→ Vous voyez ici les données brutes du contenu. Basculez vers l'affichage optimisé.
Nom du fichier
1782, 04, n.14-17 (6, 13, 20, 27 avril)
Taille
18.30 Mo
Format
Nombre de pages
401
Source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE 231 sup contus un vuod
of teg zaahtodun ziotupleno sam's 12,29.0
ᎠᎬ
90-E
FRANCE
illust -1979 levon sau SOVIE 250001
DÉDIÉ AU ROI ,
29 ispaol
Samiti a' singl
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES
CONTENANT
Le Journal Politique des principaux événemens de
toutes les Cours; les Pièces fugitives nouvelles en
vers & en proſe ; l' Annonce & l'Analyse des
Ouvrages nouveaux ; les Inventions & Décor
vertes dans les Sciences & les Arts ; les Spectacles ,
les Caufes célèbres ; les Académies de Paris & des
Provinces ; la Notice des Edits , Arrêts ; les Avis
particuliers , &c. &c .
S
PEDIG EDI 6 AVRIL 1782 .
USO
PARIS
Chez PANCKOUCKE , Hôtel de Thou
rue des Poitevins .
Avec Approbation & Brevet du Roi.
FOR
LIBRAR
JONATHABLE
PIÈCES
Du mois de Mars 1782 .
IÈCES FUGITIVES.
Vers & S. A. R. Madame
la Comteffe d'Artois ,
Epure à M. Courtde Gébelin ,
3
Réflexionsfur les Traités d'Education
*
65
Géographie Comparée
Nouveaux Effais Hiftoriques
fur Paris ,
Tributs offerts à l'Académie
de Marfeille,
Note concernant l'Extrait du
Livre de Silius Italicus , 80
75
Vers à Mde la Marquise de L'Hiver , Epure à mes Livres
Br**** ,
Au R. P. Théodore ,
49
L'Anti-Mephitique ,
III
II
Adieux àD.... Château de M. Hiftoire de Miff-Elife WarleP.
D....
"
ib.
53 Stances à Zémire ,
Vers pour mettre au bas du
Portrait deM. Noverre , 97
4 cellequi s'y reconnoltra , 98
L'Innocence Fable Orientale
,
Réponse aux Réflexions fur
l'Education ,
wick , 123
Capitularia Regum Francorum
,
128
152
Reli-
177
Colomb dans les Fers ,
Difcours fur la Vie
gieufe ,
Pieces Fugitives de M. le
99 Mierre de l'Académie
ib . Françoife ,
218
Vers fur l'Impératricede Ruf Hiftoire du Grand Duché de
5058145
-A M. de Choify ,
fie
Réponse,
Tofcane, 226
ib. SPECTACLES.
148 Acad. Roy. de Mufig. 82 , 231
Vers à M. de Paftoret, 193 Comédie Françoiſe , 88 , 132 ,
Le Fat Corrige . Conte , 194
177
Comédie Italienne , 96 , 135 .
184, 234
38
Enigmes & Logogryphes , 17 ,
55 , 110 , 149 , 216
NOUVELLES LITTER. Académie ,
Variétés , 19 Traduction de Sallufte ,
Collection des Moraliftes anciens
29
Les Hommes Illuftres de la
Marine Françoife ,
Les Hochets Moraux,
$7
96 , 138 , 188
Gravures, 91 , 141 , 190, 137
Mufique, 93 ,196
Annonces Littéraires , 47, 94.
142,191 , 229
A Paris , de l'Imprimerie de MICHEL LAMBERT
rur de la Harpe , près S. Côme, 1782.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 6 AVRIL 1782,
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
AM. le Duc DE CRILLON , fur la
Conquête de Minorque.
ILLUSTRE defcendant d'un Héros de la France
Qui fut de fon pays & la gloire & l'appui ,
Digne par fa franchiſe ainfi que fa vaillance ,
D'être l'ami d'un Roi non moins brave que lui !
Toi , qui renverfes les barrières
De Saint-Philippe & de Mahon ,
Rends-nous , par tes vertus guerrières,
Le brave & généreux Crillon.
De ces lauriers , que ton modèle
-Cueillit dans les plaines de Mars ,
Cultive la tige immortelle™
A l'ombre de tes étendards.
A
MERCURE
DEJA tu combles l'efpérance
De l'Espagnol & du François ,
Et ta valeur & ta prudence
Ont triomphé du fier Anglois .
Ta promeffe n'eft pas frivole ,
Et tu t'es conduit en Crillon .
On te croira fur ta parole
Quand tu jureras par ton nom.
Mais tandis qu'avide de gloire
Tu veux , par tes fameux exploits ,
Immortalifer ta mémoire ,
Et venger enfemble deux Rois ;
Sans refpecter ton grand courage ,
Un rapide & fatal boulet ,
Aveugle inftrument du carnage ,
Peut renverfer ce beau projet,
Alors , étendu fur l'arène ,
On diroit de notre Héros :
Crillon , brave comme Turenne ,
Meurt au milieu de fes travaux.
De Mahon il fit la conquête ;
Et s'il eût fuccombé plus tard ,
Il auroit juré fur la tête
D'entrer vainqueur dans Gibraltar.
TANDIS que la belle Eſpagnole
Parle du vainqueur de Mahon ,
La jeune Françoifé en raffole
Par les bonnets à la Crillon."
DE DS FRANCE.
La beauté piquante & légère ,
Ornant la tête de Rubans ,
Pour mieux enchaîner fes amatis ,
Y joint les palmes de la guerre.
Ainfi l'on doit notre pardon
A notre amour pour la Patrie ;
Ainfi l'on peut par la taifon
Juftifier notre folie.
Fier de tes exploits glorieux ,
Pourfuis ta brillante carrière .
Et non moins grand que tes aycux ,
Rends-leur par ta propre lumière
Tout l'éclat que tu reçus d'eux .
( Par M. Foix , Med. )
AIR DE THÉSÉE , chanté par M. LegrÓs .
Si la belle E- glé m'eſt ra-
KO
vi- e , Je ne prétends plus rien ,
Je ne prétends plus rien : Je perds
l'u- ni- que bien , Qui m'auroit fait
A iij
MERCURE
ai-o
meri la vi- e , Je perds
l'u- ni-que bien ,
l'u- ni- que
bien , Qui m'au - roit
fait ai- mer
96la
vi- e , Qui m'auroit fait
pour
A la Reprife
la 2. fois.
( ai- mer la vi- e.
Quoi je li-vrois mon coeur à l'ef-poir .
le plus doux ! Hélas ! c'étoit pour
la trou- ver cou- pable : A- chève
, accable- moi , De- ftin im- pi-

to- ya- ble ; Qu'ai- je à craindre enDE
FRANCE.
cor de tes coups ? Qu'ai- je à craindre
encor de tes coups?
Reprije.
- e. Si la belle Eglé m'eft ra- vi- e ,
Je ne pré- tends plus rien , Je
ne pré- tends plus rien.
Η
(Paroles de Quinault , Mufique de M. Goffec. )
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eft Glace ; celui
du Logogryphe eft Payé , où fe trouvent
eau,peu , Pau , Ave.
A iv
MERCURE
ÉNIGM E.
INCAPABLE
NCAPABLE d'orgueil on me dit fuffifante ;
Je fuis par fois très- riche & ne possède rien;
Tout mon mérite & tout mon bien ,
C'eft d'être toujours accordante ;
Car , pour m'expliquer fans façon ,
On me connoît à l'uniffon .
JE
( Par M..... , à Sepeaux , près Joigny. }
LOGOGRYPHE.
E fuis , Lecteur , ce qu'on eft à tout âge,
Si tu me prends dans un fens général ;
Car autrement je fuis être volage ,
Étourdi , vif , à qui tout est égal ,
Et qui maudit fa pénible exiſtence.
Je crois que l'on ne peut être plus malheureux.
Tous les jours cependant des gens d'expérience
Sont jaloux de mon fort . Il cft vrai que les jeux
Semblent fans ceffe accompagner mes traces ,
J'en conviens ; mais auffi veillent fur moi des yeux
Qui me caufent mille difgrâces.
Tu fus ce que je fuis , ou bien tu l'es encor.
Veux- tu mieux me connoître ?
Kenverfe mes fept pieds , ( jà tu me tiens put- être )
Tu trouveras le Roi des vents ;
DE FRANCF .

Une chaîne à trois rangs dont le pare Angéliqué ;
De Moines révérés le fondateur antique ;
L'endroit où triftement vont les petits enfans ,
Mais recherché fans ceffe des Savans ;
Ce qu'un Acteur de Comédie
Débite en bonne compagnie ;
Cet inftrument qui charma les Dauphins ;
Celle qui d'un État dirige les deftins ;
Celui qui le conduit guidé par la fageffe .
Mais c'eſt affez , Lecteur , exercer ta fineffe.
Adieu , je m'en retourne au pays des Latins .
( Par M. Mefnard du Montelet.) ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
DISCOURS prononcés dans l'Académie
Françoife , le Jeudi 21 Février 1732 , à
la réception de M. le Marquis de Condorcet.
in 4. A Paris , chez Demonville , Imprimeur
de l'Académie Françoiſe , rue
Chriftine.
ES Les Écrivains qui poſsèdent pluſieurs talens
, & fe diftinguent dans des genres qui
paroiffent oppofés , nous donnent une plus
grande idée de l'efprit humain , & femblent
deftinés à la gloire d'ajouter à fon étendue.
La perfection même , lorfqu'elle eft remfermée
dans un genre , peut donner à l'efprit
A v
16
MERCURE
un fentiment importun de fes bornes . Cela
eft vrai , furtout dans les Ouvrages philofophiques.
Lorfqu'il s'agit de découvrir & de
démontrer des vérités importantes pour notre
bonheur , on craint toujours qu'il n'ait
manqué quelque chofe à celui qui n'a pas
connu toutes les méthodes & n'a pas réuni
toutes les lumières. Par exemple , on s'eft
toujours plaint de ne pas trouver dans les
Sciences morales la certitude & l'évidence
qui caractérisent les Sciences exactes ; &
quelques- uns de ces Écrivains , qui ne manquent
jamais de prendre les mots pour les
chofes , ont tranfporté la langue de la géométrie
dans la morale , croyant apparemment
qu'elle étoit très - propre à porter la perfuafion
dans les âmes : ils ont pensé qu'on
ne pouvoit pas réfifter à leur doctrine lorfqu'ils
donnoient le nom de Theoreme à une
queftion frivole , & qu'une conféquence ab
furde étoit inattaquable du moment qu'ils
l'appeloient Corollaire. Des génies plus heureux
ont laiffé leur langue aux Sciences exactes,
& en ont porté la préciſion & la lumière
dans la langue des Arts & de la morale ; ce
moment a été celui d'une grande révolution .
L'Homme de Lettres qui veut parler de nos
paffions , de nos vices & de nos vertus , n'a
plus été réduit , ou à rajeunir , par des expreffions
fouvent recherchées , des vérités
connues de tous les temps dans la morale ,
ou à jeter quelques apperçus nouveaux ,
mais ifolés , qui , ne fe liant point du tout
DE FRANCE. II
? aux vérités déjà découvertes , ne faifoient
faire que des pas incertains dans la connoiffance
de l'homme, Prefque tout le talent des
moraliftes , jufqu'à nos jours , ſe bornoit à
peindre des caractères avec énergie ou avec
gaîté , & à établir des maximes diverfes encadrées
avec art dans une phrafe précife :
depuis que nos Philofophes moraliftes ont
été en état d'obferver comment , dans les
Sciences exactes , les vérités s'enchaînant aux
vérités , formoient une lumière qui devenoit
plus pure & plus éclatante en fe répandant
fur une plus grande étendue , & ne laiffoir
aucun point obfcur dans tout l'efpace qu'elle
avoit éclairé ; des Philofophes éloquens , des
Écrivains fupérieurs , dont l'efprit étoit foutenu
& agrandi par des méthodes femblables
, ont donné des Ouvrages où ils pei-
-gnent , non pas quelques caractères , mais
l'homme ; où nous trouvons , non pas feulement
quelques maximes ifolées , mais une
morale entière. C'eft à cette époque que le
caractère de l'Homme de Lettres s'eft ennobli
dans l'opinion publique , & que le
nom des Philofophes a été placé fouvent à
côté de celui des Légiflateurs. On ne veut
pas difconvenir que cette nouvelle fource de
beautés & de gloire pour les efprits fupérieurs,
ne foit devenue une fource de mauvais goût
& de ridicule pour les mauvais efprits. Trop
de gens ont pris les grandes questions pour
de grands Ouvrages , les mots abftraits pour
des idées profondes , & la prétention d'être
A vj
12 MERCURE
le précepteur du genre- humain pour la
preuve du génie. C'étoit très bien fait d'attaquer
de pareils ridicules ; & peut - être
n'etoit-il pas très- difficile de les faire tomber ;
mais il peut fe faire aufli qu'en s'oppofant
aux progrès de ce mauvais goût , on n'ait
pas affez craint d'arrêter les progrès de l'efprit
& des lumières. Quelques Hommes de Lettres
qui , ne pouvant prétendre qu'au talent
de bien écrire , voudroient mettre ce talent
au-deffus de tout , affectent de regarder avec
une forte d'indifférence tout ce qui s'élève
au- deffus des objets purement littéraires : ils
font profeffion de croire que le talent & le
goût courent trop de rifques de fe gâter dans
les matières qui exigent de la profondeur &
de l'étendue dans les idées . Ils prennent &
voudroient nous faire prendre les bornes de
leur efprit pour les principes du bon goût.
Il doit être permis de réclamer contre ces
maximes , qui pourroient bien être celles de
l'impuiffance. Tout n'eft pas perdu , quo
qu'ils en difent , parce qu'on exige que le
talent ferve à étendre les lumières , & qu'on
n'eftime que médiocrement des Ouvrages
écrits avec élégance & avec nobleffe , mais
où l'Auteur fe montre dans tous les gentes
au deffous des penfées de fon frècle. Si l'on
cherchoit la raiſon pour laquelle ces Écrivains
, toujours purs & nobles , ne font jamais
fublimes , on pourroit la trouver dans
cette impuiffance où ils font de s'élever à des
idées qu'ils paroiffent craindre fi fort pour
DE FRANCE. 13
leur talent ; qu'ils tâchent donc de s'accoutumer
au malheur de voir un fiècle éclairé ,
referver fon admiration pour des Ouvrages
où toutes les beautés de l'éloquence & du
Style fervent de moyen pour enrichir encore
le tréfor de nos connoiffances . Boileau , qui
n'étoit pas plus fevère qu'un autre pour les
Ouvrages qui avoient le mérite du ftyle , ne
penfoit pas autrement que notre fiècle :
Un Lecteur fage fuit un vain amuſement ,
Et veut mettre à profit fon divertiſſement .
Des Auteurs qui feroient au - deffus de
leurs contemporains par les idees, pourroient,
avec fuccès, faire appel à la poftérité ; mais la
poftérité , plus éclairée encore , aura moins
d'indulgence pour ceux dont l'efprit eft audeffous
de leur fiècle. En un mot , la gloire
deformais ne peut être le partage que de ces
hommes rares qui réuniront dans leurs talens
toutes les forces de l'efprit humain , &
porteront leurs talens fur des fujets qui intéreffent
l'humanité toute entière. Voilà les
hommes qu'il faut encourager & récompenfer
par l'efpérance & le don des titres & des
honneurs littéraires . Sils réuniffent plufieurs
genres , ils méritent plufieurs places ; car
non-feulement il faut une récompenfe à
chaque genre , mais il faut avoir égard encore
à leur réunion , chofe fi rare & fi propre
à illuftrer & à éclairer l'efprit humain.
La place feule que M. de Condorcet occupe
à l'Académie des Sciences , amonçoit
peut- être qu'il en méritoit une autre ; fi, pour
14
MERCURE
y être admis, il fuffit d'être un Savant , il faut
encore fans doute être un Homme de Lettres
diftingué pour mériter d'en être le Secrétaire.
Au moment où M. de Condorcet a
paru dans les Sciences & dans les Lettres ,
les Euler & les d'Alembert l'ont mis au
rang des premiers Géomètres de l'Europe;
& des Littérateurs , qui fe piquent fur- tout
de fe connoître en ftyle , ont propofé le
fien comme un modèle de bon goût , à
ceux qui prenoient l'enflure pour de l'énergie
, & des déclamations pour l'éloquence .
Nous parlons volontiers de ce que nous
admirons & de ce que nous aimons. Il étoit
naturel que M. de Condorcet parlât de la
philofophie, & faisît , pour la défendre'contre
fes ennemis , le moment où il pouvoit en
faire entendre l'éloge à l'élite de la Capitale
affemblée. L'objet de fon Diſcours eft donc
de prouver que , de nos jours , des méthodes
plus fimples & plus sûres ont fait faire aux
Sciences des progrès que rien ne peut fufpendre,
& qui s'accroîtront de fiècle en fiècle ;
qu'il n'eft point de vérités ftériles , & que
chaque découverte eft un bienfait pour l'humanité
; que la morale & les moeurs fe perfectionnent
comme toutes les Sciences , &
par les mêmes cauſes ; qu'enfin , la Philofophie
, loin de nuire aux Beaux - Arts , leur
crée de nouvelles fources de richeffes , &
découvre , pour ainfi dire , de nouveaux
mondes , lorfque les Beaux- Arts ont épuisé
toutes les images du monde connu.
DE FRANCE.
15
*
On voit que le fujet du Difcours de M.
de Condorcet , dans fa partie du moins la
plus importante , eft precifément le même
que celui du fameux Paradoxe qui commença
la gloire & les malheurs de Rouffeau
de Genève , ce fut encore le fujet du Difcours
de Réception à l'Académie Françoife ,
d'un Homme de Lettres qui écrit trop
peu , fans doute , mais affez cependant pour
être diftingué par le talent de rendre avec
grâces des idées à la fois profondes & naturelles.
Un fujet traité fi fouvent , annonce
peut- être que la queftion n'eft pas encore
tout- à- fait décidée , & l'on aime à voir ces
grandes queftions fe renouveler de temps en
temps. Les faits & les obfervations fe multiplient
dans les intervalles ; l'efprit de parti ,
l'amour- propre & l'amour de la difpute fe
modèrent & fe calment ; on cherche la vérité
avec plus de bonne -foi & avec plus de
moyens de la découvrir.
Rouffeau de Genève , qui n'avoit rien de
commun avec les autres ennemis de ia Philofophie
, fut bien loin de contefter les progrès
des Sciences dans notre fiècle ; il n'eût
pas l'injuftice & la mauvaife foi d'en refufer
la gloire à cet efprit philofophique , auffi
propte à enrichir les Lettres qu'à étendre les
Sciences. Rouffeau de Genève auroit pu
dire , comme M. de Condorcet :
* M. Suard.
16 MERCURE-

8
art ,
«Cette union entre les Sciences & les Lettres , eft
un des caractères qui devoient diftinguer ce fiècle ,
où, pour la première fois , le fyftême général des
principes de nos connoiffances a été développé , où
Ja inéthode de découvrir la vérité a été réduite en
& , pour ainfi dire , en formules ; où la raiſon a
enfin reconnu la route qu'elle doit fuivre , & faifi le
fil qui l'empêchera de s'égarer . Ces vérités premières ,
ces méthodes répandues chez toutes les Nations , &
portées dans les deux Mondes , ne peuvent plus s'anéantir.
Le genre- humain ne reverra plus ces alternatives
d'obscurité & de lumière auxquelles on a cru
long temps que la Nature l'avoit éternellement condamné
Il n'eft plus au pouvoir des hommes d'éteindre
le flambeau allumé par le génie , & une révolution
dans le Globe pourroit feule y ramener les
ténèbres .... Chaque fiècle ajoutera de nouvelles
lumières à celles du fiècle qui l'aura précédé, & ces
progrès , que rien déformais ne peut arrêter ni fufpendre
, n'auront d'autres bornes que celles de la
durée de l'Univers.... A mefure que les lumières
s'accroiffent , les méthodes d'inftruire fe perfectionnent
; l'efprit humain femble s'agrandir & fes
hmites fe reculer. Un jeune homme , au fortir de nos
Écoles , réunit plus de connoiffances réelles que n'ont
pu en acquérir , par de longs travaux , les plus grands
génies , je ne dis pas de l'antiquité , mais du dixfeptième
fiècle . Des méthodes toujours plus étendues
fe fuccèdent & raffemblent , dans un court efpace
toutes les vérités dont la découverte avoit occupé
les hommes de génie d'un fiècle entier. Dans tous
les temps l'efprit humain verra devant lui un efpace
toujours infini ; mais celui qu'à chaque inftant il
laiffe derrière foi , celui qui le fépare des temps de
fon enfance , s'accroîtra fans ceffe. »
Tous les traits de ce tableau , précis &
DE FRANCE. 17
fermes , annoncent un homme qui possède
parfaitement les choſes dont il parle , & qui
peut donner à l'inftant les preuves des faits
qu'il affirme ; on croit entendre un Architecte
qui développe le plan d'un édifice qu'il
a élevé. Nous avons vû des Hommes de
Lettres tracer de magnifiques defcrip ions
de toutes les Sciences fans en pofféder aucune
; mais leur ignorance étoit ce que l'on
voyoit le mieux dans leurs tableaux.
Peut-être M. de Condorcet ne devoit- il
pas dire que la méthode de découvrir la vérité
a été réduite en formules. Ce mot de
formule ne paroît convenir qu'à l'art du fyllogifme
, à la méthode d'Ariftote , qui n'a
fait découvrir aucune vérité . Celle des Philofophes
de nos jours n'eft pas différente de
l'inftinct qui fait le bon fens du peuple , &
de celui qui fait le génie de l'Orateur & du
Poëte. Jufqu'à notre fiècle on avoit eu la
logique d'Ariftote & de Defcartes . Locke &
l'Abbé de Condillac nous ont donné la logique
de la Nature. Je fais qu'il eft des gens
qui n'en conviennent pas , mais Voltaire &
les premiers hommes du fiècle en font convenus.
D'ailleurs , ceux qui eſtiment peu
Locke & l'Abbé de Condillac , ne font pas
grand cas de la ineilleure méthode ; & ils
peuvent avoir leurs raifons. En effet , lorfqu'on
n'a point d'efprit , il eft affez inutile
d'avoir une méthode qui apprenne à le
diriger ; & left: démontré qu'on peut ,
MERCURET
fans méthode & fans efprit , faire des Journaux
, des Alınanachs & des Affiches.
On a quelque peine à croire qu'un jeune
homme , au fortir de nos écoles , ait plus de
connoiffances réelles que des hommes tels que
Pafcal , dans le fiècle de Louis XIV . Je fais
que c'étoit le fiècle des grands talens plutôt
que des lumières ; mais dans nos écoles uni
jeune homme entend parler des découvertes
de Newton , & ne les connoît guère ou les
connoît bien mal . C'eft toujours beaucoup
que les découvertes & les connoiffances du
fiècle foient déjà dans nos écoles ; elles n'y
pénétroient pas fitôt autrefois.
«Ces Sciences , prefque créées de nos jours , dont
l'objet eft l'homme même , dont le but direct eft
le bonheur de l'homme , n'auront pas une marche
moins sûre que celle des Sciences phyfiques ; & cette
idée fi douce que nos neveux nous furpafferont en
fageffe comme en lumières , n'eft plus une illufion.
En méditant fur la nature des Sciences morales ,
on ne peut en effet s'empêcher de voir qu'appuyées ,
comme les Sciences phyfiques , fur l'obſervation des
fairs , elles doivent fuivre la même méthode , acquérir
une langue également exacte & précife , atteindre
au même degré de certitude . Tout feroit
égal entr'elles pour un être qui , étranger à notre
efpèce , étudieroit la fociété humaine comme nous
étudions celle des caftors ou des abeilles ; mais ici
l'Obfervateur fait partie lui - même de la fociété
qu'il obferve , & la vérité ne peut avoir que des
juges ou prévenus ou féduits . »
On fent combien ce rapprochement eft
DE FRANCE. 19
ingénieux , & combien il rend l'idée plus
fenfible à l'imagination ..
M. de Condorcet dit ailleurs , que la vertu
n'a befoin de s'élever au-deffus de la Nature
que lorfqu'elle lutte à la fois contre les paffions
& l'ignorance; que les lumières rendent
les vertusfaciles , que l'amour du bien général,
& même le courage de s'y dévouer , eft,
pour ainfi dire , l'état habituel de l'homme
éclairé.
Il attaque cette opinion commune de tous
les âges du monde, que la Nature humaine
dégénère & fe dégrade fans ceffe , & paroît
croire que c'eft avec injuftice que tous les
fiècles s'accufent d'être plus cortoinpus que
ceux qui les ont précédés.
Voilà des propofitions qui font abfolument
oppofées à celles que Jean - Jacques
a foutenues dans la plupart de fes Ouvrages. Il
faut obferver qu'avant Rouffeau , prefque
tout le monde , tout en croyant que les lumières
perfectionnent les moeurs , ſe plaignoit
de voir nos moeurs fe corrompre tous
les jours davantage au milieu des progrès de
nos lumières. Ce n'eft guere que depuis fon
paradoxe , qu'on a commencé à faire l'éloge
des vartus du fiècle. Ainfi , ceux qui l'accufent
de n'avoir débité que des fophifmes fur
cette matière , lui doivent au moins l'avantage
d'être plus conféquens eux-mêmes.
Pour établirfon opinion , M. de Condorcet
oppofe au tableau des moeurs des fiècles précedens
, le tableau de la plupart des Lois &
20 MERCURE
des Inftitutions bienfaifantes , dont nous
fomines redevables à nos lumières : l'abolition
de la torture , celle de la main-morte ,
l'établiffement de M. l'Abbé de l'Épée pour
les fourds & muets , &c. &c. On voit que
M. de Condorcet fe plaît à retracer en détail
tout ce que nous devons à la Philofophie ;
& n'être pas touché de ce tableau , ce feroit
être bien ingrat pour tous les biens que l'on
fait à la patrie & à l'humanité. Mais M. de
Condorcet nous permettra de lui dire , que
ces Lois , ces Inftitutions qui prouvent nos
lumières , n'atteſtent rien en faveur de nos
vertus. Ce n'étoit pas la cruauté , par exemple
, c'étoit l'ignorance qui avoit établi l'ufage
atroce & abfurde de la torture. Il eft
important dans cette queſtion , de ne pas confondre
les vices qui naiffent des fauffes opinions
& de l'ignorance, avec les vices qui naiffent
des paffions naturelles exaltées dans la
fociété. Il fuffit de s'éclairer pour fe corriger
des premiers : un bon raifonnement peut
faire tomber le poignard des mains du fanatique
, peut faire graver des Lois fages &
bienfaifantes dans un Code où l'on ne lifoit
qué des Lois abfurdes & barbares. Il est tout
fimple que l'efprit ait cet empire fur l'efprit ,
& que les vérités effacent les erreurs. Mais
les vices qui naiffent des paffions naturelles ,
n'obéiront point de même à la voix de la
Philofophie : il ne lui a pas été donné de
balancer les impreffions faites fur nos fens ,
d'être plus puillante fur nos ames que tous
DE FRANCE 20
,
les objets de féduction dont la fociété nous
environne. Les progrès mêmes par lefquels
on arrive aux fiècles de la Philofophie , developpent
& irritent toutes les paflions
donnent à l'homme une fenfibilité plus exquife
& plus inquiète , un befoin plus continuel
dejouiffances variécs : c'eft lorfque la voix
des Philofophes commence à fe faire enten
dre, qu'on eft le plus incapable de profiter de
leurs leçons. Peut - être il fuffit de connoître
la vertu pour l'aimer ; mais fuffit-il de l'aimer,
de l'adorer même, pour lui foumettre tous les
vauxde fon coeur, pour donner aux facrifices
qu'elle exige , une préférence continuelle fur
les plaifirs que nos paffions demandent & que
le monde nous offre ? Eh ! qui ne feroit vertueux
, fi , pour l'être, il fuffifoit d'aimer la
vertu? Qui de nous n'a pas élevé quelquefois
les defirs de fon ame vers un modèle de perfection
que fon imagination contemploit
avec amour ? Qui de nous n'a pas formé des
plans de fageffe & de conduite , où le bonheur
devoit être le prix de toutes les vertus , & qui
ont été s'évanouir dans les tourmens des paffions
, ou dans les regrets & la honte des.
foibleffes Chaque homme devroit trouver
un appui & un modèle dans le ſpectacle des
maurs publiques , & il y trouve tous les
objets & tous les exemples de la corruption :
Que la Philofophie découvre donc les moyens
de donner à des hommes d'une organiſation
fenfible & délicate , affez de force pour réfifter
à des vices que les arts & le génie même.
22% MERCURE
G
ont embellis par les inventions & les travaux
de plufieurs fiècles. Un tél prodige n'eft
pas en fon pouvoir. Tandis qu'elle occupera
les efprits de fes recherches & de fes découvertes
, la Société continuera de porter fes
paffions & fes vices dans les ames . Tandis
que la morale fe perfectionnera toujours
d'un côté , les moeurs , d'un autre côté , fe corrompront
toujours davantage : il viendra
même une époque , où il ne fera pas rare
de trouver dans les mêmes perfonnes , la
morale la plus pure & les moeurs les plus
corrompues , de beaux difcours , & une conduite
vile & abjete. Alors des efprits accoutumés
à porter leur humeur & leurs paffions
dans les méditations les plus profondes , auffi™:
implacables à leurs propres vices qu'aux vices
de leur fiècle , s'indigneront de cette alliance ,
& ne pardonneront pas à la Philofophie de ner
leur avoir pas donné toutes les perfections.
qu'elle leur a fait connoître ; ils s'en prendront
à elle des défordres qu'elle eft impuiffante à
réprimer ; ils lui reprocheront de faire naître
tous les vices qu'elle ne peut pas étouffer
d'étouffer toutes les vertus qu'elle ne peut
pas faire naître ; ils la chargeront de tous les
crimes des hommes corrompus qui parlent
fon langage ; & l'Europe étonnée s'entendra
dire par un Philofophe , que la Philofophie
qu'elle cultive avec tant de foin & avec tant
d'efpérances , n'eſt bonne qu'à préparer la
ruine des moeurs & à précipiter la chûte
des Empires.
DE FRANCE. 237
Voilà le fophifme fur lequel eft fondé
tout le paradoxe de Rouffeau. Il eut tort ;
mais s'il y a quelque vérité dans les réflexions
que nous venons de faire , on a eu
tort auffi contre lui. La perfection de lav
morale ne prouve pas & ne produit pas même
celle des moeurs.
Il feroit intéreffant d'examinerfiles erreurs
de l'ignorance , fi les fauffes opinions dont la
Philofophie peut nous délivrer , ne font pas
plus contraires encore à l'ordre des Socié
tés, & ne font pas plus de mal aux hommest
que les vices qui naiffent du défordre des
paffions & de l'excès des jouiffances. La
queftion prend un nouvel intérêt ſous ce
nouveau point de vue , & c'eſt le feul fous
lequel il puiffe être utile de l'examiner aujourd'hui
: fi elle étoit une fois décidée , on
pourroit favoir plus aifément juſqu'à quel
point tous les fiècles ont eu tort ou raiſon
de fe croire plus corrompus que ceux qui
les avoient précédés . *** .
De ce que cette plainte s'eft fait entendre
toujours , M. de Condorcet paroît en conclure
qu'elle n'a jamais été fondée. Cette
injuftice éternelle des hommes contre euxmêmes
feroit pourtant une chofe fort extraordinaire,
Tranfportons nous au fiècle
où cette plainte a été exprimée avec le plus
d'énergie par un Poëte Philofophe . Horace.
avoit- il tort de dire :
·
Ætas parentum , pejor avis , tulis
24
MERCURE C
Nos nequiores , mox daturos
Progeniem vitiofiorem.
Le fiècle d'Augufte , plus corrompu que
celui qui l'avoit précédé , ne fit - il pas naître
les horreurs & les infamies du règne des
Tibère , des Caligula , des Claude & des
Neron? Les veis d'Horace femblent être un
refultat hiftorique, de tous les temps dont il
parle. Je crois qu'en général , ces plaintes
ont été fondées chez les anciens. Établies
par des Légiflateurs moraliftes , les Ré- T
publiques de l'antiquité , dans les temps
voifins de leur origine , offrent un tableau
de moeurs dont il eft difficile de n'être pas
touché , pour peu que l'on ait confervé lei
goût des chofes fimples & honnêtes. Ces
Légiflateurs n'avoient point eu fans doute le
projet infenfé d'arrêter dans l'homme & ¢
dans les Sociétés , ce mouvement éternel
qui les emporte vers un accroiffement de
bonheur; mais ils eurent une idée bien fubli
me: la Nature femble avoir placé la fource du
bonheur dans les fens ; ils la tranfportèrent
pour ainsi dire, dans l'âme, dont les affections
font l'origine de toutes les vertus fociales.
Ils donnèrent à l'homme des defirs & des
voluptés qui naiffoient de l'amour de la
gloire , de l'amour de la patrie , de la tendreffe
paternelle , de la piété filiale . Aufli
admirables dans l'exécution que dans le plan ,
ils infpirèrent ces vertus à l'homme , par les
mêines moyens que lanature emploie pour lui
infpirer
$
DE FRANCE. 25
infpirer des paffions : les impreffions faites
fur fes fens. De quelque côté qu'il tournât
fes regards dans fa patrie , le citoyen voyoit
par tout des exemples & des récompenfes
des fentimens qu'il devoit avoir. Les images
de leurs vertus étalées dans les jours de plaifir
, formoient les plus beaux fpectacles de
ces Républiques , & les Héros & les Magiftrats
naiffoient & fe formoient au milieu de
ces auguftes fêtes. C'est ainsi qu'ils parvinrent
à faire ambitionner aux premiers citoyens
, comme leur bonheur & leur gloire ,
cette pauvreté dure , à laquelle toutes les
Sociétés condamnent les trois quarts de ceux
qui les compofent. Je fais qu'il faut quelque,
courage pour rappeler encore ces exemples de
l'antiquité , cités jufqu'au dégoût par des pédans
, & que des efprits aimables ont tâché
de rendre ridicules. Un vers heureux fe préfente
facilement à la mémoire ; on me dira
peut-être :
Eft-ce vertu? C'étoit pure ignorance.
je trouverai le vers très- agréable , & le
mondain une pièce charmante. Mais je répon
drai que lorfqu'on ignore les richeffes , on
ne s'avife point d'honorer la pauvreté ; que
Lycurgue , qui avoit voyagé chez des peuples
corrompus par les richeffes , avoit eu
le moyen de les connoître ; que Fabricius
avoit fous les yeux l'or qu'il ne voulut pas
recevoir ; & qu'enfin le réſultat le plus phi
Nº. 14, 6 Avril 1782. B
26 MERCURE.
lofophique & le plus profond fur les effets
des richeffes & de la pauvreté , le trouve
dans ce mot de Curius : J'aime mieux commander
à ceux qui ont de l'or que d'en avoir
moi-même. Mais ces inftitutions fi pures & fi
faintes , étoient une lutte continuelle contre
la nature , & même contre les progrès
de la Société ; elles devoient s'affoiblir de
fiècle en fiècle , & laiffer pénétrer enfin
les richeffes , les voluptés , les vices & les
malheurs. On voit donc que chaque fiècle
s'accufoit avec juftice de perdre quelque
chofe de la pureté des inftitutions de la République
; cette plainte chez les anciens étoit
donc le cri des confciences qui rendoit témoignage
à la vérité .
On a beaucoup répété cette plainte parmi
nous. Je ne crois pas que ce foit avec autant
de raifon . Nos Moraliftes , imitateurs comme
nos Orateurs & nos Poëtes , ont redit ce
que difoient les Moraliftes de la Grèce &
de Rome ; mais il leur feroit difficile de
marquer dans notre Hiftoire une époque.
où la Nation ait eu les vertus dont les
Anciens déploroient la perte. Nos ancêtres
avoient peut- être moins de vices , mais ils
avoient plus de ces préjugés qui font commettre
& confacrer beaucoup de crimes.
Tout ce que l'on peut croire à cet égard ,
c'eft qu'avec plus de lumières fur les moyens
d'acquérir de bonnes moeurs , & un fentiment
plus vif de la néceffité d'en avoir , fous
DE FRANCE. 27
peine d'être malheureux , nous avons plus
de pallions , plus de goûts & plus d'habi
tudes qui nous en éloignent ; c'est que ce
grand ouvrage , préparé par la Philofophie',
ne peut être acheve que par la Puiffance
fouveraine , & que cette gloire la plus
belle de toutes , doit être la récompenfe des
vertus & du génie d'un Monarque.
M. de Condorcet croit les progrès de la
Philofophie aufli utiles aux beaux Arts qu'à
la Morale ; & ici fes idées nous paroiffent
neuves , & fes preuves invincibles.
Loin que les progrès de la raifon foient contraires
à la perfection des beaux Arts , fi ces progrès
pouvoient s'arrêter , fi nous étions condamnés
ne favoir que ce qu'ont fu nos pères , ces Arts
feroient bientôt anéantis ; car , puiſqu'ils font fondés
fur l'imitation , comment pourroient-ils ne pas s'ar
rêter , ne pas déchoir , fi les objets qu'ils doivent
peindre ne fe multiplioient pas fans ceffe, fi , toujours
mieux obfervés & mieux connus , ces objets
ne préfentoient pas au génie de nouvelles nuances ,
des combinaifons nouvelles ? Pourquoi le règne de
T'Eloquence & de la Poéfie a-t -il été fi court dans
la Grèce & dans Rome ? C'eſt que celui des Sciences
n'a pas été prolongé . Leurs Poëtes , à qui la Philofophie
ne fournifloit plus d'idées nouvelles , ne furent
bientôt des imitateurs foibles ou exagérés des
anciens Poëtes. Leurs Littérateurs ne furent que
commenter dans des phraſes cadencées avec art , les
maximes de l'Académie ou du Portique. L'empire
des Lettres fera plus durable parmi nous , parce que
chaque âge , marqué par des vérités nouvelles , ouvrira
au talent du Poëte ou de l'Orateur de nou
que
Bij
28 MERCURE AS
velles fources de beautés. Ces grands phénomènes,
qui ont frappé les regards des premiers honumes &
réveillé le génie des premiers Inventeurs des Arts ,
n'offriroient à leurs fucceffeurs que des peintures ufées
qu'il ne feroit plus au pouvoir du talent d'animer ou
de rajeunir , fi les Philofophes , en déchirant le voile
dont les fables & les fyftêmes ont fi long-temps
couvert la vérité , n'avoient montré aux yeux du
Poëte un nouveau Monde agrandi par leurs décou→
vertes. Dans des fiècles livrés à l'erreur , Ovide &
Lucrèce ont embelli des couleurs de la Poéfie les
fyftêmes de Pythagore & les rêves d'Épicure. La
loi éternelle de la Nature nous eft-elle enfin révélée ?
Voltaire faifit fes pinceaux ; il peint avec la palette
de Virgile le tableau de l'Univers tracé par le compas
de Newton. »
K
Que l'on compare ces vûes à tout ce
qu'on a écrit fur les caufes de la décadence
du goût & des arts chez les Anciens , on
fentira combien un efprit philofophique
eft au- deſſus de tous ces Rhéteurs qui fe
croient des Quintiliens , parce qu'ils ont
cité quelquefois des phrafes des inftitutions
de l'Orateur; qui penfent qu'on ne peut
conferver le goût des Anciens qu'en rebattant
perpétuellement leurs idées & leurs
images. Si l'on remarqué dans quel genre
fe font diftingués les Écrivains de notre fiècle
, que l'opinion générale met au rang
plus grands Ecrivains de l'antiquité , on
verra qu'ils ont fignalé leurs talens dans des
genres que , jufqu'à nos jours , on croyois
étrangers à l'Eloquence,
des
DE FRANCE. 29
On eftlétonné que M. de Condorcet , qui
croit la Philofophie fi utile à l'Orateur & au
Pocte , aît dit un peu plus haut qu'elle rend
les langues moins hardies & moins figurées.
Cela arrive , dit- il , parce qu'on apprend à
mettre plus de précifion & plus de clarté
dans les idées. Les langues font hardies &
figurées lorfque les mêmes expreffions rendent
à la fois des idées de l'efprit & des
images de la Nature; mais comment la précifion
& la clarté des idées empêcheroientelles
de voir leur rapport avec les objets que
le tableau de la Nature offre à nos yeux ? Je
croirois le contraire ; je penferois que mieux
on verra une idée fous toutes les faces
& plus l'immagination fers prompte à rappeler
tout ce qui reflemble à cette idée. Montef
squieu veur définir le defpotifme ; à force
d'approfondir l'idée qu'il s'en eft faite , elle
fe préfente à fon génie avec tant de clarté ,
qu'elle n'eft plus qu'une grande image ; iil
trace cette image , & il a fait connoître la
nature d'un Gouvernement. Dans la première
partie de la profeffion de foi du
Vicaire Savoyard , Rouffeau raffemble les
plus fortes preuves qu'on ait jamais données
de l'exiftence de Dieu . A mefure qu'il déve-.
loppe ces preuves , tirées du bel ordre & de
l'enchaînement de toutes les parties de
l'Univers , fon imagination ſaiſie du ſpectacle
magnifique qu'elles lui préfentent , ne
voit plus que des tableaux dans fa démonf-
2
Big
30 MERCURE.C
tration ; il fe paffionne fans ceffer d'être
Philofophe, il peint tout ce qu'il analyſe ;
fon langage s'élève à mesure que la force de
fes preuves femble l'approcher du trône de
la Divinité bientôt on croit entendre les
Cantiques des Prophètes.
On cite perpétuellement l'exemple de
Fontenelle pour prouver que les Philofo
phes manquent toujours d'imagination 4
j'aimerois autant qu'on citât Homère & le
Taffe pour prouver que les Verfificateurs
en ont toujours .
Mais une obfervation qui n'a pas été faité
encore, ce me femble , c'eft que c'eft dans
les temps fur-tout qu'il n'étoit encore que
bel Efprit , Verfificateur & Homme de Ler
tres , que Fontenelle avoit un ftyle dénué de
chaleur & d'images. En étendant fes idées ,
en leur donnant plus de confiftance & de
force , la Philofophie enhardit & anima
quelquefois fon ftyle. C'eft dans les éloges
des Savans , c'eft en fuivant le Botaniste fur
le fommet des montagnes & fur le penchant
des précipices , l'Antiquaire far les ruines de
la Grèce & de Rome, c'est en contemplant
à- la- fois les travaux du génie & les phéno→
mènes de la Nature , que fa froide imagination,
frappée de tant de prodiges , ofe repro
duire les fenfations qu'elle a reçues &
agrandit fes idées par des tableaux : c'est là
que l'on trouve quelquefois des pages que
Montagne & Bacon auroient pu écrire.
DE FRANCE. 31
Pour peu qu'on ait obfervé le goût de
notre fiècle dans les Ouvrages & dans les
Critiques , on doit avoir vu que l'éloge ou le
reproche le plus commun , c'eft d'avoir donné
à la profe des figures plus hardies , des mouvemens
plus paffionnés .
On a dit , on a répété très-fouvent que
c'eft à leur naiffance que les langues font les
plus abondantes en images. Je crois qu'elles
n'ont guère en effet que des mots figurés à cette
époque , mais elles en ont très peu ; & fi
elles paroiffent en avoir beaucoup , c'est
parce qu'elles n'en ont pas d'autres. Voyez
les Chants d'Offian , la production fans
contredit la plus étonnante du génie des Sauvages
, les mêmes mots & les mêmes images
reviennent à chaque inftant : on eft bientôt
fatigué de leur monotonie. L'abondance &
la richeffe ont plus de variété. C'est au mo
ment que les langues arrivent à leur perfection
, c'eft dans les fiècles éclairés que naiffent
les Poëtes, dont l'imagination, auffi valle
& auffi variée que la Nature , fait en reproduire
toutes les grâces & toutes les beautés.
La langue latine , dans les vers d'Horace &
de Virgile , a été fans doute plus féconde en
images & en expreffions hardies que dans la
bouche des Pâtres du Latiam. Il eft vrai que le
goût, qui devient toujours plus févère, en defirant
que les expreffions foient hardies , exige
qu'elles foient juftes. L'image deftinée à orner
la penſée la dégrade fi elle eſt commune,
BIV
32 MERCURE
la défigure fi elle eft fauffe , la gate lors
même qu'elle n'a que de la prétention. La
perfection de l'Art dans le ftyle figuré , c'eft
que l'image paroiffe toujours la couleur
propre de l'idée , c'eft qu'elle qu'elle foit produite
par des expreffions heureufement détournées
de leur acception ordinaire , par des
tropes énergiques & précis qui paroiffent
aufli naturels , & n'occupent pas plus de
place que le mot propre. Mais des Ouvrages
écrits de ce ftyle , en faifant les délices
des gens de goût , frapperont peu la multitude
. On en verra la lumière plutôt que
la couleur. C'eft pour cela que beaucoup
de gens admirent peu l'eloquence de
Cicéron , & ne trouvent jamais affez de
figures dans la profe de Voltaire. La foule
des Lecteurs doit être plus émerveillée de
ces comparaifons établies avec orgueil ,
développées avec fafte , & qui couvrent
des pages entières où l'on ne voit pas une
feule fois l'idée qu'elles prétendent embellir.
aut
Nous voudrions citer tout ce que dit M.
de Condorcet des Drames en général ,
fujet du Drame de Beverley. On peut reprocher
à ce morceau de fortir un peu trop
du plan général du Difcours ; mais c'eft peutêtre
ce qu'on a dit de mieux furles Drames ,
qui n'ont guère eu que des enthouſiaftes &
des détracteurs. Ce n'eft pas la première
fois qu'il eft arrivé aux Philofophes de déci
der des queftions littéraires fur lefquelles les
DE FRANCE
33
fimples Littérateurs auroient éternellement
difputé !
Tout ce que dit M. de Condorcet des
talens & du caractère de M. Saurin , mériteroit
également d'être rapporté : on. feroit
même fûr de plaire au Public ; le Public
avoit de M. Saurin l'opinion qu'en avoient
fes amis mêmes ; & c'eft peut-être le plus
grand éloge qu'on puiffe faire d'un homme
de lettres.
» On admira dans Spartacus , dit M. de
» Condorcet , le caractère neuf au théâtre
» d'un Héros généreux , armé pour venger
l'univers opprimé par les Romains ; &
» l'on applaudit avec tranſport à un grand
» nombre de vers , qui , pour nous fervir
» d'une expreffion confacrée par M. de
Voltaire , étoient frappés fur l'enclume
» du grand Corneille.
ور
મા
:
» Blanche eut un fuccès plus général
» encore le Poëte y occupoit l'ame d'inté
» rêts plus chers à la plupart des Spectateurs,
» que la liberté du genre humain ; & ces
» vers ,

» Que , pour le malheureux , l'heure lentement fuit!
» Qu'une nuit paroît longue à la douleur qui veille !
» retentiffent encore dans le coeur de tous
» les hommes fenfibles qui ont connu le
» malheur. »
Nous nous fommes occupés des opinions
de M. de Condorcet beaucoup plus que de
fon ftyle ; tel eft l'effet naturel des ou
Bv
$4 MERCURE
vrages fortement penfés : ils ennobliffent la
critique , & la forcent de donner fon atten.
tion aux idées beaucoup plus qu'aux mots.
& aux phrafes. Mais cela même prouve que
le ftyle eft digne des chofes ; car s'il y avoit
de la difproportion , on en feroit bleffe , on
la remarqueroit. Ceux qui ont fait le plus.
de critiques du ftyle de ce Difcours , y ont
reconnu de l'élégance & de la force ; & on
ne voit pas quel autre caractère on pourroit.
defirer dans le ftyle d'un Difcours où tout
eft philofophique , & le fujet & le ton ;
rien n'eft fi difficile que d'embellir ce qui ne
doit l'être que jufqu'à un certain point, diſoit
Fontenelle : Fontenelle n'a pas toujours.
gardé cette mefure ; & l'on peut dire que-
M. de Condorcet ne la paffe jamais , lors.
même qu'il s'élève à des beautés de ftyle
qui ont été prefque toujours inconnues à
Fontenelle. Mais le caractère le plus frappant
de ce Difcours , c'eft cette étendue
d'efprit qui raffemble les lumières répandues
dans les Sciences exactes , dans la Littérature
& dans la Philofophie morale. Les
ouvrages qui manquent le plus à la gloire
littéraire de la Nation , ne peuvent être
conçus & exécutés que par des talens de
ce genre. Eux feuls , par exemple , peuvent
nous donner une bonne hiftoire de la.
Philofophie on en trouve les matériaux.
dans Bruker , & dans l'Encyclopédie ou
un grand nombre d'articles font reconmoître
le talent de l'un des Écrivains les plus
DE FRANCE..
35
étonnans de ce fiècle ; mais l'ouvrage manque
encore ; le Public pourroit-être en droit
de le demander à M. de Condorcet , &
quelques perfonnes nous font efpérer que
c'eft un des travaux auxquels ce Philofophe
yent confacrer fa vie.
M. le Duc de Nivernois , en fa qualité
de Directeur , a répondu au Difcours de
M. le Marquis de Condorcet. Sa réponſe ,
confacrée prefque toute entière à honorer
la mémoire de M. Saurin , eft remarquable
par la jufteffe & la précifion des idées d'un
homme de lettres , & cette facilité aimable
qui femble être far- tout le partage de ceux
qui obfervent les hommes & les chofes de
la hauteur où les placent les premiers rangs
de la fociété.
"
"
Lorfque j'ai reçu dans ce même lieu
le digne Confrère que vous remplacez
aujourd'hui , Monfieur ; lorfque rendant
compte au Public des juftes motifs de
notre adoption , j'ai payé aux ouvrages
& à la perfonne de M , Saurin le tribut
d'eftime qui leur eft du , j'étois loin de
prévoir qu'un jour ce feroit à moi d'exprimer
auffi les regrets que fa perte nous
» caufe. La force de fon tempérament &
» la foibleffe du mien ne me permettoient:
pas de le craindre. Dernièrement encore ,
» tout nous promettoit de jouir long temps
» de la douceur de fon commerce & de
» l'exemple de fes vertus. Ses vertus étoient
fans fafte, fon commerce étoit fans épines
"2
»
Birj
36
MERCURE
99
"
99
9
une certaine pétulance dans la difpute
donnoit à fa fociété quelque chofe de
piquant , fans y rien mêler de fâcheux
» c'étoit de la veracité & non pas de l'orgueil.
On dit que dans la jeuneſſe de M.
» Saurin , cette effervefcence alloit prefque
juſqu'à une eſpèce d'emportement ; mais
la raifon l'avoit réduite à n'être que de
la vivacité , & fous cette forme plus
douce , il l'a confervée jufqu'à fon dernier
jour...... M. Saurin , jouiffant toujours
d'un goût pur , d'une belle mémoire
, d'une imagination féconde , étudioit
, compofoit avec fuccès à la fin de
fa vie , comme on voit quelquefois le
» chêne antique & courbé par les orages ,
» pouffer des rejetons vigoureux & verdoyans
: fon efprit & fon caractère n'ont
» jamais rien perdu de leur énergie ; &
fachant allier à l'énergie la circonfpection
» & la meſure , ce qui eft fi rare & fi digne
d'éloges , il n'a jamais rien outré , rien
exagéré , même dans la culture de la fageffe
& de la philofophie.
و د

32
( Cet Article eft de M. Garat. )
DE FRANCE.
37
SPECTACLES.
COUP - D'OEIL fur le Travail fait aux trois
Théâtres Royaux , pour l'augmentation
de leurs Répertoires , pendant le cours de
la dernière année Dramatique , ( 23 Avril
1781 au 16 Mars 1782. )
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
L'ÉVÈNE ÉVÈNEMENT qui a réduit en cendres la
Salle de la rue St, Honoré ; les pertes nombreufes
qu'a faites ce Spectacle ; les maladies
qui ont affligé quelques uns de fes principaux
Sujets ; tour femble s'être réuni pour arrêter
l'effor du zèle des Directeur & Membres
de l'Académie Royale de Mufique . Le travail
qu'on y a fait mérite pourtant encore de
grands éloges , puifque , malgré tous ces accidens
, on y a repréfenté cinq Ouvrages
nouveaux. Un en un Acte , Apollon & Coronis
, Mufique de MM. Rey' : l'Inconnue
perfécutée , en trois Actes , parodiée fur la
Mufique d'Anfoffi : Adèle de Ponthieu , Tragédie
en trois Actes , remiſe en Muſique par
M. Piccini : la Double Épreuve , en trois
Actes , Mufique de M. Grétry ; & Thésée ,
48 MERCURE
*
"
Tragédie de Quinault , arrangée en quatre
Actes , & remife en Mufique par M. Goffec .
On peut ajouter à ce travail , la remife d'Andromaque
, d'Orphée , d'Écho & Narciffe ,
du Seigneur Bienfaifant , des deux Iphigénies
de M. Gluck , celle du Devin du Village
de Myrtil & Lycoris , de Théodore , de
Bathile & Chloé ; enfin , celle de la Chercheufe
d'Efprit , joli Ballet pantomime de
M. Gardel. Tout Lecteur de bonne - foi conviendra
qu'au milieu des défaftres qu'a éprou
vés l'Opéra , il étoit impoffible d'y travailler
avec plus d'ardeur qu'on ne l'a fait. Le tableau
que nous venons de préfenter en eft
une preuve incontestable.
La fanté de M. d'Auvergne , devenue
chancelante , tant par les longs travaux auxquels
il s'eft livré , que par des maladies allez
dangereufes , l'ont engagé à fe démettre , en
tre les mains du Miniftre , de fa place de
Directeur de l'Académie Royale de Mufique.
Sur cette démiffion , on s'eft propofé de confer
l'Adminiftration de ce Spectacle aux premiers
Sujets qui en font aujourd'hui l'honneur.
Nous n'oferions répondre du fuccès que
peut avoir une pareille Adminiſtration ; néan
moins , il eft naturel de penfer que des Acteurs
réunis enſemble pour l'intérêt général
dont peut réfülter feulement l'intérêt particulier
de chacun d'eux, doivent être animés
d'une ardeur plus active , fe livrer à des foins
plus étendus, à des recherches plus laborieufes,
qu'un être ifolé , tranquille . fur fon fors ,,
DE FRANCE
༡༡
quand il doit lui être fait avant tout , &
même qu'un Entrepreneur , dont l'intention
doit toujours être de facrifier l'état & la fortune
de ceux qui lui font fubordonnés , au
plus grand avantage de fon entrepriſe. C'eſt
de l'intelligence & de la conduite des perfonnes
qui feront placées à la tête de l'Opéra,
que va dépendre la folution d'une queſtion
long- temps agitée , & fur laquelle ont prel
que toujours été divifés les Amateurs paf
fionnés de ce Théâtre.
Nous fera - t- il permis de propofer ici
quelques obfervations générales fur les
moyens propres , peut - être , à donner à l'Opéra
une confiftance qu'il n'a pas encore ? La
Mufique , portée en Italie à un degré de perfection
fi éminent , ne doit fans doute une
grande partie de fon éclat qu'à ces Écoles fameufes
, plus connues fous le nom de Confervatoires
, où d'habiles Profeffeurs , penfionnés
par le Gouvernement , élèvent toutà
- la-fois des Chanteurs & des Compofiteurs ,
dont le talent foutient l'Art mufical dans leur
Patrie , & qui fe répandant enfuite dans les
différens Royaumes de l'Europe , y portent
la réputation de leurs Inftituteurs , & la
gloire du Pays qui les avus naître . Comment
, fur le modèle de ces inftitutions utiles
, ne s'eft- on point encore avifé d'établir
une École de Chant à l'Académie Royale de
Mufique ? Il feroit facile de prouver qu'avec.
très- peu de dépenfe , on pourroit établir
ectre École ; mais ce n'eft pas ici le lieu de
40 MERCURE
débattre cette queftion . Nous connoiffons
plufieurs projets qui nous ont paru fort raifonnables
, & qui , placés fous les yeux du
Miniftre , lui donneroient vraisemblablement
la connoiffance intime de ce que nous
avançons. Nous examinerons feulement les
avantages réels qui en peuvent réfulter pour
l'intérêt de l'Académie & pour les plaiſirs du
Public.
Il eft fouvent arrivé que , foit pour caufe
de mort, foit pour caufe de retraite , l'Opéra
s'eft trouvé dépourvu de Sujets propres
à remplir les rôles les plus importans. Obligé
des'en procurer de la manière la plus prompte
poflible, il s'eft vû réduit à fe contenter de ceux
qu'il a pu rencontrer dans les Cathédrales ,
dans les Concerts , dans les Spectacles de Province
où l'on joue l'Opéra Comique, & même
dansles Spectacles particuliers :de forte que les
uns fe font préfentés avec une ignorance abfolue
du Théâtre , avec une gaucherie , une
mal-adreffe défefpérantes ; les autres avec un
jeu mefquin , un mauvais goût de Chant ;
enfin , avec tout ce qu'a de ridicule la manière
du petit genre. Le Public , d'abord indulgent
, eft devenu févère , parce qu'il n'a
point vu de progrès ; il a pris de l'humeur
il l'a témoignée , & il a eu raiſon. Une École
de Chant fauveroit de tels inconvéniens
. Que
*
>
* Ceci mérite quelques exceptions , mais en fi
petit nombre , qu'il y auroit prefque de la méchan
ceté à les faire connoître.
t
DE FRANCE.
41
le choix des Sujets qui la compoferont dépende
d'un bon Maître , ou même de plucapables
d'appercevoir
fieurs Arsle germe des difpofitions néles
jeunes
ceffaires ; & au bout de quelques années ,
tant parla nature de la bonne éducation mnficale
qu'on y recevra, que par la connoiffance
raifonnée du Théâtre qu'on faura donner
aux Élèves , & par les effais qu'on leur
fera faire , cette École deviendra une pépinière
de Sujets diftingués , que l'on attachera
comme Acteurs à l'Opéra , quand les circonftances
l'exigeront , & qui lui donneront
alors cette confiftance que nous regrettions
tout-à l'heure de ne lui pas voir encore.
La néceflité de cette École peut auffi fe
prouver par les facrifices auxquels la difette
de Sujets a fouvent forcé l'Académie . Un
Chanteur aimé du Public' , & bien convaincu
du befoin que l'on a de fes talens , par l'im
poffibilité où l'on eft fouvent de placer dans
fes rôles des Comédiens capables de fatisfaire
les Amateurs , fait alors la loi à l'Adminiſtra
tion . Il met fes fervices à un prix exorbitant ,
& l'on eft quelquefois obligé de fe foumet
tre à tout ce qu'il exige. De quelque talent
qu'un Acteur foit doué , il n'eft pas poffible
qu'en lui accordant un fort particulier &
extrêmement avantageux , on ne décourage' ,'
on ne dégoûte même quelques-uns de fes
Camarades qui , avec moins de mérite peutêtre
, font pourtant un travail plus affidu
plus réellement utile. On a vu , & Fon voit
42 ! MERCURE
même encore de temps en temps , des Mem
bres de l'Académie Royale de Mufique demander
avec fermeté une augmentation de
traitement, & menacer de quitter le Théâtre ,
fi on ne la leur accorde pas. La facilité de
trouver dans les Royaumes étrangers la confidération
paffagère , le fort brillant que l'on
accorde pour un moment aux Artiſtes attachés
aux Spectacles François , eft la raiſon
Aur laquelle ils fondent leurs demandes.
Ces ambitieux ne penfent point à l'honneur
d'être Penfionnaires du Roi de France , au
fort heureux que la munificence du Prince
réferve à tous les Comédiens qui font reftés
fidèles à fon fervice,& qui affure la tranquillité
de leur vieilleffe . Ils femblent préférer à
tout l'avantage de courir rapidement à la
fortune en ne faiſant qu'un métier précaire ,
tandis qu'ils pourroient jouir ici du degré
d'eftime qu'on accorde à ceux qui méritent
le nom de gens à talens. On eft done forcé
fouvent , par le befoin qu'on en a , de
les fatisfaire malgré les inconvéniens qui en
réfultent , & d'augmenter la dette d'un
Théâtre déjà très - difpendieux. Il eft clair
qu'avec une École de Chant, * on parviendra
à fournir tous les emplois des Sujets néceffaires
; alors , ceux qui auront déjà acquis
L'Académie Royale de Mufique a déjà une
École de Danfe qu'il feroit intéreffant de perfection.
ner. Les pertes que la Danfe de l'Opéra a faites.
depuis un an , en prouvent la néceffité.
DE FRANCE. 43
une certaine réputation, craindrontde fe voir
pris au mot, quand ils auront la fantaisie de
propofer leurs démiffions ; l'Adminiſtration
ne fera plus la victime des circonstances , &
ne recevra plus la loi ou de l'avarice ou de
l'amour - propre exagéré. Si l'on compare la
dépense qu'exigera l'établiffement dont nous
parlons , & celle de fon entretien, aux avantages
réels qui en doivent naître , on fe perfuadera
bientôt que ces dépenfes feront plus
que compenfées , & qu'elles en épargneront
d'autres.
L'abondance des matières nous force à
renvoyer les articles des Comédies Françoiſe
& Italienne au prochain Mercure.
SCIENCES ET ARTS.
Découverte d'une nouvelle Planète.
LE nouvel Aftre apperçu en Angleterre le 13 Mars
1781 , par M. Herfchel , vers les pieds des Gémeaux,
& dont nous n'avons point encore parlé , continue de
paroître comme une étoile de la fixième ou feptième
grandeur , que l'on entrevoit , quoiqu'avec peine ,
à la vue fimple ; les Aftronomes qui l'obfervent avec
foin, fe font déjà occupés à calculer fon mouvement,
mais il eft trop lent pour qu'on puiffe décider quelle
eft la véritable courbe que cette Planète décrit. Cependant
, M. de Lalande ayant calculé des obferva
tions éloignées de près d'un an , trouve qu'on les
repréfente fort bien , en fuppofant que cette Planète
44 MERCURE
de
décrit an cercle autour du foleil , à la diftance de
18 fois celle de la terre , & 931 millièmes e plus
ce qui fait environ 650 millions de licues , & dans
un intervalle de 82 ans. Le premier Janvier 1782 ,
midi , fa longitude étoit de 3 fignes & un degré ; cette
orbite ne diffère que de quelques minutes de l'écliptique
; en forte qu'on peut négliger la latitude quant
à préfent. Le mouvement diurne de cette Planète eft
de 43 fecondes & 13 centièmes , vû du ſoleil, Les
données fuffifent pour calculer fa pofition , à un jour
quelconque , d'ici à plus d'un an. La fuite des obfer
vations nous en apprendra davantage. Suivant l'ob
Tervation de M. Dagelet , faite à l'Ecole Militaire
avec le quart de cercle de huit pieds de M. Bergeret,
cette Planète avoit , le 15 Mars , à 6 h. 12 m. de tems
moyen , 88 d. 45 m. 28 fecondes d'afcenfion droite
& 23 d. 43 m. 9 fecondes de déclinaifon boréale. La
découverte de cette Planète eft une des plus extraordinaires
que l'on ait faites en Aftronomie : elle prouve
l'utilité qu'il y a de s'appliquer à faire un catalogue
exact des plus petites étoiles ; il pourroit bien s'en
trouver d'autres qui feroient de véritables Planètess-
M. Mayer en
a obfervé 72 qui font doubles , & dont les deux parties
pourroient bien n'etre pas toujours à la même
diftance. Nous avons reçu à ce fujer une invitation à
faire aux Aftronomes , elle eft de M. Baudouin de
Guémadcuc , ancien Maître-des-Requêtes , connu par
différensMémoires que l'Académie des Sciences a adortés
les revers qui l'ont éloigné de Paris n'ont point
altéré fon goût pour les Sciences , & nous voudrions
que l'étendue de fa Lettre nous permît de publier fes
Réflexions fur les étoiles doubles & fur la Planète de
Herfchel. Cette Planète , fuivant lui , paroîtra jufqu'au
premier Juin ; alors elle fe plongera pour se
jours dans les rayons du foleil.
on a trop négligé les petites
planètes
DE FRANCE..
45
P
19 GRAVURE S.
5
(
ORTRAIT du Général Wafingthon , gravé
d'après le Tableau de Trumbull , par M. Leroy.
Prix , 3 liv. Wafingthon eft repréfenté debout fur
le bord de la mer , appuyé fur fon épée , & tenant
une Carte roulée. Son Nègre garde fon cheval ; ཧྥ
quelque diftance on voit un Fort embrâfé , le Pavillon
de l'Indépendance flotte fur les batteries ; on
apperçoit dans l'éloignement des Vaiffeaux qui fe
battent. La tête a de l'expreffion , & l'Eſtampe eft
d'un bel effet. Cette Gravure fait partie des Planches
des Effais Hiftoriques & Politiques fur les Anglo-
Américains , par M. d'Auberteuil , dont les deux
premières Parties viennent de paroître , & pour lef
quelles on foufcit chez l'Auteur , rue des Bons-
Enfans-Saint-Honoré. On ne trouve le Portrait de
Wafingthon que chez M. d'Auberteuil.
1
Portrait de M. de Juigné , Archevêque de Paris ,
gravé par Varin , de l'Académie de Châlons. Prix ,
1 livre 4 fols . A Paris , chez Ifabey , Marchand
d'Eftampes , rue de Gèvres ; & la veuve Lagardette ,
rue du Roule. La tête de ce Portrait eft gravée avec
foin ; la phyfionomie du nouveau Prélat annonce la
douceur & la bonté .
Vue de la Galerie élevée dans la Place de Grève
à l'occafion de la Naiffance de Mgr. le Dauphin.
Prix , 1 fols. A Paris , chez Lachauffée , Graveur
rue S. Jacques , vis - à - vis la Fontaine . S. Severin.
Catalogue de quelques Tableaux & Deffins , avec
une belle Collection d'Eftampes encadrées & en
feuilles , & d'un précieux Fonds de Planches gravées
& uftenfiles de Graveur, provenans de la fucceffion
de feu Claude Drever , Graveur du Roi , dont ha
46 MERCURE
vente fe fera le 15 Avril & jours fuivans de relevée
en fon logement aux Galeries du Louvre . Ce Catalogue
fe diftribue chez Levaffeur , Huiflier , rue des
Bourdonnois ; & Jollain , Marchand de Tableaux
& d'Eftampes , quai de la Mégifferie...
ANNONCES LITTÉRAIRES.
ON diftribuera Lundi prochain , 8 Avril , Hôtel
de Thou , rue des Poitevins , le nouveau Profpectus
qui contient le modèle exact du papier , du format
du caractère , de la juftification de l'Encyclopédie
par ordre de matières, en cinquante - trois Volumes
de Difcours & fept Voluines de Planches. On prévient
de nouveau à ce fujet que le prix de 672 liv.
n'aura plus lieu pour qui que ce foit à la fin du
mois d'Avril courant , & que la Soufcription qui
fera ouverte le premier Mai , fera de 751 liv. ?
Nouveau Théâtre Allemand ou Recueil des
Pièces jouées avec fuccès fur les Théâtres des Capi
tales de l'Allemagne , par M. Friédel , Profeffeur des
Pages du Roi en Survivance. II Vol. , contenant
Jules de Tarente , Tragédie en cinq Actes , de M.
Leifewitz; le Comte d'Olsbach , Comédie en cinq
Actes , de M. Brandes ; Menzikow , Drame en deux
Actes , de M. Wezel. A Paris , au Cabinet de Litté
rature Allemande , rue S. Honoré , au coin de la rue
de Richelieu ; chez la Veuve Duchefne & Couturier
fils , Libraires ; à Verſailles , chez Blaifot , Libraires.
MM. les Soufcripteurs font priés de faire retirer leurs
Volumes.
Les Après- Soupers de la Société , contenant la
Vanité du nom, huitième Aventure , petit format.
A Paris , chez l'Auteur , maifon de M. Brunet,
DE FRANCE.
47
Agent de Change , rue des Bons-Enfans , vis-à-vis
la Cour des Fontaines.
Suite de la Clefdu Sanctuaire Philofophique , par,
M. Chevalier. Prix , 4 fols . A Paris , chez l'Auteur
Fauxbourg S. Denis. N ° . 30 , & Quillau , Libraire ,
rue Chriftine.
Hymne à l'Amour , fuivi d'une Ode fur la Calomnie,
par M. Mayeur , in- 8 °. A Paris , chez
Defauges , Libraire , rue S. Louis du Palais , & chez
les autres Libraires qui vendent les Nouveautés.
Abrégé de l'Hiftoire des Plantes ufuelles , dans,
lequel on donne les noms différens , tant François
que Latins , la inanière de s'en fervir , la dofe des
différentes compofitions de Pharmacie dans lesquelles
on les emploie , par feu M. Chomel , Docteur en
Médecine , nouvelle Édition , Volume in - 8 ° . de
50 pages. Prix , 6 liv. relié. A Paris , chez Leclerc ,
Didot , Samfon , Fournier , Nyon , Bailly & Durand,
Libraires-affociés .
Traité de la Force des Bois , Ouvrage qui donne
les moyens de procurer plus de folidité aux édifices ,
de connoître la bonne & mauvaiſe qualité des
bois , de calculer leur force , de ménager près de
moitié fur ceux qu'on emploie ordinairement , &c.
par M. Lecamus de Mézières , Architecte. Volume
in-89 . Prix , ƒ liv . 10 fols relié. A Paris , chez l'Auteur,
rue du Foin Saint-Jacques ; & B. Morin , Im
primeur- Libraire, rue S. Jacques.
La Gendarmerie de France , fon origine, fon
Tang ,fesprérogatives &fonfervice , par M. d'Ifnard,
Chevalier de S. Louis , Officier de Dragons , ci-,
devant Gendarme du Roi , & c. Voluine in- 8 °. Prix ,
I livre 4 fols. A Patis, chez Durand , Libraire , ruc
Galande .
Moyens depréferver les édifices des incendies , &
MERCURE
d'empêcher les progrès des flammes , par M. Piroux ,
Architecte , Mémoire qui a remporté le prix de
l'Académie de Nancy , Volume in-8 ° . Prix , 3 liv.
broché. A Strasbourg , chez les Frères Gay ; & à
Paris , chez Fichard , quai & près des Théatins.
Obfervations fur quelques Antiquités Romaines
déterrées dans le Jardin du Palais Royal au mois
de Novembre 1781 , par M. Bourguignon de Saintes,
in-8 " . Prix , I livre 4 fols. A Paris, chez Gueffier ,
Imprimeur-Libraire , rue de la Harps .
Supplément aux Lettres Perfanes , où l'on trouve
la continuation de l'Hiftoire des Troglodites , commencée
par M. de Montefquieu . Volume in- 12.
Prix , 2 liv. A Paris , chez Pichard , quai & près
des Théatins.
Vers Latins & François fur la Naiffance de
Mgr. le Dauphin , adreffés à la Reine, par M.
Richard , Étudiant en Rhétorique au College de
Lifieux , in-4°. A Paris , chez les Marchands de
Nouveautés.
TABLE.
VERS à M. le Duc de Cril- ' Académie Roy. de Mufiq. 37
lon ,
Air de Théfée ,
Enigme & Logogryphe,
cadémie Françoiſe ,
3 Découverte
s Planète ,
8 Gravures,
d'une nouvelle
45
46
Difcours prononcés dans l'A- Annonces Littéraires,
و ا
APPROBATION.
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 6 Avril. Je n'y ai
Aien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreſſion. A Paris
Je 5 Avril 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 13 AVRIL 1782..
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS .
A MM. de l'Académie de Lyon , fur la
Réception de Mme la Comteffe DE B....
parmi eux.
AIMABLES IMABLES favoris du galant Apollon ,
Quand, par vos foins , une branche cueillie
Dans les bofquets d'Anacréon *
Vint orner le chapeau du Peintre d'Eugénie ,
Vous connoiffiez fes talens , fon génie;
Mais ce qu'en elle on révère le plus ,
Ses biens les plus touchans , les plus dignes d'envie ,
Son coeur , fon âme , ils vous font inconnus.
Perfonnage principal de l'Aveugle par Amour , Roman
Charmant de Madame la Comteffe de B....
Nº. 15,13 Avril 1782.
C
50
MERCURE
Le laurier dont la France a couronné Voltaire ,
La paline qui verdit fur le vieux front d'Homère ,
Ne fauroient payer fes vertus.
( Par M. de Tréogate. )
ÉPITRE fur les Divinités de la Fable. ]
JE pardonne à l'antiquité
D'avoir aux Grâces de la Fable.
Proftitué la gravité :
Sans doute fon goût respectable
Trouvoit dans le charme emprunté
D'une pieufe abfurdité ,
Les motifs d'un culte adorable ,
Et l'attrait de la vérité.
Mais nous , fectateurs imbécilles
De ces ornemens puériles ,
Devons- nous , dans un fol accès
Parfemer nos rimes ferviles
Du nom de ces Dieux imparfaits ?
Et , quand nous chantons un boccage ,
Faut-il que tout leur équipage
Soit-làpour y faire les frais
De notre fimple badinage ?
SANS le charme reffufcité
D'une ridicule impofture,
Ce chêne , en fa fimple parure ,
DE FRANCE
En aura-t'il moins de beauté?
En fera-t-il moins reſpecté
Comme l'enfant de la Nature?
Eh ! fe fût-on jamais douté ,
Qu'épris d'amoureuſe étincelle,
Pan , avec toute la fequelle ,
Vint,fur fon hautbois enchanté ,
Jurer une flamme éternelle
Aux rameaux de fa majefté?
Et que fon mobile feuillage ,
Sous l'épaiffeur de fon ombrage ,
Cachât une Divinité ?
Toi , qui fais toute ma ference ,
Adorable fimplicité ,
Ah! laiffe en proie à l'ignorance
L'infipide ftérilitéz
Et la pompeufe extravagance ⠀
Des rêves de l'antiquité.
Quand tu peindras une Bergère ,
Peins-là jeune , vive , légère ,
Amoureaſe , freu le veux ;
Mais plus de flèches ; que fes four
Soient l'ouvrage de la Nature ,
Et
que le tourment qu'elle endure -
Parte des regards féduiſans
D'un paftoureau de quatorze ans,
Qui la preffe , qui la raffurez
Que fa beauté foit fa parure ;
1.4 70
G
>
12
Cij
52 MERCURE

Qu'elle n'ait d'autres fentimens
Que ceux que l'innocence épure ,
D'autres foucis que Les tourmens
D'autre fopha que la verdure.
AMI , voilà ce que je penfe
De la payenne extravagance.

Que n'ai-je , hélas ! pour mon bonheur ,
Sauvé ma folle complaifance
De fon preftige féducteur ;
Et , content du champêtre afyle.
Où m'avoit placé le deftin ,
Savouré cette paix tranquille
Qu'offroit à mon âme indocile.
La fimplicité de Cantin ! *
Moins faftueux dans mon langage ,
Et toujours libre des travers,
Qui font le ftérile partage
Des ferviteurs du Dieu des Vers ;
Sans fortir de mon hermitage ,
J'euffe été toujours affez fin
Pour être , avec quelqu'avantage ,
Le confeiller de mon voiſin
Ou le Bailli de mon village.
* Village de Flandres,
( Par M. Goguillan..)
DE FRANCE.
53
Explication de l'Enigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'énigme eft Rime ; celui du
Logogryphe eft , Ecolier , où le trouvent
Eole , colier , Élie , école , rôle , lyre , Loi
& Roi.
ÉNIGM E.
QUAND je brûle pour toi, tu me fuis, cher Dorval...
Il fort ; où va-t'il donc ? O maudit carnaval !
Il va , de belle en belle ,
Brûler un grain d'encens ,
Tandis qu'en l'attendant
Moi, je fais fentinelle.
Eft-il une Beauté qui m'efface en blancheur ,
Qui jette plus d'éclat , qui foit plus enflammée ,
Qui brûle avec plus d'ardeur ?
En eft-il de moins aimée ? ...
7
Minuit fonne , & le méchant ne vient pas.
Cruel Dorval , tu veux donc mon trépas ?
Tu languis aux genoux de l'infenfible Alzire ;
Laffé de fes rigueurs , tu reviendras fâché ,
Et fans moi , par ta faute , il te faudra coucher.
Arrive... Il n'est plus temps ; je m'affoiblis ... j'expire.
( Par M. Prévost Demoka, Américain. )
C iij
·34 MERCURE
LOGOGRYPHE.
JELuispeu ſtable , & ma tête légère
Annonce que fur moi l'on doit très-peu compter.
Avec tous ces défauts , comment puis-je te plaire ?
Cependant , quelquefois tu viens me confulter.
Mais , je l'ai dit , je fuis peu ſtable ;
Et quand, vers toi me tournant à
A tes defirs tu me crois favorable ,
Souvent je te tourne le dos.
propos ,
Neuf pieds compofent ma ſtructure
Tu trouveras , fi tu les défunis ,
L'endroit charmant où la Nature
Chez Life a fu placer les rofes & les lys ;
> Ce qui contient une liqueur aimable ;
Ce qui porte un éclat à nul autre pareil
Et que fait naître le foleil ;
Ce que tu peux voir à ta table ;
Un animal féroce ; un reptile fangeux;
Une couleur à tes yeux favorable;
Une paffion méprifable ;
2
Et dans la Bible enfin un ouvrage fameux.
( Par M. de L *** , Officier au Troisième
Régiment des Chevaux-Légers. )
DE FRANCE.
35
"
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
ADELE ET THÉODORE , ou Lettres fur
PÉducation , contenant tous les principes
relatifs aux trois différens plans d'Education
des Princes , des jeunes Perfonnes
& des Hommes. 3 Vol. in- 8°. A Paris ,
chez Lainbert & Baudouin , Imprimeurs-
Libraires , rue de la Harpe , près S. Côme.
QuUEL intérêt ne doit pas infpirer le cou
rage d'une femme qui , renonçant à tous
les plaifirs d'un monde où elle pouvoit jouer
le rôle le plus diftingué par les charmes de
fon efprit , s'enfevelit dans la retraite , &
confacre fa vie à des méditations pénibles
fur l'art fi difficile & fi important d'élever
la jeunelfe ! Nous partageons bien fincèrement
la reconnoiffance que doivent à Mme
la Comtelle de G *** tous les chefs de
famille affez éclairés pour fentir le prix
d'une méthode d'éducation propre à rectifier
leurs vûes & à fimplifier leur travail ; &
nous félicitons les femmes d'avoir un Écrivain
de plus à placer dans la brillante galerie
des Femmes célèbres. La vigueur d'âme
que montre l'Auteur dans fon nouvel Ouvrage
,nous perfuade qu'elle doit aujourd'hui
favoir apprécier les éloges qu'on a donnés
Civ
16 MERCURE
d'abord à fes Annales de la Vertu & à fon
Théâtre de Société. Une critique motivée eft
fans doute plus digne de fixer fes regards ;
Mme de G. femble nous y inviter ellemême
par fon exemple , puifqu'elle a cru
pouvoir le permettre une cenfure rigoureufe
des Nobles , des Financiers , des Philofophes
, des Prêtres , des Littérateurs , &
de toutes les claffes d'homines qu'elle a été
à portée d'obferver.
Il nous feroit difficile de donner une idée
bien diftincte du plan & de la marche de
fon Livre ; à certains égards on pourroit le
comparer à cette fameufe machine de Marli ,
beaucoup trop compliquée pour l'effet qu'elle
doit produire. Embarraffee fans doute au
milieu des principes qu'elle avoit recueillis
fur l'éducation , Mme la Comtelle de G.
emploie , pour les offrir au Public , une fi
grande multitude de refforts , que l'efprit &
la mémoire en font accablés . Qu'on fe figure
une espèce de Drame épiftolaire , moitié
hiftorique & moitié romanefque : les perfonnages
en font fi nombreux , fi variés , fi
mobiles , qu'il eft impoffible d'en efquiffer
les traits ; ils font même quelquefois fi difficiles
à mettre en action , que l'Auteur , dans
l'embarras de les conduire avec adreffe fur
la fcène , eft forcée de les y jeter brufquement
, & fans aucun art. La fcène ,
auffi étendue que les Acteurs font multipliés
, change & paffe d'un inftant à l'autre ,
de Paris à la campagne , de la campagne à
DE FRANCE.
57
Paris : de là , en Bretagne , en Languedoc ,
en Italie , en Hollande , en Alface , en pays
inconnu , & jufqu'au - delà des mers. Outre
l'éducation d'Adèle & de Théodore , l'Auteur
entreprend encore celle d'un Prince
deftiné au Trône , celle de deux femines
mariées , celle de deux enfans , dont l'un
doit époufer Adèle , & l'autre Théodore ;
enfin , celle d'un M. Porphire , Homme de
Lettres , que Mme la Comteffe rend bien
aimable & bien fage , & qu'on perfécute
indignement. Sa méthode d'éducation eft
confondue parmi des romans , les romans
coupés par d'autres aventures romanefques ;
celles ci par des defcriptions de villes ou de
peuples déjà connus , & le tout par dés
Lettres critiques fur les moeurs , les livres ,
les opinions , les modes , & c . & c.
Mais fi l'on juge que l'Auteur n'a pas la
force de tête fuffifante pour concevoir un
plan d'une certaine étendue , au moins ne lui
conteftera-t'on pas le talent de bien definer
un portrait , de peindre avec énergie les
vices & les ridicules des perfonnes parmi lefquelles
elle a vécu , de faifir avec beaucoup
de fagacité le caractère & l'efprit des enfans ,
d'imaginer des fituations ingénieufes pour
leur faire connoître & fentir ce qui eft bien
& ce qui eft mal ; de donner aux moindres
chofes un grand intérêt ; de conduire un
dialogue avec la plus aimable fimplicité ; de
développer enfin les fentimens & les devoirs
d'une mère de la manière la plus vive , la
C v
MERCURE
le
mieux raifonnée & la phis attachante. Plu
feurs fcènes d'Adèle & Théodore font répandre
des larmes délicieuſes. Quand Mme
la Comteffe de G. parle de fa fille , on
fe rappelle involontairement Faimable &
rendre mère de Mme de Grignan : les Lettres
de ces deux Femmes célèbres font en effer
remarquables par l'efprit , Faifance
grand ufage du monde. Quoiqu'acceffibles
l'une & l'autre à des préventions érranges ,
eependant on croiroit Mme de G. plus inf
truite que Mme de Sévigné ; elle annonce
plus d'efprit & de mémoire , mais fa fenfibilité
a moine
de profondeur & d'abandon
; le ftyle de fes Ouvrages n'a point de
caractère diftinctif , il eft pur en général ,
& quelquefois élégant , mais peu riche
en images & en tournures. Celui de Mme de
Sévigné , qui , prefque toujours peint la
même chofe , éloigne fans ceffe la monotonie
par la variété des mouvemens & des
formes , & par un naturel inimitable ; auffi
le reconnoît- on entre mille autres , comme
les vers de La Fontaine & la profe dé
Rouffeau. Les Philofophes qui lifent encore
fes Lettres , lorfqu'ils veulent voir de près
les perfonnages de la Cour de Louis XIV,
liront fans doute , avec le même intérêt
celles de Mme de G. , pour avoir une idée
jufte des Grands de la Capitale , à la naiffance
du beau règne de Louis XVI.
Effayons d'abord de raffembler ce qui eft
épars fur l'Education proprement dite , dans
DE FRANCE. fo
les trois Volumes d'Adèle & Théodore; enfuite
nous jetterons un coup d'oeil fur les
autres parties de l'Ouvrage,
"
Bien différente de l'Auteur d'Émile , qui
s'élève à la plus grande hauteur pour mieux
faifir le plan de la nature, & former l'home
me de tous les États & de toutes les Nations ,
Mme la Comteffe de G. fe place dans
une fphère beaucoup plus étroite ; fa théo
rie d'Education n'eft appliquable qu'aux enfans
de la Nobleffe opulente , & fur tout
aux perfonnes de fon fexe : ce qui regarde
l'Education des hommes en général & des
Princes deftinés à régner , fe réduit à quelques.
Lettres. Mais pour entendre ce que
nous allons dire , il faut fe repréfenter l'Auteur
fous trois formes différentes. Mme de
G. eft en même-temps la Baronne d'Almane,
qui préfide à l'Éducation de ſa fille
Adèle , le Baron d'Almane , qui élève fon
fils Théodore ; & le Comte de Rofeville ,
Gouverneur d'un Prince deſtiné au trône.
On pourroit même encore attribuer à l'Auteur
une partie des moyens qu'emploie un
M. d'Aimeri , pour élever fon petit- fils le
Chevalier ac Valmont , deftiné à épouser
Adèle. C'eft dans le cours d'Éducation de
ces quatre enfans qu'eft fur- tout développée
la théorie de Mme de G.
Tour ce qui concerne l'Éducation phyfique
fe borne à ce qu'on va lire . Jufqu'à
l'âge de trois ans , il faut laver l'enfant de
la tête aux pieds , avec de l'eau tiède en
C vj
60 MERCURE
hiver & de l'eau naturelle en été , en obfervant
de le frotter avec une éponge. On doir
le coucher dans un lit affez dur & fans . rideaux
, n'ayant qu'un béguin de toile , une
petite camifole , une feule couverture en
hiver & un drap en été ; les fenêtres de la
chambre prefque toujours ouvertes durant
le jour , excepté dans les temps humides ; le
tenir continuellement au grand air ; ne point
fe preffer de le faire marcher , attendre que
les jambes foient affez fortes pour porter le
corps fans peine ; une extrême attention à
le préferver de l'humidité , & fur- tout en
garantir les pieds. Dès l'inſtant du fevrage ,
de l'eau pour toute boiffon , jamais de crême
ni de bouillie ; de temps en temps du lait
froid , des oeufs , des légumes , de la foupe
graffe , du fruit ; point de confitures , de
bonbons , ni de pâtifferie ; point de corps
baleinés jufqu'à quatre ans ; après cette époque
, des corps très - minces & larges ; excepté
dans l'été , les corps font commodes &
fains ; en plaçant bien les épaules , ils ou
vrent la poitrine , foutiennent les reins ,
maintiennent l'eftomach dans une fituation
qui facilite la digeftion , & rendent d'ailleurs :
les chûtes moins dangereufes. Pour tout vêtement
d'éré , une chemife & une lévite de
gaze ou de mouffeline ; point de bas ni de
fouliers pendant les grandes chaleurs , fi ce
n'eft lorfque l'enfant va fe promener.
On voit qu'à l'exception des corps baleinés
, ces obfervations n'ont rien d'extraor
2
DE FRANCE. 61
dinaire; mais il eft douteux que l'Aureur
parvienne à rétablir l'ufage de ces corps tant
décriés par les Anatomiftes comme par les
Écrivains Philofophes. S'ils font bien larges ,
comme le veut Mme de G. , ils n'ouvrie
ront pas la poitrine , & ne forceront jamais
les épaules à fe jeter en arrière ; s'ils ferrent
l'enfant , ils lui comprimeront l'eftomach ,
& nuiront au développement des vifcères.
Les Négreffes digèrent aufli bien que nous ,
leurs formes font aufli élégantes que celles
des Européennes , quoiqu'elles n'aient jamais
fubi la torture des corps baleinés.
ן כ
"
Une des premières maximes de l'éducation
morale , c'eft de toujours donner l'exemple
des vertus qu'on exige , & d'obtenir de
fon élève une confiance entière : « Ne lui
» donnez jamais une idée fauffe ; le menfonge
ne peut jamais être utile ; s'il dé-
≫ couvre que vous lui avez déguifé la vérité
» dans une feule occafion , vous perdrez fa
» confiance fans retour. » Il faut auf ne
négliger aucune occaſion d'enſeigner aux enfans
tout ce qui eft à leur portée. Le choix
des récompenfes ne doit pas être indifferent ,
n'en propofez jamais que d'intéreffantes , de
nobles & d'utiles , telles qu'une marque de
confiance , votre portrait , un livre inftructif.
Point de converfations avec les domeftiques:
" Les enfans n'y prennent que des expreffions
triviales , des ridicules , des fen-"
» timens bas & le goût de la mauvaiſe compagnie.
Corrigez rarement vos élèves
לכ
+
*
62 MERCURE
par la fenfibilité : en leur répétant fans ceffe
qu'ils vous affligent , qu'ils vous rendent
malade , on les familiarife avec une idée qui
devroit toujours leur faire horreur ; c'est le
moyen d'anéantir la fenfibilité ; corrigez les
par les privations & par la crainte , qui eft
L'eftime des enfans. Pour connoître leur ca
ractère , leurs inclinations & l'étendue de
leur efprit , obfervez les dans leurs jeux ;
s'ils y montrent de la conftance , ils en au
ront pour l'érude, s'ils fe plaifent à conter,
à comparer des chofes nouvelles pour eux ,
croyez qu'ils auront de l'efprit & de l'imagination.
L'éducation des femmes ne doit point ref
fembler à celle des hommes. Il faut aux premières
des goûts modérés, des reffources contre
l'ennui , de la patience , de la douceur,
& point de paffions. Adèle pofsède plufieurs
langues ; fait broder , deffiner , danfer , pein
dre , chanter , jouer de plufieurs inſtrumens ;
geographie , chronologie , hiftoire , archi
tecture , blafon , géométrie , phyſique ;
chimie , hiftoire naturelle, philofophie, controverfe
; rien ne lui eft étranger de ce qui
peut concourir aux agrémens de la fociété &
au bonheur d'un époux ; mais il faut à fon
frère des paffions vives , l'ambition , l'amour
de la gloire ; l'amour même des femmes
bien dirigé , ne peut lui être nuifible.
Théodore lit infiniment plus qu'Adèle ; il
apprend l'Italien , l'Anglois , l'Allemand & le
Latin , qu'il commence à quatorzeans ; les ma
DE FRANCE. 63
thématiques , qu'il commence à douze , &
qu'il continue pendant fix. Point de mufique
ni de miniature , le deffin lui fuffit avec la
géométrie pour favoir lever un plan : il fair
nager , jouer au billard & fupporter la fa
tigue. Il pofsède la fcience des lois & de la
politique. Quand il époule Conflance, it en
eft éperduement amoureux ; quand Adèle
épaule le Chevalier de Valmont, elle n'a pour
lui qu'un léger mouvement de bienveillance ,
elle eft toujours prête à luifacrifier tout autre
époux qu'on lui propofera.
Par quel fecret Mme de G. vient- elle
à bout de donner à fes élèves une auffi pros
digieufe multitude de connoiffances & de
bonnes qualités ? Elle leur apprend les langues
étrangères par l'ufage , comme nous
apprenons la langue maternelle , & l'orthographe
en leur corrigeant ce qu'ils écrivent
de mémoire. On leur enfeigne d'abord la
géographie dans une optique , le catéchifme
hiftorique & les métamorphofes d'Ovide
dans une lanterne magique ; l'hiftoire & la
chronologie, fur les tapilferies qui meublent
la maifon entière où ils demeurent ; la bounique
, dans un jardin qu'ils cultivent euxmêmes
; l'architecture , avec descartons qui reprefentent
les cinq ordres de l'art , & fervent
à faire des châteaux pour leur récréation.
C'eft ainsi que l'Auteur fait employer utilement
jufqu'aux heures données au plaifir.
Auffi a- t'elle pour maxime que le feul changement
d'occupation fuffit pour délaffer la
64
MERCURE
> jeuneffe. Tout ce qui environne fes élèves eft
pour eux une fource féconde d'inſtructions.
Mme de G. veut qu'on s'attache fur- tout
à leur donner de l'expérience , en mettant en
action les principes moraux , & leur faifant
éprouver , dans un court efpace de temps ,
toutes les tentations dont l'homme eft fujceptible.
Pour accoutumer fes élèves a fe
vaincre , elle leur donne des bonbonières
remplies de pralines , leur fait promettre
d'abord de n'y pas toucher jufqu'au lendemain
; celui qui tient fa promeffe, obtient de
l'eftime & des egards ; on s'indigne contre
celui qui y manque , & on lui fait fentir
le poids du mépris attaché à l'infraction d'un
engagement.
Pour éloigner la pareffe du jeune Prince ,
fon Gouverneur lui ôte une boutique de joujoux
qui l'ennuyoient au lieu de l'amufer ;
il écarte en même temps une foule de Domeftiques
occupés jufqu'alors à prévenir
tous fes befoins & à fatisfaire fes moindres
fantailies. Chaque jour on lui fait raconter
deux ou trois hiftoires , afin qu'il acquierre
la facilité de s'énoncer en Public ; & chaque
jour le Comte de Rofeville écrit les actions
& les paroles de fon élève , qu'il lui remet
fous les yeux le lendemain , & qu'il accompagne
de moralités convenablés à fon âge.
Pour développer la fenfibilité & la bienfailance
, on mène Adèle & Théodore à la
promenade ; ils rencontrent fur la route une
pauvre mère accablée de fatigue , & dont
DE FRANCE. BS
l'enfant meurt de faim ; on les fait monter
dans la voiture , on les reconduit dans leur
chaumière , & l'on prend foin de la famille.
Pour les guérir de la curiofité , & les exercer
à la difcrétion , la Gouvernante leur révèle
qu'elle a époufé le Peintre de la maifon
, mais qu'il eft pour elle de la plus grande
importance de laiffer ignorer ce fecret à la
Baronne d'Almane : celle- ci leur confie à fon
tour qu'elle travaille à marier la même Gouvernante
avec un autre homme , mais qu'elle
ne veut l'en inftruire qu'après avoir fait tous
les arrangemens convenables. Cette double
confidence met les deux élèves dans un tel
embarras , qu'ils renoncent à la curiofité , &
n'ont plus le moindre defir d'être dépofitaires
du fecret d'autrui. Veut-on les rendre
courageux & les préferver de la molleffe ?
on les familiarife d'abord avec des fquelettes,
avec les animaux' hideux , avec le tonnerre ,
en leur faifant admirer la majefté de ce phé
nomène ; on leur fait voir des morts , enfuite
on les fait voyager ; c'eft fur- tout en
voyageant qu'ils apprennent à dormir dans
une auberge , à fe contenter d'un mauvais
repas , à fe paffer de Domeftiques , & à ne
craindre ni la mer , ni les mauvais chemins ,
ni les mauvais temps. S'agit il de les difpofer
à faire leur première Communion ? on
les mène en Bretagne voir un hôpital fondé
& deffervi par un homme riche qui a quitté
le monde pour fe confacrer au fervice des
malheureux,
66 MERCURE
Faut il donner aux jeunes perfonnes un
préfervatif contre la vanité, la Baronne introduit
un étranger dans une compagnie où
la beauté d'Adèle eft exceffivement admirée ;
les éloges qu'elle reçoit paroiffent abfurdes
à l'inconnu , qui trouve ceste petite figure
très-commune & fans régularité, & prétend
qu'il faut être ftupide pour croire à des complimens
auffi faux qu'injurieux.. Om vient
rapporter ces propos à Adèle , qui d'abord
en eft piquée ; fa mère faifit cette occafion
pour l'inftruire fur une matière auffi impor
tante , & Adèle finit par écrire une lettre
de remercîmens au rigide cenfeur de fa
beauré.
La Baronne d'Almane guérit fa fille de
eet efprit moqueur fi commaus parmi nous ,
en l'expofant aux plaifanteries d'une ville
étrangère. La mère & la fille fe trouvent à
Gènes dans une affemblée nombreufe : à
l'afpect du coftume & de la coëffure d'Adèle ,
on fe moque des modes Françoiſes ; un
Delfinateur fait à l'inftant le portrait de la
jeune étrangère : dès le lendemain elle le dé
couvre chez un Marchand d'Eftampes : nou
veau fujet d'inftruction pour la Baronne
qui détermine Adèle à acheter la caricature,
à la faire encadrer & à la placer dans le
fallon de compagnie , afin d'impofer filence
aux moqueurs.
Enfin , pour exercer Adèle aux vertus & à
Fintelligence d'une époufe & d'une mère ,
on la charge de régler chaque jour les comp
DE FRANCE. 67
tes de la maifon , & on lui donne un enfant
de quatre ans à élever . Adèle , qui eft dans
fa quatorzième année , paroît affez raifonnable
pour entreprendre une première édo-
¿cation , qui , néceffairement fera moins bonne
que la feconile ; car une mère , fuivant l'Auteur
, élève mieux fa feconde fille que la prémière
, parce qu'elle a plus d'expérience ; il
faut donc prévenir ce mal en lui apprenant
avant le mariage , un art qu'elle feroit obligée
d'acquérir au préjudice de l'aîné de fa
famille.
- Voilà ce que Mme de G. appelle un
cours de vertu expérimentale , qu'on doit
commencer dès l'âge de neuf ans. Quoiqu'il
foit beaucoup plus facile d'enfeigner ces
fecrets que de les mettre en pratique , on
n'eft pas moins redevable à l'Auteur qui a
fur les découvrir ou nous les préfenter d'une
manière très - attachante ; il feroit même à
defirer qu'elle eûr multiplié davantage ces
fortes de leçons en faveur des Instituteurs
qui n'ont ni le temps ni le génie d'en trous
ver au befoin , il falloit fur tout en ima
giner pour détruire les défants , les mauvaifes
habitudes , les vices de caractère &
d'efprit : objets les plus difficiles de l'éducation
, & que l'Auteur a totalement négligés.
L'analyfe de cette partie de l'Ouvrage
fur Adèle & Théodore , feroit incomplette fi
Fon omettoit l'article des Livres & celui de
la Religion . Ici l'Auteur a des idées remarquables
; il doit bien fe féliciter d'être né à
68 MERCURE
une époque fi favorable à la publication de
fes Ouvrages. Nous n'avons pas un Livre
d'Heures qui ne contienne des fautes choquantés
& des expreffions ridicules , & Mme
de G. a compofé un Livre de Prières
qu'on ne peut lire fans attendriſſement.
Nous n'avons aucun Livre de Mythologie
convenable à la jeuneffe , & l'Auteur a fait
pour elle un Ouvrage Mythologique. Nous
n'avons aucun Poëte qui puiffe convenir aux
enfans , & l'Auteur a un Recueil de Poéfie
tout prêt à être mis au jour, Nous n'avons
pas un Conte dont on puiffe raifonnablement
amufer l'enfance , & l'Auteur d'Adèle
en a un Volume de 500 pages. Nous n'avons
ni Livres de controverfe ni Abrégé hiftorique
propres à l'Éducation , & Mme la Comteffe
de G. a compofé un Livre de controverfe
en 80 Lettres , & un Abrégé hiftorique
en 6 Vol. in- 8 ° . Enfin , fans Adèle &
Théodore , nous n'aurions pas un feul bon
Traité d'Education . Rouffeau lui- même eft
un enfant près de Mme de G. " Émile
» eft rempli de déclamations de mauvais
goût & de principes dangereux ; il man-
» que d'action & d'intérêt , & offre prefqu'à
chaque page les inconféquences les
plus révoltantes.
و د
-99
99 39
Ce Rouffeau n'eft qu'un plagiaire , qui
doit à Sénèque , à Montagne , à Cheron , à
Locke , à Fénélon , &c. tout ce qu'ily a d'utile
dans fon Livre ; celui de Mme de G. ( c'eft
toujours elle qui parle ou qui fait parler )
DE FRANCE. 69
révèle tous les fecrets de l'éducation ; Mme
d'Almane fait des chef- d'oeuvres d'éducation....
Elle eft la meilleure des mères.... elle
possède la vraie vertu .... on l'aime autant
qu'on la respecte & qu'on l'admire. Elle porte
Tenthoufiafme jufqu'à fe faire dire par la
Vicomteffe de Limours : " Ovous , mère fi
» tendre & fi vertueufe , vous obtiendrez du
» Ciel , pour votre malheureufe amie , le
» pardon de fes fautes. "
4
Tout cela , fans doute , eft fort joli ; mais
l'Auteur auroit peut- être dû nous laiffer le
plaifir de lui adreffer ces ingénieux complimens.
Au refte , il ne faut pas croire que , même
en ce point, la Baronne d'Almane ceffe d'être
une femme fupérieure aux foibleffes de fon
fexe. Les louanges qu'elle fe donne , ou qu'elle
Le fait donner , font d'accord avec les maximes.
On peut , dit-elle, fe glorifier ouver
tement. O', qu'il eft fatisfaisant pour
» l'amour-propre d'entendre louer fon Ou-
» vrage ! .... on n'eft pas obligé de diffimuler
» cette eſpèce d'orgueil.
Elle foutient également , « qu'il eft permis
≫de mentir quand il s'agit d'excufer un tort
» véritable , une faute grave , ou pour ca-
» cher notre fecret , & c. » En conféquence .
elle confeille le menfonge à Mme d'Oftalis ,
fon ancienné élève , qu'elle continue de di
riger. Voici la leçon : « Si on vous parle de
cette aventure , niez tout avec affurance ;
» foutenez que vous êtes certaine que Mme
MERCURE
"
30
de Valcé n'a pas même mis le pied aut
Palais Royal , qu'elle étoit rentrée avant
» minuit. Il n'y a pas d'autre moyen de défendre
une mauvaife caufe...
" ...

La Religion , comme la loi naturelle ,
avoient toujours mis l'aumône au rang des
devoirs ; mais l'Auteur , dans un Livre uni
quement deſtiné à l'éducation des gens riches
, a cru devoir enfeigner le contraire :
L'aumône n'eft , dans l'Evangile , qu'un
confeil , qu'une exhortation , & non pas
un précepte pofitif. »
+
-Les fecours fpirituels que l'Eglife adminiftre
aux malades n'y font guère plus refpectés
que la morale évangélique : « Com-
*
ment fe perfuader , s'écrie- t'on , qu'un
» mourant fapportera , fans terreur & fansdéfefpoir
, ces funcites apprêts de la mort,
» ces cierges lugubres dont fon lit eft en-
» touré , & ces Prières de l'agonie qui re-
→ tentiffent à fes oreilles.... On empoisonne i
» fes derniers momens , on les rend affreux-
» & terribles ; que dis- je , on les avance.s
» Eft- il poffible qu'une Religion , dont las
» morale eft auffi douce qu'elle eft fublime ,
"
و و ل
-99.
puiffe infpirer un délire & une cruamé
» auffi abfurde? Ici , Mme de G. eftelle
bien d'accord avec elle même ? N'offret'elle
pas toujours l'appareil de cette Religion
près de fes Héros mourans , comme une
des chofes les plus propres à infpirer l'amour -
du Chriftianifme ? C'eft un Prêtre qui reçoit
les derniers foupirs du vertueux Lagaraye ;
DE FRANCE. 71
quand Cécile meurt , c'eft encore entre les
bras d'un Prêtre qui lui préfenteun Crucifix ,
" en difant , d'une voix forte , ces terribles
paroles : Recommandez votre âme à Dieu. »
On pourroit peut- être reprocher à l'Auteur
des inconféquences d'un autre genre :
inconféquence dans le titre & l'exécution
du Livre ; il ne remplit point l'objet qu'il
annonce. Inconféquence dans les reproches
d'exagération qu'on fait aux plus célèbres
Romanciers , & les invraisemblances qu'on
fe permet. Inconféquence dans le refpect
que , d'une part , on recommande pour les
mours , & la peinture trop détaillée des
moeurs corrompues. Inconféquence dans le
confeil de n'enfeigner que ce qui eft à la
portée des enfans , & la prodigieufe multitude
de chofes qu'Adèle & fon frère ont apprifes.
Inconféquence entre les paroles &
les fentimens d'Adèle. Inconféquence dans
les maximes pour & contre le menfonge . Le
confeil qu'on donne à Mme d'Oftalis eft fondé
fur un menfonge. La leçon fur la difcrétion
& la curiofité repofe fur deux menfonges.
Celle qui concerne la gourmandife eft également
vicieufe : la Baronne d'Almane permet
à fa fille de manger à difcrétion dans
une fêre , en l'affurant qu'elle n'y regardera
point; & lorfqu'Adèle a gagné une indigeftione,
fa mère la gronde , en lui reprochant
d'avoir mange dix tartelettes , fix me
ringues & deux taffes de glaces à la crême,
Comment concilier ces faits avec le pré2
MERCURE
cepte de l'Auteur : « Le menfonge ne peut
» jamais être utile ; & fi votre élève découvre
que vous lui avez déguifé la vérité
» dans une feule occafion , vous perdrez fa
» confiance fans retour. »
"
Mme de G. , dans une nouvelle Edition
, pourroit aifément faire difparoître la
plupart de ces taches ; elle n'ignore pas qu'un
Livre élémentaire exige la plus fcrupuleufe
exactitude. L'Auteur propofe auffi d'enfeigner
la logique à l'aide de la controverfe ;
nous penfons , d'après l'expérience , que de
pareilles matières ont trop peu d'analogie
avec la raifon naiffante. On ne fauroit appliquer
l'art de raiſonner à des chofes trop
fimples ; le grand défaut des élémens de
logique connus , tient uniquement aux
exemples qui ne font pas affez familiers ;
c'eft prefque toujours de la métaphyfique ,
qui ne laiffe aucune trace durable dans l'efprit
des jeunes gens. Les controverfes philofophiques
& théologiques que nous annonce
Mme la Comteffe , feront fans doute
fort fupérieures à celles des Holland & des
Bergier ; on ne pourra mieux faire que de
les mettre entre les mains de la jeunetle ,
comme les Annales de la Vertu , qui doivent,
être fi fupérieures aux Elémens Hiftoriques.
des Millot , des Condillac , & de tant d'autres
qui ont échoué dans cette entreprife ;
mais nous fommes perfuadé qu'on ne doit i
point enfeigner la logique par la controverfe.
HISTOIRE
La fuite au Mercure prochain.
DE FRANCE. 73
HISTOIRE de la dernière Révolution de
Suède , précédée d'une Analyfe de l'Hif
toire de ce Pays, pour développer les vraies
caufes de cet événement , par Jacques le
Scène Deſmaiſons. Cogitemus , fi majus
Principibus prafent obfequium, quifervitute
civium , quàm qui libertate latantur. Pline.
in-8 . A Amfterdam , & fe trouve à Paris ,
chez Moutard , Imprimeur - Libraire , rue
des Mathurins.
M. DE VOLTAIRE commence fon Hiftoire
de Charles XII par une Hiftoire abrégée de
la Suède , dans les temps qui précèdent le
règne qu'il décrit. Ce précis a cinq ou fix
pages , & on y trouve tout ce qui concerne
le climat , le Gouvernement & les principales
révolutions de la Suède. Ce même tableau
eft ici plus étendu & plus développé;
mais nous ne favons fi les fix pages de M. de
Voltaire , dans leur brièveté fubſtantielle ,
ne laiffent pas dans la tête une idée plus
nette des différens objets , des différens tems
& des époques vraiment mémorables , que
les détails auxquels s'eft livré l'Auteur de
l'Hiftoire que nous annonçons . Il nous femble
que dans le nouvel Ouvrage les acceffoires
étouffent un peu le principal , qu'ils
n'en font pas diftingués d'une manière affez
précife , & qui défigne affez de fimples préliminaires.
La dernière révolution , qui
dans le titre , eft annoncée comme l'objet
Nº. 15 , 13 Avril 1782. D
74
MERCURE :
principal , ne paroît dans l'Ouvrage qu'une
des epoques oidinaires de l'Hiftoire de
Suède. Il nous femble que l'Auteur n'auroit
du commencer fon Ouvrage qu'à la mort de
Charles XII , tracer en dix pages les révolutions
précedentes , infifter davantage fur
les révolutions fuivantes , & réferver les
détails pour la dernière révolution , puifqu'elle
eft le véritable objet de fon travail.
Sous Charles XI , le Gouvernement de
la Suède avoit été defpotique ; fous Charles
XII , il avoit été plus que defpotique , il
avoit été tout militaire. A la mort de ce
Prince il devint prefque Républicain. Le titre
feul de la Royauté fut confervé , le droit
héréditaire fut aboli , le droit d'élection renouvelé
; Charles XII ne laiffant que des
foeurs , la Nation prétendit avoir droit
d'élire ; cependant la célèbre Chriftine avoit
fuccédé fans contradiction à Guftave Adol- `
phe , fon père ; mais Chriftine étoit fille , &
parut être l'enfant de la Nation , les deux
foeurs de Charles XII étoient mariées à des
Princes étrangers , & furent réputées étrangères
. On décida que , pour qu'une Princeffe ,
pût fuccéder à la Couronne, en vertu du
droit héréditaire , il falloit qu'elle fût reftée
fille ; on élut cependant une des foeurs de Charles
XII ; mais , pour bien établir le droit
électif, on élut la plus jeune des deux foeurs ,
Ulrique - Éléonore , femme du Prince de
Heffe. Elle facrifia depuis , dit M. de Voltaire
, la jaloufie de la Royauté à la ten-
(
DE FRANCE.
75
dreffe conjugale , en cédant la Couronne
» à fon mari , & elle engagea les États à
» élire ce Prince , qui monta fur le Trône
aux mêmes conditions qu'elle.
وا
>>
Croit - on que l'Auteur, qui rappelle toutes
les anciennes révolutions de l'Hiftoire de
Suède
ne parle point de cette translationi
de la Couronne , d'Ulrique - Éleonore
au Prince de Heffe , fon mari , ni de la révolution
qui fit paller cette Couronne à
la Maifon qui la porte aujourd'hui , de forte
qu'après avoir vu élire une Reine , on voit
toujours agir & parler le Roi , & qu'on voit
des actes lignés Adolphe- Frédéric , fans avoir
entendu parler d'aucun changement ?
Il falloit dire que les États , après avoir
élu , le 3 Février 1719 , la Princeffe UlriqueÉléonore
, élurent en fa place , d'après fon
abdication volontaire , & conformement à
fes intentions , le 14 Mai 1720 , Frédéric ,
fon mari , Prince Héréditaire de Heffe Calfel ;
que la Princeffe Ulrique - Eleonore étant
morte les Décembre 174 , ils défignèrent
pour fucceffeur à Frédéric , Charles - Pierre-
Ulric , Prince de Holftein Gottorp , qui
defcendoit de Charles XI , Roi de Suède ,
par la Princeffe Hedwige- Sophie , fon aïeule ,
four aînée d'Ulrique Eléonore , & du Czar
Pierre I , par. Anne fa mère , fille aînée du
Czar ; Charles -Pierre Ulric ne put accepter
la Couronne de Suède , parce qu'il avoit fait
fon option pour celle de Ruffie , dont il
avoit été défigné fucceffeur par l'Impératrice
Dij
༡༦ MERCURE
Elifabeth , fa tante , & qu'il avoit en conféquence
fait profeffion de la Religion Grecque
, ( c'eft le Czar Pierre III , mort le 28
Juin 1762 ), fur fon refus, les États de Suède
nonimèrent Adolphe-Frédéric , Duc de Holstein
, de la branche d'Enting , branche ca
dette , lequel n'avoit , par la naiffance , aucun
droit à la Couronne de Suède, Il fuccéda
en 175 au Roi Frédéric , mari d'UlriqueÉléonore
, & il eut pour fucceffeur , en
1771 , Guſtave III , fon fils , auteur de la
révolution qui fait l'objet de cet Ouvrage.
Revenons aux temps d'Ulrique -Eléonore
& de Frédéric , fon mari.
Les Suédois n'étoient pas en état de receyoir
le bienfait de la liberté , ils ne furent
pas en jouir. Bientôt la Nation fut diviféc
en factions. Des noms toujours odieux
diftinguèrent le Citoyen du Citoyen , &
entretinrent la haine des deux partis,
Ces noms étoient encore plus ridicules
qu'odieux ; les auteurs & parrilans du nouveau
Gouvernement , furent nommés les
Bonnets , leurs adverfaires furent nommés
Les Chapeaux; & une efpèce de tiers- parti ,
tel qu'il s'en forme prefque toujours dans
les diffentions civiles , lorfqu'elles ont quel-
Aque durée , fut nommé les Bonnets - chaf
feurs.
Il étoit fans doute du devoir de l'Hifto
rien de rapporter une fois pour toutes ces
dénominations burlefques ; mais ce devoi
une fois rempli , qu'étoit - il befoin de répéDE
FRANCE. 54
2
ter & d'employer fans ceffe , férieufement
& gravement , dans le cours de fon Hiftoire ,
ees noms de Bonnets & de Chapeaux
comme on emploie ceux des Guelphes &
des Gibelins , des Armagnacs & des Bourgaignons
, des Lancaftres & des Yorcks , des
Zégris & des Abencerrages ? Qu'étoit- il befoin
de nous dire qu'on décria par tout les
mefures des BONNETS , comme s'il s'agiffoit
de leur hauteur , de leur largeur & de leur
profondeur L'Hiftorien doit remarquer les
ridicules des hommes & des nations , mais
il ne doit point les adopter ni les partager.
i
Quoi qu'il en foit , ces Bonnets & ces
Chapeaux furent également ridicules & funeftes
; ils ramenèrent l'anarchie , ils renversurent
tous les principes du Gouvernement
, fur- tout ils fe plurent à dégrader &
à infulter la Royauté.
Les traits fuivans montreront à quel point
fe trône étoit avili. Du temps du Roi Adolphe-
Frédéric , les États avoient un droit
général d'examiner les diamans & les meubles
de la Couronne ; droit qui n'avoit jamais
été exercé, & qui n'avoit probablement
d'autre objet que le cas d'une minorité ou
de la vacance du trône . Ils préfentèrent une
adreffe au Roi , où ils fupplioient Sa Majesté
de leur faire favoir le temps où il conviendroit
à la Reine fa femme ( four du Roi de
Pruffe actuel ) de laiffer inventorier , par
Meurs Députés , les diamans qu'elle avoit regus
dans le temps de fon mariage. La Reine ,
D iij
MERCU RET
choquée d'un procédé qui annonçoit une
défiance injurieufe de la part des Etats , répondit
qu'elle feroit féparer les diamans de
la Couronne de fes propres diamans , &
qu'elle les feroit remettre aux États , fe refpectant
trop pour jamais les porter déformais.
Sur cette réponſe , les États , dans des remontrances
fort dures , reprochèrent au Roi
Tempire qu'il faiffoit prendre fur lui à la
Reine , & le fupplièrent très refpectueusement
d'être , fans que perfonne s'en mêlát
Maitre de fa Cour & Roi defon Royaume.
Le Roi ayant nommé un Sous Gouverneur
au Prince Royal fon fils , les États ne le trou
vèrent pas bon : ils adrefsèrent au Roi cette
requête.
22
Très- haut & très- puiſſant Roi ,
Après une mûre délibération fur l'édu-
» cation , objet fi important pour V. M. &
Te Royaume , il nous a paru , entre- autres
chofes , que l'emploi de Sous Gouverneur
» du Prince Royal étoit inutile . Les Etats repréfentent
donc , avecfoumiffion, qu'un tel
établiffement n'eft point d'ufage dans ce
Royaume, & que ce qui fe pratique en
d'autres pays , qui different par les principes
de leur Gouvernement , ne peut s'ap
pliquer à celui ci.
»
ود
Tant que le Gouverneur a affez de fanté
& de vigueur pour remplir la charge qui
lui eft confiée , l'opinion des États eſt que
DE FRANCE. 79
Foffice de Sous Goaverneur peut difficilement
produrre quelque bien.
» Les États refpectent les vûes qui enga
» gent V. M. à former un tel établiffement ,
» mais ils croient donner une marque de leur
foumiffion & de leur refpect , en donnant
» le fincère avis de fupprimer à jamais cet
❞ emploi.
95

Les États demandent encore très -humblement
, que , conformément au droit
qu'ils tiennent de la Conftitution , il ne
" foit fait aucun changement ou nouvel établiffement
pour l'éducation des Princes ,
»fans la participation defdits États . »
On voit qu'il ne reftoit au Roi que de
vaines formules de foumiffion & de refpect
, dont on ufoit encore à fon égard en
l'outrageant.
Quelques Grands du Royaume ayant tenté
de rétablir la Dignité royale dans fes droits
effentiels , leur entrepriſe fut traitée de conjuration
, & ils furent punis du dernier fupplice
comme ennemis publics .
C'eft de cet état d'abaiffement , c'eft de
cet anéantiffement de l'autorité royale que
le Koi'actuel , Guftave III , fans aucune effufion
de fang , fans aucune violence au moins
funefte , mais par la feule force de la raifon,
par la fageffe de fa conduite , par le talent
de profiter des difpofitions de fes Sujets ,
las des horreurs de l'anarchie , eft parvenu
au pouvoir le plus abfolu, du confentement
de la Nation , qui s'applaudit tous les jours
Div
30 MERCURE
d'une révolution qu'un
Gouvernement paternel
rend chère & précieufe à tous. " Il s'étoit
levé le matin , dit l'Auteur , le Souverain
le plus limité de l'Europe ; il fe rendit ,
dans
l'elpace
d deux heures , autfi abfolu
le Roi de Pruffe à Berlin , ou le
» Grand Seigneur à Conftantinople. »
92
que
Un des premiers ufages qu'il fit du pou
voir fuprême , fut d'abolir la question , &
d'anéantir tous ces noms de Bonnets & de
Chapeaux , & jufqu'aux moindres reftes des
factions qu'ils défignorent.
Cette Hiftoire , grâce à l'importance &
à la nouveauté du fujet , ne pouvoit manquer
d'être intéreflante : Hiftoria quoquo modo
fcripta placet : elle n'eft d'ailleurs recom
mandable ni par l'ordre ni par le ftyle ; ce
tyle eft foible & froid , il manque fouvent
de correction, & quelquefois de clarré.
"
" Leur délire de vengeance , dit l'Auteur ,
» en parlant de ceux qu'il appelle conftam
→ ment les Chapeaux , les empêcha de voir
qu'ils n'étoient que la patte crédule de la
» Fable , employée à un ouvrage dont tout
le profit étoit pour un autre.....
»
" La mère de Guftave III , foeur du Roi
de Pruffe, fembla lui avoir paffé tout le
courage & les talens de fon oncle. ».
Si la force du fens ne faifoit pas fentir que
paffe eft ici pour tranfmis , il fignifieroit na
turellement que la mère de Guftave lui pardonnoit
d'avoir le courage & les talens de
Con oncle.
DE FRANCE.
* Le fait eft , que les Bonnets , le trouvant
maîtres abfolus de la Diète , s'enivrèrent
de leurs fuccès. "
Cette familiarité , le fait eft que , paffe
dans la converfation , mais ne peut convenir
à l'Hiftoire.
" La réfiftance dans un cas n'eft pas moins
→ juftifiable que dans l'autre. »
Juflifiable eft-il françois ? il eſt au moins
peu ulité.
L'Auteur a quelquefois des tableaux qui
ne font pas fans merite. Tel eft celui de la
Dalecarlie .
« Les Dalécarliens habitent la partie de
la Suède la plus ftérile & la plus montagneufe.
Des neiges éternelles couvrent fe
fommet de leurs montagnes , & des hiver's
» longs & affreux blanchiffent leurs vallées ,
» mêine pendant les trois quarts de l'amée.
Ce climat barbare , loin de fournir au-
≫chne des chofes utiles à la vie , ne pro-
» duit pas même ce que les peuples les plus
» feptentrionaux eftiment le néceffaire. L'écorce
de certains arbres leur tient lieu du
blé , qu'ils n'ont pas , & un morceau de
ce pain fait toute leur nourriture. Chaque
" Dalecarlien fait pour lui même ce qui
" occupe ailleurs les différens métiers. Il
" façonne à la rude manière tout ce qui fert
à le couvrir , & la groffièreté de fes vête-
» mens répond à la pauvreté defa Diète. »
Que veut dire la fa Diète , écrit fur tour
par un D majufcule : La force du fens nous
Dv
82 MERCURE
perfuade que l'Auteur yeut dire que les Dalé
carliens ne font pas mieux vêtus que nourris
Nous croyons devoir obferver encore que
Charles XII eft trop maltraité dans cet Ouvrage
; il faut s'élever fans doute contre les
conquêtes & les conquérans ; mais il faut
rendre juftice à tout le monde , & refter
dans les bornes de la modération & de
l'équité .
LES Aventures de Télémaque , par M. de
Fénélon. Premier Vol . in 4. avec figures ,
deflinées par Cochin , & le Texte gravé
par Drouet. A Paris , chez Drouet , rue &
College des Cholets , & chez les Mar- ,
chands d'Eftampes des principales Villes
de France & des Pays étrangers.
32
CETTE Édition , qui doit être de quatre.
Volumes , fera ornée de vingt - cinq fujets .
principaux gravés par les plus célèbres
Artistes de la Capitale , d'après les deffins de
M. Cochin ; d'ane vignette en tête de chaque
Livre , & d'un cul- de- lampe à la fin
compofés par M. Barbier l'aîné , Peintre du
Roi. D'après le Volume qu'on vient de
mettre au jour , il paroît qu'on n'a rien négligé
pour faire un chef- d'oeuvre de cette
Édition ; c'eft un monument digne du Télémaque
. On a fu réunir au fini des eftampes la
beauté & la correction de la gravure du
exte , fur un papier de même teinte
& d'une égale force . L'exemplaire entier en
DE FRANCE. 83
,
papier d'Hollande coutera 168 livres , & ent
papier de France 144 liv. Les Amateurs qui
voudront avoir des premières épreuves
pourront fe faire infcrire fans rien payer
d'avance , chez le fienr Drouet. Il promet de
leur délivrer même , s'ils le defirent , dars
le temps intermédiaire d'une livraiſon à une
autre , les Livres ou Cahiers à mesure qu'ils
fe
graveront ; & dès ce moment ils peuvent
prendre le premier Volume qui eft fair ; mais
on les prévient qu'il ne fera détaché du texte ,
aucune collection d'Eftampes.
" On obferve en outre , que le Procès
" intenté par les Libraires au fieur Droüet
» fur la gravure du texte , vient d'être jugé
" en fa faveur par Arfêt du Confeil ; ainfi.
" il n'y aura plus d'obftacle à la continuation
» de fon entreprife , que ces difficultés l'a-
» voient contraint de fufpendre , & il ufera
» de toute la diligence poffible , afin d'accélérer
les livraifons ; mais les efforts qu'on
" a faits pour empêcher une concurrence
fupérieure à tous égards , prouvent que
fi fon Edition n'avoit qu'un mérite ordi
naire ou médiocre , on n'auroit pas cher
ché à l'étouffer dès fa naiffance.
33
"3
"
D vj
$ 4 MERCURE
,,
SPECTACLES.
Suite du Coup d'il fur le Travail fait aux
trois Théâtres Royaux pour l'augmen
tation de leurs Répertoires ' , pendant le
cours de la dernière année Dramatique
( 23 Avril 1781 au 16 Mars 1782. )
है
COMÉDIE FRANÇOISE.
IL feroit difficile de ftatuer aujourd'hui fur
le plus ou moins d'étendue que peut avoir
préfentement le Répertoire de ce Spectacle.
Depuis qu'un Arrêt du Confeil a ordonné
qu'ilferoit fait unefeconde lecture detous les
Ouvrages qui étoient fur le tableau , quel→ {
ques Auteurs, & c'est le petit nombre , fet
font foumis à cette formalité ; les autres ,
foit de leur propre gré , foit comme arrêtés
par les circonftances , ont négligé de s'y fou
mettre. On ne peut donc comparer le travail
qu'ont fait les Comédiens François à celui
qu'ils avoient à faire. Ils nous ont donnée
neuf Nouveautés dans le cours de l'année
dernière. Deux Tragédies en cinq Actes :
Richard II, par M. de Rozoy , & Jeanne
de Naples , par M. de la Harpe. Une Comédie
en cinq Actes & en vers , le Flatteur ,
DE FRANCE.
par M. Lantier, Un Drame , d'abord en cinq
& puis en quatre Actes , la Difcipline Militaire
du Nord, Ouvrage imité de l'Allemaud;
un en trois Actes , Henriette , par
Mlle Raucoust ; & trois petites Pièces en un
Actele Chirurgien de Village ; le Quiproquo
, & le Rendez- vous du Mari , Comédie
de M. de Murville , dont nous rendrons inceffamment
compte à l'article des Nouvelles-
Littéraires. Ils ont en outre remis dix autres
Ouvrages. Quatre Tragédies en cinq
Actes: Califte , de Colardeau ; Nicomède ,
de Corneille ; Olympie , de Voltaire , &
Manco- Capac , de M. le Blanc. Trois Comédies
en cinq Actes : l'Efprit Follet , d'Hau- *
teroche ; l'Irréfolu , de Deftouches , &'
l'École des Amis , de la Chauffée. Une Comédie
en trois Actes : les Amazones miodernes
, de le Grand ; & deux Comédies en
un Acte la Maifon de Campagne de
Dancourt , & le Mariage Forcé , de Molière.
En tout dix-neuf Ouvrages . Si le nombre
des Pièces remifes excède celui des nouvelles
, ce ne peut être un motif de reproche
que pour les intéreffés , mais le Public
ne fauroit s'en plaindre ; & certainement la
reprife de nos chef- d'oeuvres , en variant fest
plaifees , ne peut être que très- utile aux Au-"
teurs modernes. "
.
86 MERCURE
COMÉDIE ITALIENNE.
ON a donné feize Nouveautés à ce Spectacle
pendant le cours de l'année dernière.
Six Drames Lyriques : Léonore ou l'heureuſe
Épreuve , en deux Actes , mufique de M.
Champein ; Ariane abandonnée , Mélodrame
, mufique de M. Benda ; l'Automate ,
Comédie en un Acte , mufique de M. Rigel ;
Lucette & Lucas , Comédie en un Acte ,
mufique de Mile D. Z.; le Baifer , Féerie en
trois Actes , puis remiſe en deux , mufique
de M. Champein ; & l'Éclipfe totale , Comédie
en un Acte , mufique de M. d'Aleyrac .
Sept Pièces à Vaudevilles : le Printems , par
MM. de Piis & Barré ; Ifabelle Huffard ; Richard
III , Parodie de la Tragédie du même
nom ; les Amours d'Été ; le Gâteau à deux
Fèves , toutes deux par MM. de Piis . &
Barré ; la Soirée d'Été, par M. Parifau , &
l'Amour & la Folie , par M. D....s : cette dernière
eft en trois Actes , & les cinq autres en
un Acte, à l'exception du Gâteau à deux Fèves,
qui eft en deux Actes. Trois Comédies
Maris corrigés , en trois Actes , par M. de la
Chabcauffière ; l'Amant trop prévenu de luimême
, en deux Actes , & les deux Fourbes
en un Acte. De plus , ils ont remis trois petites
Comédies en un Acte : la Joie imprévue , de
Marivaux ; l'Apparence trompeufe , de
Guyot de Merville , & l'Époule Suivante ,
DE FRANCE. 87
de Chévrier. En tout dix- neuf Ouvrages . Le
travail extraordinaire que les Comédiens
Italiens ont fait pendant l'année précédente ,
leur a été très- utile dans le cours de celle qui
vient de finir , il a infiniment varié leurs
repréfentations. Il ne nous refte plus qu'à
les engager à s'occuper avec courage du foin
de perfectionner à leur Théâtre la Comédie
proprement dite , à encourager les Auteurs:
qui fe font occupés de ce genre; en un mot,
à rendre leur Spectacle digne de repréfenter
aux Amateurs , certe feconde Troupe Françoife
après laquelle on foupire depuis fi
long- temps.
VARIÉTÉ S.
HISTOIRE NATURELLE,
M. LE Chevalier de Lamanon , connu par plufeurs
Mémoires intéreffans fur l'Hiftoire Naturelle ,
vient d'appliquer au fol de l'Ile de France , la
théorie générale de la terre , dont il a donné l'année
dernière les principaux réfultats , en annonçant un
Ouvrage , auquel il travaille, fur la nature & l'origine
gnes , des vallées & des plaines. Nous
croyons faire plaifir à nos Lecteurs en leur préſen- .
tant les idées de ce Naturalifte.
20
ב
Toutes les hypotheſes , dit-il , qu'on a faites ,
jufqu'aujourd'hui pour expliquer la pofition & le
mélange des fofiles que la terre contient , font .
fujettes à des difficultés infurmontables. Mais
nous devons aux efforts des hommes de génie qui
» ont voulu deviner la marche antique de la na
30
88
MERCURE
» ture , des obfervations précieufes & même des
vérités utiles.
Les coquilles & autres animaux · foſſiles » que-
» nous trouvons dans l'intérieur des terres
50
50
२०
30

ne me
paroiffent pas des productions marines. Je ne
crois pas non plus que les courans de la mer aient
» formé les vallées & les plaines . D'après un grand
» nombre d'obfervations , faites dans des voyages
lithologiques en France , en Angleterre , en Suiffe
» & en Savoie , je penſe que les rivières & autres
eaux courantes , en fillonant le globe de mille
façons différentes , ont produir les excavations &
» les attériffemens que nous trouvons par tout....
J'ai choifi le Vallais , la plos grande vallée de
Suiffe , & la Crau , la plaine la plus curieufe de-
France , pour faire voir que l'une eft l'ouvrage du
Rhône , & l'autre de la Durance ; mille obferva
tions me prouvent encore que les vallées ſous-marines
ont été formées par les rivières avant l'exif-
→ tence de l'Océan.... Selon moi , de grands lacs,
» diſtribués par toute la terre, y ont déposé les fof--
files que nous y trouvons enfouis . Ces lacs s'ouvrant
peu-à-peu des paffages , y ont produit des
inondations mémorables . Les animaux aquatiques
ont été mêlés avec les animaux terreftres.-
» Ces lacs , par leur écoulement , ont formé l'Océan.
Ils nourriffoient des efpèces d'animaux qui ont
péri quand les eaux fe font écoulées . De-là , tant
de coquilles dont les analogues font percus , &
» qu'on trouve pétrifiés fur nos montagnes dans les-
» Illes & au- deffous des eaux de la mer. Si la Mé--
د و ن
diterranée ſe defféchoit tout- à - coup , ne verrionsnous
pas des coquillages & des poiffons dont les
analogues vivans feroient perdus ? L'écoulement de
plufieurs lacs de la Suiffe & de la Savoie produi-
» roient le même effet , n'y ayant prefque point de:
grand amas d'eau qui n'ait des efpèces d'animaux
DE FRANCE. 84

qui lui font propres.... Lorfque ces laes fe font
écoulés, leur fol abandonné a été fillonné de mille
façons par les eaux des pluies , qui , fe réuniffart
» en torrens & en rivières , ont creufé des ravins
» des vallées , &c. Il leur a fallu du temps pour fe
» frayer un cours. Elles ont creufé de toutes parts
» leurs baffins ; leurs vallées ont été agrandies , &
» de nouveaux lacs ſe ſont établis , Ce ſont les lacs
» fluviatils ou fecondaires. »
2
M. de Lamanon a cherché, d'après ees princí
pes , à expliquer l'origine des pierres gypfeules , f
abondantes aux environs de Paris. Il ne croit pas que
la mer ait pu les former. Le plâtre eft un compofé
d'acide vitriolique & de terre, bafe de la craie or
la mer ne contient point d'acide vitriolique. Il ne
stoit pas probable l'opinion de M. de la Métherie ,
qui avoit dit : Les volcans font entretenus par les
pyrites & les charbons enflammés . Ces deux
fubftances font chargées de foufre & d'acide
vitriolique. Lors des éruptions des feux fous - ma-
» rins, qui font très-fréquentes , il doit fe dégager
» une quantité prodigieufe de cet acide , dont s'im-
≫ preignera la maffe d'eau qui eft dans les environs.
Si en même temps il s'y trouve fufpendu de la
terre calcaire , elle fera diffoute & produira des
gypfes. Des vapeurs fouterraines chargées d'acide.
vitriolique produiront le même effet ; peut-être
» des argiles contenant une grande quantité de cet
» acido, le céderont- elles à la terre calcaire , qui a
plus d'affinité avec lui , & c.... C'eft par les
» dépôts des lacs fecondaires que j'explique la for-
" mation des pierres gypfeufes difpofées en grandes
» maffes , dit M. de Lamanon. Des obfervations
» faites dans le Vallais & en Provence, m'ont con
» duit à cette théorie , & tout ce que j'ai obfervé
dans l'Ile de France me la confirme. Au milieu
du baffin de la Seine , & entre les trois principaux
23
"
MERCURE
+
*
» courans qui fe réuniffent pour le former , c'eft-1-
dire , entre la Marne , la Seine & l'Oiſe , ſe trou-
» vent des collines de gypſe qui s'étendent dans une
longueur de plus de vingt-cinq lieues depuis Nogent
jufqu'à Meulan , fur une largeur qui varie ,
5 comme on le voit par une Carte très exacte Cette
» maffe de gypfe repofe fur des couches de pierre
calcaire , avec lesquelles elle n'eft point confon-
➜ due. » M. de Lamanon croit qu'un ancien laç
à formé les couches calca.res , & qu'un lac fecondaire
qui avoit la même étendue que les couches
gypfeules , a formé celles - ci. Ce lac , dont la longueur
étoir dans la direction du cours de la rivière ,
s'ouvrit enfin un paffage du côté de Meulan , & il
laiſſa ſon ſol à découvert après y avoir dépofé cette
grande quantité de pierres à plâtre. Voici comme
' Auteur en explique la formation . « La Marne tra-
» verfe toute la Champagne remplie de crate . Cette
craie , ainfi que l'argile des environs , contient
beaucoup de pyrites martiales ; elles fe font
2 décomposées ; leur acide vitriolique s'eft uni à
» la craie , & a formé le gypfe. Le feu de la pyrite
répandu dans l'eau a été dépofé , & a donné
» dans beaucoup d'endroits une teinte rougeâtre,
On trouve à Montmartre des morceaux de mines
» de fer. »
בכ
כ
Nous ne pouvons fuivre M de Lamanon dans
fon travail. Il décrit un oifeau pétrifié dans un morceau
de pierre à plâtre que possède M. Darcet. C'eſt
le feul qon connoiffe confervé dans fon entier. Il
décrit auffi un poiſſon trouvé également à Montmartre
, des os , des dents , & fur-tout une belle
partie de la tête d'un amphibie fans analogue , dont
les deux mâchoires exiftent avec leurs dents. Ce
beau morceau eft dans le cabinet de M. de Joubert.
Toutes ces defcriptions annoncent le Naturalifte
inftruit. Il feroit à fouhaiter que les Savans
DE FRANCE.
raffemblaffent ainfi des faits épars : combien n'en
avons-nous pas perdu d'intéreffans Toutes ces
dépouilles , dont une partie appartient à des animaux
amphibies , & dont les analogues n'exiftent plus ,
prouvent à M. de Lamanon que ce ne peut pas être
la mer qui a, formé les gypfes, Une remarque précieufe
qu'a faite l'Auteur , c'eft qu'on ne trouve point
de coquilles pétrifiées dans la pierre à plâtre ; mais
les couches de marne qui féparent celles de gypfes
font remplies de coquilles dont les analogues vivans
exiftent dans la Marne & la rivière des Gobelins , ce
qui lui fournit une nouvelle preuve que c'eſt à ces
rivières que ce lac féléniteux devoit fon origine.
GRAVURES.
THEATRE de la Guerre dans l'Ile de Minorque ,
reduit fur le plan original d'attaque du Port- Mahon ,
avec les Camps & tous les Ouvrages faits par les Efpagnols
au fiége du Fort Saint-Philippe Dédié à M. le
Duc de Crillon , commandant FArmée combinée
d'Espagne & de France audit fiége , par J. P. Sarazin ,
fon Ingénieur. Les explications font en Espagnol &
en François . Prix , 1 liv. 10 fols. A Paris , chez
Lattré , Graveur du Roi , rue S. Jacques , la portecochère
vis- à-vis la rue de la Parcheminerie , chez
lequel on trouve la nouvelle Carte des Ifies Antilles
& du Golfe du Mexique , en trois Feuilles , publiée
l'année dernière par M. Bonne , Ingénieur - Hydrographe
de la Marine , dédiée & préſentée au Roi.
Nouvelle Édition beaucoup augmentée , fuivant des
Obfervations nouvelles. Prix , 4 hv. 4 fols .
30
Agar reçu par Abraham , gravé par Maffard ,
d'après le tableau de Ph . Vandyck , tiré du cabinet de
M. Servat , dédié à la Reines faifant pendants
92 MERCURE
Agar renvoyé par Abraham , par Porporau. Prix,
16 liv . A Paris , chez l'Auteur , rue S. Hyacinthe ,
place S. Michel.
Vue perspective de la Décoration & du Feu d'Artifice
tiré à l'Hôtel-de- Ville de Paris , en préfence
de Leurs Majeftés , à l'occafion de la Naiſſance de
Mgr. le Dauphin , le 21 Janvier 1782 , deffiné &
gravé par Nicolle. Brix , 3 liv. A Paris , chez Berton
Jardin du Palais Royal, près du café de Foy.
Sixième Cahier des Planches enluminées du Règne
Minéral, publié par M. Buc'hoz , Docteur en Méde
cine , grand in -folio , papier d'Hollande . Prix ,
18 liv. A Paris , chez l'Auteur , rue de la Harpe ,
vis - à-vis la Place Sorbonne.
Nouveau Recueil d'Oftéologie & de Myologie ,
deffiné d'après nature , par Jacques Gamelín , de
Carcaflore , de l'Académie de S. Luc de Rome , &c
Directeur perpétuel de l'Académie des Arts de Mont
pellier. Deux Parties , grand in-folio. A Montpellier,
chez l'Auteur; & à Paris , chez Chéreau , Graveur,
rue des Mathurins.
MUSIQUE.
DEUX grandes Ouvertures , fuivies de petits
Airs pour le Forte-Piano , avec accompagnement
d'un Violon , par Küfner , OEuvre IV. Prix , 8 liv.
A Paris , chez l'Auteur , rue Béthizy , la deuxième
Forte-cochère à gauche en entrant par la rue de la
Monnoie ; Mlle Caftagnerie , rue des Prouvaires ;
M. Salomon , Luthier , Carrefour du quai de
J'École 2
Recueil d'Airs avec accompagnement de Guittare ,
par M. Corbilly de Chantarenne. Prix , 3 liv. A
DE FRANCE.
Paris , chez l'Auteur , rue Babille , au coin de celle
des Deux -Écus , Nº . 33 , & MM. le Menu & Boyer,
rue du Roule, à la Clef d'or , & aux Adreffes ordinaires
de Mufique.
La Mufe Lyrique , ou Recueil d'Airs , avec
accompagnement de Guitture , par M. Patouart fils ;
elle fera composée de quarante - huit feuilles , qui fe
diftribuent de quinze en quinze jours. Prix , 12 liv.
pour Paris , & 18 liv. pour la Province. A Paris ,
chez Baillon , près la Comédie Italienne.
Six Duos concertans pour deux Flûtes , par M.
Vanderhagen , Muficien de la Garde Françoife ,
OEuvre III. Prix , 7 livres 4 fols . A l'aris , chez
Baillon , rue Françoife .
Six Duos pour Flute & Violon , composés par
G. Cambini . Pris , 7 liv . 4 fols. A Paris , chez Muf
fard, rue Aubry-le- Boucher , vis-à-vis le Commif
Laire.
Six Quatuors concertans pour deux Violons
Alto & Baffo , par M. Dalayrac , Amateur ,
Quvre XI . Prix , 9 liv. franc de port par- tout le
Royaume. A Paris , chez Leduc , rue Traversière.
Saint-Honoré. ≈
Journal de Harpe , numéros 2 & 3 , 1782 , contenant
huit Airs differens. Pris , 1 liv. 16 fols chaque
Cahjer. A la même adreffe. Le prix de l'abonnement
eft de rs liv. pour Paris & la Province franc
de port.
Septième Concerto à Violon principal , premier &
-fecond Violons , Hautbois , Cors , Alto & Baffo ,
par A. Stamitz . Prix , 4 liv, 4 fols . A Paris , chez
Baillon , rue Françoife.
MERCURE
ANNONCES LITTÉRAIRES.
RECUEIL ECUEIL de toutes les Délibérations importantes
prifes depuis 1763 par le Bureau d'Adminiftration
du Collège de Louis - le- Grand & des Collèges yn
réunis , Volume in -4 ° . A Paris , chez Simon , Imprimeur-
Libraire , rue Mignon.
M +
}
Hiftoire & Mémoires de l'Académie Royale des
Sciences , Infcriptions & Belles - Lettres de Tou
loufe , in- 4 ° . , Tome premier. A Touloufe , de
rfmprimerie de Lefcaffin , & fe vend chez Manavit
, Libraire , rue S. Rome ; & à Paris , chez Cellot ,
Imprimeur- Libraire , rue Dauphine. La partie typo
graphique de ce Recueil eft beaucoup mieux foignée
que celle de la plupart des Livres qu'on nous
envoie de la Province.
Numéro 4 de l'Ami des Enfans. A Paris , chez
Piffot & Barrois , Libraires , quai des Auguftins .
Précis Hiftorique fur le Comte de Vair, commandant
les Volontaires de l'Armée , par un Major de
Cavalerie , in - 8 ° . A Paris , chez les Libraires qui
vendent les Nouveautés.
Le Temple de Gnide , Poëme imité de Montef
quieu , par M. L... de L... in- 8 ° . A la même
adieffe.
Relation de la Fête célébrée par la Compagnie
Royale de MM. les Pénitens- Bleus de Touloufe ,
Je 30 Janvier 1782 , à l'occafion de la Naiffance de
Mgr . le Dauphin. A Touloufe , chez Leſcaſſin .
Ambigu Littéraire , ou tout ce qu'il vous plaira
par M. D.... in - 8 ° . A Paris , chez Delormel , Im,
primeur- Libraire, rue du Foin-Saint-Jacques.
DE FRA NGE. 25
Nouveaux Effais Hiftoriques fur Paris , Tome III ,
in-12. A Paris , chez Belin , Libraire , rue S. Jacques.
État Militaire , Naval , Nobiliaire , Eccléfiaftique
, Civil & Municipal de la Grande - Bretagne ,
in- 12. Prix , 2 livres 4 fols . A Paris , chez Onfroy
Libraire , quai des Auguftins.
Théâtre de Voltaire , augmenté de deux Pièces
qui ne fe trouvent pas dans les Éditions précédentes ,"
10 Volumes , petit format , avec fig . A Paris , chez
Laporte , Libraire , rue des Noyers .
L'Ecole de la Miniature , où l'Art d'apprendre à
peindrefans Maître , & les Secrets pour faire les
plus belles couleurs , nouvelle Édition , in - 12. Prix ,
2 liv. fols relié. A Paris , chez Mufier , Libraire ,
quai des Auguſtins.
La Liberté des Mers , Poëme qui a remporté le
prix de l'Académie de Marfeille en 1781 , par M.
Coeuilhe , in 8° . Prix , 8 fols . A Paris , chez Gueffier
, Imprimeur-Libraire , rue de la Harpe.
Le Duel, Comédie en un Acte & en profe , in- 8 °.,
A Paris , chez la Veuve Duchefne , Libraire , rue S.
Jacques.
Difcours fur l'Hiftoire de France , par M. Moreau,
Hiftoriographe de France. Vol. in-8 ° . Tome XIII .
A Paris , chez Moutard , Imprimeur-Libraire , rue
des Mathurins.
Tome XXXVI de l'Hiftoire Univerfelle, nouvellement
traduite de l'Anglois , in - 8 ° . A Paris , chez le
même Libraire.
Tome XIXe des Annales Poétiques , depuis l'origine
de la Poéfie en France , perit in- 12 . A Paris ,
chez les Éditeurs , rue de la Juffienne , vis-à- vis le
Corps-de- garde & Mérigot le jeune , Libraire
Quai des Auguftins.
1
96
MERCURE
On vient de mettre en vente les trente premiers
Chants de Roland Furieux , Poëme de l'Ariofte ,
nouvellement traduit par M. d'Uffieux , imprimé
fur papier d'Angoulême , orné à chaque Chant de
deux Eftampes deffinées & gravées par nos plus célèbres
Artiftes . Formats in-4" . Prix , 4 fiv. le cahier ;
& in-8 °. prix broché , 2 liv. 10 fols. L'Ouvrage
entier contiendra 93 Gravures , avec le Portrait de
L'Ariofte, gravé par Fiquet , & celui du Traducteur.
A Paris , chez Laporte , Libraire , rue des Noyers ;
Lamy , quai des Auguftins ; Ponce , Graveur , rue
S. Hyacinthe , & les principaux Libraires de la Province
& des Pays étrangers. On offre aux perfonnes
qui ont déjà retiré les premiers Chants de ce Poëme,
de leur remettre la fuite au prix de 4 liv. l'in- 4 °. &
de 2 liv. 10 fols l'in- 12 , & même de fournir gratis,
en fe complettant , la feconde planche qu'on a ajoutée
à chaque Chant, & qui peut manquer à plufieurs
Soufcripteurs de feu M. Brunet ; & , pour faciliter
l'acquifition de l'Ouvrage entier , on délivre aux
Soufcripteurs tel nombre de Chants qu'ils defirent ,
même un feul à la fois , pourvu qu'ils s'obligent d'en
retirer un autre tous les huit jours.
V
TABLE
ERS & MM, del Acadëmie Les Aventures de Télémaque
de Lyon,
Epure fur les Divinités de la Comédie Françoife ,
49
so Comédie Italienne, Fable,
Enigme & Logogryphe , 13 Hiftoire Naturelle ,
Adele & Theodore, 55 Gravures ,
Hiftoire de la dernière Révo- Mufique ,
lution de Sudde, 73 Annonces Littéraires ,
APPROBATION.
82
84
86
871
921
J'ai lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 13 Avril. Je n'y ai
zien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris,
Je 12 Avril 1783. DE SANCY.
J
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 20 AVRIL 1782.
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
1
A ROSE , en lui envoyant les Poefies
de Sapho.
DANS l'âge où les Plaifirs embelliſſent res jours ;
Quand des Amours l'effaim volage
Jure à tes piés d'aimer toujours,
A fon tour, l'Amitié , modefte en fon langage ,
Qui promet peu pour tenir davantage ,
D'un art trompeur ignorant les détours ,
Veut, de fes fentimens , t'offrir un foible gage.
Rofe , daigneras-tu diftinguer fon hommage ?....
LES Écrits d'une femme illuftre , d'âge en age.
Par les vers & par fes amours ,
Ont plus d'un titre à ton fuffrage.
Nº. 16 , 20 Avril 1782.
E
MERCURE
De fes rares deftins Sapho trancha le cours
201
Pour un ingrat , pour un volage ,..
Au rocher de Leucate elle immola fes jours.
Malgré tous les talens , fa jeuneffe & fes &
Sapho ne put fixer les Amours fur fes
grâces
s' traces :
Le Ciel , de la Beauté lui refufant les traits ,
Lui donna ton génie & non
pas tes
attraits.
Rivale de Sapho , fans craindre fes difgrâces,
Jouis long-temps de fes fuccès !
Roſe , tu reçus en partage
Les grâces , les talens , l'efprit & les appas;
Tu ne trouveras point d'ingrats ;
Et près de toi , Phaon n'eût point été volage.
(Par M. le Chevalier d'Autume. )
ROMANCE faite auprès du Berceau
d'un Enfant.
HEUREUX Enfant , que je t'envie
Ton innocence & ton bonheur !
Ah ! garde-bien toute là vie
La paix qui règne dans ton coeur.
14
Tu dors ; mille fonges volages ,
Amis paisibles du fommeil ,
Te peignent de douces images
Jufqu'au moment de ton réveil,
TON oeil s'ouvre , tu vois ton père
Joyoux accourir à grands pas.
20
DE FRANCE.
It'emporte au fein de ta mère ,
Tous deux te bercent dans leurs bras.
ESPOIR naiffant de ta famille .
Tu fais fon deftin d'un fouris.
Que fur ton front la gaîté brille ,
Tous les fronts font épanouis.
HEUREUX Enfant , que je t'envie
Ton innocence & ton bonheur!
Ah ! garde bien toute la vie
La paix qui règne dans ton cerur.
Tour plaît à ton âme ingénue ,
Sans regrets , comme fans defirs ,
Chaque objet qui s'offre à ta vue
T'apporte de nouveaux plaiſirs .
Si quelquefois ton coeur foupire ,
Tu n'as point de longues douleurs ;
Et l'on voit ta bouche fourire
A l'inftant ou coulent tes pleurs.
PAR le charme de la foibleffe
Tu nous attaches à ta loi ;
Et jufqu'à la froide vicilleffe ,
Tout s'attendrit autour de toi.
HEUREUX Enfant , que je t'envie
Ton innocence & ton bonheur !
Ah! garde bien toute la vie
La paix qui règne dans ton coeur.
99
E ij
100 MERCURE
MAIS , hélas !
que d'un vol rapide
Ils viennent, ces jours orageux ,'
Où le fort , un Dieu plus perfide ,
Vont porter le trouble en tes jeux !
Mor , qui des goûts de la Nature
Garde encor la fimplicité
Avec une âme douce & pure,
Quels foins ne m'ont pas agite!
AMITIES fauffes ou légères ,
Parens ravis à mon amour ,
Mille efpérances menſongères
Détruites , hélas ! fans retour.
HEUREUX Enfant , que je t'envie
Ton innocence & ton bonheur !
Ah ! garde bien toute la vię
La paix qui règne dans ton coeur,
Si du fort l'aveugle caprice
Me garde quelque trait nouveau ,
Je viendrai de fon injuſtice
Me confoler à ton berceau.
Er tes careffes , & tes charmes,
Et ta douce fécurité ,
A mon coeur fombre & plein de larmę s
Rendront quelque férénité.
QUE ne peut l'image touchante
Du feul âge heureux parmi nous !
DE FRANCE. 101
Ce jour peut-être , où je le chante
De mes jours , eft-il le plus doux !
HEUREUX enfant , que je t'envie
Ton innocence & ton bonheur !
Ah! garde bien toute la vic
La paix qui règne dans ton coeur.
( Par M. Berquin . ).
Cette Romance eft tirée de l'Ami des Enfans
Mai , quatrième Volume, qui paroît chez Piſſot &
Barrois , Libraires , Quai des Auguſtins.
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE
mot de l'Enigme eft Chandelle ; celui
du Logogryphe eft Girouette , où le trouvent
joue , outre , givre , rôt , tigre , ver, vert,
jeu , tour ( de Babel ).
ÉNIGM E.
LE befoin me donna le jour ,
Que je perdis fortant de chez mon père 3
Ranimé par le tendre amour ,
Ce nouveau bien ne fut qu'une chimère.
Lecteur , voici quel eft mon fort :
D'être un moment , & puis de ceffer d'être ;
E iij
102 MERCURE
e à la mort
Sans ceffe allant de la vie
Sans avoir pu jamais me reconnoître.
( Au Palais Bourbon. )
LOGO
GRYPHE.
CHACUN jadis me portoit , cher Lecteur ;
Aux Belles j'ai ceffé de plaire ;
Voilà , je crois , ce qui fit mon malheur :
Depuis ce temps on ne me voit plus guère ,
Si ce n'eft chez le Militaire ,
Où de moi quelqu'un d'eux fe fait encore honneur.
Pour éclaircir un peu plus ce mystère „ ni
Vous aurez, en changeant mes neuf pieds à loifir ,
La Déité qui fecondoit Voltaire
Quand fa Zaïre enchantoit le Parterre;
Deux fils d'un Patriarche ; & ce qui fait plaifir
Lorsqu'on joue au piquer , fur- tout pour s'enrichir.
Dans mes cinq derniers piés , fans que rien s'y tranf
pofe ,
Il fe trouve une étrange choſe :
L'enfant qui me fait eft fouetté ;
Et s'il ne me fait pas , je fuis encor la cauſe
Qu'il eftjuftement maltraité.
( Par un Officier du Régiment Royal Étranger.)
DE FRANCE. 103
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
SUITE d'Adèle & Théodore , ou Lettresfur
l'Éducation , contenant tous les principes
relatifs aux trois différens plans d'Education
des Princes , des jeunes Perfonnes
& des Hommes. 3 Vol. in- 8 ° . A Paris ,
chez Lambert & Baudouin , Imprimeurs-
Libraires , rue de la Harpe , près S. Côme.
DANS la première Partie de cet article ,
nous avons analyfé la méthode d'Éducation
que propofe Mme la Comteffe de G.; le
refte du Livre n'a plus qu'un rapport indirect
à l'art d'élever la jeuneffe , quoiqu'en
puiffe dire fon Apologifte : autrement , il
faudroit auffi mettre au rang des Traités
d'Education les Caractères de Théophrafte ,
Efprit des Lois , le Théâtre de Corneille ,
la Nouvelle Héloïfe , & généralement tous
les Livres où l'homme peut acquérir quelque
efpèce de connoiffances. Mais on lit ces
hors-d'oeuvres avec tant de plaifir , que la
plupart des Lecteurs regretteroit de les võir
retranchés d'une méthode dont ils gênent la
marche & obfcurciffent l'enfemble. En effet,
rien n'eft plus piquant que cette fuite de
portraits où les gens du monde font repréfentés
avec leurs grimaces , leur âme defféchée
, leur langage impofteur , leur mau-
Eiv
104
MERCURE
vais goût , leur mauvais ton , leurs moeurs
déteftables . D'une autre part , rien n'eft plus
attachant que ces tableaux moitié hiſtoriques
& moitié romanefques de Cécile , de
Saint- André, de Stoline , de Lagaraye &
de la Ducheffe Italienne . Ici Mme de G. fe
place à côté de Mme de Riccoboni ; l'une &
l'autre poſsèdent l'art de raconter & d'emouvoir
; l'Auteur d'Adèle eft fouvent minu- .
tieufe dans les détails , fi fon ftyle eft trop
chargé d'épithètes , il a auffi l'avantage d'être
plus harmonieux & plus noble que celui de
l'aimable Auteur d'Erneftine , du Marquis de
Creffy, des Lettres de Myladi Catesby, &c.
On pourroit ajouter que cette dernière n'emploie
pas auffi habilement que fon Emule
les refforts de la pantomime pour donner
de l'intérêt à fes perfonnages. Il est vrai que
Mme de G. en abufe quelquefois : on pleure
à l'aspect d'un château ; on pleure avant
qu'André raconte fon hiftoire ; on pleure en
abordant Lagaraye ; Adèle pleure après avoir
fait la première Communion ; Théodore va
pleurer devant une glace ; Charles appuie fa
tête fur le genoux de Cécile pour répandre
des larmes ; Cécile jette plufieurs fois fes
deux bras autour du cou de M. d'Aimery ; en
recevant une Lettre de fon mari , la Baronne
d'Almane fe jette à genoux , &c. &c.; de tels
moyens contribuent fans doute au pathétique
d'une fcène , mais il faut en ufer avec
fageffe ; parce que l'imagination étant trèsactive
chez la plupart des hommes , il n'eft
DE FRANCE. 1ος
pas néceffaire de l'aiguillonner auffi fouvent
ni autfi fortement que les autres facultés de
l'âme.
-
L'Auteur devoit également éviter la répétition
du même fujet romanefque dans un
même Ouvrage ; M. de Villemore & M.
d'Aimery jouent le même rôle fous deux
noms différens ; Cécile & Saint André
éprouvent les mêmes malheurs par la même
caufe ; le but moral des deux Pièces n'eft ni
affez important ni affez neuf pour entrer
deux fois , comme épifode ou comme accel
foire , dans un Livre fur l'Éducation .
و ر
L'amour d'ailleurs n'eft pas plus vraifemblable
dans le Roman de Cécile que dans
celui de la Ducheffe , car , fuivant les principes
de Mme de G. , ll''aammoouurr , à fa
» naiffance , n'eft jamais bien vif ; il n'eſt
» qu'un fimple mouvement de préférence
» dont il eft facile d'arrêter les progrès en
» ceffant de voir l'objet qui l'infpire.
Malgré cette doctrine , Cécile & la Ducheffe
fe paffionnent violemment pour des hommes
qu'elles ont à peine entrevus , & dont
elles font à l'inftant féparées.
23
Nous croyons' appercevoir dans ces Romans
une autre irrégularité non moins choquante.
L'Auteur entreprend d'y prouver
que la Religion nous infpire un courage que
la raifon ne fauroit donner , & qu'elle ´eſt
l'unique remède contre les grands revers &
les profondes bleffures des paffions défordonnées.
Cependant on voit Cécile déchiréé
Ev
106 MERCURE
R
tour à tour par la crainte des châtimens du
Ciel , & par le défefpoir d'avoir perdu celui
qu'elle aime. Peu de jours avant de mourir ,
elle éprouve encore des crifes affreules.
Même défaut dans le caractère d'André ;
* pieux comme Cécile , & plein de confiance
en Dieu , il finit par fe tuer comme un forcéné
, tandis que le Chevalier de Murville ,
amant de Cécile , meurt paifiblement dans
fon lit , quoiqu'il n'emploie que des moyens
naturels pour traîner jufqu'à la fin fa déplorable
exiftence. Au refte , c'eft à ces défauts
mêmes que tient en grande partie le mérite
deş Romans ordinaires : éteignez l'amour
dans le coeur de Cécile , elle n'inſpirera plus
qu'un foible intérêt : qu'André ineurre naturellement
, on ne donnera pas une larme à
fon infortune. Il n'eft réſervé qu'à un petit
nombre d'Ecrivains d'imaginer , comme Fénelon
, une fable brillante , de l'offrir fous
mille afpects variés , d'en fubordonner toutes
les parties à un feul but moral , de donner
à un tableau immenfe ces teintes favantes
, ce mouvement foutenu & ces adinirables
proportions qui caractérisent les ouvrages
des grands Maîtres. Par exemple , un
Homme de Lettres n'auroit pas laiffe Théodore
confondu , comme il l'eft , parmi une
foule de perfonnages acceffoires au tableau
principal. Théodore n'eft pas en Scène affez
fouvent , ni d'une manière affez attachante ;
prefque toujours éclipfé par le Chevalier de
Valmont , où paroît- il avec quelqu'avantage ?
DE FRANCE. 107
Eft- ce à Rome, chez le Cardinal de B. , où il
récite deux cent vers Anglois fans faire
unefaute ? Eft- ce lorfque fa mère le querelle
pour avoir , mal reçu , dans un bal , les agaceries
d'une femme décriée ? Un des plus
beaux momens de Théodore , eft celui où
il partage avec un chien le bonheur de retirer
le Baron d'Almane de la rivière.
Un vrai Littérateur auroit également sû
s'arrêter au point marqué par le bon goût.
Ainfi , voulant graver une image ineffaçable
de la misère dans l'âme du Prince deftiné
au Trône , il auroit peut-être imaginé ,
comme Mme de G. , la fcène d'Alexis Stezen :
pour conduire fon élève dans le réduit de ce
père malheureux , il l'eût fait paffer d'abord
dans une petite rue bien étroite , enfuite , à
la lueur d'un flambeau , le Lecteur eût monté
avec le Prince & fon Gouverneur , un efcalier
de cent vingt marches dans une maifon
délabrée , mais il n'auroit pas ajouté ce qui
fuit : «Nous
coup de peine Pons
enfuite , avec beauéchelle
» bois qui nous conduit au grenier habité
" par cette infortunée famille. » L'efcalier
de cent vingt marches étoit fuffifant , la vérité
du tableau n'exigeoit rien de plus ; l'Auteur
devoit s'arrêter au pied de l'échelle de
bois , qui devient une charge invraiſemblable
& de mauvais goût. Un Homme de
Lettres nous auroit encore fait grâce d'une
infinité d'autres détails auffi inutiles à l'intérêt
des Romans , qu'étrangers à l'éducation d'un
E vj
108 MERCURE
Prince & des enfans de M. d'Almane . Que
nous importent la defcription de la corniche
de Gènes , la defcription de la corniche de
Foligno , le dîner à la cafcade de Coo , les
étoffes qu'on envoie à M. d'Oftalis , l'inoculation
de M. S.. & fon peu defièvre , &c. &c.
Enfin , un Homme de Lettres auroit fu diftinguer
fes principaux perfonnages par des
nuances de ftyle différentes , règle de l'art
dont Rouffeau ne s'écarte jamais dans fon
Héloife , & que Mme de G. a trop négligée
dans Adèle & Théodore. Les hommes , les
femmes , particulièrement la Vicomteffe de
Limours , écrit comine la Baronne d'Almane ;
celle- ci , comme M. d'Oftalis ; Porphyre ,
comme M. de Lagaraye ; ce dernier , comme
le Baron d'Almane & le Comte de Roseville ;
on voit prefque toujours Mme de G.; même
coupe de phrafes , mêmes tournures , même
harmonie , mêmes métaphores , mêmes figures
de rhétorique ; enforte qu'en lifant ces
Lettres , il eft difficile de deviner à qui elles
appartiennent.
86
Mais ces défauts n'empêchent pas d'y admirer
une multitude de détails charmans.
La Lettre du Chevalier de Murville à Cécile
eft une des plus vigoureufes de l'Ouvrage :
Quoi , demain !... C'eft demain ... je ne
puis achever... ma bouche ne peut pro-
» noncer ces mots affreux... Cécile , il n'eft
plus temps de diffimuler ; eh quoi ! n'auriez
vous jamais la dans mon coeur ?...
» Hélas ! dans des temps plus heureux , j'ofois
"J
४४५
2
DE FRANCE. 109
"
me flatter quelquefois que le vôtre n'étoit
» point infenfible : j'ouvris mon âme au barbare
qui vous facrifie ; il m'ôta tout ef-
» poir , & je me condamnai moi - même au
» filence. Ah ! fi j'avois pû prévoir l'horrible
» tyrannie qu'on devoit exercer contre vous,
» non , Cécile , vous n'en auriez point eté
la victime ; malgré le père cruel qui vous
profcrit , malgre la famille qui vous aban-
» donne , malgré vous même enfin , j'aurois
» sû vous arracher au deftin qu'on vous
préparoit. Mais loin de vous , dans un pays
étranger , j'ignorois ce comble d'horreur ,
» & ne pouvois le foupçonner. Enfin , une
» Lettre m'annonce que ma mère eft dan-
» gereuſement malade ; je quitte auffitor
,,
"
"
"
l'Eſpagne ; j'arrive . Quels malheurs acca-
» blans m'attendoient à mon retour ! je
» trouve ma mère à l'extrémité , & j'apprends
que Cécile eft à la veille de prononcer
ſes voeux. Cer inftant feul m'a fair
connoître à quel excès je vous aime. O
» victime intéreffante autant que chère , la
» nature & l'amitié vous trahiffent , mais
» l'amour vous refte ! Seul , je vous tiendrai
» lieu de père , d'ami , de frère , je ferai
votre défenfeur , votre libérateur , ô ma
Cécile ! votre époux... Puifque vous êtes
» libre encore , vous êtes à moi ; vos parens
» ont brifé tous les liens qui vous unifloient ,
" vous n'êtes plus qu'à moi ... Ecoutez- moi ,
» Cécile, je refpecte encore le cruel auteur
» de vos jours , vous êtes libre; mais fi vous
HO MERCURE
avez la foibleffe de lui obéir , de cet inftant
je ne connois plus votre père , je ne
→ vois plus en lui qu'un tyran déteftable ,
» & du moins je ne mourrai pas fans vengeance.
Pour fon intérêt même , ofez donc
» lui réſiſter , ou cette main tremblante qui
!? vous écrit , cette main guidée par la haine
» & par le déſeſpoir , ira percer le coeur du
monftre qui veut vous immoler. Qu'il
» réferve pour fon fils , & fa fortune & fa
» tendreffe , qu'il vous deshérite , que m'im-
❞ porte , je ne veux que Cécile , & je ferai
» le plus foumis , le plus reconnoiffant &

le plus heureux de tous fes enfans ... Je ne
» vous demande que le courage de déclarer
» que vous ne pouvez vous réfoudre à pro-
» noncer vos voeux , je me charge du refte,
≫ & je ne vous verrai que pour vous con-
» duire à l'autel , où le noeud le plus faint
" & le plus doux nous unira pour jamais....
» O Cécile ! ma chère Cécile, prenez pitié
» de l'état où je fuis , ne vous préparez point
» des regrets éternels ; fongcz , hélas ! que
» vous n'avez que dix fept ans. Ah ! confer-
» vez votre liberté , dûffiez vous ne jamais.
» vivre pour moi. J'attends votre réponſe
» comme l'arrêt qui doit fixer ma deſtinée. »
La réponſe de Cécile eft d'une fimplicité
attendriffante :
« Votre Lettre eft arrivée trop tard , Cé-
" cile déjà n'exiftoit plus pour vous... Oubliez-
moi , vivez heureux , & refpectez 23
→ mon père.
DE FRANCE. FIL

CCR
C'est dans la Lettre qu'elle écrit à fa foeur,
'que fon âme s'épanche en liberté : là , Mme
de G. s'eft , pour ainsi dire , identifiée
avec for Héroïne ; on voit Cécile , on entend
fes fanglots , on pleure , on partage
fon défeſpoir... O ma foeur , dans quel
» moment j'ai connu mon coeur !... le jour
même !... je frémis... Lifez la Lettre que
» je vous envoie , elle vous inftruira de
tour... Cette Lettre que je rèmets entre vos
» mains, eſt le dernier facrifice qui me reſ-
» toit à faire... Cette écriture chérie , je ne
la reverrai plus... Si vous faviez combien
» il m'eft douloureux de m'en détacher !
» hélas ! maintenant tout eft crime pour

votre malheureuſe foeur , jufqu'à l'aveu
> des regrets qui la dévorent ! infuppor-
» table contrainte qui ne peut produire que
» les derniers excès du défefpoir ! ... Vous
» favez fi j'étois née pour chérir la vertu.
33
"932
33.
Eh bien , vous frémiriez d'horreur fi je
» vous détaillois toutes les funeftes idées qui,
depuis trois femaines , troublent & noir-
» ciffent mon imagination . Le crime me
pourfuit & m'environne. Je trouve dans
» les objets les plus communs , dans les actions
les plus indifférentes , les fujets des
plus affreufes tentations. A la promenade ,
» dans nos triftes jardins , mon oeil meſure ,
» en frémiffant , la hauteur des murailles ,
» & mille fois mon efprit ofa concevoir
l'infenfé , le coupable projet d'effayer de
» les franchir. Dans le premiers jours de ma
3.3.
112 MERCURE
ود »convalescence,àtable,pendantcemorne
» filence qu'on nous preferit , quelle hor-
» rible penfee a fouvent égaré ma raifon ! ...
» le couteau pofe près de moi ... je ne puis
achever... O diel ! eft-il poffible que ce
» coeur , jadis fi pur , ait p
pu fe livrer à ce
» delire affreux... Quelquefois , baignée de
pleurs , j'implore avec confiance la mife-
" ricorde & le fecours de l'Eternel ...
"
33
و د
"
و د
"
و ر » Pardonnez, ma foeur , ces triftes plain-
» tes... je reſpecterai deformais la rigueur
du devoir qui me condamne au filence ;
je ne vous entretiendrai plus , ni de mes
" peines , ni de l'objet... Vous -même , ma
four ; ah ! jamais ne me parlez de lui ...
Ah! cachez-lui la paflion qui m'égare...
Mais , ma foeur , fouffrirez - vous qu'il
" m'accufe d'ingratitude .... Dieu ! qu'en
» tends je ? La cloche m'appelle & m'an-
» nonce l'agonie d'une de nos compagnes...
» Quelle eft heureufe ! elle va mourir...
» Adieu... Je joins à ce paquet les cheveux
" que vous m'avez demandés , ces cheveux
" que vos mains jadis ont treffés tant de
» fois. Vous ne les verrez point fans atten-
» driffement. Puiffe cette trifle dépouille ,
» en vous rappelant mon fort & ma tendre
» amitié , m'obtenir votre indulgence &
» votre compaffion , les feuls biens qui ref-
" tent déformais à l'infortunée Cécile. »
ود
On voit ici combien l'Auteur eft habile à
tirer parti des moindres circonftances ; l'envoi
de la chevelure , fi heureuſement imaDE
FRANCE. 113
giné , fait naître plufieurs fcènes du plus
grand intérêt. La Lettre qui contient les détails
de la mort de Cécile offre des traits
non moins pathétiques , mais elle n'eft pas
écrite avec la même correction de ftyle ;
prefque tous les temps des verbes font à
contre fens. Dans un récit tracé le jour même
de l'événement , il ne falloit pas dire , j'arrivai
ce matin , mais je fuis arrivé ; je trouvai cette
maifon confternée ; Charles luíbaifa la main ;
M. d'Aimery la prit dans fes bras , & c. &c.
L'hiftoire de la Ducheffe de C ... renferme
des morceaux que nous regrettous de
ne pouvoir çiter ; celui de la caverne eft
fur-tout remarquable par la fagacité des
obfervations de l'Auteur. On aime à contempler
les mouvemens qui fe fuccédèrent
dans l'ame de la Ducheffe pendant fa longue
& horrible captivité. Trop circonfcrits
pour développer les beautés de cet Épifode ,
nous n'infifterons pas non plus fur les invraisemblances
qu'on y découvre.
>
Les mêmes beautés & les mêmes défauts
fe rencontrent dans l'hiftoire de M. Lagaraye.
L'Auteur y abuſe , comme ailleurs , de
fa facilité pour écrire de petits détails
& de fon goût pour deffiner des Scènes pittorefques
; mais on doit l'applaudir d'avoir
mis en action l'héroïfme de la bienfaiſance
dans la perfonne d'un citoyen opulent , qui
renonce aux jouiffances de la Capitale , fe
réfugie dans une Terre , y raffemble les
malades , dont il prend foin lui-même , &
7114
MERCURE
!
"Y "
les indigens , auxquels il donne des moeurs
& les moyens de vivre. Là , tout inſpire la
vertu , la piété , la plus rendre affection pour
lesmalheureux . Les difcours de Lagaraye au
moment où il va rendre le dernier foupir,
fa réfignation , fes confeils à Porphire ,
Fidée de faire porter le mourant dans un
fauteuil au milieu de fon infirmerie , tous
ces malades qui , fe foutenant d'une main à
leurs rideaux , fe penchent en avant hors de
leur lit pour voir entrer leur Bienfaiteur ,
ce murmure confus de pleurs & de fanglots,
cette foule de fombres images plongent le
Lecteur dans une mélancolie profonde ; mais
après avoir décrit déjà très-longuement
toutes les circonftances de la maladie & de
la mort de Lagaraye , falloit- il revenir encore
à cet hôpital , en tirer les malades pour
allifter à l'enterrement « Nous attendions
les Prêtres , quand tout - à - coup nous
» vîmes paroître fix hommes de l'aspect le
» plus effrayant ; ils étoient pâles , livides ,
» décharnés ; ils avoient pour tout vête-
» ment un grand drap qui les enveloppoit
depuis la tête jufqu'aux pieds ; ils pou
voient à peine fe foutenir fur leurs jam-
» bes , & reffembloient à des fantômes , à
des fpectres fortans de la tombe... Ils fe
» traînoient vers le cercueil , & fe profter-
» nant , ils firent retentir la chambre des
plus lugubres gémiffemens... Ces infortu
nés, échappés de l'infirmerie, venoient rendre
un dernier hommage à la mémoire de
DE FRANCE.
115

leur Bienfaiteur... Abandonnés de leurs
gardes pendant quelques minutes ils
avoient profité , pour s'évader , de cet
inftant de trouble & de confufion ... Deux
→ de ces malheureux s'évanouirent en tom-
» bant près du cercueil... Je les fis empor-
» ter, & les reconduifis moi-même à l'infitmerie
, où je leur laiffai tous les fecours
dont ils pouvoient avoir befoin , & je
» revins dans la Salle d'École au moment
Poù les Prêtres arrivoient , & c. »*
Voilà un exemple de ce genre à- la - fois
puérile , ignoble & outré, que veulent nous
faire admirer les Enthoufiaftes du Drame.
En général , tous ces Romans fentent un peu
le travail de l'amplificateur ; l'art s'y montre
trop à découvert ; on les relit fans admiration
, parce qu'on en a faifi toutes les beautés
dès la première lecture ; en ce point
l'Auteur diffère des grands Moraliftes , qui ,
après avoir fondé les profondeurs du coeur
humain , nous en font parcourir les détours
& meſurer les abymes avec un plaiſir tou-
*jours nouveau.
Mais pour bien connoître le talent de
Mme de G. il faut examiner ( qu'on nous
permetre l'expreflion ) fes morceaux de miniature;
elle y déploie toute l'aifance , toute
la fineffe , tous les charmes de fon efprit
obfervateur.
Voulez- vous connoître un Anglomane ?
Voici M. de Valcé qui a beaucoup d'airs , &
pas une idée; il a la prétention d'être étourdi
116 MERCURE
"
"
» & diftrait ; fa converfation confifte à répéter
» d'un air capable ce que les autres viennent
de dire ; il n'a pas une opinion à lui , & il eft
également importun , bavard & familier :
d'ailleurs , perfonne n'a pouffé plus loin
» l'Anglomanie. Il a malheureuſement paffé
" quatorze jours à Londres ; il parle fans
» ceffe de ce voyage ; il vante continuelle
ment le génie & la profondeur des Anglois
; il méprife les François de toute fon
» ame ; il n'a que des chevaux anglois ; il lit
» les papiers anglois ; il fait fes vifites du
» matin en bottes , avec des éperons ; il
prend du thé deux fois par jour , & il fe
» croit le mérite de Locke ou de Newton. "
Voulez-vous prendre en averfion le Bal de
l'Opéra ? écoutez la Vicomteffe. " O l'infipide
chofe quand on n'eft plus co-
و د
>>
و د
quette ! Ne jouant aucun rôle , j'étois
» feulement Spectatrice , & je ne pou-
» vois concevoir qu'un femblable plaifir
» eût eu tant d'attrait pour moi ; je trou-
» vois ridicule tout ce qui jadis me pa-
» roiffoit charmant . J'ai reconnu Mme de
» G. elle a toujours au même degré de
perfection l'efprit de Bal ; & bien loin de
» m'amufer , comme autrefois , elle n'a été
» à mes yeux qu'une bavarde infupportable
, folle de fang- froid , étourdie par
" air , bruyante fans gaieté , méchante fans
fineffe , & pendant quatre heures entières
débitant de fuite des extravagances ou
» des platitudes avec une voix glapiffante
"
"
و د
و ر
DE FRANCE. 117
و د
"
39
"
30
""
& un ton de commérage qui dépareroient
" & rendroient importune la. perfonne la
plus aimable & la plus fpirituelle. Une
» des chofes qui m'a le plus frappée à ce
Bal , c'eft le ridicule dont les hommes
démafqués y font ; prefque tous affectent
l'air de l'indifférence & de l'ennui , &
reçoivent en général tous les mafques avec
beaucoup de dédain ; ils forment dans la
" Salle plufieurs grouppes arrêtés , & ne
paroiffent fixés là que par défoeuvrement
" & la pareffe de fortir pour aller fe cou-
» cher. J'aime mieux ceux qui n'y font que
» pour afficher une intrigue feulement
foupçonnée , & pour faire connoître à
» tout le monde la femme maſquée juſqu'aux
dents , qui croit fon fecret ignoré
» de tout l'Univers entier. D'autres , plus
» amuſans encore , prennent l'air du myf-
» tère par fatuité , & paffent une partie de
la nuit à promener quelques triftes capo-
» tes bien ennuyeufes , & qu'ils ne connoif-
» fent pas , uniquement afin de perfuader
qu'ils font occupés d'une manière très-
» intéreffante. »
"9
"3
"
Voulez - vous jouir des minauderies de
deux jolies femmes ? Tranſportons - nous
chez Mme de Limeurs ; elle donne à déjeûner,
On annonce le Chevalier de Creni &
» le Marquis de G. On dit que le premier
» eft amoureux de Mme de Valcé , & que
» le fecond a les mêmes fentimens pour
Mme de Germeuil . J'étois placée entre ces

118
MERCURE
"
» deux Dames (c'eſt Mme d'Oktalis qui parle),
» & dans le moment je remarquai dans leur
» maintien , & , comme elles difent , dans
" leur manière d'être , un changement fur-
» prenant. Mme de Valcé devint tout - à- coup
» d'une tendrelle extrême pour moi ; elle
m'embraffoit , fe penchoit fans ceffe à
» mon oreille pour me dire en fecret lachofe
la plus commune, & puis enfuite-
» elle faifoit des éclats de rire aufli forcés
» qu'immodérés , tout cela accompagné de
» tournoyemens de tête impoffibles à dé
» peindre , mais dont je fouffrois extrême-
» ment ; car à toute minute je me trouvois
» fes plumes & fes nattes fur le vifage : en-
و د
30
fin , voyant que j'étois très-froide , & que
» je la fecondois mal , elle fe leva , ainfi que
Mme de Germeuil , & toutes deux fe
❞ promenant dans la chambre , elles fe
" tenoient de manière que leurs bras étoient
entrelacés autour de leurs tailles ; 182
après avoir marché ainfi nonchalamment
» un demi- quart d'heure , elles furent en-
» femble s'affeoir fur un canapé , s'y pla-
"
çèrent en attitude , & n'y reftèrent que le
» temps néceffaire pour nous laiffer re-
» marquer qu'elles formoient dans cette
pofition le plus joli tableau du monde . »
"
On voit fouvent dans l'Ouvrage reparoître
ces deux femmes , avec une Marquife de
Gerville ; elles y étalent toutes les extravagances
imaginables ; l'une finit par le ruiner
& mourir de la poitrine ; une autre fe fait
*
DE FRANCE. 119:
>
dévote , & quitte bientôt ce rôle pour for-..
mer un jeune homme qui débute dans le.
monde. C'eft Mme de Germeuil qui, écrivant é
de la campagne à Mme de Valcé , lui dit ,..
après une déclamation contre May mort :»
" Adieu , mon coeur , mandez - moi de
grace fi les Lévites font encore à la mode , -
" & fi l'on porte encore des Culs ; dans ce
» cas je vous prierois de m'en envoyer
» deux. »
.
On trouve plus de gravité dans les réflexions
fuivantes ; nous les citons comme des
morceaux bien écrits.
"
"
66
7.
&
Jamais la divine amitié n'a été plus à la
" mode que dans ce moment ; les femmes
» le chériffent toutes : elles ne peuvent plus
" le quitter ; à fouper elles évitent , elles .
» fuyent les hommes , & fe placent enfem-
» ble à côté les unes des autres ; elles font .
inféparables : fi quelqu'importun fe gliffe .
indifcrétement parmi elles , toute la
» troupe entière le maudit , fe défole , &
» marque fon chagrin par les mines les plus
" expreffives ; cependant , malgré tout cela ,
" les méchans foutiennent qu'elles s'envient
» & fe déchirent tout comme de notre
" temps, & qu'au fond les hommes n'en
»font pas plus effentiellement maltraités.
» qu'ils ne l'étoient il y a dix-huit ans. A
" propos , mon coeur , favez- vous que la
belle , la férieufe , l'infipide Mme de N....
"a pris un Amant ; je puis le dire fans
fcrupule , puifqu'elle en fait gloire , & le
20
120 : MERCURE
» dit même à qui veut l'entendre ; cette
» franchiſe lui fait un honneur infini , & l'a
» rendue très intéreſſante. Tout le monde-
» loue fa candeur ; on répète qu'elle eft d'une
» vertu & d'une bonne foi qui doit tout
faire excufet , & enfia- cet Amant luiprocure
des éloges & des amis fans
» nombre. »
93-
99
Heureux qui n'a pas l'honneur de fréquenter
la bonne compagnie , fi elle eft à
ce point dégradée : nous aimons à croire
que Mme de G. , dans fes peintures des
moeurs actuelles , a pris , comme Dorat ,
l'exception pour la règle générale ; erreur
où tombent fréquemment nos Moraliſtes de
fociété.
ور

Prefque toutes les femmes ont reçu
l'éducation la plus négligée ; auffi - tôt
qu'elles font leurs maîtreffes , elles ne
≫ lifent que de mauvaiſes Brochures & des
» Drames qui achèvent de leur gâter le goût;
» elles mènent la vie la plus diffipée , &
prétendent à la Science univerfelle ; elles
» fe connoiffent en Tableaux , en Architec
» ture ; elles font Gluckiftes ou Picciniftes
» fans favoir un mot de compofition ; elles
font des cours , montent à cheval , jouent
» au billard , vont à la chaffe , conduisent
» des calèches, paffent les nuits au bal &
» au pharaon , écrivent au moins dix billets
≫ par jour , reçoivent cent vifites , fe montrent
par- tour ; on les voit fucceffivement,
» dans l'efpace de douze heures,à Verſailles,
99
» à Paris ,
>
DE FRANCE. 121
"3
» à Paris , chez un Marchand , à une Au-
» dience de Miniftre , aux promenades , dans
» un atelier de Sculpteur , à la Foire , à
l'Académie , à l'Opéra , aux Danfeurs de
» corde , applaudiffant & goûtant égale-
» nent Préville & Jeannot , Dauberval &
"le Petit-Diable... Pour leur fenfibilité , il
eft vrai qu'elles ont des ajustemens de
cheveux , des galeries de portraits , des
autels à l'amitié , des hymnes à l'amitié ;
» elles ne brodent plus que des chiffres , ne
parlent plus que de fentiment , de bienfaifance
& des charmes de la folitude , &
font toutes efprit fort.
"
On ne doit pas être furpris qu'avec une
aufli mauvaife opinion de fon fexe , Mme de
G. confeille aux Princes de fe mettre en
garde contre la féduction des femmes , &
qu'elle s'attache à démontrer combien leur
empire eft dangereux auprès du Trône. Les
femmes , dit- elle, font par effence légères ,
indifcrètes , aiment à parler , à fe vanter de
la confiance qu'on leur témoigne ; celles
mêmes qui ont du courage & des principes ,
ne méritent pas plus de confiance , parce
qu'elles trahiront involontairement. « La
» foibleffe de leur conftitution , la mobilité
» de leurs traits , l'expreffion de leurs yeux ,
» la rougeur involontaire que la moindre
furprife excite en elles , la délicateffe même
» de leur teint , qui rend cette rougeur plus
» vifible & plus marquée , tout enfin con-
Nº. 16 , 20 Avril 1782.
"
F
122 MERCURE.
ود
20
» court à rendre leurs premiers mouvemens
indifcrets. Auffi recommande - t- elle de
les éloigner des affaires, & de ne leur confier
aucun fecret important. Si tout cela eft
vrai , l'on conviendra qu'il falloit du courage
pour en convenir , & fur - tout pour
l'écrire .
Nous croyons avoir confidéré le talent de
l'Auteur fous tous fes afpects. Son Livre eft
analyfé autant que le permettent les bornes
d'un Journal ; on n'a diffimulé ni le mal ni
le bien. Son Ouvrage fuppofe des connoiffances
, du talent , beaucoup d'efprit , trop
de prétentions & d'idées tranchantes : il
renferme des chofes utiles en plus d'un
genre ; & fi ce n'eft pas un beau Livre , c'eft
du moins une production fort originale ,
qui doit ajouter à la célébrité de l'Auteur.
( Cet Article eft de M. Abbé Remy ,
Avocat au Parlement. )
I
DE FRANCE. 123
› MÉMOIRE Phyfique & Médicinal
montrant des rapports évidens entre les
Phénomènes de la Baguette Divinatoire,.
du Magnétifme & de l'Électricité, &c. par
M. T. D. M. A Paris , chez Didot , quai
des Auguftins.
EN 1692 , un Payfan du Lyonnois , ( Bayle
dit du Dauphiné ) appelé Jacques Aymar.
fut très - vanté par fon adreffe à fe fervir de
la Baguette Divinatoire. Tous les prodiges
qu'il avoit opérés furent réunis dans un
Traité particulier fur cette matière , qui fut
publié quelques années après . Ce Livre eut
quelques partifans ; il eut auffi d'illustres
contradicteurs. Mallebranche entreprit de le
réfuter , & tous les Phyficiens pensèrent
avec lui que Jacques Aymar étoit un fourbe.
Depuis cette époque , on a plufieurs fois renouvelé
de femblables prétentions . Des perfonnes
très- inftruites ont attribué à un certain
Parangue l'étonnante propriété de voir
les amas d'eau dans les entrailles de la terre.
Maintenant le fieur Bleton eft vanté comme
un des plus habiles Sourciers que l'on ait
connus. Il a parcouru le Dauphiné & la
Lorraine ; par- tout il a indiqué des fources ,
des courans d'eau , & il en a déterminé la
profondeur : des certificats nombreux en
font garans
Témoin des recherches & des expériences
du fieur Bleton , M. Thouvenel les a recueil-
Fij
124
MERCURE
lies dans un Ouvrage que nous annonçons
aujourd'hui ; mais il ne s'eft pas contenté
d'en être fimple fpectateur ; en Phyficien
éclairé , il a varié & multiplié ces Effais. Jamais
les effets de la Baguette Divinatoire
n'ont été préfentés avec tant de vraifemblance
: ce Savant les a fait fortir de la claffe
des merveilles pour les ranger dans celle des
phénomènes les plus naturels.
Il n'eft cependant pas le premier qui ait
tenté ce rapprochement, L'Auteur du Traité
de la Baguette Divinatoire avoit eu recours
à des émanations , à des corpufcules qu'il
avoit dirigés de différentes manières , & dont
les impulfions occafionnoient , fuivant lui ,
les mouvemens de la Baguette.
M. Formey, un des plus ingénieux Phyficiens
, de l'Académie Royale de Berlin , a
pris la peine d'en donner une autre explication,
La Baguette tourne , dit- il , & fe meut
à la manière de l'aiguille aimantée , & il
compare l'action des vapeurs aqueufes à
celle de la matière magnétique, M. Thouvenel
a traité cet objet avec beaucoup plus
d'étendue & d'érudition. Il a cru appercevoir
des rapports entre les phénomènes de
la Baguette , ceux du Magnétilme & de l'Electricité.
Les détails de fon fyftême font dif
polés avec toute l'intelligence que donnent
une imagination féconde & un efprit formé
par le travail & par l'étude,
Quoique plufieurs Journalistes aient déjà
expofé les principes de M , Thouvenel , nous
DE FRANCE. 124
croyons devoir en donner un précis ; & nous
pouvons d'autant moins nous en difpenfer ,
que le Mercure Hiftorique de 1693 , contenant
ce qui étoit alors relatif à Jacques
Aymar , il nous a paru convenable que les
obervations analogues , dont Bleton a été le
fujet , fuffent confignées dans le même
Journal.
3
La première impreffion que l'eau fouterraine
lui fait éprouver , fe porte fur le diaphragme
; elle produit un ferrement avec
oppreffion , auquel fuccèdent un faififfement
& un refroidiffement général fes jambes
chancellent ; fon pouls fe concentre. Cet
état convulfif difparoît tout-à - coup lorfque
Bleton fe place à côté de la fource ; le malaife
eft moins grand lorfqu'il fuit le cours
naturel des eaux. Ces fenfations font plus
vives à jeun, & dans les temps fecs & chauds.
Les eaux ftagnantes dans les entrailles de la
terte , & les eaux découvertes , quoique
courantes , produifent peu d'effet fur lui.
La baguette dont il fe fert n'eſt point an →
gulaire & à deux branches comme celle que
la plupart des Sourciers emploient ; c'eft une
fimple tige qu'il fe contente de courber un
peu , & qu'il place horifontalement fur fes
doigts , où elle fait depuis trente jufqu'à
quatre-vingt révolutions par minute. Lorf
que Bleton quitte la partie du terrein qui
correfpond à la fource , la baguette éprouve
un mouvement de rotation dans un fens
contraire au premier; mais elle ne fait qu'un
Fiij
126
MERCURE
feul tour , & elle s'arrête enfuite avec une
régularité , l'on pourroit dire une docilité
furprenante. La diftance de ce point à celui
où elle a commencé à tourner , exprime la
profondeur de la fource.
L'étonnement augmentera encore par les
détails fuivans. Si on place fur le lieu même
de la fource une échelle au moyen de laquelle
l'obfervateur puiffe s'élever à des hauteurs
différentes , la otation rétrograde ne manquera
jamais d'arriver à une diftance qui indiquera
la profondeur de la fource.
M. Thouvenel a mis en ufage des procédés
très-ingénieux pour varier fes effais . Il
a ifolé Bleton avec des morceaux d'étoffe de
foie ou de toile cirée pliés en plufieurs doubles
, & le Sourcier a perdu toute la fenfibilité.
Des gants de foie ont diminué les mouvemens
de la baguette ; & lorfque les piés
& les jambes de Bleton étoient recouverts
d'un tiffu de foie un peu épais , fon corps
ne reffentoit aucune commotion .
Cette baguette , toute étonnante qu'elle
nous paroît , & que M. Thouvenel regarde
comme une bouffole hydrométrique , ne fert
cependant que pour rendre fenfibles aux
affiftans les nuances du fentiment que Bleton
éprouve ; elle lui eſt tout- à - fait inutile
pour lui-même ; l'oppreffion , le faififfement,
la commotion , font des moyens qui
ne le fervent que trop bien , & les feuls qui
lui foient néceffaires. Cette propriété , par
laquelle la baguette tourne fur les doigts ,
DE FRANCE 127
eft un bienfait de la nature qu'il ne tient
qu'à lui de communiquer. Il fuffit qu'il tous
che celui fur les doigts duquel la baguette
eft placée, pour qu'elle foit entraînée par fes
mouvemens directs ou rétrogrades , fuivant la
circonftance. Comment fe fait- il qu'en étendant
ainfi cette vertu , Bleton ne communique
pas en même- temps une partie du
trouble dont il eft agité ? On avoit écrit à
l'Académie Royale des Sciences , que ces
rotations de la baguette font dûes à un balancement
que Bleton fait donner adroitement,
foit à fes poignets, foit à ceux des perfonnes
fur les doigts defquels il fait tourner
la baguette . M. Thouvenel affure qu'il s'eft
convaincu du contraire par l'obfervation .
Ne peut-on pas fuppofer qu'il exifte un
agent mixte ou combiné qui , n'appartenant
ni à l'électricité ni au magnétifme , mais
tenant de l'un & de l'autre , foit capable de
produire fur les corps vivans des effets déterminés
? Certains oifeaux ont une averfion
naturelle pour l'eau , dont les émanations
font un bon conducteur du fluide électrique
; c'eft fans doute parce que le fens
fur lequel il agit eft en eux très-fufceptible
d'ébranlement. Enfin , la baguette ne pourroit-
elle pas , comme la bouffole magnétique
, avoir des pôles fur lefquels l'agent
dont on a parlé porteroit toute fon action ?
Avec ces données , M. Thouvenel explique
tous les phénomènes dont il a rapporté
Phiſtoire.
FIV
128 MERCURE
Quelle que foit la valeur de cette théorie,
les détails des faits font curieux ; & quand
on ôteroit de cet Ouvrage tout ce qui con- .
cerne Bleton & fa baguette , il y auroit encore
un grand nombre de réflexions & d'obfervations
intéreffantes.
Il refté une chofe à faire à l'Auteur pour
répondre victorieufement à toutes les objections
, c'eft de mander ce Sourcier , & de le
foumettre à l'examen des Phyficiens incrédules
de la Capitale. Nous favons que ce
projet eft celui de M. Thouvenel , & il fuffic
pour juftifier la délicateffe & fa bonne- foi.
Ce Savant eft trop inftruit pour blâmer dans
les autres un doute qu'il auroit lui -même
s'il n'avoit pas été le coopérateur des expé
riences dont il a parlé. Il eft moins rare &
plus facile d'admettre une erreur pour une
vérité , que de prendre une vérité pour une
erreur. Cette réflexion doit excufer ceux.
qui n'accordent leur confiance qu'après la
démonftration la plus rigoureufe des faits
qu'on leur annonce . Les honneurs du trionphe
feront d'ailleurs d'autant plus grands
pour M. Thouvenel , qu'il aura, eu des juges
plus difficiles à convaincre. On devroit applaudir
à leur réſerve , quand elle ne nous
vaudroit que le plaifir de voir cet individu
furprenant & malheureux , qui doit être
fouvent dans le faififfement & dans la tranfe ,
puifqu'il ne peut rencontrer une fource , un
courant d'eau , fans éprouver une commo
tion . Ce don de la nature , tout merveilleux
DE FRANCE. 129
qu'il eft , ne lui fera point envié. Jacques
Aymar étoit plus étonnant & plus malheu
reux encore. Sa fenfibilité étoit excitée , nonfeulement
par l'influence des eaux fouterraines
ou des filons métalliques , mais em
core par la préfence des voleurs & des mal
faiteurs , qu'il étoit habile à démêler dans la
foule, & qu'il fuivoit à la pifte. Un homme
ainfi conftitué devoit fuir les grandes villes ,
& fe plaire fous le toit du Laboureur , qu'habite
fouvent la vertu . Auffi n'eut- il pas des
fuccès à Paris , où il fut appelé ; l'on ne fut
nullement fatisfait de fes effais à l'hôtel de
Condé, l'on vit , ce qui eft très- notable , un
grand Prince (1 ) détruire un grand preſtige ,
& le règne de cette baguette , pour nous
fervir de l'expreffion de Bayle ( 2 ) , fut fore
court. (3 ) Bleton eft plus réſervé , & donne
plus d'efpérance. Ruiſch répondoit à ceux
qui refufoient de croire les nouveautés que
fon art découvroit , veni & vide , venez &
voyez. C'eft auffi ce que M. Thouvenel dit
aux Mécréans. Ce grand procès , fur lequel
on a déjà tant écrit , va donc être terminé. De
quelque manière qu'on le juge , il fuffit de
(1 ) M. le Prince de Condé.
(2 ) Voyez le mot Abaris dans fon Dictionnaire
& non le mot Rabdomancie , qui ne s'y trouve point
Ce mot eft mal-à-propos indiqué dans l'Encyclo
pédie , Art. Baguette Divinatoire.
(3 ) Voyez auffi les Lettres & le Mercure Hiſto
rique du mois de Mai 1693
Fv
130
MERCURE
lire l'Ouvrage de M. Thouvenel , pour s'affurer
que fon erreur , quand même fon opinion
en feroit une , ne peut être que celle
d'un homme dont les lumières égalent la
probité. L. N.
SPECTACLES.
CONCERT SPIRITUEL
GRACE aux foins de M. Legros , jamais le
Concert Spirituel n'a été ni plus fréquenté
ni plus digne de l'être que cette année . Mme
Mara & M. Viotti ont principalement fixé
l'attention des Amateurs. La première eft en
effet étonnante par l'étendue de fa voix , qui
a près de trois octaves, & par fa foupleffe &
fa hauteur ; elle s'élève jufqu'à l'octave de
fol , & s'élance , avec jufteffe , des fons les
plus graves aux fons les plus aigus , parcourt
de même , avec la plus grande facilité ,
tous les fons intermédiaires. Mme Mata ,
fans avoir le timbre auffi pur que Mlle Laguerre
, n auffi accentué que Mme Todi ,
n'a pas moins u réunir tous les fuffrages ,
parce qu'elle chante également bien le récitatif,
le cantabi é & les airs de bravoure :
fa méthode de chant , d'une perfection exquife
, fuppofe un travail & une continuité
d'efforts inconcevables.
DE FRANCE. 131
+
La prééminence de M. Viotti n'a pas été
reconnue d'une manière auffi unanime ; des
Connoiffeurs prétendent que fon jeu eft
quelquefois brufque & heurté , qu'il facrifie
fouvent l'expreffion & l'efprit de fon fujet
au defir de tirer de fon inftrument des fons
´´extraordinaires
; qu'enfin , ſon genre de compofition
eft inférieur à celui de Jarnowick
& de quelques autres Virtuofes connus.
Quoi qu'il en foit , nous croyons que M.
Viotti eft un des plus grands Violons qui ſe
foient fait entendre au Concert Spirituel depuis
vingt ans ; quand la tête eft montée , il
exécute parfaitement & les morceaux d'expreffion
& les chofes difficiles ; il feroit feulement
à defirer que la plupart de ces cho-
Les fi difficiles devinffent iinpoffibles , nos
plaifirs n'y perdroient rien .
De tous les jeunes gens qui ont débuté
dans ces Concerts , M. Eck eft celui qui
promet le plus ; s'il compofe un jour comme
il exécute , on le citera parmi les premiers
Violons de l'Europe.
M. Nodi mérite d'être encouragé ; il a du
talent , fa voix eft agréable ; fon début auroit
été plus brillant , s'il eût choifi un morceau
mieux afforti au goût actuel.
On a entendu avec un nouveau plaifir le
Stabat de Hayden & celui de Pergolèze , où
Mlle Saint - Huberti s'eft particulièrement
diftinguée; le caractère de la voix a par
beaucoup plus analogue à ce genre de chant
que celui de M. Guichard . Nous exhortons
1
1
1 Fvj
132
MERCURE
le Directeur du Concert à choisir toujours
les voix les plus accentuées pour chanter les
morceaux triftes ou pathétiques , les Moters
qu'il fait reparoître intérelferoient davantage.
On ne répétera point les éloges qu'on a
donné plufieurs fois , dans ce Journal , à
MM. Bezozzi , Berthaume , Ozi , Punto ,
Laïs , Cheron , Legros , &c. & aux habiles
Compofiteurs qui , depuis long - temps,
jouiffent des fuffrages du Public ; il fuffit de
dire que le talent des Virtuofes étrangers n'a
point fait oublier le leur , & qu'ils ont obtenu
conftamment les mêmes témoignages
de bienveillance & d'eftirne.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
L'OUVERTURE de ce Spectacle n'a rien of
fert d'intérellant. On y a repréfenté , le
Mardi 9 de ce mois , Colinette à la Cour,
Ouvrage dont nous avons dit tout ce que
nous pouvions en dire , & qui a toujours
excité les mêmes reproches & les mêmes
applaudiffemens .
Depuis environ quinze mois , on a vu
difparoître de ce Théâtre plufieurs Sujets ,
dont la perte a été d'autant plus fenfible , que
leurs talens étoient affez généralement égaux
à la réputation dont ils jouiffoient. Nous al-
Jons parler de chacun d'eux de la manière la
plus rapide qu'il fe pourra.
1. Mile Allard. Cette Danfeufe , qui
DE FRANCE. 143
"
avoit déjà quitté une fois le Théâtre , & qui
y avoit reparu quelques temps après , l'a
quitté fans retour au mois d'Avril de l'année
dernière. A beaucoup de force & de legereté
, elle joignoit de la grâce , de la vivacité
, & fur-tout une gaité charmante. On
fe rappellera long temps l'intérêt qu'elle
donnoit à fa pantomime , & l'intelligence
avec laquelle elle favoit animer les rôles
qu'elle rempliffoit dans les Ballets où´elle
étoit placée. Aufli habile à inftruire des fecrets
de fon Art qu'à en faire au Theatre
Tufage le plus heureux , elle laille après elle
de doubles regrets que la fituation actuelle.
de la Danfe de l'Opéra ne promet pas de
faire bientôt ceffer..
2. M. Veft is le père. Peu de Danfeurs
ont porté aufli loin que lui l'art de tout exécuter
avec grâce, de donner à leurs mouve
mens autant de majefté , de foupleffe & de
facilité. Il n'a paru au Théâtre que pour y
montrer un modèle , il s'en eft retiré quand
il en pouvoit fervir encore.
3. Mlle Heynel. La fureur de comparer
les talens dont on jouit à ceux qu'on aperdus,
a fouvent rendu les vieax Amateurs injuftes
à l'égard de quelques- uns des Sujets dont
nos Théâtres fe font enrichis depuis quel
ques années. Cette Danfeufe n'a point été
foumife à cette épreuve. Dès les premiers
jours de fon début , elle a captivé tous les
fuffrages. On a généralement admire la nobleffe
& la décence de fon maintien , la fou
134
MERCURE
pleffe de fes développemens & le fini de fon
exécution. Il fuffit de rappeler avec quelle
fublimité elle rendoit le rôle de Médée dans
de Ballet d'action que M. Noverre a fait
exécuter cà l'Opéra , pour que tous nos
Lecteurs conviennent qu'elle a été une des
meilleurs Actrices Pantomimes de ce Spectacle
. C'eſt au moment où fon talent avoit
le plus d'éclat qu'elle en a privé le Public .
Cette réfolution la conduira- t'elle au bonheur
? Nous le defirons , & dans ce cas elle
aura affez fait pour fa gloire.
4°. Mlle Cécile Dumegnil. Une fanté foible
a conftamment arrêté l'effor de fes difpofitions
, dont les Connoiffeurs attendoient
beaucoup , avec raifon. A la figure la plus
agréable , à une taille fvelte & élégante ,
elle réuniffoit d'excellens principes , dont
fes forces ne lui permettoient pas toujours de
faire un ufage bien marqué. Elle a obtenu
Jades fuccès très - diftingués jufqu'à l'inſtant où
la mort l'a frappée. Elle n'a paru que pour
difparoître. On peut lui appliquer ces deux
vers de Malherbe :
Et Rofe , elle a vécu ce que vivent les rofes ,
L'eſpace d'un matin.
ques
olig . M. Noverre. Si S l'on jugeoit des talens
de cet homme , juſtement célèbre , par quel-
Ballets qu'il a attachés à plufieurs Actes
de nos Opéras , on auroit grand tort. On ne
fait pas que les Compofiteurs font fouvent
obligés de rétrécir leurs idées pour le louDE
FRANCE. 135
*
mettre à de petits principes d'économie , &
pour ne pas heurter l'orgueilleufe indocilité
de certain's Danfeurs. Il faut chercher le talent
de cet homme de génie dans les beaux
Ballets d'action qu'il a fait repréſenter fur les
premiers Théâtres de l'Europe , & dont
quelques uns ont obtenu ici le fuccès le plus
brillant & le plus mérité. C'eſt en jetant un
coup d'oeil fur les programmes qui en ont
été imprimés , qu'on apprendra à connoître
la fécondité des reffources de M. Noverre ,
avec quel goût & quelle vérité il faifoit contrafter
les grouppes & les figures, & qu'on fe
convaincra qu'il eft digne d'être regardé
comme le premier des Auteurs qui ont travaillé
dans le genre de la pantomime. Ses
Lettres fur la Danfe annoncent un Artifte
confommé dans la connoiffance phyfique de
l'homme , & préfentent la meilleure théorie
qu'on ait encore publiée fur l'Art des Marcel
& des Pilade. Les éditions de cet Ouvrage font
épuifées ; il feroit néceffaire que l'Auteur
s'occupât d'en donner une nouvelle. Il la doit
& à fa gloire & à la fatisfaction des Amateurs
de cet Art, auquel il a fu donner un nouveau
luftre. M. Noverre étoit Maître des Ballets
de notre Opéra. Il a quitté fa place au mois
de Juillet de l'année dernière , & eft paffé à
Londres , où fon mérite eft admiré comme
il doit l'être.
6. M. Nivelon. Ce jeune homme , que le
Public aimoit parce qu'il avoit déjà un talent
très agréable , & qui promettoit de ſe per136
MERCURE
fectionner , a quitté la Seène tout-à- coup . II
eft en Angleterre , où il eft , dit on , fort
goûté. Cela peut - être , mais nous laifferons
le foin de faire fon éloge au peuple chez
lequel il a porté le refultat & le fruit des
études qu'il a faites fous les yeux du Public
de Paris.
7º. M. Laurent. Ce Danfeur étoit connu
fous le nom du Lapon. C'étoit plutôt un
fauteur vigoureux & hardi , qu'un danfeur
digne des fuffrages des gens de goût. Cependant
ce genre de talent eft quelquefois néceffaire
dans certains pas, L'Opéra , comme
tous les autres Théâtres , eft forcé de temps
en temps d'admettre des caricatures. Confi
déré fous ce point de vue , M. Laurent étoit
utile ; il n'a pas iugé á propos de refter attaché
au Théâtre de la Capitale ; mais nous ne
le croyons point difficile à remplacer.
Nous ne dirons rien de M. Gardel l'aîné
quoiqu'il ait ceffé de danfer , parce qu'il:
refte à l'Opéra comme Compofiteur de
Ballets .
COMEDIE FRANÇOISE,
CE Théâtre a perdu , dans la perfonne de
M. Augé , un Acteur très - recommandable. Il
étoit reçu depuis 763 , & le Public le re
gardoit , avec raifon , comme un excellent
Comique. Les rôles de l'emploi des Valets,
qu'on appelle la Grande Livrée , étoient four
DE FRANCE. 137
triomphe. Beaucoup de gaîté , d'aifance , un
organe quelquefois un peu élevé , mais ſonore
& relatif à fon emploi , une articulation
nette , un mafque très - expreſſif , une
taille avantageufe & bien prife , une démar
che légère & facile : voilà les qualités qui
lui ont valu fes fuccès & fa réputation. Les
regrets que donne fa retraite doivent enga
ger fes fucceffeurs à redoubler de zèle pour
les faire oublier . Ce fera travailler à la
fois pour leurs intérêts & pour ceux des
connoiffeurs .
On vient de recevoir au nombre des Comédiens
François Mlle Olivier , jeune Actrice
qui a débuté, il y a deux ans , dans l'emploi
des Jeunes Amoureufes , & des débuts de
laquelle nous n'avons rien dit. On ne fauroit
, fans fe compromettre , dire qu'elle a
du talent , en prenant ce mot dans fa véritable
acception ; mais on doit avouer qu'elle
a du zèle , de l'intelligence , une jolie figure ,
qu'elle fait un fervice auffi exact que foigné ,
& qu'elle eft fort utile.
Mlle Joly , dont nous avons annoncé les
débuts dans l'emploi des Soubrettes , n'a pu
être reçue cette année au nombre des Comédiens
du Roi , parce que, fauf les cas extraordinaires
, les réglemens de la Comédie
veulent que ce ne foit qu'après deux années
d'effai qu'un Comédien foit admis à réception.
Mais en confidération du talent qu'elle
a montré , des fervices qu'elle a rendus &
qu'elle peut rendre encore , & de la fatis138
MERCURE
faction que le Public en a témoigné , fon
Nordre de réception lui eft promis pour l'année
prochaine. C'eft une nouvelle raiſon pour
qu'elle fe livre plus que jamais à l'étude d'un
état dans lequel elle a paru d'une manière
affez brillante pour mériter les plus grands
eucouragemens.
La nouvelle Salle de ce Théâtre a été ouverte
le ༡ de ce mois , comme nous l'avions
annoncé, par une repréfentation d'Iphigénie
en Aulide, Tragédie de Racine , précédée de
l'Inauguration du Théâtre François , Pièce
en un Acte & en vers , par M. Imbert.
>
Ce petit Ouvrage qui , par fa nature , ne
pouvoit être décidément une Comédie
eft une Pièce du genre de celles que l'on
nomme Pièces à tiroirs. Mercure , par l'ordre
d'Apollon , fait orner de branches &
de couronnes de laurier le nouveau Temple
qu'on vient d'élever à Thalie & à
Melpomène. Tour- à- tour on voit paroître
différens Perfonnages épifodiques , tels que
la Cabale , la Critique , le Génie de Corneille
, le Génie de Molière , un Auteur tragique
, un Auteur comique , Thalie , Melpomène
, &c. &c. Il en résulte une fuite de
Scènes dont quelques- unes ont de la gaîté ,
d'autres de la grace , d'autres enfin de l'élévation
& de la nobleffe. Le ftyle en eft facile,
la critique en eft douce , & par- tout , dans
le rôle d'Apollon principalement , on décou
vre un Auteur ennemi du charlataniſme &
de la inédiocrité , mais ami des Arts & des
DE FRA-N CE. 139
Talens. On pourroit lui reprocher quelques
longueurs au Théâtre ; à la lecture il n'en eft.
pas de même. Nous avons été un peu étonnés
d'entendre le Génie de Molière dire ,
en parlant de la Métromanie ,
Enfant cher à Thalie , & fi beau , que Piron
Fur furpris d'en être le père.
Nous ne concevons pas comment Piron
auroit pu éprouver un pareil étonnement ,
d'autant plus que fi cet Écrivain original
eut une qualité , ce ne fut pas la modeftic. Il
fut modefte une fois dans fa vié en écrivant
à M. de Maurepas : '
Auffi bien ce que je vais taire
Seroit plus analogue au fon
De la trompette de Voltaire
Que du chalumeau de Piron .
Mais par combien de mots auffi durs que
présomptueux n'a- t -il pas fait oublier cet
aveu modefte ! Et puis le Poëte Bourguignon
avoit réellement du génie , & n'étoit pas
fait pour s'étonner de fon ouvrage.
Le Vendredi 12 , on a repréſenté pour la
première fois Molière à la nouvelle Salle ;
c'est encore une Pièce en vers & en un
Acte , relative à la circonftance . Thalie &
Melpomène reçoivent Molière dans le nouveau
temple qu'on vient de leur élever.
Elles l'inftruifent des révolutións que les Lettres,
le Goût & l'Art Dramatique ont éprou
140 MERCURE.
vées depuis qu'il a quitté la terre de là nate
une diatribe quelquefois gaie , mais plus fou
vent violente, contre les Spectacles forains , le
Tragédies & les Comédies modernes , les Dic
tionnaires , les Almanachs & les Journaux.
Les deux Mufes fe retirent , & Thalie charge
Molière de tenir audience en fon nom. Alois
paroiffent fucceffivement un garçon Limonadicr
devenu Auteur ; une espèce de Bourgeois
Milantrope ( 1 ) qui déclame contre tous ceux
qui aiment , jugent & parlent des Spectacles ;
un Chef de cabale qui fe dit un Officier ré
formé , & dont la garnifon étoit au Parterre ;
le Vaudeville & la Mufe du Drame. Il y a
de l'efprit & de la raifon dans toutes les
Scènes épifodiques que fait naître l'entrée
de chacun de ces Perfonnages : mais le ton
en eft dur & tranchant , plutôt méchant que
malin , plutôt fatyrique que gai : d'ailleurs ,
l'Auteur , qui s'eft permis une fortie trèsvive
contre les farces , ne s'eft pas apperçu
que la Scène du garçon Limonadier & cellede
la Mufe du Drame font deux caricatures
d'un affez mauvais goût , fi on en excepte la
réponte de Molière aux éloges que la Mufe
fait du genre qu'elle protège. Puifque l'Auteur
a placé Molière fur la Scène , il auroit
( 1 ) Ce perfonnage rappelle à la mémoire le Chrifale
des Femmes Savantes . Mais celui- ci a de la phi,
lofophie & de la douceur , ce qui vaut mieux que le
caractère intolérant du frondeur moderne.
DE FRANCE. 141
dû, avant de le faire repréſenter , fe rappeler
deux vers de ce grand Homme :
On doit le regarder foi- même un fort long temps
Avant que de fonger à condamner les gens.
Au refte , ce petit Ouvrage , qui annonce
un homme de beaucoup d'efprit & un ami.
des bons principes , a été fort bien accueilli
On peut même ajouter que le ton d'humeur
qui y règne reffemble fouvent à la colère
d'un homme indigné de la décadence des
Lettres & des irruptions du mauvais goût.
Au Numero prochain , les Articles de la
Comédie Italienne,
GRAVURES.
GRANDE Carte Générale de la France , conte
nant les Gouvernemens des Provinces & petits
Cantons du Royaume , avec les Pays - Bas , la Hollande
, la majeure partie de l'Angleterre , les Confins
d'Efpagne , l'Allemagne dans le plus grand détail, &
F'Italie jufqu'à Rome. Carte en fix feuilles réunies,
Prix , 4 livres collée fur toile & pliée dans un étui ,
10 liv. 4 fols. A Paris , chez Defnos , Ingénieur-
Géographe & Libraire du Roi de Danemarck , rue
S. Jacques , au Globe. On trouve chez le même
la Mappe- monde de feu M, Jaillot , fur laquelle M.
Brion de la Tour vient de tracer les Voyages & der
nières Découvertes de Cook & des autres Navigateurs
qui ont fait avec lui le tour du Monde. Prix ,
I livre 4 fols.
Vingt-troisième Cahier de l'Herbier de la France ,
142 MERCURE
par M. Bulliard , in -4 ° . A Paris , chez l'Auteur ,
rue des Poftes ; Didot le jeune , Debure & Belin ,
Libraires.

Première Vue d'Avignon , peinte par Delacroix ,
& gravée par J. Ouvrier. Seconde Vue de Naples
, peinte & gravée par les mêmes. A Paris , chez
Ouvrier , Marchand d'Eftampes , Place Maubert ,
maifon du Commiffaire.
La Cage Symbolique , peinte par Charles le
Peintre , & gravée par Martin Feffard . A Paris ,
chez Feffard , rue & ifle S. Louis, maifon du Charron,
On trouve chez le même une Eftampe allégori
que fur la mort de l'Impératrice Reine , qui eft
d'une compofition fort ingénieufe , & qui mérite
d'être diftinguée parmi celles qui ont paru fur le
même fujet.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
SATIRES de Juvénal,
ATIRES de Juvenal , traduites par M. Dufaulx ,
ancien Commiſſaire de la Gendarmerie , de l'Acadé
mie Royale des Infcriptions & Belles- Lettres , & de
celle de Nancy , feconde Édition . A Paris , chez
M. Lambert & F. J. Baudouin , Imprimeurs- Libraires
, rue de la Harpe , près S. Côme.
-
Répertoire univerfel & raisonné de Jurifprudence
Civile , Criminelle , &c . Tomes XLIX , L.
A Paris , chez Viffe , rue de la Harpe , près .
la rue Serpente. On trouve à la même adreffe
les Commentaires fur les Loix Angloifes , de Blackstone
, traduits de l'Anglois par M D. G***. fur la
quatrième Édition d'Oxford , 6 Volumes in- 8 ° .
Prix , 24 liv. brochés. Voyage du Capitaine
Cook, Tome V, in -4• . , qui fait fuite aux quatre
-
1
1.
DE FRANCE. 143
premiers Volumes que l'on a publiés en 1777. Prix,
10 liv. broché ; relié en veau , avec filets d'or femblable
aux quatre premiers Volumes , 12 livres. Ce
cinquième Volume doit manquer à plufieurs per- fonnes.
Nouveau Voyage en Espagne fait en 1777 &
1778 , dans lequel on traite des Morurs , du Caractère
, des Monumens , du Commerce , du Théâtre ,
de la Légiflation & de l'Inquifition , avec de nouveaux
détails fur fon état actuel & fur une Procédure
récente & fameuſe , 2 Vol. in -8 ° . Prix ,` 6 liv.
A Paris , chez Th. Barrois jeune, Libraire , rue du
Hurepoix.
Mémoire fur un Dent- albifique & anti-fcorbutique
nouveau & infaillible dans fes fuccès, qui , à la propriété
de blanchir les dents , de prévenir leur carie ,
d'en arrêter les progrès , réunit celle d'anihiler la
fétidité de l'haleine ; remède qui , pris intérieurement,
guérir les douleurs rhumatifmales , même
goutteufes , & plufieurs autres maux ; par M.
Touffaint Barety , Étudiant en Médecine , in-8°.
Prix , 12 fols broché. A Paris , chez l'Auteur , à
l'Hôtel de Carignan, rue Froidmanteau , proche la
Place du Louvre.
-
Penfées Morales de Confucius , recueillies &
traduites du latin par M. Lévêque , petit format ,
Prix , 1 livre 10 fols en papier d'épreuves , & 4 liv.
en papier d'Annonai. Poéfies de Boileau , 2 Vol.
même papier & même format. Prix , 10 livres. A
Paris , chez Didot l'aîné , Imprimeur-Libraire , rue
Pavée ; & Debure l'aîné , Libraire , quai des Auguftins
.
Lettre Paftorale de Mgr. l'Archevêque de Trèves ,
traduite de l'Allemand , Volume in 8. A Paris , chez
Laporte , Libraire , rue des Noyers ; & Belin , Libraire
, rue S. Jacques.
144
MERCURE
Avis concernant la Bibliothèque Univerfelle
des Romans.
Les Perfonnes qui voudront , ou fè procurer des Volumes
détachés de la Bibliothèque des Romans de l'Edition
in- 12 , ou réparer la négligence qu'elles ont eue de renouveller
leur abonnement dans les années antérieures ,
cu fe procurer des collections entières , ne paieront le
Volume que fur le pied de o fols , tant en feuilles que
broché. Cette offre n'aura plus lieu à la fin de Juin prochain
, & l'on ne pourra profiter de l'avantage qu'elle
préfente qu'autant qu'en prenant des années pour fecompléter
, ou des collections complertes , on fouferira en
même temps ( au prix courant de 24 liv . & de 32 liv, )
pour la huitième année , qui commencera au premier de
Juillet prochain . Le troisième Volume in -4 . eft fous
preffe , chez Didot l'aîné ; il paroîtra le plus tôt qu'il
Tera poffible. La néceflité de faire paffer des Profpectus
chez l'Etranger , & d'en atendre l'effet pour déterminer
de tirage , eft la feule caufe du retard qu'éprouve cette
Edition ; elle n'aura lieu qu'une fois . Le prix du Volume
in-4 . br. papier ordinaire , eft de & liv, On s'adreffera rue
Neuve- Sainte- Catherine , au fieur Blerie , & l'on aura
foin d'affranchir les lettres & l'argent. La collection com
plette des fept premières années eft de cent douze
Volumes.
TABLE.
VERS àRofe,
Romance ,
97 Concert Spirituel ,
98 Académie Roy. de Mufiq. 132
Enigme & Logogryphe , 101 Comédie Françoife ,
Suite d'Adèle& Théodore, 103 Gravures ,
Mémoire Physique & Medi- Annonces Littéraires,
cinal ,
1231
APPROBATION..
136
141
142
J'AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France , pour le Samedi 20 Avril . Je n'y ai
-tien trouvé qui puiffe en empèzber l'impreſſion. A Paris ,
le z1 Avril 1782. DE SANCY.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 27 AVRIL 1782 .
PIÈCES FUGITIVES
EN VERS ET EN PROSE.
VERS
En l'honneur des Dames DE ROMANS .
A Madame de Montélégier.
EST-IL vrai , qu'au milieu d'une fête joyeuſe ,
Paris obtienne encor vos regrets & vos voeux ?
Ah ! fachez du moins être heureuſe ,
Puifque vous faites tant d'heureux .
A Mademoiselle de Giller l'ainée.
HEUREUX qui ne connoît encore
Tous les charmes de ton efprit !
S'il eft vrai , comme chacun dit ,
Que lorfqu'on les connoît , il faut qu'on les adore.
A Mademoiſelle fa Soeur.
De la trop fenfible Julie ,
Le coeur étincelle en tes yeux ;
N°. 17, 27 Avril 1782.
146 MERCURE
Et tous les attraits précieux
Dont on peint ton âme embellie
Chez toi n'en éclatent que mieux
Dans l'ombre de la modeftie.
A Madame de Saint- George.
Le printemps règne en des climats plus doux ;
L'hiver défend aux fleurs d'ofer encor paroître ;
Cependant , Flore eſt toujours parmi nous.
Aux rofes de fon teint peut-on la méconnoître ?
A Madame de la Bâtie.
ESPRIT , grâces , talens , gaîté ,
De tous les dons vous êtes cnbellic .
Vous feriez encore accomplie
Quand vous n'auriez pas la beauté.
A Mademoifelle de Chaballet,
Le Temps , dont la beauté craint les fâcheuſes traces,
Refpecte vos feuls traits en pourfuivant fon cours :
Vous étiez à quinze ans la plus belle des Grâces ,
Vous êtes aujourd'hui la Mère des Amours.
A Madame de Belzévries.
Tous les coeurs difpofés à vous rendre les armes ,
Entre deux fentimens demeurent ſuſpendus ;
L'Amour fait adorer vos charmes ,
L'Hymen admirer vos vertus.
(Par M. **.
DE FRANCE 147
VERS pour le Portrait d'une jolie Françoife.
E₁LLE nous plaît à tous , à tous eft infidelle ;
Ses grâces , fes talens nous charment tour- à-tour ,
Comme Ninon qu'elle a pris pour modèle ,
Elle cède au Plaifir fans connoître l'Amour.
( Par M. T.... )
NOTICE fur M. LEGOUVÉ ,
Avocat au Parlement.
It feroit trop injufte de ne pas compter les Avocats
diftingués parmi les hommes qui ont bien mérité de
leurs compatriotes & de leurs contemporains , & de
ne pas donner à leur mémoire toute l'eftime qu'elle
a droit d'obtenir. C'eft ce motif qui me porte à entrenir
un moment le Public fur la perte récente que
le Barreau vient de faire dans M. Legouvé , véri
table homme de bien , Jurifconfulte du premier
ordre, & à qui il n'a pas été donné de remplir toute
fa carrière. Son Confrère & fon ami , j'ai pu connoître
une partie de les travaux , & recevoir l'exem
ple de fes vertus. Bien d'autres ; qui ont été auffi &
plus long- temps que moi les témoins de fa vie , auroient
pu & la peindre & l'apprécier plus dignement.
Mais puifqu'il m'arrive quelquefois de placer des
morceaux dans ce Journal , quel motif plus cher
& plus noble pourroit m'y ramener & me concilier
plus d'indulgence , què le defir d'annoblir les regrets
de l'amitié par une juftice publique rendue à um
homme d'un folide mérite ?
Gij
143
MERCURE
En parlant d'une profeffion plus honorée que
connue , j'aurai fouvent occafion d'en expliquer les
travaux , les principes , les vertus , & je le ferai avec
qielqu'étendue . S'il falloit à cet Écrit une raifon de
plus pour obtenir quelqu'intérêt , je la trouverois
dans ces acceffoires de mon fujer.
Comme tous les enfans des familles nombreuſes, M.
Legouvé fentit bientôt que fa fortune dépendroit de
fon mérite. Ce qui eft ou très - utile ou très - dangereux
aux jeunes gens de l'rovince , il vint de bonne heure à
Paris. L'étude étoit la paffion de fa jeuneffe ; elle le
fauva des dangers qui environnent cet âge dans la
Capitale , & lui fit recueillir tous les fecours que la
Capitale feule peut offrir aux talens & à l'émulation,
Il avoit fait fes études de la manière la plus diftinguée
; il en tira le meilleur avantage où elles puiffent
conduire , celui de les rendre vraiment utiles , en les
recommençant dans une plus grande maturité de fon
efprit , & fur le plan de la profeffion à laquelle il
fe deftinoit. C'eft alors qu'il fe nourrit de la Litté
rature ancienne & moderne , qu'il étudia l'Hiftoire ,
qu'il médita nos bons Livres Philofophiques , & qu'il
tourna en inftruction toutes les lectures . Communément
les hommes qui fe deſtinent au Barreau négli
gent trop d'orner leur jeuneffe de ce genre de connoiffances.
Les études de cette profeffion font fi vaftes
& fimultipliées : d'un autre côté , le defir & le befoin
d'obtenir de prompts fuccès font fi preffans , qu'on
fe permet à peine de s'arrêter dans d'autres occupations
, & que , tout jeune encore , on fe précipite
dans tous les détails de la Jurifprudence & dans le
train des affaires . Mais qu'arrive - t'il ? Cette inftruction
qui embellit , qui fortifie tous les talens , &
qu'un homme né fenfible cultive dans tous les âges ,
DE FRANCE. 149
comme une partie de fon bonheur , cette inftruction
fans laquelle on n'eft jamais digne des grands
objets , un Avocat , qui parle fur les Lois dans des
affemblées folemnelles , ne la poffédera jamais . Il
viendra un temps où il en fentira le prix & le befoin
; mais fes organes déjà vieillis ne s'ouvriront
plus à tout le charme des Beaux- Arts , ou ne fe prêtefont
plus aux fublimes méditations de la philofophie ;
& des travaux commandés par fa fituation l'abforberont
invinciblement. Il reftera privé toute la vie ,
non-feulement de l'inftrument par lequel on annoblit
tous les travaux , mais encore de celui par lequel
onles rend fupérieurs ; car cette logique sûre & ferme ,
ces heureux & fimples procédés de l'efprit , fans lefquels
il n'y a rien de bon , n'ont jamais appartenu
à des efprits bornés dans leurs vûes & leurs connoiffances
, fur-tout à des efprits étrangers à toutes les
grandes créations de l'efprit humain. Aufſi c'eſt une
obfervation que l'on peut faire tous les jours au Barreau
, que les hommes réduits à la fcience dans laquelle
ils ont vieilli , font toujours vaincus dans
leur ſcience même , par des hommes qui , avec une
moindre expérience , ont un bon fens mieux cultivé
& plus étendu.
Dans le même temps que M. Legouvé acquéroit
pour le refte de fa vie la connoiffance & le goût de
la Littérature & de la Philofophie , il s'appliquoit à
une étude bien différente , il faifoit chez un Procureur
fon cours de procédure. Si l'on ne regarde dans les formalités
de notre juftice que les fubtilités de la chicane &
cette rouille de barbarie qui en obfcurcit & en désho
hore encore la langue , on ne fera pas étonné du mépris
& de l'averfion qu'on leur témoigne ; mais fi l'on
veut bien obſerver que ces formes font néanmoins les
protectrices de la liberté & de la sûreté des Citoyens ,
les gardiennes de l'ordre public , les garantes d'une
juftice fage , éclairée , impartiale , on en prendra une
Giij
150 MERCURE
autre idée ; on les trouvera dignes de toute l'attention
des Philofophes , comme elles ont été un des
foins les plus importans des Législateurs. En quelqu'état
que foit cette fcience parmi nous , elle eſt
toujours indifpenfable pour le Magiſtrat & l'Avocat ;
elle entre de toutes parts dans leurs fonctions : il
faut qu'ils fachent s'en fervir , s'en garantir , & en
préparer la réforme , autant qu'il eft en eux. Cette
étude leur offre autant qu'une autre de quoi philofopher
; & par-là elle peut devenir pour eux moins
rebutante, & moins ingrate. On la décrie trop aujourd'hui
, comme autrefois on en exagéroit trop
l'importance. Apprenons de la philofophie de notre
fiècle à perfectionner la manière d'acquérir toutes
les connoiffances qui nous font utiles ou néceffaires,
& non à les dédaigner.
+
*
M. Legouvé favoit affez la procédure pour y
redreffer fouvent les Procureurs les plus expérimentés.
Ce n'étoit encore- là que des études préliminaires .
M. Legouvé en voyoit encore une autre devant lui ,
qui devoit être celle de toute la vie , & qu'il importe
fur-tout de bien commencer.
La fcience de l'Avocat eft immenfe ; il a befoin
en politique , en morale , en hiftoire , de toutes les
connoiffances du Philofophe ; mais il lui faut de plus
une connoiffance approfondie de toutes les Lois pofitives
, les Coutumes , les Édits & Ordonnances des
Rois , les Arrêts , qui font devenus des règles pour
des cas femblables , & une partie des Livres qui expliquent
ou interprètent les Lois .
T
Il femble d'abord qu'un homme fenfé doit reculer
devant cet amas de connoiffances , incapable égales
ment & de l'acquérir & de le garder . Et cependant,
fans la pleine connoiffance de toutes les règles qui»
peuvent entrer dans l'adminiſtration de la justice
comment fe placer entre- elle & les Citoyens , pour
DE FRANCE 151
éclairer celle-là & diriger les autres ? Comme l'exécution
en toutes chofes préfente une foule d'obftacles
que la théorie ne fait ni prévenir ni prévoir , elle
amène auffi des facilités que l'on n'eût ofé ſe promettre.
En vain tout paroît difpofé dans notre Légiflation
pour embarraffer la juftice ; arbitre entre tous
les combats des intérêts & des paffions contraires , il
faut également qu'elle examine & qu'elle décide ; &
cette néceffité , qui entraîne fa marche , lui a fait
trouver des routes fouvent sûres & fimples dans le
dédale immenfe de nos Lois. La fagacité exercée
d'un Juge ou d'un Avocat , dénoue tout de fuite une
foule de difficultés qui arrêteroient long- temps un
Philofophe. Cette habileté de l'expérience eft encore
, après tout , le meilleur guide auquel on puiffe
s'abandonner ; mais il y a dans l'adminiftration de
la juſtice deux manières de fimplifier , celle des efprits
ignorans & bornés qui , ramenant tout dans
le cercle de leurs idées & de leurs obfervations , renverfent
tout l'ordre des chofes pour le foumettre à
la marche qu'ils ont adoptée , & qui n'inftituent que
des routines ; & celle des efprits vaftes & éclairés qui ,
voyant d'en- haut & embraſſant tout , faififfent des
réfultats , pofent des principes , & abrêgent beaucoup
l'inftruction , en n'y admettant que les bonnes
règles.
Les études d'un Jurifconfulte auffi diftingué que
M. Legouvé fur la fcience des Lois , font la meilleure
fource où l'on puiffe acquérir cet Art, ou plutôt
ce talent fupérieur , & je crois devoir en tracer ici ›
le plan & les principes.
Il étoit né avec cette philofophie naturelle , à qui il
appartient fur-tout de nous diriger dans les connoiffan
ces que nous acquérons. C'eft elle qui apprend à notre
efprit à bien démêler fon but, fes moyens & les reffources
, à s'affurer de ce qu'il a & de ce qui lui manque ,
Giv
152 MERCURE
les
à completter fes richeſſes , à perfectionner les facultés
, à les faire concourir enſemble , à ne tendre
qu'où il peut arriver , par la meilleure route , & à fe
procurer ainfi dans fes plus grandes entrepriſes , tour
ce qui feconde également bien les travaux de l'efprit
& du corps , un ufage libre & confiant de toutes
fes forces; cette philofophie enfin , inftrument néceffaire
de toute bonne inftruction , de tout bon travail
, qui peur fuppléer à tout , & qui ne peut être
fupplée par rien. M. Legouvé poffédoit cet heureux
tact de l'efprit. Auffi , lorfqu'il s'approcha de notre
Jurifprudence , à la vûe d'une fi énorme multiplicité
de Lois , d'un ordre civil où l'on ne trouve plus le
droit naturel qu'infiniment altéré & modifié , d'un
fyftême de légiflation dont la contrariété & la variation
des Lois font les principaux caractères , il
fentit qu'il avoit befoin d'une règle générale , à laquelle
il pût rallier tous ces fyftêmes , fi compliqués ,
fi divers , d'un moyen par lequel il put les faifir ,
apprécier , les comparer : quelle fera cette règle ,
quel fera ce moyen ? Ce fera cette raifon forte &.
flexible qui fait defcendre & remonter du premier
principe de l'ordre focial au plus bizarre ftatut des
Lois pofitives ; diftinguer celles- ci par leur but , leurs
caractères & leurs effets , faifir leur fyftême ou le
créer , les rapprocher par leurs rapports ou les féparer
par leurs différences , chercher leur fens dans leur
efprit , & leur efprit ou dans la juftice univerfelle ,
Qui dans les vûes & les circonftances particulières ,
cette raifon vafte & ferme qui peut habiter fans danger
& fans trouble dans cette confufion des Lois.
Avec beaucoup d'études & d'expérience , on pourra
connoître beaucoup de Lois ; mais fans cette grande
qualité , on ne fera jamais un Jurifconfulte. M.
Legouvé conçut donc qu'il devoit fe pourvoir d'un
riche fond de vûes & de principes fur l'ordre focial ,
fur les conftitutions politiques , fur le Droit civil.
DE FRANCE. 153
Il fentit le befoin de méditer le feul Recueil de
Lois fait par un peuple éclairé de toutes les lumières
de la civiliſation ; il ouvrit le Droit Romain , & il
y trouva ce qu'il cherchoit.
Depuis quelque temps le Droit Romain eft attaqué
par les Philofophes , & beaucoup plus défendu
qu'étudié par les Jurifconfultes. Il me femble que
l'on pourroit s'entendre & fe rapprocher , en confiderant
ce Corps de Lois fous fes divers afpects .
Comme Recueil , on convient généralement que
les trois parties qui compofent le Droit Romain , les
Pandectes , le Code & les Novelles , font des Ouvrages
rédigés fans accord entre les principes , fans
ordre , fans méthode , fans critique. On fait d'ailleurs
que penfer de cette rédaction , quand on fe rappelle
qu'elle a été confiée à un Légifte vénal par un
Prince idiot & débauché , lequel n'a rien conçu de
mieux pour illuftrer fon règne , qu'une compilation."
Comme Corps de Légiflation , par cela feul que fes
parties font mal liées & mal afforties entre- elles , il
feroit déjà mauvais. Mais il a encore de bien plus
grands défauts. Il n'a pas été formé fur un plan
unique , ni rectifié dans cette vûe ; il eft le produit
de tous les fyftêmés de Gouvernement , de toutes
les formes de moeurs de tous les chocs des pouvoirs
qui ont régné à Rome dans les diverfes épo-
'ques , & encore plus des diſputes & des combats des
deux fectes rivales , qui s'étoient partagé le forum.
Tiré du chaos de ces contrariétés , il ne pouvoir
même être approprié à l'état alors actuel de l'empire Romain.
Comment pourroit-il convenir à une Nation
moderne quelconque , au milieu de toutes les diffemblances
furvenues dans nos moeurs & dans nos
gouvernemens ? Le corps des Lois Romaines n'eſt
donc devenu , dans quelques Provinces , une partie ,
& dans d'autres le fupplément de notre Légiflation ,
que par le befoin de chercher des règles telles qu'elles
و
G v
154
MERCURE
foient hors des Ufages & des Coutumes établis par
la féodalité , & par l'impuiffance d'en créer dans la
barbarie où nous étions alors. Il ne fubfifte encore
parmi nous que par l'empire d'une longue habitude
& par la difficulté de déraciner les vieux abus. Mais
fi on confidère le Droit Romain comme une collection
de principes fur l'adminiftration de la justice ,
comme un dépôt des faits d'une grande Nation à cet
égard , on en penfera différemment. Ce n'eſt pas
cependant qu'il ne foit rempli de déciſions tirées des
préjugés & des moeurs propres des Romains , & par
conféquent inapplicables aux nôtres ; ce n'eft pas
qu'il n'en ait une foule d'autres abfurdes, injuftes ,
contradictoires ; mais il eft en général le fommaire
des travaux de l'efprit humain dans cette partie
l'ouvrage de plufieurs fiècles , l'affemblage des penfées
des hommes qui s'étoient fait une ſcience de la
juftice. Il renferme fur plufieurs matières le précis
d'une raifon faine & lumineufe ; fouvent l'efprit le
plus armé de critique ou même de prévention , foufcriroit
à cette qualification de raifon écrite , qui lui a
été donnée. Quand on le compare enfuite à tous ces
autres Codes qui nous font venus des temps les plus
déplorables de notre hiftoire , on ne peut s'empêcher
de reconnoître que le Droit Romain ne foit le
feul monument où l'on puiffe chercher les grandes
règles de la juftice ; que cette connoiffance ne foit
auffi utile à un efprit philofophique , qu'elle peut
être dangereuse à un efprit fuperftitieux , & qu'elle
doit être le fondement des études d'un grand Jurifconfulte.
Pénétré de ce principe , M. Legouvé s'étoit propofé
de bonne heure le vafte deffein d'enrichir fon
jugement de la collection de tous les principes du
Droit Romain qui entrent dans notre Jurifprudence.
Il avoit employé, pour en comparer les textes & pour
les claffer dans fa mémoire , tout cet art des méDE
FRANCE.
155
thodes dans lequel les efprits de la nature du fien
font encore plus inventeurs qu'imitateurs , & il a eu
la gloire , qui devient rare de plus en plus , d'être un
des Savans les plus profonds , & fur- tout les plus
méthodiques dans l'importante connoiffance du Droit
Romain.
C'est par ces vaftes & folides études qu'il s'étoit
préparé aux travaux de fa profeffion ; il les acheva
au milieu de ces travaux mêmes, car c'eft l'avantage
propre de ceux qui ont bien employé leur jeuneffe ,
de ne jamais perdre ni le defir , ni la facilité d'apprendre
chaque jour de fa vie ajoutoit à fon inftruction
comme à fon expérience.
Le moment où M. Legouvé eft entré au Barreau ,
mérite d'arrêter quelques inftans nos regards. Alors
finiffoient les Avocats qui ont eu le plus de renommée
, & s'élevoient ceux qui ont le mieux foutenu la
gloire de cette profeffion . Il me femble que le tableau
des titres de leur gloire ne peut être déplacé dans
l'éloge d'un Avocat diftingué : on ne peut mieux le
faire connoître, qu'en le plaçant au milieu des progrès
de la . Science qu'il a cultivée , & des Hommes
célèbres qui ont été fes modèles & fes rivaux. -
On fait quel genre de mauvais goût a régné au
Barreau prefque juſqu'à la fin du fiècle de Louis XIV.
Lorfqu'on parcourt les nombreux Recueils des Plaidoyers
de ce temps , dont nos Bibliothèques font
furchargées , on eft tenté de croire que ceux qui les
débitoient & ceux qui les écoutoient étoient tous
devenus ou des foux ou des imbécilles . Ces hommes
avoient réduit toutes les facultés de leur efprit à leur
mémoire. Ils n'entrent dans leur fujet que pour en
fortir ; il ne leur fert que de lien à trois ou quatre
cent citations qui compofent tout le difcours , & dans
lefquelles , comme dit la Bruyère , « Ovide & Ca-
» tulle achèvent de décider des mariages & des teftamens
, & viennent , avec les Pandectes , au fe-
Gvj
.156
MERCURE
cours de la veuve & de l'orphelin , où le facré &
le profane ne fe quittent jamais , où les Poëtes
» font de l'avis de Saint- Auguftin & de tous les
Pères . Voilà comme l'on plaidoit : les Juges alloient
à leur tour fe citer vers & profe , & come
piler toute l'antiquité à propos du mur mitoyen.
Parmi ces Ecrivains , on doit cependant faire quelqu'eftime
de Lemaître , l'admiration de fon temps ,
qui mourut dans l'illuftre retraité de Port-Royal ,
où il dût bien rougir de fa gloire , lorfqu'il lut les
Lettres Provinciales . C'étoit un homme de beaucoup
d'efprit , & même de talent : il cite autant &
plus qu'un autre ; mais il expofe fon fait , & il prouve
fes moyens , avant de faire fon tilflu de grec & de
latin. Du refte , fa raifon a quelquefois de la force ,
& fon ftyle , de la couleur. Il éprouve terriblement
la patience de fon Lecteur , mais il le dédommage
fouvent par de beaux traits .
La faine raifon & le bon goût ne font entrés au
Barreau qu'avec Patru ; mais Patru , correct & froid ,
n'a fu que retrancher des défauts dans l'éloquence
judiciaire ; il n'en a connu ni le caractère , ni les
reffources , ni les effets . Quelques vers de Defpréaux ,
qui atteftent la vertu & l'amitié qui le lioit avec les
beaux génies de fon fiècle , font plus aujourd'hui pour
fa renommée, que les Ouvrages
On trouve autant de bon efprit & bien plus de
talent dans un Avocat qui a précédé la génération
Ja plus diftinguée du Falais , celle fur laquelle je
vais particulièrement m'arrêter , c'eft Érard , dont
nous avons un Volume de Plaidoyers. Il eft bien
loin de l'éloquence des grands Hommes de fon
fiècle , mais il en a la raifon & le goût. Il difcute
avec fagacité & nobleffe ; il écrit avec élégance ; &
quoiqu'enclin au ton de l'épigramme & de la fatyre ,
ily conferve de la dignité & de la meſure. Le Recueil
de fes Plaidoyers mérite d'entrer dans un bon
DE FRANCE. 157
!
plan d'inftruction pour les jeunes Élèves du Barreau.
Il y a eu un intervalle de temps confidérable entre
Érard , & les Normand , les Aubry , les Cochin , les
Terraffon , les Laverdy , qui , en paroiffant enfemble
, ont formé la plus belle époque du Barreau.
Malheureufement nous pouvons moins apprécier
leurs talens , parce qu'on n'a pas recueilli les plus
beaux Ouvrages de plufieurs d'entre- cux ; on ne les
trouve qu'épars dans d'immenfes Collections de
Factums & de Mémoires. D'après plufieurs Écrits de
le Normand , il m'a paru qu'il avoit beaucoup plus
pour mérite diftinctif une difcuffion ferme & noble ,
que cette vive fenfibilité de l'âme , qui paffionne
toutes les idées , & cette richeffe d'imagination qui
les pare d'une grâce toujours variée , lefquelles
feules , avec une forte raifon , conftituent l'éloquence
, & font les fources d'un beau ftyle ; mais
tout le charme que l'on pourroit defirer dans fon
talent fe trouvoit dans fa perfonne. Il couvroit
la fcience de l'Avocat de toutes les grâces d'un
homme du monde , & de l'attrait bien plus puiffant
encore des fentimens généreux. Bon & affable à
tous les hommes , il ne fe refufoit pas à la fociété
des Grands , au milieu defquels il exerçoit cet empire
flatteur qui appartiendra toujours à trois nobles
avantages qui relevoient en lui le don de plaire ,
une belle figure , une grande réputation & un beau
caractère.
Aubry eut un autre genre de mérite . Efprit trèsbon
& très -fin en même temps , il adopta un genre
de plaidoyerie qui lui étoit propre ; maniant la plaifanterie
avec beaucoup de goût & de nobleffe , il la
fit entrer dans les objets le plus févères , dans le miniftère
le plus grave ; elle faifoit à la fois la parure
& fa force.
Terraffon , dont il nous refte un Volume , eft bien
moins connu qu'il ne le mérite . Son Livre , qui
15.8
MERCURE
contient des Plaidoyers & des Difcours analogues à ..
la profeffion d'Avocat , eft très rare , & mérite d'être
recherché. Il n'eut pas un goût auffi fage que les
Avocats dont je viens de parler ; il eft plus bel ef
prit qu'Orateur ; mais il les furpaffe tous en talent
de ftyle ; il cft plein d'expreffions brillantes d'efprit
ou d'imagination . Il eut moins de réputation au Barreau
par une raiſon qui devoit lui faire produire de
meilleurs Ouvrages, c'eft qu'il étoit à la fois Avocat
& Homme de Lettres ; il a été un des meilleurs &
des plus laborieux Rédacteurs du Journal des Savans.
Laverdy a été diftingué au milieu de ces Hommes
célèbres , dont il a été plutôt l'émule que le rival , &
c'eft encore un affez grand éloge.
étoit
Ces contemporains de Cochin n'ont fervi qu'à
donner plus d'éclat à la renommée. Ses Ouvrages ne
font lûs que par les hommes du Barreau , mais fon
nom eft au nombre des noms les plus fameux. On
a recucilli tout ce qu'il a écrit , & cela compofe fix
Volumes in-4°. En les lifant , on cherche les cauſes
d'une fi belle gloire , & on eft forcé , pour l'expliquer,
de croire que le Cochin de l'audience ,.
un autre homme que celui que nous retrouvons dans
fes Écrits. Tant de bons Juges qui l'ont entendu dépofent
affez de toute l'admiration qu'il excitoit. Je
fouferis volontiers à des témoignages fi univerfels ,
fi impofans. Je n'examine ici que le talent de l'Écrivain
. Et dans cette partie même , perfonne ne fent
plus que moi fon vrai mérite ; mais j'avoue qu'il
falloit avoir une grande envie d'établir un mo
dèle dans l'éloquence du Barreau , pour lui déférer
cet honneur . Cochin doit certainement refter
un des premiers Avocats ; mais il n'eft ni un grand
Jurifconfulte ni un grand Orateur. Lifez fes plus
beaux Mémoires , vous y verrez une difcuffion
nette & préciſe , jamais ni de vaftes développemens
ni de grands principes créés , ni d'er-
>
DE FRANCE.
159
fon
reurs & de préjugés détruits. Communément dans
fon ftyle , il ne tombe ni ne s'élève , parce que
ftyle n'eft guère que celui d'une difcuffion d'affaires.
Il a cependant un certain nombre de Mémoires
vraiment diftingués. Dans ceux ci , fes plans
font conçus avec peu d'étendue , mais avec une grande
jufteffe d'efprit ; fon ftyle a de la force , de la fimplicité
, mais de la féchereffe ; il n'élève jamais ni
l'âme ni l'efprit; il a fi peu le talent du ftyle , que
toutes les fois qu'il veut ou animer fa penſée , ou
colorer fon expreffion, il approche du mauvais goût.
Cependant ( dans une douzaine de fes Ouvrages ) il
retient & il attache fon Lecteur ; c'eft qu'il pofsède
à un haut degré une des qualités les plus précieufes
de l'art d'écrire , la rapidité ; il preffe fes idées ,
ferre fa phrafe , il avance toujours ; & comme il y a
une très-bonne logique dans fa compofition , on le
foit fans embarras & fans fatigue. Je fuis d'autant
plus étonné qu'on ait voulu l'ériger en modèle , qu'on
a mieux fait avant & après lui , qu'il n'a rien corrigé
, rien ajouté dans fon art , & qu'il paroît plutôt
s'être propofé d'en retrécir l'enceinte que d'en reculer
les bornes. Je le répète , c'eft un Avocat d'un grand
mérite ; mais , j'ofe le dire , c'eft un talent du fecond
ordre.
S'il falloit fixer les rangs entre tous les hommes
fupérieurs qui ont illuftre cette époque de l'hiftoire
du Barreau , je placerois bien au- deffus d'eux tous , le
Chancelier d'Agueffeau . Je fais que fa philofophie
* Dans les trois quarts de fa Collection , il n'en fa
loit pas d'autres. Ce n'eft pas lui qui a tort de n'être pas
attachant dans des Ouvrages où il fuffit d'être judicieux )
clair & précis ; c'eft fon Editeur , qui auroit dû voir que
tous les travaux d'un Avocat ne font pas dignes de furvivre
aux procès qui les ont fait naître.
$
160 MERCURE
fut timide, & fon éloquence fans originalité ; mais
fa fcience étoit immenſe , & ſon efprit , fecondé par
une prodigieufe mémoire , étoit vafte , fécond , bien
ordonné; perfonne ne l'a égalé dans le grand mérite
de bien raffembler tous les principes d'une matière
, & d'en faire un corps de fcience ; toutes fes
ouvertures de moyens dans fes beaux Plaidoyers font
d'excellens Traités. Ses plaidoyers me paroiffent en
général mieux écrits que fes Difcours & fes Mercuriales.
Son élégance y eft plus fage & plus noble , & la
majesté des Loix paffe fouvent dans ſon ſtyle ; mais
elle s'y montre dans un trop grand repos , car le
calme même de la fageffe & de la puiffance doit
être animé. Il n'étoit pas né pour réformer notre Jurifprudence
, mais pour l'éclairer.
La mémoire de tous ces hommes célèbres étoit
encore récente au Barreau au moment où M. Legouvé
y eft entré ; il a pu recueillir leur efprit ,
qui étoit confervé avec refpect par des hommes qui
les avoient vus , & qui les imitoient. Pourrois -je me
refufer au plaisir de citer encore à mes Confrères
& au Public des noms refpectés & chéris ? Les premiers
hommes du Barreau à cette feconde époque
furent : *
M. de la Monnoye , plein de fineffe dans les
idées comme dans la figure , portant au Barreau le
ton d'une converfation facile & noble , un de ces
hommes dont les qualités aimables appellent toutes
les récompenfes du mérite , & pour qui le refpect
devient de l'attachement.
* J'ai rédigé le morceau qu'on va lire , d'après des converfations
avec plufieurs de mes Confrères , d'après des
faits connus , & fur- tout d'après des notes qui m'ont été
données par l'Homme du Barreau en qui je pouvois avoir ,
à tous égards , le plus de confiance.
DE FRANCE. 161
-M. Simon de Manfare , un des Avocats qui a
parlé avec le plus de nobleffe & de graces au Barreau
de Paris , peu inftruit , ayant befoin d'être
guidé & éclairé , mais donnant un plus grand prix
aux connoiffances qu'on lui fourniffoit
M. Guyot de Reverfeaux , grand Jurifconfulte
par fes connoiffances & la force de fon efprit ,
Orateur qui avoit plus d'énergie que de graces ;
homme dont le caractère quelquefois dur & impérieux
imprimoit une forte de crainte dans le refpet
qu'on lui devoit & dans la grande autorité
qu'il avoit obtenue.
M. Duvaudier , qui a eu & mérité de grands fuccès
, eftimé & aimé dans le grand monde , où il a
toujours vécu.
M. Degennes , d'une timidité fi extrême, qu'il n'a
jamais pu feulement envifager l'Audience où il
devoit plaider , qui n'a fait que des Mémoires ;
mais ces Mémoires réuniffent le talent du Jurifconfulte
& celui de l'Homme de Lettres.
M. Bigot , homme auftère dans fes principes &
fes moeurs , & ayant le talent des hommes de ce
caractère , une vaſte inſtruction & un efprit trèsfolide.
M. Doucet , ayant de grands fuccès à l'Audience.
par la fupériorité feule de fa logique , & dans le caractère
duquel la fimplicité d'un enfant faifoit un contrafte
piquant avec cette puiffance du raiſonnement.
M. Mallard , homme vraiment extraordinaire ,
ignoré pendant vingt ans , l'oracle de la France pendant
les dix dernières années de fa vie , qui acquit
cette célébrité fans avoir ni plaidé ni prefqu'écrit ,
uniquement par les richeffes & les reffources que l'on
puifoit dans fa converfation , plein d'inftruction &
de talent dans tous les genres , qui , après avoir
donné à un jeune Avocat le plan de la plus folide
défenſe , lui traçoit & lui efquiffoit celui du Plaidoyer
162 MERCURE
le plus éloquent ; à qui des Appréciateurs , qui ont
le droit d'être difficiles , ne font pas difficulté d'accorder
le titre d'Homme de génie ; & daus fa
conduite privée , homme d'une probité égale à ſa
réputation.
MM. Gillet , l'Herminier & Cellier , favans Jurifconfultes,
habiles Confultans , qui auroient honoré
l'ordre des Avocats dans toutes les époques.
M. Caillard , de qui on pourroit dire qu'il ne
favoit que plaider ; froid , taciturne , indifférent ,
inhabile fur - tout : voilà ce qu'il paroiffoit dans
le monde , dans les confultations , dans fon cabinet
même . Il lui falloit abſolument le Barreau & le
bonnet quarré ; alors ce n'étoit plus le mêmehome.
On voyoit un efprit très-net , très-nourri des principes
de la Jurifprudence , & de la conception la plus:
facile ; il ne lui falloit qu'un rapide examen des piè
ces d'un procès & de fes livres pour le trouver en
état de plaider. Il étonnoit fur-tout par l'abondance
de la parole. C'étoit un fpectacle attachant de voir un
homme, à qui l'on auroit auparavant refufé quelqu'ef
prit , s'élevant avec un extérieur modeſte & timide ,
parlant avec une voix claire & affez agréable , mais
que l'on auroit toujours cru prête à s'éteindre , fourniflant
cependant deux ou trois heures de plaidoierie
( tant que l'on auroit voulu ) , fans jamais fe
trouver ni dérangé dans fon plan & fes idées , ni
embarraffé dans fes expreffions , s'élevant toujours
au- deffus du bavardage , n'arrivant jamais à l'élo--
quence , mais ne manquant pas de graces dans le
débit & dans l'élocution , & ayant fouvent dans la
difcuffion une manière élevée.
Enfin , M. Loyfau de Mauléon , qui a marqué
dans l'hiftoire du Barreau par des fuccès & des
écarts. M. Loyfau de Mauléon vouloit porter les
talens de l'Homine de Lettres dans les travaux de
l'Avocat . Rien de mieux conçu que cette réunion , ti
DE FRANCE. 163
naturelle & fi fimple , qu'elle n'auroit jamais dû
étonner. Mais il manquoit de ce qu'il faut dans ces
deux carrières , un efprit fort & étendu , & un ftyle
éloquent ; il étoit borné dans fes connoiffances & fes
vûes, foible dans fa logique , bel- efprit dans fa
manière d'écrire. Il fe contentoit de plaire dans des
Ouvrages où il faut éclairer & échauffer , & ou rien
n'eſt beau que ce qui eft en même temps folide & vrai.
Auffi , en voulant attacher dans les Écrits du Barreau ,
il n'a guère fu qu'y porter les graces frivoles & l'afféterie
des mauvais romans. Son genre a eu du fuccès
dans fa nouveauté , parce qu'il étoit foutenu par du
bon efprit & du talent ; il eft devenu infupportable
dans fes imitateurs . Indépendamment de ce que
fes Mémoires ont long- temps gâté le goût des jeunes
Avocats , ils ont encore produit un grand mál ,
celui de faire croire à beaucoup d'efprits eftimables ,"
mais qui ne fe donnent pas la peine de bien examiner
la queftion , que les Ouvrages de notre Barreau
n'admettent ni les grandes vûes de la Philofophie ,
ni les grandes beautés de l'Eloquence . Je parle un
peu févèrement de M. Loyfau , de même que je l'ai
déjà fait de Cochin '; il importe fur-tout de difcuter
le mérite des hommes dont une admiration jufte ou
injufte a fait des modèles . Les défauts de cet Écrivain
ne font pas l'unique chofe que j'aie à relever en
lui. Il a plufieurs Mémoires où il eft au- deffus de
genre , & ceux - là ont de la dignité & de l'inté
rêt. Il s'eft même élevé quelquefois à la véritable
Éloquence , fur tout dans quelques morceaux de
fon Mémoire pour les Calas 11 eft mort jeuue , &
généralement eftimé & regretté.
fon
C'eft au milieu de ces hommes que M. Legouvé
avoit commencé fa carrière. Je pourrois encore rappeler
plufieurs Avocats d'un mérite égal ; mais ils
font vivans , & le bonheur de les conferver pourroit
164
MERCURE
rendre fufpect de flatterie l'hommage qui leur feroit
rendu.
Il eft rare au Barreau qu'un homme d'un talent
fupérieur arrive tout de fuite à fa place ; il faut qu'il
y avancé de fuccès en faccès, & que des petites caules,
il s'élève aux grandes. Il eft des talens qui fe dégradent
dans les petits objets ; il en eft d'autres qui ne
font qu'y acquérir des qualités nouvelles ; & ceux- ci
font les véritables , car il eft de leur nature de tourner
tout à leur avantage . M. Legouvé n'eut pas à
fe repentir d'avoir paffé plufieurs années dans les
Occupations les plus sèches & les moins relevées du
Palais ; mais il ne tarda pas à être apprécié . De
bonne heure il fut appelé à la défenfe des affaires
qui attirent l'attention publique , & défigné comme
un des Avocats qui feroient le plus d'honneur au
Barreau.
En 1761 , il s'éleva une Caufe qui occupa l'Europe
entière pendant plufieurs années , & qui , par
fon influence & fes fuites , tiendra une grande place
dans l'Hiſtoire de notre fiècle , c'eft celle des Frères
Léoncy , contre la Société des Jéfuites . Je ne préfenterai
pas le précis de cette affaire : qui ne la connoît
pas ? Mais je remarquerai comme une circonftance
que je me plais à recueillir dans certe Caufe ,
qu'elle a commencé ou cimenté la réputation de
trois Avocats , dont les noms font bien faits pour
être unis , MM. Gerbier , Target & Legouvé. Chacun
d'eux y recueillit le genre de gloire qui convenoit
à fon talent. M. Gerbier y déploya cette éloquence
franche & noble , qui ne procède fouvent
qu'avec la difcuffion fimple d'un efprit juſte & net ,
mais qui s'élève ou fe paffionne dans tout ce qui y
eft grand ou pathétique , & qui accroît encore fes
effets, en paffant par l'organe & l'action d'un homme
doué de toutes les grâces du naturel & de toute la
DE FRANCE. 165
puiffance des fortes émotions. M. Target , en déve
loppant le premier les Conftitutions des Jéfuites , y
trouvoit un fujet qui appeloit naturellement ces
vaftes connoiflances , cet efprit cultivé par la Littérature
, fin & profond en même-temps , qui fe
mêlant chez lui à tous les mouvemens de l'âme , lui
donnent , avec une gloire égale , un autre genre d'éloquence.
M. Legouvé a foutenu , fans en être
effacé , cette glorieufe concurrence. Son Plaidoyer
eft un des meilleurs Ouvrages de ce genre . Il réunit
la dignité d'une Caufe nationale à cette force de
Logique qui , dans la difcuffion de ces grands inté
rêts , devenoit la principale partie de l'Eloquence.
Depuis , M. Legouvé s'eft trouvé dans toutes
les grandes Caufes. Comme il réuniffoit au talent de
plaider celui de mieux écrire encore , il a fait beaucoup
de Mémoires , & c'eſt par eux fur-tout qu'il
faut l'apprécier. On y remarque un Écrivain formé
fur les bons modèles , & un Jurifconfulte du premier
ordre. Il ordonne fes plans d'une manière fupérieure
; il remonte toujours aux grands principes
fur chaque matière , & il en fait toujours les motifs
de décifion . Il en braffe tout dans fes fujets , &
traite tout avec précifion & clarté . Il eft admirable
fur- tour dans les queftions abftraites : c'eft - là
qu'il déploie deux qualités importantes dans un
Avocat, qui doivent toujours aller enfemble , &
qu'il poffédoit dans un degré égal , la fagacité & la
méthode . Un autre mérite encore bien précieux qui
me frappe dans les Écrits de M. Legouvé , c'eft de
rendre toujours compte des motifs de la loi , de les
rapprocher de la raifon commune , & , autant qu'il
le peut , de la faire aimer ; fervice particulier qu'il
appartient aux Avocats de rendre à la Société. Il
fentoit le befoin de porter de l'intérêt dans les écrits
folides ; mais il n'admettoit d'autres ornemens dans
fon ftyle, que ces impreffions de l'ame qu'un homme
166 MERCURE
de bien éprouve dans la défenſe des Citoyens , &
ces ornemens fimples & graves qu'un homme de
goût & de talent faifit dans fon fujet même. J'ofe
dire qu'un grand nombre de fes Mémoires & de fes
Confultations font des modèles de difcuffions bien
faites & bien écrites .
M. Legouvé fe retira de la Plaidoieric bien avant
que l'âge l'y forçât , pour fe donner tout entier à la
Confultation , où fes connoiffances & la fageffe de
fon efprit l'appeloient déjà ; & en changeant de carrière,
il ne fit que changer de fuccès. On ignore trop
dans le monde tout ce qu'un Avocat peut faire de
bien par les lumières & les confeils qu'on va poiſer
dans fon cabinet. On ne remarque pas même affez
combien cette fonction , quand elle eft dignement
remplie , eft touchante & augufte. Il faut que tout fe
corrompe & dégénère ; c'eft la deftinée des meilleures
inftitutions . Le plus grand des maux dans
l'ordre des Avocats , feroit que cette fonction ne fût
plus exercée avec le plus faint refpect . Rappelonsnous
fans ceffe tout ce qu'elle a de beau , de noble
& d'utile , pour ne refter jamais au- deffous de fes
devoirs. J'ai effayé autrefois d'en tracer le tableau :
qu'on me permette de le replacer ici * .
Refpectons , honorons ces Hommes à qui l'é
» tude & l'expérience , leur gloire & leurs fervices
» ont décerné pour repos l'emploi de la ſageſſe . La
confiance de leurs Concitoyens leur a dreffé dans
» leurs foyers une forte de Tribunal , où elle les in-
» terroge fans ceffe comme les Arbitres du jufte &
de l'injufte , & comme les Docteurs de la loi, s'ils
» n'en font pas les Dépofitaires. C'eft dans ces retraites
révérées que l'infortuné reçoit des confolations
, l'ignorant , des confeils , l'opprimé , dos
» fecours ; que la chicane & l'iniquité font toujours
53.
* Effai fur l'Eloquence du Barreau , imprimé en 1779: ›
DE FRANCE. 167
20
Je dévoilées & profcrites ; que la connoiffance des
» hommes s'unit à celle des loix pour étouffer les
» deffeins funeftes & défarmer les paffions ; que
» l'homme obſtiné & l'homme dur s'étonnent quelquefois
d'avoir fait des facrifices , l'un à la raifon ,
» l'autre à l'humanité , & que des ennemis arrivent
» avec des projets de vengeance , & le donnent des
» paroles de paix , c'eft- là qu'un homme de bien
» repofe entre les bonnes actions du jour & celles du
» lendemain ; que les moeurs antiques décorent digne-
≫ment la fcience profonde ; que les réformes de la
» Juftice doivent être méditées , & que la difcipline
» du Barreau doit trouver des furveillans attentifs &
des défenfeurs intrépides ; que les préjugés ne doi-
» vent pas s'élever contre les innovations utiles ;
qu'une bienveillance éclairée doit proclamer le
» mérite inconnu , & que l'augufte vieilleffe doit
diftribuer à propos des éloges folemnels : les
éloges des vieillards font pour les jeunes talens
» ce que font les bénédictions des pères pour les
» enfans vertueux. »
ל כ
Je goûte une fatisfaction bien pure en décla
rant que je n'ai pas puifé ce modèle uniquement dans
mon imagination. Admis dans l'intimité de plufieurs
de mes anciens Confrères , j'ai raffemblé ce que
j'avois vu J'avois fur -tout alors M. Legouvé fous
les yeux ; & en lui appliquant ce portrait , je ne fais
que lui rendre ce que j'en ai emprunté.
Il eſt encore dans la carrière de l'Avocat un troifième
genre de gloire & de fervices , c'eſt celui de
donner à la Jurifprudence des Traités qui en raffemblent
& en expliquent bien les principes , & qui
puiffent en préparer la réforme. Quand on fonge
que dans aucune Science les bons Ouvrages ne manquent
autant que dans la nôtre , & qu'une des
grandes caufes de ce malheur eft que les Livres
de ceue Science , depuis près d'un fiècle , n'ont pref168
MERCURE
que jamais été faits que par des hommes incapables
d'obtenir quelques fuccès au Barreau , on ne
peut apprendre fans regret qu'un des meilleurs Jurifconfultes
de notre temps ait commencé , fans l'avoir
fini , un Traité où il raſſembloit à deffein toutes
les queftions les plus vaftes , les plus compliquées ,
les plus abftraites de la Jurifprudence . Il étoit fingulièrement
propre à y répandre une grande lumière
& même un grand intérêt. C'eft dans un pareil
Ouvrage qu'il auroit pu développer tout ce qu'il avoit
dans l'efprit d'étendue & de fagacité. Malgré tout ce
qu'il a eu de mérite , fa réputation auroit été fondée
effentiellement fur ce Livre , qui , travaillé avec tout
fon zèle & fon talent , feroit refté comme un des
plus précieux & des mieux faits de la Jurifprudence.
Faut- il que mon affection pour fa mémoire m'autorife
à lui faire un reproche , & c'eft le feul qu'il ait
pu encourir , celui de s'être trop dévoué à la confiance
publique , & d'avoir négligé un monument
auffi utile , qu'il nous avoit fait efpérer ? Hélas ! il
différoit cet Ouvrage , mais il ne l'oublioit pas ; il le
réfervoit comme fon occupation chérie ; elle lui
eût donné en effet tout le bonheur qu'un bon efprit
doit goûter à voir la Science qu'il cultive fe
perfectionner fous fes propres travaux .
Tels furent les talens & les travaux de M. Legouvé
. Mais pourrois-je oublier que fa Profeffion
ne s'honore de rien davantage que des qualités
morales & des vertus particulières qu'elle s'impofe ,
& fur-tout qu'elles furent la plus belle gloire de
l'homme dont je dois expofer le mérite ? Les coeurs
de tous ceux qui l'ont connu m'attendent à cet endroit
, & le mien auffi defire depuis long-temps d'y
arriver.
M. Legouvé avoit fait des principes de fa Profeffion
les fentimens habituels de fon ame. Pénétré
de tout le bien & de tout le mal qu'un Avocat peut
faire
DE FRANCE. 169
› ne
faire à fes Cliens & à la Société , il apportoit dans
tous les travaux la plus fcrupuleufe attention
donnant jamais un confeil fans avoir acquis la plus
grande inftruction fur les faits & fur les loix , &
fans en avoir pelé toutes les conféquences ; jugeant
une affaire qu'on lui propofoit à défendre avec la
plus févère impartialité ; repouffant une mauvaiſe
caufe avec cette averfion qu'elle infpire naturellement
à un efprit droit & à un coeur honnête ; fe livrant
à la bonne avec ce zèle que l'on doit à l'homme
perfécuté, & cette confiance que l'on doit à fes propres
principes ; intrépide pour dire les vérités néceffaires,
ne profanant jamais fon miniſtère par une
injure, impofant à fon Client la modération , fous
peine d'abandonner fa caufe , & prenant fous fa
garde l'honneur de fon adverfaire ; plus empreffé à
bien faire qu'à faire beaucoup plus avide d'eftime
que de célébrité , & bien plus délicat encore par fa
confcience que pour fon honneur. Un Magiftrat ne
peut apporter plus de vertus dans les fonctions
publiques , qu'il n'en mettoit dans les occupations
intérieures de fon cabinet.
Auffi défintéreffé que fidèle dans fon ministère ,
il penfoit qu'un Avocat ne devoit ni rechercher ni
efpérer une grande fortune , qu'il devoit fe trouver
heureux d'une médiocrité honorable. Son temps ,
fon travail , fes foins , fes fecours même étoient
prodigués aux indigens , qu'il favoit diſtinguer à
travers tous ces voiles dont ils s'efforcent de couvrir
leur misère , pour arrêter les douloureux facrifices de
leur reconnoiffance , & pour leur accorder plus
d'intérêt & d'égards. Il n'éprouvoit fouvent que de
l'ingratitude de la part des gens les plus riches ; il
n'en étoit ni étonné ni affecté ; ces défagrémens de
l'état d'Avocat lui paroiffoient les charges naturelles
Nº. 17 , 27 Avril 1782 ,
H
170
MERCURE
de toute la confidération publique où il permet d'af
pirer.
Il portoit cette noble probité jufques dans fes
affaires domeftiques. Il eft des moyens légitimes
d'avancement qu il ne fe permettoit pas , des droits
qu'il ne vouloit pas exercer , des facrifices qu'il s'impoloit.
Ce qui conviendroit à un autre homme ,
difoit- il , ne conviendroit pas à un Avocat. Les
hommes ne peuvent être ni injuftes ni infenfibles
pour de telles vertus ; elles furent récompenfées par
les marques d'eftime les plus flatteufes & les plus
touchantes. Ceux qui avoient quelque chofe à contefter
avec M, Legouvé, le forçoient de décider luimênie
dans fa caufe , & c'étoit un moyen affuré de
gagner un procès douteux. Quand on avoit befoin
d'un Défenfeur , dont le nom feul fût une autorité
pour la caufe , il étoit du nombre de ceux que la voix
publique défignoit . On croyoit avoir déjà gagné quelque
chofe de fon procès , quand on avoit fon fùffrage
; & les Magiftrats , dans le Sanctuaire des
Loix , prenoient plus de confiance dans leurs Arrêts
, quand ils étoient conformes à fes déciſions.
Combien l'homme de bien a de nobles privilèges !
L'impreffion de fes vertus , autant que la douce infinuation
de fes difcours, difpofoit aux bonnes actions
qu'il confeilloit à fes Cliens & à fes amis ; & tous
ceux qui avoient befoin des talens d'un Avocat, n'ofoient
réclamer les fiens ; fa bonne renommée veil-
Joit à la porte , pour en écarter les malhonnêtes
gens,
Celui qui devoit à fa Profeffion tant de contentement
intérieur & une gloire fi pure devoit beau
coup l'aimer, M, Legouvé l'aimoit dans tous ceux
qui la cultivoient avec honneur. Lorfque des hom
mes fe prefcrivirent des devoirs & le proposèrent
des honneurs communs , fentant le befoin d'étouffer
DE FRANCE. 171
&
fenvie & de faire naître l'amitié de la rivalité même,
ils fe donnèrent un nom qui rappelle les rapports
T'union des frères ! Quelle belle & heureuſe inftitu
tion ! Quelle idée elle donne des hommes dont
elle doit diriger toute la conduite à eux-mêmes &,
aux autres ! Mais depuis long- temps ce mot tou
chant de la confraternité ne réveille plus dans les
ames les mêmes devoirs , les mêmes fentimens , les
mêmes idées. L'égoïfme de nos jours à prévalu. Oppofons
à les triftes maximes le peu de bons exemples
que nous pouvons encore citer. Cette vertu
fut encore éminemment celle de M. Legouvé. Il honoroit
fes anciens Confrères avec une forte de ref
pect filial ; il chériffoit les jeunes pour les espérances
qu'ils donnoient ; fon bonheur étoit de leur être
utile , & d'en être aimé.
Un Avocat de ce mérite , un fi homme de bien ,
méritoit d'être heureux & il le fut : il m'eft bien doux
de pouvoir tirer ce réfultat de l'examen de fa vie ;
en général elle s'eft écoulée dans toute la fatisfaction
des profpérités domeftiques , & dans toute
cette confidération publique attachée aux talens ,
aux vertus , aux fervices de fon état.. Heureux dans
fa famille , qui s'honotoit de lui , & où il ne vit
jamais que des performes dignes de toute fon affection
; heureux dans une époufe qui veilloit fur fon
bonheur , comme fur le plus cher & le plus facré
des dépôts ; heureux dans un fils unique , dont l'éducation
faifoit fon plus doux délaffement , qui entroit
dans cet âge où le coeur d'un fils peut s'acquitter
envers fon père , & ou leur tendreffe commune
s'accroît de toutes les délices de l'amitié ; heureux
même dans fa fortune , que la faveur des événemens
avoit augmentée au-delà de fes eſpérances &
de fon ambition , & qui , adminiftrée avec toute la
Hij
171 MERCURE
fageffe & la modeftie de fon caractere , lui a precuré
ce bonheur honorable , qui fuffiroit feul à
l'éloge d'un autre , d'avoir été fenfible & généreux
envers les infortunés , fes amis , fes parens , autant
qu'elle le lui a permis ; heureux fous tous les afpects
de la vie ; que lui a -t'il manqué , que d'en jouir plus
long-temps ? Telle a été fa deſtinée , que prefque
fon unique malheur a été de perdre , dans les quinze
années qu'il pouvoit encore fournir avec gloire ,
toutes les confolations dont un bon père , un bon
époux , un bon ami , un grand Avocat & un homme
de bien peut environner fa vieilleffe . Chaque homme
reçoit fa phyfionomie du caractère de fa paffion
dominante. Ce bonheur habituel refpiroit fur celle
de M. Legouvé ; elle n'annonçoit ni la gaîté vive ,
ni la joie bruyante , mais la paix douce & noble
d'une âme qui jouit de la modération de fes defirs &
des bons témoignages de fa confcience. Ainfi , il
avoit pour attrait particulier la férénité de la vertu.
Cette férénité de fon âme & de fon vifage s'eft confervée
jufques dans les bras de la mort ; il a expiré
dans un doux fommeil . Il a fait lui - même toute fon
hiftoire dans cette parole , qui termina fes derniers
confeils à fon fils ; Je vous fouhaite , lui dit-il , une
vie auffi pure & une mort auffi douce que la mienne
parole qui émeut & qui confele , la plus touchante
bénédiction de la tendreffe paternelle , & le plus bel
ádica que
l'homme de bien puiffe faire à la vie.
Chacun de fes amis trouve dans fon coeur des
motifs particuliers à fes regrets ; qu'il me foit permis
de déposer les miens dans ce foible monument que
je lui confacre ; qu'il me foit permis de parler de
moi un inftant , pour fatisfaire à la reconnoiffance .
Arrivé , il y a fix ans , dans cette Capitale , & n'ayant
d'autre titre pour intéreffer que le befoin même de
trouver des amis dans des hommes faits pour me
DE FRANCE.
.ילז
guider & m'éclairer , le premier de tous , il daigna
m'accueillir , m'encourager & me faire jouir de tous
les fruits de fon amitié. Le premier ami que l'on
trouve dans le temps de l'abandon , eft le plus touchant
des bienfaiteurs . Hélas ! le premier de mes
amis étoit celui que je devois perdre le premier ! La
douleur attachée à ce fouvenir a quelque charmes
& , quelle que foit l'impreffion de cet Écrit , je fens
qu'il me fera précieux toute ma vie d'y retrouver
l'image d'un homme à qui je devois tant d'affection
& de refpect.
( Cet Article eft de M. Lacretelle. )
Explication de l'Énigme & du Logogryphe
du Mercure précédent.
LE mot de l'Enigme eſt Plaiſir ; celui du
Logogryphe eft Moustache , où fe trouvent
Mufe , Sem , Cham , as , tache & tache
( d'ouvrage. )
ENIGM E.
Sous mille formes différentes.
Nous reparoiffons chaque jour
Et difparoiffons tour-à-tour,
Tantôt légères , élégantes,
Et tantôt riches & brillantes.
Quoiqu'on nous arme de piquans
Nous ne fommes point malfaifantes ,
par fois au goût de bien des Mais malfaites gens.
H iij
174 MERCURE
Que nos deftins auffi , Lecteur , font différens !
Les unes , & ce font fans doute les aînées ,
Au plus haut pofte en tout temps élevécs,
Paroiffent naître avec les fleurs ,
"
Et de la liberté goûter quelques douceurs ;
Tandis qu'en efclaves traitées ,
Les autres tout le jour avec force arrêtées
Occupent le plus bas degré ;
Mais elles font auffi la nuit en liberté,
Et celles- là pour lors en efelavage.
Dans le fiècle dernier , fiècle à bon droit vanté
Les premières encor tenoient grand éralage ,
Mais aujourd'hui les autres ont leur tour
Sans cependant avoir changé de place ,
Et font dans la plus belle paffe ,
Tandis qu'on voit tomber les autres chaque jour:
Pour vous dire enfin qui nous fʊmmes
Et mieux encor nous définir ,
Sachez que l'on nous voit également fervir
Les animaux , les belles & les hommes..
Apprenez encor , pour ceffer
Ce long détail , qui , je crois , vous entête ,
Que fans avoir ni piés ni tête ,
Nous ne faurions nous en paffer..
Par le P. St. P. , Capucin. )
DE FRANCE 179
JE
LOGO GRYPH E.
E déchire , je mords impitoyablement ;
Plus mes coups font cruels , & plus on les eſtime.
Jamais pourtant je ne commis de crime ,
Quoique pour te venger je ferve d'inftrument.
A me voir pour le mal un penchant auffi tendre ,
Tu devines d'abord de quel genre je fuis ;
Refte , cher Lecteur , à t'apprendre
Combien en moi l'on peut trouver d'appuis.
J'en vois neufbien comptés ; quatre font fous ta man
Les autres te diront le nom d'un Souverain
Dont le fils fut vaincu par le bouillant Achille
Un oifeau babillard ; un Pontife ; une ville ,
Prife jadis par les Grecs réunis ;
Ce qui d'auprès de nous chaffe les Jeux , les Ris ;
D'un pauvre Auteur le caffe tête;
Un mal affreux ; un élément ;
L'attribut de Cérès..... Mais , Lecteur , je m'arrête ,
C'en eft affez , tu dois me connoître à préſentîmbute
115 297 ( Par M. C. de G. , Officier au Régiment
de Boulonnois. )
R.
H iv
176 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE Générale & Particulière de
Bourgogne , avec les preuves juftificatives ,
compofée fur les Auteurs , les Titres originaux
, les Regiftres publics , les Cartulaires
des Eglifes Cathédrales & Colle
giales , des Abbayes & autres anciens
monumens , &c. par Dom Plancher , Religieux
Bénédictin de l'Abbaye de Saint-
Bénigne de Dijon , & de la Congrégation
de Saint - Maur , continuée par un Religieux
Bénédictin de la même Congrégation
, & de la Province de Bourgogne.
In-folio , Tome IV . & dernier . A Dijon ,
chez Frantin , Imprimeur du Roi ; & à
Paris , chez Moutard , rue des Mathurins.
1
CEST par l'Hiftoire particulière , bien
prouvée & bien détaillée , de chaque Province,
qu'on prétend parvenir à donner un
jour une bonne Hiftoire générale de la Frances
comme c'eft par l'amas des en
expériences
tout genre qu'on parviendra peut-être un
jour à un fyftême du monde qui ne foit pas
chimérique on a commencé par les fyftêmes
, c'eft à- dire , par les chimères , & on
en est revenu aux expériences ; de même , on
a commencé par les Hiftoires générales de
France , avant d'en avoir les matériaux , qui
DE FRANCE. 177
ne peuvent être fournis que par la multitude
des Hiftoires particulières & des titres fur
lefquels elles font fondées. Les Bénédictins
de la Congrégation de St. Maur fe font chargés
de ce travail , lequel ne peut être fait que
par un Corps qui ne meurt point , & qui ne
change point , & auquel tous les dépôts ou
appartiennent ou font ouverts. Nous devons
déjà aux Bénédictins trois bonnes . Hiftoires
de ce genre ; celle de Languedoc , celle de
Bretagne & celle de Bourgogne , dont voici
le dernier volume. Ces trois Ouvrages ont le
fuprême mérite d'un Ouvrage favant , celui
de faire autorité & d'offrir des matériaux
sûrs à l'Hiftoire générale . Le P. Papon de
l'Oratoire , eft actuellement occupé d'une
Hiftoire de Provence qui ne cède en rien à
celles dont nous venons de parler.
La frivolité reproche de la prolixité à ces
grands corps d'Hiftoire ; mais leur mente,
eft de tout dire , de tout prouver , de tout
difcuter. Ne les regardez , fi vous voulez ,
que comme des matériaux que l'eloquence &
le goût mettront un jour plus à la portée des
gens du monde , qui ne veulent s'inftruire,
qu'en s'amulant ; des matériaux peuvent- ils
être trop abondans , une mine peut elle être,
trop riche , une fource trop feconde , & ne
vaut-il pas mieux avoir à choisir & à ré
duire , qu'à regretter & à étendre ?
L'Hiftoire de Bourgogne de Don Plancher a
& de fon Succeffeur , contient en tout quatre !
volumes in-folio , dont nous annonçons le
Hy
178 MERCURE
dernier qui eft en entier du Succeffeur. Lès
trois premiers volumes comprenoient dixfept
Livres , celui- ci en comprend fix ,..&
serend depuis l'Hiftoire de Philippe , furnommé
Le Bon , troisième Duc de Bourgogne
, de la feconde race , né à Dijon en
1396 , jufqu'à la paix de Nimègue , époque
ou la ceffion du Comté de Bourgogne à la
France termina entièrement la grande querelle
de la fucceffion de Bourgogne, en ôtant
tout moyen de pénétrer dans le Duché par
le Comté , ce qui jufqu'alors avoir ſouvent
été ou exécuté ou tenté par les ennemis de la
France , & ce qui avoit encore été proposé ,
en 1674 , par le Duc de Lorraine , Charles
IV , dans le cours de la guerre terminée
la paix de Nimègue..
par
Le moyen de donner à ces immenfes collections
une de leurs plus grandes utilités
confifte principalement dans les Tables . On
en trouve trois ici ; deux au commencement
du volume , & une à la fin. Les deux prenières
font , 1 °. la Table des Sommaires
c'eft- à- dire , des indications marginales des
différens articles de l'Hiftoire ; 29: la Table
des Preuves , c'eft- à- dire , de toutes les Pièces
juftificatives imprimées à la fin du volume..
La troisièmeTable, qui termine le volume,
eft une Table générale des noms propres &
des matières.
Cer Ouvrage a encore le mérite d'une belle
exécution Typographique..
DE FRANCE. 179
LES Après - Soupers de la Société , petit
Théâtre Lyrique & Moralfur les aventures
du jour. A Paris , chez l'Auteur , rue des
Bons- Enfans , la porte- cochère vis - à - vis
la cour des Fontaines du Palais Royal.
PARMI les petites Pièces qui compofent *
ce joli Recueil , il faut diftinguer celle du
Cayer que nous annonçons , intitulée la
Fauffe Porte. Cette Comédie eft en trois
Actes & en vers. Floricour & Damon
font tous deux amoureux de Lucile ; mais
Damon eft aimé , & Floricour fe fait
haïr par une jaloufie importune. La Scène fe
paffe dans une maifon habitée par Damon
& par Dorilas , père de Lucile , & le Théâtre
repréſente un veftibule commun aux deux
appartemens. La porte de Dorilas & celle
de Damon font en face l'une de l'autre ; une
troifième , cachée dans la cloifon , eft la
fauffe- porte. On fe fert de cette fauffe- porte
pour jouer plufieurs tours au jaloux Floricour
, qu'on veut rendre ridicule aux yeux
du père de Lucile par les accès d'une jaloufie
abfurde & injufte. Comme cette jolie
Comédie eft toute en fituations & en intrigue
, elle nous permet peu de citations.
Nous nous contenterons de rapporter
quelques fragmens d'une Scène qui a paru
charmante , & qui eft digne des éloges qu'elle
a reçus. Pour entendre cette Scène , il faut
favoir que Florife , riche héritière , avoit été
Hvi
180. MERCURE
promife à Damon ; mais ce mariage n'eft
pas du goût de Damon , qui a pris de l'amour
pour Lucile. Frontin , qui opine pour les
richeffes , a long-temps entretenu , au nom
de fon maître & à fon infçu , un commerce
de lettres avec cette même Florife , efpérant
toujours ramener fon maître vers elle . Le
hafard fait que Florife arrive chez Lucile ,
qui fe trouve fon amie de Couvent. D'après
les confidences qu'elles fe font mutuellement
, elles concluent que Damon eft un
fourbe qui les trompe toutes deux. Sur cela
arrive Damon . Florife fe cache , & Lucile
lui dit qu'elle a recours à lui pour une lettre
qu'elle a befoin de faire écrite par une main
étrangère. Damon apporte une petite table,
& tout ce qu'il faut pour écrire , & dit à
Lucile :
Tout eft prêt , ordonnez ce qu'il faut que j'écrive
LUCILE.
« Je viens d'apprendre , ma chère amie,
DAMON , (écrivant. )
❤Ma chère amie ,
LUC
Que le perfide , le panjured
on t
DAMO N..
LUCIL B179)
Le parjure,
¿ Skor Sup aque
Que j'ai tant aimé,
f
DE FRANCE.
DAMON, troublé , fans écrire. )
Quoi ! Madame , il ſe peut!...
LUCIL E.
Monfieur , écrivez donc,
DAMON, ( à part. )
"Eft- ce pour m'éprouver ? Il faut que je pourfuive,
Haut , écrivant. )
Tant aimé,
LUCIL E.
++
Nous trompoit toutes deux en même-temps.
DAMON, ( àpart. )
Je ne fais que penfer …..
LUCIL E.
Eh bien , Monfieur Damon !
DAMO N.
J'écris.... Affurément je n'ai trompé perfonne.
LUCIL E.
» Les lettres qu'il vous écrivoit ne font pas de fon
» écriture.
DAMON.
Je tremble , & je ne fais pourquoi ;
"
Car tous ces mots-la font une énigme pour moi.
LUCILE
Après cette indignité , vous êtes dégagée de la
parole que vous lui avez donnée.
30
«
42. L
182 MERCURE
DAMON.
» Donnée.
LUC L E.
20. Et moi ,
DAMO N.
» Et moi ,
LUCILE.
20 je le vois dans ce moment ,
DAMON, ( regarde Lucile tendrement.
Je le vois dans ce moment,
LUCIL E.
Pour la dernière fois de ma vie.
DAMON , (fans écrire. )
Pour la dernière fois !
LUCILE , ( à part. )
( A Damon. )
Oui , Monfieur.
Que je me fens troublée !...
BAMON...
C'en eft trop. Mon âme eft accablée !
Je ne puis fupporter ....
LUCIL E.
Écrivez donc , Monfieur
DAMON.
Je vous obéis ; mais vous me percez le coeur,
J'ai fini
DE FRANCE. 18%
LUCILE.
Non , Monfieur. L'adreffe n'eft pas mife.
A Mademoiſelle
DAMON
» Mademoiſelle ,
LUCILE,
» Florife.
DAMO N.
Ah ! tout eft éclairci : je vois votre mépriſe.
Avez- vous pu me croire un lâche , un impofteur , &c.
Cette Scène eft intéreffante & ingénieuſe.
Ce Cayer eft terminé par la Sage Epreuve
qui eft du ton des Pièces précédentes , & qui
en fait defirer la fuite.
LA MORT D'ABEL , Poëme de M. Geffner,
traduit en Italien par M. l'Abbé Mugnozzi
, Profeffeur de Langue Italienne ,
Volume in- 12. A Paris , chez Jombert ,
Libraire , rue Dauphine.
LA Traduction de ce Poëme , qui nous
offre le tableau touchant des moeurs fimples
& naïves du premier âge du Monde ,
étoit defirée depuis long - temps de la plu
part de ceux qui veulent s'initier dans la
Langue Italienne ; elle a , fur beaucoup d'autres
Livres , l'avantage de pouvoir être mife
dans les mains des jeunes perfonnes de l'un
& de l'autre fexe. Le Traducteur , né à
7.
194 MERCUREC
Rome , où des fuccès établirent folidemene
fa réputation , a joint au mérite de l'exactitude
la pureté & l'élégance du ftyle ; il a
accentué tous les mots pour faciliter aux
Commençans les moyens d'en acquérir
l'exacte prononciation : enfin il n'a rien
négligé pour rendre fon Ouvrage utile ,
même aux Amateurs qui ont déjà fait des
progrès confidérables dans l'étude de la
Langue Italienne, cultivée de plus en plus :
parmi nous.
Il fe vend chez l'Auteur , rue Montor
gueil , vis - à - vis le Paffage du Saumon
chez Elprit, Libraire , au Palais Royal , &
Molini , Libraire , rue du Jardinet .
SPECTACLES.
2
COMÉDIE ITALIENNE.
LE Mardi o de ce mois , l'ouverture de ce
Spectacle s'eft faite par la première repréfentation
du Public Vengé , Comédie Vau
deville en un Acte , avec un Prologue qui a
pour titre le Poiffon d'Avril.
Voici une idée du Prologne. La petite Thalie
attend le Public. Elle lui veut faire un
compliment , mais comment s'exprimer pour
répondre aux bontés dont on l'a comblée i
Voilà fon embarras. Momus furvient , elle im
plore fon fecours. Celui- ci lui indique undif
DE FRANCE. 185
Cours & la manière de le prononcer ; elle le
refufe , parce que , dir- elle , c'eft la harangue
defa grandefoeur. Elles'empare feulement du
fifflet du Public, que celui- ci a laiffé tomber,
& que Momus a ramaffé, & s'enfuit quand
elle en voit paroître le propriétaire. Celui- ci
arrive à pas lents, & fuit le bord de la rivière
en pêchant à la ligne. Il fe plaint de n'avoir
rien pris de la journée ; s'apperçoit qu'il a
perdu fon fifflet , le cherche un moment
puis s'en confole , parce qu'on peut s'en
paffer un jour de politele. Pendant cette
recherche & ce dialogue , Momus , caché
derrière des roſeaux , attache des tablettes à
la ligne du Public , qui la retire , & trouve
fur ces tablettes une chanſon , dans laquelle
on propofe de rendre un fifflet deprix à celuiqui
l'a perdu , pourvu qu'il promette de tout
entendre au Spectacle , pendant le jour , fans
critiquer. Ma foi , dit le Public , c'eft un
Poiffon d'Avril, « Allons , il en faut paffer
» par là ; mais il me fera permis de bâiller. »
La petite Thalie revient , rend au Public fon
fifflet. Elle chante : Ne courbez pas fur
nous ce fceptre rigoureux ; & elle ajoute ,
avec une révérence ; « le moment où l'on
rentre eft fait pour les heureux. » Eft- ce
là tout votre compliment , reprend le Public;

*
Un fifflet qui eft unfceptre ! Cette figure nous paroit
forcée. Qu'eft - ce encore que la prétendue maxime
qui fuit ? Si c'eft une plaifanterie , elle eft d'un
mauvais genre
786 MERCURE
Thalie lui montre fon affiche , qui annonce
une Comédie nouvelle intitulée le Public. Ce
titre le fâche , mais Thalie l'appaiſe , en l'affurant
que le refpect fera fa loi fuprême. « II
faut être au moins un demi - Dieu pour
» vous repréſenter , lui dit Momus , je me
charge du rôle. » Paſſe pour cela , dit gaîment
le Public , je t'arme mon Chevalier ; & il lui
paffe fon fifflet au col . Quatre couplets terminent
ce Prologue.
Paffons à la Comédie. Le Théâtre repréfente
un défert. La Vérité y paroît endormie
dans les bras du Temps. Le Caprice & l'Opinion
ouvrent la Scène . Le premier craint que
le Public ne cherche à fe rapprocher de la
Vérité. L'Opinion le raffure. Il en eft , ditelle
, de la vérité comme de ce qu'on appelle
fentiment : le mot a fait fortune , la chofe
n'existe plus. Pour éloignet néanmoins l'inf
tant d'une réconciliation à craindre , quand
le Public approche , l'Opinion fait tomber
une toile magique qui cache le féjour de la
Vérité , & elle fort avec le Caprice. Le Public
entre avec Girouette , fon Secrétaire. Il lit ,
ou fe fait lire des annonces , des affiches , des
avis , des tablettes , &c. & critique rour-àtour
les Charlatans , les Écrivains , les Souf
criptions , les Journaux *. Il critique enfuite
* Dans un autre endroit , l'Auteur revient for les
Journalistes. « Je leur veux quelquefois du mal , dit
» le Génie National , quand ils m'arrêtent trop court
fur la route ; mais c'eft une Maréchauffée bien
DE FRANCE. 187
fes propres goûts , fes occupations , fes excès,
fes fantaifies , fa légèreté , fes fottifes , & finit
par la lecture d'une feuille de demandes dans
fes projets de dépenfe , il refuſe tout à l'indigence
& au mérite ; mais il fe montre difpofé
à fe ruiner pour le jeu , des bagatelles
& des ordures. Une Novice qui veut débu →
ter,vient lui demander fa protection & des
avis. Il lui confeille d'abord de ne point
attendre un goût ; mais un coffre-fort , de
prendre la contenance hypocrite de nos jeunes
perfonnes, & de n'avoir que l'efprit du jour ;
il le laiffe pourtant défarmer par la bonne- foi
de la confultante , l'engage à ne pas fe fier exceffivement
à la confcience du Public , & finit
par cette leçon : Vous êtes une rofe , prenez
garde au zéphir. Après la Novice, vient un
agréable de Ville, qui a tous les vices de nécef
fité & toutes les vertus de convention. Cette
Scène peint le caractère d'un de ces roués à
la mode , dont nos Laïs & nos femmes blâfées
font folles . Elle eft effrayante de vérité.
A celui-ci fuccèdent une femme en place,
fière de fon crédir , & un homme difgracié
devenu modefte. Le Public ramène la première
à la raifon & confole l'autre. Une
Mme du Coffume vient à fon tour propofer
une Académie.... de Tournure. Plaifanteries
fur cette expreffion, que l'on applique à tout,
utile contre les brigands. Laiffons-la tranquille .
Combien de gens diront que ce Génie là eft un im
bécille
188 MERCURE
& qui eft à propos de tout dans la bouche de
tout le monde. Enfin , l'Amphigouri s'avance.
Il eft fuivi de Cabale , de Paradoxe , de
Dramomane , de Nicticorax & d'Harmoniche
, fes Suppôts. Le Public , qui le reconnoît
pour fon tyran , veut lui échapper par
le fommeil . On en profite pour l'enchaîner.
Cependant , un perfonnage inconnu paroît
en habit de Pélerin , on l'entoure , on lui
demande qui il eft. Il répond qu'il n'en fait
plus rien lui- même ; mais fes difcours ef
fraient les tyrans du Public , & rendent le
courage à celui - ci. On le reconnoît enfin
c'eft le Génie National ; fes ennemis fe difpofent
à l'écrafer avec des brochures ; le
Public invoque le Temps & la Vérité ; la
toile de l'illufion fe lève , le Temps & la
Vérité le préfentent , les Charlatans font précipités
dans les entrailles de la terre , & le
Genie National retrouve fa gloire.
Il y a du mérite , de l'efprit & de bonnes
vûes dans cette Allégorie , fouvent ingénieufe
, & dont les détails font quelquefois
un peu longs ; mais le ton en eft chagrin ,
la critique en eft exceffivement dure.
En lifant cet Ouvrage , on ne peut ſe difpenfer
de fe rappeler le facit indignatio verfum.
Au refte , il eft affez naturel que la
difette des bons Ouvrages , les progrès du
charlatanifme & l'effronterie du mauvais
goût , allument la colère des bons efprits
de ceux qui ont encore vû quelques rayons
des beaux jours de notre Littérature. C'eſt à
DE FRANCE. 189

ces cauſes , fans doute , qu'il faut attribuer ,
comme nous l'avons dit , le ton rigoureux
de Molière à la nouvelle Salle , Ouvrage que
nous avons revu avec un nouveau plaifir ,
dont le fuccès eft décidé , malgré quelques
légères taches qu'on y apperçoit , & qui annonce
, en dépit des foins que l'Auteur prend
pour se cacher , un de nos premiers Litté
rateurs , & un Écrivain tour-à- tour nerveux
élégant , harmonieux & facile.
GRAVURES.
PREMIERE Livraison des Estampes deftinées à
orner les Éditions de M. de Voltaire , in -4 ° ,, con →
tenant dix fujets relatifs aux dix Chants de la Henriade
, deffinés par M. Moreau le jeune , de l'Académie
Royale de Peinture , & gravés par les plus
célèbres Artistes de la Capitale . A Paris , chez M.
Moreau, rue du Coq-Saint-Honoré , près du Louvre ,
Les fujets que l'Auteur a choifis, font, pour le premier
Chant , l'Entretien de Henri IV avec le Vieillard de
l'Ile de Jerſey ; deuxième Chant , la mort de Coli
gny; troisième Chant , celle de Joyeuſe ; quatrième
Chant , la fermeté du Préfident du Harlay ; cin.
quième Chant , les Seize interrogeant le Deftin ;
fixième Chant , Henri plante fon étendard fur les
murs de Paris ; feptième Chant , ce Héros reconnoît
dans les enfers l'affaffin de Valois ; huitième Chant ,
le jeune d'Ailly expire fous les coups de fon père 3.
neuvième Chant , Henri IV aux genoux de la belle
Gabrielle ; dixième Chant , triomphe de ce Monar
que dans Paris. On voit par la feule énumération
de ces fujets qu'il eût été difficile de les mieux choifing
190 MERCURE
en les examinant , on jugera qu'il feroit également
difficile de les mieux exécuter ; efprit, variété , 'harmonie
, expreflion , élégance, tout y refpire le genre
de l'Inventeur , & répond à l'Édition magnifique
qu'on nous prépare. M. Moreau fait. graver actuelle
ment la feconde Livraiſon des Eftampes relatives au
Théâtre de M. de Voltaire. Outre le format in-4°.,
il y en aura un in- 8 ° . , qui paroîtra au mois de
Juin , & un autre in - 18 pour les petites Éditions de
la Henriade. Le prix de chaque Eftampe in-4°. eft
de 2 liv. , & l'in - 8 ° , 1 liv.
Deuxième Livraison du Voyage Pittorefque de
Sicile , de Malte & de Lipari , par M. Houel ,
Peintre du Roi , grand in -folio . Prix , 12 livres . A
Paris , chez l'Auteur , rue du Coq-Saint-Honoré , à
côté du Café des Arts. On a joint à ce Cahier la
réimpreffion du Téxte de la première Livraiſon de
l'Ouvrage , où se trouvoient quelques omiſſions importantes
: attention qui prouve combien l'Auteur
eft jaloux de remplir l'attente de fes Soufcripteurs.
Les Gravures , ainfi que le Texte , font en effet
exécutés avec beaucoup de foin.
ANNONCES LITTÉRAIRES.
L'INAUGURATION du Théâtre François , Pièce
en un Acte & en vers , par M. Imbert , repréſentée
pour la première fois au Théâtre François, le 9 Avril
1782 , in - 8 ". Prix , 1 livre 4 fols. A Paris , chez
Defenne, Libraire , au Palais Royal , & à la Porte
Royale du Luxembourg.
Lecture du Matin , ou nouvelles Hiftoriettes en
profe , par M. Imbert , Volume in-8 °. A Paris , chez
Baltien , Libraire , rue du Petit-Lion , Fauxbourg
Saint-Germain.
DE FRANCE. 191
Traité de l'autorité du Pape , dans lequel fes
droits font établis & réduits à leurs juftes bornes , &
les Principes des Libertés de l'Églife Gallicane jufti
fiés par M. L. de B... de l'Académie des Infcriptions
& Belles- Lettres , revu , corrigé & confidérable
ment augmenté , par M... Confeiller du Roi , &c.
6 Vol. in-8 °. Prix , 17 liv. brochés , 2 1 livres reliés .
A Vienne; & fe trouve à Paris , chez B. Morin , Im
primeur-Libraire , rue S. Jacques,
Nouveaux Principes de Phyfique , ornés de
Planches , par M. Carra , in - 8 ° . , Tomes I & II,
A Paris , chez Efprit , Libraire , au Palais Royal ;
Morin , Imprimeur- Libraire , rue Saint Jacques ; &
chez l'Auteur , rue Neuve des Petits-Pères , maifon
de M. Leduc. Cet Ouvrage aura cinq Volumes ; le
troifième paroîtra au premier jour. Prix de la Souf
cription , 24 liv. jufqu'à la fin de Mai.
Manuel- Pratique , où l'on traite des différentes
manières les plus fimples & les meilleures pour
faire toutes fortes de Vins qui foient de qualité &
de garde , avec l'art méthodique de les gouverner,
joint à de nouveaux fecrets pour les bonnifier & les
rétablir ; par M. Bridelle de Neuillan , Volume - "
12. A Montargis , chez Prevoft , Libraire ; & à
Paris , chez Méquignon , Libraire , rue des Cordeliers.
Ode fur la Naiffance de Mgr. le Dauphin , par
le P. Lombard , de la Doctrine Chrétienne in- 8º.
A Toulouſe , chez Dalles , Imprimeur ; & à Paris ,
chez les Libraires qui vendent les Nouveautés .
Dictionnaire de la prononciation Angloife , dans
tequel on a effayé de rendre les fons Anglois par une
peinture imitative en fons François. Nouvelle Edition
augmentée d'une differtation fur l'accent profodique
d'une idée de la poéfie & d'un abrégé de la Grammaire
Angloife. Vol. in- 8 ° . de plus de 900 pages. Pris
192 MERCURE
9 liv. broché. A Paris , chez Piffot & Barrois le jeune,
Libraires , Quai des Auguftins.
Leçons Élémentaires d'Histoire Naturelle & de
Chimie, dans lesquelles on s'eft propofé , 1 ° . de
donner un enfemble méthodique des connoiffances
Chimiques acquifes jufqu'à ce jour . 2 ° . D'offrir un
Tableau comparé de la Doctrine de Stahl & de celle
de quelques modernes , pour fervir de réfumé à un
Cours complet fur ces deux Sciences ; par M. de
Fourcroy , Docteur de la Faculté de Paris , & de la
Société Royale de Médecine. A Paris , rue & hôtel
Serpente , 1782. 2 Vol. in-8°.
Cours d'Opérations de Chirurgie , démontrées au
Jardin du Roi par M. Dionis , huitième Édition ,
augmentée de Remarques importantes , & enrichie
de figures en taille - douce qui repréfentent les Inf
trumens nouveaux les plus en ufage , par M. G. de
la Faye , Démonftrateur Royal en Chirurgie ,
Vol. in- 8 ° . Prix , 8 liv. reliés en un Volume , & en
deux , 9 livres A Paris , chez Méquignon l'aîné ,
Libraire , rue des Cordeliers.

TABLE.
176 ERS en l'honneur des Da- lière de Bourgogne ,
mes de Romans , 145 Les Après- Soupers de la o
Pour le Portrait d'une jolie
Françoife ,
ciété ,
179 .
147 La Mort d'Abel , Poëme, 183
Noticefur M. Legouvé , ib. Comédie Italienne ,
Enigme & Logogryphe , 173 Gravures ,
184
189
Hiftoire générale & particu - Annonces Littéraires , 199
J'AI
APPROBATION.
' AI lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux , le
Mercure de France, pour le Samedi 27 Avril. Je n'y ai
sien trouvé qui puiffe en empêcher l'impreffion. A Paris,
le 26 Avril 1782. DE SANCY .
7 %
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 10 Février
LE pofte de Dragoman de la Morée , vacant
par la mort du dernier qui en étoit
pourvu , & dont la tête a été exposée fur
la porte du Serrail , vient d'être réuni à celui
de Dragoman de la Porte.
M. de Bulgakow , Envoyé de Ruffie , a
eu une conférence avec le Reis Effendi , on
dit qu'elle a eu pour objet un Traité de
commerce entre les deux Empires , que tous
deux font autorifés à le conclure , & que
déjà ils ont échangé leurs pouvoirs .
S'il faut en croire quelques avis reçus ici
de l'Inde , une efcadre Françoife a établi fa
croifière entre les côtes de l'Arabie & celles
de Malabar. Ce qui femble le confirmer:
c'est qu'en effer depuis le mois de Novembre
dernier , il n'eft point arrivé de Courier
Anglois venant des Indes à Conftantinople .
6 Avril 1782.
( 2 )
» Elis - Oglou , nouveau Muffelim du plat pays ,
écrit-on de Smyrne , a fait un tour dans cette ville ,
& y a féjourné quelques jours . — Le fils d'un Négociant
Vénitien , nommé Marys , établi ici , étant
derniérement à la chaffe , a eu le malheur de rencontrer
deux Arabes , qui ont eu l'inhumanité de
le maffacrer. Un de ces affaffins a été arrêté , fur
les inftances du Conful général ; & on s'occupe
actuellement à obtenir qu'il foit puni de mort , pour
fervir d'exemple «.
RUSSIE.
De
PETERSBOURG , le 27 Février.
IL eft arrivé ici depuis quelques jours un
Envoyé du Chan de Crimée ; il a eu aujourd'hui
une audience du Vice - Chancelier , &
Dimanche prochain il en aura une publique
de l'Impératrice. Parmi les objets dont il eft
chargé , il y a une demande que fait fon
Maître à l'Académie des Sciences , de nommer
un Savánt qui voyagera dans la Crimée
où il examinera les mines qui s'y trouvent.
Ce Savant eft déſigné déjà ; c'eſt M. Herman
connu avantageufement
par plufieurs Ouvrages
, & entre autres par fes Voyages d'Autriche
& de Styrie.
Depuis quelques tems les Anglois ont
recommencé à acheter ici des munitions
navales , & entre autres une très - grande
quantité de chanvre ; on dit qu'ils le payent
15 roubles le pud , ce qui eft très-cher
puifque le pud ne fait que 40 livres pefant ;
on croit que le prix de cette marchandiſe
augmentera encore.
·
( 3 ) .
:
DANEMAR CK.
De COPENHAGUE , le s Mars.
L'OUVERTURE du Confeil fuprême fe fera
le 7 de ce mois , & S. M. , felon l'uſage ,
préſidera la première féance.
Le Comte Erneft de Schimelmann a été
nommé pour diriger le commerce & la navigation
de la Nation , d'après les plans de
feu fon père.
On a dit dans le tems que le Chambellan
de Beringschiold avoit été arrêté par ordre
du Roi & conduit à la Citadelle ; il y eft
encore prifonnier. Il a été nommé une Commiffion
pour inftruire fon Procès , qui eft
déjà commencé. Cette Commiffion eft compofée
de M. de Rofenorn , Confeiller Privé
de conférence , MM. de Carftens & de Stemann
, Confeillers Privés , & M. de Colbiornfen
, Confeiller de Juftice , Avocat au
Confeil fuprême.
Un orage du N. O. a nettoyé le Sund de
toutes les glaces qui le couvroient. Il Y eft
entré le 2 un bâtiment de Konigsberg & 2
de Stetin ; tous les trois font chargés de chanvre
& de bois de conftruction pour Breft ;
le vent contraire les empêche de repartir.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 12 Mars.
LE Comte de Zinzendorf , Gouverneur
a 2
( 4 )
A
de Triefte , eft ici depuis quelque tems ; il
travaille beaucoup avec S. M. I. , à laquelle
on dit qu'il a préſenté un plan pour la réunion
du commerce d'Oftende avec celui de
Triefte.
Il a été enjoint par des lettres circulaires
aux Seigneurs territoriaux de la Gallicie , de
n'exiger de leurs Vaffaux que trois corvées
par femaine , en attendant le règlement qui
fera fait fur ce fujet.
On apprend par des lettres de Tranfylyanie
, que les Hofpodars de la Moldavie &
de la Walachie ont été mandés à Conftantinople
; les Chrétiens de ces Provinces , ainfi
que ceux de la Bulgarie , fe plaignent amèrement
de l'oppreflion des Turcs .
On a appris le départ du Pape , qui a
quitté Rome le 27 du mois dernier , & qui
eft attendu ici à la fin de celui- ci . Le Nonce
qui va au devant de S. S. à Gorz , eft parti le 7.
Ön croit que S.S. acceptera l'appartement que
S. M. I. lui a offert dans fon Palais , d'autant
mieux qu'en infiftant pour le faire agréer , elle
a obfervé que leurs dignités réciproques l'exigeoient
, que la décence le demande abfolument
, & que d'ailleurs étant plus près
l'un de l'autre ; ils pourront conférer enfemble
avec plus de commodité & de confiance.
On vient de notifier aux Carmes de cette
Ville l'Edit de leur fuppreffion. Leur Maiſon
eft deſtinée à un Hopital. Les Religieux âgés
auront des penfions ; les jeunes , après un
1
( 5 )
examen attentif , feront pourvus de Cures
s'ils en font jugés capables. La volonté de
S. M. I. eft qu'il y ait déformais un Curé
dans chaque Village ; elle veut auffi qu'il y
ait dans chacun une Ecole , dont le Maître
jouira de 300 florins d'appointemens . On
établira également à la campagne des Maifons
d'Orphelins pour les enfans de Payfans . Les
biens des Couvens fupprimés fourniront aux
fonds de ces établiffemens utiles.
De HAMBOURG , le 15 Mars.
S'IL faut en croire des lettres de Pologne
, il s'eft paffé , à Cracovie , un fait affez
extraordinaire. Le Chapitre de cette Ville a
fait arrêter fon Evêque & l'a fait enfermmer
dans un Couvent fous prétexte de folie.
Cet Evêque eft le fameux Comte de Soltyk ,
qui , pendant les troubles de ce malheureux
Royaume , avoit été arrêté la nuit à Varsovie
par ordre du Prince de Repnin & conduit
en Ruffie d'où il étoit revenu depuis quelques
années. Comme , en qualité de Sénateur
du Royaume , on ne pouvoit prendre
aucune réfolution , contre, lui fans le
confentement du Sénat , la conduite du
Chapitre eft généralement défapprouvée ;
il a été nommé en conféquence une Commiſſion
, à la tête de laquelle eft le Chancelier
, pour examiner cette affaire qui fait
beaucoup de bruit & qui peut avoir de
grandes fuites.
-On dit que l'Empereur a fait déclarer en
a 3
( 6 )
Bohême à ceux qui fuivent la Doctrine de
Jean Huff , d'embraffer la confeffion Helvétique
ou celle d'Augsbourg s'ils veulent
participer aux priviléges de l'Edit de tolé
rance.
Cet Edit a donné lieu dans quelques
endroits à diverfes émeutes populaires . Quelques
fujets , pour fe dédommager en quelque
façon de la longue contrainte dans laquelle
ils ont vécu pendant long tems , ont
infulté la Religion dominante. L'Empereur
s'eft hâté de faire publier le Règlement fuivant
, dont le but est de rétablir l'ordre
l'union & la paix.
>
I. » Dès que les Proteftans exciteront quelque
tumulte , le Magiftrat du lieu doit les faire fouvenir
de fe conformer au contenu des Lettres-
Patentes ; qu'il ne leur eft permis ni de faire des
profélytes ni de s'attrouper ; mais que chocin eft
libre de profeffer une autre Religion que la Catholique
, pourvu qu'il s'annonce au Magiftrat , lequel
fera tenu de donner à chacun un certificat de fa
déclaration. Chaque mois le Magiftrat indiquera
le nombre de ceux qui fe feront ainfi annoncés
au Sur - Intendant ou Gouverneur de la Province ,
qui ne manqera pas d'en faire fon rapport à la
Régence de Vienne. Si le nombre des Proteftans
eft affez confidérable dans un endroit , pour faire
bâtir une Eglife & entretenir un Miniftre , la Régence
doit en accorder la permiffion fans délai ;
& fi elle jugeoit que quelques circonftances empêchaffent
de déférer à leur demande , la Régence
en fera immédiatement fon rapport à l'Empereur
même , qui en décidera . II . Les Proteftans jouiffant
ainfi de la liberté de confcience , fe garderont de
contraindre par menaces , par des marques de mé(
7 )
w
·
>
pris ou autres mauvais traitemens , leurs femmes ,
maris , enfaos ou domeftiques qui voudroient perfévérer
dans la Religion Catholique . III . Les Proteftans
fe garderont d'outrager la Religion Catholique
, d'en dire du mal , d'infulter les images , les
ftatues des Saints , les Eglifes , &c. En pareil cas
ils feront punis très -févèrement , non à caufe de
leur Religion , mais comme perturbateurs du repos
public , & comme voulant exercer eux mêmes ,
qui font tolérés , une contrainte fur les confciences.
IV. Il eſt défendu aux Proteftans de tenir dans les
auberges & autres affemblées des difcours de controverfe
en matiè e de Religion , ou de déprimer
la Religion adverle. Les Juges du lieu font tenus
d'y avoir l'oeil très - attentivement ; & ils feront
punis eux- mêmes en cas de négligence ou de contravention.
V. Les Sujets Catholiques font exhortés
à fe comporter pacifiquement avec leurs frères
Proteftans , à n'infulter ni attaquer leur culte
mais à agir à leur égard d'une manière douce &
humaine , puifque les contrevenans feront punis ,
aufi-bien que tous les autres. VI. Les Magiftrats
des Provinces & des Bailliages font exhortés à ne
jamais agir contre la teneur de cette Ordonnance
Impériale , & doivent , autant qu'il dépend d'eux ,
veiller , 1 ° . à ce qu'ils montrent une exacte impartialité
envers tous les Sujets Proteftans , foi en
accordant des faveurs , foit en infligcant des peines ,
pour prouver qu'ils n'ont ni haine , ni prévention
contr'eux. 2°. Qu'eux-mêmes ne troublent , ni ne
permettent que d'autres troublent les Proteftans
dans le libre exercice de leur culte , lors même que
ces derniers s'affemblent à la même heure que les
Catholiques pour le Service divin. 3 ° . Dans le cas
où ils fe verroient obligés de punir des Sujets
Proteftans , ils doivent toujours leur mettre fous
les yeux que cela ne fe fait pas à caufe de leur
Religion , mais pour avoir tranfgreflé les Loix ,
2 4
( 8 )
& que les Sujets Catholiques commettoient les
mêmes crimes , ils fubiroient auffi une peine de la
même espèce. Enfin , il eft encore recommandé au
Clergé & aux Prêtres , qu'en montant en Chaire ,
ils doivent expliquer l'Evangile & la Morale , fans
s'arrêter ainfi qu'en failant le Catéchifme
ou dans leurs converfations particulières
>
aux
dogmes de controverfe ; que leur devoir exige
d'expofer aux auditeurs les principes de la Religion
Catholique , fon éminence , fa dignité , fon utilité ,
le tout fans amertume & fans propos infultans
contre les Proteftans «.
ITALIE.
De LIVOURNE , le 15 Mars.
Le mariage du Prince François , Grand-
Prince héréditaire de Tofcane , eſt arrêté &
conclu , avec la Princeffe Guillelmine de
Wurtemberg Stutgard ; elle eft âgée de 15
ans & foeur de la Grande- Ducheffe de
Ruffie.
,
S. A. R. vient de faire adreffer à tous
les Archevêques & Evêques de ce Grand-
Duché , une lettre circulaire , en date du 3
de ce mois , par laquelle il leur eft expreffément
recommandé de n'admettre à l'avenir ,
au fervice de l'Eglife & du public , & à
plus forte raifon aux charges & dignités
Eccléfiaftiques , que des fujets qui auront
donné des preuves de leur fageffe & de leur
favoir dans les Univerfités ; il est défendu
autli d'accorder des bénéfices , de quelque
efpèce qu'ils foient , à la feule protection ;
( 2 )
les Magiftrats ont ordre de veiller fur l'exé
cution de ce point effentiel.
Selon les lettres de Rome , lorfque le
Grand Duc de Ruffie , a été inftruit de
la réfolution de S. S. de faire le voyage de
Vienne , il lui envoya une peliffe d'une
grande beauté du plus grand prix pour
qu'elle s'en fervit pendant fa route. Les
mauvais chemins ayant retardé la marche
du S. P. , il n'eft arrivé à Bologne que le 10
de ce mois ; il a dû prendre de- là ſa route
pour Ferrare , Padoue , &c.
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 22 Mars.
LA nation attend toujours avec impatience
des nouvelles de St - Chriftophe ; il eft vraifemblable
que fi les François en ont fait la
conquête , c'est par eux que nous l'appren
drons ; l'Amiral Hood ne fe preffera pas de
nous inftruire de cette nouvelle perte ; nous
nous attendons en effet à celle- là ; fa lettre
nous y prépare ; les troupes qu'il a rembarquées
& renvoyées , l'aveu qu'il fait
qu'un combat naval n'auroit point décidé
du fort de l'Ile , nous annoncent en effet
qu'elle a changé de Maître ; le Gouvernement
en eft fans doute inftruit , & il circule
déja des avis particuliers qui affurent
ce fait , & qui nous apprennent qu'au moins
l'Amiral Hood , favorifé par les vents , a eu
le bonheur de quitter Baffe -Terre & de reas
( to )
tourner à fon premier mouillage fans être
inquiété cette expédition auroit pu nous
coûter plus cher que la perte de la frégate
le Solebay qui a péri fur les récifs de Nevis
pendant que l'efcadre manoeuvroit pour ga
gner la rade de Baffe-Terre. L'Alfred & la
Nymphe ont auffi fouffert des avaries confidérables
, ils fe font abordés , & l'Amiral a
ordonné les arrêts aux Officiers qui étoient
alors de quart jufqu'à ce qu'on examine
leur conduite.
33
Si c'eft un malheur pour une ifle quelconque
d'être envahie , dit un de nos papiers , c'en eft un bien
plus grand encore pour une ifte de l'Amérique , qui ,
pendant ce tems , eft bien plus expofée que toute
autre, à des calamités de toute efpèce. Les Nègres
brûlent alors les cannes , & c. & prouvent qu'il n'y a
point de petit ennemi . Si nous ne perdons pas Saint-
Chriftophe , ce qui eft au moins très-douteux , nous
craignons bien que cette ifle ne fe reffente des trittes
fuites d'une invafion pendant la récolte. Selon
les nouvelles de la Barbade , la culture y diminue
tous les ans ; le fol eft tellement épuifé , qu'il y
a des plantations où il produit à peine la moitié des
anciennes récoltes. On imagine même , que fous
d'années , le produit des fucres fera fi peu confidéra
ble , qu'il employera tout au plus 10 vaiſſeaux «.
peu
On remarque en général dans plufieurs
papiers une attention fingulière à rabaiffer
le prix de nos Iles ; on diroit qu'ils cherchent
à confoler la Nation de leur perte ,
& à lui faire envifager avec moins de regret
celle des endroits qui font menacés .
Quelques- uns des derniers vaiffeaux venus
de la Jamaïque , rapportent qu'à leur départ
( H )
on n'y avoit point encore entendu dire qu'on
fût des armemens à la Havane pour inveftir
ou attaquer cette Ile . Cependant la Loi
martiale y a
ya été publiée , & les Nègres libres
inontant à 1000 ou 1200 hommes , ont été
enrôlés pour fervir conjointement avec les
troupes & la milice en cas d'attaque . L'Amiral
Graves eft dans cette Ifle ; une lettre
qu'il a écrite à l'Amirauté , en date du 20.
Décembre , porte la lifte d'une quarantaine
de prifes qu'il a faites fur les Américains
depuis le 20 Août dernier jufqu'au . 31 Octobre
fuivant .
Nos nouvelles de l'Amérique Septentrionalė
ne vont que jufqu'au 6 Février dernier ;
la faifon fufpend toutes les hoftilités de ces
côtés ; & il ne s'y paffe que de légères eſcarmouches
, qui ne font que coûter de part &
d'autre quelques hommes & qui ne décident
rien. Il paroît que le Congrès a pris enfin le
parti de défendre par une Loi expreffe l'ufage
des Ouvrages des Manufactures Britanniques
dans tous les Etats- Unis . Les Légiflateurs
de Penfylvanie fe font empreffés d'y
accéder & de recommander l'obéiffance ,
en en donnant eux- mêmes l'exemple.
L'Oppofition depuis le petit triomphe
qu'elle a obtenu fur la majorité relativement
à la guerre Américaine , n'a pas perdu de
vue fon grand objet , le changement de
l'Adminiftration actuelle ; elle a échoué deux
fois fans fe laiffer déconcerter ; la première
fois elle avoit eu 10 voix contre elle , & la
a 6
( 12 )
feconde fois ; elle y eft revenue encore le
20 ; & cette dernière féance remarquable , a
eu une iffue à laquelle perfonne ne s'attendoit.
Le Comte de Surrey avoit annoncé
qu'il feroit lui- même la motion : une foule
immenfe s'étoit rendue au Parlement , &
occupoit toutes les galeries . Le Brigadier-
Général Arnold s'y trouvoit lui-même en
uniforme , & reçut une mortification à
laquelle il devoit s'attendre , & qu'il eût
évitée , s'il eût eu autant de prudence que de
curiofité. Sa préfence bleffa tous les regards ;
pour le faire fortir , on propofa de renvoyer
Tous les étrangers : l'ordre étoit général ,
mais il ne regardoit que lui ; on le lui fit
même entendre d'une manière qui auroit
couvert de confufion tout autre : cependant
par égard pour le grand nombre de perfonnes
de diftinction qui étoient préfentes , &
après l'affurance qu'il donna de ne plus
reparoître , f refta dans la foule fpectateur
de la fcène qui alloit fe paffer.
» Le Comte de Surrey fe leva pour porter la
motion , quand le Lord North fe leva à fon tour ,
& s'autoriſant d'un figne d'approbation de l'Orateur
, il alloit commencer à parler. Un murmure
général l'interrompit on accufa l'Orateur de
partialité ; il fallut pour faire ceffer le tumulte
rappeller à l'ordre , & le droit de parler le premier
ayant été accordé au Nord , il prononça ce difcours
qui n'étonna pas peu la Chambre. Un moyen
bien fimple de prévenir l'effervefcence dont on fe
plaint ici , étoit de m'écouter ; au premier mot on
auroit vu que loin de venir fouffler le feu , je viens
-
( 13 )
l'éteindre. Je connoiffois l'objet de la motion , puifqu'il
a été annoncé ; ce que j'ai à dire doit la rendre
inutile , & c'eſt ce qui m'a fait défirer de parler le
premier. Quoique l'effet des deux précédentes mo,
tions ne fe foit pas étendu jufqu'à une réfolution
qui auroit conftaté que la Chambre avoit retiré fa
confiance à l'Adminiftration alors exiftante , j'avoue
que le nombre des Membres prêts à fouferire à
cette réfolution eft fi confidérable , que , quoique la
majorité l'emporte , it eft fenfible que le bien du
fervice de S. M. exige un changement dans l'Adminiſtration
de fon royaume. Comme on m'a répété
mille fois que je m'obftinois à refter en place , que
je m'oppofois à la formation d'un nouvel arran
gement , dont je reconnois la néceffité , je viens
expreffément pour déclarer que la perfonne , que
l'ordre de la Chambre ne permet pas de nommer ici
(le Roi) , s'eft déterminée à éloigner immédiatement
de fes Confeils l'Adminiftration qui exiftoir hier ;
que je fuis autorité à annoncer que cette Adminif
tration n'existe plus dans le fait ; que les Membres
qui la compofent , continuent à remplir les devoirs
attachés à leurs départemens refpectifs , jufqu'à ce
que ce nouvel arrangement foit fixé , ce qui fera ,
à ce que j'espère , l'affaire de deux jours au plus 3
mais qu'ils n'exiftent plus comme Miniftres , &
qu'ils doivent être confidérés , à cet égard , comme
s'ils étoient à mille lieues de la Cour. Qu'on
me permette en prenant congé d'ajouter un mot ,
non fur moi , mais fur mon adminiſtration . Je
remercie bien fincérement la Chambre des marques
répétées & foutenues de bienveillance qu'elle m'a
données fi long-tems , & de l'appui que j'en ai reçu
dans un pofte , je l'avoue , fort au - deffus de mes
talens . C'eſt dans cette Chambre que je me fuis fait
connoître ; c'eft la conduite que j'ai tenue qui m'a
recommandé à mon Souverain . Je ne puis qu'être
affligé de la voir défiter ma démiſſion & me retirer
SON
( 14 )
fa confiance ; mais ce fentiment douloureux n'affoiblit
point ma reconnoiffance. Je me fatte que la
fincérité de ma déclaration ne fera point fufpecte ;
qu'elle fuffit pour démontrer que la motion projettée
étoit fuperflue , fi elle n'a pour objet que
l'éloignement des Miniftres. Si elle en avoit un
plus étendu , comme celui de me faire rendie un
compte plus ftrict de mon adminiſtration , cela ne
m'empêche point de popofer l'ajournement pour quelques
jours ; je ne fuirai pas , il fera toujours tems de
m'appeller à la Barre de la Chambre , & je fuis
prêt à fubir toute efpèce d'Enquêtes «.
C'eft ainfi que fe termina cette féance ;
la Chambre s'ajourna au 25. On dit que
le Lord North en fortant du Parlement
avoit la fatisfaction peinte dans les yeux ;
j'ai enfin , dit - il à un de fes amis , terminé
ma vie politique , & je ne crains rien
pour ma vie naturelle ; on prétend que quelques-
uns de fes collègues n'ont pas pris fi
noblement leur parti , il y en a un , dit- on ,
qui a fait bien des démarches pour le faire
comprendre dans la nouvelle Adminiftration
, & il n'y a pas réuffi ; on veut , dit
le Morning-Herald , exclure les Ecoffois de
tous les Départemens & de tous les Bureaux.
L'adminiftration du Lord North a
été très- critique & très - embarraffante dans
ces derniers tems ; on la cenfure peut- être
avec trop de févérité . On devroit faire plus
d'attention aux befoins énormes de la nation
, & au peu de reffources qui fe préfentoient
; cet état étoit tel qu'il devoit met
tre à la gêne le plus habile Financier ; & il
7 )
n'eft pas étonnant que les moyens n'aient
été fouvent très - petits , & toujours onereux.
» Pendant que nous perdons nos poffeffions en
Occident , dit un de nos papiers , nous perdons en
Europe notre opulence & notre liberté. Qui peut
lire fans effroi cette légende de taxes nouvellement
créées , oppreffives dans leur nature , & dangereules
dans leur perception . Le premier Miniftre de la Nation
pour fonder un fubfide deſtiné à la foutenir , a
été jufqu'à calculer la quantité de favon que la famille
d'un pauvre confomme par femaine , afin d'ajouter
une taxe au blanchiffage des guenilles auxquelles
les taxes précédentes ont réduit l'ouvrier
pour tout habillement ; on a mis des impôts fur tout
ce qui eft néceffaire à la vie ; il y en a fur la lumière ,
depuis l'aube du jour qui tire l'artifan de fon grabat
& le conduit au travail , jufqu'à la mèche qui l'éclaire
pour retrouver fon lit. Le génie inventif de
l'oppreffion , a porté les impôts jufques fur le charroi
de toutes les denrées de néceffité abfolue ; il n'y
a pas jufqu'au moyen dont fe fert la partie honnête
de la Nation pour affurer la propriété contre la calamité
du feu , pour l'avantage des familles & des
créanciers , qui ne foit affujetti à une taxe égale aux
trois quarts de la prime que reçoivent les affureurs.
Ces hommes qui ont diffipé des millions de millions
du tréfor national , ofent nous dire : vous nous payerez
pour affurer le peu qui vous reste , quoique nous
ne foyons pas affureurs «,
Toutes ces taxes font en effet l'ouvrage
du Lord North ; mais la plupart de ceux
qui blâment fes opérations auroient été fort
embarraffés à la place. Ils difent qu'il ne
falloit pas entamer la guerre actuelle ; mais
elle eft allumée , il faut la foutenir , & on
ne le peut fans argent.
( 16 )
Les partifans du Lord North , dit un papier
eftimé , lui reprochent trois grands folécifmes en
politique , 1º, en ne faifant pas ce qu'il auroit dû
pour engager le Comte de Shelburne à prendre part
à l'adminiſtration , ce qui lui auroit aſſuré au moins
40 voix ; 2°. en mettant un peu moins de méfquinerie
dans le quart d'établiſſement du Prince de Galles , tandis
que s'il lui eût donné un établiſſement complet , il
fe fût afturé au moins 30 Membres , qui s'y feroient
trouvés compris ; 3 ° . en faifant un marché de compère
à commère avec 8 particuliers dénués d'influence
, au lieu d'admettre , felon l'uſage , aux douceurs
du dernier emprunt une cinquantaine de
Membres qui fe font retournés depuis qu'ils ont vu
qu'ils n'avoient plus de part au gâteau « .
>
2
En attendant que le choix du Roi pour
les places de l'Adminiſtration , foit public ,
voici la manière dont on dit que cet arrangement
eft fait ; le Lord North qui étoit
premier Lord du Tréfor & Chancelier de
l'Echiquier , a deux fucceffeurs ; le Marquis
de Rockingham & M. Fox. Le Marquis de
Rokhingham en qualité de Membre de la
Chambre des Pairs , ne pouvoit pas préfenter
aux Communes les bills des fubfides ,
ce qui a fait donner la feconde placé , celle
de Chancelier de l'Echiquier , à M. Fox.
Le Duc de Grafton remplace le Lord
Sandwich en qualité de premier Lord de
l'Amirauté ; le Lord Camden eft Chancelier
à la place du Lord Thurlow , qui
devient Préfident du Confeil à la place
du Lord Batharft. Le Colonel Barré fuccède
à M. Jenkinfon dans le Ministère de
la guerre , &> M. Burke à M. Rigby dans
( 17 )
la place de Tréforier-Général des Troupes .
Le Comte de Richemond & le Comte de
Shelburn , font Secrétaires d'Etat pour les
affaires étrangères , à la place du Vicomte
de Stormont & du Comte Hillsborough. Il
n'eft pas queftion du département de l'Amérique
avec laquelle on veut faire la paix ,
& qui n'appartenant plus à l'Angleterre. ,
ne doit plus exiger un Miniftre . Ce changement
dans l'Adminiftration rappellera
fans doute à la tête de nos efcadres , les
Amiraux Keppel , Howe , Barrington , Byron
, & c .
On
attend avec impatience
l'effet que produira
ce nouveau
fyftême
, quelles font les propofitions
qu'on fera à l'Amérique & la manière
dont elle les recevra
. On fe flatte que la paix ne tardera
pas ; mais peut- être deviendra
-t- elle plus difficile
qu'on ne croit , à moins que nous ne faffions
les plus grands facrifices
; nous y paroillons
ré- fignés ; & nous ne doutons
pas que les Américains
ne foient très -exigeans
. La fé paration
eft faite fans retour ; ils ne veu lent pas être nos fujets , feront-ils plus por- tés à devenir
nos alliés ? Ce ne fera pas dans ce moment
. Nous avons aliéné leurs coeurs , & ils ont des divers devoirs
à remplir
à l'égard de nos ennemis
; ils s'en acquitteront
fans peine. On peut juger de leurs fentimens
pour nous , par l'avertiffement
fui- vant qu'ils ont mis dans leurs papiers.
On demande pour la campagne prochaine dans
*
( 18 )
l'Amérique feptentrionale , un Général en chef, qui
prendra le commandement des armées Britanniques.
Quiconque fe fent propre à cet emploi difficile , peut
s'adreffer à S. M. où aux Lords North & Germaine
au Palais Saint-James , tous les matins de la ſemaine ,
à l'exception du Dimanche , depuis 9 heures juſqu'à
midi. Les candidats apporteront des atteftations de
bonne conduite , honnêteté , fobriété & moeurs.
Celui pour lequel on ſe décidera eft averti d'avance
qu'il doit donner caution , qu'il n'écrira pas de longues
épîtres contenant des détails particuliers de
victoires qui n'ont jamais exifté , ou de combats
qu'il eût mieux valu ne pas donner. S'il veut encore
s'engager à réprimer la rébellion dans une année ou
moins d'une année , pour une certaine fomme d'argent
, il ne fera que mieux reçu «,
Autrefois les Américains fe plaignoient
gravement & férieufement ; ils cherchoient
à fe faire rendre juftice , ils répugnoient à
rompre avec nous , ils nous aimoient encore
( 1 ) : aujourd'hui ils plaifantent , & ils
montrent un mépris qui eft plus difficile
peut-être à diffiper que la haine . Dans un
autre papier , ils ont mis l'anecdote fuivante
fur le Chevalier Clinton.

? (1 ) L'Hiftoire de cette révolution qui change la deſtinée
du nouveau monde , & qui doit peut-être influer un jour fur
celle de l'ancien , ne fauroit être plus intéreſſante . Nous ne
pouvons nous difpenfer d'indiquer à nos Lecteurs , & de
leur recommander l'ouvrage que publie en France M.
Hilliard d'Auberteuil fous le titre d'Efais Hiftoriques &
Politiques fur les Anglo- Américains. Il y en aura deux
Editions , une in -4° . à 42 liv. , & l'autre in- 8 ° . à 21 liv . Le
premier volume paroît chez l'Auteur rue des Bons- Enfans-
Saint-Honoré. On trouve auffi chez lui le portrait du Général
Washington , gravé d'après le portrait de Trumbull ,
par M. le Roi, il fait partie des planches deftinées aux
Efais Hfioriques & Politiques , &c .
( 19 )
" Dear Officiers Britanniques donnoient un bal à
New-York. Sir Henri Clinton devoit l'ouvrir avec
une beauté célèbre , Miff Frank . S. E. ayant dit aux
Muficiens de jouer cet air : Britons Strike Home ,
courage Bretons , ou mot à mot, Bretons frappez
chez vous; il vaudroit mieux , lui dit Miff Frank ,
leur faire jouer à préſent Briton Go Home, Bretons
allez chez vous. Sir Henri trouva la plaifanterie
mauvaiſe, il s'en plaignit au père de la demoiſelle :
vraiment , dit le vieillard , c'eft une folle , fi vous
voulez danfer avec elle , il faut bien fouffrir fes
folies .
On dit que la Cour eft enfin décidée à
faire reftituer aux anciens propriétaires.
Hollandois les effets & marchandifes faifis
à Saint-Euftache par l'Amiral Rodney &
le Général Waughan . On porterà pour cet
effet devant les Doctors Commons , Collége
de Jurifconfultes verfès dans le Droit Ro-
'main , & qui font les fonctions de juges
dans les affaires pendantes devant le Tribunal
de l'Amirauté , des preuves authentiques
de la propriété de ces effets. Il ne
paroît pas que cette réfolution foit un retour
tardif aux principes de juftice & d'humanité
; elle eft plutôt l'effet de la déclaration
expreffe faite par la France qu'elle ufera de
repréfailles.
FRANCE.
De VERSAILLES le 2 Avril.
LA Vicomteffe de Merinville , ci-devant
Dame pour accompagner Madame Sophie
( 20 )
de France , & qui paffe en la même qualité
à Madame Elifabeth de France , eut l'honneur
d'être préſentée au Roi par cette Princeffe
le 17 du mois dernier. Le 19 le Comte
de Lage de Volude , ci-devant préſenté au
Roi , eut l'honneur de monter dans les carroffes
de S. M. & de chaffer avec Elle. Le
24 , le Bailli de Breteuil , Ambaffadeur de
Malte , préfenta à S. M. les faucons que le
Grand-Maître de la Religion eft dans l'ufage
d'envoyer annuellement au Roi. Ce préfent
qui fut remis au nom du Grand- Maître par
le Chevalier d'Andelarre , fut reçu par le
Marquis de Vaudreuil , Grand - Fauconnier
de France , & par le Marquis de Forget ,
Capitaine du Vol du Cabinet. Le même
jour la Comtelle de Maulevrier , dont le
Roi avoit figné le contrat de mariage le 10 ,
eut l'honneur d'être préfentée à LL. MM.
& à la Famille Royale par la Marquise de
Maulevrier.
1
L'Abbé de Berault Berfcaftel , Chanoine
de l'Eglife de Noyon , eut l'honneur de remettre
auffi au Roi le 17 du mois dernier , les
Tomes XIII & XIV de l'Hiſtoire de l'Eglife ,
dont S. M. a daigné agréer la dédicace ( 1 ,.
De PARIS , le 2 Avril.
LES nouvelles que l'on attendoit de M.
le Comte de Graffe & de M. le Marquis de
(1 ) Cet Ouvrage intéreffant , fe trouve à Paris chez Moutard
, rue des Mathurins , Hôtel de Clagny , prix 3 fiv , le
volume relié.
( 21 )
Bouillé font arrivées ; elles ont confirmé
la prife de St- Christophe , & nous ont inf
truit de la réduction du Fort de Brimstone-
Hill , à laquelle on s'attendoit & qui eut
lieu le 12 Février dernier. M. le Chevalier
de Marigny , Capitaine du vaiffeau l'Ardent,
M. le Marquis de Livarot , Colonel du régiment
d'Armagnac & M. le Chevalier de
Mirabeau , expédiés le 20 du même mois ,
avec les dépêches des Généraux , arrivés le
21 Mars à Breft , fur la frégate l'Aigrette ,
ont pris fur-le-champ la poſte pour Verfailles,
où ils arrivèrent le 27 à une heure & demie
après- midi. Le bulletin qui a été publié le
même foir , contient les détails fuivans .
» Le 11 Janvier , l'armée aux ordres du Comte
de Graffe a mouillé dans la rade de Baffe-Terre de
Saint-Christophe , où elle a pris une vingtaine de
bâtimens de 200 à 300 tonneaux . Le débarquement
des troupes fous le commandement du Marquis
de Bouillé , commença dès le foir même.
Les habitans capitulèrent fur-le- champ. L'armée
marcha dans la nuit , & inveftit , le 12 , le fort de
Brimstone-Hill. La tranchée fut ouverte la nuit du
16 au 17. Le 24 l'efcadre Angloiſe parut ; l'armée
Françoife appareilla le même jour pour faciliter la
réunion des vaiffeaux qui étoient réités en réparation
à la Martinique & l'arrivée des tranfports
qui apportoient les munitions de guerre & de bouche
, & pour empêcher l'Amiral Hood de gagner
le mouillage de Sandy- Points ; ce qui l'auroit mis
à portée de fecourir le fort. Le 25 , l'armée du
Roi a attaqué l'arrière -garde de l'efcadre Angloife ;
mais elle n'a pu la joindre d'affez près . Le 26 , le
Comte de Graffe a attaqué deux fois l'Amiral Hood
4
( 22 )
au mouillage , fans pouvoir l'entamer. Il paroit
par les différens rapports , que l'efcadre Angloife
a beaucoup plus perdu que l'armée du Roi. 1500
hommes mis à terre par le Général Prescott , ont
été répouffés avec perte par le Comte de Fléchin
qui n'avoit à les ordres que 300 hommes , Grenadiers
& Chaffeurs. Ces 1500 hommes fe font rembarqués
le lendemain. Le 12 Février le fort a capitulé
, & la garnifon s'eft rendue prifonnière de
guerre , à l'exception des Généraux Shirley &
Frafer , à qui le Marquis de Bouillé a permis de
fervir , en confidération de leur belle défenſe. La
garnifon étoit compofée , au commencement du
Liége , de 800 hommes de troupes réglées & de
soo hommes de milice. On a trouvé dans la place
une grande quantité de munitions de guerre.
L'Amiral Hood a pris le large auffi - tôt
que le fort s'eft rendu ; & M. de Graffe
après le départ de l'Aigrette , a dû quitter
l'Ille pour retourner à la Martinique , où
il a été prendre des vivres. M. le Marquis
de Bouillé a nommé Gouverneur de l'Ifle
M. le Comte de Dillon , Colonel du Régiment
de fon nom , & le Roi a confirmé ce
choix. Le Général François a remis aux habitans
le tiers des impofitions qu'ils payoient
au Roi d'Angleterre , ce qui n'eſt pas un
petit foulagement pour eux ; & ceux dont
les habitans ont fouffert , feront indemnifés
de leur perte par le tréfor commun de
l'Ifle. Cette conquête nous a coûté , dit- on ,
cinq Officiers & 300 hommes tués ou bleffés
, tant dans les attaqués de mer que deterre.
Aux détails que nous venons de don(
23 )
ner , nous joindrons ceux-ci , qui circulent
depuis l'arrivée de nos Officicrs.
L'expédition projettée par nos Généraux , étoit
contre la Barbade ; M. le Marquis de Bouillé fe
propofoit d'y defcendre , d'aller par terre attaquer
l'Amiral Hood à boulets rouges , & le forcer par- là
de tomber dans la flotte Françoife. Les vents ca
ordonnèrent autrement ; l'armée fut retenue pendant
douze jours dans le canal de Sainte-Lucie . Le
vent & les courans firent dériver quelques tranf
ports , & fur-tout le Lion-Britannique , bâtiment
qui portoit l'artillerie , qui tomba fous le vent
jufqu'à Saint-Euftache ; il fallut fe décider à le
fuivre , & attaquer Saint-Chriftophe. Dès que le
Marquis de Bouillé fut débarqué , il fignifia aux
habitans que leur propriété feroit refpectée , s'ils
vouloient être fimples fpectateurs de la guerre
qu'il vouloit faire à la garnifon , & lui fournir à
prix d'argent les vivres & les autres objets dont il
pourroit avoir befoin. Les habitans fe trouvèrent
trop heureux d'accepter cette propofition ; & pendant
le fiége , on n'a rien eu à leur reprocher. A
mefure que M. de Bouillé avançoit vers Brimftone-
Hill , les différens piquets de troupes Angloifes fe
renfermoient dans le fort. On en auroit peut-être
pu couper quelques-uns , fi M. de Bouillé , avec fat
prudence ordinaire , n'eût pas voulu , avant d'inveftir
le fort , faire reconnoître toute l'Ifle , vifiter
les ravins , & c. car il étoit poffible que quelques
corps de milice fuffent en embuscade : ce qui prit
la moitié de la journée. L'armée Françoiſe étoit
compofée de 6000 hommes effectifs & de 800
volontaires de la Martinique. M. de Bouillé vou-'
lant inveſtir Brimftone de plus près , fit occuper un
petit bourg qui eft au pied de ce morne par la
Brigade de M. de S. Simon , dans l'efpérance que
l'ennemi reſpecteroit ce joli endroit , & ne voudroit
( 24 )
pas le détruire . Il avoit trop eſpéré , car nos
troupes ne furent pas plutôt dans le bourg , que
les Anglois du fort firent un feu d'enfer qui les
obligea d'en fortir ; ainfi , ce font les ennemis , &
non M. de Bouillé , qui allumèrent cet incendie ,
dont on s'eft plaint dans quelques lettres de Londres
. Cela n'empêcha pas que les batteries ne fuffent
dreffées contre le morne. Il eft vrai qu'elles ne
firent pas d'abord beaucoup d'effet , parce qu'on
n'avoit que des canons de 12 ; il falloit néceffairement
de la groffe artillerie , & on le détermina à
prendre les canons du vaiffeau le Caton . Un Ingénieur
fort habile les arrangea fur des affuts de
fon invention , & on battit en brèche. On n'avoit
pas beaucoup de bombes ; mais par un bonheur
fingulier , on en avoit trouvé 2000 fur le rivage
que les ennemis avoient abandonnées , & qui le
trouvèrent être de calibre propre à être lancées
par nos mortiers : on les renvoye à leurs anciens
maîtres. Brimstone attaqué de cette manière , vit
bientôt fes premiers retranchemens emportés ; &
lorfqu'on fe fut logé fur celui qui eft au milieu de
la montagne , l'ennemi épouvanté , craignant d'être
forcé dans celui qui lui reftoit , demanda à capituler
, le 12 Février à minuit , jour du Mardi Gras .
Les 1500 hommes que le Général Prescott avoit
mis à terre , furent repouffés par 300 Grenadiers &
Chaffeurs aux ordres de M. le Comte de Flechin ,
Colonel en fecond du Régiment de Touraine. Cet
Officier s'eft acquis beaucoup d'honneur en cette
occafion. Voyant fa petite troupe prête à être
tournée fur une petite crête où il s'étoit pofté , il
eut bien de la peine à faire defcendre fes Grenadiers
, qui défioient l'ennemi de les forcer ; & par
une marche rapide , il gagna une autre hauteur
d'où , par un feu bien foutenu & bien dirigé , il
culbuta les trois colonnes Angloifes & les força de
fe retirer, Sa perte fut de 86 hommes.
La ma-
-
noeuvre
( 25 )
2
oeuvre hardie que fit l'Amiral Hood pour occuper
le mouillage de Baffe- Terre , & la manière dont il
y difpofa les vaiffeaux , ont été admirées . La flatte
Françoile ne pouvoit pas la tourner & M. de
Bouillé qui étoit venu avec des mortiers , vit avec
regret qu'il ne pouvoit l'attaquer . Elle ét it à 1800
torfes de la terre. Les vaifleaux qui ont le plus perdu
de monde , font la Ville de Paris & le Saint Efprit.
Le feu prit au premier , mais il fut bientô éteint.
M. de Graffe pouvoit espérer d'entamer l'arrièregarde
de l'efcadre Angloife lors de fa retraite ; mais
les vents contraires l'empêchèrent de la joindre.
M. de Vaudreuil étoit arrivé le 4 Février ; il n'avoit
été fuivi que par 7 tranfports , à bord defquels
il n'y avoit point de troupes.
On ajoute à ces détails , qu'on a laiſſé
1400 hommes à Saint - Chriftophe ; que l'ac
tivité de M. de Bouillé le fait penſer à de
nouvelles expéditions , & qu'on en entreprendra
une auffi - tôt que M. de Graffe aura
pris les vivres néceffaires.
Les articles de la capitulation des Ifles
de St-Chriftophe & de Nevis font les fuivans
:
1º. Les Gouverneur & Commandant des Trou
pes , les Officiers & les Sldars , les Offi : ers de
Milice & les Habitans Miliciens , fortiront prr la
brèche du fort de Brimflone- Hill avec leur mortier ,
deux pièces de canon de campagne de foute , dix
coups par pièce , armes & bagages & tous ' e honneurs
de la guerre , & mettront bas les armes après ,
à l'exception des Officiers . 2º. Les Tropes
réglées feront prifonnières de guerre & transportées
en Angleterre dans de bons bâtimens avec des
vivres pour la traverfée , mais elles ne pourront
fervir contre le Roi de France que quand elles
6 Avril 1782. b
( 26 )
feront échangées : les Officiers pourront refter dans
les Inles fur leur parole : les Miliciens & Nègres
armés retourneront fur leurs habitations . 3º. Les
Habitans ou leurs fondés de procuration , feront
obligés de prêter ferment de fidélité au Roi de
France , dans l'efpace dun mois , entre les mains
du Gouverneur des Ifles ; & ceux qui ne pourront
le faire dans ce temps par maladie ou autrement ,
obtiendront un délai, 4°. Ils obferveront une -
neutralité exacte , & ne feront pas forcés de pren
dre les armes contre Sa Majefté Britannique ni
aucune autre Puiffance . Ils conferveront des armes
chez eux pour la police de leurs Nègres , mais ils
feront tenus d'en faire la déclaration chez les Juges
de paix , qui répondront du mauvais ufage qui
pourroit en être fait contre la teneur de la préfente
Capitulation . 5. Ils conferveront jufqu'à la
paix leurs loix , coutumes & ordonnances ; la juftice
fera exercée par les mêmes perfonnes actuellement
en charge , & les frais pour l'entretien de
la justice feront à la charge de la Colonie. — 6 ° . La
Cour de la Chancellerie fera tenue par les Confeillers
actuellement en place , & dans les mêmes
formes , & les appels de ladite Cour , feront faits
au Confeil de Sa Majefté Très-Chrétienne. 7° . Les
Habitans & le Clergé feront maintenus dans la poffelbon
de leurs biens , de quelque nature qu'ils
foient , & dans leurs priviléges , droits , hondeurs
& exemptions , dans la profeffion de leur religion , &
les Miniftres dans la jouillance de leurs Cures .
Ceux abfents qui font au fervice de Sa Majesté
Britannique , feront maintenus dans la poffeffion
& jouiffance de leurs biens qui pourront être gérés
par des fondés de procuration. Les Habitans pourront
vendre leurs biens & poffeffions à qui ils juge
ront à propos ; ils pourront auffi envoyer leurs
enfans en Angleterre pour leur éducation , & pourront
auffi les faire revenir. 8. Les Habitans
--
927 }
---
-
-
11 °. Dans
Faleront pour tous droits , entre les mains des
Tréforiers des Trou es , chaque mois , la valeur .
des deux tiers des droits que les îles de Saint-
Chriſtophe & Nevis paycicnt au Roi d'Angleterre ,
d'après l'évaluation des revenus que les Colonies
ont faite en 1781 , & qui fervira de base. 9 °. Les
Efclaves qui auroient été pris pendant le fiége ,
feront rendus religieufement , & ils pourront être
réclamés dans toutes les les Françoiſes du Vent &
fous le Vent. 10. Les Habitans ne feront pas
obligés de fournir de logement aux gens de guerre ,
à l'exception des cas extraordinaires ; mais les Troupes
feront toujours logées aux frais du Roi ou dans
les maifons qui lui a partiennent.
le cas où le Roi auroit befoin de Nègres pour les
travaux , ils feront fournis par les Habitans defdites
Inles jufqu'au nombre de soo ; mais ils feront
payés à raifon de deux cfca'ins par jour chacun ,
& nourris aux frais du Roi. 12. Les vaiffeaux
& bâtimens caboteurs appartenans aux
Habitans lors de la capit lation , leur refteront en
nature de propre. Les bâtimens que lefdit Habitans
attendent des poris d'Angleterre ou de ceux des
poffeffions de Sa Majefté Britannique , feront reçus
dans lefdites Colonies pen lant l'espace de fix mois
& ils pourront expélier en retour fous pavillon
neutre , & même four les ports de l'Anglete re ,
avec la permiffion particulière du Gouverneur ; &
fi lefdits bât mens attendus relâchoient dans quelqu'Ile
Angloife , le Gouverneur fera auto: ifé à
donner des permiffions pour les faire venir de ces
Ifles où ils auroient relâch ?. - 13. Les Habitans
& les Négocians jouiront de tous les priviléges
accordés aux Sujets de Sa Majefté Tiès - Chrétienne
dans toute l'étendue de fes domaines.
-
14° . Les fournitures qui ont été faites à l'armée
Françoife pendant le fige jufqu'à ce jour , par
lefdites Colonies , les pertes que plufieurs habitans
b 2
( 28 )
---
ont éprouvées par l'incendie de leurs habitations
ou de toute autre manière , & toutes les dettes
civiles , feront eftimées par une affemblée des habitans
, & le montant fera réparti par les deux
Colonies , à titre de contribution ou d'indemnité
des frais de la guerre , de manière que tous ces
objets ne puiffent être imputés fur l'impofition
ftipulée qui aura lieu de la date de la préfente capitulation
; mais l'affemblée des habitans pourra y
employer les arrérages des droits en général qui
reftent à percevoir jufqu'à ce jour. 15 ° . Les
Ma elots des bâtimens de commerce , ceux 'des
Corfaires & auties particuliers qui n'ont pas
de propriété dans leidites Iles , en fortiront
dans l'efpace de fix femaines , s'ils ne font point
em loyés au cabotage , ou avoués par des propriétaires
qui en répondront , & il leur fera permis
de paffer dans les Ifles neutres. 16 ° . Il fera
remis au Général des troupes Françoifes toute l'artillerie
, tous les effets dépendans defdres Colonies ,
appartenans à Sa Majefté Britannique , toutes les
poudres , armes , munitions & bâtimens du Roi ,
& le états en feront remis au Gouverneur . 17º . Eu
égard à la conduite ferme & courageufe des fieurs
Shyrley & Fafer , nous coufentons qu'ils ne foient
pas réputés prifonniers de guerre ; que le premier
retourne à fon Gouvernement d'Antigue , & que
le fecond continue fon fervice , étant fort ailes
de donner à ces braves Officiers des marques de
notie eftine particulière . A St.- Chuftophe , le
12 Février 1782. Signés, le Marquis DE BOUILLÉ ,
THOMAS SHYRLEY , Gouverneur & Major- Général
de larmée de Sa Majesté Britannique , & THOMAS
FRASER , Brigadier- Général Il est en outre convenu
e le habitans de ces Ifles , avec la permillion
du Gouverneur , emporteront leurs denies dans
des bâtimens neutres , pour tous les ports d'Europe
& d'Amérique «.
( 29 )
Après la Capitulation on fera bien aife
de trouver ici le Précis des opérations de
M. de Graffe.
L'armée navale a x or ' res du Comte de Graffe ,
étoit partie de la - baye de la Chéfa , éak les de
Novembre 1781 ; le 8 , ce Général détacha quatre
Vaileaux fous le commandement du Chevalier
d'Albert de Saint -Hipoly e , à Saint -Domingue ,
pour le fervice de cet e Colonie . Le projet du Général,
en partant de la Cheſapeak , étoit de le porterfur
la Barbade , pour intercep er l'Amiral Hood à
fon retour , ou qelque convoi venant d'Europe ;
mais il trouva des vents fi contraires & fi frais ,
qu'une partie des vaiffeaux de larme fut endommagée
dans la mâtute ; chaque i fiant étant marqué
par un fignal d'incommodité , il fe vit forcé d'aller
fe réparer à la Martini ue , pour reprendre la mer
le plutôt qu'il lui feroit poffib'e. Il mouilla au Fort-
Royal le 26 Novembre , & on s'occupa fur le
champ des réparations q'exigeoient les vaiffeaux .
Le Marquis de Bouillé revint de fon expédition de
Saint Euftache dans les premiers jours de Décembre .
Les deux Généraux , a rès s'être concertés , réſolurent
d'embarquer 3500 hommes pour aller attaquer
la Barbade. M. de Barras , Lieutenant Général
des armées navales , étoit chargé de favorifer le
débarquement avec quelques vaiffeaux , tandis que
le Comte de Graffe avec le gros de l'armée , bloqueroit
l'Amiral Hood , arrivé de la Nouvelle-
Angleterre avec 18 vaiffeaux . L'armée mit à la
voile le 17 Décembre , mais elle trouva les brifes
fi fortes , & les grains fi violens dans le canal de
Ste- Lucie , qu'elle fut obligée de relâcher. Le Solitaire
, entr'autres , fut démâté , tomba fous le vent
& gagna Saint-Domingue. Le Comte de Graffe remit
à la voile le 28 , avec le même projet ; mais les
contrariétés foutenues qu'il éprouva , le forcèrent
b 3
( 30 )

encore de revenir au Fort -Royal , le 3 Janvier 1782.
Le Comte de Graffe & le Marquis de Bouillé tournèrent
alors leurs vees fur Saint- Chitophe ; près
de 6000 hommes s'embarquètent tur les valeaux
de guerre & quelques petits bâtimens , & on fit voile
le si les vaifleaux Hector , le Palmier , le Conquérant
& le Réfléchi , reftèrent au Fort-Royal Four y
réparer le dommage qu'ils avoient fouffe t , avec
ordre de fe rallier à l'Armée auffi-tôt que leur radoub
feroit achevé. L'Armée arriva le 11 devat Saint-
Christophe , & à peine étoit- elle mouillée dans la
rade de Baffe -Terre , que les notables de l'ifle vinrent
en députation , & promirent de ne point prendre
les armes & de ne commettre aucun acte hoftile.
Les troupes & milices Angloifes fe renfermèrent
dans le fort de Brimftone- Hill. Les nôtres débarquées
dans la journée , le mirent en mouvement
pendant la nuit pour aller inveftir ce rocher , que
l'art & la nature . ont fortifié. Le 24 , on fignala 22
vailleaux de guerre : ne doutant point que ce ne
fût l'Amiral Hood , qui venoit au fecours de Saint-
Chriftophe , le Comte de Graffe mit fur le champ
à la vone : plufieurs raifons le déterminèrent à piendre
ce parti. En reftant à la Baffe- Terre , il laiffoit
les Anglois maîtres du mouillage de Sandy- Point,
d'où ils auroient été à portée de jetter au ſecours
dans Brimstone- Hill: les vaiffeaux le Conquérant
& l'Hector , attendus de la Martinique , pouvoient
être interceptés en fe réuniffant à l'armée :
enfin , il importoit fur- tout d'aflurer une communication
libre entre Saint-Chriftophe & la Martinique
, d'où l'on tiroit les munitions de guerre & de
bouche , & tous les fecours néceffaires pour la conduite
du fiége. Le 25 , au point du jour , on apperçut
les ennemis fous Mont'Sarat , courant la bor
dée du Nord ; ils virèrent de bord , & portèrent
fur Saint-Chriftophe. Le Comte de Graffe mit tout
( 31 )
en ufage pour approcher l'ennemi ; il forma une
E caire légère des quatre plus petits vailleaux , &
une ligne de vingt-cinq des plus gros : les ennemis
ne parurent pas difpofés à accepter le combat ; les
vents s'étant fixés à l'eft-fud- eft, leur donnèrent la facilité
devenir vent largueau mouillage de la Balle-Terre ;
tandis que nos vailleaux étoient obligés de tenir le
vent pour les joindre , les Anglais ferroient la terre
de fort près , & gagnèrent le mouillage de la Baffe-
Terre tous le feu de l'avant-garde Françoife , qui
' ne put joindre leur arrière-garde . La nuit s'approchoir
, le Comte de Graffe la paffa fur les bords , réfolu
d'attaquer les Anglois au mouillage le lendemain 26,
ce qu'ilexécutadeux fois dans la journée . L'attaque du
matin obligea plufieurs vaiffeaux de l'arriere-garde
ennemie de couper leurs cables & de prendre une
meilleure pofition . Il eut moins d'avantage à celle
de l'après- midi , les Anglois étant ferrés & emboffés
dans une pofition des plus formidables . Le Comte
de Graffe voyant l'impoffibilité d'entamer les ennemis
, & que de nouvelles attaques ne pouvoient
produire qu'une perte d'hommes de part & d'autre ,
fans qu'il pût en réfulter aucun avantage décifif ,
fe borna à les bloquer juſqu'à la fin du fiége . Il
affuroit d'ailleurs , par ce moyen , l'arrivée des
convois attendus d'Europe . Il garda cette ſtation
jufqu'au 14 Février. Un convoi portant des vivres
pour l'armée , étoit venu de la Martinique à l'Ile
de Nevis , diftante de quatre lieues de Saint-Chriftophe
; le Comte de Graffe fe rendit à Nevis pour
recevoir ces vivres ; mais dans la nuit , les Anglois
appareilièrent fans faire aucun fignal , &
fe réfugierent à Antigues à la faveur des ténèbres
. Le 20 , le Comte de Graffe étoit encore
à Saint- Christophe , occupé au rembarquequement
des Troupes & des effets d'artillerie . Il
devoit lever l'ancre peu de jours après pour retourner
à la Martinique prendre , en paffant , l'Ifle
b 4
( 32 )
de Mont-Sarat , & joindre cette conquête à celles
de Saint- Chriftophe & de Nevis.
» Deux nouvelles frégates font entrées à Gibraltar
, & la gazette de Madrid parle de 7 bâtimens
qui ont mouillé dans cette baie dans l'espace
de S à 6 jours . Elle contient auffi quelques détails
fur un petit Fort que les Milices de la Louifiane
ont enlevé aux Anglois dans la Nouvelle- Efpagne.
Les Milices du pays fe font auffi diftinguées vers
les Appalaches contre les Indiens montagnards & féroces
, qui ne défolent que trop fouvent de ce côté les
établiffemens Espagnols «.
On lit dans des lettres de Marſeille
qu'une Tartane Angloife ignorant la reddition
du fort Saint- Philippe , eft entrée dans
le port de Mahon , où l'on s'en eft emparé ,
ainfi que des dépêches dont le Capitaine
étoit chargé pour le Général Murray. Un
Cutter de la même nation , plus défiant ou
foupçonnant la prife du fort , fe contenta
d'envoyer fon canot , qui a été également
pris.
Les troupes qui doivent former un camp
en Bretagne font en mouvement , & les
Officiers fupérieurs ont eu ordre de rejoindre
le premier le ce mois . C'est le Maréchal
de Broglie qui les commandera ; il aura fous
lui M. le Comte de Stainville .
Les trav ux continuent à Breft avec beau-
´cou › d'activité ; les efcadres & les tranfports
qu'on y prépare , feront prêts à mettre en
mer inceffamment .
» Le 6 Fevrier dernier , écrit-on d'Antibes , un
bâteau du Roi affecté au ſervice de l'Ile Sainte- Mar(
33
guerite , ayant été fubmergé près de la pointe de
la Croisette , le nommé Fra ços Fourman ) , to moin
de ce malheur , fans être intimidé par l'im ét olivé
des vagues , qui pouvoient le b fer fur les rochers,
fe précipite dans la mer , & parvient , après avoir
latté long- tems contre les flots , faifir le bras prefqu'inanimé
d'un matelot , & le traîne vers le riv ge ,
où il le dépofe. I retourne en chercher un fecond ,
qu'il fauve encore ; il fe replonge une troisième fois ,
& ne revient à terre , recevoir les ecours dont il
avoit le plus grand befoin , qe lorfqu'on I cût averti
qu'un autre matelot avoit gagné le rivage , &
qu'ayant reconnu le cadavre du Patron m tilé contre
les rochers , il fe fut afluré qu'il ne lui reftoit plus
perfonne à fauver. Sur le compre qui a été rendu
au Roi du courage de ce pêcheur , connu dans le pays
par plufieurs autres actions de cette nature , S. M.
lai à accordé une gratification «.
Les nouvelles de nos côtes font mention
de plufieurs bâtimens ennemis échoués en
divers endroits pendant les tempêtes du
mois dernier. Le 12 Mars le navire Anglois
The Hope-Well de 800 tonneaux , armé
de 6 canons , 6 pierriers , 26 hommes
d'équipage , a échoué à la côte de St -Quentin
près de St -Vallery ; c'étoit un tranſport
du Roi d'Angleterre. Le même jour échoua
fur la côte de Bern , près de la même vi'le ,
The Friends-Goodwill de 90 tonneaux , dont
la cargaifon confiftoit en fel blanc rafiné ,
& en 42 boucauts de différens fels propres
à la médecine ; le floop Anglois le Succès ,
de 100 tonneaux , échoua auffi le même jour
à la pointe de Lorres à une lieue de la
baie de Tables.
bs
( 34 )
Les corfaires continuent d'être fort hen
reux dans leurs croifières.
La Levrette a conduit à Saint-Malo une barque
Angloife de 60 tonneaux chargée de bled & ´de
fucre. Le corfaire la Madame de Granville 2
a conduit au Ferrol le navire Anglois le Twofriend,
de 300 tonneaux , chargé de comestibles deſtinés
pour la Jamaïque , qu'il a pris le 13 Février.
Le corfaire l'Union , de Dunkerque , a pris & envoyé
au Havre , où il eſt arrivé le 21 Mars , le
Thomas-and-Williams , de 1ƒo tonneaux. La
Victoire , de Dunkerque , a conduit le 29 du
même mois à Breft , le bricq le Freind-Ship , de
12 canons de 9 & de 6 , dont il s'étoit emparé le
17 vers les côtes d'Irlande .
--
On lit dans une lettre de Bordeaux les
détails fuivans.
Le premier Mars , on apperçut vers la côte de
Bidart , près Saint- Jean -de- Luz , une baleine , qui s'étant
avancée trop près de la plage , avoit de la peine
à fe remettre à flor. La marée ayant tout-à-fait
baiffé , elle demeura à fec fur un rocher dont les
brifans ne permettoient pas qu'on approchât ; la
haute mer la releva quelques heures après , & elle
s'éloigna au grand regret des Pêcheurs de Bidart &
de Saint -Jean- de - Luz , qui virent cette proie leur
échapper faute des moyens néceffaires pour la prendre.
Les Pêcheurs de Fontarabie inftruits par une
vigie qu'i's tiennent fur la côte , armèrent auffi - tôt
4 chaloupes , auxquelles le Commandant de la place
fit délivrer les harpons , funins & autres uftenfiles
que le Gouvernement fait garder en dépôt pour ces
fortes d'occafions. Avec ce fecours ils ont réuffi , le
2 de ce mois , à la harponner & à la tuer fur la
plage appellée la Magdeleine . Cette baleine s'eft
trouvée avoir 60 pieds de longueur fur de circon-
35
( 35 )
férence , & fon fanon une aune & demie. On a vu en
même-tems un baleinon qu'on a pourſuivi , & qui
aura été vraisemblablement pris par les mêmes chaloupes.
Cette bonne fortune produira au moins
12,000 liv . à ces Pêcheurs. M. Dupré de Saint-
Maur , Intendant de Bordeaux , informé qu'elle n'avoit
échappé aux Bafques que parce qu'ils fe font
trouvés dépourvus des uftenfiles néceffaires , va pren.
dre des mesures pour former , à Saint-Jean-de-Luz ,
un dépôt femblable à celui que l'on tient à Fontarabie.
Les précautions du Gouvernement Espagnol à
cet égard, paroiflent n'être qu'une fuite de la pêche
qui avoit lieu autrefois dans ce golfe , lorfque les
baleines y paroiioient plus fréquemment. L'établiffement
de la vigie dont on vient de parler , n'avoit
même d'autre objet que de mettre les Pêcheurs à
même d'être inftruits de l'arrivée des baleines ou de
leur attériffement à la côte «.
On vient de publier une eftampe très - agréable ,
très -piquante & très -fraîche , d'après M. Fragonard,
Peintre du Roi , de l'Académie de Peinture & de
Sculpture ; elle eft intitulée : les Hafards heureux
de l'Efcarpolette ; elle fait honneur au burin de
M. de Launay , Graveur du Roi , de la même Académie
, & Membre de celle des Beaux- Arts de Danemarck
; il l'a dédiée à M. Fragonard lui - même ;
c'eft l'art & le talent qui rendent leur hommage à
l'art & au talent , feuls faits pour s'apprécier réciproquement
( 1 ) .
La famille de Thierry , en Picardie , defireroit
trouver l'extrait de baptême d'Evreux Thierry ,
mort à Ravenel , près Montdidier , en 1618 , où ,
(1) Cette Eftampe qui fera en vente demain mercredi ,
eft du prix de 9 livres , & fe trouve chez M. Delaunay ,
rue de la Bucherie , près la rue des Rats.
b 6
( 36 )
felon la tradition , il eft venu s'établir marchand .
On pense que fon origine étoit de Château - Thierry
en Champagne , des environs , ou de la Lorraine .
On prie MM . les Curés d'examiner dans les regiftres
de baptême s'ils n'ont pas cet extrait , &
fi cet Evreux Thierry n'étoit pas fils de Pierre ou
de Claude Thierry. Si l'on peut trouver cette
piece , en l'adreflant au fieur le Roux , Libraire à
Montdidier , il y aura une récompenſe honnête .
Le 29
Janvier 1781 , il mourut à Neuville-
en Ferrain , la nommée Marie Jeanne
Jafinn , Accoucheufe de profeffion , âgée de
10 ans 10 mois ; elle en avoit vécu 69
avec Jean-Thomas Courfck , fon mari , qui
vient de mourir le 15 Février dernier , âgé
de 10 ans & un mois . Ce vieillard avoit
fervi 7 ans fous Louis XIV dans le Régiment
de Béarn , Dragons .
Anne-Evrard de la Magdeleine de Ragni ,
Billi , grand Tréforier de l'Ordre de Malte ,
Commandeur de Ruetz , eft imort le 7 de ce
mois à Saint- Difier , âgé de 83 ans & 7 mois.
Il avoit pour trifaïeul , François de la Magdeleine
Marquis de Ragny , Chevalier
des Ordres du Roi à la promotion de 1595 .

Marguerite de Ribeyre , veuve de Louis-
Théodore Defcoreilles Marquis de Rouffille
, eft morte à Clermont -Ferrand , le 23
de ce mois , dans fa 86° année.
Commiffion du grand Sceau , qui nomme des Commilaires
du Confeil pour affifter M. le Grand-Aumônier
dans l'examen des placets qui feront préfentés
par les criminels , à l'effet d'obtenir la grace que
Majefté veut bien accorder, en confidération de la
Sa
( 37 )
naiffance de Monfeigneur le Dauphin , du 28 Février
1782. - Louis , & c . à nos amés & féaux Confeillers
en nos Confeils , Maîtres des Requêtes ordinainaires
de notre Hôtel , les fieurs Brochet de Saint-
Preft , Chaillon de Jonville , de Tolozan , de Chevignar
, le Camps de Neville , Gravier de Vergennes
, Amelot de Chaillou , Chaumont , & de Sartine ;
falut . Le bienfait ſignalé dont il a plû au ciel de
combler nos voeux , & ceux de nos bons ujets , par
l'heureufe délivrance de la Reine , notre très - chère
époule & compagne , & par la naiflance d'en Dauphin
, nous ayant engagé , à l'exemple des Rois nos
prédéceffeurs , fingulierement du fe Roi notre aïeul ,
>
faire reffentir les effets de notre clémence à ceux
de nos fujets qui , prévenus de crimes ou délits ,
y auront recours pour des cas rémi libles , & qui ſe
trouveront détenus dans le prifons de notre bonne
ville de Paris & de notre ville de Verfailles , même
de ceux qui fe remettront volontairement dans les
prifons de Verſailles , pendant l'espace de deux mois
du jour & date des préfentes , il Nous a paru néceffaire
de faire préalablement vifiter ' efdites prifons
& examiner les caufes de la d'tention des pri onniers
pour fair de crimes ou délite , afin de ne rendre
participans de nos graces que ceux qui en feront
jugés dignes . A ces caufes , & aurres à ce nous mouvant
, de l'avis de notre Confeil & de notre certaine
fcience , pleine puiffance & autorité royale , Nous
vous avons commi & députés ; & par es pré entes ,
fignées de notre main , commertons & députons pour
affifter notre Grand- Aumônier dans la vifite qu'il
fera faire des prons de nofires villes de Paris &
de Versailles , & examiner , foit a ec lui conjointement
, ou les uns en l'abfence des autres , les caufes
de la détention des prifonniers qui fe trouveront y
avoir été conftitués , en vertu des décrets de nos
Cours ou des Juges ordinaires , même de ceux qui ,
( 38 )
dans ledit délai de deux mois , fe feront remis volen.
tairement dans les prifons dudit Verfai les ; faire
représenter les charges & informations fur lefquelles
ceux qui font actuellement dans lefdites prifons auront
été décrétés , & procéder aux interrogatoires
des uns & des autres , fuivant l'exigence des cas ; auquel
effet nous enjoignons à tous Greffiers , Concier
ges , Gardes & Geoliers des prifons de nofdites villes
de Paris & de Verſailles , d'obéir à notre Grand-
Aumônier & à vous , en tout ce qui concernera l'exécution
de la préfente Commiffion . Voulons que par
vous il foit dreffé procès - verbal ſommaire , fur l'examen
que vous aurez fait des crimes ou délits de ceux
qui auront été conftitués prifonniers par autorité de
juftice , ou qui fe feront remis volontairement dans
les prifons de Verfailles ; pour , fur le rapport qui
nous en fera fait , être par nous inceffamment pourvu
à la délivrance de ceux dont les cas fe trouveront
rémiffibles ; fous les conditions de la grace qu'il
nous plaira de leur accorder ; de ce faire vous donnons
pouvoir & commiffion , & c. «
De BRUXELLES , le 6 Avril.
L'AFFAIRE importante de la reconnoiffance
de l'indépendance Américaine , fait
tous les jours de nouveaux progrès. La Province
de Frife eft la première qui s'eft décidée
fur ce grand objet , & qui a fait paffer fa
réfolution à fes députés à l'aflemblée des Etats-
Généraux . Les négocians des villes d'Amfterdam
, de Harlem & de Leyde , ont préſenté des
requêtes fur ce fujet à L. H. P.; ceux de Roterdam
& de Schiedam en ont adreffé à leurs
Magiftrats , dans lefquelles ils expriment le
( 39 )
mêne væu ; on ne doute pas que toutes les
provinces ne s'y conforment ; l'opinion générale
eft que ce feroit en politique , une
grande faute de fe laiffer prévenir par les
Anglois , dans une affaire fur laquelle ils
paroiffent aujourd'hui penfer bien différemment
que les années dernières.
La réfolution de la Frife ne doit pas tarder
à décider la Généralité. Cette Province
a , dit-on , fait remettre aux Etats- Généraux
une lettre dans laquelle elle infifte fur les
trois points fuivans ; 1º. fur une recherche
exacte & rigoureuſe , de l'emploi qu'on a
fait des 30 millions de florins accordés l'année
dernière ; 2. fur la néceffité de reconnoître
les Etats de l'Amérique feptentrionale
comme des Etats libres & indépendans ,
d'admettre M. Adam en qualité de leur Miniftre
, & de conclure au plutôt un traité
de commerce avec eux ; 30. fur l'éloignement
du Duc de Brunfwik.
Ce derniet article a étonné tout le monde
après la réfolution prife précédemment dans
les autres provinces , de ne point donner de
fuite à cette affaire . Les Etats de cette province
écrivirent le 11 Mars la lettre fuivante
au Stadhouder.
Le grand intérêt que nous mettons dans un tranquille
exercice de la Régence légale du pays , &-
en même-tems la vive confidération d'un de fes
principaux fondemens ; favoir , la jufte & ferme
confiance des bons habitans , non-feulement en leurs
( 40 )
Souverains , mais auffi généralement en tous ceux
qui fe trouvent placés a la tête des affaires d'Etat , &
font chargés de leur exécution , nous ont engagés
de mettre fous les yeux de V. A. S. avec ce férieux
qu'exige l'importance , de l'affaire , quil eft amplement
connu a chaque Membre d'Etat dans les
circonftances critiques où la République fe trouve
actuel ement , qu'il y règne généralement parmi les
bons habitans , tant grauds que petits , une méfiance
& un mécontentement fur la grande direction des affaires
qui concernent l'intérer du pays , & fpécialement
fur la conduite de la marine de la République,
fur la marche lente & fur la petite protection
du Commerce , auffi bien avant qu'après le tems
que la Couronne d'Angleterre a déclaré la guerre à
cet Etat , De ce mécontentement & de cette méfiance
, qui au lieu de diminuer , paroiffent augmen
ter journellement à notre grand regret , il eft né
& s'eft accru one haine univerfelle contre la Perfonne
& le Ministère du Seigneur Duc de Brunfwik
, lequel étant confidéré comme Confeiller de
V. A. S. , eft foupçonné d'être la caufe principale
de la direction défectueufe & lente des affaires .
Qe de cette difpofition trop inquiette des bons
hab tans , les fuires les plus dangereufes pour le repos
pblic , & pour la conftitution légale de cette
Rép bique font à craindre , ce que chaque Régent
bien intentionné eft indifpenfablement obligé de
tâcher le pr'venir , autant qu'il eft poffible.. C'eft
par cette conviction , féréniffime Prince , que nous
nous trouvons forcés de mettre fous les yeux de
V. A. S. cette façon de penfer de nos bons habitans
fi défavorable & qui augmente généralement , nonfeulement
avec toute cor lial té & par un vrai amour
de la patrie mais affi par le devoir indifpenfable
qui nous oblige , comme la régence fouveraine de ce
pays , de veiller & de conferver la tranquillité & la
-
( 41 )

confiance publiques , les vraies fources de la profpérité
du pays , & de témoigner très-férieufement ,
qu'afin de prévenir les fuites pernicie fes , q i font
fortement à craindre de cette méfiance & de ce mécontentement
des habitans , tant pour la trang illicé
publique , que pour la conftitution légale du pays ,
nous ne pouvons nous dispenfer de prier V. A. S. de
la manière la plus amicale & la plus énergique
( dans la confiance que V. A. S. comprendra auffi
bien que nous , l'importance de l'affaire, tant par
rapport au pays , que pour elle-même ) de vouloir
perfuader de la manière la plus convenable le Seigneur
Duc de Brunfwik , de ne fe plus mêler de
la direction des affaires , & de fe retirer hors de la
République ; afin que par- là tout foupçon foit ôté ,
la concorde rétablie , & le bon peuple ramené à
une confiance fans réferve en ceux qui font chargés
de l'exécution des affaires tendantes aux intérêts les
plus précieux du pays . Sur ce , féréniflime Prince &
feigneur , nous recommandons V. A. à la protection
du Tout- Puillant « .
Le lendemain le Stadhouder fit à cette
lettre la réponſe ſuivante .
C'eft avec autant de rep ret que d'étonnement , que
nous avons vu par la lettre de V. N. P. du 11 du
courant , la prière qu'elles nous ont faite , de pérfuader
le Seigneur Doc de Brunfwik , de s'abftenir
de la direction des affaires , & de fe retirer hors de
·la République , & cela à caufe de la méfiance , & ...
( Ici la Récapitulation des motifs énoncés dans
la lettre précédente. ) Quei que nous
foyons toujours difpotés à fatisfaire
qu'il eft en notre pouvoir , les justes de fir de
V. N. P. , & que nous ne fo haitions rien a ec
plis d'ardeur que de trouver des occafions de donner
des preuves de notre zèle pour l'avancement des
véritables intérêts de cette République , & particu
.
?
autant
( 42 )
lièrement de la Province de Fife , nous ne faurion's
diffimuler que nous ne po vons com, affer avec
la justice , que quelqu'un , & paruculièrement
un Seigneur d'une mai on fi illuftre , à la charge
duquel on allègue vaguement un mécontentement
conçu fans le moindie indice de fondement
ou de preuve de délit , un Seigneur à qui
nous & notre maiſon fommes tant redevables , qui
depuis plus de trente ans a fervi la République en
qualité de Feld-Maréchal avec tout le zèle & la fidélité
poffible , & pendant notre minorité , a exercé
-le pofte de Capitaine - Général à la fatisfaction
tant de L. H. P. , que de V. N P. & des Seigneurs
Etats des autres Provinces , doive non- feulement être
exclu de toute adminiſtration & même de celle qui lui
eft impofée par les commiffions des Charges militai .
res, dont il eft revêtu , mais auf quitter le pays .
Nous fommes perfuadés que V. N. P. approuveront
, que fur les fondemens de la reconnoillance
& de la juftice nous nous croyons obligés de jufti
fier le tudit Seigneur Duc , autant que cela dépend
de nous , du blâme que la paffion inconfidérée d'un
public mal-informé lui attribue , & qu'ainfi nous
renouvellons à cette occafion à V. N. P.
de la manière la plus folemnelle la déclara
tion , que nous avons faite dans l'Affemblée du
Corps des Nobles de Hollande , qu'on ne peut avec
aucune ombre de raifon attribuer au fufdit Seigneur
Duc l'état de défenſe miférable & défectueux
où le Pays s'eft trouvé au commencement
de la guerre , ni la prétendue négligence
qui auroit eu lieu à cet égard , & toutes les
foi- difantes fauffes mesures prifes depuis un certain
tems , avec toutes les fuites fatales qui en
ont réfulté , & que nous fommes pleinement affurés
, que jamais , & au grand jamais , il ne nous
a été donné par le fufdit Seigneur Duc , de fu
(
43 j
---
ou de gré aucun confeil ou avis , qui ne s'ac
corde point avec les vrais intérêts de la Républiq
e , & que fpécialement on attribue injuſtement
à l'influence des Confeils du fufdic
Seigneur Dc far notre esprit , que la marine
de la République ne le trouve pas en meilleur
état ou bien qu'il y auroit eu de l'inactivité
l'année derrière dans les opérations militaires
par mer , n'ayat jamais confulté ledit Seigneur Duc
fur ce dernier point. C'eft pourquoi nous penfons
qu'auffi long - tems que le fondement de ce
mécontentement ne fera pas démontré , & qu'aucune
des accufations quelconques , qu'un public
préoccupé a portées contre le Seigneur Duc , n'ayant
été prouvée en quelque manière , nous ne pouvons, ni
devons déférer aux inftances de V. N. P. dont nous
fouhaitons qu'elles veuillent bien le défifter : nous
croyons auffi , que fi , contre toute at ente , il étoit
fourni à V. N. P. quelque chofe qui pourroit être
confidéré comme une preuve fondée de la méfiance
conçue contre le fufdit Seigneur Duc , V. N. P.
donneront au fufdit Seig er Dac occafion de fe
juftifier convenablement , avant de le condamner
ou d'infifter ultérieurement fur fon éloignement
de notre perfonne Er en cas que rien de pareil
ne foit fourni à V. N. P. & produit par elles , nous
jugeons que le fufdit Seigneur Duc n'a befoin d'aucune
juftification , mais qu'il doit être confidéré
pleinement juftifié de ce blâme «.
Cette grande affaire n'eft point encore
finie ; elle peut occafionner quelques nouvelles
divifions parmi les efprits : il y a déja
eu fur la réfolution de la Frife une proteſtation
du quartier des villes . Quant à la réfolution
de contefter les plans de campagne
avec la France , toutes les voix fe font réu(
44 )
nies, comme nous l'avons dir ; les Etats-Généraux
ont fait remettre cette refolution à
1 Abfeur de France , qui le 18 Mars
leur préfenta le Mémoire fuivant à cette
occ.lion .
-
Le Roi a reçu les deux réfolations du 4 de
ce mois , dont V. H. P.- m'ont donné une communication
ministérielle . Par la première , V. H. P.
acceptent la médiation de S. M. l'Impératrice de
Ruffie , en potant pour bafe fondamentale la reconnoiffance
préliminaire de la liberté illimitée des
mers ; & elles déclarent en même- ems , qu'elles ne
prendront avec la Cour de Londres aucun engagement
, qui pourroit ê re incompatible avec la Neu.
tralité , que la République a conftamment obfervée
par la feconde , V. H. P. autorifent le Prince
Stadhouder , à propoler au Roi un concert d'opérations
cont . e l'ennemi commun . Le Roi , fidèle
aux principes de molération , qui forment effentiellement
fon ſyſtême politique , s'eft abftenu foigneufement
d'engager V. H. P. à prendre part aux
troubles furvenus entre la France & l'Angleterre.
Sa Majesté s'eft bornée à les exciter au maintien
de la dignité de la République & des droits conf
titutifs de fon indépendance & de fa profpérité ; &
elle a donné en même- rems à V. H. P. les marques
les moins équivoques de la bienveillance la plus
généreufe. Depuis que les hoftilités ont commencé
entre les Provinces- Unies & la Grande- Bretagne ,
S. M. conftante dans fa réſerve , n'a point jugé devoir
les provoquer à une combinaifon de mefures
Icontre cette Puiffance . Si , cédant au fentiment de
leur propre intérêt , V. H. P. fe déterminent aujourd'hui
à la propofer au Roi , il eft perfuadé , qu'elles
ont prévu que toute combinaiſoù feroit illufoire ,
1 }
45
---
fi elle n'avoit pour fondement la certitude , que l'on
ne pourra , ni de part ni d'autre , s'écarter du plan
arrêté , pour quelque caufe & quelque confidération
que ce pût être. - Mais , quoique le Roi rende
à cet égard une entière juſtice à la fagefle & à la pénétration
de V. H. P. , S. M. penfe néanmoins devoir
leur demander une explication amicale & préeiſe
fur un objet auffi important. La réponse de V.
H. P. mettra le Roi en état de délibérer avec une
entière connoiflance de caufe , fur leur prope ficion ,
avec le Roi Catholique , fon allié , & de concerter
avec ce Prince une réfolution commune. En
attendant S. M. me charge d'affurer des -à- préfent
V. H. P. de toute fon affection , du défir qu'elle a
de feconder leurs vues , & de la difpofition où elle
eft de donner à la République des preuves effentielles
de fa bienveillance dans les conjonctures
actuelles , comme dans toutes celles , qui pourront
intéreffer la tranquillité & le bien- être des Provinces
-Unies ",
On a reçu en Hollande des lettres du Cap
de Bonne- Efpérance en date du 23 Novembre
dernier , dans lefquelles on lit les détails
fuivans fur l'état de cet établiffement , & fur
ce qui le paffe dans l'Inde .
» Vous favez l'arrivée des troupes auxiliaires
Françoifes , elles confiftent toutes en très beaux
hommes. Nous venons d'être délivrés d'une grande
inquiétude , par l'envoi qu'on nous a fait , de Ifle
de France , d'un rombie confidérable de groffe
attillerie & de quantité de poudre. A préfent l'on
travaille tous les jours à fermer de toutes parts
cette Place & es avenues , ainfi qu'à rendre un
defcente impraticable aux endroits où les ennemis
pourroient débarquer. Ainfi , fi nous voulons faire
un bon ufage des moyens que la Providence a mis
une
46″) entre nos mains , nous terons en état de tenir tête
aux ennemis , 3 moins qu'ils n'envoient contie
nous des forces extrémement fupérieures ; mais il
eft à eípérer que MM . les Etats- Généraux , de concert
avec les autres ennemis de la G. B. leur donneront
aflez d'occupations dan les autres parties
du monde , pour qu'il ne leur foit pas aifé de ſe
pafler de forces fi fupérieures. - Nos avifos , expédiés
tant pour Batavia que pour Ceylan , y fon arrivés
très- prom, tement , & même de fi bonne heure,
qu'à Ceylan & à Negapatnam , on a eu la nouvelle
de la rupture avant les Anglois . Peu de jours avant
la reception de no re avis , il mouilloit encore quelques
vaiffeaux de l'Efcadre Anglo fe de l'Amiral
Hughes dans la Baie de Trinconemale ; & même il
s'en est trouvé dans la Baie de Gale . Nos let res
arrivèrent d'a tant plus à propos , que , craignant la
puiflance croiffante de Hyder- Aly , & dans l'appréhenfion
qu'il ne lui prît envie de s'emparer auffi de
nos poſſetſions , vu qu'il avoit déja féqueftré notze
Loge de Porto- novo avec notre Reſident , l'on étoit
entré avec les Anglois dans une eſpèce de négociation
prélimi aire , pour leur fournir quelques troupes
auxiliai es contre Hider-Aly. Ces troupes auroient
été ainfi perdues , car il n'eft guère probable que les
Anglois les eulent renvoyées après avoir reçu la
nouvelle de la déclaration de guerre » » A Batavia
l'on paroît fans inquiétude les Princes de
Java ont promis unanimement de défendre les poffeffions
de la Compagnie jufqu'à la dernière extrémité.
L'on a envoyé de -là à Ceylan un fecours de
dex navires avec des provifions & environ 500
Malais. L'on a pareillement expédié récemment
d'ici , fur la requifition qui en avoit été faite , un
bât ment pour ce te Ifle , chargé de grains . S'ils
arrivent les uns & les autres à bon port , on fe flatte
que cette Ifle importante & précieuse pourra ſe ſou-
:
( 47 )
-
tenir , du moins jufqu'à l'arrivée de l'efcadre Françoife
. Suivant les avis les plus récents , elle étoit
à l'Ile de France prête à faire voile , & n'attendoit
que l'époque de la jonction avec l'efcadre de M. de
Suffren , qui a conduit ici les tranfports François.
Cette flotte doit porter un corps d'environ 4000
hommes de troupes réglées à la Côte de Coromandel
, & en détacher peut-être un petit renfort
pour le débarquer à Ceylan. Du moins les François
nous affurent ici , que leur Souverain a pris ·
fur lui la défenſe de tous nos Etabliſſemens dans
l'Inde «. Nos dernières nouvelles de la Côte
de Coromandel , portent que Hider- Aly continuit
de bloquer Madras ; & qu'il tenoit également
enfermée l'armée Angloife fous Sir Eyre Coote ,
qui campoit entre Pondichery & la mer. Ainfi il
avoit coupé à ce Général toute communication
avec l'intérieur du pays , & l'empêchoit d'en recevoir
des approvifionnemens , qui ne pouvoient plus
venir que par eau . Hyder Aly attendoit donc la
flotte Françoiſe avec impatience : fi elle arrive heureufement
, l'on peut s'attendre à de grands évènemens
, fur-tout fi la fortune favorife auffi les François
par mer. Le Confeil de Bengale avoit envoyé de- là
au fecours de fes étab iffemens fur la côte un fecours
tant en troupes réglées qu'en Sypayes ; mais
que jufqu'alors Hyder -Aly avoit fu empêcher lajonc,
tion de ce corps avec l'armée de Syre Eyre Coote :
d'un autre côté les Marates étoient fur pied avec
des forces confidérables , & paroiffoient avoir intention
d'aller inquiéter les Anglois , même dans
le Bengale. Si ces nouvelles font vraies , les Anglois
auront les mains pleines , & ils n'auront pas le temps de
penfer à nous caufer du mal . - Quoique nous
ayons ici des avis affez récens d'Europe , & que
nous foyons informés du coup fenfible que nos
bons amis les Anglois nous ont porté en Améri(
48 )
que, nous foupirons après des nouvelles directes .
Nous n'avons pas été peu confternés de la perte
de nos établiflemens aux Indes Occidentales . Nost
ennemis eperoient nous porter ici un femblable
coup imprévu , & très - probablement ils auroient
rempi leur bet les François avoient pris les
devants . Je ne faurois fermer cette lettre , fans
vous témoigner notre recounciflance pour le Commandant
François il fait obferver la difcipline la
plus exacte parmi les troupes ; de forte que nous
n'avons pas eu la moindre raifon de plainte , ni
** contre lur , ni contre fes gens «,
On lit dans une lettre de la Haye
en date du 28 Mars les détails fui - t
vans :

444 SI
le feu prit , par
» Hier , vers environ minuit
accident , à l'Hôtel du Duc de la Vauguyon , Ambaffadeur
de France , & le progrès des flammes fut
fi rapide , que , malgré tes fecours qu'on y apporta
ce fuperbe édifice , conftruit à neuf depuis peu d'an-
Tiées , fut entièrement rédéfié en cendres , a vec tout
ce qu'il conte dit , l'exception néanmoins , dit - on ,
des papiers de l'Ambaſſade , de l'argenterie , de
quelques effets précieux & d'une partie de la garderobe
de Son Excellence . M. de Carency , fils aîné
de M. l'Ambaladeur , a couru le plus grand danger
de périr , ayant été enlevé de fon lit au moment
où la chambre étoit déja en feu . On n'apprend
point que ce violent incendie ait coûté la vie à
quelqu'un. Son Excellence a accepté l'invitation quilui
a été faite de le loger en attendant à Hôtel
de la Compagnie des Indes , avec M. fon fils ;
& l'on a la farisfaction d'apprendre que cet évènement
auffi terrible qu'imprévu , n'a pas altéré leur
Tanté .
( 1 )
Supplément aux Nouvelles de Londres , le Samedi
30 Mars 1782.
Extrait de la Gazette ordinaire de la Cour . Du Bureau de l'Amirauié ,
le 26 Mars 1782 .
LE Capitaine Everitt , qui commandoit la Frégate le Solebay , eft
arrivé ce matin avec des Dépêches du Contre-Amiral Hood, adreffées
à M. Stéphens. En voici l'Extrait.
Abord du Barfleur , en mer , le 22 Février.
Les affurances que le Gouverneur Shirley m'avoit données fur la fécurité
de Brimftone- Hill , & la réponſe déterminée & encourageante
du Général Frazer au Général Prefcott , m'avoient convaincu que je
reuffirois à fauver l'lfle , dès que je m'étois emparé du mouillage de
l'Ennemi. Le Gouverneur ayant defiré qu'on lui fit paffer un Officier
de Marine avec quelques Matelots , je lui envoyai le Capitaine
Curgeuven & le Lieutenant Hare (qui étoit ci- devant fur le Solebay) .
Ces deux Officiers fe font préfentés comme Volontaires , avec trente
hommes , pour fe jeter fur deux canots dans la Garnifon . Je fis garniz
leurs avirons , & l'on prit toutes les précautions imaginables pour éviter
qu'en någeant , ils ne donnaffent l'alarme à l'Ennemi. Mais au
moment où les canots abordèrent , ils reçurent une déchargé de moufqueterie
, & furent contraints de revenir.
Deux nuits après , l'homme que j'avois envoyé la première fois au
Fort , & qui avoit enfuite accompagné le Capitaine Curgeuven
affura qu'il pouvoit feul pénétrer jufqu'au Fort. Il en fit l'effai ſur un
très-petit canot , & fut également obligé de revenir , voyant que l'on
tiroit fur lui par -tout où il effayoit de fe rendre. Le même foir , le
Lieutenant Faye, du Burfait , fe fit débarquer dans la Baie de Red-Flag
(ou Pavillon Rouge ) . Il connoiffoit parfaitement tous les fentiers &
faux- fuyans qui conduifoient au Fort ; mais après avoir deux nuits de
fuite effayé d'y parvenir , il trouva toutes les tentatives inutiles , & revint
auffi .
Le 8 , on fit un fignal de la montagne , qui indiquoit que les batteries
de l'Ennemi avoient endommage les ouvrages, & que la Garnifon
alloit manquer de munitions pour l'Artillerie . Je redoublai mes efforts
pour effayer de faire parvenir un Officier dans le Fort. Le Capitaine
Curgeuven fe préfenta encore , ainfi que le Capitaine Bourne , des
Troupes de la Marine . Le foir même , je les fis defcendre dans une
chaloupe , qu'une autre conduifoit à la remorque vers le rivage , où ils
efpéroient de fe rendre . Au bout de dix heures , après leur petit débarquement
, le Capitaine Curgeuven revint , & ordonna aux chalcupes
de retourner à bord du Barfleur ; mais aucun de ces deux Officiers
n'eft parvenu , & ils ont été fait Prifonniers dans différens
endroits .
Vers le temps à-peu- près que ces Officiers quittèrent mon bord ,
on débarqua encore le Capitaine Fayhie fur la partie feptentrionale
de l'Ifle ; il s'étoit propofé pour faire auffi un effai ; je n'en ai
( Sam. 6 Avril 1782. }
( 2 )
point entendu parler depuis , & je crois qu'il a été fait prifonnier.
Mon intention , en faisant paffer un Officier à la Garniſon ,
étoit d'informer le Commandant que je croyois être sûr que le
Comte de Graffe étoit fatigué de fa pofition , & que , le Marquis de
Bouillé faifant fauter tous les Forts & tous les Magafins de la
Baffe- terre j'étois convaincu qu'il renonçoit à fon entrepriſe ;
que , fi le Fort pouvoit tenir dix jours , l'Ifle feroit fauvée . Mais
c'eft avec douleur que j'ajoute que , le 13 au foir , le Capitaine Robinfon
, du quinzième Régiment , vint à mon bord , & demanda à
parler au Général Prefcott , pour lequel il étoit chargé d'une lettre
du Gouverneur Shirley & du Général Frazer , par laquelle ils l'in
formoient que dans la matinée du même jour , ils avoient rendu la.
Garnifon & la Place aux Armes du Roi de France.
Voici ce que j'ai appris du Capitaine Robinſon. Le 12 , à fept
heures du foir , il fut envoyé à M. de Saint-Simon pour lui propofer
une ceffation d'armes. On envoya un autre Officier au Marquis de
Bouillé , avec les mêmes propoſitions . Ce Général étoit fi impatient
' occuper la Montagne , qu'il accorda tout ce qu'on demandoit , &
à minuit , au retour du Capitaine , les termes furent arrangés . Je
le queftionnai pour favoir fi , par quelque article , on n'étoit pas convenu
de m'informer de l'état de la Garnifon avant fa capitulation ,
&, à mon grand étonnement , il me répondit que non.
Le 14,
la Flotte
Ennemie
vint
mouiller
devant
Nevis
. Elle
étoit
compoſée
de la Ville
de Paris
, de 6 Vaiſſeaux
de 80 , 23 de 74 ,
& 4 de 64.
En outre , il y avoit à la vieille rade un Vaiſſeau de 64. Le Triom
phant & le Brave ont rejoint.
Les affaires étant dans cet état , je n'avois plus rien à faire dans la
rade de Baffe-Terre . L'Ennemi fe préparoit à établir des batteries de
canons & de mortiers fur une hauteur d'où il pouvoit faire beaucoup
de tort à mon Avant-garde ; je fortis donc dans la nuit fans être ,
à ce que je crois , apperçu par l'Ennemi ; car dans la matinée nous ne
vîmes aucun de fes Vaiffeaux .
ma-
La fupériorité des François étant fi confidérable , je ne pouvois
que me joindre le plus tôt poffible au Chevalier Rodney ; & comme
il étoit très important pour le fervice du Roi , que je lui remette
tous mes Vaiffeaux dâns le meilleur état poffible , afin qu'ils foient
fous voiles en même- temps , autant que faite fe pourroit , je crus
indifpenfable d'ordonner à l'Efcadre de couper les cables ,
noeuvre que l'Amiral Drake approuva , tout concourant à nous faire
imaginer que nous ferions attaqués encore une fois , l'Ennemi n'étant
éloigné de nous que de cinq milles . Si l'on en excepte la Lettre du
Gouverneur Shirley , & celle du 24 du mois dernier , de la part du
Général Frazer , je n'ai pas eu un mot de Brimftone , ni d'aucun
des Habitans de l'Ifle. Quelque chofe de bien plus extraordinaire ,
c'eft que , felon toutes les apparences , la garnifon n'auroit pas été
forcée de fe rendre fans le fecours des huit pièces de 24 , des deux
mortiers de fonte de treize pouces , des 1500 bombes & des 6000
boulets de 24 , que l'Ennemi a trouvés au pied de la Montagne , où
le Gouvernement les avoit envoyés. Lorfqu'on propofa de les faire
(
( 3 )
porter dans le Fort , les Planteurs refusèrent de prêter la main
cette opération .
Le Vaiffeau chargé des bombes des François , avoit coulé ba
& c'étoit avec des peines infinies que l'on parvenoit à en pêch
quatre ou cinq par jour , & l'Espion , qui portoit toutes les bomb
de la Martinique , avoit été pris par une de mes Frégates à la poin
de Nevis.
La Capitulation , à ce qu'il me paroît , eft pareille à celle de
Dominique. Voilà tout ce qu'il m'eft poffible de vous dire po
l'inftruction de Leurs Seigneuries. Je fuis bien loin d'imaginer q
la Garnifon auroit pu tenir un jour de plus ; car on m'a affu
que tout le Fort n'étoit qu'un amas de ruines , & qu'il n'y ave aucun espoir. Le 19 , après le coucher du Soleil , toute l'Efcad jeta l'ancre dans la rade de Saint-John ; aujourd'hui à midi j'ai app reillé pour aller à la rencontre du Chevalier Rodney à la Barbade & pour faire de l'eau. La Fortunée & le Pégafe , que j'avois la fés en vigie pour obferver les mouvemens de l'Efcadre Françoil viennent de me rejoindre , & rapportent qu'hier dans la matiné trente-fix Vaiffeaux de ligne ont quirté la rade de la Baffe
avec plus de cinquante Bâtimens de tous rangs.
Signé, SAMUEL HOOD .
terr
Extrait d'une feconde Lettre de l'Amiral Hood , le même jour.
Au moment où je quittois la tade de Saint-John j'ai reçu
papiers ci- joints , du Capitaine Day , Commandant le Sloop du F
la Surprife.

A bord de la Surpriſe , dans la Baye de Carliſle , dans l'Ile de la
Barbade , le 12 Février 1782.
Le feur Thomas Edgard , Lieutenant , eft arrivé hier às heu
du foir, il n'a appris qu'une Efcadre Françoife étoit entrée da
la rivière Demerary. Nos Vaiffeaux l'ont remontée , & fe font r
fous la protection du Fort Iſland. Ce même Officier étoit chat
de Dépêches qu'il a détruites , mais il m'a remis fon Journal .
Extrait du Journal.
Le Vendredi premier Février , fur les
Hollandois , m'a informé que Demerary
Janvier , à trois heures après midi.
Signé , J. DAY.
heures du foir , M. Boke
avoit capitulé le Jeudi
Signé, SAMUEL HOOD .
Chambre des Communes , le 27 Mars. Déclaration officielle d'une par
de la nouvelle Adminiftration.
Après la Prière , M. Richard Brinsley - Sheridan , Membre p
Stafford , fe leva , & fit une Motion pour que l'on remplaça
comme Repréfentant de la Cité de Weltminster , l'honorable Fo
qui avoit accepté l'emploi de l'un des principaux Secrétal
d'État.
Le Chevalier Jofeph Mawbey fit enfuite une Motion pour que l'
( 4 )
plaçât , comme Repréfentant du Comté de Surry , l'Amiral
pel , qui a accepté l'emploi de premier Lord de l'Amirauté.
I. Byng fit diverfes Motions femblables pour plufieurs Memde
la Chambre qui étoient entrés dans la nouvelle Adminif
ion , & entr'autres pour le Lord Cavendish , qui a accepté la
e de Chancelier de l'Échiquier ; pour M. Townshend , qui a
-pté le Secrétariat de la Guerre ; pour le Colonel Barré , qui
cepté la Tréforerie de la Marine; pour M. Burke , qui a acé
la place de Tréforier-Général des Troupes ; & pour M. Dun-
3, qui a accepté la place de Chancelier pour le Duché de
caftre.
oilà juſqu'à préſent toutes les places du Ministère que l'on
devoir être occupées par des Membres de la Chambre des
mmunes.
a Gazette de la Cour , qui doit annoncer la répartition de tous
Départemens de la nouvelle Adminiſtration , n'a point encore
u . Il femble cependant conftant que le Marquis de Rokingham
premier Lord de la Tréforerie ; le Comte de Shelburne , Setaire
d'Etat ; le Duc de Richmond , Grand -Maître de l'Artile
; & que le Lord Thurlow confervera fon pofte de Chance-
, perfonne n'ayant plus que lui contribué à la chûte de l'ancien
nistère .
Les triftes nouvelles arrivées des Ifles le 26 , ont répandu la confation
parmi tous les Négocians , & plufieurs d'entre- eux ont
édié des Couriers à différentes Manufactures , pour contremanleurs
ordres , la ville de Londres étant particulièrement en reon
avec Saint-Christophe.
Au départ du Capitaine Everitt , de la Barbade , le 26 Février
miral Rodney n'étoit point encore arrivé . Le bruit couroit alors
e les François avoient attaqué Antigues .
Le Roi a confervé au Lord North le titre de Gardien des s Ports.
tte place rapporte des revenus immenfes.
Le Lord Sandwich doit fe retirer dans fes terres avec des pensions
nfidérables.
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TUR QUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 1§ Février.
LA Porte a expédié , dans la Moldavie
un ordre précis à tous les Tures dociliés
dans cette Province de la quater & de
venir s'établir fur le territoire du Grand-
Seigneur , en - deça du Danube . Parasting
··
Le Patriarche Arménien continue toujours
fes vexations contre les Catholiques
Romains ; elles femblent accréditer un bruit
qui n'eft peut - être fondé que fur le mécontentement
& la haine que fa conduite
infpire ; un riche Marchand Catholique
d'Ancire a été trouvé aff ffiné ; on ne craint
pas de le défigher comme l'auteur ou l'inf
tigateur de ce coup
› L'Iman de Mafcate & fon fils , écrit -on de Baffora,
fe font brouillés au point de prendre les armes
P'un contrefae; lå dernier s'eſt remaître de la
Citadell & auré dans fon parti quelques bâtimens,
crangers & més , qui mouilloient dans le
~13 Avril 17820 JunCom, an

Я
( 50 )
port , & leur en a confié la garde. Le Major
Johnſtone , le Capitaine Smith & un troifième Anglois
arrivèrent ici le 12 Septembre ; ils avoient fait
en 28 jours le trajet dangereux d'Alep jufqu'ici par
les dé eris. Le 21 du même mois , ils s'embarquèrent
à bord du paquebot de leur nation le Mercure , pour
paffer l'un à Bombay , l'autre à Madras , & le troifième
au Bengal . On dit que les Anglois fe font
emparé de la factorerie Holiandoife de Surate , &
qu'ils ont envoyé enfaites bâtimens à Broochia
pour en prendre auffi la factorerie «<.
RUSSIE.
De PETERSBOURG , le 2 Mars:
LE bâtiment le Prince Conftantin , appar
tenant à M. Sidnef & Compagnie , eft arrivé
de Smyrne à Taganrok , avec une cargaifon
de marchandifes de ce pays.
On a compté l'année dernière dans cette
Capitale 5540 naiffances , 4873 morts &
1207 mariages.
DANEMARCK.
De COPENHAGUE , le 12 Mars.
LA Frégate le Bornholm , Capitaine Billé ,
allant aux Indes Occidentales , eft arrivée
en Angleterre , très-maltraitée dans un orage
violent . Elle a perdu tous fes mâts ; & on
évalue les frais de la réparation à 18,000
rixdahlers.
Le 17 il eft arrivé à Helsingor 7 bâtimens ,
SI
dont 6 Anglois font deſtinés pour la Baltique.
La Cour de Londres a , dit- on , fait dé
clarer à celle- ci qu'il ne fera pas néceffaire
qu'à l'avenir elle faffe donner des eſcortes
aux navires marchands Danois deſtinés pour
les Antilles.
Le tems s'eft exceffivement refroidi depuis
8 jours ; il neige & il gèle comme au plus
fort de l'hiver.
SUÈDE.
De STOCKHOLM le 12 Mars. ›
On a beaucoup parlé de la Secte de ces
fanatiques , qui prenoient le nom de Frères
bien intentionnés ; la vigilance de la Police
a empêché les défordres que leurs affemblées
pouvoient occafionner ; pour prévenir
l'impreffion qu'ils auroient pu produire fur
des efprits foibles , on a imaginé de les expofer
au ridicule qu'ils méritent , dans une
Comédie intitulée , la Secte , qui a été jouée
plufieurs fois avec une grande affluence de
Peuple. Elle a produit l'effet qu'on en attendoit
; on a beaucoup ri aux dépens des Fanatiques
, qui ont ceffé dès l'inftant d'être
dangereux ; ils ne féduiront point ceux qui
s'en font moqués ; les repréſentations de
cette Pièce continuent. Les Gardes du Specracle
avoient été doublées pendant les premières
, parce qu'on craignoit que les Sec-
C 2
( 52 )
taires ne priffent mal la raillerie ; ils ont
été plus fages ; & on a lieu de croire qu'ils
n'oferont plus fe montrer.
Le 4 , une frégate Angloife de 16 canons
eft entrée dans le Sund , où elle eft
mouillée.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 20 Mars.
CE matin l'Empereur s'eft rendu à deux
lieues au-deffus de Neuftadt , dans l'endroit
où le Pape avoit paffé la nuit. S. M. I. l'a
conduit elle-même dans fa voiture au Palais
Impérial , où il occupe l'appartement de
feue l'Impératrice Reine ; comme S. S. a
paru défirer que fon Nonce logeât auprès
d'Elle , l'Empereur s'eft empreffé de lui faire
préparer un appartement voifin de celui du
S. Père , dans lequel il a été introduit au
moment où il fe difpofoit à retourner dans
fon Hôtel.
On mande de Buckovine qu'on a décou
vert au pied de la montagne de Strahorn
une feline qu'on vient de mettre en exploitation
; le fel qu'on en retire eft auffi beau
& aufli bon que celui de Wieliczka ; on a
donné à cette faline le nom de Jofeph ; elle
eſt très - abondante & peut fournir à toute la
Buckovine , à qui cette découverte confervera
annuellement 60,000 florins qui en
fortoient pour l'achat du fel,
753 )་ ད
On travaille ici , écrit-on de Fiume , à un nou
veau tarif pour les droits de Douane , qui , dit- on , feront
fur le même pied que ceux qu'on paye à Triefte.
Le charriage de Carlſtadt dans ce port , dont l'entreprife
n'avoit pas trop bien réuffi au Comte dé
Beniowski & au Baron de Maretti , fera entrepris pat
une Compagnie , au moyen d'actions «,
On connoît actuellement d'une manière
plus particulière le plan de bienfaiſance de
S. M. I. pour l'éducation des enfans des
foldats. Il fera élevé 48 jeunes garçons de
chacun des so Régimens d'infanterie cantonnés
dans les Etats hérédit ires d'Allemagne
& dans la Hongrie. S. M. I. en fait les
frais , & accorde annuellement pour cet
objet 100,000 florins. Les Commandans
des Régimens feront chargés de veiller à
l'éducation de ces jeunes gens , dont on fera
de Bas - Officiers. Ils feront fur-tour accoutumés
à l'ordre , aux bonnes moeurs , à la
propreté , à la fubordination , à l'économie ,
& aux exercices de leur état futur ; ils apprendront
dans les Ecoles Normales tout
ce qu'il leur eft néceffaire de favoir. A l'âge
de 18 ans ils joindront les Régimens refpectifs
. Dans l'efpace de 10 ans il y aura
4000 de ces Elèves militaires dans les armées
de S. M. I.
De HAMBOURG , le 25 Mars.
Nous avons rendu compte de l'Ordonnance
, par laquelle l'Empereur a réprimé
la conduite des Proteftans qui ont abufé de
la tolérance qu'il a daigné leur accorder ';
6 3
( 54 )
il en a publié une autre , en conféquence
de quelques repréfentations du Clergé , pour
prévenir toutes les mauvaifes interprétations
qu'on pourroit donner à fes volontés. Elle
contient en fubftance.
>
» 1 ° . On n'admettra point comme valables les
déclarations qu'auront données fur leur religion des
Communautés & des Corps entiers , mais tous les
fujets Acatholiques tant les hommes que les femmes
, qui fe feront déclarés pour tels , devront être
cités de nouveau les uns après les autres pardevant
leur Magiftrat refpectif, où , en préfence d'un Prêtre
dénommé par l'Ordinaire , ils feront examinés en
peu de mots , mais clairement , fur leur religion
leurs principes & leurs doutes ; il fera drellé une
petite note par écrit , contenant . les réponses que
chacun d'eux aura données & qu'on aura ( oin de lui
faire figner après lui en avoir fait la lecture . Le
Prêtre fufdit tâchera alors par des paroles douces
& convaincantes d'inftruire , comme l'exige fon
emploi , ceux qui font ou entièrement ignorans ou
chancelans , & c. dans leurs principes , afin de les
ramener au fein de la religion Catholique ; on fera
fentir en même tems à ceux qui fe déclareroient
pour toute autre religion ou fecte , que , outre les
trois religions tolérées dans l'Empire , on n'en fouffrira
aucune autre , & qu'ils feront à l'avenir regar
dés comme Catholiques ; 2 ° . dans les endroits où
les fujets fe feront déclarés pour la religion Acatholique
, felon les règles preferites , ils feront obligés ,
en attendant qu'ils aient leur propre Miniftre , Maître
d'école & un Temple , d'envoyer leurs enfans
aux écoles Catholiques pour leur faire apprendre à
lire & à écrire ; quant aux batêmes , mariages &
enterremens , ce feront auffi les Prêtres Catholiques
qui en ferort les cérémonies . Les Maîtres d'école
Acatholiques , dont on fe pourvoira enfuite , devront
55
Etre enfans du pays , & avoir été bien inftruits dans
les écoles Normales ; 3 ° . dès- lors qu'il aura été préfenté
un Miniftre & accordé un Temple , les Magiftrats
s'en tiendront à l'Ordonnance publiée & ne
s'aviferont point d'examiner quels font les fonds
des Acatholiques , ni comment ils pourront entretenir
leur Miniftre & Maître d'école , mais ils abandonneront
entièrement auxdits Acatholiques le foin
de cet objet. Il ne fera pas toujours néceffaire d'élever
de nouveaux bâtimens pour cela ; on pourra
leur accorder pour cet ufage ceux qui exiftent
déja ; 4° . il a été ordonné par la Fatente fur la tolérance
, que les Acatholiques , ne pourront point .
empêcher les Prêtres Catholiques , d'aller trouver
les malades qui les demanderont , & c'est pour confirmer
encore plus cet article que Sa Majesté accorde
, comme une prérogative en faveur de la
religion dominante , la permiffion aux Prêrres Catholiques
de vifiter une feule fois les malades Acatholiques
quand même ils ne les auroient point
demandés ; cependant les Prêtres Catholiques fe
garderont bien d'ufer d'aucune contrainte : ils ne
pourront leur parler qu'en des termes fort modérés
& dans tous les cas où les malades refuferont les
fecours defdits Prêtres , ils devront s'en éloigner
fans faire aucune autre inftance . Sa Majesté veut en
outre que les Acatholiques aient la permiffion d'avoir
un Temple & une école à eux dans tous les
endroits où il fe trouveroit en tout soo perfonnes
Acatholiques , quand même le nombre de 100 fa
milles preferit par l'Ordonnance n'y feroit pas «,
Selon les lettres de la Pologne Autrichienne
, l'Empereur y a fait publier un
Règlement , qui fixe à 3 par ſemaine les
corvées des Payfans , dont le nombre étoit
auparavant illimité . Les Habitans de la campagne
avoient befoin de ce foulagement que
C 4
156 )
l'Empereur leur a procuré dans tous les
Etats , où ils en avoient befoin. On ſe rappelle
la Requête courte , mais énergique ,
que lui préfentèrent les Valaques en 1773 ,
dans un voyage qu'il fit dans cette Province.
Nous avons quatre jours de corvée ; le
Je & le 6e font pour la pêche & la chaffe
au profit du Seigneur , le 7e à Dieu : quel
eft celui où nous pouvons gagner de quoi
vivre & payer les impôts "?
Le célèbre Bufching a donné la defcription
fuivante du nouveau port Ruffe de
Cherfon.
» Il eft éloigné de 5 milles Allemands de la fortereffe
d'Oczakow qui appartient aux Turcs , & peur
être regardé comme une fortereffe contre l'Empire
Ottoman. Le terrein entre le Bug & le Dnieper , ou
la ville de Cherfon eft bâtie à l'oueft , eft appellé
De'ika Polic , dans les anciennes cartes de l'Ukraine ,
& il conftitue depuis 1764 la plus grande partie du
Gouvernement général de la nouvelle Ruffie. Il n'eft
plus un defert , comme il l'a été ci-devant. Le lac
marécageux de Liman dans lequel le Bug tombe ,
a 8 milles de long , 1 demi- mille jufqu'à i mille &
demi de large. Sa profondeur eft fuffifante pour
recevoir des vaiffeaux de guerre qui y font en sûreté,
ainfi qu'à l'embouchure du Bug ; mais à caufe de
l'eau-douce , ils font exposés à le gâter facilement ;
Pentrée & la fortie du Liman font défendues par
la fortereffe de Kinburn . Le port Rufe fitué à l'onest
de la mer Noire , eft celui qui avoifine le plus près
Conftantinople ; il doit par conféquent exciter l'at- `
tention de l'Empire Ottoman «.
On dit qu'un Souverain va prendre fous
La protection l'ancien Ordre du St- Sépulcre
157 1
,
de Jérufalem ; qu'il n'y aura de confervé
que la première claffe de Chevaliers ; qu'îl
faudra pour être reçu , faire preuve de
Nobleffe de 200 ans , & en fus faire le
voyage de Jérufalem , ou prouver que l'on
eft des familles qui ont fait les guerres des
Croiſades.
ESPAGNE.
De CADIX , le 13 Mars.
M. le Comte de Guichen a reçu ordre
de mettre à la voile avec fon efcadre & 12
vaiffeaux Eſpagnols , commandés par D.
Antonio Oforno , Chef- d'Efcadre. Ces vaiffeaux
font , le San Damafo , le Fiume , le
San Miguel , le Serio l'Oriente , la Galicia ,
le San Carlos , l'Atlante , le San Pablo ,
le San Juan Baptifta , le San Ifidoro & le
Gallardo. La plupart de ces vaiffeaux font
fortis de cette baie le 11 ; le lendemain le
refte les a rejoints fous Rota , & on les a
perdus de vue le même jour. On ignore la
deftination de cette efcadre.
M. le Duc de Crillon eft attendu à Madrid
le 15 ou le 18 de ce mois ; on ne croit
pas qu'il y faffe un long séjour ; on s'attend
à le voir arriver à la fin du mois au camp
de St- Roch , où tous les préparatifs font
faits pour commencer enfin le fiége de Gibraltar
, qui fera pouffé avec vigueur.
CS
( 58 )
On lit les détails fuivans dans la Gazette
de Madrid .
» On a appris par des lettres de D. Bernard de Galvez
, qu'un détachement de 65 Miliciens & 60 Indiens
des nations Otaqua , Soru & Putuatami , ſous
les ordres de Don Eugenio Purré , Capitaine de Milices
, accompagné du fous Lieutenant Don, Carlos
Tayon , & de Don Louis Chevalier , homme versé
dans les idiomes Indiens , ainfi que des grands chefs
de ces nations , Eleturno & Naquiguen, étant parti
le 2 Janvier 1781 de Saint-Louis des Illinois , s'étoit
emparé du poste de Saint-Jofeph , que les Anglois
Occupoient à 220 lieues de Saint- Louis . Pendant une
marche fi longue & fi pénible , ils ont effuyé les plus
-grandes incommodités du froid & de la faim ; & ils
fe font vus expoiés à des dangers continuels dans un
pays , occupé par des nations Sauvages . En paffant
de grands déferts couverts de neige , chaque homme
étoit obligé de porter les propres provifions , outre
différentes marchandifes pour contenter , s'il étoit
néceffaire , les nations barbates au milieu defquelles
on devoit paller. Ce ne fut qu'à force de négocia
tions & de prudence que le Commandant empêcha
un Corps confidérable d'Iediens , qui étoient à la
dévotion des Anglois , de s'oppofer à l'entreprifes
fans quoi il eût été difficile de s'emparer du pofte
ennemi . Le peu d'Anglois , qui s'y trouvoient encore,
ont été faits prifonniers : le refte , informé de l'expédition
, s'étoit retiré à tems. Don Eugenio Purré a
pris au nom du Roi poffeffion du pofte de Saint-
Jofeph , de fes dépendances & de la rivière des
Illinois ; & à fon retour à Saint-Louis il a remis le
pavillon Anglois à Don Francisco Cruzat , qui commande
dans ces quartiers . Par le fuccès de cette entreprife
on eft parvenu non - feulement à détruire
le dépôt de vivres & de marchandifes , que les Anglois
tenoient dans cette contréee , & d'où ils les
( 59 )
diftribuoient parmi nos Indiens & ceux de Saint-
Jofeph; mais on les a auffi mis hors d'état d'exécuter
leur projet d'attaquer notre pofte de Saint- Louis des
Illinois , & en intimidant les Sauvages , on a forcé
ceux-ci à promettre & à garder la neutralité « .
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 1er. Avril.
La dernière dépêche de l'Amiral Hood
apportée par le Capitaine Everitt , en nous
confirmant la perte nouvelle que nous venons
de faire de St-Chriftophe , n'a furpris
perfonne. On l'a feulement été de l'étonnement
du Contre- Amiral fur un évènement
auquel fa première lettre préparoit . On ne
voit pas comment il peut dire qu'il avoit
encore l'efpérance de conferver l'ifle après
être convenu que s'il avoit refufé le combat
que lui offroit le Comte de Graffe
c'eft qu'une victoire navale n'auroit pas
influé fur le fort de cet établiffement ; après
cela on ne doutoit pas ici que les premières
nouvelles ne nous inftruifiſſent que l'ennemi
nous l'avoit enlevé.
,
La lettre de l'Amiral Hood nous a auffi
appris la perte de Démerary . C'étoit , comme
on s'en fouvient , une des conquêtes de
Rodney , dont il parloit d'une manière trèsavantageufe.
Nous ne poffédons plus à pré-'
fent aux ifles que la Jamaïque , la Barbade ,
Antigoa , Sainte-Lucie , les Bermudes , &
les ifles de Bahama. Parmi ces poffeffions
C 6
( 60 )
plufieurs font en dinger ; le Capitaine Everitt
rapporte qu'à fon départ de la Barbade ,
le 26 Février , le bruit couroit que les François
avoient attaqué Antigoa ; & dans ce
cas on ne voit pas que cette ifle puiſſe être
mieux défendue par l'Amiral Hood que St-
Chriftophe ; ce qui peut la fauver c'eft le
befoin qu'a M. de Graffe de relâcher quelques
jours à la Martinique pour y faire de
l'eau. Rodney n'étoit point encore arrivé à
l'époque du départ du Capitaine Everitt ,
& jufqu'à fon apparition dans ces parages
les François conferveront une fupériorité
réellement alarmante ; peut - être même l'arrivée
de fon efcadre ne la leur ôtera t- elle
pas ; il court divers rapports de différens
bâtimens qui ont rencontré cet Amiral en
mer , & qui ont compté 6 vaiffeaux démâtés
parmi ceux qu'il conduit. Dès qu'il
fera à fa deftination , il aura befoin de
réparations urgentes , avant lefquelles il
fera hors d'état de rien entreprendre , &
qui lui deviendront difficiles par la difette
des matériaux néceffai es.
Le bruit fe foutient toujours que Rodney
eft appel'é ; il paroît fondé fur ce
qu'on a appris des ifles que les Officiers
de notre efcadre ne l'attendent pas avec
plaifir , & que la plupart ne fe foucient
point de fervir fous lui ; fa conduite politique
& militaire pendant le tems qu'il
a été chargé du commandement , ne leur
a pas donné de fes talens une auffi grande
7619
idée que celle que le peuple paroît en avoir
pris en Angleterre. On dit même que lorfque
le Comte de Sandwich alla porter au
Roi les dépêches du Contre-Amiral Hood ,
S. M. lui déclara que fon intention étoit
de rappeller fur- le- champ Rodney. Le Miniftre
parut très- étonné de cette réfolution ;
mais ayant connu par ſon entretien avec le
Roi que c'étoit un parti décidément pris ,
il expédia auffi tôt des ordres pour envoyer
un bâtiment fin voilier qui porte à l'Amiral
fes lettres de rappel.
Le changement arrivé dans le Ministère
prépare à un nouvel ordre de chofes . On
eft perfuadé fur - tout que la nomination de
l'Amiral Keppel à la place de premier Lord
de l'Amirauté , terminera toutes les divifrons
de la marine ; elle fera retirer du fervice
bien des Officiers que l'intrigue plutôt
que les talens a élevés au commandement ;
& elle y en fera rentrer plufieurs autres
dont on connoîr la bravoure & la capacité
; on s'attend à voir employer bientôt
les Amiraux Howe , Parker , Robert Har
land , Barrington , Roff, Lindlay , Montagu
, Campbell , Pigotr , Byron , & c.
La Gazette de la Cour du 30 du mois
dernier a publié ainfi la recompofition de
l'Adminiftration .
» Le Roi en fon Coufeil a nommé le 27 de ce
mois le Lord Charles Camden , Lord Préfident du
Confeil de S. M. Et aujoura'hui , 30 , le T H. John
Cavendish, Chancelier & fous- Tréforier de l'Echi(
62 )
-
quier. Les T. H. Charles - James Fox , Auguftin
Keppel , John Dunning & Edmond Burke , Confeillers
-privés de S. M.; ils ont pris leur place au Confeil.
Le Duc de Grafton , Garde du fceau- privé. Lẹ
T. H. Charles-James Fox & le Comte de Shelburne ,
principaux Secrétaires d'Etat . Le Marquis de Rokin
gham , Chevalier de l'Ordre de la Jarretiere. Le
T. H. John Cavendish , l'honorable Georges-John
Spencer , appellé communément Lord-Vicomte Althorpe,
James Grenville & Frédérick Montagu
Commiffaires pour remplir les fonctions de Tréforiers
de l'Echiquier L'Amiral Keppel , le Chevalier
Harland , le Vice-Amiral Hugh Pigot , les honorables
William Ponfonby, John Townshend, Charles
Brett & Richard Hopkins , Commiffaires pour remplir
les fonctions de Lord , Grand-Amiral du Royaume.
de la G. B. & de l'Irlande , des domaines , ifles &
territoires y appartenans. Le T. H. Iſaak Barré ,
Tréforier de la Marine. Le Général Conway , Commandant
en chefde toutes les forces de terre de S. M.
dans le Royaume de la G. B. Le Lieutenant -Général
Charles Duc de Richmond de Lenox & d'Aubigny
Grand - Maître de l'artillerie. Le T. H. Thomas
Townshend , Secrétaire de la guerre. Le T. H. Edmond
Burke , Receveur & Tiéforier général des
Gardes, garnifons & forces de terre de S. M. Edouard
Hooper , Henri Pelham , le Chevalier William
Mulgrave, James Jeffrey, Thomas Boone, Wellbore
Ellis Agar , William Hey , Thomas Allan , le Chevalier
Stanier Porten , Commiflaires pour l'adminif
tration & la levée des douanes de S. M. cc.
Le Roi paroiffoit defirer que le Lord Stormont
& M. Jenkinfon reftâllent dans
le Ministère ; l'un eft la créature du
Lord Bute , & l'autre eft neveu du Lord
Mansfield ; le premier a fait tous les efforts
pour conferver fa place , mais il n'y a pas
1
( 63 )
réuffi ; le plan général étoit d'écarter tous les
Ecoflois ; & puifqu'on prend le parti de
réformer le Ministère , il convenoit de le
recompofer de la manière la plus agréable
à la nation.
Les nouveaux Miniftres ne fe font pas
chargés d'une petite befogne ; leurs partifans
en font effrayés pour eux ; les anciens
ont laiffé les affaires de la nation dans un
cahos difficile à débrouiller ; & on eft curieux
de voir comment ils s'y prendront pous
remplir l'attente & l'efpérance de la nation.
» Les trois grands objets dont ils vont s'occuper
lit- on dans un de nos papiers , fent , 1 °. de faire la
paix avec l'Amérique , en lui accordant l'indépendance
; 2 ° . de ceffer la guerre avec la Hollande , &
de conclure de nouveaux traités d'amitié avec cette
Puiffance ; 3 ° . d'employer toutes nos reffources nationales
pour augmenter la marine & la rendre fupérieure
à celle des branches réunies de la Maiſon de
Bourbon.-Voilà certainementde grands objets ; mais
leur exécution eft elle facile ? Il eft certain que l'indépendance
accordée levera bien des grands obftacles
à la paix ; mais peuvent -ils la faire fans y faire entrer
la France ? Commenceront-ils par manquer à
leur premier Allié , à celui qui les a fi bien fervis ,
qui ne s'eft embarqué dans la guerre actuelle que
pour foutenir leurs efforts , & auquel ils doivent
leurs fuccès & leur liberté ? Si nos Miniftres ont
conçu cette idée, elle eft outrageante pour les Américains
, & ils fe plaindront qu'ils ne jugent pas
mieux d'eux que leurs prédéceffeurs ; & dès le
premier pas , ils fe priveront de leur confiance . On
s'empreffe de revenir aux contes ridicules qu'on a
répétés fi fouvent , & jufqu'au dégoût , que l'Amé
rique eft mécontente de fon Alliée ; que celle- ci n'a
fongé qu'à lui vendre fes fervices bien cher , qu'à
( 64 )
-
la mettre dans fa propre dépendance , & rempla
cer ainfi l'Angleterre dont elle vient de fe féparer.
Jufqu'a préfent les faits ont prouvé le contraire ; la
modération & le défintéreſſement de la France fe
font manifeftés de la manière la plus claire & la plus
précife ; en traitant avec les Etats - Unis , elle n'a
point cherché à les lier , puifqu'elle les a laiffé
maîtres , fi l'occafion s'en préfentoit , de faire
leur paix féparée , pourvu que leur indépendance
fût reconnue. Croit - on que s'ils ufent de
cette liberté , ils feront des difpofitions en notre
faveur ? Imagine-t - on que dès l'inftant ils fe réuniront
à nous & le tourneront contre ceux à qui ils
devront leur indépendance ? Nous pouvons avoir
donné des exemples de manque de délicateffe , mais
nous ne devons pa : imaginer qu'ils feront imités.
Il eft naturel de penfer que la Hollande defire la paix ;
mais la voilà à la veille de fe concerter avec la France
; ce n'eſt qu'en nous preffant de la fatisfaire , que
nous pouvons efpérer de la ramener à la neutralité ;
nous lui aurons appris à fe défier de nous ; nous lui
avons donné une grande leçon. La République ne
fe repofera plus à l'avenir fur des traités que nous
n'exécutons que tant que cela nous convient ; elle
cherchera à fe tenir toujours en état de les faite refpecter.
Nous avons été à la fois légers & injuftes ,
en lur declarant la guerre ; nous avons abuſé de fa
foibleffe , elle fait que pour nous conferver peur
amis , il faut qu'elle fe faile craindre . A l'égard de
notre marine , ce n'eft pas dans ce moment que
nous pouvons efpérer de la rendre fupérieure à celle
de la mai on de Bourbon . Voyons l'état où elle eſt ,
les dépenfes qu'exige oit ce te entreprise , & quels
font ros
moyens ? I eft bien à craindre que la
nouvelle Adminiſtration n'ait pris un fardeau audeffus
de fes forces . Elle arrive trop tard au gouvernail
; elle a beſoin de beaucoup de zèle & de cisconfection.
La nation ne doit pas attendre d'elle
des miracles.
--
8659
On parle de conftruire inceffamment &
avec la plus grande diligence 12 vaiffeaux
de ligne , tant dans les chantiers du Roi ,
que dans les chantiers particuliers ; mais
quelque activité qu'on mette à ces ouvrages ,
il ne faut pas s'attendre à les voir achever
pour le fervice de cette année. Ils feront
rallentis par les réparations néceffaires aux
vaiffeaux que nous avons déjà , & qui doivent
être entrepriſes les premières , parce
qu'ils feront plutôt prêts , & parce qu'on
en a befoin.
Il a été ordonné de radouber avec la plus
grande promptitude le Royal William , de
84 canons. Ce vaiffeau n'a pas été encore
mis en commiffion de cette guerre ; fon
hiftoire eft aflez extraordinaire. Il étoit autrefois
du premier rang , & il refta après fa
conſtruction 30 ans dans le port fans quitter
fes amarres. On en fit enfuite un vaiffeau
du troisième rang , & il alla en mer ; il fut
vaiffeau de pavillon aux Indes Occidentales
pendant une grande partie de la dernière
guerre. Il n'eft pas neuf, comme on le voit ;
les réparations qu'il exige font immenfes ;
mais il paffe pour être un excellent voilier.
Le Chevalier Carleton doit partir inceffamment
pour New Yorck ; il a pris congé du
Roi hier ; il s'embarquera à Portſmouth fur
la frégate la Cérès , de 32 .
>
» L'efcadre actuellement à Spithead , écrit-on de
Portſmouth , eft - composée des vaffeaux ivants
prêts à mettre à la voile , & ayant à bord leurs provifions
& munitions , favoir : 3 vailleaux de 100
( 66 )
a
canons , 5 de 90 , 5 de 74 , 1 de 70 , ; de 64, i de
60, 7 frégates , 4 floops , 3 cutters & 5 biûlots =
c'eft le Lord Howe qui , dit-on , doit en avoir le
commandement ; il aura fous lui l'Amiral Pigott.-
On croit que nous n'aurons pas de grande elcadre
cette année ; on en équipera de petites pour la protection
des flottes deftinées pour l'Angleterre , & qui
agiront ou le réuniront felon les circonftances ; on
pente que nous n'avons rien a craindre pendant quelques
mois des flottes combinées de France & d'Eſpagne,
parce qu'elles attendront la belle faifon pour s'approcher
des Sorlingues ; il ne faut cependant pas trop
y compter , s'il eft vrai , comme le bruit s'en` répand
, que le Comte de Guichen eft parti de Calix
avec 19 vailleaux de ligne le 12 du mois dernier ;
dans ce cas il peut venir à Breft , où il en trouvera 16
à 17 autres qui formeront une efcadre formidable à
laquelle nous n'en avons point d'auffi forte à oppofer.
Les fortifications du côté de la mer font prefque
finies , de forte que nous ne craignons rien dans cette
partie , & que les bâtimens marchands y font en parfaite
fureté
Selon d'autres lettres cette efcadre prête
à appareiller fera fous les ordres de l'Amiral
Kempenfeld & du Commodore Elliot ; comme
elle a avec elle plufieurs bâtimens munitionnaires
, on fuppofe qu'elle eſt deſtinée
pour Gibraltar. On fait que les Efpagnols font
des préparatifs immenfes contre cette place ,
& que leur fuccès à Mahon les a déterminés
à en faire le fiége dans les règles ; le
Général qui a pris le Fort St-Philippe ſera
chargé de cette nouvelle attaque ; & nous
avons lieu de craindre qu'il n'ait le même
fuccès. On doute plus que jamais ici qu'on
puille conferver cette fortereffe ; on doute éga-
[
K

( 67 )
c'eft
lement que l'intention du Gouvernement foit
de la ravitailler. On dit même que le Roi
eft occupé férieufement à délibérer avec
fon Confeil fur la ceffion qu'on parle d'en
faire aux Eſpagnols ; s'ils la prennent ,
une perte à joindre à celle de Minorque ,
-nous voilà chaffés de la Méditerranée ; en
s'en arrangeant avec eux , on pourra obtenir
la reftitution de Minorque , & alors nous
conferverions un port dans cette mer.
&
Ce n'eft que le 26 du mois dernier que
la Cour a publié les dépêches du Général
Murray fur la prise du Fort St- Philippe ;
elles font du 16 Février dernier.
J'ai l'honneur de vous informer que le Fort
St- Philippe s'eft rendu à S. M. C. les du courant :
la capitulation eft annexée à cette lettre. Je me
fatte que
l'Enrope
entière conviendra que la brave
garnifon a fait preuve de cet héroïſme peu commun
, qui a toujours diftingué les troupes du Roi.
Notre garde indifpenfable exigeoit 415 hommes :
la veille de la capitulation , le nombre en état de
porter les armes ne montoit qu'à 660 ; par conféquent
il n'en reftoit point pour monter le piquet ,
& il en manquoit 270 pour relever la garde. Le
fcorbut le plus invétéré qui , je crois , ait infecté
les mortels , nous avoit réduit à cette fituation
le rapport des Médecins explique clairement fes
ravages terribles , & démontre que trois jours
d'entêtement de plus de ma part e!!ffent inévitablement
détruit les braves reftes de cette garnison ;
ils déclarèrent qu'il n'y avoit de remède pour ceuxde
nos gens qui étoient à l'hopital , que dans les
végétaux , & que de 660 hommes qui étoient encore
en état de fervir , 60 éroient affectés du
fcorbut & feroient dans l'hopital dans le cours de
:
( 68 )
4 jours. Tel étoit le courage des foldats du Roi ,
qu'ils diffimuloient leurs fouffrances & l'impoffibilité
où ils étoient de faire le fervice plutôt que
d'aller à l'hopital : plufieurs font morts en faction ;
on ne s'en appercevoit que lorfque leur tour revenant
, on les appelloit pour relever la garde. Peutêtre
n'y eut- il jamais de fpectacle plus noble & plus
tragique que celui qu'offit la garnifon de St - Phi
lippe , dans fa marche au milieu des armées Efpagnole
& Françoife ; elle n'étoit compofée que de
600 foldats décrépits , 200 matelots , 120 hommes
du corps de l'artillerie Royale , 20 Corles , & 25
tant Grecs que Turcs , Maures , Juifs , & c . Les deux
armées difpofées fur deux lignes , de manière que
les bataillons fe faifoient refpectivement face , formoient
une haie par laquelle nous devions patler ;
elles confiftoient en 14,000 hommes & s'étendoient
du glacis jufqu'à Georges -Town, où nos bataillons
mirent bas leurs armes , déclarant qu'ils ne fe rendoient
qu'à Dieu feul , ayant la confolation de ſavoir
que les vainqueurs ne fe feroient pas une gloire de
prendre un hopital nos gens effioient en ce moment
une image de détrelle fi affectante , qu'en les
voyant paffer , plufieurs Epagnols & François ont ,
à ce qu'on dit , verfe des larmes ; c'eft un fait que
je ne puis certifier , mais que le Duc de Crillon &
le Baron de Fa'kenhain atteftent , & qui me paroîr
biea naturel. Quant à moi , je n ai fouffert en cette
occafion que de l'appréhenfion que juftifioit la maladie
terrible qui nous menaçoit de la deftruction :
graces au Tout-Puiffant , mes craintes font actuellement
diminuées ; l'humanité du Duc de Crillon ,
dont le coeur étoit fenfiblement to ché de l'infortune
de fi braves gens , a même furpailé mes defirs ,
en nous fourniffant tout ce qui pouvoic contribuer
à notre rétabliffement. Les Chirurgiens Elpagnols
& François prêtent également leurs ecours à nos
habitans . Nous avons de très - grandes - obligations
( 69 )
au Baron de Falkenhain qui commande les troupes
Françoifes , nous en avons d'infinies au Comte de
Crillon ; aucun de nous ne pourra jamais les oublier
: j'espère que ce jeune Officier ne commandera
jamais d'armée contre mon Souverain , car fes talens
militaires font autfi éclatans en lui que la bonté de
fon coeur. Je joins ci - inclus les états des morts &
bleflés , & canons qui ont été détruits par 1 artillerie
de l'ennemi , qui confiitoient en 109 canons & 36
mortiers ( en batterie ) . Je resterai ici jufqu'à ce que
j'aie vu le dernier homme de ma noble garnifon
embarqué d'une manière sûre & commode : fi les
accompagner en Angleterre fur un tranſport pouvoit
être de la moindre utilité pour aucun d'eux ,
je les fuívrois de bon coeur fur mer ; mais comme
du moment où ils feront à bord d'un vaiffeau je ne
leur fuis bon à rien , je me flatte que S. M. approuvera
que j'aille à Livourne pour y prendre ma
femme & mes enfans , qui s'enfuirent en Italie
dans la foirée du jour où l'armée Espagnole débar
qua fur l'Ine.
à ne pas
P. S. Il y auroit de l'injuftice & de l'ingratitude
déclarer que , du premier au dernier moment
du fiége , les Officiers & foldats du régiment
Royal d'artillerie , ainfi que les matelots , fe font
diftingués je ne crois pas que l'on puiffe trouver
dans le monde des canonniers & bombardiers plus
expérimentés que ceux qui ont fervi à ce fiége ,
& je fuis affuré que les gens de mer ont fait preuve
d'un zèle extraordinaire : il eft également néceffaire
de déclarer que jamais garnifon ne fut appro
vifionnée de meilleures falaifons de toute e pèce que
celles qui nous ont été envoyées d'Angleterre nous
ne pouvions nous procurer des végétaux frais mais
nous avions les pois fecs en abondance , de bỏn
pain , de bon riz , des grofilles & raifins fees .
Nous avons laifié dans le Fort pour fix mois de
toute eſpèce de vivres , à ration entière , quoique
( 70 )
F.
les bombes de l'ennemi aient confumé un magaſin
qui en contenoit pour fix mois de plus «
L'état des tués & blcffés pendant le fiége ,
depuis le 19 Août 178 ,, jufqu'au 4 Février
1782 , eft le fuivant.
3
- 16е. ré-
» Tués. 2 Officiers , 3 Sergens , 54 Fufiliers.
Total 59. Bleffés . 15 Officiers , 10 Sergens , 124 Fu
filiers. Total 149. Tués. Corps de la Marine , les
Lieutenans Davis & Crew. Bleflés. 51e. 1égiment
le Colonel Pringle , le Capitaine Savages ; les Lieutenaps
Fuller & Hull ; l'Enfeigne Naper. -
giment , le Capitaine Muet. Goldacker , le lieutenant
Bottiche. Royal Arti lerie , le Capitaine
Fade , les Lieutenans Irwin & Woodward. Ingénieurs
, les Lieutenans Darcy & Johnſon . Corps
de la Marine , Capitaine Harman , Lieutenant Hodges,
Coifes , le Capitaine Colle «.
--
-
-
Tel eft l'état des canons & mortiers.
234 canons de divers calibres , dont 156 en état
de fervir , & 78 qui ne le font pas N. B. 23 canons
de 4 liv. & 3 de 18 ont été reçus de M. Robin on .
ss canons de differens calibres appartenans aux
vaiffeaux de S. M. le Minorca , le Cornwallis
l'Eagle , le Chance , le Porcupine & le St - Antoine
de Padua , dont 46 en état de fervir & 9 endommagés,
49 mortiers de divers calibres , dont 12 en
bon état & 31 endommagés . 22 pièces legères de
campagne de 6 liv. de bronze , dont 17 en bon
ordre , & qui ne le font pas . 12 obufiers , idem
de 8 pouces & de 4 , dont 11 en état de
fervir & un endommagé . 2 affets de campagne hors
d'état de fervir . N. B. L'ufage de plufieurs des ca-
Bons rapportés comme en état de fervir , mais qui
ont été frappés par les boulets & bombes de l'ennemi
, pourroit être dangereux à l'avenir . La plupart
des mortiers de bronze , quoique rapportés être
en état de fervir , feroient dangereux à l'uſage , à
raifon du feu continuel qu'ils ont fait.
• S ›
( 71 )
Jamais la nation n'a porté plus impa
tiemment le joug des taxes qu'on ne ceffe
d'accumuler fur elle. Les moyens imaginés
pour payer les intérêts annuels , ont furtout
fi fort révolté , que quelques Aldermans
de cette ville ont écrit la lettre fuivante
au Lord Maire.
כ כ
-
Milord , nous fouflignés , extrêmement inquiets
fur les impofitions qui doivent être levées cette année
, & particulièrement fur les taxes des tranfports
d'effets & affurances , ce qui doit être intolérable
pour le commerce de cette Ville en particulier , &
du Royaume en général , nous vous fupplions de
convoquer au plutôt le Confeil commun , afin qu'on
y concerte les mefures les plus propres à prévenir
le mal dont nous ſommes menacés «. - Les jours
fixés pour verfer dans la caiffe de la banque , dit un
de nos papiers , les divers paiemens relatifs à l'emprunt
de 13,500,000 liv, fterl . à lever par annuités ,
font 15 pour 100 , au 1 Avril , 10 pour 100 au 12,
autant au 7 Mai , autant au 13 Juin , autant au 19 ;
If pour 100 avant le 22 Août , 10 pour 100 avant
le 20 Septembre , 10 pour 100 au 24 Octobre , &
autant avant le 26 Novembre. Pour la loterie de
405,000 liv. fterl . 15 pour 100 avant le 1 Mars
20 pour 100 avant le 28 Mai , 25 pour 100 avant
le 6 Juillet , 20 pour 100 avant le 10 Septembre ,
20 pour 100 avant le 1r Octobre. Les huit particuliers
qui avoient foufcrit à la totalité du prêt des
13,5000,000 liv. fterl. verferent le 1 Mars , à une
heure après midi , dans la caiffe de la Banque ,
2,085,000 liv . fterl. a
-
-
Les nouveaux Miniftres feront vraifemblablement
forcés de laiffer fubfifter les derniers
arrangemens du Lord North , relativement
aux finances , quelque onéreux
( 72 )
qu'ils foient pour le peuple , quelques plaintes
qu'ils occafionnent ; on ne voit pas en
effet ce qu'ils pourroient y ſubſtituer , furtout
dans un moment où tous les impôts
font fi multipliés , où tous les objets fufceptibles
de taxes en font ſurchargés , & où
d'ailleurs le befoin d'argent eft fi urgent
leur embarras fera bien plus grand encore
l'année prochaine fi la guerre continue,
Comment fera- t-on les nouveaux fonds ?
Quelles mesures prendra le Miniftre qui en
fera chargé & qui s'eft fi fortement élevé
contre celles du Lord North ? Cet embarras
eft encore éloigné ; mais en voici de plus
prochains ; l'Irlande leur en prépare qui
demanderont toute leur adreffe ; & il eft
vraisemblable qu'ils gémiront plus d'une
fois fous le fardeau dont ils ont confenti
à fe charger. Les affaires de ce Royaume
occupèrent la Chambre des Communes
dans la féance du 27 Mars dernier.
» Le Colonel Luttrell pria la Chambre de prendre
en confidération la pofition très - alarmante ou fe
trouve actuellement l'Irlande. Il affura qu'elle étoit
de nature à demander les premiers foins de la nouvelle
Adminiftration , fr- tout dans un tems où S. M.
a déja perda la plus grande partie de fes poffeffions.
Il fut interrompu par M Byng , qui ne voyant
dans la Chambre aucun Membre de la nouvelle adminiftration
, le pia de remettre cette affaire à un
autre tems . Il feroit d'autant plus déplacé , dit -il ,
d'alarmer le efprits , que je ne crains
d'affirmer
que rien ne fera négligé pour remédier au mal, & je
crois qu'il feroit beaucoup plus convenable que
-
pas
M.
( 73 )
-
M. Luttrell communiquât fes informations au nou
veau Miniſtère , qui certainement y donnera la plus
grande attention. Le Colonel Luttrell répliqua :
l'affaire eft trop preflante pour qu'il foit permis de
perdre un inftant , Je n'ai en mon particulier aucune
communication avec les nouveaux Miniftres , & je
vois avec effroi que pendant les vacances prochaines
le mal va s'aigrir au point de devenir incurable ,
tandis qu'il feroit encore foflible de prévenir les
funeftes effets en s'en occupant. Les délais n'ont
déja caufé que trop de ravages. Voilà pourquoi je
renouvelle mes inftances à la Chambre , pour qu'elle
faffe de cette affaire l'objet de ſes confidérations les
plus férieufes . Cependant comme je ne vois ici aucun
des nouveaux Miniftres , je confens pour le
moment à remettre ma motion. Au furplus je dois
avouer que les détails que j'ai à communiquer apprendront
à la Chambre peu de chofes nouvelles ,
mais elles n'en font pas moins intéreffantes . Je ne
doute pas que le mal ne foit réparé d'une manière
qui affurera également les droits conftitutionels des
deux Royaumes.
La Chambre paffa enſuite aux affaires de l'Inde
& le Lord Avocat d'Ecoffe préfenta deux liaffes
d'appendix des précédens rapports du Comité particulier
des affai es de l'Inde . Après avoir lu les
titres de ces papiers & les avoir fait met.re fur le
Bureau, il pria la Chambre de les prendre en confidération
le plutôt poffible. Il affura que ces documens
réclamoient toute la juftice de la Chambre ,
qu'ils étoient relatifs à un grand nombre dubjets
tous très-importans qui intereffoient plufieurs millions
d'hommes , & que des affaires de cette nature
ne pourroient fans danger être remifes à la prochaine
feffion du Parlement. En conféquence , & commė, '
on ne pouvoit fixer à un terme trop prochain le jour
de ce travail , il propofa : » que l'examen des rapports
du Comité particulier nommé pour faire
13 Avril 1782. d
( 74 )
» des recherches fur les affaires du Bengale , de
Baher & d'Oriffa , avec les appendix de ces rapports
,feroir mis en confidération par la Chambre
le premier Mardi après les vacances « . Le Général
Smith annonça enite à la Chambre que le len
demain , du jour indiqué par la motion du Lord
Avocat , il en feroit une relative aux affaires de
l'Inde .
Le lendemain la Chambre s'ajourna au 8 du mois
prochain , & la Chambie haute au 18 «,
Les vacances de Pâques vont laiffer au
Ministère le tems de fe retourner & de fe
préparer aux débats qui auront lieu dans
les premières féances . L'Irlande en occafionnera
de grands. "
» Les affaires de ce Royaume , dit un de nos papiers
, ont été long-tems négligées ; toute l'Europe a
vu avec étonnement les efforts que ce Royaume a
faits pour fe procurer une force militaire. Aux termes
de la loi il devoit y avoir 12,0co hommes de
troupes pour la garde de cette ile ; par fubterfuge
ces troupes en ont été tirées pour aller faire la guerre
en Amérique . Le Parlement a établi une milice dont
les Officiers devoient recevoir leurs commiffions du
Roi. L'argent voté pour l'habillement de cette milice
a été employé à corrompre le Parlement ; privés
de troupes réglées & de milices , les Irlandois
étoient exposés fans défenſe aux infultes de l'ennemi.
Ils ont formé des affociations , ils ont pris euxmêmes
les armes ; dans l'efpace de quatre ans , l'Ir-
Jande a eu 80,000 hommes bien difciplinés & complettement
armés. Il eft impoffible que l'efprit de
l'homme poise refter dans l'inaction . Les volon-*
taires afociés ont voté d'une voix unanime , que
le Parlement de la Grande- Bretagne n'avoit point le
droit d'affujettir l'Irlande à fes règlemens. Ils ont
arrêté qu'elle jouiroit d'un commerce illimité qui ne
( 75 )
feroit affujetti qu'à fes propres règlemens , & tous les
corps de leurs Jurifconfultes ont par leurs arrêtés
confirmé ceux des aſſociations armées. Mais ce n'eft
pas tout. Les Shérifs & les Grands-Jurés de toutes
les Villes & Comtés du Royaume ont pris les mêmes
arrêtés «<.
Ces réfolutions font conçues ainſi .
»Nous , le Grand Juré du Comté de Fermanagh
affemblés à Juniskillen le 18 Mars 1782 .
Nous nous engageons à n'obéir jamais à aucune
loi faite ou à faire pour gouverner l'Irlande ,
l'exception de celles qui font faites par le Roi , les
Lords & les Communes d'Irlande . Nous demandons
auprès de toutes les Nations un commerce auffi
libre , auffi avantageux que celui dont jouit la Grande-
Bretagne. Nous nous déclarons contre la loi de
Poining , telle qu'elle eft généralement entendue ,
perfuadés qu'au moins il faut l'expliquer clairement
& révoquer par conféquent les parties qui paroif
fent tendre à limiter les libertés de l'Irlande. Enfin
nous déclarons que le bill contre la mutinerie eft
inconftitutionel , & qu'étant dangereux pour les
libertés du peuple il demande des modifications.
Le réfultat des confeils tenus au Château la femaine
dernière , lit- on dans une lettre de Dublin du
21 Mars , a été qu'il feroit rendu compte à l'Adminiftration
de la Grande-Bretagne de l'état actuel
de l'Irlande , & qu'on l'informeroit 1 °, que toute
oppofition ultérieure de la part du Gouvernement
établi ici , à une déclaration Parlementaire , eſt
dangereufe & impraticable . 2 °. Que dans les circonftances
préfentes , il est très-convenable aux
amis du Roi de céder au torrent populaire «.
.. On dit que le corps des volontaires d'Irlande
fe monte à 72,400 hommes , dont
8600 de cavalerie.
Le difcours que M. Burke prononça
d 2
( 76 )
dans la Chambre des Communes dans la
fameufe féance du 20 Mars , mérite d'être
cité ; nous y joindrons quelques morceaux
de celui du Genéral Con wai .
>> Quoique je ne m'oppole point à la motion pour
l'ajournement , dit le premier , je fouhaiterois que
les Miniftres euffent été plus formels & plus clairs
dans leurs déclarations. Je compte beaucoup fur
l'exactitude & l'honnêteté avec lesquelles l'affaire
fera conduite dans la conjoncture préfente. Chaque
moment qui fe fuccède femble donner une nouvelle
importance au dernier & rendre la crife doublement
alarmante. Pour moi je ne regarde pas l'inftant actuel
fous un point de vue aufli flatteur que peuvent
l'envifager beaucoup de gens dans leur première
ivreffe , je le confidère comme un moment qui nous
impofe l'obligation de faire ftrictement notre devoir
& de nous tenir plus que jamais fur nos gardes.
Suivant la Déclaration qui vient d'être faite , il va fe
former une nouvelle Adminiſtration . C'eſt un point
fur lequel je n'ai & ne dois avoir aucun doute. C'eſt
pourtant cette circonftance qui fait naître mes foupçons
& qui réveille mes craintes . Il y a peu d'époques
plus critiques pour l'intérêt d'une nation que celles
où il eft question de choisir les chefs de ſon adminif
tration . Dans des crifes de cette nature , on préfente
aux paffions de l'homme mille objets de gratification
, on ouvre fous fes pas un vafte champ de
corruption , on cherche tous les moyens poffibles
de le tenter , & l'on parvient fouvent à trahir ou
à
gagner celui qui montre les réfolutions les plus
pures & les fentimens les plus vertueux, D'après ces
confidérations , je ſupplie la Chambre de porter toute
fon attention fur la fituation épineule où elle fe
trouve & de fe prémunir contre tous les dangers qui
la menacent. Je ne connois point les grandes branches
de cette nouvelle adminiſtration . Je n'ai point
( 97 )
affez de vanité pour me flatter d'y être placé dans
quelque pofte éminent. Quoi qu'il en foit , je fou
haite que ceux qui feront élevés au premier rang
puiffent confidérer le grand principe fur lequel le
renvoi des derniers Miniftres eft fondé. Ils ont été
forcés d'abandonner l'adminiftration des affaires
publiques , parce qu'ils ont perdu la confiance du
peuple. Ce n'eft pas à un vote de cette Chambre que
leur difgrace doit être attribuée , mais à l'impreffion
& à l'influence des fentimens populaires fur les efprits
du corps collectif de cette nation . On peut fans doute
former une nouvelle Adminiftration , mats ce nouveau
fyftême peut , dans fon inftitution & dans fes
principes , être autli dangereux pour la fûreté publique
& auffi deftructeur du bien général que l'a été
l'ancien . Ainfi ce n'eft pas un changement d'hommes
qui fauvera ou qui détournera l'orage dont nous
fommes menacés , mais un changement total de
Lyftême politique . Qu'on ne s'imagine pas cependant
que cette révolution puiffe être opérée par les
feuls membres d'une Adminiſtration , quelque bien
compofée qu'elle puifle être. Il n'y a que le zèle
& le concours de cette Chambre qui foient en état
de donner de l'énergie & de la ſtabilité aux mefores
& aux réfolutions du Miniſtère . Si le nouveau fyltême
reprend les ufages corrompus de l'ancien , &
s'il fe foutient fur les mêmes principes mercénaires
& deftructeurs , la nation ne gagnera rien par la
préſente révolution , & au contraire deviendra encore
plus malheureufe.. Si cela arrive , j'espère que
tous les Membres honnêtes de cette Chambre s'attacheront
à maintenir leurs priviléges & à abandonner
une Adminiftration dont la conduite feroit
auffi déshonorante que la précédente. Les dons de
la fortune , dans l'arrangement actuel des affaires
de ce monde , peuvent être inégalement diftribués .
Y a certains biens qui ne peuvent pas être répartis
à tous. Mais il reste une reſſource à tout homme
II
dz
( 78 )
que la fortune délaiffe ; c'eft de remplir honnêtement
fon devoir & de déclarer hardiment l'opinion
qui lui appartient comme homme , & qu'il ne peut
déguifer fans crime dans certaines occafions.
Je le repète , la révolution actuelle n'eft l'ouvrage
ni de la faction ni de l'intrigue ; on ne doit l'attribuer
qu'au voeu unanime de la nation. J'efpere que les
nouveaux Miniftres fentiront , comme ils doivent ,
cette importante & flatteufe vérité , mais en mêmetems
que bien- loin de fe livrer aux illufions de l'amour-
propre , ils envifageront l'évènement actuel
avec toutes les circonstances alarmantes qui l'ac
compagnent , & que , bien-loin d'être pour eux un
moment de triomphe , il en fera un de terreur & de
confternation .
A peine M, Burke étoit-il affis , que le Général Convay
fe leva pour prendre la parole . Ce n'eft , dit-il ,
qu'avec le plus fenfible déplaifir que je me vois forcé
d'avoir une opinion différente de celle que vient d'exprimer
mon honorable ami M. Burke. Je conviens
avec lui que le moment actuel eſt un moment de
crife , & perfonne ne fent enfin plus vivement que
moi cette vérité ; mais je ne puis adhérer auffi cordialement
à ce qu'il dit relativement à la conduite
de la nouvelle Adminiſtration , que l'on fuppofe fur
le point d'être formée. Il prétend que des circonftances
particulières pourront mettre dans une pofition
très-défagréable les perfonnes qui doivent la compofer
, ce qu'il attribue au fyftème général de corruption
. Il ajoute que , pour donner du poids à leurs
décifions , ils feroient forcés d'employer les mêmes
principes de vénalité & les mêmes moyens de corruption
qui ont été pratiqués par leurs prédéceffeurs.
Cette doctrine me paroît fi dangereufe , qu'il m'eft
impoffible d'être en aucune manière de l'avis de M.
Burke fur un pareil fujer. Je regarde le ministère qui
fera obligé d'avoir recours à ces mesures deftructives
comme mal conftitué & ennemi du bonheur de la
( 79 )
-
G. B. Si j'appercevois dans les opérations quelque
fymptôme de corruption & de vénalité , je lui voueois
une inimitié auffi ouverte & auffi vigoureuſe
qu'à celle qui vient de perdre la confiance de la nation.
Si donc M. Burke adopte ces principes , & qu'il
fe conduife en conféquence dans les places éminentes
auxquelles fes rares talens lui donnent de fijuftes
droits , je fais fâché d'ajouter que je ne pourrai me
difpenfer de m'oppofer à la maxime fondamentale
de fa conduite , & de m'en déclarer l'ennemi. Au
furplus , ce n'eft qu'avec la plus grande répugnance
que je fais cette déclaration , tant je crains de m’être
trompé fur le fens du difcours prononcé par M.
Burke. La réplique de M. Burke fit voir que les
craintes de fon ami étoient mal fondées. Il affura
en effet qu'il l'avoit très mal entendu , & que rien
n'étoit plus loin de fon coeur & de fon efprit , que
les principes que M. Conway lui avoit fuppofés
relativement à la nouvelle adminiſtration. Il prétendit
qu'il avoit foutenu précisément le contraire , que
perfonne n'avoit plus que lui en horreur tous les
moyens de corruption , & qu'il feroit en tout tems
comme aujourd'hui l'ennemi déclaré de toute adminiftration
qui oferoit employer , pour le foutenir,
des moyens auffi infâmes, Quant à fon perfonnel ,
il affirma qu'il n'avoit point affez de vanité pour ſe
fatter d'occuper une place éminente dans la nouvelle
adminiftration , & qu'il ignoroit même fi l'on
y auroit aucan befoin de fes fervices.
·
FRANCE.
De VERSAILLES , le 9 Avril.
Le Roi a accordé les entrées de la Chambre
au Comte de Mailly , Chevalier des
Ordres de S. M. & Commandant en Rouffillon.
d 4
( 80 )
Le 24 du mois dernier LL. MM. & la
Famille Royale fignèrent le contrat de mariage
du Marquis des Effarts , Capitaine
au régiment Royal Pologne , cavalerie , avec
Mademoiſelle de Biotiere de Chaffincourt
de Tilly.
Le 31 , la Comteffe d'Agoult eut l'honneur
d'être préfentée à LL. MM. & à la
Famille Royale par la Princeffe de Berghes ,
Dame du Palais.
Le 2 de ce mois le Marquis de Cheylus ,
Député de laVille Comtat d'Avignon eut une
audience particulière du Roi , dans laquelle
il prit congé de S. M. Il fut conduit à cette
audience ainfi qu'à celle de la Reine par M.
de la Live de la Briche , introducteur des
Ambaffadeurs ; M. de Sequeville , Secrétaire
ordinaire du Roi pour la conduite des Ambaffadeurs
précédoit.
Le même jour le Duc de Gravina , Grandd'Efpagne
& premier Ecuyer du Roi des
Deux-Siciles , fut préfenté avec les formalités
ordinaires à LL. MM. & à la Famille
Royale qu'il complimenta au nom de LL.
MM. Siciliennes fur la naiffance de Monfeigneur
le Dauphin.
Le Roi a nommé à l'Abbaye de Coulomb
, Ordre de Saint- Benoît , Diocèle de
Chartres , l'Abbé de Beaupoil de Saint- Aulaire
, Aumônier ordinaire de la Reine
Vicaire- Général de Soiffons ; & à l'Abbaye
de Molaife , Ordre de Cîteaux , Diocèle de
Châlons fur- Marne , la Dame de la Marti
,
( 81 )
nière , Prieure & Célérière de la même
Abbaye .
De PARIS , le 9 Avril.
1 Aux détails que nous avons donnés de
la prife de St - Chriftophe & du fiége de
Brimstone- Hill , nous joindrons ceux- ci , qui
contiennent quelques anecdotes , que nos
Lecteurs ne feront pas fâchés de connoître.
" Les Anglois nous avoient trompés , en nous
donnant ce Fort comme un fecond Gibraltar , c'eftà-
dire , comme un morne inacceffible , & pour ainfi
dire , incapable d'être forcé , par la difficulté des
approches . Il a été affiégé en règle comme une
place ordinaire. On a ouvert la tranchée , on l'a
battu en brèche ; on y a jetté quantité de bombes ,
& leur effet a été tel , que fur le haut du morne , le
fort a été détruit de manièrè qu'il n'y refte pas à
préfent pierre fur pierre . Le Gouverneur montra ces
ruines à M. de Bouillé , qui en parut furpris , & qui
lui dit enfuite : Voilà pourtant l'effet de vos bombes
, car les miennes n'ont pas fait tout ce dégât.
Ne parlons pas de cela , dit le Gouverneur en l'interrompant
; il ne vouloit pas qu'on lui rappellât
qu'il en avoit laiffé 2000 à notre difpofition . L'affant
contre ces derniers retranchemens étoit réfolu ;
il auroit eu lieu la même nuit que l'ennemi demanda
à capituler ; & peut être il ne fe décida à ſe repdre,
que parce qu'il connut à nos difpofitions le danger
qui le menaçoit. Le Fort auroit été emporté
dans cette attaque , à en juger par l'ardeur dont
l'armée étoit animée , & par la réfiftance que les
trois cents grenadiers , fous les ordres du Comte
de Flechin , avoient oppofée à 1500 hommes de
vieilles troupes , qu'ils forcèrent à fe rembarquer.
Près d'un tiers de ces grenadiers périt ; la perte de
l'ennemi fut bien plus confidérable ; & une chofe
ds
( 82 )
remarquable , c'eft que les Anglois , qui regardent
comme un devoir & un acte de piété , l'obligation
d'enterrer leurs morts , les abandonnèrent cette foislà
, & le contentèrent d'envoyer un Tambour à M.
le Comte de Flechin , pour le prier d'exercer ce devoir
facré pour eux , & de donner un prompt fecours
aux bleffés . M. de Bouillé conrut un grand rifque
les premiers jours du fiége ; il étoit forti à cheval
, accompagné feulement d'un Valet - de chambre
; il tournoit le morne pour l'examiner ; & l'efprit
trop préoccupé de ſon plan d'attaque , il ne s'apperçut
pas qu'il s'étoit trop avancé tout-à-coup
quelques foldats qui étoient en embuscade , fondirent
fur lui ; il fe d.barraſſa d'eux , & dut fon falut
à la vîteffe de fon cheval. Son valet- de- chambre fut
pris , mais il lui fut renvoyé le lendemain. Le Gźnéral
Frafer avoit déja été notre prifonnier à la Dominique
; après la prife de Brimftone - Hill , M. de
Bouillé lui ayant annoncé qu'il étoit libre , je vois
bien , lui dit ce brave Commandant , que vous voulez
me faire l'honneur de me combattre une troifième
fois. Cela pourra fort bien arriver un jour ,
puifqu'il commande à Antigues «.
:
Nos Officiers font l'éloge de l'Amiral
Hood ; ils difent qu'il eft adoré dans fa flotte ;
& que tous fes Capitaines ont déclaré qu'ils
donneroient leur démiffion fi l'Amiral
Rodney vient prendre le commandement
de l'efcadre. On raconte auffi l'anecdote fuivante
, qui fait autant d'honneur au Général
Anglois qu'au Général François , qu'elleregarde.
Le Marquis de Vaudreuil , commandant le Triomphant
, étant arrivé le 30 Janvier , à la Martinique ,
d'où il a été rejoindre le Comte de Graffe à Saint-
Chriſtophe , defira connoître par lui -même la fituation
des Anglois ; il fit pour cela prolonger leurs
( 83 )
lignes à deux tiers de portée de canon. Dès que les
Capitaines Anglois l'earent apperçu , ils demandèrent
à tirer deffus , mais l'Amiral ayant reconnu que c'étoit
le Triomphant , commandé par M. le Marquis
de Vaudreuil , & que le motif de cette vifite ne pouvoit
avoir d'autre objet que de bien voir leur pofition
, il défendit de faire feu fur ce brave Officier,
On a écrit de Bordeaux qu'un navire
Américain forti de la Martinique & arrivé
à Cadix , avoit rencontré un Parlementaire
François , qui lui avoit affuré avoir vu le
23 Février l'Amiral Rodney aux attérages
des Antilles avec 6 vaiffeaux démâtés . Cette
nouvelle fe confirme ; on affure qu'en effet
Rodney a reçu un grand coup de vent , qui
a démâté la moitié de fon efcadre , & qu'il
eft arrivé dans le plus trifte état à la Barbade
, où il trouvera difficilement de quoi
fe réparer. L'efcadre du Comte de Graffe
qui eft retournée à Fort-Royal , où elle avoit
befoin de faire des vivres & de l'eau , avant
de tenter quelque nouvelle expédition
n'aura point quitté alors ces mers , où elle
reſtera maitrelle , & veillera fur tous les
mouvemens de l'ennemi. Si les Eſpagnols
ont en effet de grands projets , fi , comme
on le lit dans quelques lettres de Madrid
dès la fin de Janvier D. Bernard Galvez étoit
parti de la Havane avec 1 500 hommes pour
fe rendre au Sud de St-Domingue , prendre
en paffant la Providence , & attendre au
rendez vous toute l'efcadre & le refte des
troupes aux ordres de D. Joachim Girin ,
ni Rodney ni Hood ne peuvent troubler
>
d 6
( 84 )
leurs opérations . M. de Graffe attentif à
leurs mouvemens , eft prêt à les combattre
on à les fuivre , & à conduire aux Eſpagnols
tes fecours de vaiffeaux & de troupes néceffaires
aux opérations que les deux Puiffances
peuvent avoir arrêtées . Déjà l'on dit
que le Marquis de Bouillé a pris les devans ,
tant pour le concerter de nouveau avec D.
Bernard Galvez , que pour l'inftruire du
retard que peuvent avoir éprouvé les projets
médités par l'attaque de St- Christophe & de
Brimftone Hill , qui a été plus longue qu'on
ne s'y étoit attendu.
Il circule des lettres particulières qui annoncent
que l'efcadre & le convoi Espagnol
qui avoient été vus à to lieues au Sud de
la Martinique , font arrivés à Fort- Royal.
» Il arriva hier ici , écrit-on de Nantes , un navire
venu en trois mois de l'Ile de France. Le Capitaine
rapporte que M. d'Orves & M. de Suffren en font
partis le 7 Décembre dernier ; ils font chargés d'une
expédition importante dont on fe promet les plus
grands fuccès . Il y a eu dans l'Inde 3 affaires entre
Hyder-Ali & l'armée de Sir Eyre Coote. Hyder- Ali
fut repouflé deux fois avec une perte confidérable ,
dans des attaques qu'il fit pour débufquer les Anglois
d'une pofition avantageufe où ils étoient. Les troupes
fatiguées mais non rebutées , furent plus heureufes
deux jours après, elles enfoncèrent l'armée Angloife ;
& dans la retraite , la cavalerie d'Hyder Aly l'entama
à différentes reprifes , en forte que ce corps perdit
la moitié de fon monde «.
Voilà tout ce qui tranfpire de ces nouvelles
de l'Inde , que le paquebot pris par
l'Aigrette , donnoit comme fort défavanta(
85 )
geufes pour Hyder- Aly. Il paroît que dans
le commencement de cette campagne il n'y
à eu que des affaires de pofte , & l'avantage
a dû demeurer à la longue à celui qui pouvoit
recruter fon armée à chaque inſtant
& qui avoit la plus nombreufe cavalerie.
La frégate l'Aigretre , lit-on dans des lettres de
Breft , qui a amené MM. de Marigny & de Livarot ,
a conduit encore MM. de Monteil , Deftouches ,
Chefs - d'efcadre, & M, de Bricqueville , Capitaine de
vaiffeau , qui ont eula permiflion de revenir en Europe
, à caufe du dépériffement de leur fanté. L'Aigrette
nous a appris l'arrivée du Triomphant & du
Brave avec 7 bâtimens du convoi fori de ce
port , fur lefquels on avoit de vives inquiétudes .
Ces vaiffeaux ont auffi conduit aux Ifles 12 bâtimens
du convoi de Bordeaux , qu'efcortoit la Néréide .
Cette frégare ne s'eft guere arrêtée à la Martinique ;
elle a touché à Saint-Chriftophe. M. de Bellecombe
de cendit pour voir les travaux des affiégans ; il vifita
la tranchée , & après avoir tout examiné , le 4 Février
, il remonta fur la frégate & continua fa
route le mêine jour pour Saint-Domingue . L'arrivée
de ces tranfports a dû caufer beaucoup de joie à
notre armée , en lui portant bien des objets de première
néceffité .
>
Lei de ce mois M. le Noir , Confeiller
d'Etat , Lieutenant- Général de Police , accompagné
du Bureau d'Adminiſtration de
l'Ecole gratuite de Deffin , fe rendit aux
Tuileries pour la diftribution annuelle des
grands Prix. M. Bachelier , Directeur , ouvrit
la féance par un difcours , après quoi
on procéda à la diftribution des grands.
Prix mérités par MM. Thierry , le Grand
Gardy , le Vaffeur , Regnault & Boucher ,
( 86 )
ils furent embraffés par le Magiftrat au bruit
des fanfares & des acclamations du Public.
On délivra auffi dans la même féance 12
grands acceffit & 96 prix.
:
» Je défirerois , M. , nous écrit on de Surefne ,
faire part au Public , par la voie de votre Journal ,
des traits de bienveillance qu'exerce journellement
en cette Paroiffe M. l'Abbé Delliot , ancien Chapelain
de Madame la Dauphine , & actuellement
Supérieur du Mont - Valérien . Ce vieillard refpectable
, à tous égards , eft retiré à Surefne depuis
environ 20 ans : l'économie avec laquelle il y vit ,
lui a donné la facilité de faire rétablir , à ſes frais ,
l'Eglife du Mont - Valérien ; d'accorder dès- à -préfent
à fes domeftiques les penfions dont ils ne devroient
jouir qu'après lui ; d'augmenter confidérablement les
revenus des pauvres de Surefne , de manière à leur
affurer le néceffaire , & enfin d'y inflituer une Rofière
à cet effet il a fondé une rente annuelle &
perpétuelle de 300 liv. , pour aider à marier la fille
la plus fage , & il a exigé par l'acte de donation ,
que la nomination fe fit le 15 Août de chaque
année , en la manière fuivante. Les quatre plus
anciens Marguilliers s'affemblent au Presbytère &
choififfent entre trois filles que M. le Curé leur a
propofées , celle qu'ils croient la plus vertueufe :
s'il y a partage d'opinions , la voix de M. le Curé
l'emporte , en obfervant cependant de préférer la
plus pauvre , lorfque le mérite eft égal . M. l'Abbé
Delliot a défiré que celle qui feroit choifie le maniât
dans l'année , & que la dot lui fût payée à l'inſtant
de fon mariage. Le choix eft tombé cette année
fur Louife - Thérèſe Pellier , fille du Jardinier de
Madame Cofte , autre bienfaitrice de cette Paroille.
Les 300 liv. lui ont été délivrées par le Marguillier en
charge , le 4 Février dernier , jour de la célébration
de fon mariage avec le Jardinier de M. de Villedeuil
, à Servon , proche Brie - Comte - Robert.
-
( 87 )
―J'ai l'honneur d'être , &c. Signé , POSTIN ,
Procureur-Fifcal de Surefne ".
On a trouvé à Defagnes , Diocèle de
Vienne , un ancien Temple de Diane bien
confervé. Ce Monument , un des plus beaux
reftes des antiquités Gauloiſes , a été découvert
par l'Abbé Soulavie , & décrit dans le
Tome III de la France Méridionale ; il mérite
à tous égards l'attention des Amateurs
de l'Hiftoire des Gaules
On lit dans les Affiches de Meaux un
trait de filouterie affez fingulier.
Ila quelques jours que deux inconnus , fe qualifiant
de Juifs étrangers , fe font préſentés chez une
Dame à Pont-à-Mouffon , pour acheter des perles . On
convint du prix fur le pied de 32 louis . Le marché
étant conclu, un des Juifs donna 6.1 . d'arrhes , & promit
d'apporter le Lundi fuivant , la fomme qui formoit
le prix de la vente ; mais pour s'aflurer que les
perles qu'on lui donneroit étoient identiquement les
mêmes que celles qu'il avoit arrhées , il propofa à
la Dame de lui permettre de les mettre dans une
boîte & de la fceller de fon cachet jufqu'à fon retour
; elle y confentit. Le Juif en conféquence tite
de fa poche une boîte de fer blanc , y met les
perles , puis entoure cette boîte d'une ficelle , fur
laquelle il met l'empreinte de fon cachet dans plufieurs
endroits , & s'en va. Le délai fixé pour le
retour du Juif, étant écoulé & au- delà , la Dame
qui avoit vendu les perles , conçut des foupçons ;
elle fit ouvrir la boîte cachetée en préfence de
MM. les Officiers de Police de Pont - à - Mouffon.
A la place des perles , on trouva un morceau de
fucre enveloppé dans des chiffons de papier. On
préfume que le Juif avoit une boîte exactement
femblable à celle qui avoit été cachetée , & qu'il
( 88 )
aura fubftituée adroitement à celle à laquelle il avoit
mis fon fceau.
le
On s'eft empreflé de perpétuer par
burin la repréfentation du bâtiment conftruit
fous les ordres de MM . le Prevôt des
Marchands & Echevins de la Ville de Paris ,
pour la réception du Roi & de la Reine ,
avec leur Cour , pour voir le feu d'artifice
qui fut tiré dans la Place de Grêve fur le
bord de la Seine le 21 Janvier dernier , à
l'occafion de Monfeigneur le Dauphin . Cette
Gravure , que fon objet rend intéreffant ,
eft du prix d'une livre , & fe trouve chez
Efnauts & Rapilly , rue Saint-Jacques , à la
Ville de Coutances .
C'est aujourd'hui que les Spectacles reprennent
leur cours dans cette Capitale ;
les Comédiens François font l'ouverture de
leur nouvelle Salle conftruite dans le fauxbourg
Saint-Germain ; elle a beaucoup plus
d'étendue que celle qu'ils occupoient ; le
parterre y eft affis ; divers effais ont fait efpérer
qu'elle réuniroit tous les avantages
qu'on pouvoit défirer ; c'eft le tems & l'ufage
qui confirmeront cette efpérance (1 ) .
Madame d'Abzac , époufe du Comte de
(1 ) Dans cette virconftance nous nous empreffons d'annoncer
un nouvel Ouvrage de M. Patte , intitulé , Effai
fur l'Architecture Théâtrale. Il offre l'analyse des Ectits les
plus importans fur cette matière , & un Examen des principaux
Théâtres de l'Europe ; Examen qui ne peut que piquer
la curiofité , au moment où le Public va jouir de la nouvelle
Salle de Paris. Cer Ouvrage in 8° . fe trouve à Paris ,
Moutard , Hôtel de Cluguy , rue des Mathurins.
chez
"
"
( 89 )
Vitrac , ancien Exempt des Gardes-du-Corps ,
vient d'accoucher dans fon Château de Landonie
, en Périgord , de trois garçons vivans ,
qui ont reçu le batêmɛ .
Anne-Profpere Cordier de Launay , veuve
de Jean François-Jofeph , Comte de Toulougeon
, Brigadier des Armées du Roi , eft
morte en fon Château de Champlite , en
Franche Comté le 15 Mars dernier.
-
Déclaration du Roi donnée à Versailles le 26
Janvier dernier , enregistrée au Parlement le x
Mars , interprétative de l'Edit de Mai 1711 , concernant
les droits de la Pairie . -Autre du 19 Janvier
, portant interdiction de la Cour des Aides de
Clermont-Ferrand .-Autre du 9 Mars , enregistrée au
Parlement , le 12 , qui renouvelle les défenfes aux
Curés du Royaume de s'affembler fans permif
fion.
Arrêt da Confeil d'Etat du Roi du 4 Novembre
dernier , qui révoque celui du 25 Juillet précédent,
qui a permis la circulation dans le Royaume , des
étoffes & toiles en coupons de fix aunes & au- defous
, fans être revêtus des marques ordonnées par
les Règlemens, & ordonne l'exécution defdits Règlemens
comme par le passé . Autre du 30 Janvier ,
qui ordonne que , conformément à l'Edit du mois
d'Août 1781 , il fera perçu 10 fols pour livre en
fus des droits , fur les papiers & cartons . Autre
du 27 Février , portant Règlement pour le commerce
des toiles à Paris & dans la Banlieue .
tre du 12 Mars , qui ordonne que les Futaies qui
feront coupées à l'âge de 60 ans & au-deffus , dans
les Provinces & Généralités non abonnées , feront
exemptes de l'impofition des Vingtièmes. - Autre
du 17 Mars , qui fire les droits fur les fucres raffinés
venant de l'étranger .
-
―― Au'
( 90 )
De
BRUXELLES , le
و
Avril.
L'EMPEREUR a fait publier ici une Déclaration
, en date du 21 Mars , concernant
l'exercice de la pêche du harang & de la
morne pour les Pays - Bas. Elle eit conçue
ainfi :
». S. M. , à la délibération des Séréniffimes Gou .
verneurs- Généraux des Pays - Bas , a déclaré & déclare
que la pêche du hareng & de la morue ne
peur être exercée fous le Pavillon de S. M. ni celui
des Pays-Bas foumis à fon obéiffance , que par des
bâtimens munis de lettres de mer particulières pour
la pêche, & expédiées par le Magiftrat d'Oftende
ou le Magiftrat de Nieuport , dans la forme ufitée
jufqu'à préfent à cet égard , en fatisfaifant aux devoirs
& formalités preferits pour la pêche nationale
defdits Pays-Bas ; & que tous bâtimens qui exerceront
la pêche du hareng ou de la morue avec d'autres
lettres quelconques , feront tenus & réputés
pour étrangers , & ne jouiront d'aucune protection
du Gouvernement , ni d'aucune des faveurs accor
dées à la pêche de ce pays ; felon quoi tous ceux
qu'il peut appartenir auront à fe régler «.
La grande affaire de la reconnoiffance de
l'indépendance Américaine approche de fa
fin , avec une célérité à laquelle on ne
s'attendoit pas , & à laquelle s'oppofoit
peut- être la forme compliquée du Gouvernement.
Les Etats de Hollande entraînés par
l'impulfion générale & le voeu unanime de
la nation ont pris une réfolution décisive en
faveur des Etats- Unis. Le 28 du mois dernier
ils s'affemblèrent pour prendre l'avis
de la Nobleffe ; c'étoit la feule voix qui
manquoit alors ; & on avoit lieu de pen(
91 )
fer qu'elle pourroit s'oppofer à cette importante
réfolution. Elle déclara , qu'elle
ne pouvoit ni l'approuver , ni la défapprouver
; elle ne s'oppola point en conféquence
à la conclufion qui fut prife conformément
à l'avis unanime des 18 Villes .
» Ce fut le 21 Mars , écrit- on de la Haye , que
le Confeil de guerre formé pour juger la conduite
du Contre-Amiral Bynkes , ci-devant Commandant
d'une divifion de vaiſſeaux de la République dans la
Méditerranée , prononça fa Sentence. Il a décidé
que le Contre-Amiral a manqué d'activité , en fouffrant
qu'un Corfaire Anglois s'emparât du navire le
St-Georges , venant de Smyrne avec une riche cargaifon
, & le conduisît tranquillement dans le Port
de Livourne au fû , & à la vue du Contre-Amiral.
En conféquence il a été fufpendu , pendant trois
ans , dans fon fervice en qualité de Contre-Amiral',
avec privation de fes appointemens & émolumens :
il a été de plus condamné aux frais du Confeil de
guerre, Le Stadhouder , en communiquant ce Jugement
aux Etats-Généraux , a ajouté qu'il étoit fort
éloigné d'attribuer à lâcheté ou à quelque mauvaiſe
intention , ce dont on n'a jamais fourni de preuves ,
la conduite de M. Bynkes , c'eſt une affaire de
lenteur & de négligence , qui méritoit d'être punie ,
à caufe de fes conféquences ".
Le Collége de l'Amirauté d'Amfterdam
vient de mettre en Commiffion 3 vaiffeaux
de guerre la Princeffe Louife de 54 canons ,
le Glinthorft de même force , & la frégate la
Vénus. Suivant une lifte de la marine de
la République , elle doit avoir les vaiffeaux
fuivans prêts à mettre en mer dans ce mois :
6 de 64 canons , 9 de 64 , 11 frégates de
10 de 24
2.20 >
& 6 moindres bâtimens
( 92 )
de guerre. Au mois de Mai ces forces pourront
être augmentées d'un vaiffeau de 70 ,
de 4 de 64 ; au mois de Juillet de 2 de 70 ,
2 de 64 , un de fo & 2 de 40 ; au mois
d'Août d'un de 64 , & d'un de 40 , & au
mois de Septembre d'un de 64 , & 2 de 40.
On apprend du Texel qu'il en eft forti
le 31 du mois dernier 42 navires fous divers
pavillons , dont la plupart font deftinés
pour la Baltique.
24
» On avoit eu raifon de le croire , écrit- on de
la Haye : M. Wentworth , prétendu Commiſſaire de
cartel Anglois , étoit chargé de négocier une paix
particulière entre la Grande-Bretagne & notre République
; mais il a échoué , & il eft reparti, On
avoit dit que le Secrétaire de M. Laurens étoit venu
en Hollande ; on s'eſt trompé : c'eſt un de ſes fils ,
nommé Henti Laurens , encore jeune , & venant
d'achever les études en Angleterre . La nouvelle
qu'on avoit épandue que le Ministère Britannique
avoit envoyé des paffeports à M. Adams , en l'invitant
à fe rendre en Angleterre , paroît également
fauffe ; il n'étoit ni dans la politique , ni dans le
fyftême Anglois de faire une démarche auffi oppofée
aux Déclarations publiques du Roi , où l'on voit
toujours ces mots : Mes Colonies , mes Sujets en
Amérique , &c . D'après la tournure générale que
prennent les affaires , il n'eft donc guères vraifemblable
qu'il fe foit trouvé quelqu'un affez fou pour
gager 10,000 ducats qu'avant fix mois les Colonies
Américaines feront réunies à la Mère- Patrie ; qu'il
fera ftipulé un dédommagement honorable pour la
France , & que les Hollandois ayant fait ou non un
traité avec les Américains , n'en payeront pas moins
des fommes immenfes pour ravoir leurs Colonies " .
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , le 2 Avril:
» La retraité des Miniftres fut annoncée au Pu(
93 )
blic par l'illumination générale du quartier de la
ville appellé Stock-Dales. Toutes les rues adjacentes
à Piccadilly furent également illuminées . On
ne fautoit exprimer la joie que caría cet évènement.
--
Un papier public qui avoit fignalé pendant tout
le règne de l'ancien Miniftere avec le plus d'opiniâtreté
fon zèle pour le parti 1 Oppofition , vient
de déclarer qu'il connoiffoit trop les procédés pour
parler davantage d'un ennemi vaincu , mais qu'il
vouloit cependant avant de mettre un terme à lon
reffentiment , faire connoître à la Nation le compte
courant des anciens Miniftres avec elle , en ſe réfervant
fimplement le droit d'y ajouter les airicles
qui ne font pas encore à fa connoiffance «.
Dettes des Miniftres.
Maffachuffets.
La Virginie.
Balance.
Sainte-Lucie.
Le Maryland.
La Penfilvanie. Miquelon,
La Georgie.
La Caroline Septentrionale. Saint-Pierre.
La Caroline Méridionale.
Pondichery. La Floride Orientale,
New-Yorck.
Connecticut.
New Hampshire.
Rhode Iſland.
Les Jerſeys.
Tabago.
La Dominique,
Saint-Vincent.
La Grenade .
Saint Chriftophe.
Nevis.
Montferrat.
Les Anguilles.
La Barboude.
Minorque.
102 milions ſterlings en eſpèces.
Ft 100,000 hommes.
( 94 )
» Il est très-étrange que dans cette lifte de nos
pertes , il n'ait pas été queftion de celle de la Province
de Sénégambie fur la côte d'Afrique. C'eſt
cependant un établiſſement de la plus grande importance
pour le commerce , & même l'existence
de toutes nos ifles d'Amérique , ainfi que pour la
traite des Nègres dont nous avons befoin. Les productions
de Sénégambie font d'un prix ineftimable.
Elles confiftent en or , ivoire , gomme , drogues &
bois de teinture de toute efpèce , en coton qui eft
le plus beau de l'univers , indigo & riz. On y
trouve d'ailleurs tout ce qui croît aux ifles de
l'Amérique , & tous ces objets ne coûtent prefque
rien , puifque les articles donnés en échange font
le rebut de nos Manufactures. Les François ont
déjà fortifié cet établiſſement , mais il ne feroit
cependant pas difficile de le reprendre au moyen
de Gorée , d'où l'on pourroit faire partir les forces
néceffaires pour cette expédition «.
On dit que la nouvelle adminiftration va s'occuper
principalement du foin de rétablir notre honneur
dans les fes , ou nos affaires font en fi mauvais
état. Si le peu d'Ifles qui nous restent peut
réfifter encore quelques mois aux troupes nombreufes
que M. de Bouillé a fous fes ordres , il n'eſt
pas douteux qu'on ne prenne des mesures efficaces
pour les protéger. Prouvez aux Colons que vous
êtes déterminés à défendre leurs propriétés , & foyez
sûrs que l'ennemi n'aura plus des fuccès auffi faciles.
-
M. Fox s'étant rendu le premier à Saint-James , fe
trouva embarraſſé d y paroître fans fes collègues , il
fe retira pendant quelque tems , mais il revint peude
tems après au lever avec le Marquis de Rockingham ,
bras fous bras. M. For a promis de la manière la
plus folemnelle , de renoncer au jeu dont il a la
paflion. Mais on ne peut guères compter fur les
fermens des amoureux & des joueurs . M. Burke
& le Colonel Barré ont déclaré qu'ils n'accepteroient
que 4000 1. ft. d'lionoraires par an , au lieu de ces
profits exorbitans que les anciens Miniftres s'attribuoient.
-
( 95 )
On demandoit ces jours derniers au Duc de
Richmond pourquoi il avoit accepté une place dans
des circonftances auffi critiques que celles où nous
nous trouvons. Voici fa réponſe : » Si l'extrême dé-
» treffe où font réduites les affaires de la nation ,
» n'offre aux nouveaux Miniftres aucune perspective
de gloire , on doit convenir que leur fituation eft
» en état de danger , & cette circonstance fuffit pour
➡déterminer un homme courageux à fe préfenter
» au-devant de l'orage & à fe facrifier , s'il le faut ,
» au falut de fon pays ".
Selon le dire général , la feule affaire importante
qui ait été traitée dans ce dernier Confeil , eft le rap
pel des troupes Angloifes qui font aquellement dans
l'Amérique Septentrionale. Suivant ces bruits , il a
été décidé unanimement que l'on évacueroit New-
Yorck & Charles-Town , dont les garnifons feroient
embarquées pour Ste- Lucie & pour la Barbade . On
s'occupe déja à raffembler les tranfports néceffaires.
Halifax & le Québec garderont leurs garnisons , qui
feront même confidérablement renforcées .
Ceux qui fe flattent de voir l'Amérique indépendaz
, feront bientôt détrompés. Il eft vrai que le
nouveau Ministère eft dans l'intention d'affurer amplement
les libertés des Colonies , & d'adhérer à
toutes leurs prétentions raisonnables , mais les propofrions
du Gouvernement feront appuyées d'une puif
fante armée qui , commandée par le brave Carleton ,
plaidera merveilleufement en faveur de la paix , &
protégera tous ceux qui fe trouveront difpofés à rentrer
dans leur devoir, ou le Congrès lui-même , en cas
que l'armée Françoife ou celle de Washington entreprennent
de s'oppofer à une négociation .
Le Chevalier John Irwin , Commandant en chef
des forces du Roi en Irlande , a donné ordre à tous
les Officiers des divers régimens de ce Royaume ,
actuellement en Angleterre , de joindre fans délai
leurs corps refpectifs .
Le Général Freytag , qui a jufqu'ici été chargé des
recrues allemandes , eft parti le 20 pour Hanovre ,
avec des dépêches pour le Lord de la Régence.
( 96 )
P. S. Nous recevons dans l'inftant une Gazette
extraordinaire de la Haye , qui annonce que le Prince
de Galitzin & M. de Markoff , Envoyés extraordinaires
de Ruffie , ont préfenté un Mémoire aux
Etats - Généraux pour leur communiquer une lettre
de M. Fox , nouveau Secrétaire d'Etat de la G. B. ,
à M. de Simolin , Minitère de l'Impératrice de Ruffic
à Londres : elle eft conçue ainfi :
و د
M. , ayant mis fous les yeux du Roi l'extraitde
la lettre qe vous m'avez fait l'honneur de me
commun quer , de M. le Prince de Gallitzin & M.,
de Markow , j'ai les ordres de S. M. de vous informer
que le Roi , défirant donner les preuves de
Les intentions envers L. H. P. , & de renouveller
l'amitié , qui a été fi malheureuſement interrompue
entre des anciens Alliés , qui devroient être unis
par les liens de teurs intérêts mutuels , eft ptêr
d'entrer en négociation avec L. H. P. , pour fo : mer
un Taité de paix fur le pied du Traité de 1674 ,
entre S. M. & la République ; & que , pour faciliter
l'exécution d'un objet que S. M. a tant a coeur , le
Roi eft prêt à donner des ordres immédiats pour
un armistice , fi , de leur côté , les Etats- Généraux
jugent une telle mefuie convenable au but propofé,
S. M. m'ordonne de vous expliquer , M. , fes fentimens
for un objet fi important , & de vous prier
de les faire parvenir aux Miniftres de S. M. I. auprès
de L. H. P. , pour qu'ils foient communiqués , fans
le moindre délai , aux Miniftres de la République ,
jugeant cette mefore la plus convenable pour parvenir,
avec la médiation & les bons offices de S. M. I. ,
à mettre fin au fleau de la gerre , qui malheureufement
fubfifte entre les deux Nations «<<.
Cette première démarche di nouveau Miniſtère
Anglois , qui peut- être a été faite trop tard , nous
prépare à quelques autres qui ne feront ni moias
mportantes , ni moins curieuſes .
JOURNAL POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUI E.
De CONSTANTINOPLE , le 25 Février.
LE Cadileskier ou Chef de la Juftice en
Europe , convaincu de s'être laiffé corrompre
à prix d'argent dans l'exercice de fes
fonctions , vient d'être deftitué de ſon emploi.
La nuit du 19 au 20 de ce mois , il fe ma→
nifefta dans le quartier de cette Capitale ,
appellé Keremith - Machalefi , un incendie
violent , qui fit de très - grands ravages
en très- peu de tems . On évalue entre 8 &
900 le nombre des maifons qui ont été réduites
en cendres , & à to celui des perfonnes
qui ont péri dans les flamines. Le Capitan
Bacha accouru pour donner les ordres néceffaires
dans cette funefte circonftance ,
fauva de fes propres mains trois perfonnes
qui , fans lui , auroient trouvé la mort dans
cet incendie. Le Grand-Vifir qui étoit venu
20.Avril 1782.
e
( 98 )
auffi , voyant de tous côtés un grand nombre
de perfonnes à demi nues & tranfies de
froid , car il avoit beaucoup neigé dans la
journée & il y avoit près de trois pieds de
neige fur les toits , les fit toutes conduire
dans une Mofquée ; fa pitié bienfaiſante ne
fit aucune acception de perfonnes ; les Turcs ,
les Chrétiens & les Juifs , furent également
admis dans cet afyle , où on les réchauffa &
où on leur donna à boire & à manger.
RUSSIE .
De PETERSBOURG , le 8 Mars.
DIMANCHE dernier l'Impératrice affife fur
fon Trône & revêtue de tous les ornemens
Impériaux , donna une audience publique à
l'Ambaffadeur du Khan des Tartares de la
Crimée.
S. M. I. a nommé M. Tifchen Schenowitz
, Archevêque de Mohilow. Elle a mis
fous la jurifdiction immédiate de ce Siége ,
pour ce qui regarde le fpirituel , toutes les
Eglifes , tous les Couvens & Communautés
Catholiques établis tant ici qu'à Moscou &
dans toute l'étendue de l'Empire. Il leur eft
défendu expreffément , dans aucun cas , de
recourir à Rome. L'Archevêque nommera
feul aux Places & Bénéfices vaçans dans les
Eglifes Catholiques , en prenant pour chaque
Sujet l'attache de la Souveraine ; mais jamais
il ne pourra nommer ni propofer même un
Etranger.
( 99 )
DANEMARC K.
De COPENHAGUE , le 20 Mars.
DEPUIS quelques jours il gèle ici auffi
fort qu'en hiver. Le Sund eft couvert de
glaces , & les vaiffeaux n'y entrent plus fans
danger. Deux navires Suédois & un vaiffeau
de notre Compagnie des Indes , y ont été en
grand danger de péir. Ils étoient à chaque
inftant fur le point de fe brifer le long de la
côte. On croit que vu le froid actuel , il y
aura cette année difette de foin & de bled .
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 27 Mars.
Ce fut le 22 que le Pape fit fa première.
visite à l'Empereur & à l'Archiduc Maximilien.
Le jour fuivant S. S. donna audience
aux Ambaffadeurs & Miniftres étrangers.
Le 25 , fête de l'Annonciation de la Sainte
Vierge , elle monta en carroffe , accompagnée
de deux Prélats de fa fui e , & fe rendit
en cérémonie à l'Eglife des Capucins , où ,
elle célébra la Meffe , après quoi elle defcendit
aux tombeaux de la famille Impériale
, où elle fit fa prière. Le même jour le
S. Père admit les Dames & la haute Nobleffe
à lui baifer les pieds.
» Le 10 Février , écrit- on de Czernewicz , l'Evêque
des Grecs non-unis de la Buckowine , a été
inftallé dans fon fiége épiſcopal par le Généra
e 2
( 100 )
d'Enzenberg , Gouverneur de la Buckowine ; cette
cérémonie s'eft faite avec beaucoup de folemnité
dans l'Eglife principale. Le Général d'Enzenberg
prononça un Difcours , & après que l'Evêque eut
prêté le ferment , il lui attacha une croix montée
en brillans. S. M. I. ayant accordé aux villes
d'Ofwiecim & de Zator , dans la Pologne Autrichienne
, la permiffion d'avoir par an deux marchés
publics de bétail , les feigneurs Polonois qui avoient
des droits de péage à recevoir de tout le bétail qui
pafloit fur leurs terres , y ont renoncé pour le tems
de la tenue de ces foires . — Selon les lettre de Lemberg
, le Baron de Buttav a découvert à Lublin , à 4
milles de cette ville , une mine de foufre. Le quintal
de ce foufre , tel qu'on le tire de la mine , produit
80 livres de foufre pur , & 32 livres de ce foufre fe
payent 4 florins dans le pays «.
On dit que l'Empereur va donner des
ordres pour la levée de quelques nouveaux
régimens ; on en levera quatre dans la Pologne
Autrichienne.
Le 16 Janvier dernier il eft mort à Haromfzeck
un vieillard , qui a pouffé fa carrière
au terme le plus reculé ; le Bojar Dumitor
Raduly , eft mort à 140 ans. A 16 ans ,
il étoit entré au fervice du Prince Ragotzki
II , & lorfque ce Prince mourut en
1660 , il fe rendit à Szerneft , cù il a vécu
70 ans. Il quitta enfuite cet endroit pour
aller s'établir dans Haromſzeck où il a
encore vécu 52 ans. Il avoit dans fon grand
âge affez bien confervé la vue & l'ouie ; il
a mangé avec appétit jufqu'à ſa fin , & il ne
s'eft plaint que de la foibleffe de fes pieds.
و
( 101 )
De HAMBOURG , le 29 Mars.
ON ne s'occupe actuellement par-tout que
de l'arrivée du Pape à Vienne ; voici les détails
que l'on lit dans une lettre de cette
Ville fur la réception que le chef de l'Empire
a faite au chef de la Religion.
Le 21 de ce mois , l'Empereur , accompagné de
l'Archiduc Maximilien , fe rendit à Neuftade , où il
coucha , & le lendemain à Neukirchen , où S. M.
reçut le Pape , qui y arriva le même jour ; elle revint
à Neuftadt avec le S. P. , qui avoit paffé dans fon
carroffe ; ils defcendirent à l'hôtel des Ca lets nobles
, où la Nobleffe , le Clergé , les Magiftrats de
la ville , reçurent la bénédiction du fouverain, Pontife
. L'Empereur lui montra l'Eglife & les appartemens
de cette Académie militaire. A midi , ils fe
remirent en route. Dès le matin , une foule prodigieufe
de peuple étoit raffemblée fur tout le
chemin des fauxbourgs , jufqu'aux portes du château
périal ; & les gardes eurent bien de la peine à la
contenir. A 2 heures & demie après-midi , l'illaftre
cortège arriva ; l'Empereur & le Pape étoient dans
le premier carroffe ; l'Archiduc Maximilien & les
Evêques dans le fecond ; & dans le troisième , les
Prélats de la fuite du Pontife. Le train fut obligé de
marcher très - lentement , pour ne pas écraser la multitude
qui s'empreffoit de recevoir la bénédiction que
S. S. envoyoit du fond de fon carroffe. S. M. I. lui
donna la main pour defcendre. Les Miniftres Impériaux
& la Nobleffe , prévenus , étoient au palais ,
& reçurent S. S. , qui fe rendit d'abord à la Chapelle
Impériale , où il fut chanté un Te Deum , pour
remercier le Ciel de l'heureuſe fin de fon voyage . Le
S. P. monta enfuite dans les appartemens qui lui
étoient deſtinés , où il trouva les Officiers chargés
e 3
( 102 )
de le fervir. Ces appartemens ont été meublés avec
la plus grande propreté. La chambre d'a dience eſt
tapifée en violet , & garnie d'aggent , mais on remarque
que toutes les entrées de ces appartemens ,
qui en avoient plufieurs , ont été fermées & clo es
à l'exception d'une feule , à laquelle il a été placé
une garde , à la tête de laque le font un Capitaine
& un Lieutenant des Prevôt . Ceux- ci ont ordre de
ne lailler entrer que des perfonnes connues , & furtour
de veiller à ce qu'il nen vienne point pour pré-
Lenter des Requêtes . Pour dire deux mors de l'extérieur
du Pape & de fa perfonne , il eft d'une taille
éminente & bienfait ; il a le nez aquilin & le coloris
da vifage rouge & frais ; en tout , (a phyfionomic
eft très- affable & très- prévenante. On dit que le jour
de Pâques il officiera avec toute la pompe pontifi
cale dans l'Eglife de Saint- Etienne « .
On lit dans une lettre d'Hermanſtadt , en
Tranfylvanie , les détails fuivans :
" Cette Province a reçu comme toutes celles de
la Mafon d'Autri he , la Patente portant fuppreflion
de quelques Ordies Religieux ; mais comme il ne fe
trouve dans cette Principauté aucun de ces Ordres,
dont la fuppreffion eft réfolue , la Patente qu on
nous a adicflée contient le paragraphe luivant :
» Comme nous fommes informés que dans cette
Principauté , il n'y a point de pareils Ordres ,
à
J'exception d'un petit nombre d'Hermites des deux
fexes , nous voulons faire connoître notre très-gracieufe
intention , pour qu'à l'avenir il ne foit admis
dans ladite Province , ancun autre Ordre dénommé
dans la Patente , ni aucun des individus ; ordonnant
en outre qu'il foit fait des perquifitions , par tout
dans les Etats de notre dépendance contre lesdits
Hermites & les ainfi nommés Kalugiers , tant unis
que non uuis , & qu'on leur annonce lear fuppref
fon ".
( 103 )
On dit que l'Evêque de Gorz ayant protefté
contre l'Edit de Tolérance , a reçu
ordre d'aller à Vienne rendre compte de
fa conduite.
Tous les Juifs établis à la campagne dins
la Tranfylvanie , ont reçu ordre d'aller demeurer
à Carlsbourg ; on fait tous les efforts
poffibles pour rendre cette nation plus utile
à l'Etat , & il leur eft permis d'établir toutes
fortes de Manufactures.
>
Les deux fils de l'Hofpodir de la Vallachie
qui avoient quitté la maifon paternelle
, font arrivés à Hermanſtadt le 16
Février ; ils y attendent le Secrétaire que
leur pere avoit envoyé à Vienne. On fait que
ce Prince vient d'être dépofé par la Porte.
Il a été Hofpodar pendant 8 ans , & on
dit que pendant cet intervalle , il a amaffé
48 millions en argent comptant , dont une
partie eft placée à Venife , & une autre
partie à Hambourg.
On dit que l'Impératrice de Ruffie vient
de faire renforcer d'onze régimens d'infanterie
& des de cavalerie , le corps de troupes
Ruffes qu'elle entretient fur les frontières
de la Crimée.
» Le Directoire de Mayence , écrit- on de Ratifbonne
, a fait dicter le 22 de ce mois un Mémoire
de la Cour d'Anfpach & de Bareuth à la Diète de
l'Empire , en date du 27 Février 1782 , pour prendre
fon recours à la Diète contre les Mandats exécutoires
du Confeil-Aulique de l'Empire des 22 Avril
1776 , 26 Janvier 1778 & 27 Mars 1781 , en faveur
de l'Ordre Teutonique , pour exempter les ſujets de
€ 4

104
104
J
fes Villages , fitués dans le territoire d'Anfpach , de
faire des corvées par l'ordre immédiat de la Régence
& des Intendans d'Anfpach , pour travailler à
la Chauffée de Nuremberg , au Monaftère de Hailsbronn
, dans le territoire d'Anfpach ; ce que la féréniffime
maifon de Brandebourg exige , en vertu de la
fupériorité territoriale fur tous les fujets des endroits
enclavés dans fon territoire , foutenant que la
décifion de cette queflion n'eft pas de la compétence
des Tribunaux fuprêmes de Juſtice ; mais
qu'elle doit être décidée , felon la capitulation de
l'Emperenr , art. 12 , §. 4 , par l'affemblée du Cercle
de Franconie. Le Directoire de Mayence a fait dicter
le même jour une repréſentation réitérée de la Régence
de Hanau , du 14 Janvier 1732 , par laquelle
elle infifte fur fon recours à la Diète , contre les
Sentences de la Chambre Impériale, concernant l'immédiateté
de la Ville de Geninhaufen , & demande
qu'un réinitat de l'Empire caffe & annulle toutes les
Sentences que la Chambre Impériale a prononcées
jufqu'ici , & lui défend toutes procédures ultérieures
dans cette caufe , jufqu'à ce qu'elle feit décidée par
l'Empereur & l'Empire « .
ITALI E.
De LIVOURNE , le 24 Mars.
LE Comte & la Comtefle du Nord font
arrivés à Florence le 19 de ce mois , vers
les 9 heures du foir , & ont été reçus par nos
Souverains qui ne négligent rien pour leur
rendre agréable leur féjour dans cet Etat.
Le Prince de Wurtemberg , frere de la Comteffe
du Nord , ayant reçu la nouvelle que
l'Impératrice de Ruffie l'avoit nommé Gouverneur
de la Finlande avec des appointe(
105 )
mens confidérables , eft parti de cette Ville
où il avoit précédé fon augufte foeur dès le
15 de ce mois pour fe rendre à Pétersbourg
où l'Impératrice lui a fait préfent d'un magnifique
Hôtel tout meublé,
Trois navires marchands Autrichiens font
partis de ce port il y a quelques jours . Leur
deftination eft pour la Chine. La nouvelle
corvette Tofcane la Notre - Dame de Montenegro
leur fert d'eſcorte. Un hourque dé
Trieste & 2 autres bâtimens fous pavillon
Tofcan paffent de conferve avec eux à
Londres.
L'efcadre de vaiffeaux de guerre Ruffes
qui a hiverné dans ce port , fe difpofe à
faire voile. On croit qu'une autre efcadre
de la même nation & beaucoup plus forte
viendra la relever dans nos parages.
ESPAGNE.
De BARCELONE , le 30 Mars.
M. le Duc de Crillon eft arrivé ici avanthier
de' Mahon fur le chébec le St-Louis
il a été reçu avec les plus grandes démonstrations
de joie & de vénération par les
Grands , les Officiers , & tous les Ordres des
Citoyens. On lui prépare des attelages pour
'continuer fa route ; il part demain , & il
compte arriver à Madrid le s ou le 6 Avril.
On a commencé à faire fauter les fortifications
de Mahon ; ce travail fera long ,
parce que l'intention du Roi étant que le
es
( 106 )
fort St Charles foit confervé , & que le
nouvel atraval ne foit point endommagé ,
il faudra néceffairement démolir & non
faire fauter tous les ouvrages qui avoifinent
ces deux endroits.
Il reftoit encore dans l'Ile quelques malades
de la garnifon Angloife , qu'on embarquera
aufli tôt qu'ils feront rétablis. Les
troupes Françoifes attendront les ordres
ultérieurs des deux Cours , pour favoir
quelle fera leur deftination .
On eft fort impatient d'apprendre les
dernières réfolutions qui feront prifes à
Madrid , après l'arrivée de M. le Duc de
Crillon ; on fait que l'on travaille avec célérité
dans les ports de Cadix , d'Algéfiras &
de Séville aux préparatifs de la grande expédition
qui , dans ce moment , occupe
tous les efprits. Il paroît qu'on attend de
grands renforts au camp de St Roch , puifqu'on
y a fait paffer une quantité immenfe
de munitions de guerre & de bouche.
On lit dans quelques papiers qu'il eft
entré fucceffivement quelques bâtimens approvifionneurs
dans Gibraltar ; la Gazette
de Madrid a fait mention des derniers ; on
prétend qu'il eft entré dernièrement dans
la baie une frégate Angloife de 32 canons
un cutter de 18 , efcoitant quelques tranf
ports à bord defquels étoit un régiment
d'infanterie , quantité de munitions & de
provifions. Tout cela , dit on , étcit deftiné
pour Mahon , & a paffé à Gibraltar
( 107 )
fur l'information qu'on a eue que l'Ifle n'en
avoit plus befoin. Jufqu'à préfent on n'a
aucune certitude de cet évènement qui eft
peut-être faux ou du moins exagéré.
L'efcadre combinée que commande M.
le Comte de , Guichen , doit refter en croifière
pendant plus d'un mois. Elle n'eſt atrendue
à Cadix que vers le 20 ou le 25
Avril.
On a eu avis que l'Illuftre & le Saint-
Michel relâchèrent aux Canaries le 11 Janvier
dernier ; ils y attendirent pendant quelques
jours le convoi de l'Inde , parti de
Breft qui devoit fe joindre à eux & auquel
ils avoient donné ce rendez- vous . Ne le
voyant point paroître , ( ils ignoroient fa
rentrée à Breft ) , ils fe déterminèrent à continuer
leur route , & ils remirent à la voile
le 16 du même mois.
" Le Roi , écrit- on de Madrid , a défiré que les
Puiffances de la neutralité armée , décidaffent ellesmêmes
comment doit être traité le navire Danois le
Saint-Jean, pris dans le golphe de Larrache , & conduit
à Cadix le 2 Mars dernier. Cette corvette mon
tée feulement par deux Officiers de la Marine royale
de Danemarck , portant des munitions navales ,
des boulets , de la poudre , &c. ne pouvoit être def
tinée que pour Gibraltar , ou du moins pour Alger.
Sa détention a occafionné de vives plaintes , que
notre Ministère a bientôt calmées avec fa prudence
ordinaire. Cependant en bonne jftice ce bâtiment
devroit être confifqué . Il alloit , dit - on , à Malte & à
Marſeille , comme fi à Marseille & à Malte , on
avoit beſoin de la poudre & des boulets des Danois «,
€ 6
( ( ~108 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 9 Avril.
Nous n'avons point d'autres nouvelles
de l'Amérique feptentrionale que celles
* que nous ont apportées quelques papiers
de la Jamaïque ; on avoit appris बे
Kingſton le 2 Février , par une goëlette
venant de Saint-Thomas , que la ville de
Charles Town s'étoit rendue aux armes
Américaines. Le papier qui répète cette nouvelle
, a foin d'y joindre ce paragraphe :
Nous n'y ajoutons pas plus de foi qu'à
l'avis que nous reçûmes dans le tems de
la reddition de l'armée du Lord Cornwallis ;
il nous étoit venu par le même canal ".
Il feroit fâcheux que ce fecond évènement
fe confirmât comme le premier. Heureufement
nous n'en avons aucune nouvelle
pofitive ; nous favons feulement que cette
place étoit refferrée de très- près ; mais nous
efpérons qu'elle n'a pas encore changé de
maître.
Les mêmes papiers de la Jamaïque rendent
compte d'un incendie affreux qui fe
manifefta à Kinston au commencement du
même mois.
Le 3 le feu prit à une petite maiſon , & fe communiqua
rapidement aux édifices adjacents. Un
vent violent foufflant du Nord , porta les flammes
de l'autre côté de la rue , où elles fe répandirent
fur toutes les maifons. Les efforts réunis d'un concours
immenſe de peuple curent fi peu d'effer ,
(( 109 )
>
.
qu'en moins d'une heure plufieurs magafias étoient
en flammes , & la deftruction de tous les magafins
& quais couverts de marchandifes précieufes , paroifvit
inévitable . Les navires mouillés près des
quais où ils fervoient de dépôt pour toutes fortes de
marchandifes qu'on y apportoit des divers magaſins ,
furent bientôt forcés de s'en écarter. Dans l'eſpace
d'environ quatre heures , le feu s'étoit étendu de la
rue Princefs jufqu'à celle de King , où heureusement
il s'arrêta. A la pointe du jour , plus de cent maifons
étoient encore en feu , & foixante mille liv. ft.
en maifons & effets avoient été perdus fans reffource.
La partie occidentale échappée à ce fléau ,
en a obligation à l'Amiral Rowley. Il ne paroît
pas qu'il ai péri d'autre perfonne qu'une petite
Négreffe , qui avoit été inhumainement enchaînée
& garrotée à un pieų dans la maiſon de la nommée
Mary Weft , où l'on fuppofe qu'a commencé le
feu. Les , à deux heures du matin , on découvrit
dans la rue Mark une maifon en feu au moyen
d'un gros morceau de bois enflammé placé fous les
lattes du comble : il fut éteint avant d'avoir fait
du dommage ; mais comme il y avoit du deffein
dans cet accident , on a eu beaucoup d'inquiétude.
Vers les 11 heures , les Magiftrats donnèrent ordre
d'arrêter les étrangers & autres perfonnes fufpectes ;
en conféquence plufieurs ont été mis en prison où
ils font gardés , à l'exception du fieur Porée , Dentifte
, qui a été élargi en donnant caution . Quoique
le premier incendie paroifle avoir été de pur acci.
dent , nous avons néanmoins des incendiaires parmi
nous car le 7 dans la nuit , on fit une tentative
pour brûler la maison qui touche celle du Docteur
Bryant, On avoit percé le mur & introduit dans
l'ouverture un gros morceau de bois gouderonné &
enflammé. Un Nègre nud pris fur le fait , trouva
le moyen de s'échapper . Le 16 , dans l'aprèsmidi
l'explosion, d'une quantité confidérable de
ཏྟཱ སཏྟཱ ,
( 110 )
poudre à canon mit le feu à la maifon de Mac Lean ,
Maréchal-ferrant ; mais on l'éteignit bientôt. I
appert , par la dépofition du Nègre , qui a cruellement
fouffert par l'exploſion , & une femme blanche
qu'on a trouvé dans la maifon , que Mac Lean , alors
prifonnier pour avoir pillé les effets des perfonnes
dont les maifons étoient en feu , avoit engagé ce
Nègre , fous promeffe d'une récompenfe & de fa
liberté , à mettre le feu à la maiſon. Une traînée de
poudre devoit communiquer , par l'affiſtance de la
femme , à une quantité de poudre à canon dépo
fée dans un grenier :
grenier un piftolet chargé &
placé près de la traînée , devoit y mettre le feu , au
moyen d'une ficelle attachée à fa détente ; mais heureulement
pour la ville de Kingſton , le Nègre
ayant par accident mis le pied fur la ficelle avant
que les difpofitions néceffaires ne fuffent faites , cet
horrible attentat a échoué . Les criminels font dans
les mains de la Juſtice , qui certainement leur rendra
celle qu'ils méritent.
Cet incendie a répandu , dans l'Ifle , une
confternation & un trouble réellement alarmins
dans un moment fur - tout où on la
croit menacée par nos ennemis . On a beau
nous raffurer par des lettres qui annoncent
la plus grande ardeur & les meilleures difpofitions
de la part des habitans , on ne
laille pas içi d'être très - inquiet. On affure que
l'on a reçu dans cette Ifle la nouvelle de l'arri
vée de l'Amiral Rodney & de fa jonction avec
l'Amiral Hood à la Barbade ; on dit même
que plufieurs de nos Négocians ont porté
cette nouvelle à M. Stephen , & on fixe
au 28 Février , la date de l'arrivée de Rodney
on n'ajoute pas à cela des détails qui
puiflent nous raffurer pleinement ; car on
prétend que parmi fes vaiffeaux , dont on
ne dit pas le nombre , il y en a 6 de démâtés.
Il faut chercher à les réparer avant
de rien tenter ; on fait que ceux de l'Amiral
Hood ont auffi beaucoup fouffert , &
qu'ils demandent des travaux confidérables:
rendus difficiles par le défaut des matériaux
néceffaires . Il réfulte de tout cela que
nous avons beaucoup de vaiffeaux dans ces
mers , mais point d'Eſcadre en état d'agir
contre les forces fupérieures de nos ennemis.
La néceffité d'y faire paffer de nouveaux
renforts eft toujours mieux fentie ;
& l'on dit déja que l'on eft résolu d'y envoyer
encore 12 vaiffeaux de ligne , qui
ne peuvent partir fi -tôt à moins que ce foit
ceux de l'Amiral Barrington qu'on dit être
parti avec ce nombre.
» En général , il y a beaucoup d'incertitude
dans toutes les nouvelles qu'on débite ; & on ne
doute pas ici que le nouveau Miniftre ne foit
ter
?
très-embarraffé . On est très- curieux de favoir
quelles feront les premières opérations. Les gens
qui raifonnent froidement , ne penfent pas qu'il
faffe des miracles ; & ceux qui aiment à plaifantrouvent
que l'ancien ne pouvoit le venger
plus cruellement de l'Oppofition & de fes criailleries
éternelles , qu'en lui cédant le timon des affaires
après les avoir embrouillées & gâtées au
point où elles le font. Les Anciens fe retirent
fans & faufs après avoir bien arrangé leurs
affaires particulières ; & les nouveaux n'auront
guere que la peine d'être venus pour fceller
peut-être la honte & l'abaiffement de leur Na(
112 )
tion. Un objet de curiofité maligne feroit de
voir le Lord North affis dans la tribune de la
Chambre baffe en qualité de fimple fpectateur
& contemplant les effets que va faire fon fucceffeur
pour démêler la fufée qu'il lui a laiſſé à démêler
«.
On attend d'un nouveau Miniftère quelques
changemens fur plufieurs taxes que le
peuple porte avec peine , & dont il fouhaite
de fe voir débarraffé ; mais dans la
circonftance préfente , il n'eft pas poffible
de les fupprimer ; il faut les remplacer par
quelques autres ; voici , dit-on , ce que l'on
fera ; on mettra une, taxe fur les chiens ;
chaque chien payera dans Londres une guinée
par an , & dans la campagne deux shellings
& demi . On augmentera de 4 shellings
celle qui eft déjà fur les cartes à jouer , de
manière que chaque jeu coûtera à l'avenir
6 shellings ; on fera de même pour les dez
qui payeront de taxe additionnelle 33. liv.
fterl. 18 shellings. Il refte à favoir fi le produir
de ces taxes remplira le but qu'on fe propofe
, c'eft ce qui eft douteux ; elles peuvent
produire un avantage , diminuer le nombre
des chiens & celui des joueurs ; ce feroit
fans doute un bien pour la fociété , mais ce
bien ne feroit pas au profit du tréfor public
qu'il s'agit d'augmenter ; & c'eft ce qui paroît
extrêmement difficile.
P
Cela n'empêche pas que bien des gens
ne conçoivent les plus grandes espérances
de la nouvelle Adminiftration , mais la partie
( 113 )
faine de la Nation ne conçoit pas trop fur
quoi elles font fondées.
-
Nous femmes en guerre avec la France &
I'Efpagne , la Hollande & l'Amérique ; nous aurions
befoin d'avoir moins d'ennemis ; nous voudrions
n'avoir affaire qu'à la Maifon de Bourbon
, & on defire la paix avec le refte de la
térré ; mais , quoiqu'on en dife , cette paix n'eſt
pas aifée ; & quand elle fera faite , pouvonsnous
nous flatter de nous faire des alliés & des
défenfeurs de ceux avec qui nous nous ferons
réconciliés ? - Il n'y a qu'un voeu pour la paix
avec l'Amérique ; les nouveaux Miniftres avant
de le devenir ; ont foutena fortement ce voeu :
à préfent qu'ils font en état de traiter pour le
réaliſer , croient-ils en venir à bout fans reconnoître
l'indépendance de l'Amérique ? Ce pas fait ,
croient-ils tirer tout auffi - tôt de cette nouvelle
Puiffance des fecours contre celle qui l'a conduite
au rang des puiffances indépendantes ? -
La Hollande peut ne pas demander mieux qu'à
faire la paix ; la paix eft l'ame , la vie d'une
République marchande en fe réconciliant avec
nous , s'armera - t-elle contre le feul Etat qui la
défendoit contre nos injuftices ? S'il étoit poffible
qu'elle cûr quelque penchant à faire caufe commune
avec nous , le pourroit-elle ? Le Cap , Saint-
Euſtache Demerary , l'entrepôt de fon commerce
fixé à l'Orient , ne font-ils pas des otages
garans de la reconnoiffance des Etats -Généraux
envers la Cour de France. La meilleure manière
de faire face à tout , ce feroit de parvenir
à une paix générale ; & on dit qu'on va déclarer
formellement la guerre à la France . Cette cérémonie
fera au moins fingulière , & toute l'Europe
pourra nous demander ce que nous faifons
donc depuis 3 ou 4 ans `“.
( 114 )
En faisant toutes ces paix , il y en a une
qu'il faudra faire dans l'In ie avec Hyder-
Aly & les Marattes. Il y en a une autre qu'il
conviendroit aufli de faire avec 1 Irlande ;
cette dernière eft un des objets dont le Parlement
s'eft occupé hier à fa rentrée.
» Le Colonel Luttrel qui , la veille des vacances
arrivoit d'Irlande & avoit déclaré quil y avoit
tout laulé dans la confufion , remit cette affaire
fur le tapis , mais il ne parla pas lui même , il
Jaffa ce foin à M. Eden , Secrétaire da Lord
Carlile , dont il apportout la réfignation . M. Elen
fit one motion tendante à fatisfaire ce Royaume.
Sa démarche , qui fe fentoit un feu de la pique
perfonnelle , dépiut au Cabinet actuel. M. Fox
lui reprocha de n'avoir vu aucun des nouveaux
Minifires pour leur rendre compte de ce qu'il
venoit d'expofer , & fe concerter avec eux ; if
ajouta qu'il s'étoit déja tenu cing Confeils relatifs
à l'Irlande , que les réfolutions qui y avoient
été prifes avoient à - peu - près le méme but que
la motion , & qu'au premier moment on le propofoit
d'en faire part à la Chambre. La motion
fut en conféquence retirée « .
Nous obferverons , en attendant des détails
ultérieurs de cette féance , que M. Fox ,
contre l'ufage & la conftitution qui déclare
vacant le fiége de tout Membre du Parlement
appellé au Miniſtère , a confervé le fien ; il
a été élu de nouveau ou confirmé. Cet enthoufiafme
honorable annonce la plus grande
confiance ; mais eft-il général , il s'élève
au milieu de ces acclamations quelques voix
qui tendent à infpirer des doutes , & qui
peut-être finiront par être écoutées .
( 115 )
» Le commencement de la dernière guerre , lit-on
dans un de nos papiers , a été accompagné de quelques
pertes & de beaucoup d'humilianon pour la
G. B. , mas a cette humiliation & à ces pertes ont
bientô ficcédé beaucoup de gloir : & de conquêtes ,
& jamais la Nation n'a eu une époque 11s brillante .
-
Ce heureux effers ont été l'o vrage d'un change
ment de Miniftè e. Nous ne fommes pas aujourd'hui
dans une circonftance tout- à- fair ſemblable , mais
il faut eſpérer que le changement qui vient de le
faire dans l'adminiſtration , aura des fuites auffi
here fes. Ce qu'il y a de fâchex , c'eſt que
nous n'avons aujourd hai aucune personne à laquelle
nous pinions donner une confiance entière . Nos
charges font plus lourdes , nos pertes plus grandes ,
nos ennemis plus formidables qu'ils ne létoient
alors , mais notre fituation füt-elle même pire qu'elle
ne l'eft réellement aujourd'hui , nous avons tou
jours un grand cré lit & d'immenfes reifources ; & fi
nos avions un are Pitt pour faire ufage de ce
crédit & de ces refſources , nous aurions tore de
défélpérer de faire encore une fois trembler l'Eu
rope , qui paroît conjurée contre nous . Aujourdhil
y a un changement dans les Membres de
PA Iminiſtration . Lorfque M. Pitt rentra dans le
Ministère , plufieurs des anciens Miniftres confer
vèrent leurs places , mais ils ne fe con luifirent que
d'après les inftructions , de forte que l'Adminiftration
fit totalement changée , quoique plufieurs des
anciens Miniftres euffent confervé le rs poftes .
Il eft certain qu'un pareil arrangement contribua
beaucoup an fuccès de l'adminiſtration de ce grand
homme. Un Commandant nous feroit peur - être
auli néceffaire dans le Ministère que dans une armée.
Un Corps politique ne peut pas plus fe paffer
de tête qu'un corps humain . Les talens & la probité
de M. Pirt lui avoient acquis la confiance de la
Nation , & cette confiance a été fuivie de la prospérité.
( 116 )
nationale. Je ne prétens pas que les nouveaux Miniftres
n'aient ni talens ni probité, & dans la pofi
tion épineufe où nous nous trouvons , le fuecès de
nos affaires dépend tellement de notre confiance
dans l'Adminiſtration , que ce feroit être mauvais
Citoyen que de chercher à diminuer cette confiance
avant que les Miniftres aient fait voir qu'ils n'en
font pas dignes. Quoique les obfervations fuivantes
paroiffent tendre à cette fin , nous affurons que nous
n'avons point une pareille intention & qu'elles ont
un objet bien plus louable , c'eſt- à- dire, d'indiquer le
moyen d'expier les erreurs paffées & d'acquérir , par
cette expiation , la confiance fi néceffaire à l'Adminiftration
pour la réuflite de fes mefures. On a
dit , & peut-être avec raiſon , que la plupart de nos
malheurs provenoient d'une influence cachée & prépondérante.
Les nouveaux Miniftres font affurément
les maîtres de braver cette influence , s'il en exiſte ,
& il eft de leur devoir de démontrer à la Nation qu'ils
n'agiffent que par eux-mêmes , car il y auroit des
gens affez malins pour leur rappeller que plufieurs
d'entr'eux n'ont pas dédaigné autrefois de travailler
à la journée fois cette influence. La plus forte
preuve de l'existence de cette influence , c'eſt qu'on
ne l'a jamais niée que foiblement. Dans une négociation
que le Lord Bute voulut entamer avec
le Lord Chatam , le premier eut la fimplicité de
dire qu'ils étoient les deux perfonnes qui euffent le
plus d'accès auprès du Roi. Que le Lord Chatam ait
eu l'oreille de fon Souverain , en qualité de Miniſtre ,
la chofe eft aifée à croire , mais on ne conçoit pas à
quel titre le Lord Bute pouvoit fe vanter de pefféder
fi exclufivement la faveur royale. Il eft donc indif
penfable que la nouvelle Adminiſtration prouve d'une
manière non équivoque , que cette influence n'opère
plus dans les Confeils publics. Il eft vrai que les
créatures du parti de Rockingham , aujourd'hui dans
l'Adminiftration , n'ont jamais été acculées d'être les
-
-
( 117 )
inftrumens d'an Agent invifible; on eft même perfuadé
qu'elles n'ont ci-devant perdu leurs places ,
que faute d'avoir la flexibilité attribuée à plufieurs
de leurs Collègues , mais peut-être n'avons-nous pas
fujet de craindre aujourd'hui la même flexibilité,
dans les mêmes perfonnes , parce qu'elles tiennent
leurs places par un canal tout différent , &
qu'elles n'ont aucune raifon qui les oblige à plier
fervilement fous leur créateur politique.
Ainfi plufieurs de nos nouveaux Miniftres font dans
l'obligation de devenir , comme dit l'Ecriture ,
hommes nouveaux ; car fans cette eſpèce de régénération
, comment pourrions - nous attendre de
l'économie de la part de M. Fox , quels que foient
fes talens ? & comment pourrions -nous oublier que ,
quoique la jeuneffe foit en général la faifon de la vertu
, le même M. Foxaété , lors de fa grande jeuneffe ,
un des fuppôts les plus zélés de la conduite infâme
du Parlement dans l'affaire de l'élection de Middleſex ?
-
Il faut abfolument annuller toutes les réfolutions
relatives à cette affaire , & détruire l'exiftence
d'un exemple fi fatal pour les libertés de la
Nation. Je ne doute point que plufieurs des nonveaux
Miniftres n'aient de la répugnance à revenir
fur cette affaire ; mais la honte eft le partage du
crime , & ce n'eft que par leurs fervices futurs
qu'ils peuvent expier leurs premières fautes ou
leurs premiers crimes. Cette affaire eft la première
dont le Parlement devroit s'occuper après
les vacances des Fêtes. S'il y avoit eu autant de
vertu parmi les principaux Chefs de l'Oppofition
qu'il y en avoit parmi la Nation , l'épée auroit été
tirée à cette époque ; & quoique la fenfation de cet
évènement puifle être effacée jufqu'à un certain
point dans quelques efprits fuperficiels , cependant
la Nation en général ne mettra jamais ſa confiance
dans aucuns Miniftres , qu'ils n'aient commencé par
donner cette preuve de leur indépendance & de
( 118 )
-
-
leur attachement à la Conſtitution . Quelques
uns des Miniftres actuels font . je lavo e , allez
heureux pour jouir d'une ré , utation fans tache ;
mais il en eft auffi , comme nous l'avons observé ,
qui n'ont rien moms que cet avantage . Au turplus ,
quoique reus nos Miniftres re foient pas tous égale
ment irréprochables , nous avois beaucoup à ef
pérer de chacun d'eux , farce qu'il n'eft pas vrai
lemb able qu'aucun d'eux ait des intérêts feparés
de ceux de la Nation . - l'économie , après laquelle
ils crioient tous , eſt à préfent un devoir indifpenſable
pour eux ; & sil eft vrai qu'on ait déja commencé
à l'introduire dans les deux Trésoreries de
la Gerie & de la Marine , ce début eft d'un bon
augure pour l'avenir : mais fi , par malheur , on
en efte la , ces grandes prétentions à la réforme
& à l'économie re feront plus qu'un jeu ridicule,
Un revenu de trois à quare mile lives par an
n'eft point un objet à dédaigner four aucuns des
nouveaux Membres de l'Adminiftration . Nous
fommes bien éloignés de vouloir parler d'eux avec
mépris ; mais il y a cent perfonnes également refpectacles
, également inftruites & beaucoup plus
i dépendantes qui auroient accepté & très bien
rempli les mêmes places avec un traitement beaucoup
moins confidérable. Je ne prétends point dire
par. là que l'on doive introduire la me quinerie
dans les affaires du Gouvernement. Les perfonnes
qui occupent les premiers emplois de l'Etat , doivent
être récompentées de leurs peines avec libéralité
, mais fans proffion . Pour rendre la réforme
effective , toutes ces places auroient dû ê re
mife fur le méme pied que celle du Comptable
général de la Cour de Chancellerie , qui n'eft qu'un
Comptable , & ne peut toucher un shelling de l'argent
ou plutôt des comptes de l'argent qui lui paffent
par les mains ; car tout l'argent eft gardé à la Banque.
7119 )
Le nouveau Chef de l'Amirauté jouiſſoit d'une
repu acion dans la Marine avant fon affaire avec M.
d'Orvilliers . Il est inutile de revenir fur les évènemens
de cette journée , & de chercher fi eile auroit
pu être plus décifive , & qui a empêché qu'elle ne le
für. Mais M. Keppel devoit au moins penfer qu'il eft
bien étrange qu'un Amiral Britannique ne doive la
faveur du peuple qu'à un combat de retraite , & non
à une action à toute outrance , quoique les forces
fuffent à- peu- près égales à celles de l'ennemi , & il
devroit peut- être rougir de l'ufage qu'il a fat de
cette faveur. Quoiqu'il en foit , le voila actuellement
chargé d'une tâche très - épineufe , nous devons efpérer
qu'il rendra à fon pays des fervices autfi fignalés
dans l'Adminiftration , qu'il en a rendus dans la
Marine , jufqu'a l'affaire d'Oueflant , & il n'y a pas
d'Anglois qui ne foit obligé de faire tous fes
efforts pour concou.ir au fuccès de ceux que l'on
doit attendre de ce premier Lord de l'Amirauté .
Nous avons déja obfervé combien il eſt défavantageux
pour la nouvelle Administration de n'avoir point
de chef, & il elt difficile de dire quel eft celui de fes
Membres qui feroit le plus propre à remplir certe
place . Les talens de M. Fox fembleroient l'y appeller ,
fi quelques circonftances de fa conduite , tant publique
que privée ( nous ne parlons ici que de fa
difipation ) , ne nous forçoient de rejetter cette idée ,
jufqu'à ce qu'il ait entièrement effacé ces impreflions
par les preuves fignalées de vertu publique qu'il eft
actuellement à portée de donner. On peut reprocher
an Lord Shelburne fes anciennes liaiſons avec
un homme qui eft en grande partie caufe des malheurs
de la Nation ; il a fait plus , il a eu la foibletle
de travailler fous fes ordres, Mais le caractère polit
que du Comte de Chatam lui - même , n'eft pas
exempt de quelques taches , & d'après les talens du
Lord Shelburne , il y a tout lieu d'espérer que l'ambition
qu'il a toujours eue de remplacer un jour ce
---
( 120 )
grand homme , fera dignement fatisfait par les
hommages & la profpérité de la Nation. Il peut
paroître furprenant à quelques perfonnes , qu'en
parlant d'un chefpour l'Adminiftration , nous n'ayons
fait aucune mention du Marquis de Rockingham ,
actuellement premier Lord de la Trésorerie . Son
intégrité eft reconnue ; fes talens ne font pas audeffous
de la place , mais c'eſt une place dont il n'a
jamais paru vouloir fe charger.
Cette pièce eft fans doute un peu forte ;
mais il en a paru une autre plus grave encore
& qui eft faite pour embarraffer les
Miniftres actuels. C'eft un réfumé de leurs
affertions & de leurs principes lorsqu'ils
étoient Membres de l'Oppofition ; on le met
fous les yeux du Public pour lui faciliter
le moyen de comparer leurs opérations
futures avec leur conduite précédente.
» Les Membres de la nouvelle Adminiftration
n'ont ceffé d'appuyer & de faire valoir le droit qu'a
la Nation de s'affembler & de délibérer fur les affaires
publiques , & de former des affociations provin
ciales & des comités de correfpondance , pour obtenir
une union & une coopération plus efficace contre
les mefures qui pourroient être jugées pernicieuſes
ou contraires à la conftitution . C'eſt autſi pour eux
un point de doctrine que le veu du peuple qui fe
fait entendre par l'organe de ces affociations , doit
être fuivi religieufement par la légiflation. Ils
ont attribué les malheurs de ce pays à une influence
corrompue & illégale de la couronne & ils ont
déclaré qu'il étoit du devoir de tout bon patriote de
ne rien négliger pour en affoiblir le pouvoir. Ils
oat pareillement cité le manque d'économie dans les
différens départemens de l'Etat , comme un mal
auquel on ne pouvoit remédier trop promptement.
-
--
---
Parmi différens plans préfentés à ce fujet , il ne
faut
( 121 )
faut pas oublier que M. Burke a propoſé un bill
pour mieux affurer l'indépendance du Parlement , &
l'effet d'une réforme économique. Le Chevalier George
Saville a demandé à cette occafion qu'il fût préfenté
une adreffe au Roi , pour que S. M. fit mettre fous
les yeux de la Chambre , un état exact de toutes les
penfions accordées par la couronne , pour un tems
ou autrement , où l'on fpécifieroit le montant de ces
penfions , les époques de leurs conceffions , & les
noms des différentes perfennes auxquelles elles auroient
été accordées , afin que toutes celles de ces
penfions qui n'auroient point éré méritées par des
fervices rendus à l'Etat , toutes les places fans fonctions
, ou celles même auxquelles , quoiqu'avec
fonctions , feroient attachés des revenus exorbitans
fuffent réformées , & pour que les fommes provenues
de ces réformes fuffent appliquées au fervice de
l'Etat. Il faut ajouter ces motions , le bill du
Colonel Barré , pour nommer une commiffion
deſtinée à examiner les comptes publics ; le bill des
Entrepreneurs , & celui pour empêcher les Officiers
des revenus , de voter aux Elections , ainfi que la
motion de M. Dunning , pour affurer l'indépendance
du Parlement , & prévenir tous les foupçons contre
fa pureté , en mettant fous les yeux de la Chambre , dans
l'espace de fept jours après le premier jour de
chaque feffion des compres exacts des fommes
d'argent payées dans le cours de la précédente
aunée , aux Membres du Parlement fur la lifte
civile , ou fur toute autre partie des revenus pu
blics , à eux ou pour leur ufage , ou pour être
en dépôt entre leurs mains , ou de toute autre
manière , avec la fpécification de l'époque & du
motif de cette remife d'argent. Cette dernière
motion a paffé , mais le public a droit
d'attendre l'effet des autres bills comme les premiers
fruits de la nouvelle Adminiſtration , & un
témoignage évident que les individus qui la com
20 Avril 1782.
-
f
( 122 )
pofent , ne font ni inconféquents ni fourbes. -
Mais ce n'eft pas encore tout . Selon un principe reconnu
, d'après une doctriue avérée par toutes les
affociations provinciales , il n'y a d'autre moyen
de guérir radicalement les maladies de l'Etat , que
l'abolition des bourgs corrompus ; une repréfentation
plus égale , & des élections plus fréquentes
des Membres du Parlement. Sans ce dernier coup ,
les autres réformes dont on a parlé ne feroient que
des palliatifs paffagers , & l'Etat feroit comme
un vaiffeau que l'on prétendroit fauver du nau-.
frage , en fe fervant de vafes à boire pour jetter
l'eau qui le fubmerge , tandis que la mer y entréroit
à flots par des ouvertures que perfonne ne s'aviferoit
de fermer. Tel étoit le langage des nouyeaux
Miniftres , lorfqu'ils étoient du parti de l'Op
pofition. Si leur conduite eft conféquente à leurs ,
principes , la reconnoiffance & le reſpect de la Nation
feront le jufte prix de leurs travaux ; mais
dans le cas contraire , ils doivent être convaincus
que leur apoftafie ne reitera pas impunie «<,
La nouvelle Adminiftration vient de
perdre un de fes Membres ; elle avoit nommé
pour l'un des deux Commiffires du
Bureau du Tréfor , M. Chamberlayne. II
paroît qu'il a été vivement affligé d'être au
nombre des Elus. Il a reçu froidement les
félicitations de fes amis , & leur a répondu
qu'il n'étoit pas en état de remplir cette
place , & qu'il aimoit mieux mourir ; il a
pris ce dernier parti en fe jettant par la fe-'
nêtre de fon appartement. On remarque
que cet homme étoit irréprochable à tous.
égards , que fa fortune étoit affez confidérable
, qu'il étoit encore à la veille d'hériter
de dix mille livres fterlings de rentes ,
( 123 )
& qu'il n'a jamais montré des fymptômes
de folie.
Cette anecdote eft affurément extraordinaire
; les Membres de l'ancienne Adminiſtration
l'appellent un jugement de
Dieu fur la nouvelle.
Le 17 courant , eft le jour qui doit déterminer fi
le Parlement d'Irlande fe prêtera au vou & à l'attente
des Corps Volontaires , en paſſant l'Acte Déclaratoire
des Droits de ce Royaume. Les partifans
de cette Déclaration ont pris les mefures néceffaires
pour obvier aux objections . Si elle paffe en loi ,
elle peut faire revivre des prétentions fur les biens
immenfes confifqués en Irlande lors de la révolu
tion & de la rébellion de 1641. A cette époque ,
fuivant l'arpentage fait par Sir William Petty , les
confifcations montoient à 2,008,000 acres de terre
& les poffeffeurs actuels en jouiffent fous l'autorité
des Actes du Parlement de la G. B. Une loi qui ,
déclareroit aujourd'hui qu'aucun pouvoir fur terre
n'a le droit de faire des loix en Irlande , -excepté le
Roi féant en fon Parlement , compofé des Pairs &
Communes d'Irlande , pourroit mettre en danger la
jouiflance de cette immenfe propriété , poffédie en
vertu des loix qui ne font pas promulg ées par le
Roi & le Parlement d'Irlande. Pour obvier à cet
inconvénient , on a préſenté à la Chambre des
Communes d'Irlande un bill à l'effet de donner force
de loix Irlandoifes à tous les Actes du Parlement
Britannique , en vertu defquels tous ces biens font
poffédés en Irlande : ce bill affurera la propriété ,
en ce qu'elle recevra la fanction d'une loi Irlandoife
promulguée par fon propre Roi & fon propre Parlement
: affermis dans leurs prétentions par cette
démarche préliminaire , les Corps Volontaires &
Grands-Jurés du Royaume entier ont demandé unanimement
une Déclaration de Droits , prononcée
f 2
( 124 )
par leur Parlement ; & le 17 de ce mois , M. Grattan
fera fa motion tendante à cette fin ; en forme d'avis
donné aux Membres du Parlement qui fe font juf
qu'à préfent oppofés à ces questions populaires , les
Volontaites de la ville de Galway ont expulfé le
feur Richard Martin leur Colonel. Il eft aufli Membre
du Parlement pour leur ville , & la réfolution
en vertu de laquelle il a été expulfé déclare , que
cette expulfion est la conféquence de fa conduite
parlementaire , qui , felon leur jugement , l'avoit
diftingué comme l'ami décidé du Ministère & l'ennemi
de la caufe dans laquelle toute l'armée volontaire
étoit engagée.
-
Le Roi a nommé Capitaine-Colonel de
la feconde compagnie des Gardes Grenas
diers à cheval , fon fils puîné le Prince
Frédéric Evêque d'Ofnabruck. Le Général
Amherst , auquel il fuccède , a obtenu la
feconde compagnie des Gardes à cheval ,
vacante par la mort du Général Lord Robert
Bertie , Chambellan de S. M. , mort le 10
du mois dernier.
FRANCE.
De VERSAILLES , le 16 Avril.
LE 2 de ce mois L. M. & la Famille Royale
fignèrent le contrat de mariage du Comte de
Marmier-Ray , Meftre-de-Camp en fecond
du Régiment Royal Lorraine , Cavalerie ,
avec Mademoiſelle Conftantin de la Lorie ;
& le 7 , elles fignèrent celui du Comte
de Revel , fecond , fils du Maréchal de
Broglie , avec Mademoiſelle de Verteillac,
Le même jour elles fignèrent celui du
( 125 )
Comte de Janfac , Meftre-de- Camp en
fecond du Régiment de Languedoc infanterie
, avec Mademoiſelle de Galleau , Comteffe
du Chapitte de l'Argentiere ; celui du
Comte de Roftaing , Capitaine de Dragons
au Régiment de la Rochefoucault , avec
Mademoiſelle de la Fagerdie de Laval ;
celui du Comte de Beaumont- Baynal , Officier
au Régiment de Meftre-de-Camp Général
Cavalerie avec Mademoiſelle le
Boulanger.
,
Le même jour la Vicomteffe de Breteuil
& la Marquife de Vence , eurent l'honneur
d'être préfentées à L. M. & à la Famille
Royale , la première par la Marquise de
Matignon , & la feconde par la Marquife
de Trans , Dame pour accompagner Madame
la Comteffe d'Artois .
Le 10 , le Comte de Molac , fils du Marquis
de Molac , Maréchal des Camps &
Armées du Roi , Lieutenant au Régiment
de Dragons de Monfieur ; le Baron de
Cofnac , Capitaine à la fuite du même Régiment
; le Comte Vennevel , Capitaine
en fecond au Régiment d'Orléans , Cavalerie
; le Commandeur de Freflon , Capitaine
au Régiment Infanterie du Roi , &
le Marquis d'Adhemar , Capitaine de Cavalerie
, ayant eu l'honneur d'être préfenfentés
précédemment à S. M. ont eu
l'honneur de la fuivre à la chaffe.
,
f ;
( 126 )
De PARIS , le 16 Avril.
UN navire marchand parti le 1er. Mars de
la Martinique & les de la Guadeloupe , arrivé
à Nantes après une courte & heureufe
traversée , a apporté une Gazette de la première
de ces Ifles , dans laquelle on lit les
détails fuivans fur l'expédition de M. de
Kerfaint.
Nous venons d'apprendre que le Comte de Kerfaint
, expédié de France pour aller prendre fur les
Anglois les Colonies de Demerary & d'Elfequibo ,
arriva le 10 Janvier à Cayenne. Le 24 il mouilla
dans la rivière de Surinam , & en partit le 25 avec
deux frégates , l'Iphigénie & l'Aimable , un bigantin
, un cutter & une bombarde , & deux navires
de tranffort , à bord defquels étoient 300 hommes
de la Légion de Lauzun , 80 pris à Cayenne , 20
canonuiers , deux Ingénieurs & 2co foldats de marine
. M. de Kersaint a efluyé beaucoup de mauvais
temps dans la traverfée à Cayenne , & perdu fur
le cap Fiftere un gros tranfport chargé de provifions
pour Cayenne , où il a laiffé la flûte la Négreffe.
Deux ou trois jours avant qu'on eût ces
premiers détails , le bruit avoit couru que Iphigénie
avoit péri corps & biens fur la barre du Sénégal
; mais on avoit pris le change , c'eft la frégate-
cor aire l'Officieufe , commandée par M. Deslandes
& armée à Nantes , qui , chaffée par un navire
ennemi , le Léandre de jo carons , s'échoua en
voulant paffer la barre ; l'équipage a été fauvé.
Cette frégate avoit fait roue avec la flottille de
M. de Kerfaint jufqu'au moment où il lui fallut
aborder la côte d'Afrique , d'où M. de Kerfaint
alloit s'éloigner pour continuer fa route vers
Cayenné. C'est le 17 Février qu'une goclette expé
--
( 127 )
diée par cet Officier , eft venue nous annoncer fon
arrivée prochaine & celle de fa flottille . Il revient
après avoir repris fur les Anglois , les Berbices &
les Colonies de Demerary & d'Ellequibo . Il s'eft
empaié en même- tems du Renown , frégate à deux
batteries , mais ne portant que 22 canons , de la
Barboude de 18 , de deux autres corvettes , deux
cutters & une goelette , la même qu'il a expédiée
ici. Il a trouvé outre cela onze navires marchands
prêts à appareiller & chargés des productions de ces
Colonies.
La même Feuille nous apprend que le 16
Février 21 bâtimens marchands de Marfeille
, fous l'efcorte de la frégate du Roi
la Veftale , commandée par M. le Chevalier
de Barbazan , entrèrent à Fort-Royal. Cel
convoi aura été d'une grande reffource pour
l'armée du Roi , qui , ajoute- t- on , fe propofoit
de faire voile de la Martinique dans
les premiers jours du mois de Mars.
Le Marquis de Bouillé n'a pu envoyer les
drapeaux du régiment Royal Ecoffois qui
formoit une partie de la garniſon de St-
Chriſtophe prifonnière de guerre , parce
qu'ils avoient été brûlés pendant le fiége par
l'effet des bombes. Le Capitaine Kingfmille
qui commandoit ce régiment , & le Brigadier-
Général Frazer , ont certifié ainfi ce fait,
A Sandy-Point , le 14 Février 1782. Nous
certifions & déclarons par ces préfentes , fur notre
honneur , que les drapea x du premier Régiment
Royal- Infanterie ont été brûlés fur Brimstone Hill
pendant le fiège & avant la capitulation ; & nous
déclarons en outre fur notre honneur , qu'à notre
£
4
( 228 )
connoiffance il ne reste aucun veftige defdits drapeaux
«.
,
On a appris par différentes lettres écrites
de Bayonne , que le Convoi de Saint-
Domingue , compofé de plus de 160 navires
efcortés par s vaiffeaux de ligne
avoit mouillé heureufement au Ferrol &
à la Corogne , le 26 du mois dernier . Les
bâtimens deftinés pour Marſeille avoient
filé quelques jours auparavant vers Cadix.
Cette flotte eft eftimée 80 millions ; elle
eft compofée de gros bâtimens & de plufieurs
flûtes & hourques Hollandoiſes.
Ces dernières n'ont pas peu retardé fa
marche. La Galathée , frégate de l'eſcorte ,
l'avoit quittée à 200 lieues des côtes d'Europe
, pour annoncer fon approche. On dit
qu'elle vient d'arriver à Breft , & qu'elle a
été chaflée pendant 3 ou 4 jours par s
vaiffeaux de ligne Anglois. Ce font fans
doute ceux qui ont accompagné au delà
des caps l'efcadre de Bickerſton . Il eft
peut-être heureux que notre frégate les ait
détournés de leur croifière , ou du moins
qu'elle les ait conduits fort avant dans le
nord , loin des parages où le convoi devoit
paffer ; car la Galathée s'eft , dit-on ,
fort élevée.
ג כ
Depuis que l'on eft tranquille fur le fort de ce
riche convoi , lit- on dans une lettre de nos ports , on
ne s'occupe plus que de ce qui va fe paffer aux Ifles ;
on prétend toujours que l'on a des grands projets fur
quelqu'une des poffeffions les plus riches & les
plus importantes de nos ennemis. Si le mystère que
( 129 )
le Gouvernement garde fur tous fes plans ne permet
pas de fe flatter de les pénétrer , on ne fait pas
moins de conjectures ; & au défaut de faits pofitifs ,
vous ne ferez pas fâché qu'on vous entretienne des
bruits qui courent , & qui ne font peut- être que
cela. On dit que M. de Vaudreuil devoit avoir le
commandement d'une expédition majeure ; & qu'en
conféquence M. de Graffe devoit refter à Fort-
Royal de la Martinique. Mais dans un confeil de
guerre tenu après la prife de St - Chriſtophe , ajoutet-
on , il a été décidé , vu les forces que l'ennemi
pouvoit raffembler vers les points menacés , que
toute la flotte , après s'être approvifionnée à la Martinique
, feroit voile. Non-feulement M. de Vaudreuil
s'eft prêté à cet arrangement , il a même été
un des premiers à le propofer. Il est beau de facrifier
ainfi la gloire du commandement au plus grand
avantage & à la gloire des armes du Roi . M. de
Barras avoit donné l'exemple d'un pareil dévouement
; il en a été récompenfé par le fuccès le plus
éclatant . Tout femble promettre que M. de Vaudreuil
jouira de la même fatisfaction «.
Le bâtiment arrivé dernièrement de l'Inde
, & qui a mouillé à Nantes , a apporté
plufieurs lettres particulières , dans l'une
defquelles on lit les détails fuivans .
» M. le Chevalier d'Orves , commandant l'efcadre
du Roi , compofée de 6 vaiffeaux de ligne &
de 3 frégates , arriva en Avril 1781 à l'Île de
France , de retour de la côte de Coromandel où
il n'avoit pas rencontré l'ennemi ; l'efcadre manquoit
de vivres , & de plufieurs effets de marine. Les
magafins de l'Ifle n'en étoient pas alors abondam .
ment pourvus ; mais plufieurs flûtes du Roi qui
avoient été expédiées au Cap de Bonne-Efpérance , en
revinrent en Mai & en Juin avec tous les approvifionnemens
dont on avoit befoin. La fré -
£ 5
( 130 )
gate du Roi la Fine partie de Breft en Mars 5
arriva le premier Juillet à l'Ile de France
après avoir relâché au Cap de Bonne Espérance , ou
M. Chevreau, Commitlaire du Roi & Tatendant de
cette Ifle , fit un trai é avec le Gouverneur Hollan
dois , pour la fubfiftance des troupes que devoir
y conduire M. le Commandeur de Suffren , & qui
étoient deftinées a défendre cette Colonie. Le Com
mandeur parti de Breft le 22 Mars , avec s vailleaux
de guerre & 8 tranfports , rencontra dans la baye de
Praya à San- Jago , le convoi que conduifoit aux Indes
le Commodore Johnſtone , fous l'eſcorte des vaiffeaux
de guerre. Le combat ne fut pas décifif ;
les ennemis furent très maltraités ; l'Annibal , vaiffeau
de foixante- quatorze canons , démára de tous fes
mâts en fortant de la baye, par Feffet de la houle de
la mer. M. de Suffren prit le parti courageux de remorquer
lui-même ce vaiffeau jufqu'au Cap de Bonne-
Efpérance , manoeuvre auffi hardie qu'inoaie , & qui
méritoit le fuccès qu'elle a eu . Il donna ordre à tous
les vaiffeaux qu'il commandoit de forcer de voiles ,
par ce moyen , ils fe féparèrent les uns des autres , &
gagnèrent fur Johnftone l'avantage de la marche.
Ils arrivèrent donc au Cap de Bonne - Efpérance
avant l'ennemi , & dès - lors cette place fut fauvée.
- Dès les premiers jours de Juillet les Adminiftra
teurs de l'Ile de France faifoient les préparatifs néceffaires
pour armer l'efcadre du Roi & pour agir
hoftilement dans l'Inde. Les nouvelles qu'on avon
cues de cette partie de l'Afie , repréfentoient les Angris
aux prifes fur la côte de Coromandel , avec le
fameux Hyder-Aly qui les tenoit en échec , & qui
ravageoit toutes feurs poffeffions . Les Marattes
paroiffoient difpofés à les attaquer fur la côte de
Malabar; des circonstances auffi favorables devoient
être faifies ; mais l'efcadre avoit befoin de réparations
confidérables pour tenir la mer, & le public
douroit qu'elle fût quitter le port avant le mois
de Mai 1782. Les Adminiſtrateurs qui fentoient
m
( 131 )

combien il étoit important de profiter des conjonctures
de ne pas laifer refroidir les difpofitions
d'Hyder- Ali-Kan , de protéger les établiſſemens des
Hollandois , & de porter aux ennemis de l'Etat un
coup inattendu , employèrent toute leur activité
& toutes les reffources que leur offroit la Colonie
pour armer l'efcadre du Roi. Ils ont eu la fatisfaction
de voir que leur zèle & lear ardeur avoient
paffé dans tous les coeurs. Les hommes de mer
les troupes de terre , les ouvriers , les bourgeois ,
les habitans , tout a répondu à leur empreffement. Si
les Généraux de l'efcadre ont à fe louer de l'activité
des Officiers de la Marine , les Adminiftrateurs doivent
la même juflice aux Officiers d'Adminiftration
& du port , en un mot à tout ce qui compofe la
Colonie de l'Ile de France . Il ne falloit pas mains
qu'un accord auffi général pour mettre l'armée du
Roi en état de faire voile fix femaines après l'arrivée
de M. de Suffren, Rien ne fait mieux fentir l'importance
de l'Ile de France , qu'un armement auffi
prompt & auffi redoutable. Le Commandeur de
Suffren a mouillé dans ce port le 25 Octobre dernier
, & l'efcadre eft partie le 7 Décembre. On peut
affurer que rien n'égale l'ardeur des Matelots & des
tropes , & on ne peut qu'angurer beaucoup de l'expédition
dont ils font chargés. M. Duchemin , Maréchal-
de-camp , commande les troupes de terre ; il:
emmène des volontaires de Bourbon & de l'Ile de
France , qu'on dit excellens . M. le Marquis de Fleuryeft
Major général de cette armée . La dernière
victoire d'Hyder-Aly fur les Anglois a été complette
; c'eft en feignant de fair qu'il a totalement
détruit le corps que Sir Eyre- Coote avoit envoyé
après lui. Il a tué près de 4000 Cypayes & foo Européens
, le Major général Monk , 3 Colonels &
le Commandant de l'artillerie. C'eſt la Diligente ,
venue en 26 jours de Ceylan , qui a apporté ces nouvelles
, le 23 Septembre , à l'Ile de France «.
f 6
( 132 )
Selon les nouvelles de Breft , on a tra
vaillé fans relâche au radoub & à l'équipement
des vaiffeaux qui font en état de mettre
à la mer ; les munitions navales pendant le
courant du mois dernier & le commencement
de celui- ci , font arrivées tous les jours
de St Malo , du Havre , &c. & les convois
de la côte ont apporté les provifions néceffaires
pour l'armement de l'efcadre & des
tranſports.
Selon des lettres de la Havane , en date
du 15 Janvier , la frégate du Roi la Courageufe
, commandée par M. de Santo-Dorningo
, Capitaine de vaiffeau , avoit conduit
dans ce port 2 bâtimens Anglois , dont un
eft une lettre de marque de 14 canons ; ils
faifoient partie d'un convoi de 27 voiles
parti de la Jamaïque pour Charles- Town ,
& efcorté par 2 frégates & une corvette. Le
lendemain de l'arrivée de la Courageufe , la
frégate Américaine la Caroline du Sud , entra
dans ce porr avec s prifes faites fur le même
convoi.
On lit dans le N° . 7 de la Gazette des Tribunaux
de cette année ( 1 ) une Cauſe fingulière , où
l'on voit un exemple de la noirceur induftrieuſe que
la haine a fuggéré à une femme contre fon mari .
Peu de tems après fon mariage , elle quitte la maifon
de fon mari , vient à Paris , & lui écrit enfuite
qu'elle a gagné un lot confidérable à la Loterie ;
elle l'invite à venir veiller à l'emploi de l'argent ;
(1) Cette Gazette fe trouve à Paris chez Defnos , Libraire
du Roi de Danemarck , rue Saint-Jacques au
Globe ; il en paroît un Numéro par femaine ; le prix de
l'abonnement eft de liv.
>
( 133 )
elle avoue être trop foible pour n'en pas faire un
mauvais ufage. En même-tems elle donne le fignalement
de fon mari à la Police , en prévenant qu'un
homme condamné au banniffement perpétuel , qui
avoit le même nom que fon mari , étoit de retour
dans cette Capitale , & enfreignoit fon ban. En
conféquence la Police fait chercher le quidam.
Le malheureux mari de cette femme , à peine arrivé
dans Paris , eft arrêté à l'inſtant , & conftitué prifonnier.
A l'interrogatoire , on reconnoît la méprife.
Il est mis en liberté , & il s'empreffe de s'en
retourner chez lui . La femme n'ayant pas réuffi par
ce ftratagême à s'en débarraffer pour toujours &
à le faire pourrir dans les prifons , retourne dans la
Ville de Province de fon domicile , & là forme
une demande en féparation contre fon mari , fous
prétexte qu'ayant eu le malheur de contracter trop
précipitamment & fans information un mariage
elle a depuis reconnu qu'il a été flétri par la Juftice
fur l'épaule , & condamné par Jugement duement
exécuté , au fouet , à la marque & aux galères
pour trois ans ; qu'elle ne pouvoit continuer de
vivre & d'habiter avec un homme flétri & désho
noré , dont la vue & la préfence étoient pour elle
un fupplice. Le mari oppofe à cette demande fingu
lière une dénégation préciſe du fait de la condamnation
flétriffante , dont il défioit fans crainte qu'on
pût trouver la moindre preuve. Les Jeges de première
inftance , avant faire droit , ont ordonné que
ledit fieur feroit vu & vifité par des Chirurgiens ;
ce qui a été exécuté : & d'après diverfes frictions
faites avec du vinaigre , les Chirurgiens décidèrent
qu'il n'avoit jamais été flétri par la Juſtice. Sur ce
rapport , la Caule portée à l'Audience , le Subftitut
de M. le Procureur-Général indigné du procédé de
la femme , qui avoit reno vellé un foupçon qu'elle
avoit eu l'indignité de faire naître à Paris , & dont
on avoit déja reconnu l'impofture , a conclu contre
elle à ce qu'elle fût déboutée de fa demande en
1
( 134 )
féparation , condamnée en 300 liv. de dommages,
& intérêts , & a de plus requis qu'elle fût mandée
à l'Audience , & blâmée pour av ir déshonoré ainfi
fon mari . La Sentence des premiers Juges a été
rendue conformément à ces conclufions. La femme
en a interjetté appel en la Cour. M. Séguier , Avocat-
Général , a été également révolté de l'indignité da
procédé de cette femme ; mais attendu l'irrégularité
de la prononciation du blâme faite à l'Audience en
matière civile , il a conclu a ête reçu Appellant de
la Sentence au chef de la condamnation du blâme ,
& que defenfes fuifent faites aux Jages de plus à
l'avenir requérir ni prononcer de femblables condamnations
de blâme à l'Audience , en matière civile
, le furplus de la Sentence fortiffant fon plein
& entier effet . Arrêt du Parlement de Paris , en la
Grand'Chambre , du 25 Juillet 1781 , qui a pro-
Boncé conformément aux conclufions «.
On nous mande de Vezoul un fait fingulier
, que nous nous empreffons de tranfcrire.
Par Sentence du Baillage de Vefoul , du mois de
Février dernier , Catherine Barbier , âgée de trenteun
an , a été autorifée à prendre les habits d'homme.
On l'avoit baptifée par erreur comme fille , & elle a
paru telle jufqu'à cette Sentence , fans qu'on fe
foit apperçu en aucune façon de fon fexe . Ce qu'ily
a de fingulier , c'eft que la voix eft celle d'une fille ,
& qu'il ne lui a point pouffé de barbe , tant le moral
a d'influence fur le phyfique. Le feul defir de
fe marier l'a déterminé à quitter un état que la
honte l'avoit obligé de garder . Il doit être actuellement
établi à la Carte , Diocè e de Langres , lieu
de fa naiffance. On a bien vu des femmes garder
l'habit d'homme , mais rarement des hommes
conferver auffi long-tems celui de femme.
Les bains d'Arles en Rouffillon , qui avoient été
jufqu'ici prefqu'impraticables par le mauvais état de
V135 Iད
leurs bâtimens , viennent d'être réparés par les foins
de M. Raymond de Saint-Sauveur , Intendant de là
Province. Les malades y trouveront aujourd'hui
toutes fortes de commodités , foi: pour le logement
, foit relativement à l'ufage des bains ; &
quelques-unes des commodités qu'on y a pratiquées
Be pourront qu'en favorifer les effets , ils pourront
y réunir l'ufage des bains , des douches & des bains
de vapeur. L'utilité de ces bains , dans un grand
nombre de maladies , eft prouvée par l'analyfe
qui en a été faite par MM. Venel & Carrère , &
par les obfervations multipliées de ce dernier ; on
peut confulter à ce fujet le traité des eaux minérales
de la Province du Rouffillon , par M. Carrère ; on
y verra combien ces bains font utiles dans les rhumatifmes
, les douleurs thumatiques , les paralyfies ,
les douleurs & les plates invétérées , les plaies
d'armes à fe , les maladies de la peau , &c . Les
malades pourrent y réunir l'ufage intérieur des
eaux , par la découverte qui a été faite depuis peu
d'une nouvelle fource d'une chaleur beaucoup inférieure
à celle des bains , & abfolument analogue
aux eaux de Barège. Le Roi , pour y multiplier les
fecours que les malades peuvent defirer , vient de
créer un Intendant de ces bains , & a nommé à
cette place M. Companyo , Médecin à Ceret en
Rouffulon , qui refidera aux bains pendant la faifon
des Eaux.
Le 8 de ce mois MM. du Bureau d'Adminiſtration
de l'E ole Royale gratuite de
Deffin , fe rendi ent dans le chef- lieu de
l'Ecole , où , après un difcours relatif à la
circonftance , on procéda à la diftribution
des 96 feconds Prix , qui fur faite par M.
le Duc d'Harcourt , Pair de France , Licutenant
Général des Aimées du Roi , l'un
des Adminiftrateurs.
11361
Nous avons annoncé fucceffivement plufieurs
productions d'un Artiſte auffi laborieux
que plein de goût & de talens. Il
vient de publier une nouvelle Eftampe intitulée
: le Reftaurant ; elle forme la troiſième
fuite d'après M. Lavrence , Peintre Suédois ,
recommandable par la compofition de fes
Sujets , la fraîcheur , les graces & l'élégance
qu'il met dans leur exécution. La quatrième
fuite , qui fervira de pendant à celle- ci , paroîtra
dans 6 femaines ( 1).
Félix-François le Royer de la Sauvagère
Chevalier de l'Ordre militaire de S. Louis
ancien Directeur en chef dans le Corps
Royal du Génie , Membre de plufieurs Académies
, eft mort en fon Château des Places ,
en Touraine , le 29 du mois dernier , dans
la 76e année de fon âge.
Pierre Laquiniere eft mort à la fin du
mois dernier à Oudan , âgé de 100 ans &
4 mois.
» Arrêt du Confeil d'Etat du Roi , du 16 Février ,
portant permiffion au Directeur & Ordonnateur
général des bâtimens du Roi , pour inſtaller les
(1 ) On trouve cette Eftampe chez M. Vidal , Graveur ,
rue des Noyers , la première porte- cochère à droite en entrant
par la rue Saint-Jacques . La Collection que public
cet Artifte augmente tous les jours . On en connoît peu
de plus intéreffantes par le choix des Sujets , qui font tous
dans le genre galant & gracieux , par le foin qu'il apporte
à la gravure , foit qu'il s'en charge lui-même , foit qu'il
fe faffe fuppléer. C'eſt à lui que l'on doit la jolie fuite
des Baigneufes , qui forment 7 Eftampes , qui fe trouvent
chez lui , ainfi que le Jaloux endormi & fon pendant. Le
prix de chacune eft de 3 liv.
( 137 )

Comédiens François ordinaires de S. M. , dans la
Salle Royale conftruite dans le Fauxbourg Saint-
Germain , régler les conditions de la jouiffance
qu'auront les Comédies , & conferver enfuite la
direction de cet édifice. S. M. voulant expliquer
fes intentions fur la manière dont la Salle fera remife
aux Comédiens , ainfi que les modifications
de la jouiffance que S. M. veut bien leur accorder
& à leurs fucceffeurs , dans la vue d'affurer invariablement
à la Capitale la maintenue d'un fpectacle
qui contribue autant à la gloire littéraire de la Nation
qu'à fes amuſemens , ordonne que la propriété
de la Salle de la Comédie , confidérée quant au fol
& à tous les édifices principaux & acceffoires dont
il est couvert
demeurera à toujours réfervée à
S. M. & à fes fucceffeurs Rois , pour être confervéc
& furveillée fous l'autorité & par les foins des
Directeurs & Ordonnateurs généraux des bâtimens ,
comme édifice Royal , & avec tous & tels pouvoirs
attribués d'ailleurs fpécialement fur toutes Salles
Royales de fpectacle , aux Directeurs généraux des
batimens , par le Règlement rendu en 1745 , pour
fixer les droits refpectifs & les fonctions des premiers
Gentilshommes de la Chambre , des Gouverneurs
des Maifons Royales & du Directeur général
des bâtimens , Pour effectuer , en faveur de la
Ville de Paris , les vues qui ont déterminé S. M.
à procurer l'exercice conftant du Spectacle national ,
dans une Salle vraiment propre à la chofe publique ,
& indépendante fur - tout des évènemens d'une propriété
particulière , telle qu'elle a eu lieu jufqu'à
préfent , l'édifice , dont la propriété aura été tranf
mife à S. M. par Morfieur , fera livré aux Comédiens
François ordinaires du Roi , pour , par eux
& leurs fucceffeurs , y fuivre leurs exercices , &
jouir de ladite Salle aux conditions fuivantes.
La jouifance qu'auront les Comédiens préfens &
futurs , devant être reftreinte dans les bornes d'un
7138 )
fimple ufufruit , l'édifice de la Comédie & toutes
les constructions intérieures conftitutives de fa
deftination & de fes ufages pour le fpectacle , ne
pourront jamais , dans quelque cas & fous quelque
prétexte que ce foit , devenir le gage des d.ttes
que contractercit la Comédie ; de manière que ,
dans le cas cù les Comédiens obtiendroient la permiffion
de diffoudre leur afſociation & de fe féparer ,
ceux qui la compoferont alors , ou leurs créanciers
& ayans cafes , n'auront de droit à exercer que
fur le mobilier dont leflits Comédiens auront garni
& décoré le théâtre , les leges d'Acteurs , les foyers ,
les falles d'affemblées & les magátins ; bien entendu
que le droit defdits Comédiens & de leurs créan
ciers & ayans caufes , demeurera fubordonné à
celui que fe réferve S. M. ( pour le cas prévu ) ,
d'acquérir , avec préférence exclufive , toute la
propriété mobiliaire qui fe trouveroit néceffaire
pour fubftituer de nouveaux Sujets à l'exercice du
Thâtre , & prévenir , par cette reffource , l'interruption
du fpectacle. Veut & entend S. M.
que la jouillance ufufruitière qu'elle accorde à
fes Comédiens François ordinaires , leur donne la
difpofition pleine , libre & entière de toutes les
loges on places lucratives que l'intérier de la Salle
peut fourair pour des Spectateurs , à l'exception
des deux leges réservées par ordie de S. M. , pour
être occupées fans rétribution , l'une par le Directeur
& Ordonnateur général des bâtimens , au
titre de fa charge , & l'autre par les Officiers du
département , pour les mettre toujours à portée de
leur fervice , comme dans toute Salle Royale. En
conféquence , lefdits Comédiens pourront , dans
leur adminiftration particulière , fe ménager le
produit juftement mefuré de toutes les loges &
places qui en reront dans leur jouiffance , foit par
des locations journalières , foit par des locations
à l'année , foit par des abonnemens ou marchés à
( 139 )
vie , s'ils les eftiment convenables à leurs intérêts ,
fans que fur cette partie d'adminiftration , q i ne
fe rapporte qu'à leur intérêt perfonnel , ils puiffent
être gênés par le Directeur général des bâtimens ,
ni par tous autres , S. M. fe réfervant à elle-même
de pourvoir aux abus qui pourroient intéresfer
T'ordre public. Setont exceptés de la jouiflance
commune des Comédiens , 1 ° . le rez de chauffle
& le premier étage , faisant par.ie de la propriété
foncière de S. M. dans les deux pavillons latéraux
qui fe rejoignent à l'édifice principal de la Comédie
par des arches . 2 ° . Les façades intérieures &
latérales qui peuvent recevoir des boutiques dans
les deux galeries qui regnent à rez - d - chauffée
extérieurement fur chaque côté de l'édifice , S. M.
fe réfervant ces quatre objets , & fe propo ant d'en
faire des récompenfes en faveur des Comédiens qui
auront bien mérité d'Elle & du Public par le rs
talens & leurs fervices , fur les propofitions qi
lui en feront préfentées par le Directeur général
des bâtimens pour les conceflions futures , S. M.
ayant déja donné des ordres pour la première dif
pofition. Les dangers d'incendie la fûreté publique
excitant la plus particulière attention de
S. M. , Elle veut bien prendre à fa charge l'établiffement
, la folde & l'entretenement d'un corps
de Pompiers , & des uftenfiles néceffaires pour furveiller
fans ceffe contre tous dangers & y parer ,
en cas d'évènemens fâcheux ; & pour ne laiffer rien
à prévoir fur les précautions en ce genre , veut &
entend S. M. que le ramonage habituel de toutes
les cheminées de l'édifice de la Comédie , foit traité
comme celui de toutes les Maifons Royales , fous
les ordres du Directeur général des bâ imens & par
fes Préposés , auxquels les Comédiens & tous leurs
Agens ne pourront jamais refifer l'entrée des pièces
communes ou particulières contenant des cheminées
à ramoner. Pour maintenir dans toutes les parties
---
( 140 )
principales & acceffoires de l'édifice de la Comédie,
la furveillance journalière qui y devient indifpenfable
, eu égard à la propriété de S. M. , il y fera
prépofé par le Directeur général des bâtimens , &
fous fes ordies immédiats un Concierge , dont
les gages , tels qu'il conviendra de les régler , feront
payés fur les fonds des bâtimens du Roi
lequel Concierge fe conformera aux ordres & inf
tructions qui lui feront donnés par le Directeur
général des bâtimens. S. M. a commis & commet
ledit fieur Comte d'Angiviller , à l'effet de ,
pour Elle & en fon nom , mettre & induire fes
Comédiens François actuels en poffeffion réelle &
effective de la nouvelle Salle de Comédie Françoife ,
fubordonnément à toutes les difpofitions exprimées
dans ledit Arrêt , l'autorifant à cet effet à paffer
avec lefdits Comédiens , tel traité ou contrat que
befoin fera , pour conftater irrévocablement leurs
obligations ".
De BRUXELLES , le 16 Avril.
La démarche que la Grande-Bretagne a
faite dernièrement auprès de la Hollande ,
fixe l'attention générale ; mais elle ne pouvoit
être faite dans une circonftance plus
critique , & où la nation parût répugner
davantage à fe prêter à une pacification.
Toutes les voix fe réuniffent pour reconnoître
l'indépendance de l'Amérique ; d'un
autre côté comment arranger la grande
affaire d'un armiftice au moment où les
Etats-Généraux ont donné au Duc de la
Vauguyon leur réponſe relative at concours
d'opérations contre l'ennemi commun
.
( 141 )

2
On peut affurer , écrit-on d'Amfterdam , que
quelque difpofée que la Nation foit naturellement
pour la paix , quelques flatteufes que puiffent être
les propofitions de la Cour Britannique en compa
raifon des prétentions injurieufes & arbitraires
qu'elle avoit dévoilées dans le Mémoire remis à
la fin de l'année dernière par le Lord Stormont
à l'Ambaffadeur de Ruffie ; elle ne voit enfin dans
cette nouvelle démarche qu'un piége tendu à la crédulité.
En comparant la lettre de M. Fox avec le
Mémoire des Envoyés Ruffes il femble que ceuxci
offrent beaucoup plus que le premier. Il eft vrai
que M. Fox propofe le rétabliffement du traité de
1674 que la Grande- Bretagne n'avoit ceffé de violer.
Mais pourquoi ne parle-t-il ni des articles de
la neutralité armée , ni du rétabliffement de tous les
anciens traités , ni de la liberté de la navigation
ni des reftitutions & des indemnifations requifes
après une injufte agreffion ; quatre points effentiels
fur lefquels les Etats- Généraux ont accepté la médiation
de la Ruffie ; outre leur ftipulation , quelle
ne porteroit aucun préjudice à la réfolution de concerter
les opérations de cette année avec la France ;
rélolation qui , acceptée par les deux Parties , ne
peut fe concilier avec l'acceptation de l'armiſtice .
L'offre de l'Angleterre vient d'ailleurs dans un moment
trop critique , pour qu'on puiffe douter qu'elle
ne ten le qu'à faire échouer les liaiſons que la
République eft prête de former avec l'Amérique-
Unie. Elle ne cherche à fe réconcilier avec nous
que pour diriger tous les efforts contre la Maiſon
de Bourbon ; qu'elle ne négligera rien pour détacher
l'Amérique de cette Maifon , pour l'attacher
à fes intérêts par les plus brillantes conceffions , &
regagner par -là cette prépondérance maritime , à
l'aide de laquelle elle fera comme auparavant en
tat de nous impofer les loix qu'elle voudra , &
( 142 )
"
d'interpréter les traités à fon gré. Comment d'ailleurs
nous rendroit - elle nos vailleaux , nos marchandifes
, nos poffeffions territoriales ? Plufieurs de ces
dernières qui font paffées de nos mains dans les
fiennes font aujourd'hui au pouvoir de la France ,
qui les lui a enlevées , telles que Saint-Euftache ,
fes dépendances , Effequibo , Demerary , & c. Le Cap
de Bonne- Efpérance & Ceylan , qu'elle s'eft chargée
de défendre pour nous , font entre les mains. Il n'eft
donc pas vraisemblable , vu les intérêts compliqués
qui fe trouvent actuellement entre la France , les
Pays- Bas & les Etats -Unis de l'Amérique , les dangers
que courroit toujours notre navigation par une
paix particulière , que L. H. P. puiffent accepter
l'offre du Ministère Britannique , autrement qu'en
ftipulant l'ouverture d'un Congrès pour une paix
générale. «.
L'Ambaffadeur de France à la Haye n'occupe
point l'Hôtel de la Compagnie des
Indes qui lui avoit été offert après l'incendie
qui a confumé fon Hôtel . Il a été chez M.
le Chevalier de Llano , Comte de Sanfé
Miniftre plénipotentiaire d'Eſpagne.
PRÉCIS DES GAZETTES ANG. du 10 Avril.
-

» Le de ce mois l'Amiral Lockart Roff reçut fa
commiffion de l'Amirauté , comme Commandant en
chef de l'efcadre deſtinée à croifer dans les mers du
Nord. L'Amiral Digby confervera le commandement
de l'efcadre en Amérique , jufqu'à ce qu'on ait
pris de nouveaux arrangemens fur cet objet.
L'Amiral Campbell eft défigné pour commander
dans la ftation de Terre-Neuve. Le Vice-Amiral
Hyde Parker n'emmène avec lui que 2 vaiſſeaux de
so canons aux Indes orientales ; on compte qu'il
--
( 143 )
hiffera fon pavillon à bord de l'un de ces vaiffeaux'
au commencement de la ſemaine prochaine .
On travaille actuellement à expédier les parentes
de pairie pour l'Amiral Keppel & le Lord Howe. Le
dernier a accepté le commandement de la grande
efcadre,qu'on appelle grande, & qui ne peut être tout
au plus que de 20 à 22 vaiſleaux .
Le Marquis de Rockingham , le Duc de Grafton
& le Duc de Richmond ont refufé d'accepter les
honoraires de leurs places . Les 4 cordons bleus
vacans font deftinés , dit on , aux Duc de Devonshire,
de Mancheſter & de Portland , & au Comte de Shelburne.—
Le Duc de Portland fuccède au Lord Carle-
He dans fa place de Lord Lieutenant d'Irlande ; & le
Duc de Mancheſter au Lord Hartfort , dans celle de
Lord Chambellan.
Une lettre de Douvres porte que 3 perfonnes y
font arrivées de Londres le 5 , & qu'elles fe font
auffi-tôt embarquées à bord d'un bâtiment pour
Oftende. On ignore quelles font ces perfonnes. Un
de leurs domestiques a donné à entendre qu'elles
alloient trouver à Oftende M. Adam , l'Agent Américain
qui a été quelque tems à la Haye , & qu'elles
avoient quelque affaire importante à arranger avec
lui. On lit dans plufieurs de nos feuilles le
que
Gran -Chancelier a refufé d'appofer le grand fceau
à la penfion accordée au Général Arnold ; & ils obfervent
que c'eſt ainfi que tôt ou tard le fait juftice.
-
Il eft certain qu'un chargé d'affaires s'eft embar
qué pour la Hollande. L'objet de fa miffion eft de
propofer une ceffation d'hoftilités & un traité de
paix entre la G. B. & les Etats - Généraux.
Il doit fe tenir un conſeil où l'on fixera les lieux
où feront établis les camps pendant l'été prochain.
Les troupes fe rendront dans les parties méridionales
de la G. B. vers la fin de ce mois.
Les derniers papiers d'Irlande contiennent les
J
( 144 )
xéfolutions des délégués de 59 Corps militaires
affemblés à Ballinafloe , & députés par les différens
Corps militaires de la Province de Connaught. Ces
réſolutions ſont exactement ſemblables à celles
prifes à Dungannon par les Délégués d'Uifter . Ceux
de Connaught ont énoncé en outre une réfolution
de la teneur fuivante. » De même que nous avons
» réfolu de partager les libertés de l'Angleterre , de
» même avons-nous réfolu auffi de partager fon
» fort «<.
Le bruit s'étoit répandu qu'on avoit appris à
Lisbonne , par un bâtiment arrivé de Madère , la
mort de Rodney , & que le Capitaine Penny avoit
hiffé fon guidon à bord du Marlborough.. On ajou
toit la maladie de l'Amiral avoit retenu 11 jours
que
l'efcadre à Madère ; les lettres directes que nous en
recevons , ne font aucune mention de cette nouvelle ,
ce qui fait croire qu'elle n'eft qu'un bruit deftitué de
fondement. On dit que l'efcadre ne s'eft arrêtée à,
cette ifle que le tems néceffaire pour y charger du
vin & des provifions.
Plufieurs des bâtimens qui s'étoient féparés de la
flotte de Lisbonne , font arrivés fans accidens à
Cowes , à Southampton & à Portſmouth. Il ne manque
plus que 4 bâtimens de Porto.
Le Gouvernement vient de fréter un grand nombre
de bâtimens de tranfport , qui doivent accompagner
la première flotte deſtinée pour les ifles. ( Selon les
bruits de Londres , ces bâtimens font deſtinés à aller
rembarquer les troupes d'Amérique. )
De tous les vaiffeaux de ligne actuellement en
commiffion , il y en a a - peu-près la moitié aux Ifles.
La prife de St -Christophe a fait hauffer confidéra
blement le prix du fucre.
Depuis quelques jours , les fonds ont hauflé de 3
pour cent. Se on l'opinion la plus générale , cette
hauffe eft l'effet de la confiance que les nouveaux
Miniftres ont infpirée à toute la Nation.
JOURNAL
POLITIQUE
DE BRUXELLES.
TURQUIE.
De CONSTANTINOPLE , le 28 Février
Les travaux , dans nos chantiers , fe continuent
fans relâche ; on y met la plus
grande activité ; on ſe flatte d'être en état
de mettre l'efcadre du Capitan Bacha en
état de fortir du port au commencement
du mois d'Avril prochain , & de la rendre
plus forte & plus refpectable qu'elle ne
l'étoit l'année dernière. La deftination de
cet armement paroît être de protéger le
commerce dans l'Archipel , & de contenir
les Dulcignotes & les Albanois.
Ce n'eft que ces jours derniers que M.
de Bulgakow , Miniftre de Ruffie , & le
Reis-Effendi ont échangé leurs pleins- pouvoirs
pour la conclufion d'un traité de commerce
entre fa Souveraine & cet Empire.
27 Avril 1782. g
( 146 )
RUSSI E.
De PETERSBOURG , le 12 Mars.
ON lit dans la gazette de cette Capitale
l'article fuivant qui doit être recueilli
après les affertions qu'on a lues depuis
quelques tems dans plufieurs papiers étrangers.
» Les affaires de l'Amérique femblent être aujourd'hui
, les feuls objets qui puiffent nourrir la curiofité
des Nouvelliftes ; mais comment compter fur ce
qu'ils débitent de ces contrées éloignées , lorsqu'ils
ofent hafarder , fur des objets plus rapprochés , des
affertions fans vraisemblance , & dont un peu de
fens commun doit faire fentir l'abſurdité à ceux
qui , comme nous , ne font pas à portée d'en vérifier
fur-le-champ l'extravagance. Telles font , par exemple ,
les vues hoftiles qu'on prête gratuitement aux deux
Cours Impériales , contre la Porte Ottomane ; tandis
qu'il eft de notoriété publique que ces deux Cours ,
uniquement liées par leur fyftême pacifique , réuni
fent tous leurs efforts pour mettre fin à l'effufion du
fang , afin que la tranquillité publique puiffe être
rétablie en Europe , en faisant en même- tems des
loix permanentes , qui affurent dans la fuite , même
en tems de guerre , la libre navigation aux Nations
maritimes. Il feroit aifé de convaincre d'impofture ,
les auteurt de pareilles faufſetés , fi on n'étoit certain
que toute perfonne impartiale les jugera plus dignes
de mépris que d'une réfutation férieufe «.
Le Comte de Bollo , défigné Miniftre de
l'Electeur de Trèves auprès de l'Impératrice
, mais qu'on n'a pas jugé ici à propos
de recevoir , & qu'on a fait prévenir de
ne pas fe donner la peine de venir dans
>
1
( 147 )
cet Empire , a cherché à y entrer fous un
nom étranger & en fe faiſant paller pour
Marchand ; il y a réuffi malgré les ordres
envoyés aux Gouverneurs de la frontière ;
on l'a découvert , & on l'a reconduit hors
de l'Empire' , mais fans le moleſter.
ALLEMAGNE.
De VIENNE , le 4 Avril.
LE Pape a préfidé à toutes les cérémo
nies de la Semaine Sainte avec une pompe
qu'on n'avoit jamais vue , & que vrailemblablement
on ne verra plus dans cette
Capitale. Ce fut de fes mains que le Jeudi-
Saint l'Empereur & l'Archiduc Máximilien
reçurent la Communion Pafchale. Le même
jour il lava les pieds à 12 pauvres vieillards,
dont les âges réunis formoient 1006 ans.
Le jour de Pâques il officia dans l'Eglife de
Saint-Etienne , l'Empereur fe propofoit de
l'y conduire lui-même , mais fon mal d'yeux ,
qui avoit augmenté , ne le lui permit pas.
Les Miniftres des Puiffances Proteftantes
en cette Cour , le Chevalier Keith pour
l'Angleterre , le Comte de Walmode pour
l'Electorat de Hanovre , M. de Rietzel pour
la Pruffe , le Comte de Waffenaer pour les
Provinces Unies , ont eu l'honneur d'être
préfentés à S. S. comme de fimples particuliers;
elle les a entretenus en François
8. 2
( 148 )
avee beaucoup d'affabilité & de cordialité.
Elle leur parla de l'Italie , & infiſta ſur la
néceflité de faire ce voyage pour prendre le
goût de l'antiquité.
On dit qu'il a été envoyé des ordres dans
toutes les Provinces pour que les Evêques ,
Abbés & Prélats reftent dans leurs réfidences
reſpectives & ne viennent point ici pendant
le féjour du Pape , fans la permiſſion de
l'Empereur.
>
>
Le Baron de Zay vient d'établir , à Pref
bourg une Société Littéraire de douze
Savans , qui , fous le bon plaifir & fous les
aufpices de l'Empereur , publieront des Mémoires
propres à l'hiftoire générale & particulière
, ainfi que des productions de la
littérature Hongroiſe . L'attention principale
de ces Erudits fe portera de préférence
relativement à l'hiftoire , fur ce qui s'eft
paffé fous le règne du fameux Mathias
Corvin. On s'occupe auffi de convenir
d'un plan général d'études dans un Coilége
où les Hongrois pourront faire élever leurs
fils. Les Luthériens , les Réformés , les
Grecs , ont envoyé leurs Députés , pour
affifter à la rédaction de ce plan , qui fera
du plus grand avantage pour ces différentes
Communions.
De tous les manufcrits que les Commif
faires ont trouvé dans les bibliothèques des
Couvens fupprimés , on en a transporté
un très-petit nombre dans le Mufaum Im(
149 )
périal . Mais l'Empereur a ordonné de les
examiner & de faire imprimer ceux qui pourroient
être utiles au public.
Nous avons envoyé aux Huffites , écrit on de
Prague , de favans Eccléfiaftiques , pour les décider
à accepter la Confeffion d'Augsbourg ou celle de
Genève . Ces fectaires qui fe difent Evangéliftes , ne
veulent ni Miniftres ni Prédicateurs en titre . A
l'exemple des Quackers , ils attendent en filence l'inf
piration du St-Efprit , & celui qui croit l'avoir reçue ,
quel que foit fon âge , fon fexe ou fa profeffion
parle pendant des heures entières. C'eft ce qu'on
pourroit appeller des impromptus myftiques . Quelques
Huffites de Lettowitz avoient fait venir un Miniftre
Proteftant ; mais il ne leur eut pas plutôt développé
les dogmes de fa communion , qu'ils s'écrièrent tous
en fortant bien vîte de l'Eglife , en difant qu'il était
un hérétique , & qu'ils ne vouloient pas être damnés
avec lui ; cependant , on en a rappellé quelques - uns
à la raison. On a eu dernièrement une fcène fcandaleufe
& fingulière ; on prêchoit dans une Eglife
Catholique. Tout -à-coup s'élève une voix du milieu
des Auditeurs , qui apoftrophe le Prédicateur , & lui
dit qu'il ne fait ce qu'il dit , & qu'il ment. On crut
d'abord que c'étoit un Proteftant qui s'étoit introduit
dans l'auditoire. On a reconnu enfuite que c'étoit un
Cordonnier Catholique ; on l'avoit arrêté , & on l'a
relâché après s'être affuré qu'il n'y avoit que de la
démence dans fon fait.
De HAMBOURG , le 7 Avril.
LES lettres de Vienne ne parlent que de
l'arrivée du Pape , de fon féjour & de fa
conduite ; parmi ces détails il y a quelques
g3
( 150 )
anecdotes qui peuvent piquer la curiofité ,
& que nous nous emprefferons de tranfcrire.
» S. S. étant arrivée le 20 Mars chez le Comte de
Wieden , toute la nobleffe des environs s'y rendit
& entr'autres , la Comtefle de Stubenberg , enceinte
& déja très-avancée dans fa grofleffe. Cette Dame ,
dont les regards étoient toujours fixés fur le S. Père
parvint enfin à lui parler & à l'intéreffer ; la converfation
étant tombée fur l'état très - viſible où elle
fe trouvoit , elle pria le Pape de vouloir bien être le
parrain de l'enfant qu'elle portoit , quel que fût foa
Texe , ce que le fouverain Pontife accepta avec plaifir.
Il eft à remarquer que l'époux de cette Dame eft
maintenant en commiffion pour l'extinction de ces
mêmes couvens , dont la fuppreffion occafionne le
voyage de S. S.
On dit que lorfque le S. Père paffa à Gortz , il
s'informa du Comte d'Edling , Evêque de cette ville.
On lui répondit que n'ayant pas voulu publier les
Ordonnances de l'Empereur fur la tolérance religieufe ,
il avoit été mandé à Vienne pour rendre compte de
fa conduite. Il a tort , répondit le S. Père ; tout fujet
doit obéir avec la plus grande exactitude à fon Prince.
Lorfque l'Evêque de Gortz arriva à Vienne , le
Comte de Blumeren , Chancelier de Bohême le manda
à fon hôtel , de la part de l'Empereur ; il lui fignifia
qu'il avoit déplu à S. M. I .; qu'il n'en obtiendroit
point d'audience ; qu'il ne feroit pas non plus admis
à celle du Pape ; & qu'il eût à repartir pour fon
Diocèle avant 24 heures , & à y faire publier l'ordonnance
de S. M. à fon arrivée.
Lorfque le Comte du Nord , avant le départ de
S. S. de Rome , la pria d'accepter la riche fourrure
dont il lui a fait préfent , il lui dit ces paroles .
V. S. ignore combien le pays où elle va fe rendre eft
plus froid que celui qu'elle habite en ce moment . Je
( 151 )
la prie d'accepter cette pélile . Il n'y a que moi qui
en ai fair ufage. Je l'ai reçue de lImpératrice ma
mère , qui , en me la donnant , cut deilein de me
faire un préfent utile à ma fanté « .
On ne croit pas que le féjour du Pape
à Vienne foit aufli long qu'on l'avoit penté
d'abord , on préfume que dans trois femaines
il quittera cette Capitale en prenant
fa route par Salzburg , Munich & Inf-
/ pruck.
Le Courier que l'Empereur avoit choifi
parmi les Gardes Hongroifes pour aller audevant
du Pape , a été grauifié , dit on
d'un chapelet de Pis lazuli ; on obferve
que ce jeune Seigneur eft Proteftant.
>
On apprend de Darmftade que le Landgrave
a permis à fes fujets Catholiques de
faire venir du voifinage des Curés , pour
remplir auprès d'eux les fonctions de leur .
miniftère , à condition que les Proteftans
demeurans dans les endroits Catholiques
qui ne dépendent point de lui , jouiront
de leur côté de la même prérogative . Le
Prince-Evêque de Fulde , vient d'établir cette
réciprocité dans fes Etats .
3 Selon les lettres de Berlin M. de Gory ,
ci devant Miniftre d'Etat , a été jugé ; il a
été dégradé de la nobleffe , démis de tous
fes poftes , condamné à reftituer ce qu'il a
diffipé de 700,000 écus , & à une prifon
perpétuelle dans la citadelle de Magdebourg.
8 4
( 852 )
»Le commerce & la population de Neufaz , ville
libre de Hongrie , augmentent journellement ; en
1738 , il n'y avoit encore aucune maifon dans l'emplacement
où elle eft fituée . Des familles Grecques ,
qui s'étoient retirées de Belgrade , lorfque cette
ville eft tombée au pouvoir des Turcs , ont commencé
à la bâtir. La protection particulière que la
Maifon d'Autriche avoit accordée aux habitans en a
attiré d'autres , de forre qu'en peu de tems , on vit
naître une ville qui un jour fera une des plus floriffantes
du Royaume. On travaille actuellement à y
mettre les Ecoles fur un meilleur pied . Plufieurs Négocians
ont fait un fonds pour cet objet . Il y ſera auſſi
établi une Académie Grecque & une Imprimerie «
ITALIE .
De RO ME , le 28 Mars.
EN continuant les excavations qu'on a
commencées par ordre du S. Père à Utricoli
, dans l'endroit où étoit l'ancien théâtre
, dont on a vu les traces , on a trouvé
il y a quelques jours quatre ftatues repréfentant
une Dame affife de la hauteur d'environ
14 palmes , mais fans bras ; deux Coufuls
fans tête de 12 palmes de haut , & un
jeune Seigneur avec une boule d'or fur la
poitrine , également fans tête , & haut d'environ
7 palmes ; tous d'une excellente
fculpture. On a auffi trouvé quatre têtes
d'une proportion plus grande que nature
& favamment fculptées. On a encore retiré
deux autels cifelés avec des bas- reliefs dans


A
C
( 153 )
les quatre faces très-bien travaillés , & un
petit chandelier triangulaire , où l'on voit
gravé fur les faces du pied trois figures très-
-belles .
Au retour des deux Couriers du Pape ,
qui ont accompagné le Comte & la Comteffe
du Nord jufqu'aux frontières de la
Tofcane , nous avons appris qu'en commençant
à monter la montagne de Viterbe ,
une des roues de leur carroffe fe brifa , &
comme ils avoient envoyé devant eux tous
leurs équipages , ils furent obligés l'un &
l'autre de monter à pied toute la montagne.

» Nos chébecs , lit-on dans des lettres de Naples
du 8 de ce mois , mettront à la voile incefſamment
pour protéger le commerce de nos côtes. On équipe
un vaiffeau de guerre & 2 frégates , qui feront deſtinés
à eſcorter les bâtimens marchands dans les divers
ports de leur deſtination. Au commencement de
ce mois , le froid étoit fi rigoureux ici , qu'il n'étoit
que de 2 degrés au-deffus de celui qu'il fait ordinairement
à Pétersbourg «.
ESPAGNE.
De CADIX , le 29 Mars.
LE 20 de ce mois , il fortit d'ici un convoi
précieux de 42 voiles , deftiné pour nos
poffeffions d'Amérique & efcorté par 2
vaiffeaux de ligne & 2 frégates qui devoient
le conduire hors des caps. Le lendemain
une tempête affreufe qui s'éleva jetta la.
confternation dans cette place , & nous
GS
( 154 ).
avons appris qu'en effet ce riche convoř
a été difperfé. Une partie a été obligée d'embouquer
le détroit ; s bâtimens ont relâché
à Algéfiras , plufieurs autres à Malaga , & c.
Les deux vaiffeaux de ligne qu'il devoit
trouver au-dehors & qui étoient chargés
de l'efcorter au- delà des caps , ne l'avoient
pas encore rejoint au moment de fa difperfion.
Ceux qui auront fait route n'étoient
accompagnés que d'un corfaire de
36. canons , ce qui n'eft pas fuffifant pour
nous raffurer ; cette tempête n'a été favorable
qu'à nos ennemis , puifqu'elle a jetté
5 à 6 bâtimens de fecours dans Gibraltar
où ils ont débarqué un régiment .
Le 24 , écrit- on d'Algéfiras , nous reconnûmes
qu'une flotille ennemie avoit mouillé à Gibraltar la
nuit précédente. Nous pouvions appercevoir dans la
baie 2 frégates de guerre de 36 canóns , une marchande
de 22 , une corvette de 10 , & 3 hourques ;
nous avons compté 6 à 7c0 foldats mis à terre par
ces navires. Comme les bâtimens paroiffent le préparer
à remettre à la voile , il faut qu'ils n'ayent
point apporté de munitions. Nous avons ici des gens
qui prétendent favoir que ce fecours étoit deftiné pour
Mahon ; ils difent que les deux frégates font l'Andromède
& le Cerbère , & le régiment qu'elles ont
débarqué , le 93e ; fi l'intention de la Cour étoit de
continuer le blocus de la place , ce renfort , venu
fans provifien , lui feroit plutôt à charge qu'utile ,
Gibraltar ayant déja affez de monde pour fa défenfe ;
mais le fiége parciffant réfolu , cette augmentation
de troupes peut rendre les approches plus difficiles.
& plus meurtrières «.
( 155 )
ANGLETERRE.
De LONDRES , le 16 Avril.
LES nouvelles que nous avons des Ifles
fe réduisent à deux lettres , en date de Sainte-
Lucie les 23 & 28 Février , apportées par le
Barbary, Capitaine Perry arrivé à Liverpool.
Ces lettres qui font de fimples particuliers ,
annoncent que l'Amiral Rodney arriva à
Sainte-Lucie le 22 , & qu'il prit fur- le champ
la route de Saint Chriftophe pour rejoindre
l'Amiral Hood , avec la précaution de fuivre
le paflage entre Sainte- Lucie & Saint-
Chriftophe pour éviter l'armée Françoiſe
qui croifoit devant Nevis. Comme on favoit
que Hood avoit quitté Saint- Chriftophe
après la prife de cette Ifle pour retourner
à la Barbade , on eft inquiet pour Rodney
qui ne l'avoit pas encore joint , & qui
pouvoit être intercepté par l'efcadre Françoife
. Les mêmes lettres ajoutent que l'efcadre
Espagnole & le convoi , fortis de Cadix
fous les ordres de D. Borza , étoient arrivés
à la Dominique ; le Gouvernement en a
reçu la nouvelle officielle , & cet évènement
conferve , à nos ennemis , dans ces
mers , une fupériorité de 13 à 14 vaiffeaux ;
il s'écoulera du tems avant que nous puisfions
la leur ôter ; & fi , comme on le croit ,
l'Amital Barrington à ordre de ſe rendre aux
Ifles , il ne fera que nous rendre à peu près
l'égalité . On dit toujours qu'il remplace
g G
( 156 )
l'Amiral Rodney qui eft rappellé ; mais nous
devons être très - inquiets jufqu'à ce qu'il foit
arrivé à fa deftination.
» Hier , 13 , écrit- on de Portsmouth , les vaiffeaux
fuivans ont mis à la voile fous les ordres de l'Amiral
Barrington . La Britannia , le Royal George de
Ico canons ; l'Océan , l'Union de 90 ; le Foudroyant
de 80 ; l'Edgard , l'Alexandre , la Bellone ,
la Fortitude , le Goliath de 74 ; le Sampfon de 64 ;
la Prudente de 36 ; la Recovery de 32 ; & le Crocodile
de 24. Cela fait en tout 11 vaiffeaux de ligne &
3 frégates. Ce matin 14 , cette efcadre a été augmentée
du Queen qui a mis à la voile pour la rejoindre ,
ce qui la porte à 12 vaiffeaux de ligne. Sa deftination
eft un fecret ; l'Amiral feul en eft inftruit , & il a
des ordres qu'il ne doit ouvrir qu'à une certaine
latitude. On eft perfuadé ici qu'elle fe rend aux Antilles
, où en effet nous avons grand beſoin de porter
des fecours , mais l'y envoie-t - on toute entière ou
fimplement une partie . Si elle y va toute , nous ferons
, à un ou deux vaiffeaux près , égaux à nos ennemis
; & tout ce qu'on en retranchera fera autant
de fupériorité qu'on leur laiffera cc.
;
Nos papiers le font empreffés de publier
que le vaiffeau le Warrior , dont on avoit
été inquiet , parce qu'on n'en avoit point
de nouvelles , avoit pris une frégate Françoiſe
de 30 canons , l'une de celles qui faifoient
partie de l'efcadre fortie de Breſt
qu'il en avoit mis l'équipage à terre à Madère
, & qu'il avoit conduit le bâtiment aux
Indes Occidentales . Cette nouvelle eft deftituée
de tout fondement ; car nos lettres
de Sainte-Lucie , qui annoncent l'arrivée du
Warrior à la Barbade , ne parlent point de
( 157 )
cette frégate qui auroit mérité quelque mention
, & difent au contraire que ce vaiffeau
a paru feul & en très- mauvais état.
Nous n'avons point de nouvelle de l'Amé
rique Septentrionale ; on a quelques lettres
de Québec , où l'on lit qu'il a été découvert
une correfpondance entre des Négocians
Canadiens , & des fujets des Etats-
Unis ; on en infère que les armées du Comte
de Rochambeau & du Général Washington
ont des projets d'attaque fur cette place ; le
Gouvernement fait , dit - on , charger , à
Woolwich , des munitions de guerre qui
feront tranfportées à Québec.
On a de la peine à concilier ces plans hoftiles .
concertés par nos ennemis , avec les bruits de paix
qu'on ne ceffe de publier dans nos papiers ; à les en
croire , le Congrès ne demande pas mieux que de
traiter avec nous ; quelques provinces Américaines
ont envoyé à leurs délégués au Congrès , des inftructions
pour preffer un accommodement ; la généralité
eft de cet avis ; le Colonel Laurens , fils du Préfident
de ce nom , eft arrivé , difent -ils , à Londres , avec
des propofitions dans lesquelles le mot d'indépendance
ne le trouve pas ; ils reviennent aux prétendues
défiances qu'ils prétendent toujours exifter entre
l'Amérique & fon alliée. Il eft bien fingulier que.
l'on ofe répéter ces abfurdités , & qu'elles fe copient
fans ceffe. C'eft far-tout depuis le changement de
l'Adminiſtration que ces bruits fe renouvellent. On
veut faire entendre que le Congrès ne faifoit la
guerre qu'à l'ancien Ministère , qu'au moment où if
n'existe plus , il ne fe croit plus d'ennemis , & qu'il
n'a plus de répugnance à rentrer dans la dépendance.
de la Grande-Bretagne ; mais on a beau dire , on a
( 158 )
beau s'égarer en efpérances de paix , il ne faut pas y
compter fans l'indépendance de l'Amérique , fans
fatisfaire la Hollande que nous avons indignement
traitée. Le feul moyen qui nous permettroit d'en
faire une fans toutes ces conditions , ce feroit d'obtenir
des avantages devenus impoffibles . Il faudroit
à-la fois battre la France , l'Espagne & la Hollande
par-tout , conquérir l'Amérique- Septentrionale , &
reprendre nos ifles .
.
Pour ce dernier objet , on a le projet
d'employer l'armée que nous avons fur le
Continent ; mais alors il faudra renoncer
à la guerre fur le Continent , & s'arranger
avec les Etats - Unis ; mais on compte beaucoup
pour cela fur les bons offices du Général
Carleton qui eft parti enfin le s
de ce mois , à bord de la frégate la Cérès ,
& qui porte des ordres de paix dans des
contrées , où nos Généraux n'en ont porté
jufqu'à préfent que de fanglans.
Le premier de ce mois , dit un de nos papiers ,
l'Amirauté a reçu un Courier de Poole ; il étoit
chargé d'une pétition des Négocians de cette ville ,
pour demander que l'Amiral Edwards , ancien Gouverneur
de Terre-Neuve , foit confervé dans cette
place. Cette Requête ne pourra avoir l'effet qu'ils
s'en promettent , parce que l'Amiral Campbell , dent
la bravoure & l'expérience font généralement reconnues
, avoir déja reçu la commiffion qui le nomme
à
ce Gouvernement , avant l'arrivée de cette pétition .
Au furplus , le choix de l'Amiral Edwards , prouvé
que l'ancien Miniſtère n'étoit pas toujours injuſte
dans la répartition des places.
On fe flarte , après les détachemens affez
nombreux de vailfeaux qui fe font des ports
de la Métropole pour tous les endroits
( 159 )
où nous en avons befoin , que nous en aurons
encore 25 dans la Manche aux ordres de
l'Amiral Hove , pour protéger notre commerce
; on ne voit pas comment nous en
aurons autant , fur- tout dans ce moment ;
on prend bien des précautions pour s'en
procurer , mais il faut les conftruire , &
ce n'eft pas l'ouvrage d'un inftant.
Le Lord Keppel a eu plufieurs conférences avec
ceux des Membres de l'ancienne oppofition qui
s'occupoient le plus des affaires de la Marine . D après
le réſultat de ces délibérations , il paroît que chaque
Comté doit être taxé à raiſon de fa richeſſe & de fon
importance pour la conftruction d'un vaiffeau de
ligne ou de fo canons , ce qui nous donnera 6 vaiſfeaux
de 100 canons ; 10 de 90 ; 10 de 20 ; 10 de
74; 10 de 64 & 6 de so. L'argent fera remis de trois
mois en trois mois entre les mains d'un Receveur du
Comté , qui le fera pafler à l'Amirauté pour la conftruction
d'un vaiffeau qui portera le nom du Comté
aux frais duquel il fera conftruit . On va établir auth
une Milice navale ,, qui confiftera dans la levée des
hommes néceffaires pour armer complettement les
vaiffeaux fournis par chaque Comté. Quant à la
levée de cette Milice , il a été proposé que jufqu'à un
certain jour on recevroit des Volontaires qui jouireient
de plus grands priviléges que les autres . Le
tems du fervice fera fixé à celui de la durée de la
guerre , & aucune de ces Milices ne pourra par la
faite être fujette à la preffe «.
Nous avons promis de revenir fur la
féance du 8 ce mois , relativement à l'Irlande
; nous nous étions borné à indiquer
la motion de M. Edens , & d'annoncer
qu'il la retira enfuite. Le difcours qu'il
prononça, & la réponfe de M. Fox , méri
( 160 )
tent des détails. M. Edens réfuma les affaires
de ce Royaume depuis 1780 , que le
Lord Carlifle y paffa la première fois en
qualité de Vice -Roi , & continua ainfi.
» Le Commerce accordé à l'Irlande ne donnant
pas à ce pays la liberté de Commerce illimitée qu'il
demandoit & qu'il attendoit , il détourna les vues de
cet objet por s'occuper de la recherche des droits
de la Conftitution Angloife , droits auxquels l'Irlande
prétendoit avoir des titres . Ces droits confiftent
en une légiflation degagée de toute inſpection
de la part de la legiflation de la G. B. , par une révocation
de la Loi Poyning , &c . & c. Il n'y a perfonne
qui ignore les réfolutions des Délégués militaires
envoyés par les Volontaires d'Ulfter , affemblés
à Dungannon. Ces réfolutions ont eu le fuffrage
de différens Corps de plufieurs Comtés & des
Grands - Jurés de tout le Royaume. Les Volontaires
font extrêmement attachés au Roi & à la G. B. Ils
fe font armés pour défendre leur pays , & lorsqu'ils
ont craint une invafion de la part des François ,
ils ont envoyé des Adrefles de tous côtés , pour offrir
de fervir fous les troupes réglées & de les aider
à repouffer l'ennemi . Ce procédé leur a mérité des
remercimens des deux Chambres du Parlement , où
il fut voté qu'ils formoient une force conftitutionelle.
Lorfqu'ils campèrent , le Gouver ement
n'eut aucune appréhenfion de leur démarche , qu'il
ne regarda que comme un objet d'amulement ; mais
aujourd'hui je fuis convaincu que les mefures qu'ils
ont prites font trop férieufes pour que la Chambre
diffère d'un feul inftant à donner toute fon attention
à la motion dont il s'agit. Dans les circonstances
préfentes , il faut mettre de côté toute confidération
& ne s'occuper que de la prétention de l'Irlande ,
qui ne demande pas moins que la révocation d'un
acte de la fixième année du règne de George I ,
( 161 )
en vertu duquel l'Irlande eft foumiſe aux actes de
la légiflation Angloife. Ainfi je propofe la révocation
de cet acte . Avant de finir je crois devoir
informer la Chambre que l'Irlande demande encore
l'acte habeas Corpus , un acte pour rendre les Juges
indépendans de la Couronne , & la révocation de
la claufe perpétuelle dans le bill de foulèvement.
Je ne vois aucun inconvénient à accorder ces de- .
mandes , elles ne touchent en rien à aucune des branches
de la prérogative Royale , & l'Irlande eft
pleinement convaincue que l'intérêt des deux nations
cft abfolument le même. Mais , me dira-t-on , fi l'òn
contente l'Irlande fur ces objets , reftera -t-elle tranquille?
Je crois pouvoir répondre affirmativement .
Mais les affociations militaires feront-elles diffou
tes ? je ne l'imagine pas «.
M. Fox , Secrétaire d'Etat , fe leva en priant la
Chambre de l'honorer d'une attention particulière.
» Je n'ai jamais été plus étonné , dit- il , que de la
conduite de MM . Luttrell & Edens. M. Luttrell
commence par répéter à la Chambre ce qu'il a déja
dit avant les vacances , fans faire aucune eſpèce de
motion, en fe bornant à rappeller la fituation de
l'Irlande , la néceffité indifpenfable de prendre les
mefures les plus efficaces & les plus promptes pour
mettre fin aux mécontemens qui ont éclaté dans ce
Royaume . Auffi- tôt , M. Edens fe lève , & fans
avoir préalablement conféré de fon projet avec qui
que ce foir , fans même en avoir donné la moindre
communication , il conclut , d'après une foule d'obfervations
fur les circonftances & fur la pofition de
l'Irlande , par une motion tendante à déclarer ce
Royaume entièrement indépendant de la législation
de la G. B. On ne s'attend pas fans doute que je
répondrai à toutes ces oblervations . Elles font
vraiment curieuſes , fur-tout quand on penfe que
M. Edens veut que cette affaire feit terminée le
premier jour que les nouveaux Miniftres paroiffent
( 162 )
>
--
à la Chambre , & avant qu'il leur foit poffible de
propofer aucuns moyens relativement à l'Irlande ,
La précipitation de ce Député a été portée au point
qu'il s'eft rendu à la Chambre , & qu'il a fait fa
motion fans donner aux Miniftres de Sa Majefté
le moindre répit pour fe reconnoître & pour
préfenter au Parlement les projets qu'ils croiroient
propres à diffiper les troubles , & à rétablir l'harmonie
entre les deux Nations . Auſſi ſon objet n'eft.
il point de donner des informations au Gouvernement
, mais d'embarraffer les Miniftres , & c'eft
pour cela qu'il choifit le jour même de la rentrée
de la Chambre, pour faire la motion la plus déplacée
& la plus déraifonnable. Si telle eft cependant
l'efpèce d'oppofition à laquelle le Ministère
doit s'attendre , j'ai trop bonne opinion de l'honnêteté
de la Chambre , pour que cette oppofition
me caufe la moindre inquiétude. Je crois que
les difpofitions des Miniftres du Roi , relativement
à l'Irlande , font fuffisamment connus . Je fuis intimement
perfuadé qu'ils perfilteront invariablement
dans les difpofitions qu'ils ont manifeſtées avant
d'être en place , & qu'ils employeront les moyens
les plus prompts & les plus efficaces , pour donner
à l'Irlande toute la fatisfaction qu'elle peut défirer.
La motion eft d'autant plus fingulière , qu'elle a
pour Auteur un des hommes qui jufqu'à préfent
ont le plus infifté fur l'unité des poffeffions Britanniques
, & qui ont cru devoir réfifter à toutes
les réclamations faites , tant par les Irlandois , que
par les Américains , pour obtenir la liberté , les
droits & les priviléges , dont la conftitution faifoit
pour eux un droit héréditaire . Si l'Adminiftration
dont M. Edens étoit Membre & Partiſan , cût
été auffi difpofée qu'il le paroît à admettre les prétentions
de l'Irlande , lorfqu'elles lui étoient préfentées
de la manière la plus refpectable , la Chambre
ne feroit pas aujourd'hui infultée par la motion
( 163 )
d'un de ces hommes qui ont conftamment fermé
l'oreille à toutes les requêtes qui leur étoient
adreffées , & qui ont refufé avec la même opiniâ.
treté de le prêter à ien de ce qui pouvoit être
agréable à l'Irlande. M. Edens elt parti en pofte
de Dublin , pour demander à la Chambre des
Communes la révocation de l'acte de la fixième
année de George I , & il a cru que fon devoir
l'obligeoit à faire cette démarche , quoiqu'il n'ait
point penfé qu'il l'obligeât à donner au Gouvernement
les moindres informations fur l'état où étoit
l'Irlande. Si fes anciens amis euffent eu la vingtième
partie de fon activité , s'ils euffent eu la vingtième
partie de la difpofition où il eft d'accorder
toutes les demandes de l'Irlande , nous n'éprouverions
pas l'embarras où nous nous trouvons. Si les
anciens Miniftres le fiffent prêtés à ces conceffions
dans un tems où ils pouvoient le faire de bonne
grace , s'ils avoient accordé au commerce de l'Ir
lande , une extenfion auffi conforme aux droits de
ce Royaume , que favorable aux intérêts de la G.
B. elle - même , dans un tems où cette extenfion étoit
demandée d'une manière décente , & s'ils avoient
enfin profité de cette occafion pour fixer la fituation
relative des deux Royaumes ; cet arrangement auroit
pu fe faire fans beaucoup de difficultés , & ils nous
auroient épargné des embarras qui peuvent entraîner
des conféquences funeftes . Mais ils n'ont jamais
porté leurs regards plus loin que le préfent. Ils
n'ont jamais fait de difpofitions pour l'avenir ; ils
n'ont jamais rien achevé , & M. Edens paroît avoir
confervé le même efprit . En effet , il veut ne faire
qu'une chofe fans fe donner le tems de confidérer ,
ni même , felon toutes les apparences , fans s'embarraffer
fi ce qu'il veut faire fuffit , fi c'eft tout
ce que les Irlandois demandent , & fi , lorfqu'ils
auront obtenu la révocation d'une partie de l'a &e
de la fixième année de George I. , ils ne croiront
( 164 )
dit
pas enfuise qu'on auroit dû pareillement révoquer
les autres parties de cet acte . Pour moi je fuis
fermement perfuadé que rien n'eft moins propre
mettre fin aux mécontentemens de l'Irlande ,
qu à rétablir la tranquillité dans ce Royaume . -
Au furplus , on peut être affuré que d'ici à quelques
jours , l'affaire fera préfentée à la Chambre
d'une manière régulière. Les Miniftres de S. M. ,
avant d'être en place , ont déclaré leurs fentimens
relativement aux prétentions de l'Irlande . Ils ont
que les restrictions auxquelles le commerce de
ce Royaume étoit affujetti , étoient auffi contraires
à la faine politique qu'à l'humanité ; que l'extenfion
de ce commerce feroit également avantageux
aux intérêts des deux Royaumes , & que d'ailleurs
cette condefcendance feroit ceffer le mécontentement
de l'Irlande fans caufer aucun préjudice à la G. B.,
dans les revenus ni dans fes prérogatives . On a
donc tout lieu de préfumer qu'ils agiront d'après
ces principes ; & en mon particulier , je puis affurer
la Chambre que perfonne n'eft plus difpofé que
moi à fatisfaire les Irlandois & à prévenir les fuites
fâcheufes de la divifion & du défordre . — M. Edens
a vanté le bonheur & le fuccès de l'adminiftration
du Lord Carliſle. Et ce bonheur , ce ſuccès , aboutif
fent à une motion du Secrétaire , pour réduire la
G. B. à une foumiffion fans réferve , & la mettre
aux pieds de l'Irlande ! Quel bonheur ! quel fuccès
!lorfqu'on voit ce méme Secrétaire , après s'être.
oppolé fans relâche à toutes les demandes de l'Ir
lande , prendre la pofte pour venir déclarer que fon
oppofition eft infructueufe , & qu'il faut adhérer à
toutes les prétentions de ce Royaume . Certainement ,
c'eſt le moquer que de vanter le bonheur & le fuccès
de l'adminiftration du Comte de Carliſle ; mais
en niant que ce Lord ait été heureux ; je ne prétends
nullement lui en faire un reproche. Tout le
blâme doit retomber fur les anciens Miniftres dont
( 165 )
la négligence , pour les affaires d'Irlande , faifoit
partie de cette infouciance générale qui étoit leur
caractère distinctif. J'ai toujours peufé que leur
adminiſtration avoit été , on ne peut plus funefte ,
aux intérêts de cet Empire ; mais , depuis quinze
jours , je me fuis procuré bien de nouveaux éclairciffemens
; j'ai tellement approfondi l'intérieur des
chofes , que mes conjectures font devenues une con
viction complette , & qu'à mon grand regret , je
trouve notre fituation réelle , beaucoup plus fâcheufé
encore que je ne me la figurois . Quelque mauvaife
idée que j'euffe des anciens Miniftres , je ne les
aurois jamais crus auffi négligens , auffi indifférens
pour tout ce qui concerne les intérêts de la Nation
Britannique. J'ofe croire que leurs fucceffeurs regarderont
comme un de leurs devoirs de faire un cableau
de l'état où ils on trouvé les affaires de ce
pays , & de le mettre fous les yeux du Parlement.
--
le
Lá Chambre voudra bien me pardonner cette
digreffion , qui d'ailleurs n'eft pas auffi déplacée
qu'on pourroit le préfumer , puifque la négligence
des affaires de l'Irlande eft une des fautes les plus
graves des Ex-Miniſtres . — J'oſe affurer , je le répète
, qu'on n'aura pas le même reproche à faire à
mes Collègues. Jé déclare encore que j'ai toujours
regardé comme une injuftice & comme une chicane
de vouloir réduire un pays à un état de fujétion &
gouverner d'une manière contraire à la volonté
& a l'epinion de fes habitans. J'ai toujours pensé ,
relativement à l'Amérique comme à 1 Irlande , que
ces pays ne pouvoient point & devoient encore
moins être gouvernés par des loix qu'ils rejettoient
comme anti-conftitutionnelles. Tout Gouvernement ,
pour être jufte , doit confifter dans la bonne volonté
, l'opinion & le confentement le plus parfait des
Peuples qui y font foumis : le meilleur & le plus
pur fyfteme de Gouvernement eft celui où l'on
trouve cette harmonie fans laquelle ce n'eft plus
( 166 )
un Gouvernement , mais une ufurpation. Tel a tou
jours été mon fentiment fur cet objet , & je l'ai
conftamment défendu contre toutes les théories
d'une Politique infidieufe , parce que c'eſt le feul
fyftême qui foit réellement pratiquable . C'eft cer
tainement auffi le plus conforme à la faine politi
que , ainfi qu'à la justice ? Avant de parvenir à la
réunion fi défiée entre la G. B. & l'Irlande , il faut
déterminer d'une manière précife , non pour un
moment , mais pour toujours , la fituation des deux
pays dans leurs rapports refpectifs , pour parvenir
à établir entr'eux une correfpondance qui affure à
jamais leur proférité. Or , c'eft un ouvrage qui
demande beaucoup de temps & de mûres délibérations
; car des intérêts aufli importans doivent être
difcutés par les deux Nations , afin que , de leur
confentement mutuel , on prenne les mesures nécef
faires pour guérir radicalement le mal , au lieu d'y
appliquer un palliatif momentané , comme ont fait
les derniers Miniflres . Lorfqu'ils ont accordé à l'Ir
lande une extenfion de commerce , ils auroient dû
en même-temps faire justice fur toutes les prétentions
, & terminer aink définitivement ce malheureux
procès. L'occafion étoit favorable ; ils l'ont manquée
, & c'eft une faute dont ils feront refponfables
envers leur pays. C'est donc à nous de fuppléer à
leur négligence , & la Chambre peut être affurée
que nous prendrons les mesures convenables pour
remplir cet objet . J'ai tout lieu d'efpérer que ces
moyens préviendront les conféquences fâcheufes
que M. Edens nous annonce , & qu'il s'eft efforcé
de réalifer par fa-conduite . Mais il faut néceffairement
que l'on accorde aux Miniftres un certain tems pour
préparer un travail de cette importance . En conféquence
, il defireroit que M. Edens retirât la motion.
M. Crew , mon ami , profiteroit de cette occafion
pour faire la motion d'un Bill que j'ai déja pro
pofé il y a quelques années , & dont l'objet eft de
( 167 )
"
déclarer les Officiers de l'Accife & des Douanes inhabiles
à voter dans les Elections ; car je puis affurer
la Chambre que les Miniftres ne fe donneront
pas un inftant de relâche , que le grand ouvrage
de réduire l'influence illégale de la Couronne &
d'établir la repréfentation du Peuple fur un pied
plus égal ne foit entièrement terminé «.
Le lendemain 9 , M. Fox apporta à la
Chambre un Meffage du Roi conçu en ces
termes :
» G. R. S. M. affligée d'apprendre qu'il s'eft élevé
parmi les loyaux fujets d'Irlande des inquiétudes
& des mécontentemens fur des matières d'un grand
poids & d'une grande importance , recommande
inftamment à cette Chambre de prendre cet objet
dans, la confidération la plus férieuſe & de la condaire
à des fins qui puiffent donner une fatisfaction
mutuelle aux deux Royaumes «.
ככ
Après la lecture de ce Meffage , on propofa
une Adreiſe de remerciemens qui pafa fans contradiction
. Le Lord Shelburne préſenta un pareil Meffage
à la Chambre haute , qui arrêta auflì des remercimens
au Roi.
Le refte de la féance du 9 fut rempli par l'expofé
que fit le Lord Avocat d'Ecoffe du travail du Comité
qu'il préfidoit fur les affaires de l'Inde.
- II -
s'agiffoit de rechercher les caufes de la guerre allu
mée dans le Carnate ; ce qui y porta la Chambre ,
fut la nouvelle qui fe répandoit de l'irruption
foudaine d'Hyder- Aly. Ce bruit confterna le Royau ,
me ; la confirmation fit donner de nouveaux ordres
au Comité ; fon travail a été long , & le compte
qui doit en être rendu le fera. Pour établir
quelqu'ordre dans la marche des évènemens , il
faut , dit le Lord Avocat , remonter à l'année 1765 ;
c'eft à cette époque que le Lord Clive y paffa pour
la feconde fois alors nous y poffédions les trois
--
( 168 )
#
provinces de Bengale , Bahar & Oriffa , les domai
nes de Sujah Dewish Le Lord Clive éloigné de
penfer qu'il fûr de la faine politique de conferver
de trop vaſtes territoires & d'y ajouter de nouvelles
conquêtes , rendit ces domaines à Sujah Dowlah :
il regardoit nos acquifitions dans l'Indoſtan , égales
à l'Empire Rufle en grandeur , comme fuffilantes
pour remplir toutes nos vues. Ce fyftême étoit
fage ; heureux fi on ne s'en fût pas écarté , lì en ſe
bornant à la défenfive on cût vécu en bonne intelligence
avec les Princes voisins , au lieu de chercher
à s'étendre à leurs dépens . L'ambition de la Com,
pagnie l'a perdue ; elle s'eft fait des ennemis de tous
les Princes , que fon intérêt étoit de ménager à
raifon de la proximité de leurs états , tels qu'Hyder-
Aly , le Nizam de Decan , tous les Chefs des Marates
, le Rajah de Berare, le Nabab d'Arcare, &c . Elle
a provoqué l'irruption d'Hyder ; le Nizam de Decam
n'eſt pas en guerre ouverte avec nous ; mais
on ne peut compter fur lui on l'a aliéné en ceffant
le paiement de fon tribut . D'un autre côté , on eſt
en guerre avec les Marates , qu'il falloit ménager.
Le Roi actuel , vrai zéro , vivant comme s'il n'exil
toit pas , eût pu ignorer nos intrigues avec Ragaboy,
s'il n'eût point eu de Miniftre . Ragaboy avoit
perfuadé à ceux qui adminiftroient nos affaires
qu'il les mettroit en poffeffion d'un objet qu'il
pourfuivoit pour fon compte , & il traitoit fous
main avec le Rajah de Berare , tabdis que de notre
côté nous traitions auffi avec lui , mais d'une manière
fi peu judicieufe , que le Gouvernement de
Bengale & le Préfide de Madras lui faifoient en
même-temps des propofitions on ne peut plus oppofées
pour le même objet. Le Rajah s'en apperçut
& ne voulut plus avoir d'affaire avec nous. Le
Miniftre Maratte qui en fat inftruit , ſe défia de
nous , & ce fut une première caufe de la guerre..
Quant au Nabab d'Arcate & au Rajah de Tanjaour ,
2
On
( 169 )
on voit , par les lettres de Sir Eyre Coote , qu'ils ne
peuvent nous rendre aucun fervice ; lorfqu'on leur
demanda des troupes & du grain , ils n'en avoient
point , & Hyder entroit dans leurs Etats. Il eft clair
que nous avons dans l'Inde , comme en Europe
beaucoup d'ennemis puiffans , & pas un allié . Nos
finances y font épuilées , Bombay n'a pas , à beaucoup
près , les revenus fuffifans pour foutenir les
établiffemens civils & militaires. En général , je
doute qu'aucune poffeffion dans les parties occiden
tales de l'Inde , méritent d'être confervées , & à plus
forte raiſon , d'être acquifes. Je conviens que , comme
Puiffance maritime , nous avons befoin de Bombay
puifqu'en certaines faifons de l'année il offre un afyle
a nos forces navales & à notre commerce ; mais il
faudroit fe borner à s'allurer la poffeffion de cet afyle ,
fans chercher à en étendre les dépendances par des
mouvemens militaires qui inquiètent les Princes
voifins & nous attirent leur haine. Les revenus de
Madras font auffi infuffifans ; dans le cours de 8 ans
de paix , fon tréfor a eu bien de la peine à épargner
41,000 liv . ft. Le Bengale , la plus riche & la plus
fertile de nos poffeflions , eſt épuisé par la guerre des
Marattes ; il ne nous fait plus de remifes ; il ne peut
même acquitter fes dettes. On ne peut affigner les
caufes de cette guerre ruineufe ; on ne peut que les
conjecturer ; elles font d'abord dans les intrigues
mal-adroites dont je viens de parler ; peut- être aufli
le Préfide de Bombay qui l'a commencée , ne s'y
eft embarqué que pour y embarquer aufh Bergale &
Madras , qui ne pouvoient fe difpenfer dele foutenir.
Il réfulte de tout ceci , qu'il y a eu de la folie à
s'écarter du fyftême du Lord Clive ; qu'il feroit fage
d'y revenir le plutôt poffible ; qu'on a coru après le
preftige des exploits militaires , en expofant fes
avantages folides du commerce. Le Gouverneur
Haftings , par exemple , eft un brave Officier , il a
rendu quelquefois de grands fervices à la Compagnie ;
27 Avril 1782.
-
h
( 170 )
mais il étoit commis par elle , il devoit ſuivre fes
inftructions , & ne pas le figurer qu'il étoit un
Alexandre. Les abus de toute espèce fourmillent
dans l'Inde . Il y a des milliers de règlemens preffans
à propofer pour les détruire. On eft révolté , en
voyant dans les pièces foumifes à la confidération
du Comité fecret , que les Indiens ont été pillés par
ceux mêmes à qui l'on en avoit confié la protection ;
que ceux chargés de fixer les limites , exigeoient des
Zemindars , en forme de préfens , des fommes exer.
bitantes & c. Auffi tout annonce- t- il que nous fommes
détestés dans l'Inde , qu'on nous y regarde comme
un peuple fans foi , fans égard pour les traités les
plus facrés. Ce qu'il y a de plus trifte , c'eft que cette
averfion n'eft point une affaire deprévention aveugle ,
& que nous l'avons bien méritée,
Le Lord Avocat d'Ecoffe après ce tableau
fombre ajouta qu'il efpéroit que le fuccès
de nos armes en débruniroit un peu le coloris
, & que fi le Parlement adoptoit les
mefures qu'il avoit à propofer , on rétabliroit
un peu l'ancien éclat de la Nation dans
ce pays. Ces objets ont été l'objet de la
féance d'hief , qui nous fournira encore
quelques détails fur l'Inde ; en attendant
nous placerons ici le nouveau Meffage du
Roi , préfenté hier par M. Fox à la Chambre
des Communes.
» G. R. S. M. prenant en confidération les fubfides
qui ont été accordés avec tant de libéralité & fupportés
par fon peuple , dans le cours de la guerre
préfente , recommande à cette Chambre la confidération
d'un plan efficace d'économie dans toutes les
branches de dépenfe publique , objet important dans
lequel S. M. a pris en confidération actuelle , la réforme
& le règlement de fon établiſſement civil ,
( 171 )
qu'elle fera dans peu de tems communiquer à cette
Chambre , dont elle defire l'affiftance pour le mettre
pleinement à exécution. S. M. n'a point de réſerve
avec fon peuple, fur l'affection duquel elle fe repofe ,
le regardant avec la confiance la plus affurée , comme
le meilleur appui du véritable honneur & de la dignité
de la couronne & de fon Gouvernement . Comme
jufqu'à préfent , dans toutes les occafions , il a été
fa reffource , elle le regarde comme la sûreté la plus
ftable & la plus folide, pour pourvoir honorable ment
à ce qui peut être néceffaire à fa perfonne & à la
famille "
M. Burke ne manqua pas de faifir cette
occafion de féliciter la Chambre & le
Royaume fur l'heureufe époque où le Roi
affranchi des confeils dangereux , qui élevoient
, pour ainfi dire , une barrière entre
lui & fon peuple , fe livrant enfin
aux vertus douces & à la bienfaifance de
fon coeur , pouvoit en parler le langage
pur & touchant. Il finit par propofer une
adreffe de remercimens , qui fut arrêtée ,
& M. Fox annonça , pour la femaine
prochaine , le plan économique qu'on
devoit préfenter au Parlement.
Toutes ces opérations du nouveau Miniftère
infpirent beaucoup de confiance à
la Nation ; mais il faut voir fi tout cela
fe foutiendra ; en attendant , les enthouſiaftes
ne perdent aucune occafion d'exalter
ce qu'il a fait , & les efpérances qu'ils en
conçoivent pour l'avenir. Elles ne fauroient
être plus brillantes ; mais eft-il aifé de les
réalifer toutes ? c'eft le temps qui mettra
en état de juger.
h2'
( 172 )
- Ils en ont entamé une
-
» Il n'y a pas encore is jours que la nouvelle
Adminiftration exifte , & nous avons déja le plaifir de
voir les grands objets nationaux ci-après indiqués,
entamés avec tant de fuccès , qu'il n'est guère poffi
ble de douter qu'ils n'aient finalement la plus heureufe
réutfite . Ils ont ouvert une négociation à
T'effet de terminer par un traité fé , aré la malheu.
reufe querelle qui s'eft élevée entre nous & nos
concitoyens d'Amérique ,
feconde pour conclure une paix fé, arte avec la
Hollande. Ils en ont ouvert une troisième pour
calmer les mécontentemens de l'Irlande , & déter
miner finalement la conftitution de ce Royaume .
Ils ont formé un plan pour rétablir la paix dans les
Indes Orientales , & nous affurer la propriété des
vaftes territoires que nous y poflédons , en -y renouant
nos liaiſons avec les Puiffances du Pays , &
en y établiſſant un fyftême de Gouvernement juste
& honorable . Ils ont déja fait quelque progrès
dans le projet conftitutionnel de diminuer l'influence
de la Couronne , en préfentant un bill à l'effet d'ôter
aux Employés des Douanes le droit de voter dans les
élections Parlementaires , en réduifant les émolumens
exorbitans attachés à divers emplois , & en
s'abſtenant de nommer de nouveaux Préposés aux
Bureaux du commerce du drap verd , des ouvrages ,
des monnoies , de la police d'Ecoffe , & autres qui
font à la-fois inutiles , difpendieux & à charge au
Public. Ils ont rendu au fervice de leur
grands & dignes Officiers dans lefquels nos flottes
& nos armées ont confiance , & qui jouiffent de l'a-
-mour & du respect de la nation . Ils font entrés
en négociation pour conclure des alliances fur le
continent avec les anciens amis de la G. B. Ils ont
rapproché le Souverain de fon peuple ; & en développanit
clairement un fyftême public , ont amené
aux pieds du trône les fujets fidèles de Sa Majesté ,
avec des témoignages de leur reconnoiffance & de
-
pays , ces
( 173 )
T'approbation qu'ils donnent à fon Gouvernement.
Enfin , ils ont formé un plan de campagne active
& offenfive , au moyen duquel toutes les forces de
ce Pays' feront lancées & employées fur l'élément
qui leur eft propre ; non pour être dirigées contre
nos amis ou contre des fujets de l'Empire , mais
contre les ennemis anciens , conftaus & naturels de
l'Angleterre «<
FRANCE.
De VERSAILLES , le 23 Avril.
LE 14 de ce mois le Roi & la Famille
Royale fignèrent le contrat de mariage du
Comte de Chinon , avec Mademoiſelle de
Rochechouart ; celui du Comte Guife-
Levis , Capitaine au Régiment de Colonel-
Général de l'Infanterie Françoile & étrangère
, avec Mademoiſelle de Levis ; celui
du Comte de Narbonne , Colonel en fecond
du Régiment d'Angoumois , avec Mademoifelle
de Montholon ; & celui du Vis
comte de Carifis , Capitaine de Cavalerie
au Régiment Royal , avec Mademoiſelle de
Lornefail.
Le même jour la Princeffe de Revel , la
Marquile de Boiffe , & la Marquife de
Lombelon des Effarts , eurent l'honneur
d'être préfentées à L. M. & à la Famille
Royale , par la Maréchale de Broglie , la
Vicomtelle de Boiffe & la Comteffe de
Mailly.
Le Marquis de Pons , ci devant Miniſtre
plénipotentiaire du Roi près S. M. Prufh3
( 174 )
henne , & nommé Ambaffadeur en Suède ,
de retour par congé , eut l'honneur d'être
préfenté le même jour au Roi par le Miniftre
des affaires étrangères.
Le Chevalier de Monteil , Chef- d'efcadre
, que fa fanté a forcé de revenir après
l'expédition de St-Chriftophe , eut l'honneur
d'être préfenté le 4 de ce mois au Roi
par le Miniftre de la Marine ; le Chevalier
d'Eftourmel préſenté au Roi par le même
Miniftre , eut l'honneur de prendre congé
de S. M. pour aller à Malte commander
une galère de la religion .
De PARIS, le 23 Avril.
DEPUIS l'arrivée à Nantes de l'Argus
bâtiment d'avis , expédié de l'ifle de France
le 21 Décembre dernier , on dit qu'il en
mouillé dans le même port un fecond
qui confirme toutes les nouvelles apportées
par le premier ; il ajoute qu'Hyder- Aly
a enlevé Arcate aux Anglois , & que delà ,
il empêche Madras de tirer aucune fubfiftance
des environs.
, Les lettres reçues de la Martinique
donnent la lifte fuivante des bâtimens pris
par M. de Kerfaint dans fon expédition de
Démérary & d'Effequibo . Ce font le Roebuck
de 44 canons , la Barboude de 24 , le Stormont
, de 18 , le Rodney de 13 , le Sylphe
cutter de 12 , le Henri , avifo qu'il a expédié
pour porter à Fort- Royal la nouvelle
( 175 )
de fa conquête , & 11 bâtimens de com
merce.
Les mêmes lettres , en confirmant l'arrivée
du convoi de Marſeille à Fort- Royal
où il a mouillé le 14 Février , ajoutent
qu'il étoit compofé des bâtimens ſuivans ;
le Neptune , le Saint - Nicolas , la Sainte-
Victoire , la Florine , les Deux Frères , les
Trois- Soeurs , la Marie , la Ménagère , la
Ciotat , le Hardi , l'Elifabeth , l'Oifeau , le
Triton , le Triumvirat , l'Induftrie , le Télémaque
, l'Augufte , l'Heureufe - Madeleine ,
le Pactole , la Marie- Antoinette la Secrette
, le Dauphin
le Dauphin , en tout 22 bâtimens.
dont 14 pour le compte du Roi , & 8 pour
celui du commerce.
,
On a appris , par un autre bâtiment , la
nouvelle de la prife, de l'Ifle Angloife du
Mont- Sarrat , par une divifion de l'efcadre du
Roi aux ordres du Comte de Barras , ayant
à bord un détachement de soo hommes ,
commandés par le Comte de Flechin. Cette
Ifle , dont ils fe font emparés après celle de
St -Christophe & de Nevis , a capitulé le
22 Février dernier .
La polacre de Marfeille la Victoire , écrit-on
de Bayonne , Capitaine du Moulin , partie de Saint-
Domingue treize jours après le convoi , eft arrivée
à Cadix. Ce bâtiment a échappé à deux frégates
Angloifes d'une manière fort adroite : la nuit & un
peu de mer avoient empêché ces frégates de l'amariner
; elles le tenoient fous leur canon à la vue de
fon fanal qu'elles l'avoient forcé d'allumer. Le
Capitaine de la polacre , profitant de l'obscurité
h 4
( 176 )
fit mettre dans la nuit fa chaloupe à la mer la
mâta , fit mettre le fanal as haut dù mât , & l'abandonnant
enfuite fit fauffe route & fe trouva au point
du jour hors de la vue de l'ennemi « .
La tempête que l'on a effuyée fur les
côtes d'Espagne , & qui a été funefte au
convoi forti de Cadix le zo du mois dernier
, en le difperfant , ne l'a pas été moins
aux croifeurs Eſpagnols .
Elle a fait , difent quelques lettres , aborder
deux frégates qui fe font confidérablement endommag
es. La Sainte - Catherine , autre frégate de
30 canons , avoit été plus malheureufe quelques
jours auparavant : furprife par deux frégates ennemies
, dont Pune lui étoit bien fupérieure , elle
perdit fon gouvernail à la première bordée : eile
réfilta cependant durant quatre heures , & ne fe
rendit qu'à la dernière extrémité. Il faut qu'elle fût
bien maltraitée , puifque les ennemis furent obligés
de labandonner & d'y mettre le feu «.
Çes détails difculpent D. Michel Talon ,
Capirnine de la Sainte- Catherine , des imputations
du Capitaine Anglois qui l'a
combatu , & qui lui reproche d'avoir fouvent
tiré fes canons du bord oppofé à
l'ennemi , & de ne lui avoir tué qu'un
feul homine , tandis que l'Eſpagnol en perdit
35. Son gouvernail une fois emporté , il
étoit à la merci de l'ennemi , & ne pouvoit
Alotter qu'au gré du vent & des vagues.
Cependant ayant tenu quatre heures dans
cette fituation , fa défenſe méritoit , ſi ſon
ennemi avoit été généreux , une mention.
plus décente & plus honorable.
On a appris par un Courier du Cabinet ,
( 177 )
parti de Madrid le 9 , que le Duc de Crillon
y arriva le 7 , & qu'il fe rendit fur- le- champ
à Aranjuez où, étoit la Cour. Dès qu'il eur
baifé la main du Roi , S. M. lui dit :
» Je vous ai fait Capitaine - Général , en vous
donnant un grade militaire , comme à tous les
autres Officiers qui m'ont fervi. Mais je me fuis
réservé le plaifir de vous dire moi- même que je
vous fais Grand. C'est une vieille dette de mes
ancêtres envers les vôtres , pour les bons fervices
qu'ils leur ont toujours rendus , & une vraie fatiffaction
pour moi de vous la payer en confidération
de ceux que vous venez de me rendre «<,
Voilà fans contredit la récompenfe la
plus honorable & la plus flatteufe par la
manière dont elle a été accordée , que le
Duc de Crillon pût défirer.
"
On favoit le 9 que ce Général ne s'arrêteroit
que 10 à 12 jours à la Cour , &
qu'il fe rendroit au camp de St-Roch , accompagné
de M. d'Arçon ; ainfi quoique fa
nomination ne foit pas publique , il paroît
qu'il a été décidément choifi pour être Chef
de l'expédition contre Gibraltar , & que le
plan de M. d'Arçon a été adopté .
On dit qu'il y avoit un grand nombre
'de projets préfentés à la Cour depuis 15
ans pour le fiége de Gibraltar ; on en avoit
diftingué 4 , celui de M. de Valliere , celui
de M. Gauthier , Conftructeur à Cadix , un
troisième du Directeur du Génie , & le
quatrième de l'Ingénieur en Chef du Camp
de St- Roch. M. d'Arçon eft venu en donner
>
hs
( 178 )
un cinquième ; il paroît avoir été adopté ,
parce que compofé d'après les quatre autres
, il réunit tous les avantages qu'ils
préfentent féparément . S'il faut en croire
plufieurs lettres d'Efpagne , ce fiége ne fera
pas long ; 15 jours fuffiront pour décider
fi ce boulevart doit fuccomber ou non ,
telle eft , dit-on , du moins l'opinion de
l'auteur du projet.
La tempête qu'on a effuyée le 2 & le 3 de ce mois
fur nos côtes a tellement maltraité la flotte Angloife
de la Jamaïque dans la Manché , que depuis
le Havre jufqu'à Dunkerque , on compte plus de
quarante navires qui fe font brifés fur nos côtes ,
& aux équipages de quels on n'a pu donner aucun
fecours , tant la marée étoit haute. On dit que le
Commandant de Dunkerque a écrit à cette occafion :
Les vagues ont jerté ces deux jours fur notre
rivage , tant d'ancres & de cordages , qu'on peut
en approvifionner facilement les huit cutters que le
Roi fait conftruire ici à fes frais ". Cette malheureufe
forte qui avoit échappé à une eſcadre
Efpagnole de la Havane , rentrée dans le port deux
jours trop tôt , mais à qui une ftégáte Américaine
enleva cependant cinq navires , & une fiégate Françoife
deux autres , paroît avoir été deſtinée à n'arriver
jamais dans les ports de la G B. La frégate
qui lui ravit ces deux derniers bâtimens revenoit
de la Vera-Crux , où elle avoit été prendre un
million de fiaftres.
Le corfaire de Boulogne la Comteffe d'Havré
eft entré à Dunkerque le 6 de ce mois
ayant à bord des orages pour 700 guinées de
sançon. Le corfaire lougre la Fantaifie de
( 179 )
Dunkerque , y eft rentré le 9 avec une priſe
chargée d'étoffes & des ôtages pour 850
guinées, Ce corfaire a fait une autre prife
que le mauvais tems a forcé de relâcher à
Oftende. Le corfaire la Bernardine a dépofé
le 6 de ce mois à Morlaix un ôtage de rançon
de 650 guinées qu'il a pris le 25 Mars , à
bord du navire Anglois la Charlotte de
Newbury. Lebricq Anglois l'OEuvre-des Amis
de 70 canons , parti de Douvres pour Exé--
ter avec un chargement de laines en balles ,
a été pris le 8 de ce mois par le corfaire
de Dunkerque l'Aigle , & il eft entré le 10
à Cherbourg. Le corfaire le Fleffinguois de
Fleffingue s'eft emparé fous Beveziers , le
13 de ce mois , du bricq Anglois le Hoop
d'environ 180 tonneaux , qu'il a conduit
au Havre où il eft rentré le lendemain.
Ce qui vient de fe paffer dans cette Ville ,
lit-on dans une lettre de Genève du 17 de ce mois ,
achevera de diffiper vos doutes , s'il vous en reftoir
encore fur les véritables auteurs des maux qui
la défolent. Le 18 Mars dernier les Citoyens &
Bourgeois Repréfentans firent une repréſentation au
Petit-Confeil , pour demander que l'Edit concer
nant les natifs fût exécuté. Cet Edit fut fait le 10
Février 1791. A cette époque les Représentans
éroient, en armes depuis plufieurs jours , maîtres des
portes de la Viile , du Corps - de- Garde de la Maiſon
de Ville , & ils avoient différens autres poftes où ils
montoient la garde . - L'Edit de 1738 que les deux
Partis prétendent également refpecter , perte ce qui
fuit : Art. 18, -◄ 33 Lorfque le Confeil général fera
h : 6
( 180 ).
--
affemblé, aucune Garde bourgeoife ne pourra
» être employée a x portes du Temple , ni à la
» place de la Maifon de Ville « . — Sans autre difcuffion
, il eft évident que le Petit- Con'eil n'avoit
pas le droit de légitimer un Elit fait contre les
formes prefcrites par la Loi reconnue fondamentale
par les deux Partis ; mais fi le Petit Confeil ,
par l'abandon de fes droits & au mépris de ceux
du Confeil du 200 , avoit voulu obéir à cette repréfentation
, le pouvoit il après la note qui lui fut
remife le 13 Mai 1781 , de la part des Cantons
de Z ric & de Berne , & de la part du Roi le 28 Mai
fuivant? Cette note déclare que les Souverains refpectifs
regardent comme illégitime l'Edit du 10
Fvrier , & toute réquifition faite pour l'accompliſfement
de cet acte , comme effentiellement contraire
au règlement de 1738. Dans cet état des chofes
que pouvoit faire le Confeil fur la représentation
da 8 Mai , que perfévérer dans le refus d'exécuter
un acte illégal & exhorter les Citoyens & Bourgeois
à réfléchir fur les maux & les périls auxquels ils
expofoient leur patrie. C'est ce qu'ils ont fait par leur
réponſe remife aux Citoyens & Bourgeois le Dimanche
7 Avril . Ceux-ci ont pris les armes le lendemain
8 Avril , ils ont attaqué & furpris la garnifon qui
étoit aux porres de la Ville , ils s'en font emparés ;
ils ont emprisonné & p : is fous leur propre garde
25 de leurs Concitoyens ; ils ont été enlever dans la
Chambre même du Confeil ceux de fes Membres
qu'ils vouloient arrêter. Le Mardi 9 , ils ont demandé
la diffolution du Gouvernement. Le 10 , ils
l'ont exécutée. Je ne vous fais aucun détail des horreurs
particulières qui fe font paffées , mais l'établiffement
qu'on vient de faire d'une Commiffion
militaire , me donne une jufte frayer d'en avoir
de légales on d'illégales , à vous mander bientôt ,.fi
la puiſſance bienfaitrice à laquelle Genève doit fon
1
( 181 )
éxiftence , fa liberté & fes richeffés , ne nous accorde
enfin une protection folemnellement promife par la
lettre ministérielle du 28 Septembre dernier «.
Le College Royal de Médecine de Nancy
vient de propofer un Prix au concours fur
un objet de Chymie diététique très utile à
la fanté des hommes. Il s'agit de réfoudre
les queftions fuivantes.
Première claffe. Quelles font dans les eaux de
neige & de glace , dans celles des fols crayeux &
gypfeux, les qualités qui conftituent effentiellement
leur infalubrité ? Quels rapports & quelles différences
y a-t-il entre ces quatre fortes d'eaux douces ,
relativement à leur compofition chymique & à leurs
effers diététiques ? Pourquoi toutes les eaux qui
contiennent de la craie ou du gypfe , pourquoi celles
qui proviennent des neiges & des glaces fondues ne
font- elles pas mal- faines ? Pourquoi les deux premières
, fi différentes à plufieurs égards des deux
autres , produilent- elles des effets analogues ? -
Seconde claffe. Quel eft le degré de leur influence ,
ou commune ou relative , dans la production de
certaines maladies populaires ou en lémiques , & notamment
des gouétreufes , écrouelleufes & rachitiques
? Cette influence exifte -t - elle aufli pour la claſſe
des affections calculeufes & goutteufes ? Peut-on
découvrir par-là quelqu'analogie , quelque dépen
dance entre les altérations du fyftême glanduleux ,
lymphatique , & ceux du fyftême offeux & articulaire
? L'impreffion mal- faifante de ces différentes
eaux potables , s'exerce - t- elle dans le travail de la
chilification ou bien dans celui des fécrétions , foit
muqueufes & nutritives , foit terreufes & excrémentitielles
? Comme il eft difficile que les Savans
qui voudront avoir part à ce concours intéreffant
fe trouvent à portée d'examiner les différentes efpèces
d'eaux defignées , & d'en obferver les effets
( 182 )
fur le peuple , on admettra les Mémoires qui ne
traiteront que d'une feule eſpèce d'eau , ou de plu
fieurs dans le même continent . On diftribuera autant
de médailles de la valeur de 100 écus chacune qu'il
y aura d'Ouvrages dignes de les obtenir , au jugement
des Commiſſaires nommés par le Collége
Royal. Les Mémoires feront envoyés , francs de
port ,‚ à M. Harmand , Préfident du Collège Royal
des Médecins , à Nanci . Ils feront rendus pour
le premier Mai 1784 , & le Prix fera proclamé
à la rentrée de la Saint Martin fuivante.
Il n'y a point d'objet plus important que
l'éducation ; il y a peu de fiècles où l'on
s'en fait plus occupé que de nos jours ;
on ne fauroit trop applaudir au zèle qui
s'occupe à fimplifier les méthodes d'inftruction
, & à faire gagner aux élèves autant de
tems qu'on en fait perdre en fuivant la coutume
ordinaire. Nous avons annoncé déja
un plan bien intéreffant fur cet objet . L'expérience
en a démontré tous les jours les
avantages & les fuccès à fon Auteur , &
c'eft un titre pour le propofer de nouveau.
» Un homme de Lettres qui s'occupe depuis pluhieurs
années des moyens de fimplifier & d'abréger
l'étude des Langues , affuré par une heureufe expérience
du fuccès de les recherches , fe propofe de
confacrer fon tems à l'éducation de quelques jeunes
gens , qui , avec le defir & la volonté de s'inftruire ,
fe trouveroient par leur âge hors d'état de parcourir
la carrière ordinaire. Cet âge eft depuis quinze ,
jufqu'à vingt ans & même davantage . fls fauront
dans l'espace de deux années , ce qu'ils auroient pu
apprendre dans un Collége dont ils auroient fuivi
les exercices tout le tems prefcrit par l'uſage. Pour
( 183 )
lever tous les doutes que cette propofition peut faire
naître , le Contractant jaloux d'aflurer la confiance
plus folidement que par des promeffes , prévient
qu'il n'entend recevoir le fruit de fon travail , qu'après
avoir rempli les conditions auxquelles il fe fera
foumis : toutefois ces conditions n'auront lieu que
dans le courant des trois premiers mois , attendu
que pour en eftimer la poffibilité , il faut connoître
les difpofitions des fujets. Les perfonnes qui
defireront traiter , foit de vive veis , foit par écrit ,
font priées de s'adreffer à M. Taillandier , Avocat ,
rue Pavée S. André-des -Arts à Paris . Le prix de
la penfion annuelle fera de 1200 liv. Ceux des
parens de la Capitale dont les enfans feroient fufceptibles
d'avancement , pourront traiter au pied des
conditions ci-deffus énoncées , & profiter des avantages
qui en font le réfultat . On croit à propos de
s'expliquer à ce füjet fur deux articles effentiels . Le
premier , c'eft qu'on ne fe chargeroit point volon
tiers , à quelque prix que ce fûr , d'enfans qui auroient
été promenés infructueulement de Colleges
en Colleges pendant plufieurs années. Le fecond ,
que les Elèves tant externes que penfionnaires , ne
feront jamais plus de 7 ou 8 , parce qu'un plus grand
nombre nuiroit à l'exécution du plan qu'on s'eft
tracé fur cet objet utile «.
Le Parlement de Paris jugea le 21 du
mois dernier une caufe très-intéreffante ;
celle de la fubftitution Pompadour.
» Madame la Marquife de Pompadour avoir ,
par fon teftament , inftitué M. le Marquis de Marigny
fon frère , fon légataire univerfel , & en cas de
mort de fon frère fans enfans , elle avoit déclaré
mettre en fon lies & place M. Poiſſon de Malvoifin
& fes enfans. Elle avoit aufli par un codicile pof.
térieur fondé une ſubſtitution de la Terre , Marquifat-
Pairie de Menars , qu'elle venoit récemment
( 184 )
d'acheter , en faveur des enfans de M. le Marquis de
Marigny, & en cas de mort de fon frère fans enfaus
elle avoit déclaré également mettre en fon lieu &
place M. Poiffon de Malvoifin & fes enfans . Au
décès de Madame de Pompadour , le 16 Aviil 1764,
M. le Marquis de Marigny avoit d'abord été perfuadé
de la fubftitution portée dans le teftament &
codicile en faveur de la famille de M. de Malvoifin ;
' mais enfuite fatigué de l'idée d'une fubftitution
qui gêuoit fa jouiffance de l'immenfe fubftitution ,
tant en riche mobilier qu'en immeuble qu'il recueilloit
, il s'eft occupé du foin d'en faire prononcer la
main-levée. M. de Malvoifin voyant M. le Marquis
de Mariguy dans la force de l'âge , & dans le cas
d'avoir des enfans , n'avoit qu'une perfpective trèséloignée
& très -incertaine de la fubftitution à laquelle
il étoit appellé . Il a mieux aimé le ménager
la bienveillance de M. de Marigny dont le crédit
pouvoit lui être fort utile , en n'oppofant qu'une
foible réfiftance à fes defirs . Sentence & Arrêt rendu
en 1766 avoient déclaré M. de Marigny propriétaire
libre du montant de fon legs univerfel , fans charge
de fubftitution . M. de Marigny étant mort fans
enfans au mois de Mai de l'année dernière , M. de
Malvoifin a fait prendre au nom de fon fils mineur ,
des Lettres de Requêtes civiles contre l'Arrêt de
1766 , & Madame fa fille , Madame la Comtelle de
la Galilonniere , a demandé à être reçue tiers - oppofante
à ce même Arrêt, dans lequel , quoique Partie
intéreflée comme appellée à la fubftitution , elle
n'avoit pas été Partie , & faifant droit for fon oppofition,
à être envoyée en poffeffion dès - à- préfent pour
fa part dans la fubftitution . Cette canfe intéreffante
par l'objet qui étoit d'environ dix-huis cents mille
livres , & par la qualité des Parties , les héritiers de
M. de Marigny d'une part , & M. de Malvoifin &
Madame la Comteffe de la Galiffonniere d'autre
.
( 185 )
3
part , a été jugée le 21. L'Arrêt a entériné les Lettres
de Requêtes civiles, prifes par le mineur de Malvoisin
contre l'Arrêt de 1766 , & remis à fon égard les
Parties au même & femblable état qu'elles étoient
avant l'Arrêt, & a reçu Madame la Comteffe de la
Galiffonniere tiers - oppolante au même Arrêt ; faifant
droit fur fon oppofition l'a envoyé , dès - à - préfent
, en poffeffion de fa part dans les bicns qui compofoient
la fubftitution , tant en meubles qu'immeubles
, au moment du décès de Madame de
Pompadour « .
Il paroît une feconde édition de l'Ami
des Enfans , par M. Berquin ; les perfonnes
qui ont deffein de foufcrire pour cet Ouvrage
& auxquelles on ne pouvoit fournir
les trois premiers volumes , font prévenues
que la réimpreffion en eft achevée , & que
les Libraires font en état de les leur livrer
( 1 ).
Le Prince Camille Louis de Lorraine-
Marfan , Sire de Pons , Prince de Mortagne
, &c. Chevalier des Ordres du Roi ,
Lieutenant- Général de fes Armées , Gouverneur
& Lieutenant- Général du pays &
Comté de Provence , Guverneur des villes
d'Arles , Marfeille & Toulon , eft mort le
12 de ce mois âgé de 56 ans .
( 1) On les trouve chez Piffot & Barrois , Quai des
Auguftins. Le prix de la foufcription eft de 13 liv. 4 f.
pour Paris , & de 16 liv. 4 f. pour la Province . On peut
fe procurer chez les mêmes Libraires , la Collection
intéreffarte des Auteurs Anglois , & les premiets volumes
de celle des Auteurs Italiens.
( 186 )
Louis- Marie d'Aumont , Duc d'Aumont ,
Pair de France , premier Gentilhomme de
la Chambre du Roi , Chevalier de fes Ordres
, Lieutenant- Général des Armées de
S. M. , Gouverneur de Boulogne & pays
Boulonois , Gouverneur & Grand- Bailli de
la ville de Chauny en Picardie , né le 29
Août 1709 , eft mort le 14 de ce mois.
Armand- François , Comte de Durfort-
Boiffiere , eft mort à Cahors en Quercy
âgé de 75 ans .
Gabrielle de la Roche du Ronzet , Abbeffe
de l'Eclache , eft morte le 9 de ce
mois âgée de 90 ans. Elle étoit Abbeffe depuis
1719 .
Les numéros fortis au tirage de la Loterie
Royale de France du 16 de ce mois , font :
48 , 14 , 72 , 35 & 28.
De BRUXELLES , le 23 Avril.
1
Nous avons des lettres de Vienne , en
date du 9 de ce mois , où l'on lit les détails
fuivans.
» Le Pape jouit d'une parfaite fanté , & ſon ſéjour
ici paroît lui être fort agréable. Les témoignages
d'attachement & de refpect qu'il reçoit de la Cour
Impériale , le concours des Fidèles , qui des extré
mirés de la Bavière , de la Bohême , de la Mora
vie , &c . viennent pour recevoir ſa bénédiction , ne
peuvent que lui être agréables & le confoler des fatigues
d'un voyage qu'il n'a entrepris que pour l'édifi(
187 )
cation de l'Eglife. On pourra fe former une idée
de l'étonnante quantité d'étrangers que la préfence
du S. Père attire dans cette Capitale , lorfqu'on faura
que nos Boulangers n'ont pas pu fuffire à fournir du
pain à cette multitude , & qu'il a fallu en appeller des
endroits voifins . Le Pape le préfente fouvent fur fon
balcon pour bénir le peuple ; & le Dimanche 7 , il fut
obligé de paroître jufqu'à 7 fois pour donner la
bénédiction à la foule fans ceffe renaillante. Les
conférences particulières avec l'Empereur avoient
été interrompues , à caufe d'une légère indifpofition
de S. M. I. , elles reprirent le 8 ; nous en faurons un
jour le réfultat « .
La démolition des fortifications des
places fortes de ces Provinces , s'exécu
te avec beaucoup de diligence & le
terrein où le trouvèrent les fortifications
de Charleroi , a été vendu 1 50,000 florins.
Six Provinces ont déja confenti à
reconnoître M. Adams en qualité de Miniftre
Plénipotentiaire des Etats - Unis de
l'Amérique feptentrionale ; il n'y a plus
que celle de Gueldres qui ne fe foit point encore
déclarée & qui a été requise
de le faire le plutôt qu'il fera pollible.
,
Il circule dans le public une lettre du
Baron de Capelle à M. Levingſton , Gou .
verneur & Capitaine- Général de la Nouvelle
Jerſey. Cette lettre , écrite le 6 Juillet
1779 , eft très- curieufe dans la circonf
tance préfente ; on y voit que dès ce tems ,
( 188 )
M. Capellen avoit prévu tout ce qui
arrive maintenant.
:

» Il eft fâcheux qu'au moment où l'Eſpagne : fe
déclare il n'y ait aucune négociation d'entamée . Les
efprits font dans une fermentation qui ceffera peutêtre
ou d'elle - même , ou par quelque léger avantage
des Anglois , ou même parce qu'ils n'opéreront
rien. Dans l'efprit de bien des gens , le crédit de
l'Angleterre chancelle & celui de l'Amétique fé
fortifie d'où il réfulte que le tems d'entamer une
négociation eft arrivé . A peine une a-t-elle paffé
le pont , dit le proverbe Hollandois , que les autres
fuivent. Tout l'art confifte à le lui faire paffer.
S'il m'eft permis de dire mon avis ( fauf correct on ) ,
le Congrès feroit bien d'envoyer ici & plutôt que
plus tard , un homme diftingué & d'intelligence qui
veillat à fes affaires. Il n'eft pas encore tems d'accueillir
un Miniftre public des Treize - Etats - Unis.
La République , à ce que je crois , ne le fera jamais ,
à moins qu'elle ne foit en guerre avec la Grande-
Bretagne , ou que cette Puillance , pour obtenir la
paix , re reconnoiffe l'indépendance de l'Amérique.
Toutefois , il eft néceffaire , ce me femble , que la
perfonne que le Congrès deftine ou deftinera à devenir
un jour fon Miniftre dans ces Provinces , s'y
rende d'abord , y garde l'incognito , & féjournant
comme particulier , s'inftrife de la langue & des
ufages du Pays , & , ce qui eft de la plus grande
importance , falle , à l'exemple du Chevalier Yo ke ,
des connoiffances , des lia fons , fans perdre un mo .
ment de vue les affaires de l'Amérique , jufqu'à ce
que le tems foit venu de déployer fon caractere
public : époque qui ne peut abfolument pas être
fort éloignée , puifqu'il n'eft pas concevable
que la
Grande- Bretagne puille fontenir long-tems la guerre.
Un tel perfonnage rendroit un grand fervice à
l'Amérique «.
( 189 )
Il ne paroît pas que la propofition faite
à la Hollande , pour une paix particulière ,
puiffe retarder en aucune façon les liifons
militaires & politiques que la République
eft prête à faire avec la France & avec
l'Amérique. Le parti Anglois eft expirant ;
M. Auguftin Hendrik Duyvenze , Bourgmeftre
règnant à Enckhuyfon , s'eft exprimé
ainfi dans une affemblée de la Régence
de cette Ville.
Il y avoit , dit-il , un ferpent caché fous les
offres de l'Angleterre. Les Anglois étoient , il eft
vrai , nos anciens alliés , nos frères de religion ;
mais de tels alliés , de tels frères avoient , par leur
injufte aggreffion , perdu toutes leurs relations avec
nous . Ils n'avoient pas feulement foulé aux pieds la
fainteté des engagemens , ils avoient commencé par
violer le traité de Breda par le brigandage & la
piraterie ; ils avoient pris par une violence fcandaleufe
nos Colonies & ruiné lâchement les habitans
. Enfin , voyant actuellement que notre Marine
eft fer un meilleur pied , que la France a repris tous
les établifiemens qu'ils nous avoient volés , & que
par les précautions qu'elle a prifes pour
fauver notre
Cap & nos Indes Orientales & par d'autres fervices
encore , elle est devenue notre alliée , au point que
nous fommes prêts de concerter les opérations avec
elle, pour porter un plus grand préjudice à l'ennemi ;
& fur-tout que cette Province a déja reconnu l'indépendance
de l'Amérique & M. Adams pour Miniftre
de ce nouvel état , les Anglois commencent à nous
offir l'olive de la paix. Mais en acceptant cette
offre , far la bafe du traité de 1674 & l'armiftice
propofé , nous reconnoiffons de nouveau ce fatal
traité; & dans le même tems le ruineux acte de
navigation de Cromwel en 1654 ; & nous ren
( 190 )
trons , comme auparavant & pour toujours , fous
les liens de l'Angleterre. Ainfi , ce Royaume confer
veroit par l'un ou l'autre côté cette puiffante in-
Auence fur notre Conftitution , qui nous a porté fur
le bord du précipice ; fur quoi , nous ferons toujours
exposés à les coups , à fes violations , comme
nous l'avons éprouvé avant cette guerre. Voilà
donc toute l'indemnifation que nous retirerions des
pertes énormes que nous avons effuyées ? Nous aurions
été outragés & pillés ; & l'on nous rendroit
comme une faveur le droit que nous avions déja
avant la guerre ! Non ! l'Angleterre eft épuisée ; quant
à nous , la plus grande perte que nous pouvions
faire , eft faite ; les vaiffeaux qui pouvoient mettre
en mer cette année font , ou vendus ou non prêts ; &
nous avons une occafion qui ne s'offrira peut-être
jamais plus , d'abjurer à jamais tout traité & confé .
quemment toute dépendance avec l'Angleterre. Puifque
les dépenses font faites , nous devons en tirer
parti ; nous n'avons affaire qu'à un ennemi épuiſé ,
& c'eſt le moyen d'obtenir une paix générale. En un
mot , nous ne pouvons faire une paix particulière
avec l'Angleterre , fans le confentement de la France
& fans la ftipulation expreffe de pouvoir commercer
librement dans l'Amérique - Septentrionale . — En
conféquence , je fuis d'avis que nos Députés aux
Etats foient chargés ſpécialement de rejetter les
préliminaires offerts par l'Angleterre , jufqu'à ce
qu'on fache s'ils font du goût de la France & que
par la paix qui fe feroit , tous les anciens traités
entre cette République & l'Angleterre foient déclarés
annullés & la liberté entière de la navigation
ftipulée «.
PRÉCIS DES GAZETTES ANGLOISES , le 17 Avril.
» Le Lord North eft de retour ici du quartier des
cinq ports où il avoit été tenir les feffions ; il a
( 191 )
affifté aux dernières délibérations de la Chambre
des Cominunes , où le nouveau Ministère a continué
de ne pas épargner l'ancien. Toutes ces clameurs
ne lui ôtent rien de fa gaieté. Lorſqu'il vit la
Gazette de la Cour qui contenoit les nouvelles nominations.
De mon tems , dit-il , on trouvoit les
» Gazettes menteufes. Affurément celle- ci ne fera
» pas changer de ſentiment . Voilà des articles bien
» faux « Il a plu au Roi de nommer , &c. Il a
plu au Roi, &c. Quelqu'un lui faifoit des reproches
de ce qu'il n'avoit pas pris en ſe retirant affez
de foin de fes amis ; que voulez-vous , lui réponditil
, je fuis mort d'apoplexie ; je n'ai pas eu le tems
de faire un teftament.
-
Toutes les Dames élégantes de Londres aſſiſtèrent
à la réélection de Charles Fox Four Weftminster ;
elles étoient en habits d'amazones , elles ôtèrent le
chapeau & crièrent Huzza avec le peuple.
Plufieurs perfonnes font étonnées de n'avoir rien
appris relativement à une négociation pour la paix
avec l'Amérique , parce qu'il n'y a pas long-tems
que M. Fox informa la Chambre qu'il favoit qu'ur e
perfonne qui n'étoit pas éloignée étoit chargée de
faire des propofitions , & qu'il s'offroit de négocier
pour le Ministère. Aujourd'hui que M. Fox a toute
la liberté & tous les pouvoirs qu'il peut defirer pour
réufur dans cette grande affaire , on attend tout
de fon zèle & de fa capacité.
Beaucoup de gens imaginent que la nouvelle Adminiſtration
ne fubfiftera pas long-tems . Le Comte
de Shelburne & le Colonel Barré s'oppoſent à l'indépendance
de l'Amérique. M. Dunning , aujour
d'hui Lord Ashburton , a déclaré dernièrement à la
Chambre des Communes que le Ministre qui oferoit
propofer cette indépendance , feroit coupable d'un
crime pareil à celui de haute trahiſon . D'un autre
côté, le Duc de Richmond , le Marquis de Rockingham
& M. Fox , font difpofés à l'accorder au
( 192 )
Congrès. Comment l'union peut - elle fubfifter entre-
Les Miniftres avec des principes fi oppofés«.
On continue d'affuter que le Chevalier Guy Cars
leton , actuellement en route pour l'Amérique , a
reçu de la nouvelle Adminiſtration des inftructions
particulieres , relativement à quelques nouveaux:
moyens d'entamer fur le champ une négociation
avec le Congrès.
Le Général Burgoyne , nommé au commandement:
en chef des forces de S. M. en Irlande , a paru le
12 dans la Chambre des Communes avec l'uni
forme de ce commandement.
Les Commiflaires du Bureau des Vivres ont ordre
-de tenir leurs compres en règle pour le 25 Avril
prochain , afin qu'ils foient mis fous les yeux de
l'Amirauté .
Il part tous les jours d'ici un grand nombre de
chariots chargés des équipages de camp & des
munitions pour les différens régimens qui doivent
être campés le mois prochain.
On vient d'expédier des ordres à notre Conful
à Alger de renouveller le Traité de paix avec le
Dey pour cinq nouvelles années , le Traité actuel
étant prêt d'expirer ; les préfens d'ulage vont lui
être envoyés .
Depuis 1774 , c'eſt-à - dire depuis le commencement
de la guerre d'Amérique , quatre mille fept
cents foixante quatre maifons ont fait banqueroute,
& la plupart de ces mailons avoient deux , trois ou
quatre Affociés.
Les Soulcripteurs du nouvel Emprunt , pour le
fervice de l'année actuelle , ont verfé à la Banque
le fecond payement du capital qu'ils fe font enga
gés de fournir.
La confiance aveugle que le Peuple paroît avoir
dans le nouveau Miniftère , foutient toujours les
fonds.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le