qui par le ſujet ,
ne peut guère inſpirer d'autre ſentiment que
celui de la terreur , nous a paru remplir fon
objet. La haine des deux frères y eſt exprimée
avec beaucoup d'énergie. « Je ſuis reſté
ود ſeul , dit Thyeſte à fon barbare frère;
> dévore- moi ! tu es altéré de fang , je le
DE FRANCE. 163
1
+
>> vois ! oh ! fi ce pouvoit être un poifon
» pour Atrée ! peut-être que la pefte coule
dans mes veines au lieu de ſang ! ô race de
» Pélops , » &c. Voici une tirade bien terrible
, bien digne d'Atrée ! e'eſt ce frère barbare
qui délibère avec la Reine ſur la manière
dont il ſe vengera de Thieſte. " Thyefte !
>> Thyeſte ! la vengeance que j'en veux tirer
» me tourmente. Où commencera-t- elle où
>> finira- t- elle ? Filles des enfers , infpirez-
» moi. Et toi , ma tendre épouſe , confeille-
>> moi. Tous les tourmens que ma rage lui
>>prépare me paroiffent trop doux. Je lui
» ai déjà fait éprouver le plus horrible de
>> ceux que j'aye pu inventer ; & mainte-
>> nant il ne reſte que lui . moins que
» rien ; un miſérable ſquelette à déchirer ,
dix gouttes de ſang à répandre , un coeur
Aétri qui ne ſent rien .... &c. » Ce n'eſt
pas là de l'emphaſe , de l'exagération ; ce
ſont des ſentimens terribles , mais vrais ,
mais dignes du perſonnage.
ود
ود
Le Dialogue eſt ſouvent preſſé , vif &
énergique. Quand la Reine , qui ne reconnoît
pas encore Thyeſte pour le père du fils qu'elle
a mis au jour , veut engager Égiſte à l'affaffiner
pour obéir à Arrée , elle lui dit : mon fils
m'a toujours obéi , il m'obéira toujours.
ÉGISTE.
" Toujours. Vous m'avez donné la vie , la
» redemandez-vous ? j'obéis.
164 MERCURE
ود
LA REINE.
:
>>Eh ! pour te la conſerver , je donnerois
la mienne.
ÉGISTE.
:
>>Que faut- il donc ? parlez , ma mère , &
» je veux ......
LA REINE.
» Jure-le donc par ce ferment terrible
» que les Dieux même n'oferoient violer.
;
ÉGISTE.
» Mais pourquoi ?
ود
LA REINE.
>> Obéis. Jure !
ÉGISTE.
>>Jelejure.
LA REINE.
>>Il ſuffit . Pars ; fais mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
こ1
» Ai- je bien entendu ?
: LARBINE,
>>Tu feras mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
; .
Que le Roi vientedeum'ordonner toutà
1heure de conduire au temple : Lui !
DE FRANCE. 165
LA REINE.
>>Frappe ; le Roi l'ordonne, je le veux ; ور
ور c'eſt pour le bonheur du Roi , pour mon
» bonheur & le tien.
ود
ود
ÉGISTE.
» Pour mon bonheur ! ô ma mère , eſt- ce
toi qui me parles ? Peut- on obtenir le bonheur
par le meurtre , par le parjure ?
Comme le coeur eſt vivement ému , lorfqu'Égiſte
arrive à l'entrée de la priſon de
Thyeſte, avec la Reine , qui le conduit d'une
main, & qui de l'autre tient un glaive nud!
LA REINE.
>>Le voici ...... Tu trembles ! ...... que
» crains- tu ?
ÉGGIISSTTE.
>> O angoiffe ! donnez !
LA REINE.
>>Prends , ſoutiens-le donc.
ÉGISTE.
>>Qu'il eſt lourd!
ود
LA REINE.
Pour la main d'un lâche !
ÉGISTE.
"
Oh! fi c'étoit pour la patrie ! vous
>> verriez.....
166 MERCURE
LA REINE.
> Comme tu fuirois ſans doute ? Si un ſeul
>> ennemi te fait ainſi trembler , que feroient
>> donc dix mille ennemis ?
ÉGISTE.
>> Rien. Ils ſeroient armés.
Ce dernier trait , ſans doute , eſt de la plus
grande beauté. L'intérês augmente lorſque
lapriſonouverte laiſſe voir Thyeſte endormi,
&Égiſte qui s'avance vers lui le glaive à la
main , tandis que la Reine eſt cachée dans
le fond.
ÉGISTE , ( tendrement après un filence de
quelques minutes ,pendant lequel il regarde
Thyeste avec compaffion. )
« Il dort ! ( avec plus d'attendriſſement
>> encore ) que ſon ſommeil eſt doux! hélas!
il ne fait pas qu'en ce moment fon affaffin ود
ود
eſt ſi près de lui; à moins qu'un Dieu ne
>> lui diſe en ſonge que ſon aſſaffin eſt celui
» qu'il a tant aimé , celui qui lui a promis
>> un aſyle.... O trahifon ! terre , entrouvre-
" toi ! ...... Paix ! il ſourit ce bon vieillard!
>> chargé de fers , il ſourit à la mort , tandis
ود
que moi, malheureux !... (La Reineſe mon-
» tre dans le fond , & elle le menace ; Égiſte
» se retourne ) Voyez le donc , voyez ce
» reſpectable vieillard! (Elleparoît furieuse
ود de ce qu'il diffère ) Peut-être..... Oui ſans
>>doute, un Dieu , ami des malheureux ,
DE FRANCE.
167
>> le tient enſeveli dans un ſi doux ſommeil,
>> pour qu'il ne ſente pas l'amertuine de la
> mort ; pour qu'il ne connoiſſe pas fon af-
>> ſaffin..... Égiſte ! ( Il s'approche de plus
» près : il le regarde long-temps avec atten-
>> driſſement , & l'on voit au- deſſus defa tête
» leglaive qui tremble dansſa main. ) »
Tous ces diſcours , tous ces mouvemens
font vrais & touchans. Égiſte ne dit , ne fait
que ce qu'il doit dire , que ce qu'il doit faire.
Tout le dernier Acte eſt plein de beautés
&du plus grand effet.
Paffons à le Voilà Pris ! le Voilà Pris !
Comédie en deux Actes de M. Wezel. Le
Baron de Spark a pris une femme qu'il croit
fort fotte, croyant par-là, comme Arnolphe ,
ſauver ſon honneur de tout accident. La fièvre
de la jalouſie le ſaiſit enſuite quand il
s'apperçoit qu'elle a de l'eſprit. Il apprend
qu'en fon abſence elle a ſoupé tête-à-tête
avec un M. de Torft , qui eſt une eſpèce
d'homme à bonnes fortunes , & qu'il a
même couché dans la maiſon. Tandis qu'il
croit ſa femme très coupable , il ſe trouve
qu'elle a fait venir ſecrètement chez elle une
fille naturelle de ſon mari , qu'elle a décou
verte depuis peu; & de Torſt n'eſt venu chez
elle que pour marier la jeune perſonne avec
un des Commis qu'il a dans ſes Bureaux. Au
dénouement , de Feu , Capitaine d'Artillerie
, ami du Baron de Spark , reconnoît
auſſi le jeune homme pour fon fils naturel.
Nous ferons peu d'obſervations ſur cette
168 MERCURE
Comédie , qui a le mérite au moins d'être
dans le genre vraiment comique , mais qui
eſt trop longue de moitié. De Spark , dès le
commencement du premier Acte, ne devroit
pas témoigner ſi clairement ſa jaloufie à fa
femme. Il n'eſt pas naturel qu'elle ne comprenne
pas les reproches qu'il lui fait fur
Torst, tandis qu'elle fait qu'elle a ſoupé
ſecrètement avec lui ; il doit s'enfuivre un
éclairciſſement , & dès- lors la Pièce eſt finie.
Lorſqu'au ſecond Acte , dans une autre
ſcène avec ſon mari elle dit à part : Ah!
je te vois venir maintenant ; c'eſt de la jaloufie:
il faut avouer qu'elle s'en aviſe un peu
tard pour une femme d'eſprit.
La Pièce pouvoit devenir très- intéreſſante
au moment où Spark reconnoît ſa fille ;
mais il la déſavoue , & dès lors l'intérêt
ceſſe. L'aveu qu'il en fait long-temps après
à ſa femme , arrive beaucoup trop tard , &
le Spectateur ne peut plus lui en ſavoir
gré.
La vieille tante Mme de Tatter & le
Capitaine de Feu , ſont ennuyeux pour les
Perſonnages de la Pièce ; mais malheureuſement
ils le ſont pour les Spectateurs auili.
'Tel eſt le devoir de l'Auteur comique, qu'il
faut que l'ennui même, lorſqu'il le met au
Théâtre , ſerve à l'amuſement du Spectateur .
Un bavard que nous rencontrons en ſociété
nous ennuie; il faut qu'il nous amuſe au
Théâtre ; & dès qu'il commence à nous fariguer
, l'Auteur a tort. Ceux même qui ſentent
DE FRANCE. 169
1
1
tent les réſultats des Arts , & qui en jouifſent,
ne fongent pas toujours par quels
nombreux procédés on y parvient.
Le petit maître Torft eft des plus gauches ,
&l'on ne conçoit pas comment ce peut être
là leféducteur de toutes lesfemmes.
Il y a trop ſouvent auſſi dans cette Pièce
la charge à la place du comique. La vieille
tante en peut fournir pluſieurs exemples.
Quand elle dit à Mme de Spark : Je dis que
les hommesfont des ours , & que les femmes
font bien malheureuſes d'être obligées de les
conduire ; ils hurlent fans ceffe. L'Aureur
nous avertit qu'elle imite le rugiſſement de
l'ours. Il nous ſemble que cette imitation
du rugiffement de l'ours n'étoit pas là fort
néceſſaire. Plus loin , en écoutant un récit
que lui fait ſa nièce : Ah! mon Dieu , ma
pauvre enfant , dit- elle , il commençoit donc
àfaire déjà nuit ? Oh ! que j'aurois crié !
que j'aurois crié ! Et làdeſſus ( avertit encore
l'Auteur ) elle crie de toutes ſes forces :
c'eſt- là ce qu'on appelle du bas comique.
Au dénouement , quand le Capitaine de
Feu reconnoît ſon fils , il raconte que Spark
& lui , autrefois , avoient pris deux femmes
ſans les avoir épousées. Bref, ajoute-t-il ,
nos petites femmes Philoſophes s'en trouverent
le moins bien ; l'une devint libertine ,
& mourut dans un lieu de débauche .... ;
l'autre est morte de chagrin. Quels détails !
Il étoit bien néceſſaire de dire que l'une de
ces deux femmes mourut dans un lieu de
Nº. 43 , 26 Octobre 1782 . H
1
170 MERCURE
débauche! Pourquoi attacher l'idée du Spectateur
ſur un détail auſſi bas & auſſi triſte ?
Comment le goût n'arrête- t- il pas la main:
d'un homme de mérite quand il eſt prêt à
s'oublier à ce point là !
Malgré toutes ces obfervations , on voit
que l'Auteur connoît le coeur humain , &
fon Ouvrage prouve un vrai talent pour la
Comédie.
Il ne nous reſte plus qu'à parler du Drame
intitulé Stella , qui termine le Volume. Cécile&
Stella ſont deux femmes abandonnées
par Fernando , qui avoit épousé l'une &
vécu avec l'autre. Il revient enfin auprès de
ſa maîtreſſe Stella , & il arrive au moment.
où Cécile, ſa femme, réduite à la plus cruelle
indigence , vient placer ſa fille Luzi en qualité
de femme- de- chambre auprès de la tendre
Stella , qu'elle ne reconnoît point pour
la maîtreffe de Fernando . Celui- ci ayant retrouvé
la femme, ſe diſpoſe à la ſuivre par
devoir , quand les deux rivales s'érant reconnues
, la généreuſe Cécile immole fon amour.
&cède ſes droits à la tendre Stella , ou du
moins elle conſent à partager avec elle le
coeur& les ſoins de Fernando.
Tel eſt en peu de mots le ſujet ( aſſez
fingulier pour la Scène) de ce Drame vraiment
intéreſſant. Nous invitons le Lecteur
à le lire dans l'Ouvrage même , & nous
nous bornerons à un très - petit nombre
d'obſervations.
Le perſonnage de Fernando eſt peu intéDE
FRANCE. 171
reſſant pour deux motifs . 1º. On ne voit
pas bien clairement pourquoi il a quitté ſa
femme , ni pourquoi il a quitté ſa maîtreffe,
ce qui fait qu'on n'oſe s'affurer ſur l'exprefſion
de ſes ſentimens , qu'on ne connoit pas
affez. 2 °. Quand il retrouve ſa femme , il fe
répand en proteſtations d'amour. S'il eſt "
amoureux de Stella , il ne peut pas l'être de
Cécile. Ilne doit donctémoigner à ſa femine,
en la retrouvant, que de l'amitié, de l'eſtime ;
il ne peut chercher à l'intéreſſer que par fon
repentir.
Cécile a de la nobleſſe dans les ſentimens.
Si elle a quelquefois une apparence de froideur
ou un excès de raifon , loin d'en blâmer
l'Auteur , on doit le louer de fon heureuſe
adreſſe à préparer par-là ſon dénouement,
Comme Cécile doit finir par céder à Stella
ſes droits fur Fernando , ou du moins les
partager avec elle , ſi l'Auteur lui eût donné
un amour également paflionné avec des
droits prépondérans , c'est- à- dire , avec le
titre d'épouſe , le ſacrifice n'étoit plus vraiſemblable
, parce qu'il eſt bien plus difficile
de renoncer à ce qu'on aime quand on a des
droits pour le garder.
Pour Stella , tout ce qu'elle dit , tout ce
qu'elle fait reſpire la plus tendre paffion.
Elle n'est qu'amour. On pourroit citer au
haſard , dans les Scènes qu'elle a avec Fernando
, on y trouveroit par- tout le langage
d'un coeur paffionné , &l'expreſſion de l'amour
heureux.
H1)
172
MERCURE
:
FERNANDO ( à ses pieds. )
» Ma Stella !
STELLA.
ود Lève- toi , mon Fernando , lève-toi ; je
>> ne puis te voir à mes pieds.
وو
FERNANDO..
Laiſſe - moi à tes pieds; ne ſuis - je pas
>> toujours proſterné devant toi ? Mon coeur
>> ne t'adore t'il pas toujours ? O amour !
ود bontés infinies !
STELLA.
>> Tu m'es rendu ! ..... je ne ine connois
• plus. Ce que je dis , ce que je fais , je n'en
>> ſais rien ! au fond , que m'importe ?
FERNANDO.
» Je ſens encore ce que j'ai ſenti dans ces
>> premiers momens de notre bonheur; je te
>> tiens dans mes bras , Stella! je ſuis sûr
d'être aimé ! amour ſincère, je te reſpire ود
ود ſur ſes lèvres brûlantes; je chancelle ,&
>> je demande tout étonné , ſi je veille ou fi
» je rêve. »
Peut- être le rigoriſme de la Scène Françoiſe
ne pardonneroit pas entre deux amans
une expreſſion ſi vive de la paſſion; mais tel
eſt le ton qui convenoit à cet Ouvrage ,
qu'on ne doit pas juger d'après nos moeurs
théâtrales ; car un tel ſujet , ou du moins
DE FRANCE. 173
fon dénouement n'auroit pas été admis ſur
notre Scène. On n'y auroit pas vû aiſément
la femme & la maîtreſſe du même homme ,
ſe décider à le poſſeder enſemble & à partager
les droits d'épouſe. Comme Stella n'a
pour elle que les droits de l'amour , c'eſt ſur
elle que l'Auteur en a réuni tous les ſentimens.
Quoiqu'elle ſoit fondée à faire bien
des reproches à Fernando , voici le ſeul
qu'elle ſe permette.
2
ود
- Que ſa juſtice te pardonne d'être fi méchant
& fi bon ! qu'il te pardonne , le
Dieu qui t'a fait ainfi .... &fi volage &
ſi fidèle ! fitôt que j'entends le ſon de ta
>> voix , je me dis tout de ſuite , c'eſt Fer-
» nando , qui n'aime que moi ſeule au
monde.» " رد
Comme elle eſt intéreſſante au moment
où ne ſachant pas encore que Fernando a
retrouvé la femme , & qu'il a promis de la
ſuivre , elle ne lui témoigne que ſon amour
&le ſentiment de ſon bonheur ! Fernando
lui parle de Cécile , que Stella ne connoît
pas encore pour ſa rivale.
FERNANDO .
« La mère eſt une brave femme, mais elle
>> ne veut pas refter; elle ne veut pas abſolu-
>> ment en dire les raiſons , elle veut partir.
> Ne la retenez- pas, Stella.
STELLA.
» Je ſerois au déſeſpoir de la retenir
Hiij
174 MERCURE
:
ود
ود
ici malgré elle.- Ah ! Fernando , j'avois
beſoin de ſociété!-inais à préſent ( elle
> ſe jette dansses bras) je te poſsède , Fer-
>> nando!
FERNANDO .
• Calme-toi.
STELLA .
>>Laiffe-moi pleurer ! je voudrois que ce
» jour fût déjà paffé ! je tremble encore de
ود tous mes membres ! quelle joie !!- Tout
> me ſurprend à la fois ! toi , Fernando ! &
ود à peine ! Je ne pourraijamais ſuppor-
>> ter tout ce bonheur.
20
FERNANDO ( à part. )
-
>>Moi , malheureux ! l'abandonner ! (haut.)
Laiffe moi , Stella !
STELLA.
>>C'eſt encore ta douce voix , ta voix ai-
>>> mante !- Stella ! Stella ! - tu fais com-
ود
-
bien j'aimois à t'entendre prononcer ce
» nom. Stella !- Perſonne ne le pro-
» nonce comme toi.- Toute l'âme de l'a-
>> mour est dans le ſon de ta voix. Comme
>> il eſt encore préſent à ma mémoire , ce
» jour où je te l'entendis prononcer pour la
>>première fois , ce jour où tout mon bon-
ود heur a commencé ! »
En général , ce Volume offre de la variété ;
con le lira avec plaisir , pourvu que le
DE FRANCE. 175
८
Lecteur ne veuille pas que des Pièces Allemandes
foient faites abſolument dans le goût
François.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
MANUALE RHETORICES , ad ufum
ftudiofa Juventutis Academica : exemplis
tum Oratoriis , tum Poeticis , latinè , è
Tullio , Quintiliano , Horatio , Virgilio ,
&c . gallicè, è Maffilione , Flexerio , Boffuetio
, Cornelio , Racinio , Bolao , Crebillione
, aliisque ex optimis Auctoribus
illuftratum. Editio tertia duplo auctior
precedenti , fub aufpiciis & nomine Univerfitatis
evulgata. Cui accedit Tractatus
gallicè du Recit. Aucthore P. T. N.
Hurtaut , Univerf. Parif. A. M. antiquo
in Regia Schola Milit. Profeff., &c. Venit
3 Lib . compactum. Parifiis apud Aucthorem
, Juventutis & convictorum inſtitutorem
, rue des Brodeurs, au-deſſus des
Incurables , & Langlois , rue du Petit-
Pont; le Boucher , quai de Gevres ; Nyon
juniorem , Pavillon des Quatre Nations ;
Colas , Place de Sorbonne , & Barrois
juniorem , rue du Hurepoix , Bibliopolas.
Laclarté , la ſimplicité , la préciſion ſont
les qualités qu'on defire le plus , & que fouvent
on rencontre le moins dans les Ouvrages
deſtinés à la jeuneſſe ; celui que nous an
Η ιν
476 MERCURE
nonçons nous a paru les poſſéder à un degré
éminent , & fe diftinguer encore par l'élégance
du ſtyle , & le choix agréable & judicieux
des exemples . Il paroît que l'Auteur ,
dont la profeſſion eſt d'enſeigner , connoît
bien le caractère des jeunes gens à qui les
Livres élémentaires cauſent la plus grande
répugnance ; il fait que pour les engager à
étudier , il eft néceſſaire de leur offrir un attrait
gradué qui les attache juſqu'à la dernière
page du Livre , en couvrant de fleurs
les épines de l'inſtruction , & c'eſt ce que
nous avons trouvé dans ſon Ouvrage. Si le
but de la rhétorique eſt de plaire , instruire
& toucher , les Ouvrages qui en traitent devroient
en offrir le premier exemple , & être
formés fur ce plan ,mais on n'y trouve pout
(l'ordinaire que des préceptes arides & monotones
, appuyés ſeulement d'exemples
latins. Dans l'Ouvrage de M. Hurtaut , la
folidité marche de pair avec la variété la plus
agréable ; s'il prend un Orateur ou un Poëte
Latin pour modèle , on trouve à les côtés
les Orateurs & les Poëtes François qui les
ont le mieux imités ; Cicéron & Quintilien ,
Horace & Virgile , ont pour pendans Boffuer,
Maffillon , Fléchier & Bourdaloue ; Corneille
, Racine , Boileau & Crébillon. Près
de 300 exemples tirés de ces illuſtres Orateurs
& Poëtes , & de quelques autres eftimés,
comme Malherbe , Brebeuf , Deshoulières
, Saint-Gelais , Greffet , &c. font l'ornement
de cet édifice , & le font conſidérer
DE 177 FRANCE.
avec plaifir , en y attachant l'eſprit & le
goût.
Le choix de ces exemples offre encore un
autre avantage; non-feulement ils ſervent
de preuve aux préceptes d'éloquence contenus
dans l'Ouvrage , mais ils orneront encore
la mémoire des jeunes gens des meilleurs
morceaux de ces excellens Auteurs , &
leur inſpireront le goût de la lecture en
même temps qu'ils formeront leur efprit.
Telle eſt l'idée que nous croyons devoir
donner du Manuel de Rhétorique de M.
Hurtaut. Nous le regardons comme également
utile aux perſonnes qui aimeroient à
ſe rappeler les principes de ce bel Art. Enfin ,
ce qui peut lui donner le ſceau qui marque
les bons Livres , l'Univerſité , après avoir
fait examiner celui-ci par de Savans Profeſſeurs
, a permis qu'il parût en Public ſous
ſes auſpices & ſous ſon nom , en faiſant à
l'Auteur le compliment qu'il méritoit , d'avoir
entrepris un Ouvrage utile aux Étudians
& aux Maîtres , ainſi qu'on peut le voir
dans l'extrait des Regiſtres de l'Univerſité ,
imprimé à la tête de ce Manuel. Nous ne
doutons pas que les Profeſſeurs d'Éloquence
ne s'empreſſent à mettre entre les mains de
leurs Élèves un Ouvrage auſſi ſupérieur à
tous les autres de ce genre. On ne peut trop
le recommander encore à ceux qui font des
études particulières de cet Art li précieux
pour la ſociété.
Ce Livre, & les autres dont M. Hurtant
Hv
178 MERCURE
eſt l'Auteur * , donnent une idée bien favorable
de fon penſionnat. Des parens ne peuvent
confier leurs enfans qu'avec beaucoup
d'afſurance à un homme qui annonce autant
de goût & d'inſtruction .
L'AVENTURIER François , ou Mémoires
de Grégoire Merveil , 2 Vol. in- 12 . A
Londres , & ſe trouve à Paris , chez
Quillau l'aîné , Libraire , rue Chriſtine ;
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; &
chez les Libraires qui vendent les Nonveautés.
L'AUTEUR n'a ſans doute nommé fon
Héros Aventurier , que parce qu'il a beaucoup
d'aventures. Enlevé dès fa plus tendre
enfance , mais avec une marque gravée ſous
fon bras qui doit le faire reconnoître , il eſt
remis à une Savoyarde , qui le fait paffer pour
fon enfant. Après diverſes courſes , il demeure
quelques années chez un Curé de Village.
Là , il devient l'amant aimé de Julie ,
fille du Baron de Noirville , Seigneur du
lieu. Quelque temps après il fe trouve à
Paris dans l'infortune. Une Dame croit le
reconnoître pour ſon fils , une Demoiselle
pour fon frère. Il eſt conduit à l'hôtel , où
sout le monde le prend pour le fils de la
* Les autres Ouvrages de M. Hurtaut font : te
Dictionnaire des Mots homonymes de la langue
Françoife,& le Dictionnaire hift. de la Ville de Paris.
DE FRANCE.
179
maiſon , par l'effet d'une reſſemblance fingulière
qu'il a avec le jeune Seigneur , difparu
de la maiſon paternelle. Forcé de céder
à l'erreur générale , Grégoire Merveil va
bientôt épouſer ſa Julie. Onle conduit, pour
la célébration des noces , à une terre de la
famille qui l'adopte . On eft artaqué dans la
forêt de Sénar par des gens marqués. Le chef
de la bande ſe dépouille d'une faufle chevelure
& d'un habillement qui le déguifoit ;
&l'on voit un beau jeune homme qui refſemble
parfaitement à Grégoire , qui eſt le
vrai fils de la maiſon , & qui fait remonter
tout le monde en voiture , à la réſerve de
fon malheureux rival .
Refugié en Italie , Merveil eſt arrêté commedéferteur
, par une ſuite de la fatale refſemblance
qui occafionne pluſieurs autres
mépriſes. Il ſe trouve dans la priſon un jeune
Soldat avec lequel il eſt obligé de partager
fon lit , & qui eſt une jolie fille. Attaqué
d'une violente maladie , il tombe en léthargie
, & ſe réveille la nuit dans un cercueil
au milieu d'une Égliſe. Toujours entouré de
dangers , il y échappe toujours. Il eſt perfécuté
ſans ceffe par les diſgrâces & par les
bonnes fortunes.
De retour en France , il ſe déguiſe en
Eccléſiaſtique pour aſſiſter à la profeflion
d'une Religieuſe. Il voit celle qui va prononcer
des voeux , & reconnoît ſa Julie.
Arrête , s'écrie- t'il . Les Parens de la jeune
Profeſſe le font paſſer pour fou , & même
H vj
180 MERCURE
ont le crédit de le faire enfermer comme tel .
Il s'évade , & ſe réfugie dans un Couvent,
où , à force de ſeductions, on lui fait prendre
l'habit , & prononcer très- irrégulièrement
des voeux. Il s'échappe du Couvent ; & ,
déguisé en fille , entre comme Penſionnaire
dans celui de Julie. Il enlève ſa maîtreſſe ,
la conduit dans une maiſon qu'il croit sure ,
& ſoupe avec elle. Mais à la fin du repas ,
un vin ſopotifique, préparé par un Émiſſaire
des Moines , plonge les deux amans dans
un profond ſommeil. Grégoire s'éveille enchaîné
dans un horrible fouterrain. Il entrevoit
fur le mur ces mots terribles : pour la
vie. Dans fon déſeſpoir il ne perd pas courage.
Il frappe le mur avec ſa chaîne pour
le percer , & s'ouvrir une iſſue. Au bout de
quelques jours , il entend frapper de l'autre
côté. Les deux prifonniers creuſent vis à- vis
l'un de l'autre. Bientôt ils font une ouverture;
ils ſe reconnoiffent. C'eſt Grégoire ,
c'eſt Julie. Les deux amans ſont réunis; mais
ſous la terre , dans un cachot. Ils y trouvent
le plaifir; mais il en faut ſortir. İls croient
entendre du bruit an deſſus de leur tête , &
frappent enſemble de ce côté. Ils font une
nouvelle ouverture , & fortent de leur prifon
; ils ſe trouvent dans une carrière. A
peine ſont - ils en liberré dans Paris , que
Julie eſt mordue d'un chien enragé. Elle a
la fièvre & le tranſport , & ſe perfuade
qu'elle eſt attaquée de l'hydrophobie. On lui
ouvre les quatre veines , malgré ſon amant
DE FRANCE. 181
qu'on retient frémiſſant de rage & de douleur.
Dans le moment que ſon ſang coule ,
ſon père arrive avec le rival de Grégoire.
Julie s'évanouit ; on enlève celui qu'elle
aime , & on le force de s'embarquer ,
ignorant le fort de ſon amante.
en
Dans le fecond Volume , Merveil eſt
d'abord jeté dans une Iſle déſerte , où , nouveau
Robinſon , il paſſe quatre ans à déployer
les reſſources de ſon induſtrie. Ayant conftruit
un petit vaiſſeau , il aborde une terre
voifine , parcoure un fleuve dans ſa chaloupe
, eſt entraîné par le courant ſous une
voûte immenſe , & précipité dans une cataracte.
Repêché par un mortel ſecourable , il
ſe trouve chez une nation fouterraine. Defcription
de ce pays , d'une ville éclairée par
une lumière artificielle , des loix , des moeurs
& des préjugés religieux du peuple Gnôme.
On fait quelquefois accroire à ces gens , qui
n'ont jamais vu le ciel , qu'on leur procure
une mort paffagère , pour les tranſporter
dans une eſpèce d'Élysée qui eſt ſur la terre ,
où ils voyent le ſoleil. On juge des ſenſations
que la nouveauté du ſpectacle doit
leur faire éprouver ; enſuite on feint de les
reffufciter, & on les reconduit dans la mine ;
car c'en est une , & qui plus eft , une mine
d'or. Merveil enſeigne les Arts à ce peuple
fouterrain .
Au fortir de ce royaume ſombre , il arrive
dans une ville route ſemblable à Paris,
qu'on appelle Paris- neuf, & qui eſt la Capi
182 MERCURE
tale d'un pays nommé la France auſtrale ,
ſejour d'une Colonie Françoiſe. La Reine de
ce peuple , de même que le Sultan desTurcs ,
ne peut ſe marier. Il faut , pour avoir de la
poſtérité ,qu'elle ſe déguiſe , & que l'homme
qu'elle honore de ſes faveurs ignore qu'il a
faitune fi haute conquête. Celle qui occupe
le trône s'appelle Ninon V, & deſcend de
notre fameuſe Ninon de l'Enclos . Cetre
jeune Princeffe, depuis l'arrivée de Merveil,
porte toujours un maſque de velours , & notre
Heros ne peut voir fon viſage , qu'on dit
charmant. On lui préſente une Gouvernante
nommée Dorothée , qui doit veiller à fon
ménage , ſans demeurer chez lui. Cette jeune
perſonne, qu'on lui dit orpheline , eſt trèsjolie
, & paroît fort au deſſus de ſa condition.
Elle aime Merveil ; il eſt épris d'elle.
Elle a l'âge , la taille , la voix même de la
Reine , ce que reconnoît ſon amant , qui eft
Secrétaire de Sa Majeſté. On lui dit que ſa
Gouvernante a juſqu'aux traits de cette Princeffe.
Il ſe trouve dans un bal avec ſa Dorothée
, qui eſt habillée comme la Reine , &
que tout le monde prend pour elle. Il ne fait
que penſer. Ninon V devient groffe , &
Dorothée auffi. Elle lui dit que pendant
quelque temps elle ne pourra venir , & enfin
il obtient d'elle un aveu qui lui apprend
qu'elle eft la Reine. Mais ce ſecret leur coûseroit
la vie , ſi l'on ſavoit qu'elle l'eût révélé.
La Reine accouche d'une Princeſſe. On
s'apperçoit que Merveil en eſt le père , &
DE FRANCE. 183
1
1
۴
1
qu'il ne l'ignore pas. Crime impardonnable.
Peu de temps après il eſt arrêté aufli bien que
la Souveraine. On le condamne au fupplice.
Il s'échappe des inains des bourreaux à l'aide
deſes amis , ramaſſe quelques Soldats , défait
avec eux quelques Compagnies , augmente
fon parti par degrés , & d'efforts en efforts
ſe voit à la tête d'une armée , avec laquelle ,
par ſa valeur & par ſa ſageſſe , il remporte
des victoires& fait des conquêtes. Au milieu
de ſes exploits , il apprend que la Reine va
périr ſur l'échafaud. Il vole à Paris neuf, arrive
dans le moment où la victime va être
immolée , l'enlève , ſe rend maître de ſon
Royaume , & bientôt ſe fait couronner avec
elle. Idée de fon Gouvernement. Il parcourt
ſes États incognito. Aventures de fon voyage.
On vient lui annoncer que la Reine eſt dangereuſement
malade. Il vole à ſon ſecours ;
elle meurt dans ſes bras. Il ſe nomme Régent,
fait proclamer ſa fille Reine , rétablit
L'ancienne Conſtitution qui n'admettoit point
de Roi , fait faire un Code , & ſe diſpoſe à
partir , après avoir pourvu , autant qu'il lui
a été poffible , au bien de la nation. On lui
fait boire un verre de vin préparé par la
Reine , & il tombe dans un ſommeil léthargique.
Merveil ouvre les yeux, & ſe voit
dans une chaloupe , où il eſt enchaîné , fur
une mer agitée. Les éclairs l'éblouiffent. Il
détache ſes mains , apprend par un billet
que les Grands du Royaume lui ont joué cet
indignetour, mais que fa fille eſt confervée ſur
184 MERCURE
le trône. Il trouve le moyen de pêcher quelque
poiffon pour ſa nourriture , & boit l'eau
d'une pluie ſecourable. Il rencontre un vaifſeau
qui le recueille & le rend à ſa patrie. Il
y retrouve ſa Julie; mais elle va épowſer
ſon rival. Introduit dans la maiſon comme
Domeſtique , il ſert à table au repas des
fiançailles. Il tient un réchaud d'eſprit-devin
, & , tout occupé à contempler ſon
amante , il met le feu par diſtraction à la
perruque du père de cette belle. La flamme
ſe communique rapidement aux perruques
& aux coeffes des convives , fait partir un
feu d'artifice , & cauſe le plus grand déſordre.
Merveil eſt reconnu pour l'Auteur du dommage.
Noirville ordonne qu'on le dépouille
& qu'on le déchire à coups de verges. Il
élève les bras au ciel. Un vieux Domeftique
apperçoit ſous ſon aiſſelle les armes & le
nom de la famille. Il s'écrie : arrêtez . C'eſt
Louis , Marquis d'Erbeuil , le vrai propriétaire
de cette maiſon. Il dévoile que Noirville
avoit dérobé cet héritier , qui eſt ſon
neveu , comme il avoit enlevé précédemment
le frère jumeau de Merveil , qui ſe
trouve être ſon rival ( ce qui rend plaufible
cette extrême reſſemblance ); que ſa mère
lui avoit fait graver ſous le bras ſes armes
&fon nom pour le faire reconnoître. Enfin
il eſt rétabli dans ſes biens , & il épouſe ſa
Julie.
Voilà l'abrégé de ce Roman , dont nous
n'avons pu indiquer toutes les aventures.
DE FRANCE. 185
Elles ſe ſuccèdent rapidement ; quelquefois
intéreſſantes , plus ſouvent gaîes. Cette lecture
eft agréable & nous penfons qu'on peut
regarder ce Livre comme un des premiers
parmi ceux dont le but principal eſt d'amu
fer. On y trouve auſſi des idées ſérieuſes &
philoſophiques. Si le premier Livre eſt plus
fait pour les Lecteurs de Romans , le ſecond
mérite plus d'être lû par les Gens de Lettres.
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 8 Octobre , on a donné , pour
la première fois , Tibère , Parodie en deux
Actes & en proſe, mêlée de Vaudevilles ,
par M. Radet.
Encore une Parodie ! Il eſt vraiſemblable
que ce ne ſera pas la dernière. Les Gens de
goût s'éleveront long-temps en vain contre
ce genre non- ſeulement inutile , mais fait ,
peut - être , pour porter le découragement
dans quelques eſprits timides , & pour chagriner
des Auteurs recommandables par
leurs talens . Dans la carrière Littéraire ,
comme dans toutes les autres , les François
adoptent avec autant d'enthouſiaſme que de
légèreté les idées qu'on a l'adreſſe de leur
faire aimer ; ils s'y attachent par habitude ,
186 MERCURE
:
&y perfiftent par opiniâtreté. Le bon La
Fontaine a dit :
Patience & longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Prenons donc patience , & tâchons ſeulement
, à chaque Parodic que nous verrons
éclore , de remettre ſous les yeux des jeunes
Écrivains quelques unes des raiſons qui
rendent ce genre mépriſable. Premièrement,
on peut affurer que rien n'eſt plus facile que
de traveſtir en perſonnages bouffons desperſonnages
tragiques , même en conſervant
leurs noms ; & qu'ilfuffit pour cela decharger
leur coftume, leur démarche&leur maintien
d'une caricature digne de la parade.Quant aux
idées , aux motifs , au ſtyle de la Tragédie ,
on fent auſſi qu'il eſt très aiſe,avec quelques
légers changemens, de leur prêter les apparences
du bas comique ; & que plus un Ouvrage
tragique ſera ſubliine ou intéreſſant ,
plus ilfera poffible d'en rendre les données, les
caractères & les ſituations ridicules , par la
raiſon que les extrêmes ſe touchent. Cet
adage eft devenu trivial , mais il est vrai.On
doit convenir encore que dans les Tragédies
qui approchent le plus de la perfection, on
rencontre preſque toujours des défauts palpables
, des erreurs qui frappent les yeux de
tout le monde; &qu'ily a un bienpetit mérite
à rendre une Parodie plaiſante , de temps en
temps , par des traits critiques que tous les
Spectateurs ont devinés d'avance. Une ParoDE
FRANCE. 187
die réellement utile ſeroit celle qui , en retraçant
l'intrigue , l'action , le plan , les caractères
, les ruations , & quelquefois le ſtyle
d'une Tragedie , n'en critiqueroit les vices
qu'en les faiſant difparoître. Cette manière
de parodier demanderoit un homme de goût,
très- inftruit , doué de beaucoup de force
comique; &fi cet homme exiſte , il ne perdra
point des inſtans précieux ; il ſera trop
jaloux de ſa gloire pour la compromettre en
faiſant des Parodies. Le meilleur Ouvrage de
ce genre que nous connoiffions eſt , ſans
contredit , Agnès de Chaillot : néanmoins ,
qu'il eſt loin de ce point d'utilité que nous
venons d'indiquer ! Comme après avoir excité
le rire des Spectateurs par la fingularité
des traveſtiſſemens qui font tout fon mérite
, il laiſſe l'homme delicat en proie au
chagrin d'avoir ri aux dépens des vertus &
des ſentimens dont l'humanité s'honore le
plus ! La moindre fituation d'Inès de Caſtro
parleplus à l'âme, échauffe plus le coeur d'un
Spectateur ſenſible , que tous les farcafmes
du Parodiſte , toutes ses bouffonneries &
toutes ſes épigrammes ne plaiſent à l'eſprit
le plus enclin à la malignité. Si l'on peut
s'expliquer ainſi ſur Agnès deChaillot, comment
s'expliquera-t-on ſur les autres Parodies.
Celle de Tibère eſt froide & triſte. Il eſt
vrai que la Tragédie qui y a donné lieu
offroit peu de reſſources ,& ne pouvoit faire
naître qu'un très- petit nombre de plaiſante-
(
188 MERCURE
ries faillantes : mais ce qu'on peut reprocher
à l'Auteur , c'eſt d'avoir été ſouvent dur dans
ſes critiques ; d'avoir fait uſage d'une foule
de rebus , de proverbes & de propos rebattus
, que la bonne compagnie & les bons
Écrivains ont banni de la converſation &des
Ouvrages. Le choix des Vaudevilles eſt ſouvent
heureux. Les refrains produiſent quelquefois
des épigrammes piquantes. Le dialogue
eſt généralement vrai , plaiſant de
temps en temps , & coupé avec beaucoup de
facilité. Le dénouement , qui ne reſſemble
en rien à celui de la Tragédie , eſt écrit avec
quelque grâce; on y remarque des idées fraiches
& galantes. Tout cela peut faire préſumer
que M. Radet, en quittant un genre
que tout proſcrit , en travaillant avec ſoin
des ſujets comiques , méritera des encouragemens.
Nous l'y invitons,tant pour l'amour
de l'Art que pour l'intérêt de ſon talent.
N. B. Un Anonyme nous a fait paſſer
une Lettre , par laquelle on nous dénonce
unPlagiat qui couvriroit de ridicule l'homme
d'eſprit qu'on en accuſe , s'il en étoit réellement
coupable. Nous déclarons à l'Anenyme
que nous ne pouvons répondre à ſes
deſirs que dans le cas où il ſe fera connoître,
&nous permettra de le nommer publiquement.
1
DE FRANCE 189
1
1
3
GRAVURES.
LE Sicur Demanne , Graveur, rue de l'Ortie, vis-àvis
les Galeries du Louvre , avertit qu'il continue
toujours de vendre le Recueil de Cartes Géographiques
de feu M. d'Anville . Tout le monde connoît
le mérite rare de ce ſavant Géographe.
Effais historiques & politiques ſur la révolution
de l'Amérique Septentrionale , par M. Hilliard
d'Auberteuil , ſeconde & dernière Livraiſon des
Cartes & Gravures. Cette dernière Livraiſon eſt
compoſée , ſavoir, de deux Cartes , dont l'une eſt
la Carte générale de l'Amérique Septentrionale depuis
la Baie d'Hudſon juſqu'au Miffiffipi ; l'autre ,
la Carte de la route des lacs depuis Montréal &
Saint- Jean juſqu'à la Baie d'Hudſon. Le prix de la
première enluminée eſt de 4 liv. 10 ſols , celui de la
ſeconde de 1 livre 16 fols.
Quatre Estampes majeures ; la première est
l'Eloge funèbre du Docteur Warren ; dans la ſeconde
Gravure la garniſon de Québec enlève le corps de
Montgommery pour lui rendre les honneurs funèraires
; la troiſième repréſente l'incendie de New-
Yorck ; elle est d'un très-bel effet , & les Artiſtes y
ont donné un ſoin particulier ; dans la quatrième eſt
repréſentée avec force & vérité la mort de Molly ,
bleffée involontairement par Seymours, ſon amant,
le jour de fon mariage. Tous ces ſujets hiſtoriques ,
compoſés & deſſinés par M. Lebarbier , Peintre du
Roi , ont été gravés par MM. Halbou , Patas &
Ponce. Trois Portraits. Celui de J. Hancock , Préfident
du Congrès; ceux de S. E. Benjamin Franklin
& de Williams Pitt. Le Portrait de M. Franklin eſt
d'une grande expreſſion. Le prix de chaque Eſtampe
1,90
:
MERCURE
eſt de 3 livres , & celui de chaque Portrait de 2 liv.
Quoique l'Ouvrage foit fini , les prix font toujours
de 42 liv. pour l'in-4°. broché , & de 21 liv. pour
l'in-8 ° . aufli broché , avec les Cartes & Gravures.
Mais pour la commodité des Perſonnes qui ne voudront
pas faire la dépenſe de 21 livres , pour l'in- 8 ° . ,
on le leur donnera au prix modéré de 12 livres ſans
qu'elles foient obligées de prendre les Gravures &
les Cartes.
MM. les Souſcripteurs qui n'ont pas la quatrième
Partie, ou ceux qui n'ont que la première , font
priés de les faire retirer en renvoyant leur quittance ,
ainſi que la dernière Livraiſon des Cartes & Gravures
, afin d'éviter les inconvéniens qui ſont déjà
arrivés par l'inexactitude & la curioſité des Portiers
& des Domeſtiques.
On s'adreſſera toujours chez M. Hilliard d'Auberteuil,
rue des Bons-Enfans , la première porte-cochère
à droite en entrant par la rue S. Honoré.
Le Duc de Crillon peint& gravé parM. Legrand,
à la manière rouge Angloiſe. A Paris , chez
l'Auteur , rue S. Jacques vis-à-vis celle des Mathurins
, nº . 41 ,Prix, 1 liv. 4 ſols .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU OUVEAU Théâtre Allemand, ou Recueil des
Pièces qui ont paru avec ſuccès fur les Théâtres des
Capitales de l'Allemagne , par M. Friedel , Profeſſeur
des Pages du Roi en ſurvivance, Volume IV& dernier
de la première année , contenant Agnès Bernau, Tragédie
en cinq Actes; le Ministre d'Etat, Drame en cinq
Actes ; l'Homme à la Minute , Comédie en un Acte.
AParis , chez l'Auteur , au Cabinet de Littérature
Allemande , rue S, Honoré, au coin de la rue de
DE FRANCE.
191
Richelieu; la Veuve Ducheſne , Libraire , rue Saint
Jacques ; Couturier fils & Brunet , Libraires ; & à
Verſailles , chez Blaizot , Libraire. Le prix des premiers
quatre Volumes eſt à préſent de 18 liv. port
franc par la poſte. On pourra les acquérir au prix de
la ſouſcription ; ſavoir , de 12 liv. pour Paris , ou
de 14 livres 8 fols pour la Province , en payant
d'avance la ſouſcription pour les quatre Volumes de..
la ſeconde année. Pour recevoir les Volumes en Province
, francs de port par la poſte, on ne peut s'adreſſer
qu'à l'Auteur. Il faut affranchir la lettre de
demande & le port de l'argent.
Hiftoire Univerſelle depuis le commencement du
Mondejusqu'à préſent , compoſée en Anglois par
une Société de Gens de Lettres , nouvellement tra
duite en François par une Société de Gens de Lettres
, enrichie de Figures & de Cartes. - Histoire
Moderne , Tome VI, contenant la fuite de l'Hif
toire des Turcs , & des Empires qu'ils ont fondés
dans la Tartarie & dans l'Afie-Mineure , & celle
des Tartares ſous Genghiz - Khan. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Cluny.
Solution des trois fameux Problemes de Géométrie
, par M. Papion de Tours. A Paris , de l'Imprimerie
de L. Cellot , gendre & fucceſſeur de Jombert,
rue des grands Auguftins , la troiſième porte- cochère
à gauche par le quai , ci-devant rue Dauphine
, 1782 , petit in- 8 ° . de 34 pages .
Choix des plus belles Fables qui ont paru en Allemagne,
imitées en vers françois , par M. Binninger ,
Gouverneur d'une jeune nobleſſe à Carlsruhe. A
Kehl , 1782 .
La Discipline Militaire du Nord , Drame en
quatre Actes , en vers libres , par M. Moline , re192
MERGURE
préſenté pour la première fois ſur le Théâtre des
Tuileries, par MM. les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 12 Novembre 1781. Prix , I livre
16 fols. A Paris , chez J. F. R. Baſtien , Libraire ,
rue du Petit Lion , Fauxbourg S. Germain , près du
Théâtre François.
La Constance couronnée, Paftorale en un Ate ,
par M. le Comte de Boisboiſſel. Prix , 12 fols. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés , au vieux
Louvre , au Palais Royal , au quai de Gêvres , &c .
:
Discoursprononcé à la Séance publique de l'Académiedes
Sciences & Belles-Lettres d'Amiens , le
25 Août 1782 , par M. d'Agay , Intendant de la
Province , fur les avantages de la Navigation intérieure
, in - 4° . A Amiens , chez Caron fils , Imprimeur
du Roi.
TABLE.
VERS à M. le Chevalier de Enigme & Logogryphe , 156
Parni 145 Noureau Théâtre Allemand ,
AMlle de Gaudin , 146 158
L'Ane , la Rofe & le
don , Fable ,
Char- Manuale Rhetorices,
147 L'Acenturier François ,
275
178
regard ,
Couplet chanté àMdede Bau- Comedie Italienne , 185
Lettre au Rédacteur du Mer- Annonces Littéraires , 190
149 Gravures , 1891
cure,
ib
APPROBATION.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France, pour le Samedi 26 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſion. AParis,
le 25 Octobre 1781. GUIDI.
*
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
1
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 20 Septembre.
LE bruit court depuis quelques jours , que
des ordres ſupérieurs ont ſuſpendu la marche
des corps de troupes qui étoient déjà
en route , & le départ de ceux qui devoient
les ſuivre. On dit qu'il en a été donné de
pareils au détachement d'artillerie qui devoit
partir de cette Capitale avec un train
de 64 pièces de gros canons ; mais on ne
ditpoint les raiſons de ce changement.
On apprend que l'eſcadre da contre-
Amiral Kruſe qui , ſuivant ſa première deftination
, ne devoit croiſer que dans la mer
du Nord , a reçu ordre de faire voile pour
la Méditerranée ; celle du Vice - Ami al
Tſchitſchargoff a ordre de la joindre. On¹
prétend que ces deux eſcadres , qui forment
enſemble 10 vaiſſeaux de ligne & quelques
frégates , feront renforcées au printems pro-
26 Octobre 1782.
g
( 146 )
chain de 8 ou 10 autres vaiſſeaux , que l'on
conſtruit actuellement à Cronſtadt.
On vient de publier un Oukaſe , que
l'Impératrice a ſigné , le jour même de l'inauguration
de la ftatue de Pierre-le- Grand ;
S. M. I. a voulu terminer cette fête en
l'honneur du fondateur de la Ruffie , par des
actes de bienfaiſance. Cet Oukafe contient
les 9 articles ſuivans.
,
» S. M. I. fait grace àtous les criminels condamnés
à mort , & ordonne qu'au lieu d'être exécu
tés , ils ſoient employés aux travaux publics ; quant
àceux qui devoient ſubir des peines corporelles ils
feront tranſportés dans les Colonies. 2°. Toutes les
recherches ſur les affaires concernant la Couronne
feront entièrement miſes au néant ,& ceux qui ſevent
détenus pour des cas de ce genre ſeront mis en liberté.
3º. S. M. I. accorde une remiſe générale de ſes
droits aux héritiers des perſonnes mortes avec des
dettes envers la Couronne , & contre lesquels il
a été procédé juſqu'ici . 4°. Tous les prifonniers
pour detres quelconques , détenus depuis plus de
cinq ans , & reconnus inſolvables ſeront élargis .
5. Un pardon général eſt accordé à tous militaires
qui avant ce Manifeſte ont quitté leurs Corps , ainſi
qu'a tous payfans ou habitans quelconques qui ont
abandonné leurs habitations , & qui reviendront
dans l'eſpace d'une année à compter du jour de la
publication du préſent Manifeſte , & de deux années
pour ceux qui reviendront des pays étrangers. En
les recevant , on ſe conformera aux Manifeſtes de
S. M. I. dus Mai 1779 & 27 Avril 1780. 6°. S. M,
remer toute dette envers la Couronne qui n'excèdera
pas soo roubles,, &défend de faire aucune recherche
a ce ſujer. 7°. Tous priſonniers détenus pour
cauſe de commerce illicite ou contrebande feront
( 147 )
relâchés , & les pourſuites faites contr'eux entièrement
abandonnées. 8°. La permiffion de revenir
dans leurs demeures eſt accordée à tous les galériens
, excepté à ceux qui ont commis des meurtres
on qui ont déja été flétris . 9º. Pardon général à tous
ceuxqui ont manqué ou ſe ſont rendus coupables de
quelquenégligence dans leurs emplois ,pourvu que les
fautes ne ſoient pas reconnues avoir été faites de
propos délibéré.-S. M. I. ſouhaite que ces diverſes
graces ramènent les coupables à un repentir fincère ,
àune meilleure conduite , & à la foumiſſion aux
loix divines & humaines ; & que tous réuniſſent
leurs voeux pour le repos de l'ame du grand Monarque
, à la mémoire duquel ces marques de clémence
ont été accordées «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 26 Septembre.
Le Roi vient de nommer Miniſtre d'Etat
le Baron Gerhard de Rofencrone.
On a appris par les Patrons de pluſieurs
navires arrivés de Bergen en Norwège , que
le Capitaine Gennip , avec 3 vailleaux de
ligne , une frégate , un cutter , & les 3
vaiſſeaux de la Compagnie Hollandoiſe des
Indes Orientales , qui s'étoient arrêtés pendant
quelque tems à Drontheim , font actuellement
àKarſand , à 10 milles de Bergen ,
où ils atrendoient le moment de remettre à
la voile pour ſe rendre à leur deſtination
en Hollande.
» Le printem & l'été , écrit on d'Iſlande , ont éré
très-froids , ce qui fait que l'herbe n'a pas pu ponders
Les beſtiaux manquent de fourrages , & les vaches
1
۱
g2
( 148 )
donnent ſi peu de lait qu'il ne ſuffit pas même pour
Jes beſoins des habitans . Depuis le commencement
de Mars juſqu'au milieu de Juillet , toutes les baies
étoient remplies de glaçons , de forte qu'on ne pouvoit
rien faire à la péche. Pluſieurs bases en ſont
actuellement débarraffées , & on a été affez henreux
pour y faire la pêche avec ſuccès & pour trouver
pluſieurs baleines mortes. On n'a pris que trèspeu
d'oiseaux de mer près de Drangeë & deGrimſoë,
-On commence à conftruire ici des moulins à
eau pour y moudre le bled , & à établir auffi des
métiers de T.fferands , tels qu'on en voit en Danemarck.-
Dans l'année 1781 , il y a eu dans l'Evêché
de Helum 63 mariages , 288 naiſſances , dont 143
garçons & 145 filles; ily eſt mort 375 perfonnes ,
dont 131 hommes & 194 femmes. Il y avoit dans
ce nombre 8 perſonnes qui avoient vécu depuis
70 juſqu'à 100 ans cc.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Octobre;
On attend ici à chaque inſtant l'arrivée
du Comte & de la Comteſſe du Nord; le
Comte de Braun eſt parti ces jours derniers
pour Braunau , où il a été recevoir , au nom
de S. M. , ces illuftres Voyageurs , & les
conduire dans cette Capitale. Ce matin ,
l'Empereur est allé au-devant d'eux.
On affure que S. M. I. ſe rendra dans peu
à Prague; on dit même qu'on a déjà donné
ordre de tenir prêts 32 chevaux pour fon
ſervice aux poſtes , & 122 pour celui du
Comte & de la Comteſſe du Nerd , qui ,
( 149 )
en retournant en Ruffie , paſſeront par Vare
fovie.
Des lettres de Trieſte portent , que dans
le courant du mois d'Août , il eſt entré dans
ce pott 83 bâtimens de diverſes Nations.
On écrit de Zeng , dans la Dalmatie , que
depuis que ce port a été déclaré libre , le
commerce commence à y fleurir. La poſition
de ce port eſt ſi avantageuſe , qu'il deviendra
un jour un des plus conſidérables
qu'ait la Maiſon d'Autriche ſur la mer
Adriatique.
Selon des lettres de Veniſe , la République
eſt déterminée à faire deſſécher les
marais aux environs de Vérone , à la circonférence
de so milles ; elle a , ajoure-t-on
affigné pour cet objet , une ſomme de 50,000
ducats.
On dit aujourd'hui quetoutes les Maiſons
des Religieux Mendians, feront ſupprimées
dans les Etats Héréditaires de la Maiſon
d'Autriche ; le bruit ſe répand auſſi , qu'il
a été défendu à toutes les Caiſſes publiques
qui ont des fonds appartenans à des Couvens
, de les leur délivrer lorſqu'ils les
redemanderont.
Un Seigneur Hongrois vient de trouver
un nouveau moyen de filer l'amiante , &
d'en faire des toiles incombustibles ; il a
eu l'honneur de préſenter ſon travail à
l'Empereur.
83
(150 )
De HAMBOURG , les Octobre .
SELON les lettres de Pologne , la révolte
de la Crimée continue de faire des progrès ;
mais les détails qu'elles en donnent font
encore très- incertains.
>>Les Tartares , diſent- elles , ont déja commis
plufieurs brigandages ſur les frontières de la Ruſſie;
ils ont attaqué & repouffé avec peste 4 régimens de
cavalerie qui ſe diſpoſoient à pénétrer dans la Péninfule;
cet avantage, qui eſt peut- être douteux , n'eſt
pas d'unegrande conféquence s'il eſt réel , parce que
ces régimens vont bientôt être appuyés par d'autres.
Onprétendque les rebelles ne ſe conduiſent pas avec
la prudence dont ils auroient beſoin pour ſe faire
appuyer. Ils ont eu , dit-on , la maladreſſe d'éloigner
un Officier Pruſſien qui conduiſoit une remonte de
300 chevaux , & le Général- Major Autrichien de
Caraller a manqué de tomber dans leurs mains. Le
nouveau Kan Selim Gueray ne ſe conduit , dit-on ,
pas mieux que ſes Tartares; il s'eſt fait à la vérité un
puiflant parti , en remettant ſur l'ancien pied le Gouvernement
de la Péniaſale , & en détruiſant toutes
les innovations de Sahim Gueray. Mais il ne ménage
aucune des Puiſſances dont il lui feroit important
de ſe concilier l'intérêt ou le voes du moins fecret.
Onprétend qu'il n'a pas agi avec plus de circonfpection
vis-à-vis de la Porte , & qu'oubliant combien
les ſecours lui ſont néceſſaires pour ſe foutenir , il
ces a ſollicités d'un ton propre à les lui faire refuſer ,
ſi la Porte pouvoit être maitreſſe de reſter ſimple
ſpectatrice des efforts que fera vraiſemblablement
la Ruffie pour rétablir le Kan Sahim Gueray «.
Le parti que prendra l'Empire Ottoman ,
fixe toujours la curiofité générale. En atten
( 1st )
dant , l'Empereur prend , dit-on , des mes
fures pour protéger ſes frontières ; 3 régimens
ont , à ce qu'on prétend , reçu ordre
de ſe rendre dans la Tranſylvanie ; & un
corps de croates eſt toujours pofté ſur le
territoire de la Porte , depuis la dernière
affaire qui a eu lieu avec les Turcs. On
ajoute qu'il a été donné ordre de tranſporter
des munitions de guerre à Gradiſca . :
On mande de Caffel , que le Ministère
Britannique a fait demander à cette Cour
10,000 hommes ſous la condition de leur
payer la moitié de leur ſolde auſſi long- tems
qu'ils feroient à ſon ſervice ; mais la Cour de
Caffel a répondu qu'elle ne pourroit accorder
les hommes , à moins qu'on ne leur payât
leur folde en entier. Cette réponſe a été
envoyée à Londres , & en attendant la détermination
du Ministère Anglois , on a
augmenté de 7 hommes chaque eſcadron de
régimens de cavalerie , & chaque régiment
de huſſards d'un eſcadron,
On lit dans les nouvelles Hebdomadaires
de M. Buſching , l'état ſuivant de la population
de la Finlande Suédoiſe.
La Finlande Suédoiſe eſt compoſée de 6 Fiefs ou
Capitaineries , dont voici les noms & la population :
1 ° . Le Fiefd'Abo 159,833 perſonnes.
2°. Le Fief de Wala .
• 89,000
3 ° . Le Fief d'Uleoborg 66,664
4°. Le Fief de Tavaſtehus 131,889
5°. Le Fief d'Heinola 81,212
6° . Le Fief de Kuopio • 94.866
Total. 623,464 .
84
( 152 )
ITALIE.
De NAPLES , le Is Septembre.
L'AUDIENCE , que le Roi , aſſis ſur ſon
Trône & entouré de toute ſaCour, a donnée
à l'Envoyé de Maroc a été très- brillante.
Le Diſcours que le Miniſtre Maure prononça
étoit conçu ainſi.
>> Remercions le Dien unique : rien ne ſe fait dans
le monde ſans la volonté de ce Dieu , élevé au-deffus
de tout. - Du ſerviteur de Dieu , Mahomet , fils
d'Abila , un ferviteut du Seigneur , qui le fera toujours
de S. M. Napolitaine , le ſouverain des Deux-
Siciles , Ferdinand IV, ſera le porteur de notre ſalut.
- Nous avons envoyé chez vous , en qualité de
Miniftre , le docte , honnête , fidèle & noble Mahomet
, fils d'Ottoman , pour affermir la paix &la
concorde avec V. M. telles que toutes deux fubfiltoient
déja avec le père de V. M. le Roi Charles III ,
notre ami : tout ce que vous conclurez avec lai je le
confirmerai & le ratifierai ; & tout ce qu'il fera , eſt
ſuivant notre volonté & bon plaifir , ſans qu'il en
reſte aucun doute , puiſqu'à cet effet nous l'avons
chargé d'un plein-pouvoir abſolu. - Mon amitié
pour V. M. & fon père ſe manifeſtera aſſez par-là ;
je veux tellement unir mon Empire avec le vôtre ,
que mes Sujers puiſſent aller dans vos Etats avec
la même facilité que les vôtres dans les miens ,
où ils ſeront reçus & traités comme les miens le
ferent chez vous ; & tout ce que V. M. deſire de
tous mes Etats elle peut l'indiquer à mon Ambalfadeur
, qui lui accordera tout avec la grace de
Dieu & en paix «.
On mande de Rome que S. S. a fixé au
23 de ce mois la tenue d'un Confiftoire
(153 )
ſecret pour les Egliſes vacantes , tant endeçà
qu'au-delà des Monts. Il n'est pas encore
queſtionde celui où elle rendra compte
de ſon voyage à Vienne.
S. S. , ajoutent les mêmes lettres , attentive au
foulagement de ſon peuple a ordonné qu'à compter
du 23 de ce mois les 46 Boulangers de Rome qui
reçoivent les grains de l'Annone à un prix au-deſſous
de leur valeur ordinaire , feront obligés d'étaler &
de vendre au poids fixé & continuellement le pain
ordinaire à ceux qui ſe préſenteront. Le Préfet de
l'Annone eft ſpécialement chargé de veiller à ce que
cette fourniture ſoit faite conformément aux intentions
de S. S. quant aux autres Boulangers au nombre
de 29 qui font du pain recherché & qui achettent
leurs grains ailleurs que dans les magaſins de l'Annone
, ils pourront le vendre au prix & de la forme
qu'ils voudront ; cependant ils ſeront foumis à l'infpectiongénérale
pour la qualité & falubrité de leur
marchandise.
Onvoitdans cet Edit la lageffe qui
veille ſpécialement à la ſubſiſtance du pauvre. S. S.
ena rendu un ſecond par lequel elle exempte de l'impoition
de 4 paules , chaque pauvre ménage qui
ferahors d'état de payer cette taxe pour le balayage
des rues. Les indigens remettront à cet égard leur
fapplique as Préſident des rues qui prononcera
l'exemption en connoiſſance de cauſe".
ANGLETERRE.
De LONDRES , le Is Octobre.
QUOIQUE les nouvelles de l'Amérique
Septentrionale nous manquent encore , nos
papiers ne laiffent pas de préſenter quantité
de détails ſur ce qui s'y paffe. Les uns font
tirés de quelques papiers Américains appor
85
( 154 )
tés par des bâtimens arrivés dans différens
ports ; & les autres de divers rapports au
moins douteux. Selon ces derniers , le Général
Carleton eſt ſorti de New- Yorck avec
toutes les troupes réglées qu'il a ſous ſes
ordres , pour aller attaquer l'armée combinée
des François &des Américains ; & quoiqu'il
ait affaire à des forces bien ſupérieures aux
ſiennes , il ſe promet d'en rendre bon
compte; c'eſt toujours bien fait de l'eſpérer ;
mais on ne croit pas tout- à-fait de même
ici , & on eft perfuadé qu'il ne cherche pas
à expoſer ainſi les affaires de ſa patrie au
fort d'un combat , dont la perte auroit les
plusgrandes conféquences.Cesmouvemens ,
ſoit qu'il les faſſe réellement, ou qu'on ſe
contentede les ſuppoſer , paroiffent appuyer
auprès de bien des perſonnes , les doutes
qu'elles ont eflayéde répandre fur l'authenricitéde
la lettre que ce Général & le contre-
Amiral Digby , ont écrite au Général Washington
; mais ces doutes s'évanouiffent , en
jettant les yeux ſur l'adreſſe ſuivante des
Loyaliſtes de New-Yorck , à l'occafion de
cette lettre, &des propofitions de paix faites
au Congrès , en reconnoiſſant l'indépendance
des Etats-Unis.
>>>Les loyaux habitans & réfugiés dans les lignes
Britanniques àNew-Yorck , remercient VV. EE. de
la communication obligeante quelles leur ont faite
du contenu de la lettre adreſſée au Général Washington
, relativement à la négociation entamée
par les agens des Puiſſances Belligérantes , afſem
( 155 )
blées à Paris , & à la propoſition que S. M. a fait
faire de l'indépendance des 13 Provinces de l'Amérique,
en forme de préliminaire , au lieu d'en
faire une condition du traité général. Il nous eft
également impoſſible d'exprimer la conſternation
dont nous ſommes frappés , dans la probabilité de
voir réaliſer un évènement auſſi malheureux que
celui dont il s'agit dans la propoſition , & de dif
fimuler notre ſenſibilité ſur un point auth important
dans ſes conféquences pour l'Em ire Britannique
, & en particulier pour notre paix , notre ſécurité
& notre félicité avenir. Pour conſerver en
entier les domaines Britanniques & prower notre
affection fincère & déſintéreſſée pour M. nous
n'héfitons pas de hafarder nos vies & nos fortunes
; nous comptons avec confiance ſur les aſlurances
que S. M. nous a données plus d'une fois,
fur la justice , la magnanimité , & la foi du Parlement
; on ne nous abandonnera pas dans une caufe
fi juſte & dans des détreſſes auſſi grandes & aufii
accablantes. Nous reconnoiſſons avec la gratitude
la plus fincère , la bonté paternelle & l'attention
que S. M. a données aux ſouffrances de ſes loyaux
ſujets en Amérique , & la protection qu'elle leur a
accordée juſqu'à préſent. Nous regretions que les
efforts nobles d'une magnanime & brave Nation
pour rappeller les colonies à des liaiſons convenables
avec la mère patrie , aient échoué ; quoique
leer mauvais ſuccès n'ait pas été l'effet d'aucune
impoffibilité réelle attachée à la guerre. Nous
prenons la liberté d'aſſurer VV. EE . que nous avons
routes les raiſons poſſibles de croire qu'il exiſte
dans toutes les Provinces une majorité du peuple ,
qui defire ardemment d'être encore réunie ſous
Pautorité & le gouvernement de S. M. , & que vu
un affemblage de circonstances réſultantes de diverſes
détreſſes publiques , l'eſprit de réunion opère
aujourd'hui dans pluſieurs quartiers , pour faire
g 6
maître des mesures qui prodaiſent les conféquences
les plus favorables aux intérêts de S. M. Avec une
perfective auffi flatteuſe , dans un moment où par
L'aſiſtance di Tour-Piſſant la Cupériorité navale
de S. M. , a été glorieuſement maintenue ou regagnée,
lorſque ſes armes victorieuſes dans l'Orient
ont obtenu les plus brillans avantages ; lorſque au
lieu des ſymptômes de foibleſſe réelle, le commerce
national , les reſſou ces & les forces femblent
croître & s'élever au-delà de celles de nos
ennemis combinés , nous avions conclu avec plaifir
que l'indépendance de ces Provinces auroit encore,
été regardée comme inadmiſſible , parce qu'elle eſt
nuiſible à La ſûreté , & incompatible avec la gloire
&la dignité de tout l'Empire Britannique ; l'heure
de la victoire & du ſuccès feroit probablement
la plus convenable pour traiter de la paix , mais
nullement , ſuivant notre humble manière de
concevoir , pour démember un Empire. Nous
ne préſumons cependant pas de critiquer la
fageffe des Conſeils de S. M. , ni de juger de la
grande néceſſité politique qui peut juftifier cette
meſure; c'eſt à la vertu, à la ſageſſe & la prudence
de S. M. , de ſon Parlement & de la Nation en
général , que nous devons ſoumettre cette grande
&importante queſtion. Mais ſi le grand évènement.
de l'indépendance des treize Colonies eſt déterminé ,
fnos devons ainſi être accablés du malheur inexprimable
de nous voir pour toujours privés de la
protection & du gouvernement de S. M. , alors il
ne nous reſte plus qu'à ſupplier VV. EE. d'intercéder
auprès de S. M. , d'y employer toutes les confidérations
d'humanité , pour aſſurer , s'il eſt poſſible,
plus ſolidement que ne le feroient les pures formes
d'an traité , nos perſonnes & notre propriété ,
afin que ceux qui ne pourroient reſter ici en sûreté ,
puiſſent avoir la faculté de ſe retirer ailleurs . Tels
font les ſentimens que ,de l'abondance de noscoeurs,
( 157 )
nous nous ſentons contraints d'exprimer dans ce
moment allarmant ; eſpérant néanmoins , que , peutêtre
il en eſt encore tems , VV. EE. voudront bien
repréſenter à S. M. , en l'aſſurant de notre loyauté
& de notre foamiſſion, les détreſſes de notre ſtuation,
notre confiance dans ſa bienveillance , ſa protection
& ſa justice, pour nous ſauver de la ruine
&du déſeſpoir auxquels nous ne pouvons manquer
de ſuccomber. Comme témoins de nos détreffes &
ſympatiſant généreuſement à nos infortunes VV.
EE. , nous nous en flattons , feront nos Avocats
zélés devant le Trône ; dans cette perfuafion , nous
tâcherons en méme-tems par une conduite & une
loyauté conftantes de ſoutenir les intérêts de S. M.
pour maintenir labonne opinion de VV. EE. & atten
dre patiemment les évènemens «.
On ne trouve pas dans cette requête
cet eſprit & cette fierté , qui ſelon nos papiers
, animoient les loyaliſtes , & les avoient
déterminés à reſter réunis en corps , & à ſe
conſerver eux-mêmes indépendans du Congrès.
Ces diſpoſitions auroient été au moins
fingulières ſi elles avoient exiſté réelle.
ment , par ce qu'il étoit impoſſible qu'elles
ſe maintinſſent dans une poignéed'hommes ;
on voit au contraire qu'ils fentent leur
impuiſſance lorſqu'ils ne feront plus foutenus
& qu'ils follicitent de n'être pas oubliés
dans le traité qui fera fait.
Maintenant nous attendons avec impatience
des nouvelles qui fixent nos inquiétudes
ſur les opérations des François
dans les parages où ils ſe ſont montrés ;
l'on fait qu'ils ont relâché à Boſton cù
l'on ſuppoſe ici qu'ils ſe réparent , & où
( 158 )
د
an-
Il eſt vraiſemblable plutôt qu'ils préparent
quelque expédition. On fait que Terre-
Neuve eſt menacée. Les dépêches reçues du
General Haldimand de Québec
noncent qu'ils n'avoient encore rien tenté ;
mais ſes lettres font du 22 Août , & depuis
cette époque , il eſt poffible qu'il ſe
foit paffé quelque choſe ; pour nous raffurer
on nous apprend que l'Amiral Campbell
eſt arrivé à Terre Neuve , mais il n'y
aconduit qu'un ſeul vaiſſeau de so canons ,
le Portland ; & on ſait que trois ou quatre
vaiſſeaux de ligne & 1000 homines de
troupes de débarquement , ſuffiroient pour
s'emparer de St-Jean. Le bruit a même
couru que cette expédition eſt déja faite ,
tandis que d'autres forces s'étoient rendues
à la baie d'Hudſon pour s'emparer
des établiſſemens que nous y avons. Mais
les avis varient ſur cette dernière opérationque
les uns diſent avoir été exécutée
par les François; les autres par Paul Jones ,
qui a démantele les forts & enlevé tout ce
qui en valoit la peine.
Au milieu de ces incertitudes on attend
des lettres de l'Amiral Pigot qui peut les
diffiper. On n'en a point encore ; nos papiers
annoncent bien fon arrivée à New-
Yorck avec 26 vaiſſeaux de ligne ; mais
cet avis n'a pas été apporté directement
ici ; ce ſont des navires arrivés à Oſtende
qui l'ont répandu dans ce port , d'où il
nous eſt parvenu. Il eſt ſans doute vrai
( 159 )
ſemblable; le ſeul étonnement qu'il doit
caufer , c'eſt qu'on ne l'ait pas eu plutôt.
Nos papiers ne manquent pas d'en tirer
des inductions favorables. La poſition de
cet Amiral à New-Yorck ſeroit en effer
très- avantageuſe , ſi comme ils le ſuppoſent
l'eſcadre Françoiſe eſt ſéparée , & se trouve
partie à Boſton & partie dans la Chéſapeak.
Mais les nouvelles reçues en France préfentent
les forces de M. de Vaudreuil réunies
à la fin d'Août à Boſton , & non point
éparpillées comme nous le déſirerions. Au
reſte nous avons actuellement une grande
fupériorité , tant en Amérique qu'aux ifles ;
nous ne comptons pas moins de 35 vaifſeaux
dont 26 à New-Yorck , 8 à la Jamaïque
& un aux ifles du Vent.
Les nouvelles de nos différens ports ,
ne contiennent que des détails affligeans
du déſaſtre qu'a eſſuyé la flotte de la Jamaïque.
On la dit de 91 navires ; la ſemaine
derniere , on en comptoit 28 arrivés
, 54 dont le fort étoit incertain , 8
coulés bas & un pris ; les derniers avis
ajoutent à la liſte certaine de nos pertes.
>> Les 13 navires de la flotte de la Jamaïque ,
arrivés ici , lit-on dans une lettre de Plymouth ,
font dans l'état le plus déplorable ; ce fut le
16 du mois dernier , par le degré de latitude 42
fud , de longitude 48,33 min. qu'elle fut totalement
difperfée par un coup de vent , qui a été funeſte
aux vaiſſeaux du convei & à pluſieurs marchands.
Le Ramillies, de 74 , que montoit l'Amiral Graves ,
après avoir perdu tous ſes mats , & jetté , pendane
( 160 )
la nuit , tous ſes canons à la mer , ſe trouva , le
lendemain , dans cet état de délabrement , au milieu
des navires qui ont mouillé dans notre port. Les
Capitaines de ces navires , au péril de leur vie ,
ont ſauvé tout l'équipage , à l'exception de ceux
qui ſe trouvèrent ſur les vergues , lorſque les mats
s'abattirent . Au moment où ce vaiſſeau fut abandonné
, il coula bas.-Le Centaure , de 74 , 2
perdu également tous les mars & ſon gouvernail.
La Ville de Paris , qui heureuſement a foutenu
merveilleuſement l'orage , dans lequel elle n'a perdu
qu'une vergue de ſon hanier , en prenoit foin ; mais
on craint beaucoup , la ſituationde ce vaiſſeau étant
effroyable , qu'on ait été obligé de le brûter ou de
le couler bas. Les navires marchands , que ceuxci
ont vu couler à fond, font le Rodney , le Mentor,
le Firth , le Gaulbron , le Dumfries & l'Hector.
Unde ces navires avoit so paſſagers à bord , parmi
leſquels étoient 3 familles entières , qui venoient
s'établir enAngleterre. Tous ont péri. Le reſte des
vaiſſeaux de guerre, ainfi que des navires marchands
étoit très -déſemparé; l'Amiral Graves avoit paffé
for un autre vaiſiſeau du convoi ,& on fuppoſe qu'il
a gouverné pour l'Irlande.-On mande de Liverpool
, que le Capitaines Whiteſide , du Mentor, y
eſt arrivé ſur un autre bâtiment qui l'a recueilli :
de 34 perſonnes qu'il avoit fur fon bord , lorſqu'il a
coulé bas , il ne s'eſt ſauvé que lui , ſon ſecond
Lieutenant & un mouſſe; ils ont reſté 7 heures
dans l'eau ſur une vergue , où ils furent ſauvés par
la Sarah de Lancaster «.
C'étoit l'Amiral Graves qui commandoit
le convoi de la Jamaique ; il paroît qu'il
s'étoit porté conſidérablement au Nord pour
éviter les croiſeurs ennemis qu'il ſuppoſoit
que l'on avoit détachés pour intercepter fes
traîneurs. Son pavillon a flotté fur le Ra
( 161 )
millies , du moment où il avoit quitté la
Jamaïque , juſqu'à celui où il fut jugé indiſpentable
de l'abandonner pour ſauver
l'équipage. Ce vaifſeau qui avoit été conftruit
en 1763 , étoit regardé comme l'un des
meilleurs voiliers de la marine Angloiſe. Son
nom , obſerve à cette occafion un de nos
papiers , n'eſt pas heureux , nous en avons
perdu un qui le portoit dans la dernière
guerre.
Le déſaſtre arrivé à cette flotte ſera trèsſenſible
au commerce , par la perte de quantité
d'articles qu'elle apportoit ; le prix du
fucre augmentera conſidérablement ; mais
c'eſtleGouvernement qu'il contrarie le plus ;
il comptoit beaucoup far les vaiſſeaux de
guerre du convoi , qui auroient été une
grande reſſource s'ils avoient pu arriver en
bon état , & fur les matelots qui ſe trou
voient à bord des bâtimens marchands.
Les orages , au rapport des navires de la
flotte du Lord Howe qui ont éré contraints
de regagner nos ports , s'ils ne l'ont pas fait
fouffrir autant que celle de la Jamaïque ,
ont bien contrarié ſa marche ; on vient de
voir rentrer ſucceſſivement le Friends Aventure
& l'Yarmouth , qui étoient chargés l'un
& l'autre de provifions &de munitions de
guerre pour Gibraltar. Le premier avoit
quitté la flotte le 24 Septembre , & le ſecond
le 26.
>> L'Amirauté , dit un de nos papiers , a reçu avis,
le 8 , que l'efcadre du Lord Howe étoit , le premier
( 162 )
de ce mois , par le 49 d. 3 min. de latitude. Of
fait , par les vaiſſeaux qui l'ont quittée le 28 Septembre
, qu'elle étoit alors au 48me. Il faut que
cette eſcadre ait été repouffée par de terribles vents
de fud- ouest , puiſqu'elle a retrogradé de près d'un
degré en fi peu de tems. On croit généralement
que les premières dépêches de cet Amiral feront
datées de Lisbonne ; mais ceux qui regardent cette
place comme un rendez- vous favorable à une flotte
diſperſée , ignorent qu'en vertu des traités , & même
desderniers règlemens ,les Portugais ne peuvent laiffer
entrer , en aucun tems , plus des vaiſſeaux de ligne
Anglois dans le Tage *.
S'il faut en croire d'autres papiers , cette
flotte n'a point été diſperſées , & continue
fa route pour Gibraltar. Nous ignorons ce
qui ſe paſſe devant cette place ; nous n'avons
d'autres details que ceux qui nous font venus
par la France même ; & tout ce qu'il y a de
certain , c'eſt que le 14 Septembre le Général
Elliot étoit débarraflé des batteries
flottantes; mais que le ſiége n'en continue
pas moins, & que ſon iſſue paroît dépendre
à préſent de celle de la miſſion de l'Amiral
Howe.
>> On ne ſe diſſimule pas , dit un de nos papiers,
qu'un combat eft inévitable , & que ſon iſſue eſt au
moins très- incertaine. La poſition de l'armée navale
combinée , laiſſe peu, de priſe à notre eſcadre ; on
Le rappelle la défenſe que fit l'Amiral Barington
Sainte-Lucie , celle des François dans la Chéſapeak ,
& du Contre - Amiral Hood à Saint - Christophe.
Ajoutons que dans cette circonstance l'armée combinée
eſt fort ſupérieure à la nôtre , & on ne ſera
pas ſans inquiétude. Ceux qui cherchent à nous
raffurer , prétendent qu'il eſt au moins très-probable .
( 163 )
que les vaiſſeaux qui compoſent notre eſcadre ſont
en grande partie , & peut - être en totalité , armés
en proportion de leur rang , de cette artillerie prodigieuſe
dont le Rainbow a fait le premier eſſai ;
on ſe flatte en conféquence que pour peu que l'Amiral
Howe puiſſe pénétrer dans le cercle que doit
former la flotte combinée , le trouvant alors dans
le cas de combattre de près , le feu de ces pièces
prodigieuſes , ne peut manquer d'avoir une exécution
terrible «.
Les premières nouvelles que nous aurons
de cet Amiral diffiperont nos inquiétudes ;
mais il est vraiſemblable que nous en rece
vrons auparavant par nos ennemis. Dans ce
moment il doit être arrivé , le combat a dût
avoir lieu , & fans doute le fort de Gibraltar
eſt décidé ; ſi nous l'avons perdu , il eſt difficile
que le Général Elliot puiſſe conſerver
la place. En attendant , nos Lecteurs feront
bien aiſes de connoître plus particulièrement
ce brave Officier ; on trouve dans quel
ques papiers un Précis hiſtorique ſur ſa vie
& ſes ſervices militaires , que nous allons
tranfcrire.
>>George-Auguste Elliot, lebrave défenſeur deGibraltar,
eſt fils du feuChevalier Gilbert Elliotde Stobbs
dans le Roxburgshire; ſa famille eſt originaire de
Normandie , ainſi que la branche collatérale d'Elliot
de Minto dans le même Comté , & d'Elliot de Port-
Elliot dans celui de Cornouaille. Leur ancêtre M.
Elliot partit avec Guillaume le Conquérant , & tint
un rang diftingué dans ſon armée. Il y a dans la
famille une tradition par rapport à une distinction
honorable qu'elle a dans ſes armes ; & comme cette
anecdote eſt conforme à l'Hiſtoire , elle ne paroît
pas dénuée de fondement. Lorſque Guillaume mit
( 164 )
piedàterredans le pays Anglois , il gliffa & tomba
Se relevant aufli tôt , il s'écria que ſa chûre étoit
d'un heureux préſage , & qu'il venoit d'embraffer
le pays dont il allot devenir le maître. Sur cela
Elliot tira ſon épée , & jara , ſur l'honneur d'un
Soldat, de maintenir , au pésil de ſa vie , le droit
de ſon Maître à la ſouveraineté de la terre qu'il
venoit d'emoraſſer. Après la conquête , le Roi Guillaume
ajouta cette deviſe , Per faxa , per ignes ,
fortiter & recte , aux armes d'Elliot , qui étoient
un bâton d'or fur un champ d'azur , avec le bras
& l'épée en forme de crête.- Le Chevalier Elliot
de Stobbs eut neuf garçons & deux filles. Le Général
dont il eft ici queſtion eſt le ſeut qui vive.
Le Chevalier John Elliot , ſon frère aîné, a laiffé
fon titre & fon bien au Chevalier François Elliot
ſon fils , actuellement exiſtant , & neveu du Général.
George-Auguste Elliot est né vers l'an
1718. Il fut d'abord élevé au ſein de la famille par
un précepteur ; enſuite il fut envoyé à l'Université
de Leyde , où il fit des progrès rapides , & apprit
en peu de tems l'Allemani & le François. Dettiné
àl'èrat militaire, il fut envoyé de- là à l'Ecole royale
du Génie, à la Fere en Picardie. Le grand Vauban ,
qui a cu la direction de cette Ecole, l'a rendue la
plus célèbre de toute l'Europe : elle eſt aujourd'hui
ſous la direction du Comte d'Hérouville. Ce fut à
cette Ecole que M. Elliot fuifa la connoiffance de
la Tactique dans toutes ſes branches , & principalement
celles du Génie & des fortifications , où depuis
il s'eſt acquis tant de diſtinction. Il acheva fon cours
militaire ſur d'autres parties du continent ; pour
joindre la pratique à la théorie , il alla étudier la
difciplineen Pruffe , où il ſervit quelque tems comme
Volontaire. Telle étoit lamarche des jeunesMilitaires
de ſon tems , pour parvenir un jour à ſervir utilement
leur pays. - A 17 ans M. Elliot retourna ea
Ecoſſe, ſon pays natal, & fut préſenté dans lamême
( 165 )
année, 1735 , par ſon pere , à M. Peers, Lieutenant
Colonel du 23e. Régiment, Infanterie , alors à Edimboarg:
il y fut reçu Volontaire , &y ſervit plus d'un
an ; il le quitta pour entrer dans le Corps du Génie
àWoolwich. Le Colonel Elliot , ſon oncle , le fitt
enfuite Adjudant de la ſeconde Troupe des Grenadiers
à cheval. Ce fut lui qui poſa le fondement
de cette difcipline, qui a fait , de ces deux Corps ,
les plus belles Troupes de Cavalerie qui foient en
Europe, ſans même en excepter les Gardes Hanovriennes
& les Mouſqueraires en France. Avec ces
Troupes, il ſervit en Allemagne dans l'avant-dernière
guerre ; il ſe trouva à une infinité d'actions ,
&fut bleffé à la bataille d'Etingue. Dans ce Régiment,
il acheta d'abord la place de Capitaine &
de Major , & enfuite la Lieutenance-Colonelle du
Colonel Bréwerton. Il ſe défit alors de ſa Commiffion
d'Ingénieur , qu'il avoit gardée long - tems
avec fon autre grade. Il avoit reçu les leçons du
célèbre Ingénieur Bélidor , & il poffédoit parfaitement
la ſcience du Canonnier. S'il n'avoit pas
pouffé le déſintéreſſement juſqu'à renoncer ainfi
à fon rang dans le corps des Ingénieurs , la gradation
régulière de ſes ſervices l'auroit fait arriver
à la tête de ce Corps. Bientôt après ,
il fut nommé Aide-de-camp du Roi George II. En
1759 , il quitta la ſeconde compagnie des Grenadiers
à cheval dans les Gardes, ayant été choisi pour lever
le premier régiment de cavalerie légère , qui prit le
nom d'Ellior. Auſſi- tôt que ce corps fut formé &
diſcipliné , Elliot fut nommé pour commander la
cavalerie dans l'expédition ſur les côtes de France,
avec rang de Brigadier-Général. Après cette expédi
tion , ilpaſſa en Allemagne , où il fut employé dans
l'Etat-Major de l'armée. Il fut enſuite rappellé pour
être employé , en ſecond', dans le commandement
de l'expéditionde la Havane, dont on connoît les circonſtances;
il ſe montra le digne émule de D. Louis
( 166 )
de Veiafco , qui ſe défendit juſqu'à la dernière ex.
trémité , & qui voyant enfin ſuccomber ſes forces ,
ne voulut ni ſe retirer , ni demander quartier , &
préfera de périr en combattant un ennemi victorieux.-
On rapporte ici une anecdote qui prouve
que de tous les vainqueurs , il fut celui qui montra
le plus de déſintéreſſement & le plus d'éloignement
pour un pillage; auſſi s'adreſſoit - on ſouvent à lui
pour réclamer ſa juſtice; un François , entr'autres ,
qui avoit beaucoup perdu dans la déprédation générale
commiſe par les foldats , le pria , en mauvais
anglois , de lui faite rendre ce qu'on lui avoit pris.
La femme de ce François , d'un caractère très - vif,
ne put s'empêcher delui dire : Comment pouvezvous
demander des graces à un homme qui vient
vous dépouiller ? N'en espérez pas. Le Général ,
qui écrivoit ſur ſon bureau ſe tourna vers elle , &
lui répondit en ſouriant : Madame , ne vous échauffezpas;
ceque votre mari demande luifera accordé.
Ah, faut-il , reprit la femme , pour furcroît de
malheur que le barbareparlefrançois ! Elliot leur fit
rendrenon- teulement tout ce qu'ils réclamoient, mais
leur fit encore quelqu'autres bienfaits . -A la paix ,
fon régiment pafla , à Hydepark , en revue de vant
le Roi , & ce Général préſenta à S. M. les étendards
que ſon corps avoit pris ſur l'ennemi. Le
Rei lui demanda quelle marque de faveur il pourreit
lui accorder , pour témoigner combien il en
étoit fatisfait , & le Général lui répondit , que le
Régiment ne trouveroit point de diſtinction plus
flatieuſe , que celle d'être appellé Royal , ce qui
fut auffi- tôt accordé. Le Roi marqua enſuite l'envie
qu'il auroit de conférer quelque grace à ce brave
Général. Mais il répondit que l'approbation dont
S. M. veneit de l'honorer , étoit la plus grande
récompenſe qu'il eût pu deſfarer. Il n'eſt point
refté cifif pendant la paix. En 1775 , il fut nommé
pour ſuccéder au Général d'Harcourt dans la place
-
( 167 )
de Commandant en chef des troupes en Irlande ;
mais il ne fit qu'y paroître. S'étant apperçu qu'on
cherchoit à empiéter fur ſes droits , il s'oppoſa à
ces manoeuvres avec fermeté , & ne voulant point
troubler le Gouvernement d'Irlande , pour une affaire
qui lui étoit abſolument perſonnelle , il demanda
, & obrint ſon rappel. Ce fut alors qu'il fut
nommé au Gouvernement de Gibraltar , & dans un
moment heureux pour la sûreté de cette importante
fortereffe.- Ce Général avoit épousé une foeur de
Sir Francis Drake , qu'il a perdue il y a environ
13 ans. Il en a cu un fils & une fille ; le fils est
actuellement Lieutenant - Colonel du régiment de
Dragons d'Inniskilling , & ſa fille eſt mariée «.
د
Les nouvelles que la Compagnie des Indes
a reçues dernièrement par la voie de Baffora ,
ne fontpas encore publiques; le bulletin n'en
eft , dit- on pas rédigé , & ne doit l'être
que dans la prochaine aſſemblée des Directeurs.
En attendant , la Gazette de la Cour ,
du 12 de ce mois , a publié ces 4 ou s
lignes.
>> Par des avis de Madraſs qui vont juſqu'au 13
Avril , nous recevons l'agréable nouvelle de l'arrivée
àbon port des vaiſſeaux de S. M. le Sultan & le
Magnanime avec tout leur convoi le 31 Mars , &
que la flotte Françoiſe avoit quitté la côte de Coromandel
«.
Cette inſtruction n'est guère ſatisfaiſante
pour le Public ; on ne dit point ſi en effet
ily a eu un ſecond combat entre les deux
eſcadres , ni où a été l'eſcadre Françoiſe en
quittant la côte de Cororaan del. Nos papiers
eſſayent d'y ſuppléer , en difant qu'e' le eſt
retournée à l'Ile de France ; & ils partent
( 168 )
de là pour affurer qu'à fon retour , elle trouvera
un grand changement , parce que l'Amiral
Bickerton y ſera arrivé avec le renfort
qu'il conduit , & qui nous donnera la ſupériorité
; mais M. de Suffren doit trouver
aufli des renforts à l'Iile de France s'il y eſt
retourné , & il les amènera vraiſemblablement
avec lui ; alors cette prétendue fupériorité
n'exiſtera plus ; ſi au commencement
d'Avril il a quitté la côte , il peut y être
de retour avec ces forces auffi- tôt que Bickerton
, qui n'a quitté Rio-Janeiro que vers
la fin de Mai , & qui a beſoin au moins de
trois mois pour arriver à ſa deſtination ; il
ne peut donc y être qu'à la fin d'Acût , &
M. de Suffren peut y arriver à la même
époque.
Selon nos papiers , la Compagnie a reçu
d'autres lettres du to Juin , & ce font
celles dont on rédige le bulletin ; il faut
qu'elles ne foient ni bien avantageuſes ni
bien importantes , puiſqu'on en retarde la
publication. Nos papiers afſfurent qu'elles
ne parlent point de la priſe de Madraſs
par Hyder-Aly ; mais cela n'empêche pas
qu'on ne regarde cet évènement comme inévitable
, par l'affoibliſſement de la garniſon
de Madraſs , dont Sir Eyre Coote a tiré
des détachemens confidérables , & par la
réunion des François à Hyder -Aly. Cela
n'empêche pas que quelques gazettes ne parlent
d'une grande victoire remportée parnos
troupes
( 169 )
5
-
troupes fur celles d'Hyder-Aly , & de la
deſtruction de celles que M. Suffren avoit
débarquées . Si ce fait avoit une apparence de
probabilité , ſans doute les Directeurs de
la Compagnie ſe ſeroient empreſſés de
l'annoncer. Ils auroient publié également
les belles apparences de paix dans ces contrées
, dont les mêmes papiers nous bercent
, ſi elles avoient quelque fondement.
Ils ne manquent pas d'inſiſter ſur le peu
de penchant que les Indiens montrent à voir
les François rétablir leur puiſſance dans
l'Inde; mais on oublie qu'ils n'y veulent
point de domination ; qu'ils ne veulent
pas que nous y en ayons non plus ; qu'ils
tendent à rétablir dans ces contrées ce qui
devroit avoir toujours été , égalité entre les
Européens ; il eſt tout ſimple que ce plan
foit agréable aux naturels , qui feront bien
aiſes d'être tranquilles chez eux , & de n'y
pas recevoir les loix des Deſpotes étrangers
qui les accablent depuis ſi longtems .
Au reſte , les nouvelles de l'Inde qu'on
publie , peuvent ſe réduire à ceci.
ככ L'eſcadre Françoiſe avoit quitté cette côte la
veille de l'arrivée du Sultan & du Magnanime ,
pour aller à l'Ifle de France ſe refaire des pertes
qu'elle a éprouvées dans le combat avec le Chevalier
Edward Hughes. Les François ont débarqué
environ 1400 hommes qui ſe ſont joints à
Hyder-Aly. Le convoi a amené au Chevalier Eyre
Goote un renfort de 800 montagnards du Lord
Seaforth , les meilleurs foldats qui ſoient peut- être
jamais venus d'Europe. Le Chevalier Eyre Coote
26 Octobre 1782. h
( 170 )
eſt toujours à la pourſuite d'Hyder-Aly. Tout est
tranquille au Bengale. Il eſt arrivé ss lacks de
roupies , & l'on dit que 75 autres font en route ,
ce qu'on préſume être le tréſor trouvé à Bejyeghur,
Capitale du pays de Cheyt-Sing. Ces ſommes
ont fait rentrer beaucoup d'argent; avec elles &
les marchandiſespriſes dans le comptoir Hollandois
de Chiuſura , la Compagnie s'eſt procuré des cargaiſons
de retour pour cette année & l'année prochaine.
Le vaiffſeau de la Compagnie la Valentine ,
a appareillé pour l'Europe en Avril. Il ſe débite
que les Marattes ne veulent plus abſolument de
guerre , & qu'ils ont donné plein - pouvoir à leur
Miniftre de conclure la paix avec M. Anderſon ,
réſident Anglois à Poonah. On dit que le Soubah
de Decan & les autres Princes dans les limites
des potleſtions Angloiſes , ſont ſi jaloux du pouvoir
naiffant d'Hyder-Aly & de ſes liaiſons avec
les François , qu'ils font prêts à ſe réunir contre
lai. D'autres lettres ajoutent qu'Hyder-Aly qui connoît
le danger de ſa poſition , defire de faire la
paix avec nous , & qu'il vient de faire quelques
ouvertures à ce ſujet au Chevalier Eyre Coote ".
On affure qu'il vient d'être décidé dans
le Confeil , d'envoyer à l'avenir tous les
criminels convaincus , & qui auront obtenu
un répit , en Afrique. On ne doute pas
qu'à la longue on ne ſubſtitue la tranſportation
dans cette partie du monde , à celle
qui avoit lieu autrefois en Amérique , &
qu'on ne peut plus ſe flatter de rétablir.
Le beſoin de matelots a fait auſſi fonger à
un nouveau moyen de s'en procurer.Onftationnera
un vaiſſeau près du fanal de Nore ,
fur lequel on fera paſſer tous les coupables
convaincus de crimes légers; au lieu de
( 171 )
les laiſſer ſouffrir comme par le paſſé dans
les priſons , de les faſtiger , de les flétrir
même , on leur fera faire le ſervice de
matelots ; lorſqu'ils auront ſéjourné affez
longtems ſur ce vaiſſeau pour s'être mis
en état de ſervir ſur un vaiſſeau de guerre ,
on les répartira ſur ceux des flottes de S. M. ,
après leur avoir auparavant payé la prime
accordée par la proclamation royale.
FRANСЕ.
De PARIS , le 22 Octobre.
Les nouvelles qu'on attendoit avec impatience
de Gibraltar ſont enfin arrivées ;
elles font en date du 6 de ce mois Nous
en donnerons ici le précis .
Le fiége continue ; on a formé une nouvelle parallèle
qui battra le mouillage des deux môles , enforte
qu'aucun bâtiment n'y pourra mouiller dorénavant.
On a dérobé la nuit du 24 au 25 à l'ennemi , &
on a pouffé un boyau depuis la batterie de Mahon ,
juſqu'a la mer de l'oueft. Ce nouvel ouvrage a 248
toiſes de longueur , & s'avance à 160 de la porte
de terre. Sur 6000 travailleurs , il n'y a eu qu'un
Eſpagnol tué. - L'armée combinée mouille toujours
ici en attendant l'eſcadre Angloiſe pour la
combattre. Il arriva le 2 un Courier de M. 0-
Reilly à M. de Crillon, pour lui apprendre que
les Anglois avoient été apperçus ſur la côte de
Lagos. Le lendemain , M. de la Motte Piquet revint
avec ſon vaiſſeau de Cadix , & donna la
même nouvelle. Si jamais on a pu ſe promettre
quelque ſuccès d'un combat naval , c'eſt ſans doute
de celui qui aura lieu ici ; les Généraux de mer
ont pris toutes les précautions imaginables pour
h2
( 172 )
bien recevoir l'ennemi & le faire repentir de ſa
témérité. Si les vaiſſeaux de ligne ſe tiennent au
large , pluſieurs chaloupes , batteaux plats , &c.
montés par 1500 hommes , ſont destinés uniquement
à enlever les navires avitailleurs à l'abordage;
fi l'eſcadre cherche à les ſoutenir , les chaloupes
canonnières font arrangées , diſpoſées & munies
de tout ce qu'il faut pour faire un ravage affreux ,
fans parler des brûlots ; enfin , fi à la faveur du
vent , ou par ſa mancoeuvre , l'Amiral Howe parvient
à ſe mouiller quelque part , D. Louis de
Cordova eſt décidé à l'attaquer bord à bord , &
à perdre une partie de ſon armée pour détruire
entièrement celle de l'ennemi. Cette vive réſolution
ſoutenue par l'ardeur , & on pourroit dire par
la fureur des équipages , ne laiffe pas douter que
ſi Howe ſe préſente , ce combat ne ſoit un des
plus mémorables & des plus déciſifs dont les annales
de la marine faſſent mention.
On affure que l'Amiral Howe a été ſignalé
le 4 des côtés de Galice; 4 vaiſſeaux neutres
entrés à Lisbonne l'ont rencontré , ils
ne diſent pas à quelle hauteur. L'eſcadre
Angloiſe étoit alors de 33 vaiſſeaux de
ligne ; on croit qu'elle aura pu paroître
devant le Détroit du 10 au 15 ; certainement
elle n'y étoit pas le 8 : un Courier
parti de Madrid le 11 , & qui vient d'arriver
, n'auroit pas pu l'ignorer.
7
C'étoit en effet la flotte de l'Amiral Howe ,
que le Chevalier de Cillart avoit rencontrée
le 30 du mois dernier par les 48 degrés
10 minutes de latitude ; & 12 degrés 35
minutes de longitude. L'équipage d'un des
bâtimens de cette flotte , dont il s'eſt emparé,
l'a confirmé. Elle a bien été maltrai(
173 )
tée par les vents ; mais elle n'a pas ſouffert
comme celle de la Jamaïque .
>>>Le corſaire Américain le Ciceron , de 18 ca
nons de 6 & de 9 , entré dans ce port , écrit- on de
l'Orient , a pris 3 navires de la flotte de la Jamaïque ;
l'un de soo tonneaux , & les deux autres de 250 ,
chargés de ſucre & de rum. Parmi les prifonniers
faits fur ces bâtimens , ſe trouve un Officier de la
Marine royale Angloiſe , qui rapporte que le Capitaine
du vaiſſeau le Ramillies , de 74 , fur lequel
il étoit Lieutenant , ne pouvant ſauver ſon
vaifſeau, battu par la tempête , l'avoit brûlé le 24
Septembre, après en avoir reparti les équipages
fur les différens bâtimens de la flotte . - Les prifonniers
de deux autres navires Anglois , de la même
fløtte , & du port de soe tonneaux , pris par le
corſaire Américain la Réſolution , qui les a conduits
ici , déclarent que le vaiſſeau Anglois le Centaure,
de 74 , a ſubi le même ſort que le Ramillies , &
qu'on en avoit ſauvé l'équipage. Ils ajoutent que
le vaiſſeau le Glorieux , qu'ils ont vu en détreffe,
leur cauſe de l'inquiétude ; & que l'Hector & la
Pallas , qui faisoient partie de leur eſcorte , ont
été envoyés à New-Yorck , à cauſe de leur mauvais
érat cc.
Nous avons rendu compte , d'après les
papiers Anglois , de la priſe & de la repriſe
de l'Amazone ; on ſera ſans doute bien
aiſe de trouver ici le compte rendu par
M. le Marquis de Vaudreuil au Miniſtre
de la Marine ; ſa lettre eſt de Boſton , en
date du 31 Août.
* J'avois détaché la frégate l'Amazone , commandée
par le Vicomte de Monguyot , pour porter
mes ordres au Cap Henri. Elle cut connoiffance ,
le 28 Juillet , às heures du matin , d'une fregate
au vent à elle venant à ſa rencontre , à qui elle
1
h3
( 174 )
fitdes fignaux de reconnoiſſance , auxquels elle ne
répondit point, & vira de bord en même tems.
L'Amazone lui donna chafle , & manoeuvra de manière
à l'engager , & à en donner connciffance à
l'eſcadre du Roi dont elle appercevoit quelques
vaiſſeaux , auxquels elle ſignala une frégate ennemie
, ce qui ne fut pas apperçu ; car à une heure &
demie ils virèrent de bord , & à 3 heures & demie
l'Amazone les perdit de vue. Elle continua de chaf
fer la frégate ennemie; mais le Vicomte de Monguyot,
s'apperçevant qu'il ne la gagnoit point , &
qu'il s'éloignoit de ſadeſtination , ſe décida à virer
de bord : la frégate Angloiſe en fit alors autant ;
&, portant fur l'Amazone avec l'avantage du vent ,
ne tarda pas à la joindre. L'engagement commença
à 4 heures & demie , par un feu très-vif de part
&d'autre , & à portée du fuſil. Le Vicomte de Monguyot
fut tué quelques momens après : le Chevalier
de Lépine ayant pris le commandement , deux
bleffures qu'il reçut à la tête & à l'épaule le forcèrent
de le laiſſer à M. de Gazan , Lieutenant de
frégate auxiliaire. Cet Officier , ſachant que le Chevalier
de Lepine étoit revenu à lui , lui fit dire que
toutes les manoeuvres étoient coupées , pluſieurs canons
démontés , & la plus grande partie de l'équipage
hors de combat , & lui fit demander ce qu'il
devoit faire. Il répondit que ſon intention étoit de
ceombattre juſqu'à la dernière extrémité , & qu'il
fit: de ſon mieux juſqu'à ce qu'il fût remonté ; ce
qu'il fit peu de tems après : il trouva , en arrivant
fur le gaillard , le pavillon amené par ordre de
M. de Gazan , qui fut tué à l'inſtant. M. Oilec &
M. Vilberno , Officiers auxiliaires , avoient eu , le
premier une bleffure mortelle , & le ſecond un bras
emporté ; M. de Guichen , Lieutenant , commandant
le détachement du Régiment du Cap , avoit
reçu un coup de feu dans la poitrine ; 80 hommes
( 175 )
étoient hors de combat : il ne reſtoit dans la batterie
que M. Maiffonnier , Officier auxiliaire ; la
mâture étoit fur le point de tomber , & tomba z
heures après. Dans cette poſition , M. de Lépine
fut obligé de tenir la parole de celui qui avoit fait
amener ; & à 6 heures & demie, il fut tranſporté ,
avec les autres Officiers , à bord de la Santa-
Margarita,de 44 canons. LeChevalier de Lépine ,
entémoignant ſes regrets ſur la perte du Vicomte
de Monguyor , fait les plus grands éloges des Officiers
nommés dans cette Lettre. - M. de Vaudreuil
, dans une autre Lettre du même jour , annonce
qu'ayant entendu le 28 une vive canonnade ,
il fit porter du côté d'où partoit le bruit; que le
lendemain au point du jour , il apperçut l'Amazone",
qu'il reprit , & la Santa Margarita , qu'il ne put
joindre«.
M. le Chevalier de Langlade , commandant
la frégate du Roi l'Aftrée qui a mouillé
le is à Breſt , eſt arrivé à la Muette , portant
la nouvelle qu'une divifion de l'eſcadre
de M. de Vaudreuil , aux ordres de M. de
la Peyrouſe , & dont l'Aftrée faiſoit partie, a
détruit tous les établiſſemens Anglois dans la
baie d'Hudſon. Le butin fait à cette occafion
monte , dit- on , à plus de trois millions.
Il eſt toujours queſtion de la nouvelle de
la priſe de Madraſs par Hyder - Aly. Cette
nouvelle , fi elle ſe confirme , changera
fingulièrement la face des affaires dans
cette partie du monde; en attendant qu'elle
acquiere toute l'authenticité dont elle a
beſoin , nous ne pouvons que recueillir les
faits tels qu'on les débite.
h 4
( 176 )
On a cu à Alexandrie , écrit-on de Marseille ,
par Bagdad , Ormuts , Alpe , Baffora , des avis
qui annoncent qu'après le combat opiniâtre livré devant
Madraſs , l'eſcadre de l'Amiral Hughes s'étoit
retirée , & que M. de Suffren en avoit débarqué ſes
troupes ; le Général Anglois Sir Eyre Coote voulant
empêcher la jonction de ces troupes aux ordres de
M. Duchemin avec l'armée d'Hyder-Ali s'étoic
trouvé entre deux feux ; la plus grande partie de
fon armée avoit été , dit- on , taillée en pièces , le
reſte mis en déroute , & hors d'état de pouvoir rien
entreprendre contre un ennemi triomphant , alors le
Prince Indien s'étoit avancé avec les François devant
Madraſs ; & fon feu avoit été ſi terrible & fi foutenu
que la place avoit capitulé .
,
Le tems ſeul peut confirmer cette nouvelle,
ſi elle eft fondée , & vraiſemblablement
il n'eſt pas éloigné maintenant. En
attendant , on a reçu des lettres du Cap
de Bonne- Efpérance , qui nous apprennent
P'arrivée de l'eſcadre de M. de Peymer à
Falſe - Bay. On a auffi des lettres de quelques
Officiers de cette eſcadre , où l'on
lit les détails ſuivans.
>> L'eſcadre du Roi mouilla ici le 19 Mai après 9 ,
jours de trayerſée. Les navires & les équipages ſont
en fort bon état , au ſcorbut près , dont ſont atteints
quelques matelots &des ſoldats de la Mark
& d'Aquitaine , qu'un court ſéjour à terre a rétablis.
Nous avons remis aux Hollandois la Légion de Luxembourg.
Ce Corps n'a perdu que 2 hommes dans
ſa traverſée. Le Cap eſt peut- être un des pays lesplus
fertiles du monde ; cette Colonie fournit aux beſoins
de l'Iſle de France , de Ceylan , de Batavia , de tous
les établiſſemens Hollandois dans l'Inde , & même
de ceux des Anglois par l'entremiſe de quelques
( 177 )
neutres. Je l'ai trouvée dans un état de défenſe ref
pectable. M. de Conway, ancien Major d'Anjou, que
M. de Suffien y a laiflé avec le régiment de Pondichéry
, dont il est actuellement Colonel , a beaucoup
contribué aux travaux qui ont été faits depuis
la guerre , on eſtime qu'il faudroit à peu-près 8000
hommes pour attaquer le Cap avec quelque ſuccès ,
mais il faudroit ſuppoſer que ces troupes apporteroient
leurs vivres , car il ne ſeroit pas difficile de
les priver de ceux du pays. Nous partirons au
plotard à la fin de ce mois ( de Juin ) , pour l'Ilede-
France, nous y trouverons M. de Buffy avec
l'Illuftre & le St- Michel , qui n'ont pas fait un
long séjour ici, puiſqu'ils font partis le 2 Mai .
Le 20 de ce mois au matin la Députation
du Clergé de France a mis aux pieds
du Trône 15 millions pour les beſoins de
l'Etat , & un million pour le foulagement
des veuves & des enfans des matelots.
L'objet de la lettre ſuivante , qui a été
déja inférée dans un Journal eſt trop intéreffant
, pour que nous ne la conſignions
pas auſſi dans le nôtre.
>>L>'infidélité , ma heureuſement trop reconnue de
tous les ſpécifiques employés juſqu'à ce jour contre
la rage , me fait un devoir de publier les fuccès
qu'à eus dans le traitement de cette maladie ,
le Sr. Douffot , Elève de l'Ecole Vétérinaire de
Paris , & la méthode qui les lui a obtenus. Je me
bornerai à l'expoſition fimple des faits.-Dans le
courant de Juillet dernier , M. Bertier , Intendant
de Paris , fut informé par fon Subdélégué à Courtenay
, que pluſieurs vaches de ſa Subdélégation
avoient été mordues par des chiens enragés , il me
chargea d'envoyer un Elève à leur fecours. Je fis
hs
( 1781
choix du Sr. Dauſſot , dont je connoiſſois l'intelligence
& les talens .- La premiere vache qu'il traita
appartenoit au Syndic de St-Loup-Dordon ; elle avoit
été mordue en pluſieurs endroits à la jambe gauche
de derrière ; quarante trois jours s'étoient déja
écoulés depuis cette époque; les plaies étoient cicatrifées
; mais un flux extrêmement abondant de
falive , ſurvenu depuis quelque jours , allarmoit &
avec raiſon le Propriétaire. L'Elève ouvre toutes
les plaies , il les cautériſe , & les couvre d'onguent
mercuriel , il paſſe un ſéton au fanon, il donne le
matin en breuvage trois gros d'alkali volatil concret
dans uce pinte d'infufion d'anagallis ; des fignes
non équivoques lui ayant fait ſoupçonner l'exiltence
de vers dans les premières voies , il donne
à midi une pinte d'infufion de ſarriette , avec addition
de deux gros d'huile empireumatique. II
fait prendre le ſoir une pinte d'infufion d'anagal-
Jis pure. Ce traitement fut continué quinze jours
de ſoite , pendant lesquels les plaies furent frictionnées
tous les matins avec l'onguent mercuriel ,
& le ſéton onctionné avec partie égale d'onguent
bafilicum & d'onguent mercuriel. Pendant tout le
traitement, on ne donna à l'animal que la moitié
de la ration ordinaire de fourrages , on les choifit
feulement plus ſubſtanciels & de meilleure qualité ;
T'Elève crut devoir proſcrire la pâture , parce qu'outre
les inconvéniens qui auroient pu réſulter du développement
de la rage dans un animal de cette
force abandonné , la nourriture verte contient une
quantité de parties aqueuſes capables d'annuler les
effets des médicamens. Au bout de quelques jours
de traitement le Sr. Douffot eut la fatisfaction de
voir le flux de ſalive s'arrêter & tous les ſymptômes
inquiétans s'évanouir & difparoître abſolument
, & ce ne fut que pour plus grande sûreté
qu'il crut devoir prolonger ſon traitement. Onze
autres vaches de la Paroiffe de Courtenay avoient
( 179 )
été mordues par un chien qui l'avoit été lui-même
par celui qui avoir lacété la jambe de la vache qui
fait le ſujet de l'obſervation précédente. L'une de
ces vaches appartenant au nommé Couturier , avoit
été mordue en quatre endroits à la jambe gauche
de derrière à la face externe du tibia, Quatre autros
appartenoient à Etienne Renaud , l'une avoic
deux morfares ſur le tendon près du jarret , l'autre
avoit quatre morſures à la cuiffe gauche ; la
troiſième avoit été mordue à l'avant-bras gauche ;
la quatrième ne portoit aucune bleffure , mais elle
s'étoit trouvée avec les autres lorsqu'elles avoient
été mordues , & il étoit à préſumer que le chien
s'étoit auſſi précipité ſur elle. Cinq au'res appartenoient
à Antoine Copin , deux avoient été mordues
à la jambe gauche; les trois autres ne portoient
aucunes morſures ſenſibles . La onzième appartenoit
à Nicolas Cheneday , elle avoit été mor
due à la partie ſupérieure du genou droit.-Του-
tes les vaches furent foumiſes au même traitement
que la première , à l'exception de celles qui ne préfentoient
aucune morſure , qui ne prirent l'alkali
qu'à demi-doſe ; mais on leur paffa un ſéton , &
onles mit également à l'uſage de l'huile empireumatique
étendue dans l'infuſion de la ſarriette
pour les raiſons que nous avons indiquées , raifons,
dont l'émulſion par l'anus d'un grand nombre
de vers démontra la ſolidité .-Pendant que
le Sr: Douffet fuivoit ce traitement, des chiens qui
avoient été mordus par ceux qui avoient bleſſé les
vaches & qui avoient été négligés , eurent des ac.
cès d'hydrophobie & mordirent deux vaches &
trois cochens. L'une de ces vaches avoit été mordue
à la partie inférieure de la cuiſſe droite ; les
plaics , au nombre de cinq , étoient très - profondes
; l'autre avoit trois morſures à la partie inférieure
du tibia , & trois autres à la partie ſupérieure
de la cuiffe gauche. Ces deux vaches furent trai-
,
h6
( 180 )
tées comme les premières Les trois cochons furent
ſoumis au même traitement ; l'un d'eux avoit été
mordu au bout du nez , les deux autres avoient
ſeulement été terraflés & foulés par le chien. Plus
de deux mois ſe ſont écoulés depuis que ces animaux
ont été traités ; aucun n'a donné le moindre
ſymptôme inquiétant , & il ne me paroît pas
poffible de douter qu'ils n'ayent été bien préſervés.
J'ai l'honneur d'être , &c. CHABERT.
Un de nos Abonnés nous a fait paffer
les obſervations ſuivantes , fur la recette
de M. de Chanvallon , pour prévenir la
bruine des bleds ; elles peuvent intéreſſer
nos Lecteurs , & c'eſt un titre pour les
tranfcrire.
,
>> Nous avons jadis fait ici ( à Troyes ) relativement
à cet objet , des recherches & des differtations
qui , fi elles n'ont pas arrêté la broine , ont
proceré une eſpèce de fortune à ceux qui s'en
font occupés. Dans le fait , les Laboureurs des
bonnes terres qui nous avoiſinent ont de tout
tems chailé leurs bleds deſtinés à la ſemaille , en
variant ſur les ingrédiens qu'ils faifoient entrer dans
le chawlage. M. de Chanvalton remplace ceux tirés
du règne Animal,de jus de fomier , la vieille urine,
par l'alun & même par l'arſenic. Le ſeul nom d'arſenic
a répa du la terreur parmi MM. les Abonnés
de vo re Journal ; & l'usage a para auffi nouveau
que fouverainement d'angereux. Pour les raffurer
foit fur la nouveauté , ſoit fur le danger , permettez-
moi , M , d'idiquer à M. de Chanvallon ,
une autorité qu'il pourra vérifier & développer. Il
la trouverra da le taté très-eftimé de Profpero
Alii , de Plantis Ægypti , imprimé à Veniſe
en 1 $49 , & depuis à Leyde en 1735. Alpini y établit
que , d'après un ulage qui remonte au moins
au premier des Prolomées , qui s'occupa avec ſue
( 181 )
cès du perfectionnement de la culture du bled ea
Egypte , on mêloit de l'arſenic aux enfemencemens :
ce qui ſe pratiquoit encore au tems où écrivoit le
Profefleur de Padoie , & ſe pratique ſans doute aujourd'hui.
Doù il réſulte que cet uſage auffi ancien
qu'approuvé , eſt abſolument ſans danger , au
moyen fans doute de quelques précautions qu'indiqueroit
la pratique actuelle de l'Egypte «.
Les ſujets des trois Prix que l'Acadé
mie des Sciences & Belles- Lettres de Marſeille
diſtribuera l'année prochaine , ſont
1º. l'Eloge de M. de Vendôme ; 2 ° . l'Eloge
de Cook ; 3 °. une Ode fur l'Electri
cité. Chacun de ces Prix conſiſte en une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv . Les
Ouvrages feront adreſſes , francs de port ,
à M. Mouraille , Secrétaire- Perpétuel de
l'Académie , & ne feront reçus que jufqu'au
is Avril.
L'Académie Royale des Stiences , Inſcriptions &
Belles - Lettres de Toulouſe avoit propoſé , pour le
Prix de cette année , de détailler les avantages en
général de l'établiſſement des Etats Provinciaux ,
& en particulier ceux dont le Languedoc eft redevable
aux Etats de cette Province . Les vues de
l'Aca lémie n'ayant point été remplies à cet égard ,
elle a abandonné ce ſujet , & propoſe , pour le
Prix de 1785 , qui fera de soo livres , d'expofer
les principales révolutions que le commerce de
Toulouse a eſſuyées , & les moyens de l'animer ,
de l'étendre & de détruire les obstacles , ſoit Moraux
, Soit Phyſiques , s'il en est , qui s'opposent
à son activité & à ſes progrès. --Pour l'année
prochaine 1783 , l'Académie a propoſé , depuis
1780 , deux ſujets à chacun deſquels elle deſtine
un Prix de 100 piſtoles. Le premier eſt l'influence
( 182 )
,
de Fermat ſurſon ſiècle , relativement aux pros
grès de la haute géométrie & du calcul , & l'avantage
que les mathématiques ont retiré depuis &
peuvent reviver encore de ſes ouvrages. Le ' econd ,
de déterminer les moyens les plus avantageux de
conduire , dans la ville de Toulouse , une quantité
d'eau ſuffisante , foit des ſources éparſes dans
le territoire de cette ville , foit du fleuve qui
baigne ses rives pour fournir en tout tems
dans ses différens quartiers , aux besoins domeftiques
, aux incendies , & à l'arrofement des rues ,
des places , des quais & des promenades. Les Auteurs
joindront à leurs projets , le plan des ouvrages
à faire , avec les élévations , les coupes &
les eſtimations néceſſaires , pour conftater la ſolidité
& la dépenſe de l'entrepriſe. L'Adminiſtration
Municipale , pénétrée de l'importance de ce dernier
ſujet, & du peu de proportion qui ſe trouve
entre les travaux qu'il exige & une ſomme de
1000 livres , a délibéré d'y ajouter 100 louis , de
manière que le Prix total ſera de 3400 livres . L'Académie
communiquera à ceux qui ſe propoſent de
concourir pour le Prix, les renſeignemens qu'elle
a déjà , & ceux qu'elle eſpère de de procurer encore.
Le ſujet du Prix de 1784 , confiſte à
affigner les effets de l'air & des fluides occafionnés
, introduits ou produits dans le corps humain ,
relativement à l'économie animale.
Marie Adelaïde de Renée , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Valogne , eſt morte
dans ſon Abbaye le 13 du mois dernier.
Marie-Claire-Thérèſe de Begon , veuve
de Jofeph Charles , Marquis de Rochambeau
, Gouvernante des Enfans de la Maiſon
d'Orléans , eſt morte au Palais- Royal ,
dans ſa 79e. année.
( 1831
Valentine-Charlote du Caricul , douairière
du nom & armes de la très noble &
très- ancienne Maiſon de du Carieul , Dame
de Freſy , Beauqueſne , Quevauſſeth ,
Beaurains , Arras , Ecoivre- lès-St- Pol , Avefne
en Boulonnois , &c. , épouſe en premières
noces de Meſſire Antoine- Dominique
Hyacinte Joſeph de Briois , Chevalier
, Seigneur d'Hulhech , Benifontaine
en partie , la Pugnanderie , & c . & en
ſecondes noces , de Meftire Amalet-Hubert-
François de Malet , Chevalier , Baron de
Compagny , Seigneur de Verchocq , Fafque
, &c. , eſt morte les de ce mois ,
en ſon Château de Beauqueſne .
,
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
2. 50. 48. 37. & 63 .
Lettres Patentes du Roi , en forme d'Edit , données
à Verſailles au mois de Juin , & enregistrées
au Parlement le 27 Août , qui ordonnent la réunion
du Domaine engagé de Corbeil au Domaine
de la Couronne .
-
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 24 Août ,
concernant l'arrêté des rôles , tant pour la perception
des premier & ſecond Vingtièmes & 4 fols
pour livres du premier , que pour celle du troifième
vingtième érabli par l'Edit du mois de Juillet
dernier. - Autre du 27 Juillet , portant règlement
pour l'approviſionnement du magaſm de
verres à vitres de Normandie établi à Paris .- Autre
du 13 Septembre , qui ordonne que les fils retors
& fimples , tant de lin, que de chanvre , payeront
à toutes les entrées du Royaume , 14 livres par
( 184 )
-quintal , & le ſol pour livre. - Autre du 14
Septembre , concernant l'arrêté des rôles pour les
maiſons & autres emplacemens de la ville & fauxbourgs
de Paris , tant des premiers & ſecond Vingtièmes
, 4 fols pour livres du premier , que du
troiſième Vingtième établi par l'Edit du Juillet dernier
. Autre dudit jour , qui règle les attributions
des Procureurs dues au Bureau des Finances
fur les droits ſeigneuriaux cafuels . Autre du
même jour , qui révoque celui du 9 Août 1781
concernant le privilége excluſif du transport , tant
par eau que par terre , des marchandises qui jouifſent
de la faveur de tranfit ; permet ledit tranf
port aux Voituriers & Routiers , en s'aſſujettiſſant
toutefois aux formalités preſcrites par les Lettres-
Patentes de 1717 , & à celles ajourées par le préſent
Arrêt . Autre du 18 Septembre , concernant
les rentes ſur les revenus de l'Etat , échues à S. M.
par déshérence , aubaine , confiſcation ou autrement
.
De BRUXELLES , le 22 Octobre .
eft
Le traité d'amitié & de commerce entre
la République de Hollande & les Etats-
Unis de l'Amérique ſeptentrionale
maintenant une affaire terminée. Le projet
de ce traité fut remis le 29 Avril dernier
aux Commiffaires des Etats-Généraux , pour
l'examiner , & y ajouter les articles qu'ils
jugeroient les plus avantageux ; le
Août , ils remirent leurs obſervations à M.
Adams , qui y répondit le 29. Tous les
différends ſe trouvant applanis on rédigea
le traité & une convention concernant
la repriſe des navires appartenans aux deux
د
22
( 185 )
Nations. Ces deux pièces ayant été coms
muniquées le 6 de ce mois à M. Adams ,
qui déclara qu'il les approuvoit pleinement ,
la fignature ſolemnelle s'en fit le lendemain.
On avoit fait deux originaux
exactement ſemblables , l'un en Hollandois ,
l'autre en Anglois , mis au net fur deux
colonnes à côté l'une de l'autre.
Le jour même où l'on a ſigné ce traité ,
le Stadhouder a aſſiſté à une aſſemblée
desEtats-Généraux, & leur a remis une lettre
& un mémoire juſtificatif de ſa conduite ,
en qualité d'Amiral - Général de la République
, depuis la rupture avec l'Angleterre.
On a remis copie de ce mémoire , qui eſt
très-étendu , aux Députés des Provinces
reſpectives , pour qu'ils le communiquent
à leurs principaux; on n'a encore publié
que la lettre qui l'accompagnoit , & qui
eſt conçue ainſi.
>> H. & P. S. Nous nous trouvons actuellement
en état de fatisfaire à l'engagement que nous avons
pris ſur nous il y a quelque tems , de mettre ſous
les yeux de V. H. P. , & par là fous ceux des
Confédérés , le tableau ſuivi de nos efforts & opérations
avant & pendant les troubles intérieurs &
extérieurs qui menacent la patrie d'une ruine irréparable
; & afin de laiſſer dans les regiſtres des
délibérations de V. H. P. , ainſi que dans ceux des
Seigneurs-Erats de toutes les Provinces , un monument
éternel de nos vrais deſſeins & amour pour
la patrie, auſſi bien que de la fauffeté des idées
( 186 )
&défiances que l'on cherche à inſpirer depuis longtems
, & aves trop de ſuccès , contre les intérêts
de la République , à une Nation au milieu de laquelle
je ſuis né & élevé , dont les intérêts font
les miens , & dont la proſpérité & le bonheur ,
inséparablement liés à celui de notre Maiſon , forment
conféquemment une partie & même la plus
grande partie de notre bonheur perſoneel. Nous
avons éré obligés non-ſeulement d'entrer dans beaucoup
de détails , leſquels font demandés , pour répandre
la lumière néceſſaire ſur toutes nos actions
&opérations confidérées dans leur enſemble, ( ſans
quoi il n'eſt point foſſible de poster un jugement
fain fur les deſſeins & la conduite de qui que ce
ſoit ) ; mais encore de rappeller à V. H. P. & aux
Seigneurs-Etats des Provinces reſpectives , diverſes
& même pluſieurs circonstances qui ne leur font
foint connues : & comme nous nous ſommes propoſés
de rétabir cette confiance réciproque & faire
revivre cette harmonie , ſans lesquelles il eſt impoſſible
de ſauver la patrie de l'éminent danger
où elle ſe trouve , nous avons cru devoir nous
garder ſoigneuſement de toures réflexions qui pourroient
donner occafion à de nouvelles animoſités,
ou à la diminution des égards & confidérations
que ſe doivent entr'eux ceux qui ont part à la
Régence du pays. Par ce même principe nous nous
ommes abſtenus de relever telles expreffions &
remarques par l'uſage deſquelles , dans plus d'une
réſolution , propoſition & lettres , on a manqué à
cette difcrétion néceſſaire à l'égard de notre perfonne.
Nous nous ſommes ſimplement bornés à
l'indication des faits & évènemens qui pourront
convaincre tout homme impartial , non-ſeulement
parmi nos contemporains , mais encore la poſtériré
non prévenue, que ſi notre conduite eſt jugée
2
( 187 )
n'avoir pas procuré tout le bien poſſible , au moins
nos intentions ont toujours été pures & n'ont eu
d'autres vues que ce que nous avons cru & croyons
encore être le plus convenable aux viais intérêts
de la patrie. Comme nous ne doutons point que
le mémoire dans lequel nous avons compris le
récit détaillé & ſuivi de nos principales opérations , &
en particulier de tout ce qui a rapport à la Marine
de l'Etat , répondra parfaitement à notre deſſein ,
nous penſons auſſi devoir attendre des ſentimens patriotiques
& équitables de V. H. P. que conjointement
avec les confédérés , elles voudront concourir
avec nous à tatir la ſource d'où font dérivés ces
_troubles & diſſentions inteſtines, avant qu'il ſoit trop
tard , par des meſures efficaces & convenables , contre
les efforts puriſſables qui tendent de jour en jour
non-ſeulement à renverſer la forme actuelle du
Gouvernement , mais encore à détruire les fondemens
de l'Administration «.
Le Stadhouder remit en même tems aux
Erats Généraux une Requête , qui lui avoit
été préſentée par tous les Officiers de pavillons
& Capitaines de la marine de la
République , qui ſont à la rade du Texel.
Ils s'y plaigrent , dans les termes les plus
forts , de pluſieurs papiers de nouvelles &
feuilles périodiques , où l'on trouve des
expreſſions très-vives& très injurieuſes pour
le Corps entier de la marine. Ils demandent
qu'on prenne des meſures pour mettre fin
à ces diffamations , & déclarent que ſi elles
continuent , ils ſe creiront dans la néceſſiré
d'abandonner à d'autres les commandemens
dont ils font chargés. Le Stadhouder appuya
( 188 )
fortement cette Requête , en inſiſtant fur la
juſtice de ces plaintes , & fur la ſenſibilité
que devoient cauſer ces libelles à ceux qui
en étoient l'objet ; il en appella même à ſa
propre expérience. Les Etats-Généraux ont
fait paffer cette Requête aux Etats des Provinces
reſpectives .
>> Il eſt ſorti la ſemaine dernière du Texel , écriton
d'Amſterdam , les vaiſſeaux de guerre le Glin-
- thorst , de so canons , la Brille , le Jaſon , de 36 ,
& la Vénus , de 24. Le 10 , il en fortit encore une
petite eſcadre , ſous les ordres du Capitaine Lucbergen
, conſiſtant dans les vaiſſcaux l'Amiral de
Ruyter , l'Utrecht , l'Unie , de 64 canons , le Kortenaar
, de 60 , le Goos , de so , & un cutter. On
apprend auffi que le Zierikzee , de 60 , a mis à la
voile pour Fleſſingue.-Depuis le 9 de ce mois ,
il eſt ſorti du Texel & du Vlie 83 navires marchands
, deſtinés la plupart pour la Mer Baltique ,
& 73 autres font arrivés dans les perts. Plafieurs
navires marchands , venant de la Baltique , ont péri
fur nos côtes , & d'autres ont fait naufrage.
écrit du Helder , que so hommes de l'équipage du
navire la Vénus , appartenant à la Compagnie des
Indes Orientales , ſe ſont emparé d'une allège qui
apportoit des proviſions. Quatre des principaux ſéditieux
ont grièvement bleſſé le premier Pilote avec
des couteaux. Un autre Pilote du même navire ,
ainſi que les chaloupes des vaiſſeaux de guerre ,
s'étant mis à leur pourſuite , les ont atteints , &
les ont conduits priſonniers à bord des vaiſſeaux
de guerre , après avoir tué un homme «.
On
Des lettres de la Haye arrivées il y a
quelques jours , ſembloient annoncer que
( 189 )
l'eſcadre Hollandoiſe ne ſortiroit point du
reſte de la campagne , à cauſe du manque
de tems pour l'approviſionner ; d'autres arrivées
poſtérieurement , marquent qu'on
s'occupe de ces approviſionnemens , & que
le Stadhouder a donné des ordres à cet
effet.
Ceux qui ont lu la lettre de M. Gibbon
fur l'état de l'Angleterre , feront bien-aiſes
de trouver les obſervations ſuivantes que
l'on vient de nous adreffer .
,
» J'ai dû , M. , plus particulièrement qu'un
autre applaudir à la lettre ſupérieure de M.
Gibbon , confignée dans votre Journal du mois
d'Aôut ayant l'avantage de le connoître perfonnellement
& la justice de le regarder comme
un des plus beaux génies de l'Angleterre. Il a
crayonné de la manière forte & fublime qui lui
eft propre , les cauſes générales & éloignées qui
ont préparé l'état fâcheux où il dit ſa patrie. Il
a laiſſé aux eſprits du ſecond ordre à équiſſer les
cauſes prochaines & les détails qui ne pouvoient
entrer dans ſon plan ; c'eſt à une des cauſes de cer
ordre , M. , que je m'attache aujourd'hui , & j'entreprens
de prouver dans certe lettre , que la perplexité
dans laquelle ſe trouve l'Angleterre depuis
deux ans , & l'affoibliſſement de ſes armes en Amérique
& dans l'Inde , doivent être attribués à la déclaration
de guerre faite aux Hollandois .-Il eſt
ſenſible d'une part que l'eſcadre qu'ils ont ſpécialement
détachée contre ces nouveaux ennemis dans
la Manche , eût pû être envoyée à titre de renfort
à l'Amiral Samuel Hood ; qu'alors ce général
( 190 )
eût été en meſure avec M. le comte de Grafic ,
& par- la en état de lui difputer l'entrée à la poffeffion
de Cheſapeack ; que le fort du Lord Cornwallis
dé endant de cette égalite , il eſt clair que
cebrave officier lutreroi, encore dans le conument ,
& q e le poſte d'Yorck eût été conſervé.-I. n'eſt
pas moies clair d'une autre part , M. , que cette
déclaration a obligé 1Angleterre de doubler à peuprès
fes eſcadres & ſes troupes dans l'Inde , puif
que ſes ennemis & leurs moyens s'y étoient dou.
blés. Elle eſt de plus forcée de donner à fon commerce
important de la Baltique , une attention &
des eſcortes qui la gênert & la diſtraient , en raifon
des inquiétudes que peuvent lui donner ces voifins
incommodes . Vous direz peut- être , M. , que
les Anglois ont fait fur les Hollandois des conquêtes
& des priſes , mais qu'elles conquêtes ? &
fi minces qu'elles ſoient les ont- ils confervées ?
Ces conquêtes & ces priſes ont enrichi quelques
particuliers & appauvri le gros de la Nation , toujours
enivré par une proſpérité de trop longue haleine
; proſpérité que l'aveugle préference donnée
fi long-tems par une grande nation de l'Europe ,
aux guerres de balance de terre ſur les guerres de
mer, les ſeules à mon avis qui lui conviennent d'après
ſa pofition & ſon commerce , ſembloit devoir
cimenter pour les ſiècles à venir. Si la confiance
tout auffi aveugle qui en eſt la ſuite preſque inévitable
, n'avoit pas produit pour ſes ennemis ordinaires
,& encore plus pour les refſourcesphyfiques
& morales de ſes Colonies du continent , un
mépris qui lei a fermé les yeux fur les conféquerces
funeſtes qui devoient en réſulter. On ne
peut ſe déguiſer , M. , que ces conféquences auroient
éré bien plus fatales à l'Angleterre , qu'elles ne le
feront fans doute , ſi une des Nations confédérées
( 191 )
avoir dès le commencement de la guerre , joint à
nos forces navales dans les mers de l'Amérique ,
les forces navales très - confidérables qu'une conquête
chimérique & diſpendieu e a conftamment
fixées à bout touchant de l'objet de ceste conquête.
-Plaignons , M. , les nations & les particuliers ,
que les ſuccès rendent également incapables de réfifter
à cet eſprit de vertige qui ſemble s'amalgamer
avec eux & les entraîcer tête baiffée vers leur ruine
par le înépris des révolutions poſſibies & des incertitudes
de l'avenir. J'ai l'honneur d'être , &c. Signé
le Chevalier DE LA MOTTE-GEFFRARD , ci-devant
Lieutenant de Roi de St-Omer.
>> On apprend de la Haye qu'on inſtruit le procès
d'un jeune Officier qui a été arrêté ; on l'accuſe
d'une correſpondance illicite avec l'Angleterre. Ce
jeune homme eſt Enſeigne dans le premier bataillon
du Régiment du Lieutenant- Général , Comte
d'Yſemberg , actuellement en Garniſon à Schouwen.
Son projet a , dit-on , été de faciliter aux Anglois
une deſcente dans l'Ile de Goerée , qu'on regarde
comme la clef de la Meuſe. On affure qu'au moment
où l'on ſe ſaiſit de lui , un Ingénieur Irlandois
, au ſervice Britannique , qui fe tenoit dans
l'Iſle de Schouwen , s'en eſt retiré ſubitement «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 15 Oct.
Une mortalité confidérable , occaſionnée par la
nature du climat , a enlevé un grand nombre de
troupes Européennes , ſous les ordres du Chevalier
Eyre Coote.
Il ya des parisque New-Yorck ne ſera point dans
la poſſeſſiondes Anglois le 31 Décembre. On y a,
dit-on , envoyé ordre de faire embarquer , pour la
( 192 )
6. B. , les différens détachemensdes Gardes en gars
niſon dans cette Place.
Les ſeals habitans de Londres qui aient illuminé
leurs fenêtres , pour célébrer l'heureux retour de
l'Amiral Rodney , font un Tailleur , du Strand , &
un Poète qui occupe les greniers de la maiſon de
ce Tailleur, - On reproche à l'Amiral Rodne,y
d'avoir , malgré les inſtances réitérées des habitans
de la Jamaïque, reculé le départ de la flotte de cette
Ile , juſqu'au tems où l'on étoit preſque sûr qu'elle
ſeroit expoſée aux tempêtes ; on ajoute que le motif
de ce retardement étoit de réparer ſes propres forces;
mais nous regardons de pareils traits comme une
calomnie , ne pouvant ſoupçonner ce Lord d'une
avarice affez fordide pour aimer mieux expoſer
une flotte auſſi précieuſe ,& la vie de tant de braves
gens , que de courir les riſques de n'avoir point de
convoi pour les bâtimens qui lui appartenoient.
Les vaiſſeaux qui ont quitté l'eſcadre du Lord
Howe , pour relâcher en Irlande , ont effuyé conftamment
les ouragans les plus ferieux depuis qu'ils
ſont ſortis de la Manche , mais heureuſement aucun
des vaifſeaux de ligne n'a été maltraité au point d'être
obligé de revenir en Angleterre.
Suivant une lettre de Portsmouth, reçue ici le 12
l'eſcadre , deſtinée pour le ſervice de la Manche ,
ſera prête à mettre à la mer dans une quinzaine de
jours ,les vaiſſeaux qui ſont à Sherneſſ ayant àbord
le complet de leurs équipages & de leurs approvifionnemens
.
Le Chevalier Parker a mis à la voile de Por
mouth , hier , à bord du Cato , de so canons , pour
aller prendre le commandement de l'eſcadre dans
l'Inde , à la place de l'Amiral Bickerton. L'Amiral
Hughes que celui- ci alloit remplacer , eſt , dit-on ,
déja actuellement en route pour revenir enEurope.
MERCURE
DE FRANCE
DÉDIÉ AU ROI ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
CONTENANT 18335
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en profe; l'Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Découvertes
dans les Sciences & les Arts ; les Spestacles ,
les Causes célebres; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Édits , Arréts ; les Avis
particuliers , &c. &c.
2
SAMEDI S OCTOBRE 1782.
7
A PARIS ,
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou ,
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Rois
TABLE
Du mois de
PIÈCES FUGITIVES.
LeRetouràla Ville,
Vers à M. *** ,
Septembre 1772 .
4
ibid.
-Mlle de Gaudin ,
Les deux Epis , Fable ,
Epître aux Aftronomes ,
Impromptu à M. I AbbéArnaud,
de Chevalerie ,
34
Elfais des Sermons prêchés a
l'Etel- Dieu de Paris , 38
Alexandrine , ou l'Amour est
une Vertu , 68
49 Leçons Elémentaires d'Histoire
Naturelle & de Chimie ,, 73
51 Effais Hiftoriques fur lesAn-
Quatrain pour le Portrait de
M. d'Alembert , ib.
L'Abeille & la Fourmi , fable
, 52
Couplers ſur l'Ami des En-
,
gglloo 78 Américains
Mémoires concernant l'Hiftoire
, les Sciences , &c. des
Chinois , 82
Histoire de Charlemagne ,ſefans,
53
cond Extrait , 106
LesDeux Paladins, Conte, 54
Vers écrits au bas du Por-
Manco- Capac , premier Inca
du Pérou , 124
trait de la Reine ,
Plan des Travaux Littéraires
97
Portrait de Mlle *** ib. ordonnéspar S. M. 154
Lettre àM l'Abbéde Lisle, 98 Histoire dc Charlemagne , der
Epitre au Même , 99
nier Extrait , 158
Réponse à M *** 145
Le Flatteur , Comédie , 170
Vers àMlle Fanier ,
147 SPECTACLES .
Vers récités par unejeune Dlle Académie Roy. de Musiq. 92
àM. le Curé de Saint- Comédie Françoise, 40
Sulpice , 148 Comédie Italienne , 135
Aux Auteurs du Mercure de VARIÉTÉS .
France ,
Enigmes & Logogryphes , 7 ,
149 Lettre de M. Grosley à M.
d'Alembert ,
67, 105 , 152 Lettre au Rédacteur du Mer
139
NOUVELLES LITTÉR curede France , 188
Poéfies & Pièces Fugitives diverſesdeM.
le Chevalier de
B***,
Gravures ,
Musique ,
93,141 , 189
45
Annonces Littéraires , 45 , 94 ,
Nouveau Théâtre Allemand 22 143 , 191
Corps d'Extraits de Romans
A Paris , de l'Imprimererie de M. LAMBERT & F. J.
BAUDOUIN , Ive de laHarpe , près S. Coſme.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI JOCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
1
EN VERS ETEN PROSE.
ADI
ÉLÉGIE.
DIEU , paiſible indépendance ,
Liberté , chère infouciance ,
Adieu , délices de mon coeur !
Le temps n'eſt plus où ma jeuneſſe
Couloit dans une aimable ivreffe
Des inſtans faits pour le bonheur.
Hélas ! dans mon âme attendrie
Se peint la mémoire chéric
De ces jours de proſpérité ,
Et je bénis la rêverie
Qui m'en retrace la gaîté.
Ah ! ſi les pénibles affaires ,
Si les ſoins , les ennuis cruels ,
Sont des tributs involontaires
Aij
4
MERCURE
Que le ciel impoſe aux mortels ,
Pourquoi ne pas attendre l'âge
Où des ans le rapide outrage
Éteint en nous le ſentiment ?
Eſt- ce au jeune homme , eſt- ce à l'amant
De payer ce dur arrérage ?
Et , quand la beauté qui l'engage
Brûle avec lui des mêmes feux ,
Devroit-il ſentir d'autre peine
Que les tourmens délicieux
Qu'on a dans l'amoureuſe chaîne ?
Mais je m'égare , malheureux....
A quoi bon ce lâche murmure ,
Ces plaintes , ces ſoupirs honteux ?
Du deſtin la fatale injure
S'étend ſur toute la Nature ,
Et preſcrit à tous de gémir.
Dois-je ſeul ne jamais connoître
Que les douces loix du plaifir ?
Et celui qui me donna l'être
M'a-t'il exempté de ſouffrir ?
(ParM. Faulcon. )
DE FRANCE.
RÉPONSE aux Stances de Mile DE
GAUDIN , inférées dans le Mercure
du 27 Juillet 1782 .
JE ſavois que mon enjoûment
Exciteroit un peu votre ire ,
Et je m'attendois franchement
Qu'à celle fin de me réduire ,
Vous prendriez tout bonnement
Le martinet de la ſatyre.
MAIS hier , quand de votre part
La poéfie & l'éloquence
Me fuſtigèrent à l'écart ,
Ce fut avec tant d'élégance ,
Qu'en les embraſſant tour- à-tour ,
Je m'écriai , pendant leurs pauſes :
On me traite comme l'Amour
On me corrige avec des rofes !
AU RESTE , à parler gravement ,
Vous me jugez trop fur mon âge;
Vous croyez que je rends hommage
Au frivole exclufivement ,
Et qu'un vernis de perfifflage
Fait réſiſter mon coeur volage
A l'eau- forte du ſentiment.
A iij
6 MERCURE
DÉTROMPEZ- Vous: de Melpomène
J'aime les traits bien ordonnés ,
Et si j'oſe lui rire au nez ,
C'eſt lorſque de Belloi la mène.
J'aime auſſi nos bons devanciers ;
Mais , nonobftant vos épigrammes ,
Tout autant que ces Chevaliers
Nous cherchons ce qui plaît aux Dames.
Oui , vous régnez comme autrefois ;
L'hiver même , au milieu des danſes ,
Nous rappelons les vieux tournois
En roimpant pour vous maintes lances ;
Et fi vos fidèles amans
Aleurs genoux , de vos rubans
Ne portent plus des garnitures ,
Vous voyez , en liens charmans ,
Les treſſes de vos chevelures
Suſpendre encor à leurs ceintures
Les priſons mobiles du temps.
Mais , parlons un peu d'autre choſe.
J'aurois moi - même été ſavoir
Si vous m'en vouliez de ma gloſe ,
N'eſt que je ſuis parti le ſoir
Pour l'iſle où Jean-Jacques repoſe ;
Et c'eſt pour apprendre à pleurer
Queje fais ce pélerinage !
Que fait-on ? dans un ſeul voyage
Ververt apprit bien à jurer.
1
DE FRANCE. 7
Aux peupliers d'Hermenonville ,
Je veux donc , narguant Érato ,
Suſpendre , en guiſe d'exvoto ,
La guimbarde du vaudeville.
D'ailleurs , j'eus toujours tant de foi
A Rouſſeau , quoique taciturne ,
Que je pleurerai dans ſon urne
Mes vers & les vers de Belloi .
Puiſſai je, après cette proueſſe ,
Vous rapporter un tendre coeur
Qui ſache goûter la triſteſſe ,
Et calculer avec juſteſſe
Tout le plaifir de la douleur.
MAIS , ſi par un effet contraire
Je revenois plus enjoué ,
Plus volatil , plus engoué
Du badinage épiſtolaire ,
Il faudroit , vu mon caractère ,
Qu'on n'exposât commeun roué
Sur le grand chemin de Cythère ,
Pour y reſter à l'abandon ,
Contre vous , la face tournée,
Tant qu'il plairoit à Cupidon
Mc prolonger ma deſtinée.
ود
(ParM. de Piis. )
※
:
Aiv
S MERCURE
Si l'Eloquence eft utile ou dangereuse dans
l'Administration de la Justice ? *
UN Peuple gouverné par l'Eloquence , l'avoit
bannie du Sanctuaire des Loix : étoit - ce contradietion
, ſageſſe ou ſeulement ſévérité ?
L'Eloquence eſt le don que la Nature a accordé
àcertains hommes de parler avec l'empire de la perfuafion.
Les facultés de la Nature ſe jouent ſouvent
des vaines entraves de la Sociéré. Direz- vous à cet
homme doué de l'Eloquence : Renonce à cette puifſance
qui eſt en toi ; je te défends de m'échauffer
ou de m'attendrir. Cette nouvelle oppreſſion ne
feroit qu'ajouter à l'énergie de ſes plaintes. Ce qu'il
ne diroit pas ſous une forme, il le diroit ſous une
autre; ce qu'il ne diroit pas , on l'entendroit dans les
accens d'une âme déchirée & contrainte , on le
liroit dans ſes regards & juſques dans ſon filence.
Tout fait parler , tout fait toucher au moins dans
l'homme éloquent. Comment ſur tout enchaîner
l'Eloquence aumilieu d'un Peuple?C'eſt-là qu'elle n'apperçoit
plus qu'une ſeule autorité , & c'eſt la ſienne ;
c'eſt-là que tout l'excite , & les grands objets & les
grands triomphes. C'eût donc été une loi fans raiſon
, & par conféquent ſans force , que celle qui auroit
exclu l'Eloquence des Affemblées populaires.
On conçoit plus aisément qu'on ait pu l'écarter
de l'Adminiſtration de la Juſtice. On peut , dans les
jugemens , ne procéder que par des formes fixes &
rigoureuſes; on peut y réduire le Citoyen à ne dire
aux Juges que ce qu'ils ne pourroient apprendre par
cux- mêmes, c'est -à- dire, les faits de la cauſe ; on
* Ce Morceau eft tiré d'un Ouvrage ſur l'Éloquence.
DE FRANCE. و
:
peut enfin preſcrire des formules qui ne permettent
pas aux mouvemens de l'âme d'entrer dans cette expoſition
ſévère , ainfi , il faudroit , pour ainſi dire ,
compter aux Plaideurs leurs paroles pour leur interdire
l'Eloquence *.
Mais pour qu'un tel ordre judiciaire ne devienne
ni une injustice ni une oppreffion , il faudroit que la
loi ſe fût chargée de garder elle-même au Citoyen
ce qu'elle lui interdit de défendre avec tout ce qu'il
ade ſenſibilité dans l'âme & de force dans l'eſprit ;
il faut lui avoir rendu l'Eloquence inutile pour avoir
le droit de l'en priver.
Comment la rendre inutile? Ce ſeroit le chefd'oeuvre
des bonnes loix unies aux bonnes moeurs.
Eft-ce donc un fi grand art que la juſtice en ellemême
? Exige-t'elle tous les efforts & toute la perfectionde
l'eſprit humain ? Que le ſyſtême ſocial ſoit
bon,& les plus grandes difficultés de la justice ſont
ôtées. Suppoſonsun Peuple qui nous offre dans un
petit territoire & une conſtitution libre , la fimplicité
des moeurs primitives réunie non pas aux plus vaſtes,
mais aux plus utiles connoiſſances de la civiliſation ,
&fur-tout cette modération dans les richeſſes , dans
le progrès des Sciences & des Arts , dans tous les
genres de proſpérités ; qui , en retranchant les jouifſances
qui pourroient corrompre , préviendroitmême
l'abus des autres; ſuppoſons un Peuple où les moeurs
renforçant toujours les loix, ou les ſuppléant , cellesci
ſeroient peu nombreuſes, bien liées entre elles ,
égales pour tous , fimples comme toutes les choſes
bien conçues ou déjà perfectionnées , & dignes d'être
jetées comme les premières notions dans la mémoire
* Je ne fépare pas ici l'Eloquence purement naturelle
decellequi connoît l'Art , parce que celle-ci naît des premiers
progrès , & s'élève dans les triomphes de l'auté ,à
laquelle elle ne tarde pas à s'unir.
Av
10 MERCURE <
des hommes , &de devenir ainſi des ſentimens avant
d'être des devoirs. Chez un Peuple pareil , la ſcience
de nos Jurifconfultes , l'Eloquence de nos Orateurs
ſeroient des avantages inutiles ou funeſtes s'ils étoient
compatibles avec un état de ſociété ſi pur & fi heureux.
Tranſportons-nous ſur la Place publique , &
contemplons ici l'oeuvre de la Juftice dans la belle
fimplicité. Là , dans un jour folemnel , an milieu
des travaux ſuſpendus , en plein air , quelques
vieillards paroiſſent entre leurs Concitoyens raflemblés.
Surun Tribunal , où de longues vertus , une longue
ſageſſe les ont conduits , ils écoutent ceux qui leur
apportent ou des plaintes ou des accufations. Chacun
parle fans autre talent que le ſentiment dont il est
affecté , avec la candeur de l'innocence ou le trouble
des coupables; car on ne connoît pas encore ici
la diſſimulation dans le crime , & l'audace dans la
honte. Celui qui mettroit de l'arrifice dans ſes difcours
ne feroit qu'éveiller la défiance : les moeurs
fimples donnent un jugement ſain plutôt qu'un efprit
crédule, & la probité démêle le menſonge partout
où elle ne retrouve pas ſa franchiſe , comme
les paſſions récuſent dans les livres tous les ſentimens
où elles ne ſe reconnoiffent pas : d'ailleurs , le
plan de défenſe où l'on vous circonfcrit ici ne permet
ni de grandes impoſtures ni de grandes ſéductions,
Nulle diſcuſſion étrangère ; nuls débats fir
la loi. Après toutes les explications qu'ils ont reçues,
les Juges éprouvent- ils encore quelque doute ? Suivis
du concours du Peuple , ils vont tout vérifier de
leurs propres yeux. Sont - ils forcés de s'en rapporter
à la foi d'autres hommes ? Entre le Sanctuaire de la
Juſtice & le Temple de la Divinité , il eſt un lieu inviolable
rempli de la Majeſté du Ciel & environné
de la crainte de la terre , c'eſt le monument du ferment.
Qui oferoit mentir ici ? Un Peuple eſt le témoin
, Dieu est le garant. L'horreur publique , une
DE FRANCE.
proſcription éternelle ſont promiſes au parjure ; dès
qu'il entre dans ce lieu redoutable , il ſe ſent environné
de ces terribles menaces , & il ne trouve pas
de voix pour proférer le menſonge ſacrilège déjà
commis dans ſon coeur. Enfin , le Juge conſomme
ſon miniſtère ; il ouvre la loi , qu'il interprête avec
autant de fimplicité que de ſoumiffion , & il déclare
ce qu'elle a voulu. Alors le Peuple ſe retire , empor.
tant dans ſon coeur , avec un plus grand reſpect , une
plus grande confiance pour ſes Magiſtrats , une nouvelle
leçon fur les règles de la vie civile ; & les
jugemens, comme les loix, forment ſa morale & dirigent
ſa conduite.
Heureux les Peuples à qui il fut donné d'exercer
& de recevoir ainfi la juſtice ! Mais de cette Nation
encore affez pure dans ſes moeurs pour avoir cetre
perfection dans ſes loix , pafions chez celles qui
brillent de tant d'éclat , qui périfient de tant de
maux. Au milicu de toutes les paſſions naturelles
exaltées & de tant de paſſions factices , au milieu
de-cette perverfité dans les coeurs , de ce rafinement
dans les eſprits , tranſportons ce plan de juſtice que
nous venons de tracer , d'admirer & d'aimer. En
feroit il un plus propre à recevoir toute la corruption
qui l'environne ? Il eſt des maux qui ne trouvent
leurs remèdes que dans d'autres maux. Ici , les loix
ſont ſi multipliées, fi diverſes , ſi peu d'accord &
dans leurbut & dans leurs moyens , que ſouvent le
Juge ne peut lui ſeul ni les toutes connoître ni les
bien entendre ; ici , les intérêts ſur lesquels il faut
prononcer ſont ſi vaſtes , fi compliqués , que c'eſt
déjà un grand travail , un grand art de les déméler ;
ici , toutes ces formalités dont la juſtice a été obligée
de s'entourer , ajoutent encore à ſes lenteurs , à
ſes difficultés . Dans un état de choſe où il y a tant à
faire & tant à craindre , abandonnerez - vous le Magiſtrat
à ſa pénétration , à ſes lumières , à ſon expé
Avj
12 MERCURE
rience ? Que dis-je ? Eſt-il toujours sûr ici que le
Magiftrat joindra à l'expérience les lumières & la
pénétration ? Laiſſerez-vous le ſort des Plaidcurs à
la merci de ſon examen ? Leur défendrez-vous d'invoquer
le pouvoir des talens pour ſe concilier l'efprit
de la loi & la raiſon du Juge ? Puiſque le Juge
ne peut ni tout voir ni tout apprendre par lui -même ,
à qui confierez-vous le complément de ſon inftruction
, fi ce n'eſt à la ſagacité des intérêts contraires ?
Or , dans cette forme d'adminiſtrer la juſtice , il
faut choiſir entre deux choses ; il faut y admettre ou
l'éloquence ou la chicane: vous ne pouvez chaſſer
l'une que par l'autre. Et pourriez-vous balancer
entre ce qu'il y a de plus beau & ce qu'il y a de plus
vil ? Pourriez- vous même balancer ſur les dangers ?
L'Éloquence a je ne ſais quoi de fier qui ne peut entièrement
ſe démentir; elle conferve encore quelque
reſpect d'elle- même dans ſa proſtitution ; mais la
chicane s'applauditde ſes batſeſſes ; elle a des ruſes
dont on ne peut ſe défendre , parce qu'on n'oſe les
foupçonner. Que deviendra le Juge , lorſque la chicane
égarera fon eſprit dans ſes obfcurs détours ,
& qu'elle l'étourdira de ſonjargon infidieux ?
Que s'il faut tant de précautions , & même des
précautions ſi mêlées d'inconvéniens contre les loix
d'un tel pays , combien n'en faudroit- il pas contre
fes moeurs! Du ſein de tantde vices & de défordres
il s'élève une foule de préjugés , d'intérêts , de paffions
, d'inſtitutions même funeſtes au malheureux ,
an foible , à l'innocent. Quel opprimé dans fon
délaiſſement , ne doit s'effrayer de ſes plaintes lorfqu'il
apperçoit contre lui , ou les dignités , ou la faveur,
ou la richeſſe , ou la beauté , ou la réputation
? Et ſouvent toutes enſemble ſont conjurées
contre lui . Comme tout s'émeut à leur nom ! comnie
tour ſe glace à la vue de ſa misère ! Eh bien ! qu'il
invoque l'éloquence; elic eſt ſa protectrice natuDE
FRANCE. 13
relle; elle puiſe dans le ſentiment de ſes forces le
courage & la générofité ſeule , elle défiera tant
d'ennemis, ſeule en triomphera. Cette autorité , que
veulent uſurper les rangs & les réputations , ele la
repouffe avec les droits ſacrés de la raiſon , de la
vérité, de la justice. Aux fureurs de la tyrannie , elle
oppoſe l'aſcendant de l'opinion publique ; contre les
ſéductions du vice, elle s'arme des derniers cris de la
confcience ; elle fait pâlir devant l'effrayante image
de ſon déshonneur , ce Juge qui ouvroit fon carur à
l'iniquité ; elle l'arrache au crime par le preffentiment
du remords; elle ne ſe laiſſe pas même intimider
par la majeſté du rang ſupreme. Souvent les
Miniſtres des Autels , les Miniſtres des Loix ont
fait entendre de grandes vérités dans ce filence de
l'adoration & de la terreur ; elle a éclairé l'orgueil
& fléchi la colère ju'ques ſur le Trône. Eloignez
l'Eloquence de nos Tribunaux , il ne nous reftera
que les deux extrêmes dans la corruption de la juftice
, l'embarras & la confuſion de celle d'Europe ,
-& le deſpotiſine vénal de celle d'Afie .
J'apperçois encore une vérité qui doit nous honorer
, en nous raſſurant , c'eſt que dans notre conftitution&
dans nos moeurs, l'Eloquence eſt bien plus
puiſſante pour le bien que pour le mal. Si elle excitoit,
chez les Anciens, des ſoulèvemens , des ſéditions
; fi , parmi les révolutions qu'elle y a faites , on
peut lui en reprocher de dangereuſes & de criminelles
, c'eſt qu'elle agiffoit ſur le Peuple , dont le
jugement eft auſti foible que ſes paſſions ſont impétueuſes.
Mais parmi nous elle s'adreſſe à des Magiſtrats
, à des hommes affermis dans le ſentiment
de leurs devoirs , précautionnés , par leur propre inftruction
, contre l'Art d'un Otateur , & qui confervent
le fang-froid de la raiſon au milieu des enchantemens
de l'Eloquence. Ainsi , elle ne poft être
bien nuiſible dans notre Barreau, lors même qu'elle
14 MERCURE
\
conſent à y être coupable. Si le Juge a ſenti la
mauvaiſe foi ou apperçu l'erreur dans tes diſcours ,
elle le flatte ſans le ſéduire ni le ſubjuguer ; mais il
ſe livre au ſentiment qu'elle lui imprime lorſqu'elle
follicite fon coeur pour le parti que ſa raiſon lui indique,
& il lui doit peut- être d'apporter plus de zèle
&de courage dans la volonté du bien.
Cependant l'Eloquence ne nuit- elle pas au moins
àla juſtice par la forme prolongée qu'elle lui donne ?
Inceſſamment implorée par une foule de malheureux
, la justice préférera- t-elle dans ſes fonctions
une pompe qui la fait reſpecter davantage à cette
marche active & rapide qui la rendroit plus utile ?
Je conviens que la marche ſerrée d'une logique
rigoureuſe conduiroit plus rapidement & peut - être
plus fürement à la vérité que la diſcuſſion embellie
de l'Eloquence. Si on vouloit réduire chaque cauſe
àce qui la conſtitue uniquement pour de bons efprits
, l'expoſition en feroit courte & le jugement
plus facile. Mais prenez garde que cette manière
de rendre la juſtice exige des hommes tout-à-lafois
ſupérieurs en vertu & en lumières Il faut un
grand zèle & un grand ſens pour ne pas ſe relacher
un inftant , & pour tout faiſir dans un genre
detravail où tout un ſyſtême d'idées échappe avec
une ſeule propofition. Or , par-tout où l'on rafſemble
des hommes qui apportent , dans des fonctions
communes , des caractères & des eſprits différens
, peut-on les ſuppoſer tous pourvus d'une ſagaeité
ſi rare , & d'une attention ſi inébranlable ?
Je ne ſais fi un peu d'enthouſiaſme ne me ſéduit
pas; mais il me ſemble que , fous tous les aſpects ,
le beau ici tient toujours à l'utile. L'Éloquence , dans
nos Tribunaux , eſt particulièrement un appui accordé
aux malheureux. Eh! quel avantage pour eux
de voir les raiſons qui ſollicitent en leur faveur ,
s'annoblir par l'alliance des grandes vûes qui peu
DE FRANCE.
15
vent s'y réunir ! Ne leur importe - t - il pas d'ailleurs
que l'attention de leurs Juges , que celle du Public ,
dont l'eſtime eſt pour eux une fi noble confolation,
ſoit retenue ſur leur cauſe par l'intérêt qu'un Orateur
fait y répandre ?
Voyez combien d'avantages acceſſoires l'Éloquence
fait mêler à des ſervices effentiels ! L'exercice
des fonctions de la Magiſtrature eſt la meilleure
école du Magiftrat. Et quelle noble & heureute inftruction
ne peut- il pas puiſer dans ces difcuffions
agrandies par la philoſophie , animées par l'éloquence!
C'eſt ſon devoir de ne juger que dans le
plus rigoureux examen; mais c'eſt ſa gloire de confidérer
les objets d'un point de vûe vaſte & élevé ,
&de ſe propofer ainſi un bien général dans des
déciſions particulières. N'a-t- il pas beſoin auſſi que
l'Éloquence vienne quelquefois redreſſer fon génie
que l'amour du devoir avoit courbé ſur les petits
détails ? N'a- t- il pas beſoin même qu'elle prévienne ,
par l'admiration des talens , cet orgueil qui réſulte
de l'exercice du pouvoir , & qu'elle tempère par
l'innocente émotion qu'elle porte dans ſon coeur ,
certe fermeté , qui doit faire fon caractère , mais qui
pourroit dégénérer en une inflexibilité opiniâtre ?
L'Eloquence eſt réſervée à quelque choſe de plus
grand encore. Jugeons dans la Place publique,fi nous
voulons nefaire tort à personne , diſoit un Roi de
Macédoine. Une marche mystérieuſe en effet feroit
calomnier la justice, & fon zèle pourroit décroître
dans la folitude. Arbitre univerſel , elle doit auffi manifeſter
les règles qui la dirigent, & s'enſeigner ellemême.
Et qui mieux que l'Eloquence pourroit proclamer
ſes inftrutions & folemnifer ſes décrets ?
Seroit il indigne de la justice d'étendre ſes vûes
au-delà des objets qui lui ſont propres ? Dans une
Nation, qui attend ne parrie de ſa gloire des Arts&
des Talens , la juſtice doit-elle dédaigner de les en-
1
16 MERCURE
courager , de les annoblir en les aſſociant à ſes travaux
, en habitant au milieu d'eux ? Dans quel
autre lieu que celui où l'on règle les deſtinées des
hommes , pourroit- on mieux raſſembler tout ce qui
les éclaire & les honore ?
Telle eſt donc parmi nous la juſtice , que ſi l'Eloquence
eſt utile à ſa décoration , elle eft peut - être
néceſſaire à la ſageſſe , à la pureté de ſes décrets.
Légiflateurs & Magiſtrats , aimez-la donc , l'intérêt
de la Société vous permet ici de vous abandonner
à l'attrait des talens. C'eſt à vous de la foutenir ,
de la diriger. Elle pourroit ſe dégrader dans la
corruption générale , prévenez ce malheur , vous le
pouvez ; l'Eloquence s'en éloigne naturellement ;
elle eft née au ſein de la liberté, du beſoin de la
gloire. En perdant ſes motifs , elle perd ſa force; en
méconnoiffant ſes objets , elle ſe punit elle-même.
Ouvrez les Ecrits de tant de grands Hommes ; voyez
dans quelle cauſe & par quelle paſſion ils ont été
fublimes. Dès qu'ils adoptent des ſujets indignes
d'eux , leur génie s'éteint dans leur déshonneur. Accordez
donc à l'Eloquence une voix libre & des
hommages publics ; & toujours fidelle à ſa gloire ,
jamais elle netrahira ces nobles & chers intérêts ,
que vous pourrez en ſûreté cominettre à ſa garde. *
( Cet Article eft de M. de L. C. )
* Un Ordre d'hommes eſt établi parmi nous pour
défendre courageuſement les Citoyens . Les raiſons & les
faits ne me manqueroient pas pour prouver qu'il a réſulté
une foule de biens politiques de cette inſtitution. Si l'on
attentoit un jour à la noble indépendance que l'on a accordée
à ces hommes , on croiroit peut- être n'humilier
qu'une Profeffion ; on feroit encore un bien plus grand
mal , on leveroit une nouvelle bannière devant le deſpotiſme
privé , ce deſpotiſme ſi étendu , ſi difficile à réprimer
dans une grande Monarchie , qui foule & outrage l'homme
&le citoyende tant de manieres & dans des parties ſi ſen.
fibles .
DE FRANCE. 17
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
duMercureprécedent.
Le mot de l'énigme eſt Cadavre ; celui du
Logogryphe eſt Corbeille , où se trouvent
cor , bill , école , col , belle , or , oeil , rôle ,
robe , oreille , ocre.
ÉNIGME.
JEE fuis un être fingulier ,
Et fans copie & fans modèle ;
Afſfez ſemblable à Sganarelle , *
Et toute fois meilleur forcier.
Je me plais dans les lieux humides ,
Et ſouvent je paroîs en feu ;
Planer dans les airs comme un Dieu ,
Nager dans les plaines liquides ,
Faire aux humains cent tours perfides ,
Tout cela pour moi n'est qu'un jeu ;
Même en condamnant mes caprices ,
Chacun fait grâce àmon humeur.
:
C'en est trop , il eſt temps , Lecteur,
Que je retourne à mes géniſſes.
( Par M. l'Abbé Dourneau. )
Dans le Médecin- malgré- lui.
18 MERCURE
LOGOGRYPH E.
JE ſuis un inſtrument agréable & fonore ,
Qui , ſous les doigts légers d'Émilie ou d'Aglaure,
T'a fait paſſer , Lecteur , mille fois tour- à- tour ,
Des cris de la douleur aux ſoupirs de l'Amour.
Tu me ſaiſis déjà , Lecteur , je veux le croire ;
Déjà dans mes huit pieds tu trouves la liqueur
Qui trahit le ſecret de maint & maint buvenr ,
Et qui pourtant chez lui fait perdre la mémoire ;
Tu vois certain courſier voyageant au moulin ;
Le chef audacieux d'une ſecte ennemie
Du Pontife Romain ;
Une ville de l'Italie ;
Et ce qu'il faut pour préparer le pain ;
Tu trouveras encore un fouterrain , ( .
Où par un indigne mêlange ,
Un Artiſan , de ſa funeste main ,
Nuit&jour à Paris va ſouillant la vendange.
Avecun pied doublé je ſuis , fi l'on m'arrange ,
Le Diſciple chéri d'un Prophète fameux ;
Un ſynonyme d'orgueilleux ;
D'un habitant des bois la femelle gloutonne ;
Enfin, certaintiſſu moëlleux ,
Non pas celui , Lecteur , qu'ici j'offre à tes yeux ,
Mais cet autre où par fois mainte grave perſonne
Pour unir un couple amoureux
Aleurs dépens , dit - on , griffonne.
DE FRANCE. 19
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ANNALES Poétiques depuis l'origine de la
Poésie Françoise. Tome XXI. A Paris , chez
lesÉditeurs, rue de la Juffienne , vis- à- vis
le corps-de garde; & chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguſtins , au
coin de la rue Pavée.
MLLE de Scudéry , d'Aceilly & le Père
le Moine , font les Poëtes les plus célèbres
que renferme ce Volume , qui eſt un des
plus intéreſſans de cetre Collection. Les autres
Poëtes moins connus ſont Floriot
François Ogier , Pierre de Lalane , Charles
Beys & Philippe Habert. On ne connoît
guère aujourd'hui de ces deux derniers que
deux Pièces fugitives; de Philippe Habert ,
un petit Poëme intitulé: le Temple de la
Mort ; & de Beys , cette Épigramme :
Au TombeaudeM. le Maréchal de Rantzau ,
Epigramme.
Ducorpsdugrand Rantzau tu n'as qu'une des parts;
L'autre moitié reſta dans les plaines de Mars ;
Il diſperſa par-tout ſes membres & fa gloire ;
Tout abattu qu'il fut , il demeura vainqueur ;
Son fang fut en cent lieux le prix de ſa victoire ;
EtMars ne lui laiſſa rien d'entier que le coeur.
:
20 MERCURE
Ce fixain eſt très - fameux ; mais, malgré
ſa réputation , nous doutons qu'il ſoit de
bien bon goût. Le coeur eſt pris ici dans un
ſens phyſique avec une induction au moral ;
n'eft-ce pas là ce qu'on appelle abufer des
mots ? Il nous ſemble qu'il y a là plus de
brillant que de naturel ; car le Dieu Mars
pourroit ne laiſſer à un poltron rien d'entier
quele coeur , & ce poltron n'en vaudroit pas
mieux pour cela.
Onfait que Mlle de Scudéry jouit de fon
temps de la plus grande célébrité , plus encore
par ſes Romans que par ſa Poéfie. Elle
compta parmi ſes amis les perſonnes de fon
temps les plus diftinguées par leur rang ou
par leur mérite. On raconte d'elle pluſieurs
anecdotes qui ſont connues ; en voici une
qui l'eſt moins. Quand le premier Dauphin
fut de retour de ſa campagne de Philisbourg
, Mlle de Scudéry préſenta à Madame
laDauphine des vers où elle lui diſoit :
1
Et lagloire & l'amour vous comblent de plaiſirs ;
Qui des deux d'ungrand coeur remplit mieux les defirs?
Comme Madame la Dauphine répondit qu'il
falloit faire cette queſtion à M. le Dauphin ,
M. de Montaufier , le lendemain , en tirant
les rideaux de Monſeigneur , lui dit : Je
viens chercher la réponse aux vers de Mille de
Scudéry.
Les vers les plus fameux de cette Demoiſelle
font ceux- ci , faits au Prince de Condé,
ſur des oeillets que ce Héros avoit cultivés
DE FRANCE. 21
lui - même. Les Éditeurs ont oublié d'en
expliquer le ſujet par le titre ou par une
note.
QUATRAIN.
:
Envoyant ces oeillets qu'un illuſtre Guerrier
Arroſa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtiſſoit des murailles ,
Et ne t'étonne point que Mars ſoit Jardinier.
Jacques de Cailly , plus connu ſous le
nom de d'Aceilly ( c'eſt celui qu'il prit pour
ſe cacher un peu en publiant ſes Ouvrages , )
cut beaucoup de naturel dans l'eſprit. Il n'a
guères fait que des Épigrammes , qui font
preſque toutes agréables. Les Éditeurs racontent
de lui une anecdote qui n'avoit
jamais été imprimée. Cailly ayant publié
ſes poéfies à ſes frais , s'en alloit fur le
pont neuf ou dans les promenades publiques
, & à chaque homme bien mis qu'il
rencontroit il en préſentoit un exemplaire ,
qu'il le privit d'accepter. C'étoit un sûr
moyen pour avoir bientôt à faire une nouvelle
Edition. Il faut pourtant avouer, comme
le diſent les Éditeurs , qu'il n'avoit pas beſoin
de ce moyen là. Ce Poëte étoit de la
famille de Jeanne d'Arc. Nous ne citerons
guères de lui que cette Épigramine contre
un Médecin Poëte :
Roch , Médecin peu docte , & Poëte ſavant ,
Fait des épitaphes ſouvent,
22 MERCURE
Où des morts il conte l'hiſtoire :
Les maux que fit un Art, l'autre Art ſait les guérir;
Roch Poëte fait vivre au temple de mémoire ,
Ceux que Roch Médecin vient de faire mourir.
Et cette autre , plus connue & fi gaie :
Aun Mari qui batsa femme.
Battre ta femme de la forte ,
Sous tes pieds la laiffer pour morte ,
Et d'un bruit ſcandaleux les voiſins alarmer !
Tu vas paſſer pour un infâme.
t
Compère , l'on fait bien qu'il faut battre ſa femme ,
Mais il ne faut pas l'aſſommer.
:
Nous nous hâtons de paffer au Père le
Moine , l'un des articles les plus intéreſſans
qu'on ait encore vus dans ces Annales. Il
n'a manqué à ce Jéſuite qu'un goût plus
épuré , pour s'affeoir au premier rang parmi
les plus grands Poëtes. Il avoit de l'enthouſiaſme,
de la verve , une imagination féconde
, de belles idées , & un ſtyle plein
d'énergie. A travers ſes négligences ,
trouve des beautés , dont les meilleurs Poëtes
s'honoreroient. C'eſt à lui qu'appartiennent
ces quatre beaux vers qu'on avoit attribués
à Voltaire :
Et ces vaſtes pays d'azur & de lumière ,
Tirés du ſein du vide & formés ſans matière ,
Arrondis ſans compas , ſuſpendus ſans pivot,
Ont à peine coûté la dépenſe d'un mot.
on
DE FRANCE.
23
Quoi de plus énergique que ces quatre
vers ſur l'inconſtance de la fortune ! Apprends
, dit le Poëte ,
Que la bonne fortune aime en femme publique ;
Que ſes aappppas font faux , & fa faveur tragique ;
Et qu'amante cruelle après ſes feux paſſés ,
Elle étouffe en ſes bras ceux qu'elle a careſſés.
Ces quatre derniers vers ſont tirés de fon
Poëme de Saint- Louis , ou la Sainte Couronne
reconquiſe. Ce Poëme , dont le plan
eſt fort bien tracé , étincelle , dansle décail ,
des plus grandes beautés poétiques. On y
trouve auſſi des tirades ingénieuſes , comme
celle-ci :
Du coup prodigieux dont le Turc fut coupé ,
Plus de fix eſcadrons eurent le coeur frappé :
Par-tout l'acier fatal , auteur de la merveille ,
Leur brille dans les yeux , leur réſonne à l'oreille;
Et par-tout l'invincible & formidable bras ,
Sur eux multiplié , lève le coutelas.
Comme la peur les ſuit , la peur auſſi les chaſſe;
Et loin même des coups , les frappe ou les menace.
En vain Forcadin crie, il les rappelle en vain ;
La frayeur eſt ſans front , &fans coeur & fans main;
Et , ſourde à la raiſon , ainſi qu'à la conduite ,
N'a de vigueur qu'aux pieds , n'eſt prompte qu'à la
fuite.
Avec ſon Poëme de Saint- Louis , le Père
le Moine a fait auſſi des Épîtres morales &
poétiques , qui rempliſſent parfaitement leur
24
!
MERCURE
titre. On y admire de grands traits de mo
rale & des beautés poétiques du premier
ordre. Combien , s'écrie t'il dans l'une de
ſes Épîtres , le luxe fait de malheureux !
Et combien de pays ont été déſolés ,
Combien de droits rompus , de devoirs violés ,
Afin qu'un roturier , mieux logé que nos Princes ,
Eûtun monde en maiſons , eût en parcs des Provinces !
Quoi de plus noble , de plus poétique &
deplus forteinent penſé que la tirade ſuivante
, malgré quelques négligences qu'il
faut pardonner en faveur du temps où le
Poëte écrivoit :
Ainſi les nations , ainſi les races roulent ,
Pareilles à ces flots qui l'un ſur l'autre coulent ,
Et font d'un vieux canal & d'une nouvelle eau ,
Un fleuve tonjours vieux comme toujours nouveau.
Mais ſi la loi du ſort veut que les villes meurent ,
Quelle loi peut vouloir que les hommes demeurent ?
Vingt fois Paris eſt mort , il eſt rené vingt fois
Depuis qu'il fut bâti par les premiers Gaulois :
Vingt fois il a changé d'eſprit , de corps , de face :
Il n'a de ce qu'il fut que le nom & la place ;
Et cette ſi ſuperbe & fi vaſte Cité
N'en eſt plus que la tombe & la poſtérité.
Sous ces murs ſomptueux , dans ces cours magnifiques,
Sont enterrés des parcs , des ſalles , des portiques ;
Et cent palais anciens , par le temps démolis ,
Sous ces palais nouveaux giffent enfevelis.
Comme
DE FRANCE.
25
Comme les vers ſuivans , ſur la néceſſité
de mourir , ſont pleins de force & d'originalité
!
Quel ſpectacle , de voir fur de funeſtes chars
Les femmes , les maris , les jeunes , les vieillards ,
Les artiſans , les Rois , les charlatans , les ſages ,
Toutes fortes d'états , de ſexes , de viſages ;
Et la mort au-deſſus , la faulx noire à la main ,
Qui traîne en gerbe , en graine , en fleur le genre-humain!
Le Père le Moine , accoutumé au ton de
l'épopée, ſait enrichir ſon ſtyle de comparaiſons
nobles ou ingénieuſes. En parlant
des proſpérités de la Régence , & pour louer
la Reine de ce que rien ( ſoit honneurs , foit
plaiſirs ) ne la diſtrait du Gouvernement des
affaires , voici la comparaiſon que lui fournit
ſon imagination poétique :
Voyez ces pompeuſes rivières
Qui roulent leurs eaux en des lits
Par le luxe & l'art embellis
De la dépouille des carrières :
Orangers , lauriers & jaſmins
S'offrent en vain ſur leurs chemins ,
Et pour les arrêter leur laiſſent leurs images ;
Envain, marbre&porphyre interrompent leurs flots,
Elles touchent à peine en paſſant leurs rivages ,
Et dans la grande mer vont chercher leur repos.
:
Les fleuves ont fourni encore au Père le
Nº. 40 , s Octobre 1782.
B
26 MERCURE 2
:
Moine une autre comparaiſon tout auffi
belle que celle que nous venons de citer.
En écrivant au Duc d'Enghien , qui fut
depuis le Grand Condé , le Poëte veut prouver
que les plus grands Héros ont erré ,
comme le Prince, hors de leur patrie.
Les eaux baſſes , qui n'ont ni lit, ni fond , ni courſe ,
Se perdent en naiſſant à deux pas de leur ſource ;
Le Pô , fleuve régnant , le Rhin , fleuve héros ,
Avecque l'équipage & le train de leurs flots ,
Traverſent les climats , arroſent les Provinces ,
Servent cent nations , ſe prêtent à cent Princes ,
Et bien loin des pays où l'on voit leurs berceaux ,
Ils étendent le règne & le bruit de leurs eaux.
Les barques des pêcheurs , baſſes , foibles , craintives ,
N'ofent quitter l'abri que leur donnent les rives ;
Mais les vaiſſeaux guerriers, hautsde bords&de mâts,
Vainqueurs de tous les temps&de tous les climats, &c.
Les aſtres en font autant :
Leur Roi même & leur père eſt en courſe à toute
heure ;
Il a douze maiſons , & pas une demeure ;
Et , toujours paſſager en ſes propres palais ,
Il roule jour & nuit ſans gîte & fans relais.
Nous bornerons nos citations , qui pourroient
nous mener trop loin. Le Père le
Moine , toujours peintre , toujours Poëte ,
eft riche dans ſes expreſſions; & fes expreffions
lui appartiennent. Nous croyons ,
:
DE 27 FRANCE.
comme les Éditeurs , que la lecture de ſes
poésies , faite avec precaution , peut être
très utile aux jeunes gens qui prétendent aux
honneurs de la haute poefie.
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardi 24 Septembre , on a donné la
première repréſentationde trois Actes nouveaux
: l'Acte du Feu , du Ballet desElémens
de Roi , remis en muſique par M.
Edelmann ; Ariane dans l'Isle de Naxos ,
paroles de M. Moline, muique du niême
M. Edelmann ; & Daphne & Apollon , ou
l'invention de la Lyre, paroles de M. Pitra,
muſique de M. Mayer.
L'Acte du Feu eſt connu; & il avoit , on
ne fait pourquoi , quelque réputation. L'action
, qui étoit ſuſceptible d'un grand intérêt
, en eſt entièrement dépourvue, para
fingulière mal- adreſſe de la conduite. La
Veſtale Émilie eſt chargée pour la dernière
fois de la garde du feu ſacré; parce qu'elle ſe
marie le lendemain avec Valère. Celui- ci
s'introduit la nuit , on ne fait par quel moyen
ni par quel motif , dans le temple de Veſta.
Émilie tremblante l'engage à ſe retirer ;
mais tout en lui parlant , le feu s'éteint ; le
tonnerre gronde; la frayeur s'empare d'elle;
l'Amour alors deſcend du ciel , rallume avec
1
Bij
28 MERCURE
fon flambeau le feu de Veſta , & raffure les
deux amans. Pour peu qu'on ait réfléchi ſur
l'Art Dramatique , on ſent qu'il falloit rendre
la Veſtale un peu plus coupable pour la
rendre plus intéreſſante , & qu'il falloit
mettre ſous les yeux des Spectateurs le danger
qui la menaçoit , ſi l'on vouloit qu'ils en
fuſſent touchés; il falloit la faire condamner
, la montrer prête à ſubir ſon ſupplice
, &c. On eſt choqué aufli de voir arriver
Cupidon lui- même dans une action aufli
férieuſe , & dénuée d'ailleurs de tout merveilleux.
Les Dieux de l'ancienne Mytholo
gie ne peuvent guère être admis comme
Acteurs que dans des ſujets , tirés des temps
héroïques de la Grèce, on ne peut les mêler
aux événemens de l'hiſtoire connue fans bleffer
la vraiſemblance même poétique. Quant
au ſtyle , il manque d'imagination , d'har
monie , & fur- tout de ſenſibilité ; mais il
faut convenir en même temps qu'on y trouve
plus de préciſion & une verſification plus corzecte&
plus ſoignée que dans la plupart des
Poëmes Lyriques qu'on a vus depuis quelques
années. Non ſeulement l'art d'écrire , mais
l'étude grammaticale de la langue paroît être
abſolument étrangère à un grand nombre
d'Auteurs qui ſe vouent à faire ce que l'on
appelle juſtement des paroles d'Opéra : Sunt
verba& voces, pratereaque nihil.Lanégligence
&l'ignorance à cet égard ſont portées à un
rel point, que les Danchet , les Pellegrin, les
Cahuzac , fi décriés par les Critiques de leur
DE FRANCE. 29
temps , pourroient preſque être propoſés
pourmodèles à la plupart de leurs fuccefleurs.
M. Edelmann , déjà connu pour un habile
Compoſiteur par différentes Pièces de mufique
inſtrumentale & quelques morceaux
exécutés au Concert Spirituel , a montré
dans les deux Actes qu'il a mis en muſique ,
un talent fait pour paroître avec diſtinction
fur la Scène Lyrique .
Dans l'Acte du Feu , il paroît avoir été
égaré par l'apparence d'intérêt qu'il a apperçu
dans le ſujet, ſa muſique a du caractère&
de l'expreſſion; mais une muſique
expreſſive , attachée à des paroles ſans intérêt
, n'eſt plus que trifte , & n'a qu'une
chaleur qui ne ſe communique point. D'ailleurs
, cet Acte eſt plein de morceaux trèsbien
compofés & d'un effet heureux ; le
chant eſt en général d'une tournure agréable
&naturelle ; les choeurs ſont d'une belle
harmonie ; le premier & le ſecond choeur
des Prêtreſſes , fur- tout , ont une expreffion
noble , vraie & ſenſible. Le premier air
d'Émilie & celui de Valère : L'Amour va
combler mon attente , ſont d'un beau caractère.
Les airs de danſe ſont variés & de bon
goût; mais tout cela n'a pu réchauffer la langueur
ni ſauver l'invraiſemblance de l'action .
M. Edelmann a trouvé dans celui d'Ariane
un ſujet plus propre à exercer ſon talent & à
déployer les reſſources de fon Art.
Il n'y a guère de ſituation plus dramatique
que celle d'une femme belle & tendre,aban-
Biij
すかMERCURE
donnée dans un déſert par l'amant qu'elle
adore , & pour qui elle a tout facrifié. Soutenu
par la force du ſujet, Thomas Corneille
s'eſt élevé au-deſſus de lui-même , & nous
a laiffe dans fon Ariane une des plus touchantesTragédiede
notre Théâtre.Un Auteur
Allemand a imaginé de donner à cette action
une forme nouvelle. Al'exemple du Pigmalion
de J. J. Rouſſeau , il a fait un Draine
compoſé feulement de deux monologues ,
l'un de Théſée , qui s'échappe des bras d'Ariane
endormie , entraîné par les Grees , qui
viennent le chercher pour défendre Athènes ,
fa patrie ; l'autre d'Ariane , qui , s'éveillant
au moment du départ de fon amant , ſe
livre à tous les mouvemens de fa douleur &
de fon déſeſpoir , & finit par ſe précipiter
dans les flors. Dans ces deux monologues ,
les paroles étoient ſimplement déclamées
par les Acteurs ; mais la déclamation étoit
entre- coupée de filences , pendant leſquels
desritournelles & des traits d'orcheſtre exprimoient
les mouvemens divers & les ſentimens
contraftés qui agitent ſucceſſivement
l'âme des deux perſonnages. Il y a environ
un an que ce Drame fut traduit en François
&exécuté à la Comédie Italienne .On trouva
beaucoup d'art , d'expreffion & d'originalité
dans la muſique , ouvrage d'un ſavant &
célèbre Compofiteur ( M. Benda ); mais cé
mérite n'a pu ſauver le mêlange bizarre de la
Fécitation & de la muſique ; ce ſont deux
langages trop diſparates pour pouvoir jamais
DE FRANCE.
31
:
s'affortir heureuſement ; auſſi ce genre de
ſpectacle , malgré ſa ſingularité , n'eut-il
qu'un ſuccès équivoque.
M. Moline , en s'emparant de cette idée ,
lui a donné la véritable forme dont elle
'étoit fufceptible , celle d'un Opéra. Peutêtre
a- t- il ſuivi de trop près la marche du
Poëme Allemand. La Scène de Théſée a
paru trop longue. Il a un ſi grand intérêt à
diſparoître avant le réveil d'Ariane , qu'on
ne peut guères s'empêcher d'être choqué
des cris alternatifs de ce Guerrier & du
Choeur des Grecs qui cherchent à l'entraîner
; d'ailleurs , Theſée n'abandonnant l'Ifle
de Naxos que pour aller au ſecours de ſa
Patrie,on ne voit pas pourquoi il n'emmène
pas ſa Maîtreſſe avec lui ; & par la raiſon
même qu'il n'est pas infidèle, Ariane eſt
moins malheureuſe, & ſa ſituation paroît
-moins déchirante ; mais cette critique , fûrelle
ſans réplique , n'empêche pas que le
Drame ne ſoit d'un intérêt preffant & continu.
Il y a du ſentiment dans les détails , &
des morceaux bien coupés & bien écrits ;
mais l'Auteur a un peu trop négligé la correction
& la propriété du langage; nous n'en
citerons qu'un exemple. Théſée dit :
Non, votre cruauté ne ſera point remplie.
On ne remplit point une cruauté.
1 On conçoit combien un Drame de ce
genre étoit difficile à traiter pour le Muſicien.
La chofe dont la muſique a le plus
Biv
32 MERCURE
effentiellement beſoin c'eſt la variété , & il
en trouvoit bien peu dans deux Scènes tragiques
& paffionnées , ou deux Acteurs occupant
ſeuls le Théâtre , ne ſont interrompus
que par quelques couplets de Choeurs.
M. Edelmann a vaincu ces difficultés en
homme qui non ſeulement eſt maître de
fonArt, mais qui connoît encore tous les
devoirs & tous les moyens du ſtyle dra
matique. Son récitatif est animé par des
accens prefque toujours vrais ; l'Orcheftre
eſt toujours en mouvement , & fuppléeàtoutes
les expreſſions que la voix ne
peut pas rendre ; ſes airs , s'ils n'ont pas toujours
de l'originalité dans les motifs , ont
toujours le caractère propre au ſentiment
qu'ils expriment; & ce qui conſtitue un des
principaux ſecretsde la muſique dramatique,
c'eſt que le récitatif, les airs & les Choeurs
font fondus habilement l'un dans l'autre , &
ne préſentent qu'un enſemble de muſique
animée, ſans vuide & fans diſparate. Nous
ne diffimulerons pas que ſon accompagner
ment eſt ſouvent chargé de deffins multipliés
dans les parties; que l'harmonie paroît
auffi trop pleine , trop continuellement
bruyante , & qu'elle manque de ces clairs ,
de ces jours doux qui repoſent l'oreille , ménagent
les contraſtes , & renforcent encore
les grands effets; mais ces défauts , s'ils exiftent
réellement , ſont aiſés à éviter dans un
autre Ouvrage , & nous invitons M. Edelmann
à exercer ſes talens ſur un Poëme tra
DE FRANCE.
33
gique qui réuniffe à l'expreſſion des'grands
mouvemens de l'âme les oppoſitions douces
&les acceſſoires agréables qui font de notre
Opéra le plus riche & le plus féduiſant des
Spectacles .
Le ſujet d'Apollon& Daphné eſt , comme
on fait, tiré des Métamorphofes d'Ovide.
C'eſt aujourd'hui une entrepriſe bien hafardeuſe
que celle de rajeunir ces Fables conſacrées
par l'antique Poéfie , & qui ont
long - temps régné fur la Scène Lyrique. Le
merveilleux qui en fait la baſe amène une
foulede tableaux rians& variés qui amuſent
l'imagination , mais en même-temps il nuit
à l'intérêt , qui ne peut fortir que de l'expreffion
vraie &de la peinture fidelle des
paffions & des ſentimens , & cet intérêt
ſera toujours l'objet dominant de toutes les
productions des Arts. M. Pitra a cru pouvoir
concilier ces deux effets en ſe fervant
dumerveilleux pour produire des tableaux
&des fêres , & en donnant en même - temps
àſes Perſonnages fabuleux un langage plus
vrai & plus paſſionné que celui qu'on leur
prêtoitdans nos anciens Opéras , où l'Amour
n'a guères que le ton de la galanterie , &
d'une galanterie ſouvent infipide.
Daphné , jeune Nymphe , vient d'être
nommée Prêtreffe d'Apollon , dont elle eſt
aimée , & qu'elle aime ſans ofer ſe l'avouer.
Ce dieu arrive , lui déclare fon amour , la
preſſe d'y répondre , elle s'en défend,& veut
fuir; il la fuit; elle invoque le fleuve Penée
Bv
34 MERCURE.
fon père; & au moment où Apollon veut
la faiſir , elle difparoît , & un laurier s'élève
à ſa place. Jufques-là l'Auteur a fuivi la
"Fable;mais il s'en écarte dans le reſte. Apollon,
après avoir exprimé ſa douleur & fes
regrets, crée la lyre d'une des branches du
laurier. Enchanté lui-même des fons qu'il
entire, il s'adreſſe à fa lyre , & dit :
Pour chanter ma Daphné, pour chanter ſa mémoire,
Je te conſacre à la beauté ;
Ses mains contre fon ſein te preſſeront fans ceſſe ,
Et tu peindras l'Amour , ſes langueurs , fon ivreſſe
: Sous les doigts de la volupté..
Les accens d'Apollon ſemblent ranimer
Daphné , dont la voix ſe fait entendre à travers
l'écorce du laurier. Apollon tranſporté
veut déchirer cette écorce qui lui dérobe
l'objet de ſon amour. Penée alors paroît , &
s'oppoſe à ſes efforts. Apollon implore la
pitié de Penée. La voix de Daphne ſe joint
la fienne pour fléchir ſon père , qui , touché
de leurs plaintes , rend enfin Daphné
aux voeux d'Apollon . Ce dieu invite les
Mufes , ainſi que les Nymphes & les/Ber-.
gers , à venir embellir ce féjour , & à prendre
part à fon bonheur. Il termine l'action
par confacrer le laurier, qu'il deſtine à courommer
à jamais les Arts & la valeur.
Il feroit bien fuperflu d'inſiſter ſur l'impoffibilité
de donner à une pareilfe fiction
un intérêt dramatique ; c'eft la faute dir
fujer ; le tort de M. Pitra eſt de l'avoir
DE FRANCE.
35
choiſi , & d'avoir cru qu'il pourroit ſauver
par l'exécution cette ſuite d'invraiſemblances;
mais tous les reproches qu'on lui a faits
ne nous paroiffent pas fondes. On lui a reproché
fur - tout d'avoir fait parler Daphné
après ſa métamorphofe. Quand on trouve
bon qu'une femme ſoit changée tout- à- coup
en laurier , il faut être bien difficile en vraiſemblance
pour s'étonner que fa voix ſe
faffe encore entendre à travers l'écorce de
F'arbre. Nous croyons au contraire que ſi le
Compoſiteur s'étoit bien pénétré de ſon
fujet , & qu'il eût exprimé avec ſenſibilité les
fons doux & plaintifs qui s'élèvent du fein
de cet arbre enchanté , & viennent interrompre
le dialogue d'Apollon & de Penée ,
l'effet en auroit été intéreſſant.
• Le Poëme de M. Pitra nous a paru d'ailleurs
bien coupé ; le dialogue en eſt naturel
& animé; le ſtyle en eſt trop négligé , & préſente
même des incorrections * d'autant plus
difficiles à excuſer , que pluſieurs morceaux
font écrits avec ſenſibilité & avec élégance ;
nous en citerons pour exemple l'Hymne à la
Roſe de la Scène II. Les fautes de ſtyle que
nous relevons lui ſont communes avec la
plupart des Poëtes Lyriques modernes;
mais ce qui eſt fort rare , c'eſt qu'elles font
***On nous a fair obſerver que les fautes les plus
graves qu'on a relevées dans le Poëme imprimé
avoient été corrigées avant la repréſentation dans
les rôles des Acteurs.
Bvj
36 MERCURE
réparées par de l'invention dans les idées&
par des tableaux pleins de grâce & de fraîcheur.
L'idée de créer la lyre d'une branche
du laurier eft ingénieuſe , quoiqu'elle ſoit
plus poétique que dramatique. Les Fêtes des
Nymphes & des Bergers font naturelleinent
amenées & liées à l'action , & le tableau
qui forme le divertiſſement de la fin eſt
vraiment anacreontique.
La muſique de cet Acte n'a pas , à beaucoup
près , l'effet qu'on devoit attendre des
talens de M. Mayer. Il y a dans les premières
Scènes des morceaux très-agréables ;
I'Hymne à la Rofe & le Choeur danſant qui
vient enſpite font fur-tout d'un chant doux ,
ſenſible & piquant; mais dans la Scène pafſionnée
d'Apollon & de Daphné, la muſique
manque de caractère , de vérité & de l'expreffion
dont elle avoit beſoin . M. Mayer ,
qui eft habituellement abſent de la Capitale
, n'avoit pu mettre la dernière main à
cet Ouvrage. M. Rey , qui conduit l'Orcheftre
avec tant de zèle & d'intelligence , &
dont les talens, comme Compoſiteur , font
bien connus , a fait l'ouverture de cet Acte ,
qui a été fort applaudie. Le Choeur de la
fin ,Arbrefacré, &c. qui eſt d'un beau chant
& d'une harmonie ſimple & favante , eft
P'Ouvrage de M. Mereaux, célèbre Organiſte
, dont on a exécuté avec beaucoup de
ſuccès quelques Oratorios au Concert Spirituel,&
dont les talens ſont faits pour en
richir quand il voudra la Scène Lyrique.
DE FRANCE.
37
Il nous reſte à parler de l'exécution de ces
trois Actes. Mlle Joinville a chanté & joué
avec intérêt le rôle d'Émilie dans l'Acte du
Feu; & celui de Valère a été rendu par le
ſieur Lainez avec la chaleur & l'intelligence
qu'on lui connoît. Dans le Divertiſſement
qui termine l'Acte , Mlle Torlay a danſé
avec le ſieur Favre , un pas de deux , où elle
a déployé la correction , la décence & le bon
goût qui caractériſent ſa danſe. Le ſieur Favre
amérité auſſi des applaudiſſemens. La charmante
gavote , danſée par Mlle Dupré & le
fieur Gardel , a excité les plus vifs applaudiſſemens.
La fermeté , le fini & la légèreté
brillante des pas de Mile Dupré , la facilité
avec laquelle elle s'élève , les formes gracieuſes&
animées qu'elle met dans tous ſes
mouvemens , la rendront très- précieuſe à ce
Théâtre. Le ſieur Gardel a montré dans ce
pas un talent qui ſemble ſe perfectionner à
vûe d'oeil , & qui paroît propre à briller
dans les différens genres .
Le rôle de Thésée , dans Ariane , a été
rendu par le ſieur Laïs, qui a mis de la chaleur
&de la vérité dans ſon action , du goût
&de l'expreffion dans ſon chant. On defire-
Foit , pour donner plus de vraiſemblance à
la Scène , qu'il chantât preſque toujours ce
rôle à demi -voix , ce qui ne l'empêcheroit
pas de mettre dans ſon chant les nuances&
les oppoſitions qu'exigent le caractère des
airs. Mlle Saint Huberti , dans le rôle
d'Ariane , a ajouté encore à l'idée que l'on
avoit déjà de ſon intelligence & de fon ta
38 MERCURE
Ícnt ; elle a joué la Scène avec une action
toujours animée & intéreſſante; & elle a
chanté avec la plus grande expreſſion la mufique
continuellement forte & paffionnée
d'un rôle long & pénible. Le degre de ſupériorité
où elle eſt parvenue & celui auquel
elle eſt faite pour atteindre nous autoriſent
à lui obſerver que ſes geſtes ſont trop continus
& trop multipliés; que ce ne font pas
les grandes paffions qui en demandent davantage;
& que tout ce qui eſt déplacé ou
prodigué perd néceſſairement de fon effer.
Nous l'exhorterons encore à modérer les
éclats de ſa voix , & à ne pas oublier qu'au
Théâtre Lyrique le premier devoir eſt de
chanter,&qu'en voulant facrifier la juſteſſe
de l'intonation & la beauté des fons à la
force de l'expreſſion , l'effet qu'on obtient ne
compenſe jamais celui qu'on ſacrifie. Nous
defirerions fur tout qu'elle menageât ſa voix
dans ce qui précède le beau cantabilité : Ah!
j'étois autrefois innocente & tranquille , &c.
Il ſeroit même à ſouhaiter que le choeur qui
précède fût un peu prolongé , afin de lui
donner un peu plus de repos , & que fa voix
pût reprendre la fraîcheur & la fermeté néceffaires
pour rendre la mélodie douce, pure
&fenfible qui caractériſe ce genre d'air .
Mlle Audinot a joué avec intelligence &
ſenſibilité le rôle de Daphné, ſa voix eſt facile
& agréable , & fon chant de très-bon
goûr. Le ſieur Lainez a bien ſaiſi le caractère
d'Apollon , & a exprimé avec grâce la progreffion
de fenfibilité que le Poëte a miſe
DE FRANCE.
59
dans ce rôle. Nous ne pouvons diffimuler
que la courſe de Daphne & d'Apollon a été
très-mal exécutée aux deux premières repréſentations
, ce qui a nui à l'effet de cette
Scène importante & en effet difficile à exécuter.
Daphné , après être ſortie en fuyant
du théâtre , ne deit y rentrer que ſuivie de
près par Apollon , & ce n'eft que dans l'impoffibilité
d'échapper à ce Dieu , qu'elle doit
invoquer le ſecours de fon père.
La compoſition de la danſe de cet Acte
fait beaucoup d'honneur au ſieur Gardel
Kaîmé. Il a ſaiſi avec beaucoup de goût les
intentions du Poëme , & en a tiré le plus
grand parti. La fête paftorale qui coupe l'Acte
eſt pleine de fraîcheur. Mlle Gervais danſe
avec le ſieur Laurent un pas de deux d'un
caractère gai & piquant; on ne peut que
donner de nouveaux éloges à l'ardeur , au
talent &aux progrès de cette jeune Danſeuſe ;
on connoît depuis long-temps la force &
l'agilité qui caractériſent le Sr Laurent. Mile
Dorival , en jeune Nymphe qui vient offrir
des rofes au Dieu du Jour , danſe une jolie
gavotte avec beaucoup de grâce& d'élégance.
Il y
: yavoit longtemp que l'on n'avoit vû
fur ce theatre deT'Opéra un tableau plus galant
, plus gracieux , plus anacreontique , &
exécuté d'une manière plus ſoignée que celui
du ballet qui termine cet Acte. C'eſt le premier
de ce genre qu'ait encore compofé le
fieur Gardel; & le fuccès l'encouragera fans
doute à en produire de nouveaux. C'eit
40
MERCURE
l'Amour échappant aux Grâces , qui veulent
en vain le fixer , pour voler au devant de
Terplicore ; il reçoit de ſes mains la lyre
d'Apollon , & la fait danſer au fon de cet
inſtrument; Terpſicore reprend la lyre , & le
fait danſet à ſon tour. Les Grâces , toujours
grouppées , voltigent autour d'eux , & embelliffent
cette Scène charmante par leurs
mouvemens & leurs figures variées , tandis
que les danſes des Nymphes & des Bergers
animent le fond du tableau. On devine bien
que le rôle de Terpficore eft rendu par Mile
Guimard, & il eſt inutilede dire quel charme
elle y répand : il ne lui manque jamais qu'un
caractère nouveau pour développer des grâces
nouvelles. Le ſieur Nivelon , qui paroît ſous
la forme d'un Plaisir, met dans ſa danſe la
molleſſe , la grâce & la légèretéqui conviennent
à ce caractère. Le ſieur Gardel danſe une
entrée de Guerrier , avec une nobleſſe & un
à-plomb dans les mouvemens , une force &
une correction dans les pas qui prouvent
le talent ſupérieur. On a obfervé qu'il n'avoit
fait qu'une ſeule pirouette dans cette entrée ,
& il l'a exécutée avec la facilité & la préciſion
qu'exigent ces ſortes de pas , qui, étant peu
ſuſceptibles de grâce , & ne montrant que la
force, doivent s'exécuter ſans effort , & n'être
employés que rarement dans la danſenoble.
La jeune Nanine , qui avoit joué avec un
intérêt ſi aimable le rôle d' Aftianax , & qui
depuis avoit été employée avec le même
ſuccès dans les Caprices de Galathée & dans
DE FRANCE. 41
le Seigneur Bienfaisant , danſe & joue dans
ceballer le rôle de l'Amour avec une grâce ,
une fineſſe , une intelligence très- extraordinaires
pour ſon âge,& annonce un talent précieux
que l'Opéra ne ſauroit cultiver avec
trop de ſoin.
Nousobferverons engénéral que le coſtume
des habits, dans ces trois Actes, a été obſervé
avec plus de ſoin & plas de goût qu'on ne
l'avoit vû depuis long temps; il y auroit encore
àcet égardbeaucoup de réformes à faire,
&que nous avons lieu d'attendre du goût,
du zèle & des lumières des perſonnes qui
dirigent l'Adminiſtration de l'Opéra ; ce qui
nous paroît mériter ſur tout leur attention ,
cc font les décorations , article important à
ce théâtre , & trop négligé depuis long- tems.
Nous n'entrerons dans aucun détail à ce
ſujet ; nous obſerverons ſeulement que dans
l'Acte d'Ariane , le lever du ſoleil pourroit
être exécuté ſans beaucoup de frais , d'une
manière agréable qui ſerviroit à l'effet de la
Scène,&que la tempête devroit être rendue
par la toile du fond avec plus d'art & de
vérité. Dans l'acte de Daphné, le laurier ,
qui faitune partie eſſentielle de l'action , eſt
repréſenté d'une manière informe , & n'eſt
pas amené avec affez d'adreſſe. La toile du
fond repréſentant le Parnaſſe , manque d'effet
par le défaut de perſpective. Les ordres que
vientdedonner l'Adminiſtration , & le facrifice
qu'elle veut bien faire pour prolonger le
fond du théâtre, mettront à portée de per
42 MERCURE
fectionner cette partie intéreſſante de la
Scène Lyrique.
N. B. Nous avons oublié de dire qu'à la
fin de l'Acte du Feu , Mlle Leboeuf , jeune
Cantatrice des Choeurs , a chanté une ariette
de bravoure avec une voix agréable , légère
& très exercée , & qu'elle a été généralement
applaudie.
COMÉDIE ITALIENNE.
Nos Lecteurs ſe ſouviennent , ſans doute ,
que nous nous ſommes engagés à ne leur
rendre compte que des Débuts qui annonceroient
des talens , ou au moins des eſpérances.
Tous les jours nous nous felicitons
d'avoir pris ce parti , parce qu'il leur épargne
l'ennui des répétitions, & qu'il nous difpenſe
d'employer trop ſouvent , dans ces
articles , une ſévérité toujours défagréable
pour les ſujets auxquels elle s'attache , &
preſque toujours inutile. Une grande partie
des perſonnes qui embraſſent aujourd'hui la
profeffion de Comédiens , ignore , ou affecte
d'ignorer que la Comédie eſt un Art
ingrat & difficile , qui exige un travail opiniâtre
, des études très- réfléchies , une grande
connoiffance du monde , des hommes &
des paffions. On penſe qu'avec quelques
qualités extérieures , de la figure & de l'organe
on a tout ce qu'il faut pour réuffir à
la Scène. En conféquence de ce faux prinDE
FRANCE.
43
cipe , on débute , on reçoit des encouragemens:
alors l'amour propre s'exalte, il égare,
il donne à l'Acteur une idée exagérée de ſon
talent , & de- là naît pour l'ordinaire cette
médiocrité incurable , à laquelle ſont condamnés
tous ceux qui aiment qu'on les loue
&non pas qu'on les confeille. On a déjà répété
cent fois ces réflexions & toujours en vain ,
mais il ne faut pas ſe laſſer de les remettre
ſous les yeux des jeunes Comédiens. Ala longue,
la vérité perce , elle éclaire , elle inſtruit ,
mais ce n'est qu'avec de la conſtance que
l'on parvient à la faire connoître , & à percer
le voile dont l'orgueil & l'erreur cherchent
ſans ceſſe à l'envelopper. Voilà tout
ce que nous avons à dire à quelques Acteurs
qui ont déburé depuis quelques mois , tant
au Théâtre François qu'à la Comédie Italienne
;les uns avec des défauts ſur leſquels
l'âge & l'habitude ne laiſſent plus aucun efpoir
, les autres avec une inexpérience &
une foibleſſe qui ne font pas bien augurer
deleurs diſpoſitions .
こParmi tous ces Sujets , nous avons diſtinguéM.
le Coutre. Ce Comédien a déjà débuté
deux fois à Paris. Du premier au ſecond
début , il avoit fait des progrès conſidérables;
& ce qu'il a montré de talent , lors de
celui dont nous rendons compte , annonce
un homme laborieux , intelligent , ami de
fon art & des fuffrages publics. Une belle
figure , une taille avantageuſe , de beaux
moyens , un organe fonore , une connoif
MERCURE
fance raiſonnée de la Scène , de la ſenſibilité,
du goût. Telles ſont les qualités qu'on a diftinguées
avec plaiſir dans M. le Coutre. On
lui a reproché , avec raiſon , de manquer
quelquefois d'énergie ,&de donner à ſa phyfionomie
une expreffion forcée. Nous l'engageons
às'occupertrès-ſérieuſement de corriger
ces défauts , principaiement le dernier , qui
donnedetemps en temps à fon maſque un air
de grimace pénible & fatigant pour le Spectateur
même, qui le prive d'une partie de
ſa mobilité , & qui le fait paſſer très brufquement
de l'image d'un ſentiment à celle
d'un autre: mouvement quelquefois vrai
dans la nature brute , mais preſque toujours
inadmiſſible dans la nature conventionnelle
&embellie par l'art. Nous l'exhortons encore
à ne pas preffer ſes réponſes ſur les
dernières ſyllabes des répliques de ſes interlocuteurs
; ainſi qu'à les attendre , non pas
avec l'attention d'un Comédien qui connoît
l'inſtant où il doit reprendre la ſuite de fon
rôle , mais avec celle d'un homme qui
dialogue , & auquel la circonftance indique
les temps,d'écouter , d'interrompre ou de
parler. Les autres défauts de M. le Coutre
ne font que de légères taches que ſon intelligence
doit faire promptement diſparoître.
En général , cetActeur mérite de très-grands
éloges; la Comédie Italienne a beſoin de ſes
talens , & il ſeroit difficile de trouver fut
les Théâtres de la Province un ſujet qui méritât
d'entrer avec lui en comparaiſon.
DE FRANCE.
45
GRAVURES.
COLLECTION de vingt -Sept Estampes gravées
d'après les Deffins de M. Marillier , par MM. de
Longueil , de Launay l'aîné , de Launay le jeune ,
Ingouf le jeune , Macret , de Ghendt , Ponce ,
Halbou , Trière & Dambrun. Cette ſuite eſt deftinée
à orner une Édition des OEuvres choifies de
J. J. Rouffeau , qui s'imprime à Londres. Prix ,
is liv. A Londres , chez Emflet & Thomas Hookham,
Libraires; & à Paris , chez la Veuve Ducheſne,
Libraire , rue S. Jacques , au Temple du Goût.
-
Portrait de Frère Côme , Feuillant , très-reffemblant,
gravé par Ingouf , d'après un deſſin fait de
ſon vivant , avoué de ſa famille. A Paris chez le ſicur
Souberbielle , rue du Chevet-Saint - Landry , dans
la Cité , Nº. 2. Prix , I liv. 4 fols. Cahier des
Cartouches pour entretenir les titres des différentes
Cartes , comme Cartes Militaires de Marine , Géographie
& Topographie , très utile aux Ingénieurs
&Arpenteurs. A Paris , chez Panferon , Architecte ,
rue des Maçons , près la Sorbonne , maiſon de M.
Levaſſeur , Graveur du Roi. Prix , I livre 4 ſols; &
lavé, 1 liv. 16 fols.
-
Plan de la Montagne , de la Ville, des Fortifications&
du Siège de Gibraltar , avecle Camp de
Saint-Roch. Prix , I liv. 4 ſols . La Baye de
Gibraltar & d'Algéſiras , avec le Camp de Saint-
Roch & les Diſpoſitions du Bombardement. Prix ,
I livre 4 fols, A Paris , chez Lattré , Graveur ordinaire
du Roi , rue S. Jacques , la porte-cochère visà-
vis la rue de la Parcheminerie. -On trouve chez
le même le Détroit de Gibraltar , en une feuille ,
au même prix , & tout ce qui peut intéreſſer pour la
guerre actuelle.
46 MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
0N trouve chez Lamy , Libraire , quai des Au-
-
guſtins , les Livres ſuivans : La Vie de Nicolas Flamel
& de Pernelle fa femme , avec fon Portrait &
lePlan defa Maiſon , in- 12 . Prix , 3 livres broché.
- Le Traité du Figuier , in- 12 . Prix , 1 liv. 4 ſols
relié. Un Traité curieux des Enseignes Militaires,
& c . in - 16. Prix, I livre 10 fols broché.
Les Stratagêmes de guerre dont ſe ſont ſervis les
plus grands Capitainesjusqu'à la paix dernière , in-
16. Prix , I livre 4 ſols broché. - L'Indépendance
des Anglo - Américains , dont nous avons rendu
compte ſans indication de Libraire , in- 12 . Prix ,
I liv. 4 fols broché.
Les
Guillot , Libraire de MONSIEUR , rue de la
Harpe , au- deſſus de celle des Mathurins , vient
d'acquérir les Tomes III & IV des Économiques ,
qu'il donne à 3 livres 10 fols en blanc.
mêmes , un Volume in- 4 ° . Prix , 6 livres juſqu'au
mois de Décembre prochain, paſſé lequel temps on
payera l'in-4º. 10 liv. & l'in- 12 6 liv.
Le double Rendez- Vous nocturne , ou le Triomphe
du Sentiment , par l'Auteur du petit Toutou ,
2 Vol. in- 18 reliés en un en veau écaille , 3 filets.
Prix , 2 liv. 8 fols. A Londres ; & ſe vend à Paris,
chez Mérigot père , Libraire , quai des Auguſtias ,
près la rue Gît-le-Coeur ; & à Valenciennes , chez
Giard , Libraire.
:
Amusemens des Eaux de Spa & des environs ,
Ouvrage utile à ceux qui vont prendre ces Eaux ſur
les lieux , contenant pluſieurs Aventures galantes &
intéreſſantes arrivées à Spa , 4 Vol. in- 12 petit fore
mat reliés enveau écaille, 3 filets. Prix , 6 livres. A
DE 47. FRANCE.
Amſterdam; & ſe trouve à Paris , chez Mérigot
père, Libraire , quai des Auguſtins , près la rue Gitle-
Coeur , & chez les Marchands de Nouveautés ; &
àValenciennes , chez Giard , Libraire.
Éloge de M. de Voltaire , Ode qui a concouru
pour le prix de l'Académie Françoiſe en 1779 , par
M. de la Vicomterie de Saint-Samſon , ſuivi d'une
Lettre du Roi de Pruſſe à l'Auteur. A Hambourg , &
ſe trouve à Paris , chez Guillot , Libraire de
MONSIEUR , rue de la Harpe.
LesAprès-Soupers de la Société , petit Théâtre
lyrique & moral ſur les Aventures du jour. A
Paris , chez l'Auteur , rue des Bons - Enfans , la
porte cochère vis-à vis la cour des Fontaines du
Palais Royal , quatorzième Cahier.
Traitéd'Architecture , comprenant les cinq Ordres
des Anciens établis dans une juſte proportion entreeux;
ony ajoint les Pilaſtres d'Attique de chaque
Ordre; des Tables de Proportions pour déterminer
les hauteurs des Soubaſſemens , Statues , Balustrades
&Pilaftres d'Attique , relativement à la progreſſion
des cinq Ordres d'Architecture , depuis dix pieds de
hauteur juſqu'à foixante ; un Cours de Géométrie-
Pratique, & des différentes eſpèces de Moulures à
l'uſage non-feulement des cinq Ordres , mais encore
de tous les membres d'Architecture ; plus , la manière
de les tracer au compas ; un Traité d'Arithmé
tique pour parvenir au toiſé des Figures Géométriques
; un Traité de la Meſure des Surfaces Planes
&des Solides ; un Cours de Perſpective & une Inftruction
ſur les différentes manières de deſſiner le
Payſage ; par M. Dupuis , Profeſſeur d'Architecture.
Nota. L'Auteur fera paroître à la Saint - Martin
prochaine l'Ouvrage dont on préſente ici le Titre ,
qui en fait connoître ſuffisamment les diverſes
Parties. Il s'eſt propoſé de répandre un grand jour
48 MERCURE
1
fur les Arts qui en ſont l'objet,&d'en faciliter l'étude.
Ce qu'il a déjà publié en ce genre ,& les ſuccès de
ceuxqui ont étudié ſous lui ſont de plus sûrs garants
de l'utilité & de la bonté de ſon travail que tout ce
que nous pourrions dire. Le prix pour chaque
Volumebroché ſera de 10 liv. tournois ou de 30 liv.
pour l'Ouvrage entier. Ceux qui deſfireront en faire
P'acquiſition , ſont priés d'écrire à l'Auteur , rue
Bailleul , en lui marquant le nombre d'Exemplaires
qu'il leur faudra ,& s'ils les veulent brochés ou reliés.
• Mémoires fur les Foffiles du bas Dauphiné, contenant
une Deſcription des terres , ſables , pierres ,
roches compoſées & généralement de toutes les
couches qui les renferment; par M. D. G. Officier
réformé. A Paris , rue & hôtel Serpente .
Projet de Catacombes pour la ville de Paris ,
enadaptantàcetuſage les carrières qui ſe trouvent
tant dans ſon enceinte que dans ſes environs. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés.
TABLE.
ELÉGIE , 3 Annales Poétiques depuis l'o-
Réponse aux Stances de Mlle rigine de la Poésie FrandeGaudin,
S foife, 19
Si l'Eloquence est utile ou AcadémieRoy. deMusiq. 27
dangereuse dans l'Adminiſ- Comédie Italienne , 42
45
17 Annonces Littéraires , 46
tration de la Justice , 8Gravures,
Enigme& Logogryphe ,
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedis Octobre. Je n'y ai
zien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion.AParis ,
le 4 Octobre 1782. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 6 Août.
LES vents & la féchereſſe qui ſont ſurvenus
, ont arrêté les progrès de la peſte qui
s'étoit manifeſtée , il y a une vingtaine de
jours , & qui avoit beaucoup alarmé les
habitans de cette Capitale ; on apprend de
Cérès & de Salonique , que la même température
y a produit les mêmes effets ; il
n'en est pas ainſi du Cuban , où la contagion
règne toujours , & enlève un grand nombre
de perſonnes.
LaPorte a réſolu d'envoyer dans la Morée
un Pacha , qui doit y fixer ſa réſidence ; elle
ſe flatte de parvenir , par ce moyen , à
étouffer l'eſprit de révolte qui domine depuis
long-tems dans cette Province. On dit
que leCapitan Bacha y ſera envoyé en cette
qualité , & qu'il ſera remplacé dans le
poſte d'Amiral par Melek Muftapha , Bacha
d'Egypte.
5 Octobre 1782 .
( 2 )
Le Patriarche ſchiſmatique Zacharie paroît
fort éloigné de tenir la promeſſe qu'il
avoit faite aux Miniſtres des Puiſſances Catholiques
, de ne point troubler les ſujets
de leur religion ; il les vexe plus que jamais ,
& on affure qu'il a ſu s'affurer par des préſens
la protection de pluſieurs Grands.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 12 Septembre.
PLUSIEURS de nos bâtimens qui avoient
fait la pêche de la baleine au détroit de
Davis , font arrivés ici avec des cargaiſons
confidérables d'huile de baleine. Cette pêche
a été très-avantageuſe certe année ; la Compagnie
n'ayant pas affez de vaiffeaux pour
faire le tranſport de l'huile , a frété un grand
nombre de bâtimens particuliers.
>>>Un cutter Anglois, écrit- on d'Elfinger , ayant
apporté au Commandant des vaiſſeaux de ſa nation
qui étoient dans ce port , des ordres cachetés , tout
le convoi s'eſt auſſi-tôt diſpoſé à partir; & le 10
il a mis à la voile avec un vent frais de ſud-ouest ,
au nombre de 220 navires marchands , ſous l'efcorte
des frégates , dont une de 44 canons , 2 cutters
& quelques lettres de marque ; 70 autres navires
marchands ont appareillé en même-tems. Mais
àpeine ce riche convoi eut- il paflé le château , qu'il
furvint un calme plat qui l'obligea de ſe remettre
àl'ancre «.
SUÈDE.
De STOCKHOLM , le 12 Septembre.
Le Prince dont la Reine eſt accouchée
131
dernièrement , a été baptisé les de ce
mois ; après les cérémonies qui ſe firent
avec beaucoup de ſolemnité , le Roi lui
mit le cordon de l'Ordre des Séraphins.
La Compagnie des Indes Orientales de Gothenbourg,
a fait porter juſqu'à moitié chemin
de Schagen , 200 cailles de thé, tant grandes
que petites , gâtées par l'eau de la mer , &
tirées de la cargaiſon du vaiſleau la Sophie-
Magdeleine ; elles doivent être jettées à la
mer, pour empêcher toute occaſion d'en faire
un uſage pernicieux.
>> Depuis quelque tems , lit-on dans des lettres
deGothembourg , la pêche du hareng nous donne
beaucoup de profits. Il s'en trouve , comme on le
fait, une très-grande quantité qui vient du Nord
par le détroit du Sund , autour de la petite Ifle
qui avoiſine notre ville , & vis-à-vis de laquelle
la Gothelba ſe jette dans la Baltique. Depuis 1621 ,
c'est-à-dire , 14 ans après la fondation de notre
Compagnie , nous jouiſſons du privilége royal d'en
faire la pêche. En 1679 les harengs ne parurent
plus dans notre mer. Nous n'en vîmes pas beaucoup
pendant les 72 années ſuivantes . Mais à notre
grande ſurpriſe , ils affluèrent de nouveau en 1752.
Depuis cette époque , ils revinrent tous les ans ,
non ſans variation; car depuis 1770 leur retour
eft d'année en année plus tardif que les années précédentes
; ce qui ſemble préſager un abandon total.
Si nos harengs ſont plus petits que ceux qu'on
trouve à l'entrée de la Baltique , ils ont auſſi un
meilleur goût ; on doit ſuppoſer que le ſuc de nos
plantes maritimes , eſt moins acre . Pendant l'année
courante nous avons ſalé 139,000 tonneaux de
harengs; on en a fumé 13,900 , & on a fait 2845
tonneaux d'huile de ceux qui étoient gâtés «.
22
( 4)
ALLEMAGNE.
• De VIENNE , le 14 Septembre.
On ſe flatte encore de revoir ici le Grand-
Duc & la Grande-Duchoffe de Ruflie , on
dit qu'ils arriveront vers la fin de ce mois ;
mais ils ne feront pas un long séjour
dans cette Capitale; ils ſe repoferont un
peu au Château Imperial ,& ſe tendront à
Luxembourg & de-lå en Hongrie , d'où ils
retourneront directement à St Petersbourg .
Les intérêts du Bure u autoriſe à prêter de
l'argent far gage , ont été réduits. On y payoit
16 p. 100 , aujourd'hui on ne pourra prendre
que 4 p. 100 fur des effets qui ne ſont
ni or ni argent ; mais quand on en portera
de cette dernière eſpèce , qui ſuppoſent
de la fortune aux emprunteurs , le
Bureau eft autorisé à prendre 6 p. 100 jufqu'à
la ſomme de 1000 florins , & paffé
cette ſomme , les intérêts ſeront de 8 juſqu'à
10 p. 100.
On apprend par des lettres du Comté de
Zips , que le 19 Juillet dernier, il eſt tombé
une quantité prodigieuſe de neige ſur les
monts Carpathes.
M. Naco , Seigneur des terres de St-Miclos
& de Marienfeld , dans le Comté de
Torendal , y a fait l'eſſai d'une plantation
d'arbres à coton , qui tous viennent trèsbien
, & donnent l'eſpérance du plus grand
Luccès.
:
Les Savans , écrit- on de Bude, qui avoient
été envoyés en Eſclavonie pour y examiner la
terre brûlante , ſont de retour de leur voyage. Pendant
le ſéjour qu'ils y ont fait , la terre n'étoit
pas enfiammée; ils ont fait cependant pluſieurs expériences
avec cette terre , & pour les continuer ,
ils en ont apporté une certaine quantité avec eux.
L'un de ces Savans , l'Abbé Miller , a apporté de
ces environs beaucoup d'inſectes , & quelques caiſſes
de minéraux , parmi lesquels ſe trouve auſſi du
minerai , qui contient de l'or & de l'argent ".
On a encore fupprimé trois autres Couvens
de femmes à Lemberg ; ils font, dit-on ,
plus riches que ceux qui y ont été fupprimés
il y a 6 mois.
De HAMBOURG , le 15 Septembre.
LES mouvemens qui ſe font ſur les fronrières
de la Ruffie & dans pluſieurs parties
de l'Empire ; les troupes qui défilent du
côté de Kiow , de Mohilow , ainſi que vers
l'Ukraine , & dans les Gouvernemens d'Aftracan
& d'Afoph , annoncent que les troubles
de la Crimée ne ſont pas diſſipés
comme l'ont publié quelques papiers , &
que tant que la Porte ne ſe ſera point déclarée
ſur le parti qu'elle prendra dans ces
circonſtances , on n'eſt ni ſans inquietude ,
ni fans défiance , ſur la ſuite de la révolte
des Tartares. Un régiment d'infanterie & un
détachement d'artillerie font partis de Pétersbourg
; 4 autres régimens ſe ſont mis
en marche de la Livonie vers les confins de
la Tartarie ; 1100 matelots , ajoute-ton ,
23
( 6 )
1 ont été envoyés ſur les côtes de la mer
Noire.
Selon les lettres de Vienne , S. M. I. a
chargé le Comte de Kollowrat & le Baron
de Reiſchach , de recevoir , en ſon nom ,
les foi & hommage des vaſſaux de la couronne
de Bohême.
>>>Les préparatifs des fêtes qu'on doit donner
au Comte & à la Comteſſe du Nord , écrit-on de
Stuttgard , font achevés ; ces fêtes ſeront trèsbrillantes.
On a arrangé dans le château Ducal les
appartemens deſtinés aux illuftres Voyageurs ,
de manière qu'ils ſe croiront tranſportés dans ceux
qu'ils occupent ordinairement à Pétersbourg. Le
parc , voiſin de ce Château , à été peuplé de so00
bêtes noires & fauves. Surles frontières du Margraviat
de Dourlach à Ensberg , on a élevé un Arc de
Triomphe & un Palais en bois , revêtu en dehors
de toile peinte dans un goût antique , & magnifiquement
décoré & tapiſſe au-dedans. C'eſt- là que le
Comte& la Comreſſe du Nord ſeront reçus & qu'ils
dîneront à leur arrivée. On les attend ici le 17 ; il
y aura ce jour-là fête à la Cour ; le 18 , grande
table , gala & opéra ; le 19 une fête à Hohenheim ,
&Comédie ; le 20 , dîner chez la Comteſſe de Hohenheim
, & opéra ; le 21 , fête à Ludwibourg & à
la Solitude ; le 22 , grande chaffe ; le 23 , grand
opéra à Stuttgard , & le 24 un fuperbe carroufel<«.
On apprend d'Elenbourg , que depuis
quelque tems la terre s'eſt enflammée près
de Holling. Comme il y a dans les environs
beaucoup de tourbe , il eſt à craindre , ſi le
feu fait autant de progrès qu'il en a fait
juſqu'à préſent , qu'une grande étendue de
terrein ne ſoit embrâſée. Une forte pluie qui
tomba il y a quelques jours , n'a pas ſuffi
( 7 )
pour l'éteindre ; la cendre eſt déjà à 3 pieds
de haut ; on y trouve beaucoup de terre
calcaire calcinée.
>>>Les ſanterelles , écrit-on de Bude , ſont en ſi
grand nombre dans pluſieurs endroits de ce Royaume
, qu'en voulant les détruire on ne réuffit malheureuſement
qu'à les faire changer de place.
-On écrit de Boszermeny , dans le Comtat de Szaboltz
, que le 23 Août au ſoir les habitans y étoient
occupés à pourſuivre des eſſains innombrables de
fauterelles , qui viennent du grand Waradin &
d'Almofd. On les foudroya à coups de canon &
de fufil; elles tombèrent dans les plaines de Debretzin
, mais s'y voyant pourſuivies par plus de
2000 perſonnes , armées de fouets , & foutentes
par un corps de troupes qui ne ceffèrent de faire
feu, elles allèrent ſe jetterà un mille de là où el'es
ravagèrent une étendue d'une demi-lieue. En plufieurs
endroits ces inſectes font les uns ſur les autres
,& forment une maſſe de 2 à 3 empans de hauteur,&
quand on veut les chaſſer , ce qui eſt difficile
, ils vont, du côté où le vent fouffle. Il a
été ordonné de fonner les cloches dans tous les
endroits où ils ſemblent vouloir s'arrêter . Des
avísultérieurs de Debretzin , en date du 27 Août ,
portentqu'après que ce redoutable eſſain fut parti il
en parut un autre plus nombreux ; tous les environs
de la Ville en furent couverts à un mille
d'étendue & à la hauteur d'une demi-aune : elles
mangent ou rongent tout dans les prairies & dans
les champs c.
ITALI Ε.
De LIVOURNE , les Septembre.
Le Hongrois , bâtiment appartenant à la
Compagnie Autrichienne des Indes Orienta-
24
( 8 )
les , eſt parti d'ici le 27 du mois dernier pour
l'Afie .
>>> Sur l'avis des Juriſconſultes de cette Univer--
fité , lit-on dans des lettres de Padone , au ſujet
des ſéparations entre mari & femme, le Conſeil
des Dix a arrêté ce qui ſuit : 1º. les femmes qui
demanderont à être ſéparées de leurs maris , feront
tenues de ſe rendre ſur - le - champ dans un Couvent
, où elles ne pourront voir que leurs plus
proches parens & leur Avocat; 2°. les membres
du Conſeil des Dix détermineront les ſommes que
les maris paieront à leurs femmes pour leur entretien&
les frais de la procédure. Si les conjoints
font notoirement indigens , le Conſeil pourvoira
à ces objets; 3°. la procédure de ſéparation
fera très-ſommaire; 40. tous les Evêques ſeront
tenus d'informer fur-le-champ le Conſeil des demandes
en ſéparation , afin qu'il puifle enjoindre
à la femme de ſe rendre tout de ſuite dans un
Couvent. On dit que le traité d'échange entre
la Cour de Vienne & la République de Veniſe ,
approche de ſa conclufion; le commerce de Trieste
y gagnera , dit - on , des avantages très - confidérables<
«.
Le Pape a , dit- on , adreſſé des brefs à tous
les Evêques des Etats Autrichiens par lefquels
il les autoriſe à relever de leurs voeux
Ics Religieux des Couvens ſupprimés dans
ces Etats lorſqu'ils le demanderont.
Le 24 Juin , écrit-on de Tunis , il arriva ici
un Chiaou de la ſublime Porte , avec des Firmans ,
tant pour notre Régence que pour celles de Tripoly
& d'Alger. Ces Formans contenoient des propoſitions
du Grand-Seigneur pour faire la paix entre
les Régences Barbareſques & le Roi des Deux-
Siciles , à des conditions que S. H. affare devoir
être fort avantageuſes. On croit cependant que ces
) و (
propoſitions réufront dificilement , parce que les
Etats de la côte de Barbarie , preſque abſolament
deftitués de commerce , ne fauroient ſubſiſter que
da fruit de leurs pirateries , qu'ils ne peuvent exercer
aujourd'hui qu'envers les ſujets Napolitains ,
puiſqu'ils fonten paix avec les Puiſſances Chrétiennes
, hors de la Méditerranée , & avec la République
de Veniſe , qui obſerve ponctuellement
ſes engagemens avec eux; ils ſont ſur le point
d'en conclure une avec l'Empereur & la Toſcane.
Ilsn'ont en conféquence à diriger leurs courſes que
contre les Napolitains ; & malgré la Marine de
S. M. Sicilienne , elles ſont ſouvent heureuſes . On
ſent qu'il n'y a qu'un préſent aanuel proportionné
à la valeur des priſes que font leurs corfaires , qui
peuvent les déterminer à ſe prêter aux vues de
la Porte; &on ne doute pas que dans ce cas même ,
ils ne rompent avec d'autres Puiſſances Chrétien
nes , pour achever de ſe dédommager " .
:
ANGLETERRE.
De LONDRES , le ro Septembre:
DEPUIS l'arrivée du brigantin le Général
Carleton , nous n'avons point de nouvelles
de l'Amérique ſeptentrionale. Le ſeul fait
intéreſſant que contiennent celles qu'il a
apportées , c'eſt que le Prince Guillaume
Henri n'eſt point mort comme le bruit s'en
étoit répandu ; l'uſage du quinquina a fait
diſparoître en partie la fièvre occafionnée
par la luxation de ſon bras ; mais on craint
qu'il ne puiſſe plus ſe ſervir de ce bras ,
parce que l'os de l'épaule forti de la jointure
avec fraction du muscle , ne peut plus
être remboité.
S
( 10 )
Quoiquerienne confirme la lettre adreffée
à Sir William - Pepperel , nos papiers ne
ceffent de répéter que le mécontentement
eft général en Amérique contre le Congrès
& contre la France ; s'il faut les en croire
il eſt arrivé de tous côtés des avis qui ne
permettent plus d'en douter ; on en a même
reçu de France où il eſt bien für cependant
que la première nouvelle n'y a été apportée
que par nos papiers , & où elle n'a été reçue
qu'avec mépris. Quelques-uns de ces papiers
ont effſayé de l'appuyer par des extraits
d'une Gazette de Boſton imprimée, difent- ils,
chez Eades & Gill , ils ont oublié malheureuſement
que ces deux éditeurs impriment
chacun une feuille différente & très diftincte
, & les numéros qu'on en a reçus
des mêmes dates que les extraits prétendus
que l'on donne. ici , au lieu de parler des
diſſentions Américaines , n'annoncent au
contraire que la meilleure harmonie entre
les Etats-Unis & leur auguſte allié , & une
réſolution unanime de ne conclure qu'une
paix concertée de part & d'autre. Bien des
gens croient que le but viſible de tous ces
prétendus détails , eſt de retarder , s'il eſt
poſſible , la détermination du Cabinet pour
reconnoître l'indépendance de l'Amérique.
Mais aujourd'hui il paroît être décidé ; on
peut en juger du moins par la lettre ſuivante
du Général Carleton & de l'Amiral
Digby au Général Washington ; elle eſt
du a Août , & a été apportée par le pa
( 1 )
quebot le Roebuck arrivé de New-Yorck à
Portsmouth en si jours.
>>>Les diſpoſitions pacifiques du Parlement & du
peupled'Angleterre , envers les 13 Provinces-Unies ,
vous ont déja été communiquées ; on a auſſi remis à
V. E. les réſolutions de la chambre des Communes
du 27 Février dernier , & en même-tems , on vous a
donné à entendre que ſelon toutes les apparences
elles ſeroient ſuivies de négociations de Paix. Depuis
cette époque juſqu'à préſent nous n'avions reçu aucune
inſtruction directe d'Angleterre ; mais il vient
d'arriver une Malle qui nous apporte une nouvelle
très-importante. Nous ſavons de bonne part ,
qu'il y a déja des négociations entamées à Paris ,
pour une Paix générale , & que M. Grenville eft
muni de pleins pouvoirs pour traiter avec toutes les
parties Belligérantes ; il eſt actuellement à Paris pour
remplir ſa commiſſion.-De plus , nous ſommes informés
que S. M. pour éloigner tout ce qui peut
s'oppoſer à une Paix qu'elle défire ardemment de rétablir
, a ordonné à ſes Miniſtres d'enjoindre à M.
Grenville, de commencer par propoſer l'indépen
dance de l'Amérique , au lieu d'en faire une condition
d'un traité général ; bien perfuadée néanmoins
que les Royaliſtes ſeront rétablis dans leurs
poſſeſſions oudédommagés entiérement de toutes les
confiſcations qui peuvent avoir eu lieu .-A l'égard
deM. Laurens , nous devons vous faire ſavoir qu'il a
été élargi & rendu libre de tout engagement fans
conditionquelconque , après quoi il a déclaré , de ſon
propre mouvement , qu'il regardoit le Lord Cornwallis
comme dégagé de ſa parole. Sur ce point
nous défirons connoître les ſentiments de V. E. ou
du Congrès.-Nous apprenons encore , qu'on a
préparé en Angleterre des tranſports pour conduire
dans ce pays-ci tous les prifonniers Américains & les
y échanger , nous avons ordre de preffer cet échange
autant qu'il eſt en notre pouvoir ; l'humanité nousy
a 6
(12 )
engage , & d'ailleurs le bien- être & les droits des
individus y font intéreſſés. Comme tous les échanges
d'hommes du même état ſont épuisés , il a été
déja propolé d'échanger immédiatement homme
pour homme , l'un contre l'autre , ſous condition
que nos matelots auroient la liberté de ſervir dumo
sment qu'ils ſeroient échangés , & que les foldats
que nous échangerions ſeroient une année ſans pouvoir
ſervir dans les treize Provinces ou contre elles ;
& c'eſt une condition dont nous voudrions bien ne
point nous départir.
: On ignore encore la réponſe que le Général
Américain a faite à cette lettre ; il
l'a ſans doute envoyée au Congrès ; il ne
s'ouvre jamais fur les objets qui ne font
pasde fon département. On en voit un exemple
dans la lettre qu'il écrivit à l'Amiral
Digby & qui eſt conçue ainfi :
J'apprends par MM. Aborn & Bown que V. Ε.
leur a permis de venir me faire des repréſentations
fur l'é at malheureux des Matelots & autres gens
de mer Américains qui font actuellement prifonniers
à New- York . Comme les affaires maritimes.
ne ſont pas de mon reffort , ce n'eſt point à moi qu'on
s'adreſſe pour cer objet ; mais la curiofiré m'ayant
porté à prendre des informations ſur la nature &
la cauſe de l'état de détreſſe où sont ces malheureux
, j'ai ſu que le principal motifde leurs plaintes
eſt d'être entaflés en grand nombre , fur-tout
dans cetre ſaiſon , à bord des bâtimens ſales & infects
qui leur ſervent de priſon & où la maladie
&la mort font preſque inevitables . Je ſuis perſuadé
qu'il ſuffit de rapporter ce fait à V. E. pour
obtenir en leur faveur le ſoulagement que vous
feal pouvez leur procurer & que l'humanité ſolli
cite avec tant d'inſtances . Si les évènemens de la
( 13 )
gnerre ont mis entre vos mains ces malheureux,
je ſuis perfuadé que la ſenſibilité de V. E. vous
engagera ( en ſuppoſant qu'ils doivent être néceſfaitementmis
àbord des vaiſſeaux) à proportionner
dumoins le nombre de ces bâtimens à celui des prifonniers,
&àne les point laiſſer amoncelés comme ils
le font, circonſtance d'où proviennentdes maladies qui
font périr journellement fix de ces infortunes.
Si dans cette ſaiſon les foldats de S. M. B. prifonniers
parmi nous étoient pareillement entaffés
dans des priſons trop étroites ( comme cela pour
roit être) ils ſeroient expoſés à la même mortalité
& aux mêmes miferes .
Ma ſenſibilité , répondit l'Amiral Anglois , m'a
porté à accorder à MM. Aborn & Bown la permifſion
de ſe rendre auprès de V. E. pour vous faire
des repréſentations ſur la ſituation malheureuſe des
prifonniers Américains qui ſont entre mes mains.
Si les ſentimens de V. E, en cette occaſion ſont conformes
aux miens vous n'hésiterez point un inG
tant à adoucir le ſort des priſonniers tant Anglois
qu'Américains.
2
En attendant l'effet de la nouvelle négociation
qu'on eſpère d'entamer , le théâtre
de la guerre fermé aux Antilles par la ſaiſon
va ſe rouvrir ſur le continent. New-Yorck
eſt maintenant le point qui paroît menacé ,
&qui par conféquent fixe notre attention.
Le Général Carleton s'eft mis en campagne
avec toutes les troupes réglées qu'il a pu
xaffembler , & a formé un camp à Kingsbridge
dans les environs du fort Washington.
S'il faut en croire quelques lettres , il
n'a pris ce parti que fur les informations
qu'il a reçues des mouvemens du Général
( 14 )
Américain , qui après avoir fait un tour à
Albany & dans la partie ſeptentrionale de
l'Etat de New-Yorck , revenoit ſur ſes pas
& s'approchoit des plaines blanches. On
ſavoit auſſi que l'armée Françoiſe aux ordres
du Comte de Rochambeau , s'avançoit
à grandes journées pour faire ſa jonction
avec celle du Congrès.
Ces mouvemens ne permettoient pas à
Sir Guy Carleton de reſter dans New- Yorck ;
mais en fortant pour attendre l'ennemi , retarder
ſa marche & ſaiſir les circonstances
qui pourront ſe préſenter pour déconcerter
ſes meſures , il avoit beſoin de toutes fes
forces , & il a fallu qu'il dégarnît abſolument
la place de toutes les troupes réglées
qui s'y trouvoient. Il a été obligé d'en
confier la garde aux habitans , & les plus
riches , les vieillards même ne ſont pasdifpenfés
du ſervice militaire. On a remarqué
avec peine que la plupart ne rempliffoient
pas ce devoir avec le zèle & l'exactitude
qu'un véritable attachement à la cauſe
royale devroit inſpirer. Le Gouverneur
James Robertfon , qui commande dans la
ville de New-Yorck , a jugé à propos de
publier la proclamation ſuivante.
>> Le Commandant en chef ayant montré la
grande confiance qu'il mer dans les Citoyens de
New-Yorck , en ſe repoſant pour la défenſe des
intérêts de S. M. , ſur leur zèle , leur fidélité &
leur bravoure , je me perfuade que chacun d'eux
réclamera avec ardeur ſon droit à une portion de
ſervice militaire : afin que perſonne n'en ſoit pri(
15 )
vé,& que ceux que le zèle porteroit à ſe montrer
toutes les fois qu'on auroit beſoin d'eux , n'y
foient pas appellés trop fréquemment , je juge à
propos de déclarer , que toutes perſonnes ſont tenues
de remplir le ſervice militaire , excepté les
Miniftres du ſaint Evangile, les Conſeillers & principaux
Employés de S. M. , dont les occupations
dans les affaires religieuſes & civiles , les empêchent
néceſſairement de remplir ce ſervice. Toutes
les perſonnes à qui l'âge ou les infirmités ne permettent
point d'agir , pourront s'acquitter du ſervice
en ſe faifant remplacer , pourvu que ceux
qu'ils offriront à leur place foient jugés acceptables
par le Colonel du Régiment ou par l'Officier
Commandant du Corps auquel ils appartiennent. Si
quelques-uns de ceux qui ont des profeſſions ſavantes
ſe trouvent fi utilement employés qu'ils ſe
déterminent par-là à éviter l'honneur de paroître
en perſonne , on les laiſſe juges de l'importance
de leurs fonctions & ils peuvent faire leur ſervice
pardes ſubſtitués en état de le remplir. Comme
perſonne ne mérite protection dans une place à la
défenſe de laquelle il refuſe de contribuer , tout
Citoyen qui refuſera de paroître lorſqu'il ſera appellé
à ſon devoir de Milicien , ſera emprisonné
à la grande-garde par ordre du Colonel ou de
l'Officier Commandant du Corps auquel il ſera
attaché, & il y ſera gardé juſqu'à des ordres ultérieurs
. « ANew-Yorck , le 22 Juin 1782 .
;
Cette proclamation n'annonce pas des
diſpoſitions fort loyales de la part des
réfugiés de New- Yorck ; on fait que le
fentiment & le zèle ne ſe commandent
pas ; & il n'y a pas grand fond à faire für
le ſervice de gens qui ne prennent les
armes qu'avec répugnance , & que la violence
ſeule détermine à paroître ſous les
( 16)
drapeaux. On ne juge pas en conféquence
la place dans le meilleur état de défenſe
poſſible. Elle n'en peut avoir de bonne que
dans les troupes réglées , mais elles ne peuvent
y revenir que dans le cas où elles y
feront repouffées par un ennemi ſupérieur ;
fi cette ſupériorité eſt auſſi grande qu'on a
lieu de le préſumer , & fi on ne parvient
pas à obtenir une ſuſpenſion d'hoftilités , il
eſt à craindre quelles netiennent pas longtems
dans les murs.
Divers avis arrivés ſucceſſivement ne
laiffent pas douter que le Marquis de Vaudreuil
n'ait paru ſur les côtes de Virginie
à la fin du mois de Juillet; ils ajoutent
qu'ils les a quittées , & que vraiſemblablement
il a dirigé ſa marche vers Rhode- Iſland.
Nous ignorons les forces qu'il a avec lui ;
& comme il est très-poſſible que les Eſpagnols
lui aient donné quelques vaiſſeaux ,
on craint que l'Amiral Pigot qu'on fait n'être
parti de la Jamaïque que dans le courant
d'Août & qu'on ne dit point encore avoir
été apperçu vers le Continent , ne lui ſoit
trop inférieur pour pouvoir s'oppoſer à
ce qu'il peut entreprendre. C'eft à peu près
des efforts qu'il ſera en état de faire fur mer
que paroît dépendre à préſent le fort de
New-Yorck. Si cette place ſuccombe & fe
rend à l'ennemi , nous pouvons nous regarder
comme choſſés du Continent de
l'Amérique , & à quoi aboutiront toutes les
( 17 )
façons que nous avons faites pour en re
connoître l'indépendance ?
" Les auteurs de la nouvelle de la défection des
Américains , dit un de nos papiers , peuvent avoir du
zele , mais ils ſuppoſent à la Nation une foi bien
robuſte ; ils viennent de la mettre encore à une affez
fingulière épreuve. Ils débitent aujourd'hui qu'un
croiſeurAnglois , qu'ils ne nomment point à la vérité,
arrive de la mer du Sud avec deux Chefs Indiens
chargés d'offrir au Roi de la Grande Bretagne la ſouveraineté
de pluſieurs Provinces Eſpagnoles de l'Amérique
méridionale. Le préſent eſt aſſurément trop
beau pour être refuſé ; mais il paroît que cette
domination dans le Midi , ne nous dédommagera pas
de celle que nous perdons dans le Nord. Cependant
ils ajoutent qu'on prépare actuellement en toute
diligence , une eſcadre avec 4000 hommes de troupes
de débarquement aux ordres du Capitaine Macbride
qui ne fera pas difficulté d'aller prendre poffeffionde
ces régions lointaines au nom du Roi. Ainh
au moment où nous craignons d'être chaſſés de ce
vaſte Continent , nous ſerions à la veille de nous
rendre maîtres des deux Amériques «.
Cette eſcadre à équiper offriroit au moins
de l'embarras dans les circonstances préſentes
: il n'eſt pas queſtion de ſonger à
faire des conquêtes au moment où nous
avons à nous occuper de la conſervation
de nos poffeffions , & des moyens de recouvrer
celles que nous avons perdues.
On fait que , malgré tous nos efforts , nous
avons été obligés de réduire à 34 vaiſſeaux
l'eſcadre qu'on a donné à l'Amiral Howe
pour en aller combattre au moins so , &
eſſayer de fauver Gibraltar. On est trèsperfuadé
ici que ce n'eſt pas cette eſcadre qui
( 18)
garantira cette place ſi nous la conſervons ;
nous comptons davantage ſur les circonfrances
& la fortune qui peuvent favoriſer
les difpofitions du Général Elliot.
On n'a point de nouvelles de la flotte
de l'Amiral Howe depuis celles qui arrivèrent
les au foir; elle ne forme pas moins
de 300 voiles en comptant tous les convois.
Ils font au nombre de 4, le premier confiſte
en un grand nombre de bâtimens vivriers
, munitionnaires & tranſports pour
Gibraltar ; le ſecond eſt pour les Indes
orientales ; le troiſième pour les Indes occidentales
, & le dernier pour Opporto.
Le Comte d'Effingham s'eſt embarqué , en
qualité de volontaire , fur celui de Gibraltar.
Ce convoi doit être conduit dans la
baie par le Buffalo & le Panthère. On
donnera à celui des Antilles une frégate
pour l'eſcorter ; & l'Amiral Howe avec toutes
ſes forces ſe préſentera devant Cadix
poury retenir les Eſpagnols à ſuppoſer qu'ils
y foient , où il les ira chercher s'ils n'y ſont
plus , comme cela est vraiſemblable. On ne
peut trop calculer le tems qu'il mettra à
ſe rendre à ſa deſtination. Des convois aufli
nombreux ne peuvent marcher qu'avec lenteur
, & on préſume qu'au lieu de 15 jours ,
il lui faudra au moins plus de 3 ſemaines
pour arriver au Détroit ; ce n'eſt donc que
vers le commencement du mois prochain
que pourront ſe frapper les grands coups.
Encore faut- il pour cela qu'il n'éprouve au(
19 )
1
cun obſtacle ſur ſa route de la part de la
mer & des vents. Les nouvelles qu'il a données
de fa flotte ſont du 13. Alors tout étoit
en bon état ; mais depuis ce tems on a eſſuyé
des tempêtes affreuſes ; le 17 , le 18 & le 19
ont été des jours très- orageux ; & on appréhende
qu'il n'en ait éprouvé les funeſtes
effets. Les détails ſuivants , extraits de différentes
lettres de nos ports , ajoutent à ces inquiétudes.
De Portsmouth, le 28. Il vient d'arriver de 20
lieues à l'ouest de Scilly , un vaiſſeau deſtiné pour
les Indes Occidentales , démâté ; il faisoit partie du
convoi du Lord Howe, dont il a été léparé le 1 s dans
la matinée: les gens qu'il a à bord diſent que pendant
toute lajournéedu 14 on a eſſuyé der grains violens;
mais que le lendemain le Lord Howe avoit aſſemblé
ſa flotte & avoit continué ſa route avec un vent affez
favorable au N. O. - Le 19 , le Lord Holland ,
ci-devant vieux vaiſſeau de laCompagnie des Indes ,
aujourd'hui tranſport au ſervice de l'artillerie , vient
d'arriver ; il a été ſéparé de la flotte du Lord Howe
le 16 au matin ; le coup de vent du 14 lui avoit enlevé
ſes 3 mâts de hune. Quand il a quitté la flotte,
elle étoit à 3 lieues oueſt des Sorlingues , allant vent
largue, bon vent , le tout bien raſſemblé. La cargai
ſon du Lord Holland étoit précieuſe en artillerie ,
& on ſentira ſa perte «.
>> De Plymouth , le 20. Le Trowbridge , deſtiné
pour la Jamaïque , arrive ici en détreſſe ; il avoit fait
voile de Portsmouth avec le Lord Howe , dont il a
été ſéparé le 1s , ayant reçu de grands dommages
dans un gros coup de vent , dont la flotte avoit été
accueillie la veille.On craint beaucoup que les grains,
les bouraſques , qui ſe ſont ſuccédés depuis le départ
de l'Amiral , aient diſperſé ſon eſcadre & fa fløtte
3
( 20 )
On craint beaucoup d'apprendre incefſamment
cette fâcheuſe nouvelle ; on s'empreffe
de nous calmer en afſurant qu'on a
reçu des lettres de Gibraltar qui annoncent
que leGénéral Elliot déclare que ſans ſecours
il peut tenir encore fix mois. Cela nous
donneroit fans doute de la marge ; mais on
craint que ces bruits n'aient été répandus
que pour nous raffurer contre les délais
que peut éprouver l'Amiral Howe. Nos
inquiétudes ne font pas toutes pour lui ;
la flotte de la Jamaïque qui doit être près
de nos côtes , les partage.
>> Le 7 de ce mois , écrit-on de Cork , eſt arrivé
àKiafale le Montagu , de 74 canons , Capitaine
Browne ; la Flora , de 36 , & le cutter l'Alert.
L'Amiral Rodney étoit àbord du Montagu qui l'a
ramené en Europe. Il a mis à la voile le 26 Juillet&
prit le paſſage du vent de conſerve avec l'Amiral
Pigot, dont il ſe ſépara quelques jours après ; le picmier
de ce mois, ſe trouvant par le degré 40 de lat.
30de long. il s'eſt ſéparé par ſignal de la Réfolution,
de 74 , & de l'Antelope , de so. On dit que ces
vaifſeaux ont ordre de croiſer , pour rencontrer la
flotte deſtinée pour la G. B , qui a fait voile de Port.
Royal le 25 Juillet , ſous le convoi des vaiſſeaux
ſuivans , la Ville de Paris , 104 , le Ramilies ,
l'Hector , le Glorieux ,le Canada ,le Centaure , de
74; l'Ardent , le Jaſon , le Caton , de 64; la Pallas,
de 36 , l'Aimable , de 22. L'Amical Graves revient
avec le convoi «.
On a eu lieu de craindre pour celui qui
étoit parti des iſfles ſous l'eſcorte du James
de44 , du Triton & de la Surprise; il eſt henreuſement
arrivé en partie à Spithéad. H
( 21 )
étoit de so voiles à ſon départ , mais à la
hauteur de Terre Neuve , il fut ſéparé par
un coup de vent.
On est maintenant raſſuré ſur celui de
la Baltique pour lequel on craignoit à la
fois les vents & les Hollandois ; les uns &
les autres l'ont reſpecté. Un Exprès arrivé
de Hull a apporté avis à l'Amirauté qu'un
cutter arrivé dans le port , avoit laiffé le 19.
la flotte de la Baltique à la hauteur du Promontoire
de Flamborough . Si les Hollandois
ſont ſortis , on eſt étonné qu'ils n'aient
pas rencontré cette flotte ; s'ils ne le font
pas , on l'eſt qu'ils n'aient pas fait de mouvemens
pour l'intercepter ; elle n'avoit d'autre
eſcorte que le Roebuck de 44 canons ,
la Minerve & l'Iphigénie de 32 , & 2 cutters.
A préſent on s'inquiète fort peu de
l'eſcatre Hollandoiſe ; nous n'avons à craindre
que fur nos côtes , & les deſcentes ne
ſont pas aiſées ; il faudroit des troupes de
terre pour cela ; on ne croit pas que les
Hollandois en embarquent .
» Le 17 , écrit-on de Margate , le vent étant excellent
, nous vîmes paſſer le ſoir à notre hauteur ,
18 navires eſcortés par un vaiſſeau de guerre ; nous
les croyons être des tranſports venant de New-Yorck
&faitant voile pour le nord. Nous ne les avions
pas encore perdus de vue , qu'ils furent accueillis
de la plus terrible tempête qu'on ſe ſouvienne
avoir jamais vue dans ces parages. Ils furent
obligés de jetter l'ancre à la diftance d'environ
3 lieues au nord de cette place. L'ouragan fut fi
violent que la plupart des habitans épouvantés quit,
( 22 )
tèrent leurs lits , croyant que leurs maiſons alloient
écrouler ; iill y en a en effet eu pluſieurs d'endommagées.
A peine étions-nous revenus de cette premiere
frayeur , que le 19 le feu nous en a inſpiré
une nouvelle. Il a pris à des écuries , & à cauſe
de la rareté de l'eau il a fait des progrès fi rapides
que nous avons vu le moment où Margate ne ſeroit
plus qu'un monceau de cendres. Aforce de travail
& d'activité on l'a reſſerré dans une modique
enceinte; ce qu'on regrette plus que les bâtimens , de
peu de valeur , en effet , ce ſont les beaux chevaux
de courſe & de chaſſe qui ſe trouvoient dans 24
écuries qui ont brûlé. Ceux des voitures étoient heureuſement
attelés & en courſe ou devant les por.
tes , ce qui en a ſauvé beaucoup ainſi que les voitures.
On a tiré des flammes & ſauvé une vingtaine
de beaux chevaux. Les Maîtres de ceux qui ont péri
font dans la déſolation , chacun ne parle & ne s'entretient
que de la perte de ſon cheval favori. Un
pauvre homme qui a été brûlé n'a pas fait tant de
ſenſation : cela eſt fâcheux a-t-on dit ; mais les larmes
coulent pour les courſiers. On attribue cet acci
dent à l'imprudence d'un cocher , qui ayant beſoin
de quelque choſe étoit forti de l'écurie en y laiſſant
ſa chandelle «.
On trouve dans les papiers Américains
une pièce importante & que nous nous
empreffons de tranſcrire , c'eſt une lettre
circulaire de M. Robert Morris , chargé du
département des Finances des Etat-Unis ,
dans laquelle il rend ainſi compte de l'état
des Finances des Etats. Elle eſt du 15 Octobre
1781 .
>> Je m'adreſſe à vous pour une affaire de la
plus grande importance. Je vais entrer dans le détail
de quelques faits qui exigent la plus ſérieuſe attention
de toute Législation & detout Officier public
( 23 )
des Etats-Unis. Je ſuis dans la réſolution de gérer
les affaires confiées à mes ſoins , d'après un ſyſtême
fondé ſur la fincérité & ſur la bonne foi. Perfuadé
de la folie de nos ennemis , lorſqu'ils ſuppoſent
que dans les Etats-Unis il ſe trouve beaucoup de
gens qui s'oppoſent à la révolution , je crois que
pour écarter la plupart de nos difficultés , le premier
pas à faire eſt de les expoſer dans tout leur
jour à la Nation par le canal de ſes repréſentans.
Ainſi il eſt de mon devoir de mettre ſous les yeux
du Public tout ce qui ſe paſſe, de manière que
le plus petit individu ſoit informé, en tems & lieu ,
des affaires qui l'intéreſſent comme Citoyen libre.
Les divers bruits qui ont couru , les proclamations
dedifférentes Gazettes , & même les lettres de ceux
qui doivent être le mieux inſtruits , tout enfin a
contribué à nous confirmer dans l'opinion que toutes
les Puiſſances de l'Europe nous ſont favorables ,
qu'on nous a déja avancé de grandes ſommes d'argent,&
qu'on peut en obtenir encore de plus confidérables.
Quelle que puiſſe être l'iſſue de mon
adminiſtration , je veux me mettre à l'abri de tour
reproche de fauſſeté ou de diſſimulation ; c'eſt pourquoi
je profite du premier moment où je puis donner
communication de lumières qui faſſent cennoître
pleinement la véritable poſition où nous nous
trouvons. Mon deſſein n'eſt point d'entrer à préſent
dans le détail des affaires de l'Europe ; ce n'eſt
pas là mon objet , & je ne ſuis pas affez inſtruit
pour remplir dignement cette tâche , j'obſerverai
ſeulement que nous avons trop compté ſur les Puifſances
Européennes , quoique nos amies. J'en apporte
pour preuve, qu'à l'exception de la France ,
aucune de ces Puiſſances n'a reconnu l'indépendance
, quoique notre alliance avec cette refpectable
Monarchie ſubſiſte depuis 4 ans. La France eft
cependant la première Monarchie du monde. Elle
eſt étroitement liée avec l'Eſpagne. Depuis long
( 24 )
tems l'Eſpagne fait la guerre , & long-tems avant
qu'elle s'y tut engagée , elle a été follicitée de former
une union ſur la baſe du traité avec la France.
La neutralité armée qui a donné de fi brillantes efpérances
à rant de monde , n'a pas encore produit
le bien qu'on en attendoit. Je ne procéderai point
d'après des conjectures , & il eſt inutile de m'arrêter
ſur notre Etat politique à l'égard des Puifſances
étrangères ; mais comme nous devons peu
en attendre , je crois qu'il n'y a pas un ſeul Américain
qui deſirât contracter une alliance avec aucun
Etat de la terre avant de bien connoître notre
importance , ſans quoi il lut ſeroit impoffible de
traiter ſur des principes d'égalité. L'opinion publique,
quant a la conduite des autres Princes &
Etats , nous a fait un tort infini , en ce qu'elle a
donné du relâche à nos efforts. Mais Fopinion ,
quant aux ſecours pécuniaires , nous a été encore
bien plus préjudiciable. Les Américains ſe ſont
flattés d'une idée tout--fait chimerique. Ils ſe ſont
imaginés que le Congrès n'avoit autre choſe à faire
qu'a envoyer au dehors un Miniſtre , & qu'auffi-rôt
ilobtiendroit tout autant d'argent qu'il en demanderoit
, que dès qu'il auroit ouvert un emprunt , on
accourroit en foule pour ſe diſputer l'honneur d'y
ſouſcrire ; mais un moment de réflexion auroit convaincu
tout homme raisonnable , que fans l'eſpérance
bien fondée d'un remboursement , perſonne
ne veut ſe dépouiller de ſa propriété. Les efforts
que nous avons faits pour emprunter dans ce paysci
, ont- ils eu aſſez de ſuccès pour nous faire efpérer
de pouvoir emprunter au-dehors ? Devonsnous
ſuppoſer que les étrangers s'intéreſſeront plus
que nos propres Citoyens a notre proſpérité ou
à notre sûreté ? Pouvons-nous croire que nous aurons
du crédit au dehors , avant que nous ayons
chez nous des fonds ſolidement établis ? Enfin y
a-t-il lieu de préſumer que les défordres infepa
parables
1
( 25 )
rables d'une grande révolution, ſoient confidérés
comme une meilleure ſource de caution & de confiance
, que la difcipline & la folidité des anciens
établiſſemens.-Le Congrès , conformément aux
voeux publics , a nommé des Miniſtres pour ſolliciter
de l'argent & ouvrir des emprunts. Ils ont
échoué en Hollande , & n'ont prefque rien fait en
Eſpagne. On attendoit des emprunts de la part
de quelques particuliers Hollandois , mais nous
n'avons point réuſſi de ce côté - là , & probablement
nous n'en obtiendrons rien . Nous n'efpérions
rien en Eſpagne que du Roi , & nos follicitations
auprès de S. M. C. n'ont pas eu grand ſuccès .
La fituation malheureuſe de nos affaires a forcé
* le Congrès de tirer des lettres de change ſur ſes
Miniſtres. Il y en a eu de tirées ſur la France , fur
l'Eſpagne & fur la Hollande : celles ſur la France
ont été payées , celles ſur l'Eſpagne ont été acceptées;
mais finalement il a fallu avoir recours à la
Cour de France pour les acquitter ; elles furent tirées
à longue vue; les ventes furent tardives ; on
accorda du tems , & toutes les facilités poffibles
furent données , mais en vain , au Miniſtre des Etats-
Unis pour trouver l'argent néceſſaire pour payer.
Le renvoi continuel de ces lettres de change à la
Cour de France pour en obtenir le paiement , nous
a été extrêmement préjudiciable , en ce qu'il nous
a fait anticiper ſur les ſecours que la France étoit
diſpoſée à nous fournir , & en même - tems il a
juſtement alarmé & fingulièrement embarraffé le
Miniſtère François.-Voilà ce qu'il eſt néceſſaire
que vous fachiez , afin que vous puiſſiez , vous &
votre Législation , en tirer les conféquences qui ſe
préſentent nature'lement. Vous verrez combien pous
nous ſommes fait de préjudice en différant d'employer
les reſſources de notre pays , & en comptant
ſur un eſpoir chimérique plutôt que fur les fondemens
ſolides d'un revenu. Je ſuis für que vous re-
Octobre 1782, b
( 26 )
connoîtrez évidemment que toutes nos eſpérances ,
toutes nos attentes font bornées à ce que la France
peut nous donner ou nous prêter; mais fur ce point
comme ſur tous les autres , Fillufion tient lieu de
la réalité. Notre imagination enfante les plus beaux
projets , & il n'y a que la détreſſe nationale qui
puiſſe nous faire voir l'excès de notre folie. Pour
mieux vous mettre en état de connoître les ſecours
que la France nous a donnés , je joints ici un compte
tiré d'un état envoyé dernièrement au Congrès par
le Miniftre Plénipotentiaire de S. M. T. C.- Vous
obſerverez que S. M. a accordé aux Etats-Unis un
fubfide de 6,000,000 livres pour l'année courante ,
ſur la repréſentation qui lui a été faite de notre détreffe
: elle a bien voulu être caution de l'emprunt
que nous avons ouvert pour notre compte avec la
Hollarde ; & lorſqu'on a vu qu'il y avoit peu de
probabilité d'avoir ici quelque argent pour faire
honneur à cet emprunt, S. M. a permis que la ſomme
àemprunter nous ſeroit avancéede ſonTréfor Royal
à la première demande. Ainſi le don & l'emprunt
montent enſemble à ſeize millions de livres , qui ,
dans ce pays- ci , ſeroit une ſomme de 2,962,962
dollars , quoique ſur le pied de l'eſtimation des dollars
en France , elle vaudroit 3,047,619 piastres ;
mais , au plus haut prix du change, cette femme ,
fi on la tiroit , ne monteroit pas plus qu'à 2,560,000
dollars . J'entre dans ces détails relativement à cette
fomme , parce que la différence dans le cours des
eſpèces tend très- ſouvent à tromper ceux qui n'ont
pas une connoiſſance familière de leur valeur réelle.
Le compte ci-joint eſt en livres , & les deux pre
miers articles contiennent la totalité de l'octroi &
de l'emprunt montant à 16,000,000 livres , le reftant
contient les déductions à faire. Les deux premiers
articles de ce reſtant , montant à 2,300,000
livres , font pour le payement des lettres de change
tirés en France , en Eſpagne & en Hollande , dont
( 27 )
j'ai déjà parlé, le produit de leur rente a été ap
pliqué au ſervice public , longtems avant que j'entraſſe
en place. L'article ſuivant montant à 2,000,000
de livres , eſt deſtiné , au payement des interêts des
billets dont aucune partie ne peut être appliquée à
d'autres objets. Je ne dirai tien ici du quatrième
article , parce qu'il eſt ſuffisamment connu du Public
, dont les entretiens n'ont roulé pendant longtems
que ſur ce ſujet. Les cinquième & fixième
articles avoient pour objet les munitions chargées
à bord de quatre tranſports , par ordre du Colenel
Laurens. Trois de ces bâtimens ſont arrivés à
bon port , l'autre eſt revenu en mauvais état. Le
ſeptième article a été occafionné par la perte du
précieux vaiſſeau appellé le Marquis de la Fayette ,
qui contenoit un grand nombre de munitions , dont
le remplacement est indiſpenſable pour mettre l'armée
en état de pourſuivre ſes opérations , & ill
montera à cette ſomme. Le dernier article contient
le montant de l'argent déposé pour faire face aux
traites que j'ai faites de tems en tems , & le produit
eſt destiné au ſervice de l'année courante. -En
tout il reſte une balance de 3,016,499 livres . Cette
ſomme jointe à celle apportée par le Colonel Laurens
, peut être conſidérée comme formant la valeur
d'environ 1,000,000 de dollars au plus , car elle
n'excéderoir celle- ci que de 21,574 dollars , fi elle
étoit actuellement dans ce Pays.-. Vous voyez
ainfi le montant de ces ſecours pécuniaires dont
tout le Public avoit conçu de ſi grandes eſpérances
, il ſe borne à un million de dollars . Mais
d'après les meilleurs états que j'ai pu me procurer ,
la guerre actuelle a coûté juſqu'à préſent environ
20,000,000 par an. Je compte , à la vérité , que les
dépenſes ſeront par la fuite prodigieuſement diminuées.
Mais il faut ſe reſſouvenir que l'économie
la plus févère a ſes bornes , & qu'el'e ne peut
exifter fi l'on ne remplit fidèlement les engagemens
1
b 2
( 28 )
-
qu'il eſt indiſpenſable de prendre avant de faire le
premier pas vers cette économie ſi vantée& fi néceffaire.
Auffitôt que les états de dépenſe pour la
prochaine année pourront être dreflés , on établira
les demandes en conféquence , & je ferai publier
auſſitôt les avis pour les marchés , comme le moyen
leplus efficace de ménager nos reſſources . Je crois
enfin qu'il eſt de mon devoir d'obſerver que j'ai
envoyé aujourd'hui au Congrès une note de mes
principaux engagemens , montant à plus de 200,000
dollars , & que je ne ceſſe d'être tourmenté de tous
les côtés pour le payement de cet argent.
L'affaire des ſubſides étrangers & de nos espéranrances
ici , est un ſujet ſi défagréable à traiter , que
je ne demanderois pas mieux que d'en ſortir ; mais
il est néceſſaire que les Etats ſachent tout , & je
ne remplirois pas les vues du Congrès , fi je n'ajoutois
que la Cour de France met les ſecours
qu'elle nous donne , au nombre des efforts extraordinaires
qu'il lui eſt impoſſible de répéter. La déclaration
qu'on ne peut plus nous donner de ſecours
pécuniaires , a été énoncée dans les termes les plus
clairs & les plus poſitifs , & quoique notre Miniftre
à la Cour de Versailles puiſſe faire de nouvelles
inſtances à ce ſujet , & qu'il y ait même tout
lieu de croire qu'il les fera ; cependant nul homme
prudent n'attendra aucun effet de ces démarches
après des affurances ſi poſitives du contraire , &
far-tout s'il réfléchit que cette Cour peut répondre
en deux mots à chaque ſollicitation , en demandant
ce que nous avons fait pour nous-mêmes. Il eſt
certain , & je ſuis forcé d'en convenir , que tant
que nous ne nous aiderons point nous-mêmes , nous
ne devons point attendre des ſecours d'autrui. -
Il refte encore en arrière un objet très-intéreſſant ,
& tôt ou tard il faudra bien s'en occuper. Il eſt
donc de la prudence de l'examiner dès- à- préſent
& d'y pourvoir à tems, La négligence à fonder la
( 29 )
dette nationale , a introduit la pratique de délivrer
des certificats d'office de prêt pour l'intérêt dû ſur
d'autres certificats d'office de prét. C'eſt une méthode
que j'ai abſolument défendue , & à laquelle
je ne prêterai jamais les mains. Une telle accumulation
de dettes , en même tems qu'elle met la
Nation dans la détreſſe , & qu'elle ruine ſon crédit ,
n'eſt d'aucun ſecours pour le malheureux individu
qui eft créancier de la Nation. En effet , fi on ne
pourvoit pas aux revenus , l'augmentation des certificats
ne ſervira qu'à diminuer leur valeur. Une
telle fraude imprimeroit ſur notre caractère national
une tache indélébile qui nous attireroit les
reproches & le mépris de tout l'Univers. Il eſt
tems de nous laver de l'infamie à laquelle nous
avons déjà été expoſés , & de rétablir le crédit
national : mais cette réhabilitation ne peut s'opérer
que par un revenu folide. Voilà pourquoi dédaignant
ces petits & timides artifices par leſquels ,
en reculant le moment critique , on ne fait qu'accroître
le danger & rendre la ruine inévitable , je
leur préfère la déclaration ouverte & publique des
refſources qu'on doit attendre & d'où on doit les
attendre. En conséquence , je dis aux créanciers
publics que juſqu'à ce que les Etats ayent pourvu
aux revenus pour liquider le principal & les intérêts
de la dette nationale , il eſt impoſſible qu'ils
foient payés , & je dis aux Etats que les principes
les plus facrés du contrat ſocial parmi les hommes ,
leur impoſe l'obligation de pourvoir à cette liquidation.
J'ai rempli la tâche que je m'érois propoſée
en écrivant cette lettre , j'espère que le Congrès
ſera inceſſamment en état de transmettre ſes
réquifitions , & je ferai tous mes efforts pour qu'elles
foient auſſi modérées qu'il fera poſſible. Mais je
prie inſtamment toure perfonne , tant publique que
particulière , d'examiner ſerieusement combien il
eſt important de ſe conformer à ces réquisitions ,
b3
( 301
4
,
ee ne font ni de brillans fuccès à la guerre , ni
l'éclat des conquêtes , ni la pompe des trophées
qui doivent frapper un Miniſtre raiſonnable ; la
ſupériorité des reſſources nationales eſt le plus sûr
garant des vrais ſuccès , & l'emploi 'actif & conftant
de cette ſupériorité de moyens ne peut manquer
à la longue d'arriver à fon but. C'eſt pour
cette rai on que l'ennemi a mis tout ſon eſpoir
dans le dérangement de nos finances , & que d'un
autre côté , comme j'en ſuis bien informé , ce qu'il
redoute le plus , c'eſt de nous voir établir une banque
nationale , & paffer des marchés pour la fourniture
de nos armées; graces au Tour- Puiflant
`nous ſommes dans une pofition où notre conduite
actuelle décidera de notre état futar. Il dépend de
nous d'être heureux ou malheureux. Si nous faiſons
aujourd'hui notre devoir , la guerre ſera bientôt
terminée ; finon elle peut durer encore plufieurs
années , & alors il eſt au-deſſus de la prévoyance
humaine de dire quand elle finira. Intimement
perfuadé que l'ennemi ne pourra s'empêcher
de demander la paix , lorſque nous ſerens
en état de poursuivre vigoureuſement la guerre ,
& que nous ferons dans cet état , auſſi - tôt que
P'ordre ſera rétabli dans nos affaires , & que nous
aurons recouvré notre crédit ; également convaincu
que , pour remplir ces objets , il ne faut qu'un
ſyſtême convenable de taxation , je ne puis m'empêcher
de mettre dans l'expreſſion de mes ſentimens
fur cette matière , toute la chaleur avec
laquelle ils fortent de mon ame. Je ſouhaite que
les faits que j'ai établis , foient examinés avec
toute l'attention qui eſt dûe à leur importance , &
qu'ils donnent lieu à des mesures qui tournent à
T'honneur & à l'intérêt de l'Amérique. «
>> A cette lettre ſont annexées les dépenſes par
ticulières & le rôle d'impoſition des différens Etats ,
pour lever la ſomme de 8,000,000 de dollars ,
eu de 1,800,000 livres ſterling. «
( 31 )
FRANCE.
:
De PARIS , le 1er. Octobre.
Les nouvelles arrivées du camp devant
Gibraltar la ſemaine dernière , font du 14
Septembre ; c'eſt ainſi que les préſentent
quelques lettres particulières.
>>Le 8 , les Anglois voyant les ouvrages de la
ligne approcher de leur perfection , firent un dernier
effort pour les détruire. Dès le point du jour ,
ils tirèrent à boulets rouges avecune vivacitéextrême,
& le feu ſe ſoutint fur le même ton juſqu'à la nuit .
Ils réuffirent à mettre le fen aux faſcines de l'épaulement
en so endroits. Mais nous réuſſimes à l'éteindre
ſur-le-champ preſque par- tout. Iln'y eut que
la batterie de Mahon, la moins importante des nôtres
, qu'on fut obligé d'abandonner & de laiffer
brûler. L'ennemi tira plus de 6000 coups ce jour- là .
Les François, dont c'étoit le tour degarder la ligne
ont montré la valeur & l'activité les plus brillantes ;
ils ont eu 25 hommes tués & 34 bleſſés. Les Eſpagnols
ont eu dans la même journée 30 hommes
tués on bleſſés. On paſſa la nuit à réparer les dommages
& àdémaſquer les batteries des nouveaux ouvrages.
Le , à 4 heures du matin, notre ligne ouvrit
fon feu. 130 pièces de canon & 34 mortiers tirèrens
à la fois ſur la place. Les Angleis ne répondirent
que très- foiblement. Le même jour un corſaire ennemi
de 6 canons & de 4 pierriers venant de Livourne
réuſſit à s'introduire dans Gibraltar. Les Princes allèrent
encore le 9 à la ligne pour voir jouer les batteries
.- Le 10, il ne ſe paſſa rien de remarquable.
Nos batteries continuèrent à tirer comme elles tireront,
d'ici à la fin du fiége so boulets par canon
& 30 bombes par mortier toutes les 24 heures .
- Le II , on alla brûler , à 9 heures du foir , les
,
b4
( 32 )
paliſſades de la porte de terre , à la barbe de la
garniſon qui fit un feu très -vif de mouſquererie
& de mitrailles ; il ne nous en a pas coûté un ſeul
homme. Il nous vint le ſoir un déſerteur. Il rapporta
que notre feu n'avoit pas fait grand dégât , que la
garniſon ne manquoit ni de munitions de guerre , ni
de proviſions de bouche ; mais qu'elle étoit excédéede
travail. LeGénéral Elliot annonçoit l'arrivée de l'eſcadreAngloiſe
commetrès-prochaine. Le 12, l'eſcadre
combinée forte de 27 vaiſſeaux Eſpagnols & de 12
François , a mouillé dans la baie d'Algéſiras ; elle a
efſuyé des mauvais tems dans ſa route& s'eſt arrêtéc
quelquesjours ſous Rota auprès de Cadix ; il n'y a que
Invincible & le Guerrier qui ſoient entrés dans ce
port , où l'on a déposé les malades. Nous avons
déja ici 2 vaiſſeaux de ligne François , 8 Eſpagnols ,
&on en ſignale un neuvième qui vient de la Méditerrannée
ce qui fait so en tout.- Le 13 , à 7 heures
du matin , les 10 batteries flottantes ſont parties de
Puente-Mayorca , & font venues fur les 9 heures &
demie s'emboſſer à 250 toiſes de la place , entre le
vieux & le nouveau môle malgré les batteries
ennemies. C'eſt la manoeuvre la plus audacieuſe
qu'on ait jamais fait à la mer. Depuis ce moment
onne peut donner une idée du feu effroyable que
font les lignes, les prames & la montagne de Gibralzar
. Le 14 , les belles apparences que préſentoient
biernotre attaque ne ſe ſont pas foutenues. Les prames
étoient à l'abri de la bombe , mais non des boulets
rouges. Le plus grand nombre eſt en feu dans ce
moment. -A midi , toutes les batteries flottantes
ont ſauté à l'heure qu'il eſt. L'eſcadre Angloiſe eſt
ſignalée dans ce moment .
On voit par cette dernière phraſe que
ces détails exagérés ont été écrits dans le
premier moment , & avant qu'on fût bien
inſtruit de ce qui s'étoit paffé dans la matinée
du 14. L'Auteur de cette lettre ne
( 33 )
pouvoit pas voir ce jour-là Peſcadre Angloiſe
qui étoit à peine hors de la Manche
à cette époque. Le triſte ſort des batteries
flottantes avoit augmenté l'idée de la perte
qu'on a faire à cette occafion. Le Courier
du Cabinet d'Eſpagne arrivé le Mercredi
au foir , demi- heure après celui de Mgr. le
Comte d'Artois , a calmé les inquiétudes
cauſées par ce premier rapport ; celui là
n'a quitté le camp que le 17. Par le relevé
que M. de Crillon envoie , il eſt conſtaté
que l'attaque du côté de la mer a coûté
beaucoup moins de monde qu'on ne l'avoit
dit d'abord. Nous recueillerons ici
quelques détails puiſés dans diverſes lettres
particulières de la même date.
>>>Les batteries flottantes avoient fait un ravage
affreux pendant les 10 ou 12 heures qu'elles ont
pu tirer ; on voyoit des pans de murailles tomber
en entier. On ne s'attendoit pas que le Général
Elliot pourroit tirer à boulets rouges de toutes les
batteries des môles & de la montagne. Il faut qu'il
eût diſpoſé une quantité incroyable de fourneaux
pour cet objet ; car les prames ont reçu plus de
4000 boulets rouges. Elles ont réſiſté quelque tems
graces à la grande quantité d'eau que les pompes
fourniſſoient ; mais n'étant pas foutenues par aucun
vaiſſeau de ligne , ni par les chaloupes canonnières
qui auroient diviſé le feu de l'ennemi , il a bien fallu
quelles fuccombaſſent ; c'eſt la violence du vent
d'Oueſt qui a empêché les vaiſſeaux , les bombardes
& les chaloupes canonnières de prendre part à l'ar -
taque. -M. le Prince de Naſſau s'eft couvert de
gloire. Son bâtiment prenant feu de toutes parts ,
il inſtruiſit M. de Crillon du danger qu'il couroit.
Avant que le Général eût demandé à D. Louis de
bs
( 34 )
Cordova les chaloupes de l'armée combinée , &
avant qu'elles arrivaflent , il s'écoula un tems confidérable.
M. de Naſſau fut donc obligé de jetter ſes
pondres à la mer pour ne pas fauter ; & il reſta
ainfi expoſé pendant 3 heures au feu de l'ennemi ſans
pouvoir y répondre , juſqu'à ce que les chaloupes
vînfſent le délivrer. 7 batteries flottantes furent ainfi
brûlées par le feu de l'ennemi , 3 autres qui n'étoient
pas autant maltraitées , mais qui ne pouvoient être
remorquées à cauſe de la violence du vent furent
brûlées par leurs équipages au moment où ils les abandonnèrent.
- Les batteries de terre ont eu un effet
prodigieux . Le 14 au ſoir elles tiroient encore ; l'ennemi
ne répondoit que foiblement tant il avoit
fouffert . Il reſte à ſavoir ce que fera l'Amiral
Howe ; nous voilà une ſeconde fois dans la plus
grande attente ; le choc de deux armées ſemblables
ne peut manquer de décider du fort de Gibraltar ;
carmalgré la perte des prames , il refte encore affez
de forces pour l'attaque du côté de la mer. Er fi
le Général Elliot ne reçoit aucun fecours en munitions
& en vivres il faudra bien qu'il ſuccombe «.
-
On avoit fait courir le bruit que les
convois de l'ifle d'Aix avoient fouffert en
mer par le gros tems ; cela nous avoit
beaucoup furpris , parce qu'étant partis le
2 , ils devoient être fort éloignés le 15
que le vent de S. O. commença ſes ravages.
Ce bruit en effet n'avoit aucun fondement.
On a appris par un Courier qu'a
reçu M. de Monthieu , qu'un de ſes navires
venant des Indes orientales , qui a relâché
à Vigo , a rencontré ces convois le 15 à 60
lieues au-delà du cap Finistère , naviguant
par un bon tems. On a lieu de croire que
l'efcadre & les convois de l'Amiral Howe
( 35
n'ont pas ſouffert des coups de vent du 17,
du 18 & du 19 , ils auront du moins été
retardés dans leur marche. Les côtes de
Normandie & celles de Bretagne ont vu
quelques navires naufragés par ces coups
de vent. Un navire d'Oſtende venant de
Bordeaux , qui a mouillé le 21 au Havre ,
dépoſe avoir vu le 19 à 25 lieues de l'entrée
de la Manche un grand convoi diſperſé.
Si ce n'eſt pas celui de l'Amiral Howe , ce
fera la flotte attendue de la Jamaïque .
La frégate du Roi la Gentille , commandée
parM. de Tremolin , écrit- on de l'Orient , mouilla
le 18 Septembre à Port-Louis. Elle étoit de l'armée
combinée qu'elle laiſſa à la fin du mois d'Août
fur Finistère , faiſant route vers Cadix . Elle a depuis
croifé ſur nos côtes , & s'eſt acquittée de la
commiffion dont elle étoit chargée.- Le 19 , entrèrent
dans notre port 3 gros corſaires Américains
, armés en guerre & en marchandises , partis
de Philadelphie le 20 Août. Ils ont fait 3 priſes
confidérables dans leur traverſée; la plus riche qui
eſt entrée avec eux , eſt eſtimée 900,000 liv. Ils .
croyent les deux autres ſur nos attérages. Les trois
Capitaines dépoſent qu'à leur départ , le Congrès
avoit reçu avis que M. de Vaudreuil étoit devant
New-Yorck , & que les Anglois ne s'étoient pas
encore montrés dans ces parages. L'armée du Général
Washington & celle du Comte de Rochambeau,
s'avançoient pour refferrer la ville , tandis
que M. de Vandreuil devoit la bloquer par mer ".
On lit dans différentes lettres de nos ports
les détails ſuivans de la croiſière de quelques-
uns de nos corſaires , ceux de Dunkerque
continuent de ſe diftinguer .
>> Le corfaire la Comteſſe d'Avaux , parti de
b6
( 36 )
Dunkerque le 3 Septembre , eſt entré le 17 à Cher
bourg , après une croiſière ſur la côte d'Angleterre ,
dans laquelle il s'eſt emparé de 56 bâtimens ennemis
; ſavoir le briq la Polly , de 150 tonneaux ,
allant de Pool à l'Amérique ſeptentrionale , chargé
de biscuits , d'habillemens & autres articles ; le
brigantin le Draper , de 120 tonneaux , allant de
Cordiff à Londres , chargé de 39 canons de différens
calibres & de 2 obuſiers de 32 ; le brigantin
l'Unité de 100 tonneaux , allant ſur ſon leſt d'Exeter
à Milford ; l'Industrie de 60 tonneaux , allant
fur fon left de Douvres à Milford , & le briq la
Diligence de 90 tonneaux , allant de Liverpool à
Plimouth , chargé de fel , charbon , fayance , &c.
-Un autre corſaire de Dunkerque la Sophie , a
conduit à Calais un brigantin de Boſtonefl' , d'environ
200 tonneaux , dont il s'eſt emparé à la
hauteur de Corke. Ce bâtiment employé au ſervice
da Roi , alloit en Irlande; il ne ſe trouve à
fon bord qu'une centaine de lits deſtinés à coucher
les gens de mer qui devoient être preſſés.
Le corſaire le Peti-t Commandant , du même port ,
s'eſt emparé le 4 de 2 bâtimens Anglois l'Anna-
Lisa & l'Anna - Sarah , qu'il a conduits le sà
Cherbourg. Ces bâtimens qui faifoient partie d'une
flotte entrée le même jour à Portsmouth , alloient
de Londres dans ce dernier port avec un chargement
de planches pour le ſervice de la Marine
royale Britannique.-La Comtesse d'Affas , autre
corfaire du même port , s'eſt emparé d'un bâtiment
de 130 tonneaux , chargé de canons de différens
calibres & de 2 mortiers ; cette priſe eft
entrée à Breſt le 13 Septembre «.
La Compagnie Royale de l'Arquebuſe de
Paris qui a pour Colonel M. de Coffe ,
Duc de Briffac , Pair de France , Gouver
( 37 )
neur de Paris , a pris les armes en ſon Ho
tel le 19 du mois dernier , & y a reçu au
drapeau M. Guyot de Cheniſol , en qualité
de Lieutenant- Colonel de cette Compagnie
, place vacantedepuis la démiſſion deM.
Camus de Pontcarré de Viarmes. M. Guyot
de Ville , oncle de M. Guyot de Cheniſol ,
a poffédé cette place pendant 20 ans. Il y
avoit été reçu le 23 Août 1739 ; la Compagnie
ayant alors pour Chef Mgr. le Dauphin
, pere du Roi , pour Colonel M. de
Rohan, Prince de Montauban.
On lit dans l'Affiche de Sens la lettre
ſuivante qui intéreſſe les Cultivateurs , &
qu'on nous faura gré de tranfcrire.
On a indiqué en différens tems des moyens
d'empêcher la bruine des bleds , ſoit que ces
moyens aient paru trop difficiles dans l'exécution ,
ſoit qu'ils n'aient pas répondu à l'attente du cultivateur
, cette maladie continue & a caufé cette
année un deficit très- conſidérable ſur la récolte
des fromens. Je vous prie d'inférer dans votre Journal
la méthode que j'emploie : elle est sûre , elle
eſt ſimple , & depuis 20 ans que je la mets en
pratique , je n'ai pas eu un ſeul épi de bruiné. Je
ne m'en donne pas pour l'inventeur , ce n'est qu'après
biendes inſtances que je l'ai obtenue d'un ancien
laboureur de cette Ville dont les bleds
avoient toujours été à l'abri de cette contagion.
- Pour 12 bichets de froment , peſant chacun
66 liv. mis en tas , en forme de pain de ſucre,
mettez 12 pintes d'eau dans une chaudière , faites
fondre affez de chaux vive pour que l'eau devienne
un peu épaiſſe , mettez la chaudière ſur le feu , &
remuez l'eau. Lorſqu'elle ſera prête à bouillir , jettez-
y , en tournant la tête d'un autre côté , pour
,
( 38 )
deux liards d'alun de glace bien pilé , & un liard
d'arſenic par bichet , continuez à remuer , & lorfque
l'eau ſera prête à lever , portez la chaudière
vers le tas de bled : ayez auſſi un ſeau d'ean dans
un autre vaſe , arroſez votre bled avec l'eau de
chaux , & de tems à autre , fur-tout au commencement
, jettez de l'eau claire dans la chaudière
&nettoyez-labien. Lorſque le bled ſera bien mouillé,
changez-le de place 3 ou 4 fois le plus promptement
poſſible , puis couvrez-le bien ; au bout de 3 ou 4
heures on peut commencer à s'en ſervir , il n'y a
aucun danger pour celui qui sème , néanmoins il eſt
bon qu'il s'obſerve , &qu'il ne porte ſes mains ni à
ſes yeux ni à ſa bouche .-J'engage MM. les Curés
àaccorder leur attache à leurs Paroiffiens pour ſe
procurer l'arſenic , dutſent-ils eux- mêmes le fournir
& en faire faire l'emploi ſous leurs yeux ; il y va de
Jeur intérêt. J'ai l'honneur d'être , & c. Signé Cном-
BREAU DE CHANVALON , Juge , Garde- Marteau des
Eaux & Forêts du Comté de Joigny.
La lettre ſuivante qui nous a été adreſſée
eſt un hommage de la reconnoiſſance ; nous
nous empreſſons de la tranſcrire.
> M. permettez- moi de me ſervir de la voie
d'un Journal aufli juſtement répandu que le vôtre
pour rendre public un avis qui ne ſera pas indif
férent aux Chefs de famille . M. Havard , Maître
de Penſion depuis environ dix ans à St- Cloud ,
s'y eſt établi dans le lieu le plus falubre. Ses Elèves
jouiffent tous d'une ſanté robuſte dont on doit
attribuer la cauſe à la pureté de l'air , à la bonté
des alimens , à la ſage diſtribution des travaux &
des amuſemens de l'eofance. Encouragé par fes
premiers ſuccès , il a ſacrifié des ſommes confidérables
, tant à l'établiſſement de ſon ſéjour , qu'à
l'augmentation de propreté , d'aiſance , d'agrémens
&d'inſtruction pour ſes Elèves. Il eſt admirablement
ſecondé dans ces louables opérations far ine
( 39 )
Epouſe vertueuſe & très-éclairée qui ſert comme
de ſeconde mere à chacun de ces enfans. Le trait
fuivant peindra leur caractère.- Un Militaire en
grade, homme d'une naiſſance ancienne & décorée ,
avoit dans cette penſion deux de ſes fils , l'aîné defquels
y étoit depuis environ trois ans. Satisfait des
progrès phyſiques & moraux de ces tendres rejettons
, il ne fongeoit nullement à les retirer avant
T'âge convenable pour les placer quelque part. Toutà-
coup la chûte de diverſes eſpérances ou perſpectives
juſqu'alors très- apparentes , jointe aux ſuites
funeſtes d'une perfécution particulière qui a commencé
preſqu'à la naiſſance de ce Gentilhomme
pour ne le quitter peut-être qu'au tombeau , l'a
contraint de reprendre ſes enfans , malgré la crainte
qu'une multitude d'occupations & de courſes indiſpenſables
ne lui permettent pas de ſuivre leur
éducation d'auſſi près qu'il en auroit le défir &
qu'il en ſentiroit l'utilité. C'eſt alors que M. &
Madame Havard , quoiqu'en fortes avances avec
beaucoup de leurs penſionnaires ,n'ont reçu qu'avec
peine ſes derniers payemens , & lui ont fait avec
les plus cordiales instances ,la noble propoſition de
garder ſes enfans & de leur continuer les mémés
ſoins , ſans qu'il fût queſtion d'aucun compte avant
le jour où ils entreroient à l'Ecole-Militaire , aux
Pages , ou au ſervice. Pénétré d'un vif& juſte attendriffement
pour une offre auſſi gracieuſe , ſa délicatefſe
ne lui a permis , ni de l'accepter , ni de
la taire. Ainfi , M. , ce feroit peut-être à la fois
obliger particulièrement ce père reconnoiſſant , &
généralement tout lecteur ſenſible , que faire connoître
ce trait de M. & Madame Havard , au riſque
d'eſſuyer quelques reproches de leur modeftie: Je
fuis , &c. Signé C. G. T***, «
Les obſervations ſuivantes nous ont paru
dans ce moment devoir intéreſſer le Pablic;
c'eſt principalement ſur les découver(
40 )
tes nouvelles que les gens de l'art doivent
être conſultés; leurs opinions peuvent être
différentes ; & alors elles conduiſent à des
diſcuſſions qui tournent à l'avantage général,
par les lumières & la certitude qui en réfultent.
Celles- ci ſont d'un Architecte connu
& dont les Ouvrages ſont eſtimés.
>> Le grand intérêt que le Public paroît prendre
au ſuccès du ciment de M. d'Etienne , dans la perſuaſion
ſans doute que par ſon moyen il ſeroit poſſible
de ſupprimer les combles des maiſons , & d'y
ſubſtituer des terraſſes qui en augmenteroient l'agrément
, & produiroient à-la-fois beaucoup d'économie
dans leur bâtiſſe , me fait croire que l'on
verra avec plaiſir le ſentiment d'un homme de l'art
ſur le degré de confiance que peut mériter a découverte.
-Dans la plupart des bâtimens de quelque
importance , il eſt d'usage de faire porter les
dalles de pierre dont on couvre les terraſſes fur
des voûtes; & en ſuppoſant que celles-ci aient opéré
tout leur taffement avant cette opération , ſi les
dalles ſont de qualité , impénétrables à l'eau , & fi
les maftics deſtinés à les unir ſont bons , on réuffit
d'ordinaire à rendre ces fortes d'ouvrages ſolides
& durables . Mais comme les voûtes exigent des
épaiſſeurs de mur conſidérables par rapport à leur
pouffée, on ſe contente ſouvent par économie de
placer les dalles des terraſſes directement ſur des
planchers de charpente , où l'on étend un aire de
plâtre pour les recevoir , en obſervant comme cidevant
de les jointoyer avec de bon maſtic. Il n'eſt
pas bien difficile de juger qu'un pareil procédé ne
fauroit avoir de durée. Car les bois de ces planchers
étant par la ſituation des terraſſes ſujets
recevoir toutes les impreſſions de l'air , les communiquens
de néceſſité aux dalles qu'elles ſupportent;
d'où il fait que l'alternative de l'humidité
& de la séchereffe , du chaud & du froid , doit
( 41 )
déſunir de tems en tems les dalles & brifer leur
maftic , quelque excellent qu'il ſoit, tantôt à un
endroit , tantôt à l'autre; de ſorte qu'il faut fouvent
avoir recours au maſtiqueur, & que pour peu
qu'on apporte de négligence à ces rétabliſſemens ,
l'eau filtre à travers les planchers , endommage
les plafonds & pourrit les bois. Perſonne n'ignore
que ce ſont ces fortes de terraſſes qui ont occa-
Honné la ruine du Coliſée. -Quelquefois , au lieu
de dalles , on étend ſur l'aire ou le carreau d'un
plancher des tables de plomb afſemblées à bourrelets
ſuivant leur longueur ; mais ce moyen qui
eſt très-diſpendieux , & qui ne laiffe pas de furcharger
un plancher , a auſſi ſes inconvéniens; la
chaleur & la gelée font travailler les plombs , bouffer&
écarter les foudures .-On a toujours penſé
que le vrai moyen de parvenir à conſtruire des
terraſſes ſolidement & à peu de frais , dépendoit
de trouver un enduit de ciment impénétrable à
l'eau ; mais cela n'eſt pas aifé , & voici pourquoi :
comme il entre une certaine quantité d'eau dans
la préparation du mortier , & que ce n'est qu'à la
faveur de ſa liquidité qu'on parvient à l'employer ,
il s'enfuit que le mortier ne fauroit par la fuite
acquérir de corps ou de conſiſtance que par l'évaporation
de la partie aqueuſe qui y a été incorporée
: or , cette évaporation ne pouvant évidemment
avoir lieu , ſans opérer des vuides , des fentes
ou des gerſures dans le mortier , le rend conféquemment
peu propre à faire des enduits afſez
ſolides pour des terraſſes.- En Italie , on réuffit
volontiers à faire des terraſſes avec de la pozzolane,
qui eſt un ciment produit par la lave du
Véſuve & que l'on incorpore avec la chaux , au
lieu de tuileau pulvérisé. On couvre les enduits
que l'on fait avec ce mortier , d'un lit de paille
que l'on entretient mouillée pendant pluſieurs jours ,
de forte que l'évaporation de ſon humidité n'étant
( 42 )
pas trop prompte , il ne ss'y fait communément ni
fentes ni gerſures , fur-tout quand ils ſont placés
ſur des voûtes.- Il y a environ 18 ans que M.
Loriot s'appliqua à la recherche d'un ciment qui
eût la propriété de ne point opérer de retrait &
de gerſure en féchant ; & , après beaucoup d'eſſais ,
il découvrit qu'en introduiſant dans du ciment ordinaire
( c'est-à-dire , fait avec de la chaux éteinte &
mélangé avec du tuileau , du machefer , du ſable
de rivière ou de la pierre dure pulvérisée ) , de
la chaux vive nouvellement cuite & réduite en
poudre dans une proportion déterminée par la
qualité de cetre chaux vive, ſuivant qu'elle auroit
été fabriquée avec des pierres plus ou moins deres ,
ou plus récemment cuites , il découvrit, dis -je , qu'il
étoit poſſible de réuſſir à évaporer promptement
la partie aqueuſe d'un enduit , ſans former ni lézardes
, ni gerſures. Il réſulte de ſes expériences que
cette proportion de chaux vive peut varier en général
, à raiſon des diverſes qualités ſuſdites , depuis
le quart juſqu'au fixième de la quantité de ciment
ordinaire , tel'ement qu'en admettant dans le ciment
une plus grande portion de chaux vive , l'évaporation
devenant alorstrop forte , trop précipitée , il fe
trouve brûlé ou calciné ; & qu'au contraire en en
admettant une moindre , le ciment conſerve les
inconvéniens ordinaires , & reſte ſujet en ſéchant
àformer , comme de coutume , des lézardes & des
gerſures. Le ſuccès avec lequel M. Lorict a opéré
de nombreux travaux , à l'aide de fon mortier , à
la terre de Menards , aux terraſſes de l'Orangerie
du Château de Versailles , du Bureau de la Geerre ,
du Château de Vincennes , de l'Obfervatoire à Paris ,
&c. &c. ne laiſſe aucun doute fur l'efficacité de ſa
découverte , que l'on fait lui avoir mérité une récompenſe
du feu Roi. Outre le Mémoire qui a été
publié par ordre de S. M. en 1774 , à ce ſujet , j'ai
décrit particulièrement tous les détails des diverſes
( 43 )
préparations de ce mortier dans ma continuation du
Cours d'Architecture de M. Blondel , Tome V,
page 197 ( 1 ) , de manière que , fans autre ſecours ,
chacun peut être en état de l'employer au beſoin.
-M. d'Etienne vient auſſi d'annoncer la découverte
d'un ciment impénétrable à l'eau , dont il a faic
l'application à une terraſſe de ſa maiſon , rue de Ménil-
Montant. Son procédé conſiſte à érendre le plus
uniment poſſible ſur un carrelage en terre cuite ,
poſé ſur des planchers de charpente , un enduit de
ciment d'une ligne , ou même d'une demi-ligne d'épaiffeur
, composé à l'ordinaire d'une certaine quantité
de chaux éteinte , mélangée avec du tuileau ou
caillou bien broyé & paſſé au tamis , & d'ajouter
enfuitedans le cimentainſi préparé environ un fixième
de chaux vive , réduite en poudre & nouvellement
cuite ; & enfin , pour dernière opération , il s'agit
d'étendre ſur la fuperficie dudit enduit une couche
d'huile graffe.
:
Le reste à l'Ordinaire prochain.
De BRUXELLES , le rer. Octobre.
Nos lettres du Nord nous apprennent
que le 10 du mois dernier le convoi An--
glois de la Baltique avoit appareillé d'Elfingor
, & que le calme l'avoit forcé de jetter
l'ancre. On a appris qu'il a remis à la voile ,
& qu'il eſt arrivé ; les vents contraires , les
orages qui ont régné , n'ont pas permis à l'efcadre
Hollandoiſe de quitter le Texel ; on
ſuppoſe qu'elle en eſt ſortie à préſent. Les
papiers Anglois annoncent que le 15 Septem-
(1) Cet Ouvrage ſe trouve à Paris chez la veure Deſaint ,
rue du Foin St-Jacques.
( 44 )
۱
bre cette eſcadre appareilla ; mais il paroît
qu'à Londres , comme ailleurs , on a ſuppoſé
ce qui étoit vraiſemblable. Les lettres de
Hollande , du 23 du même mois , n'en parlent
point encore ; elles ne diſent même
rien de l'armée navale de la République.
Il paroît que les tems orageux qu'on a
éprouvés depuis le 16 , l'ont retenue dans
ce port.
>> Le 19 , écrit-on d'Amſterdam , on a eſſuye
ici une tempête terrible qui a causé beaucoup de
dommages aux cheminées , aux toîts & aux arbres ;
plufieurs navires qui ſe trouvoient devant la ville
ont été arrachés de leurs ancres & endommagés ;
fur les côtes elle a cauſe pluſieurs accidens fâcheux :
voici ceux dont nous avons connoiſſance . L'Aurore
a fait naufrage au nord de Zaadfort , l'équipage
a été ſauvé. La Femme Jeanne deſtinée pour
Amſterdam , a échoué près du même lieu. La
Christine-Marie , allant de Pétersbourg à Oftende ,
a fait naufrage , l'équipage a été ſauvé. Deux bâtimens
ont échoué à Benningen ; on eſpère que
la marée en remettra un à flot. Un bâtiment d'Amſterdam
pour Lisbonne , a fait naufrage vers Landerwick
; un autre a échoué ſur les ſables à Enkhuy
fen ; un de Middelbourg allant à Amſterdam , a
également échoué à Hotland ; la marée l'ayant
remis à flot , il a paru très-endommagé; ces bâtimens
marchands appartiennent à H. Brandhefchrander
; ils revenoient de Pétersbourg à Amſterdam
, un a été obligé d'entrer à Fahrſand pour
ſe réparer. Le Bricq l'Heureux , a fait naufrage
à l'endroit nommé le Coin de la Hollande ; il venoit
de Bordeaux à Amſterdam , & étoit chargé
de café , ſucre & tabac ; l'équipage a été ſauvé. «
Comme le tems a changé depuis on
2
( 45 )
croit que la flotte en aura profité ; on
ne doute pas que celle des Anglois qui
ſe trouvoit en mer , & peu éloignée lorfque
ces gros tems ont régné , n'ait beaucoup
fouffert , ou n'ait du moins été retardée.
Selon les dernières lettres de Hollande
, on croit que l'ordre de départ a été
expédié au Texel. Dans ce moment ,
ne peut avoir pour objet d'intercepter la
flotte de la Baltique , qui eſt en sûreté
dans les ports d'Angleterre.
on
On ſe flatte toujours d'une paix prochaine
; on dit même que l'iſſue du fiége
de Gibraltar , quelle qu'elle ſoit , ne la
retardera pas . On fait des voeux pour que
ces belles eſpérances ſe réaliſent. Ce qui
ſemble les fonder , c'eſt que la Cour de
Londres ne répugne plus à accorder l'indépendance
de l'Amérique , & l'a fait notifier
au Congrès par le Général Carleton.
Cette nouvelle a détruit tous les bruits
qu'on s'étoit empreſſé de répandre. L'Auteur
élégant de la Fable du Chardonneret
en liberté avoit déja répondu à ces nouvelles
vagues&abfurdes dans une autre Fable allégorique
intitulée le Chardonneret & l'Aigle.
Elle trouve naturellement ſa place dans
ce Journal. Les morceaux de ce mérite
font rares : on peut les regarder comme
une bonne fortune ,& nous nous emprefſons
d'en faire part à nos Lecteurs ,
Il vous fouvient de cette bonne Dame
Qui perdit fon Chardonneret ;
( 46 )
Pas fi bonne pourtant , puiſqu'elle l'enchaînoit ,
Et qu'un ardent courroux s'empara de fon ame :
Car je n'ai raconté que la moitié du fait.
Voici la fuite. On vint lui dire
Ce qu'avoit répondu l'Oiseau :
Que , d'un joug fi pénible échappé bien & beau ,
Il ne vouloit jamais rentrer ſous ſon empire .
Alors la Dame , hors de ſens ,
De bâtons fait armer ſes gens ,
Et des Chardonnerets jure la perte entiere.
Elle-même prend une pierre ,
Et court les affaillir dans l'épaiſſeur d'un bois ,
Où l'Oiseau , trop long- tems privé de tous les droits
De l'amour & de la nature ,
Etoit fêté des fiens , qu'avoit mis aux abois
Une captivité ſi dure.
La Dame avec ſes gens y retourna vingt fois ;
Vingt fois le peuple aîlé ſe moqua d'eux & d'elle.
Quelques nids cependant , atteints par la cruelle ,
Périrent avec les petits.
Ce dernier trait , helas ! paſſe toute croyance ;
Mais je l'ai lu dans maints écrits.
Femme dénaturée ! attaquer juſqu'aux nids ,
D'un innocent amour douce & frêle eſpérance !
Ah ! le Ciel te regarde , il faura t'en punir.
Le Ciel eut en effet horreur de cetre guerre ,
Où des milliers d'Oiseaux avoient tant à fouffrir.
L'Aigle , à qui Jupiter a remis ſon tonnerre ,
Deſcend vite les ſecourir.
L'Aigle fauve à jamais , & nids , & père , & mère ,
Enfin tout le pays , domiciles & gens ,
Que défoloit une mégere.
Et l'on oſe douter qu'ils foient reconnoiſſans !
On connoît mal leur caractère .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 10 Sept. au foir.
Le Lord Rodney eſt arrivé de Bristol en parfaite
ſanté : il appareilta de Corke à bord du Montagu
Jeudi dernier , & arriva à Kin'sgroad Samedi à midi;
il fut conduit à terre dans ſa chaloupe , & le ſoir il
yeut en fon honneur une illumination générale à
Bristol. Le Chevalier Charles Douglas n'eſt point
revenu avec lui : il a été en Amérique pour ſervir
en qualité de premier Ca itaine ſous l'Amiral Pigot.
En général tous les Officiers de l'eſcadre ſont trèscontens
que cet Amiral ait ſuccédé au Lord Rodney.
( 47 )
Au départ du Roebuck , ſorti de New-Yorck le
Io Août , on n'y avoit point encore entendu parler
de l'approche de l'Amiral Pigot : on l'attendoit journellenient.
M. de Vaudreuil étoit arrivé à la Chéſapeak
avec 13 vaiſſeaux de ligne. A cette nouvelle
on avoit affourché ſur la barre quelques tranſports
&autres petits vaiſſeaux chargés de pierres prêts à
dire coulés bas. Toute la côte de Long- Iſland , depuis
lapointe qui fait face à Sandy-Hook juſqu'au paſſage
intérieur le plus étroit, eſt bordée detroupes Hoffoites.
-Les troupes Françoiſes aux ordres du Comte de
Rochambeau ſont en marche de la Virginie pour le
nord. Le 17 Jaillet elles avoient paffé George-Town
fur la rivière de Potomack.
La lettre de Sir Guy Carleton & de l'Amiral Digby
au Général Washingthon , dans laquelle ils déclarent
que M. Grenville a été autoriſé à propoſer l'indépendance
des Etats - Unis , afin d'avancer le terme
d'une paix générale , a jetté les réfugiés dans la dernière
confufion. Ils ont auffi- tôt annoncé pour le
13 Août , à New-Yorck , une afſſemblée de deux ou
troisDéputés dans chaquejurisdiction , pour prendre
leurs affaires en conſidération ; & la Gazette Royale
de New - Yorck leur a donné le 7 l'avis ſuivant.
- Il eſt recommandé aux Loyalistes , en quelque
endroit qu'ils ſe trouvent , de ſuſpendre leur jugement
dans les circonstances importantes qui ſe préfentent
, & de reſter fermement attachés à la profeſſion
qu'ils ont faite de loyauté & de zèle pour
la réunion de l'Empire. L'indépendance des treize
Provinces , a été réellement propoſée dans une conférence
tenue à Paris pour une paix générale ; mais
juſqu'à ce que cette paix générale ſoit ratifiée , nous
ne pouvons pas ſavoir quel ſera le ſort de ce pays .
Ainſi la prudence & le devoir nous ordonnent d'attendre
avec conſtance l'iſſue des négociations , & de
compter ſur la capacité & le zèle de nos Commandans
en chef , qui ſont actuellement les meilleurs
garants de notre fûreté. Par cette conduite , nous
7:48 )
aurons un droit à la protection de l'Angleterre , &
autrement nous nous dégraderions aux yeux de nos
ennemis , fans en retirer le moindre avantage.
Le Gouverneur Franklin , qui vient d'arriver de
New-Yorck , a été proſcrit par le Congrès , qui a
promis une forte récompenſe à celui qui l'arrêtercit.
Son paſſage en Angleterre dans ce moment-ci ,
prouve que les négociations du Chevalier Carleton ,
relativement aux Loyalistes , ont été fort mal reçues
du Congrès , & que le Gouverneur Franklin ne ſe
croyoit plus en ſureté à New-Yorck. On prétend
qu'il eſt venu faire au Ministère des propoſitions
concernant les Loyaliſtes.
P. S. On apprend à l'inſtant que le tranſport le
Lively vient d'apporter des lettres de New-Yorck ,
datées du 19 Août; mais à cette époque le Congrès
-n'avoit point encore fait de réponſe aux propofitions
de paix du Chevalier Guy Carleton . - On aſſure
qu'on a envoyé à la Chancellerie pour y être ſcellée
la commiffion qui denne à ce Général le pouvoir
de traiter ſéparément avec les Colonies reſpectives.
:
:
Une petite eſcadre doit mettre à la voile pour
l'Afrique vers le milieu du mois prochain : elle fera
compoſée, dit- on , d'un vaiſſeau de so canons , d'un
de 44, & de deux ou trois frégates qui y reſteront
en ſtation pour balancer les forces que les Hollandois
ont envoyées dans cette partie du monde. -
Outre les deux régimens qui ont ordre de s'embar--
quer pour la côte d'Afrique , 150 malfaiteurs & 300
hommes de recrues ſeront envoyés à bord de l'eſcadre
qui doit appareiller pour cette partie du monde.
L'Amiral Parker doit ſe rendre dans l'Inde : il a
pris congé de S. M. , & il s'embarquera inceſ
ſamment.
Le projet qu'on avoit eu de remettre à flot le
Royal- George eſt aujourd'hui évanoui : on ſe contentera
de dépecer ſa coque ſous l'eau , pour empêcher
qu'elle ne forme un banc dans le port , &
l'on tâchera de pêcher ſes munitions.
1
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 12 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
ENVΟΙ
D'un Sabre demandé par un Ami.
VOU
:
ous plaire est mon voeu le plus doux.
Le voilà ce Sabre homicide,
Fait pour armer un fubalterne Alcide
Plutôt qu'un Sage comune vous.
** Eh ! qui donc voulez-vous pourfendre ,
Quand tous les coeurs vous font foumis ?
Pourquoi chercher à vous défendre .
Quand vous n'avez point d'ennemis ?
T
:
No. 41 , 12 Octobre 1782 .
so
MERCURE
MORALITÉ.
L'ESPRIT &labeauté ſont les Dieux qu'on encenſe,
Le coeur eſt éconduit , Plutus eſt préféré ;
Le ſentiment n'eſt plus qu'un vieux mot révéré ,
Une vertu gothique , un préjugé d'enfance.
( Par M. Boiſmorand , Officier au Régiment
du Roi Infanterie. )
LePapillon quifebrûle à la chandelle , Fable.
UNN Papillon voyant d'une chandelle
Briller le feu ,
S'approche d'elle ;
S'en éloigne , revient , puis répète ce jeu ,
Puis s'en approche davantage ,
Perd un bout d'aîle , & loin d'être plus ſage ,
Recommençant avec témérité ,
Dans la flamme enfin il s'élance ;
Et là , pour prix de ſa folle conſtance ,
Reçoit le fort qu'il avoit mérité.
Dans vos deſars toujours que la raiſon vous guide ,
C'eſt un rare talent que celui de jouir ;
Plus l'Amour est aimable &plus il eſt perfide,
Défiez-vous-en ſans le fuir.
(ParM. Knapen fils.)
DE FRANCE.
AIR de Daphné & Apollon , chanté par
Mile AUDINOT.
2
QUAND il nous peint une ro fe
naif- fan - te , Que le zé - phyr
ca ref- fe ten - dre - ment , Je
b
crains le fort de cet te jeune
A- man te , Et les dangers que
প
l'on court en ai- mant.
Sr le Zéphyr , amoureux de la roſe,
La rend ſenſible à ſes tendres ſoupirs ,
Plaignez fon fort: elle eſt à peine écloſe ,
Que l'inconſtant vole à d'autres deſirs.
( Paroles de M. Pitra , Muſique deM. Mayer.)
Cij
52 MERCURE
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LEE mot de l'énigme eſt Protée ; celui du
Logogryphe eſt Clavecin , où se trouvent
vin , ane , Calvin , Nice , levain , cave ,
Elie ( le Prophète ) , vain , laie , ( femelle du
fanglier ) vélin,
M
ÉNIGME.
A foeur me doit ſon exiſtence ,
Je ſuis ſon unique ſoutien ;
Mais elle a fur mon être une égale puiſſance ,
Et fans elle je ne ſuis rien,
A notre ſeule reſſemblance
Nous devons tout notre agrément.
Malgré le noeud qui nous joint conſtamment ,
Nous nous tenons affez communément
Aquatre , cinq ou fix pieds de diſtance ;
Un eſpace plus grand ne peut nous ſéparer ,
Sinon , lorſque de nos coufines
Une ou deux s'avançant pour être nos voiſines ,
A Entre nous viennent ſe fourrer.
Tantôt je ſuis docile à la voix qui m'appelle ;
Tantôt je ſuis d'humeur diſcourtoiſe & rébelle.
Peu compatible avec la liberté ,
Par fois je permets la licence ;
:
こ
DE FRANCE. 53
Les Grecs & les Romains ignoroient ma beauté.
Autrefois un mortel très- connu dans la France,
Aqui j'avois long temps prodigué mes attraits ,
Memanqua de reconnoiſſance ,
Et voulut d'ici-bas me bannir à jamais.
Hélas ! des plus rares bienfaits
Telle eſt ſouvent la récompenfe.
(Par M. N.... d' Arras , Auteurdu Logogryphe
Piſtolet , inféré dans le Mercure du 7 Septembre. )
JE
LOGOGRYPΗ Ε.
E vaux beaucoup ou ne vaux guère ,
Selon le maître que je fers .
Le Poëte , pour l'ordinaire ,
Ne m'enrichit que de ſes vers .
Le Banquier , oh ! c'eſt autre choſe ,
Je garde volontiers ſa proſe :
Elle vaut au porteur ſouvent
Une bonne fomme d'argent.
Chez les Grands , on voit un gros Suiffe ,
Nuit & jour , en titre d'office ,
Préſider à mes cing premiers ;
A l'égard de mes ſept derniers ,
Attendez quelque temps encore ;
Auſfitôt que l'amant de Flore ,
Vainqueur des fougueux Aquilons ,
Viendra régner dans ces vallons ,
Ciij
54 MERCURE
Pour orner le frêne & le hêtre ,
Ses foupirs les feront renaître.
( Par M. M*** de V. C. )
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
L'ÉCOLE des Pères , Comédie en trois Actes
& en vers , par M. de Saint- Ange ; Pièce
⚫refuſée par les Comédiens François le
30 Juillet 1782 .
Frange , mifer , calamos vigilataque pralia dele.
AParis, chez la Veuve Ducheſne, Libraire,
rue S. Jacques , 1782. in-8 .
Nous demandens d'abord la permiffion
de faire une choſe qui ne fatisfera perſonne ,
c'eſt de ne point prendre de parti entre les
Comédiens qui ont refuſé cette Pièce , &
l'Auteur qui ſe plaint de ce jugement.
Voici ce que dit l'Auteur dans un Écrit
préliminaire , intitulé : Préface très- courte
&très-néceſſaire.
" Cette Pièce a été achevée à la fin de
1779. Ce n'est qu'au mois de Juin de
>> l'année 1781 , que l'Auteur a pu parvenir
» à la faire inſcrire pour être lûe. De cette
>> époque au jour de la lecture , il s'eſt
ود écoulé un an&plus. Enfin , cette lecture
>> a eu lieu. Il n'y avoit au Comité ni MM.
>> Préville , Molé , Briſard , de la Rive , ni
DE FRANCE.
55
ود
> Mlles Sainval , Raucour , Thénard , Veſtris.
L'Auteur n'a eu pour lui que deux voix ,
celle de Mlle Fannier & celle de Mile
>> Doligny , & il croit devoir exprimer ici
> combien il a été flatté du ſuffrage de ces
>> deux Actrices célèbres. L'exactitude l'o-
>>blige de dire avec reconnoiffance qu'il a
» eu une troiſième voix , celle de M. Van-
» hove , & deux autres à correction . »
(L'Auteur attribue ces deux voix à Mlle
C. *** & à Mile la Gh . ***. )
" On n'ajoutera point ( c'eſt toujours
l'Auteur qui parle , ) de réflexions à cette
>> courte expofition des faits. On s'en rap-
>>porte à ceux qui , connoiffant les difficul-
>> tés de l'Art , & ſachant l'eſprit de parti
>> qui dirige l'opinion de quelques Gens de
>> Lettres en crédit ſur les productions des
>> jeunes Écrivains , peuvent fentir par eux-
>> mêmes combien il importoit à l'Auteur
d'être jugé immédiatement par le Public.
>> eſt bien dur à un jeune homme , qui
» n'a pour toute fortune que quelques dif-
>>poſitions aux talens de l'eſprit ,detrouver
ود à l'entrée de ſa carrière un obſtacle in-
>> vincible à tout avancement. » :
Suit un Envoi en vers à Mlle Fannier ,
dont on peut obſerver que le ſuffrage étoit
abſolument déſintéreſſé ; car il ne paroît pas
qu'il y eût de rôle pour elle dans la Pièce;
l'Auteur s'acquitte envers elle par de juftes
éloges ; mais ces complimens à des Actrices
ont toujours le tort & le malheur de rouler
Civ
56 MERCURE
دمحم
fur les mêmes idées , & le tort & le mallieur
encore plus grands de rappeler la délicicufe
Épître de Mi, de Voltaire à Mile Goffer, en
lui envoyant Zaïre.
Après la Pièce on trouve le Poft-fcriptum
fuivant.
८८
"Voilà la Pièce qui a été refuſée d'une
» voix preſque unanime. Et l'Aureur , qui
» eſt jeune , n'a d'autre reſſource que fes
" foibles talens. Et l'on a reçu , & l'on re-
» çoit , & l'on joue tous les jours...... Je
* m'arrête ! Non equidem invideo , miror
" magis. Mais vous, Lecteurs honnêtes &
» éclairés , qui prenez aux Cuvrages de
» l'eſpritun intérêt qui paſſe juſqu'à l'Au-
>> teur , pouvez- vous n'être pas révoltés , &
" ne pas gémir ſur le ſort des talens ? >>
Nous ajouterons, ſans approuver ni condamner
ces plaintes , & fans toucher le
moins du monde au fond de la queſtion ,
que M. de Saint- Ange eft , parmi nos jeunes
Poëtes , un de ceux qui méritent le plus d'encouragement
; qu'il a fait preuve d'eſprit ,
de talent & de goût, ſoit dans la Traduction
des Métamorphofes & dans les notes
qui l'accompagnent , foit dans d'autres Ouvrages
; que toutes les préventions devoient
être & étoient fans doute en ſa faveur.
* Voici quel eſt le ſujet de la Pièce. Alcipe
& Ariſte, deux amis , vivans à la campagne ,
l'un affez riche , l'autre pauvre , mais content
&heureux , ont été pères en même temps ;
Alcipe a cu un fils nommé Germeuil, Arifte
DE FRANCE. 57
une fille nommée Angélique. La femme
d'Ariſte étant morte en accouchant d'Angelique
, Ariſte jugea que ſa fille feroit mieux
élevée par Floriſe , femme d'Alcipe , que par
un homme , & il ia remit à fon ami ; mais
ce motif, qui pourroit être affez raifonnable,
n'eſt peut- être pas affez nettement expoſé,
ou du moins affez développé dans la
Pièce. Alcipe , de fon côté , confie Germeuil
à Arifte , pour le fauver , dit- il , des excès de
l'amour maternel ; mais les excès de l'amour
maternel ne peuvent- ils pas être à craindre
aufli pour une fille ?Une autre raifon d'Alcipe
, pour faire cet échange avec Arifte ,
eſt que fon fils , élevé dans l'opulence , auroit
pu prendre tous les vices du luxe , qu il
regarde apparemment encore comme plus à
craindre pour un jeune homme que pour
une jeune fille. Quoi qu'il en ſoit , les deux
pères s'applaudiſſent de leur échange , dont
ils ont fait myſtère juſqu'alors à Floriſe , qui
ſe croit mère d'Angélique , & qui croit , ainſi
que tout le monde , Germenil fils d'Ariſte.
Germeuil & Angéliqué s'aiment ; mais Florife
, qui a de la vanité , deſtine Angélique à
Damis , homme de Cour , & fils d'unhomme
puiſſant , auquel Alcipe & Floriſe ont d'ailleurs
de l'obligation . Damis , vicieux & ridicule
, eſt incapable d'aimer Angélique
mais il conſent à l'époufer pour ſa fortune;
ce n'eſt nullement le projet des deux pères,
qui ont choiſi ce jour pour révéler à Florife
le grand fecret de l'échange. On fent bien
,
Cv
$8 MERCURE
qu'Angélique , devenant fille d'Arifte , &
pauvre par conféquent , ne paroît plus à
Damis un objet digne de ſes voeux; mais
Germeuil , qui l'a toujours aimée , l'obtient
aifément d'Ariſte; & Florife , charmée d'avoir
un fils , & un fils pour qui elle s'eſt toujours
ſenti de l'inclination ſans en ſavoir la
cauſe , conſent aiſement à lui donner pour
femme une perſonne qu'elle a fi long- temps
crue ſa fille.
Tel eſt le cannevas que l'Auteur avoit à
broder. A t'il réuſſi ? Quel eſt le mérite de
ce ſujet ? Comment est-il traité ? L'Auteur
a-t'il tiré de ce ſujet , bon ou mauvais , tout
le parti qu'il en pouvoit tirer ? Les choſes
font- elles à leur place? Les événemens arrivent-
ils à temps ? Produiſent- ils tout l'effet
qu'ils doivent naturellement produire ? Les
fituations font- elles ou auſſi comiques ou
auſſi touchantes qu'elles pouvoient l'être ?
Les caractères ſont- ils vrais , développés ,
foutenus ? Les gens de la Cour retrouverontils
le ton d'un petit- maître de Cour dans
Damis ? Les gens du monde trouveront-ils
la gaîté d'Arifte d'un bon ton ? Les gens qui
connoiffent le Théâtre trouveront- ils dans
cette Pièce ce vis comica qui manquoit à
Térence , ou cette élégance , ce goût , certe
connoiſſance des hommes qu'il poſſédoit
dans un ſi haut degré ?
L'Auteur , qui certainement fait écrire en
vers , & qui a fait ſes preuves , a- t'il employé
le ftyle & les idées convenables au
DE FRANCE.
59
genre dans lequel il s'exerce pour la première
fois ? Enfin , a- t'il fait une bonne ou
une mauvaiſe Comédie ? C'eſt ſur quoi nous
avons demandé la permiffion de ne pas nous
expliquer, appel du jugement des Comédiens
eſt porte en forme au tribunal du
Public ; nous attendrons avec reſpect ſa
déciſion.
Nous nous bornerons ici à faire fur des
détails ſans conféquence , quelques obſervations
indifferentes , comme nous en ferions
fur des morceaux de la Traduction des Métamorphofes
, ſans en tirer aucune induction
pour ou contre le mérite de l'Ouvrage
total.
Les traits de poéſie trop marqués , les
comparaiſons , les allégories ou métaphores
continuées ne conviennent pas à la Comédie.
M. de Voltaire , en parlant de deux jeunes
amans , deftinés l'un pour l'autre , s'eft
permis de dire:
Plantés exprès , deux jeunes arbriſſeaux
Croiſſent ainſi pour unir leurs rameaux.
M. Marmontel , en ſe repréſentant dans
fa jeuneſſe comme l'élève de M. de Voltaire
&de M. de Vauvenargues , a dit :
Tendre arbriſſeau , planté ſur la rive féconde ,
Où ces fleuves mêloient les tréſors de leur onde,
Mon eſprit pénétré de leurs fucs nourrifſans ,
Sentoit développer ſes rejetons naiſſans.
Mais M. Marmontel écrivoit une Épitre,
Y
Cvj
601 MERCURE
il pouvoit y mettre autant de poéſie qu'il
vouloit , & certainement il en a mis beaucoup
dans ces quatre vers .
M. de Voltaire écrivoit une Comédie , il
ne lui étoit peut- être pas permis d'être ti
riche ; auſſi voyez comme cet homine de
goût paſſe légèrement fur ce léger défaut ,
comme il craint d'y peſer , comme il lance
pour ainſi dire ce trait , & s'enfuit derrière
les faules ! comme il ſemble avoir honte
d'être fi beau.
M. de Saint - Ange , en diſant les mêmes
chofes , paroît ſe complaire dans ſes beaux
vers; il infufte, il prolonge fon allégorie&
ſa comparaiſon.
Pour ces heureux enfans , quel aimable préſage !
Tels deux tilleuls , plantés ſur le même rivage ,
Careſſés du même air , baignés des mêmes eaux ,
Aiment à marier leurs dociles rameaux.
Telle à leurs jeunes coeurs , &c.
Nous ne relevons point la petite équivoque
de ces mots : du même air; mais en général
ces vers nous paroiffent avoir le beau
defaut d'être trop poétiques pour la Comédie
, ſur tout dans une ſimple expoſition .
Un petir gentillâtre .....
Qui , vieux & fans fortune en ce triſte ſéjour ,
Ofe encore être heureux plus qu'un homme de Cour.
Ce trait ne nous paroît pas d'un goût aſſez
pow . Il y a des fentimens qu'on a au fond de
DE FRANCE. 61
fon âme, mais qu'on n'exprime jamais. L'art
du Poëte dramatique dans ce cas , eſt de faire
exprimer ce ſentiment par un tiers. Amfi ,
quand M. de Voltaire dit, dans fon Epitre
fur l'égalité des Conditions :
Un fimple Colonel a ſouvent l'impudence
De paſſer en plaiſirs un Maréchal de France !
C'eſt un Poëte Philoſophe qui parle , il a
le droit de faire cette obſervation.
Mais lorſque dans Nanine , il fait dire à
la Baronne :
A qui va- ť'elle accorder la beauté ?
C'eſt un affront fait à la qualité.
il exprime un ſentiment qui eſt dans le
coeur de la Baronne , à ſon inſcu peut- être ,
& que dans aucun cas elle ne doit exprimer
elle- même ; il falloit le mettre dans la bouche
d'une Soubrette maligne ou d'un Philoſophe
pénétrant, qui l'auroit apperçu dans le
ecoeur de la Baronne. C'est ainſi que dans
Tartuffe , Dorine dit à Cleante des traits de
l'enthousiasme d'Orgon pour Tartuffe , qu'Oronte
, quoiqu'il faffe gloire de cet cathoufiafme
, n'auroit pas pu exprimer lui-même
de la même manière.
On pourra trouver encore que Florife
traite Arifte comme une autre Florife traite
un autre Arifte dans le Méchant , & qu'en
général elle roffemble à cette aure Floride
par un certain mélange de légèrere & whonnêteté.
On a jugé aufli qu'elle fembloit quel62
MERCURE
1
quefois ſe démentir. L'Auteur ne ſe rend pas
à cette objection , mais il la trouve ſpécieuſe
; ne pourroit on pas trouver auſli que
Damis , qui n'a que des airs , & qui n'eſtime
que les airs , ne doit pas dire d'Angelique :
Sa modeſte beauté charme au premier coup-d'oeil !
Il n'eſt pas digne de ſentir le prix de la
modeſtie .
D'un tas de parchemins l'orgueilleuſe chimère
N'eſt bonne qu'à nourrir ou les fots ou les rats ;
Mais un bon coffre- fort , des terres , des contrats ,
Plus précieux cent fois qu'une antique liaſſe ,
Des plus illuftres noms font proſpérer la race.
Ces vers de la Pièce ſont accompagnés de
la note ſuivante :
« Un des bulletins a objecté pour motif
>> de refus la prétendue reſſemblance de cette
>>> tirade avec ces vers du Glorieux :
Et j'ai dans mon pupitre
Des billets au porteur dont je fais plus de cas ,
Que de vieux parchemins , nourriture des rats .
وو
ود
• Ce n'eſt point-là une reſſemblance , c'eſt
>> une de ces penſées- proverbes qui appar-
>> tiennent à tout le monde, & qui n'appartiennent
à perſonne. La ſeule manière de
les exprimer en fait tout le mérite ; l'Au-
>>teur oſe croire que dans cette rencontre
Deſtouches n'a pas ſur lui l'avantage.
Deſtouches nous paroît l'avoir dans une
Comédie , où ce trait, d'ailleurs plus court
DE FRANCE. 63
:
&jeté en paſſant , devient dans la bouche
de Liſimon un trait de caractère contraſtant
avec le Glorieux. M. de Saint - Ange auroit
peut- être l'avantage dans une Satyre ou dans
une Épître. Nourrir ou les fots ou les rats ;
les parchemins ne nourriffent pas les fots
de la même manière qu'ils nourriffent les
rats. Cette faute eſt légère; mais enfin elle
n'eſt pas dans Deftouches.
On peut trouver encore à la page 39 , la
plaifanterie du tabouret & du fauteuil , empruntée
de la Comédie des Moeurs du Temps.
Peut - être Angélique , quoiqu'élevée à la
campagne, ne doit elle pas demander ſi un
Jockei & des Coureurs ſont encore des chevaux.
Mais la définition qu'en fait Damis
eſtbien,& en elle- mêine & dans le caractère
de l'homme , ce dernier vers fur-tout :
Renvoyé s'il vieillit , & remplacé s'il crêve.
eft d'une précifion énergique ; il rappelle ,
(ce qui eſt un mérite, d'un genre à un autre)
ces trois beaux vers que dit Mefſala dans
Brutus :
Nous ſommes de leur gloire un inſtrument fervile ,
Rejeté par mépris , s'il devient inutile ,
Et briſé ſans pitié s'il devient dangereux.
Les emplois ſont à ceux qui les ont mérités ,
2
eſt encore un vers plein de fens , & on en
pourroit citer pluſieurs de ſemblables ; mais,
encore un coup , nous ne voulons rien prononcer
fur le mérite général de l'Ouvrage.
64 MERCURE
:
P. S. L'Auteur nous prie d'avertir les
Lecteurs de quelques fautes d'impreffion qui
ſe font gliffees dans ſa Pièce.
Page 11 , dernier vers , Et nous aurons ,
lifez: & nous l'aurons .
Page 16 , vers , après ces mots : Il est
brave & modefte , ajoutez ce vyers entièrement
omis :
Va, va , raffare- toi , l'âge fera le reſte .
Page 31 , premier vers , En vérité ces
mots, lifez: des airs .
Page 52 , après le ſecond vers , Alcipe ,
lifez : Germeuil.
HOMMAGE Littéraire d'un Noble Citoyen
François aux Souverains du Nord. A Paris ,
chez Guillot , Libraire de MONSIEUR ,
Frère du Roi , rue de la Harpe. in-4°.
Prix , 4 liv. 10 fols.
M. l'Abbé de Luberſac , Abbé de Noirlac ,
& Prieur de Brive , eſt déjà connu par un
Ouvrage fur les Monumens publics de tous
les âges du monde, dédié au Roi Louis XVI ,
lors de ſon avenement à la Couronne , &
imprimé au Louvre par les ordres de Sa
Majefté. L'Écrit qu'il vient de publier renferme
notamment deux Diſcours adreſſes à
l'Académie Impériale des Sciences de Saint-
Pétersbourg.
Le premier Diſcours traite de l'utilité &
des avantages que les Princes peuvent retirer
de leurs voyages , en parcourant les monuDE
FRANCE. 69
:
mens publics dans tous les genres.On y trouve
un coup d'oeil fur tous les établiſſemens
qu'on doit aux foins bienfaiſans de l'Impé
ratrice Catherine II ;& à la fuite,la defcrip
tion d'un monument public , dont l'Auteur
donne le plan à la gloire de cette Souveraine
fi célèbre à tant de titres.
Lefecond Difcours offre les tableaux des
Voyages en France du Czar Pierre I, des Rois
de Suède & de Danemarck , de l'Empereur
Joſeph II , de Leurs AA. II. le Grand Duc &
la Grande- Ducheſſe des Ruffies ; enfin le
Volume eſt terminé par le récit de la récep
tion qu'on leur a faite à la Cour de Verſailles,
chez les Princes du Sang de France &dans
1a Capitale.
: Nous ne ferons point l'analyſe de ces deux
Difcours , qui nous meneroient trop loin ;
d'ailleurs , les titres ſeuls en font connoître
le plan. Il nous ſuffira de dire que l'Ouvrage
entier reſpire l'amour du patriotiſme & de
l'humanité. M. l'Abbé de Luberſac a de l'élévation
& des idées. Nous allons prendre au
haſard un morceau de ces Diſcours , pour
que nos Lecteurs puiffent juger la manière
dont ils font écrits .
ود
" Des atteliers , des manufactures en tout
>> genre & de première néceſſité , nourrifſent&
couvrent un peuple immenfe , que
les arts , l'émulation & la rivalité ont arraché
à l'oiſiveté , & par conféquent aux
crimes & aux moeurs atroces ; tout s'agite ,
>> tout s'anime dans cette vaſte partie du
"
ود
ود
66 MERCURE
ود
>> monde; chaque individu s'efforce de payer
ſon contingent à la patrie qui le nourrit ,
» & concourt à l'état floriſſant qu'elle ac-
>> quiert chaque jour .
>>D'autre part , le commercee ,, enfant de
>> l'Agriculture , ſe portant par une pente
>> naturelle , vers les lieux qui ſecondent ſes
"
ود
vûes & favoriſent ſes travaux , a déjà
>>fait les progrès les plus rapides. Tous les
» ports de mer de l'Europe ne ſont plus
étonnés de voir le Moſcovite fréquenter
>>ſes foires , rivaliſer avec les Nations commerçantes
, entrer même en concurrence
> avec les plus habiles , les plus opulens
» Négocians .
ود
ود Bientôt Pétersbourg , Riga , Revel
» Cazeau , Aſtracan , Azoph , le diſputeront
>> aux villes les plus commerçantes. Des
Chambres de Commerce ont été établies
>> dans les lieux qui en font fufceptibles.
ود L'on vient même d'en ériger juſques à
>> Tobolsk , capitale de la Sibérie. Conſtan-
>> tinople , cette orgueilleuſe ville , a été
ود
20
forcée de ſe prêter à l'établiſſement d'un
Conful Ruffe. On a fait de même dans
toutes les Échelles du Levant & fur les
côtes de la mer Noire; point d'Iſle dans
>> l'Archipel & dans la mer Adriatique qui
>>- ne ſoit en correſpondance avec l'Empire
Ruffe. Un canal deſtiné à réunir la mer
>>Baltique à la mer Noire , à la mer Caf-
>> pienne & à la mer Glaciale , fait circuler.
م les denrées&les marchandises du centre
DE FRANCE. 67
➡ à la circonférence , & de la circonférence
» au centre ; des travaux immenfes font en-
>> trepris pour détourner le cours de la
>> Dwina , qui , par ſes irruptions , ravageont
» Riga & ſes environs ; des digues font op-
• poſées à ce torrent rapide , & Riga n'en
>> devient que plus floriſſante , que plus
>> belle , & les Citoyens qui l'habitent plus
>> tranquillés. C'eſt ainſi qu'après avoir op-
> pofé des digues redoutables aux paffions
>> humaines , Catherine en élève contre les
» élémens même, qu'ils ne pourront ni fran-
>> chir ni renverſer. Une infinité d'autres
villes malheureuſes , détruites par la fou-
>> dre , ou incendiées par des caufes fecon-
2 des que l'oeil vigilant de la police ne peut
>> jamais prévenir ni arrêter , font auffitôt
> reconftruites des deniers du tréſor de l'Em-
>> pire. O Citoyens de Toula , de Cafan ,
ود de Dergebourg, de Derpt, de Stararonna ,
>> de Largopol , de Serpouchow , de Tor-
>> giok , d'Aſtracan , de Biolorod & d'une
ود infiniré d'autres Bourgades , c'eſt vous qui
>> pourriez nous dire à corabien de millions
>>- de roubles ſe moarent les bienfaits que
>> votre Auguſte Mère a verfés dans vos
Contrées pour réparer les ravages que les
» élémens ont faits fur vos habitations ! »
ود
Le ſtyle de M. l'Abbé de Luberſac eſt vif
& animé ; mais l'amour des grandes idées
le rend quelquefois emphatique. Nous ne
croyons pas que le goûr puiſſe admettre cette
phraſe qu'on va lire , & qui termine fon
68 MERCURE
premier Difcours. Après avoir dit que la
Nation Rufle érigera fans doute à ſon illuftre
Souveraine un monument , un temple après
fa mort , l'Orateur ajoute : " Mais que pour
» célébrer encore avec plus de pompe la
>> gloire de cette grande Souveraine , les
» Dieux même de l'Olympe abandonnent
» leur ſéjour céleste , qu'ils ſe rendent au
" portique de ce majestueux temple , qu'ils
>> y depoſent à ſes pieds leurs fceptres &
> toutes les marques diſtinctives de leur
» puiffance , en ſe déclarant même ſes pro-
>>pres ſujets. »ود
Les Dieux de l'Olympe n'avoient point
affaire ici . Ce n'eſt pas là l'éloquence vraie
d'un Orateur ; c'eſt l'enthouſiaſme furanné
d'un jeune Poëte.
Nous ne ſuivrons pas l'Auteur dans ladefcription
des fêtes qu'on adonnées à Monfieur
&à Madame la Comteſſe du Nord à Chantilly
, après un Divertiſſement Villageois
exécuté devant eux à la ſuite de l'Ami de
la Maison. M. Laujon leur fit chanter des
Couplets. Nous allons en citer quelquesuns
, tant parce qu'ils font agréables , que
parce qu'ils n'ont encore paru dans aucun
Recueil ni dans aucun Journal.
Air des Écoffeuſes , ouj'aimois ville du Rozier.
THÉRÈSE.
Y A CHEUX nous deux Voyageurs
Qui plaiſont à tous les coeurs ;
DE FRANCE. 69
Çan'est pas nouveau pour eux;
Ce partage heureux
S'attache à tous deux ;
Avant d'les voir j'en doutions ,
En les voyant , j'y croyons .
Le maître & l'père à nous tous
En eut l'plaifir avant nous ;
D'accord avec ſa moitié ,
Il leur a marqué
Tout plein d'amiquié.
Il l' -s-a vus , mais moi j'les voi ,
M'v'la content' comme un Roi.
?
QU'EST- C ' que l'plaifir d'les voir ,
Près ſtila d'les recevoir ?
J'pourrions citer un Seigneur
Dont ça remplit l'coeur
D'un nouveau bonheur.
Après , quand faudra s'quitter ,
Qu'à ſon coeur ça va coûter !
A CHAQUE pas ils doublont
L'nombre de ceux qui l's aimont;
Sur ça s'ils écrivont tout ,
Quoiqu ça fait beaucoup ,
Ils n'font pas au bout ;
Leurs coeurs avant la ſaiſon
Chaque jour font leur moiſſon.
:
70
MERCURE
MOI , j'croyois que les chaleurs
Formiont tout l'éclat des fleurs ;
J'crois qu'ils n'v'nont nous trouver
Que pour nous prouver
( Ça donne à rêver )
Qu'il naît au ſein des frimats
Des fleurs pour tous les climats.
EXAMEN critique du Militaire François ,
Suivides principes qui doivent déterminerfa
conflitution,fa difcipline &fon inſtruction ,
par M. le Baron de B. AGenève , & ſe
trouve à Paris , chez Cellor , Imprimeur-
Libraire , rue des Grands - Auguſtins. 3
Vol. in- 8 .
Le progrès des connoiſſances, en rectifiant
les principes , influe néceſſairement ſur
le ſyſtême des Nations. Mais en vain les
cabinets politiques regardent - ils le repos
combiné comme le chef-d'oeuvre de leurs
moyens , fi les cabinets militaires n'en profitent
pas pour la perfection des leurs?
Le long repos qui a ſuivi la dernière paix ,
& qui , malgré l'état actuel , peut être regarde
comme durant encore pour les Troupes
de terre , avoit laiſſe le temps de déterminer
la conſtitution , de perfectionner la
diſcipline , & de fixer enfin les moyens trop
incertains de l'inſtruction militaire , toujours
imparfaite.
On n'a épargné cependant ni la diſcuſſion
DE FRANCE.
71
niles eſſais . La lumière n'eſt ſortie nidu choc
des opinions ni de l'épreuve des moyens ; &
le militaire s'eft vu partagé entre l'inutilité
de l'ignorance aveugle , & le danger de la
ſcience paradoxale. Mais Frédéric , terrible à
la guerre , actif dans la paix , offroit à l'Europe
, fatiguée de ſes ſuccès , ou étonnée de
ſes moyens , l'armée la plus nombreuſe & la
mieux organiſée. L'imitation ſemble facile :
il a fallu adopter ou combattre; l'eſprit de
parti s'eſt emparé de toutes les claſſes du
militaire, & l'on n'a vu éclore que des eſſais
diſparates &des ouvrages polémiques.
Dans cet état d'incertitude & de criſe , le
titre de l'Ouvrage que nous annonçons femble
promettre & le tableau des erreurs , &
l'indication des vrais principes.
Le premier Volume traite de la conſtitution.
Sa table en renferme avec ordre tous
les détails. Près des abus , ſe trouve toujours
le correctif , indiqué ſouvent d'une manière
très-fuccincte. On peut dire même que ſi
l'Auteur ne s'eſt pas réſervé d'étendre & de
démontrer un grand nombre de ſes moyens
de ſubſtitution , il n'en a regardé l'indication
que comme une tâche à remplir pour préſenter
l'ordre de la réforme. Ce reproche , ſi
c'eneſt un , ne tombe pourtant point ſur les
Chapitres eſſentiels. Ceux de l'organiſation
&de la comptabilité préſentent les réſultats
les plus fatisfaiſans ; & , quoique l'Auteur
ne donne pas le tableau comparatif de l'état
actuel de la guerre avec celui de ſa nouvelle
1
72 MERCURE
conftitution , on pourroi affurer , ce qu'il
auroit peut- être dù rendre évident , que fon
numeraire de 230,107 hommes , au lieu de
128,165 , état actuel , ſeroit entretenu ſans
augmentation de dépenſe, malgré celle des
appointemens des Officiers & de la folde de
toutes les Troupes. Cette affertion , qui
n'eſt qu'un paradoxe au premier apperçu ,
devient raifonnable & preſque demontrée
par tous les moyens quel'Auteur propoſe &
difcute. Dans ceux qui luifont le plus d'honneur
, parce qu'ils font entièrement neufs , il
faut remarquer fur- tout le projet d'une ban
que militaire , qui , déchargeant le Roi du
_poids énorme des penfions , toujours abufives
par leur excès ou par leur diftribution,
affureroit , par une retenue que l'augmen
ration des traitemens ne rendroit point onéreuſe,
un état de fortune à la longueur & à
l'activité des ſervices. L'Auteur fixe certe
retenue à un cinquième des appointemens ;
elle s'accroîtroit de l'intérêt fucceffif; & au
moment de la retraite de chaque Officier ,
la moitié de ſon capital ainſi formé lui ſeroit
payée comptant ; en cas de mort , à ſa veuve
ou à ſes enfans ; l'autre moitié lui formeroit
une rente viagère à dix pour cent. Les calculs
de l'Auteur prouvent que PfOfficier particulier
, après un fervice de 30 ans , & un
avancement progreffif d'ancienneré, recevroit
une fomme de 10,956 17. 3 fols 6 den.
& jouiroit d'une penfion de 1,095 liv. 126.
4den. Un Lieutenant-Général employé , &
parvenu
DE FRANCE.
73
parvenu à ce grade par une marche priſe
pour terme moyen , recevroit à 61 ans , un
capital de 131,201 liv. 10 fols , & une penfion
de 13,120 liv. 3 ſols ; ce qui excède le
traitement actuel d'un Maréchal de France.
Ce projet, fait pour exciter l'enthouſiaſme ,
donneroit enfin à la profeſſion des armes ,
que la conſtitution nationale affigne exclufivement
à la claſſe de l'État la plus diſtinguée
& la moins riche , une conſiſtance néceſſaire
pour la foutenir.
LeChapitre Difcipline eſt ſagement écrir.
L'Auteur cherche plutôt les cauſes des défordres
que les moyens de les punir. Le but
de la légiſlation eſt de les prévenir ; & la difficulté
de perfectionner le code pénal annonce
toujours l'infuffiance ou le vice de
la conftitution. Il en faut un pourtant ; l'Auteur
cherche à le déterminer. Ce Chapitre
tient néceſſairement à une grande diſcuſſion
morale. L'Auteur combat ouvertement les
principes actuels. Quoique les ſiens nous paroiſſent
fondés ſur de grandes vûes d'humanité
& d'harmonie générale , nous n'entreprendrons
pas de décider une queſtion auſſi
délicate.
Le premier Volume eſt terminé par le
projet d'une Académie Militaire ; établiſſement
bien deſirable s'il pouvoit faire naître
l'ordre dans les diſcuſſions , ramener par- là
aux vrais principes , développer les talens
qui ſont étouffés par le défaut d'émulation,
& fournir les moyens de difcerner
No. 41 , 12 Octobre 1782 . D
74 MERCURE
le vrai mérite pour le récompenfer en l'employant.
Les ſecond & troiſième Volumes , qui forment
la ſeconde Partie de l'Ouvrage , traitent
de la formation , des manoeuvres & de
l'inſtruction des différentes armes. L'Auteur
commence par l'Infanterie ; il adopte l'ordre
François préférablement à l'ordre Pruffien.
Il eſt certain que ni l'ordre profond ni
l'ordre mince ne peuvent être excluſifs . Que
l'un ſoit généralement préférable, il n'en eft
pas moins vrai que les circonſtances particulières
obligeront à employer l'autre. « Il
ود l'eſt done auſſi que , pour avoir le ſyſtême
>> de manoeuvre le plus complet , il faut
>> trouver les moyens de paſſer avec le plus
>> d'ordre & de célérité poſſibles de l'ordre
» mince à l'ordre profond , & de l'ordre
>> profond à l'ordre mince. »
Décidé pour l'ordre François , l'Auteur y
plie l'organiſation de l'Infanterie. Il paffe
enfuite aux détails de l'inſtruction du Soldat ;
&s'il y préſente des idées neuves qui auroient
beſoin d'être diſcutées & vérifiées avec
foin , il faut convenir qu'on y trouve beaucoup
de réflexions trop négligées , quoique
les apperçus en ſoient très juſtes.
La Cavalerie , dénomination générique
ſous laquelle l'Auteur comprend les différentes
Troupes qui compoſent cette arme ,
(car il n'entre point dans les détails particuliers
aux Troupes légères , ) y eft traitée ,
quant aux manoeuvres , avec plus de ſoin
DE FRANCE. 75
encore que l'Infanterie. Tout le troiſième
Volume eſt conſacré à développer les détails
d'inſtruction des hommes & des chevauxs
Le Chapitre douzième , qui le commence
renferme une théorie de l'équitation auffi
fatisfaiſante qu'elle est neuve. L'Auteur n'eſt
pas ſeulement Écuyer , il eſt Écuyer Militaire.
Il rejette tout- à- fait les airs elevés des
manèges , & ſe bornant aux allures naturelles
& à quelques foupleſſes néceffaires , il
dépouille le charlataniſme d'une nomenclature
recherchée , il ne veut former que
le cheval utile , & il détermine la progreffion
de fon inſtruction comme de celle du Cavalier.
Tous ces détails ne laiſſent rien à de
firer quant à l'ordre , à la préciſion & à la
juſteiſe de l'enſemble .
au
L'Ouvrage eſt terminé par la Table des
Ordonnances à faire pour ſe conformer
ſyſtême général. Si le tableau en paroît effrayant
par le nombre , qu'on fonge à toutes
celles qui ont été faites fur chacun des objets
relatifs au Militaire , pour former &
détruire , pour rétablir afin de changer encore
, & l'on concevra le beſoin d'en voir
ſortir à la fois aſſez pour établir un ordre
quelconque , mais tel au moins qu'il puiſſe
s'améliorer par la permanence.
Cet Ouvrage doit néceſſairement éprouver
des contradictions , & donner lieu à des
diſcuſſions nombreuſes. Si l'on y met le
même ordre & la même ſageſſe que nous
louons dans l'Auteur de cet Examen , il aura
D1
76 MERCURE
le mérite d'avoir produit une révolution
dans la Littérature Militaire , en éclairant
une marche ſyſtématique par embarras , &
polémique ſans fruit.
AMINTE , Pastorale du Taſſe ,ſuivie d'un
Intermède. Nouvelle Traduction en vers ,
avec le texte. A Londres , & ſe trouve à
Paris , rue de la Harpe , près de la rue
Serpente.
L'AMINTE du Taſſe eſt à peu- près auſſi
connu que il Pastor Fido. Il parut ſur le
Théâtre de Ferrare en l'année 1573. Le nouveau
Traducteur a joint à cette Paſtorale un
des Intermèdes que l'Auteur avoit compofés,
& qui n'ont paru que dans ſes OEuvres
Pofthumes. Il ne s'agit point ici d'analyſer
une Pièce qui est très - connue , qui d'ailleurs
érant dénuée d'action , brille bien plus par
les détails que par l'enſemble. Nous devons
nous borner à faire connoître la manière du
Traducteur. Sa Traduction eſt exacte& fans
paraphrafe. Nous aurions deſiré qu'il eût
foigné davantage ſon ſtyle , quoique la libe: té
du dialogue rende le Lecteur moins ſévère
ſur les négligences. On eft d'autant plus
en droit de l'exiger , qu'il prouve ſouvent à
travers fes négligences qu'il peut écrire avec
agrément.
Daphné dit à ſa compagne Silvie , qu'elle
veut attendrir en faveur d'Aminte :
Mais au moins réponds-moi , ſitout autre Berger
DEE FRANCE. 77
Sous tes loix en ce jour s'offroit à s'engager ,
Seroit- il accueilli de la même manière ?
SILVVII1E.
J'accueillerois ainfi tout Berger fuborneur ,
Jaloux de tendre un piège à la pudeur rébelle ,
Qu'il te plaît de nommer amant tendre& fidèle ,
Et que j'appelle un ennemi trompeur.
DAPHNÉ.
Crois-tu que le belier , ſous un air de candeur ,
De la douce brebis eſt l'ennemi perfide ?
Que le taureau , brûlant d'une invincible ardeur ,
De la belle géniſſe eſt le persécuteur ;
Etque le tourtereau , lorſque l'amour le guide,
De ſa tendre moitié conſpire le malheur ?
Crois-tu que la ſaiſon nouvelle ,
Qui , s'offrant chaque jour plus riante & plus belle,
Invite an doux plaifir d'aimer
:
A
Tout être qui reſpire & naît pour s'enflammer ,
Soit un temps de diſcorde & de haine cruelle ? .
Ne vois -tu pas plutôt qu'un ſentiment flatteur
Fait éclore en tous lieux la joie & le bonheur ?
Contemple ce pigeon , avec quel doux langage
Il flatte en careſſant l'objet de ſon amour;
Entends le roffignol , qui , d'ombrage en ombrage,
Va chantant fes ardeurs aux échos d'alentour ;
Ne ſais -tu pas que la froide vipère ,
Lorſqu'un ſecretpenchant l'entraîne au fonddesbois,
Dépoſe le venin de ſa dent meurtrière ?
Diij
78 MERCURE
Les tigres , de l'amour reconnoiflent les loix ,
Etle lion fuperbe eſt ſoumis à ſa voix.
Et ton farouche orgueil encor plus inflexible ,
De tous les animaux ſurpaſſant la fureur ,
Sans pitié lui refuſe un aſyle en ton coeur !
Mais , que dis-je , le tigre & le lion terrible ,
Animés pour ſentir & goûter le bonheur ?
Au doux plaifir d'aimer l'arbre même eſt ſenſible.
Vois avec quelle force & par combien de noeuds
La vigne ſe marie au pampre tortueux !
Le hêtre tendrement ſoupire pour le hêtre ,
C
L'orme s'unit à l'orme , & le ſaule champêtre
Incline ſes rameaux vers le ſaule amoureux , &c.
<
Nous allons finir par un morceau de dialogue
piquant & d'un tour heureux ,Dentre
Aminte & Tircis , ſon ami. Il faut , dit
Tircis , te conduire en hoinme de courage.
AMINTE.
Quel courage ? Et qui doit en éprouver l'effet ?
TIRCIS.
Dis-moi : fi ta Silvie, au ſein d'un vaſte ombrage,
Ceint d'énormes rochers & de lacs entouré ,
Habitoit des lions le repaire ſauvage ,
e
Vers cet affreux ſéjour irois-tu de plein gré ?
AMI NOTE
J'irois , n'en doute pas , d'un air plus afſuré,
Qu'une jeune Bergère aux danſes du village .
:
DE FRANCE. 79
TIRCI S.
Si d'un tas de brigands , armés pour l'égorger,
Elle étoit inveſtie , en dépit du danger ,
Irois-tu la ravir à leur rage homicide ?
ΑΜΙΝTE.
J'irois d'un pas plus prompt & plus léger
Que le cerf altéré vers la ſource limpide.
TIRCIS .
Il fautmontrer encor plus d'intrépidité.
AMINTE.
Eh bien , je franchirois l'impétuoſité
Des immenfes torrens , quand les neiges fondues ,
Amoncelant leurs ondes confondues ,
Précipitent leur cours au ſein des vaſtes mers ;
Atravers mille feux , j'irois juſqu'aux enfers
Rejoindre mon amante au milieu des ténèbres;
Si pourtant les enfers , dans leurs gouffres funèbres ,
Pouvoient enſevelir tant de charmes divers .
Dis-moi donc maintenant ce qu'il faut entreprendre.
TIRCIS.
Écoute , Aminte.
AMINTE.
Achève promptement.
TIRCIS.
Sans voile& fans témoin, Silvie au bain t'attend ,
Auras-tu bien la force de t'y rendre ?
:
DIV
80 MERCURE
SPECTACLES.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Vendredi 27 Septembre , on a repréfenté
, pour la première fois , le Diable
Boiteux , ou la Choſe Impoſſible , Opéra-
Comique en un Acte , en profe & en vaudevilles.
>
Le titre de ce petit Ouvrage rappelle d'abord
le Conte plaiſant, mais un peu graveleux
, du bon Jean La Fontaine ; cependant
l'action de l'Opéra-Comique n'a aucune
reſſemblance avec celle du Conte , &
lebut en eſt abſolument différent. Chez La
Fontaine , le Diable conſent à rendre un
amant heureux , à condition que celui- ci ,
loin d'obéir au Diable , ſaura le faire obéir
en lui donnant à toute heure,& fans nul retardement
, de nouveaux ordres à exécuter ;
faute de quoi , fon corps & fon âme appartiendront
à Satan . Un ordre , dont l'exécuttion
eſt impoſſible , rompt le pact & rend
l'amant libre . Ici , c'eſt toute autre choſe. Le
Diable Boiteux eſt l'Amour déguisé. Il eſt le
protecteur d'un jeune homme qui n'a pas
encore pu obtenir la main d'une maîtreffe
qu'il idolâtre. Il lui permet de donner carrière
à ſes defirs , de former tous les voeux
qu'il lui plaira , & s'engage à les accomplir;
DE FRANCE. 81
mais il ajoute qu'il ne peut épouſer ſa maîtreffe
qu'après avoir demandé une choſe
décidément impotlible. Le jeune amant
forme pluſieurs ſouhaits ; ils font accomplis
fur le champ. Il demande pour ſa maîtreſſe
leplus beau bouquet qu'il foit poſlible d'imaginer;
tout a- coup il en paroît un , compoſe
de trois belles roſes unies à trois lys
fuperbes. Il demande un plus beau bouquet
encore: c'est la chose impoffible. Il obtient
lamain de ſa maîtreſſe.
,
Cette bagatelle eſt de M. Favart le fils.
Elle eſt recommandable par la fraîcheur& la
grâce des penfees , par l'heureux choix des
airs & par la coupe facile des vaudevilles
où la langue,toujours reſpectée , ajoute encoreun
prix au charme des madrigaux & à
la fineſſe des épigrammes qui les terminent.
L'intrigue eft peu de chofe , & l'intérêt exiſte
ſeulement dans l'allégorie des roſes & des
lys; mais un intérêt de cette nature eſt toujours
puiſſant ſur les coeurs François.
VARIÉTÉS.
SUR le paſſage de Mercure devant le
Soleil en 1782.
LES Aftronomes n'ont obfervéjuſqu'isi que trois
fois Mercure fur le diſque du Soleil. Ces obfervations
ſont curieuſes & utiles pour l'Astronomie , &
il est bon d'avertir les Aſtronomes & les Amateurs ,
fur-tout ceux qui habitent les Provinces méridionales;
car à Paris , au mois de Novembre , il eſt for
Dy
82 MERCURE
douteux que l'obfervation puiſſe réuffir à cauſe dés
imauvais temps , ſuivant les Tables de M. de la
Lande , qui ont été parfaitement d'accord avec ſes
derniers paſſages ; on verra celui- ci tout entier à Paris;
le commencement de l'entrée ſera le 2 Novembre, à
deux heures cinquante - cinq minutes du foir , & la
fin de la fortie à quatre heures vingt- huit minutes ,
c'eſt à-dire , neuf minutes avant le coucher du Soleil.
L'entrée ſe fera douze degrés à gauche du vertical
du Soleil dans fa partie ſupérieure , ou à droite en
bas dans les lunettes qui renverſent. Comme Mercure
n'a que douze ſecondes de diamètre , il ne
pourra ſe voir que dans des lunettes d'approche ; mais
il n'eſt pas néceſſaire qu'elles groffiffent beaucoup.
LETTRE de M. Allemand à M. de la
IL
Lande, de l'Académie des Sciences.
2
Left étonnant , Monfieur , que, dans l'annonce
que vous avez faite , dans le Journal des Savans du
mois d'Avril dernier, d'une Carte des rivières & d'un
Mémoire fur la même matière , de M. de Vauban
vous approuviez fi facilement la critique qu'a
faite M. de Fourcroix de la communication de la
Meurthe avec la Bruſch, dans ſes Notes à la ſuite du
Mémoire de ce célèbre Maréchal de France . J'ai indiqué
cette jonction dans mon Traité préliminaire
de la Navigation intérieure ( 1 ) d'après les probabilités
que nous donne la Carte de l'Académie, que
M. de Fourcroix invoque pour en démontrer l'impoſſibilité
, & d'après M. de Biliſtein , Auteur d'un
Effai ſur la Navigation Lorraine , d'un Mémoire
(1) Chez L. Cellot , Imprimeur-Libraire , rue des
grands Augustins ......
1
A
DE FRANCE. 83
fur les Canaux de France , & d'un Eſſai ſur les deux
Duchés , relativement à l'Agriculture , au Commerce
, &c. dont vous ne nous parlez point dans
votre Ouvrage , que vous appelez le grand Traité
des Canaux.
Voici comme s'exprime cet Auteur dans ſon Effai
fur la Navigation intérieure de ſon pays , p . 138
& ſuiv. « Le Rhin eſt la rivière la plus intérefſante
à la France pour ſes opérations militaires. Il
eſt donc infiniment à ſouhaiter de pouvoir y com
muniquer ſes rivières directement ſans quitter ſon
territoire (1 ) ; elle le peut par la Moſelle ou par la
Meurthe ; elle le peut par l'une & par l'autre ; mais
il faut premièrement ſuppoſer qu'elles font rendues
navigables , d'où l'on voit de plus en plus la chaîne
de ces établiſſemens . On n'exécutera pas néanmoins
la jonction par les deux rivières ; l'une & l'autre a
ſes grands avantages , ſur leſquels je ne décide pas ,
ne voulant qu'indiquer .
La Moſelle peut , dès ſa ſource , être jointe au
Rhin par Tannes & Enſisheim ſur l'Ill , laquelle ſe.
jette dans le Rhin à Strasbourg.
La Meurthe peut être jointe au Rhin par la Sarre
au deſſus de Salm , éloignée de la Bruſch d'une,
licue & demie (2) . La Bruſch ſe jette dans l'Ill , &.
Fill dans le Rhin ; la diſtance eſt petite , Salm n'étant
qu'à huit lieues de Strasbourg. La petite rivière de.
Veſouze qui paffe à Turckeſtein & à Blamont , & fe
, (1) Cette réflexion qui paroît des plus fages , eft
contre l'opinion de M. De la Lande , qui pense qu'on
doir opérer la jonction du Rhône avec le Rhin ſur le territoire
Genevois & Suiffe .
(2) La Carte de l'Académie donne quatre mille toiſes ,
même diſtance à-peu- près , & la Carte des rivières dont
M.de Fourcroix fait l'éloge,donne dix mille toiſes d'une
rivière à l'autre ; cette erreur ſurprend encore moins qu'une
multitude d'autres. Comment ſe peut-il qu'elles aient
outes échappé à l'oeil pénétrant du célebre Aftronome ?
Dvj
8.4 MERCURE
jette dans la Meurthe , peut aider cette communica
tion&par- là encore celle de la Sarre à la Meurthe.
Cettejonction nous eſt donc préſentée par M. de
Biliſtein non-ſeulement comme probable , mais encore
comme très - praticable , & devant être la continuité
d'une grande navigation qui intéreſſe en général
le Royaume; je n'ai pas hésité de me décider
pour ce dernier ſeuil , qui va droit au but principal ,
Strasbourg. Voici ce que j'en dis en parlant de l'Alface,
pag. 80 de mon Ouvrage , qu'il ne manqueroit
plus à cette Province, au moyen des communications
ouvertes à la Lorraine vers la Capitale & les
Ports du Royaume , que d'établir celle de la Brusch
avec laMeurthe par un canal dérivé de cette première
du côté de Salm,pour aboutir à la dernièrepar
la Vefouze au-deſſous & près de Lunéville. Cette
fimple indication d'une partie du ſeuil du côté de la
Meurthe, fans défigner précisément la partie depuis
la Bruſch juſqu'à la Vefouze , ne pouvoit pas fournir
matière à une critique raiſonnable , parce qu'il faut
néceſſairement connoître tout un plan pour le diſcuter
pertinemment; cependant M. de Fourcroix n'a
pas laiflé que de condamner le mien au fujet de
cette communication , quoiqu'il n'en connût que
très- imparfaitement une partie.
D'ailleurs , eſt ce avec des conjectures , des
affertions hafardées , des notions priſes ſur la Carte
de l'Académie,que ce Militaire dit être encore moins
exacte dans les montagnes qu'ailleurs , qu'il a prétendu
démontrer l'impoſſibilité de cette jonction par
la Veſouze , & que vous avez pu , Monfieur , affirmer
que cette critique étoit judicieuſe ? C'eſt avancer
des faits dont on n'a aucune certitude ; car vous
n'avez , non plus que M. de Fourcroix , envoyé
des gens experts dans les Mathématiques , l'Hydraulique
& les Nivellemens , le graphomètre , le com
pas, la toiſe, le jallon à la main , pour vérifier les
DE FRANC 85
points indiqués , & fixer ceux qui rendent l'exécution
praticable , la ſeule autorité avec laquelle vous
auriez pu raiſonnablement attaquer mon affertion;
c'eſt avec des faits authentiques que l'on combat
les opinions d'autrui , & non avec des conjectures
qui ne décident rien.
Je vais , Monfieur , vous démontrer la probabiité
de pouvoir opérer la jonction de la Bruſch avec
aMeurthe par la Veſouze. J'ai dit qu'on le pouoit
du côté de Salm , ſans ajouter que cela ſe pût
lirectement par la Veſouze ; ainfi , quand M. de
Fourcroix a cru en avoir reconnu l'impoſſibilité
directement par la haute Veſouze ou par ſes affluens
de la rive gauche , pourquoi ne pas daigner jeter les
yeux fur ceux de la rive droite qui avoiſinent les
eaux de la Sarre , nº . 142 de la Carte qu'il cite , &
en même - temps ſur des affluens de la Bruſch ,
n°. 162 ibid. qu'il cite auſſi ; alors il auroit certainement
vu la probabilité de pouvoir l'opérer nonſeulement
par la Sarre & la Veſouze , mais encore
par cette première & le Sanon , autre affluent de la
Meurthe, priſe du bout de l'étang de Richecourt à
celui de Ketzin, d'où fort un raiſſeau qui tombe
dans la Sarre. On le peut encore par la Seille , un
des affluens de la Moſelle , au moyen de pluſieurs
étangs ou lacs qui ſont entre Dieuze & la Sarre , à
une très petite diſtance les uns des autres ; & en
dérivant enſuite de la Seille au point de Nommeny ,
un Canal d'une licue & demie ou environ pour
aboutir à la Moſelle à Pont-à-Mouffon , on mettroit
cette grande navigation preſque en droite
ligne vers les communications projetées pour joindre
la Saône , la Marne , la Seine & l'Eſcaut; ce
feuil paroît d'autant plus avantageux , que la Seille
a été rendue navigable ( 1 ) juſqu'à Dietize ; mais
(1) On ne doit point à ce ſujet avoir égard à la Caste
86 MERCURE
fixons - nous au ſeuil critiqué de la Veſouze.
Aniderhoff eſt un vallon ſur la rive gauche de
la Sarre, par lequel il paroît facile de diriger un
Canal , foit vers le ruiſſeau d'Herbas , ſoit vers
l'étang où prend naiſſance le ruiſſeau de Richeval ,
deux des affluens de la Veſouze ; la diſtance de leurs
eaux de celles de la Sarre n'eft que de trois cent
toiſes , nº . 142 de la Carte citée par M. de Fourcroix.
Voilà certainement une très grande probabilité
de pouvoir opérer la communication par la
Vefouze de la Meurthe avec la Sarre , par laquelle
on parvient au point de partage. Il s'agit maintenant
de voir s'il y a de la probabilité à pouvoir
établir la communication de la Bruſch avec la
Sarre .
Sur les confins du comté de Salm , du pays Meffin
& de la Province d'Alface , dans les bois de
Saint-Quirin , au Sud -Oueſt des maiſons des
Gardes, nº. 162 de la Carte citée par M. de Fourcroix
, eſt un ruiſſeau affez confidérable , dont la
fource n'eſt éloignée de celles de la Sarre & de la
Zorne , affluent de cette première , que de trois
cent cinquante toiſes , & qui ſe jetre dans la Bruſch
à Netzembach , à quatre mille toiſes ſeulement de
la Sarre & de la Zorne , & à huit mil e quatre
cent toiſes de Molsheim , d'où la Bruſch eſt navigable
juſqu'à Strasbourg au moyen d'un Canal de
quatre lieues , de vingt-quatre pieds de largeur , fur
huit de profondeur, conftruit ſous Lous XIV.
Dans le même canton , nº ibid de la Carte , eſt
un ſecond ruiffeau un peu plus au Nord & plus
confidérable que le premier , qui prend ſa ſource à
l'Ouest du Château de la Muraille , à quatre cent
des rivières qui indique le contraire , & qui eſt généralement
infidelle fur ces indications , ainſi qu'il eſt facile de
s'en convaincre . }
DE FRANCE. 87
toiſes ſeulement des ſources de la Zorne , & qui ,
groſſi dans ſon cours de pluſieurs autres ruiſſeaux ,
tombe dans la Bruſch à Nider-Hatlach , à quatre
mille toiſes environ de la première , & pas plus de
quatre mille neuf cent toiſes de Molsheim , où l'on
trouve le Canal de ce nom ; de manière qu'à partir
du point de partage entre les ſources de la Zorne &
celles de ce dernier affluent de la Bruſch , il n'y auroit
que huit mille neuf cent toiſes environ de
canal a faire pour joindre celui de Molsheim , beaucoup
moins que par le premier affluent ; ainfi , on
ne peut diſconvenir qu'il n'y ait auſſi la plus grande
probabilité de pouvoir établir la communication de
la Bruſch avec la Sarre , & que ces deux ruiſſeaux ne
paroiffent plus convenables à tous égards pour opérer
entièrement la jonction de la Bruſch avec la
Meurthe , que celui qui avoiſine la plaine & qui
tombe dans la haute Bruſch à Schirmeck , dont
parle M. de Fourcroix pour cette opération. Ce ne
peut être que par l'un ou l'autre de ces deux ruiſſeaux
que M. de Bilillein a entendu établir la communication
de la Bruſch avec la Sarre , & de celle - ci communiquer
à la Veſouze. Il n'y a donc rien d'étonnant
que j'aie dit que cela ſe pouvoit du côté de
Salm, puiſque les ſources de la Sarre , de la Zorne
& des deux affluens de la Bruſch dont il s'agit ,
avoiſinent ce comté.
い
Il n'eſt plus queſtion que d'examiner la probabilité
du magaſin d'eau néceſſaire au point de partage
pour fournir au Canal des deux côtés. On vient de
voir que dans les bois de Saint-Quirin & aux environs
, nº. 162 de la Carte , les fources de la Sarre ;
celles de la Zorne & des deux affluens que nous avons
adoptés pour opérer cette importante communication,
ſe touchent preſque, ce qui annonce une abondance
d'eau à ce point de partage. Voilà donc une
88 MERCURE
très - grande probabilité de la quantité d'eau fuffifaite
pour alimenter cette navigation.
La hauteur des vauges (1 ) au point de Sainte-
Marie - les - Mines , nº. 163 de la Carte , objection
que nous fait M. de Fourcroix , on ne peut en tirer
aucune conféquence pour la hauteur que peuvent
avoir celles dans lesquelles nous indiquons la communication
de la Meurthe avec la Bruſch,
nos 142 & 162 de la Carte , qui ſont à huit lizues
&demie de diſtance des vauges de Sainte-Marieles-
Mines. Dans les chaînes de montagnes de tous
les pays, il y a des inégalités conſidérables & même
des interruptions qui ſuccèdent ſouvent aux parties
les plus élevées , laiſſant au bas de la montagne un
paſſage libre au cours des eaux , & la facilité de
pratiquer des routes peu au-deſſus du niveau du
plat pays : d'ailleurs , les rivières naiſſent - elles préciſément
aux ſommets des montagnes pour y défigner
un point de partage , & de- la fixer la pente
que l'on a à racheter dans la longueur d'un canal ?
Qu'a encore de commun avec un canal , que trois
pieds de pente aux eaux courantes en forment un
torrent , lorſqu'il n'eſt point queſtion de rendre une
rivière navigable de ſon fond , & qu'il ne s'agit que
de la conſtruction d'un canal où l'on rachette aifément
,par des écluſes , la pente qui peut s'y trouver ?
Cequi prouve toujours plus , que cette critique &
votre ſanction ne ſont étayées que de conjectures
& d'affertions haſardées , c'eſt que Murzig n'eſt
pointà-peu-près au niveau de Strasbourg , comme
ledit M. de Fourcroix , aſſertion que vous rapportez
, puiſque Molsheim , qui eſt neuf cent toiſes environ
au-deſſous de Mutzig , eſt plus de quatrevingt-
quatre pieds au - deſſus du niveau de cette
-
(1 ) Sept cent pieds au deſſus du niveau de Strasbourg
fuivant l'Abbé Chappe.
DE FRANCE. 89
!
au-
Capitale, comme le prouve le rachat de quatrevingt
quatre pieds de pente par des écluſes
canal de Molsheim. (Buſching , Tome IV, p. 439 ).
Je crois , Monfieur , que vous devez être pleinement
convaincu de votre trop d'empreſſement à dire que
la critique de M. de Fourcroix étoit judicieuſe ,
d'autant plus que fi elle l'étoit à mon égard , elle le
ſeroitde même à votre ſujet , relativement à pluſieurs
opérations que vous indiquez , dont la poſſibilité
n'eft étayée que des mêmes autorités que j'ai
employées pour faire croire praticable non-feulement
la communication de la Bruſch avec la Meurthe,
mais encore quantité d'autres opérations.
Au reſte , il est bien étonnant qu'au lieu de
daigner faire connoître au Public les objets que
vous lui avez annoncés dans cette occafion , entr'autres
, l'intéreſſant Mémoire de M. de Vauban , vous
ne vous ſoyez attaché qu'à rapporter en entier la
critique de la communication de la Bruſch avec la
Meurthe : quels que foient les motifs de cette prédilection,
ils devoient céder à l'intérêt qu'avoit le
Public dans l'Extrait de ce premier Mémoire. Si la
critique à laquelle il a donné lieu avoit pu bleffer
mon amour - propre , j'aurois été amplement dédommagé
en reconnoiſſant mes moyens pour l'extenfion
de la Navigation intérieure , dans ceux du grand
Vauban !
J'ai l'honneur d'être , &c.
ALLEMAND , de l'Académie de Marseille,
Confervateur général de la Navigation
intérieure , ancien Confervateur des
Forêts de l'Iſte de Corse.
१०
MERCURE
८
PROSPECTUS.
ESSAI fur l'Art de vérifier les Miniatures peintes
dans des Manuscrits depuis le quatorzième jufqu'au
dix -feptième fiècle incluſivement , de comparer
leurs différens ſtyles & degrés de beautés , &
dedéterminer une partie de la valeur des Manuscrits
qu'elles enrichiffent.
T.
EL eſt le titre d'un in -folio orné de vingt- fix
• Planches gravées au ſimple trait , imprimées en
>> encre foible , & peintes en or & en couleurs, de la
OD manière la plus reſſemblante à autant de minia-
» tures que M. l'Abbé Rive a choiſies dans diffé-
>> rens Manufcrits exécutés avec la plus grande magnificence
en Europe , pour divers Souverains ou
> très - hauts & très-puiſſans Seigneurs , dans les
> quatorzième , quinzième, ſeizième &dix -ſeptième
>> fiècles: >> tel eſt , diſons-nous , le titre d'un Ouvrage
effentiel & lumineux dont M. l'Abbé Rive
vient de publier le Profpectus.
Cet Ouvrage remplira certainement tout ce que
le Profpectus annonce , & tout ce que ſon titre
promet. L'érudition immenſe de ſon Auteur &
ſon exactitude ſcrupuleuſe , le choix de ſes auto-
-rités ſont des garans plus que capables de nous
donner des eſpérances . Ce Recueil , dont le genre
étoit juſqu'aujourd'hui parfaitement inconnu , nous
eſt néceſſaire. Il nous importe ſans doute de
n'être point la dupe du charlataniſme des vendeurs
de manufcrits prétendus originaux. Il nous importe
de tenir dans nos mains le cachet de chaque ſiècle ,
&de pouvoir en reconnoître l'empreinte dans tous
les manufcrits qu'on nous préſentera. On ſent que
DE FRANCE وا
fans des ſecours nombreux & une connoiſſance bibliographique
très-étendue, il eſt impoffible d'avoir
ce cacher. M. l'Abbé Rive a ſu le trouver , & vient
denous le préſenter. Ace mérite, le nouveau Recueil
enjoint un autre qui ſera aiſément apperçu. Il nous
offre la parure , le vêtement de quatre fiècles , &
nous montre quels étoient leurs goûts dominans. Sous
cepoint de vue ſon travail devient encore plus précieux;
il fournit un ſupplément aux monumens de la
Monarchie Françoiſe du Père Montfaucon. L'Au
teur répond d'avance à la queſtion qu'on pourroit
lui faire , pourquoi il n'a pas remonté plus haut ?
Les miniatures , dit-il,font affreuſesdepuis le dixième
juſqu'au quatorzième ſiècle. On peut l'en croire. Les
Savans ne pourront qu'être fatisfaits d'appercevoir
dans cette Hiſtoire abrégée,une aſſociation ſuivie de
la Peinture & la Calligraphie ( ou Art d'écrire les
manufcrits ) depuis Varron, le plus ſavant des Romainsjuſqu'à
nous. Cet abrégé eſt neuf,& doit être
aufli intéreſſant que curieux,
て
L'exécution de cet Ouvrage ſera très-ſoignée , &
réunira la beauté du papier , la beauté des caractères
à la fidélité & à la pureté des Gravures. L'Auteur a
choiſi parmi plus de douze mille miniatures les vingtfix
dont il donne les copies. Sa Collection doit l'emporter
ſur le Recueil de Montfaucon par le choix
des miniatures , la variété des ſujets , leurs oppofi
tions de ſiècles , de ſtyles & de costumes, & fur
les plus beaux manufcrits qu'on conſerve en Europe.
Ce Recueil doit contenir une balance bibliopolique
qui apprendra à estimer , dit M. l'Abbé Rive ,
lefurplus de la valeur que des miniatures ſemblables
àcelles quiy sont gravées donnent aux manuscrits
qu'elles embelliffent . Ce Livre ſera un monument de
Bibliothèque pour les Souverains & les Amateurs qui
ſe piquent de poſſféder des curioſités calligraphiques
d'ungenre unique , & un manuel pour les Libraires
92 MERCURE
qui defirent s'inſtruire de la valeur des manufcrits
ornés de miniatures qui leur tombent ſous la main.
L'Auteur promet de donner deux deſcriptions des
manuſerits dont il a emprunté ſes Planches. L'une,
qu'il appelle calligraphique , expoſera la manière
dont chacun d'eux est calligraphié; l'autre , à laquelle
il donne le nom de bibliographique , en détaillera
le contenu. Cette manière de décrire les Livres ,
foit manuscrits , ſoit imprimés , eſt neuve & de la
plus grande utilité.
Conditions de la Souſcription.
Il n'y aura que quatre-vingt Exemplaires de ce
Recueil. M. l'Abbé Rive promet à ſes Souſcripteurs
de n'en pas tirer un plus grand nombre , & de ne
jamais en faire une ſeconde Édition. La manière
avec laquelle il contracte cet engagement eſt digne
d'être rapportée. Pour conſtater , dit- il , ce qu'il n'y
>> en aura que quatre- vingt Exemplaires , &détruire
>> tout ſoupçon de fraude dans l'eſprit du Public ,
>> j'écrirai à la finde chaque Exemplaire 1 , 2 , 3
(juſqu'au quatre- vingt incluſivement ). Exem-
>> plaire délivré àM.... tel jour & tel mois. J'ac-
>> compagnerai ce certificat de ma fignature. On
> ne verra aucun Exemplaire fans ce certificat , ou
>> dont le numéro ſoit double & excède le nombre
>> auquel j'ai fixé mon tirage. Je ne ferai jamais
> aucune autre Édition du même Ouvrage ; c'eſt
>> un engagement ſacré que je contracte avec le
Public; par-là , il n'y a aucun Gouvernement qui
>> n'ait le droit de prohiber la réimpreſſion que je
→→ voudrois en faire en quelque lieu de l'Europe que
>> j'euſſe le front de l'entreprendre. >>
M. l'Abbé Rive ne parle point dans ſon Profpectus
du fort de ſes cuivres après ſa mort ; mais
nous ſavons qu'il a eu l'honneur d'en faire
hommage au Roi pour ſon Cabinet de Verſailles.
DE FRANCE.
93
4
Après le tirage des Exemplaires, ils ſeront dorés &
déposés dans ce Cabinet pour y ſervir de monument
littéraire à la Poſtérité , & de preuve authentique du
reſpect inviolable de l'Auteur pour ſes engagemens.
La ſouſcription de cet Ouvrage eſt de vingt- cinq
louis qu'on paye d'avance. Comme les cuivres ſont
gravés , &que les modèles de peinture ſont achevés
, cette avance eſt indiſpenſable pour accélérer
dans le court eſpace donné , la main des Artiſtes qu'il
faut payer comptant.
Cette ſouſcription ne ſera ouverte pour la France
quejuſqu'au premier Novembre prochain ; eile ne
ſera fermée pour les Étrangers qu'au premier Janvier
1783 .
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront ce Recueil
quarante louis,
Chaque Souſcripteur recevra dans l'eſpace d'un
an , à dater du jour de ſa ſouſcription , l'Ouvrage
en entier. Il recevra les treize premières Planches
peintes dans les frx premiers mois, & les treize autres
avec le Diſcours dans les fix ſuivans .
Apeine le Proſpectus avoit été publié, que le Roi,
la Reine , Monfieur , Madame & Madame Comteſſe
d'Artois ſe ſont empreſſés d'honorer l'Auteur de
leur ſouſcription. Ce Proſpectus forme un in - 12 de
70 pages imprimé par Didot avec les anciens type
de Garamont , qui fut un des plus habiles Fondeurs
de caractères qu'il y ait eu à Paris depuis le com.
mencement du ſeizième fiècle. Quoique ces types
foient fondus depuis plus de deux cent ſoixante
ans , ils acquièrent tous les jours une nouvelle
beauté. Le papier eſt un des plus beaux qu'on fabrique
en France. Le corps du Proſpectus eſt d'environ
23 pages ; le refte eſt en Nores , qui font toutes
eu inſtructives ou curieuſes .
Ce Proſpectus ſe vend chez l'Auteur , rue du
Cherche-Midi , vis-à-vis celle du Regard ; & chez
94 MERCURE
Eſprit, Libraire , au Palais Royal. Prix , I livre
Io fols. On n'en a tiré qu'un très-petit nombre
d'Exemplaires , & il n'en refte preſque plus. Nous
invitons nos Lecteurs à ſe procurer cette Brochure
intéreſſante , qui les mettra en état d'apprécier le travail
de M. l'Abbé Rive.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE
E Sieur Deſnos , Ingénieur - Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques,
au Globe , annonce à MM, les Libraires & autres
Commerçans du Royaume & des Pays étrangers ,
qu'il vient de mettre en vente une nombreuſe Collection
d'Almanachs nouveaux pour l'année 1783 ,
très- bien conditionnés & utiles à tous les états , ornés
de Cartes Géographiques & autres , dont la plupart
compoſés de Romances , Chanfons , Vaudevilles
des meilleurs Auteurs en ce genre , ſont ornés
de douze Eſtampes , tous reliés en maroquin avec des
tablettes économiques , perte & gain , & fermés
d'un ſtylet pour y écrire. Prix , 4 livres 10 fols , &
s liv. rendus franc de port par- tout le Royaume.
Le Sieur Deſnos en diftribue gratuitement le Catalogue,
ainſi que l'Analyſe deſdits Almanachs ,
petiteBrochure d'environ cent pages , où l'on donne
une idée de chacun pour déterminer le choix du
Public ou de l'Acheteur. Il fera une remiſe honnête
aux Perſonnes qui s'adreſſeront directement à lui
pour ſes Almanachs , ſuivant le nombre qui lui en
fera demandé , & il expédiera auffi-tôt chaque
demande par la voie qui lui ſera indiquée , pourvu
que ceux à qui il la remettra ſoient chargés d'en répondre.
Les lettres non affranchies ne feront point
reçues. -L'Anacréon en belle humeur , ou le plus
joli Chansonnier François , dont la quatrième Partic
DE FRANCE.
१८
!
vientde paroître chez le même Libraire , doit , par le
genre & le choix des Pièces , plaire à un grandnombre
de Lecteurs. Il en paroîtra une Partie tous les
troism ois.
Précis de l'Art des Accouchemens en faveur des
Sages-Femmes & des Élèves en cet Art , par M.
Chevreul , Docteur en Médecine , Maître en Chirurgie
à Angers , Démonstrateur en l'Art des Accouchemens
, & Inſpecteur général des Cours d'Accouchemens
de la Généralité de Tours. A Angers ,
de l'Imprimerie de C. P. Mame , Imprimeur de
MONSIEUR , rue S. Laud; & ſe trouve à Paris ,
chez P. F. Didot lejeune , Imprimeur de MONSIEUR,
quai des Auguſtins , in- 12 . Prix , 2 liv . broché.
Mémoire fur l'ancienne ville de Tauroentam ;
Hiftoire de la ville de la Ciotat ; Mémoire fur le
Port de Marseille ; par M. Marin , de pluſieurs
Académies , Cenſeur Royal , Lieutenant Général au
Siège de l'Amirauté de la Ciotat. A Avignon ; & fe
trouve à Paris , chez Leclerc l'aîné , Libraire , quai
des Auguſtins ; à Marseille , chez Jean Moffy , Imprimeur
du Roi , & chez Sube & Laporte , Libraires,
in- 12. Prix, 2 liv. 8 fols broché.
Médecine des animaux domestiques , renfermant
les différens remèdes qui conviennent pour les maladies
des chevaux , des vaches , des brebis , &c. &c.;
par M. Buc'hoz , Auteur de différens Ouvrages économiques
, in- 12. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Harpe , la preınière porte- cochère au-deſſus du Collège
d'Harcour . Prix , 1 liv. 16 fols.
Histoire des Campagnes de Henri de la Tour
d'Auvergne , Vicomte de "Turenne , en 1672 , 1673 ,
1674 & 1675 , écrite d'après les Dépêches du Maréchal
de Turenne ( communiquées par la Maiſonde
Bouillon) la Correſpondance de Louis XIV,de ſes Miniftres,&
beaucoup d'autres Mémoires authentiques ;
96 MERCURE
enrichie d'un grand nombrede Plans & CartesTopographiques
néceſſaires pour l'intelligence des marches
, campemens , batailles , ſièges & mouvemens
des armées , diviſée en deux Parties in -folio ,
dédiée & préſentée au Roi ; par M. le Chevalier de
Beaurain , Penſionnaire Géographe de Sa Majeſté.
On trouve cetOuvrage chez l'Auteur , rue Gît-le-
Coeur , la première porte-cochère à droite par le
quai des Auguſtins. Le Profpectus de cet Ouvrage
fera communiqué aux Perſonnes qui le defireront.
Prix , 96 liv .
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins , annonce
qu'il vient de recevoir de l'Étranger pluſieurs Exemplaires
des Livres ſuivans : Mémoires de l'Académie
de Berlin depuis fon origine juſqu'à cejour, 10 Vol.
in-4°. (on ſépare les Volumes. )- Analyses des
Coutumes de Lorraine , 1782 , in- 4° . Edits de
Lorraine , 1782 , Tome XIV, in - 4 °.- Coutumes
de Normandie , 2 Vol. in -folio.
TABLE.
ENVOI d'un Sabre . 49 taire François , 70
Moralité,
chandelle, Fable ,
Airde Daphné& Apollon , 51
50 Aminte, Pastoral du Taffe, 76
LePapillon qui ſe brûle à la Comedie Italienne ,
ib. Sur le paſſage de Mercure de-
Enigme& Logogryphe , 52 Lettre de M. Allemand à M.
80
vant le Soleil en 1782, 81
L'Ecole des Pères , Comédie de la Lande, 82
en trois Actes , 54 Prospectus, १०
Hommage Littéraire , 64 Annonces Littéraires , 94
Examen critique du Mili-
APPROΒΑΤΙΟ Ν.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 12 Octobre. Je n'yai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis,
ic 11.Oftobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
:
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Août.
LES incendies qui ſe multiplient depuis
quelque tems , ont porté la conſternation
dans toute cette Capitale ; on ſe rappelle les
ravages caufés par les deux qui ont eu lieu
dans le mois dernier ; quelque terribles qu'ils
aient été , ils le font encore moins que ceux
-dont nous venons d'être témoins . Le 21 de
ce mois , à 10 heures du ſoir , le feu a éclaté
dans le quartier deGiamaja , vis-à-vis l'Arfenal
; ce n'est qu'hier matin qu'on eſt parvenu
à l'éteindre. On compte que la moitié
de cette grande ville a été réduite en cendre.
Le Palais de Conſtantin- le-Grand , l'Eglife
Patriarchale , le quartier de Soliman , où ſe
trouve la magnifique Moſquée qui porte ce
nom , la rue des Arméniens , preſque tout
le quartier des Juifs & des Chrétiens , les
Synagogues , les Egliſes , &c. n'existent
12 Octobre 1782 . €
( so )
1
د
plus. Plus de deux cents mille perſonnes
font réduites à la dernière misère. On
attribue cet incendie comme ceux qui
l'ont précédé , à la méchanceté des mécontens
qui , depuis quelque tems , font
entendre des cris de révolte contre l'Adminiſtration.
Le Grand Seigneur vient de céder
à ces cris , en renvoyant le Grand- Vifir , à
qui il a redemandé les ſceaux aujourd'hui ;
ils ont été donnés à Jaghen- Ali Pacha , Béglierbey
de Romélie. Le Kiaya des Janiffaires
& le Chiaoux Baſchi ont été dépoſés
également ; comme le mécontentement du
peuple tombe principalement ſur ce dernier ,
on ne feroit pas étonné qu'il fût ſacrifié pour
l'appaiſer. L'incendie , pendant ſa violence ,
a menacé le Serrail , & le Grand Seigneur
a été au moment de ſe retirer à Pera , dans
le Palais de l'Ambaſſadeur d'Autriche. Heureuſement
on eſt parvenu à en écarter le
feu,
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 2 Septembre.
CONFORMÉMENT aux ordres de S. M. I.
pour l'augmentation de ſa marine , on s'occupeſans
relâche de nouvelles conſtructions,
tant ici , qu'à Archangel ,à Cherſon , à Kamf
tchatka & à Ockoska, On eſpère qu'avant
qu'il ſoit peu notre marine encore foible
, aura acquis des accroiſſemens affez
conſidérables , pour ne rien envier à celle
( 51 ) 1
des autres grandes Puiſſances maritimes.
:
On continue de faire marcher des troupes
vers les frontières de la Tartarie & de la
Turquie , on y fait paffer auſſi de l'artillerie.
Le retour du Courier qui a été expédié à
Conſtantinople , nous donnera , fans doute
des lumières ſur l'état des affaires de la Crimée
, & fur les diſpoſitions du Grand- Seigneur
à cet égard.
DANEMARCK.
,
De COPENHAGUE , le Is Septembre.
Le Capitaine Fuglede , dont la relâche
au Cap de Bonne-Eſpérance a été l'occaſion
de tant de plaintes de la part de notre Cour
aux Etats-Généraux des Provinces- Unies ,
vient d'arriver avec ſon vaiſſeau. On va
bientôt procéder aux examens indiſpenſables
pour éclaircir cette affaire , fur laquelle la
CompagnieHollandoiſe des Indes a répondu
pardes récriminations graves , contre le Capitaine
Danois. On dit que l'Envoyé de la
République a été invité à ſe rendre à hord
du navire , pour être préſent aux interroga
toires qu'on devoit faire à l'équipage.
>> 358 vaiſſeaux , au nombre deſquels eſt le con
voi Anglois qui s'étoir accri juſqu'à 250 navires ,
écrit- on d'Helsingor, obligés le 10 , par le calme
de revenir dans le Sund , en remirent à la voile
le 11 , avec un vent plus favorable. Le même jour
il y arriva de nouveau 36 bâtimens ; & le 12 , 34
autres de la Baltique : parmi les derniers , s Anglois
qui continuerent fur - le- champ leur route
1
1
C2
( 52)
pour tâcher d'atteindre le convoi.-Lorſque la
frégate Angloiſe le Mercure entra le 7 au ſoir dans
ce pert , ſon pavillon n'étoit pas hiffé à l'extrémité
du grand mât ; il étoit caché en partie par
la voile : le Commandant du Château la prit pour
une lettre de marque ; & fur ce qu'elle n'amenoit
point , il lui tira deux coups à balle. Le Capitaine
en porta plainte; mais il paroît que l'affaire a été
affoupie. -On travaille depuis quelque tems a
rendre ce port plus profond , & on remarque que
ce travail avance avec ſuccès «.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Septembre.
LES Diétines pour l'élection des Nonces
qui doivent aſſiſter à la Dière prochaine ,
font déjà aſſemblées par-tout ; les nouvelles
qu'on en reçoit apprennent qu'elles font
très- tumultueuſes , & qu'il y a eu déjà du
fang répandu dans quelques-unes. Tout cela
nous annonce que la Diète ne ſera pas moins
orageuſe.
Le nouveau Miniſtre de la Cour de Londres
, M. Dalrymple , arrivé depuis peu
ici , a eu la première audience du Roi.
Toutes les nouvelles des frontières de la
Turquie , ne parlent que de la fermentation
qui ſubſiſte toujours en Crimée ; les Tartares
, dit-on , ne veulent point abſolument
du Khan qu'ils ont forcé à prendre la fuite ;
ils prétendent conſerver celui qu'ils ont
élu , & ils ſe préparent à le ſoutenir les
armes à la main,
1
( 53 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 1er. Septembre.
ON croit que le Comte & la Comteſſe
du Nord arriveront inceſſamment dans cette
Capitale. La Princeſſe Elifabeth de Wurtemberg
les accompagnera , dit- on , & reftera
enfuite dans cette Réſidence.
On parle beaucoup depuis quelque tems
des évènemens qui ſe ſont paſſes ſur les
frontières de la Turquie ; la manière dont
ils ont été préſentés dans divers papiers publics
, leur donnoit une importance qu'ils
n'ont pas ; on a reçu de la Croatie une
relation qui n'eſt peut-être pas plus exacte ,
mais qui les réduit à leur juſte valeur , &
dont nous placerons ici l'extrait.
>> Quatre à cinq cens vagabonds Turcs ayant
paffé la Save , exercèrent des brigandages ſur le
territoire Autrichien, où ils pillèrent & maſſacrerent
impitoyablement une quantité de gens de campagne
& emmenèrent leurs beftiaux. On en demanda
fatisfaction au Bacha. Sur la réponſe peu
fatisfaiſante qu'on en reçut , on fit marcher 1200
Croates & 400 Huffards ſur le territoire des
Turcs , avec quelques pièces de campagne ; les
Turcs s'étant préſentés , on tira de part & d'autre.
Le feu fut vif, un Lieutenant & un Auditeur
des troupes Impériales perdirent la vie ; il y cur
quelques bleſſés , & on donna une leçon aux Ottomans
, en pillant quelques-uns de leurs villages «.
Ce ne font pas les brigands Turcs ſeulement
qui commettent des déſordres dans
quelques endroits. On lit dans une lettre
C3
( 54 )
de Bude les détails ſuivans , d'excès bien
étranges & bien horribles.
>>>La troupe des ſcélérats qui infeſtoit plufieurs
Provinces de ce Royaume , eſt en partie diſperſée
&détruite depuis que le Chef en a été pris . On
en a déja envoyé 40 au ſupplice ; 115 autres font
dans les fers . Ces monſtres avoient un repaire
fouterrain , au milieu d'un bois fombre & valte
où ils traînoient les cadavres des victimes qu'ils
avoient aflaffinées; & ce qu'on aura de la peine
à croire , c'eſt qu'ils en dévoroient enfuite les chairs
après les avoir rôties. Le Chef a été ſaiſi par un
Garde de la Prévôté de Frauenmarck , qui , accompagné
de quelques payſans , a en le courage de
s'enfoncer dans cette forêt ; peu s'en eſt fallu qu'il
n'ait été la victime de ſon zèle. On lui deſtine
une très -groffe récompenfe «.
د
Tous les Hopitaux de cette Ville doivent
être réunis à celui qu'on appelle l'Hopital
Eſpagnol ; on aggrandira ce bâtiment , qui
eſt déjà très-vaſte , pour pouvoir y placer
commodément tous les malades. Les perſonnes
qui y étoient entretenues recevront
des penſions annuelles on enverra à la
campagne avec 10 kreutzers par jour celles
qu'on gardoir dans la maiſon des pauvres.
Les enfans trouvés , les orphelins , feront
mis dans la maiſon des orphelins. On y
établira des fabriques , où tous les gens de
métier qui manqueront de travail , pourront
ſe retirer pour s'occuper. Par cet arrangement
on économiſera des ſommes conſidérables
, avec leſquelles on foulagera un plus
grand nombre de malades & d'infirmes .
Un Particulier a trouvé le ſecret de fé
( 55 )
cher le bled , & de rétablir celui qui eſt
gâté & attaqué par les vers , de manière que
la farine qu'on en tire peut ſe garder près
de so ans. Il a fait ici avec du bled gâté
pluſieurs effais qui ont fi bien réuſſi , qu'on
en a fait de très bon pain de munition .
ככ Les régimens qui devoient former ici un
camp, écrit-on de Prague , teſteront aſſemblés julqu'au
20 de ce mois; ils manoeuvre ont pendant
ce tems & retourneront enſuite dans leurs quartiers
reſpectifs. On ſe flatte toujours que l'Empereur
viendra dans cette Ville. Il fera , dit- on , vers
la fin d'Octobre , un voyage dans ce Royaume
pour voir les nouvelles fortereſſes de Therefienſtadt
& de Pleff; & on ſe flatte qu'à cette occafion ,
il honorera auſſi cette Ville de ſa préſence «.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
Le dernier incendie de Conſtantinople
rapporté dans tous nos papiers , paroît à
biendes perſonnes être fort exagéré ; on ne
porte pas à moins de 66,000 maiſons celles
qui ont été réduites en cendres ; fi l'on joint
à ce nombre les 10,000 qui avoient éré
confumées dans les deux précédens , le calcul
ſera effrayant ; mais est-il bien exact ?
Cette ville , quelque grande qu'on la ſuppoſe,
contenoit-elle en effet 152,000 maiſons
au moins qu'elle devoit avoir eues avant les
incendies , qui en ont , dit-on , brûlé la moitié
? Combien en compte-t-on dans Paris ,
qui , certainement , eſt une auſſi grande
ville ? S'il y a , comme il est vraiſemblable ,
de l'exagération dans ces calculs, il eſt à déſirer
C4
(56 )
1
qu'il y en ait auffi dans ce qu'on dit des
troubles & de l'eſprit de révolte qui règnent
parmi le peuple. Nous nous contenterons
de rapporter ici les détails que l'on en donne
, ſans les garantir ni les combattre.
Depuis fix ſemaines , cette Ville eft le théâtre du
déſordre & de la défolation. Les Incendies réitérés
qui ont eu lieu entre le 16 & le 25 Juillet ,
avoient été des marques trop certaines du mécontentement
des Janiſſaires. Les murmures de ce Corps
éclatèrent dans les premiers jours d'Août par une ſédition
ouverte ; ils ne parloient pas moins que de faire
deſcendre le Grand-Seigneur du Trône; mais la dépofition
de leur Aga qui fut faite ſur-le-champ & le paiement
de leur folde conjurèrent pour le moment l'orage;
on leur diſtribua sooobourſes (environ 2,500,000
écus , & ils ſe retirèrent ſatisfaits. Le 21 Août les
mécontens mirent de nouveau le feu à la Vil'e. L'incendie
a été terrible , il eſt impoſſible de peindre
toute l'horreur du ſpectacle qu'offrent les ruines encore
fumantes; & la détreſſe des infortunés habitans
eſt inexprimable. En attendant les ſéditieux ont rempli
leur voeu. S. H. s'eſt enfin déterminée à éloigner le
Grand- Viſir qu'il aimoit , & qui a été déposé & exilé
àDémotica. Le Tefterdar , le Chiaouxbaſchi & plafieurs
autresGrands ont partagé ſa diſgrace. Malheureuſement
l'eſprit d'Anarchie & de révolte ne règne
pas dans la ſeule Capitale , il eſt général dans les Provinces
; cependant au milieu de cette fermentation intestine
, on demande une guerre étrangère ; les Gens
de Loi ſur-tout font tous leurs efforts poury engager
le Sultan , & quoi qu'elle ne ſoit pas déclarée encore,
on la regarde comme très-prochaine ".
Suivant les lettres de Berlin , le Baron de
Hertzberg , Miniſtre d'Etat , y eſt actuellement
de retour; on dit qu'il a rapporté à
( 17 )
S. M. que moyennant une dépenſe de 60,000
écus , il étoit poſſible de mettre le port de
Schwinemunde en état de recevoir les plus
gros bâtimens . On ajoute que S. M. a propoſé
en conféquence à la Régence de Pomeranie
d'avancer cette ſomme en conſidération des
avantages que cette Province pourroit retirer
de ce port.
>>>On attend avec impatience , écrit- on de Ratis .
bonne , ce qui fera arrêté entre les Catholiques & les
Proceſtans , relativement à la grande diſcuſſion qui
règne dans les Colléges des Comtes de Weftphalie &
de Franconie. Il a paru ici , ily a quelques jours , à ce
ſujet , une brochure dont on a arrêté fur-le- champ la
circulation&dont on a confiqué tous les exemplaires ;
elle a poar titre : Encouragement à la compoſition
des contestations des Comtes , & Obfervations fur
les propofitionsfaites par les Ministres Catholiques
& les Ministres Proteftans <<.
On affure que les Cours de Vienne & de
Dreſde font en négociation pour un traité
d'amitié & de commerce.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Octobre.
La malle arrivée le 23 de New-Yorck ,
à bord de la Liberty ( & non le Lively ) ,
tranſport armé , contenoit des lettres du 20
Août , par leſquelles il paroît que l'eſcadre
Françoiſe a été vue ſur la côte , mais qu'elle
n'a pas tardé à s'en éloigner , ſoit pour aller
ſe réparer à Boſton , ſoit pour effectuer
quelque expédition ſecrette. Le premier
C5
( 8 )
objet paroît le plus vraiſemblable aux Po
litiques , qui fondent leurs conjectures ſur
ce que chacun des vaiſſeaux de M. de Vaudreuil
porte 200 foldats , & fur ce que les
troupes Françoiſes cantonnées dans la Virginie
, viennent de quitter cette province
pour ſe porter dans la partie ſeptentrionale
du continent. Si l'Amiral Pigot s'eſt mis à
la pourſuite de l'eſcadre Françoiſe , nous
ne tarderons point à recevoir des nouvelles
de la plus grande importance ; mais au départ
de la Liberty on n'avoit point encore
entendu parler à New-Yorck de cet Amiral
qui étoit attendu avec impatience. On lit
dans un papier de Philadelphie arrivé avec
la dernière înalle , les feuls détails ſuivans à
ce ſujer.
>> Les vaiſſeaux Anglois qui avoient paſlé is
jours à Wineyard, pour piller le pays , paſsèrent le
20 Juin devant New- Yorck , & avoient enlevé aux
habitans 1500 moutons & environ 200 bêtes à
corne. L'apparition d'une flotte Françoiſe a , dit- on ,
beaucoup accéléré le départ de l'ennemi. Si cela
eſt vrai , nous devons nous attendre à des nouvelles
intéreffantes . - Le premier Août. La nouvelle nous
eſt venue hier de Jerſey , que 3 vaiſſeaux de guerre
Anglois avoient été chaſſes ſur la côte , près de
Shen'sbury , par l'eſcadre Françoiſe; mais nous ne
favons encore ni la date , ni le tems de cet évènement
".
La Cour n'a rien publié des nouvelles
qu'elle a reçues de New-Yorck , à l'exception
d'une lifte des priſes faites par le
Contre-Amiral Digby , depuis le premier
Mai juſqu'au 11 Août , & la lettre.fuivante
( یو )
:
adreſſée à ce Contre-Amiral par le Capiraine
Salter , commandant la frégate la Santa-
Margarita , en date du 18 Août.
ככ J'ai l'honneur de vous informer que le 29
du mois dernier , au point du jour , je donnai chaffe
à une voile que j'apperçus dans la bande du S. E.
Le vent étoit au N. E. quart N. , & le Cap
Henry nous reſtoit alors à l'Oueſt , à la distance
d'environs lieues . M'érant approché à un mille &
demi du vaiſſeau chaffé , je reconnus par les ſignaux
&les manoeuvres qu'il fit , que c'étoit une frégate
Françoiſe , de force égale à nous ; mais m'étant
apperçu que 8 gros vaiſſeaux , dout 2 n'étoient pas
fort éloignés , arrivoient ſur nous à force de voiles
, je virai vent arrière , après avoir pris l'avis
de mes Officiers , & je m'éloignai de la frégate
Françoiſe , & portai au nord , ayant à craindre
tout-a-la-fois & l'ennemi , & d'être jetté à la côte ,
vu la direction du vent qui ſouffloit du large. La
frégate nous donna chaſſe juſqu'à 3 heures aprèsmidi
; alors elle vira de bord & porta à l'Ouest.
Comme nous ne découvrions plus les gros vaifſeaux
de la tête du mât , & que le tems étoit trèsclair
, mes Officiers & mon équipage exprimant
le vif defir qu'ils avoient de combattre la frégate ,
je fis virer de bord & porter ſur elle. Au bout d'un
quart-d'heure , elle vira auſſi de bord & porra fur
nous. As heures les 2 frégates étant à la diſtance
d'une encablure l'une de l'autre , l'ennemi ayant
ſes amures à tribord & nous à babord , il nous
envoya une bordée & vira auſſitôt vent arrière.
Nous attendîmes pour lui ripoſter que l'occaſion
ſe préſentât de l'enfiler pendant qu'il viseroit , ce
que nous exécutâmes avec ſuccès de nos canons
de tribord. Nous nous en approchâmes enſuite inſenſiblement
à la portée du piſtolet , lui préſenrant
notre côté de tribord , nous continuâmes de
c6
1601
nous battre dans cette pofition; le combat fut trèsvifde
part &d'autre & dura une heure un quart. La
frégate Françoiſe amena alors ſon pavillon. C'étoit
l'Amazone de 36 canons ( de 12 & de 6 livres
de baile ) & de 301 hommes d'équipage. Elle étoir
commandée par le Vicomte de Montguiotte , qui
fut tué au commencement de l'action . J'envoyai
un Lieutenant & un tiers de mon équipage pour
l'amariner. Nous fimes tous les efforts poſſibles
pour réparer nos dommages & faire paffer les prifonniers
à notre bord, afin de nous rendre ici le
plutôt poflible & d'éviter les autres vaiſſeaux , qui ,
fuivant le rapport des Officiers François , faiſorent
partie d'une eſcadre de 13 vaiſſeaux de ligne , ſans
compter les frégates ; mais ily eut des délais inévitables
occaſionnés par le manque de chaloupes n'en
ayant qu'une ſeule en état d'être miſe à la mer , ( laque
le tranſporta à notre bord 68 priſonniers , y
compris les Officiers ) & par l'état délabré de
l'Amazone qui avoit perdu ſon grand mât & fon
mât d'artimon auſſi-tôt après avoir amené pavillon.
Nous fûmes obligés de la prendre en remorque pendant
la nuit à cauſe des dommages qu'elle avoit reçus
pendant le combat. Nous mêmes dehors toutes les
voiles que nous pûmes & fîmes route au N. E. dans
l'eſpérance de nous éloigner des autres vaiſſeaux ;
mais au point du jour nous reconnûmes distinctement
toute l'eſcadre Françoiſe qui nous fuivoit forçant
de voile. Je fis revenir auſſi-tôt à bord mes Officiers
& la partie de l'équipage qui étoit paffée ſur
la frégate Françoiſe ; je fis couper le grelin de remorque
& laiſſai dériver ma chaloupe , n'étant pas
en état de la rembarquer , & j'abandonnai la prife
après avoir ordonné de couper le peu qui lui reſtoit
de ſon gréement de l'avant. Si le tems & les circonftances
m'euffent permis de faire paffer à mon bord
tous les prifonniers , j'aurois donné ordre qu'on
mit le feu à la frégate Françoiſe , afin d'empêcher
( 61 )
qu'elle ne fût repriſe par l'ennemi.-Je ne faurois
donner trop d'éloges à la conduite de mes Officiers &
de mon équipage , à raiſon du courage & de l'ardeur
qu'ils ont montrée pendant l'action , & auſſi à raiſon
de l'activité qu'ils ont miſe à réparer les dommages
que nous avions eſſuyés , pour être en état d'échapper
à l'ennemi. Je ne puis en même-tems paſſer ſous
filence la conduite brave & diftinguée du Vicomte
de Montguiotte , lorſqu'il mena ſa frégate au combat.
Après qu'il eut été tué , le Chevalier de l'Epine ,
Capitaine en ſecond, (auquel le commandement étoiť
dévolu ) fit tout ce qu'un Officier expérimenté pouvoit
faire dans ſa poſition ; car ſi l'on confidère qu'il
étoit bleſſé , que tous ſes Officiers , à l'exception
d'un ſeul , & environ la moitié de ſon équipage
étoient tués ou bleſſés , que ſes mats étoient fi endommagés
qu'il devoit s'attendre à chaque inſtant
à les voir tomber à la mer ; fi l'on confidère en
outre que plufieurs de ſes canons étoient démontés ,
& qu'il y avoit quatre pieds d'eau dans le fonds de
calle; j'oſe croire , dis-je , que toutes ces circonstan
ces le juſtifierent aux yeux de ſon Roi & de fa
Patrie , qui reconnoîtront la néceſſité où il étoit de
ſe rendre. Les dommages efſuyés par la frégate
de S. M. & le nombre d'hommes tués &bleflés dans
le combat ne ſont que peu de choſe en comparaiſon
des dommages effuyés par l'ennemi & de ſa perte.
Notre grand mât fat percé par les boulets en plufieurs
endroits ; le mât de miſaine, le grand & le
petit mât de hune & le mât de perroquet de fougue
furent endommagés , ainſi que pluſieurs vergues.
Quelques charges à mitraille ſe logèrent dans notre
doublage de cuivre à fleur d'eau. Nos voiles , nos
manoeuvres courantes & dormantes ( à l'exception
des haubans d'artimon ) ont été entièrement coupées
en pièces. Nous avons eu cinq tués & dix- sept bleffés
pendant le combat : parmi les premiers eſt M.
Dalrymple , jeune homme de beaucoup de mérite,
( 62 )
qui , s'il eût vécu, ſe ſerait diſtingué dans ſon état ;
& parmi les derniers eſt le ſieur Otro , qui a eu le
bras emporté par un boulet. Le nombre des tués à
bord l'Amazone , ſuivant le rapport des Officiers
François , ſe monte à 70 hommes , y compris les
Officiers , & celui des bleſſés à 70 ou 80. La Santa-
Margarita avoit 36 canons & 255 hommes d'équipage.
M. William Dalrymple , Garde-Marine , &
4 matelots ont été tués , un maître d'équipage &
16 matelots bleffés .
Parmi les autres détails qu'offrent les
papiers Américains , nous citerons ceux- ci.
De Boston le 15 Juillet. MM. Balcock , Stoddard
, Woodbury & Tibbers , Capitaines du Héro ,
du Scammel , du Hope , & du Swallow , ayant
réſolu de ſurprendre la ville de Lunebourg , ficuée à
10 lieues à l'ouest de Halifax , ont débarqué le premier
Juiller , à deux milles au-deſſous de la ville ,
avec 90 hommes , commandés par le Lieutenant
Batteman. Ces braves gens ſe rendirent à la ville
avec la plus grande célérité , & malgré les vives
décharges de l'ennemi , ils brûlèrent la maiſon du
Commandant , & le fort qui eft au Nord de la
ville. Ils enclouèrent 2 canons de 24 livres de
balles , & forcèrent l'ennemi à ſe refugier dans la
fort qui eſt au ſud de la ville. Il s'y défendit par
le feu le plus animé , paroiſſant vouloir tenir jafqu'à
la der ière extrémité ; mais quelques coups de
canon de 4 livres de balle , tirés du Héro , les forcèrent
à ſe rendre priſonniers de guerre . Les vainqueurs
commencèrent alors le pillage , vuidèrent les
magaſins , & s'emparèrent d'une quantité confidérable
de denrées & de proviſions de tout genre ,
fans compter 20 poinçons de bon rum d'Amérique,
Sachant que l'ennemi approchoit , le Lieutenant
Batteman fit enclouer 2 pièces de 18 livres de
balle , & embarquer ſur le Scammel tout ce que
1631
ہیل
fes gens avoient pris dans les magaſins du Roi.
D'ailleurs il s'eſt conduit envers les habitans avec la
plus grande honnêteté , il leur a même laiſſé tous
leurs effets . La ville a été taxée à 1000 liv. ſterl.
de rançon , & le Colonel Creighton a été conduit
avec les principaux habitans à bord du Scammel.
Du côté des vrais Enfans de la liberté , il y a
eu 3 hommes bleſſés légèrement & 1 dangereuſement.
Les Partiſans du despotisme ont eu beaucoup
de tués & de bieſſes , ſans qu'on puiſſe en
déterminer le nombre.
> De Philadelphie le premier Août , toute la milice
de la Caroline ſeptentrionale eſt partagée en
claſſes de vingt hommes; chaque claſſe doit fournir
un Soldat continental & l'équiper complettement. Un
certainnombre de claſſes est chargé de fournir des
chariots & des attelages qui doivent être propriétés
continentales. Ces règlemens peuventproduireenviron
1500 Soldats de plus & trois chariots, eu égard aux
déficit qui ne peuvent manquer d'avoir lieu dans un
pays ruiné par l'ennemi qui tout récemment encore y
portoit de toutes parts le ravage & la deſtruction . La
levée des hommes , leur équipage & la fourniture
des tentes coûteront à chaque clafſe au moins 350
dallers. Les frais pour chaque attelage & chariots
complets monteront environ à 100. La dépenſe générale
ſera au moins de 575,000 dollars . -Outre la
ſomme néceſſaire pour l'enrôlement des troupes ,
l'Aſſemblée a ordonné qu'il ſeroit levé pour la préſente
année deux taxes , dont l'une en proviſions &
l'autre en argent. Toutes les terres doivent être eftimées
en argent , ainſi que les beftiaux , eſclaves ,
fonds dans le commerce & voitures . Sur ces articles
les Propriétaires payeront pour le ſervice immédiat
de l'armée unetaxe ennature; ſavoir : bled, froment ,
ris , avoine , ſeigle , farine , ſel & viande ſalée ou
fraîche de boeuf ou de porc. Les habitans de la Caroline
ſeptentrionale payeront auſſi une taxe pécuniaire
( 64 )
,
pour l'objet général d'un revenu. Mais comme dans
un grand nombre d'endroits de cetEtat , il ſeroit impoiſible
de trouver affez d'argent comptant pour le
paiement de cette taxe, il a été réglé que les trois
quarts de la taxe pourroient être payés en tabac
rendu dans un port , en pelleteries , chanvre , cire
porc enbarils , en toile. Ces articles ſont eſtimés ſur
le pied d'environ 25 pour 100 au- deſſous de leur
prix courant , parce qu'il eſt de l'intérêt des habitans
de payer argent comptant lorſqu'ils le pourront.
Il eſt aufli à propos d'obſerver que pendant tout l'hiver&
le printems il s'eſt fait toutes les ſemaines dans
preſque toutes les parties de cet Etat des enlèvemens
conſidérables ou plutôtd'amples contributions de porc
&de gros bétail pour le ſervice de l'armée du Sud.
-Comme le bruit s'eſt répandu que la Caroline ſep.
tentrionale avoit refuſé de fournir ſon contingent
pour les dépenſes de l'armée confédérée nous pouvons
aſſurer le public , d'après la meilleure autorité ,
que cetEtat, dans ſon aſſembléedu mois de Mai dernier
, a donné les preuves les plus évidentes & les
moins équivoques de ſa réſolution à remplir juſqu'au
deraier point les demandes du Congrès autant que
peut le permettre la rareté actuelle des eſpèces dans
ce pays ".
,
Du 3 Août. Il vient d'arriver ici un Particulier
qui eſt parti depuis trois ſemaines du Quartier-Général
du Général Green. Nous apprenons par lui
qu'un Oficier du Général Vayne elt arrivé au camp
du Général Green avec l'agréable nouvelle de
l'évacuation de Savanah par les Anglois ; ſelon les
apparences ils évacueront auſſi Charles-Town ; diverſes
circonstances tendent à confirmer cette opinion
, & les voici : les Négocians de la Ville ont
prié leGénéral Leſlie de leur accorder quelque tems
pour arranger leurs affaires avant le départ de la
garniſon ; les priſonniers Américains ont en la liberté
de quitter la Ville ſur leur parole ; le Major
( 65 )
Skelley , Aide-de-camp du Général Leſlie , après
avoir été pris à bord d'un petit bâtiment de 8 canons
, avec des dépêches pour New- Yorck , a eu la
permilion de ſe rend e à Charles-Town for fa parole
, & de ſon côté M. Pendelton , Chefde Juftice
de la Caroline méridionale , a obtenu celle d'en fortir;
les troupes témoignent la plus grande ardeur dans
le camp de notre brave Général , qui ſe diſpoſoit à
prendreune nouvelle poſition à dix milles de Charles-
Town. Le terrein étoit déjà déſigné , & l'armée devoit
ſe mettre en mouvement le lendemain du départ
du Particulier de qui nous tenons ces nouvelles .
-Un bâtiment de Charles-Town ayant à bord des
prifonniers Américains deſtinés pour la Chéſapéak ,
a été arraiſonné il y a 8 jours à l'entrée de cette
baie ; les gens à bord ont donné les mêmes nouvelles
par rapport à Savanah & à Charles - Towa.
Ils ont dit auſſi que pluſieurs autres bâtimens les
ſuivroient inceſſamment ſur la même route .
Maintenant tous les regards font fixés
ſur les négociations du Chevalier Carleton ;
la poſition de ce Général doit être trèsembarraſſante
, puiſqu'il eſt ſans ceffe occupé
non-ſeulement à faire avorter les
deſſeins de l'ennemi , mais encore à appaiſer
les clameurs des Loyaliſtes. La lettre qu'il
a écrite de concert avec l'Amiral Digby ,
au Général Washington , en leur faiſant
craindre d'être abandonnés à la puiſſance
du Congrès , a répandu le déſordre & la
conſternation dans New-Yorck. Ona affiché
par-tout dans cette ville des libelles & des
paſquinades , & le portrait d'un certain
Miniſtre a été traîné dans les rues , enfuite
brûlé au milieu des clameurs d'une popu(
66 )
lace effrénée. Après tous ces excès les Loya
liſtes & les habitans de New- Yorck ont
déclaré que ſi la Grande- Bretagne les abandonnoit
, ils ſe défendroient contre les armes
du Congrès , & ne tarderoient point
à former un corps impoſant; en effet les
régimens provinciaux ſont portés , dit- on ,
à 20,000 hommes. New-Yorck renferme
10,000 réfugiés , & les 13 Provinces , à ce
qu'on prétend , font remplies de Loyaliſtes.
Mais le Gouvernement , affurent pluſieurs
de ros feuilles , loin d'évacuer New-Yorck
en abandonnant les Loyaliſtes à la puiſſance
du Congrès , eſt déterminé , ſi les Américains
refuſent nos propoſitions de paix , à
continuer la guerre , & à envoyer de nouvelles
troupes pour renforcer les garniſons.
Tous ces bruits inquiètent les vrais patriotes,
qui craignent que le terme tant déſiré
de la paix , auquel nous avons cru toucher ,
ne ſoit encore éloigné , chaque jour faiſant
naître de nouveaux obftacles.
Nos fonds hauflèrent ily a quelques jours
d'une manière affez frappante ſur le bruit
qui ſe répandit de l'arrivée d'un Négociateur
François ; mais depuis leur baiſſe a été
rapide , ſans qu'on ſache poſitivement à
quoi en attribuer la cauſe. Nos papiers fourmillent
à ce ſujet de conjectures & de
ſpéculations trop folles pour être répétées.
Cependant un d'entre eux , le Morning-
Chronicle , rapporte avec tant de confiance
( 67 )
l'article ſuivant , qu'on ne ſauroit le re
jetter.
>> On a reçu à New-Yorck les papiers Américains ,
la veille du jour que le dernier paquebot a mis à la
voile. Ils contiennent cette réponſe faite par le Congrès,
à la lettre des Commiſſaires de la G. B. -Arrêté
, que le Congrès n'a reçu de ſes Miniſtres dans
les Pays étrangers aucune intimation ſemblable à
celle qui lui a été faite & qu'il regarde comme infidieuſe.
En conféquence , il invite les Etats-Unis à
faire un nouvel effort pour chaſſer du Continent les
troupes du Roi & les Loyaliſtes . -Le Lord Shelburne
, ajoute le Morning Chronicle a déclaré
que les conditions offertes par MM. Carleton &
Digby n'étoient ni de ſa connoiſſance ni de fon
aveu. Il eſt certain qu'elles portent le cachet de
l'Adminiſtration précédente ".
Tous ceux qui ſuivent avec intérêt les
révolutions de l'Etat , attendent avec anxiété
l'ouverture de la prochaine ſéance du
Parlement ; & il eſt conſtant que ce n'eſt
qu'à cette époque qu'on pourra affeoir un
jugement certain ſur la tournure que vont
prendre nos affaires , & fur les diſpoſitions
du Gouvernement. Tout ce que diſent nos
papiers , relativement à l'Amérique , ſe réduit
à ceci.
Le Gouverneur Franklin , arrivé dernièrement de
New-Yorck , a eu hier une longue conférence avec
le Roi , au ſujet des affaires d'Amérique , & il a remis
à S. M. les adreſſes des Loyaliſtes de New-
Yorck. Il a eu auſſi divers entretiens particuliers
avec les Miniſtres du Roi , & l'on affure qu'il affiltera
à un Conſeil extraordinaire , qui ſe tiendra excluſivement
ſur les affaires de l'Amérique.
On dit que le 19 il a été décidé au Conſeil de
( 68 )
dreffer une Commiſſion ſcelléedugrand ſceau de la
G. B. , par laquelle on donnera des pleins pouvoirs
au Chevalier Carleton & à l'Amiral Digby , pour
conclure la paix avec l'Amérique , ſur le pied de
l'Indépendance , ou ſéparément avec quelques-unes
des Provinces , ou avec différentes corporations. On
ajoute que cette Commiſſion a été envoyée au Chancelier
, qui l'a renvoyée à Londres le 23 au foir.
Elle ſera expédiée pour New- Yorck avec la plus
grande diligence.
Par les inſtructions que l'on enverra en Amérique
, les Loyaliſtes ne ſeront point livrés au pouvoir
du Congrès ; & s'ils ne ſont point réintégrés
dans leurs poffeffions , ils ſeront traités comme une
corporation particulière , & foutenus dans leurs prétentions.
Un des papiers du ſoir annonce qu'on a ſcellé à
la Chancellerie , une Commiſſion ſignée par S. M. ,
qui nomme M. Oswald , Commiſſaire , pour negocier
la paix avec les Treize Etats-Unis d'Amérique.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck , le
Capitaine Aſgill étoit en très-mauvaiſe ſanté, par
les fuites d'une maladie épidémique. Cet Officier
étoit encore détenu le 18 Août.
La Nation défire généralement la paix ,
chacun la croit d'une néceſſité urgente ;
mais nos finances ſont dans un état fi
effrayant , que l'on craint que cet évènement
même ne puifle nous retirer de l'abîme
, en rendant la dette nationale moins
onéreuſe , ou en la faiſant baiffer ; car il
eſt incontestable que depuis 92 ans , nous
avons eu exactement autant d'années de
guerre que de paix.
La guerre de la révolution aduré depuis Ann.
1688 , juſqu'en 1696 , incluſivement •
و
( 69 )
La guerre de la Succeffion, depuis 1702 ,
juſqu'en 1713
La guerre cor tre l'Eſpagne & la France ,
depuis 1739 , juſqu'en 1748
1763 .
La dernière guerre , depuis 1755 , juſqu'en
La guerre actuelle , depuis 1775 , juſqu'en
1782
Total des années , depuis la première époque
,juſqu'à la préſente •
Total des années de guerre
Total des années de paix •
11
10
8
8
92
45
46
Il eſt donc évident , d'après ce calcul , que nous
avons eu ( & probablement aurons toujours) autant
d'années de guerre que de paix , & comme , dans
une ſeule année de guerre , nous empruntons plus
d'argent que nous n'en pouvons rembourſer en dix
années de paix , il eſt aſſez clair que la dette nationale
doit continuer de s'accroître. Le Lord North a acquitté
neuf millions de notre dette pendant la paix ,
&il a emprunté treize millions pour faire face aux
ſeules dépenſes de l'année actuelle. Une telle diſproportion
, entre les dettes acquittées & les destes contractées
, épuiſeroit les moyens de toutes les Puiſſances
de l'Europe réunies.
» Le Comte de Shelburne , dit à cette occafion
in autre papier , compte fort pen ſur la proximité
de la paix , c'eſt ce que l'on croit appercevoir dans
ſon activité à travailler aux moyens de ſubvenir aux
dépenſes d'une campagne vigoureuſe pour l'année
prochaine. Il ſe propoſe de lever les ſubſides néceffaires
, même avant la fin de l'année , & fans
recourir à un emprunt , en impoſant un 10e pour
cent fur tous les revenus nets , ſoit en terre , commerce
, fonds capitaux , manufactures , main-d'oeavre
, hypothèques ou penſions. En ne portant le
revenu annuel de tous ces objets qu'à sent millions
(70 )
fterling , cela fait 12 millions d'intérêt net à re
pour cent ; ce qui , avec les revenus ordonnés , formera
une mafle conſidérable , qui mettra l'Angleterre
en état de continuer encore une guerre , dont
le terme , après tout , doit être l'épuiſement de la
Nation , tant en individus qu'en richeſſes " .
Cet arrangement ne paroît avoir aucun
fondement ; d'abord il reſte encore plus
de 6 millions ſterling du dernier emprunt
dont les fonds ſont à fournir pour le 16
Novembre prochain ; & enſuite peut - on
lever une impofition ſur les fonds publics ,
lorſque le Parlement s'eſt ſolemnellement
engagé à les en exempter.
On est toujours ici dans l'attente des nouvelles
de l'expédition de l'Amiral Howe. On
n'en a de ſon eſcadre que juſqu'au 16 de ce
mois; ellesont été apportées par les vaiſſeaux
qui en ont été ſéparés ; & cela a confirmé ce
que nous craignons , qu'elle n'ait beaucoup
fouffert des mauvais tems. On fait que les
vents ont été très-contraires depuis cetre
époque , & on n'eſt pas ſans inquiétude
fur les obſtacles qu'ils ont pu apporter à
ſa marche. S'il a pu la continuer ſans que
ſes convois ſe ſoient diſperſés , il ne doit
pas à cette époque tarder à arriver à ſa
deſtination. Nos papiers ne diſent plus qu'il
ne trouvera pas l'armée combinée ; on fait
qu'elle eſt dans la baie d'Algéſiras ; mais ils
n'en annoncent pas moins de grands ſuccès
pour notre Amiral. Ils ont ſoin de diminuer
la force de l'ennemi , en peignant ſes vaif(
71 )
feaux dans un état ſi mauvais , qu'ils ne
peuvent être de grand ſervice. A ce tableau
on oppoſe celui de notre eſcadre , qu'on
dit être la plus belle & la mieux équipée qui
foit fortie de nos posts ; il n'y a pas un
vaiſſeau , diſent - ils , qui ne foit dans le
meilleur état. Mais on oublie que parmi
ces vaiſſeaux , il y en a de très- vieux , tels
que le Blenheim,de 90 canons ; le Cambridge,
le Royal William , de $ 4 , & c. Ces vaifſeaux
ne font pas meilleurs que le Royal-
George , qui vient de couler bas ; la dépoſition
de l'Amiral Barrington , au ſujet de ce
vaiſſeau , doit faire trembler pour les autres.
Lorſqu'on le répara la dernière fois à Plymouth
, il dit au Charpentier qu'il ne
croyoit pas qu'ils puſſent parvenir à le
mettre en état de ſervir. Leur réponſe fut
qu'on leur avoit ordonné de le réparer commeon
pourroit pour l'éré, après quoi il ſeroit
condamné. L'Amiral répliqua : à la bonneheure
, s'il n'en arrive point de malheur
mais le bois en eſt très - pourri. Plufieurs
Officiers prétendent que le Blenheim , le
Cambridge , & le Royal-William , ne valent
pas mieux. De pareils vaiſſeaux ne
font pas une grande force dans une eſcadre
, & cette armée combinée , qu'on dit
en ſi mauvais état , n'en a point d'auſſi
vieux.
Quant aux nouvelles de Gibraltar on
dit qu'il en eſt arrivé ; mais elles ſont encore
du commencement de ce mois , & ne
172 )
peuvent par conféquent nous informer que
des difpofitions de défenſe. Le Général
Elliot s'attendoit , dit- on , à un aflaut le
10 de ce mois , & il ſe flattoit de repouffer
l'ennemi ; mais comme il ſavoit que cetre
attaque lui coûteroit une grande partie de
ſes munitions , il craignoit d'être dans le
cas de manquer bientôt de poudre , fi le
Lord Howe ne lui en apportoit pas une
nouvelle proviſion. Cet Amiral en conduit
une grande quantité ; il s'agit maintenant
de ſavoir s'il arrivera , & s'il pourra
exécuter ſa miſſion. C'eſt de cette expédition
que paroît à préſent dépendre le
fort de cette Place , que la nature a rendue
d'une attaque difficile , & que l'art à
ſu ſeconder depuis. Nos papiers nous donnent
les meilleures eſpérances ; c'eſt au
tems à les réaliſer ; il ne fauroit être éloigné.
Ils les regardent déja comme une affaire
faite ,&ils annoncent que l'Amiral ne s'arrêtera
à Gibraltar que le tems néceſſaire pour
débarquer les troupes & décharger les bâtimens
imunitionnaires ; après cela , ila , diton
, le deffein de protéger nos flottes , d'intercepter
celles de l'ennemi , & d'exécuter
encore une expédition ſecrette. Voilà bien
de l'ouvrage ; on ſera heureux s'il en fait
ſeulement une partie.
Deux des bâtimens arrivés de la Baltique
& chargés de mats , ont ordre de ſe
rendre aux Iſles ſans débarquer leur cargai-
: fon,
( 73)
Ton ; ils appareilleront avec le prochain
convoi .
L'Anfon , de 64 canons , Capitaine Rodney,
eſt arrivé de la Jamaïque à Portsmouth.
Il étoit parti le 26 Juillet avec l'Amiral Rodney
, dont il s'eſt ſéparé à la hauteur des.
Açores. Ce vaiſſeau , de conſerve avec la
Résolution , de 74 , parti de la Jamaïque
en même-tems , a rencontré & pris trois
bâtimens. Ces priſes ne ſont point encore
arrivées ; mais on les attend d'un moment
à l'autre ſous le convoi de la Résolution.
On a reçu avis de Bristol , que la Belle
Poule , venant de Corke , étoit arrivée à
Kings- Road , avec des tranſports qui ont à
•bord trois régimens de foldats , faiſant
partie des sooo hommes accordés par l'Irlande.
Ils alloient à Portsmouth ; mais le
vent contraire les a forcés de remonter le
canal de Briſtol. Ces troupes ſeront embarquées
ſur les bâtimens Marchands qu'on
raffemble aujourd'hui à Portsmouth, pour
fortir avec le convoi des Ifles .
Un papier det foir dit que le Lord Rodney
eft entré auComeil de S. M.
:
FRANCE.
De PARIS , le 8 Octobre.
On débitoit il y a quelques jours comme
une choſe fort extraordinaire & preſqu'incroyable
, que le Rainbow qui a pris la
frégate l'Hébé , l'avoit attaquée avec des
canons de 68 livres de balles deſtinés pour
12 Octobre 1782 .
d
( 74 )
Gibraltar. Le Rainbow n'étant que de 46
canons , & un vieux vaiſſeau , on rejettoit
bien loin l'idée qu'il pût faire uſage de
pièces de ce calibre. Aujourd'hui le fait eſt
conftaté par les certificats envoyés au Miniſtre
de la Marine par le Chevalier de Vigny
, commandant l'Hébé , certificats ſignés
par fon Etat Major , ſon équipage , & par
le Capitaine Trollope , commandant le
Rainbow ; ce vaiſſeau avoit 20 canons
de 68 livres , 20 de 42 & 6 de 32. On
dit que ces canons de nouvelle invention
font fort courts , &qu'un seul homme peut
les pointer au moyen d'une méchanique
adaptée à cet effer. Ce qu'il y a de plus
extraordinaire , c'eſt que juſqu'ici ces
eſpèces de carronades ne portoient pas bien
loin , & M. de Vigny écrit que dans ſaretraite
, ſes canons de 18 n'atteignoient pas
l'ennemi , tandis que les boulets de 68
tomboient à ſon bord. Ayant eu la barre
de ſon gouvernail coupée , & ſe trouvant
entièrement déſemparé & fans aucun eſpoir
d'échapper aux forces ſupérieures auxquelles
il avoit affaire , il amena ſon pavillon. L'article
ſuivant tiré d'un papier Anglois , intitulé
: The Exeterflying post , vient à l'appui
de ces détails.
>> Dimanche 8 du courant , ( Septembre ) eft
arrivée à Portsmouth l'Hébé , frégare Françoife. de
38 canons , dont 26 de 18 livres , commandée par
le Chevalier de Vigny , priſe par le vaiſſeau de S. M.
le Rainbow , de so canons , dont 20 de 68 , &
le reſte de 42 & de 32. L'Hébé alloit de St-Malo
( 75 )
àBreſt pour ſe faire doubler en cuivre , ( étant
tonte Reave ) & avoit avec elle un convoi chargé
de munitions navales , qui s'eſt échappé fain &
Lauf«.
On est toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; les bruits qui ſe ſont répandus
à diverſes repriſes ſe renouvellent ,
& on ne doute pas qu'ils ne ſe confirinent
enfin tôt ou tard. Celui de la priſe de Madras
vient aujourd'hui de tous les côtés ;
fans qu'en fache trop qui l'a apporté ,
quoique cette nouvelle ne ſoit pas officielle ,
il paroît qu'on y ajoute foi ; & elle eſt du
moins très-vraiſemblable. Le Pérou , navire
de M. de Monthieu , arrivé comme on l'a
dit à Vigo , n'a rien apporté. Il avoit quitté
Tifle de Bourbon le 4 Avril , à cette époque
on n'y ſavoit rien des opérations de
notre flotte dans l'Inde.
>> Le vailleau la Provence & la frégate la Vénus
écrit - on de Brest , viennent de paſſer en rade.
La Provence eſt commandée par M. de la Roque.
Le commandement des autres vaiſſeaux
dont l'armement eſt bientôt fioi , a été donné
ſavoir , celui du Conquérant à M. de la Galiſionière
, la Victoire à M. de Marigny , le Diadémé
à M. de Vidal , le Destin à M. d: Flottes , & le
Réfléchi à M. le Chevalier de Ventimille..-
construction de nos vaiſſeaux ne peut être poufiée
avec plus d'activité , & avant la fin de l'année , il
en fortira de tès beaux de notre port «.
La
On écrit de Toulon que les 35 bâtimens
qu'on a frétés dans les ports voiſins de ce
département , pour être chargés de nunitions
de guerre & de bouche , étoient tous
d2
( 76 )
rendus devant l'arſenal le 22 du mois dernier
, & qu'on s'occupoit à les charger avec
célérité. Leur deſtination étoit toujours pour
Cadíx , où ils recevront ordre d'attendre les
vailleaux François qui doivent partir de
Breft pour ſe joindre à l'armée combinée ;
ils verferont ſur ces vaiſſeaux les vivres &
les munitions dont ils pourront avoir be
foin en arrivant à Cadix .
Les nouvelles apportées du camp devant
Gibraltar par les Couriers qui en ſont partis
le 17 , ont rectifié quelques-uns des dérails
reçus précédemment , & en ont confirmé
les principaux. Les trois batteries
principales auxquelles les Anglois mirent
le feu le 13 , étoient commandées par M.
le Prince de Naſſau , M. de Moreno &
M. de Langara. Les ſept autres étoient
moins atteintes; mais lorſque l'on ſe détermina
à les abandonner pendant la nuit ,
on y mit le feu , & elles ſauterent le lendemain,
Les chaloupes de l'armée combinée
ſauvèrent la plus grande partie des équipages;
la plus grande perte vient de l'activité
avec laquelle ils ſe précipitèrent. Les
Anglois en ont ſauvé pluſieurs ; l'état que
le Général Elliot envoya le 15 an Duc de
Crillon , étoit de 335 priſonniers faits à cette
occaſion; il y avoit dans ce nombre 27 bleffés
dont il promettait d'avoir ſoin comme des
fiens.
» La Gazette de Madrid du 24 a donné la relation
des journées du 13 & du 14 Septembre ,
les détails en ſont conformes à ceux que nous avons
( 77 )
déja donnés. Elle compte dans les troupes Elpas
gnoles 41 hommes tués, 102 bleſſes grièvement ,
100 légèrement, 281 prifonniers & 94 égarés ; parmi
les François 45 tués , 34 bleſſés , II priſonniers
& 11 égarés. Le Capitaine D. Leon de Haro , de
P'artilleerriiee Eſpagnole,M. de Berard , Capitaine du
régiment de Bretagne , & M. Kilies , Capitaine da
régiment de Bouillon, font les ſeals Officiers tués.
M. de Langara, commandant la batterie flottante la
Paula , est le ſeul Officier de marque bleſfé. Parmi
les égarés , pluſieurs font revenus à Algéfras «
Depuis ce Courier il en eſt arrivé un
autre parti du camp le 22. Le fiége ſe continue
, les batteries de terre font un feu
épouvantable , auquel l'ennemi ne répond
pas. Les priſonniers qui ſont revenus au
camp affurent qu'il ne inanque d'aucune
proviſion. L'armée combinée alloit mettre
à la voile pour aller au-devant de l'Amiral
Howe. En reſtant dans la baie elle n'auroit
pas pu empêcher le ravitaillement ſi le vent
avoit tourné à l'Ouest àà l'approche de l'ef
cadre Angloiſe.
C'eſt le fort qu'aura l'entrepriſe du Lord
Howe qui décidéra de celui de Gibraltar ;
nous ignorons ce que cet Amiral eſt des
venu depuis le 16. Il eſt certain que pluſieurs
de fes tranſports avoient été alors
très- maltraités ; mais c'eſt le lendemain &
les jours ſuivans juſqu'au 22 que les coups
de vent ont été terribles , & ont dû les
fatiguer encore prodigieuſement. S'il a pu
parvenir à dépaſſer le Cap Finiſtere le 25 &
le 29 qu'il eut 48 heures de bon vent , nous
1
d3
8.4 MERCURE
jette dans la Meurthe , peut aider cette communica
tion&par- là encore celle de la Sarre à la Meurthe.
Cettejonction nous eſt donc préſentée par M. de
Biliſtein non-ſeulement comme probable , mais encore
comme très - praticable , & devant être la continuité
d'une grande navigation qui intéreſſe en général
le Royaume; je n'ai pas hésité de me décider
pour ce dernier ſeuil, qui va droit au but principal ,
Strasbourg. Voici ce que j'en dis en parlant de l'Alface,
pag. 80 de mon Ouvrage , qu'il ne manqueroit
plus à cette Province, au moyen des communications
ouvertes à la Lorraine vers la Capitale & les
Ports du Royaume , que d'établir celle de la Brusch
aveclaMeurthe par un canal dérivé de cette première
du côté de Salm,pour aboutir à la dernièrepar
la Vefouze au-deſſous & près de Lunéville. Cette
fimple indication d'une partie du ſeuil du côté de la
Meurthe , fans défigner précisément la partiedepuis
la Bruſch juſqu'à la Vefouze , ne pouvoit pas fournir
matière à une critique raisonnable, parce qu'il faut
néceſſairement connoître tout un plan pour le diſcuter
pertinemment; cependant M. de Fourcroix n'a
pas laiflé que de condamner le mien au fujet de
cette communication , quoiqu'il n'en connût que
très- imparfaitement une partie.
D'ailleurs , eſt ce avec des conjectures , des
affertions hafardées , des notions priſes ſur la Carte
de l'Académie,que ce Militaire dit être encore moins
exacte dans les montagnes qu'ailleurs , qu'il a prétendu
démontrer l'impoſſibilité de cette jonction par
la Veſouze , & que vous avez pu , Monfieur , affirmer
que cette critique étoit judicieuſe ? C'eſt avancer
des faits dont on n'a aucune certitude ; car vous
n'avez , non plus que M. de Fourcroix , envoyé
des gens experts dans les Mathématiques , l'Hydraulique
& les Nivellemens , le graphomètre , le com
pas, la toiſe, le jallon à la main , pour vérifier les
DE FRANCE. 85
points indiqués , & fixer ceux qui rendent l'exécution
praticable , la ſeule autorité avec laquelle vous
auriez pu raiſonnablement attaquer mon affertion;
c'eſt avec des faits authentiques que l'on combat
les opinions d'autrui , & non avec des conjectures
qui ne décident rien.
Je vais , Monfieur , vous démontrer la probabilité
de pouvoir opérer la jonction de la Bruſch avec
la Meurthe par la Veſouze. J'ai dit qu'on le pouvoit
du côté de Salm , ſans ajouter que cela ſe pût
directement par la Veſouze ; ainfi , quand M. de
Fourcroix a cru en avoir reconnu l'impoſſibilité
directement par la haute Veſouze ou par ſes affluens
de la rive gauche , pourquoi ne pas daigner jeter les
yeux fur ceux de la rive droite qui avoiſinent les
caux de la Sarre , nº . 142 de la Carte qu'il cite , &
en même - temps ſur des affluens de la Bruſch ,
n° . 162 ibid. qu'il cite auſſi ; alors il auroit certainement
vu la probabilité de pouvoir l'opérer nonſeulement
par la Sarre & la Veſouze , mais encore
par cette première & le Sanon , autre affluent de la
Meurthe, priſe du bout de l'étang de Richecourt à
celui de Ketzin, d'où fort un raiſſeau qui tombe
dans la Sarre. On le peut encore par la Seille , un
des affluens de la Moſelle , au moyen de pluſieurs
étangs ou lacs qui ſont entre Dieuze & la Sarre , à
une très petite diſtance les uns des autres ; & en
dérivant enſuite de la Seille au point de Nommeny ,
un Canal d'une lieue & demie ou environ pour
aboutir à la Moſeile à Pont-à-Mouffon , on mettroit
cette grande navigation preſque en droite
ligne vers les communications projetées pour joindre
la Saône , la Marne , la Seine & l'Eſcaut ; ce
ſeuil paroît d'autant plus avantageux , que la Seille
a été rendue navigable (1 ) juſqu'à Dietize ; mais 11
(1) On ne doit point à ce ſujet avoir égard à la Caste
86
MERCURE
:
fixons - nous au ſeuil critiqué de la Veſouze.
Aniderhoff eſt un vallon ſur la rive gauche de
la Sarre, par lequel il paroît facile de diriger un
Canal , foit vers le ruiſſeau d'Herbas , ſoit vers
l'étang où prend naiſſance le ruiſſeau de Richeval ,
deux des affluens de la Veſouze ; la diſtance de leurs
eaux de celles de la Sarre n'eſt que de trois cent
toifes , nº . 142 de la Carte citée par M. de Fourcroix.
Voilà certainement une très grande probabilité
de pouvoir opérer la communication par la
Vefouze de la Meurthe avec la Sarre , par laquelle
on parvient au point de partage. Il s'agit mainte
nant de voir s'il y a de la probabilité à pouvoir
établir la communication de la Bruſch avec la
Sarre.
Sur les confins du comté de Salm , du pays Meffin
& de la Province d'Alface , dans les bois de
Saint-Quirin , au Sud -Oueſt des maiſons des
Gardes , nº . 162 de la Carte citée par M. de Fourcroix
, eſt un ruiſſeau affez confidérable , dont la
fource n'eſt éloignée de celles de la Sarre & de la
Zorne , affluent de cette première , que de trois
cent cinquante toiſes , & qui ſe jetre dans la Brufch
à Netzembach , à quatre mille toiſes ſeulement de
la Sarre & de la Zorne , & à huit mile quatre
cent toiſes de Molsheim , d'où la Bruſch eft navigable
juſqu'à Strasbourg au moyen d'un Canal dequatre
lieues , de vingt-quatre pieds de largeur , fur
huit de profondeur, conftruit ſous Louis XIV.
Dans le même canton , nº ibid de la Carte, eft
un ſecond ruiffeau un peu plus au Nord & plus
confidérable que le premier,qui prend ſa ſource à
l'Ouest du Château de la Muraille , à quatre cent
des rivières qui indique le contraire , & qui est généralement
infidelle ſur ces indications, ainſi qu'il eſt facile de
s'en convaincre.
DE FRANCE. 87
toiſes ſeulement des ſources de la Zorne , & qui ,
groffi dans ſon cours de pluſieurs autres ruiſſeaux
tombe dans la Bruſch à Nider- Hatlach , à quatre
mille toiſes environ de la première , & pas plus de
quatre mille neuf cent toiſes de Molsheim , où l'on
trouve le Canal de ce nom ; de manière qu'à partir
du point de partage entre les ſources de la Zorne &
celles de ce dernier affluent de la Bruſch , il n'y auroit
que huit mille neuf cent toiſes environ de
canal à faire pour joindre celui de Molsheim , beaucoup
moins que par le premier affluent ; ainfi , on
ne peut diſconvenir qu'il n'y ait auſſi la plus grande
probabilité de pouvoir établir la communication de
la Bruſch avec la Sarre , & que ces deux ruiſſeaux ne
paroiſſent plus convenables à tous égards pour opérer
entièrement la jonction de la Bruſch avec la
Meurthe , que celui qui avoiſine la plaine & qui
tombe dans la haute Bruſch à Schirmeck , dont
parle M. de Fourcroix pour cette opération. Ce ne
peut être que par l'un ou l'autre de ces deux ruiſſeaux
que M. de Biliſtein a entendu établir la communication
de la Bruſch avec la Sarre , & de celle - ci communiquer
à la Veſouze. Il n'y a donc rien d'étonnant
que j'aie dit que cela ſe pouvoit du côté de
Salm, puiſque les ſources de la Sarre , de la Zorne
&des deux affluens de la Bruſch dont il s'agit ,
avoiſinent ce comté.
Iln'eſt plus queſtion que d'examiner la probabilité
du magaſin d'eau néceſſaire au point de partage
pour fournir au Canal des deux côtés . On vient de
voir que dans les bois de Saint-Quirin & aux environs
, nº. 162 de la Carte , les fources de la Sarre,
celles de la Zorne & des deux affluens que nous avons
adoptés pour opérer cette importante communication,
ſe touchent preſque, ce qui annonce une abondance
d'eau à ce point de partage. Voilà donc une
88 MERCURE
très -grande probabilité de la quantité d'eau fuffifanite
pour alimenter cette navigation.
La hauteur des vauges (1 ) au point de Sainte-
Marie - les - Mines , n ° . 163 de la Carte , objection
que nous fait M. de Fourcroix , on ne peut en tirer
aucune conféquence pour la hauteur que peuvent
avoir celles dans leſquelles nous indiquons la communication
de la Meurthe avec la Bruſch ,
nos 142 & 162 de la Carte, qui ſont à huit lizues
&demie de diſtance des vauges de Sainte-Marieles-
Mines. Dans les chaînes de montagnes de tous
les pays, il y a des inégalités conſidérables & même
des interruptions qui ſuccèdent ſouvent aux parties
les plus élevées , laiſſant au bas de la montagne un
paſſage libre au cours des eaux , & la facilité de
pratiquer des routes peu au-deſſus du niveau du
plat pays : d'ailleurs , les rivières naiſſent-elles préciſément
aux ſommets des montagnes pour y défignerun
point de partage , & de-la fixer la pente
que l'on a à racheter dans la longueur d'un canal ?
Qu'a encore de commun avec un canal , que trois
pieds de pente aux eaux courantes en forment un
torrent , lorſqu'il n'eſt point queſtion de rendre une
rivière navigable de ſon fond ,& qu'il ne s'agit que
de la conſtruction d'un canal où l'on rachette aifément
,par des écluſes , la pente qui peut s'y trouver ?
Cequi prouve toujours plus , que cette critique &
votre ſanction ne ſont étayées que de conjectures
& d'affertions haſardées , c'eſt que Murzig n'eſt
pointà-peu-près au niveau de Strasbourg , comme
le dit M. de Fourcroix , aſſertion que vous rapportez
, puiſque Molsheim , qui eft neuf cent toiſes environ
au-deſſous de Mutzig, eſt plus de quatrevingt-
quatre pieds au - deſſus du niveau de cette
-
(1 ) Sept cent pieds au deſſus du niveau de Strasbourg
fuivant l'Abbé Chappe.
DE FRANCE. 89
Capitale, comme le prouve le rachat de quatrevingt
- quatre pieds de pente par des écluſes an
canal de Molsheim. ( Buſching , Tome IV, p. 439 ) .
Je crois , Monfieur , que vous devez être pleinement
convaincu de votretrop d'empreſſement à dire que
la critique de M. de Fourcroix étoit judicieuſe ,
d'autant plus que ſi elle l'étoit à mon égard , elle le
ſeroitde même à votre ſujet , relativement à pluſieurs
opérations que vous indiquez , dont la poſſibilité
n'eft érayée que des mêmes autorités que j'ai
employées pour faire croire praticable non-feulement
la communication de la Bruſch avec la Meurthe,
mais encore quantité d'autres opérations.
Au reſte , il est bien étonnant qu'au lieu de
daigner faire connoître au Public les objets que
vous lui avez annoncés dans cette occafion , entr'autres
, l'intéreſſant Mémoire de M. de Vauban , vous
ne vous ſoyez attaché qu'à rapporter en entier la
critique de la communication de la Bruſch avec la
Meurthe : quels que foient les motifs de cette prédilection,
ils devoient céder à l'intérêt qu'avoit le
Public dans l'Extrait de ce premier Mémoire. Si la
critique à laquelle il a donné lieu avoit pu bleffer
mon amour - propre , j'aurois été amplement dédommagé
en reconnoiſſant mes moyens pour l'extenfion
de la Navigation intérieure , dans ceux du grand
Vauban !
J'ai l'honneur d'être , &c.
ALLEMAND , de l' Académie de Marseille,
Confervateur général de la Navigation
intérieure , ancien Confervateur des
Forêts de l'Iſte de Corse.
१० MERCURE
PROSPECTUS .
ESSAI ſur l'Art de vérifier les Miniatures peintes
dans des Manuscrits depuis le quatorzième jufqu'au
dix -Septième fiècle incluſivement , de comparer
leurs différens styles & degrés de beautés , &
dedéterminer une partie de la valeur des Manuscrits
qu'elles enrichiffent.
T
EL eſt le titre d'un in -folio orné de vingt- fix
• Planches gravées au ſimple trait , imprimées en
>> encre foible , & peintes en or & en couleurs, de la
ספ manière la plus reflemblante à autant de minia-
» tures que M. l'Abbé Rive a choiſies dans diffé-
>> rens Manufcrits exécutés avec la plus grande magnificence
en Europe , pour divers Souverains ou
> très - hauts & très-puiſſans Seigneurs , dans les
> quatorzième , quinzième , ſeizième&dix - ſeptième
>> fiècles: >> tel eſt , diſons-nous , le titre d'un Ouvrage
eſſentiel & lumineux dont M. l'Abbé Rive
vient de publier le Proſpectus.
Cet Ouvrage remplira certainement tout ce que
le Profpectus annonce , & tout ce que ſon titre
promet. L'érudition immenſe de ſon Auteur &
ſon exactitude ſcrupuleuſe , le choix de ſes auto-
-rités ſont des garans plus que capables de nous
donner des eſpérances . Ce Recueil, dont le genre
étoit juſqu'aujourd'hui parfaitement inconnu , nous
eſt néceſſaire. Il nous importe ſans doute de
n'être point la dupe du charlataniſme des vendeurs
de manufcrits prétendus originaux. Il nous importe
de tenir dans nos mains le cachet de chaque ſiècle ,
&de pouvoir en reconnoître l'empreinte dans tous
les manufcrits qu'on nous préſentera. On fent que
DE FRANCE وا
fans des ſecours nombreux & une connoiſſance bibliographique
très-étendue, il eſt impoffible d'avoir
ce cacher. M. l'Abbé Rive a ſu le trouver , & vient
de nous le préſenter. Ace mérite, le nouveau Recueil
enjoint un autre qui ſera aiſément apperçu. Il nous
offre la parure , le vêtement de quatre fiècles , &
nous montre quels étoient leurs goûts dominans. Sous
ce point de vue ſon travail devient encore plus précieux;
il fournit un ſupplément aux monumens de la
Monarchie Françoiſe du Père Montfaucon. L'Auteur
répond d'avance à la queſtion qu'on pourroit
lui faire , pourquoi il n'a pas remonté plus haut ?
Les miniatures , dit-il,font affreuſesdepuis le dixième
juſqu'au quatorzième ſiècle. On peut l'en croire. Les
Savans ne pourront qu'être fatisfaits d'appercevoir
dans cette Hiſtoire abrégée,une aſſociation ſuivie de
la Peinture & la Calligraphie ( ou Art d'écrire les
manufcrits ) depuis Varron, le plus ſavant des Romains
juſqu'à nous. Cet abrégé eſt neuf,& doit être
aufli intéreſſant que curieux,
L'exécution de cet Ouvrage ſera très-ſoignée , &
réunira la beauté du papier , la beauté des caractères
à la fidélité & à la pureté des Gravures. L'Auteur a
choiſi parmi plus de douze mille miniatures les vingtfix
dont il donne les copies. Sa Collection doit l'emporter
ſur le Recueil de Montfaucon par le choix
des miniatures , la variété des ſujets , leurs oppofi
tions de ſiècles, de ſtyles & de coſtumes , & fur
les plus beaux manufcrits qu'on conſerve en Europe
. Ce Recueil doit contenir une balance bibliopolique
qui apprendra à estimer , dit M. l'Abbé Rive ,
lesurplus de lavaleur que des miniatures ſemblables
àcelles quiy sont gravées donnent aux manuscrits
qu'elles embelliffent . Ce Livre ſera un monument de
Bibliothèque pour les Souverains & les Amateurs qui
ſepiquentde pofféder des curioſités calligraphiques
d'ungenre unique , & un manuel pour les Libraires
92 MERCURE
qui defirent s'inſtruire de la valeur des manufcrits
ornés de miniatures qui leur toinbent ſous la main.
L'Auteur promet de donner deux deſcriptions des
manuſcrits dont il a emprunté ſes Planches. L'une,
qu'il appelle calligraphique , expoſera la manière
dont chacun d'eux est calligraphié ; l'autre , à laquelle
il donne le nom de bibliographique , en détaillera
le contenu . Cette manière de décrire les Livres ,
foit manuscrits , ſoit imprimés , eſt neuve & de la
plus grande utilité.
Conditions de la Souſcription.
Il n'y aura que quatre-vingt Exemplaires de ce
Recueil. M. l'Abbé Rive promet à ſes Souſcripteurs
de n'enpas tirer un plus grand nombre , & de ne
jamais en faire une ſeconde Édition. La manière
avec laquelle il contracte cet engagement eſt digne
d'être rapportée. Pour conſtater , dit - il , e qu'il n'y
>> en aura que quatre- vingt Exemplaires , &détruire
tout ſoupçon de fraude dans l'eſprit du Public ,
>> j'écrirai à la fin de chaque Exemplaire 1 , 2 , 3
(juſqu'au quatre- vingt incluſivement ) . Exem-
>> plaire délivré à M.... tel jour & tel mois. J'ac-
>> compagnerai ce certificat de ma fignature. On
* ne verra aucun Exemplaire fans ce certificat , ou
>> dont le numéro ſoit double & excède le nombre
>> auquelj'ai fixé mon tirage. Je ne ferai jamais
>> aucune autre Édition du même Ouvrage ; c'eſt
>> un engagement ſacré que je contracte avec le
Public; par-là , il n'y a aucun Gouvernement qui
>> n'ait le droit de prohiber la réimpreffion que je
→→ voudrois en faire en quelque lieu de l'Europe que
>> j'euſſe le front de l'entreprendre. >>
M. l'Abbé Rive ne parle point dans ſon Proſpectus
du fort de ſes cuivres après ſa mort ; mais
nous ſavons qu'il a eu l'honneur d'en faire
hommage au Roi pour ſon Cabinet de Verſailles.
DE FRANCE.
93
4
Après le tirage des Exemplaires , ils ſeront dorés &
déposésdans ce Cabinet pour y ſervir de monument
littéraire à la Poſtérité , & de preuve authentique du
reſpect inviolable de l'Auteur pour ſes engagemens.
La ſouſcription de cet Ouvrage eſt de vingt- cinq
louis qu'on paye d'avance. Comme les cuivres ſont
gravés , & que les modèles de peinture ſont achevés
, cette avance eſt indiſpenſable pour accélérer
dans le court eſpace donné , la main des Artiſtes qu'il
faut payer comptant.
Cette ſouſcription ne ſera ouverte pour la France
quejuſqu'au premier Novembre prochain ; eile ne
ſera ferméepour les Étrangers qu'au premier Janvier
1783 .
Ceux qui n'auront pas ſouſcrit payeront ce Recueil
quarante louis,
Chaque Souſcripteur recevra dans l'eſpace d'un
an, à dater du jour de ſa ſouſcription , l'Ouvrage
en entier. Il. recevra les treize premières Planches
peintes dans les frx premiers mois , & les treize autres
avec le Diſcours dans les fix ſuivans.
Apeine le Proſpectus avoit été publié, que le Roi,
la Reine , Monfieur , Madame &Madame Comtefle
d'Artois ſe ſont empreſſés d'honorer l'Auteur de
leur ſouſcription. Ce Proſpectus forme un in- 12 de
70 pages imprimé par Didot avec les anciens typeo
deGaramont, qui fut un des plus habiles Fondeurs
de caractères qu'il y ait eu à Paris depuis le com.
mencement du ſeizième fiècle. Quoique ces types
foient fondus depuis plus de deux cent ſoixante
ans , ils acquièrent tous les jours une nouvelle
beauté. Lepapier eſt un des plus beaux qu'on fabrique
en France. Le corps du Proſpectus eſt d'environ
23 pages ; le refte eſt en Nores , qui ſont toutes
eu inſtructives ou curieuſes .
Ce Profpectus ſe vend chez l'Auteur , rue du
Cherche-Midi , vis-à-vis celle du Regard ; & chez
94
MERCURE
Eſprit , Libraire , au Palais Royal. Prix , I livre
10 fols . On n'en a tiré qu'un très-petit nombre
d'Exemplaires , & il n'en refte preſque plus. Nous
invitons nos Lecteurs à ſe procurer cette Brochure
intéreſſante , qui les mettra en état d'apprécier le travail
de M. l'Abbé Rive.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
LE Sieur Defnos , Ingénieur - Géographe & Libraire
du Roi de Danemarck , à Paris , rue S. Jacques,
au Globe , annonce à MM, les Libraires & autres
Commerçans du Royaume & des Pays étrangers ,
qu'il vient de mettre en vente une nombreuſe Collection
d'Almanachs nouveaux pour l'année 1783 ,
très- bien conditionnés & utiles à tous les états , ornés
de Cartes Géographiques & autres , dont la plupart
compoſés de Romances , Chanfons , Vaudevilles
des meilleurs Auteurs en ce genre , ſont ornés
de douze Eſtampes , tous reliés en maroquin avec des
tablettes économiques , perte & gain , & fermés
d'un ſtylet pour y écrire. Prix , 4 livres 10 fols , &
sliv. rendus franc de port par- tout le Royaume.
Le Sieur Deſnos en diftribue gratuitement le Catalogue
, ainſi que l'Analyſe deſdits Almanachs ,
petite Brochure d'environ cent pages , où l'on donne
une idée de chacun pour déterminer le choix du
Public ou de l'Acheteur . Il fera une remiſe honnête
aux Perſonnes qui s'adreſſeront directement à lui
pour ſes Almanachs , ſuivant le nombre qui lui en
fera demandé , & il expédiera auſſi-tôt chaque
demande par la voie qui lui fera indiquée , pourvu
que ceux à qui il la remettra ſoient chargés d'en répondre.
Les lettres non affranchies ne feront point
reçues .- L'Anacréon en belle humeur , ou le plus
joli Chansonnier François , dont la quatrième Partic
1
DE FRANCE.
१८
vient de paroître chez le même Libraire , doit , par le
genre & le choix des Pièces , plaire à un grand nombre
de Lecteurs . Il en paroîtra une Partie tous les
troism ois.
Précis de l'Art des Accouchemens en faveur des
Sages-Femmes & des Élèves en cet Art , par M.
Chevreul , Docteur en Médecine , Maître en Chirurgie
à Angers , Démonftrateur en l'Art des Accouchemens
, & Inſpecteur général des Cours d'Accouchemens
de la Généralité de Tours. A Angers ,
de l'Imprimerie de C. P. Mame , Imprimeur de
MONSIEUR , rue S. Laud ; & ſe trouve à Paris ,
chez P. F. Didot lejeune , Imprimeur de MONSIEUR,
quai des Auguſtins , in- 12 . Prix , 2 liv . broché.
Mémoire fur l'ancienne ville de Tauroentam ;
Hiftoire de la ville de la Ciotat ; Mémoire fur le
Port de Marseille ; par M. Marin , de pluſieurs
Académies , Cenſeur Royal , Lieutenant Général au
Siège de l'Amirauté de la Ciotat. A Avignon ; & fe
trouve à Paris , chez Leclerc l'aîné , Libraire , quai
des Auguſtins ; à Marseille , chez Jean Moſſy , Imprimeur
du Roi , & chez Sube & Laporte , Libraires,
in- 12. Prix, 2 liv. 8 ſols broché.
Médecine des animaux domestiques , renfermant
les différens remèdes qui conviennent pour les maladies
des chevaux , des vaches , des brebis , &c. &c.;
par M. Buc'hoz , Auteur de différens Ouvrages économiques
, in- 12. A Paris , chez l'Auteur , rue de la
Harpe , la preınière porte- cochère au-deſſus du Collège
d'Harcour. Prix , I liv. 16 fols.
Hiftoire des Campagnes de Henri de la Tour
Auvergne , Vicomte de"Turenne , en 1672 , 1673 ,
1674 & 1675 , écrite d'après les Dépêches du Maréchal
de Turenne ( communiquées par laMaiſonde
Bouillon) la Correſpondance de Louis XIV,de ſes Miniftres,
& beaucoup d'autres Mémoires authentiques ;
96 MERCURE
enrichie d'ungrand nombrede Plans & CartesTopographiques
néceſſaires pour l'intelligence des marches
, campemens , batailles , ſièges & mouvemens
des armées , diviſée en deux Parties in - folio ,
dédiée & préſentée au Roi ; par M. le Chevalier de
Beaurain , Penſionnaire Géographe de Sa Majesté,
On trouve cet Ouvrage chez l'Auteur , rue Gît-le-
Coeur , la première porte-cochère à droite par le
quai des Auguſtins. Le Profpectus de cet Ouvrage
fera communiqué aux Perſonnes qui le defireront.
Prix , 96 liv .
Lamy , Libraire , quai des Auguſtins , annonce
qu'il vient de recevoir de l'Étranger pluſieurs Exemplaires
des Livres ſuivans : Mémoires de l'Académie
deBerlin depuisfon origine juſqu'à cejour, 10 Vol.
in-4°. (on ſépare les Volumes. )- Analyses des
Coutumes de Lorraine , 1782 , in- 4° . Edits de
Lorraine , 1782 , Tome XIV, in - 4°.- Coutumes
de Normandie , 2 Vol. in-folio.
TABLE.
50 Aminte, Pastoral du Taffe, 76
LePapillon qui ſe brûle à la Comedie Italienne ,
ib. Sur le paſſage de Mercure de-
ENVOI d'un Sabre . 49 taire François , 70
Moralité,
80
chandelle, Fable ,
Airde Daphne& Apollon , 51 vant le Soleil en 1782, 81
L'Ecole des Pères , Comédie de la Lande, 82
54 Prospectus , १०
Hommage Littéraire , 64Annonces Littéraires , 94
Enigme& Logogryphe , 52 Lettre de M. Allemand à M.
en trois Actes ,
Examen critique du Mili-
APPROΒΑΤΙΟΝ.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France , pour le Samedi 12 Octobre. Je n'y ai
sien trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſſion. AParis,
le 11Octobre 1781. GUIDI.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Août.
LES incendies qui ſe multiplient depuis
quelque tems , ont porté la conſternation
dans toute cette Capitale ; on ſe rappelle les
ravages caufés par les deux qui ont eu lieu
dans le mois dernier ; quelque terribles qu'ils
aient été , ils le font encore moins que ceux
-dont nous venons d'être témoins. Le 21 de
ce mois , à 10 heures du foir , le feu a éclaté
dans le quartier deGiamaja , vis-à- vis l'Arſenal
; ce n'est qu'hier matin qu'on eſt parvenu
à l'éteindre. On compte que la moitié
de cette grande ville a été réduite en cendre.
Le Palais de Conſtantin- le-Grand , l'Eglife
Patriarchale , le quartier de Soliman , où ſe
trouve la magnifique Moſquée qui porte ce
nom , la rue des Arméniens , preſque tout
le quartier des Juifs & des Chrétiens , les
Synagogues , les Eglifes , &c. n'existent
12 Octobre 1782 .
( 50 )
1
د
plus. Plus de deux cents mille perſonnes
font réduites à la dernière misère. On
attribue cet incendie comme ceux qui
l'ont précédé , à la méchanceté des mécontens
qui , depuis quelque tems , font
entendre des cris de révolte contre l'Adminiſtration.
Le Grand Seigneur vient de céder
à ces cris , en renvoyant le Grand- Vifir , à
qui il a redemandé les ſceaux aujourd'hui ;
ils ont été donnés à Jaghen- Ali Pacha , Béglierbey
de Romélie. Le Kiaya des Janiffaires
& le Chiaoux Baſchi ont été dépoſés
également ; comme le mécontentement du
peuple tombe principalement ſur ce dernier ,
on ne feroit pas étonné qu'il fût ſacrifié pour
l'appaiſer. L'incendie , pendant ſa violence ,
a menacé le Serrail , & le Grand Seigneur
a été au moment de ſe retirer à Pera , dans
le Palais de l'Ambaſſadeur d'Autriche. Heureuſement
on eſt parvenu à en écarter le
feu,
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 2 Septembre.
CONFORMÉMENT aux ordres de S. M. I.
pour l'augmentation de ſa marine , on s'occupeſans
relâche de nouvelles conſtructions,
tant ici , qu'à Archangel , à Cherſon , à Kamf.
tchatka & à Ockoska, On eſpère qu'avant
qu'il ſoit peu notre marine encore foible
, aura acquis des accroiſſemens affez
conſidérables , pour ne rien envier à celle
( 51 )
des autres grandes Puiſſances maritimes.
Oncontinue de faire marcher des troupes
vers les frontières de la Tartarie & de la
Turquie , on y fait paffer auſſi de l'artillerie.
Le retour du Courier qui a été expédié à
Conſtantinople , nous donnera , ſans doute ,
des lumières ſur l'état des affaires de la Crimée
, & fur les diſpoſitions du Grand-Seigneur
à cet égard.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le Is Septembre.
,
Le Capitaine Fuglede , dont la relâ he
au Cap de Bonne-Eſpérance a été l'occaſion
de tant de plaintes de la part de notre Cour
aux Etats-Généraux des Provinces - Unies
vient d'arriver avec ſon vaiſſeau . On va
bientôt procéder aux examens indiſpenſables
pour éclaircir cette affaire , fur laquelle la
CompagnieHollandoiſe des Indes a répondu
par des récriminations graves , contre le Capitaine
Danois. On dit que l'Envoyé de la
République a été invité à ſe rendre à hord
du navire , pour être préſent aux interroga
toires qu'on devoit faire à l'équipage.
>> 358 vaiſſeaux , au nombre deſquels eſt le con
voi Anglois qui s'étoir accru juſqu'à 250 navires ,
écrit - on d'Helſingor, obligés le 10 , par le calme
de revenir dans le Sund , en remirent à la voile
le 11 , avec un vent plus favorable. Le même jour
il y arriva de nouveau 36 bâtimens ; & le 12 , 34
autres de la Baltique : parmi les derniers , s Anglois
qui continuerent fur - le- champ leur route
C2
( 52)
pour tâcher d'atteindre le convoi.-Lorſque la
frégate Angloiſe le Mercure entra le 7 au ſoir dans
ce pert , fon pavillon n'étoit pas hiffé à l'extrémité
du grand mât; il étoit caché en partie par
la voile : le Commandant du Château la prit pour
une lettre de marque ; & fur ce qu'elle n'amenoit
point , il lui tira deux coups à balle. Le Capitaine
en porta plainte; mais il paroît que l'affaire a été
affoupie.-On travaille depuis quelque tems a
rendre ce port plus profond , & on remarque que
ce travail avance avec ſuccès «.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le Is Septembre.
LES Diétines pour l'élection des Nonces
qui doivent aſſiſter à la Dière prochaine ,
font déjà affemblées par-tout; les nouvelles
qu'on en reçoit apprennent qu'elles font
très- tumultueuſes , & qu'il y a eu déjà du
fang répandu dans quelques-unes. Tout cela
nous annonce que la Diète ne ſera pas moins
orageuſe.
Le nouveau Miniſtre de la Cour de Londres
, M. Dalrymple , arrivé depuis peu
ici , a eu la première audience du Roi.
Toutes les nouvelles des frontières de la
Turquie , ne parlent que de la fermentation
qui ſubſiſte toujours en Crimée ; les Tartares
, dit-on , ne veulent point abſolument
du Khan qu'ils ont forcé à prendre la fuite ;
ils prétendent conſerver celui qu'ils ont
élu , & ils ſe préparent à le ſoutenir les
armes à la main,
1
( 53 )
ALLEMAGNE,
De VIENNE , le 1er. Septembre.
ON croit que le Comte & la Comteffe
du Nord arriveront inceſſamment dans cette
Capitale. La Princeſſe Elifabeth de Wurtemberg
les accompagnera , dit- on , & reftera
enſuite dans cette Réſidence .
On parle beaucoup depuis quelque tems
des évènemens qui ſe ſont paſſes ſur les
frontières de la Turquie ; la manière dont
ils ont été préſentés dans divers papiers publics
, leur donnoit une importance qu'ils
n'ont pas ; on a reçu de la Croatie une
relation qui n'eſt peut-être pas plus exacte ,
mais qui les réduit à leur juſte valeur , &
dont nous placerons ici l'extrait.
>> Quatre à cinq cens vagabonds Turcs ayant
paffé la Save, exercèrent des brigandages ſur le
territoire Autrichien, où ils pillèrent & maſſacrèrent
impitoyablement une quantité de gens de campagne
& emmenèrent leurs beftiaux. On en demanda
ſatisfaction au Bacha. Sur la réponſe peu
fatisfaiſante qu'on en reçut , on fit marcher 1200
Croates & 400 Hufſards ſur le territoire des
Turcs , avec quelques pièces de campagne ; les
Turcs s'étant préſentés , on tira de part & d'autre.
Le feu fut vif, un Lieutenant & un Auditeur
des troupes Impériales perdirent la vie ; il y cur
quelques bleſſés , & on donna une leçon aux Ottomans
, en pillant quelques-uns de leurs villages «.
Ce ne font pas les brigands Turcs ſeulement
qui commettent des déſordres dans
quelques endroits. On lit dans une lettre
C3
( 54 )
de Bude les détails ſuivans , d'excès bien
étranges & bien horribles.
>> La troupe des ſcélérats qui infeſtoit plufieurs
Provinces de ce Royaume , eſt en partie diſperſée
& détruite depuis que le Chef en a été pris . On
en a déja envoyé 40 au ſupplice; 115 autres font
dans les fers. Ces monſtres avoient un repaire
fouterrain , au milieu d'un bois ſombre & valte
où ils traînoient les cadavres des victimes qu'ils
avoient aflaffinées ; & ce qu'on aura de la peine
à croire , c'eſt qu'ils en dévoroient enfuite les chairs
après les avoir rôties . Le Chef a été ſaiſi par un
Garde de la Prévôté de Frauenmarck , qui , accompagné
de quelques payſans , a en le courage de
s'enfoncer dans cette forêt ; peu s'en eſt fallu qu'il
n'ait été la victime de ſon zèle. On lui deſtine
une très-groffe récompenfe «.
د
Tous les Hopitaux de cette Ville doivent
être réunis à celui qu'on appelle l'Hopital
Eſpagnol ; on aggrandira ce bâtiment , qui
eſt déjà très-vaſte , pour pouvoir y placer
commodément tous les malades. Les perſonnes
qui y étoient entretenues recevront
des penſions annuelles on enverra à la
campagne avec 10 kreutzers par jour celles
qu'on gardoir dans la maiſon des pauvres.
Les enfans trouvés , les orphelins , feront
mis dans la maiſon des orphelins. On y
établira des fabriques , où tous les gens de
métier qui manqueront de travail , pourront
ſe retirer pour s'occuper. Par cet arrangement
on économiſera des ſommes conſidérables
, avec leſquelles on foulagera un plus
grand nombre de malades & d'infirmes.
Un Particulier a trouvé le ſecret de fé
( 55 )
cher le bled , & de rétablir celui qui eſt
gâté & attaqué par les vers , de manière que
la farine qu'on en tire peut ſe garder près
de so ans. Il a fait ici avec du bled gâté
pluſieurs effais qui ont ſi bien réuſſi , qu'on
en a fait de très bon pain de munition.
לכ Les régimens qui devoient former ici un
camp , écrit-on de Prague , teſteront aſſemblés julqu'au
20 de ce mois; ils manoeuvre ont pendant
ce tems & retourneront enſuite dans leurs quartiers
reſpectifs . On ſe flatte toujours que l'Empereur
viendra dans cette Ville. Il fera , dit- on , vers
la fin d'Octobre , un voyage dans ce Royaume
pour voir les nouvelles fortereſſes de Therefienſtadt
& de Pleff; & on ſe flatte qu'à cette occafion ,
il honorera auſſi cette Ville de ſa préſence «.
De HAMBOURG , le 20 Septembre.
Le dernier incendie de Conſtantinople
rapporté dans tous nos papiers , paroît à
bien des perſonnes être fort exagéré ; on ne
porte pas à moins de 66,000 maiſons celles
qui ont été réduites en cendres ; fi l'on joint
à ce nombre les 10,000 qui avoient éré
confumées dans les deux précédens , le calcul
fera effrayant ; mais est-il bien exact ?
Cette ville , quelque grande qu'on la ſuppoſe,
contenoit-elle en effet 152,000 maiſons
au moins qu'elle devoit avoir eues avant les
incendies , qui en ont , dit-on , brûlé la moitié
? Combien en compte-t-on dans Paris ,
qui , certainement , eſt une auſſi grande
ville ? S'il y a , comme il eſt vraisemblable ,
de l'exagération dans ces calculs,il eſt à déſirer
C4
(56 )
qu'il y en ait auſſi dans ce qu'on dit des
troubles & de l'eſprit de révolte qui règnent
parmi le peuple. Nous nous contenterons
de rapporter ici les détails que l'on en donne
, ſans les garantir ni les combattre.
>Depuis fix ſemaines , cette Ville eft le théâtre du
déſordre & de la déſolation . Les Incendies réitérés
qui ont eu lieu entre le 16 & le 25 Juillet ,
avoient été des marques trop certaines du mécontentement
des Janiſſaires. Les murmures de ce Corps
éclatèrent dans les premiers jours d'Août par une fédition
ouverte ; ils ne parloient pas moins que de faire
deſcendre leGrand-Seigneur du Trône; mais la dépofition
de leurAgaqui fut faiteſur-le-champ&lepaicment
de leur folde conjurèrent pour le moment l'orage;
on leur diſtribua sooobourſes (environ 2,500,০০০
écus , & ils ſe retirerent fatisfaits. Le 21 Août les
mécontens mirent de nouveau le feu à la Ville . L'incendie
a été terrible , il eſt impoſſible de peindre
toute l'horreur du ſpectacle qu'offrent les ruines encore
fumantes; & la détreſſe des infortunés habitans
eſt inexprimable. En attendant les ſéditieux ont rempli
leur voeu. S. H. s'eſt er fin déterminée à éloigner le
Grand-Vifir qu'il aimoit , & qui a été déposé& exilé
àDémotica. Le Tefterdar , le Chiaouxbaſchi & plafieurs
autres Grands ont partagé ſa diſgrace. Malheureuſement
l'eſprit d'Anarchie & de révolte ne règne
pasdans la ſeule Capirale , il eſt général dans les Provinces
; cependant au milieu de cette fermentation intestine
, on demande une guerre étrangère ; les Gens
de Loi fur-tout font tous leurs efforts pour y engager
le Sultan, & quoi qu'elle ne ſoit pas déclarée encore,
on la regarde comme très-prochaine ".
Suivant les lettres de Berlin , le Baron de
Hertzberg , Miniſtre d'Etat , y eſt actuellement
de retour ; on dit qu'il a rapporté à
( 17 )
S. M. quemoyennant une dépenſe de 60,000
écus , il étoit poſſible de mettre le port de
Schwinemunde en état de recevoir les plus
grosbâtimens. On ajoute que S. M. a propoſé
en conféquence à la Régence de Pomeranie
d'avancer cette ſomme en conſidération des
avantages que cette Province pourroit retirer
de ce port.
>> On attend avec impatience , écrit- on de Ratis .
bonne , ce qui fera arrêtéenire les Catholiques & les
Proteftans , relativement à la grande diſcuſſion qui
règne dans les Colléges des Comtes de Westphalie &
de Franconie. Il a paru ici , il y a quelques jours , à ce
ſujet , une brochure dont on a arrêté fur-le- champ la
circulation&dont on a confiqué tous les exemplaires;
elle a poar titre : Encouragement à la compoſition
des contestations des Comtes , & Obfervations fur
les propofitionsfaites par les Miniſtres Catholiques
& les Ministres Proteftans « .
On affure que les Cours de Vienne & de
Dreſde font en négociation pour un traité
d'amitié & de commerce .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Octobre .
La malle arrivée le 23 de New-Yorck ,
à bord de la Liberty ( & non le Lively ) ,
tranſport armé , contenoit des lettres du 20
Août , par leſquelles il paroît que l'eſcadre
Françoiſe a été vue ſur la côte , mais qu'elle
n'a pas tardé à s'en éloigner , ſoit pour aller
ſe réparer à Boſton , ſoit pour effectuer
quelque expédition ſecrette. Le premier
CS
( 58 )
objet paroît le plus vraiſemblable aux Po
litiques , qui fondent leurs conjectures ſur
ce que chacun des vaiſſeaux de M. de Vaudreuil
porte 200 foldats , & fur ce que les
troupes Françoiſes cantonnées dans la Virginie
, viennent de quitter cette province
pour ſe porter dans la partie ſeptentrionale
du continent. Si l'Amiral Pigot s'eſt mis à
la pourſuite de l'eſcadre Françoiſe , nous
ne tarderons point à recevoir des nouvelles
de la plus grande importance ; mais au départ
de la Liberty on n'avoit point encore
entendu parler à New-Yorck de cet Amiral
qui étoit attendu avec impatience. On lit
dans un papier de Philadelphie arrivé avec
la dernière malle , les feuls détails ſuivans à
ce ſujer.
>> Les vaiſſeaux Anglois qui avoient paſlé 15
jours à Wineyard, pour piller le pays , paſsèrent le
20 Juin devant New- Yorck , & avoient enlevé aux
habitans 1500 moutons & environ 200 bêtes à
corne. L'apparition d'une flotte Françoiſe a , dit- on ,
beaucoup accéléré le départ de l'ennemi. Si cela
✓eſt vrai , nous devons nous attendre à des nouvelles
intéreffantes . - Le premier Août. La nouvelle nous
eſt venue hier de Jerſey, que 3 vaiſſeaux de guerre
Anglois avoient été chaſſes ſur la côte , près de
Shen'sbury , par l'eſcadre Françoiſe; mais nous ne
favons encore ni la date , ni le tems de cet évènement
".
La Cour n'a rien publié des nouvelles
qu'elle a reçues de New-Yorck , à l'exception
d'une lifte des priſes faites par le
Contre-Amiral Digby , depuis le premier
Mai juſqu'au 11 Août , & la lettre ſuivante
( رو (
adreſſée à ce Contre-Amiral par le Capitaine
Salter , commandant la frégate la Santa-
Margarita , en date du 18 Août.
ככ J'ai l'honneur de vous informer que le 29
du mois dernier , au point du jour, je donnai chaſſe
à une voile que j'apperçus dans la bande du S. E.
Le vent étoit au N. E. quart N. , & le Cap
Henry nous reſtoit alors à l'Oueſt , à la distance
d'environs lieues . M'étant approché à un mille &
demi du vaiſſeau chaffé , je reconnus par les ſignaux
& les manoeuvres qu'il fit , que c'étoit une frégate
Françoiſe , de force égale à nous ; mais m'étant
apperçu que 8 gros vaiſſeaux , dont 2 n'étoient pas
fort éloignés , arrivoient ſur nous à force de voiles
, je virai vent arrière , après avoir pris l'avis
de mes Officiers , & je m'éloignai de la frégate
Françoiſe , & portai au nord , ayant à craindre
tout-2-la-fois & l'ennemi , & d'être jetté à la côte ,
vu la direction du vent qui ſouffloit du large. La
frégate nous donna chaſſe juſqu'à 3 heures aprèsmidi
; alors elle vira de bord & porta à l'Ouest.
Comme nous ne découvrions plus les gros vaifſeaux
de la tête du mât , & que le tems étoit trèsclair
, mes Officiers & mon équipage exprimant
le vif deſir qu'ils avoient de combattre la frégate ,
je fis virer de bord & porter ſur elle. Au bout d'un
quart-d'heure , elle vira auſſi de bord & porra ſuor
nous. As heures les 2 frégates étant à la diſtance
d'une encablure l'une de l'autre , l'ennemi ayant
ſes amures à tribord & nous à babord , il nous
envoya une bordée & vira auſſitôt vent arrière.
Nous attendîmes pour lui ripoſter que l'occaſion
ſe préſentât de l'enfiler pendant qu'il viseroit , ce
que nous exécutâmes avec ſuccès de nos canons
de tribord. Nous nous en approchâmes enſuite inſenſiblement
à la portée du piſtolet , lui préſenrant
notre côté de tribord , nous continuâmes de
c6
( 60 )
nous battre dans cette pofition; le combat fut trèsvifde
part & d'autre & dura une heure un quart. La
frégate Françoiſe amena alors ſon pavillon. C'étoit
l'Amazone de 36 canons ( de 12 & de 6 livres
de baile ) & de 301 hommes d'équipage. Elle étoit
commandée par le Vicomte de Montguiotte , qui
fut tué au commencement de l'action . J'envoyai
un Lieutenant & un tiers de mon équipage pour
l'amariner . Nous fimes tous les efforts poſſibles
pour réparer nos dommages & faire paſſer les pri- .
fonniers à notre bord, afin de nous rendre ici le
plutôt poflible & d'éviter les autres vaiſſeaux , qui ,
ſuivant le rapport des Officiers François , faiforent
partie d'une eſcadre de 13 vaiſſeaux de ligne , ſans
compter les frégates ; mais il y eut des délais inévitables
occaſionnés par le manque de chaloupes n'en
ayant qu'une feule en état d'être miſe à la mer , ( laque
le tranſporta à notre bord 68 prifonniers , y
compris les Officiers ) & par l'état délabré de
l'Amazone qui avoit perdu ſon grand mât & fon
mât d'artimon auffi-tôt après avoir amené pavillon.
Nous fûmes obligés de la prendre en remorque pendant
la nuit à cauſe desdommages qu'elle avoit reçus
pendant le combat. Nous mêmes dehors toutes les
voiles que nous pûmes & fîmes route au N. E. dans
l'eſpérance de nous éloigner des autres vaiſſeaux ;
mais au point du jour nous reconnûmes distinctement
toute l'eſcadre Françoiſe qui nous ſuivoit forçant
de voile. Je fis revenir auffi-tôt à bord mes Officiers
& la partie de l'équipage qui étoit paffée ſur
la frégate Françoiſe ; je fis couper le grelin de remorque
& laiſſai dériver ma chaloupe , n'étant pas
en étatde la rembarquer , & j'abandonnai la prite
après avoir ordonné de couper le peu qui lui reſtoit
de ſon gréement de l'avant. Si le tems & les circonftances
m'euffent permis de faire paffer à mon bord
nous les prifonniers , j'aurois donné ordre qu'on
mit le feu à la frégate Françoiſe , afin d'empêcher
(61 )
qu'elle ne fût repriſe par l'ennemi.-Je ne faurois
donner tropd'éloges à la conduite de mes Officiers &
de mon équipage , à raiſon du courage & de l'ardeur
qu'ils ont montrée pendant l'action ,& aui à raifon
de l'activité qu'ils ont miſe à réparer les dommages
que nous avions eſſuyés , pour être en état d'échapper
à l'ennemi. Je ne puis en même-tems paſſer ſous
filence la conduite brave & diftinguée du Vicomte
de Montguiotte , lorſqu'il mena ſa frégate au com
bat. Après qu'il eut été tué , le Chevalier de l'Epine ,
Capitaine en ſecond,(auquel le commandement étoit
dévolu ) fit tout ce qu'un Officier expérimenté pouvoit
faire dans ſa poſition ; car ſi l'on confidère qu'il
étoit bleſſé , que tous ſes Officiers , à l'exception
d'un ſeul , & environ la moitié de ſon équipage
étoient tués ou bleſſés , que ſes mats étoient fi endommagés
qu'il devoit s'attendre à chaque inſtant
à les voir tomber à la mer ; ſi l'on confidère en
outre que plufieurs de ſes canons étoient démontés ,
&qu'il y avoit quatre pieds d'eau dans le fonds de
calle, j'oſe croire , dis -je , que toutes ces circonftances
le juſtifierent aux yeux de ſon Roi & de ſa
Patrie , qui reconnoîtront la néceffité où il étoit de
ſe rendre. Les dommages effuyés par la frégate
de S. M. & le nombre d'hommes tués &bleflés dans
le combat ne font que peude choſe en comparaiſon
des dommages effuyés par l'ennemi & de ſa perte.
Notre grand mât fat percé par les boulets en plufieurs
endroits ; le mât de miſaine, le grand & le
petit mât de hune & le mât de perroquet de fougue
furent endommagés , ainſi que pluſieurs vergues.
Quelques charges à mitraille ſe logèrent dans notre
doublage de cuivre à fleur d'eau. Nos voiles , nos
manoeuvres courantes & dormantes ( à l'exception
des haubans d'artimon ) ont été entièrement coupées
en pièces. Nous avons eu cinq tués & dix- sept bleffés
pendant le combat : parmi les premiers eſt M.
Dalrymple , jeune homme de beaucoup de mérite,
( 62 )
qui , s'il eût vécu, ſe ſerait diftingué dans ſon état ;
&parmi les derniers eſt le ſieur Otro , qui a eu le
bras emporté par un boulet. Le nombre des tués à
bord l'Amazone , ſuivant le rapport des Officiers
François , ſe monte à 70 hommes , y compris les
Officiers , & celui des bleſſés à 70 ou 80. La Santa-
Margarita avoit 36 canons & 255 hommes d'équipage.
M. William Dalrymple , Garde-Marine , &
4matelots ont été tués , un maître d'équipage &
16 matelots bleſſés .
,
Parmi les autres détails qu'offrent les
papiers Américains , nous citerons ceux- ci .
De Boston le 15 Juillet. MM. Balcock , Stoddard
, Woodbury & Tibbers , Capitaines du Héro
du Scammel , du Hope , & du Swallow , ayant
réſolu de ſurprendre la ville de Lunebourg , ficuée à
10 lieues à l'ouest de Halifax , ont débarqué le premier
Juiller , à deux milles au-deſſous de la ville
avec 90 hommes , commandés par le Lieutenant
Batteman . Ces braves gens ſe rendirent à la ville
avec la plus grande célérité , & malgré les vives
décharges de l'ennemi , ils brûlèrent la maiſon du
Commandant , & le fort qui eft au Nord de la
ville. Ils enclouèrent 2 canons de 24 livres de
balles , & forcèrent l'ennemi à ſe refugier dans la
fort qui eſt au ſud de la ville. Il s'y défendit par
le feu le plus animé , paroiſſant vouloir tenir jafqu'à
la der ière extrémité ; mais quelques coups de
canon de 4 livres de balle , tirés du Héro , les forcèrent
à ſe rendre priſonniers de guerre . Les vainqueurs
commencèrent alors le pillage , vuidèrent les
magaſins , & s'emparèrent d'une quantité confidérable
de denrées & de proviſions de tout genre ,
fans compter 20 poinçons de bon rum d'Amérique.
Sachant que l'ennemi approchoit , le Lieutenant
Batteman fit enclouer 2 pièces de 18 livres de
balle , & embarquer ſur le Scammel tout ce que
1631
fes gens avoient pris dans les magaſins du Roi,
D'ailleurs il s'eſt conduit envers les habitans avec la
plus grande honnêteté , il leur a même laiſſé tous
leurs effets . La ville a été taxée à 1000 liv. ſterl,
de rançon , & le Colonel Creighton a été conduit
avec les principaux habitans à bord du Scammel.
Du côté des vrais Enfans de la liberté , il ya
eu 3 hommes bleſſés légèrement & 1 dangereuſement.
Les Partiſans du despotisme ont eu beaucoup
de tués & de bieſſes , ſans qu'on puiſſe en
déterminer le nombre.
> De Philadelphie le premier Août , toute la milice
de la Caroline ſeptentrionale eſt partagée en
claſſes de vingt hommes ; chaque claſſe doit fournir
un Soldat continental & l'équiper complettement. Un
certain nombre de claſſes eſt chargé de fournir des
chariots & des attelages qui doivent être propriétés
continentales .Ces règlemenspeuventproduireenviron
1500 Soldats de plus & trois chariots , eu égard aux
déficit qui ne peuvent manquer d'avoir lieu dans un
pays ruiné par l'ennemi qui tout récemment encore y
portoit de toutes parts le ravage & la deſtruction . La
levée des hommes , leur équipage & la fourniture
des tentes coûteront à chaque clafſe au moins 350
dallers. Les frais pour chaque attelage & chariots
complets monteront environ à foo. La dépenſe générale
ſera au moins de 575,000 dollars.- Outre la
ſomme néceſſaire pour l'enrôlement des troupes ,
l'Aſſemblée a ordonné qu'il ſeroit levé pour la préſente
année deux taxes , dont l'une en proviſions &
l'autre en argent. Toutes les terres doivent être eftimées
en argent , ainſi que les beftiaux , eſclaves ,
fonds dans le commerce & voitures . Sur ces articles
les Propriétaires payeront pour le ſervice immédiat
de l'armée une taxe en nature; ſavoir : bled, froment ,
ris , avoine , ſeigle , farine , ſel & viande falde ou
fraîche de boeuf ou de porc. Les habitans de la Caroline
ſeptentrionale payeront auſſi une taxe pécuniaire
1641
pour l'objet général d'un revenu. Mais comme dans
un grand nombre d'endroits de cetEtat , il ſeroit impoſſible
de trouver afſez d'argent comptant pour le
paiement de cette taxe , il a été réglé que les trois
quarts de la taxe pourroient être payés en tabac
rendu dans un port , en pelleteries , chanvre , cire ,
porc en barils , en toile. Ces articles ſont efſtimés ſur
le pied d'environ 25 pour 100 an- deſſous de leur
prix courant , parce qu'il eſt de l'intérêt des habitans
de payer argent comptant lorſqu'ils le pourront.
Il eſt auſſi à propos d'obſerver que pendant tout l'hiver&
le printems il s'eſt fait toutes les ſemaines dans
preſque toutes les parties de cet Etat des enlèvemens
conſidérables ou plutôt d'amples contributions de porc
&de gros bétail pour le ſervice de l'armée du Sud.
-Comme le bruit s'eſt répandu que la Caroline ſep.
tentrionale avoit refuſé de fournir ſon contingent
pour les dépenſes de l'armée confédérée , nous pouvons
aſſurer le public , d'après la meilleure autorité ,
que cet Etat, dans ſon affemblée du mois de Mai dernier
, a donné les preuves les plus évidentes & les
moins équivoques de ſa réſolution à remplir juſqu'au
deraier point les demandes du Congrès autant que
peut le permettre la rareté actuelle des eſpèces dans
ce pays ".
و
,
Du 3 Août. Il vient d'arriver ici un Particulier
qui eſt parti depuis trois ſemaines du Quartier-Général
du Général Green. Nous apprenons par lui
qu'un Officier du Général Vayne elt arrivé au camp
du Général Green avec l'agréable nouvelle de
l'évacuation de Savanah par les Anglois ; ſelon les
apparences ils évacueront auſſi Charles-Town ; diverſes
circonstances tendent à confirmer cette opinion
, & les voici : les Négocians de la Ville ont
prié le Général Leſſie de leur accorder quelque tems
pour arranger leurs affaires avant le départ de la
garniſon ; les priſonniers Américains ont eu la liberté
de quitter la Ville ſur leur parole ; le Major
( 65 )
Skelley , Aide-de-camp da Général Leſlie , après
avoir été pris à bord d'un petit bâtiment de 8 canons
, avec des dépêches pour New- Yorck , a eu la
permiſſion de ſe rend e à Charles Town far fa parole
,& de ſon côté M. Pendelton , Chefde Juftice
de la Caroline méridionale , a obtenu celle d'en fortir;
lestroupes témoignent la plus grande ardeur dans
le camp de notre brave Général , qui ſe diſpoſoit à
prendre une nouvelle poſition à dix milles de Charles-
Town. Le terrein étoit déjà déſigné , & l'armée devoit
ſe mettre en mouvement le lendemain du départ
du Particulier de qui nous tenons ces nouvelles.
- Un bâtiment de Charles-Town ayant à bord des
prifonniers Américains deſtinés pour la Chéſapéak ,
a été arraiſonné il y a 8 jours à l'entrée de cette
baie ; les gens à bord ont donné les mêmes nouvelles
par rapport à Savanah & à Charles - Town.
Ils ont dit auſſi que pluſieurs autres bâtimens les
ſuivroient inceſſamment ſur la même route.
Maintenant tous les regards ſont fixés
fur les négociations du Chevalier Carleton ;
la poſition de ce Général doit être trèsembarraſſante
, puiſqu'il eſt ſans ceffe occupé
non-feulement à faire avorter les
deſſeins de l'ennemi , mais encore à appaifer
les clameurs des Loyaliſtes. La lettre qu'il
a écrite de concert avec l'Amiral Digby ,
au Général Washington , en leur faiſant
craindre d'être abandonnés à la puiſſance
du Congrès , a répandu le déſordre & la
conſternation dans New-Yorck. Ona affiché
par-tout dans cette ville des libelles & des
paſquinades , & le portrait d'un certain
Miniſtre a été traîné dans les rues , enfuite
brûlé au milieu des clameurs d'une popu(
66 )
lace effrénée. Après tous ces excès les Loya
liſtes & les habitans de New- Yorck ont
déclaré que ſi la Grande- Bretagne les abandonnoit
, ils ſe défendroient contre les armes
du Congrès , & ne tarderoient point
à former un corps impoſant; en effet les
régimens provinciaux ſont portés , dit- on ,
à 20,000 hommes. New-Yorck renferme
10,000 réfugiés , & les 13 Provinces , à ce
qu'on prétend , font remplies de Loyaliſtes.
Mais le Gouvernement , affurent pluſieurs
de ros feuilles , loin d'évacuer New- Yorck
en abandonnant les Loyaliſtes à la puiſſance
du Congrès , eſt déterminé , ſi les Américains
refuſent nos propoſitions de paix , à
continuer la guerre , & à envoyer de nouvelles
troupes pour renforcer les garniſons.
Tous ces bruits inquiètent les vrais patriotes,
qui craignent que le terme tant déſiré
de la paix , auquel nous avons cru toucher ,
ne ſoit encore éloigné , chaque jour faiſant
naître de nouveaux obftacles.
Nos fonds hauflèrent ily a quelques jours
d'une manière affez frappante ſur le bruit
qui ſe répandit de l'arrivée d'un Négociateur
François ; mais depuis leur baiſſe a été
rapide , ſans qu'on ſache poſitivement à
quoi en attribuer la cauſe. Nos papiers fourmillent
à ce ſujet de conjectures & de
ſpéculations trop folles pour être répétées.
Cependant un d'entre eux , le Morning-
Chronicle , rapporte avec tant de confiance
( 67 )
Particle ſuivant , qu'on ne ſauroit le re
jetter.
>> On a reçu à New-Yorck les papiers Américains ,
la veille du jour que le dernier paquebot a mis à la
voile. Ils contiennent cette réponſe faite par le Congrès,
à la lettre des Commiſſaires de laG. B. - Arrêté
, que le Congrès n'a reçu de ſes Miniſtres dans
les Pays étrangers aucune intimation ſemblable à
celle qui lui a été faite & qu'il regarde comme infidieuſe.
En conséquence , il invite les Etats-Unis à
faire un nouvel effort pour chaſſer du Continent les
troupes du Roi & les Loyaliſtes. Le Lord Shelburne
, ajoute le Morning Chronicle a déclaré
que les conditions offertes par MM. Carleton &
Digby n'étoient ni de ſa connoiſſance ni de fon
aveu. Il eſt certain qu'elles portent le cachet de
l'Adminiſtration précédente ".
Tous ceux qui ſuivent avec intérêt les
révolutions de l'Etat , attendent avec anxiété
l'ouverture de la prochaine ſéance du
Parlement ; & il eſt conſtant que ce n'eſt
qu'à cette époque qu'on pourra affeoir un
jugement certain ſur la tournure que vont
prendre nos affaires , & fur les diſpoſitions
du Gouvernement. Tout ce que diſent nos
papiers , relativement à l'Amérique , ſe réduit
à ceci.
Le Gouverneur Franklin , arrivé dernièrement de
New-Yorck , a eu hier une longue conférence avec
le Roi , au ſujet des affaires d'Amérique , & il a remis
à S. M. les adreſſes des Loyaliſtes de New-
Yorck. Il a eu auſſi divers entretiens particuliers
avec les Miniſtres du Roi , & l'on affure qu'il affil
tera à un Conſeil extraordinaire , qui ſe tiendra excluſivement
ſur les affaires de l'Amérique.
On dit que le 19 il a été décidé au Conſeil de
( 68 )
dreffer une Commifſion ſcelléedu grand ſceau de la
G. B. , par laquelle on donnera des pleins pouvoirs
au Chevalier Carleton & à l'Amiral Digby , pour
conclure la paix avec l'Amérique , ſur le pied de
l'Indépendance , ou ſéparément avec quelques-unes
des Provinces , ou avec différentes corporations. On
ajoute que cette Commiffion a été envoyée au Chancelier
, qui l'a renvoyée à Londres le 23 au foir.
Elle ſera expédiée pour New-Yorck avec la plus
grande diligence.
Par les inſtructions que l'on enverra en Amérique
, les Loyaliſtes ne ſeront point livrés an pouvoir
du Congrès ; & s'ils ne ſont point réintégrés
dans leurs poffeffions , ils feront traités comme une
corporation particulière , & foutenus dans leurs prétentions.
Un des papiers du ſoir annonce qu'on a ſcellé à
la Chancellerie , une Commiſſion ſignée par S. M. ,
qui nomme M. Oswald , Commiſſaire , pour negocier
la paix avec les Treize Etats-Unis d'Amérique.
Selon les dernières nouvelles de New-Yorck , le
Capitaine Aſgill étoit en très-mauvaiſe ſanté , par
les fuites d'une maladie épidémique. Cet Officier
étoit encore détenu le 18 Août.
La Nation défire généralement la paix ,
chacun la croit d'une néceffité urgente ;
mais nos finances ſont dans un état ſi
effrayant , que l'on craint que cet évènement
même ne puifle nous retirer de l'abîme
, en rendant la dette nationale moins
onéreuſe , ou en la faiſant baiffer ; car il
eſt incontestable que depuis 92 ans , nous
avons eu exactement autant d'années de
guerre que de paix.
La guerre de la révolution a duré depuis Ann.
1688 , juſqu'en 1696 , incluſivement ..
و
1
( 69 )
La guerre de la Succeffion, depuis 1702 ,
juſqu'en 1713 11
La guerre contre l'Eſpagne & la France ,
depuis 1739 , juſqu'en 1748 10
La dernière guerre , depuis 1755 ,juſqu'en
1763 . 8
•
La guerre actuelle , depuis 1775 , juſqu'en
1782 • • • 8
Total des années , depuis la première époque
, juſqu'à la préſente
Total des années de guerre •
Total des années de paix •
•
92
45
• 46
Il eſt donc évident , d'après ce calcul , que nous
avons eu ( & probablement aurons toujours) autant
d'années de guerre que de paix , & comme , dans
une ſeule année de guerre , nous empruntons plus
d'argent que nous n'en pouvons rembourſer en dix
années de paix , il eſt aſſez clair que la dette nationale
doit continuer de s'accroître. Le Lord North a acquitté
neuf millions de notre dette pendant la paix ,
& il a emprunté treize millions pour faire face aux
ſeules dépenſes de l'année actuelle. Une telle diſproportion
, entre les dettes acqntrées & les destes contractées
, épuiſeroit les moyens de toutes les Puiſſances
de l'Europe réunies.
>> Le Comte de Shelburne , dit à cette occafion
in autre papier , compte fort peu ſur la proximité
de la paix , c'eſt ce que l'on croit appercevoir dans
ſon activité à travailler aux moyens de ſubvenir aux
dépenſes d'une campagne vigoureute pour l'année
prochaine. Il ſe propoſe de lever les fubfides néceſſaires
, même avant la fin de l'année , & fans
recourir à un emprunt , en impoſant un 10e pour
cent fur tous les revenus nets , ſoit en terre , commerce
, fonds capitaux , manufactures , main-d'oeavre
, hypothèques ou penſions. En ne portant le
revenu annuel de tous ces objets qu'à sent millions
( 70 )
Iterling , cela fait 12 millions d'intérêt net à re
pour cent ; ce qui , avec les revenus ordonnés , formera
une maſle conſidérable , qui mettra l'Angleterre
en état de continuer encore une guerre , dont
le terme , après tout , doit être l'épuiſement de la
Nation , tant en individus qu'en richeſſes ".
Cet arrangement ne paroît avoir aucun
fondement ; d'abord il reſte encore plus
de 6 millions ſterling du dernier emprunt
dont les fonds font à fournir pour le 16
Novembre prochain ; & enſuite peut - on
lever une impoſition ſur les fonds publics ,
lorſque le Parlement s'eſt ſolemnellement
engagé à les en exempter .
On est toujours ici dans l'attente des nouvelles
de l'expédition de l'Amiral Howe. On
n'en a de ſon eſcadre que juſqu'au 16 de ce
mois; ellesont été apportées par lesvaiſſeaux
qui en ont été ſéparés ; & cela a confirmé ce
que nous craignons , qu'elle n'ait beaucoup
ſouffert des mauvais tems. On fait que les
vents ont été très-contraires depuis cetre
époque , & on n'eſt pas ſans inquiétude
fur les obſtacles qu'ils ont pu apporter à
ſa marche. S'il a pu la continuer ſans que
ſes convois ſe ſoient diſperſés , il ne doit
pas à cette époque tarder à arriver à ſa
deſtination. Nos papiers ne diſent plus qu'il
ne trouvera pas l'armée combinée ; on fait
qu'elle eſt dans la baie d'Algéſiras ; mais ils
n'en annoncent pas moins de grands ſuccès
pour notre Amiral. Ils ont ſoin de diminuer
la forcede l'ennemi, en peignant ſes vaif
( 71 )
feaux dans un état ſi mauvais , qu'ils ne
peuvent être de grand ſervice. A ce tableau
on oppoſe celui de notre eſcadre , qu'on
dit être la plus belle & la mieux équipée qui
foit fortie de nos ports ; il n'y a pas un
vaiſſeau , diſent - ils , qui ne foit dans le
meilleur état. Mais on oublie que parmi
ces vaiſſeaux , il y en a de très- vieux , tels
que le Blenheim ,de 90 canons ; le Cambridge,
le RoyalWilliam , de $ 4 , & c . Ces vaifſeaux
ne ſont pas meilleurs que le Royal-
George , qui vient de couler bas ; la dépoſition
de l'Amiral Barrington , au ſujet de ce
vaifſfeau , doit faire trembler pour les autres.
Lorſqu'on le répara la dernière fois à Plymouth
, il dit au Charpentier qu'il ne
croyoit pas qu'ils puſſent parvenir à le
mettre en état de ſervir. Leur réponſe fut
qu'on leur avoit ordonné de le réparer commeon
pourroit pour l'éré , après quoi il ſeroit
condamné. L'Amiral répliqua : à la bonneheure
, s'il n'en arrive point de malheur
mais le bois en eſt très - pourri. Plufieurs
Officiers prétendent que le Blenheim , le
Cambridge , & le Royal-William , ne valent
pas mieux. De pareils vaiſſeaux ne
font pas une grande force dans une eſcadre
, & cette armée combinée , qu'on dit
en ſi mauvais état , n'en a point d'auſſi
vieux.
Quant aux nouvelles de Gibraltar on
dit qu'il en eſt arrivé ; mais elles ſont encore
du commencement de ce mois , & ne
1
:
1
172 )
peuvent par conféquent nous informer que
des difpofitions de défenſe. Le Général
Elliot s'attendoit , dit- on , à un aflaut le
10 de ce mois , & il ſe flattoit de repouffer
l'ennemi ; mais comme il ſavoit que cetre
attaque lui coûteroit une grande partie de
ſes munitions , il craignoit d'être dans le
cas de manquer bientôt de poudre , fi le
Lord Howe ne lui en apportoit pas une
nouvelle proviſion. Cet Amiral en conduit
une grande quantité ; il s'agit maintenant
de ſavoir s'il arrivera , & s'il pourra
exécuter ſa miffion. C'eſt de cette expédition
que paroît à préſent dépendre le
fort de cette Place , que la nature a rendue
d'une attaque difficile , & que l'art à
ſu ſeconder depuis. Nos papiers nous donnent
les meilleures eſpérances ; c'eſt au
tems à les réaliſer ; il ne fauroit être éloigné.
Ils les regardent déja comme une affaire
faite ,&ils annoncent que l'Amiral ne s'arrêtera
à Gibraltar que le tems néceſſaire pour
débarquer les troupes & décharger les bâtimens
imunitionnaires ; après cela , il a, diton
, le deſſein de protéger nos flottes , d'intercepter
celles de l'ennemi , & d'exécuter
encore une expédition ſecrette. Voilà bien
de l'ouvrage ; on ſera heureux s'il en fait
ſeulement une partie.
Deux des bâtimens arrivés de la Baltique
& chargés de mats , ont ordre de ſe
rendre aux Ifles ſans débarquer leur cargai-
: fon ,
( 73 )
Ton ; ils appareillerent avec le prochain
convoi.
L'Anfon , de 64 canons , Capitaine Rodney,
eſt arrivé de la Jamaïque à Portsmouth .
Il étoit parti le 26 Juillet avec l'Amiral Rodney
, dont il s'eſt ſéparé à la hauteur des.
Açores. Ce vaiffeau , de conſerve avec la
Résolution , de 74 , parti de la Jamaïque
en même-tems , a rencontré & pris trois
bâtimens. Ces priſes ne font point encore
arrivées ; mais on les attend d'un moment
à l'autre ſous le convoi de la Résolution.
On a reçu avis de Briſtol , que la Belle
Poule , venant de Corke , étoit arrivée à
Kings-Road , avec des tranſports qui ont à
•bord trois régimens de ſoldats , faiſant
partie des sooo hommes accordés par l'Irlande.
Ils alloient à Portsmouth ; mais le
vent contraire les a forcés de remonter le
canal de Briſtol. Ces troupes ſeront embarquées
ſur les bâtimens Marchands qu'on
raffemble aujourd'hui à Portsmouth, pour
fortir avec le convoi des Ifles .
Un papier det foir dit que le Lord Rodney
eſt entré au Comeil de S. M.
:
FRANCE.
De PARIS , le 8 Octobre.
On débitoit il y a quelques jours comme
une choſe fort extraordinaire & preſqu'incroyable
, que le Rainbow qui a pris la
frégate l'Hébé , l'avoit attaquée avec des
canons de 68 livres de balles deſtinés pour
12 Octobre 1782 .
d
( 74 )
Gibraltar. Le Rainbow n'étant que de 46
canons , & un vieux vaiffeau , on rejettoit
bien loin l'idée qu'il pût faire uſage de
pièces de ce calibre. Aujourd'hui le fait eſt
conftaté par les certificats envoyés au Miniſtre
de la Marine par le Chevalier de Vigny
, commandant l'Hébé , certificats ſignés
par ſon Etat Major , ſon équipage , & par
le Capitaine Trollope , commandant le
Rainbow ; ce vaiſſeau avoit 20 canons
de 68 livres , 20 de 42 & 6 de 32. On
dit que ces canons de nouvelle invention
font fort courts , & qu'un seul homme peut
les pointer au moyen d'une méchanique
adaptée à cet effer. Ce qu'il y a de plus
extraordinaire , c'eſt que juſqu'ici ces
eſpèces de carronades ne portoient pas bien
loin , & M. de Vigny écrit que dans ſa retraite
, ſes canons de 18 n'atteignoient pas
l'ennemi , tandis que les boulets de 68
tomboient à ſon bord. Ayant eu la barre
de ſon gouvernail coupée , & ſe trouvant
entièrement déſemparé & fans aucun eſpoir
d'échapper aux forces ſupérieures auxquelles
il avoit affaire , il amena ſon pavillon. L'article
ſuivant tiré d'un papier Anglois , intitulé
: The Exeterflying post , vient à l'appui
de ces détails.
>> Dimanche 8 du courant , ( Septembre ) eſt
arrivée à Portsmouth l'Hébé , frégare Françoile de
38 canons , dont 26 de 18 livres , commandée par
le Chevalier de Vigoy , priſe par le vaiſſeau de S. M.
le Rainbow , de so canons , dont 20 de 68 , &
le reſte de 42 & de 32. L'Hébé alloit de St-Malo
( 75 )
àBreſt pour ſe faire doubler en cuivre , ( étant
tonte Reave) & avoit avec elle un convoi chargé
de munitions navales , qui s'eſt échappé fain &
fauf«.
On est toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Inde ; les bruits qui ſe ſont répandus
à diverſes repriſes ſe renouvellent,
&on ne doute pas qu'ils ne ſe confirinent
enfin tôt ou tard. Celui de la priſe de Madras
vient aujourd'hui de tous les côtés ;
fans qu'on fache trop qui l'a apporté ,
quoique cette nouvelle ne ſoit pas officielle ,
il paroît qu'on y ajoute foi ; & elle eſt du
moins très-vraiſemblable. Le Pérou , navire
de M. de Monthieu , arrivé comme on l'a
dit à Vigo , n'a rien apporté. Il avoit quitté
l'ifle de Bourbon le 4 Avril , à cette époque
on n'y ſavoit rien des opérations de
notre flotte dans l'Inde.
>>>Le vailleau la Provence & la frégate la Vénus ,
écrit - on de Brest , viennent de paſſer en rade.
La Provence eſt commandée par M. de la Roque.
Le commandement des autres vaiſſeaux
dont l'armement est bientôt fioi , a été donné ,
ſavoir , celui du Conquérant à M. de la Galiſionière
, la Victoire à M. de Marigny , le Diadême
à M. de Vidal ,le Destin à M. de Flottes , & le
Réfléchi à M. le Chevalier de Ventimille..- La
construction de nos vaiſſeaux ne peut être poufiée
avec plus d'activité , & avant la fin de l'année , il
en fortira de tès beaux de notre port «.
On écrit de Toulon que les 35 bâtimens
qu'on a frétés dans les ports voiſins de ce
département , pour être chargés de nunitions
de guerre &de bouche , étoient tous
d2
( 76 )
rendus devant l'arſenal le 22 du mois dernier
, & qu'on s'occupoit à les charger avec
célerité. Leur deſtination étoit toujours pour
Cadíx , où ils recevront ordre d'attendre les
vailleaux François qui doivent partir de
Breſt pour ſe joindre à l'armée combinée ;
ils verferont ſur ces vaiſſeaux les vivres &
les munitions dont ils pourront avoir be
foin en arrivant à Cadix.
Les nouvelles apportées du camp devant
Gibraltar par les Couriers qui en ſont partis
le 17 , ont rectifié quelques-uns des dérails
reçus précédemment , & en ont confirmé
les principaux. Les trois batteries
principales auxquelles les Anglois mirent
le feu le 13 , étoient commandées par M.
le Prince de Naſſau , M. de Moreno &
M. de Langara. Les ſept autres étoient
moins atteintes; mais lorſque l'on ſe détermina
à les abandonner pendant la nuit ,
on y mit le feu , & elles ſauterent le lendemain,
Les chaloupes de l'armée combinée
ſauvèrent la plus grande partie des équipages;
la plus grande perte vient de l'activité
avec laquelle ils ſe précipitèrent. Les
Anglois en ont ſauvé pluſieurs ; l'état que
le Général Elliot envoya le is an Duc de
Crillon , étoit de 335 priſonniers faits à cette
occaſion; il y avoit dans ce nombre 27 bleffés
dont il promettoit d'avoir ſoin comme des
fiens.
>> La Gazette de Madrid du 24 a donné la relation
des journées du 13 & du 14 Septembre ,
les détails en ſont conformes à ceux que nous avons
( 77 )
déja donnés. Elle compte dans les troupes Elpas
gnoles 41 hommes tués , 102 bleſſés grièvement ,
100 légèrement, 281 prifonniers & 94 égarés ; parmi
les François 45 tués , 34 bleſſés , II priſonniers
& 11 égarés. Le Capitaine D. Leon de Haro , de
P'artilleerriiee Eſpagnole,M.de Berard , Capitaine du
régiment de Bretagne , & M. Kilies , Capitaine da
régiment de Bouillon, font les ſeals Officiers tués.
M. de Langara , commandant la batterie flottante la
Paula, eſt le ſeul Officier de marque bleſſé. Parmi
les égarés , pluſieurs font revenus à Algéfiras <«.
Depuis ce Courier il en eſt arrivé un
autre parti du camp le 22. Le fiége fe continue
, les batteries de terre font un feu
épouvantable , auquel l'ennemi ne répond
pas. Les priſonniers qui ſont revenus au
camp affurent qu'il ne inanque d'aucune
proviſion. L'armée combinée alloit mettre
à la voile pour aller au-devant de l'Amiral
Howe. En reſtant dans la baie elle n'auroit
pas pu empêcher le ravitaillement ſi le vent
avoibitt tourné à l'Ouest à l'approche de l'ef
cadre Angloife.
C'eſt le fort qu'aura l'entrepriſe du Lord
Howe qui décidéra de celui de Gibraltar ;
nous ignorons ce que cet Amiral eſt des
venu depuis le 16. Il eſt certain que pluſieurs
de fes tranſports avoient été alors
très- maltraités ; mais c'eſt le lendemain &
les jours ſuivans juſqu'au 22 que les coups
de vent ont été terribles , & ont dû les
fatiguer encore prodigieuſement. S'il a pu
parvenir à dépaſſer le Cap Finiſtere le 25 &
le 29 qu'il eut 48 heures de bon vent , nous
d3
( 78 )
ne ferons pas long-tems fans apprendre ce
qu'il aura fait devant Gibraltar .
LeDégourdi , de Bordeaux , armé de 4 canons &
de31 hommes d équipage , écrit- on de la Corogne ,
eſt entrédans ce Port le 16 Août. Il venoit desCayes
St-Louis , Ifle St-Domingue , avec un chargement
de ſucre. Le Capitaine rapporte qu'à ſon départ de
St-Domingue , les Juin , les vivres y étoient en
abondance. Les gros vents l'ayant déma é de ſa
miſaine , l'obligèrent de relâcher le 11 Juin à la
Havane , d'où il remit en mer le 4 Juillet , de
conſerve avec le vaiſlean de guerre l'Eveillé , de
64 canons , qui eſcortoit une fregate Américaine ,
chargée d'eſpèces , & 4 barques de la même nation ,
destinées pourBoſton. Huit jours auparavant il étoit
forti de la Havane un convoi Eſpagnol , composé de
8 barques ou faïques Catalannes , bien armées , &
destinées pour Cadix , on pour quelqu'autre port
d'Eſpagne. A bord d'une de ces barques ſe trouve ,
comme paſſager , l'Archevêque de Guatimala , avec
Prêtres qui l'accompagnent. Depuis le 15 Juillet le
Dégourdi a été chailé par différens corfaires Anglois.
Le Miniſtre de la Marine a reçu une
lettre du Chevalier Blachon , Lieutenant
de vaiſſeau , commandant la frégate la
Friponne; elle eſt darée du Fort-Royal de
la Marrique le ro Août.
>> J'ai l'honneur de vous rendre compte de mon
arrivée ici avec les frégates la Friponne& la Réſolue,
après une croiſière de so jours , aa vent de Ifles
d'Antigues & de la Barbade , pendant laquelle je me
fuis emparédes corvettes le Spegdy & le Swift , armées
de 26 canons chacune , & environ 80 hommes
d'équipages , portant des paquets pour les Illes de la
Barbade , Sre-Lucie , Antigues & la Jamaique , du
cutter le Queen , corſaire de ro canens , & des
bâtimens de commerce le Spy , l'Aventure , la
Peggy & le Succès. J'ai conduit ici les corvettes
( 79 )
&expédié les autres priſes pour la Guadeloupe ,
où elles ſont arrivées «.
Nous nous empreſſons de publier la lettre
fuivante , qui vient de nous être adreffée
de la Rochelle; elle rappelle des faits dont
nous avons déja entretenu le public &
les rectifie ; elle détruit en même - tems
les infinuations qu'on s'eſt plu à répandre
depuis quelque temps , fur le prétendue
infalubrité de l'air de cette Ville , & que
nous regrettons d'avoir répétées . Norre devoir
, quand nous avons été induits en
erreur , eſt de revenir à la vérité , & nous
nous hâtons de le remplir.
>>>Je viens , M. , me plaindre à vous-même de la
facilité avec laquelle vous avez conſigné, dans votre
Journal , No. 38 page 131 , un fait qui n'a jamais
exiſté que dans l'imagination de celui qui vous l'a
tranfmis. Votre amour pour la vérité me perfuade
qu'il ne vous a pas été poſſible d'avoir les éclairciſſemens
que vous deſiriez , & que vous me fanrez
gré de ceux que j'ai l'honneur de vous adreffer. S'il
exiſte des préjugés qu'on doit reſpecter , il en eſt
d'autres qu'on ne fauroit trop s'empreſſer de détruire
, lorſqu'ils compromettent l'intérêt d'une Province.
Tels ſont ceux que l'on cherche à répandre
depuis quelque tems contre la ville de la Rochelle.
Les aſſertions que feu M. le Chevalier de Jaucoure
n'avoit pas craint de haſarder dans le Dictionnaire
de l'Encyclopédie , article,peſte , peuvent y avoir
donné licu. Sans le vouloir , vous paroîtriez , M. ,
accréditer ces préjugés , en laiſſant ſubſiſter lamême
erreur dans votre Journal. - M. le Comte de
Broglie , dans les différens voyages qu'il fit l'année
dernière, de Ruffec à Rochefort ,& aux environs ,
ne vint point à la Roshelle. Ayant fait pluſicurs
d4
( 80 )
veyages entrès-peu de tems ,&pendant les premiers
joursd'Août, on a ſoupçonné que la chaleur exceſſive
de lasaifon , & les émanations méphitiques des marais
qu'il avoit traverſés , pouvoient avoir occafionné
la maladie dont il mourut à St-Jear-d'Angely.-M.
de Voyer d'Argenſon , Commandant en feconddans
les Provinces de Poitou , Aunis & Saintonge , n'eft
revenu à la Rochelle qu'à la fin du mois dernier. II
étoit alors occupé des inſpections qu'il avoit commencées
dans les différentes villes & fur les côtes dé
fon Commandement. Il ſe propoſoit de les continuer.
Afon arrivée , il ſe plaignit de ſa ſanté , qui étoit
dérangée depuis un mois. Le travail qu'il vouloit
finir , quelques voyages qu'il projettoit dans les Illes
de Ré , d'Aix & d'Oleron , ne lui permitent pas de
prendre le repos dont il avoit beſoin. Il partit pour
l'Ile de Ré , quoiqu'il eût la fièvre depuis quelques
jours. Le mal ayant augmenté , il ſe fit débarquer
&tranſporter , dans ſa maiſon de campagne , aux
portes de la Rochelle. Il en partit le 8 de ce mois ,
malgré tous les ſymptômes qui annonçoient une
maladie très-férieuſe. Il crut que le mouvement de
la voiture , & le plaifir de ſe retrouver chez lui ,
aux Ormes , le ſoulageroient. Quelque repréſentations
qu'on lui fit ſur le danger auquel il s'expofoit
, il ſuivit ſa première idée ,& ſe rendit aux Ormes
en trois jours. La maladie pendant cet intervalle
fit des progrès très-rapides; elle acquit peut-être plus
de malignité par les fatigues du voyage , & le défaut
de ſecours en route : on n'a plus été à même de
l'arrêter; elle a cu toutes les ſuires fâcheuſes qu'on
craignoit. Il paroît , M. , que dans les pertes
qui nous affligent le plus , nous voulons , pour notre
confolation , fans doute, les attribuer à des cauſes
extraordinaires . La mort a toujours tort. Nous ne
pouvons pas croire , dans le premier élan de notre
douleur, que des Officiers Généraux , dont les talens
& les connoiſſances ont inſpiré à la Nation & à
( 81 )
,
-
tout le Militaire la plus grande confiance , qui ne
refpirent que pour le bonheur de Provinces , dont
le Roi leur a confié le commandement , foient foumis
aux évènemens ordinaires de cette triſte vie.
Mais en cédant au chagrin qui nous accable , devonsnous
imputer nos matheurs à nos voiſins ? Faut-il
décrier une Ville , une Province ; a'armer tous ſes
Habitans , & leur perfuader d'abandonner leur Patrie
? Tels feroient cependant l'objet & le réſultar
des propos auffi finguliers qu'inconféquents , qui ont
été tenus l'année dernière , & qui fe renouvellent
aujourd'hui , fi les témoins des évènemens qui y
ont donné lieu ne cherchoient à diminuer l'impreffion
que ces propos peuvent faire fur des eſprits
rrop crédules . Il eſt de fait , que M. le Comte
de Broglio n'est pas venu l'année dernière à la Rochelle
, & que par conféquent il n'a pu y prendre ,
comme on l'a dit , le germe de la maladie dont il
eſt mort à St-Jean-d'Angéli. Il est également vrai
que M. le Marquis de Voyer , qui avoit la plus
grande attention, comme il le diſoit lui- même , de
couper l'air , & d'être rarement huit jours de ſuite
dans le même endroit , étoit déjà malade lorſqu'il
vint à la Rochelle le 27 Août dernier ; que très-dur
à lui-même , occupé du bien de cette Province , &
des travaux que S. M. a ordonnés pour le deſsèchement
des marais d'Aunis & de Saintonge , s'en rapportant
un peu trop à la bonté de ſon tempérament ,
il a négligé les moyens de rétablir fa ſanté , & de
prévenir la maladie qui l'a enlevé à nos voeux & à
nos plus douces eſpérances . Voilà , M. , ce que
je puis vous certifier , d'après l'aveu général & parriculier
de tous ceux qui ont connu & ſuivi les deux
Lientenans-Généraux que nous avons eu le malheur
de perdre. C'eſt un hommage que je dois à la vérité.
Puiffe-t-il réparer le tort que d'aveugles préjugés &
de faux rapports ont fait à notre Ville . Veuillez,
-
M. , inférer ma lettre dans votre premier Journal
ds
782 )
je vous en aurai une véritable obligation. Mes concitoyens
vous fauront un gré infini de rétracter ainſi
une erreur , qui ne peut leur être que très-préjudiciable.
J'ai l'honneur d'être , &c. figné , le Chevalier
DE MALARTIC , Lieutenant - Colonel-Commandant
du Bataillon de Garnison de Poitou.
Le défaut de place ne nous a pas permis
de donner dans le Journal précédent la
fuite des obſervations intéreſſantes ſur la
découverte du ciment de M. d'Etienne.
Nous allons les continuer ; ce n'eſt pas nous
qui parlons ici , c'eſt l'Architecte eſtimable
qui nous les a fait paffer.
>>>Tout le ſecret de M. d'Etienne dépend donc
d'introduire dans une auge , qui contient par exemple
fix pouces cubes de ciment préparé , comme
de coutume , un pouce cube de chaux vive
nouvelle & c'eſt à l'aide de cet agent qu'il
parvient à faciliter l'évaporation de ſon eau , fans
crainte de retrait ni de gerſures . Il eſt manifefte
que cette méthode eſt précisément celle de M. Leriot
, ou plutôt n'en eſt que l'application. Il eſt vrai
que M. d'Etienne avoue dans ſon Mémoire s'être
ſervi des eſſais des Artiſtes , qui l'ont précédé dans
la même carrière ; mais fi cela eſt , & s'il n'a fait
qu'adopter le procédé de M. Loriot , d'où vient
n'en pas prévenir le public , & pourquoi lui annoncer
ſen ciment comme une découverte.-Toute
la différence entre leur emploi ne conſiſte que dans
l'épaiſſeur de l'enduit ; M. Loriot obſerve de donner
à l'enduit de ſes terraffes environ un pouce d'épaifſeur
, & de le placer toujours ſur un aire de bon
martier , avec lequel il puiffe faire corps ; au lieu
que M. d'Ericane ſe borne à donner au ſien une
ligne ou une demi-ligne d'épaiſſeur , & à le placer
fur du carreau , ce qui ne paroît pas devoir lui
procurer autant de ſolidité , vu qu'il ne fauroit s'y
( 83 )
attacher que difficilement. La raiſon qu'il allègue
pour justifier cette minceur , eſt que plus une
couche de ciment eſt épaiſſe , plus le volume d'eau
pour la former eſt conſidérable , & que toute cette
eau devant s'évaporer pour donner de la conſiſtance
au ciment , elle y laiſſe des vaides , des
crevaſſes , au lieu que le ſien n'en contenant qu'une
très-petite quantité ne pouvoit éprouver de changemeat
fenfible par la deſſication. Mais ne pourroit-
on pas lui répondre que , dès qu'il dépend d'une
certaine doſe de chaux vive d'empêcher les gerſures,
en ſappoſant l'enduit d'un pouce d'épaiſſeur ou
d'une ligne , l'évaporation de l'eau ne ſauroit qu'être
la même , & proportionnelle à ces agens ; que
la minceur du ciment devoit être regardée plutôt
comme un défaut que comme une perfection ,
en ce qu'elle peut contribuer à le trop deſſécher &
à lui ôter le gluten néceflaite pour lier toutes les
parties après l'évaporation ; & qu'enfin c'eſt ſans
doute pour lui redonner de l'onctuoſité que M.
d'Etienne ſe croit obligé d'étendre après coup une
couche d'huile graſſe ſur ſon enduit.-Au furplus
, c'eſt à l'examen de ſa terraſſe qu'il faut recourir
pour apprécier , je ne dis pas la bonté de ſon
ciment , puiſqu'il eſt reconnu être le même que le
mortier- Loriot , mais la valeur de ſon emploi. J'y
ai remarqué , ainſi que pluſieurs perſonnes , nombre
de rétabliſſemens , de repriſes , de lézardes & de
gerſures qui annoncent qu'on y a certainement fait
de fréquentes réparations . J'ai même obſervé qu'en
frappant avec le bout de ma canne en quelques endroits
de cet enduit , il ne paroiſſoit pas attaché au
carreau , & fonnait le creux , comme quand deux
corp font poſés l'un ſur l'autre & n'ont pas d'adhé.
rence. Que ces effets , au reſte , ayent été produits
par la minceur de ce ciment , ou parce qu'il
ne fait pas corps avec le caricau toujours eft-il
que le mouvement inévitable de la charpente des
,
d6
(84 )
1
planches qui ſupportent cette terraſſe , à raiſon des
diverſes impreffions de l'air , ne fauroit manquer
de ſe communiquer à ſon enduit , & d'y occafionner
quelquefois des fentes & des lézardes, ainsi que
cela arrive aux maſtics des dalles poſées ſur des
foives , dont j'ai parlé ci-devant. Après l'exécu
tion de ces fortes d'ouvrages , on apporte volontiers
dans les commencemens beaucoup de ſoins
à reparer les fentes , les gerſures ou les ruptures
des maſtics à meſure qu'elles paroiſſent; mais peuà-
peu on néglige ces réparations , l'eau parvient à
s'infinuer dans les planchers , faute d'avoir toujours
à point nommé un maſtiqueur pour faire les
rétabliſſemens convenables ; & à la fin on eft obligé
de renoncer aux terraffes qui ne font pas faites fur
des voûtes , ou de les couvrir en plomb ; & c'eſt
probablement ce qui arrivera auffi à la terraffe de
M. d'Etienne. Signé PATTE , Architecte de S. A.
S. Mgr le Duc Regnant des Deux-Ponts.
Onlit dans les Affiches de Toulouſe un
fait bien fingulier , & dont les faites ont
été des plus affreuſes.
>> Un payſan des environs de Figeac , qui n'avoit ,
comme ceux de ſon eſpèce , d'autre reſſource que le
produit de ſes journées , pour fournir à ſa fubfiftance
& à celle de ſa famille , ſe rendit dans une vigue
qu'il s'étoit chargé de tailler. Sa femme malheureuſement
voulut l'accompagnerpour alléger ſon tra
vail : elle fut obligée de porter avec elle un
jeune enfant qu'elle allaitoit. A leur arrivée leur premierſoin
fut de placer cet enfant à l'abri du ſoleil &
dans un endroit commode d'où ils puſient le voir . A
l'heure de déjeuner , ils vont s'affeoir à côté de l'enfant
pour y prendre leur repas ; mais quele fut leur
furpriſe en le voyant pâle , défiguré , & fans mouve
ment, ils s'apperçerent qu'il fortoit de fa bouche
quelque choſe qui reſſembloir à la queue d'un ſer
pent ; auffi-tôt le père s'en faifit par le bout de ſo
( 85 )
doigts ,&tirant avec précipitation,il arrache une vis
pere, qui attirée ſans doute par l'odeur du lait , έτοιε
entrée dans le corps de l'enfant & l'avoit éto ffé . Ce
père désolé devint injufte , il accuſe ſa femme d'être
la cauſe de la mort de ſon fils : it jette des cris lamentables
, & n'ecourant que ton déſeſpoir , après s'être
ſaiſi d'une ferpette , illui coupe le cou. - D'autres
Journaliers qui travailloient tout près de- là , accouru
rent au bruir , &furent témoins de ce déſaſtre. Lanouvelle
en fut aufli- tôt répandue : le meurtrier fut arrêté
, & traduit dans les priſons où il eſt détenu de
puis un mois.
L'anecdote ſuivante mérite d'être recueillie
; elle prouve que dans les accidens les
plus déſeſpérés , des ſoins actifs peuvent
encore être utiles .
> Le 30 Septembre , à Champigny, près Saint-
Maur , le nommé Breton , Compagnon Maçon ,
choiſi comme le plus brave d'un attelier , pour
vuider & réparer un puits public , reconnu en danger
, y defcendit à 5 heures , & s'occupa à l'épuiſement
avec d'autres ouvriers qui tiroient le
baquer , & leur cria peu de tems après : fecourezmoi
camarades , je péris. A ce cri les ouvriers
redoabient d'effo ts pour remonter le baquet où
s'étoit jetté le Maçon , mais à peine purent-ils le
monter à la moitié de la hauteur; un éboulis gé.
néral les arrêta; en un moment le puits fot comblé
de pierres , au ras de la rue , & le malheureux
reſta enſeveli ſous 15 pieds de décembres. Les cris
firent accourir M. l'Abbé de Champigny , Chanoine
de Notre-Dame , qui heureuſement étoit à
ſa terre; en un moment il raflembia tous les ouvriers
du pays , & les invita à ſecourir ce malheureux.
Hélas , s'écrie la multitude, il eſt mort accablé
ſous un monceau de pierres ; il faut y voir
répond M. l'Abbé , il y a mille contre un pour,
86 )
la mort, mais un ſur mille ſuffit pour me décider,
travaillons. Les ouvriers animés par ce mor ,
s'empreffent , dès que l'un eſt épuisé par le travail,
il trouve des rafraîchiſſemens préparés à côté , &
cependant un autre prend ſa place. Avec cette activité
les décombres ſe vuident , on obſerve qu'il
y a néceſſairement un porte à faux , une eſpèce
de voûte produire par la rencontre fortuite des
pierres en tombant , on en fent le danger , on
ſuſpend les ouvriers à des cordes lâches , leur zèle
s'accroît par cette précaution , à 9 heures on entend
le malheureux à travers les décombres dont
il eſt couvert, on redouble d'activité ; à 11 heures &c
demie on n'est pas encore à lui ; enfin on y parvient,
un vuide demeuré autour de ſa tête , lui avoit
conſervé la reſpiration , mais il avoit tout le corps
enveloppé de pierres & de gravats , on le dépêtre;
à peine a-t- il les bras libres qu'il s'aide luimême;
enfin à 2 heures &demie du matin il eſt
dégagé & emporté dans ſon lit, fans bleſſures graves;
le lendemain à 7 heures du matin je l'ai vu avec
M. l'Abbé de Champigny, il ne ſe plaignoit que
des contufions dont il avoit le corps couvert. Le
baquet fontenu par la corde s'étoit eugrené avec
les pierres , & avoient formé une eſpèce de voûte ,
quinze pieds environ au-deſſus du fonds du puits.
Quelle douce fatisfaction pour M. l'Abbé de Champigny,
& quel exemple à propoſer pour les oc
cafions à per-près ſemblables cc.
On nous écritde St - Amand en Berry ,
que M. Aubry , Maître en Chirurgie ,
qui y eſt établi , a fait une découverte
bien importante & bien précieule pour
l'humanité , c'eſt la compoſition d'un cauftique
qui quérit parfaitement & en peu
de tems les humeurs cancéreuſes. Il a traité
avec le plus grand ſuccès pluſieurs perfon
( 87 )
nes , & récemment M. Gabriel- Gilbert
Geoffreney , ancien Garde du- Corps du
Roi , demeurant dans la même Ville. Cer
Officier avoit fait au mois de Mai de l'année
dernière un voyage à Paris , pour y
chercher des foulagemens qu'il n'a pu ſe
procurer ; il a conſulté les Gens de l'Art
les plus habiles de cette Capitale , MM.
Louis , Petit , Jayle , &c. , mais cette humeur
cruelle a réſiſté à tous les remèdes;
elle n'a pu être diſſipée que par celui de
M. Aubry. Nous nous emprenons de contribuer
à donner de la publicité à ſa reconnoiffance
, & fur-tout à annoncer une
découverte dont l'expérience a prouvé
l'efficacité contre des maux qui juſqu'à
préſent ont preſque toujours été regardés
comme incurables , lorſqu'ils étoient parvenus
à un certain degré.
Toutes les productions nouvelles desArts ;
celles fur-tout qui ſont d'ungenre ſupérieur ,
&qui réuniffent le mérite de la plus belle
compoſition des ſujets , à la perfection de
l'exécution , ont droit d'occuper une place
dans ce Journal. C'eſt à ce titre que nous
nous empreſſons d'annoncer celles que M.
Moreau , Deſſinateur &Graveur du Cabinet
du Roi &de ſon Académie de Peinture
vient de publier. La réputation de cet Artiſte
eſt déja faite par un grand nombre d'Ouvrages
intéreſſans , tels que les Estampes des
OEuvresdeMoliere, celles de J. J. Rouffeau
in-4°. , imprimées à Bruxelles , des Incas
( 88 )
de M. de Marmantel , la ſuperbe Gravure
du ſacre de Los XVI , &c. Il a confacré
ſes crayons & fon burin à orner les édi
tions des Euvies de M. de Voltaire. La première
livraiſon des Estampes qui y ſont
deſtinées vient de paroître de format in-
4°. & in- 8 °.; elles font au nombre de
10 , & doivent être placées à la tête de
chaque Chant de la Henriade. Il n'y en a
point qui ne faſſe le plus grand honneur
à l'Artiſte habile qui les a compofées , &
aux burins qu'il a choiſis , pour rendre ſes
compoſitions le plus fidèlement poſſible.
Ce font ceux de MM. Maſquelier , Delignon
, Dambrun , Patas , Guttemberg
Helman , Simonet , Duclos & Romaner.
Les ſujets , quoiqu'ils aient été traités ſouvent
, n'en paraîtront pas d'un genre moins
neuf. On nous faura gré de les indiquer.
Le premier offre Henri IV & Mornay dans l'iſle
deJerſey, écoutant le vieux Solitaire , qui lui prédit
ſes ſuccès , ſa converfion & fon entrée triomphante
à Paris. Rien de plus noble que les 3 figures
, qui ont chacune l'expreffion qui lui eft propre.
-L'affaffinat de Coligni eſt le ſujet de la ſeconde
Eſtampe. La figure entière de l'Amiral tombant ,
mouran de coup que Befme lui porte en détournant
la tête , contraſte admirablement avec celles de ſes
affaffins.-La troiſième , qui préſente Joyeuſe expirant
& emporté par ſes foldats , eſt du plus grand
effet ; nous en dirons autant de la quatrième &de la
cinquième le ſujer de l'une eſt l'entrée des Seize ,
fous la conduite de Buſſy, dans le Parlement , &Harlay
s'avançant au- devant des fers qu'ils lui portent :
celui de l'autre eſt le ſacrifice de la Ligue , trouble
( 89 )
par l'apparition de Henri ; ce ſont deux tableaux
d'un effet impofant & majestueux. Celui du ſizième
eft Henri donnant l'affaut à Paris , & arborant fon
drapeau ſur la brèche, Dans le ſeptième , on voit le
Héros conduit par S. Louis à la porte des Enfers ,
®ardant au milieu des feux l'aſſaſſin de Henri III ,
tenant encore à la main le poignard dont il s'eſt ſervi.
L'épiſode intéreſſante du combat ded'Ailly , avec fon
fils , a fourni le ſujet de la huitième. A ce tableau
pathétique & touchant en fuscède un dans le genre
le plus gracieux; ce ſont les amours de Henri avec
la belle Gabrielle. Rien de plus frais , de plus agréable
que cette Eſtampe qui eſt la neuvième. Ladixieme
nous remontre le Héros dans tour l'éclat de ſa
grandeur & de ſa dignité ; il entre dans Paris , la
Foi marche devant lui & le guide ; & le peuple en
foule ſe proſterne à genoux , & fait retentir l'air de
ſes acclamations ( 1 ) . -La livraiſon qui va fuivre
eft compoſée en grande partie des pièces du Théâtre
On écrit de Lyon qu'il eſt mort dans la
Paroiffe de la Commanderie de St-George
de cette ville un particulier nommé Jean
Marion , âgé de 103 ans , fils d'un Laboureur
du Dauphiné , demeurant chez ſon fils ,
Maître Fabricant ; il s'étoit rendu juſqu'à
ſa mort utile à la maiſon par des travaux
qui demandoient de la force & de l'activité.
On dit d'après le rapport du défunt
&une tradition du pays , que ſon père eſt
mort dans ſon village à 121 ans .
Anne-Catherine-Laurence de Waroquier,
Baronne d'Arcriere , née à St-Affrique en
Rouergue le 2 Février 1750 , élevée à la
<(1) On foufcrit chez l'Auteur , rue du CoqSt Honoré,
près le Louvre. Il pris les Souſcripteurs de faire retirer la
ivraiſon qui vient de paroître.
( 90 )
Maiſon Royale de St-Cyr , fille de Meſſire
Jean - Baprifte de Waroquier , Chevalier ,
Seigneur & Gouverneur pour le Roi de
la Ville de St Affrique , & c. , ancien Capitaine
de Cavalerie , Chevalier de Saint-
Louis & de feue dame Catherine de
Galtier de Montagnel du Terrier , mariée
en 1775 à Meffire Amans- Charles de Vigouroux
, Ecuyer , Seigneur de Barry &
Baron d'Arviere , eſt morte en ſon Château
d'Arviere , près Rodez , le 14 Août
1782 .
Arrêt du Conſeil en date dus Juillet dernier ,
qui , en confirmant les anciennes Ordonnances &
Règlemens , ordonne que les matières & monnoies
d'or & d'argent qui ſe trouveront à bord des Priſes ,
ſeront portées aux Hôtels des Monnoies ou aux
Changes les plus prochains.
De BRUXELLES , le 8 Octobre.
Le rapport que le Stadhouder a fait aux
Etats-Généraux des ordres qu'il a donnés
au Texel , relativement à l'eſcadre Hollandoiſe
, eſt conçu ainſi.
>> Depuis la rentrée de l'eſcadre de la République
au Texel ; j'ai fait tout ce qui étoit en mon pouvoir
, pour la faire reſſortir promptement. Acet effet
je me ſuis rendu au Nouveau-Diep le 20 Août , pour
m'informer de l'état des vaiſſeaux. Le 21 Août j'ai
conféré avec les Officiers-Généraux de Marine , qui
étoient préſens , & les Conſeillers & Miniftres des
Amirautés , qui ſe trouvoient auſſi ſur les lieux y
ontaffifté. J'ai communiqué à V. N. P. les minutes de
cetteconférence; elles yverront entre autres , qu'on
vaiſſeau & 4 frigates ferojent prêts en peu de jours ,
( 91 )
8vaiſſeaux de ligne en dix jours , 4 autres quelques
jours après , randis qu'une frégate devoit être carénée
&une autre réparée . J'ai recommandé de mettre les
Vaifſeaux en état auſſi promptement que poſſible ; fur
l'avis que je reçus que plufieurs vaiſſeaux Angiois
crofoient dans la mer du Nord, javordonné de détacher
du Texel la goëlette le Dauphin , & de la
Meuſe le cutter Epervier , vers Drontheim , ainfi
que de fréter autant de bâtimens neutres qu'il ſeroit
poffible pour le même voyage , à l'effet d'avertir le
commandant des vaideaux qui eſcortent les navires
de la compagnie des Indes , de la venue de cette efcadre
Angloiſe dans la mer du Nord , pour qu'il pût
prendre les metures qu'il jugeroit les plus propres
,
metre ſon convoi en sûreté. Je joins ici copie des
lettres , que j'ai fait expédier le 22 du mois dernier
an Vice-Amnal Pichot , au Contre-Amiral Dedel , &
au capitaine van Gernip. Les dix jours étant échus
dans le délai deſquels l'on s'étoit engagé à remettre
la plupart des vaiſſeaux en état de prendre le large ,
j'ai écrit au Vice-Amiral Hartinck , une lettre en
date da i de ce mois , dont je remers copie à V. N. P.
&la réponſe originale du Vice- Amiral en date du 2
du courant , copie de ma ré,lique da 3 , & deux
lettres de Vice-Amiral du 4 Septembre. J'ai mandé
les MM.les Conſeillers-Fiſcaux Birdom , de l'Amirauté
de la Meuſe , & van der Hoop , & de celle
d'Amerdam , avec les Vice - Amiraux Reynst &
Zourman , pour les confulter ſur la réponſe à faire
au Vice-Amiral Hartſinck . Je joins ici leurs confidérarions
, ainſi que la minute de la lettre que j'ai envoyée
au Vice- Amiral Hartfiack , le 6 du mois conrant
peu après minuit , & copie de ma lettre au contre-
Amiral Dedel dus du courant. Le même jour ,
je reças de la Meuſe ure nouvelle , que je communiquai
par mesfage au Vice-Amiral Hartfinck . Je joins
ici une copie de la lettre dont j'accompagnai cet avis .
Le 7 le capitaine comte de Welderen arriva comme
1
( 92 )
exprès avec la lettre du Vice-Amiral Hartfinck du
6 du courant , où V. N. P. trouveront copie du réſultat
du Conſeil de Guerre du 4. Après avoir reçu
cette lettre , je réſolus de faire une tournée au nouveau-
Diep , afin de pouvoir faire tenir Conſeil de
Guerre en ma préſence &de prendre , ſelon les circonſtances
, telle réſolution , que le ſervice de l'Etat
l'exigeroit. J'ai envoyé le colonel Bentinck au Vice-
Amiral Hartſinck avec la lettre , dont je remets auffr
ci-joint copie à V. N. P. Le 8 je reçus la lettre cijointe
du Vice-Amiral Hartfinck du 7 du courant en
réponſe à ma ſeconde lettre du 6. Le même ſoir je
fuis parti d'ici ; & ayant fait route toute la nuit , j'ai
fait convoquer le , Septembre unConſeil de Guerre
compofé de tous les Officiers Généraux de Marine &
capitaines préſens, & auquel a aſſiſté M. le Conſeiller
Fifcal van der Hoop,de l'Amirauté d'Amſterdam. J'ai
cru devoir communiquer à V. N. P. les minutes de
ce qui s'y eſt paſſé , ainſi que de l'avis du Vice-Amiral
Zoutinan , anquel à mon retour j'ai demandé ſes com
fidérations ſur les opinions du Confeil de Guerre.
V. N. P. y verront les ſentimens unanimes de tous
les fusdits Officiers Généraux &Capitaines. J'ai fait
difficulté d'ordonner , contre ces avis unanimes , la
fortie de la flotte; mais j'ai cru devoir me contenter
d'enjoindre de tenir les vaiſſeaux approviſionnés
d'eau & de vivres , de façon qu'ils puffent fortir au
premier ordre convenablement équipés , & m'adreffer
à V. N. P. avec prière , qu'elles m'informent des
intentions de L. H. P. , au ſujet de la fortie des vaifſeaux
de la République , & m'apprennent ſi L. H P.
défirent que , malgré les avis unanimes des Officiers
deMarine , 1 Eſcadre doive mettre en mer. J'ai déja
chargéle Vice- Amiral Hartfinck , en préſence des
autres Officiers Généraux , de mettre en mer , fans
attendre des ordres ultérieurs , dès qu'il recevroit des
avis dignds de foi , concernant le départ de l'eſcadre
Angloiſe, qui avoit croisé ſur nos côtes, &de ſa ren
trée dans laManche , de façon qu'on put compter
que la flotte de Mylord Howe étoit par ie ou ſur ſon
départ pour Gibraltar , me référant aux divers ordres
, que je lui avois donnés , ſpécialement à mes
lettres des 1 , 3 , 6 & 7 Septembre.-J'eſpère avoir
rempli par ce que deſſus les intentions de L. H. P. ,
&je ſuis prêt à envoyer a l'eſcadre de la République ,
particulièrement pour ſa ſortie , tels ordres , que
L. N. P. jugeront à propos, ayant fait tenir tout prêt
pour les exécuter ſans perte de tems , dès que le vent
& la marée le permettront.
On attend encore à chaque inſtant la
nouvelle de la ſortie de cette eſcadre ;
mais celle de l'arrivée de la flotte de la
Baltique en Angleterre la fait maintenant
attendre plus patiemment.
La propoſition de la ville de Leyde pour
examiner l'adminiſtration de la marine , a
été généralement approuvée dans les dernières
ſéances des Etats de Hollande & de
Weſtfriſe par les 18 villes qui ont droit
de fuffrage à certe Aſſemblée ; elle a dû être
convertie en réſolution au commencement
de ce mois.
Le Collége d'Amirauté du département
de la Meuſe , ayant propoſé aux Etats-Généraux
la réparation des chantiers de Fleffingue
, & la conſtruction d'un baffin dans
ce port , dont les frais ont été évalués à
400,000 florins; les Commiſſaires des départemens
reſpectifs , ont remis aux Etats-
Généraux un rapport favorable à cette propoſition.
Cette affaire a été miſe en délibération
, & on a donné communication du
1
( 94)
projet à tous les Membres des Etats , afin
qu'ils prennent à ce ſujet les inſtructions
de leurs commettans .
>> Cette ville , écrit-on d'Amſterdam , ainſi que
celles de Rotterdam , de Leyde , &c. fuivent l'e.
xemple donné pour celle de Dordrecht , qui , la
première , s'eſt propoſéede rentrer dans l'exercice
de pluſieurs droits dont elles jouiſſoient précédemment
, & qui avoient été abandonnés au Stadhouder
depuis 1747 ; on croit aſſez généralement que ces
villes entraîneront les autres . - Le voeu général
ici eſt de faire vivement la guerre à l'Angleterre.
Notre Amirauté a 3 vaiſſeaux de 64 , dent un mettra
à la voile dans is jours au plus pour le Texel ;
elle en a encore 3 de 74 ſur les chantiers , ainſi
ques autres de 64; 2400 ouvriers ſont employés
journellement. - Le vaiſſeau le Tigre , conſtruit
fur le plan de M. Boux , eſt parti le 24 Septembre
pour le Texel , à l'aide des chameaux. - II
eſt certain que ſi la flotte avoit pu fortir depuis
lers , elle ſeroit dehors; mais il a fait des tems
fi affreux , que les vaiſſeaux ont eu à ſouffrir dans
la rade. La côte eſt couverte de navires naufragés.
Il faudra cependant qu'elle te mortre bientôt
au-dehors ; le peuple qui a tort fans doue , fait
retomber ces retards ſur M. Hartfink ; il s'eſt
même porté ici à des extrémités très-graves ; il a
voulu démolir ſa maiſon , & ce n'est qu'avec peine
qu'on eft parvenu à le calmer. - Il y a 3 vaifſeaux
de 64 ſur les chantiers de Rotterdam , &
un de 54. Un autre de 64 doit être es mer actuellement.
Il a été conſtruit à Hellevoetſluis ; il
eſt commandé par le brave de Hordt,le premier
Hollandois , qui ait fait abaiffer un pavillon Anglois
de guerre depuis les heſtilités «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 2 OF.
Le 28 Septembre on a appris que 30 vaiſſeaux de
ligne François , portant près de 1000 foldats , ſe
( ور (
font rendus maîtres de pluſieurs Forts dans la baie
d'Hudſon. Ces vaiſſeaux venoient de St-Domingue
&avoient appareillé avant le départ de M. de Vaudreuil.
On dit qu'un armement plus confidérable
menace les poffeffions qui nous reſtent dans le
nord de l'Amérique , & pluſieurs perſonnes croient
que les François & les treize Provinces doivent ſe
partager Terrre-Neure , d'autres imaginent que les
armes de la France vont ſe tourner vers le Canada ,
dont la conquête ne ſera point difficile.
On aſſure qu'à la dernière aſſemblée du Conſeil
du Cabinet , la déclaration de l'indépendance de
l'Amérique a été fignée par le Roi & envoyée aufli
tôt à Paris.
Les nouvelles données récemment par les gazettes
de New-Yorck ont bouleverſé toutes les têtes
politiques. L'Amérique a été certainement déclarée
indépendante par les Commiſſaires de S. M. Mais
le public ignore d'où ſont émanés les ordres qui
ont effectué cette déclaration , & il n'en ſera probablement
inſtruit qu'à la rentrée du Parlement.
-Cette déclaration eſt une des grandes queſtions
politiques qui aient été jamais agitées dans ce pays ,
fans en excepter celle qui étoit relative à l'abdication
Jors de la révolution. Le premier point qu'elle ren
ferme eſt : La Couronne peut-elle aliéner les Domaines
de l'Empire ? « Si ce premier point eſt décidé
à la négative , comme il le ſera ſans doute , on demandera
en ſecond lieu : >>>L'acte du Parlement qui
autoriſe la Couronne à faire la paix avec l'améri
que, lui donne-t-il le pouvoir dedéclarer l'Amérique
indépendante ? « Si cette queſtion eſt décidée contre
l'existence d'un tel pouvoir , alors on demandera
Quel est le Miniſtre qui a conſeillé cette démarche?
c
Malgré la diverſité des bruits qui ont couru fur
ladate de la rentrée du Parlement , il paroît certain
qu'il ne s'aſſemblera pas avant le 26 ou le 28
du mois de Novembre. -Le Parlement d'Irlande
eſt prorogé au 26 du même mois.
4
( 96 )
!
Le 28, dans la matinée , or a reçu à l'hôtel de la
Compagnie des Indes quelques dépêches des établiſſemensdu
Bengale. Elles font venues par la voie
de terre, mais on dit qu'elles ne renferment que des
duplicatas de celles qu'on a reçues précédemment.
-Vers la fin du mois de Novembre la Compagnie
des Indes fera partir une flotte pour ſes établif-
Temens , & on dit que le Gouvernement les fera convoyer
par pluſieurs deſtinés à renforcer l'eſcadre de
l'Amiral Hughes.-Le vaiſſeau l'Africa , qui arrive
de Gorée , rapporte qu'une fièvre maligne a fait
pendant quelque tems de grands ravages ſur la
côte du Sénégal , &a emporté un grand nombre
d'habitans.
Hier un particulier , arrivé de Paris , a apporte
la nouvelle ſuivante. Le 12 Septembre , les Eſpa
gnols ont commencé à attaquer Gibraltar du côté
de la mer. Le lendemain 15, leurs batteries flot
tantes ont été incendiées & totalement détruites
par le canon de la place , qui a tiré à boulets rou
ges. On préſume que les affiégeans ont perdu plus
de 2000 hommes dans cette affaire qui a durépluſieurs
heures. Leur eſcadre étoit , dit-on , dans la
baie, & n'a pu donner aucun ſecours aux batteries
flottantes. Tous nos papiers ſont remplis de détails
incroyables ſur cet heureux évènement qu'ils -
appellent tous la déconfiture totale de la Maiſon
de Bourbon.
L'Amirauté a reçu avis des Dunes que le Commodore
Elliot étoit forti avec une petite eſcadre
pour la première ſtation , afin d'empêcher les Corfaires
de St-Malo & Morlaix de mettre en mer
dans le deſſein d'intercepter quelques-ups des vaifſeaux
de la flotte de la Jamaïque , attendue en
Angleterre , en cas qu'ils fuſſent ſéparés par un
coup de vent. L'eſcadre du Commodore Elliot eft
compoſéedu Romney de so , du Mediator de44 ,
du Prudent de 36 , & de l'Eurydice de 34.
MERCURE
DE FRANCE .
SAMEDI 19 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ETEN PROSE.
ADÉLAIDE , ou la Raison dupe de
l'Amour , Conte.
ADELAIDE , au printemps de ſa vie ,
Penſoit en Philofophe , & mépriſoit l'Amour.
Adélaïde étoit pourtant jolie ;
Taille bien priſe & jambe faite au tour ,
Quelque peu de penchant à la coquetterie ,
Des yeux fripons , de l'eſprit , des talens ,
Et l'âge heureux de ſeize à dix- sept ans
Voilà le vrai portrait de la gente fillette.
Elle aimoit à parler , ( je m'en étonne peu ,
On dit qu'à ce défaur toute femme eſt ſujette ,
Et j'en fais de grand coeur l'aveu ,
Car je ſuis femme , & dois en ſavoir quelque choſe.)
Adélaïde, un ſoir dans un cerele nombreux ,
Nº. 42 , 19 Octobre 1782 . E
t
こ
MERCURE
Où de l'indifférence elle plaidoit la cauſe,
S'exprimoit en ces mots : >>Heureux ! cent fois heureux!
>> Celui qui de l'Amour ne reſſent point les feux !
» Pour lui , dans tous les tems , la Nature eſt riante ,
>>>Il fait jouir de tout. Une âme indifférente
→ A peu de frais peut goûter le bonheur ;
• Le vol d'un papillon , le parfum d'une fleur ,
>> Tout l'intéreſſe , tout l'enchante......
♫ Loin de l'objet aimé , rien ne plaît à l'amant.
>> Sombre , diſtrait , rêveur , impatient ,
« S'il veut parler , ſa langue s'embarraſſe ;
>> Il entend ſaus comprendre , & regarde ſans voir.
>> L'eſpérance l'enflamme , & la crainte le glace ;
>> Leplus léger ſoupçon le met au déſeſpoir.
* S'il dort , la triſte Jalouſie
•Vient troubler ſon repos par un ſonge fatal ,
>> Qui lui fait voir un amant , un rival
>> Aux pieds de ſon ingrate amie.
>> Il en frémit , il s'éveille indigné ,
> Et croit fans ceſſe entendre une voix qui lui crie :
>> Eſt- il vrai que tu ſois aimé ?
>> Ce doute affreux empoiſonne ſa vie.
- Je le répète encor , heureux ! cent fois heureux !
• >> Celui qui de l'Amour ne reſſent point les feux.
» Je jure..... >> En get endroit on interromptlabelle,
On annonce Derval. Ce Derval , cher Lecteur ,
Eſt fait pour captiver le coeur
De la Beauté la plus cruelle.
Il entre,& fa préſence interdit l'Orateur,
DEFRANCE.
وو
Qui , tour- à-tour , rougit. , pâlit , chancelle.
Adieu les beaux diſcours , les préceptes moraux ;
Un regard de Derval enflamme Adélaïde ,
Et de mon Héroïne un coup- d'oeil bien timide
A Derval ôte le repos .
J'ignore la fin de l'hiſtoire ;
Mais ſi j'en crois les médiſans ,
Après maints beaux raiſonnemens ,
La fière Adélaïde a cédé la victoire ,
Et répète depuis ce temps :
Qu'à ſon âge on eſt foible , & qu'il ne faut pas croire
Aux Philoſophes de ſeize ans .
(Par Mllede Gaudin. )
L'HIVER , Stances à Églé.
L'HHIIVVEERR deſcend dans nos
campagnes,
Les vents fifflent , l'air s'obſcurcit ,
La neige voltige , & blanchit
Le front ſourcilleux des montagnes.
Sous ce triſte fardeau les forêts ont plié ;
Dans chaque fleur , dans chaque plante ,
Par-tout l'Hiver s'offre à ma vûe errante ,
Par- tout il s'eſt multiplié.
De l'aſtre qui nous luit les rayons ſalutaires ,
Sans force & fans chaleur colorent nos coteaux ;
Et dans ſes ruches ſolitaires ,
L'abeille pareſſcuſe interrompt ſes travaux.
Eil
100 MERCURE
Les ruiſſeaux enchaînés fur leurs rives glacées ,
Repoſent en filence & preſque inanimés ,
Et ſur les neiges entaſſées ,
Mes pas tremblans ſont imprimés,
Tous les élémens ſe confondent ,
Les fougueux aquilons répondent
Aumugiſſement ſourd des flots tumultueux ;
De l'Hiver déchaîné tout nous peint les ravages ;
Et ces fleuves errans ſuſpendus dans les cieux ,
Rapides précurſeurs des foudres , des orages ,
Ceignent des monts blanchis les ſommets faſtueux.
ENTENDS-TU , chère Églé , da fracas des tempêtes
Retentir les monts foudroyés ?
Tout ſe confond, la mort eſt ſur nos têtes ,
Mais le plaifir eſt à nos pieds.
AME de tout ce qui reſpire ,
Toi , pour qui j'ai monté ma lyre ,
Divin plaifir , viens réchauffer mes ſeas;
Je laiſſe au loin gronder les vents ,
C'eſt en vain que leur rage à m'effrayer conſpire.
:
QUAND je tiensmon Églé dans mes bras amoureux,
Ai-je beſoin de Flore ou de Zéphyre ?
Au milieu des frimats mon coeur eſt plein de feux ;
Églé , par un coup-d'oeil , par un tendre ſourire ,
Me ramène au Printemps quand la Nature expire .
(ParM, Latour de Lamontagne. )
:
:
DE 101
7
FRANCE:
Que ne peut l'Amour Paternel ? Conte.
QUAND le ciel a donné à l'homme des
deſirs violens , le plus funeſte préſent qu'il
puiſſe y ajouter, c'eſt une grande étendue de
pouvoir. M. de Frémival étoit né avec
des ſens fougueux ; une ſurabondance de
ſanté & de vigueur lui donnoit des paſſions
brûlantes , & il étoit riche , c'est- à-dire , qu'il
avoit la faculté de les ſatisfaire . De bonne
heure il avoit eu la paſſion de l'amour , ou ,
pour mieux dire , l'amour des femmes ; de
bonne heure il en avoit fait non pas ſon délaffement
, mais fon occupation ; & ce goût
chez lui n'avoit fait que fe renforcer encore
par l'habitude de s'y livrer. Depuis vingt
ans , ( car Frémival en avoit déjà près de
quarante , & il croyoit toujours avoir le
même âge , parce qu'il avoit toujours la même
conduite ) depuis vingt ans, dis je , il groffiffoit
la liſte de ſes victimes. C'étoit pourtantun
ſcélérat qui n'avoit pas encore perdu le
titre d'honnête homme ; c'est-à-dire , que s'il
contraignoit au divorce deux époux autrefois
bien unis , s'il cauſoit ainſi la ruine d'une
famille entière , il payoit une dette de jeu
en moins de vingt - quatre heures ; & s'il
violoit , pour perdre une femme crédule ,
les fermens les plus ſacrés , il reſpectoit une
parole donnée pour une partie de plaifir.
Il ne faut pourtant pas s'y méprendre ;
E iij
102 MERCURE
Frémival n'étoit pas un fat. Un fat n'ambitionne
que le bruit , au lieu qu'il aimoit
moins à conquérir qu'à poffeder; il n'en reftoit
pas plus long temps en place , il changeoit
; mais ce n'étoit pas pour multiplier
ſes conquêtes , c'étoit par le deſir d'un nouvel
objet. Cette conſidération le rendoit
moins condamnable, ou du moins plus à
plaindre ; mais ſes conquêtes n'en étoient
pas moins des victimes; ſa paſſion étoit auſſi
funeſte que la vanité d'un fat ; & d'ailleurs
l'habitude l'avoit rendu ſi peu difficile fur
les moyens , que les plus criminels n'étoient
plus qu'un jeu pour lui , s'ils favoriſoient ſes
projets.
Tel étoit Frémival; tel il va ſe montrer
dans l'anecdote qu'on va lire. Il avoit vu la
jeune Miléfie , & il n'avoit pu la voir ſans
la defirer. Ce n'étoit pas un air de coquetterie
, ce n'étoit pas l'élégance de la toilette
qui l'avoit ſéduit. Si la beauté de Miléfie brilloit
, c'étoit à travers les habits les plus groffiers
; elle étoit belle ſous la livrée de l'indigence.
Ce qui auroit dû la rendre reſpectable
aux yeux de Frémival , ne ſervit qu'à ranimer
fon eſpoir ; & dès le jour même il fit jouer
les refforts de la ſéduction.
Miléſie étoit fille d'un pauvre Ouvrier qui
avoit une famille de douze enfans. Il n'a
voit d'autre revenu que le travail de ſes
bras; quelques-uns de ſes fils commençoient
à le ſeconder; mais de ſi foibles ſecours ne
pouvoient ſuffire à tant de beſoins. Ce qui
DE FRANCE.
103
ne contribuoit guère à l'enrichir , c'eſt que
Jérôme , ( tel eſt le nom du vieillard ) étoit de
la probité la plus exacte. Mais cette probité
ſervoit au moins à le conſoler dans ſes chagrins
& à l'encourager dans ſes travaux ;
Paſpect d'une famille trop nombreuſe faiſoit
quelquefois couler ſes larmes , mais au moins
il avoit vû ſa probité germer dans le coeur
de tous fes enfans; pas un ne le faifoit rougir;
& fi fon front étoit fillonné par le chagrin&
les années, le ſourire du plaiſir étoit
quelquefois ſur ſes lèvres.
Digne Élève d'un père auſſi vertueux , Miléſie
l'honoroit par ſa conduite. Quand l'honneur
ne lui auroit pas été auſſi cher que ſa
propre vie , la ſeule crainte de déplaire à
l'auteur de ſes jours l'eût retenue dans les
bornes du devoir. Son père l'avoit diftinguée
parmi ſes enfans; il les rendoit tous heureux
autant qu'il étoit en lui ; il avoit pour tous
les mêmes ſoins ; mais il avoit un degré de
tendreſſe de plus pour l'aimable Miléſie ,
&elle ſe montra toujours digne de cette prédilection.
Elle rejeta les offres brillantes
que lui fit faire Frémival , & elle n'étoit
point orgueilleuſe de ſon refus , qui lui paroiffoit
auſſi naturel, auſſi ſimple qu'indifpenſable.
Elle s'applaudiſſoit plutôt de ne
pas affliger ſon père.Hélas ! elle ignoroit que,
ſans le vouloir , elle devoit lui caufer un
jour le plus violent chagrin .
Cependant la probité du vieillard , la con.
duite irréprochable de ſa famille, avoient in,
E iv
104
MERCURE
téreſſé à ſon ſort tous les coeurs ſenſibles ;
& un beau jour il fut mandé chez un Notaire
, qui lui donna les aſſurances d'une
penſion de 800 liv . Ce bienfait ne l'arrachoit
point à la pauvreté , vu le nombre de
ſes enfans ; mais il allégeoit au moins fon
fardeau. Le bon Jérôme ne pouvoit pas recevoir
avec indifférence les moyens de rendre
ſa famille plus heureufe. Sa joie éclata
par les tranſports les plus vifs. Il brûloit de
tomber aux genoux de fon Bienfaiteur ;
mais cet homme généreux avoit voulu être
inconnu. Content du témoignage de fon propre
coeur, il auroit cru ſon action trop intéreffée
s'il eût afpiré au plus léger tribut de
reconnoiffance.
Peut- être quelque Lecteur , en apprenant
le bienfait , a cru en avoir deviné l'auteur ; il
aura nommé Frémival , & en faveur de се
procédé , il aura vu avec un peu plus d'indulgence
les travers de ſa conduite. Je ſuis
forcéde lui enlever cette douce erreur. Frémival,
loin d'être l'auteur d'un procédé auſſi
délicat , aima mieux , comme on va voir , en
faire l'inſtrument de ſes coupables projets.
La modeſtie déſintéreſſée du Bienfaiteur va
devenir dans ſes mains l'arme du menfonge
&de la plus baſſe ſéduction .
Ayant laiſſe paſſer quelque temps depuis
cette penfion , dont il avoit appris la nouvelle
tout des premiers , il ſe préſenta chez
le bon vieillard , qui avoit fait de vains
efforts pour découvrir ſon Bienfaiteur. Fré-
A
DEFRANCE. τος
mival n'étoit pas connu du père ; il n'avoit
même jamais parlé à Milefie ; le haſard
avoit voulu juſques-là qu'il ne pût expliquer
ſes deſirs que par un interprête , accoutumé
ſans doute à de pareilles négociations.
Il entre avec le coſtume de la richeſſe
qu'il n'eut pas de peine à ſe donner , & avec
le maintien de l'honnêteté qu'il ſaiſit avec
plus de peine.
১ Bon homme , lui dit- il , vous cherchez
depuis long- temps cet inconnu affez heureux
pour devenir votre Bienfaiteur , qui a ſu
ennoblir ſa fortune en la faiſant ſervir à
vos beſoins . Vous l'auriez toujours cherché
en vain, ſi le defir d'ajouter à ce foible bienfait
ne le forçoit à ſe faire connoître. Ce
Bienfaiteur , plus heureux depuis qu'il a pu
commencer votre bonheur , c'eſt moi.
La reconnoiſſance de ce ſenſible vieillard
ne s'exprime d'abord que par un cri ,
& il ſe précipite aux genoux de Frémival.
Celui ci , avec un air de modeſtie qui n'ap- ..
partenoit qu'au véritable Bienfaiteur , recule
un pas , & lui dit : Levez- vous , mon ami ; je
ferois indigne d'être votre Bienfaiteur ſi j'étois
venu lever un tribut fur votre reconnoiffance.
A ces mots , il le relève & l'embraffe
: Bon vieillard , continua- t- il , l'eftime
que vous m'avez inſpiree depuis longtemps
ne doit pas ſe borner à cette penfion
modique que vous avez bien voulu
accepter ; mais faites-moi jouir avant tout
du ſpectacle de votre famille intereſſante .
Ev
106 MERCURE
Auſſi-tôt le vieillard appelle avec emprefſement
toute ſa famille , Thérèſe , Pierre ,
Guillaume; il les appelle tous enſemble &
par leur nom , en s'écriant : le voilà ! le voilà
notre Bienfaiteur ! A ces mots toute cette famille
intereſſante ſe jetre aux pieds ou dans les
bras de Frémival. Quel tableau ! On eft indigne
de voir un ſpectacle ſitouchant étalé aux
regards d'un homme qui l'avoit fi peu mérité;
mais n'envions pas ſon ſort : malgré ſes
habitudes criminelles, malgré ſes coupables
projets, il ne dut pas le voir d'un oeil tramquille
; ſon coeur dût être tourmenté ; il
étoit vil à ſes propres yeux.
Cependant il témoigne l'intérêt le plus
vif, l'attendriffement le plus vrai. Il interroge
tour à-tour chacun des enfans , demande
leur nom au père , donne un confeil
à l'un , une leçon à l'autre , les careffe
tous , & Jérôme le remercie les larmes aux
yeux. Au milieu d'eux , Frémival a vu Miléfie
, dont la joie décente charmoit le coeur
du père , & irritoit les deſirs de Frémival.
Dès qu'il l'eut apperçue , il auroit voulu ne
voir qu'elle , ne parler qu'à elle ; mais il
crut devoir fe contraindre , & il ne lui
adreſſa la parole qu'après avoir interrogé
preſque tous fes frères & foeurs. Après cet
examen , un peu long à ſon gré , mais indifpenſable
pour l'exécution de ſon deffein
Frémival dit au vieillard : mon cher Jérôme ,
je ſuis enchanté de votre famille ; elle eft
digne de vous; elle fera la conſolation de
,
DE FRANCE. 107
votre vieilleſſe; mais un travail exceffif
épuiſe vos forces , & pourroit , en abré,
geant vos jours leur enlever trop tôt
l'exemple de vos vertus. Dès ce jour , fans
perdre aucun de vos enfans , je veux que
vous en ayez deux de moins à entretenir.
Voyons; les filles ſont les plus difficiles à
placer : J'en prends deux , & je me charge
de leur fort préſent & avenir. J'enverrai
l'une à ma mère , & l'autre je la place
auprès de ma femme. J'eſpère , ajouta t'il
d'un ton hypocrite , que leur conduite répondra
toujours à vos projets & aux miens ,
&que nous n'aurons jamais à rougir , vous ,
d'être leur père , & moi , d'être devenu leur
ami. A ces mots il choiſit Milefie , & la
plus laide de ſes ſoeurs , pour éloigner encore
mieux les ſoupçons.
Jérôme étoit bien déſolé de ſe ſéparer de
ſes deux filles ; mais il s'agiſſoit de leur bonheur,
& il étoit ſi bon père ! Mileſie eût
bien voulu ne le quitter jamais ; mais elle
connoiſſoit la triſte ſituation de ce bon vieillard,
comment ne pas ſe prêter à l'adoucir ?
Cependant elle ne put s'empêcher , ainſi
que ſa foeur , de témoigner ſes regrets par
un torrent de larmes.
: Allons, mon bon ami, reprit Frémival
en faiſant ſemblant d'eſſuyer les ſiennes ,
faites-leur un petit trouffeau pour le moment
, & je pourvoirai à tout; mais hâtezparce
que je pars pour la campagne.
Je veux qu'elles vous vifitent fouvent , que
vous
Ev
108 MERCURE
:
vous veniez les voir vous-même. Dans peu
de jours je vous donnerai de leurs nouvelles.
Il faut convenir qu'on ne pouvoit guères
ſoupçonner Frémival de mauvaife- foi. Son
ton, ſes manières , le titre qu'il ufurpoit ne
permettoient aucun doute ſur ſes ſentimens
; auſſi n'entra t'il dans le coeur des
enfans &du père que le chagrin de ſe quitter.
On oublia même , ou plutôt on ne crut pas
avoir beſoin de demander à Frémival où
il alloit. Il eſt pourtant à préfumer qu'il avoit
préparé une réponſe à cette queſtion , fi Jérôme
avoit ſongé à la faire. Les deux foeurs
ayant ramaſſe quelque peu de hardes , embraſsèrent
leur père bien tendrement ; &
après bien des larmes répandues de part &
d'autre , ils ſe dirent adieu .
Cependant , ce bon Jérôme a peine à s'arracher
des bras de Miléſie. Malheureux vieillard
! tu ne ſais pas à qui tu viens de livrer
ta fille! Tu crois ne pleurer que ſon départ ;
mais ton coeur paternel a preſſenti ſans
doute de plus grands chagrins. Après l'avoir
quittée , tes bras s'ouvrent encore pour l'embraffer
, & il ſemble que ces embraſſemens
ne foient qu'une ruſe innocente de ton coeur
pour retarder , pour empêcher fon départ.
Il fallut pourtant ſe ſéparer. Jérôme
donne de ſages conſeils à ſes deux filles; il
ne les recommande pas à Frémival ; ( il ne
croit pas en avoir beſoin ) mais il les exhorte
bien à aimer ce ſecond père : il ignoroit
combien il profanoit ce titre ſacré en l'ap
DE FRANCE. 109
pliquant à Frémival ! La tendre Miléſie ,
tenant ſa ſoeur par la main, deſcend pour
monter dans un carroſſe qui l'attendoit à la
porte. Quand ſes yeux humides ne virent
plus ſon tendre père , elle les baiffa modeſtement;
il ſembloit qu'elle n'osât les lever
vers Frémival: qu'eût-elle fait ſi elle avoit
ſu que celui qu'elle prenoit pour un Bienfaiteur
, n'étoit qu'un ſéducteur audacieux ?
Ce qu'il y a ſans doute de plus étonnant
juſqu'ici , c'eſt l'audace de Frémival. Sa démarche
, quelque puiſſant , quelque riche
qu'il fût , pouvoit avoir des ſuites facheuſes;
mais ou il n'avoit rien prévu ou il étoit décidé
à tout braver. Quoi qu'il en ſoit , après
avoir envoyé la laide ſoeur de Miléſie on
ne fait pas où, il l'emmena elle- même dans
une terre qu'il venoit d'acheter.
Il eſt temps d'avertir que Frémival
avoit été époux , & qu'il étoit père encore
d'un garçon & d'une fille, tous deux à peuprès
de l'âge de Miléfie. Ce dérail ne ſervira
guère à diminuer ſes torts: le titre de père
ne le rend que plus coupable. Mais en déclarant
ce nouveau motif de blâme , je
dois avouer auffi une qualité que ſon inconduite
ne lui avoit pas fait perdre. Malgré
le défordre de ſa vie ( & ceci paroîtra auffi
heureux qu'étonnant) ſes enfans avoient tou
jours conſervé leur place dans ſon coeur :
cet homme toujours coupable , n'avoit
jamais ceſſé d'être bon père. C'eſt un bonheur
dont il n'étoit pas digne ; mais enfin ce
110 MERCURE
ſentiment , qui influera fur le dénouement
de cette hiftoire , avoit ſurvécu aux autres
qualités de ſon coeur.
En arrivant dans ſa terre avec lui , Miléſie
fut un peu étonnée de n'y trouver perſonne.
Frémival lui dit que ſa femme arriveroit
ſous peu de jours. Il lui conta quelques douceurs
; cependant pour ne pas l'effaroucher
d'abord , il voulut différer de lui déclarer
ſes ſentimens , & lui laiſſer ſoupçonner ſes
véritables projets. Il avoit très -peu de monde
avec lui; il eſt même à préſumer qu'il n'avoit
mis près d'elle que des gens gagnés ,&
qui ne devoient lui dire que ce qu'on vouloit
lui laiffer apprendre. Il avoit défendu à
fon fils de venir le trouver à la campagne
ſans y être appelé par lui ; & fa fille vivoit
avec une très- vieille tante , dont elle devoit
hériter.
Mais quoique Frémival eût afſez d'eſprit
pour ſentir qu'il avoit beſoin de prudence &
de précautions dans cette intrigue , il étoit
trop impatient pour perdre beaucoup de
jours. Il fit bientôt taire le bienfaiteur pour
ne laiſſer parler que l'amant. Enfin , ſa con+
duite devint telle , que la pauvre Miléfie
ſentit bientôt à quel péril elle ſe trouvoit
expoſée. Elle demanda à retourner chez fon
père; & le refus qu'elle effuya , ne fit que
redoubler ſa frayeur. Elle oſa parler avec
quelque vivacité, mais plus elle marquoit de
répugnance pour écouter les offres de Frémival,
plus ſa priſon ſe refferroit; & on lui fit
-
DE FRANCE. Ind
comprendre qu'elle étoit en proie aux defirs
effrénés d'un tyrannique ſéducteur . L'eſtime
que Frémival lui avoit inſpirée , & la reconnoiffance
qu'elle avoit cru lui devoir , firent
place à la haine & même au mépris ; & cependant
elle ignoroit encore qu'il n'avoit
fait qu'uſurper auprès de ſa famille le titre de
bienfaiteur; elle ignoroit que le menſonge&
l'audace avoient été ſes ſeuls titres pour l'enlever
au ſein paternel.
Quoique la conduite de Frémival eut excité
dans le coeur de Miléſie la plus juſte indignation
, comme elle ſentoit qu'elle avoit
tout à craindre de la violence , & qu'un
homme tel que lui étoit capable d'en uſer ,
elle crut que la prudence devoit venir au
ſecours de ſa vertu. Les innocens ſtratagêmes
, ou plutôt les heureuſes inſpirations de
ſon coeur , réprimoient la fougue de ſon
tyran. Tantôt un coup-d'oeil aſſuré , interprètede
la noble fierté de ſon âme , enchaî
noit fes defirs , ou du moins arrêtoit ſes coupables
efforts ; ( tant il eſt vrai que le vice
qui oſe immoler la vertu , n'oſe pas toujours
la regarder ſans trembler) tantôt , par
un regard attendriſſant qui ſembloit lui dire
je perds la vie fi vous me raviffez l'honneur ,
elle ſembloit le défarmer au moins pour un
inſtant. Elle en venoit même quelquefois jufqu'à
lui laiffer tout eſpérer ſans tui rien promettre.
Tandis que la pauvre Miléſie paſſe les
jours& les nuits dans la crainte & dans la
712 MERCURE
?
douleur, que fait ſon père infortuné ? Il avoit
attendu quelques jours avec impatience ,
mais avec ſecurité , des nouvelles de ſes deux
enfans & de fon prétendu bienfaiteur. Un
trop long retard lui donna du chagrin , ſans
réveiller ſes ſoupçons; comment ſuſpecter un
homme dont la conduite , les diſcours & le
maintien ne reſpiroient que la bienfaiſance ?
Mais enfin quelques amis, à qui il raconta ſon
aventure, lui inſpirèrentleurjuſte frayeur; &
le malheureux Jérôme , qui avoit toujours
trouvé la fortune ſi cruelle , ſentit bien qu'il
y avoit des maux plus affreux que ceux qu'il
avoit foufferts juſques-là. La pauvreté , l'humiliation
n'approchoient point du fupplice
qu'il éprouvoit. Sa douleur étoit commune
à toute fa malheureuſe famille; & ils fe difpersèrent
tous pour découvrir Milefie & fa
foeur ; mais toutes leurs demarches furent
inutiles , comme les efforts de Milefie pour
avertir ſon père de ſon fatal empriſonnement.
Tandis que Frémival renouveloit ſes efforts
auprès d'elle , que dis je ? au moment
qu'il ſembloit ſe diſpoſer à ravir par la violence
ce qu'il ne pouvoit obtenir , le fils de
Frémival, pour une affaire de la dernière importance
, erut devoir venir le joindre à la
campagne , malgré la défenſe qui lui en
avoit été faite; il crut que l'objet de ſa viſite
le mettroit à l'abri des reproches de ſon
père. Soit imbécillité de la part des gardiens
deMiléſie , ſoit que , content de lui avoir
!
DE FRANCE.
113
'défendu d'arriver ſans en être averti , il n'eûr
pas cru devoir le conſigner , les portes lui
furent ouvertes , & ſon entrée fut fi peu
prévue , qu'il ſurprit Frémival avec Miléfie.
Après qu'il ſe fut excuſé envers fon père ſur
l'importance de l'affaire qui l'amenoit , celuici
, pour paroître moins déconcerté , ouvrit
une converſation vague avec Miléſie
& ſon fils , bien décidé à l'arrêter au premier
mot fi elle devenoit trop particulière .
Mais cet entretien ne fut pas long ; il pria
Miléſie de ſe retirer , donna ſecrètement des
ordres pour elle , & entendit ſon fils ſur
- l'objet de ſon voyage. Après lui avoir dicté
fes volonté à ce ſujet , illui dit que la jeune
perſonne qu'il venoit de voir lui avoit été
confiée par ſes parens pour des raiſons de
famille , & qu'il lui ordonnoit le filence
le plus abſolu , ſous peine de fa malédiction.
Frémival , quoique aimant ſes enfans,
avoit toujours ſu s'en faire craindre; il étoit
très- entier dans ſes opinions , & très-deſpos
tique dans ſes volontés .
Mais ſi ſon fils avoit un motif pour nepas
parler de ce qu'il avoit vu , il en avoit un très
preffant auſſi pour defirer de ſavoir ce qu'étoit
la jeune perſonne. Sa courte entrevue
avec Miléſie avoit produit un de ces événemens
qui étonnent toujours , quoiqu'ils ſe
renouvellent affez ſouvent. Il n'avoit pu la
voir quelques momens, & entendre quelquesmots
de ſa bouche , ſans lui trouver des
charmes & de l'eſprit. Miléſie étoit réelle
114 MERCURE
ment charmante , & le malheur n'avoit
fait qu'ajouter à ſa phyſionomie un nouveau
degré d'intérêt. Elle avoit pen parlé ; mais
ſouvent une ſotte & une femme d'eſprit
prononcent différemment la même phraſe ,
de manière qu'avec les mêmes mots , l'une
prouve ſon eſprit , l'autre ſa bêrife. Les
yeux de Selmour ( c'eſt le nom du jeune
homme ) avoient exprimé ſans doute ce
qu'il avoit ſenti ; & ce qu'il y a de
plus ſurprenant , c'eſt que l'infortunée Miléfie
ne fut peut être pas tout-à-fait infenfible
à l'amour qu'elle avoit inſpiré. Mais ,
quoi ! le coeur de la vertueuſe Miléſie , infortunée
par l'amour , ſe ſeroit laiſſe ſurprendre
au même ſentiment qui étoit la
ſeule cauſe de ſes malheurs ! Ces effets ,
quoique bizarres, ne font point étrangers à
l'amour ; & Milefie , pour avoir éré ſenſible,
n'auroit pas été plus coupable: fa réſiſtance
étoit l'effet de ſa vertu , & fon amour étoit
l'ouvrage du hafard.
Frémival n'avoit pas envie de garder longtemps
fon fils avec lui ; cependant il étoit
trop tard pour le renvoyer. Selmour pafla
donc la nuit à la campagne ; & l'on ſe doute
bien que cette nuit ne fut pas employée à
dormir. Miléſie qu'il voyoit , qu'il entendoit
encore , quoique abſente , ne lui permit
pas un moment de repos. Le lendemain ,
quand il eut pris congé de ſon père , il ſentit
déjà vivement le chagrin de vivre loin de Milefie
, dont il ne ſavoit pas encore le nom.
DE FRANCE.
115
Au lieu de retourner à Paris , il ſe cacha
dans quelque Hameau voiſin ; il conſerva
des intelligences dans le château qu'habitoit
fon père , & il trouva le moyen de faire
parvenir une lettre à Miléſie. Il eſt peu furprenant
que , dans la fituation où elle étoit ,
elle ait répondu favorablement , ſoit de vive
voix , foit par écrit. Quand ſon coeur
ne ſeroit entré pour rien dans ſes démarches
, l'amour ſeul de la liberté étoit un motif
ſuffifant. Selmour , encouragé , hafarda
de nouveaux efforts , & il vint à bout de parler
à Miléſie , qui lui confia ſon aventure. Il
rougit de la conduite de ſon père ; mais cette
confidence le mit dans l'embarras le plus
cruel. Ira-t'il dénoncer ſon père ? Laifferat'il
en proie à la violence ce qu'il aime déjà
plus que lui-même ? Il connoiſſoit l'emportement
de ſon père; il le ſavoit capable d'immoler
Milefie , & d'attenter même à ſes propres
jours , ſi l'on ſe préſentoit ouvertement
pour lui enlever ſa proie. La nature & l'amour
déchiroient ſon coeur & ne lui ſuggéroient aucunprojet
qu'il pût avouer. De ſon côté , Miléſie
qui , comme lui , voyoit fort bien qu'ily
avoit tout à craindre d'un homme tel que
Frémival , n'oſoie lui conſeiller une action
d'éclat , & il fut convenu qu'ils atten
droient huit jours encore ſans prendre aucun
parti. Pendant ce temps-là , Miléſie
en laiſſant à Frémival un faux eſpoir , ſe
jugeoit à l'abri de ſes entrepriſes. 1
Cependant Selmour ſe vit obligé d'aller
116 MERCURE
า
pour un jour à Paris , & il revint à la cam
pagne pour revoir ſecrètement encore ſa chère
captive; mais il parut devant elle avec tous
les fignes du déſeſpoir. Elle l'interrogea , le
preſſa vivement pour apprendre la cauſe de
ſes chagrins. Enfin Selmour lui confia que ſa
ſoeur féduite par un Prince étranger,venoit de
prendre la fuite ; & en même temps il lui fit
voir une lettre de ſa tante qui le prioit d'annoncer
cette fatale nouvelle àſon père.
La ſenſible Miléſie prit beaucoup de part
à ſon chagrin; mais tout-à- coup unenouvelle
idée vint la frapper comme une lumière imprévue.
Elle la communiqua à Selmour , le
força de lui céder la lettre , & de confentir
àl'uſage qu'elle en vouloit faire. Peu detemps
après , Frémival revint d'une campagne voifine
, où il avoit fait une viſite. En arrivant
il alla voir Miléſie , qui , tenant en main la
lettre que lui avoit donnée Selmour , lui dit :
Monfieur , vous allez revoir Monfieur votre
fils qui vient d'arriver. Il eſt allé ſe promener
en attendant votre retour , & voilà
une lettre que j'ai vu de loin tomber de ſa
poche , comine il ſortoit du jardin. J'ai
cru devoir la ramaffer , & vous prier de la
lui remettre vous-même.Frémival à la lecture
de cette lettre, fut frappé comme d'un coup
de foudre. Il tomba dans un fauteuil , accablé
du plus affreux déſeſpoir. J'ai dit qu'il
aimoit ſes enfans : avoir à pleurer en mêmetemps
fon honneur & fa fille , étoit un nouveau
genre de tourment qu'il ne connoiffoit
DE FRANCE. 117
pas encore. Ses forces ſembloient près de
l'abandonner , quand Miléſie , s'approchant
de lui ſans morgue, ſans colère &avecun ſentiment
qu'on ne ſauroit exprimer : Monfieur
de Frémival, lui dit- elle , le déſeſpoir, le tourment
affreux auquel vous ſemblez prêt à ſuccomber
, mon malheureux père le ſouffre
maintenant pour moi , & c'eſt vous qui en
êtes la cauſe,
Ces mots allèrent juſqu'au coeur de Frémival
, qui ſembla ſortir d'un ſommeil létargique.
Il ſe jeta en pleurant dans les bras de
Miléſie , lui demanda le pardon de tous ſes
torts , & lui dit qu'elle alloit revoir fonpère.
En effet , il courut ſe jeter aux pieds du malheureux
vieillard , que le chagrin avoit conduit
aux portes du tombeau , & qu'il trouva
dans ſon lit , environné de toute ſa famille
fondante en larmes. Il confeſſa tous ſes forfaits
en préſence de ceux qui en avoient été
les témoins , & preſque les victimes . Cet
aveu étoit un châtiment qu'il voulut s'impoſer
lui-même. Jérôme frémit encore d'effroi
en apprenant un péril qui étoit déjà
paffé.Mais enfin il retrouveit ſes deux filles
il les retrouvoit encore dignes de lui; il pardonna
tout à Frémival , qui lui en témoigna
la plushumble reconnoiffance. Ce n'eft pas
tout , ajouta celui - ci , qui avoit appris l'intrigue
de Salmour ; fouffrez , reſpectable
vieillard , que mon fils répare mes torts envers
la vertueuſe Miléſie. Leur mariage fut
conclu ; & Frémival , corrigé par l'amour
118 MERCURE
paternel , chercha à ſe conſoler de ſes chagrins
, en s'occupant du bonheur de ſon fils.
(ParM. Imberts )
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercureprécedent. 1
Le mot de l'énigme eſt la Rime; celui du
Logogryphe eſt Porte feuille , où se trouvent
porte &feuille.
ÉNIGME.
Nous ſommes des êtres barbus,
A l'air caffard , au maintien hypocrite ,
Allant , venant toujours pieds nus.
Lorſque la faim nous ſollicite
Nous allons humblement quêter
Ce qu'il nous faut pour ſubſiſter ,
Puis nous faiſons les bons apôtres.
Chez nous , par fois , on trouve des Chartreux;
Et quoique leurs habits ſoient différens des nôtres ,
Comme parens nous vivons avec eux.
( Par M. Benoist , Ingénieur.)
+
DE FRANCE. 119
LOGOGRYPHE.
ALCHIMISTE ignorant , qui ſoufflez vos creuſets,
Et qui cherchez en vain le ſecret des ſecrets ,
Je viens vous enſeigner la route qu'il faut ſuivre
Pour arriver au but , & tirer l'or du cuivre.
Prenez de celui-ci quelque plaque ou morceau ,
Que vous allongerez à grands coups de marteau.
Vous en ferez un tout : vous trancherez la tête ;
Etvous aurez pour lors , ſans que l'art vous l'apprête ,
Non plus du cuivre mais de l'or.
Cette leçon vaut un tréſor.
(ParM. le Barbier C. , de Bondeville , près Rouen.)
D
AUTRE.
;
E mes ſept pieds ôtez le premier , ce qui reſte
Peut produire mon tout,& devenir funeſte.
( Par M. le Chevalier de L.... M..... à Niort. )
J'OFFRE
AUTRE...
' OFFRE de la ſcience une utile moiſſon.
Lecteur , coupez inon chef, &je ſuis ſans raiſon.
(Par M. de Vaffy , à Loches.)
120 MERCURE -
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LETTRES Édifiantes & curieuses , écrites
desMiſſions Etrangères. Nouvelle Edition.
Mémoires de la Chine, Tomes XXIII &
XXIV , in- 12 . A Paris , chez Mérigot le
jeune , Libraire , quai des Auguſtins.
Ces deux Volumes , qui ſoutiennent l'intérêt
des précédens , contiennent pluſieurs
Lettres qui n'avoient pas encore vû le jour.
Ils préſentent , ſelon l'aſpect général ſous
lequel on les confidère ici , 1. des Mémoires
concernant la Religion Chrétienne à la
Chine & dans quelques autres États voiſins ,
depuis 1746 juſqu'en 1778 , 2º. Une Hiſtoire
abrégée des Ifles Licou-Keou. 3. Des Mémoires
ſur le Tibet & fur deux grandes expéditions
des Chinois , l'une contre les
Eleuthes , & l'autre contre le Miaol- fé. 4°.
Divers traits ſur la Religion , les Loix & les
Coutumes Chinoiſes .
On fait que la Religion Chrétienne
à la Chine y étoit floriſſante ſous l'Empereur
Cang - hi. Il l'avoit miſe au nombre
des Religions tolérées dans l'Empire ; il
promit même aux Miſſionnaires de bâtir une
Egliſe dans l'enceinte de ſon palais à Pékin.
Iong- ching , ſon ſucceſſeur, ne lui fut pas
favorable. Il la proſcrivit , alarmé ſans
doute
DE FRANCE. 121
doute de ce qui venoit de ſe paſſer dans le
Japon , des guerres que les Européens excitoient
dans les Indes, plus encore peut-être
des progrès qu'elle faiſoit dans ſesEtats, de
l'ardeur des Miſſionnaires à la propager , &
de la ferveur des Néophytes , qu'il regardoit
comme dangereufe. 1
Les Égliſes furent abattues; les Miffionnaires
forcés de fortir dos terres de l'Empire
ſous des peines graves , & même de mort
s'ils y revenoient après en avoir été bannis.
Les choſes font reſtées dans cet état ſous
Kin- Long , fucceffeur d'long-Ching.
L'humanité de l'Empereur apporte beaucoup
d'adouciſſement à cette loi. On voit
que ce n'eſt pas par zèle pour la Religion du
pays qu'elle a été dictée , mais par politique ,
comme l'étoient ordinairement celles des -
Enipercuts Romains contre cette même Religion
, alors naiflante.
Mais une pareille loi ne laiſſe pas d'amener
des crifes fatales , quelque adouciffe
ment qu'on y apporte. La raiſon d'État l'a
dictée,la raiſon d'État ne permet pas qu'on
la laiſſe tomber entièrement en déſuérude.
On ferme quelquefois les yeux fur la viola
tionde la loi,mais on les ouvre alors qu'on
s'y attend le moins , & l'on tombe tout- àcoup
d'un calme affez doux dans une bourafque
violente , quoique le Souverain n'ait
pas l'eſprit perfécuteur. Aufſi nos Miffionnaires
ſe plaignent- ils perpétuellement de
Nº. 42 , 19 Octobre 1782 . F
ว
122 MERCURE
perſécutions tout en ſe louant de l'humanité
de l'Empereur.
On peut remarquer deux ou trois principales
perſécutions dans ces Lettres. La
première , & la plus conſidérable , eut lieu
en 1746; elle fut générale. : ";
L'accuſation qui l'occaſionne eſt curieuſe.
Elle porte qu'ils donnoient deux écus à ceux
du peuple qui embraſſoient le Chriſtianiſme ;
qu'ils établiſfoient les plus inſtruits pour catéchiſer
les autres; que les Chrétiens n'honoroient
ni leurs ancêtres ni Confucius ; qu'ils
réſervoient tous leurs hommages pour un
étranger appelé Jeſus ; qu'ils établiſfoient une
confeflion ; que les femmes Chrétiennes ne
ſe paroient pas comme les autres ; que parmi
les vierges , il y en avoit qui renonçoient pour
toujours au mariage.
Sur cette accufation , l'Évêque de Mauricaftre,
Sanz Eſpagnol , & quatre autres Miffionnaires
Dominicains furent arrêtés , ainſi
qu'un très-grand nombre de fidèles.
Un Tribunal de Mandarins condamna
l'Evêque à avoir la tête tranchée pour être
rentré à la Chine après en avoir été banni.
Cette Sentence ayant été confirmée par le
Tribunal des Crimes de Pékin & par l'Empereur
, fut exécutée. Ailleurs le Père Triftan
de Attemis , Italien , le Père Henriquez ,
Jéſuites Portugais , furent étranglés. Ainfi ,
après dix- huit fiècles, la vérité de la Religion
Chrétienne s'eſt encore ſcellée par le ſang
desMartyrs.
DE FRANCE.
123 /
Quant à la foule des Chrétiens arrêtés , on
les traîna devant les Tribunaux , les uns
furent bannis , on mit la cangue à d'autres. * )
Ceux-là furent foufflerés avec de larges plati
ques d'airain. Ceux- ci reçurent trente , foixante
, & juſqu'à cent coups de pentſe ,
(bâton ) après avoir tous éprouvé des tortures.
La ſeconde perſécution conſidérable s'éleva
en 1756. Un événement ſurvenu alors à
Manille ne laiſſa pas que d'y contribuer...
Tous les Chinois qui n'avoient pas voulu
embraffer le Chriftianiſme , venoient d'en
être bannis. Ils arrivoient en foule dans
leur ancienne patrie , en pouffant les hauts
cris contre les Européens & leur Religion.
Ils avertiſſoient en même temps le Gouver-:
nement qu'il étoit parti de nouveaux Mifſionnaires
de cette Ifle avec de l'argent pour
foutenir leur miffion. Le premier fait étoit
vrai , le ſecond paroiffoit vraiſemblable aux
Chinois. Or , que l'on juge ſi dans un pareil
moment ils ne concluoient pas que les Chrétiens
étant intolérans par principe , ne méritoient
pas d'être tolérés. Les Mahométans ,
les Juifs , les ſuperſtitions des Bonzes , toutes
les Religions étant fouffertes à la Chine, il
ſemble qu'il ne faut pas chercher ailleurs la
* Ce font deux planches qui , étant échancrées
lorſqu'elles font réunies forment comme une table
qui a un trou , où l'on renferme le cou du patient.
Fij
124 MERCURE
cauſede la profoription de la Religion Chrétienne.
•Quant aux Miſſionnaires , excepté ceux
qui ſont employés à divers ouvrages pour
l'Empereur , ils font obligés de fe cacher ,
d'aller de nuit déguiſés. S'ils font pris , ils
ſont renvoyés à Macao.
Leur conduite en général paroît répondre
à leur vocation. Ils joignent le zèle au courage
, la prudence à la fermeté. Ils font actifs,
vigilans, ils ſe font tout à tous , comme
ils le diſent eux- mêmes , à l'exemple de
S. Paul こ:
Parviendront- ils à conquérir la Chine au
Chriftianiſme ? Que d'obstacles ! l'imagina
tion en eſt effrayée ; des moeurs differentes ,
dęs principes diametralement oppoſés , nulle
affinité dans les cultes ; l'orgueil d'un peuple
qui ſe donne une prééminence univerſelle ,
qui mépriſe tout ce qui vient d'ailleurs ; des
préjuges qu'il révère depuis quatre mille ans ;
une diſcipline ſévère établie dans les familles;
le culte des ancêtres que la Religion
Chrétienne réprouve; un ordre que l'on croit
admirable , & qu'il faudroit changer ; une
politique ombrageuſe qui s'alarme des moindres
innovations , & qui , pour ſe maintenir
dans toute la vigueur, croit devoir s'y oppoſer
, tout cela préſente des barrières qui ne
peuvent être renverſées ſans prodige.
Juſqu'au Mémoire qui parle des Ifles
Licou-Keou , on n'avoit en qu'une foible
idée de ces Ifles , qui ſont ſituées entre la
:
7
4
DE FRANCE. 125
Korée, l'ifle Formofe & le Japon. Licou-
Keou n'eſt que le nom de la plus grande ;
les autres ont le leur; elles font au nombre
de trente- fix . Par leur fituation heureuſe entre
la Chine & le Japon , elles ſervent d'entrepôt
au commerce de ces deux Nations .
Les habitans de cet Archipel ont leur
fable ſur la création du Monde. Au commencement
, diſent-ils , un homme & une
femme naquirent dans le grand vuide. De
leur mariage naquirent trois fils & deux
filles. L'aîné fut appelé Tien -Jun (petit fils
du Ciel ) . Selon leur compte , il s'eſt écoulé
depuis lors juſqu'à nous , 18400 années. Ces
Ifles font tributaires des Chinois depuis le
quatorzième ſiècle de notre ère.
Ce Peuple connoît depuis peu les Arts.
Ce ne fur que vers l'époquede la ſuzeraineté
de la Chine fur ces Iſles que la langue des
Mandarins avec ſes caractères y fut intraduite.
On y fondit dans le quinzième ſiècle
de groffes cloches pour les Temples , &
c'eſt dans le dernier qu'on y fit de la porcelaine.
: 24
Le culte des eſprits y eſt établi de toute
antiquité. Celui de Fo-y domine depuis neuf
cents ans. La pluralité des femmes y eft permiſe.
Elles ſeules y font le commerce &
paroiffent dans les marchés.
3
1
Ces Inſulaires ſont affables envers les
Étrangers , adroits , laborieux , fobres , amis
de la propreté. La nobleſſe eſt ennemie.de
l'esclavage , du menfonge & de la fourbe-
Fiij
126 MERCURE
:
rie ; en un mot, ce Peuple paroît très-efimable..
Il ne faut pas oublier un trait fingulier
de l'un de ſes Rois. Son Peuple ſouffrant de
la difette , & entendant dire qu'un de ſes
ſujets étoit capable d'écarter les maux publics
, il le fit ſon Miniſtre ; & après une
épreuve affez longue de ſa capacité , il lui
refigna la Couronne , & vécut en ſimple
particulier. Ce Mémoire eſt du Père Gaubil.
C'eſt peut être ce qu'il y a de mieux
fait dans ces deux Volumes. Tout ce qu'il
contient eſt tiré d'un Mémoire plus étendu
par le Docteur Chinois Siopas - Koang , qui
avoit été envoyé dans ces Ifles par l'Empereur
, & qui en a parlé en homme intelligent.
Le Mémoire ſur le Tibet , a pour
objet fanéantiſſement du Royaume des
Éleuthes par les Chinois. En 1758 0 1759
il s'éleva des diviſions inteſtines parmi les
Éleuthes. Un ufurpateur , nommé Taoatli ,
s'empara du Trône . Amourſarma , légitime
héritier , implora le fils du Ciel ( c'eſt un des
ritres du Monarque) . Avec les ſecours d'un
pareil protecteur il vainquit ſon Concurrent;
mais fon protecteur devint fon tyran.
En l'élevant fur le Trône, il prétendit l'avoir
affujéti. On le cita à Pékin ſur des prétextes
plautibles ; il défobéit. Une armée ayant
marché contre lui , il prit la fuite , alla
mourir en Ruffie ,& fon pays eſt maintenant
ſous la domination Chinoise. Le Tibet a
plus de fix cent lieues d'Orient en Occi
DEFRANCE. 127
dent,& preſque autant du Nord au Midi.
Ce Mémoire , quoique d'ailleurs affez
pauvre, peut redreſſer quelques idées que
nous avons communément ſur les armées
Chinoifes.
Paffons à quelques traits fur la Religion,
les Loix , &c. de l'Empire de la Chine.
Il n'eſt plus queſtion d'examiner fi le
Gouvernement & les Lettres font Athées ,
comme on le foutenoit autrefois en Europe,
en niant qu'il y eût des Athées.
Les Chinois & les Ruſſes jurent l'obfervation
de leurs traités au nom du même
Dieu.. 2 L
L'Empereur préſide aux cérémonies les
plus auguſtes de la Religion , à la manière
ancienne. ٠٤
Les Chinois ont encore des Livres qui
règlent le culte , l'éducation , les moeurs ,
comme en avoient les Indiens , les Sectateurs
de Zoroastre, les Juifs; ce ſont les
cinq Kings. Le culte rendu aux eſprits des
uncêtres n'eſt que celui des Lares chez les
Grecs & les Romains ; tout cela annonce la
plus haute antiquité.
On voit par ces lettres que l'eſprit d'ordre
dominedans tous les rangs à laChine. L'Empreur
paroît dès la pointe du jour ſur ſon
Tône , en hiver comme en été, pour l'expédiion
des affaires. Il ne met jamais plus
d'un quart d'heure à prendre ſes repas , qui
for ſans recherche , ainſi que ſes ajuſtemens
, excepté les jours de cérémonie.
Fiv
128 MERCURE
Ses enfans, dans les écoles, font aſſujétis
à la même difcipline , au même reſpect
pour leurs Maîtres que les autres .
Le divorce y eft permis dans divers cas ,
tous réglés , tous determinés par la Loi.
La polygamie n'y eſt point permiſe ;
mais un homme peut avoir des concubines,
dont les enfans reſpectent la femme légitime
comme les ſiens propres , & c'eſt
d'elle ſeule qu'ils portent le denil,
Ces Lettres , comme on le voit, contiennent
des détails intéreſſans ; celles du Père
Amiot & du Père Benoît ſont celles qui
nous ont paru les mieux écrites ; mais il y
en a quelques - unes qui n'étoient guères
dignes d'entrer dans la Collection. i
On peut y remarquer des tournures vicieuſes
&des fautes de Grammaire ; cellesci
, par exemple. On parle du Père Benoit.
Il faifoit aimer & reſpecter la Religion
→ qu'il empêchoit de perfecuter. » On vert
dire d'être perſécutée.
" Certains traits marqués de Providence,
>> eſt une mauvaiſe locution. »
20
" Tous ſe plaignent doucement devan
Dieu de ce qu'il ne fufcite, pas quelqu:
>> reffufciteur de morts pour faire aller h
befogne plus vite. On nie laiſſeroit pas ce
>> bénir le Seigneur d'une quantité prod-
>> gieuſe de bienfaits qui, fans, avoir rin
» d'éclatant , fait cependant par leur toa-
>>lité, leur contraſte, un complexe bienadmirable.
» ود
4
DE FRANCE. 129
!
Tout cela eſt à la fois contre le goût &
contre la Grammaire.
" Cela fait faigner le coeur ; mais la ſai-
>> gnée eſt peut- être néceſſaire pour avan-
» cer la mort. »
Cette phrafe ne pèche que contre le goût ,
ainſi que la ſuivante. Il s'agit d'un ſouhait
pour la paix de l'ame. Quant à l'interieur ,
> puiffe-t'il chez nous tous être ſi bien fiché à
l'ancre de l'abandon , que rien ne puifle
l'ébranler. »
ود
ود
Il ſeroit fuperflu d'en citer un plus grand
nombre.
LES Après - Soupers de la Société , petit
Théâtre Lyrique & Moralfur les Aventures
dujour. Se trouve à Paris , chez l'Auteur ,
rue des Bons Enfans , la porte- cochère
vis-à- vis la cour des Fontaines du Palais
Royal.
Ce quatorzième Cahier , qui complète
le Tome III de cette agréable Collection ,
renferme la Marchande de Modes , Comédie
en un Acte & en profe.Le fond de cetre
petite Pièce eſt d'une gaîté qui convient au
Recueil dont elle fait partie , mais qui conviendroit
moins à notre Journal ; nous
ſommes par la privés d'en faire l'analyſe.
Cette Comédie eſt accompagnée de quelques
poéſies érotiques à peu près du même
ton. Nous ne citerons , & nous ne pouvons
citer que quelques Couplets d'une Chanfon
Fv
130
MERCURE.
Eroti- Bachique , intitulée : le Bon Convive.
Jer COUPLET.
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le charme de la vie ;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
Au ſein d'une vive Orgie ,
J'aime à chanter à la fois
Le vin & la douce amie
Qui m'a foumis à ſes loix.
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le charme de la vie;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
II COUPLET.
Le ſeul plaifir de la table
Réunit ces Dieux jaloux ;
Que leur accord ſoit durable ,
Leur empire en eſt plus doux.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Un peu d'amour & de vin
Pait le plus heureux deſtin.
III COUPLET.
L'AUTRE jour à mon martyre
Life oppoſa le dédain ;
DE FRANCE.
131
Je vis la belle ſourire
Dès qu'elle eut le verre en main.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Un peu d'amour & de vin
Fait le plus heureux deſtin .
IV COUPLET.
A L'AMOUR j'ai dû la gloire
D'être payé de retour ;
Au vin j'ai dû la Victoire
/
Que n'oſoit ravir l'Amour.
Un peu d'amour & de vin
Fait le charme de la vie ;
Les Dieux d'Amour & du Vin
Font le plus heureux deſtin.
La mufique , faite ſur ces paroles , eſt de
M. Ginguené , déjà connu par un autre talent
, celui de faire de jolis vers .
SPECTACLES.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LEMardi 8 de ce mois , on a remis à ce
Théâtre Colinette à la Cour , paroles de
M. *** , muſique de M. Grétry , & les deux
Fvj
132 MERCURE
premières repréſentations ont eu le plus brillant
fuccès.
ce
Nous ne reviendrons pas ſur les beautés
& les defants que le Public a obſervés dans
cet Ouvrage, lorsde ſanouveaute; mais nous
répéterons qu'on doit de la reconnoiffance
à l'homme de goût qui a ouvert cetre
carrière aux talens en introduifant
genre nouveau , fufceptible non- feulement
de toutes les richeſſes muſicales , mais encore
des tableaux , des fêtes & de tous les
acceſſoires qui embelliffent le Theatre Lyrique.
C'eſt le premier Ouvrage où l'on ait vu
des Scènes& un dialogue de Comédie exprimés
par une muſique vraiment comique. Il
appartenoit au Compoſiteur ingénieux , brillant
& fecond , qui a enrichi de tant de chefd'oeuvres
le Theatre Italien , d'introduire ſur
celui de l'Opéra cette heureuſe nouveauté.
Ce n'eſt pas qu'il n'eût déjà prouvé , par une
multitude d'airs & de duos dans ſes Opéras-
Comiques , comment on peut allier la vérité
& la force comique avec le naturel & la
grâce du chant; mais dans un Opéra il falloit
tout- à-la- fois un récitatif ſimple , clair ,
rapide & accentué , dont le Devin de Village
avoit ſeul donné quelque idée ; il falloit unir
& fondre ce récitatif avec le chant meſuré ,
les duos, les choeurs , pour n'en faire qu'un
enſemble de muſique , dont les variétés ne
fuſſent déterminées que par le mouvement&
tes nuances de la Scène même: voilà ce que
M. Grétry a fait le premier.Onnefauroit trop
A
DE FRANCE. 133
louer l'art ou plutôt le goût infini avec lequel
il a fulier ,dans le premier Acte , le beau duo,
Quoi , la veille d'un Mariage, & le petit
monologue de plainte qui ſuit , avec la Scène
entière de Colinette , du Prince & du Confident
, qui termine l'Acte. C'eſt un modèle
de la manière dont on peut adapter à la
Scène ces finales, dont l'heureuſe invention
eſt dûe , comme tantd'autres au génie fécond
des Italiens; mais où ils ont plutôt cherché
en général une variété de muſique que l'effet
dramatique . Ils leur ont donné le nom de
finales , parce que les Compoſiteurs ne les
ont placées qu'à la fin des Actes , comme
dans leurs Opéras ils ne placent les airs &
les duos qu'à la fin des Scènes; mais à mefure
que la muſique dramatique ſe perfectionne
, on ſent que ces differentes combinaifons
de chant peuvent ſe placer par- tout
où l'action en fournit naturellement le ſujer.
Le ſuccès de cette repriſe de Colinette à
la Cour, doit nous faire attendre avec impatlence
un Ouvrage du même genre par les
memes Auteurs , qu'on répéte, & qui a pour
titre : l'Embarras des Richeſſes.
COMÉDIE FRANÇOISE .
E Samedi's Octobre , on a donné lala preinière
repréſentation de Zorai , ou les Infutaires
de la Nouvelle Zelande , Tragédie
en cinq Actes & en vers. >
134 MERCURE.
Les Sauvages de la Nouvelle Zélande ont
voulu ſe donner une forme d'adminiſtration.
Ils ont envoyé deux Députés en Europe.
L'un d'eux , nommé Huliſcar , après
avoir obſervé la conſtitution duGouvernement
Anglois , eſt revenu dans ſa patrie. Il
brûle du deur de lui donner des fers , de ſe
faire choiſir pour Roi , & de la gouverner
en deſpote. Amoureux d'Afiloë , fille d'un
vieillard aimé & reſpecté de toute la Peuplade
, du vénérable Tango , il a demandé
ſa main à ſon père ; mais le Sauvage qui a
lû dans l'âme d'Huliſcar , & que les projets
de cet audacieux ont prévenu contre tout
ſyſtême de Gouvernement émané de l'Europe
, fait jurer à ſa fille de ne jamais être
l'epouſe d'Huliſcar , ni même de Zoraï. Ce
Zoraï eſt l'amant aimé d'Afiloë , le ſecond
Député de la Nouvelle Zélande. Sa miffion
étoit d'étudier les moeurs des François , &
l'eſprit de leur économie politique : il eſt
attendu de jour en jour. La tendre Afiloë
jure , fans peine , que jamais Huliſcar ne,
ſera ſon époux ; mais elle ne fait , en parlant
de Zoraï , qu'un ferment conditionnel. Il eſt
parti de la Nouvelle Zélande , vertueux ,
cher à Tango , à ſes compatriotes , & digne
d'obtenir ſon coeur & fa main. Si , à fon
retour , il tente , comme Huliſcar , d'affervir
fon pays , Zoraï ne lui inſpirera plus
que le mépris & la haine que l'on doit aux
Tyrans. On apprend que Zoraï revient ,
qu'on a vu ſon vaiſſeau, que dans quelques
DE FRANCE.
135
inſtans il doit entrer dans la rade. Le perfide
Hulifear , qui craint dans Zoraï un rival de
ſa grandeur future , ainſi que de ſa tendreſſe ,
envoie à ſa rencontre des affaffins , auquel
le jeune Sauvage échappe , tant par ſa valeur
que par le ſecours de ſon ami Telafco. Zoraï
& Huliſcar ont enſemble un entretien dans
lequel ce dernier expoſe ſes vûes & ſes projets
,&propoſe à Zoraï de partager avec lui la
Puiſſance Souveraine. Lejeune hommes'étonne&
s'indigne. Peu ſenſible aux menaces du
Tyran , il lui annonce qu'il ofera tout entreprendre
pour s'oppoſer à ſes deſſeins , pour
défendre la liberté; qu'il bravera tout , même
le fer des affaffins. Cependant Zoraï doit rendre
comptede ſa miſſion devant la Peuplade
aſſemblée. Il entre dans des détails affez
longs ſur le Gouvernement François. Il vante
la felicité des Sujets du Roi de France : heureux
, dit- il , ſous le pouvoir d'un ſeul Prince,
comme le font des enfans ſous l'autorité
d'unpère ſenſible & tendre. Toujours guidé
par ſes préventions ,Tango ne voit encore
qu'un deſpote dans un Monarque ; mais
Palmore , & quelques autres Sauvages qui
ont la confiancede la Peuplade , ont apperçu ,
dans le ſyſtêine que Zoraï leur a développé ,
le Gouvernement qui convient à la Nouvelle
Zélande , celui dont dépend le bonheur des
peuples. Huliſcar ſe retire furieux à la tête
de ceux qu'il a engagés dans ſon parti , après
avoir déclaré que ſi l'on veut nommer un
Roi , il a des droits à la Royauté; qu'il a le
voeu du plus grand nombre des Sauvages , &
136 MERCURE
que c'eſt à main armée qu'il ſoutiendra ſes
pretentions. La retraite d'Huliſcat , fon audace,
legrand nombre de ſes partiſans , tout
Le réunit pour inquieter Tango , Zoraï &
Palmore . L'effroi , la fureur ſuccèdent à leur
inquietude , quand ils apprennent qu'Hulifcar
vient d'enlever Afiloë. Zorai & Telafco
volent ſur les traces des raviffeurs. Atiloë
leur eft arrachée. On la tranſporte dans le
bois ſacré , elle eſt évanouie & nouvre
l'oeil à la lumière que pour ſe retrouver
dans les bras de fon cher Zoraï , dont elle
ignoroit le retour. La converſation amoureuſe
des deux jeunes gens eſt interrompue
par l'arrivée de Tango . Le vieillard , toujours
fidèle à ſes préjugés , ne voit encore
qu'un traître dans Zorai ; qu'un ambitieux
qui a puiſé chez les Européens l'amour de
la grandeur ſuprême. Mais le moment preſſe ,
Huliſcar menace ; la peuplade va être en
proie au carnage : Zoraï veut épargner le
fang de ſes compatriotes. Il fait propoſer à
Huliſcar un combat fingulier. Télaſco eft
chargé du meſſager. Ce dévouement géné
reux ouvre les yeux de Tango , qui , pallant
tout - à- coup d'une méfiance humiliante à
admiration exagérée , unit Afiloë à Zoraï .
Huliſcar , inftruit dans une partie des Arts
deftructifs de l'Europe , a fait élever une
fortereſle; il y a raffemblé l'amas effrayant
des aarrmmeess les plus meurtrières. Pour répondre
à la propoſition que lui fait Télafco , il
le conduit dans la fortereffe , lui fait con
noitre fes arfenaux & fes reffources , &
une
DE FURDAN CE. 137
1
de renvoie , après lui avoir demandé fi ,
avec la certitude de vaincre , il doit s'expofer
au hafard d'un combat fingulier. A
peine Telaſco a-t- il explique la reponfe
d'Hulifcar , qu'on voit paroître un envoyé
tu perfide. Son Maître, dit il , propoſe la
paix à condition qu'on lui rendra la jeune
Aloë, & qu'il deviendra fon époux. A ce
prix tout rentrera dans ſon premier état. Le
bon Tango , toujours diſpoſé à ménager le
fang de ſes frères , propoſe à Zotaï & à fa
fille de faire un effort fublime , d'étouffer
leur amour , & de le ſacrifier à la Patrie.
Zoraï conſent à déchirer ſon coeur , à mourir
malheureux ; il va renoncer à fon amante.
Palmore s'y oppoſe; il a deviné les projets
d'Huliſcar. Amant d'Afiloë , le traître ne
cherche qu'à la ſouſtraite au carnage ; & sûr
alors de fa proie , il ſuivra fes premiers deffeins.
Cette idée paroît probable ; elle eft
bientôt confirmée par Telafco. Ce jeune
Sauvage a conduit l'envoyé d'Huliſcar hors
des limites du bois confacré aux Dieux de
la nouvelle Zélande , & celui- ci l'a inſtruit
de la politique artificieuſe & barbare de
fon Maître. Le déſeſpoir s'empare de
Tango; il propoſe de raſſembler la Peuplade
dans le bois ſacré,hommes , femmes ,
enfans, vieillards ; & de ne laiſſer à l'ufurpateur
que des cendres &des cadavres. Une
idée plus heureuſe ſuſcite à Zoraï un autre
projet. Il réunit les vieillards les plus refpectables
, marche à leur tête au- devant
138 MERCURE1
d'Huliſcar;, &les préſentant aux foldats du
Tyran , il leur demande s'ils feront affez
barbares pour égorger leurs frères , leurs
amis & leurs pères. Huliſcar , qui craint
toujours laſcendant de Zoraï , lève ſur le
jeune Heros une de ces, armes dont l'effet
preſqu'inévitable reſſemble à celui du tonnerre
. A cette vûe Tango fuit ; il vient trouver
Aloë. Le trepas eſt la ſeule reffource
qui leur refte. Il lui preſente un poignard.
Afiloë balance à s'en ſervir. Mourir ti fon
époux reſpire encore ! Cette idée retient fon
bras, Tango l'encourage ; elle va terminer
ſa vie , le poignard va frapper ſon ſein. Telaſco
accourt ,& lui arrache le fatal couteau .
Tout eft change. Zoraï n'a point été frappé,
L'action d'Huliſcar , l'aſpect vénérable de
tous les vieillards de la Peaplade ont réveillé
dans tous les coeurs l'amour de la
Patrie & de la liberté. Huliſcar eſt tombé
fous les coups de Zoraï; ſes troupes ont mis
bas les armes ; elles ont volé dans les bras
de leurs parens , de leurs amis. L'intrépide
Zoraï a été proclaimé Roi , & il obtient ſans
retour la main de ſa chère Afiloë.
Cette Tragédie a été retirée du Théâtre
par fon Auteur le jour de la première repréſentation;
& c'eſt un courage affez rare pour
mériter des éloges. Elle avoit été reçue avee
tranſport par l'Affemblée des Comédiens , &
confidérée comme un excellent Ouvrage. Le
Public en a jugé autrement , & l'on peut
aſſurer qu'il a mieux vû que l'Aréopage comiDE
FRANCE.
139
que.Ce Drame tragique eft entièrement d'ima
gination. Il eſt néanmoins à préſumer qu'on a
eu pour objetd'y préſenter quelques- unes des
cauſesquiont opéré ou, pour mieux dire, com
mencé une des plus grandes révolutions dont
il foit parlé dans les Faſtes de l'Univers . Une
pareille tentative nous ſemble au moins
haſardée, puiſque cette révolution n'eſt pas
encore abſolument accomplie. L'oppofition
du Gouvernement François & de la Conftitution
Angloiſe ne nous paroît pas heureufement
faifie. L'amour des François pour
leurs Rois , le bonheur dont ils jouiffent
ſous l'autorité des Loix auxquelles leur
Prince même rend hommage , tout cela
fans doute eft intéreſſant& fait pour frapper
les Peuples les plus barbares , pour leur
faire defirer une adminiſtration ſemblable à
lanôtre. Mais est-il naturel qu'un Sauvage ,
après avoir étudié le ſyſtême du Gouvernement
Anglois , ne retourne dans ſon pays
qu'avec l'amour du deſpotiſme ? Voilà certainement
une conféquence bien bizarre !
&puis le Théâtre eft il fait pour la difcuffion
de ces objets ? Laiffons ces grandes vûes
aux Cabinets politiques , aux Perſonnes
faites pour gouverner les États , ou aux
Écrivains philoſophes qui ont approfondi la
Science Diplomatique : & bornons- nous à
faire des Tragédies intéreſſantes par le jeu des
caractères & le développement des paffions
humaines . Celle dont nous venons de rendre
compte n'inſpire qu'à peine un foible intérêt.
140
MERCURE
au
Lamarche en eſt lente , le plan mal ordonné,
l'action froide, l'expofition obſcure & le
denouement invraisemblable. Quant
ſtyle, il eſt ſouvent incorrect & dur , prefque
toujours foible & négligé , & ce n'eft
que par intervalles qu'on y diftingue quelques
- uns de ces traits qui annoncent un
homme fenfible , inftruit & éclairé. On dit
que l'Auteur eft encore jeune. On peut croire
qu'il a trop préſumé de ſes forces , & que
dans un ſujet mieux choiſi , plus mûrement
approfondi, & travaillé avec plus de ſoin
que celui-ci, ci , il ſe montrera digne des encouragemens
que lui ont mérités quelques
morceaux & quelques intentions de ſa
Tragédie .
Sumite materiam veftris , qui fcribitis , aquam
Viribus.
VARIÉTÉS.
LETTRE aux Rédacteurs du Mercure.
MONSIEUR ,
J'AI lu dans le Mercure du 9 du mois de Juin
dernier , un Ouvrage en vers ſur la Navigation.
L'Auteur y parle avec le plus grand éloge des
Dugay- Trouin , des Jean Bart , des Ruyter, & il a
certainement raiſon ; mais on a lieu d'être fort
étonné de ce qu'après avoir joint à cette liſte M. le
Maréchal de Tourville , il dit : Gens vésfans ayeux,
&fortis de la Marine marchande. S'il avoit conſulté
le Public , les Dictionnaires , & notamment le
DE FRANCE. 141
Père Anfelme, il ſauroit que MM. de Cottentin , de
Tourville,ont eu des ayeux depuis plufieurs fiècles ,
&les plus grandes alliances , & que ce même Maréchal
, reçu Chevalier de Malthe au berceau , après
s'être diſtingué pendant ſa jeunefle fur les vaifſeaux
de la Religion , a mérité les grâces que
Louis XIV a bien voulu lui accorder dans ſes Armées
Navales.
2
Comme votre Ouvrage , Monfieur, eſt lû de
tout le monde, les perſonnes peu inſtruites ont
beſoin d'être diſſuadées des impreſſions qu'elles pourroient
y avoir priſes ; en confequence on vous fupplie
de vouloir bien inférer cette Letire dans le prochain
Mercure .
J'ai l'honneur d'être , Monfieur ,
A
Votre très-humble & trèsobéifſant
Serviteur ***. *
SCIENCES ET ARTS.
INDUSTRIE.
M. DAGOTY, Peintre de la REINE de
MADAME, & Privilégié du ROI pour l'impreſſion
des étoffes , rue d'Aligre , Fauxbourg S. Antoine,
propoſepar foufcription fix garnitures de fauteuils à
40 liv. par fauteuil ; l'étoffe & la couleur du fond
feront au choix des Soufcripteurs , à l'exception du
velours de ſoie à trois poils , dont le prix ſera double.
Les talens de M. Dagoty ſont connus depuis
long-temps par les plus brillans ſuccès. L'Académie
des Sciences rendit le témoignage le plus avantageux
ſur la méthode de ſon invention d'imprimer
ſur étoffes en foie & fur velours de coton ,
142 MERCURE
& en 1775 il s'étoit déjà fait connoître par le
Portrait de la Reine , qui réunit tous les fuffrages , &
pour lequel Sa Majesté voulut bien lui témoigner ſa
fatisfaction.
Les ſuccès antérieurs de M. Dagoty ne laiſſent
aucun doute ſur la réuſſite de la ſouſcription qu'il
propoſe. Elle ſe fera dans les mains du ſieur Sollier
, Tapiffier , rue des Prouvaires , près S. Eustache,
chez qui l'on verra des fauteuils dans le même
genre. La livraiſon aura trois termes égaux , dont
lepremier ſe fera deux mois après la date de la quittance
de ſouſcription .
J
MUSIQUE.
OURNAL de Clavecin , nº . 9. Ce Cahier contient
l'ouverture del Leſſandro Nelle indie , Opera
Italien , arrangée par J. S. Schroëtter , ſuivie d'un
Preſto de Ditters, arrangé par M. Camille Montaize
, & une Sonate par M. Charpentier. Prix ,
2 liv. A Paris , chez Leduc , rue Traverfière-Saint- .
Honoré , au Magaſin de Muſique. Le prix des
douze Cahiers eft de 15 liv. pour Paris & la Province,
port franc.,
Concerto pour le Violon , par M. Dautrive. Prix ,
4 liv. 4fols, port franc par la poſte. A Paris , chez
Leduc , rue Traverſière Saint-Honoré , au Magaſin
deMuſique .
P
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ISSOT , Libraire , quai des Auguſtins , vient de
recevoir de Londres : Hume's History of England,
8 Vol. in- 8 ° . Robertson's History of Charles V.
4 Vol. in- 8°. Robertson's History of America ,
:
DE FRANCE.
143
3 Vol. in -8 °. The Annual Register , or , a view
of the History , politics and Littérature , 23 Vol.
in-8°. Hooke's Roman History , 11 Vol. in- 8 ° .
Campbell's Lives of the British admirals , contairing
a new and accurate naval History from the
carliest periods to the year , 1779 , 4 Vol. in- 88 .fig.
Les Manoeuvres de Poftdam , par M ***. Ouvrage
propoſé par ſouſcription. Les Principes de
Tactique du Roi de Pruſſe ſont d'une ſupériorité
par- tout reconnue. On fait que ce grand Monarque
adonné à cette Science un degré de perfection qu'elle
n'avoit pas auparavant , & ſa pratique d'ailleurs>
dépoſe en faveur de ſa théorie. Sa Majesté ne permet
qu'aux Militaires Prufſiens d'affiſter à ſes Manoeuvres
de Poſtdam. Tous ces motifs doivent faire
accueillir favorablement cet Ouvrage , que l'Auteur ,
nous affure être le fruit de dix ſept ans d'obſerva-!
tions.. Il contiendra cinquante une Planches , avec
d'autres Planches de détail Le prix de l'Ouvrage
entier eſt de 300 livres , & l'Auteur n'exige d'abord
que 24 livres , avec une ſoumiflion pour le payement
du reſte. La ſouſcription ne ſera ouverte que
juſqu'au premier,Mars ſuivant. On recevra l'Ou
vrage entier en trois Livraiſons , dont la première fe
fera fix mois après la ſouſcription fermée , & les
deux autres à trois mois d'intervalle chaque. La
ſouſcription ſe fait chez Méquignon l'aîné , Libraire,
rue des Cordeliers une fois fermée , on payera
rOuvrage 600 liv.
2332
Mat
Lettre VII , en forme de Profpectus , fur une
nouvelle Hiftoire générale des Plantes propre à
remplacer l'Histoire universelle du Regne végétel ,
in-folio & in- 8 ° . Le Volume in -folio ſera compoſé
de cent foixante feuilles , & les in - 8 °. de trente
feuilles chacun ; il en faudra quatre Volumes pour
former l'in folio. Le prix de l'un & de l'autre ſera le
134
MERCURE
même , c'est- à dire , 16 livres ; ceux qui n'auront
pas ſouſcrit payeront 14 livres, Paffé le premier Février
prochain, la ſouſcription ſera fermée pour
Paris ,& ne ſera continuée pour la Province que,
juſqu'au premier Avril.On ſouſcrit chez M. Buc'hoz,
Médecin de MONSIEUR , rue de la Harpe..
La Nature conſidérée sous ses différens aspects ,
ou Journal des trois règnes de la Nature, contenant
tout ce qui a rapport à la ſcience phyſique der
l'homme, à l'art vétérinaire , à l'hiſtoire des différens
animaux , au règne végétal , à la connoiffance.
des Plantes , à l'Agriculture , au Jardinage , aux
Arts , au règne minéral , à l'exploitation des mines ,
aux fingularités & à l'uſage des différens foſſiles;
parM. Buc'hoz , Médecin de MONSIEUR , première..
époque, Tome IV. A Paris , chez l'Auteur , rue des
la Harpe , près celle de Richelieu - Sorbonne ; &
chez Laporte, Libraire, rue des Noyers , in- 12 de
393 pages.
ADÉLAIEE,
( TABLE
Ou la Raison Les Après-Soupers ,
dupedel'Amour, Conte, 97
L'Hiver,
Que ne
ciété
delaSo-
Stances àEgle, 99 Acad. RoyaldeeMusiq..
peut
Conte, nel,C
'Amour Paser Comédie Françoise,
129
133
101 Leture au Rédacteur duMer-
Enigme& Logogryphe , 118 cure ,
Lettres Edifiantes&curieuses, Industrie
écrites des
gères ,
Miffions Etran-
Musique ,
120 Annonces Littéraires ,
१०
APPROBATION.
د
ر
2
140
1411
143
ib.
J'AI lu , par par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercurede France, dour le Samedi 19 Octobre. Je n'y at
zien trouvé qui puiffe en empêcher l'inipreßion.A Paris ,
le 18 Octobre 178 PL
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 30 Août.
ONeſt encore fort éloigné d'être revenu de
la confternation qu'a répandue dans cette
Capitale l'incendie du 23 de ce mois; elle ſe
trouve aggravée par la diſette qui en eſt la
fuite, plus de soo moulins ont été brûlés , avec
les chevaux qui les faifoient mouvoir , & les
grains qu'ils contenoient ; pour foulager la
multitude preſque infinie de malheureux ,
qui manquent à préſent d'aſyle & de fubſiſtances
, on a élevé à la hâte des tentes &
des fours. Parmi les bâtimens détruits par
le feu , on compre le magnifique Palais du
riche Sélim Effendi , dont les dorures ſeules
ont coûté jo , 000 piſtres. A la vue du donger
qui le menacoit , il en off.it jusqu'à
300,000 aux Propriétaires des maiſons vois
fines , s'ils vouloient les abarre pour couper
le cours des flammes; mais ils ſe refusèrent
19 Octobre 1782. e
( 98 )
à ſa prière. La fermentation eſt toujours
générale ; on a trouvé dans les fauxbourgs
de Galata & de Péra , où demeurent les
Miniftres étrangers , des mèches & des matières
combustibles cachées. Ce qui prouve
que les mécontentemens n'ont point ceffé ,
malgré la dépofition du Grand-Vifir & de
quelques autres Perſonnes en place , & les
ſommes même répandues parmi les Janiffaires.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 20 Septembre.
Le Traité de commerce qui ſe négocioit
depuis quelque tems entre cette Cour &
celle de Pétersbourg , eft actuellement conclu.
S. M. I. a conféré à cette occafion le
titre d'Envoyé extraordinaire à M. de Schumacker
, qui n'avoit eu juſqu'ici que celui
de Miniſtre réfidant à Pétersbourg. Elle a
fait préſent d'une tabatière d'or garnie de
brillans , à M. de Sacken , Envoyé extraordinaire
de l'Impératrice ici.
Depuis le 13 juſqu'aus de ce mois , il
eſt arrivé dans le Sund 286 bâtimens venant
de la Baltique , & il en eſt parti 76 pour
cette mer. Le nombre de ceux qui font venus
de la mer du Nord dans le Sund ſe monte à
84 , & celui qui en a fait voile pour cette
mer à 65. Les deux frégares de guerre Hollandoiſes
ſont encore mouillées dans leSund,
( وو )
où l'on compte actuellement 160 bâtimens
deſtinés pour la mer du Nord.
Le 13 de ce mois le feu a pris dans un
bâtiment de la Manufacture royale de porcelaine.
On s'en est apperçu heureuſement
fur-le- chainp , & on eſt parvenu à l'éteindre
, fans qu'il ait caufé de grands dommages.
POLOGNE.
De VARSOVIE , le 20 Septembre.
TOUTES les circonstances ſe réuniſſent
pour nous faire croire que la prochaine
Dière générale fera époque dans nos annales.
Le bruit ſe ſoutient toujours que le
Clergé y ſubira une grande réforme , &
comme on fait que ce Corps de l'Etat a
une influence prodigieuſe ſur le Peuple , il
eſt à craindre qu'il n'en réſulte des évènemens
fâcheux pour ce Royaume.
,
Les Grands , les Miniftres , les Généraux ,
les Envoyés étrangers tous les Gens en
place, ſont depuis quelque tems dans une
grande activité. Les Puiſſances voiſines ont ,
dit-on , donné des ordies pour faire avancer
des troupes fur les frontières.
د on a Selon les lettres de Pétersbourg
fait de nouvelles découvertes dans l'Archipel
de St- Lazare , auprès du Continent de
l'Amérique.
1
c2
( 100 )
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 22 Septembre.
IL doit paroître inceſſamment une Or
donnance de l'Empereur , portant établiſſement
d'une Commiſſion , devant laquelle
toutes les perſonnes qui ont des charges à
la Cour , & qui ſont endettées , feront obligées
de donner un état des biens, qu'elles
poſsèdent , de leurs dettes , & de la manière
dont elles ont été contractées. La Commifſion
examinera ſi elles viennent d'impradence
& de manque d'économie , ou de
quelques revers imprévus. Dans le premier
cas , il y aura ſuſpenſion d'appointemens ,
juſqu'à ce que les dettes foient entièrement
acquittées , & perte même de la charge ſi
elles étoient trop ſcandaleuſes. Dans le ſecond
cas S. M. I. donnera des facilités à
ceux qui auront eſſayé des malheurs. Cette
Ordonnance , auffi fage que falutaire , mettra
des bornes au luxe & aux dépenſes frivoles
des Gens de Cour.
,
Parmi les productions de ce royaume , éerit- on
de Presbourg , celle du tabac eft une des plus
importantes ; on en a exporté en 1776 , 1,262,995 1,
en feuilles , 47,345 en poudre; en 1777 , la quantité
exportée fut de 3,278,139 livres en feuilles
& 143,766 liv. en poudre ; en 1778 , elle fut de
3,278,136 liv. en feuilles , & 100,759 en poudre,
Depuis cette époque , l'exportation de cette denrée
a un peu diminué; la raifon en eſt que dans les
intervalles , il en eſt arrivé en Europe des charge-
,
( IOE )
mens conſidérables d'Amérique. - La culture des
vers- à- foie fait des progrès ſenſibles dans la Haute-
Hongrie , & particulièrement dans le Comté de
Neogrod : on a déjà obtenu pluſieurs quintaux de
foie. Si cette branche d'induftrie réuffit , comme ort
a lieu de l'eſpérer , elle ajoutera à la population
& aux richeffes de ce royaune .
On avoit formé depuis pluſieurs années
le projet d'établir des inagaſins de vivres
dans le royaume de Bohême , pour qu'en
tems de difette , ils puiffent fournir les fubfiſtances
néceſſaires aux habitans & à leurs
beftiaux ; on en a fait un eſſai dans le Cercle
de Czaſlau. Cet eſſai a fi bien répondu aux
vûes de S. M. I. , qu'elle vient d'ordonner
l'établiſſement de pluſieurs magaſins ſem
blables par-tout le Royaume.
De HAMBOURG , le 27 Septembre.
L'ATTENTION générale conmmence à ſo
fixer aujourd'hui fur la Ruffie & fur la Turquie
, qui , s'il faut en croire les nouvelles
de divers endroits , font à la veille d'une
rupture. Le dernier incendie qu'on a éprouvé
à Conſtantinople , n'eſt pas le plus grand
malheur qui accable cette Ville ; l'eſprit de
trouble & de révolte qui y règnent , felon
ces avis , la prépare à de plus terribles. La
néceſſité d'occuper un peuple inquiet , &
fur-tout ces Janiſſaires ,qui ſe ſont rendus fi
redoutables , peut déterminer le Divan à la
guerre. Les troubles de la Crimée , fur lefquels
la Ruffie paroît ayoir pris un parti
e3
( 102 )
déciſif, &les mouvemensdesTartares , qui
patoiffent à leur tour réſolus de ne pas céder
, ſemblent préparer à un nouvel embråſement
, qu'on craint de voir allumer. Les
Ottomans murmurent & accuſent , dit-on ,
le Sultan de trop de condeſcendance pour
les Puiſſances Chrétiennes. On attend avec
impatience des lumières plus préciſes ſur
tous ces objets. Si la guerre ſe déclare , on
croit que l'Empereur fera aſſembler une
armée d'obſervation ſur les frontières , pour
s'oppoſer aux invaſions des Turcs.
Les lettres de Vienne portent , que l'on
y travaille avec beaucoup d'activité au projet
d'échange avec la République , & que
l'on ſe flattoit que quelques ceffions territoriales
réciproques , ſeroient d'une grande
utiliré pour le commerce de Trieſte.
>> M. le Comte & Madame la Comteſſe du Nord ,
Ecrit-on de Stuttgardt , partirent de Carlſruhe ,
réſidence du Margrave de Baden , le 17 Septembre ,
pour ſe rendre ici. Ils étoient accompagnés du Prince
Frédéric de Wurtemberg , de la Princeſſe ſa femme ,
&de toute leur famille. Le Duc Régnant de Wurtemberg
alla au- devant d'eux à Ensberg , frontière
du Pays du côté de Strasbourg ; il avoit fait conftruire
dans cet endroit un Art de triomphe , & un
bâtiment très-confidérable , orné de peintures allégoriques;
il y eut un grand diné pour toute la
famille & la fuite du Comte du Nord; ce Prince
fut reçu au bruit des timbales & des trompettes ,
&d'une nombreuſe artillerie qui tira pendant près
d'une heure. Le Comte & la Comtele du Nord ſe
rendi ent ſur les huit heures du ſoir à Stuttgarde
où toute la Cour & les Etrangers étoient affemblés
( 1031
dans le Palais Ducal , on pafla tout de ſuice à la
Salle d'Opera , où on repréſenta les Fêtes Theffaliennes
, après quoi il y eut grand fouper au Château.
Le 18 , on donna l'Opéra de Callirhoë ,
avec deux Ballets pantomimes qui durèrent une
heure : il y eut ce jour-la grand diner & grand
fouper à la Cour ; mais la famille Ducale toupa
en parti-c lier & en retraite. Le 19 , les Princes de
laMaion & la faire du Grand-Duc allèrent à Hohenheim
, où les Elèves de l'Académic jouèrent une
eſpècede Paftorale intitulée la Colonie ; on y jetta
les fondemens d'un monument pour éternifer la
mémoire de l'Alliance de la Ruffie avec la Maiſon
de Wuremberg ; le Comte du Nord donna le
premier coup de marteau. Au retour de Hohenheim ,
il y eut bal particulier pour les Princes de la famille.
Le 20 , on retourna encore à Hohenheim
de même en famille , & fans inviter les Etrangers.
Le 21 , on ſe rendit vers le ſoir à Louisbourg où
il y eut grande Redoute dans la Salle d'Opéra.
Le 22 , on vifita les Fabriques & les Boſquets ,
on fe rendit vers les huit heures du foir à la Solitude,
dont le chemin étoit bordé de pots à fes ,
( il y a une lieue & demie ) tous les bâtimens de
Ja Solitude étoient illuminés , ( on estime qu'il y
avoit 40,000 lampions ). On repréſenta au Théâ
tre une petite Pièce Italienne en Muſique, enſuite
on ſoupa dans la Salle des Lauriers , ou trois tables
furent fervies pour environ 400 perfonnes. Le 25 ,
la Cour compreit voir la Chaffe préparée à un
endroit appellé le Beerzée , mais le mauvais tems
la fit remettre au lendemain; on retourna à Statsgardt
, où l'on donna l'Opéra de Didon avec deux
grands Ballets. Le 24 , on alla à la Solitude & la
Chaffe eut lieu; on avoit contruit devant l'étang
un amphithéâtre , & des galleries coupées par des
fal'ons ; huit à dix mille pièces de gros gibier
furent chaffées des remiſes dans l'étang : le Comte
&
€ 4
( 104 )
du Nord défira qu'on ne tuât qu'un cerf. Au retour
de la Chaffe on donna ſur le petit Théâtre un
Opéra Comique Allemand. Le 25 , on viſita à
Stuttgardt les Ecuries & l'Académie. Le 26 , il y
ent grand Exercice de l'Infanterie & de la Cavalerie
, café dans la Maiſon de Madame de Hohen
heim , & Concert dans le Temple de l'Immortalué
, où l'on foupa enſuite. Dans ce Temple on
voyoit la Statue de l'Impératrice de Ruffie grouppée
avec fes deux petits- fils , le Comte & la Comteffe
du Nord , Pierre premier , & Catherine première ,
& un grouppe de la Rutfie enchaînant l'Afie ; de
plus un grand baſſin & cinq jets d'eau . Le 27 , le
Comte & la Comteſſe du Nord ont quitté Stuttgardt
, où ils ont donné de nouvelles marques de
leur générofité , & où ils ont laiſſé les plus viſs
regrets , ainſi que par-tout où ils ont paſſe.c
On apprend de Berlin , que quoique la
culturede la foie ait fort fouffert du froid
cette année , comme la précédente , dans
les Etats du Roi de Pruffe , on n'a pas laiffé
d'en recueillir 11,000 1. peſant. Ily a mainte
nant 3 millions de cocons blancs , mûriers
vieux& jeunes , qui ſuffiroient pour recueillir
50,000 livres de ſoie , ſi le tems & la
manipulation en favoriſoient la récolte.
Nos papiers ont beaucoup parlé , il y a
quelque tems , d'un habile Mechanicien
Hongrois ; ils annoncent aujourd'hui aina
un nouvel ouvrage dont il s'occupe.
>> M. Kempele , ſi célèbre par ſon Joueur d'échecs
organiſé , travaille maintenant à perfectionner un
nouvel Automate parlant. La tête en eſt entièrement
achevée , & répond déjà fort distinctement à
pluſieurs queſtions qu'on lui propofe. Sa voix eft
fonore , le ton en eſt agréable; mais elle prononce
1
( 105 )
I'r en grafſſayant ; elle parle d'ailleurs Allemand,
Latin , Italien & François . M. Kempele partira
bientôt pour les Pays-Bas , la France & la Grande-
Bretagne , où il ſe propoſe de montrer cette ma-:
chine étonnante & fon Joueur d'Echecs déjà tang
admiré. «
ANGLETERRE,
De LONDRES , le 8 Octobre:
ON eſt toujours dans l'attente des nouvelles
de l'Amérique ſeptentrionale ; celles
apportées par le tranſport armé , la Liberty ,
loin de fatisfaire la curiofité , n'ont fait que
l'exciter davantage , & redoubler l'impatience
; les lettres particulières qu'on a
reçues par cette voie font mention du
trouble & du mécontentement des Loyaliftes
à New-Yorck , à la publication de la
nouvelle que le Gouvernement Britannique
reconnoiffoit l'indépendance de l'Amériques
Son premier réſultat a été une grande confufion
parmi eux , & une indifférence voi
fine du mépris de la part des partiſans du
Congrès . Le Commandant de New-Yorck
paroît être très-embarraffé , & avoir moins à
compter qu'on ne le croit ici ſur ces mêmes
Loyaliſtes , dont depuis ſi long tems les
papiers miniſtériels exagèrent le nombre
& fur-tout le zèle. On peut en juger par
cette proclamation , qu'il a été obligé de
publier.
>>Pluſieurs perſonnes ,excitées par des principes
rebelles ou par d'autres motifs non moins déshoc
( 106 )
norans , ont réceinment déſerté de la milice de cette
Ville , & fe font retirées dans le King's-Countyen
l'Iſle longue , où i's ſe flatrent d'échapper à l'obligationde
faire aucun ſervice pour leur Roi & pour
leur Patrie. Les Officiers de la Milice de ce Comté
ne ſouffriront point , à ce qu'on eſpère , que ces lâches
déſerteurs reſtent ſpectateurs oififs ..
Un de nos papiers a fait les obſervations
ſuivantes fur cette proclamation , qui eſt
du 13 Juillet , & par conséquent d'une
date antérieure à la lettre du Général Carleton&
du contre-Amiral Digby au Général
Washington .
>> Il y a donc des rebelles dans New- Yorck ? on
ne fait pas de pareilles plaintes lorſqu'il n'en exifte
pas. On pourra demander pourquoi on a publié un
pareil avertiſſement , puiſque l'Iſle longue eſt dans
la poffeſſion de l'ennemi ; il ſemble qu'un détachement
de cavalerie auroit ſervi plus efficacement que
cet avis , à rappeller les fugitifs. Mais les choſes ne
fontpas tout-a- fait ſur les lieux commenous nous les
figurons ici . Il ett de fait que des trois Comités qui
compoſent l'Iſle tongue , nous n'avons des partiſans
que dans un ſeul , & que même nous n'y en aurions
aucun , ſi ces partiſans ne ſe trouvoient pas ſous la
bouche de nos canons.- Puiſque nous en ſommes
fur les proclamations de nos Commandans , nous en
indiquerons encore une qui eut lieu à New- Yorck ,
le 12 du même mois , par laquelle tous les Nègres
mâles libres âgés de plus de 14 ans , qui ne ſe trouvoient
employés dans aucun desdépartemens publics,
reçurent ordre de ſe préſenter le 15 fur laCommune
pour être enregiſtrés. Ils n'y manquètent pas ; &
nous ſommes informés qu'après qu'ils eurent été
raſſemblés de cette manière , on s'en faifit , & on les
envoya aux Indes occidentales. Il eſt fâcheux de le
dire , mais la vérité paſſe par-deſſus toutes les confi
( 107 )
dérations . Ce n'eſt pas le premier tour de cette
eſpèce que nous avons joué aux malheureux Noirs ,
depuis que S. M. les a pris fous ſa protection . Aucun
ne leur fut plus cruel que celui qu'on leur fit l'année
dernière. Les vaiſſeaux avoient un grand beſoin
d'hommes ; pour en raſſembler un bon nombre , on
mit le feu à une braſſerie à un mille deNew-Yorck ,
&lorſque les habitans & d'autres Blancs & Noirs
furent accourus en foule de ce côté pour éreindre
les flammer, un parti d'hommes armés parut touta-
coup , & en conduifit quelques centaines à bord
des vaiſſeaux «.
:
Ces actes , que ceux qui les font eſſayent
de juftifier par la néceſſité , ne ſont pas
propres à attacher les gens dont on follicite
les ſervices & l'amitié. Leur effet
naturel eſt d'augmenter le nombre des déferteurs
, & de donner au Congrès un furcroît
de forces dont notre conduite nous
prive; on peut nous en impoſer ici tant
ſur ſa ſituation , que ſur la nôtre. Il eſt à
portée d'en juger plus ſainement ; auffi
nous flattons nous peu de parvenir à traiter
avec lui en particulier ; il paroît déterminé
à ne point ſéparer ſa cauſe de
celle de ſon allié; & il doit y être confirmé
par la reconnoiſſance qu'ont faite
les Etats-Généraux de l'indépendance des
Etats-Unis. Une feuille Américaine s'exprime
ainſi fur ce ſujer.
>> Une remarque intéreſlante à faire , c'eſt que
la République de Hollande a reconnu notre indépendance
le 19 Avril , qui est précisément le ye.
anniverſaire de la bataille de Lexington. On peut
ajouter que le premier mémoire de M. Adams , auz
e 6
( 108 )
4 Etats Généraux , étoit également daté du 19 Avril
de l'année précédente. Qui eût dit alors , qui cût
même eſpéré que le ciel avoit arrêté dans ſes décrets
deborner an court période de 7 années des évènemens,
qui dans le cours ordinaire des affaires humaines
auroient rempli des ſiècles ? Qu'un pays alors
déchiré par des divifions inteftines , par des partis
aigtis l'un contre l'autre,&par une foulede faux amis,
pauvre , manquant de tout, finon de réſolution ,
s'éleveroit enfin triomphant de tous , en oppoſition
directe aux efforts fanguinaires &déſeſpérés d'une
Nation des plus opulentes , des plus guerrières ,
des plus perfévérantes & des plus puiſſantes de
l'Univers , & qu'il formereit une alliance étroite,
puiſſe- t- elle être auſſi perpétuelle , avec la maiſon
de Bourbon & la République des Provinces -Unies ?
Ces Etats ſeuls , s'ils metrent en oeuvre lears reffourees
immenfes , peuvent forcer nos ennemis à
donner les mains à cette déclaration , que la raifon
, la politique , l'humanité & le reſpect pour
les droits facrés du genre humain , devroient les
aveir portés à adopter depuis long-tems «.
Les mêmes papiers Américains contiennent
auſſi une correſpondance entre le
Général Leflie , Commandant à Charles-
Town , & le Général Gréen , que ce dernier
a envoyée au Congrès avec la lettre ſuivante
:
>> J'ai l'honneur de vous envoyer ci-incluſe copie
d'une Réſolution' de la Chambre des Communes
Britanniques & de la Réponſe du Roi , qui m'ont
été portées hier au foir , de la part da Lieutenant-
Général Leſlie , par le Major Skelly, fon Aide- de-
Camp , accompagné du Meſſage verbal ; que comme
ce changement de meſures paroiſſoit conduire directement
à la paix , il confentiroit àune ceſſation
d'hoftilités de ſa part, pourvu que nous le fiſſions
( 109 )
1
auffi de notre côté, juſqu'à ce que qu'il eût reçu des
ordres ultérieurs de New-Yorck ou de la Cour Bri
tannique. Le Major Skelly ajouta , que Sir Henri
Clinton étoit parti pour l'Angleterre; que Sir Guy
Carleton étoit arrivé à New- Yorck pour prendre le
commandement , & que ſon Secrétaire étoit actuellement
près du Congrès. Comme la propofition
pour une ceffation d'hoſtilités ne venoit point revêtue
des formes néceſſaires , je n'y ai point donné de
réponſe par écrit ; mais quand elle me feroit venue
avec toutes les folemnités requiſes dans une affaire
de cette nature , duement autoriſée par de pleins &c
amples pouvoirs , je ne me ferois pas cru libre de
confentir à quelque choſe de pareil ſans ordre du
Congrès " .
Le Général Leflie après ce Meſſage donné
& répondu verbalement écrivit le 23 Mar
la lettre ſuivante au Général Gréen.
>> Le Capitaine Skelly m'a rapporté les queſtions
qu'il avoit eu l'honneur de resevoir de vous , concernant
les papiers que j'avois ſoumis à votre confidération
, & qu'elle autorité officielle j'avois pour
propofer une cefſation d'hoftilités & pour croire
qu'un traité ſe négocieit actuellement , à l'effet de
mettre fin à la guerre. Je dois donc vous informer
que ces papiers m'ont été envoyés par Sir Henri
Clinton , accompagnés d'une lettre du très honorable
Welbore Ellis , alors un des principaux Secré
taires d'Etat de S. M. me référant généralement
à eux pour la direction de ma conduite à leur ſujet,
&que nos ſuppoſitions ſont fondées non-ſeulement
ſur le poids de leur autorité , mais auſſi ſur les
termes clairs & poſitifs , dans lesquels ils expriment
les ſentimens de S. M. & de la Chambre des Communes
Britanniques. J'attends à tout moment des
inſtructions plus amples de la part de notre préfent.
Commandant en chef, Sir Guy Carleton , dont la
( 1101
nomination & l'arrivée en Amérique ne m'ont pas
été régulièrement notifiles. Ainsi , M. , je vous ai
poſitivement expliqué comment ces papiers me font
parvenus; & comme je ne ſaurois douter , d'après
les rapports courants & la nature de ces documens ,
qu'une ſuſpenſion d'hoftilités n'ait lieu au Nord ,
&qu'il ne ſe négocie actuellement un traité pour
terminer la guerre , je crois devoir à l'humanité ,
au bien- être de ce pays , & aux ſentimens da pouvoir
législatif de ma Patrie , de propoſer qu'une
pareille ſuſpenſion ait lieu. D'après ces motifs , j'en
renouvelle la propoſition ; & j'enverrai , ſi vous
l'agréez , des Commiflaires pour en régler les conditions
, & pour garantir les intérêts , tant civils
que militaires de chaque partie, dans leur état actuel ,
vous afſurant en même tems que vous ferez informé
le plus promptament poſſible des inſtructions &
avis que je pourrai recevoir à cet égard de New-
Yorck «.
Le Général Gréen répondit ainſi le 25
du même mois à cette lettre .
>> En réponſe à votre lettre , je puis ſeulement
dire , que je n'ai point reçu d'ordres du Congrès
à ce ſujet : mais au cas qu'il y ait une négociation
ſur pied pour terminer la guerre , ou qu'une
fufpenfion hostilités ait lieu au Nord , je les recevral
indubitablement dans peu de jours. Juſqu'a ce
que je reçoive des ordres à ce ſujet , je ne me crois
pas libre de conſentir à une ceſſation d'hoſtilités . «
Le 28 Juin le Congrès fit , ſur la communication
qui lui avoit été faite de ces lettres ,
l'arrêté ſuivant.
>> Sur le rapport du Comité , compulé de Mм.
Duane , Izard & Madison , auquel avoit été renvoyée
la lestre du Général-Major Gréen , en date
du 25 Mai , réſolu : que le Secrétaire de la Guerre
informera le Général - Major Gréen , que les Etats.
( III )
Unis afſemblés en Congrès , approuvent la conduite
, en rejettant les ouvertures pourune ceflation
d'hoftilités, qui lui avoient été faites par le Lieutenant
- Général Leſlie , Commandant les troupes
Britanniques à Charles-Town ; & qu'il l'affure que
le Congrès fera tous ſes efforts pour le mettre en
état de s'oppoſer efficacement à l'ennemi .
Depuis ce tems le bruit s'eſt répandu que
Charles-Town avoit été évacué par leGénéral
Lefie , & que l'on ſe préparoit également
à évacuer New-Yorck. On dit , quant
à la première de ces places , que le bâtiment
le Hope , Capitaine M. Donegald , venant
de l'Ifle de Bermude , rapporte qu'avant
ſon départ de cette Ifle on y avoit vu
arriver pluſieurs navires de Charles - Town
avec avis que lorſqu'ils en étoient partis ,.
il y étoit venu des ordres d'évacuer la
place ſans délai , & qu'il avoit été rendu
une proclamation pour que les habitans
qui voudroient quitter la ville , ſe préparaffent
à s'embarquer , parce qu'il arriveroit
ſous peu des tranſports pour les recevoir.
>> Les premières dépêches qu'on recevra de New-
Yorck , confirmeront ou détruiront ces bruis ;
elles nous inſtruiront auſſi des mouvemens de l'ef
cadre Françoiſe aux ordres de M. de Vaudreuil.
On nous a dit d'abord qu'elle avoit pris la route
de Boſton , mais delà elle peut menacer quelque.
point , & nous donner de juſtes inquiétudes. Elles
nous apprendront auſh ce qu'est devenu l'Amiral
Pigot dont on n'a point de nouvelles à New Yorck ,
& qu'on diſoit avoir ſuivi de très- près l'Eſcadre
Françoiſe. Si les rapports que nous a faits le Canada
( arz )
arrivé de la Jamaïque , ſont vrais , cet Amiral s'eſt ar
rêté à détruire quelques Corſaires ,qui cachés dans la
baye de Matanza près de la Havane , attendoient
les traîneurs de la flotte de la Jamaïque; il ſemble
que cette expédition n'étoit pas aſſez importante
pour l'arrêter ; cette flotte avoit une eſcorte allez
reſpectable pour balayer devant elle tous les Corfaires
des deux mondes ; il autoit éré plus intérefſant
, ſans doute , qu'il ſe fût preſſé davantage de
ſe rendre à New-Yorck , d'y raſſurer nos troupes
que l'approche des troupes Françoiſes a beaucoup
allarmées, parce qu'elles étoientabſolument deftituées
de forces navales ; & que le Lion , vaiſſeau de 74 ,
le ſeul que nous avons dans ces parages , a , dit-on ,
eu le malheur de périr. Ceux qui veulent le jufti
fier de cette négligence , ne manquent pas de publier
qu'il a continue fa route , & ajoutent que
fon voyage vers le Continent ſera inutile , parce
que la ſaiſon avance , & qu'il ne paroît pas qué
les François euffent d'autre deſſein que de l'y attirer
& de l'écarter des Antilles , où pendant ſon abſence
leurs forces dominent , & s'augmentent par
les convois partis ſucceſſivement d'Europe , & qui
y arrivent ſans être inquiétés . C'est ainſi qu'après
avoir rendu inutile l'action da 12 , qui n'a eu d'autre
faite pour nous que de les empêcher de faire
de nouvelies conquêtes , nos ennemis ont trouvé le
moyen de nous les interdire auffi , de nous forcer
à l'inaction , juſqu'à ce qu'ayant été renforcés , &
en état de pourſuivre les opérations qu'ils avoient
projettées , & qui ne paroiffent que reculées , ils
viendront nous chercher eux mêmes & prendre
lear revanche dont peut-être ils profiteront mieux
que nous ne l'avons fait «.
Ces ſoins de l'Amiral Pigot pour la flotte
de la Jamaïque ne nous l'ont pas confervée.
Les tempêtes lui ont été plus fatales que ne
l'auroient été les corſaires François , Ef(
113 )
:
pagnols & Américains. Celle qui l'a
affaillie à la hauteur des bancs de Terreneuve
a , dit - on , duré trois jours entiers.
Des 7 vaiſſeaux qui l'eſcortoient en
partant de Bluefields , il n'en reſtoit alors
que 6 , l'Ardent ayant fait une voie d'eau ,
avoit été obligé de retourner à Port-Royal
de la Jamaïque ; de ces 6 vaiſſeaux ,le Canada
ſeul eſt arrivé à Porſtmouth , ayant
perdu ſon mât d'artimon & fon mât de
hune; le Caton ayant fait une voie d'eau , a
été à New Yorck ; la Ville de Paris , le
Ramillies , le Glorieux & le Centaure , qui
ont beaucoup fouffert , ne continuent pas
tous leur route ; les uns retournent à la Jamaïque
; mais la flotte qu'ils ſcortoient , &
qu'on porte à plus de iso voiles , étoit totalement
diſperſée. Les différentes lettres de
nos Ports , où il en eſt arrivé 4 ou 5 , ne
contiennent que des rapports fort allarmanis.
On peut en juger par la difficulté qu'on
trouve à affurer quelques- uns des vaiſſeaux
de cette flotte, Les affureurs ont refuſé les
40 pour 100 ..
• On n'eſt pas moins inquiet pour l'eſcadre
de l'Amiral Howe , qui , depuis ſon départ ,
a été très- contrariée par les vents. Pluſieurs
des tranſports , partis avec lui , rentrés ſucceffivement
, après l'avoir quitté le 15 & le
16 Septembre , avoient donné de juſtes allarmes
, à cauſe des coups de vent qui ont
eu lieu les jours ſuivans. Le London qui l'a
( 114 )
quitté le 28 à 95 lieues oueſt quart-fud-ouest ,
du Cap Lézard , ne nous a pas raſſurés ; il
dit que les vents ont été affreux depuis que
la flotte a quitté la Manche , il prétend cependant
que la grande eſcadre n'a pas été fi
endommagée que les convois , & il eſt naturel
que les gros vaiſſeaux aient mieux
réſiſté que les petits ; mais les gros vaifſeaux
n'ont ils point fouffert ? après des tempêtes
feront-ils bien en état de ſe meſurer contre
des yailleaux frais qui les attendent ,& dont
le nombre ſeul eſt déjà allarmant. Depuis le
28 , d'ailleurs , les vents ont continué d'être
contraires ; & fi les convois ſont diſperſés ,
que fera le Lord Howe? ſon unique parti eft
de revenit dans nos Ports; il ſeroit inutile
qu'il ſe rendît au Détroit , quand même il
auroit la certitude de battre l'armée combinée
, puiſqu'il ne pourroit donner à la
place de Gibraltar les ſecours & les approvifionnemens
dont elle a beſoin. S'il eft en
érat de continuer fa route , quand arriverat-
il, s'il n'étoit le 28 qu'à 95 lieues duCap
Lézard ? & l'on ſe flattoit lorſqu'il eft parti ,
qu'à cette époque il ſeroit déjà à ſa deſtination.
Cette lenteur ſeroit du moins déſolante , fi l'on
n'avoit pas appris que les batteries flottantes , dont
l'effet a été d'abord terrible , n'ont pu réſiſter aux
boulets rouges que le Général Elliot a été heureuſement
en état de leur tirer. D'après tous les avis du
Continent, dépouillés des exagérations ordinaires ,
il eſt certain que fi elles cuſſent pu continuer leur feu
( 115 )
deux ou trois jours , ce ſeroit fait actuellement de
cettePlace; elle auroit changéde maître, &quelque
précipitation qu'eût mis le Lord Hove à ſon voyage,
quelques vents favorables qu'il eût eus , il feroit
arrivé trop tard; mais malgré cet évènement nous
ne fommes pas plus sûrs de conſerver Gibraltar. Le
fiége continue , &cela prouve que la perte des batteries
flottantes n'a pas déconcerté les affiégeans ; le
Duc de Crillon , dit-on, avoit un plan particulier ,
qu'il n'a abandonné que parce que laCour de Madrid
en avoit adopté un autre : ily revient ; cette Cour y
reviendra ſans doute : il peut d'autant plus ailément
réuffir , que la première défenſe d'Elliot a dû lui coû
ter cher , & diminuer ſes munitions ; les pièces de
canon qui ont tiré cette quantité prodigieuſe de boulets
rouges doivent être à préſent fort endommagées
&pour la plupart hors de ſervice; il faut les changer
; il doit avoir anſſi beſoin de munitions , & s'il
ne reçoit pas celles que lui porte l'Amiral Howe , il
lui eſt impoffible de réſiſter. On a raifon de douter
qu'elles paſſent dans la Place malgré l'ennemi , qui
ſe prépare à s'y oppoſer. Si cet évènement a licu ,
nous ne pourrons pas le regarder comme un des
moindres bienfaits de la Providence , à qui nous en
devons déja tant.
Cet état des choſes ne préſente pas notre
ſituation ſous un aſpect fort brillant en Europe
& en Amérique ; il ne paroît pas l'être
non plus en Afie , dont la Compagnie des
Indes a reçu pluſieurs exprès , ſans qu'on
ait rien publié de ce qu'ils ont apporté ; il
en réſulte que le bruit de la priſe de Madraff
par Hyder- Aly , peu après que les François
ont réuni leurs armes aux ſiennes , acquiert
beaucoup de conſiſtance. Cet évènement ,
( 116 )
très - vraiſemblable , ajoute aux voeux que
l'on formoit généralement pour la paix.
On peut juger de l'état où nous nous trouverons
alors , en conſidérant la nature de nos
dettes & notre revenu. C'eſt ainſi que le peignoit
au commencement de cette année le
Comte John de Stair, dans un écrit qu'il
a publié. Le Lord North étoit alors encore
en place.
A
» Ma voix s'eſt épuiſée à prédire, ainſi que
Caffandre , les malheurs de ma patrie ; encore
quelques paroles & j'aurai fini. Ce
qu'autrefois on appelloit prophétie , ſe réduit
aujourd'hui à la démonstration ; je vais
donc donner des preuves ; & fi je déclamé
ce ne ſera qu'après avoir prouvé. Récapitulons
& préſentons un tableau , dont on
puiſſe ſaiſir l'enſemble d'un ſeul coup
d'oeil ".
L'intérêt de la dette avant la
:
guerre ſe mente annuellement
4,220,000 liv.
On évalue le montant annuel
de l'établiſſement de la lifte civile
, & c. à
:
1,200,000
La dette fondée de ta guerre
actuelle ſe monte annuellement
à : . 2,500,000
L'établiſſement de paix ſe
montera annuellement à • • 4,300,000
12,220,000 liv.
Dettes contractées en 1781 ,
7117
1
qui ne font pas encore fondées.
Derte de la Marine au 31 Décembre
1781 .... 11,000,000 1.
Billets de l'échiquier.
.
Sommes dues à
la banque. • •
:
• 3,400,000
. 2,000,000
Dette qui reftoit
non fondée en
1781.. •
Dette qui doit
être contractée en
1782 .
16,400,000
L'Emprurt ... 17,000,000
Les extraordinaires
de la Marine
& de l'armée
pour 1782 .... 10,000,000
Les arrérages
qui exiſteront a la
4
fin de la guerre..... १,०००,०००
Total de la dette
non fondée en
1781 د & de
la dette fondée
& non fondée
en 1782 non
compris les arrérages
de la liſte
civile. 52400,000 1.
Sur ces cinquante - deux millions
quatre cents mille liv. , on
ne met ( pour calculer modérément
) que cinquante millions
à la charge de publ . Cette
femme a un intérét de cinq pour
( 118 )
sent , produit annuellement.... 2,800,000
En ſuppoſant que la paix ſoit
conclue en 1782 , la charge annuelle
dont ſera grevé le public,
noncompris les frais de perception
& de régie , ſe montera net
à
15,020,000 liv.
Il faudra donc au moins 15 millions tous les
ans pour faire face aux beſoins de l'Etat en tems
de paix , & cette ſomme même ne ſeroit ſuffifante
que ſi l'on obtenoit la paix dans le cours de 1782 ,
& fi l'on ſe décidoit d'ailleurs àn'acquitter aucun denier
du principal de la dette nationale , & à ne
faire aucunes réſerves confidérables pour les dépenfes
acceſſoires d'une certaine importance. Quoi.
que les ſommes ci-deſſus ,priſes ſéparément, puifſent
n'être pas exactement juſtes , je permets hardiment
au public de me retirer le peu de confiance
qu'il m'a accordée , fi ces ſommes , priſes collectivement
, ne ſont pas évaluées beaucoup moins
qu'elles ne ſe trouveroient être à l'effectif.
-Quinze milions d'argent net par année ſent une
fomme impoſante & allarmante. Il eſt donc convenable
que le noble Lord , à la tête de la Tréſorerie ,
explique les motifs qui lui font croire qu'on peut
lever une fomme autfi confidérable ſur la Nation ,
dans un moment où le revenu des terres eſt tombé ,
& où le commerce languit & diminue de jour en
jour ; s'il ne répond point d'une manière fatisfaiſante
, il aura abuſé du public, en tirant avantage de ſa
crédulité , & ce procédé ne ſeroit ni noble , ni franc ,
ni honnête. Ces motifs , dont on demande
l'explication , doivent être fondés on ſur l'analogie
qu'ont nos revenus avec ceux des Puiſſances étrangères
, ou fur des exemples domeſtiques.- Portons
d'abord nos regards fur les revenus des Puig
( 119 )
1
fances étrangères , cet examen ne ſera pas long. Il
n'eſt point d'Etat en Europe , la France exceptée ,
qui potlède un revenu montant à la moitié de 15
millions ſterlings. Le revenu tant vanté de la
France , ſous le ministère de M. Necker , cet
homme grand & déſintéreſſé , doué de talens conſommés
, & d'une activité infatigable , animé par
l'exemple , protégé par les vertus d'un Monarque
jeune & bienfaiſant , dans lequel font réunis le
pouvoir & la volonté de rendre ſon Peuple heureux
; ce revenu , dis-je , ſemble , d'après l'état
qui en a été publié à la fin du Compte rendu au
Roi , ſe monter à plus de 19 millions ſterlings .
Mais M. Necker ne nous informe point à quoi ſe
monte la partie de cette ſomme qui eſt deſtinée aux
frais de perception &de régie , & à quoi ſe monte
celle qui eft applicable aux beſoins de l'Etat. Si cet
écrit parvient à ſa connoiffance , peut- être aura-t-il
la bonté de nous donner des éclairciſſemens ſur ce
point. Cependant la France ayant toujours été accuféede
manquer d'économie dans la perception &dans
la régie de ſes revenus , & la G. B. au contraire
étant citée généralement comme un modèle d'écono
mie , relativement à ces deux objets , ceci pofé &
reconnu , les frais de perception &de régie des revenus
de la G. B. ſe montant à huit ou dix pour
cent , on en peut conclure naturellement que la
France ne verſe pas beaucoup plus de 17 millions
ſterling dans les coffres du Roi. Il est vrai auffi ,
&généralement reconnu , qu'il n'y a point de feuple
ſur la terre qui ſoit plus opprimé , plus foulé
par les impôts que la nation Françoiſe , & qu'il
n'y en a point en même-tems de plus induſtrieuſe
& qui air un génie plus fécond & plus créateur
dans les arts de luxe. Par - là, le Gouvernement
taxe le monde entier qui s'y ſoumet , & reçoit le
riche tribut que la mode paye au goût. Il eſt éga
( 120 )
lement certain que la population de la France eſt
plus du double de celle de la Grande-Bretagne ,
& que ſon numéraire tripleroit le nôtre. Aufſi ,
en reconnoiffant la vérité de tout ce qui vient
d'être avancé , il s'en ſuit évidemment que ſi la
France , malgré tous ſes avantages , ne peut fournir
qu'un revenu de 17 millions sterling , la G. B. eft
bien éloignée de pouvoir en fournir un de 15.
-La levée des régimens appellés Fencibles ,
excite beaucoup de fermentation en Irlande ;
les Volontaires la regardent comme une défiance
qu'on leur témoigne , puiſqu'ils ſe
font chargés de défendre la patrie ; & ils
ont pris dans pluſieurs endroits des réſolutions
très- férieuſes à ce ſujer. Ils ont déclaré
qu'ils regarderoient comme indigne du nom
d'Irlandois , & facrifiant les intérêts de fon
pays à ſes vûes mercenaires , tout Membre
d'un corps Volontaire qui ſollicitera un commandement,
ou entrera dans un régiment
de Fencibles.
FRANCE.
De PARIS , le 15 Octobre.
LES nouvelles arrivées du Camp de St-
Roch par les Couriers qui en font partis
ſucceſſivement le 22 , le 25 & le 29 du
mois dernier , annoncent que le ſiège continue,
que les lignes font toujours feu , &
que la Place n'y répond que foiblement.
On ne doit pas en être ſurpris. La malheureuſe
journée du 13 & du 14 doit avoir
diminué
( 121 )
:
diminué ſes proviſions ; il a eſſuyé aufli
quelques dommages , pluſieurs de ſes batteries
ont fouffert.; & il est vraiſemblable
que les pièces qui ont tiré une fi grande
quantité de boulets rouges , ſont maintenant
en très - mauvais état , &qu'au moins
la plupart font hors de ſervice.
Les lettres apportées par les deux premiers
Couriers annonçoient que la flotte combinée
ſe diſpoſoit à quitter Algéſiras , pour aller
au-devant de l'Amiral Howe. Celles qui
font venues par le dernier annoncent qu'elle
l'attend. Nous nous contenterons de tranfcrire
les détails qu'elles contiennent ; elles
ſont du 29.
>> Les travaux & le ſervice des lignes n'offrent
encore rien de particulier ; le feu continue & de tems
en tems avec beaucoup de vivacité ; la place y répond
quelquefois de même , mais plus ſouvent
très -foiblement. L'ennemi paroît occupé principalement
à réparer ſes batteries & les dommages que
les Moles ont fouffert ; ils ont été bien confidérables.
On le voit quelquefois ſur la plage emportant
les morceaux de bois que les batteries Hottantes
en ſautant y avoient lancés. Le 17 le Général
Elliot envoya une chaloupe Parlementaire
avec 8 Officiers & II François , ſes prifonniers ,
qui furent reçus ; mais on refufa la propofition
qu'il fit d'échanger les foldats & matelots Eſpagnols
qu'il avoit dans Gibraltar. Le 21 il envoya
une autre chaloupe qui ſe dirigea vers Puente-
Majorca; une des nôtres fut à ſa rencontre; elle
portoir un Aide de-Camp de M. de Crillon , qui
reçut une lettre de l'Officier Anglois , far laquelle
on apprenoit que D. François Ambulodi , Licu
19 Octobre 1782. f
( 122)
-L'artenant
de vaiſſeau , le ſeul Officier priſonnier reſté
dans la Place , étoit mort de les bleſſures.
mée combinée est toujours dans la baie d'Algéfiras;
& on a pris toutes les précautions que la
prudence & l'exper coce peuvent dicter , pour bien
recevoir l'ennemi & s'oppoſer au ravitaillement
de la Place ; entofte qu'on peut s'attendre au combat
le plus acharné & le plus deciſif , ſi l'efcadre Ane
gloiſe oſe ſe prélenter. Les équipages font remplis
d'ardeur , & attendent avec la plus vive impatience
le moment où ils pourront joindre l'ennemi
& le combattre de près. Il n'est pas encore
queſtion du départ de Monſeigneur le Comte d'Artois
, ce qui ſemble prouver qu'on attend l'iffue
de la rencontre des flottes pour tenter un deraier
effort contre la Place «.
Toutes les lettres du Camp ſont écrites
fur ce ton; elles donnent des eſpérances
fibien fondées , que c'eſt avec regret-qu'on
a appris enſuite que la flotte Angloiſe a
tellement fouffert des tempêtes , que peutêtre
elle aura été obligée de retourner dans
fes ports. Il n'eſt pas douteux , d'après
les diſpoſitions de l'armée combinée , que
l'Amiral Howe n'eût eſſuyé , devant Gi--
braltar , un échec plus conſidérable que
celui qu'il peut avoir eſſuyé en route.
La frégate du Roi la Surveillante , écrit- on de
Brest , commandée par M. Sillart , & le lougre le
Fanfaron , venant du Sénégal , mouillèrent le 2
de ce mois dans notre rade , après 48 jours de
traverſée , érant partis de l'iſſe du Prince le 14
Août. La frégate l'Ariel étoit de la même miſſion ;
mais un coup de vent les a ſéparés.-Le 29 du
mois dernier , la Surveillante a rencontré une flotte
( 123 )
- ennemie , faiſant route pour les Iles-du-vent , ſous
l'eſcorte de quelques vaiſleaux de guerre ; elle a
pris un des bâtimens de ce convei , chargé de
bois , charbon , &c. Le lendemain , elle a reconnu
une flotte qui lui a para entièrement diſperſée. Les
vaiſſeaux de guerre marchoient par pelotons & paroiffoient
exceffivement maltraités. La frégate étoit
alors à 48 degrés 12 minutes de latirude & 12 de
longitude , environ 15 lieues au ſud d'Oueſſant.
Elle s'eft approchée d'un vaiſſeau de 74 , dématé
entièrement; elle a voulu le tâter; mais la différence
de calibre l'a obligée de s'éloigner. Cette flotte eſt
celle de l'Amiral Howe. La priſe de la Surveillante
eſt reſtée en arrière. Sur les côtes d'Afrique ,
cette petite flottille s'eſt emparé de 4 bâtimens
Négriers , dont un de 32 canons, qu'elle a envoyés
en Amérique.
Si la Surveillante ne s'eſt pas trompée ,
le Lord Howe aura repris le chemin de
ſes ports , & s'il a continué ſa route
comme on doit le defirer , il eſt au moins
douteux que le convoi entier qu'il conduiſoit
à Gibraltar ait pu le ſuivre , & il
ne l'eſt pas moins qu'il arrive à ſa deſtination
, & que lui-même rempliffe la commiffion
difficile dont il eſt chargé.
Ce n'eſt pas ſeulement ſa flotte qui a
fouffert des tempêtes ; celle que les Anglois
attendoient de la Jamaïque n'a pas
été moins maltraitée. Aux détails que nous
avons reçus de Londres , on peut joindre
ceux- ci , arrivés à l'Orient ; un bâtiment
venu d'Amérique les a apportés .
f
(124)
>> Le Dragon , cutter de l'eſcadre du Marquis
de Vaudreuil , eſt arrivé ici en 20 jours , il étoit
parti de Boſton le 11 Sep embre; felon les lettres
qu'il apporte le Magnifique a échoué en entrant àBofton
tur les roches de Nantuket. Les Anglois ont
perdu dans ces parages deux frégates qui , canonnées
à la fin de Juillet dernier par Eveillé ,
échonèrent près du Cap Henri. M. de Vaudreuil
eſpéroit pouvoir les relever. Le Lion , vaiſſeau Anglois
de 64 canons , a péri de la même manière.
C'eſt celui que montoit l'Amiral Digby & le ſeul que
les Anglois avoient dans ces parages . Ce vaiſſeau
&les deux frégates avoient empêché pendant plus
de 3 mois la fortie des navires Américains. A l'arrivée
de l'eſcadre Françoiſe qui les détruifit , les
farines augmentèrent de 20 pour 100 , & plus de 80 .
bâtimens Cortirent pour aller approvifionner la Havane
& les Antilles . M. de Vaudreuil ſe réparoit à
Boſton où il avoit conduit la plupart de ſes vaiſſeaux,
&il avoit envoyé à Portsmouth l'Auguste , lePluton
& la Bourgogne . On diſoit l'Amiral Pigot arrivé à
New- Yorck avec 23 vaiſſeaux , mais ce n'étoit encore
qu'un bruit ; d'après les lettres qu'on a reçues
à Londres il paroît que cet Amiral , à cette époque ,
croiſoit encore aux environs de la Havane , où il s'étoit
amusé à prendre des corſaires dans la baie de
Matanza & à détruire le fort qui les protégeoit ,
au lieu de ſe rendre ſur-le-champ à New - Yorck.
Quoiqu'il en ſoit , le Dragon rapporte que le 24
Septembre il a rencontré aux attérages d'Europe ,
la flotte de la Jamaïque dans un état fort délâbré &
entièrement diſperſée. Les vaiſſeaux de l'eſcorte , furtout
les priſes Françoiſes , paroiſſoient avoir beaucoup
foufferr. Il a choiſi dans le nombredes navires
qu'il a rencontrés , le plus gros & par conséquent
le plus richement chargé & l'a amené avec lui à
,
( 125 )
l'Orient. C'eſt un bâtiment de soo tonneaux eſtimé
4à 500,000 liv.
Une lettre de Dunkerque en date du s
de ce mois , donne ainſi une idée des orages
qui ont régné depuis quelque tems .
>>Depuis quatre jours il règne dans nos parages un
vent furieux , qui a mis ici la défolation. Trois
bâtimens marchands ont péri corps & biens , lans
qu'on ait pu leur porter le moindre lecours. Trois
autres ont également échoué ſur la côte , mais les
équipages ſe ſont heureuſement ſauvés. Le premier
eft un vaiſſeau à 2 mâts , chargé de planches ; le
ſecond , appellé les Trois Soeurs , eſt une frégate
Hambourgeoiſe , venant de la Grenade , chargée de
ſucre , café , indigo & cacao ; & la troiſième une
frégate Suédoile , chargée de fer en barres , de
chanvre & de planches. Ce dernier navire étoit
démâté ; la violence avec laquelle il a été battu
par les flots , jointe à la peſanteur de ſa cargaiſon ,
a fait ſéparer ſon fonds , qui a coulé bas , & tout
le fer a été perdu ; l'entrepont & les planches ont
foutenu la carcaſſe ſur l'eau . On nous mande de
Calais que le même vent y a causé des dommages
très-conſidérables. On compte déja le long de
la côte de cette Ville à Oftende 27 à 28 navires
ſubmergés , qui ſont preſque tous étrangers. Les
bords de la mer font couverts de planches & de
toutes fortes de marchandiſes , la plupar Angloiſes ,
ce qui fait préſumer qu'une grande partie de ces
navires venoit d'Angleterre.
Il s'étoit répandu à Paris qu'on avoit quelque
inquiétude à Breſt pour la petite eſcadre
qui porte M. de Bouillé. Mais les lettres
de ce port ne font pas mention de
ces inquiétudes , qui ſont tombées . Elles
f3
( 126 )
Etoient imaginaires; cette eſcadre , compo
ſée de 2 vaiſſeaux de 64 , 3 frégates & un
feul tranſport , mit à la voie le 10 Septembre
de Breft. L'Amical Howe ne partit
de Portſmonth que le II , & étoit le
13 à l'ouvert de la Manche , pas tout-àfait
à la hauteur de Breſt. Comment une
eſcadre de 34 vaiſſeaux , chargée de plus
d'un convoi immenfe , auroit- elle atteint
une eſcadre légère , qui avoit au moins 3
jours d'avance ?
La nouvelle de la priſe de Madras a été
envoyée par le Conſul de France à Alep ;
'on l'a auffi reçue par Conftantinople &
par pluſieurs autres ports du Levant ; à
préſent elle vient auſſi d'Angleterre , où il
paroît qu'elle acquiert de la confiance par
ſa très-grande probabilité.
On mande de Cadix que la frégate la
Vestale , commandée par M. de Barbazan ,
Capitaine de vaiſſeaux , y eſt entrée le 18
du mois dernier avec 22 navires pattis avec
elle de la Martinique. L'équipage de cette
frégate & les autres matelots du convoi
pourront être fort utiles à la flotte Françoiſe.
Les lettres de Brest , du 3 , annoncent
qu'on y continue les informations ſur l'affaire
du 12 Avril ; en attendant qu'elles
foient finies , les Matelots de M. de Graffe
font , dit- on , relégués dans deux Châteaux.
La frégate du Roi l'Alceste , & la Cor
( 127 )
Sette la Semillante , la première conc
mandée par le Vicointe de Grafle , & l'autre
par le Chevalier d'Arnaud , font entrées
à Malaga le 16 Septembre venant
des iſles du Vent , où elles avoient eſcorté
un convoi François & Eſpagnol ; elles ont
rencontré , le 4 du même mois , à 80 lieues
Nord-nord- ouest de l'ifle de Madère , le
Navire Anglois le Mooly , de 16 canons
& 6 obuſiers , dont la Semillante s'eſt emparé.
Ce Bâtiment , armé en courſe & en
marchandises , avoit un chargement deſtiné
pour Sainte Lucie , qui eſt évalué 200,000
livres.
On écrit de Dreux , que les Officiers
municipaux de cette ville , d'après la demande
verbale qu'ils avoient faite au Duc
-de Pentièvre , Grand- Amiral de France , de
fon portrait , le reçurent le 23 Septembre
dernier , & qu'à cette occafion tous les Officiers
de ville & les habitans ont témoigné
par des fêtes publiques , des inſcriptions ,
des illuminations , des feſtins , des bals ,
des ſalves d'artillerie , &c. leur ſenſibilité
pour le don que le Prince a bien voulu
leur faire. Ce portrait a été placé à l'Hôtel-
-de-ville.
Après so ans du ſascès le plus conſtant & le
plus afſuré , & la guériſon complette de près de
6000 perſonnes , qui , de tous les pays , ſe ſont
adreſſées à M. Daran , comme au ſeul homme qui
avoit un remède infaillible pour les maladies dont
f4
1128 )
ce
elles ſe plaignoient; il eſt beau de terminer la carrière
par la publication de ce remède ſi intéreſfant
pour l'humanité. C'eſt ce que vient de faire
ce reſpectable citoyen. Ce procédé , d'autant plus
admirable qu'il eſt très- rare , eſt digne de lui ; il
n'étonnera point ceux qui liront ſon Ouvrage ( 1 ) ,
qui annonce par-tout , dans ſon Auteur , un citoyen ,
un patriote animé des ſentimens inſéparables de
grand titre, & dignes de la reconnoiſſance univerſelle.
Ces, nobles ſentimens ne lui ont pas permis de
céder aux propofitions qui lui furent faites par plufleurs
Seigneurs de la Cour , de propoſer ſa décou
verte au feu Roi , & par M. le Duc d'Albe , dans
un voyage qu'il fit à Paris , en 1771 , de l'offrir
as Roi d'Eſpagne , auquel il ſe croyoit sûr de le
faire agréer. Le préſent qu'il a voulu faire au
public , devoit avoir les marques du plus parfait défintéreſſement
; & , comme il le dit lui-même ,
l'ayant reçu ( ſon ſecret ) gratuitement de l'Auteur
de tous les talens , il doit le donner de
même , ſans autre récompenſe que le plaifir d'être
utile à ceux qui auront le malheur d'en avoir be-
(1) Compoſition du remède de M. Daran , Ecuyer , Confeiller
, Chirurgien ordinaire du Roi , ſervant par quartier ,
&Maître en Chirurgie de Paris ; remède qu'il pratique avec
'fuccès depuis cinquante ans , pour la guériſon des difficultés
d'uriner , & des canſes qui les produiſent : publiée par luimême
; précédée d'une Préface , où l'on expoſe les raifons
qui ont fait di férer juſqu'à préfent cette publication , &
les motifs qui engagent aujourd'hui à la rendre publique ;
fuivied'un Difcours fur la théorie des maladiesde l'urèthre ,
des preuves qui conſtatent l'efficacité du remède qui les
guérit , & des moyens de faite connoître le mal même aux
perfonnes qui en font attaquées. A Paris chez Didot , Imprimeur
Libraire , Quai des Auguſtins , & chez l'Auteur rue
Montmartre , près Saint- Jofeph. Vol, in - 12. , prix 2 liv. 10 .
broché & 3 liv. relié.
( 129 )
ſoin . C'eſt aux perſonnes attaquées de cette maladie
qu'il dédie ſon Ouvrage dans une épître qu'il
leur adreſſe.
L'intérêt dont la lettre ſuivante peut
être pour les Agriculteurs , ne nous per-
*met pas d'en différer la publication.
J'ai lû , M. , dans votre Journal da Octobre , une
Recette pour empêcher la bruine des Bleds : le noir
qui ſe trouve dans les épis de Bied froment, fait un
tort confidérable au Cultivateurs il ſe trouve beaucoup
de déchet , & le pain ſe reſſent de cette mauvaiſe
qualité. Je me ſuis toujours app'iqué à l'agri- .
culture : J'ai fait valoit 300 aryens de terre , & j'ai
fait l'expérience de la première Recette que je vous
envoye , pendant plus de 20 années ; l'on n'a jamais
trouvé dans ma grange un épi noir. J'ai même
fait ſemer dans une terre que j'avois près de Chateau-
Thierry , 30 arpens en une ſeule pièce : moi-
* tié avec certe premiere Recette , & l'autre partie
ſans l'employer ; de façon qu'on voyoit à l'oeil la
différence de cetre ſemence , & un cordeau ne l'auroit
pas mieux ſéparée. J'approuve les moyens propofés
par M. Chombreau de Chanvalon ; mais je
crains pour le ſemeur , cet Arsenic dont il veut
faire uſage , & qui peut être dangereux dans d'autres
circonstances. J'ai toujours été animé pour le
bien& la sûreté des citoyens , & j'ai cru , M , devoir
vous faire ces obfervations .- La ſeconde Recette
eſt plus fimple : on l'affure certaine ; mais je
ne l'ai point expérimentée: elle ſeroit à meilleur
marché , quoique la premiere ne coûteroit quedix
fols de dépense par arpent , & on en est bien dédommagé
par la récolte , qui vaut un tierss de plus .
-J'ai fait part de cette premiere Recette à MM. de
la ſociété Royale d'Agriculture , & à celle de Soif
fons : ils l'ont approuvée , & m'ont fait Phonneur
fs
( 130 )
1
de m'almettre dans leur fociété.-Voila le tems
des ſemerces qui avance : je vous prie d'inférer ma
lettre & mes Recettes dans votre Journal , le platôt
poflible. Je ſuis Signé. DELPECH DE MONTEREAU .
Premiere Recette : il faut faire bouillir une chaudrounce
d'eau de vingt pintes , ou environ , la met.
the bouillante fur le tas de Bled qui doit être de
trois ſeptiers , dans laquelle eau vous ajouterez
promptement un bor picotin de chaux vive , trois
onces de verd-de-gris , deux onces de fang de dragon
, deux onces de ſel ammoniac , avec un quarzeron
d'alun de Rome , que vous mettrez dans ledit
chaudron , le tout enſemble bien remué avec
une poëlle : vous ajouterez enſuite autant d'eau
qu'il en faudra daus ledit chaudron , pour mouiller
vos trois ſeptiers de Bled que vous remuerez le płutôt
poffible , trois ou quatre fois de ſuite , & mettrez
votre Bled en tas.
Seconde Recette de la couperoſe verte que l'on
met dans la chaux : il en faut pour un muid de
Paris , qui contient 18 ſeptiers de notre meſure
pour vingt- quatre fols , c'eſt à-dire , 2 fol par
ſeptier. Et laiſſer leBled 8 à 10 jours dans la chaux ,
le remuer tous les jours , afin qu'il foit bien ſec :
c'eſt la précaution la plus eſſentielle.
Le volume des Cauſes célèbres ( 1) du
,
(1) La ſouſcription de cet Ouvrage intéreſſant , composé
de:2 volumes par année eſt de 18 liv. pour Paris & de 24
pour la Province ;le prix de chaque Collection compofče de
7années eſt de 126 liv ( ependant forſqu'on s'adreffera
directement à M. des Effart Avocat , rue Dauphine , hôtel
deMouhy , on ne payera que les 6 dernières années , &
J'année 1775 ſera d'ivrée gratis en payant 108 liv . , & en
outre le prix de' a fou cripcion de l'année 1782. On ſouſcrit
chez M. des Effarts à l'adr. fe ci- deſſus ,& chez Mérigor
Jeune , Quai des Augutins.
( 131 )
mois dernier , rapporte un trait de génés
rofité entre deux voleurs de grand che.
min , fi fingulier , qu'il peut être mis au
nombre des actions les plus étonnantes
qui ſe ſoient paffées dans l'obſcurité des
cachots.
» Au mois de Janvier 1773 , 2 voleurs de grand
chemin furent arrêtés & conduits dans les prifons
de Kingſton; leur crime étoit conſtaté. Ils ſe regardoient
comme 2 victimes que la juſtice alloit
immoler à la sûreté publique , lorſqu'il vint dans
la tête de l'un le projet d'en arracher une à
la Juſtice. Cette idée parut d'abord ridicule à l'autre.
Mais le premier ayant inſiſté , >>> nous ferons infailliblement
condamnés à mort ; nous avons été
arrêtés enſemble; notre crime étant commun , le
fupplice le ſera : te ſens-tu le courage de mourir
ſeul. Cette propoſition étonna celui qui l'entendoit.
Cependant après un moment de filence , il répon
dit : oui ſans doute , je me ſens ce courage, mais
je voudrois étre fûr de s'arracher au fupplice. Je
n'exige point un pareil ſacrifice , répartit le premier
avec vivacité. Ecoute-moi , & tu verras que
je ſuis digne d'avoir un ami auſſi généreux que
toi . Nous avons des cartes ; jouons une partie ;
celui qui la perdra déchargera l'autre dans ſon in.
terrogatoire , il dira aux Juges qu'il eſt ſeul coupable,
& que ſi l'autre a été trouvé avec lui , c'eſt
qu'il lui avoit proposé une promenade à cheval ,
mais qu'il n'avoit aucune connoiſſance du projet
de vol ". La propoſition fut acceptée : les 2 voleurs
ſe mettent auſſitor tout nuds , & dans cet état ,
ils jouèrent leur importante parue. L'inventeur de
l'expédient la perdit. Son camarade l'embraſſa en
pleurant , & lui dit qu'il étoit prêt à ſe charger
f6
11321
de ſon rôle & à lui céder le ſien. » Si tu ne veux pas
empoiſonner les inftans qui me reſtent à vivre ,
répondit le perdant , ne me fais plus une propofition
qui me dégraderoit à tes yeux & aux miens , fi
j'étois affez lâche pour l'accepter. Songeons , mon
ami , à nous amufer & à jouir du peu d'inftans
qui me reftent à paſſer avec toi « . Le jour où les
2 voleurs devoient être jugés étant arrivé , celui
qui devoit être facrifié remplit ſa promeſſe avec
fidélité , & la justice le condamna ſeul à la mort.
Son camarade fat renvoyé abſous ; mais il fut inconfolable
de la mort de fon complise ; une fièvre
lente s'empara de lui & le conduifit au tombeau
6 ſemaines après le fupplice de ſon camarade «.
La Comtefle de Guilliet d'Aofte , née
Comteffe de la Tour-du-Pin-Montauban
ayant été décorée de l'Ordre Impérial de
la Croix- Etoilée , le Roi lui a permis d'en
porter les marques .
>> Le 8 du mois dernier , écrit-on de la Rochelle ,
un peu après le coucher du ſoleil , le ciel étant
fort ferein , le vent au Nord- Eft , & les étoiles
commençant à paroître , on apperçut ici vers le
Sud-Ouest , une eſpèce de colonne de feu , qui
parcourut d'abord un petit efpace , en deſcendant
obliquement , elle creva enfuite par ſon extrémité ,
&laiſſa échapper un grand nombre de petites étoiles
qui s'éteignitent ſur le champ , comme celles d'une
fuſée; alors cette portion de la colonne prit l'apparence
d'un petit globe mal arrondi , qui jettoit
une lueur pas moins vive que celle de la lune ;
le reſte diminua inſenſiblement au point de ne plus
former qu'un filet preſque imperceptible , terminé
par une queue qui s'élevoit avec un mouvement
de fluctuation très-apparent , & ſemblable aux replis
d'un ferpent. Ce météore qui n'a duré qu'en(
133 )
viron dix minutes , s'éloigna peu-à-peu fans paroître
ni hauffer , ni baiſſer , après quoi il ſe dif-
Lipa. «
La lettte ſuivante , qui nous a été adreſſée
de Nevers , contient une obſervation qui
peat intéreſſer les Phyſiciens ; elle peut
en même-tems offrir un nouvel avis ſur le
danger de lire le ſoir dans ſon lir. C'eſt à
ces deux titres que nous la tranſcrivons .
>> Toutes les découvertes qui peuvent tendre à
l'utilité publique , ont quelque droit à la publicité;
& comme je connois peu de Journalplus répandu
que le vôtre , c'eſt à vous que je m'adreſſe pour
l'annonce d'on fait qui , je crois , eſt le premier de
fon eſpèce. Voici ce dont il eſt queſtion. - Il y a
quelque tems que j'entendis parler d'un Ouvrage
couronné par la Société Royale des Sciences de
Nancy , fur les moyens de préſerver les édifices des
incendies , & d'arrêter les progrès des flammes ;
comme bon citoyen , je me ha ai de me procurer
ce Mémoire , afin que , fi malheureuſement l'occaſion
ſe préſentoit d'être utile , il me fût poffible
de tirer meilleur parti de ma bonne volonté.
J'ai le malheur de m'endormir habituellement un
livre à la main , & précisément ce jour- là m'arriva
l'aventure qui motive cette lettre ; je liſois avec
beaucoup d'attention & de plaifir l'Ouvrage de
M. Piroux. Je prolongeai vraiſemblablement ma
lecture trop avant dans la nuit , car le ſommeil me
furprit , malgré les efforts que je faifois pour l'élofgner
, & je me réveillai une heure après au milieu
de la fumée , ayant à côté de mon lit une chaiſe
enflammée , dont le feu étoit prêt à ſe communiquer
aux rideaux de mon lit. Mon premier mouvement
fut de courir à un pot à eau qui étoit ſur une commode;
mais par malheur il ſe trouva vuide : j'eus
1134 )
recours à un autre vaſe qui ſe trouva également
vuide; je ne ſais par quelle fatalité tous ces moyens
manquerent ce four- la, Enfin , Monfieur , j'avoue que
je fus un moment très - embarraffé. Heureuſement
j'avois dans un coin de ma chambre deux grandes
cruches remplies de gas méphytique qui devoit ſervir
àune expérience fort intéreſſante;je me ſouvins de
la propriété qu'a le gas d'éteindre la lumière ou le
feu introduit dans ſon atmosphère , & je tentai
l'expérience ſuivante. - Je débouchai une de mes
cruches , & je verſai àgrand flots fur le bois & la
paille de la chaiſe enflammée que j'avois iſolée le
mieux poffible , le gas en queſtion. L'eau n'auroit
pas opéré l'extinction plus promptement; en moins
d'un quart d'heure , j'eus la fatisfaction de voir le
danger paffé , &je rendis auffi-tôt de très-humb'es
actions de graces a MM. le Duc de Chaulnes , de
Lafone , Macquer , Lavoifier , Prieftley , & c. , qui
nous ont éclairé fur les propriétés ſurprenantes
de ce gas intéreſſant. - J'aurai l'honneur de vous
obſerver que pendant environ dix minutes ,j'éprouvai
une difficulté de reſpirer affez ſenſible ; difficulté
probablement occaſionnée par la préſence de ce gas
que je n'avois pas économise ; mais elle diminua
par degrés , & au bout d'une demi- heure , il n'étoit
pas plus queſtion d'oppreffion que d'incendie. Voilà ,
M. , l'évènement dort j'ai cura devoir vous faire
part : ce moyen d'éteindre le feu m'a paru neuf,
&n'eft point énoncé dans l'Ouvrage de M. Piroux.
pourroit fe faire que dans certaines occafions il
devînt utile à MM. les Médecins , Chemittes &
autres Sapars qui acrifient le ſommeil à l'avancemeer
des Sciences ; & je ſerai trop heureux , fi mon
obſervation peut leur faire naître des idées capables
de la perfectionner . J'ai l'honneur d'être , &c.
Signé, GEORGEST , Ingénieur des Ponts & Chauffées,
àNevers .
-
( 135 )
En
35 Le 12 Décembre prochain ſe fera à Paris la
vente du cabinet de feu M. le Duc d'Aumont : il
renferme la collection la plus riche en colonnes ,
vaſes & tables des plus beaux marbres , de la plus
belle proportion & du travail le plus fini.
porcelaines anciennes du Japon , de la Chine &
de Saxe , de la plus rare qualité ; en porcelaines
de France & autres ; en meubles précieux d'ancien
laque; en meubles de marqueterie par Boule ; en
luftres, lauternes , bras , feux des plus beaux modèles.
Une grande partie des ornemens & montures
des plus beaux morceaux de chaque eſpèce , font
ciſelés & dorés en or mat , par Gourhiere , Cifelcar
& Doreur du Roi , & exécutés d'après les deffins
des plus habiles Definateurs. -- L'on diftribue le
catalogue à Paris , chez Julliot fils , tue du jour ,
au coin de la rue St-Honoré; & chez Pallet , hôtel
de Bullion , rue Plâtrière " .
>>>L'époque de la guerre actuelle a fait naître au
ſieur Longchamps , fils , Ingénieur Géographe , rue
& Collége des Chollets à Paris , l'idée d'un Atlas
Américain , petit in-folio , où en réaniſſant la netteté
à la préciſion , il donnera une deſcription détaillée
de ce Continent. Il a déja publié les Cartes de la
Martinique , de St- Domingue ; enfin celle de la Jamaïque
qui vient de paroître. Il a plofieurs autres de
ſes defins ſur le cuivre , & un plus grand nombre
dans ſon porte feuille. Guidé par des perſonnes
éclairées , il a déja réuni pluſieurs morceaux précieux
pour travailler ſur les différentes parties de
P'Amérique. St ſa fortune le lui permetioital fe-
Toit paroître cet Atlas en peu de tems ; it des
circonstances fâcheuſes pour lui ſeal s'y oppoſent ,
il auroit beſoin de ſecours & d'encouragement ; il
pourroit en trouver dans de légères avances gail
remboarfereit dans un tems limité , & dont il payczoit
l'intérêt au choix des perſonnes qui voudroient
( 136 )
bienles lui faire. Le defir d'être utile au public en
améliorant ſa fortune par des voies honnêtes ſont les
ſeuls motifs qui le guident. En s'occupant de eet
Ouvrage , il croit rendre hommage au Maître éclairé
& reſpectable ( M. Bonne , premier Hydrographe
de la marine ) auquel il doit ſes foibles talens ".
Louis Nicolas Ulyſſe de Borel , Cheva
lier de l'Ordre Militaire de St Louis , Lieutenant-
Colonel & Meſtre de Camp de la
ſecond Brigade des Carabiniers de Monfieur,
eſt mort à Montgeron , près Paris , âgé
de 62 ans. Tout le Clergé & la Nobleffe
du lieu & des Paroiffes voiſines , les Commandans
& Cavaliers de la Maréchauflée
des Chaſſes du Roi ſe ſont empreffés de
lui rendre les honneurs funèbres & Militaires.
Sa prudence & fa fermeté dans le
commandement , réunies à beaucoup de
fermeté & de douceur , laiſſent après luiles
plus vifs & les plus juftes regrets .
De BRUXELLES , le Is Octobre.
Les charbons de terre ſont devenus
pour les Pays Bas Autrichiens une branche
conſidérable de commerce , depuis que la
guerre a éclaté entre l'Angleterre & la
Holande. Avant cette époque , la dernière
tiron de la première la plus grande partie
de ce qu'elle en conſommoit ; maintenant
les Pays- Bas la fourniffent de cette
marchandise. La grande conſommation
qu'on en fait en a augmenté le prix.
( 137 )
On payoit autrefois 4 às florins de Brabant
pour cent quintaux de charbons ; la
même quantité paye maintenant 7 Hprins.
On en brûle annuellement dans cette Ville
ſeule cent millions de livres peſant. On
doit ouvrir de nouvelles carrières ſur les
deux rives de l'Efcaut , depuis Tournay
juſqu'à Oudenarde.
On apprend de Vienne , qu'on y a publié
l'Ordonnance ſuivante en date du
30 Août dernier.
> Des doutes s'étant élevés après la ſuppreſſion
des Couvens ſur la validité des acquifitions & des
teſtamens que pourroient faire les Religieux devenus
libres , & les Religieuſes qui ne feroient
point entrées dans un autre Monastère ſubſiſtant ;
nous déclarons par la préſente que les Religieux
*& Religieuſes pourront , à compter du jour de la
publication de la fuppreffion de leurs Couvens refpectifs
, acquérir des propriétés , foit par hérita
ges , foit par toute autre voie légale quelconque ;
cependant ils n'en auront que la jouiſſance & ne
pourront les aliéner en aucune manière pendant
leur vie; & à cet effet il ſera pris des meſures
pour que les capitaux qui peuvent leur écheoir
foient placés dans des fonds publics , & que les
biens immeubles qui leur écheront , foient aſſurés
légalement contre les hypothèques pour dettes &
les aliénations ; il ſera néanmoins libre aux Religieux
des Couvens ſupprimés , qui ſeront devenus
Prêtres éculiers , ainſi qu'aux Religieuſes , quand
elles ſe trouveroient encore dans les Couvens fupprimés
où il leur a été permis de reſter pendant
cinq mois , à compter du jour de la publication
de la ſuppreſſion , ou quand elles ſe ſeroient reti(
138 )
A
,
Kes dans d'autres Maiſons , ou enfin quand elles
vivroient iſolées dans le monde , de diſpoſer de
leurs biens inalienables pendant leur vie , par la voie
d'un testament , ainſi qu'ils aviſeront bien être
pourvu toutefois qu'aucun tegs , ni par conséquent
la ſucceſion entière ne foit donné à un étranger ,
ni à un ſujet des Etats-Héréditaires domicilié en
pays étranger , déclarant ces fortes de diſpoſitions
nulles & de nul effet..
Selon les lettres de la Haye , la réſolution
des Etats deHollande , conforme à la propofition
de la ville de Leyde , de nommer
une Commiſſion pour conférer avec le Stadhouder
ſur l'Adminiſtration de la marine ,
n'a pas paflé à l'unanimité. On dit que le
Corps des Nobles a proteſté. Cependant
cette réſolution a ſon effet; la Commiffion
a été nommée ; elle eſt compoſée de MM.
de Gyzelaar , Van Staveren & Vifſcher ,
Penſionnaires des villes de Dordrecht , de
Leyde & d'Amſterdam ; & de MM. Van
Nyveld & Meerens , Secrétaires des villes
de Rotterdam & de Hoorn. Le 3 de ce mois
à une heure après-midi , cette Commiffion
s'eft rendue chez le Stadhouder à ſa Maiſon
du Bois , avec le Grand Penſionnaire ; il y
avoit 3 carroffes , précédés & ſuivis de 6
Meflagers d'Erat.
>>>Cette Ville , écrit- on d'Amſterdam , à cette
occafion, a proteſté contre la proteſtation des
Nobles , & a ajouté à la propoſition de Leyde
quatre articles relatifs à des évènemens arrivés
depuis peu , à l'occaſon de la dernière croiſière de
la flotte. Nous apprenons de la Haye que
Grand Penſionnaire a remis à l'Affemblée des Etats-
- le
( 1.39 )
Généraux , un avis du Corps des Nobles fur la
propofition de la Ville d'Amſterdam , tant fur le
renouvellement du Traité de Commerce de 1739
avec la France , que fur le concert des opérations
avec cette Puiſſance. Notre Ville demande que ce
concert foit établi pour tout le tems de la guerre.
Le Miniſtre de Ruſſie à la Cour de Madrid
, a remis la note ſuivante , relativement
à la queſtion faite par cette Cour aux
Paiſſances neutres , à l'occaſion de la corvette
Danoiſe le St-Jean. Cette note a été
communiquée aux Miniſtres des autres Puiſs
fances neutres.
S. M. L. de toutes les Ruffies convaincue de l'équité
qui règle dans toutes les occafions les démar
ches de S. M. C. , attendoit que ſes repréſentations
antérieures du 29 Avril , en faveur de la corvette
Danoiſe le Saint- Jean , ne demeureroient pas ſans
effet, & que cette dernière ne tarderoit pas à être
relâchée d'une manière ſausfaisante pour la cour
deCopenhague. Mais la notequi vient d'être remiſe
par M. le chargé d'affaires , de Normandez , au
miniſtère de l'Impératrice endate du 22 Jain, ayant
fait connoître que la cour de Madrid , avant que de
prendre un parti décifif quelconque ſur l'affaire en
queſtion , defire l'avis des Puiſances maritumes for
ce qui conſtitue le véritable caractère d'un vaiſſeau
armé en guerre , & s'il faut confidérer comme vaifſeau
royal de guerre tout bâtiment portant pavillon
militaire , qui foit marchand on ne le ſoit point ,
qu'il foit ou non , entièrement armé ; S. M. I, pour
ne pas retarder trop fa réponſe , en la concertant
au préalable avec les auttes Cours auxquelles toutefois
elle en donnera part , ne balance point de conв-
fier , en attendant, ſon propre ſentiment fur cet objet
à S. M. C. , perfuadée que l'ayant puiſé dans les
( 140 )
notions primitives du droit des gens , il ſe rencon
trera probablement avec celui des autres Puiflances
, qu'ainfi S. M. C. elle-même n'aura pas de peine
ày adhérer.-En conféquence le ſouſligné Miniſtre
Plénipotentiaire eſt chargé de déclater par ordre exprès
de ſa cour.- 1. Que l'Impératrice juge être
conforme aux principes du droit des gens qu un bâtiment
, autorisé , ſelon les uſages de la couronne
de la nation à laquelle il appartient , à porter pavil
lon militaire , doit être envisagé dès-lors comme un
bâtiment armé en guerre. -2. Que ni la forme de
ce bâtiment , ni ſa deſtination antérieure , ni le nombre
d'individus qui en compoſent l'équipage , ne
peuvent plus altérer en lui cette qualité inhérente ,
pourvû que l'Officier commandant ſoit de la marine
militaire . - 3. Que tel ayant été le cas de la corvette
le St -Jean , ainſi que la commiffion du capitaine
, & ce qui plus eſt , la déclaration formelle
de la cour de Copenhague l'ont demontré , cette dernière
peut auffi appliquer à ce bâtiment les mêmes
principes , & revendiquer en (a faveur tous les droits
&les prérogatives du pavillon militaire.-Le ſoufſigné
doit ajouter que la conviction intime de ces
vérités , ne laiſſe aucun doute à S. M. I. , que S. M.
C. ne lui refuſera pas la même évidence , d'autant
plus que les droits exclufifs du pavillon militaire
font tellement reconnus & avoués par les Puiſſances
maritimes , que les bâtimens marchands mêmes
qui ſe trouvent être ſous ſa protection , ſont exempts
par-là de toute viſite quelconque , & que la conteltation
récente , qui s'eſt élevée au mois de Septembre
de l'année paſfée entre l'Angleterre & la Suède
au ſujet de ſix navires marchands de celle-ci , qu'en
dépit du convoi du vaiſſeau de guerre nommé le
Wafa , la première , ſe fondant en cela ſur un traité
de comme ce particulier avec l'autre , prétendoit
faire viſiter dans une des ſes rades ; la cour de Lon-
:
,
,
( 14г ).
,
dresà fini par laiſſer tomber la queſtion. Au reſte ,
comme d'un côté l'Impératrice eſt très éloignée de
trouver à redire à ce que la cour de Madrid prenne ,
en cas d'admiſſion des principes ſuſdits , les arrangemens
qu'elle jugera convenables dans ſes états
ports & mers , au fojet du commerce maritime des
anties nations ; elle ſe promet auſſi de l'autre de ſa
ſageſſe & justice , que ces arrangemens feront toujours
tels à ne point reſtreindre ni gêner la liberté
du commerce des autres nations , puiſqu'autrement
ces dernières feront réduites à la néceſſité d'en prendre
à leur tour des mêmes & analogues , vis-à-vis
du commerce Eſpagnol .- S. M. I. ſe flatte enfin
& vû les raiſons qui ſelon toutes les circonstances
alléguées , conſpirent en faveur de la corvette Danoiſe
le St-Jean , que S. M. C. voudra ſe rendre
aux inſtances qu'elle eſt dans le cas d'interpoſer de
rechefdans cette affaire pour la cour de Danemarck
ſon alliée , qu'en conféquence celle-ci ne tardera
plus guères à obtenir la fatisfaction qu'elle follicite.
,
Cette affaire eſt en effet terminée. LaCour
de Madrid a ordonné qu'on relâchât la corvette
Danoiſe conformément aux principes
adoptés par les confédérés neutres.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGL. du 7 Septe au foir .
On écrit de New-Yorck , qu'après une procédure
très - longue , le Capitaine Lippencot a été jugé
coupable du meurtre du Capitaine Huddy , & que
toutes les informations de cette affaire ont été envoyées
au Roi.
On dit que Sir Gay Carleton & l'Amiral Digby
demandent leur rappel immédiat , parce que les
derniers ordres qu'ils ont reçus directement, annullant
ceux avec lesquels ils avoient commencé
d'agir , les mettent dans l'impoffibilité d'aller en
avant avec le Congrès.
Onadit que le Comte de Shelburne adéſavouéd'a
( 142 )
Voireupart à la lettre queCarleton&Digby ontécrite
au Général Américain , que l'ordre de la Cour avoit
étéexpédié ,mais bien qu'à ſon arrivée au Ministère ,
il avoit envoyé un contre-ordre ; cela n'eſt point
vrai , il étoit Secrétaire d'Etat quand l'ordre eſt
parti , & c'eſt de ſes Bureaux mêmes qu'il a été
expédié.
Tous les principaux Miniſtres d'Etat ſe trouvent
actuellement à Londres , & les Conſeils font plus
fréquens qu'ils ne l'ont jamais été depuis le commencement
de la Guerre. - M. Pitt , Chancelier
de l'Ebiquier , travaille avec tout le zèle poſſible
à la réforme de la liſte des penſions. Le Duc de
Sommerſet eſt déjà rayé de cette liſte , ſa penfion
ſe montoit à 2300 liv, ſterl.
Il ſe tint , il y a quelque tems , un Conſeil au
Bureau de l'Amirauté. Pluſieurs Officiers y aſſiſtèrent
, & reçurent leurs Commiffions , avec ordre
de ſe tendre à bord de leurs vaiſſeaux respectifs .
- On a nommé le Convoi qui doit appareiller
à Port mouth , pour les iſles de l'Amérique au premier
bon vent. Pluſieurs bâtimens munitionnaires
& vivriers qui n'avoient pu partir avec la grande
Eſcadre , ont ordre de ſe rendre le plutôt poſſible
à Portsmouth , & en général tous les bâtimens en
chargement ſur la Tamiſe font la plus grande diligence
pour pouvoir profiter de ce Convot. On
affure qu'il ſera embarqué un corps de troupes con
fidérable à bord de cette flotte.
On ne conſtruira plus déſormais de vaiſſeaux de
80 canons ; lorſque les vieux de ce rang qui exif
tent actuellement ſeront hors d'état de ſervir par
vétuſté , ils ſeront remplacés par des vaiſeaux de
90 ou de 74 canons.
La flotre qu'on équipe pour les ifles appareillera
le plutôt poffible. Les troupes envoyées a bord de
cette flotre , débarqueront à la Jamaïque , & feront
aux ordres da Gouverneur qui les employera , s'il
( 143 )
1
en trouve l'occaſion , à reprendre quelques-unes des
polletlions que nous avons perdues dans les ifles .
Le Jafon de 64 eſt arrivé à Britol , venant de
la Jamaïque , dont il eſt parti le 27 Juillet. Il a
traverſe le golphe , & il n'a rien va de la flotte
de la Jamaïque , qui avoit appareillé du Port-
Royal deux jours avant lui. Vers le milieu de Septembre,
il a effuyé un coupde vent terrible qui a
duré trois jours .
On apprend de Waterford , en Irlande , qu'une
frégate & s tranſports de la flotte de l'AmiralHowe
y font arrivés en détreffe ; quelques jours auparavant
il avoit encore mouillé , dans un autre port
de ce Roya me , deux bâtimens de ceste flotte ,
qui en avoient été ſéparés le 22 & le 23. Les maîtres
de ces navires craignoient fort qu'elle n'eût été
entièrement difperfée.
Un de nos papiers obſerve que l'Amiral Howe
n'a fait que 27 lieues dans les premiers douze jours
qui ont ſuivi ſa ſortie.
a été fi
Les vents paroiffent avoir été orageux pendant le
mois de Septembre. On dit que trois des vauſeaux de
ligne de l'eſcadre de l'Amiral Piget ont fait côte
dans le goife ; le Monarca , de 70 canons ,
ført endommagé qu'il a été obligé de retourner à la
Jamaïque. Les deux autres n'ont pas fouffert affez
pour ne pouvoir pas continuer leur route.
La petite eſcadre , aux ordres du Commodore
Elliot , qui a fait voile le 30 da mois dernier , pour
aller reprendre ſa ſtation ſur les côtes deBretagne ,
eſt compoſéedes vaiſſeaux ſuivans , le Romney , de
so , le Mediator , de 44 , la Prudence & l'Euridice,
de 36.
Depuis plus d'un mois on ſoupçonnoit qu'Hyder-
Aly s'étoit emparé de Madrafi ; cetre nouvelle ſembleſe
confirmer aujourd'hui. On aſſure même que le
Gouvernement ne l'ignore pas , mais il a ſes raiſons
(144)
:
pour ne pas le divulguer. Il eſt arrivé récemmentun
aviſo de l'Inde dans un des pores de la G. B. , qui ne
fachant pas que l'Adminiſtrationen faisoit un myftère
, a répandu cette nouvelle. Si l'on combine avec
cela les avis que l'on a reçus pour la troiſième fois
de l Inde ſur le Continent , par la voie de la Turquie;
on trouvera au moins très-probable les avantages
remportés dans l'Inde , tant par les troupes
১
Françoiſes que par celles d Hyder-Aly.
On apprend par un vaiſſeau Danois que l'Annibal
de so canons , que M. de Suffien nous a pris , eft
arrivé au Cap de Benne- Eſpérance , avec 4 vaiſcaux
de la Compagnie Hollandoiſe des Indes qu'il a efcortés.
Dans une autre Afſemblée tenue à Lisburne où ſe
trouvoient les Délégués de quinze Corps volontaires
, on arrêté qu'on ne pouvoit conſidérer cette
nouvelle meſure que comme entraînant les conféquences
les plus funeſtes pour la liberté & la félicité ..
de l'Irlande ; qu'elle tend évidemment à déſunir les
Volontaires & à abattre leur courage patriotique; que
la création des Fencibles eſt un moyen certain de féduire
les Membres du Parlement , &c. qu'en toute
occafion qui ſe préſentera, on ne fera aucun ſervice
avec tout Corps ſous la dénomination de régiment
Fencible; & comme le ſieur Francis Dobbs
partiían des levées nouvelles , avoit écrit une lettre
favorable à cette inſtitution', ſur la lecture
qui en fut faite , il fut arrêté que l'epinion de
l'Aſſemblée étoit qu'un homme qui par de fauſſes ..
infinuations a pu tenter de porter atteinte à l'eſprit
public , ne mérite aucune réponſe , &c.
Des lettres du même royaume rapportent que
le fieur Flood refuſe de remplir toute place dans
l'Adminiſtration , juſqu'à ce que l'acte déclaratoire
du droit de l'Irlande ait reçu l'approbation
royale,
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 26 OCTOBRE 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
A M. le Chevalier DE PARNI.
PAARRNNII,, de nos Linus eft le ſeul qui
Que de ſes vers on parle bien.
Volontiers je prendrois à tâche
De prouver qu'ils ne valent rien.
Mais non , je veux être ſincère ;
Je tiens à mon premier avis.
A Parni j'aime mieux déplaire
Qué de déplaire à tout Paris.
ſe fache
20
(Par M. Félix Nogaret, )
:
؟
٤٠
Nº. 43 , 26 Octobre 1782 . G
146 MERCURE
A Mademoiselle DE GAUDI N.
AIR: Avec les Jeux dans le Village.
VEÉNUSs a toujours mon hommage,
Ou je la chante , ou je la ſers ;
Sans trop compter ſur ſon fuffrage ,
Je fête auſſi le Dieu des Vers :
Mais qu'il eſt rare l'affemblage
Du génie & de la beauté !
Ah ! ſans Gaudin ou Duboccage ,
On en auroit toujours douté.
a
COMMENT joindre avec tant de charmes
Un coeur fenfible & tant d'eſprit;
De Belloy fit couler vos larmes ,
Et ſon ombre s'en applaudit :
Deshoulière , votre modèle ,
Vous trauſmit ſon âme & fon goût ;
Si Deshoulière eût été belle ,
Vous lui reſſembleriez en tout.
Vous nous fixez tous ſur vos traces ;
Vous comptez au plus vingt printemps .
Pardon ; pour parler de vos grâces ,
J'oublie un moment vos talens .
L'Art vaut-il jamais la Nature ?
De ſes bienfaits ſentez le prix ;
DE
147
FRANCE.
Elle embellit votre figure
Comme elle a dicté vos Écrits.
Vous , la plus aimable des Belles ,
Reine du Pinde & de Paphos ,
Quedeviendront les Neuf Pucelles
Dont vous éclipſez les travaux ?
Au défaut d'attraits , leur génie
Ne fut que trop de fois vanté;
Mais Apollon les répudie
En faveur de votre beauté.
RÉGNEZ ſur notre âme attendrie ;
Pour vous ſont faits tous les ſuccès.
Eſt-il de femme qui n'envie ,
Et vos talens & vos attraits ?
Au vrai bonheur tout homme aſpire;
A tout âge il fait notre eſpoir :
On le ſent dès qu'on peut vous lire ,
On y croit dès qu'on peutvous voir.
( Par M. Damas . )
L'Ane , la Rose & le Chardon , Fable.
DANS
AN's un jardin , une Roſe nouvelle
Faiſoit l'ornement du printemps ,
Et le Zéphyr choqué , voyoit en même temps
Un vil Chardon croître auprès d'elle.
Certain Baudet , d'un pied leſte & badin ,
Gij
148 MERCURE
En petit maître entra dans le jardin.
C'étoit une Ane , fier de ſa race immortelle ,
Car il comptoit parmi ſes illuſtres aïeux ,
Cet Ane aîlé , qui , ſur ſon dos heureux ,
Eut l'honneur de porter Dunois& la Pucelle.
De ſes titres enflé , Monseigneur du Grifon
Foulant avec dédain l'herbe tendre & fleurie ,
Apperçut dans un coin le dégoûtant Chardon
1
A
Et la Roſe digne d'envie.
Il vint auprès. Zéphyr , ſaiſi d'horreur ,
Trembla pour ſes plaiſirs , frémit pour fon amante,
Et dit , je ſuis perdu: ſa forme, ſa fraîcheur,.
Son doux parfum & ſa beauté naiſſante ,
Sans doute renteront l'animal amateur......
Las ! il va dévorer cette fleur qui m'enchante ! .....
Zéphyr eut tort : le galant connoiffeur
Paſſa près de la Roſe avec indifférence ,
Et courut au Chardon donner la préférence.
VENONS à l'application ,
C'eſt le but que je me propoſe:
Maint époux eſt le ſot Griſon ,
Mainte épouſe eſt l'aimable Roſe ,
Mainte maîtreſſe eſt le Chardon.
(ParM. Pinelfils , Avocat ,
au Havre de Grâce. )
)
DE FRANCE. 149
:
COUPLET chanté à Madame DE
BEAUREGARD, pour le jour de fa
Fête , par Mllede Beauregard ,faBelle-
よい
Fille.
Sur l'Air : Avec les Jeux dans le Village.
COMMENT chanterai -je la Fête
De la plus tendre des mamans ?
L'Amour me rendra toujours préte
Avous peindre mes ſentimens.
Je ſens que la reconnoiſſance
Échauffe en ce moment mon coeur ;
Je ne vous dois pas l'existence ,
Mais je vous dois tout mon bonheur.
T
LETTRE au Rédacteur du Mercure.
"
1
V
OTRE Journal , Monfieur, n'est pas deſtiné
ſeulement à rendre compte des Ouvrages, vous im.
primez quelquefois des morceaux de Littérature &
de Philofophie que l'on peut mettre au rang des
Ouvrages nouveaux, c'est même ſouvent la partie
la plus intéreſſante du Mercure, L'Extrait d'un Ouvrage
ne me diſpenſe point de lire l'Ouvrage même
s'il est bon ; & pour ſavoir s'il eſt mauvais, je
ferois bien imprudent,ddee m'en rapporter àa Extrait.
Il eſt des Ouvrages , comptés aujourd'hui parmi les
meilleurs de notre Littérature , qui ont paru dans le
Ganj
P
150 MERCURE
1
Mercure pour la première fois; tels font les Contes
Moraux de M. Marmontel ; je parle de ceux-là ,
parce que leur réputation eſt ſi bien établie que
l'envie même n'entreprend plus d'en conteſter le
mérite. Je crois , Monfieur , faire aujourd'hui à
votre Journal un véritable préſent , en vous offrant
la traduction de quelques Chapitres d'un Ouvrage
étranger, l'un des plus importans peut- être & des
meilleurs de notre ſiècle : L'Histoire de la Société
Civile de Ferguilon. Pluſieurs Hommes de Lettres
François ont parlé ſouvent de cet Ouvrage avec la
plusgrandeeftime; mais ils l'ont lû en Anglois , &
laNation ne le connoît pas encore . Il eſt difficile de
comprendre comment on a différé ſi iong - temps à
faire paroître la traduction d'un livre annoncé par
tant d'éloges. Ceux de nos Littérateurs qui poſsèdent
les Langues étrangères,s'empreſſent de nous traduire
des Romans infipides ou des Drames qui achèvent de
corrompre notre goût ; & les Ouvrages que les Littésateurs
étrangers oppofent avec confiance à ceux
dont la nôtre s'honore le plus , on les laiſſe renferinés
dans les Langues qui les ont vu naître , & il
exiftedes idées utiles aux hommes, que notre Langue
ne connoît point encore. Cette indifférence accuſet-
elle le goût des Traducteurs ou celui de la Nation
? Seroit-il vrai que nous n'applaudiffons plus
que letalent qui ſert à nos plaiſirs & à notre frivolité
, & que nous redoutons ceux qui n'embelliffent
la vérité que pour nous rappeler nos devoirs ? Il n'y
avoit pas fix mois encore que les Lettres Perfannes
& l'Eſprit des Loix avoient paru en France ; ils
étoient déjà traduits à Londres. Il y a plus de dix ans
que l'Histoire de la Société Civile eſt imprimée ,
&nous en demandons encore la traduction . Cette
différence eſt remarquable ; elle fort fûrement du
caractère des deux Nations , & peut fervir à les
faire mieux connoître..... 1
DE FRANCE.
131
Un Magiſtratde Province , qui a conſacré fon
talent & ſa vie aux mêmes objets , & qui ſans
doute y portera des vûes nouvelles , a traduit l'Ouvrage
de Ferguſſon dans les intervalles de ſes méditations
& de fon travail. C'eſt ainſi que Cicéron
traduiſoit Platon & Démosthènes pour ſe préparer
aux Ouvrages fublimes qui l'ont rendu le rival de
l'Orateur le plus philoſophe , & du Philoſophe le
plus éloquent de la Grèce. La traduction d'un bel
Ouvrage dans le genre de ceux auxquels nous travaillons,
eſt un entretien avec un homme de génie
qui peut faire monter notre eſprit au ton de ſes penfées
& de ſon ſtyle. Ce Magiftrat m'a confié une
grande partie du manufcrit de ſa traduction , m'a
permis d'en diſpoſer à mon gré ; & c'eſt après
l'avoir comparé à l'original , que j'ai pensé que le
Public me fauroit gré de lui en faire connoître quelques
Chapitres. Je ne doute pas même , Monfieur ,
que je ne puſſe vous communiquer la traduction entière
ſi les Lecteurs de votre Journal paroiſſoient le
defirer , & ils le defireront ſans doute.
Mais l'eſprit dans lequel elle a été faite exige
quelques réflexions , Monfieur , fur le caractère même
du talent de Ferguſſon , & fur l'extrême liberté avec
laquelle le Traducteur a rendu fes idées .
Ferguffon a enviſagé un ſujet très-philofophique
ſous le point de vue le plus général; il eſt réſulté
de là que ſes idées ſont ſouvent très- abſtraites , &
même un peu vagues. En le lifant,l'eſprit découvre à
chaque inſtant des étendues immenfes ; mais les
idées qui occupent ces eſpaces font un pen confuſes
&fugitives, comme les objets , pour ainſi dire , que
l'oeil voit flotter avec l'atmosphère aux bornes d'un
vaſte horiſon. Sa penſée eſt donc en général très métaphyfique
, & cependant ſon ſtyle eſt très-figuré.
Une idée abſtraite eſt ſouvent revêtue d'une image
pleine d'éclat. Cette eſpèce de contraſte entre l'eſprit
Giv
152 MERCURE
&l'imagination n'eſt pas rare , comme on fait , chez
les Écrivains Anglois. On le trouve même chez leurs
Poëtes , dans Pope fur-tout , qui écrit comme Boileau
, &peut- être comme Platon. Il paroît que c'eſt
à cette réunion fur-tout que les Anglois croient reconnoître
le génie.
On ſeroit porté à penſer que l'imagination de
Ferguffon doit répandre ſur ſes idées la clarté qui
leur manque , & cela arrive très- ſouvent ; mais quelquefois
aufli il me ſemble qu'il en réſuite un effet
tout contraire. L'image ne peut jamais bien embraffer
une idée qui eſt confuſe & incertaine ; elle
reſte donc ſéparée en quelque forre , & l'attention ,
partagée fur deux objets , ou plutôt entraînée toute
entière ſur l'image qu'elle ſaiſit facilement , laiſſe
Pidée dans une plus grande obſcurité encore.
Je crois , Monfieur , que tout Lecteur François
appercevra plus ou moins ces défauts dans l'Ouvrage
de Ferguffon; mais les Anglois en ont-ils
jugé de même ? ont ils vu ces défauts ? exiſtent .
ils pour eux ? On peut préſumer que non. Ce qui
est profond & abſtrait pour un Peuple eſt ſouvent
clair & fenfible pour un autre. Tous les Peuples n'ont
pas la même meſure d'attention , ni la même ſagacité
d'eſprit; & fur toutes ces qualités ils prennent
ou perdent l'avantage les uns fur les autres , ſuivant
que les objets font plus ou moins clairs & familiers
à leurs goûts & à leurs habitudes. Il eſt des hommes
qui paſſent des jours entiers, des ſemaines , des
mois à méditer une énigme ou un logogryphe , &
qui ne pourroient pas ſupporter la fatigue d'une
page de Tacite ou de Hobbes. Nous autres François,
nous demandons d'abord, ſans doute avec raiſon,
qu'un Ouvrage foit très- clair , primò perfpicuitas . Ce
que les Anglois ſemblent exiger d'abord , c'est qu'il
foit profond& neuf. S'il a dit de belles chofes &
des chofes utiles , ils font prêts à y revenir plus
DEFRANGE. ISR
d'une fois pour les bien entendre. Un Quvrage de
talent&de génie ne peut être obſcur qu'une fois ;
enfuite il est toujours auſſi facile que beau. Les Anglois
ne peuvent conſentirà mettre une qualité de
ſtyle dont le charme ne ſe fait ſentir qu'à la pre
mière lecture , au rang de ces qualités dont l'impretion
puiffante ſe répète à chaque lecture , & devient
même plus vive & plus forte pour les Lecteurs
dont l'eſprit approche le plus du génie de
l'écrivain. Nés penſeurs , & accoutumés fur-tout à
porter leurs penſées ſur les objets de gouvernement
& de législation, les Anglois faififfent fans peine les
vérités les plus générales de la politique , ſans qu'on
ait beſoin de les arrêter ſur tous les détails qui nous
font néceſſaires pour les appercevoir d'une manière
ſenſible. Nous ſommes à leur égard, dans la ſcience
de la morale & de la légiflation, ce que des gens qui
commencent à étudier les Élémens d'Euclide , ſont
auprès des Euler , des d'Alembert & des Condorcet.
Les premiers ont beſoin de tous les ſignes , de tous
les chiffres , de toutes les figures; un ſeul figne algébrique
eſt pour les autres un aſſemblage de propofitions
prouvées ; un a & un b font pour eux des
démonstrations & des vérités évidentes.
Cettemême force d'attention qui fait parcourir ſi ra .
pidement aux Anglois des idées placées à une ſigrande
diſtance les unes des autres , leur fait franchir auffi
très-vîte l'intervalle qui ſépare une penſée,d'une
image; une comparaiſon & une métaphore qui
nous paroiſſent tirées de loin, leur paroiſſent nées
avec l'idée ou trouvées à côté d'elle ; car c'eſt moius
la nature des choſes que l'habitude & la facilité que
nous avons d'aller de l'une à l'autre qui nous fait
voir des liaiſons entre-elles. Un intervalle qu'on
franchit fans qu'on s'en apperçoive eſt pour nous,
comme s'il n'exiſtoit pas.
2
7
Ces principes , Monfieur , qui me paroiffent in
Gv
154 MERCURE
conteſtables , peuvent ſervir à juftifier la manière
dont on a traduit l'Ouvrage de Ferguffon .
Fergufſon a écrit pour les Anglois ; mais c'eſt
pour les François qu'on le traduit. Le Traducteur
enrendant les idées de l'Auteur en a donc change
quelquefois la diſpoſition , parce qu'il a cru en
voir une plus conforme à la manière dont les idées
fe ſuivent & ſe lient dans nos efprits & dans notre
langue. En allant au même but , il change quelquefois
de chemin. Ce qui n'avoit beſoin que d'être indiqué
à Londres avoit beſoin de développement à
Paris. Le Traducteur développe donc ce que l'Auteur
n'a fait qu'indiquer ; en général , le Traducteur
diſpoſe des idées acceſſoires avec le même empire
que fi elles lui appartenoient; il les change , il les
étend, il les fupprime ; il fait comme les Navigateurs
qui vont par mille routes différentes dans le
Nouveau - Monde que Colomb a découvert. Ce qui
diftingue fur- tout l'eſprit & le goût de diverſes Nations,
ce font les idées acceſſoires. Pour les Anglois
telle idée réveille telle image ; pour les François la
même idée réveillera plus naturellement & plus heureuſement
une autre image , &le Traducteur la préfère
, parce que le mérite de l'Ouvrage & la gloire
del'Auteur y gagneront beaucoup dans nos eſprits
mais est- ce là traduire ? Ce fera traduire fi on veut
& imiter fi on l'aime mieux ; & fi on le veut encore
, ce ne fera ni une imitation ni une traduction ,
mais un Ouvrage nouveau élevé fur les idées principales
& fur le plan général de celui de Ferguſſon .
Cette liberté feroit trop grande ſans doute dans les
Ouvrages de pur agrément , dans ceux où le talent ſe
borne à l'ambition de flatter le goût. La grâce & la
beauté du ſtyle tiennent ſur-tout au choix & à l'ordre
des idées acceſſoires ; fi vous changez ces idées ou
leur ordre , vous avez détruit l'Ouvrage , & je ne
vois plus rien du talent de l'Auteur. Le génie & les
DE FRANCE.
155
grands Ouvrages philoſophiques qu'il produit , ré-
Liſtent mieux aux changemens qu'ils ſubiſſent en
paſſant de langue en langue , de traduction en traduction.
Souvent, lorſqu'il ne reſte plus rien du goût
& du talent d'un Ouvrage, le génie y fubſiſte encore
avec les idées principales dont il eſt le créateur.
C'eſt le diamant des fables de Golconde , ſur lequel
les Lapidaires de Paris , ceux de Londres , ceux de
Berlin&de Pétersbourg , montrent la diverſité de
leur goût & de leur talent. De quelque manière
qu'il foit enchaſſé, l'éclat & les feux du diamant font
toujours ce qui frappe le plus les yeux .
On croiroit que le Traducteur a eu le manufcrit
Anglois au moment où Ferguſſon n'avoit encore
jeté ſur le papier que ſon plan & ſes vûes. En
jetant tour-à-tour les yeux ſur l'original & la traduction
, on croit entendre la converſation de deux
amis nés à-peu-près avec le même genre d'eſprit , &
qui s'entretiennent ſur des objets qui les intéreſſent
& les occupent également ; ils quittent & reprennent
tour-à-tour la parole ; l'idée de l'un eſt ſaiſie à l'inf
tant par l'autre , qui la porte plus loin , & la lie à
d'autres idées ; mais l'eſprit de tous les deux , aſſervi
également à l'objet de leur entretien & au ton donné
par celui qui l'a ouvert , marche toujours également
au même but , & ne fait que varier la route par un
grand nombre d'accidens & de points de vue. L'Ouvrage
original ſera ineilleur pour les Anglois , la
traduction pour les François ; mais les François &
les Anglois qui liront les deux Ouvrages,y gagneront,
ceme ſemble, égalenient.
J'ai voulu , Monfieur , vous faire connoître fef
prit & le caractère de cetre traduction; mais je n'ajouterai
rien de plus ſur ſon mérite. Il eſt une forte
de pudeur & de modeſtie qui arrête les éloges que
l'ondonneàun ami'; il ſemble qu'il en revient quelque
choſe à celui qui les donne; mais quel que foit le
Gvj
136 MERCURE
jugement que l'on porte des morceaux que je vous
envoie, je ferois bien trompé, Monfieur, fi on ne
reconnoſſoit point dans les idées& dans le ſtyle un
eſprit né pour éclairer les hommes ſur leurs plus
grands intérêts.
Explication de l'énigme & du Logogryphe
duMercure précédent.
:
Le mot de l'énigme eſt les Chats ; celui
du premier Logogryphe eſt Cor-de- chaffe ;
celui du ſecond eſt Terreur , qui , le premier
pied ôté , donne erreur; celui du troiſième
eft Livre , ôtez L, reſte ivre.
J
ÉNIGM E.
E ne puis flatter les yeux
Que je n'enchante l'oreille.
Tantôt ſur cinq pieds boîteux
Je vais marchant à merveille ;
Sur huit , ſur dix , je puis monter ,
Sur douze , & même ſur treize ;
Tel qui m'emploie eſt fort aiſe
De me voir ainſi trotter ;
Mais ſi quelquefois j'échappe ,
Je le fais jurer , peſter ;
Et bientôt , s'il me rattrape ,
L'on voit ſa joie éclatter.
Suis -je riche , harmonieuſe ,
Lors je plais à tout chacun ;
DE FRANCE. 157
Mais trop ſouvent , pauvre hableuſe
Jen'ai pas le ſens commun.
(Par Mme de M. ** )
LOGOGRYPΗ Ε.
JE fuis né Perſe , Afiatique ,
Mède , Arabesque , Oriental.
Souvent compris dans l'ancienne tactique
Jemontrai mon pouvoir dans la guerre punique ,
Sous Amilcar , ſous Annibal .
J'ajoute à ces hauts faits un trait original ,
Je ſuis dix & douze jours fans boire.
A qui connoît la Nature & l'Hiſtoire ,
C'eſt ſe montrer bien clairement ;
Analyſons, partageons à préſent
Mon être en deux : d'abord je ſuis un Prince ,
Le Chef de plus d'une Province ;
:
Du temps de Saint-Louis , un célèbre vainqueur ;
Des Mogols d'aujourd'hui le premier Empereur ;
Puis des quatre élémens je deviens le troiſième ,
( SelonThales , & ſon ſyſteme ,
Le principe de tous les corps. )
Voilàmon dernier ſtratagême ,
Ce font là mes derniers efforts .
(Par M. de Boufſfanelle , Brigadier des
Armées du Roi. )
158 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU Théâtre Allemand , ou Recueil
des Pièces qui ont paru avecſuccèsfur les
Théâtres des Capitales de l'Allemagne ,
par M. Friedel ,Profeſſeur en Survivance
des Pages de la grande Écurie du Roi.
3 Vol. in 8 °. A Paris , chez l'Auteur , rue
S.Honoré , au coin de la rue de Richelieu ;
au Cabinet de Littérature Allenande , où
l'on peut ſe procurer les originaux; chez
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; Couturier
fils , quai des Auguftins ; à Verfailles
, chez Blaizot , rue Satory ; à Leipſic ,
chez Dyk ; à Berlin , chez Wever ; à Hambourg
, chez Virchaux ; à Gotha , chez
M. Reichard ; à Manheim , chez M.
Schwan , & à Konisberg en Frufſe , chez
M. Friedel.
CE
:
E troiſième Volume nous a paru en total
ſupérieur au précédent. Il eſt impoffible que
toutes les Pièces qui compofent cette Collection
, méritent le même degré d'eſtime.
Le devoir d'un Traducteur conſiſte en deux
points: bien traduire & bien choiſir . Ce
principe eſt incontestable; mais ( ceci aura
peut- être l'air d'un paradoxe au premier
coup-d'oeil ) nous croyons qu'on n'est pas
DE FRANCE. 159
toujours en droit de lui reprocher l'infertion
d'un Ouvrage qui déplaît , même d'un mauvais
Ouvrage , ou du moins qu'on ne doit le
faire qu'après un mur examen , parce que
✓ des conſidérations étrangères à l'Ouvrage
même, peuvent déterminer ſon choix. Parmi
les Pièces qui entrent dans un Recueil par leur
propre mérite, il en eſt quiy entrent par leur
réputation; c'eſt alors la nation qui a tort, &
le Traducteur eſt preſque forcé d'avoir tort
avec elle; quand ſon jugement ne ſeroit pas
$ entraîné par l'opinion nationale , fon choix
* eft alors décidépar une forte de reſpect qui mé
i rite,finon le ſuffrage,au moins la tolérancedes
connoiffeurs . Cette obſervation ne tend qu'à
#rendre le Lecteur moins ſévère dans ſes jugemens
; elle ne diſpenſe pas le Traducteur
d'être difficile dans fon choix.
Le Volume que nous annonçons renferme
une Tragédie , Atrée & Thieſte ; une Comédie
en deux Actes , le Voilà Pris ! le Voilà
Pris ! & un Drame en cinq , Stella.
Le ſujet de l'Atrée de Crébillon n'eft pas
celui de la Tragédie Allemande. Le Poëte
François a choifi le moment où Atrée ſe venge
de fon frère , en lui faiſant boire le ſang de
fon fils * ; l'Auteur Allemand , M. Weiffe ,
choiſit une autre époque. Thieſte , après la
* On fait que dans la Fable Atrée égorge les
deux fils de Thiefte , qu'il les lui fait ſervir à table ;
& qu'après le repas , il lui fait apporter les pieds ,es
mains&la tête de ſes enfans,
160 MERCURE
vengeance monstrueuſe de ſon frère , avoit
viole dans un bois , fans la connoître , la
fille Pelopée , qui avoit emporté fon glaive,
pour tâcher de reconnoître un jour l'auteur
de cette violence. Atrée , qui la voit à la
Cour de Theſprote , & qui la prend pour la
fiile de ce Monarque, la demande en mar
riage & l'emmène dans ſes États , tandis
qu'elle porte dans ſon ſein un fils de Thyeſte.
Cet enfant , qu'on nomme Égifte , eſt elevé
par Atréecomme ſon fils;& pluſieurs années
après , Thyeſte étant retombé dans les mains
d'Atrée , celui ci ordonne à Égiſte de l'aſſaffiner.
Thieſte ayant reconnu ſon glaive dans
les mains d'Égiſte, qui lui dit le tenir de ſa
mère Pélopée , & Pélopée ayant déclaré que
ce glaive appartient à un inconnu qui l'a
deshonorée , & qui eſt le véritable père
d'Égifte , Thicſte au déſeſpoir ſe fait connoître
à Pélopée pour fon père ; & celleci
, feignant d'examiner ce glaive de plus
près , ſe frappe & meurt. Égiſte retire le fer
tout ſanglant,&va le plonger dans le ſein d'Atrée.
Telle eſt l'action qu'a choiſie M. Weiſſe;
de manière que ſi le ſujet de Crébillon eft
la vengeance d'Atrée , celui du Poëte Allemand
peut s'appeler la vengeance deThyeſte.
Dans cedernier Ouvrage il y a de la verve ,
de l'énergie & des idées ; mais trop ſouvent
de l'exagération & de la recherche dans le
ſtyle & dans les ſentimens , comme lorf
qu'Arrée dit à la Reine: lefouffle de Thyeſte,
quand même il feroit trop foible pour élever
DE FRANCE. 161
lapoussière, est un ouragan qui peut entraîner
mon trône ; & lorſque la Reine dit dans un
monologue : toutes les horreurs funèbres de
la nuit, dont les ailes font enlacées de toiles
d'araignées ,planent toutes noires fur ma tête.
Il faut convenir que , dans une Tragédie ,
les aîles enlacées de toiles d'araignées , forment
une circonstance aſſez déplacée &
bien contraire au goût & à la vérité.
Il y a de la lenteur dans l'action . Quand
Thyefte eft retombé au pouvoir de fon frère,
Atrée ne fait plus ce qu'il veut. Il veut bien
faire mourir Thyeſte , inais il perd plufieurs
Actes pour chercher de quelle manière il ſe
vengera. Il conſulte même la Reine , &la
prie de lui indiquer un gente de ſupplice. 11
nous ſemble pourtant que l'imagination qui
a conçu l'idée du repas d'Atrée , ne doit pas
ſe trouver en défaut fur tout ce qui tient à
la cruauté , & que perſonne ne doit ſavoir
mieux que lui comme on peut ſe venger
d'un ennemi ..
Scène deuxième , Acte troiſième , il veut
qu'Égiſte aſſaſſine Thyeſte. Pourquoi plutôt
Égifte qu'un autre ? L'action eſt plus tragique
ſans doute ; mais elle n'eſt point motivée de
la part d'Atrée , qui ne fait point qu'Égiſte
eft fils deThyeſte. Il devroit au contraire en
charger quelque autre bras ; car il a vuÉgiſte,
ému de pitié , ſe déclarer preſque ouvertement
pour Thyeſte ; ou plutôt Atrée , d'après
ſon caractère atroce , doit ſe réſerver un em
ploi fi doux à ſon féroce coeur. Dans la Tra
162 MERCURE
gédie de Crébillon , Atrée , en ordonnant à
Pliſtène le meurtre de Thyeſte , ſfait fort bien
qu'il arme le fils contre le père ; il a élevé
Pliſtène fous le nom de fon propre fils ; il l'a
réſervé pour le parricide , & voilà une vengeance
digne d'Atrée .
Voici un autre détail peu important , mais
qu'il eſt néanmoins utile de relever. Quand
Égiſte va pour affaffiner Thyeſte dans ſa prifon
, l'Auteur nous avertit que la Reine , qui
l'encourage ,fe cache à l'entrée de la prifon;
que la porte s'ouvre , & que l'on voit Thiefte
endormi ; mais le Spectateur , qui veut tout
ſavoir , demande à l'Auteur : comment s'ouvre
cette porte ? Nous avons cru être d'autant
plus fondés à relever cette inadvertance ,
qu'un moment après, lorſqu'Égiſte, reconnu
pour le fils de Thieſte , vient de frapper
Atrée, l'Auteur nous dit qu'Atrée , en tombant,
ouvre les portes de la prison. En vérité
voilà des portes de priſon affez mal fermées.
Tout cela n'eſt point naturel. Du temps de
Theſpis en Grèce , & du temps des Myſtères
parmi nous , on n'y regardoit pas de ſi près ;
imais aujourd'hui l'art eſt devenu plus difficile ,
& les Spectateurs plus exigeans.
Au refte, cette Tragédie , qui par le ſujet ,
ne peut guère inſpirer d'autre ſentiment que
celui de la terreur , nous a paru remplir fon
objet. La haine des deux frères y eſt exprimée
avec beaucoup d'énergie. « Je ſuis reſté
ود ſeul , dit Thyeſte à fon barbare frère;
> dévore- moi ! tu es altéré de fang , je le
DE FRANCE. 163
1
+
>> vois ! oh ! fi ce pouvoit être un poifon
» pour Atrée ! peut-être que la pefte coule
dans mes veines au lieu de ſang ! ô race de
» Pélops , » &c. Voici une tirade bien terrible
, bien digne d'Atrée ! e'eſt ce frère barbare
qui délibère avec la Reine ſur la manière
dont il ſe vengera de Thieſte. " Thyefte !
>> Thyeſte ! la vengeance que j'en veux tirer
» me tourmente. Où commencera-t- elle où
>> finira- t- elle ? Filles des enfers , infpirez-
» moi. Et toi , ma tendre épouſe , confeille-
>> moi. Tous les tourmens que ma rage lui
>>prépare me paroiffent trop doux. Je lui
» ai déjà fait éprouver le plus horrible de
>> ceux que j'aye pu inventer ; & mainte-
>> nant il ne reſte que lui . moins que
» rien ; un miſérable ſquelette à déchirer ,
dix gouttes de ſang à répandre , un coeur
Aétri qui ne ſent rien .... &c. » Ce n'eſt
pas là de l'emphaſe , de l'exagération ; ce
ſont des ſentimens terribles , mais vrais ,
mais dignes du perſonnage.
ود
ود
Le Dialogue eſt ſouvent preſſé , vif &
énergique. Quand la Reine , qui ne reconnoît
pas encore Thyeſte pour le père du fils qu'elle
a mis au jour , veut engager Égiſte à l'affaffiner
pour obéir à Arrée , elle lui dit : mon fils
m'a toujours obéi , il m'obéira toujours.
ÉGISTE.
" Toujours. Vous m'avez donné la vie , la
» redemandez-vous ? j'obéis.
164 MERCURE
ود
LA REINE.
:
>>Eh ! pour te la conſerver , je donnerois
la mienne.
ÉGISTE.
:
>>Que faut- il donc ? parlez , ma mère , &
» je veux ......
LA REINE.
» Jure-le donc par ce ferment terrible
» que les Dieux même n'oferoient violer.
;
ÉGISTE.
» Mais pourquoi ?
ود
LA REINE.
>> Obéis. Jure !
ÉGISTE.
>>Jelejure.
LA REINE.
>>Il ſuffit . Pars ; fais mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
こ1
» Ai- je bien entendu ?
: LARBINE,
>>Tu feras mourir Thyeſte.
ÉGISTE.
; .
Que le Roi vientedeum'ordonner toutà
1heure de conduire au temple : Lui !
DE FRANCE. 165
LA REINE.
>>Frappe ; le Roi l'ordonne, je le veux ; ور
ور c'eſt pour le bonheur du Roi , pour mon
» bonheur & le tien.
ود
ود
ÉGISTE.
» Pour mon bonheur ! ô ma mère , eſt- ce
toi qui me parles ? Peut- on obtenir le bonheur
par le meurtre , par le parjure ?
Comme le coeur eſt vivement ému , lorfqu'Égiſte
arrive à l'entrée de la priſon de
Thyeſte, avec la Reine , qui le conduit d'une
main, & qui de l'autre tient un glaive nud!
LA REINE.
>>Le voici ...... Tu trembles ! ...... que
» crains- tu ?
ÉGGIISSTTE.
>> O angoiffe ! donnez !
LA REINE.
>>Prends , ſoutiens-le donc.
ÉGISTE.
>>Qu'il eſt lourd!
ود
LA REINE.
Pour la main d'un lâche !
ÉGISTE.
"
Oh! fi c'étoit pour la patrie ! vous
>> verriez.....
166 MERCURE
LA REINE.
> Comme tu fuirois ſans doute ? Si un ſeul
>> ennemi te fait ainſi trembler , que feroient
>> donc dix mille ennemis ?
ÉGISTE.
>> Rien. Ils ſeroient armés.
Ce dernier trait , ſans doute , eſt de la plus
grande beauté. L'intérês augmente lorſque
lapriſonouverte laiſſe voir Thyeſte endormi,
&Égiſte qui s'avance vers lui le glaive à la
main , tandis que la Reine eſt cachée dans
le fond.
ÉGISTE , ( tendrement après un filence de
quelques minutes ,pendant lequel il regarde
Thyeste avec compaffion. )
« Il dort ! ( avec plus d'attendriſſement
>> encore ) que ſon ſommeil eſt doux! hélas!
il ne fait pas qu'en ce moment fon affaffin ود
ود
eſt ſi près de lui; à moins qu'un Dieu ne
>> lui diſe en ſonge que ſon aſſaffin eſt celui
» qu'il a tant aimé , celui qui lui a promis
>> un aſyle.... O trahifon ! terre , entrouvre-
" toi ! ...... Paix ! il ſourit ce bon vieillard!
>> chargé de fers , il ſourit à la mort , tandis
ود
que moi, malheureux !... (La Reineſe mon-
» tre dans le fond , & elle le menace ; Égiſte
» se retourne ) Voyez le donc , voyez ce
» reſpectable vieillard! (Elleparoît furieuse
ود de ce qu'il diffère ) Peut-être..... Oui ſans
>>doute, un Dieu , ami des malheureux ,
DE FRANCE.
167
>> le tient enſeveli dans un ſi doux ſommeil,
>> pour qu'il ne ſente pas l'amertuine de la
> mort ; pour qu'il ne connoiſſe pas fon af-
>> ſaffin..... Égiſte ! ( Il s'approche de plus
» près : il le regarde long-temps avec atten-
>> driſſement , & l'on voit au- deſſus defa tête
» leglaive qui tremble dansſa main. ) »
Tous ces diſcours , tous ces mouvemens
font vrais & touchans. Égiſte ne dit , ne fait
que ce qu'il doit dire , que ce qu'il doit faire.
Tout le dernier Acte eſt plein de beautés
&du plus grand effet.
Paffons à le Voilà Pris ! le Voilà Pris !
Comédie en deux Actes de M. Wezel. Le
Baron de Spark a pris une femme qu'il croit
fort fotte, croyant par-là, comme Arnolphe ,
ſauver ſon honneur de tout accident. La fièvre
de la jalouſie le ſaiſit enſuite quand il
s'apperçoit qu'elle a de l'eſprit. Il apprend
qu'en fon abſence elle a ſoupé tête-à-tête
avec un M. de Torft , qui eſt une eſpèce
d'homme à bonnes fortunes , & qu'il a
même couché dans la maiſon. Tandis qu'il
croit ſa femme très coupable , il ſe trouve
qu'elle a fait venir ſecrètement chez elle une
fille naturelle de ſon mari , qu'elle a décou
verte depuis peu; & de Torſt n'eſt venu chez
elle que pour marier la jeune perſonne avec
un des Commis qu'il a dans ſes Bureaux. Au
dénouement , de Feu , Capitaine d'Artillerie
, ami du Baron de Spark , reconnoît
auſſi le jeune homme pour fon fils naturel.
Nous ferons peu d'obſervations ſur cette
168 MERCURE
Comédie , qui a le mérite au moins d'être
dans le genre vraiment comique , mais qui
eſt trop longue de moitié. De Spark , dès le
commencement du premier Acte, ne devroit
pas témoigner ſi clairement ſa jaloufie à fa
femme. Il n'eſt pas naturel qu'elle ne comprenne
pas les reproches qu'il lui fait fur
Torst, tandis qu'elle fait qu'elle a ſoupé
ſecrètement avec lui ; il doit s'enfuivre un
éclairciſſement , & dès- lors la Pièce eſt finie.
Lorſqu'au ſecond Acte , dans une autre
ſcène avec ſon mari elle dit à part : Ah!
je te vois venir maintenant ; c'eſt de la jaloufie:
il faut avouer qu'elle s'en aviſe un peu
tard pour une femme d'eſprit.
La Pièce pouvoit devenir très- intéreſſante
au moment où Spark reconnoît ſa fille ;
mais il la déſavoue , & dès lors l'intérêt
ceſſe. L'aveu qu'il en fait long-temps après
à ſa femme , arrive beaucoup trop tard , &
le Spectateur ne peut plus lui en ſavoir
gré.
La vieille tante Mme de Tatter & le
Capitaine de Feu , ſont ennuyeux pour les
Perſonnages de la Pièce ; mais malheureuſement
ils le ſont pour les Spectateurs auili.
'Tel eſt le devoir de l'Auteur comique, qu'il
faut que l'ennui même, lorſqu'il le met au
Théâtre , ſerve à l'amuſement du Spectateur .
Un bavard que nous rencontrons en ſociété
nous ennuie; il faut qu'il nous amuſe au
Théâtre ; & dès qu'il commence à nous fariguer
, l'Auteur a tort. Ceux même qui ſentent
DE FRANCE. 169
1
1
tent les réſultats des Arts , & qui en jouifſent,
ne fongent pas toujours par quels
nombreux procédés on y parvient.
Le petit maître Torft eft des plus gauches ,
&l'on ne conçoit pas comment ce peut être
là leféducteur de toutes lesfemmes.
Il y a trop ſouvent auſſi dans cette Pièce
la charge à la place du comique. La vieille
tante en peut fournir pluſieurs exemples.
Quand elle dit à Mme de Spark : Je dis que
les hommesfont des ours , & que les femmes
font bien malheureuſes d'être obligées de les
conduire ; ils hurlent fans ceffe. L'Aureur
nous avertit qu'elle imite le rugiſſement de
l'ours. Il nous ſemble que cette imitation
du rugiffement de l'ours n'étoit pas là fort
néceſſaire. Plus loin , en écoutant un récit
que lui fait ſa nièce : Ah! mon Dieu , ma
pauvre enfant , dit- elle , il commençoit donc
àfaire déjà nuit ? Oh ! que j'aurois crié !
que j'aurois crié ! Et làdeſſus ( avertit encore
l'Auteur ) elle crie de toutes ſes forces :
c'eſt- là ce qu'on appelle du bas comique.
Au dénouement , quand le Capitaine de
Feu reconnoît ſon fils , il raconte que Spark
& lui , autrefois , avoient pris deux femmes
ſans les avoir épousées. Bref, ajoute-t-il ,
nos petites femmes Philoſophes s'en trouverent
le moins bien ; l'une devint libertine ,
& mourut dans un lieu de débauche .... ;
l'autre est morte de chagrin. Quels détails !
Il étoit bien néceſſaire de dire que l'une de
ces deux femmes mourut dans un lieu de
Nº. 43 , 26 Octobre 1782 . H
1
170 MERCURE
débauche! Pourquoi attacher l'idée du Spectateur
ſur un détail auſſi bas & auſſi triſte ?
Comment le goût n'arrête- t- il pas la main:
d'un homme de mérite quand il eſt prêt à
s'oublier à ce point là !
Malgré toutes ces obfervations , on voit
que l'Auteur connoît le coeur humain , &
fon Ouvrage prouve un vrai talent pour la
Comédie.
Il ne nous reſte plus qu'à parler du Drame
intitulé Stella , qui termine le Volume. Cécile&
Stella ſont deux femmes abandonnées
par Fernando , qui avoit épousé l'une &
vécu avec l'autre. Il revient enfin auprès de
ſa maîtreſſe Stella , & il arrive au moment.
où Cécile, ſa femme, réduite à la plus cruelle
indigence , vient placer ſa fille Luzi en qualité
de femme- de- chambre auprès de la tendre
Stella , qu'elle ne reconnoît point pour
la maîtreffe de Fernando . Celui- ci ayant retrouvé
la femme, ſe diſpoſe à la ſuivre par
devoir , quand les deux rivales s'érant reconnues
, la généreuſe Cécile immole fon amour.
&cède ſes droits à la tendre Stella , ou du
moins elle conſent à partager avec elle le
coeur& les ſoins de Fernando.
Tel eſt en peu de mots le ſujet ( aſſez
fingulier pour la Scène) de ce Drame vraiment
intéreſſant. Nous invitons le Lecteur
à le lire dans l'Ouvrage même , & nous
nous bornerons à un très - petit nombre
d'obſervations.
Le perſonnage de Fernando eſt peu intéDE
FRANCE. 171
reſſant pour deux motifs . 1º. On ne voit
pas bien clairement pourquoi il a quitté ſa
femme , ni pourquoi il a quitté ſa maîtreffe,
ce qui fait qu'on n'oſe s'affurer ſur l'exprefſion
de ſes ſentimens , qu'on ne connoit pas
affez. 2 °. Quand il retrouve ſa femme , il fe
répand en proteſtations d'amour. S'il eſt "
amoureux de Stella , il ne peut pas l'être de
Cécile. Ilne doit donctémoigner à ſa femine,
en la retrouvant, que de l'amitié, de l'eſtime ;
il ne peut chercher à l'intéreſſer que par fon
repentir.
Cécile a de la nobleſſe dans les ſentimens.
Si elle a quelquefois une apparence de froideur
ou un excès de raifon , loin d'en blâmer
l'Auteur , on doit le louer de fon heureuſe
adreſſe à préparer par-là ſon dénouement,
Comme Cécile doit finir par céder à Stella
ſes droits fur Fernando , ou du moins les
partager avec elle , ſi l'Auteur lui eût donné
un amour également paflionné avec des
droits prépondérans , c'est- à- dire , avec le
titre d'épouſe , le ſacrifice n'étoit plus vraiſemblable
, parce qu'il eſt bien plus difficile
de renoncer à ce qu'on aime quand on a des
droits pour le garder.
Pour Stella , tout ce qu'elle dit , tout ce
qu'elle fait reſpire la plus tendre paffion.
Elle n'est qu'amour. On pourroit citer au
haſard , dans les Scènes qu'elle a avec Fernando
, on y trouveroit par- tout le langage
d'un coeur paffionné , &l'expreſſion de l'amour
heureux.
H1)
172
MERCURE
:
FERNANDO ( à ses pieds. )
» Ma Stella !
STELLA.
ود Lève- toi , mon Fernando , lève-toi ; je
>> ne puis te voir à mes pieds.
وو
FERNANDO..
Laiſſe - moi à tes pieds; ne ſuis - je pas
>> toujours proſterné devant toi ? Mon coeur
>> ne t'adore t'il pas toujours ? O amour !
ود bontés infinies !
STELLA.
>> Tu m'es rendu ! ..... je ne ine connois
• plus. Ce que je dis , ce que je fais , je n'en
>> ſais rien ! au fond , que m'importe ?
FERNANDO.
» Je ſens encore ce que j'ai ſenti dans ces
>> premiers momens de notre bonheur; je te
>> tiens dans mes bras , Stella! je ſuis sûr
d'être aimé ! amour ſincère, je te reſpire ود
ود ſur ſes lèvres brûlantes; je chancelle ,&
>> je demande tout étonné , ſi je veille ou fi
» je rêve. »
Peut- être le rigoriſme de la Scène Françoiſe
ne pardonneroit pas entre deux amans
une expreſſion ſi vive de la paſſion; mais tel
eſt le ton qui convenoit à cet Ouvrage ,
qu'on ne doit pas juger d'après nos moeurs
théâtrales ; car un tel ſujet , ou du moins
DE FRANCE. 173
fon dénouement n'auroit pas été admis ſur
notre Scène. On n'y auroit pas vû aiſément
la femme & la maîtreſſe du même homme ,
ſe décider à le poſſeder enſemble & à partager
les droits d'épouſe. Comme Stella n'a
pour elle que les droits de l'amour , c'eſt ſur
elle que l'Auteur en a réuni tous les ſentimens.
Quoiqu'elle ſoit fondée à faire bien
des reproches à Fernando , voici le ſeul
qu'elle ſe permette.
2
ود
- Que ſa juſtice te pardonne d'être fi méchant
& fi bon ! qu'il te pardonne , le
Dieu qui t'a fait ainfi .... &fi volage &
ſi fidèle ! fitôt que j'entends le ſon de ta
>> voix , je me dis tout de ſuite , c'eſt Fer-
» nando , qui n'aime que moi ſeule au
monde.» " رد
Comme elle eſt intéreſſante au moment
où ne ſachant pas encore que Fernando a
retrouvé la femme , & qu'il a promis de la
ſuivre , elle ne lui témoigne que ſon amour
&le ſentiment de ſon bonheur ! Fernando
lui parle de Cécile , que Stella ne connoît
pas encore pour ſa rivale.
FERNANDO .
« La mère eſt une brave femme, mais elle
>> ne veut pas refter; elle ne veut pas abſolu-
>> ment en dire les raiſons , elle veut partir.
> Ne la retenez- pas, Stella.
STELLA.
» Je ſerois au déſeſpoir de la retenir
Hiij
174 MERCURE
:
ود
ود
ici malgré elle.- Ah ! Fernando , j'avois
beſoin de ſociété!-inais à préſent ( elle
> ſe jette dansses bras) je te poſsède , Fer-
>> nando!
FERNANDO .
• Calme-toi.
STELLA .
>>Laiffe-moi pleurer ! je voudrois que ce
» jour fût déjà paffé ! je tremble encore de
ود tous mes membres ! quelle joie !!- Tout
> me ſurprend à la fois ! toi , Fernando ! &
ود à peine ! Je ne pourraijamais ſuppor-
>> ter tout ce bonheur.
20
FERNANDO ( à part. )
-
>>Moi , malheureux ! l'abandonner ! (haut.)
Laiffe moi , Stella !
STELLA.
>>C'eſt encore ta douce voix , ta voix ai-
>>> mante !- Stella ! Stella ! - tu fais com-
ود
-
bien j'aimois à t'entendre prononcer ce
» nom. Stella !- Perſonne ne le pro-
» nonce comme toi.- Toute l'âme de l'a-
>> mour est dans le ſon de ta voix. Comme
>> il eſt encore préſent à ma mémoire , ce
» jour où je te l'entendis prononcer pour la
>>première fois , ce jour où tout mon bon-
ود heur a commencé ! »
En général , ce Volume offre de la variété ;
con le lira avec plaisir , pourvu que le
DE FRANCE. 175
८
Lecteur ne veuille pas que des Pièces Allemandes
foient faites abſolument dans le goût
François.
( Cet Article eft de M. Imbert. )
MANUALE RHETORICES , ad ufum
ftudiofa Juventutis Academica : exemplis
tum Oratoriis , tum Poeticis , latinè , è
Tullio , Quintiliano , Horatio , Virgilio ,
&c . gallicè, è Maffilione , Flexerio , Boffuetio
, Cornelio , Racinio , Bolao , Crebillione
, aliisque ex optimis Auctoribus
illuftratum. Editio tertia duplo auctior
precedenti , fub aufpiciis & nomine Univerfitatis
evulgata. Cui accedit Tractatus
gallicè du Recit. Aucthore P. T. N.
Hurtaut , Univerf. Parif. A. M. antiquo
in Regia Schola Milit. Profeff., &c. Venit
3 Lib . compactum. Parifiis apud Aucthorem
, Juventutis & convictorum inſtitutorem
, rue des Brodeurs, au-deſſus des
Incurables , & Langlois , rue du Petit-
Pont; le Boucher , quai de Gevres ; Nyon
juniorem , Pavillon des Quatre Nations ;
Colas , Place de Sorbonne , & Barrois
juniorem , rue du Hurepoix , Bibliopolas.
Laclarté , la ſimplicité , la préciſion ſont
les qualités qu'on defire le plus , & que fouvent
on rencontre le moins dans les Ouvrages
deſtinés à la jeuneſſe ; celui que nous an
Η ιν
476 MERCURE
nonçons nous a paru les poſſéder à un degré
éminent , & fe diftinguer encore par l'élégance
du ſtyle , & le choix agréable & judicieux
des exemples . Il paroît que l'Auteur ,
dont la profeſſion eſt d'enſeigner , connoît
bien le caractère des jeunes gens à qui les
Livres élémentaires cauſent la plus grande
répugnance ; il fait que pour les engager à
étudier , il eft néceſſaire de leur offrir un attrait
gradué qui les attache juſqu'à la dernière
page du Livre , en couvrant de fleurs
les épines de l'inſtruction , & c'eſt ce que
nous avons trouvé dans ſon Ouvrage. Si le
but de la rhétorique eſt de plaire , instruire
& toucher , les Ouvrages qui en traitent devroient
en offrir le premier exemple , & être
formés fur ce plan ,mais on n'y trouve pout
(l'ordinaire que des préceptes arides & monotones
, appuyés ſeulement d'exemples
latins. Dans l'Ouvrage de M. Hurtaut , la
folidité marche de pair avec la variété la plus
agréable ; s'il prend un Orateur ou un Poëte
Latin pour modèle , on trouve à les côtés
les Orateurs & les Poëtes François qui les
ont le mieux imités ; Cicéron & Quintilien ,
Horace & Virgile , ont pour pendans Boffuer,
Maffillon , Fléchier & Bourdaloue ; Corneille
, Racine , Boileau & Crébillon. Près
de 300 exemples tirés de ces illuſtres Orateurs
& Poëtes , & de quelques autres eftimés,
comme Malherbe , Brebeuf , Deshoulières
, Saint-Gelais , Greffet , &c. font l'ornement
de cet édifice , & le font conſidérer
DE 177 FRANCE.
avec plaifir , en y attachant l'eſprit & le
goût.
Le choix de ces exemples offre encore un
autre avantage; non-feulement ils ſervent
de preuve aux préceptes d'éloquence contenus
dans l'Ouvrage , mais ils orneront encore
la mémoire des jeunes gens des meilleurs
morceaux de ces excellens Auteurs , &
leur inſpireront le goût de la lecture en
même temps qu'ils formeront leur efprit.
Telle eſt l'idée que nous croyons devoir
donner du Manuel de Rhétorique de M.
Hurtaut. Nous le regardons comme également
utile aux perſonnes qui aimeroient à
ſe rappeler les principes de ce bel Art. Enfin ,
ce qui peut lui donner le ſceau qui marque
les bons Livres , l'Univerſité , après avoir
fait examiner celui-ci par de Savans Profeſſeurs
, a permis qu'il parût en Public ſous
ſes auſpices & ſous ſon nom , en faiſant à
l'Auteur le compliment qu'il méritoit , d'avoir
entrepris un Ouvrage utile aux Étudians
& aux Maîtres , ainſi qu'on peut le voir
dans l'extrait des Regiſtres de l'Univerſité ,
imprimé à la tête de ce Manuel. Nous ne
doutons pas que les Profeſſeurs d'Éloquence
ne s'empreſſent à mettre entre les mains de
leurs Élèves un Ouvrage auſſi ſupérieur à
tous les autres de ce genre. On ne peut trop
le recommander encore à ceux qui font des
études particulières de cet Art li précieux
pour la ſociété.
Ce Livre, & les autres dont M. Hurtant
Hv
178 MERCURE
eſt l'Auteur * , donnent une idée bien favorable
de fon penſionnat. Des parens ne peuvent
confier leurs enfans qu'avec beaucoup
d'afſurance à un homme qui annonce autant
de goût & d'inſtruction .
L'AVENTURIER François , ou Mémoires
de Grégoire Merveil , 2 Vol. in- 12 . A
Londres , & ſe trouve à Paris , chez
Quillau l'aîné , Libraire , rue Chriſtine ;
la Veuve Duchefne , rue S. Jacques ; &
chez les Libraires qui vendent les Nonveautés.
L'AUTEUR n'a ſans doute nommé fon
Héros Aventurier , que parce qu'il a beaucoup
d'aventures. Enlevé dès fa plus tendre
enfance , mais avec une marque gravée ſous
fon bras qui doit le faire reconnoître , il eſt
remis à une Savoyarde , qui le fait paffer pour
fon enfant. Après diverſes courſes , il demeure
quelques années chez un Curé de Village.
Là , il devient l'amant aimé de Julie ,
fille du Baron de Noirville , Seigneur du
lieu. Quelque temps après il fe trouve à
Paris dans l'infortune. Une Dame croit le
reconnoître pour ſon fils , une Demoiselle
pour fon frère. Il eſt conduit à l'hôtel , où
sout le monde le prend pour le fils de la
* Les autres Ouvrages de M. Hurtaut font : te
Dictionnaire des Mots homonymes de la langue
Françoife,& le Dictionnaire hift. de la Ville de Paris.
DE FRANCE.
179
maiſon , par l'effet d'une reſſemblance fingulière
qu'il a avec le jeune Seigneur , difparu
de la maiſon paternelle. Forcé de céder
à l'erreur générale , Grégoire Merveil va
bientôt épouſer ſa Julie. Onle conduit, pour
la célébration des noces , à une terre de la
famille qui l'adopte . On eft artaqué dans la
forêt de Sénar par des gens marqués. Le chef
de la bande ſe dépouille d'une faufle chevelure
& d'un habillement qui le déguifoit ;
&l'on voit un beau jeune homme qui refſemble
parfaitement à Grégoire , qui eſt le
vrai fils de la maiſon , & qui fait remonter
tout le monde en voiture , à la réſerve de
fon malheureux rival .
Refugié en Italie , Merveil eſt arrêté commedéferteur
, par une ſuite de la fatale refſemblance
qui occafionne pluſieurs autres
mépriſes. Il ſe trouve dans la priſon un jeune
Soldat avec lequel il eſt obligé de partager
fon lit , & qui eſt une jolie fille. Attaqué
d'une violente maladie , il tombe en léthargie
, & ſe réveille la nuit dans un cercueil
au milieu d'une Égliſe. Toujours entouré de
dangers , il y échappe toujours. Il eſt perfécuté
ſans ceffe par les diſgrâces & par les
bonnes fortunes.
De retour en France , il ſe déguiſe en
Eccléſiaſtique pour aſſiſter à la profeflion
d'une Religieuſe. Il voit celle qui va prononcer
des voeux , & reconnoît ſa Julie.
Arrête , s'écrie- t'il . Les Parens de la jeune
Profeſſe le font paſſer pour fou , & même
H vj
180 MERCURE
ont le crédit de le faire enfermer comme tel .
Il s'évade , & ſe réfugie dans un Couvent,
où , à force de ſeductions, on lui fait prendre
l'habit , & prononcer très- irrégulièrement
des voeux. Il s'échappe du Couvent ; & ,
déguisé en fille , entre comme Penſionnaire
dans celui de Julie. Il enlève ſa maîtreſſe ,
la conduit dans une maiſon qu'il croit sure ,
& ſoupe avec elle. Mais à la fin du repas ,
un vin ſopotifique, préparé par un Émiſſaire
des Moines , plonge les deux amans dans
un profond ſommeil. Grégoire s'éveille enchaîné
dans un horrible fouterrain. Il entrevoit
fur le mur ces mots terribles : pour la
vie. Dans fon déſeſpoir il ne perd pas courage.
Il frappe le mur avec ſa chaîne pour
le percer , & s'ouvrir une iſſue. Au bout de
quelques jours , il entend frapper de l'autre
côté. Les deux prifonniers creuſent vis à- vis
l'un de l'autre. Bientôt ils font une ouverture;
ils ſe reconnoiffent. C'eſt Grégoire ,
c'eſt Julie. Les deux amans ſont réunis; mais
ſous la terre , dans un cachot. Ils y trouvent
le plaifir; mais il en faut ſortir. İls croient
entendre du bruit an deſſus de leur tête , &
frappent enſemble de ce côté. Ils font une
nouvelle ouverture , & fortent de leur prifon
; ils ſe trouvent dans une carrière. A
peine ſont - ils en liberré dans Paris , que
Julie eſt mordue d'un chien enragé. Elle a
la fièvre & le tranſport , & ſe perfuade
qu'elle eſt attaquée de l'hydrophobie. On lui
ouvre les quatre veines , malgré ſon amant
DE FRANCE. 181
qu'on retient frémiſſant de rage & de douleur.
Dans le moment que ſon ſang coule ,
ſon père arrive avec le rival de Grégoire.
Julie s'évanouit ; on enlève celui qu'elle
aime , & on le force de s'embarquer ,
ignorant le fort de ſon amante.
en
Dans le fecond Volume , Merveil eſt
d'abord jeté dans une Iſle déſerte , où , nouveau
Robinſon , il paſſe quatre ans à déployer
les reſſources de ſon induſtrie. Ayant conftruit
un petit vaiſſeau , il aborde une terre
voifine , parcoure un fleuve dans ſa chaloupe
, eſt entraîné par le courant ſous une
voûte immenſe , & précipité dans une cataracte.
Repêché par un mortel ſecourable , il
ſe trouve chez une nation fouterraine. Defcription
de ce pays , d'une ville éclairée par
une lumière artificielle , des loix , des moeurs
& des préjugés religieux du peuple Gnôme.
On fait quelquefois accroire à ces gens , qui
n'ont jamais vu le ciel , qu'on leur procure
une mort paffagère , pour les tranſporter
dans une eſpèce d'Élysée qui eſt ſur la terre ,
où ils voyent le ſoleil. On juge des ſenſations
que la nouveauté du ſpectacle doit
leur faire éprouver ; enſuite on feint de les
reffufciter, & on les reconduit dans la mine ;
car c'en est une , & qui plus eft , une mine
d'or. Merveil enſeigne les Arts à ce peuple
fouterrain .
Au fortir de ce royaume ſombre , il arrive
dans une ville route ſemblable à Paris,
qu'on appelle Paris- neuf, & qui eſt la Capi
182 MERCURE
tale d'un pays nommé la France auſtrale ,
ſejour d'une Colonie Françoiſe. La Reine de
ce peuple , de même que le Sultan desTurcs ,
ne peut ſe marier. Il faut , pour avoir de la
poſtérité ,qu'elle ſe déguiſe , & que l'homme
qu'elle honore de ſes faveurs ignore qu'il a
faitune fi haute conquête. Celle qui occupe
le trône s'appelle Ninon V, & deſcend de
notre fameuſe Ninon de l'Enclos . Cetre
jeune Princeffe, depuis l'arrivée de Merveil,
porte toujours un maſque de velours , & notre
Heros ne peut voir fon viſage , qu'on dit
charmant. On lui préſente une Gouvernante
nommée Dorothée , qui doit veiller à fon
ménage , ſans demeurer chez lui. Cette jeune
perſonne, qu'on lui dit orpheline , eſt trèsjolie
, & paroît fort au deſſus de ſa condition.
Elle aime Merveil ; il eſt épris d'elle.
Elle a l'âge , la taille , la voix même de la
Reine , ce que reconnoît ſon amant , qui eft
Secrétaire de Sa Majeſté. On lui dit que ſa
Gouvernante a juſqu'aux traits de cette Princeffe.
Il ſe trouve dans un bal avec ſa Dorothée
, qui eſt habillée comme la Reine , &
que tout le monde prend pour elle. Il ne fait
que penſer. Ninon V devient groffe , &
Dorothée auffi. Elle lui dit que pendant
quelque temps elle ne pourra venir , & enfin
il obtient d'elle un aveu qui lui apprend
qu'elle eft la Reine. Mais ce ſecret leur coûseroit
la vie , ſi l'on ſavoit qu'elle l'eût révélé.
La Reine accouche d'une Princeſſe. On
s'apperçoit que Merveil en eſt le père , &
DE FRANCE. 183
1
1
۴
1
qu'il ne l'ignore pas. Crime impardonnable.
Peu de temps après il eſt arrêté aufli bien que
la Souveraine. On le condamne au fupplice.
Il s'échappe des inains des bourreaux à l'aide
deſes amis , ramaſſe quelques Soldats , défait
avec eux quelques Compagnies , augmente
fon parti par degrés , & d'efforts en efforts
ſe voit à la tête d'une armée , avec laquelle ,
par ſa valeur & par ſa ſageſſe , il remporte
des victoires& fait des conquêtes. Au milieu
de ſes exploits , il apprend que la Reine va
périr ſur l'échafaud. Il vole à Paris neuf, arrive
dans le moment où la victime va être
immolée , l'enlève , ſe rend maître de ſon
Royaume , & bientôt ſe fait couronner avec
elle. Idée de fon Gouvernement. Il parcourt
ſes États incognito. Aventures de fon voyage.
On vient lui annoncer que la Reine eſt dangereuſement
malade. Il vole à ſon ſecours ;
elle meurt dans ſes bras. Il ſe nomme Régent,
fait proclamer ſa fille Reine , rétablit
L'ancienne Conſtitution qui n'admettoit point
de Roi , fait faire un Code , & ſe diſpoſe à
partir , après avoir pourvu , autant qu'il lui
a été poffible , au bien de la nation. On lui
fait boire un verre de vin préparé par la
Reine , & il tombe dans un ſommeil léthargique.
Merveil ouvre les yeux, & ſe voit
dans une chaloupe , où il eſt enchaîné , fur
une mer agitée. Les éclairs l'éblouiffent. Il
détache ſes mains , apprend par un billet
que les Grands du Royaume lui ont joué cet
indignetour, mais que fa fille eſt confervée ſur
184 MERCURE
le trône. Il trouve le moyen de pêcher quelque
poiffon pour ſa nourriture , & boit l'eau
d'une pluie ſecourable. Il rencontre un vaifſeau
qui le recueille & le rend à ſa patrie. Il
y retrouve ſa Julie; mais elle va épowſer
ſon rival. Introduit dans la maiſon comme
Domeſtique , il ſert à table au repas des
fiançailles. Il tient un réchaud d'eſprit-devin
, & , tout occupé à contempler ſon
amante , il met le feu par diſtraction à la
perruque du père de cette belle. La flamme
ſe communique rapidement aux perruques
& aux coeffes des convives , fait partir un
feu d'artifice , & cauſe le plus grand déſordre.
Merveil eſt reconnu pour l'Auteur du dommage.
Noirville ordonne qu'on le dépouille
& qu'on le déchire à coups de verges. Il
élève les bras au ciel. Un vieux Domeftique
apperçoit ſous ſon aiſſelle les armes & le
nom de la famille. Il s'écrie : arrêtez . C'eſt
Louis , Marquis d'Erbeuil , le vrai propriétaire
de cette maiſon. Il dévoile que Noirville
avoit dérobé cet héritier , qui eſt ſon
neveu , comme il avoit enlevé précédemment
le frère jumeau de Merveil , qui ſe
trouve être ſon rival ( ce qui rend plaufible
cette extrême reſſemblance ); que ſa mère
lui avoit fait graver ſous le bras ſes armes
&fon nom pour le faire reconnoître. Enfin
il eſt rétabli dans ſes biens , & il épouſe ſa
Julie.
Voilà l'abrégé de ce Roman , dont nous
n'avons pu indiquer toutes les aventures.
DE FRANCE. 185
Elles ſe ſuccèdent rapidement ; quelquefois
intéreſſantes , plus ſouvent gaîes. Cette lecture
eft agréable & nous penfons qu'on peut
regarder ce Livre comme un des premiers
parmi ceux dont le but principal eſt d'amu
fer. On y trouve auſſi des idées ſérieuſes &
philoſophiques. Si le premier Livre eſt plus
fait pour les Lecteurs de Romans , le ſecond
mérite plus d'être lû par les Gens de Lettres.
SPECTACLE S.
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi 8 Octobre , on a donné , pour
la première fois , Tibère , Parodie en deux
Actes & en proſe, mêlée de Vaudevilles ,
par M. Radet.
Encore une Parodie ! Il eſt vraiſemblable
que ce ne ſera pas la dernière. Les Gens de
goût s'éleveront long-temps en vain contre
ce genre non- ſeulement inutile , mais fait ,
peut - être , pour porter le découragement
dans quelques eſprits timides , & pour chagriner
des Auteurs recommandables par
leurs talens . Dans la carrière Littéraire ,
comme dans toutes les autres , les François
adoptent avec autant d'enthouſiaſme que de
légèreté les idées qu'on a l'adreſſe de leur
faire aimer ; ils s'y attachent par habitude ,
186 MERCURE
:
&y perfiftent par opiniâtreté. Le bon La
Fontaine a dit :
Patience & longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Prenons donc patience , & tâchons ſeulement
, à chaque Parodic que nous verrons
éclore , de remettre ſous les yeux des jeunes
Écrivains quelques unes des raiſons qui
rendent ce genre mépriſable. Premièrement,
on peut affurer que rien n'eſt plus facile que
de traveſtir en perſonnages bouffons desperſonnages
tragiques , même en conſervant
leurs noms ; & qu'ilfuffit pour cela decharger
leur coftume, leur démarche&leur maintien
d'une caricature digne de la parade.Quant aux
idées , aux motifs , au ſtyle de la Tragédie ,
on fent auſſi qu'il eſt très aiſe,avec quelques
légers changemens, de leur prêter les apparences
du bas comique ; & que plus un Ouvrage
tragique ſera ſubliine ou intéreſſant ,
plus ilfera poffible d'en rendre les données, les
caractères & les ſituations ridicules , par la
raiſon que les extrêmes ſe touchent. Cet
adage eft devenu trivial , mais il est vrai.On
doit convenir encore que dans les Tragédies
qui approchent le plus de la perfection, on
rencontre preſque toujours des défauts palpables
, des erreurs qui frappent les yeux de
tout le monde; &qu'ily a un bienpetit mérite
à rendre une Parodie plaiſante , de temps en
temps , par des traits critiques que tous les
Spectateurs ont devinés d'avance. Une ParoDE
FRANCE. 187
die réellement utile ſeroit celle qui , en retraçant
l'intrigue , l'action , le plan , les caractères
, les ruations , & quelquefois le ſtyle
d'une Tragedie , n'en critiqueroit les vices
qu'en les faiſant difparoître. Cette manière
de parodier demanderoit un homme de goût,
très- inftruit , doué de beaucoup de force
comique; &fi cet homme exiſte , il ne perdra
point des inſtans précieux ; il ſera trop
jaloux de ſa gloire pour la compromettre en
faiſant des Parodies. Le meilleur Ouvrage de
ce genre que nous connoiffions eſt , ſans
contredit , Agnès de Chaillot : néanmoins ,
qu'il eſt loin de ce point d'utilité que nous
venons d'indiquer ! Comme après avoir excité
le rire des Spectateurs par la fingularité
des traveſtiſſemens qui font tout fon mérite
, il laiſſe l'homme delicat en proie au
chagrin d'avoir ri aux dépens des vertus &
des ſentimens dont l'humanité s'honore le
plus ! La moindre fituation d'Inès de Caſtro
parleplus à l'âme, échauffe plus le coeur d'un
Spectateur ſenſible , que tous les farcafmes
du Parodiſte , toutes ses bouffonneries &
toutes ſes épigrammes ne plaiſent à l'eſprit
le plus enclin à la malignité. Si l'on peut
s'expliquer ainſi ſur Agnès deChaillot, comment
s'expliquera-t-on ſur les autres Parodies.
Celle de Tibère eſt froide & triſte. Il eſt
vrai que la Tragédie qui y a donné lieu
offroit peu de reſſources ,& ne pouvoit faire
naître qu'un très- petit nombre de plaiſante-
(
188 MERCURE
ries faillantes : mais ce qu'on peut reprocher
à l'Auteur , c'eſt d'avoir été ſouvent dur dans
ſes critiques ; d'avoir fait uſage d'une foule
de rebus , de proverbes & de propos rebattus
, que la bonne compagnie & les bons
Écrivains ont banni de la converſation &des
Ouvrages. Le choix des Vaudevilles eſt ſouvent
heureux. Les refrains produiſent quelquefois
des épigrammes piquantes. Le dialogue
eſt généralement vrai , plaiſant de
temps en temps , & coupé avec beaucoup de
facilité. Le dénouement , qui ne reſſemble
en rien à celui de la Tragédie , eſt écrit avec
quelque grâce; on y remarque des idées fraiches
& galantes. Tout cela peut faire préſumer
que M. Radet, en quittant un genre
que tout proſcrit , en travaillant avec ſoin
des ſujets comiques , méritera des encouragemens.
Nous l'y invitons,tant pour l'amour
de l'Art que pour l'intérêt de ſon talent.
N. B. Un Anonyme nous a fait paſſer
une Lettre , par laquelle on nous dénonce
unPlagiat qui couvriroit de ridicule l'homme
d'eſprit qu'on en accuſe , s'il en étoit réellement
coupable. Nous déclarons à l'Anenyme
que nous ne pouvons répondre à ſes
deſirs que dans le cas où il ſe fera connoître,
&nous permettra de le nommer publiquement.
1
DE FRANCE 189
1
1
3
GRAVURES.
LE Sicur Demanne , Graveur, rue de l'Ortie, vis-àvis
les Galeries du Louvre , avertit qu'il continue
toujours de vendre le Recueil de Cartes Géographiques
de feu M. d'Anville . Tout le monde connoît
le mérite rare de ce ſavant Géographe.
Effais historiques & politiques ſur la révolution
de l'Amérique Septentrionale , par M. Hilliard
d'Auberteuil , ſeconde & dernière Livraiſon des
Cartes & Gravures. Cette dernière Livraiſon eſt
compoſée , ſavoir, de deux Cartes , dont l'une eſt
la Carte générale de l'Amérique Septentrionale depuis
la Baie d'Hudſon juſqu'au Miffiffipi ; l'autre ,
la Carte de la route des lacs depuis Montréal &
Saint- Jean juſqu'à la Baie d'Hudſon. Le prix de la
première enluminée eſt de 4 liv. 10 ſols , celui de la
ſeconde de 1 livre 16 fols.
Quatre Estampes majeures ; la première est
l'Eloge funèbre du Docteur Warren ; dans la ſeconde
Gravure la garniſon de Québec enlève le corps de
Montgommery pour lui rendre les honneurs funèraires
; la troiſième repréſente l'incendie de New-
Yorck ; elle est d'un très-bel effet , & les Artiſtes y
ont donné un ſoin particulier ; dans la quatrième eſt
repréſentée avec force & vérité la mort de Molly ,
bleffée involontairement par Seymours, ſon amant,
le jour de fon mariage. Tous ces ſujets hiſtoriques ,
compoſés & deſſinés par M. Lebarbier , Peintre du
Roi , ont été gravés par MM. Halbou , Patas &
Ponce. Trois Portraits. Celui de J. Hancock , Préfident
du Congrès; ceux de S. E. Benjamin Franklin
& de Williams Pitt. Le Portrait de M. Franklin eſt
d'une grande expreſſion. Le prix de chaque Eſtampe
1,90
:
MERCURE
eſt de 3 livres , & celui de chaque Portrait de 2 liv.
Quoique l'Ouvrage foit fini , les prix font toujours
de 42 liv. pour l'in-4°. broché , & de 21 liv. pour
l'in-8 ° . aufli broché , avec les Cartes & Gravures.
Mais pour la commodité des Perſonnes qui ne voudront
pas faire la dépenſe de 21 livres , pour l'in- 8 ° . ,
on le leur donnera au prix modéré de 12 livres ſans
qu'elles foient obligées de prendre les Gravures &
les Cartes.
MM. les Souſcripteurs qui n'ont pas la quatrième
Partie, ou ceux qui n'ont que la première , font
priés de les faire retirer en renvoyant leur quittance ,
ainſi que la dernière Livraiſon des Cartes & Gravures
, afin d'éviter les inconvéniens qui ſont déjà
arrivés par l'inexactitude & la curioſité des Portiers
& des Domeſtiques.
On s'adreſſera toujours chez M. Hilliard d'Auberteuil,
rue des Bons-Enfans , la première porte-cochère
à droite en entrant par la rue S. Honoré.
Le Duc de Crillon peint& gravé parM. Legrand,
à la manière rouge Angloiſe. A Paris , chez
l'Auteur , rue S. Jacques vis-à-vis celle des Mathurins
, nº . 41 ,Prix, 1 liv. 4 ſols .
ANNONCES LITTÉRAIRES.
NOUVEAU OUVEAU Théâtre Allemand, ou Recueil des
Pièces qui ont paru avec ſuccès fur les Théâtres des
Capitales de l'Allemagne , par M. Friedel , Profeſſeur
des Pages du Roi en ſurvivance, Volume IV& dernier
de la première année , contenant Agnès Bernau, Tragédie
en cinq Actes; le Ministre d'Etat, Drame en cinq
Actes ; l'Homme à la Minute , Comédie en un Acte.
AParis , chez l'Auteur , au Cabinet de Littérature
Allemande , rue S, Honoré, au coin de la rue de
DE FRANCE.
191
Richelieu; la Veuve Ducheſne , Libraire , rue Saint
Jacques ; Couturier fils & Brunet , Libraires ; & à
Verſailles , chez Blaizot , Libraire. Le prix des premiers
quatre Volumes eſt à préſent de 18 liv. port
franc par la poſte. On pourra les acquérir au prix de
la ſouſcription ; ſavoir , de 12 liv. pour Paris , ou
de 14 livres 8 fols pour la Province , en payant
d'avance la ſouſcription pour les quatre Volumes de..
la ſeconde année. Pour recevoir les Volumes en Province
, francs de port par la poſte, on ne peut s'adreſſer
qu'à l'Auteur. Il faut affranchir la lettre de
demande & le port de l'argent.
Hiftoire Univerſelle depuis le commencement du
Mondejusqu'à préſent , compoſée en Anglois par
une Société de Gens de Lettres , nouvellement tra
duite en François par une Société de Gens de Lettres
, enrichie de Figures & de Cartes. - Histoire
Moderne , Tome VI, contenant la fuite de l'Hif
toire des Turcs , & des Empires qu'ils ont fondés
dans la Tartarie & dans l'Afie-Mineure , & celle
des Tartares ſous Genghiz - Khan. A Paris , chez
Moutard , Imprimeur- Libraire , rue des Mathurins ,
hôtel de Cluny.
Solution des trois fameux Problemes de Géométrie
, par M. Papion de Tours. A Paris , de l'Imprimerie
de L. Cellot , gendre & fucceſſeur de Jombert,
rue des grands Auguftins , la troiſième porte- cochère
à gauche par le quai , ci-devant rue Dauphine
, 1782 , petit in- 8 ° . de 34 pages .
Choix des plus belles Fables qui ont paru en Allemagne,
imitées en vers françois , par M. Binninger ,
Gouverneur d'une jeune nobleſſe à Carlsruhe. A
Kehl , 1782 .
La Discipline Militaire du Nord , Drame en
quatre Actes , en vers libres , par M. Moline , re192
MERGURE
préſenté pour la première fois ſur le Théâtre des
Tuileries, par MM. les Comédiens François ordinaires
du Roi , le 12 Novembre 1781. Prix , I livre
16 fols. A Paris , chez J. F. R. Baſtien , Libraire ,
rue du Petit Lion , Fauxbourg S. Germain , près du
Théâtre François.
La Constance couronnée, Paftorale en un Ate ,
par M. le Comte de Boisboiſſel. Prix , 12 fols. A
Paris , chez les Marchands de Nouveautés , au vieux
Louvre , au Palais Royal , au quai de Gêvres , &c .
:
Discoursprononcé à la Séance publique de l'Académiedes
Sciences & Belles-Lettres d'Amiens , le
25 Août 1782 , par M. d'Agay , Intendant de la
Province , fur les avantages de la Navigation intérieure
, in - 4° . A Amiens , chez Caron fils , Imprimeur
du Roi.
TABLE.
VERS à M. le Chevalier de Enigme & Logogryphe , 156
Parni 145 Noureau Théâtre Allemand ,
AMlle de Gaudin , 146 158
L'Ane , la Rofe & le
don , Fable ,
Char- Manuale Rhetorices,
147 L'Acenturier François ,
275
178
regard ,
Couplet chanté àMdede Bau- Comedie Italienne , 185
Lettre au Rédacteur du Mer- Annonces Littéraires , 190
149 Gravures , 1891
cure,
ib
APPROBATION.
J'AI lu, par ordre de Mgr le Garde des Sceaux, le
Mercure de France, pour le Samedi 26 Octobre. Je n'y ai
rien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſion. AParis,
le 25 Octobre 1781. GUIDI.
*
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES .
1
RUSSI E.
De PÉTERSBOURG , le 20 Septembre.
LE bruit court depuis quelques jours , que
des ordres ſupérieurs ont ſuſpendu la marche
des corps de troupes qui étoient déjà
en route , & le départ de ceux qui devoient
les ſuivre. On dit qu'il en a été donné de
pareils au détachement d'artillerie qui devoit
partir de cette Capitale avec un train
de 64 pièces de gros canons ; mais on ne
ditpoint les raiſons de ce changement.
On apprend que l'eſcadre da contre-
Amiral Kruſe qui , ſuivant ſa première deftination
, ne devoit croiſer que dans la mer
du Nord , a reçu ordre de faire voile pour
la Méditerranée ; celle du Vice - Ami al
Tſchitſchargoff a ordre de la joindre. On¹
prétend que ces deux eſcadres , qui forment
enſemble 10 vaiſſeaux de ligne & quelques
frégates , feront renforcées au printems pro-
26 Octobre 1782.
g
( 146 )
chain de 8 ou 10 autres vaiſſeaux , que l'on
conſtruit actuellement à Cronſtadt.
On vient de publier un Oukaſe , que
l'Impératrice a ſigné , le jour même de l'inauguration
de la ftatue de Pierre-le- Grand ;
S. M. I. a voulu terminer cette fête en
l'honneur du fondateur de la Ruffie , par des
actes de bienfaiſance. Cet Oukafe contient
les 9 articles ſuivans.
,
» S. M. I. fait grace àtous les criminels condamnés
à mort , & ordonne qu'au lieu d'être exécu
tés , ils ſoient employés aux travaux publics ; quant
àceux qui devoient ſubir des peines corporelles ils
feront tranſportés dans les Colonies. 2°. Toutes les
recherches ſur les affaires concernant la Couronne
feront entièrement miſes au néant ,& ceux qui ſevent
détenus pour des cas de ce genre ſeront mis en liberté.
3º. S. M. I. accorde une remiſe générale de ſes
droits aux héritiers des perſonnes mortes avec des
dettes envers la Couronne , & contre lesquels il
a été procédé juſqu'ici . 4°. Tous les prifonniers
pour detres quelconques , détenus depuis plus de
cinq ans , & reconnus inſolvables ſeront élargis .
5. Un pardon général eſt accordé à tous militaires
qui avant ce Manifeſte ont quitté leurs Corps , ainſi
qu'a tous payfans ou habitans quelconques qui ont
abandonné leurs habitations , & qui reviendront
dans l'eſpace d'une année à compter du jour de la
publication du préſent Manifeſte , & de deux années
pour ceux qui reviendront des pays étrangers. En
les recevant , on ſe conformera aux Manifeſtes de
S. M. I. dus Mai 1779 & 27 Avril 1780. 6°. S. M,
remer toute dette envers la Couronne qui n'excèdera
pas soo roubles,, &défend de faire aucune recherche
a ce ſujer. 7°. Tous priſonniers détenus pour
cauſe de commerce illicite ou contrebande feront
( 147 )
relâchés , & les pourſuites faites contr'eux entièrement
abandonnées. 8°. La permiffion de revenir
dans leurs demeures eſt accordée à tous les galériens
, excepté à ceux qui ont commis des meurtres
on qui ont déja été flétris . 9º. Pardon général à tous
ceuxqui ont manqué ou ſe ſont rendus coupables de
quelquenégligence dans leurs emplois ,pourvu que les
fautes ne ſoient pas reconnues avoir été faites de
propos délibéré.-S. M. I. ſouhaite que ces diverſes
graces ramènent les coupables à un repentir fincère ,
àune meilleure conduite , & à la foumiſſion aux
loix divines & humaines ; & que tous réuniſſent
leurs voeux pour le repos de l'ame du grand Monarque
, à la mémoire duquel ces marques de clémence
ont été accordées «.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 26 Septembre.
Le Roi vient de nommer Miniſtre d'Etat
le Baron Gerhard de Rofencrone.
On a appris par les Patrons de pluſieurs
navires arrivés de Bergen en Norwège , que
le Capitaine Gennip , avec 3 vailleaux de
ligne , une frégate , un cutter , & les 3
vaiſſeaux de la Compagnie Hollandoiſe des
Indes Orientales , qui s'étoient arrêtés pendant
quelque tems à Drontheim , font actuellement
àKarſand , à 10 milles de Bergen ,
où ils atrendoient le moment de remettre à
la voile pour ſe rendre à leur deſtination
en Hollande.
» Le printem & l'été , écrit on d'Iſlande , ont éré
très-froids , ce qui fait que l'herbe n'a pas pu ponders
Les beſtiaux manquent de fourrages , & les vaches
1
۱
g2
( 148 )
donnent ſi peu de lait qu'il ne ſuffit pas même pour
Jes beſoins des habitans . Depuis le commencement
de Mars juſqu'au milieu de Juillet , toutes les baies
étoient remplies de glaçons , de forte qu'on ne pouvoit
rien faire à la péche. Pluſieurs bases en ſont
actuellement débarraffées , & on a été affez henreux
pour y faire la pêche avec ſuccès & pour trouver
pluſieurs baleines mortes. On n'a pris que trèspeu
d'oiseaux de mer près de Drangeë & deGrimſoë,
-On commence à conftruire ici des moulins à
eau pour y moudre le bled , & à établir auffi des
métiers de T.fferands , tels qu'on en voit en Danemarck.-
Dans l'année 1781 , il y a eu dans l'Evêché
de Helum 63 mariages , 288 naiſſances , dont 143
garçons & 145 filles; ily eſt mort 375 perfonnes ,
dont 131 hommes & 194 femmes. Il y avoit dans
ce nombre 8 perſonnes qui avoient vécu depuis
70 juſqu'à 100 ans cc.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 2 Octobre;
On attend ici à chaque inſtant l'arrivée
du Comte & de la Comteſſe du Nord; le
Comte de Braun eſt parti ces jours derniers
pour Braunau , où il a été recevoir , au nom
de S. M. , ces illuftres Voyageurs , & les
conduire dans cette Capitale. Ce matin ,
l'Empereur est allé au-devant d'eux.
On affure que S. M. I. ſe rendra dans peu
à Prague; on dit même qu'on a déjà donné
ordre de tenir prêts 32 chevaux pour fon
ſervice aux poſtes , & 122 pour celui du
Comte & de la Comteſſe du Nerd , qui ,
( 149 )
en retournant en Ruffie , paſſeront par Vare
fovie.
Des lettres de Trieſte portent , que dans
le courant du mois d'Août , il eſt entré dans
ce pott 83 bâtimens de diverſes Nations.
On écrit de Zeng , dans la Dalmatie , que
depuis que ce port a été déclaré libre , le
commerce commence à y fleurir. La poſition
de ce port eſt ſi avantageuſe , qu'il deviendra
un jour un des plus conſidérables
qu'ait la Maiſon d'Autriche ſur la mer
Adriatique.
Selon des lettres de Veniſe , la République
eſt déterminée à faire deſſécher les
marais aux environs de Vérone , à la circonférence
de so milles ; elle a , ajoure-t-on
affigné pour cet objet , une ſomme de 50,000
ducats.
On dit aujourd'hui quetoutes les Maiſons
des Religieux Mendians, feront ſupprimées
dans les Etats Héréditaires de la Maiſon
d'Autriche ; le bruit ſe répand auſſi , qu'il
a été défendu à toutes les Caiſſes publiques
qui ont des fonds appartenans à des Couvens
, de les leur délivrer lorſqu'ils les
redemanderont.
Un Seigneur Hongrois vient de trouver
un nouveau moyen de filer l'amiante , &
d'en faire des toiles incombustibles ; il a
eu l'honneur de préſenter ſon travail à
l'Empereur.
83
(150 )
De HAMBOURG , les Octobre .
SELON les lettres de Pologne , la révolte
de la Crimée continue de faire des progrès ;
mais les détails qu'elles en donnent font
encore très- incertains.
>>Les Tartares , diſent- elles , ont déja commis
plufieurs brigandages ſur les frontières de la Ruſſie;
ils ont attaqué & repouffé avec peste 4 régimens de
cavalerie qui ſe diſpoſoient à pénétrer dans la Péninfule;
cet avantage, qui eſt peut- être douteux , n'eſt
pas d'unegrande conféquence s'il eſt réel , parce que
ces régimens vont bientôt être appuyés par d'autres.
Onprétendque les rebelles ne ſe conduiſent pas avec
la prudence dont ils auroient beſoin pour ſe faire
appuyer. Ils ont eu , dit-on , la maladreſſe d'éloigner
un Officier Pruſſien qui conduiſoit une remonte de
300 chevaux , & le Général- Major Autrichien de
Caraller a manqué de tomber dans leurs mains. Le
nouveau Kan Selim Gueray ne ſe conduit , dit-on ,
pas mieux que ſes Tartares; il s'eſt fait à la vérité un
puiflant parti , en remettant ſur l'ancien pied le Gouvernement
de la Péniaſale , & en détruiſant toutes
les innovations de Sahim Gueray. Mais il ne ménage
aucune des Puiſſances dont il lui feroit important
de ſe concilier l'intérêt ou le voes du moins fecret.
Onprétend qu'il n'a pas agi avec plus de circonfpection
vis-à-vis de la Porte , & qu'oubliant combien
les ſecours lui ſont néceſſaires pour ſe foutenir , il
ces a ſollicités d'un ton propre à les lui faire refuſer ,
ſi la Porte pouvoit être maitreſſe de reſter ſimple
ſpectatrice des efforts que fera vraiſemblablement
la Ruffie pour rétablir le Kan Sahim Gueray «.
Le parti que prendra l'Empire Ottoman ,
fixe toujours la curiofité générale. En atten
( 1st )
dant , l'Empereur prend , dit-on , des mes
fures pour protéger ſes frontières ; 3 régimens
ont , à ce qu'on prétend , reçu ordre
de ſe rendre dans la Tranſylvanie ; & un
corps de croates eſt toujours pofté ſur le
territoire de la Porte , depuis la dernière
affaire qui a eu lieu avec les Turcs. On
ajoute qu'il a été donné ordre de tranſporter
des munitions de guerre à Gradiſca . :
On mande de Caffel , que le Ministère
Britannique a fait demander à cette Cour
10,000 hommes ſous la condition de leur
payer la moitié de leur ſolde auſſi long- tems
qu'ils feroient à ſon ſervice ; mais la Cour de
Caffel a répondu qu'elle ne pourroit accorder
les hommes , à moins qu'on ne leur payât
leur folde en entier. Cette réponſe a été
envoyée à Londres , & en attendant la détermination
du Ministère Anglois , on a
augmenté de 7 hommes chaque eſcadron de
régimens de cavalerie , & chaque régiment
de huſſards d'un eſcadron,
On lit dans les nouvelles Hebdomadaires
de M. Buſching , l'état ſuivant de la population
de la Finlande Suédoiſe.
La Finlande Suédoiſe eſt compoſée de 6 Fiefs ou
Capitaineries , dont voici les noms & la population :
1 ° . Le Fiefd'Abo 159,833 perſonnes.
2°. Le Fief de Wala .
• 89,000
3 ° . Le Fief d'Uleoborg 66,664
4°. Le Fief de Tavaſtehus 131,889
5°. Le Fief d'Heinola 81,212
6° . Le Fief de Kuopio • 94.866
Total. 623,464 .
84
( 152 )
ITALIE.
De NAPLES , le Is Septembre.
L'AUDIENCE , que le Roi , aſſis ſur ſon
Trône & entouré de toute ſaCour, a donnée
à l'Envoyé de Maroc a été très- brillante.
Le Diſcours que le Miniſtre Maure prononça
étoit conçu ainſi.
>> Remercions le Dien unique : rien ne ſe fait dans
le monde ſans la volonté de ce Dieu , élevé au-deffus
de tout. - Du ſerviteur de Dieu , Mahomet , fils
d'Abila , un ferviteut du Seigneur , qui le fera toujours
de S. M. Napolitaine , le ſouverain des Deux-
Siciles , Ferdinand IV, ſera le porteur de notre ſalut.
- Nous avons envoyé chez vous , en qualité de
Miniftre , le docte , honnête , fidèle & noble Mahomet
, fils d'Ottoman , pour affermir la paix &la
concorde avec V. M. telles que toutes deux fubfiltoient
déja avec le père de V. M. le Roi Charles III ,
notre ami : tout ce que vous conclurez avec lai je le
confirmerai & le ratifierai ; & tout ce qu'il fera , eſt
ſuivant notre volonté & bon plaifir , ſans qu'il en
reſte aucun doute , puiſqu'à cet effet nous l'avons
chargé d'un plein-pouvoir abſolu. - Mon amitié
pour V. M. & fon père ſe manifeſtera aſſez par-là ;
je veux tellement unir mon Empire avec le vôtre ,
que mes Sujers puiſſent aller dans vos Etats avec
la même facilité que les vôtres dans les miens ,
où ils ſeront reçus & traités comme les miens le
ferent chez vous ; & tout ce que V. M. deſire de
tous mes Etats elle peut l'indiquer à mon Ambalfadeur
, qui lui accordera tout avec la grace de
Dieu & en paix «.
On mande de Rome que S. S. a fixé au
23 de ce mois la tenue d'un Confiftoire
(153 )
ſecret pour les Egliſes vacantes , tant endeçà
qu'au-delà des Monts. Il n'est pas encore
queſtionde celui où elle rendra compte
de ſon voyage à Vienne.
S. S. , ajoutent les mêmes lettres , attentive au
foulagement de ſon peuple a ordonné qu'à compter
du 23 de ce mois les 46 Boulangers de Rome qui
reçoivent les grains de l'Annone à un prix au-deſſous
de leur valeur ordinaire , feront obligés d'étaler &
de vendre au poids fixé & continuellement le pain
ordinaire à ceux qui ſe préſenteront. Le Préfet de
l'Annone eft ſpécialement chargé de veiller à ce que
cette fourniture ſoit faite conformément aux intentions
de S. S. quant aux autres Boulangers au nombre
de 29 qui font du pain recherché & qui achettent
leurs grains ailleurs que dans les magaſins de l'Annone
, ils pourront le vendre au prix & de la forme
qu'ils voudront ; cependant ils ſeront foumis à l'infpectiongénérale
pour la qualité & falubrité de leur
marchandise.
Onvoitdans cet Edit la lageffe qui
veille ſpécialement à la ſubſiſtance du pauvre. S. S.
ena rendu un ſecond par lequel elle exempte de l'impoition
de 4 paules , chaque pauvre ménage qui
ferahors d'état de payer cette taxe pour le balayage
des rues. Les indigens remettront à cet égard leur
fapplique as Préſident des rues qui prononcera
l'exemption en connoiſſance de cauſe".
ANGLETERRE.
De LONDRES , le Is Octobre.
QUOIQUE les nouvelles de l'Amérique
Septentrionale nous manquent encore , nos
papiers ne laiffent pas de préſenter quantité
de détails ſur ce qui s'y paffe. Les uns font
tirés de quelques papiers Américains appor
85
( 154 )
tés par des bâtimens arrivés dans différens
ports ; & les autres de divers rapports au
moins douteux. Selon ces derniers , le Général
Carleton eſt ſorti de New- Yorck avec
toutes les troupes réglées qu'il a ſous ſes
ordres , pour aller attaquer l'armée combinée
des François &des Américains ; & quoiqu'il
ait affaire à des forces bien ſupérieures aux
ſiennes , il ſe promet d'en rendre bon
compte; c'eſt toujours bien fait de l'eſpérer ;
mais on ne croit pas tout- à-fait de même
ici , & on eft perfuadé qu'il ne cherche pas
à expoſer ainſi les affaires de ſa patrie au
fort d'un combat , dont la perte auroit les
plusgrandes conféquences.Cesmouvemens ,
ſoit qu'il les faſſe réellement, ou qu'on ſe
contentede les ſuppoſer , paroiffent appuyer
auprès de bien des perſonnes , les doutes
qu'elles ont eflayéde répandre fur l'authenricitéde
la lettre que ce Général & le contre-
Amiral Digby , ont écrite au Général Washington
; mais ces doutes s'évanouiffent , en
jettant les yeux ſur l'adreſſe ſuivante des
Loyaliſtes de New-Yorck , à l'occafion de
cette lettre, &des propofitions de paix faites
au Congrès , en reconnoiſſant l'indépendance
des Etats-Unis.
>>>Les loyaux habitans & réfugiés dans les lignes
Britanniques àNew-Yorck , remercient VV. EE. de
la communication obligeante quelles leur ont faite
du contenu de la lettre adreſſée au Général Washington
, relativement à la négociation entamée
par les agens des Puiſſances Belligérantes , afſem
( 155 )
blées à Paris , & à la propoſition que S. M. a fait
faire de l'indépendance des 13 Provinces de l'Amérique,
en forme de préliminaire , au lieu d'en
faire une condition du traité général. Il nous eft
également impoſſible d'exprimer la conſternation
dont nous ſommes frappés , dans la probabilité de
voir réaliſer un évènement auſſi malheureux que
celui dont il s'agit dans la propoſition , & de dif
fimuler notre ſenſibilité ſur un point auth important
dans ſes conféquences pour l'Em ire Britannique
, & en particulier pour notre paix , notre ſécurité
& notre félicité avenir. Pour conſerver en
entier les domaines Britanniques & prower notre
affection fincère & déſintéreſſée pour M. nous
n'héfitons pas de hafarder nos vies & nos fortunes
; nous comptons avec confiance ſur les aſlurances
que S. M. nous a données plus d'une fois,
fur la justice , la magnanimité , & la foi du Parlement
; on ne nous abandonnera pas dans une caufe
fi juſte & dans des détreſſes auſſi grandes & aufii
accablantes. Nous reconnoiſſons avec la gratitude
la plus fincère , la bonté paternelle & l'attention
que S. M. a données aux ſouffrances de ſes loyaux
ſujets en Amérique , & la protection qu'elle leur a
accordée juſqu'à préſent. Nous regretions que les
efforts nobles d'une magnanime & brave Nation
pour rappeller les colonies à des liaiſons convenables
avec la mère patrie , aient échoué ; quoique
leer mauvais ſuccès n'ait pas été l'effet d'aucune
impoffibilité réelle attachée à la guerre. Nous
prenons la liberté d'aſſurer VV. EE . que nous avons
routes les raiſons poſſibles de croire qu'il exiſte
dans toutes les Provinces une majorité du peuple ,
qui defire ardemment d'être encore réunie ſous
Pautorité & le gouvernement de S. M. , & que vu
un affemblage de circonstances réſultantes de diverſes
détreſſes publiques , l'eſprit de réunion opère
aujourd'hui dans pluſieurs quartiers , pour faire
g 6
maître des mesures qui prodaiſent les conféquences
les plus favorables aux intérêts de S. M. Avec une
perfective auffi flatteuſe , dans un moment où par
L'aſiſtance di Tour-Piſſant la Cupériorité navale
de S. M. , a été glorieuſement maintenue ou regagnée,
lorſque ſes armes victorieuſes dans l'Orient
ont obtenu les plus brillans avantages ; lorſque au
lieu des ſymptômes de foibleſſe réelle, le commerce
national , les reſſou ces & les forces femblent
croître & s'élever au-delà de celles de nos
ennemis combinés , nous avions conclu avec plaifir
que l'indépendance de ces Provinces auroit encore,
été regardée comme inadmiſſible , parce qu'elle eſt
nuiſible à La ſûreté , & incompatible avec la gloire
&la dignité de tout l'Empire Britannique ; l'heure
de la victoire & du ſuccès feroit probablement
la plus convenable pour traiter de la paix , mais
nullement , ſuivant notre humble manière de
concevoir , pour démember un Empire. Nous
ne préſumons cependant pas de critiquer la
fageffe des Conſeils de S. M. , ni de juger de la
grande néceſſité politique qui peut juftifier cette
meſure; c'eſt à la vertu, à la ſageſſe & la prudence
de S. M. , de ſon Parlement & de la Nation en
général , que nous devons ſoumettre cette grande
&importante queſtion. Mais ſi le grand évènement.
de l'indépendance des treize Colonies eſt déterminé ,
fnos devons ainſi être accablés du malheur inexprimable
de nous voir pour toujours privés de la
protection & du gouvernement de S. M. , alors il
ne nous reſte plus qu'à ſupplier VV. EE. d'intercéder
auprès de S. M. , d'y employer toutes les confidérations
d'humanité , pour aſſurer , s'il eſt poſſible,
plus ſolidement que ne le feroient les pures formes
d'an traité , nos perſonnes & notre propriété ,
afin que ceux qui ne pourroient reſter ici en sûreté ,
puiſſent avoir la faculté de ſe retirer ailleurs . Tels
font les ſentimens que ,de l'abondance de noscoeurs,
( 157 )
nous nous ſentons contraints d'exprimer dans ce
moment allarmant ; eſpérant néanmoins , que , peutêtre
il en eſt encore tems , VV. EE. voudront bien
repréſenter à S. M. , en l'aſſurant de notre loyauté
& de notre foamiſſion, les détreſſes de notre ſtuation,
notre confiance dans ſa bienveillance , ſa protection
& ſa justice, pour nous ſauver de la ruine
&du déſeſpoir auxquels nous ne pouvons manquer
de ſuccomber. Comme témoins de nos détreffes &
ſympatiſant généreuſement à nos infortunes VV.
EE. , nous nous en flattons , feront nos Avocats
zélés devant le Trône ; dans cette perfuafion , nous
tâcherons en méme-tems par une conduite & une
loyauté conftantes de ſoutenir les intérêts de S. M.
pour maintenir labonne opinion de VV. EE. & atten
dre patiemment les évènemens «.
On ne trouve pas dans cette requête
cet eſprit & cette fierté , qui ſelon nos papiers
, animoient les loyaliſtes , & les avoient
déterminés à reſter réunis en corps , & à ſe
conſerver eux-mêmes indépendans du Congrès.
Ces diſpoſitions auroient été au moins
fingulières ſi elles avoient exiſté réelle.
ment , par ce qu'il étoit impoſſible qu'elles
ſe maintinſſent dans une poignéed'hommes ;
on voit au contraire qu'ils fentent leur
impuiſſance lorſqu'ils ne feront plus foutenus
& qu'ils follicitent de n'être pas oubliés
dans le traité qui fera fait.
Maintenant nous attendons avec impatience
des nouvelles qui fixent nos inquiétudes
ſur les opérations des François
dans les parages où ils ſe ſont montrés ;
l'on fait qu'ils ont relâché à Boſton cù
l'on ſuppoſe ici qu'ils ſe réparent , & où
( 158 )
د
an-
Il eſt vraiſemblable plutôt qu'ils préparent
quelque expédition. On fait que Terre-
Neuve eſt menacée. Les dépêches reçues du
General Haldimand de Québec
noncent qu'ils n'avoient encore rien tenté ;
mais ſes lettres font du 22 Août , & depuis
cette époque , il eſt poffible qu'il ſe
foit paffé quelque choſe ; pour nous raffurer
on nous apprend que l'Amiral Campbell
eſt arrivé à Terre Neuve , mais il n'y
aconduit qu'un ſeul vaiſſeau de so canons ,
le Portland ; & on ſait que trois ou quatre
vaiſſeaux de ligne & 1000 homines de
troupes de débarquement , ſuffiroient pour
s'emparer de St-Jean. Le bruit a même
couru que cette expédition eſt déja faite ,
tandis que d'autres forces s'étoient rendues
à la baie d'Hudſon pour s'emparer
des établiſſemens que nous y avons. Mais
les avis varient ſur cette dernière opérationque
les uns diſent avoir été exécutée
par les François; les autres par Paul Jones ,
qui a démantele les forts & enlevé tout ce
qui en valoit la peine.
Au milieu de ces incertitudes on attend
des lettres de l'Amiral Pigot qui peut les
diffiper. On n'en a point encore ; nos papiers
annoncent bien fon arrivée à New-
Yorck avec 26 vaiſſeaux de ligne ; mais
cet avis n'a pas été apporté directement
ici ; ce ſont des navires arrivés à Oſtende
qui l'ont répandu dans ce port , d'où il
nous eſt parvenu. Il eſt ſans doute vrai
( 159 )
ſemblable; le ſeul étonnement qu'il doit
caufer , c'eſt qu'on ne l'ait pas eu plutôt.
Nos papiers ne manquent pas d'en tirer
des inductions favorables. La poſition de
cet Amiral à New-Yorck ſeroit en effer
très- avantageuſe , ſi comme ils le ſuppoſent
l'eſcadre Françoiſe eſt ſéparée , & se trouve
partie à Boſton & partie dans la Chéſapeak.
Mais les nouvelles reçues en France préfentent
les forces de M. de Vaudreuil réunies
à la fin d'Août à Boſton , & non point
éparpillées comme nous le déſirerions. Au
reſte nous avons actuellement une grande
fupériorité , tant en Amérique qu'aux ifles ;
nous ne comptons pas moins de 35 vaifſeaux
dont 26 à New-Yorck , 8 à la Jamaïque
& un aux ifles du Vent.
Les nouvelles de nos différens ports ,
ne contiennent que des détails affligeans
du déſaſtre qu'a eſſuyé la flotte de la Jamaïque.
On la dit de 91 navires ; la ſemaine
derniere , on en comptoit 28 arrivés
, 54 dont le fort étoit incertain , 8
coulés bas & un pris ; les derniers avis
ajoutent à la liſte certaine de nos pertes.
>> Les 13 navires de la flotte de la Jamaïque ,
arrivés ici , lit-on dans une lettre de Plymouth ,
font dans l'état le plus déplorable ; ce fut le
16 du mois dernier , par le degré de latitude 42
fud , de longitude 48,33 min. qu'elle fut totalement
difperfée par un coup de vent , qui a été funeſte
aux vaiſſeaux du convei & à pluſieurs marchands.
Le Ramillies, de 74 , que montoit l'Amiral Graves ,
après avoir perdu tous ſes mats , & jetté , pendane
( 160 )
la nuit , tous ſes canons à la mer , ſe trouva , le
lendemain , dans cet état de délabrement , au milieu
des navires qui ont mouillé dans notre port. Les
Capitaines de ces navires , au péril de leur vie ,
ont ſauvé tout l'équipage , à l'exception de ceux
qui ſe trouvèrent ſur les vergues , lorſque les mats
s'abattirent . Au moment où ce vaiſſeau fut abandonné
, il coula bas.-Le Centaure , de 74 , 2
perdu également tous les mars & ſon gouvernail.
La Ville de Paris , qui heureuſement a foutenu
merveilleuſement l'orage , dans lequel elle n'a perdu
qu'une vergue de ſon hanier , en prenoit foin ; mais
on craint beaucoup , la ſituationde ce vaiſſeau étant
effroyable , qu'on ait été obligé de le brûter ou de
le couler bas. Les navires marchands , que ceuxci
ont vu couler à fond, font le Rodney , le Mentor,
le Firth , le Gaulbron , le Dumfries & l'Hector.
Unde ces navires avoit so paſſagers à bord , parmi
leſquels étoient 3 familles entières , qui venoient
s'établir enAngleterre. Tous ont péri. Le reſte des
vaiſſeaux de guerre, ainfi que des navires marchands
étoit très -déſemparé; l'Amiral Graves avoit paffé
for un autre vaiſiſeau du convoi ,& on fuppoſe qu'il
a gouverné pour l'Irlande.-On mande de Liverpool
, que le Capitaines Whiteſide , du Mentor, y
eſt arrivé ſur un autre bâtiment qui l'a recueilli :
de 34 perſonnes qu'il avoit fur fon bord , lorſqu'il a
coulé bas , il ne s'eſt ſauvé que lui , ſon ſecond
Lieutenant & un mouſſe; ils ont reſté 7 heures
dans l'eau ſur une vergue , où ils furent ſauvés par
la Sarah de Lancaster «.
C'étoit l'Amiral Graves qui commandoit
le convoi de la Jamaique ; il paroît qu'il
s'étoit porté conſidérablement au Nord pour
éviter les croiſeurs ennemis qu'il ſuppoſoit
que l'on avoit détachés pour intercepter fes
traîneurs. Son pavillon a flotté fur le Ra
( 161 )
millies , du moment où il avoit quitté la
Jamaïque , juſqu'à celui où il fut jugé indiſpentable
de l'abandonner pour ſauver
l'équipage. Ce vaifſeau qui avoit été conftruit
en 1763 , étoit regardé comme l'un des
meilleurs voiliers de la marine Angloiſe. Son
nom , obſerve à cette occafion un de nos
papiers , n'eſt pas heureux , nous en avons
perdu un qui le portoit dans la dernière
guerre.
Le déſaſtre arrivé à cette flotte ſera trèsſenſible
au commerce , par la perte de quantité
d'articles qu'elle apportoit ; le prix du
fucre augmentera conſidérablement ; mais
c'eſtleGouvernement qu'il contrarie le plus ;
il comptoit beaucoup far les vaiſſeaux de
guerre du convoi , qui auroient été une
grande reſſource s'ils avoient pu arriver en
bon état , & fur les matelots qui ſe trou
voient à bord des bâtimens marchands.
Les orages , au rapport des navires de la
flotte du Lord Howe qui ont éré contraints
de regagner nos ports , s'ils ne l'ont pas fait
fouffrir autant que celle de la Jamaïque ,
ont bien contrarié ſa marche ; on vient de
voir rentrer ſucceſſivement le Friends Aventure
& l'Yarmouth , qui étoient chargés l'un
& l'autre de provifions &de munitions de
guerre pour Gibraltar. Le premier avoit
quitté la flotte le 24 Septembre , & le ſecond
le 26.
>> L'Amirauté , dit un de nos papiers , a reçu avis,
le 8 , que l'efcadre du Lord Howe étoit , le premier
( 162 )
de ce mois , par le 49 d. 3 min. de latitude. Of
fait , par les vaiſſeaux qui l'ont quittée le 28 Septembre
, qu'elle étoit alors au 48me. Il faut que
cette eſcadre ait été repouffée par de terribles vents
de fud- ouest , puiſqu'elle a retrogradé de près d'un
degré en fi peu de tems. On croit généralement
que les premières dépêches de cet Amiral feront
datées de Lisbonne ; mais ceux qui regardent cette
place comme un rendez- vous favorable à une flotte
diſperſée , ignorent qu'en vertu des traités , & même
desderniers règlemens ,les Portugais ne peuvent laiffer
entrer , en aucun tems , plus des vaiſſeaux de ligne
Anglois dans le Tage *.
S'il faut en croire d'autres papiers , cette
flotte n'a point été diſperſées , & continue
fa route pour Gibraltar. Nous ignorons ce
qui ſe paſſe devant cette place ; nous n'avons
d'autres details que ceux qui nous font venus
par la France même ; & tout ce qu'il y a de
certain , c'eſt que le 14 Septembre le Général
Elliot étoit débarraflé des batteries
flottantes; mais que le ſiége n'en continue
pas moins, & que ſon iſſue paroît dépendre
à préſent de celle de la miſſion de l'Amiral
Howe.
>> On ne ſe diſſimule pas , dit un de nos papiers,
qu'un combat eft inévitable , & que ſon iſſue eſt au
moins très- incertaine. La poſition de l'armée navale
combinée , laiſſe peu, de priſe à notre eſcadre ; on
Le rappelle la défenſe que fit l'Amiral Barington
Sainte-Lucie , celle des François dans la Chéſapeak ,
& du Contre - Amiral Hood à Saint - Christophe.
Ajoutons que dans cette circonstance l'armée combinée
eſt fort ſupérieure à la nôtre , & on ne ſera
pas ſans inquiétude. Ceux qui cherchent à nous
raffurer , prétendent qu'il eſt au moins très-probable .
( 163 )
que les vaiſſeaux qui compoſent notre eſcadre ſont
en grande partie , & peut - être en totalité , armés
en proportion de leur rang , de cette artillerie prodigieuſe
dont le Rainbow a fait le premier eſſai ;
on ſe flatte en conféquence que pour peu que l'Amiral
Howe puiſſe pénétrer dans le cercle que doit
former la flotte combinée , le trouvant alors dans
le cas de combattre de près , le feu de ces pièces
prodigieuſes , ne peut manquer d'avoir une exécution
terrible «.
Les premières nouvelles que nous aurons
de cet Amiral diffiperont nos inquiétudes ;
mais il est vraiſemblable que nous en rece
vrons auparavant par nos ennemis. Dans ce
moment il doit être arrivé , le combat a dût
avoir lieu , & fans doute le fort de Gibraltar
eſt décidé ; ſi nous l'avons perdu , il eſt difficile
que le Général Elliot puiſſe conſerver
la place. En attendant , nos Lecteurs feront
bien aiſes de connoître plus particulièrement
ce brave Officier ; on trouve dans quel
ques papiers un Précis hiſtorique ſur ſa vie
& ſes ſervices militaires , que nous allons
tranfcrire.
>>George-Auguste Elliot, lebrave défenſeur deGibraltar,
eſt fils du feuChevalier Gilbert Elliotde Stobbs
dans le Roxburgshire; ſa famille eſt originaire de
Normandie , ainſi que la branche collatérale d'Elliot
de Minto dans le même Comté , & d'Elliot de Port-
Elliot dans celui de Cornouaille. Leur ancêtre M.
Elliot partit avec Guillaume le Conquérant , & tint
un rang diftingué dans ſon armée. Il y a dans la
famille une tradition par rapport à une distinction
honorable qu'elle a dans ſes armes ; & comme cette
anecdote eſt conforme à l'Hiſtoire , elle ne paroît
pas dénuée de fondement. Lorſque Guillaume mit
( 164 )
piedàterredans le pays Anglois , il gliffa & tomba
Se relevant aufli tôt , il s'écria que ſa chûre étoit
d'un heureux préſage , & qu'il venoit d'embraffer
le pays dont il allot devenir le maître. Sur cela
Elliot tira ſon épée , & jara , ſur l'honneur d'un
Soldat, de maintenir , au pésil de ſa vie , le droit
de ſon Maître à la ſouveraineté de la terre qu'il
venoit d'emoraſſer. Après la conquête , le Roi Guillaume
ajouta cette deviſe , Per faxa , per ignes ,
fortiter & recte , aux armes d'Elliot , qui étoient
un bâton d'or fur un champ d'azur , avec le bras
& l'épée en forme de crête.- Le Chevalier Elliot
de Stobbs eut neuf garçons & deux filles. Le Général
dont il eft ici queſtion eſt le ſeut qui vive.
Le Chevalier John Elliot , ſon frère aîné, a laiffé
fon titre & fon bien au Chevalier François Elliot
ſon fils , actuellement exiſtant , & neveu du Général.
George-Auguste Elliot est né vers l'an
1718. Il fut d'abord élevé au ſein de la famille par
un précepteur ; enſuite il fut envoyé à l'Université
de Leyde , où il fit des progrès rapides , & apprit
en peu de tems l'Allemani & le François. Dettiné
àl'èrat militaire, il fut envoyé de- là à l'Ecole royale
du Génie, à la Fere en Picardie. Le grand Vauban ,
qui a cu la direction de cette Ecole, l'a rendue la
plus célèbre de toute l'Europe : elle eſt aujourd'hui
ſous la direction du Comte d'Hérouville. Ce fut à
cette Ecole que M. Elliot fuifa la connoiffance de
la Tactique dans toutes ſes branches , & principalement
celles du Génie & des fortifications , où depuis
il s'eſt acquis tant de diſtinction. Il acheva fon cours
militaire ſur d'autres parties du continent ; pour
joindre la pratique à la théorie , il alla étudier la
difciplineen Pruffe , où il ſervit quelque tems comme
Volontaire. Telle étoit lamarche des jeunesMilitaires
de ſon tems , pour parvenir un jour à ſervir utilement
leur pays. - A 17 ans M. Elliot retourna ea
Ecoſſe, ſon pays natal, & fut préſenté dans lamême
( 165 )
année, 1735 , par ſon pere , à M. Peers, Lieutenant
Colonel du 23e. Régiment, Infanterie , alors à Edimboarg:
il y fut reçu Volontaire , &y ſervit plus d'un
an ; il le quitta pour entrer dans le Corps du Génie
àWoolwich. Le Colonel Elliot , ſon oncle , le fitt
enfuite Adjudant de la ſeconde Troupe des Grenadiers
à cheval. Ce fut lui qui poſa le fondement
de cette difcipline, qui a fait , de ces deux Corps ,
les plus belles Troupes de Cavalerie qui foient en
Europe, ſans même en excepter les Gardes Hanovriennes
& les Mouſqueraires en France. Avec ces
Troupes, il ſervit en Allemagne dans l'avant-dernière
guerre ; il ſe trouva à une infinité d'actions ,
&fut bleffé à la bataille d'Etingue. Dans ce Régiment,
il acheta d'abord la place de Capitaine &
de Major , & enfuite la Lieutenance-Colonelle du
Colonel Bréwerton. Il ſe défit alors de ſa Commiffion
d'Ingénieur , qu'il avoit gardée long - tems
avec fon autre grade. Il avoit reçu les leçons du
célèbre Ingénieur Bélidor , & il poffédoit parfaitement
la ſcience du Canonnier. S'il n'avoit pas
pouffé le déſintéreſſement juſqu'à renoncer ainfi
à fon rang dans le corps des Ingénieurs , la gradation
régulière de ſes ſervices l'auroit fait arriver
à la tête de ce Corps. Bientôt après ,
il fut nommé Aide-de-camp du Roi George II. En
1759 , il quitta la ſeconde compagnie des Grenadiers
à cheval dans les Gardes, ayant été choisi pour lever
le premier régiment de cavalerie légère , qui prit le
nom d'Ellior. Auſſi- tôt que ce corps fut formé &
diſcipliné , Elliot fut nommé pour commander la
cavalerie dans l'expédition ſur les côtes de France,
avec rang de Brigadier-Général. Après cette expédi
tion , ilpaſſa en Allemagne , où il fut employé dans
l'Etat-Major de l'armée. Il fut enſuite rappellé pour
être employé , en ſecond', dans le commandement
de l'expéditionde la Havane, dont on connoît les circonſtances;
il ſe montra le digne émule de D. Louis
( 166 )
de Veiafco , qui ſe défendit juſqu'à la dernière ex.
trémité , & qui voyant enfin ſuccomber ſes forces ,
ne voulut ni ſe retirer , ni demander quartier , &
préfera de périr en combattant un ennemi victorieux.-
On rapporte ici une anecdote qui prouve
que de tous les vainqueurs , il fut celui qui montra
le plus de déſintéreſſement & le plus d'éloignement
pour un pillage; auſſi s'adreſſoit - on ſouvent à lui
pour réclamer ſa juſtice; un François , entr'autres ,
qui avoit beaucoup perdu dans la déprédation générale
commiſe par les foldats , le pria , en mauvais
anglois , de lui faite rendre ce qu'on lui avoit pris.
La femme de ce François , d'un caractère très - vif,
ne put s'empêcher delui dire : Comment pouvezvous
demander des graces à un homme qui vient
vous dépouiller ? N'en espérez pas. Le Général ,
qui écrivoit ſur ſon bureau ſe tourna vers elle , &
lui répondit en ſouriant : Madame , ne vous échauffezpas;
ceque votre mari demande luifera accordé.
Ah, faut-il , reprit la femme , pour furcroît de
malheur que le barbareparlefrançois ! Elliot leur fit
rendrenon- teulement tout ce qu'ils réclamoient, mais
leur fit encore quelqu'autres bienfaits . -A la paix ,
fon régiment pafla , à Hydepark , en revue de vant
le Roi , & ce Général préſenta à S. M. les étendards
que ſon corps avoit pris ſur l'ennemi. Le
Rei lui demanda quelle marque de faveur il pourreit
lui accorder , pour témoigner combien il en
étoit fatisfait , & le Général lui répondit , que le
Régiment ne trouveroit point de diſtinction plus
flatieuſe , que celle d'être appellé Royal , ce qui
fut auffi- tôt accordé. Le Roi marqua enſuite l'envie
qu'il auroit de conférer quelque grace à ce brave
Général. Mais il répondit que l'approbation dont
S. M. veneit de l'honorer , étoit la plus grande
récompenſe qu'il eût pu deſfarer. Il n'eſt point
refté cifif pendant la paix. En 1775 , il fut nommé
pour ſuccéder au Général d'Harcourt dans la place
-
( 167 )
de Commandant en chef des troupes en Irlande ;
mais il ne fit qu'y paroître. S'étant apperçu qu'on
cherchoit à empiéter fur ſes droits , il s'oppoſa à
ces manoeuvres avec fermeté , & ne voulant point
troubler le Gouvernement d'Irlande , pour une affaire
qui lui étoit abſolument perſonnelle , il demanda
, & obrint ſon rappel. Ce fut alors qu'il fut
nommé au Gouvernement de Gibraltar , & dans un
moment heureux pour la sûreté de cette importante
fortereffe.- Ce Général avoit épousé une foeur de
Sir Francis Drake , qu'il a perdue il y a environ
13 ans. Il en a cu un fils & une fille ; le fils est
actuellement Lieutenant - Colonel du régiment de
Dragons d'Inniskilling , & ſa fille eſt mariée «.
د
Les nouvelles que la Compagnie des Indes
a reçues dernièrement par la voie de Baffora ,
ne fontpas encore publiques; le bulletin n'en
eft , dit- on pas rédigé , & ne doit l'être
que dans la prochaine aſſemblée des Directeurs.
En attendant , la Gazette de la Cour ,
du 12 de ce mois , a publié ces 4 ou s
lignes.
>> Par des avis de Madraſs qui vont juſqu'au 13
Avril , nous recevons l'agréable nouvelle de l'arrivée
àbon port des vaiſſeaux de S. M. le Sultan & le
Magnanime avec tout leur convoi le 31 Mars , &
que la flotte Françoiſe avoit quitté la côte de Coromandel
«.
Cette inſtruction n'est guère ſatisfaiſante
pour le Public ; on ne dit point ſi en effet
ily a eu un ſecond combat entre les deux
eſcadres , ni où a été l'eſcadre Françoiſe en
quittant la côte de Cororaan del. Nos papiers
eſſayent d'y ſuppléer , en difant qu'e' le eſt
retournée à l'Ile de France ; & ils partent
( 168 )
de là pour affurer qu'à fon retour , elle trouvera
un grand changement , parce que l'Amiral
Bickerton y ſera arrivé avec le renfort
qu'il conduit , & qui nous donnera la ſupériorité
; mais M. de Suffren doit trouver
aufli des renforts à l'Iile de France s'il y eſt
retourné , & il les amènera vraiſemblablement
avec lui ; alors cette prétendue fupériorité
n'exiſtera plus ; ſi au commencement
d'Avril il a quitté la côte , il peut y être
de retour avec ces forces auffi- tôt que Bickerton
, qui n'a quitté Rio-Janeiro que vers
la fin de Mai , & qui a beſoin au moins de
trois mois pour arriver à ſa deſtination ; il
ne peut donc y être qu'à la fin d'Acût , &
M. de Suffren peut y arriver à la même
époque.
Selon nos papiers , la Compagnie a reçu
d'autres lettres du to Juin , & ce font
celles dont on rédige le bulletin ; il faut
qu'elles ne foient ni bien avantageuſes ni
bien importantes , puiſqu'on en retarde la
publication. Nos papiers afſfurent qu'elles
ne parlent point de la priſe de Madraſs
par Hyder-Aly ; mais cela n'empêche pas
qu'on ne regarde cet évènement comme inévitable
, par l'affoibliſſement de la garniſon
de Madraſs , dont Sir Eyre Coote a tiré
des détachemens confidérables , & par la
réunion des François à Hyder -Aly. Cela
n'empêche pas que quelques gazettes ne parlent
d'une grande victoire remportée parnos
troupes
( 169 )
5
-
troupes fur celles d'Hyder-Aly , & de la
deſtruction de celles que M. Suffren avoit
débarquées . Si ce fait avoit une apparence de
probabilité , ſans doute les Directeurs de
la Compagnie ſe ſeroient empreſſés de
l'annoncer. Ils auroient publié également
les belles apparences de paix dans ces contrées
, dont les mêmes papiers nous bercent
, ſi elles avoient quelque fondement.
Ils ne manquent pas d'inſiſter ſur le peu
de penchant que les Indiens montrent à voir
les François rétablir leur puiſſance dans
l'Inde; mais on oublie qu'ils n'y veulent
point de domination ; qu'ils ne veulent
pas que nous y en ayons non plus ; qu'ils
tendent à rétablir dans ces contrées ce qui
devroit avoir toujours été , égalité entre les
Européens ; il eſt tout ſimple que ce plan
foit agréable aux naturels , qui feront bien
aiſes d'être tranquilles chez eux , & de n'y
pas recevoir les loix des Deſpotes étrangers
qui les accablent depuis ſi longtems .
Au reſte , les nouvelles de l'Inde qu'on
publie , peuvent ſe réduire à ceci.
ככ L'eſcadre Françoiſe avoit quitté cette côte la
veille de l'arrivée du Sultan & du Magnanime ,
pour aller à l'Ifle de France ſe refaire des pertes
qu'elle a éprouvées dans le combat avec le Chevalier
Edward Hughes. Les François ont débarqué
environ 1400 hommes qui ſe ſont joints à
Hyder-Aly. Le convoi a amené au Chevalier Eyre
Goote un renfort de 800 montagnards du Lord
Seaforth , les meilleurs foldats qui ſoient peut- être
jamais venus d'Europe. Le Chevalier Eyre Coote
26 Octobre 1782. h
( 170 )
eſt toujours à la pourſuite d'Hyder-Aly. Tout est
tranquille au Bengale. Il eſt arrivé ss lacks de
roupies , & l'on dit que 75 autres font en route ,
ce qu'on préſume être le tréſor trouvé à Bejyeghur,
Capitale du pays de Cheyt-Sing. Ces ſommes
ont fait rentrer beaucoup d'argent; avec elles &
les marchandiſespriſes dans le comptoir Hollandois
de Chiuſura , la Compagnie s'eſt procuré des cargaiſons
de retour pour cette année & l'année prochaine.
Le vaiffſeau de la Compagnie la Valentine ,
a appareillé pour l'Europe en Avril. Il ſe débite
que les Marattes ne veulent plus abſolument de
guerre , & qu'ils ont donné plein - pouvoir à leur
Miniftre de conclure la paix avec M. Anderſon ,
réſident Anglois à Poonah. On dit que le Soubah
de Decan & les autres Princes dans les limites
des potleſtions Angloiſes , ſont ſi jaloux du pouvoir
naiffant d'Hyder-Aly & de ſes liaiſons avec
les François , qu'ils font prêts à ſe réunir contre
lai. D'autres lettres ajoutent qu'Hyder-Aly qui connoît
le danger de ſa poſition , defire de faire la
paix avec nous , & qu'il vient de faire quelques
ouvertures à ce ſujet au Chevalier Eyre Coote ".
On affure qu'il vient d'être décidé dans
le Confeil , d'envoyer à l'avenir tous les
criminels convaincus , & qui auront obtenu
un répit , en Afrique. On ne doute pas
qu'à la longue on ne ſubſtitue la tranſportation
dans cette partie du monde , à celle
qui avoit lieu autrefois en Amérique , &
qu'on ne peut plus ſe flatter de rétablir.
Le beſoin de matelots a fait auſſi fonger à
un nouveau moyen de s'en procurer.Onftationnera
un vaiſſeau près du fanal de Nore ,
fur lequel on fera paſſer tous les coupables
convaincus de crimes légers; au lieu de
( 171 )
les laiſſer ſouffrir comme par le paſſé dans
les priſons , de les faſtiger , de les flétrir
même , on leur fera faire le ſervice de
matelots ; lorſqu'ils auront ſéjourné affez
longtems ſur ce vaiſſeau pour s'être mis
en état de ſervir ſur un vaiſſeau de guerre ,
on les répartira ſur ceux des flottes de S. M. ,
après leur avoir auparavant payé la prime
accordée par la proclamation royale.
FRANСЕ.
De PARIS , le 22 Octobre.
Les nouvelles qu'on attendoit avec impatience
de Gibraltar ſont enfin arrivées ;
elles font en date du 6 de ce mois Nous
en donnerons ici le précis .
Le fiége continue ; on a formé une nouvelle parallèle
qui battra le mouillage des deux môles , enforte
qu'aucun bâtiment n'y pourra mouiller dorénavant.
On a dérobé la nuit du 24 au 25 à l'ennemi , &
on a pouffé un boyau depuis la batterie de Mahon ,
juſqu'a la mer de l'oueft. Ce nouvel ouvrage a 248
toiſes de longueur , & s'avance à 160 de la porte
de terre. Sur 6000 travailleurs , il n'y a eu qu'un
Eſpagnol tué. - L'armée combinée mouille toujours
ici en attendant l'eſcadre Angloiſe pour la
combattre. Il arriva le 2 un Courier de M. 0-
Reilly à M. de Crillon, pour lui apprendre que
les Anglois avoient été apperçus ſur la côte de
Lagos. Le lendemain , M. de la Motte Piquet revint
avec ſon vaiſſeau de Cadix , & donna la
même nouvelle. Si jamais on a pu ſe promettre
quelque ſuccès d'un combat naval , c'eſt ſans doute
de celui qui aura lieu ici ; les Généraux de mer
ont pris toutes les précautions imaginables pour
h2
( 172 )
bien recevoir l'ennemi & le faire repentir de ſa
témérité. Si les vaiſſeaux de ligne ſe tiennent au
large , pluſieurs chaloupes , batteaux plats , &c.
montés par 1500 hommes , ſont destinés uniquement
à enlever les navires avitailleurs à l'abordage;
fi l'eſcadre cherche à les ſoutenir , les chaloupes
canonnières font arrangées , diſpoſées & munies
de tout ce qu'il faut pour faire un ravage affreux ,
fans parler des brûlots ; enfin , fi à la faveur du
vent , ou par ſa mancoeuvre , l'Amiral Howe parvient
à ſe mouiller quelque part , D. Louis de
Cordova eſt décidé à l'attaquer bord à bord , &
à perdre une partie de ſon armée pour détruire
entièrement celle de l'ennemi. Cette vive réſolution
ſoutenue par l'ardeur , & on pourroit dire par
la fureur des équipages , ne laiffe pas douter que
ſi Howe ſe préſente , ce combat ne ſoit un des
plus mémorables & des plus déciſifs dont les annales
de la marine faſſent mention.
On affure que l'Amiral Howe a été ſignalé
le 4 des côtés de Galice; 4 vaiſſeaux neutres
entrés à Lisbonne l'ont rencontré , ils
ne diſent pas à quelle hauteur. L'eſcadre
Angloiſe étoit alors de 33 vaiſſeaux de
ligne ; on croit qu'elle aura pu paroître
devant le Détroit du 10 au 15 ; certainement
elle n'y étoit pas le 8 : un Courier
parti de Madrid le 11 , & qui vient d'arriver
, n'auroit pas pu l'ignorer.
7
C'étoit en effet la flotte de l'Amiral Howe ,
que le Chevalier de Cillart avoit rencontrée
le 30 du mois dernier par les 48 degrés
10 minutes de latitude ; & 12 degrés 35
minutes de longitude. L'équipage d'un des
bâtimens de cette flotte , dont il s'eſt emparé,
l'a confirmé. Elle a bien été maltrai(
173 )
tée par les vents ; mais elle n'a pas ſouffert
comme celle de la Jamaïque .
>>>Le corſaire Américain le Ciceron , de 18 ca
nons de 6 & de 9 , entré dans ce port , écrit- on de
l'Orient , a pris 3 navires de la flotte de la Jamaïque ;
l'un de soo tonneaux , & les deux autres de 250 ,
chargés de ſucre & de rum. Parmi les prifonniers
faits fur ces bâtimens , ſe trouve un Officier de la
Marine royale Angloiſe , qui rapporte que le Capitaine
du vaiſſeau le Ramillies , de 74 , fur lequel
il étoit Lieutenant , ne pouvant ſauver ſon
vaifſeau, battu par la tempête , l'avoit brûlé le 24
Septembre, après en avoir reparti les équipages
fur les différens bâtimens de la flotte . - Les prifonniers
de deux autres navires Anglois , de la même
fløtte , & du port de soe tonneaux , pris par le
corſaire Américain la Réſolution , qui les a conduits
ici , déclarent que le vaiſſeau Anglois le Centaure,
de 74 , a ſubi le même ſort que le Ramillies , &
qu'on en avoit ſauvé l'équipage. Ils ajoutent que
le vaiſſeau le Glorieux , qu'ils ont vu en détreffe,
leur cauſe de l'inquiétude ; & que l'Hector & la
Pallas , qui faisoient partie de leur eſcorte , ont
été envoyés à New-Yorck , à cauſe de leur mauvais
érat cc.
Nous avons rendu compte , d'après les
papiers Anglois , de la priſe & de la repriſe
de l'Amazone ; on ſera ſans doute bien
aiſe de trouver ici le compte rendu par
M. le Marquis de Vaudreuil au Miniſtre
de la Marine ; ſa lettre eſt de Boſton , en
date du 31 Août.
* J'avois détaché la frégate l'Amazone , commandée
par le Vicomte de Monguyot , pour porter
mes ordres au Cap Henri. Elle cut connoiffance ,
le 28 Juillet , às heures du matin , d'une fregate
au vent à elle venant à ſa rencontre , à qui elle
1
h3
( 174 )
fitdes fignaux de reconnoiſſance , auxquels elle ne
répondit point, & vira de bord en même tems.
L'Amazone lui donna chafle , & manoeuvra de manière
à l'engager , & à en donner connciffance à
l'eſcadre du Roi dont elle appercevoit quelques
vaiſſeaux , auxquels elle ſignala une frégate ennemie
, ce qui ne fut pas apperçu ; car à une heure &
demie ils virèrent de bord , & à 3 heures & demie
l'Amazone les perdit de vue. Elle continua de chaf
fer la frégate ennemie; mais le Vicomte de Monguyot,
s'apperçevant qu'il ne la gagnoit point , &
qu'il s'éloignoit de ſadeſtination , ſe décida à virer
de bord : la frégate Angloiſe en fit alors autant ;
&, portant fur l'Amazone avec l'avantage du vent ,
ne tarda pas à la joindre. L'engagement commença
à 4 heures & demie , par un feu très-vif de part
&d'autre , & à portée du fuſil. Le Vicomte de Monguyot
fut tué quelques momens après : le Chevalier
de Lépine ayant pris le commandement , deux
bleffures qu'il reçut à la tête & à l'épaule le forcèrent
de le laiſſer à M. de Gazan , Lieutenant de
frégate auxiliaire. Cet Officier , ſachant que le Chevalier
de Lepine étoit revenu à lui , lui fit dire que
toutes les manoeuvres étoient coupées , pluſieurs canons
démontés , & la plus grande partie de l'équipage
hors de combat , & lui fit demander ce qu'il
devoit faire. Il répondit que ſon intention étoit de
ceombattre juſqu'à la dernière extrémité , & qu'il
fit: de ſon mieux juſqu'à ce qu'il fût remonté ; ce
qu'il fit peu de tems après : il trouva , en arrivant
fur le gaillard , le pavillon amené par ordre de
M. de Gazan , qui fut tué à l'inſtant. M. Oilec &
M. Vilberno , Officiers auxiliaires , avoient eu , le
premier une bleffure mortelle , & le ſecond un bras
emporté ; M. de Guichen , Lieutenant , commandant
le détachement du Régiment du Cap , avoit
reçu un coup de feu dans la poitrine ; 80 hommes
( 175 )
étoient hors de combat : il ne reſtoit dans la batterie
que M. Maiffonnier , Officier auxiliaire ; la
mâture étoit fur le point de tomber , & tomba z
heures après. Dans cette poſition , M. de Lépine
fut obligé de tenir la parole de celui qui avoit fait
amener ; & à 6 heures & demie, il fut tranſporté ,
avec les autres Officiers , à bord de la Santa-
Margarita,de 44 canons. LeChevalier de Lépine ,
entémoignant ſes regrets ſur la perte du Vicomte
de Monguyor , fait les plus grands éloges des Officiers
nommés dans cette Lettre. - M. de Vaudreuil
, dans une autre Lettre du même jour , annonce
qu'ayant entendu le 28 une vive canonnade ,
il fit porter du côté d'où partoit le bruit; que le
lendemain au point du jour , il apperçut l'Amazone",
qu'il reprit , & la Santa Margarita , qu'il ne put
joindre«.
M. le Chevalier de Langlade , commandant
la frégate du Roi l'Aftrée qui a mouillé
le is à Breſt , eſt arrivé à la Muette , portant
la nouvelle qu'une divifion de l'eſcadre
de M. de Vaudreuil , aux ordres de M. de
la Peyrouſe , & dont l'Aftrée faiſoit partie, a
détruit tous les établiſſemens Anglois dans la
baie d'Hudſon. Le butin fait à cette occafion
monte , dit- on , à plus de trois millions.
Il eſt toujours queſtion de la nouvelle de
la priſe de Madraſs par Hyder - Aly. Cette
nouvelle , fi elle ſe confirme , changera
fingulièrement la face des affaires dans
cette partie du monde; en attendant qu'elle
acquiere toute l'authenticité dont elle a
beſoin , nous ne pouvons que recueillir les
faits tels qu'on les débite.
h 4
( 176 )
On a cu à Alexandrie , écrit-on de Marseille ,
par Bagdad , Ormuts , Alpe , Baffora , des avis
qui annoncent qu'après le combat opiniâtre livré devant
Madraſs , l'eſcadre de l'Amiral Hughes s'étoit
retirée , & que M. de Suffren en avoit débarqué ſes
troupes ; le Général Anglois Sir Eyre Coote voulant
empêcher la jonction de ces troupes aux ordres de
M. Duchemin avec l'armée d'Hyder-Ali s'étoic
trouvé entre deux feux ; la plus grande partie de
fon armée avoit été , dit- on , taillée en pièces , le
reſte mis en déroute , & hors d'état de pouvoir rien
entreprendre contre un ennemi triomphant , alors le
Prince Indien s'étoit avancé avec les François devant
Madraſs ; & fon feu avoit été ſi terrible & fi foutenu
que la place avoit capitulé .
,
Le tems ſeul peut confirmer cette nouvelle,
ſi elle eft fondée , & vraiſemblablement
il n'eſt pas éloigné maintenant. En
attendant , on a reçu des lettres du Cap
de Bonne- Efpérance , qui nous apprennent
P'arrivée de l'eſcadre de M. de Peymer à
Falſe - Bay. On a auffi des lettres de quelques
Officiers de cette eſcadre , où l'on
lit les détails ſuivans.
>> L'eſcadre du Roi mouilla ici le 19 Mai après 9 ,
jours de trayerſée. Les navires & les équipages ſont
en fort bon état , au ſcorbut près , dont ſont atteints
quelques matelots &des ſoldats de la Mark
& d'Aquitaine , qu'un court ſéjour à terre a rétablis.
Nous avons remis aux Hollandois la Légion de Luxembourg.
Ce Corps n'a perdu que 2 hommes dans
ſa traverſée. Le Cap eſt peut- être un des pays lesplus
fertiles du monde ; cette Colonie fournit aux beſoins
de l'Iſle de France , de Ceylan , de Batavia , de tous
les établiſſemens Hollandois dans l'Inde , & même
de ceux des Anglois par l'entremiſe de quelques
( 177 )
neutres. Je l'ai trouvée dans un état de défenſe ref
pectable. M. de Conway, ancien Major d'Anjou, que
M. de Suffien y a laiflé avec le régiment de Pondichéry
, dont il est actuellement Colonel , a beaucoup
contribué aux travaux qui ont été faits depuis
la guerre , on eſtime qu'il faudroit à peu-près 8000
hommes pour attaquer le Cap avec quelque ſuccès ,
mais il faudroit ſuppoſer que ces troupes apporteroient
leurs vivres , car il ne ſeroit pas difficile de
les priver de ceux du pays. Nous partirons au
plotard à la fin de ce mois ( de Juin ) , pour l'Ilede-
France, nous y trouverons M. de Buffy avec
l'Illuftre & le St- Michel , qui n'ont pas fait un
long séjour ici, puiſqu'ils font partis le 2 Mai .
Le 20 de ce mois au matin la Députation
du Clergé de France a mis aux pieds
du Trône 15 millions pour les beſoins de
l'Etat , & un million pour le foulagement
des veuves & des enfans des matelots.
L'objet de la lettre ſuivante , qui a été
déja inférée dans un Journal eſt trop intéreffant
, pour que nous ne la conſignions
pas auſſi dans le nôtre.
>>L>'infidélité , ma heureuſement trop reconnue de
tous les ſpécifiques employés juſqu'à ce jour contre
la rage , me fait un devoir de publier les fuccès
qu'à eus dans le traitement de cette maladie ,
le Sr. Douffot , Elève de l'Ecole Vétérinaire de
Paris , & la méthode qui les lui a obtenus. Je me
bornerai à l'expoſition fimple des faits.-Dans le
courant de Juillet dernier , M. Bertier , Intendant
de Paris , fut informé par fon Subdélégué à Courtenay
, que pluſieurs vaches de ſa Subdélégation
avoient été mordues par des chiens enragés , il me
chargea d'envoyer un Elève à leur fecours. Je fis
hs
( 1781
choix du Sr. Dauſſot , dont je connoiſſois l'intelligence
& les talens .- La premiere vache qu'il traita
appartenoit au Syndic de St-Loup-Dordon ; elle avoit
été mordue en pluſieurs endroits à la jambe gauche
de derrière ; quarante trois jours s'étoient déja
écoulés depuis cette époque; les plaies étoient cicatrifées
; mais un flux extrêmement abondant de
falive , ſurvenu depuis quelque jours , allarmoit &
avec raiſon le Propriétaire. L'Elève ouvre toutes
les plaies , il les cautériſe , & les couvre d'onguent
mercuriel , il paſſe un ſéton au fanon, il donne le
matin en breuvage trois gros d'alkali volatil concret
dans uce pinte d'infufion d'anagallis ; des fignes
non équivoques lui ayant fait ſoupçonner l'exiltence
de vers dans les premières voies , il donne
à midi une pinte d'infufion de ſarriette , avec addition
de deux gros d'huile empireumatique. II
fait prendre le ſoir une pinte d'infufion d'anagal-
Jis pure. Ce traitement fut continué quinze jours
de ſoite , pendant lesquels les plaies furent frictionnées
tous les matins avec l'onguent mercuriel ,
& le ſéton onctionné avec partie égale d'onguent
bafilicum & d'onguent mercuriel. Pendant tout le
traitement, on ne donna à l'animal que la moitié
de la ration ordinaire de fourrages , on les choifit
feulement plus ſubſtanciels & de meilleure qualité ;
T'Elève crut devoir proſcrire la pâture , parce qu'outre
les inconvéniens qui auroient pu réſulter du développement
de la rage dans un animal de cette
force abandonné , la nourriture verte contient une
quantité de parties aqueuſes capables d'annuler les
effets des médicamens. Au bout de quelques jours
de traitement le Sr. Douffot eut la fatisfaction de
voir le flux de ſalive s'arrêter & tous les ſymptômes
inquiétans s'évanouir & difparoître abſolument
, & ce ne fut que pour plus grande sûreté
qu'il crut devoir prolonger ſon traitement. Onze
autres vaches de la Paroiffe de Courtenay avoient
( 179 )
été mordues par un chien qui l'avoit été lui-même
par celui qui avoir lacété la jambe de la vache qui
fait le ſujet de l'obſervation précédente. L'une de
ces vaches appartenant au nommé Couturier , avoit
été mordue en quatre endroits à la jambe gauche
de derrière à la face externe du tibia, Quatre autros
appartenoient à Etienne Renaud , l'une avoic
deux morfares ſur le tendon près du jarret , l'autre
avoit quatre morſures à la cuiffe gauche ; la
troiſième avoit été mordue à l'avant-bras gauche ;
la quatrième ne portoit aucune bleffure , mais elle
s'étoit trouvée avec les autres lorsqu'elles avoient
été mordues , & il étoit à préſumer que le chien
s'étoit auſſi précipité ſur elle. Cinq au'res appartenoient
à Antoine Copin , deux avoient été mordues
à la jambe gauche; les trois autres ne portoient
aucunes morſures ſenſibles . La onzième appartenoit
à Nicolas Cheneday , elle avoit été mor
due à la partie ſupérieure du genou droit.-Του-
tes les vaches furent foumiſes au même traitement
que la première , à l'exception de celles qui ne préfentoient
aucune morſure , qui ne prirent l'alkali
qu'à demi-doſe ; mais on leur paffa un ſéton , &
onles mit également à l'uſage de l'huile empireumatique
étendue dans l'infuſion de la ſarriette
pour les raiſons que nous avons indiquées , raifons,
dont l'émulſion par l'anus d'un grand nombre
de vers démontra la ſolidité .-Pendant que
le Sr: Douffet fuivoit ce traitement, des chiens qui
avoient été mordus par ceux qui avoient bleſſé les
vaches & qui avoient été négligés , eurent des ac.
cès d'hydrophobie & mordirent deux vaches &
trois cochens. L'une de ces vaches avoit été mordue
à la partie inférieure de la cuiſſe droite ; les
plaics , au nombre de cinq , étoient très - profondes
; l'autre avoit trois morſures à la partie inférieure
du tibia , & trois autres à la partie ſupérieure
de la cuiffe gauche. Ces deux vaches furent trai-
,
h6
( 180 )
tées comme les premières Les trois cochons furent
ſoumis au même traitement ; l'un d'eux avoit été
mordu au bout du nez , les deux autres avoient
ſeulement été terraflés & foulés par le chien. Plus
de deux mois ſe ſont écoulés depuis que ces animaux
ont été traités ; aucun n'a donné le moindre
ſymptôme inquiétant , & il ne me paroît pas
poffible de douter qu'ils n'ayent été bien préſervés.
J'ai l'honneur d'être , &c. CHABERT.
Un de nos Abonnés nous a fait paffer
les obſervations ſuivantes , fur la recette
de M. de Chanvallon , pour prévenir la
bruine des bleds ; elles peuvent intéreſſer
nos Lecteurs , & c'eſt un titre pour les
tranfcrire.
,
>> Nous avons jadis fait ici ( à Troyes ) relativement
à cet objet , des recherches & des differtations
qui , fi elles n'ont pas arrêté la broine , ont
proceré une eſpèce de fortune à ceux qui s'en
font occupés. Dans le fait , les Laboureurs des
bonnes terres qui nous avoiſinent ont de tout
tems chailé leurs bleds deſtinés à la ſemaille , en
variant ſur les ingrédiens qu'ils faifoient entrer dans
le chawlage. M. de Chanvalton remplace ceux tirés
du règne Animal,de jus de fomier , la vieille urine,
par l'alun & même par l'arſenic. Le ſeul nom d'arſenic
a répa du la terreur parmi MM. les Abonnés
de vo re Journal ; & l'usage a para auffi nouveau
que fouverainement d'angereux. Pour les raffurer
foit fur la nouveauté , ſoit fur le danger , permettez-
moi , M , d'idiquer à M. de Chanvallon ,
une autorité qu'il pourra vérifier & développer. Il
la trouverra da le taté très-eftimé de Profpero
Alii , de Plantis Ægypti , imprimé à Veniſe
en 1 $49 , & depuis à Leyde en 1735. Alpini y établit
que , d'après un ulage qui remonte au moins
au premier des Prolomées , qui s'occupa avec ſue
( 181 )
cès du perfectionnement de la culture du bled ea
Egypte , on mêloit de l'arſenic aux enfemencemens :
ce qui ſe pratiquoit encore au tems où écrivoit le
Profefleur de Padoie , & ſe pratique ſans doute aujourd'hui.
Doù il réſulte que cet uſage auffi ancien
qu'approuvé , eſt abſolument ſans danger , au
moyen fans doute de quelques précautions qu'indiqueroit
la pratique actuelle de l'Egypte «.
Les ſujets des trois Prix que l'Acadé
mie des Sciences & Belles- Lettres de Marſeille
diſtribuera l'année prochaine , ſont
1º. l'Eloge de M. de Vendôme ; 2 ° . l'Eloge
de Cook ; 3 °. une Ode fur l'Electri
cité. Chacun de ces Prix conſiſte en une Médaille
d'or de la valeur de 300 liv . Les
Ouvrages feront adreſſes , francs de port ,
à M. Mouraille , Secrétaire- Perpétuel de
l'Académie , & ne feront reçus que jufqu'au
is Avril.
L'Académie Royale des Stiences , Inſcriptions &
Belles - Lettres de Toulouſe avoit propoſé , pour le
Prix de cette année , de détailler les avantages en
général de l'établiſſement des Etats Provinciaux ,
& en particulier ceux dont le Languedoc eft redevable
aux Etats de cette Province . Les vues de
l'Aca lémie n'ayant point été remplies à cet égard ,
elle a abandonné ce ſujet , & propoſe , pour le
Prix de 1785 , qui fera de soo livres , d'expofer
les principales révolutions que le commerce de
Toulouse a eſſuyées , & les moyens de l'animer ,
de l'étendre & de détruire les obstacles , ſoit Moraux
, Soit Phyſiques , s'il en est , qui s'opposent
à son activité & à ſes progrès. --Pour l'année
prochaine 1783 , l'Académie a propoſé , depuis
1780 , deux ſujets à chacun deſquels elle deſtine
un Prix de 100 piſtoles. Le premier eſt l'influence
( 182 )
,
de Fermat ſurſon ſiècle , relativement aux pros
grès de la haute géométrie & du calcul , & l'avantage
que les mathématiques ont retiré depuis &
peuvent reviver encore de ſes ouvrages. Le ' econd ,
de déterminer les moyens les plus avantageux de
conduire , dans la ville de Toulouse , une quantité
d'eau ſuffisante , foit des ſources éparſes dans
le territoire de cette ville , foit du fleuve qui
baigne ses rives pour fournir en tout tems
dans ses différens quartiers , aux besoins domeftiques
, aux incendies , & à l'arrofement des rues ,
des places , des quais & des promenades. Les Auteurs
joindront à leurs projets , le plan des ouvrages
à faire , avec les élévations , les coupes &
les eſtimations néceſſaires , pour conftater la ſolidité
& la dépenſe de l'entrepriſe. L'Adminiſtration
Municipale , pénétrée de l'importance de ce dernier
ſujet, & du peu de proportion qui ſe trouve
entre les travaux qu'il exige & une ſomme de
1000 livres , a délibéré d'y ajouter 100 louis , de
manière que le Prix total ſera de 3400 livres . L'Académie
communiquera à ceux qui ſe propoſent de
concourir pour le Prix, les renſeignemens qu'elle
a déjà , & ceux qu'elle eſpère de de procurer encore.
Le ſujet du Prix de 1784 , confiſte à
affigner les effets de l'air & des fluides occafionnés
, introduits ou produits dans le corps humain ,
relativement à l'économie animale.
Marie Adelaïde de Renée , Abbeffe de
l'Abbaye Royale de Valogne , eſt morte
dans ſon Abbaye le 13 du mois dernier.
Marie-Claire-Thérèſe de Begon , veuve
de Jofeph Charles , Marquis de Rochambeau
, Gouvernante des Enfans de la Maiſon
d'Orléans , eſt morte au Palais- Royal ,
dans ſa 79e. année.
( 1831
Valentine-Charlote du Caricul , douairière
du nom & armes de la très noble &
très- ancienne Maiſon de du Carieul , Dame
de Freſy , Beauqueſne , Quevauſſeth ,
Beaurains , Arras , Ecoivre- lès-St- Pol , Avefne
en Boulonnois , &c. , épouſe en premières
noces de Meſſire Antoine- Dominique
Hyacinte Joſeph de Briois , Chevalier
, Seigneur d'Hulhech , Benifontaine
en partie , la Pugnanderie , & c . & en
ſecondes noces , de Meftire Amalet-Hubert-
François de Malet , Chevalier , Baron de
Compagny , Seigneur de Verchocq , Fafque
, &c. , eſt morte les de ce mois ,
en ſon Château de Beauqueſne .
,
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
2. 50. 48. 37. & 63 .
Lettres Patentes du Roi , en forme d'Edit , données
à Verſailles au mois de Juin , & enregistrées
au Parlement le 27 Août , qui ordonnent la réunion
du Domaine engagé de Corbeil au Domaine
de la Couronne .
-
Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 24 Août ,
concernant l'arrêté des rôles , tant pour la perception
des premier & ſecond Vingtièmes & 4 fols
pour livres du premier , que pour celle du troifième
vingtième érabli par l'Edit du mois de Juillet
dernier. - Autre du 27 Juillet , portant règlement
pour l'approviſionnement du magaſm de
verres à vitres de Normandie établi à Paris .- Autre
du 13 Septembre , qui ordonne que les fils retors
& fimples , tant de lin, que de chanvre , payeront
à toutes les entrées du Royaume , 14 livres par
( 184 )
-quintal , & le ſol pour livre. - Autre du 14
Septembre , concernant l'arrêté des rôles pour les
maiſons & autres emplacemens de la ville & fauxbourgs
de Paris , tant des premiers & ſecond Vingtièmes
, 4 fols pour livres du premier , que du
troiſième Vingtième établi par l'Edit du Juillet dernier
. Autre dudit jour , qui règle les attributions
des Procureurs dues au Bureau des Finances
fur les droits ſeigneuriaux cafuels . Autre du
même jour , qui révoque celui du 9 Août 1781
concernant le privilége excluſif du transport , tant
par eau que par terre , des marchandises qui jouifſent
de la faveur de tranfit ; permet ledit tranf
port aux Voituriers & Routiers , en s'aſſujettiſſant
toutefois aux formalités preſcrites par les Lettres-
Patentes de 1717 , & à celles ajourées par le préſent
Arrêt . Autre du 18 Septembre , concernant
les rentes ſur les revenus de l'Etat , échues à S. M.
par déshérence , aubaine , confiſcation ou autrement
.
De BRUXELLES , le 22 Octobre .
eft
Le traité d'amitié & de commerce entre
la République de Hollande & les Etats-
Unis de l'Amérique ſeptentrionale
maintenant une affaire terminée. Le projet
de ce traité fut remis le 29 Avril dernier
aux Commiffaires des Etats-Généraux , pour
l'examiner , & y ajouter les articles qu'ils
jugeroient les plus avantageux ; le
Août , ils remirent leurs obſervations à M.
Adams , qui y répondit le 29. Tous les
différends ſe trouvant applanis on rédigea
le traité & une convention concernant
la repriſe des navires appartenans aux deux
د
22
( 185 )
Nations. Ces deux pièces ayant été coms
muniquées le 6 de ce mois à M. Adams ,
qui déclara qu'il les approuvoit pleinement ,
la fignature ſolemnelle s'en fit le lendemain.
On avoit fait deux originaux
exactement ſemblables , l'un en Hollandois ,
l'autre en Anglois , mis au net fur deux
colonnes à côté l'une de l'autre.
Le jour même où l'on a ſigné ce traité ,
le Stadhouder a aſſiſté à une aſſemblée
desEtats-Généraux, & leur a remis une lettre
& un mémoire juſtificatif de ſa conduite ,
en qualité d'Amiral - Général de la République
, depuis la rupture avec l'Angleterre.
On a remis copie de ce mémoire , qui eſt
très-étendu , aux Députés des Provinces
reſpectives , pour qu'ils le communiquent
à leurs principaux; on n'a encore publié
que la lettre qui l'accompagnoit , & qui
eſt conçue ainſi.
>> H. & P. S. Nous nous trouvons actuellement
en état de fatisfaire à l'engagement que nous avons
pris ſur nous il y a quelque tems , de mettre ſous
les yeux de V. H. P. , & par là fous ceux des
Confédérés , le tableau ſuivi de nos efforts & opérations
avant & pendant les troubles intérieurs &
extérieurs qui menacent la patrie d'une ruine irréparable
; & afin de laiſſer dans les regiſtres des
délibérations de V. H. P. , ainſi que dans ceux des
Seigneurs-Erats de toutes les Provinces , un monument
éternel de nos vrais deſſeins & amour pour
la patrie, auſſi bien que de la fauffeté des idées
( 186 )
&défiances que l'on cherche à inſpirer depuis longtems
, & aves trop de ſuccès , contre les intérêts
de la République , à une Nation au milieu de laquelle
je ſuis né & élevé , dont les intérêts font
les miens , & dont la proſpérité & le bonheur ,
inséparablement liés à celui de notre Maiſon , forment
conféquemment une partie & même la plus
grande partie de notre bonheur perſoneel. Nous
avons éré obligés non-ſeulement d'entrer dans beaucoup
de détails , leſquels font demandés , pour répandre
la lumière néceſſaire ſur toutes nos actions
&opérations confidérées dans leur enſemble, ( ſans
quoi il n'eſt point foſſible de poster un jugement
fain fur les deſſeins & la conduite de qui que ce
ſoit ) ; mais encore de rappeller à V. H. P. & aux
Seigneurs-Etats des Provinces reſpectives , diverſes
& même pluſieurs circonstances qui ne leur font
foint connues : & comme nous nous ſommes propoſés
de rétabir cette confiance réciproque & faire
revivre cette harmonie , ſans lesquelles il eſt impoſſible
de ſauver la patrie de l'éminent danger
où elle ſe trouve , nous avons cru devoir nous
garder ſoigneuſement de toures réflexions qui pourroient
donner occafion à de nouvelles animoſités,
ou à la diminution des égards & confidérations
que ſe doivent entr'eux ceux qui ont part à la
Régence du pays. Par ce même principe nous nous
ommes abſtenus de relever telles expreffions &
remarques par l'uſage deſquelles , dans plus d'une
réſolution , propoſition & lettres , on a manqué à
cette difcrétion néceſſaire à l'égard de notre perfonne.
Nous nous ſommes ſimplement bornés à
l'indication des faits & évènemens qui pourront
convaincre tout homme impartial , non-ſeulement
parmi nos contemporains , mais encore la poſtériré
non prévenue, que ſi notre conduite eſt jugée
2
( 187 )
n'avoir pas procuré tout le bien poſſible , au moins
nos intentions ont toujours été pures & n'ont eu
d'autres vues que ce que nous avons cru & croyons
encore être le plus convenable aux viais intérêts
de la patrie. Comme nous ne doutons point que
le mémoire dans lequel nous avons compris le
récit détaillé & ſuivi de nos principales opérations , &
en particulier de tout ce qui a rapport à la Marine
de l'Etat , répondra parfaitement à notre deſſein ,
nous penſons auſſi devoir attendre des ſentimens patriotiques
& équitables de V. H. P. que conjointement
avec les confédérés , elles voudront concourir
avec nous à tatir la ſource d'où font dérivés ces
_troubles & diſſentions inteſtines, avant qu'il ſoit trop
tard , par des meſures efficaces & convenables , contre
les efforts puriſſables qui tendent de jour en jour
non-ſeulement à renverſer la forme actuelle du
Gouvernement , mais encore à détruire les fondemens
de l'Administration «.
Le Stadhouder remit en même tems aux
Erats Généraux une Requête , qui lui avoit
été préſentée par tous les Officiers de pavillons
& Capitaines de la marine de la
République , qui ſont à la rade du Texel.
Ils s'y plaigrent , dans les termes les plus
forts , de pluſieurs papiers de nouvelles &
feuilles périodiques , où l'on trouve des
expreſſions très-vives& très injurieuſes pour
le Corps entier de la marine. Ils demandent
qu'on prenne des meſures pour mettre fin
à ces diffamations , & déclarent que ſi elles
continuent , ils ſe creiront dans la néceſſiré
d'abandonner à d'autres les commandemens
dont ils font chargés. Le Stadhouder appuya
( 188 )
fortement cette Requête , en inſiſtant fur la
juſtice de ces plaintes , & fur la ſenſibilité
que devoient cauſer ces libelles à ceux qui
en étoient l'objet ; il en appella même à ſa
propre expérience. Les Etats-Généraux ont
fait paffer cette Requête aux Etats des Provinces
reſpectives .
>> Il eſt ſorti la ſemaine dernière du Texel , écriton
d'Amſterdam , les vaiſſeaux de guerre le Glin-
- thorst , de so canons , la Brille , le Jaſon , de 36 ,
& la Vénus , de 24. Le 10 , il en fortit encore une
petite eſcadre , ſous les ordres du Capitaine Lucbergen
, conſiſtant dans les vaiſſcaux l'Amiral de
Ruyter , l'Utrecht , l'Unie , de 64 canons , le Kortenaar
, de 60 , le Goos , de so , & un cutter. On
apprend auffi que le Zierikzee , de 60 , a mis à la
voile pour Fleſſingue.-Depuis le 9 de ce mois ,
il eſt ſorti du Texel & du Vlie 83 navires marchands
, deſtinés la plupart pour la Mer Baltique ,
& 73 autres font arrivés dans les perts. Plafieurs
navires marchands , venant de la Baltique , ont péri
fur nos côtes , & d'autres ont fait naufrage.
écrit du Helder , que so hommes de l'équipage du
navire la Vénus , appartenant à la Compagnie des
Indes Orientales , ſe ſont emparé d'une allège qui
apportoit des proviſions. Quatre des principaux ſéditieux
ont grièvement bleſſé le premier Pilote avec
des couteaux. Un autre Pilote du même navire ,
ainſi que les chaloupes des vaiſſeaux de guerre ,
s'étant mis à leur pourſuite , les ont atteints , &
les ont conduits priſonniers à bord des vaiſſeaux
de guerre , après avoir tué un homme «.
On
Des lettres de la Haye arrivées il y a
quelques jours , ſembloient annoncer que
( 189 )
l'eſcadre Hollandoiſe ne ſortiroit point du
reſte de la campagne , à cauſe du manque
de tems pour l'approviſionner ; d'autres arrivées
poſtérieurement , marquent qu'on
s'occupe de ces approviſionnemens , & que
le Stadhouder a donné des ordres à cet
effet.
Ceux qui ont lu la lettre de M. Gibbon
fur l'état de l'Angleterre , feront bien-aiſes
de trouver les obſervations ſuivantes que
l'on vient de nous adreffer .
,
» J'ai dû , M. , plus particulièrement qu'un
autre applaudir à la lettre ſupérieure de M.
Gibbon , confignée dans votre Journal du mois
d'Aôut ayant l'avantage de le connoître perfonnellement
& la justice de le regarder comme
un des plus beaux génies de l'Angleterre. Il a
crayonné de la manière forte & fublime qui lui
eft propre , les cauſes générales & éloignées qui
ont préparé l'état fâcheux où il dit ſa patrie. Il
a laiſſé aux eſprits du ſecond ordre à équiſſer les
cauſes prochaines & les détails qui ne pouvoient
entrer dans ſon plan ; c'eſt à une des cauſes de cer
ordre , M. , que je m'attache aujourd'hui , & j'entreprens
de prouver dans certe lettre , que la perplexité
dans laquelle ſe trouve l'Angleterre depuis
deux ans , & l'affoibliſſement de ſes armes en Amérique
& dans l'Inde , doivent être attribués à la déclaration
de guerre faite aux Hollandois .-Il eſt
ſenſible d'une part que l'eſcadre qu'ils ont ſpécialement
détachée contre ces nouveaux ennemis dans
la Manche , eût pû être envoyée à titre de renfort
à l'Amiral Samuel Hood ; qu'alors ce général
( 190 )
eût été en meſure avec M. le comte de Grafic ,
& par- la en état de lui difputer l'entrée à la poffeffion
de Cheſapeack ; que le fort du Lord Cornwallis
dé endant de cette égalite , il eſt clair que
cebrave officier lutreroi, encore dans le conument ,
& q e le poſte d'Yorck eût été conſervé.-I. n'eſt
pas moies clair d'une autre part , M. , que cette
déclaration a obligé 1Angleterre de doubler à peuprès
fes eſcadres & ſes troupes dans l'Inde , puif
que ſes ennemis & leurs moyens s'y étoient dou.
blés. Elle eſt de plus forcée de donner à fon commerce
important de la Baltique , une attention &
des eſcortes qui la gênert & la diſtraient , en raifon
des inquiétudes que peuvent lui donner ces voifins
incommodes . Vous direz peut- être , M. , que
les Anglois ont fait fur les Hollandois des conquêtes
& des priſes , mais qu'elles conquêtes ? &
fi minces qu'elles ſoient les ont- ils confervées ?
Ces conquêtes & ces priſes ont enrichi quelques
particuliers & appauvri le gros de la Nation , toujours
enivré par une proſpérité de trop longue haleine
; proſpérité que l'aveugle préference donnée
fi long-tems par une grande nation de l'Europe ,
aux guerres de balance de terre ſur les guerres de
mer, les ſeules à mon avis qui lui conviennent d'après
ſa pofition & ſon commerce , ſembloit devoir
cimenter pour les ſiècles à venir. Si la confiance
tout auffi aveugle qui en eſt la ſuite preſque inévitable
, n'avoit pas produit pour ſes ennemis ordinaires
,& encore plus pour les refſourcesphyfiques
& morales de ſes Colonies du continent , un
mépris qui lei a fermé les yeux fur les conféquerces
funeſtes qui devoient en réſulter. On ne
peut ſe déguiſer , M. , que ces conféquences auroient
éré bien plus fatales à l'Angleterre , qu'elles ne le
feront fans doute , ſi une des Nations confédérées
( 191 )
avoir dès le commencement de la guerre , joint à
nos forces navales dans les mers de l'Amérique ,
les forces navales très - confidérables qu'une conquête
chimérique & diſpendieu e a conftamment
fixées à bout touchant de l'objet de ceste conquête.
-Plaignons , M. , les nations & les particuliers ,
que les ſuccès rendent également incapables de réfifter
à cet eſprit de vertige qui ſemble s'amalgamer
avec eux & les entraîcer tête baiffée vers leur ruine
par le înépris des révolutions poſſibies & des incertitudes
de l'avenir. J'ai l'honneur d'être , &c. Signé
le Chevalier DE LA MOTTE-GEFFRARD , ci-devant
Lieutenant de Roi de St-Omer.
>> On apprend de la Haye qu'on inſtruit le procès
d'un jeune Officier qui a été arrêté ; on l'accuſe
d'une correſpondance illicite avec l'Angleterre. Ce
jeune homme eſt Enſeigne dans le premier bataillon
du Régiment du Lieutenant- Général , Comte
d'Yſemberg , actuellement en Garniſon à Schouwen.
Son projet a , dit-on , été de faciliter aux Anglois
une deſcente dans l'Ile de Goerée , qu'on regarde
comme la clef de la Meuſe. On affure qu'au moment
où l'on ſe ſaiſit de lui , un Ingénieur Irlandois
, au ſervice Britannique , qui fe tenoit dans
l'Iſle de Schouwen , s'en eſt retiré ſubitement «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , du 15 Oct.
Une mortalité confidérable , occaſionnée par la
nature du climat , a enlevé un grand nombre de
troupes Européennes , ſous les ordres du Chevalier
Eyre Coote.
Il ya des parisque New-Yorck ne ſera point dans
la poſſeſſiondes Anglois le 31 Décembre. On y a,
dit-on , envoyé ordre de faire embarquer , pour la
( 192 )
6. B. , les différens détachemensdes Gardes en gars
niſon dans cette Place.
Les ſeals habitans de Londres qui aient illuminé
leurs fenêtres , pour célébrer l'heureux retour de
l'Amiral Rodney , font un Tailleur , du Strand , &
un Poète qui occupe les greniers de la maiſon de
ce Tailleur, - On reproche à l'Amiral Rodne,y
d'avoir , malgré les inſtances réitérées des habitans
de la Jamaïque, reculé le départ de la flotte de cette
Ile , juſqu'au tems où l'on étoit preſque sûr qu'elle
ſeroit expoſée aux tempêtes ; on ajoute que le motif
de ce retardement étoit de réparer ſes propres forces;
mais nous regardons de pareils traits comme une
calomnie , ne pouvant ſoupçonner ce Lord d'une
avarice affez fordide pour aimer mieux expoſer
une flotte auſſi précieuſe ,& la vie de tant de braves
gens , que de courir les riſques de n'avoir point de
convoi pour les bâtimens qui lui appartenoient.
Les vaiſſeaux qui ont quitté l'eſcadre du Lord
Howe , pour relâcher en Irlande , ont effuyé conftamment
les ouragans les plus ferieux depuis qu'ils
ſont ſortis de la Manche , mais heureuſement aucun
des vaifſeaux de ligne n'a été maltraité au point d'être
obligé de revenir en Angleterre.
Suivant une lettre de Portsmouth, reçue ici le 12
l'eſcadre , deſtinée pour le ſervice de la Manche ,
ſera prête à mettre à la mer dans une quinzaine de
jours ,les vaiſſeaux qui ſont à Sherneſſ ayant àbord
le complet de leurs équipages & de leurs approvifionnemens
.
Le Chevalier Parker a mis à la voile de Por
mouth , hier , à bord du Cato , de so canons , pour
aller prendre le commandement de l'eſcadre dans
l'Inde , à la place de l'Amiral Bickerton. L'Amiral
Hughes que celui- ci alloit remplacer , eſt , dit-on ,
déja actuellement en route pour revenir enEurope.
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